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LAROUSSE
MENSUEL
ILLUSTRE
Digitized by the Internet Archive
in 2009 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/larousseniensueli04auguoft
LAROUSSE
MENSUEL
ILLUSTRE
REVUE ENCYCLOPÉDIQUE UNIVERSELLE
PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION DE
CLAUDE AUGE
TOME QUATRIÈME (1917 à 1919)
3.000 Gravures. — 170 Tableaux. — 115 Cartes et plans.
PARIS
LIBRAIRIE LAROUSSE
13-17, BUE MONTPARNASSE, 13-17
Tout droits réservés.
OECi 9-1Q58..
• W 119. - JANVIER 1917
U LéMMéM
ii.,!!*mi»»<<*
aveugles de la guerre (les). — Pour
nous tous, les « voyants », il n'est pas de mutilation
plus ellroyalile que celle qui prive l'homme de la
vue. Elle peut survenir de plusieurs façons, soit
par atteinte directe des deux yeux, soit par aiïei-
tion unioculaire ayant gagné, par sympathie, l'œil
sain, soit par blessure du centre cérébral de la vi-
sion, etc. Quelle qu'en soit la cause, cette mutila-
tion fait des infortunés d'autant plus à plaindre,
semble-t-il, que la cécité
leur survient dans l'âge
mûr, c'est-à-dire à l'heure
de la pleine activité. Il
nous parait qu'elle est
moins atroce lorsqu'elle
se produit dans la vieil-
lesse, ou même lorsqu'ellr
est congénitale, alors que
1 homme ne sait pas de
quellesjouissances, sinon
de quelles facilités d'exis-
tence, il est privé. 11 est
donc tout naturel que lu
sollicitude des hommes
aille à ces victimes des
combats, plus cruellemeu t
frappées que toutes les
autres.
Au début de la guerre,
les aveugles furent diri-
gés de la même façon que
tous les blessés sur les
formations chirurgicales,
sans qu'un choix particu-
lier en filt fait pour eux.
U n'en est plus de même
aujourd'hui. Le grand
principe qui domine, à
l'heure présente, les soins
3ui leur sont donnés, est
e les réunir, tout d'a-
bord, dans des services spéciaux où ils soient entre
eux et non perdus au milieu de voyants et en-
suite que ces services spéciaux permettent, par
leur diversité et par leur situation, de les soigner
le plus près possible de leur résidence. Il existe
ainsi, sur le territoire, un certain nombre de
grands services d'ophtalmologie, dirigés par les
spécialistes les plus réputés et sur lesquels sont di-
rigés tons les « blessés de la vue ». Il nous est, na-
turellement, impossible d'insister sur les soins pu-
rement chirurgicaux qu'ils reçoivent. Mais il est utile
d'attirer l'iittention sur ce qui est fait, dés ce mo-
ment, pour (commencer, au moins an point de vue
moral, l'éducation nouvelle qui doit leur permettre,
comme (i tout mutilé, de se refaire une exislence
active et susceptible de leur assurer leur subsis-
tance, celle de leur famille et le maximum de
bonheur compatible avec leur inlirinilc.
H faut, pour arriver U ce résultat, une connais-
sance approfondie de la psychologie spéciale de
l'aveugle. Depuis longtemps, d'excellents esprits se
sont attachés à la faire connaître. C'étaient parfois
eux-mêmes des aveugles qui s'appliquaient à nous
dévoiler ainsi l'état d'âme de ces malheureux, comme
Maurice de La Sizeranne dans ses Trente a?ts
d'étude et de propagande. 11 faut citer, à cet égard,
les livres et lec brochure.'; édités par la plus ancienne
association pour aveugles qui existe à l'heure ac-
SnUe des paiificiiieals dct> suldats t
tuelle, l'Association 'Valentin-Hany, à Paris, et son
secrétaire (aveugle, lui-môme), Maurice de La Size-
ranne. Mais, la plupart du temps, les sociétés de ce
genre avaient eu surtout à s'occuper des aveugles-
nés. Nos aveugles de guerre sont d'une autre caté-
gorie ot, entre les deux groupes, les différences psy-
chologiques sont notables. L'Association Valentin-
Haûy a publié, depuis le début de la guerre, des bro-
chures spéciales h l'usage des personnes qui veulent
s'occuper de ces mutilés. Mais ceux qui ont peut-
être fait le plus pour connaître et faire connaître
la conduite à tenir envers eux sont Brieux, membre
de l'Académie française, 'Vaugban, directeur de
l'ho.spice national des Quinze-'Vingts, auteur d'un
livre sur la Rééducation des soldais aveugles, et
Pierre 'Villey, professeur (aveugle^ h l'université de
Caen, qui à publié dans la « Hevne des l)eu.\
Mondes» (oct. 1915) un article sur la Réadaptation
à la vie utile.
LAROUSSE MENSUEL.
IV.
Des instructions que nous donnent les uns et les
autres il résulte que, tout d'abord, comme nous le
disions plus haut, les aveugles doivent être groupés,
l'isolement au milieu de sujets normaux étant pour
eux une condition très défavorable. C'est, ensuite,
qu'il ne faut jamais plaindre les aveugles en leur
présence. « Plaindre, dit très justement Brieux,
n'est pas consoler ». Toute l'influence que l'on peut
acquérir sur eux doit être consacrée à leur démon-
trer, le plus tôt possible,
qu'ils ne sont pas, comme
tous le croient au début,
des épaves humaines et
des gens incapables de tra-
vailler et de vivre. 11 ne
faut pas agir pour eux,
mais leur prouver qu'ils
peuvent agir seuls et leur
en fournir la fréquente
occasion. Il faut, enlln, les
remettre, le plus rapide-
ment possible, dans leur
ancien milieu et, surtout,
dansleurfamille. Ily a là,
pi jur les di rec leurs des éla-
blissementselpourlesper-
sonnes qui s'intéressent à
ces mutilés, toute une
connaissance de l'aveugle
à acquérir. Nous ren-
voyons,pourceux qui vou-
draient creuser la ques-
tion, aux livres et bro-
chures que remettent à
tous ceux qui en font la
demande, d'une part,
Brieux, de l'autre, l'As-
sociation 'Valeutin-Haiiy,
.sans compter les sociétés
que nous énumérerons
à la fin de cet article.
En vertu de ces véritables axiomes de « typhlo-
philie », nous avons déjà vu que les soldats mena-
cés de cécité sont dirigés, même s'ils sont atteints
sinmltanémentde blessures autres et, en apparence,
plus graves, sur des centres chirurgicaux rappro-
chés de leur pays d'origine ou de la région qu'habite
leur famille. Dès que les soins dont ils sont l'objet
leur permettent de quitter leur lit, on les invite &
entrer dans les petits ateliers de rééducation adjoints
à tous les centres d'ophtalmologie. C'est là que doit
se faire cette initiation à la vie nouvelle qui de-
mande, parfois, de la part des réédncateurs, des
soins extrêmes et une ténacité très grande. U est
rare, d'ailleurs, que l'exemple des camarades qui
ont passé cello Première période et qui s'en trouvent
bien n'ait pas sur les soldats aveugles plus d'in-
lluence heureuse que les paroles les plus persua-
sives. El, dès la première heure, on met entre les
malus du mutilé le morceau de bois, le crochet et
1
— l'iiou ijuuuiont.
LAROUSSE MENSUEL
W« 119. Janvier 1917-
La vannerie.
Loi métiers des soldats aveugles. — Ph. Qauroont.
Le rempaillage.
le chiendent qui lui permettront de fabriquer une
brosse. Non que la brosserie, comme nous le verrons,
soit pour l'aveugle un m(^tier tout spécialement>,in-
diqué, ni, à plus forte raison, exclusif, mais parce
qu'en quelques heures, l'aveugle aura fabriqué sa
première brosse et qu'ainsi lui sera rapidement dé-
montrée cette possibilité de se refaire une existence,
qui est la grande persuasion qu'il faut lui faire
acquérir.
Une fois cette persuasion intervenue, la tâche est
considérablement facilitée. L'aveugle, débarrassé
des soins chirurgicaux qui ont achevé leur œuvre,
est alors dirigé sur des ateliers plus importants,
adjoints, eux aussi, la plupart du temps, aux ser-
vices ophtalmologiques et où sa véritable rééduca-
tion sera faite, s'adaptant, cette fois, au métier qu'il
aura choisi.
Ici, doit s'inscrire un axiome de plus, ainsi rédigé
par Brieux : « Un aveugle de guerre peut pres-
que toujours reprendre le métier qu'il exerçait
avant sa blessure ou, tout au moins, exercer un mé-
tier parallèle, connexe, auxiliaire à son ancien
métier. » C'est donc dans cette voie qu'il faut diri-
ger le choix de l'aveugle et, dans la très grande
majorité des cas, on arrive, en effet, à ce souhai-
table résultat. Les cultivateurs, qui forment la pro-
portion la plus forte de ces mutilés, retournent,
pour le plus grand nombre, à la ferme. Ils y ren-
dent de très grands services, peuvent y remplir la
plupart des fonctions.il faut seulement leur appren-
dre, en surplus, un métier secondaire, qui leur per-
mette d'ajouter quelque gain à leur salaire habituel
et de s'occuper, alors que les travaux de la ferme
dépassent le cercle de leurs possibilités.
Les métiers que peut entreprendre un aveugle
sont, d'ailleurs, assez variés; ils doivent être, ainsi
que nous venons de le dire, une source supplé-
mentaire de revenus, ou le gagne-pain fondamental
du mutilé. Parmi les premiers, il faut citer la bros-
serie, la vannerie, la conionnerle, le rempaillage des
chaises. Mais il reste bien entendu que l'apprentis-
sage des cultivaleurs doit être très rapide, de façon
à les rendre à la ferme en quelques semaines et à
les remettre ainsi, promplement, dans leur milieu,
car rien ne peut — et ceci de laçon générale — être
plus profitable à l'aveugle, à tous les points de vue,
que ce retour rapide dans sa famille et son entou-
rage, de même que rien ne lui est plus préjudiciable
que de le garder de longs mois dans des formations
sanitaires ou professionnelles, où l'ambiance n'est
pas la même que chez lui.
Quant aux métiers que peut apprendre un aveugle,
Le montage d<^s ;
en dehors de ces professions supplémentaires, ils
sont variables, suivant son éducation, ses habitudes,
son habileté et son milieu antérieur, l'axiome res-
tant toujours vrai qu'il faut, autant que possible, lui
rendre son ancienne profession ou une profession
très voisine de l'ancienne. Les principaux sont,
évidemment, ceux que l'on enseigne depuis long-
temps dans les associations pour aveugles, c'est-à-
dire la brosserie, la vannerie, l'accordage des pia-
nos, la dactylograpliie (sur machines à écrire d'un
type spécial), le massage, la réparation des matelas,
la tonnellerie, la télégraphie sans fil, la fabrication
deslacels de cuir,le travail des manufactures d'allu-
mettes et de tabac, etc. Des inventions nouvelles,
comme la machine à sténographier de Villey ou le
dispositif de Marins Léger, leur permettent d'abor-
der également la sténographie et la profession de
téléphoniste des postes. Mais, à côté de ces appli-
cations classiques, l'habileté manuelle des aveugles
peut s'exercer dans de tout autres directions, et l'on
cite des menuisiers, des ébénistes, des ajusteurs et
des mécaniciens privés de la vue. En somme, des
voies nombreuses s'offrent pour l'éducation et le
placement des aveugles, depuis les métiers les plus
sommaires elles plus simples, jusqu'au professorat.
Une des conditions premières de la rééducation
de l'aveugle est sa réadaptation à la lecture et à
l'écriture. L'aveugle peut, à l'aide de guide-mains
fort simples, écrire avec un crayon, mais ceci est
tout k fait insuffisant. Il faut, le plus tût possible,
le mettre en possession d'un moyen lui permettant
non seulement d'écrire, mais de se relire, de lire
des lettres, des journaux, des ouvrages écrits par
d'autres, de tenir ses comptes, etc. La méthode qui
réunit à cet égard les sulfrages de la presque una-
nimité des typhlophiles est la méthode inventée par
Braille, aveugle lui-même, en 1826, et où l'alphabet
est représenté par des points en relief. Ces points
servent encore à écrire les chiffres et même les
notes de musique. Il existe actuellement un journal
imprimé en caractères Braille et une bibliothèque
de quarante mille volumes obtenus par le même
procédé. Il est, d'ailleurs, d'autres systèmes d'écri-
ture et de lecture pour aveugles, et on doit citer, à
cet égard, la méthode de M"' Mulot, d'Angers, qui
utilise les lettres de l'alphabet courant, imprimées
en relief. Elle rend de très appréciables services,
mais ne semble pas aussi complète dans ses résul-
tats que la méthode pre'cédente.
Le premier grand atelier de rééducation pour
aveugles de la guerre a été fondé àUeiiilly (Paris)
p;ir l'Etat. L,es autres ont été créés sur le même
modèle. Dans ces écoles, l'aveugle est à la charge
La ooFdoDnerie.
Les métiers des soldats aveugles. — Ph. Oaumont
La tonneUeric.
«• 119. Janvier 1917.
du Service de santé de l'armée, jusqu'au jour où il a
oblenu sa réforme déGnitive. Il est ensuite à la
charge du ministère de l'intérieur jusqu'à son dé-
part pour sa résidence. 11 est désirable que, rentré
chez lui, il reste en rapports constants avec une des
sociétés les plus actives de typiilophiles, laquelle
lui viendra en aide, si le besoin s'en fait sentir.
La réiorme de l'aveugle entraîne une pension in-
tangible de 975 francs par an, à laquelle s'ajoutent
100 francs de médaille militaire ; il est proba-
ble que l'on consenlira à tous les aveugles le sup-
plément de pension de
225 francs prévu pour
ceux qui auront, du fait
de leur mutilation, besoin
d'un guide ou d'une aide
constante.
Les sociétés qui s'oc-
cupent tout .«spécialement
desaveugles sont,àParis:
les A misUessoldats aveu-
gles, 99, rue de Ueuilly;
l'Association Valentin-
Uaûy, 9, rue Duroc ; la So-
ciété lies ateliers d'aveu-
gles, 9, rue de l'Echelle;
le Foyer du soldat aveu-
gle, 64, rue du Hocher ;
VA ide au soldat aveugle,
2,ruel3alzac le Phare de
France, 16, rue Daru ;
l'Abri du soldat aveugle,
8, rue du Gommandànt-
Marcband. — D'H.Booouet.
bossisme f 6o-«!ssm'
— de l'anglo-améric. hoss'
patron, chef) n. m. Orga-
nisation électorale, fort
développée aux Etats-
Unis, suivant laquelle les
électeurs se groupent au-
tour de chefs ou " boss»,
dont ils exécutent aveu-
glément les ordres : On a créé le mot grotesque de
BOSSiSME pour désigner le système particulier
d'organisation politique, oit l'exercice de la fa-
meuse liberté individuelle américaine aboutit au
despotisme le plus absolu d'un homme qui s'est
constitué lui-même « boss » et n'est responsable
devant aucune juridiction. (A. Moireau.)
Collin (Louis-Joseph-BapAaëZ), peintre fran-
çais, né à Paris le 17 juin 1850, mort à Brionne
(Eure) le 20 octobre 1916. 11 fit ses études au lycée
Saint-Louis (Paris) et au collège de 'Verdun, où il
apprit, en compagnie de Bastien-Lepage, les pre-
miers éléments du dessin. De bonne heure, il se des-
tina à la peinture. Revenu dans la capitale en 1869,
il fut queloue temps l'élève de Bouguereau. L'année
suivante, il entra à l'Ecole des beaux-arts dansl'ale-
''«J' deCabanel; il s'y montra bon élève et, bien
qu il eiit obtenu plusieurs récompenses à l'Ecole, il
neconcourut pas
pour le prix de
Rome. Sans re-
tard, il aborda le
Salon, où il rem-
porta d'emblée
une seconde mé-
daille, avec un ta-
bleau : le Som-
meil, qui repré-
sente une jeune
femme étendue
sur un divan
(1873, musée de
Rouen). Deux
figures : Véni-
tienne et Jeune
fille de Bdle,
exécutées dans le
goût des maîtres
de la Renais-
sance, furent envoyées par l'artiste au Salon sui-
vant. En 1875, le ministère des beaux-arts acquit,
pour le musée d'Arras, sa gracieuse toile l'Idylle,
où une jeune fille nue, dans un bois, mire sa
beauté dans l'eau d'une source. En 1876, Raphaël
Collin exécula sur fond d'or le portrait de l'actrice
Jane Essier dans le rôle des « Beaux messieurs
de Bois-Doré », pour le foyer de l'Odéon, et il
exposa au Salon de 1877 Daphnis et Chloé (mu-
sée d'Alençon), tableau vivement goûté, regardé
comme nue des belles œuvres de l'art moderne.
L'année suivante, l'artiste quitta la tradition poéti-
que; il donna deux portraits, dont l'un, celui de
son père, lisant un journal à l'angle d'une fenêtre.
A partir de ce moment, la personnalité de Raphaël
Collin, qui avait grandi d'année en année, se déga-
gea de la façon la plus nette, et l'artiste fournit sans
répit un labenr considérable. Tandis qu'il peignait
une longue série de portraits (de femmes surtout)
très remarqués pour leur grande pureté de dessin et
LAROUSSE MENSUEL
qu'il plaçait dars le joli cadre des verdures om-
breuses d'un bois ou de l'ensoleillement discret d'un
jardin fleuri, il exécutait une foule d'autres travaux.
En 1880, il donna un panneau pour le thé&trede Bel-
fort : la AfusigHa.dontle pendant : la Danse, parut l'an-
née suivante. Un loua beaucoup la fantaisie originale
et neuve, l'arrangement harmonieux de ces deux
compositions, qui s'accommodaient parfaitement au
milieu quelles étaient destinées à décorer.
D'un séjour de quelques mois en Russie Raphaël
Collin rapporta une étude de nu en plein air (1882);
Itaphafl CoUiu.
Floréal, tableau de Kaphaël Collin. (Musée du Luxembourg.) — Pbot. Braun,
puis vinrent t'etite fille tenant un cerceau et son
importante composition : l'Eté, qui lui valut, au
Salon de 1884, un certain nombre de voix pour la
médaille d'honneur [« le lieu de la scène est une
prairie en fleurs, devant une rivière; des bai-
gneuses, debout ou paresseusement étendues sur le
gazon, plongent dans les buées grises du matin
leur corps souple, finement modelé, sous les ca-
resses de la lumière difTuse, offrant aux regards,
dans un concert de verts cendrés, de roses pales,
de bleus fondus et d'orangés discrets qui chantent
en sourdine, le sourire de leur beauté »J(v. p. 14);
Floréal (t886, musée du Luxembourg), représen-
tant une jeune femme nue, étendue sur le gazon
vert pâle d'une prairie, morceau délicat, d'un des-
sin précieux et d'une coloration cendrée; Chry-
santhèmes, Fin d'été, panneau décoratif destiné
à la salle à manger du recteur de la Nouvelle
Sorbonne (1887); Jeunesse et le Matin (1889). Cette
année-là (18S9), il obtint un grand prix à l'Expo-
sition universelle de Paris. Citons ensuite Adoles-
cence (1890); un plafond pour le fover de l'Odéon
(1891); Au bord de la mer (1892); la Poésie, pan-
neau pour le salon des Lettres de l'Hôtel de ville de
Paris, et Sommeil (1893); Eveil et Primerose (mu-
sée de Bucarest, 1894); Jeune fille et A la croisée
(1895); Coin de jardin ei Anémone des bois (1891);
Intimité et Biblis (1897); En été (1898); Solitude
et Féline (1902) ; Quiétude et Contemplation (1903);
Silence (1904); Evocation pa'ienne (i90&); Paresse
(1906); un plafond pour la salle des Fêles de la
préfecture, à Limoges (1908); Nonchalance (1913).
Durant les années 1898-1899, Raphaël Collin
avait exécuté, pour le petit foyer de l'Opéra-Comi-
que, un plafond : la Vérité animant la fiction; un
panneau central éclairé par une lumière douce et
poudroyante: les Uai'monies de la nature inspi-
rant le compositeur ou l'Inspiration à l'Ode ou
l'Inspiration musicale, et deux panneaux latéraux :
l'Ode et la Chanson. Pour des particuliers, il pei-
gnit d'autres ensembles importants. En 1900, deux
grands panneaux: la Poésie lyrique et la Poésie
légère, sont accompagnés de cinq autres petites com-
positions représentant des enfants avec des attributs :
violon, cor, mandoline, flûte, castagnettes (Paris).
En 1902, trois panneaux en longueur : la Pastorale,
l'Elégie, la Romance (New-York). Les deux Amé-
riques lui firent de nombreuses commandes pour la
décoration de monuments publics ou privés.
Pendant plusieurs années, l'excellent artiste avail
appliqué ses aptitudes à la décoration de la faïence
et exécuté, pour le céramiste Théodore Deck, une
suite d'œuvres très individuelles, d'une distinction et
d'un charme tout à fait particuliers. Ce sont, le plus
souvent, des têtes de femme ou de jeune fille, d'un
dessin serré, d'une expression poétique et vraie en
même temps. Pour compléter son œuvre, ajoutims
qu'il exécula avec succès une série de camaïeux des-
tinés à l'illustration d'un Daphnis et Chloé {1890).
Raphaël Collin appartenait à la tradi tion classique.
Décorateur et peintre, il avait su trouver une inter-
prétation poétique et neuve de la forme, s'elforçant
de marier le dessin d'Ingres à la formule décorative
de Puvis de Cbavannes.Mais,8i l'on remarque dans
ses œuvres l'équilibre heureusement balancé de
ses llgnres, une narmonie gracieuse de la composi-
tion, il faut reconnaître que ses sujets varient peu.
La figure nue d'un dessin agréable et souple y joue
un rôle important; il excelle k la traiter sur des
fonds de verdure légers, toujours voilés d'un peu de
brume. Les tons vifs sont exclus de sa palette, tandis
que les gris, variés à l'in-
uni, soulignent la distinc-
tion de son talent fin et
délicat.
Collectionneur remar-
quable, il avait réuni
chez lui un nombre consi-
dérable de magnifiques
porcelaines, de grès chi-
nois, coréens ou japo-
nais, un admirable en-
semble de gardes d'épées
japonaises, de pièces ra-
res, de verreries grec-
ques, de statuettes de
Tanagra, etc. La culture
de son esprit, l'étendue
de ses connaissances, la
sùrelé de son goût et
l'impartialité de ses ju-
geuienls faisaient de
lui, pour ses confrères
comme pour ses élèves,
un conseiller sûr et clair-
voyant.
Raphaël Collin fut suc-
cessivement membre du
comité de la Société des
.\rlisles français, profes-
seur-chef d atelier à
l'Ecole des beau.x-arts,
membre du conseil supé-
rieur des beaux-arts et du
conseil supérieur de la manufacture de Sèvres et,
en 1909, membre de l'Académie des beaux-arts, où il
remplaça le vieux maître Hébert. — J.M. d«liïi.i.
Dugué de La Fauconnerie (Henri-Jo-
sepli), nomme politique français, né à Paris le 11 mai
1835. Il est mort à Saint-Germain-des-Grois (Orne), le
26 août 1914. — Dugué de La Fauconnerie fit ses hu-
manités au lycée Gharlemagne ( Paris) et ses études de
droit à Strasbourg. 11 fut successivement chef de cabi-
net du préfet de l'Orne, conseiller des préfectures de
la Mayenne et du Pas-de-Calais, sous-préfet de Saint-
Jean-d'AngelyeldeMamers. Uquillaladministralion
en 1866 et fut élu, pour le canlon de Noce, conseiller
général de l'Orne. Le comice agricole de l'arron-
dissement de Mortagne le choisit comme président.
Dugué de La Fauconnerie entra dans la vie poli-
tique en 1869 : les électeurs de la deuxième cir-
conscription de l'Orne l'envoyèrent à la Cham-
bre. Il siégea à
l'extrême droite,
combattit le mi-
nistère d'Emile
OUivier et se si-
gnala par de
nombreuses et
bruyantes inter-
ruptions. Il se
déclara partisan
du maintien des
candidatures of-
ficielles en 1870
et vota la guerre
contre la Pru.sse.
Après le 4 -Sep-
tembre, Dugué
de La Fauconne-
rie se retira dans
son déparlement
etprit.après Clé-
ment Duvernois,
la direction du «Journal de l'ordre ». En 1874, il lança,
sous le titre : les Calomnies contre l'Empire, une
brochure dans laquelle il s'efforçait de réhabiliter
le régime impérial. Il en appuya la publication d'un
défi peu banal, pariant iS.OOO 'francs contre iS.OOO
sous que nul républicain ne serait en mesure de
réfuter SCS arguments. Lu Vendéen, Couteaux, ré-
pliqua dans un opuscule intitulé : les Traîtres, et
proposa que l'on s'en remît à des arbitres du soin de
trancher le débat. Mais Dugué éluda celte solution.
Candidat bonaparlislc aux élections de 1876 dans
la première circonscription de Morlagne, Dugué
de 1^ Fauconnerie fui élu. Il fit partie du groupe de
l'Appel au peuple et fut un des 158 parlementaires
qui, après l'acte du 16 mai 1877, accordèrent au
ministère de Rroglie un vole de confiance. Candidat
officiel du maréchal de Mac-Mahon aux élections du
14 octobre, il battit son compétileur, le républicain
Albert Leguay. Peu après, il se ralliait au régime
Dugué de La Fauconnerie.
républicain et, dans une lettre k Emile de Girardin,
s'exprimait ainsi :
Aujourd'hui, lo doute n'est plus permis : la France dé-
mocratique se prononce pour la Republiaue, comme elle
s'est prononcée autrefois pour l'Empire. Elle l'a dit avec
une force et un éclat qui ne laissent place à aucune équi-
voque.
Dugué de La Fauconnerie ne fut pas réélu en
1881; il échoua également, en 18X2, aux élections
pour le renouvellement triennal du Sénat, auxquelles
il se présenta sur la liste républicaine. 11 donna alors
sa démission de conseiller général de l'Orne et se
fit élire dans le canton de Mortagne, en 1884. La
même année, il fit une nouvelle conversion poli-
tique, et déclara, dans une lettre qui fut rendue
publique, que le gouvernement républicain l'avait
déçu. Tout en s'al'Bnnant de tendances libérales, il
revint au parti conservateur. C'est comme candidat
monarchiste qu'il fut élu dans l'Orne, aux élections
législatives de 1885. Il se mit à la tête des conserva-
teurs qui s'associèrent au parti boulangiste. Après
le rétablissement du scrutin uninominal, il battit,
en 188a, dans le même arrondissement, le républi-
cain Bansard des Bois.
Quand le boulangisme eut avorté, Dugué de La
Fauconnerie manifesta im nouveau changement
d'opinion : il revint à la République. En vain Paul
de (jassagnac lui rappela-l-il la part active qu'il
avait prise au mouvement révisionniste; nul ne dé-
savouait plus formellement ce qu'il avait cessé de
croire. Sa carrière politique s'acheva sur cette der-
nière évolution.
Dugué de La Fauconnerie a publié : le Tribunal
de la Hôte (1859), la Bretagne et l'Empire (1861),
Oit nous en sommes (1873), les Calomnies contre
l'Empire; Ce qu'a cnAté le A-Seplembre (1873), Si
l'Ernpire revenait [ISl^), Soy ans donc logiques\ 1 878).
Sous le titre Lettres au curé de ma commune,
il écrivit, dans le « Figaro », en janvier 1892,
des articles qui firent quelque biuit et dans
lesquels il engageait les prêtres à s'abstenir de
toute action politique dirigée contre le régime ré-
publicain. — Carlos Larrondb.
Etats-tJnis. (Election PHisiDENTiF.LLE.) —
Une élection présidenlielle aux Etats-Unis n'est pas
une opération simple comme elle est en France, où
le président est élu par les deux Chambres réunies
en Congrès, oii, comme elle serait aux Etats-Unis
mêmes, si le peuple y élisait directement le prési-
dent. C'est d'ailleurs ainsi qu'en apparence les
choses se passent, et l'on dit avec assurance, au
sujet de l'élection qui a eu lieu le 7 novembre 1916 :
■Wilson, le président démocrate en exercice, a été
réélu ce jour-là président pour quatre ans contre
son concurrent Hughes, candidat du parti républi-
cain.
Les choses ne sont ainsi qu'en apparence, et
Wilson, qui est bien réellement élu président, ne le
sera l'orinellenient, officiellement, qu'en janvier 1917,
lorsque la Chambre des représentants, àWashington,
aura constaté que les délégués présidentiels des
Etats, élus le 7 novembre précédent, ont bien dé-
signé Wilson comme président des Etats-Unis pour
la période du 4 mars 1917 au 4 mars 1921.
L'opération qui a été elfectuée en novembre 1916
ne marque, en effet, que le troisième acte, l'acte
décisif, il est vrai, de l'élection présidentielle, le
premier acte ayant été la désignation des candidats
par les deux grandes conventions nationales (à Chi-
cago et àSaint-Louis)du parti républicainetdu parti
démocrate, et le second, la campagne électorale
menée par les deux candidats et par leurs princi-
paux adhérents. De ces deux premiers actes, la
Constitution de 1787, qui régit toujours les Etats-
Unis et à laquelle les Américains se font un devoir
de rester fidèles, ne parle en aucune taçon. Le troi-
sième acte, qui est la désignation, par le suffrage
populaire dans les Etats, des membres du collège
électoral présidentiel, est celui qui s'est accompli le
7 novembre. C'est la première phase, au regard de
la Constitution.
Dans chaque Etat, la délégation & ce collège, à
élire le premier mardi de novembre dans l'année
qui précède la fin de chaque présidence (en l'espèce,
le 7 novembre 1916), esl égale au nombre des repré-
sentants de cet Etat dans les deux Chambres du
Congrès fédéral. Le mode de scrutin adopté est le
scrutin de liste : si un parti l'emporte même de peu
au suffrage populaire dans toute l'étendue de l'Etat,
il en nomme tous les électeurs présidentiels. On
peut rappeler, comme exemple de ce qui est vrai-
ment une singulière anomalie, qu'en 1884, une ma-
jorité de 1.100 voix dans le vote populaire, sur plus
d'un million de volants de l'Etat de New-York, a
donné aux démocrates les 36 voix électorales que
Possédait alors cet Etal et a, par là même, assuré
élection de Cleveland à la présidence.
Quelques semaines après l'élection des délégués-
électeurs présidentiels, ceux-ci se réunissent dans
chaque Etat et transmettent sous pli cacheté, au
Congrès de Washington, le résultat du scrutin au-
quel ils se sont livrés pour le choix du président.
Le résultat final est ensuite proclamé au Congrès, et |
Woodrow 'Wilson.
LAROUSSE MENSUEL
l'élu entre en fonctions le 4 mars de l'année qui suit
la date de l'éleclion des délégués présidentiels.
Il semble donc que rien encore ne soit définitif au
sujet de l'issue de la lutte entre les deux candidats,
Wilson et Hughes. Ici encore, les faits emportent la
forme. Le vote qui a, le 7 novembre, déterminé la
formation du collège électoral présidentiel, a décidé-
ment élu le président. Les électeurs présidentiels en
effet — ce qui est absolument contraire àl'espiit de
la Constitution, mais a été établi par la pratique cons-
tante des élections depuis plus d'un siècle — sont
élus avec un mandat impératif, et l'engagement im-
plicite qu'ils prennent à l'égard de leurs électeurs
ne saurait être violé. En fait, il ne l'a jamais été.
Jamais les délégués-électeurs n'ont voté autrement
que le leur ordonnait leur mandat. Donc, Wilson a
bien été réélu président des Etats-Unis le 7 novem-
bre 1916, bien qu'il ne doive être proclamé qu'en
janvier 1917.
Le collège présidentiel se compose d'autant de
membres qu'il y a de sénateurs et de représentants
au Congrès de Washington. Le nombre des Etats est
de 48. Chaque Etat, quelle que soit sa population,
nommant deux sénateurs, la haute Assemblée fédé-
rale compte 96 membres. Les représentants, nommés
au prorata de la
population, sont
au nombre de435.
Le collège prési-
denliel est ainsi
composé de 531
membrco élus le
7 novembre. Pour
que l'élection du
président soit ac-
quise, la Consti-
tution exige que
l'élu ait obtenu la
majorité absolue
surlenombredes
électeurs nom-
més, en l'espèce
266 voix. Wilson
en a obtenu 288
et Hughes 243.
En même temps,
et de même façon que le président, est élu le vice-
président, qui appartient toujours, naturellement,
au même parti que le président. Marshall est le
nouveau vice-président des Etats-Unis.
Notons enfin que, dans le même scrutin par le-
quel les électeurs américains votent pour le prési-
dent de l'Union, ils votent aussi pour le renouvelle-
ment d'un tiers du Sénat et pour la totalité des re-
présentants à la Chambre (chaque Chambre ayant
une durée de deux années) et encore pour les gou-
verneurs des Elats et les antres principaux fonc-
tionnaires d'ordre administratif, financier et judi-
ciaire dans les Etals.
L'élection présidentielle est ainsi une élection
à deux degrés. Elle est déterminée non par le vole
populaire, mais par la répartition des voix des dé-
légués au collège présidentiel.
En 1892, le collège électoral, sur 531 voix, en
donna 435 à Wilson, 88 à Roosevelt et 8 à Tait.
Le vole populaire fut, d'autre part, exprimé par
15.036.000 suffrages.
Si l'on en croit la statistique, mais la statistique
seulement, le parti démocrate avait été battu en 1912.
Son candidat, Wilson, n'avait en effet obtenu au
suffrage populaire que 6.293.000 voix contre 4.1 19.500
à Roosevelt, 3.485.000 à Tafl, 902.000 à Debs, can-
didat socialiste, et 237.000 à divers.
La totalité des votants étant de 15.036.000, la
majorité absolue était de 7.519.000. Woodrow
Wilson n'en avait eu que 6.293.000. Ce qui ne l'a
pas empêché d'être président des Etals-Unis depuis
qualre ans et de contracter avec son pays pour la
présidence un nouveau bail de qualre années.
En 1916, comme en 1912, Wilson avait 136 voix
électorales acquises avant tout débat : celles des
douze Etals du « Sud démocratique compact »,
formé par les vaincus de la guerre de Sécession,
les blancs de cette région, où vivent 10 millions de
noirs. La masse des blancs y|Conslilue encore la
majorité de la population et redoute par-dessus
tout l'appel des gens de couleur à des charges publi-
ques importantes, appel dont des exemples ont été
donnés a plusieurs reprises par les admnistrations
« républicaines » ; entre autres par le gouvernement
de Roosevelt. Un candidat démocrate à l'élection
présidenlielle a donc toujours d'avance 136 suf-
frages électoraux.
Par contre, un candidat républicain peut générale-
ment compter (quoique avec moins de certitude
depuis que le développement industriel y a multiplié
la population ouvrière) sur les suffrages des Elats
de l'est des Etats-Unis (Nouvelle-Angleterre,
Pennsylvanie, Ghio, New-.lersey, etc.), l'.^mérique
des premières colonisations. Le vole de New-York
étant toujours incertain, le nombre des voix acquises
d'avance au candidat républicain ne dépasse guère
une soixantaine. Les grands Etats du Centre oriental
(New-York, Indiana, Illinois, Wisconsin, Michigan)
«• IJ9. Janvier 1917.
et tous les Elats du Far-West et du Pacifique déci-
dent de l'élection. Ce sont les votes de l'Ouest et de
la région du Pacifique, dont on n'avait pas eu, le
7 novembre au soir, la patience d'attendre le dépouil-
lement, qui ont changé les cris de victoire des
Il républicains » en aveux de défaite.
Lorsque la Convention nationale du parti répu-
blicain se réunit à Chicago, le 7 juin dernier, deux
candidats seulement paraissaient possibles pour la
« nomination » : Hughes et Roosevelt. Hughes élait
un II favori », mais non pas un « favori lort ». Nulle
sympathie fougueuse ne se manifestait pour lui. Il
élait accepté, mais ne passionnait pas. Roosevelt
avait, au contraire, d'ardents parlisaiis, mais aussi
des ennemis irréconciliables. Les deux partis,
progressiste et républicain régulier, dont la scission
en 1912 avait déterminé la victoire des démocrates
avec Woodrow Wilson, ne se réconcilièrent à
Chicago que du bout des lèvres, sans conviction.
Les républicains réguliers, le plus grand nombre
d'entre eux au moins, étaient résolus à ne pas con-
fier de nouveau à Roosevelt la direction du parti.
Il l'avait brisé, on ne pouvait lui remettre la lâche
de le reconstituer.
Hughes n'avait donc parmi les chefs républicains
que de tièdes sympathies. Lorsqu'il était gouverneur
de l'Etat de New-York, il avait manifesté une hosti-
lité implacable contre les hommes qui composaient
alors la « machine », c'est-à-dire l'organisation ré-
gulière électorale du parti dans cet Etat et dans !a
ville de New- York. Les chefs n'étaient disposés a
l'accepter comme candidat présidentiel que s'ils ne
pouvaient faire l'union sur un des leurs, comme
Root. De même, Roosevelt, si Hughes apparaissait
comme le seul candidat possible, se déciderait à se
rallier à lui. Il a fait en sa faveur, on le sait, une
très vigoureuse campagne.
Hughes est, à tous égards, un homme supérieur
et du plus haut degré de respectability. Sa person-
nalité physique et morale répond bien à la concep-
tion que les masses doivent se faire d'un « grand
juge à la Cour suprême des Etats-Unis ». Il est
froid, mais non autant qu'on le pourrait supposer
d'un «juge». En bon politicien d'Amérique, il sait
comme les autres, dit le Public Ledger de Phila-
delphie, n serrer la main des cultivateurs et des mi-
neurs et embrasser leurs bébés ». Même les cow-
boys du Far-West ne l'ont pas trouvé trop guindé.
Avec tout cela, dans sa tournée d'août 1916, qui l'a
porté jusqu'en Californie, il n'a pas fait la conquête
de l'Ouest.
Il a eu contre lui des homme; comme le grand
universitaire de Harvard, Eliotl, comme Edison,
l'inventeur, et bon nombre de leaders du parti pro-
gressiste, qui, ne pouvant voter pour Roosevelt, ont
mieux aimé donner leurs voix à Wilson qu'à
Hughes; entre autres, Mrs. Coffin, lieutenant de
Roosevelt en Californie, où elle a réussi à faire
donner le droit de suffrage aux femmes.
Woodrow Wilson est virginien, comme étaient
uatre des cinq premiers présidents de l'Union :
Vashinglon, Jefferson, Madison, Monroë. 11 esl né
en 1856 à Shaunton (Etat de 'Virginie). Il a en consé-
quence soixante ans. Fils d'un pasteur presbytérien,
il fit ses études à Columbia (Oroline du Sud), puis
à Princeton (New-Jersey) et à l'université de Virgi-
nie. Après un court séjour dans le barreau, il se fixa
dans l'enseignement, qui le conduisit à la politique.
Il fut gouverneur du New-Jersey en 1911, ce qui
l'amena à être président des Etats-Unis depuis no-
vembre 1912.
Les détails de la campagne électorale importent
peu. Wilson et Hughes se sont acquittés avec cons-
cience et probité des charges incombant à leur si-
tuation temporaire de candidats parlant au nom de
millions d'hommes. Wilson a serré de rudes mains
dans l'illinois, au point de s'en fouler le poignet.
Hughes a parcouru 40.000 kilomètres en chemin de
fer ou en automobile et a prononcé cinq cents dis-
cours. Autant en a emporté le vent.
Les républicains ont reproché à Wilson : l" d'a-
voir réduit le tarif douanier, mettant ainsi en péril
les destinées de l'industrie américaine; 2° d'avoir
institué un impôt fédéral sur le revenu; 3» d'avoir
poursuivi, au Congrès, une politique de législation
ouvrière dans l'intérêt exclusif des cla.sses salariées
et sans aucun ménagement pour les intérêts légi-
times des employeurs; 4° d'avoir adopté, en face du
conflit européen, une ligne de conduite qui, si elle
a conservé la paix aux Etats-Unis, a compromis
l'honneur national; 5" d'avoir laissé se perpétuer au
Mexique une situation déplorable, portant le plus
grand préjudice aux intérêts des Américains en ce
pays.
Wilson s'est très habilement défendu sur tous ces
points. Il n'a eu pour cela qu'à répéter sans cesse
qu'il a préservé les Etals-Unis de la guerre et que
le pays jouit actuellement d'une prospérité inouïe.
Wilson pouvait compter sur les 6.293.000 voix
qui l'avaient élu en 1892. Il n'y avait pas de rai.son
pour qu'il en eût perdu la moindre fraction. Les élec-
teurs ont élé, en effet, très satisfaits de son adminis-
tration intérieure, et ils l'ont très fortement approuvé
d'avoir su épargner aux Etats-Unis le fléau d'une
%
H' 118. JanWer 1917.
intervention dans la guerre européenne. Avec toutes
les voix démocrates, il avait bien des chances d'ob-
tenir de plus un million à un million et demi de voix
recrutées dans les rangs du parti socialiste et dans
ceux du parti républicain. Il a lait passer au Congrès
un certain nombre d'imporlantes lois sociales : tout
dernièrement, une certaine loi sur la journée de huit
heures de travail, qui lui vaut la reconnaisance de
beaucoup d'ouvriers.
Des Germano-Américains devaient voter pour lui,
par crainte de l'arrivée à la Maison Blanche d'un
président moins féru de neutralité. Pour ces diver-
ses raisons et parce que les lemmes ont eu le droit
de voter dans douze Etats de l'Ouest et que ces
électeurs femmes ont naturellement l'horreur de la
guerre, Wilson a eu pour lui dans l'ouest des Etals-
Unis la presque totalité des Etats, ce qui lui a donné
la victoire, bien que l'Etat de New-York, l'Etat
« pivot », se fût prononcé contre lui.
Le résultat est un grand succès pour 'Wilson,
plus encore que pour son parli. En 191i, il avait été
élu k cause de la scission qui s'était produite chez
ses adversaires. En 1916, il a obtenu un peu plus de
voix que n'en ont eu ses deux concurrents réunis.
La personnalité de Wilson a donc grandi durant
ses an; ées de présidence, à cause de ce qu'il a fait,
et aussi de la manière dont il l'a fait, à cause des
nombreuses réformes qui ont abouti sous son admi-
nistration et dont le succès a été dii en grande
partie à son action personnelle.
Sa politique extérieure n'a pas été aussi brillante.
On sait qu il a ordonné enquêtes sur enquêtes et qu'il
a rédigé des notes vigoureuses à l'adresse de l'AUe-
mngne. Ses notes ont donné satisfaction au souci
LAROUSSE MENSUEL
Huglies a eu l'imprudence de dire, en un de ses
discours de campagne électorale : « Je défendrai les
droits et l'honneur des Etats-Unis sans me préocu-
perdes conséquences possibles. » Ces paroles lui ont
sûrement fait perdre des centaines de milliers de
voix au suffrage populaire.
La (In de la campagne présidentielle a été aussi
animée (exciling) que la campagne elle-même avait
été languissante.
Aussitôt qu'il fui connu, le soir du 7 novembre,
que Hughes emportait le New-York et ce second
Elat « pivotai », Illinois, avec ses 600.000 femmes
élevées à la dignité d' « éleclrices », il n'y eut qu'un
cri : « Hughes est élu I » Le tort futde transformer ce
cri instinclifen une information sérieuse et de câbler
en Europe avec une assurance presque officielle la
victoire du candidat républicain.
Les wilsoniens étaient abattus, désemparés, tard
dans la soirée du 7. A ceux qui ne concédaient plus
au président en exercice que le « Sud solide » el
peut-êlre deux ou trois Etals comme le Colorado el
le Kenlucky, les dirigeants de l'organisation démo-
crate ne trouvaient rien à répondre.
Les impatients ne se contentaient pas de déclarer
Huglr s vainqueur. Ils voyaient, ils annonçaient une
Chambre des représentants acquise aux républicains
et un Sénat oii les deux partis allaient se faire équilibre.
Dans la matinée du 8, tout était remis en question,
et, bientôt, tout était changé. L'Ouest avait donné en
masse pour Wilson, et c'était lui, maintenani, l'élu.
Les détails du scrutin commençant à être connus,
les républicains passèrent les journées du 9 et du
10 novembreà vouloirconvaincre les Etals-Unis et le
monde entier que, clans pi usieursElats du Centre et de
pf^ — :/
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Démocrates
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IMISSOURI Vj/ KENTUCKV /'-- " -
. ^ i V TENNESSEE/ ju HORO
ÎOklAHOMA :'...: -r— ^-T- „-,::b. /^ ^
c- 1
TEXAS
E X I Q U E \
Carte de Télectioa préitidenUeUe aux ELats-UQis (7 novembre 1916).
américain de la dignité nationale. Ses abstentions
opportunes ont satisfait les instincts pacifiques de ce
grand Ouest, où les affaires d'Europe sont peu et mal
connues et n'occupent que secondairement l'opinion.
Les victimes d'' la /.iMito/ii'i n'ont pas été vengées,
mais les exportations des Etats-Unis ont atteint des
chilTres sans précédent. De ce dernier fait les masses
profondes du peuple américain ont su gré à Wilson.
A la surface, dans l'élite de la population, il y a
des hommes épris d'idéal, qui n'admettent pas que,
dans le drame terrible qui se joue par le monde, le
rôle d'une grande nation comme les Etats-Unis
puisse se bornera des notes et \ des discours.
L'élite américaine n'admet pas que le gouverne-
ment de la plus grande puissance neutre dans
l'univers n'ait pas protesté contre la violation de la
neutralité de la Belgique et que'Wilson n'ait protesté
?|ue par des notes contre l'assassinat de citoyens, de
emmes et d'enfants des Etals-Unis.
Les Alliés ont pour eux franchement, résolument,
celte élite. Mais cette élite ne peut disposer d'une
élection présidentielle: c'est la masse profonde du
peuple qui déciile si Wilson a bien ou mal ftit de ne
répondre à la violation par une nation puissante des
lois de l'humanité que par des notes diplomatiques.
Tel est le sens, telle est l'explicallon du résultai
auquel vient d'aboutir l'élection présidentielle aux
Etats-Unis.
Si Roosevelt avait été à la présidence, les Etals-
Unis, fort probablement, combattraient, à côlé
des Alliés, par leur flotte ou autrement, contre les
Empires centraux. C'est justement pour cela que
Roosevelt n'a pas été choisi comme candidat prési-
denliel, etc'est pourquoi le candidat auquel il donnait
son appui a échoué.
l'Ouest, les électeurs avaient tenu la balance si égale
entre les deux candidatures que le résultat ne pou-
vait être que douteux et, par conséquent, contesté.
Le samedi matin, 11, les républicains s'obstinaient
encore à considérer comme entachés de nullité les
résultats'enregîstrés dans un petit nombre d'Elals,
mais leurs-prétentions à cet égard semblaient perdre
de plus en plus de la conviction et de la sincérité
qu'elles accusaient d'abord. Les vaincus commen-
çaient à ne plus protesterque pour la forme.
Le 11 novembre, loule incertitude étail dissipée :
Wilson avait une quarantaine de voix de majorité.
Hughes a en la Nouvelle-Angleterre, les grands
Etats de l'Est, New- York et Pennsylvania, l'Etat de
New-Jersey, bien que cet Etat fût le fief particu-
lier de Wilson, les Etats du Nord-Ouest; sauf
rOhio, Wilson avait tout l'Ouest et le Far- West,
depuis le Missouri jusqu'au Washington.
C'est la première fois que l'on voit ur candidat
victorieux, bien qu'il n'ait eu ni le New-Y'ork, ni
l'illiiiois. Dans ce résultat apparaît la force gran-
dissante de l'Ouest. Or, l'Ouest est radical; l'Ouest
sait gré à Wilson de la paix maintenue pour les
Etats-Unis et de la grande prospérité du pays. La
campagne, dans tout lOuest, s'élait faite sur ces
deux termes magiques : « Peace and prosperity. »
Dans le monde des Alliés, en Europe, on était
généralement favorable à Hughes. Cet homme juste
et droit ne pouvait que manifester sa préférence,
dans le grand conflit, pour la cause du droit et de
la justice. On redoutait un peu, seuletnent, sa froi-
deur, son calme olympien, son formalisme profes-
sionnel. Pour W'ilson, s'il était élu, il se montrerait
sans doule moins embarrassé de légalité interna-
tionale que par le passé. N'ayant plus aucune préoc-
Evani Hugbet.
cupation électorale, étant assuré du lendemain el
libre de tout souci de réélection, cet homme, fon-
cièrement honnête, tiendrait peut-êlre à Guil-
laume n et aux Empires centraux on langage d'une
fermeté jusque-là insoupçonnée. Et c'est pourquoi
l'élection de Wil-
son a été généra-
lement bien ac-
cueillie chez les
Alliés, qui lui
sont reconnais-
sants d'avoir
laissé les Améri-
cains leur vendre
lantde munitions
et leur prêter des
milliards.
Le président
Wilson estmain-
tenant assuré de
quatre nouvelles
années de pou-
voir. Il est désor-
mais indépen-
dant du vole ger-
mano-américain.
Il a dû sa réélection & la fois à des raisons domestiques
etaufait qu'il a préservé son pays de la guerre, tant
avec le Mexique qu'avec les Empires centraux.
Il n'aura, dans les deux Chambres du prochain
Congrès, que de très étroites majorités, et il lui sera
ainsi rendu malaisé de pousser très loin la réalisa-
tion de son programme de réformes progressives i
l'intérieur. D'autre part, les questions in lernational es
lui donneront sûrement de l'occupation.
Les plus immédiates ont trait aux répercussions
de la guerre sur les intérêts des Etats-Unis et sur
les susceptibilités morales de la population de la
grande république.
Une autre question urgente est celle de l'attitude
à adopter à l'égard du Mexique.
Sur le premier point, les commandants allemands
des sous-marins ont-ils dûment observé les conces-
sions qu'avaitobtenueslaNole américaine d'avrilder-
nier? De la réponse dépend le maintien des relalions
diplomatiques entre les Etats-Unis et l'Allemagne.
Une autre affaire a pris tout récemment le pre-
mier rang dans les préoccupations du cabinet de
Washington : l'abominable déportation des Belges
en Allemagne et leur réduction à un état de virtuel
esclavage.
Les Etats-Unis, qui sauvent de la faim la popu-
lation de la Belgique, se sont émus de celle dèpor-
lation et ont averti le gouvernement impérial du
désastreux elTetque cette mesure sauvage produisait
sur l'opinion des neutres. Il est oiseux d'observer
qu'un elTet non moins décisif sur cette opinion des
neutres serait produit par une rupture des relations
diplomatiques entre Washington et Berlin.
Wilson pourra être tenté d'adresser au gouverne-
ment britannique de nouvelles observations au sujet
des listes noires, mais le vicomte Grey a déjà ré-
pondu magistralement à de précédentes observa-
tions sur le même sujet. 11 n'éprouvera aucunedif-
liculté à appuyer sur les meilleurs arguments de
droit international la justification des mesures dé-
crétées par le gouvernement anglais.
En ce qui concerne le Mexique, Wilson s'est
décidé à soutenir Carranza, il cause de son caractère
de chef constitutionnel, contre Huerta, qui n'avait
aucun titre légal. Ainsi le président Johnson, en
1865, soutint juarez contre Maximilien. Ca ranza,
malheureusement, ne paraît être nullement l'homme
de la situation ; il n'arrive à conquérir ni le respect,
ni le bon vouloir de la population mexicaine, el
une crise est imminente. 'Villa a pris Cbihuabua et
menace Ciudad-Juarez; Félix Diaz occupe Tehuante-
pec et Oaxaca, et, de concert avec les zapatistes,
s'apprête à entrera Mexico. Carranza, à Queretaro,
voudrait que des élections « régulières » transfor-
massent sa présidence provisoire en présidence légale.
Eu un mot, depuis la chule de Huerta, les
choses ont été de mal en pis au Mexique, et le
président Wilson aura sûrement bien de la peine,
s'il en assume la tâche, à remettre de l'ordre dans
ce chaos. — A. Moirsac.
Florina (Lérin en bulgare), ville du royaume
de Grèce, en Macédoine, située à 520mèlresd'allilude,
dans une petite plaine du plateau, enserrée entre
deux contreforts sud-occidentaux du mont Kaimak-
calan; 10.0(10 à 15.000 habilants. Grecs, Serbes, Bul-
gares et Turcs. Siège de l'évêque grec de Moglena.
Florina ne se compose encore que d'une seule
rue, bordée de maisons plus ou moins bien bâties
el traversée dans loule sa longueur par un ruisseau
desrendu du mont Péristéri, la Florina, sous-
affiuent du 'Vardar par la Cserna Réka. Elle n'est
pas située sur le chemin de fer qui mène de Salo-
nique à Monaslir ; la voie ferrée la laisse à quelques
kilomètres à l'oucsl de son parcours, de par la vo-
lonlé des beys turcs, désireux d'éviter ainsi de trop
fréquentes visites d'Européens. Les dimcullés d'ac-
cès sont donc sérieuses pour les voyageurs, bien
LAIIOUSSE MENSUEL. — IV.
que Florina, située à environ 120 kilomètres de
balonique à vol d'oiseau, ne se trouve qu'à une
trentaine de kilomètres dans le sud-est de Monastir.
C'était naguère une ville turque de la province de
Saloniiiue et du district de Monastir ou Bitolia, où
les Bulgares avaient fini, au cours des dernières an-
nées du xix= siècle, par conquérir la prédominance.
Le traité de Bucarest du 6 août 1913 n'en a pas
moins attribué Florina au royaume de Grèce, avec
la majeure partie de la Macédoine. Aussi les Bul-
gares ont-ils saisi la première occasion favorable
pour s'y installer en maîtres; bien qu'ils ne fussent
fias en guerre avec la Grèce, ils ont occupé Florina,
e 17 août 1916. Mais ils en ont été chassés un mois
plus tard (18 septembre), après une énergique résis-
tance, par les troupes alliées venues de Salonique,
par les Français, dont les opérations étaient combi-
nées avec celles des Russes et des Serbes. — H. P.
^'orêts et la guerre (les). — Reconsti-
tution DE NOTRK DOMAINE FORESTIER MUTILÉ PAR
LA GUERRE. — SITUATION ÉCONOMIQUE DU COMMERCK.
DES BOIS. — En considérant une carie forestière de
la France, on constate l'abondance des bois et des
forêts d.ins les régions est etnord-est. De la merdu
Nordjusqu'il' Aisne, le pays estlrèspeuboisé; mais,
à partir de cette rivière, plusieurs lignes forestières à
peu près parallèles défendent les abords de Paris : la
zone del'Oisef forêts de Chantilly, d'Hallatle, de Gom-
piègne, de l'Aigle, de Saint-Gobain), la zone des fa-
laises de l'Ile-de-France, qui, passant par la forêt de
Reims, vaparBerry-au-Bacrejo!ndreSainl-Gobain;
puis, au delà de la Champagne, la zone de l'Argonne,
reliée par la forêt de Hesse à Verdun et aux forêts
des rives de la Meuse; enfin, toute la frontière, de-
puis Nancy jusqu'au massif vosgien, n'est qu'une im-
mense forêt. Cette richesse sylvestre indique le rôle
considérable que ces zones ont élé appelées à rem-
plir durant la guerre. La région envahie renferme,
malheureusement, plus de 515.000 hectares plantés
d'arbres, le plus grand nombre des localités dispu-
tées du front étant situées près de bols, de taillis ou
de futaies; aussi les dommages y furent-ils particu-
lièrement sensibles.
Dégâts commis dans les forêts. — Amis comme
ennemis entraînent, par le fait même des hostilités,
des déprédations importantes dans les forêts; nous
pouvons les classer en plusieurs catégories :
1° Destruction parles bombardements;
2" Déboisement stratégique;
3° Dégâts entraînés par une exploilalion intensive,
exigée par les multiples besoins des armées;
4" Exploitation en coupe réglée des forêts enva-
hies par l'ennemi.
La destruction par le fait de l'artillerie semble, à
priori, la plus importante; il est évident que les
bombardements, en bouleversant le sol, ont dénudé
LAROUSSE MENSUEL
rières dans les forêts pour y rassembler des troupes,
en frayant des voies de communication, etc.
Les dégâts entraînés par les besoins militaires
sont de beaucoup les plus importants; leur action
ne se localise plus dans la zone de combat, elle
s'étend sur tout le territoire.
II faut du bois pour le chauffage des cuisines des
troupes mobilisées; celui-ci est coupé le plus sou-
vent sur place, là où campe le soldat. Il faut du bois
pour installer les voies ferrées, mettre en état de
défense les ouvrages fortifiés, les innombrables ki-
lomètres de tranchées, etc., construire les abris de
«• 7 79. Janvier 1917.
charpente, elc, indispensables aux besoins des non-
combatlants, les coupes pour le boisage des
mines, etc. Il en résulte que les demandes sont
considérables, allant toujours en croissant, tant par
la multiplicilé de nos travaux de défense que par la
reprise industrielle de diverses professions
Déjà, en temps normal, notre consommation dé-
passe la production de nos torêls; les importations
sont toujours en excédent sur nos exportations :
Annco 19H : Importations 170 millions de francs.
— — Exportations 52 — —
Or, ces importations provenaient de Russie, de
Ce qui reste du bois Sabot, près de Suuain, en Champagne.
toutes sortes; la consommation exi^^ée de rondins
pour les toits, de boisage pour les galeries, de pi-
quets, etc., est fabuleuse : certain mètre carré de
défense absorbe plus d'un stère de bois.
Le bois est l'élément de construction le plus uti-
lisé. Avec lui, le soldat s'isole du limon de l'Artois
ou des boues calcaires de lu Cli;uiip:ii,'iip; il en gar-
W^i^
complètement certaines positions; mais ces actions
sont toujours locale ; elles y sont terribles et, pour
des bois comme ceux d'.^illy, de laGruerie, etc., si
souvent mentionnés dans les Communiqués, tout
sera à refaire; cependant, dans l'ensemble, comme
ces destructions ne s'étendent que le long du front,
elles seront moindres comme importance vis-à-vis
des autres catégories. Il en est de même des déboi-
sements stralégi<|ues opérés en rasant tout ce qui
gênait un champ de tir, en déblayant de larges clai-
lilée sous des branchages.
nit la surface du sol, les parois des tranchées, le
sommet des abris, etc. Outre cette prodigieuse
consommalion, l'arrière, pour les usages des corn-
ballanls, emploie de formidables quantités i!e plan-
ches, de madriers, etc., pour préparer le matériel
nécessaire : crosses des fusils, fuselage des avions,
multiples caisses pour l'emballage des munitions,
des explosifs, etc., conslruction des camions, etc.
Joignez à cela les bois nécessaires à la boulange-
rie militaire ou civile, les bois de chauffage, de
Suède, des Etats-Unis et d'Aulriche-Hongrie; la
guerre allait nous placer dans une situation défavo-
rable, car, tandis que les besoins augmentaient, les
importations devenaient ou nulles pour certaines
conlrées, ou tr.'s raréfiées pour d'autres; il nous a
fallu prendre sur notre fonds national; de là l'ex-
ploitation intensive de notre domaine forestier.
.Malheureusement, dès le début, cette exploitation
fut conduite de façon néfaste. La mobilisation, en
enlevant le personnel des eaux et forêts, en raré-
fiant la main-d'œuvre exercée, laissait les forêts
livrées à la hache des incompétents; plusieurs
coupes ont été faites ainsi, sans aucun souci de l'ave-
nir. Devant ces résultats, l'Elat, en récupérant ses
agents, réussit à sauvegarder ce qui restait, en em-
pêchant les exploitations ou trop intensives, ou
prématurées. Nous retirons, maintenant, de nos fo-
rêts le maximum, mais nous pouvons espérer ne
pas tuer la poule aux œufs d'or.
L'ennemi, de son côté, selon ses habitudes de
rapine, ne se fait pas faute de nous piller, mettant
en coupe complète les belles futaies en sa posses-
sion; le bois abattu est transporté en Allemagne,
pour y être vendu. On cite ainsi la mise à l'encan, à
Hambourg, des magnifiques chênes et hêtres de la
forêt de Mormal; ce superbe domaine, situé près
de Landrecies (Nord), fournissait jadis la marine;
les arbres plus que centenaires y étaient de toute
beauté: ce sont des déprédations irréparables!
En résumé, la situa. ion, après la guerre, se pré-
sentera ainsi : un domaine gtnèral exploité à fond,
sans dommage grave dans la région non envahie;
les coupes des années futures y seront moins im-
portantes, mais l'inconvénient en sera plus pour la
masse des consommateurs que pour les proprié-
taires ; la hausse de la valeur marchande des char-
pentes et des combustibles compensera largement
pourceu.x-ci la diminution de production.
Puis, sur la ligne de front, principalement au delà
de l'Aisne, la destruction presque complète des
arbres de la région; enfin, hélas! dans les malheu-
reuses campagnes envahies, quelles surprises nous
sont réservées! Dans quel état se retrouveront les
futaies dont nous étions si tiers! Là sera vraiment
la tâche de demain.
Utilité (les forêts. — Nécessité de leur reconsti-
tution. — L'utilité de la forêt, semble-t-il, ne de-
vrait plus être discutée. Outre le profit de l'exploi-
tation, les étendues syl vestres contribuent largement
à assurer la stabilité des climats; elles régularisent
le régime des eaux, atténuent les ravages de l'inon-
dation et garantissent l'alimentalion des sources et
le débit des rivières. Cependant, ces dernières actions
entêté récemment contestées en France, au moment
«• 119. Janvier 1917.
des inondations du bassin parisien, les parties boi-
sées de la région des sources n'ayant pu empêcher
la crue. Ceci est vrai; mais elles en ont au moins
empèctié l'aggravation en évitant l'enlrainement des
terres; depuis longtemps, il a été reconnu que les
arbres jouent un râle bienfaisant dans la restitution
de l'eau reçue par les pluies.
Bien que ces dernières soient plus abondantes (de
43 p. 100 environ) en forêt qu'en terre nue, par suite
delà grande transpiration des arbres (le sol et les
feuilles abandonnant 30 à 40 p. 100 de l'eau reçue),
qui, entraînant un refroidissement de l'atmosphère
au-dessus de la forêt, détermine une précipitation de
filuic, i. n'en reste pas moins établi que le rôle régu-
atcur des forêts est considérable. Si les pluiçs sont
plus fréquentes, elles sont, par contre, moins abon-
dantes; elles s'aùsorbent par suile mieux, soit parles
racines et de là dans l'arbre, où elles se restituent
par les feuilles, soit par imbibition dans l'épaisse
couche do débris végétaux et d'humus qui recouvre
le sol forestier (un hectare de couverture formie
d'aiguilles d'épicéa sous deux centimètres d'épais-
seur peut ainsi capter 105 mètres cubes d'eau).
Cette capacité rétentionnelle permet latente resti-
tution des eaux, plutôtpar infiltration que par ruissel-
lement. Or, le danger vient de ces eaux de ruisselle-
ment, qui, parleur abondance, affouillent et ravinent
le sol, eiilrainant vers les parties basses la partie su-
fierficielledes terrains; peu & peu, le sol se dénudant,
es eaux deviennent
torrentielles, semant
la dé vastation sur
leur passage.
Les preuves sont,
malheureusement,
nombreuses sur notre
sol de l'iiitluence né-
faste des déboise-
ments : la Loire, l'Al-
lier, par exemple, doi-
vent leur régime ac-
tuel à la dénudation du
plateau Central. Lors-
que les pentes de ce
massif portaient une
couverture boisée,
une importante batel-
lerie travaillaitsurces
fleuves; en revanche,
le repeuplement des
massifs que l'homme
avait détruits, soit par
ignorance, soit par
cupidité, dans les Al-
pes, a supprimé les
ravages de nombreux
torrents, régularisé
leur cours et permis
leur emploi dans la
production de la force
motrice, créatrice de
futures richesses. Ces exemples, choisis entre mille,
sont les meilleurs arguments que l'on puisse citer
en .aveurde la iorêt.
C'est dire tout l'intérêt qu'il y aura à reconstituer
notre domaine forestier, au moins dans son état
d'avant-guerre. Notre pays, jadis couvert de forêts,
n'en contient plus que la sixième partie de sa superfi-
cie ; cette proportion est nécessaire. On peut seulement
espérer que les forêts de plaine soient remplacées par
une égale surface en montagne, ia plaine étant de
meilleur rapport en cultures herljacées, tandis qu'en
montagne, la forêt joue surtout son rôle bienfaisant.
Ces indications montrent combien i.' importe de re-
constituer rapidement nos forêts et nos taillis meur-
tris. A ces considérations s'ajoutent, pour nos fron-
tières, des motifs de défense militaire: les forêts, par
leurs cou verts, favorisant la dissimulation des troupes.
Déjà, dans le pays lorrain, avantla guerre, la régéné-
ration des forêts dans les terrains médiocres était
commencée. Les raisons qui avaient fait entreprendre
ce travail sont maintenant encore plus impérieuses.
Remise en état des forêts. — Une forêt s'exploite
soit en futaie, soit en taillis. Danslai'utaie, les arbres
destinés à être abattus âgés se reproduisent par les
semences qui tombent autour d'eux; dans le taillis,
on procède par des coupes fréquentes en laissant aux
arbustes le soin de se reproduire au moyen des rejets
parlant de la souche. Ce genre d'exploitation ne
porte que sur des espèces feuillues; elle fournit une
grande quantité de bois de petitéchantillon. La futaie,
d'un rapport très faible, à longue échéance, donne
les beaux sujets destinés au bois d'œuvre, abattus
vers l'âge de 150 ans. Ce mode d'aménagement est
généralement adopté par l'Etat; le taillis, plus lucra-
tif, convenant mieux à la propriété privée.
Selon la forme d'exploitation suivie, la réparation
du dommage sera différente; en général, la remise
en étal du terrain bouleversé par le combat étant
pratiquée, les chemins rétablis, les projectiles non
enicrrés retirés, il faut procéder au nettoyage des
arbres. En principe, tout arbre blessé par un pro-
jectile doit être abattu; c'est en effet un sujet destiné
a périr rapidement en pourrissant sur place, les
LAROUSSE MENSUEL
blessures du bois étant la porte ouverte à toute une
flore cryptogamique et à une faune d'insectes xylo-
phages qui auront tôt fait de transformer le bols
malade, puis les arbres voisins en détritus sans va-
leur. Il est préférable d'éviter immédiatement ces
dangers, en supprimant l'arbre malade.
Dans les taillis, on .-ecoupera, en les régularisant,
tous 'es arbres sectionnés près de la souche, de fa-
çon à faire jaillir régulièrement les nouveaux re-
jets, avenir de la plantation. Enfin, là où la des-
truction est complète, dans les futaies dévastées, il
faudra procéder au reboisement, soi' par semis, soit
par sujets de pépinière; les résineux, par leur crois-
sance rapide, conviennentparfaitement, surtout dans
les terrains médiocres. Parmi ceux-ci, on donnera
la préférence au pin sylvestre, à l'épicéa, au mélèze,
pour introduire ensuite, à leur couvert, le sapin,
plus exigeant. Malheureusement, ce travail nécessite
une grande consommation de semences, pour les-
quelles nous sommes mal pourvus, l'Autriche et
r.\IIemagne étant jusqu'alors nos fournisseurs. Des
installations sylvicoles comme celles d'Auvergne,
dans lesquelles on tente la production de la semence,
doivent tout d'abord être encouragées.
Le problème de la reconstitution de notre district
forestier est assez complexe; les mesures de sylvi-
culture à prendre sont connues, mais leur mise en
pratique se heurtera à plusieurs difficultés, pour
la solution desquelles l'ingérence de l'Etat sera, sans
AbaUs d'arbres renforçant les défenses en SI de fer barbelé. — Phot, Polak.
doute, nécessaire. D'une part, la régénération d'un
bois est un travail de longue durée. On estime qu'il
faut de vingt-cinq à trente ans pour produire le bois
de chauffage, cinquante à soixante pour les bois de
mines, cent ans pour le bois d'œuvre résineux, cent
cinquante et plus pour le bois d'œuvre des espèces
feuillues (chêne, hêtre, etc.). Les frais de remise en
état ne seront amortis que dans un avenir très loin-
tain, au moment où, précisément, le loyer de l'argent
sçra élevé ; d'autn part, les travauxde reboisement ne
peuvent se pratiquer économiquement que sur une
surface suffisante, d'où nécessité de remembrer au
préalable la propriété rurale, si divisée, surtout dans
l'Est. La loi favorise déjfc ce remembrement par voie
d'échange en abaissant les droits de mutation ; les
repeuplements sont exemptés d'impôts durant trente
ans. Ces mesures doivent être rendues encore plus
libérales, pour entraîner les propriétaires vers la
reconstitution des bois.
Déjà, au sujet des indemnités à accorder pour les
dommages de guerre, de nombreuses contestations
se sont élevées. En effet, un bois n'ayant de valeur
que par les arbres contenus, si ceux-ci sont ravagés,
le revenu disparaît durant plusieurs années. L'in-
demnité de dommage doit tenir compte de ce fait;
mais, comme la somme correspondante se trouve
supérieure à la dépense nécessitée par les premiers
travaux de nettoyage, le Parlement étudie une loi
obligeant les propriétaires indemnisés au remploi
des sommes disponibles à des opérations de reboi-
sement, d'amélioration agricole, etc. Dans plusieurs
■îontrées trop ravagées, l'Etat devra même se cons-
tituer propriétaire et tenter lui-même la reconsti-
tution des domaines, l'importance des charges écar-
tant l'initiative privée.
Mesures économiques transitoires. — Tous ces
travaux ne donneront de résultats, malheureuse-
ment, que dans de nombreuses années ; en attendant,
nous assisterons à une hausse certaine sur les bois
de chaullage et les charpentes, étant donné la dimi-
nution de leur production De quelle façon peut-on
espérer remédier à ce fâcheux état d^ choses ?
Déjà, avant ce bouleversement ds nos bois, nous
étions tributaires de nombreux Etats : la Russie,
notre premier importateur, nous en voyait des bois de
pin pour 71 millions de francs, la Suède et la Norvège
des bois de pin, d'épicéa, des pâtes sèches jpour la fa-
brication du papier pour 41 millions, les Etats-Unis
nous livraient pour 23 millions et demi de chêne, de
tulipier, de pitchpin; l'Autriche avait la spécialité
des bois pour la tonnellerie. Ces importations de-
vront donc s'étendre; peut-être pourra-t-on les amé-
liorer par le choix de nos vendeurs, en développant
les relations amicales non seulement avec la Russie,
mais avec le Canada, le Japon, pays forestiers par
excellence. Le problème peut également se résoudre
en donnant une plus large part à l'utilisation de nos
colonies.
Nous possédons up domaine colonial considérable,
susceptible, en sachant nous y prendre, de fournir
à la métropole un grand nombre de matières pre-
mières : les bois en particulier. Il serait donc d'ex-
cellente politique ae développer la capacité de
production de nos colonies, la mise en état de leurs
forêts pouvant récupérer au centuple rapidement les
frais que l'on pourrait y consacrer. En effet, une
rapide revue de nos colonies nous montre que bien
des richesses peuvent en être retirées. Certaines
de nos possessions d'outre-mer sont couvertes
d'abondantes forêts; mais, soit mauvaise exploita-
tion, soit ignorance des acheteurs, les importa-
tions vers nos ports ne constituent encore qu'une
très faible partie des
s , bois que nous ache-
tons au dehors. Nous
avons au Maroc une
région de plus de
50 kilomètres carrés
plan tée de cèdres dans
la zone du Moyen
Atlas; le chêne vert,
le thuya, le pin d'Alep
se rencontrent dans
le Grand Atlas; dans
le Sud, vers Moga-
dor, pousse Varijanié
à bois compact, très
dur; en Tunisie, les
forêts de Kroumirie
renferment en abon-
dance le chêne zéen,
arbre m agn i fi q ue, pou-
vaut atteindre 25 à
30 mètres de hauteur,
sous 3 mètres de cir-
conférence. Son bois,
jaunâtre, convient à
merveille pour les
traverses de chemin
de fer. Ce chêne seren-
contre également en
Algérie, m ais les mas-
sifs forestiers y sont
très mal exploités.
La Guinée, la Côte d"! voire, le Dahomey sontpavs
de zone tropicale; les forêts y sont immenses. Au
Gabou, plus de cent espèces d arbres ont été recon-
nues utilisables, depuis les bois les plus précieux
pour l'ébénisterie : acajou, ébène, jusqu'aux bois de
pavage, bois demi-durs pour la menuiserie, le
charronnage. Un arbre des plus répandus : l'o-
koumé (ou coumea Klaineana) peut servir à la
confection des emballages; une autre plante, le
musanga Smithii, de la Côte d'Ivoire, donne une
excellente pâte à papier.
Nous ne citons que des colonies assez proches,
pour que les frais de transport ne rendent pas prohi-
bitive l'exportation de marchandises encombrantes
et de peu de valeur relative; mais, pour les bois
précieux, nous avons en Indochine tes forêts des
plateaux de l'Annam et du Laos, remplies de bois
intéressants : les doux, les saos, les cachacs, les
srdls, les santals pour l'ébénisterie, les tracs et
les lims, sortes de uois de fer pour le pavage. La
liste en serait longue. Il en est de même pour cer-
taines espèces de la Guyane et de Madagascar, co-
lonies également très boisées.
Il faut donc, pour enrayer la crise du commerce
des bois par le secours de nos colonies, envisager
les moyens d'accroître et de favoriser l'exploitation
de leurs forêts; nécessairement, ceci entraine la
création de moyens de pénétration, la construction
de routes et l'introduction de nos méthodes d'ex-
ploitation pour éviter le gaspillage et l'incendie, etc.
D'autre part, il faut faire connaître au consommateur
les ressources possibles qu'il peut retirei des bois
coloniaux; ceui-c! doivent être exhibés, au besoin,
dans chaque bourg, non pas seulement à l'état de
bûches ou de madriers, mais sous forme d'objets
manufacturés, montrant ainsi, par cette leçon de
choses, l'utilité possible de ces espèces. Des indica-
tions précises du prix de revient, des lieux d'oii-
gine, tous les renseignement nécessaires pour ache-
ter ces matériaux, etc., apprendront aux artisans
français les richesses que nous négligeons et qui,
cependant, sont à notre portée.
L'apport de nus colonies pourrait pallier, dans an«
LAROUSSE MENSUEL
Uu coin du bois de &aint-Pierre-Vaa8t (Somme). — Phot, Polak.
large mesure, à la pénurie des bois dont l'avenir nous
menace. La crise existait déjà avant la guerre; les
lioslilités n'ont I ait que l'aggraver. Nous y gagnerons
peut-être, en la comijaliant, l'augmentation de mise
en valeur de notre domaine colonial. Cet accroisse-
ment depuissance serait une compensation heureuse
au saccage de nos frondaisons. — M. Mounié.
G-atin (Cliarles-Louis), botaniste français, né à
Rambouillet le 6 décemtire 1877, tué k l'ennemi,
devant Verdun, le 26 lévrier 1916. Sorti de l'Instilut
agronomiiiue en 1S98, il fut envoyé comme sta-
giaire à la ferme d'expériences du Jardin d'essais
de Tunis; puis, en 1901, après ses études de licence
en Sorbonnp, il fut nommé préparateur au labora-
toire de botanique de l'Ecole supérieure des sciences
d'.^Mger. De ce jour, il s'attacha particulièrement à
étudier les palmiers et, dès l'année 1902, il fit des
communications à rAca('émie des sciences sur ce
groupe botanique. Revenu à la Faculté des sciences
de Paris, il obtint, en 1906, le grade de docteur es
sriences nalurel-
los, après la sou-
iinan ce d'une
lii'se se rappor-
iiirit à ce même
olijet d'études :
Uecherches ana-
hiiniques et chi-
miques sur la
f/enni7iatio7i des
piilmiers. Après
-noiréténommé,
l'ii 1903,prépara-
'"iir adjoint au
iilioraloire de
lolanique de la
Sorbonne, il de-
vint,en 190S,pré-
parateurlitulaire,
emploi qu'il rem-
plissait depuis
1905. En 1912, il fut chargé des fonctions de chef
des travaux au laboratoire d'agronomie coloniale de
l'Ecole des hautes études au Muséum, fonctions
auxquelles il fut orticiellement nommé en 1913. De-
venu ainsi le collaborateur très actif du savant bota-
niste colonial Auguste Chevalier, directeur de ce labo-
ratoire, il put se consacrer avec une ardeur nouvelle à
l'étude desplantesuliles de nos colonies, et son rêve
élail de participer le plus efficacement possible à 1 ex-
tension du mouvement agricole en Afrique tropicale.
C'est vers ce but, surtout, qu'onttendu tous ses travaux.
Gatin apporta jusqu'à la guerre, pendant une douzaine
d'années, une très aciive collalioration à d'importan-
tes publications .savanles; entre autres, au « Bulletin de
la Société botanique de France», à la <i Revue géné-
rale de botanique », au « Bulletin des scienees phar-
macologiques», à la <■ Revue scientifique», et aussi à
quelques revues étrangères ; il fit d'intéressantes
communications àl'Aradé'nie des sciences, ainsi qu'au
congrès de l'Association française pour l'avancement
des sciences, et il publiaquelqnes ouvrages séparés,
qui lui ont valu de justes éloges. Beaucoup de ses
travaux se réfèrent aux palmiers, mais il ne s'était
nullement limité à cette étude spéciale; il avait fait
.:L.
M\
ï
Charles-L. Oatin.
porter ses recherches sur des sujets de botanique très
variés, et l'on peut dire que, par leur solide érudi-
tion, ses travaux avaient étalili sa réputation comme
botaniste s'attachant à étudier la physiologie de la
plante, en même temps que son utilisation pratique.
Nommé, en 1911, secrétaire technique de la com-
mission chargée d'étudier les moyens de remédier aux
effets du goudronnage des roules sur la végétation,
il fit, à ce sujet, plusieurs communications à l'Acadé-
mie des sciences. Secrétaire de la rédaction depuis
1913du «Journal d'agriculture tropicale», fondé par
■Vilbouchevitcli, il fouriiità cet organe une fréquente
collaboralion. Parmi ses ouvrages, nous cilerons no-
tamment deux volumes de l'n Encyclopédie scientifi-
que », publiée sous la direction du D' Toulouse : le
l'arfuvidans la plante, en colhiboration avec Eug.
Charabot (1908); les Palmiers, histoire naturelle et
horticole des cli ff'érenls genres {l9li).M.eiûiounon3
aussi les trois ou vrages suivan Is, parus en 1 91 3 : Traité
pratique du séchage des fruits et des légumes, en
collaboration avec J. Nanol; les Arbres, arbustes et
arbrisseaux de ta forêt; les Plantes de ta forêt.
Quand avait eu lieu à Londres, quelques semaines
avant la guerre, l'Exposition internalionale du caout-
chouc et des grands produits coloniaux d'origine
végétale, Galin avait contribué à la réussite de noire
participation par le dévoué concours qu'il avait don-
né, en qualité de secrétaire général, à la secUon
française, dont le commissaire était le professeur
Em. Perrot.Dans le volume qui parut à celle occa-
sion, sous la direction de ce dernier : les Grands
Produits végétaux des colonies françaises (1915),
Gatin a écrit une importante étude sur le Palmier à
liuile et ses produits. D'autres volumes, qui verront
plus tard le jour ; l'un sur Zei ^ Igues marines, un autre,
un Dictionnaire aide-mémoire de botanique, étaient
sous pressequand éclata la guerre, qui devait briser
la carrière savante, si brillanle d'avenir de Galin.
Mobilisé comme lieutenant de réserve, Galin fut
assez grièvement blessé, le 24 aoilt 19U, en Alsace.
Ayant hâle de se rendre utile, il reprit du service
le plus tôt qu'il put et, ayant rempli les fonctionsde
capitaine chargé del'instruclion, ilpiibliaun volume
qui lut fort apprécié : Manuel des travaux de cam-
pagne de l'of/ieier d'infanterie (1915). Sa blessure
ne lui permit de repartir pour le front qu'en octo-
bre 1915 et, affecté au commandement d'une compa-
gnie de zouaves-tirailleurs, il tomba glorieusement,
le 26 février 1916. — Gustave IlBOEi.spERaEB.
Guerre aérienne (la). Les différentes
missions de t aéronautique. — Les combats dans
l'espace. — Jets de projectiles et d'explosifs. —
Obus asphyxiants. — Destructions permises et
bombardements prohibés. — La question des repré-
sailles. — Le rôle des aéronefs dans la guerre
maritime. — Contrebande. — Dans un précédent
article (le Domaine aérien, y. t. III, p. 939), le « ter-
rain »de la gnerre aérienne a été déterminé. On a vu
que les Etats neutres sont farilement d'accord pour
interdire aux aéronefs des belligérants de survoler
leur territoire et pour s'opposer, au besoin par les
armes, à toute violation de la neutralité de l'air, ce
dont les piloles allemands ne se privent guère.
Il reste à expliquer comment doit s'e.xercer la
guerre aérienne, pour rester conforme aux inten-
N' 119. Janvier W1 7.
lions des législateurs et aux règles du droit. Notons,
en passant, que c'est l'Ilalie qui a utilisé la première
les aréoplanes pour la guerre (en Tripolilaine).
Les aéronefs agents de reconnaissance. — ï..a
cinquième arme a, dans la guerre moderne (les évé-
nements qui Se déroulent depuis plus de deux ans
l'ont prouvé), plusieurs rAIes d'une importance capi-
tale à remplir. 1» Les avions servent aux reconnais-
sances; ils dévoilent les moindres mouvements de
l'ennemi, évaluent l'importance de ses concentra-
tions, en font connaître les directions et découvrent,
en un mot, le mystère des préparations qui s'effec-
tuent derrière la ligne de feu; ils repèrent les
batteries dissimulées adroitement par l'adversaire,
ainsi que les ouvrages fortifiés, dépôts de niunitions,
parcs, usines et toutes les installations généralement
quelconques créées par l'ennemi pour sa défense.
2" Les avions servent à régler le tir de l'artillerie:
constamment en liaison avec les balleries, ils voient
les objectifs à atteindre et les révèlent, observent les
coups, commandent et reclilienl le feu. 3" Les avions
sont encore employés comme organes de liaison,
ponr la transmission rapide de cerliiins ordi es.
Rien que pendant lessix premiers mois de laguerre,
nos escadrilles ont exécuté lO.rOO reconnaissances,
représentant un parcoursdel. 800. 000 kilomèlrcs.
Du point de vue qui nous occupe, ces différents
services de l'aéronautique n'ont jamais soulevé la
moindre objection. Le temps n'est plus où les éclai-
reurs aériens pouvaient être assimilés à des espions,
privés, en cas de capture, du tiailement dû aux pri-
sonniers de guerre. Celle théorie, qui fut chère à
Bismarck en 1870, lors du siège de Paris, où les bal-
lons libres ont joué un certain rôle et que, depuis,
plusieurs publicistes allemands ont reprise, a d'ail-
leurs été condamnée par la conférence de Bruxelles
de 1874 et par les conveniions de La Haye de 1899
et 1907 (convention W, art. 29). (Réserve est faite,
bien entendu, à l'égard de l'avialeur qui se livre,
par ordre ou de sa propre initiative, à des exploits
contraires aux lois de la guerre.)
Les aéronefs, organes de combat. — Mais les aéro-
nefs (et par « aéronefs » il faut entendre tous les ap-
pareils de navigation aérienne') sont en même temps
Combat d'avions.
des organes de combat. Et celte question a été,
avant la guerre, longuement controversée, au point
de vue du principe. Mais les hoslililés actuelles
ayant démontré surabondamment la compli te apti-
tude des aéronefs au combat, on ne discutera plus
que les applications de ce principe, universellement
admis désormais.
Les aéronefs servent : 1» aux attaques, par jets
de projectiles, de troupes, d'ouvrages fortifiés, de
voies ferrées, de gares, en un mot de toutes le»
installations de l'ennemi, en matériel et en person-
nel; 2° à la chasse des appareils aériens ennemis
et à la protection des points, des rassemblements,
des objectifs qu'ils veulent atteindre; 3° à la des-
truction des forces aériennes de l'ennemi ; 40 à la
destruction de sa marine de guerre, en coopérant au
combat naval, ainsi qu'à la recherche et à la des-
truction des sous-marins.
A chacune de ces opérations correspondent des
appareils d'un type spécial, appropriés au service
qii ils doivent accomplir et armés en conséquence,
soit de bombes et de fléchettes, soit de mitrailleuses,
soit même de canons.
«• 119 Janvier 1917.
Or, ia question s'est posée de savoir si, légalement,
les aéronefs pouvaient être armés, s'ils avaient le
droit de jeter des explosifs, soit verticalement
(destruction d'ouvrages terrestres), soit horizontale-
ment (conilials d'aéronefs contre aéronefs).
La doctrine s'est montrée divisée. Les uns n'ac-
ceptaient pas que les aéronefs fussent armés; c'eût
été niellre en péril la sécurité des non-combattants.
Les balles, obus, bombes lancés dans l'espace tom-
bent au hasard sur la population civile, font des
victimes et causent des dommages à la propriété
privée, ce qui ne doit pas être.
Les autres admettaient, au contraire, complètement
la guerre aérienne. Est-ce que, dans le siige d'une
place, les obus ne frappent pas, bien souvent, la
population des non-combattants? Est-ce que les
mines sous-marines ne font pas parfois sauter des
navires neutres? La guerre aérienne n'est pas plus
cruelle que le siège d'une ville ou la guerre sous-
marine. En temps de guerre, la vie et les biens des
non-combaltanls, tout en étant protégés par les lois
internationales et, notamment, par les art. 23, 25,
28, 46, etc., de la convention IV de La Haye de 1907,
ne jouissentcependant que d'une immunité relative.
Des mesures de police doivent être prises pour
réduire ces risques au minimum. Mais ils existent,
et il ne faut pas oublier que les coml)altants, en
usant de moyens violents, ont précisément pour but
de défendre les vies et les biens des non-coml)altanls.
Que si quelques-uns sont victimes de la riposte de
l'adversaire, c'est, en elTet, très regrettable, mais
combien plus nombreuses seraient les victimes si les
avions et les dirigeables n'avaient pas entravé, par
leur travail, la marche de l'ennemi I
Un système mixte n'admet que la guerre aérienne
verticale, le jet de projectiles à terre, et non pas la
guerre horizontale, le tir sur un appareil ennemi,
car, ce tir est aveugle, en ce sens qu'on ne sait pas
en quel endroit du sol tomberont les projectiles qui
n'atteindront pas l'adversaire.
On peut répondre aux partisans de ce dernier
système que le tir de haut en bas est aussi aveugle
que le tir horizontal, à moins de ne l'exercer qu'à
une faible hauteur du soi pour être à peu près certain
que l'objectif visé sera atteint. M:iis décider que les
aéronefs ne pourront lancer leurs projectiles qu'à
cette faible hauteur équivaudrait à rendre pratique-
ment impossible l'emploi des armes sur les avions,
car, à celle distance rapprochée du sol, les canons
spéciaux postés à terre de place en place pour tirer
sur les appareils ennemis les abat-
traient presque à coup sur.
Gesd scussions semblent aujourd'hui
bien théoriques ei bien lointaines. Elles
n'offrent plus qu'un intérêt d'ordre his-
torique.
Les Déclarations de La Haye, rela-
tives aux combats aériens. — La confé-
rence de La Haye du 29 juillet 18911
avait élaboré les termes d'une conven-
tion interdisant de lancer projectiles et
explosifs du haut des ballons ou par
d'autres modes analogues nouveaux.
Mais cette Déclaration, limitée à une
durée de 3 ans, qui devaient expirer le
4 septembre 1905, ne fut pas renou-
velée.
Lors de la seconde conférence de
la Paix, en 1907, la question fut re-
prise, et une Déclaration ayant le même
objet fut signée, lel8 octobre 1907, pour
une période allant jusqu'à la fin de la
troisième conférence delà Paix. Comme
cette troisième conférence ne s'est pas
encore réunie, ladite Déclaration de-
meurerait donc valable pour la guerre
actuelle. Mais elle n'était <i obligatoire
que pour les puissances contractantes,
en cas de guerre entre plusieurs d'entre
elles ». Elle devait cesser « d'être obli-
gatoire du moment où, dans une guerre
entre les puissances contractantes, une
puissance non contractante se joindrait
à l'un des belligérants ». Or, cette Dé-
claration n'a été signée ni par l'Alle-
magne, ni par la France, l'Italie, le
Japon, la Roumanie, la Russie et la
Serbie. D'où il suit que l'Angleterre,
seule puissance de l'Entente signa-
taire de ladite Déclaration, a pu agir
dans cette guerre comme si elle ne
l'avait pas signée, puisque la France,
la Russie, la Serbie et ensuite le Japon, l'Italie et la
Roumanie, puissances non signataires, ont fait cause
communeavec la Grande-Bretagne, la déliant ainsi,
aux termes mêmes de la Déclaration, de l'obligation
de ne pas lancer de projectiles ni d'explosifs du
haut de ses aéronefs
L'Inslitut du Dj-oit international, dans sa réunion
de Madrid, le i\ avril 1911, avait posé en ces ter-
mes le principe de la guerre aérienne : « La guerre
aérienne est permise, à la condition de ne pas pré-
senter, pour les personnes ou la propriété de la
poyulation pacifique, de plus grands dangers que la
LAROUSSE MENSUEL
guerre terrestre ou maritime. » Cette déflnilion, par
son élasticité même, était de nature à contenter tout
le monde. En somme, la guerre de 1914 s'est ouverte
sans qu'aucune précision aitélédonnée relativement
à la conduite de la guerre aérienne. En fait, il sem-
ble impossible d'inter-
dire aux belligérants
l'usage d'une arme
appelée à rendre tant
de services aux ar-
mées et qui a prouvé,
plus qu'à suflire, sa
valeur et son indis-
pensabilité.
11 ne se peut pas, ce-
pendant, qu'il n'y ait
pasdelimilesàcetusa-
ge. Mais, en l'absence
de textes spéciaux, ou
en est réduit à trancher
chaque cas particulier
suivant les principes
généraux du droitcom-
niun de la guerre ma-
ritime et continentale.
Ces principes con-
cernent : 1" la nature
des explosifs projetés;
2° le bombardement
des villes, villages,
habilations ou bâti-
ments non défendus :
3° la destruction des
navires marchands;
4" les représailles ;
5" la contrebande de
guerre; 6° les droits
des nenlres, etc.
Les droils des neu-
tres,en matièrede navi-
gation et de guerre aé-
rienne, ont été étniliis
dans le Larousse Men-
suel, au mot : domains
AÉniKN (t. m, p. 939).
Interdiction des obus asphyxiants. — Dans la
guerre aérienne, pas plus que dans la guerre ma-
ritime ou continentale, il n'est permis de faire
usage de moyens contraires au sentiment de l'hon-
neur et inutilement cruels. C'est ainsi que les conven-
9
ou matières propres à causer des maux superflus. Ce
texte vise nécessairement les obus chargés de gaz
asphyxiants; peu importe le mode de projection em-
ployé. Sur ce point, tout le monde est d'accord
et, cependant, l'Allemagne, qui a utilisé les gaz
Avion et sous-marin.
tions internationales condamnent l'emploi de pro-
jectiles ayant pour but unique de répandre des gaz
asphyxiants un délétères, ou de balles s'épanouissant
facilement dans Je corps humain.
La conl'érence de La Haye de 1907 n'a pas abrogé
ces Déclarations. De plus, dans sa convention IV
concernant les lois et les coutumes dé la guerre r,ur
terre (art. 22 et 23), elle proclame que les belligé-
rants n'ont pas un droit illimité quant au choix des
moyens de nuire à l'ennemi et qu'il est interdit no-
tamment d'employer des poisons, des ai-mes em-
poisonnées et, en général, toutes armes, projectiles
Un zeppeliu dans les nuages.
asphyxiants et les liquides enflammés pour la guerre
de tranchées, n'a pas craint décharger ses zeppelins
de bombes contenant soit des gaz toxiques, soit des
liquides incendiaires.
Bombardements. — On sait que les avions et les
dirigeables, quotidiennement, vont bombaider tous
les ouvrages et installations de l'ennemi ayant une
importance stratégique ou économique, tels que les
gares, les dépôts de munitions, les travaux du génie,
les parcs de matériel, les usines, les poudrières,
les stations-magasins, les approvisionnements, les
convois de ravitaillement, etc. Le but de la guerre
est, en effet, d'épuiser l'adversaire, de faire en sorte
qu'il soit dépourvu le plus \ ite possible de tout ce
(|ui lui est nécessaire, aussi bien pour la conduite
des opérations de guerre que pour son alimentation.
Les aéi'onefs peuvent encore coopérer au siège
d'une place en bombardant, du haut des airs, les ou-
vi-ages, forts, remparts et tranchées qui en dépendent.
En un mot, ils peuvent s'attaquer à tout ce cjui esi
militaire, mais non à ce qui ne l'est pas. L'article 25
ilu Règlement de La Haye sur les lois et coutumes
(le la guerre terrestre interdit d'altaquer ou de
bombarder, par quelque moyen que ce soit et, par
ronséquent, par le moyen des aéronefs, les villes,
villages, habitations ou bâtiments non défendus, ou
-ur lesquels flotte le drapeau de la Convention de
Cienéve du 22 août 1864.
L'article 26 indique, au surplus, qu'avant d'entre-
[irendre un bombardement, le commandant des
iraupes assaillantes doit faire tout ce qui dépend de
lui pour en avertir les autorités delà place assiégée.
11 n'y a aucune raison pour que les aéronefs ne se
conforment pas à cette obligation.
Enfin, l'article 27 spécifie que, dans les sièges et
bombardements, toutes les mesures nécessaires
doivent être prises pour épargner les édifices consa-
crés aux cultes, aux arts, aux sciences et à la bien-
faisance, les monumenis historiques, les hôpitaux et
les lieux de rassemblement des malades et blessés,
à condition qu'ils ne soient pas employés en même
temps à un but militaire.
On ne peut donc bombarder que les villes fortifiées
et, par ces mots, on entend les parties fortifiées de
ces villes, c'est-à-dire les fortifications avec leurs
dépendances, les bâtimenlsmilitaires et aussi, confor-
mément au Manuel anglais de la guerre, les parties
non défenduesde la place, présentant une importance
militaire. La partie de la ville où réside la population
civile doit être, autant que possible, épargnée. C'est,
cependant, la thèse contraire qu'ont soutenue et
mise en pratique, en 1870, les généraux allemands,
qui firent bomoarder sans ménagement Strasbourg,
Péronne, Paris, etc. A Strasbourg, tandis que les
remparts étaient épargnés, les projectiles incendiai-
res étaient dirigés sur ta ville, la cathédrale, le
Temple neuf, la bibliothèc|ue, le gymnase protestant,
une ambulance et l'Hôpital A Péronne, c'est sur
l'église et l'hospice que tirèrent en premier lieu les
10
batteries allemandes. A Sainl-Denis, la vénérable
abbaye, spécialement visée, reçut 200 obus. A Paris,
Saint-Sulpice, les Invalides, la Sorbonne, le Val-
de-Grâce, le Panthéon, l'Ecole de droit, le Muséum
d'histoire naturelle, les hôpitaux Necker, de Bicêlre
et de la Salpêlrière furent régulièrement visés et
frappés.
La lh("!se allemande est celle-ci : chercher à démo-
raliser la population civile, pour s'en faire un auxi-
liaire, qui hâtera la capitulation de la place en
obligeant la garnison h se rendre.
Généralisant ce systfime au cours de la guerre
actuelle où, soit en Belgique (Louvain, Malines,
Anvers, Ypres), soit en Krance (Reims frappé par
33. 000 obus, Arras,Soissons,Senlis),descilés entières
furent incendiées et ruinées par des tirs d'artillerie
dirigés spécialement sur les églises et les monuments,
les Allemands accomplissent chaf|ue,jour des raids
aériens sur les villes ouvertes, dans l'unique but de
terroriser les habitants, augmenter leur horreur de
laguerre et provoquer des émeutes ou des.-paniques
Raid des zeppelins en Anglelerrc, daus la nuit du 24 septembre 1916.
capables de déterminer le pouvoir à obtenir le plus
vite possible la cessation des hostilités. C'est pour
cela que l'Allemagne estime qu'il n'y a pas de
destructions inutiles, et, si elle s'attaque aux monu-
ments les plus vénérés (l'abbaye de Saint-Oenis en
1871, la caihéilrale de Reims en 1914), c'est préci-
sément pour frapper davantage les imaginations. Le
terrorisme est, pour elle, un principe militairement
nécessaire. C'est en ce sens que le major Moraht,
le critique militaire du Herliner Tageblatt, a pu
écrire, au sujet des raids de zeppelins : « Je ne puis
comprendre sur quoi repose le reproche de cruauté
élevé contre nous. Nous employons cette arme pour
mettre plus vite fin à la guerre et hâter la paix. »
Aussi, les Allemands ont-ils multiplié, depuis le
début de la guerre, les bombardements aériens de
villes ouvertes ; c'est pour ainsi dire quotidiennement
qu'ils opèrent ainsi.
Tous ces actes sont nettement condamnables et
constituent des violations bien caractérisées du droit
commun de la guerre, bien qu'aucun texte spécial
n'ait été adopté par les nations pour servir de sta-
tut à la guerre aérienne.
Il y a lieu de constater, en tous les cas, à l'hon-
neur des puissances de l'Entente, qu'elles ont tou-
jours résisté à la tentation de répliquer aux provo-
cations réitérées de leurs ennemis par des expédi-
tions aériennes de châtiment sur les villes ouvertes
d'Autriche ou d'Allemagne. Ceci nous amène h. parler
des représailles réclamées par l'opinion publique et
exercées effectivement par les Alliés.
LAROUSSE MENSUEL
Représailles aériennes. — Les représailles sont
au nombre des moyens coercitifs admis par la pra-
tique internationale et auxquels les belligérants
peuvent recourir à l'encontre d'un ennemi qui s'est
soustrait aux obligations créées par les lois de la
guerre. Le but des représailles, en répondant à une
injustice par une injustice, est de contraindre l'en-
nemi à suivre une conduite régulière. Les repré-
sailles sont une nécessité; elles se légitiment à ce
titre, à la condition qu'elles soient efficaces, car elles
frappent des innocents. Nous étudierons plus au long
cette importante question. Qu'il nous suffise de dire
ici qu'il est de toute sagesse, pour les belligérants
qui ont conscience de leurs responsabilités et se
sentent incapables, même dans le but de mater
l'adversaire, d'accomplir des actes de sauvagerie
comparables aux siens, de résister au sentiment
d'indignation populaire qui veut des représailles,
alors qu'il n'est pas douteux que celles-ci auront
pour conséquence d'exciter davantage la fureur de
l'ennemi jusqu'à le déterminer, par esprit de ven-
geance, à de crimi-
nelles et barbares sur-
enchères.
Dans la guerre ac-
tuelle, les puissances
de l'Entente ont écouté
cette voix de la raison.
Ce n'est pas à dire que
leurs avions et leurs
aéronals n'ont pas cau-
sé maintes fois de gros
dommages aux Alle-
mands. Les raids de
Friedrichshafen contre
les usines Zeppelin et
de Ludwichshafen
contre les usines de la
Badische Aniline und
Soda-Fabrik, le bom-
bardement aérien delà
gare de Fribourg-en-
Brisgau, des casernes
de Colmar et de Stras-
bourg et des établis-
sements Krupp à Es-
sen, de la poudrerie al-
lemande de Rothwell,
des gares de Metz et
d'Arnaville, etc., cons-
tituent des opérations
de guerre qui ont été
sensibles à nos enne-
mis. Mais ces opéra-
tions rentrent nette-
ment dans la catégorie
des actes permis aux
belligérants, puis-
qu'elles sont dirigées
contre la force mili-
taire de l'ennemi.
Ce n'est donc pas
à titre de représailles,
mais bien en vertu des
lois de la guerre, que
les aviateurs alliés ont
accompli ces exploits,
Et, pourtant, cliaque
fois que ces raids ont
eu lieu, les Communi-
qués officiels français
onldéclaré que c'était â
titre de i< représailles».
De même, lorsque nos escadrilles, exécutant des
opérations en territoire ennemi, ont été lancer des
obus sur Trêves, Carlsrube et les établissements
militaireè de Miilheim (21 juin 1916), notre état-
major n'a pas manque d'annoncer que ces bombar-
dements avaient été ordonnés en représailles des
bombardements successils effectués par les Alle-
mands sur les villes ouvertes de Bar-leDuc et de
Lunéville. — Pourquoi? Qu'a-t-on besoin d'abriter
sous ce prétexte des coups qui peuvent être légiti-
mement portés en dehors de toute idée de repré-
sailles, puisqu'ils ne visent que ce qui touche direc-
tement à la guerre : quartiers généraux, caserne-
ments, campements, convois de ravitaillement,
trains de troupes et de munitions, parcs d'artillerie,
hangiirs à dirigeables, usines et établissements in-
dustriels travaillant aux fournitures de l'armée ?
C'est parce que, lancés de si haut, les obus, s'ils
sont dirigés spécialement sur ces buts militaires,
atteignent parfois la population civile et les biens
des particuliers, comme à Carlsruhe, où 257 per-
sonnes ont été tuées ou blessées. Les avions tirent
nécessairement au hasard, en raison de leur allure
vertigineuse, de leur altitude élevée et des ténèbres
au milieu desquelles souvent ils opèrent.
Voilà pourquoi les Alliés ont évité constamment,
au cours de cette guerre, d'aller accomplir en terri-
toire ennemi ces raids de destruction tant réclamés
par l'opinion publique. C'est seulement lorsque les
Allemands viennent bombarder chez nous des villes
ouvertes, dans le but unique de terroriser la popu-
No 119. Janvier 1917.
lation civile, que nos aviateurs reçoivent l'ordre de
se livrer à ces expéditions, que l'on baptise du nom
de « représailles » parce qu'il est impossible de pré-
voir (jue les non-combattants n'en souffriront pas. Il
convient d'ajouter que les Alliés ont conservé à ces
bombardements le caractère exceptionnel qu'ils doi-
vent avoir. C'est ainsi que l'excursion des avions
français à Carlsrnlie a été l'unique riposte à toute
la série des bombardements accomplis parles avia-
teurs allemands, du 3 février 1916 aul9 mai 1916, des
villes ouvertes de : Béthune, Amiens. Hazebrouck,
Bar-Ie-Duc, Epernay, Fismes, Saint-Diè, Gérard-
mer, Lunéville, Baccarat, Raon-l'Etape, etc.
Aussi, de tous côtés, on rend hommage h la
modération des Alliés : « En toute justice, lit-on
dans le journal suédois Goeteborge l'oslen, il faut
reconnaître que les Français, jusqu'ici, ne se sont
jamais livrés à des agressions du genre de celle de
Carlsruhe sans y avoir été provoqués par leurs en-
nemis. Et il faut certainement attribuer à l'huma-
nité des Français, et non pas à leur impuissance, le
fait que, jusqu'à présent, leur flotte aérienne a fait
si pende destructions en Allemagne, u
Les aéronefs dans la guerre maritime. — Les
hydravions et les dirigeables peuvent rendre d'appré-
ciables services au cours d'un combat naval : ils
coopèrentau bombardement des escadres ennemies;
ils règlent le tir des cuirassés et bombardent les
stations côlières; ils découvrent le sillage des sous-
marins et paralysent leur action. Leur rôle, comme
garde-côtes, est également très utile ; ils assurent,
aussi bien que les torpilleurs, la police des eaux
territoriales. Munis de postes de T. S. F. ou sim-
plement de fusées pour tracer dans l'air des signes
conventionnels, ils indiquent la présence et la direc-
tion de l'ennemi, ainsi que des mines sous-marines.
On a même des exemples de destruction de sub-
mersibles par des bombes lancées du haut des ap-
pareils aériens.
Le 6 septembre dernier, notamment, un aviateur
anglais est allédétruire un sous-marin allemand dans
le port de Zeebrugge. Mais les aéronefs peuvent-ils
faire la guerre aux navires de commerce? C'est, là
encore, une prétention d'origine germanique. Les
aéronefs, pas plus que les sous-marins, pas plus que
n'importe quel navire de flotte, croiseur ou torpil-
leur, ne peuvent attaquer et détruire un navire de
commerce ennemi ou neutre sans se conformer aux
régies du droit de prises, qui comportent l'avertis-
sement préalable, la visite à bord, la saisie et, s'il y
a nécessité absolue de coulor le navire, la mise en
sécurité des vies humaines qu'il transportait (art. 48,
49, 50 de la Déclaration de Londres de 1909).
Les aéronefs conlrebmidiers. — La question de
l'exercice de la contrebande de guerre par aéronefs
est une de celles qui préoccupèrent le plus, avant
la guerre, les juristes de droit international. Or,
jusqu'ici, l'aéoronautiquene semble pas avoirdirigé
ses efi'orls du côté des intérêts économiques. II est
à remarquer que l'Allemagne, qui a eu l'audace de
créer des sous-marins commerciaux pour lutter
contre le blocus des Alliés, n'a pas, quant à présent,
constitué de flotte marchande de dirigeables. Le
ravitaillement d'une place assiégée par le moyen
des aéronefs a été tenté, cependant, au cours de
cette guerre par les Anglais, qui ont envoyé des
aéroplanes porter des vivres aux troupes britanni-
ques enfermées dans Kut-cl-Amara, peu de temps
avant leur reddition. — Maurice duvàl.
Guerre en 191-4-1916 (la). [.S»/7e.] —
11 fallait se garder soigneusement, au début de
décembre, de tirer des faits militaires qui s'étaient
déroulés pendant le mois de novembre des conclu-
sions hâtives et, encore moins, définitives. Si cer-
tains de ces faits étaient fort troublants et avaient,
à juste titre, inquiété l'opinion publique dans tous
les pays alliés, il était permis d'espérer qu'une nou-
velle combinaison des forces de l'Entente allait per-
mettre d'améliorer la situation et, tout au moins, de
la maintenir sans aggravation. Ce qui s'était passe
en Roumanie en novembre pouvait être compensé.
D'autre part, des espérances étaient nées du côté
de la Serbie et, sur le front occidental, l'attaque
franco-anglaise continuait à donner les résultats
qu'on en avait toujours espérés.
Dans le secteur de Verdun, l'action énergique qui
nous avait rendu Douaumont en octobre avait été
poussée à fond avec de très puissants moyens d'ar-
tillerie. Le résultat avait été rapide et éclatant. Le
4 novembre, le fort de Vaux avait été repris, et nous
nous étions étendus jusqu'à Damioup La situation
se trouvaitdoncreconstituée, tellequ'elle était avant
le 26 février 1916. Neuf mois de résistance aboulis-
saient à un refoulement de l'ennemi sur ses posi-
tions de départ.
La reprise de Vaux marque la clôture des opéra-
tions allemandes sur Verdun et l'échec total de la
grande pensée du kronprinz. Nous avons déjà indi-
qué, le mois dernier, à quels subterfuges de presse
les Allemands avaient eu recours pour expliquer et
atténuerleurrecul. Douaumont, Vaux, Verdun même
onlpris aux yeuxdeleurspublicistes une importance
déplus en plus réduite, et ce qui avait été en février
/»• 119. Janvier 1917.
une position capitale, la porte même de la France,
est devenu sans valeur. Personne n'a été dupe de
ces artifices. Il en reste seulement celte constatation
d'ordre psychologique que les Communiqués alle-
mands qui, pendant longtemps, ont été, il faut le
constater, très véridiques, sont entrés dans la pé-
riode des périphrases, des euphémismes et des
atténuations et ont adopté une phraséologie qui
diminue beaucoup leur valeur hislorique. La consé-
quence de nos succès sur le Iront de Verdun, main-
tenus en dépit des contre-attaques allemandes, a été
de nous rendre de ce côté la sécurilé matérielle et
la confiance morale. La réaction française contre la
ruée allemande a donc élé complète.
Sur le front de la Somme, l'action continue des
forces franco-anglaises a donné de très brillants
résultats. Le 7 novembre, nous avions pris Ablain-
court et Pressoir; le 14, les Anglais avaient réalisé
sur l'Ancre, du côté de Beaucoiirl-sur-Ancre, une
avance de plusieurs kilom"'tres. Sans doute, pendant
le reste du mois, la marche en avant n'avait pas
été aussi rapide. Sur certains points, nous nous étions
bornés à défendre les positions acquises et, quelque-
fois, à les perdre et à les reprendre. Mais ceux qui,
à ce moment, se sont étonnés, ou même inquiétés, de
la lenteur des opérations, ont eu tort. Le public doit
comprendre que les préparalionsreprésenteni, dans
la guerre actuelle, plus de la moitié de l'action mili-
taire, que le lointain et impatient lecteur d'un journal
taxe aisément de lourdeur et d'impuissance. Nous ne
pouvons, ne l'oublions pas, tout savoir, et la grande
vertu du citoyen de l'arrière, qui ne souffre que par
approximation, doit être la patience. Nous négli-
geons trop aussi les difficultés d'une saison plu-
vieuse, dans un pays où le sol s'imbibe d'eau avec
une rare complaisance et où le plus grand ennemi
de nos soldats n'est pas l'Allemand, mais la boue.
Et rien ne doit plus compter pour nous, dans les
raisons de reconnaissance et d'admiration que nous
avons k l'égard de ceux qui défendent devant nous
l'honneur et la vie de la France, que leur extraor-
dinaire endurance deviint des obslacles malériels
qu'aucune industrie humaine, de quelque nationa-
lité qu'elle soit, n'est capable de supprimer, ou
même d'atténuer. Cela explique, pour une part con-
sidérable, que nous n'avancions pas plus vile. Mais
ce qu'on doit dire, c'est que la situation franco-
anglaise sur la Somme, à la fin de novembre, élait
bonne, pleine de promesses et parfaitement sûre.
Dans le secteur de Salonique, où nous avions
déjà, en octobre, marqué une reprise d'activité
longtemps attendue, les succès avaient continué.
L'elTort des Français, des Anglais, des Russes et
des Serbes, réunis sous le commandement de Sarrail,
avail été appuyé par celui des Italiens venus de
l'Ouest, et cette pression combinée avait lourdement
LAROUSSE MENSUEL
en Epire par l'Italie, que son espoir d'être soutenue
par le nord, qu'elle n'avait certainement jamais
abandonné, devenait de plus en plus vain. Enfin,
il donnait de l'air à notre position de Salonique.
D'ailleurs, dans les deux dernières semaines de
novembre, ce succès s'était développé autour de
Monastir, et notre conquête se trouvait appuyée par
11
sabililé, agité à tort et & travers des Questions de
la plus haute importance pour nos alliés, comme
celle de l'Adriatique, où nous apportons des solu-
tions absolues, qui flattent notre générosité, mais
choquent vivement, de l'autre côté des Alpes, des
amis beaucoup plus intéressés dans l'affaire. No»
lecteurs savent que nous avons toujours été de ceux
Kntrelieu des routes de la Somme par les grenadiers de la ganie anglaise.
■•■ati-ri.'ivi. tjs.
de solides positions en avant. Du côté de l'est,
Sarrail avait élargi le cercle de ses opérations et,
au total, on pouvait, au début de décembre, être
assuré que l'armée d'Orient devenait un facteur
important de la lutte européenne.
Nous venons de dire que les Italiens avaient,
pour leur part, contribué efficacement à la reprise
de Monastir. On n'a peut-être pas assez dit en
France l'importance de ce concours, qui est très in-
téressant au point de vue de l'Entente et qui assure
notre liaison avec l'Adriatique. Il semblait bien que
l'Italie fût alors en posture d'apporter à la guerre
l'r.sonniers allemands parqués par les Anglais, dans la Somme. — Phot. Chusseau-Flaviens.
pesé sur les Bulgares el leurs alliés allemands. Après
une campagne très difficile, où toutes les troupes
ont rivalisé d'ardeur avec l'armée serbe en train de
reconquérir sa patrie, le cercle s'est resserré au-
tour de Monastir et, le 19 novembre, jour anniver-
saire de la prise de cette ville par les Serbes en
1912, les Alliés sont entrés de nouveau dans la
place. ("V. p. 19). L'importance de ce succès, que les
Allemands ont, bien entendu, cherché à réduire
au minimum, était grande. Il était un échec grave
pour les Bulgares, qui s'étaient targués de conserver
définitivement la Macédoine; il rendait aux Serbes
une capitale; il montrait à la Grèce, déjà menacée
européenne un appoint de plus en plus considé-
rable. L'avance de Cadorna avait continué sur le
Carso avec, des gains très appréciables et d'impor-
tantes captures de prisonniers et de matériel. En
Epire et en Macédoine, l'emprise italienne s'était
fortifiée. Partout, l'activité militaire de l'Italie
s'était accrue de plus en plus, et l'intime union de la
France et de l'Italie s'était fortement marquée au
passage du général Roques à Rome, lors de son
retour de Salonique. — Nous avons quelquefois
montré en France une véritable méconnaissance de
l'elTort italien. Nous avons aussi, avec la hàto un
peu brouillonne de gens sensibles et sans respon-
qni estimaient que l'Italie avait droit à la prépondé-
rance dans l'Adriatique. Il est trop évident que l'Italie,
qui doit comprendre parfaitement la nécessité de ré-
gler avec justice la question balkanique et d'assurer
à ceux qui le méritent un large avenir, ne lutte pas,
cependant, contre l'Aulriche pour lui voir ensuite
substituer une autre puissance. Elle pouvait rester
neutre et, outre le profit d'argent quelle eût fait par
d'utiles ravitaillements, espérer après la lulte une
bonne rectification de ses frontières. Elle pouvait
interpréter le pacte de la Triple-Alliance, non pas
dans le sens de la neutralité, comme elle l'a fait,
mais dans le sens de l'action, et l'on ne contestera
pas qu'une attaque italienne sur la frontière des
Alpes eût été pour nous une difficulté supplémen-
taire, dont nous
n'avions nul be-
soin. A ces deux
partis, pour elle
siprofitables,elle
en a, avec une
vue Irès'nette du
présent et de l'a-
venir, préféré un
troisième, qui
était plein de ris-
ques, mais qui
lui ouvrait l'es-
poir d'achever
son unité et de
s'élever au rang
de grande puis-
sance. C'était
aussi pour l'En-
tente le plus avan
tageux. Sachons
nous en souvenir.
La seule inquiétude, mais sérieuse, avait été, el
était encore, en Roumanie. On se rappelle qu'à la fin
d'octobre, nous avions marqué déjà que, sans rien
exagérer, la perte de Prédéal élait pour nos alliés
un échec qui pouvait avoir des suites. Elles se sont
marquées, pendant tout le mois, malgré l'énergique
résistance des Roumains et grâce à la disposition
des vallées qui permettaient à l'ennemi une marche
convergente vers Bucarest, d'autant plus dange-
reuse qu'elle s'est doublée d'une menace d'encer-
clement par le Sud, lorsque les armées de Mackensen
ont franchi le Danube. Bien que les journaux
allemands aient fait grand bruit de ces succès el
les aient annoncés à leurs lecteurs par des manchettes
hyperboliques, la marche des Allemands n'a heureuse-
ment pas pu être aussi prompte qu'ils l'avaient espéré
et qu'ils l'ont annoncé. Les difficultés du ravitaille-
ment et des transports de matériel sont certainement
considérables en dépit de toute l'organisation alle-
mande, el l'avance en a été fort ralentie. Assurément,
elle a encore été trop rapide, et le fait qu'au début de
décembre les journauxpouvaientparler de la bataille
de Bucarest, annoncer que le gouvernement roumain
Le général Lelilois, commandant
les troupes fi-ançaises de l'armée d'Orieot.
12
s'élaittransporlé à Jassy et que l'ordre avait été donné
ila population ci vile d'évacuer la capitale, étaient îles
preuves trop certaines de linvasion de la Valachie.
Tous ces événements avaient produit dans les
pays de l'Entenle une sensation pénible, et les péri-
péties de la lulte oui clé suivies avec une curiosité
inquiète par le» journaux et par le public. A la fin
de novembre, les Allemands, commandés par Fal-
kenbayn, avaient donc progressé dans les vallées de
iOltu et du Jiu, et il
semblait que rien ne
pût arrêter leur élan.
On attendait avec
anxiété l'intervention
russe, et plusieurs
avaient déchiré qu'elle
tardait beaucoup.
C'est, parsuite, le lieu
de répéter, et plus
l'ortement encore que
lorsqu'il s'agit du
front de France, que
nous jugeons fort mal
les opérations mili-
taires quand nous ne
faisons pas entrer en
compte les distances,
l'insuffisance des
voies (le communica-
tion dans un pays qui
n'avait pas préparé la
guerre, le climat fort
rude et les désavan-
tages de la défense.
11 était certain, à la
fin du mois, que les
Husses se préparaient
à soutenir les Rou-
mains, que leur jonc-
lion étai t prochaine et
qu'on pouvait, à bref
délai, allendie d'eux
une action très forte.
D autre part, du côté
delà Uoliroudja,Mac-
kensen avait rencon-
tré devant lui une ré-
sistance solide, qui avait beaucoup retardé sa marche,
sans pourtant l'arrêter. — Au total, la situation rou-
maine restait très douteuse et pouvait nous réserver
des moments difficiles. 11 fallait constater que les
Allemands avaient été beaucoup moins vile qu'ils
ne l'avaient pensé. Après le premier bond en avant,
ils avaient rencontré devant eux des obstacles de
toute sorte et une solide résistance roumaine. Il fal-
lait aussi attendre avec espoir l'intervention russe,
qui déjà s'annoiiçail d'une façon rassurante. 11 fallait,
pourtant, rccoiMiailre que l'enlrée des Allemands en
Roumanie pouvait avoir des conséquences étendues.
Si le pays était occupé par nos ennemis, à la façon
dont ils ont occupé tous ceux qu'ils ont envahis,
c'étaient de grandes provisions de blé et de pélrole
qui tombaient entre leurs
mains el, sans exagérer,
comme nous avons déjà
dit, la valeur totale de cet
avantage, il n'élait cer-
tainement négligeable ni
pour eux qui l'acciiié-
raient, ni pour les Alliés
qui le perdaient. Il leur
permettait de faire à cer-
iains neutres des offres
de .services qui, même en
les débarrassant de toutes
les fanfaronnades dont ils
lesentouraient, pouvaient
avoir sur le ravilaillement
el, par suite, sur les dis-
positions morales de ces
pays déjà Irès travaillés
par la propagande alle-
mande, une iuUuence très
fâcheuse.
En outre, à un point de
vue moins immédiat, mais
auquel lesAUemandsn'ont
jamais cessé de songer,
la possession de la Rou-
manie et, par suite, de la
vallée du bas Danube, rélablissail leur position en
Orient. L'espoir d'une route vers l'Asie Mineure, qui
a été, depuis des années, le pivot de leur politique
commerciale, reprenait une force qu'il avait un inslanl
perdue et les vengeait des craintes que l'expédition
des Dardanelles, notre arrivée à Salonique, les
affaires de Grèce, l'accession de la Roumanie à la
coalition, leur avaient fait concevoir. Nous avons
insisté souvent sur ce point. Nous avons un intérêt
majeur à ce que l'Allemagne, el, dans celle expres-
sion, nous comprenons l'.Xulriche-IIongrie, ne s'ins-
talle pas en mailresse sur la roule llambourg-Da-
nube-Constanlinople-Bagdad-golfe Persique qu'elle
a jalonnée depuis si longtemps. C'est le rêve de la
LAROUSSE MENSUEL
Grande Allemagne; ce serait, s'il se réalisait, l'ou-
verture à l'aclivilé envahissante du peuple alle-
mand d'un domaine économique qui a été, dans
l'antiquité, d'une extraordinaire richesse et qui peut
recouvrer toute sa valeur. Appuyée sur une base
aussi étendue, l'Europe centrale allemande aurait,
dans toutes les affaires du vieux confinent, une
prépondérance incontestable, el c'est assurément
par là que nos ennemis espèrent atteindre une
VoiUcr austraUcn chargé de blé destinÊ à rAiigleterre. Jn dirigeahie anglais va le cheicher au large des côtes britanniques pour le
protéger, le guider et le conduire au port le plus proche.
hégémonie qui leur échappe de plus en plus du côté
de l'Occident.
Si nous avions, dans les dernières années, donné
plus d'attention à la poliliaue balkanique el orien-
tale de l'Allemagne el suivi ses progrès avec plus
de sérieux, si nous avions joué de ce côté un rôle
moins sentimenfal et plus énergique et su profiter
des avantages que nous aurions pu acquérir en Tur-
quie avec plus d'adresse et de fermeté, nous n'au-
rions pas à nous préoccuper, aujourd'hui, du retour
offensif de l'Allemagne en Roumanie. L'enlrée de
la Roumanie dans la coalilion a été un événe-
ment souhailé et attendu avec une rare unanimité.
L'opinion publique, en se tendant vers lui, ne se
trompait pas. Rien n'est changé, et il ne dépendait
Pièce lourde montée sur le porte-canon au moyen d un treuil spécial par ud tracteur automobile, avec câble d'acier. — Phot- NVyndham
de personne, dans les condilionsoù s'est déterminée
la Roumanie, d'influer pins qu'on ne l'a fait sur ses
destini'ps mililaires. Certes, il eût peut-être mieux
valu qu'elle se fût bornée à défendre les cols des (-ar-
patlies et qu'elle n'eût pas elle-même semljlé attirer
vers son sol l'ambilion allemande; si elle se fût bor-
née à se jeter sur la Dobroudja, elle eût acquis
plus de profit et couru moins de dangers.
Mais nous ne nous souvenons pas assez de l'élan
national ([ui nous a jefés sur la liaufe Alsace et sur
Mulhouse, en août 1914. Le même sentiment a con-
duit les Roumains en Transylvanie. Ils l'ont payé
assez cher. Leur écliec retardé les résullats de leur
concours; il n'en diminue pas l'imporlauce, el il faut
«• 119. Janvier 1917-
vraiment avoir une vue très simpli-sle des choses
pour s'être imaginé qu'aucun obstacle ne pourrait
subvenir sur les chemins de la Roumanie.
Sur mer et dans les airs, le seul événement im-
portant avait été, le 26 novembre, le 41" raid des
zeppelins sur l'Angleterre. No» alliés avaient abattu
deux aéronels. Sur les fronts, la hardiesse de nos
aviateurs avait continué à faire beaucoup de mal à
nos adversaires et à rendre de grands services à
notre artillerie. L'ac-
tivité des sous-marins
allemands ne s'élail
pas ralentie. C'élaitlà.
cerfaiiiemenl, un des
F oints sur lesquels
allenfion des Alliés
était retenue le plus
sérieusement. Le ser-
vice de renseigne-
mentsel d'espionnage
allemands chez les
neutres permellait à
nos ennemis des tor-
pillages donl ils fai-
saient grand bruit. Us
parlaient moins des
pertes qu'ils subis-
saient dans leur flotte
submersible. La ques-
tion de la reprise in-
tense de la guerre
sous-mari jie était sou-
vent, en termes vio-
lents, agitée par la
presse allemande.
Elle restait une grave
menace.
En résumé, au point
de vue militaire, le
seul front roumain
avait, en novembre,
causé des inquiétudes
graves, qui duraient,
mais dont on pouvait
peut-être espérer l'at-
ténuation, si les ren-
forts russes arri valent
à lemps. Ailleurs, et en tenant compte que la saison
imposait une inaction presque complète à nos alliés
russes, non seulement la résislauee avait été par-
tout efficace, mais les Allemands n'avaient pu sortir
de la position défensive que les Alliés les avaient
obligés à prendre depuis le mois de juillet.
L'altenflon publique a été, en outre, pendant le
mois de novembre, sollicitée par un grand nombre
de faits significatifs et d'évérienienls, prévus et im-
prévus, qui peuvent avoir sur l'avenir de l'Europe
une grande portée. 11 faut bien classer au nombre
des événements imporlanls ce qui a continué à se
passer en Grèce. Il est difficile d'en écriie fout ce
qu'on en pense. Nous ne pouvons tout de niêuie ne
pas noter qu'un acte de plus s'est ajouté h la tragi-
comédie d'Alhènes, dont
ou ne pouvait encore pré-
voir le dénouemeiil. tant
cei-lainsacleurs mettaient
ife soin à cacher leur jeu.
On n'a pas oublié que
l'amiiiil Darlige du Four-
net av ait pris la direction
de la police d'Alhènes,
que les Alliés avaient dû
se décider à se proléger
et même que le roi Oons-
tanlin avai prisa l'égard
de ri'^nteiile des engage-
nienls fort précis. Or,
I allilude du gouverne-
ment grec, non moins
que celle des repièsen-
tauls officiels des puis-
sances cculrales, obligea
d'aller plus loin, el, le
i'i novembre, les minis-
tres d'AUeinagne et d'.Au-
triche, embarqués au Pi-
rèe, étaient dirigés vers
un .porl bulgare. D'autre
pari, le roi n'ayant plus
semlilé garderde ses pro-
messes qu'un souvenir très vague, le 26 novembre,
l'amiral envoyait au gouvernement grec un ullima-
tum, par lequel il exigeait la remise entre ses
mains du malériel d'arlillerie donl disposait l'armée
grecque. 'Vers le même moment, le gouvernement
provisoire de Venizelos à Salonique déclarait la
guerre à l'Allemagne, à la Bulgarie, ainsi qu'à la
'Turciuie. On était, évidemment, à la veille d'évé-
nemenls imporlanls. Mais il était difficile de pré-
voir ce qu'ils seraient el à quoi ils tendraient. Le
but de la politique alliée à Athènes n'a jamais
été d'une clarté parfaite, et on doit simplemenl
conclure des faits que la presse a pu publier (|ue
l'Entente a gardé, vis-à-vis de la Grèce et de son
LES FORÊTS ET LA GUERRE
14
LAROUSSE MENSUEL
Supplément au n° 119. Janvier 191'/
L'ÉTÉ, tableau de Raphaël Collin (1881), collection iiarticulicre à GOleborg (Suède). [V. Collin, p. 3.]
LE MARCHE A LA FERRAILLE, tableau de Luigi Loir (1896), Petit-Palais des beaux-arts (Paris). [V. Loir, p. 19.j
W IJ9. Janv/er 1917.
LAROUSSE MENSUEL
15
roi, une courtoisie peut-êlre un peu anachronique.
La Grèce, à la fin de novembre, ne pouvait être re-
présentée que par un point d'interrogation, et bien
habile eût été celui qui aurait deviné où l'on en
voulait venir. En ce qui concerne le roi Constantin,
qui serait vraiment ingrat s'il se plaignait des mé-
nagements qu'on a gardés à son égard, il ne parais-
sait pas vraisemblable qu'il eût changé de senli-
menl et que sa sympathie pour notre cause eût pris
beaucoup d'intensité. Il était, au contraire, certain
que les affaires de Roumanie lui avaient dicté sa
conduite et que l'avance allemande agissait sur lui
très eflicacement. Au point où l'on en était, d'ail-
leurs, on pouvait se demander si la question hellène
avait encore une importance et si le sort de la Grcce
pouvait iniluer d'une manière quelconque sur l'issue
du conilit européen.
Beaucoup plus intéressantes, d'une portée beau-
coup plus étendue, avaient été la pioclamation, par
l'Allemagne, de l'indépendance de la Pologne et
la promesse faite par r.\ulriche à la Galicie d'une
Constitution indépendante. Ces deux acies ont pris
tout de suite leur vrai sens de la décision notiliée
par les deux grandes puissances et mise comme con-
dition essentielle à leur générosité apparente d'ajour-
ner l'appliciition compii'te de l'indépendance jus-
qu'après la fin des hostilités. Pour l'heure présente,
l'indépendance polonaise saflirmait par la création
de municipalités et, surtout, par l'enrôlement des
Polonais dans l'armée allemande. En fait, le but réel
de la déclaration a été d'ordre militaire. L'.Mlemagne
a voulu lortiller ses elTeclils par le recrutement polo-
nais. Mais on réduirait son gesle à un sens par trop
élémentaire si l'on n'y voyait aussi la recherche d'un
moyen propre à déconsidérer la Russie aux yeux
des Polonais et à les détacher d'elle définitivement.
Que devenaient, en effet, au sens allemand, la procla-
mation du grand-duc Nicolas et ses promesses,
restées, semblait-il, en suspens? Que devenait l'ad-
hésion même du tsar à ces promesses, devant le
fait accompli? Qu'était l'imprécision de l'avenir
polonais sous l'autorité moscovite, au regard de la
réalité du royaume de Pologne ressuscité par les
Allemands? Que des Polonais se soient laissés
prendre à ce raisonnement, rien n'est plus vrai.
Que beaucoup d'autres aient senti un piège et réservé
leur attitude, qu'un très grand nombre, enlin, aient
compris nettement le danger et ref\isé le cadeau
onéreux d'une annexion déguisée à l'Allemagne,
c'est ce que prouvent maints articles de journaux et
la division que l'on constate dans l'opinion polo-
naise. On ne peut, pourtant, nier que l'acte ne fût
habile, d'une liabileté un peu lourde, de nature néan-
cette aiïaire et voir peut-être naître ime autonomie
réelle. Mais qui pourrait penser que la Prusse renon-
cera au duché de Posen pour l'adjoindre & la nou-
velle Pologne et cessera la germanisation violente de
celte malheureuse province? Le nouveau royaume
de Pologne ne sera donc, au point de vue territo-
rial et en supposant qu'il existe jamais réellement.
En attendant, le geste de l'Allemagne appelait
une réponse de la Russie. Elle est venue le 15 no-
vembre, sous la forme d'une protestation contre
l'enrôlement des Polonais et dune nouvelle décla-
tion sur l'avenir de la Pologne. Ce document affirme
la II décision inébranlable » du tsar de créer « une
Pologne entière, englobant tous les territoires po-
CoDsti'Uction d'un pont de Duis sur un affluent de la Cerna (Serbiej, par les troupes iraii^aises. — Phot. Polak.
qu'un lambeau de la Pologne et, au point de vue
fiolitique, que le fantôme d'un Etat. Outre que l'Al-
emagne lui destine un roi allemand, elle comple en
faire une barrière contre la Russie, un de ces Etats-
tampons qui reçoivent tous les coups, et servent
de champ clos. 11 n'y a donc li qu'un trompe-l'œil.
Le résullat immédiat tangible pour les Polonais
reste l'enrôlement dans les rangs des belligérants.
L'.Mlemagne trouvera-t-elle là l'armée nouvelle
Sliubartiuement des pièces d'artillerie desUaùes a l'armée d'Orient
moins à faire impression. Mais il ne résiste pas à
l'examen. La proclamation du royaume de Pologne
n'est que l'intitulé d'un chapitre nouveau de Vh'is-
toire des malheurs de la Pologne. Prétendre qu'on
restaure la Pologne quand on laisse en dehors la
Galicie. qui re-te autrichienne, et le duché de Posen,
qui reste prussien, c'est vraiment tenter de faire
accepter un mensonge par trop paradoxal. Encore
peut-on dire que la Galicie, que l'Aulriche s'est
efforcée de gouverner sans trop de rudesse, et qui a,
tout compte fait, prouvé sa gratitude à la monarchie
dualiste, espère sans doute trouver son compte dans
qu'elle désire mettre sur pied au printemps? Nous
estimons inutile de faire sur ce point des pronostics;
nous sommes très mal renseignés sur l'état présent
de la Pologne, il est vraisemblable que ce pays, voué
à tous les malheurs, a déjii été affreusement ravagé
par la guerre, par les allées et venues des armées
allemandes et russes, par la destruction systéma-
tique qu'ont certainement pratiquée les troupes du
tsardevanll'invasiongermauique, parl'évacuation en
niasse de toute la population civile. Reste-til assez
d'habitants mobilisables pour donner un appoint ap-
préciable,dangereux pour nous? L'avenir nousledira.
louais et qui jouira, la guerre terminée, du droit de
régler librement sa vie nationale, iutellecliielle et
économique, sur les bases d'une autonomie, sous le
sceptre des souverains russes et en conservant le
principe de l'unité d'Etal •>. C'est donc la confirma-
tion des promesses antérieures, et l'Allemagne n'a
aucun titre à protester contre k'urinsulfisance,alors
que les siennes font si bon marché de l'unité terri-
toriale de la Pologne.
La déclaration russe a pris, d'ailleurs, une valeur
et une autorité particulières du fait que, le 17 no-
vembre, à la suite de la nouvelle conférence des
Alliés qui s'eat tenue à Paris, Briand et Asquith
ont adressé au gouvernement russe une adhésion
formelle aux promesses faites par le tsar. Ils y ont
rappelé les « antiques sympathies » qui attachent la
France et l'Angleterre au peuple polonais; ils y ont
affirmé que « l'union restaurée de ce peuple cons-
tituera un élément primordial du futur équilibre
européen », et ils se sont n solidarisés enticrement
avec les vues du gouvernement impérial». L'impor-
tance de cette adhésion ne peut échapper à qui-
conque connaît tant soit peu la question polonaise.
Le gouvernement russe la considère comme une
question russe, et son point de vue, si l'on se rappelle
l'histoire des quatre derniers siècles et 1 inaction
des gouvernements del'Europe occidentaleà l'égard
des intérêts polonais depuis cent cinquante ans, est
trèssoutenable. Les Polonais, d'autre part, souhaitent
à leur future existence une garantie européenne.
La déclaration du gouvernement russe et l'adhésion
sponlanée de la France et de 1 Angleterre aux pro-
messes qui y sont contenues, tout en laissant à la
Russie l^onneur et la responsabilité de ses enga-
gements solennels, affirment aux Polonais la sym-
pathie active de rEntenteetleurgarantissenll'avenir.
il y a là pour eux, s'ils veulent y rélléchir, en dépit
de l'apparence d'exécution immédiate que prétendent
les Allemands, plus de sûreté et de solidité. Le
XX» siècle et la nouvelle Europe verront réparée, il
faut l'espérer, l'injustice du passé, et une nationalité
<|ui a voulu vivre malgré tout, létabl e dans ses
droits et son autonomie. La France s'honorera d'y
avoir contribué.
Y eut-il un lien entre la question polonaise et le
remplacement du premier ministre Sturmer par
Trépof, il est diflicile de le dire. Il était du moins
permis d'augurer que ce changement fortifie, a. l la
décision de la Russie. Il est trop vrai que les bruits
3 non avait fait courir en Suisse d'une paix séparée
e la Russie avaient paru étranges à beaucoup,
en dépit de tous les démentis. Le départ de Sturmer
a été de nature à dissiper certaines inquiétudes,
injustifiées on peut l'affirmer, mais qu'il eût été
grave de laisserse répandre, et les complicités ache-
tées que l'Allemagne rencontre dans la presse de
bien des pays n'avaient pas manqué de s'employer
activement à cette diffusion.
La publics lion desdocumentsdont nous avons parlé
toutàl'heure, qui ont fait couler beaucoup d'encre et
16
qui seraient matière à tant de réflexions, si ces
réflexions étaient de celles qu'on imprime en ce
temps-ci, a précédé de très près un événement
considérable attendu bien des fois déjà, et qui peut
sinon influer sur la fin de la guerre, du moins de-
venir le point de départ de bien des changements
dans la monarchie auslro-hongroise : l'empereur
François-Joseph est mort le 21 novembre, à l'âge de
86 ans, après 68 ans de règne. Il a été remplacé par
son petit-neveu, Charles-
François-Joseph, dont,
depuis quelques jours et
fiour préparer l'opinion à
a disparilion imminente
du vieil empereur, on
avait annoncé la désigna-
tion en qualité de co-
régent. Le nouveau sou-
verain, qui a pris les noms
de Ciiarli'S l'^"', empereur
d'Autriche, elCharles W,
roi de HouK-rie, est le fils
di^ l'archiduc Olhon, ne-
veu de l'^rançois-Joseph,
3 ni avait épousé Marie-
osèphe de Saxe. Il a lui-
même épousé, en 1911,1a
princesse Zita de l'arme,
dont deux frères combat-
tent dans l'armée belge.
L'empereur-roi Charles
est âgé de 29 ans.
Le cadre de cette chro-
nique mensuelle ne per-
met pas une étude com-
plète du règne et de la
personne de François-
Joseph. Son règne, com-
mencé en 1848 par un
coup de force, se ter-
mine au milieu de la plus
terrible tempête qu'ait jamais supportée la monar-
chie autrichienne. S'il n'esl pas prouvé qu'il ait
F revu et voulu une guerre européenne, il en a été
auteur effectif et responsable, l'agent provocateur.
C'est lui qui a tenlé d'acculer la Serbie à une dé-
chéance morale absolue et définilive. C'est srfn ulti-
matum, c'est son refus de considérer comme valable
la soumission de ce petit peuple, lequel ne demandait
que la paix, qui ont, par un enchaînement fatal de
circonstances, entraîné l'Europe dans une guerre
qui l'épuisé. On pourra dire qu'il n'a été que l'agent
de l'Allemagne. Cette
circonstance ne dimi-
nue pas le poids des
responsabilités qui pè-
sent sur sa mémoire.
L'histoire de son rè-
gne est féconde en
désastres et en dra-
mes. Il a perdu le
Milanais. Il aétébatlu
à Sadowa. Il a perdu
la Véuélie. Il a vu
mourir autour de lui,
et de mort violente,
des êlres qui auraient
dû lui être très chers
et dont il a supporté
la perle avec une ap-
parente fermeléd'âme
qui n'était qu'égo'i'sme
et indiiférence. On a
eu souvent pour lui,
au moment de la mort
de Maximilien, empe-
reur du Mexique, au
moment de l'assassi-
nat de sa femme, au
moment de la tragé-
die de Meyerling, au
moment de l'attentat
de Serajevo, des sym-
pathies qu'il ne mé-
ritait pas. Il ne semble pas que sa disparilion
ait ému personne. Elle a paru prématurée à tout
ceux qui, croyant â une justice, souhaitaient qu'il
vît l'eltondrement de sa monarchie. On doit cepen-
dant constater qu'il était sympathique h ses peuples
et qu'il s'était créé entre eux, sur sa personne, une
sorte de loyalisme autrichien, qui ressemble étran-
gement k une nalionalitè et qui explique très suffi-
samment la cohésion de l'Empire dans une guerre
3 ni semblait devoir favoriser les plus justes reven-
ications et les révoltes les plus légitimes, Bien que
nous soyons fondés à deviner en Bohême, depuis
la guerre, un régime de compression terril)le, il est
certain que les éléments disparates de la monarchie
ne se sonl pas dissociés et que certains parmi eux,
comme les Croates, ont été des défenseurs très so-
lides de l'Empire. Celte cohésion durera-t-elle après
lui? L'espoir que certaines nationalités nourrissaient
de se voir doter d'une sorte d'autonomie survivra-t-il
t la personne de François-Joseph ? L'idée de l'Empire
LAROUSSE MENSUEL
trialis'e, qui était chère à l'archiduc François-Ferdi-
nand, résistera-telle à la poussée germanique, aux
conquêtes italiennes, à l'ambition hongroise? Ce
sont là les problèmes de l'avenir. Pour le présent,
l'arrivée au pouvoir, dans de telles circonstances,
d'un empereur jeune et inexpérimenté, laisse le
champ libre à toutes les intrigues et peut lever,
même pour l'exigeante alliée de l'Autriche, bien des
scrupules que la présence de François-Joseph a
!
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fait naîlre. Elle peut aussi, par contre, rendre plus
facile la solution de cerlaines questions intérieures
que François-Joseph, par tradition et par tempéra-
ment, n'aurait pu résoudre dans un sens satisfaisant
pour les intéressés. En ce sens, la disparilion du
vieil empereur peut être considérée comme un
événement d'importance, si tant est que, dans lo
conflit formidable qui soulève l'Europe, il n'y ait
pas en présence des forces si puissantes que la mort
d'un empereur y soit une quantité négligeable.
De l'autre côté de l'Atlantique, la lutte électorale
Vue générale il'Athèncs (à droite, l'Acropole). — Phot. Cbusseau-Flavieas.
engagée pour la présidence des Etats-Unis n'a pas
entraîné de changement de personne. Le vote du
7 novembre a donnt 27? voix à 'Wilson, contre 259
à Hughes (v. p. 5). 'Wilson restera donc président de
la grande république américaine. Nous ne revien-
drons pas sur ce que nous avons dit à ce sujet le
mois dernier. Nous n'avons jamais compris la pas-
sion que l'on a mise, dans la presse, à se réjouir
prématurément, et alors que les résultats n'étaient
pas connus, de l'élection supposée de Hughes et
de l'échec possible de Wilson. L'intérêt américain
est dans la neutralité. Aucune personnalité ne sau-
rait avoir le pouvoir de changer cela, pas plus que
de tourner cette neutralité au profit de tel ou tel
belligérant. Tout prouve que les sympathies de la
majorité des citoyens américains sont pour les Alliés
et en particulier pour la France. Les marques de
cette sympathie sont innombrables. Sachons une
bonne fois nous contenter de ce qu'on peut nous
accorder, et admettons qu'étant donné qu'il y a des
N* 119- Janvier 1817.
Américains, ils puissent, sans nous manquer, être
pleinement Américains. Tout le reste n'est que
verbiage et trompe-l'œil.
En ce qui concerne les petits Etats neutres, deux
d'entre eux, la Norvège et la Suisse, ont été, on le
sait, mêlés malgré eux et indirectement au grand
din"érend de ces derniers mois. La Norvège a
éprouvé cruellement le mauvais vouloir de l'Alle-
magne. Elle a maintenu son point de vue. L'Alle-
magne a maintenu le sien.
Mais il paraît bien qu'un
arrangement, qui poitera
sans doute sur l'importa-
tion en Allemagne du
poisson norvégien et des
boîtes d^ sardines, pourra
se conclure, s'il n'est déjà
conclu.
A l'égard de la Suisse,
les Alliés ont répondu
aux prétentions alleman-
des, relatives aux impor-
tations, par des préten-
tions identiques. La
Suisse est, on le sait
aussi, dans une position
difficile. Elle déleiid ses
intérêts. Qui l'en blâme-
rait avec justice? La si-
militude des langues de
la Suissealémanique avce
l'Allemagne, de la Suisse
romande avec la France,
trompe beaucoup de Fran-
çais sur le devoir des
Suisses, qui est, après
tout, nous le répétons,
d'être Suisses. La Suisse
romande a voué à la
Frimce une chaude affec-
tion. Elle venait de le
prouver encore une fois parl'iniliative de deux bons
citoyens qui ont réuni cent cinquante mille signatures
pour demander au Conseil fédéral deprotestercontre
les déportations de Belgique. Elle reste pourtant
suisse et ne peut être autre chjse. Nous avons dans
la Suisse alémanique, qui parle allemand, d'innom-
brables sympathies, qui se sont miinifeslées à Schaff-
house, à Zurich, à Berne, par l'accueil maternel qui
a été fait à nos malheureux réfugiés et à nos inter-
nés militaires. Il reste à côté de tout cela des inté-
rêts suisses qui ne sont pas des intérêts français,
que nous avons le de-
voir de connaître et
de respecter dans la
limite oii ils ne vio-
lent pas la neutralité
qui nous est due. Tout
est dans la fi'oulièreà
fixer entre ces deux
intérêts, dans les
moyens de les mettre
i accord et dans la
manière. Sachons
être justes, c'est le
meilleur moyen d'être
habiles.
Il a été du plus haut
intérêt de suivre les
événements inté-
rieurs qui se sonl pas-
sés en Allemagne
pendant le mois de
novembre. On avait
beaucoup parb, en oc-
tobre, d'une crise de
chancellerie, du dé-
clin de Bethmann-
Holhvcg, de discor-
des entre les partis.
Uélailpermis dépen-
ser, au contraire, à la
fin de novembre, que
lasituation du chance-
lier était raffermie et que de la conférence qu'il avait
eue avec les chefsdes partis du Parlement, élait sorti
un accord complet. Quant à l'empereur, il avaitmani-
feslé à Bethmann-IloUweg, de la façon la plus écla-
tante, à propos du soixanlièmeanniversaire de celui-
ci, son attachement et sa gratitude, et rien ne per-
mettraildecroirequ'ilyeût là des fleurs pour cacher
une disgrâce prochaine. L'Allemagne restait parfai-
tement unie. Elle en avait donné la preuve en éla-
borant la loi sur le service auxiliaire obligatoire
pour tous les sujets allemands de 17 à 60 ans. Cette
loi avait pour but de mobiliser toutes les forces alle-
mandes en vue de la fabrication de lont le matériel
nécessaire à la guerre. Manquant de main-d'onivre,
liien qu'il semble qu'elle en ait fait venir de Tur-
quie, l'Empire allemand demande à tous de colla-
liorer à la défense et de contribuer de leurs mains à
la préparation d'un grand efl'orl pour le printemps.
Surpris par nos attaques d'artillerie, il a compris de
quoi nous étions capables, et il a décidé de nous sur-
/y* 119 Jumier 1917.
UÉ(ilON DE MONASTlll
17
■18
f lasser. Tout le Reichstaj, rentré tout exprès, a suivi
e gouvernemenl et, malgré les oppositions qu'on
nous avait annoncé(;s,le projet de loi a été adoplé et
voté. 11 y a là un lait qui mérite toute notre atten-
tion. On a parlé, à propos de cela, d'Allemagne aux
abois. Ce serait une grande faute d'adopter cette
interprétation. L'Allemagne prépare, au contraire,
un gigantesque effort, et elle y associe tous les Alle-
mands. A nous d'aviser. En même temps et suivant
sa coutume, elle parle de paix, et elle inclique vague-
ment les bases sur lesquelles elle est prête à traiter.
Le chancelier, dans un discours que l'on n'a connu
que par la presse officieuse, s'est donné la peine de
développer à nouveau sa thèse sur les responsabi-
lités de la guerre et de les rejeter sur la Hussie. Il
a, en outre, au Heichstag, en présentant la loi sur
le service auxiliaire, proclamé que l'Allemagne
voulaitlapaix. Scbeidemann, à son tour, continuant
son rôle de socialiste gouvermental et de porte-parole
officiel, est venu à la rescousse, ft il a montré com-
ment l'Allemagne entendait la paix. En même temps,
aussi, l'Allemagne, toujours pour se procurer de la
main-d'neuvre, renouvelait les pratiques des guerres
de l'antiquité et, rétablissant en fait l'esclavage,
pratiquait, en Belgique et dans le nord de 'a France,
(les déportations en masse d'ouvriers sans travail et
de citoyens quelconques, sans rapport avec les pro-
fessions manuelles. Tout cela doit nous éclairer sur
le double jeu de l'Allemagne, que nous avons déjà
souvent signalé : faire croire à son désir de paix,
nous faire porter toute la responsabilité de la lutte
continuée, essayer ainsi d'énerver notre résistance,
de fortifier chez nous les partisans aveugles de l'in-
tornationalisme intransigeant, d'attirer à elle ceux
qui, particulièrement chez les neutres, souhaitent
la paix parce que la guerre gêne leurs affaires et leur
impose des privations, en un mot, se donner le
beau rôle; en même temps, comme elle saille faire,
à la fois par la conirainte et par l'acceptation volon-
taire d'un peuple rompu à la discipline militaire et
à l'obéissance passive, imbu d'ailleurs de l'idée de
la grandeur allemande et de la certitude de vaincre,
organiser une intense production de matériel de
guerre pour tenter un grand coup.
11 n'y a pas à nous payer de mots, mais à en faire
autant. A côté de ces faits, le remplacement du mi-
nistre des affaires étrangères von Jagow par Zim-
mermann a une importance secondaire. 11 reste,
pourtant, un symptôme. Doit-on conclure de tout
cela que l'Allemagne possède encore toutes les forces
et toute la souplesse qu'elle avait au début de la
guerre et qu'elle puisse en supporter encore long-
temps le poids? Evidemment, non. C'est lecontraire
qui est vrai. Nous répétons que l'Allemagne souffre
de la guerre, et de plus en plus. La question de la
nourriture reste aiguë. Couler des bateaux alliés ne
fait pas arriver les denrées dans les ports allemands.
D'autre part, l'Allemagne est obligée à l'heure ac-
tuelle de développer ses fabriques de matériel et
d'en créer de nouvelles. Elle avait donc laissé fai-
blir sa production. La conclusion qui se tire de ces
faits, en apparence contradictoires, est que l'Alle-
magne, certainement diminuée dans sa puissance,
reste encore forte moralement et qu'elle tend toutes
ses facultés vers la résistance, beaucoup moins pour
arriver à la grande paix victorieuse qui lui assure-
rait l'hégémonie en Europe que pour imposer dans
des conditions supportables la paix dont elle a besoin.
Nous devons comprendre, dans ces conditions,
combien il nous importe, à nous aussi, de persévérer
dans notre effort et de conserver la supériorité du
matériel que nos ennemis nous reconnaissentouver-
tement. La paix par la victoire, la victoire par l'ef-
fort, tel doit être notre mot d'ordre. Jamais l'union
sacrée n'a été plus indispensable. A mesure que notre
situation militaire s'éclaircit, que de l'angoisse nous
passons à l'espérance solide, que nous nous affer-
missons dans le sentiment de la sainteté et de l'uni-
versalité de notre cause, que nous croyons plus
fermement à la victoire du droit, nous avons paral-
lèlement le devoir strict de concentrer toutes nos
forces vers la préparation de cette victoire néces-
saire. Les faits de chaque jour, les faits qui parlent,
comme on dit, nous monlraient-ils, lin novembre
en train de le faire? Ne répondons pas légèrement à
cette question, et ne nous fions pas aux apparences.
Certes, on a entendu à la Chambre des paroles pro-
fondément regrettables, qui ont soulevé nos cœurs
et révolté notre sentiment national, et on a senli
aussi que des intrigues de temps de paix s'agitaient
dans les couloirs. Mais il serait profondément in-
juste de juger sur l'inconscience ou l'ambition de
quelques-uns l'œuvre générale. Pour la seconde fois,
la Chambre des députés a cru devoir demander au
gouvernement de l'éclairer en séance secrète sur
beaucoup de sujels, qu'il est impossible de traiter
publiquement. C'était son droit et, à condition qu'il
n'y eiit là d'autre idée que celle du salut public,
c'était son devoir. Précédemment, elle avait voté le
recrutement et la revision de la classe 1918. Le
gouvernement, de son côté, avait organisé, sous
l'autorité de Joseph Thierry, déjà sous-secrétaire
d'Etat à l'intendance, tout le ravitaillement civil et
militaire de la France. On avait décidé la fermeture
CUveille, sous-secrétaire d'Etat
aux Transports.
LAROUSSE MENSUEL
des magasins à 18 heures, pour amener une écono-
mie sur la consommation du charbon. Claveille avait
été chargé de centraliser tout le service des trans-
ports. Ces mesures essentielles pronvaieut l'activité
du gouvernement et son souci de maintenir la
France en étatde
complète résis-
tance. Au sur-
plus, le résultat
de l'emprunt
avait montré,
une fois de plus,
la cohésion des
esprits et la con-
fiance de tous.
Le ministre des
finances, Ribol,
avait pu annon-
cer au Parlement
qu'il a vait été
souscrit 11 mil-
liards 360 mil-
lions, dont 5 mil-
liards 500 mil-
lions d'argent
frais. Il y avait
eu 3 millions de
souscripteurs. Ceci en dit plus long que bien des
phrases. Mais chacun sentait qu'en ces longues dis-
cussions verbales, qui retenaient pendant des jours
toute l'attention des ministres et du Parlement, ou
perdait un temps précieux, on inquiétait l'opinion
publique, on ouvrait la voie aux tractations louches
etl'espéranceaux ambilieux médiocres. Chacun, par
suite, souhaitait une direction plus énergique, plus
silencieuse, mais plus forte. Au point de la lutte où
nous étions parvenus, l'inslinct populaire aspirait à
une concentration de toutes les forces vers la victoire
qu'il voyait venir à nous. — Jules Gerbault.
Halage (Tracteur pour le) de batea'ux.
— Depuis quelques années, on a cherché à substi-
tuer sur les canaux, au halage par chevaux un peu
archaïque et un peut lent, le halage mécanique.
Alors que, dans certaines régions de la France,
notamment dans le Nord, l'importance du trafic a
permis de recourir au halage électrique, on a songé,
fiour les canaux où
e trafic est trop ,-,
peu considérable
pour justifier l'ins-
tallation d'une li-
gne électrique, à
la traction par au-
tomobiles.
Ce n'estpas, d'ail-
leurs, pure raison
d'économie sur le '
prix du halage. Le
coût.par kilomètre,
de la traction par
automobile d'un ba-
teau de :^50 tonnes,
reste en effet sensi-
blement égal à ce-
lui de la traction
par chevaux, si l'on
fait entrer en ligne
de compte l'amor-
tissement des appa-
reils; mais, par sa
rapidité même, qui
permet de réaliser
un gain de 15 à
20 p. 100 sur la
traction animale,
la traction automo- „ . , t, j ,, ,
bile permet de ré- ^""="" »'"<'"">'»i« 1« '^"f^-
duire la durée du
transport, d'augmenterpar là même le rendement du
matériel, de réduire au minimum, grâce àla rapidité
des déplacements haut-le-pied du tracteur, les pertes
de temps que subissent les bateaux, tant au point de
chargement qu'aux extrémités des canaux, de di-
minuer pour un parcours donné les frais de person-
nel de bord, puisque ceux-ci sont proportionnels à la
durée du trajet.
Au nombre des solutions apportées au problème
du halage par automobiles, deux sont à signaler
particulièrement.
On a songé, notamment, à réaliser le nouveau
mode de traction par la combinaison d'un auto-
tracteur et d'accessoires complémentaires.
Dans ce système, l'appareil se compose d'un
automobile d'un système quelconque, sur lequel
est disposé un treuil-tracteur monté sur un châssis
spécial et actionné par l'automobile même ou par
l'électricilé transmise du bateau. Une griffe à levier
sert à fixer l'auto- tracteur à des points d'attache
formés par des poteaux disposés de distance en dis-
tance sur le chemin de halage. Le bateau étant relié
par un câble au treuil de l'auto-tracteur, celui-ci se
met en marche, le treuil, qui est fou, laissant dérou-
ler une quantité déterminée de câble.
«• 119. Janvier 1917.
Arrivé au point d'attache, l'auto-lracteur s'accro-
che et se fixe à l'un des poteaux à l'aide de la griffe.
Le treuil est alors embrayé et mis en mouvement
par le moteur de l'auto. Il enroule le câble, don t l'ex -
irémilé est fixée sur le bateau, et entraine ce dernier
suivant la vitesse du câble do traction. Lorsque le
bateau est arrivé près du poteau d'attache, le treuil
est débrayé et arrêté. La griffe est ouverte, et l'auto-
tracteur reprend sa route en déroulant à nouveau le
câble. L'auto-tracteur s'accroche au poteau suivant
et recommence la traction. La même manœuvre se
répète de poteau en poteau.
Il est à remarquer que la vitesse acquise par le
bateau lui permet de continuer sa marche pendant
les quelques secondes que l'aulo-tracteur met à
parcourir la distance entre les poteaux.
L'auto-tracteur peut aussi, dans certains cas, faire
la traction directe et continue en marche ou en
prenant griffage de temps à autre sur le sol dans le
cas de bateaux peu chargés.
Lorsqu'il s'agit de traction directe des bateaux par
automobile, il est nécessaire de prévoir certaines
conditions qui s'écartent sensiblement de celles que
l'on rencontre dans les tracteurs ordinaires remor-
quant des véhicules sur route: la réalisation d'un
démarrage sans à-coup est plus difficile, en raison du
poids considérable que représentent le chaland et
son chargement; la démultiplication est différente,
l'échelle des vitesses à obtenir coriespoudant à des
chiffres beaucoup plus faibles; enfin, le halage se
faisant forcément suivant une direction oblique par
rapport à l'axe longitudinal du tracteur, il est néces-
saire de lui assurer une grande slabililé.
C'est cet ensemble de conditions que s'est efforcée
de réunir la Compagnie générale de navigation dans
les tracteurs pour halage de bateaux qu'elle a mis
en service sur les canaux du lientre et dont Guillet,
secrétaire général de la Compagnie, a fait connaître
les caractéristiques. La mise au point de ce nouveau
mode de traction a nécessité des efforts persévérants.
Tentés en 1906 avec un moteur à essence de 12 IIP,
les premiers essais des tracteirs automobiles pour
halage debateaux permirent de constaler qu'au point
de vue théorique, le problème pou\ail être consi-
déré comme résolu ; le démarrage s'obtenait sans
à-coup, le tracteur était stable et facile à conduire.
Il n'en était pas de même au point de vue prati-
Vue arrière, permettant d'apercevoir le dispositif de remorque.
que. L'industrie des poids lourds était alors dans
l'enfance; le tracteur soumis à un service 1res dur,
à des démarrages nombreux et dans l'intervalle h
une marche à pleine puissance, ne résista pas long-
temps. Les réparations étaient fréquentes et coû-
teuses, la consommation d'essence élevée et d'un
prix de revient onéreux.
La question fut reprise en 1912 par la Compagnie
générale de navigation, qui s'adressa pour la cons-
truction d'un non veau tracteur à la maison Schneider.
Effectués la même année sur le canal de Tancar-
viUe, près de Harfleur, les essais furent poursuivis
en 1913 sur le canal de Bourgogne, entre Laroche
et Saint-Jean-de-Losne, et donnèrent en fin de
compte toute satisfaction.
Le bateau mis en mouvement avec les précau-
tions que demande le démarrage, on augmente pro-
gressivement la vitesse du moteur, et le démarrage
complet, pour lequel l'effort de traction atteint
450 kilogrammes environ, s'obtient en moins de
trois minutes avec un liateau chargé. En marche,
l'effort de traction est d'environ 300 kilogrammes.
Avec un bateau chargé de 250 tonnes, la vitesse
atteint 4 kilomètres à l'heure, le moteur tournant à
900 tours par minute; le halage des bateaux légers
N' 119. Janvier 1917.
LAROUSSb; MENSUIÎL
Tracteur automobile de balage, sur un canal du Centre.
peut se faire à la vitesse de 5 kilomètres. Grâce à
l'adoption de bandag-es striés pour les roues arrière,
le patinage est supprimé, et le tracteur peut fonc-
tionner sans détériorer la route.
Caractéristiques principales de ces tracteurs. —
Le châssis, qui a 3 m. 35 de longueur et 1 m. 70 de
largeur.esl mon té sur des essieux au.\nuels il est réuni
par quatre ressorts places sous les longerons. Les
roues sont ferrées; les corps de roues, en bois, sont
munis de bandages en acier laminé, qui, pour l'arrière,
sont munis de stries, afin d'augmenter l'adliérence.
Le moteur est à 2 cylindres; sa puissance effective,
à 900 tours, est de 12 chevaux et peut atteindre
1.200 tours (14 chevaux). Le carburateur permet
d'employer l'essence ou le benzol. L'allumage se
fait par magnéto à haute tension et bougies. Le re-
froidissement se fait par ventilation agissant sur le
radiateur; le ventilateur est largement calculé en
raison de la faible vitesse du tracteur.
Le graissafre est automatique.
L'embrayage à cône renversé est garni d'une
composition d'une nature spéciale, qui supporte des
températures élevées et permet de laisser patiner
l'embrayage pendant plus d'une minute, si c'est
nécessaire pour les démarrages.
Les rapports entre les vitesses sont 1-2-6.68 et 2,52
(marche arrière) : l'» vitesse, démarrage 2 Km. 400;
ï' vitesse, halage 4 km.; Z" vitesse, haut le pied
13 km. 500; ^' vitesse, marche arrière 5 km.
Le réglage de vitesse se fait au moyen d'une
manette agissant par tringles sur un régulateur à
force centrifuge, qui contrôle la soupape de prise
des gaz carbures. Ce régulateur, extrêmement précis
et rapide, permet de limiter à volonté la vitesse,
sans diminuer l'elTort moteur, tant que la vitesse
maximum de 1.200 tours n'est pas atteinte, avantage
précieux pour elTectuer les démarrages, le moteur
pouvant donner toute sa force, bien que fonction-
nant à allure très lente, condition indispensable
pour éviter le patinage.
Deux freins : le premier, à mâchoires métalliques,
extérieur sur arbre secondaire de la boîte de méca-
nisme (à pédales); le second, k enroulement à sabot
de bois (à levier).
Direction à gauche.
Le dispositif de remorque ou crochet de remor-
(|ue est articulé sur une traverse formant pont,
placée derrière le siège; deux autres crochets sont
placés à l'avant.
Carrosserie à deux baquets.
En ordre de marche, le poids de l'appareil est de
1.800 kg., dont 1.200 sur 1 essieu arrière et 600 sur
l'essieu avant.
Ce mode de halage par tracteurs automobiles
paraît appelé à un développement de jour en jour
grandissant. Les berges de nos canaux y perdront
)ieiit-êlre en pittoresque, mais l'intérêt du trafic y
gagnera sûrement. — g. i.Àism. et c. Dibosc.
Ijolr (Luigi), artiste peintre, né & Goritz (Au-
triche) le 22 décembre 1«45, de parents fran<;ais,
mort & Paris le 10 février l'JIfi. Sa famille s'était
établie à Parme, et c'est lit qu'en 1859, an moment
de la guerre d'Italie, il commença .ses études artis-
tiques à l'Ecole des beaux-arts de cette ville. Venu
en France en 18f;3, Lnigi Loir étudia la perspective
avec le décorateur Pastelot et sut très vite se faire
apprécier en créant des modèles de dessin et de
chromolithographie pour l'industrie et en brossant
des décors pour les tliéâlrcs. 11 exposa au Salon de
1865 on Paysage à Villiers-sur-Seine et, en 1866, le
Trou aux grenouilles. En 1870, il fit la campagne
contre l'Allemagne. De 1873 à 1879, il envoya régu-
lièrement des Bords de Seine, A l'heure, la Porte
des Ternes, Crépuscule à Neuill;/, le Quai national
à l'uleaux, un tjoin de Bercy pendant l'inondation.
Cette dernière toile, qui lui valut une troisième mé-
daille, fut achetée par la 'Ville de Paris.
Dès cette époque, Luigi Loir avait trouvé sa voie.
Ses sujets, il ne les emprunta plus guère qu'à la ca-
pitale et à ses environs; ses effets, qu'aux heures
crépusculaires. Il excelle à rendre l'aspect imprécis
du soir, à conserver à une architecture toute sa pu-
reté sans rien garder de sec, à faire deviner la
silhouette d'une passante. Le public fut vite amusé et
retenu par l'art avec lequel le peintre sut faire dis-
crètement chanter les lumières artificielles du soir
dans l'ombre bleue. Là est la caractéristique du
peintre. Si borné que paraisse ce domaine, il offrit
à Luigi Loir de nombreux motifs, et ses variations
sur ce sujet connu ne lassèrent jamais.
Enissi, il exposa ses Giboulées; en 1882, un Pont
d'Ausler/ilz qui est maintenant au musée de Saint-
Louis (Etats-Unis); en 1883, le Poitil-du-Jour à
Auteuil; en 1884, la Fumée du chemin de fer, qui
fit décerner à l'auteur une médaille de 2" classe. Après
cela, un E/J'et de neif/e, envoyé successivement au
Salon de 1888 et à l'Exposition universelle de 1889,
lui valut une médaille d'or.
Le succès était désormais assuré pour l'artiste. Il
avait participé à la décoration de l'Hôtel de ville de
Paris et avait point pour le salon des Sciences un
panneau représenlant le Val-de-Grdce. Il exécuta
de nombreuses toiles, qui ornent les musées de
France et de l'étranger. L'Etal lui acheta, pour le
musée de Bar-le-Duc, son tableau Avant l'embar-
quement; le musée du Luxembourg accueillit la
.Seine prise en décembre. Voici quelques-unes des
œuvresexpoièes par Luigi Loirdepuis 1894: l'Heure
l.uigi Loir
19
du dtner, Préparatifs de la fête foraine (1895),
Marché à la ferraille (1896, Petit Palais des beaux-
arts ; v. p. 14), Travaux du métropotHain, rue de
Rivoli, eÎTetde crépuscule. Travaux de nuit sur la
voie publique (1902), la Rue Turbigo au crépuscule
(1903), un Coin
du marché des
t.ilas(\WA), l'A-
verse (1907).
Dans tous ces ta-
bleaux,l'éludedu
crépuscule, plus
3ue le motif,
onne l'intérêt.
Hientôl, d'ail-
leurs, le peintre
renonce à situer
les scènes qu'il
nous montre, et
il se contente de
désigner ses œu-
vres pardestiti-es
généraux comme
Coin de Paris,
Heure crépuscu-
laire ou Crépus-
cule. Mention-
nons, pourtant, «n Jourdemi-carémeàParit(l9\î)\
l'Heure de l'apéritif {\9]3).
Il ne faut pas demander à cet agréable peintre,
qui fut aussi un pi.iniste remarquable, des elfets
très hardis; cependant, on doit avouer qu'il sait
mettre dans ses impressions crépusculaires un cer-
tain sentiment poétique. Mais il est plus volontiers
anecdotier; il appartient surtout au groupe des ar-
tistes aimables dont on apprécie l'adresse : elle fut
notable, et ses toiles, grâce k leur genre très parti-
culier, se feront toujours reconnaître. — Tr. LiclAm.
Monastir (pour les Slaves, Bitolia; de
Obiteil, couvent), ville de Serbie, en Macédoine, à
la lisière de la plaine de Monastir; 60.000 habitants
environ. (V.t. III, p. 630.)
C'est sur les confins occidentaux du bassin da
même nom, au pied d'une monlagne haute de
2.350 mètres, le Péristéri, qu'est située Monastir.
Cette ville, « banale, parce qu'elle est presque une
ville neuve », est traversée par un torrent sans im-
portance, le Di'agor ou Di'aori, qui se jette un peu
en aval dans la Cerna Reka (en turc Kara sou, la
Rivière noire), elle-même affluent droit du Vardar.
Gomme toutes les villes de la Macédoine, mais
plus encore que beau'oup d'autres, Monastir a une
population très hétérogène. Ses habitants semblen'.
être, au point de vue religieux, inégalement partagés
en musulmans (pour un tiers) et en chrétiens (pour
les deux tiei-s). Au point de vue ethnique, la répar-
tition est plus compliquée. A la fin du xix' siècle,
sur un chiffi-e total de 30.000 à 40.000 individus, Mo-
nastir comptait de 12. 000 à 13. 000 Turcs ou indigènes
musulmans, 8.000 à 9000 Grecs ou Valaqiies helléni-
sés se disant Grecs, 6.000 à 7.000 Bulgares ou Slaves
bulgarisés et envii-on 4.000 juifs. Très ardente était
alois la lutte entre les différentes nationalités qui se
disputent la Macédoine à la lisière des domaines
etnniques grec, serbe et bulgare; Monastir était,
d autre part, le grand centre de propagande des Mou-
mains de la contrée. De là des écoles antagonistes:
bulgares, grecques, valaques, sans compter le col-
lège français des Lazaristes; de là des compétitions
religieuses entre les prêtres des différentes Eglises
Lea diffloalt^f du raviuitlement ea .Mac^oiae, à tr*v«r» U» ptaine* iaoDdèea
20
orientales résidant à Monastir. Si, au début du xx' siè-
cle, la population de cette ville s'est très sensible-
ment accrue, la situation respective des différentes
nationalités ne semlile pas avoir beaucoup changé.
Les Serbes, en tout cas, n'ont pas eu le temps,
durant les qnelques mois où ils ont été les maîtres
de la ville, de modifier la situation antérieure et de
faire de Monastir une cité serbe.
Ils n'ont pas eu davantage le temps d'en faire une
ville industrielle. Naguère, Monastir comptait plu-
sieurs fabriques de galons, une tannerie, des ate-
La marche des troupes aUiées sur Monastir, où cUes sont entrées
liers où l'on faisait des filigranes en argent, des
bas de laine grossiers, des tapis. La guerre actuelle
a dû singulièrement compromettre la prospérité de
ces établissements, déjà atteinte par les exploits des
comitadjis et l'insécurité du pays.
A un autre point de vue, Monastir était naguère
uncenlr important: c'étai' le grand entrepôt du nord
de la Macédoine, le point où les caravanes de la
Roumélie et de l'Asie Mineure rencontraient les
mulets venu delaThessalie, de laMorée, de l'Albanie
et de l'Herzégovine. De là de grandes foires an-
nuelles, 1res fréquentées, où Bulgares, Zinzares et
Albanais se rendaient pour chercher les produits
industriels et les denrées de la contrée. Or, de ces
foires, il ne reste plus guère que le souvenir. Enfin,
LAROUSSE MENSUEL
rieur. Enfin, Monastir est le point terminus actuel
de la voie ferrée qui, de Salonique (à 206 kilom.
au S.-O.), doit un jour atteindre à \ allona ou à
Durazzo la mer Adriatique, à travers la Macédoine
slave et l'Albanie. Elle est, en outre, le point le plus
accessible d'où une armée puisse pénétrer en Alba-
nie et séparer l'une de l'autre les deux parties
méridionale et septentrionale de la contrée. Ainsi,
comme elle est (selon la remarque d'Albert Ma-
let) « au confluent des races •>, Monastir est « au
confluent des routes » de la Macédoine occidentale.
Toutes ces raisons expliquent pour-
quoi, dans les grandes guerres du dé-
but du xx« siècle, Monastir a été l'ob-
jet et le théâtre de luttes acharnées.
G'est à l'ancienne Heraltlea Lynkestis,
située sur la via Egnatia et dont l'em-
placement est tout proche, que Monas-
tir s'est substituée à l'époque contem-
poraine. Erigée dans un pays plein des
souvenirs légendaires du héros serbe
Marko Kraliévitch, et naguère peuplé
de couvents (de là son nom), cette ville
n'était encore, vers 1830, qu'une mo-
deste bourgade; elle a pris, au cours
du XIX' siècle, une importance consi-
dérable. Convoitée par les Serbes, par
les Bulgares et par les Grecs, elle est
devenue serbe parle traité de Bucarest
du6 août 1913, maisellen'estpas restée
longtemps au pouvoir de ce peuple.
Après avoir déclaré la guerre à la Ser-
bie, la Bulgarie s'est emparée de Mo-
nastir, le 3 décembre 1915; elle s'y est
leisnov. 1916 maintenue jusqu'au 19 novembre 1916,
date où Monastir est retombée entre
les mains des Serbes. — Aux temps de la domination
ottomane, Monastir fut le chel'-lieu d'un vilayet
auquel on attribuait une superficie de 28.500 kilo-
mètres carrés et une population de 848.000 habi-
tants (745.000 seulement, suivant d'autres auteurs).
Des Bulgares, soit chrétiens, soit musulmans, for-
maient à eux soûls, selon certains ethnographes, la
moitié de celle population, à laquelle s'ajoutaient des
Albanais musulmans et chrétiens (pour un quart),
92.000 Turcs et des Valaques, des Grecs, des juifs
et des Tziganes. Les stipulations du traité de Buca-
rest ayant modifié l'ancienne organisation et les Ser-
bes n'ayant pas eu le temps d'y substituer, avant l'é-
closion de la grande guerre européenne de 1914, une
organisation complète, on indique, pour 1916, une
L'infanterie française en marclie sur Munastir.
Monastir n'est plus la ville de garnison, pourvue de
deux ciisernes et d'une école de cadets, qu'elle était
aux temps de la domination ottomane.
Néanmoins, l'importance de Monastir demeure
toujours grande à beaucoup d'égards. Si celte ville
a cessé d'être le siège de l'autorité turque et le ceu-
Ire de l'Islam dans les parties nonl-ouest de la Ma-
cédoine, un chef-lieu de sandjak et le quartier gé-
néral de l'un des ordous (corps d'armée) de la
Turquie, elle reste la résidence de l'archevêque grec-
orthodoxe de i'élagonie et une cité considérable,
sous le double aspect économique et stratégique.
« G'est la porte des défilés qui conduisent vers la
région des grands lacs, à Resen, Ochrida et Strouga,
puis, à travers le Pinde, vers l'Albanie et les ports
(le l'Adriatique », écrivait naguère Vilor Bérard.
Plusieurs routes fréquentées y convergent, venant
de Salonique sur la mer Egée, de Durazzo sur
l'Adriatique, d'Uskub et d'AndrinopIe dans l'inté-
population de 346.000 habitants comme colle du terri-
toire serbe de Monastir en l'année 1913, sans donner
le chifi're de la superficie de ce même territoire.
La haute plaine de Monastir constitue la partie
la plus importante du territoire groupé autour de la
ville du même nom. C'est une grande conclue, élevée
de plus de 700 mètres au-dessus du niveau de la
mer, une des combes du plateau qui, au nord de la
plaine niarilime, occupent tout l'ouest de la Macé-
doine jusqu'au Pinde; son pourtour est formé par des
montagnes verdoyantes, que terminent des pointes
aiguës. Aucun village, au centre de cette vaste éten-
due plane de champs en friche ou en jachère, mais
seulement quelques rares habitations. C'est, en efi'et,
exclusivement à la périphérie que se trouvent les
agglomérations humaines, dont la plus importante
de beaucoup est la ville même de Monastir.
l'our pénétrer dans cette plaine, depuis la combe
d'Ostrovo (que, de Salonique, il a gagnée vers le
«• JJ9. Janvier 1917.
défilé de 'Vodena), le chemin de fer coupe les mon-
tagnes presque à leur racine, en un point où la
chaîne du Kaimakcalan commence seulement à se
ramifier. 11 traverse la petite plaine de Vlacho-Kli-
soura (le défilé des 'Valaques) et les pentes raides
du long défilé de Banica, à la terre noire, sans cul-
ture et sans forêts. C'est là un terrain propice pour
la défensive et peu favorable à une offensive venue
du Sud; des difficultés de toute nature y sont grou-
pées sur un petit espace, beaucoup moins grand que
plus à rO., au point où la Kaimakcalan est articulé
et divisé en plusieurs chaînes poussant ensuite leurs
sommets vers l'O. et le S.-O. Ces difficultés physi-
ques, comme aussi l'énergie de la résistance ger-
mano-bulgare, expliquent la lenteur de la progres-
sion des Alliés dans la direction de Monastir, après
la chute de Florina. Les troupes alliées ont dû s'y
prendre à deux fois pour forcer le passage. Elles
ont obligé d'abord les Germano-Bulgares à aban-
donner les lignes qu'ils avaient occupées au N. de
Florina; puis elles les ont chassés des solides tran-
chées de Kenali. Alors, Allemands et Bulgares ont
évacué Monastir, où sont immédiatement entrés les
.Mliés (19 novembre 1916). La seconde ville de la
Serbie — <i l'astre de la Macédoine », comme l'ap-
pellent .es Serbes — est appelée à devenir la capi-
tale du royaume, jusqu'au jour où la Serbie sera
complètement délivrée de l'occupation étrangère.
(V. la carie, p. 13). — Henri FaoniBVÀUl.
ï»aln de faidne de riz. — En France, la
production du blé est presque toujours insuffisante
pour la consommation et, d'une façon générale, nous
sommes tributaires de l'étrangor pour 7 à 8 millions
d'hectolitres qui nous sont fournis par la Russie et
les Etats-Unis ; aujourd'hui, le déficit est plus consi-
dérable, car, dans la partie du territoire encore
envahie, se trouvent d'excollentes régions produc-
trices de blé et, d'autre part, l'ensemencement, dans
certaines contrées, a été réduit, faute d'une main-
d'œuvre suffisante. L'obligation où nous sommes
de nous adresser à l'étranger pour parfaire notre
approvisionnement nous cause un grand préjudice,
car un très gros capital français pas^e, de ce fait,
en des mains étrangères; aussi, dès 1915, on a
cherché à remédier à cet état de choses. Parmi les
propositions laites, il convient de retenir celle
d'E. Maurel, prol'e.-iseur à la Faculté de médecine de
Toulouse, qui, dans la séance du 27 avril lui 5 à
l'Acadéinie de médecine de Paris, proposa l'emploi
de la farine de riz mélangée à la farine de blé dans
la fabrication du pain. Le riz pourrait nous être
facilement procuré par nos colonies, et nos capitaux
ne quitteraient pas la France; de plus, le pain serait
moins cher, tout en conservantsensiblementla même
valeur nutritive.
Le riz est un aliment de premier ordre et, comme
l'a fait remarquer A. Gautier, à la même séance de
l'Académie, la commission de revision de l'alimen-
tation des troupes au ministère de la guerre a re-
connu que le meilleur pain de guerre est le pain des
soldats japonais, qui contient 12 p. 100 de farine de
riz; ce pain, qui se conserve très longtemps, n'est
lias attaqué par les insectes, et l'Intendance française
l'a adopté pour nos soldats.
L'Académie de médecine, tout en réservant la
question économique et la question technique, a émis
le vœu : « Que les pouvoirs publics fassent procéder
à des expériences destinées à déterminer les condi-
tions dans lesquelles pouvait s'effectuer la substitu-
tion partielle du riz au froment. »
Lindet, professeur à l'inslitut agronomique, en
collaboration avec Arpin et Dumée, a recherché,
sur la demande du ministre de l'agriculture, si l'in-
troduction de la farine de riz en mélange avec celle
(lu blé, pour la fabrication du pain, présentait des
inconvénients. Il a reconnu que l'addition de farine
(le riz tend à arrêter la levée du pain, la matière azo-
tée du riz ne possédant pas les propriélés élastiques
du gluten ; de plus, elle rend la pâte cassante, donne
un pain moins nourrissant et moins savoureux ;
toutefois, le pain reste acceptable, tant que la pro-
portion de farine de riz ne dopasse pas 15 p. 100.
L'économie qui en résulterait serait insignifiante
pour le consommateur. Le rapport de Lindet fut fait
à l'Académie d'agriculture (séance du 9 juin 1915):
il y provoqua l'intervention de 'Viger, ancien minis-
tre de l'agriculture; celui-ci fit remarquer que l'auto-
risation d'ajouter la farine de riz à celle du blé, pour
la confection du pain, allait favoriser la fraude, qu'il
serait dificile de contrôler la proportion de farine de
riz qui entrera dans la fabrication du pain, et que la
farine de riz provenant généralement de riz avarié,
en tout cas de riz inférieur, les fraudeurs auront beau
jeu pour ajouter du talc à la farine. Il y a évidem-
ment là de gros inconvénients; pourtant, I analyse
chimique et microscopique d'un mélange de farine
de blé et de farine de riz est relativement simple et,
si l'on avait exigé que le mélange fût fait par les
meuniers, avant d'arriver à la boulangerie, la sur-
veillance aurait pu se faire dans debonnes conditions.
Quoi qu'il en soit, le gouvernement n'apas jugé né-
cessaire, jus(iu'ici, d'avoir recours au pain de farine
de riz pour 1 alimentation du public. — p. lmai»».
N' 119 Janvier 1917.
Ponction lombaire. — On nomme ainsi
l'introduction d'une aiguille dans les espaces sous-
araclinoïdicns, pour en extraire une quantité variable
de liquide céplialo-rachidien, que l'on remplace, ou
non, par une quantité correspondante, mais légère-
ment iuférieure, d'un liquide médicamenteux.
La ponction lombaire est entrée dans la pratique
courante depuis que l'on s'est rendu compte, d'une
part, du rôle de l'hypertension du liquide céphalo-
racbidien dans les accidents méningés, d'aulre part,
de l'efflcaci lé des agents médicamenteux directement
introduits dans le sac arachnoîdien pour combattre
ces mêmes accidenis. Mais la ponction lombaire,
tout en étant une opération facile, demande de mul-
tiples précautions.
En premier lieu, le point choisi pour la ponction
est déterminé surtout par les considérations sui-
vantes: la
moelle ne
descendant
pas au-des-
sous de la
deuxième
vertèbre
lombaire
chez l'adul-
te, tandis
que le sac
a r a c h n o ■( -
di e n des-
cend jusqu'à
la deuxième
sac rée, on
ponctionne
de préféren-
ce, dans le
but d'éviter
sûrement la
moelle, en-
tre le qua-
trième et le
cinquième
Ponction lombaire {pg. 1).
espace lombaire, que l'on repère, du reste, au moyen
de l'horizontale qui joint la partie la plus élevée
des deux crêtes iliaques, ligne qui passe par le
sommet de l'apophyse épineuse de la quatrième
vertèbre lombaire ifig. 1).
Pour subir la ponction lombaire, le patient peut
prendre deux attitudes différentes: la première con-
siste à se te-
nir assis sur
le bord du
lit, les jam-
bes pendan-
tes, le tronc
et la lêtellé-
chiscnavant
de manière
que le som-
met des apo-
physes épi-
neuses de-
vienne aisé-
mentpercep-
lible(/!.f/.2);
celte atlitu-
dc.commode
pour l'opéra-
teur, expose
le malade à
la syncope;
c'est pour-
quoi on lui
pi éfère la se-
conde, dile position de Syms (fig. 3\ dans laquelle
le malade est placé au bord du lit en décubitus laiéral.
Un aide doit toujours, par prudence, assurer le main-
tien de la position, afin d'éviter tout mouvement qui
comprometlrait la réussite de l'opénilion. Chez tes
enfants difficiles, il convient, par suite, de recourir
quelquefois à une courte aneslhésie générale.
L'atlitude convenablement et définitivement prise,
l'opérateur reconnaît l'espace à ponctionner : au
moyen de son médius gauche, le sommet épineux
tangent à la ligne bi-iliaque et, au moyen de son
index, le sommet épineux immédiatement au-des-
sous. Ainsi se trouve rigoureusement limité l'espace
interépineux dans lequel on va introduire l'aiguille
et qui a été préalablement stérilisé à l'aide d'un
léger badigeonnage à la teinture d'iode. On emploie
de préférence l'aiguille de Tuffier, en platine à bi-
seau court et très piquant, en laissant en place le
mandrin pour augmenter sa rigidité. Chez les jeunes
enfauls, nourrissons et nouveau-ués, on doit se con-
tenter de l'aiguille de la seringue de Pravaz.
L'aiguille est enfin enfoncée d'un coup sec, droit
sur la ligEie médiane, en avant et légèrement en
haut; le patient réagit par une contraction muscu-
laire, mais il faut attendre qu'il ait repris son im-
mobilité avant de continuer il pousser l'ulgullle.
Celle-ci, après avoir traversé une masse musculaire
et le ligament jaune, se trouve, par son extrémité,
dans le sac arachnoîdien; on enlève alors le man-
drin, et le liquide céphalo-rachidien s'écoule en jet
Ponction lombaire ijig. 2).
LAROUSSE MENSUEL
ou goutte à goutte, suivant qu'il y a, ou non, hyper-
tension. Mais l'opéialion ne réussit pïs toujours
ainsi. Tantôt, l'aiguille bulle contre un plan résis-
tant (lame vertébrale), et il faut, sans la sortir de la
peau, en modifier la direction et trouver par tâlon-
nemenls le sac arachnoîdien; tanlrtt, le mandrin re-
tiré, il s'écoule du sang pur (on ramène l'aiguille ^
soi trèsdoucemeni,
jusqu'à ce que le
liquide céphalo-ra-
chidien remplace le
sang; si l'hémor-
ragie persiste, la-
quelle ne doit pas
être con fondue
avec une hémorra-
gie méningée, il
faut recommencer
laponctiondansun
autre espace) ; tan-
tôt, enfin, malgré
toutes les précau-
tions et en élimi-
nant les accidents précédents, le liquide céphalo-
rachidien s'obstine à ne pas couler. On doit alors
retirer l'aiguille et recommencer le repérage. Il est
des cas, cependant, ofi, en dépitde la plus minutieuse
attention, la ponction reste blanche.
La ponction lombaire ne détermine par elle-
même aucun accident si l'on prend soin de ne retirer
au malade qu'une petite quaiililé de liquide céphalo-
rachidien (20 centimètres cubtsau maximum, en une
fois); de l'obliger à rester couché vingt-quatre heures
avant et vingt-quatre heures après la ponction, et,
en tout cas, de ne ui permettre de se lever après ce
délai que s'il n'éprouve réellement aucun malaise.
Dans un certain nombre de maladies, et notam-
ment dans la méningite cérébro-spinale, la ponction
lombaire n'a pas seulement pour but de soulager le
malade en diminuant l'hypertension inti'a-céphalo-
rachidienne; elle se propose encore d'introduire
dans la cavité un liquide médicamenteux curatif,
sérum ou métaux collo'idaux. L'opération, dans ce
cas, est continue, c'est-à-dire qu'après avoir laissé
couler une certaine quantité de liquide céphalo-
rachidien (20 à 30 centimètres cubes), l'aiguille res-
tant en place, on ajuste à l'embout une seringue de
Roux, remplie, au préalable, par exemple de sérum
antiméningococcique chauffé à 37" C, et on pousse
très lentement l'injection, dont le volume doit être
inférieur de quelques centimètres cubes (5 à 10) à
celui du liquide céphalo-rachidien écoulé. L'aiguille
retirée, l'orifice est obturé avec un peu de coton
collodionné. On couche ensuite le patient, qui était
dans la position de Syms, sur le dos, en lui main-
tenant la tête plus basse que les pieds, afin de facili-
ter, par l'action de la pesanteur, la diffusion du sé-
rum. 11 est inutile de rappeler que les précautions
d'asepsie les plus rigoureuses sont d'obligation ab-
solue, quandil s'agit de ponction lombaire et d'injec-
tion intra-rachidienne. — Drj. Laumonier.
Ports maritimes. (Organisation depuis
LE DÉBUT DES HOSTILITÉS.) — Daus l'idée que la
guerre serait de courte durée, il n'avait rien été
prévu pour l'organisation des ports mr.rilimes à la
21
mobilisation. Lors du rappel des hommes et de la
réquisition des chevaux, les ports se trouvèrent
donc privés de personnel dirigeant, de main-d'œu-
vre et de camionnage.
Pendant les trois premiers mois des hostilités, cette
pénurie de moyens ne se fit pas trop sentir, parce
que les arrivages avaient considérablement diminué
Ponction lombaire (/Iff. 8).
et que les chargements, concernant en général le
service de l'intendance, étaient purement et sinjple-
ment entreposés sur les quais et dans les hangai'S.
Mais, au mois d'octobre 191'i, l'encombrement du
port de Bordeaux incita les autorités militaires et
civiles à prendre des mesures en commun pour
mettre de l'ordre dans les arrivages et les expédi-
tions. Bientôt, il fallut se préoccuper de déconges-
tionner d'autres ports de 1 Atlantique. Ce fut l'ori-
gine de l'organisation militaire des ports maritimes.
Une Commission desporis maritimes a été créée,
en janvier 1915, à l'étalrmajor de l'armée (4« bu-
reau). Elle était composée du chef du 4« bureau,
commissaire militaire, du directeur de la navigation
au ministère des travaux publics, commissaire
technique, et d'un représentant des services admi-
nistratifs du ministère de la guerre, commissaire
administratif. Postérieurement (en juillet 1916), un
officier supérieur de la marine y a été introduiL
Cet organisme centralise et coordonne les travaux
des Commissions de ports, constituées dans chaque
port important. Ces commissions, présidées par le
commandant d'armes, le gouverneur ou son délégué,
comprennent des représentants de tous les services
militaires du ministère de la marine, des ponts et
chaussées et de la chambre de commerce. On avait
ainsi en vue de concilier tous les besoins, de per-
mettre à tous les intérêts de se manifester. La pré-
sidence donnée au commandant d'armes ou au gou-
verneur, en même temps qu'elle coordonnait les
différents services militaires, permettait de disposer,
pour les besoins du port, des moyens d'action mili-
taires qui se trouvaient dans la place.
Mais, comme une commission aussi nombreuse
ne pouvait songer à manife^ler son action dans
les mille questions à régler chaque jour lors de
l'arrivée des navires ou de leur déchargement, on
disposa qu'une délégation de celte commission, dite
Il Délégation executive », serait chargée de tout ce
qui concerne le détail du port.
Au mois de mars 1916, a été créée en Algérie
une sous-commission des ports maritimes, avec dé-
légations executives à Alger, Philippeville et Oran.
Lee grandes grues en fonction au port de Bayonne.
22
Celte organisation, qui réunit les autorités mili-
taires, mantimes, technii|ues, administratives et
commerciales compétentes, a donné de bons résul-
tats. A tons nos ports dépourvus, an début, de
moyens d'action et obligés de recevoir des quan-
tités énormes de marchandises, elle a permis de
reprendre leur vie normale. En même temps,
elle faisait leur juste part aux intérêts militiires
LAROUSSK MKNSUKL
comme aux intérêts civils en jeu, le ministre des
travaux publics restant chargé de l'exploitation
commerciale.
Les mesures prises par l'autorité militaire, d'ac-
cord avec l'administration des travaux publics, ont
concerné : 1" la main-d'œuvrr; 20 l'outillage de
manutention; 3° les moyens d'évacuation; 4° le
développement des postes de déchargement et des
rp^mm,^w^v •t,'..t5s>3SBB(ft;
Ami^naîPment du nouveau port Bordeaux Bassena.
Grue géante, servant dam un port de la Miditerranèe à l'embarquement de« pièce* d'artillerie »ur les grands traosports.
N° 119. Janvier 1V17.
uuais; ij» la meilleure utilisation des ports secon-
(laiies; 6» la création de nouveaux ports.
1» Main-d'œuvre. Il ne l'estail plus comme main-
d'œuvre civile que des (lo^'kers trop jeunes ou trop
âgés. I^our pari'r à ce dclicit croissant, il a été fait
nn large appel à la main-d'œuvre des prisonniers de
nueri-e allemands ou autrichiens (le rendement est
d'environ 80 p. 100 de celui d'un docker ordinaire),
à la main-d œuvre africaine (.Marocains, Kabyles) et
espagnole {dans les ports de la rég;ion du Midi),
ainsi f|uà la main-d'œuvre belge, qui a pu fournir
des dockers exercés, mais peu nombreux. Ces élé-
ments ont été encadrés au moyen de chefs de chan-
tiers et d'équipe, de mécaniciens, de conducteurs
de grues et de divers spécialistes, mis en sursis par
l'autorité militaire.
2" L'oiitilUiije de déchargement a été considéra-
blement accru avec le concours de l'iiiduslrio an-
glaise et américaine, notamment pour faire face k
l'accroissement des importations de charbons. L'el-
lort réalisé a été accompli par l'accord de l'Klat,
des chambres de commerce et de l'industrie privée.
Ilconvientde signaler notamment celui des chemins
de fer de l'Elat, agissant comme gérants du compte
spécial du ravitaillement en charbon, créé par le dé-
iret du 4 décembre 1914 (35 grues de 2.300 kilogr.
sont arrivées des Etats-Unis), et celui des importa-
lours du poi't de Rouen, où l'outillage, de 15s grues
en 1914, a été porté à 223.
3° Moi/ens d'évacuation. — L'évacuation des
marchandises drbarquées dans les ports se fait,
suivant les cas, par voie de terre (camionnage), par
voie d eau (batellerie) ou par voie de fer (wagons).
Dans certains poils, tels que Marseille, le camion-
nage joue un rôle trrs important. Désorganisé de
prime abord par la mobilisation elles réquisitions,
il a pu êlre reconstitué dans une large mesure
avec le concours de l'aulorité militaire, qui a permis
d'employer au camionnage des hommes des dépôts
habitués à la conduite des chevaux, exemple condi-
tionnellement de la réquisition les chevaux et voi-
lures des camionneurs des ports, mis à la disposition
des commissions dr ports, pour dégager les quais, des
camions automobiles ou des voitures inemployées.
Les seuls ports où la voie d'eau puisse actuelle-
ment jouer un rôle important pour l'évacuation des
manhandises sont Rouen et Le Havre. La Seine,
entre Paris et Rouen, a fourni le trafic maximunr.
auquel elle puisse taire face.
Dans la plupait des cas, les marchandises débar-
quées dans un port doivent le qui I ter par la voie ferrée,
et c'est le débit de celle dernière qui limite presque
partout celui de nos étaldissomenls maritimes.
Pour accélérer les évacuations, les autorités mi-
litaires ont passé une commande importante de
wagons. La bonne utilisation du matériel existant a
été l'objet d'une préoccupation constante: chasse
l'aile au\ immobilisations de wagons, accélération
lie la rohilion du matériel par l'organisation très
uiélliodiqnc des gros courants de transports, à l'aide
de convois il pleine charge et sans arrêts (combus-
tibles, fontes, aciers, blrs, grains), des ports vers
les grands centres iiuliistriels, suspension succes-
sive du trafic eu certains points d'un réseau pour
diriger de nombreux wagons vides sur les poris
il dégager, tels sont les moyens employés pour
acti ver 1 enlèvement des marchandises.
D'autre part, des mesures énergiques ont été
prises dans la plupart de nos ports pour améliorer
les voies ferrées des quais, ai-croilre les faisceaux
de formation et de manœuvres permetlanl le clas-
sement et le groupage des wagons pleins ou vides,
créer aux bassins des débouchés nouveaux vers le
réseau d'intérêt général. Des travaux considéra-
bles ont été exécutés, ou s'achèvent, dans cet ordre
<ridées à Dieppe (raccordement de Rouxmesnil), au
Havre, it Bordeaux, ii Marseille, à Saiul-Nazaire, etc.
4° Développement des postes de déiliargement
et des quids. — Les places à quai sont ce qui,
touti-s proportions gardées, a le moins manqué dans
nos ports. Ou a cherché, néanmoins, & en accroître
le nombre. Des quais, en cours d'exécution avant la
guerre au Tréporl, au Havre, à Rouen, à Sainl-
Niizaire, à Nantes, à Bordeaux, ont été achevés et
outillés. fJes appontemenls en charpenle ont été en-
trepris d'urgence (i Dieppe, à Rouen, iiTounay-Gha-
renle, à Bordeaux -Basseus, à Blaye. Ils seront encore
développés. Des postes de mouillage ont été créés
en Seine, en aval de Rouen, pour multiplier les
transbordements de navires de nier en chalands ou
péniches ; le nombre des emplacements mis h Itouen
à la disposition des navires de mer a pu ainsi être
augmenté de 60 p. 100 depuis le debutdes hostilités,
ii" Meilleure utilisation des ports secondaires. —
En juin et juillet 1(»15, a existé dans nos ports une
crise grave d'encombrement, due principalement à
l'impossibilité où l'on s'était trouvé, lors des alfré-
tements de navires, de faire un choix judicieux des
ports de débarquement : les armateurs étrangers
imposaient, en ellet, le port de leur choix, guidés
par l'espérance d'y trouver un fret de retour; il fal-
lait se soumettre à leurs exigences, sous peine de
ne pouvoir exécuter les transports nécessaires en
temps voulu. Néanmoins, toutes les fois que la
«• 119- Janvier 1917.
chose était possible, des déi'outements de navires
ont été organisés, de manière h mieux utiliser, k
côté de nos grands ports, nos ports secondaires.
6° Création de nouveaux poris. — Deux nouveaux
ports maritimes ont été créés de toutes pièces, à
Blaye et à Bordeaux-Bassens (lùve droite de la
Gironde, à 6 kilom. en aval de Bordeaux). Le port
de Blaye peut recevoir deux grands navires, débar-
quer et évacuer 1.800 tonnes tous les jours. Le port
de Bordeaux-Bassens est d'un rendement trois fois
supérieur: de plus, les quais permettent de réaliser
des stocliases considérables d'acier ou de charbon.
Résultats obtenus. — Grâce à l'ensemble des me-
sures qui viennent d'être exposées, le rendement de
nos ports à l'importation a pu s'élever à des chiffres
supérieurs au maximum de ce qu'on y avait obtenu
en temps de paix avec des moyens d'action com-
plets. Certains ont fait, par moment, le triple de leur
trafic mensuel normal 1 Pour l'ensemble des ports,
le chilTre de débarquements mensuels s'est élevé de
2.800.000 tonnes, chiffre le plus fort relevé avant
les hostilités, à 5 millions de tonnes.
Il comprend surtout des charbons et des céréales.
De plus, nos ports ont dû recevoir en grandes quan-
tités des viandes frigorifiées (Dunkerque, Le Havre,
Bordeaux, Marseille), du bétail vivant (bœufs à
Saint-Nazaire et à Bordeaux, moutons à Marseille),
des chevaux pour la cavalerie (Brest, Saint-Nazaire,
La Palice, Bordeaux), ainsi que des mulets (Mar-
seille, Cette) ; des aciers pour la fabrication des
projectiles (Le Havre, Saint-Nazaire, Nantes, La
Palice, Bordeaux), des explosifs, des nitrates de
soude, des pyrites de fer, du matériel de guerre de
toute nature.
11 est à noter que ces arrivages ont eu lieu dans
des ports qui devaient faire face simultanément aux
débarquements et au ravitaillement de l'armée
anglaise (ports de la Manche et de la mer du Nord)
et de l'armée belge (Gravelines, Calais, La Palice),
ainsi qu'au ravitaillement des corps expédition-
naires d'Orient et de l'armée serbe (Marseille); en
outre, certains d'entre eux (Celle, Marseille) contri-
buent à l'alimentation de la Suisse.
On trouvera, dans le tableau suivant, les chiffres
du trafic, par milliers de tonnes, du poids des mar-
chandises débarquées pendant les mois d'avril, mai,
juin, juillet et août 1915 et 1916 : le trafic militaire
anglais et français est compris, sauf, à Marseille,
pour le mois de juin.
AVRIL
MAI
JUIN
JUILLET
AOUT
POETS
.-^^.^,*»-
■^ ■ _^^
.-*te-/v--»-^
.-^-^\,^
..^„^^^
I91S
lOG
1910
269
1915
76
1916
368
1915
129
1916
392
1915
110
1916
407
1915
144
1916
372
Dunkerque
Calais . . .
74
153
100
194
82
175
94
198
112
214
Boulogne .
Lo Tréporl
83
147
109
171
81
182
98
171
131
186
32
52
29
63
30
62
37
69
31
6.^
Dieppe. . .
68
9.'
7S
70
83
112
89
100
93
108
Lo Havre .
302
443
474
535
425
548
472
539
407
626
Rouen . . .
622
793
6«5
96-.
66S
846
729
921
747
942
S>- Nazaire
189
213
209
250
232
Î56
208
324
204
219
Nantes. . .
184
265
257
268
173
270
212
261
222
255
La Palliée.
80
96
97
93
85
103
91
119
80
113
Rochefort.
37
73
53
63
46
63
36
68
43
91
Bordeaux .
300
373
353
402
335
400
347
386
337
416
Cette. . . .
64
140
131
133
93
163
119
177
83
137
Marseille .
544
523
660
571
535
526
595
631
470
597
On pourrait élever quelques critiques contre cette
organisation. Mais on doit reconnaître l'importance
de l'effort et la grandeur de l'œuvre réalisée, d'au-
tant plus intéressante qu'elle est d'une portée plus
générale et plus durable. — André Cassbl.
Retraites ouvrières et paysannes
pendant la guerre (les) [Droit]. — leur
nouveau régime légal. Leur adaptation aux
diverses circonstances de guerre. — Au cours de
la guerre actuelle, la législation sur les relraites
ouvrières et paysannes a été, dans ses détails, l'objet :
1» d'un important remaniement par une loi du
17 août 1915, caractérisée par des améliorations et
des simplifications notables, dont, sur l'initiative du
gouvernement, l'élaboration parlementaire se pour-
suivait depuis 1912; — 2» d'une adaptation par une
série de textes de circonstance (lois, décrets, déci-
sions ministérielles) aux situations spéciales résul-
tant de l'état de guerre.
l. Améliorations et simplifications du régime
LÉGAL BES RETRAITES OUVRIÈRES ET PAYSANNES. —
Législation primitive. — La législation primitive
était, au moment où est survenue la guerre, cons-
tituée par la loi du 5 avril 1910, telle que, sur plu-
sieurs points importants, l'avait revisée la loi de
finance du 27 février 1912 (art. 54 à 62).
La loi du 5 avril 1910 et sa revision de 1912 ont
été longuement étudiées dans le Larousse Mensuel.
(■y. l'art. RETRAITE, t. n, p. 142 et 470.)
■Voici les principes essentiels qui se dégagent du
dernier état de la législation primitive.
Aux bénéficiaires de cette législation, ainsi qu'à
leurs femmes ou k leurs veuves, il est donné de se
constituer (à partir, normalement, de l'âge de 60 ans)
LAROUSSE MENSUEL
une pension de relraile de vieillesse, à Taide de
leurs propres versements, auxquels se joignent, le
cas échéant, ceux de leurs employeurs. — Encou-
ragement & l'effort individuel de prévoyance, par
des allocations de l'Etat, notamment allocations
ajoutées aux pensions que se sont acquises les inté-
ressés, ou attribuées à leurs veuves et à leurs orphe-
lins. — Les bénéficiaires ou, selon l'expression
consacrée, les « assurés «des retraites ouvrières et
paysannes sont répartis en deux classes : ceux qui
sont astreints à Vobligaiion des versements, ou
assurés obligatoires, compienant tous les salariés
de l'industrie, du commerce, de l'agriculture, à la
condition que leur gain annuel ne dépasse pas
3.000 francs; d'autre part, cf^ux qui, en raison de
leur situation voisine du salariat, sont autorisés à
eilectuer des versements, ou assurés facultatifs,
comprenant les métayers, fermiers, cultivateurs,
artisans, petits patrons, et aussi les salariés dont le
gain annuel est supérieur à 3.000 francs, mais ne
dépasse pas 5.000 francs. — Pour tous les assurés,
le compte de chacun est ouvert dans une caisse
d'assurance organisée par l'Etat et librement choisie
par l'intéressé. — Les versements constitutifs de la
retraite sont indiqués sur des cartes individuelles
annuelles, grâce à une combinaison de timbres
spéciaux, dits « timbres-retraites ».
Législalion nouvelle. — Loi du 17 août 19i5. —
A aucune des règles fondamentales de la matière
n'a touché la loi du 17 août 1913. Les modifications
et compléments résullant de cette loi n'ont eu d'au-
tre but que de simplifier et faciliter l'application de
la législation antérieure. Les plus importants détails
de la réforme consacrée sont les suivants:
1° Les timbres -retraite en usage étaient au nombre
de 37, divisés en quatre séries ditferentes, selon l'origine
du versement. Ces diverses caiégories des timbres-re-
traite ont été réduites à un type unique, le versement ou-
vrier et le versement patronal n'étant plus distingués.
L'unique série établie comprend 8 timbres {allant de un
centime à 1 fr. 50).
2" Sur la carte annuelle de l'assuré, il est permis, sous
certaines conditions, de substituer à l'ajipositiondes tim-
bres, lors de chaque paye, l'apposition trimestrielle.
3' Au point de vue du rôle des mairies, il est stipulé
que toutes les cartes annuelles échues au cours d'un mois
seront échangées, en une seule fois, dans les huit premiers
jours du mois suivant et que des avis pourront être adres-
sés par la poste aux assurés pour les inviter à changer
leur carte.
40 Dans un délai de deux mois à compter de la récep-
tion de la carte annuelle des assurés, chacune des caisses
où les assurés ont, selon leur choix, fait ouvrir leurs
comptes individuels, délivre gratuitement à l'assuré un
bulletin (dit bulletin de situation) imliquant le total des
versements que la caisse a reçus depuis l'époque de la
délivrance du précédent bulletin, ainsi que le montant de
la rente éventuelle acquise par l'assuré à 65 ans.
S*» Tous les organismes collecteurs des versements peu-
vent encaisser non seulement les versements ouvriers,
mais aussi, en même temps, les versements patronaux, —
la remise accordée par 1 Etat, pour frais d'encaissement,
étant de 1 p. 100 pour les versements patronaux et de
5 p. 100 pour les autres.
6» Le régime des retraites ouvrières et paysannes qui,
jusque-là, no s'appliquait que sur le territoire franf^ais, est
devenu applicable aux salariés français travaillant à l'é-
traufïor.
7" Pour les ouvriers à domicile employés par d'autres
salariés (sous-traitants), il est précisé que les versements
fiatronaux doivent être opérés par les fabricants pour
esquels travaillent ces ouvriers et ces salariés.
8" Do nouvelles catégories de versements peuvent dé-
sormais bénéficier de l'assurance facultative : il en est
ainsi, par exemple, pour les femmes ou veuves d'assurés
et d'assurables, même si leurs maris ne se sont point
conformés à la loi, de môme que pour les femmes ou veu-
ves, non salariées, des agents qui bénéficient d'un autre
régime de pension, pourvu que l'ensemble des salaires et
pensions du mari ne dopasse pas 5.000 francs.
9» Les assurés facultatifs peuvent (comme le pouvaient
déjà les assurés obligatoires) suspendre leurs versements
pendant leurs années de service militaire obligatoire
(iiommes) ou les années de maternité (femmes).
100 Le remboursement intégral des sommes versées
peut être accordé à l'assuré, lorsque celui-ci n'a pas droit
à l'allocation viagère de l'Etat et que sa pension de re-
traite n'atteint pas le chitfre annuel de 4 francs.
Il" Est prévu et réglé ce oui doit être alloué si un as-
suré décède avant la date d'échéance du premier terme
de sa pension de retraite ou du premier terme de la pen-
sion do l'Etat.
12*> Les veuves et les enfants des assurés faculratifs
peuvent obtenir l'allocation de l'Etat, et) cas de décès de
l'assuré, dans des conditions qui ont été rendues aussi
voisines que possible de celles appliquées aux assurés
obligatoires.
Décrets divers, — L'exécution de la loi du
5 août 1910 avait été réglée par un décret du 25 mars
1911. La mise en application de la loi du 17 août
1915 a entraîné des modifications à ce décret pri-
mitif. De là un décret complémentaire, promulgué
sous la date du 15 février 1916.
L'intention d'au,?menter le montant des retraites
ouvrières et paysannes a inspiré les dispositions
d'un décret du 26 juin 1916, pris sur la proposition
commune du ministre des finances et du ministre
du travail. Gedécretaélevéde3fr. 50à4fr. 30 p. 100
le taux de capitalisation applicable, à partir du
l*"" janvier 1917, aux versements effectués à la
Caisse nationale des retraites par les assurés de la
législation des retraites.
23
Signalons, d'autre part, un décret du 22 décem-
bre 191.5, qui a fixé les tarifs postaux applicables
aux objets de correspondance concernant l'exécu-
tion de la législation qui nous occupe, adressés ou
reçus par les préfectures, les mairies, la Caisse na-
tionale des retraites et toute autre caisse.
II. Adaptation de la législation des retraites
OUVRIÈRES ET PAYSANNES AUX SITUATIONS SPKCIALES
RÉSULTANT DE l'ÉTAT DE GUERRE. — SilUOtiott det
salariés travaillant pour la guerre. — D'un en-
semble de circulaires du ministre de la guerre et
du ministre du travail (notamment en date des
15 octobre 1915, 11 et 15 novembre 1915, 25 et
31 décembre 1915, l"ianvier 1916), il résulte que
les dispositions de la lég^islation des retraites ou-
vrières et paysannes sont entièrement applicables
aux ouvriers mobilisés alTectés aux établissements
travaillant pour le compte de l'administration mili-
taire, aussi bien qu'aux ouvriers, même non mobi-
lisés, employés par les établissements exécutant des
commandes pour cette administration, c'est-à-dire,
en un mot, non seulement aux ouvriers militaires
affectés aux usines privées, mais, d'une façon géné-
rale et sans aucune dispense possible, à toutes les
personnes, de tout âge, de l'un ou de l'autre sexe,
qui, touchant un salaire, travaillent pour la guerre.
Les fonctionnaires de l'intendance ont été, en
conséquence, invités k exercer, dans les établisse-
ments dont il s'agit, situés dans leur circonscription
administrative, tout le contrôle nécessaire. Et voici
leurs principales obligations : se rendre compte si
tous les salariés travaillant dans ces établissements
sont munis de leurs cartes annuelles; — veiller,
pour ceux qui ne l'auraient pas encore, à ce que les
intéressés remplissent immédiatement un bulletin
de renseignements, émanant de la préfecture; —
s'assurer que, lors de chaque paye, les timbres ré-
glementaires, représentant le prélèvement sur le
salaire et le montant de la contribution patronale,
sont régulièrement apposés sur les cartes annuelles.
Avantages concédés aux mobilisés assurés. —
Assurance au décès. — Pour être admis au béné-
fice de l'allocation viagère ou de la bonification que
l'Etat accorde aux assurés, au moment de leur re-
traite, il faut, en principe, que l'assuré justifie avoir
effectué un nombre déterminé de versements an-
nuels, et ce nombre varie suivant les situations di-
verses (assurés obligatoires, assurés facultatifs et
assurés mixtes) que prévoient les articles 4, 36 et
37 de la loi du 5 avril 1910.
Pour le temps de paix, l'article 4 en question (par
son paragraphe 4) édictait, dans un esprit de pré-
voyance et d'équité :
Les deux années de service militaire obligatoire entrent
en ligne de compte paur la détermination du montant de
l'allocation viagère.
Cette ri'gle, la loi du 17 août 1915 non seulement
l'a confirmée, mais, comme nous l'avons noté plus
haut, elle l'a étendue même aux assurés facultatifs.
En tout cas, la loi du 17 août 1915 a, elle aussi,
précisé que, pour la détermination en cause, ne
devait entrer en ligne de compte que le temps de
service militaire accompli » dans l'armée active ».
D'où l'impossibilité d'appliquer le bénéfice de
telles dispositions à tous les assurés mobilisés; d'oii,
dès le début de la guerre, grande émotion mani-
festée par beaucoup d'assurés sous les drapeaux.
Peu k peu, depuis le 2 août 1914, ont été législati-
vement conservés à tous assurés quelconques leurs
droits entiers, même s'ils ne peuvent faire, pendant
la guerre, les versements qui leur incombent. Il
était essentiellement logique d'assimiler les assurés
mobilisés aux assurés accomplissant leur période
normale de service militaire : les premiers, comme
les seconds, se trouvent, en effet, empêchés, par
suite de la privation de leur salaire, de continuer
les versements antérieurs. On peut même dire que
les motifs qui faisaient bénéficier d'une faveur par-
ticulière les assurés pendant la durée de leur ser-
vice militaire normal doivent s'appliquer plus im-
périeusement encore au cas de guérie.
Mais, précisons-le bien, une telle mesure n'a que
le caractère d'une simple dispense, n'a d'autre but
que d'éviter la déchéance aux mobilisés qui ne
pourraient pas verser; et, par contre, les verse-
ments des mobilisés qui peuvent et veulent verser
viendront accroître, k leur bénéfice ou à celui de
leurs veuves et orphelins, leurs droits acquis.
Tout d'abord, sous la date du 18 novembre 1914,
est intervenu un décret particulier aux assurés obli-
gatoires :
La durée pendant laquelle les assurés de la loi d«s re-
traites ouvrières et paysannes auront été mobilisés entrera
en ligne de compte dans la détermination du montant de
l'allocation viagère.
Le décret du 18 novembre 1914 a été régularisé
par une loi du 31 décembre 1915.
Une autre loi, promulguée ce même jour 31 dé-
cembre 1915, a, complémenlairement, réglé de la
même manière la question en ce qui concerne les
assurés facultatifs visés à l'arlicleSe (§§ 7, 8 et 9) de
la loi du 5 avril 1910, en son dernier état. Cette loi
du 31 décembre 1915 a disiiosé (par son article l")
que, pour eux aussi, le temps de mobilisation
24
entrera en ligne de compte pour la détermination du
montant de l' allocation ou de la bonification de l'Etat.
La même loi s'est, en outre, préoccupée du sort
des familles des assurés mobilisés morts pendant la
guerre. Elle a admis (par son article 3, paragraplie 2)
tous assurés qui, avant d'être mobilisés, n'auraient
pas été absolument en règle au point de vue des
versements régulièrement exigés, à compléter et à
reprendre leurs versemenl3(soit par eux-mêmes, soit
par un tiers), de manière à garantir à leurs ayants
droit certains avantages déterminés, notamment ce-
lui de l'allocation spéciale de l'IOlat dite » allocation
en cas de décès » ou « allocation au décès ». Cette
allocation est acquise à la veuve et aux orphelins de
rassuré qui décède avant d'avoir été pourvu de la
pension de retraite. 11 y a là une véritable combi-
naison d'assurance au décès.
Avantages concédés aux mobilisés assurables. —
A9sura7ice au décès. — Celle des lois du 31 dé-
cembre 1915 que nous venons d'analyser autorise
(par son article 2) les mobilisés qui, avant le
a août 1914, n'étaient pas encore assurés k deman-
der (soit directement, soit par mandataire) leur ins-
cription sur la liste des assurés de la loi des re-
traites ouvrières et paysannes, — et cela, soit au
cours même des hostilités, soit dans les six mois,
au plus tard, de la date qui, après la cessation des
hostilités, sera fixée par décret.
De la sorte, ces mobilisés se trouvent aptes à ac-
quérir, aux mêmes points de vue que les mobilisés
antérieurement assurés, le bénéfice du temps pendant
lequel ils auront été mobilisés : aux termes de la loi
du 31 décembre 191.5 (article 3, oaragraphe i"), les
mobilisés qui réclament dès à présent leur inscription
et qui, de plus, commencent aussitôt (soit par eux-
mêmes, soit par un tiers) les versements légaux, ou-
vrent à leurs ayants droit (femmes et enfants} tous
avantages prévus, notamment cel ui de l'allocation au
décès, c'esl-k-dire, en fait, ainsi que nous l'avons déj à
signalé, d'une combinaison d'assurance au décès.
Pour l'inscription comme assuré, la signature
même du mobilisé est-elle absolument nécessaire?
— D'une décision du ministre du travail, datée du
17 mars 1916, il résulte ceci :
Le mobilisé doit, autant que possible, manifester sa vo-
lonté de se faire inscrire à l'assurance par une lettre ou
une note datée et signée de lui. Une exception peut être
admise à cette règle, si le mobilisé se trouve, par suite de
circonstances de force majeure, dans l'impossibilité do
manifester sa volonté; il en est ainsi, notamment, s'il est
ngnalé comme prisonnier de guerre ou disparu. Dans ce
tlernier cas, l'inscription à laquelle il a été procédé sur la
demande des ayants droit ou de leur représentant (le tuteur
des enfants, par exemj)le) est considérée omme valable,
à la seule condition qu'il puisse être prouvé (ultérieurement)
que l'assuré était vivant à l'époque de ladite demande.
Conditions d'attribution des allocations au dé-
cès. — Le ministère du travail a fait admettre,
en 1915, que les allocations au décès seraient dues à
toutes les familles des assurés mobilisés morts à la
guerre, sans préjudice des secours ou retraites qu'ils
peuvent recevoir du ministère de la guerre ou d'autres
administrations.
Un autre principe régit la matière, et il a été
ainsi posé par unecirculaire ministérielle du l^rjuji-
let 1911 : les personnes qui sollicilent l'allocation
au décès doivent fournir, k l'appui de leur demande,
un bulletin de décès de l'assuré.
Mais, dès le 21 septembre 1914, une circulaire
du ministre du travail à la date du 24 faisait con-
naître aux préfets :
Dans les circonstances actuelles, l'établissement des
actes de décès concernant les hommes tués à l'ennemi ou
morts à la suite de leurs blessures ne pourra vraisembla-
blement être effectué que dans des délais assez éloignés.
Or, il importe que le*? veuves ou les orphelins entrent le
plus rapidement possible en possession des allocations
auxqiielles la loi leur donne droit. En conséquence, j'ai
décidé que, toutes les fois qu'il s'agira d'un assuré mobi-
lisé pour lequel le bulletin de décès ne pourra être fourni,
l'allocation devra être accordée aux ayants droit lorsque
vous aurez acquis la certitude du déc'ès de l'assuré, à la
suite d'une communication officielle do l'autorité militaire.
Particularités propres aux ouvriers mineurs. —
Une loi du 25 février 1914 a créé une caisse auto-
nome de retraites des ouvriers mineurs. Les articles
8 et 9 de cette loi ont subordonné l'octroi des avan-
tages de la législation des retraites ouvrières et
paysannes à la condition que, dans le délai fixe d'un
an — k échéance du 26 février 1915 — l'intéressé
demandât son inscription sur les listes d'assurés
obligaloires et, en outre, effectuât le versement ré-
troactif des cotisations réglementaires.
Par suite des hostilités, il n'a pas été possible k un
très grand nombre d'ouvriers mineurs — surtout k
ceux habitant les départements envahis — de for-
mer en temps ulile leur demande d'inscription.
D'autre part, beaucoup de ceux qui ont pu être ins-
crits ont été empêchés par les circonstances de
faire les versements rétroactifs exigés. Il convenait,
dans ces condilions, de prévoir une prolongation du
délai d'un an imparti par la loi du 25 février 1914.
Tel a été l'objet d'un décret du 23 février 1915.
La prorogation a été fixée k six mois k partir d'une
date qiii, par décret, sera déterminée après la cessa-
tion des hostilités.
LAROUSSE MENSUEL
Cette prorogation correspondant approximative-
ment à la période qui, sur le délai d'un an, primi-
tivement prévu, restait à courir au moment de la
mobilisation générale, les intéressés seront, au point
de vue de ce délai, placés, a la fin de la guerre,
dans' la situation où ils se trouvaient le 2 aoiit 1914.
Particularités propres aux assurés originaires
ou réfugiés des départements envahis. — Envers
les réfugiés des départements envahis et aussi en-
vers les originaires de ces départements, des diffi-
cultés se sont produites en raison de l'état de guerre,
soit pour la liquidation de leur retraite ouvrière,
soit pour le payement des arrérages de cette retraite.
Pour remédier à ces difficultés, le ministre du
travail, d'accord avec le département des finan-
ces, a adressé aux préfets toute une série d'instruc-
tions précises, faisant l'objet d'une circulaire en
date du 31 mai 1913 (Journal officiel du 2 juin).
Ces instructionsindiquent, notamment, les mesures
exceplionnelles à prendrepour permettre le payement
de leur pension aux retraités réfugiés, en possession
deleurextrait d'inscription de pension, alors que la
caisse d'assurance à laquelle ils sont affiliés se trouve,
par suite de l'occupation ennemie, dans l'impossi-
bilité de payer les arrérages auxquels ils ont droit.
Quant aux assurés qui ne seraient pas en posses-
sion de leur extrait d'inscription, il a été décidé qu'il
leur serait délivré des extraits provisoires, leur per-
mettant de toucher auprès de tous agents du Trésor
les arrérages des allocations ou bonifications qui for-
ment la partie la plus importante de leur pension.
Bénéficient de la même mesure les assurés qui
étaient en instance de retraite au moment de la
déclaration de guerre, mais dont la demande de
liquidation de pension n'a pu être transmise à la
caisse d'assurance compétente, parce que celte caisse
est dans une région envahie. — Louis André.
Rousseau (la Rkligion de J.-J.), par Pierre-
Maurice Masson (Paris, 1916, 3 vol. in-16) : I. la
formation religieuse de Rousseau. II. La « Pro-
fession de foi » de Jean-Jacques. III. Rousseau et
la Restauration religieuse. — Si, le dimanche
14 mars 1728, le jeune Jean-Jacques Rousseau, alors
âgé de moins de seize ans, ne s'était pas attardé à
polissonner dans la campagne genevoise et n'avait
pas trouvé fermées, à son retour, les portes de sa
ville natale, nous n'aurions ni la Profession de foi
du Vicaire savoyard, ni peut-être même le Génie
du christianisme. Ce n'est point là une boutade,
imitée du mot fameux de Pascal sur le nez de Cléo-
pâtre. Rousseau lui-même a plusieurs fois insisté
sur le changement d'orientation que cette escapade
a fait subir à sa destinée. En quittant Genève pour
la cure de Confignon, Jean-Jacques est allé au-de-
vant de nouveaux enseignements et d'amitiés nou-
velles ; il s'est préparé une existence vagabonde, par-
fois humi-
liante et très r
souvent mal-
fa eureuse,
mais bien
propre à
exaspérer
les ardeurs
de son âme
et à provo-
quer les
é p an che-
ments de sa
violentesen-
sibilité.Sans
le coup de tê-
te de sa jeu-
nesse, il au-
rait, à l'en-
tendre, pas-
sé dans le
sein de sa re-
ligion Il une
vie paisible
et douce», il
eût été «bon
chrétien ». Sous l'influence de quels hommes et de
quels livres et par quelle progression de sa pensée
intime l'apprenti graveur de Genève est-il devenu
rauteurd'£mi/e et le » restaurateur de la religion »,
comme dit Lanson, c'est ce que Pierre-.\iaurice
Masson nous a exposé en plus de neuf cents pages
bourrées de faits, de citations et de discussions cri-
tiques, agréables néanmoins, et persuasives.
On y trouve l'application de la nouvelle méthode
d'histoire littéraire, qui ne se contente plus d'ordon-
ner en un système les idées d'un auteur, ni d'e.x-
pliquer l'évolution de sa doctrine en consultant sa
biographie. Rousseau est replacé dans la société de
son temps, et toutes les tendances morales, toutes
les modes intellectuelles de l'époque sont indiquées
et étudiées. 11 a fallu interroger les archives, les
mémoires, les correspondances, exhumer et dépouil-
ler de nombreux ouvrages oubliés aujourd'hui, mais
très lus jadis, comme le prouve leur fréquence dans
les anciens catalogues des bibliothèques privées. Et
ce labeur effrayant a permis à P.-M. Masson d'éta-
Jean-JacqiieB Rousseau, à l'âge de (0 ans,
d'après un portrait de Bouclier (v. t. III, p. 468).
' de Warens. d'après un portrait Un
peintre Meister (v. t. III, p. i*>7).
«" 119. Janvier 1917.
blir l'existence d'un n rousseauisme » antérieur aux
premiers écrits de Rousseau, comme de noter avec
précision le succès des idées de Jean-Jacques parmi
ses contemporains et dans les générations qui l'ont
suivi. Son travail est ainsi une histoire du senti-
ment religieux en France pendant la vie de Rous-
seau et jusqu'à l'apparition du Génie du christia-
nisme. Mais Rousseau lui-même est le centre de
cette histoire. Il a absorbé et régénéré les germes
épars de religiosité, et il a refoulé le « philoso-
phisme », que ses disciples ont vaincu.
Rousseau s'était exilé de Genève sans déchire-
ment : sa première jeunesse y avait été trop meur-
trie. 11 en emportait, sans doute, des souvenirs et
des maximes durables. Mais, suivant P.-M. Masson,
son christianisme n'était pas résistant; il manquait
de discipline et de pratique constante. Pendant ses
promenades du dimanche, le jeune homme avait
souvent reçu l'hospitalité des curés de la banlieue
genevoise.il
avait pu ap-
précier les
bonsgoùters
et l'accueil
afl'able des
prêtres ca-
tholiques.
Déjà,ilavait
diiêtre solli-
cité de se
convertir, el
peut - être
avait-il mon-
tré quelque
sympathie
ou quelque
curiosité
pour la reli-
gion romai-
ne.Quoi qu'il
en soit, ce
révolté con-
tre Genève,
avided'indé-
pendance et
d'aventures,
entra au Spirilo Santo de Turin le 12 avril 1728, et
abjura auboutde jîeu/"jours, le 21, comme l'atteste
le registre de l'hospice, en contradiction avec le té-
moignp.ge de Jean-Jacques, qui prétend dans ses
Confessions avoir résisté « plus de deux mois ».
Cette conversion n'était pas profonde. P.-M. Mas-
son croit qu'elle fut sincère, ou, du moins, qu'elle ne
fut pas due à un calcul méprisable. Le néophyte prit
goût à la liturgie catholique. Il se lia avec des prêtres
etdes moines sympathiques et libéraux : l'abbé Gaime
et l'abbé Gàtier, les deux modèles du ■Vicaire sa-
voyard, et les Pères jésuites qui fréquentaient chez
Mme de 'Warens. Ainsi se formait en lui un « ca-
tholicisme d'accoutumance ». Mais il faut signaler,
en même temps, l'action personnelle de M™" de Wa-
rens, transfuge, elle aussi, du protestantisme. Elle
avait eu, comme tuteur et directeur de conscience,
le piétiste vaudois Magny, qui professait l'indiiré-
rence aux formes du culte, et blâmait Luther d'avoir
érigé une nouvelle secte. M"" de Warens, détachée
par lui du protestantisme orthodoxe, avait adopté
sans répugnance les pratiques extérieures du catho-
licisme, tout en restant l'admiratrice do Bayle. Le
Vicaire savoyard, qui repousse la Révélation et les
dogmes chrétiens, mais ne cesse pas d'être prêtre ro-
main et dit sa messe avec ferveur, « est bien le fils
spirituel de M™« de Warens ». Mais, à cette époque,
Rousseau croyait aux miracles obtenus par la prière;
il avait la teri-eurde l'enfer, el, le 27 juin 1737, ju-
geant sa vie en péril, il avait affirmé par écrit sa foi
en la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine.
La formation intellectuelle et morale de Rousseau
fit de grands progrès pendant le séjour aux Char-
mettes (v. t. 111, p. 468). Il lut avec passion les livres
qui II mêlaient la dévotion aux sciences » : ceux du
P. Lami, de Glaville, de Saint-.\ubin, de Pluche, qui
lui enseignèrent à se défier de la science et à priser,
avant tout, la religion el la vertu. Glarke lui lournit
des arguments en faveur du théisme, lise plaisait aux
leçons morales d'Abbadie et d'Addison. Les romans
de Marivaux et surtout le Cleveland de l'abbé Pré-
vost le convainquirent de la bonté originelle de la
nature. Quand il partit des Charmettes, les éléments
essentiels de sa pensée définitive étaient déjà acquis
et fixés. 11 est encore catholique, mais déjà sa
croyanceseffarouchedevantcertains dogmes, comme
celui de l'éternité des peines. » Pourtant, ce chris-
tianisme a beau se rationaliser, il reste une foi ».
Puis s'ouvre la période du » malaise philoso-
phique ». Déjà, à Lyon, l'esprit des encyclopédistes
commence à le gagner. Dans un mémoire qu'il re-
met au P. Boudel le 19 avril 1742, il affirme encore
sa croyance au miracle de M. de Bernex, évêque de
Genève. A 'Venise, il s'éprend d'affection pour le
dévot Don Altuna. Mais il retourne à Paris, re-
cueille chez lui Thérèse Levasseur, devient l'ami de
Diderot et l'invité du baron d'Holbach. Il cesse de
pratiquer, puis de croire, entre î745 et 1748, et fait
«• 118. Janivler 1917.
le procès des do!,'mes catholiques. II garde, cepen-
dant, un fonds chrétien, et se débat dans un » dua-
lisme ".-Ebloui d'abord par le luxe de Paris, par l'es-
prit et l'érudition des encyclopédistes, il n'a pas ou-
blié complètement ses méditations des Chariiiettes :
bonté de la nature, beauté de l'innocence défiance
à l'égard de la raison, suprématie de la religion et
delà vertu. Bientôt, la société mondaine lui cause des
déceptions; il doute de ses nouveaux amis. Mais,
sur la route de'Vincennes, il reçoit une <• inspiration ■>;
il est guéri de la science et de la philosopliie.
Le succès de son premier Discours fortifie ses
convictions; en s'écarlanl du « philosoptiisme », il
se rapproche du christianisme. Il continue, toutefois,
ses relations avec la coterie holbachique, et il aime
toujours Diderot, dont le naturalisme a fait sur lui
une forte impression. II n'avait pas compris d'abord
que la nature de Diderot, mécanisme aveugle et
étranger à la moralité, n'était pas celle dont il avait
le culte. Ses amis sentent que sa pensée s'éloigne
d'eux et qu'il est partagé entre ses amitiés et ses
besoins religieux, « ballollé de l'athéisme au bap-
tême des cloches », déclare Diderot. Les impiétés
grossières le révoltent. Il se brouille avec le baron
d'Holbach, qui avaitmis en posture ridicule un curé-
poète; et, dans un dîner chez M"= Quinault, il plaide
la cause de Dieu. Il éprouve le besoin de s'évader
de Paris, se disirait en composant le Devin de vil-
lage, fraîche pastorale ■■ faite pour prolonger en lui
le souvenir des champs », et le Nouveau Dédale,
considérations et rêveries sur le problème de la na-
vigation aérienne.
Pendant l'été de Vhtt, il entreprend le voyage de
Genève. Les souvenirs de son enfance se sont ra-
vivés; il a le désir de revoir sa patrie et de lui
témoigner sa fidélilé. Pour affirmer son patriotisme,
il rentre dans l'Eglise protestante. Ce n'est tout
d'abord qu'un « acte civique ». Mais l'atmosphère
religieuse de Genève le pénètre; il est sous le
charme des amitiés qu'il se fait parmi les pasteurs :
Jacob Vernet, Vernes, Moullou. La manifestation
patriotique du début de son séjour est devenue une
conversion véritable. Il lit sans doute les théolo-
giens et les mystiques protestants : Turreltin, Abau-
zit, Marie Hnber, Béatde MuraU,s'associeà leurhos-
tililé contre la science et les savants, h leur admira-
tionpour Jésus, à leurconception hardied'un christia-
nisme peu chargé de dogmes, réduit à l'essentiel et
fondé sur le témoignage de la conscience. Le passage
de Rousseau à Genève elles influences qu'il y a su-
bies permettenlde mieux comprendre qaelques-unes
des idées maîtresses de la Profession de foi
De retour à Paris, Rousseau analyse les ouvrages
et dépouille les manuscrits de l'abbé de Saint-
Thêrèiie Levasseur, femme de Jean-Jacques Rousseau,
(D'après une eau-forte de Nuudet.)
Pierre. Il y retrouve l'idée de la religion chré-
tienne ramenée à 1' « essentiel », à un code de vertu,
à un bréviaire de recettes utiles, enseignées par les
« officiers de morale », qui sont les prêtres — Le
9 avril 1756, il accepte lolTre de M™« d'Epinay et se
réfugie à l'Ermitage. « Ce jour-là, dit P.-M. Mas-
son, Jean-Jacques s'était décidément rangé parmi
les défenseurs de la cause de Dieu ».
C'est, en effet, à l'Ermitage qu'il a écrit les œu-
vres où sa philosophie religieuse est développée
sous une forme définitive : la Lettre à d' Alemoert ,
la Nouvelle Iléluïse, Emile et le Contrat social.
Cette religion « rousseauiste » avait été annoncée et
préparée depuis longtemps. Sans doute, les «philo-
sophistes » paraissaient régner sur l'opinion. Cepen-
LAROUSSE MENSUEL
dant, on n'avait pas oublié les sarcasmes de Pascal
contre la raison « ployable à tous sens », ni son af-
firmation célèbre : » Le cœur a ses raisons que la
raison ne connaît point. » Marivaux, Addison, Jean-
Baptiste Rousseau, Saint-Aubin, le P. Buffier,
l'alibé Pluche, Béat de Murait, avaient continué le
combat contre la raison orgueilleuse et incertaine.
Us avaient découvert un nouveau critérium de la
vérité : l'évidence du sentiment. LeMegré d'utilité
et de bienfaisance servait à mesurer la valeur des
notions religieuses, et une telle opinion s'autorisail
25
gestes et les rites traditionnels. La théologie de
Rousseau est une sorte de « pragmatisme ». Elle
apparaît à P.-M. Masson comme l'élan d'une ftme
qui veut posséder son Dieu, sans en être séparée ni
par des nommes, ni par des livres, et qui, même,
aspire & s'identifier avec lui : « Dans le paradis de
Jean-Jacques, Dieu lui-même s'efTacera discrète-
ment, pour laisser place à Jean-Jacques. »
Ni la Lettre à M. de Beaumont, archevêque de
Paris, après la condamnation de l'Emile, ni les
Lettres île la montagne, après l'écbec de Bousseau
L l--rmita^e, petiî chalet de la vallée de MuQtniorency (Seine-et-Oise), situ^ au fond du P&rc du cb&teau de la Chevrette, qui
appartenait à M»* d'Epinay. (Jean-Jacques Rousseau j habita, d'avril 1766 à décembre 1767.)
des noms de Montesquieu, de Turgot et du marquis
de Mirabeau, Enfin, l'idée de nature s'était profon-
dément transformée au cours du xviu"' siècle. La
thèse de la bonté de la nalure, contraire en appa-
rence au dogme du péché originel, avait séduit
même des prêtres. Mais la « nature » du P. Buffier,
jésuite orthodoxe, ou du P Du Tertre, frère prê-
cheur très pieux, n'a plus le caraclèie pa'ien qu elle
possède dans Ral)elais et dans les libertins du
xvii» siècle. L'encyclopédiste Morelly reconnaissait
que, primitivement, n l'esprit du christianisme rap-
prochait les hommes des lois de la nature ». Pour
beaucoup de théologiens catholiques, voire pro-
testants, le christianisme était la religion natu-
relle i l'homme, et le péché originel devenait une
faute contre la nalure.
Tels étaient les courants intellectuels qui circu-
laient autour de Rousseau quand il élabora sa phi-
losophie religieuse. Il n'a, sans doute, rien inventé,
mais il a puissamment mis en œuvre quelques-unes
des pensées les plus vivantes et les plus fécondes
de son siècle; et, surtout, il les a traduites avec
une fougue, une passion, une flamme qui leur ont
assuré le triomphe. « Ce qui importe chez Rous-
seau, a dit Gaslinel, c'est moins la formule que
Vaccent ». D. Parodi et P.-M. Masson ont égale-
ment insisté sur Vaccent de Rousseau, partie inté-
grante, et peut-être la meilleure, de son originalité.
P.-M. Masson a fait une analyse très pénétrante
de la Profession de foi. Il met en relief les contra-
dictions de l'auteur. Cet apologiste de la religion
sensible au cœur se montre aussi rationaliste in-
transigeant. Jean-Jacques dresse un réquisitoire
contre les « philosophes », mais il leur emprunte
des arguments contre les miracles et les prophé-
ties. Il doute de la Révélation, mais il s'incline de-
vant Jésus, dont la mort fut celle d'un Dieu, et il
admire les beautés de l'Evangile, livre qui n'a pu
sortir dé la main des hommes. Il rejette les dogmes
" cruels », mais il préfère le fanatisme à l'athéisme.
On peut, sans doute, expliquer ces « remous de pen-
sée » par la diversité des milieux qu'il a traversés
avant de se fixer à l'Ermitage. Il n'a pas été impu-
nément l'ami de Diderot. Mais sa conception senti-
mentale et pratique de la religion suffit à rendre
compte de son opposition aux mystères affiigeanls
ou obscurs. La religion est nécessaire à l'homme;
donc, l'athéisme est un crime contre l'humanité. La
religion doit être bienfaisante; donc, il faut pros-
crire les controverses qui déchirent les cœurs, s'en
tenir & un doute respectueux vis-à-vis des proposi-
tions qui heurtent trop violemment notre intelli-
gence; et, s'il y va du bonheur social, conserveries
à Genève, n'ont apporté de modiflcation notable aux
thèses fondamentales de Rousseau. Il évite d'exa-
miner à nouveau ses conclusions, afin de ne point
perdre la paix intérieure. Fidèle aux principes
conservateurs de son vicaire, il conseille a un ca-
tholique inquiet (Saint-Brisson) de garder son culte ;
à un séminariste envahi par le doute (abbé de Ca-
rondelet) de ne pas renoncer au ministère. A Mont-
morency, il conversait volontiers avec des curés et
des prêtres de l'Oratoire. Dans sa Profession, il
avait exallé le « bon curé ». Après avoir subi les
anathèmes et les persécutions, il se méfie de tous
les clergés. Toutefois, il semble nourrir une ran-
cune plus vive contre les pasteurs protestants. Il
hante les églises et les monastères, s'attendrit aux
offices des moines du mont Valèrien, et s'entend
dire par Bernardin de Saint-Pierre : « ai Fénelon
vivait, vous seriez catholique. »
II convient de signaler ici l'une des nouveautés
du livre de P.-M. Masson. Il nous présente un Rous-
seau sinon catholique, du moins sympathique au
catholicisme, — sauf au temps de son court enthou-
siasme pour la société parisienne et pour les « phi-
losophes ». Au contraire, Lanson a écrit : « Il
n'importe que Rousseau se soit fait catholique,
qu'il ait été dévot à un moment, qu'il ait cru aux
miracles, tout cela est superficiel. Il a l'âme fonciè-
rement protestante. » Déjà, pourtant, Jules Lemaitre
avait suggéré, dans ses conférences de 1907 : « Son
accent serait plutôt catholique que protestant. » Le
Rousseau de P.-M. Masson est conservateur et très
modérément calvinisle. Le critique avait destiné un
exemplaire de son livre à Maurice Barrés, avec
cette dédicace : « Pour lui faire mieux connaître
Rousseau. »
Le troisième volume de ce travail considérable,
non moins attachant que les deux premiers, soulè-
vera sans doute moins de discussions. Après avoir
montré la genèse et l'épanouissement de la philo-
sophie religieuse de Rousseau, l'historien en étudie
la destinée. Il rappelle l'enthousiasme prématuré
de Voltaire et de Diderot et le scandale des âmes
pieuses. Mais les paragraphes agressifs contre le
catholicisme passent ensuite au second plan. Les
0 philosophes » se disent calomniés, des croyants
sont fortifiés dans leur foi. Rousseau devient l'objet
d'un culte : on va en pèlerinage à l'île des Peu-
pliers. Son identification du vrai avec l'utile et sa
thèse de la «nécessité sociale de la religion » font de
nombreux adeptes. A la veille de 1789, s'orgaaise
une nouvelle apologétique, fondée sur la primauté
du sentiment, le charme et la bienfaisance du chris-
tianisme (Fidèle Bellet, Boulogne, Fauchet, Lainou-
M»*' d'Epùuiy, d'après un pastel de Liotard.
26
rette, etc.). Le th^me du «bon curé de campagne»
esta la mode. Un Génie du ':hrislianisme aurait
pu, dès lors, apparaître. La Révolution a peut-être
retardé l'éclosion d'une telle œuvre, sans tarir
les courants d'opinion qui devaient l'alimenter.
D'ailleurs, au jugement de P.-M. Masson, l'in-
fluence de Rousseau sur la Révolution fut assez
faillie. La
constitu-
tion civile
du clergé
relève plu-
tôt de Ray-
nal et de
■Vo llaire.
Le culte de
la Raison
procède
é gaiement
delapensée
des (I pliilo-
s 0 p h e s ».
Mais le cul-
te de l'Etre
suprême,
institué par
Robespier-
re, semble
directe-
ment inspi-
ré du Con-
trat social.
La théophilanlhropie est du « rousseauisme vulga-
risé et desséché ». Au lendemain de Thermidor, les
orateurs Boissy d'Anglas, Portails et Jordan furent
tributaires du Vicaire savoyard, et le Goncord:il
rallia les théistes, disciples de Jean-Jacques. Au
contraire, les idéologues Volney, Gondorcet, Saint-
Lambert, etc., étaient de la lignée d'Helvélius.
Chateaubriand fut le nouveau Rousseau attendu et
désiré. 11 dilîëre sensiblement de Jean-Jacques. Ce
n'est plus un petit bourgeois, mais un fils des croi-
sés. Il n'a plus l'orgueil de la « bonté », maisl'orgiieil
del'artisle. Cependant, il continue et parachève l'oeu-
vre de Rousseau. Il » reconstruit la cathédrale go-
thique sur les ruines du temple de la Philosophie ».
Jea.i-Jacques << aura été l'un des mainteneurs du
catholicisme dans l'élite intellectuelle française ».
Tels sont quel-ques-uns des traits les plus saillants
d'un ouvrage prodigieusement riclie en faits et en
idées, où l'érudition la plus abondante et la plus
exacte se revêt d'un style rapide et souple. Pour
faire connaître un aspect de ce style, nous citerons
les lignes suivantes, où l'auteur définit son héros:
Nature perpétuellement instable, dont l'existence n'a
guère été qu une douloureuse ou délicieuse palpitation,
1 univers disparaissait, en quelque sorte, devant ses yeux
troublés : il n'y avait plus, pour émerger dans sa
conscience, que le " moi » sentant et frémissant ; ou plutôt,
ce « moi il ne savait retrouver dans l'univers que lui-môrae,
et no pouvait on jouir que dans la mesure où il l'avait,
pour ainsi dire, recréé et assimilé.
Ce livre était destiné à servir de thèse de doc-
torat es lettres. Pierre-Maurice Masson, qui était
professeur de littérature française à l'universilé de
Fribourg, en Suisse, avait rejoint, dès le début de
la guerre, le régiment d'infanterie auquel il était
alTecté comme lieutenant. Celait le moment où il
venait d'achever sa thèse et ofi il se préparait à la
soutenir en Sorhonne. Il en corrigea les épreuves
dans les tranchées. La soutenance devait avoir lieu,
en Sorbonne, le 4 mars 1916. Elle fut ajournée : les
nécessités militaires avaient empêché Pierre-Mau-
rice Masson d'obtenir la permission promise. Le
16 avril, il fut tué net par un éclat d'obus, dans les
tranchées de l'Argonne. La Sorbonne Ihonora d'ime
soutenance fictive et posthume, où ses thèses furent
déclarées « dignes de valoir le grade de docteur, avec
la mention très honorable », qui est la plus haute
(11 mai 1916). L'Académie française lui donna son
grand prix de littérature. — Maurice emocb.
* "Vogué (Charles-Jean-Melchior, marquis de),
diplomale, archéologue et historien français, né à
Paris le 18 octobre 1829, mort dans celte même
ville le 10 novembre 1916. Le marquis de 'Vogué
appartenait à une vieille famille du "Vivarais, qui
eut pour berceau le château de Rochecolombe, dont
les ruines dominent encore le village de "Vogué,
jadis terre seigneuriale, aujourd'hui commune du
département de l'Ardèclie, au canton de 'Villeiieuve-
de-13erg. Depuis le lointain chevalier Raymond, qui
prit part à la troisième croisade, jusqu'à son prre.
qui servit aux armées de la Restauration et siégea
plus tard à la Constituante de 1848 et à l'Assemblée
nationale de 1871, le marquis de 'Vogiié pouvait
revendiquer une suite glorieuse d'aïeux. Dans une
Famille vivaroise, il en a évoqué quelques figures
particulièrement caractéristiques ; mais de l'illustra-
tion de sa race il ne retenait que les devoirs qu'elle
lui imposait. N'appartenait-il pas, d'ailleurs, à une
famille où la noblesse du sang ne comptait qu'au-
tant que s'y associait leméri te de la personne? «Je
fais peu de cas de la noblesse, écrivait, à la fin du
xvii' siècle, le marquis Clérice-François en conclu-
LAROUSSE MENSUEL
sion de ses Mémoires, lorsqu'elle n'est pas soutenue
par la vertu, dont j'aimerais bien mieux laisser des
exemples à mes enfants que de vains titres, qui ne
serviraient qu'à les déshonorer, s'ils n'y répondaient
par leurs senliments et par toutes eurs actions ».
C'est à cette noble maxime que le marquis de
Vogiié conforma toute sa vie. Après de fortes éliules
au collège Ilenri-IV (Paris), il entra dans la diplo-
matie et partit pour la Russie, en 1849, comme atta-
ché d'ambassade. De là datent ses débuts dans l'ar-
chéologie, par une série de lettres sur l'Or/èvre-
rie russe, qu'il publia dans les « Aimales » deDidron.
Rientôt, le coup d'Etat, auquel son père avait refusé
de se rnlliei', vint interrompre la carrière du jeune
diplomate. Pour occuper sesloisirs, il suivit les cours
de l'école des Chartes et entreprit son prejiiier voyage
en Orient. Il parcourut ainsi la Grèce, la Turquie,
l'Egypte, s'attarda en Palestine et rapporta de ce
voyage son premier grand ouvrage d'archéologie:
les Eglises de la Terre sainte {IHëO). Dans ce volume,
où tons les édifices religieux, depuis les basiliques
jusqu'aux moindres oratoires, sont minutieusement
étudiés, décrits, dessinés — -car à ses divers dons
de "Vogiié joignait un remarquable talent de dessi-
nateur — il ne s'attachait pas seulement à retracer,
avec une exacte précision, l'histoire des monu-
ments ; il s'efforçait aussi de déterminer la part
d'i[ifluence que l'Orient et l'Occident purent exercer
l'un sur l'autre, à l'occasion des croisades. Il par-
venait ainsi à réfuter la théorie, alors soutenue, des
origines orientales de l'art gothique et à démontrer,
notamment, que, si les croisades ont pu favoriser
la diffusion de l'ogive en Occident, cette forme de
construction, connue et appliquée antérieurement
aux expéditions en Terre sainte, n'est nullement
d'importation orientale. Celte élude, où les aperçus
généraux abondent, demeure encore aujourd'hui
d'une importance capitale pour l'histoire de l'archi-
tecture française en Orient.
A son retour en France, de "Vogué avait abordé
l'étude des langues orientales, et c'est muni de
connaissances solides qu'il entreprit ses nouvelles
explorations dans la Syrie centrale. Il en rapporta les
matériaux de plusieurs ouvrages — le Temple de
Jérusalem, l'Ar-
chileclure civile
et religieuse du
i" au vi' siècle
dans la Syrie
centrale — qui
lui ouvrirent en
1868 les portes de
l'Académie des
inscriptions et
belles-lettres.
Déjà, dans les
Eg lises de la
Terre sainte, de
Vogiié avait été
amené, au cha-
pitre VI, à parler
duTempledeSa-
lomon,maisil ne
l'avait fait qu'in-
cidemment,àpro-
pos des édifices construits sur son emplacement. Le
Temple de Jérusalem est une étude d'archéologie,
complétée par un savant essai de restitution de l'édi-
fice de Salomon. Après s'être génércusemenldépensé
au secours des blessés durant la guerre de 1870,
en sa qualité de vice-président de la Croix-Rouge,
de "Vogiié fut choisi par Thiers pour occuper l'am-
bassade de Conslantinople. Il s'agissait de rétablir
en Orient le prestige de la France, compromis par
la récente défaite. De Vogiié s'appliqua, quatre ans
durant, à cette tâche délicate avec un rare bonheur ;
le succès de celle mission lui valut d'être appelé
ensuite à l'ambassade de Vienne, qu'il géra pendant
cinq ans. 11 résigna définitivement ses fonctions
diplomatiques après la démission de Mac-Mahon et
se confina, dès lors, dans ses travaux d'archéologie et
d'histoire. Il ne les avait, d'ailleurs, jamais interrom-
pus, comme l'attestent, outre ses multiples commu-
nications àl'Académie, sa Traduction avec Commen-
taires d'inscriptions sémitiques et ses Mélanges
d'archéologie orientale (1869). En 187.T, il donnait
un savant commentaire de la stèle de Yehawmelek.
roi de Gebal. En 18S9, il remplaçaitRenan au Cor/ms
des inscriptions sémillques. L'archéologie, cepen-
dant, ne devait pas absorber toute son activité.
<■ Je crois, écrivait-il dès 1860 dans son étude sur
les Eglises de Terre sainte, qu'il y a un inconvé-
nient réel à séparer l'archéologie de l'histoire : on
lui Ole son principal intérêt, qui est de servir de
commentaire illustré aux événements, de montrer
le rapport intime qui existe enlre les monuments
et les faits, de suivre, dans le développement des
arts et de l'architecture, la marche de l'esprit hu-
main, la transformation des mœurs, l'action des
races et des hommes, des tendances sociales et
politiques ». Ces réflexions, en même temps qu'elles
nous renseignent sur l'esprit de ses recherches, ré-
vèlent le penchant profond que de Vogué gardait
pour les éludes historiques.
mt» de Vogué.
«• 119. Janvier 1917.
11 devait, dans la dernière partie de sa vie, le
manifester plus clairement encore par une série
d'ouvrages d'histoire pure, qui l'acheminèrent à
l'Académie française, où il entra en 1902.
En 1884, de Vogiié avait commencé, pour la So-
ciété de l'histoire de France, à publier les Mémoires
du maréchal de Villars 11 devait les faire suivre,
en 1894, des Mémoires de la cour d'Espagne, de
Pierre de Villars, le père du maréchal. Au cours de
ses recherches, ii avait eu l'heureuse fortune de
rassembler une volumineuse correspondance échan-
gée entre Villars d'une part et l'Electeur de Bavière
Max-Emmanuel, M'^' de Maintenon et le prince
Eugène de l'autre. A l'aide de ces documents, il
entreprit de préciser quelques traits de la curieuse
figure du maréfehal et de retracer quelques-unes des
principales périodiés de sa vie. Telle est la matière
des deux_ voUiméë parus en 1888, sons le titre de
Villars d'a/)rès «a correspondance. Douze ans plus
tard, de Vogué publiait des Lettres inédites du duc
de llourgogne et du duc de Beauvilliers et prenait
prétexte de celle publication pour évoquer la figure
si attachante du jeune prince et celle, bien sympa-
thique aussi, de Son dévoué précepteur. Par le
simple énoncé du litre dé ces ouvrages, on entrevoit
déjà la manière de l'historien : c'est qu'en abordant
les études historiques, de Vogiié y apportait ses
habitudes minutieuses d'épigraphiste et s'attachait
avant tout — ce qui est, du reste, la vraie méthode
historique — à commenter les lettres, rapports et
dépêches qu'il avait sous les yeux, en s'en éloignant
le moins possible. De là, dans ses livres, outre une
extrême clarté, un iiirde réalité qui se communique
au récit et soutient la narration. Celle-ci, en effet,
n'estjamais ralentie, comme il arrive chez ceriains
historiens, par l'appareil scientifique sur lequel elle
repose. Au milieu des citations de textes, des analy-
ses de documents, elle se déroule d'un mouvement
à la fois vif et ordonné. Le pittoresque, même, n'en
est pas exclu. Il suffit, pour s'en rendre compte, de
lire la relation des batailles de Malplaquet et De-
nain (1891), qui est justement regardée comme un
modèle de narration historique.
D'ailleurs, de même qu'il ne voulait pas qu'on
séparât l'archéologie de l'histoire, de Vogiié n'en-
tendait pas, non plus, que l'histoire demeurât isolée
de la vie. 11 estimait, au contraire, que la connais-
sance du passé n'a d'intérêt que si elle nous aide à
mieux pénétrer celle du présent. « L'intérêt qui
s'attache aux grands faits de notre histoire ne
s'éteint pas, a-t-il écrit dans son Villars; les relire
aujourd'hui n'est pas sans quelque profit, il est bon
de chercher dans nos propres annales des enseigne-
ments, des encouragements, des exemples ».
Cette déclaration suffirait à prouver que de Vogiié
n'avait rien du savant exclusif, qui oublie dans ses
livres les préoccupations de la vie actuelle, si l'on
ne savait par ailleurs les formes multiples, tour à
tour mondaines, généreuses et pratiques, que pre-
nait à l'occasion son activité. Le grand seigneur
qui présidait le cercle du Jockey-Club était le même
que le philanthrope qui dirigeait l'admirable Croix-
Rouge et qui, hier encore, dans son dernier rapport
sur les travaux de sa Société, flétrissait la barbarie
allemande; c'était le même aussi qui, conmie prési-
dent de la Société des agriculteurs de France, se
préoccupait d'assurer l'avenir économique de notre
pays en le maintenant dans ses traditions el en pré-
chant le retour à la terre.
La famille de Vogué s'enorgueillit à juste litre de
compter dans sa lignée d'illustres représenlants; il
en est peu, cependant, qui aient eu une existence
aussi laborieuse et aussi utilement remplie que le
vieillard qui vient de s'éteindre dans la sérénité de
ses quatre-vingt-sept ans.
La liste des œuvres du marquis de Vogiié est con-
sidérable. Sans parler de ses nombreux travaux —
communicalions, rapports, mémoires — qui sont
dispersés dans les « Mémoires de l'Académie des
inscriptions el belles-lellres », et parmi lesquels
on ne peut se dispenser de citer li Relation de ses
explorations en Syrie, Palestine et Chypre (i. XXV),
les Oliservations sur la stèle de Mésa, roi de Moab
(t. XXIX) elV Histoire de la découverte de la Vénus
de Milo (t. XXXI), de Vogué a publié : les Eglises
de la Terre sainte (1860), le Temple de Jérusalem,
l'.irchileclwe civile et religieuse du I" au VI' siècle
dans laSi/rie centrale {lH6li),Inscriptionsié)nitiqiies
avec traduction et commentaires (1869), Mélanges
d'archéologie orientale (1869), la Stèle de Yehav)-
melelc, roi de Geb"! (1S75), Mémoires du jnaréchal
de Villars {\%%k), Villars d'après sa correspondance
(1888), Malplaquet et Denain {1891), Introduction
aux Mémoires de la cour d'Espagne (1894), le Duc
de Bourgogne et le Duc de Beauvilliers d'après des
lettres inédites (1900), une Famille vivaroise (1906),
Jérusalem, hier et aujourd'hui (1912). On lui doit
également la publication du Voyage d'exploration
à /(imef.llor/p, ouvrage posthume duducde Luynes
(1871) et le Catalogue de lacnlleclion deClerq, en
collaboralion avec Babelon et Poltier. — F. Quieakd.
Paris. — Imprimerie Larousse {Moreau, Aueé, GiUon et C'"J,
17, rue Montparnasse. — Le gérant : L. Grosl£T.
H° 120. - FEVRIER 1917 •
"'""iriiiiiiriiiini
A.velot (René-Antoine), officier et explorateur
français, né à Sainl-Germain-en-Laye le 1" décem-
bre 1871, mort au champ d'iionncur, à la Maison-
Blanche, près de La Neuville (Marne), le 14 octo-
bre 1914. Sorti de l'Ecole de Saiiil-Cyr en 1894, dans
l'infanterie, lieutenant en 1896, capitaine en 1906,
il avait rempli deux missions en Afrique : l'une au
Sénégal et aux Rivières du Sud, l'autre en Afrique
équaloriale française, ofi il avait exploré les bassins
du Gomo, de la Mondah et de l'Ogôoné. 11 avait
rapporté de ses voyages les éléments d'importants
travaux d'histoire et d'ethnographie sur les pays
qu'il avait visités.
Cette seconde mission avait été très fructueuse
au point de vue des connaissances ethnographiques.
Le lieutenant Avelot avait fait partie d'une brigade
topographiqiie et, pendant une année de séjour au
Gabon et dans
rOgôoué, il avait
pu étudier sur
place l'histoire
des migrations
des peuples de
cette vaste ré-
gion, depuis les
Négrilles on
Pygmées qui in
sont l'élément le
plus archa'ique .
j u s q u ' a n x Pa-
houinsouM'fans,
qui continuent ii
(îescendre des
plateaux vers l.i
mer. Il a fait pa-
raître sur ce su-
jet une étude très
érudite: liecher-
ches sur l'his-
toire des miqrn-
lions dans le bassin de l'Ogdoué et la région litto-
rale adjacente (» Bulletin de géograpliie historique
et descriptive », 190,5, avec 5 cartes). 11 a publié aussi :
la Musiijue chez les Pahouins {« l'Anthropologie »,
t. XVI, 1905); le Jeu des godets; un jeu africain
à combinnison mathématique [« Bulletin et Mémoi-
res de la Société d'anthropologie de Paris », 1906);
l'Afrique occidentale au temps des Anlonins
[a Bulletin de géographie historique et descriptive »,
1908); le Pni/s d'origine des Pahnuins et des Bal;a-
lais (ou Ba-Kiil'e) {i/>id., même année).
Parmi les plus importants travaux du capitaine
.\velot, il faut mentionner encore un mémoire qui
intéresse l'ethnographie générale de r.\frii|ue : les
Grands Mouvements de peuples en Afrique: Jaga
et Zimhn (« Bullelin de géographie hislorique et
descriptive », 191ï, n"' 1-2K Ce mémoire est acooni-
pagné il'nne bibliographie contenant 319 numéros.
L'érudition du capitaine Avelot s'affirmait encon^
dans une savante étude sur une ancienne exploration
Capitaine II.-A. Avelot.
hollandaise aU Congo : une Exploration oubliée.
Voyage de Jan de Herder au Kwango (1642) (« la
Géographie », 15 nov. 1912). Enfin, sa Notice hislo-
rique sur les Ba-Kali (« l'Anthropologie », t. XXIV,
1913), qui a été écrite d'après des documents nou-
vellement recueillis et qui complète ses précédents
travaux sur ce peuple africain, en donne l'histoire
la plus approfondie qui existe.
Grand travailleur en temps de paix, cet officier
distingué donna vile, dès le début de la guerre, la
mesure de sa vaillance, à laquelle est rendu hom-
mage dans le <> Journal officiel », où figure son inscrip-
tion au tableau pour la croix de la Légion d'honneur.
Grièvement blessé, il avait continué h donner des
ordres jusqu'au moment où ses forces le trahirent;
et, se sentant perdu, il refusa de se laisser porter à
l'arrière. Précédemment et à plusieurs reprises, il
avait fait preuve d'un calme héroïque et d'un grand
ascendant sur sa troupe. — O- Rboblsperger.
boulet (vent du). — Le problème du « vent du
boulet », qui est fort ancien et qui fut très contro-
versé, peut se poser ainsi : le déplacement de l'air
causé par le passage ou l'éclatement d'un projectile
peut-il causer, sans contact, des lésions sérieuses,
graves et même mortelles? Il semblait que les ob-
servations recueillies par les chirurgiens militaires
de jadis et les déductions qu'ils en avaient tirées
eussent résolu le problème dans le sens de la néga-
tive. Les faits constatés pendant la présente guerre
remettent la chose en discussion, et la conclusion à
laquelle ils conduisent est peut-être fort différente.
I^es auteurs qui ont analysé jadis les phénomènes
pathologiques attribués au vent du boulet ont ra-
conté des histoires très diverses. Les uns ont sim-
plement enregistré dessurdiléssubites,desmutismes
immédiats et plus ou moins durables; les autres
mentionnaient des conséquences plus graves et in-
sistaient sur ce point que quelques soldats, trouvés
morts après le passage d'un projectile, présentaient
une intégrité parfaite des téguments, incompatible,
disait-on, avec une action vulnérante directe quel-
conque. Quelques-uns atlribuèrent même au vent
du boulet une valeur occasionnelle curative dans
des afTeclions d'ordre nerveux ou dans certaines ma-
ladies rhumatismales.
Cette question fut étudiée en détail par plusieurs
chirurgiens ou érudils, parmi lesquels il faut citer
surtout le baron Larrey et Littré. Tous deux arri-
vèrent aux mêmes conclusions : le premier dans un
rapport à l'Académie des sciences, en 1792 ; le second
dans une étude sur les blessures de guerre, en 1872.
On peut résumer ainsi cette opinion :
11 y a il considérer, en l'espèce, deux sortes de
faits très dllTérents. Tout d'aliord. une action psy-
chique, duc il la peur et susceptible d'annihiler le
fonctionnement d'organes des sens, nolammeut île
la parole et de l'onïe. C'est à ce mécanisme qu'il
faut attribuer les phénouu''ne3 locaux de ce genre
qui ont été décrits. Mais, quant aux phénomènes
LABOUSSB MENSUEL.
IV.
plus généraux et aux morts, l'explication est autre.
Il s'agiL là de cas dans lesquels le projectile, à la fin
de sa course, peut toucher le corps très obliquement,
et « la souplesse de la peau, l'élasticité des parties
qu'elle recouvre font que, malgré la violence du
choc, elle n'est pas déchirée. Souvent, dans ces cas,
les os sont fracturés et les organes parenchymateux
conlus ». Littré, dont nous venons de ci ter les propres
termes, donne comme exemples plusieurs observa-
tions, parmi lesquelles celle d'un officier qui ne
présentait, après sa mort, aucune déchirure, aucune
ecchymose, mais dont les côtes étaient fracturées et
les organes sous-jacents mis en bouillie. Larrey cite
(les faits analogues et compare les effets produits par
les projectiles en pareille circonstance à ceux que
détermine la roue d'une voiture passant obliquement
sur une cuisse et dilacèrantles parties profondes, sans
laisser de plaie ni de trace visible sur les téguments.
En somme, dès le travail de Larrey et, à plus forte
raison, après celui de Littré, on devait considérer le
vent du boulet comme une lè:;ende ou une erreur
d'appréciation et, en réalité, la plupart des traités
classiques restèrent, à la suite de la première de ces
études, muets désormais & cet égard.
Aujourd'hui, sans doute, les données du problème
ont fortement changé. 11 n'y a guère de comparaison
à établir entre les projectiles pleins que l'on accu-
sait jadis, ou même les obus de ces époques passées,
et les projectiles explosifs en usage aujourd'hui.
La vitesse de ces projectiles est accrue dans des
proportions énormes, et leur puissance de déflagra-
tion était jadis totalement inconnue. Aussi est-il
admissible que les conclu.sions des auteurs que nous
venons de citer soient modifiées à leur tour. Nous
pouvons donner comme preuve de la violence inouïe
du déplacement de l'air causé par l'explosion des
projectiles modernes la relation faite par un survi-
vant du croiseur allemand Uliliher{\. t. lil, p. 6S6),
coulé dans la mer du Nord au début de la guerre,
et qui nous montre, dans les espaces restreints que
constituaient les pièces du vaisseau bomhanlé, «les
corps des hommes tourbillonnant, pareils à des
feuilles mortes dans le vent d'hiver, et allant se fra-
casser contre les parois en fer ». Le même récit
nous décrit « dans la chambre de machinerie les
hommes cueillis par ce terrible déplacement d'air
et projetés pantelants au milieu des machines ».
Ou comprend donc que des différences de pres-
sion semblables puissent amener, jt elles seules, des
désordres consitlérables dans l'organisme humain.
El, pour ne parler que d'accidents légers, nous voyons
se reproduire aujourd'hui les surdités par vent
du boulet qui élaient signalées autrefois et dont, à
celle époque déjîi, plusieurs pouvaient sans doute
êire légitiinemenl rallachées îi celle étiologie. Dans
tous les hôpUaux, on a dit recueillir dos faits de ce
genre et, pour notre part, nous avons suigu* un
homme dont une simple balle de fusil avait écorohé,
en passant, le carlilagc de l'oreille s,iiis pénétrer
dans l'organe, et qui était jiortcur d'une déchirure
2S
au tympan. Dès les premières batailles de celte
guerre, de nombreux officiers et hommes de troupe
durent être évacués, sans blessures, pour surdité
complète. Les docteurs Ghavanne et Lannois ont cité
à l'Académie de médecine un certain nombre de
combattants que l'éclatement d'un obus près d'eux
avait rendus sourds de façon probablement déflni-
live. Lagrange (de Bordeaux) a parlé également à
l'Académie de médecine de lésions oculaires sans
contact, relevant du même mécanisme. Les obser-
vations de commotion nerveuse, de mutisme, etc.,
sont, & l'heure actuelle, très nombreuses.
Quant aux elTets mortels, ils ont été constatés dès
le début des hostilités. On ne peut guère parler
aujourd'hui, étant donné les projectiles actuels et
les dégftt! qu'ils causent en touchant, dans une si
faibli mesure que ce soit, le corps, des explications
données par Larrey et Liltré. Le fait qu'on a trouvé
de nombreux cadavres ne portant aucune trace de
contact, ni blessure, ni même ecchymose, ne peut
s'expliquer que par les effets d'une pression atmo-
sphérique brusquement et fortement modifiée. Des
autopsies sont venues, d'ailleurs, montrer l'inanité
des liypothëses anciennes, appliquées aux faits ré-
cents. Sencert (de Nancy) a rapporté à la Société de
chirurgie le fait d'un homme qui succomba pour
s'être trouvé à moins d'un mètre d'un obus de gros
calibre au moment de son éclatement. Aucune partie
métallique ne l'avait effleuré. Or, on trouva en lui,
sans autre lésion, le poumon éclaté et les cavités tho-
raciques pleines de sang. Des expériences faites sur
des animaux avec les explosifs actuels avaient démon-
trédéjà des phénomènes de ce genre et, chez beaucoup
d'entre eux, on avait trouvé de même des organes
éclatés, notammen les poumonsetla rate. Sans doute,
doit-on rapporter à des délabrements de ce genre les
faits déjà nombreux relatés et concernant des combat-
tants que l'on retrouva morts dans une posture toute
naturelle et imitant la vie, comme le font les figures
des musées de cire. Le dégagement de gaz hyper-
toxiques par les projectiles ou les chocs nerveux
expliquerait moins bien cette attitude, semble-t-il,
que la mort due à une différence soudaine et consi-
dérable de pression. Achard a récemment rapporté
des cas d'hémorragie pulmonaire causée par la seule
déflagration d'un projectile à proximité.
On peut discuter sur la nature même du phéno-
mène. On peut penser que l'atmosphère ou les gaz,
sous une pression formidable, pénétrant dans les
cavités pulmonaires et, en général, dans l'intérieur
du corps, en font directement éclater les viscères.
On peut aussi admettre que cette hyperpression pri-
mitive détermine à sa suite un vide que ne contre-
balance plus la pression interne. Dans cette dernière
hypotlièse, il se passerait pour l'homme ce que l'on
constate chez les poissons des grandes profondeurs,
qui trouvent une pression fort diminuée lorsqu'on
les remonte à la surface et chez lesquels on voit de
la sorte des viscères éclater ou faire hernie k l'exté-
rieur. Les partisans de la première hypothèse pour-
raient alléguer ce qui a été constaté dans certaines
avalanches, oii l'on a vudes hommes, placés à proxi-
mité, mais non touchés par elles, mourir subitement
par excès de pression atmospliérique, lorsqu'ils
avaient le visage tourné du côté où venait la colonne
d'air surpressé, tandis que leurs compagnons, qui
regardaient du côté opposé, sont restés indemnes.
Ravaut, qui rapporte l'histoire d'un soldat atteint,
à la suite de l'explosion proche d'un obus et sans
blessure, d'hémorragie méningée et vésicale, pense
que l'hémorragie est le substratum analomique de
la plupart des lésions et des troubles fonctionnels
observés en pareil cas. Il pense qu'elle est causée
par le choc vibratoire transmis de proche en proche
qui frappe et fait vibrer les parois cellulaires et rompt
les vaisseaux comme se brisent, dans de semblables
circonstances, les vitres d'une maison. Mentionnons,
pour être complet, une hypothèse toute récente et
ingénieuse, tendanlà incriminer ledégagementsubit,
sousl'influence d'une dépression secondairedu genre
de celle que nous avons exposée, de gaz dissous àl'élal
normal dans le sang et, notamment, d'azote, qui dé-
terminerait des embolies gazeuses foudroyantes.
Quelle que soit la théorie adoptée, il semble que
les déflagrations extraordlnairement violentes des
projectiles actuels peuvent causer des efTets de pres-
sion inconnus jusqu'à ce jour ou, tout au moins,
beaucoup plus considérables que ceux qu'occasion-
naient les projectiles de jadis. Sans doute, existait-il
autrefois un certain nombre de faits dus au « vent
du boulet », au milieu d'un grand nombre d'autres,
dont il n'était en aucune façon responsable Pour
ce qui est des observations actuelles, on voit com-
ment elles se rattachent à la même explication et en
nombre imposant. Les conditions sont devenues,
certes, très différentes, mais le mode d'action est
analogue, et c'est par comparaison avec les théories
d'autrefois que l'on peut encore, à l'heure présente,
farler de « vent du boulet ». Mais il est évident que
étude de ces phénomènes gagnerait en clarté, si
l'on trouvait une autre expression pour caractériser
les effets de pression produits sur le corps humain
par l'éclatement des modernes projectiles de
guerre. — P' ii'-nri bouquet.
•^^^^mwmmmwmm^'
Fig. 1, Bassin à vapeur pour le blanchi-
ment de la viande.
LAROUSSE MENSUEL
Conserves alimentaires et la Q-uerre
(les). [Cojiseri'es des seruices des subsistances mi-
lilaires, conserves industrielles, conserves ména-
gères, conseites pour les prisonniers,] — La trans-
formation des denrées alimentaires périssables en
substances de conservation à longue durée devait
rendre, pendant les hostilités, les plus grands ser-
vices ; seule, la conserve permet de résoudre les
difficultés présentées par l'alimentation du soldat
en campagne, les
conditions de la
guerre moderne
laissantrarement
aux combattants
la liberté de pou-
voir préparer
leurs repas sur le
champ de bataille
même, soit que le
temps manque,
soit que la proxi-
mité de l'ennemi
empêche de faire
du feu.
L'alimentation
de ces troupes en
viandes fraîches,
par exemple, exi-
ge l'entretien, à
la suite des ar-
mées,debestiaux
vivants : or, il
faut nourrir ceux-
ci avec des four-
rages importés, les zones de combat ne produisant
plus rien ; il en résulte un embarras considérable.
Cette difficulté se retrouve dans l'alimentation des
garnisons dans les forts, les camps retranchés, etc.;
dans ce cas, des installations frigorifiques pourraient
donner satisfaction ; mais, comme elles sont fort peu
développées en France.c'est encore avec des conserves
que l'Intendance constitue les réserves nécessaires.
Ce grave problème s'est posé avec une grande
acuité, dès le début de la mobilisation, lorsqu'il
s'est agi de former le stock indispensable au camp
retranché de Paris; là,
une population bovine
considérable avait été
réunie aux alentours de
la capitale pour assurer
les Desoins d'environ
4.500.000 habitants; l'in-
tendanceduttransformer
rapidement ces animaux
et organiser, dans de
nombreuses usines ré-
quisitionnées dans ce
but, des méthodes ra-
pides de préparation.
On voit que la ques-
tion des conserves est
une des plus importantes
pour le service des sub-
sistances militaires; dé-
jà, dès le temps de paix,
la fabrication des con-
serves pour l'armée était
très active : les minis-
tères de la guerre et de
la marine prévoyaient
chacun une consomma-
tion annuelle de près de
850 tonnes. Les stocks
constitués étaient d'en-
viron 2.000 tonnes pour
la guerre et de 1 .600 ton-
nes pour la marine. Mal-
gré l'importance de ces
réserves, l'Intendance
eut une tâche énorme à
remplir : pourvoir les
troupes de conserves,
comme aliments de ré-
serve, tout en transfor-
mant les animaux ré-
lï* 120. Février 1917.
Enfin, la nécessité d'adresser de nombreux colis
de vivres à nos soldats prisonniers en Allemagne a
développé la fabrication des conserves en petites
boîtes; comme plusieurs de ces préparations peu-
vent se réaliser par les soins des ménagères elles-
mêmes, nous Indiquerons plus loin les précautions
à prendre pour assurer la conservation des plats
favoris de nos chers absents.
Principaux modes de conservation. — Les ma-
tières alimentaires subissent la putréfaction du fait
de micro-organismes; celle-ci sera entravée et même
supprimée, si l'on écarte les principes : air, eau, cha-
leur, nécessaires au développement de ces germes,
d'où les modes suivants de conservation :
1» Cuisson. — La masse alimentaire contenue
dans une boîte close est privée de ses germes en
détruisant ceux-ci par la chaleur. Cette méthode,
connue depuis longtemps, eut pour promoteur Ni-
collas Appert (vers 1799). En 1850, Favre indiqua la
nécessité d'opérer au-dessus de 100° C. au bain d'eau
saline. La conservation ne devint réellement certaine
qu'après l'adaptation de l'autoclave avec mesure de
la température, d'après la pression indiquée par un
manomètre, adaptation réalisée par R. Chevallier-
Appert (breveté en 1852). Le perfectionnement per-
mettait de réaliser toutes les conserves alimentaires
en donnant des produis inaltérables, tout en conser-
vant leur saveur; ces résullats s'expliquèrent scien-
tifiquement lorsque Pasteur, en 1862, eut indiqué le
rôle des micro-organismes dans la putréfaction.
Ce court exposé historique montre combien cette
industrie est française de naissance, actuellement
encore à l'égal de la cuisine française partout ap-
préciée. Il en est de même de nos mets conservés.
Quant à l'application de l'autoclave, elle est aujour-
d'hui universellement répandue.
2° Dessiccation. — La conservation est assurée
par l'élimination de l'eau de conslitulion ; c'est de
cette façon que s'obtiennent la carna secca des
Américains, viande crue, coupée en lanières et
mise à sécher au soleil, après avoir été recouverte
de farine de maïs pour absorber les sucs, et le ta-
sajo, viande saumurée, puis desséchée au soleil.
La dessiccation est peu appréciée, car ces viandes,
privées de leurs sucs, sont très difficiles à digérer.
Fig. 3. Autoclaves employés dans la fabrication des conserves (Deroy, constructeur) : à gauche, chauffé
par foyer «n maçonnerie ; à droite, chauffe par serpentin à vapeur.
quisitionnés dans les camps retranchés. — Outre
ces applications militaires, les conserves ont un
très grand débouché parmi la population civile;
leur industrie en France est importante, la produc-
tion dépassant 120 millions de boîtes par an, les
principaux centres étant les suivants : Nantes {sar-
dines), Bordeaux [légumes), Paris {légumes, fruits),
Le Mans {léqumes), le Midi {tomates, fruits), le Pé-
rigord et l'Est {viandes), etc. Leurs fabrications se
recommandent par la finesse des produits. La quan-
tité produite par l'Amérique est de beaucoup supé-
rieure; la fabrication des Etats-Unis est évaluée à
700 millions de boîtes, dont pais d'un quart en con-
serves de viande et un quart en saumon. L'exporta-
tation vers l'Europe est considérable; la conserve,
en permettant de transporter les vivres des lieux de
production aux points de disette, constitue un bien-
fait pour la classe ouvrière en mettant économique-
ment à saportée des denrées ordinairement coûteuses.
3° Enrobage. — Le produit à conserver est isolé
de l'air par une substance enveloppante (gélatine,
graisse, liquides approjiriés, etc.)
4" Usage des antiseptiques. — Celte division
comprend les procédés basés sur l'emploi de sub-
stances chimiques détruisant ou entravant le déve-
loppement des germes nbcifs. A part le sel salpêtre
des saumures, les autres substances ne sont guère
recommandables, par suite de leur action sur l'orga-
nisme. Le futnage iiKmhon, poisson, etc.) se rattache
à ce groupe, il agit par dessiccation et par l'action
des principes phénoliques antiseptiques contenus
dans les fumées.
5° Action du froid. — Cette application est basée
sur l'arrêt du développement des micro-organismes
aux basses températures. Nous écarterons l'emploi
de ce procédé; l'usage de la viande congelée qui
rend actuellement d'immenses services en facilitant
l'importation des pays d'élevage lointains pour le
«• 120. Février 1917.
LAROUSSE MENSUEL
^ 5l5à336m m
^-
6
c^ii.
~p
Fig. S. Phases diverses de la fabrication de la bnile de conserves : 1 a, feuille de fer-blanc découpée ; i b, vue en profil : 2 a, enroo-
lement de la feuille pour l'agrafage ; -2 t», agrafage soudé ; 2 r, vue latérale ; 3 a. boite â bords droit* : 3 b, bords tombes ; *, fond
einbouté ; 5 a, détail du sertissage des fonds ; 6 b, sertissage achevé ; 6, boite complète.
grand bien de la population a été exposé ici avec
tous les développements comportés par ce sujet.
(V. Laroxisae Mensuel, t. I", p. 561; t. III, p. 575.)
Il convient de remarquer que tous les procédés
cités n'ont pas la même valeur; les uns sont insuC-
llsants pour assurer une longue conservation, les
autres dénaturent l'aliment, etc. La conservation
modèle doit réaliser un produit dont l'aspect, le
goût, le parfum, les propriétés nutritives restent
Pig.
i. Cisaille à pédale (système Lapipe), pour découper
le fer-hlanc.
semblables à celles de la substance fraîche. Seules,
les méthodes par stérilisation par lachaleur réalisent
ces desiderata.
Coitseri'es du service des subsistances militaires.
— L'Intendance a adopté la conservation par la cha-
leur pour la préparation des viandes destinées aux
troupes ; dans les ateliers militaires, l'application de
la cuisson a lieu selon diverses modalités, mais la
stérilisation a toujours lieu à l'autoclave.
Les procédés de fabrication employés sont les
suivants :
1" Procédé de Billancourt. (Ce procédé tire son
nom de Billancourt,
localité de la Seine
où l'Intendance fit
SCS premiers essais.)
— La viande crue
est placée dans une
boile métallique;
a p r è .s I e 1- m e t u r e
élanche, le tout est
soumis dans un auto-
clave à une tempé-
rature suffisante pour
obtenir, en même
temps que la cuis-
son de la viande, sa
stérilisation et celle
de l'air contenu dans
la boite.
Comme la viande
ainsi chauffée se
contracte et aban-
donne 'i2 p. 100 de
son poids d'eau, on
obtient une boite in-
complètement rem-
plie par une masse
solide, baifçnant dans un bouillon très étendu.
2° Procédé Chevallier-Apperl. — Afin d'éviter cet
inconvénient, A. Chevallier-Appert a recommandé
une méthode de cuisson pour déshydrater la viande
au prcalalile. Celte mélhoiie, excellente, est, à juste
titre, adoptée officiellement et imposée par les cahiers
des charges de l'Intendance. Elle consiste h prendre
la viande désossée et parée, c'est-à-dire séparée de
ses déchets, en morceaux de 500 grammes environ,
et de la soumettre, dans une chaudière sous pres-
sion, k une première cuisson ou blanchiment, avec
de l'eau, durant45à50 minutes. Les albuminoïdes se
coagulent, tandis que l'eau d'hydratation est élimi-
née; le bouillon
résultant sert à
blanchir deux ou
trois charges de
viande crue. Ain-
si enrichi, on le
concentre jus-
qu'au poids de
1.050 grammes
parlitre;ce bouil-
lon doit se pren-
dre en gelée au-
dessousdelatem-
pératuredelBoC.
Les boites sont
garnies avec
820 grammes de
viande blanchie,
2110 grammes de
bouillon concen-
tré, 2 gr. 5 de sel;
après fermeture
etépreuved'étan-
chéité, elles sont
stérilisées, par
passage à l'auto-
cia ve, durant
une heure trois
quarts, à 115° G.
Sit;naIons une
variante dans le
mode de cuisson
due à Montupet:
la viande est
cuite, non plon-
gée dans l'eau, mais seulement par exposition à la
vapeur sursaturée à 115° C. ; les jus résultants sont
concentrés dans le vide au tiers de leur volume et
ajoutés à la viande, lors du garnissage des boîtes.
L'administration militaire, dans ses usines, en
temps de paix et pour le service des troupes en
Fig. 6. Sertisseuse automatique
(système Bliss).
Fig. 5. Machine américaine & façonner, agrafer et souder les corps do bottes mâtalllqaes (système BHss}.
campagne, emploie le procédé Chevallier-Appert,
très efficace, donnant des conserves nutritives sous
un faible poids; cependant, dans certains cas, notam-
ment lorsqu'il a fallu, à Paris, convertir rapidement
les milliers de bestiaux réquisitionnés, on est revenu
au procédé primitif, plus rapide, exigeant moins de
manutention, après l'avoir toutefois légèrement
perfectionné.
29
3» Procédé de Billancourt amélioré. — O pro-
cédé, mis en pratique par Kling et Copaux, consiste
k introduire dans la boite des substances propres
à fixer l'eau provenant de la déshydratation de la
chair; en l'espèce, une gélatinée, de Vagar-agar,
extraite d'une algue marine en mélange avec du riz.
Par boîte d'un kilogramme, contenant 850 gram-
mes de viande crue, on ajoute SU grammes de riz,
2 grammes d'agar-agar, du sel et du poivre. Les
boites, serties, sont portées à l'autoclave pendant
25 minutes, à 100° C. Là, la viande se déshydrate, le
riz crève en absorbant l'eau, et l'agar-agar se dissout.
Après celte opération, la température est mainte-
F'g. 7. Machine à écosser les pois vertt, les haricots, ete.
nue àli7»C. durant une heure et demie, puis les
boites sont refroidies progressivement ; à froid, le
mucilage forme une gelée qui, avec le riz, s'oppose
à la liquéfaction du bouillon. Ce type de labrication,
dit de Billancourt amélioré, adopté à Paris, a donné
d'excellents résultats ; grâce à sa rapidité, il a permis
de transformer a: bêtes en X boites dans un délai
fort court; son peu de manutention diminue les
causes d'altération, si bien que la stérilisation est
Elus aisée. Le prix de revient est de 2 fr. 75 par
oite d'un kilogramme contre 4 fr. 11 par le procédé
"E
Fig. 8. Machine pour gratter les asperges (système Navarre).
ordinaire. En revanche, la boîte Appert contient une
proportion de viande sèche égale à celle contenue
dans une boîte et demie de la nouvelle méthode;
mais ceci fait abstraction du riz et de l'agar-agar, <jui
sont aussi nutritifs. Si l'on considère les calories
fournies par chaque type de conserve, les différen-
ces s'atténuent :
1 .289 calories par kilogr. de conserve Appert,
1.193 — — BiUancourt amêllort ;
ce qui ramène le prix des 1.000 calories & 3 fr. 76
pour le premier type et à 2 fr. 71 pour le second.
Pour la constitution des vivres de réserve desti-
nés aux combattants, plusieurs perfectionnements
ont dû être apportés. En effet, le régime exclusive-
ment carné amène des troubles digestifs et provo-
que, au bout de peu de temps, chez le consommateur,
une répugnance invincible : l'homme rejette avec
dégoût le singe (viande de conserve) olîerl par
l'Intendance, d'où gaspillage et mauvaise alimenta-
tion du soldat. Les légumes secs, le riz mis d'autre
part à sa disposition sont, le plus souvent, mal em-
ployés; il faut que la conserve permette aux soldats
tous les aliments en les présentant sous une forme
appropriée aux conditions d'utilisation.
30
Le type le plus usuel des conserves était le bœuf
assaisonné, viande cuite et bouillon connenlié, aux-
(luelson a ajouté 15 grammes de carollcspar kilogr.
pour corriger le goût. D'apivs les hygiénistes, la ra-
tion ne paraît pas sullisaiile : iUaut introduire le
réjime mixte par
addition de plus
de corps gras et
de matériaux vé-
gétaux. C'est sur
ces bases que fu-
rent établis les
travaux des vété-
rinaires Basset et
Piettre de l'In-
tendance de Bor-
deaux [A cadémie
des sciences,
mars 1915; Aca-
démie d'agricul-
ture, nov. 1915).
Cessavantsonl
été conduits h.
faire préparer
pour la troupe un
certain nombre
de conserves cui-
sinées , permet-
tant de rompre
ainsi la monoto-
niedel'ordinaire,
tout en conser-
Fig.9. Machine pour peler \c^ pommes de
terre, les carotteB, etc. [Bystèrae Navarre).
vant les méthodes de stérilisation en usage et en
utilisant complètement le niatériel des usines; de
plus, ces conserves, contenant moins de viande, en-
traînent une sérieuse économie de nos bovidés.
Parmi les plats proposés par Basset, on peut
citer, à titre d'exemple, le bœuf en hachis aux légu-
mes, pour lequel la boite est garnie de 468 grammes
de viande, 20 grammes de graisse de bœuf, 100 gram-
mes de carottes, 125 grammes d'oignons crus,
40 grammes de bouillon pesant l.D:iO grammes par
iitre, 3 grammes de sel et de poivre; cette conserve
donne un mets appétissant, revenant à 3 Ir. 91 h:
kilogramme contre 4 fr. 80, prix du bœuf assaisonné.
On pourrait décrire de même des préparations de
bœuf en ragoiit, de porc rôti, de rillettes et de cas-
soulet (poitrine de porc et haricots).
Pour réduire encore la teneur en eau et amener
au maximum le pouvoir nuliilif du kilogramme de
boite, le D' Piettre se limite il l'emploi des légu-
mes secs, recommandables, en outre, par le l'ait que
la viande de bœuf exige une cuisson telle que les
légumes aqueux sont absolument
désagrégés ; les matières azotées
sont augmentées par addition de
gluten, pratiquement sous forme de
pâtes alimentaires.
Les proportions suivantes don-
nent d'excellents résultats :
150 grammes de viande au lieu
de 240;
60 à 70 cenlimètres cubes de
bouillon ;
140 à 150 grammes de haricots
trempés, puis cuits à l'eau et égout-
tés ( celle quantité correspond i',
70-75 grammes de légumes sici);
ou 130 à 150 grammesde riz crevé
à l'eau salée, puis égoulté, corres-
pondant à 70-75 grammes de riz sec:
ou 100 à 120 grammes de maca-
roniblanchi.équi valant à60-70 gram-
mes de pâte sèche, plus une égale
quanlilé de pulpe de tomate.
Dans le même ordre d'idées, le
D' Piettre a présenté un condensé
de citrouille, des granulés de pom-
mes de terre, etc.; l'idéal étant de
chercher à donner aux troupes que
ne peuvent atteindre les cuisines
rouknles une ration complète
contenanttous les principes néces- F'!»- <«■ ««chine pour
saires ( azote- graisse -hydrate de
carbone) consommable froide ou chaude sous un
aspect appétissant.
Fabrication des conserves militaires. — Quel que
soit le procédé de cuisson adopté, la préparation des
conserves exige peu de matériel. A part les élaux
pourdresseret parer les viandes, l'outillage consiste
surtout en bassines de blanchiment chauffées à la
vapeur et en autoclaves pour la stérilisation, appa-
reils auxquels on adjoint quelques machines pour
vérifier létanchéité des boîtes.
La fabrication des boites exige, au contraire, un
matériel mécanique important, toutes les opérations
pour transformer une feuille de fer-blanc en un ré-
cipient clos se faisant automatiquement. La boîte
réglementaire, dite de «quatre quarts », contenant un
kilogramme, est un cylindre de 110 à 120 millimè-
tres de hauteur, avec un diamètre de loo â 107 mil-
limètres; les fonds, rapportés, sont maintenus par
sertissage, c'est-à-dire que les bords du cylindre et
ceux du fond sont plies en enserrant un joint de
LAROUSSE MENSUEL
caoutchouc (v. fig. 3). Le corps de la boîte est
ronslilué par une feuille de métal découpée en rec-
tangle, dont les bords extrêmes, rapprochés, forment
un cylindre; ces bords sont réunis par un agrafage
recouvert ensuite d'un trait de soudure. Les bords
circulaires sont tombés, c'est-à-dire
plies sur une faillie longueur à
angle droit formant une sorte de
collerette, sur laquelle pourra s'ap-
pliquer le fond.
Celui-ci est découpé et estampé
de nervures concentriques, par em-
boutissage, pour lui donner plus de
rigidité. Le fond inférieur étant
fixé par sertissage, la boîte est rem-
plie, puis fermée par un autre fond
serti.
Viandes de conserves salées et
demi-salées. — Les services des
subsistances militaires font égale-
ment grand usage pour constituer
les approvisionnements de conser-
ves salées ou salaisons. Ces prépa-
rations se pratiquent surlout avec
la viande de porc, de novembre à
février, durant la saison froide.
La viande, découpée et parée,
est entassée dans des cuves de bois
par lits que séparent des couches
de gros sel marin mélangé de 1 pour
100 au plus de salpêtre. Ce salpêtre
aide à la pénétration du sel et as-
sure la conservation de la couleur
rouge des muscles. La cuve char-
gée de viande est remplie par une
solution saturée de sel (satimure);
au bout de 25 à 60 jours, selon la
grosseur des morceaux, la viande
estretirée, triée, séchée à l'air, puis
embarillée avec 10 kilogr. de sel par
100 kilogr. de viande et 1,5 kilogr.
de salpêtre dans un fût de bois
bien imbibé de sel. Go fût est en-
suite maintenu constamment rempli
de saumure. Au moment de la con-
sommation, la viande doit être frappée pour en faire
tomber le sel adhérent, puis, après grattage, immer-
gée de six à huit heures dans l'eau froide.
La viande de bœuf se prépare de la même ma-
nière. Ces salaisons se conservent plusieurs mois,
cil ; conviennent pour constituer les réserves des
forts, foiinerlesapprovisionneiiientsdes navires, etc.
Dans le cas où la viande doit être expédiée à
«• 120 Février 1917.
on applique ce procédé en l'absence des moyens
frigorifiques, bien supérieurs.
Conserves alimentaires industrielles. — Les pro-
cédés de stérilisation par l'autoclave, comme n^ius
l'avons dit, s'appliquant à n'importe quelle denrée.
enlever les noyaux et embouteilleuce automatique (syst. Navarre).
une armée et consommée plusieurs jours après
l'abat, on procède à sa préparation en viande
demi-salée.
Le bœuf abattu est insufflé de gaz carbonique
sous pression pendant le dépouillement; après dé-
bit des gros morceaux, on exécute une nouvelle in-
sufflation intra-musculaire, cette insuffiation ayant
pour but de faciliter la séparation des tissus con-
jonctifs d'avec les muscles. Les morceaux, ensuite
découpés, sont frottés à la main avecdu sel pour bien
les imbiber, puis placés dans des sacs de toile par
lots de 30 à 35 kilogr.; après séchage à l'air libre
durant deux h. trois jours, la viande peut snhir le
transport. 11 faut, naturellement, la surveiller sérieu-
sement, la méthode étant insuffisante pour assurer
une grande durée de conservation.
Cette viande demi-salée, bien nettoyée du sel a Ihé-
rent, donne d'excellents rôtis, à condition de prulon-
ger la cuisson de 25 à 30 minutes au delà du temps
nécessaire pour la viande fraîche. Naturellement,
Fiy. ii. Appareil a évaporer dans le vide (système Deroy}, employé pour la
concentration du lait
se prêtent, par suite, ". la confection de tous les mets :
viandes, légumes, etc.
Les viandes se traitent comme il est indiqué ci-
dessus; quant aux poissons, si une partie (saumon,
par exemple) est traitée par la cuisson siérilisanle,
le reste se conserve par enrobage dans l'huile ( v. La-
rousse Mensuel, t, II, p. 699). Dans la fabrication
de ces conserves à l'huile, on pratique tout d'abord
le séchage du poisson, tant pour diminuer la quan-
tité d'huile nécessaire que pour obtenir des pro-
duits plus fermes; le poisson, séché, est cuit soitdans
1 huile chauffée àl30-16iio, soit à la vapeur àlS0<>C.,
puis mis eu boîtes. Celles-ci doivent être complète-
ment sondées; l'huile, en attaquant le caoutchouc,
empêche de so servir de joints de cette matière. Le
remplissage s'opère en plongeant les boîtes dans
une cuve pleine d'huile, au-dessus de laquelle on fait
le vide; un trou, ménagé dans le couvercle de la
boîte, permet à l'huile de pénétrer pour prendre la
place de l'air aspiré par le vide. Il suffit ensuite de
boucher avec un grain de soudure.
Nous citerons pour mémoire les procédés de sa-
laison et de fumage (sauraçie) des poissons, res-
sources importantes pour l'alimentation des popu-
lations pauvres.
Les légumes (pois, haricots verts, etc.) se pré-
parent en les stérilisant 10 à 30 minutes à l'auto-
clave à 110-115° C, selon les espèces; toutes les
opérations d'écossage, coupage, triage peuvent se
faire mécaniquement. Ces conserves sont renfermées
dans des récipients de verre ou dans des boîtes mé-
talliques, avec la précaution, pour quelques rares
jus suspects d'altaqiier le fer-blanc, de vernir l'in-
térieur de la boîte. Ce vernissage présente quelques
difficultés : l'enduit devant supporter l'action de la
chaleur de la stérilisation, on emploie des vernis à
base de gomme laque, d'acétate de cellulose, etc.
Les boîtes métalliques sont ordinairement fer-
mées par soudure à l'étain; celle-ci peut contenir
quelques quantités de plomb, si le joint est exté-
rieur. Dans le cas de soudure intérieure, l'étain em-
ployé doit être fin, tenant au moins 97 pour 100
d'étain, moins de 0,5 de plomb et au plus 0,01 d'ai--
senic. Ce même étain est obligatoire pour la prépa-
ration du fer-blanc des boites. On emploie quelque-
fois le joint serti au caoutchouc, en observant avec
soin que cette matière ne contienne aucune charge
plombeuse.
Les fruits conservés dans des sirops plus ou moins
sucrés se gardent dans des boîtes métalliques ou
dans des récipients de verre. Ces derniers, plus coû-
teux et plus fragiles, sont assez difficiles à bien bon-
cher. Ces conserves se stérilisent par chauffage à
100» C. durant une demi-heure. On conserve encore
les fruits par immersion dans l'alcool à SS", ou en
combinaison avec du sucre (confilures\.
Enfin, toutes les combinaisons de viande avec
sauce ou avec des légumes, plats plus ou moins
cuisinés, sont atijourd'bui, gr&ce à la stérilisation en
Fig. 1S* Type de boîte, pour
la prt^paxation ménagère des
conserves.
AC 120. Février 1BU.
nntoclave, préparées comme conserves de luxe par
nus meilleures marques d'une façon parfaite.
Le lailen conserve esl très répandu actuellement;
on distingue les laits frais slérilisés à l'usage des
nourrissons et les latls concenirés. Les premiers
sont des laits recueillis avec les plus grands soins
aseptiques et rendus stériles, soit par la chaleur
seule, soit en les cbaufTant dans une atmosphère
d'oxygène.
Les laits concentrés vendus en boîtea métalliques
rendent de grands services dans les nombreux cas
oii il est difficile de se ravitailler en lait frais; on
les obtient en mélangeant le lait avec 12 à 13 pour 100
de sucre et concentrant dans de vastes cuiseurs sous
pression réduite vers 50° C. Le lait prend une consis-
tance mielleuse, et son poids ne représente plus que
les 30 centièmes du poids initial.
Conserves ménagères, conserves pour les pri-
sonniers. — Toute ménagère sachant cuisiner peut
confectionner des plats de conservation suffisante
pour en assurer le transport. On vend dans le com-
merce des boites ou des bocaux qu'il suffit de rem-
filir, boucher soigneusement et stériliser par la cha-
eur; ceci présente quelque intérêt pour la ménagère
soucieuse d'envoyer une provision alimentaire à un
soldat prisonnier, lui permettant de préparer au
plus strict prix un mets dont elle connaît la qualité.
Le mets choisi, cuisiné comme d'ordinaire, est
placé dans une boîte spéciale en fer-blanc, boîte
vendue dans les bazars, consistant en un cylindre
il fond soudé, sur le bord
supérieur duquel s'appli-
que le couvercle par 1 in-
termédiaire d'un joint de
caoutchouc. Le couvercle
est maintenu ensuite par
ui» fort ressort de fer ; la
boite, remplie jusqu'à 1 ou
2cenlinu"'tresdu bord, est
bouchée comme il est dit
ci-dessus, puis plongée
dans l'eau bouillante for-
tement salée environ une
demi-heure. On retire la
boite de l'eau, et on laisse refroidir à l'air; la
pression atmosphérique suffit pour appliquer le cou-
vercle fortement contre la boite; le ressort peut être
enlevé sans inconvénient.
Pour un long parcours, il est utile de garnir le
tour du joint de paraffine. Cette substance s'applique
très aisément en la fondant et coulant sur le joint,
où elle se solidifie aussitôt, empêchant toule rentrée
d'air accidentelle. De telles conserves, sans avoir la
prétention de se comparer
comme durée de conser-
vation avec les conserves
préparées dans l'industrie,
peuvent, néanmoins, ren-
dre quelques services.
L'envoi aux soldais du
front, aux prisonniers de
guerre a fait naître un
grand nombre de types
d'emballaffe pour les den-
rées les plus variées : boî-
tes métalliques avec cou-
vercles non soudés, s'en-
gageant par l'i-ollement
dans le corps de la boîte et
pouvant se retirer ensuite
par l'introduction dans le
pièce de monnaie faisant
bois, tubes d'étain, elc.
Tous ces procédés sont excellents, à condition que
lasubslance renfermée soit stérilisée et maintenue
stérilisée. On n'a amais observé d'accidenls diges-
tifs avec une conserve bien aseptique, même an-
cienne; au contraire, un aliment chargé de micro-
organismes non détruits devient dangereux au bout
d'un temps très court. Naturellement, dans toute
cette indusirie — et c'est ce qui faille bon renom des
produits français — les aliments doivent être à l'ori-
gine dans un grand état de fraîcheur et être prépa-
rés avec le maximum de soins hygiéniques.
L'ingestion de mauvaises préparations entraînant
des troubles digestifs par l'effet des poisons conte-
nus dans la boîte ou par l'absorption de microbes
capables de se développer en donnant naissance à
des toxines, il en résulte la nécessité dédoubler lafa-
brication d'un contrôle très actif. Déjà, l'aspect de la
boîte peut donner une indication sur le degré de sté-
rilisation ; une boîte à fond bombé doit être suspecte,
pouvant contenir des gaz provenant de la putréfac-
tion ou de l'attaque du métal. Une bonne conserve a
son fond déprimé par l'influence de la pression at-
mosphérique. Outre ce contrôle rapide, on s'assure
de la bonne qualité des produits par des prélèvements
destinés à l'examen bactériologique. — M. Moluii*.
Eobroudja ou Dobroutcha (en roumain
Dobrogea), province du royaume de Roumanie,
siluée au nord-est de la péninsule des Balkans, entre
le Danube et la mer Noire. Comme nombre d'autres
appellations géographiques, le mot Dobroudja a deux
Fig. tS. Détail de la boîte
a, joint ea caoutchouc.
joint d'une lame, d'une
évier; pots en pâte de
LAROUSSE MENSUEL
sens : l'un politique et l'autre scientifique. Politique-
ment parlant, la Dobroudja est l'ensemble des pays
compris entre le Danube et la mer Noire, depuis
(îalatz et la branche de Kilia au N. jusqu'à la fron-
tière bulgare au S. Géographiquement parlant, la
Dobroudja commence, à 10. et au N., au point oi'i
finit la vallée du Danube, et est limitée au S. par le
plateau boisé du Deli-Orman. De là des différences
sensibles dans les '" ' ' superficie et, par
suite, de la popn-
lation.Tandis. en
effet, que la Do-
broudja politique
couvre une su-
perficie totale de
23.000kîlomèlres
carrés, sensible-
ment inférieure
à celle de notre
ancien gOHverne-
mentmilitairede
l'Ile -de -France
(25.000kil.carr.),
la Dobroudja
géographique ne
s'étend guère que
sur les trois
quarts de cette
surface, soit sur
IT.OOOkilomèlres
carrés ( c'est-à-
dire sur un terri-
toire à peu près
égal à celui que
représentent les
quatre départe-
ments de l'Oise,
de Seine-et-Oise.
de la Seine et
de Seine-e l-
Marne:17.671ki-
loni.carr.). Mais,
dans un cas com-
me dans l'autre,
la Dobroudja est
une presqu'île,
entourée à 10. et au N. par les eaux fluviales du
Dannbe, b l'E. par la mer Noire; elle n'est rattachée
à la péninsule des Balkans que du côté du S., par
un large pédoncule s'étendant du N.-O. au S.-E.
depuis Silislrie jusque vers Ballchik, en passant
par Bazardjik. (V. la carie, p. 41.)
Pendant longtemps, — peut-être sous l'influence
de son nom, — les géographes ont voulu voir dans
la Dobroudja une région uniforme, constituée par
Jeune berger de laDobroudja.
31
Danube, c'est-&-dire, depois Hirsova jusqu'à Tulcea,
une bande discontinue de terrains plats, s'intercalant
entre la rive droite de ce grand fleuve et les falaises
du plateau dobrogiole cette région est large de « à
2.5 kilomètres et parsemée de nombreux lacs formés
par le Danube à l'époque des grandes crues); 2» à
cette étroite alaine danubienne fait suite le triangle
du delta, un territoire plat et marécageux, parsemé de
hics et sillonné par les bras du fleuve (Kilia, Soulina,
Saint-Georges), ainsi que par de multiples rigoles.
Ce territoire je. continue au S. du bras de Saint-
Georges jusqu'au lac Uazim par l'île de Dranova, et
s'étend au N. justju'au fossé de Kilia, qui sépare la
Dobroudja roumaine de la Bessarabie russe.
Ainsi, beaucoup plus encore que la Dobroudja
géographique, la Dobroudja politique n'est nulle-
ment homogène. Laissons donc de côté la vallée et
le delta du Danube, ces deux régions extérieures,
pour nous borner exclusivement aux différentes par^
lies de la Dobroudja géographique.
I. Des trois régions que 1 on y distingue, la plus
intéressante et la plus pittoresque, sinon la plus
étendue, est celle du N.-O. Au-dessus d'un locle peu
élevé, de forme auadrangulaire et plus large au N.
(entre Macin et Mahmudia) qu'au S., voici des hau-
teurs boisées, chaînons ou plutôt encore croupes ar-
rondies, orientéesdu N.-O. auS.-K.,ouduN.-N.-0 au
S.-S.-E. (Macin, Almagea, Babadagh,Topolog, etc.),
comme les couches géologiques primaires ou Iriasi-
ques, forlenient disloquées, qui les constituent. C'est
l'ancien Babadagh des Turcs, dans lequel on voit k
juste titre le « témoin » de l'existence d une ancienne
chaîne de montagnes aujourd'hui nivelée par l'éro-
sion. Au milieu de dômes comme leTutuiat(426 m.),
le Priopcea (402 m.), etc., séparés les uns des au-
tres par de profondes vallées orientées exactement
comme les rangées de collines elles-mêmes, on re-
marque la présence de quelques sommets rocheux
et escarpés, comme le Gréci (4.56 m.), qui est à la
fois 'e point culminant de la chaîne de Macin et de
toute la Dobroudja.
II. Les Turcs différenciaient soigneusement, et
avec raison, le Babadagh, le « père des montagnes »,
du Deli-Orman, de la « forêt folle »; ils leur assi-
gnaient pour limite commune la dépression Tcher-
navoda-MedJidié-Conslantza. En ce jaisanl, ils cons-
tataient l'existence d'un état de' choses qui n'est
plus : où sont aujourd'hui, en efi'et, les immenses
étendues forestières qui couvraient n^uère le ter-
ritoire allant au S. de la dépression 'Tchemavoda-
Constantza jusque vers la bulgare Bazardjik? Peu à
peu, le Deli-Orman d'autrefois a reculé très loin
vers le S. ; il reculerait même encore, à en croire le
voyageur Kanttz. Ainsi, un immense steppe a Oni
par remplacer les forêts des siècles passés. C'est ce
Un chadouf en Dobroudja, pour abreuver le bétail d'un vlUago.
un plateau monotone; il n'en est rien. Dans l'ensem-
ble de petits plateaux et de steppes qui constitue en
réalité la majeure partie de la Dobroudja politique
et la presque totalité de la Dobroudja géographique,
on a, en effet, reconnu plusieurs régions distinctes
les unes des autres et se succédant du N. au S. et
d'O. en E. C'est, d'abord, dans l'angle formé par le
dernier coude du Danube, un pays de collines on-
dulées, couvertes d'une végétation forestière; un
vaste plateau lui succède au S., qui se termine en
falaise du côté du fleuve, qui s'incline au contraire
en pente plus douce vers la mer Noire. Puis vient, le
longde celle-ci, sur une longueur de 180 kilomètres,
une région de lagunes analogues aux limans de la
Russie. — A l'O. et au N. de ce « noyau » constitué
par la Dobroudja géographique, ceui'qui étudient la
province roumaine de Dobroudja dans son ensemble
distinguent deux autres régions : 1° la vallée du
steppe qui constitue la seconde région naturelle de
la Dobroudja.
Cette région commence, en réalité, beaucoup plus
au N. que ne le pensaient les Turcs. Uneli^ne tirée
d'Hirsova sur le Danube à Kasapkioi sur le lac Sinoe
marque a limite où Unit le Babadagh; dès lors, sur
le centre, le sud et le sud-ouest du pays, s'étend un
vaste manteau de loess, à travers lequel des roches
anciennes pointent çàetlà en nionlieules isolés. Ce
plateau-steppe, que sillonnent de nombreuses val-
lées, — le plateau de Medjidié, comme on l'appelle
parfois, — couvre à lui seul la majeure partie de la
Dobroudja (ainsi s'explique la tendance des géo-
graphes a voir en lui le pays tout entier^ ; ses bords
tombent en falaises, hautes en moyenne de 45 mè-
tres, sur le Danube et sur la mer.
ni. Tandis qu'elles ne cessent, pour ainsi dire, pas
de dominer immédiatement le Danube entre Silù-
32
trie et Hirsova, saur aux points où les grandes crues
du fleuve ont formé de lacs plus ou moins étendus,
ces falaises s'avancent très rarement jusqu'aux ri-
vages mêmes de la mer Noire. Elles s'arrêtent brus-
quement à l'O. des lacs, ou plutôt des lagunes qui
se succèdent au S. du delta du Danube et qui sont
d'anciens golfes du Pont-Euxin. Semblables aux
limans russes plus septentrionaux, ces lacs salés sont
surtout développés dans la partie nord du littoral
LAROUSSE MENSUEL
Il nesuflii pas, d'autre part, d'une des étymologies
les plus vraisemblables du motDobroudja (dobrice,
en bulgare, désigne une étendue piorreuseet impro-
ductive, plateau ou plaine) pour répondre à cette ques-
tion; il faut autre chose : un inventaire sommaire
des ricliesses naturelles delà Dobrondja elle-même.
Celles que recèle le sous-sol ne sont pas encore
bien connues, et, déjà, elles apparaissent comme
ayant quelque valeur. On n (lonvi' dans le pays, en
Paysans roumains de Dobroudja et leur habitation rustique, à l'époque des moissons.
dobrogiote, la plus rapprochée du delta; ils y cou-
vrent une superficie de 1.000 kilomètres carrés
jHazim, Galovitza, Smeica, Sinoe, etc.), isolés de
la mer par des flèches de sable, des cordons litto-
raux, coupés par de rares ouvertures, de véritables
graus, des portitzas (petites portes), comme on dit
dans le pays. Plus au S., les lacs salés sont moins
importants et vont s'espaçant de plus en plus, jusqu'à
Mangalia et jusqu'au Chabla Bouroun. Dès lors, le
rivage prend, grâce à la proximité immédiate du pla-
teau du Deli-Orman, c est-à-dire du glacis septen-
trional des monts Balkans, un aspect tout différent;
si, politiquement parlant, il est toujours dobrogiote
et roumain, il a, géographiquement, cessé de l'être.
II importait d'insister sur cette division géogra-
phique de la Dobroudja en trois régions distinctes et
de définir ces régions , de là, en effet, découle tout
le reste : le climat, par e.xemple. Sans doute, la Do-
broudja est, dans l'ensemble, un pays de climat conli-
nental, autant que l'on peut s'en rendre compte par
des observations très incomplètes; l'écart moyen de
température entre le mois le plus chaud (juillet) et
le mois le plus froid (janvier) est assez considérable
(de 25 à 27° G.). Mais cet écart moyen et aussi l'écart
entre les températures maxima de l'hiver et de l'été
(plus de 50° C. ) est toujours plus accentué dans l'Ouest
et surtout au Nord-Ouest, dans la partie relativement
montagneuse de la contrée, que sur les bords de la
mer Noire. Les précipitations atmosphériques sont,
elles aussi, plus abondantes dans l'intérieur des
terres, sur les collines, qu'elles ne le sont au bord de
la mer ; elles varient de 200 à 500 millimétrés et attei-
gnent même 800 millimètres dans la chaîne boisée
d'Atmagea, qui est un rameau méridional de la chaîne
de Macin. Elles tombent surtout en automne, tandis
3 n'en hiver le sol du plateau-steppe et des collines
emeure couvert de neige pendant 50 à 65 jours.
Au point de vue hydrographique, il est vrai que, si
important soit-il, le climat n'est pas tout; le relief et la
nature du sol sont aussi des facteurs considérables.
Quelles preuves manifestes en fournit la Dobroudja 1
Dans le Babadagh, sur des terrains primaires et de
faible altitude, on rencontre de minces filets d'eau,
lousorientés du N.-O. au S.-E. , mais qui ont du moins
quelque longueur (Tailza, 100 kilom.; Casimcea,
92 kilom. ; Telitza, Slava, etc.) et qui coulent sans
interruption d'un bout à l'autre de l'année. Rien de
tel sur le plateau de Medjidié, bas et extrêmement
perméable, constitué qu'if est par d'épaisses couches
de lœss. L'eau que les précipitations atmosphériques
déposent sur le sol est rapidement al)sorbée; aussi
aucune rivière permanente, mais seulement de nom-
breux ruisseaux secs, on simplement humides pen-
dant quelques heures à la suite de quelque chute de
Eluie; rares sont les sources elles-mêmes. « Les ba-
ttants seraient heureux (a écrit Kanitz dans son bel
ouvrage sur la Bulgarie danubienne) s'ils pouvaient
jouir de ces nombreux cours d'eau dont les grati-
llent à profusion les cartographes ».
A elle seule, cette description physique de la Do-
broudja suffit-elle à légitimer la triste réputation
que l'on a faite naguère à ce pays, particulièrement
en 1878, alorf que, contrainte et forcée pa la Rus-
sie, la Roumanie dut l'accepter en échange de trois
cantons de la fertile Bessarabie? Evidemment, non.
effet, des minerais de zinc, de cuivre, de fer et
même de l'or; on y connaît de belles carrières de
granit et de calcaire et aussi quelques sources mi-
nérales. Autrement importantes, toutefois, sont les
richesses végétales de la Dobroudja.
Les forêt- (dont le hêtre et le chêne rouvre sont
le."; essences les plus répandues sur les collines, le
chêne pédoncule, le frêne et l'érable les éléments
les plus communs dans la plaine) couvrent plus de
125.000 hectares dans la partie septentrionale de la
contrée. Au contraire, dans le Centre et dans le
Sud, les forêts ont to-
talement disparu : plus
un arbre! Aussi l'an-
cienne dénomination
turque du pays : Dé-
liorman (la « forêt
folle ») n'a-t-elle plus
qu'une valeur histo-
rique, toutes les terres
de ces cantons étant
mises aujourd'hui en
culture par les Dobro-
giotes. Sans doute, en
plein cœur de l'été,
certains coins du pla-
teau de Medjidié sont
brûlés par les rayons
d'un soleil saharien
( -f- 40° à l'oinbre),
prennent un aspect
vraiment misérable et
se transforment en au-
tant de véritables dé-
serts; c'est bien alors
le dobrice bulgare.
Mais, quelques semai-
nes plus tôt, quelle
différence! Alors, le
steppe est recouvert
d'un gai manteau de
verdure et paré
d'herbes folles et de
plantes variées. « De vastes espaces se fleurissent
de labiées odorantes et de camomilles, de cru-
cifères, d'euphorbes, d'ombellifères, de silènes et
d'autres espèces de fleurs. Lorsque (dit Kanitz), au
mois de mai, le souffle du veni fait onduler cet robe
légère, l'œil pourrait croire que le Pont-Eu.\in a
rompu ses digues et que la vague azurée de la mer
se continue dans la vague fleurie du steppe ». La
Dobroudja mérite alors le nom que lui ont imposé
naguère les Slaves réfugiés dans ces cantons au
xviii" siècle; c'est bien le " bon coin » (dohro = bon
eu slave, e bujiac=z coin eu turc; d'où Dobrogea,
Dobroudja, Dobvoutcha), un bon coin oJi sont culti-
vés, puis d'où sont en partie exportés l'orge, le
blé, le millet, le maïs. De même, aussi, les plantes
fourragères et légumineuses y font l'objet d'une
culture assez intense.
Toutes sorte! de quadrupèdes et d'oiseaux sauva-
ges et domestiques vivent dans les différentes par-
ties de la Dobroudja. Le bétail, gros et petit, y est
abondant et contribue j'our sa pari au bien-être des
habitants de la contrée, non pas seulement par sa
AI* 720. Février 1917.
viande, par son lait, par sa laine et par ses peaux,
mais jusque par ses excréments. Pas de bois de
chauffage, en effet, sur le plateau de Medjidié, au-
jourd'hui si dénudé ; on le remplace par des bri-
quettes cuites au four, où les matières fécales des
animaux sont amalgamées avec la paille du maïs et
du blé. Ainsi sont chauffées — bien maigrement I
— les demeures primitives des paysans dobrogiotes,
ces abris très insuffisants contre les vents tour à
tour glacés et brûlants venus du N., des olaines
asiatiques et russes, contre la froidure d'un hiver
rude, âpre et triste, qui se prolonge jusqu'au milieu
duprinlemps, etcontre les chaleurs torrides de l'été.
L'examen des ressources économiques de la
Dobroudja montre dans cette province roumaine un
sol moins fertile que celui de la Moldavie et de la
Munténie valaque, mais, toutefois, un pays ayant sa
valeur propre et susceptible de l'accroître sensible-
ment au moyen d'une irrigation systématique. Ce-
pendant, pour atteindre ce progrès, il faudrait à la
Dobroudja une population assez dense; or, jusqu'ici,
relativement peu considérable est la population qui
vit sur le territoire dobrogiote proprement dit, en de-
hors de la vallée du Danube et des villes de la côte.
C'est, en outre, une population assez peu homogène,
au double point de vue ethnique et confessionnel.
iNéanmoins, les orthodoxes prédominent, au point de
vue religieux, à une très forte majorité et, au point
de vue ethnique, les Roumains l'emportent sur les
antres races. Ils n'ont encore qu'une majorité rela-
tive, sensiblement réduite depuisl'annexion del913;
mais leur nombre croît avec régularité, sinon avec
rapidité, et ils s'infillrent peu à peu par toute la
cou trée, qu'ils finiron I par complètement roumaniser.
Les Slaves (Bulgares surtout, et Russes), les Turco-
Talars et les Gréco- Albanais représentent les autres
éléments principaux d'une population encore clair-
semée, mais susceptible de devenir plus dense, le
jour où le pays sera entré dans la voie du progrès
agricole et industriel el entreprendra de tirer un
meilleurparti de ses possibilités économiques.
Adminîstrativemenl parlant, le territoire dobro-
giote est actuellement réparti entre les trois dis-
tricts de Tulcea, de Constanlza el de Silistrie.
Dès maintenant, malgré une agriculture assez
primitive et une industrie dans l'enfance, la Do-
broudja (qui ne possède de centres urbains qu'à sa
périphérie, dans la vallée du Danube et sur la côte de
la mer Noire) fait un commerce considérable, par
rapport à son étendue et à ses ressources. Elle est
l 'aysans roumains de Dobroudja se rendant au marché.
redevable de ce trafic à son heureuse situation géo-
graphique aux bouches du Danube, sur la route
internationale et intercontinentale unissant l'Occi-
dent à l'Orient; elle le fait par Constantza, qui est sa
principale ville, en même temps que le grand port
roumain de Ir mer Noire. Là, des voies ferrées ve-
nues de l'Europe occidentale et de l'Allemagne du
Nord se trouvent en correspondance avec des ba-
teaux roumains ou étrangers, qui les mènent rapi-
dement à Constantinople et, de là, les conduisent
dans toutes les directions.
Pour toutes ces raisons, il est permis de bien
augurer de l'avenir de la Dobroudja, le jour où
cette province roumaine sera remise des maux
que lui fait subir actuellement l'invasion germano-
bulgare.
On connaît le passé de ce pays; il a été naguère
esquissf dan: le Nouveau Larousse illustré (t 'V,
art. D0BR0UD.IA), depuis les temps les plus anciens
jusqu'au traité de Berlin du 13 juillet 187.'*. Nous
n'avons donc pas à y revenir. Il suffira d'ajouter
que la Dobroudja n'a pas eu, depuis celte date jus-
N' 120. Février 191?.
qu'en 1913, d'autre histoire que celle de son déve-
loppement économique. Le traité de Bucarest du
10 août 1913 lui a procuré une réelle extension géo-
graphique en faisant passer sous la domination
louinaine les territoires dobrogioles restés bul-
gares depuis 1878; ainsi la Uobroudja roumaine
a atteint le pied du plateau du Uell-Orman, c'est-
à-dire une lif,'ne partant de Silistrie sur le Da-
nube et gagnant Ballchik sur la mer Noire, en
passant par Ijazardjik. Mais elle n'a pas tardé à
payer très chèrement cette extension. Les Bul-
gares, qui n'avaient subi
que contraints et forcés i — «
la cession territoriale à '
eux imposée par le traité
de Bucarest, se sont em-
pressés, après la décla-
ration de guerre de la '
Roumanie à l'Autriche-
Hongrie et à l'Allema-
gne, de s'unir aux Alle-
mands placés sous les or-
dres de Mackensen, dans
l'espoir de recouvrer les
cantons abandonnés par
eux en 1913 (7.525 kilom.
car peuplésde282 OOOhab.).
Dès le mois de septem-
bre 1916, tandis que l'ar-
mée commandée par Fal-
kenhayn travaillait à
maintenir d'abord, à re-
fouler ensuite l'olfensive
roumaine du côté de la
Transylvanie, une armée
germano-bulgare fran-
chissait donc la nouvelle
frontière roumaine tracée
au S. de la Dobroiidja
par le traité de Bucarest;
elle pénétrait bienlôt en
Uobroudja même et oc-
cupait tout le territoire à la perte duquel les Bul-
gartis n'avaient pu ;o résigner.
Poussant son succès plus avant, Mackensen
s'avança sans tarder jusqu'à 20 kilomètres au S. de
Medjidié, le point le plus méridional de l'impor-
tante voie ferrée qui suit la dépression du Kara-sou ;
mais cette attaque brusqute ne réussit pas : les Ger-
mano-Bulgares fureut bientôt arrêtés, puis contraints
àla retraite (19-25 septembre), et il leur fallut près
d'un mois pour se reformer. Alors, renforcés par
une division turque et pourvus de l'artillerie lourde
qui leur avait manqué iusque-là, les (Jermano-Bul-
gares de Mackensen recommencèrent à envahir la
Dobroudia. Une vigoureuse offensive leur permit
bienlôt de se rendre maîtres du chemin de fer
Tchernavoda-Gonstantza et des villes siluées à ses
deux extrémités (18-23 octobre), puis de poursuivre
la conquête de la presqu'île formée au N.-li. de la
péninsule balkanique par le Danube et par la mer
Noire. Dès la lin d'oclobre, les Koumains devaient
abandonner la ligne Hirsova-Kasapkieui; désormais,
leurs adversaires étaient les maîtres de tout le
plateau-steppe, et ils n'avaient plus à conquérir que
le Babailagh, ;•. la lisière méridionale duquel ils
élaient parvenus.
A la conquête de cette région septentrionale de
la Dobioudja, en même temps qu'au passage du
Danube et à la jonction, dans les plaines valaques,
désarmées de Falkenhayn et de Mackensen, venues
la première de la Transylvanie et la seconde de la
Bulgarie, ont été consacrés les deux derniers mois
de l'année 1916. La cavalerie bulgare a d'abord opéré
sur la ligne Oslrovo-Babadagh, puis l'infanterie a
suivi, et l'invasion n'a cessé de s'étendre. Les
villes de Tulcea. Isaccea, Macin, tête de pont la
plus rapprochée de Braïla et enfin cette dernière
cité sont tombées aux mains de l'ennemi. Au com-
mencement de janvier 1917, la conquête est termi-
née : les Germano-Bulgaies sont maîtres de toute
la Dobrondja. Seules, les régions en quelque ma-
nière exotiques (on l'a vu plus haut) des lagunes
du N.-O. et du delta du Danube demeurent encore
roumaines et piolcgent les grandes villes de la rive
gauche du bas fleuve, — Galatz, Reni, Ismaîl, —
contre l'invasion ennemie. — Henri Froimtaui.
Doyen (Eugène-Louis), chirurgien français, né
à Reims le 16 décembre 1859, mort à Paris le
21 novembre 1916. Fils d'un professeur de l'iCcole
de médecine de Reims et qui avait été maire de
cette ville, c'est là qu'il Ot ses premières études mé-
dicales ; puis il vint à Paris, oii il fut nommé interne
des hôpitaux en 18S1. Quatre années plus tard, il
soutenait, sur le bacille du choléra, une thèse qui
fut couronnée par 'a Faculté.
Aussi lôtcelteth^sepassée.Doyen retournai Reims,
où il fut tour à tour chef des travaux analomiques,
chargé de co\irs de pathologie chirurgicale et de
médecine opératoire, puis professeur suppléant, de
chirurgie et d'accouchement. En niême temps, il
ouvrait une clinique chirurgicale bientôt très ré-
putée, et ses travaux, ainsi que ses interventions
LAROUSSE MENSUEL
heureuses, le mettaient en vedette comme un chirur-
gien hardi et sûr et un technicien remarquable.
En 1896, trouvant le champ trop étroit en pro-
vince, il vint à Paris, que, dès lors, il ne quitta plus.
Sa clinique de la rue Piccini fut bien vite un des
centres chirurgicaux les plus célèbres de la capitale.
Les opérations les plus difliciles trouvaient toujours
en lui un interventionniste à la hauteur des cir-
constances et un innovateur hors de pair. Sa réputa-
tion a été considérable. Souffrant depuis quelque
tempsd'une affection cardiaque, il a été emporté par
Habitation paysanne en Dobroudja.
une crise, de façon presque soudaine. D'un esprit
toujours en éveil, d'n ne ingéniosité lechniqne incom-
parable, d'une activité véritablement exubérante.
Doyen eut les défauts de ses qualités. Son existence
mouvementée, son constant souci de fournir une
solution à tous tes problèmes qui s'offraient à lui,
même s'ils ne touchaient que par un petit côté à la
chirurgie, « son besoin, a dit un de ses biographes,
de soulever autour de lui une rnm=ur denoioriété »,
en ont fait un homme très discuté. Ses incursions
dans l'anatomie pathologique, la pathologie et la
tbérapeutique gé-
nérale, ne furent
pas souvent heu-
reuses, malgré
qu'il eût pour-
suivi toujours de
sérieuses études
bactériologiques.
Les résistances
qu'il rencontra
en mainte occa-
sion le jetèrent
dans une oppo-
sition agissante
qui s'en prenait,
d'ailleurs, plutôt
aux institutions
qu'aux hommes.
11 fut en lutte
constante avec la
Faculté de méde-
cine de Paris; il
émit sur le Service de santé, au début de la
guerre, des appréciations sévères; il heurta de
front, en plusieurs circonstances, les idées les plus
communément admises. Il flgura dans plus d'un
procès fameux, notamment dans celui qu'il in-
tenta à un de ses clients, Crooker, en payement
d'une note d'honoraires de cent mille francs, dans le
procès d'assises qui suivit le meurlrede Gaston Cal-
melte par M"" Caillaux, dans l'affaire récente du
zouave Deschamps. Doyen avait inventé une épée
de combat, perfectionné îles appareils photographi-
ques, et il venait, quand il mourut, d'établir un
nouveau modèle de canon de tranchées. On a pu
dire avec vraisemblance que, s'il eût moins épar-
pillé ses dons indéniables, il eût possédé la situa-
tion chirurgicale la plus considérable de France.
Car ce fut un chirurgien de tout premier ordre,
un innovateur audacieux, qui mettait au service de
ses hardiesses une habileté étonnante, un inventeur
sans rival, trouvant du premier coup I instrument
nécessaire à une opération donnée, fût-elle nou-
velle. Il aborda avec la même maîtrise tous les
chapitres de la chirurgieet s'y montra constamment
un maître. Parmi les découvertes qu'il faut mettre
sous son nom, on citera des perfectionnements im-
fiortants en chirurgie gastriq "e (exclusion du oy-
ore\ un nouveau procédé d'hystérectomie, qui, en
gynécologie, fit époque, ses travaux sur la craniec-
tomie, dont il fixa d'un» façon toute nouvelle et fort
D' Doyen (Ph, Walêry).
33
heureuse la technique, et sur la chirurgie du cer-
veau, etc. Il poursuivit la lutte contre le cancer par
des procédés uerfectionnés et crut un instant avoir
découvert le parasite, cause de celte maladie. Il fut
l'apôtre de la rapidité opératoire, qu'avaient fait un
peu trop délaisser les conquêtes modernes comme
l'anesthésie, l'antisepsie elles procédés d hémostase,
et qu'il considérait comme indispensable à réduire
au minimum le choc subi par le patient. 11 laisse
des instruments le haute valeur, comme sa valve
suspubienne, son écra^eur, sa scie électrique. Le
premier, il employa la photographie stéréoscupique,
puis la cinématographie pour enregistrer les dilfé-
lents temps de l'acte chirurgical et servir à l'ins-
truction. 11 inventa un procédé d'enseignement de
1 anatomie chirurgicale, à l'aide de projection de
coupes congelées, qui sera certainement quelque
Jour repris, étant fort ingénieux et très pratique.
Ses commimications aux congrès, ses articles
techniques sont innombrables. Les premiers, déjà
très remarqués, datent de 1886. Depuis lors, il ne
cessa de publier. On a de lui un volume sur le
'I raitement des a/fections de feslomac et du duo-
dénum (1893), un Allas de baclériologie (1896i, un
Traité de Ihérapenlique ckiiurgicaïe et de tech-
nique opératoire (19U7). Mais ce qui, sans doute,
lui survivra, ce sont les perlectionuements qu'il a
apportes aux techniques 0{iéraU>ires et qui ont fait
l'aire k la chirurgie d'incontestables et souvent con-
sidérables progrès. — D' Henri Booqust.
endoplilëbotliérapie n. f. (du gr. ent^on,
en dedans, p/(/e//s, ebos, veine, et therapeia, traite-
ment). Mclnode de traitement (lUi consiste à adminis-
trer des médicaments par lavoiuintravelneuse (Elle
est employée de préférence dans les cas où il importe
d'agiravecunegranderapidilé.)[V.HYP0DEnMiB,p.44.]
Ethiopie et les Convoitises alle-
mandes (l), par Pierre Alype (Paris, 1917). —
La guerre européenne a pris un tel dévclo|ipement
qu'il n'est plus douteux, aujourd'hui, que toutes les
questions qui préoccupaient, depuis des années et
mêuiedessiecles, les chancelleries, devront recevoir
une solution dans les conférences qui traiteront dj
la paix. Parmi ces questions, au premier plan, se
trouvent les questions coloniales. On n ignore plus
les ambitions de l'Allemagne et, d'ailleurs, le pan-
germanisme colonial s'est exprimé dans un grand
nombre de brochures, de manifestes, de discours,
de livres même Les interventions allemandes dans
les affaires narocaines nous ont dévoilé la méthode
d'outre-Rhin. Il est nécessaire de connaître dès à
firésent les ieux oii celle-ci pourrait s'exercer après
a guerre, si l'on n'y prenait garde. L'ouvrage que
nous donne aujouid hui sur l'Etliiopîe Pierre Alype
est précieux à plus d'un tîlre. P. erre Alype es' un
spécialiste des queslionscoloniales,etronvrage qu'il
a déjà publié avec la Prooocal ion allemande aux
colonies est riche d'enseignemenis. Sa nouvelle
élude, en même temps qu'elle est une utile contri-
bution à I histoire des intrigues germaniques, a un
but pratique :
nous informer de
questions trop
peu connues,
nous préparer à
l'après-guerre.
On pourrait
presquedirequ'il
n'estpasde point,
surla vaste terre,
sur lequel l'Alle-
magne n'ait pas
jeté les yeux. Ses
convoitises de-
vaient se porter
surl'Elhiopie.Un
ouvragepubliéen
1913 : Deutsche
Welllpolilikiind
Kein Krieg Poli-
tique mondiale
allemande et pas
de guerre) dé- MénéUk ii.
voile ce qu'elle
voulait faire en Afrique. Elle voulait créei un vaste
empire Centre-Africain; mais elle ne le pou vait qu'en
démembrant les possessions françaises, belges et ^o^-
tugaises. L'annexion du Congo oelge et de l'Angola
portugais semblait dimrile, la France ayant droit
de préemption sur le Congo belge et l'.\ngleterre
ayant traitéavecle Portugal. L'.Mlemagnese retourna
vers l'Ethiopie, et, le 26 août 1911, Maximilien
liarden, écrivait :
n faudrait qu'an nouveau traité au sajat de l'AfHnne
attribuât l'Egypte & la zone d'inti'réts de la Grande-
Bretagne : le Maroc A celte de la France, l'Abyssiaie A
celle de l'Alleaiagne.
Mais notre colonie de Djibouti, placée au point de
croisement des grandes voi s maritimes de l'océan
Indien, derExtrdiiie-Orirnt et de l'Oceanie.nenous
permet pas de nous désintéresser de l'Elhiopie:
d'autre part, le voisinage des colonies italiennes et
LAROUSSE IdENSUBL. — IV.
2'
ai
anglaises donne à l'Ilalie el k l'Angleterre le droit,
et le devoir, de veiller aux intrigues allemandes.
Ainsi, toute Ihisloire internationale de l'Ethiopie se
résume dans la politique franche et nette suivie à
son égard par les trois gouvernements de Paris, de
Londres el de Rome et dans les intrigues souter-
raines du gouvernement de Berlin. N'oublions pas,
d'ailleurs, que laguerreactueilen'aenriendiminuéles
convoitises germaniques. C'estainsique,le 7 juin 1916,
le docteur Soif organisa, sous la présidence du duc
de Meclilembourg, une réunion où tous les partis du
Reichstag étaient représentés, pour affirmer une
fois de plus la volonté de l'Allemagne de posséder
un grand empire colonial.
L'Ethiopie est un pays de montagnes escarpées,
isolé à l'extérieur, morcelé à l'intérieur. Il touclie
aux territoires anglais du Soudan égyptien, de
l'Ouganda, de l'Afrique orientale, du Somaliland
aux colonies italiennes de l'Erythrée, à la côte
française des Somalis. Le sol est fertile et verdoyant,
sauf sur les côtes, qui sont désertes. L'agriculture
en est la principale richesse. Le café, les peaux, la
cire, l'ivoire, la civette, le coton sont les produits
les plus nombreux. L'élevage, enfin, y est de bon
rapport, et des mines de lignite, d'or, des gisements
de houille s'y trouvent en maint endroit.
Il y a 8 millions d'habitants, i)armi lesquelson dis-
tingue de rudes montagnards, qui sont les Abyssins,
des agriculteurs laborieux, les Gallas, les Somalis
el les Danakil, qui vivent au désert, les Chanl<iillas,
dont on se sert comme esclaves et, enfin, les Falla-
chas, qui descendent des colonies juives.
L'organisation politique et administrative actuelle
ressemble assez à celle qui existait chez nous, au
temps des carolingiens. Le pouvoir est absolu,
mais il est délégué dans chaque province au l'epré-
senlanl du souverain, qu'on appelle le ras. Les
choums administrent les districts el les villages.
Longtemps, une sorte d'anarchie féodale régna en
Ethiopie; el, bien que l'unité de l'empire ait été réa-
lisée par 'Theodoros, c'est Ménélik II qui en est le
grand empereur. On sait qu'il se disait descendantde
Salomon el de la reine de Baba. Bien des légendes
enrichissent son nom et sa vie. Dès son jeune âge,
emprisonné par l'usurpateur qui régnait alors, ce
n'est qu'à force de souplesse et d'habileté qu'il par-
vint au pouvoir. En 1889, il fut élu négus par
l'Assemblée des ras, à l'unanimité. Fort intelligent,
épris de civilisation, curieux d'inventions euro-
péennes, il supprima l'esclavage et introduisit dans
son pays le téléphone, le télégraphe, l'automobile.
Quelque temps avant sa mort, qui survint en décem-
bre 1913, il désigna pour son successeur son pelil-
nis, Lidji Jassu. Cette désignation souleva d'abord
de grosses difficultés et suscita de grandes luttes. Il
semble bien qu'aujourd'hui, le jeune souverain est
accepté par tous. 11 a réussi à se concilier l'ensemble
du pays par son intelligence, son habileté, sa téna-
cité, son énergie. Comme son prédécesseur, il se
montre favorable au progrès.
Un acte diplomatique, l'arrangement du 13 dé-
cembre 1906, règle actuellement les rapports de
l'Abyssinie avec
la France, la
Grande-Bretagne
el l'Italie. Cet ac-
cord est analogue
à ceux qui ont été
signés par les
difTérenles puis-
sances euro-
péennes au su-
jet du Maroc, de
l'Egypte et de la
Tripolitaine. 11
avait pour but de
nettement mar-
quer les diffé-
rents droits des
Etats signataires
en Abyssinie et
de s'opposer, par
suile, aux désirs
de conquête el
d'ingérence de l'Allemagne, que l'on pouvait déjàpré-
voir. Si l'Italie y participa, c'est qu'elle prévoyait la
situation délicate où la pourrait placer un conflit
franco ou anglo-allemand. Son intérêt la poussait à
se rapprocher de la France et de l'Angleterre.
Les trois puissances voulaient simplement sauve-
garder leurs droits. Elles n'entendaient nullement
attenter à la souveraineté du négus. Aussi le point
principal de l'acte du 13 décembre 1906 est-il la
reconnaissance formelle de l'intégrilé territoriale et
politique de l'Ethiopie. Par suite, les trois gouver-
nements de Paris, de Londres et de Rome s'inter-
disaient toute immixtiondans la politique intérieure
de l'Ethiopie. Les zones d'influence des trois puis-
sances étaient ensuite délimitées. En effet, si les
événements venaient à troubler le slatu quo, les
trois puissances s'engageaient à faire tous leurs
efforts pour maintenir l'intégrilé de l'Ethiopie et,
en tout cas, pour sauvegarder :
1° les intérêts de la Grande-Bretagne et de
I.'iiii^éfatricf Tauii.
veuve do M,^Qùlik 11.
LAROUSSE MENSUEL
l'Egypte dans le bassin du Nil el, plus spécialement,
en ce qui concerne la réglementation des eaux de
ce fleuve et de ses affluents (la considération qui
leur est due étant donnée aux intérêts locaux), sous
réserve des intérêts italiens ;
2° les intérêts de l'Italie en Ethiopie par rapport
k l'Erythrée et au Somaliland Jy compris le Bénadir),
et plus spécialement en ce qui concerne l'hinterland
de ses possessions el l'unité territoriale entre elles
à l'O. d'Addis-Ababa ;
3° et les intérêts français en Ethiopie par rapport
au protectorat de la côle «les Somalis el h l'hinterland
Lidji Jassu, petit-fils et héritier de Ménélik II, déposé en
octobre 1916 et remplacé sur le trône par la princesse Ouexaro
Zaoïliton, fille da .Ménélik II.
de ce protectorat el à la zone nécessaire pour la
construction et le trafic du chemin de ferde Djibouti
à Addis-Ababa.
On voulut faire croire à l'empereur Ménélik que
cet accord parfaitement clair, parfaitement loyal,
n'était que le prélude d'une politique de partage. U
refusa d'y adhérer, se conlenlanl d'en donner un
accusé de réception. Dix ans ont passé, oui ont
montré que les puissances signataires de l'arran-
gement entendaient s'y tenir fidèles.
Mais l'Allemagne saisit toutes les occasions et en
suscita même pour essayer de rompre l'accord qui
avait été conclu. La période de désordres nui suivit
la mort de Ménélik fut hal)ilemenl exploitée par elle.
Ses vues sur l'Ethiopie, d'ailleurs, n'étaient pas
nouvelles. Dès 1904, une mission extraordinaire
allemande et une mission extraordinaire auslro-
hongroise vinrent à Addis-Ababa. En 1903, deux
traités de commerce austro-éthiopien et germano-
éthiopien étaient signés. Dès 1906, l'Allemagne se
mil à exploiter son traité de commerce et, en
moins de neuf ans, son trafic d'importation à la côte
française des Somalis passa de zéro à plus de
800.000 francs. L'Allemagne opérait là, comme elle
devait opérer partout, par ses commis voyageurs.
La Vossische Zeilung déclarait franchement :
Une seule méthode s'offre à l'Allomagne (on Abyssinie) ;
s'y créer des droits, comme elle l'a fait dans l'affaire maro-
caine. Répi^tons-nousfjue ta France. l'Angletorro et l'Italie
n'ont pas plus de droit sur l'Abyssinie quo nous-mêmes.
Pourtant, notre côte des Somalis gênait considé-
rablement l'action allemande. En 1911, pendant les
négociations de l'accord franco-allemand relatif au
Maroc, alors que chacun cherchait en Allemagne ce
qu'on pourrait demander à la France comme com-
pensation, il fut question delà côte des Somalis.
Le D' Paul Rohrbach et le D' Zintgraff (écrivait le
major Schwabe) ont déjà signalé comme objet de
compensation la côto française de Djibouti, qui consti-
tuerait, en effet, une précieuse compensation. Le port de
Djibouti, avec le cliemin de fer de Diré-Daoua, constitue
la principale porte d'accès de l'Etat abyssin, qui est en
voie de cféveloppement et renferme bien des richesses et
qui, d'ailleurs, atoujours entretenuavec nous dos relations
particulièrement amicales. Le traité conclu en 1906 entre
l'Angloterro, la France et l'Italie, partage assurément
l'intérêt abyssin entre ces trois puissances. Mais on sait,
par l'exemple d'Algésiras, le cas qu'il faut faire de l'in-
violabilité de pareils traités En acquérant la côto do
Djibouti, nous obtiendrons un point d'appui pr6cie<uc sur
«• 720. Février 1917.
la route de nos possessions de l'Afrique orientale, delà
Chine et de l'Océanie, un domaine plein d'avenir pour
l'aflirmation de notre effort économique, cnlin, un terri-
toire dont la valeur contrasterait violemment avec celtô
de la partie du Congo français qu'on nous offre.
L'Allemagne n'a pas renoncé ii celle conquête et,
ily aquelques mois seulement, dans une conférence
qu'il faisait à Berlin sur le but de la guerre, le pro-
fesseur Hermann Schumacker, de Bonn, déclarait:
Il faudrait obtenir le Somaliland franf;ais, avec Dji-
bouti comme entrée au S. de la mer Kouge.
L'Allemagne ne s'est pas contenlée, d'ailleurs, de
projets el de paroles. Fidèle à sa lactique, en même
lemps qu'elle envoyait ses commerçants dans tous
les marchés, elle s'elforçail de grossir les dissensions
intérieures, de persuader au mgus que l'Angleterre,
malgré ses engagemenls, voulait porter al teinte à sa
souveraineté, de lui montrer sans cesse plus pressant
le péril d'une intervention européenne. L'Autriche,
de son côté, installait à Addis-Ababa un consulat
général, grâce auquel l'importance du trafic entre
Triesle el Djibouti croissait chaque jour. Enfin, la
guerre actuelle n'a pas mis fin aux intrigues germa-
niques el, depuis deux ans, les Allemands ont tout
fait pour décider le négus à attaquer le Soudan. En
0(-tobre 1914, le consul autrichien dut être expidsé
d'Abyssinie, sur l'intervention du gouvernement
italien.
Mais lafrancnise el la loyauté de la politique des
Irois puissances signataires de l'acte de 1906 n'appa-
rurent que mieux devant les intrigues allemandes.
L'Angleterre ne désirait qu'une chose : avoir une
frontière assurant au Soudan une protection efîecli ve
et permettant une action qui devait être exclusive-
ment économique. Lorsque l'impératrice Ta'itu,
méconlenlode la désignation de Lidji Jassu comme
héritier de l'empire, offritle protectorat de l'Ethiopie
il la Grande-lirelagnc, celle-ci n'accepta pas.
Il en est de même de la politique suivie par l'Ita-
lie. Les rapports qu'elle entretint avec l'Abyssinie
demeurèrent toujours amicaux, et le trafic est im-
portant entre les deux pays. Pourtant, c'est surtout
à l'égard de l'Italie qu'éclate la duplicité germani-
que. D'une part, l'Allemagne sollicite son alliée de
participer à ses intrigues contre la France el l'An-
gleterre; d'autre part, elle met le négus en garde
contre l'Italie. Elle répand le bruit que celle der-
nière veut intervenir dans les querelles des chefs
abyssins. C'est ainsi qu'en juin 1914, le représentant
officiel de l'empereur François-Joseph à la cour
d'Addis-Ababa était arrivé à convaincre le jeune
souverain que l'Italie se préparait à faire la guerre
à l'Abyssinie et que, pour un pareil but, étaient par-
lis de l'Italie, à destination de Massaouah, quelques
navires chargés d'armes et de soldats. Le ministre
austro-hongrois n'avait pas hésité à préciser qvie les
navires italiens signalés dans la mer Rouge trans-
porlaienl à Massaouah 28.000 hommes. _
Et, en même temps que les agents de l'Allemagne
essayaient do monter l'Elhiopie contre l'Italie, ils
s'efforçaient de monter l'I talie contre la Fra nce. M ai-
gre toutes ces menées, nos rapports avec l'Ilalie de-
meurèrent amicaux. C'est qu'à vrai dire, nous ne cher-
chions — et personne n'en pouvait douter — que
l'accroissement économique et le développement
commercial de notre colonie de la côtedes Somalis.
D'ailleurs, notre entente avec l'Abyssinie n'était pas
nouvelle; et déjà, en 1853, un trailé politique et
commercial avait été conclu entre Louis-Philippe
el le roi de Choa, Le 20 mars 1894, un Irailéd'alliance
resté secret fut signé par l'empereur Ménélik et la
France. Un nouveau traité d'amitié et de commerce
devait être signé le 10 janvier 1908. Le maintien
des bons rapports entre les deux pays fui enfin
confirmé par la visite qu'au mois d'avril 1915
Lidji Jassu fit à Djibouti. Celle bonne entente entre
les deux gouvernements devait faciliter le déve-
loppement de notre influence en Abyssinie.
Dans ce pays, comme ailleurs, profitant des ensei-
gnements que nous aura donnés la guerre, il nous
faudra accroître encore celle influence, lorsqu'il
s'agira, pour la prospérité nationale, de faire donner
tout son rendement à notre commerce extérieur. Il
y a là, on le sait, un intérêt de premier ordre pour
la nation.
Dans le rapport quil adressait au gouvernement
de la République pour l'année 1914, le gouverneur
de la côte française des Somalis écrivait :
Il serait à souhaiter que notre industrie nationale profi-
tât de la guerre actuelle pour substituer ses produits aux
articles à bon marché dont nous inondait l'Allemagne.
C'est là le but à atteindre. Des études comme celle
de Pierre Alype peuvent, et doivent, contribuer au
succès en le "facililant. — Jacques Boiipàed.
Febvre (Alexandre-Fre'rf^ric), acteur drama-
tique français, né à Paris le 21 février 1835, mort
dans celle même ville le 14 décembre 1916. Fils
d'un officier d'administration, il fut d'abord clerc
d'huissier, étudia la musique et, lout jeune, devint
ensuite chef d'orchestre d'un petit théâtre de so-
ciété. Un heureux hasard y décida de son avenir:
un soir que l'affiche annonçait la représentation du
«• 120 Février 1917.
MaH de la Veuve, on s'aperçut, au moment du le-
ver du rideau, que l'amoureux était absent. Febvre,
jetant son archet, s'élança sur la scène en disant :
o Je sais le rôle, et je vais le jouer I » Lo succès fut
très grand cl, le soir même, le comédien d'aventure
fut sacré comédien émérite.
Engagé aussitôt pour Le Havre, il revint peu de
temps après à Paris, entra successivement à l'Am-
bigu, au théâtre Beaumarchais, où il i^e fit remarquer
dans quelques drames, àlaPorte-Sainl-Marlin, à la
GaîtéjOÙiifut applaudidaiis leUédecin <les enfants,
Henri lll et sa cour et le Juif errant. 11 débuta
ensuite à l'Odéon (1857); le jeune artiste fut d'abord
bien accueilli dansdeux drames: le Hocher de aisy-
phe el Daniel Lambert : puis la façon remarquable
dont il inlLM'préta le rôle de Géleslin du Testament
de César Girodol commença véritablement sa répu-
tation. Frédéric Febvre retourna à l'Ambigu pour
y créer le rôle de Picolet dans la Maison du
Vont-Notre-Dame; ensuite, il rentra de nouveau à
l'Odéon et joua dans le Chevalier à la mode,
Turcaret, le Menteur el autres pièces du répertoire
classique; il y obtint quelques succès. En 1861, il
passa au 'Vaudeville et fut bientôt le favori du pu-
blic. Après avoir créé à ce théâtre Maurice de Nos
intimes, Hichard d'un Homme de rien, Mirabeau de
la Jeunesse de Mirabeau, Didier de la Famille Be-
noiton, etc., il revint h la Gaité pour la création
du rôle de Bernard, dans la Maison du baigneur.
Devenu l'un des meilleurs jeunes premiers de
Paris, Frédéric Febvre fut engagé à la Comédie-
Krançaise, dans des conditions exceptionnelles. Il y
débutaen septembre 186C, dans le rôle de Philippe II,
de Don Juan d'Autriche, el, après avoir joué ceux
de Georges Bernard de Par droit de conquête el
de Bernard dans Mademoiselle de La Seiglière,
avec autant d'originalité que de succès, il fut reçu
sociétaire en mai 1867. Depuis lors, sa carrière
sur la grande scène française fui aussi active que
brillante. Il y créa, ou reprit, dans le répertoire
moderne, de nombreux rôles, parmi lesquels nous
citerons: Molière dans la Valise de Molière, M. de
Maubray dans Christiane, Georges dans VAulre
Motif, Louis de Nobanl dans Petite piitie, le comte
Paul Adam dans
//e7éHe,LalTemas
dans Marion De-
lorme, lord As-
tley dans le
Sphinx, M. de
Najac dans le
Demi-Monde, le
comte de Briac
dans Grand'Ma-
man, Clarkson
dans l' Etran-
gère, Kohus daii-
i'Ami Fritz, don
Salluste dans
Ruy litas, Char-
les Slernay dans
le Fils naturel,
le comte d'Anne
de Kervitler,
G. Fargis de Da-
niet Hochât, le
marquis de Prestes du Gendre de M. Poirjer, Jean
de Hun de la Princesse de Bagdad, Sallahadil de
Le roi s'amuse. Bourdon des Corbeaux, le général
de Tréfondd'.lH/oî/ie(/efl//7 nue/, l'ami lalKerguen de
Smilis, le général de La Bartherie de Chamillac, Noël
de Haymonde, Lucien de I^àveroUes de Francillon,
Jacques Dinand des Brebis de Panurge, le mari de
Pepa, etc. 11 avait hérité, après la double retraite
de Bressant et de Delaunay, de plusieurs de leurs
rôles. Frédéric Febvre réussit moins bien dans le
répertoire classique; il ne se montra guère que dans
les Femmes savantes, le Jeu de iatnour et du ha-
sard, les Fausses Confidences, le Barbier de Sé-
ville. Cependant, il obtint un grand et légitime
succès dans Tartuffe, auquel il donna un relief
particulier par la manière nouvelle dont il composa
le personnage.
C'est à nos auteurs contemporains que Frédéric
Febvre doit le meilleur de sa réputation. Artiste
d'un talent incontestable, il avait de l'âme, de la
chaleur, de l'énergie, de la tenue, et il a presque
toujours marqué ses rôles d'uueempreinle originale
et personnelle. Il excellait à se costumer; mais il
pérhait par la diction : son débit manquait souvent
de netteté, et il lui arrivait fréquemment de préci-
piter ses phrases et de manger ses mots. Il portait
dans la vie ordinaire cette fierté un peu âpre qui
était le caractère de son talent.
En 1893, il donna sa repi'ésentation de retraite au
Théâtre-Français; l'année suivante, il fit une grande
tournée dans les principaux pays de l'Europe, puis
il quitta définitivement la scène.
En 1895, Frédéric Febvre reçut la mission d'étu-
dier le mouvement dramatique en Amérique. Il a
publié : Album de la Comédie-Française {\>fHl)); Au
bord de la scène (18X9); l'Héritage de madame
Afaurfi'n(1893); le Journal d'un comédien (1896); la
Clef des champs (1899). — P«ui auNTjgi».
LAROUSSE MENSUEL
Frédéric Febvre. (Phot. Bcrt.)
Fr. Febvre, dans SaltabadU de Le roi s'amuse. (Pbot. Nadar.)
liUnances de la guerre. (Troisième et
quatrième trimestres de 1916.) — France : Dépenses
et recettes. — L'emprunt. — Nouveaux impots. —
Nos ressources nationales. — A la lin du deuxième
semestre de 1916, la dépense moyenne de l'Etat
français se maintenait entre 88 et 90 millions de
francs par jour, soit un peu plus de 2.500 millions
par mois el 32 milliards pour une année. Le gou-
vernement avait demandé, pour le premier semestre,
un total de crédits de 14.500 millions. II a demandé
pour les six derniers mois de l'année 17.814 mil-
lions, dont 8.681 millions pour le troisième trimestre
el 9.133 millions pour le quatrième.
Le total des crédits demandés par le ministre des
finances Ribot et volés par le Parlement, depuis le
début de la guerre jusqu'à la fin de 1916, s'établit,
en conséquence, comme suit :
MUUons
de francs.
Cin(| derniers mois de 19U. 6.589
Année 1915 82.705
Année 1916 32.351
ËNSEMBLB 61.646
La moyenne mensuelle des crédits pour les cinq
premiers mois fut de 1.340 millions. Elle s'est éle-
vée k 1.892 millions pour 1915 et à 2.700 millions
pourl916.
Sur le total de 62 milliards de francs applicable
aux dépenses de toute sorte depuis la guerre, les
dépenses militaires proprement dites figurent pour
45 milliards, le service de la dette publique fiot-
lante et consolidée pour 4.965 millions, les dépenses
de solidarité sociale pour 6.458 millions, les autres
dépenses civiles de toute nature pour 5 milliards.
Tous les chapitres qui concourenl & la fabrication
du matériel de guerre accusent, en 1916, une impor-
tante progression sur 1915. Les dépenses, pour l'ar-
tillerie notamment, se sont accrues de 5 milliards,
celles pour l'aéronautique de 660 millions.
Les frais de fonctionnement el d'entretien se sont
aggravés. De multiples dépenses accusent des aug-
mentations considérables ([es fourrages, par exem-
ple), sous l'influence de la hausse des prix. Le
service de la dette publique a exigé près de
1.100 millions de plus en 1916 qu'en 1915.
Dans quelle mesure le rendement de l'impôt a-t-il
contribué à couvrir ces énormes déboursés de
l'Etat? Le chiffre normal des produits budgétaires
pour deux années aurait été de 9.500 millions. Il a
été recouvré du l'i^août 1914 à la fin dejuilletl916,
pour les deux années de guerre, une somme totale
de 7.375 millions. Le rendement de l'impôt pendant
cette période présente donc un déficit de 2.155 mil-
lions. Si l'on veut bien réfléchir, a fait observer
lui-même le ministre des finances Ribot, dans l'ex-
posé des motifs d'une de ses demandes de crédits,
que neuf de nos départements (et des plus riches)
ont été atteints par 1 invasion, que nombre de con-
tribuables ont été appelés sous les drapeaux, que
beaucoup d'autres, notamment les propriétaires de
maisons, ont éprouvé des pertes ou des relards dans
l'encaissement de leurs revenus, que la plus grande
modération, d'autre part, a été recommandée aux
percepteurs, on ne trouvera pas cette diminution
surprenante. On ne peut que noter, au contraire,
comme un symptôme satisfaisant, la régularité avec
35
laquelle, dans l'ensemble, les contribuables s'acquit-
tenl envers l'Etat. 11 convient d'ajouter que la plus
grande partie de la diminution porte sur 1915, le
fléchissement ayant été de 1.191 millions dans
celle période et seulement de 614 millions en 1916.
La constatation d'un mouvementsoutenu de reprise
dans les produits de l'enregistrement el du timbre
(droits de timbre sur les effets de commerce et
droits sur les ventes d'immeubles) est caractéris-
tique. Le mouvement des impôts de consommation
révèle aussi, d'une manière générale, la diffusion
croissante des ressources et le rétablissement gra-
duel du train de vie ordinaire.
Si l'on se reporte aux chiffres ci-dessus de dé-
penses, on constate que les déboursés de l'Etat, pen-
dant les deux premières années de guerre, se sont
élevés à 45 milliards de francs environ. Les recettes
budgétaires pendant la même période s'élant éle-
vées à 7.375 millions, la balance se solde par un
découvert d'à peu près â8 milliards. Le ministre
des finances, pour y faire face, s'est procuré les
ressources suivantes :
Milltoni
de francs.
Bons et obligations de la Défense na-
tionale 14.200
Bons du Trésor négociés en Angleterre. t.31S
Opérations d'emprunt aux Etats-Unis. 1.575
Avances de la Banque de France &
l'Etat g.300
Emprunt do 1915 en rente S p. 100. . . 11.92L
Ë.N.4KUBLR 38.215
Les payements du Trésor à l'étranger par suite de
nos achats pour la Défense nationale et pour le ra-
vilaillemenl civil avaient été, en moyenne, de 250 mil-
lions par mois en 1915. En 1916, celte moyenne a
atteint, dépassé même 600 millions.
Un tel chiffre fait comprendre à quel point il
importe, pour le maintien de notre crédit et la
bonne tenue de notre change, que l'appel le plus
large possible soit fait aux ressources propres du
pays et que le gouvernement ne demande à l'étran-
ger que ce qu'il est vraiment impossible d'obtenir
du travail national.
II apparaissait bien clairement, à la fin des deux
premières années de guerre, que l'élat de la
trésorerie, en France, ne légitimait aucune crainte,
que l'effort financier pour la victoire finale pouvait
se continuer tout aussi énergique, concurremment
avec l'effort militaire, et que les ressources ne fe-
raient pas défaut. On l'a bien vu, lorsque le ministre
des finances se décida à lancer, en octobre 1916, le
second emprunt consolidé de la Défense nationale,
destiné tout ensemble à réduire le montant de la
dette flotlanle (bons de la Défense nationale et
avances de la Banque de France^ el à fournir des
ressources nouvelles qui ne fussent pas grevées d'un
engagement de remboursement à courte échéance.
L'état général économique du pays, malgré l'énor-
milë des charges qu'il lui fallait subir, permettait
d'espérer que l'opération serait un franc succès.
Depuis le milieu de 1916, nos exportations étaient
devenues plus actives (1.718 millions dans le pre-
mier semestre de 1916, contre 1.415 millions dans la
même période de 1915), les chiffres de la navigation
maritime étaient en progrès, les recettes de nos
chemins de 1er accusaient une forte augmcntalion.
Un indice important de l'amélioration dans la situa-
tion économique générale était la diminution sur-
venue dans le montant total des effets à échéance
prolongée par le moratorium. Ce montant, à la
(in de juillet 1915, figurait encore dans le bilan de
la Banque au chiffre de 2.140 millions Un an plus
tard, fin juillet 1916, il s'était abaissé de 700 mil-
lions et n'était plus que de 1.440 millions. Aux
deux mêmes dates, l'encaisse or de la Banque de
France se trouvait portée de 4.129 à 4.787 millions,
malgré l'envoi à l'étranger (Angleterre et Etats-
Unis), pendant celle période, de sommes dont le
total dépasse un milliard de francs. Ce mouvement
d'apport de monnaie d'or à la Banque de France
n'a jamais eu d'interruption. Avant le dernier em-
prunt, il se chiffrait par quelques millions chaque
semaine; pendant la période de l'emprunt une re-
crudescence s'est produite, et c'est plus de 200 mil-
lions d'or en quatre ou cinq semaines que les sous-
cripteurs ont apporté (fin septembre et octobre) à
l'encaisse de notre grand établissement.
La rente offerte de nouveau à l'épargne française
était du 5 p. 100 perpétuel, non remboursable ou
convertible jusnu'eu 1931. I.e public avait fait un
excellent accueil à cette même rente, au prix de
87 fr. 25, en novembre 1915. Il a souscrit avec un égal
empressement aux litres du même fonds au prix de
87fr. 50, en octobre 1916. Le produit effectif a élé
de 11.500 millions, dont 4.500 millions en bons de
la Défense nationale, le reste en obligations de la
Défense el en espèces. Pendant tout ce mois d'oc-
tobre, le Trésor a prélevé sur les versements de
l'emprunt les sommes nécessaires à ses dépenses,
el il a remboursé immédiatement 2 milliards à la
Banque de France sur le lolal de ses avances. La
dette floltante a été allégée dans une large mesure
(plus de 5 milliards de francs si l'on y comprend
36
les obligations de la Défense nationale éctiangées
contre la rente nouvc Ile). Dès le lendemain de
l'opéialion, les épargnes en voie de formation ont
recoin nencé d'alimenter Ir Trésor par de nouveaux
acbats de bons de la Uèi'ense.
bin résumé, le premier emprunt de guerre fran-
çais (nov. 1915) avait produit 14.500 millions, y
compris 3 ou 4 milliards de conversion du 3 p. 100
en 5 p. ion. Le second emprunt (oct. 1916) a produit
11.360 millions La diminution que présente le total
du second einprunt sur celui du premier u'est
qu'apparente. Dans l'emprunt de 1915, le ministre
avait l'ait appel aux norteurs de la rente ancienne
3 p. 100, qui voudraient l'échanger pour du 5 p. 100
contre une soulte. C'était un simple échange de
titres de dette, n'apportant au ministre aucune
ressource actuelle, disponible, liquide. Cette opé-
ration de conversion porta sur olusieurs milliards,
qu'il convient en conséquence de déduire du mon-
tant total ilu premier emprunt. Aucune offre du
même genre n'a été faite aux porteurs de rente
3 p. 100, lors du second emprunt. L'opération effec-
tuée en oclobre 1916 est ilonc un franc, un réel
succès, dont peuvent être fiers et se réjouir sincè-
rement tous les Français, d'autant que les souscrip-
tions immédiatement libérées ont été en immense
majorité (95 p. 100) et que l'épargne n'a visiblement
fourni qu'une partie de ses réserves, les rentrées
réellement réalisées, ce qui est d'un heureux augure
pour le prochain emprunt, le troisième, auquel le
Trésor devra procéder dans le cours du premier
semestre de 1917.
En novembre, la commission du budget de la
Chambre des députés, reprenant et faisant siennes
les vues déjà exprimées il y a six mois par le minis-
tre des (Inanci'S, Ribot, arèsolu que l'on ne pouvait
plus ajourner la lâche d'assurer avec le produit des
impôts le si-rvice des emprunts contractés pendant
la guerre, service exigeant une annuité de 1.300 mil-
lions de l'i ancs.
C'est pour couvrir cette annuité qu'il fallait de-
mander à la taxation les nouvelles ressources né-
cessaires. Il a donc paru à la commission du budget
qu'il était indispensalile de jeter les bases d'une po-
litique financière d'après la guerre, se suffisant à
elle-même, sans préoccupation relative à une indem-
nité de guerre hypothétique à arracher ci l'Allema-
gne et, pour cela, d'organiser un système d'imposi-
tions devant permettre à la France d'assurer le
service des arrérages de sa dette.
Les autres grandes puissances belligérantes sont
déjà entrées depuis longtemps dans celte voie.
L'Angleterre a créé des taxes nouvelles pour près
de 8 milliards de francs. L'Italie, la Russie, l'Alle-
magne, l'Autriche ont également établi des impôts
pour le payement désintérêts de leur dette de guerre.
Nous avons eu, jusqu'ici, pour ne pas nous enga-
ger aussi vite dans celle polilique, l'excuse de l'in-
vasion et de l'occupation prolongée par les troupes
ennemies des parties les plus riches et les plus acti-
ves de notre territoire, et cette autre excuse que
c'est nous qui, drpuis deux ans, avons supporté le
fioids le plus Ipurd des hostilités. Avec le retour à
a vie économique, ces excuses ne sauraient couvrir
plus longtemps ce qui deviendrait une négligence
à nous acquitter d'un devoir tout à fait supérieur
Les Chainlires ont décidé, en conséquence, d'éle-
ver le taux de l'impôt .sur le revenu de 2 à 10 p. 100,
avec abaissement à 3.000 francs au lieu de 5.000 francs
du minimum exemple. Le taux de l'impôt varie de
1 à 10 p. 100, entre 3.000 et 150.000 francs de revenu.
Elles ont, en outre, voté un certain nombre de
taxes indirectes, frappant le droit de circulation des
vins, cidres et bières, les chevaux et voitures, les
cercles, les spectacles, concerts, cinémas. Elles ont
voté l'élévation de 4 à 5 p. 100 de l'impôt sur le
revenu des valeurs mobilières françaises et de 5
à 6 p. 100 de l'impôt sur les valeurs mobilières étran-
gères, une taxe de guerre sur les mobilisables ré-
form'jou en sursis d'appel.
Ribot proposait, en outre, une modification des
droits sur l'alcool, qui a été détachée et mise en vi-
gueur au cours même de 1916, le doublement de
l'impôt foncier, des patentes et ae la contribution
personnelle et mobilire, mesure radicale, dont il
attendait 275 millions. La commission l'a remplacée
fiar d'autres ressources, frappant le calé, le cacao,
e chocolat, le thé, la vanille, les sucres, les spécia-
lités pharmaceutiques, les tabacs, les communica-
tion.» postales, télégraphiques et téléphoniques.
Le produit éventuel de toutes ces taxes est éva-
lué à 650 millions.
Une loi du 31 juillet 1916 a établi l'impôt sur les
bénéfices de guerre. Elle est entrée aussitôt en
application. Les benéfires taxés sont afférents à la
période écoulée enire le l" ao'il 1914 et la fin
de 1915. Les perceptions déià effecluées dépassent
300 millions, et l'on compte qu'elles atteindront
500 millions.
A maintes reprises l'assertion a été portée à la
tribune de la Chambre par le ministre des finances et
le rapporteur de la commission du budget que nos
ressources nationales seraient « k la hauteur du
courage des soldats de la France ».
LAROUSSE MENSUEL
D'après Ribot, si l'Etat français avait déjà dépensé,
en deux années, d'août 1914 à juillet 1916, une
somme totale de 45 milliards, en fait, une forte pro-
portion de ces dépenses de l'Etat n'a été nulle-
ment perdue pour la nation. Les frais de solidarité
ont été de 5 milliards, le service de la dette consoli-
dée en a pris 3. Voilà donc 8 milliards qui n'ont pas
quitté le pays, qui ont été versés par l'Etat aux
mains de nos nationaux. Il y faut ajouter 24 mil-
liards, représentant pour ces deux années la solde
payée à nos soldats et les fournitures de toute espèce
provenant de producteurs français. L'Etat a donc
payé 32 milliards depuis le début de la guerre
à 1 intérieur du pays, et cette somme énorme a été
reversée parle pays à l'Etat, sous la forme de prêts,
coiitre de la rente consolidée pour 22 milliards et
conlredes bons de la Défense nationalepourleresle.
L'écart entre ces 32 et 33 milliards qui sont re-
tournés de la lation à l'Etat et la somme de 44 à 45
milliards représentant le total des dépenses de
l'Etat est, en chiffre rond, de 10 milliards. C'est la
part de la dépense qu'il a fallu payer à l'étranger
pour les fournitures qu'il nous a faites (mdépendam-
mentdes prêts qu'il nous a consentis àplus ou moins
long terme). Ces lo milliards constituent la mesure
de la perte matérielle subie par la nation pendant
un peu plus de deux années de guerre. Si l'on y
ajoutait, il est vrai, le montant des capilaux mobi-
liers anéantis par l'ennemi, la perte sélèverait au
moins à 15 ou 16 milliards. C'est un déchet énorme,
mais que le pays a pu subir sans qu'il en résulte
une atteinte grave à la solidité de sa structure éco-
nomique, une réduction inquiétante de sa richesse
réelle.
La nation a fourni une partie de la perte, chifi'rée
ci-dessus à 15 ou 16 milliards, par des prélèvements
sur ses « capitaux en nature », donnant plusieurs
milliards sous la .orme de bétail et de bois. Elle a
afi'ecté à la perle cau.«ée par la guerre une partie de
son revenu annuel, évalué en temps normal à une
trentaine de milliards par les économistes les plus
autorisés. Les capitalistes français po»5.édaienl enfin,
avant la guerre, des valeurs étrangères pour un total
de 39 à 40 milliards. Ici encore, un large prélève-
ment en capital pouvait être opéré, et l'a été, en fait,
soit par des ventes directes sur le grand marché
de New-York, soit par des prêls à l'Etat pour
garanties d'ouvertures do crédit à l'étranger.
Nos ressources pour la conduite de la guerre
sont donc considérables. Elles n'ont été, jusqu'à la
fin de trente mois de guerre, que tr" s partiellement
atteintes, et, s'il le faut, suffiront pour des années
encore, quelque longue que puisse être la durée
de l'effort qui donnera la victoire à la France et à
ses alliés.
L'Allemagne et ses alliés sont en grande partie
bloqués, tandis que nous conservons, malgré les
sous-marins, nos communications par mer avec les
pays neutres.
Notre principale ennemie vit sur elle-même; elle
produit en quantités insufflsantep certaines denrées
alimentaires, mais elle est pourvue, à peu près, de
toutes les matières preinicres indispensables pour
les munitions et de tout l'outillage de faliricalion du
matériel de guerre. Sa politique doit être, en consé-
quence, d'économiser les aliments et de porter à son
maximum l'efficacité de la main-d'œuvre dans ses
usines de guerre. C'est ce qu'elle a cherché à obtenir
^n faisant voter au début de décembre 1916, par le
Reichstag, sa loi sur le «service auxiliaire national».
L'Allemagne, restreignant ses importations par con-
trebande aux produits indispensables à la guerre :
colon, caoutchouc, que son sol ne lui fournit pas,
et ne faisant venir du dehors que le minimum d'ap-
provisionnements alimentaires, a peu de payements
à effectuer au dehors. Ce qu'elle a dû payer a
été soldé moins avec de l'or qu'avec le produit de
la vente de valeurs étrangères à Amsterdam et à
New- York. Si son change est déprécié outre me-
sure, ce n'est pas à cause d'une ualance commer-
ciale défavorable, mais parce que les neutres n'ont
plus de confiance dans la victoire finale des Empires
centraux et considèrent surtout les graves embar-
ras financiers avec lesquels se trouvera aux prises
l'Allemagne vaincue.
Notre si luation, comme aussi celle de l'Angleterre,
est tout autre. Notre industrie est inférieure à l'in-
dustrie allemande, et nous avons perdu, dès le dé-
but des hostilités, la disposition de nos plus riches
gisements de charbon, de nos meilleures mines de
fer, de nos contrées lesmieux outillées. Nous avons,
par contre, la liberté de nos communications avec
l'extérieur. Aussi faisons-nous venir d'.^ngleterre
la houille qui nous manque, des Etats-Unis les ma-
chines, l'acier, des armes, des projectiles, du maté-
riel de toute sorte, du sucre, du blé, du pétrole.
D'autres pays nous envoient des nitrates des pyrites
de cuivre, des viandes frigorifiées.
Pour toutes ces importations, que ne couvrent
que pour une faible partie nos exportations, il nous
lautpayerdes milliards, et, tout en les payant, veiller
à prévenir toute dépréciation excessive de notre
change. Mais nos ressources sont grandes, nos
fournisseurs étrangers ont confiance en notre cré-
«• /20. Février 1917.
dit; ils acceptent que nous contractions près d'eux
de larges emprunts, dont le pi oduit couvre au moins
partiellement nos achats.
Notre polilique financière et économique ne doit
donc point ressembler à celle de l'Allemagne, et
les pouvoirs publics, chez nous, doivent éviter toute
mesure propre à entraver la reprise d'une vie éco-
nomique plus intense ou le développement de nos
exportations.
Angleterre. — En mai et juillet 1916, furent pré-
sentées à la Chambre des communes les onzième et
douzième demandes de crédits pour la guerre. (V. fi-
nances DE GUERRE, t. m, p. 889.) La treizième de-
mande fut apportée par le premier ministre, Asquith,
le 11 octobre suivant. Elle était de 7.500 millions
de francs et portait le total des crédits volés depuis
les débuts de la guerre à 78 milliards. Les nou-
veaux crédits devaient couvrir les dépenses jusqu'à
Noël. Ils ne les ont couvertes, en lait, que jus-
qu'au samedi 16 décembre. Le Trésor, en effet,
n'avait plus, le 14 décembre, de ressources que pour
deux journées. Aussi, ce jour-là, une (luatorzième
demande de crédits fut-elle présentée aux Com-
munes, non plus par Asquith, mais par le nouveau
chancelier de l'Echiquier, Bonar Law, membre du
cabinet formé au début de décembre par Lloyd
George, ministre de la guerre pendant la précédente
administration.
La nouvelle demande portait sur 10 milliards de
francs, élevant le total des crédits depuis la guerre
à 88 milliards. A cette somme devait être ajouté un
compte de 8 milliards pour frais d'adminisiration ;
le total atteignant ainsi 96 milliards. « Les dépenses
pour les munitions, dit Bonar Law, successeur de Mac
Keiina aux finances, constituent un chiffre presque
incroyable »... « Les armées alliées, a-l-il njoulé,
nepourraientma-
nifeslement être p
tenues pour un b
temps indéfini f
aux efi'ectifs ac-
tuels. De même,
en ce qui con-
cerne nos finan- i
ces, il estévident
que nousne pour-
rons pas conti-
nuer sans limite
detempsàdépen-
ser dans les pro-
portions actuel-
les. Je crois, ce-
pendant,quenous
pourrons le faire
assez longtemps
pour assurer que
ce ne sera pas le
manque d'argent
qui pourrait faire que nous ne remporterons pas
la victoire ». Les crédits furent votés, le jour même,
à l'unanimité.
Du l" avril 1916 (début de l'exercice fiscal anglais
1916-1917) au 9 décembre, soit en 253 jours (environ
8 mois et demi), il a été dépensé en Angleterre une
somme totale de 33 milliards de francs, dont 9 m illiaids
en prêts aux colonies et aux Alliés. Le total représente
une moyenne quotidienne de 130 millions de francs.
D'apri^ l'exposé fait par Bonar Law, la dépense
totale pendant la période de 63 jours, du 8 octobre
au 9 décembre 1916, a été de 9 milliards de francs,
soit une moyenne quotidienne de 142 millions. La
moyenne quotidienne de 125 millions, dont avait
parlé l'ancien Premier, Asquith, est donc largement
dépassée à la fin de 1916.
Les organes économistes de Londres ne croient pas,
cependant, que ces chiffres, si énormes qu'ils soient,
comprennent toutes les dépenses. Le Statist établit
par de minutieux calculs que la Grande-Bretagne
aura dépensé, dans son exercice fiscal, du I "avril 1 916
au 31 mars 1917, une somme totale de 51 milliards
de francs, soit une moyenne mensuelle de 4.530 mil-
lions et une moyenne quotidienne de 161 millions
de francs
Sur les 54 milliards, les ressources ordinaires du
budget (produit des impôts) auront di^ fournir
12.500 millions; il aura fallu demander le reste,
soit 41.500 millions, à l'emprunt.
Du l"' avril au 9 décembre 1916, le Trésor an-
glais avait déjà emprunté, sous toutes les formes,
28.500 millions; il lui restait donc à emprunter,
pour les 112 derniers jours de l'exercice, une somme
de 13 milliards de francs.
Avant la guerre, la dette publique de l'Angleterre
était d'environ 18 milliards de francs. A la fin de
mars 1917, elle s'élèvera à 97 milliards, trente-deux
mois de guerre l'ayant accrue de 79 milliards. Mais
il faut considérer que, sur ces 79 milliards d'augmen-
tation, 23 milliards représentent des prêls consentis
aux colonies et aux Alliés et devront être remboursés.
L'augmentation nette ne serait donc que de 56 mil-
liards, et la dette publique de l'Angleterre s'élèverait
à la somme nette de 74 à 75 milliards au 31 mars 1917.
L'ancien chancelier de l'Echiquier, Mac Kenna,
avait très habilement dirigé les finances britanni-
Bonar Law
chancelier de l'Echiquier.
If 120. Firrier 1917.
qnes. On lui reprochait, il est vrai, d'avoir été k
rexcès partisan de l'argent ciier et de ne pas s'être
suflisamment préoccupé de l'opinion des milieux
commerciaux et financiers. On lui faisait grief d'avoir
négligé les occasions d'émettre un emprunt de
guerre dans de bonnes conditions, ce (|ui l'avait
obligé d'avoir recours, pour la création des ressour-
ces nécessaires, non seulement à la vente conti-
nue de bons du Trésor à troismois, sixmoisouunan,
dont le total en circulatiun atteint le chiffre invrai-
semblable de 30 milliards, mais encore à l'émission
d'obligations de l'Echiquier, donnant un intérêt de
6 p. 100, taux excessif pour le crédit anglais.
Le nouveau ministre, Bonar Law, a suivi la même
politique, tout en aimonçant qp'il comptait émettre,
un jour très prochain, un troisième empruiitde guerre.
L'émission des obligations de l'Echiquier, rappor-
tant 6 p. 100 et remboursables dans trois ans, a
commencé le 2 octobre 1916. Le public en a pris
dans les deux premières semaines pour près de
1 milliard de francs et ensuite pour 375 millions en
moyenne chaque semaine. Le 8 décembre, le total
émis dépassait déjà 2.500 millions de francs. C'est
avec cette ressource, celle des 30 milliards de bons
du Trésorà très court terme, le produit de quelques
autres modes accessoires d'emprunt et celui des
impots qu'il a été fait face aux dépenses de la guerre
en Angleterre depuis le 1"' avril 1916, début de
l'exercice fiscal.
Le rendement des impôts dépasse les prévisions
les plus optimistes. II avait été évalué àl2 milliards
de francs pour l'exercice 1916-1917. D'après les
rentrées déjà elTecluées à la fin de 1916, il apparaît
que ce chilfre sera non seulement atteint, mais
même dépassé. La taxe sur les bénéfices de guerre
a produit, en neuf mois, près de 1 900 millions.
h'income-lax a donné 100 pour 100 de plus que
dans la même période de 1915. L'immensité des
ressources du pays est atleslée par la facilité avec
laquelle se fait, chez nos voisins, la perception des
impôts, bien qu'ils ait nt été tous augmentés dans
des proportions considéraliles.
Allemagne. — Les banques privées, en Allemagne,
centralisent les bénéfices de guerre et le produit des
réalisations de stocks indu^triels de toute nature.
Elles détiennent ainsi les fonds de roulement de
toute l'industrie. D'autre part, les ci isses d'épargne
sont en possession de la presque totalité des éco-
nomies et des profits des particuliers.
Les banques privées et les caisses d'épargne ont
donc souscrit, pour eur compte ou pour celui de
leurs clients, la plusgrosse paît des emprunts natio-
naux. L'Allemagne trouve dans sa population de
65 millions d'habitants, presque le double de celle
de la France, des ressources qui se renouvellent
sans cesse, les payements à l'étranger él an t minimes
et l'argent versé par le Trésor dans la circulation
restant dans le pays.
Le cinquième emprunt de guerre allemand a élé
émis en septembie 1916. Le 23 octobre, il avait élé
déjà versé sur cet empiunt 10.500 millions de francs,
soit plus de 75 p 100 de la souscription totale. A la fin
de décembre, le montant versé était de 95 p. 100.
Les crédits de gnerie accordés jusqu'au début de
novembre 1!<16 s'élevaient à 65 milliarus de francs.
Le comte Rœdern, secré'.aired'Rlat de la trésorerie,
présenta alors une nouvelle demande de crédits de
15 milliards, portant le total à 80 milliards. « Pcmr
le cinquième emprunt, dit le ministre, nous avons
con-ervé le typeanlèrieur et le taux de 5 p. 100. Il a
été souscrit 13.500 millions de francs par près de
4 millions de souscripteurs ».
Le premier emprunt de guerre (19H)avait donné
6.250 millions defrancs. Les ileux emprunts émis en
1915 ont produit 26 milliards, les deux de l'.il6 un
montant égal. Le produit des cinq emprunts a dé-
passé ainsi 5g milliards.
Dans les derniers mois de 1916, les dépenses nou-
velles de l'Alleiuagne se sont élevées en moyenne,
d'après le ministre des finances, à 2.735 millions de
francs, soit 91 millions par jour, la miijeure partie
de cette somme étant consacrée à pourvoir du né-
cessaire : munilions, vivres, vêtements et artillerie
« les combattants de la Somme, de la Courlande, de
la Pologne, de la Galicle et de la Roumanie ».
Les emprunts de guerre n'ont pas suffi à couvrir
la lotalilé des dépenses de l'empire. Il y est pourvu,
dans les intervalles des emprunts, par des émissions
de bons du Trésor, dont le montant est évalué à
plus de 15 milliards defrancs.
AuTHicHE-IloNGiuE. — L'Autriche et la Hongrie
continuent à couvrir leurs dépenses par des émissions
d'emprunts qui leur coûtent de plus en plus cher,
mais au sujet desquels il est malaisé de recueillir
des renseignements précis. Comment ces emprunts
sont-ils souscrits et i quel taux réel reviennent-ils
aux deux gouvernements, on nesauraitle dire exac-
tement ; mais il n'est pas téméraire d'avancer que le
coiU tolal doit dépasser 7 p. 100
D'apn's une déclaralion fuite à Budapest, le 16 dé-
cembre 1916, par le comte Peleskh, ministre des
finances, les dépenses de la Hongrie ont oscillé,
pendant les vingt-trois premiers mois de la guerre,
entre 450 et 470 millions de couronnes par mois.
LAROUSSE MENSUEL
Elles atteignent, actuellement, une moyenne men-
suelle de 700 millions de couronnes (un peu plus de
700 millions de francs). Le total des dépenses de
la Hongrie pendant les vingt-huit premiers mois de
guerre dépasserait 15 milliards de couronnes.
Russie. — Les dépenses de guerre proprement
dites, qui doivent être couvertes pur l'emprunt, ont
été, en Russie, dp 26 milliards de francs pour les dix-
sept premiers mois (l^f août 19 14 à fin décembre 1915)
et sont évaluées pour les douze mois suivants (an-
née 1916) à une somme égale, soit 52 milliards pour
trente mois de guerre. Or, à ces dépenses s'ajoutent
celles de l'administration civile et de la dette, que
couvrent les ressources budgétaires normales.
Le 6 novembre 1916, a été émis un nouvel emprunt
dont les modalités étaient les mêmes que celles des
deux emprunts antérieurs: obligations 51/2 p. 100
95 p. 100, remboursables au pair après dix années.
Taux réel de rendement, 6,3 p. 100.
Italie. — Du 30 juin au 30 octobre 1 916, le Trésor
italien a émis des bons ordinaires pour 1.250 mil-
lions de lires, soit environ 420 millions par mois.
Dans le même temps, la circulation des billets d'Etat
a passé de 724 kSiO millions. Les ressources acces-
soires d'emprunt ont couvert l'excédent des besoins
pour dépenses de guerre, qui se sont élevées à plus
de 1 milliard pour le troisième trimestre de 1916.
L'Italie avait, à cette époque dépensé au total pour la
guerre une somme de 12 milliards, cbifi're emprunté
au compte duTrésor àladatedu 30 septembre 1916.
Le 13 décembre, dans un discours prononcé à la
Chambre, à Rome, le ministre des finances, Garcano,
dit que les dépenses de l'exercice financier clos le
30 juin 1916 s élevaient & 10.625 millions de lires,
dont 7.360 millions représentent, à proprement par-
ler, les dépenses de guerre. Sur la somme totale,
les emprunts ont fourni un peu plus de 6 milliards
de lires. 11 résultedes calculs présentés parle minis-
tre que les dépenses de guerre de l'Italie, depuis
juillet 1915 jusqu'à la fin de novembre 1916, s'élè-
veraient à une moyenne mensuelle de 700 à 710 mil-
lions de lires, ce qui représente environ 8.5»0 mil-
lions à 9 milliards pour la période du l'rjuillet 1916
au 30 juin 1917. La moitié de cette somme est dépen-
sée (fin 1916). Le ministre des finances comptait se
procurer l'aulre moitié par émission d'obligations
du Trésor à plus ou moins courte échéance.
La dépense moyenne mensuelle, qui était, comme
il est dilci-dessus, de 700 à 710 millions pour l'exer-
cice fiscal 1915-1916, est plus élevée pour la période
fiscale en cours (1916-1917). Elle atteint, fin 1916, une
somme de 765 millions de lires, éteint entendu qu'il
s'agit ici des seules dépenses de guerre. — A. Moinsin.
gros-pied n. m. — Maladie des crucifères.
"V. hernie, p. 44.
a-uerre en 1914:-1916 (tji). [Suite.] —
Le dernier mois de l'année 1916 a été rempli plus
qu'aucun aulre par des événements graves et inat-
tendus. Pour la première fois, le mot de « paix » a
été officiellement prononcé et, quoiqu'il n'ait élé,
dans la bouche du gouvernement allemand, qu'un
moyen de guerre, une manœuvre inédile, il y a eu,
dans celte initiative de nos ennemis comme dans
37
les manifestations qu'elle a provoquées, tant chez
les belligérants que chez les neutres, un symptôme
nouveau d'une signification exceptionnelle. Ni les
Eouvernemenls, niles peuples, ne s'y sont trompés.
l'Allemagne a eu beau envelopper sa propo-ition
de toute la phraséologie ostentatoire du triomphe
qu'elle se décerne avant l'heure, de toutes les me-
naces qu'elle a cru pouvoir brandir à l'adresse de
ceux qui repousseraient sa gratuite magnanimité;
elle a pu rejeter d'avance, avec une émotion indi-
gnée, toute responsabilité dans les horreurs ulté-
rieures qu'eili'
médite, son ges-
te est resté un
geste de lassi-
tude; et, si per-
sonne n'a songé
à espérer qu'il
iraitjusqu'audé-
couragement
immédiat, si
tout le monde,
au contraire, a
compris qu'on
entraitpeut-être
dans une pé
riode de guerre
qui dépasserait
en raffinement
de sauvagerie
tout ce c|ne la
féconde imagi-
nation alle-
mande a jus-
qu'ici imposé au
monde civilisé,
il a été avéré
que nos ennemis n'étaient pas sûrs d'aller jusqu'au
bout et que l'elfort immense qu'ils allaient tenter,
et que nous annoncions le mois dernier, ne pourrait
être suivi d'aucun autre. Assurément,cetteionviction
ne diininuaitpas la gravité du moment; elle compor-
tait pour tous les peuplesbelligérants les plus viriles
résolutions et, pour tous les neutres, les risques
les plus inquiétants; mais elle dissipait toute équi-
voque, et elle mettait le monde en présence d'une
situation parfaitement claire. Elle devait être, pour
tous les participants de l'Eutente, un encouragement
et une espérance.
Certes, à ne regarder que les événements mili-
taires qui s'étaient déroulés sur le front balkanique
au cours du mois de décembre, lajaclance allemande
avait sujet de se manifester et donnait à la grandi-
loquence impériale une abondante mitiire. Nous
avions laissé, dans notre précédente chronique, les
Allemands de Fa''(enhayn sur la roule de Bucarest,
au pied des mon s de Transylvanie au Nord et, au
Sud, les Bulgaro-Allemands de Mackensen le long
du Danube et en Dobroudja, L'opinion publique,
chez les Alliés, suivait avec anxiété l'avance de l'en-
nemi vers la capitale roumaine, elle était, d'ailleurs,
moins pn-occupée de la prise de celle ville que du
sort de l'armée roumaine, menacée d'enveloppement,
et de la mainmise de l'approvisionnement allemand
Officier en obiervatloo dans lea arbret
d'une forêt.
^si^/^^^U
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1
Troapttt aD(Ui*«« rev«Baiit àam trMiohtei de pfmkU* ligao. — Plkoi. WyadhABt.
38
Bur le blé et le pétrole roumains. Le 6 décembre, les
troupes de Falkenhayn entraient à Bucarest. Mais
l'armée roumaine leur échappait, et déjà commen-
çait la destruction utile et systématique, qui s'est
continuée pendant tout le mois avec méthode, des
LAROUSSE MENSUEL
continuaient à affermir leur autorité en Egypte par
la défaite des Turcs. Sans doute, Enver-pacha ne
renonçait pas à reprendre ses projets sur la vallée
du Nil, même sur l'Afghanistan et sur l'Inde. Mais
on sait ce que vaut l'outrecuidance de ce polilicien
Une chapelle construite par les soldats français dans la forêt de Parroy. — Phot. P. A.
réserves alimentaires et des puits de pétrole; de
telle sorte que les Communiqués allemands ont pu
faire grand Ijruit de la conquête chaque jour plus
large de la Valachie. Le peuple allemand n'en a
éprouvé qu'un médiocre soulagement. Sans doute,
dans les semaines qui ont suivi, les Allemands, re-
joignant leurs deux groupes d'armées, ont continué
leur marche en avant; ils ont franchi l'espace entre
la Dambovitsa et la Jalomitza, puis entre la Jalo-
mitza et le Buzeu; ils ont pris Buzcu et, passant la
rivière, ils se sont dirigés vers le Sereth ; ils sont
entrés le 27 décembre dans Rimnicu-Sarat, poste
avancé devant la barrière du Sereth, angle occiden-
tal du triangle Focsani-Riinnicu-Braïla, et ils ont
serré de très près la première et la dernière de ces
trois villes. Aux dernières heures de décembre, on
pouvait penser qu'elles tomberaient en leur pouvoir.
Mais l'armée roumaine et l'armée russe, qui s'était
substituée à elle en Moldavie, et celle qui s'était peu à
peu retirée devant Macitensen en Dobroudja, s'étaient
dérobées chaque fois à la poursuite; les Allemands
s'étaient étendus vers l'Est; pas plus qu'ailleurs, ni
sur un point quelconque des fronts oriental ou occi-
dental, ils n'avaient remporté le grand succès déci-
sif qui supprime définitivement un ennemi.
Au surplus, cette marche en avant avait été à
chaque pas de plus en plus rude, les batailles de
l'Argesu pour la prise de Bucarest, celle de Himnicu-
Sarat pour la conquête de cette place, avaient duré
des jours et des jours et, quoiqu'il fiit impossible
d'avoir aucun détail précis sur les perles récipro-
ques, il n'est pas douteux qu'il n'y ait eu là, pour
les Allemands, une campagne épuisante, sans effet
concluant. — L'invasion de la Valachie a été pénible
àtous lesAlliés;elle apu déprimer certains esprits;
ramenée à sa valeur réelle et mesurée à sa durée
toujours prolongée, elle n'a été, en décembre, ni
une opération militaire de premier ordre, ni une
manœuvre de guerre sans réplique. Elle avait été
réalisée contre un ennemi inférieur en nombre, in-
férieur en matériel, mal servi par le terrain, pris
à i'improviste avant que sa préparation fût achevée
et que ses alliés pussent le secourir. Elle atteignait
un pays très éloigné des fronts essentiels, et elle
n'eût été capitale que si elle eût pu s'étendre brus-
quement, comme un flot irrésistible, jusqu'à Odessa;
elle ne l'avait point fait, et il n'y avait pas d'apparence
qu'elle pût le faire rapidement. Par suite, il n'était
nullement certain, comme on avait dû le craindre en
novembre, qu'elle aurait, pour les vues ultérieures
de l'Allemagne sur l'Orient, les résultats cherchés
depuis toujours et que nous avons maintes fois si-
gnalés. L'ell'ort accompli avait, certes, été consi-
dérable, et il était digne de la mégalomanie alle-
mande. Mais il fallait le continuer, et tout arrêt en
compromettait davantage le succès. Or, la Russie
était derrière le Sereth et barrait la route d'Odessa.
Il fallait donc être très modéré dans le pessimisme
et, le premier moment d'ennui passé, il était sage
de ne pas s'émouvoir outre mesure de l'extension
du front oriental allemand vers les plaines méridio-
nales de la Russie.
11 importait, en outre, de noter tout de suite que,
tandis que les Allemands faisaient ce gigantesque
elTortpour conquérir l'Orient européen, les Anglais
criminel, guindé sur l'assassinat, sinistre exécuteur
de l'Arménie, du Liban et de la Syrie. 11 y avait
donc une contradiction très évidente entre les visées
germano-turques et la réalité.
Cependant, l'avance allemande dans les Balkans
pouvait avoir une
autre conséquence
que tout le monde
voyait et dont il
n'était pas possible,
en l'état de nos ren-
seignements, de me-
surer la gravité. Elle
permettait aux Alle-
mands de distraire
de leur front rou-
main des forces dont
on ne pouvait, à la
vérité, évaluer l'im-
portance, pour les
porter sur le front
macédonien, devant
Monastir, et peut-
être contre Saloni-
que et l'armée Sar-
rail. Il y avait là un
point d'interroga-
tion, et personne
n'était en état de
prévoir quelle se-
rait l'étendue de la
réponse que l'on
trouverait derrière.
11 était vraisembla-
ble qu'une attaque
en force contre Mo-
nastir, dont l'armée
alliée, dans une sai-
son très rude, avec
des moyens de com-
munication et de
transport très défec-
tueux, n'avait pu or-
ganiser sérieuse-
ment la défense, se-
rait difficile, sinon
impossible à soute-
nir. La perte pos-
sible de Monaslir
devait être, d'ail-
leurs, envisagée
avec calme. Elle ne
pouvait avoir de
conséquences plus
graves sur la mar-
che générale de.s
opérations qu'elle - i ,!
n'en avait eu lors-
que les Bulgares y étaient entrés pour la première
fois; quant à la répercussion sur le front même
de Salonique, il était permis de conclure, d'après
les renseignements les plus sûrs, que toutes .ies me-
sures avaient été prises pour supporter un choc
puissant, et il ne fallait pas s'exagérer la quantité
de troupes que les Allemands pouvaient retirer de
«• 120. Février 1B17.
Roumanie pour les opposer à Sarrail. — Restait
une dernière conséquence, celle-là fort obscure,
de la conquête de la Roumanie parles Allemands :
nous voulons dire la répercussion sur la question
grecque et sur l'attitude du roi Constantin. Nous y
reviendrons tout à l'heure.
Pendant que les Allemands s'étendaient vers la
mer Noire, armée française leur rappelait, le 15 dé-
cembre, l'importance du front français. Après une
intense préparation d'artillerie poursuivie pendant
plusieurs jours, une attaque déclenchée sur un front
de dix et une profondeur de trois kilomètres enle-
vait, au N. de Douaumont, les villages de Vache-
rauville et Louvemont, les fermes des Ghambrettes,
les ouvrages d'Hardaumont et de Bezonvaux. Nous
faisions 11.400 prisonniers, dont 284 officiers; nous
prenions 115 canons, 109 milrailleuses, 44 lance-
bombes ; avant tout, nous donnions de l'air au fort
de Douaumont et nous infligions au kronprinz une
nouvelle leçon. Elle fut suivie, pour lui, d un avan-
cement qui ressemble assez fort à une disgrâce : il
quitta le commandement de l'armée de Verdun, où,
évidemment, il n'avait plus rien à faire, pour prendre
le commandement du groupe d'armées qui couvre
le front de la Champagne aux Vosges, mutation à
laquelle nous devons prêter attention\et qui, étant
donné le désir de l'héritier impérial de se tailler un
succès quelque part, permet d'induire que la sollici-
tude paternelle n'a nullement renoncé à le lui pro-
curer ailleurs que devant Verdun. En attendant,
il était évident que notre position au N. de Ver-
dun se trouvait <'ort consolidée par le succès du
15 décembre. L'effort que le^ Allemands ont fait peu
après sur la cote 304, et qui a été repoussé, n'a pu
que les confirmer dans fa certitude que nous ne
comptons pas sur ce point les laisser regagner ce
qu'ils ont perdu. — Ni sur la Somme, ni sur le front
anglais, il ne s'était rien pas.sé que quelques coups
de main réussis et des canonnades réciproques,
sans action <rinfanlerie. La saison particulièrement
pluvieuse et la nature du terrain, en Picardie et
dans le Nord, rendaient toute opération à peu près
impossible, et les fronts, de ce côté, semblaient
de part et d'autre stabilisés pour quelque temps.
Le succès du 15 décembre avait coïncidé avec un
changement de la plus haute importance dans le
commandement français. Par un décret du 13 dé-
cembre, le général Joiïre était nommé conseiller
technique du gouvernement pour les opérations de
guerre. Cette désignation lui retirait, en fait, le
commandement en chef des armées. II n'était pas
«• 120. Février 1917.
remplacé clans cette fonction. Le général Nivelle,
commandant des groupes d'armées de Verdun, deve-
nait commandant en chef des armées du Nord et
de l'Est. Le général Sarrail conservait le comman-
dement de l'armée d'Orient. Ces modifications se
combinaient avec la création d'un comité de guerre
composé de cinq ministres et avec une extension
des pouvoirs du minisire de la guerre, dont l'auto-
rité, il faut le reconnaître, avait été précédemment
sinon diminuée,
(lu moins panil-
li'lement doublée
sans prolit par
celle du grand
quartier général.
La charge du
mi nistre de la
1,'uerre allait,
d'ailleurs, nousle
«lirons plus loin,
être confiée au
général Lyautey,
très qualifié pour
inaugurerun sys-
lème nouveau. —
Ce n'est pas
l'heure d'insister
sur les raisons
frochaines et
ointaines des
changements que nous venons de résumer. Le
passé <lu général Nivelle, son rôle lors de la ba-
taille de la Marne, devant Soissons, devant Ver-
dun, le plaçaient aux premiers rangs de nos
grands chefs d'armées. On pouvait l'attendre avec
confiance dans le rôle élargi qu'il était appelé à
jouer. Quant au général Joflre, en faveur de qui
le gouvernement, par un décret du 27 décembre, a
relevé la dignité de maréchal de France, il n'est pas
:.;»ll.>.i
tinlatre dti la gueri'c
Le général Jollrc, promu & la digûlLé de maréchal de t'raiice.
un Français qui puisse oublier qu'en un temps où
le sort de la France se jouait entre la Marne et la
Seine, il a su conserver tout son sang-froid, éviter
la déroute et qu'il a été de ceux, si peu nombreux,
qui n'ont pas alors désespéré de la patrie. Ceux
qui sont en situation de suivre les divers mouve-
ments de l'opinion publique savent avec quelle
âprelé et quelle injustice certains ont jugé le rôle
du généralJ offre, avec quel esprit de dénigrement
on a cherché à le diminuer. On peut à bon droit
dire, dès maintenant, que la France lui a dû son
salut et, sans rien ajouter à cette simple constalalion,
cela suffit à lui assurer dans l'histoire de notre pays
une place à côté des plus grands. Investi de la con-
fiance de l'armée française, il avait su s'imposer à
nos alliés, et son autorité suprême avait été acceptée
de tous. Dans la haute dig:nité qui le consacre, il
reste le symbole du soldat tel qu'il doit être, dans
une démocratie républicaine comme la nôtre : loyal
et franc, fidèle à son devoir, uniquement occupé de
sa t.lche militaire, incapable d'une traîtrise, sans
visées politiques. Le labeur écrasant de vingt-huit
mois de commandement en chef dans les circons-
tances les plus graves et les plus douloureuses lui
donnait le droit de passer à d'autres une partie de
LAROUSSE MENSUEL
sa tftche. Il demeure pour nous celui qui, aux heu-
res de la pire angoisse, a su dire aux soldats
fiançais les mots qui arrêtent la retraite et suscitent
les héros. Il nous a rendu l'espérance que nous
croyions perdue à jamais. Le peuple de France, qui
39
avoir perdu une centaine d'hommss. La capitale
grecque se trouvait, dès lors, tout entière entre les
mains des royalistes. Alors, commençaient des arres-
tations en masse et de véritables massacres, longue-
ment préparés & l'avance, de partisans de Venizelos.
Installation de l'artlUerle autrichienne dans la région au nord do Trleste.
a fixé aux murs des plus humbles chaumières son
portrait grossièrement enluminé, mais fidèle, ne
loiibliera pas.
Il faut, maintenant, revenir à la Grèce. Nous
avions, le mois dernier, prudemment réservé notre
jugement sur la pièce qui se jouait à Athènes, et
nous nous étions même demandé, devant le lent
balancement de gestes des acteurs et l'alternance
compassée de leurs répliques, si cette figuration
La terreur régnait avec l'assentiment du gouverne-
ment, qui n'hésitait pas à féliciter publiquement les
émeutiers. Devant ces faits et en présence de l'at-
titude, dépourvue à cette heure de toute équivoque,
du roi Constantin et de son ministère, les puissan-
ces protectrices : Kussie, France, Angleterre, agis-
sant d'accord avec l'Italie, se décidèrent à mettre
l'embargo sur tous les navires grecs en partance
dans les ports alliés et, le 8 décembre, h proclamer
Les puits de pétrole à Campinn (Roumauie). — Pliot. Cliussi-aullavionB.
avait une importance. Les événements se sont char-
gés de nous éclairer, et il n'était plus possible, fin
décembre KMC, de refuser aux affaires de Grèce,
dans le conilit européen, une concordance très nette
avec les opérations militaires et diplomatiques en-
gagées sur le front orienlal. Le 28 novembre, le roi
Constantin avait rejeté l'ultimalum des alliés. Le
1" décembre, l'amiral Dartige du Fournet ayant
fait débarquer 1.200 marins, ceux-ci étaient atta-
3ués et mitraillés par les réservistes grecs, maîtres
'Athènes, et étaient obligés de se rembarquer après
le blocus des côtes grecques. On se souvient, nous
l'avons rappelé souvent, mie la Grèce ne vil que par
les Alliés et n'est ravitaillée que par eux. On pou-
vait donc espérer que le blocus rendrait plus souple
le souverain grec. En effet, lorsque, le 14 décembre,
les puissances présentirent un nouvel ullimatum,
Constantin l'accepta immédiatement. Cet ultimatum
reprenait, d'ailleurs, des demandes antérieures, au
sujet desquelles les prome.sses faites par le gou-
vernement grec n'avaient pas été exécutées. Il exi-
geait le retrait de toutes les troupes grecques et de
m
LA.ROUSSE MENSUEL
«• 720. Février 1917.
RâceptioQ des troupes alliées débarquant à Salouique. — Phot. Chusseau-Flaviens.
tout le matériel d'artillerie massé en Thessalie et
en Epire et leur transport dans le Péloponèse.
L'op ralion devait être surveillée par des ofliciers
alliés; elle devait avoir lieu dans le plus bref délai,
ce qui laissait, en somme, à Constantin tous les
moyens de la différer. Il se pourrait bien qu'il en
ait usé, car, & la lin du mois, on n'avait pas appris que
l'évacuation de laThes-alie fût très avancée encore.
— L'ullimutum du 14 décembre ne visait que la
question militaire. Il restait à régler celles des répa-
rations à exiger pour leguet-apensdu 1" décembre.
Ce fut l'objet de l'ultimatum du 31 décembre. Ce
document lixait de nouveau dans ses trois premiers
piragraphes les garanties exigées de la Grèce : lé-
duclion des forces grecques au nombre d'hommes
strictement nécessaire pour le .service d'ordre et de
Îiolice, concentration du matériel d'artillerie dans
e Péloponèse, maintien et surveillance de cette
situation militaire aussi longtemps qu'il serait jugé
nécessaire, interdiction de tout rassemblement de
réservistes au nord de l'isthme de Corinthe et inter-
diction riguureuse du port d'armes, rétablissement
de tous les contrôles allies. Les trois derniers païa-
graplies visaient les réparations. Ils exigeaient la
mise en liberté de toutes les personnis arrêtées pour
faits politiques depuis le l"' décembre et des indem-
nités à ceux qui en avaient soulFert, la destitution
du général re.-ponsable du guet-apens du l" décem-
bre, des excuses formelles aux puissances prolec-
trices et le salut solennel aux drapeaux français,
britannique, italien et russe sur une place publique
d'Athènes, en présence du ministre de la guerre et
de la garnison rassemblée. Enfin, les gouvernements
protecteurs prévinaientle gouvernement grec «que
des nécessités militaires pourraient les amener pro-
chainement à débarquer des troupes à Itéa et à les di-
riger surSalonique par le chemin de fer de Larissa».
Les puissances se réservaient pleine liberté d'action
si le gouvernement grec leur donnait de nouveaux
sujets de plainte. Par contre, elles s'engageaient à
ne pas permettre au gouvernement de la défense
nationale de profiter du retrait des troupes royales
de Thessalie etd'Epire pour francliir la zone neutre
établie d'accord avec le gouvernement royal. Il
restait entendu que le blocus des côtes grecques
serait maintenu jusqu'à ce que les satisfactions ré-
clamées eussent été accordées. L'Italie, quin'estpas
« puissance prolectrice » et garante de la Constitu-
tion, ne s'est associée qu'aux clauses militaires de
cet ultimatum. Elle s'est désintéressée de tout ce
qui regarde les réparations relatives aux arresta-
tions des partisans de Venizelos. 11 n'y a pas k in-
sister sur cette réserve. Elle indiquait seulement
que l'Italie n'a pas, dans la Méditerranée orientale,
les mêmes intérêts que ses alliés et que les projets
de "Venizelos sur l'extension de l'hellénisme ne sont
pas approuvés par elle sans restriction. Elle laissait
entière la participation de l'Italie aux mesures d'or-
dre nécessaires pour garantir la sécurité des opéra-
tions militaires en Macédoine, auxquelles elle pre-
nait une part importante. Or, tout était là. Une seule
chose importait à ce moment : empêcher le roi Cons-
tantin de persévérer dans cette politique de ter-
giversation calculée, parlaquelle il cssayaitde paraly-
ser l'action des Alliés et de se réserver une interven-
tion éventuelle aux côtés des puissances centrales.
Il fallait, alors, qu'une fois pour toutes il fût obligé
de prendre une décision, et il était indispensable
qu'on obtint de lui de garder à l'égard des Alliés
la neutralité qu'il avait si souvent promise, qu'il
avait ouvertement violée le l»' décembre, que, peut-
être, il s'apprêtait à violer encore. On n'avait, à la
vérité, sur ce qui se passait en Grèce e( sur l'exé-
cution des promesses du 1 n décembre, que des ren-
seignements incomplets. Mais il y avait de sérieuses
raisons de croire que ces promesses n'étalent rem-
plies qu'en apparence et que le gouvernement grec
s'organisait pour tromper une fois de plus les Alliés.
L'attitude de Constantin se ressentait des victoires
allemandes en Roumanie, et le transfert de divi-
sions ennemies devantMonastir était un événement
qui devait lui faire souhaiter de gagner du temps.
L'opinion publique, en France et en Ansleterre,
voyait clair dans le jeu du monarque grec, et les
lourdes finesses de Constantin ne pouvaient plus
cacher son désir de grossir les rangs de nos enne-
mis. On s'inquiétait à la pensée que, si Monastir
ne pouvait être conservé par les Alliés et si, par
suite, une attaque en forces se développait contre
Salonique, on courait le risque de voir l'armée
Sarrail prise à revers par l'armée grecque. Sans
doute, il ne fallait pas s'exagérer la valeur numé-
rique et tactique de cette armée, mal équipée et
mal nourrie. Il n'était pourtant pas sans importance
que l'année Sarrail eût à se soucier de sa présence
et fût, le cas échéant, contrainte de commencer par
s'en débarrasser. Ces réflexions, que tout le monde
faisait et qu'on ne cherchait même plus à censurer
dans la presse quotidienne, faisaient planer sur la
question grecque, simple en apparence, une obscu-
rité qui grandissait. Il n'est pas douteux que l'an-
tique philhellénl'^me, qui a si longtemps protégé les
Grecs contre leurs propres défaillances, et peut-être
certains sentiments de famille, n'aient alors, une
fois eni-ore, exercé leur influence. Mais, même en
Angleterre, les yeux s'ouvraient déplus en plus; on
reconnaissait enfin que la gravité des intérêts enga-
gés dans le conflit européen et dans les Balkans ne
permettait plus à la duplicité d'un petit souverain
de tout compromettre. Le moment était venu où
Constantin devait choisir entre ses alliances domes-
tiques. L'histoire de la Grèce, depuis août 1914, n'en
était pas moins une des comédies les mieux tru-
quées que l'histoire ait jamais enregistrées dans ses
annales. La Grèce s'était appliquée à dépasser en
duplicité la Bulgarie, et Constanlin avait eu l'ambi-
tion de bafouer la confiante Entente plus complète-
ment que ne l'avait fait Ferdinand. Restai ta savoir s'il
pourrait pousser jusqu'au bout ce rôle difficile et dan-
gereux. 11 dépendait des puissances d y meltre ordre.
Si la question p-^cque avait très vivement solli-
cité l'attention publiriCj le grand événement du mois
de décembre avait été, comme nous le disions en
commençant, la manœuvre allemande pouj- la paix.
Il est nécessaire de noter avec quelque précision
dans quelles circonstances elle s'est produite. On n'a
pas oublié que, plusieurs fois déjà, le chancelier
Belhmann-Hollweg avait lancé le mot de <• paix » et
avait affirmé, en restant toujours dans le vague de
déclarations imprécises, que i'Allemafjne, qui n'avait
fias, suivant sa thèse, voul ii la guerre, élaitprêle à faire
apaix. Nous avons fait remarquer que, présentée dans
ces termes, une déclaration de ce genre n'élait qu'un
argument de tribune, destiné à séduire les neutres,
à ébranler le courage des peuples de l'Entenle et à
persuader le peuple allemand de la méchanceté de
ses ennemis. Mais jamais le chancelier n'avait for-
mulé une proposition ferme, relative à des négocia-
tions pour la paix. Or, le 12 décembre, il annonçait
au Reichstag réuni tout exprès qu'il avait transmis
à toutes les puissances ennemies, par l'intermédiaire
de l'Espagne, des Etats-Unis et de la Suisse, une
Note tendant à organiser des négociations pour la
paix. « Les propositions que les quatre puissances
alliées mettent en avant, disait-il, ont pour ob-
jet la garantie de 1 existence, de l'honneur et de la
liberté de ces nations. Elles ont la ferme croyance
que ces propositions constituent une base appropriée
pour une paix durable ». 11 ajoutait que, si l'olfre
était rejetée, la guerre continuerait jusqu'à la vic-
toire, mais que les quatre puissances déclineraient
solennellement tonte responsabilité devant l'huma-
nité et devant l'histoire. La Note transmise aux
neutres, et dont le texte fut connu le lendemain,
n'était que la paraphrase de cette déclaration. L'Al-
lemagne y témoignait du « désir d'arrêter le flot de
N' 120. Février 1917.
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0 s K> 1& U S5M.
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42
sang et de mettre fin aux horreur? de la guerre » ;
elle s'y affirmait, avec ses alliées, victorieuse
et invincible. Elle ne formulait aucune propo-
sition ferme, ne marquait aucun but de guerre.
Elle tendait à amener l'Entente à causer de paix,
sans qu'aucune base à cette conversation fût pré-
cisée. L'Autriche, la Turquie et la Bulg-arie avaient
LAROUSSE MENSUEL
étendre le tissu de mensonges où l'Allemagne appa-
raît comme une victime. — Vis-à-vis des neutres,
il faiblit présenter les Empires centraux comme
porteurs du rameau d'olivier. Les neutres souffrent
aussi Bien plus, ils craignent à juste titre, si la
guerre continue, de souffrir davantage. Tous dési-
rent la paix pour leur sûreté extérieure, pour leur
Venizeloh passe en levue un régiment grec quittunL Saluiiique puur le front bulgari:. — l'hot. Wyndham.
en même temps transmis des Notes identiques, et
l'Allemagne avait fait tenir au pape une Note spé-
ciale, où elle affirmait qu'elle menait une guerre
défensive « pour la sécurité de ses frontières, pour
la liberté du peuple et le droit de ce dernier de
développer librement et dans la paix ses forces in-
tellectuelles et économiques, sans entraves et avec
les mêmes droits que les autres Elats »; elle y prêtait,
en outre, à ses ennemis des « plans de conquête »,
mais elle n'y avait introduit, pas plus que dans les
autres communications, aucune précision, ni aucune
base concrète de discussion.
Les raisons qui ont poussé l'Allemagne îi lancer
dans le monde cet énorme ballon d'essai sont cer-
tainement multiples, internes et externes, d'ordre
très divers. Les armées allemandes venaient d'en-
trer à Bucarest et se préparaient à envahir toute la
■Valachie. Ce succès, dont l'importance, grossie à
dessein par la presse allemande, était réelle, devait,
pensait-on à Berlin, avoir troublé les peuples de
l'Entente et prouvé la force irrésistible des puissan-
ces centrales. L'espérance d'un succès plus étendu
permettait, en outre, à l'Allemagne de prendre,
devant les neutres, une altitude de magnanimité et
de condescendance à l'égard d'ennemis qu'elle se
donnait l'apparence de ménager, pouvant les écra-
ser. L'Allemagne, en outre, sait, mieux que per-
sonne, qu'il y a en Europe, dans le monde entier,
chez tous les neutres, chez elle, une lassitude géné-
rale et que, seule, la nécessilé de se garantir pleine-
ment pour l'avenir donne aux belligérants l'énergie
nécessaire à une lutte prolongée. Une proposition
de paix tombant sur un terrain préparé par la fa-
tigue, préparé aussi par les menées secrètes des
agents allemands en tous pays, par la complicité de
la haute finance internationale, par les agissements
très louches de certains hommes politiques des pays
de l'Entente, ne pouvait-elle créer un mouvement
général d'opinion, un élan vers la paix qui ne per-
mettraient pas aux gouvernemenls de résister à la
poussée de leurs peuples, rendraientimpossible,une
fois la conversation imprudemment engagée, toute
reprise des hostilités et, par suite, contraindraient les
ennemis de l'Allemagne à subir ses conditions? Ce
fut certainement le raisonnement du gouvernement
allemand. D'autre part, les souffrances du peuple
allemand vont croissant : aucun doute n'est permis
à ce sujet. Le rationnement atteint ses limites ex-
trêmes. Le blé roumain, en très grande partie
détruit, n'a donné ce qu'on espérait ni & l'Alle-
magne, ni à l'Autriche, ni à la Hongrie et, au sur-
Elus, surtout pour l'Allemand, le pain n'est pas la
ase essentielle de l'alimentation. Il y a donc par-
tout, chez les peuples de l'Europe centrale, une
extrême fatigue physique. 11 fallait les soutenir par
l'espérance de la paix et, si la paix était refusée, les
galvaniser pour le suprême efi'ort du désespoir et
de la faim. Il fallait rejeter sur les autres la res-
ponsabilité de la continuation de la guerre et
commerce et leur industrie, pour leur tranquillité
intérieure. Quelle force l'Allemagne ne se donnerait-
elle pas vis-à-vis d'eux et, le cas échéant, quelle
excuse, si elle pouvait leur prouver qu'elle seule
veut la paix et que c'est l'ambition efi'rénée de ses
N' 1P.0. Février 1917.
paraître particulièrement propice, et il est certain
que la première annonce de la proposition allemande
lancée avec la solennité et l'ensemble que l'orga-
nisalion de presse de nos ennemis leur permet de
mettre au service de leurs manifestations avait fait
sur le monde entier une impression profonde. Im-
pression mêlée de curiosité et mitigée de défiance
dansTallente des propositions annoncées et qui,
suivant les paroles mêmes du chancelier, devaient
former une base acceptable pour une paix durable.
Mais les précisions attendues ne sont point venues,
et il faut dire que, devant celte tromperie, le sentiment
unanime, chez les nations de l'Entente, n'a pas été
du désappointement, mais plutôt la satisfaction
de ne s'être pas laissé prendre aux espérances que
pouvait faire naître, dans la première surprise, la
note allemande. A Paris, Briand à la Chambre et au
Sénat, à Rome Sonnino, à Petrograd Pekrowski, à
Londres Lloyd George ont repoussé, dès le pre-
mier moment, par de fermes et nobles paroles, non
pas l'idée de paix, mais l'insidieuse proposition et la
manœuvre grossière de l'Allemagne. Briand a dé-
noncé la lentavive d'n empoisonnement de l'opinion »
que constitue la démarclie allemande; Lloyd George
a déclaré que la paix sans répavalions éUiit im-
possible. En parlant ainsi, ils ont exprimé la pen-
sée de leurs concitoyens, et ils ont rétabli la vérité
historique. — Le 31 décembre, les dix puissances de
l'Entente : Belgique, France, Grande-Bretat:ne,
Italie, Japon, Monténégro, Portugal, Roumanie,
Russie et Serbie, dans une unanimité dont la
seule constatation était émouvante, remettaient aux
représentants des puissances neutres une réponse
collective aux " prétendues propositions de pa x »
qui leur avaient été adressées de la part des gouver-
nements ennemis. Dans cette réponse, d'une im-
pressionnante simplicité, les nations alliées com-
mencent par s'élever hautement contre les asser-
tions essentielles de la Note des puissances ennemies,
qui prétend rejeter sur elles la responsabilité de la
guerre et qui proclame la victoire des puissances cen-
trales. Elles se refusent à « admettre une affirmation
doublement inexacte et qui suffit à frapper de stérilité
toute tentative de négociation ». Elles affirment leur
attachement à la paix aujourd'hui comme en 1914.
« Après la violation de la paix, disent-elles, ce
n'est pas sur la parole de l'A lleinagne que la paix,
rompue par elle, peut être fmilée « Une sug-
gestion sans conditions, pour l'ouverture des négo-
ciations, n'est pas une ofi're de paix », ajoutent-elles.
20 30 K.
La Chalcidiquc et la Macédoine orientale grecque.
ennemis qui la refuse I Enfin, avouons qu'au début
de décembre, ce qui se passait chez certains des peu-
ples de l'Entente était bien fait pour encourager
l'Allemagne à jeter dans leurs discussions intérieures
un ferment particulièrement actif. L'Angleterre et
la France étaient en pleine crise ministérielle. La
Russie venait de changer son premier ministre et
son ministre des afi'aires étrangères. Les affaires de
Grèce brochaient sur le tout. Le moment pouvait donc
« La prétendue proposition, dépourvue de substance
et de précision, mise en circulation par le gouver-
nement impérial, apparaît moins comme une ofi're de
paix que comme une manœuvre de guerre ». Puis
la Note résume avec énergie l'historique de la dé-
claration de guerre, la situation présente, l'avenir
tel que l'envisage l'Allemagne, ses tenlatives pour
échapper à toute réparation; elle montre le but
que nos ennemis ont cherché à atteindre chez les
«• 120. Février 1917.
belligérants, chez les neutres, chez leurs peuples
mêmes; elle dévoile la manœuvre tentée par 1 Al-
lemagne pour justifier la barbarie de ses procédés de
guerre. Elle se termine par une affirmation solen-
nelle relative aux droits violés de la Belgique, aux
souffrances sans cesse accrues de ce malheureux
pays, à son désir d'obtenir « des réparations légiti-
mes, des garanties et des sécurités pour l'avenir ».
Ce document, très sobre dans la forme, très serré
dans le fond, exempt de toute rhétorique, a déçu
l'Allemajrne et l'a profondément irritée. Il a été
accueilli par la presse allemande avec colère et
avec déception. Il a pu prouver aux peuples alle-
mands, comme aux Autrichiens, aux Turcs et aux
Bulgares, qui, eux aussi, souffrent et sont inquiets,
que la guerre ne pouvait finir que par les armes ou
fiar une reconnaissance franche des faits, mais que
es Alliés ne tomberaient dans aucun piège. Après
les espérances qu'avait certainement fait naître
l'initiative de Betbmann-HoUweg, le réveil a dû être
rude. Sans doute, cette réponse présageait pour les
Alliés de nouveaux sacrifices. Tout prouvait qu'ils
étaient prêts à les faire, et il faut reconnaître qu'ils
n'avaient pas à pourvoir, en outre, ou du moins dans
des proportions presque négligeables, au grand pro-
blème austro-allemand de l'alinienlation du peuple.
Considérée isolément, la tentative de paix sans
franchise ni sincérité de l'Allemagne eût été un évé-
nement de premier ordre, un élément tout nouveau
et qui, présenté autrement, aurait pu être fécond,
de la guerre européenne. Elle avait pris une portée
presque incalculable du f.iit de l'intervention simul-
tanée, mais complètement indépendante, du prési-
dent \Vilson, en faveur de la paix. Dans une Note,
qui fut remise au quai d'Orsay le 22 décembre, le
LAROUSSE MENSUEL
toute entente avec les Empires centraux. II parait
certain que l'envoi de la Note aux belligérants fut
accompagné d'instructions aux ambassadeurs amé-
ricains auprès des neutres pour les inviter & suggé-
rer à ceux-ci une intervention simultanée et dans le
même sens. En effet, quelques jours après, le Con-
seil fédéral suisse adressait, de son côté, aux belligé-
rants une Note où il faisait ressortir la situation
difficile de la République helvétique au centre même
du confiit, ses aspirations vers la paix, son désir
d'y contribuer dans la mesure de ses moyens.
Le 30 décembre, les puissances Scandinaves s'as-
sociaient de leur côté a la manifestation de "VVilson.
Seule, l'Espagne, le 28 décembre, faisait connaître
aux Etats-Unis que « la Note américaine et les im-
pressions diverses qu'elle a produites élant déjà cou-
nues, ladémarohe à laquelle les Etats-Unis invitaient
l'Espa^'ne n'aurait aucune efficacité, étant donné
surtout que les Empires centraux ont déjà exprimé
leur ferme intention que les conditions de la paix
soient concertées entre les puissances belligéran-
tes ». En conséquence, l'Espagne déclarait « sus-
pendre son intervenlion et la réserver pour le mo-
menloii tous ceux qui désirent la paix pourront être,
plus qu'ils ne le seraient maintenant, utiles et effi-
caces 0
A la note Wilson l'Allemagne et l'Autriche ré-
fiondirent,en effet, non sans hâte et brièvement, dès
e 27 décembre. Elles se bornaient à rappeler leur
proposition du 12 décembre, en soulignant que ce
qu'elles désiraient, c'était « la réunion immédiate des
délépués des Etals belligérants dans un endroit
neutre». Elles avisaient, en outre, le président" que
le grand soucid'empêcherune guerre future ne peut
commencer qu'après la fin de la présente guerre des
A AIhéneB : i^e Za|>peion. ancien théâtre ti-an&fornié en caserne, où fle trouvait de longue dat<^ un détachemeni de marins français.
I>es jardins du l^alais-Royal, attenant à ceux du Zappeion, les soldats royaux ont tu*é sur nos soldats, le l*r décembre 1916.
pré-sident des Etals-Unis demandait « à tontes les
nations actuellement en guerre une déclaration pu-
blique de leurs vues respectives quant aux condi-
tions auxquelles la guerre pourrait être terminée et
aux arrangements qui seraient considérés comme
satisfaisants en tant que constituant des garanties
contre le retour ou le déchaînement d'un conflit si-
milaire dans l'avenir, de façon à pouvoir comparer
ensemble en toute franchise leurs déclarations ». 11
fais^ait remarquer « que les objets que les hommes
d'Etat des belligérants des deux côtés ont en vue
dans celte guerre sont virtuellement les mêmes,
conformément aux déclarations qu'ils ont faites en
termes généraux à leurs propres peuples et au
monde ». 11 insistait sur le fait que, « dans les me-
sures à prendre pour assurer la paix du monde, le
peuple et le gouvernement des Elats-Unis sont inté-
ressés d'une manière aussi vitale et aussi directe
que les gouvernements actuellement en guerre. En
outre, leur intérêt dans les moyens à adopter pour
libérer dans le monde les peuples plus petits et
plus faibles du péril de l'injustice et de la violence
est aussi fort aue celui de tout autre peuple ou gou-
vernement ». 11 ajoutait que, « sans avoir à suggérer
des conditions de paix, il avait le sentiment gue
c'est son droit et son devoir de faire ressortir 1 in-
térêt profond de l'Union à la terminaison du conflit,
de peur qu'il ne soit alors trop tard pour accomplir
les choses plus grandes qui dépendent de cette ter-
minaison, de peur que la situation des nations neu-
tres, aujourd'hui extrêmement dure à supporter, ne
soit rendue tout à fait intolérable ». Le président,
d'ailleurs, n'indiquait aucune mé'hode spéciale pour
arriver à un échange de vues; il ne proposait pas sa
médiation; il se défendait formellement — et cette
défense était nécessaire à cause du moment où sur-
venait la Note américaine — de toute collusion et de
nations» ,et elles ajoutaient qu'elles seraient prêtes,
« lorsque le moment viendra, à collaborer avec plai-
sir et sans réserve avec les Etats-Unis à cette noble
tâche ». Le ton dédaigneux de celle réponse et le
soin apporté à marquer que l'Allemagne, qui a dit
souvent sa crainte des interventions neutres, entend
ne discuter la paix qu'entre belligérants, a dû fixer
le président 'VVilson sur les sentiments qu'avait
inspirés à nos ennemis son initiative généreuse.
A la fin de décembre, les nations de l'Entente, qui,
à raison des distances qui les» séparent, avaient Be-
soin déplus longs délais pour se mettre d'accord sur
une rédaction commune, n'avaient pas encore fait
connaître leur sentiment au sujet (les suggestions
américaines. Il était à prévoir que celle réponse
aurait plus de précision, de netteté et de courtoisie
que celle de l'Allemagne.
L'impression qu'avail produite, à la première lec-
ture, la Note du président Wilson, venant après la
Noie allemande, avait été faite d'étonnement et de
quelque défiance. Malgré les protestations du rédac-
teur de la Note, on avait craint d'y trouver une ma-
nœuvre combinée avec celle de l'Allemagne. A la ré-
Hexion, on se convainquit que, si celle manifestation
pacifique manquait peut-être un peu d'opportunité
dans le temps, elle était totalement libre de toute
attache germanique. On y fut aussi un peu choqué
de constater que le président Wilson semblât ad-
mettre l'identité des buts et des déclarations des
belligérants et, sur ce point, la Note du 31 dé-
cembre s'est chargée de l'éclairer. Enfin, on était
frappé de l'insistance avec laquelle Wilson mar-
quait les souffrances des neutres et leur intérêt à
voirtînirla lutte. On y percevaitcomme l'expression
de la crainte qui aurait préoccupé l'éminent homme
d'Etat que son pays ne fût obligé de prendre parti.
Sur ce dernier point — et nul ne le sent mieux que
E. ScholthesB.
président de la Confédération helvétique.
43
le président Wilson — la position des neutres deve-
nait évidemment de jour en jour plus critique.
Tous le sentaient. Le pape, pour commencer par le
moins exposé de tous, avait rompu le Iod^ silence
qu'on lui a souvent reproché. Dans une lettre au
cardinal Gibbons sur les déportations belges, dans
son discours du 4 décembre au Consistoire, dans
son allocutionde
Noël, par le fait
même de l'élé-
vation au cardi-
nalatdetroisévé-
ques français, il
avait marqué sa
réprobation des
procédés alle-
mands et son ar-
dent désir de la
paix « basée sur
lajustice » : ma-
nifestation d'au-
tant plus cu-
rieuse qu'elle ar-
rivait au moment
où l'avènement
de l'empereur
Charles mettait
la couronne au-
trichienne dans
une famille liée avec le pontife d'une étroite et
ancienne amitié.
La Suisse avait la conscience très nette d'un pé-
ril, et le fait que le nouveau président de la Confé-
dération, Schulthess et, avec lui, ses collègues du
Conseil fédéral : Motla à Genève, et Hoffmann, dans
une conversation avec un journaliste italien, aient
cru devoir affirmer que leur pays saurait défendre
sa neutralité, en disait long sur la réalité des inquié-
tudes helvétiques, en dépit de toutes les assurances
que ce pays a pu recevoir de son exigeante et peu
scrupuleuse voisine du Nord. L'Espagne, de son
côté, faisait l'expérience pénible des procédés alle-
mands : elle était presque bloquée par les sous-marins
germaniques; sa marine marchande souffrait des per-
tes graves. Son gouvernement avait dû communi-
quer à la presse, pour s'expliquer publiquement, une
Note où il protestait énergiquement contre les vio-
lations de la Convention de La Haye dont se ren-
daient coupables les Allemands et' où il annonçait
des mesures préventives. — La Norvège savait ce
que pèse, pour nos ennemis, le principe de la neu-
tralité. — Les Elats-Unis eux-mêmes, sans revenir
sur le crime de la Lusilania, dont le souvenir reste
cuisant en Amérique, se sentaient menacés dans la
liberté de leur commerce, dans leur dignité, dans
la vie même de leurs citoyens. La question d'une
intervention armée se posait-elle pour eux? Il est
permis d'en douter. Nous avons dit souvent notre
sentiment à cet égard. Les Etals-Unis ne souhaitent
pas la guerre, et ils ont raison. Mais leur action
pourrait s'exercer de bien d'autres manières, et il
était possible qu'ils fussent alors de plus en plus
frappés des dangers que leur faisaient courir et,
avec eux, au monde entier, pour le présent et pour
l'avenir, les prétentions allemandes. En particulier,
il est certain que l'intention déclarée des Empires
centraux de régler entre belligérants, à l'exclusion
de tous les neutres, les questions soulevées parcelle
guerre, et dont quelques-unes intéressent tous les
peuples et les Etals-Unis en particulier, ne pouvait
être accueillie de l'autre côté de l'Océan comme un
procédé amical. II semblait certain, au début de
1917, que le président Wilson, libéré de tout souci
électoral, responsable devant sa conscience et son
pays, envisageait des décisions plus précises que
celles par lesquelles il s'élait jusqu'alors manifesté.
C'est à ce point de vue que sa Note aux puissances
avait un intérêt considérable. L'Entente Ta vait par-
faitement compris.
Ainsi, par l'ensemble de circonstances qui n'avaient
pas été concertées, la situation, comme nous le di-
sions en commençant, se trouvait fort éclaircie. Que
l'initiative de la Note du 2 décembre vint de Ber-
lin, ou, comme on l'a dit, qu'elle vint de 'Vienne, il
était avéré que les Austro-.Mlemands désiraient la
paix ou, plutôt, qu'ils avaient besoin de la paix.
Sans doute, l'Allemagne avait établi le service auxi-
liaire obligatoire, et elle préparait un énorme effort.
Nous n'étions pas renseignés sur les résullals effec-
tifs qu'avait donnés la mobilisation civile. Elle por-
tait toute son action militaire sur les Russo-Rou-
mains. Mais elle ne s'était pas, comme elle l'espérait,
ravilaillée sur le Cas Danube, et elle rencontrait des
difficultés militaires grandissantes. Elle ne pouvait
rien contre la disette chaque jour accrue, ni, à l'exté-
rieur, contre la baisse du mark. La raison sociale
Hindenburg-Luddendorf-Groener, comme l'a dit un
oialeur allemand, pouvait imposer à I .\Ilemagne do-
cile toute la discipline dont elle est capable. Restait à
savoir combien iie temps cette tension physique et
nerveuse d'un peuple insuffisamment nourri pourrait
durer. Sans doute, la presse d'outre-Rliin resl;iit in-
transigeante sur les buts de guerre, et le pangerma-
nisme continuait à sévir. Mais il est impossible, en
u
Allemagne, de savoir au juste la valeur réelle d'un
article de presse et, pendant la guerre, plus q^u'avant
la guerre, il faut toujours voir derrière le journa-
liste l'esprit qui s'impose à lui et lui dicte sa prose.
Au surplus, rien n'était plus mêlé que les directions
de la presse, et certains articles contradictoires
prouvaient un grand désarroi de l'opinion.
En Autriche-Hongrie, les changements successifs
de ministres, que notre presse inlerprétait complai-
samment, n'étaient pas aussi clairs qu'il semblait &
certains. Kœiber avait été remplacé par Spitzmul-
1er, puis Spitzmuller par Clam-Martinic; Czernin
avait succédé à Bui-ian ; le prince de Hohenlohe avait
été pourvu d'une grande charge de cour, et l'on avait
vu reparaître, très en faveur, le comte Berchtold, qui
semblait devoir devenir l'inspirateur du jeune empe-
reur. Que prouvaient ces rapides mutations? Quels
élaientle sens exact et la portéedes bruits quicouraient
sur le dissentiment de l'empereur Charles avec le
comte Tisza, comme aussi la valeur de l'opposition
qui se manifestait au Parlement hongrois en faveur
de la paix par des discours pacifistes comme ceux
des comtes Balhiany et Caroliy? Quels étaient les
sentiments de l'empereur et roi à l'égard de son
cousin d'Allemagne? Quelle était l'exacte influence
de l'impératrice Zita? Préparait-on pour la Bohême,
épuisée vl matée par le régne précédent, un régime
Charles I", empereur d'Autriche (ou Charles IV, roi de Hongrie)
et rintpératrice Zita.
plus doux, qui, pour un temps, calmerait les dissen-
timents nationaux et rendrait à la monarchie dua-
liste une nouvelle force? Quel soit réservait-on à la
Galicie d'une part, aux Yougo-Slaves d'autre part?
Autant de questions qui se posaient à la fois et aux-
quelles il était impossible de répondre. Ce qui restait
avéré, c'était la fatigue de l' Austro-Hongrie, son épui-
sementaliinentaire,sonépuisementfinancier,sondésir
de paix. — Que si l'on se retournai t vers la Bu igarle et
laTurquie, on constatait le souci d'en finir et la préoc-
cupation de n'être pas absorbées par r.\llemagne. —
En résumé, et si 1 on regardait avec calme la situa-
tion de nos ennemis, si brillante en apparence mi-
litaire, on constataitchez eux des causes de faiblesse
et de dépression qui devaient nous confirmer dans
notre résolution daller très ferme jusqu'au bout.
D'ailleurs, c'est en ce sens que s'étaient produits
en Russie, en Angleterre et en France, les change-
ments ministériels qui avaient occupé tonte l'acti-
vité parlementaire pendant le mois de décembre. —
En Russie, nous avons vu déjà que Trépof avait
remplacé Sturmer. De renseignements publiés de-
puis la chute de ce ministre il résulte, évidemment,
que son élévation au pouvoir avait été le résultat
d'une inti'igue à laquelle l'influence allemande
n'était pas étrangère. Un discours, prononcé à la
Douma par Milioukofî et connu depuis, en dit long
sur ce sujet. Les déclarations de Trépof, celles du
ministre Pekrowski, celles du tsar lui-même, dansson
manifeste de Noël, prouvaient, par contre, que les in-
tentions du gouvernement russe n'avaient pas varié.
— En Angleterre, l'énergiiiue intervention de Lloyd
George en faveur de la création d'un gouvernement
concentré en un très pelit nombre de mains avait
obligé Asquilh à se retirer. Après l'échec d'une
combinaison Bonar 1-aw (v. p. 36), Lloyd George
avait constitué un ministire d action nationale, au-
quel Asquith, bien qu'il n'en fît pas partie, donnait
son appui, bel exemple à proposer à certains de nos
parlementaires. On pouvait penser que la volonté
Etienne Clémentpl, mluisti-e d'Economie
nationale, Commerce, Industrie, Agricul-
ture, Travail et P. T. T.
LAROUSSE MENSUEL
solide de Lloyd George achèverait de mettre l'An-
gleterre en mesure d'opposer à l'effort allemand
une résistance victorieuse. On pouvait tout attendre
de ce Gallois têtu, révolutionnaire et organisateur,
qui mettait au service de son pays toute la fougue
de son tempérament et toute la résolution de son
caractère. — En Ki'ance, nous avions revu les jours
des comités secrets. Le 7 décembre, la Chambre
avait clos le sien par un ordre du jour de confiance,
qui avait révélé 160 opposants au gouvernement.
Briand avait re-
manié et resserré
son ministère. Il
avait groupé plus
fortement les
déparlementsmi-
nistériels.ll con-
servait des hom-
mes éprouvés
comme Albert
Thomas, Rihot,
Clémente!, Vi-
viani. U prenait
avec lui des
hommes d'action
et qui avaient fait
leurs preuves :1e
maire de Lyon,
Herriot; l'ancien
directeurdesche-
mins de fer de
l'Etat, Claveille;
un grand indus-
triel, Loucheur; un chimiste éprouvé et pratique,
Breton. Il confiait le ministère de la guerre, avec
des pouvoirs tris étendus, à l'organisateur du Ma-
roc, général Lyautey, de qui l'on pouvait espérer
une concentration rigoureuse de 1 action des bu-
reaux, moins de formalités inutiles, moins de pape-
rasserie. La Chambre l'avait encore une fois approu vé,
sans que l'opposition eût désarmé. — Le 19 dé-
cembre, le Sénat s'était à son tour réuni en comité
secret. Le a, il accordait sa confiance au gouver-
nement par 194 voix contre 60. Le pays se deman-
dait, non sans anxiété, comment un chef de gou-
vernement, que les Chambi-es obligent à discourir
sans cesse, à se justifier sans trêve, peut trouver le
temps de gouverner. 11 sentait nettement, non sans
chagrin, que de plus en plus le Parlement, en
pleine guei-re, aux momonls les plus graves, glissait
aux moeurs du
temps de paix,
aux surenchères
électorales, aux
petites questions
d'arrondisse-
ment, aux vilai-
nes intrigues de
personnes. Il ac-
cusait l'institu-
tion parleiTien-
laire,qnin'enpeut
mais, des imper-
fections de ceux
qui la représen-
tent. Tous ceux
qui, sans aucun
parti politique,
invariablement
fidrles au régime Edouard Ilerriot, ministre des Travaux
républicain, ju- publics. Transports. Ilavitailleuieat civtl
geaient de sang- " -"""^ir» (P"- ^'^'"^)-
fioidlesunsetles
autres et pesaient les responsahilités, s'étonnaient que
le ParlemenI, qui reprochait sans cesse au gouverne-
ment la diffusion néfaste de son autorité, ne s'appli-
quât pas à lui-même citte règle de travail concenlré
et muet et d'activité ut le qu'il demaiulait au minis-
trre. Il en résultait quelque malaise. Et, pourtant, un
fait frappait rol)servateur atteiilif : le bon sens po-
pulaire aval IjugélolTre de paix derAIlemagnecoiiime
elle le méritait. Seuls, quelques fous s'étaient re-
fusés à voir le piège. Le CongiTS socialiste, qui s'élait
tenu à Paris k la fin de décembre, en avait été une
preuve et, a-'rcs des discussions qu'on eût préférées
moins longues et plus calmes, il avait manifesté
sa répulsion pour la démarche insidieuse de l'Alle-
magne, sa décision de pousser la guerre jusqu'à la
répai'alion du piésent et la certitude de l'avenir. Ceci
prouvait, une fois de plus, qu'en dépit de tons les
dangers que notre liberté de discussion risque de
nous faire courir dans des moments aussi critiques,
le peuple français de 1917 reste le peuple français
de 1792 et qu'il se refuse à traiter, tant que l'enne-
mi occupe le sol de la patrie. C'est un bel enseigne-
ment pour ceux qui avaient voulu faii-e croire que
nous étions un peuple fini. La France est toujours
la France. — Jules Gekbkvlt.
* hernie n. f. — Encycl. Phytopathol. Hernie du
chou. Cette affection, appelée aussi t/ros-pied et mala-
die digitoire, est assez fréquente dans les cultures de
choux (choux verts, choux-fleurs, choux de Bruxelles,
choux-raves, etc.) et autres plantes du genre brassica
N' 120 Février 1917.
(navet, radis), ainsi que de diverses autres cruci-
fères, et elle a parfois causé de sérieux dommages.
L'étude complète de cette maladie a été faite, vers
la fin du siècle dernier, par le botaniste russe Wo-
ronine, qui attribue le mal au parasitisme du plas-
modiophora brassicœ, champignon inférieur du
groupe des myxomycètes, très voisin de celui que
l'on nomme communément fleur de tan [fuliyo sep-
lica), et qui apparaît très souvent dans les serres.
La maladie se manifeste par une hypertrophie
considérable des racines de la plante : tantôt, c'est
la racine principale qui est atteinte, tantôt, ce sont
les radicelles qui présentent des lésions et des pro-
tubérances caractéristiques.
La section de ces excroissances, au début de leur
formalion, laisse voir un tissu mat, homogène, d'un
blanc pur: plus tard, l'aspect change, et, de blanche
qu'elle était, la section est devenue grise, avec, par
Hernie du chou ; 1. Racine attaquée; 2. Coupe d'une racine
atteinte; 3. Cellules fripantes parasitées; i. Cellules avec group.:s
de spores; 5. Spores grossies; 6, Spores germant; 7. Myxamibes.
places, des taches de décomposition. L'intérieur des
lésions, examiné au microscope, montre des cellules
géantes (à peu près dix fois plus grandes que les
cellules normales), qui contiennent le parasite de la
hernie sous forme déniasses gélatineuses (plasmode)
substituées au protoplasma primitif. Le plasmosde
émigré d'une cellule épuisée vers les cellules voi-
sines, et ainsi se propage assez rapidement, de proche
en proche, se nourrissant du protoplasma de son
hôte. Au bout d'un certain temps, c'est-à-dire lorsque
les cellules de la plante attaquée sont vidées, que le
protoplasma en a pi-esque complètement disparu, le
plasmode se transforme, il fructifie, se divise en
spores (l;J-,6 de diamètre), qui restent groupées en
masses compactes. C'est à ce moment que la plante
alteinte par la maladie dépérit et meurt; la racine,
qu'avaient peu à peu envahie des bactéries diverses,
n'offi'e plus aloi's aucune résistance à ces nouveaux
ferments de désorganisation, et la pourriture l'en-
vahit, ce qui permet aux spoi'es du plasmodiophorede
s'échapper. Tombant sur le sol, ces spores germent,
donnent des myxamibes qui pénétreront à leur tour
les tissus jeunes d'ime nouvelle plantation de cruci-
fères. Celle pénétration a lieu généralement près des
poils radicaux.
Pour lutter avec quelque chance de succès contre
cette maladie, & laquelle, comme toutes les crypto-
games, ces dernières années, pluvieuses et chaudes,
ont été pai'ticulièrement favorables, il faut détruire,
en les brûlant, tous les pieds atteints; veiller, au
moment du repiquage, à ne planter que des pieds
sains, brûler tous les autres. Puis il convient de
pratiquer une longue alternance des cultures et évi-
ter de remettre des crucifères là où l'on a constaté
la présence du parasite.
On recommande de mélanger au sol, au moment
du repiquage, un peu de chaux éteinte. — Jean i>i Chàoh.
lisrpoderinie n. f. (du gr. hupo, sous, et
derma, peau). Ensemble des opérations qui con-
sistent à injecter des médicaments sous la peau au
moyen d'une aiguille munie d'un canal. (Par exten-
sion, on englobe maintenant sous ce nom les in-
jections intramusculaires, intraveineuses, intrara-
chidiennes, etc. La méthode de traitement qui
emploie l'hypodermie s'appelle méthode liypoder-
mique ou hy podennotUérapie .)
— Encycl. 1° Historique. La première idée de
mettre en contact direct les médicaments et les
tissus appartient au l)'Larargue(de Saint-Emilion),
qui, le 27 décembre 1836, communiqua à l'Académie
de médecine un mémoire intitulé : iittr les sffelx
thérapeutique de quelques médicamenis introduits
sous iépiderme. Sa méthode consistait, en effet, à
introduire sous l'épiderme, au moyen d'une aiguille
creusée d'un sillon, une pâte fluide de chlorhydrate
de morphine; d'où le nom à'inocxilatinn épider-
miqiie qu'il lui donnait. Mais ce pi'océdé, plein
d'inconvénients, n'eut anciin succès, et, en dehors
de l'usage d'injections pratiquées par Magendie, Cl.
Bernartl et quelques autres physiologistes, sur les
«• 120. Février 1917
animaux de laboraloire, il faut arriver à Alexandre
Wood, d Edimbourg, pour voirrhypodermie appli-
<^ne à la théi-apeuliciue humaine, car Wood, en uti-
lisant la seringue de Pravaz, de Lyon, venait de
rendre celte méthode sul'llsamnient pratique. Ses
Êremi res applications datent de l^se, et ce fut
lehier qui les fit connaître en France en 1859.
TouteTois, l'antisepsie étant alors inconnue, les in-
jections hypodirnniques donm rent lieu à un cert»in
nombre d'accidents, qui en liient mumenlanément
rejeter l'emploi. De même, l'utilisation de la voie
intraveineuse, préconisée par Scheel au commence-
ment du siècle dernier, puis par Dujardin-Beaumetz
en 1873 et par O'é, de Bordeaux, en 1877, soutenue
aussi par Denelle et von Vetter, se heurta d'abord
aux dangers d>'S complicalions septiqiies et à la
crainte des coagulations sanguines. Mais, & partir
du moment où les comlitions d'une anlisepsld ri-
goureuse mettant à l'abri de tout accident d inTection
fureiilparrailementconnuesetoulesqualités reguises
Far les liquides injectables se trouvèrent fixées,
bypodermie, en raison de ses multiples avantages,
se répandit de plus en plus et, aujourd'hui, elle tient
incontestablement l'une des premii'res places parmi
les procédés les plus actifs de la thérapeutique con-
temporaine.
2» Avantages de l'hypodermie. — Ses avantages
sont de plusieurs sortes.
a) L'hypodermie soustrait les médicaments à l'ac-
tion des sucs digestifs et, par suite, aux modifica-
tions qu'ils peuvent simir dans le tube gaslro-inles-
linal. Certains médicaments sont, enelTet, dédoublés
et transformés dans l'appareil digestif sous diverses
influences, et, si cette transformation est parfois
utile et voulue, comme c'est le cas pour la formine,
pour qu'elle libère des corps dont, précisément, on
recherche l'intervention, il n'en est pas de môme
quand il s'agit d'agents directement actifs, tels
que les alcaloïdes et les sériims, qui doivent n'avoir
subi aucune altération appréciable pour produire
tous leurs effets.
b) l'ar là, l'hvpodermie assure la constance et
l'iniégralité de l'action des médicaments qu'elle
emploie ; d'où une précision plus grande dans les
indications et un maniement plus rigoureux.
cj Enfin, l'injection soiis-cutanée comporte une
rapidité d'action plus considérable et plus sûre que
l'ingestion, rapidité qui s accroît encore quand
on a recours à l'injection intramusculaire et surtout
& l'injection intraveineuse. C'est là ce qui rend par-
ticulièrement précieuse la méthode hypodermique
en général, dans tous les cas graves et urgents, ré-
clamant une intervention médico-thérapeutique im-
médiate, parce que la vie du malade est en péril. Si
l'on se rappelle que le sang ne met que deux ou
trois minutes à parcourir tout le corps humain, on
se rendra compte que nul moyen autre que l'injec-
tion intraveineuse n'est capable de porter sûrement
et rapidement le remède au point où il doit effica-
cement intervenir.
3» Conditions de l'hypodermie. — Toutefois,
pour que la thérapeutique et, par conséquent, le
malade, bénéficient pleinement des avantages qui
viennent d'être énumérés, il est indispensable que
soient remplies certaines conditions, en ce oui
concerne et le procédé d'injection et les liquiaes
injectables.
a) Conditions d introduction. — L'hypodermie
ne pouvait être vraiment pratique et d'un usage
courant que si elle assurait la sécurité et la com-
modité de l'injection. La sécurité ne fut vraiment
acquise qu'après les découvertes de Pasteur et de
son école, qui apprenaient la nécessité et indiquaient
le moyen de détruire tous les germes d'infection, de
stériliser non seulement la solution injectable, mais
A. Seringue à injection; B. Aiguille.
encore l'appareillage d'injection : aiguilles, seringue,
et champ opératoire. Aujourd'hui, cette question
est si parfaitement résolue que les accidents septi-
ques se monlrent excessivement rares et ne sont
imputables qu'à un défaut de précaution.
Quant à la commodité, elle a été garantie par la
généralisation de l'emploi de la seringue de Pra-
vaz. Toutes les seringues à injections hypodermi-
ques réduites et tous es appareils imaginés pour
les injections massives de séruins artificiels ou au-
tres ne sont que des perfectionnements ou des
dérivations de la seringue de Pravaz et, naturelle-
ment, seringues et surtout appareils se sorit compli-
qués avec le genre d'intervention auquel ils é'aient
destinés. Toute description à cet éirard serait in-
complète, car le nombre des appareils est considé-
ratile, et l'on peut dire que chaque opérateur en a
fait construire un à son usage.
?) Conditions de préparation des liquides injec-
tables — Ce.s conditions ont une importance capi-
LAROUSSE MENSUEL
taie, parce «qu'elles intéressent les produits variés
que Ton doit introduire directement, par une voie
quelconque : aous-cutanée, intraveineuse, etc., dans
le milieu intérieur de l'organisme, en contact, par
conséquent, avec les humeurs et les cellules vivantes,
dont la sensibilité est extrême. Les principales sont
les suivantes :
a) Pureté chimique absolue du médicament. —
Sa nécessité découle de la mise en contact dont il
vient d'être parlé. En elTet, certaines impuretés,
dont l aciion est peu notable quand le médicament
est administré par la voie digestive, deviennent
dangereuses c^uand il est administré par la voie hypo-
dermique ou intraveineuse, car , alors, elles déter-
minent soit des phénomènes irritatifs, quand l'aci-
dité ou la basicité sont en jeu, soit des ptiénomènes
toxiques, quand ''impureté possède par elle-même
ce caractère, comme c'est le cas lorsque l on injecte
sous la neau du ;acodylate de soude insuffisamment
débarrassé de l'oxyde de cacodyle qu'il peut conte-
nir. Le premier poitit est donc le contrôle de la
pureté chimique absolue des nrincipes actifs desti-
nés à l'hypodermie.
p) Dosage. — Le second est le dosage des solu-
tions injectables, après solubilisation du produit
utilisé. En bypodermie et pour les raisons déjà
dites, le dosage rigoureux est essentiel, puisque l'in-
jection porte sur des principes extrêmement actifs à
des doses souvent inférieures au centigramme et
même au milligramme.
X) Stérilisation. — Il n'est pas besoin d'insister
sur l'obligation de la stérilisation des liquides injec-
tables. On la réalise surtout par la chaleur, qui est
le moyen le plus sûr de détruire les micro-orga-
nismes. Mais ce moyen doit être en quelque sorte
nuancé suivant la nature des corps sur lesquels on
veut agir. Ainsi, le chlorhydrate de morphine subit,
au-dessus de 110° C, diverses altérations dues à la
chaleur et à l'alcalinité des verres; il se formerait
alors, non de l'apomorpbine, dont les propriétés
émétisantes sont connues, mais, suivant Lamal et
Lesur, de la morphétine et de l'oxymorphine. De
même, le chlorhydiate de cocaïne tend à se décom-
poser au-dessus 'de 100° G. et peut perdre jusqu'à
20 p. 100 de son poids. L'aconitine, au contact de
l'eau chaude, se dissocie en acide benzolque etacé-
tylaconitine; l'aloxyl donne des produits toxiques,
et l'on est obligé, pour lui, de recourir à la tyndalli-
sation à 60-70" C pendant une heure et trois jours
de suite; le glycérophosphate de soude réclame
également soit la tyndallisation à 70-80° C, soit le
chauffage au bain-niarieàl00°C. pendant trente mi-
nutes, etc. Ce qui précède prouve qu'il importe de
traiter chaque principe médicamenteux en particu-
lier sous des conditions physiques variables, de
manière qu'il ne subisse aucune espèce d'altération.
C'est pourquoi, et suivant les indications tirées de
la nature chimique du médicament employé, on fait
agir la chaleur, tantôt au-dessous de 100° G. au bain-
marieou àl'étuve par tyndallisation, tantôt àl00° G.
par l'intermédiaire de la vapeur ûuente à la pression
normale, tantôt, enfin, aux températures plus éle-
véesdel05,110,120°G. sous pression et à l'autoclave.
d) Isoionisation. — La notion d'isotonie a pris
une place considérable en pharmacodynamie depuis
que l'hypodermie est entrée dans la pratique jour-
nalière et qu'un nombre sans cesse croissant de
produits sont utilisés par la méthode hypodermique.
On sait, en effet, que les solutions dont la teneur en
électrolytes ou matières salines est inférieure ou
supérieure à celle du plasma sanguin déterminent,
par leur introduction dans les tissus, d'abord des
phénomènes douloureux, ensuite des réactions in-
flammatoires aboutissant le plus souvent à la for-
mation de nodosités. Si l'on remarque que ces
réactions sont déjà fort sensibles avec une injection
hypodermique de 1 ou 2 centimètres cubes, on peut
prévoir ce qu'ellcsdeviendr.iienlpour desinjections
de 20, 30, 50 centimètres cubes et davantage. De là
la nécessité de rendre isoluniques les solutions
injectables, surtout quand elles sont hypotoniques,
ce qui est le cas le plus fréqaent, parl'adjonclion,
en proportions voulues, de certains corps et notam-
ment du chlorure de sodium. Grâce à cette dernière,
on a pu rendre inolTcnsive et presque indolore, par
exemple, la pralii|ue des injections de substances
colloïdales, qui emploient des liquides dont la teneur
en électrolytes est normalement nulle.
Enfin, il est bon de mentionner certaines autres
précautions, dont l'importance n'a été reconnue que
dans ces derniers temps. C'est ainsi que de nom-
breuses recherches avimt incriminé le rôle des im-
puretés de l'eau distillée dans la production de cer-
tains accidents consécutifs aux injections massives
de sérums artificiels, l'eau utilisée doit être fraîche-
ment distillée et privée de gaz carbonique et de
matières organiques par une rectification rigoureuse.
De même, la composition des verres doit être sur-
veillée de très près, afin d'éviter les altérations de
principes actifs dues à un excès de basicité, consé-
cutif a l'attaque par la vapeur d'eau sous pression.
4» Technique. — Nous serons très bref eu ce qui
regarde la technique de l'hypodermie, qui est au
45
ressort exciasif de l'opérateur lui-même, et nous
nous contenterons, en conséquence, d'indications
générales.
Les précautions essentielles qu'on doit prendre
pour une injection, quelle qu'elle soit, sont celles
de toute inlervention chirurgicale: n'injecter qu'un
produit stérilisé, & l'aide d'un insirument stérilisé
et avec les mesures d'asepsie et d'antisepsie com-
munes à toutes les opérations; antisepsie des mains
notamment et du champ opératoire. Pour cette der-
nière, on emploie acuiellement d'une manière très
pratique un rapide badigeonnageà la teinture d'iode
a 1/20< (Codex dédoublé).
L'instrumentation varie avec le genre de l'injec-
tion; on jtréfère aujourd'hui la seringue en verre,
plus fragile, mais moins coûteuse, et qu'on peut
aisément stériliser; les aiguilles varient également
de longueur et de calibre suivant la destination;
celles en acier piquent bien, mais s'oxydent; celles
en nickel sont inoxydables, mais insuffisamment
rigides; celles en platine iridié, que l'on peut
fianiber sans émousser la pointe, sont évidemment
de beaucoup les meilleures mais elles sont d'un
prix fort élevé.
Le remplissage de la seringue n'offre aucune dif-
ficulté; il faut veiller seulement à chasser les bulles
d'air- qui pourraient s'être introduites dans le corps
de pompe en renversant la seringue, l'aiguille en
haut, et poussant légèrement le piston jusqu'à ce
qu'un peu de liquide déborde. Quand il s'agit de
liquide huileux, qu'on ne peut faire monter dans la
seringue par aspiration, on déverse directement
l'ampoule dan» fe corps de pompe, débarrassé de
son piston, et dont l'embout estoLitiiré par un doigt.
Ensuite, on remet le piston, on ajuste l'aiguille, et
on procède comme ci-dessus pour chasser l'air.
a) Injections hypodermiques. — Comme lieux d'é-
lection, il faut cDoisir, sauf indications spéciales,
les régions pauvres en vaisseaux et en nerfs et ri-
ches en tissu cellulaire : chez les personnes maigres,
face supéro-externe de la cuisse; chez les petits en-
fants et les nourrissons, région înterscapuuire. Les
piqûres de la paroi abdominable antéro-latérales
sont plus douloureuses et rendent pénibles les mou-
vements pour s'asseoir. Avec le pouce et l'index de
la main gauche, l'opérateur fait un gros pli dans la
masse charnue de la région choisie et, de la main
droite, enfonce l'aiguille seule, non horizontale-
ment, mais obliquement: puis, il adapte la seringue
et pousse le liquide doucement et termine enfin par
un massage léger. Quand il s'agit d'injection de
sérum à des doses dépassant 100 cenlimèlres cu-
bes, il est de beaucoup préférable de suspendre
l'ampoule (1 mètre environ au-dessus du plan du
lit), à la pointe inférieure de laquelle on adapte un
tube en caoutchouc stérilisé, muni d'un robinet ou
d'une pince et d'une aiguille fixée à son bout. La
fiointe supérieure de l'ampoule est alors brisée, on
aisse écouler quelques gouttes du liquide pour
débarrasser d'air le tube et l'aiguille, et l'on enfonce
cette dernière dans le tissu cellulaire sous-cutané.
L'injection doit être faite très lentement, en réglant
convenablement le débit du robinet; après l'injec-
tion, léger massage et obturation de l'orifice, si
besoin est, avec un peu de collodion.
6) Injections intramusculaires. — Elles sont par-
ticulièrement indi-
quées pour toutes les
préparations douloa-
reuses. Il faut em-
ployer une aiguille
longue (3 4 7 centi-
mètres) et, s'il s'agit
d'injecter des prépa-
rations mercurielles
insolubles, une serin-
gue spéciale. Le lieu
d'élection est la ré-
gion fessière, dans la-
quelle on distingue
quatre points princi-
paux {A de Smirnoff,
B de Galliot, C de
Fournier, D de Bar-
thélémy), qu'indique
la figure ci - contre.
Quand les piqûres
sont faites en série, il
convient d éviter la
région médiane et in-
férieure de la fesse
(sciatique et vais-
seaux), de les espacer
d'nu moinsunoiideux
centimètres et de les alterner à l'une et l'autre fesses
Enfin, le sujet doit êlre couché sur le vcnira ou sur
le côté, les fesses contractées et, l'aiguille enfoncée
jusiju'au chaton, il faut vérifier, avant d'ajuster la
seringue, si le sang ne vient pas, afin d'écarter toul
danger d'embolie.
c) Injeclion.i intravetneusrs. — L'instrumenta-
tion est la même, mais l'a'guille doit être taillée en
biseau; les liquides à injecter sont choisis, autant
que pos-^ible, isotoniques. Les lieux d'élection sont
46
le pli du coude et la médiane céphalique. La re-
cherclie de la veine peut constituer, chez les per-
sonnes obèses, une véritable opération, mais, le plus
ordinairemen", on peut se contenter de faire saillir
la veine en appliquant au-dessus du coude la bande
de Sauphar. On pique d'abord la peau, tangentielle-
mcnl à la veine, sans chercher à perforer cette der-
nière, que l'on fixe alors avec le pouce gauche, puis
on dirige l'aiguille sur la veine, parallèlement à
elle. Sitôt que l'aiguille a pénétré dans la veine, le
sang coule en nappe ; il faut alors retirer très légè-
rement 1 aiguille, de manière h ne pas transpercer la
paroi postérieure du vaisseau. Une fois réussie la
Fonction de la veine, on introduit dans l'aiguille
embout de la seringue, et on desserre la ligature
du bras. Pendant tout le temps que dure l'injection,
il faut maintenir l'aiguille immobile et surveiller
atlentivemi>nt la région de la piqûre; s'il survient le
moindre gonflement local, if faut immédiatement
arrêter l'injection. Pratiquée avec toutes les pré-
cautions voulues, l'injection intraveineuse n'est
nullement dangereuse; les accidents constatés par-
fois sont imputables aux produits injectés (606 et 91 4).
d) Injections inlrarackidiennes. V ponction
LOMBAIRE, p. 21. — D' J. Lâumonise.
liypodermotliéraple n. f. (du gr. hupo,
sous, derina, peau, et therapeia, traitemeni). Mé-
thode de traitement qui consiste à administrer les
médicaments par la voie sous-cutanée ou intra-
musculaire. V. HYPODERMIE, p. 44.
Impôt sur les bénéfices de guerre.
— Historique et iégislalion comparée. — Com-
mentaire pratique et détaillé de la loi du 1^^ juil-
let 1916, avec formules et exemples,
I. Historique. — Législation comparée. — La
loi <i concernant l'établissement d'une contribution
extraordinaire sur les bénéfices exceptionnels ou
supplémentaires réalisés pendant la guerre », en
même temps que « certaines mesures fiscales rela-
tives à la législation des patentes », a été promul-
guée sous la date du 1" juillet 1916.
Dès 1915, plusieurs propositions, émanées de l'ini-
tiative parlementaire, avaient orienté les préoccu-
pations publiques vers la création d'un impôt spécial
sur les bénéfices du temps de guerre. La loi inter-
venue est issue (après de profondes modifications)
d'un projet de loi déposé Ma Chambre le IS jan-
vier 191 6 par Alexandre Ribot, minisire des finances.
Quant aux mesures d'exécution se rattachant i la
loi du \" juillet 1916, elles ont été fixées par trois
décrets successifs, promulgués en 1916 : le 6 juillet,
le 12 juillet et le 3 août.
On avait pensé qu'avant la date fixée pour les
déclarations de bénéfices auxquelles sont tenus les
contribuables, un règlement d'administration, une
instruction ou une circulaire ministérielle viendrait
parer aux obscurités et lacunes d'une loi trop hâtive-
ment élaborée ; mais celteattentene s'est pas réalisée.
La mise en vigueur d'un impôt sur les bénéfices
de guerre était énergiquement exigée, dans le plus
bref délai, par le pays, sous l'influence du souci des
intérêts financiers de la France, et aussi des plus
élémentaires sentiments d équité.
Dans la presse, principalement par la voix ardente
du sénateur Charles Humbert, c'était une sommation
impérieuse :
Réclamons cet impôt patriolique, cet impAt de justice,
d'abord aux fournisseurs de l'Etat, pour qui les "besoins
énormes des armées ont été l'occasion d'un développe-
ment considérable d'alfaires. Mais exigeons-le aussi de
tout industriel, de tout commerçant qui a vu ses entre-
prises prospérer en raison do la guerre !
Les considérations diverses inspiratrices de la
taxe nouvelle, Ribot, dans l'exposé des motifs du
frojet, et Raoul Péret, rapporteur du projet devant
a Chambre, les ont, froidement et très nettement,
mises en relief:
La guerre, disait Ribot, la guerre, qui pèse lourdement
sur l'ensemble du pays et diminue la plupart des revenus
particuliers, est, au contraire, pour un certain nombre
d'industries et de commerces, une source de bénéfices im-
prévus et souvent considérables. Ilest de toute justice que
ces bénéfices, réalisés à l'occasion de la guerre, contribuent
dans une large mesure aux dépenses de laguerre elle-même.
Et, de son côté, Raoul Péret précisait :
En présence des charges énormes que la prolongation
do la guerre fait peser sur les finances publiques, nous ne
pouvons attendre indéfiniment pour procurer au budget
des recettes nouvelles. Chacun ie comprend aisément, et
la discussion n'est possible que sur la nature des contri-
butions à créer et les modes de taxatior) à employer, -
A ce moment, les dépenses de la France attei-
gnaient 95 millions par .lour.
Et, déjà, tous les pays l)elligérants, ainsi, d'ailleurs,
que plusieurs pays neutres, avaient établi chez eux
un impôt analogue à celui que nous envisagions, ou
bien se préparaient à l'établir.
C'est 1 Italie qui a été l'une des premières & or-
ganiser un impôt sur les bénéfices de guerre. Un
décret royal du 21 novembre 1915 frappe ces béné-
fices d'une taxe spéciale, qui, progressive et tenant
compte de l'origine desprofils, varie de 10 430 pour 100
du montant des bénéfices.
LAROUSSE MENSUEL
En Angleterre, fonctionne, depuis la loi de finances
du 23 décembre 1915, une taxe sur les profits excep-
tionnels pendant la période de guerre (principale-
ment sur les profits maritimes), dont le taux, fixé à
50pourl00, a été, en 1916, élevé à 60 pour 100, tout
en se surperposant à l'impôt sur le revenu. Dès 1916,
l'Anglelerre tirait de là 2.200 millions.
En Allemagne, se rattache au même ordre d'idées
une loi du 24 décembre 1915, qui oblige les Sociétés
à mettre de côté la moitié du surcroît de leurs béné-
fices pendant la guerre, cette réserve spéciale pou-
vant être réclamée, en tout ou en partie, par l'Etat alle-
mand, soit pendant les hostilités, soit pendant les pre-
mières années qui suivront la cessation des hostilités.
En Autriche, un impôt sur les bénéfices de guerre,
s'appliquant aux Sociétés anonymes et aux particu-
liers, a été prescrit par une ordonnance impériale
du 15 avril 1916.
D'autre part, le Danemark, dès le 10 mai 1915, et la
Suède, dès le 1 1 juin 1915, ont eu recours, eux aussi.
à une taxe spéciale sur les bénéfices de guerre.
II. Gén^.ralités. — Principes de la loi; ses ré-
sultats prévus. — La conlriliution établie en France
par la loi du l»'' juillet 1916 frappe les bénéfices
réalisés pendant la guerre; autrement dit, et comme
le précise le premier alinéa de l'article l" : « les
bénéfices réalisés depuis le l'"' août 1914 jusqu'à
l'expiration du douzième mois qui suivra celui de
la cessation des hostilités ».
Mais deux autres conditions sont, en outre, né-
cessaires : 1° il faut qu'il s'agisse de bénéfices « ex-
ceptionnels » ou de bénéfices « supplémentaires •< ;
— 2" il faut que ces bénéfices exceptionnels ou sup-
plémentaires proviennent des opérations failespar
certaines personnes ou collectivités déterminées.
Dès la fin de novembre 1916, les perceptions
opérées du chef du nouvel impôt s'élevaient à
300 millions, et le ministère des finances estimait
que, pour la première période d'imposition (c'est-
à-dire pour la période comprise entre le \'^' août 1914
et le 31 décembre 1915), le Trésor toucherait, au
total, un demi-milliard.
Qui doit l'impôt? — Bénéfices exceptionnels; bé-
néfices complémentaires. — Les assujettis à l'impôt
sont, au point de vue de leurs obligations envers le
fisc, répartis par la loi du !"■ juillet 1916 en deux
catégories bien distinctes :
i" catégorie: les bénéficiaires non patentés de
marchés poui fournitures à l'armée ou à une admi-
nistration publique quelconque, ainsi que leurs in-
termédiaires (alinéas 2 et 3 de l'article l").
Par là, il y a lieu d'entendre : tous ceux qui ont
passé des marchés avec l'Etat ou avec une adminis-
tration publique; tous ips intermédiaires dans cesmar-
chés; tous ceux qui, directement ou indirectement,
ont fait des fournitures aux titulaires de ces marchés.
Mais les termes de la loi sont particulièrement
précis, et, selon ses prescriptions mêmes, la caté-
gorie d'assujettis que nous examinons comprend:
1» Cl les personnes, non patentées, ayant passé des
marchés, soit directement, soit comme sous-trai-
tants, pour des fournitures destinées à l'Elat ou à
une administration publique » ; — 2" « toutes per-
sonnes », patentées ou non, « ayant accompli, en
vue du même objet, un acte de commerce à titre
accidentel ou en dehors de leur profession » ; —
3° « les personnes, patentées on non, ayant prêté,
pour la conclusion d'un marché avec l'Etat ou avec
une administration publique », soit «leur concours
pécuniaire » (bailleurs de fonds), soit « leur entre-
mise » rémunérée (rémunérée, par exemple, par une
commission, par une allocation fixe, par une rede-
vance proportionnelle).
Les opérations faites par cette première catégorie
d'assujettis aboutissent à des bénéfices « excep-
tionnels », puisque les contribuables en cause
n'exercent le plus souvent aucun commerce ou que,
s'il en exercent un, leurs opérations imposables sont
intervenues hors des conditions ordinaires de leur
commerce. Et c'est en ce qui concerne leurs béné-
fices exceptionnels que ces assujettis doivent l'impôt.
S' catégorie : les patentés et exploitants démines
(alinéas 4 et 5 de l'article l"').
Autrement dit: les particuliers ou les collectivités
(associations ayant le caractère de Sociétés, françaises
ou étrangères) passibles de la contribution des pa-
tentes ou de la redevance proportionnelle des mines.
Les assujettis de cette catégorie sont soumis à
l'impôt en ce qui concerne leurs bénéfices « sup-
plémentaires », c'est-à-dire les bénéfices réalisés
par eux en sus du bénéfice normal des entreprises
qu'ils exploitaient avant la guerre, ou qu'ils ont
créées postérieurement, dans les conditions ordi-
naires du commerce et de l'industrie.
Quant à celle deuxième catégorie d'assujettis, il
n'y a pas à distinguer, comme pour la première, si
leur commerce ou leur industrie se rapporte ou non
à des fournitures exécutées pourle compte de l'Etat
ou d'une administration publique.
Agriculteurs affranchis de l'impôt. — La loi
du i"' juillet 1916 (parle second alinéa de son ar-
ticle \") afi'rancbit de l'impôt sur les bénéfices de
guerre les agriculteurs vendant à l'Etat « leur ré-
colte », c'est-à-dire les produits quelconques de
«• 120. Février 1917.
leur terre ou de leur exploitation, que ces produits
soient d'ordre végétal ou d'ordre animal.
Périodes imposables. — La loi du \" juillet 1916
qualifie la contribution qu'elle établit de contribu-
tion « extraordinaire » : destinée, semble-t-il, à
disparaître avec ies événements exceptionnels qui
l'ont rendue nécessaire, la contribution nouvelle
n'est due, en effet, que pour un temps limité.
Mais, s'appliquant même au passé, cette loi de
circonstance a (notamment en ses articles 1" et 2)
prévu comme périodes d'imposition : 1° les dix-sept
mois compris entre le l»' août 1914 et le 31 dé-
cembre 1915; — 2" chacune des années suivantes,
jusqu'à l'expiration du douzième mois qui suivra
le mois de la ces^ation des hostilités.
m. Bénéfices supplémentaires imposables. Les
bénéfices taxables à titre de bénéfices supplémen-
taires sont les bénéfices commerciaux et indus-
triels proprement dits: ce sont, pour les patentés
et les exploitants des mines, les bénéfices révélcj
par l'excédent du bénéfice net en période de guerre
sur le bénéfice normal annuel du temps de paix.
Les règles à suivre pour dégager les bénéfices
supplémentaires sont inscrites dans les articles 2,
3 et 5 de la loi, et l'exposé que nous allons en faire,
d'après ces textes, portera sur le calcul du bénéfice
normal d'avant la guerre, puis du bénéfice net en
période de guerre.
Calcul du bénéfice normal d'avant la guerre. —
Le bénéfice normal est celui que le patenté ou
l'exploitant des mines eût vraisemblablement cons-
taté, pendant la période imposable, si la gueire
n'était pas survenue. Ilest constitué parla moyenne
des bénéfices nets qui ont été réalisés: soit pendant
les trois exercices antérieurs au 1" août 1914,
c'est-à-dire pendant les trois derniers exercices
d'avant-guerre; soit, si l'établissement commercial
ou industriel a moins de trois années d'existence,
pendant la durée de la période d'exploitation anté-
rieure aul" août 1914.
En aucun cas, — même si le contribuable n'a
commencé ses opérations qu'au l'' août 1914, ou
postérieurement, — le bénéfice normal ne peut,
d'après les articles 2 et 5, être évalué au-dessous
du minimum que voici: soit, pour ceux qui ne sont
pas exploitants des mines (puisque les exploitants de
mines ne sont pas patentés), trente fois le principal
de la patente, abstraction faite de tous centimes
additionnels ; — soit la somme de 5.000 francs ; —
soit 6 p. 100 des capitaux engagés (espèces et biens).
— CVoir paragraphes V et "VIL) — Et encore faut-il
qu'il s'agisse de capitaux non seulement « réelle-
ment engagés » par le contribuable, mais « rému-
nérés dans ses entreprises », tels qu'ils résultent
« d'actes, de livres de commerce régulièrement
tenus, ou d'autres preuves certaines ».
Lorsque plusieurs entreprises distinctes sont
exploitées en France par la même personne ou So-
ciété, Il faut considérer l'ensemble des entreprises
et, entre autres opérations, déduire, — ainsi que
nous le verrons plus loin (même paragraphe), — les
pertes de ces entreprises.
Pour les périodes d'imposition comprenant plus
ou moins de douze mois, le bénéfice normal à re-
trancher du bénéfice net réalisé pendant l'espace de
temps envisagé est obtenu en majorant ou en rédui-
sant le bénéfice normal annuel, proportionnellement
au nombre de mois compris dans la période d'impo-
sition. Notamment, en ce qui concerne la période
d'imposition s'étendant du I'"' août 1914 au 31 dé-
cembre 1915 (12 mois -f- 5 mois), le bénéfice nor-
mal annuel doit être majoré de cinq douzièmes : s'il
s'agit d'un bénéfice de 120.000 francs par an, il doit
être porté à 170.000 francs.
Calcul du bénéfice net du temps de guerre. —
Déductions autorisées. — Le produit net en période
de guerre est calculé en établissant le bilan, pour
chaque entreprise, suivant les règles, formes et mé-
thodes qui, pour cette entreprise, étaient ordinaire-
ment suivies en temps de paix.
C'est ainsi, par exemple, que seront déduites, s'il
y a lieu : 1» pour les Sociétés tenues d':ilimenler un
fonds de réserve légale, la somme nécessaire à celle
réserve; — 2" pour chaque entreprise, les sommes
habituellement réservées à l'amortissement des bâ-
timents et du matériel, sans oublier (conformément
aux dispositions de l'article 15) les sommes néces-
saires à l'amortissement de l'outillage et des
créances irrecouvrables.
Dans la recherche du bénéfice à dégager, il faut,
d'autre part, déduire également : 1° les sommes des-
tinées aux amortissements supplémentaires néces-
sités soit par les dépréciations exceptionnelles du
matériel résullant d'une prolongation de la durée
journalière du travail normal (que ce travail ait, ou
non, pourobjet des fournitures de guerre), soit par
le fait d'installations ou de dépenses spéciales effec-
tuées en vue de fournitures de guerre; — 2» les
perles d'exploitation, c'est-à-dire celles résultant
de l'exploitation déficitaire d'une ou plusieurs entre-
prises, pendant la période d'imposition; — 3° les
sommes correspondant à l'intérêt à 6 p. 100 des ca-
pitaux engagés dans des entreprises situées en pays
envahis ou dans des entreprises sinistrées, ainsi
«• 120. Février 1917.
qu'aux amorlissemenls habituels de ces entreprises
(si cette dcdiiclion n'a pas été opérée au titre des
perles d'exploitation).
VI. Bénéfices exceptionnels imposables. —
Règle générale. — Les bénéfices taxables en tant
que bénéfices exceptionnels sont, pour les fournis-
seurs publics non patentés et leurs intermédiaires,
frappés dans leur totalité, sous une déduction uni-
que et forfaitaire: la déduction d'une somme inva-
riable de 5.000 francs (article 4).
Cas parliculiei-s. — Supposons un intermédiaire
qui, ayant obtenu un marché, s'est borné à le céder
à un tiers en prélevant une remise. Le produit
taxable à titre exceptionnel sera ici le montant de
la remise (son montant total et net), diminué de la
somme de 5.000 francs (3" alinéa de l'article 3 et
article h).
Passons à la situation de ceux qui ont prêté leur
concours pécuniaire pour la conclusion d'un mar-
ché, c'est-à-dire aux bailleurs de fonds : cenx-là ne
pourront être taxés que sur ce qui, dans la part de
bénéfices qu'il touchent (sous forme de dividende
ou d'intérêt), excède 6 p. 100. C'est ce qui résulte
manifestement des travaux préparatoires de la loi
du!" juillet 1916.
V. Déclarations par le contribuable. — Géné-
ralités. — Pour l'assiette de l'impôt, c'est la dé-
claration des assujettis qui est le principe : tous
les assujettis quelconques à la loi du 1" juillet 1916
doivent faire la déclaration de leurs bénéfices im-
posables, et cette déclaration est, de leur part,
absolument oblijjatoire (articles 4 et 5).
Les déclarations sont rédigées sur ou d'après des
formules déposées dans les mairies. Elles sont
dûment certifiées par les déclarants et adressées
(sous pli affranchi) au directeur des contributions
directes du département où l'imposition doit être
établie, — qui est le département auquel appartient
la commune du principal établissement ou du siège
social des personnes ou Sociétés intéressées.
11 est délivré récépissé des déclarations.
Elles peuvent être faites par un mandataire, lors-
que l'assujetti est empêché de la produire lui-même:
par exemple, pour cause d'absence ou de maladie.
Déluis impartis pour les déclarations. — Pour
la période d'imposition s'étendant du 1*' août 1914
au 31 décembre 1915, la déclaration a dû intervenir
dans les deux mois qui ont suivi le soixantième
jour après la promulgation de la loi; autrement dit,
dans l'intervalle de temps compris entre le 1"' sep-
tembre et le 31 octobre 1916.
Pour les années suivantes, la déclaration doit être
faite dans les trois mois qui suivront le 31 décembre
dechaque année : soit entre le l»' janvier et le 31 mars.
Ues délais supplémentaires ont été prévus par
l'article 6 de la loi : 1" uniquement au profit des
patentés et exploitants de mines dans le cas parti-
culier d'exercice imposable ne correspondant pas
h l'année normale (nous expliquerons cette hypo-
thèse de prorogation de délai [sous ce même para-
graphe] à propos de la déclaration afi'érente à des
bénéfices supplémentaires); — 2° d'une façon géné-
rale (c'est-à-dire pour tous les assujettis à la loi, à
quelque catégorie qu'ils appartiennent), en faveur
de ceux qui, mobilisés ou non, se trouveraient em
péchés de souscrire leur déclaration en temps utile.
Pour ces contribuables, le décret du 3 août 1916
a fixé les conditions dans lesquelles les délais sup-
plémentaires leur seront accordés, en même temps
que les formalités à remplir dans ce but.
D'après ce décret, les intéressés « disposeront,
pour produire leur déclaration, d un délai supplé-
mentaire, prenant fin au plus tard trois mois après
la date de la cessation des hostilités, telle que cette
date sera fixée en exécution de l'article 2 du décret
du 10 août 1914 », spécial à la suspension des délais.
Mais, — aux termes de ce même décret du
5 août 1916, — pour obtenir le bénéfice de la pro-
longation du délai des déclarations, le contribuable
est tenu, avant l'expiration du délai normal, de saisir
d'une demande régulière le directeur des contri-
butions directes du département où la déclaration
devrait être faile. D'ailleurs, si la prolongation de
délai est accordée, ce n'est nullement à titre défi-
nitif : il y a lieu à retrait du délai supplémentaire,
si l'empêchement ayant motivé la prolongation de
délai a cessé d'exister.
Helard de déclaration. — Lorsque (dans le para-
graphe X) nous examinerons les pénalités établies,
nous verrous que, dans le cas de non-intervention
de déclaration dans les délais impartis, comme dans
celui de défaut de déclaration, la taxe sur les béné-
fices est majorée de 10 p. 100.
Déclaration a/férente à des bénéfices supplémen-
taires. — Tout patenté ou exploitant de mines fera
(distinctement pour chacune de ses exploitations)
entrer en ligne de compte, dans l'établissement de
sa déclaration, les divers éléments que nous avons
précisés plus haut (sous le paragraphe III), —
c'est-à-dire :
l» le calcul du bénéfice normal annuel;
2° la détermination du bénéfice réalisé en période
de guerre ;
3° les déductions autorisées.
LAROUSSE MENSUEL
Faculté d'option spéciale. — Pour les trois exer-
cices d'avant-guerre, si l'assujetti ne veut pas, ou
bien si, son entreprise n'ayant pas trois ans d'exis-
tence, il ne peut pas fournir les éléments néces-
saires à la constatation du bénéfice normal, une
option spéciale lui est assurée par l'article 5 : il
évaluera ce bénéfice soit, s'il n'est pas exploitant de
mines, à trente fois le principal de la patente, soit
à 6 p. 100 des capitaux engagés, soit à 5.000 francs,
suivant que l'une ou l'autre évaluation lui est le
plus favorable. — (Voir paragraphes III et VII.)
Exercice imposable ne correspondant pas à l'année
normale. — L'article 6 prévoit, dans ses premiers
alinéas, le cas où le bilan annuel d'un assujetti
(particulier ou Société) s'applique habituellement à
une période de douze mois qui ne coïncide pas avec
l'année normale : par exemple, selon l'usage de cer-
taines maisons, à une période allant du 1" avril au
31 mars de l'année suivante.
Deux particularités sont propres à ce cas :
l" Les délais impartis pour la déclaration peuvent
(sur demande de l'intéressé, adressée au ministère
des finances) être prolongés par décision du direc-
teur général des contributions directes, qui fixe en
même temps la durée de la prorogation ;
2° Le bénéfice supplémentaire est calculé à l'aide
des deux bilans intéressant l'exercice imposable, en
prenant dans chacun de ces bilans le nombre de
mois compris dans l'exercice imposable.
Le même calcul a été admis pour la période du
l" août 1914 au 31 décembre 1915.
Déclaration négative facultative. — Lorsque le
bénéfice net réalisé pendant la période à laquelle se
47
Déclaration afférente à des bénéfices exception-
nels.— D'après I article «, les fournisseurs publics et
leurs intermédiaires doivent, dans leur déclaration :
1° faire connaitic (avec toutes justifications qu'ils
jugeront utiles) les bénéfices exceptionnels par eux
réalisés, c'est-à-dire (ainsi que nous l'avons indiqué
au paragraphe IV) le total de ces bénéfices ■ sous
déduction de 5.000 francs » ;
V indiquer à quel titre ils ont réalise les bénéfices
déclarés, avec précision des marchés ou actes de
commerce intervenus.
— Cadre correspondant de la formule de décla-
ration officielle :
B&NÉriCKS BXCKrTIOMNBLS
francs.
5.000 francs.
franc*.
Montant total des bénéfices réalisés .
Déduction prévuo par la loi
Différence constituant le bénéfice
imposaoïe
(A suivre.) — LouU Anui.
Insignes et attributs de l'armée
française (suite à l'article paru dans le Larousse
Mensuel illustré, t. 111, p. 562 à 564).
Il convient de distinguer : 1" les insignes et attri-
buts distinguant les armes et subdivisions d'armes;
2° les autres insignes et attributs.
I^InSICNKS et A'ITRIBUTSniSTINOUANT LESARMBSET
SUBDIVISIONS d'armks.— Depuis l'article mentionné
ci-dessus, la question des uniformes a été définiti-
vement réglée. Pour les troupes métropolitaines, ils
ATTRIBUTS DU COLLKT
Ouvrier de chemin de fer
de campagne.
Télégraphie sans
Chemin de fer de campagne
(chef de service).
Aulo-
mitrailleiues.
rapporte l'imposition n'excède pas le montant du
bénéfice normal, le contribuable a la faculté de faire
une déclaration simplement négative (article 5, der-
nier alinéa).
— Cadre correspondant de la formule de décla-
ration officielle :
BÉNÉFICES supplémentaires
§ A. Uetiseignements relatifs aux opérations
professionnelles.
1» Nature
des opérations.
2" Lien de la situation des
établissements.
§ B. Bénéfice normal annuel.
l' Le béncflca normal annuel est constitué, d'après la
loi, par *la moyenne des bénéfices nets réalisés pendant
les trois exercices antérieurs au i^'août 1914, ou pendant
la durée de la période d'exploitation antérieure au i" août
19U, si cette période ne comprend pas trois exercices.
Montant du bénéfice normal francs.
2** Si le déclarant ne veut, ou ne peut, déterminer le bé-
néfice normal d'après le mode ci-dessus indiqué, il éva-
luera ce bénéfice, soit à 6 p. 100 des capitaux engagés,
soit à 30 fois le principal de la patente, soit à 5.000 francs,
suivant que Tune ou l'autre évaluation lui est plus favo-
rable, et il inscrira le résultat de cette évaluation sur
celle dos lignes suivantes qui est réservée à cet etfe( :
a) 6 p. 100 des capitaux engagés. . trancs.
b) 30 fois le principal de la patente francs.
c) minimum de 5.000 francs francs.
§ C. Détermination du bénéfice supplémentaire,
l' Bénéfice net réalisé pendant la
période d'imposition francs.
?• Bénéfice normal francs.
3* Différence formant le bénéfice
supplémentaire francs.
§ D. JienseifinementsqueledêclaranI doit fournir, d'après
la loi, au sujet des déductions dont il a tenu compte pour le
calcul du bénéfice net ci-dessus indiqué {§ C, 1*).
1- Affectation à la réserve légale. . francs.
i* Amortissement habituel des bâ-
timents et du matériel francs.
3* Amortissements supplémentai-
res nécessités soit par les déprécia-
lions exceptionnelles du matériel et
de routillago résultant d'une prolon-
gation do la durée du travail journa-
lier, soit par lo fait d'installations ou
de dépenses spécialement etTectuées
en vue de fournitures do guerre -™ francs.
4" Portos résultant de l'exploitation
déficitaire d'une ou plusieurs entre-
prises pendant la période d'imposition francs,
5* Déduction correspondant a l'in-
térêt à 6 p. 100 des capitaux engagés
dans des entreprises situées on paj's
envahi ou sinistrées, ainsi qu'aux
amortissements habituels de ces en-
treprises, si cotte déduction n'a pas
été opérée au titre des pertes d ex-
ploitation (4» ci-dessua) francs.
sont bleu clair, sauf pour les chasseurs alpins et les
unités cyclites, qui sont habillés d'étoffes gris de fer
bleuie ou foncé; pour les troupes d'Afrique, ils sont
en drap kaki; la coiffure est recouverte d'un man-
chon en toile kaki, lorsqu'elle est d'une autre couleur
(chéchia rouge des zouaves et tirailleurs, casquette
des chasseurs d'Afrique, coiffure arabe des spahis).
Les armes et subdivisions d'armes sont distin-
guées de différentes façons.
Au képi, ni passepoils, ni écusson, ni numéro.
Toutefois, l'infanterie et l'artillerie coloniale portent
sur le devant une ancre, en or pour les officiers, en
drap écarlate pour la troupe.
Les attributs du casque sont les suivants :
grenade : infanterie, cavalerie, train des équi-
pages, secrétaires d'état-major, C. O. A., automo-
bilistes, sections de cinémalographistes ; cor de
chasse : chasseurs à pied et bataillons d'Afrique ;
grenade avec une ancre : infanterie coloniale; gre-
nade avec canons croisés : artillerie; pot en tête
(v. Larousse Mensuel, p. 562, fig. E.-M. du génie
d'armée) : génie; croissant : zouaves et troupes in-
digènes; caducée : médecins et infirmiers. Ponr les
fonctionnaires de l'intendance, l'insigne comporte
les attributs habituels.
En ce qui concerne Vécwson du col, les soulacbes
qui le bordent et le chiffre ou attribut qu'il porte,
les indications essentielles sont résumées dans le
tableau de la page 48; les soutaches sont au nombre de
deux, sauf pour l'artillerie d'Afrique, pour laquelle
trois sont prévues. 11 est à remarquer que, pour la
couleur ou la nature des chiffres ou attributs des
officiers, rien n'est modifié aux indications données
pages 562 à 564.
Enfin, le passepoil est : jonquille pour l'infanterie
et les sections (secrétaires d'état-major, infirmiers,
C. O. A.);
bleu foncé pour la cavalerie;
écai'late pour l'artillerie et les adjudants-mai très
armuriers;
noir pour le génie et tout ce qui touche à la jus-
tice militaire;
vert pour le train des équipage^ et les pharmaciens ;
blanc pour la gendarmerie:
gris de fer bleuté pour les officiers du service
d'étal-major et du recrutement;
gris pour les officiers du corps et du service de
l'intendance;
garance pour les médecins, les officiers d'admi-
nistration du service de santé et les vétérinaires;
bleu ciel pour les interprètes militaires;
orangé pour l'aéronautique;
en drap du fond pour les sections de chemins de
fer de campagne, le personnel de la télégraphie mili-
taire et celui de la trésorerie et ses postes aux armées.
On voit que, pour la cavalerie, l'artillerie, le gé-
nie, le train, le personnel du Trésor et postes, lacou-
leur du passepoil est la même que celle do l'écusson
48
2» Autres insignes et attributs. — a) Portés
au col. Les différents bataillons d'un régiment d'in-
fanterie se distinguent par de petits disques en drap
LAROUSSE MENSUEL
Au-dessus du ferret, peut se trouver un coulant,
porté par les officiers et hommes de troupe ayant
droit au port de la fourragère et changeant de corps.
(Insigne 1) (Ins. 2) (Ins. 3) (Ins. ()
ATTRIBUTS PORTÉS PAR LES AVIATEURS SUR LA POITRINE
(Ins. 5)
de 10™/" environ, des nuances indiquées ci-dessous,
COUSUS à côté ou au-dessus des écussons :
bleu foncé : l»"' bataillon; garance . 2« bataillon;
jonquille : 3" bataillon; vert •. 4« bataillon; kaki :
unités ne faisant pas partie des bataillons.
Etoile entourée de foudres : téléphonistes.
Roue sur palmes : chef de service des chemins de
1er de campagne.
Roue pleine : ouvrier des chemins de fer de cam-
pagne.
Foudre traversée par les lettres T. S. P. : télé-
graphie sans fil.
Corde enroulée : cordier.
Canons croisés, surmontés d'une grenade et por-
tant au-dessous les majuscules A. M. : section d'auto-
mitrailleuses.
6) Portés sur les deux manches. Il s'agit des ga-
lons, pour lesquels il faut signaler les particularités
suivantes. D'ahord, ils n'ont plus que 35 o"/™ (le lon-
gueur. Les galons des adjudants-chels et adjudants
sont placés, non pas horizontalement, comme ceux
des ofliciers, mais obliquement, comme ceux des
sous-ofliciers. Les aspirants porlent le galon en for-
me de V renversé. Pour les caporaux ou soldats de
l" classe, le galun est bleu foncé dans les troupes
métropolitaines, vert foncé dans les chasseurs à pied,
kaki foncé pour les troupes d'Afrique.
c) Portés sur la manche droite. Ce sont les che-
vrons de blessure. Il est attribué un chevron par
blessure de guerre, un seul chevron représentant les
blessures multiples.
d) Portés sur la manette gauche. — Chevrons
d'ancienneté au front, à raison d'un chevron pour
une année effective de présence dans la zone des
armées et d'un chevron supplémentaire pour chaque
nouvelle période de six mois.
Petit canon monté sur affût. Servants des canons
de 37 ""/"'.
OI)us à ailettes. Personnel des batteries de 58 ™/"'.
Grenade. Grenadiers et bombardiers d'infanterie.
Haches en sautoir surmontées d'une grenade.
Sapeurs-pionniers et sapeurs-mineurs.
Ancre. Sapeurs-pontonniers.
Faç'ide d'un baraquement avec porte et imposte.
équipes de monteurs de baraquements.
SIct. Unités de skieurs
Fusil mitrailleur surmonté d'une grenade. Sous-
officiers et hommes chargés d'utiliser le fusil mi-
trailleur.
Etoile entourée de foudres. Téléphonistes et
signaleurs.
Deux canons en croix avec, au-deisous, les
lettres majuscules D. C. A (Défense contre avions).
Sections de canons contre avions.
Pigpon aux ailes déployées. Colombophiles.
l) Portés à l'épaule. C est la fourranére (v. t. III,
p. 93i), portée à l'épaule gauche : les brins du cor-
don sont de couleur verte et rouge, comme le ruban
da la croix de guerre; elle est portée par tous les
ofliriers et hommes de troupe des régiments et
unités formant corps ci es à l'ordre de l'armée.
En tenue de campagne, la fourragère fait simple-
ment le tour du bras gauche. En tenue de sortie,
elle fait également le tour du bras gauche et est
agrafée au deuxième bouton de la capote.
DÉSIGNATION
des
CORPS DE TROUPE
ÉCUSSONS
(officier* «t troup«)
I. Infanterie
Infanterie do ligne. Drap du fond
Cîhasseurs à pied/
et alpins (
Zouaves
Tirailleurs
Infanterie légère
d'Afrique
Légion étrangère.
Infanterie colon''.
yecrétaires d'état-
major Gris de fer
(sous-officiers) bleuté
Commis et ouvriers Garance
Infirmiers : écusson garance, soutache écarlate, chiffres
en drap bleu clair (infirmiers d'exploration),
ou caducée brodé en fil blanc (infirmiers do visite).
SOUTACHES
en laine
ou coton
(ofBoi«»
•l troupa)
CHIFFRES
ATTRIBUTS
Bleu foncé Bleu foncé
Vert,
Vert
Garance
Bleu ciol
Violet
Vei-t
Ecarlate
Garance
Bleu ciel
Violet
Vert
Ecarlate
Foudres
en soie
blanche
Bleu clair
II. Cavalerie
Cuirassiers
Dragons
Chasseurs
Hussards
Cavaliers de re-
monte
Chasseurs d'Afri-
que
Spahis
in. Artillerie
Artillerie de cam-
pagne
Artillerie à pied.
Artillerie achevai.
Artillerie lourde.
Artillerie de mon-
taL'ne
Artillerie coloniale
IV. Génie. . . .
V. Train. . . .
VI. Gendarmerie.
VII. AÉRONAU-
TIQUE
.Vérostation. . . .
Aviation
Bleu foncé
Vin. Sections de
CHE.M1NS DE KER
DE CAMPAGNE. .
Velours noir
Vert
Noir
Noir
Orangé
Drap du fond
Garance
Blanc
Vert
Bleu ciel
Jonquille
Bleu clair
Vert
Bleu foncé
Gris
cendre
Blanc
Violet
Ecarlate
Vert
Sans chan-
gement
Orangé
Noir
Néant
Garance
Blanc
Vert
Bleu ciel
Gris
cendré
Jonquille
Bleu clair
Vert
Bleu foncé
Gris
cendré
Blanc
Violet
Ecarlate
Garance
î.ellr« A pour
leiftutomobiler
Sanschan-
gement
Orangé
Noir
Ecarlate
Insignes portés sur te cité droit de la poitrine.
Ils sont réservés au personnel navigant de l'aéro-
nautique.
«• 720. Février 1917.
Insigne n° 1 . pilote breveté aviaieur militaire.
Insigne n" 2 : pilote breveté de ballon dirigeable.
Insigne n<'3 : élève pilote aviateur, ou, si l'aile et
l'étoile ne sont pas de fa même couleur argentée que
la couronne, observateur en avion.
Insigne n" 4 : élève pilote de ballon dirigeable, ou,
suivant la distinclion indiquée pour l'insigne n" 3,
mécanicien de dirigeable, observateur en ballon di-
rigeable, ballon captif ou cerf-volant.
Insigne n"> 5 ; mécaniciens d'avions ou per-
sonnel d'équipage (bombardiers, canonniers, mi-
trailleurs, photographes, etc.) d'avion ou de ballon
dirigeable. — André cassel.
Mercié (Marius-Jean-.^n<o7itn), sculpteur et
peinlre français, né à Toulouse le 30 octobrt 1845,
mort à Paris le 14 décembre 1916. Tout jeune, An-
tonin Mercié manifesta pour les arts des disposi-
tions remarquables; il reçut les premières notions
dans sa ville natale, vint ensuite à Paris, où il fut
l'élève de Jouffroy et le Falguii're, suivit les cours
de l'Ecole des beaux-arts et remporta, à vingt-trois
ans, le grand prix de Rome, ayant eu pour sujet de
concours: Thésée, vainqueur du M inntaure, remer-
cie Zes(/îeua;(1868). Celle même année, il débutait au
Salon par un médaillon représentant une jeune fille.
Pendant son séjour en Italie, le jeune sculpteur
s'éprit des maîtres de la Renaissance et compléta
consciencieusement son insiruction arlislique. En
1872, il envoya de Rome deux morceaux qui furent
exposés au Salon : une statue en plâtre de David
vainqueur et un buste en bronze de Dulila. Le
David (musée du Luxembourg) qiii, par l'élégance
des formes, rappelait le style de Donalello, eut un
vil succès et fit décerner à l'arti-ete non seulement
une médaille de i" classe, mais encore la croix de
la Légion d'honneur.
De retour en France, Antonin Mercié exécuta
son grand groupe allégorique : Gloric victis! Celle
œuvre magistrale, oh l'art du sculptcu se montre à
la hauteur de l'inspiration, paru au Salon de 1874 ;
elle fit sensation par ses grandes qualités de facture
Antonin Mercié. (Phot. Dornac.)
et de style, par l'expression des tôles, et valut au
jeune statuaire la grande médaille d'honneur. Elle
nous montre la Gloire, superbe d'élan, de fougue,
de grandeur et de force, relevant sur le cuamp de
bataille un vaincu béro'ique, un humble soldat nu,
frappé mortellement et l'emportant dans ses bras
vers les hautes et sereines régions de l'immortalité.
Le groupe fut acquis par la "Ville de Paris et placé
dans la cour d'honneur de l'Hôtel de Ville.
Les succès rapides et précoces ne détournèrent
pas du travail le jeune sculpleur, dont les premières
œuvres attestaient déjà, avec une suavité toute mo-
derne, le talent sûr, le tempérament fort et délicat.
Son aclivité incessante se manifesta dans tous les
domaines de l'art. En 1875, Antonin Mercié exposa,
en môine temps que le Gloria victis.', reproduit en
bronze pour le square Montholon, à Paris, un bas-
relief en bronze : le Loup, la Mère et l'Enfant. Au
Salon de l'année suivante, il envoya une élégante
statuette en marbre -.David avant le comliat et un
husie : Fleur de mai. Celle même année (1876), il
avait été chargé de composer un haut-relief pour
décorer le vaste tympan qu'occupait la slatue
équestre de Napoléon lil, par Barye, au-dessus des
guichets du Louvre, en face du pont du Carrousel.
Ce groupe énorme, intitulé : le Génie des Arts, parut
au Salon de 1877 et fut très discuté; il n'en consti-
tue pas moins une œuvre des plus remarquables. Il
représente un beau jeune homme entièrement nu,
d'une main tenant un flambeau, de l'autre montrant
le ciel, l'idéal, assis sur l'aile de Pégnse qui bondit
et emporte son cavalier vers l'empyrée; une jeune
femme, personnifiant la Paix ou la Gloire, enve-
loppée de draperies transparentes et portant sur
«• 120. Février 1917.
l'épaule une branche de laurier, précède le groupe
équestre vers lequel elle tourne son visage au profil
doux et souriant.
Au même Salon, Anlonin Mercié avait en voyé une
statuelte en marbre; Junonromcii?. Enl877,ilexpo-
sait un bas-relief pour le Tombeau de Michelel, au
cimetière du Pcre-I.acbaise. et le iVoHumen<<r^ra,(7o,
pour la ville de Perpignan. Puis vinrent : Judith;
la statue de Thiers, à Saint-Germain-en-Laye (l'ar-
tiste a montré le célèbre homme d'Etat assis, la
main droite appuyée sur le genou, la gauche repo-
sant sur la carte de France); un Saint FAoi, com-
mandé par les Beaux-Arts pour le Panthéon (1880);
Quand même!, groupe pour la ville de Belfort et
dont il existe une répétition au jardin des Tuileries
(1882), très belle œuvre, représentant un mobile de
1870-1871, tombant frappé à mort
(une Alsacienne aux formes robus-
tes, à l'atlilude superbe, le sou-
tient d'une main, tandis que, de
l'autre, elle serre le fusil dont son
défenseur ne se servira plusl;
l'Art, statuette de pierre pour
l'Hôtel de ville de Paris; le Sou-
venir (1885), haut-relief en mar-
bre, œuvre émouvante, qui rem-
porta le succès le plus mérité
(assise contre la stèle d'un tom-
beau, une jeune femme, dont le
visage apparaît sous un léger voile
flottant, tient entre ses mains croi-
sées des fleurs qui s'effeuillent
[musée du Luxembourg]).
Ajoutons : le Tombeau du roi
Louis-Philippe et de la reine
Amélie (1886), pour le mausolée
de Dreux; Génie pleurant, pour
le tombeau de Cot à Bédarieux
(1887) ; une statue en marbre pour
un tombeau destiné à Conslanti-
nople (1888); des figures décora-
tives : la Gloire et la Douleur,
pour le Monument de Paul liau-
dry au Père-Lachaise; la Pein-
ture, statuette (1890); En péni-
tence, groupe en marbre, et la
Toilette de Diane, slal\ielle{ï»9\);
Regret, pour le Tombeau de Ca-
banel à Montpellier; Guillaume
Tell, pour la ville de Lausanne
(1892); Jeanne d'Arc, pour le
monument de Domremy (1895)
[l'humbli; bergère vient d'entendre
les voix et se décide à remplir
sa mission ; crispant sur son cor-
sage sa main gauche, elle bran-
dit l'épée de la main droite; une
ligure attristée, la France, d'une
noblesse tragique, la domine et
semble la pousser en avant].
On doit encore à Antonin Mer-
cié les monuments de : Victor
Massé, à Lorient; Meissonier, au
jardin de l'Infante (Louvre);
Jules Fenij, à Saint-Dié; Fai-
dherbe , à faille ; la Défense, à
Chàteaudun ; l'Amiral Courbet, à
Abbeville (en collaboration avec
Falguière) ; Henri d'Orléans, à la
chapelle de Dreux, etc. Il faut
noter aussi, parmi ses œuvres : les
Sciences, fronton qui décore la
façade de la Nouvelle Sorbonne ;
le Napoléon de la colonne Ven-
dôme et la Victoire qu'il tient dans
sa main ; la Renommée, statue colossale pour le pa-
lais du Trocadéro. Citons, enfin, ses médaillons et,
dans ses nombreux bustes, ceux de Gambella, au
musée de Versailles; de Michelel, au lycée Michelet
(Vanves);de Victor Hugo, au Sénat; de Gounod, à
Saint- Kémy-de-Provence, etc.; et, parmi ses derniè-
res œuvres : le moniimentdédié aux enfants du Gard
(1901) ; le Monument de Gounod (1902), au parc
Monceau (Paris); celui A' Alfred de Musset, où il
a évoqué le souvenir de la Nuit de mai (place du
Théâtre-Français, 1904) ; d'Armand Silvestve, au
cours la Reine (Paris, 1905); la Bourrée et Gallia
(1908); le Départ du village et Diane endormie
(1909); la Douleur (1911); Michel-Ange (1912);
Mireille (1913) ; le Tombeau du prince de Joinville;
Jeanne d'Arc, chez elle, entend de nouveau les
voix (1914).
A côté de l'œuvre considérable du grand sculp-
teur, il y a l'œuvre remarquable du peintre. Antonin
Mercié a exposé de nombreux tableaux fort intéres-
sants à divers titres, parmi lesquels nous devons ci-
ter : Après l'enterrement. Souvenir de Bretagne et
DaWa (1881); Première étape (1882); une Baigneuse
(musée du Luxembourg); Léda (1884); Michel-Ange
étudiant l'anatomie[\SS5); le Sein de Vénus (1886);
la Vierge noire, Eve (1889); Etude, nu en plein
air, et une Madeleine (1895); Colère d'Amour
(1899); le Lever (1901); Midinette et le Repos
de Diane (1904) ; Diane endormie (1908) ; Galatée
LAROUSSE MENSUEL
cl Jeune Parisienne (1909); Nijmvhe endormie
(1910); le Repos et le Chaperon bleu (1911); la
Douleur de Vénus et la Puce (1912); Deux sous
de marrons (1913); l'Eveil et Distraite (1914).
Antonin Mercié doit être regardé comme un des
maîtres de l'art français et l'un des plus purs conti-
nuateurs de ses traditions de goût, de mesure,
d'élégance et de sentiment. Il a porté dans son
œuvre un don raffiné de distinction et d'élégance,
toujours appuyé sur une composition ingénieuse,
une facture serrée, forte et savante. — A. Mercié
avait remporté le prix biennal de l'Institut en 1877;
il avait été élu membre de l'Académie des beaux-
arts, en 1891, en remplacement de Chapu; il était
professeur à l'Ecole des beaux-arts depuis 1900 et
grand officier de la Légion d'honneur. — j.-m. Dululi;.
« Gloria TÎctÎB ! -, oeuvre d'Antonio Mercié. (Hôtel de ville de Paris.)
IMoteurs marins (l'Avenir des). — C'est
en 1907 que fut célébré le centenaire de l'application
de la vapeur à la propulsion des bateaux. La première
expérience décisive de navigation à vapeur remonte,
en effet, au 17 avril 1807, date à laquelle le Clermont,
construit par Fulton, fit son premier voyage de New-
"York à Albany sur l'Hudson. On peut dire que 1907
a vu l'apogée de la navigation à vapeur, car, à cette
époque, il semblait qu'aucune concurrence sérieuse
ne pût être faite à la machine marine perfectionnée
par un siècle d'expériences.
Aujourd'hui, on n'en peut dire autant. Un concur-
rent redoutable à la machine à vapeur apparaît dans
le moteur marin à combustion interne, brûlant des
huiles lourdes.
On sait le développement prodigieux pris par les
moteurs d'automobile en Europe et surtout en Amé-
rique. Une statistique récente indiquait que, dans
l'Etat de New- York seulement, il y a autant de voi-
tures automobiles que dans toute la Grande-Bretagne
et qu'aux Etats-Unis, il y a une automobile pour 35 ha-
bitants, alors qu'en France, avant la déclaration de
guerre, il y avait une automobile pour 400 habitants.
Le moteur apermis de créer la navigation aérienne,
par ballons dirigeables comme par avions. Il a donc
révolutionné les conditions de transport. Il semblait
que, dans la navigation maritime, le moteur ait
opéré une transformation moins sensationnelle. En
fait, les résultats obtenus dans ce domaine ne sont
49
pas éclatants, mais ils sont cependant fort utiles à
signaler, et nous les croyons pleins de promesses.
L'inaptitude des moteurs à pétrole ou à essence
à la navigation apparaissait au public comme cer-
taine, car il avait toujours en vue, k ce sujet, les
courses de vitesse de canots automobiles renvoyées
par mauvais temps, ou l'échec retentissant de la'tra-
versée de la Méditerranée par des embarcations de
faible tonnage à moteur. Les canots de course de
coque trop frêle, tout en moteur, apparaissaient aux
marins comme des jouets intéressants, susceptibles
de donner une grande vitesse sur un parcours limité
et par mer calme ; ils n'avaient, pour la plupart, ni les
aptitudes ni les caractéristiques de bâtiments de mer
capables de maintenir une certaine vitesse par grosse
meroud'elTectuerde longues traversées. A la vérité,
ces canotsétaient restés en général
des embarcations de rivière, faites
pour la vitesse et dotées de mo-
teurs ayant les caractéristiquesdes
moteurs de voiture. L'erreur de
ces courses de canots automobiles
fut d'en faire des épreuves de vi-
tesse, faites pour être suivies par
le public, sur un parcours déter-
miné. Elles auraient dii être toutes
de longues croisières où les quali-
tés d'endurance du moteur et de
solidité de la construction au-
raient primé toutes les autres.
Ainsi se serait créé plus vile, chez
nous, un type de moteur marin,
apte aux longs elforts et au pénible
service de la navigation maritime.
Nous avons à apprendre beaucoup
de l'étranger à ce sujet.
Les moteurs marins se divisent
en deux grandes classes : les mo-
teurs à explosions, utilisant le pé-
ti'ole, l'essence ou l'alcool, et les
moteurs à combustion interne,
utilisant ces carburants ou les
huiles lourdes.
On connaît le moteur à explo-
sions, qui est utilisé sur les voi-
tures automobiles et qui se ca-
ractérise par l'allumage d'un mé-
lange tonnant gazeux (air et va-
peur de pétrole par exemple) qui
chasse le piston. Ce moteur-là
est celui des canots automobiles
à grande vitesse; il est employé
également avec des variantes très
nombreuses, suivant les marques,
pour la navigation maritime.
Eu France, Arcachon était de-
venu le centre le plus important
de la pèche automobile. Les « pi-
nasses » du bassin sont utilisées
pour la pêche à la sardine en mer;
elles étaient au nombre de 200
avant la guerre. Ce sont des pelils
bâtiments, pourvus pour la plupart
de moteurs à essence. Les voiliers
de pèche n'ont pas adopté, chez
nous, le petit moteur auxiliaire,
comme on l'a fait dans les pays
du Nord et aux Etats-Unis. Ce-
pendant, les avantages de ces voi-
liers mixtes sont évidents : aug-
mentation du rendement de la
pêche, rapidité d'arrivée aux lieux
de pêche et de retour à la côte;
facilité d'user de la voile quand
le vent est favorable.
Malheureusement, malgré certains elforts, aucune
construction à prix réduitdepetits moteurs marins n'a
été réalisée chez nous; l'Etat n'a, d'ailleurs, pasencou-
ragé pai'ticulièrementles tentativesfaites; les primes
à la construction pour les machines marines n'étaient
pas favorables aux fabricants de moteurs, car elles
étaient basées sur le poids des appareils primés. Or,
pour les faibles puissances surtout, le moteur a un
poids bien inférieur à celui de la machine à vapeur
avec sa chaudière. Si l'on ajoute à cela que, comme
dans toute innovation, il y a des difficultés de mise
au point, quelques premiers mécomptes, la routine à
vaincre chez des pêcheurs ou des marins peu habitués
il la mécanique, on comprendra que nous soyons res-
tés fort en arrère de nos rivaux étrangers dans l'uti-
lisation des moteurs marins & explosions de petite ou
moyenne puissance. Il y a là, cependant, une source
de cléveloppement considérable pour l'industrie des
moteurs, et la pêche comme la navigation côlière
peuvent être rénovées par la généralisation de l'em-
ploi de la propulsion mécanique. On ne saur.iit pi-é-
tendre que le type du moteur marin est encore k
trouver : Arcachon utilise depuis dix ans d'excellents
moteurs à essence ; pour d autres navigations, le
moteur à pétrole lampant est préférable. La Société
de l'enseignement professionnel et technique des
pêches maritimes avait, dès 1910, mis au concours
un type de moteurs de cette catégorie pour barques
de pêche : 5 moteurs furent présentés et primés ; ils
50
avaient d'excellentes caractéristiques etdonnaientun
bon rendement. Mais, depuis cette date, rien ne sem-
ble avoir été fait pour généraliser la petile naviga-
tion à moteur. Au contraire, la loi interdisait de
primer des l)âtimenls construits en France, mais ayant
des moteurs de construction étrangère, et nos chan-
' Quand même ! ", œuvre d'Antonin Mercié. (Jardin des Tuileries.)
tiers ne trouvaient pas de moteurs marins dans les
conditions où les offraient leurs concurrents. Aussi,
en France, peu de bateaux mixtes ont été construits,
et notre navigation à la pêche en a souffert.
Mais ce n'est pas seulement dans la petite ou
moyenne navigation, qu'il s'agisse de pêche, de re-
morquaffC, de cabolage ou de bornage, qu'il y a lieu
de favoriser le développement des moteurs : il faut
penser aussi àl'avenir de la navigation de long cours
par le moyen des moteurs.
Le moteur marin construit pour ces hautes puis-
sances, qui peuvent atteindre 2.000 ou 3.000 chevaux,
n'est pas un moteur à explosions; c'est le moteur à
combustion inlerne, dont nous parlions plus haut et
dontl'inventeurest le D' Diesel. Mais l'inventeur est
mort; ses brevets, exploités d'abord par des maisons
allemandes, sont aujourd'hui dans le commerce, et
les types de moteurs qui se rapprochent du diesel ori-
ginaire sont très nombreux. Le principe du moteur à
combusiion inlerne consiste dans l'injection d'une
certaine quantité de combustible liquide dans le cylin-
dre, au moment où, le piston élant en haut de sa
course, l'air contenu dans le cylindre est à une pres-
sion telle (30 kilo^'r. par cent, cube, par exemple) que
le liquide injecté s'enllamme spontanément. Le piston
est refoulé doucement; il n'y a pas de choc brusque
comme dans le moteur à explosions. Les détails du
syslf-rae varient suivant que le moteur est à deux ou à
quatre temps ; dans les moteurs à deux temps, il n'y a
pas de soupapes d'aspirationd'airetd'échappement, et
celte particularité évite certaines causes d avarie. Ce-
pendant, le type de moteur àcombustion interne paraît
se faire aussi bien h quatre temps qu'à deux temps.
Les avantages de ce moteur sont les suivants : le
rendement thermodynamique est excellent; autre-
ment dit, la force utile réalisée par ce moleur pour
uneconsommalion de chaleur déterminée est très
supérieure à celle que donnerait une machine à
vapeur. Ce rendement est pour le diesel marin de
42 p. 100 environ, alors qu il est de 12 à 14 p. 100
pour une machine h vapeur.
Les économies de consommation sont donc consi-
dérables quand on compare uii moteur et une machine
LAROUSSE MENSUEL
marine de même puissance ; le moteur à com-
bustion interne, ne présentant pas les chocs du mo-
teur à explosions, a la régularité de fonclionnement,
la souplesse dans les changements de régime de la
machine à vapeur.
Appliqué aux grands bâtiments de mer, il permet
d'éviter les nombreuses escales imposées
nux charbonniers pour renouveler leurs
soûles. La capacité des réservoirs de com-
bustible peut permettre une longue navi-
^alion sans arrêt. Le personnel employé
aux machines est, pour deux bâtiments de
même puissance, moins nombreux pour un
l)àtiiiient à moteur, et cette considération
a son poids pour la France, qui aura, après
li's cruelles pertes qu'elle a subies, à recher-
itlier les machines qui nécessitent la main-
d'œuvre la plus restreinte.
Dans un livre récent, publié à Londres
et consacré aux moteurs du type Diesel,
M. A. P. Challiley fait le calcul des frais
imposés k un armateur par un vapeur et
par un bâtiment k moleur de même ton-
nage. Voici ses chiffres :
Pour un bâtiment d'un tonnage brut de
n..ï5fl tonnes, la consommation par jour de
combustible en tonnes est de : 7 tonnes
pour le diesel et de 19 tonnes 8 pour le
vapeur ; la machine à vapeur nécessite
3 mécaniciens, 1 aide-mécanicien et6chauf-
feurs ; pour le moleur, il suffit de 3 méca-
niciens, 1 ouvrier et 2 graisseurs, soit une
diminution il lelTectif de 4 chaulTeurs.
L'économie de ce type de navire est
frappante.
Les seuls aléas à envisager résultent du
fonctionnement du moteur lui-même. On
est arrivé à faire des moteurs à combus-
tion interne pour la navigation de 2.000 à
3.000 chevaux; mais, seules, les maisons
qui se sont spécialisées dans ce genre de
construction peuvent atteindre cette maî-
trise. A vrai dire, le montage et l'usinage
de ces moteurs sont des opérations déli-
cates ; les cylindres subissent des pressions
telles et sont soumis à des températwresTi
élevées d'une façon quasiment continue
qu'ils doivent être exceptionnellement ro-
bustes ; les mécaniciens chargés de la sur-
veillance des moteurs doivent, en outre,
être vigilants et habiles. Mais il s'agit, il
ne faul pas l'oublier, de machines qui dé-
butent ; bien des inventions pratiques re-
médieront aux petits inconvènienls que
l'u.^age journalier des moteurs révélera.
Xous ne devons pas attendre que le mo-
teur marin à grande puissance ait at-
teint la perfection pour l'adopter et le
généraliser.
Nous avions, avant la guerre, quelques
grands naviresbattantpavillon françaispour-
vusdemoleursdutype Diesel; voici les principaux :
Voilier Quevilly, & MM. Prentout et Leblond de Rouen
(2 moteurs do 300 chevaux).
Voilier France (5 mâts), à MM. Prentout et Leblond de
Rouen (avec 2 moteurs de 900 chevaux).
Motricine à Naphtos — Transports (2 moteurs de
850 clievaux).
Jules-Henry (voilier transformé), à M.Vimont, armateur
(2 moteurs do 500 chevaux).
Mais, dès 1912, il y avait en service ou en cons-
truction, dans le monde entier, 118 navires de coin
merce de plus de 200 chevaux de force, ayant abord
«• 120. Février 1917.
des moteurs du type Diesel (v. Technique moderne
du l"' avril 1913). Depuis 1913, l'essor des construc-
tions de moteurs marins pour la navigation com-
merciale s'est amplifié. En Danemark, la compagnie
de r« Est asiatique danois •> possède une (lolte de
naviresàmoleurs de 6.000 à 10.000 tonnes de jauge ;
un de ses derniers navires lancés par les chantiers
« BBrmelster et Wain » de Copenhague a des mo-
teurs de 3.100 chevaux de force ; il est destiné à
un service entre l'Australie et le Danemark. Une
compagnie suédoise, la « Johnson Line », assure un
service par bateaux à moteur entre les ports de
la côte du Pacifique et les pays Scandinaves. Les
Allemands se préoccupent de ne pas se laisser dis-
tancer par leurs voisins dans la construction des
moteurs: on signale (Lloyd's List du 14 novem-
bre 1916) que la société bien connue « Allgemeine
Elektricil/iitsGesellschaft», ou A. E. G., a édifié, avec
l'appui de la Hambourg Amerika, un chantier de
construction pour navires à moteurs. L'A. E. G. au-
rait trouvé, pour ces bâtiments, un type perfectionné
de diesel à deux temps, analogue k ceux qu'elle avait
construits autrefois pour l'industrie. Les Anglais ont
été émus, eux aussi, par cette activité, et ils viennent
de créer une association entre constructeurs de
moteurs marins ou industriels en vue de mettre en
commun leurs expériences et de s'unir contre la
concurrence étrangère. Vickers, Armslrong, Whit-
worth, Harland et Wolff, Thornycrotf, etc., font
partie de celte nouvelle association.
11 est d'autant plus désirable que nous ne restions
pas k l'écart de ce mouvement que notre pays a le
plus grand intérêt à développer la fabrication des
moteurs à combustion interne. Notre marine mili-
taire est la première intéressée au développement
de celte industrie nouvelle dont elle va devenir une
cliente importante pour ses sous-marins et ses bâti-
ments de servitude : chalands, bateaux pompes ou
ses machines d'atelier établies à terre. On sait, en
ellet, que la principale cause du succès des sous-
marins allemands réside dans la supériorité de
leurs moteurs du type Diesel, qui ont été l'obiet
d'études approfondies et qui ont donné d'excellents
résultats. Nous ne pouvons consenlir à être plus
longtemps triiiutaires de l'étranger pour des fabrica-
tions aussi utiles k la défense nationale.
Pour ce qui est de notre marine marchande et de
notre marine de pêche, en énumérant les qualités
des moteurs, nous avons indiqué quels étaient les
avantaifcs de leur emploi : diminution du personnel,
facilités pour éviter les escales, diminution de l'es-
pace pris par les soutes d'approvisiormement en
combustible. Ces seuls avantages méritent qu'on ne
rejette pas les moteurs pour quelques insuccès dus
aux tâtonnements inséparables des essais de machi-
nes peu connues.
Une autre raison nous ferait désirer la diffusion
des moteurs à combusiion inlerne, non seulement
pour la marine, mais aussi pour l'industrie : c'est la
question du combustible. Nous sommes assez pau-
vres en houille, et nous importions dans une année,
avant la guerre, plus de 20 millions de tonnes de
charbon. Or, on peut, par des mesures appropriées,
développer notre production industrielle sans aug-
menter proporfionnellement nos importations de
houille. On peut y arriver en utilisant mieux que
par le passé le gaz produit par des hauts fourneaux,
mais surtout en développant les moteurs à combus-
tion interne brûlant des huiles lourdes. Or, celles-ci
sont très souvent perdues; les huiles de pétrole
étant importées en France k l'élat brut, les sous-
produits du raffinage peuvent servir pour la marche
des moteurs Diesel. D'autre part, nous pourrions
MuU'ur liiunu du Ij^m
AI» 120. février 1917.
utiliser les gisements de pétrole de nos colonies et
surtout les mines de lignites de notre propre terri-
toire qui nous donneraient des huiles lourdes comme
sous-produits. En tout cas, même si nous devions
importer le combustible, puisque, à puissance égale,
le moteur à combustion interne consomme beaucoup
moins que la machine i vapeur, nous aurions encore
intérêt à le préférer, à ce point de vue, à celle-ci.
La conclusion de cet exposé est qu'il y a un grand
mouvement dans le monde entier pour le développe-
ment des moteurs à combustion interne à grande
puissance. Des locomotives avec moteurs Diesel
auraient été construites; on envisage des moteurs
. pour cuirassés ou croiseurs. Le champ d'application
des nouvelles machines parait illimité. Nous avions
donc raison de dire que la révolution accomplie
par le moteur dans le domaine de la circulation sur
terre et dans les airs serait suivie d'une révolution
non moins importante dans les moyens de circu-
lation par mer. On signale que des maisons fran-
çaises comptent exploiter des licences de moteurs à
combustion interne ayant déjà fait leurs preuves et
qu'elles s'outilleront, après la guerre, pour fournir
notre marché de machines construites en France.
On doit espérer que nos constructeurs maritimes
se préoccupent du problème et que l'Etat leur appor-
tera, à ce sujet, ses encouragements. — Jean déteok.
Naquet {Alfred-Joseph), chimiste et homme
Îiolitique français, né à Carpentras le 6 octobre 1834.
1 est mort à Paris le 12 novembre 1916. Alfred
Naq^uet termina ses humanités à Aix et fit ses
études de médecine à Montpellier, puis à Paris.
Ses thèses sur l'Application des analyses chimiques
à la toxicologie et sur les Sucres furent très remar-
quées. Invité, en 1863, par le gouvernement italien,
à créer une chaire de chimie et physique à l'Institut
technique de Palerme,Naquetenseignapendant deux
années, en langue italienne, dans cet établissement.
En même temps, il rédigeait un traité : Principes de
chimie fondés sur les théories modernes (1865).
Dans son laboratoire, il fit la synthèse d'un acide
nouveau, l'acide thymatique, qu'il tirait de l'es-
sence de thym et étudia les principaux dérivés de
ce corps.
En 1865, Naquet revint à Paris; l'année suivante,
il prit possession du cours de chimie organique à la
Faculté de médecine. Il publia, dans les « Comptes
rendus de l'Académie des sciences », plusieurs no-
tices sur ces travaux.
Ardemment républicain, Alfred Naquet, qui s'était
toujours révolté contre le coup d'Etat de décembre,
organisa, en 1S67, avec AcoUas, le congrès de Ge-
nève. 11 y émit ce vœu : « Je propose au congrès
de ne pas se séparer sans un vote de flétrissure à la
mémoire de Napoléon I^'', le plus grand malfaiteur
du siècle. » Poursuivi pour délit de société secrète,
il fut condamné à quinze mois de prison, 500 francs
d'amende et cinq ans d'interdiction d'état civique.
Cette dernière peine le dépossédait de ses fonctions
d'agrégé. Il fut interné d'abord à la prison muni-
cipale de santé et ensuite k la maison Duval.
En 1869, Naquet publia, sous le titre Religion.
Propriété, Famille, un livre dans lequel il attaquait
les principaux fondements de l?. société, moins en
ennemi des lois et de la morale, k vrai dire, qu'en
idéologue à vue longue. Cet ouvrage le Ht frapper
des mêmes peines que précédemment, auxquelles
s'ajoutait la privation civique à perpétuité. Le savant
se réfugia en Espagne, d'où il envoya des articles
au (I Réveil » et au « Rappel ». Il participa à l'in-
surrection d'Andalousie et, l'amnistie prononcée,
revintà Paris. Il rédigea la partie scientifique de la
« Marseillaise » et donna de nombreux articles de
chimie et de médecine au <■ Grand Dictionnaire uni-
versel » de Pierre Larousse.
Naquet fut au nombre des insurgés qui, le 4 sep-
tembre 1870, forcèrent l'entrée du pont de la Con-
corde et s'emparèrent du Corps législatif, puis de
l'Hôtel de Ville. li accompagna, à Tours et à Bor-
deaux, la délégation du gouvernement, à titre de
secrétaire de la commission d'études des moyens de
défense. Le département de Vaucluse le désigna
comme l'un de ses représentants à l'Assemblée
nationale, lors des élections du 8 février 1871. La
validité de son mandat ayant été contestée, la
Chambre ordonna une enquête, et Naquet démis-
sionna avec ses quatre collègues. Il se fixa alors îi
Avignon et y dirigea la «Démocratie du Midi ». Sa
carrière scientifique était close. Il allait appartenir
tout entier k la vie publique. Au scrutin complé-
mentaire du 2 juillet 18'71, il fut réélu, dans le
même département. Au Parlement, il siégea à l'ex-
Ircme gauche. Conjointement à Vaillant, il déposa,
en 1872, un projet de loi tendant h déclarer Napo-
léon III responsable de la guerre et de ses consé-
quences et proposant de faire saisir ses biens pour
les consacrer au payement de l'indemnité promise à
l'Allemagne. Il vota pour Thiers le 24 mai 1873, sou-
tint l'Appel au peuple en novembre et l'ensemble des
lois constitutionnelles; il .se prononça pour l'amnis-
tie pleine et entière, le scrutin de liste, la liberté
des enterrements civils, l'impôt sur le revenu, etc.
11 vota la Constitution du 25 février 1875, puis
Alfred Naquet . (Ph. E. Pirou.)
LAROUSSE MENSUEL
sembla regretter de s'être associé aux concessions
du parti républicain. Avec Nadier et Louis Blanc, il
combattit à outrance la politique opportuniste de
Oambetta, tant par son attitude k la Chambre que
par ses articles de !'« Evénement » et ses discours
prononcés à Marseille, Arles, Toulouse, Bordeaux.
11 forma le petit groupe des Intransigeants, dont il
lut le principal chef et dont il exposa le programme
dans un manifeste en 1875.
Aux élections de 1876, il se présenta simultané-
ment dans la 1" circonscription de Marseille contre
Gambetta et, dans l'arrondissement d'Apt, contre le
candidat monarchiste Sylvestre. Battu k Marseille
par son illustre compétiteur, il lut élu k Apt. Ce fut
alors qu'il constitua le groupe de l'extrême gauche.
Il demanda l'abrogation des lois sur la presse, qu'il
voulait entièrement libre, et réclama une enquête
sur les opérations du Crédii Foncier.
La principale action d'Alfred Naquet, celle à la-
quelle son nom restera attaché, est le rétablissement
de la loi du divorce. C'est en 1876 qu'il déposa une
première proposition dans ce sens; elle fut re jetée.
Après l'Acte du 16 mai 1877, Naquet fut un des
363 représentants des gauches réunies qui refusèrent
de faire confiance au ministère de Broglie. Réélu la
même année, il se rapprocha de Gambetta, ce qui
lui valut des attaques du groupe intransigeant. Au
début de l'année 1879, il renouvela sa proposition de
loi sur le divorce. Rejetée par la commission d'ini-
tiative, elle fut ^^^^^^^^^^^
prise en considé- i^^^^^^^^^K^
ration par la
Chambre. Près
de deux années
s'écoul èr ent
avant que ce pro-
jet fût mis au
vote, et repoussé
encore, à la suite
d'un débat pas-
sionné. Naquet
ne se tint pas
pour battu, et,
par la plume et
par la pâtrole,
mena dans le
pays une ardente
propagande en
faveur du di-
vorce. Il fit des
conférences dans un grand nombre de villes.
Attaqué par le « Figaro », il expliqua que, séparé à
l'amiable d'avec sa femme, il la laissait libre, lui
incroyant, de donner à leur fils une éducation reli-
gieuse. Elu de nouveau, en 1881, il reprit, dès l'ou-
verture de la session, sa proposition de loi concer-
nant le divorce. Pris encore en considération, le
projet fut, cette fois, adopté par la Chambre (1882);
il le fut, en 1884, par le Sénat, malgré l'opposition
de Jules Simon et d'AUou.
En 1883, Naquet fut rapporteur du projet de loi
relatif à la conversion de la dette sur l'Etat à 5 p. 100,
et, celte même année, à la mort du sénateur Elzéar
Pin, il se présenta à sa succession, et fut élu. Il s'était
déclaré partisan de la suppression du Sénat. Mais
son but, en entrant à la Chambre haute, était surtout,
ainsi qu'il le dit lui-même en démissionnant, d'y
faire triompher sa loi. Il proposa (juin 1886) que la
séparation fût de droit transformée en divorce, au
bout de trois ans, sur la demande d'un des époux.
Lorsque l'agitation boulangiste éclata, Alfred
Naquet, dès le début, s'y montra favorable. Défen-
seur ardent de cette cause, comme de toutes celles
qu'il embrassait, il soutint, dans la "Presse», une vive
polémique et poussa le chef du parti révisionniste k
un coup de force. Cette attitude le fi t exclure, en 1888,
du groupe de l'extrême-gauche du Sénat. Quoique
sénateur pour deux ans encore, il se présenta dans
lai" circonscription duV" arrondissement de Paris,
aux élections législatives de 18S9. Il triompha, au
scrutin de ballottage, du radical Bourneville, député
.sortant. Invalidé, réélu (1890) et, cette fois, validé, il
donna sa démission de sénateur. Son mandat fut
renouvelé en 1893. Il réclama vainement, en 1894, la
revision de la Constitution. Poursuivi en cour d'as-
sises lors de l'affaire de Panama, il fut acquitté (1898)
et rentra dans la vie privée. En 1900, il adhéra au
parti socialiste.
Outre sa collaboration au « Grand Dictionnaire
Larousse », Naquet a donné des articles au « Bulle-
tin de la Société chimique » et au a Dictionnaire de
chimie », de Wurtz. Il a fondé, en 1876, la Révolu-
lion, journal politique, qui fut de très courte durée,
et, en 1880, l'Indépendant, républicain-radical.
Ses principales œuvres sont:
Application de l'analyse chimique à la lexico-
logie {IS59) ; De t allotropie et de lisoméirie I^\i60)\
Des Sucres, thèse (1863); Principes de chimie fon-
dés sur les théories modernes (1865) ; De l'atomi-
cité(lS%S); Religion, Propriété, Famille {IS68); le
Divorce (1877); Notice sur Gaston Crémieux, en
tête de ses œuvres posthumes (1879); traduit de
l'anglais : le Calcul des opérations chimi<^ues, par
de Brodie (1879] ; Question* CvnstiluttonnetUs
81
(1883); Socialisme collectiviste et socialisme libé-
ral (1890); Temps futur» (1900), CHumanité et
la Patrie {I90t); la Loi du divorce (1903); l'Anar-
chie et le Colleclivisme (1904). — CkIm luuuihdi.
Pensions pour blessures ou infirmi-
tés de guerre. — l>gisl. milit. La présente
étude ne concerne pas toutes les pensions militaires,
mais seulement les pensions qui sont concédées k
l'occasion et comme conséquence des faits de guerre.
On n'y trouvera donc, par exemple, ni la législation
des pensions d'ancienneté, ni l'exposé des règles re-
latives aux réclamations devant le conseil d'Etat,
ni les dispositions diverses qui, applicables en temps
de paix, ont été traitées dans le Larousse illustré
(v. t. VI, p. 773, art. pension).
Droit k la pension. — Quelle que soit la durée
de ses services, quelle que soit la profession exer-
cée avant la mobilisation, le militaire de tous
grades, blessé en service commandé ou atteint de
maladie directement imputable au service, a droit i
une pension si la blessure, ou l'infirmité équivalente,
présente les caractères suivants :
l» Avoir été reçue ou contractée dans les condi-
tions de l'article 12 de la loi du 11 avril 1831, ainsi
conçu :
Les blessures donnent droit à la pension de retraite
lorsqu'elles sont graves et incurables et qu'elles provien-
nent d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés
dans un service commandé. Les infirmités donnent le
même droit lorsqu'elles sont graves et incurables et
âu'elles sont reconnues provenir des fatigues oa dangers
o service militaire...
2» Avoir été reconnue incurable;
3" Atteindre un des degrés de gravité rangés dans
les six classes ci-après : 1" classe : cécité complète;
— 2" classe : amputation des deux membres; —
3« classe : amputation d'un membre ; — 4" classe :
perte absolue de l'usage de deux membres ou infir-
mités équivalentes (n<>« 1 à 7 de l'échelle de gravité
des blessures de l'instruction du 23 juillet 1887); —
5" classe : perle absolue de l'usage d'un membre ou
infirmités équivalentes (n»» 8 à 46 et 51); — 6" classe:
blessures ou infirmités qui mettent l'officier hors
d'état de rester en activité et d'y rentrer ultérieu-
rement; le sous-officier, caporal, brigadier ou sol-
dat, hors d'état de servir et de pourvoir à sa subsis-
tance (n»' 47 à 50 et 52 à 66).
Les blessures et infirmités c[ui rentrent dans les
cinq premières classes de gravité ouvrent un droit
immédiat & pension. Celles qui sont comprises dans
la 6" classe, présentant moins de gravité, peu-
vent ne pas mettre le militaire hors d'état de servir
et de pourvoir à sa subsistance, mais occasionner
simplement une incapacité de travail ouvrant droit
à une gratification de réforme. D'ailleurs, aux termes
de l'article 36 de l'instruction du 23 mars 1897, le
droit k pension n'existe jamais lorsque l'état d'inva-
lidité est susceptible de disparaître avec le temps.
Ainsi, un militaire frappé de surdité complète a
droit à une pension de la 5« classe ou à une gratifi-
cation de réforme de 300 francs, selon que l'infirmité
est, ou non, incurable. Si la surdité nest pas com-
plète, il peut prétendre soit à une pension de la
6= classe, soit k une gratification.
Si, sous l'influence des faiigues du service ou des
dangers de |Ia guerre, un militaire est atteint de
plusieurs blessures ou infirmités ouvrant chacune
le droit à la pension, il est rationnellement tenu
compte de chacune d'elles dans l'appréciation de
l'impotence fonctionnelle qui en résulte, et il y
a lieu de faire bénéficier l'intéressé du cumul. (Inst.
23 mars 1897, art. 40).
Assez délicate est la question de la prédisposition
constitutionnelle. D'après les principes établis, si
les fatigues subies par le militaire sont telles
qu'elles auraient déterminé des inlirmilés chez un
homme d'une santé parfaite, aucune raison ne fait
obstacle à la concession d'une pension ; au coatraire,
si le service militaire n'a joué qu'un rôle secondaire
dans la naissance et l'évolulion de la maladie, le
droit à pension n'existe pas. Ainsi, pour la tubercu-
lose, les médecins experts n'admettent, comme ayant
des droits k pension, que les militaires chez lesquels
la tuberculose s'est manifestement développée k la
suite d'un faitde service précis, ou après une longue
durée de séjour sous les drapeaux.
En ce qui concerne les lésions par gaz asphyxiants
ou autres produits chimiques employés par l'en-
nemi, celles-ci ouvrent aux militaires les mêmes
droits que si elles étaient la conséquence de bles-
sures de guerre proprement dites.
Examen médical. — Aucune blessure ou infirmité,
quelle que soit sa gravité, ne peut ouvrir le droit k
pension, s'il n'est pas établi avec certitude qu'elle
est imputable au service militaire. La constatation
de fait résulte du certificat d'origine.
L'origine dûment constatée, les militaires propo-
sés pour la pension sont soumis à l'examen de cinq
médecins, qui établissent les certi/ii.ats d'incu{-ahi-
lilé, d'examen et de vérification. Les conclussions
des certilicats doivent être eilrémemcnt précises,
afin de permettre au ministre de la guerre de statuer
en pleine conoaissaoce de cause.
52
En effet, en matière de pension, les commissions
d'examen et de vérincation ne lormulent que des
propositions. C'est au ministre seul qu'il appartient,
après avoir réuni tous les avis utiles (celui de la
commission consultative médicale par exemple), de
statuer déllnitivemenl, et, s'il ne se trouve pas suffi-
samment éclairé sur les droits à pension de l'inté-
ressé, de prescrire son hospitalisation pour faire
établir, avec précision, son état de santé et l'origine
de son infirmité.
Taux des pension». — Le taux des pensions pour
blessures ou infirmités est fixé comme suit :
A. Ampulalion de deux membres ou perte totale
delà vue (f" et 2» classes). — La pension est égale
au maximum de la pension d'ancienneté de service,
augmentée pour les officiers et assimilés de 20 p. 100,
et pour les sous-officiers, caporaux ou brigadiers et
soldat!» ou assimilés, de 30 p. 100.
B. Ampulalion d'un membre ou perle absolue
de l'usage de deux membres (3° et 4'= classes). — La
pension est égale au maximum de la pension d'ancien-
neté, mais sans l'augmentation de 20 ou de 30 p. 100
comme précédemment.
G. Blessures ou infirmités graves qui occasion-
nent la perte absolue de l'usage d'un membre ou
qui y sont équivalentes (5« classe). — La pension
est variable. Elle est égale au minimum à la pension
d'ancienneté, quelle que soit la durée du service,
(ihaque année de service, y compris les campagnes,
ajoute au minimum un vingtième. Le maximum
est acquis à 20 ans de services, y compris les cam-
pagnes.
D. Blessures ou infirmités moins graves qui met-
tent dans l'impossibilité de rester au service avant
d'avoir accompli le temps de service exigé pour
avoir droit à la pension d'ancienneté {6" classe). —
La pension est également variable. Elle est égale,
au minimum, à la pension d'ancienneté. L'augmen-
tation pour chaque année de service n'est comptée
qu'à partir de 30 ans de service (25 ans pour les
hommes de troupe), campagnes comprises. Le
maximum est atteint k 50 ans de service, y compris
les campagnes (45 ans pour les hommes de troupe).
Il est à remarquer que l'annuité (ou période de
douze mois) ne comporte pas nécessairement les
douze mois consécutils; mais elle peut se composer
de douze mois de services interrompus et répartis,
en conséquence, sur plusieurs années. En outre, les
campagnes augmentent d'une durée égale le temps
de service ; elles comptent double.
Montant de la pension — La pension étant cal-
culée comme il vient d'être dit, son montant selon
les classes est fixé comme suit :
Sixième classe :
OFFICIERS
Colonel 4.500 francs.
Lioutonant-colonel 3.700 —
Commandant 3.000 —
Capitaine (4 échelons do solde)
2.900, 2.700, 2. .500 et J.300 —
Lieutenant (4 échelons de solde)
2.300, 2.150. 2.000 et 1.850 —
Sous - lieutenant ( 2 échelons de
solde) 1.800 et 1.500 —
HOMMES DE TROUPIC
Adjudant chef I.IOO francs.
Adjudant l.ODO —
Aspirant 950 —
Sor(j;ent-majoi' 900 —
Sergon t 800 —
Caporal 700 —
Soldat 600 —
Chaque fois que l'intéressé a accompli plus de
vingt-cinq ans de service, il y a lieu d'ajouter, par
année de service ou de campagne, les indemnités
suivantes : colonel, 75 francs; commandant, capi-
taine, lieutenant et sous-lieutenant du deuxième
échelon, 50 francs; sous-lieutenant du premier
échelon, 40 francs; sous-officier, 15 francs; caporal,
10 francs; soldat, 7 fr. 50.
Cinquième classe. — La cinquième classe ren-
ferme les infirmités entraînant l'impotence fonction-
nelle d'un membre ou celles qui lui sont équiva-
lentes (perle de la vision d'un œil par exemple)
Le taux de la pension afférente à celle classe est le
même, sauf que les annuités sont ajoutées comme
il est dit au § G. Taux des pensions.
Qualrième et troisième classes •
OFFICIERS
Colonel 6.000 francs.
Lieutenant-colonel 5.000 —
Commandant 4.000
Capitaine (4 échelons de solde)
3.900, 3.700, 3.500 et 3.300 —
Lieutenant (4 échelons de solde)
3.300, 3.150, 3.000 et 2.850 —
Sons-lieutenant (2 échelons de
solde) 2.800 et 2.300 —
HOMMES DE TROUPE
Adjudant chef 1.400 francs.
Adjudant I.soo —
Aspirant 1.250 —
Sergent-major 1.200 —
Sergent 1.100 —
Caporal 900 —
Soldat 750 —
LAROUSSE MENSUEL
Deuxième et première classes. — Le taux est celui
des quatrième et troisième classes, majoré de
30 p. 100.
PiÈCKS A FOURNIR. — Les pièces à fournir sont
les suivantes : 1" demande ou proposition mention-
nant la nature de la pension, la résidence, la posi-
tion dans laquelle l'intéressé attendra la notification
à intervenir; 2° acte de naissance ou, à son défaut,
acte de notoriété établi parlecoiiimandantdelunité
où se trouve le militaire, sur la déclaration de sept
militaires qui le connaissent depuis quelque temps;
3° état de services ; 4° certificat d origine de blessure;
5°cerlificat3 médicaux, d'incurabililé, d'examen et de
vérification et les procès-verbaux d'examen.
Option .jntre la pension militaire et la pen-
sion CIVILE. — La loi du 14 mars 1915 permet aux
retraités pour blessures ou infirmités contractées au
cours delacampagiie, lorsque, avant la mobilisation,
ils étaient fonctionnaires ou employés publics, d'op-
ter pour la pension civile de leur fonction ou de leur
emploi, si celte option doit leur procurer un avan-
tage et si, d'autre part, ils sont reconnus inaptes,
par suite d'incapacité physique absolue, à remplir
leurs fonctions antérieures. La pension qui leur sera
alors concédée sera égale à la moitié de leu. dernier
traitement d'activité, augmenté des annuités de ser-
vice militaire calculées au tarif du grade.
Les blessures ou infirmités sont considérées
comme reçues ou contractées dans l'exercice des
fonctions civiles, et elles rentrent dans les prescrip-
tions de l'article 11 de la loi du 9 juin 1853.
La demande de pension civile est adressée au
ministre compétent ou, s'il s'agit d'un fonctionnaire
(lepartemeutal ou communal, au préfet ou au maire.
Le dossier comprend les pièces exigées pour la
liquidation d'une pension militaire, et l'autorité ad-
ministrative y joint, de son côté, outre un relevé des
services civils, un procès-verbal d'un médecin de
l'administration constatant l'incapacité de reprendre
les fonctions.
La demande doit être formulée dans le délai de
cinq ans impartis aux intéressés pour faire valoir
leurs droits à la pension militaire. Le droit d'oplion
peut être rétroactivement exercé par les personnes
qui ont formé une demande de pensic^ militaire
entre le 2 août 1914 et le 16 mars 1915, même si la
pension a été déjà concédée.
HkoLES nu CUMUL. — Si le fonctionnaire est en
état d'exercer de nouveau ses fonctions, il reçoit
une pension militaire cumulable dans les limites
légales avec ses émolnments. Les titulaires de pen-
sions militaires nommés à un emploi civil rétribué
par l'Etat, les départements, les colonies ou pays de
protectorat, les communes ou établissements publics,
ne peuvent cumuler leur pension (y compris les sup-
pléments, allocations ou compléments) avec le trai-
tement attaché à cet emploi, qu'autant que le total
n'excède pas 6.000 francs ou, s'il était supérieur à
cechirri'e,le montant de leur dernière solde d'aclivité
sans les accessoires. Au cas où celte limite est dé-
passée, l'excédent est retenu sur la pension.
Les dispositions restrictives du cumul ne sont pas
applicables aux titulaires de pensions militaires
fiour blessures ou infirmités équivalant au moins à
a perte de l'usage d'un membre ni aux membres
de Tordre de la Légion d'honneur et aux médaillés
militaires pour les traitements viagers qu'ils reçoi-
vent en cette qualité. (Loi du 30 déc. 1913, art 37.)
Les militaires retraités, rappelés ou maintenus en
activité au titre militaire (officiers employés au re-
crutement, capitaines d'habillement, etc.), peuvent
cumuler les indemnités avec leurs pensions dans les
limites de l'article 37 de la loi du 30 décembrel913.
11 en est de même des retraités militaires pourvus
d'emplois considérés comme civils, bien que ressor-
tissant à l'administration de la guerre.
Deux décrets en date des 12 et 27 août 1914 ont
suspendu l'application de l'article 4 de la loi du
28 fructidor an Vil, pendant la durée de la guerre,
en faveur des pensionnaires militaires appelés sous
les drapeaux, sauf en ce qui concerne les pension-
naires mobilisés comme officiers ou sous-olficiers à
solde mensuelle. On sait que l'article 4 de la loi de
fructidor interdit le cumul d'une pension militaire
et d'une solde militaire.
Enfin, le cumul de plusieurs pensions est autorisé
jusqu'à la limite de G. 000 francs, sauf si les pensions
ont été acquises dans l'exercice d'un môme emploi.
Co7icession de la pension, — Dès qu'a été publié
le décret de concession, l'intéressé en reçoit notifi-
cation. Les avis de notification de pensions contien-
nent toutes les indications nécessaires pour leur per-
mettre d'apprécier les bases sur lesquelles ces pen-
sions ont été liquidées et de déférer, le cas échéant, au
conseil d'Etat les décrets de concession. Les textes
législatifs ou réglementaires y sont indiqués d'une
façon exacte et complète.
La pension court du jour où le militaire a été
rayé des contrôles, et c'est à partir de la date de la
radiation que sont payés les premiers arrérages, con-
formément aux disposi lions du décret du 23 juin 1916.
Droits mixtes. Pensions pour ancienneté. — Le
droit à la pension proportionnelle ou pour ancien-
neté de services étant distinct du droit à la pension
N' 120. Février 1917.
pour blessures ou infirmités, une demande ne saurait
utilement avoir ces deux bases à la fois. Le mili-
taire, si l'on se trouve dans la nécessité d'établir une
proposition pour l'admission d'office à la pension
proportionnelle motivée pardes infirmités imputables
aux fatigues ou dangers du service, mais sans attein-
dre le degré de gravité et d'incurabililé exigés par
la loi du 11 avril 1831, doit opter soit pour la pension
proportionnelle, soit, provisoirement pour la gratifi-
cation de réforme. En optant pour la gralificalion, il
conservera la faculté de réclamer la pension de retraite
en cas d'aggravation suffisante de ses infirmités ou,
dans le cas contraire, de demander la liquidation de
sa pension proportionnelle dans le délai de cinq ans
à compter delà radiation des conlioles de l'activité.
Il est à remarquei que, pendani la durée des hos-
tilités, aucune pension proportionnelle ne peut être
liquidée en faveur des militaires mobilisés, à moins
(juecesmililairesne soient réformés. Lapensionsera
liquidée à la lin des hostilités, et il sera tenu compte
des services accomplis pendant la durée de la guerre.
Demanile en concession ou en révision de pen-
sion. — Par application du principe de la prescrip-
tion quinquennale aux créanciers du Trésor, le
militaire doit former sa demande de pension dans
les cini| ans à compter de la cessation de l'aclivité.
11 en est de même des demandes en revision de
pension pour aggravation d infirmités. Une demande,
en ce cas, doit, sous peine de déchéance, être adres-
sée directement au ministre de la guerre, accompa-
gnée d'un procès-verbal de l'enquête faite sur l'inté-
ressé par la gendarmerie, et des certilicats médicaux
constatant l'aggravation. L'instruction de la demande
est faite en observant la même procédure que celle
exigée pour la liquidation de la pension primitive.
Avances sur pensions. — Des avances sur les pen-
sions militaires en cours de liquidation peuvent être
accordées, si la situation des intéressés le com-
porte, lorsque le projet de liquidation a été ap-
prouvé par le minisire des finances et le conseil
d'Etat. En aucun cas, l'avance ne peut être supé-
rieure aux deux tiers des arrérages de la pension
qui auraient pu être perçus à la date de la dernière
échéance trimestrielle, si la concession de la pen-
sion avait élé faite avant cette date sur la base du
projet de liquidation. Les avances, demandées au
ministre, sont précomptées sur les premiers arré-
rages de la pension. — Marcel petit.
Télégrapliie sans fil (la). Généralités.
Le domaine aérien. La Radiotélégraphie en temps
de paix. (Dr. intern.) Les emplois de la T. S. F. —
L'étude du domaine aérien conduit nécessairement
à l'examen des règles inlernationales relatives à la
T. S. F. Ce sont les mêmes questions qui se posent,
qu'il s'agisse de l'application de celte découverte
ou de la pratique de la navigation aérienne : les
nations ont-elles le droit d'empêcher, à leur vo-
lonté, le passage au-dessus de leur territoire des
ondes hertziennes aussi bien que celui des aéronefs''
Le domaine aérien est-il international, ou bien les
Etats ont-ils, sur la portion de ce domaine qui re-
couvre le sol national, un droii privatif absolu?
Nous allons voir comment les conventions passées
entre les Etats envisagent l'emploi de la télégraphie
sans fil. Sans doute, y trouverons-nous la trace des
mêmes tàlonnements que lorsqu'il s'est agi de ré-
glemenler la navigation aérienne. C'est qu'en effet,
la science du droit s'est toujours montrée d'une
grande réserve en présence des découvertes, des
inventions et des difi'érentes manifestations du pro-
grès, afin de n'en point entraver l'essor. Les néces-
cités de la guerre nous font peut-être regretter cette
réserve et ce parti pris de libéralisme. Mais c'est le
propre de la science de n'être pas opportuniste et
de planer au-dessus des factions et au delà des temps.
La T. S. F., découverte par Branly en 1S90, rend,
pendant la paix comme aux heures de guerre, les plus
grands services aux nations. Elle facilite les relalions
commerciales et assure à la navigation maritime tou-
tes sortes de commodités et, surlout, pins de sécu-
rité. Elle a un pou voir de transmission pour l'échange
des correspondances dix fois plus grand que la té-
légraphie ordinaire. — Aussi les nations possèdent-
elles des installations de T. S. F toutes-puissantes
et dont le rayonnement va jusqu'à plus de 6.000 ki-
lomètres. La portée des ondes électriques est pour
ainsi dire illimitée; on communique couramment
d'Europe aux Etats-Unis et de Bruxelles au Congo,
c'est-à-dire à une distance de 6.300 kilomètres par-
dessus les terres. L' .Angleterre a projeté, à l'aide
de très grandes longueurs d'onde, allant jusqu'à
15.000 kilomètres, d'installer un réseau devant réu-
nir, par T. S. F., la métropole à ses plus lointaines
colonies. — La France avait conçu un projet analo-
gue. C'est qu'en effet dans les colonies, où la pose
des lignes télé^:raphiques ordinaires est difficile et
sujette aux destructions, l'utilisation de la belle
découverte de Branly s'impose, par son installation
aisée, qui ne craint aucun obstacle, sa puissance
et sa commodité. En mer, où elle a sauvé ae nom-
breuses existences humaines en permettant aux ba-
teaux en perdition d'appeler à leur secours tous les
navigateurs que les signaux de détresse, même les
I
H' 120. Février 1917.
plus perçants, ne pourraient découvrir, son utilité
est si bien démontrée que, dès 1910, les Etats-Unis
et l'Argentine volèrent une loi interdisant à tout
paquebot, de quelque nationalité qu'il soit, de sortir
de leurs ports sans être muni d'appareils radiotélé-
grapliiques. L'Allemagne, en 1912, a accordé une
subvention de 240.000 marks pour l'inslallalion de
postes de T. S. F. à bord des navires de pèche. —
Eii France, une proposition do loi semblable, de
Leboucq, Lamy, Damelin, etc., n'eut aucun résultat.
Comme toutes les inventions nées en France, les
applications de cette admirable et féconde décou-
verte ont fait, chez nous, des progrès plus lents qu'à
l'étranger. N'en était-il pas de même de l'aéronau-
tique militaire avant la guerre? En 1913, cependant,
50 p. IflO des paquebots de la Compagnie générale
transatlantique étaient munis d'appareils de T. S. P.
Au cours de chaque voyage, un petit Journal était
distribué aux passagers, qui étaient ainsi tenus au
courant, auiour le jour, pendant la traversée, des in-
formations les plus importantes du monde entier.
La T. S. F. et la ffuen-e. — En temps de guerre,
la télégraphie sans fil, comme toutes les inventions,
a sa place marquée. Grâce à elle, le commandant en
chef a tout sous la main, malgré l'étendue du front,
et il peut correspondre avec ses alliés, alors que tous
les autres moyens de communication sont intercep-
tés ou bloqués par l'ennemi. C'est ainsi que le gé-
néral Townshend, assiégé dans Kut-el-Amara, lors
de sa retraite de Mésopotamie, put tenir au courant
de tout ce qui se passait dans la place la colonne
de secours envoyée pour délivrer la garnison. Les
secours n'arrivèrent pas à temps, mais, à plusieurs
reprises, des vivres furent adressés aux assiégés par
le moyen d'aéroplanes. Cette intéressante expérience
prouve qu'une ville encerclée par l'ennemi peut,
grâce à ces deux découvertes merveilleuses : la
T. S. F. et la navigation aérienne, défier longtemps
ses adversaires et se ravitailler malgré eux. Le tout
est de disposer d'un matériel et d'appareils suffisants.
Bien avant la guerre, dès lîiOO, les places fortes de
Belfort, Toul, Verdun, Epinal, étaient munies de
postes radiotélégraphiques reliés à la tour Eiffel. En
même temps, on avait doté les armées en marche de
postes mobiles pouvant les suivre dans leurs dépla-
cements et dont la portée variait de 100 à 700 kilo-
mètres. 11 n'est pas jusqu'aux dirigeables à bord
desquels on n'ait expérimenté de semblables instal-
lations. Celles-ci donnèrent des résultats sur 12 el
20 kilomètres.
Dans la guerre maritime, la T. S. F. est, pour les
navires surpris et attaqués, une aide de premier
ordre, capable de transformer complètement le sort
d un combat en permettant d'obtenir & bref délai du
renfort. 11 semble bien que, si la grande bataille du
Jutland, du 31 mai 191 6, s'est terminée il la confusion
des escadres allemandes, ce soit grâce aux radio-
télégrammes qui ont permis au gros de la flotte bri-
tannique d'accourir h toute vitesse au secours des
croiseurs qui, au début de l'action, se trouvaient aux
prises avec des unités germaniques plus fortes et
plus nombreuses.
Au contraire, si le transport français Gallia, qni
conduisait d'importants renforts à destination de
Salonique et qu'un sous-marin allemand a coulé, en
octobre 1916, a été
englouti avec un
aussi grand nom-
bre de marins el
de soldats, c'est
parce que la tor-
pille, en frappant
à mort le navire,
a brisé les appa-
reils de T. S. F.,
de sorte que le bâ-
timent s'est trouvé
aussitôt isolé, c'est-
à-dire privé de tout
moyen de commu-
nication efficace
avec les nombreux
bateaux qui sillon-
nent en tous sens
la Méditerranée.
LaT. S. F.aélé
employée pour la
première fois pen-
dant la guerre sud-
africaine, puis pen-
dant la guerre
russo-japonaise, où
elle permit à l'ami-
ral Togo de sur-
prendre l'amiral
Rodjestvensky.
Au Maroc, nos troupes ont utilisé avec succès de
petits postes radiotélégraphiques mobiles, en com-
munication avec les navires de guerre croisant le
long des côtes et qui étaient eux-mêmes en relation
avec le grand poste de la tour Eiffel, haut de 330 mè-
tres, y compris le mât.
D'ailleurs, dès cette époque, la T. S. P. était de-
venue pour les belligérants, sur terre et sur mer, un
r
LAROUSSE MENSUEL
auxiliaire précieux. Nousla voyons jouer brillamment
son rôle dans la guerre italo-turque et dans la guerre
des Balkans, et nous dirons plus loin combien elle a
été utile aux belligérants dans la guerre en cours.
La T. S. F. et le droit international. — La radio-
télégraphie est à étu-
dier dans les rapports uil r JJUUl^MfLLj i j
internationaux, au dou- ' i.«i»'>j»i>^**«nccvrii . ■ i
ble point de vue du
temps de paix et de la
guerre. Les actes juri-
diques élaborés en
cette matière sont peu
nombreux. Il y a, pour
le temps de paix, les
articles 2, 5, 7 et 8
de la convention de
Saint-Pétersbourg, du
22juillet 1875, relative
à la correspondance té-
légraphique ordinaire
que 1 on applique, par
analogie, à la télégra-
phiesansfil.il y aaussi
le règlement interna-
tional de la T. S. P.,
adopté le 24 septembre
1906 par l'Institut de
droit international
dans sa session de
Gand. 11 y a, enfin, la
déclaration de ia con-
férence préliminaire
de Berlin d'août 1903
et la convention in-
ternationale signée à
Berlin, le 3 novembre
1906, par 26 Etats et
complétée parune con-
vention additionnelle
du mêmeioure* par la
création d'un office in-
ternational pour la ra-
diotélégraphie, analo-
gue à l'office postal et
télégraphique interna-
tional de Berne et
chargé, de même, du
contrôle et de la sur-
veillance du réseau ra-
diolélégraphique.
Pour le temps de
guerre, il faut mention-
ner, avec le règlement
de Gand de 1916 pré-
cité, les conventions
de La Haye de 1907,
la déclaration de Londres de 1909 et celle de 1912.
1" Temps de paix. — On comprend tout de suite
qu'il importait d'établir, au sujet de la T. S. F.,
une entente internationale : les ondes, en effet,
sont invisibles et capricieuses; elles se propagent
en tous sens, et sont si bien susceptibles d'ap-
propriation qu'au cours de cette guerre, il a été
souvent possible de recueillir à l'improvisle des
53
de brouiller ces ondes par des ondes plus fortes.
C'est pourquoi, de même que, pour la navigation
aérienne, on a si longuement agité, à propos de la
T. S. F., la question du domaine aérien. Y a-t-il un
domaine aérien? quelle est sa hauteur? L'Etatsous-
l'oste mobUo de téli>grapliic sans m eo service au Maroc, en 1913.
radiotélégrammes ennemis et de surprendre des
ordres donnés, permettant ainsi de connaître à
temps les préparatifs de l'adversaire. C'est là
le principal inconvénient de la radiotélégraphie;
elle peut aussi, lorsque les ondes passent dans
le territoire d'un Etat, troubler les communica-
tions téléphoniques ou télégraphiques ordinaires,
sans que cet État ait d'autres ressources que
La T. S. F. installée â bord d'un paquebot.
jacent a-l-il, sur la colonne d'air qui domine son
territoire, un droit de souveraineté absolu ou seu-
lement des droits relatifs à sa conservation? Nous
devons dire qu'avant la guerre, de sérieux esprits
s'étaient orientés dans le sens de la circulation
aérienne internationale libre, sauf le droit, pour les
Etals sous-jacents, de prendre certaines mesures, à
déterminer, en vue de leur propre sécurité et de
celle des personnes et des biens de leurs habitants.
(Session de Madrid, avril 1911, de l'Institut de droit
intern. Conclusions adoptées du rapport de Paul
Fauchille).
Ainsi se trouverait résolue, par la doctrine, la
question de savoir si l'Etat a le droit d'empêcher à
sa volonté le passage des ondeshertzienmesau-dessus
de son territoire el, par conséquent, d'élever contre
elles des obstacles matériels. A cette question le
règlement de Gand, de 1906, adopté par l'Institut
de droit intern., avait déjà répondu : <> l» l'air est
libre, les Etats n'ont sur lui, en temps de paix et en
temps de guerre, que les droits nécessaires à leur
conservation; 2" à défaut de dispositions spéciales,
les règles applicables à la correspondance télégra-
phique ordinaire, le sont à la correspondance télé-
graphique sans fil; 3° chaque Etat a la faculté, dans
la mesure nécessaire à sa sécurité, de s'opposer,
au-dessus de son territoire et des eaux territoriales,
et aussi haut qu'il sera utile, au passage d'ondes
hertziennes, que celles-ci soient émises par un ap-
pareil d'Etat ou par un appareil privé placé à terre,
à bord d'un navire ou d'un ballon ; 4"» au cas d'in-
terdiction de la correspondance par T. S. F., le
gouvernement devra immédiatement aviser les au-
tres gouvernements de la défense qu'il édicté ».
En .somme, dans ce règlement, les articles 3 et 4
retirent aux partisans de la liberté de lair ce que
semblent leur donner les articles 1 et 2.
Certes, la conférence préliminaire de Berlin
(aoiit 1903) a indiqué les bases d'une réglementation
internationale relative aux correspondances échan-
gées entre une station côtièrc et un navire en mer;
et la seconde conférence de Berlin (3 nov. 1906) a
consacré le principe de la communication obliga-
toire, sans distinction d'appareil, entre les navires
et les stations côtièrcs. Elle a posé, de plus, le prin-
cipe de l'inlernatlonalisalion et de rintcrcoinniuni-
catioQ de tous les systèmes. Enfin, une convention
Si
additionnelle dii même, jour a étendu ces principes
aux relations de navire i navire, mais ces disposi-
tions laissent soigneusement de côté la question du
domaine aérien.
Elles font disparaître, en fait, le monopole de la
société Marconi et de diverses compagnies d'ex-
ploitation ; elles définissent les stations côtières
radiotélégraphiques (installées sur la terre ferme ou
à bord d'un navire ancré, à demeure) et les stations
de bord (établies sur tout navire autre qu'un ba-
teau fixe); elles font, k ces stations, une obligation
d'échanger réciproquement les radîotèlégrammes,
sans distinction de système; elles contraignent les
Etals à faire relier les stations côtières, par fils spé-
ciaux, à leur réseau télégraphique respectif, à se
donner mutuellement connaissance des noms des
stations côtières et de bord ouvertes au service de
la correspondance publique entre la terre et les
navires en mer et, enfin, à faire connaître toutes
les indications propres à faciliter et accélérer les
échanges radiotélégraphiques. De plus, les stations
de T. S. F. sont obligées d'accepter par priorité
absolue les appels de détresse provenant des na-
vires, de répondre de même à ces appels et d'y
donner la suite qu'ils comportent. Sans doute, les
Etats peuvent admettre dans ces slalious, indépen-
damment des installations visées ci-dessus, en vue
de transmissions spéciales, des dispositifs dont les
détails ne seront pas publiés. Celte réserve vise no-
tamment les installations navales et militaires; tou-
tefois, ces installations mêmes sont tenues d'accepter
par priorité absolue les appels de détresse des na-
vires en perdition et d'y répondre avant toute autre
communication.
C'est à partir du 1" juillet 1908 que cette con-
vention, à durée illimitée, fut rendue exécutoire.
Elle réservait, comme on le voit, tout entière la
circulation des ondes hertziennes au-dessus et h.
l'intérieur des territoires des Hautes Parties con-
tractantes, puisque, à travers ces territoires, c'était la
télégraphie ordinaire, reliée aux stations radiogra-
phiques côtières, qui devait fonctionner.
2» Temps de guerre. — Les règles de droit in-
ternational relatives à l'emploi de la télégraphie
sans fil en temps de guerre, et notamment dans les
rapports entre les neuties et les belligérants, feront
l'objet d'un second article, (jlsuiwe.) — Maurice Duval.
Verliaeren (Emile), poêle belge, né à Saint-
Amand, près d'Anvers, le 21 mai 1855. Il est mort à
Rouen le 26 novembre 1916. Emile Verhaeren passa
son enfance dans son bourg natal, situé au bord de
l'Escaut. Son imagination et sa sensibilité devaient
conserver à jamais l'emprise du paysage sombre et
rude au milieu duquel il avait grandi. Après avoir
fréquenté l'école communale de Saint-Amand, il
partit pour Bruxelles, passa deux ans à l'Institut
Saint-Louis, puis entra au collège Sainte-Barbe, à
Gand. Ses humanités terminées, il fit un court stage
dans l'usine d'un de ses oncles; mais, ne se sentant
aucune attirance pour l'industrie, il alla se fixer à
Louvain, afin d'y faire ses études de droit. Il vécut
cinq années dans cette ville, où il compléta sa for-
mation intellectuelle et y prit conscience de sa
vocation littéraire. Avec d'autres étudiants, il fonda
un petit journal : la Semaine, qui parut d'octobre
1879 à janvier 1881, et fut supprimé par l'autorité
académique.
Inscrit au barreau de Bruxelles, Verhaeren entra
comme stagiaire chez l'avocat et romancier Edmond
Picard (1881). C'est à cette époque qu'il débuta dans
les lettres. Il fut un des principaux rédacteurs de la
"Jeune Belgique», qui groupai lies écrivains soucieux
de provoquer une renaissance de la littérature belge
d'expression française. Ce mouvement devait être
fécond. Verhaeren collabora à la plupart des revues
artistiques de son temps et publia, en 1883, son pre-
mier recueil de poèmes : les Flainandes. Parnassien
par sa forme, mais d'une grande liberté d'expression,
d'un coloris audacieux, cet ouvriige fut violemment
altaqué; il eut, notamment, pour défenseurs, Camille
Lemonnier, Albert Giraud et Edmond Picard. Dès
lors, une voie nouvelle s'ouvrait devant le poète.
11 abandonna définitivement le barreau, qui nei'avait
guère plus attiré que l'usine, et se donna tout entier
à son œuvre, enrichissant sa culture, renouvelant
son inspiration par des voyages en Angleierre, en
Hollande, en Allemagne, en France, en Italie et en
Espagne.
Le second recueil d'Emile Verhaeren : les Moines
(1 886) renferme un mélange bien flamand de réalisme
et de mysticisme Les pièces qui composent ce vo-
lume furent conçues dans un cloître de bernardins
situé à Bornhem, non loin de Saint-Amand. Avant
de fixer, dans une forme lyrique, ses souvenirs, l'é-
crivain fit une retraite de trois semaines au monas-
tère de Forges, près de Gliimay. La trilogie des
Soirs (1887), des Débâcles (1888), des Flambeaux
nnirs (1890), écrite en grande partie à Londres,
résulte d'une crise physique et morale. L'œuvre
de Verhaeren, ensuite, s'éclaire progressivement
dans les Apparus dans 7>ies chemins' {\SM), les
Villaqes illusoires (189'i), pour s'épanouir avec
les Villes tenlaculaires (1895), les Forces tumul-
LAROUSSE MENSUEL
tueuses (1902) et la Multiple Splendeur (1906), en
une glorification puissante do l'énergie humaine,
de la science et du progrès. Les Heures du soir
(1894), les Heures claires (1896), les Heures d'après-
midi (1905) mettent dans cette œuvre un peu fié-
vreuse et farouche une note de tendresse et de
douce harmonie.
Poète des Flandres, poète de l'efTorl moderne,
tel est Verhaeren dans les deux aspects principaux
de son talent. Lorsqu'il s'inspire d'un Inème uni-
versel, il garde l'emprise de son terroir natal. De
tempérament romantique & l'origine, il a, de ses re-
lations avec les écrivains français du mouvement
symboliste, acquis l'usage du vers libre. Il est même
un des poètes qui ont tiré de la diversité rythmique,
propre à exprimer son inspiration véhémente, les
plus riches effels. Ce qui distingue, en particulier,
l'art de Verhaeren, c'est une faculté d'hallucination.
Emile Verhaeren (Ph. Duruac).
en quelque sorte, qui transfigure les objets et Dai-
gne d'une lumière fantastique un lableauréaliste. Il
a évoqué ainsi la puissance des machines géantes :
Et les vitraux, grands de siècles agenouillés
Devant le Christ, avec leurs papes immobiles
Et leurs martyrs et leurs héros, semblent trembler
Au bruit d'un train lointain qui roule sur la ville.
Mais c'est lorsqu'il célèbre son pays que Verhaeren
a les accents les plus caractérisliques elle plus savou-
reux. Une de ses œuvres maîtresses est, assurément,
la série intitulée : Toute la Flandre (1907-1910), dans
laquelle il se trouva conduit, par une courbe har-
monieuse de son évolution, à reprendre, avec des
moyens élargis, les thèmes qu'il avait choisis au
début de sa carrière. Voici une impressionnante
description d'un paysage désolé :
De l'eau au loin, partout, à peine un coin do torre ;
A peine un buisson mort sur un tertre fangeux ;
Kt la pluie et le vent, et le brouillard rugueux
Et, vers le soir, le râle ou l'aboi du tonnerre.
Thor est maître du ciel. A coups jaunes d'éclairs,
Il ébranle le cœur retentissant du monde.
Et, seuls, les becs clac^uants des échassiers répondent
Au brusque assaut do ses fureurs à travers l'air.
Et voici les Ancêtres, exerçant sur cette nature
rebelle leur action obstinée :
Rusés et patients, comme les cléments,
Kecommençant l'effort qui, tous les jours, échoue
Pour conquérir, grâce au reflux, un peu do bouo.
Ils semblent s'acharner à un travail dément.
Et tels, sous lescieux lourds et les brouillards <le cendre.
Avec leurs yeux, leurs dents, leurs reins, leurs pieds,
[leurs bi'as.
Violemment, inventent-ils ce sol ingrat
D'où surgira un jour, aux temps d'orgueil, la Flandre.
Un hymne au fieuve Escaut (1908) s'achève dans
cette invocation, dont les événements actuels gran-
dissent le pathétique :
Escaut î Escaut !
Tu es le geste clair
Que la patrie entière,
Pour gagner l'inrini, fait vers la mer.
Tous les canaux do Flandre et toutes ses rivières
Aboutissent, ainsi que des veines d'ardeur
Jnsou'â ton cœur.
Tu os l'ample auxiliaire et la force féconde
D'un peuple ardu, farouche et violent,
t^ui veut tailler sa part dans la splendeur du monde.
'Tes bords puissants et gras, ton cours profond el lent
Sont l'image de sa ténacité vivace.
l/liomme d'ici, sa famille, sa race,
Ses tristesses, ses volontés, ses vœux
Se retrouvent en ton aspect sileucieuz.
«• 120. Février 1917.
Cienx trafiques, cieux exaltés, cicux monotones,
Escaut d'hiver, Escaut d'été, Escaut d'automne.
Tout notre étro changeant se reconnaît en toi ;
Vainqueurs, tu nous soutiens; vaincus, tu nous délivres,
Et ce sera toujours et chaque fois
Par toi
Que le pays foulé, gémissant et pantois.
Redressera sa force et voudra vivre et vivre !
Prosateur, Verhaeren l'a été dans ses Contes de
minuit (1885), qui correspondent à la période an-
goissée de sa vie. On lui doit aussi de nombreux
articles, parus dans des périodiques belges, français,
anglais et des éludes critiques sur Joscpli Heymans
(1885), sur Rembrandt (1905) et sur Rubens (1910).
Il a écrit pour le théâtre : les Aubes (1898), qui
ressortent surtout de la poésie; le Cloître (1900),
représcnlé à Bruxelles et Paris; l'hili/ipe //(1904),
pièce qui fut jouée par la troupe de l'Cfenvre; Hé-
lène de Sparte (Cliâtelet, liH2). f>s œuvres, sans
valoir les productions purement lyriques de Verhae-
ren, présentent des qualités incontestables de puis-
sance et de couleur.
Emile Verhaeren était considéré par la grande
majorité de ses compatriotes comme le poêle natio-
nal de la Belgique. Ce titre lui fut décerné publi-
quement à Bruxelles, le 24 février 1896, à 1 occa-
sion d'un honiinage qui lui était rendu et qui, plus
récemment, se renouvela en présence du roi Al-
bert I". Cet hommage, en vérité, s'adressait pour
une bonne part à la langue française; on a pu dire
justement que Verliaeren lui <c annexait l'expres-
sion verbale des Flandres », puisqu'il devait à notre
culture les moyens de chanter son terroir. Les chefs
du mouvement « flamingant » n'épargnèrent point
leurs attaques i. l'auteur des Moines : ils lui repro-
chèrent de déserter la tradition de sa race. On sait
que tous les écrivains belges les plus significatifs
ont fait de même et ont écrit en français.
Verhaeren eut la satisfaction d'être, de son vivant,
lu, traduit et commenté dans toute l'Europe. C'est
parmi les Allemands, peut-être — les Français mis
à part — que le poète national de la Belgique
compta le plus d'admirateurs. Aussi sa déception, sa
révolte devant l'attaque sauvage et criminelle dé-
chaînée sur son pays furent-elles d'autant plus vives
qu'il avait cru en l'âme allemande et accordé un
crédit de confiance aux prétendus pacifistes d'outre-
Rbin. Patriote avant tout, blessé en même temps
dans son idéal d'humanité, Verhaeren, dès le pre-
mier jour de la guerre, ne cessa de llélrir les bour-
reaux de la Belgique. Lui qui, la veille, chantait la
concorde e* la paix, il célébra « la haine nécessaire ».
Sous le litre : les Ailes rouf/es de la r/uerre, il publia
un recueil de morceaux in^pirés par les événements
et par le martyre de sa patrie. Il fit, en France et
à 1 étranger, de nombreuses conférences pour évo-
quer le génie, le labeur de la Flandre et maudire ses
envahisseurs. C'est au sortir de l'une d'elles, à Rouen,
qu'il trouva une mort accidentelle Ayant voulu mon-
ter dans un train encore en marche, il tomba sous
le convoi et fut pris entre deux wagons. On le dé-
livra expirant, les deux jambes coupées. Il eut le temps
de dire : « Je meurs, ma femme, ma patrie.. »
L'œuvre, très étendue, d'Emile Verhaeren laissera
du déchet. Elle présente des exagérations verbales,
inhérentes, d'ailleurs, à la fougue du poète. En dé-
pit de ces scories, celte œuvre restera, dans ses
parties les meilleures, comme une des plus larges
et des plus belles de ce temps.
Les principaux ouvrages d'Emile Verhaeren sont :
les Flamandes (1883) les Coules de minuit (1885),
Joseph Heymans, peintre, critique (18851, les Moitiés
(188iiK Fernand Khnop/f, critique I18,S7), les Soirs
(1887|, les Débâcles (188S). les Flambeaux noirs
(1890), Au bord de la route (1891), les Apparus
dans mes chemins (1891), les Cnnjjjagnes lialluci-
nées (1893), les Heures du soir (1894!, Almanach
(1895), les Villages illusoires {\H9^)•, Poèmes: «les
Bords de la route », «les Flamandes», «les Moines»
(1X95), les Villes tenlaculaires (18951; Poèmes, nou-
velle série . <c les Soirs», •• lesDébùcles», « les Flam-
beaux noirs» (1896), les Heures claires (IH'.)6), Emile
Verhaeren. l8SS-iS'J6. anthologie (1897), les Aubes,
drame lyrique en quatre actes (1898), les Visages de
la vie (1899); Poèmes, III» série : <• les Villages
illusoires », « les Apparus dans mes chemins », « les
Vignes de ma muraille » (1899), le Cloître, drame
en quatre actes (1900), Petites légendes (1900), Phi-
lippe II, tragédie en 3 actes (PJi'l), les Forces
tumultueuses (1902); Toute la Flandre : les Ten-
dresses premières (1904), les Heures d'après-midi
(1905), Rembrandt, biographie critique (1905), la
Multiple Splendeur (1906); Toute la Flandre : ta
Guirlande desdunes (19ii7); Toute la Flandre: les
Héros (1908), James Eiisor (1908^ Pierre-Paul Ru-
bens, biographie criti(|ue (1910); Toute la Flandre:
les Villes à pignons (1910), les Rythmes souverains
(1911), Hélène de Spnrte. drame (1912), les Blés
«i«hw((h/s (1913), la ISelgi<iue sanglante (1915), les
Ailes rouges de la guerre (1916). (V. œuvres de
VeRHAKUEN, t. III, p. 466.) — Carlos Laurosi.!;.
Paris. — Imprimerie IiAROIiksi, (Morenu, AuRé, Oillon et Cl»),
17, rue Montparnasse. — Le gérant : L. Geosley.
W 121. - MARS 1917
-vy-
A-bbe (Cleveland) météorologiste et astronome
américain, né à New- York le 3 décembre 1838,
mort k Washington le 28 octobre 1916. Ce fut le
véritable créateur des services météorologiques aux
Etats-Unis. Vivant dans la retraite depuis plusieurs
années, son nom, très populaire dans la grande
République, avait été quelque peu oublié lorsque,
en avril dernier, l'Académie nationale des sciences
lui décerna la médaille Marcellus Hartley et mit
de nouveau, au premier plan de l'actualité, la
longue carrière de ce savant. Ses parents étaient
d'origine anglaise; après avoir étudié au collège
de New-York (1851-18S7), puis à l'université de
l'Etat de Michigan (1858-1860) et à celle de Har-
vard (1860-186^), il entra à l'observatoire Nicolas, à
Pouikova, près de Petrograd, où il séjourna jusqu'en
1866. Revenu dans son pays, il fut nommé assistant
à l'observatoire
naval et, un an
après, directeur
de l'observatoire
de Cincinnati
(1868). Ce fut là
qu'il commença
àpublierjournel-
lement un sys-
tème complet
d'informations
concernant les
différentes me-
sures météorolo-
giques, en même
temps qu'une pré-
vision journaliè-
re du temps.
Le projet d'un
établissement
central météoro-
logique aux Etats-Unis existaitdéjà depuis longtemps,
et le lieutenant Maury en avait proposé la créa-
lion avant la guerre civile. On peut dire, toute-
fois, que ce fut Abbe qui, par son initiative à Cin-
cinnati, montra la possibilité d'une semblable créa-
tion et, en même temps, tous les bénéfices qu'une
nation maritime comme les Etats-Unis pouvait en
retirer. Le gouvernement fédéral, d'après un pro-
jet présenté au Congrès par le professeur Latbam,
n'hésita pas, en 1870, à créer le Bureau central mé-
téorologique, et l'emploi de cartes multiples pour le
public, indiquant les probabilités journalières, fut
développé sous la haute direction d'Abbe, qui ne
nt que reprendre sur une plus vaste éclmlle les ser-
vices qu'il avait déjà créés à Cincinnati. Il acquit
bientôt, sur tout le territoire des Etats-Unis, le sur-
nom de Old Probabitities (celui qui indique le
temps probable).
II rencontra dans cette nouvelle carrière de mul-
tiples problèmes, tant théoriques que pratiques,
auxquels il apporta peu à peu d'intéressantes solu-
tions, qui ont été souvent adoptées par les bureaux |
Abbe (Cleveland).
météorologiques des autres nations. Lorsque, en
1912, la Société royale anglaise de météorologie lui
décerna la médaille d'or, Symons, le président de
cette savante compagnie, déclara que cette haute
récompense avait été attribuée à Abbe, « <jui a con-
tribué au développement de la météorologie instru-
mentale, statistique, dynamique et thermodynami-
que, ainsi qu'aux principes de la prévision du temps
et qui, de plus, fut le véritable pionnier de cette
science, entraînant les au-
tres à sa suite et montrant
du doigt les régions où les
attaques devaient être cou-
ronnées de succès ».
Les problèmes météo-
rologiques étaient pour-
tant loin d'absorber la
grande activité scientifique
d'Abhe : ce fut lui qui pro-
posa le premier, en 1875,
de compter le temps civil
à partir du méridien de
Green\vich;enl869, il diri-
gea l'expédition Harrison,
qui observa l'éclipsé de
soleil à Sioux Faits City
(Dakota) ; il dirigea égale-
ment l'expédition qui ob-
serva l'éclipsé de juillet
1878 au sommet du Pike.
Il fut délégué dans de nom-
breux congrès américains
et internationaux, soit par
le gouvernement, soit par
la Société de météorologie;
au congrès des électriciens
de 1884, il proposa la créa-
tion de l'Institut américain
des ingénieurs-électriciens.
Abbe se distinguaitsurlout
par un enthousiasme des
plus communicatifs et exerça une grande influence
sur les disciples qu'il forma au Bureau météorologi-
que. D'un caractère gai et agréable, affable et bien-
veillant avec tous, il était toujours prêta i[)diquer à
ses élèves quelque travail intéressant qu'il tenait en
réserve et aussi à les aider de ses conseils autorisés.
Pendant vingt-cinq années, il futprofesseur de mé-
téorologie à l'université de Washington (18S51910);
il était aussi conseiller en mùtéoroloKie auprès de
l'Institut Carnegie. On lui doit de nombreux articles
scientifiques, publiés dans des revues américaines ou
étrangères; il dirigea le « Journal météorologique
d'Amérique» de 1891 à 1894, puis la <> Revue men-
suelle du temps » (1893-1909). — Q. Bodcokkt.
A.bldja,n ou A.bidjean, localité de l'Afri-
que occidentale française Côte (l'Ivoire), sur la rive
septentrionale de la lagune d'Ebrié. C'est le point
d'iiboutissement du chemin de fer de la Côte d'Ivoire.
On sait combien inhospitalier est le rivage de la
Côte d'Ivoire ; sur une longueur d'environ 560 kilo-
mètres, aucun port naturel, pas plus dans la section
de l'Ouest, où les flots du golfe de Guinée battent
directement le continent africain, que dans la sec-
lion de l'Est, où un long système de lagunes, séparé
de l'Atlantique par un étroit cordon littoral, défend
le « continent noir » contre l'attaque des vagues. En
outre, le déferlement des lames à la côte, la barre,
Abidjan, nouveau port de la C6te d'Ivoire.
contribue, d'un bout à l'autre des rivages de la Côte
d'Ivoire ^coiiime, d'ailleurs, sur toute la lisière sep-
tentrionale du golfe de Guinée), à rendre difficile
l'accès du littoral. Ce sont là des conditions nauti-
ques éminemment défavorables; tant qu'elles ne
seront pas vaincues, on ne saurait espérer un essor
économique complet de la Côte d'Ivoire.
Aussi a-l-on déjà recherché, à plusieurs reprises,
comment doter la Côte d'Ivoire d'un port digne de
ce nom. On a voulu d'abord utiliser Grand-Hassam,
qui a toujours été jusqu'ici le centre commercial de
la colonie : mais, le jour où le trafic deviendra im-
ftorlant, on ne saurait se conlenterd'un port devant
eqiiel les navires mouillent en pleine côte et où
passagers et marchandises sont débarqués sur des
embarcations remorquées près d'un appontement
où un outillage approprié permet de les ni.sser. —
On a ensuite tenté d'ouvrir la longue lairune d'Ebrié
(environ ItO kilomètres de longueur sur 10 de la»
LAKOUSSE MENSUEL.
56
LAROUSSE MENSUEL
Abréviations militaires les plus employées.
N' 121. Mars 1917.
AC
AD
AG
AGSS
AL
ALGP
ALVF
Amb
AO
AP
APF
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Art
AS
ASFA
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BAM
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BCMP
BDA
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BO
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BOC
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CA
CAMA
Cant
Cap
Cav
Cdt
CED
Cel
CEO
Ch
CHR
Cie
CIPG
CMG
CMT
Artillerie do corps.
Artillerie divisionnaire.
Avant-garde.
Ateliers généraux du Service
de santé.
Artillerie lourde.
Artillerie lourde à grande puis-
sance.
Artillerie lourde sur voie ferrée.
.'Vmbulanco.
.'Vrméc d'Orient.
Avant-postes
Auxiliaire de place forte.
Ateliers de réparation de l'a-
viation.
Arrière-garde.
Artillerie.
Affecté spécial.
Annexe du Service des fabrica-
tions de l'aviation.
.\rmée territoriale.
Bataillon d'Afrique.
lirovet d'aptitude militaire.
Boulangerie de campacrne.
itureau central des colis pos-
taux militaires.
Bureau central militaire postal.
Appareil Brechot-Desprez-Ame-
line.
Brigade.
Batterie.
Bivouac.
Bulletin ofliciel.
Boulangerie d'armée.
Boulangerie de campagne de
corps d'armée.
Bataillon.
Corps d'armée.
Centre d'approvisionnement.
Cantonnement.
Capitaine.
Cavalerie.
Commandant.
Corps expéditionnaire aux Dar-
danelles.
Colonel.
Corps expéditionnaire d'Orient.
Chevaux.
1,'ompagnie hors-rang.
Compagnie.
Commission interministérrelle
des prisonniers de guerre.
établissement central du maté-
riel du génie.
Etablissement central du maté-
riel de télégraphie.
COA
CRP
CVAD
CVAX
DA
DAL
DC
DCA
DGF
DE
DES
DI
DMAP
DMG
DpE
DR
DRS
DRT
DSA
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ECMG
ECMT
EM
EMA
EilG
ENE
EOR
EPont
Esc
Esc A
EV
GAC
GAE
Gai
GAN
GAR
Gend
GGt
GiE
GMP
GOE
Section de commis et ouvriers
militaires d'administration.
Camp retranché de Paris.
Convoi administratif.
Convoi auxiliaire.
Direction ou Directeur de l'ar-
rière.
Détachement d'armée de Lor-
raine.
) Division de Cavalerie.
Dépôt commun.
Défense contre aéronefs.
Direction des chemins de fer.
Direction ou Directeur des
étapes.
Direction ou Directeur des éta-
pes et des services.
Division d'infanterie.
Dépôt do matériel automobile
et de personnel.
Dépôt du matériel du génie.
Dépôt d'éclopés.
Division de réserve.
Dispositif restreint de sécurité.
Directeur des chemins de fer
de l'armée anglaise.
Direction duService automobile.
Division territoriale.
Elève-aspirant.
Ecole des chemins de fer.
Etablissement central du maté-
riel de l'aviation.
Etablissement central du maté-
riel du génie.
Etablissement central du maté-
riel de télégraphie.
Etat-major.
Etat-major de l'armée.
Etat-major général.
Eléments non endivisionnés.
Elèvps-officiers de réserve.
Equipage de pont.
Escadron.
Escadrille d'avions.
Engagé volontaire.
Groupe d'armées du Centre.
Groupe d'armées de l'Est.
Général.
Groupe d'armées du Nord.
Groupement automobile régional
Gendarmerie.
Garo de groupement.
Gîte d'étapes.
Gouvernement militaire de Paris
Gare d'origine d'étapes.
GPA
GPIL
GQG
Gr
GR
GRav
GRon
GRt
GVC
GS
H
HA
HAB
lie
HD
HÔE
HP
HPb
H Pc
lEETA
IGH
IGPG
IGR
Int.
IPFA
JO
JS
MCA
Mcin
MGA
NA
ND
PA
PAP
PC
Pel
P et CV
PGén
PI
QG
Ri
R2
Grand parc d'artillerie.
Gar<ie des points importants du
littoral.
Grand IJuartier Général.
Groupe.
Gare régulatrice.
Gare de ravitaillement.
Gare de répartition.
Gare de rassemblement.
Garde des voies do commtmi-
cation.
Groupe spécial.
Hommes.
(Suivis de leurs numéros) Hôpi-
taux auxiliaires des trois so-
ciétés d'assistance.
(Suivis de leurs numéros) Hôpi-
taux bénévoles.
(Suivis do leurs numéros) Hôpi-
taux temporaires complémen-
taires.
Hôpitaux-dépôts.
Hôpitaux d'évacuation.
Hôpitaux permanents militaires
Hospices ou Hôpitaux mixtes.
Hospices ou Hôpitaux civils.
Inspection permanente des étu-
des et expériences techni-
ques de l'artillerie.
In.spection générale do l'habil-
lement.
Inspection générale des prison-
niers de guerre.
Inspection générale du ravi-
taillement.
Intendant on Intendance.
Inspection permanente des fa-
brications de l'artillerie.
Journal officiel.
Jeune soldat.
Magasin central automobile.
Médecin.
Magasin général automobile.
Non affecté.
Non disponible.
Parc d'artillerie.
Parc d'artillerie de place.
Poste de commandement.
Peloton.
Parcs et convois.
Parc du génie.
Point initial.
Quartier général.
Réformé n» 1.
Réformé a' S.
RAT
Ravt
RFB
RFD
RFV
RGA
RMS
RQ
RT
RVF
SA
SX
SACRP
SCFC
SCR
Set
SDist
SEMR
S FA
SHR
SM
SMA
SMI
SMitr
SP
SPC
SR
SRés
STA
STG
TB
TC
TCO
TD
TE
TM
TP
TR
TSF
TSI
TT
Réserve de l'armée territoriale.
Kavitaillement.
Région fortifiée de Belfort.
Région fortifiée de Dunkerque.
Région fortifiée de Verdun.
Réserve générale automobile.
Réserve générale de l'aviation.
Réserve du matériel du Service
de santé.
Ravitaillement quotidien.
Réformé temporaire.
Ravitaillementenviandefralche.
Service armé.
Service auxiliaire.
Service aéronautique du camp
retranché de Paris.
Section de chemins do fer de
campagne.
Section de centralisation de
renseignements.
Service central de renseigne-
ments.
Section.
Section de distribution.
Section de secrétaires d'état-
major et du recrutement.
Service des fabrications de l'a-
viation.
Station halte-repas.
Station-magasin.
Section de munitions d'artillerie.
Section démuni tionsd'int'an te rie.
Section de mitrailleuses.
Train sanitaire semi-permanent.
Section de parc de campagne.
Section de projecteurs de cam-
pagne.
Service des renseignements.
Section de réserve.
Section techni((ue d'artillerie.
Section technique de l'aéronau-
tique.
Section technique du génie.
Troupeau do bétail.
Train type combattant.
Train de combat.
Transport en cours d'opérations.
Titre définitif.
Tête détapes.
Transport de matériel.
Transport de personnel.
Train type parc.
Train régimentaire.
Télégraphie sans fil.
Train sanitaire improvisé.
Titre temporaire.
geur moyenne), celle immense pêcherie, en face
d'Abidjan, en creiisantun canal à Port-Bouet; mais
les diveises tenlatives failes pour élaliiit- par cet
ouvrage une communication enlre lu mer et la la-
gune ont échoué. On a donc remis la question à
l'élude en 191 i; alors, par un examen approfondi des
lieux mèiiK^s, on a reconnu que le principal établis-
sement marilime de la Gôle d'Ivoire devait être
créé à l'inlérieurmêmedela laguneEbrié, à Abidjan.
Voici les raisons qui légilinient celle conclusion :
1) Des deux fosses profondes que possi'de la lagune
Ebi'ié, la plus occidentale, celle d'Abidjan, est de
beaucoup la meilleure. L'autre, celle de Mousson,
n'est qu'un lit de rivière assez étroit, parcouru par
des couranls parfois rapides. La magnifique rade
d'Abidjan et ses annexes ont une étendue beaucoup
plus considérable, oti les plus grands navires pour-
ront évoluer à l'aise et mouiller en siireté ; les eaux
oITrent le calme complet qu'on ne trouve aillrurs
que dans les ports élroitemenl fermés. Sans courant
sensible, sans clapotis gênant, elles peuvent êlre
sillonnées en tout temps par les plus frêles embar-
cations; " les navires pourraient en rade s'accosler
comme dans une darse». (J. Renaud.)
2) La ville de Grand-Bassain, située sur une lan-
gue de sable droite et basse, menacée par les raz de
marée, se prête mal à im développement impor-
tant, malgré qu'elle soit bien aérée par la brise
du large et déjà très assainie par le comblement de
certains marigols. De vastes marécages s'étendent
enlre elle et Mousson. Au contraire, Abidjan offre
un emplacement favorable à la création d'une ville
belle et saine.
3) Dès maintenant, Abidjan est le point terminus
de la Côte d'Ivoire, qui s'avance jusqu'à Bouaké, à
316 kilomètres dans l'intérieur. Au cas oi"i l'on vou-
drait faire de Grand-Bassam im port considérable,
prolonger la voie ferrée jusqu'à cet endroit néces-
siterait des travaux difficiles et coûteux.
On poiH'rait facilement, au contraire, faire de
Grand-Bassam etde Mousson les avanl-postesd'Abid-
jan. après y a voir exécuté certains travatix (déjà com-
mencés) d amélioration de la barre, c'est-à-dire des
alterrissementsqui boncbentlenlrée duComoédans
la lagune d'Ebrié etdans la iner, et d'assainissement.
Pour y parvenir, deux moyens sont à envisager: l'un
consiste à améliorer l'embouchure du Gomoé et à
rendre ainsi la fosse fluviale de Mousson et le cours
inférieur du fleuve accessibles aux navires de mer,
puis, en creusant un chenal maritime à travers la la-
gune, à faire pénétrer les navires dans la rade d'A-
bidjan. Dans le second cas. on établirait im canal ma-
ritime à Vridi, et on rendrait accessible aux navires
la rade d'.*\bidjan ; puis, en creusant le même chenal
arlificiel à travers la lagune, on atteindrait la fosse
fluviale de Mousson et le cours inféi'ieur du Gomoé.
En toul état de cause, aucun doute ne subsiste
plus aujourd'hui; le jour où on le voudra, la Cote
d'Ivoire pourra posséder un grand établissement
maritime pour favoriser l'essoréconomique de celle
colonie. Ce point est Abidjan, distant d'une ving-
taine de kiloini-tres de Bingej'ville, centre adminis-
Iratif de la contrée ; le plateau, qui s'abaisse en
pente douce depuis le chemin de fer jusqu'à la la-
gune, forme, au double point de vue de l'hygiène et
de la beauté, un excellent emplacement pour ime
grande ville coloniale, dont la prospérité, liée à celle
de Grand-Bassam et de Mousson, bénéficiera de la
mise en valeur des régions du Gomoé et du Polou,
comme la prospérité de ces deux avant-ports bénéfi-
ciera de l'essor même d'Abidjan. — u. Froidevaux.
.A.brévlations militaires. — Dès le
temps de paix, avail été autorisé l'emploi d'un certain
nombre d'alirévialions militaires (termes généraux,
organes d'armée, organes de corps d'armée, service
des chemins de fer et des étapes) : les sapeurs-télé-
graphistes étaient aulorisés à les conserver dans la
transmission et n'avaient plus, comme autrefois. îi
rélalilir le texte complet. A ces abrévalions, durant
la guerre actuelle, sont venues s'en ajouler d'autres,
correspondant à des organismes nouveaux. Le nom-
bre en a été, à un moment, si considérable, qu'elles
prêtaient à confusion etque les seuls initiés pouvaient
les comprendre toules; par raillerie, les « poilus ■>
en étaient venus à désigner par des abréviations les
actes les plus simples de fa vie courante (P D D M
= Petit Déjeuner Du Matin). Un choix a élé fait des
abréviations à employer, de manière qu'elles soient
facilement intelligibles à tous ceux qui ont à les in-
terpréter : cependant, pour éviter les erreurs, il est
interdit de les employer dans les adresses de let-
tres, de paquets ou de colis. — André Cassel.
Adams-Stokes (maladie de). 'V. bhady-
CARDIB (p. 57).
bar (du gr. baros, poids) n. m. Unité de mesure
de pression, qui équivaut à 10" unités G. G. S. de pres-
sion, c'est-à-dire à 10' dynes par centimètre carré.
— Encycl. L'unité G. G. S. de pression est la
pression de une dyne par centimètre carré. On sait
que la dyne, unité de force dans le système G. G. S.,
est liée au poids de 1 gr. par la relation :
1 gr. poids = 981 dynes.
Il en résulte que, par exemple, une pression de
1 kg. par cenlimèlre carré vaut 981.000 uni lés G. G. S.
de pression et, par suite, Obar, 981.
On a utilisé jusqu'ici, comme unité de pression,
Valmosph'ere, qui est le poids, à 0°, d'une colonne
cylindrique de mercure de 76 cm. de hauteur et de
1 cm." de section. La densité du mercure étant
13,596, le poids de cette colonne équivaut à :
13 gr. 596 X 76 = 1.033 gr. 296,
ou encore à
9«1 dynes X 1.033,296 = 1.013.663 dynes.
Celte unité a l'inconvénient de ne pas être ex-
primée simplement dans le système G. G. S.
Pour mesurer la pression baiométrique, on s'est
servijusqu'ici de la hau leur barométrique exprimée
en millimètres; depuis le 1" janvier 1917, sur la de-
mande du Bureau météorologique de New-York, le
Bureau central mélèorologique de Paris donne, pour
les documents internalionaux, la pression en milli-
bars et dixièmes de millibar.
Le millibar, qui est k millième partie du bar, vaut
10' dynes par centimètre carré.
Le oar équivaut sensiblement à la pression suc
«• 121 Murs 1317.
1 cm* d'inie colonne de 750 m/m de mercure, cette
colonne pèse, en effet, 1.019 gr. 7 approximativement,
ce i|ui correspond à
981 dynes X 1.019,7 = 1.000.325 dynes.
Il en résulte que 1.000 millibars équivalent sensi-
blement à une hauteur barométrique de 750 m/m.
Si la pression est donnée en millibars, il sullira
d'en prendre les 3/4 pour avoir la hauteur baromé-
trique en millimètres de mercure. — Paul lem»ike.
bradycardie n. f. (du gr. bradits, lent, et kar-
dia, cœur). Symptôme physiologique ou patholo-
gique, caractérisé par la lenteur anormale du pouls.
— Encygl. Le pouls battant normalement a
72 pulsations h la minute: tout sujet qui présentera
des pulsations notablement moins nombreuses dans
le même laps de temps peut être considéré comme
atteint de bradycardie. Ce phénomène peut être
physiologique, c'est-à-dire naturel au sujet en ques-
tion, et non pathologique. Certaines personnes ont
un pouls qui bat, normalement, à 60 et même au-
dessous. Le.xemple classique de Napoléon I"', chez
qui Corvisart n'a jamais constaté que 40 pulsations
à la minute, est peut-être erroné, en ce sens que,
sujet à des attaques épilepto'ides. Napoléon est sus-
pect d'avoir été atteint de l'affection que nous dé-
crirons plus loin sous le nom de maladie d'Ailams-
Slokes. Vigouroux a soigné une personne qui, sans
être aucunement malade, présentait un pouls battant
à 20 pulsations. C'est le chiffre le plus bas enregis-
tré dans la bradycardie physiologique. La bradycardie
est relativement fréquente ; à un degré modéré, chez
les vieillards.
Lorsque la bradycardie est pathologique, elle
peutètre transitoire, ou permanente. La bradycardie
transitoire s'observe dans bon nombre de maladies,
fiarmi lesquelles il faut nommer surtout l'ictère et
es maladies infectieuses, comme la diphtérie. On
la trouve encore dans la défervescence et la conva-
lescence des grandes pyrex ies, comme la pneumonie,
la fièvre typho'ide, la variole, etc. On l'observe éga-
lement dans quelques maladies du système nerveux,
comme l'hémorragie cérébrale, la méningite, l'abcès
du cerveau. Mais elle est surtout caractéristique des
empoisonnements (belladone, tabac, plomb, aconit
et surtout digitale). Les anémiques sont aussi vo-
lontiers bradycardiques. Quelques auteurs (Gouget,
Bouquet) ont'coiislaté, depuis le commencement de
la présente guerre, un ralentissement marqué du
i)Ouls chez un certain nombre de blessés et de ma-
lades de tou'e nature revenant de la zone des com-
bats. Cette bradycardie a ceci de particulier qu'elle
accompagne parfois des maladies dans lesquelles
on a coutume de trouver, au contraire, un pouls
rapide et, notamment, des maladies fébriles. L'ori-
gine de ce ralentissement n'est pas encore établie.
Dans quelques cas, on peut incriminer le choc dil à
la violence de la bataille, mais il est des circons-
tances où celle raison ne peut pas élre invoquée.
La bradycardie permanente constilue une maladie
classée et connue sous le nom de « pouls lent per-
manent » ou» maladied'Adams-Stokes » (découverte
par Adams en 1847, étudiée par Stokes en 1846).
C'est une affection qui atteint surtout les vieillards
et qui est caractérisée, au point de vue fonctionnel,
par la coexistence d'une bradycardie notable (les
pulsations peuvent descendre au chiflre de 20, 18,
16 par minute), de phénomènes vertigineux allant
jusqu'à la syncope et d'accès épileptiques complets
ou incomplets. Deux théories ont été émises pour
expliquer la genèse de cette maladie : la plus an-
cienne admettait une irritation des noyaux d'origine
du nerf pneumogastrique. Ce seraient surtout, en ce
cas, les lésions artérielles, dues à l'artériosclérose
ou à la syphilis, qui seraient en cause. La théorie la
plus récente admet qu'il faut voir dans cette affec-
tion une altération du petit faisceau musculaire de
His, groupe de fibres musculaires situé dans la
cloison qui sépare les oreillettes des ventricules du
cœur et qui est chargé de transmettre des unes aux
autres la contraction qui constitue le rythme car-
diaque. Si l'on admet que ces deux étiologies peu-
vent exister, on considère (de Massary) deux formes
de la maladie d'Adams-Slokes : l'une nerveuse, où
dominent les attaques épileptiformes et que l'on
retrouve dans la symptomatologie de certaines
méningites, de quelques tumeurs et anévrysmes;
l'autre, cardiaque, due à des altérations ilu myocarde
ou de l'endocarde et caractérisée par l'existence de
crises plus ou moins espacées et oii l'auscultation
permet de reconnaître des anomalies des bruits
cardiaques et, notamment, l'existence de bruits sura-
joutés aux bruits normaux. La maladie d'.\dams-
Stokes est généralement d'un pronostic grave, sur-
tout dans les formes myocardiques. Sa gravité, dans
les formes nerveuses, dépend de celle de la mala-
die causale. — Vr Henri Bouquet.
Cliarrue a moteur. — La motoculture,
née à la fois du progrès scientifique et de la rareté
sans cesse croissante de la main-d'œuvre agricole,
Toit son utilité s'affirmer encore en raison des
vides trop nombreux que fait la guerre dans les
LAROUSSE MENSUEL
rangs des cultivateurs. La paix reconquise, il sera
nécessaire d'intensifier la production des champs,
aujourd'hui ralentie, afin die permettre au pays de
vivre, de prospérer et de supporter plus facilement
les cliarges financières que nous laissera le lourd
héritage de la guerre.
En présence de la diminution des bras, c'est à la
motoculture qu'il faudra recourir. Déjà, les études
d'avant-guerre avaient permis d'apporter au pro-
blème agricole des solutions encourageantes. Une
étude sur la motoculture, parue dans U Larousse
Mensuel (aoiit 1913), renferme à cet égard de très
complets renseignements. Mais la plupart des ma-
chines agricoles à traction mécanique étudiées jus-
Su'ici ont l'inconvénient de coûter un prix élevé et
exiger un nombreux
personnel. Ils apparais-
sent comme des instru-
ments utilisables surtout
par la grande culture on
par les syndicats et as-
sociations agricoles;
aussi un courant d'opi-
nion s'esl-il établi en
faveur d'appareils pra-
tiques, peu coûteux, ac-
cessibles à la masse des
agriculteurs et utilisa-
bles même dans la pe-
tite culture.
C'est à cet ordre de
considérations que ré-
pond la charrue à moteur
que nous allons décrire
et qui peut servir à la
fois au labourage et aux
autres travaux agricoles.
Elle a l'avantage, en rai-
son de la légèreté et de la simplicité de son méca-
nisme, de ne pas exiger une force motrice considé-
rable et d'être facile à conduire.
Cette charrue appartient à la catégorie des appa-
reils à traction directe, mais l'outil et le moyen de
locomotion sont réunis sur le même châssis, à la dif-
férence des appareils de culture mécanique ordi-
naires, dans lesquels l'outil employé (charrue,
herse, etc.) est absolument indépendant du loco-
moteur, auquel il est relié par une chaîne ou par
un autre mode de liaison, ce qui exige toujours un
mécanicien pour la conduite du locomoteur et un
autre ouvrier pour guider la charrue.
En outre, dans les moto-charrues en usage, les
organes de travail sont fixés rigidement au châssis
du tracteur qui repose au moins sur trois roues;
dans la charrue à moteur, au contraire, l'appui et
l'adhérence sur le sol ont lieu à l'aide d'un seul or-
gane principal de roulement, constitué par un large
tambour muni de palettes d'adhérence, et la posi-
tion des organes de travail petit changer instanta-
nément au gré du laboureur, par rapport à la posi-
tion du châssis de la machine.
Les conditions de travail du laboureur sont sen-
siblement les mêmes que lorsqu'il trace le sillon à
l'aide d'une charrue tirée par îles bœufs ou par des
chevaux; les etforts qu'il fait sont des efforts de
manœuvre et de direction, plutôt que de travail pro-
prement dit. Il ne monte pas sur la machine, mais
la guide à pied en tenant les extrémités de deux
longs mancherons en bois fixés au châssis.
Dans cerlains appareils de labourage mécanique,
le conducteur est assis près du moteur et ne peut
suffire à toutes les manœuvres nécessaires pour con-
trôler à la fois le travail des outils et le fonction-
57
ncment du moteur. Ces inconvénients disparaissent
dans la charrue à moteur, où le conducteur laboureur
agissant directement sur les mancherons aide le dé-
placement du soc en soulevant simplement ces bras de
manœuvre ou en exerçant sur eux une pression: il
dirige ainsi l'appareil en le maniant aussi aisément
qu'une brouette dans les tournants les plus étroits
Deux leviers, qui se trouvent à portée de la main,
près des poignées, lui permettent de commander fa-
cilement l'arrêt et la mise en marche de la machine
et les déplacements en hauteur et inclinaison des
organes de travail qui, installésderrière le tambour,
se trouvent littéralement sous les yeux du laboureur.
Le détail des dispositions de l'appareil appa-
raîtra clairement à l'exanKii ' ' ' ; i !
charrue a uioleur («ysteiue (jalardi et ratuuuj.
Le châssis métallique destiné à supporter le mo-
teur sur une plate-forme antérieure comporte un
assemblage de longerons, montants et traverses
convenablement disposés. Les mancherons sont
fixés rigidement à la partie postérieure des longe-
rons supérieurs.
Chaque corps de charrue comprend le versoir et
le soc. Plusieurs corps peuvent être montés sur un
châssis constituant l'âge et peuvent coulisser sur cet
âge de manière à être fixés en position convenable.
L'avant de l'âge peut osciller autour de la partie
intérieure du bâti, et l'ensemble du corps de charrue
est articulé par lintermédiaiie d'un pivot à une tige
à crémaillère, de telle manière que, par la mon-
tée ou par la descente de cette tige, le conducteur
puisse régler l'inclinaison des charrues à la profon-
deur du labourage. U lui suffit d'agir sur le levier
qui se trouve à l'extrémité du mancheron de gauche
pour dégager un doigt métallique s'engrenant nor-
malement avec la crémaillère et la maintenant dans
une position déterminée.
L'organe roulant est, comme nous l'avons dit,
constitué par un tambour en fer, muni de pales en
acier disposées radialement sur son pourtour. La
forme et la hauteur de ces pales en acier varient
suivant la nature du terrain et du travail à accom-
plir. Quelques minutes suffisent pour en faire le
montage sur le tambour. Elles ont pour but de
s'agripper au sol, de maintenir la charrue soulevée
et de fractionner le terrain pour faciliter le le bourage.
Le tambour est muni d'un essieu monté sur le châs-
sis dans laposition voulue pour que l'équilibrage des
poids placés d'un côté et de l'autre soit bien assuré.
L'appareil comporte aussi une roue légère latérale
simplementportan te, qui peutêlre réglée en hauteuret
La manière d« guider ta charru,.* à moteur (eyiteme Qalardt et Patuuol.
Largeur totale .... l'",40
Largeur du châssis . O^.TO
Diamètre du tambour 0",85
Largeur du tambour 0'",45
58
qui est destinée à assurer la stabilité de la charrue
pendant le transport sur route ou dans les champs.
Le mouvement de la poulie du moteur est trans-
mis par courroie à la poulie fixe ou à la poulie folle
d'un arbre qui sort de la boîte d'un réducteur de
vitesse comportant une paire d'eng-renages. Sur le
second arbre de ce réducteur est calé un pignon
qui transmet le mouvement aune couronne dentée,
solidaire du tambour au moyen d'une chaîne Galle.
Pour faire marclier la machine, le conducteur doit
agir sur le levier qui se trouve à l'extrémité du man-
cheron de droite : cette manœuvre a pour elTet de dé-
placer une tringle munie d'une fourclie, qui fait pas-
ser la courroie de la poulie folle sur la poulie fixe.
Le moteur doit avoir une puissance de 2 à 6 che-
vaux ; sa vitesse est de 800 tours. 11 comporle géné-
ralement deux cylindres verticaux, un carburateur
à pulvérisation, un système d'allumage par magnéto ;
le graissage se fait automatiquement, et le refroi-
dissement a lieu par eau. Le radiateur, de construc-
tion spéciale, consiste en un tambour à double paroi,
la paroi externe étant formée d'une lame de plomb
et la paroi interne constituée par une feuille de cuivre
plissée de manière à augmenterla surface de refroi-
dissement. L'eau circule de haut en bas dans l'espace
compris entre ces deux parois, et à l'intérieur du
tambour tourne un ventilateur commandé par poii-
lies et courroie et qui provoque un renouvellement
énergique de l'air de rafraîchissement.
L'appareil est complété par un réservoir à essence
et une boîte contenant les outils.
Les dimensions principales approximatives de la
charrue à moteur du type normal sont les suivantes :
Longueur totale . . . 4", -10
Longueur du cliâssis 2°, 40
Hauteur totale .... i*,50
Hauteur du châssis . 1" «
Le poids total de l'appareil avec moteur et char-
rue est d'environ 500 kilogrammes.
D'après les données moyennes de travail et de
consommation, on peut, en terrain moyen, labourer
en 10 heures de travail effectif : avec monosoc,
de 6.000 à 9.000 mètres carrés, à la profondeur de 16-
30 centimètres; avec bissoc, de 10.000 à 14.000 mè-
tres carrés, à la profondeur de 16-22 centimètres.
La consommation d'essence peut varier de 350 à
400 grammes par cheval-heure effectif, suivant les
conditions du travail. — O. Laihel et c. Dubosc.
Cooper (Henri 'VENnERjENCH, dit), acteur fran-
çais d'orig-ine belge, né à Bruxelles en 1845, mort
à Paris le 7 décembre 1914.
Arrivé très jeune à Paris, Cooper s'essaya sur un
petit théâtre de la rue de f ^a Tonr-d'Auvergne. Doué
d'un physique
séduisant ,
d'une voix de
tenorinoagréa-
hle, il manquait
de science scé-
nique; c'est en
jouant qu'il de-
vait l'acquérir.
Engagé dans
plusieurs villes
de province,
Cooper parut
successive-
ment à La Flè-
che, à Lyon
(1863), à Stras-
bourg et au
Havre. Il par-
courut ensuite
les principales
villesdel'ltalie.
C'est en 1867
qu'il fit ses vé-
ritables débuis
à Paris, aux
Bouffes- Pari -
.siens, dans la
Bonne aux
camélias. Son
succès fut très
vif, car il joi-
gnait à l'attrait
de ses moyens
naturels l'ex-
périence due à
un contact de
plusieurs an-
néesavecle pu-
blic. En 1868,
Cooper entra
aux Variétés. Il
fit d'heureuses
créations dans
la Vie pansienne, où il est resté inimitable, dans
Ma cousine, dans Mam'zelle Niioucke enfin, où,
dans le personnage du lieutenant de Champlàtreux,
il rencontra le meilleur rôle, peut-être, de sa car-
rière. L'artiste avait trouvé sa voie. A côté de Paron.
de Brasseur, de Hyacinthe, de Lassouche, etc.,il se
Henri Cooper, dans l'interprétation
des ctiansons de 183U.
Henri Couper.
LAROUSSE MENSUEL
fit au théâtre une place importante. Sans avoir la
même fantaisie que ses camarades, il devait à son
charme un égal succès. Vif, élégant, délicat chan-
teur, il était le modèle de l'amoureux comique.
Cooper parut à la Gaîté dans le Grand Mogol, à
la Porte Saint-Martin dans le Crocodile et le Petit
Faust, au Châtelet. 11 rentra ensuite aux Variétés
et yjouajusqu'en
1893. A cette épo-
que, il fut appelé
au théâtre fran-
çais de Pélro-
grad, où il passa
cinq ans.
Revenu à Pa-
ris,ilsefitapplau-
dir aux Nouveau-
tés. Engagé au
Palais-Royal
(1900), il y inter-
préta la Carotte,
Bichelle, l'Af-
faire Mathieu,
la Marmotte, le
Itéve d'Adèle, les
Dupont, l'Esca-
pade, Tonton, les
Dragées d'Her-
cule. (11 reprit le rôle d'Adam, créé par Capoul, dans
Adam et Eve; il y fut excellent, sans toutefois par-
venir à faire oublier son devancier.)
Cooper eût acquis une réputation plus grande, si
la légèreté de sa nature ne l'avait conduit à chan-
ger continuellement de théâtre. Peu de carrières
ont été à la fois aussi brillantes et aussi instables.
La sienne s'acheva par une troisième apparition
aux Variétés, où la vogue de l'artiste avait com-
mencé. Il y créa la Piste, de Sardou. Mais on
constata, dans cette pièce, qu'il ne possédait plus
l'intégrité de ses moyens.
Parmi ses succès, signalons encore son heureuse
interprétation des chansons de 1830 à la Bodinière.
Fantaisiste, généreux, prodigue et, comme beau-
coup de comédiens, imprévoyant, Henri Cooper
mourut pauvre et solitaire. — carios Lakronde.
cresserine ou créserine n. f. Genre de
rapaces diurnes, de la famille des falconidés.
— Encycl. La cresserine constitue, avec le faucon
Kobez, lémerillon et la cresserelle, un groupe de
falconidés, caractérisé par un bec assez épais, avec
une dent bien découpée; les narines, les taies, les
cirres et le tour de l'œil rappellent les faucons. Le
tarse est emplumé dans le haut et, plus bas, réti-
culé; les ailes, pliées, dépassent la queue.
La cresserine, appelée aussi cressellerelte, ressem-
ble beaucoup à la cresserelle. Le mâle adulte est un joli
petit faucon,
,^^^
Cresserine ; 1. M&le ; 2. Femelle.
avec le dessus
de la tête, les
joues, le der-
rière et les cô-
tés du cou, le
croupion et les
sous - caudales
d'un cendré
bleuâtre ;ledos
est brun rouge
sans taches; les
rémiges secon-
daires rousses,
maculées de
noir; les rémi-
ges primaires
sont brun noir.
La queue est
cendré bleuâ-
tre,terminéede
blanc, avec une
large bande
noire transver-
sale vers le
bout. La gorge est pâle, la poiti-ine et l'abdomen
sont roux tachetés de noir; la cirre et les pieds sont
jaunes, le bec bleuâtre et les serres jaunâtres, tandis
que celles de la cresserelle sont noires.
La femelle, un peu plus grande que le mâle, est
assez semblable à celle de la cresserelle.
Les jeunes poussins sont souvent d'un duvet
blanc, à peine lavé de jaunâtre en dessus. Plus âgés,
ils ressemblent à la femelle.
La cresserine habite le sud de l'Europe, le nord
de l'Afrique, l'Europe orientale et r.\sie occidentale.
Elle est de passage régulier en Sardaigne, Sicile,
Crimée, Espagne ; irrégulier en Suisse, en France
et en Angleterre.
Elle est plus sociable que la cresserelle. et se nour-
rit surtout de gros insectes (mantes, sauterelles), de
petits reptiles, de souris ; très rarement de petits
oiseaux.
Elle niche dans les rochers, les ruines et même sur
le toit des maisons en Grèce. Ses œufs, au nombre
de 4 à 6, sont rougeâtres, avec une multitude de
mouchetures rouge brique. — a. Miséoiox.
N' 121. Mars 1917.
décadisteoudécadentlsteadj.etn. Qui ap-
partient àl'écolelittéraire dite des « décadents » : Dans
nos méchantes tirades duXlV" siècle, on est aiTivé
à des vers que signeraient seulement les oécadistes.
entomopllile (du gr. enlomon, insecte, elphi-
los, ami) adj. Se dit des plantes où la dissémination
du pollen s'opère par l'intermédiaire des insectes.
entomophilie n. f. Mode de pollinisation
des plantes entomophiles.
— Encycl. Biol. La pollinisation des fleurs, c'est-à-
dire le transport du pollen sur le stigmate en vue
de la fécondation, s'opèi'e suivant deux modes dif-
férents : ou bien par la chute directe sur le pistil du
pollen provenant des étamines de la même fleur
(autofécondation), ou bien par
le transport sur le pistil d'une
fleur du pollen pro ven an t d'u ne
autre fleur (fécondation croisée
ou hétérofécondation).
Ce dernier mode est plus
répandu que l'autre : il donne
de meilleurs résultats, et la
disposition relative des éta-
mines et du pistil fait qu'il est
le seul possible dans un grand
nombred'espèces. Il emprunte,
pour s'accomplir, deux véhi-
cules : ou bien le vent, ou
bien le corps des insectes
butineurs.
La fécondation grâce à la
coopération effective des in-
sectes, ou entomophilie, cons-
titue, dans la plupart des cas,
une véritable symbiose entre
l'insecte et la plante, une association à bénéfice réci-
proque, celui-là colpoitant et disséminant le pollen
et recevant de la plante, en retour de ce bienfait,
qu'il lui accorde d'ail-
leurs à son insu, di-
vers avantages : un
abri et sui-tout de la
nourriture.
Celle-ci est offerle
sous la forme d'un si-
rop sucré, d'une sorte
de miel (nectar), sé-
crété par des glandes
spéciales (nectaires), ^. , „ „
Inrm^pa anv Hpnpns '^'S- *■ Ecaill.'s neelanffre» Insé-
loimees aux aepens ^ée» sur la corolle : l. Bouton d'or;
de différents organes 2. Pamassle des marais.
de la fleur et toujours
placées en des points où l'insecte ne peut les atteindre
sans se barbouiller de pollen. La présence du nec-
tar dans les fleurs est signalée aux bestioles buti-
neuses dans une faible mesure
parles couleurs de la fleuret,
principalement, par son parfum.
On sait que la vue des insectes
est faible, sans doute capable
seulement de percevoir les diffé-
rences d'éclairement et d'obscu-
rité, et qu'au contraire leur odo-
rat est affiné et très développé.
Les insectes disséminateurs
de pollen appartiennent presque
exclusivement aux trois ordres
des lépidoptères, des diptères et
des hyménoptères. Ces trois or-
dres, seuls, renferment des es-
pèces proprement butineuses.
Fig. I. Sli^mates de com-
posée, à poils extérieurs ar-
rétant le pollen de la môme
llfur et empêchant l'auto*
fécondation.
Les hyménoptères ne recher-
que peu le
Fig. s.
Pièces buccales d'un
chent que peu le nectar et man-
gentle pollen, dont ilsemportent byménoptère butineur,
une partie sur leui's pattes ou les
poils de leur corps. Les diptères et surtout les lépi-
doptères, qui ont une trompe et point de mâchoires,
sucent le miel des nectaires, miel qui constitue pour
beaucc up de
leurs espèces
une nourriture
exclusive et si
indispensable
qu'elles péri-
raient sans le
nectar distillé
à leur intention
par les fleurs.
Chaque in-
secte butineur cli'argéèdi-'masse's 'poltéiîiqiies
ne recherche d'orchidée,
qu'un petit
nombre d'es-
pèces de plantes, qu'il reconnaît à la couleur et sur-
tout à l'odeur des fleurs, caractères as.sez fixes et
spécifiquement constants. 11 en résulte une cei-laine
relativité entre les dilférentes plantes entomophiles
et l'insecte chargé d'assurer leur fécondalion. C'est
ainsi que, d'après les observations de H. MùUer,
Vandrena florea visite exclusivement les fleurs de
la bryonia dioica, Vandrena hallorpiana celles de
la scabieuse des prés, lacilissa me/anurn celles delà
salicaire, la naero/)i«/a6ia/o celles de la lysimaque.
(V 121. Murs 1917.
LAROUSSE MENSUEL
39
Façad'' principale du ch&teau de .Schœnbrunn. où est né et murt l'empereur François-Joseph l»'. ~ Sohœobruon est un château de plaisance impérial, situé à 6 kilomètres S -O. de Vienne, sur la rive droite
de la \Vien. aftlueiit du Danube. 11 fut construit par Marie. Thérèse de 174i à 1750 et, depuis cette époque, il sert de résidence pour la cour une partie de l'été. Le développement du corps principal du palais
est de 156 mètres, sans compter les b&timents accessoires, bien plus développés. Les parlits intéressantes à visiter sont : la chapelle, la grande salle, la chambre avec les tableaux de Hamiiton et la salle
des cérémonies. Au sud du cnAteau, s'étend un vaste parc duns le ^uùt français du xviu* siècle, ouvert au public.
Exceptionnellement, des coléoptères peuvent vé-
hiculer le pollen; ce sont ceux qui s'abritent dans
les fleurs : ainsi des scarabées, des longicornes,
insectes bons voiliers. M-tiis, en règle générale, le
mutualisme avec les fleurs n'est pratiqué que par
les espèces qui joignent à un vol rapide une boucbe
plus ou moins conrormée en trompe.
Parfois, la coopération de l'insecte pour la polli-
nisation n'est plus seulement utile, mais presque
nécessaire. C'est le cas, par e.\emple, des orchidées,
où la structure de la fleur ne permet pas, en géné-
ral, l'aulofécondation et où, d'autre part, le pollen
est aggloméré en masses trop
lourdes pour donner prise au vent.
Là, l'entomophilie est à peu près
la règle : elle est favorisée par ce
fait que les masses polliniques des
orchidées présentent à la base une
glande visqueuse (rétinacle), qui
leur permet d'adhérer à tout corps
venant en contact avec elles; elles
s'attachent, par suite, aisément à
la trompe des papillons.
Dans chaque espèce, la structure
de la fleur est en relation étroite
avec la structure buccale de l'in-
secte spécialement chargé de la
visiter; les orchidées à long épe-
ron, ayant le nectar tout au fond,
sont, par exemple, fécondées par
l'intermédiaire de papillons à lon-
gue trompe.
Parfois, le contrat qui lie les
insectes aux fleurs perd son carac-
tère mutualiste et devient unilaté-
ral. C'est ce qu'on peut observer sur
certaines aselépiadées de la répu-
blique Argentine, qui retiennent ^'S- '■ Spnthe da-
î-- if. . . ^ t f ■ , rum retenant les
captifs et font périr par la faim les insectes captifs.
fiapillons attirés par le nectar de
eurs fleurs. De même, encore, les insectes qui pénè-
trent dans la spathe des arum y sont retenus et meu-
rent de faim, après avoir provoqué, par le soubresaut
de leur agonie, la chute du pollen sur les stigmates.
Dans (quelques espèces exotiques, le transport du
pollen s opère par la tête d'oiseaux butineurs,
munis, pour la récolte du nectar, d'une langue lon-
gue et extensible. Au Brésil, les fleurs des abuti-
lon demeurent stériles si elles ne reçoivent la visite
des oiseaux-mouches; c'est par l'intermédiaire de
ces oiseaux buveurs de nectar que se fait, en Amé-
rique, la fécondation des sauges, des marcgravia,
des erylhrina, des balsamines et, au cap de Bonne-
Espérance, celle des sLrelitzia. — A. Acloqo».
Feu(i.E), roman, par Henri Barbusse. — La litté-
rature de guerre n'a produit en France que peu
d'œuvres vraiment remarquables. Les Cahiers ilu
capitaine Coignet eux-mêmes paraissent avoir été
vantés à l'excès, et les Mémoires du sergent Bour-
gogne demeurent uniques en leur genre. Mais c'est
fort peu si l'on songe à l'importance des guerres de
la Hévolulioii et de l'Empire. La campagne de 1870
est restée sans témoin artiste. Dn peut supposer qu'il
n'en sera pas de même pour la guerre actuelle. Tous
les hommes valides étant appelés à y prendre part,
artistes et écrivains compris, peut-être s'en trou-
vera-t-il quelques-uns pour évoquer les heures ter-
ribles qu'ils auront connues. Déjà, l'on ne saurait
négliger l'ouvrage de Genevoix : Sous Verdun,
bien qu'il n'ait pas eu l'heur d'être goûté des mem-
bres de l'académie Goncourt, qui ont préféré porter
leurs suffrages sur des livres qualiliés romans et,
tout d'abord, sur le Feu, de Henri Barbusse.
A vrai dire, il semble bien qu'il n y ait guère de
roman ici. Peu d'intrigue, et c est fort bien; pas de
sujet particulier, mais un seul sujet général, la
guerre. Le rôle de l'écrivain parait surtout d'avoir
mis en ordre ses impressions, d'avoir du chaos fait
une Iresque suffisamment ordonnée où les person-
nages dénient comme dans une œuvre de quatro-
centisle et, cela v a sans dire, dans le décor elle cos-
tume d'aujouid'hui. Seuls, peut-être, quelques noms
des personnages sont imaginaires; mais les modèles
ont évidemment vécu à côté de l'écrivain. Le Feu
porte, du reste, ce sous-titre : Journal d'une es-
couade. Cette escouade, que commando le caporal
Bertrand, type du bon soldat socialiste, comprend
quelques figures vigoureusesement brossées : celle
de Polerloo, le gars de Souchez, qui est l'une des
premières victimes ; celle du gros Lanmse, l'homme-
bœuf, rouge, lourd et sentimental ; celle de l'homme-
chiffre Cocon, toujours prêt à citer des statistiques,
et nous en passons. Barbusse les peint au naturel,
c'est-à-dire dans leurs exti'aordinaiies accoutre-
ments, dans leur vie primitive, dans leurs sentiments
simples, avec leur langage vert. 11 n'a pas cru devoir
transposer les invectives populacières, les phrases
grossières, l'argot facile des tranchées. Est-ce une
bonne méthode ? A calquer ainsi la réalité, fait-on
œuvre d'art? Ce vérisme, en tout cas, a le mérite de
ne rien dénaturer; il vaut assurément beaucoup
mieux que les transpositions fantaisistes qui font du
soldat un héros grandiloquent et lui enlèvent tout
ce qu'il garde d'humanité ordinaire, basse quelque-
fois, mais non sans grandeur dans sa trivialité.
Les épisodes sont nombreux. C'est l'aventure
de 'Volpatte et Fouillade, oubliés quatre jours dans
un trou d'obus, sur qui pleuvaient les balles, et qui
trouvent simple de garder la position jusqu'au mo-
ment où un hasard permet de les retrouver. C'est
l'aventure de Farfadet avec la blonde Eudoxie, que
Lamuse, son amoureux infortuné, retrouve un jour
tuée. C'est l'histoire du vieux paysan qui cherche
un trésor et qui, chose plus extraordinaire, finit
par le trouver. Le passage de Poterloo à travers les
lignes ennemies, grâce à la complicité de quelques
soldats allemands, est plus étonnant encore.
Les tableaux se succèdent; tableaux de guerre
pour la plupart, d'une horreur saisissante. Les des-
criptions de blessés, les visions de cadavres attes-
tent la laideur d'une lutte sans égale. Certes, on com-
prend mieux là que jamais que le combat, surtout le
combat moderne, ne peut être en art qu'un motif
d'exception; et l'on s'explique le peu d'influence
des guerres sur les lettres. Le chapitre principal
du livre de Henri Barbusse, le Feu, est la descrip-
tion de l'attaque, delà ruée des hommes au milieu
des feux de barrage : l'auteur arrive, par la seule
notation delà réalité, aune extraordinaire intensité
d'elVet. Il n'y a pas, cependant, que des visions tra-
giques, efl'rayantes, comme celles d'un Goya; il y a
aussi quelques impressions de nature : impressions
de paysages gris, dénudés, aux horizons déchi-
quetés, aux sols labourés, sur lesquels apparaissent
la dentelle des lils de fer ou les squelettes d'arbres
tordus par l'ouragan de feu. Si désolés que soient
ces paysages, ils donnent, cependant, au lecteur
une sensation de repos au milieu de la tourmente.
Après avoir brossé tous ces tableaux de guerre,
décrit tous ces aspects de la vie des tranchées : la
marche dans les boyaux, la veillée aux créneaux,
les bombardements, les corvées sinistres, Henri
Barbusse fait philosopher ses personnages dans un
bref et dernier chapitre; ils s'élèvent contre U
conception fausse qu'en donnent les images mili-
taires, et il semble bien que la conclusion du ro-
mancier tienne dans cette phrase : « Si la guerre
actuelle a fait avancer le progrès d'un pas, ses
malheurs et ses tueries compteront pour peu.» Noua
n'entreprendrons pas de discuter, ici, les idées
exprimées, mais pouvons-nous même espérer cela ?
L'avenir le dira. — Tristan Lbclèrb.
François-Joseph. !"■ de Habsbourg-Lor-
raine, empereur d'Autriche et roi de Hongrie, né au
château de Schœnlirunn, près de Vienne, le 18 aoijt
1830, mortdans ce même château le 21 novembre 191 6.
— En 1848, il succéda à son oncle Ferdinand I"
empereur d'Autriche et roi de Hongrie, en vertu
de l'abdication de ce dernier et de la renonciation
de son père à la succession au trône. Son règne, un
des plus longs qu'on ait enregistrés, a duré soixante-
huit ans. 11 es', difficile, à l'heure présente, d'en écrire
l'histoire avec calme; il le sera à toute époque de l'é-
crire avec clarté.
Si l'on ne peut
admettre, comme
l'a dit, il y a plus
de quarante ans,
un écrivain autri-
chien, que l'Au-
triche soit « inin-
telligible », on
doit reconnaître
quela complexité
et la variété des
élémentsquicom-
posent la monar-
chie des Habs-
bourg obscurcis-
sent singulière-
mentsonhistoire
pour qui n'a pas
fait d abord de Len.pereur i-rançois-Josepb 1
chacun d'eux l'a-
nalyse isolée pour essayer ensuite une sorte d'inté-
gration, qui risque toujoursde rester incomplète.Tous
ceux qui, jusqu'ici, ont tenté celte œuvre dans les his-
toires générales, n'ont abouti qu'à des résumés indi-
gestes et confus. Même le lumineux travail de Wic-
kham Slead, où tous les rouages de la monarchie
ont été décomposés et rassemblés avec la délicatesse
de main et la pénétration intelligente d'un ouvrier
remai'i|uablemfnt informé, ne peut être lu et com-
pris qu'au prix d'une attention soutenue. On ne sau-
rait, par suite, avoir la prétention, alors que Fran-
çois-Joseph vient de disparaître au milieu de l'hor-
rible conflitqu'il avait lui-même su.scilé, nide porter
sur lui un jugement équitable, ni d'écrire une bis-
toircde sa vie qui ait chance d'être complète : trop de
mystères planent sur elle, sur lesquels il se peut que
jamais la simple vérité n'arrive à remplacer la chro-
nique. On doit donc se contenter de noter sommai-
rement quelques traits essentiels de ce long règne,
q ui eut tant d neures tragiques, qui n'en eut pas de glo-
rieuses, qui reste, cependant, un des plus laborieu-
sem<'iit utiles qu'ait connus la maison de Habsbourg.
Car François-Joseph fut avant tout un Habsbourg.
Le sentiment de son devoir envers sa maison a
dominé tous ses actes; il lui a tout sacrifié, il y a
trouvé à tout moment sa raison d'être et sa justifi-
cation. Or, à aucune époque de son histoire, U
maison de Habsbourg n'a traversé des heures aussi
pénibles, ni rencontré sur sa route tant d'obstacles
que sous le règne de François-Joseph.
60
Au moment où Ferdinand !=■■, débordé par la ré-
volution, lui remet, plus contraint que consentant,
la douille couronne, si peu solide en apparence,
d'Autriciie et de Hongrie, il semble que le système
absolutiste et l'équilibre européen, qu'avait person-
nifiés Mettennich, soient à jamais compromis. En
particulier, le dualisme austro-hongrois, que renfer-
mait en germe la Pragmatique-sanction de 1722-1723,
et qu'on s'était efforcé d'oublier, s'affirmait dans les
lois hongroises d'avril 1848, en même temps que le
régime constitutionnel était sur le point de s'instal-
ler en Autriche. Dès ses débuts, François-Joseph
montra que le souci de garder sa parole ne prévau-
drait jamais contre l'intérêt de son trflne. Non seu-
lement le jeune empereur n'appliqua jamais la
Constitution de 1849, qu'il s'était cru obligé d'ac-
corder à ses sujets autrichiens, mais il se refusa à
reconnaître la Constitution hongroise de 1848, jurée
par son prédécesseur, et l'aide de la Russie lui per-
mit d'étoufi'er le séparatisme hongrois, tandis que
son général Radeizki réprimait brutalement la
Lombardie, qui cherchait à secouer le joug impérial.
Cette rapide expérience du principe constitutionnel
suffit à cet esprit, lequel aurait pu être libéral, pour le
converliràl'absolutisme, qui fut, en dépitdecertaines
apparences, temporaires et limitées, sa doctrine iné-
branlable. Sous l'infiuence du ministre Alexandre
Bach, il se porta du premier coup aux extrêmes,
et le Concordat de 1855, qui, pendant près de quinze
ans, mit véritablement la monarchie sous le joug de
l'Eglise romaine, fut le gage d'une renonciation totale
aux principes libéraux dont les peuples austro-hon-
grois avaient pu un instant rêver l'avènement.
Le 18 février 1X53, il avait échappé à la tentative
d'assassinat du Hongrois Libenyi, à Vienne. L'an-
née suivante, le 24 avril, il épousa Elisabeth, fille
du duc Max de Bavière, avec laquelle il visita ses
Etats. Rassuré sur les dangers de l'intérieur par
une réaction brutale et maladroite, François-Joseph
eut, à deux reprises, l'occasion de montrer quelle
pourrait être, dans les relations extérieures, sa clair-
voyance. — Oubliant qu'en 1849 le tsar Nicolas l'"'
avait sauvé la monarchie d'un démembrement et peut-
être de la ruine, non seulement il ne soutint pas la
Russie en 1854, mais il appuya l'action de la France
el de r.\ngleterre et essaya d'entraîner h leur suite
et la Prusse et la Diète de Francfort : ingratitude
inutile, dont personne ne lui sut gré, qui le brouilla
avec la Russie, qui devait le laisser isolé et ne lui
procura même pas un avantage moral dans les Bal-
kans. — En 1857, il rompit avec la Sardaigne et,
en 1859, alors qu'il eût pu attendre, il engagea la
guerre contre le Piémont, la Sardaigne et la France;
il commandait les armées qui furent vaincues à
Magenta et à Solférino. Sans insister, il arrêta à
Villafrauca, dans une entrevue avec Napoléon III,
les préliminaires de la paix qui fut signée à Zurich,
et lui enleva la Lombardie.
Ces tâtonnements malheureux n'avaient pourtant
pas éclairé François-Joseph sur la situation diploma-
tique et la puissance exacte de l'Autriche, ainsi que
sur l'orientation à donner à sa politique extérieure.
Comme ses prédécesseurs, il gouvernait la maison
de Habsbourg en songeant à l'empire d'Allemagne.
La couronne impériale avait été, depuis Charles VI,
la préoccupation dominante des souverains autri-
chiens. François II, en y renonçant en 1806, n'avait
jamais perdu l'espoir de conserver au moins une
influence prépondérante sur la Confédération ger-
manique. La politique de Metternich avait pu don-
ner l'illusion qu'on y avait réussi. Les événements
de 1848, l'offre de la couronne impériale faite à la
Prusse n'avaient ouvert les yeux ni à François-
Joseph, ni à ses conseillers. Bien que Guillaume de
Prusse, en s'abstenant de venir au congrès de
Francfort (aoiît 1863) et d'accepter ses décisions,
eût fait échouer une tentative de réforme de la
Confédération germanique, François-Joseph se ré-
concilia avec lui, et ils firent ensemble, en 1864, la
guerre au Danemark. Mais la question des Duchés
le brouilla d'abord avec les petits princes allemands,
puis avec la Prusse, malgré le traité de Gastein
(août 1865) et son entrevue avec Guillaume à Salz-
bourg. Cet incident des Duchés, quelque significatif
qu'il fût, nedevaitpas être plus instructif pour l'em-
pereur d'Autriche. A ce moment, toute la politique
intérieure tend à réunirenunseul faisceau les forces
de la monarchie vers un but unique : la reprise de la
prépondérance en Allemagne. Pour faire écliouer ce
projet, la Prusse se ligua avec l'Italie, qui réclamait
la Vénétie, et la guerre éclata. Les victoires de
Oustozza et de Lissa ne purent atténuer le désastre
du général autrichien Benedek à Sadowa; il fallut
céder la Vénétie à l'Italie et sortir de la Confé-
déralion germanique. Mais l'écroulement de la force
militaire autrichienne devant la puissance insoup-
çonnée de l'armée prussienne n'est pas encore un
enseignement suffisant. — Avec le Saxon de Beust,
qui ignore également la Prusse qu'il veut diminuer
et l'Autriche qu'il gouverne, l'empereur et roi songe
h une revanche. En 1869, il essaye, avec la France
etrilalie,une alliance, que la Russie, qui se .«souvient,
fait échouer. La défaite de la France en 1870 et le
traité de Francfort en 1871 font enfin éclater la réa-
LAROUSSE MENSUEL
lité. François-Joseph comprend que la maison de
Habsbourg vit le rêve du passé et que l'avenir alle-
mand n'est plus et ne sera plus autrichien. Reve-
nant aux plus vieilles traditions de la Marche autri-
chienne, il renonce k remonter le Danube, et le mo-
ment est proche où il va se retourner vers les Balkans.
Cependant, les événements extérieurs que nous
venons de résumer avaient eu sur la politique inté-
rieure une répercussion profonde. Sous le coup de
la défaite de 1859 et devant des embarras financiers
qui menaçaient de devenir inextricables, François-
Joseph avait accordé à ses peuples la Constitution
de 1861, qui semblait donner une apparence de vie
autonome aux diverses nationalités de l'Empire et
qui avait la prétention d'organiser en monarchie
unitaire la mosaïque austro-slavo-hongroise qu'est
l'empire des Habsbourg. Puis, de 1865 à 1867, après
Sadowa, encouragé par Beust, devant l'impossibilité
de faire accepter l'unitarisme aux Hongrois, sentant
enfin la nécessité de s'assurer, par un règlement dé-
finitif et consenti de la question politique, l'appui
de la Hongrie en vue d'une revanche contre la
Prusse, il avait négocié avec Deak les accords
3ui avaient abouti à la constitution du dualisme
e 1867 et, comme suite à ce compromis, il avait
François-Joseph I•^ en costume de la Toison d'Or.
promulgué pour les Etats autrichiens la Constitution
de 1867. Dès lors, se trouva constitué le système
dualiste. La monarchie est partagée en deux groupes :
la Hongrie et l'Autriche, qui ont chacune leur mi-
nistère responsable. Trois départements sont com-
muns : la Guerre, les Affaires étrangères et les
Finances. Des Délégations, formées de soixante
membres de chaque Parlement, délibérant séparé-
ment et se réunissant tantôt à Vierme, tantôt k Buda-
pest, règlent les affaires communes ; une alliance
des douanes et du commerce, renouvelable tous les
dix ans, fixe les rapports économiques des deux
portions de la monarchie; l'armée, sous certaines
réserves, reste commune, et l'empereur-roi en est
le chef et le maître. Dès lors, aussi, commence pour
la Hongrie une longue série de luttes politiques, où
le nationalisme intransigeant, représenté par Koloman
TIsza, puis par son fils, s'efforce de l'emporter sur
l'opportunisme, plus modéré, plus conscient des
contradictions de cette monarchie, qui s'inspire des
traditions de Deak et d'.Andrassy. Dès lors, enfin,
s'inaugure, sous l'apparente simplicité et l'harmo-
nie illusoire du système, l'oppression, tant en Hon-
grie qu'en Autriche, des races slaves et roumaines
que dominent, en Hongrie une minorité magyare, en
Autriche une minorité allemande. Au surplus, il
importe de ne pas se laisser tromper par la simili-
tude bien balancée des gouvernements hongrois et
aulrichien. La Consliiution hongroise est un véri-
table contrat entre le roi et le peuple magyar. La
Constitution autrichienne est une concession de
l'empereur, contre-partie à la Constitution hongroise
et exigée par elle. Le pouvoir royal, s'il ne manque
N' 121. Mars 1917.
pas de moyens d'action sur le Parlement hongrois
et si, en fin de compte, il reste le maître, peut
se permettre avec le Parlement autrichien, grâce
au paragraphe sur « l'urgence », des libertés qui
conduisent k ce qu'on a dénomme spirituellement
I' o absolutisme constitutionnel ». En fait, on serait
dupe des mots si l'on considérait le Parlement au-
trichien comme autre chose qu'une assemblée déli-
bérante où le gouvernement, grâce aux divisions
des partis nationaux, est maître de la majorité et
où les obstructions les plus scandaleuses sont sans
aucun effet sur les décisions ministérielles. En fait,
et particulièrement depuis le ministère Taaffe (1879),
le gouvernement autrichien n'a été que le gouver-
nement personnel de François-Joseph.
L'empereur songea-t-il sérieusement un instant à
faire à la Bohême un sort semblable à celui de la
Hongrie et de l'Autriche ? On peut le croire, si l'on
se souvient, d'une part, des rescrits des 30 août,
26 septembre 1870 et 12 septembre 1871 à la Diète de
Ijohême, par lesquels il manifestait l'intention d'ac-
corder à la Bohême une Constitution fédérale, sanc-
tionnée par le serment de l'empereur lors de son
couronnement à Prague; d'autre part, les ordon-
nances-de Badeni en 1896, par lesquelles l'égalité
administrative de la langue tchèque et de la langue
allemande était reconnue en Bohême. Sans doute,
rescrits et ordonnances coûtèrent leur portefeuille k
Ilohenwarteth Badeni, qui les avaient prnmulgués.
Mais le fait demeure, et, si l'on se rappelle encore
combien de fois le pouvoir se servit de l'opposition
tchèque ou du groupe polonais pour contre-balancer
l'inlluence allemande au Parlement autrichien, on
sera conduit à conclure que François-Joseph ne
considérait pas le dualisme comme un système in-
tangible et qu'il n'eût sans doute pas hésité à le mo-
difier au profit des Tchèques, s'il eût pensé que l'in-
térêt des Habsbourg fût attaché à cette réforme.
La politique extérieure de François-Joseph avant
1870 l'avait brouillé successivement ou simultané-
ment avec la Russie, la France, l'Italie et la Prusse;
elle avait amené de grands désastres territoriaux.
A partir de 1870, l'effort de l'empereur tend à com-
penser, par une extension dans les Balkans, les
pertes subies. Il se rapproche de la Prusse, devenue
l".\llemagne et, en dépit de froideurs momentanées,
sous l'inspiration de Bismarck, il accepte à Berlin
(sept. 1872) une alliance à laquelle adhéra le tsar
Alexandre II. L'Exposition universelle de Vienne
réunit de nouveau les trois empereurs (1873) et
fut l'occasion ultérieure des visites que François-
Joseph rendit à ses alliés, k Pétrograd et à Berlin.
Après la guerre russo-turque (ls78l, qui lui valut
plus tard la Bosnie et l'Herzégovine, l'Autriche,
inquiète des progrès des Slaves dans les Balkans,
conclut une alliance formelle avec l'Allemiigne (1879).
Le tsar Alexandre III s'étant retiré, en 1886, de
l'alliance, qui est connue sous le nom d'n Alliance
des Trois Empereurs », sa place fut occupée, l'année
suivante, par l'Italie. La Triple-Alliance, qui devait
peser si lourdement sur l'Europe, était conclue.
Cependant, soit avec Andras.sy, soit avec Golu-
kowski, soitavecyEhrenthalou Berchlold, François-
Joseph, suivant les circonstances, suivant l'intérêt
du moment, suivant les inspirations de la politique
intérieure, ne renonce pas à se rapprocher de
la Russie. L'accord de 1897, les programmes de
février 1903 et de Mursteg semblent réunir les
deux puissances, qui s'écartent, au contraire, défini-
tivement, au moment de l'annexion de la Bosnie-
Herzégovine, jusqu'à la rupture éclatante de 1914.
En fait, c'est, depuis 1878, autour de la question
bosniaque et de la question bulgaro-serbe que
tourne toute la politique austro-russe. Autorisé à
« occuper » en 1878, par le traité de Berlin, la
Bosnie, l'Herzégovine et le Sandjak, qu'il eût dès
lors préféré « annexer », François-Jcseph rêve de
Salonique et du débouché direct sur la Méditerranée
et l'Orient; il considère la Serbie comme une
annexe de son empire, jusqu'au jour où il s'aperçoit,
k la fin de 1905, que ce petit Etat entend être éco-
nomiquement son maître. De là date l'hostilité
farouche qui ne recule ni devant les prohibitions
commerciales, ni devant les menaces impudentes,
ni devant les procès odieux comme celui d'Agram,
ni devant des faux manifestes comme ceux du
Df Friedjung. La diplomatie de François-Joseph se
montre à la lois ambitieuse el fourbe, et l'empereur
collabore personnellement avec ses ministres pour
tromper ses voisins et, au besoin, ses amis. Le résul-
tat elfectif de cette politique qui inquiète la Russie,
qui trouble l'Italie malgré les apparences exté-
rieures, qui ne contente pas toujours I .Allemagne,
qui tient en garde la France et l'Angleterre, est
d'Isoler l'Autriche au moment de la première guerre
balkanique et, en dépii de ses excitations, qui
jettent la Bulgarie dans la seconde, de lui faire
perdre tout espoir d'aboutir à Salonique. Mais le
vieil empereur ne renonce point.
L'agitation entretenue en Albanie n'est qu'un
moyen de préparer le réveil des disputes balk.ini-
ques et de faire sentir à la Serbie la menace tou-
jours prêle. Le crime de Serajevo, encore si obscur,
et l'ultimatum de juillet 1914 précipitent la crise et
«• 121. Mars 1977.
donnent à l'Allemagne, qui n'atlendait qu'une occa-
sion, le prétexte de la guerre européenne. Elle eût
pu éclater pour d'autres causes. Aucune n'étiiit plus
facile à trouver que celle-là. François-Joseph, qui,
dès 1909, avait cherché une guerre que la Russie
eut la sagesse d'écarter, porte la lourde responsa-
bilité d'avoir déchaîné en 1914 celle qui a déchiré
et ruiné l'Kurope. 11 a contribué aussi, non moins
que l'Allemagne, par ses prétentions commerciales
el son invasion économique de l'Adriatique, k dé-
tacher l'Italie de la Triple-Alliance, à laquelle elle
avait renouvelé son adhésion en 1912.
La conséquence finale de toute la politique de
François-Joseph a été, au total, de lui laissercomme
seule alliée l'Allemagne et, si l'on se reporte aux
difficultés intérieures de l'Empire auslro-hongrois,
c'est 1& pour la monarchie des Habsbourg un grave
danger. Les menées pangennanisles du début du
XX» siècle et la liaison certaine des tendances hon-
groises avec ce mouvement n'ont pas échappé à
François-Joseph vieilli, pas plus qu'à son successeur
éventuel et disparu, François-Ferdinand, ni à son
successeur efTectif, Charles-François-Joseph. L'éter-
nel problème slave s'est alors posé avec une rare
acuité devant les Habsbourg, et, quoiqu'il semble
que rinlluence germano-magyare domine la poli-
tique présente de l'Au triche, François -Joseph
mourant a pu se demander si le sort de la monar-
chie n'était pas lié au contrepoids puissant de
l'élément slave qu'il avait trop sacrifié.
L'avenir le dira. François-Joseph, qui aimait la
vie, n'a pas trouvé la force de vivre assez pour
attendre la conclusion du conflit dont son empire
pourrait bien êlre l'enjeu, si tant est que l'Europe
puisse se passer de l'Autriche et que l'application
stricte du principe des nationalités ne doive pas
avoir pour résultat, au cas oïl l'Autriche disparaî-
trait, de faire de l'Europe centrale un champ clos
pour les luttes futures de l'Allemagne et de la Rus-
sie. François-Joseph avait trouvé dans le dualisme
une soluliou bâtarde et injuste, mais opportune,
aux difficultés inévitables qui ont, à toute époque,
rendu précaire l'existence de la monarchie des
Habsbourg. Il a, d'autre part, en se retournant vers
l'Orient, en cherchant à l'Autriche un large débou-
ché sur la mer, continué la politique traditionnelle
la plus ancienne de sa maison. A l'intérieur comme
à rextérieur, il a donc gouverné comme devait le
faire un Habsbourg et, assurément, à ses yeux, nous
l'avons déjà dit, cela seul comptait. Sa politique
d'expédients et de divisions, sa fourberie, son ab-
solutisme, les répressions les plus sanglantes, les
guerres les plus injustes, les procédés de police, de
mensonges et de corruption qui ont formé sa mé-
thode de gouvernement, sa froide ingratitude pour
ses ministres el son mépris des hommes, sa dureté
à l'égard de sa famille et, d'aulre part, son souci
réel du bien-être de ses peuples, son application au
travail, sa persévérance infatigable dans l'exercice
minutieux de son métier de souverain responsable
devant ses sujets et devant l'histoire ont été pour
lui les moyens légitimes et nécessaires par lesquels
il a-isurait la perpétuité de sa maison. Devant ce
mélange étrange de qualités et de défauts, devant
ce monarque gardien inflexible de l'étiquette, qui
eut aussi les goûts vulgaires d'un bourgeois cossu
et vicieux, on hésite à conclure. Les événements de
1914 ne nous laissent pas la liberté d'esprit qui
permettrait de formuler sur un tel homme un juge-
ment impartial, et l'incertitude de l'avenir nous in-
terdit de conclure sur la valeur de son règne. Si
François-Joseph fiit mort quelques jours après le
drame de Serajevo, le monde entier se serait atten-
dri sur ses malheurs domestiques, sans rechercher
s'il n'avait pas une lourde responsabilité dans la
mort tragique de l'archiduc Rodolphe, dans la vie
décousue et dramatique d'Elisabeth, l'impératrice
épouséepar amour et délaissée par sécheresse de cœur;
on eût admiré son énergie dans l'infortune, sans
se demander si elle n'était pas faite d'un féroce
égolsme ; et, tout en attendant la dissolution prophé-
tisée de son empire, on eût trouvé nous ne savons
quelle grandeur antique dans la mort solitaire de
ce vieillard devant son empire condamné. La des-
tinée de François-Joseph a été autre : il est mort
chargé de l'exécration de tous ceux qui souffrent (et
de quelle souffrance I) par la guerre dont il est le
premier auteur. Dans certains pays, l'annonce de sa
fin a été saluée comme l'eût été une victoire.
L'histoire, dans bien des années, dira quelle fut
cxactementsa part personnelle de responsabililédans
lacatastrophequidésolerhumanité,demêmequeson
rôle exact dans les événements de son règne. Dès
maintenant, on peut dire qu'en ce qui concerna son
règne, il a eu sa part, et très large, et souvent unique,
dans tout ce qui a été fait en son nom. Il a pu être le
monarque qu on entoure, qu'on essaye de dominer;
il n'a jamais été dupe, il n'a jamais été le mo-
narque que l'on gouverne. On pourra, au regard des
résultats, expliauer ou excuser certains acies, on ne
fiourra pas en Jélourner sur d'autres la responsabi-
ité. — En ce qui concerne la guerre présente, s'il fut
«ncouragé et soutenu par l'Allemagne, ce qui ne
saurait faire doute, tout le passé des trente-cinq
LAROUSSE MENSUEL
dernières années de son règne, tout ce qui s'était
fait d'odieux el de violent contre la Serbie depuis
1909 suffit à prouver que, s'il ne mesura pas, ce qu'on
peut admettre, la portée prodigieuse de son initia-
tive, nia quel point elle serait amplifiée par Guil-
laume II, son geste brutal et perfide contre la Serbie
fut prémédité et voulu. Cela suffit pour qu'il reste
justiciable de l'hisloire et qu'on lui impute sa triste
part dans les horreurs auxquelles nous assistons.
Il sera, cependant, du plus haut intérêt de savoir
— et ceci est actuellement impossible — quel fut
le sentiment de ses peuples devant sa disparition
au moment où pèse sur eux le poids d'une guerre
terrible. François-Joseph n'était pas aimé de cer-
tains Magyars. Il l'était à Vienne. Sa simplicité quo-
tidienne, en dehors des grands jours, l'avait rendu
populaire. II était respecté partout. On ne le con-
fondait pas avec son gouvernement et avec sa cour.
On le disait bon, et il le fut souvent. Autour de
lui, comme autour de la maison de Habsbourg, il
s'était formé sinon une nationalité autrichienne,
du moins une sorte de loyalisme autrichien qui a
certainement survécu à la guerre, qui a permis à
Charles l<" de recueillir tranciuillement celte diffi-
cile succession, qui maintient la cohésion de l'Em-
pire. Ce sentiment était l'œuvre des siècles; il était
aussi celle de François-Joseph. Lui survivra-t-il? Le
prestige dont il jouissait rejaillira-t-il sur son suc-
cesseur? Celui-ci, par une habile orientation de sa
politique, saura-t-il le conserver et aura-t-il l'éner-
I gie et l'habileté nécessaires pour accorder tant d'in-
lèrèts divers? Autant de questions insolubles. Ce
qui reste, c'est que, malgré les victoires russes el
italiennes, l'Empire auslro-hongrois est encore de-
bout. C'est une réalité avec laquelle il faut compter.
Il la doit à François-Joseph. Quel que soit l'avenir
qui l'allende, avec quelque juste sévérité que l'huma-
nité future juge un homme par la faute de qui tant
de mal s'est abattu sur l'humanité présente, de
quelque opprobre que son nom soit à jamais cou-
vert, l'histoire ne pourra se refuser à conslaler que,
quoi qu'il arrive, il a élé de ceux dont le destin s'est
servi pour fixer le sort des nations. — Jules Gerbaoli.
Guerre en 191-4-1917 (la). [Suite.] —
11 est impossible de dire que les événements du
mois de janvier, jusqu'au dernier jour de ce mois,
aient paru, à les considérer séparément, de nature à
influer gravement sur l'issue de la guerre. Aucune
action militaire importante ne s'était produite, et la
diplomatie s'était affirmée seulement par une abon-
dance inusitée de Noies, de messages et de discours.
Mais le groupement de ces manifestations écrites ou
verbales, au moins aulaiit que leur contenu, consti-
tuait un ensemble significalif, dirigé malgré tout
61
duite de la guerre, rien de ce qui y avait été dit ou
écrit n'était indifTérent ou inutile en vue de la fin des
hostilités dans un sens heureux pour l'Entente. Les
dialogues officiels successivement engagés, maU
gré l'imprécision voulue de certaioes afflrmalioDs,
^Iti
^
\j •':'
HË' À
S^^^iHjjyM
^P^
^Sf^
Soldats françaii dans les traochëes que les gaz asphyxiants
vont envahir.
dans le sens de la paix, d'une paix sans doute encore
lointaine, qui pouvait pourtant être avancée par
des événements inattendus, qui était, en tout cas,
ardemment souhaitée par les Empires centraux et
dont l'Entente, sous certaines conditions, ne repous-
sait nullementl'hypolhèse. Même, le geste violentque
constituait la déclaration allemande du 31 janvier
relativement à l'aggravation de la guerre sous-
marine et au blocus devait être considéré comme
l'acte désesiicré de belligérants qui veulent en finir
à tout prix et obliger les neuti-es a se déclarer dans
un sens ou dans un autre. D'où il fallait conclure
que, si le mois de janvier marquait le prélude d'une
recrudescence de sauvagerie allemande dans lacon-
Périscope géant aUemand, pris par les Français.
constituaient, en fait, un préliminaire par quoi le
terrain se trouvait très dénlayé. lin seul point res-
tait à déterminer : quelle serait, devant les préten-
tions allemandes, 1 attitude du président W'ilson
des Etats-Unis? Nous verrons plus loin comment se
posait la question.
Les seules opérations militaires importantes
avaient eu lieu sur le front russo-roumain. Dans la
première semaine de janvier, les Allemands avaient
achevé leur mouvement contre Foczani et Braïla,
el, comme il était facile de le pressentir, étaient
entrés en possession de ces deux villes. Mais leur
marche en avant s'était arrêtée là. Ils n'avaient pas
pris Galalz et ne semblaient pas devoir s'en emparer.
Us avaient rencontré devant eux une énergique
résistance moscovite, et tout montrait que, l'hiver
très dur y aidant, le front du Sercth se stabilisait,
peut-être pour longtemps. La pointe des Russes sur
■Vadeni, au S. de (jalatz, avait même prouvé que
leur recul était terminé et, le cas échéant, pourrait se
changer en une contre-ofi'ensive redoutable. En Mol-
davie, l'armée roumaine se réorganisait. Non seule-
ment elle empêchait les Austro-Allemands d'étendre
leur front, mais elle les inquiétait et les obligeait
parfois à passer à la défensive. De même en Gali-
cie et, au Nord, surie front de Riga, l'activité russe
s'était manifestée. Dans ce dernier sccleur, nos
alliés avaient enregistié un succès important sur
le lac Babit. II y avait eu là les oscillations
habituelles d'attaques et de contre-attaques qui
permettaient aux Communiqués allemands de dis-
simuler la vérité; à diverses reprises, ils avaient
dii, à mots couverts, avouer pourtant des échecs
impossibles à nier. — Cet arrêt dans l'invasion
allemande, qui semblait si bien lancée sur la Bes-
sarabie et sur Odessa, était-il dû uniquement à la
rigueur de la saison? Evidemment, non. Il fallait,
pour l'expliquer, tenir compte de raisons multiples,
parmi lesquelles les deux principales élalent l'éloi-
gnement de plus en plus grand des bases du ravi-
taillement et la fatigue des troupes. Nous avons dit
précédemment que la Roumanie ne s'était pas trou-
vée pour nos ennemis le pays de cocagne qu'ils
avaient rêvé. La destruction des réserves de blé,
l'obligation de subvenir aux besoins des Turcs, des
Bulgares et des Autrichiens, non seulement n'a-
vaient rendu disponible, pour l'alimentation alle-
mande, qu'une quantité restreinte de céréales, en-
viron la valeur d'un mois de pain, mais n'avaient
pas donné à l'armée elle-même l'abondance facile
que l'on attendait. Les provisions de mais, qu'on
avait trouvées cependant en quantité, étaient un
appoint trop faible, parce qu'il fallait en laisser en
LAROUSSE MENSUEL.
62
grande partie l'usage à la population agricole de la
Roumanie. De plus, la longueur des distances dans
un pays où les voies ferrées sont insuffisantes et
n'ont pas été, comme en Allemagne, préparées spé-
cialement pour une concentration militaire, aug-
mentait encore les difficultés déjà décuplées par la
neige et le froid. — En second lieu, il n'y a aucun
Poste do fusiU lance-grcnades. — Phot. 'Wyiidham.
doute que, dans celte campagne précipitée, où la
résistance acharnée et habile des Russo-Roumains
est prouvée par le seul fait qu'aucune capture de
prisonniers numériquement importante n'a pu être
effectuée, les armées allemandes ont beaucoup souf-
fert, ont perdu beaucoup de monde et se sont afi'ai-
blies. Il était donc permis de penser que la campa-
gne de Roumanie, dont les Allemands ont fait grand
étal, n'avait pas sensiblement amélioré leur situa-
tion générale, ni fortifié leur position militaire. Leur
prétention qu'il n'y aurait pas de quartiers d'hiver
n'avait pu passer dans la réalité et, bon gré mal gré,
ils avaient dû laisser aux Busses, abrités par un front
solide et par leur fidèle allié l'Hiver, le temps et les
moyens de se reconstituer en arrière, de telle façon
qu'il est permis de supposer, k moins d'événements
tout à fait inattendus, qu'au printemps, les situations
respectives, en dépit de l'extension du front alle-
mand, se retrouveront dans les mêmes proportions
où elles élaient au printemps de 1916.
Nos ennemis avaient-ils, du moins, profité de
leurs victoires et de l'arrêt forcé qui leur était im-
posé pour exécuter la menace qu'ils avaient, par le
moyen de leur presse, suspendue sur notre front
de Macédoine et dont nous avions, le mois dernier,
envisagé la réalisation? On pouvait craindre, fin
décembre, à en juger par l'augmentation des forces
germaniques devant Monastir, que celle ville courait
le risque d'êlre, à bref délai, attaquée et reprise.
Un mois après, rien n'était changé devant Monas-
tir, sinon que l'armée Sarrail avait reçu des renforts
et qu'elle avait pu faire face aux éventualités les
plus prochaines. Si Falkenhayn avait passé en Ma-
cédoine, et rien n'était moins certain, sa présence
ne s'était affirmée par aucun acte. En Macédoine
comme sur le Danube et plus encore, l'extrême ri-
gueur du climat, qui esl le même pour les Alle-
mands que pour nous, l'absence de voies de communi-
cation rapides, l'impossibilité d'en construire en cette
saison, enfin la fatigue du soldat, avaient mis, pour
le moment, un frein à l'élan allemand. Il n'y avait
sans doute là qu'un temps d'arrêt, mais il était ac-
quis et, si l'on en eiit douté, il eût suffi de se repor-
ter au baromètre de l'attitude grecque pour s'assurer
qu'aucun secours ne pouvait venir par la Macédoine
au roi Constantin; c'était là un symptôme auquel il
étaitimpossible de se tromper.— Par suite, comme
nous l'avons déjà fait remarquer, pas plus en Rou-
manie en 1916, qn'en Russie en 1915 et en France
en 1914, nos ennemis n'avaient obtenu l'avantage
décisif. Ils avaient amplifié leurs entreprises, et il y
avait, entre cette extension conquérante et la pré-
tention d'être en état de défensive qu'ils criaient
à tout moment, une contradiction qui ne pouvait
échapper qu'à eux seuls.
Les divisions que l'on attendait devant Monastir
et qui n'y avaient pas été conduites avaient-elles été
transportées sur le front occidental? Le fait n'était
pas prouvé; il était du moins vraisemblable. Sur
plusieurs points, notamment au Mort-Homme et à la
cote 304, sur la Meuse, ainsi qu'en Alsace, les Alle-
mands, avec des forces importantes, nous avaient
LAROUSSE MENSUEL
tâtés, et la présence, signalée à la fin de janvier,
d'Hindenburg sur le front franco-anglais pouvait
faire penser qu'ils essayeraient de renouveler quelque
part, avec de gros efi'ectifs, le coup de Verdun, afin
d'occuper leur activité pendant l'hiver. Rien ne per-
mettait, fin janvier, d'induire avec quelque certitude
les intentions allemandes et, de notre côté, si une
offensive était préparée, le secret, en
dépit des racontars des gens bien in-
formés qui ne savent rien, avait été
bien gardé.
Du moins, l'hypothèse, très forte dans
la croyance punlique, qu'il se passe-
rait quelque chose d'important de notre
côté, avait-elle donné naissance aux
bruits persistants qui avaient couru
d'une violation par les Allemands de la
neutralité du territoire suisse. On ne
spécifiait rien, et on laissait aux esprits
un peu échauffés par cette supposition
le loisir d'imaginer une invasion alle-
mande vers Le Creusot et Lyon, ou
une marche à travers les Alpes vers
l'Italie. 11 eût été superflu de discuter
la possibibilité d'atteindre ces objectifs,
et les hommes réfléchis et renseignés
se refusaient à prêter aux Allemands
un projet qui restait dans leur manière
et ne présentait aucune contradiction
avec leur mégalomanie, mais qui était
destiné cependant à rencontrer, dans
son exécution en 1917, des difficultés
matérielles et la résistance suisse, qui
eussent été, en 1914, des quantités né-
gligeables. Celte hypothèse venait, mal-
gré tout, à l'appui de l'intention prêtée
aux Allemands d'opérer une attaque
sur le front occidental. — Il n'est pas
inutile, d'ailleurs, de remarquer que les
Allemands ont essayé de donner le
change en nousprêtantànous-mêmesles
mauvais desseins qu'ils se défendaient
d'avoir contre la Suisse. D'autre part, il est inté-
ressant de noter qu'alors que P. Beau, ambassadeur
de France à Berne, d'ordre du gouvernement de la
République, avait expliqué la cause de nos mou-
vements de troupes en Alsace et donné à nos voi-
sins les plus formelles assurances que la France
ne violerait en aucun cas la neutralité helvétique,
le ministre d'Allemagne s'était
borné à faire insérer, dans un
journal de Zurich, une note offi-
cieuse, où il affirmait la pureté
des intentions allemandes. En
tout étal de cause, la Suisse avait
remis sur pied une partie de ses
troupes démobilisées, et, sans
afficher aucune défiance, elle
s'était mise en état de n'être
pas surprise; et elle avait hau-
tement déclaré, à diverses re-
prises, par la bouche de ses
hommes d'Etal, que, de quelque
côté que vint une agression, elle
saurait y résister. Ces craintes
de complications, même en les
tenant pour injustifiées, entrete-
naient un état de malaise et
d'inquiétude. On attendait quel-
que chose, sans savoir quoi. On
sentait très précisément que le
piétinement sur notre front occi-
dental ne pouvait durer. A qui
serait l'ofl'ensive? Prendrions-
nous les devants, attendrions-
nous l'attaque allemande? Nous
tiendrions-nous prêts à une
nouvelle défense de Verdun non
plus seulement « esquissée »,
mais préparée et, par suite, vic-
torieuse avec éclat, épuisante
pour l'ennemi ? Ou recommen-
cerions-nous quelque part une
attaque comme celle de la Som-
me, avec plus d'ampleur, avec
moins d'hésitations et de len-
teurs regrettables, avec les vues
d'ensemble si nécessaires pour
une action large et féconde?
Les deux plans étaient en pré-
sence: ceux-là seuls qui connais-
saient nos forces réelles pou-
vaient choisir.
On ne saurait omettre que, sur
lefiontdel'Kuphrate, dont l'im-
portance est plus grande qu'on ne suppose commu-
nément, les Anglais, dans la région de Kut-el-Amara,
élaient en train de donner de l'occupation aux Turcs
et de réparer leur désastre de 1916. — Ainsi, sur
toute l'étendue de la ligue, les adversaires, afl'ronlcs
dans une sorte d'accalmie, attendaient le moment de
reprendre des luttes que tout le monde considérait
comme devaiilêlre terribles et sans dontedécisives.
Nous avons indiqué un peu plus haut, en passant.
No 121. Mars 1917.
que l'attitude du roi Constantin de Grèce s'était res-
sentie de l'inaction des Allemands en Macédoine. Cela
était venu non sans hésitation et avecune mauvaise vo-
lonté qui a décliné à mesure que le teiAps s'écoulait et
que s'éloignait!' espoir d'un secours germanique. Nous
rappelons que, le 31 décembre, les puissances protec-
trices, auxquelles l'Italie s'était jointe sous certaines
réserves, avaient présenté au gouvernement grec
un ultimatum qui comportait, outre des réparations
précises pour lallental du l" décembre, l'évacua-
tion par les trou-
pes grec^uesde la f-
Thessalie et de
l'Epire, leur des-
cente vers le Pé-
loponèse, enfin
des excuses pu-
bliques.Constan-
tin, à ce mo-
ment, comptait
sans aucun doute
sur une aide ef-
fective de son
beau-frère, elles
agents du gou-
vernement veni-
zeliste en Europe
ne manquaient
pas d'affirmer
que ses hésita-
tions n'étaient
qu'un moyen de
préparer contre
l'armée Sarrail une attaque combinée avec celle de
Falkenhayn. En fait, le 7 janvier, les dépêches d'Athè-
nes montraient le gouvernement hellénique décidé
à résister. Le 5, une conférence interalliée avait réuni
àRomeBriand, Albert Thomas, le général Lyautey,
Lloyd Seorge, lord Milner, le général russe Palidzine,
les ministres ilaliens Boselliet Sonnino. Le premier
résultat de cette conférence fut défaire renouveler à
la Grèce, au nom des quatre puissances de l'Entente
et sans aucune réserve, l'ultimatum du 31 décembre,
avec un délai très court pour répondre. Le 11, une
réponse ambiguë delaGrèce, qui épiloguaitsur cer-
tains points, amenait une démarche colloctive des
représenlanls des puissances, qui ne pouvait laissera
Constantin aucun doute sur la nécessité de se sou-
mettre. Il est trop évident que, dans cet intervalle,
Lurd Millier, membre du Comité de
guerre anglais.
Soldatii anglais portant des muniti'^ns au\ truupus de première ligne, pendant le combat.
il avait, en outre, acquis la certitude que l'Allemagne
ne pouvait rien pour lui à ce nioinenl. De plus, le
blocus des côtes grecques était effectif et élroil, et la
Grèce mourait de faim. Le 17 janvier, l'ultimatum
était accepté dans ses termes et dans son esprit,
l'évacuation de laThessalie se faisait sans entraves,
le contrôle allié se rélablissait, le général Kallaris,
qui avait présidé àl'altcnlal du l"' décembre, était
remplacé; enfin, le 29 janvier, les drapeaux alliés.
«• 12». Mars 1917.
dans une cérémonie militaire au Zappéion, étaient
solennellement salués par les troupes grecques. II
semblait même qu'une détente réelle fut possible, et
la dissolution des ligues de réservistes, si elle était
efTective, pouvait permettre d'espérer que la royauté,
privée de tout moyen de résistance, sans appui exté-
rieur, obligée k la prudence par la nécessité du ra-
vitaillement de la population, allait revenir h une
appréciation plus juste de sa situation réelle.
Au surplus, le roi Constantin n'est pas le seul qui
se soit trompé en cette affaire. Chez les Alliés, en
France, en Italie, l'opinion a été très divisée sur la
question grecque. Beaucoup n'ont pas compris les
ménagements et la longanimité dont on a usé à
l'égard d'un souverain qui a montré des roueries et
une absence de scrupules singulièrement périlleuses
pournotre sécurité. Beaucoup eussentpréféré la ma-
nière forte et ont accusé le gouvernement français
de mollesse ou de complaisance. Nous avons déjà fait
remarquer que la France avait à compter avec ses
alliés qui, eux, avaient des raisons personnelles de
ne pas molester le roi Constantin et de ne pas com-
promettre la solidité de sa couronne. Mais il est
un autre point de vue qui parait avoir totalement
échappé à un grand nombre de nos concitoyens:
la position des Alliés vis-à-vis de la Grèce, petit
Etat neutre, était particulièrement difficile. On avait
depuis de longs mois négocié avec elle ; avec son
consentement, ou du moins sans qu'elle eiit opposé
aucune résistance de nature à faire passer cette oc-
cupation pour un coup de force, on occupait une par-
lie de son territoire. Pouvait-on abuser de cette si-
tuation et d'une incontestable supériorité militaire
pour l'obliger à renoncer à toute personnalité; bien
plus, pour modifier son gouvernement et, comme
certains le souhaitaient, pour meiiiicer la cou-
ronne de Constantin ? Quelle autorité, dans une
semblable hypothèse, serait restée aux Alliés pour
parler au nom de la liberté des peuples et pour pro-
tester contre la violation des droits des neutres, si
largement pratiquée par l'Allemagne? Pour qui-
conque réfléchit, la politique des Alliés fut la seule
possible. Constantin n'en a jamais douté, cl c'est as-
surément ce qui l'a encouragé dans son entreprise.
La patience des Alliés leur a, certes, créé de sé-
rieuses difficultés. Il est possible qu'elle leur en crée
d'autres encore. Il serait fort regrettable qu'ils
changeassent de méthode. Les événements de Grèce
n'en avaient pas moins été, chez nous, l'occasion d'un
nouveau comité secret à la Chambre des députés.
Le 27 janvier, par 313 voix contre 135, la Chambre
avait approuvé la politique du gouvernement. —
La question grecque, à la lin de janvier, était donc
une fois de plus ramenée à ses vraies proportions.
En dépit de tout, la vigilance la plus étroite restait
nécessaire. 11 fallait respecter la neutralité et
l'autonomie grecques, tant que ne serait pas mani-
feste le dessein de les exploiter contre nous. Il est
de toute évidence que les événements du l^' dé-
LAROUSSE MENSUEL
l'Allemagne et qu'aucune illusion n'était possible,
pour aucun citoyen sensé, sur le but visé par nos
ennemis. Mais la Note allemande du 12 décembre
1916 et la Note du président Wilson du 22 décembre
n'en avaient pas moins posé si nettement laquestion,
l'Allemagne, d'au-
tre part, a un tel be-
soin et un si ardent
désir de la paix,
qu'il était impossi-
ble que la contro-
verse engagée ne
fût pas continuée.
F.lle s'est en effet
étendue sur tout le
mois de janvier par
une série de docu-
ments qu'il impor-
te de dénombrer et
(I analyser sommai-
rement. Ce sont,
par ordre de date :
la Note des Alliés
du 11 janvier en
réponse à la Note
Wilson et la Note
belge qui l'accom-
fKigne; la Note al-
emande et la Note
conjointe austro -
hongroise de la
même date, en ré-
ponse à celle des
Alliésdu31 décem-
bre 1916, qui ne fu-
rent publiées à Pa-
ris que leSjanvier;
la proclamation de
Guillaume II à son
peuple du 13 jan-
vier; la lettre du
16 janvier du mi-
nistre anglais Bal-
four à l'ambassa-
deur d'Angleterre
à 'Washington, où
est commentée la
Note Wilson du
22 décembre 1916;
la lettre adressée
le 3 octobre 1916
par Guillaume II à
Bethmann-Holl-
weg et publiée seu-
lement le 15 janvier 1917; le message du président
Wilson au Sénat américain le 22 janvier ; enfin, le
31 janvier, le discours de Belhmann-Hollweg à la
grande commission du Reichslag ; la Nota aux
Etals- Unis en réponse au message Wilson du
63
origines de la guerre et la barbarie avec laquelle elle
l'a conduite; elle précise les buts de guerre de l'En-
tente : restauration de la Belgique, de la Serbie, du
Monténégro et réparation pour le dommage qui
leur a été causé ; — évacuation des territoires envahis
La messe de minuit au fort rie Douaumont. (Noël 1916.)
cembre avaient, à ce point de vue, atteint la limite
extrême qui ne pouvait être dépassée.
Bien plus que de la question grecque, qui n'était
cependant pas négligeable et qui fut, en outre, pour les
pêcheurs en eau trouble une occasion durable d'in-
trigues fâcheuses, la paix occupa, pendant le mois
de janvier, l'opinion publique. Quand nous écrivons
ce mot, il est bon de s'entendre. Nous avons déjà
dit le mois dernier que personne, sauf quelques
incurables aveuglés par un internationalisme cri-
minel, ne s'était laissé prendre aux manœuvres de
chien de liaison français protégé par un masque, comme ses maîtres, allant en sécurité sur le front: à
travers le» fumées mortelles. — Cuien de guette français muni du masque contre les gax asphyxiants.
en France, en Russie, en Roumanie, avec les dédom-
magements qui leur sont dus ; — réorganisation de
l'Europe fondée sur le respect des nationalités et le
droit de tous les peuples, petits ou grands, à un
lilire développement économique; — libération des
Italiens, des Slaves, des Roumains et des Tchéquo-
Slovaques de la domination étrangère' — reslilu-
tion des provinces autrefois arrachées aux Alliés
par la force ou contre le vœu des populations ; —
affranchissement des peuples soumis à la sanglante
tyrannie des Turcs; — rejet hors d'Europe de l'em-
pire ottoman, décidément étranger à la civilisation
occidentale. Elle confirme, en outre, les inten-
tions de la Russie à l'égard de la Pologne; elle
déclare que les Alliés ne poursuivent pas l'exlermi-
nation des peuples allemands et leur disparition
fiolitlque; ce qu'ils veulent, c'est assurer la paix sur
es principes de liberté et de justice, sur la fidélité
inviolable aux obligations internationales dont n'a
cessé de s'inspirer le gouvernement des Etals-Unis.
— Celte Note, très courtoise, déférente même envers
le président 'Wilson, terme et serrée dans la forme,
très élevée et entièrement désintéressée dans le
fond, fut bien accueillie aux Etats-Unis, oJi l'on fut
sensible à la bonne loi des Alliés, qui n'avaient pas
hésité à répondre aux suggestions de 'Wilson. Elle
parvint, d'ailleurs, à Washington — et cette circons-
tance ne fut pas pour diminuer l'effet de la ndlre —
en même temps qu'une nouvelle Note dans laquelle
le gouvernement allemand éprouvait le besoin de
répondre à notre Note du 30 décembre 1916. La
cliancellerie de Berlin y développait sa thèse favo-
rite : les Alliés responsables de la guerre, les enne-
mis de l'Allemagne foulant aux pieds les droits eties
conventions, la Belgique coupable d'avoir violé la
neutralité, enfin, l'.-Ùlemagne loyale ne demandant
que la réconciliation, subissant la continuation de
la guerre, ne recherchant pour ses peuples que l'hon-
neur et la liberté, ne soubaitantqu une paix qui don-
nât « aux autres peuples du continent européen le
bienfait du travail commun pour la solution des
grands problèmes de la civilisation, dans le respect
mutuel et dans l'égalité des droits »,
L'Allemagne ne pouvait laisser sans une réponse
immédiate la Note alliée du 11 décembre. E31e la
donna dans une proclamation violente de Guil-
laume II à son peuple, où, dénaturant entièrement
la réponse alliée, il feint de croire que l'Entente a
<■ une rage de destruction, un désir, une soif de
conquêtes dont la bassesse est encore accrue par
22 janvier et la Note aux neutres annonçant et dé-
finissant le blocus.
On sait avec quel laconique dédain les Empires
centraux avaient répondu à la Note du 22 décem-
bre 1916, dans laquelle le président Wilson priait
les belligérants d'exposer leurs buts de guerre. Les
Alliés n'avaient eu garde de commettre la même
faute. La Note du 11 janvier rend hommage aux
sentiments qui ont inspiré le président Wilson et
dissipe toute équivoque sur ses intentions ; elle
rappelle la responsabilité de l'Allemagne dans les
64
les calomnies et les motifs invoqués », qu'elle re-
cherche « l'écrasement de l'Allemaf?ne, le démem-
brement de ses alliés, l'asservissement de la liberté
en Europe »; il y fait appel à l'indignation brûlante
et à la sainte colère de tous les Allemands, •■ hommes
di
l
l);iii.s les %!->.>„' , iMh',;. li;ui^ais dissimulii sous un abri couvert
l'iiol. Wyadhaiii.
etfemmes » ; il termine, naturellement, par une invo-
cation au Dieu qui « a mis au cœur de ses braves
peuples le glorieux esprit de liberté ». Ce document
[ui joint à l'exaltation, à la grandiloquence, à l'abus
es épithètes, lesquelles sont les caractéristiques du
style de Guillaume II, une rare effronterie, n'a pas
d'autre but que de rejiter sur l'Entente toutes les
responsabilités de la guerre et de frapper fort sur le
moral allemand. 11 a été, peu de jours après, appuyé
par la publication d'une lettre étrange, que le kaiser
aurait écrite au chancelier Bellimann-Hollweg, le
31 octobre 1916, pour l'inviter à préparer des
proi)Ositions de paix et qui, pour des raisons qu'on
ne s'explique pas et permettant tous les doutes
sur sa date réelle, ne fut pas alors rendue publique.
Cette lettre, où Guillaume 11 ne se ménage pas les
nalités qui doivent le présenter comme une sorte
e surhomme inspiré de IJieu et puisant en lui une
force surnaturelle, avait pour but de montrer à l'Al-
lemagne et au monde à quelle haute inspiration, à
quelle volonté de libérer le monde de ses souffran-
ces Guillaume II avait obéi en proposant des né-
gociations de paix, <i sans s'inquiéter de toute fausse
interprétation possible ou voulue de son action ».
Entre les deux documents dont nous venons de
parler et la lellre écrile par le ministre des affaires
étrangères britannique Balfourà l'ambassadeur de la
Grande-Bretagne a Washington, le contraste est sai-
sissant. Autant le Ion enllammé et vaticinaleurde Guil-
laume II inspire la défiance, autant l'argumentation
simple et solide du ministre anglais nous maintient
dans la réalilé et la vérité. Sur la question de la Tur-
quie et de sa prétendue rénovation sous la direction
du comité « Union et Progrès», sur la responsabilité
de l'Allemagne ctde l'Autriche, sur le sortde la Belgi-
que et les conclusions générales qu'on en doit tirer,
sur la nécessité d'empêcher l'Allemagne de recom-
menrer, sur l'infériorité des traités internationaux,
Balfour dit ce que le plus ferme bon sens peut inspi-
rer à un homme d'Etat qui n'est qu'un homme et dont
la fréquenlationdu Dieu allemand n'a pas dérangé
l'esprit, ni corrompu la conscience. En même temps,
il essaye de faire comprendre que l'impartialité un
peu inâiiïérente aux contingences du présent qui avait
dicté àWilson sa Note de décembre 1916 ne saurait,
à l'heure actuelle, procurer au monde la paix et
les réformes internationales, lesquelles ne peuvent
reposer que sur une « sanction internationale qui
arrête les agresseurs les plus téméraires » ; il établit,
en outre, la nécessité de réduire ou d'éliminer les
causes exislanles de trouble inlernational, comme
aussi « de discréditer les buts agressifs et les mé-
thodes sans scrupule des puissances centrales », et
il conclut que « la paix future ne peut être durable
que si elle est basée sur le succès de la cause des
Alliés. »
LAROUSSE MENSUEL
Il semblerait que Balfour ait répondu par avance au
message que le président Wilson, désireux de pré-
ciser sa pensée et de délimiter le terrain de la discus-
sion, a lu au Sénat américain le 22 janvier. Cet exposé
dogmatique, d'une très haute inspiration, développe
d'abord celte idée que les Etats-Unis
vont avoir un rôle à jouer, qu'ils ne
peuvent s'y dérober, mais qu'ils doi-
vent exposer dans quel esprit et à
quelles conditions ils sont disposés à
le jouer. Us ne peuvent, suivant le
président Wilson, s'entremettre que
pour une paix qui mérite d'être défin-
due, c'est-à-dire une paix sans victoire,
une paix qui ne soit pas imposée au
perdant au prix d'un sacrifice intolé-
rable, au milieu de l'humiliation, sous
le coup de la contrainte qui laisserait
après elle une blessure, un ressenti-
ineul, un souvenir amer. Il faut, selon
lui, que cette paix établisse l'égalité
des nations, fondée sur l'égalité des
droits, elle président Wilson conlinue
ainsi :<c Aucune paix ne peutdurer nine
devrait durer si elle ne reconnaît et
n'accepte le principe que les gouver-
nements dérivent tons leurs pouvoirs
légitimes du consentement de ceux qui
sont gouvernés et que nul n'a le droit
de transférer les peuples d'un potentat
à l'autre, comme s'ils étaient une pro-
priété. Ainsi je consiilèr*,dil-il, comme
acquis qu'en tout pays les hommes
d'Elat sont d'accord pour considérer
qu'il doit exister une Pologne unie,
indépendante et autonome, et que, dé
sormais, une inviolable sécurité de vie,
'ji^ ij» de culte, de développement industriel
jr^jKj^, et social doit être garantie à tous les
j»*f»v peuples qui ont vécu jusqu'à présent
sous la domination de gouvernements
dont la croyance et le but étaient
hostiles aux leurs. » Il proclame donc la
nécessité de la liberté des mers, de la
limitation des armements, de l'indé-
Jo nei^e pendauce politique des peuples, et il
° ' déclare que ces principes sont les seuls
que les Etats-Unis puissent soutenir.
Ce sont déjà, termine-til, « les principes et la poli-
tique de ceux des hommes et des femmes qui, dans
toules les parties du monde, regardent en avant, les
principes de toute nation vrai-
ment moderne, de toutes les
collectivités humaines qui ac
cueillent la lumière. Ce sont
les principes de l'humanité, et
ils doivent prévaloir ».
Cette haute dissertation sur
les droits des nations, qui
n'est pas sans avoir une sorte
de caractère religieux et cadre
bien avec le tempérament du
président Wilson, avait été
accueillie chez les Alliés avec
déférence, mais avec quelque
scepticisme, chez les Alle-
mands non sans colère. Elle
n'avait produit en Allemagne
sur les esprits aucun effet pra-
tique, et les documents du
31 janvier le prouvent abon-
damment. Le 31 janvier, en
effet, le chancelier Bethmann-
Ilollwegprononçait devant la
grandecommission des affaires
extérieures du Heichstag, réu-
nie tout exprès, un discours
où, se souvenant de son mot
récent : a L'homme d'Elat
qui n'emploierait pas tous les
moyens de résister mériterait
d'être pendu », il annonçait,
après avoir examiné la situa-
lion faite par les Notes de
l'Entente, qu'il n'y avait plus
à hésiter sur l'emploi, au nom
de l'humanité, des procédés
les plus inhumains et que
partout la guerre sous-ma-
rine, sans aucune réserve,
allait être reprise. A l'appui
de ce discours, il avait lu une
Note en réponse au message
du président Wilsondu 22 jan-
vier. Celte Note, d'où une
lourde ironie n'estpas exclue,
essaye de répondre à certains
arguments de Wilson, notam-
ment à celui qui concerne la
Pologne, par une attaque maladroite contre la poli-
tique anglaise à l'égard de l'Irlande et des Indes. Puis
elle semble se rallier aux théories américaines sur
le danger des alliances et sur la liberté des mers
considérées, bien entendu, du point de vue germa-
«• 121. Mars 1917.
nique; elle tente une fois de plus de démonirer que
c'est l'Allemagne, injustement et inhumainement
attaquée et affamée, qui a le droit de se défendre
par tous les moyens; pour la première fois, elle
afiirme que l'Empire n'a pas l'intention d'annexer
la Belgique; enfin, comme conclusion, elle annonce
que le gouvernement impérial « est décidé à abolir
les restrictions qu'il s'était imposées jusqu'ici dans
l'emploi de ses moyens de combat sur mer, dans
l'espoir que le peuple américain et son gouverne-
ment comprendront les causes de sa décision e(
sa nécessité » ; elle ajoute que le gouvernement im-
périal espère que les Elats-Unis « aideront aussi à
empêcher de nouveaux maux et des sacrifices de
vies humaines » et qu'ils déconseilleront » à leurs
ressortissants et aux navires américains de commu-
niquer avec les ports des eaux déclarées prohibées ».
En même temps que cette Note était remise à
Washington, les gouvernements allemand et aus-
tro-hongrois la faisaient remettre également, avec
quelques différences de forme, aux antres puissances
neutres. Ils annonçaient que le blocus allemand
était établi à partir du 1" février de façon à in-
terromjjre le trafic marilime autour de l'Angle-
lerre, de la France et de l'Italie, ainsi que dans la
Méditerranée orientale; les navires neuires mouil-
lés dans les ports des zones prohil)ées étaient auto-
risés à quitter ces ports avant le 5 février et à sui-
vre des routes plus courtes pour arriver aux eaux
libres; enfin, un mémoire annexe indiquait les
limites du blocus et les voies laissées libres. Il
accordait, en outre, à un vapeur américain, à con-
dition qu'il adoptât une peinture spéciale de la
coque, qu'il suivît une direction fixée et qu'il
abordât au port de Ealmouth, l'autorisation de
faire nn voyage par semaine entre les Elats-Unis
et l'Angleterre; même latitude était laissée à un
bateau à roues pour un voyage par semaine entre
la Hollande et l'Angleterre.
Il n'est pas sans intérêt de constater que ces di-
vers documents ont été immédialeinent comme il-
lustrés par le rescrit impérial publié en réponse
aux vœux adressés à Guillaume II à propos de son
anniversaire de naissance et par un télégramme
que l'empereur allemand envoya au gouverneur
du Brandebourg. Le kaiser, pour cxciler l'enthou-
siasme de ses peuples, parla une fois de plus
de <i l'indignation ressentie en présence du rejet
méprisant de son offre de paix et des honteux des-
seins de ses ennemis » ; il demande à tons ses
sujets les efforts les plus grands, et il affirme sa
Les casuuatcii du l'orL de Vaux, repris jjar les Iruupes rraii.,aiacs.
confiance en Dieu et en sa bonne épée. On sent là
l'appel suprême.
I ,es différents documents que nous venons d'analy-
ser sont des pièces capitales dans le procès que l'his-
toire jugera. Ceux qui l'étudieront plus tard avec
«• 1?l. Mars 1917.
ENTRE RHIN ET DOUBS
65
66
plus de sang-froid que nous n'y pouvons metlre, mal-
gré noire désir d'impartialité, seront certainement
frappés des différences de ton et de précision qui
les caractérisent. Autant la Note des Alliés au pré-
sident Wilson est calme, franche, forme, sans
obscurité ni phraséologie oiseuse, comme l'était
d'ailleurs déjà la Note du 31 décembre 1916, autant
Culuune de trains de mautagiic auBlro-hoiigrois, avec traîne,
les Notes allemandes sont verbeuses, ampoulées,
pleines d'allusions perfides, de calomnies et de me-
naces. C'est que la position des Alliés est aussi
beaucoup plus claire que celle des Empires centraux.
Depuis le premier jour de la guerre, ils se défen-
dent, et le miracle est qu'ayant été pris au dépour-
vu, en plein rêve de paix, ils aient pu résister et li-
miter étroitementle succès que l'Allemagne escomp-
tait foudroyant. Les Empires centraux, au contraire
et malgré leurs protestations d'innocence outragée,
ont dû, pendant plus de trente mois, ergoter sur les
responsabilités de cette guerre, sans pouvoir les re-
jeter sur leurs adversaires. A mesure que la guerre
durait et que leur situation économique plus pénible
leur en faisait davantage désirer la fin, à mesure
que la barbarie de leurs procédés à l'égard des po-
pulations civiles leur aliénait davantage l'opinion
publique, ils ont senti le besoin de poser la question
d'une autre façon et, s'il était possible, de la retour-
ner contre nous. Ils ont cru trouver une solution in-
génieuse dans leurs prétendues propositions de paix
■au 12 décembre 1916, que leur imprécision voulue
«ondanmait d'avance, ils ne pouvaient en douter,
i un insuccès total. La Note du 31 décembre 1916,
puis celle du 11 janvier 1917, leur ont fourni l'argu-
ment cherché. A partir de ce moment, l'AUemagni;
a cru pouvoir infiuencer l'esprit des neutres en se
posant en victime dudroitdes peuples ; elle a adopté
dans sa propagande la position défensive, et elle a
mis au compte de ses adversaire les projets d'an-
nexions qu'elle n'a cessé, toute sa presse en fait foi,
de nourrir elle-même. L'Entente, dévorée delà soi!
des conquêtes, altérée du sang de ses ennemis, ne
rêvant que leur extermination, danger permanent
pour tous les neutres; l'Allemagne, opprimée, me-
nacée dans son existence, champion de la liberlé
des peuples et des mers ; ses alliés exposés aux pires
démemljrements, telle a été la thèse. Elle était à la
mesure un peu grosse de la psychologie allemande.
Elle n'était pas sans habileté, si l'on tient compte
des complicités innombrables qu'une organisation
savante assurait à l'Allemagne chez les neutres et de
LAROUSSE MENSUEL
la lassitude que marquaient ceux-là même qui souf-
fraient le moins de la guerre. Certains arguments
puisés dans les Notes américaines et, comme il est
toujours possible, habilement retournés, n'ont fait
que fortifier la thèse et, grâce à des artifices de style
et à beaucoup d'épithètes gonflées, ont permis à
l'Allemagne de se dresser un piédestal d'où elle es-
pérait dicter sa loi aux
neutres terrorisés.
Tel fut le but de ses
Notes du 31 janvier,
qui, à les regarder de
près, ne sont pas autre
chose que l'acte d'un
pays qui joue sa der-
nière carie et une vé-
ritable déclaration de
guerre aux neutres. Eu
interdisant à ceux-ci
tout commerce avec
l'Angleterre, la France
et l'Italie, l'intention
avouée de l'Allemagne
est d'enlever à ses en-
nemis tout moyen de
ravitaillement en vi-
vres et en munitions.
Or, un pareil blocus
est pratiquement im-
po.ssible. Outre que des
opérations de cegenre,
conçues en grand, ont
toujours échoué, faute
de moyens d'exécution
suffisants et efficaces,
l'Allemagne, en dépit
des déclarations de son
chancelier, n'avait pas
assez de sous-marins
pour faire, d'une façon
durable, après lel"' fé-
vrier, beaucoup plus
que ce qu'elle faisait
avant. Il faut réfléchir
que, déjà, les marines
neutres avaient beau-
coup soufi'ert de la
guerre sous-marine. La
marine norvégienne,
notamment, avait été
très éprouvée, et le
gouvernement norvé-
gien avait dû prendre
des mesures contre les
prétentions insoutena-
bles de l'Allemagne en
faveur de ses sous-ma-
rins. La marine espa-
gnole avait fait de
grosses pertes ; le blo-
cus des côtes d'Espa-
gne, celui des Cana-
ries avaient été en fait pratiqués par les Alle-
mands sans aucun respect des droits de l'Espagne
et des lois internationales, sans aucun égard pour
la générosité du roi d'Espagne. A diverses reprises,
la Hollande avait eu à se plaindre gravement des I
N' 121. Mars 1917.
nait la question du point de vue de l'exécution prati-
que, on était amené à considérer que l'Angleterre,
possédant encore un tonnage commercial énorme,
supérieur, malgré ses pertes, à celui de 1914 et
ayant, depuis deux ans, fait un effort fécond pour
augmenter sa marine de guerre et ses procédés de
défense sous-marine, le rôle élargi que l'Allemagne
assignait à ses sulimersibles, même du dernier mo-
dèle et à grand rayon d'action, n'allait pas sans de
graves dangers pour elle. L'Angleterre avait annoncé
le blocus d'Heligoland. Si ce blocus devenait effectif
— et rien ne prouvait qu'il ne piit l'être — la route
d'aller ou de retour des sous-marins devait se trouver
très difficilement praticable, étant impossible que
tous les sous-marins allemands aient, en dehors
de leur port d'attache, des bases suffisautesde ravi-
taillement et de réparation. Par suite, s'il fallait
s'attendre à une période de début un peu rude, où
toutes les marines, y compris celle des Allemands,
subiraient des dommages sérieux, on était fondé à
penser que, cette période de première application
passée, lesdilficultés seraient beaucoup plus grandes
du côté allemand que du côté allié ou neutre. En
outre, il y a lieu de rappeler ce que nous avons déjà
dit : c'est que le mal fait auxAlliés et aux neutres ne
procure qu'un résultat négatif et ne calme en rien les
souffrances économiques de l'Allemagne. — Il reste,
en fin de compte, que les déclarations du 31 janvier
étaient un blulf de joueur mal engagé, qui ne pouvait
amener une solution. L'Allemagne la chercherait-
elle alors dans une sortie de sa fiolte de haute mer?
Aucune réponse ne pouvait êtrefaiteàcettequestion.
Il était permis, par contre, de se demander comment
lesneulres prendraient lesprétentions de l'Allemagne
à régenter les mers. Accepteraient-ils (le se soumettre
à ses exigences ? Renonceraient-ils à se ravitailler
eux-mêmes pour l'aider à réduire ses ennemis et
accepteraient-ils de souffrir pour elle et par elle?
Se résigneraient-ils à abandonner le profit certain
que leur procurait leur commerce considérable
avec les Alliés, uniquement pour réserver à l'Alle-
magne, après la guerre, la prépondérance maritime
qu'elle recherche? Le moment n'était-il pas Tenu,
que nous avons souvent annoncé ici, où tous les
neutres allaient être obligés, d'une façon quelconque,
de prendre parti? Que ferait l'Espagne, qui n'a pas
renoncé à devenir l'arbitre de la paix et qui ne le
peut qu'en conservant son entière liberté? Que
feraient les Etals-Unis? Cette dernière question
était, de toutes, la plus importante, et les décisions
du président 'Wilson étaient attendues par le monde
entier.
Aucune puissance n'était plus directement atteinte
que les Etals-Unis par la résolution qu'annonçait
l'Allemagne de renoncer à toute restriction dans la
guerre sous-marine. C'était à la suite des Noies
américaines, après la Lusilania et le Sussex, que
l'Allemagne s'était engagée à ne pas torpiller sans
avertissement les navires marchands et à assurer le
sauvetage des équipages : promesses bien illusoires
et souvent violées, mais qui, à l'égard des Etals-
Unis, n'avaient donné lieu à aucune contestation
aiguë. Or, c'était ce modus Vivendi lui-même que
l'Allemagne dénonçait brutalement, sans négocia-
tion préalable, sans atténuation. Elle aggravait son
acte discourtois de prétentions singulièrement offen-
santes pour la dignité américaine : elle dictait des
radeau. <ie canons légers de marine
les cotes dune île de la Méditerranée.
procédés de la marine allemande. Nous ne rappelons
pas les crimes abominables de la Lusilania et du
Sussex. A regarder donc les choses de sang-froiil,
il était impossible de ne pas conclure qu'en ce qui
concerne les marines alliées, qui ont des moyens de
défense, il n'y avait rien de changé et qu'en ce qui
concerne les marines neutres, il n'y avait qu'un acte
de brutalité de plus à leur égard. Que si l'on exami-
lois à la navigation américaine; elle entravait, sans
ménagement, le commerce américain; elle menaçait
directement les vies américaines 11 était impossible
d'imaginer une provocation plus personnelle et plus
outrageante. 11 serait inexplicable que l'Allemagne
ait pris une semblable position si l'on ne se rendait
pas compte que l'opinion publique allemande était
très irritée contre les Etats-Unis. Elle leur imputait
H' 121. Mars 1917.
le ravitaillement de l'Angleterre et des autres Etats
de riiiitente en vivres, en munitions, en métaux,
en produits destinés aux fabrications de guerre.
Elle les regardait comme responsables de la misère
de l'Allemagne et de ses difficultés. Le point de vue
allemand est très spécieux et, plus encore que
nous, les Allemands supportent mal qu'on ne soit
pas avec eux. Même si on leur lient la balance
égale, ils estiment qu'on leur lait tort. Il leur avait
paru qu'il n'y avait plus aucun
ménagement à garder & l'égard
des Etats-Unis et que même
leur hostilité déclarée valait
mieux que leur neutralité. 11 a
fallu que cet état d'e^prit fût
bien fort pour que le chancelier
Bethmann-ilollweg, qui n'élait
pas partisan de la guerre sous-
marine à outrance, se soit dé-
cidé, après des luttes Intérieu-
res que nous ne pouvons que
soup(;onncr, à entrer & fond
dans les méthodes de Tirpitzet
des pangermanistes. Tout cela
explique le geste allemand. La
répon;<e à faire n'en était pas
plus facile.
Le président 'VVilson avait-il
espéré autre chose? 11 est per-
mis de le croire. Son éloquente
et idéaliste Déclaration du 22jan-
vier nous le montrait monté à
des hauteurs où la vérité abso-
lue lui apparaissait seule; d'où,
aussi, les traditions historiques,
les antagonismes séculaires et
les passions humaines n'étaient
plus pour lui que des nébuleuses
perdues dans la profondeur des
temps. On a pu s'étonner, en
elTet, que le chef de la grande
Bépublique américaine ait pu
concevoir le rôle de l'Amérique
en dehors de toutes les contin-
gences européennes et ait paru
ignorer ou négliger les condi-
tions essentielles de la forma-
lion, de l'existence, des affini-
tés ethniques ou économiques,
des groupements essentiels des
Etals du vieux monde. N'en
est-il pas résulte que son inter-
vention, qui aurait pu être un
élément de résistance pour lo
droit méconnu, en aperdu quel-
que autorité et a semblé une
manilestation dephilosophe plu^
que l'acte d'un homme d'Etat?
On peut se demander, pourtant,
si cette apparente omission des
réalités n'a pas été voulue et
si le président 'Wilson, dans
sa Déclaration comme dans ses précédentes Notes,
n'a pas prétendu faire avant tout un acte améri-
cain pour lequel les luttes de l'Europe sont loin-
taines. Il y aurait eu là, il faut le dire, une grave
erreur de jugement. L'Amérique n'a pas le pou-
voir, le voulût-elle, de s'isoler. Elle est liée à
l'Europe par tous les liens du sang, de la polilique,
de la finance et du commerce. Quelles que soient
ses conceptions théoriques, elle est, dans la prati-
que, entraînée, plus que jamais, dans le même cou-
rant qui emporte tous les peuples. C'est précisément
ce qui rendait difficile, presque tragique, la décision
à prendre par le président 'Wilson. Obéirait-il ii
l'Allemagne ? Se résoudrait-il à la guerre ? Atten-
drait-il des actes de violence? Proclamerai l-il les
droits intangibles des Etats-Unis? Les ayant pro-
clamés, les défendrait-il autrement que par des pa-
roles et des écrits? Les Etats-Unis ne s'étaient pas
trouvés, depuis la guerre de Sécession, dans une
situation plus grave. C'est leur rôle dans le monde
qui se jouait. Cette chronique, qui s'arrête exacte-
ment au 31 janvier, ne pouvait en dire plus.
Les graves questions internationales qui s'étaient
disculées pendantle mois de' janvier n'avaient pas.
en certains pays, amené la trêve désirable des in-
trigues intérieures. Tandis qu'en Angleterre la tenue
avait été parfaite et que la conférence travailliste
de Manchester, le 23 janvier, avait montré tout le
parti uni dans une seule pensée, tandis que les préoc-
cupations des ministres, traduites par divers discours
retentissants, en particulier ceux de Lloyd Geor^'e,
le 12 janvier, et celui de Bonar Law, à Belfast, le
24 janvier, étaient uniquement tournés vers la
guerre, en Russie et en France, les crises de gouver-
nement avaient in(|uiété l'opinion. — En Russie, les
remaniements ministériels avaient continué. Après
quelques semaines d'exercice du pouvoir, Trépof
avait été remniacé par Galilzine; Ignalief avait, au
mioistère de l'instruction publique, cédé la place à
Koulchitski ; Markhof avait quitté celui de la jus-
tice à la suite de l'affaire Manowilof, où était com-
promis Sturmer; le même Sturmer avait été rappelé
LAROUSSE MENSUEL
et adjoint au ministère des affaires étrangères le
général Cbouwaïef, minisire de la guerre, s'était
retiré devant le général Belaïcf; Pokrowski et Bark,
ministres des affaires étrangères et des finances,
avaient été mis en congé; Sa/onof avait été nommé
ambassadeur à Londres; enlin, la Douma avait été
ajournée à un mois. Ces événements, dilficiles à
comprendi'o, mais qui dénotaient un troulile dans la
direction gouvernemenlale et une orientation plutôt
MariDS italiens posant des mines dans l'Adriatique.
réactionnaire et bureaucratique, restaient fort obs-
curs en l'état de nos inl'ormalions. — La Russie
est un pays que nous avons de la peine à compren-
dre. Il est avéré que l'étrange moine Raspou-
tine, assassiné à la fin de décembre dans un dîner
chez le prince "Youssoupof, allié proche de la famille
impériale, avait joué, dans le monde de la cour et
dans le gouvernement, un rôle incompréhensible
pour nous, très facile à deviner pour qui connaît le
mysticisme compliqué du cerveau russe, la crédulité
superstitieuse des masses populaires, la corruption
67
que les ministères Trépof et Ualitzine semblaient
vouloir écarter. On eût, malgré cela, désiré un peu
plus de lumière et de certitude sur les tendances
intérieures et les mouvements politiques de l'im-
mense et mystérieuse Russie.
11 est pénible d'avoir à constaterqu'en France, nous
ne pouvions, lin janvier, nous décerner un témoi-
gnage de modération et de prudence dans l'histoire
de notre politique intérieure. Nous n'avions pas
eu de crise ministérielle, mais ce n'était pas faute
que les ambitions surexcitées ne s'y fussent em-
ployées. Ni les incertitudes de la situation diploma-
tique, ni les souffrances que l'hiver et la gêne de
nos moyens de transport apportaient à la crise éco-
nomique de la nation, ni l urgente et évidente né-
cessite de l'union devant les coupsde désespoir pos-
sibles de l'Allemagne n'avaient découragé les intri-
gants, pressés de
jouer un rôle, ou
les fous déchai-
nés en pleine li-
cence parlemen-
taire. On était
obligé, pour peu
qu'on ne se payât
pas de mots,
d'êtrcattentifanx
bruits dissol-
vantsquelesofli-
cieux faisaient
circuler derrière
la façade des
scrutins favora-
bles, etlegouver-
nement, assourdi
par le bourdon-
nement des mou-
ches du coche,
avait un rare mé-
rite & tenir l'oreille largement ouverte aux bruits
inquiétants qui lui venaient de l'extérieur. Mime la
rentrée du Parlement, h. côté de la sagesse patrio-
tique des paroles prononcées par le président du
Sénat, avait donné à la Chambre le spectacle inu-
sité d'un discours présidentiel étrangement par-
tial. Le Parlement continuait à se faire de fâ-
cheuses illusions sur son rôle réel et sur l'opinion
qu'on avait de lui. Pour tout dire, il confondait
le parlementarisme, qui n'est qu'un conflit dé-
sordonné d'ambitions et une coalilion misérable
d'intérêts privés, avec le régime parlementaire, qui
est un système régulier de gouvernement, basé sur
la collaboration des pouvoirs publics dans la limite
des lois, fondé, non sur l'influence malsaine de quel-
ques individus sans moralité et sans principes, mais
sur l'intérêt public et sur le droit national. On ne
pouvait que faire des vœux pour que l'esprit de
sagesse descendît sur le Parlement, sans grand es-
poir, d'ailleurs, que ".a force des habitudes qui pèsent
comme une tare sur nos mœurs politiques permit
que ces vœux fussent exaucés. Cependant, les enfants
de France, par un hiver terrible, continuaient en
silence leur garde austère dans les tranchées. Ceci
consolait de cela. — Juie» Oerbault.
Impôt sur les bénéfices de guerre
(sut/e). 'VI. 'Vérification des déclarations. — Com-
mission départementale. — Les déclarations sous-
crites par les redevables sont soumises à l'examen
d'une commission siégeant au chef-lieu de chaque dé-
partement et qui est chargée d'établir l'impôt dans le
département. Cette commission est dite «commission
i de taxation ■ ou « commission du premier degré ».
Le prince Galitziae.
'Ici troupes bril&niUques on Mésopotamie.
de la société cultivée. Il n'est nullement impossible
que le drame du palalsYoussoupof, qui, chez nous, fût
resté un fait divers bruyant de la chroni'|ue scanda-
leuse et judiciaire, ait été, en Russie, le résultat et le
point de départ d'intrigues graves et étendues. Sans
doute, le rescrit du tsar, du 21 janvier, avait affirmé,
avec la volonté de poursuivre la guerre jusqu'au
bout, la nécessité, pour le gouvernement, de lier son
action à celle de la Douma et à celle des zerostvos,
En principe, il doit y avoir une commission par
département; mais, en cas de nécessité, un arrêté
du ministre tles finances peut en instituer plusieurs
dans un même département, en fixant le siège et la
circonscription de chacune d'elles.
La commission déparlomenlale se compose uni*
quement de fonctionnaires départementaux des fi-
nances. Chaque commission est présidée par le fonc-
tionnaire le plus élevé ou le plus ancien en grade.
68
Droits et attributions de la commission dépar-
tementale. — La commission départementale fixe
l'assiette et la quotité de l'impôt.
Dans ce but, elle contrôle les déclarations sou-
scrites et, s'il y a lieu, elle les rectifie.
L'article 8 de la loi l'investit des droits suivants:
1" Entendre tous les intéressés;
2° Obtenir la communication do «tous documents néces-
saires », do la partdes intéressés, do la partdos administra-
tions do IPJtat (enregistrement, douanes, contributions di-
rectes et indirectes, trésoreries générales) et de la part
des administrations des départements ou des communes ;
3« En présence des intéressés, ou coux-ci dûment ap-
pelés, faire procéder, par l'un ou l'autre des services
financiers qu'elle désigne, à des vérifications sur place, —
telles que relevé des entrées et sorties do matières ou
produito aux gares oi bureaux d'octroi, oxamen des livres
de commerce.
Rejet des déclarations. — Si la commission n'ac-
cepte pas la déclaration faite, le contribuable est
invité (par lettre recommandée, indiquant les points
contestés) à se faire entendre dansle délai d'un mois.
Au cours de ce mois, le contribuable peut prendre
l'un des partis que voici :
1" Se faire entendre par la commission, oralement (soit
lui-mémo, soit par mandataire) ;
2» Par lettre recommandée, faire tenir à la commission
son acceptation des prétentions de la commission, ou bien
(par exemple, en la forme d'un mémoire) ses observations.
Les formalités accomplies, la commission fixe,
d'office, les bases de la contribution, en se servant
desélémentsquenousverrons(sousleparagrapheVli)
intervenir dans l'hypothèse de la taxation d'oldce.
La commission doit notifier au redevable sa déci-
sion motivée.
Droit d'appel. — La décision de la commission
départementale n'est pas sans appel.
Si le contribuable maintient sa déclaration, il doit
(dans le délai d'un mois, à partir du jour de la noti-
fication de la décision de la commission) en avertir
l'administration. Et cet avis est considéré comme
constituant un recours devant la commission supé-
rieure dont nous examinerons plus loin le fonction-
nement (sous le paragraphe VIII).
Le litige est alors porté devant cette commission.
Omissions à rectifier. — Toute omission relevée
par l'administration des contributions directes peut,
selon les termes de l'article l.ï, — pourvu qu'elle
n'ait pas été laite de mauvaise foi,— être «réparée»,
c'est-à-dire rectifiée, « jusqu'à l'expiration de l'an-
née qui suivra celle de lacessalion des hostilités i>.
En ce cas, la commission départementale fixera
les bases del'imposilion supplémentaire, suivant sa
procédure ordinaire et, d'autre part, sous réserve du
droit d'appel devant la commission supérieure.
VII. Taxation d'office. — En quels cas in-
tervient la taxation d'office. — Adélaut de décla-
ration dans les délais impartis, le contribuable est
mis en demeure (par un avis admiiiistratil) de se
conformer à la loi, et cela dans un nouveau délai
d'un mois.
Durant ce dernier délai, l'intéressé peut encore
déposer une déclaration négative, s'il ne se croit
pas imposable. (Voir paragraphe V.)
Si le redevable persiste dans son abstention de
déclaration, ou bien s'il souscrit une déclaration
négative, la commission départementale procède
à la taxation d'office.
Règles fixées pour la taxation d'office. — Pour
dégager la base de la taxation qu'elle doit établir
d'office, la commission doit déterminer le bénéfice
afi'érent à la période d'imposition envisagée (période
du 1=' août 1914 au 31 décembre 1915, période du
\" janvier au 31 décembre 1916, etc.), puis en
déduire le bénéfice normal antérieur.
La commission procède d'après les règles sui-
vantes, qui se trouvent fixées dans les derniers ali-
néas de 1 article 9:
1* Pour les contribuables non patentés, la commission
use des éléments d'appréciation recueillis par les servi-
ces publics {intendance, enregistrement, contributions
directes et indirectes, etc.), notamment de ceux résultant
do l'examen des marchés ;
2» Pour les assujettis à la redevance proportionnelle des
mines, il y a lieu à comparaison entre le produit net,
servant do base à cette redevance pendant chacune des
périodes d'imposition et, d'autre part, la moyenne du
produit net correspondant aux trois exercices antérieurs
au 1" août 1914,-
3" Pour les sociétés astreintes à la publication ou à la
communication de leurs bilans, intervient la comparaison
entre les bilans des trois exercices antérieurs au 1" août
1914 ot le bilan de l'exercice imposable;
4" Pour les patentés et les sociétés non soumises à la
publication ou à la communication de leurs bilans, la
commission recourt à tous les éléments d'appréciation
qu'il est possible do réunir.
D'une façon générale, la commission peut, avant
de taxer d'office, exercer le droit que, déjà (sous le
paragraphe VI), nous avons vu en son pouvoir, pour
l'examen des déclarations souscrites: celui de faire
procéder, par l'un ou l'autre des services financiers
qu'elle désigne, à des vérifications sur place, en
présence dos intéressés, ou ceux-ci dûment appelés.
Evaluation minimum du bénéfice normal. — Dans
le calcul de la taxation d'office par la commission dé-
LAROUSSE MENSUEL
partementale, le bénéfice normal (en ce qui concerne
les assujettis autres que les fournisseurs non patentés
et leurs intermédiaires) ne peut, en aucun cas, être
évalué à une somme inférieure à 5.000 francs, ni à
trente fois le principal de la patente, ni à 60 p. 1 00 du
capital engagé. (V. sous nos paragraphes 111 et V.)
Rappelons que le minimum dont il s'agit doit être
augmenté de cinq douzièmes pour la période com-
prise entre le 1" août 1914 et le 31 décembre 1915.
(Voir paragraphe III.)
Notificationde la taxation doffice. — La taxation
établie est (sous forme de lettre recommandée) no-
tifiée au contribuable par l'administration des con-
tributions indirectes.
Geltenotification doitfaire connaître à l'intéressé,
pour chacune de ses exploitations, les chiffres ar-
rêtés en ce qui touche:
1" Le bénéfice fixé pour la période à laquelle se rapporte
l'imposition ;
2<* La déduction opérée à titre do bénéfice normal ;
%" L'excédent constituant la base do la taxation, c'est-à-
dire l'excédent soumis à l'impôt.
Droit d'appel. — Le contribuablt taxé d'orfice
peut contester la déclaration devant la Commission
supérieure que nous avons déjà signalée.
Le délai qui lui est imparti pour 1 appel devant
cette commission est celui d'un mois, à partir du
jour de la notification de la taxation d'office.
VIII. Commission supérieure. Son rôle et son
FONCTIONNEMENT. — Attributions de la Commis-
sion supérieure. — Celte commission, siégeant à
Paris, au ministère des finances, constilue l'uni-
que tribunal chargé de statuer sur les dilférends
surgis entre le fisc et les contribuables. C'est sou-
verainement qu'elle tranche ces litiges, sauf, en
quelques cas déterminés, recours au conseil d'Etal.
Le droit d'appel devant elle appartient au contri-
buable comme à l'administralion.
Dans le délai d'un mois que nous avons déjà pré-
cisé (.sous nos paragraphesVI et VII), la Commission
supérieure est saisie : soit par les personnes ou
sociétés intéressées, à l'occasion des décisions de
lacommission départementale; soit parle directeur
des contributions directes, à l'occasion de toute déci-
sion de la même commission, que ce fonctionnaire
juge contraire aux droils du Trésor.
Composition de la commission. — La Commission
supérieure comprend des membres du conseil d'Etat,
des membres de la Cour des comptes, de hauts fonc-
tionnaires de l'adminislralion centrale des finances.
Un président de section au conseil d'Etat remplit
les fonctions de président de la Commission.
La Commission peut se diviser en deux sections,
et l'organisation de ces sections a été réglée par le
décret du 12 juillet 1916 (art. 10 à 13).
Règles de procédure en usage. — Les règles de
procédure devant la Commission supérieure, ce sont
les dispositions finales de l'article 11 de la loi et les
articles 1 à 9 du décret du 12 juillet 1916 qui les ont
déterminées.
Les personnes ou sociétés qui se pourvoient
contrôles décisions de la commission départemen-
tale et, de même, le directeur des contributions
directes pour les appels qu'il forme, doivent adres-
sera la Commission supérieure une requête (rédigée
sur timbre), contenant l'exposé des faits et moyens,
avec toutes pièces à l'appui.
Rappelons qu'est considérécomme constituant un
recours devant la Commission supérieure l'avis par
lequel un contribuable fait connaître à l'adminis-
tration qu'il maintient, malgré son rejet par la
commission départementale, la déclaration faite
par lui. (Voir sous notre paragraphe VI.)
Devant la Commission supérieure, les assujettis
sont dispensés de se faire représenter. Ils fournis-
sent des mémoires contenant le développement des
arguments invoqués et, sur le vu de ces mémoires,
la Gummission statue. La procédure est exclusive-
ment écrite.
La Commission peut ordonner tout supplément
d'instruction qu'elle juge nécessaire.
Lorsqu'il s'agit du pourvoi d'un contribuable qui,
n'ayant pas fait de déclaration, a été taxé d'office
et conteste celte taxation, c'est au contribuable à
réunir et à produire toutes justifications du chifi're
3xact de ses bénéfices. Au contraire, la cliarge de
la preuve incombe à l'administration, lorsque cette
dernière arguë d'insuffisance la déclaration faite.
Les décisions de la Commission supérieure doi-
vent être motivées.
Elles sont rendues définitivement et en dernier
ressort. Elles ne peuvent être attaquées (devant le
conseil d'Etat) que pour excès de pouvoir ou viola-
tion de la loi.
IX. Cas spéciaux relevant de la compétence
DES commissions INSTITUÉES : DÉCLABATIONS INSUF-
FISANTES ; DÉDUCTIONS EXAGÉRÉES OU INSUFFISANTES.
— Coititalation et répression des déclarations in-
suffisantes. — L'insuffisance dans les déclarations
est envisagée par l'article 13 de la loi.
Voici l'hypothèse qui y est précisée : la déclara-
lion du contribuable a été reconnue insuffisante ; en
outre, la fraction non déclarée du bénéfice est supé-
rieure à 10 p. 100 de la totalité du bénéfice impo-
N' 121. Murs 1917.
sable; enfin, il s'agit d'une erreur qui, sans com-
porter de manœuvres frauduleuses, a été commise
de mauvaise foi.
Lorsque (sur preuve faite par l'administration) ces
trois conditions se trouvent réunies, la contribution
correspondant àla fraction non déclarée du bénéfice
est, à titre Je pénalité, majorée de moitié: sur cette
fraction pèse un demi-droit en pins.
L'insuffisance peut être constatée par la com-
mission départementale, et celle commission a le
pouvoir d'appliquer, le cas échéant, la pénalilè du
demi-droit en sus; mais, sur l'application de cette
pénalité, aussi bien que sur la réalité même de l'in-
suffisance, le contribuable a le droit d'interjeter
appel devant la Commission supérieure.
Devant la Commission supérieure, c'est à l'admi-
nistration Qu'incombe, nous l'avons dit (paragra-
phe VIII), la charge de la preuve de l'insuffisance.
Revision des déductions opérées. — Cette revision
fait l'objet des derniers alinéas de l'article 15 de la loi.
Déductions exagérées. — Lorsque la commission
départementale ou la Commission supérieure recon-
naîtront que les sommes mises en réserve pour les
amortissements de bâtiments, de matériel, d'outil-
lage ou de créances irrécouvrables (voir para-
graphe III) sont exagérées, il y aura lieu à un sup-
nléinent de taxes : l'excédent indûment déduit pour
la fixation du bénéfice imposable « sera considéré
comme bénéfice supplémentaire réalisé pendant la
dernière année d'imposition ».
Déductions insuffisantes. — Par contre, lorsque
(sur la déclaration du contribuable, lors de sa dé-
claration pour la dernière année d'imposition)
les mômes déductions seiont reconnues insuffi-
santes par l'une ou par l'autre commission, il y
aura lieu à détaxe: l'imputation des sommes non
ex igibless'opérerasur le dernier exercice imposable.
X Pénalités établies. — Comme nous l'avons
vu, ont été exemptées de pénalités : 1" les erreurs
et omissions faites sans mauvaise foi dans les
déclarations; leur rectification a été admise (para-
graphe VI); — 2» les déductions indûment laites,
les déductions exagérées; leur revision est orga-
nisé (paragraphe IX).
Ici vont se trouver groupées les pénalités établies.
Retard ou absence de déclaration. — Tout con-
tribuable qui, dans les délais impartis, n'a pas
souscrit de déclaration est frappé, à titre de péna-
lité, d'un supplément de taxe : il y a majoration
de 10 p. 100 sur les droits afi'érents au bénéfice im-
posable (art. 14).
Insuffisa ue de déclaration. — Nous avons déjà
expliqué (paragraphe IX) (|ue, dans l'hypothèse d'une
déclaration insuffisante, la fraction non déclarée du
bénéfice est majorée de moitié, à titre de pénalité.
Délit de déclaration frauduleuse. — L'arlicle 20
de la loi crée un délit spécial : celui de déclaration
frauduleuse, que caractérisent des combinaisons et
machinations fallacieuses en vue d'une dissimula-
tion des bénéfices, et qui aboutit à une sorte d'es-
croquerie tentée ou commise vers l'Etat.
Cet article 20 est ainsi conçu :
Tout contribuable qui. en employant des manœuvres
frauduleuses pour se soustraire, en totalité ou en partie, à
l'établissement de la taxe, aura, par l'emploi de l'une de
ces manœuvres, dissimulé ou tenté do dissimuler ses
bénéfices, sera puni d'un emprisonnement do trois mois à
deux ans ot d'une amende de 500 à 10.000 Irancs, ou de
l'une de ces deux peines seulement.
Toutefois, est possible l'application dej'article 463
du Code pénal sur les circonstances atténuantes.
Actes faits en fraude des droits de l'Etal. —
Parallèlement à l'action pénale, l'article 21 de la loi
assure à l'Elat une action civile. Comme tous créan-
ciers à l'égard des actes faits par le débiteur con-
trairement à leurs droits, l'Etat peut attaquer les
actes faits par le contribuable en fraude de ses
droits; il faut, toutefois, que ces actes aient été faits
depuis le 13 janvier 1916, date du dépôt du projet
d'où la loi du l"juillet 1916 est issue.
Selon les principes de notre droit, l'Etat, pour
triompher dans son action ci vile, doit faire la preuve :
1" qu'il y a eu fraude commise et qu'un préjudice
en est résulté pour lui; — 2° que les tiers ayant, à
titre onéreux, passé avec l'assujetti les actes incri-
minés, étaient conscients et complices de la fraude.
XL Taux et calcul de l'impôt. — Les béné-
fices taxables une fois déterminés, l'impôt est cal-
culé de la façon que voici :
En principe, le taux de l'impôt est de 50 p. 100,
c'est-à-dire exactement de la moitié des bénéfices.
Pour les assujettis de la catégorie des fournis-
seurs non patentés et intermédiaires, le taux de
50 p. 100 s'applique à l'intégralité des bénéfices
exceptionnels réalisés.
Quant aux bénéfices supplémentaires des particu-
liers ou collectivilés passibles de la contribution
des patentes ou de la redevance de mines, le taux
de 5U p. 100 est calculé .sur la portion des bénéfices
excédant 5.000 francs; autrement dit, ici, il y a lieu
à une exonération à la base, fixée à la somme de
5.0110 francs.
Telles sont les règles posées par l'article 12 de la
loi du 1" juillet 1916; mais la loi fiscale du 30 dé-
«• 121- Mars 1917.
cembre 1916 a porté le taux de l'impôt de 50 à
60 p. 100 « pour la Traction des bénéfices imposables
supérieurs à 500.000 francs, réalisés à partir du
l»' janvier 1916 ».
XII. Recouvrement de l'impôt. — Délais de
PAYEMENT. — DÉTA.\E. — Elablissemenl des rôles. —
Les rôles de l'impôt sur les liénéfices de guerre et
le recouvrement en sont poursuivis comme en ma-
tière de conlriljutions directes (art. 16).
Modes de payement. — L'impôt sur les bénéfices
de guerre est exigible par quart, et cela à partir du
premier jour du mois qui suit la publication du rôle.
Toutefois, pour la première période d'imposition
(celle du l'^"' août 1914 au 31 décembre 1915), il doit
être payé de deux mois en deux mois, tandis que,
pour les autres pé-
riodes (par exemple,
pour la période du
1" janvier au 31 dé-
cembre 1916), c'est de
trois mois en trois
mois qu'il faut l'ac-
quittcr.
Telleeslla règle gé-
nérale, inscrite dans
l'article 16 ; mais,
comme nous allons le
voir, le même article
et l'article suivant
prévoient, en faveur
des sociétés et per-
sonnes patentées ou
passibles de la rede-
vance des mines, une
détaxe spéciale et des
délais supplémentai-
res de payement.
Détaxe. — Les as-
sujettis que nous ve-
nons d'indiquer (so-
ciétés et personnes
patentées ou passibles
de la redevance des
minesl payeront, dans
les délais normaux,
seulement la moitié
de la contribution
afférente à chaque
exercice d'imposition,
cl les deux derniers
quarts ne deviendront
exigibles que six mois
après l'expiration du
dernier exercice.
L'intéresbé aura alors à se rendre compte si l'exer-
cice envisagé se traduit, ou non, par un déficit (par
rapport au bénéfice normal révélé par l'un des bi-
lans de la période de guerre). Dans le cas de la né-
gative, le solde d'impôt restant dû sera, en entier,
acquitté six mois après l'expiration dudit exercice.
Dans le cas de l'affirmative, le contribuable pourra
obtenir (sur sa demande et en présentant toutes les
feuilles d'imposition relatives à l'impôt sur les bé-
néfices de guerre) unedéla.\e, correspondant à l'im-
portance du déficit. Le montant de cette détaxe sera
déduit de celui des impositions restant dues sur les
exercices précédents.
La détaxe a une limite absolue : en aucun cas
(noiamment, si le déficit est supérieur aux deux
derniers quarts de la contribution), la détaxe ne peut
aboutir à une restitution.
Délais supplémentaires de payement. — Aux
mêmes assujettis (sociétés et personnes patentées
ou passibles de la redevance des mines) l'article 17
accorde une facilité spéciale pour se libérer de la
taxe afférente h la première période d'application de
b loi (période du l»' août 1914 au 31 décembre 1915).
Il en est ainsi dans l'hypothèse d'une immobilisa-
lion des bénéfices supplémentaires réalisés.
Lorsque ces contribuables justifient avoir em-
ployé, avant ie l""' avril 1916, en améliorations ou
extensions de leur entreprise, une partie ou la tota-
lité des bénéfices taxés par la loi du 1" juillet 1916,
ils peuvent, pour les impôts afférents aux bénéfices
ainsi employés, obtenir l'autorisation de s'en ac-
quitter en trois annuités (à partir de l'année d'émis-
sion des rôles).
L'autorisation dont s'agit est accordée, après exa-
men des justifications produites, par la commission
départementale. Au cas de refus de l'autorisation,
les intéressés peuvent inlerjeter appel, dans le dé-
lai d'un mois, devant la Commission supérieure.
four l'exercice du privilège du Trésor et pour
l'application de la prescription triennale, chacune
desannuilés estconsidérée comme une contrilmlion
distincte afférente à l'année pendant laquelle elle est
exigible.
Nonobstant les autorisations accordées, le solde
des impôts restant dus est immédiatement exigible,
en cas de dissolution de la société, en cas de faillile,
liquidation judiciaire, cession ou cessation de l'en-
treprise.
XIII. Précautions contre les indtscrétions.
— Inspirés par la préoccupation de sauvegarder le
LAROUSSE MENSUEL
secret des situations commerciales, les articles 18
et 19 ont pris les mesures suivantes :
1* Pour tous avis et communications concernant l'impAt
sur les bénédccs de guerre (échang<<s cntro les agents de
l'adminisi ration ou adressés par eux aux coiitril>ualtIcs),
défense est faite de leur envoi autrement (|ue sous enve-
loppe fermée et, en vUtre, par l'intermédiaire de l'admi-
nistration postale ;
S** Est astreinte au secret proressionnol, dans les termes
et sous les peines do l'article 378 du Code pénal, toute
Eersoone appelée, à l'occasion de ses fonctions ou attri-
utions, à intervenir dans l'établissement, la perception
ou le contentieux de l'impôt;
3» Les contribualj|e.s no sont autorisés à se faire délivrer
(suivant les dispositions législatives ou réglementaires
applicables aux contributions directes) dos extraits des
Paysage du Jura, tableau d'Edouard Jeanmaire (tS84},
rôles do l'impôt sur les bénéfices de gtierre qu'en ce qui
touclio leurs propres cotisations.
XIV. Patente des fournisseurs. Son extension
AUX maîtres ouvriers militaires. — Dans ses dis-
positons finales, la loi du 1'"' juillet 1916 a organisé
un droit de patente non prévu par la loi du 15 juil-
let 1880, spéciale aux patentes : de façon générale,
elle a soumis à la patente la profession de fournis-
seur, et elle a appliqué le même régime aux maî-
tres ouvriers des corps de troupe.
Patente des fournisseurs. — Sous quelque forme
que des objets ou marchandises aient été vendus
aux administrations publiques ou aux établissements
publics (même si
les ventes ont été
effectuées sans
adjudication n i
marché préala-
ble), ceux qui ont
opéré ces ventes
subissent, entant |
que droit de pa-
tente, un droit
fixe, calculé d'a-
près le montant
des fournitures :
0fr.25parl00fr.
ou fraction de
100 francs.
Quant aux fa-
bricants fournis-
sant aux admi-
nistrations publi-
ques ou établis-
sements publics des objets ou marchandises prove-
nant de leur fabrication, ils sont imposables au
droit fixe de patente, calculé suivant deux modalilés
différentes : soit d'après le tarif afférent à leurs opé-
rations industrielles, soit d'après le tarif spécial à
la profession de fournisseur. Et cela à la lalitiide
du fisc, suivant que l'un ou l'autre mode de taxation
donne le chiffre le plus élevé et est susceptible de
rapporter le plus au Trésor.
Bien mieux : à titre de complément (sous déduc-
tion du droit fixe antérieurement imposé), la taxe
calculée d'après le montant des fournitures peut être
valablement établie, par voie d'imposition supplé-
mentaire.
Assujettissement des maîtres ouvriers militaires
à ta patente des fournisseurs. — Les droits de pa-
Edouard Jcaniuairc.
69
tente que nous venons d'exposer k propos de la pro-
fession de fournisseur sont, dans les mêmes con-
ditions, applicables aux maîtres ouvriers des corps
de troupe, à raison des fournitures faites par eux !t
l'administration militaire. — Loaii ahoU.
Jeanmaire ( Edouard ) , peintre paysagiste
suisse, né à La .Jonx-Perret, quartier de La Chaux-
de-Konds, en 1847, mort à Genève le 13 avril 1916.
Il montra de bonne heure un goût très vif pour la
peinture; mais, ses ressources pécuniaires étant fort
modestes, il dut tout d'abord songer k gagner sa
vie et, pour cela, il exerça tour à tour les métiers
de peintre de cadrans et de graveur. Il ne s'adonnait
à son art favori, dans sa vieille petite ferme lami-
liafe, que lorsque ses
faibles moyens le lui
permettaient ; aussi
ses débuis furent-ils
particulièrement dif-
ficiles. Dans l'espoir
de sortir de la gêne,
qui paralysait ses ef-
forts et dont il n'ar-
rivait pas k secouer
le joug, il se rendit à
Paris. Il y vécut péni-
blement, en travail-
lant sans relâche pour
perfectionner son ta-
lent, jusqu'à la guerre
de 1870, qui l'obligea
à regagner La Cbaux-
de-Konds.
Les progrès qu'il
avait faits pendantson
séjour en France lui
assurèrent bientôt
dans sa patrie une vie
filus heureuse. Il eut
a bonne fortune de
trouver un appui bien-
veillant en Pierre de
Salis, conservateur du
musée des beaux-arts
de Neuchàtel, qui l'ai-
da puissamment à se
frayer un chemin vers
la renommée.
Edouard Jeanmaire
se mit au travail avec
ardeur; il peignait tou-
jours d'après nature,
en plein air et dans
n'importe quelle saison. Son genre plut beau-
coup, et sa réputation grandit rapidement. Il eut
nue période de bonheur, pendant laquelle il exécuta
plusieurs toiles très remarquées; il se vit alors
recherché, fêté, et il devint le peintre populaire du
Jura neuchâtelois.
Les tableaux de Jeanmaire sont fort agréablement
composés, mais peut-être d'une facture un peu mo-
notone. Quelques-uns ont une réelle valeur et figu-
rent, pour la plupart, dans les musées de son pays :
à Neuchàtel, à Berne, etc. Nous citerons, parmi les
principaux : Intérieur de forêt à La Joux-Perret;
l'Arrière- Automne au Chasserai; Forêt de sapins;
Printemps à Hermance; Paysage du Jura; Pâtu-
rages à La Joux->Perret; A Thonon; une Rue du
vieux Sion; Calme des pâturages à La Joux-Per-
ret ; Solitude, forêt de La Joux-Perret; etc.
Sur la fin de sa vie, Jeanmaire avait eu le chagrin
de voir pâlir son étoile. Elève de la vieille école, il
fut abandonné d'une partie du public, qui lui préfé-
rait les impressionnistes, contre lesquels il lutta
courageusement. — J.-m. delisi.e.
Ijéauté (Henry), mathématicien français, né
à Balize (Etats-Unis), ofi sa famille se trouvait mo-
mentanément, le 26 avriH847, mort à Paris le 5 no-
vembre 1916. Léauté vint en France dès son jeune
âge et fil ses premières éludes nu lycée Henri-IV,
puis au collège Sainte-Barbe. En 1866, il se fit rece-
voir à l'Ecole normale supérieure et & l'Ecole po-
lytechnique ; il opta pour celte dernière, en sortit
dans le corps des ingénieurs des manu!aclures de
l'iaat et débuta comme sous-ingénieur à la manu-
facture des tabacs de Toulouse. Après avoir pris
part à la guerre de 1870 contre l'Allemagne, Léauté
se consacra, en même temps, à l'élude de la médecine
et â celle de^ mathématiques. En 1876, il fut reçu
docleurès sciences mathématiques avec deux thèses
remarquables : Etude géométrique de l'intégration
des équations différentielles partielles du premier
ordre à 3 variahles et Du frottement de pivote-
ment. L'année suivante,, il était nommé répétiteur i
l'Ecole polytechnique et directeur des éludes à
l'école Monge.
Léauté fut un mathématicien émérite : il com-
mença par étudier des problèmes d'analyse pure,
mais ne larda pas k être attiré par la mécanique
appliquée, et on lui doit la solution d'un certain
nombre de questions qui apportèrent k nos indus-
triels de précieux renseignements ; tous ses tra-
70
vaux d'application mécanique «ont d'ailleurs carac-
térisés par la facilité remaïqiiable avec laquelle il
appliquait aux problèmes pratiques les ressources
de la plus haute analyse matliématique. Citons en
particulier son mémoire sur le frotteiuent de pivo-
tement (1876), puis celui qu'il fit paraître en ISSl
sur la transmission de la force par câbles métal-
liques; dans ce dernier travail, il mit au point cette
importante question et évita par la suite les graves
difficultcs que l'on avait renconlrées jusque-là dans
la pratique. Dans un autre mémoire (1885) sur les
oscillations à lon-
gue période dans
lis machines ac-
liunnées par des
moteurs hydrau-
liques, il indiqua
le moyen prati-
i[ue d'éviter ces
causes de trouble
quand la régula-
risation s'elTec-
lue par l'action
dune vanne. Par-
mi les autres mé-
moires qui lui
sont dus, citons
encore : Méthode
d'approxima-
tion pratique
sur le train des
engrenages, sur
Hcniy WauU'. igg trépida-
tions; Note sur
les courbes funiculaires; Théorie du frein à lames;
Caractéristique cinématique d'un appareil méca-
nique en mouvement; Sur un moyen d'obtenir un
diagramme de détente d'une forme donnée dans
les machines Corlias; Régularisation du mouvement
troublé des moteurs consécutif à une perturbation
brusque; Essai de dynamique graphique, etc.
Ses travaux ont paru dans les « Comptes rendus »
de l'Académie des sciences, dans le journal de
LiouvIUe, dans celui de l'Ecole polytechnique, etc. 11
a publié à part : Méthode d'approximation pratique
(1880) ; Sur un perfectionnement appliqué à tous
les régulateurs à force centrifuge (1880) ; Etude
géométrique sur les fondions elliptiques de pre-
mière espèce (1880); Théorie générale des trans-
missions par câbles métalliques. Règles pratiques
(1882); Mémoire sur les oscillations à longue période
daiis les machines actionnées par des moteurs
hydrauliques et sur tes moyens de les prévenir
(1885). De plus, il a dirigé la publication d'une
importante collection sur les sciences appliquées :
l'Encyclopédie scientifique des Aides-mémoires.
Commencée en 1892, cette collection comprend de
nombreux traités se rapportant à la biologie et à la
science de l'ingénieur. Léauté lui-même, en collabo-
ration avec A. Bérard, a publié dans cette collection :
Transmission par câbles métalliques (1895).
Léauté, qui était officier de la Légion d'honneur
depuis 1883, s'était vu récompensé de son grand
labeur par toutes sortes de distinctions; en parti-
culier, il avait été élu membre de l'Académie des
sciences le 28 avril 1890, dans la section de méca-
nique, en remplacement d'Edouard Phillips, et
nommé professeur à l'Ecole polytechnique en 1893.
A partir de 1890, Léauté s'occupa surtout d'indus-
trie et se spécialisa dans l'électricité. Pendant vinKl-
trois ans, il dirigea la Société Industrielle des télé-
phones comme administrateur délégué. En 1907, il
prit également la tête de la Compagnie parisienne
de distribution d'électricité qui éclaire Paris et s'oc-
cupait encore, de façon moins suivie, de plusieurs
autres sociétés. Il avait présidé le jury de méca-
nique à l'Exposition de 1900.
Léauté est mort après avoir eu le temps d'orga-
niser, en vue de la défense nationale, la production
de la Société des téléphones. — o. Bouchint.
lélotrlq,ue (de gr. leios, lisse, et thrix,
trikhos, cheveu) adj. Anthrop. Qui a les cheveux
lisses : Bory de Saint-Vincent a divisé les peuples
en LÉiOTRiQUES et uLÉTmguES. (V. ce mot, p. 82.)
Itlasson (Pien-e-Afaunce-Alexandre), profes-
seur et critique littéraire français, né à Metz le
4 octobre 1879, tué à l'ennemi, dans les tranchées
de Fllrey, en face du bois de Mortmare (Meurthe-et-
Moselle), le 16avriH916. Il fit ses études à l'école
Saint-Sigisbert de Nancy, puis au lycée Louis-le-
Grand (Paris) et entra à l'Ecole normale supérieure
en 1900. Il fut reçu, en 1903, c|uatrléme à l'agrégation
des lettres, et pensa d'abord à solliciter son admis-
sion à l'école d'Athènes. Pour se préparer au travail
archéologique, il ne demanda point un poste de pro-
fesseur, et resta à Paris comme répétiteur au lycée
Gondorcet. Mais, quelques mois après, en 1904, il
obéit aux suggestions de Victor Giraud, et fut mis à la
disposition du conseil d'Etat du canton de Kribour^
(Suisse), pour occuper à l'universilé de cette ville
la chaire de littérature française moderne. 11 rem-
plissait brillamment ses fonctions, avait publié plu-
sieurs livres appréciés et venait de terminer ses
LAROUSSE MENSUEL
thèses de doctorat es lettres, quand il fut mobilisé
comme sergent de territoriale et envoyé dans un
fort de Tout. Nommé sous-lieutenant, puis lieute-
nant (au 261" d'infanterie), il donna à ses hommes
un bel exemple d'énergie morale. A trente mètres
des Allemands et à six pieds sous terre, il employait
ses moments de repos à corriger les dernières
épreuves de son ouvrage surRousseau.ll avait obtenu
la permission de venir à Pans soutenir ses thèses,
le 4 mars 1916; mais l'oiïensive allemande contre
Verdun fit annuler l'autorisation. Quelques semaines
plus tard, un éclat d'obus l'étendait raide mort.
Il laisse quatre ouvrages achevés, deux brochures
et des articles, parus dans la « Revue des Deux
Mondes » et dans la « Revue d'histoire littéraire de
la France ■>. Son ouvrage capital est sa thèse sur la
Religion de Jean-Jacques Rousseau (3 vol., Paris,
1916). [V. Larousse Mensuel, p. 24.] Sa thèse com-
plémentaire est une « édition critique, d'après les
manuscrits de Genève, Neuchâtel et Paris, avec
une introduction et un commentaire historiques »,
de la « Professson de foi du Vicaire savoyard »
de J.-J. Rousseau (Fribourg et Paris, 1914-1916).
Son premier livre a pour titre : Fénelon et Madame
Guyon (Paris, 1907). C'est un recueil de documents
nouveaux et inédits. On y trouve notamment le frag-
ment d'autobiographie, composé de cinq feuillets,
que la célèbre mystique avait arrachés du manuscrit
remisa Bossuet, pour ne pas compromettre son ami.
P. -M. Masson y a inséré aussi la correspondance
dite II secrète » , échangée entre Fénelon et M^^ Guyon
en 1688-1689, et jadis éditée par Dutoit. L'authen-
ticité de ces lettres avait été niée : le nouvel
éditeur l'affirme, avec preuves convaincantes. Les
textes sont précédés d'une introduction de près de
cent pages, qui est un chef-d'œuvre de critique, de
psychologie délicate et pénétrante. Il y a là un joli
portrait de Fénelon, qui est peut-être définitif.
P.-M. Masson admet le bien-fondé du jugement de
Louis XIV sur a le plus bel esprit et le plus chimé-
rique » du royaume. 11 blâme avec Brunetière une
insincérité que,
d'ailleurs, ilexpli-
que et atténue en
invoquant l'ori-
gine gasconne du
prélat. Mais il
réussitmleuxque
ses devanciers à
démêler les nuan-
ces de cette âme
complexeetmou-
vante, qui avait
pour hôte un
corps frêle, à
demi malade. Le
langage puéril ou
étrange de la
conversation des
deux amis n'est
pas pour lui un
objet de scandale
ou de moquerie.
A peine met-il un peu d'ironie dans la description
de sentiments rares et singuliers, mais innocents
et même respectables quant au fond. Tout en
se défendant d'être théologien, il montre, par le
choix de textes significatifs et par une analyse psy-
chologique très poussée, que les théories mystiques
de M™= Guyon tendaient à affaiblir la nécessité
de la Rédemption et des sacrements. Malgré tout,
M"» Guyon a fait du bien à Fénelon : « Elle a
renouvelé non seulement sa piété, mais ses idées,
ses sentiments, son action, sa vie... De celui qui,
sans elle, n'aurait été qu'un homme d'esprit, cette
demi-sainte, demi-folle, a fait un type d'humanité. »
Une vie de femme au xviii' siècle : Madame de
Tencin (Paris, 1909; %" éd., augmentée de docu-
ments nouveaux en 1910) est d'un ton bien différent.
Aux définitions ingénieuses de sentiments subtils et
éthérés succède l'exposé alerte et piquant de la vie
active et scandaleuse d'une « amazone manquée». Le
livre est attachant comme un roman. (V. Larousse
Mensuel, t. 1", p. 493.) — P.-M. Masson a deux
fois obtenu le prix d'éloquence de l'Académie fran-
çaise, avecl'élogede Vigny (1906) et celui de Lamar-
tine (1910). Ces deux petits livres « académiques »
ne sont pas simplement des morceaux d'apparat, sa-
gement pensés et agréablement écrits. C'est de la
critique littéraire, exactement informée et appuyée
sur des textes. L'auteur les a publiés avec des notes
et une bijiliographie. Dans le Vigny (190N), il s'efface
le plus possible, pour laisser la parole au poète des
Destinées, dont l'œuvre lui paraît empreinte à la
fois de o servitude » et de « grandeur » :
Mais la servitude n'est qu'une apparence. Elle est
comme l'envers d'une grandeur qui ne .se satisfait jamais ;
et c'est à la grandeur qu'appartient lo dernier mot : p^ran-
deur de cette vie, si noble en sa tension un peu volon-
taire : grandeur de cette pensée, qui n'a trouvé son apai-
sement qu'en des espérances illimitées : grandeur de cet
art, qui a su condenser des sentiments forts en une per-
fection diamantée.
L'éloge de Lamartine se termine par ces mots :
Pierre-Maurice Massun.
«• 121. Mars 1917.
« Il est, de tous les poètes français, — sans excepter
Racine, et pourtant I — celui qui a fait avec le plus
d'élan, de magnificence, de générosité, le métier
de vivre, triste et beau métier.' P.-M. Masson avait
commencé à prépaier une édition de la Chute d'un
ange pour la nouvelle séiie des « Grands écrivains
de la France », dirigée par Lanson. Ce poime, si
maltraité jadis par la critique, si peu lu de nos
jours, lui semblait « inégal et magnifique ». Il
faut, disait-il, « l'explorer comme une foiêt vierge » :
à chaque nouvelle lecture, a les mieux avertis se
réserventdes jouissances discontinues, mais d'autant
plus vives ». On sait, d'ailleurs, que Leconte de Lisle
avait une prédilection pour cette œuvre.
En critique littéraire, P.-M. Masson était l'élève
de Bédier et de Lanson. Mais son talent d'écrivain
et son intelligence de la sensibilité religieuse lui
étaient bien personnels. Son style est très souple,
capable d'enjouement, de gravité et d'éloquence.
C'était un catholique complet, professant une sorle
de stoïcisme chrétien qui était allé en s'attendris-
sant. Ses croyances s'alliaient sans effort à une rare
impartialité. Il voulait comprendre et revivre les
fiensées dont il étudiait les manifestations. Cette
argeur de compréhension a servi le critique; ce
sto'icisme chrétien a soutenu l'officier admirateur de
Rousseau et de Vigny. — Maurice Enoch.
millibar n. m. Millième partie dubar.(V. p. 56.)
♦mitrailleuse n. f. (V. Larousse Mensuel, 1. 1«',
p. 186, 210, 406, 677.)— Les mitrailleuses actuelles
sont des armes automatiques de la catégorie dite
Il à tir continu », c'est-à-dire dans lesquelles non
seulement le chargement (comme dans le pistolet
Browning), mais le tir lui-même, est automatique.
Autrement dit, ce sont des armes dans lesquelles
il suffit, une fois le pi-emier coup parti, de main-
tenir le doigt continuellement appuyé sur la délente
(au lieu d'agir sur elle à chaque coup comme dans
le browning), pour qu'elles fonctionnent sans arrêt.
I. — Historique. On a cité comme ancêtres de
nos mitrailleuses actuelles les ribaudequins et les
veuglaires des xiV et xv« siècles; mais l'analogie
est, à vrai dire, assez lointaine. Les orgues, qui
furent en vigueur jusqu'au xvm« siècle, s'en rappro-
chaient déjà davantage.
L'histoire des mitrailleuses proprement dites se
divise en deux périodes bien distinctes : 1" la période
des mitrailleuses à main et à canons multiples;
2° la période des mitrailleuses automatiques et à
un seul canon.
1» Mitrailleuses à main et à canons multiples.
— Les mitrailleuses de la première période étaient
des armes munies de plusieurs canons (certaines,
au début, en eurent jusqu'à cinquante) et fréquem-
ment de plusieurs culasses, se manœuvrant à la
main à l'aide d'une manivelle qu'on tournait pour
les actionner (d'où le nom de «moulins à café» qui
leur est resté, quoique ce système ait disparu) et
tirant parfois la même cartouche que le fusil d'inf^an-
terie, mais souvent aussi des munitions spéciales.
Une des plus anciennes est celle qui fut inventée
vers 1830 par le Belge Fafschamps, ancien officier
de la Grande Armée de Napoléon; elle ne fut guère
employée qu'à la défense des places fortes et, bien
qu'adoptée officiellement en 1857 par l'armée belge,
elle ne fit guère parler d'elle.
L'apparition de la plupart des mitrailleuses du
type <i moulin à café » est contemporaine de la
mise en service de la cartouche à étui métallique
fvers 1860). Une des plus répandues fut \&mitrail-
teuse Gatiling, du type dit « à canons tournants ».
Elle fut utilisée pour la première fois en Amérique,
son pays d'origine, dans la guerre de Sécession. Per-
fectionnée plus tard, elle put tirer jusqu'àl. 200 coups
à la minute. Elle fut employée par la France dans
la seconde partie de la guerre de 1870 (bataille du
Mans) et dans ses guerres d'Extrême-Orient, par
l'Angleterre dans ses expéditions d'Egypte et d'Af-
ghanistan, par la Russie au siège de Plewna, par le
Chili dans sa guerre contre le Pérou, etc.
La mitrailleuse française de Reffye (ou « canon
à balles » ), inventée vers 18G5, était à camms fixes ;
ces canons étaient au nombre de 25; elle pouvait tirer
125 à 150 cartouches à la minute; elle lançait une
balle d'un modèle spécial et de 13 millimclres de
diamètre. Cette arme nous rendit de sérieux ser-
vices en 1870 (Mars-la-Tour, Saint-Privat et, plus
tard, Châtillon). Toutefois, elle fut loin de répondre
aux espérances qu'on avait fondées sur elle, parce
qu'on ne sut pas l'employer. On l'utilisa comme
une sorte de petit canon de campagne, — auquel
elle ressemblait par son poids et son aspect exté-
rieur,— et il arriva souvent, surtout au début dé la
guerre, que les mitrailleuses françaises furent dé-
truites par l'artillerie allemande avant même d'avoir
pu se mettre en batterie. Il en résulta, malheureuse-
ment, que les mitrailleuses tombèrent, en France,
dans un discrédit dont elles ne sont sorties, à vrai
dire, qu'au cours de la guerre actuelle.
Les Bavarois employèrent contre nous en 1870
une arme analogue, la mitrailleuse Feld. Celle
arme, munie de 24 canons, possédait sur la refTye
I
«• 121. Mars 1917.
le double avantage de tirer plus vite qu'elle et de
s'alimenter au moyen de la cartouche d'infanterie.
C'est une balterie de mitrailleuses Feld qui nous
empêcha de transformer en déroute complète la
défaite des Bavarois à ( loulmiers (9 nov. 1870).
Beaucoup d'autres mitrailleuses du même genre
ont été inventées dans les dernières années du
XIX* siècle. Mais ces armes sont aujourd'hui com-
plètement abandonnées.
2" Mitrailleuses automatiques à un seul canon.
— Les mitrailleuses d'aujourd'hui sont toutes des
armes automatiques. Elles ont un seul canon, l'au-
tomatisme de leur fonctionnement permettant de
réaliser une vitesse de tir bien suffisante.
La première mitrailleuse automatique fut cons-
truite par l'Américain Maxim en 1883, sur le prin-
cipe de l'utilisation du recul. Quelques années plus
LAROUSSE MENSUEL
71
Fig. t.
tard, apparurent les mitrailleuses à emprunt de
gaz, dont la première fut la mitrailleuse Hotchkiss.
(V. 1. 1", p. 406.)
Depuis, la mitrailleuse, devenue l'auxiliaire par
excellence de l'infanterie, a pris une importance de
piusen plus grande dans les guerres modernes. Elle
tend même à devenir aujourd'hui !'« arme à feu
principale du fanlassin. » (GénéralJotfre.)
II. DlFFÉRE.NTS SYSTÈMES DE MITRAILLEUSES AUTO-
MATIQUES. — Les mitrailleuses automatiques sont
ce qui diminue la valeur balistique
Pig. «.
construites sur le principe de l'utilisation des gaz
produits par la combustion des poudres.
Dans les unes, ces gaz sont utilisés directement :
c'est le système dit par emprunt de gaz; dans les
autres, ils le sont indirectement, par l'intermédiaire
de la force du recul.
1» Milrailleuses fonctionnant par utilisation du
Mitrailleuse Maxim (allemande).
recul. — C'est le système le plus ancien. Trois
catégories sont à distinguer :
a) Mitrailleuses fonctionnant par recul de la
culasse seule. — Le principe est très simple : le ca-
non N est fixe {fig. i) ; au départ du coup, la foice
du recul, s'exerçant sur la culasse G, oblige celle-ci à
se porter en arrière en comprimant le ressort récu-
pérateur R, qui s'appuie sur la boîte de culasse B ;
dans ce mouvement, ont lieu l'extraction et l'éiec-
à-^ ^^sz^»ii>f'»f^>f^
'i/ni»}U/}})Mji>itmtntnni\ifn,n„,„„,
Fia. »•
tion de l'étui vide et la mise à l'armé du système
de percussion ; la détente du ressort R, comprimé
par le recul de la culasse, ramène celle-ci en avanl;
c'est alors qu'ont lieu l'introduction de la cartouche
dans le canon et la percussion.
Dansée système, le verrouillage de la culasse au
départ du coup n'est assuré par aucune pièce de
fermeture. Il est indispensable que la balle soit
sortie du canon avant que l'étui n'en soit com-
plètement extrait ; d'ol^ nécessité d'avoir un canon
très court.
de l'arme.
De ce type est la mitrailleuse Schwarzlose (Autri-
che et Hollande). [V. t. 1«', p. 187.]
b) Mitrailleuses fonctionnant par
recul de la culasse et court recul du
canon. — Le schéma du fonctionne-
ment est le suivant: le canon N est
mobile comme la culasse {fig. S); au
départ du coup, étant relié à la cu-
lasse G par la pièce de fermeture, il
recule avec elle* c'est alors que se
produit le déverrouillage de la culasse; le canon N,
cessant désormais d'être solidaire de la culassu et
venant heurter par ses butées de recul n et n' la boite
de culasse B en 6 et b', s'arrête ; la culasse G conti-
nue à reculer seule; l'étui vide est extrait et éjecté;
le système de percussion, mis à l'armé. Pendant ces
deux premiers temps, le ressort récupérateur R a
été comprimé. Sa délente ramène l'en-
semble de la culasse et du canon en
avant. La cartouche est in-
troduite dans le canon ; puis
la culasse est verrouillée; en-
fin, la percussion se produit.
De ce type est la mitrail-
leuse Maxim, adoptée depuis
par la Russie, l'Italie, le Por-
tugal, la Suisse, les Etats-
Unis, et par l'Allemagne, la
Bulgarie, la Turquie, etc. La
mitrailleuse Vickers, adoptée
par l'Angleterre, n'est qu'une
variante de la maxim.
Le double inconvénient de
ce système est : 1" la bruta-
lité du fonctionnement, né-
cessitant des pièces extrême-
ment robustes et un huilage
fort abondant 2° l'impossibi-
lilé de refroidir le canon (par suite de
sa mobilité) autrement qu'avec un man-
chon rempli d'eau. Ce manchon, qui contient 4 li-
tres, doit être rempli d'eau tous les 1.500 coups;
l'eau commence k bouillir au bout de 500 coups et
projette un jet de vapeur blanche, qu'on est obligé
de dissimuler au moyen d'un tube d'échappement.
Au même système se rattachaient les mitrail-
leuses Bergmann, Nordenfeld, Perino, qui ne sont
plus en service,
c) Mitrailleuses fonctionnant par recul de la
culasse et long recul
du canon. — A ce sys-
tème, dont le schéma
est un peu plus com-
pliqué, se rattachent
le fusil mitrailleur
Madsen (Russie, Ja-
pon, Danemark) et le
nouveau fusil mitrail-
leurfrançaisG. S. R.G.
Ici, le canon accom-
pagne la culasse jusqu'au bout de son mouvement
de recul; mais la culasse se trouve maintenue à
l'accrochage pendant que le canon revient en avant,
et c'est alors que se produisent l'extraction et l'éjec-
tion; enfin, la culasse, en se portant en avant à son
tour, réalise l'introduction de la cartouche, la fer-
meture et la percussion.
2» Mitrailleuse.^ fonctionnant par emprunt de
gaz. — On distingue :
a) Les mitrailleuses à emprunt de gaz à la
bouche du canon. — Ce système, d'abord adopté
dans la mitrailleuse française modèle 1905 {dite mi-
trailleuse de Puteaux), présente des inconvénients
tels (écbaulTement considérable du canon) qu'on y m
renoncé. (V. t. I", p. 406.)
b) Les mitrailleuses à emprunt de gaz sur le
parcours. — Le principe est le suivant : le canon N
est percé, à une certaine dislance de la bouche, d'un
éventE, qui fait communiquer l'âme du canon avec
une chambre à gaz G {fig. S) ; au départ du coup, dès
que la balle a dépassé l'évent E, une petite partie
des gaz pénètre dans la chambre à gaz G et refoule
en arrière le piston moteur P. Ce dernier agit à son
tour, d'abord sur le mécanisme de fermeture, dé-
verrouillant ainsi la culasse, puis sur la culasse G
elle-même, la portant en arrière et réalisant l'extrac-
tion etl'éjection de l'étui et la miseàl'armé. — Dans
la seconde partie du mouvement, le récupérateur R,
comprimé par le recul du piston P, se détend et
repousse celui-ci en avant. Le piston ramène la
culasse à sa position de fermeture : la cartouche est
JwwwWwvi
MitraiUeuse Coït (américaine).
introduite dans le canon; la culasse est verrouillée;
la percussion a lieu.
Ace système se rattachent la mitraillette Hotch-
kiss et le fusil mitrailleur Hotchkiss, la mitrailleuse
Coït et la mitrailleuse française modèle 1907 (dite
mitrailleuse de Saint-Etienne). La première est en
service en France, en Belgique, au Japon, en Suède
et en Norvège. La mitrailleuse Coït était autrefois
en service aux Etats-Unis (guerre avec l'Espagne).
La mitrailleuse de Saint-Etienne est une arme es-
sentiellement française; on la perfectionne, d'ail-
leurs, tous les jours. (V. t. I«^ p. 677.)
Les principaux avantages de ce système sont :
1° la douceur relative du fonctionnement (un dis-
positif très simple permet de régler la pression des
gaz dans la chambre G); 2° la possibiliië de sup-
primer tout refroidissement à l'eau et de se conten-
ter d'un radiateur métallique (en bronze d'aluminium
dans la Saint-Etienne); 3° la possibilité, le canon
étant fixe et simplement vissé sur la boile de cu-
lasse, de le changer très facilement lorsqu'il est
chaud (cette opération, dans la Saint-Etienne, de-
mande quelques secondes).
A ces avantages la mitrailleuse de Saint-Elienne
joint celui d'avoir une vitesse de tir réglabl-- à
volonté. De plus, toutes les pièces qu'il est néces-
saire de démonter pour le nettoyage s'assemblent
sans l'aide d'aucune vis.
III. Munitions et matériel. — 1» Munilions,
Les mitrailleuses d'aujourd'hui s'alimentent toutes
au moyen de munitions identiques aux cartouches
d'infanterie. Ces cartouches sont disposées, soit sur
72
chargeurs métalliquesrigides, soitsur bandes souples
en toile, soit, enfin, sur bandes métalliques articulées ;
Milrailleuse Sc/iwarztose : bandes en toile de
250 cartouches;
Mitrailleuse Maxim allemande : bandes en toile
de 250 carlouches; les munitions sont transportées
Mitrailleuse Vickers (anglaise).
dans des caisses métalliques contenant 2 bandes,
soit 500 cartouches;
Mitrailleuse Vickers : bandes en toile de 250 car-
touches ; caisses en bois contenant une bande;
Mitrailleuse Ilotchkiss française : bandes métal-
liques rigides de 24 cartouches, ou bandes métal-
liques articulées de 250 cartouches; caisses en bois
contenant 12 bandes rigides;
Mitrailleuse de Saint-Etienne : bandes métal-
liques rigides de 25 cartouches, ou bandes en toile
de 300 cartouches; les munitions sont transportées
dans des caisses en bois contenant 12 bandes ri-
gides ou une bande en toile, soit 300 carlouches.
L'approvisionnement d'une section de mitrailleuses
doit être important (environ 30.000 cartouches), celte
arme étant une grosse mangeuse de munitions.
2° Poids du matériel. — Ces indications montrent
que le matériel qu'une section de mitrailleuses a à
transporter est considérable. Voici quelques don-
nées numériques :
MATÉRIEL
a
c
■S
M
ja
o
B
1
>
£ S
■3
Mitrailleuse
Affût
Vil. er.
23.800
32. 700
4.150
11. .
13. •
kil. gr.
25. »
22.500
10.600
7. ■
13. "
kil. 5'.
16.400
23.900
1.870
1 . r.oo
7. .
kil. KT.
17.500
17.300
1.600
7. .
9. »
kil. gt.
22. •
34. •
1.860
10. .
1
Canon de rocliaogc.
Caisse d'armurier
(contenant les piècrs
de rechange et les
outils pour petites
réparations),
Caisse de cartouches
LAROUSSE MENSUEL
3° Mode de transport. — La question de savoir
quel est le mode de transport qui convient le mieux
au matériel des unités de miti-ailleuses est un pro-
blème qui a reçu dilTérentes solutions.
Les Allemands se servaient, avant la guerre, de
voitures lourdes, assez semblables aux caissons
d'artillerie. Mais ce
mode de Iransport ne
permet pas aux mi-
trailleuses de suivre
l'infanterie sur tous
les terrains. On ne l'a
conservé chez nous
que pour l'approvi-
sionnement en car-
touches du deuxième
échelon (ou « train de
combat «).
Le mode de trans-
port sur anijïiaux de
bât (chevaux ou, de
préférence, mulets)
s'est généralisé dans
un grand nombre d'ar-
mées. 11 a été long-
temps le seul employé
en France, llnécessite
malheureusement un
grand nombre d'ani-
maux. (V. t. l«r,p. 406.)
Dans ces dernières
années, beaucoup d'armées ont adopté le système
des voituretles légères, pouvant suivre l'infanterie
à peu près partout. On a quelquefois essayé de faire
Irainer ces voitureltespar des chiens
(armée belge). En France, on avait
coramencéàemployer avant la guerre,
concurremment avec le
transport sur bâts, des
voiturettes d'un modèle
spécial, attelées d'un seul
cheval, et qui donnent
aujourd'hui toute salis-
faction.
IV. Manœuvre et tib.
— 1° Propriétés du tir.
La balle de mitrailleuse
étant la même que celle
du fusil, présente — à
peu de chose près — les
mêmes propriétés que
celle-ci au point de vue
lie la vitesse initiale, de
la tension de la trajec-
toire, etc. Mais la gerbe
est, avec la mitrailleuse,
beaucoup plus concentrée qu'avec le
fusil. Avec la mitrailleuse française,
100 balles à 100 mètres se logent,
en tir bloqué, dans un carré de 30 centimètres de
côté; vers 1.000 mètres, le terrain battu a une pro-
fondeur de 150 mètres (au lieu
de 800 mètres avec le fusil). Cette
précision du tir de la milrailleuse,
jointe à la rapidité de ce tir,
permet d'obtenir des effets fou-
droyants en un temps extrême-
ment court. Mais, aussi, elle exige
un réglage parfaitement exact;
une eri'eur de hausse est infini-
ment plus grave avec la mitrail-
leuse qu'avec le fusil. D'où la
nécessité d'employer, dans les
sections de mitrailleuses, des ins-
truments permettant d'apprécier
la distance d'une manière aussi
rigoureuse que possible (télémètres).
Quant à la vitesse du tir de la milrailleuse, elle
est, pour la plupart des pièces, d'environ 400 coups
à la minute. Dans la mitrailleuse française, la vi-
tesse, ainsi que nous l'avons dit, est réglable et
peut varier depuis
3 cartouches jusqu'à
600 carlouches et
plus, à la minute; la
dépense de muni-
lions peut êlre ainsi
proportionnée à l'in-
tensité de tir que ré-
clame chaquecas tac-
tique.
Par suite de sa dis-
persion restreinte, le
tir de la mitrailleuse
n'a qu'une efficacité
médiocre aux gran-
des dislances. Aussi
ne l'emploi e-t-on
guère au delà de 1.200 ou 1.300 mèlres. Ainsi que le
dit le règlement français, « la mitrailleuse est
l'arme des mo;/ennes et des petites dislajices ».
2° Méthodes de tir. — Les méthodes de tir de la
mitrailleuse ne ressemblent en rien à celles de
l'arlillerie, comme on se l'imagine quelquefois. Elle
«• 121. Mars 1917.
ne disperse pas ses coups, comme l'artillerie, sur
une profondeur déterminée; mais elle cherche à
porter immédiatement son groupement sur l'objectif
afin de ne pas permettre à celui-ci de se teri'er, car
elle ne peut rien contre un ennemi abrité. Elle
procède toujours par rafales violentes, déclanchées
par suiprise.
Elle tire soit en tir bloqué sur un point déter-
miné (créneau, boyau ou tranchée pris denlllade,
pont, route), soit en tir sans fauchage sur un
olijectif étroit (allaque massée, mitrailleuse ennemie,
lignes d'infanterie prises d'enfilade), soit en tir
avec fauchage (lignes d'infanterie battues de face,
objectifs dispersés) : dans ce dernier cas, le fauchage
se fait toujours par paquets, en concentrant les
coups sur les points les plus denses de l'objectif.
Certains règlements étrangers (le règlement alle-
mand entre autres) préconisent aussi le faucliage
en profondeur dans tous les cas; mais on arrive
ainsi au gaspillage des munitions, sans résultat
appréciable. En France, le fauchage en profondeur
(tir i< au volant », tir surhausses échelonnées) n'est
admis que poiir le réglage ou, comme pis aller,
lorsque ce réglage n'a pu être effectué.
3» Manœuvre. — Chaque pièce est manœuvrée
par quatre servants : un chef de pièce, un tireur,
un chargeur, un aide-chargeur. Il existe, en outre,
des pourvoyeurs, chargés du ravitaillement en
munitions, des armuriers, chargés de l'entretien
des pièces et des petites réparations.
La section comprend toujours deux pièces, qui ne
doivent jamais manœuvrer isolément.
La section est d'abord amenée à la position de
déchargement, position abritée à partir de laquelle
Mitrailleuse de Saint-Etieiine.
le matériel, chargé jusque-là sur les bâts ou les
voitures, est porté à bras. La section progresse
ensuite de position d'abri en position d'abri, en
utilisant les défilements convenables. Elle peut
prendre la formation en tirailleui-s, comme l'infan-
terie. Arrivé à la dernière position d'abri, le chef
de section reconnaît une position de tir; il indique
les éléments du tir aux deux chefs de pièce, puis
fait mettre en batterie. C'est le moment critique
de la manœuvre, celui où la section doit surtout
prendre garde d'êti'e repérée par l'artillerie ennemie.
En principe, les deux pièces prennent le même
objectif et presque toujours la même hausse. Mais
une seule ouvre le feu, l'autre se tenant pi-êle à
la remplacer immédialement en cas d'enrayage.
Toutefois, les deux pièces peuvent tirer en même
temps sur des objectifs visibles, peu de temps ou
particulièrement menaçants.
V. Emploi tactique. — Les mitrailleuses n'ont
qu'un moyen d'action : leur feu. Aussi, quoi qu'on
en ait dil, sont-elles surtout aples à la défensive.
1° Dans la défensive, les mitrailleuses fourniront
/
/
leur rendement m.iximum lorsqu'elles seront or-
ganisées en Hanqueinent, c'est-à-dire lorsqu'elles
donneront des feux sensiblement parallèles à la
ligne qu'il s'agit de défendre, de telle sorle que
toute fraction ennemie qui tenterait d'aborder celte
ligne soit prise d'enfilade. On obtiendra ce résultat
«• 121. Mars 1917.
en installant les mitrailleuses, soit comme dans la
fig. 4, dans un coude BG de la lianchée AD où la
section de mitrailleuses M fournit des feux paral-
lèles à l'élément de tranchée AB, soit comme dans
la fig. 5, dans un saillant BGD de la tranchée AE,
où la section de mitrailleuses M fournil également
des feux parallèles à AB, soit, enfin, comme dans la
ftg. 6, dans un rentrant ABC de la ligne où les deux
sections de mitrailleuses M et N fournissent res-
pectivement des feux parallèles à
AB et à BC. Celte dernière dispo-
sition est excellente, parce que les
mitrailleuses y sont mieux à l'ahri
des coupa de main que dans les deux
précédentes et, surtout, parce qu'elle
permet d'obtenir un résultat qu'il y a
lieu de rechercher chaque fois que
c'est possible : le croisement des feux.
LesmitrailleusespeuvenI être éga-
lement employées, dans la défensive,
à balayei' les secteurs privés des
feuxdi'nfanterie, à battre les délile-
menlaiiar où l'ennemi peut progres-
serfacilemenlet où il importe d'oble-
nir une grande concentralionde feux
(vallonnements,ravins,anglesmorls).
2» Est ce à dire que, dans Voffen-
iioe. les milraillensesn'ontaucun rôle?
Loin delà, leurrôle est double.
a) La seule façon, pour les mitrail-
leuses, d'aider une offensive est de
l'aider par leurs feux. Il est évident
qu'il faut, pour cela, qu'elles restent
en position, tandis queTofTensive pro-
gresse. Aussi doit-on toujours cher-
cher, dans ce cas, à les installer sur
des positions dominantes d'où elles
puissent continuer à tirer par-dessus les troupes as-
saillantes. Elles réalisent alors des/'euxt/ejieuira/i'sa-
tion, qui forcent l'ennemi à se terrer et l'empêchent de
réagir. Elles complètent la préparation de l'arlillerie.
6) Les mitrailleuses, dit le règlement français, ne
doivent pas chercher à suivre l'infanterie pas à pas.
Toutefois, il esl souvent nécessaire, dans une action
offensive, de détacher quelques sections de mitrail-
leuses qui suivront de près l'infanterie et s'efforce-
ront d'arriver sur la position conquise peu après
les premières vagues d'assaut. La mission de ces
sections de manœuvre sera de conserver le terrain
conquis, de faire échouer par leurs feux les contre-
attaques ou les retours offensifs de l'ennemi; ce
sera encore, si l'on veut, un rôle défensif, et il y
aura lieu de tenir compte de ce qui a été dit plus
haut sur les avantages des feux de (lanquement
"Vl. Fortification de campagne pour mitrail-
leuses. — La grande ennemie des mitrailleuses,
c'est l'artillerie. Il importe donc que les mitrail-
leuses, plus encore que l'infanlerie, soient défilées
aux vues et, autant que possible, aux coups de l'ar-
tillerie adverse.
Dans la guerre de campagne, des plates-formes à
ciel ouvert, d'exécution rapide, suffisent généra-
lement.
Dans la guerre de tranchées, deux types de tra-
vaux sont employés: l'abri et la plate-fornic. XJabri
doit être solide, aussi enterré et aussi invisible que
possible. Ces conditions, font remarquer les parti-
sans du second système, sont contradictoires: pour
être très solide, un abri doit nécessairement avoir
du relief, donc êlre visible, à moins qu'on n'emploie
des matériaux d'une résistance exceptionnelle (abris
bétonnés, coupoles blindées).
Aussi préfère-t-on souvent aujourd'hui le système
des plaies-formes à ciel ouvert, reliées par galeries
souterraines à des abris-cavernes où se tiennent le
personnel et le matériel pendant le bombardement,
jusqu'au moment de tamise en batterie. Le grand
avantage des plaies-formes esl qu'elles sont très peu
visibles et, en tout cas, faciles à camoufler.
La question de savoir quel est le meilleur des
deux systèmes est une question d'espèce. La solution
dépend, dans chaque cas particulier, des circons-
tances (circonstances lacliques, nature et configura-
tion du terrain, matériaux et temps disponibles, etc.).
VII. Fusils mitrailleurs. — Outre les mitrail-
leuses proprement dites, il existe d'autres armes
automatiques à tir continu, auxquelles on a donné le
nom de •■ fusils mitrailleurs ». La plupart de ces ar-
mes peuvent réaliser h volonté soit le tir coup par
coup, soit le tir continu (dit tir << en mitrailleuse >>).
Il ne faut donc pas les confondre avec les « fusils
aulomatiques » (Mauser automatique, Mondragon,
Cél-Rigotti, fusil de chasse Browning), qui n'exécu-
tent que le tir coup par coup.
Les fusils mitrailleurs ressemblent extérieurement
aux fusils ordinaires. Ils sont munis d'une crosse,
qui sert à épauler ; ils n'ont pas d'affût comme les
mitrailleuses, mais reposent sur une simple fourche
articulée qu'on appuie sur le sol.
Par suite de la difliculté qu'il y aurait pour le
tireur à maintenir l'arme pointée pendant un tir
continu de longue durée, leur tir s'exécute gé-
néralement par rafales de 5 ou 6 cartouches. Ils
«xigent donc un approvisionnement en munitions
LAROUSSE MKNSUEL
beaucoup moins considérable que les mitrailleuses
Ils sont aussi plus légers, plus mobiles, plus faciles
à dissimuler et réclament moins de personnel (un
tireur et deux servants suffisent).
Aussi, dans une attaque, les fusils mitrailleurs
peuvent-ils marcher avec les vagues d'assaut elles-
mêmes (on peut même tirer en marchant), tandis
que les mitrailleuses suivent à distance. Ils permet-
tent d'allendn,' l'arrivée des mitrailleuses, dont ils
Mitrailleuse Hotchkisa fraDi;aise.
n'ont cependant ni la précision, ni la rapidité de tir.
Leur légèreté les rend tout particulièrement aptes
à l'armement de l'aviation.
Les principaux fusils mitrailleurs actuellement en
service sont: \e fusil milrail leur Unlcli/ciss,toaclion-
nanl par emprunt» de gaz sur le parcours (en service
aux Etats-Unis sous le nom de fusil Benet-Mercier);
Le fitsil milridlleur Madsen, fonctionnant par
long recul du canon (en service en Russie, au Japon,
au Danemark, et dans un certain nombre d'Etats de
l'Amérique du Sud) ;
Le fxisil mitrailleur anglais Lewis, fonctionnant
par emprunt de gaz ;
Le fusil mitrailleur français modèle 1915 {C.
73
organisées, chez nosennemis, de la manière su! vante:
a) compagnies régimentaires : 3 compagnies de
mitrailleuses par régiment d'infanterie (certains
régiments n'ont encore que i compagnies ; la com-
pagnie comprend H et parfois 8 pièces);
b) groupes de mitrailleuses d'élile (Mascbinenge-
wehr — ScharfschUlzen — Ableilungcn), compre-
nant 2 ou 3 compagnies à 6 pièces chacune et formant
une réserve à la disposition du commandement (il en
existe 53 sur notre Iront et 60 sur le front oriental);
c) sections de mitrailleuses légères [leichte Mas-
chinengewehr — Trupps] (il en existai! 111 au mois
d'octobre, armées chacune de 9 fusils mitrailleurs
Bergmann). — a. D'AKDiti.oif.
monaxone (du gr. monos, unique, et de axe)
adj. et n. m. Se. nat. Se dit des formes ayant pour
milieu naturel un axe uniaue (ex. l'œuf d'oiseau) :
La coupe transversale à l'axe est circulaire chez
les M0NAX0NE8. /.es MONAXONES SOI/ très largement
représentés dans le monde organique.
monaxonle n. f. Se. nat. Caractère propre
aux formes monaxones : La monaxonie des lentilUê
plan-convexes.
Mont-Saint-Mlcliel. La question du Mont-
Saint-Michel (v. Lar. Mens., t. III, p. 119) va-t-elle
entrer dans une nouvelle phase? La communication
que viennent de faire C. Galaine et C. Houlbert à
l'Académie des sciences (« Comptes rendus » du
20 novembre 1916) semble porter à le croire. On sait
que la baie du Mont-Saint-Michel se comble de plus
en plus, les fonds s'exhaussaut progressivement et
assez rapidement, de sorte que l'aspect insulaire de
la célèbre abbaye est de plus en plus menacé.
Gomme cause première de ces phénomènes, on
avait surtout incriminé la digue construite en 1878
et qui, provoquant une stagnation plus ou moins
grande des eaux, devait favoriser les dépôts et dé-
terminer un exhaussement du fond de la baie.
C'est à la suile d'une entente entre le ministère
des beaux-arts et celui des travaux publics que le
programme de travaux dont nous avons parlé
(t. m, p. 119) fut examiné. D'autres projets sont
également aussi proposés; entre autres, celui de
l'Association des Amis du Mont-Saint-Michel, qui
parait plus radical que celui de l'administration.
Quoi qu'il en soit, il semble bien que la digue ne
joue qu'un rôle très secondaire dans l'ensablement
de la baie et que sa suppression ne modifierait en
rien l'élat existant et n'empêcherait pas l'évolution
Carte de la baie du Mont-Saint-Michel, montrant les terrains gagnés sur la mer.
S. it. G.), fonctionnant comme le madsen par long
recul du canon ;
Le fusil mitrailleur allemand Parabellum, in-
venté en 1913, mais construit et mis en service seu-
lement au cours de la guerre actuelle (il fonctionne
par court recul du canon);
Le fusil mitrailleur Bergmann modèle 1915, mis
en service récemment chez les Allemands et d'abord
destiné par eux à l'aviation (mais ses irrégularités
de fonctionnement en cours de vol étaient telles
qu'ils ont dû eu former des « sections de mitrailleuses
légères » pour leur infanterie; il fonctionne, comme
le précédent, par court recul du canon, pèse 12 kilo-
grammes, et par série de 30 cartouches).
VIII. Oroanisation des mitrailleuses dansl'ar-
MÉE allemande. — Les mitrailleuses semblent être
du phénomène. Celui-ci semble êlre la conséquence
de deux faits distincts : l'un d'ordre purement géo-
logique, et qui consiste dans des mouvements verti-
caux (l'oscillation auxquels se trouve soumis le fond
du golfe (c'est, d'ailleurs, à la su. te d'un affaissement
du sol qu'un certain nombre de villages ont été
progressivement envahis par les eaux et se trouvent
aujourd'hui envahis par la baie, le dernier ayant été
submergé en 1630); Vautre, qui vient d'être signalé
par C. Galaine et C. Houlbert, est d'ordre biologi-
que et provient d'» importantes barrières récifales
édifiées par les hermelles {hennella alveolata),
lesquelles, s'étendant par le travers de la baie dans
la direction Chapelle-Sainte-.\nne-Granville, bar-
rent complètement les estuaires côtiers sur une
étendue qui n'est pas inférieure à 10 kilomètres ».
74
L'hermelle, que l'on rencontre sur les côtes de
France {kermella alveolata), est une annélide qui
vit dans des tubes formés de sable, les tentacules
aplatis de la têle sortant par l'orifice; comme ces
tubes sont voisins les uns des autres, leurs inters-
tices se remplissent de sable, et
l'ensemble constitue des bancs
dont la masse s'accroît peu h peu
et qui atteignent parfois une
grande épaisseur; les tentacules
que chaque individu laisse sortir
de son tube donnent à ces bancs
une couleur vert-pourpre. Au-
douin et Milne-Edwards avaient
observé jadis que ces annélides
se développaient parfois sur des
bancs d'huitres et finissaient sou-
vent par les recouvrir entière-
ment de leurs masses sablon-
neuses et les détruire; précisé-
ment, ils ont signalé cette action
dans la baie Saint-Michel. G.
Galaine et G. Houlbert ont re-
connu que ces récifs d'hermelles
se développent dans cette baie
HermoUe. dcpuis les bancs de sable du nord
de Cherrueix jusqu'à la hauteur
de Dragey, formant, « sur une largeur de 3 kilo-
mètres, une digue d'îlots, tantôt réunis, tantôt sé-
parés, entre lesquels et en arrière desquels, d'an-
née en année, s'accumulent les sables amenés par
les courants ».
L'estuaire du Couesnon a déjà été modifié par ces
dépôts, dont l'épaisseur, qui était de huit à dix pieds
Récif d'hermelles alvéolaires dans leurs tubes.
vers 1830, d'après Audouin et Milne-Edwards, est
devenue aujourd'hui de cinq à six mètres. 11 semble
bien que c'est cet exhaussement continu, provo-
aué par les hermelles, qui menace d'assécher le fond
de la baie, et il y a lieu de croire que, si les récifs
d'hermelles étaient détruits, les sables accumulés
seraient balayés par les courants et emportés vers
la haute mer. — G. Larivièke.
Pensions. (EcHéANOE.) Législ. — La loi du
12 août 1876 avait, dans son article 13, fixé aux
1" mars, l"juin, i" septembre et l«r décembre
les dates de payement des arrérages des pensions à
la charge de l'Etat.
Afin de remédier aux inconvénients que présente,
pour les comptables aussi bien que pour les intéres-
sés, l'affluence dans les bureaux des pensionnaires,
dont la guerre va encore augmenter le nombre, la
loi du 31 décembre 1915 a substitué le système des
échéances individuelles à celui des échéances com-
munes à l'ensemble des pensions.
Pensions concédées postérieurement au 4 jan-
vier 1916. — Les arrérages des pensions inscrites
sur le grand-livre de la Dette publique, dont la
concession a été publiée au Jowmal officiel posté-
rieurement au 4 janvier 1916, seront payables tri-
mestriellement et à terme échu. La date des échéan-
ces est indiquée sur les titres de pension et fixée de
manière à répartir les payements sur l'ensemble du
trimestre.
Pensions concédées antérieurement au 4 jan-
vier 1906. — Les arrérages de ces pensions seront
payés aux époques des l«r mars, l'^juin, l»' sep-
tembre et l" décembre (loi du 12 août 1876). Elles
ne seront soumises à la règle qu'au furet à mesure
du renouvellement des certificats d'inscription, lors-
que les cases réservées à l'estampillage auront été
épuisées. — m. p.
Pièce (Ma), par Paul Lintier (Paris, 1915). —
Entre tous les genres d'ouvrages directement ins-
pirés par la guerre, un des plus intéressants, mais
aussi des plus délicats, est celui des Carnets de
route. Qu'un homme, qui a participé à de grandes
choses, éprouve le désir d'en consigner la mémoire,
rien de plus naturel ; mais qu'il sache traduire ses
impressions de façon vivante et précise, sans altérer
par une inutile richesse de littérature le pittoresque
des scènes ou la sincérité des souvenirs, voilà qui
est plus difficile. Or, c'est là précisément le grand
mérite du livre de P. Lintier; non seulement l'au-
teur conte avec sincérité, n'accordant aux choses que
l'importance qu'elles ont eue réellement à ses yeux,
mais encore il a trouvé la forme la mieux adaptée
à son sujet : une phrase sobre, nerveuse, unique-
LAROUSSE MENSUEL
ment curieuse du terme propre, égayée par endroits
d'images précises et fortement suggestives. Ainsi
s'atteste une véritable maîtrise, dans ces pages d'un
jeune homme d'à peine vingt-deux ans.
P. Lintier, en effet, accomplissait son service lors
de la déclaration de guerre. 11 a donc vécu dès les
premières heures la fièvre de la mobilisation et
l'énervement d'une attente qu'aggravait l'incertitude
de l'avenir.
C'est la guerre I on le sait; tout lo dit. Il faudrait être
fou pour ne pas croire à la guerre. Malgré tout, on se sent
à peine ému : on ne croit pas.
Ainsi débute le carnet, à la date du 1*' août.
Bientôt, cependant, la réalité s'atteste : c'est l'arrivée
des réservistes, la distribution des plaques d'identité,
les démarches inquiètes des femmes, mères, sœurs,
amies, qui viennent embrasser leurs soldats :
Toutes sont braves ; elles cachent leur émotion ; mais
l'angoisse accuse leurs traits, égratigne leur front, vieil-
lit leur visage.
Enfin, le samedi 8 août, le régiment défile au
milieu des rues pavoisées, qui donnent à ce dé-
but de guerre l'aspect d'une fête des fleurs. Pour-
tant, nulle exubérance; chacun a le sentiment de
la gravité de l'heure :
Vraiment, le départ de ces hommes, d'entre lesquels
lioaucoup no reviendront pas, est admirable. Les canon-
iiiers sourient, immobiles sur leurs coffres ou abandonnés
au pas des clievaux. Les femmes, sur notre passage, ont
dos gestes tragiques d'adieu. Nous sommes cmus, mais
c'est plutôt l'émotion de ce peuple, tout entier dans la rue,
qui nous gagne, qu'une angoisse venue de nous-mêmes.
Après l'embarquement aux docks et un voyage de
trente heures, la bat-
terie arrive auprès
de Verdun. Delà vont
commencer les mar-
ches d'approche.
Il serait dilficilede
suivre Lintier dans
ses pérégrinations;
jusqu'au 2 1 août, l'ac-
tivité de la batterie
se limite à des allées
et venues à travers
les villages de la
Meuse, ce qui four-
nit prétexle à l'au-
teur de noter quelques scènes pittoresques ou de
manifester sa sensibilité dans de délicats paysages,
comme celui-ci :
La nuit se clôt, une nuit claire, où, parmi les étoiles,
inquiet, je cherche les lueurs des projecteurs. Au bord de
la route, dans un parc à bétail do 1 armée, un troupeau
innombrable dort. 'Tout serait absolument calme et silen-
cieux dans la campagne, sans le grand roulement sourd de
notre colonne en marche. Les dernières résonances du
jour et les premières lueurs do la lune, qui va se lever à
l'orient, se mêlent en une clarté diffuse tout à fait étrange.
L'ennemi, cependant, demeure invisible, et nous
n'avons de la guerre que des images très brèves :
défilés de régiments de ligne, dont les longues
colonnes, rouges et bleues, ondulent avec un mou-
vement souple de bête qui rampe, visions rapides
de combattants qui reviennent de la bataille et dont
les yeux ont une mobilité égarée, alertes soudaines
qui mettent au cœur des canonniers un espoir'mêlé
d'appréhension; mais les jours passent, et l'attente
se prolonge, attente vraiment angoissante, qui in-
llige à nos nerfs cette tension douloureuse qu'on
éprouve parfois lorsque, l'orage couvrant le ciel, on
attend la seconde où il va éclater.
C'est en Belgique, aux environs de 'Virton, que
se produit enfin le choc entre la batterie de Lintier
et les forces ennemies, et nous voilà dès lors en
pleine bataille. Mais qu'on ne s'imagine pas trouver
de vastes récits d'ensemble. Le rôle de l'artilleur
est de lutter contre l'ennemi sans le voir; il parti-
cipe à la bataille, mais n'en peut distinguer les pé-
ripéties. Tous les souvenirs de Lintier se bornent
donc à relater les mouvements de sa pièce, avance
ou recul, suivant le sort des armes. Rien, cependant,
dans tout cela de monotone ou d'insignifiant. C'est,
au contraire, par ces notations menues et exactes
que se fixe la physionomie véritable d'une guerre
et de ceux qui y "prirent part. Elles ont, en outre,
l'avantage de nous faire participer d'une façon
étroite et suivie à toutes les émotions des combat-
tants. 'Voici, par exemple, les impressions d'un
baptême du feu :
Nous -allons combattre. Il fait chaud. Il est environ dix
heures. Du pays inconnu, qui s'étend de l'autre côté des
collines, nous vient le bruit formidable de la bataille. La
fusillade pétille. Les mitrailleuses font un vacarme pareil
à celui des vagues s'écroulant sur des brisants. Le ton-
nerre de l'artillerie enveloppe tous ces bruits, les mêle
en une seule voix... — En avantl Où allons-nous, bon
Dieu, où allons-nous 7 Vers l'arbre en boule, vers cette
cime dont la mi traille allemande, depuis deux heures déjà,
n'a pas épargné un arpent. Pourquoi nous mène-t-on là?
Pourquoi? La mort n'a cessé de tomber là-bas depuis que
le brouillard s'est levé. Et nous allons à elle. L'angoisse
m'étr.ingle ; je raisonne pourtant, je comprends clairement
que l'heure est venue de faire lo sacrifice de sa vie... Ce
bouillonnement d'animalité et de pensée, qui est ma vie,
N' 121. Mars J977
tout à l'heure va cesser; mon corps sanglant sera étendu
sur le champ. Je le vois. Sur les persiiectives de l'avenir,
qui, toujours sont pleines de soleil, un grand rideau tombe.
C'est flnil Ce n'aura pas été très long; je n'ai que vingt
et un ans.
Sublime résignation, qui ne parvient pas, cepen-
dant, à étouffer les révoltes de l'instinct; Lintier le
confesse sans fausse honte :
L'obus vient droit sur nous... Je tends le dos; je trem-
ble. Je sens eu moi trépider l'instinctif besoin de fuir. La
bête se cabre devant la mort I
Pendant de longs instants, se poursuit cet intime
duel entre la volonté et l'instinct :
Je sue, j'ai peur..., j'ai peur... Je sais bien, pourtant,
que je ne fuirai pas, que je me laisserai tuer à ma place.
Enfin, la volonté triomphe :
A voir lo commandant, qui, les bras croisés, fait paisi-
blement les cent pas derrière la batterie, j'ai honte de
trembler. Il se passo en moi quelques secondes de drame
furieux, confus. Puis, il me semble que je m'éveille d'un
engourdissement de fièvre, plein d'horribles cauchemars ;...
l'instinct a cédé. Je ne tremble plus.
Cette acuité que Lintier marque dans l'analyse de
ses sentiments, il la porte également dans la notation
des spectacles axtérieurs spectacles douloureux, qui
évoquent les tristesses de nos premières défaites :
Dans les floti ae la retraite, il faut se frayer de force
un passage. De fiont avec la colonne d'artillerie marchent
les bataillon!: qui cnt encore des chefs. Et, à droite et à
gauche, ballottés comme des débris de liège au courant,
ernportés dans des remous, parfois jetés au fossé et par-
fois entraînés par le torrent, des lambeaux de troupes
achèvent d'encombrer le chemin : blessés, éclopés, hom-
mes fourbus, sans fusil, sans sac, soldats égarés.
Ainsi, pendant des pages, se déroule le drame poi-
gnant de la retraite, parmi les alertes, les incendies
de villages, les fuites lamentables de paysans; cal-
vaire douloureux, qu'aggrave le muet reproche des
choses et des êtres qu'on abandonne :
Ah ! nous le connaissons, le remords poignant des re-
traites ! Vraiment, une honte intime nous écrase à la tra-
versée de ces villages que nous ne savons pas défendre,
que nous abandonnons à la rage de l'ennemi. Les choses
y prennent des visages d'humaine douleur. Les façades
des demeures abandoimées ont des physionomies de souf-
france.
C'est que, comme le dit ailleurs Lintier, dans les
jours de défaite, se révèle aux hommes une émou-
vante compréhension de la patrie :
Une armée tout de suite victorieuse ne peut atteindre
les profondeurs de ce sentiment. Il faut avoir lutté, avoir
souffert, avoir craint, ne fût-ce qu'un instant, de la perdre,
pour comprendre ce qu'est la patrie. Elle est tout le
charme de la vie. Elle est toutes les affections, toutes les
joies dos yeux, du cœur, de l'esprit ; tout cela est uni, per-
sonnifié en un seul être, un être vivant, souffrant, fait de
la volonté de millions d'individus : la France !
De telles réflexions, direclement inspirées des
faits et jetées sur le papier dans la fièvre même de
l'action, confèrent au livre de Lintier une portée
morale qui dépasse de bien loin le simple intérêt
anecdotique.
Après les émouvantes péripéties de la retraite,
nous retrouvons notre héros, le 6 septembre, aux
environs de Paris. L'aspect riant et paisible de la
banlieue parisienne, dans le dimanche d'été, le sur-
prend et le charme. Pourtant, l'ennemi est aux
portes, et on se bat ce jour-là sur le Grand Morin...
Le lendemain, la batterie se porte à son tour sur les
champs de la Marne. De nouveau recommencent les
randonnées sur les routes jalonnées de chevaux
morts, gonflés comme des outres et qui menacent
le ciel de leurs pattes raides aux ferrures luisantes.
On croise des blessés, des centaines de blessés,
blancs de poussière, avec des pansements rouges;
quand on les interroge, ils répondent seulement :
(I 11 en tombe 1 » On ne sait pas s'il s'agit de balles,
d'obus ou d'hommes. Mais on voit bien, à l'expres-
sion des visages crispés et hagards, que la lutte
est dure. Enfin, la batterie prend position : nous
voilà, avec l'auteur, au cœur de la bataille de la
Marne. En revoyant ses notes, Lintier eût pu aisé-
ment, avec quelque imagination, amplifier son
récit; il n'a pas voulu, dans sa scrupuleuse sincé-
rité, l'étendre au delà de sa vision personnelle. Et
que peut voir un canonnier, occupé, derrière le
blindage d'acier, au service de sa pièce? Bien peu
de chose; témoin et acteur de la grande victoire,
Lintier a tenu son rôle, sans démêler la suite des
événements, sans se douter même du dénouement
Tout au contraire, trompé par les mouvements de
troupes, Lintier et son entourage avaient, en fin de
journée, l'impression d'une nouvelle défaite :
La nuit vient. En ordre, les régiments de ligne se re-
plient par le fond du vallon dont nous occupons les pen-
tes. Des chasseurs à cheval passent au trot, puis toute
une brigade de cuirassiers. C'est la rotr;iite! Nous som-
mes battus,... battus!... L'ennemi marche sur Paris!
Le lendemain matin seulement, alors que la bat-
terie, demeurée sur place, s'inquiète du silence et
s'attend à une surprise de l'ennemi, un officier,
passant sur la route avec son bataillon, interpelle le
commandant :
Qu'est-ce que vous faites donc là avec votre groupe ? —
AC 121. Mars 1917.
Voas voyez,... nous surveillons la route do Nanteuil. —
Alors, vous ne savez pas? — Non, quoi? — L'ennemi a
f.... le camp pondant la nuit. (Les deux officiers se re-
gardent en face et sourient) : — Alors? — Alors, c'est la
victoire! (La nouvelle, qui passe de pièce en pièce, nous
secoue tous de joie. La victoire, ia victoire... Quand nous
nous y attendions si peu ! )
La naïveté des imageries populaires nous a mon-
tré souvent, après la victoire, les soldats exubé-
rants, pleins d'une animation joyeuse. Voici ce que
note Lintier, au soir de cette grande journée :
Le temps s'embrume. La campagne, oiltrainont toujours
çà ot là dos effets, des armes et dos cadavres, monotone
et terne sous le ciel gris, nous enveloppe d'une tristesse
qui va jusqu'à l'angoisse. Il faut se répéter: ■ C'est lavic-
toiro ! • pour sentir encore la joie, pourtant si profonde,
do savoir la patrie sauvée.
C'est que les impressions extérieures comptent plus
que les sentiments pour des hommes qui, depuis
des semaines, luttent et souffrent. Les dernières pages
du livre, consacrées à la rude poursuite qui rejeta
l'envahisseur des plaines de la Marne aux rives de
l'Aisne, sont à cet égard caractéristiques. Dans cette
marche, pourtant victorieuse, nulle allégresse, nul
entrain. Le temps est devenu mauvais et, plus qu'à
la joie de leur triomphe, les hommes sont sensibles
à la pluie qui les traverse : « On serait joyeux, s'il
ne pleuvait pas tant. » A voir ces attelages qui
vont, la tête IJasse, les oreilles mobiles à cause de la
pluie qui les chatouille, ces hommes alourdis, silen-
cieux, sous leurs manteaux noirs, où les visages,
contractés par les piqûres de la pluie qui cingle,
disparaissent à moitié, ces fantassins misérables et
trempés, qui cheminent péniblement dans un fleuve
de craie liquide, croirait-on que ce sont des vain-
queurs qui passent?
Par cette rude sincérité, que seconde un art pro-
fond, mais à peine apparent, le livre de Linlier reste,
en même temps qu'une œuvre remarquable, un té-
moignage émouvant et plein de vérité des premiers
mois de la Grande Guerre. Blessé, en effet, à la main
droite, le 22 septembre, Lintier arrêta là son jour-
nal. Il devait y ajouter, dix-huit mois plus tard, une
conclusion héroïque et douloureuse. Malgré sa mu-
tilation, il avait refusé la réforme; ce jeune homme,
un qui débordait l'amour de vivre et qui avait tra-
duit cet amour en une page d'une inégalable beauté,
estimait, cependant, que la vie n'a de prix que dans
la victoire. « 'Vivre, vivre encore ce soir, avait-il
écrit, et pourtant vaincre d'abord » ! A force de
démarches, il obtint de repartir au front, de rejoindre
sa pièce : le 15 mars 1916, n'ayant pas encore atteint
sa vingt-troisième année, le maréchal des logis
Paul Lintier tombait au champ d'honneur, sur le
front de Lorraine. — FéUi GuiRiNo.
Quentin-Baucliart (Pierre), historien et
homme politique français, néàParis le 28 avril 1881,
mort au champ d'honneur à Bouchavesnes, le 8 oc-
tobre 1916. Il avait donc trente-cinq ans, et déjà
son nom, connu par trois générations d'hommes po-
litiques et d'hommes de lettres, avait acquis, grâce
à lui, un nouveau lustre. On sait que son bisa'ieul
avait été représentant du peuple à l'Assemblée de
1848, rapporteur de la commission des journées de
Juin, sénateur de l'Empire; son grand-père, maître
des requêtes au conseil d'Etat, s'était adonné à la
bibliophilie, sur laquelle il avait publié d'excellents
travaux; son père, Maurice Quentiu-Bauchart, avait,
sous le nom de Jean Berleux, donné de délicieux
romans et avait célébré la mémoire du Prince im-
périal dans un émouvant volume intitulé : le Petit
Prince; il était surtout connu à Paris comme con-
seiller municipal du quartier des Champs-Elysées.
Pierre Quentin-Bauchart s'était, dès l'enfance, ré-
vélé comme un sujet d'élite. Lauréat du concours
général, licencié es lettres, il soutenait, à vingt-
deux ans, une thèse de doctorat es lettres de l'Uni-
versité sur Lamartine homme politique, qui fut
justement remarquée. Il y expliquait l'évolution des
idées du grand poète, tant surles questions diplo-
matiques que sociales; il montrait ce qui, en lui,
était supérieur aux Thiers et aux Guizot même : la
hauteur d'âme qui, dédai^^nant les diflicullés quoti-
diennes, s'épanouissait en un rêve idéologique; ce
qui, également, le rendait impropre aux fonctions
d'homme d'Etat, qu'il ambitionnait pourtant avec
ardeur. H y célébrait le rôle ma.;,'nifique que l'ora-
teur avait, cependant, pu jouer durant les heures
tragiques de 1848, où sa mâle éloquence remporta
un triomphe unique peut-être dans l'histoire.
Dans un second volume : Lamartine et ta Poli-
tique extérieure de la révolution de Février,
Quentin-Bauchart montrait comment le chantre de
la Marseillaise de la paix avait su tenir ferme et
haut le drapeau de la jeune République et comme
il avait réussi, en ces circonstances, à « s'adapter »
à ses fonctions.
En 1911, l'historien abordait un sujet anecdotique
avec les Chroniques du château de Compiègne, où
il faisait montre de précieuses qualités de conteur;
les beaux jours du palais construit par Gabriel y
revivent sous nos yeux charmés : Napoléon y ac-
cueille Marie-Louise pour des noces qui semblent
pleines de promesses; Louis-Philippe y marie sa fille
LAROUSSE MENSUEL
Louise au roi Léopold de Belgique; Napoléon III
et l'impératrice Eugénie y donnent à des séries d'in-
vités des réceptions qui comptent parmi les plus
brillantes du second Empire. Entre temps, Quentin-
Bauchart préparait une volumineuse étude sur la
question sociale en 1848. Il fut interrompu par la
mort prématurée de son père, qui l'entraîna pres-
que fatalement vers une voie dilTérente de celle qu'il
avait rêvée. (V. Larousse Mensuel, t. II, p. 73.)
Elu conseiller municipal sans concuri-ent sérieux,
il continua à l'Hôtel de 'Ville l'œuvre paternelle. Il
y recueillait facilement les mêmes sympathies; sa
nature ouverte, que décelait une physionomie char-
mante, au sourire indulgent, parfois teintée d'ironie,
lui valait sur tous les bancs des amis. Se défendant
de vouloir faire de la politique dans l'assemblée mu-
nicipale, il surveillait avec la passion d'un artiste
les intérêts du plus beau quartier de Paris, en même
temps qu'il étudiait la question de l'apprentissage, sur
laquelle il pro-
nonçait, le 15 dé-
cembre 1913, un
discours, docu-
menté, aboutis-
sant à des solu-
tions pratiques.
Donnant, à l'E-
cole des sciences
politiques, dont il
avait été un des
plus brillants élè-
ves, des confé-
rences remar-
quées sur les
grands travaux
de Paris, sur le
socialisme à
l'étranger, il col-
laborait à la Vie
politique dans
lesdeuxmondes,
rédigée par les professeurs et anciens élèves de
l'école, en tenant la rubrique de l'Italie; le résumé
qu'il faisait chaque année de la politique de la Pé-
ninsule était un des plus complets, un des plus per-
sonnels du recueil.
La guerre le prit dans le large épanouissement
d'une jeunesse qui promettait une carrière féconde :
lieutenant de réserve, il courut au devoir, en pleine
conscience du sacrifice consenti. Nommé capitaine
Pierre QueaUn-Uauihart.
75
tion ou ne dépendant pas exclusivement d'une cir-
constance déterminée du service, mais ayant acquis,
sous l'influence des conditions spéciales à la vie
miltiaire, un développement entraînant l'incapacité
de service.
Droits du réformé n' 1. — Lorsque le militaire a
été réformé n" 1, il a droit, quand il n'est pas offi-
cier, à une gratlflcation de réforme. D'après le dé-
cret du 24 mars 1915, « lorsque des blessures reçues
ou des infirmités contractées en service commandé
par les militaires ne rempliront pas les conditions
de gravité ou d'incurabilité requises pas la loi du
11 avril 1831 pour leur donner droit à la pension
de retraite, mais qu'elles seront cependant de nature
à réduire ou même à abolir temporairement leurs
facultés de travail, le ministre de la guerre est auto-
risé à concéder à ces militaires les gTatifications re-
nouvelables dont le taux est fixé pour chaque grade,
selon la gravité de la blessure ou de l'infirmité ».
Des gratifications de réforme. — Les gratifica-
tions renouvelables sont des allocations que le mi-
nistre de la guerre est autorisé à accorder, par
mesure gracieuse, dans les limites des crédits dont
il dispose et dans les conditions suivantes :
Les blessures ou infirmités ouvrant droit à grati-
fications comportent huit catégories, dont le taux
varie de 100 à 10 p. 100. Ce taux, fixé par le Guide-
Barémedes tnt;a/irf^i (instruction du 20 avril 1915),
corrrespond aux chiffres établis par les auteurs et la
jurisprudence en matière d'accidents du travail.
L'examen médical que subissent les militaires en
instance de gratification est le même que pour les
militaires en instance de pension (p. 51); les pièces
à fournir sont également les mêmes et, par analogie
avec ce qui a lieu pour les militaires en instance de
pension, les militaires en instance de réforme n"> 1
avec gratification peuvent attendre, soit au corps,
soit à l'hôpital, la notification de la décision à
intervenir.
La gratification de réforme est accordée pour
deux années et peut être successivement continuée
par périodes semblables; c'est pourquoi elle est dite
gratification renouvelable. A l'expiration du délai
de deux ans, le titulaire est convoqué pour être exa-
miné de nouveau devant le conseil de revision, lors
de la réunion de celui-ci au chef-lieu de canton. La
gratification est soit retirée, soit renouvelée, soit
attribuée à titre définitif. Dans ce dernier cas, elle
est dite permanente et dispense le gratifié de la visite
bisannuelle; elle est concédée lorsque la blessure ou
TARIF DES GRATIFICATIONS
GRADES
Adjudant- chef . . . .
Adjudant
Aspirant
Sergent-major
Sergent
Caporal
Soldat
1"
CATÉGORIE
fr.
1.820 :
1.690 ■
1.625 .
1.560 >
1.430 •
1.170 ■
CATEGORIE
fr.
1.400
1.300 1
1.2:i0 •
1.200 .
1.100 1
900 .
750 .
CATKGORTE
rr.
1.100
1.000
950 1
900
800 <
700 ■
600 •
CATEGORIE
fr.
910
832
791
750
666
582 I
500 !
CATEGORIE
fr.
730 .
666 »
633 ■
600 .
533 ■
466 '
400 >
CATEGORIE
DimlDutioii
CATEGORIE
Diminution
de 30 0 0 Je 20 0/0 de 10 0/0
fr.
550
500
475 '
450 •
400 <
350 .
300 I
fr.
3«g •
334 >
318 >
300 >
2<3 >
234 •
200 >
CATEGORIE
DiminuUon
fr.
184
168
l.'S»
ISO
134
118 .
100 <
au lendemain de la bataille de la Marne, il tint un
des plus durs secteurs de l'Argonne dix mois du-
rant; il s'y trouva avec sa compagnie dans des cir-
constances particulièrement critiques, dit sa citation
à l'ordre de l'armée : « Par sa belle attitude au feu,
sa bravoure, son courage joint à une mâle énergie,
il a su maintenir sa compagnie à la hauteur de
toutes les épreuves. » Blessé â Tahure en octobre
1915, il rejoignit son régiment quelques mois plus
tard. En aoiit, il arrivait sur la Somme; c'est là
qu'à Bouchavesnes, « il fut mortellement frappé,
en faisant, au petit jour, la reconnaissance des po-
sitions qu'occupait sa compagnie en vue d'une nou-
velle attaque ».
Après avoir ainsi annoncé sa mort glorieuse, le
général PayoUe, commandant d'armée, tint à saluer
le vaillant guerrier dans cette élogieuse citation, si
belle en sa concision : « Officier d'une haute valeur
militaire et morale; plein d'entrain, d'une énergie
et d'un courage à toute épreuve. Adoré de ses
hommes et de ses camarades. » — Pierre Rus.
néforinés n" 1. (Gra'hfications de ré-
forme). Législ. mil. Définition. — La réforme n° 1
est prononcée soit pour infirmités ou mutilations
résultant de l)les.surei reçues eu service commandé,
soit pour infirmités provenant de maladies contrac-
tées par le fait des obligations du service militaire,
soit, enfin, pour inBrmités antérieures à l'incorpora-
l'infirmitë, sans être assez grave pour donner droit
à pension, ne parait pas susceptible de gnérison.
C'est également à la fin de la période en cours qne le
passage dans une catégorie inférieure est prononcé.
Les gratifications permanentes ou renouvelables
de toutes catégories sont payables par semestre et
d'avance, sur mandats individuels délivrés par les
sous-intendants, sur production du certificat de vie.
Elles sont payables à l'élranger ou aux colonies,
mais à la condition que le gratifié ait été autorisé k
s'y établir, sur ordre spécial du ministre. Lorsqu'un
titulaire de la gratification transfère son domicile
d'un déparlement dans un autre, il est tenu, sous peine
de perdre les termes échus, d'en informer le sous-
intendant de son ancien et de son nouveau domicile.
Le titulaire de la gratification qui perd .<'on titre
peut en obtenir un duplicata, sur production d'une
déclaration de perte reçue par le maire de la rési-
dence de l'intéressé et visée par le fonctionnaire de
l'intendance préposé au payement de la gratification,
soit par ce fonctionnaire. Kn cas de perte du dupli-
cata, il n'est plus délivré qu'une lettre ministérielle,
destinée à tenir lieu du titre. Celte lettre ne devant
pas être renouvelée, l'intéressé s'expose, en la per-
dant ou s'en dessaisissant, à être rayé des contnMes.
La gratification est également supprimée ou sus-
pendue lorsque les gratifiés ont laissé écouler une
année sans avoir retiré leur mandat de payement
(longue absence), lorsqu'ils ne se sont pas présentés à
76
LAROUSSE MENSUEL
T 121. Mars 1917.
la visile bisannuelle et sur convocation devant la
commission spéciale de réforme, enfin, lorsqu'une
condamnation, des faits graves, une inconduile ou
une indiftnité notoires motivent la suppression. La
gratification est encore supprimée lorsque le titu-
laire a suffisamment recouvré la faculté de travailler.
Dans ce dernier cas, le titre de concession n'est pas
retiré, celte pièce pouvant être utile pour être mise
à l'appui d'une demande de réadinission.
Les anciens militaires qui ont été rayés de la
gratification (amélioration dans l'étal de santé, gra-
tifiés engages ou rappelés à l'activité et ne jouissant
pas d'une solde mensuelle) peuvent adresser une
demande de réadniission, si leur état d'invali-
dité première vient à se reproduire, élanl entendu
que la réadmission ne peut avoir pour base que la
même blessure ou la même infirmité ayant déjà
Une cai-esse inattendue, tableau de Gaston Saintpieri'C
motivé l'admission à la gratification. Tout militaire
réadmis à la gratification reçoit un nouveau litre de
concession, et le titre est échangé contre l'ancien,
qui est détruit; la jouissance de la gratification pour
les réadmis est fixée au jour de la nouvelle décision,
sans que la période d'interruption puisse donner lieu
à rappel d'arrérages.
Lorsque la blessure ou la maladie qui a motivé la
concession d'une gratification de réforme s'est aggra-
vée, le titulaire peut demander son admission à une
pension de retraite ou à une gratification supérieure.
En efi'et, les gratifications des trois premières caté-
gories peuvent être converties en pension et celles
des autres catégories, en cas d'aggravalion constatée
des infirmités les ayant motivées, donner lieu à un
relèvement. Il faut, dans les différents cas à envi-
sager, que l'aggravation se soit produite dans le
délai de cinq ans à compter de la cessation de l'ac-
tivité. Pour le relèvement de la gratification, la de-
mande adressée au ministre de la guerre recevra une
fin de non-recevoir absolue si elle est faite moins de
six mois depuis le dernier examen médical, à moins
que l'intéressé n'invoque une infirmité dont il n'au-
rait pas été fait mention lors des différents examens
médicaux ou une aggravation d'infirmité constatée
par un fait matériel (amputation, par exemple). Pour
la conversion de la gratification en pension, le délai
de six mois est porté à un an. Si l'intéressé n'accepte
pas cet ajournement, il est in vile à se pourvoir devant
le conseil d'Etat. (Circul., 27 févr. 1916.) En cas de
conversion de la gratification en pension, toutes les
sommes perçues à titre de gratification pour la pé-
riode comptant du jour de la jouissance de la pen-
sion sont déduites du payement des premiers arré-
rages. (Instruction du 31 mars 1906.)
La gratification de réforme, étant une allocation
révocable et par suite précaire, n'est pas réversible
en cas de décès, pour tout ou partie, sur la tête de
la veuve ou des orphelins. Toutefois, le ministre
de la guerre peut autoriser le payement du semestre
au cours duquel le gratifié est décédé. Si le paye-
ment est refusé, les héritiers peuvent solliciter un
secours éventuel.
Règles de cumul. — Les règles prohibitives de
cumul en matière de pensions militaires s'appliquent
dans les mêmes conditions à la gratification de ré-
forme. Par suite, un militaire retraité qui a repris
du service et qui, réformé pour blessures de guerre,
obtient une gratification, doit opter entre la pension
ou la gratification. Il a la faculté d'opter provisoi-
rement pour cette dernière qui, en cas d'aggravation
ultérieure, peut être convertie en pension d'inlir-
mité et, par suite, venir augmenter la pension primi-
tive. Le militaire atteint de plusieurs blessures, dont
l'une ouvre le droit à pension et l'autre
:i gratification, ne pourra prétendre
qu'à la pension.
Réforme n» 1 sans gralificalion. —
Il est, en outre, délivré des congés de
réforme n» 1 sans gratification lorsque
la réduction des facultés de travail est
inférieure à 10 p. 100 et lorsqu'elle
met seulement l'intéressé hors d'état
de servir. Le même congé est délivré
lorsqu'un militaire fortuné abandonne
ses droits à la gratification de réforme
au profit de l'Etat : cependant, le
réformé conserve ses droits pour
li's faire valoir dans la suite, si ses
moyens d'existence venaient à lui faire
défaut.
Refus par un réformé n" 1 de ren-
trer dans ses foyers. — Lorsqu'un
militaire, après avoir atienduau corps
la décision qui l'a libéré du service
militaire par voie de réforme n° 1 avec
gratification, refuse de rentrer dans
ses foyers, sous prétexte qu'il a droit
aune pension, l'autorité militaire l'in-
vite à adresser directement au mi-
nistre une réclamation ; il lui en est
donné récépissé, et il est mis en
subsistance dans un corps de troupe
jusqu'à la décision à intervenir. Si
cette décision n'intervient pas dans le
quatrième mois à courir de la remise
de la date de l'accusé de réception, le
réclamant peut se pourvoir devant le
conseil d'Etat.
Gralificalion de réforme et alloca-
tion de la loi du 5 août 19i4. — Deux
cas sont à envisager. Si la famille du
réformé a été admise au bénéfice de
l'allocation au moment où celui-ci a
été appelé sous les drapeaux, la situa-
tion doit être examinée à nouveau, et
la commission décide si elle doit main-
tenir l'allocation ou la supprimer du
jour de l'attribution de la gratification.
Mais, si la famille du réformé n° 1 s'est
vu refuser l'allocation ou ne l'a pas
sollicitée, la circulaire du 10 octobre
("*')■ 1914 (Intérieur) considère que la situa-
tion du réformé n"!, jouissant des avan-
tages accordés, ne peut être changée, et l'allocation
doit être expressément refusée. — Marcel Petit.
Saintpierre (Gas^ji-Casimir), peintre fran-
çais, né à Nîmes le 12 mai 1X33, mort à Paris le
19 décembre 1916. 11 commença l'étude de la pein-
ture sous la direction de Jalabert, prit ensuite des
leçons de Léon Cognietetse rendit, enl860, à Oran,
où il exécuta, pour la cathédrale de cette ville, un
tableau représentant : Saint Louis débarquant à
Tunis et deux figures : Saijil Auguslin et Sainl
Jérôme. Ces peintures, habilement traitées, attirèrent
sur lui l'attention du public.
Saintpierre débuta au Salon de 1861 par un por-
trait. Depuis, il exposa chaque année d'autres por-
traits et, surtout, des tableaux d'histoire ou des sujets
algériens, dont la plupart obtinrent d'assez brillants
succès. Nous citerons, parmi ses nombreuses toiles :
la Délivrance de saint Pierre; Daphnis et Chloé;
Léda (musée de Nîmes, 1865); le Sommeil de la
nymphe; Marie la Savoyarde ; Amour riant de ses
coups, tableau très remarqué, qui lui valut une mé-
daille (musée de Châteauroux, 1868) ; Cache-cache ;
Jeunesse; Maria; llacchanle; Fêle israélile à l'oc-
casion des fiançailles ; les Premiers Pas; Jeune
Chasseresse; le Bonheur de bébé; Romance arabe,
souvenir de Tlemcen; la Sieste, souvenir d'Alger,
qui obtint une deuxième médaille (1879); la Fortune,
esquisse d'un plafond ; une Caresse inattendue,
scène gracieuse, où l'artiste nous représente l'héroïne
de Notre-Dame de Paris, Esméralda, rêvant assise
sur son coussin aux larges rayures, quand sa che-
vrette vient, en la caressant, la rappeler doucement
aux réalités de la vie (1881); l'Aurore; Source char-
meuse; Zina; la Chanson (TAziza, la Soultana, la
Femme au tambour; Cltetahdle, fête des femmes
dans un mariage arabe ; Aux écoutes en Algérie,
Saililpierre.
Souvenir des environ.^ de Tlemcen; Soudja-Savi;
Saddia; Vénus; Désœuvrée; Judith; la Nymphe
Salmacis contemptaiU Hermaphrodite; Flore ca-
ressée par Zénhire ; Deux bons amis; l'Attente au
rendez-vovs; Etoile du malin, allégorie élégante;
Dophné; Andro-
mède; Au-devant
de l'aimé; Rêve
d'un croyant; la
Jeune Fille et la
Tortue; la Fem-
me aux lauriers-
roses ; Femmes
arabes enpèleri-
nage à Bou-Mé-
dine; la Vierge
et l'Enfant- Jé-
sus, etc., et toute
une série de por-
traits d'hommes
et de femmes,
d'une excellente
facture.
Saintpierre
empruntait pres-
que tous les su-
jets de ses ta-
bleaux à des intérieurs Israélites et à des scènes
arabes; ses œuvres sont d'aimables fantaisies, d'une
inspiration délicate et d'une heureuse exécution.
Cet artiste est un des derniers représentants de
l'école du fini et du joli. Le nmsée du Luxembourg
possède de lui un Portrait de femme, qui est une
belle et ferme page de peinture. — J.-M. Deusi.k.
SUackletoa (la Dernière Expédition an-
tarctique de). — La dernière exploration entre-
prise par sir Ernest Shacklelon dans les parties les
plus méridionales de notre globe fournit, sur un
autre théâtre que les champs de bataille, une nou-
velle preuve des extraordinaires qualités de volonté,
d'endurance et d'énergie que possèdent les Anglais.
Elle montre qu'en Angleterre comme en Erance,
la guerre n'a pas arrêié l'activité scientifique, ni le
culte des études
désintéressées.
Laterribleguerrp
était déjà décliaî-
née au moment
où, dans les pre-
miers jours du
mois d'août lOl'i, _ — .
sirErnestSliack- ' ^
letonquitta l'An-
gleterre à bord
de VEndurance, , 'X-^l^
avec l'intention I "P^
de gagner la
Géorgie du Sud
et, delà, le con-
tinent antarcti-
que. Ai nsi en
avait décidé le
roi George V lui- Sir Ernest Shacklelon.
même, le jour où
il avait appris que Shackleton, renvoyant son départ
pour les mers australes à une date ultérieure, s'était
mis à la disposition de l'amirauté britannique.
I. On sait quelles belles explorations sir Ernest
Shackleton avait déjà accomplies dans les contrées
les plus méridionales du globe. D'abord comme col-
laborateur du regretté capitaine Scott, de 1 901 à 1904,
puis comme chef de l'expédition du Nimrod en
1907-1908, ce hardi marin avait pénétré profondé-
ment, depuis la Grande Barrière de Ross et les
rivages de la Terre Victoria, à l'intérieur des soli-
tudes glacées qui s'étendent jusqu'au pôle sud; la
seconde fois, il s'était approché du 90° degré de la-
titude jusqu'à 178 kilomètres et, peut-être, sans la
perte d'un mulet chargé de vivres qui avait disparu
dans une crevasse, aurait-il eu l'honneur d'arriver
le premier jusqu'au point le plus méridional de no-
tre planète. Du moins avait-il rapporté de ce péril-
leux voyage les renseignements scientifiques les
plus intéressants et les plus précis. Son courage,
son sang-froid, son expérience consommée, tout
l'autorisait donc à former, pourun nouveau voyage,
les plans les plus vastes et les plus audacieux.
Tel apparaît bien, à qui l'étudié quelque peu, le
firojet conçu par sir Ernest Shackleton et puljlié par
ui à la fin de lal3. L'explorateur voulait faire plus
et mieux encore que par le passé. Son but était
naguère le pôle sud; il se proposait, maintenant,
bien davantage. Après avoir traversé la mer de
Weddell et gagné les rivages antarctiques aux
abords de la Terre du Prince-Régent-Luitpold,
Shackleton comptait s'établir au point le plus favo-
rable et se lancer de là vers le sud, dans la direction
du pôle; après l'avoir atteint et y avoir fait des
observations nouvelles, il gagnerait ensuite la baie
McMurdo, puis il s'embarquerait sur un navirt- que
la dérive des glaces amènerait finalement dans
des eaux libres, d'où l'on n'aurait plus qu'à cingler
sur Port-Chalmers, en Nouvelle-Zélande. Par un
«• 121. Mars 1917.
aventureux voyage d'environ 1.700 milles (soit
2.700 kilom.) sur le continent antarctique, Shackleton
voulait, au total, couper de part en part la masse
lolaire du Sud, entre l'océan Atlantique et l'océan
Pacifique, c'est-à-dire dans une de ses parties les
moins larges ; il réalisait, d'autre part, le projet
qu'il avait tenté naguère de mener à bonne fin; il
LAROUSSE MENSUEL
les marins de VAurora devaient aller au-devant de
ceux de l'Endurance pour leur faclliler l'entier ac-
complissement de leur programme. La chose a-t-elle
été possible, et qu'ont pu le capitaine Mackintosch
et ses collaborateurs 7 Telle est la première question
que nous avons & examiner.
Seize jours après avoir perdu de vue les côtes
Les cliîeiis de loxi-édition dans leur chenil de neige, à cAté du bateau V Endurance.
parvenait à ce point mathématique le plus méri-
dional de notre planète que, seuls, jusqu'ici, ont vu
le Norvégien Roald Amundsen et l'infortuné capi-
taine Scott.
Tel était le plan conçu et mûri par sir Ernest
Shackleton. Pour être entrepris avec toutes les
chances possibles de succès, il nécessitait la nolisa-
tion simultanée de deux navires, dont l'un pénétre-
rait dans la mer de Ross, tandis que l'autre se lan-
cerait sur les (lots de la mer deWedtJell; le premier,
ancré à la limite de la Grande Barrii re ae glace,
dans la baie Me Murdo, enverrait de ce point, au
travers de la région la mieux connue de ce re.iipart
glaciaire et par delà le glacier de Beardmore, des
partis qui établiraient des dépôts de vivres destinés
au ravitaillement de la petite caravane dirigée par
Shackleton lui-même. Ainsi serait facilité l'accom-
plissement des dernières élapes de l'aventureux
voyage elTectué, depuis les bords de la mer de Wed-
dell, par les explorateurs portés sur le second na-
vire jusqu'au littoral désolé de la Terre du Prince-
Hégent-Luilpold.
Grâce à un subside de 100.000 livres sterling
fourni par le gouvernement, Shackleton put rapide-
ment se procurer tout le matériel nécessaire à l'/m-
perial Trans-Antarclic Expédition, — itl était le
nom que, du plan conçu par son chef, avait reçu l'ex-
pédition projetée. L'Êm/urawre, un bâtiment cons-
truit en Norvège sous la direction du Belge Adrien
de Gerlache en vue de reconnaissances dans les
mers polai res, et VAurora , quele D' Douglas Ma wson
avait naguère conduite dans les parages de la Tei-i'e
Adelie (1911-1914), parurent les deux navires répon-
dant le mieux au but proposé ; Shackleton s'en assura
donc la libre disposition. 11 fit d'autre part appel,
pour constituer l'étal-major scientifique de sa mis-
sion, à son ancien compagnon, le professeur David,
qui avait naguère groupé autour de lui, sur le Nimrod,
des savants dont les tiavaux ont fait de cette expé-
dition polaire anglaise la plus féconde aupoint de vue
de la géologie, de la glaciologie et de la géogi-aphie
physique. Avec lui, avec des spécialistes des régions
antarctiques, comme le capitaine Mackintosch et
Frank Wild, Shackleton était sur de se trouver bien
secondé et de réussir, — autant du moins qu'une
volonté humaine peut être certaine du succès.
■Voilà dans quelles conditions les deux navires de
l'expédition Shackleton quittèrent les pays civilisés
dans les derniers mois de l'année 19U. Ils s'en-
foncèrent aloi's, l'Endurance depuis Bueuos-Ayres,
VAurora depuis Hobart (Tasmanic), dans les mers
les plus australes du globe, et, pendant plus de quinze
mois, le silence se fit. C'est seulement en avril 1916
d'abord, puis en mai, que la Société de géographie
de Londres reçut des nouvelles des voyageurs : sir
Ernest Shackleton n'avait pu réaliser son audacieux
dessein, mais, du moins, ses collaborateurs de l'^urora
avaient-ils, comme lui-même, accompli une œuvre
intéressante et utile. Comment VImperial Truns-
Anlarrlic Expédition n'a-t-elle pu se faire? Quels
sont les résultats du voyage ? 'Voilà ce que nous
voudrions exposer maintenant à grands traits.
11. Ou a vu tout à l'heure combien, dans l'esprit
de Shackleton, étaient coordonnés les mouvements
des deux navires et de leurs équipages et comment
de la Tasmanie, le 9 janvier 1915, VAurora était
arrivée aux abords du capCrozier, à la lisière de la
Grande Barrière de glace, et, tôt après, elle avait
pénétré dans la baie Me Murdo. Tandis que
commençait le travail d'installation des différents
dépôts de vivres destinés au ravitaillement de l'ex-
pédition principale, l'i^urora cherchait sans succès
un mouillage sur pour hiver-
ner et, ses officiers ne le dé-
couvrant pas, finissaient par
se résoudre à imiter le capi-
taine Scott : comme lui, na-
guère, ils jetèrent l'ancre de-
vant le cap Evans. Mais, à
peine le navire se Irouvail-il,
au début de l'hiver antarctique
de 1915, quebiues jour»«après
la disparition du soleil sur
l'horizon (23 avrill, entouré
d'ime épaisse nappe de glace,
qu'un blizzard de la plus
grande violence amenait l;i sé-
paration de ce champ de glace
d'avec la terre ; le bâtiment
anglais était, dès lors, entraîné
par un lent mouvement de dé-
live avec le reste de la ban-
quise au milieu de laquelle il
se trouvait emprisonné.
Rien de plus dramatique que
la dérive de VAurora, sinon
celle du célèbre glaçon du
Polaris. Combien de fois, de-
puis le 6 mai 1915 juscjuau
12 février 1916, les marins qui
montaient ce bâtiment le cru-
rent-ils irrémédiablement per-
du, écrasé par les glaces qui
l'entouraient et le soulevaient,
et sepréparèrenl-ils eux-mêmes
à abandonner leur navire pour
tenter de gagner lu côte encore
voisine de la Terre Victoria I Us
finirent, cependant, par s'en
éloigner et même, an déclin
delélé austral de 1915-191(1,
par se dégager de leur prison,
alors qu'ils étaient déjà loin au
nord du cercle polaire aiitarc-
lique. Puis ils sortirent de la
banquise et se dirigèrent vers
Port-Chalmers. Le 3 avril 1916,
ils pénétraient dans ce port
de la Nouvelle-Zélande avec
un navire faisant eau et dont
les soutes étaient à peu près vides. Si, du moins, les
rôles de VAurora avaient alors été au complet I
Mais le lieutenant Stenhouse n'a ramené avec lui
ni son chef, le capitaine Mackintosch, ni neuf de
ses compagnons. t;eux-ci se trouvaient sur le
continent anlarclique lorsque le navire a com-
mencé sa longue et périlleuse dérive; quatre d'en-
tre eux avaient débarqué, le 23 mars 1915, au cap
Evans pour y faire des observations scientifiques;
les six aulres, dont le capitaine Mackintosch, étaient
77
partis dès la fin de janvier, partagea ea deax
escouades, pour établir sur la Grande Barrière et
sur le glacier Beardmore, conformément au plan
arrêté par Shackleton, des dépôts de vivres jus-
qu'à 335 milles (soit plus de 620 kilom.) au sud
du cap Evans, et ils n'étaient pas encore revenus le
6 mai 1915.
Quelques semaines plus tôt, le lieutenant Sten-
house eiit voulu faire partir une expédition de
secours au-devant de son chef et de ses camarades;
le mauvais temps ne lui a pas permis de 'e faire,
et il n'a pu parvenir plus tard, par la télégraphie
sans m, a se mettre en communication avec ceui
que, bien malgré lui, il avait dû abandonner au mi-
lieu d'un monde glacé... Du moins, en s'éloignant, le
nouveau commandant del'^ urora put-il être certain
que ses compagnons ne périraient pas, faute de res-
sources. Il ressort, en effet, de différentes indica-
tions publiées par le Geographical Journal que les
3ualre savants établis au cap Evans étaient pourvus
e ressources très abondantes, auxquelles il convient
de joindre les nombreuses colonies de phoques et
de pingouins de la région, qui pouvaient encore les
augmenter; mêmeaucasoùlecapitaine Mackintosch
et les autres membres des deux escouades partis à
l'inlérieur du continent parviendraient à les rejoin-
dre, leur subsistance était très largement assurée
juscju'au jour où une expédition de secours vien-
drait les tirer de captivilé et les faire rentrer en
contact avec le monde civilisé.
Ainsi, l'expédition de VAumra a rempli tout le
programme que lui avait Iracé Shackleton, mais
elle a singulièrement souffert des conditions atmos-
phériques dans lesquelles s'est trouvée la mer de
Ross en 1915. En a-t-il été de même pour la princi-
pale expédition, pour celle de V Endurance?
III. On sait ce qu'est la mer de Weddell, c'est-à-
dire la partie de l'océan Glacial anlarclique qui
s'enfonce vers le pôle entre la Terre de Coats et la
Terre de Graham ; les géographes la tiennent à
juste titre pour une des moins connues des mers
australes. Jusqu'au moment où le D' Bruce décou-
vrit la Terre de Coats (1 904), nul n'en pouvait indi-
quer les limites orientales, et c'est en 1912 que le
lieutenant Filchner traça, en atteignant la Terre du
Prince-Régent-Luitpold, la délinéationdequelques-
VSndurane9 prise et louleTée par U banquiae.
uns de ses rivages méridionaux ; par contre, nul ne
saurait dire encore jusqu'où, dans le Sud et dans le
Sud-Ouest, s'étend la merde Weddell. La navigation
y est très difficile, car celte mer est encombrée
de banquises dont personne n°a déterminé les mou-
vements généraux. Aussi les baleiniers ne se
risquent-ils guère dans ces dangereux parages et
visili'nt-ils de préférence les abords de la Terre de
Graham; ils y ont fait des découvertes que d'émi-
nents explorateurs ont vérifiées et complétées. Mais
78
si, grâce à celte coUaboralion des pêcheurs et des
savanls, les parages nord-occidenlaux de la mer de
Weddell commencent à ne plus être trop mal connus,
il n'en va nullement de même
pour la presque totalité de cette
vaste étendue marine. Le balei-
nier anglais James Weddell, dont
le nom a très justement été donné
à cette partie de l'océan Glacial
antarctique, l'Ecossais Bruce et
l'Allemand Filchner en ont été,
avant Sliackleton, les seuls explo-
rateurs.
Cette ignorance et, plus encore,
sans aucun doute, les renseigne-
ments recueillis par Shacklelon à
la Géorgie du Sud (où existe
maintenant une véritable colonie
de baleiniers norvégiens) expli-
quent pourquoi V Endurance n'a
Eas, au départ de cette terre su-
antarctique, cinglé droit vers le
S. Weddell s'était comporté de
cette manière en janvier 1823,
quand il avait audacieusement
poussé, au milieu de ces solitudes
inexplorées, jusque par 74° 15' de
latitude sud, et Shackleton sem-
ble avoir d'abord voulu faire
comme lui; mais, en présence de
rapports lui faisant connaître un
état très défavorable des glaces,
il jugea préférable de se diriger
vers le S.-E. Il passa donc au
large des Sandwich méridionales
et, tôt après, par 58° 4o' — bien
au nord du cercle polaire par
conséquent — l'Endwance pé-
nétrait dans le pack, c'est-à-dire
dans la banquise. Elle poussa dès
lors sa route vers le S. pendant
un millier de milles, arrivant en
vue de la Terre de Goats le 1 0 j an-
vier 1915-, puis longeant sur une
distance de 200 milles les rivages
jusqu'alors inconnus de la "Terre
de Caird » (ainsi Shackleton bap-
tisa cette découverte).
Cependant, bien qu'on fût en
plein cœur de l'été austral, aucun
changement ne se manifestait dans
les conditions atmosphériques ; en
celte saison vraiment anormale,
pas un seul des caractères de la
période estivale. Aussi le pack
devenait-il de plus en plus com-
pact; dès le milieu de février, le
navire était emprisonné au milieu
des glaces. Impossible pour lui,
par conséquent, de se diriger à sa
guise. Ce n'élaitplus qu'une masse
inerte, rivée à un glaçon et sou-
mise avec lui aux caprices des
vents et des courants marins.
Alors recommença une fois de
plus l'histoire, déjà tant de fois
racontée, de la dérive
d'un navire avec les
glaces qui l'enserrent;
mais celle de l'Endu-
rance se termina de
manière plus dra-
matique que celle de
l'Aurora. Tandis que,
assez mal en point, ce
dernier bâtiment a fini
(comme on l'a vu plus
haut) par recouvrer sa
liberté , l'Endurance
fut, comme naguère
l'Anlarctic du DrOlto
NordenskjOld (février
1903), ébranlée d'a-
bord, puis broyée par
les glaces . C'est le
28 octobre 1915, au
bout de huit mois et
demi de captivité, que
périt ainsi le navire
de Shackleton ; à ce
moment, les courants
marins avaientdéjà ra-
mené le malheureux
bâtiment, depuis le
77= degré de lalilude
sud jusque par 69° 5'.
Lorsqu'elle se pro-
duisit, la catastrophe
éliiil déjà prévue et
même escomptée de-
puis longtemps; mais la situation n'en élail pas
moins très grave. Shackleton et ses amis se trou-
vaient sur la banquise au début du printemps austral,
à 640 kilomètres de la trrre la plus rapprochée, de
LAROUSSE MENSUEL
l'île Paulet. Couvrir une pareille distance sur des
champs de glace au relief tourmenté semblait une
entreprise singulièrement périlleuse; elle l'était en
L'Endurance, les mâts brisés et les flancs broyés, s'enfonce sous la glace (28 octobre 1915),
Expédition de Shackleton au pôle sud.
effet. Deux tentatives infructueuses faites par les
naufragés, en octobre et en décembre 1915, prou-
vèrent bienlôtàsir Ernest et à ses compagnons que
le mieux était encore de demeurer, au moins pen-
«• 121. Mars 1917.
dant un temps, auprès de l'Endurance, submergé
jusqu'au pont supérieur, et d'en tirer toutes les res-
sources possiblesjusqu'aujouroù la dérive du pack
les amènerait dans le voisinage de
la mer libre. Et c'est à quoi ils
se résignèrent.
De longues semaines s'écoulè-
rent ainsi, pendant lesquelles le
cerclepolaire antarctique fut fran-
chi (en janvier 1916); puis, force
fut de sacrifier les chiens des
traîneaux pour épargner les vi-
vres, qui commençaient h man-
quer. Enfin, le 23 mars, on aper-
çut au loin les cimes de la Ter-
re de Joinville; mais comment
gagner cette Ile sur une glace
perpétuellement conv-ulsée? Les
malheureux naufragés demeurè-
rent donc encore sur leur île flot-
tante; ils ne se décidèrent à la
quitter que le 7 avril, en vue de
l'île Clarencc, la plus orientale
des Shetlands du Sud, au moment
où la houle de l'Océan disloquait
la banquise qui les portait et ren-
dait leur position très périlleuse.
Ce fut alors, pendant quelques
jours, une lutte incessante et
épuisante, un combat acharné
contre les éléments conjurés,
contre les (lots, les glaces, la
houle. Shackleton, qui eût voulu
parveniren plein détroildeBrans-
licld, à l'île Déception, où fréquen-
tentles baleiniers norvégiens, dut
renoncer à ce projet et se diriger
vers l'île Eléphant, plus proche.
Il y arriva, non sans peine, le
16 avril, mais il ne put y atterrir
([ue le lendemain, alors que tous
ses compagnons et lui - même
étaient lîltéralement épuisés.
Des hommes aussi affaiblis pou-
vaient-ils, avec seulement quel-
ques semaines de vivres devant
eux, à la veille de l'hiver austral,
s'arrêler sur une terre aussi in-
hospitalière, où per:-onne n'abor-
tleraît sûrement plus avant la pro-
■liaine saison d'élé ? Avec sa
décision coutumière, sir Ernest
lut tôt fait de prendre une déci-
sion hasardeuse, mais qui, si elle
réussissait, semblait devoir assu-
rer le salut de tous. Confiant à
son vieil ami Frank Wild, avec
cinq semaines de râlions pleines,
la majeure partie de ses compa-
gnons, il s'éloigna de l'île Elé-
phant, avec cinq volontaires, sur
la plus grande de ses trois bar-
ques, et se dirigea vers la Géor-
gie du Sud, distante de 750 milles
(24 avril). Quatorze jours plus
tard, après une lutte épique et
désespérée contre les
éliinents déchaînés, il
arrivait en vue de l'île
qu'il cherchait, mais il
ne pouvait y atterrir
que le 16 mai, et encore
sur la côte sud-ouest,
alors que les établis se-
menls européens se
trouvent sur le rivage
du Nord-Est. Force lui
fui donc de traverser à
pied, en trente-six heu-
res, la Géorgie du Sud
dans toute sa largeur,
pouren gagner la petite
capitale, Stromness.
A la suite d'une telle
odyssée , Shacklelon
eût pu songer à prendre
quelque repos, s'il n'eût
été obsédé parle désir
(le venir en aide à ses
compagnons. Pouvait-
il les aliandonner sur
1 ile Eléphant? Il s'em-
jii pssa donc de retour-
nera leursecours. Mais
la malchance qui, au
cours de ce dernier
voyage, s'est acharnée
sans discontinuer sur
sir Ernest et sur ses
compagnons, ne s'est
pas encore démentie. Par trois Ibis, et avec trois na-
vires dilTérents, depuis la Géorgie du Sud d'abord, de-
puis les Falkland ensuite, enfin depuis Punta-Arenas,
Shackleton a essayé sans succès de regagner l'Ile
«• 121. Mars 1917
Eléphantl Une quatrième tentative, faite sur le
steamer Yelcho, armé et équipé aux frais du gouver-
nement chilien, fut enfin couronnée d'un plein suc-
cès. Le 30 août 1915, ce vapeur (qui était parti de
Pimta-Arenas le 4 août précédent) arrivait à l'Ile
Eléphant, après avoir navigué, aux abords de celle
Tene, au milieu de nombreux icebergs disloqués;
il y trouvait vivants et en
bonne saiilé les vingt-deux
naufragés deVEnduiu?ice et
les ramenaitimmédiatemen L
Grâce à leur chef Frank
NVild, jamais ils n'avaient
penlu courage ni confiance
dans l'avenir, durant un sé-
jour di' plus de quatre mois
(24 avril-30 août) sur une
Ile déserte et dénuée de
toutes ressources, en plein
hiver austral, au milieu des
conjonctures les plus criti-
ques; jamais Us ne s'étaient
tenus pour abandonnés.
Comme, depuis le 28 août, la
glace avait été écartée de
l'île Eléphant par la tem-
pête, ils se préparaient à
quitter le point où ils ve-
naient de mener une exis-
tence précaire et à tenter de
passer, sur le seul bateau
qui leur restât, dans l'île
Déception, où fréquentent
chaque été des baleiniers.
L'heureuse arri vée du Yelcho
leur épargna ce grand effort.
Aussitôt délivré de toute
inquiétude au sujet de ses
compagnons, Shaclileton a
entrepris deporterlui-mème
secours à ses collaborateurs
de l'Auro7-a. Du Chili, il a
donc gagné l'Australie et, le
22 décembre 1916, ilest parti
de Porl-Chalmers sur VAu
rora (commandée parle ca-
pitaine Davis) une fois en-
core pour l'Antarctique. Le
10 janvier 1917, il arrivait
aux abords du cap Evans, et
il y trouvait sept des mem-
bresde l'expédition; des trois
antres, l'un était mort du
scorbut dès le mois de mars
191 5, au retour d une expédi-
tion qui avait établi des dé-
fiôts de vivresjusquepar79'>
at. sud; quant au capitaine
Mackinlosch et à l'un de ses
compagnons, ils avaient péri en mai 1916, par suite
du bris de la glace nouvelle, alors qu'ils tentaientde
gagner depuis Point-Hut le cap Evans à travers la
barrière de glace. Ainsi, malgré la perte de ces trois
hommes, dont l'un comptait parmi ses compagnons les
plus chers, l'amertume causée à sir Ernest par l'échec
de son expédition se trouve singulièrement diminuée.
m. Cberche-t-on maintenant à se rendre compte
des résultats essentiels du nouveau voyage de sir
Ernest Shackleton, voici ce qui semble se dégager
des indications très succinctes déjà publiées et ce
qui a valu à l'explorateur, à la fin de l'année 1916, le
prix Delalande-Guérineau de l'Académie des sciences.
Aucune des données capitales que les géographes
attendaient de la réalisation du plan si audacieuse-
ment conçu n'a pu être obtenue, par suite de l'échec
complet ae Vlmperial Trans-Anlarclic Expédition.
Ni sur l'existence d'une ou de deux masses conti-
nentales aux alentours du pôle sud, ni sur les rela-
tions de la grande chaîne de la Terre Victoria avec
les reliefs de la Terre de Graham, la récente expé-
dition de Shackleton n'apporte de lumières nou-
velles. Du moins, en découvrant au S.-O. de la
Terre de Coats près de cent lieues de rivages in-
connus jusqu'alors (Terre de Caird), cette expédition
conOrme-t-elle et complèle-t-elle les notions précé-
demment acquises sur la partie orientale de la mer
de Weddell. On en peut désormais tracer avec cer-
titude les contours généraux. On peut aussi, semblc-
t-il, elTacer désormais des cartes ce nouveau Groen-
land du Sud, dont l'Américain Morrell (février 1820)
affirma et dont Dumont d'Urville infirma, dès 1838.
l'existence. En octobre 1915, l'Endurance a passé au
point même où son découvreur plaçait celle Terre;
on y a constaté une profondeur de 1.900 fathoms,
coit près de 3.500 mètres.
Comme les géographes, les glaciologisles atten-
daient beaucoup de l'Impérial Trans-Anlarclic
Ejpedi'>im; leur espoir a été déçu, lui aussi, du
moins dans une certaine mesure. Nulle part, en
elTet, sir Ernest ni ses collaborateurs n'o.nt pu
atteindre la Terre de Coats ou la Terre de Caiid ; ils
ont dû se borner à constater que de grands glaciers
s'avancent de celte dernière jusque dans la mer. Mais,
par contre, on est en droit de beaucoup attendre des
LAROUSSE MENSUEL
observations faites par les savants de VAurora, qui
ont séjourné en différents points de la Terre Vic-
toria; leurs conslalalions apporteront, sans doute, un
précieux complément aux observations antérieures.
Toutefois, ce sont surtout les sciences météoro-
logiques et océanographiques qui tireront le plus
grand bénéfice de la nouvelle expédition antarc-
Eriiesi Shackleton. au camp de la Patience, après la destruction de VEntluronce.
lique de Shackleton. Des observations simultané-
ment effectuées dans la mer de Weddell et dans
la mer de Ross ne sauraient manquer de suggérer
79
de Ross, elles seront d'un prix inestimable. Dès
maintenant, on peut constater un remarquable pa-
rallélisme entre la dérive dn Deulschland en 1912
et celle de VEndurance en 1915; pcul-êlre sera-l-on
en droit d'en tirer d'intéressantes dëduclions géo-
graphiques.
A un autre point de vue encore, la dernière expé-
dition de sir Ernest Shackleton présente un grand
intérêt: elle met une fois de plus en pleine lumière
son audace, sa décision et son endurance, comme
aussi les remarquables qualités de ses compagnons
d'infortune et de ses collaborateurs de VAurora.
Elle montre comment le vaillant explorateur a su,
dans une certaine mesure, forcer la fortune et tirer
le meilleur parti possilile, scientifiquement parlant,
d'un échec dont il n'était pas responsable. Non
moins quel'exploralion de 1907-1908, mais à d'autres
titres, elle constitue une admirable leçon d'éner-
gie. — Henri Froidevauz.
Télégraphie sans fil et la guerre (la).
•^inte.) — Remarquable et abusive ulilisnlion par
Allemagne de la radiotélégraphie. — Les advei'-
saires ont-ils le droit d'installer des poslei de
T. S. F. en territoire neutre ? — Les postes privés.
— L'espionnage et la contrebande. — La T. S. F.
est, aux mains des belligérants, une véritable arme
oITensive et défensive. On peut ajouter — et cet
exemple suint à démontrer l'importance de la T. S. F.
en temps de guerre — que, sans cette invention, l'Al-
lemagne, privée par l'Angleterre de tous ses câbles
sous-marins, n'aurait pu disposer d'aucun moyen de
communication rapide avec l'.'^mérique et l'Asie; —
isolée complètement, elle aurai tété plus vite anéantie.
On va voir tout le parti que notre farouche ennemie
a tiré de cette merveilleuse découverte. La discrétion
s'impose, en ce qui concerne l'emploi de la T. S. F.
par les Alliés. Mais on peut tenir pour certain qu'eux
aussi en ont fait un remarquable usage •
Lorsque la çuerre sera terminée (a écrit Edouard Her-
riot avant qu il fût devenu ministre des transports et
ravitaillement), le public saura ce qu'il doit à notre admi-
rable service technique, dont l'activité, sons la direction
d'un spécialiste bien connu, se porte, à l'heure actuelle, sur
toutes les applications de la T. 8. F. dans le domaine
militaire.
L'armée allemande a trois types d'appareils : celui
de forteresse, qui porte à 620 kilomètres, celui du
quartier général pour les dislances de 120 kilomètres,
et le type de campagne, dont la transmission s'étend
à 45 kilomètres seulement. La combinaison de tous
ces appareils assure une liaison parfaite entre tous
les fronts et le commandement supérieur, une com-
plète unité de direction etune heureuse simultanéité
dans la transmission et l'exécution des ordres.
Du rôle de la T. S. F. dans la propagande ger-
maniqae. — Dans ses rapports internationaux et
pour la conduite delà guerre maritime el coloniale,
l'Allemagne dispose de la grande station de Nauen
(près de Berlin), dont l'onde est de 10.000 à 12.000 ki-
lomètres, et de plusieurs postes très puissants, no-
tamment en Espagne, aux environs de Madrid et
Station iiiai-itinie allemande de T. S. I*\, pre« de NeuiitOnBler (Slesvi)(-H -Ulrin,.
de précieuses remarques, aux points de vue des
veufs et de la température, comme •iu point de vue
des courants marins. Quant aux constatations faites
à bord de VEndurance et de VAurora sur la circu-
lation des glaces dans les deux mers de Weddell et
celui de Sayville(Long-lsland), en face de New- York,
dont la puissance a été triplée depuis la guerre; ses
trois pylônes mesurent 155 mètres de hauteur.
Dès avant la guerre, toutes les colonies allemandes
étaient munies d'au moins un poste de T S F pour
80
assurer les communicalions avec les navires et la
métropole. Le Cameroun, nolamment, avait la sta-
tion de Duala, qui a pu souvent émettre, de nuit, des
messages à plus de 3.000 kilomètres. Le poste de
Nauen, près de Berlin, correspondait avec le Togo,
dès juillet 1914, et celui de Yap, au voisinage des
Pliilippines, communiquait directement, de nuit,
avec la baie de Kian-Tschou.
L'Allemagne s'était, d'ailleurs, proposé d'entourer
le monde entier d'un cercle de lignes sans fil. La
guerre a i nterrompu la réalisation complète de ce plan.
Mais de toutes ces installations — et de celles
qu'elle a créées depuis, plus ou moins clandestine-
ment— elle a merveilleusement usé. Elle a télé-
LAROUSSE MENSUEL
pins grandes distances, sans qu'une excessive dépense
d'énergie fût nécessaire. — Or, l'Allemagne, contraire-
ment à ces prescriptions, s'est passée do toutes les
stations intermédiaires, ses appareils lui permettant de
télégraphier directement de chez elle dans le monde
entier. Cet échange de communications prend en
moyenne de 12 à 15 heures par jour. La force des ondes
allemandes, le passage de ces ondes sur des ondes infé-
rieures trouhlent les communications de leurs ennemis.
Les belligérants peuvent-ils avoir des postes de
T. S. F. en territoire neutre? — Droits et obliga-
tions des neutres. — Le poste de fiarjville. — Les
neutres pouvaient-ils davantage permettre à l'Alle-
magne d'installer de puissants po.stes de T. S. P.
sur leur territoire? On s'est étonné de leur tolé-
rance à cet égard. 11 est vrai
que, pendant la guerre russo-
japonaise, les Russes avaient
établi un poste de ce genre en
territoire chinois, c'est-à-dire
neutre, à Tché-Fou, et un autre
à Tchin-clian-Tsai, pour com-
muniquer avec Port-Arthur.
Mais, à cette époque, il n'exis-
tait pas endroit international de
règles présises à cet égard. Il
n'en est plus de même aujour-
d'hui. Aux termes de l'article 3
delà Convention V de La Haye,
de 1907, il est Interdit aux bel-
ligérants: 1» d'installer sur le
territoire d'une puissance neu-
tre une station radiotélégra-
phique; 2° d'utiliser toute ins-
tallation dece genre établie par
eux avant la guerre sur le terri-
toire de la puissance neutre,
dans un but exclusivement mi-
ApjKifeil mobile allemautl de T. S. F. sur voiture automobile.
itaire, etqui n'a pas été ouverte
au service de la correspon-
graphié directement, puisque la force de ses appa-
reils le lui permettait, de ses postes d'Allemagne k
ses postes d'Kspagne et d'Amérique et, grâce aux
postes secondaires que les Allemands avaient édifiés
dans chacune des quarante-six provinces des Etats-
Unis, ainsi que dans le Mexique et dans l'Amérique
du Sud, elle a pu inonder à son gré les deux Amé-
riques et l'Extrême-Orient de radiotélégrammes
de toute sorte, sans se soucier d'observer les con-
ventions relatives aux heures d'activité et de silence
des postes importants, conventions établies dans le
but de ne pas troubler l'émission des messages des
autres pays (car, les ondes de la T. S. P. se croisant
en tout sens, les appareils récepteurs les reçoivent
indistinctement, dans une confusion souvent très
grande, et les ondes les plus puissantes bouleversent
celles qui le sont moins).
La radiotélégraphie dans la guerre maritime.
— Sur mer, si le Prinz Eitel, le Kronprinz Wil-
helm, le Karlsruhe et les autres navires de l'es-
cadre allemande du Pacifique ont pu, tout au début
de la guerre, tenir si longtemps l'océan et échap-
per à la poursuite des croiseurs anglais et japonais,
c'est parce que cette flotte de corsaires était munie
d'appareils de T. S. P., qui recueillaient les messages
de navires charbonniers, cargo-boat et chalutiers
neutres à la solde de r.\llemagne et qui, munis
eux-mêmes de « sans fil », montaient de loin la garde
autour des croiseurs allemands et leur signalaient
soit la présence de leurs adversaires, soit les paque-
bots ou navires de commerce appartenant aux puis-
sances de l'Entente et qu 11 importait de piller ou
de détruire. C'est ainsi que, tout en évitant avec
succès l'ennemi pendant de longs mois, les corsaires
germaniques ont pu réussir tant de mauvais coups.
(V Action allemande aux Etats-Unis, série d'articles
publiés dans le Temps en 1915 par Gabriel Alphand,
en mission en Amérique.)
Les abus reprochés à l'Allemagne. — Ainsi, nos
ennemis ont violé les conditions relatives à l'aller-
Mance des transmissions internationales de messages
radiotélégraphiques en accaparant les lignes de
T. S. P. pour que leurs adversaires ne puissent
s'en servir ou, du moins, pour les espionner; ils ont
violé la neutralité des nations d'Amérique et des
autres continents en établissant sur leur territoire
des stations destinées à favoriser leur espionnage
et à faciliter leurs opérations militaires, diploma-
tiques, économiques et financières; ils ont violé,
enfin, l'intégrité du domaine aérien des neutres.
Un belligérant peut-il troubler les communica-
tions adressées par son adversaire aux neutres"!
— Les neutres n'auraient pas dû laisser l'Allema-
gne troubler et interrompre les messages de ses
adversaires, car, signataires, comme elle, des décrets
internationaux pris en 1912 par la conférence de
Londres, ils pouvaient, par une intervention collec-
tive, l'obliger solidairement à les respecter. Citons
ici Gabriel Alphand :
Aux termes de ces décrets , chaque poste important
avait ses heures d'activité, durant lesquelles les autres
se taisaient, n'émettaient aucun message, en recevaient
seulement. Ces postes formaient entre eux des relais, et
les messages, passant de l'un à l'autre, parcouraient lec
dance publique. L'article 5 sanc-
tionne ces interdictions en proclamant qu'une puis-
sance neutre ne doit tolérer sur son territoire aucun
de ces actes. L'article 5 de la Convention XllI, rela-
tive à la guerre maritime, édicté la même inlerdic-
lion relativement aux installations radiotélégraphi-
ques dans les ports et les eaux neutres.
Enfin, l'article 9dii règlement de l'institutinterna-
tional (session de Gand, 1 906) proclame le droit et le
devoir des neutres de fermer ou de prendre sous leur
administration l'établissement d'un Etat belligérant
qu'ils avaient autorisé à fonctionner sur leurlerri foire.
Ces textes visaient nettement la station allemande
de Sayville, aux Etats-Unis, qui reliait directement
l'Allemagne à l'Amérique. 11 est vrai qu'en droit, cette
station était ouverte au service de la correspondance
publique. Eu l'ait, cependant, les messages germani-
ques l'accaparaient, comme il vient d'être dit, et le per-
sonnel l'utilisait dans un but militaire en envoyant
des télégrammes chiffrés. Et, comme l'article 8 de la
(Convention 'V dispose qu'une puissance neutre n'est
pas tenue d'interdire ou de restreindre l'usage, pour
les belligérants, d'appareils de T. S. F. qui sont, soit
sa propriété, soit celle des compagnies ou des parti-
culiers, il s'ensuit qu'avec un peu d'habileté, un bel-
ligérant peut très bien, en se servant de l'article 8,
annihiler les effets des prohibitions de l'article 3.
L'Allemagne n'y a pas manqué. Et, longtemps, on
s'est étonné de la mansuétude des Etats-Unis à son
égard. Pourtant, à la suite des difficultés diploma-
tiques que souleva la douloureuse affaire de la Lusi-
tania, le gouvernement de Washington a décidé de
prendre possession de la stiition radiolélégrapbique
de Sayville, enjuilletl915.Conformémenlàrarticle9
précité du règlement de Gand, le gouvernement
américain au lieu de fermer la station alin d'empê-
cher l'envoi à des sous-marins de télégrammes chif-
f-és ayant une apparence inoffensive, a interdit tous
les télégrammes à destination des navinjs, tandis
que demeuraient autorisés, sous son contrôle, les
télégrammes à destination des stations situées en
terre ferme. C'était arracher au service de l'espion-
nage allemand une arme importante.
La T. S. F. et l'Espionnage. — La police améri-
caine a saisi également, en août 1916, un poste de
T. S. F. à longue distance appartenant à un finan-
cier américain de New-York, qui surprenait des
messages radiotélégraphiques de la station navale
d'Ai'lington et d'autres ports de la marine de guerre
des Etats-Unis. Ici, les principes qui entrent en jeu
sont ceux qui concernent la répression de l'espion-
nage. On vient de voir que les neutres ne sont pas
tenus d'interdire l'usage, par les belligérants, d'ap-
pareils de T. S. F. qui sont la propriété de compa-
gnies ou de particuliers, quelle que soit leur natio-
nalité et quand bien même les dépèches envoyées
juraient un caractère hostile; les Etats neutres ne
sont responsables, en effet, que de leurs actes, et
non pas de ceux de leurs iialionanx. Cette faculté
laissée aux neutres s'accorde mal avec l'obligation
(|ui leur est faite de veiller à ce qu'aucun point de
leur territoire maritime ou terrestre ne devienne
pour l'un des ennemis une base de renseignements;
et l'on sait que les Allemands ont créé dans chacune
des quarante-six provinces des Etats-Unis des postes
N- 121. Mars 1917.
secotadaires, ainsi qu'au Mexique (4) et dans toute
l'Amérique du Sud (16). Ces installations vrolent,
par les ondes qu'elles émettent, l'intégrité du do-
maine aérien. Pourquoi les neutres, qui se sont
montrés si soucieux de défendre ce domaine contre
le passage des aéronefs des belligérants, n'ont-ils
pas protesté contre l'abus des ondes hertziennes ?
Le droit de passage de ces ondes et, à ptus forte
raison, le droit de les recevoir ou de les émetire
peuvent exister en temps de paix ; ils ne sont plus
admissibles en temps de guerre. Comme on l'a fort
bien dit, lorsque la communauté internationale est
troublée, les Etats ont, sur leur atmosphère, un droit
de souveraineté absolue, qui n'est plus tempéré par
le droit de passage inoffensif. Rien n'oblige les neu-
tres à s'opposer à l'exercice de ce droit. Mais tout
pouvoir leur appartient à ce sujet c'est, d'ailleurs,
une juste réciprocité du droit qu'ont les belligérants
d'empêcher les émissions d'ondes par un sujet neu-
tre dans la sphère qui correspond à la zone d'acl ion
de leurs opéralions. C'est qu'en efi'el, toute tolé-
rance à cet égard est une source d'espionnage ;
car l'usage de la T. S. P. est éminemment favora-
ble à l'espionnage.
Le roi de Gn ce, Constantin, a constamment cor-
respondu par ce moyen avec l'Allemagne, qui avait,
en outre, installé de nombreux postes de T. S. F.
sur le territoire hellénique. Les puissances de
Poste de T. S. F, d'Arlington (Etats4Jnis).
l'Entente étaient dans leur droit en s'opposant à ces
communications hostiles, destinées à renseigner l'en-
nemi. Il y avait là une violation manifeste de la neu-
tralité; dès lors, les Alliés étaient en droit de s'y
opposer soit en exerçant des repiésailles, soit en
intentant devant un tribunal arbitral une action en
dommages-intérêts, soit, enfin, en déclarant toutsim-
plement la guerre àla Grèce. Les Alliés ont, sous la
menace d'un blocus effectif, pris le monopole des che-
mins de fer hellènes, des postes et télégraphes et de
la T. S. P., et ils ont saisi quelques postes de radio-
télégraphie, notamment celui de Syra (9 sept. 1916).
Mesures prises en France contre l'espionnage
par le moyen de la T. S. F. — Dès le début de la
Grande Guerre, la France a pris, contre l'espion-
nage, les précautions suivantes : un arrêté minis-
tériel du 15 août 1914 a interdit l'emploi de la
T. S. F. à bord des bâtiments de commerce fran-
çais, alliés ou neutres, dans les eaux teiritoriales
et les ports de France. Cet arrêté oblige les na-
vires, dès leur entrée dans ces eaux et ports, à
amener l'antenne et à l'isoler de la cabine de T. S. F.
En outre, une circulaire ministérielle du 28 sep-
tembre 1914 a réglementé le service radiolélégra-
phlque commercial en temps de guerre et soumis
au visa préalable tous les messages destinés à être
livrés parce service. Tout message relatantdcs opé-
rations maritimes ou militaires françaises ou d'une
nation alliée devra faire l'objet d'un refus de visa,
même les nouvelles de presse, quand ce n'est pas
le gouvernement qui les transmet.
L'usage de la T. S. F. (dit en outre la circulaire) doit
être très restreint pendant la guerre. La transmission
d'une communication commerciale peut, en effet, d'une
N' 121. Mars 19(7
part, troubler la réception d'un ordre d'origine militaire
et avoir, pour los opérations, des conséquences graves
et, d'autre part, déceler aux croisières ennemies la pré-
sence d'un bâtiment do commerce français, prise possible
qu'elles auraient pu ignorer.
Iteslfiction au principe de la liberté de la
haute mer. — Les neutres peuvent-ils radiotélé-
graphier dans la zone de belligérance?
Nous venons d'énoncer les règlements de service
intérieur c^ue tout Etat, soit neutre, soit belligérant,
g le pouvoir de prendre chez lui, dans l'intérêt de sa
sécurité, vis-à-vis de ses nationaux et
des étrangers qui viennent y séjourner.
Il peut interdire à son gré l'envoi de
radiolélégrammes et saisir les appa-
reils. C'est son droit. Où les difficultés
commencent, c'est lorsqu'il s'agit des
rapports entre les belligérants et les
neutres, sur mer nolaninienl, à l'inté-
rieur de la zone de belligérance, c'est-
à-dire de la sphère d'action des opéra-
tions de guerre. Là, en effet, le prin-
cipe de la liberté de la haute mer doit
subir quelques restrictions. Un exem
pie des conllits qui peuvent surgir à ce
sujet nous est donné par l'incident du
navire anglais lluïmun, en avril 1904,
au cours de la guerre russo-japonaise.
Ce bâtiment, présent sur le théâtre des
hoslililés, avait à bord des appareils
de T. S. F. , il communiquait à la sta-
tion de Veï-ha'i-Veï, située en terre neu-
tre, des renseignements sur la guerre,
qui étaient .lussilôt câblés à Londres.
La Russie l'accusa de donner ainsi
des indications à l'ennemi, de gêner,
en outre, les opérations par sa présence
sur les lieux et de troubler le service
des communications à l'intérieur de
la flotte.
L'amiral Ale.\eiev, commandant l'es-
cadre russe, lit défense à ce navire et
à tout bâtiment neutre nuni de T. S. F.
d'approcher dans un certain rayon de
sa flotte, et il déclara que, si des ba-
teaux de nationalité neutre étaient trou-
vés au sein de la zone de belligérance,
ayant à bord des correspondants de
journaux communiquant à l'ennemi
des renseignements au moyen d'appa-
reils radiolélégraphiques, ces corres-
pondants seraient considérés comme
espions, et les navires portant ces
appareils seraient capturés et rete-
nus comme prises de guerre. Cette
décla.ation fut communiquée aux gouvernements
étrangers sous forme de circulaire.
On a discuté la légalité de cette décision : un
navire de commerce neutre porteur d'appareils de
T. S. F. et rencontré en haute mer dans la zone
de belligéiance peut-il être déclaré de bonne prise '/
Peut-il être considéré comme se livrant à la con-
trebande par analogie ? On l'a soutenu ; on a sou-
tenu également l'opinion contraire, en raisonnant
comme il suit : avant l'émission des ondes hert-
ziennes par les appareils du navire suspect, celui-ci
ne peut qu'être soupçonné ; après l'émission, la
contrebande est censée débarquée, et le délit n'est
plus punissable. Le règlement de Gand, élaboré en
1906 à la session de l'Institut de droit international,
sur un rapport de Paul Pauchille, solutioime heureu-
sement la question, en décidant : 1" que, sur la haute
mer, dans la zone qui correspond à la sphère d'action
deleur3opérations,Iesbelligérantspeuventempêcher
les émissions d'ondes, même par un sujet neutre ;
2» que les navires et liallons neutres qui, par leurs
communications avec l'ennemi, peuvent être consi-
dérés comme s'étant mis à son service, pouri'ont
être conlisqués, ainsi que leurs dépêches et lenrs
appareils. Les sujets, navires et ballons neutres,
s il n'est pas établi que leur correspondance était
destinée à fournir à l'adversaire des renseignements
relatifs à la conduile des hostilités, pourront être
écartés de la zone d'opérations et leurs appareils
saisis et confisqués. La conférence navale de Lon-
dres, en 1907, a adopté cette solution en assimilant
à un navire ennemi le neutre qui transmet des ren-
seignements ou exécute les ordres d'un belligérant,
à la condition qu'il soit exclusivement affecté à cet
usage. Si ce navire ne donne qu'occasionnellement
des informations par T. S. P. à l'adversaire, il n'est
pas saisissable.
On a vu que l'amiral Alexeiev émettait la préten-
lion de considérer comme espions les corrcspor.dants
dejournaiix se servant de T. S. F. Or, l'article 29 de
la Convention de La Haye de 1899 a spécifié que :
No peuvent ôtro considérés comme espions les militaires
et non-militairos accomplissant ouvertement leur mission
et chargés de transmettre les dépôctios soit à leur propre
armé<', soit à l'amiée ennemie.
Il faut, Dour qu'il y ait espionnage, que les por-
teurs de dépêches émises pur T. S. F. aient agi sous
de faux prétextes, usant de ruse et de dissimulation.
Certes, en règle générale, le fait de télégraphier par
LAROUSSE MENSUEL
ni ou sans (il exclut la clandestinité et, par consé-
quent, toute idée d'espionnage. Mais il n'en va pas
toujours ainsi : les espions peuvent, en effet, em-
ployer, pour télégraphier, des phrases de style conve-
nu, et on doit tenir pour certain qu'ils ne s'en privent
généralement pas. C'est pour cela que le droit est
reconnu aux belligérants d'interdire les émissions
d'ondes dans la zone d'opérations et d'écarter, en
conséquence, de cette zone les sujets, navires et
ballons neutres, ainsi qu'il vient d'être dit.
C'est en vertu de ce droit des belligérants que les
Antenne du poste de T. S. F. militaire à Brest-
Alliés, en septembre 1916, ont présenté une note à la
Grèce, puissance neutre, pour lui demander d'inter-
dire l'usage de la radiotélégraphie à bord de ses
navires de guerre. La Grèce s'est exécutée aussitôt,
quitte à tout remettre en question par la suite.
La T. S. F. et la Contrebande. — On vient de dire
qu'un navire neutre, convaincu de se livrer habituel-
lement à des transmissions de radiotélégrammes à
l'ennemi, pouvait être capturé, s'il était rencontré
dans la zone des belligérants. Il est à remarquer que
les appareils radiolélégraphiques trouvés à bord, en
dehors de ladite zone, ne sont considérés comme
contrebande que s'ils sont transportés au titre de
marchandises. Adaptés au navire pour son usage
personnel, ils ne sont pas saisissables. (.\rt. 24 de
la Convention de Londres de 1909.) Alors même
qu'ils voyagent comme marchandises, il faut, pour
qu'ils soient saisissables, qu'ils aient pour destina-
tion les forces ennemies ou les administrations de
l'Etat ennemi et qu'ils puissent être utilisés dans la
guerre en cours. — Maurice doval.
Tliédenat (//enj'i/-Marie), oratorien et archéo-
logue français, né à La Rochelle le 8 octobre 1844,
mort à Paris le 28 octobre 1916. Fils d'un profes-
seur de l'Université, il suivit, jusqu'à la troisième,
les classes du lycée de Poitiers, puis vint à Paris,
où il fut élève de l'institution Notre-Dame d'Auteuil.
Epris d'archéologie et d'histoire, obéissant aussi à
une ardente vocation religieuse, il entra, en 1862, à
l'Kcole des hautes études ecclésiastiques (école des
Carmes), d'où il sortit avec le grade de licencié es
lettres (186'i). Admis au séminaire d'Issy, il ne put y
prolonger son séjour, en raison de son état de santé.
Il devint alors professeur libre, enseigna au collège
de Juilly, et entra dans la congrégation de l'Oratoire
en 1869. Il fut ordonné prêtre en 187S. Il suivit, au
Collège de France et à l'Ecole pratique des hautes
études, les leçons d'épigraphie latine de Léon Re-
nier et, bientôt, se montra lui-même un maître en
cette science. Il acquit également une connaissance
approfondie de nos antiquités nationales. Son Rap-
port sur les progrès de l'épii/rapliie en France, pu-
blié en 1879, fut fort eslinié, et, l'année suivante,
l'auteur fut nommé auxiliaire de la commission de
géographie historique de l'ancienne France. Chargé
d'une mission épigraphique dans nos provinces du
Midi, lauréat de l'.Xcadémie des inscriptions, en
1883, pour un ouvrage sur les Cachets d'oculistes
Le p. Thédenal.
81
romains ' 1 882), composé en collaboration avec Héron
de 'Villefosse, il fut élu, en 1882, membre résidant
de la Société nationale des antiquaires de France,
dont il devint membre honoraire en 1906. Il fut
choisi par l'Institut comme auxiliaire pour la publi-
cation des œuvres de Borghesi (1885) et nommé,
en 1897, par le ministre de l'instruction publique,
membre du comité des travaux historiques. En 1898,
l'Académie des inscriptions l'appela à succéder,
comme membre libre, au baron de Huble.
Cependant, il avait continué sa carrière dans l'en-
seignement libre. Il prit part à la fondation de
i'icole Massilloii, et dirigea le collège de Juiliy, de
1879 à 1882. Enfin, il devint, en 1895, le supérieur
de la Maison d'études de l'Oratoire. Celte fonction
convenait admirablement à son autorité scienliRque
et mo'-ale. Mais laloi sur les congrégations dispersa
rOraloireenl903. — Le P. Tliédenat reçut, en 1912,
à la Sorbonne, la croix de chevalier de la Légion
d'honneur. II était membre de plusieurs sociétés sa-
vantes, françaises et étrangères, notamment de la
Société fran-
çaise d'archéo-
logie, de l'Ins-
titut égyptien
(depuis 1902)
et de la Ponti-
licia Accade-
mia romana di
archeologia(en
qualité de cor-
respondant,de-
puis 1905). Il
avait beaucoup
voyagé, par-
couru la Fran-
ce,visitél'Italie
et l'Egypte. Sa
science archéo-
logique n'était
point livres-
que. Ses forces
déclinaient de-
puis deux ou trois ans, et il avait eu le chagrin de
perdre son ami Maspero, qu'il a suivi de près dans
la tombe.
Son principal ouvrage est le Foj-um romain et les
Forums impériaux (Pa.ris,(iéc. 1897; 5' éd. en 1911).
Il y l'ait la description et expose l'histoire de cette
place, qui fut « le cerveau auquel afflua de bonne
heure la vie de Home et, bientôt, du monde civi-
lisé ». C'est un guide agréable et sur, au courant
des fouilles récentes. Ce livre si dense a pour ori-
gine un article du « Dictionnaire des antiquités »
de Daremberget Saglio. — Dans le Forum romain
et la Voie sacrée : aspects successifs des monu-
menls depuis le IV' siècle jusqu'à nos jours (en
collaboration avec Hoffbauer, Paris, 1905), l'auteur
a évité les développemenls trop techniques et
esquissé, avec beaucoup d'éloquence et de poésie,
l'histoire de l'ancienne Rome. — Pompéi; l. His-
toire, vie privée; II. Vie publique (19U6), dans la
collection des « "Villes d'art célèbres », est une re-
marquable monographie, précise et élégante.
Le P. Thédenat n'est pas resté étranger aux
études d'histoire moderne, et il a publié, en 1901,
une Cai-rière univrsitaire : Jean-Felix Nourris-
son. On lui avait demandé ce travail : il trouva un
grand charme à l'exécuter. Ce professeur au (Col-
lège de France, philosophe catholique, avait été en
relations avec le P. Gratry et avec Quelques-uns des
hommes éminents qui restaurèrent I Oratoire. Nour-
risson lui-même avait éludié l'histoire des oraloriens.
En écrivant cette biographie, le P. Thédenat avait
la joie de raviver des souvenirs chers à sa congré-
gation. Le livre est rédigé dans un style alerte et
facile : la leclure en est très attachante. — On lui
doit la publication d'un intéressant JouTTia/ d'un
prêtre lorrain [l'abbé Alaidon] p«Hrfan< la Révolu-
tion (1912), et une étude sur Renaud de Chdtillon
et la Chute du royaume chrétien de Jérusalem,
d'après wi livrerécent [deOustaveSchlumberger],
extraite du « Correspondant » (1896). Il a consacré
une notice (18)'9) au baron de Ruble, son prédéces-
seur à l'Institut. — Parmi ses travaux relatifs à
l'antiquité, il faut encore citer : l'Inscriplion de
Gordien... aumusée de Bordeaux (1882); Inscrip-
tions romaines de Fréjus (1884; ces deux ouvrages
en collaboration avec Héron de ■Villefosse); Mé-
moire sur les milliaires de l'embranchement de la
voie Aurélienne qui allait à Riez (1888), elc. Il a
Iradnit de l'allemand la Coiitribulion à Chisloire du
droit latin d'Otto llirschleld (18x0' et V Elude sur
/e campée /a i'i//erfe/,«m6ésc de Cl. WillmannsJ884.
Il a donné de nombreux articles au « Dictionnaire
des antiquités » de Dareraberg et Saglio, à la « Re-
vue archéologique », à la « Revue épigraphiç^ue »,
au M Dictionnaire de la Bible » de l'ablié Vigou-
reux, etc. Il a été l'un des fond.iteurs du « Bulletn
critique » (1880) et, plus tard, l'un des directeurs.
Il avait une laille imposante, une figure noble,
fine, un peu triste. Mais son accueil n'était rien
moins f|ue sévfre. Il avait une grande bonlé, des
conceptions larges et une certaine gaieté, d'ail-
8S
leurs discrète, dont la forme la plus ordinaire était
l'ironie. Il était poète, et l'on peut distinguer les
traits essentiels de son caractère dans les pièces,
trop peu nombreuses, qu'il a réunies en un volume
sous le titre Quelques vers (1908). La forme est très
pure, l'accent grave et souvent mélancolique II y
a, cependant, quelques sourires. François Coppée
aimait surtout le morceau intitulé Marée montante,
et ce « beau soupir de douleur lamartinien » :
Montant des profondeurs de l'ôtro. les sanf^lots
Se succèdent sans tin, comme les flots aux uots.
Dans sa prose, le P. Tliédenat a surtout reclierché
la simplicité et l'aisance. Mais le savant ne fait pas
tort à l'artiste, et le sens de la beauté littéraire se ré-
vèle en maint passage. Ainsi, en réponse aux délicats
qu'offusque la vue des ruines mises au jour par les
archéologues, il écrit à la fin d'un de ses livres :
Ces monuments informes, nous avons, par les fouilles
que vous blâmez, assez sondé leurs fondations, nous avons
assez recueilli de leurs débris pour les redresser dans
leur ^ràce et leur majesté, entoures des augustes souve-
nirs de riiistoire. Les faits dont ils ont été témoins, nous
les connaissons; les foules qui n'ont pas sufti à user le
pavé séculaire qui les entoure, nous les voyons encore;
nous savons de quelles ombres il faut peupler ce désert
pour qu'avec la poésie de l'histoire lointaine et douteuse,
avec la mélancolie dos choses qui ont passé, renaisse la
vie. Et si, d'ailleurs, vous voulez une poi^sie plus pré-
sente, levez les yeux ; voyez, au sommet du Palatin, à
l'angle du palais do Tibère, le soleil couchant ranimer un
lambeau oublié de la pourpre impériale. Que votre regard
dédaigneux passe au-dessus du champ des pierres; mais
au delà de l'arc do Titus, au delà de la gracieuse tour de
Sainte-Françoise Romaine qui domine le temple de Vénus
et de Rome, regardez la haute muraille dorée du Colisée,
les sombres verdures du Cîelius et, plus loin, à l'horizon,
sur le ciel bleu, les montagnes bleues de la Sabine. {Le
Forum romain et la Voie sacrée.)
Coppée lui avait écrit : « Dans les ruines que
vous visitez en archéologue, il pousse des fleurs,
et, poète, vous les cueillez. » Dans l'intention de
Coppée, cet éloge ne s'adressait qu'aux vers du
P. Thédenat On peut l'étendre à plus d'une page
de sa prose. — Maurice Enocq.
tétrade n. f. (du gr. tétras, même sens).
Ensemble formé par qualre êtres ou objets. —
■Versif. franc. Groupe harmonique de quatre voyelles
dans un vers français : Nous ne pourrons appeler
l'ers en tétrades que ceux dans lesquels les trois
TÉTRADES se correspondent. (M. Graiiimont.)
tétraédroîde n. m. (de tétraèdre, et du gr.
eidos, forme). Géom. et géol Solide dont la forme
se rapproche de celle d'un tétraèdre. (Suivant plu-
sieurs géologues, ce serait la forme que prend la
terre en se refroidissant) : Il est préférable de cons-
truire le TÉTRAÉDRo'iuE en se baaant sur un tracé
plus ancien que celui desplissonents alpins ou des
géosynclinaux qui leur correspondent. (Haug.)
toubib (mot algér. ; de l'ar. tebib, médecin] n.
m. Arg-. milit. Médecin-major: Les poilus qui se
sont fait porter pâles (malades) V07it voir /e toubib.
*tr"iaden. f. — 'Versif. franc. Groupe harmonique
de trois voyelles: La TiuADaaunsens, une direction
dont le point de départ est marqué par la place du
son qui est seul de son espèce. {M. Grammont.)
Tuberculeux (les Soldats). — La question
des soldats tuberculeux est une des plus ardues et
en même temps des plus urgentes parmi celles qui
attirent, en ce moment, l'atlenlion des hygiénistes,
des sociologues et, surtout, du commandement mili-
taire et du service de santé de l'armée. Il y a, en effet,
un antagonisme un peu angoissant entre les intérêts
du commandement, jaloux d'avoir sous les drapeaux
le plus grand nombre d'hommes possible (et celle
nécessité augmente avec la durée de la guerre)
et celui de l'hygiène privée et publique, qui nous
enjoint de retirer au plus vile ces hommes des
corps de troupe, afin de les guérir et d'empêcher la
contamination des hommes valides. En fait, ce
dernier danger est tellement grand, et les résultats
de cette contamination seraient si graves pour les
contingents eux-mêmes, qi>e la logique, aussi bien
que l'humanité, se range, en cette matière, du même
côté que l'hygiène et qu'en définitive, l'exclusion
de l'armée de ces malades est, à n'en pas douter, la
solution qui s'impose.
Il est, d'ailleurs, en ce problème, un point plus
particulièrement délicat: c'est celui qui vise la res-
ponsal)ilité de l'armée vis-à-vis de ces malades. Lo-
giquement, un raisonnement séduit par sa simpli-
cité : il se peut que l'homme en question ait été
tuberculeux autrefois et, pour cette cause, ajourné
par les conseils de revision. Mais le fait seul qu'on
l'incorpore semble être une sorte de certificat de
bonne santé et d'aptitude au service qui éloigne toute
idée de tuberculose au moment de cette nouvelle
incorporation. Si donc, quelques mois ou quelques
années après, on constate chez lui l'existence de la
tuberculose, n'est-on pas fondé à admettre que c'est
le passage au service qui a fait nailre celle infec-
tion ? Laissons de côlé le point spécial de la réforme
(actuellement, les tuberculeux sont réformés n" 2),
et considérons seulement que l'Etat a le devoir de
LAROUSSE MENSUEL
s'occuper de ces malades et de faire pour eux tout
le possible. Le professeur Grasset a, d'ailleurs, fait
très justement remarquer que ce devoir est le même
vis-à-vis du tuberculeux civil indigent.
Ce devoir découle de deux raisons : l'une concerne
le tuberculeux lui-même, et nous venons de l'exami-
ner. L'autre regarde la protection des hommes va-
lides, qui sont les camarades du malade dans les
corps de troupe, et de la population civile. La ré-
lorme du tuberculeux pare à la première partie de
cette seconde raison en évitant aux hommes valides
le voisinage du malade contagieux, mais elle laisse
entier le péril que, de retour dans ses foyers après
ladite réforme, le tuberculeux va faire courir à son
milieu familial, danger qui menacera de s'étendre
bien au delà de ce dernier. Cet homme est parti de
chez lui inoffensif. Les privations, les fatigues de la
guerre font qu'il reviendra dangereux, si l'on se
contente de le réformer et de le renvoyer chez lui.
Il faut donc prendre vis-à-vis du tuberculeux des
mesures toutes spéciales, et d'excellents esprits se
sont consacrés à celte besogne. Voici les résultats,
pas toujours définilifs, malheureusement, auxquels
on a actuellement adouti-
Le tuberculeux, reconnu malade au corps et éva-
cué, l'était jadis sur n'importe quelle formation
sanitaire de l'inlérirur, où il était soigné évidem-
ment dans de très bonnes conditions hygiéniques;
mais ces conditions étaient moins satisfaisantes en
ce qui concernait ses compagnons d'hôpital. De
plus, la dissémination, souvent par groupes mini-
mes, des tulierculeux dans les hôpitaux les plus di-
vers, apportait des entraves à la conduite à tenir
vis-à-vis de leur situation militaire et hygiénique et
amenait à des mesures qui n'étaient pas toujours
identiques partout. En date du 31 janvier 1916, le
sous-secrétaire d'Etat du service de sanlé décidait
que les militaires reconnus justiciables de la ré-
forme pour cause de tuberculose seraient, à l'ave-
nir, hospitalisés dans des formations sanitaires spé-
ciales, dites hôpitaux sanitaires régionaux, au
nombre de 1 à 2, avec un total de 150 à 400 lits
par région.
Là, il est fait, parmi ces malades, un triage. Nous
ne parlerons pas des hommes que leur état de
santé ferait rentrer, en temps plus calmes, dans la
catégorie des « prétuberculeux » ou tuberculeux
tout à fait au début. Evidemment, ce sont ceux
qu'il faudrait soigner dans les sanatoria, afin de
leur éviter le développement ou même la naissance
du mal. Les nécessités militaires font que ces hom-
mes sont conservés au corps, où ils ne sont, d'ail-
leurs, un danger pour personne. Les tuberculeux
admis dans les hôpitaux régionaux (où, en attendant
qu'ils fonctionnent partout de façon satisfaisante,
dans les services spéciaux des hôpitaux ordinaires),
sont des malades en période d'état. Encore faut-il
y distinguer plusieurs catégories.
Il y a d'abord les très gravement atteints. Ce
sont, en premier lieu, ceux qui sont condamnés ir-
révocablement et dans un temps court. Il ne peut
être question de les traiter autrement que des ma-
lades, et ils resteront à l'hôpital sanitaire. Ce sont
ensuite ceux qui, sans être aussi gravement atteints,
sont néanmoms en plein état aigu et demandent
aussi des soins strictement hospitaliers. Ceux-là non
plus ne quitteront pas l'hôpital spécial, du moins
avant que leur état ne se soit considérablement
amélioré- A ce moment, ils rentreront dans la caté-
gorie suivante.
Cette catégorie est celle des tuberculeux amélio-
rables et immédiatement évacuables. La maladie
peut avoir atteint chez eux un degré variable. Us
ont tous ceci de commun, que l'on estime qu'un
traitement de quelques mois peut les remettre en
état suffisant pour être évacués chez eux, à la con-
dition qu'on aura fait, pendant ce temps, leur édu-
cation antituberculeuse, de façon que soins et
éducation offrent toutes les garanties possibles pour
leur innocuité vis-à-vis de leurs proches, voire de
leurs voisins. Ces hommes sont envoyés dans les
stations sanitaires.
Nous venons de voir le rôle de ces stations sani-
taires. Leur fondation est récente. De nombreux
phtisiologues, administrateurs, médecins, y ont
contribué, mais il est juste de reporter une grande
part du mérite qui s'attache à leur fondation à
Brisac, directeur de l'assistance et de l'hygiène
publiques au ministère de l'intérieur. Ces stations
sont des formations situées en pleine campagne,
ordinairement dans des propriétés vastes, toujours
bien aérées et qui peuvent être considérées comme
des sauatoria rattachés au minislère de l'intérieur.
Le gouvernement, pour leur fondation, a versé 2 mil-
lions, le service de santé de l'armée a consenti a
verser 3 francs par jour pour l'entretien de chaque
homme qui y serait reçu. Dès le 13 décembre 1915,
23 stations de ce genre étaient créées, et 2.000 tuber-
culeux y pouvaient être soignés. Depuis lors, leur
nombre s'est notablement accru.
Nous avons vu que les tuberculeux, ainsi séparés
des autres soldats, étaient proposés pour la réforme
Où sont-ils réformés? Primitivement, on admettait
que cette réforme devait être prononcée dans l'hô-
N' 121. Mars 1917.
pital primitif, le tuberculeux devenant civil dans la
station sanitaire. Mais on reconnut les inconvé-
nients de cette façon de procéder, qui auraient
laissé l'homme libre de ne pas passer par cette sta-
tion, dont l'action sur lui est, cependant, indispen-
sable. On admit alors que l'homme serait réformé
par l'hôpital, mais que la réforme ne serait procla-
mée qu'après un stage de trois mois dans la station.
Cette solution, qui est la meilleure à notre avis, a
trouvé certaines objections du côlé du service de
contrôle, et actuellement (peut-être pas pour long-
temps), l'homme est envoyé dans la station sani-
taire; puis, au bout de trois mois de séjour, ren-
voyé à l'hôpital, où un conseil le met en réforme.
Nous avons vu le rôle de la station sanitaire, il
importe d'y revenir en quelques lignes. Ce rôle est
double, disions-nous : rôle curatif, rôle préservatif.
Le premier ne demande que peu de développements
Les soins sont assurés aux tuberculeux des stations
sanitaires par des médecins qui sont soit des mo-
bilisés momentanément remis dans les services
d'arrière pour fatigue, soit des praticiens de la ré-
gion. Les infirmiers sont feurnis par une belle œu-
vre, qui s'appelle l'institution des Infirmières visi-
teuses de Fiance, institution où entrent des femmes
de bonne volonté, désireuses de soigner des mala-
des, soit dans les hôpitaux, soit même à domicile.
Quant à l'éducation antituberculeuse, c'est l'en-
semble des praliques hygiéniques qui font que le
tuberculeux n'augmente pas son mal et peut s'ache-
miner vers la guérison, qui font aussi que ce ma-
lade peut vivre au milieu de gens sains sans les
contagionner. Elle lui apprend par quelles voies
la tuberculose est transmissible et comment on
l'évile. Elle lui enseigne le péril majeur des cra-
chats desséchés. La même éducation antitubercu-
leuse montre au malade les avantages inestimables
du séjour au grand air, de l'aération au maximum,
du travail modéré, d'une nourriture bien choisie et
.saine, les inconvénients si graves des logements
étroits et obscurs, de l'air confiné, de l'alcool, etc.
11 imporle que la station sanitaire fasse pénétrer
dans l'esprit du malade les commandements sim-
ples, mais impérieux, de cette hygiène spéciale. A
cette condition, le tuberculeux réformé pourra rega-
gner son logis, amélioré, sinon guéri, et non dange-
reux pour ceux qui l'entourent.
Nous voici donc en présence d'un soldat réformé,
rentré chez lui, la plupart du temps non guéri. Il
faut, de toute nécessité, que cet homme ne soit pas
abandonné à lui-même ; sans quoi, il sera désormais,
dans trop de cas, mal soigné, sinon pas du tout, et
il oubliera ou négligera, au bout d'un certain temps,
les conseils qui lui ont été donnés.
Le ministère de l'intérieur a, par une circulaire
récente, invité les préfets à provo<|uer la création,
dans chaque département, d'un Comité d'assistance
aux militaires tuberculeux de la guerre, qui aura
pour mission de s'occuper du soldat ainsi réformé
et de lui fournir toute l'assistance dont il pourra
avoir besoin : sanitaire, hygiénique, pécuniaire, etc.
Un organisme central (comité central), dont l'ini-
tiative a été prise par Léon Bourgeois (de concert
avec le Comité de prévoyance contre la tubercu-
lose) et dont le siège est rue Las (;azes, 5, à Paris,
est chargé de coordonner les efforts des comités
départementaux, de leur fournir toutes les indica-
tions utiles à leur mission et de mettre à leur dis-
position, suivant les besoins constatés, les ressour-
ces nécessaires. Le secrétaire général de ce comité
central est le professeur Letulle.
De plus, le militaire tuberculeux pourra trouver
aide auprès de la société qui a pris pour titre Pro-
tection du réformé n" i (P. R. 2), dont le président
est A. Millerand, ancien ministre de la guerre.
Il n'empêche que cette dernière partie de noire
sujet n'apparaît pas, à l'heure présente, comme mise
au point en ce qui concerne la pratique. Il semble
qu'elle ne pourra fonctionner de façon vraiment
satisfaisante que le jour où sera partout appliquée la
loi sur les dispensaires antituberculeux, déposée
sur le bureau du Sénat par Léon Bourgeois, Hibot,
Strauss, F. Dreyfus, Peyrot etLourties. Le dispen-
saire, tel que le prévoit cette loi, deviendra en tous
lieux l'arme sociale la mieux comprise que nous pos-
sédions pour enrayer l'extension de la tuberculose
et assister ses victimes. A dater de sa réforme, le
soldat tuberculeux redevient un civil, à la charge de
l'Etat, lorsqu'il n'est pas en situation de se soigner
lui-même et de prendre toutes les précautions que
la sauvegarde publique a le droit d'exiger de lui.
Ceci n'empêche qu'il faut encourager et développer
les oeuvres qui ont compris qu'il était doublement
équitable de lui venir en aide, étant donné les
conditions toutes spéciales dans lesquelles il a con-
tracté le mal ou aggravé son état. — D' Henri BouquEi.
ulëtrique (du gr. oulos, crépu, et thrix,
trikhos, cheveu) adj. Anthropol. Qui a les cheveux
crépus : On oppose les peuples ulétriques aitx
peuples LÉiOTF.iQUES. CV. ce mot, p. 70.)
Pari*. — Imprimerie Larousse (Moreau, Auge, OiUon et €••},
17, rue Montparnasse. — Le gérant : L. GR0S1.ST.
académie française. Election et récep-
tion de l'ieire de La Gorce. — L'Académie française
avait cru devoir suspendre, durant les angoisses de
la guerre, le cours de ses élections et de ses récep-
tions. Le dernier académicien reçu en séance publi-
que avait été Emile Boutroux, qui prononça son
discours le 22 janvier 1914. A l'ouverture des hosti-
lités, quatre nouveaux académiciens n'avaient pas
encore pris place solennellement dans leurs fau-
teuils : le général Lyautey, élu le 31 octobre 1912,
empêché par sa mission au Maroc et, depuis, par
ses fonctions de ministre de la guerre, Pierre de La
Gorce, Alfred Capus et Henri Bergson, dont la
triple élection a eu lieu le 12 février 191'i, en rem-
placement de Paul Thureau-Dangin, de Henri Poin-
caré et d'Emile OUivier. Pierre de La Gorce a été
élu au second tour de scrutin, et les voix des 31 vo-
tants se sont ainsi réparties :
1« tour. 2* tour.
Pierre de La Gorce ... 1! 16 Elu.
Camille Jiillian 9 9
Vicomte d'.4.vonel. ... 7 4
Henri Bergson l *
Bulletins blancs 2 2
La prolongation Inattendue des opérations mili-
taires lit revenir l'Académie sur sa première déci-
sion. Le 25 janvier 1917, P. de La Gorce a prononcé
son discours de réception, qui ajoute à son œuvre
plusieurs belles pages : un portrait de Thureau-
Dangin, son prédécesseur à^.^cadémie et deux ta-
bleaux historiques, le règne de Louis-Philippe et la
renaissance catholique en Angleterre au xix" siècle.
11 était facile à l'historien de la seconde Républi-
que de louer avec conviction celui de la monarchie
de Juillet. Henri de Régnier, appelé en qualité de di-
recteur de l'Académie à recevoir P. de La Gorce, a
même remarqué spirituellement qu'en faisant l'éloge
de Thureau-Dangin, le nouvel académicien se trou-
vait contraint de faire son propre éloge. Les deu.\
historiens ont, en elTet, des méthodes semblables;
ils ont des amitiés, des admirations et des croyances
communes; ils se sont connus personnellement, et
ils se sont estimés. C'est en 1887 que P. de La Gorce
alla porter son premier livre à Thureau-Dangin,
dans la demeure familiale et paisible de la rue Ga-
ranciire. L'entrevue fut d'abord un peu froide:
M. Thureau-Dangin était peu enclin aux expansions
verbales, et moi pas davantage. J'ai le souvenir des
phrases bienveillantes, mais brèves, un pou tombantes,
qui n'appelaient que dos réponses courtes, un peu tom-
bantes aussi. Sur la cheminée, le balancement d'une
pendule soulii-nait les silences, plutôt qu'il ne les inter-
rompait. Cependant, le hasard do la conversation amena
sur mes lèvres un nom qui m'était cher et l'était bien
plus encore à celui que je venais visiter. A cette évocation,
le visage de votre confrère s'éclaira, sa voix un peu
voiléo s émut, et j'eus la vision d'une tendresse de cieur
cachée, mais profonde, comme ces riches liions de mines
<|u'il faut découvrir et qui n'affleurent pas. L'entretien se
continuant, sa parole se fit un peu plus abondante,
quoique toujours sévèrement contenue Une chose me
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
frappa : la précision des mots loujours justes, sans aucun
remplissage, avec un soui:i uoiquo, celui d'être lucide et
vrai. L'aspect extérieur des choses achevait de révéler
celui qui habitait eu ces lieux. Partout un ordre matériel
minutieux, qui semblait le reflet d'un ordre moral pareil :
aux murs, des portraits d'enfants attestaient les sollici-
tudes familiales d'une âme reposée de l'étude par les
affections du foyer ; près de la croisée, en un endroit ni
caché, ni trop apparent, se montrait l'image du Christ,
témoignante d uno foi qui ne songeait pas plus à se dissi-
muler qu'à s'étaler.
P. de La Gorce passe alors en revue la carrière
de celui qu'il vient de peindre et de déllnir. Paul
Thureau-Dangin appartenait à une honorable famille
bourgeoise, dont plusieurs membres avaient occupé
des situations élevées : l'un de ses bisaïeuls, le D' Noël
Halle, avait été
membre de l'A-
cadémie de mé-
decine et de
l'Académie des
sciences. Son
grand-père ma-
ternel, Guéneau
de Mussy, avait
été, sous l'Em-
pire, puis sous
la Restauration,
inspecteur géné-
ral de l'enseigne-
ment public. Le
jeune Thureau
fut d'abord attiré
vers les études
juridiques. Doc-
leur en droit et
lauréat de la Fa-
culté de Paris, il
p. Thureau-Dangin. tPhot. Manuel.)
entra comme auditeur au conseil d'Etat, où il resta
cinq ans. Puis il abandonna l'administration pour le
journalisme. Pendant l'été de 1868, plusieurs jeunes
gens, & la fois zélés catholiques et amis sincères
de la liberté, se rassemblaient rue du Regard, chez
Etienne Récamier. Ils « s'étaient convaincus que les
chrétiens, disciples de Jésus, pouvaient s'asseoir au
banquet de la société moderne comme jadis le divin
Maître au banquet du publicain ». C'étaient, avec
Paul Thureau-Dangin et Etienne Récamier, Fran-
çois Bcsiay, le comte de Chabrol, Ileinrich, Emma-
nuel Cosquin, Albert Desjsrdins, Augustin Cochin.
Leur aumônier était M^r Dupanloup, « patron puis-
sant, mais dur, et dont la proleclion prendrait par-
fois des airs de joug ■>. « Avec beaucoup d'élan et
d'espoir, un peu d'inexpérience aussi », ils fondè-
rent un journal, appelé te Français, qui parut le
\" aoiit 1868. François Beslay et Paul Thureau-
Dangin en étaient I &me et se partageaient frater-
nellement la direction de celte œuvre chrétienne et
libérale. Beslay avait le titre de rédacteur en chef,
mais une égalité réelle existait entre eux, et « la
grande joie de l'un était le succès de l'autre ».
Le Français vécut « pauvre en argent, médiocre en
clientèle, magnifique en courage » ; attaqué par les
violents du catholicisme et les violents de la libre
pensée, incompris dans les régions officielles, où
l'on regardait avec élonnement « ces hommes in-
connus, qui ne savaient manier ni l'encensoir pour
aduler, ni la pioche pour détruire ». Après la mort
de Beslay (1883), Thureau-Dangin se détacha peu &
peu du journalisme et « s'absorba dans l'histoire ».
Les deux premiers volumes de l'Histoire de la mo-
narchiede Juillet parurent en 1884.
P. de La Gorce cite les lignes suivantes de la pré-
face de cet ouvrage : « La France n'offre pas d'épo-
que plus inléressanteàétudierque celleoùelleaétéen
possession de la monarchie constitutionnelle. » Mais
il ajoute : « Je doute que les hommes delà généra-
lion présente, surtout les jeunes, souscrivent à ce
jugement. » 11 suppose que Louis-Philippe, vers la On
de son règne, en dresse le bilan. C'est pour l'histo-
rien un moyen ingénieux d'inventorier, en suivant
le récit de son orédécesseur, les grandeurs et les
misères de la monarchie de Juillet. Il rappelle lepro-
tocoledu 21 janvierl831, qui a consacré la situation
internationale d'un nouvel Etat, le royaume neutre
de Belgique. Louis-Philippe a pu croire avec fierté
qu'il avait rendu un grand service à son pays, à l'Eu-
rope, à la cause de la paix. L'ironie et les èpigram-
mes sont fréquentes dans ce brillant exposé ; Le roi
subit par intervalles, lui prince constitutionoel, l'obses-
sion du mot royal. Il est habile, veut qu'eu le sache, et le
veut même trop, car il compromet ses habiletés en les
publiant Aucun de ses ministres ne lui a tout à fait
agréé : ni Laftitte qui lui a plu sans te rassurer, ni
Casimir Périer qui l'a rassuré sans lui plaire, ni lo duc de
Broglie qui a paru sans souplesse et intimidant par excès
de vertu. Ce superflu n'est pas le défaut de M. Thiers ;
mais, comme il est très fin, et le sait, comme lo roi est
très tin aussi, et ne le sait pas moins, ces deux floesses
plongent l'une dans l'antre si à fond que, mutuellement,
elles se devinent jusqu'à la plus gênante indiscrétion.
En dépit des succès diplomatiques et militaires,
le règne de Louis-Philippe marque un affaiblisse-
ment moral de la France :« Le pouvoir nouveau s'est
trouvé, dès son avènement, en déficit de tout ce que
la révolution de Juillet a rayé de respect. » Il s'est
organisé « un peu comme s'organiserait une très
vaste société en commandite ». Quelques-uns des
commanditaires «pratiquent un conservatisme étroit
jusqu'à l'entêtement, mais avec des accès d'indisci-
pline et des tentatives d'infidélité ». Beaucoup ont
un dévouement tarifé : «Ils soutiennent la monar-
chie, mais en commerçants altenlifs à la balance des
avantages et des services. » Ici, P. de La Gorce,
psychologue délicat, portraitiste habile et moraliste
sévère, rassemble les traits essentiels des bourgeois
conservateurs au temps de Louis-Philippe :
Ces bourgeois, rocommandablos par la probité, les
mœurs privées, la prudence quotidienne, sont faibles, non
par leurs vices — car ils n'en ont guère — mais par le*
vertus qu'ils ignorent ou qu'ils dédaignent de pratiquer.
Par héritage du dix-bnilieme siicle, ils sont sensiUes,
84
mais sensibles sans être toujours charitables. Ils ne
savent ni assez regarder en haut, ni assez aimer en bas.
Le sens supérieur des choses divines leur manque et, le
plus souvent, dans leur vie rabaissée vers la terre, ils
n'ont connu ni les recherches du doute, ni les constata-
tions désolées de l'incroyance, ni les repos radieux de la
certitude Vers la fin du règne, la seule question en
matière électorale est celle du maintien ou de l'abaisse-
ment du cens ... S'ils faisaient une prière, ce serait celle
du pharisien, avec cette différence que le pharisien se
vantait de ses jeûnes et qu'ils se glorifient, eux, de leur
abondance. Non, ils ne partageront rien, et, tout absorbés
dans leur égo'ismo qui veut tout retenir, ils n'aperçoivent
pas la montée silencieuse de l'autre égoïsme bien plus
âpre, celui qui veut tout usurper.
P. de La Gorce nous transporte maintenant en An-
gleterre. Il nous montre Oxlord avec ses tours, ses
cloches et ses clochetons, avec les prairies où coule
la Tamise et, dans ce décor, les figures de John
Keble, de Richard Hun-ell Froude, de Puzey, et
surtout de Ncwnian, le héros du second grand ou-
vrage de Thureau-Dangin. Il indique les étapes de
la vie et de la pensée de Newman. Nous voyons suc-
cessivement le fellow d'OxIord, qui se résout au
célibat; l'antipapiste, qu'un voyagea Rome semble
affermir dans sa haine du catholicisme ; « Ah I la
cruelle Eglise! » dil-il de l'Eglise romaine; l'angli-
can libéral, qui rêve d'une entente avec Rome, si
Rome parvient à se réformer. Enfin, nous assistons
à la rupture avec Oxford et avec Puzey et à l'ab-
juration du 10 octobre 1845.
Revenant à la personne de son prédécesseur, P. de
La Gorce fait de lui un nouveau porlniit. En vieil-
lissant, Thureau-Dangin avait adouci quelques im-
perfections qu'on avait pu lui reprocher jadis : une
<c courtoisie un peu distante», une «réserve un peu
hautaine » et une « gravité un peu dogmatique». 11
avait ajouté l'indulgence à ses verlus, une indul-
gence inspirée par «l'ascension continue dans la
lumière et dans la paix». L'Académie lui témoigna
son estime et saconfianceen l'investissant des fonc-
tions délicates de secrétaire perpétuel (1908). Cinq
ans plus tard, les portes de Saint-Sulpice s'ou-
vraient devant la dépouille funèbre de cet homme de
talent, qui eut le mérite, encore supérieur, d'être
un homme de bien.
Le style de ce discours, toujours d'une tenue sé-
vère, même quand il semble sourire, se rapproche,
vers la fin, de celui de l'oraison l'unèlire. La réponse
de Henri de Régnier est moins oratoire, plus sim-
ple, plus familière, et ne s'anime que dans la der-
nière partie, pour glorifier les écrivains du second
Empire et pour évoquer « la figure de la Patrie dé-
livrée et delà France victorieuse».
Le spirituel auteur de contes assez libres s'associe
volontiers aux éloges décernés par le grave réci-
piendaire au grave Thureau-Dangin. Puis il fait de
Pierre de La Gorce une biographie consciencieuse.
(V. page 102.) Celui qui devait êti-e magistrat avant
d'être historien appartient à une famille de militaires.
Son père était officier, son bisa'ieul fut capitaine
dans un régiment d'infanterie et chevalier de Saint-
Louis ; son trisaïeul servit le roi & la bataille de
Malplaquel. Leur descendant, qui eut le malheur de
perdre sa mère deux ans après sa naissance et la con-
solation de trouverune «tante au coeurmaternel », fut
éloigné de la carrière des armes par une santé fra-
gile en son adolescence et par son peu de goût pour
les mathématiques. De bonne heure, il riva d'être
écrivain, ce qui inquiéta son père. Docilement, le
jeune homme fit sou droit et eut le plaisir de s'en-
tendre prédire une destinée d'historien par l'un
de ses examinateurs au doctorat. l\ fut magistrat
jusqu'au iour oii sa conscience lui défendit d'ap-
pliquer des lois qu'elle déclarait injustes. Il prit
alors la robe d'avocat. Mais les causes civiles ne
l'attiraient guère. 11 réussit mieux au criminel et fit
acquitter quelques malfaiteurs. Ces triomphes lui
ont laissé des remords. Mais Henri de Régnier s'ef-
force de le rassurer :
Les deux ou trois gredins qui vous durent la liberté
n'en ont pout-6tre i)as fait beaucoup plus mauvais usage
que certaines honnêtes gens que la justice n'i[tquiète pas,
car tout est imparfait en ce monde, et c'est ce dont
quelques belles âmes no se peuvent point consoler.
- L'achat, dans une vente publique, d'un lot d'ou-
vrages touchant laRépublique de 1848, semble avoir
déterminé l'orientation des études de P. de La Gorce.
Il tira de ses documents deux conférences, faites à
Lille, sur les origines de la seconde l^épublique, puis
un projet d'article de revue, qui s'enlla jusqu'à de-
venir un ouvrage en deux volumes. Le magistrat
s'était transformé en historien, mais l'historien trai-
tait l'histoire en juge qui condamne ou qui absout.
Il De celte magistrature-là, lui dit Henri de Ré-
gnier, vous n'avez pas eu à démissionner, car
vous n'y avez eu qu'à obéir librement à votre cons-
cience ».
Le directeur de l'Académie s'est excusé de ne pou-
voir parler avec toute la compétence nécessaire de
la valeur scientifique de l'œuvre de V. de La Gorce.
11 a seulement insisté sur l'intérêt passionnant que
présente l'Histoire du second Empire, de « cette
époque à la fois guerrière, frivole, diverse et dra-
matique », OLi « des ligures puissantes, énigmatiques.
LAROUSSE MENSUEL
gracieuses se dessinent sur le lond du décor ». Il a
rappelé le souvenir récent de ce « vieillard éloquent
(Emile Ollivier), dont la tragique infortune a de quoi
faire rêver à l'instabilité des destinées humaines et
auxlourdesresponsabilités du pouvoir ». L'Académie
lui a donné pour successeur « un philosophe illustre »
(Henri Bergson), mais son siège est encore vide.
L'activité militaire du second Empire a suggéré
de jolies images à Henri de Régnier :
A plusieurs reprises, un vent de bataille et de victoire
gonfia la tunique belliqueuse de la patrie. A ce souffle,
les aigles impériales prennent leur vol. lîilles vont battre
de l'aile aux lointains rivages de Crimée, aux plaines
lombardes, autour des pagodes do la Chine. Elles tra-
versent l'océan et planent au ciel étincelant d'Amérique.
L'utilité de ces guerres a été fort critiquée par
P. de La Gorce. Ainsi, Napoléon n'a-t-il pas eu
tort d'aider à l'unité italienne? Henri de Régnier
répond :
Tout ce que je puis constater, c'est que l'Italie paye
aujourd'hui sa dette à la France. L'alliée de 1859 est
devenue l'alliée de 1915. Avoir raison dans la tombe,
c'est tout do même avoir raison.
Mais il est un autre reproche que le poète fait à
l'historien : c'est d'avoir passé sous silence le mou-
vement littéraire sous Napoléon III. P. de La Gorce
cite la Grande
Duchesse de Ge-
rolstein, et ce
n'est pas pour
louer la tournure
d'esprit qu'elle
représente, ni la
génération qui l'a
applaudie. Mais
les 0 charmanis
espritsquefurent
Henri Meilhac et
Ludovic Halévy»
sont loin de syn-
thétiser toutes les
tendances et tout
le génie de l'épo-
que. Sans doute,
Lamartine est
alors « épuisé,
Musset las, Vi-
gny silencieux
Henri de Régnier. (Ph. Manuel.)
Mais Victor Hugo « continue à
faire retentir aux quatre vents de la Renommée la
plus puissante voix poétique du siècle ». Fixé dans
la foi républicaine, il s'y tint
jusqu'à la fermeté, jusqu'à l'exil, jusqu'à la colère, jusqu'à
l'invective Et tous les yeux étaient tournés vers l'île
brumeuse où le grand forgeron du verbe martelait les
mots pour en ceindre impérialement la couroone étince-
lante et suprême.
Sous Napoléon III, Théophile Gautier a poursuivi
« son œuvre sereine et voluptueuse, passionnément
plastique, éprise de luxe, d'élégance et de beauté».
A lui se rattache « le charmant, le fantasque, le
lyrique Théodore de Banville, à la fois ambroisien
et funambulesque ». Plus graves, plus hautains,
plus douloureux ont été Leconte de Liste et Baude-
laire. Histoire, philosophie, critique, sont parées
des noms illustres de Renan, de Taine, de Sainte-
Beuve, de Jules Janin, de Paul de Saint-Victor.
Le théâtre est fécondé par Augier et Dumas fils, le
roman par George Sand, Mérimée, Barbey d'Aure-
villy, les Concourt, et surtout par Gustave Flaubert,
plus isolé dans son labeur impitoyable que Hugo lui-
même dans son île d'exilé ; Flaubert, le grand Flaubert,
qui payait par de mortelles angoisses la page immortelle
qu'il laissait à une j)ostôrité dont il no se souciait point,
n'ayant aimé de la gloire que celle de la langue française.
Les dernières pages de l'Histoire du second
Empire sont agitées par un vent d'orage, « précur-
seur de désastre et d'écroulement ». Mais « le
nuage funeste (de 1870) se dissipe aujourd'hui
dans une aube empourprée de gloire, dont le cou-
chant sera plus glorieux encore ». — Henri de
Régnier, que semblaient avoir embarrassé d'abord
les problèmes d'histoire et de politique, a retrouvé
dans sa péroraison ses élans lyriques et sa phrase
éclatante. — Maurice Enoch.
autolléinotlléraple n. f. (du gr. autos, soi-
même, haima, sang, et therapeia, traitement). Pro-
cédé de tliérapeutique préconisé par certains auteurs
(Widal, Abrami, Ramond, Gombert) dans la lièvre
typhoïde.
— Encycl. Ce procédé, qui semble imité de l'aulo-
sérothérapie, consiste à soustraire au malade 20 cen-
timètres cubes de son sang et à les lui réinjecter dans
le tissu cellulaire sous-cutané. On assisterait, dans
les cas heureux, à une sédation remarquable des
symptômes infectieux. La méthode n'est, d'ailleurs,
donnée par ses partisans que comme adjuvante et ne
pouvant se substituer aux traitements classiques.
autosérothérapie n. f. (du gr. autos, soi-
même et de séroltiérapie). Méthode thérapeutique
appliquée pour la première fois à la pleurésie avec
épanchement par Gilbert (de Genève) en 1801. [IClle
U' 122. Avril 1917.
a été, depuis, employée, avec des fortunes diverses,
contre d'autres épancliements pathologiques.]
— Encycl. Le procédé consiste, étant donné un
malade atleintd'épanchement pleurétique, à lui sous-
traire, à l'aide d'une seringue du genre de la se-
ringue de Pravaz, une petite quantité du liquide
épanché et à réinjecter ce liciuiue dans le tissu cel-
lulaire sous-cutané. Quelques auteurs ne sortent
même pas l'aiguille une fois la ponction faite et se
contentent de la retirer jusqu'à ce que son extré-
mité soit au niveau du tissu cellulaire, et ils réin-
jectent en ce point. Les quantités varient, suivant
les autorités, entre un et cinq centimètres cubes.
En ce qui concerne la pleurésie, quelques méde-
cins enregistrent des succès presque constants. D'au-
tres, tout en faisant de sérieuses réserves sur le résul-
tat thérapeutique, constatent, néanmoins, un accrois-
sement considérable et très heureux de la diurèse.
Certains praticiens ont voulu utiliser ce procédé
dans d'autres maladies à épanchement, et surtout
dans l'ascite et dans l'hydrocfcle. Pour l'ascile, Audi-
bert et Monges (de Marseille), qui l'ont les premiers
tenté, concluent que les résultats de ce traitement
sont constamment parfaits. Beaucoup d'auteurs n'ont
pas enregistré des résultats aussi heureux, et quel-
ques-uns ont conclu nettement contre la méthode,
qui ne serait d'aucune utilité. Contre l'hyilrocéle,
1 emploi de l'autosérothérapie n'a donné lieu qu'à
des essais peu nombreux, à propos desquels il faut
citer Bertholon (de Tunis).
Le mode d'action de ce traitement reste inconnu,
malgré les nombreuses explications qui en ont été
proposées. Son action diurétique, qui paraît cons-
tante, est certainement un des éléments du succès,
car provoquer la diurèse abondante chez un pleuré-
tique, un cardiaque ou un sujet atteint de cirrhose
du foie est un résultat déjà très appréciable. La mé-
thode, en tout cas, apparaît comme exempte de dan-
gers, si l'on met de côté un cas signalé par Oppenheim
et Grepin, où l'autosérothérapie chez un pleurétique
fit apparaître longtemps après, au lieu de l'injection,
des nodules de nature tuberculeuse. — D' H. Bouquet.
Bassot (Jean-Anlonin-Léon), géographe, as-
tronome et général français, né à Reuève (Côle-
d'Or)le 6 avril 1841, mort à Paris le 17 janvier 1917.
Entré à l'Ecole polytechnique en 1861, il était capi-
taine en 1870 et fit la campagne à l'état-major de
la 2'' division du 4" corps d'armée. Sa brillante
conduite à la bataille de Servigny-Noisseville lui
valut d'être cité à l'ordre du jour de l'armée du
Hhin. Ce fut en 1870, peu de temps avant la décla-
ration de guerre, que Bassot avait été appelé au
Dépôt delà guerre pour le service géodésiqne; il y
rentra en 1871, quand la paix fut signée, et, pendant
trente-trois ans, il se consacra entièrement .-lux
grands travaux géodésiques qui furent entrepris
durant cette longue période.
La science géodésique, qui avait pris naissance
en France et s'y était tout d'abord puissamment déve-
loppée, se trou-
vait alors vérita-
blement délais-
sée ; le réseau
français, le pre-
mier en date,
manquait de pré-
cision parrapport
aux réseaux des
Etats voisins. Il
ne faisait de
doute pour per-
sonne que la mé-
ridienne de De-
laml)re et Mé-
chain devait être
revisée. Déplus,
Perrier, station-
nant sur les mon-
tagnes de la pi'O-
vince d'Oran,
avait pu aperce-
voir certains des sommets de la sierra Nevada, en
Espagne, et il avait conclu à la possibilité de relier
le réseau espagnol au réseau algérien. Ce fut dans
ces conditions que, dans une note remarquable,
Faye, alors président du Bureau des longitudes,
exposa au maréchal Niel, ministre de la guerre, les
travaux géodésiques dont la réalisation devenait
de plus en plus urgente. Le programme de Faye
fut adopté, et il fut décidé, en 1869, que l'on efîec-
tuerait : 1° une nouvelle triangulation pour la me-
sure de la méridienne de Paris; 2° une seconde
triangulation permettant de relier l'Espagne à l'Al-
gérie ; 3" une troisième triangulation pour la me-
sure de la méridienne d'Alger à Laghouat. Le géné-
ral Perrier, alors sous-directeur au Dépôt de la
guerre, avait été chargé d'exécuter ce vaste pro-
gramme, et ce fut à celte occasion qu'il appela près
de lui le capitaine Bassot : celui-ci devint le colla-
borateur immédiat de Perrier: il fut associé à tous
ses travaux et devait plus tard lui succéder, menant
à bonne fin l'ensemble de celle vaste entreprise
La nouvelle triangulation de la méridienne dePa-
Général Bassot.
«• 122. Avril 1917
ris s'élendanl de Dunkerque à Perpignan comprend-
quatre-vingt-liuit stations, Bassot fit les observa-
tions dans plus de quarante de ces postes ; il con-
tribua, d'ailleurs, pour une large part, à tous les per-
fectionnernenls qui furent apportés dans les mé-
thodes d'observation, utilisant des signaux optiques
qui étaient faits, pendant la journée, à l'aide d hé-
liostats et, pendant la nuit, par des collimateurs
optiques à pétrole. De plus, u détermina de nou-
veau, avec le plus grand soin, les coordonnées du
Panthéon, qui sont fondamentales dans le tracé de
cette méridienne, en reliant ce monument à quatre
stations prises en dehors de la ville, à l'abri des
trépidations et des poussières atmosphériques.
Les travaux de la jonction géodésique et astrono-
mique de l'Espagne avec l'Algérie commencèrent
en 1879 ; ils furent faits en commun par le Service
géographique français et l'Institut géographique es-
pagnol. Deux pics espagnols et deux pics algériens
devaient être reliés; Bassot se trouvait sur le Fi-
Ihaoussen, à la frontière du Maroc (1.137 m.), et fut
plus de trente jours avant d'apercevoir les signaux
des stations de la rive espagnole, les signaux op-
tiques devant porter h 270 kilomètres.
Enfin, en 1887, eut lieu la triangulation de la
méridienne de Laghouat(300 km.); certaines néces-
sités obligeaient de faire la mesure en une seule
campagne. Bassot parvint, par des méthodes rapides,
à faire le relevé en 56 jours. C'était le prolonge-
ment de la méridienne de Paris sur le territoire
algérien et une amorce précise pour la triangula-
tion de notre colonie.
Bassot avait été nommé commandant en 1880; en
1888, il était lieutenant-colonel, puis colonel en 1892.
En 1893, il était élu membre de l'Académie des
sciences pour la section de géographie et de navi-
gation, en remplacement de Jurien de La Gravière
et, en 1897, il remplaçait Fizeau comme membre du
Bureau des longitudes. Deux ans plus lard, il était
nommé général de brigade. Quelques mois aupara-
vant, il avait été appelé à remplacer le général de La
Noé comme directeur du Service géographique de
l'armée; il y resta jusqu'en 1903 et, pendant son pas-
sage à la tète de cet important service, il donna la
plus vive impulsion aux travaux en cours et renou-
vela entièrement l'apprcvisionnement de guerre en
cartes les plus récentes.
Ce fut encore lui qui organisa, sous les auspices de
l'Académie des sciences, larevision del'arc du Pérou ;
l'expédition fut confiée au commandant Bourgeois.
Pendant toute la durée de ses travaux géodésiques,
Bassot continua à s'occuper d'astronomie et, en 1882,
il avait fait partie de la mission qui fut envoyée en
Floride pour observer le passage de "Vénus sur le
soleil; aussi, en 1904, lorsqu'il eut été remplacé au
Service géographique, fut-il nommé directeur de
l'Observatoire de Nice: il continua, dans ses nou-
velles fonctions, Rappliquer ses méthodes de travail
et d'organisation. Bassot avait été chargé pendant
longtemps du cours de géodésie à l'Ecole supérieure
de guerre; il était, depuis 1902, commandeur de la
Légion d'honneur et, depuis 1903, président de l'As-
sociation géodésique internationale.
On lui doitde nombreuxetremarquablesmémoires,
qui sont, pour la plupart, insérés dans le « Mémorial
du dépôtde la guerre ». Il a publié à part : Différence
de longitude entre Leyde et Paris; Diff'érence de
longitude entre Paris et Madrid (1889). Citons aussi
deux notesremarquables,quiontparu dans l'annuaire
du Bureau des longitudes : la Géodésie moderne en
France (1899) et Notice historique sur la fondation
du système métrique (1901). — Q. Bodchent.
Carolus Duran (Gharles-Emile-Auguste
Durand, dit), peintre français, né à Lille le 4 juil-
let 1838, mort à Paris le 18 février 1917. Il fut
d'abord élève de Phidias Cadet de Beaupré, mais
celui-ci ne trouvait aucune disposition à l'apprenti,
3ui passa vite dans l'atelier du peintre Souchon. Ce
ernier, plus bienveillant, fit donner par la ville
de Lille au jeune artiste une pension, qui lui permit
de venir à Paris de 1859 à 1861. Le pensionnaire
fréquenta, d'ailleurs, peu l'Ecole des beaux-arts, mais
surtout le Louvre et l'Académie suisse, où il ren-
contra Fantin-Latour. En 1860, Carolus Duran prit
part, à Lille, au concours Wicar, avec une Visite au
convalescent, qui lui valut le prix de la Société des
sciences et arts, c'est-à-dire un séjour à Rome. Dès
1861, Carolus Duran est donc en Italie; il va à
Cervara, où il fait du vicaire un portrait serré et
précis, mais sans sécheresse, qui évoque les portraits
vénitiens; puis il s'établit près de Rome, au couvent
de Subiaco, avec les franciscains. Aussi l'appelait-
on le pitlore di San Francisco ou Fra Carlo. Il
allait travailler le fusil sur l'épaule, chapeauté d'un
feutre sombre sur les longs cheveux noirs: cette
tenue de bohème ressemblait assez h celle des
brigands; aussi fut-il pris, un jour, pour l'un d'eux
et recherché comme tel. C'est à Subiaco que Caro-
lus Duran peignit sa Prière du soir, pour laquelle il
faisait poser ses amis les moines dans la campagne.
L'exemple de Courbet n'était pas étranger à ces es-
sais de peinture en plein air, et l'inlluence du maître
d'Ornans est assez sensible dans les premiers essais
Carolus Ouran. (Ph. Brauo.)
LAROUSSE MENSUEL
de Carolus Duran, dans la Visite au convalescent,
dans la Prière du soir et dans V Assassiné qui allait
suivre. Mais, avant d'entreprendre cette dernièreœu-
vre, l'artiste voulut voir Venise, où il alla en 1863 et où
ilputadmirerTitienetsesportraits.L'annéesuivanle,
il se rendit à Pompéi avec Français, Edouard Sain et
Hamon, et ce fut
une période non
seulement d'étu-
de, mais aussi de
joyeuse vie à l'au-
berge de la Raf-
faëlla.En 1865, en-
fin, maître de ses
moyens, Carolus
Duran peint cette
vigoureuse scène
de la Campagne
romaine qui a
pour titre l'As-
sassiné et qui
figurai' année sui-
vante au Salon :
près du cadavre
placé sur un bran-
card, une femme
est agenouillée ;
les paysans pen-
chés tout autour regardent; une autre femme, ren-
versée, est soutenue par un homme ; un fond sobre
de paysage ferme la scène. II y a là un naturel et
une aisance remarquables dans la disposition, un
sentiment juste du dramatique, une force d'exécu-
tion tout à fait rare. Sans doute, tout souvenir de
Courbet n'est pas écarté; mais il y a ici plus de fou-
gue, plus de jeunesse, plus
de liberté. Carolus Duran
débutait vraiment par une
œuvre maîtresse : il ne
s'est jamais surpassé.
L'Assassiné valut à l'ar-
tiste une médaille; la toile
fut achetée 5.000 francs
par la ville de Lille; elle
futplacée aumusée, qu'elle
n'a quitté qu'en 1900 pour
figurer à l'Lxposition cen-
tennale : elle re trou va alors
son premier succès. L'ac-
quisition de cette toile per-
mit à l'auteur de revenir
à Paris, qu'il avait quitté
pour allerà Lille faire quel-
ques portraits à 150 francs:
nécessitél'y obligeait. Mais
un tel début avait forcé
l'attention ; la notoriété
allait rapidement venir. En
attendant, Carolus Duran
profita de l'aubaine pour
aller en Espagne étudier
Vélasquez. II fit à Madrid
une copie du nain el Pri-
mo. Dès lors, il avait dé-
couvert son vrai maître. Il
ne comprit jamais entiè-
rement le beau style grave
du Titien, auquel l'école
espagnole devait tant ;
mais l'exécution grasse,
onctueuse et facile du pein-
tre de Philippe IV l'en-
chantait. A vrai dire, Ca-
rolus Duran se retrouvait
là un peu.
Il ne descendait pas seu-
lement du voyageur Char-
din, dont son grand-père
maternel était le neveu ;
son grand-père paternel
était espagnol. Avec les
Flamands que devait na-
turellement aimer ce Fla-
mand de Lille, Vélasquez
fut son maître préféré; il
passait pour lui avant Ru-
bens, avant Van Dyck et
même avant le Titien. De
Madrid, Carolus Duran
alla à Tolède et, là encore,
s'établit dans un couvent, celui de San Juan de los
Reyes, où travailla le Greco. Mais Theotocopuli
était alors peu prisé,- et il n'eut aucune influence
sur le jeune Français. Dirons-nous qu'en dehors des
leçons de Vélasquez, Carolus Duran reçut en Espagne
des leçons de guitare? Il chantait agréablement; il
apprit à s'accompagner.
Il s'était marié. Sous le nom de la Dame au gant,
le portrait de M""" Carolus Duran parut au Salon de
1869 et valut à l'auteur une nouvelle médaille et de
nouvelles approbations. Là encore, on peut dire que
l'artiste, dès ses débuts comme portraitiste, affirma
son entière maîtrise. Tout le monde connaît cette
œuvre de belle tenue, qui est au Luxembourg.
85
Certes, on n'y trouve pas la matière abondante de
Vélasquez, et c'est plutôt d'un Moroni qu'on pour-
rait rapprocher le portrait moderne, mais n'est-ce
pas déjà là un assez bel éloge? Or, les succès sui-
vaient les succès. Le peintre obtenait une mé-
daille en 1870 avec le portrait de J/°" Feydeau,
connu sous le nom de la Dame au chien et mainte-
nant au musée de Lille : grande el sans maigreur,
la jeune femme, en robe violette, se détachait sur un
fond vert sombre, et c'était assurément une excel-
lente réplique à la Dame au gant. Carolus Duran
voulut, pourtant, viser plus haut. Le portrait éques-
tre, comme l'avait compris Vélasquez, le tentait.
Celui de itf "• Croizelle, en costume d'amazone, au
bord de la mer (litre de l'oeuvre), parut au Salon de
1873 ; il est d'une vérité et d'une aisance extrêmes.
Dès lors, les portraits se succèdent; ce sonl
ceux de M"« Marie-Anne-Carolus Duran en 1874,
de Jtf"" Sabine-Carolus Duran en 1875, d'Emile de
Girardin en 1876.
En 1878, l'artiste s'essaye à la peinture décorative
av3c un plafond : Gloria Marise Âledici, aujourd'hui
au Louvre, et où il met à profit les leçons des Fla-
mands et des Vénitiens, de Rubens et de Van Dyck,
de Véronèse et de Tiepolo. (V.p.95.) En 1879, il re-
vient à la figure seule et obtient la médaille d'hon-
neur avec le portrait de M'"" la Comtesse de Vandal,
grande, blonde, en costume de satin et de damas
blanc, sur lequel est ^ osée une fourrure; et le peintre
excelle à traduire let reflets vifs du lissu soyeux,
les matilès du damas, la profondeur du pelage. Dès
lors, il va s'intéresser de plus en plus à la partie
morte de ses modèles, suivant en cela l'exemple,
souvent regrettable, de quelques-uns de nos bons
maîtres du xviii' siècle, comme Van Loo ou Naltier.
La Dame au gaut, tableau de Carolua Dm-aa (1869, musée du Luiemboui-g).
On ne saurait citer tous ses portraits. Il faut pour.
tant mentionner ceux de M'^' de Pourlalès, de la
Comtesse Orsetti avec ses trois enfants, de
iM"n« Georges Feydeau avec ses trois enfants [1897),
de la Comtesse de Wa)-wick, de JU"°» Cahen d'An-
vers et, parmi les hommes, ceux de Pelouze, de
Français (1888), de Manet, de Gounod, du statuaire
Ch. Drouet,de René BiUotte, du sénuleur Dauphin,
de Challemel-Lacour (1892), d'Edouard Sain, son
ancien camarade de Pompéi, d'Henner (1892), du
compositeur Widor, d'Arsène Houssaye en robe de
chambre (1893), de Georges Leygues, de Paul Dé-
roulède (1896), d'^r^ne Alexandre (1903), de
Louis Toussaint (1904). Le portrait d'Henner en
86
béret est un des meilleurs; très véridique, très
franc d'exécution et supérieur, assurément, au profil
qu'IIenner brossa ensuite d'après Carolus IJuran.
La composition En famille (1902) n'est, elle aussi,
qu'une réunion de portraits; et c'est dans la même
série qu'il faut classer le Poêle à la mandoline
(1893', l'Enseiç/ne du iiiaîlre d'armes (10011. sobre
LAROUSSE MENSUEL
il s'abstient de porter un jugement sur son œuvre.
Paul Cézanne, donc, nous raconte son biographe,
naquit le 19 janvier 1839 à Aix en Provence, d'un
pèie qui, ayant fait fortune dans le commerce des
cliapeaux, s'improvisa un jour banquier, et réussit;
— ceci pourétoulTer la légende qui veut un Cézanne
pauvce et minaijie. aidé par les uns; pt. parles autres.
L'Assassiné, tableau de laroiiis buran (lHti5, musoc de Lille).
et vigoureuse, le Vieux Lithographe (1903), au-
jourd'liui au musée du Luxembourg, et le Vieil Espa-
gnol marchand d'épongés (1904).
Carolus Duran s'était également adonné à la pein-
ture religieuse et au paysage. Comme peintre reli-
gieux, il a brossé quelques esquisses et quelques
scènes d'un beau sentiment dramatique, où les dons
de l'auteur de l'Assassiné ont trouvé à s'employer. 11
fautrelenir, notamment, une itfî'sea)t/om6eau(18S2),
laDerniére Heure du Christ {1S9!,), le Chrislmort sur
la croix (1899), iUltima Ora di Cristo (1913). A côté
de ces œuvres expressives et douloureuses, quelques
nus font contraste; par exemple, une Danaé : ils
sont, cependant, assez rares dans l'œuvre du peintre.
Les paysages, par contre, sont nombreux : tels un
Soir dans la plaine à Fréjus (1894), où l'artiste
allait fréquemment et où il reposera désormais, un
Coin de Saint-Marc à Venise (1896), un Coucher de
soleil sur les marais de t Argence (1N97), une Ma-
tinée d'orage en Savoie (1901). Tout cela ne consti-
tue, pourtant, qu'un délassement, et Carolus Duran
est surtout peintre de ligures, aussi bien dans les
portraits que dans les sujels à personnages : un
Futur Doge (1S81), Andromède (1887), le Triomphe
de Bacchus (1X89), les Itieuses, Volupté (189.-;). Il
faut ajouter, pour êlre complet, que l'artiste s'était
même essayé à la sculpture et qu'il avait exposé, en
1874, un buste en bronze, le Pisan.
Fait ctievalier de la Légion d'honneur en 1872,
officier dès 1878, Carolus Duran connut tous les
succès. Il avait été, avec IMeissonier, Pu vis de Cha-
vannes, Besiiard, Cazin, Dalou, l'un des fondateurs
•de la Société nationale des beaux-arts; il en fut
nommé président en 1899, à la mort de Puvis. Dési-
gné, en 1904, comme directeur de l'académie de
France à Rome, il y resta jusqu'en 1913 et fut rem-
placé à la villa Méilicis par Besnard. C'est de Rome
<[ue Carolus Duran envoya au Salon son portrait du
camérier du pape en costume à coUei'ette et man-
chettes de dentelle, Don Ferdinando del F. Il avait
signé également, deux années auparavant, en 1906, le
portrait du car</i»aiA/a(</a'eu. Ses dernières œuvres,
néanmoins, n'avaient plus l'accent des œuvres du
début; demeui'é brillant peintre d'accessoires, exé-
cutant expert dans la traduction des étoffes, Carolus
Duran avait négligé la construction des personnages
et le dessin des visages : sa couleur brillante man-
quait un peu de distinction, sa manière aisée de
force. Mais des toiles comme l'Assassiné el la Dame
au gant assureront longtemps il l'artiste de nom-
breux admirateurs. — Tristan Leclgre.
Cézanne (Paul), par Ambroise'Vollai-d. — C'est
une biographie, et rien qu'une biographie, tentée par
■Vollard dans ce volume sur Paul Cézanne, d'ailleurs
illustré de belles reproductions de l'œuvre du peintre.
Car l'auteur n'est pas critique d'art — du moins il
l'assure ; — il n'est pas peintre, il ne fut qu'un ami de
Cézanne. Pour ces trois raisons, et d'autres sans doute.
Paul Cézanne, à la mort de son père, avait une quin-
zaine de mille francs de rente, ce qui lui permit,
en somme, honorablement, jusqu'à sa mort, de pein-
dre des pommes, sans en vendre.
C'est cerlainement de sa mère qu'il tenait son
imagination et sa vision de la vie ; sa mère, au tem-
pérament vif et romanesque, mais d'humeur inquiète,
parfois emportée. C'est M"« Cézanne mère qui favo-
risait les instincts artistiques de son fils. Usant de
celte logique des mères qui provient non du raison-
nement, mais du
cœur.elles'écriait
naïvement : « Eh
quoi!...ils'appelle
bien Paul, comme
Véronèse et Ru-
bens I »
Paul Cézanne, il
l'âge de dix-neuf
ans, remporta un
deuxième prix de
dessin à l'Ecole
des beaux -arts
d'Aix. La même
année, il était ba-
chelier es lettres
et prenait son ins-
cription à la fa-
culté dedroit de sa
ville nalale. Son
goût était décidé-
ment orienté vers la peinture. Emile Zola, avec lequel
il s'était lié étroitement, — car ils étaient camarades
de lycée, — le soutenait dans ses ambitions Us se
voyaient déjà tous les deux l'un grand peintre, l'au-
tre grand écrivain, et, séparés, ils s'écrivaient des
lettres où la poésie se mêlait à la peinture avec une
inconscience admirable. Zola écrivait, par exemple,
à Cézanne : « Travaille le dessin fort et ferme, pour
ne pas êti'e un réaliste, pour devenir un Jean Gou-
jon, un Ary Scheffer(!) » et surtout pour ne pas être
un «peintre de commerce». Cézanne juraitsesgrands
dieux; — et il faut dire qu'il tint parole, sur le dernier
point surtout, car, dans ses démêlés avec lui-même
pour n réaliser », il songeait si peu à la vente, qu'il
brûlait la toile dont il n'était pas satisfait.
En 1861, nanti de l'aulorisalion paternelle, il
quitta Aix pour veniréludier ledessin etla peinture
à Paris. Il se présenta à l'examen d'admission de
l'Ecole des beaux-arts, où il fut gratifié d'un bel
échec avec cette mention, pourtant honorable :
« Cézanne a un tempérament de colorisle; par
malheur, il peint avec excès. » Ce peintre trop
« excessivement peintre » fut rappelé par sa famille,
qui aimait les sentiers battus et préférait le voir
établi dans la banque paternelle que cherchant sa
voie, à la suite de Zola, dans on ne sait quelle bo-
hème échevelée. La famille de Cézanne avait lorl,
pour deux raisons : la Dremière. c'était de croire
Paul Cézanne.
N' 722. Avril 1917.
Zola bohème; — Zola, qui déjà, à cette époque, avait
des goûts ultra-bourgeois, recevait à un jour, avec
du thé et des petits fours; la seconde, c'était de
croire que Cézanne mordrait à la banque. Le ban-
quier Cézanne, moins têtu que beaucoup d'autres
pères, ne s'obstina pas, et, " puisque le petit avait de
quoi » , il le laissa à ses images. Paul Cézanne reprit
le train de Paris.
Vers cette époque, on disait communément des
tableaux de Cézanne qu'il visait une toile blanche
avecun pistoletchargé decouleurs. La «peinture au
pistoletde Cézanne «avait un gros succès; — ce n'était
pas encore, pourtant, de la peinture de commerce.
Cézanne regretta toujours de n'êtie pas reçu au
« Salon de Bouguereau », — c'est ainsi qu'il appelait
le Salon officiel; il lui semblait que, le jour où l'on y
verrait un Cézanne •• bien réalisé », les écailles tom-
beraient des yeux du public. Il s'y présenta en 1866.
Ses toiles furent refusées. Il écrivit alors, tout indi-
gné, une protestation au surintendant des Beaux-
Arls : « Je ne puis accepter le jugement illégitime
de confrères auxquels je n'ai pas donné moi-même
mission de me juger, » s'écriait-il. 11 demandait le
rétablissement du Salon des Refusés comme en 1863:
« Dussé-je m'y trouver seuil » Sa démarche n'eut
pas de succès. En 1863, Cézanne avait fait la con-
naissance de Manet et de Renoir. Il exposa avec
eux en 1874 chez Nadar, à la fameuse exposition
qui réunit les noms de Pissaro, Guillaumin, Berlhe
Morizot, Degas, Braquemond, de Nittis, Brandon,
Boudin, Cals, G. Colin, Latouche, Lépine, Rouart
et surtout Monel, dont le tableau : l'Impression
devait donner à tous les exposants le qualificatif
d' « impressionnistes ». Mais Cézanne, bien qu'inté-
ressé par les efforts des impressionnistes, avait trop
peur qu'on lui « mît le grappin dessus » pour de-
meurer dans leur société en effet, à partir de 1877,
il n'exposa plus avec eux. On apercevait de temps
en temps des Cézannes chez Tanguy, un petit mar-
chand de couleurs de la rue Clauzel, qui s'était fait
le protecteur des incompris.
La guerre de 1870 avait trouvé le peintre o étu-
diant sur le motif à l'Estaque ». Zola le pressait de
revenir : » C'est notre règne qui arrive I » lui écri-
vait-il pendant la Commune... « Seulement, compre-
nez, monsieur Vollard, expliquait-il à son biogra-
phe, j'avais en ce moment un paysage qui ne venait
pas bien ; aussi je restai quelque temps encore à étu-
dier sur le motif ». Conscience de peintre,... ou in-
conscience! — Le livre de Vollard abonde en ré-
flexionsde bonne humeur sur les quolibets que lui pro-
cura son intérêt pour le talent de Cézanne, notam-
ment aune exposition qui eut lieu à la galerie Vollard
en 1895. L'auteur reproduit dans un chapitre spécial
les appréciations des critiques sur son peintre, ap-
préciations qui laissent rêveur, non sur la valeur des
œuvres de Cézanne, mais sur l'inanité de la critique
d'art, car elles accumulent les contradictions.
Cézanne s'opposait à Gustave Moreau; il déclarait
que celui-ci ressentait son émotion seulement dans
les musées, tandis que lui la trouvait dans la nature.
11 disait : « Il faut refaire le Poussin sur nature,
tout est là. » Pour lui, d'ailleurs, « peindre d'après
nature, ce n'était pas copier l'objectif, mais seule-
ment réaliser ses sensations ». C'est en quoi il est
proche parent des impressionnistes, sans toutefois
désirer être confondu avec eux. Parfois, il émettait
des aphorismes dans ce genre : « Tout, dans la na-
ture, est sphérique ou cylindrique. » Il disait aussi :
« Manet o-acfte le ton mais il manque d'harmonie,
— et aussi de tempérament. » Il ne pouvait souffrir
ni Van Gogh, ni Gauguin; il qualifiait le premierde
fou, et il accusait le second de plagiat : o II me
chipe ma petite sensation! » expliquait-il.
Cézanne affectionnait le vermillon et le bleu.
Dans les dernières années, sa palette, éclaircie,
comprenait seulement cinq jaunes, quatre bleus, six
rouges et trois verts. Il peignait surtout des natures
mortes, car les natures «vivantes» ne se prêtaient
pas assez volontiers à ses exigences, si l'on songe
que le portrait qu'il fit d'Ambroise Vollard ne de-
manda pas moins de cent quinze séances. Et il fal-
lait que le modèle se tint immobile, bien entendu, et
inerte « comme une pomme » ! Beaucoup d'humains
n'étaient pas capables d'un tel sacrifice; aussi pei-
gnait-il rarement des portraits. Ildéclarail, pourtant,
que « l'aboutissement de l'art, c'est la figure ».
On ne peut nier que la plupart des œuvres de
Cézanne manquent d'aplomb. On se souvient de la
description de Huysmans : de « désarçonnants dé-
séquilibres; des maisons penchées d'un côté, comme
pochardes; des fruits de guingois dans des poteries
saoules... ». Quelqu'un ayant émis l'idée que cette
particularité, comme celle de Gréco, tenait à un
écart du rayon visuel, Cézanne trouva dans celte
boutade un nouveau prétexte pour affirmer son im-
puisr-ance à « réaliser ». « Le contour me fuit », s'é-
criait-il avec désespoir. Il avait un culte pour Dela-
croix. Vollard raconte qu'un jour, en venant poser,
il parla du testament de Delacroix et d'une aqua-
relle qui s'y trouvait mentionnée, représentant des
fleurs « comme posées au hasard sur un fond gris ».
« Malheureux! s'écria Cézanne en faisant deux pas
vers moi, les poings menaçants, vous osez dire que
N' 122- Avril 1917.
Delacroijt peignait au hasard! » Je pus lui expli-
quer l'erreur; il se calma. » J'aime Delacroix I » me
Jil il, par iiiani; re d'excuse.
11 n'airi>ait pourtant pas ses confrères, et notam-
menlCarriere : « Un jour, raconte encore VoUard,
le brouillard l'avait chassé de l'atelier, pendant qu'il
faisait mon portrait. Au moment de jurer le saint
no[n de Uieu, il se rappela qu'il avait pour voisin
Carrière; et alors, le poing teudu vers les fenêtres
du confrère, faisant l'homme furieux, mais déjà
amusé par ce qu'il allait dire ; « Celui-là est heu-
a reux; il a le lenjps rêvé pour se livrer à ses or-
« gies de couleurs! »
Les rapports de Zola et de Cézanne s'étaient ten-
dus avec le temps, et ils ne se voyaient plus, sans
qu'il y ait eu réellement jamais brouille entre eux.
Cézanne raconte ainsi le fait : « C'est moi qui ai
cessé le premier
d'aller voir Zola, frrr-
Je n'étais plus à
mon aise chez lui,
avec les tapis par
terre, les domes-
tiques et l'Autre
qui travaillait
maintenant sur un
bureau en bois
sculpté. Cela avait
fini par me donner
l'impression que je
rendais visite à un
ministre. 11 était
devenu (excusez un
f teu, monsieur Vol-
ard,jeneledispas
en mauvaise part)
un sale bourgeois II)
Mais l'autre son
de cloche est don-
née par Zola. Zola
avait cru à Paul le
génie d'un grand
peintre. Ilsedécla-
raildèçuetluipré-
féraitManet.ouen-
coi eDebatPonsan,
— il ne savait pas
bien au juste 1 Dans
une visite que Vol-
lard lui fit, il dé-
clara : Il Mon cher
grand Cézanne avait l'étincelle; mais, s'il eut le
génie d'un grand peintre, il n'eut pas le talent de
le devenir; il se laissa trop aller à ses rêves, des
rêves qui n'ont pas reçu leur accomplissement.
Suivant ses propres paroles, il s'est mis en nour-
rice chez les Illusions ! J'ai tout l'ait pour galvani-
ser mon pauvre ami. C'est pour lui que j'ai écrit
l'CEuvre. Le public se passionnapourcelivre,mais
mon ami resta indilTérful. » Ce n'était pas tout à
fait exact: Cézanne lut le livre, ne s'y reconnut pas,
et remarqua seulement : n Comment peut-il oser
dire qu'un peintre se tue parce qu'il a fait un mau-
vais tableau'? (Juand un tableau n'est pas réaliaé,
on le... jette au l'eu, et on en recommence un autre I »
En 1899, Cézanne se retira à Aix, sa ville natale,
et il y resta jusqu'à sa mort, le 23 octobre 1906. il
écrivait à Vollard en 1902 : « Je travaille opiniâtre-
ment et j'entrevois laTerre promise. Serai-jecoinme
le grand chef des Hébreux, ou bien pourrai-je y pé-
nétrer'? — J'ai réalisé quelques progrès. Pourquoi si
tard et si péniblejiientl l'art serait-il, en effet, un sa-
cerdoce qui demande des purs, qui lui appartiennent
tout entiers. » 11 travailla jusqu'au dernier moment
avec une ardeur qui ne se démentit pas. Il fut surpris
par un orage, le 17 octobre 1906, pendant qu'il était
« sur le motif»; il tint bon sous l'averse pendant deux
heures, puis s'évanouit. On le transporta chez lui ina-
nimé. Le lendemain, il voulut se leverpour terminer
dans son jardin une étude qui « venait bien », mais il
fut pris de syncope. Il mourut quelques jours après.
Vollard traite son sujet avec une extraordinaire
fldëlité de mémoire. Ces souvenirs sont parfois sa-
voureux, ils ne sont pas toujours d'une dignité aia-
démique; mais Cézanne, nous l'avons vu, n'atteignit
jamais le « Salon de Bouguereau». Par ce livre, si
Cézanne n'est pas absolument grandi, il est, dans
tous les cas, remis à sa place vraie, dans son cadre,
— nous allions dire n dans son ambiance», pour em-
ployer l'expression favorite de ses partisans chaleu-
reux, nos confrères indépendants. — J.-Q. Lemoine.
Compagnie de Jésus en France (la).
//i.v/oice (/'wnsîèWe (/««-;»/-'.), t. I"et II, 1814-18.'.5,
par J. liurnichon. — Depuis qu'en 1773, Clément XIV
avait pronmlgué la bulle interdisant l'ordre des
jésuites, celui-ci avait virtuellement disparu d'Eu-
rope, et ses membres s'en étaient dispersés dans des
retraites discrètes, où ils demeurèrent quarante ans.
Au plus fort de la Révolution, en 1794, six prêtres
se réunirent à Louvain.dans une maison qui avait
appartenu à l'ordre et fondèrent une société sous le
patronage du « Sacré-Cœur de Jésus » , laquelle émigra
peu après non loin de Vienne, à Hagensbrunn. Au
LAROUSSB MENSUEL. — IV
LAROUSSK MENSUEL
même moment, un jeune clerc italien, Paccarini,
fondait la société des « Pères de la Foi » ; par ordre
de Pie VI, les deux nouvelles compagnies fusion-
nèrent; tel fut le berceau de l'ordre des jésuites,
reconstitué au lendemain de la chute de Napoléon.
J. Burnicbon, qui a entrepris d'écrire l'histoire de
cette compa;;nie depuis cent ans et qui nous donne
presque en .nème temps deux volumes documentés
aux meilleures sources : Archives vaticanes, Archives
privées de l'ordre auquel l'auteur appartient, com-
mencepar dissiperuneerreur que plusieurs historiens
ont commise: s'il est vrai que les Pères de la Foi el,
notamment, le P. Varin, leur chef, entrèrent dès
1814 dans la Compagnie de Jésus, il est faux, nar
contre, qu'aucun jésuite d'avant la dissolution ait
fait partie de la société des Pères de la Foi; il est
donc erroné, affirme J. Burnichon, que les jésuites
Les Joueurs de cartes, tableau de Paul Cézanne.
aient cherché à exercer une influence quelconque
sous l'Empire et que Napoléon ait eu à entreprendre
une lutte contre eux : ce sont les ennemis de la foi,
et notamment Fouché, qui ont voulu confondre les
deux ordres pour les besoins de leur cause; il est
juste, cependant, d'ajouter que le P. Varin et ses
disciples suivaient en tout point les règles de saint
Ignace et n'avaient d'autres aspirations que de
continuer l'œuvre interrompue par la bulle de
Clément XIV.
C'est en Russie, à la suite du hrel Catholicse fidei
en 1801, que les jésuites réapparurent d'abord offi-
ciellement : Ferdinand IV les rétablit, en 1804, en
Sicile; en 1803, la Province d'Angleterre se recons-
titua. Celle des Etats-Unis, qui n'avait disparu que
de nom, mais dont les membres formaient la por-
tion la plus considérable du clergé, fut réorganisée
à la même époque.
Cependant, dans les premiers jours de la Restau-
ration, le P. Varin, conseillé par le cardinal délia
Genga, le futur Léon XII, et par le P. de Clorivière,
ancien membre de la Compagnie, « le seul qui res-
tât alors en France », et sans doute par plusieurs
familiers du nouveau régime, décida de rester dans
le slatu quo, de conserver l'indépendance de la
Compagnie des Pères de la Foi, tout en resserrant
les liens qui unissaient ceux-ci aux jésuites, dont le
nom même, il le sentait bien, soulevait encore tant
de critiques.
Cette réserve prudente ne fui pourtant pas de
longue durée : le 7 août 1814, Pie Vil révoquait la
bulle de Clément XIV; la Compagnie de Jésus était
rétablie dans le monde entier. Le P. de Clorivière
réunissait aussitôt autour de lui, à Paris, dans l'an-
cien couvent des eudistes de la rue des Postes, à
l'hôtel de Juigué, 70 novices.
Louis XVlll, qui avait conservé de sa jeunesse
un fonds d'esprit voltairien, ne désirait pas que les
jésuites reprissent dans le royaume une place qui
ne pouvait qu'occasionner de nouvelles luttes reli-
gieuses; il tenait surtout & ce que la question de
leur rétablissement ne fût pas posée. « Que les Pères
ne reprennent ni le nom, ni l'habit de laCompagnie,
aurait-il fait dire au P. de Cloririère; qu'ils s'oc-
cupent sans bruit de leurs afl'aires, ils n ont rien à
craindre ».
De fait, les jésuites suivirent durant plusieurs
années le sage conseil du roi et n'eurent pas à s'en
repentir.
J. Burnichon retrace dans tous ses détails l'his-
toire de ses devanciers, les nombreuses formations
de collèges et de séminaires, la naissance et le dé-
veloppement de l'oeuvre des Missions. On sait le
87
bruit que firent celles-ci dans le royaume et com-
ment elles furent bientôt cause de la renaissance
des discussions religieuses dans l'esprit public el au
Parlement. Une société de Missions de France
avait été fondée et approuvée en 1815 par l'autorité
ecclésiastique, reconnue par ordonnance royale.
L'abbé Hauzan en était l'àme; mais les Pères de la
Foi et les jésuites avaient formé des Missions pa-
rallèles; les premières eurent lieu dans l'Ouest : à
Laval, à Saiiit-Brieuc, à Mavenne, à Saint Malo.
Partout, les prêtres s'en déclarèrent satisfaits; il
semblait que la foi reparaissait comme aux siècles
passés, que les habitants des villes cl des campa-
gnes revenaient vei's l'Eglise comme vers une mère
longtemps abandonnée, avec joie et repentir.
C'est également sous l'influence d'un jésuite, le
P. Delpuits, que se fonda, au lendemain du Concor-
dat, la Conr/régation, réunion d'hommes d'oeuvres
qui, à partir de 1820, se trouva amenée, par son re-
crutement même, à exercer une réelle influence sur
la vie politique du pays et qui, de ce fait, suscita
de la part des libéraux une violente opposition.
Sous la direclion de l'abbé Legris-Duval, puis du
P. Ronsin, la Congrégation se développa rapide-
ment; si elle ne comptait à son apogée, en 1828,
que 1.349 membres, la plupart d entre eux étaient
des hommes éminents, marquant dans la politique,
les lettres, les sciences ou l'administration. Pareille
association ne pouvait manquer d'acquérir dans tous
les milieux l'autorité que lui conféraient l'activité,
l'intelligence, la situation sociale de ses adhérents.
L'œuvre la plus durable entreprise par les jésuites,
pendant la Restauration, fut la direction de huit
petits séminaires. « Sur 456 personnes formant le
total de son effectif en Frartce, réduit à 364 en retran-
chant les novices, 297 jésuites étaient employés à
des titres divers dans ces huit maisons d'éducation»,
établies à Saint-Achcul, à Sainte-Anne d'Auray, à
Forcalquier, à Soissons, à Avignon, à Aix en Pro-
vence, à DôIe, à Billom (Puy-de-Dôme). L'histo-
riographe de la Compagnie relate fidèlement les ré-
sultats accomplis dans ces différents collèges; il in-
siste spécialement sur celui de Saint-Acheul, le plus
connu d'entre eux, y décrit le plan d'études et mon-
tre combien le trop fameux supérieur du séminaire,
le P. Loriquet, fut calomnié dans ses intentions,
dans ses actes, dans ses écrits même.
C'est au moment où, Charles X montant sur le
trône, on put croire prochain le triomphe des jé-
suites, que commença contre eux la première grande
campagne politique. Montlosier semble en avoir été
l'instigateur et en fut le plus ardent meneur. Le
16 juin 1828, il avait cause gagnée par l'ordonnance
qui interdisait la direction ou l'enseignement aux
membres des congrégations non autorisées, coup
terrible porté par « le plus dévot des rois » aux fils
de saint Ignace 1 Deux ans plus tard, la révolution
de Juillet dispersait les communautés : 50 jésuites
à peine restèrent isolés en France; les autres quit-
tèrent ce pays pour l'Espagne, le Portugal ou le
nouveau monde.
Cependant, avec une merveilleuse vitalité, la Com-
pagnie dispersée ne tardait pas à rejirendi'e un
nouvel essor : une résidence était établie à Lyon,
une autre à Toulouse dès 1832, une autre encore
dans le petit village de Lalouvesc. Dans le même
temps, le P. Druilhet, provincial de France, et le
P. Déplace étaient appelés à Prague comme pré-
cepteurs du duc de Bordeaux, sur les instances du
baron de Damas, ils ne devaient pas y rester long-
temps : quatre mois plus tard, d autres conseillers
deCharlesX, prétextantl'impopularité qui rejaillirait
sur lejeune prince du fait de celle désignation, obtin-
rent le renvoi des deux jésuites (juin-octobre 1833).
Si donc les jésuites rentraient en France et y
fondaient de nouvelles communautés, c'était dans le
plus grand secret, sans même revêtir l'habit ecclé-
siastique. Ne pouvant encore rouvrir leurs maisons
d'éducation, ils travaillaient surtout à se recruter el
dépensaient leur activité dans les occasions qui
s'offraient; c'est ainsi que Saint-Acheul rouvrit,
en 1833, pour y recevoir les cholériques; l'épidémie
ayant cessé, les jésuites y demeurèrent sans être
inquiétés; un scolasticat de théologie y attira leurs
plus éminents confrères, notamment le P. de Ravi-
gnan, qui débuta dans la chaire de la cathédrale
d'Amiens pendant le carême de 1835.
Le nom de Ravignan, qui est à côté de celui de La-
cordaire le plus illustre parmi les orateurs chrétiens
delà première moitié du siècle, «jette un reflet de
gloire sur les débuts de la nouvelle Province [ue l'or-
dre] de Paris ». Il débute dans la chairede Notre-Dame
enl837; Lacordaire.qui, l'année précédente, y avait
donné un carême retentissant, était parti pour Rome,
où l'allait toucher la vocation dominicaine. Pareille
succession n'élaitpas tentante: la froide rigidité de
l'ancien magistral devenu jésuite, l'absence en son
discours de toute liltéralui e romantique el de toute
allusion politique ousociale.allaientaupremierabord
causer une certaine gêne dans l'immense audiloire
qui se pressait sous les voûtes de la vieille cathé-
drale, sans être encore entièrement converti, il
s'en fallait de beaucoup. Les conférences devaient, en
effet, pour être écoulées, rester dans le domaine le
i
88
plus philosophique et spéculatif; Lacordaire, en
deux carêmes, ne prononça pas une fois le nom de
Jésus-Christ; son successeur se tint sur la même
1, Lii'uuti cm u<;au ; ^. Curueille nuire.
réserve (il ne paraissait, d'ailleurs, que sous le nom
d'abhé de Ravignan), et quand, l'année suivante, il
s'enliardit à préciser la doctrine, son supérieur le
félicita d'il avoir pu prononcer l'adorable nom de
Jésus-Clirist sans être insulté ».
Tout ceci dit assez quelles difficultés l'Eglise ca-
tholique-avait à vaincre, au lendemain de 1S30. Les
résullats qu'elle ol)tint en quinze ans furent consi-
dérables; d'autant plus profonds, sans doute, que le
gouvernement de Louis-Pliilippe, gardant la pins
stricte neulralité dans le domaine religieux, ne les
favorisait, ni ne cherchait à les entraver.
Jusiin'anx environs de 1k43, l'ordre des jésuites
ne cessa de se développer en France; en sept ans,
quinze résiilences nouvelles furent fondées. Pareille
prospérilé ne pouvait, pourtant, ne pas éveiller l'at-
tention (les adversaii'es de la religion.
Ce fuient les projets de loi sur la liberté d'ensei-
gnement qni, dis 1840, servirent de | rétexte à une
nouvelle campagne; l'Universiti', sous l'impulsion
de Cousin, de Michelet, de Quinet, ouvrit le feu,
que soutint la piesse doctrinaire.
Louis Veuillot et Monlalembert répliquèrent avec
énergie; l'archevêque de Paris, M^'AOre, qui, en
plusieurs circonstances, avait entretenu avec la
Compiignie de bons rapports, voulut, dans l'intérêt
même de celle-ci, faire passerpour l'exercice du culte
les fils de saint Ignace sous sa propre obédience
en les assimilant au clergé séculier. Les jésuites
protestèrent, et Grégoire XVI leur donna raison
(12 oct. lSil3). Trois mois pins tard, 'Villemain, mi-
nistre de l'instrnction publique, déposait un projet
1. Pie ; 2. Oeai.
de loi établissant la liberté d'enseignement, sous la
réserve formelle que toute personne devant diriger
un établissement ou y professer signerait une dé-
claration affirmant ne point appartenir à une con-
grégation religieuse non reconnue par l'Etat : « On
LAROUSSR MENSUEL
ne veut pas, écrivait le Journal des Di^bats, que,
quinze ans après la révolution de Juillet, les jésuites
renouvellent des entreprises auxquelles la Restaura-
tion elle-même se crut obligée
de mettre un terme. »
Dans la discussion du projet
j(. "" qui eut lieu à la Chambre
haute, J. Burnic'ion a complé
que trente-cinq à quarante dis-
cours étaient plus ou moins
consacrés aux jésuites. Le pro-
jet gouvernemental fut voté
|)ar 85 voix contre 51. Cepen-
dant, la Chambre des députés
le considérait comme réaclion-
naire ; sa commission, dont
Thiers fut nommé rapporteur,
travailla à le modifier dans un
sens plus « universitaire». Le
principe de la liberté d'ensei-
gnement n'avaitpas encore posé
des racines assez fortes dans
l'opinion du pays; Villemain
ayant donné sa démission, son
successeur retira le projet; la
question disparut de l'ordre du
jour jusqu'à la chute de la mo-
narchie de Juillet.
Mais l'année 1845, sur la-
quelle s'arrête aujourd'hui le
volume du P. Burnichon, si
instructif,malgré quelques res-
trictions qu'il y aurait à faire,
réservait aux jésuites de plus
cruelles épreuves. Sur les instances de Guizot, in-
quiet d'une nouvelle campagne
antireligieuse, laquelle pou-
vait conduire au retour des
émeutes qui avaient ensan-
glanté le début du régne, le
saint-siège faisait comprendre
aux jésuiles qu'il importait de
fermer leurs maisons les plus
en vue, de disparaître encore
une fois officiellement, pour
laisser passer la tempête: le
Père général s'exécuta; des
avis furent donnés en consé-
quence. Guizot et l'opinion
libre penseuse se déclarèrent
satisfaits. — Pierr» Rain.
Corbeaux (Destruction
des). — Agric. La nécessité de
protéger les ensemencements
contre les déprédations des
oiseaux et notamment des cor-
beaux, des corneilles, des pies,
etc., surtout quand les eni-
blavures ont élé forcément
limitées, a appelé l'atlenlion
des pouvoirs publics sur l'uti-
lité des mesures à prendre.
Le ministre de l'agriculture,
dans des circuh'ires (30 déc.
1916, 15 janv. 1917) aux prélets, signale le danger
et recommande de donner tou-
li's les facilités pour la des-
t ruction de ces animaux, fixant
diverses prescriptions sur les-
i|uelles nous aurons h revenir.
Sous le nom généi'al de cor-
vidés, les naturalistes dési-
j,'nenl plusieurs passereaux den-
lirostres, dont les principales
espèces vivant dans nos ré-
gions sont : le grand corhenu,
\:i corneille noire, la corneille
iaiinlelée,\e freux on f rayonne,
la corneille des clochers ou
choucas, la pie et le geai.
Le grand corbeau {corvus
cornx), type du genre, est un
oiseau d assez grande taille
(0™,70), à ailes puissantes lui
permeltantdes vols élevés. Ses
mœurs l'ont rabaissé au der-
nier rang des oiseaux de
proie ; sa voracité pour les
pires charognes, son plumage
sinistre, sou cri lugubre, son
regard farouche, l'odeur in-
fecte qu'il exhale l'ont fait re-
garder de tout temps comme
un objet d'aversion.
Dans nos régions, les cor-
beaux ne sontpointdes oiseaux
de passage; ils vivent de pré-
férence par petits groupes dans
les lieux rocheux, i l'abri desquels ils établissent
leurs nids, ne descendant dans les plaines que
poussés par le besoin de chercher leur nourriture.
Leur tube digestif les fait classer entre les oiseaux
carnivores et les granivores; de fait, ils se nour-
N' 122. Avril 1917.
rissent de viande, s'altaquant aux menus animaux,
mais dévorent également, à l'occurrence, les grains
qu'ils savent déterrer. Ce sont des animaux nette-
ment omnivores; leur alimentation est des plus
variées : depuis les mammifères morts, les oiseaux,
les reptiles, les grenouilles, les moUusquesjusqu'aux
grains et fruits, tout leur est bon.
Leur utilité est fort discutable; car, si, grands
amateurs de charognes, leur rôle comme nettoyeurs
de voirie a pu être apprécié dans certains pays
d'hygiène rudimentaire, où ils sont protégés comme
des auxiliaires utiles, il n'en est pas de même dans
nos contrées, où on leur reproche, avec raison, la
guerre qu'ils font aux jeunes couvées, détruisant
ainsi les réserves ailées de nos bois.
La corneille noire (corvus corone) ou corbine, de
plus petite taille (0™,50), a de très grands rapports
avec le précédent; elle a aussi des instincts carnas-
siers extrêmement développés. Vivant en hiver en
troupes nombreuses avec les autres espèces, les
corneilles envahissent les champs, se tenant très
près du sol, se hasardant presque sous les pieds des
cultivateurs; le soir, elles se réfugient dans les
arbres; elles habitent ainsi nos campagnes, tant que
la chaleur ne les oblige pas à rechercher la fraî-
cheur des régions boisées. A ce moment, elles se
séparent et vivent plutôt en couples. Elles guettent
les allées et venues des couveuses, tant aux alen-
tours des fermes que des chasses; elles pillent les
nids, dévorant les œufs et môme les jeunes oiseaux.
Leddet, conservateur des eaux et forêts, cite avoir
vu, dans la forêt de Rambouillet, au pied d'un
arbre où nichait un couple, 45 œufs de faisan
brisés. Cela est loin de compenser la destruction par
les corneilles de quelques mulots ou campagnols.
L. riieiik' iuaiuelu. ; 2- Treux; 3. Choucas.
La corneille mantelée oncomitlard {corvus cine-
reus) se distingue de la précédente par une zone
de plumes ardoisées, formant comme un manteau
sur le reste noir de la livrée; elle est nettement
migratrice. Vivant en troupes nombreuses, les cor-
neilles mantelées arrivent dans nos régions vers la
fin de l'automne, pour repartir au printemps vers le
Nord. Cette espèce est, comme la précédente, omni-
vore, avec une préférence pour les grains.
Le corbeau freux ou frayonne (corvus frugile-
gus), de grosseur intermédiaire entre le grand cor-
beau et la corneille, se distingue par un bec dénudé
k la base, caractère produit par l'habitude de creuser
la surface du sol. C'est essentiellement un granivore
à ample appareil digestif, se nourrissant, à l'exclu-
sion de viande, de grains et d'insectes. Migrateurs,
les freux arrivent en troupes considérables au com-
mencement de I hiver, avec les corneilles mantelées;
ils se nichent en colonies aux alentours des lieux
habités, formant des sociétés bruyantes, très désa-
gréables pour le voisinage.
Ce sont surtout ces deux dernières espèces, la cor-
neille mantelée et le freux, que visent les circulaires
ministérielles. En eiïel,lorsqu'en bandes ces oiseaux
s'abattent sur les champs au moment des semences
ou des récoltes, il est facile de calculer le désastre
causé par ces hordes de ravageurs.
La corneille des clochers ou choucas {corvus
monedula) est la plus petite (0^,38) des corneilles;
ses mœurs sont intermédiaires entre celles des cor-
neilles noires et celles des freux. Si elle vit d'in-
sectes et de grains, elle pille volontiers les nids de
perdrix. Vivant en troupes, elle alTeclionne les
ruines et s'y établit volontiers; peu migratrice, elle
se réfugie généralement l'été dans les bois.
La pie Ipica caudata) est, comme le corbeau
avec lequel elle a de grandes analogies, un oiseau
omnivore, se nourrissant aussi bien de grains et
de fruits que d'œufs; elle s'attaque même aux
«• 122. Avril 1917.
jeunes oiseaux. Moins bien douée pour le vol que
les corbeaux proprement dits, elle est plutôt séden-
taire. Les pies vivent en général par couples isolés;
elles se reunissent en troupes pour chercher l'hi-
ver leur nourriture. Leurs déprédations sont très
importantes, car non seulement elles détruisent pour
se nourrir, mais elles pillent partout pour amasser
des provisions, dérobant même divers objets démé-
nage. Ce sont des animaux malfaisants, qu'il importe
de détruire, car leurs services, ne consistant que
dans la mort de quelques mulots, ne rachètent pas
leurs multiples dégâts.
Le geai {garrulus glandivora) fait également
partie de la famille des corvidés; nous le citons
surtout comme un ennemi des chasseurs qu'il est
nécessaire de faire disparaître; c'est, en effet, un
grand destructeur d'œuls de perdrix, faisans, etc.
Tous ces animaux sont nuisibles h divers titres :
les uns, comme les freux, les corneilles man'elées,
s'attaquent surtout aux récoltes; les autres, grands
corbeaux, corneilles noires, pies et geais, sont des
ennemis des couvées, très friands d'œufs. Ils entra-
vent naturellement le repeuplement des chasses,
puis, en détruisant un grand nombre d'oiseaux in-
sectivores, si utiles pour la préservation de nos bois,
de nos champs, ils causent un grand préjudice aux
agriculteurs; malheureusement, leur multitude, leur
esprit défiant rendent illusoires les divers procédés
employés pour les combattre.
Préservation des semaiiles contre les corbeaux.
Avant d'indiquer ces procédés de destruction,
nous signalions un excellent moyen que l'on peut
efficacement employer, partout où il est possible de
se procurer du pétrole, pour éloigner les oiseaux
des graines ensemencées. Au printemps de 1S96,
Neuville, professeur à l'école pratique d'agriculture
de Le Neubourg (Eure), a montré que les grains
imbibés de certains produits ne perdaient nulle-
meut leur faculté germinative, tout en devenant un
objet de répulsion pour les corbeaux.
Dans trois litres d'eau chaude, on mélange
200 grammes de goudron de gaz délayés dans
ÎOO grammes de pétrole; cette dose suffit pour un
hectolitre de semences. En ajoutant à la même dose
200 grammes de sulfate de cuivre, on assure au grain
une protection efficace contre les maladies crypto-
gamiques. Certaines graines (avoine) peuvent sup-
portermême400grammesdegoudronet400grammes
de pétrole, sans perdre la faculté de germer.
Ueslruclion des corvidés. — Les nombreux pro-
cédés décrits pour effectuer les destructions semblent
indiquer, par leur nombre même, le manque d'effi-
cacité de chacun d'eux, lorsqu'il s'agit de combattre
ces animaux venant en nuées sur les champs. Quoi
qu'il en soit, le fusil est un des meilleurs moyens,
tant par les pièces qu'il permet d'abattre que par
l'elTroi qu'il inspire aux autres. Or, les maires, par
autorisation préfectorale, pouvant permettre aux
cultivateurs de défendre leurs récoltes h. l'aide de
cette arme, ce moyen devient absolument licite non
seulement dejour, mais au.-^si à la tombée de la nuit,
contre les oiseaux
nichés dans les ar-
bres bordant les
emblavures, ainsi
que sur ceux qui
se cachent dans les
bois et les boque-
teauxdu voisinage.
Dans ce cas, il
est recommandé d e
Îiratiquerl'^alfùtà
a hutte ». Le Ion;;
du bois ou de la
haie,oninstalleunfi
cabane de brancha-
ges, d'où, sans
éveiller leur dé-
fiance, les oiseaux
peuvent être tués.
En plaine, ilesttrès
difficile d'appro-
cher les corbeaux
avec une arme, car
chaque bande a son
guetteur, toujours
en éveil, poussant
sa premier signe
suspect un croas-
sement d'appel;
aussitôt prévenue,
la troupe s'envole, pour aller se poser plus loin.
On réussit à attirer les corbeaux, pies, etc., en ex-
ploitant la haine qu'ils ont pour les rapaces nocturnes
et qui les fait se jeter sur eux lorsqu'ils les rencontrent
de jour, livrés sans défense, aveuglés par la lumière.
On pratique pour cela l'alfùt dit au grand duc. Près
d'une cabane d'afiTit, on dispose un de ces nocturnes vi-
vantou empaillé sur un petitperclioir et, àl'aided'une
corde, on le fait remuer, tandis qu'avec un appeau
on imite son cri. Les corvidés, voyant leur ennemi,
viennent voleter autour, pour lui donner des coups de
bec, chercher à lui crever les yeux, et se livrent ainsi
au plomb du chasseur. (V. Lar. Mens., t. 11, p. 86.)
LAROUSSE MENSUEL
Les pièges s'emploient avec succès. Ce sont, le
plus souvent, des cadres garnis de filets, qu'un res-
sort à boudin fait fermer en se déclenchant; l'oiseau
est capturé lorsqu'il fait fonctionner ce ressort en
se posant dessus, pour y saisir un appât convena-
blement disposé au centre du piège. L'hiver, cet
appât est une charogne, un lapin éventré, les lûtes-
89
une longueur de 10 centimètres environ, enduits de
glu sur Ta paroi Interne et surtout à la partie haute.
Les cornets, placés à terre, contiennent chacun un
appât quelconque : viande, grains, fèves, noix cas-
sée, etc.; tout est bon, étant donné la voracité des
corbeaux. Ceux-ci se jettent avidement sur cet appât,
enfoncent le bec dans le cornet, qui, se collant aus-
Chas&e aux corvidés, à l'airCit dit •< au grand duc ».
tins à l'air; au moment des couvées, on emploie
des œufs disposés en nid. Pour réussir le piégeage,
plusieurs précautions sont Indispensables. II faut
avoir soin de ne pas éveiller la méfiance naturelle
des corbeaux. Le piège sera frotté d'herbes odorantes
1. Piège à Blets fixé sur un tronc d'arbre: 2. Piège fixé sur un poteau.
ou déposé sur du fumier quelques heures, puis mis en
place avec des pinces. Il en est de même pour les ap-
nâts.Deplu3,lamontureetleressortserontdissimulé3
le mieux possible sous des herbes. Pour faciliter cette
tâche, on vend dans le commerce des pièges peints
en vert, plus aisés à cacher. On place ces pièges sur
un poteau ou à terre, en ayant soin de les entourer
d'une barrière 'de brindilles, pour obliger l'oiseau à
venir saisir l'appât en se posant sur le piège même.
Un des procédés de piégeage du corbeau, très ef-
ficace et très simple, consiste dans l'emploi du cor-
net â glu. On dispose, piqués en terre, des cornets
de fort papier, de 4 à 5 centimètres d'ouverture, sur
sitôt sur leur tête, les aveugle. L'animal, affolé,
s'élève immédiatement, presque verticalement, à une
très grande hauteur, fait quelques tours et retombe
bientôt épuisé d'efi'orts, dans un très étroit rayon.
Il est aisé, alors, de l'assommer à coups de bâton.
La glu que l'on emploie est une substance collante,
retirée de plusieurs végétaux : gui, viorne, houx;
celle qui provient de ce dernier arbrisseau est la plus
estimée. Pour la fabriquer, on enlève la partie exté-
rieure de l'écorce du houx; la partie restante estpilée
dans un mortier; la pâte formée est ensuite mise à
bouillir avec de l'eau. Le tout, abandonné à la fermen-
tation, donne naissance à une substance visqueuse,
la glu, que l'on épure par de longs lavages & l'eau.
Plus économiquement, on prépare une glu de moins
bonne qualité en faisant bouillir longtemps en vase
clos de l'huile de lin; par agitation, la masse prend
peu à peu une texture gluante. Pour manier sans
ennui les cornets, les bois enduits de glu, il suffit
de s'huiler les mains, l'huile empêchant la glu
d'adhérer à la peau.
La glu était jadis très employée par les chasseurs à
la pipée, chasse aujourd'hui prohibée, par suite de la
destruction considérable d'oiseaux utiles qu'elle en-
traînait. La pipée donnant quelques résultatsavec les
corneilles et les pies, nous 1 Indiquerons plutôt à titre
documentaire. Pour ce genre de chasse, on dispose
dans les hautes branches d'un arbre des baguettes
(gluaux) enduites de glu, puis, le chasseur à l'affût,
bien dissimulé au pied de l'arbre. Imite, avec un ap-
peau, le cri de lachouette, commedans l'affùtau grand
duc; les corvidés sont attirés et viennent s'engluer.
Le poison, aussi, pent servir à détruire les cor-
beaux; mais ce procédé présente de très gros dan-
gers pour les animaux domestiques. Lorsqu'on veut
employer ce moyen, on utilise des grains trempés
dans des décoctions de noix vomlque, agissant par
la strychnine qu'ils contiennent, ou en les enro-
bant de farine arséniée. Ces grains, d'après le décret
du 14 septembre 1916, doivent être teints en vert,
bleu ou noir, pour éviter tout danger.
Dans les petites cultures, sur les planches pota-
gères, on prend les corbeaux comme les poissons,
avec des lignes à hameçons piqués dans des fèves
ou bien garnis d'un ver de terre. On les lue en-
suite & coups de trique.
Destruction des nids. — Eiifln, comme le prescrit
la loi du 23 juillet 1907, on | ratique la recherche
90
des nids, surtout pendant les mois d'avril à juin. En
principe, il ne fautjamaisdélruire une couvée sans en
avoir lue la mère ; pour cela, on attend cette dernière,
à rafTûl, près de l'arljre où elle a placé son nid, et on
l'abat d'un coup de feu. Si l'on détruisait la couvée
avant la mort de la mère, celle-ci ne reviendrait pas
au nid; elle irait plus loin reconstituer sa demeure
et procéder à une nouvelle ponte; et puis, comme la
saison serait plus avancée, la feuille plus fournie,
le nouveau nid échapperait aux recherches.
Destructions coUec/ives par mesures adminis-
tratives. — Lorsque les vols des corvidés sont très
importants et que ces pirates ailés s'ahatipnt par
Cornets à glu et ftem,
légions sur nos campagnes, les efforts isolés de quel-
ques chasseurs ne sont pas suffisants pour préserver
nos champs de leurs ravages. Les maires, autorisés
par arrêtés préfectoraux, doivent alors prescrire sur
le territoire de leur commune la destruction de ces
oiseaux et de leurs nids; le fusil, les pièges, tout
étant permis pour arriver à ce but: ils peuvent même
stimuler l'activité des chasseurs par des primes,
comme on le fait souvent dans les forêts à chasse
gardée. Si ces mesures ne sont pas encore suffisan-
tes, les maires ont le devoir d'organiser des bat-
tues dans toute leur région communale, obligeant
au besoin par des sanctions les propriétaires hos-
Piègea : 1. A ressort avec filet : 2. A ressort en fil d'acier ;
4. Sn acier peint en noir.
tiles ou réfractaires à ces destructions nécessaires.
Ces battues, comjilétées par la chasse aux corbeaux
dans les forêts domaniales, sous la direction des
gardes, permettront de sauver une partie de nos ré-
coltes de la voracité de ces oiseaux. — M. Mounib.
Orumont (Edouard -Adolphe), écrivain et
homme politique français, né à Paris le 3 mai 1844,
mort dans cette même ville le 3 février 1917.
D'origine modeste, Edouard Drumont fit ses études
aux lycées Bonaparte et Gharlemagne. Il entra en-
suite comme employé à la préfecture de la Seine et,
bientôt, se voua au journalisme. Il débula à 1' « Uni-
vers », puis écrivit dans le « Nain jaune ». Chroni-
queur au <( Bien public », Drumont y affirma un
talent nerveux, mis au service d'une grande indé-
pendance de jugement. Après avoir collaboré durant
quatre années à ce journal, il devint rédacteur à
la <• Liberté », où il remplaça Paul de Saiut-'Victor.
11 rédigea, pour le « Petit Journal », le compte
rendu des Salons et se révéla un critique d'art sou-
ple et avisé. Citons encore, parmi les organes aux-
quels il collabora, le « Monde, la i. France théa-
LAROUSSE MENSUEL
traie », le « Gaulois », le « Journal officiel », le ■< Con-
temporain », la « Revue du monde catholique », etc.
Les premiers ouvrages d'Edouard Drumont ne trai-
taient que d'histoire. C'étaient les Fêtes nationales de
la France (1879) ; Mon vieux Paris, hommes et choses
(même année), couronné par l'Académie française;
Papiers inédits du duc de Saint-Simon ; Lettres et
dépêches de Vamtiassade d'Espagne [ISSO], intéres-
sante publication qui fut l'occasion d'une vive polé-
mique aux archives du ministère des affaires étran-
gères c'était la première fois qu'on mettait au jour
des papiers séquestrés depuis 1720 et qu'une mau-
vaise volonté ini'xplioalile empêchait même de con-
sulter; par sa ténacité
! et par l'éclat donné à ses
justes revendications,
Edouard Druniont finit
par remporter une vic-
toire qui fut vivement
applaudie); Journal des
Anllioine; la Mort de
Louis XIV, d'après le
JDurnal des valets de
( Il ambre du roi. Drumont
tétait essayé aussi dans
!'■ roman avec le Dér-
ider des Trémolin (1879)
et avait fait représenter
au Gymnase une pièce
en un &cle:Je déjeune à
midi, écrite en collabora-
tion avec Dollfus (1874).
Ces œuvres l'avaient
lait connai tre d'un public
restreint, sans annoncer
la renommée bruyante
^a* que devait lui valoir la
France juive devant l'o-
pinion (1886). Avec un
talent vigoureux, une
verve impitoyable et mordante, une acrimonie exces-
sive, mais à coup siir sincère, Drumont se fit l'ac-
cusateur des Israélites et dénonça leur influence,
qu'il jugeait abusive et dangereuse.
Il ne s'en tint pas aux généralités et ne craignit
fioint d'attaquer des personnes. L'auteur de ce bru-
ant pamphlet se vit condamné à une amende et à la
saisie de son ouvrage. 11 fit appel de ce jugement, et
l'amende seule fut maintenue.
La publication de la France juive valut h Dru-
mont deux duels retentissants : l'un avec Charles
Laurent, directeur du « Paris », où il fut blessé légè-
reminl el à la suite duquel il dut donner sa démission
au journal catholique « le Monde »,
l'Eglise n'admettant pasle duel; l'au-
tre avec ArlhurMeyer,directeurdu
<i Gaulois ». Dans ce second duel, au
cours d'un violent corps à corps, il
reçut une profonde blessure à la
cuisse, et l'on accusa son adversaire
d'avoir touclié son épée de la main
gauche. De vives discussionséclatè-
rent à ce sujet ; elles donnèrent lieu
à une instruction judiciaire, à la suite
de laquelle Arthur Meyer fut envoyé
devant le tribunal correctionnel de
laSeine,quilecondamnaà200francs
d'amende pour coups el blessures,
mais innocenta la parade de la main
gauche, « attendu qu'il était impos-
sible de déterminersi la blessure et
la main mise sur l'épée de Drumont
avaient été simultanées, les deux ad-
versaires «fourrageant» di'puis quel-
que temps déjà entre leursjambes,
suivant l'expression caractéristique
d'un témoin, et Drumont n'ayant
constaté qu'il était blessé qu'un cer-
tain temps après la fin de la lutte ».
• ^'°= porte-appât; ^^^ antisémites, à cette occasion,
redoublèrent de sympathie pour
l'homme qu'ils considéraient comme leur chef.
Ardemment approuvé ou violemment combattu,
Edouard Drumont eut, dès lors, une éclatante no-
toriété. 11 poursuivit sa campagne dans des ouvrages
tels que la Fin d'un monde (1888), lo Dernière
Bataille (1890), Gambetta et sa cour, le Testament
d'un antisémite (1891), qui n'obtinrent pas le même
succès que la France jxiive.
Le 20 avril 1892, il fonda le journal la Libre Pa-
role, qui devint le principal organe de l'antisémi-
tisme et dont il assuma la direction. Ses principaux
collaborateurs étaient de Lamase, Pradel, Mores,
Albert Monniot, de Boisandré, Papillnud, de Biez,
Guérin, etc. Dès ses débuts, Drumont futl'objetd'un
procès, où il fut condamné, pour avoir diffamé Bur-
deau, il trois mois de pri>un et à un total d'insertions
dont le prix ne devait pas être moindre de 80.000 fr.
AlasuitedetroublesdansleNord.terniinésparune
répression sanglante, Drumont publia le Secret de
/•'ou>'mies(1892),pourenallril)uerla responsabilité aux
juifs et, en particulier, à l'ancien sous-préfet, Isaac.
Celui-cileprovoquaen duel, et les deux adversairesfu-
rentblessés. Drumont se battit encore avecCrémieux-
EJouard Drumont (Ph. Manuel}.
W 122. Avril 1917.
Foa, officier, puis avec Camille Dreyfus, député de la
Seine, et, continuant toujours sa campagne, il publia :
De l'or, de la boue, du sang; Du Panama à l'anar-
chie (1896); les Juifs et l'Affaire Dreyfus (1899).
Aux élections législatives de 1893, Drumont, qui
s'était présenté comme socialiste à la l'» circons-
cription d'Amiens, fut battu; mais, en 1898, il fut
élu, à Alger, par
11.732 voix con-
tre 4. OOOà ses con-
currents. Ce suc-
cès, qu'avaient
précédé de tapa-
geuse s polèmi-
qubs, provoqua
des manifesta-
tionsensafaveur.
A la Chambre, il
fut un député pro-
testataire. 11 fit
une énergique
opposition à la
revision du pro-
cès du capitaine
Dreyfus et fut
l'un des organi-
sateurs des pour-
suites intentées à
Zola au sujet de cette affaire. Citons à son actif deux
fropositions de loi : l'une relative à l'amnistie (1898),
autre portant modification du tarif général des
douanes pour les matières végétales (même année).
LorsderinterpellationsurrAlgérie,lel4juinl901,
Drumont fut frappé de censure et d'exclusion tem-
poraire pour avoir traité de Lanessan et Monis
d' c( hommes tarés ». 11 refusa de quitter la salle des
séances et fut expulsé de vive force. Aux élections
de 1902, il se représenta dans la !■■« circonscription
d'Alger et fut battu d'un millier de voix par Mau-
rice Colin. Dès lors, il ne brigua plus les suffrages
publics. De son passage au Palais-Bourbon il garda
des notes, qui lui servirent à peindre sans indulgence
les mœurs politiques. Il poursuivit dans la presse
sa campagne contre le sémitisme et contre la poli-
tique du II bloc », et publia encore les Tréteaux du
succès; Figure!, de bronza et statues de neige (1901);
Vieux portraits et vieux cadres (1903).
Candidat à l'Académie pour le fauteuil de Sardou,
Drumont réunitdix voix au premier tour de scrutin, le
28 mai 1909, et ne se représenta plus.
Les dernières années de sa vie s'écoulèrent dans
la retraite, l'alfaiblissement de sa vue ayant inter-
rompu son activité. — Max Salbeis.
Dysenterie bacillaire, maladie infec-
tieuse, épidémique ou endémo-épidémique et con-
tagieuse, caractérisée par la colite ulcéreuse hé-
morragique et causée par des bacilles du type Shiga-
Flexncr.
— Encyci,. 1» Causes. La dysenterie bacillaire,
différente de la dysenterie amibienne non seule-
ment par sa cause, mais aussi par quelques-uns de
ses symptômes, exisie sous toutes les latitudes, en
présentant, pendant la saison chaude, son maximum
de fréquence, notamment en France, et affecte la
forme d'épidémies plus ou moins étendues el graves
(Bretagne, 1899; 'Vincennes, 1902; Toulon, 1906;
Chauvigny, 1908). Son agent pathogène a été vu
pour la première fois par Chantemesse et Widal
en 1888, mais c'est Shiga, en 1898, qui l'a décrit
avec soin et a établi ses caractères morphologiques
et biologiques. Ultérieurement, Flexner, Stioug et
Musgrave, Hiss ont décrit d'autres types de ba-
cilles, un peu distincts au point de vue de leur ac-
tion fermentative sur les sucres, mais as-ez voisins
morphologiquement et également capables de pro-
duire les symptômes et les lésions de la dysenterie.
Le bacille de Shiga est un bâtonnet court, ressem-
blant au colibacile et se décolorant par le gram;
il n'a ni cils, ni spores, el ne préseule que des mou-
vements d'oscillation. Aérobie facultatif, il se déve-
loppe abondamment dans les milieux alcalins sur-
tout k la température de 37» C; néanmoins, sa ré-
sistance vitale est faible, et il est très sensible à la
dessiccation et à la lumière solaire. Il ne produit pas
d'indol, ne liquéfie pas la gélatine, ne coagule pas
le lait et ne produit de fermentation sur aucun
sucre. Ses toxines sont des toxines non dilTusililes
ou endotoxiues, très nocives, car elles détermi-
nent les lésions caractérisliques de la maladie.
Les bacilles du tvpe Flexner-Hiss sont identiques
à ceux du type Shiga; cependant, ils produisent
quelquefois de l'indol et font fermenter la mannite
et le lactose.
2" Symptômes et évolution. La dysenlerie bacil-
laire ne se contracte guère que par contape direct;
aussi voit-on, dans les agglomérations familiales,
la maladie s'étendre rapidement aux personnes qui
sont en rapport aiec le sujet atteint. La transmis-
sion par l'eau, les poussières, est moins fréquente
en raison de la faible résistance vitale des bacilles,
qui sont rapidemen*. détruits par la dessiccation, les
rayons solaires; Vincent a, en outre, démontré que
ces bacilles ne vivent que quelques jours dans l'eau.
«• 722. Avril 1917.
La période d'incubalion est variable, le plus ordi-
nairement courte : 2 il 3 jours, mais peut quelque-
fois dépasser une semaine. Il n'y a pas, h pro-
prement parler, de phénomènes prémonitoires; au
plus, peut-on signaler tantôt un peu de cystite,
tantôt quelques malaises intestinaux. Le début
est brus(iue : douleurs abdominales, diarrhée, la-
quelle devient vite extrêmement fréquente, en
même temps que les caractères des selles changent ;
celles-ci, très nombreuses, prennent en effet l'aspect
muco-san(,'lant (« raclures de boyaux «). Elles sont,
en outre, fort peu copieuses et accompagnées de co-
liques extrêmement violentes, localisées à l'S iliaque
et au rectum, mais peuvent s'étendre à tout le côlon,
d'épreintes, de ténesme, avec prolapsus plus ou
moins marqué de l'anus, douleurs irradiées, etc.
Comme le nombre des selles atteint fréquemment
40 à 60 dans les 24 heures et parfois jusqu'à 200
dans les cas très graves, la fatigue et l'épuisement
du malade deviennent bien vite considérables. Dans
les Ciis bénins, les symptômes généraux sont réduits
au minimum; il n'y a pas de fièvre, ni de céphalée.
Dans les cas moyens, la fièvre reste légère, quand,
même, il y en a. Les cas graves sont caractérisés
non seulement par la fréquence des selles, mais
aussi par l'appaiition des si^rnes d'intoxication gé-
nérale : vomissements, hoquets, hypothermie, pur-
|)ura, faiblesse du pouls, pâleur plombée de la face,
anéantissement des forces et amaigrissement ra-
pide. Comme complications, on peut noter les
aithralgies, la parotidite, l'aiiasarque sans albumi-
nurie, les névrulgies, plus rarementl'occlusion.
La dysenterie bacillaire est une maladie des plus
sérieuses, puisque, dans les épidémies de ces précé-
dentes années, on comptait 10 à 15 p. 100 de décès,
survenus la plupart du temps dans le coUapsus.
D'une manière générale, la gravité dépend moins
de la fréquence des selles que de l'intensité des
symptômes d'intoxication. Cependant, il convient
de remarquer que les lésions caractéristiques de la
maladie, — épaississement de la paroi intestinale,
ulcération de la tunique muqueuse, d'après LetuUe,
— limitées au gros intestin et souvent même au rec-
tum, sont attribuées non au bacille lui-même, mais
à ses toxines. (Juaiid les lésions ainsi produites sont
profondes et étendues, les toxines se généralisentel
déclenchent les grands symptômes; par suite, plus
les lésions sont étendues, plus, aussi, le nombre des
selles augmente; il en résulte un certain rapport
entre la gravité de l'infection et le nombre des selles,
que Vaillard et Dopter expriment comme suit :
Cas moyens 15-30 selles par jour
Cas sévères 30-50 — —
Cas graves 50-100 — —
Cas très graves. . . . 100-150 et plus.
On n'oubliera pas, cependant, que, même avec un
nombre relativement modéré (20 à 40) de selles par
jour, l'accentuation des signes d'intoxication consti-
tue une menace des plus sérieuses. L'algidilé, la
faiblesse du pouls, la tendance au coUapsiis nécessi-
tent une intervention immédiate et énergique.
Normalement, la maladie évolue en une quinzaine
de jours; les bacilles, d'abord très abondants dans
les raclures d'intestin et les mucosités, disparaissent
firesque complètement au bout de 8 à 10 jours, et
es lésions, peu à peu, se réparent. Mais la conva-
lescence est longue et pénible; il y a assez souvent
rechute du dixième au quinzième ou vingtième
jour. En outre, la grande fragilité de l'intestin ré-
clame beaucoup de précautions et un retour très
firogressif à l'alimentation normale, ce qui fait que
es forces du malade, très affaiblies par les dou-
leurs, les évacuations et l'intoxication, ne remon-
tent que difficilement.
3" Trailemeiit. Hi-ureusement que la sérothérapie
a, dans ces toutes dernières années, complètement
modifié l'évolution de la dysenterie bacillaire. On a,
en conséquence, presque complètement abandonné
les anciens traitemenls, — calomel, sulfate de soude
k doses faibles et répétées, lavements au perman-
ganate de polasse ou à l'eau chaude, elc, — pour
recourir d'emblée au sérum antidysenlérique de
■Vaillard et Dopter, délivré par l'Institut Pasteur.
Mais, pour «n tirer un bénéfice immédiat et com-
plet, il convient d'agir le plus tôt possible. Dès que
le diagnostic est posé par tes circonstances et la cli-
nique et surtout par l'analyse microbiologique des
matière fécales, on injecte le sérum sous la peau.
Dans les cas moyens, ne datant que de 48 heures,
20 centimètres cubes de sérum en une fois suffisent
pour modifier tous les symptômes, diminuer très
notablement le nombre des selles, amender et faire
disparaître les douleurs abdominales, les épreintes,
le ténesme. Dans les cas graves, plus anciens et
3uand les siffnes d'intoxication sont accusés, on
oit injecter d'emblée 40 à 60 centimètres cubes et
davanta'r^e. Si Tamélioration consécutive n'est pas
très nette, ou si, après une légère période d'amélio-
lioralion, les symptômes morbides repreiment de
l'ampleur, il faut recourir à une deuxième et même
à une troisième et quatrième injections, en dimi-
nuant seulement un peu les doses. Dans les cas
moyens pris à temps, il est rare que l'on soit obligé
4e renouveler l'injection. Eo deux jours, trois jours
LAROUSSE MENSUEL
au plus, laguérison est acquise; les douleurs dispa-
raissent, les selles prennent un caractère fécal, ces-
sent d'être sanglantes et deviennent moulées; l'ap-
pétit renaît et la convalescence est relativement
courte, car le malade peut être ramené beaucoup
plus vite qu'avec les anciens traitemenls à l'alimen-
tation normale. Les accidents sériques : urticaire,
érythèmes, myalgies, artbral-
gies, ne sont pas rares, mais
ils n'offrent aucune gravité;
on y pare rapidement par l'ad-
ministration de 2 à 3 grammes
de chlorure de calcium. En cas
de rechute vers le quinzième
jour, une seule injection de
20 centimètres cubes de sérum
suffit à couper court à tous
les accidents. Notons, cepen-
dant, que, la protection réali-
sée par le sérum étant de
courte durée, l'infection peut
être réacquise par le malade
au bout de peu de semaines.
4° Prophylaxie. Il convient
de désinfecter soigneusement
les selles et la literie du ma-
lade et tous les objets qu'il
touche; les personnes de l'en-
tourage ont également à pren-
dre pour elles-mêmes les pré-
cautions d'usage : veiller à la
propreté et à la désinfection
des mains et du visage, etc.
Dans les régions contaminées,
on surveillera particulière-
ment les boissons et les objets
d'alimentation (fruits, crudi-
tés) ou servant à l'alimenta-
tion et les contacts que l'on
peut avoir avec des personnes
suspectes. Mais, étant donné
l'incertitude où l'on se trouve
des voies de contage, la meil-
leure précaution consiste à se
faire injecter préventivement
10 centimètres cubes de sé-
rum antidysentérique de 'Vail-
lard et Dopter, qui, quoique
dirigé contre les bacilles du
type Shiga, immunise égale-
ment bien contre ceux du type
Flexner-Hiss. Malheureuse-
ment, l'immunité ainsi confé-
rée est, comme on l'a vu, de
courte durée : 2 à 4 semaines
au plus. Si le risque persiste, on peut, sans incon-
vénient, au bout de ce temps, recourir à une nou-
velle injection préventive, — D' j. Laumonier.
Guerre en IGI^-ISIT (la). [Suite.] —
Le mois de janvier s'était terminé sur l'émotion qu'a-
vait causée la déclaration allemande relative à la
guerre sous-marine, et l'attention du monde entier
était à ce momentconcentrée sur l'attitude qu'allaient
prendre les Etats-Unis. Tout le mois de février a
été rempli par la décision du président Wilson de
rompre les relations diplomatiques entre l'Amé-
rique et l'Allemagne, par les échanges de notes
qui se sont multipliées entre les puissances de
l'ancien et du nouveau monde et par d'importantes
manifestations oratoires, dont le sens et la portée
exacte méritaient d'être examinés de très près.
Quant au blocus de l'Angleterre et à la guerre
sous-marine, au début desquels l'Allemagne avait
assigné une date fixe et dont les résultats devaient,
selon ses déclarations, se faire très rapidement sen-
tir, leur effet n'était pas encore appréciable à la fin de
février et, sans rien préjuger de l'avenir, on devait
constater seulement, en chroniqueur exact, que les
torpillages n'avaient pas, alors, modifié sensiblement
la situation et que, sauf quelques « accidents », pour
employer l'impudent euphémisme de Zimmermann,
qui n'avaient pas amélioré le crédit moral de nos
ennemis auprès des neutres, la menace verbale de
l'Allemagne, comme il est arrivé déjà plusieurs fois,
était restée très supérieure à sa valeur pratique.
Elle avait eu, en outre, pour conséquence d'éclairer
le terrain, de donner une impression précise de la
gêne des Empires centraux et d'amener enfin tous
les peuples de l'Entente à prendre, eux aussi, les
résolutions énergiques que comportait la situation.
Au total, l'acuité de la lutte s'était accrue, et l'on
sentait qu'à moins d'un événement inattendu, im-
possible à prévoir, on touchait au moment où, d'une
part, r.\llemagne, acculée, allait recourir sans aucun
ménagement aux pires horreurs, où, d'autre part,
tous les peuples décidés à échapper au joug germa-
nique allaient être amenés, par une sorte de fatalité
bistori(|ue, à se grouper étroitement.
L'importance des tractations diplomatiques qui se
sont produites pendant le mois de février ne doit pas
nous rendre inattentifs aux événements militaires,
bien que ceux-ci, au premier abord, n'aient pas
paru devoir influer fortement sur la suite des opé-
91
rations. Constatons d'abord que, sur le front russo-
roumain, l'attente, que nous signalions déjà dans
notre dernier article, s'était prolongée. En dépit
de quelques mouvements purement locaux et sans
portée, les Allemands avaient été arrêtés devant la
barrière du Sereth et n'avaient pas tenté de pousser
plus avant. 11 en avait été de même sur tout le
Le cardinal Mercier ayant donné au clergé belge rordre de traiter dans les sermons des
souffrances toujours croissantes du peuple en Belgique, le gouverDcur allemand von Bissing
Tait surveiller militairement les préilicateurs.
reste du front oriental européen. Il y avait donc eu
là, comme nous l'avons déjà fait remarquer, de vé-
ritables quartiers d'hiver, que le froid intense avait
dû par surcroit rendre inconfortables et qui avaient
donné un démenti formel aux assurances d'Hinden-
burg. De plus, tout avait confirmé les renseigne-
ments que nous avons déjà donnés sur les déboires
que la campagne de Roumanie avait procurés aux
Austro-Allemands, au point de vue alimentaire. Au
point de vue purement militaire et en dépit de
toutes les assurances qu'ont publiées les Allemands
au sujet du raccourcissement de leur front roumain
à la suite de leurs victoires et du profit qu'ils en
tiraient, il apparaissait qu'il n'y avait là qu'une
vantardise illusoire et qu'au contraire, la nécessité
de garder un front aussi étendu et aussi difficile à
ravitailler, même si l'on suppose le remplacement
des divisions purement allemandes par des forces
turques ou bulgares, restait une faiblesse devant
l'inconnu assez redoutable de l'armée russe orga-
nisée à la faveur de l'hiver et de l'armée roumaine,
reposée et reconstituée en matériel. En fait, la cam-
pagne de Roumanie n'avait profité qu'aux Bulgares
en leur rendant la Dobroudja et en écartant d'eux
momentanément toute inquiétude d'origine rou-
maine. Si c'était là le résultat qu'avait cherché Hin-
denburg, ce résultat était acquis: mais il est évident
que l'Allemagne devait le considérer comme insuf-
fisant et sans proportion avec le déploiement de
forces qu'il avait entraîné et qu'il entraînerait en-
core. Sans faire, en effet, aucun pronostic au sujet de
la campagne de printemps sur le Sereth, on pouvait
dire, sans crainte de se tromper, que les conditions
seraient autres que celles de la campagne d'automne
et que l'équilibre des forces engagées serait changé ;
sans compter que, pendant les mois écoulés, le tra-
vail de préparation accompli par les Anglais, par les
Italiens et par nous n'avait certes pas eu pour ré-
sultat de diminuer le poids qui, de ce chef, pesait
par ailleurs sur les lignes allemandes.
Du côté de Salonique et de la Macédoine, aucun
événement n'avait été à signaler. Le froid dont
toute l'Europe avait souffert en janvier et février
avait, de part et d'autre, arrêté toute opération
sérieuse. — Pour en finir tout de suite avec ce vaste
secteur, on n'avait eu à enregistrer, du côté de la
Grèce, aucun acte essentiel d'hostilité. L'évacuation
de la Tbessalie et de l'Epire par les troupes hel-
léniques et le désarmement des réservistes avaient
92
conlimié avec une lenteur facile à deviner, qui avait
pour double cause le faillie rendement des chemins
de fer helléniques et le peu d'empressement du gou-
vernement. Des représentations avaient dû être
faites, que le ministère grec avait docilement enre-
gistrées. Mais (Constantin restait le fidèle beau-frère
de Guillaume II. 11 se réservait toujours. Le blocus
Gros canon anglais, sur le front de l'Ancre. — Phot. Chusseau-1-lavi.
demouiaît donc, pour les Alliés, une arme sûre,
qu'il fallait avoir toujours en main.
Sur le front italien, par contre, les Autrichiens
avaient fait des tentatives infructueuses pour re-
prendre Gorizia. L'archiduc Frédéric avait été, à la
suite de cet échec, relevé de son commandement.
On annonçai l, en outre, un voyage de Falkenhayn à
Innshriicli, et, si l'on pouvait en induire cette unité de
front dont les Allemands font état avec ostentation,
si ces deii\ cirronslances, et d'autres renseigne-
ments, présageaient une reprise de l'activité autri-
chienne devant nos alliés, il fallait en conclure aussi
que r Autiiche, de plus en plus, se plaçait sons la dé-
pendance allemande et al)diquaitsa liberté d'action.
Sur le front français, lesAlIcmands avaient lenté,à
la Main-de-Mas-
siges, un coup
ih; main qui leur
avait doimé un
pelitsuccèsqu'lls
avaient, selon
leur usage, am-
plifié à souhait.
Ils n'en avaient,
d ailleurs, tiréau-
ciin avantage, et
1 on devait noter
([u'au cours de
lévrier, à parties
luttesd'arlillerie,
riennepermettaii
dedonneruneré-
ponse à la ques-
tion quenouspo-
„, ,, , , . „ . sionslemoisder-
uénéral anirlais Oough. . ,. . ,,
nier : « yui atta-
querait sur lefront français? Les Français, ou les Alle-
mands? Où attaquerait-on? » 11 y avait, de part et
d'autre, comme un recueillement et, en ce qui nous
concerne, étant donné que le temps est noire allié,
que chaque semaine qui passe accroît notre force
matérielle et augmente notre armement, que nous
devons ménager nos effectifs, on ne pouvait que
louer le haut commandement d'avoir su attendre.
C'était sur la partie du front occidental tenue par
les Anglais et, sur le front oriental, dans la vallée
du Tigre, que s'étaient passés les événements im-
portants. En France, dans le secteur de Bapaume,
une avance méthodique et lente avait permis aux
Anglais, sous les ordresdu général Gough, de faire,
en février, plus de 2.000 prisonniers, dont 96 offi-
ciers, et (le reprendre les villages de Ligny, Thillois,
La Barque, Warlencourt, Pys, Miraumoiit, Pelit-
Miraumont, Grandcourt, Puisieux, Serre et Gom-
mécourt. Cette avance avait été favorisée, on doit
le reconnaître, par le repli systématique des Alle-
mands, de telle sorte qu elle avait été réalisée avec
un minimum de perles. Dans le communiqué où ils
ont dû se décider à avouer leurrelraite, nos ennemis
ont déclaré qu'ils n'avaient fait qu'exécuter un plan
arrêté et qu'ils avaient occupé des positions prépa-
rées d'avance. C'est là un thème connu, dont nous
connaissons le sens pour en avoir nous-mêmes usé
en 191 i. Mais les Allemands y ont ajouté un supplé-
LAROUSSE MENSUEL
ment qui, en vertu de l'unité de front, est utilisé en
Europe comme en Asie. Ils ont cru devoir déclarer
que les Anglais ne s'étaient pas aperçus de leur
mouvement de retraite. En fait, les Anglais y avaient
vu très clair; mais, craignant une feinte, ils avaient
avancé avec prudence. On s'était demandé, en effet,
pourquoi les Allemands reculaient, et on paraissait
craindre que ce re-
iijwu.ii m _>— n pli ne cachât des
intentions d'atta-
que et une sur-
prise. Il est proba-
ble que nous leur
avions prêté, au
moins sur ce point,
des intentions plus
profondes que
cellesqu'ilsavaient
en réalité et qu'ils
ont reculé pour la
seule raison qu'ils
ne pouvaient faire
autre chose. Quoi
qu'il en soit, l'a-
vance de nos alliés
les mettait aux por-
tes mômes de Ba-
paume. Il était per-
mis d'espérer que
c'était là un com-
mencement. De-
puis le début de la
guerre, les Anglais
ont fait, on peut le
dire sans les dimi-
nuer, bien au con-
traire, des progrès
formidables, et la
méthode qu'ils ap-
portent en toutes
choses, non moins que leur ténacité, nous garantis-
sent que non seulement ce qui est acquis est acquis,
mais que chaque jour augmente la solidité de leur ar-
mée, aussi bien aupointde vuedunombre qu'au point
de vue de l'armement et de l'entiaînement militaire.
Nulle part, ce fait ne s'est manifesté d'une façon
plus éclatante que dans la vallée de l'Euphrate. On
N' 122. Avril 1917.
toujours affirmé l'importance. Les Allemands avaient
donné à ces succès un grand relief. Os succès ont été
éphémères. Les Russes et les Anglais étaient rentrés
en action avec des moyens perfectionnés. Les Uusses,
reprenant leur marche entre le lac Oiirlach et Sul-
tanabad, avaionlde nouveau menacé Ilamadan, puis,
le 4 janvier, étaient entrés à Bouroudjird; leur ob-
jectif était Bagdad. De leur côté, les Anglais avaient
préparé la réparation de leur échec de 191(i. L'orga-
nisation de la
campagne de Mé-
sopotamie avail
été confiée au
gouvernementdi-
l'Inde. Commel'a
dit le colonel Fei-
1er, l'expédition
de 1916 avait été
faite à la manière
sportive; celle de
1917 la été à la
manière militai-
re. La reprise de
Kut - el- Amara
par le général
Maude mettait
les Anglais à
loOkilomèlrcsde
Bagdad et, quoi-
que, selon les
Allemands, nos
alliés ne se soient
pas plus aperçus de la retraite des Turcs sur le front
d'Asie que de celle qui a été opérée sur l'Ancre, ils
se rendaient parfaitement compte de limportancede
leur victoire. Si l'on ajoute à cela le succès de l'in-
surrection arabe de La Mecque — les avantages que
les Anglaisontremportés contre les Turcs surlacôle
méditerranéenne et qui les ont rendus maîlres des
routes qui mènent du golfe de Suez à la Palestine,
la-défaite de Sayed-Ahnied, chef des Senoiissis — on
constate qu'en Asie occidenlale, la résistance turque
était alors touchée et le prestige allemand en Orient,
déjà très entamé par les massacres arméniens, sérieu-
sement amoindri. Il y avait là tout autre chose qu'un
résultat local. Sans doute, la ville de Bagdad n'était
pas prise, et il fallait prévoir de gros efforts pour
Général anglais Maudc.
Le raviLailleuiejit en eau pnuiijle sur un point du front de la Soninn'. — Phot. "Wyndham.
se rappelle qu'au mois d'avril 1916, une armée an-
glaise,commandée parlegénéralTownshend, impru-
demment engagée en Mésopotamie, aval tété entourée
par les Turcs, privée de tout moyen de ravitaillement
et, n'ayant pu èlre secourue à temps, avait dû capi-
tuler après 143 jours de résistance. A ce moment, les
Russes, par la Perse, menaçaient Bagdad. L'échec
anglais de Kut-cl-Amara avait permis aux Turcs de
se retournercontreles Russes, de les refouler au delà
d'Hamadan et, grâce à l'appui des Kurdes, de les ar-
rêter dans leur marche progressive à l'ouest des lacs
'Van et Ourmiah. Le recul russe n'avait pas élé plus
loin ; mais le mouvement qui avait poussé nos alliés
vers la Mésopotamie par la Perse avait dû s'arrêter,
et quelque inquiétude avait été permise pour l'avenir
de ce front, dont ou n'a guère parlé et dont nous avons
l'atteindie et la réduire. Mais les brèches faites dans
l'édifice turc indiquaient nettement le sens des mou-
vements combinés des Anglais et des Russes. La
Mésopotamie mène à la Syrie, à la Cilicle, à Alep et à
Alexandrette; la basse Mésopotamie est le terminus
naturel du chemin de fer de Bagdad, el le chemin de
fer de Bagdad est le dernier tronçon de la grande
ligne rêvée par lesAllemands, de Hambourg au golfe
Persique : antique route, qui fut pendant des siècles
la voie unique de communication du riche commerce
de l'Inde avec l'Europe, depuis les temps de Tyr
et de Salomon jusqu'à ceux des Portugais, que les
progrès de la navigation maritime avaient fait aban-
donner, que les progrès du machinisme terrestre el
de la traction électrique remettent au premier plan.
Nous avons déjà dit bien souvent avec quelle
«• 122. Avril 1917.
LAROUSSE MENSUEL
93
Les uaufragéâ du navire marchand anglais Diomed. après le torpillage par un sous-marin allemand. (Composition de Matania, Tfie Sphère.)
ardeur les Allemands s'étaienl jetés sur ce pro-
jet et quels espoirs, fort justes d'ailleurs, ils
fondaient sur lui. Us y voyaient non seulement
le moyen de compromettre l'hégémonie anglaise
dans les Indes, mais de rayonner vers les îles hol-
landaises, vers la Perse et vers la Chine et de
capter toutes les sources de commerce de l'Exlrême-
Orieut. (jette perspective leur apparaissait peut-être
comme supérieure à celle que pouvait leur of-
frir l'Afrique, et il est curieux de remarquer
qu'alors qu'ils n'ont presque rien tenté pour
défendre leurs possessions du continent noir,
qui sont évidemment pour eux de second
plan, ils n'ont rien négligé pour réaliser le
1)lus vile possible par la guerre présente
eurs vues immenses et, pour parler leur
langage, « colossales » sur l'Asie. Une fois
de plus, l'obstacle se dressait devant eux, et
il est permis de dire qu'il était plus fort que
jamais. L'Angleterre de 1917 n'est plus celle
de 1916, encore moins celle de 1915 et 1914.
Elle poussera, à fond, sa pointe de ce côté;
le fait que cette entreprise est remise entre
les mains de llnde anglaise suffit à montrer
dune façon éclatante que les Anglais voient
sans aucune obscurité les desseins de l'Alle-
magne et ne négligeront rien pour les ré-
duire à néant.
Ainsi, le mois de février, avec des résul-
tats militaires modestes en apparence, ou-
vrait cependant des horizons moins brumeux,
soit que les Allemands eussent été obligés
de s'arrêter là où ils avaient juré de ne le
point faire, soit qu'ils eussent été contraints,
fiersonnellement ou par leurs alliés, à recu-
er très involontairement. Leur optimisme
intéressé ne pouvait rien changer à leur
déconvenue.
La question des rapports germano-améri-
cains avait été la question capitale de ce
mois, et il est trop clair que, depuis le dé-
but de la guerre, aucune autre n'a eu la même
importance. — Le 3 février, dans une séance dont
il est facile, d'après les comptes rendus qui en furent
faits, de reconstituer la solennité, le président
■VVilson annonçait au Sénat américain qu'il avait
répondu à la Note allemande du 31 janvier relative
à la guerre sous-marine par la rupture des relations
diplomali(|UC3 avec l'Empire germanique. Dans un
discours très étudié et dont la précision en quelque
sorte mathématique contraste étrangement avec
les harangues ampoulées que la même question a
provoquées au Reichstag de la part des gouvernants
allemands, le président Wilson résumait l'histo-
rique des rapports germano-américains depuis plu-
sieurs mois. 11 rappelait les termes mêmes dans
lesquels la Note du 8 avril 1916, adressée à l'Alle-
magne après le torpillage du Sussex, déclarait au
gouvernement allemand que, si ce gouvernement
continuait à ne pas tenir compte des règles « in-
Soldats français faisant des chevaux de frise. — Pbot. Meurisse.
contestables et sacrées du droit des gens et des
obligations impéralives d'humanité universellement
reconnues », le gouvernement américain n'aurait
d'autre alternative que de rompre les relations diplo-
matiques. Il citait ensuite le texte même de la ré-
ponse allemande et montrait comment, le gouver-
nement impérial ayant paru vouloir lier les enga-
gements qu'il prenait h l'égard des Etals-Unis à la
politique de celui-ci à l'égard de l'Angleterre, il
avait répliqué dans la Noie du 8 mai par un refus
très net d'entrer dans ces considérations. « De telles
affaires, avait-il dit alors, sont séparées et collec-
tives, absolues et non relatives. » Puis il lisait le
mémorandum allemand du 31 janvier, et il ajoutait :
Je poDso que le Congrès sera d'accord avec moi qu'en
prèsonco do cette déclaration qui, à l'improviste et sans
un avis antérieur quelconque, retire l'assurance solennelle
donnée dans la Note plus haut mentionnée, le gouverne-
ment dos Etats-Unis n'a plus d'autre alternative compa-
tible avec la dignité et l'honneur des Etats-Unis
que de recourir à la décision que, par sa note
du 8 avril 1916, il annonçait devoir prendre.
Il indiquait ensuite qu'il ne pouvait croire
que l'Allemagne voulût vraiment mettre ses
menaces à exécution, ni qu'elle n'aurait au-
cun égard pour l'ancienne amitié enlre ses
peuples et le peuple américain, mais il affir-
mait que, si cette confiance invétérée venait
à être trompée, il reviendrait devant le
Congrès lui demander l'autorité o pour em-
ployer tous moyens qui peuvent être né-
cessaires pour protéger nos marins, nos
concitoyens au cours de leurs voyages légi-
times et pacifiques en haute mer ». Enfin, il
concluait ainsi :
Nous désirons n'avoir avec le gouvernement
impérial d'Allemagne aucun conflit hoscile. Nous
sommes des amis sincères du peuple allemand, et
nous désirons vivement rester en paix avec le
gouvernement qui parle en son nom, et nous ne
croyons pas qu'il nous est hostile, à moins que
nous no soyons obligés de le croire. Notre seul
but n'est pas autre chose que de défendre les
droits incontestables de notre peuple. Nous dési-
rons ne satisfaire aucune visée égoïste. Nous
cherchons seulement à rester âdèles, en pensées
et en actes, aux principes immémoriaux de notre
peuple que j'ai cherché à exprimer dans le dis-
cours que je faisais an Sénat il v a doux semaines
seulement. Nous cherchons unuiuenient à reven-
diquer nos droits À la lil>erté, à la justice et à la
trauquillité do l'existence. Ce sont là des élé-
ments de paix et non de guerre. Dieu veuille
que des actes d'injustice voulus do la part du
frouvernenient allemand ne viennent pas nous provoquer à
es défendre î
Il élaitimpossiblede poserplusnettement laquestion
et de faire éclater plus complètement la duplicité de
l'.Mlemagne; et il faut bien ajouter que le président
Wil.^oii passait sous silence tous les faits qui, depuis
le torpillage de la l.usilaiiiii. le 7 mai 191,".. auraient
pu être une occasion de rupture avec l'.Xllemagne;
mais personne, sans rappeler l'affaire du f'a/néa, n'a-
vait oublié les incidents de COrtluna, du Nebraska,
de l\Arabic, de VHesperian, de VAncona, du Persia,
n
niles observations que chacun d'eux avait provoquées
de la part des Etats-Unis. — L'effet produit par la
Déclaration du 3 février fut immense. On eut una-
nimement une impression d'alléffement, comme si
l'on entendait enfin la parole depuis longtemps atten-
due. Venant apW's les tentatives du président WiUon
pour essayer d'arrêter les hostilités et de préciser les
buts de "uerre, auxquelles l'Allemagne n'avait pas
répondu, son geste de protestation contre les me-
naces allemandes était la conséquence inéluctable de
toute sa politique antérieure, l'aboutissement d'une
LAROUSSE MENSUEL
râbles à l'Allemagne. Les dirigeants allemands de
second plan se répandirenten interviews tendancieu-
ses, qui valent pour but de troubler "opinion amé-
ricaine et de grouper plus fortement les Germano-
Américains et les pacifistes pour entraver l'action
du président Wilson. Cependant, celui-ci faisait
voter des lois sur l'espionnage, il commençait des
préparatifs militaires, il adressait un mémorandum
à l'Autriche pour la prier de définir sa politique;
enfin, il revenait le 26 devant le Congre s pour lui
demamler l'autorisation d'armer les navires de com-
Sous-marin allemand s'appi'ovisionnant de torpilles pour aller faire la guerre de pirate.
longuepatience. C'étaitaussi l'expression si ncèrement
méditée, et d'autant plus puissante, du rôle pondéra-
teur que les Etats-Unis devaient jouer dans le conflit
actuel et dont tous ses amis attendaient depuis long-
temps qu'il prît la charge. Le président Wilson fut
approuvé au Sénat américain par 78 voix contre 5,
et la logique de sa décision sembla un moment ré-
duire au silence les amis de l'Allemagne aux Etats-
Unis. Le comte Bernstorff, ambassadeur allemand
& New-York, reçut se: passeports; l'ambassadeur
américain Gérard demanda les siens à Berlin.
L'Allemagne avait-elle pu espérer que sa brutale
sommation du 31 janvier pourrait être acceptée par
le président 'Wilson? Etait-elle assez mal rensei-
gnée, ou se croyait-elle assez forte aux Elats-Unis
pour penser qu'elle n'avait rien à craindre de ce
côté? La politique étrangère de l'Allemagne est un
tel mélange de maladresse et de complication qu'il
était, à l'époque où ceci était écrit, c'est-à-dire aux
premiers jours de mars, impossible de répondre à
cette question. Ce qu'on venait à ce moment d'ap-
prendre au sujetdes mtrigues allemandes au Mexique
et de ce projet romanesque d'alliance contre les Etats-
Unis entre l'Allemagne, le président Garranza et le
Japon, où l'on n'avait oublié que de consulter cette
dernière puissance, la seule qui pilt agir efficacement
en l'espèce, toutes les libertés prises par BernatorlT
avec le droit des gens et les usages diplomatiques,
tous les complots déjà découverts en Amérique,
permettent d'imaginer que l'Allemagne avait eu
des illusions. Son premier sentiment devant le dis-
cours du président Wilson fut la surprise, sincère
ou jouée, et elle ne désespéra pas de changer le
point de vue des Etats-Unis. Elle fit savoir à
Washington qu'elle était disposée à négocier, ofli-
ciellement ou autrement, à la condition que le blo-
cus commercial contre l'Angleterre ne serait pus
interrompu. La réponse fut nette. Le président Wil-
son déclara qu'il était prêt à discuter si le gouverne-
ment allemand » retirait sa proclamation du 31 janvier,
dans laquelle, soudainement, sans aucun avis préa-
lable, il annulait les assurances qu'il avait données
le 4 mai dernier »; mais qu'il estimait ne pouvoir
entamer une discussion quelconque avec le gouverne-
ment allemand au sujet ao la politique de guerre sous-
marine qu'il poursuit maintenant contre les neutres, à
moins que et jusqu'à co que le gouvernement allemand
no renouvelle ses assurances du 4 mai et n'agisse en con-
formité desdites assurances.
Après cette suprême tentative de conciliation,
qui ne fil que préciser les points de vue récipro-
ques, les événenients suivirent leur cours naturel.
Le départ simultané des ambassadeurs fut l'occasion
de racontars de presse qui n'étaient pas tous favo-
merce et de lui accorder les crédits qui lui étaient
nécessaires. A cette date, un paquebot anglais, la
Laconia, qui venait de quitter New-York, était tor-
pillé sans avertissement, et deux Américaines suc-
combaient à la suite de ce torpillage.
Dans son discours du 26 février, après avoir
exposé la situation faite au commerce américain et
N' 722. Hvnl 1917.
sireui d'exercer ses droits de paix et de conserver la paix
dans l'exercice pacifique do tous les droits reconnus depuis
des temps immémoriaux par toutes les nations civilisées.
Enfin s'élevant au-dessus des contin.cjences, il
affirmait sa ferme croyance aux droits de l'huma-
nilé, et il montrait l'Amérique champion du droit
des hommes et des peuples :
Nous ne pensons pas seulement aux intérêts matériels,
mais plutôt aux droits fondamentaux do l'humanité et au
principal de tous, le droit à la vie. Je no pense pas seule-
ment au droit des Américains d'aller et de venir par les
murs pour leurs art'airos, mais également a quelque chose
ilo hieu plus fondamental que cela. Je pense à ces droits
do l'humanité sans lesquels il n'y a pas de civilisation. Ma
pensée va à ces grands principes de compassion et de
protection dont l'humanité cherche à couvrir les vies hu-
maines, vies des non-combattants, vies des hommes qui,
paisiblement, conservent vitaux les procédés industriels
du monde, vies des femmes, des enfants et do ceux qui
fournissent le travail qui assure leur existence. Nous ne
parlons pas des droits matériels égoïstes, mais des droits
que nos cœurs appuient etdout le fondement est la passion
légitime pour la justice, sur laquelle toutes les lois, toutes
les institutions de la famille, de l'Etat et de l'humanité
doivent reposer comme sur la base ultime de notre exis-
tence et de la liberté... Je no puis pas croire (concluait-
il) ((u'un homme ayant à cœur les principes américains
hésite à défendre cela.
Le Congrès devait statuer avant le 4 mars sur la
demande du président. Il y avait toute vraisem-
blance qu'elle ne rencontrerait pas, en dépit des
intrigues, d'opposition sérieuse. Il pouvait arriver,
pourtant, que certains pacifistes aveugles cherchas-
sent à organiser une obstruction qui ne pouvait être
qu'un obstacle momentané.
Le discours du président Wilson avait eu, en
quelque sorte, sa contre-partie dans le discours
prononcé par le chancelier Bethmann-Hollweg au
Ueichstag, le 28 février. Longue apologie des actes
de l'Allemagne, plaidoyer pour sa conduite passée,
présente et future, confirmation de la guerre sous-
marine, attaques violentes et perfides contre l'An-
gleterre, négation de responsabilités évidentes,
protestation d'innocence et menaces contre les en-
nemis de l'Empire, tout y est, y compris cette abon-
dance d'épithèles excessives qui est de plus en plus
un des traits curieux de l'éloquence allemande de
ce temps-ci. Que Bethmann-Hollweg ait exprimé là
sa propre pensée, rien n'est plus douteux. Il n'est
plus que le porte-parole d'[lintlenburg,qirunepartie
de l'opinion, dans unfétichismesignillcatif, voudrait
voir au poste de chancelier. Qu'il ait exprimé la
pensée intime du peuple allemand, c'est ce que nous
ne pouvons savoir avec exactitude, mais il exprimait
certainement l'opinion que le gouvernement alle-
mand entendait produire devant le public, l'affirma-
tion qu'il devaitàson peuple de sa propre confiance,
de la certitude où il était de vaincre, de sa foi dans
sa force économique. Mais, pour qui lit cet exposé
Petits ânes, dont le rôle est de porter les munitions et les vivres aux « pi)ilu8 » dana les tranchées. — Pliot. Wymlham.
s'être explii|ué sur certains cas particuliers de tor-
pillages dont l'Amérique avait soulfert, le président
Wilson déclarait qu'il fallait être prêt à tout et que,
puisque les moyens diplomatiques avaient échoué,
il ne pouvait y avoir d'autre solution « que la neu-
tralité armée, que nous saurons, disait-il, main-
tenir et dont il y a de nombreux précédents dans
l'histoire des Etats-Unis ». Il demandait par suite
qu'on lui accordât
les moyens et l'autorité nécessaires pour sauvegarder
les droits d'un grand peuple qui jouit de la paix et qui est dô-
de sang-froid, les faiblesses apparaissent, et l'esprit
général qui y règne fait insensiblement revenir à la
mémoire la définition que donnait de la race ger-
manique, il y a dix-neuf siècles, l'historien latin
'Velleius Paterculus : « Race née pour le mensonge. »
Quand Bethmann-Hollweg prononçait ce dis-
cours, r.\llemagne ne conservait certainement plus
d'illusions sur les sentiments qu'elle inspirait aux
neutres. Elle avait été fixée sur ce point, à la fois
par les protestations qui lui avaient été adressées à
la suite de sa Note du 31 janvier et par les réponses
Supplément au n' 122. Avril 1917.
LAROUSSE MENSUEL
95
GLORIA MARIiC MEDICI, plafond de Cnrolus /furan, placé au musée du /.ouvre dans te pavillon de lieanvais.
Command*'^ parTKtat, ce plafond était d'abord destiné à l'uno des salles du musée du
Luxomhourjiç. Mais lo sujet choisi par l'artiste, l'hourouso venue de la peinture firent
moditiiT le projet priniitit'. L'œuvre de Carolus Ûuran semblait faire suite, en ort'ft, aux
panneaux, où Kubens, aitlé de ses élèves, a retracé Vf/istuifc de Mnrie de Mi'-dîds, et
l'on se décida pour lu pavillon do Beauvais. L'artiste ajoua alors le portrait de l'ar-
oliiteciedu Louvre, Edmond (iuillamne, à côté de son propre portrait, qu'il avait peint
sur le côté de la toile, suivant en cela une tradition ancienne. Ce Triomphe d*' Mnrie
de Médicis ti^'ura d'abord au >;alon de 1878. où il lut fort admiré, bien que quelques
critiques aient trouvé la composiiion un peu couluse.
A vrai dire, ce reproclie esi mal lonilé. Mise eu place, en eriet, l'œuvre apparaît
d'une ordonnnnce fort claire. Le peintre y a suivi le principe clirecteur des Vénitiens
du XVI II' siècle, en pariiculierde Ticpolo, c'est-à-dire qu'au lieu de montrer uniquement
des li-nres plafonnâmes, il se sert d'un des côtés comme d'une base et éta^ie succes-
sivement au-dessus lous les personnay^es. Ainsi, hommes et femmes sont massés d'un
même côté ; une sorte de temple <l'aniour s'élève dans le ciel. (|ui couvre la plus {^rautie
partie du plafond. On voit donc d'une part des çrouftos serrés occupant une partie de
(a toile, tandis que l'autre partie n'est tachée que de quelques ouages; la transition
I ARtiUSBE MK^SUEL, — IV.
entre ces deux morceaux, l'un très niouvemenié, l'autre très reposant, est ména^^ée par
les éléments d'architecture, par le ^'roupe principal placé sous un dais et par un ange
éployant tout Hu haut ses ailes et sonnant de la troninetie.
Le coloris est fort af^réable. Des masses sonil»res des personnages, on s'élève jus-
qu'aux gris léf^ers du ciel, et l'on va des bruns de la base des torses nus dans l'ombre
aux bleus de rainiosphère en passanr par la gamme des rouges chers à l'artiste. C'est
un rouge clair, donné par une otoHe tendue sur l'estrade où est assise la reine, qui sert
de dominante; il est préparé par les costumes rouges des personnaues autour d'un
balcon, par le corsa«^o dune femme i(ui lance des pivoines; el ces ronges sonnent
d'autant mieux qu'ils forment un contraste vif avec les soieries blanches et grises des
autres étofl'es. Des figures »llégorit|Ues. dont l'une représente la Vérité, sont debout
auprès tie la reine; dos colombes volctent autour du temple, et le violet du manteau
sert de transition entre les tons froids du ciel et les tons ciiauds de ta scène terrestre.
S'il fallait faire une réserve, on serait sans doute amené A trouver que. ni par la pré-
sentation, ni par le coloris, la ttgure de la reine n'occupe le rang principal : mais, dans
l'ensemble, 1 œuvre est fort intéressante, et elle témoignera pendant longtemps do
l'habileté de son auteur. ^V. Caeolus Duran, p. %:>.)
4«»
96
LAROUSSE MENSUEL
Supplément au n' 122. Avril 1917.
Sur le front de Belgique. En sentinelle sur l'Yser.
Uu coiii du Iront des troupes britanniques un nuni <lc la Humnie. Tir do barrage de l'artillerie anglaise (77ie lUusIraled I,ondon Xews).
N' 122. Avril 1017.
que cerlaiiis neulrns avaient faites au président
Wilson. h la suite de la communication qui leur
avait étii doniiée, sur son ordre, de son discours du
3 février. Le président Wilson était, en effet, con-
vaincu, et il l'avait dit dans son discours, qu'il serait
SeiiUnelle italienne devant un rcl'uge souterrain, au nord-est
de Gorizia. — Phot. Trampus.
suivi par tous les neutres, auxquels il faisait appel
pour contraindre l'Allemagne à renoncer à ses pro-
cédés de guerre sous-marine. En prenant cette ini-
tiative, le président n'avait peut-être pas assez tenu
Compte des diltérences spéciliques qu'il y avait entre
les neutres et qui ne permettaient pas de mettre sur
le même pied les grandes puissances neutres de
r.Améiique du Sud, comme le Brésil et la répu-
blique Argentine, qui n'ont rien à redouter direc-
tement de l'AUemayne, ou comme l'Kspagne, qui
tient à se réserver pour un moment plus pi'opice, et
les petites puissances européennes comme la Suisse
ou la Hollande, qui sont, pour certains produits,
tributaires de l'Empire germanique et qu une mi-
toyenneté dangereuse place sous la menace d'une
invasion toujours possible. Aussi bien, les républi-
ques sud-américaines se rangèrent sans hésitation
aux côtés du président Wilson, alors que les Etats
neutres d'Europe, sauf la Grèce, qui pouvait sans
danger exprimer une sympatliie sans effet pratique,
ont nettement refusé desuivi'e l'exemple des Etats-
Unis. Il importe de retenir ici, en particulier, deux
de ces réponses : celle de la Suède et celle de la
Suisse. — On doit dire que la Suède, en cette oc-
casion, a montré peu de mesui-e et que, volontaire-
ment ou non, sa Note était conçue sur un ton de
raideur malcontente qui ne cadrait pas avec les
hautes conceptions du président Wilson. Elle avait
éprouvé le besoin de rappeler, assez maladroitement,
qu'elle avait déjà soumis au gouvernement des
Ktats-Unis des propositions en vue d'une collabora-
lion des neutres. Elle omettait de rappeler qu'il
s'agissait, aloi's, de gêner l'Angleterre diius la légi-
time recherche qu'elle faisait de la conli'ebande par
les sacs postaux, et elle laissait percer la mauvaise
humeur que lui avait alors causée le refus des Etats-
Unis de s'associer à sa suggestion. En outre, la ré-
ponse se terminait par une phiase fùcheuse :
La jjroposition qui forme l'objet de la présente corrcs-
pondaace a pour but indiqué d'abréger les maux de la
guerre. Mais le gouvernement des Etats-Unis a choisi
comme moyens d'arriver à co but un expt^dient nbsolumont
contraire aux priiicipes qui ont guidé jusiju'à l'heure
actuelle la polititiuo du gouvernement royal.
Nous avons indiqué souvent que la politique de
la Suède à l'égard de l'Allemagne n'avait pas tou-
jours été exempte de toute partialité. Il faut se sou-
venir aussi que la Suède avait cru à lasincérilé des
offi'es de paix de l'Allemagne etqu'elle avaitépi'ouvé
une grande déception de leur échec, qu'elle n'avait
fui imaginer aussi inévitable et aussi complet. Enfin,
a position de la Suède reste difficile enlre l'Alle-
magne et la Russie, et cet Etat n'a pas toute sa liberté
d'esprit ni d'allure. 11 subsiste, pourtant, que le ton
de la Note était gratuitement désobligeant et qu'il eût
pu, sans aucun péril, être différent. — Beaucoup plus
digne avait été la réponse, négative aussi, de la Con-
fédération helvétique, placée pourtant dans une si-
tuation géographique beaucoup plus grave encore.
L.\llOUSSE Ml^NSUKL
Dans sa Note, le Conseil fédéral rappelait les décla-
rations de la Suisse relatives k sa neutralité et la né-
cessité même de cette neutralité. Il insistait sur cette
incontestable vérité que « l'inviolabilité et l'indé-
pendance de la Suisse sont dans les vrais intérêls
politiques de l'Europe». En conséquence, malgré les
(lilficultés qui pouvaient résiiller pour la Confédéra-
tion du blocus annoncé, le Conseil fédéral déclarait
qu'il ne pouvait se résoudre à suivre le président
Wilson et qu'il s'en tenait à la protestalion qu'il
avait adressée au gouvernement allemand. On ne doit
fias oublier, nous le répétons ici, que la situation de
a Suisse est des plus critiques et unique dans le
monde. Serrée entre les belligérants, elle ne peut
attendre sa subsistance indusirielle que de l'Alle-
magne et sa subsistance alimentaire quede la France.
Tout ce que la Suisse mange, sauf quelques produits
indigènes, lui vient par nous, et le ponde Celle lui
a été assigné comme point d'arrivée de tout ce qui lui
est adressé de l'étranger. L'Allemagne a eu égard à
cette situation en laissant le port de Celle en dehors
des limites de son blocus; mais la Suisse n'en est
pas moins exposée à être atteinte par les torpillages
en cours de route, que l'Allemagne ne s'engage nulle-
ment il éviter. D'autre part, si la France tient ferme-
ment les promesses faites à la Suisse pour son ravi-
taillement alimentaire, l'Allemagne en a usé avec
désinvolture en ce qui concerne la fourniture de la
houille et du fer, et elle est loin d'avoir été fidèle à sa
parole, dont elle a môme cherché, dans des articles
de presse évidemment inspirés, àdiminuer la valeur.
Nos voisins, quoique puissance entièrement territo-
riale, sont donc, plus que n'importe qui, atteints par
le blocus allemand. Ils risqueraient de l'être encore
plus par une rupture diplomatique qui les expose-
rait aux pires éventualités. Nous devons comprendre
ces nécessités. Du moins, aurions-nous pu souhaiter
— et une partie de la presse suisse a été de cet avis —
que, dans la protestation adressée au gouvernement
allemand, le Conseil fédéral eût compris combien était
peu correcte à noire égard la phrase dans laquelle il
déclarait que le blocus allemand faisait suite à une
série de mesures prises durant la guerre par les
deux partis belligérants en contradiction avec le
droit des gens et les accords internationaux, assimi-
lation fâcheuse, qui semblait méconnailre tout ce
qu'a fait l'Entente pour réduire autant que possible
la gêne incontestable de la Confédération.
Si l'invitation du président Wilson, pour des
raisons très explicables, n'a pas été acceptée, la
97
très inquiélanlc et très lourde pour son commerce
maritime. Elle pouvait donc, comme elle l'a fait,
i< les méthodes de guerre annoncées par l'Allema-
gne étant portées h un point extrême, inattendu et
sans précédent », présenter « une protestation ferme
1: ,:^ur le frunt italien. — !■ i . .
et sereine et faire en même temps les réserves né-
cessaires imposées par la légitime présomption de
l'inéluctable responsabilité qu'assume le gouverne-
ment impérial en raison principalement des pertes
de vies que son attitude peut occasionner ». Avec
une véritable solennité, le gouvernement espagnol
protestation contre la déclaration allemande a été
unanime. La Suisse, les Etats Scandinaves, l'Espa-
gne, la république Argentine, le Chili, l'Uruguay, la
Bolivie, le Brésil, la Chine, ont, dans des termes
différents, mais dont le sens ne change pas, déclaré
l'illégalité internationale des prétentions germajii-
ques. Nous en retenons quelques-unes, qui ont une
portée spéciale. — L'Espagne, plus qu'aucune autre
puissance, par l'attitude si hautement généreuse et
impartiale de son roi, par la patience qu'elle a mon-
trée depuis le début de la guerre devant les menées
germanophiles, avaitledroitde se sentir froissée par
les nouvelles prétentions des Empires centraux, et sa
position péninsulaire rendait la menace allemande
indiquait l'impossibililé où il se trouvait d'accepter
le point de vue allemand et sa décision de mainte-
nir sa dignité nationale.
Si le gouvernement allemand (écriva*t-i[\ comme U
le dit, compte que le peuple espagnol et son gouvernement
no se fermeront pas aux raisons qui ont motivé sa déci-
sion et espère qu ils coopéroront de leur côté à éviter plus
de misères et plus de sacrifices de vies humaines, il com-
prendra de même que le gouvernement es|iagnol, disposé
à prêter, au moment officaoe, son initiative et son appui
à tout co qui pourrait contribuer À ravèuement d'une paix
toujours plus désirée, ne peut admettre un régime de
guerre exceptionnel. .. Le gouvernement de Sa Slajesté,
S lus que jamais ferme dans la justice qui l'assiste, ne
oute pas que le Kouvememeot impérial saura s'inspirer
98
des sentimeDts d'amitié (]ui unissent les deux pays, et
trouvera dans les dures exigences de cette terriljle guerre
ïes moyens de tlonner satisfaction aux réclamations de
i'iOspagne, réclamations fondées dans le devoir inéluctable
qui oblige son gouvernement à protéger la vie de ses
sujets et à maintenir l'intégrité de sa souveraineté, afin
que ne soit pas interrompu le cours de son existence
nationale. Ce pourquoi il se sent pleiaernent soutenu par
la raison et i>ar le droit.
A celle noble déclaration, où l'on sent le souffle
chevaleresque et hautain de la vieille Espagne, il
faut donner comme pendant celle du Brésil. Avec
une fermeté de ton qui ne laisse aucun doute sur
ses inlenlions, le gouvernement de la grande Ré-
publique sud-américaine, apri'S avoir, lui aiis.si, rap-
A Salooique : Marins guettant les aéroplanes en
pelé sa volonté de rester neutre, plaçiiit la question
sur le terrain du droit en déclarant qu'il ne pouvait
considérer comme effectif le blocus qui vient d'être dé-
crété par lo gouvernement impérial i)arco que, à cause
des moyens employés pour réaliser ce blocus, l'étendue
des zones interdites étant démesurée, à cause de tout©
restriction, y compris le manque d'avis préalable aux ba-
teaux menacés aiénie neutres et on raison de l'usage an-
noncé de niiiiporte quels moyens militairesde destruction,
un tel blocus ne serait ni réqulier. ni effectif, et serait
cotiti'aire at'x principes du droit et des clauses convention-
nelles établies pour les opérations militaires de cette nature.
Il concluait en laissant
entièrement au gouvernement allemand la responsabilité
de tous les faits où se trouveraient mêlés des citoyens,
_des marcbandises ou des bateaux brésiliens, dès qu'on
'aura constaté le mépris dos principes reconnus du droit
international ou des conventions signées jiar le Brésil et
l'Allemagne.
Enfin, il est très intéressant de constater que la
Chine s'était, elle aussi, rigoureusement élevée con-
tre le projet alleinand. Celte puissance, sur laquelle
l'AlleiTiagne avait fondé des espérances très solides
avant la guerre et depuis son installation à Kiao-
Tcheou, cbez qui, depuis la guerre et malgré
les victoires japonaises, par des moyens énormes
et sans scrupule et une organisation de mensonge
?|u'elle jugeait irrésistible, elle exerçait une pression
ormidable, s'était tout à coup montrée irréductible
dans sa résolution de se faire respecter et prête à
suivre l'exemple des Etats-Unis, se cabrait devant
les exigences allemandes. 11 y avait là un symptôme
du plus haut prix et, pour l'Alletiiagne, un aver-
tissement itiattendu de la précarité de ses ambi-
tions sur l'extrêtne Asie.
Aucune de ces protestations n'avait amené l'Al-
lemagne à changer son point de vtie; elle ne s'était
souciée ni des représentations amicales, ni des ob-
jections juridiques; elle savait à merveille qu'en
vertu du di'oit établi depuis le xviii" siècle, son
blocus, qui ne pouvait être « effectif», faute de
moyens suffisants, ne s'imposait pas aux neutres;
elle ne pouvait avoir aucune illu.sion sur l'arbitraire
de sa prétention de considérer l'avertissement gé-
néral et collectif donné une fois pour toutes à tous
les navires neutres par sa Note du 31 janvier,
comme constituant l'avertissement particulier à cha-
que navire rencontré, prévu par ses promesses
aux Etats-Unis; elle reconnaissait officiellemenl et
cyniquement qu'elle faisait la guerre aux neutres
et s'en absolvait sur la nécessité que lui imposait
l'Angleterre. C'est tout juste si elle ne rendait pas
les neutres responsables de leurs propres malheurs,
et les regi'ets qu'elle exprimait à la Hollande, par
exemple, apr^s lui avoir torpillé sept bateaux en
utie seule attaque sur une route autorisée par elle-
même, étaient presque plus offensantes que l'ollense
LAROUSSE MENSUEL
elle-même. D'ailleurs, tous les discours prononcés,
tous les articles de presse, tous les actes extérieurs
par où elle manifestait son activité sans scrupule :
— l'affaire hollandaise que je viens de citer, la vaste
organisation d'espionnage découverte à Carthagt'ne
et qtii dénotait un mépris alisolu de toutes les n'gles
internationales, le grand complotmexicain aux Etats-
Unis, le retard apporté à la mise en liberté des ma-
rins du Yarrowdale — la montraient décidée à ne
s'arrêter devant rien. On avait l'itnpression très
nette que, pour relever le moral allemand qui, sans
que nous fussions fixés sur son état exact de dé-
pression, faiblissait à coup siir, le gouvernement
impérial devait essayer de soutenir cette œuvre dé-
mesurée et affec-
ter la croyance for-
"1 melle que l'Angle-
terre, visée avant
tout, serait rapide-
mentréduiteàl'im-
puissance par le
blocus sous-marin.
C'est le même be-
soin d'inspirer une
confiance aveugle
qui donnait de nou-
veau libre cours à
un accès violent
de pangermanisme
par où s'exhalait
avec une impudeur
candide l'ambition
allemande et qui,
à côté delà modé-
ration doucereuse
et équivoque de
Scheidemann re-
poussant sans con-
viction toute idée
annexionniste, pre-
nait, dans la bou-
chedu comte Wes-
tarp et sous la
plume des publi-
cistes conserva-
teursetindustriels,
nomis. — Phot. Trampus. la forme Concrète
de la réunion àl'Al-
lemagnedela Lithuanie, de la Courtaude, de la Flan-
dre, de Longwy et du bassin de Briey, de l'asser-
vissement économique de la Belgique, de la restilu-
tion de toutes les colonies d'Afrique, sans compter
la forte indemnité compensatrice des sacrifices alle-
mands. La synthèse de tout cela s'était faite dans le
vote de 15 milliards de crédits de guerre, dans le dis-
cours de Bethmann-Hollweg dont nous avons parlé
tout à l'heure, dans les proclamations de Guil-
H' 122. Avril 1917.
ce que, par une suite de conséquences fatales, elle
entraîne les peuples dans des voies où, sans elle,
ils ne seraient peut-être jamais entrés. A cause
d'elle, le peuple des Etats-Unis, chez qui le paci-
fisme industriel et commercial semblait un dogme
intangible.s'est vu obligé de regarder en face l'éven-
tualité de la guerre et la formation d'une armée ; à
cause d'elle, le peuple anglais, le moins militariste
du monde, s'est imposé le service militaire obliga-
toire et soumet la liberté individuelle aux plus
étroites sujétions. Ces deux exemples sul'fi.sent â
faire mesurer le recul qu'a subi l'humanité du fait
de la seule Allemagne et le poids écrasant que, pen-
dant longtemps, elle supportera à cause d'elle. Ils
précisent aussi avec une extraordinaire netteté de
trait l'antinomie absolue qui existe entre les deux
conceptions de la civilisation humaine qui luttent à
l'heure actuelle. — L'Angleterre en est bien convain-
cue, et on trouve la marque profonde de cette con-
viction dans les mesures qu'elle annonçait alors
comme dans le discours où Lloyd George, à la
Chambre des communes, a résumé, à la fin de fé-
vrier, le devoir de son pays. Bien que les pertes
causées par les torpillages lïe fussent pas de nature
à inquiéter et que les mesures de défense sous-
marine préparées par l'amirauté anglaise permis-
sent d'espérer que le dommage causé à la marine
marchande anglaise serait largement payé par les
submersibles allemands, l'opinion anglaise était qu'il
fallait être prêt à tout et que, par suite, tant dans
le but de réserver tout le fret pour les services de
guerre que pour mettre le Royaume-Uni en état de
se sulfire à lui-même, il était indispensable de res-
serrer le blocus de l'Allemagne, de resireindre les
importations au minimum indispensable et de re-
mettre en culture les terres et les forêts que, depuis
le xviii» siècle, l'Angleterre agricole de jadis avait
transformées en terrains d'agrément. Sans doute,
cette décision radicale, qui ramenait l'Angleterre à
des conceptions économiques que le développement
industriel semblait avoir classées au nombre des
choses à jamais périmées, allait bouleverser les
mœurs anglaises et constituer un socialisme de fait
tel qu'on ne l'avait jamais imaginé; elle devait avoir
aussi, sur le commerce et l'industrie de tous les peu-
ples, sur ceux de la France en particulier, une réper-
cussion considérable. Elle apparaissait, cependant,
comme une condition primordiale de la victoire.
Le sentions-nous assez en France, et apportions-
nous à nous armer contre les gênes possibles et les
nécessités inéluctables la même hardiesse, le même
esprit de froide résolution que nos alliés d'outre-
Manche? Nous hésitons à répondre al'firmati veinent.
Certes, nous avions subi sans trop de trouble la crise
du charbon, et nous commencions à résoudre petit à
petit la crise des transports; nous nous privions de
petits gâteaux deux jours par semaine, et nous ne
Les voitures de la Croix-Rouge sur le front anglais, en Egypte.
laume II, dans les toasts échangés avec l'empereur
d'Autriche; et, bien que l'attitude de l'Autriche dans
l'affaire américaine ne fût pas encore précisée à la
fin de février et qu'on eût le sentiment que l'Alle-
magne espérait peut-être profiter de la différence de
traitement que le président Wilson avait marquée
entre elle et son alliée, on devait attendre àbref délai
des événements violents dirigés coi'ite que coûte en
vue d'une décision définitive, faute de laquelle la
grande manifestation allemande risquait d'avorter.
Personne mieux que le gouvernement anglais
n'avait compris que la nouvelle métliode allemande
devait être prise au sérieux et combattue avec une
égale énergie. La caractéristique essentielle de la
présente guerre et sa différence fondamentale avec
toutes celles que le monde a connues, sans eu
excepter les invasions germaniques, consistent en
mangions en principe que deux plats dans nos dîners
lins; nous consentions à nous passer à certains jours
de théâtre, de cinéma, des tramways après dix heu-
res et du métro; nous avions mis les journaux à la
portion congrue; nous allions avoir la carte de su-
cre, et on préparait la carte de pain; de grandilo-
quentes proclaiiialions rappelaient aux agriculteurs,
comme s'ils l'avaient oublié, qu'il faut cultiver la
terre et produire du blé et des pommes de terre;
nous avions (non sans peine et après quelles fâcheu-
ses discussions!) obtenu la revision des réformés
et exemptés d'avant guerre; enfin, il n'avait pas, en
février, été question, sinon dans les couloirs, de
changement ministériel, et un certain nombre de
parlementaires de marque avaient pu, sans craindre
qu'on renversât sans eux le cabinet, aller faire en
Italie une utile manifestation.
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Certes, la populalion supportait avec une rare ab-
négalion et un caltrie admirable les privations pré-
sentes; elle atteniiait sans trouble celles qu'on lui
annonçait. Nous n'étionspourtant pas guéris de notre
manie de bavardage; nous n'avions pas renoncé à
croire que parler tient lieu d'agir, et nous ne nous
êlions pas encore baussés, en dépit des réels pro-
grès accomplis, à la conception d'une organisation
méthodique de la lutte, que l'immense majorité du
pays réclamait ardemment, mais que notre turbu-
lence n arrivait pas à traduire en décisions. Personne
ne songeait à nous doter d'une loi sur la presse, qui
m de la responsabilité de la presse une réalité
concrète. Certains, oubliant que nous avons tant de
raisons de nous unir pour le triomphe du droit et de
repousser toute compromission équivoque, enta-
maient de lamentables discussions sur la reprise
immédiate des relations internationales. Nous al-
lions emportés dans le tourbillon de l'histoire, vers
des buts que nous n'osions pas définir fortement,
tout en les jugeant indispensables, conscients et
tiers du rôle admirable que jouait la France, sûrs,
en lin de compte, du triomphe de la justice, mais in-
capables d'éliminer les virus qu'une longue paix et
un parlementarisme byzantin ont inoculés à nos
cerveaux raisonneurs. Etonnant exemple de la vi-
gueur d'une race, dont les défauts sont impuissants
à énerver les vertus éternelles, source inépuisa-
ble d espoir et, parmi les nuages dont restait encore
charge 1 horizon, présage lumineux de l'aube vic-
torieuse que nous préparait l'inébranlable endu-
rance du Français soldat des tranchées, mais tout
de même singulier sujet de réflexion et, s'il vou-
lait en profiter, rigoureuse leçon de sagesse pour le
Français de l'arrière. — Jules Oerbault.
Helléniques de Landor (les) et autres
poèmes par Benjamin Buisson. — L'art de traduire
varie de la transcription littérale jusqu'à l'interpré-
tation la plus libre. Nous avouons que, pour notre
compte, nous préférons aux belles inlidèU-s les tra-
ductions véritables : elles peuvent fort bien lors-
qu'elles sont faites par un écrivain habile à manier
la langue, allier à la fidélité des qualités de slyle
de couleur et même de rythme tout à fait réelles'
11 va sans dire, pourtant, que rien ne peut ren-
dre dans une langue différente de l'originale le
rythme d'un beau vers, sinon le vers. Et, dés lors il
faut bien abandonner la littéralité. C'est à ce parli
que s'est arrêté B. Buisson, plus désireux de nous
faire comprendre le mérite général des Helléniques
de Walter bavage Landor que d'en calquer minu-
tieusement le détail. Il nous avertit qu'il s'est permis
même d'abréger, d'allonger çà et là, de changer au
besoin 1 ordre des idées, sauf à n'en point omettre
d essentielles et à conserver toujours à l'original
sous une forme aussi française que possible, soiî
caractère, sa couleur, son esprit.
Quels sont donc ce caractère, cette couleur, cet
esprit? Walter Savage Landor est, dans la littéra-
ture anglaise, une sorte d'indépendant. S'il partage
avec Keats le goût des sujets grecs, il n'a rien du
caractère mélancolique de ce dernier. "W S Landor
républicain ardent et homme dil'ncile, n'est pas un
é égiaque. Un peu d'ironie, au contraire, ne lui dé-
plaît pas. Mais cet homme, assez singulier pour avoir
servi de modèle à Dickens dans le roman de Bleak
House, ou il figure sous le nom de M. Boythorn,
cet homme bizarre adorait la race grecque et savait
donner un grand charme au mode familier. Comme
une de ses héroïnes, il aime Ithaque, où le miel et
les fruits abondent, oii le passeur de la barque ne
fait pas payer son obple, où les figues bleues, jaunes
et vertes, sont à la portée de la main et où, dit une
jeune servante, les garçons ne se font pas prier pour
venir quand on les appelle. r r r
C'est, du reste, dans la traduction de ces passages
familiers que Benjamin Buisson e.xcelle. Le mode
lyrique ou le vers descriptif lui réussissent moins.
Le traducteur lui-même se plaît à la simplicité
Aussi, quand les personnages devisent de choses or-
dinaires, il donne mieux sa mesure. Son vers aisé
convient tout à fait aux pages de ce genre A ce
point de vue, le dialogue entre Pénélope qu' Ulysse
vient de quitter pour aller à la guerre et la petite
servante Pheido est tout à fait délicieux. C'est
Pheido qui parle :
Comment, s'il n'est pas fou, un homme si prudent
A-t-il pu volontiers abandonner sa l'omnio,
Une femme si belle en tout, de corps et d'âme
liconome do vm, d'huile en toute saison
Et sachant gouverner si bien une maison I
Et, quand la femme d'Ulysse — ou plutôt d'Odys-
sefs, car c est ainsi que le nomme B. Buisson — a
expliqué la nécessité de la guerre, Pheido reprend :
Alors, le maître va (que les dieux le ramènent
Vainqueur et sain et sauf, bientôt, dans son domaine')
Il va nous rapporter, pour sa part do butin
De ces robes do pourpre et de ces tissus rares.
Et dos bijoux d argent et d'or, pour qu'on t'en pare!
Vue cela t ira bien! mais j'ai peur, pour le teint
Uo ces robes de pourpre et ces tissus d'Asie-
Hein! n'est-ce pas? maîtresse, avec cet air salé
Les couleurs passeront, si c'est mal emballé ? '
Epargne, ô Poséidon, ces étoffes choisies 1
LAROUSSE MENSUEL
Et, plus loin :
Oui, maîtresse, merci; je mettrai sur le mur.
Mes ligues à sécher au soleil pour l'Iiiver-
Et les petits lézards, à l'œil toujours ouvert,
A la poitrine tendre et qui toujours palpite,
Uos mouches et fourmis viendront les garantir.
De leur langue visqueuse ils les happent si vite
Quon ne la voit jamais ni rentrer, ni sortir.
11 faudrait citer encore d'autres charmants poèmes
parmi les plus connus de Landor : f llamadruade
ce court chef-d'œuvre, Damoclés et Hièra, où la
grâce antique s'est faite toute moderne, Uippomenis
et Alalanla, qui commence ainsi :
Avec Atalanta, le jeune Hippomenis
Veut lutter à la course : éperdument il l'aime ;
Mais il sait que de mort les vaincus sont punis,
Et que sept prétendants ont essayé de même,
Et sept ont succombé. N'importe, il tentera
Les hasards, car elle est si divinement belle!
On la dit à l'amour obstinément rebelle;
Le roi, son père, a fait serment qu'elle n'anra
Pour époux qu'un coureur qui l'aura dépassée;
■ Or, ma fille, dit-il, au fond de sa pensée.
En vitesse jamais ne peut avoir d'égal. .
Et le poème termine sur ces vers
Qu'elle eût versé de pleurs, la belle Atalanta,
Tant son père à sa vue en fureur éclata.
S'il no s'était trouvé, pour apaiser les choses.
Invisible, planant dans le ciel embaumé,
Un jeune dieu! Lequel? Faut-il vous le nommer?
Un jeune dieu charmant, avec des ailes roses.
B.Buisson n'a pas, du reste, entièrement traduit les
Helléniques, mais il donne des poèmes non traduits
de courtes analyses. Plusieurs de ces Helléniques
avaient été composées d'abord en vers latins et pu-
bliées en 1814 à Oxford; elles furent rééditées à Pise
en 1820. Ce n'est qu'en 1846 que parut la version
anglaise augmentée de poèmes nouveaux. D'autres
éditions se succédèrent ensuile jusqu'en 1859. Lan-
dor, on le voit, était un éminent latiniste, et c'est ce
qui fitdiredeluiparSwiiiburne; «A travers la trom-
pette d'un enfant de Homearetenti la pure musique
des flûtes de la Grèce. » Plus simplement, Sydney
Colvin a caractérisé Landor en l'appelant un clas-
sique écrivant dans un siècle romantique.
A sa traduction des Helléniques Benjamin Buis-
son a ajouté d'autres poèmes; certains inspirés en-
core de Landor, comme le Manage d'Hélène et de
Méuélas, Iphigénie et Agamemnon, d'autres de
Keats, d'après Hyperion ou Endymion, d'autres de
Tennyson etWordsworth. Enfin,' Benjamin Buisson
a écrit un gracieux poème dramatique d'après Cal-
limaque, Aconlios et Cydippé. L'apport personnel
de l'écrivain français est ici fort important; il dé-
voile un hellénisant très distingué, ayant su, comme
Landor, s'assimiler l'esprit antique et fort capable
de nous replacer dans le passé parle plus savoureux
des pastiches. Les scènes qui se succèdent dans
cette comédie légère sont pleines de charme, et le
dialogue est d'une simplicité qui n'exclut pas la
malice, d'une venue aisée qui n'exclut pas la perfec-
tion du style. — Tr. Leclére.
Impôt général sur le revenu (Régime
MODIFIE DE l') — Droit fiscal. — Dispositions révi-
sées par les lois des 30 décembre 1916 et 23 fé-
vrier -1917. — Commentaire pratique des disposi-
tions nouvelles, avec exemples et tableau syno-
ptique. — Surtaxe de guerre. — I. Dispositions
NOUVELLES. — Généralités. — L'impôt général sur
le revenu a été institué par la loi du 15 juillet 1914
et mis en application en 1916. — Le Larousse Men-
suel (dans son n» d'avril 1916, t. 111, p. 735 et suiv )
a publié un commentaire détaillé de la législation
alors en vigueur.
Le régime de 1916 n'a vécu qu'une année. Il
n'était, d'ailleurs, en fait, considéré par le gouver-
nement que comme un régime d'essai : par son
exemption d'impôt jusqu'à 5.U00 francs et par sa
laible taxation de 2 pour 100, il ne pouvait aboutir
pour 1 Etat à une recette importante. Le produit de
l'impôt général sur le revenu n'a guère été, pour
1916, que de 40 millions.
Les besoins financiers de la France, sans cesse
aggravés par l'état de guerre, ont paru exiger un
bouleversement du système établi, qui est de nature,
d'après les évaluations de l'administration, à pro-
curer au Trésor public une recette annuelle de 150
à 160 millions.
La réforme, entrée en application le 1" janvier
1917, résulte de l'article 5 de la loi fiscale du 30 dé-
cembre 1916, qui a édicté une série de modifica-
tions, souvent profondes, à des articles fondamen-
taux de la lui du 15 juillet 191 4 (art. 9 et art. 14 à 20)
et aussi d'une loi du 23 février 1917.
Texte actuel des articles revisés. — Voici le texte
actuel des articles ou paragraphes d'articles de la loi
du 15 juillet 1914, qu'a modifié l'article 5 de la loi
du 30 décembre 1916 :
Nouvel anii-lo 9 (§ i", seul modifié). — Sont affranchies
de 1 impôt : l« les personnes dont le revenu imposable
n excède pas la somme do 3.000 francs, majorée, s'il y a
lieu, conformément à l'article 12 ci-après.
Nouvel article H. — Cbai|ue contribuable est taxé seu-
lement sur la portion de son revenu qui, après application
N' 122. Avril 1917.
3M)o''r^'""^'''''°^ ''* l'article 12, dépasse la somme do
Nouvel article 15 (§ 1", seul modifia). - L'impôt est cal-
culé on comptant : r ■"■ >.<u
pour un dixième la fraction du revenu imposable com-
prise entre 3.000 et s.ooo francs ;
i,''n°„y/'""' '''^''é'nes la fraction comprise entre 8.000 e{
pour trois dixièmes la fraction comprise entre 12.000 et
16.000 irancs ;
pour quatre dixièmes la fraction comprise entre 16 000
et 20.000 francs;
pour cinq dixièmes la fraciion comprise entre 20.000 et
40.000 francs;
pour six dixièmes la fraction comprise entre 40.000 et
60.000 francs;
pour sept dixièmes la fraction comprise entre 60.000 et
80.000 Irancs;
pour huit dixièmes la fraction comprise entre 80.000 et
100.000 Irancs;
pour neuf dixièmes la fraction comprise entre 100. 000
et 150.000 francs;
pour lintégralité, le sorplus dn revenu, en appliquant
au chiffre ainsi obtenu la taxe do 10 p 100
Nouvel article 16 (§ 1", seul modifié). - Les contribua-
bles passibles de 1 impôt sont tenus de souscrire une décla-
ration de leur revenu, avec l'indication, par nature de
revenu, des éléments qui le composent.
[Le S' et dernier paragraphe de cet article 16 a été pure-
ment et simplement supprimé). — Voir plus bas la modifi-
catinn apportée au paragraphe 5 de cet article 16 par la
loi du 23 février 1917.
Nouvel article 17 (§ 1", seul modifié). - Le contrôleur
vénhe les déclarations. Il peut demander au contribuable
des éclaircissements.
Nouvel article 18 (§ l", ajouté). - Le montant de l'impôt
sera majoré de 10 p. 100 pour le contribuable qui n'aura
pas souscrit de déclaration dans le délai prévu par l'ar-
licle 16. ^
Nouvel article 19 (§ 1", modiKé). - Tout contribuable
qui s est abstenu de faire sa déclaration ou de répondre à la
demande d éclaircissements du contrôleur est taxé d'oflice
(A / exception du dernier paragraphe, qui subsiste intact',
tous tes autres paragraphes de cet article 19 ont élé i,ure-
ment el simplement .fu/iprimés.)
Nouvel article 20. - En cas d'absence ou d'insuffisance
do déclaration, ou de taxation, constatée à l'ouverture
d une succession, le Trésor opérera le recouvrement des
impots non perçus, majorés comme il est dit à l'article 18.
«uant à la loi du 23 lévrier 1917, elle s est bornée à mo-
difier les articles 10 et 16, paragraphe 5, de la loi du 15 juil-
let 1914, en ce qui concerne : 1° la détermination du revenu
imposable; — 2° les délais de déclaration, portés a
trois mois.
Décret complémentaire. — Les mesures d'exécu-
tion pour l'application de la législation en son der-
nier état se trouvent fixées par un décret du 17 jan-
vier 1917, qui a abrogé le décret du 15 janvier 1U16,
mais qui n'en est guère que la reproduction, en de-
hors de ce qui concerne le caractère obligatoire de
la déclaration et, daulre part, le contrôle des décla-
rations et la taxation d'office.
II. — Commentaire des dispositions nouvelles
A propos des dispositions que la loi du 30 dé-
cembre 1916 et le décret du 17 janvier 1917 ont
laissé subsister, noua nous abstiendrons, en général,
de revenir, au cours de l'exposé qui va suivre; mais,'
afin de faciliter une comparaison du passé'et dû
présent, nous reprendrons, aussi souvent que pos-
sible, le plan de notre étude première, parfois même
jusque dans les détails.
1" Caractéristiques du régime modifié. Les
caractéristiques du régime modifié de l'impôt géné-
ral sur le revenu sont les suivantes :
i" La portion de revenu non imposable a élé ra-
menée de 5.000 francs à 3.000 francs;
2° Le taux de l'impôt a été élevé de 2 pour 100 à
10 pour 100;
i" Dans le but de mieux armer l'administration
contre la fraude ou la simple mauvaise volonté, a
été institué le système de la déclaration obligatoire
et détaillée, avec renforcement des mesures de con-
trôle qu'avait établies la loi du 15 juillet 1914.
Au point de vue du contrôle des déclarations,
l'administration a dorénavant une latitude si en-
tière, menaçant à tel point l'indépendance des con-
tribuables et le secret de leurs aflaires, que ce con-
trôle a été, par avance, taxé de « contrôle inquisito-
rial ».
2» Personnes affranchies de l'impôt. — D'après
le nouvel article 9, sont affranchis de l'impôt tous
ceux dont le revenu net total (après application des
déductions accordées pour charges de famille) n'a
pas dépassé, pendant l'année précédente, la somme
de 3.000 francs (et non plus la somme de 5.000 francs i.
En abaissant à 3.000 francs de revenu la limite de
l'exemption, en élargissant ainsi la base de l'impôt
général sur le revenu, la législation a nettement
marqué son intention d'inscrire au rôle de cet im-
pôt un nombre plus considérable de contribuables.
3° Détermination du revenu imposable. — Pour
obtenir le revenu imposable, il y a toujours lieu,
.sous le régime actuel (notamment en vertu de
l'article 1" du décret du 17 janvier 1917) de tota-
liser ce qu'ont produit, durant l'année précédente,
les diverses catégories de ressources du contri-
buable, puis, sur ce total, d'opérer les déductions
que prévoient l'article 10 delà loi du 15 juillet 1914,
ainsi que les articles 1, 2 et 3 du décret du 17 jan-
vier 1917. Au nombre des déductions autorisées,
figure, depuis la loi du 27 février 1917, celle o de
«• 122. Avril 1917.
tous impôts directs et taxes assimilées ■> acquittés
par le contribuable.
4° Avantages accordés en considération de la
situation de famille. — La loi du 30 décembre 1916
n'a rien changé ni aux déductions prescrites par
l'article 12 de la loi du 15 juillet 1914 (par exemple,
i la déduction spéciale de 2.000 francs pour le con-
tribuable qui est marié), ni aux atténuations de taxe,
pour charges de famille, faisant l'objet du paragra-
phe 2 de l'article 15 de cette même loi.
5» Taxes applicables. — Après que du revenu
global net on a retranché le montant des déduc-
tions résultant de l'article 12 de la loi du 15 juillet
1914, comment est taxé le revenu î
La portion de ce revenu inférieure & 3.000 francs
est entièrement exonérée
Puis l'impôt est appliqué d'après le taux de 10
pour 100 innové par la loi du 30 décembre 1916 ;
mais le tarif plein joue seulement au delà de 150.000
francs de revenu.
Le revenu imposable est, en vue de taxation, ré-
parti en tranches successives; et c'est de tranche
en tranche, que, peu à peu, de dixième en dixième,
monte et s'accentue la progression, jusqu'à 10 pour
100, taux-limite qui frappe tous les revenus supé-
rieurs à 150.000 francs.
'Voici une simplification du mode de calcul de la
taxe applicable :
franea franea
1 p. 100 sur la portion comprise entre 3.000 et 8.000
: p. 100 — — 8.000 et 12.000
3 p. 100 — - 12.000 et 16.000
4 p. 100 — — 16.000 et 20.000
5 p. 100 — — 20.000 et 40.000
C p. 100 — — 40.000 et 60.000
7 p. 100 — — 60.000 et 80.000
«p. 100 — — 80.000 et 100.000
9 p. 100 — — 100.000 et 150.000
10 p. 100 (lOp. 100 pleins) sur les revenus dépassant 150.000
Finalement, à leur tour, marqué par le paragra-
fihe ï (non modf^é) de l'article 15 de la loi duisjuil-
el 191 4, interviennent les atténuations de taxe, pour
charges de famille, spécifiées par ce ménne texte.
Pour pr>^ciser, dans son ensemble, le mode de
calcul de l'impôt, voici quelques exemples :
Supposons un célibataire, un veuf ou un divorcé.
1" Personne n'est à sa charge.
— De 0 à 3.000 francs D franc.
— Pour 8.000 francs de revenu .
Au taux de 1 p. 100 sur 5.000 (fraction de
3.000 à 8.000) 50 francs.
— Pour 12.000 francs de revenu :
50 francs + au taux de 2 p. lOO sur 4.000 (frac-
tion de 8.000 à 12.000), 80 francs 130 francs.
— Pour 16.000 de revenu ;
130 francs + au taux de 3 p. 100 sur 4.000
(fraction de 12.000 à 16.000), 120 francs 250 francs.
— Pour 20.000 francs de revenu :
250 francs -|- au taux de 4 p. 100 sur 4.000
(fraction de 16.000 à 20.000), 160 francs 410 francs.
— Pour 28.000 francs de revenu :
410 francs -f au taux de 5 p. 100 sur 8.000
(fraction de 20.000 à 40.000), 400 francs 810 francs.
2' Trois personnes sont à sa cliarge, et il a 12.000 francs
do revenu :
Revenu à envisager : 12.000 — 3.000, à cause des trois
personnes à charge = 9.000 francs.
De 0 à 3.000 francs 0 franc.
De 3.000 à 8.000, taux de l p. loo 50 francs.
De 8.000 a 9.000, taux de 2 p. lOO 20 francs.
Au TOTAL. ... 70 francs.
A déduire tes 20p. 100 d'atténuation entraînés
par la charge de trois personnes 14 francs.
A PAYER 56 francs.
Passons à l'hypothèse d'un ménage.
l« Le revenu est de 15.000 francs, et personne n'est à la
charge du ménage.
Revenu à envisager: 15.000 — 2.000, à cause de la situa-
tion de marié = 13.000 francs.
De 0 à 3.000 francs 0 franc.
De 3.000 à 8.000, taux de 1 p. lOO 50 francs.
De 8.000 à 12.000, taux de 2 p. JOO 80 francs.
De 12.000 à 13.000, taux de 3 p. 100 30 francs.
Au TOTAL. . . . 160 francs.
2'» Le revenu est de 22.000 francs, et trois personnes sont
à la charge du ménage.
Revenu à envisager ; 22.000 — 2.000, à cause de la si-
tuation de marié, — 3.000, à cause des trois personnes à
charge = n.ooo francs.
De 0 à 3.000 fraucs 0 franc.
De 3.000 à 8.000, taux de 1 p. 100 50 francs.
De 8.000 à 12.000, taux de 2 p. 100 80 francs.
Do 12.000 à 16.000, taux de 3 p. 100 120 francs.
Do 16.000 à 17.000, taux de 4 p. 100 40 francs.
An TOTAL .... 290 francs.
A déduire les 20 p. loo d'atténuation entraînés
par la charge de trois personnes 58 francs.
A PATER 232 francs.
Les résultats d'ensemble du nouveau mode de taxa-
lion en vigueur sont, pour seize chiffres différents de
revenu, indiqués dans le tableau synoptique ci-après.
6" Déclaration par le contribuable. — Sous le
régime de la loi du 15 juillet 1914, le contribuable
pouvait, à son choix ; 1° faire spontanément une
déclaration de son revenu, ou bien ajourner cette
'léclaration jusqu'après réception d'un avertissement
• le la part du contrôleur des contributions directes ;
— i" au cas de déclaration spontanée, faire une
déclaration soit globale (c'est-à-dire se bornant fc
LAROUSSE MEiSSUKL
énoncer, sans le moindre détail, le total de ses reve-
nus), soit détaillée(c'esl-à-dire indiquant les éléments
divers cojnposanl ses ressources).
Depuis la loi du 30 décembre 1916 (nouveau para-
graphe 1" de l'article 16) et la loi du 23 février 1917,
les contribuables passibles de l'impôt général sur le
revenu sont (dans les trois premiers mois de chaque
année, c'est-à-dire à partir du I»' janvier et avant le
l"ravril) «tenus de souscrire une déclaration de leur
101
aune demandeverbaled'éclalrcissements,ou lorsque
la réponse faite à cette demande est considérée par
le contrôleur comme équivalente à un refus de ré-
pondre sur tout ou partie des points à éclaircir, le
contrôleur doit, avant de procéder à la taxation
d'office, renouveler sa demande par écrit; — toutes
les demandes écrites doivent indiquer lespoints sur
lesquels le contrôleur juge nécessaire d'obtenir des
éclaircissements et assigner au contribuable, pour
Montant de l'Impôt dû par
Chaque catégorie de contribuables.
CHIFFRE
ou
CONTBIBl'ABLK CÉLIBATAIRE, VEUF OU DIVORCÉ
CONTRIBUABLE MARIÉ
REVENU
IMPOSABLE
ayant à sa ctiarge :
ayant à ta ctiarge :
léro
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trois
quatre
zéro
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deux
trois
quatre
cinq
perionnc
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personnel
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personnes
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1.292 •
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1.852 »
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1.464 a
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1.593 »
1.368 »
1.155 a
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2.241 •
1.944 a
1.659 a
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2.308 a
2.133 a
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1.314 .
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5.C10 »
5.253 •
4.905 »
4.296 ■
3.703 ■
5.450 a
5.101 .
4.761 ■
4.168 a
3.591 a
3.030 a
200.000
15.110 »
13.259 >
14.419 »
11.848 .
10.297 a
14.910 a
14.069 .
13.239 •
11.688 a
10.157 a
8.646 a
500.000
45.110 •
42.759 »
40,419 •
35.848 a
31.297 a
41.910 a
42.569 a
40.239 a
35.688 a
31.157 •
26.646 a
revenu » : la déclaration est devenue obligatoire.
L'obligation de la déclaration a une double sanc-
tion : pour le contribuable qui ne s'y sera pas soumis
dans le délai ci-dessus de trois mois et qui, par
cela même et immédiatement, sera constitué en
faute, il y aura, ainsi que nous le verrons plus bas,
taxation d'office par l'administration; — en outre,
le montant de l'impôt, tel qu'il aura été fixé d'oflice,
sera majoré de 10 p. 100 (paragraphe ajouté en tète
de l'article 18).
La déclaration doit, tout aussi obligatoirement,
être une déclaration détaillée.
En quel sens la déclaration doit-elle être détaillée?
— Elle doit l'être par nature de revenu. Autrement
dit, il faut qu'elle indique séparément (sans énu-
méralion ni détail dans chaque catégorie) le montant
global et net des différentes catégories de revenus
que détermine et classe l'article l"' du décret du
17 janvier 1917 : propriétés foncières bâties, pro-
priétés foncières non bâties, valeurs et capitaux
mobiliers, commerce, industrie, emplois publics et
privés, retraites, pensions, rentes viagères, etc..
Exemple. — Supposons un industriel dont les ressources
annuelles sont complétées par les revenus de propriétés
foncières bâties, par les revenus de valeurs et capitaux
mobiliers, par les arrérages d'une rente viagère. Voici
comment, sansautre détail, il auraà établir sa déclaration :
Bénéfices de l'industrie.' 31.500 fr.
Revenus des propriétés foncières bâties. . 10.350 a
Revenus dos valeurs et capitaux mobiliers 12.300 »
Rente viagère 8.000 »
Au TOTAL 62.150 fr.
Observation générale : pour la détermination du
produit imposable des diverses catégories de revenus,
il y a lieu de ne pas perdre de vue les dispositions
de la lui de 1917, qui, à côté de l'impôt général sur
le revenu, a institué des impôts particuliers sur les
revenus.
7" Vérification des déclarations. — En vertu du
nouveau paragraphe l'i'de l'article 17, le contrôleur
des contributions directes peut, dans sa vérification
des déclarations et préalablement à toute rectification
par lui, demander au contribuable des « éclaircisse-
ments », — notamment, par exemple, s'il soupçonne
une inexactitude.
Si le contribuable ne répond pas à une demand»
d'éclaircissements, la sanction, c'est la taxation d'c-
lice (comme nous l'exposerons plus bas).
D'ailleurs, quant au sens et à la portée du mot
" éclaircissemenls », — laissé sans définition légale,
— voici ce qui résulte de l'ensemble des travaux
préparatoires de la loi du30 décembre 1916. U s'agit
d'explications, de précisions à fournir. Le contri-
buable n'e.st pas contraint deproduire les documents
que l'administration peut, à ce propos, songer à lui
demander; il a même le droit de ne point consentir
à la communication de documents. Mais, s'il oppose
un tel refus, ce sera à ses risques et périls ; il
s'exposera à être taxé d'office.
L'article 9 du décret du 17 janvier 1917 contient
fTuel(|ue3 précisions : le contribuable est « tenu »
de foui-nir les éclaircissements; — ces éclaircisse-
ments peuvent être demandés verbalement ou par
écrit ; — lorsque le contribuable a refusé de répondre
fournir sa réponse, un délai qui ne pourra être
inférieur à quinze jours.
D'auti-e part, comment, sous le régime nouveau,
s'exerce la vérification, le contrôle des déclarations?
— D'après l'ancien article 17, cette vérification
devait s'exercer uniquement à l'aide des éléments
d'authenticité cer'.aine dont les contrôleurs dis-
posent en vertu de leurs fonctions; mais l'actuel
article 17 a omis de s'expliquer sur ce point, et il
est admis que, désormais, le contrôleur a le droit,
pour contester les déclarations souscrites, d'user de
tous éléments quelconques.
Du nouveau texte ici en cause, Enpène Touron
disait devant le Sénat : « Il est tranchant comme un
couperet; c'est la guillotine fiscale. »
Quoi qu'il en soit, la loi du 29 décembre 1916 a
laissé subsister la disposition de l'article 17 qui oblige
lecontrôleur, s'il entend rectifier la déclaration faite,
à « adresser au contribuable, avant d'établir la
matrice du rôle, l'indication des éléments qui ser-
viront de base à son imposition ».
S" Taxation d'office. — Est taxé d office, aux
termes du paragraphe l'r nouveau de l'article 19,
tout contribuable qui s'est ab.-^tenu : soit de faire sa
déclaration (dans le délai prescrit des trois premiers
mois de l'année) ; — soit de répondre à la demande
d'éclaircissements du contrôleur.
A propos du contribuable n'ayant pas fait de dé-
claration, rappelons ce que nous avons déjà signalé
plus haut : ce conlribuable verra, après la taxation
d'office, sa taxation majorée de 10 p. 100.
La taxation d'office est, d'une façon générale, de-
venue infiniment plus redoutable : pour la taxation
d'office, ont entièrement disparu, sous le présent
régime, les maxima que l'ancien article 19 (pour
éviter l'arbitraire administratif) avait posés comme
limites.
Au cas de réclamation à l'occasion d'une taxation
d'office, c'est au taxé (selon les principes de la loi
du 15 juillet 1914) qu'incombera devant la juridic-
tion contenlieuse, — conseil de préfecture, conseil
d'Etat, — la charge de fournir la preuve du mon-
tant exact de son revenu imposable.
9" Sanctions des dissimulalwns et omissions.
Insuffisance des déclarations. — L'insuffisance cons-
tatée dans la déclaration, si elle est supérieure au
dixième du revenu imposable, entraîne, pour la por-
tion du revenu dissimulé ou omis, un doublement de
la taxe (texte maintenu de l'article 18).
Pénalité au décès. — Lorsque, à la suite de l'ou-
verture de la succession d'un contribuable, apparaî-
tra soit une absence de déclaration, soit une insurB-
sance de déclaration, ou même de taxation d'office,
le Trésor opérera sur la succession le recouvre-
ment des impôts non perçus, — et cela avec une
majoration de 10 p. 100 (nouvel article 20).
iO» Empêchements par force majeure; itarticula-
rilés concernant les mobilisés et les habitants des
déparlements envahis. — Pour la déclaration & in-
tervenir, des délais supplémentaires ont été, dès
l'origine, prévus en faveur des contribuables empê-
chés par suite d'un cas de force m.ijeiire.
Actuellement, c'est un décret spécial du 17 jan-
vier 1917 qui détermine les conditions dans les-
quelles sont consentis, pour 1917, ces délais sup-
102
plémenlaires. A son tour, il décide, notamment, que
tout contribuable qui est dans la zone des armées
par suile de sa mobilisation, ou bien dont la rési-
dence est située dans une localité envahie ou com-
prise dans la zone des opérations militaires, est pré-
sumé se trouver dans le cas prévu de force majeure.
Les délais supplémentaires doivent prendre fm
trois mois, au plus tard, après la cessation des
hostilités.
m. Majoration spécialk. db l'impôt : surtaxe
DE GUERRE. — Une majoration spéciale de l'impôt
général sur le revenu — uniformément fixée à 20 p. 100
du montant de cet impôt — pèse (sauf quelques
exceptions) sur tous les assujettis français qui, mo-
bilisables, n'ont pas été, pour une raison quelcon-
que, mobilisés.
Celle surtaxe de l'impôt sur le revenu constitue l'un
des éléments de la taxe exceptionnelle de guerre que
la môme loi fiscale du 30 décembre 1916 a, par son
article 6, instituée « à partir du !«■• janvier 1917 et
jusqu'au 31 décembre de l'année de la cessation des
hostilités ». — Louis A-<DK<.
La. Q-orce (/'/erre-Prançois-Gustave de), his-
torien français, né à Vannes (Morbihan) le 29 juin
1846. Sa famille, oriffinaire du Languedoc, est
établie depuis deux siècles dans la région du Nord.
11 fit ses études à l'institnllon Saint-Jean, de
Douai, vint à Paris suivre les cours de la Faculté
de droit, dont il fut lauréat, passa sa licence en
1867 et son doctorat deux ans plus tard. 11 entra
dans la magislrature et débuta comme juge sup-
pléant à Rocroi (1872). Substitut à Montreuil (1874),
puis à Béthune (1S75) et enfin à Saint-Omer (1876),
près la cour
d'assises du Pas-
de-Calais, il dé-
missionna en
1880, à la suite
(les décrets de
Jules Ferry sur
I es congréga-
tions.Aprèsavoir
exercé quelques
années la profes-
sion d'avocat, il
consacra aux élu-
de s historiques
une existence sé-
vère et labo-
rieuse, indilTé-
renle aux succès
littéraires et
mondains. Son
premierouvrage,
l'Histoire de la
seconde République française (2 vol. in-S"), parut en
1887. Il fut aussitôt signalé aux lecteurs du « Journal
des Débats » par Jules Simon, qui en loua l'impartia-
lité, et le définil « une bonne histoire, sans illusions
ni colères », respirant l'honnêteté et le patriotisme.
Albert Sorel, tout en regrettant que ce fût une
« histoire l'aile au point de vue d'un parti » et do-
minée par l'idée de la Providence, se plut à faire
ressortir l'agrément et la coulour du récit, le talent
de l'exposition, l'exactitude de la psychologie, bref,
Ihabilelé consonnviée de l'écrivain. « Rien, disait-
il, n'y sent le débutant ». Pierre de La Gorce fut
particulièrement encouragé et soutenu par le duc
de Broglie. Sept ans plus tard, il commençait la
publication de son œuvre capitale, VHisloire du
second Kinpire (7 vol. in-S», parus de 1S94 à 1905).
Le 8 juin 1907, l'.Xcadcniie des sciences morales
et politiques admit l'auteur dans sa section d'his-
toire, en remplacement de Paul Guiraud. Enfin,
l'Académie française, qui lui avait décerné le prix
Alfred Née en 1893 et le grand prix Gobert en 1900,
l'élut le 12 février 1914. 11 succédait à Paul 'l'hureau-
Dangin, l'historien de la monarcliie de Juillet.
L'œuvre de Pierre de La Gorce continue chrono-
logiquement celle de son prédécesseur à l'Académie.
Les opinions politiques et religieuses des deux
historiens ne sont pas sans analogie. L'auteur de
l'Histoire de la seconde République est conserva-
teur et catholique. Il sait rendre justice aux répu-
blicains, nolaininent au général Cavaignac, et appré-
cie avec équilé l'œuvre de la Consliluante de 1848.
Il blâme le coup d'Klat du 2 décembre, et appli-
que les sentences d'une justice exacte à la per-
sonne et aux aciions du prince-président. Il pré-
fère la seconde république à la première et à la
troisième. Mais ses sympathies vont au comité
royaliste de la rue de Poitiers. Cet ouvrage est à
peu près exclusivement un tableau de l'histoire
intérieure de la France. Les conséquences euro-
péennes de la révolution française de 1848 y sont
laissées dans l'ombre.
VHisloire du second Empire est conçue de
façon plus large. L'art y est encore plus parfait et
les idées plus originales. Les deux premiers vo-
lumes embrassent les années heureuses de l'Empire
(I852-18.Ï9), le troisième va de 1839 à 1861, le qua-
trième, del861 kl8fi6,le cinquième, de 1866au2 jan-
vier 1S70, le sixième, du 2 janvier au 6 aoi'it 1870,
Pierre de La Gorce. (Ph. Manuel.)
LAROUSSE MENSUEL
et le septième et dernier s'arrête au 4 septembre.
I'. de La Gorce est peu favorable à ce règne, « à la
fois brillant et néfaste, superficiel cl tragique ».
L' " Empire libéral » ne trouve pas grâce clevant
lui, et il écrit à propos d'Emile Ollivier : « On re-
doutait ses inexpériences, ses enthousiasmes, sa
moliilité, ses envolées superbes, qui étaient plutôt
d'un artiste que d'un homme d'Etat. » L'ancien
ministre de Napoléon III témoigna quelque hosti-
lité au contempteur de son gouvernement. Par une
curieuse coïncidence, le jour même où l'Académie
française a élu P. de La Gorce, elle a aussi pourvu
à la vacance du fauteuil d'Emile Ollivier.
En 1909, P. de La Gorce a fait paraître le premier
volume d'une Histoire religieuse de la Révolution
française (in-S"). Il a divisé une époque de douze
années en quatre périodes distinctes : « du privilège
à la persécution », « la persécution légale », la pé-
riode « sanglante et sublime » de la Terreur, a la
renaissance du culte ». Les deux volumes parus
(1909-1912; l'ouvrage complet en comprendra trois)
vont de l'ouverture des Etats aux débuts de l'épopée
vendéenne, « si belle que ni l'épopée républicaine,
ni l'épopée impériale ne parviendraient à la faire
oublier ». A ses yeux, parmi les œuvres de la Révo-
lution, la pire de toutes est l'œuvre religieuse. Il
reconnaît, d'ailleurs, qu'il y avait, à la veille de la
Révolution, « une terrible décadence des deux plus
augustes ministères chrétiens, le ministère de la
charité, le ministère de la prière », et, sinon du dé-
sordre, du moins un « alanguissemenl assez géné-
ral ». Bien que la plupart des historiens admellent
aujourd'hui que la Consliluante commit une grave
erreur en entreprenant une réforme de l'Eglise « au
milieu des difficultés déjà terribles de la situation
générale du royaume » (Renss), le nouveau livre de
P. de La Gorce a été discuté plus passionnément que
ses précédents ouvrages.
On lui doit aussi une notice sur la vie et les
œuvres de Paul Guiraud (1911), quelques pages in-
titulées un Magistrat au XIX^ siècle, M. le prési-
dent Alexandre Sénart (1908) et des articles dans
plusieurs périodiques: la » Revue critique de légis-
lation et de jurisprudence », le « Correspondant »,
la « Revue hebdomadaire », la « Revue des Deux
Mondes », etc.
L'historien du second Empire appartient à l'école
dite « classique ». Il a dit lui-même : « J'ai voulu
écrire, non pour les érudits, mais pour le public. »
Aussi se garde-l-il d'étaler son appareil scienti-
fique. Ses pages ne sont pas chargées de notes ni
de références, et il lui arrive assez rarement de
réfuter en forme une thèse adverse. Cependant, sa
documentation est extrêmement sérieuse. Il a
consulté les archives de Paris et de la province.
11 utilise souvent des sources inédiles. 11 a visilé
les contrées où se sont passés les événements qu'il
rapporte, par exemple le Bocage vendéen et poite-
vin. Mais il cache avec une sorte de coquetterie
les matériaux qu'il a mis en œuvre. Il ne montre
au lecteur que des ensembles harmonieux, des
narrations rapides et colorées, de fraîches des-
criptions, de larges tableaux, de vivants portraits.
C'est surtout dans les portrails qu'il excelle, et il ne
manque guère les occasions de faire admirer son
art. Le porlrait de Napoléon III peut être cité
comme l'un des plus lemarqualdes :
.... Rôveur et conspirateur, il le fut sur le trône et
toujours, rêveur extraordinaire avec un pouvoir absolu
pour réaliser ses rôves ; conspirateur plus extraordinaire
encore, qui, ayant en mains toutes les ressources do la
puissance officielle, préféra aux négociations ouvertes
les menées souterraines, à la diplomatie accréditée les
agents secrets, aux conseils les conciliabules, à la publi-
cité le mystère, et cela en vrai dilettante, qui, après avoir
pratiqué les ténèbres par nécessité, s'y complaît par
habitude ou par goût, et prend plaisir à brouiller ses
traces au point do s'égarer lui-même. Tout, en lui, fut
contraste. On le vit conduire des intrigues compliquées,
comme s'il eût étudié Machiavel, puis caresser des utopies
humanitaires, comme s'il eût voulu copier Don Qui-
chotte Ses rêves, à la fois ambitieux et débiles,
ne furent ni d'un esprit médiocre, ni d'un esprit sain. Ce
3ui lui ût le plus d'horreur, ce fut la routine : plutôt que
e cheminer dans l'ornièro, il eût préfère côtoyer
l'abime ; il le côtoya en effet, et si bien qu'il finit par y
tomber en y précipitant son pays
Souvent éloquent, parfois élégiaque, par exemple
à propos du second veto de Louis X'VI et des persé-
cutions subies par les prêtres réfractaires, P. de La
Gorce est volontiers ironique et gentiment malicieux
à l'égard des gens qu'il n'aime pas. Il définit Garnier-
Pagès un « très honnête homme, de médiocrité re-
marquable ». Une page amusante est celle où il mon-
tre comment M""" Roland transformait en verlus
les ridicules ou les travers de son mari. Toutefois,
P. de La Gorce est le plus souvent indulgent. 11
s'efi'orce de comprendre les hommes et les doctrines
qui lui sont le plus antipalhiqties. Il a voulu être
impartial, et il est toujours honnête. Mais il n'a
pas prétendu êlre insensible, ni donner le change
sur ses convictions. Bossuel a écrit, dans la préface
de VHisloire des variations : « Je ne dirai rien qui
ne soit authentique et inconteslable. .\u reste, pour
le fond des choses, on sait bien de quel avis je
suis Après cela, d'aller faire le neutre et l'in-
«• 122. Avril 1917.
différent, à cause que j'écris une histoire, ou de
dissimuler ce que je suis, quand tout le monde le
sait et que j'en fais gloire, ce serait faire au lecleur
une illusion trop grossière. » Cette attitude est celle
même de P. de La Gorce, telle qu'il l'a définie au
début de son Histoire religieuse de la Révolution.
L'écrivain catholique demande à Dieu de lui
accorder la grâce de r« impartialité supérieure »,
le 11 don d'intégrale justice ». Dans la préface de
l'Histoire du second Empire, il sollicite une au-
tre grâce : il désire que les « graves et lamen-
tables leçons » de l'histoire ressortent de son livre
avec assez de clarté pour être utiles aux hom-
mes. Ce ton religieux, ces préoccupations morales,
nous éloignent singulièrement de la conception
« scientifique » de l'histoire. Mais, si la méthode et
certaines conclusions de l'auteur ont étonné quel-
ques-uns, nul ne conteste sa loyauté, ni son talent
littéraire. — Maurice Enoch.
"NLa-TQ (Lucien-François), officier et explorateur
français, né à Rouen le !•■■ septembre 1877, mort
au champ d'honneur, à La-'Ville-au-Bois (Aisne), le
16 septembre 1914. Sorti de l'école de Saint-Cyr
en 1898, il entra dans l'infanterie coloniale, vers
laquelle le portaient ses aspirations; il fil toute sa
carrière en Afrique, et rendit ses séjours dans ses
lointains postes très profitables à la science par les
éludes de géographie et d'ethnographie auxquelles
il se livra et les travaux qu'il publia. Lieutenant
en 1900, il resta près de cinq années dans le cercle
de Ouagadougou, et résida dans le Mossi, puis au
Gourounsi ; il fut ensuite envoyé comme adminis-
trateur à Tombouctou.
Le lieutenant Marc s'était trouvé ainsi à même
d'étudier à fond le Mossi, que nous avaient fait sur-
tout connaître avant lui Binger et le D'' Crozat. Il
publia un ouvrage : le l'ays mossi (Paris, 1909,
in-S"), dans lequel il put relever bien des inexacli-
tudes relatives à
la configuration
de cette région ;
il y donna une
carte dressée
d'après des iliné-
rairesprécédents,
complétés par ses
observations per-
sonnelles. Celle
importante mo-
nographie, où
l'auteur a groupé
tout ce qui a trait
à la géologie du
pays, à ses espè-
ces végétales et
animales, à ses
racesd'habilants
à ses productions
et à son com-
merce, a été pré-
sentée avec suc-
cès par le lieutenant Marc comme thèse à la Sor-
bonne, en 1909, pour le doctorat d'Université.
On doit aussi à Lucien Marc divers autres travaux
de science géographique, écrits d'après les docu-
ments qu'il avait pu recueillir sur place, nolam-
meiil : la Répartition de la pluie entre la côte de
Guinée et le sommet de ta boucle du Niger {« An-
nales de géographie », 1909); Notes sur la géogra-
phie du Mossi (a la Géographie », 1909); lilopti et
le Commerce du moyen Niger {« Annales de géogra-
phie», 1910); la Région de liori (« la Géographie »,
191 0) ; la Mise en valeur du Soudan anglo-égyptien
(c< r.^frique française», 1912); le Port de Dakar
(il Annales de géographie •>, 1913).
Nommé capitaine en 19H, Lucien Marc avait fait,
en 1912-191H, un cours libre à la Sorbonne, sur les
méthodes françaises d'organisation coloniale et
leur application à l'Afrique occidentale, cours dans
lequel il s'était notamment proposé de rechercher
les moyens les plus propres à faire pénétrer dans
l'âme des populations africaines les idées et la ci-
vilisation de notre race. Gendre de Franz Schra-
der, Lucien Marc avait été formé à l'école de l'émi-
nenl géographe français; depuis son mariage, il
avait ajouté à son nom patronymique celui de son
beau-père et s'était appelé Marc-Schrader.
La magnifique concluile du capitaine Marc pen-
dant la guerre lui avait valu d'être cilé à l'ordre de
l'armée. Le 8 septembre 191 4, au combat de Marchais-
en-Brie, il attaqua l'artillerie ennemie avec une telle
vigueur qu'il en amena la retraite précipitée. Pro-
posé pour le grade de chef de bataillon, il fut griève-
ment frappé quelques jours après, le 16 septembre, à
La Ville-au-Bois, et ne put survivre à sa blessure;
il avait refusé les soins des brancardiers et les avait
envoyés à d'autres blessés. — o. Reoelspkroek.
Office des produits chimiques et
pharmaceutiques. — Aux termes mêmes du
décret qui le constitua, l'Office des produits chimi-
ques et pharmaceutiques est un organisme ratta-
ché au ministère du commerce et qui a pour mis-
Capitainc Marc
Le Pi lichal.
W» J22. Avril 1917.
sion de constater les approvisionnements de ces
produits, de les répartir entre les intéressés, de dé-
velopper en France une production plus intense et
d'encourager la fal)ricalion des produits nouveaux.
Il a son sii'ge à l'Ecole supérieure de pharmacie de
l'aris. Son directeur est le professeur Béhal, membre
de l'Académie de médecine, son secrétaire général
est Valeur, professeur asrégé à l'Ecole de pharmacie.
Au délmtdela guerre présente, la France se trouva
en présence d'une crise de l'industrie chimique par-
liculii'remcnt dangereuse. L'Allemagne, peu à peu,
avait fini par devenir notre fournisseur attitré pour
un grand nombre de produits chimiques et pharma-
ceutiques, grâce à une organisation très savante, au
développement pris chez elle par la chimie indus-
trielle, aux facilités données aux savants de labora-
toire d'exploiter industriellement leurs découvertes,
grâce aussi à la
modicité des prix
de ses produits
et à l'éducation
parfaite de ses
voyageurs com-
merciaux. Ceci
fait que, quand
leshoslilitéscom-
mencèrent, il y
eut un déficit
énorme dans nos
approvisionne -
ments, qui, joint
à la mise sous
séquestre des usi-
nes que nos enne-
. ^^^_ mis exploitaient
■ÉM' ^^M sur notre terri-
^^ ^'^^* loire, à la mobi-
lisation du per-
sonnel, à l'en-
combrement des
voies de chemin de fer, à la difficulté de se procu-
rer des quantités de matières premières que l'admi-
nistration de la guerre réquisionnait pourles besoins
de l'armée, créait une situation extrêmement grave
fiour notre industrie et pour l'approvisionnement de
a population civile, sinon du service de santé, en
produits pharmaceutique indispensables. Devant ce
danger, le gouvernement donna mission à Béhal,
professeur à l'Ecole supérieure de pharmacie de
Paris, d'aller à Londres, où une commission inter-
nationale d'approvisioiinementdrsproduils pharma-
ceutiques fonctionnait, a lin de savoir quelle aide nous
pouvions, en pareille matière, attendre de nos alliés.
La réponse rapportée par Béhal au gouvernement,
qui, à cette époque, siégeait à Bordeaux, fut loin
dêlre satisfaisante, et il apparut clairement que, si
la France ne trouvait le moyen de se suffire à elle-
même, la situation irait en s' aggravant toujours. Il
faut, d'ailleurs, remarquer que cette crise menaçait
de sévir f^iniultanémenl sur mainte industrie chi-
mique utilisée par l'administration de la guerre et
intéressant, notamment, la fabrication des explosifs.
Après avoir exposé cette situation au gouverne-
ment, Béhal, aidé d'Astier, sénateur, qui, conjoin-
tement avec lui, avait étudié le mal et ses remèdes,
proposa au président du conseil des ministres la
création d'un office des produits chimiques et phar-
maceutiques qui prendrait en mains l'œuvre consi-
dérable à accomplir pour parer à ce danger pressant.
(;et office devait rassembler dans ses conseils les sa-
vants les plus compétents, les i nduslriels les plus qua-
lifiés, les parlementaires les mieux rompus à ce genre
de questions. Il devait avoir un laboratoire où travail-
leraient des chimistes accomplis, connaissant aussi
bien la théorie de leur science que ses applications in-
dustrielles. Il y eut à vaincre, pour mettre sur pied
une organisation aussi neuve et, pour tout dire, aussi
révolutionnaire, des résistances considérables. Mais
les organisateurs vinrent à bout de tous les obstacles,
elle décret fondant l'Office fut signé le 17 octobre 1914.
Depuis lors, il fonctionne, et les services qu'il a
rendus sont, dès maintenant, très considérables.
Nous verrons tout à l'heure les principaux d'entre
eux. Il a à sa tète un comité de direction, dont le
président de droit est le ministre du commerce, le
vice-président, Astier, sénaleur, et les membres,
Branel, conseiller d'Etat, directeur général des
Douanes ; Guignard, membre de l'Institut, direc-
teur honoraire de l'Ecole de pharmacie de Paris;
Chapsal, directeur au ministère du commerce;
Haller, membre de l'Institut, président de la com-
mission des substances explosives; A. Lefèvre, dé-
puté; Lindet, professeur k l'Institut agronomique;
Maqiienne. membre de l'Institut; Painlevé, député,
membre de l'Institut; Pauleau, directeur de la
pharmacie centrale du Service de santé militaire;
F. Faure, professeur & la Faculté de droit de Paris;
Roux, directeur des services sanitaires et scientifi-
ques et de la répression des fraudes au ministère de
1 agriculture; Vergniaud, audileur au conseil d'Etat;
Weiss, conseiller d'Etat, directeur des mines et de
l'aéronautique au ministère des travaux publics et
Béhal, membre de r.\cadémie de médecine, direc-
teur de l'Office. Douze chimistes, docteurs es scien-
LAROUSSE MENSUEL
ces et membres, pour la plupart, de l'enseignement
supérieur, forment le personnel de cet office. Celui-
ci comprend encore des commissions : les unes char-
gées d'étudier, au point de vue technique, les diver-
ses matières du programme que l'organisme s'est
fixé (matières colorantes, produits pharmaceutiques,
parfums, etc.) et les autres d'étudier les questions
pouvant nécessiter des mesures législatives (brevets,
situation des usines ennemies en France, douanes,
transports, enseignement industriel, etc.). Ces com-
missions sont composées de toules les personnalités
compélentes en ces différentes matières.
Les membres de l'Office des produits chimiques
et pharmaceutiques ne reçoivent aucune rétribution ;
ils s'interdisent formellement toute incursion dans
le domaine commercial et tout intérêt, de quelque
nature qu'il soit, dans les affaires industrielles qu'ils
examinent.
L'œuvre de l'Office comprend trois chapitres, qui
intéressent respectivement les services rendus à laDé-
fense nationale, les services rendus à l'industrie chi-
mique et les études faites en vue de la réorganisation
et du développement de cette industrie en France.
On nous perme tra d'être très brefs sur le pre-
mier de ces chapitres. Il intéresse trop directement
la Défense nationale pour que des renseignements
précis sur cette partie du programme ne puissent être
en quelque mesure préjudiciables au pays. Nous
nous contenterons de direquel'Olfice a mis au point
ou aidé considérablementla fabrication desphénols,
extractifs ou de synthèse et étudié de façon prati(|ue
et efficace la fabrication de divers produits entrant
dans la composition des explosifs. Il a, de plus, ses
représentants dans les grandes commissions du mi-
nistre de la guerre, dont le programme touche, en
quelque manière, à la chimie; il a communiqué au
ministère de la guerre des rapports sur les questions
où la chimie était enjeu, donné des conseils tech-
niques se rapportant à l'aéronautique, à l'artillerie,
aux explosifs, aux inventions, etc.
En ce qui concerne l'industrie chimique, il a
assuré la remise en marche de bon nombre d'usines
en faisant substituer par le ministère de la guerre,
en mainte circonstance, les achats aux réquisitions
à long terme, en procurant du combustible à celles
qui en manquaient, en obtenant des facilités de
transport pour les produits indispensables à leur
fonctionnement. 11 a effectué l'inventaire de tous les
produits et de tous les moyens d'approvisionnement
103
chimiques et pharmaceutiques, sur les remplacements
possibles des matières manquantes par d'auties,
sur le ravitaillement des colonies en produits phar-
maceutiques, sur les engrais chimiques et leurs
constituants, les produits artificiels destinés à sup-
pléer certains produits naturels déficients et intei^
vient même, en quelques circonstances, auprès des
gouvernements étrangers.
Les études faites en vue de la réorganisation et
du développement de l'industrie chimique en France
ne visent pas seulement les nécessités de l'heure
présente, aux-
quelles parent
surtout les me-
surespriseset les
effortsdécritsjus
qu'ici. Elles vi-
sent encore le>
lendemains de I i
guerre. L'Offin
s'est imposé pom
tâche non seule-
ment de faire fa-
briquer en Fran
ce les produit -
indispensables i
qui nous man-
quaien t, mais
aussi d'amener
nos compatriotes
à fabriquer tels
produi ts pour
lesquels nous
étions , au mo-
ment où le conflit a éclaté, tributaires des pays
étrangers et notamment de l'Allemagne. Ici, il ne
s'agit pas seulement de pousser les Français à monter
des usines. 11 y a toute une lâche éducative à entre-
prendre, qui touche de près à une réforme de nos
mœurs. Il faut amener une union peu réalisée jus-
qu'à présent entre la science pure et l'industrie et
diriger l'instruction des nouvelles générations dans
un sens quelque peu oublié chez nous. En tout ce
chapitre. l'Office ne peut donner que des conseils
et des directives. Mais, d'autre part, déjà, grâce à
lui, des usines se sont montées pour fabriquer des
produits qui nous venaient jadis exclusivement des
pays voisins. Il a cherché — et trouvé — pour maints
produits naturels, des équivalents ou des succédanés
Astier, sénateur de l'Ardèche.
Salle de répartition de ralcool et produits pharmaceutiques.
existant, tant dans nos usines que dans les établis-
sements allemands rais sous séquestre, et procédé
à la répartition de ces divers produits. L'Office a
porté tout spécialement son attention sur l'industrie
des matières colorantes, qui était, au début de la
guerre, une des plus touchées, et il est parvenu à
remettre en action cette fabrication, presque nulle
en 1914, de telle façon que l'utilisation, par les
industries diverses, des matières colorantes ainsi
fabriquées a permis des exportations dont le total
se chillre par centaines de millions. De même, il a
été délégué par le ministère de la guerre pour ré-
partir l'alcool entre les fabricants de produits phar-
maceutiques, il a accru la production de beaucoup
de médicaments indispensables (antipyrine.pyrami-
don, produits salicylés, etc.) et d'une quantité de
produits chimiques, parmi lesquels il faut citer : le
chlore, les chromâtes, l'acide oxalique, le ferro-
cérium. Il donne enfin son avis sur les dérogations
de prohibition de sortie, l'exportation des produits
dans notre sol même. Les produits iudustriels elles
produits chimiques et pharmaceutiques ainsi fabri-
qués nous ont permis une économie considérable
d'or que nous devions exporter à l'étranger, alors
même qu'il ne s'agissait pas de produits dont nous
étions entièrement privés, la fabrication en étant
tout entière entre les mains de nos ennemis. Dans
beaucoup de cas, ces mesures ont ramené à des
prix plus abordables des produits dont la valeur
avait considérablement augmenté, en raison de
l'éloignemenl des fabricants ou du prix des frets.
L'étendue du champ embrassé par cet organisme
est considérable : l'Ofiice a jusqu'à aujourd'hui pré-
senté vingt-six rapports, dont quelques-uns sont des
ouvrages fort importants.
L'œuvre e^tde celles qui s'imposent parl'ampleur
de son action, par l'intérêt de tout premier ordre
qui s'y attache. On peut envisager, dès maintenant,
qu'elle survivra, sous cette forme ou sous une
forme analogue, à la guerre. Il ne suflil pas qu'elle
104
ait, en efTel, paré à un danger fort grave; après avoir
réparé des erreurs ou des négligences qui ont failli
nous coûter tri^s cher, peut-être serait-il ulile qu'elle
les empêchât de se reproduire en lenant à jour, sans
arrêt, l'inventaire de nos industries chimiques et
pharmaceutiques, inventaire dont le gouvernement
tiendrait compte dans ses décisions, comme dans
ses prévisions. — D' Ilenri Bouqubt.
OStéobétéroplastie (du gr. ostéon, os, hélé-
ros, autre, et plaslês, qui forme) n. f. Chir. Opéra-
tion par laquelle on transplante sur un sujet un
greffon osseux emprunté à un autre sujet, humain
ou animal : Certains chirurgiens préconisent l'os-
TÉoiui'iÉROPLASTiE uniiHule.
ostéobètéroplastique adj. Qui a rapport
àl'ostéohétéroplastie : Des doutes ont été émis sur
la tolérance à longue échéance des greffons ostéo-
HÉTIÎHOI'LASTIOUES.
piégeage {ja-je) n. m. Chasse des animaux
au moyin de pièges : Le pikoeaoe de certains ani-
maux, tels que te renard, ta loutre, le corbeau, etc.,
est très difficile.
Primevères (Intoxication par les). — Les
primulacées, et notamment certaines d'entre elle.--
Iprimula Sinensis, jyrimula obconica), sont suscep-
tibles de déterminer, chez ceux qui se livrent à leur
culture, des accidents sérieux de dermalite qui, en
certains cas, ont même amené la mort. Ce sont,
tout naturellement, les jardiniers et les horticul-
teurs qui sont le plus exposés à contracter ces ma-
ladies, mais des cas en ont été relevés chez des parti-
culiers qui s'adonnaient à la culture de ces plantes.
LAKOUSSli ME^SUEL
beaucoup plus sensibles que d'autres à l'intoxication
par les primulacées et, notamment, dans les établis-
sements horticoles, il est certains employés qu'il
faut renoncer à l'aire travailler aux soins à donner
aux primevères. 11 y aurait là une sorte d'idiosyn-
crasie, dont il faut tenir grand compte.
Il est indispensable de faire promptement le dia-
gnostic de cette aiïection, afin d'interrompre le
1
V ' 1
1 wjfm
u
1
Poils tricellulaires urticants de primula obconica (ti-Èa grossis,.
méfait causé par le contact avec ces plantes. Le
traitement consistera en soins semblables à ceux
que nécessite toute dermatite analogue.
On doit rapprocher ces faits de ceux du même
Pi'imula Sioensis.
Lessymptômesrappellentordinairementceuxdel'é-
rysipèle. Il y a d'abord une rougeur de la peau, accom-
pagnéede démangeaisons, puis on voit se développer
de petites vésicules qui volontiers se réunissent les
unes aux autres pour en former de plus volumineuses.
Elles sont remplies d'une sérosité jaunâtre. C'est sur-
tout au cou, à la face, aux mains, aux poignets et, en
général, de façon exclue! ve, sur les parties découver-
tes du corps que cette éruption apparaît. Lesphénomè-
nes généraux qui l'accompagnent sont habituellement
peu intenses, et la maladie reste bénigne et courte. On
connaît cependant des observations où les accidents
ne s'en sont pas tenus à ces phénomènes. Il faut citer,
notamment, le cas rapporté par Brown, où, à la
suite d'un début par le nez, cet organe fut atteint
d'une inflammation intense, simulant l'anthrax, ce
qui nécessita l'amputation de son extrémité. L'opéra-
tion n'arrêta pas la marche du mal. Un œdème géné-
ralisé de la face se déclara, et la malade snccomha à
une pneumonie, sans que l'on puisse dire si cette
pneumonie fut un effet de l'intoxication générale de
l'organisme ou une affection surajoutée chez un
sujet très débilité par son intoxication locale.
L'origine de ces dermatites, qui jouent parfois
l'eczéma, doit être cherchée dans le contact des
mains ou de la figure avec des poils tricellulaires
situés à la partie inférieure des feuilles des prime-
vères incriminées. La dernière de ces cellules sé-
crète un produit qui, en s'évaporaut, donne des cris-
taux d'un jaune l)rillant. Avec ces cristaux isolés,
onapureprodiiireladermaliteen question. (Treyve.)
Il est à remarquer que certaines personnes sont
Primula obconica.
genre qui ont été enregistrés et qui rendent sus-
pectes, à des degrés divers, bon nombre de plantes,
parmi lesquelles il faut citer le rhus toxicodendron
(avec lequel les accidents sont parlois fort graves),
les euphorbes, le thapsia, les ellébores, certaines
renouculacées, la chélidoine, la jacinthe d'Orient.etc.
Les accidents dus aux primevères ont été étudiés
par E.-A. Burton, Brown, Nestler, Peri-et, Treyve
(thèse delà Faculté de Paris, 1910). — Dr m. gille.
Relati'vité (la Science allemande et le Prin-
cipe DE). Phys. et philos. — "Voici douze ans (1905)
qu'une doctrine absolument nouvelle a vu le jour
dans les sciences physiques : nous voulons parler du
principe de relalivilé, formulé et développé pour
la première fois par l'Allemand Einstein.
La conception de cette doctrine, appliquée d'abord
à l'espace et au temps, et ensuite à toutes les autres
grandeurs physiques, change du tout au tout les idées
fondamentales sur lesquelles la science s'appuyait
jusqu'à présent; et le bouleversement qu'elle produit
ainsi n'a certainement pas d'équivalent dans l'histoire
de la pensée humaine. Elle nous amène à envisager
un aspect de l'univers complètement diffèrent de celui
auquel on s'était arrêté jusqu'ici rdanscet aspect «nou-
veau », dans cette image inattendue du inonde que
l'on est ainsi conduit à se former, les propositions
que l'on considérait comme àes\èn[és évidentes par
elles-mêmes, comme des axiomes pouvant se passer
de démonstration, se trouvent réduites à néant.
La science allemande s est littéralement « embal-
lée » sur le nouveau principe qui trouble si profon-
«• 722. Avril 1917.
dément les vérités aciiuises jusqu'ici dans le domaine
des sciences physiques. La science allem.inde, en
elfet, a toujours affectionné outre mesui-e les déve-
loppements parlant d' « Ijypolhèses », fussent-elles
alisolument gratuites, etrepose peu sur le «bon sens»
qui, au fond, doit être la base inébranlable de tout
corps de doctrine scientifique.
Rappelons d'abord quelques définitions.
Désignons par le mot de système A un certain
nombre de corps matériels etde ligures géométriques
reliées àcescoips; supposons ces coips et ces figures
animés d'un mouvement d'era,?emô/e.
Désignons de même par système A' un aulre grou-
pement de corps et de figures, également animé d'un
mouvement d'ensemble. Imaginons qu'à un moment
donné, les axes de coordonnées auxquels, dans les
deux systèmes, sont rapportées les positions de tous
leurs éléments respectifs se trouvent en co'incidence.
Dans ces conditions, on appelle mouvement rela-
tif des deux systèmes A et A' le mouvement de l'un
des systèmes qu'observe un spectateur relié à l'autre
d'une façon invariable. Si, daus ce cas, la vitesse d'un
mouvement relatif rectiligne et uniforme est v pour
un observateur placé dans le système A, elle sera — v
pour un observaleurplacé dans le système A'.
Mais cette notion suppose que les deux systèmes
puissent être individuellement en mouvement. Or, on
peut se poser la question de savoir s'il existe un
mouvement absolu, c'est-à-dire si l'un des systèmes
considérés, que nous désignerons par A, pourrait
être en repos absolu. Si un tel système existe, le
mouvement relatif d'un système quelconque par rap-
port à A sera le mouvement absolu de ce système.
Un tel système, A, en repo£ absolu, existe-t-il? Il
ne se trouve probablement pas dans l'univers stel-
laire, du moins si on le considère comme relié à la
terre, au soleil, ou à un corps céleste quelconque,
puisque l'observation nous montre tous ces corps en
perpétuel déplacement.
Mais on peut envisager à un autre point de vue
l'existence du système A, en repos absolu.
Les physiciens ont été amenés, depuis bientôt un
siècle, à considérer un milieu élastique, Vélher, ser-
vant de véhicule aux vibrations lumineuses et élec-
triques et répandu dans tout l'espace et dans tous
les corps. Si cet éther existe véritablement, s'il rem-
plit tout l'espace inlini et si nous pouvons le consi-
dérer comme immobile, tout au moins en dehors de
la matière, on pourra considérer qu'un corps au repos
par rapport à l'étlier sera au repos absolu, et que tout
mouvement rapporte à des axesde coordonnées immo-
biles dans l'éther représentera un moHuemen/aéso/w.
Or, le principe de relativité revient à dire ceci :
Aucune expérience, optique ou électrique, faite à la
surface de ta terre, ne peut mettre en évidence
le mouvement de translation de cetle-ci.
Nous allons voir que le principe de relativité met
en jeu l'existence même de l'éther.
Si nous admettons l'existence du milieu « éther »;
si, déplus, nous le considérons comme absolument
immobile (hypothèse de Lorentz), nous en déduisons
que te repos absolu d'une part ei le mouvement rec-
tiligne absolu doivent exister. Renoncer à la notion
du repos et du mouvement absolus équivaudrait donc
à renoncer à l'existence même de 1 éther.
D'autre part, en supposautrétherimmolùle et non
entraîné par les corps en mouvement, c'est-à-direen
supposant que l'éther contenu dans tous les corps de
la nature ne participe en aucune façonau mouvement
dont ils peuvent être animés, on doit s'attendre à ce
que le mouvement absolu rectiligne et uniforme d'un
corps, celui de la lerre, par exemple, se manifeste
dans les phénomènes de propagation des pertuiba-
tions électro-magnétiques observées sur ce coi'ps.
Pendant un intervalle de temps très petit, on peut
considérer le mouvement de translation de la lerre
comme rectiligne et uni forme. Nous pouvons prendre,
pour valeur de sa vitesse u, la valeur 30 kilomètix>8
à la seconde. La vitesse de propagation des pertur-
bations électro-magnétiques dans l'éther (vitesse de
la lumière) est éKale à 300.000 kilomètres par seconde.
Désignons par c cette dernière vitesse. On voit que
le ra|iport (v : c) est égal à 10 — ' et le rapport (v : c)'
est égal à 10 - •.
L'influence du mouvement de la terre sur les phé-
nomènes électriques etoptiques doit théoriquement
se inanil'esler par une variation des valeurs iminèri-
ques de certaines grandeurs, et il est facile de voir
que cette variation doit être fonction du rapport [v.c)
[iictions de premier ordre] ou de {v :c)' [actions de
second 07-dre].
Naturellement, on a cherché des vérifications ex-
périmentales, et d'abord, on a essayé de constater
des actions du premier oi'dre.
Pour cela, on observe un phénomène optique ou
électrique qui se propage dans une direclion déter-
minée, d'abord quand celte direction est parallèle au
mouvement de translation de la terre, ensuite quand
elle lui est perpendiculaire ou directement opposée.
Bien que de nombreuses expériences aient été fai-
tes, jamais on n'a pu observer de différence entre les
valeurs des grandeurs mesurées dans les deux cas.
Quant aux actions du second ordre, elles ont été
étudiées expérimentalement par Michelson, Morley,
/»• T22. Avril 1917
Nieller en Amérique, par lord Rayleigh, Bruce,
froulon el Noble en Angleterre. Ces recherches sont
toutes récentes : les unes ( Mictielson) sont optiques ;
les autres sont électriques. Toutes ont donné un
résultat négatif.
C'est eu présence du résultat néffalif de ces essais
que les apôtres du principe de relativité ont édifié
leurs théories. Au lieu de se borner à reconnaître
modestement que l'on n'avait pas pu jusqu'ici con-
stater directement l'influence du mouvement de la
terre, ils posent en principe que l'on ne peut pas
constater ce mouvement. La différence entre les deux
firoposilions est, on le voit, d'importance : l'une est
a constat.ition d'un fait, l'autre est l'affirmation
à priori d'une vérité nullement évidente.
Le simple « bon sens » eiit exigé que, devant l'im-
puissance des expériences faites jusqu'ici, on ten-
tât des expériences nouvelles et que l'on attendît
leurs ri'sultats. Mais les auteurs de la théorie de la
relativité ont passé outre et ont développé mathéma-
tiquement les conséquences de leur principe. Nous
allons énumérer quelques-unes de ces conséquences.
La première est que l'éther n'existe pas: c'est la
plus grave des conclusions auxquelles conduise le
principe de relativité; elle oblige à recommencer
toute la physique des mouvements ondulatoires.
En second lieu, il faut renoncer à toute la méca-
nique de Newton : ce n'est plus elle qui doit expliquer
tous les phénomènes; mais ce sont, au contraire, les
phénomènes électriques et magnétiques qui doivent
constituer les principes fondamentaux de la méca-
nique générale de la matière.
h n'existe pas de temps général et absolu. Il y a,
dans chaque système en mo\i\emenl,nn temps local,
qui est le temps vrai dans le système considéré. Au
sens général du mot, la simultanéité n'existe pas.
Deux événements peuvent pai-oî/re simultanés à un
observateur placé dans le système A, tandis qu'ils
peuvent sembler se produire à des temps différents
pour un observateur placé en A'. Un même phéno-
mène peut avoir lieu plus tôt dans l'un des systè-
mes que dans l'autre/
Ainsi, la notion fondamentale du temps se trouve
renversée. 11 en est de même de celle de I'espace.
Dans la théorie de la relativité, la notion d'espace,
prise isolément, ne conserve aucun sens. Seul, Z'en-
semble de l'espace et du temps possède une réalité.
Les dimensions des corps (longueur et volume) ne
sont plus invariables: une tige en repos dans un sys-
tème A dûi t paraître toujours raccourcie quand on me-
sure sa longueur dans un autre système A' en mouve-
ment par rapport au premier. Une sphère en repos dans
l'un des systèmes se présente donc à l'observateur
placé dans l'autre sous la forme d'un ellipsoïde aplati.
L'énergie doit être, toujours d'après les idées de
relativité, douée d'inertie. Elle est analogue à la
matière. Ce que l'on appelle la masse de la matière
pondérable peut se transformer en la masse de l'é-
nergie, el réciproquement. De plus, l'énergie doit
avoir une existence propre, indépendante de tout
support matériel; elle doit pouvoir être émise ou
absorbée par les corps et se propager dans l'espace,
qui est rigoureusement vide. Enfin, l'énergie doit
avoir une structure atomistique.
Une dernière conséquence du principe de relati-
vité est qu'ii est impossible à une vitesse relative
quelconque d'être supérieure à la vitesse de la
umiere. Celle-ci serait donc une vitesse critique et
sa valeur une valeur limite, non susceptible d'être
dépassée. Cette conséquence serait grave, car, au
moins en imagination, on se représente une vitesse
plus grande que celle de la lumière.
Il est utile d'ajouter à l'énumération de ces énoncé?
paradoxaux la forme mathématique nouvelle donnée.
en 1908, par Minkowski au principe de relativité.
Partant de l'idée que les notions de l'espace et du
temps considérées isolément doivent être abandon-
nées et que, seule, leur réunion possède une indivi-
dualité, ce savant les réunit en un assemblage
indivisible qu'il appelle Vunivers. Cet univers se
traduira, en langage mathématique, par un espace
à quatre dimensions, dans lequel le temps jouerait
le rôle de la quatrième dimension, .\insi, un point
del'ii univers», tel que le conçoit Minkowski, aurait
trois coordonnées : x, y, z, et une quatrième, que
l'on peut suppo.ser égalé à et.
Telles sont les principales conséquences auxquel-
les, par des déductions mathématiques qu'il serait
trop long de retracer ici et qu'il suffit d'indiquer,
conduit le principe de relativité.
Os conséquences, si elles étaient admises, boule-
verseraient la science du tout au tout, en nous con-
traignant d'en changer les assises premières. Et ce
bouleversement, sans précédent dans son histoire,
serait bien plus considérable que celui qui fut causé
naguère par la notion du mouvement de la terre
autour du soleil, notion succédant à l'antique con-
ception de la terre occupant le centre de l'univers.
Il e^t juste d'ajouter que, si certains savants regar-
dent la théorie de la relativité comme une conquête (/é-
finitive de l'esprit humain, introduite dans la science
d'une façon ferme, il enestd'aulres,nombreuxelnon
des moindres, qui la regardent comme une subtilité
philosophique et la repoussent complètement, seba-
l
LAROUSSE MENSUEL
sant surtout sur la nécessité, où elle conduirait, de
rejeter d'une façon absolue l'existence de l'éther.
Gomme nous l'avons déjà dit, ce sont les savants
allemands qui se sont faits les apôtres fervents de
l'idée nouvelle. Et, en cela, ils semblent avoir oublié
que le <• bon sens » est la base nécessaire de toute
science. Le principe de relativité, en somme, ne
lait que généraliser les résultats de quelques expé-
riences négatives, tentées en Angleterre et en Amé-
rique. Les conséquences qu'ils en ont tirées les ont
amenés à poser des principes qui vont tellement au
delà des faits très minces dont ils sont partis qu'on
peut qualifier ces principes de « postulats i>. lis en
déduisent analytiquement d'innombrables conclu-
sions, sans manifester une seule fois le souci de les
comparer à l'expérience, sans même s'inquiéter de
savoir si cette comparaison est seulement possible.
Comme l'a dit si justement le P' Em. Picard, de
l'Académie des sciences, l'un des esprits philosophi-
ques les phis élevés qui soient parmi les savants fran-
çais : « Au lieu de continuer à faire des exercices de
mathématiques et de développer des considérations
d'ordre métaphysique, il vaudrait mieux tenter des
expériences nouvelles d'un autre type que celles pour
lesquelles la théorie a été construite. » — Aiph. Beeoet.
Sud-Ouest africain allemand. — La
colonie allemande du Sud-Ouest africain, dont la
conquête a été achevée au milieu de l'année 191.">
par les troupes de l'Union sud-africaine anglaise,
est un pays qui se rattache géograpbiquement à
l'Afrique du Sud. En bordure de la cote occidentale
de ce continent, sur une étendue de 1.500 kilomètres,
de l'embouchure de la Counéné à celle du fleuve
Orange, elle confine au nordà la colonie portugaise
de l'Angola et, au sud, à la colonie anglaise du Cap.
Elle se développe vers l'est jusqu'aux territoires du
Betchouanaland britannique, n'ayant, de ce côté,
qu'une frontière purement géométrique, mais elle
s'avance en outre dans sa partie septentrionale jus-
qu'au Zambèze par une pointe longue et étroite. De
sa ligne côtière il faut exclure le territoire de
Walfish Bay, qui appartient à la colonie du Cap.
Cette vaste possession, la seconde en superficie des
colonies allemandes d'Afrique, ne couvre pas moins
de 838.370 kilomètres carrés, ce qui représente plus
d'une fois et demie la surface de l'empire allemand.
Mais ce territoire considérable est loin d'être en-
tièrement favorable, dans toutes ses parties, au dé-
veloppement de la colonisation, car il renferme de
Ilottentots Namaquas.
vastes étenduesdésertiques, steppes, déserts de sable,
déserts de pierres. Il en résulte que sa population
totale est relativement très faible. Mais le pays
ofi're au moins cet avantage qu'il possède beaucoup
de zones dont le climat est tempéré et salubre.
La côte présente sur toute sa longueur une bande
de terres stériles, connue sous le nom de Namib,
ou désert. Elle est constituée par une suite de
larges dunes qui s'élèvent jusqu'à 150 mètres de
hauteur et par des débris de roches anciennes :
gneiss, granités, schistes, qui forment la base du
terrain. La zone sableuses'élargit davantageencore
vers le sud, dans le Liideritzland. Des lits de riviè-
res, dont les eaux se perdent souventdans lessables
avant d'arriver à la mer, coupent seuls, de place en
place, ce littoral desséché. Les baies sont peu nom-
breuses, el la côte est difllcilemeut abordable. Grâce
à l'influence d'un courant froid qui règne dans la zone
côtière, le climat y est très tempéré ; la température
105
moyenne ne dépasse pas 16° à 17°, soit 20° en mars
et 14° en aoiit. Le temps est souventun peu brumeux,
mais les pluies sont peu abondantes. Sur le territoire
anglais de Walflsh Bay, on ne compte que 21 jours
de pluie par an, elil n'y tombe que 7 millimètresd'eau;
plus au sud, à Angra PequeSa, il en tombe 44.
En arrière de celle ligne désertique côtière, s'é-
lève une plate-forme montagneuse, faite aussi de
roches cristallines et que coupenl des gorges pro-
fondes. Elle comprend des régions distinctes : au
nord, le Kaokoveld, longue table pierreuse; au cen-
tre, le Damaraland, hérissé de sommets qui attei-
gnent jusqu'à 2.680 mètres; au sud, le Gross Nama-
land,qui amoinsd'extension comme déserlpierreux.
Toutes ces hautes terres rocheuses, mieux arrosées
que la côte, présentent des vallées gazonnées et
sont bordées à l'est d'une zone de prairies, qui s'a-
vance dans le Gross Namaland. Au delà de ces
prairies, s'étend le désert de Kalahari, vaste dépres-
sion qui occupe tout le centre de la partie méridio-
nale du continent africain et dont le bord occiden-
tal, seul, porte sur le Sud-Ouest africain allemand.
La population indigène est naturellement en rap-
port avec les conditions physiques du pays; maison
n'en connaît le chiffre que d'une manière approxi-
mative, car elle ne pouvait pas être dénombrée en
totalité. Elle paraît en voie de diminuer fortement. Au
1'"' janvierl913, elle était estimée à 78.810habilants,
contre 81. 949 lorsde la précédenteévalualion, mais en
mettant à part les tribus de l'Ovambo et du territoire
voisin du Zambèze, qui, ensemble, peuvent monter à
150.000 ou 200.000 individus. La population présente
donc, exception faite pour ces deux régions, une
densité minime par rapport à l'étenduede la colonie.
Ces indigènes appartiennent à des races diverses.
Dans le Nord, vivent des nègres de la race des Ban-
tous : les Ovambos, au voisinage de la frontière
portugaise; les Hereros, qui sont les plus importants
numériquement, dans le Damaraland. Dans cette
même région, sont répandus encore, par groupes
isolés, des Noirs qui parlent la langue hollenlote,
mais dont la race est inconnue, les Bergdamara. Au
Sud, dans le Gross Namaland, vivent les grands
Namaquas, qui sont des Holtentots, race dont la
peau est de couleur claire. Enfin, dans le nord de
la colonie, ainsi que dans les steppes du Kalahari,
on trouve épars des Bushmen ou Boschimans, chas-
seurs nomades, qui sont aussi des Holtentots.
Les Blancs, qui ont eu de graves démêlés avec la
plupart de ces populations, sont assez nombreux en
proportion dans le Sud-Ouest africain allemand. Au
l" janvier 1913, on en comptait 14.830, dont 12.292
.Mlemands, alors qu'il n'y avait que 5.336 Européens
en Afriqueorien taie, qui prenait rang ensuite. Les for-
ces militaires et de police, non comprises dans le chif-
fre ci-dessus, s'élevaient, en 1913, à 2.992 hommes.
C'est l'Angleterre qui, la première, avait pris po-
sition sur la partie de la côte où s'est développée
ensuite la colonie allemande ; elle occupa, en effet, la
baie de Walfish (ou baie de la Baleine), qui était le
meilleur mouillage de toute la côte et qui fut dé-
clarée possession anglaise le 12 mars 1878. Ce terri-
toire avait une superficie d'environ 1.300 kilomètres
carrés. Les Anglais avaient aussi pris possession
d'une série d'îles à guano, échelonnées plus au sud. le
long du littoral, jusqu'au voisinage du fleuve Orange.
Les .Mlemands ne fondèrent leur premier établis-
sement sur celle même côte que cinq ans après. Un
peu moins d'un mois avant lu créalion du Oeulscher
hotonialverein, dont le but était de propager en
Allemagne les idées coloniales, un grand négociant
de Brème, Adolf Liideritz, avait, en novembre 1882,
fait part au ministère des affaires étrangères de son
intention de traiter avec des chefs indigènes relati-
vement à des acquisitions de territoires et demandé
si l'Empire serait disposé à les prendre sous sa
protection. Dès le mois d'avril 1H83, il prit posses-
sion de l'emplacement du port d'Angra Pequeûa,
situé au nord du fleuve Orange, ainsi que des dé-
serts qui l'entourent. L'Angleterre notifia aussitôt
son droit de propriété sur Walllsh Bay et les îles à
guano, et ajouta que toute la côte comprise entre la
Counéné et le fleuve Orange était dans la sphère
d'influence du Cap. Les pourparlers avec l'Angle-
terre durèrent plus d'une année et, le 24 avril 1884,
Bisinarcl< y coupa court par un acte décisif. Cédant
aux sollicitations des commerçants des villes han-
séatiques et inaugurant une politique coloniale à
laquelle il s'était montré jusque-là opposé, il notifia
aux autorités anglaises du Cap que les comptoirs
fondés par Liideritz à Angra Pequena, autrement
dit le Luderitzland, étaient placés sous le protectorat
impérial. Ce fut la première en date des colonies
allemandes qui, toutes, furent appelées comme celle-
ci des Il territoires de protectorat » (Sc/iu^zi^eiie/e).
Une fois implantés sur la côte au sud-ouest de
l'Afrique, les Allemands avaient cherclié à étendre
leur domaine.
Dès 1884, ils avaient prolongé leur occupation du
côté du nord jusqu'au cap Frio, et ils avaient es-
péré pouvoir pénétrer suffisamment loin dans l'inté-
rieur du pays vers l'est pour joindre les républiques
boers et les soumettre à leur influence. L'Angleterre
empêclia leur plan d'aboutir en occupant, en 1885, le
Betchouanaland, ce qui fermait l'hinterland des pos-
sessions allemandes. Puis, par un traité passé entre
la Grande-Bretagne et l'Allemagne, qui fut signé le
1"' juillet 1890 et qui concernait leurs possessions
respectives en Afrique, les limites de la colonie alle-
mande furent fixées : au sud, par le fleuve Orange;
à l'est, par une ligne suivant, à partir de ce fleuve
vers le nord, le 20= degré de lat. E. de Greenwich, et
ensuite le 21» degré de lat. E., depuis le ii^ degré de
lat. S. jusqu'au voisinage du 18" degré de lat. S. En
cet endroit, le territoire allemand, se prolongeant
davantage vers l'est par-dessus le 18= degré de lat.,
donnait à la colonie un accès au Zambèze, mais par
une bande très mince, qui a été appelée du nom du
diplomate allemand signataire du traité, le « coin de
Caprivi » {Kaprii'izipfel). Ce fut en 1909 seulement
que les contrées du Nord-Est, qui constituaient cette
pointe, rOkavango, sur les bords du fleuve du même
nom, et le coin de Caprivi lui-même furent effective-
ment occupés par la mission du capitaine Streitwolf,
qui fonda la station militaire de Schuclimannsburg,
sur le Zambèze, du nom du gouverneur de la colonie.
Du côté nord, où le Sud-Ouest africain allemand
conflnait h la colonie portugaise de l'Angola, la
frontière avait été fixée entre l'Allemagne et le Por-
LAllOUSSE MENSUEL
tugalparun traité en date du 30 décembre 1886, qui
ne lui avait assigné comme limites naturelles qu'une
partie du cours de la Counéné et de l'Okavango. Au-
cune délimitation ne fut faite sur le terrain, et l'in-
convénient s'en fitsentir, caries Allemands eurent,
à diverses reprises, des conflits avec leurs voisins.
En ce qui concerne le territoire anglais de 'Wal-
fish Bay, on tenta d'en opérer la délimitation, mais
les deux puissances, n'ayant pu s'entendre, décidè-
rent, par le traité du l»'' juillet 1890, de soumettre
le différend à un arbitrage. Le roi d'Espagne accepta
de remplircette mission, et ce futseulement par une
décision en date du 23 mai 1911 qu'il mit fin à ce
litige, peu important par l'étendue des territoires
contestés et qui durait depuis plus de vingt-cinq ans.
Cette colonie allemande du Sud-Ouest allemand,
créée par l'inUialive individuelle, ne devait pas de-
meurer une simple propriété privée. La Compagnie
coloniale allemande pour le Sud-Ouest {Deutsche
Kolonialgesellschaft fttr Siidwest-Afrika), qui avait
acquis les droits de suzeraineté de Liideritz, était
restée propriétaire de tout le littoral et avait même
recule monopole de l'exploitation des mines. Mais,
à l'intérieur du pays, où le gouvernement impérial
avait envoyé un représentant officiel, c'est au nom
de l'Empire qu'avaient été conclus les traités avec
leschefs indigènes. Enl889, l'administration de l'Etat
fut étendue sur tous les territoires sans distinction.
Des concessions furent accordées à d'autres compa-
gnies allemandes et aussi anglaises, mais l'Etat se
réserva, à titre de domaines de la couronne, de vastes
étendues de territoire, qu'il déclara inaliénables.
Le lieu choisi pour la capitale de la colonie fut
Windhoek, situé dans l'intérieur, à 1.625 mètres
d'altitude.
Mais il n'avait pas suffl aux Allemands, pour
'■tablir leur autorité sur le pays, de régler par des
traités avec les puissances voisines l'étendue de
leurs droits territoriaux; il leur avait fallu aussi
lutter contre des populations rebelles et les sou-
mettre parla force. LesHottentols et les Hereros ne
cessèrent de donner beaucoup de mal aux Allemands.
En 1896, les Hereros, auxquels s'étaient joints les
Ovambos et les Hottentots du Nord, s'étaient déjà
révoltés contre la domination allemande, mais leur
rébellion avait été promptement réprimée. Puis, se
produisit la révolte des Hottentots de Hendrik
Witbooi, robustes montagnards duNamaland, qui
ne furent soumis qu'après une rude campagne. En
1903, ce fut le tour des Bondelswarts, Huttenlots
de l'extrême Sud. Le calme avait pu être rétabli
quand une nouvelle révolte, plus formidable que la
première, éclata chez les Hereros du centre de la
lolonie, en plein pays de colonisation. La lutte fut
longue et très dure, et elle se compliqua de la dé-
fection du chef hotlentot 'Witbooi, qui, depuis sa
soumission, était demeuré fidèle à l'Allemagne, ce
(|ui entraîna encore d'antres tribus hottentotes à
entrer eninsurrection. L'Allemagne poursuivit ce le
guerre avec acharnement et se montra impitoyable
envers les révoltés. La population diminua beau-
loupde ce fait; il n'yeutpas moins de 50.000 indi-
i^ènes qui périrent, et les survivants furent réduits
à la misère. Le gouvernement prit des mesures
d'une excessive rigueur pour empêcher de nou-
velles rébellions. On maintint longtemps dans la
colonie un effectif de troupes assez considérable;
il étaitde 10.000 hommes en 1906, puis il fut abaissé.
Néanmoins, les Allemands, qui prévoyaient tou-
jours la possibilité de troubles intérieurs ou l'éven-
tualité d'une guerre avec l'Angleterre, avaient
maintenu des forces d'environ 3.000 hommes dans
leur colonie, et ils estimaient, enl914,qu'avecleurs
nationaux susceptibles de porter les armes, il pou-
vait y avoir dans le Sud-Ouest africain de 5.000 à
6.000 combatlants. C'est dans ces conditions que la
colonie se trouvait quand éclata la guerre.
Les Allemands prirent l'offensive en occupant, le
11 septembre 1914, l'enclave anglaise de Walfish
Bay et en envahissant, le 19, le territoire de
l'Union sud-africaine. Mais, dès le 19 septembre,
les forces navales anglaises arrivant devant le
port de Lûderitzbuchl, l'ancien Angra Pequeiïa,
obtinrent sans coup férir la capitulation de la ville,
et les Allemands se retirèrent dans l'intérieur.
Mais un incident survint alors, qui retarda pen-
dant quelque temps l'action des Anglais : ce fut
le soulèvement d'un certain nombre de districts
du nord de l'Etat d'Orange et du TransvaaI. Les
agents de ce mouvement avaient été des personna-
lités très influentes: le lieutenant-colonel Maritz,
de race hollandaise, qui, au mois d'ociohre, de-
vant envahir le Sud-Ouest africain allemand, avait
trahi le gouvernement britannique; le général
Beyers, commandant des forces de l'Union sud-
africaine, qui, dès le mois de septembre, avait
abandonné son commandement pour se mettre à la
tête des révoltés de l'ouest du TransvaaI ; enfin,
le fameux général Christian De 'Wet, qui, rêvant de
constituer l'Afrique australe en une République fé-
dérale, avait aussi provoqué une insurrection dans le
nord de la colonie d'Orange. Les Anglais purent
heureusement enrayer rapidement d'aussi dange-
reuses tentatives. Le 1" décembre, De Wet fut
N' 122. Avril 1917.
capiurt «t, quelques jours après, Beyers, acculé au
Vaal, trouva la mort en essayant de traverser le
fleuve. La rébellion ne tarda pas à prendre fin; il
n'y eut pas moins de 7.000 rebelles qui furent pris
ou forcés à se rendre. On apprit que les complots
avaient été préparés par les Allemands.
Retrouvant leur liberté d'action, les Anglais
purent réoccuper 'Walfish Bay, le 29 décembre. Le
14 janvier 1915, ils prirent Swakopmund, le prin-
cipal port de la colonie, situé près de la frontière
nord de 'Walfish Bay et qui est la tête de ligne du
réseau ferré. Le 3 avril, on s'empara de Warmbad,
grande ville du Sud, terminus du chemin de fer.
L'occupation de Béthany, Seeheim et Keetmans-
hoop marqua la fin d'une étape importante des opé-
rations dans les provinces du Sud.
Le général Botha, l'ancien chef boer, opérant
dans le Nord, entra le 12 mai à Windhoek, la ca-
pitale de la colonie, sans rencontrer de résistance.
La prise de celte
ville amena la
destruction de
l'une des plus
puissantes sta-
tions allemandes
de télégraphie
sans fil; achevée
à la veille de la
guerre, elle de-
vait communi-
quer avec celle
du Togo, aujour-
d'hui détruite, et
par -îUe avec
Berlin. Les Alle-
mands s'étant re-
tirés vers le ter-
minus de la voie
ferrée du Nord,
le général Botha
porta rapide-
ment ses troupes dans cette direction. Le ler juil-
let, il entra à Otavi. Un mouvement enveloppant
ayant enfermé l'ennemi entre ce point et Tsoumeb,
qui avait été également occupé, il se trouva désor-
mais privé de sa base de ravitaillement. Le 9 juil-
let, le D' Seitz, gouverneur delà colonie, livra au
général Botha toutes les forces allemandes dont il
disposait et qui
comprenaie nt
204 officiers et
3.200 bomn-.ss,
avec 37 canons
de campagne et
22 mitrailleuses.
L'Allemagne
se trouvait ainsi
dépouillée, après
avoir perdu le
Togo, de l'une de
sesplusiielles co-
lonies africaines,
la première
quelle ait possé-
dée sur le conti-
nent noir et l'une
decellesquifour-
nissaientaucom-
merceleplusfort
rendement. —
Donnons maintenant un aperçu des productions
diverses qu'offre cette colonie, et voyons quel parti
les Allemands en avaient tiré.
Pendant longtemps, le pays, dont la zone littorale
avait seule pu être mise en valeur, n'avait procuré
d'autres ressources que les produits de la côte :
pêche, capture des phoques, guano. Et encore la
récolte de cette dernière substance était-elle demeu-
rée très réduite, par le fait que les îles à guano qui
en fournissent le plus sont anglaises. Pour pouvoir
tirer parti de l'intérieur, il fallait franchir la zone
Général Bolha.
i>' Scitz.
SI pe
c; le
plateaux; les Allemands n'y sont parvenus qui
travers de nombreuses difficultés. Malgré l'existence
de ses vastes régions désertiques, le Sud-Oue>t afri-
cain put être, cependant, considéré par eux comme
une colonie de peuplement, et nous savons qu'en effet
la population blanche y est très développée. C'est le
climat, plus favorable dans cette colonie que dans
d'autres, au moins dans certaines de ses parties, qui
lui a valu d'attirer davantage d'Européens.
Mais, si l'on envisage la réalité des choses, on ne
peut vraiment pas dire que les Allemands aient pu
l'aire de l'Ouest africain une colonie de peuplement
à proprement parler. Bien que le climat, dans son
ensemble, ne soit pas malsain et que les épidémies
soient rares, il n'est pas de ceux où les Européens
peuvent s'acclimater d'une façon complèie. C'est
principalement dans les centres qu'ils sont venus
habiter; ce sont plutôt les Boers, venus du Trans-
vaaI ou du Cap et habitués à la vie des steppes sud-
africaines, qui sont répandus dans les fermes isolées.
En dehors des questions ae climat, bien des con-
ditions sont à remplir pour pouvoir créer une colo-
«• 122. Avril 1917
nie de peuplement, cl c'esl précisément parce qu'il
fallait des capitaux considérables pour transl'onner
le pays que l'on a cherché, au début, à faire plutôt
dans le Sud-Ouest africain de la grande colonisa-
tion, par l'inlermédiaire de compagnies concession-
naires.Ces compagnies
neparaissentpas avoir
su ellectuer tous les
travaux d'aménage-
ment du sol et des eaux,
qui auraient été néces-
saires pour l'installa-
tion de familles de
paysans allemands sur
ces vasles étendues.
Parmi ces travaux, il
en est qui avaient
une importance pri-
mordiale, dans ce pays,
qui soullre particuliè-
rement du manque
d'eau : ce sont les lo-
rages pour l'utilisation
des eaux souterraines
et les barrages pour
retenir les eaux de
pluie en vue de l'irri-
gation. L'administra-
tion locale en a, avec
raison, effectué depuis
un bon nombre, et elle
a donné des encoura-
gements aux particu-
liers qui voulaient en
entreprendre.
Une autre condition
nécessaire pour le dé-
veloppement de la co-
lonisation, c'est la
main-d'œuvre. Or, dans
le Sud-Ouest africain,
elle a toujours été très
restreinte, et les nom-
breuses révoltes qui
s'y sont produites l'ont
encore considérable-
ment diminuée. A cer-
tains moments, il y en
a eu une véritable pé-
nurie, et, ce tju'il faut
remarquer, c est que
les Allemands ont con-
tribué eux-mêmes à
amener ce résultat.
Avec leur idée précon-
çue de faire de celte
possession une colonie
de peuplement, ils ont
créé, consciemment ou non, un état d'hostilité perma-
nent entre les populations indigènes et les colons.
Cet état de choses n'a pas été étranger aux terri-
bles rébellions qui ont eu lieu et a conduit à une
destruction et à un appauvrissement des races
dont la colonie a été la première à souffrir. Le
gouvernement, après la révolte des Hereros, a été
jusqu'à s'opposer à la reconstitution des troupeaux
indigènes, comme faisant concurrence à ceux des
colons; en dépouillant ainsi les Noirs de leurs
moyens de vivre, il empêcliait le développement
de la main-d'œuvre. On eut beau faire appel au
plus grand nombre d'émigrants possible, la lucune
ne pouvait être comblée. Mais, si les Allemands se
sont toujours montrés très durs vis-à-vis des indi-
gènes, l'on peut être assuré que, la colonie étant en
d'autres mains, il sera pratiqué à leur égard une
politique meilleure, ce qui facilitera le recrutement
de la maiti-d'œuvre.
Enlin, ce qu'il faut, surtout, pour qu'un pays
puisse attirer et retenir des colons, c'est qu'il soit
suffisamment producteur. Or, celui-ci l'est d'une fa-
çon très inégale, à raison de sa configuration phy-
sique. Les Allemands ont pu y faire quelques plan-
tations, mais ils n'ont pu obtenir dans ce pays, dont
tant de parties sont mal arrosées, un grand déve-
loppement de l'agriculture. L'Amboland, au nord,
est l'une des régions les plus favorisées; il le doit
à l'abondance de ses pluies et à la proximité de la
Counéné, dont les crues contribuent à l'arroser.
Les principales cultures que l'on a essayées sont
la canne à sucre, le tabac, le coton. La vallée de
rOkavimgo peut également se prêter à la culture
du colon. Le sol de lasteppe est, d'une façon géné-
rale, extrêmement fertile, mais là seulement où l'on
peut l'arroser. Dans le Gross Namaland et au voisi-
nage des principaux centres du Damaraland, des
travaux de captage ont permis d'entreprendre des
cultures de maïs, de pommes de terre, de blé et de
filantes fourragères. Il en résulte qu'en multipliant
es travaux hydrauliques, on pourra parvenir à
donner un essor notable à l'agriculture.
Néanmoins, il semble qu'il y ait à attendre da-
vantage, dans cette colonie, de l'élevage, car, sur
les plateaux, l'eau nécessaire au bétail se trouve en
quantité suffisante. L'élevage peat porter sur le
LAROUSSE MENSUEL
liélail bovin et ovin, ainsi que sur les chevaux,
mulets et porcs, et également sur les chameaux et
les autruches.
Le Namib est inutilisable, si ce n'est dai.s la
zone qui borde la steppe, où peuvent encore paître
aratifs d'un festin chez les Ovambos. — Phot. Wyndhara.
les chevaux. Mais tous les hauts plateaux se prêtent
à l'élevage. Les régions du Nord, Kaokoveld et
Damaraland, conviennent plutôt au gros bétail ; les
moutons et les chèvres progressent mieux dans le
Gross Namaland. La
région du Kalahari elle-
même, si désertique
qu'elle soit, peut four-
nir des terrains d'éle-
vage, grâce aux cuvet-
tes calcaires qu'elle
renferme et qui conser-
vent l'eau de pluie.
Les chameaux y vien-
nent très bien, ainsi
que dans le Namib, et
l'élevage de l'autruche
y est de plus en plus
prospère. Le nombre
de tètes de bétail est
tout à fait en progres-
sion. Les chiffres don-
nés pour 1913 ont été
205.000 bœufs et va-
ches, 554.000 moutons
(le r aces di verses,
517.000 chèvres,
15.900 chevaux, chif-
fres tous supérieurs à
ceux des années pré-
cédentes. L'élevage est
certainement une des
ressources d'avenir de
la colonie.
Une autre source de
richesse , susceptible
d'un très grand ac-
croissement, est fournie par les produits miniers
et les pierres précieuses. De nombreux gisements
métalliques sont contenus dans les roches an-
ciennes, qui forment le so! même de la colonie.
On rencontre le fer, sous forme de minerai ma-
gnétique, du côté d'Omaruru, dans le Dama-
raland. Les mines de cuivre de la région d'Otavi
etde Tsoumeb ont déjà donné des résultats avan-
tageux ; eu 1913, on a extrait 34.100 tonnes de
107
cuivre. C'est aussi dans le Damaraland que l'on
trouve l'ètain, dans les montagnes d'Erongo. L'or a
été découvert en quelques endroits; mais, jusqu'ici,
il n'a été l'objet d aucune exploitation importante. Il
faut noter aussi, parmi les richesses du sol, les
marbres, dont il existe de fort belles variétés.
Mais la découverte qui, de toutes, a exercé la
plus grande influence sur l'avenir de la colonie, a
été celle du diamant, qui remonte à 1908. C'est en
plein Namib, à une quinzaine de kilomètres de la
côie, dans le voisinage de la baie de Luderitz, que
l'on tzouva les premières pierres, et l'on reconnut
bientôt que la zone diamantifère s'étendait tout le
long de la côte jusqu'au fleuve Orange. Gomme,
d'autre part, ces diamants ne s'y rencontrent que par
l'elTet d un déplacement, il se peut que l'on arrive
à découvrir leurs gisements primitifs. Il parait en
résulter que, si le diamant n'est pas une de ces
richesses sur lesquelles on puisse indéfiniment
faire fonds, on peut facilement entrevoir que son
exploitation sera susceptible de se prolonger du-
rant une longue série d'années. La production s'est
toujours accrue très notablement d'année en année
depuis l'origine. Elle avait élé, la première année,
en 1908, de 39.375 carats, et elle est montée, en 1913,
à 1.570.000.
Il faut tenir compte aussi, en dehors des possibi-
lités agricoles et minières qu'offre le pays, des
avantages que peut procurer la pêche. Les côtes
son t ex trêmemen t poissonneuses, et l'on y chasse les
phoques. Une compagnie de pêche à la baleine
avait commencé ses opérations en 1913.
Mais, dans cette colonie si mal favorisée par ses
dispositions naturelles, la création d'un outillage
économique approprié s'imposait plus encore que
dans toute autre comme une nécessité urgente pour
assurer sa mise en valeur. 11 fallait à tout prix ou-
vrir des routes à travers la zone de terres stériles
du Namib, hérissée de dunes dures à franchir, afin
de donner un accès facile vers les régions suscep-
tibles de colonisation. Les Allemands ne le firent
pas très promptement.
Il n'y avait guère sur la côte que deux ports im-
porlants : celui de LUderitzbucht, dans la région
sud de la colonie, puis celui de Swakopmund, au
nord du territoire de Walfish Bay, mal abrité et
qui a exigé de nombreux travaux, mais dont les
Allemands ont fait leur port principal, à cause de
sa situation par rapport à la capitale, "\\'indboek, et
à la région minière. Ces deux ports devinrent les
points de départ de deux voies ferréesde pénétration
à l'intérieur du pays.
C'est en 1897 seulement que l'on commença une
petite ligne devant aller de 'Windhoek à Swakop-
mund, et elle ne fut achevée qu'en 190». Puis, de
1903 à 1906, une autre, mieux établie, fut construite
par la société anglaise concessionnaire des mines
de Tsoumeb, de façon à les relier à ce même port,
etun embranchement fui faitd'OtavisurGrootfontcin.
En 1908,futouverte la ligne du Sud, de LUderitzbucht
à Keetmanshoop. Toutes ces lignes étaient à voie
étroite. Puis l'Etat, ayant racheté celle d'Otavi, ou
Le 9 juillet 1915, le Dr Seitz, gouverneur de la colonie du Sud-Ouest africain, capitule et UTre au
général Botha toutes les forces allemande». — Pliot. Wytidham.
ligne du Nord, la refit de Karibib à Windhoek, en
portant l'écarlement de o°',60 à celui de la voie du
Cap, soit 1"',U67. Il construisit ensuite une ligne
nouvelle de même largeui', de Windhoek à Keet-
manshoop, pour relier le chemin de fer du Nord et
celui du Sua, et relit dans les mêmes conditions celle
deLiideritzbuclit à Keetmanshoop, qui s'accrut d'un
embranchement sur Kalkl'outein, dans la direction
de la frontière méridionale.
108
Le développement kilométrique des voies ferrées
du Sud-Ouest africain allemand atteint le chiffre de
2.165 kilomètres, ce qui le met en tête de toutesles
autres possessions allemandes pour la longueur du
réseau.
La création de ces voies de communication a
puissamment aidé à la mise en valeur de- la colo-
nie et a contril)ué à auj^menter le mouvement du
commerce. Mais, ce qui a causé surtout son exten-
sion, c'est l'exploitation du diamant; aussi est-ce sur-
tout par les exportations que le chiffre total s'est
accru. G'ost, en effet, le diamant qui tient le premier
rang parmi les produits exportés. En 1910 et en
1911, il est sorti de la colonie 178 et 153 kilogram-
mes de diamants, valant respectivement33. 585. 000 et
LAROUSSE MENSUEL
surtout de l'élevage que pourra être assuré de la
façon la plus certaine et la plus durable son essor
économique. — Ou&tavc Reoblsperoek.
Trouillot ( Geor^es-Marie-Denis-Gabriell,
homme d'Etat français, né à Champagnole (Jura) le
7 mai 1851, mort à Paris le 22 novembre 1916,
inhumé à Plainoiseau (Jura). Georges Trouillot,
1 un des membres les plus en vue du parti radical,
appartenait à une famille jurassienne de fonction-
naires et de magistrats. De bonne heure, il se lança
dans la politique, fit son droit, tout en combattant
le second Empire, prêta le serment d'avocat devant
le tribunal de Lons-le-Saunier et, dès 1873, eut à
défendre judiciairement la presse républicaine de
PiduTîgre ]
SUD -OUEST
AFRICAIN
ALLEMAND
Echelle i:9.ooo ooo
0 50 100 tSO
Chemitvd&fer..
Les heures \lk\ùtdLqy£ji£ lesposse^'
-ssLons anglaises.
28.750.000 francs. Après le diamant, viennent le cui-
vre et le plomb, les peaux, les animaux vivants, la
laine, les plumes d'autruche. Comme produits d'im-
portation, on peut citer principalement les céréales
et les farines, le tabac, la bière, les bois de char-
pente, les viandes conservées, les fers ouvrés. Le
Sud-Ouest africain, qui, des quatre colonies alle-
mandes d'Afrique, présentait, en 1911, le commerce
le plus actif, avait un peu faibli à cet égard. En
1912, il a donné 71.500.000 marks, dont 32.500.000
pour les importations et 39 millions pour les expor-
tations. En résumé, la possession qu'ont perdue
les Allemands est actuellement en très bonne
voie de prospérité; mais, en réalité, si elle a reçu
de la découverte du diamant un vigoureux élan,
néanmoins, à côté de celle source de richesse,
c'est par le développement de l'agriculture et
cette région du Jura, qu'il affectionna jusqu'au der-
nier jour. Au 16 mai 1877, il combattit dans la
o Sentinelle du Jura » les candidats du maréchal de
Mac-Mahon. Elu au conseil municipal de Lons-le-
Saunier, il conserva pendant six ans son siège et se
fit, dans celte assemblée, le champion des idées
laïques. Il devint ensuite membre, puis président
(1894) du conseil général du Jura et bâtonnier de
l'ordre des avocats de Lons-Ie-Saunier.
C'est en 1889 qu'il entra à la Chambre des dépu-
tés. Elu au premier tour, ainsi qu'aux élections sui-
vantes de 1893, 1898, 1902, il n'abandonna ce siège
que pour aller représenter au Sénat, lors du renou-
vellement triennal de 1906, le département du Jura.
Son mandat, qui avait pris fin en 1915, fut prorogé,
ainsi que celui des collègues de sa série, jusqu'à la
fin des hostilités.
Georges Trouillot. (Phot. Pirou.)
«• 122. Ai/ril 1917.
A la Chambre, Georges Trouillot a tenu un rôle
très en relief; mis tout de suite en évidence dans
son parti par de brillantes qualités d'orateur, sa
supériorité s'affirma dans deux circonstances inou-
bliables : adversaire décidé de toute entente des
modérés avec les partis de droite, c'est lui qui, dès
les élections de 1898, mena la lutte contrelecabinet
Méline et fut un des facteurs de sa chute, à la suile
de l'interpellation dont il élait l'auteur avec Dujar-
din-Beaumelz et Vallée. Trois ans plus tard. sou.sle
ministère Waldeck-Rousseau, il assumait la t;khe
difficile de rap-
porteur de la loi
retentissante et
si discutée sur le
contratd'associa-
tion. Ce fut l'œu-
vre capitale de sa
carrière politi-
que. Constam-
mentà la tribune,
il déploya, pour
assurer le vole de
ce projet de loi,
sur chaque texte
duquel s'engagè-
rent des joutes
oratoires mettant
aux prises les
hommes les plus
éminents du Par-
lement, de so-
lides qualités de
juriste habile à la riposte et de lutteur toujours en
haleine et plein d'expérience.
Georges Trouillot fit paraître, l'année suivante
(1902), en collaboration avec Fernand Ghapsal, son
traité Du contrat d'association, commentaire de la
loi du V juillet 1901 ; puis, dans un ouvrage intitulé
l'IUée laïque et préfacé par Léon Bourgeois, il a
réuni, en 1906, tous les discours qu'il a prononcés,
de janvier à mars 1901, lors de la discussion de
celle loi.
Du reste, son œuvre législative ne se borne pas à
cela. Vice-président de la commission du budget en
1901 et vice-président de la Chambre des députés en
1902, il a été, de plus, le rapporteur de bien des projels,
et il a fait partie de nombieuses commissions, tant à la
Chambre qu'au Sénat. Pendant la guerre même, il
était présidentdeia commission des chemins de fer.
11 fut quatre fois ministre : il eut le portefeuille
des colonies, dans le cabinet Brisson (28 juin-1""' no-
vembre 1898), celui du commerce, de l'indusUie et
des postes et télégraphes, dans le ministère Combes
(juin 1902-nov. 1905), ainsi que dans le cabinet
Bouvier (nov. 1905-mars 1906), et une seconde
fois le portefeuille des colonies, dans le premier
cabinet Briand (juill. 1909-nov. 1910). De son pas-
sage aux affaires, il reste des lois et des projets
ayant trait aux questions économiques, politiques
et sociales. Il faut meltre en évidence ses projels
sur les zones franches dans les ports marilinies, le
contrôle des sociétés d'assurances sur la vie, la sur-
veillance des sociétés d'épargne et de capitalisation,
le contrat d'assurances, le contrôle de la durée du tra-
vail dans les établissements industriels, etc. En ce
qui concerne les colonies, c'est sous sa direction
qu'eut lieu la mise en vigueur, en 1898, du système
des concessions territoriales en Alri(|ue.
Au Sénat, en 1914, lorsque s'est rouverte l'affaire
Rochelle, c'est lui qui fut rapporteur de la proposi-
tion tendant à attribuer des pouvoirs judiciaires à
la commission d'enquèle de la Chambre (20 mars)
Georges Trouillot cultivait aussi les lettres. Son
œuvre journalistique est importante. Fondateur et di-
recteur politique de 1' « Union républicaine du Jura » ,
il collabora, en outre, pendant de longues années, au
«Siècle», ainsi qu'à la <■ France de Bordeaux» et à de
nombreux organes de son parti. 11 s'est également
essayé dans le genre purement littéraire. C'est ainsi
qu'au cours de la guerre actuelle, il a publié une
plaquette : Pour le front (1915), une pièce de vers :
Gavroche et Flambeau, créée à l'université des
Annales le 24 mars 1916, jouée ensuite d:ins les tran-
chées, reproduite par la « Revue de Paris » et fina-
lement éditée, avec des Poésies de guerre qui ne
manquent ni de souffle, ni de correction. Il fut reçu
membre de la Société des gens de lettres, le 26 juin
1916; enfin, il préparait un \olume: Autour ilu fo)/er,
que la mort ne lui laissa pas le temps d'achever.
Telle fut la carrière de Georges Trouillot. Esprit
lucide, alerte et vif, d'un commerce agréable, il a
répandu sa pensée sous mille formes. Sa conversa-
lion était attrayante, égayée d'anecdotes que lui
fournissait sa loiigue fréquentation des milieux
politiques. Comme homme de parti, législateur, ora-
teur, taclicien, il est de ceux qui caractérisent le
mieux, parleurs préoccupations, leurs travaux, leurs
combats et leur mentalité même, la génération po-
litique et parlementaiie qui s'est agitée entre les
deux guerres. — François 6BRT1IIP.K.
Parii. — Imprimerie Larotjsbb (Moreau, Auge, OilloD et Cl*l,
17, rue Montparnasse. — Le gérant .' L. Oroslbt.
V
W 123. - MAI 1917
I.^Brass,
Bovrdeau.
Antilles danoises. Géogr. et hist. — Sous
la dénomination (l'« Antilles danoises» ont été grou-
pées jusqu'à une date récente trois des îles de lar-
chipel des îles Vierfres, qui appartenaient au Dane-
Hiarket qui viennent d'être cédées parcelle puissance
européenne aux Etats-Unis
d'Amérique. Ces trois îles,
danoises depuis près de
iOO an-:, sont : Sainl-Tlio-
mas, Saint-Jean et Sainte-
Croix. Elles occupent le
centre de l'arcliipel, en-
tre les îlots de l'ouest, qui
étaient déjii aux mains des
Etats-Unis et dépendaient
de leur possession de
Porto-ftico, et les îles de
l'est, qui sont anglaises.
Bien qu'elles soient re-
gardées, à raison de leurs
proportions, comme ap-
partenant aux petites An-
tilles,les Antillesdanoises,
comme, d'ailleurs, tout l'en-
semble des îles Vierfrcs, se
rattachent plus exactement
fiar leurs caractères géo-
ogiques au système de
Porto -Rico, c'est-à-dire
des grandes .\ntilles, dont
elles représentent un pro-
longement, alors qu'un dé-
troit large d'environ 400 ki-
lomètres et profond de plus
de 2.000 mètres sépare les
îles Vierj,'es du reste des
petites Antilles.
De même qu'au point de
vue ptiysique les Antilles
danoises se rallaclient à
Porlo-Rîco, leur sort de-
vait aussi, au point de vue
politique, se lier un jour ,î
celui de la grande île voi-
sine. C'est de 1900 que date
l'occupation de Porlo-Rîco
parles Etals-Unis; en 1917,
ils ont acquis les Antilles
danoises. Il faut jeter un
coup d'oeil sur l'histoire de
ces îles, sur leurs ressour-
ces et leur situation éco-
Quelques tentatives, faites par les Espagnols au
XVI" siècle pour s'y établir, ne furent pas plus heu-
reuses, et les cruelles mesures prises contre les in-
digènes ne changèrent pas la situation. Aussi, bien
que l'Espagne eût proclamé dès le début ses droits
l.deJost
Gr.Tabago . Van Dyck^^^^
PV'Tabago^ (Angl )
loir leurs droits de propriété sur l'île. Le désaccord
ne tarda pas à éclater entre eux, et il y eut des luttes
sanglantes. Les Anglais, plus nombreux, étant ve-
nus à bout de leurs rivaux, restèrent maîtres de
lile ; les Hollandais se retirèrent dans l'île de Saint-
Eustache, elles Français,
Echelle
0 10 20 30 1(0 iOK
Pî'de Sable' d*'
CROIX
Le9 trois ijetitea AotUlcs rendues par le Danemark aux Etals-Unis, le 22 dicembre 1916.
nomique pour expliquer comment le Danemark s'est
trouvé amené à céder ses colonies aux Elats-Unis.
Les iles Vierges furent découverles en 1493 par
Christophe Colomb; mais, quand il arriva devant
Sainle-Groix, la plus grande des trois, il rencontra
de la part des liabitanls, qui étaient des Cara'ibes,
une si vive résistance, qu'il dut s'éloigner de ces
parages, après avoir seulement reconnu l'archipel.
sur l'île de Sainle-Croix, elle n'avait pu, en réalité, y
créer une colonisation durable; d'autres puissances
devaient bientôt sv disputer le pouvoir et l'occuper
tour à tour.
Des Anglais, des Hollandais et quelques Français
étaient venus .s'établir à Sainte-Croix au commen-
cement du xvn" siècle, bien que les Espagnols,
maîtres de Porlo-Rîco, n'eussent cessé de faire va-
LAHOUSSE MENSUEL. — IV.
qui avaient pris parti pour
eux, gagnèrent la Guade-
loupe.
Mais de nouveaux inci-
dents devaîentse produire.
Au cours du xvii" siècle,
les Espagnols de Porlo-
Rîco, jaloux de la prospé-
rité procurée à l'île par les
Anglais, yhrent une des-
cente et massacrèrent tous
ceux qu'ils purent sur-
prendre. Les Anglais se
réfugièrent à Saint-Chris-
tophe, mais cet acte de
violence devait amener la
guerre avec l'Espagne et
la prise par eux de la Ja-
maïque. Des Hollandais,
qui débarquèrent un peu
plus lard à Sainte-Croix
pour tenter de reprendre
leurs anciens établisse-
ments, furent eux aussi mis
à mort par les Espagnols.
Ce fulensuîte l'équipage
d'un navire français, parti
de la Guadeloupe, qui s'em-
para de Sainte-Croix, en
1650, obligeant les Espa-
gnols à l'évacuer et à reve-
nir à Porto-Rico. Des co-
lons français vinrents'ins-
taller dans l'île, mais ils
eurentà subîrle monopole
des grandes compagnies,
et la prospérilé de la colo-
nie eut beaucoup à soulTrir
de ce régime. L'île fui
même quelque temps la
propriété des chevaliers
de Malte. La colon.salîon
avait si peu réussi que la
Compagnie des Indes occi-
dentales, à laquelle Sainte-
Croix avait appartenu en
dernier lieu, en abandonna l'exploitation et que la
l<'rance, ayant toujours gardé ses droits politiques
sur l'île, la vendit en 1733, pour 730.000 livres, au
roi Christian VI de Danemark.
L'Ile de Saint-Thomas, découverte aussi par
Christophe Colomb en 1493, attira moins prompte--
ment la colonisation. Ce furent les Hollandais qui
y créèrent les premiers un établissement, en 1657:
110
mrls U eut peu d'importance et, en 1671, l'Ile fut
occupée par la Compagnie danoiredela Guinée ctdes
Indes occidentales, bien que, faute de main-d'œuvre,
la culture ne pùl être suriisaniment développée, la
colonisation y prit un certain essor entre les mains
du duc de Brandeliourg, auquel la compagnie
avait concédé des droits, et qui eut le roi de Dane-
mail< pour héritier; mais, la compagnie s'élant
trouvée ruinée, le Danemark revendiqua Saint-
Thomss et y établit un port franc en 172'i.
Enfin, l'ile de Saint-Jean fut acquise par le Dane-
mark en 1717.
Les trois colonies du Danemark, aux Antilles,
étaient donc entrées successivement dans son do-
maine an cours du xviii° siècle. Pendant les guerres
de la Répiil)liqne, de 1792 à 1801, le port franc de
Sainl-Tliomas avait servi d'entrepôt et de lieu de
ravilailleinenl pour lont le groupa des Antilles, le
Danemni'k n'ayant cessé d'observer pendant tout ce
temps la pins stricte neutralité. Mais cet Etat étant
entré, en 1801, en lutte contre les Anglais, ceux-ci
LAROUSSE MENSUEL
Croix, la moyenne est de 26°, 7 pour l'ensemble de
l'année, 28'',3 en aoiit-septembre, 24°,8 en lévrier.
Les pluies atteignent 1.183 millimètres par an. A
Saint-Tliomas, il ne tombe annuellement que
970 millimètres.
La végétation, de nature tropicale, est luxuriante
dans ces lies. Sur la côte, on rencontre souvent une
forêt littorale, contenan t entre autres arbres des coco-
tiers, qui protègent l'intérieur du pays contre la brise.
Malgré leur abondante végélation, ces îles se prê-
tent d'une façon inégale aux cultures. Mieux arrosée
que les autres et renfermant au sud une plaine re-
posant sur du calcaire, Sainte-Croix a été jadis
couverte Je plantations auxquelles elle a dû une
véritable ricliesse. Saint-Tliomas, où règne une
grande sécheresse, produisait bien de la canne à
sucre, mais elle n'a jamais pu fournir des terrains
propres à des exploitations agricoles intensives.
Qnant à l'îlot rocheux de Saint-Jean, il n'a en
aucun temps occupé, dans la vie économique des
Antilles danoises, une place digne d'être notée.
Vue de Saint-Thomas, capitale des AntiUeB danoises. — Phot. Chusseau-Plaviens.
s'emparèrent de Saint-Thomas, qu'ils gardèrent jus-
qu'à Vannée suivante. Ils l'occupèrent k nouveau en
1807, au moment du blocus contineilal, ainsi que
les antres iles. Elles furent ensuite toutes rendues
aux Danois, en 1815. Après avoir donné un rapide
tableau de ces trois îles, nous verrons ce qu'elles
sont devenues aux mains de leurs nouveaux maîtres.
Saint-Thomas et Saint-Jean se font suite à la
même latitude, qui est celle du norddePorlo-Rico,
la première à l'ouest, la seconde à l'est ; Sainte-
Croix est isolée au sud des deux autres. Celte der-
nière est la plus grande des trois et s'étend sur
218 kilomètres carrés; de forme triangulaire, sa
plus grande longueur, qui est de l'est à l'ouest, est
de 40 kilomètres, et elle n'a comme largeur que
10 kilomètres au plus. Les deux autres îles sont
beaucoup plus petites ; Saint-Thomas, qui est longue
de 21 kilomètres et large de 4 kilomètres, couvre
une superOfie de 60 kilomètres carrés. Quant à
Saint-Jean, ce n'est qu'une île rocheuse de 54 kilo-
mètres carrés, ayant 15 kilomètres de longueur sur
4 au plus de largeur.
Bien qu'elles soient de constitution montagneuse,
ces îles ne présentent cependant pas de très hauts
sommets. Le point le plus élevé, West Mountain,
dans l'île de Saint-Tbomas, atteint 474 mètres seu-
lement. Vient ensuite le mont Aigle, à Sainte-Croix,
qui a 335 mètres. Saint-Jean est inférieur comme
relief aux deux autres îles. Mais ces terres acci-
dentées ,3nt très mal fournies d'eau ; ce ne sont que
des torrents, souvent desséchés, qui descendent sur
ces pentes montagneuses et, seule, Sainte-Croix est
un peu plus favorisée.
Les cotes, très découpées, sont presque partout
entourées de récifs, qui en rendent les abords diffi-
ciles. U existe, cependant, dans ces iles, quelques
bries qui forment d'excellents ports naturels à eaux
prolonges, comme celle de Saint-Thomas et, à
Saint-Jean, celle de Coral. Mais, si le port de Saint-
Thomas est protégé contre les alizés par une bande
de terre et un îlot, il n'est pas à l'abri des ouragans
qui, à diverses reprises, y ont causé de terribles ca-
tastrophes.
Le climat des Antilles danoises est sain, mais la
température est relativement asiez élevée. ASsinte-
Mais l'île de Saint-Thomas, si elle possédait moins
de ressources agricoles que Sainte-Croix, devait
une très grande importance à son pori franc de
Charlotte-Amélie, qui assurait tout le mouvement
commercial des Antilles danoises et se trouvait
en communication avec tous les grands ports du
monde entier.
Sainte-Croix fut d'abord le centre administratif
du groupe. La capitale de la colonie danoise était
Christianstad. Puis, en 1871, la capitale fut trans-
fiortée à Charlotte- Amélie, dans l'île Saint-Thomas,
e gouverneur partageant son séjour entre ce port
et celui de Frederikstad, sur la côte occidentale de
Sainte -Croix.
Restées très prospères grâce à leurs cultures,
grâce à leur port franc, durant toute la première
moitié du xix« siècle, les Antilles danoises virent
ensuite peu à peu péricliter leur fortune. L'une des
premières causes avait été une mesure prise pour
créer un régime de liberté. En 1847, le roi Chris-
tian 'VII avait promulgué une ordonnance déclarant
libres tous les enfants nés h partir d'une certaine
date. Les Noirs, qui avaient compté recevoir une
émancipation complète, ainsi que cela s'était passé
dans les colonies anglaises, se révoltèrent dans l'île
Sainte-Croix^; le gouverneur dut, en 1848, accorder
la liberté à tons les esclaves. Non seulement l'em-
ploi de la main-d'œuvre se ressentit de ce change-
ment de condition, mais encore les troubles conti-
nuèrent ; des plantations furent incendiées et l'in-
surrection, s'étendanl, gagna Saint- Thomas. L'ordre
fut rétabli, mais de nouvelles rébellions se produi-
sirent encore plus tard. C'est ainsi, notamment,
qu'en 1878, les Noirs affranchis de Sainte-Croix, se
plaignant de n'avoir pas reçu des terres qui leur
avaient été promises, se soulevèrent et incendièrent
Frederikstad.
Une autre cause, qui a fortement contribué à
amener la décadence des Antilles danoises, a élé
la crise sucrière, la canne d'oiS l'on tire le sucre et
le rhum étant leur principale production. Cette
crise du sucre, qui a atteint toutes les Antilles, a
eu des causes multiples, que nous ne pouvons indi-
quer que brièvement. En dehors des difficultés se
rattachant k la main-d'œuvre, la diminution de pro-
«• 123. Mal 1917.
duction s'est trouvée due, notamment, à la baisse du
cours du sucre, à des recolles moins bonnes, à des
cataclysmes naturels qui furent particulièrement
fréquents, enfin, à la concurrence du sucre de bette-
raves. La région en souITrit d'autant plus qu'elle
pratiquait la monoculture. Les étendues de culture
se réduisirent de plus en plus, amenant progressi-
vement l'abandon des propriétés et la ruine du pays.
Enfin, il arriva que les perfectionnements inlio-
duits dans l'outillage de la navigation transformè-
rent le régime commercial des Antilles et firent
perdre au port de Saint-Tliomas une grande partie
de son ulililé antérieure. Depuis que l'usage de la
vapeur s'était généralisé, les navires, pouvant avoir
une navigation régulière et ne dépendant plus des
venls, n'avaient pas les mômes raisons de stal on-
ner dans les ports en attendant des vents favorables,
de telle sorte que Saint-Thomas, qui était jadis un
excellent point de refuge, n'avait plus désormais à
jouer le même rôle.
Toutes ces circonstances réunies firent que la
prospérité des Antilles danoises alla toujours en
déclinant. Il s'ensuivit qu'un courant continuel d'é-
migration se dessina et que le chiffre de la popu-
lation diminua très vite et dans des proportions
considérables. Les hommes, surtout, émigraient en
grand nombre, soit à Porto-Rico, soit dans les îles
anglaises voisines, pour y chercher du travail.
La population des trois îles, qui était en totalité
de 65.453 habitants en 1835 (26.681 à Sainte-Croix,
2'..750 à Saint^Jean, 14.022 à Saint-Thomas), était
tombée à 32.786 en 1890 et à 30.527 en 1901. De
1871 à 1881, Sainte-Croix avait perdu plus du cin-
quième de sa population.
En 19Ci, c'était toujours Sainte-Croix qui tenait
la tête comme population, avec 18.590 habitants;
Christianstad n'en avait plus, à celle date, que 3.095
et Frederikstad 2.226. Saint-Tliomas venait ensuite
avec 11.012, dont 8.540 habitaient la ville de Char-
lotte-Amélie et 2.472 le reste du territoire. Sur l'îlot
rocheux de Saint-Jean, il n'y avait plus que 925 ha-
bitants, pour la plupart réunis dans le petit village
de Crux-Bay, où ils se livrent à l'élevage et à la
pêche. Une autre particularité, due à l'émigralion,
est que la population masculine est celle qui, en
proportion, a le plus diminué : en 1901, on comp-
tait dans la colonie 16.484 femmes, contre 14.043
hommes.
Les Blancs ne comptent guère que pour un
dixième dans la population. 'l''out le monde parle
l'anglais comme langue courante et un peu le fran-
çais ; le danois est demeuré une langue officielle
et n'a pas pénétré dans le pays.
Le commerce des Anlilles danoises a nécessaire-
ment subi le contre-coup de la diminution de la
production. De 11.461.010 francs en 1900, le com-
merce total des Anlilles .lanoises est passé, en 1906,
à 9.463.153 francs. Ce sont les e.vportations qui ont
diminué. A Sainte-Croix, la seule île qui vraiment
exporte et la seule que menlionnenl à cet égard les
slalistiques, elles sont tombées de 5.143.840 francs
en 19U0 k 1.097.657 francs en 1906. C'est que les
Antilles danoises n'exportaient guère d'autre pro-
duit que le sucre et le rhum, dont le rendement
était considérablement réduit. Il avait bien été fait
des essais de coton, mais les résultats ne pouvaient
être encore importants. Quantaux importations, leur
chiffre ne se trouvait pas sensiblement modifié.
Etant donné l'afi'aiblissement économique mani-
feste que sul)issaient les possessions des Antilles,
on voit facilement que le Danemark ait pu envi-
sager la possibilité d'en faire la cession à une puis-
sance qui filt plus à même que lui d'en tirer parti
et de les relever; en les conservant, il s'exposait à
une perle sans profit. Aucune raison hislurique,
aucun sentiment d'attachement ne pouvait pousser
le Danemark à rester maître de territoires loin-
tains, dont il ne tirait pins d'avantages réels. Comme
l'a fort bien dit, en 1909, Paul Gbemin-Dupontès,
3 ni, dans son ouvrage les Pelites Anlilles, a décrit
'une façon très précise la situation de ces iles, « les
Anlilles danoises sont pour le Danemark un legs
des temps passés, qui est devenu une erreur des
temps présents ».
Une puissance qui, au contraire, pouvait avoir
intérêt a acquérir ces îles, c'étaient les Etats-Unis,
qui savaient y trouver une position stratégique et
économique très avantageuse pour eux. Le Dane-
mark, disposé alors à se défaire de ses possessions,
engagea, en 1870, des pourparlers avec les Etats-
Unis. La population, appelée à donner son avis par
plébiscite, se prononça en faveur de la cession.
bans doute espérail-elle que l'Union américaine sau-
rait, en réorganisant l'administration des îles et en
y consacrant de nouveaux capitaux, faire revivre
les cullures et ramener la prospérité dans le pays.
Mais les Etats-Unis déclinèrent les pro positions faiies
par la Danemark, les trouvant trop onéreuse-*.
Une trentaine d'années plus tard, de nouvelles
négociations furent entamées entre le Danemark et
les Etals-Unis pour la cession des Antilles danoises.
Les opinions étaient k ce moment 1res partagées
dans la métropole sur cette question, et la popula-
tion paraissait plus inquiète des conséquences d'une
«• 123. Mai 1917.
dépossession. Mais, celle fois, les Elats-Unis élaient
plus que jamais désirfiux de réaliser celle acquisi-
tion. Ils venalenl. en 1900, de s'éliblir & Poilo-
Rico cl d'occuper les îles situées à l'esl : Culebra et
Vieques. Aussi les possessions danoises des Indes
occiilimlalcsolTraicnl-elles pour l'ICtat américain un
inléièt straléifique de premier ordi'e. Us pouvaient
craiiulre que quel(|ue puissance européenne ne
cherchât à les devancer et que, soit au cas de con-
flit, soit par Iraité avec le Danemark, le groupe des
îles danoises ne vint à passer en d'autres mains.
La possession de Saint-Thomas avait surtout un
grand prix pour l'Arnérique, car c'était un lieu de
ravilaiflemenl très sûr et un port plus accessible que
SanJuandePorto-
Hico et plus facile
à défendre. Mais
l'accord ne put se
faire ; ce fut la
Chambre danoise,
leLanJslhini,', qui,
en 191)2, refusa de
ralilier le Irailé de
vente passé entre
les deux gouver-
nements.
La question resta
donc en suspens, el
l'opinion publique
se montrant, au
Paneinarli, de plus
e.i plus opposée à
l'idée d'une vente,
le gouvernement
résolut de consa-
cri'rlousseselforls
à relever la silua-
lion des Antilles
danoises. Quant à
la population lo-
cale, son opinion
subissait l'induen-
ce des variations
qui se produi-
saient dans sa situa-
tion économique.
Le Danemark s occupa donc de réorganiser l'ad-
ministration des îles et prit des mesures pour tâcher
d'accroître leur production. De grandes surfaces de
l'île de Sainte-Croix furent livrées à la culture du
coton. Des capitaux importants furent affectés à
l'onlillage de la colonie. L'ouverture prochaine du
canal de Panama devait doimer une importance
nouvelle à lile de Saint-Tliornas en faisant de son
port une escale de relâche entre l'Europe et l'.Viné-
rique; aussi, eu 191 i, une société danoise fut-elle
créée en vue de l'amélioration el de l'aménagement
du port de Charlotte-Amélie. Les travaux étaient,
dans le courant de 1916, en très bonne voie d'exé-
cution. D'une façon générale, la situation économi-
que s'était quelque peu améliorée dans la colonie.
Mais un revirement nouveau devait se produire.
Malijré lintenlion nettement manifestée parle Da-
nemark de vivifier ses colonies des Indes occiden-
tales que, quatorze ans auparavant, il n'avait pu se
résoudre à vendre, un jour vint où la politii|ue amé-
ricaine triompha. Les Etals-Unis avaient la ferme
volonté d'acquirir ces Iles, qui, par leur position,
commandent les routes du canal de Panama et
celles d'im futur canal du Nicaragua et, cette fois,
le Danemark a fait le sacrifice de ses colonies. Les
avantages que peuvent procurer des ports ainsi si-
tués avaient é^'alement fait naître dans certains
milieux britanniques des velléités d'annexion, mais
aucune suite n'y avait élé donnée.
Le 15 août 1916, le Folkelhing a voté, par 62
voix conl e 44, le projet de loi relatif à la vente des
Antilles danoises aux Etals-Unis. Le roi Christian X
a signé, le iî décembre suivant, le Iraité concernant
celle cession. L'échange des ratificalions a eu lieu
le 17 janvier 1917 et le prix stipulé, soit 25 millions
de dollars, a été versé le 31 mars 1917 par les Etals-
Unis. Ceux-ci ont immédiatement pris possession
des trois îles danoises qui, désormais, s'appelleront
Virgin Islands. — Gustave RsaiiLspBiiaïa.
Cliauveau (Jean-Baptisle), vétérinaire, méde-
cin elpliy>iologi3te français, né le 23 novembre 1827
à Villeneuve-la-Guyard (Yonne), décédé à Paris le
5 janvier 1917. Ancien directeur de l'Ecole vétéri-
naire de Lyon, professeur honoraire au Muséum
d'histoire naturelle, inspecteur général honoraire
des services ^élérinaires, membre de l'Inslilut (Aca-
démie des sciences, 1886), membre et ancien prési-
dent de l'.\cadémie de médecine (1891), Chauveau
élait grand officier de la Légion d'honneur.
La longue vie de Chauveau fut une vie de cher-
cheur, d'homme de laboratoire et de vrai savant,
qui, dans toutes les branches de la biologie qu'il
étudia, occupa une grande place et dota la science
d'un nombre remarquable de notions nouvelles, bien
élayées et qui resteront. D'abord vélérinaire, il
entra à l'Ecole d'Alfort en 1844. Quatre ans plus
lard, ï sa sortie de cet établissement, il devenait
LAROUSSE MENSUEL
chef de service & l'Ecole vétérinaire de Lyon, où
il devait passer une grande partie de sa carrière.
En 1863, il y devint professeur d'analornie et de phy-
siologie, et il en fut nommé directeur en 1875. Déjà,
sa personnalité s'alfirmail par de beaux travaux.
Guidé par des principes de pathologie générale gu'il
professa tonte sa vie, il exposait qu'il n'y aqu une
médecine, dont les notions s'appliquent indifférem-
ment aux animaux et & l'homme et, lors du discours
qu'il prononça, en 1912, au centenaire de l'Ecole de
Lyon, il affirmait encore cette doctrine féconde pour
la science. Il fut un des premiers adeptes et prota-
gonistes des idées pasloriennes, donl il pressentait
depuis longtemps déjà l'exactitude, admettant que
La Banque ualioaale danoise, à Saint-Thomas. — Ph. Chusseau-FIaviens.
les maladies infectieuses sont altribuables à raction
de germes microscopiques figurés et animés, agents
spécifiques de ces divers maux. Ses éludes sur la
peste bovine, la vaccine, la gangrène, la variole,
découlent de ces conceptions el les confirment. Il
concourut efficacement à élablirexpérimentalement
la doctrine de l'alténualion des virus, d'où devait
sortir toute la vaccinalion anti-inleclieuse, et fut
l'initiateur de ladécouverte des toxines microbiennes,
qui est la base de la sérothérapie. La tuberculose
fut étudiée par lui de façon très assidue; il démon-
Ira son origine fréquemment digestive et combattit
la doctrine allemande, qui professait que la tuber-
culose de l'homme est dilTérente de celle des bovidés.
En rappelant la très grande part qu'il prit, jusqu'à
ses dernières années, à l'étuile de celte infection, il
est juste de noter que beaucoup de ses travaux
furent faits en collaboration avec son élève Arloing,
professeur à la Faculté de médecine de Lyon. En
1875, se souvenant des obstacles qu'availrencontrés
Pasteur, il tint à acquérir le titre de docteur eu
médecine el soutint une thèse sur la variole à la
Faculté de Lyon, alors qu'il était directeur de l'E-
cole vélérinaire.
11 quitta ce dernier établissement pour occuper,
au Muséum d'histoire naturelle de Paris, la chaire
de pathologie gé-
nérale. Dès lors,
tout en conti-
nuant ses belles
recherches sur
les maladies in-
fectieuses, il s'a-
donna tout parti-
culièrement à la
physiologie, dont
il fut un des maî-
tres incontestés.
Son œuvre phy-
siologique est
immense et ne
saurait être rap-
pelée en quelques
lignes. On nepenl
qu'en marquer
les grandes éta-
pes en citant,
tout d'abord, sa collaboration si féconde avec Marey.
Ils étudièrent ensemble de façon magistrale la phy-
siologie du cœur et le rythme de la circulation, ayant
inventé pour cela la méthode d'enregistrement des
phénomènes physiologiques, qui a révolutionné celte
partie de la science. Plus tard, il s'occupa surtout
des problèmes de la physiologie générale. Ses éludes
sur la physiologie dunmscle. sur les fonctions du
foie, sur le métabolisme du glycogène restent clas-
siques. Non moins précieuses furent celles qu'il en-
treprit sur l'alcool et sa valeur alimentaire. Au court
J.-B. Chauveau.
m
de ces recherches, il critiqua avec le plus grtnà nic-
cèa la théorie del isodynainie, qui admet qu'on t>oat
remplacer les uns par les autres les dliférents alU
ments qui donnent, en se con^umanl, le même total
de calories. Il combnttit ainsi de liés iieureuse faç.'^a
les dires de l'Américain Atwaler, qui eonsidérjU
l'alcool comme un succédan.'appréciahle de cerlains
aliments et comme un aliment utile lui-même
Chauveau resta jusqu'au dernier jour un actil et
un chercheur et, dans les derniers temps de son exis-
tence, il intervenait encore avec vigueur dans les
discussions de physiologie ou de pathologie générale
qui s'ouviaient àrlnstitulou àl'Académiede méde-
cine, où il élait respectucusementécouté. Il donnait,
d'ailleurs, avec sa stature restée très droite el sa tète
léonine, auréolée de cheveux blancs, l'impression
d'un lutteur sur lequel la vieillesse a peu de prise.
Il laisse de nombreux travaux, surlout des articles
et des communications où sont relatées ses expé-
riences etoù est condensée sa doclrine. Il faut citer
à ce propos ses publications sur l'immimiléet sur la
présence des microbes pathogènes dans le sang des
sujets bienportan,s(cequi est la buse delà doctrine
actuelle des porteurs de germes) et tout ce qu'il a
donné aux revues et aux sociétés savantes sur les
grandes questions de physiologie et de pathologie
que nous avons énumérées. Il laisse, en outre, un
Traité d'analornie compnrée des animaux domes-
tiques, qui nousmonlreenluinn analomislede haute
valeur (1856-1857), un Tniilé de physique biologique
qu'il dirigea en collaboration avec Gariel el d'Ar-
sonval. Il fut le fondateur de la Ilevue de la tuber-
culose et le directeur du « Journal de physiologie el
de pathologie générales >>. — D' Henri Boiouit.
Darboux {Jea.n-Oaston), mathématicien fran-
çais, né à Nimes le 14 août 1842, mort à Paris le
23 février 1S17. Après avoir commencé ses études
élémentaires dans sa ville natale, il les acheva au
lycée de Monlpellier et, en 1861, était reçu le pre-
mier à chacun
des concours de
l'Ecole polytech-
nique et de l'E-
cole normale su-
périeure. Mais sa
vocation l'entraî-
nait vers le pro-
fessorat, et il en-
tra à l'Ecole nor-
male, où il ne
larda pas à s'
faire remarquer,
autant par son
travail assidu que
par ses brillantes
aptitudes intel-
lectuelles. Pas-
lenrdisaitdelui:
« Ce jeune hom-
me se placera ra-
pidemeutaurang
de nos mathémaliciens les plus éminents. » Aussi,
lorsqu'il eut passé son agrégation des sciences ma-
thématiques, on le conserva à l'école, en qualité
d'aide-préparateur; il en profita pour faire des re-
cherches personnelles et fut reçu cfocleur es sciences
en 1866, avec une thèse remarquable : Sur les sur-
faces orthogonales.
En 1867, il élait nommé professeur de mathéma-
tiques spéciales au lycée Louis-le-Grand, mais il ne
devait pas resterlonglemps dans l'enseignement se-
condaire. Déjà, enls66-ls67, il avait suppléé J. Ber-
trand dans son cours de physique mathématique au
Collège de France el, en 1873, il était nommémaitre
de conférences à l'Ecole r.ormale supérieure, en
même temps qu'il était chargé, & la Sorbonne, du
cours de mécaniquerationnclle, en remplacement de
Liouville (1873-187><). Il devint ensuite suppléant de
la chaire de géométrie supérieure et enfin, eu 1881.
titulaire de cette même chaire, laissée vacante par
selle du décès de Chastes. Celte chaire avait élé
instituée spécialement pour l'illustre géomi'tre en
1846, et celui-ci l'avait si brillamment occupée que
la succession était lourde et périlleuse ; Darboux,
cependant, ne faillit point à la tâche.
Déjà, à cette époque, Darboux avait à son actif
d'importants travaux; outre sa thèse, il avait pu-
blié des mémoires: Sur les équations aux dérivées
partielles du second ordre (^1.s70); Sur une classe
remarquable de courbes et ae sur/aces algébriques
et sur la théorie des imaginaires (1873) ; t^ur l'équi.
libre asiatique (1877), etc. En 1876, l'Académie des
sciences lui avait décerné le grand prix de mathé-
matiques pour son mémoire Sur les sohilions sin-
gulières des équations aux dérivées partielles.
A partir de son entrée à la Sorbonne, les travaux
personnels du jeune professeur se multiplièrent, el
il en fut ainsi jusque dans les dernières années de
sa vie ; l'œuvre qu'il laisse est des plus considé-
rables. On peut dire qu'il a abordé les principaux
sujets d'analyse et de géométrie pure, liant en-
semble, de la plus heureuse façon, ces deux grandes
branches des mathématiques et donnant des soin-
Gaston Darboux.
112
décernait le priTh%!^t d%l2rLlT!:'. i' '"
celte même Académie nJurUa^^'" ":!*'"'"•« ''^
deK^l^it' c1e"A?e\' rœ'f,l^"7''^'''°X-
laitcréerde nSîes cTaïrJl^^'f °':^^
du P. C. N., etron L,7f nn '*"??" '.''"'^«'^"'''"enl
sidérable que la vôtre „ê'ain?nr.^^°'"V'^ aussicon-
de secrétaire perpétue de "AilH' *■"']"' '^°"<="°"'*
qu'il conserva^pTdan diVsit anT'q1f'.n'=''''l=^f'
'"pT;m7^:'s'?;:^f.fdu"°" ^'1 s;'d^vXPer„^
ceux que nous avons dé^àcTlé,"''n^''""^'"''^- «' «"""^
des surfaces, les surfa;esn.?h il" '°?.^':^Ph.iq"e
tro??i"/d'e' tblie?'\S:;^'r "' ''^ '"' " «^''i' -'-
de nnstructîonnnhli^n! > ' *"'"""' "^^ ministère
caré, qui avait éféneS/f «'^'f'^'' "«"" Po'"-
lèffué à 11 4nri.„r *".','''^"'^ et un ans son col-
élé appelés en même'i;?!''','!"" -^"""'^ «^"'«n'
entièi-ement ce Travail d^Inn" "T'. ''^J^ P'-^P"''*
faire l'objet de dix volumes ëfï: i'"''"''.','' ""•' """
savants et' ang-;"' g ['llfi' TA P'."!"":' '^"^ <=°'P-^
Londres lui av^Tt décerné a 'médaflfeg'vfv;?''''' "^
son œuvre en mathématique? Il avaH^lifl'"" ■"""■
en 1902, memhrp d„ r ,^ i , ^''^ nomme,
Desportes, llisf. et Un v pti ,. n^.
mécanique "es 'mrmo^rJr'"'1 '"'""émaTi^que et en
la surface des onXs?Pnn--'' ^y^'t'"^^ articulés,
séeladémonst?"tto^' pPa7a"lTé'irg?am3f'?^'''"
avec sa méthode n.rnfr,';''""''''"e^^'=iences,
fonctionsde'7ands'",o^nbr"' ' ='PP'-'>-""^"on des
meTt^t de%'a"re"Dri;orn ''' ^l'^'""^'- "■■''-• P-
maliciens du Sie. siède'^ S?,' t'^"'^'^' ■""«'é-
etJ, Tannèry Pa mil«^,h1il=?-'''''*"'''.r'<^ """«•
à part, citons S» If /?f '""".''" ■' « données
SM^^^«e classe renia" ounhlT^/Ii'^^S''^ ^'*"2 !
algébriques imlv%irrJ^,rK°''''''^' ?'^ «««-/«ce,;
théorie générale rf^9c(, .a,' 7 '/^P""* *"'' '«
géométriques du calcul iZ'ul- '/ ypUcalions
cation, commencée en 188/ "éomnT'i'f"® P"''""
et représenta :'ensemble rie,' r^^^*^ ""''r * ^"'"'"es
Sorbonne,danssonTnn.<rHf r"'.P':°fe'^*«s à la
en fait, c'est un ma«?staMpff,rH"'!?'"P'^"'^'"'e;
nos connaissances , m iJ !"'.'.*•''''. ' «"semble de
Le premie volume cômnrfnri'"^'■'";"v'''^^
données curviUmes^^rfT ^?«f ''«'''««•- Coo,--
dite en 1914 Te 'éco"f ?//"'"''«<'(!' a été réé-
Eqiialions linéaire! nn^'n- Ç'"'^''"''»«e« et les
réédité en 19 eTïe tro^slèmp""/"' '""•''■««^*- a été
e< co«,-iwre «dôrfe-,,„,?i p^'' ' l^}9nes géodésiques
morrnaliorc^slTracfs^^X^^^^^
quatrième: X>eTorm«/Jnl.!'/ ■ ^''''^ en 1914; le
publications, citons éncorp ■ P/,,,^ 1«96. Parmi ses
HU Co„grès'drs1det*es^'rdfs7rts"k'^'- ?, l'-*^*
(190.i); /.epon«««r/"/«L/i,„i„,^!! ^ Samt-Louis
coordonnées o«r„,7,7„e? ^f ° f,-;-^--- «' '-
La?r?„ï:;Ta'=Lt^X'n^''"'^''«'----de
avec deVmarquâwes not s d"eT, """^«"«.édition,
tique de Bourdon fs<inr»f' •* f éométrieanaly-
deDespeyro, s On ImdnLLf"'" ^^ '» niécaniqJe
faite souJles ausni^^es dn^f "^"î*""' "."« Publicatiin,
publique, des Ss scienMnn,'fi"J i" '''^«'■•"'^tion
1888-189Ô), gi^'""^«"<='en''nque3 deFourier(2 vol,,
mè'^rf ii''fut"al!:s! u^rm'of ""*"' "" ^''^='"' ^^o-
foude ' érudition oïnte'^Tfn'"'' '^■"'^'■"''- ^a p.o-
d'exposition, rëndat sp, l"" '■^'"a,''q"able talent
et les théori'es ardues qu'il d^é''vP.n"'"-.1""''y''""^^'
élévesétaient toujours exposéet.îé?»'"" •''"'■''"' ^''^
et avec une lucidité narfaffp 1» ''','^°",'mpeccable
-nvers ses collfguL'^ët raméni,'?'"'''''"-';,''*'''*''^"'^
sut montrer à se^sTombreTx ^ L,' i"-''"''-"''' ''"'"
■•<^-Vnn. et la considSn généraiVs"' '""'"' ^"'^
*a^e?.''lfàMe" caraTtéri^éJ"- ^'f ^"^'''^ ^** -«-
fausses memU^ef^t^t^
îrac'hiret dVS^halr"-''""^ ^"P--- ^' "^
pI.;7c^j:nmu'ne^Va™i''cdi:s^' "ratl" "^"'fr '''
seaux de basse-cour à fovL^r ^"'"«■nent les oi-
oiseaux aquat ques et il n'enT>!r' '=«?''"''''"'. des
tant de ra^va„4,"T%s VonUgieuse ëKsl'ni?"^''
lierement grave pour les eunp. r '„ i n ' P*,''''eu-
casionne est apparenté au hanilV»^'"'!"^'ï""'°'=-
' Lath",^ des"p ™onir'no"t'a;î,^^e;?'"" (^"-^«^
ne^p\rt'tënTp\ ^:u?;:Srf uT^il^i^^ f -- «' ""'
plus souvent, 4lle débu^p n=^ diagnostic exact. Le
l'altération des muquëure: ^'^1^ ï ',""' •'^'^
respiratores et les^ voips Hi/lif- .^''^ ^°'es
insidieuse, l'oiseau est /n d'Ini "'' '*'."' cette forme
«• J23, Mai /9»7.
brûlant ou bien en lerpnfpV.,;. ^l'-'P",'''"''' ^" '"■
^ans les avoir recouvertes Xi'"' °"'^""^'"'' """
«ées d'acide sulfuriqÙe "est d^s -' '■''' "" ■■"•'"-
est indispensable p2ur la Sécurité rip°"''' T''^'^'
cependant, traités dés Ip, n^»- ^'^ «^on^éntres;
voîatiles peuvent êfre guéris ""''■' ^^""P"^'"^^ '«
la mafadfi.ll Cu°n:o7er''rnr''' '^î ''^^'''"''^' ""
lieu parle contaciéui mi, T 5"'^ '« contagion ail
de toutes man^rcs ïéTaraueri?""'''''!'^^'^"''''''-'
gelles, nids etr c; ,,P*'^1"<^'' les perchoirs, au-
faut, Ces' a oil" fvincé fp,' 'n ' '" P^°d»i3e'nl, il
lran.sporter toute la nonuHinn T"''''*" malades,
meure et procéder à m^p ni • r''"."-^ ""^ ^"'■•e de-
ponlaillcr et de oi.s les ustensilp''n °"> •=°'7'^"' ^"
«•et effet, on utilise iVannhln? ^" '' •"eifcme. A
en pulvérisa" ons IvZm^nnlT' "^'^^^^' ¥°^^^'
bouillante les cloisonrn2..S-'^''' P"''*'^^ àlalessivè
le sable des pa^^'uds ' IZ,Z"' '"■ °" '•«"onvelle
de désinfectant ?)n peu? âuisîf^trH"'", ^».a'«'"<^"t
sulfureuses et am.ser le sol /vi '^'' '^"migalions
sulfate de 1er (à 30p VoOO) ' ""' '°'""°" 'i*
Io^ÏM^;^ril;S.:;^i;;^-nJ-p,^dansun
pétrie a'vec du beurre pu i^°"'!"«^''?"'ie de pain
ce traitement, on commencé iacaulé^^lr '""if "P""^''^
poisonnement^e I^'rgaSe ''"'''''"'^ '' ^ ''<'"'-
ii=^:r/g^:rflisS~
ie|^Su^^1î::;ë^^^:;^^;j;;i-;[:f-eo^^
vol^^^^î^^^îJ^^^Sui Pf ^' ''^7'«"- ""
pas donné de ré/idUts t. ' r • "* '.'' "î"'"''''^ "'""'
inco^rt^ro.?vé^,°!!iL':;ff-r "•""*- "'-' p-
f^
KL'';:i';'?:rntruit?nf-'f '?^'^°^« ""'^""'^ ^emi.
points (paroiVe l'LToSf •fi?'^"^?' f" '1"^'^''«"'«
sinus orbilaires iabT p,f ! '^'^' "'''''^""' ""-eiHes,
liysles, petites mais. ' '^''^ );,fo™ent ries sortes dé
.i.^màtre'd tnTTa'g™ leZ'neùl'"'"*-^' "r""'''"'-
d ■•Pingle à une noix ÏÏs sont 11 '"''''' '' """ '^'^
sans doute, quVla n/riodp r '^ T '"".'"«/i-'ulents,
menaçants toujou?s^ar1î n'„f' """"^ demeurent
évolution provoaue uhp L.?,^' Pa^'■'"■e que leur
après la pr^mièrraltaquo "^"^ P'"^'^"-"^ '"«^^
— ' du réseau Etat, qui
aboutissent aux
trois gares tei-irri-
nus de Saint-I,a-
zare sur la rive
droite, des Inva-
lides et de Mont-
parnassesurlarive
gauche. Leurdévp-
loppemenl total al-
teintodokilomèlrcs
de voie simple en-
viron et augmente
sanscesse,parsuile
de la construction
de raccordements,
doublements de li-
gnes et voies nou-
velles, telles que
la ligne de iMont-
Parnasse à Char-
tres par Gallardon
■•nroite, am différentes heures.
1 3^ï=:=ïïSSfSiS«S
N- 123. Mai 1917.
chaque voie, à la gare Saint-Lazare. Cette intensité
peut être considérée comme la limite acceptable
avec l'emploi tles locomotives à vapeur. Dé.'î qu'elle
est dépassée, on se heurte à des difficultés énormes,
qui se traduisent par des irrégularités et des relards
considérables.
11 faut donc, de toule nécessité, si l'on veut pou-
voir l'aire face à l'augmenlation inévitable du trafic,
prévoir un aulre mode de traction plus rapide que
la traction à vapeur. La sohiïion de ce problème est
donnée par la traction électrique, qui a sur celle à
vapeurles trois principau.\avanlages suivants; 1" vi-
tesse commerciale plus grande; — 2° réversibilité
des rames (les Irains pouvant marcher dans les den.v
sens, d'où suppression des circulations de locomo-
tives aux terminus et gain de temps considérable);
— 3° départs plus fréquents.
Déjà, en 1908, l'ancienne compagnie de l'Ouest
avait élaboré et fait approuver un projet de travaux
comportant la modilicalion de la gare Sainl-Lazare
par l'adjonclion d'une gare souterraine et l'élpctrili-
cation des lignes de Saint-Germain et d'Argentcuil,
qui devaient être desservies par cette nouvelle gare.
L'ensemble duprojet pré voyait unedépense de 100 mil-
lions de francs.
Les chemins de fer de l'Etat ont remplacé ce plan
incomplet par un projet plus vaste et plus conforme
LAROUSSE MENSUEL
Les trains desservant une zone ne s'arrêteront pas
dans les autres, .«auf aux stations extrêmes, afin de
permettre le trafic entre les stalions de deux zones
différentes. Ce trafic est, d'ailleurs, très faible :
2 p. 100 environ du trafic total.
Pour apprécier l'amélioration qui sera réalisée par
ce système, disons nn mot de la situation actuelle.
Malgré l'utilisation, poussée jusqu'à la limite, de
la traction à vapeur, la fréqui-nce des trains sur
certains parcours et leur vitesse moyenne générale
sont restées insuffisantes. D'autre part, malgré l'im-
portance du matériel employé (plus de lôO locomo-
tives et 1.500 voitures représentant un capital d'envi-
ron 3.Ï millions de francs), l'utilisation moyenne des
places est encore défectueuse (20 p. 100 environ). Le
tonnage transporté est considérable : 1.260 millions
de tonnes-kilomètres par an, et les dépenses an-
nuelles dépassent 8 millions de francs pour un par-
cours de 5.500.000 trains-kilomètres.
Le principal avantage delà traction électrique sera
de permettre une meilleure utilisation des quais et
des circulations plus fréquentes par la suppression
complète des manœuvres, les tiaiiis étant composés
de voitures toutes automotrices, ou avec remorques
intercalées, comme au Métropolitain de Paris.
Déplus, les vitesses de démarrage et de régime
seront augmentées, et la capacité des lignes s'en
113
tion électrique employés et des conditions parli-
culières du problème a conduit à rejeter tous le;-
systèmes comportant la prise de courant aérienne
et à adopter l'alimentallon des moteurs par courant
continu à 600 ou 700 volts, avec prise du courant
sur troisième rail en acier, placé au niveau du sol
sur isolaleurs. L'équipement des voitures est ainsi
rendu plus léger, moins encombrant; les démar-
rages .sont plus rapides, et l'énergie consommée est
moindre qu'avec d'autres systèmes de distribution.
Enfin, ce système offre le maximum de sécurité de
fonctionnement et permet, en oulre, l'alimentation
des appareils de manutention et d'éclairage situés
sur le parcours des lignes électriques.
Les voitures portent sur l'un de leurs bogies
deux moteurs de 250 chevaux chacun, ou bien
deux moteurs de 125 chevaux sur chaque bogie,
suivant les constructeurs. Ces moteurs sont tous
commandés par le système de contrôle dit « à unités
multiples ». Leur poids à vide varie suivant les mo-
dèles de 50 à 75 tonnes, soit de 60 à 85 tonnes en
charge normale. La dépense moyenne d'énergie
s'élèvera à environ 50 watiheures par tonne-kilo-
mètre pour la ligne d'Anteuil et 30 à 40 watt-
heures pour les antres lignes, où les arrêts sont
moins fréquents (40 à 45 wattheures sur la ligne
des Invalides à Versailles, longue rampe de 10 mil-
r
iciz) cm (zz! (=1 dz: czD
I 1 1 I izz] izzi CZ3I itzn izr]imi — ii — i r — 1 1 — 1 1 — ii — ii — ii — ii — ii — i
D
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D
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1. Voiture motrice, longue de 21 m. 90 : A, bogie moteur; B, bogie non moteur. — 2. Plan de l'intérieur do la voiture contenant 100 places assises : D, premières {!6 places de banquette
et 10 strapontins); O, secondes (48 places de banquette et 2ô strapontins); E, cabines; O, conducteur; II. bagages.
aux futures nécessités du trafic. Ce projet, qui est
dû principalement à Mazen, ingénieur en chef du
matériel de la traction, est actuellement en cours
d'exécution. Il comporte :
1» Le remanifMui'nt complet de la gare Saint-
Lazare, avix la séparation des services de banlieue
et de grandes lignes;
2° La suppression des quatre tunnels des Bali-
gnolles et leur remplacement par cinq groupes de
voies nettement spécialisées : le i"' aux circulations
sur Autenil elle Chami>de- .Mars; le 2' surVersailles,
Les Moulineaux et Marly ; le 3« sur Sainl-Germain
et Argenteuil; le 4' sur .Mantes et les grandes lignes;
le ô" groupe est réservé aux circulations des ma-
chines et (in matériel à vapeur;
3° L'éleclrification complète des lignes de toute la
banlieue ouest, c'est-à-dire la substitution pour ces
lignes de la traction électrique k la traction à vapeur.
Les lignes électrifiées seront les suivantes:
I. Lignes parlant de la gare Sainl-Lazare :
1" Paris à Auteuil et auChamp-de-Mars; 2° Paris à
Versailles, rive droite, avec prolongement sur Ver-
sailles-Chantiers; 3° Paris à Issy-Plaine par Les
Moulineaux; 4° Paris à Saint-Nom-la-Brelèche par
Marly; 5° Paris à Sainl-Germain et Saint-Germain-
Grande-Geinlure; 6° Paris à Manies par Achères;
7" Paris à Manies et à Pontoise par Argenteuil et
ConOans.
II. Ligne partant des Invalides : Paris à Versailles,
rive gauche, par Meudon.
lU. Lignes partant delà gare Montparnasse:
Paris à Sainl-CyrclTrappespar Versailles-Chantiers;
Paris à Orsay par Sceaux (cette dernière est en
construction).
Comme le trafic diminue à mesure que l'on s'é-
loigne de Paris, il a été décidé, pour obtenir une
plus grande vilesse et une nieillenre utilisation du
matériel roulant, de pratiquer l'exploitation par zones.
A cet effet, toule la banlieue ouest est divisée
en trois zones : la première s'étend de Saint-Lazare
à Argenteuil et IJecon-les-Briiyères, des Invalides
à Meudon, de Montparnasse à Clamarl et Sceaux ;
la deuxième zone va de Bécon à Saint-Cloud et
Garches, de Bécon à Rueil, de Meudon à Versailles,
de Glamart à Bellevue et de Sceaux à Orsay; la
troisième zone comprend le reste des lignes.
trouvera accrue de 10.000 à 40.000 voyageurs à
l'heure par ligne à deux voies (20.000 voyageurs, en
ne comptant que les places assises). C'est dire
qu'elle sera facilement doublée.
Les 20.000 voyageurs de banlieue qui parlent de
Saint-Lazare à I heure la plus chargée (entre 18 h. 30
el 19 h. 30) se répartissent ainsi entre les trois zo-
nes : l'« zone, 7.000; 2" zone, 8.000; 3« zone, 5.000.
En prévoyant 4 trains à l'heure, auxquels il faut
ajouter 20 trains pour la ligne d'Auleuil (3.500 voya-
geurs), ce qui porte le trafic global de la banlieue
rive droite à 80 Irains à l'heure, le trafic exigera
au moins 8 voies électrifiées, dont 2 pour Auteuil.
En y ajoutant les 2 voies de grandes lignes et les
2 voies de manœuvres, ou arrive au total de 12 voies
d'accès pour la gare Sainl-Lazare. L'enlèvement
des tunnels des Balignolles el la construction de
la gare souterraine permettront l'installation de ces
12 voies sans élargir les emprises du réseau à l'in-
térieur de Paris,
Lorsque toutes les installations nécessaires seront
réalisées, le trafic sur ces 6 lignes se répartira ainsi ;
1» [..igned'Auteuil etChamp-de-Mars 280 trams élect.
2° I..i^^nes de Versailles, Marly. Les
MouUtieaux 330 —
3° Li;ines (le Saini-Gcrniain et Ar-
genteuil 350 —
4" Lignes de Mantes 295 —
^<* Grandes lignes 50 trainsàvap.
6* Matériel el machines 50 —
La nécessité de l'emploi de voilures électriques
motrices pouvant consliluer des Irains d'une, de
deux, trois ou quatre voitures suivant les besoins, a
conduit à adopter un lype unique de voitures com-
prenant deux classes el un fourgon (le transport
des messageries sera fait par des Irains électriques
spéciaux). Iles voitures sont analogues à celles du
Métropolitain, quoique plus vastes et entièrement
métalliques. Elles comportent un couloir central et
des plates-formes pour les voyageurs debout et une
centaine de places assises. Chaque train est con-
duit par un seul machiniste et accompagné par un
conducteur. Le service normal pourra être assuré
par 240 voilures seulement et le trafic exceptionnel
des dimanches et jours de courses par 320 voitures.
L'étude raisonnée des différents systèmes de trac-
limètres) [Métropolitain : 70 wattheures]. L'énergie
totale consommée par an pour un milliard de tonnes-
kilomètres sera d'environ 40 millions de kilowatts,
y compris les pertes en ligne inévitables.
Cette énergie sera fournie aux voitures par une
série de sous-stations qu'alimentera un réseau à
courant alternatif 15.000 volts, venant des usines
génératrices.
Chaque sous-slation comprend deux parties :
1° une sous-station de traclion transformant le cou-
rant alternatif haute tension en courant continu
650 volts pour la traclion à l'aide de groupes con-
vertisseurs et de conimutatrices de 1.000 ou 1.500
kilowatts; 2° une sons-station locale d'éclairage et
de force motrice fournissant le courant nécessaire
aux gares, ateliers et dépôts de la région. La puis-
sance installée varie de 2.000 à 9.000 kilowatts
(Asnières et BatignoUes) pour les sous-stations de
traction et de 2.000 à 2.400 kilowatts (BatignoUes)
pour les stations locales. La distance entre les di-
verses sous-stations varie de 3 kil. 800 à 8 kilomè-
tres, suivant l'intensité du trafic, de sorte que la
tension d'alimentation de la ligne ne varie pas de
plus de 5 p. 100 en plus ou en moins de la tension
moyenne. On a, d'ailleurs, prévu une extension
possible de 50 p. 100 de la puissance adoptée. La
puissance globale installée sera de 75.000 kilo-
watts (près de 100. 000 chevaux) et le rendement
moyen de 73 p. 100, avec un coefficient de char^
de 20 p. 100.
Les sous-stations sont alimentées par un réseau
de câbles triphasés souterrains à 15 000 volts,
25 périodes par seconde, les reliant aux deux usines
centrales Nord et Sud. La tension de 15.000 volts
a été admise comme étant la limite adoptée pour
la construction des alternateurs fourni.ssant direc-
tement cette tension. Elle est, d'ailleurs, employée
couramment et présente toute sécurité pour la
construction des cables. Chaque sou.s-station est ali-
menlée par deux càhlesau moins. La longueur totale
(In réseau haute tension atteint 333 kilomètres.
Les usines centrales produisant le courant d'ali-
mentation sont au nombre de deux. La premièiv
en date est relie des Moulineaux, (iiii alimente la
li^ne des Invalides à Versailles. Elle comprend
neuf anciens groupes de 800 kilowatts à 5.500 volts.
114
fournissant la puissance actuellement utilisée. Cette
usine vient d'êli'e prolongée et complétée par l'ins-
tallalion d'un b&Ument nouveau, (|iii coniprondra
trois nouveaux groupes éleclrogèiies de 3.U00 kilo-
watts à 15.750 volts, avec l'empliicement nécessaire
Eourun qualrième. Des translormaleiirti permel Iront
1 marche en parallèle de ces deux parties de l'usine
avec l'usine Nord. Celle-ci vient d'être construite
également au bord de la Seine, il proximité de la tèie
sud du pont de Bi'zons (ligne de Paris au Havre).
Elle contiendra quatre «roupes tnrbo-allernateurs de
5.00U kilowatts à l.ï.750 volts, soit 20.000 kilowatts,
avec extension prévue à 40.000 kilowatts.
En dehors de ces installations, on a prévu, pour
assurer le remisage et l'entretien du matériel :
1" une série de fosses de visite réparties dans les
sections et dont la longueur totalisée dépasse
1.000 mètres; 2" des remis.iges clos et couverts
pouvant contenir toutes les voitures ; 3° des ati'liers
lie grosses rjparations installés à La Garonne-Be-
zons et pouvant recevoir 50 voitures à la fois.
Le prix lin kilowatt à la sortie des usines sera d'en-
viron 5 centimes, soit, pour 5.ï millions de kilowalts
par an, environ 2 750.000 francs. Le prix à l'entrée
des voitures s'élèvera h 3 500.000 francs environ,
soit 9 centimes par kilowatt réellement utilisé. Les
LAROUSSE MENSUEL
travaux. Toutefois, ceux-ci sont poussés anssi acti-
vement que le permettent les circonstances : les
usines centrales commencent à fonctionner et li-
vrent même le courant électrique à des usines
travaillant pour la délense nationale. Les sons-
slations sont mises en service les unes après les
autres. Quant aux voitures automotrices, la plupart
d'entre elles avaient été commandées aux ateliers
de Jeiirnout (Nord) et allaient être livrées en 1914,
quand l'ennemi envahit notre territoire. Elles sont
actuellement entre ses mains, en attendant de faire
bientôtretouràleurpremièredeslination.— J. damiem.
Sternelle Allemagne (l"), par 'Victor Bé-
rard (Paris, 1916). — Victor Bérard connaît la po-
litique européenne. On n'ignore pas les livres qu'il
a consacrés auirefois à l'empire turc, ceux où il nous
a montré l'attitude de Guillaume II à l'égard de la
France. Les pays dont il parle, il les a traversés, et
il y a vécu; il sait leur histoire. Il a rencontré
quelques-uns de leurs personnages les plus notoires.
Il a vu, il a entendu, et il a retenu. Revenant au-
jourd'hui h l'Allemagne et la considérant d'ensem-
ble, il la dévoile telle qu'elle fut toujours, telle qu'elle
était encore à la veille de la guerre. Son expérience
de ces pays, les connaissances qu'il en a lui donnent
frais d'entretien et de personnel feront monter les
dépenses d'e.xploilalii)n à 9 millions de francs en-
viron, soit 0 fr. 60 par kilomètre-train et 0 fr. 01
par tonni'-kilom'lre. Le nombre des kilomètres-
trains sera nortè, de 5. 300. "00 avec la traction à
vapeur, à 15 millions avec la traction électri(|ue, la
dépense nnimelle d'exploitation restant sensible-
ment la même.
En résumé, l'éleclrincation permettra, sans aug-
menta ion sensible de.s dépenses d'e.xploilalion, un
trafic trois fois plus intense, avec des départs quatre
ou cinq fois plus fréquents et une vitesse moyenne
presque doublée.
Le programme comnlet enlraîne à des travaux
considérables : l'établissement de deux voies nou-
velles entre Paris Saint-Lazare et Bécon, le dou-
blement des voies de Paris à Mantes par Poissy et
d'Asnières à Ar^'enleuil, l'établissement du raccor-
dement de Poteaux à La Giirenne et vers Achères,
la moilificalion, pour les quais hanis de 85 centi-
mètres, de toutes les gares de la banlieue, l'Orga-
nisation des terminus de zones, le remaniement
de la gare Saint-Lazare, enfin la suppression du
tunnel des Balign 11 's et la construction de la gare
souterraine de Saint-Lazare.
Le programme comporte donc, naturellement,
plusieurs éiupes permettant d'éihelonner les dé-
penses en les proportionnant aux besoins immédiats
.'u trafic. La premi''re partie du programme com-
prend l'électrification de la petite baidieiie : Paris
à Auteuil-Champ-de-Mars, Piirisà 'Versailles, Marly
et Les Moulineaux, Paris à Saint-Germain et Argen-
teuil et les raccordements Puteaux-La Garenne et
Asnières-Bois-Colombes. La dépense totale, d'après
les dernières évaluations, atteindra 140 millions de
francs environ pour cette première partie, dont
85 millions pour l'électrification proprement dite.
Le programme complet entraînera une dépense su-
néneure à 200 millions de francs.
La premi're partie du programme aurait été
complètement réiilisée en 1920 et l'ensemble quel-
ques années plus tard, si la guerre n'était venue
suspendre les marctiés et retarder l'eiéaulion des
une autorité singulière, et son livre est une contribu-
tion précieuse à l'histoire des origines de la guerre.
On a souvent discuté les motifs qui avaient décidé
r.Mlemagne à prendre les armes; on ne comprenait
pas pourquoi elleavait mis brusquement au jeu tout
son avenir, alors qu'une paix prolongée ne pouvait
qu'augmenter sa puissance et accroître sa prospérité.
El, s'il en était ainsi en effet, le geste impérial appa-
raîtrait comme le geste d'un insensé; mais, ne
voyant que la façade, nous ne savions pas ce qui se
passait au cœur de l'Allemagne. L'empire se trou-
vait à la veille de la ruine; il a pensé y échapper
par une guerre européenne. Alors, tout s'éclaire
dune lumière nouvelle. Cette lumière,'Victor Bérard
nous l'apporte.
Ce qu il veut nous montrer, ce ne sont pas les
causes immédiates du conflit actuel, mais les origines
profondes et, notamment, dans ces origines, le rôle
de la politique impériale. Et, pour que nul ne puisse
douter de sa véracité, il a pris comme guide, dans
ce voya-'C outre-Rhin, le seul chancelier qu'ait eu
l'empire d Allemagne depuis le prince de Bismarck,
de BUlow.
On se souvient qu'un an h peine avant la guerre,
celui-ci, après quatre ans de recneillcment et de si-
lence piissés sous les ombrages d'une villa romaine,
publia sur la politique un livre qui restera " comme
l'un (les témoins (le l'histoire germanique à travers
les figes». Et, sans doute, en écrivant cet ouvrage,
de Bulowse proposait de défendre la politique que,
pendant douze ans. comme ministre ou comme
chancelier, de 18i)7 à 1909, il avait dirigée, mais il
voulait surtout, en prolongeant son action politique,
mettre on garde l'empereur et l'empre contre les
dangers qu'une politique trou personnelle faisait
courir à la fragile unité de r.Mlemagne. Lafr.ngilité
de cette unité, ce n'est pas là la moindre chose qui
apparaisse en son volume.
Il Le principe fondamental de tout le droit public, à
Rome, dit Enstelde Coulanges, était la souveraineté
absolue de l'Etal, de la chose publique, res puhlica. »
La dilTérence londamentale nui existe entre l'em-
pire romain et la Germanie, c est que l'Allemagne
N' 128. Ma/ 1817.
n'a jamais pu parvenir au rang d'Etat. De la reapu-
é//ca romaine dépendent presque tous les peuples de
l'Europe, qui ont tous le même sens, la même notion
de l'Etat. Il n'en est pas de même des Germains :
Etat et nation, empire et res publica, n'ont jamais
été à leurs yeux synonymes.
Les peuplades germaniques n'ont jamais pu se
constituer en Etat; elles n'ont j:imais lormé que
des groupements parlicnlaristes. C'est ainsi que la
nation allemande actuelle comprend quatre royau-
mes, six grands-duchés, sept principautés, trois
villes libres, chaque peuple conservant sa souve-
raineté législative et l'ensemble de ces peuples vi-
vant sous le bon plaisir de l'empereur, contrôlé
par le Bundesralb. Ce conseil de l'Alliance n'est,
d'ailleurs, qu'un congrès permanent de diplomatie
interne, analogue à la Diète de l'ancien empire
romain-germanique.
Associalion religieuse et armée disciplinaire, tel
est, et tel fut toujours, l'empire germain. Les idées
que nous y rencoi. Irons au xni« siècle, nous les re-
trouvons au xx« siècle. L'Etat, chez les Germains,
n'est ni le lien juridique, ni le territoire héréditaire;
ce n'est pas la réunion d individus dévoués à une
nation. « L'Etat n'est qu'un pouvoir créé par la
force, un domaine coni|uis par la force, un agrégat
maintenu par la force, un enclos et un troupeau sur
lequel s'exercent la tyrannie d'un maître et l'exploi-
tation de son peuple sous le bon plaisird'une dynas-
tie établie et maintenue par Dieu. »
L'association allemande ne se produit qu'en vue
de goûts ou de besoins à satisfaire; et toujours, même
au moment ou elle semble le plus intimement unie,
elle garde des tendances séparatistes. Quelles sont
donc les raisons de cet état de choses?
Celte vie en associations luttant sans cesse les
unes contre les aulres n'a-t-elle point sa cause
dans la structure physique de la Giimaide? La
Germanie était couverte de l'orêls et, par suite,
pleine de périls secrets. La vie y était libre, mais
de la liberté de l'animal sauvage, qui a sans cesse
à se défendre et qui est toujours prêt à attaquer.
C'est la lutte incessante pour la vie. U s'agit d im-
poser sa force au voisin, ou de subir la sienne.
Les guerres sont continuelles; elles s'achèvent
par des tyrannies; et ces tyrannies sont assaillies
de haines et de défiances. Les vaincus sont la chose
des vainqueurs.
Sans doute, les nations germano-latines d'Italie,
d'Espagne, de France et d'Angleterre se partagèrent
pendant de longs siècles entre les tendances ger-
maniques et les tendances romaines; ces dernières
finiient par l'emporter. Mais, en Germanie, l'esprit
germain demeura intact. L'Allemagne du Sud resta
soumise à l'influence latine, mais l'Allemagne du
Nord lui a imposé son empire; et de Biilow perce-
vait bien le conflit latent qui existait entre la vie
gouvernementale prussienne et la vie inlelleciuelle
allemande; il cherchait une conciliation, mais il ne
voyait rien à changer d.ins l'Etat prussien, car y
toucher serait détruire l'empire; et il concluait que
c'était l'esprit allemand qui devait être modifié.
La tentative des Holienzollern n'est que le renou-
vellement d'une tentative faite plusieurs fois déjà
dans les siècles passés. Un pouvoir unitaire n'a ja-
mais pu se maintenir en Germanie qu'en essayant
d'étendre sa puissance sur les pays voisins. Lorsqu'il
a échoué, il s'est écroulé; et ce fut toujours ainsi
que cela finit. Qu'on se souvienne des llohenstaufen
au moyen âge et des Habsbourg dans les temps
modernes. Où tous ont échoué, les Hohenzollern
peuvent-ils réussir? En tout cas, pour se maintenir,
ils sont ol)ligés de suivre la voie indiquée par leurs
prédécesseurs. Ils l'ont suivie, mais, cette fois en-
core, ils aboutiront à la ruine de l'empire.
Il suffit de parcourir l'histoire de la Germanie
pour la voir tour à tour la plus disciplinée et la plus
anarcliique des nations. Disciplinée, elle ne l'est
que sous un chef de guerre en campagne. Il faut
qu'elle soit sur le qui-vive, il faut que les bostilîlés
soient ouvertes pour qu'elle demeure unie. De s nue
la paix se prolonge, tout se désagn'ge, et les dilTé-
renls peuples qui la composent se retournent les uns
contre les autres. La nationalilé germanique n'existe
et n'a de conscience d'elle-même que dans la guerre
contre l'élranger; et c'est bien pour cette rai.son que
les théoriciens, les louangeurs de la guerre sont
toujours sortis de Germanie. L'Etat, par suite, n'a
jania s été que militaire. Aussi, pour que l'Alle-
magne cesse d'êlre à craindre, il suffit, mais il faut,
que la Prusse disparai-se. Le chef de l'Elat, même
quand il n'y avait pas la guerre, a dii maintenir son
peuple dans une atmosphère de guerre. De là les
cortèges, les spectacles, les musiques militaires
auxquels nous avons assisté si souvent depuis qua-
rante années et par lesquels purent être empê-
chées les guerres civiles, lamiliales ou religieuses.
La devise romaine élait « l'unanimité de la paix
romaine ■>; on peut dire que la devise germanique
est " unanimilas belli liumuni ».
Sous Bismarck, l'empire allemand avait acquis
une apparence de régime moderne et constitutionnel;
sous Guillaume II, il redevint purement féodal.
L'empereur actuel cbercbs ses modèles non pai
«• 123. Mai 1917.
en France et à la cour de Napoléon !•', mais chez
les Otlons et les Hohenstaufen du moyen âge.
Bismarck avait trouvé l'Allemagne rassasiée de
libertés germaniques et aspirant à une liberlé fran-
çaise. Napoléon lui avait montré la voie; les diplo-
mates du congri-s de Vienne avaient essayé en vain
de la lui fermer. Bismarclt utilisa la Révolution
française, comme jadis Luther avait utilisé la Ré-
forme. Représentant de la Prusse à la Diète prin-
cière de Francfort, de 1851 à 1859, il prépara son
plan, qui était d'enlever à l'Autriche son influence
dominante en Allemagne, pour la donner à la Prusse.
Il élabliten même temps les moyens de leréaliseret,
lorsque, après avoir joué savamment de cette crainte
et de celte envie que l'on retrouve à l'origine de
tout mouvement germanique, il eut constitué l'em-
pire allemand, il n'eut plus qu'un but: le maintenir.
Deux faits pouvaient l'ébranler : une revanche
étrangère, un revirement allemand à l'intérieur.
Ces deux craintes dominèrent toule sa politique.
Aussi ne s'occupa-t-il <jue de l'Europe, et refusa-t-il
pendant longtemps d entreprendre une politique
coloniale. Si, par une défaillance singulière, il se
laissa entraîner, en 1884, au Togo et au Cameroun,
il sut prévoir, du moins, les conséquences fâcheuses
qui en résulteraient et, notamment, la rupture d'équi-
libre européen qui ne manquerait pas de se pro-
duire. C'est là qu'il faut voir l'origine de la chute
de Bismarck et de la campagne menée contre lui
par les paufcermanisles et autres théoriciens de la
« Plus grande Allemagne ». Son renvoi n'émut en
aucune façon l'opinion publique.
Et, pourtant, c'était lui qui avait raison. 11 avait su
maintenir l'harmonie entre l'esprit allemand et l'hé-
gémonie prussienne. Guillaume II ne sut, ni ne
voulut, l'imiter. Il se proclama le maître unique de
l'empire et le maître héréditaire par la grâce de
Dieu. Il réclama une soumission entière, totale, à sa
personne. Pour l'obtenir, il surexcila chez tous le
désir de la fo.tune,et il s'elTorça, par un envahisse-
ment des marelles étrangers, de la leur procurer. Le
jour où il vit que les peuples voisins, à qui il offrait
son patronage pour mieux les livrer à ses fidèles,
résistaient, il brandit lépée. Cela lui arriva plu-
sieurs fois, entre 1904 et 1914. Il fut obligé, enfin, de
la garJpr hors du fourreau, devant la résolution de
ceux qu'il menaçait. Il ne pouvait plus tenir ses pro-
messes; la laillite aurait détourné de lui son peuple.
II lui était indispensable défaire la guerre. La cam-
pagne actuelle est une campagne de liquidation.
Ce qui n'est point douteux, en effet, c'est la trans-
formation complète qui se produisit, en l'espace de
quarante ans, dans la vie économique de l'Allemagne.
La population augmenta jusqu'à 65 millions d'habi-
tants; et ces 65 millionsd'habitanls trouvèrent en AUe-
lemagne même un travail productif et lasatisfaction de
tous leurs besoins. Ces besoins s'étaient accrus, pour-
tant, en même temps que la prospérité, les mœurs
rustiques, la frugalité d'autrefois avaient disparu.
Entre 1898 et 190S, il y eut dix belles années de ri-
pailles, de mangeries et de beuveries; mais, à partir
de cette date, il y eut, sinon recul, du moins arrêt.
Augmenter le nombre et les ressources de ceux
qui étaient en même temps armés pour la lutte iné-
vitable et prochaine, telle avait été toujours la mé-
thode des HobenzoUern. Ils l'appliquèrent en Alle-
magne comme ils l'avaient appliquée en Prusse.
Napoléon avait montré à l'Allemagne quels bien-
faits on peut retirer d'une administration régulii're.
L'empire lui donna cette administration. Entre l'ex-
cès de centralisation à la française et l'excès de
fédéralisme à l'américaine, Bismarck eût trouvé le
juste milieu. En outre, l'empire couvrit l'Allemagne
de voies de communication considérables : che-
mins de fer, canaux, roules, qui furent singulière-
ment profitables à la vie économique.
Nulle pirrt mieux qu'à Hambourg, on ne peutjuger
de la transformation de l'empire. Des centaines de
millions y furent dépensées; le port devint le plus
grand port du continent, dépassé, d'ailleurs, toujours
par Londres et Liverpool. La ville voulut être somp-
tueuse comme New-York et Chicago, car toujours
l'Allemagne a imité; elle ne sait qu'imiter, mais
elle imite mal, et il suffit de passer, quelques mois
après leur inauguration, devant ses constructions
colossales, pour y distinguer déjà l'usure et les ma-
tériaux inférieurs qui servirent à les édifier. Pour
le commerce, pour l'industrie, cent milliards ont été
dépensés, alors que l'Allemagne ne vivait que sur
le crédit. Toutes ces dépenses ne donnèrent point
ce qu'on en espérait. La domination mondiale, la
richesse entrevue ne furent jamais que des espoirs.
Le crédit était sur le point de s'arrêter.
Cependant, tant que Bismarck avait dirigé les
affaires de l'empire, il avait travaillé à l'hégémonie
économique de la Prusse, comme il avait travaillé
à son hégémonie militaire et diplomatique. Il se
dégageait, disait-il, de toute idée préconçue, et il
n'avait aucune théorie ; mais il avouait à son confi-
dent Busch : « J'ai changé de système économique
pour rester toujours fidèle à la même idée : l'uni-
Hcation de l'Allemagne sous l'hégémonie de la
Prusse; tout le reste est accessoire. » Il y réussit,
et, si l'on ne consultait que les statistiques, il sem-
LAROUSSE MENSUEL
blerait qu'après lui Guillaume II marcha dans la
même voie avec le même succès. Or, ce fut tout le
contraire. Bismarck ne voulait rendre l'Allemagne
maîtresse du marché que dans l'Europe centrale.
Guillaume porta ses regards plus loin et voulut
s'emparer du marché mondial. Sous Bismarck, l'Al-
lemagne n'inquiétait pas l'Angleterre. Avec Guil-
laume II, le pangermanisme économique se déve-
loppa. Sans doute, les premières années, il se montra
plein de bonne grâce pour l'Angleterre, qui se laissa
prendre à ses façons; mais, en même temps, il s'ef-
forçait de la supplanter. Après 1900, les masques
tombèrent. Guillaume II affirma que l'avenir de
l'Allemagne était sur mer: sa flotte, son commerce
augmentèrent dans des proportions considérables.
Le but fut franchement avoué : évincer et remplacer
l'Angleterre dans le roulage des mers. En 1914,
l'empire allemand avait 5 milliards de tonneaux
sur les flots et 80.000 marins dans sa flotte de
commerce et de pêche. Mais l'Angleterre s'était
ressaisie et avait maintenu son avance. Si, entre
1901 et 1913, la flotte de commerce allemande avait
augmenté de 2 millions et quart de tonneaux, la
flotte britannique, dans la même période, avait aug-
menté de trois millions de tonneaux. Les compa-
gnies allemandes se ruinaient peu à peu La néces-
sité s'imposait, de jour en jour, à l'Allemagne de
415
des privilèges >, il avait été jeté comme suspect, pour
aller représenter la République française à Genève.
11 était alors âgé de tiente-cinq ans, et, après avoir
été maire de Montmartre (1790-1792), il fut chargé,
les deux années suivantes, de missions tempo-
raires auprès des cantons suisses et de la prin-
cipaulé des Deux-Ponts. Il n'avait rien, cependant,
de ce qui constitue le parfait diplomate : agent
habile, il était aussi entreprenant qu'exalté; on
le disait, à Montmartre, « beau et sémillant ». A
Genève, on le traita vile d'intrigant, et son souvenir
f' resta longtemps « en exécralion ». Il est vrai que
a politique qu'il était chargé d'y conduire et qu'il
ne fit rien pour adoucir, tout au contraire, n'était pas
pour plaire à la petite Répulilique. Quand il parvint
à Genève, le 11 décembre 1794, il y trouva les es-
prits singulièrement troublés, comme ils l'étaient
d'ailleurs dans presque toute l'Europe. Les révolu-
tionnairesdeParisa valent partout suscité des émules:
une véritable terreur avait ensanglanté la vieille cité
durant tout l'été; les clubs y régnaient à tour de
rôle, tout comme en France; les « ci-devant » se
réfugiaient au cercle de la Treille, à la maison de
Boisy, tandis que les jacobins, plus nombreux, trô^
naientau Co7isistoire, aux Amis de Jean-Jacques, aux
Droits de l'homme, aux Joyeux, surtout à la Grille.
« Toute cité divisée contre elle-même périra », dit
Entrée de Bonaparte à Genève en 1797, d'après une gravure du temps. (Bibliothèque de tienève. Collection Rigaud.)
ruiner l'Angleterre. Elle ne pouvait le faire qu'en
mettant la main sur Anvers ou Rotterdam.
En vingt ans, de 1894 à 1913, l'Allemagne avait
doublé ses importations et triplé ses exportations.
La grande industrie s'était développée de telle sorte
que l'agriculture avait été abandonnée, jusqu'au
moment où de Biilow, en 1902, la ranima, grâce
au nouveau tarif douanier; mais, si l'agriculture re~
prit force à ce moment, l'usine en souffrit. Jusqu'en
1905, l'attaque brusquée et par masse de l'Allemagne
sur les marchés mondiaux avait réussi. A partir de
celle date, le monde se ressaisit; et, si l'Europe eut
du mal à tenir tête, l'Amérique y réussit aisément.
Le commerce et l'industrie allemands gagnaient des
revenus considérables; mais ces revenus n'étaient pas
des bénéfices. Opérant à crédit et empruntant sans
cesse, dépensant des sommes excessives à l'amélio-
ration d'un outillage dont le rapport n'était pas pro-
portionné au coût d'achat, le commerce et l'industrie
devinrent une spéculation dans laquelle l'on espéra
gagner, jusqu'au moment où le coup de banque qui
suivit le « coup d'Agadir» faillitfairesauterrempire.
Les guerres balkaniques rendirent la situation plus
aiguë. Et — c'est toujours la conclusion à laquelle
il faut arriver — on s'aperçut de jour en jour que la
seule façon de s'en tirer était de faire la guerre.
Que l'on se rappelle seulement cette réunion de
grands métallurgistes allemands qui se tint en juin
1914 à Dusseldorf et où la guerre fut réclamée
comme étant « le seul moyen de liquider la situa-
tion présente et d'assurer 1 avenir en apurant toutes
les dettes, les formidables dettes de l'industrie alle-
mande ». — Jacques BoMPAKo.
Félix Desportes et TÀnnexion de
Genève à la France (1794-1799), par Fré-
déric Barbey. — Félix Desporles, fils d'honnêtes
bourgeois de Rouen, épiciers de père en fils, na-
quit le 5 août 1763. C'est au lendemain du g-'Ther-
midor qu'il fut tiré de prison où, bien que •■ né loin
l'Evangile; maints disciples de Calvin redoutaient
déjà l'application de la sinistre prophétie à leur
patrie, dont le gouvernement, affaibli et déconsidéré
fiar ces luttes intestines, se trouvaitsans force devant
es difficultés du dehors.
Celles-ci ne se présentèrent pas aussitôt l'arrivée
de Félix Desporles : le résident de France, au con-
traire, venait animé des intentions les plus conci-
liantes vis-à-vis de la République sœur; d'ailleurs, en
celte année 1795, tout n'élait-ilpas à la paix? La Con-
vention expirante réalisait les bénéfices de ia Révo-
lution, et Barthélémy, à Bâie, négociait les fameux
traités qui devaient donner à la France de si pré-
cieux avantages. Desportes inlriguail pour jouer son
rôle dans les négociations; avec sa juvénile audace,
il ne craignait pas de menerdes pourparlers officieux
qui, découverts, lui valurent de sévères admonesta-
tions des grands chefs du comité d'alors: Cambacérès
et Boissy d'Anglas, et, finalement, au mois d'octo-
bre 1795, son rappel.
Il revint à Paris dans la décade même où s'ins-
tallait, avec le Directoire, un esprit nouveau ; tout en
faisant l'éloge de Genève, où il s'était créé, disait-il,
de nombreux amis, il ne manquait pas de faire
remarquer aux gouvernants le danger qui pouvait
naître sur les frontières de la République d'un petit
Etat indépendant, lequel profilait de sa faililesse pour
donner asile à des ennemisdela Révolution et servir
d'entrepôt à des produits anglais. Ce disant, il trou-
vait en Reubell, le plus ardent des directeurs, en
Delacroix, le ministre des relations extérieures,
des approbateurs décidés : « la propagande » allait
devenir le mot d'ordre de la diplomatie française et
ce mot vague couvrir de vastes ambitions. Le 21 jan-
vier 1796, Delacroix demandait au représentant de
Genève à Paris, Reybaz,«deparliculierà particulier»,
si Genèvene gagneraitpas beaucoupphisàresscrrer
tons ses liens avec la France, <• plulôt que de souffrir
dans l'état d'isolement où elle se trouve», etRcyhaz,
avec quelque effroi, mandait le propos à son gouver-
LA ROUSSE MENSUEL. — IV.
IIG
nemfiit, en même temps qu'il lui annonçait que
Desporles était de nouveau accrédité comme repré-
sentant de la République à Genève, on'devine avec
quelles instructions secrètes.
11 retrouvait, aprèsuri an, la vieille cité huguenote
en proie aux mêmes divisions. Les aristocrates, ou
modérés, venaient d'obtenir la majorité aux élections
des syndics, les révolutionnaires protestaient ; peu
FélU Desportes, d'après un tab.eau de Deckei
{au musée de Colmarj.
s'en fallait qu'ils ne lissent appel à la force extérieure
dont Desportes était le représentant attenlif. Ce
dernier organisait en ville une police personnelle
qui s'étendait jusqu'à M"" de Staël.
La situation de Genève allait subitement empirer
au printemps ae cette même année, du fait de l:i
triomphale entrée de Bonaparte en Italie et du trailr
que le vainqueur imposait aussitôt an roi de Sar-
daigne : la cession de la Savoie à la France, qui en
fut la principale clause, livrait Genève à la discrétion
de la l'^ance. Desportes ne larda pas k en profiler.
« Chaque jour peut enfanter l'événement le plus
imprévu ■>, écrivait-il le 6 juillet 1796 à Delacroix.
De fait, deux semaines plus tard, un nouveau mouve-
ment révolutionnaire éclalait, devant lequel les syn-
dics s'elfaçaient impuissants; le résident de France
s'interposait aussitôt, invitait le syndic président
Gaillard à comparaître devantlui, se rendaitau Con-
seil, y parlait en maître, offrait aux syndics l'hospi-
talité de la Résidence de France, puis, s'avançant au
milieu des insurgés, les interpellait et les pacifiait.
l^areil succèsgrandirait sa situation si le Directoire
n'hésitait, tiraillé, comme toujours, pardes tendances
contraires et, finalement, intluencé par quelques ri-
vaux jaloux, ne se décidait à le blâmer. Blâme dis-
cret, d'ailleurs, et qui ne peut arrêter le cours naturel
des choses. De nouveaux troubles éclatent le 22 sep-
tembre : deux prévenus du mouvement de juillet,
Bauduit et Pradier, sont massacrés en pleine rue par
les Grillards.
Cette fois, le Directoire fit entendre quelques
semonces et, le 23 novembre, expulsait les députés
genevois qui étaient venus tenter d'améliorer les
rapports des deux républiques.
La situation de Genève devenait donc de plus en
luscrilique :1a lutte que la France poursuivait contre
Angleterre l'amenait, en effet, à prendre des mesu-
res contre l'importation de produits dont les Genevois
s'étaient toujours faits les commissionnaires. Par
ailleurs, les succès prolongés de Bonaparte et de Mo
reau en Italie et sur le Rhin donnaient au Directoire
le goût des aimexions : le sort des villes libres sem-
blait résolu. La douane de Carouge (près de Genève)
ayant été attaquée au mois d'avril 1797 par 300 con-
trebandiers, Desportes fut accusé de mollesse dans
ses demandes de répression. F]n vain, quelques mois
plus tard, Delacroix est-il remplacé par Talleyrand,
Tui paraît mieux disposé pour la Suisse et pour
jenève; le 18-Fructidor amène le triomphe des vio-
lents; le nouveau ministre, comme il le fera tou-
jours en sa trop longue carrière, suit le vent.
Le 21 novembre, Bonaparte, se rendant à Rastadt,
passe une journée en ville, se garde de toute me-
nace, mais, avec son habituelle curiosité, harcèle de
questions les syndics et Desportes. Peu s'en faut
qu'il ne se com|)romette par une exécution qui ta-
cherait sa réputation : Carnot, victime du 18-Fruc-
tidor, se cache dans la cité; on vient révéler sa
présence au général, qui ordonne aussitôt de minu-
tieuses perquisitions. Carnot, heureusement pour
F
^:
LAROUSSli MliNSUEL
lui et pour Bonaparte, demeure introuvable : l'Orga-
nisateur de la victoire ne pouvait tomber victime de
la police du vainqueur de Rivoli.
Malgré les assurances de celui-ci, un mois ne
s'était pas écoulé depuis son départ que le Direc-
toire rendait, le 7 décembre, un arrêté stipulant des
mesures de surveillance sévères sur le Léman et sur
le Rhône contre le tralic auquel Genève était accusée
de se livrer avec les ennemis de la République.
Au reste, à ce moment, les efforts du "Vaudois
Frédéric-César de Laharpe obtenaient satisfaction :
la France intervenait en Suisse comme protectrice
des cantons démocrates qui voulaient secouer le
jougde l'aristocratique gouvernement bernois. Mais,
pour ce faire, il était plus expéditif que les troupes
revenant d'Italie passassent sur le territoire gene-
vois; pour la forme, l'autorisation en fut demandée
aux syndics, qui acquiescèrent. Le 2'i janvier 1798
et les jours suivants, 15.000 hommes traversent la
ville, de la porte Neuve à Cornavin.
Le 4 février. Brune prend à Lausanne le com-
mandement de l'armée d'Helvétîe ; le 5 mars, il
entre triomphant à Berne. Desportes court l'y féli-
citer et, en revenant à la Résidence, fait comprendre
aux syndics que l'heure de la réunion de Genève à la
France sonnera immanquablement bien tôt et qu'il im-
porte delà devancer librement. Devant une sugges-
tion qu'il pré voit et redoute depuisdeux ans, le Conseil,
impuissant, se dérobe. Le 19 mars, la formation d'une
assemblée de 140 membres est décidée : elle fixera le
sort de la République. A peine ces représentants sont-
ils choisis que Desportes, qu'a toujours animé le dé-
mon de l'intrigue, intervientanprèsdechacun, faisant
miroiter les avantages que la libre incorporation de
la ville dans la grande nation doit rapporter à tous les
citoyens : la France respectera tontes les institutions
genevoises et la plus précieuse, son culte; dispense
des réquisitions de guerre sera accordée pendant
deux ans; les charges réduites au minimum, les avan-
tages économiques seront considérables, le com-
merce de la cité acquérant de cette francisation le
plus avantageux débouché. Cependant, l'amour du
Genevois pour sa patrie et son indépendance se rit
de toutes ces alléchantes promesses; le concitoyen
de Jean-Jacques ne cédera qu'à la force; Desportes
le pressent. Un heureux hasard, ou une dernière
Tombe de Félix Desportes et île son frère lïenjaniin
au cimetière du Calvaire, à Monlmarlve (ParisJ.
ruse, lui sert de prétexte à de nouvelles et décisives
menaces : le 28 mars, le drapeau de la Résidence est
sali, taché d'encre et de noir de fumée; l'honneur
français est outragé. Desportes demande immé-
diate réparation; elle lui est aussitôt accordée;
mais on sent de part et d'autre qu'on ne peut rester
dans une aussi instable situation. Desporles presse
l'assemblée de prendre un parti; celle-ci tergiverse,
promet finalement une réponse pour le 13 avril. Ce
dimanche malin-là, le dernier jour de la République
de Genève, pendant qu'à Saint-Pierre le Conseil su-
périeur s'est réuni, Desporles fait entrera la fois par
plusieurs portes de la ville l.ï.000 liomines sous le
commandement du général Girard, dit «Vieux ». Les
gardes civiques, stupéfaits, se laissent désarmer; au-
«û 123. Mai 1917.
cun coup de fusil n'est tiré; la ville est restée calme;
le sort en est jelé. A quatre heures, 45 membres de
l'assemblée votent la réunion de Genève à la France ;
30 membres ont voté contre; 40 se sont abstenus.
On a beaucoup reproché à Desportes sa duplicité;
son biographe, qui a pu le juger avec impartialité
et n'a pas caché ses torts, a montré, pièces en main,
qu'il n'avait été, en toute cette affaire, que l'agent
zélé du Directoire.
A la veille du jour où le gouvernement allait ap-
prendre la réussite des efforts et des intrigues de
son représentant, le 17 avril, il décidait de le rem-
placer pour n'avoir pas tiré vengeance de l'incident
du drapeau. Le lendemain, tout en le félicitant du
vote obtenu le 15 avril, il lui reprocha d'avoir ac-
cordé trop de promesses pour l'obtenir ; ces libertés
oclroyées dans l'acte de réunion sont cependant
tout à l'honneur de la France, puisqu'elles laissaient
à la vieille cité toute l'autonomie compatible avec
la politique du moment.
Frédéric Barbey, qui apu travailler sur les textes
officiels de Paris et de Genève, qui a dépouillé de
nombreuses correspondances inédites et réussi ainsi
à retracer un récit complet et définitif d'un épisode
jusqu'ici peu connu de la diplomatie, à la fois retorse
et audacieuse du Directoire, termine son ouvrage en
rappelant brièvement quelle fut la fin de la carrière
de Félix Desportes : secrétaire général du ministère
de l'intérieur sous Lucien Bonaparte, il fut, en 1802,
nommé préfet du Haut-Rhin. Il resta onze ans à Gol-
mar, et il n'y laissa que de bons souvenirs. Par lettres
patentes du28janvierl809, il avait été nommé baron
de l'Empire; mais il tomba en disgrâce et fut ré-
voqué en 1813, avec quarante autres de ses collè-
gues, soupçonnés de tiédeur pour la cause impériale.
Rentré en grâce pendant les Cent-Jours, il en-
courut, au contraire, l'hostilité des royalistes, fut
compris dans les Ordonnances des 26 juillet 1815 et
17 janvier 1816, et partit pour l'exil. Durant quatre
années, Desporles, pourchassé par ses persécuteurs,
erra en Allemagne misérablement. En 1820, il ren-
tra à Paris, rappelé par l'ordonnance royale du
l=r décembre 1819, découragé, usé, ayant renoncé
à toute ambition. Il y mourut obscurément vingt-
neuf ans après, le 26 août 1849, dans un apparte-
ment de la rue Laffitle, à l'âge de quatre-vingt-six
ans. Fidèle à ses premiers souvenirs, il voulut être
inhumé dans la commune dont il avait été maire
aux jours troublés de 1792 : il repose à Montmartre,
au cimetière du Calvaire. — Pierre Rain.
Filipesco (A'ico/as-Grégoire), homme d'Etal
roumain, né à Bucarest le 21 décembre 1862, mort
dans cette même ville le 13 octobre 1916.
Issu d'une très ancienne famille moldave, il ap-
partenait à celle aristocratie roumaine autochtone,
qui met son orgueil à sortir du pays même dont
elle a partagé le destin. Par sa mère, il se ratta-
chait aux Roselti, qui donnèrent à la 'Valacbie des
voïvodes (princes régnants).
Filipesco fit ses études à Genève et à Paris, puis,
en 1883, revint à Bucarest et se jeta, tout jeune, dans
la vie politique, sans autre but que de servir passion-
nément sa patrie. En 1883, à vingt-trois ans, c'est-
à-dire avant l'âge légal, il fut éln député de Bra'ila.
11 engagea aussitôt une lutte ardente contre Jean
Bratiano (père), devint rapidement le leader du parti
conservateur et réussit à arracher au parti libéral de
nombreux éléments. A la suite de polémiques vio-
lentes, Bratiano le fit arrêter; mais, quelques jours
plus tard (mars 1888), le gouvernement tombait.
Réélu dépulé, Filipesco représenta de nouveau au
Parlement la ville de Brada.
11 avait fondé à Bucarest, dès son entrée dans la
vie politique, le journal quotidien Epoca, qui de-
vint l'organe de son parti. On a dit de ce journal
qu'il était à la fois « un salon et une potence ".
Très sincère, très combatif, Filipesco était un re-
marquable polémiste, à la phrase brève, incisive et
colorée. Les mêmes qualités apparaissaient, avec
plus de plénitude, dans sa parole; parole de tribun,
impétueuse et puissante. Les moyens physiques de
l'orateur ne lui faisaient pas défaut : visage mobile,
à l'expression martiale, au regard aigu, voix sonore,
prestance altière. Tous ces dons extérieurs, Filipesco
les mettait au service d'une intelligence profonde,
dont les facultés principales étaient une mémoire ex-
ceptionnelle, une grande puissance de travail et une
rapidité peu commune d'observation et de compré-
hension. Il apportait dans la défense de ses idées un
courage bouillant et une franchise qui allait parfois
jusqu'à la brutalité. 11 eut plusieurs duels.
En 1892, Filipesco fut élu maire de Bucarest. Il
entreprit d'organiser la capitale roumaine, qui lui
doit son plan, la fixation de son enceinte, le perce-
ment du boulevard Coltzea.
Laxea Catargi étant mort (1899), il fit désigner
Georges Canlacuzène comme chef du parti conser-
vateur. Lui-même accepta, en 1900, le portel'euille
de l'agriculture dans le ministère Carp. 11 établit
l'ordre, l'économie et le travail dans son départe-
ment et donna un nouvel essor à la prospérité agri-
cole du pays. En 1901, il quitta le pouvoir et entre-
prit une longue campagne d'opposition, à côté de
Nicolai FilipesL'o.
«• 723. Ma/ 1917.
Garp, qu'il réussit à imposer comme chef du parti
conservateur fusionné (1907).
En 1910, Nicolas Filipesco prit la direction du
ministère de la guerre dans le nouveau cabinet
Garp. Ce fut une des périodes les plus actives et les
plus méritoires de sa carrière, qu'un ardent patrio-
tisme avait toujours éclairée. Il créa des unités
nouvelles, fonda une école militaire, rendit plus
équitable la loi de l'avancement. 11 obtint des cré-
dits militaires importants et accrut de 40 p. 100 le
budget de la guerre. 11 tripla, en quinze mois, le
nombre des balteries. Sur ses instances réitérées,
la Roumanie fit à la France, pour la première fois,
une importante commande de canons. L'équipement,
l'armement qui ont permis la campagne de 1913 et
préparé l'intervention des Roumains aux côtés des
Allies en 1916 sont dus à l'initiative de Nicolas Fi-
lipesco. Ce fut lui qui désigna le général Averesco
comme chef d'état-major général de l'armée
Au mois d'octobre 1912, il réalisa la collabora-
lion du parti conservateur et du parti conservateur-
démocrate, dont Take Jonesco était le chef. Un mi-
nistère, présidé par Titus Maionesco, fut constitué
sur ces bases. Filipesco, qui en avait été le promo-
teur, y prit le portefeuille de l'agriculture. Mais,
en mars 1913, il
abandonna le
gouvernement, à
la suite d'un dc-
saccord avec
.Maïonesco.U de-
mandait que Ici
Roumanie alla
quâllesBulgares,
dès que ces der-
niers auraient
pris les armes
contre les Serbes.
Lorsque Titus
.Maionesco quitta
le pouvoir, en
1913, il contribua
à le faire élire
chef du parti con-
servateur. Puis,
en 1914, Maio-
nesco se relirantde la vie politique, Filipesco fil pla-
cer A. Marghilomaji à la tète du parti, dont il ne
voulait pas prendre lui-même la direction nominale.
Nicolas Filipesco avait fait en France des séjours
nombreux et prolongés. Il aimait notre pays.
Dès le mois d'août 1914, quand l'Allemagne viola
la neutralité de la Belgique, il joif^nit ses protes-
tations indignées à celles de Take jonesco. Il pro-
posa l'intervention de la Roumanie aux côtés des
.Mlles dès la chute de Lemberg, inspiré non seulement
par sa sympathie pour notre cause, mais par son
ardeur patriotique. Son désir le plus cher était de
délivrer la Transylvanie du joug magyar, et la
guerre européenne offrait à cette aspiration nationale
une occasion de se réaliser. G est avec une vigueur
incomparable que Filipesco mena sa campagne en
faveur de l'intervention roumaine. Il fonda la ligue
de l'Action nationale, réunissant les personnalités
les plus marquantes de tous les partis. 11 entra, ainsi
que Take Jonesco, Delavrancea, Istrati, etc., dans
le comité de la Ligue culturale, proclamant comme
président Lucaci, ancien député transylvanien à la
Chambre hongroise. Avec uiieopiniâtiele inlassable,
une éloquence fougueuse, il mena une lutle quoti-
dienne au Parlement, dans la presse, organisant
partout des meetings au cours desquels il soulevait
l'enthousiasme populaire. La Roumanie ayant laissé
passer le moment de 1 intervention italienne, Filipesco
jugea que son entrée en guerre devait se produire
lors de l'invasion de la Serbie. Mais son avis ne
prévalui point. Il éloigna de la direction du parti
conservateur Marghiloman.dontl'atlitude neutraliste
servait, en réalité, les intérêts de l'Allemagne et
accepta la direction de ce parti.
En mars 1916, Nicolas Filipesco entreprit un
voyage en Russie. Il visita le quartier général du
général Alexeiev et fut reçu à Petrograd par le tsar.
Il eut, avec Sazonow, ministre des affaires étran-
gères, une entrevue au cours de laquelle il fut
décidé que la Russie appuierait militairement la
Roumanie, quand celle-ci interviendrait. On sait
qu'il la suite des trahisons de Stiirmer, président du
conseil des ministres russe, ces engagements ne
furent pas tenus. Au cours de son voyage, Filipesco
contracta une grave maladie de cœur. Revenu à
Bucarest, il accepta, malgré son mauvais état de
santé, la présidence de [a. Féiléralion unioniste, qui,
organisée par lui, réalisait l'union sacrée et dont
faisaient partie, à côté des conservateurs, les conser-
vateurs-démocrates, les libéraux indépendants et les
représentants des Transylvaniens.
Filipesco réclama énergiquemenl l'entrée en
guerre de la Roumanie, lors de l'ofTensive du gé-
néral Broussilof. Pour donner à son action une
autorité plus grande, il effectua la fusion des partis
conservateur et conservateur-démocrate.
Enfin, l'intervention roumaine se produisit, en
août 1916. Quelques semaines plus tard, la maladie
LAROUSSE MENSUEL
emportait, de façon presque subi le, celui qui en avait
été un des principaux artisans. On cite, parmi ses
dernières paroles, celles qu'il adressa au roi: • Pour
le droit, sire; c'est l'ordre de la nation! »
Filipesco avait mis un talent vigoureux au service
d'une foi robuste, qui s'imposait à l'estime de ses
adversaires eux-mêmes. La sincérité vigilante de
son patriotisme, son dévouement à l'intérêt national
ont fait delui une desgrandes figuresdelaRoumanie
moderne. — Carlos Laerohdb.
Finances de la guerre. {Premier tri-
mestre de 1917.) France. — Au milieu de fé-
vrier 1917, le Parlement a été saisi par le ministre
des finances, Ribot, d'une nouvelle demande de
crédits, afférente au deuxième trimestre de 1917 et
portant sur 9.500 millions, soit, en chiffre rond, un
milliard de plus que ne requérait la précédente de-
mande afférente au premier trimestre. Les dépenses
suivent donc toujours une marche ascendante.
En 1914, pendant cinq mois, la France a dépensé
7 milliards de francs. Elle en a dépensé 22 dans
l'année 1915 et 32 en 1916. Elle en dépensera au
moins 40 en 1917, puisque les crédits pour le pre-
mier semestre de celle année atteignent presque
20 milliards. Le total, pour les trois années de guerre
(jusqu'à fin juillet 1917), aura été de 83 milliards.
Sur ce total, le rendement des impôts aura fourni à
peu près le septième, soit une douzaine de milliards.
Dans le premier trimestre de l'année en cours,
la dépense mensuelle a été d'environ 3 milliards,
soit 100 millions de francs par jour.
Du début de la guerre au 30 juin 1917, soit en
trente-cinq mois, le Trésor français se sera procuré
des ressources s'élevant à 74 milliards et provenant
des voies et moyens suivants :
Impôts et produits divers du budget. Fr. 12 milliards.
Bous et obligations de la Défense. ... 19 —
EiDprunts en rente perpétuelle 5 p. 100. 22 —
Bons placés en Angleterre 6 —
Emprunts aux Etats-Unis 3 —
Avances do la Banque de France. ... I2 —
Total Fr. 71 milliards.
Entre les dépenses engagées, 83 milliards, et les
ressources créées, 74 milliards, apparaît un écart de
9 milliards, qui devra être couvert par un nouvel
emprunt. La nécessité s'en impose, et le pays y est
tout préparé. Les disponibilités sont, en elTet, très
abondantes. On en trouve une preuve dans le succès
de l'emprunt de 600 millions émis le 24 mars par le
Crédit foncier de France.
Le 13 février 1917, le ministre des iinances a
présenté au Parlement, qui l'a voté aussitôt, un
projet de loi portant à vingt ans au maximum la
durée des obligations que le Trésor peut émettre
en France ou à l'étranger.
Une loi du 10 février 1915 avait autorisé l'émission
d'obligations d'une durée maximum de dix ans. Le
ministre, usant de cette autorisation, a placé aux
Etats-Unis un montant important d'obligations à
trois ans. Pour faciliter une nouvelle émission, il a
fiaru désirable de pouvoir offrir aux souscripteurs
a faculté de convertir, à leur échéance, les bons à
deux ou trois ans en obligations à vingt ans. De là
le projet de loi que Ribot fit voter aux Chambres
en février 1917.
Le même mois, d'autre part, a été reprise l'émission
des obligations de la Défense nationale à échéance
du 16 février 1925. Cette émission avait été suspen-
due par un décret de septembre 1916, à la veille de
l'ouverture de la souscription au deuxième emprunt
de guerre français en rente perpétuelle 5 p. 100.
Le prix d'émission de ces otiligations (qui rap-
portent un intérêt de 5 fr. pour 100 fr. nominal)
est toujours de 96 fr. 50, sous déduction des intérêts
correspondant à la période du semestre en cours
non écoulée lors de la souscription. L'Etat se ré-
serve, comme auparavant, le droit de rembourser ces
titres à toute époque à partir de février 1920. Leur
durée variera ainsi de trois à huit ans, selon les con-
ditions de loyer des capitaux çt le crédit de l'Etat.
Depuis le l" mars 1917, un titre d'une forme nou-
velle est offert au public. Il s'agit d'obligations
émises au pair à échéance de cinq années et produc-
tives d'un intérêt de 5 p. 100, payable d'avance
semestriellement. Leur remboursement se fera à
l'échéance au taux de 102 fr. 50, c'est-à-dire avec une
prime de 2 fr. 50 par 100 francs. Le porteur pourra
demander le remboursement anticipé dès la fin de la
première année ou à toute échéance ultérieure,
moyennant l'abandon de la prime. Ces obligations
sont dotées de l'avantage de pouvoirêtre échangées
contre des titres des emprunts de l'Etat qui seront
émis avant le 1" janvier 1920.
Le ministre des finances s'efforce ainsi de varier,
selon les goûts du public, les types de titres pour la
dette intérieure à court terme dont les besoins de la
Défensenationale nécessitent lacréation à jetcontinu.
Les Chambres ont voté, dans le premier trimeslre
de 1917, des aggravations d'impôts existants et des
impositions nouvelles, dont le produit doit atteindre
une sommeconsidérablerprèsd'un milliard de francs,
et ce n'est là qu'une fraction de celle qu'exigera le
H7
seul service des empruats ^ui auront éié contractés
durant la guerre. Les pouvoirs publics ont eu recours
à la fois aux taxes indirectes et à la taxation directe.
Lesdenréesdeconsommation générsiesonlatteintes,
l'impôt sur le revenu a été renforcé. Le taux était
de 2 p. 100 pour 1916. Il a été relevé à lu p. 100
pour 1917. Il est vrai que ne sont frappés à ce taux
que les revenus supérieurs à 150.000 francs. Pour
les revenus inférieurs, le taux s'élève progressive-
ment de 2 p. 100 pour les plus faibles & 9 p. 100
pour la fraction de revenu comprise entre 100.000 et
150.000 francs.
D'autre part, la contribution personnelle et la con-
tribution des portes et fenêtres sont supprimées.
Après la suppression des patentes, le remaniement
de la contribution foncière et de l'imposition sur
les valeurs mobilières et après l'établissement de
l'impôt général sur le revenu, la suppression des deux
susdites contributions est le coup de grâce porté aux
« quatre vieilles », le renversement de l'éaiflce des
contributions directes que nous avait légué la Révo-
lution. L'impôt personnel et mobilier et celui des
porles et fenêtres n'étaient plus en harmonie avec
la législation fiscale adoptée au cours des dernières
années. Us disparaissentdonc. Leur suppression n'est,
d'ailleurs, pas complète immédiatement. A partir
du !"■ janvier 1918, cesseront d'être perçus le prin-
cipal elles centimes généraux des deux contributions
condamnées. Mais les budgets locaux continueront
à bénéllcier des centimes additionnels, en attendant
une transformation générale des impositions dépar-
tementales et communales qui ne saurait être effec-
tuée pour 1918.
Quant à la diminution de recettes résultant, pour
l'Etat, de la suppression de sa part dans les deux
contributions, elle sera compensée par l'instilution
d'une taxe personnelle de 5 francs en moyenne et
par une majoration de 20 p. 100 dans le taux des
impôts directs portant sur les revenus.
Au cours du mois de mars 1917, une crise minis-
térielle a porlé Joseph Thierry au ministère des
finances en France, en remplacement de Ribot, de-
venu président du conseil et ministre des affaires
étrangères. Ribot avait géré les finances du pays
depuis le début de la guerre. Son nom restera atta-
ché à la création des bons de la Défense nationale,
accueillie avec tant de faveur par les capitalistes
français, et à la réussite éclatante des deux em-
prunts de guerre en renie perpétuelle 5 p. 100.
Angleterre. — Le gouvernement britannique
s'est décidé, en janvier 1917, à émettre l'emprunt de
guerre si longtemps retardé, destiné à consolider une
dette floltante portée au chiffre vraiment fabuleux
de 40 milliards de francs. Le taux adopté pour le
nouveau litre lut de 5p. 1 00, bien que l'Etat anglais eût
emprunté à court terme dans les mois précédents, à
des taux supérieurs, atteignant 6 p. 100. Le chan-
celier de l'Echiquier, Bonar Law, établit officielle-
ment, le 20 lévrier, à la Chambre des communes,
l'énormilé du succès de l'opération. Le total des
souscriptions s'élevait, dit-il, à un chiffre qui, la
semaine précédente, lui eût paru fantastique. La
Banque d'Anglelerre avait reçu des demandes pour
20.500 millions de francs. Avec les autres souscrip-
tions, on arrivait au total de 25 milliards de francs.
La presse anglaise a interprété, à l'unanimité, cet
éclatant succès de l'emprunt britannique comme
un vote de confiance émis à une majorité écrasante.
11 témoigne de la résolution qui anime nos alliés
de l'énergie avec laquelle ils entendent poursuivre
la lutte aussi longtemps qu'il sera nécessaire pour
qu'elle aboutisse au triomphe décisif et non à une
conclusion bâtarde.
Il avait été déjà soumis par le gouvernement an-
glais à la Chambre des communes, depuis le com-
mencement de la guerre jusqu'en février 1917,
quatorze demandes de crédits. La quinzième et la
seizième ont été présentées, le 9 lévrier, par le
chancelier de l'Echiquier, Bonar Law, et votées le
même jour à l'unanimité par les Communes. Elles
s'élèvent ensemble à 13.750 millions de francs, dont
5 milliards pour couvrir les dépenses jusqu'à la fin
de mars 1917 et 8.750 millions pour les besoins des
deux mois suivants. Le total général des crédits
votés (y compris ceux des quinzième et seizième
demandes) s'élève & 102 milliards de francs. Dans ce
chiffre sont contenues, pour un quart au moins, soit
25 milliards, les avances faites aux Etats alliés et aux
Dominions, dont le remboursement après la guerre
entre en ligne de compte pour le Trésor britannique.
Au moment où Bonar Law présentait aux Com-
munes ses quinzième et seizième demandes de cré-
dits, la dépense moyenne quotidienne en Angleterre
était de 152 à 160 millions de francs. A la fin de mars,
elle dépassait considérablement ce dernier chiffre.
Quant au montant de la dette nationale, après le
dernier emprunt, le chancelier de l'Echiquier l'éva-
lue à 97 milliards de francs, fin mars 1917. Le chiffre
est ramené à 75 milliards, si l'on déduit de la dette
proprement dite le montant, à recouvrer après la
guerre, comme il est dit ci-dessus, des prêts con-
sentis aux Dominions et aux Etats alliés.
Le 1 3 mars, une nouvelle demande de crédits, ladix-
seplième, portant sur 1.600 millions de francs de dé-
118
pensessupplémentairesjusqu'àlafin de ce même mois,
c'est- à-dire jusqu'au terme de l'année fiscale britanni-
que, a élevé le total des crédits votés à 104 milliards.
Au cours des dernières semaines du trimestre et
dans la période des premiers versements sur l'em-
Frunt de guerre récemment émis, le chancelier de
Echiquier étudiait les possibilités d'émission d'un
grand emprunt amortissable, avec lots, pouvant pro-
duire25nou veaux milIiardsdefrancs,unelellesomuie,
au taux actuel de la dépense quotidienne, pouvant suf-
fire à peine aux dépenses de cinq mois. Le taux d'inté-
rêt attaché aux obligations à lots, dont la création est
ainsi envisagée à Londres, serait de 4 p. 100. L'opi-
nion générale est que la tentative, pour si hardie
qu'elle paraisse, serait assurée d'un très gros succès.
L'Angleterre couvre un quart de ses dépenses
par le produit des impôts. Entre le 1" août 1914 et
la fin de décembre 1916, il est entré dans les caisses
de l'Etat, comme revenu des impôts et ressources
diverses autres que l'emprunt, un total de près de
20 milliards de francs. On peut considérer qu'à la
fin de l'exercice fiscal 1916-1917 (clôture 31 mars),
la taxation aura fourni au Trésor, depuis le début
de la guerre, près de 25 milliards, et l'emprunt
75 milliards. De ce dernier chiffre, un montant de
5 milliards environ représente les emprunts con-
tractés par l'Angleterre jusqu'en janvier 1917, aux
Etats-Unis, principalement sous la forme de bons
du 'Trésor remboursables de 1918 à 1921.
Allemagne. — Ce pays en est à son sixième em-
prunt de guerre. La souscription a été ouverte le
15 mars et close le 16 avril. A la fin de mars, on n'en
connaissait donc pas encore le résultat, mais il était
aisé de conjecturer que le succès de l'opération se
heurtait aux plus sérieuses difficultés. Les emprunts
d'empire se sont régulièrement succédé tous les six
mois depuis le début de la guerre, chacune de ces
opérations ayant pourohjellaconsolidalionde la dette
flottante contractée par bons du Trésor ou autrement
dans l'intervalle écoulé depuis le précédent emprunt.
Jusqu'à présent, l'Allemagne a réussi, par l'emploi
de toutes sortes de moyens où la contrainte s'est
mêlée à la persuasion, à consolider environ 60 mil-
liards de francs. Les cinq premiers emprunts avaient
été émis en novembrelM4, mars et septembrel915,
mars et octobre 1916. Le produit a été respective-
ment de 5.600 millions, 11.400, 15.200, 13.500,
13.300 millions de francs.
Il est offert aux souscripteurs, pour le sixième
emprunt, le choix entre deux types de valeurs :
une rente impériale 5 p. 100 et des bons du Trésor
4 1/2 p. 100. Le prix d'émission est le même pour
la rente et pour les bons, 98 p. 100. Les bons seront
remboursés par séries à 110 p. 100. En 1927, ils
pourront être convertis en bons 4 p. 100, rembour-
sables à 115 p. 100. En 1937, ils pourront faire l'objet
d'une conversion nouvelle en bons 3 1/2 p. 100,
remboursables à 120 p. 100. L'opération d'amortis-
sement devra être complètement liquidée en 1967.
Les porteurs de rente 5 p. 100 et de bons du
Trésor des précédents emprunts ont le droit de ré-
clamer la conversion de leurs titres en bons du
Trésor nouveaux, à la condition qu'ils souscriront,
en argent frais, un montant de bons nouveaux
égal à la moitié du montant des titres convertis.
Depuis le dernier emprunt (le cinquième), émis
en septembre 1916, la circulation fiduciaire en Alle-
magne s'est accrue de près de 4 milliards de francs
et atteint 1 5 milliards. L'ensemble de la dette flottante
s'élève à 22 milliards, y compris la dette du Trésor
envers la Reichsbank, qui est d'environ 10 milliards.
Le change allemand n'a cessé de se déprécier
depuis le début de la guerre. La perte du mark,
signe monétaire de l'Allemagne, par rapport au dol-
lar, signe monétaire des Etals-Unis, étailde20p.l00
un peu avant la fin de 191 5 et s'est accentuée jusqu'à
30 p. 100 en décembre 1916. En août 1914, le change
étant au pair, il fallait 96 cents américains pour re-
présenter 4 marks. Il n'en fallut plus que 75 en dé-
cembre 1915 et 66 en décembre 1916. 11 y eut alors
une réaction dans le sens de la reprise, et la perte
ne fut plus que de 25 p. 100 en janvierl917(75 cents
pour 4 marks).
Le cours du change allemand à New- York ex-
prime lasituation débitrice de l'Allemagne à l'égard
des Etats-Unis et la difficulté des règlements à opé-
rer. C'est le facteur matériel. 11 y a, d'autre part, le
facteur moral, qui est la mauvaise opinion régnant
aux Etats-Unis sur la situation financière de l'Alle-
magne. L'action de ce facteur explique que le change
allemand ait continué de fléchir en 1916, bien que
le commerce entre l'Allemagne et les Etats-Unis ait
été nul dans cette période.
Russie. — La révolution qui a éclaté à Petrograd
au milieu de mars 1917 et forcé le tsar Nicolas 11 à
abdiquer a remplacé le ministre Bark à la direction
des finances par l'un des membres du gouvernement
provisoire, Terechtchenko. Le nouveau gérant des fi-
nances russes a fait connaître que, pour couvrir les im-
menses besoinsdel'heure présenteetdu proch ain ave-
nir, il comptaitsurdesempruntsauxquelsildonnerait
pourgagele produit d'impôts nouveaux, puisés prin-
cipalement dans l'arsenal de la taxation directe. Le
capital sera imposé, et les droits successoraux seront
LAROUSSE MENSUEL
élevés, ainsi que les tarifs des chemins de fer et les
droits de douane. Le plan d'un emprunt intérieur
dénommé « emprunt de la liberté « est arrêté : taux,
5 p. 100 ; prix d'émission, 85 p. 100 ; rembourse-
ment en quarante-neuf années. — A. Moikeâu.
G-uerre en ISl^i-lQ!"? (la). [Suite.] —
Le mois de février nous avait apporté la surprise
de l'intervention, encore pacifique, mais déjà déter-
minante des Etats-Unis et l'espoir de l'avance an-
glaise en France et en Asie. Le mois de mars a été
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• * " *i Cî'ii^iwWàîfJ
Un observatoii-e anglais sur le front de la Somme.
plus fécond en événements dont l'exacte portée est
plus difficile encore à calculer. Nous y avons vu la
révolution en Russie et le recul allemand en France,
la continuation de la marche victorieuse des An-
glais en Mésopotamie et en Syrie, la préparation pa-
tiente et sûre des Etats-Unis pour une action éner-
gique; nous y avons eu la sensation de difficultés
«• J23. Ma; 78J7.
l'humanité se propageait profondément & travers
les peuples, remuait inconsciemment ceux qui sem-
blaient les moins susceptibles de se troubler et
soulevait brusquement des problèmes nationaux ou
sociaux qu'on croyait ou résolus pour longlemiis, ou
susceptibles, seulement, de solutions très lentes et
très modérées. Rien ne prouve mieux qu'en déchaî-
nant un pareil conflit, qu'elle pensait limiter à son
gré et à son seul profit, l'Allemagne s'est montrée
incapable de vues générales sur le développement
de l'humanité, qu'elle a mesuré à sa seule mesure
un acte qu'elle acru sans risques, qui menace main-
tenant son propre avenir et libère sans précaution
les ferments les plus puissants de dissolution mo-
narchique et impérialiste.
A la fin du mois de février, nous constations,
d'une part, le recul des Allemands devant le front
occidental dans le secteur tenu par l'armée anglaise,
des Flandres à la Somme; d'autre part, leur immo-
bilité dans le secteur français, de la Som.no aux
Vosges. Ce recul s'était généralisé en mars et avait
donné, sous la poussée des forces anglo-françaises,
des résultats considérables. A la fin de mars, et
exacteinent depuis le 17 de ce mois, les Anglais
avaient repris Bapaume et la région avoisinante;
les Français étaient rentrés à Roye, Lassigny,
Noyon, Péroniie, Cbaulnes, Nesie, Ham, Chauny,
Tergnier, Coucy-le-Château; ils avaient occupé la
l'orêt de Coucy; Boissons était dégagé, et l'on était
aux portes de Saint-Quentin; les Allemands n'a-
vaient gardé La Fère qu'en tendant l'inondation
autour de cette place. Le front allemand se trouvait
alors jalonné depuis Ypres et Arras par Saint-
Quentin, La Fère et Coucy. — D'autre part, en
Champagne, dès le 8 mars, nous avions repris
de vive force et gardé depuis, malgré les violentes
contre-attaques allemandes, le saillant compris en-
tre la Butte-du-Mesnil et Maisons-de-Champagne.
— Ce magnifique résultat était dû à la fois à la
pression énorme exercée par les troupes franco-
anglaises et à la retraite volontaire des Allemands.
Nous avons déjà indiquéprécédemmentce qu'il fallait
penser de la spontanéité de cette retraite. Les Alle-
mands, qui ne sont jamais en reste d'épithètes, l'ont
qualifiée de « géniale >>, et la presse germanique en
a pris texte pour exalter Ilindenhourg et Ludendorf
et se gausser de ces pauvres Franco-Anglais qui,
suivant elle, n'y ont rien vu du tout et se sont laissé
mener, sans s'en douter, par le commandement
allemand. Le gouvernement et le haut comman-
dement allemands avaient, en effet, besoin de faire
accepter comme une grande victoire à leur peuple
un peu nerveux une opération militaire que le
simple bon sens devait considérer comme une dé-
faite. D'ailleurs, les explications données étaient un
aveu. On déclarait alors qu'en présence des forces
'f'normes concentrées par l'ennemi devant le front
La Tille de Férunne saccagée et détruite par les Allemands au moment de leur retraite.
intérieures en Allemagne et en Autriche-Hongrie.
Certes, c'eût été tirer des conclusions bien rapides
et bien imprudentes que de dire, à la fin de mars,
que tout ce qui s'était passé dans ce mois nous ache-
minait sans hésitation vers une décision conforme
à la justice et à nos vœux. Il n'était pas possible,
cependant, que tout cela n'eût pas des conséquen-
ces, d'autant plus étendues qu'on y trouvait plus
d'imprévu et que les répercussions étaient plus in-
certaines. On sentait, en outre, que l'ébranlement
produit par une guerre d'une violence inconnue à
allemand, il avait paru préférable de se replier pour
éviter une inutile effusion de sang, que le génie
d'Hindenbourg avait ainsi joué un fort bon tour
aux Anglo-Français et que les nouvelles positions
choisies et préparées par lui allaient constituer une
barrière infranchissable. Ceci voulait dire en lan-
gage clair que, pour éviter un écrasement qui
s'annonçait inévitable et certain, le commandement
allemand availjugéplus sage d'abandonnerle terrain
et de sauver ainsi son matériel. C'était reconnaître
la supériorité en hommes et en artillerie de l'armée
«• 123. Mai 1917.
franco-anglaise. Le repli allemand, dont la première
idée remontait sans doute — certains indices le prou-
vaient—à 1 automne dernier, a été, d'ailleurs, entouré
des mêmes horreurs, de la même rage de destruction,
des mêmes procédés des temps barbares, qui avaient
marqué l'invasion de 1914. Les troupes g-ermaniques
ont syslémalinuement pillé, détruit, incendié, ravagé
par la mine les villages, les villes, les routes, les
champs, sans aucun respect ni pour la propriété
privée, ni pour les monuments publics et les restes
artistiques du passé, de façon à laisser derrière eux,
espéraient-ils, un désert impraticable, inutilisable
pour l'armée ennemie, impropre pour longtemps à
toute culture ; ils ont emmené avec eux une partie
de la population masculine et féminine, sous le pré-
texte cruellement puéril que les malheureux déportés
pourraient être utiles à la défense de la France; ils
ont ainsi ajouté, alors que l'on ne croyait plus la
chose possible, à la réprobation universelle qui pèse
8ureux,et ils ont montré une foisdeplus avec quelle
facilité l'espèce humaine, même imprégnée de la
science la plus perfectionnée, faisant un bond prodi-
gieux en arrière, pouvait reculer jusqu'aux féroces
méthodes de guerre qu'un lent progrès croyait
avoir à jamais abolies. Qu'ils aient ainsi causé des
perles énormes, il serait absurde de le nier;
qu'ils aient grevé notre pays de destructions irré-
médiables, il faudrait, pour le croire, ignorer autant
qu'eu.x-mêmes la richesse du sol français, le cou-
rage de nos paysans et la résistance de notre race.
Qu'ils aient, d'autre part, sauvé leur matériel, les
faits le prouvent; mais qu'ils se soient en même
temps assuré une retraite tranquille, l'énergie qu'ils
ont dû déployer pour la couvrir et la rapidité de la
poursuite française, qui n'a pas été arrêtée un seul
jour, affirment le contraire. Il semblait bien, à la (in
de mars, que le plan d'Hindenburg n'eût pas com-
plètement réussi, que ses fameuses lignes ne fussent
pas entièrement prêtes et que l'élan des troupes
franco-anglaises, comme la souplesse du haut com-
mandement, aient été pour nos ennemis une de ces
découvertes comme ils en ont l'ail déjà plusieurs à
leurdélrimenl. En fait, au début d'avril, rien n'indi-
quait que le repli allemand fût terminé ou touchât à
sa fin, et l'on ne pouvait encore, au moins dans le pu-
blic dont nous résumons ici l'information, fixer avec
précision quelle serait la nouvelle ligne allemande.
I' i' '- -"iilfincnl, CMiriiiic rr-iiHal acquis et
LAROUSSE MENSUKI
Soldats anglais ramassant sur le terrain conquis les objets abandonnas par les Allemands.
menls que personne ne pouvait prévoir et parce
qu'ils ne voyaient pas clair dans les projets alle-
mands, se refusaient à se réjouir de ce qui était
certain. En ravageant tout, en ne laissant derrière
eux que des ruines, les Allemands avaient affirmé
le caractère définitif de leur retraite.
Nous avions, le mois dernier, laissé les Anglais,
après la reprise de Kut-el-Amara, en marche vers
Bagdad et, du côté de la Syrie, après la défaite
turque, en marche vers la Palestine. Ils avaient,
ici et là, continué h obtenir des ré.sultats de la plus
haute portf'e. — Vers Hii.y'liiii, leur avance avait été
La cavalerie britannique, poursuivant renaeoù, passe TOmignon (affluent dr. de la Somme) sur un pont de fortune
construit à la place de celui que les Allemands ont fait sauter en se retirant.
important, que les Allemands avaient abandonné,
librement en apparence, mais en réalité pour éviter
un désastre, des positions très fortement organisées
qu'ils occupaient depuis plus de deux ans, qu'ils
annonçaient leur intention de ne s'arrêter que là où
ils voudraient dans des positions nouvelles d'où on
lie les délogerait pas, mais qu'en même temps ils
prétendaient vouloir substituer la guerre de mouve-
ment à la guerre de tranchées, ce qui était contra-
dictoire. De plus, ils avaient explicitement reconnu,
par leur retraite et par les commentaires dont ils
avaient cru devoir l'accoinpagner, la supériorité de
notre matériel et de celui des. \nglais, ainsi que noire
supériorité numérique. Ils n'avaient pas prévu que
leur stratégie élémentaire ne nous prendrait pas au
dépourvu et que, tout en apportant beaucoup de pru-
dence dans noire marche en avant, nous saurions y
conserver nos avantages. En résumé, le bénéfice de
l'opération, en dépit de la barbarie allemande, était
pour nous, et on comprenait mal, à ce moment, l'état
d'esprit de certains, qui, dans la crainte d'événe-
beaucoup plus rapide qu'on ne l'eût pensé d'abord.
Dès le 11 mars, précédés de leur cavalerie, ils en-
traient dans la ville et continuaient vers le nord
la poursuite de l'armée turque en déroule. Pen-
dant le même temps, les Russes avaient repris
Hamadan le 1" mars et occupé, le 8, le défilé de
Bisoutoun; ils avaient pris Kermanshah le 14 et
poussaient leur marche vers Mossoul, objectif com-
mun de leur effort et de celui des Anglais. A
l'ouest, les Anglais avaient, le 25 et le 26 mais,
complètement battu un important corps turc au sud
de Gaza, qu'ils menaçaient; la roule de Jérusalem
leur était ouverte; ils étaient maîtres de la pres-
(juile du Sinaï et menaient rapidement la construc-
tion d'un chemin de fer qui suivait leurs troupes vers
le nord. Ainsi était réalisée celle prise de Bagdad,
qu'on avait espérée en 1916, que les Allemands
croyaisnt définilivemenl écartée et dont nous avons
indiqué, le mois dernier, la signiftcalion lointaine.
Il importe essentiellement, pour l'avenir de l'Europe
et du monde, que les Anglais conservent Bagdad pen-
dant la durée de la guerre, afin que le sort de cette ville
et celui de la Mésopotamie puissent être réglés en
dehors de l'Allemagne. Nous voudrions que nos lec-
teurs restassent convaincus de l'importance de la
question. La possession de la ligne Hambourg-golfe
Persique et Anvers-golfe Persique est l'objectif
essentiel de l'Allemagne. A la rigueur, elle renon-
cerait à Anvers pour avoir Bagdad et la Turquie
d'Asie. Si elle n'a ni l'un ni l'autre — et il faut qu'il
en soit ainsi — son rêve d'hégémonie s'évanouit. La
paix du monde est à ce prix. Non moins intéres-
sante est l'avance anglaise vers Gaza, la côle sy-
rienne et la Palestine. Les accords germano-turcs
pour la construction des chemins de fer de la Turquie
d'Asie prévoyaient une ligne ferrée vers l'Egypte,
comme ils en avaient concédé une autre vers
Bagdad et le bas Euphrate. Les possessions an-
glaises se fussent ainsi trouvées entre les deux
branches d'une pince puissante, qui eût menacé
l'Inde et l'Egypte et mis en péril tout l'empire an-
glais au profit de l'expansion germanique. L'expé-
dition lurco-allemande vers le canal de Suez, qui a
échoué en 1916, était partie essentielle du grand plan
d'attaque contre l'Angleterre. Tout s'était retourné
contre les Allemands. Nos yeux, obstinément fixés
sur le front occidental, ne se tournent pas assez
souvent vers les résultais obtenus en Asie, qui,
avec ceux qui sont acquis en Afrique, constituent
pour l'Entente un gage d'une valeur inestimable.
Groupe de fusils lance-grenades aceocéa pour partir d'un
seul coup. — Phot. Beaufrire.
120
Enfin, 3n Macédoine, l'armée du général Sarrail
avait indigé à l'armée l)ulgaro-allemand3, qui était
encore aux portes de Monastir et s'acliarnait à dé-
truire cette mallieureuse cité, vide de ses liabitants,
une défaite caractérisée, qui l'avait obligée à aban-
donner ses positions et à dégager les abords de la
ville. L'écnec avait paru assez sérieux au général
Fallienhayn pour qu'il eût exigé la disgrâce et la
mise en jugement du général bulgare sur qui en
pesait la responsabilité. La liaison de l'armée Sar-
rail avec le corps italien de Vallona restait assurée.
Il n'y avait par eu de péril du côté grec. De ce côté
aussi, la situalion, après être restée stationnaire
pendant de si longs mois, avait semblé s'éclaircir
et permettait un instant d'attendre sans trouble d'au-
tres événements.
Sur les autres fronts : en Roumanie, le long de
l'immense ligne russe, sur le Garso. aucun événe-
ment important n'était à signaler. La saison, très
rude dans toute l'Europe, arrêtait toute opération.
On ne voyait pas encore de quel côté les Allemands
porteraient définitivement l'effort de leur attaque, ni
vers quel point
ils dirigeraient
les disponibilités
que leur repli sur
le front français
avait évidem-
ment pour but de
leur procurer, si
tant est que ce
but eût pu être
atteint par eux et
3 ne la vigueur
e notre poussée
ne les eût pas
obligés à conser-
ver toutes leurs
forcessurle front
français.
Ainsi, le mois
de mars nous
avait apporté la
délivrance d'une partie du sol de la patrie et la certi-
tude de notre force militaire. Tous les efforts faits
pour la constitution d'un matériel de premier ordre
et pour la fabrication des munitions avaient donné
les résultats escomptés. Nous nous étions orga-
nisés. Nous avions su attendre le moment où nous
serions prêts Notre patience et notre persévérance
avaient porté leurs fruits. Quelles que dussent être,
par la suite, les difficultés de notre tâche, nous avions
acquis le droit d'espérer. Quant à nos alliés anglais,
ils recueillaient, eux aussi, ce qu'ils avaient semé.
Le pseudo-moine russe Raspoutine.
(c'est-à-dire le Dévoyé)
de sou vrai nom Gregory Novitch.
L'ex-tsar Nicolas II.
Partis de plus loin encore que nous, puisqu'ils n'a-
vaient pas d'armée, ils soutenaient maintenant le
parallèle avec l'armée allemande. En tout, même en
matière d'artillerie, ils étaient devenus des maîtres.
11 y avait là, pour les deux peuples amis, une leçon
singulière, chèrement payée, mais qui pouvait, et
devait, être féconde
Au même moment oti commençait l'avance fran-
çaise sur la Somme et où l'on apprenait la reprise
de Bapaume et de Héronne, la nouvelle de la révo-,
lution russe était rendue publique. — Cette révolu-
tion n'a surpris aucun de ceux qui, connaissant la
marche du gouvei'nement russe, en mesuraient les
lautes et en prévoyaient les conséquences. Elle eût
pu être retardée; elle ne pouvait être évitée. Il y
avait dans cet immense empire, si riche de ressour-
LAKOUSSE MENSUEL
ces matérielles et intellectuelles, si capable de les
mettre en œuvre, si divers aussi et parfois si trou-
blant, un antagonisme trop flagrant entre les intri-
gues de la cour, le Iraditionnalisme corrompu de
la bureaucratie, les aspirations limitées de la bour-
geoisie modérée et éclairée, les souffrances du pe-
Sir George Buchanan,
ambassadeur d'Augleterre en Russie.
L'ei-tsul'iae Alcxaudra l'enduro wjia.
lit peuple, les théories extrêmes du parti ouvrier,
pour qu'un conflit n'éclatât pas. En temps de paix,
ta situation aurait pu se prolonger grâce aux habi-
tudes acquises, à l'apathie des masses, à ce mélange
de concessions et de violences qui caractérise l'auto-
cratie russe, surtout à l'absence de toute cause qui
marquât douloureusement la distance qui séparait
le gouvernement
du peuple russe.
Une grande idée,
ou plutôt un sen-
timenlqiiasi reli-
gieux, faisait l'u-
nion : le respect
fétichiste pour le
Isar, et c'est en
somme sur celte
base fragile que
s'appuyait tout
l'édilice russe. La
guerre, qui avait
déjà provoqué la
crise de 190.D, mit
en lumière tous
les vices du ré-
gime russe. Elle
était, pourlacor-
ruptiouiquifaisait
partie intégrante
du système bureaucratique russe, un terrain de
ciillure trop fécond pour ne |ias arriver à tout
brouiller. Des scandales comme ceux de Soukhom-
linof et de Manioulof, la certitude de trahisons sans
scrupules dont les conséquences furent terribles, les
intrigues allemandes de Sturmer, le fantastique ro-
man de Raspoutine et le pouvoir déconcertant que
ce moine igno-
rant et perverti
pritsurlasociété,
la cour et les sou-
verains,l'influen-
ce dominante et
fâcheuse que la
tsarine, alle-
mande de cœur
et de tendances,
avait sur l'esprit
du tsar, les chan-
gements i nces-
sants de minis-
tres, la confiance
accordée aux mé-
diocres etauxin-
dignes, le mépris
des droits de la
Douma, l'incapa-
cité maîtresse de
tout et aboutis-
sant à la famine, le peuple de Petrograd sans pain,
comme l'armée avait été sans munitions, tout, dans
un milieu ainsi préparé, devait aboutir à l'elîondre-
ment d'un régime qui semblait à l'extérieur présen-
ter toutes les marques d'une solidité inébranlable.
Paul Milioukof.
ministre des Affaires étrangères russe.
«• 723. Ma/ J977.
Pour éviter la catastrophe, il eût fallu une haute et
claire intelligence, un grand cœur et une volonté
de fer. La France ne saurait, sans une ingratitude
qui est loin de son caractère, oublier ce que fut
pour elle le tsar Nicolas 11, l'allié fidèle des bons
et des mauvais jours, le seul soutien sûr que nous
ayons eu dans une cour où dominait l'infiiience
allemande, où l'autorité d'un Sazonow, l'événement
l'a prouvé, eût été insuffisante. Personne ne peut
douter de la valeur morale du souverain qui a pris
l'initiative des conférences de La Haye et qui a
écrit le manifeste admirable par où il a renoncé à
la couronne. Mais il est trop certain que le tsar
Nicolas 11 a manqué de opHp puissance et fie cette
clarté d'espritqui
eussentéténéces-
saires pour ame-
ner peu à peu la
Russie durégime
asiatique de l'au-
tocratie omnipo-
tente et sans con-
trôle au régime
moderne du gou-
vernement parle-
mentaire et de la
liberté des peu-
Eles. Faible et
on, passionné-
ment attaché à la
tsarine, il a subi
sans réagir son
autorité, sans
chercher à voir
de ses propres
yeux. Il eût fallu
Michel RoOsianko, président de la Duunia.
auprès de lui, depuis longtemps, un conseil éclairé,
et qu'il voulût bien l'écouter. Le conseil lui a man-
qué. Les avertissements qui lui sont venus : celui
des négociants de Moscou en 191C, plus récemment
celui de sir Buchanan, ambassadeur anglais, celui
des grands-ducs, sont arrivés trop lard, ou ont été
trop brutaux. Ils l'ont blessé dans son cœur et for-
tifié dans son aveuglement. Il a, par suite, accepté
la responsabilité d'actesdont il fut vraisemblablement
innocent et que, peut-être, il ignora. Il a passé, sans
les faire, à côté des actes essentiels, ("est ainsi, pour
la Pologne, qu'il n'a pas fait ce qui aurait dû être réa-
lisé et qu'il a laissé persécuter affreusement les juifs,
sous prétexte de défense nationale. Il .i cou vert de sa
crédulité et de sa faiblesse les pires injustices et les
cruautés les plus inutiles. Il a marché vers l'aljiine
sans s'en douter. Tant il est vrai que l'Iiistoire esl un
Une relève do la garde au l'alais u hiver de l'etroyrad.
perpétuel recommencement et que ses enseignement»
sontvains. 11 est impossible, tout en tenant compte de
la différence des temps et des races, de n'être pas
frappé des ressemblances qui se manifestent entre
les événements russes et ceux de 17s9 en France.
On sait les changements ministériels qui avaient,
depuis le mois de novembre, surpris et inquiété
l'opinion publique : Sturmer, Trépof, Galilzine
s'étaient succédé au pouvoir. Sturmer avait songé,
cerlainement, à une paix séparée que, seule, la
loyauté de Nicolas II nous avait épargnée. U avait
ouvertement soufi'ert, à côté de lui. la prévarication.
Trépof n'avait fait que passer. Galilzine était un
prête-nom. Cependant, le ravilaillement civil ne se
faisait pas. A côté des scandales dénoncés par Mi-
lioukof et que l'on couvrait de l'iinpunilé, le pain
W 123. Ma; 1917.
LAROUSSE MENSUEL
F'
121
Machine pour creu^
manquait, l'agitation était extrême à Petrograd. La
rentrée de la Douma, au début de mars, ses pre-
miers débats, le discours du ministre de l'agricul-
ture Rittich et la réponse qu'y fit Milioukof donnaient
lieu à une gigantesque et silencieuse manifestation
devant le palais de Tauride et dans les mes de la
capitale. Le gouvernement ne vit pas la gravité de
la situation; il crut s'en tirer, comme il l'avait fait
déjà, en fermant la bouche à la Douma et en l'ajour-
nant. Mais, cette fois, poussée à bout et consciente
du péril que courait la Russie, devinant aussi que
jamais peut-être occasion pareille ne se retrouve-
rait, la Douma refusa de s'incliner. Le 11 mars, elle
nommait une commission executive présidée par
Rodzianlio, président de la Douma; elle prononçait
la dissolution du conseil des ministres et faisait
arrêter ces derniers. Par son altitude énergique,
Rodzianko parvenait à rallier à la cause de la révo-
lution les troupes en garnison à Petrograd, le
régiment Préoljrajenski , — le vieux régiment de
Pierre le Grand, — et organisait un gouvernement.
La résistance de la police impériale, la bataille
dans les rues, mettaient la capitale à feu et à sang,
entre le 11 et le 14 mars. Mais, à cette date, l'ordre
se rétablissait, Moscou faisait cause commune avec
Petrograd, l'armée du front envoyait son adhésion,
un ministère national se constituait sous la prési-
dence du prince Lvof, et l'on pouvait penser que le
régime nouveau, après les soubresauts sanglants
et inévitables de toute révolution violente, allait
trouver son équilibre. Tels sont, très sommairement
rapportés, les faits que le monde entier, privé de
nouvelles russes depuis plusieurs jours, apprit brus-
quement et avec une explicable surprise dans la
journée du Ifi mars.
Leschefsdu mouvementrévolutionnaire n'étaient
des ennemis ni de la monarchie, ni de la dynastie
des Roinanof. Ils voulaient un changement de gou-
vernement et un régime libéral ; ils comprenaient le
danger de jeter dans l'inconnu d'un régime répu-
blicain, réclamé par quelques-uns, la masse ignorante
abord à bras, maintenant actionnée par un mécanisme autuiijauquc.
et superstitieuse du peuple russe; ils croyaient au
prestige et à la nécessité d'un tsar ; ils ne souhaitaient
qu'un changement de personne; ils comptaient que
Le grand-duc Michel, frère de Nicolas II.
Nicolas II abdiquerait en faveur de son fils, qui ré-
gnerait sous la tutelle de son oncle, le grand-duc
Michel, bien connu pour ses opinions liljérales.
Les choses n'allèrent pas tout à fait comme ils l'eus-
sent souhaité. Rejoint par les envoyés de la corn-
MANIFESTE IMPÉRIAL ADRESSÉ PAR LE TSAR NICOLAS II
A SON PEUPLE
Par la grâce de Dieu, Nous, Nicolas II, empereur de toutes les Russies, roi de Pologne,
grand-duc de Finlande, etc., à tous nos fidèles sujets tious faisons savoir :
Aux jours de la grande tulle contre l'ennemi extérieur qui s'efforce depuis trois ans d as-
servir notre patrie. Dieu a voulu envoyer à la liussie une nouvelle et pénible épreuve. Des trou-
bles intérieurs menacent d'avoir une ré/:ercussion fatale pour la marche ultérieure de la guerre
tenace. Les destinées de la Russie, l'honneur de noire armée héroïque, le bonheur du peuple,
tout l avenir de notre chère patrie veulent que la guerre soit menée à tout prix jusqu'à une fin
victorieuse. i < ^ i
Notre cruel ennemi fait ses derniers efforts, et proche est le moment oit notre vaillante
armée, de concert avec tios glorieux alliés, abattra définitivement l'ennemi.
lin ces jours décisifs pour la vie de la Russie, nous avons cru devoir à notre conscience de
faciliter à notre peuple une étroite union et l'organisation de toutes ses forces pour la réali-
sation rapide de la victoire.
C'est pourquoi, d'accord avec la Douma d'empire, nous avons reconnu pour bien d'abdiquer
la couronne de l'Etat et de déposer le pouvoir suprême.
Ne voulant pas nous séparer de notre fils aimé, nous léguons notre héritage à notre frère,
le grand-duc Michel- Alexandrovitch, le bénissant de son avènement au trône de l'Etat russe,
^ous léguons à notre frère de gouverner en pleine union avec les représentants de la nation
siégeant aux institutions législatives et de leur prêter un serment inviolable au nom de la
patrie hien-aimée.
Nous faisons appel à tous les fidèles fils de la patrie, leur demandant de remplir leur devoir
sacré et patriotique en obéissant au t.mr dans ce pénible moment dépreuves nationales et de
l aider avec les représentants de la nation à conduire lElat russe dans la voie de la prospérité
et de la gloire.
Que Dieu aide la Russie.'... NICOLAS.
mission, Nicolas II consentit sans dimculté, dans la
nuit du 15 au 16 mars, h renoncer h la couronne.
Le manifeste qu'il adressa à son peuple pour an-
noncer sa résolution est un document d'une rare
valeur morale et d'une élévation de pensée qui rachè-
tent bien des faiblesses. Il montre sous son vrai
jour Nicolas II, mystique, honnête et patriote, écrasé
sous la lâche formidable de pasteur d'un peuple de
180 millions d'âmes, plus attaché à sa famille qu'à
son trône. 11 fait comprendre l'influence de la tsarine
et l'inéluctable fatalité de la situation. Mais, en abdi-
quant, Nicolas II abdiquait aussi pour son fils, dont
il ne voulait pas se séparer, et légu:iit la couronne au
grand-duc Michel. Celui-ci, à son tour, déclarait ne
vouloir accepter le pouvoir que si « telle était, disait-
il, la volonté de notre grande patrie, qui doit, parplé-
biscile et parl'organe de sesreprésenlanls de l'Assem-
blée constituante, établirla forme du gouvernement
et les nouvelles lois fondamentales de l'Etat russe ».
11 invitait donc tous les Russes à se soumettre au
gouvernement provisoire, « formé sur l'initiative de
la Douma et investi de toute la plénitude du pouvoir
jusqu'à ce que, dans un délai aussi bref que possible
et sur la base du suffrage universel, direct, égal et se-
cret, l'Assemblée constituante exprimât par des déci-
sions relatives à la forme du gouvernement la volonté
du peuple ». Ainsi, d'un seul coup, la question de la
forme du gouvernement était posée, le suffrage uni-
versel était créé, et le dogme du tsarisme disparais-
sait.Tout cela n'était pas pourdiininuer les difficultés.
La révolution russe, en ellet, faite, comme il arrive
souvent, par des modérés, courait le risque d'être
entraînée par les extrêmes et, tout au moins, beau-
coup plus loin que ne l'avaient désiré ses auteurs.
La Douma, quelque sages que fussent ses in-
tentions, ne pouvait se passer du concours des ou-
vriers et de l'armée. En ce qui concerne cette der-
nière, la situation se compliquait de ce fait que la
Douma se trouvait en contact immédiat non avec
les troupes du front, bien encadrées et disciplinées,
mais avec des troupes de garnison, dont les dispo-
sitions et le moral n'étaient pas aussi solides. Elle
dut donc transiger et accepter qu'à côlédugouverne-
ment provisoire
siégeât une as-
semblée tumul-
tueuse de seize
cents ouvriers et
soldalsdontilfal-
lait enrayer les
tendances extré-
mistes. Le dan-
ger, pour le nou-
veau gouverne-
ment, était, en
effet, de glisser
dans la démago-
gie, dans les me-
sures violentes,
dans la rupture
avec le passé,
peut-être dans le
terrorisme. Il fit
des efforts im-
menses pour évi-
ter ce malheur. Pourtant, l'arrestation du tsar et de
la tsarine, celle de plusieurs membres de la famille
impériale, le retrait du commandement suprême
de l'armée que Nicolas II, en abdiquant, avait conlié
au grand-duc Nicolas, furent des mesures néces-
saires, sans doute, pour éviter une contre-révolution
et couper court aux inlrigues germanophiles, mais
qui marquèrent la rapidité avec laquelle l'évolution
se faisait, ou semblait se faire, vers des conceptions
politiques nouvelles. Une fois de plus, un édiîice sé-
Le prince Lvof, président du ^uvem«roeat
provisoire en Russie.
122
LAROUSSK MENSUEL
Dans leur reti-aite, les Allemands ont coupé les arbres et les ont jetés en travers des routes pour retarder la marehe
des troupes franco-anglaises, (jui les serrent de très près.
culaire, qui défiait le temps et le progrès des idées,
tombait en miellés au premier choc. — Il était impos-
sible, à la fin de mars, de pronostiquer l'avenir de la
révoliilion russe. Les détails manquaient. Ceux que
donnait la presse avaient un caractère tendancieux et
unilatéral. Cependant, on avait l'impression nette que
la révolution, malgré les dangers que lui faisaient
ressaut pour nous que les révolutionnaires dans
leurs déclarations et le tsar dans son manifeste au
peuple russe se soient trouvés d'accord pour pro-
clamer que ce but était une lutte sans trêve et jus-
qu'au bout contre les Empires centraux. On pou-
vait dire alors ce qu'on avait dû taire jusque-là, à
savoir que le grave danger d'une paix séparée, im-
posée à Nicolas 11 par l'impératrice et le parti alle-
mand, avait lourdement pesé sur l'Entente et que
le péril n'eût peut-être pas pu être indéfiniment
conjuré. Or, une paix séparée, c'était, outre de très
graves difficultés pour la France, l'Angleterre et
l'Italie, la mainmise de l'.Mlemagne sur la Russie,
la renonciation à toutes les aspirations russes, le
triomphe de la bureaucratie. Tous ceux qui ont fait
la révolution, tous ceux qui peuvent en profiter et
que menacerait un retour de l'ancien régime le sen-
taient vivement, et il était évident que le salut de
la révolution, comme l'avenir de la nal ion russe, était
du côtéde l'Entente, c'est-à-dire du ci^té des nations
où les libertés puliliques ont le plus disposé les es-
prits à comprendre et à favoriser l'essor si désirable
du peuple russe. Aussi bien, en France et en An-
gleterre, la révolution russe a-telle trouvé un appui
moral et une sympathie active non seulement au-
près des gouvernements, mais auprès des Assem-
«• 123. Mai 1917.
blées délibérantes etde l'opinion publique. En France,
où le tsar comptait tant d'amis modestes et inconnus,
dont A, Ribot a été, en fait, l'interprète à la tribune
de la Chambre, la destruction d'un régime dont tout
le monde connaissait la rigueur a pu surprendre
ceux qui n'étaient pas avertis, inspirer des craintes
amicales à ceux qui, .souhaitant la réforme du régime,
redoutaient que la soudaineté et l'étendue du niou-
vejnent ne fussent au détriment de sa solidité; mais
tous ont accueilli avec espoir l'avènement d'une ère
nouvelle. Le gouvernement provisoire russe avait
fait, d'ailleurs, au sujet de la continuation de la
guerre, les déclarations les plus positives, et on pou-
vait espérer que les tendances aveuglément pacifistes
de certains partis extrêines ne viendraient pas gêner
l'action très déterminée que la majorité de la nation
était décidée à soutenir. Il n'est pas contestable,
en outre, que l'établissementen Russie d'un système
politique qui serait basé sur la volonté populaire soit
le seul moyen pratique de résoudre les questions de
nationalité si aiguës dans ce vaste empire, si habi-
lement entretenues par l'Autriche et l'Allemagne,
et que le système autocratique était incapable de
conduire à une solution acceptable. La question po-
lonaise, la question finlandaise, la question lithua-
nienne, la question ruthène, la question juive, étu-
diées en fonction d'un gouvernement libre et repré-
sentatif, prennent un tour qu'on n'avait pu jusqu'ici
envisager. Ces diverses considérations n'avaient
certainement pas échappé à l'Allemagne, qui s'est
toujours montrée si malhabile à se faire supporter
par ses allogènes et qui, à l'heure présente, se trouve
fort gênée dans sa politique à l'égard de la Pologne.
Elle avait vu très clairement aussi que l'écrasement
brusque du parti de l'impératrice en Russie lui
retirait de la main des atouts très forls, qu'elle
comptait sans aucun doute abattre au moment choisi
par elle. Le mot d'ordre, dans la piesse allemande,
semble avoir été d'abord de traiter négligemment le
mouvement russe et de faire ensuite des avances
au peuple russe en vue de la paix. C'est la politique
qu'avait adoptée le chancelier allemand dans les
démarches qu'il fit faire auprès des socialistes rus-
ses par les socialistes allemands, ainsi que dans son
discours du 30 mars. La façon dédaigneuse dont il
avait parlé du tsar Nicolas et l'hypocrisie de ses
déclarations relatives au peuple russe avaient dénoté
son embarras et avaient manqué de noblesse. La
révolution russe ne pouvait être pour le gouverne-
ment allemand qu'un sujet d'inquiétude. Les mou-
vements politiques de ses voisins ont souvent eu
une répercussion immédiate on lointaine en Alle-
magne. Si les embarras d'un gouvernement naissant
pouvaient être exploités au point de vue militaire,
l'agitation des esprits en .'\llemagne n'était-elle pas
une redoutable compensation, et le gouvernement
impérial serait-il, au re.^ard des éléments avancés
du peuple allemand, dans une position aussi aisée
en lace il'une Russie libre qu'en l'ace d'une Russie
autocratique? II y avait là un redoutable point d'in-
terrogation.
Bien que les événements de Russie eussent dépassé
en conséquences possibles tout ce qui était survenu
d'inattendu depuis le début de la guerre, l'attention
avait été, pourtant, retenue fortement sur d'au-
tres faits très caractéristiques. Le plus curieux et le
Vu abri dans les montagnes, sur le front italien des Alpes.
courir la violence de certains courants sociaux, les
utopies qui, en pareil cas, trouvent l'occasion d'une
existence éphémère et l'inexpérience de ceux qui
la conduisaient, se maintenait alors dans des voies
aussi sages que possible, par où l'on pouvait espérer
qu'elle parviendrait à trouver une assiette stable.
Assurément, nous ignorions complètement ce qui se
passait dans les provinces et dans les campagnes et
comment le nouveau gouvernement se mettait en
relations avec toutes les parties si disparates de
ce corps immense. II fallait constater que ceux qui
le composaient : Rodziauko, Milioukof, Gherenski,
Lvof et leurs collaborateurs, de même que la majo-
rité du comité mixte d'ouvriers et de soldats, mal-
gré la diversité de leurs origines, avec une indomp-
table énergie, une infatigable bonne volonté et un
sens parfait des réalités, travaillaient à maintenir la
Russie dans l'observation des lois, à éviter les con-
fiits et à grouper toutes les forces sociales, ethniques,
religieuses, militaires, pour une action unique vers
un but commun.
II est très remarquable et singulièrement inté-
L«s cauous auirichieus do ^rus calibres s'installent dans la Caraiol« oocidentale.
s- 123. Mai 1917.
moins prévu fut, sans aucun doute, la rupture des
relations diplomatiques enlre la Chine et l'Allema-
gne. Dès la fin de février, une sérieuse tension s'é-
tait marquée, nous l'avons dit, enlre les deux Etats.
La Chine avait fermement prolesté contre la guerre
sous-marine. La réponse de l'Allemagne avait été
hautaine. Le li mars, la Chine rappelait son am-
bassadeur et renvoyait le minisire d'Allemagne.
On affecta, en Allemagne, de considérer ce geste
comme sans conséquences pratiques. Dans son dis-
cours du 30 mars, Belhmann-Holweg ne craignit
pas de menacer la Chine et de s'élonner de l'erreur
que, selon lui, elle commetlail. Kn fait, si la rup-
ture avec la Chine n'a pas de conséquences mili-
taires possibles, en dehors d'une fourniture de main-
d'œuvre qui est pour nous un secours très appré-
ciable, les répercussions économiques et diplomati-
ques de cet acte sont considérables. L'Allemagne a,
en Chine, de gros intérêts, d'importantes conces-
sions; elle avait une grosse influence morale. Elle
avait pu, tel Louis XI'V avec le pape, faire élever
à Pékin, par les Chinois, un monument commémo-
ralif dn meurtre de son ministre en 1899. Elle es-
comptait en Extrême-Orient un développement com-
mercial et industriel 1res important, qui eût été la
base d'une action politique sur la Chine et contre le
Japon; elle y voyait, en même temps, un entrepôt de
matières premières d'une rare richesse. En dépit de
la désinvolture du chancelier, tout cela était remis
en question, et il était du moins de la plus éclatante
évidence que, pour l'heure, l'influence prépondérante
en Extrême-Orient élait celle de l'Entente. Rayer
un pavs, un monde comme la Chine, du nombre des
Etats où l'Allemagne, en temps de guerre, pouvait
faire du commerce, intriguer et préparer l'avenir,
c'était un coup bien plus grave qu'on ne voulait le
laisserparailre, etle dédain du chancelierdutà beau-
coup d'esprils en Allemagne paraître hors de saison.
L'acheminement certain vers la perte du marché
chinois était un accident d'autant moins négli-
geable que lesElats-Unis, lentement, mais avec une
réflexion dont les elTets pouvaient être redoutables,
s'acheminaient vers la guerre, ou tout au moins vers
une rupture de plus en plus hostile et de moins en
moins neutre. Au début de mars, le président
Wilson avait demandé au Congrès l'autorisation
d'armer les navires
marchands américains
elpleinspouvoirspour
prendre toutes les mc-
suresquecomportaient
l'honneur et la sécu-
rité des Etats-Unis. La
Chambre des représen-
tants avait volé le bill.
La majorité du Sénat
était décidée à faire
de même. Mais une pe-
tite minorité pacifiste
de treize membres ,
dont le plus actif était
le .sénaleiir LaloUette,
profilant de ce que les
pouvoirs du Sénat ex-
piraient aulomalique-
menl le 4 mars à midi
et de ce qu'aucun ar-
ticle du règlement in-
térieur de cette .assem-
blée ne peruieltait de
retirer la parole à un
orateur, avaient usé
du moyen obslruclion-
niste souvent employé
au Reichsralh d'Au-
triche. En parlant.jus-
qu'à midi, ils avaient
empêché un vote d'in-
tervenir. 83 sénateurs
sur 96 signèrent alors
une adresse au prési-
dent, dans laquelle ils
déclaraient approuver
la loi et les pleins pou-
voirs. Mais le prési-
dent Wilson ne voulut
point user des droits
que lui donnaient et la
(k)nstitution et le vole
de la Chambre et la
déclaration du Sénat,
avant que celle Assem-
blée,convoquéeà nou-
veau le 3 mars, eût
modifié son règlement
et décidé que, lorsque
les deux tiers de ses
membres le demande-
raient, toute discussion
pourrait être close.
Entre temps, le prési-
LAROUSSR MENSLJKL
123
de la garde iuipcnalu.
^poruiance.)
règlement du Sénat et la portée de l'acte d'obstruc-
tion des sénateurs pacilisles : « Un petit groupe
Troupes de montagne austro-boogroises émergeant d'un ravin. daa« le TrenUn.
dent Wilson s'élait de nouveau manifesté par deux
documents importants. L'un était une adresse au
peuple américain pour faire sentir tout le danger du
d'hommes opiniâtres, disait-il, ne représentant au-
cune opinion que la leur, ont réduit la grande na-
tion américaine k l'impuissance et l'ont, de ce fait,
soumise au mépris. » L'autre était le discours inau-
gural qu'il avait prononcé, le i mars, en prenant
possession de sa deuxième présidence. Il y définis-
sait en termes précis et saisissants le rôle et le but
des Elals-Unis :
Nous ne sommes plus des provinciaux. Les événements
tragiques des trente mois de guerre que nous venons do
vivre nous ont constitué citoyens du monde. Il n'y a pas
à revenir en arrière. Que nous le voulions ou non, ta
fortune de notre pays est en jeu. N'en concluez pas que
nous en soyons pour cela moins Américains. Nous serons,
si possilile,' plus Américains encore, mais nous resterons
fidèles aux principes dans lesquels nous avons été nourris.
Ces principes ne sont pas d'une province on d'un continent,
ils sont ceux que nous avons toujours afficiiés comme
étant ceux du monde entier. Ce que nous sommes prois à
soutenir par la paix ou la guerre, c'est ceci : toutes les
nations sont également intéressées à la paix du monde et
à la stabilité politique des peupleslibres et sontégalement
responsaltles de leur maintien ; — le principe essentiel
de la paix est l'égalité de toutes les nations, on tous droits
ou privilèges. La paix, pour être durable, doit avoir pour
base un juste équililàre des forces militaires ; — les
gouvernements tirent leur pouvoir légitime du consen-
tement des peuples. Aucun autre pouvoir ne devrait être
admis dans la formule des nations ; — les mers doivent
être libres et ouvertes à tous les peuples, selon les règles
fixées d'un commun accord et arrêtées do manière à être
applicables à tous, sur un pied d'absolue égalité ; — les
armements de chaque pays devraient être limités aux
nécessités d'ordre et do sécurité nationales. Chaque puis-
sance a le devoir de veiller à ce que ses concitoyens no
suscitent pas de troubles dans les autres pays.
Il était bon de fixer ici renonciation des principes
au nom desquels agissent le président Wilson et
les Etals-Unis. Au milieu des renseignements con-
tradicloires des journaux et des articles inspirés
que l'Allemagne fait envoyer en Amérique par les
correspondants des organisations de presse qui
combattent pour elle, ils font comprendre la force
de la position prise par l'Amérique. — Le mois de
mars ne nous avait pas apporté la décision définitive,
qui ne pouvait être prise qu'après la réunion du
Congrès, extraordinairement convoqué pour le
2 avril. Mais la résolution, annoncée le 10 mars,
d'armer les navires marchands, l'activité déployée
par les départements de la guerre et de la marine,
les mouvements de l'opinion publique, l'union évi-
dente de toute la nation américaine, l'avortement
de la grève des chemins de fer, plus que tous les
actes de l'Allemagne contraslant d'une manière
éclatante avec ses déclarations ollicielles, le coulage
de l'Algonquin, puis de la Vigilitnlia, de VlUinois,
de la Cilij uf Memphis, où périrent des Américains,
tout cet ensemble de faits permettait de conclure
que la position de neutralité armée que le président
Wilson voulait prendre conduirait peu à peu, parla
force des faits, à un véritable état de guerre, peut-
être sans déclaration de guerre.
Ainsi, le nombre des nations neutres diminuait de
plus en plus. Celles qui conservaient la neutralité
vivaient dans un état de malaise qui leur faisait
péniblement supporter la longueur de la guerre. —
124
Encore une fois, nous ne parlons ici de la Grrce
que pour mémoire. La révolution russe et la reprise
de l'activité militaire du côté de Monastir, la sévi-re
leçon du blocus étaient sans doute pour elle des
sujets amers de réflexion et, il fallait l'espéror, dos
Une des principales rues de Bagd.id
garanties de tranquillité pour les Alliés. On devait,
cependant, tenir un compte sérieux de l'excitation
des partis, de la complicité du roi avec les violents,
du travail sans pudeur de la propagande allemande.
On pouvait encore prévoir l'obligation, pour l'En-
tente, d'intervenir une fois de plus, et il élait à sup-
poser que cette intervention n'aurait plus aucune rai-
son de ménager Constantin et ses amis. — La Suède
se débattait dans les dillicullés ministérielles qui
avaient pour origine le rejet partiel des crédits mili-
taires. Le ministère Hammerskjoeld-Wallenberg,
qui avait donné, puis retiré, sa démission, était à la
fin du mois de nouveau démissionnaire. — Dans les
autres Etals Scandinaves, la question du blocus était
la seule qui intéressât les gouvernements et les peu-
ples. Il eu élait de même en Suisse, de même en
Hollande. Ici, le gouvernement avait dùrefuserl'offi'e
de dédommagement faite par l'Allemagne pour le
loi-pillage de sept navires hollandais en février,
parce que l'Allemagne présentait cette réparation
sur un Ion inacceptable, non comme un acte de
juste indemnité, mais comme un acte d'humanité.
Partout, surtout en Hollande et en Suisse, se posait
d'une manière aiguë la question du commerce avec
l'Entente et avec l'Allemagne. La Suisse s'apercevait
qu'elle avait été jouée, qu'elle avait livré son bétail
et qu'elle n'avait pas reçu en échange le charbon
promis. De plus en plus l'opinion publique, en
France et en Angleterre, s'inquiétait de la part
excessive que la Hollande prenait au ravitaillement
en viande de l'Allemagne. La nécessité de mettre
fin à cette situation, de resserrer le blocus, s'impo-
sait. L'heure élait passée où l'appàldu gain pouvait
expliquer les hésitations et les complaisances. 11
fallait être avec l'un ou avec l'autre, et il devenait
insupportable que l'intérêt mercantile de quelques-
uns, ou la peur de la grosse voix allemande, prolon-
geassent les souffrances du monde entier. Tout an-
nonçait que des mesures énergiques allaient être
LAROUSSE MI-NSUEL
prises. — L'Espagne restait dans son isolement, uni-
quement occupée de rendre service et de soulager les
misères communes, en môme temps que de se garder
de l'intrigue et de l'emprise allemandes. La ferme alti-
tude du gouvernement avait fait écliouer une grève
générale menaçante.
Chacun sentait la gra-
vité du moment.
Chez les belligérants,
aucun fléchissement,
d'aucun côté. L'Angle-
terre continuait à or-
ganiser et à maintenir
dans un état admirable
sa 11 méprisable petite
armée », devenue for-
midable. Elle ne s'é-
mouvait plus des raids
des zeppelins, même
conçus sur le mode
colossal. Elle cherchait
à régler la question
d'Irlande, et le dis-
cours de Llyod George
à la Chambre des com-
munes, le 7 mars, avait
posé le problème du
home rule el de l'Uls-
ter avec une impla-
cable logique, qui n'é-
lait pas sans embar-
rasser les nationalistes.
Elle montait sévère-
ment la gardedes mers,
et il était évident que,
deux mois après la dé-
claration allemande de
renforcement du blo-
cus, la guerre sous-
marine n'avait pas ac-
quis un caractère d'a-
cuité accrue qui pût
la rendre irrémédiable-
ment menaçante pour
l'Entenle. L'Angle-
terre ne faisait pas,
par principe, connaître
le mal qu'elle faisait à
la marine submersible
allemande; mais ce mal
était réel, el le chance-
lier allemand, dans son
discours du 30 mars,
n'avait faitauxexploils
des sous-marins qu'une
allusion discrète et à
double entente.
La situation exacte
clerAUemagneétaitdil-
licile à préciser. Desdo-
luments ofliciels, des
discours publics mon-
Iraientunegênealimen-
taire grandissante, une
extrême difficullé à
faire la soudure entre les stocks qui s'épuisaient el la
nouvelle récolte, dont on ne pouvait, après un hiver
très rigoureux, calculer le rendement exact, un mé-
contentement populaire qui provenait de l'inégale ré-
partition des produits alimentaires entre les diffé-
rentes classesde la société. Jusqu'oi^i allait le malaise?
Avait-il réellement donné lieu à de graves émeutes?
«• 723. Ma; 1917.
avaient baissé. Celui du vice-chancelier HelITerich, le
21 mars, avait énoncé des vérités redoutables. D'au-
tre part, nous ignorions quel effet avait fait au juste
sur l'esprit public allemand le « génial « recul d'Hin-
denburg. Il y avait à se demander quelle avait été,
sur les esprits allemands el dans le milieu socialiste,
la répercussion des événements de Russie, quelle
était la profondeur du mouvemenl, dont on faisait
grand bruit dans les journaux, en faveur de la réforme
électorale en Prusse? Quelle était la porlée exacte
des discours, d'une rare hardiesse, que le Reichstag
avait entendus, non sans protester, mais sans sévir
contre leurs auteurs et dans lesquels Kiinert, Haase,
Ledebour, Noske avaient atlaqué violemment non
seulement le chancelier, mais le régime prussien
et le militarisme lui-même? Quelle était la situation
exacte du chancelier Bethmann-Hollweg? Comment
devait-on apprécier, d'un côté, son refus net el sans
équivoque de travailler, à l'heure actuelle, k la ré-
forme du système électoral prussien, de l'autre, la no-
mination à une grosse majorité, sur la proposition de
Ledebour, d'une commission de 28 membres chargée
d'étudier celle réforme? Devait-on y voir l'annonce
d'un changement d'orientation, le grondement loin-
tain des revendications socialistes impatientes de
se réaliser ou, plus simplement, suivant une opi-
nion recueillie par le Times, une collusion entre
le chancelier el les partis avancés, une sorte de
satisfaction verbale (Iouikm! ;i l'opinion piililirpie el
que rien ne de-
vait suivre, une
comédie bien tru-
quée el où cha-
cun avait fidèle-
ment joué son rô-
le?Cettedernière
supposition, si
contraire à nos
mœurs, n'est nul-
lement impossi-
ble dans un pays
où la liberté poli-
tiquen'estqu'une
façadehabile,der-
rièrelaquelleagil
unpouvoirenréa-
litéabsolu.S'ilen
était ainsi, il faut
pourtant recon-
naitrequelegou-
vernement jouait
unjeubiendange-
reux. Mais nous
avons toujours dit qu'il fallait être prudent dans nos
conjectures et ne pas jauger le Michel allemand à la
mesure du Jacques Bonhomme français, llsul'lisait de
conclure que, même en mettant les choses au mieux
pour les Allemands, même en leur supposant des pro-
jets gigantesques vraiment impossibles à prévoir el
qui mettraient dans l'embarras soi lies Anglaise t nous,
soit les Italiens, l'Allemagne avouait une gène qu'elle
n'avait aucun intérêt h. feindre, bravait l'Amérique
faute de pouvoir l'apaiser et sentait enlin toute la tra-
gique gravité de sa situation intérieure etextérieurc.
Nous continuions d'être très mal renseignés sur
l'Aulriche, qui, après la première agitation causée
par l'avènement d'un jeune empereur, était rentrée
dans le silence et l'ombre. En dépit des bruits con-
tradictoires, il ne semblait pas que le comte Ti.sza
fût sur le point de céder la place, et il était impos-
sible de dire quelle était exactement, à l'égard des
divers éléments de sa monarchie, la politique de
Le comte Czernin, ministre commun des
Affaires étrangères d'Autriche-Hongrie.
batterie de montagne indienne en marctie sur Bagdad.
Y avail-il un trouble général, ou simplement des
mouvements locaux dont la presse allemande pou-
vait, pour nous tromper, exagérer l'importance ? Il
était sage de ne rien exagérer et de s'en tenir à ce
qui était incontestable : il y avait en Allemagne non
pas famine, mais disette, et la nervosité du peu-
ple s'en élait accrue. On avait prononcé des paroles
graves. Le ton et l'assurance des discours officiels
Charles IV. Mais il fallait retenir que l'Aulriche
n'avait pas, alors, rompu avec l'Amérique, ni l'Amé-
rique avec l'Autriche; que le mémorandum adressée
Washington au début de mars, alambiqué et obscur,
laissait place àdesconversation3;ennn, qu'au terme
du même mois, on prêtait au comte Czernin des dé-
sirs de paix et des velléités de Congrès qui, vraisem-
blablement, correspondaient sinon à des proposi-
«• 123 Mai 1917.
ARMENIE ET MESOPOTAMIE
125
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Légende
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126
lions concrètes, du moins à un état d'esprit qu'on
avait le droit de supposer généralisé en Autriche.
Sans doute, on pouvait, là encore, supposer que le
comte Czerniu n'était qu'un porte-parole de l'Alle-
magne, chargé de renouveler, peut-être avec plus de
précision, le geste pacilique de décembre, et il n'y
avait pas à tirer de ces bruits des conclusions pré-
maturées; mais il restait très probable, d'une part,
que de plus en plus l'Autriche s'épuisait et qu'elle
avait hâte de voir terminer une guerre d'où elle
n'avait, en aucim cas, rien de bon à tirer; d'autre
part, que l'Allemagne restait désireuse d'aboutir
vite à la fameuse paix « allemande", qu'elle promet-
tait à ses peuples depuis longtemps.
En France, le conseil national socialiste, qui s'était
réuni le 4 mars, avait, au milieu de discussions pé-
nibles, qui avaient dévoilé desdivisions regrettables,
flétri la politique pacifiste, qualiliée de « kientha-
lienne ». Huis, en présence de l'abstention des An-
glais et des Italiens, le parti avait renoncé au
Ija mogquée de Kaamein, à Bagdad.
Congrès international qui devait se réunir à Paris.
— La trêve ministérielle que nous avions signalée
en février avait pris fin. Le 9 mars, la question
du ravitaillement civil avait amené à la tribune
le ministre Herriot, qui, héritier d'une situation
presque inextricable, n'avait pu, naturellement, en
quelques semaines, malgré ses efforts, en appor-
ter une solution satisfaisante. La discussion avait
tourné à l'aigre et aisément dévié vers une attaque
contre le cabinet Briand. Une majorité de 258 voix
contre 178, puis de 296 voix contre 1, semblait
avoir, une fois encore, assuré la paix ministérielle.
Le 14 mars, un incident inattendu remettait tout
en question. Après une séance secrète où r(m avait
discuté la question de l'avialion et d'où l'on sor-
tait d'accord, le général Lyautey, ministre de la
guerre, lisait à la tribune un discours qui, avant la
séance secrète, n'eût sans doute soulevé aucune pro-
testation, mais que la Chandire, après cette séance
et dès les premières phrases, refusa d'entendre.
On devine, d'après ce qui en a été publié, que le
minisire énonçait, dans une forme peut-être insuffi-
samment parlementaire, quelques propositions rela-
tives aux rapports du gouvernement et de la Cham-
bre, dont l'expression ne pouvait être acceptée par
les députés. Il semble bien que, dans cet incident
lron<|ué, on eût pu trouver la manifestation concrète
d'opinions relatives au Parlement, que beaucoup de
citoyens qualifient de « vérités », mais que le Par-
lement, (|ui a conscience du rôle actif qu'il a joué,
ne saurait accepter. Quoi qu'il en soit, le général
Lyautey quitta la Chambre, et l'incident fut clos par
un ordre du jour de confiance, voté à l'unanimité
à main levée. Mais la démission du ministre de la
guerre, qui suivit, ouvrit une crise. Briand essaya de
reconstituer son ministère. Les concours qu'il sou-
haitait, et qui lui étaient nécessaires, notamment celui
du député Painlevé, qu'un groupe de parlementaires
désirait voir au ministère de la guerre, lui ayant été
refusés, il préféra se retirer devant une opposition
qui, quelques jours auparavant, s'était déclarée «sys-
tématique » (17 mars!. Chargé par le président de la
République de former un nouveau ministère, Alexan-
dre Ribot se présentait au Parlement dès le 20 mars.
Il avait conservé les principaux collaborateurs de
Briand :'Viviani, Clémentel, l'amiral Lacaze, Malvy
et tous les sous-secrétaires d'ICtat. Il ne lui manquait
qu'IIerriot et Doumergue. II avait donné le ministère
de la guerre à Painlevé, les travaux publics à Desplas,
le ravitaillement à Viollette, les finances à Thierry.
Il prenait lui-même les affaires étrangères. C'était,
en somme, le ministère Briand accru de quelques-
LAROUSSE MENSUEL
uns de ceux qui avaient le plus souhaité sa chute.
Plusieurs autres, qui avaient partagé ce souhait,
n'en étaient pas. Le ministère Ribot, à son premier
contact avec la Chambre, après la lecture de sa
déclaration, avait recueilli la presque unanimité.
Quelques jours après, cet élan était déjà brisé et, à
propos de surenchères électorales qui compromet-
taient la défense nationale, Painlevé était déjà près
que obligé de poser la question de confiance et ne
voyait pas autour de lui beaucoup plus de fidèles
que n'en avait eu, pendant plusieurs mois, le mi-
nistère Briand : symptôme regrettable, qu'il faut
pourtant noter, parce qu'il dévoile nettement la va-
riété des préoccupations et des sentiments qui divi-
sent le Parlement, en un moment où les nécessités
d'une guerre terrible devraient faire l'union intime.
Le pays n'a pas compris le départ du ministère
Briand; il ne comprendrait plus rien du tout si le
ministère Ribot était mis dans l'impossibilité de
faire ce qu'il a promis de faire, et qu'il peut faire.
L'heure n'est pas aux jugements. On
iloit dire seulement ici, avec l'impar-
lialité qu'on entend apporter en toutes
matières, et surtout dans la matière
politique, qu'Aristide Briand n'a pas
été diminué par l'opposition qui s'était
formée contre lui à ta Chambre et qui
n'est pas parvenue à le renverser. Après
dix-sept mois de pouvoir, pendant les-
quels il a montré de grandes qualités
<i'homme d'Elat dans les circonstances
les plus tragiques, il est parti de son
plein gré, ne voulant pas donner au
l^arlement, en ce temps-ci, l'occasion
lie se dépenser en luttes stériles, qui
risqueraient, si elles se prolongeaient,
d'être funestes au régime lui-même.
Les services qu'il a rendus sont de
ceux qu'on n'oublie pas; l'histoire, qui
a le temps d'attendre et qui ne s'émeut
pas parce que tous les actes d'une po-
litique ne rendent pas instantanément
ce qu'on espérait d'eux, jugera les
siens quand nous en aurons recueilli
les fruits. On doit souhaiter que ses
successeurs aient une vue aussi claire
de l'intérêt de la France et de l'Eu-
rope, un sentiment aussi ferme de
notre dignité, une aussi haute autorité
dans les conseils alliés. Le ministère
Ribot était, après celui de Briand, le
plus désirable; la haute intelligence et
la solide tenue morale de son chef étaient une ga-
rantie inestimable. Le devoir de tous les Français
était de faciliter sa tâche. — Jules Gekbault.
G-uy (Georges-Guillaume), acteur français, né
à Paris le 3 mai 18.57, mort dans celte même ville
le 28 février 1917. Il fit son éducation au pension-
nat d'enseignement secondaire des Frères de Passy.
On lui avait fait apprendre la musique dès sa pre-
mière enfance, et il montrait des aptitudes excep-
tionnelles pour le violon. L'excellent acteur comi-
que Berthelier venait, les jours de fêle, organiser
des représentations chez les Frères, pour divertir
les élèves. H re-
marqua l'intérêt
passionné que le
jeune Guy por-
tait àl'artdrama-
liqueetlui confia
de petits rôles où
ses dons se ma-
nifestèrent. L'en-
fant prit con-
science de sa
vocation et, en
courage par l'ap
probation de Ber-
thelier, soutenu
par ses conseils,
il décida d'em-
Ijrasser la car-
rière théâtrale. A
dix-neuf ans, il
débutait sur la
scène lyrique de la rue Taitbout, malgré la résistance
de ses parents, qui, volontiers, eussent accepté qu'il
devînt un virtuose, mais ne le voyaient pas sans
appréhension devenir un comédien. Guy ne cessa
jamais complètement de cultiver son talent dé vio-
loniste etsutmême l'utiliserfort agréablement dans
un rôle d'une opérette intitulée : un Lycée déjeunes
filles (Climy, 18S1).
Ce n'est qu'après son service militaire qu'il se
voua entièrement à l'art. Auparavant, il était entré
comme employé au comptoir Lyon-Alemand, sui-
vant le désir de sa famille. Mais il y consacrait la
plus grande partie de son temps à l'étude de ses
rôles. Dès sa sortie du régiment, il fut engagé aux
Folies-Dramatiques, pour y jouer Boccace et la
Hriricesse des Canaries; puis il passa au théâtre de
Cluny, et fit ensuite en Amérique, avec Maurice
Gros, une tournée qui dura deux ans.
Guy.
«• 123. Mai 7917.
De retour en France, Guy joua une saison au théâ-
tre des Célestins de Lyon, revint à Paris et entra
aux Nouveautés, où il tint des emplois de second
plan. Il fit ensuite un court stage à la Renaissance et
parut de nouveau aux Folies-Dramatiques dans Mi-
chonnet des S8 Jours de Clairette, qu'il interpréta
avec une verve étourdissante (1892).
Guy avait marqué tous ses rôles d'une empreinte
particulière et n'était, dans aucun, passé inaperçu.
Mais ce fut le succès retentissant de Champignol ma l-
gré lui (1892) et son triomphe personnel dans le rôle
du vicomte de
Saint-Florimond
de cette pièce
qui le placèrent
au premier rang
des acteurs comi-
ques. Son talent
ne fit dès lors que
s'affirmer, et sa
vogue grandit
chaque année. Il
se montra de nou-
veau aux Folies-
Dram a tiq ue s
dans l'alart, Pa-
tartetCi'{lS93);
Patenôtre de
Cousin, cousine
(189'3); Frédéric
de la Fille de
Paillasse (1894),
etc. ; puis il entra
aux 'Variétés, y
créa le rôle d'Im-
pavidoso, dans le
Pompier de se7--
vice (1897); de
Giroux - Jodart
dans le Vieux
Marc heur {i«9'));
de Ronce val ,
dans Education
rfe prince (1900);
de Monteflasco,
dans Mademoi-
selle George
(1900); Labosse,
dans le Nouveau
Jeu (1900); Chan-
tereau, dans la
re)ne(190I); Le
Hautois,dans les
Veux L C 0 l e s Quy ^jins le rflle du baron de Gondremarck,
(1902); Ledru, <it ia vu parisienne. — Ph. Ben.
dans le Beau
Jeune Homme (1903); te Sire de Vergy (1903), et
abandonna un moment ce théâtre pour aller créer,
auprès de Sarah Bernhardt, le rôle de Léonard dans
Varennes (1904), où il obtint un très vif succès. Il
joua ensuite à la Renaissance, à côté de Guitry, les
rôles de Chantraine dans t'Ailvemaire {\9i)!i); Gas-
ton de Boisdugand, dans l'Escalade (1904); Lebra-
sier, dans Monsieur Piégois (1905); Maître Aubert,
dans Bertrade (1905); Faurolle, dans l'Espionne
(1905); un Monsieur, dans les Hannetons (I9(i6i, etc.
Revenu aux Variétés, il ne les quilta plus. C'est dans ce
théâtre que la période la plus longue et la plus bril-
lante de sa carrière se déroula. Il fut le protagoniste
excellent des opérettes d'Ofl'enbach, d'Hervé, etc.,
dans lesquelles il reprit avec beaucoup de succès
la plupart des rôles de Dupuis. Rappelons, parmi les
principales œuvres qu'il interpréla: le Petit Faust,
Orphée aux enfers, la Vie parisienne, la Grande-
Ducliesse, Chilpéric, l'Œil crevé, les Brigands, la
Belle Hélène, la Périchole, etc. Guy ne réussit pas
moins dans la comédie légère. Toutes ses créations
furent heureuses et méritèrent de vifs applaudisse-
ments; parmi les plus remarquables, cilons :1e mar-
quis de Nangé, dans l'Amour en banque (1907);
Talloire, dans le Faux Pas (19u7); le marquis de
Chamarande, dans le Boi (1908); Sifroy, dans Gene-
viève de Brabant (1908); Le Brison, dans le Circuit
(1909); Léopold, dans un Ange(\909]; Champmorel,
dans le BoiS sacre' (1910); Lherminier, dans les Midi-
nettes (1911); le duc de Maulevrier, dans l'Habit
vert (1912); Antoine Pont-Hébert, dans le Bonheur
sous la main; Lahure, dans les Favorites (1912);
Bombel, dans l'Institut de beauté (19131; le docteur
Douce, dans Ma Tante de Honfleur (1914).
Guy s'étaitformé tout seul. Ilavaitacquis sansmaî-
trelascience de lascèneel,peut-êlre, nul nel'a poussée
plus loin. Nul n'a su mieux composer un personnage
avec plus de sûreté, plus de nuances, ni graduer les ef-
fets avec plus de finesse et de mesure. Très maître de
soi, il restait spontané. De plus, il était sincère dans la
drôlerie. Son jeu, empreint d'une gaieté narquoise ou
joviale, exerçait surles spectateurs une action irrésis-
tible. A toutes ces qualités il en joignait une encore :
la souplesse. II se montrait divers dans une même
pièce et, d'un rôle à un autre, se transformait com-
plètement; il était très habile en l'art de se grimer.
Guy, qui occupa une place importante sur la scène
parisienne, appartint, jusqu'à sa mort, à la troupe
W 123. Mai 1917.
LAROUSSE MENSUEL
VU
Tig. 1. Plan, coupe partielle et détails d'une boîte d'imprimerie portative pour aveugles. — La partie gauche A de la boîte forme
caste; le fond est yarni d'étoffe spongieuse pouvant être imprégnée d'encre à tampon ; les casseti'ts destinés à renevoir les caractères
sont constitués par l'espace compris entre les traverses K portant des rainures C sur l'un de leurs bords et séparées par dos tasseaux.
La planchette à ituprinier D est reliée à la partie A pjir des charnières; elle comporte un fond plat garni d'un drap ou d'un caoutchouc
lur lequel se place In feuille de papier; sur cette planchette se rabat le cadre h charnière E, dont les deux montants latéraux portent
des Irous équidisiants correspondant à l'espacement à donner aux lignes. Dans ces trous l'on peut engager les deux goujons de la
réglette-composteur mobile H. qui porte également des rainures C et qui, au repos, se loge dans un évidement prévu au bas de la casse A.
Une fois la ligne composée, on peut faire pression sur les caractères au moyen de la traverse I, que l'on rabat en faisant faire un quart
de tour à la pièce K- Les caractères d'imprimerie sont du type représenté en L sous quatre aspects différents ; sur la face supérieure ils
portent l'alphabet IJraille, sur la face inférieure l'aliih.ibet vulgaire et sur l'une des faces longitudinales une languette destinée à s'en-
gager dans les rainures C de la casse ou de la réglette-composteur.
des Variélés. A plusieurs reprises et particulière-
ment en 1905, il fut question de son entrée à la
Gomédie-Fraiiçaiso. Son talent, dont la verve ne
s'entachait jamais de vulgarité, eût trouvé un digne
emploi dans le répertoire classique. Mais il resta
fidèle aux Variétés.
Guy est mort, après une longue maladie, en pleine
possession de ses moyens. 11 avait épousé une artiste
de talent. M"» Germaine Gallois. — Paul Sunt-Jea».
Imprimeries portatives pour aveu-
ales. — L'idée de fournir aux personnes privées
de la vue des moyens faciles de correspondre avec
les clairvoyants en utilisant une imprimerie ou une
machine à écrire spéciale paraîtra d'autant plus
naturelle que la première machine à écrire a été,
dit-on, imaginée par un aveugle. On sait, d'ailleurs,
qu'un grand nombre d'aveugles manient cet appa-
reil avec une virtuosité que leur envieraient beau-
coup de dactylographes.
Parmi les machines à écrire spéciales, nous si-
gnalerons celle qui fut inventée par Cayzergues,
momentanément atteint de cécité. Cet appareil pro-
duit simultanément deux copies dans les deux écri-
tures (Braille et ordinaire), afin de donner la faculté
de se relire ; il est constitué par l'accouplemen tde di'ux
machines, qui peuvent êlre actionnées par le même
clavier, le chariot d'avant correspondant à l'écrituie
Braille et celui d'arrière à l'écriture ordinaire. Un
mécanisme permet de désolidariser les deux parties,
afin de n'obtenir au besoin qu'une des copies.
Mais, dans l'imprimerie portative à laquelle est
attaché le nom d'PJrnest Vaughan, le but visé a été
de réaliser un appareil de conslruction simple, de
prix modique et de format réduit à celui d'une po-
chette de deux à trois centimètres d'épaisseur, qui
put permettre l'échange d'une correspondance entre
aveugles et clairvoyants, sans leur imposer d'ap-
prentissage particulier.
Le grand nombre de combattants blessés aux
yeux a sensiblement accru, ces derniers mois, le
contingent des aveugles. Beaucoup de personnes,
disposant de loisirs, ont entrepris la tâche chari-
table de transcrire en caractères Braille des ou-
vrages de littérature ou de sciences, qui permettront
aux aveugles d'étudier, de se distraire et de ressen-
tir moins cruellement l'état d'infériorité physique
dans lequel ils se trouvent placés. La petite impri-
merie d'E. 'Vaughan facilitera l'accomplissement de
cette entreprise, digne d'intérêt au premier chef.
Une première disposition de boîte d'imprimerie
portative est représenlée/!,^. •/.
Pour écrire à un clairvoyant en alphabet vulgaire,
l'aveugle, après avoir placé la feuille de papier sous
le cadre, dispose la réglette-composteur à la hauteur
voulue et y insère les caractères nécessaires qu'il
prend tout encrés dans la casse où il a pu les recon-
naître sans difficulté, puisque les signes Braille se
présentent au-dessus. Une fois la ligne composée,
il fait pression soit à l'aide d'un doigtier, soit au
moyen de la traverse de pression et passe ensuite à
la composition de la ligne suivante, après avoir dé-
placé la réglette-composteur d'un trou vers le bas.
La réglette-composteur peut être remplacée par une
grille occupant toute la surface limitée parle cadre E
etl'organedepression par un rouleau, guidé ou non.
Avec cet appareil, l'aveugle, sans apprentissage
spécial et sans effort de mémoire, peut arriver faci-
lement à imprimer par minute deux lignes de 20 à
25 lettres. Il aura la faculté de relire sa correspon-
dance ligne par ligne, ou page par page.
Lorsque la presse doit être utilisée par un clair-
voyant pour écrire à un aveugle en caractères
Braille, les opérations
sont les mêmes, mais
c'est l'alphabet vul-
gaire qui devra se pré-
senter au-dessus de la
casse dont le fond ne
sera pas encré. Pour
obtenir un relief régu-
lier des points sans en-
dommager le papier,
la planchette D devra
êlre striée horizonta-
lement comme les
planchettes à écrire
Braille.
Un second système
d'imprimerie portative
est représenté fig. î?.
Pour chaque lettre,
l'aveugle fera tourner
le disque de fai;on à
amener le caractère
correspondant sous le
bouton U du levier,
dont l'abaissement dé-
terminera l'impression
de la lettre sur le p.i
pier, le caractère en
alphabet vulgaireayant
été noirci en passant
sur un dispositif en-
creur quelconque.
Avant de répéter la
même opération pour la lettre suivante, l'aveugle de-
vra déplacer la planchette S d'un cran vers la droite.
Pour passer à la ligne du dessous, il devra rame-
ner ta planchettes complètement à gauche en déga-
geant le cliquet à ressort et déplacer, eu outre, la
planchette M d'un cran vers le haut. 11 convient de
remarquer que cette planchette M pourrait êlre
remplacée par un rouleau, ce qui diminuerait l'en-
combrement de l'appareil.
Pour l'usage des clairvoyants, le disque doit être
Fig. 2. Plan d'une seconde disposition d'appareil à imprimer
pour aveugles. La feuille de papier est (l\ée sur la planchette M
au moyen de deu\ pinces N. La planchette coulisse entre deux
traverses ; on la déplace au moyen des boutons O, et l'arancement
est r. glé pur une crémaillère et un cliquet a ressort disposés au-
dessoua, chaque cran correspondant à respacement des lignes. Un
disque-imprimeur P, formé d'une plaque mince d'acier, présente
des découpures radiales sur sa périphérie; les languettes élas-
tiques ainsi constituées sont munies de caractères formant deux
couronnes en saillie sur le pourtour du disque, en dessus des
caractères Braille, en dessous des caractères en alphabet vulgaire.
Le disque peut tourner autour d'un axe vertical U, fixé sur une
planciiette s. qui peut coulisser de gauche à droite, une crémail-
lère et un cliquet réglant l'avancement et chaque cran correspon-
dant à l'espacement de deux lettres successives. Au centre R
s'articule un levier T. muni à l'une de ses extrémités d'un contre-
poids et à l'autre d'un bouton U, dont on se servira pour faire
pression sur le caractère quelconque Q. amené par rotation du
disque au-dessus d'une petite fenêtre pratiquée dans la planchette S.
Des butoirs et taquets convenablement disposés limitent les courses
des planchettes M et S,
retourné de façon à présenter les caractères en
alphabet vulgaire au-dessus. Le dispositif encreur
est à supprimer.
Tels sont les appareils pour lesquels l'inventeur a
pris des brevets et auxquels il a apporté ultérieure-
Imprimerie Braille, pour aveugles, (Système Ernest Vaughan.)
ment différentes modifications de construction. La
petite imprimerie en caractères Braille, étudiée spé-
cialement par E. Vaughan pour la transcription d'ou-
vrages destinés aux aveugles, dérive de la première
disposition que nous avons décrile. La casse contient
un millier île caractères répartis dans des casiers,
disposés sur trois côtés autour d'un compartiment
central, qui doit recevoir le composteur pendant
le travail de composition. Ce composteur, dont
le dessus et le dessous peuvent s'enlever comme
128
des couvercles, comporte un cadre divisé sur sa
hauteur par des bandes de bois parallèles, qui
laissent entre elles des vides correspondant aux
lignes; ces bandes sont munies, d'un côté, de pe-
tites rainures, dans lesquelles on peut engager les
languettes des caractères. On compose de droite à
gauche, en plaçant les caractères côte à côte, les
lettres romaines tournées vers l'opérateur; les mots
sont séparés en laissant une rainure libre. Lorsque
les lignes, qui sont au nombre d'une vingtaine, ont
été remplies, on relit, et l'on corrige, s'il y a lieu.
On replace alors le couvercle de dessus, et l'on re-
tourne le composteur; puis on enlève le second
couvercle, qui laisse apparaître le texte en Braille.
Le tirage se fait à part, sur une machine très sim-
ple et d'un type bien connu. Cette machine comporte
un plateau sur lequel on cale la boîte-composteur
entre deux taquets et que l'on fait passer entre
deux cylindres, dont l'un est actionné par une ma-
nivelle. Rntre la feui'le de papier, qui doit être légè-
rement Imniiile, ri le roulean presseiir, on doitinter-
LAROUSSE MENSUEL
son nom, la o villa des Princes »), ce n'était même
pas, il y a un demi-siècle, une misérable bourgade,
sans intérêt et sans histoire. La ville actuelle re-
monte au tempsoù la navigation à vapeur fut orga-
nisée sur le Tigre ; alors, Kut-el-Amara fut natu-
rellement désignée, de par sa situation, comme
devant recevoir un dépôt de vivres et de charbon.
Autour de ce dépôt, se constitua peu à peu une agglo-
mération urbaine, qui ne sollicitait nullement,
jusqu'en 1914, l'attention du voyageur, mais que les
événements militaires de ces dernières années ont
rendue tout à coup célèbre.
Une fois maître de Bassora et de Korna, oJi il
avait installé sa base, le corps expéditionnaire bri-
tannique, qui tenta en 1915 de s'emparer de Bagdad,
se dirigea vers cette grande ville en remontant les
deux fleuves par lesquels est délimité le Djezireh
(r « île des Arabes >>), notre Mésopotamie, au sens
strict du mot. Le corps expéditionnaire était partagé
en deux colonnes, qui opéraient respectivement le
long du Tigre el de l'Eiiphrale et qui devaient se
Chargement d'un chaland sui' le Tigre, à Kut-el-Âniara.
caler une plaque de caoutchouc. On peut ainsi tirer
1res rapidement de nombreux exemplaires.
Cette petite imprimerie s'est très répandue et rend
des services inappréciables. Elle a permis d'augmen-
ter considérablement le nombre d'ouvragos rais à la
disposition des aveugles. Avant la guerre, la biblio-
thèque de l'association Valentin Haiiy possédait déjà
plus de 40.000 volumes. — Q. LAinELetc. dubosc.
Kut-el-A.inara, petite ville de l'Empire otto-
man, dans la Turquie d'Asie, province, district et
à 157 kilomètres de Bagdad, en Mésopotamie, sur
leTînre; 4.500 habitants, chiites en presque totalité.
Il ne faut pas confondre Kut-el-Amara avec la
ville d'Amara, située très en aval sur le Tii,'re, au
confluent du Tib. Celle-ci est une cité importante
del'lrak-Arabi, peuplée de 10.000 habitants, un chef-
lieu de district et de canton de la province de Bas-
sora, un marché où viennent s'a|)provisionner de
populeuses tribus pillardes qui vivent dans le voi-
sinage et loin de tout autre marché. Au contraire,
Kut-el-Amara est une loi-alilé beaucoup moins peu-
plée et d'aspect assez misérable. Elle est, comme
Amara, située sur la rive gauche du Tigre; mais
en face d'elle se détache, sur la rive droite, le bras
septentrional de ceCliat-el-lIaï(le fleuvedu Serpent)
qui va, après un sinueux trajet de plus de 200 kilo-
mètres, restituer à l'Euphrate une partie des eaux
que le Tigre lui a soutirées plus en amont. Par là
même, Kut-el-Amara se trouvait naturellement dési-
gnée au rôle d'escale, le jour où une navigation ré-
gulière serait établie sur le Ghat-el-Arab et le Tigre,
et elle doit, en réalité, toute son importance au fait
qu'elle est une des escales où s'arrêtent les gros
steamersanglais assurant la navigation sur le Tigre,
depuis Bassora jusqu'à Bagdad. Autour de la loca-
lité, s'étend un pays agricole très riche, dont les
immenses jardins et les cultures sont la propriété
personnelle du sultan de Stamboul.
Si Kut-el-Amara a été autrefois, comme le veut
la tradition, un lieu de villégiature préféré du
célèbre calife Haroun-al-Raschid (de là viendrait
retrouver devant Bagdad. Après avoir contraint
Amara de capituler le 3 juin 1915, le général
Townshend, qui avait commencé de remonter le
Tigre avec une petite llottille de canonnières, pour-
suivit sa route en amont. Tandis que la colonne
de l'Euphrate s'emparait de Soukb-ech-Chioukh le
21 juillet 1915, de Nasrieh quelques jours plus tard
(25 juillet), Townshend montait vers Kut-el-Amara,
qu'il contraignait de capituler le 29 septembre et
d'où il poursuivait les Turcs, qui battaient en re-
traite. Mais deux mois ne s'étaient pas écoulés
qu'il se voyait contraint par des forces supé-
rieures, malgré sa victoire à Gtésiphon, de rega-
gner Kut-el-Amara (l"' déc. 1915). Bientôt, il y
était investi (6 déc), puis ( 1 i déc.) coupé de la base
de Korna, et les efforts successifs tentés par les An-
glais pour le secourir, lui et ses soldats, échouè-
rent complètement, par suite de circonstances natu-
relles défavorables. Aussi, le 29 avril 1916, après
14S jours d'une opiniâtre résistance, le général
Townshend se vit-il obligé de capituler avec son
armée {3.000 Anglais et 6.000 Indiens), sous la pres-
sion de la famine.
Mais les lieux qui avaient été témoins de cet échec
britannique ne devaient pas tarder à en voir la contre-
partie. Dix mois plus tard, en effet, le 26 février 1917,
après avoir constitué un nouveau corps expédition-
naire et organisé leurs communications par le Tigre
et par le Ghat-el-Hai, puisque les routes terrestres
étaient infestées de pillards bédouins, les Anglais
sont rentrés dans Kut-el-Amara. C'est après avoir
franchi le Tigre à Choumran le 23 février précédent
et avoir chassé l'ennemi des positions occupées par
lui à quelques kilomètres en amont de la ville, entre
Sunnayat et Kut-el-Amara, que le général Maude
a arboré de nouveau le pavillon britannique à l'en-
droit où il flottait naguère. Il y a fait 1.730 prison-
niers et s'y est saisi de canons de campagne, de
mitrailleuses, de lance-bombes, de fusils, de muni-
tions. Puis, comme le général Townshend avant
lui, mais plus heureusement, le général Maude a
poursuivi sa route sur Bagdad. — Henri Froidevaui.
Henry Maret.
N' 123. Mai W17.
Maret (Henry), journaliste et homme politique
français, né à Sancerre (Cher) le 4 mars 1838, mort
à Paris le 7 janvier 1917.
Henry Maret appartenait à la famille de Hugues-
Bernard Maret, ambassadeur, ministre des affaires
étrangères, qui fut créé duc de Bassano par Napo-
léon. Ses études classiques terminées au lycée de
Bourges, il vint à
Paris et enti-a à
la pi'éfeclure de
la Seine, où il
connut Henri Ro-
chefort. Maret
abandonna bien-
tôt l'administra-
tion,pour se con-
sacrer au journa-
lisme. Il y appor-
tait des dons bril-
lants et fermes
d'esprit et de
style.Aprèsavoir
débuté dans de
petites feuilles,
il coll abora à
l'oOpiniounalio-
nale », àl' « lUu.s-
tration » et fut un
desprincipauxré-
dacteurs du « Charivari ». A partirdel869, il écrivit
dans les joui-naux de l'opposition républicaine,
tels que la c. Réforme », la « Presse libre », le
« Rappel ». Lorsque Henri Rochefort fonda le a Mot
d'ordre » (1" févr. 1871), il y appela Maret, qui
écrivit, à la suite du mouvement du 18 mars, des
articles où il attaquait vivement l'Assemblée na-
tionale. Il combattit la politique de Gambetta et fut
de ceux qui, après la chute de l'empire, reprochèrent
au gouvernement de manquer d'énergie. 11 collabora
également à la « Commune ». Après l'enti-ée des Vcr-
saiUais à Pai-is, Henry Maret fut ari-êlé, traduit
devant le 3' conseil de gueri-e et condamné à ciii(|
ans de prison et 500 francs d'amende, pour outraui.'
au chef du pouvoir exécutif et à l'Assemblée nationale
(20 sept. 1871). Il dut à son état de sauté de voir si
peine commuée, en décembi-e, à quatre mois de prison.
Libéré, il collabora à I' « Avenir nalional », à la
(1 Constitution »,à la» Marseillaise », au « Corsaire ».
et devint rédacteur en chef du nouveau « Mol
d'ordre «.Mais ses opinions libérales l'amenèrent à
se séparer de ce journal. Il prit alors la direction
de la « Vérité » (l'i- oct. 1880) et ensuite celle du
« Radical » (aoûtl88D), qu'il conserva jusqu'en 1897.
L'ardeur de ses convictions, la combativité de
son caractère déterminèrent Maret à entrer dans la
vie publique. Il fut élu conseiller municipal dans le
quartier des Balignolles, aux élections partielles
del879, et réélu le 19 janvier 1881.
La même année, aux élections législatives du
21 août, il se porta candidat des gauches dans la
2" circonscription du XVII" arrondissement de Paris
el fut élu, au scrutin de ballottage, contre deux can-
didats de l'union républicaine. Aux élections géné-
rales du 4 octobre 1885, Maret fut inscrit sur les listes
radicales dans la Seine et dans le Cher. Dans la Seine,
il fut classé 9", au I"'' tour, et fut maintenu au ballot-
tage. Dans le Clier,ilfigurasurlallstelaplusmodérée
àcôtéde Brisson, et fut élu, au ballottage également,
5' sur six. 11 opta pourleCher. Son mandat fut renou-
velé, le 22 septembre 1885, au scrutin uninominal,
dans la 1" circonscription de l'arrondissement de
Sancerre; il battait son compétiteur, deVogiié, monar-
chiste. Sesélecteursle réélurent en 1889,1893ell89S.
Henry Maret siégeait à l'extrême gauche, parmi
les radicaux. Mais il sut rester indépendant au sein
de son parti et se montra fidèlement attaché à ses
principes libéraux. De même qu'il avait, en 1886,
protesté dans la presse, au nom de la liberté, contre
l'expulsion des princes, de même il combattit les
lois d'exception à l'égard des congrégations. Il faut
rappeler, parmi .ses actions les plus énergiques, la
vigoureuse campagne qu'il mena contre le boulan-
gisme. Impliqué dans les poursuites relatives aux
affaires de Panama, il fut acquitté.
Membre de la commission des monuments histo-
riques et du conseil supérieur des beaux-arts, Henry
Maret a été, pour ces derniers, rapporteur du budget.
Lettré délicat, esprit finement classique, Maret
demeura jusqu'à la fin de sa vie un brillant journa-
liste. Sous son nom et sous les divers pseudonymes
de ScARAMOucHE, Aramis, Ariel, Mkrcurias, il
collabora à la plupart des feuilles de son temps. Il
excellait surtout dans la satire et le Carnet d'un
sauvage, qu'il publia dans le « Journal », .séduisait
autant par la qualité de l'ironie que par l'indépen-
dance du jugement. Son Tour du monde politique
relève de la même observation aiguë, narquoise,
impitoyable même. Maret n'y montra aucune indul-
gence à l'égard de nos minisVres el de nos parlemen-
taires. Il aborda aussi les lettres pures avec un réel
talent. On lui doit des critiques dramatiques très avi-
sées, des romans, tels que les Compar/nons de la Mar-
jolaine, Promenades à travers bois, et une char-
mante comédie en vers, le Baiser de lareine. Durant
«• J23. Ma/ 1917.
les dernières années de sa vie, il donnait à la « Petite
Gironde » des articles dans lesquels il eut l'occasion
de rendre justice à la mémoire de Gambctla.
Les principales œuvres de Henry Maret sont : le
Tour du monde parisien (1862) ; Us Compagnons de
la Marjolaine (1864). En collaboration avec Le-
cœur : le Baiser de la reine, comédie en vers;
Arcachon, Promenades à travers iois (1865). En
collaboration avec G. Guillemot : les Parents cri-
minel-1 (1874); Semaines drumaliques et littéraires
rfu B Radical » ; Justice (1898); Pensées el opinions;
la Liberté de l'enseignement, le Tour du monde
politique. — Carlos LmaONDE.
Mirbeau. (Ofiai'e-Henri-Marie), écrivain fran-
çais, né à Tréviéres (Calvados) le 16 février 1850,
mort à Paris le 16 février 1917. Il appartenait à une
vieille famillle normande, dont les membres, de père
en fils, s'étaient succédé dans le notariat. Soulfrit-il,
enfant, des inévitables mesquineries d'une existence
provinciale et bourgeoise, on ne saurait l'affirmer;
du moins est-il remarquable que, dans aucun de ses
romans, il n'a montré de sympatbie pour les parents
de ses héros : pères et mères sont toujours repré-
sentés comme des gens au.x idées étroites, imbus
de préjugés ridicules ou de sottes prétentions. Nul
n'a plus médit de la bourgeoisie que ce fils de bour-
geois. Il fut envoyé pour faire ses études au col-
lège de Vannes, dirigé alors par les jésuites. Les
pages qu'il a consacrées plus tard à cet établisse-
ment dans Sébastien Rocli, la description qu'il a
donnée de « cette grande prison de pierre grise,
avec ses longs couloirs blafards et ses petites cours
intérieures baignées d'un sépulcral jour ", laissent
supposer qu'il n'avait gardé de son séjour au col-
lège qu'un souvenir maussade, peut-être môme dou-
loureux. Pourtant, il n'en sortit point révolté, tout
au contraire. Après une courte collaboration à
r « Ordre », comme critique dramalique, il fut
nommé, sous le Seize-Mai, chef de cabinet de préfet,
puis sous-préfet et, durant celte période, il se mon-
tra un partisan résolu de 1' « ordre moral ». Bientôt
après, cependant, abandonnant la politique pour le
journalisme, Mirbeau entra au « Figaro ■> ; il y pu-
blia une série de contes, qu'il devait réunir dans
la suite en volume, sous le titre de Lettres de ma
chaumière (1885). Assez peu remarqué k ses dé-
buts. Mirbeau devint brusquement célèbre en 1882,
par un article sur « le comédien », oii, avec une
ilprelé dinveclive méléç de quelque rhétorique, il
flétrissait « ce proslilueur de la beauté, des douleurs
et des respects de la vie..., hissé par notre enthou-
siasme au sommet de la hiérarchie comme le dra-
peau de nos décompositions ». On entrevoit par ce
fragment le ton général de l'article. Les comédiens
se fâchèrent, Goquelin en tête. Mirbeau dut quitter
le '■ Figaro ». 11 fonda alors, avec Paul Hervieu,
Grosclaude et Gapus, un pamphlet hebdomadaire,
intitulé les Griinaces. Il y donna libre carrière à son
amour du scandale et à son goût du paradoxe, témoin
son Ode au choléra, où il saluait comme un bienfait
public l'apparition du fléau, le suppliant de détruire
nos institutions et de supprimer un certain nombre
de gens nommément désignés. Cette diatribe valut
à son auteur plusieurs duels retentissants.
Tout, d'ailleurs, était bon à Mirbeau pour mani-
fester les violences de son tempérament combatif.
S'instituanl critique d'art, il s'acharna dans une
série de Salons, à partir de 1885, contre tous les
talents officiels et prôna l'art encore audacieuse-
ment nouveau des impressionnistes. Ne cédait-il
point là encore — et peut-être inconsciemment — à
son perpétuel désir de narguer les opinions reçues?
Son récent engouement pour les outrances du futu-
risme le laisserait supposer. En art, comme en lit-
térature, Mirbeau se piqua toujours d'êlre à l'avant-
garde. En tout cas et quoiqu'il en ait fâcheusement
médit par la suite, il lui reste l'honneur d'avoir décou-
vert et révélé au public des artistes tels que Rodin,
Pissaro, Monet, Cézanne et aussi Maeterlinck.
Au reste, pouvait-on attendre d'un esprit aussi
impétueux qu'il persistât longtemps dans les mêmes
goûts et les mêmes idées? Aussi le vit-on tour à tour
royaliste, catholique, militariste, anticlérical, inter-
nationaliste, anarchiste même, apportant dans cha-
cune de ses évolutions la même passion et déployant
une égale fougue à attaquer la veille les idées qu'il
allait adopter le lendemain et à combattre, le lende-
main, les principes qu'il servait la veille. Il ne l'allut
pas moins que la grande leçon de la guerre pour
révéler à Mirbeau tout le sens profond de l'idée de
patrie, longtemps méconnue par lui : à la veille de
sa mort, il a rédigé un testament politique qui ra-
chète nombre de ses erreurs passées et où, avec une
grande élévation de pensée et de style, il proclame
sa foi dans la cause française et nous recommande
de « sauvegarder pieusement la conscience natio-
nale ». Cette belle page d'un mourant fait honneur
k Mirbeau. On le doit honorer également d'avoir
mis sa vie en conformité avec ses idées et d'avoir
toujours refusé les distinctions officielles. Il avait
seulement accepté de faire partie de l'académie des
Concourt : ce n'était, d'ailleurs, que la juste consé-
cration de son labeur littéraire.
Octave Mirbeau.
LAROUSSE MENSUEL
Sans cesser, en effet, de collaborer à divers jour-
naux — car Mirbeau demeura toujours foncièrement
journaliste — il avait, dès 1886, abordé le roman.
Ses premières œuvres : le Calvaire, la Famille Car-
melles, l'Abbé Jules, Sébastien Itoch, très hardies
d'idées et de style, se rattachent à la formule natu-
raliste, telle que l'avaient établie Zola et son groupe :
même pessimisme foncier, même complaisance à
étaler les laideurs morales, à peindre des êtres mé-
prisables, abjects ou détraqués. Cette complaisance
se marque plus encore peut-être chez Mirbeau que
chez Zola : tandis que celui-ci, se réclamant des
méthodes scientifiques, tendait à une certaine objec-
tivité, Mirbeau, lui, mettait dans ces romans toutes
les exubérances de son tempérament personnel : à
chaque laideur qu'il découvre, à chaque touche dont
il accentue ses peintures, on devine chez lui un se-
cret plaisir. Ses
romans sontpour
lui une manière
d'exutoire, où il
déverse ses ran-
cunes, ses exas-
pérations,ses hai-
nes; ce qui n'em-
fiêchepointjd'ail-
eurs.je Calvaire
d'être une œuvre
puissante, d'une
poignante sincé-
rité, qui mérite
d'être classée au
premier rang de
nosromansd'ana-
lyse. Cependant,
cédant à la pente
naturelle de son
esprit, Mirbeau,
dans les œuvres
qui suivirent {le Jardin des supplices, le Journal
d'une femme de chambre, les Vingt el un jours d'un
neurasthénique, la 6iS-E S, Dinf/o), s'afl'ranchit gra-
duellement de toute préoccupation d'intrigue; de
plus en plus l'élément proprement romanesque dis-
parut de ses romans, qui ne sont plus que matière à
descriptions, à exposés d'impressions personnelles,
à peintures de tares sociales, à invectives contre les
institutions. Ce caractère est surlout sensible dans le
Jardin des supplices, œuvre hallucinante et halluci-
née, où, sous couleur de peindre — avec quelles har-
diesses de palette! — le raffinement des supplices
chinois, Mirbeau développe le paradoxe du meurtre,
considéré comme fondement de l'ordre social.
Ce "jardin des supplices», c'est l'uni vers lui-même.
« Les passions, les appétits, les intérêts, les haines,
le mensonge, et les lois, el les institutions sociales,
et la justice, l'amour, la gloire, l'héroisme, les reli-
gions, en sont les fleurs monstrueuses elles hideux
instruments de l'éternelle souffrance humaine ». On
retrouve dans ce roman, vraie débauche d'imagi-
nation, toute l'âpreté et la véhémence qui caracté-
risent le génie frénétique de Mirbeau.
On les retrouve également dans son théâtre. 'Venu
tard à la scène, Mirbeau n'a donné que quelques
drames de valeur inégale, mais dont un au moins :
Les affaires sont les affaires, assurera sa mémoire.
Le premier en date, tes Mauvais Bergers (1897 ,
était un drame social, plein de violence, mais em-
preint aussi d'un mysticisme libertaire, qui confère
à l'œuvre une couleur étrange, un peu Scandinave
par endroits. Si le héros principal, l'ouvrier Jean
Roule, est quelque peu idéalisé, s'il nous est mv-
senté comme une sorte de rédempteur, venu dans
« les enlers du travail » pour affranchir ses com-
pagnons de misère, par contre, Mirbeau a fait preuve
de beaucoup de précision et déloyauté dans l'exposé
des deux thèses antagonistes de l'ouvrier et dupatron :
aucun des deux adversaires n'est méprisable, el cela
donne à leur conflit une tragique grandeur. Par la
suite, Mirbeau devait modifier sa manière et apporter
dans ses drames les procédés d'exagération et d'ou-
trance dont il usait dans ses romans. On le voit déjà,
dans plusieurs petits actes, tels que l'Epidémie {IH9H),
Vieux ménages (1900), le Portefeuille, Scrupules
(1902), d'une bouffonnerie fougueuse et amère, où le
dessin est accentué jusqu'à la caricature et la rail-
lerie étendue jusqu'au pamphlet. Ce procédé, facile-
ment acceptaliledans des pièces en un acte, devient
périlleux, quand on le transporte dans une œuvre
de plus grande envergure : le Foyer (1906), en col-
laboration avec Nathanson, en est une preuve mani-
feste. Malgré tout le tapage qui accompagna la pièce,
malgré le succès de curiosité qui s'attachait à une
œuvre dont l'avant-première avait eu lieu au Palais
de Jusliceetdont les répétitions avaient failli provo-
quer une révolu lion à la Comédie-Française, le Foyer
déçut l'attente générale; on eût accepté celte âpre et
parfois juste satire de la fausse philanthropie, si le
parti pris d'outrer la laideur morale des personnages
et de ne monlrerque des êtres al)jects n'avaitété si ac-
cusé. Mirbeau avait été antérieurement plus heureux
dans Les affaires sont les affaires (19031; ce n'est
pas trop de dire qu'il a retrouvé, là, la véritable for-
mule de la comédie de caractères, telle qu'elle avait
129
été réalisée par Molière, donl il a repris, du reste,
les procédés de grossissement et d'extrême simplifi-
cation. Son Isidore Lecbat, brasseur d'alfaires sans
scrupules, a droit de prendre place parmi les « types »
immortels de notre théâtre, aux côtés d'Harpagon
ou de Tartuffe et bien au-dessus de Turcarel.
Malgré ses multiples évolutions et les formes di-
verses qu'il a données à son activité littéraire,
Mirbeau peut être facilement défini dans un juge-
ment d'ensemble. Tout d'abord, ses idées se retrou-
vent sensiblement les mêmes dans tout le cours de
son œuvre; avant d'être le protagoniste d'un drame.
Léchai avait été le héros d'une Nouvelle des Lettres
de ma chaumière : Agronomie ; de même, l'idée du
Foyer se découvre déjà dans Sébastien Rock : « La
charité, y lit-on, voilà le secret de l'avilissement des
hommes. Par elle le gouvernant et le prêtre perpé-
tuent la misère, au lieu de la soulager. »
Cela lient à ce que la pensée de Mirbeau se meut
dans un cercle assez restreint : révolté contre l'or-
ganisation sociale, il en combat toutes les formes,
mais ces formes ne sont pas indéfinies : famille,
religion, autorité, institutions, lel est son champ de
bataille. Il aboutit ainsi à une sorte de nihilisme, où
il reste encore place, cependant, pour la pitié. On
aurait tort, en effet, de ne voir en Mirbeau qu'un
pamphlétaire exaspéré et haineux ; sous ses pires
violences, il laisse deviner une âme très sensible et,
au fond, tous ses emportements ne sont que des
révoltes de sa sensibilité. 11 a pour les humbles, les
faibles et l'humanité même en général, une grande
commisération : « Les décors, fail-il dire à l'un de ses
personnages, peuvent varier où l'âme de l'homme
habite, mais l'âme est toujours la même... C'est la
pauvre âme humaine, avec ses appétits, ses inté-
rêts, .ses passions destructives, ses incohérences,
ses crimes, oui ! mais avec la lourde fatalité de ses
misères aussi, et il faut la plaindre plus qu'il ne
convient de la haïr. » Celte compassion, Mirbeau
l'étend aux animaux, qui souffrent aussi. Et surlout,
il a un culte profond pour la nature : il y voit la
consolatrice maternelle et bienfaisante de I homme.
C'est dans la nature que le héros du Calvaire va
chercher la paix et l'oubli de ses souffrances; c'est
dans la nature que l'abbé Jules trouve l'apaisement
de son âme tourmentée : o Aime la nature, recom-
mande-t-il en mourant à son neveu, et tu seras un
brave homme, et tu seras heureux. » Et, si Mirbeau
lui-même réprouve les institutions sociales, c'est
parce qu'il y voit « un renversement de la nature »;
par contre, avec quel attendrissement, avec quel
amour ne parle-t-ll point des animaux ou des fleurs!...
Cette sensibilité, toujours en éveil, que tente vai-
nement de masquer une ironie féroce et parfois
grimaçante, si on ne la découvre pas tout d'abord,
n'en reste pas moins le trait caractéristique du tem-
pérament de Mirbeau. C'est elle qui nous explique
et la mobilité de son caractère et la fougue de sa
pensée, et la passion toujours vibrante de son style.
Outre de nombreux articles de journaux et de
revues, Mirbeau a publié un recueil de nouvelles :
Lettres de ma chaumière (1885); des romans : le
Calvaire (1886), la Famille Carmeltes (1888), l'Abbé
Jules (1888), Sébastien Roch (1890), le Jardin des
supplices {IS9S), le Journal d'une femme de cham-
bre (1900), les Vingt el un jours d'un neurasthé-
nique (1901), Dingo (1912); des impressions de
voyage en Belgique : la 6S8-Ë « (1907). Au théàlre, il a
donné les Mauvais Bergers (1897), l'Epidémie (1898),
Vieux ménages (1900), le Portefeuille (190Î), Scru-
pules (1902), Les affaires sont les affaires (1903),
le Foyer (1908). — F^'ix Gkikihd.
Momburg (procédé de), méthode d'héipos-
tase, utilisée pour empêcher préventivement l'écou-
lement du sang dans les opérations sur la partie
basse du corps el, notamment, dans celles qui inté-
ressent les membres inférieurs près de leur racine
(amputation haute de cuisse, désarliciilalion de la
hancheK Le procédé de Momburg consiste à entou-
rer le corps, à hauteur de la taille, c'esl-à-dire entre
les dernières côtes el la crête iliaque, d'un lien
élastique résistant, faisant plusieurs tours et serré à
fond. Le but visé est, en effet, d'arrêter la circulation
inférieure par compression de l'aorte abdominale.
On se sert, généralement, pour réaliser celte ma-
nœuvre, d'un tube de caoutchouc de la grosseur du
pouce. Préalablement à son application, on conseille
parfois d'élever pendant quelques minutes les mem-
bres inférieurs, afin de faire refluer le sang qu'ils
contiennent vers les parties supérieures du corps.
Le procéd:, de Momburg empêche réellement
toute perte de sang au cours de l'opération, laquelle
se fait « à blanc ». Il permet, en outre, de procéder
de façon plus aisée à la ligature des gros troncs vas-
culaires. Par contre, il a quelques notables incon-
vénients. Aussitôt que le lien est placé, assez serré
pour annihiler complètement les pulsations dans l'ar-
tère fémorale, la tension sanguine augmente en de
fortes proportions dans la partie haute du corps.
Le cœur est, dès lors, soumis à un travail consi-
dérable; le pouls devient petit et rapide, et des
craintes sérieuses peuvent s ensuivre pour l'appareil
cardio-vasculaire. On a signalé des hémorragies
130
nasales et buccales au cours de ceUe pratique et
même un cas de mort.
Il suit de là (jue, si le procédé d'hémostase à la
Momburi; peut rendre de très grands services dans
les opérations pratiquées cliez des sujets anémiés et
surtout dans les opérations où l'on craint une grosse
perte de sang, il ne doit être utilisé que dans les cas
où les antres inoyensd'hémostase préventive seraient
inapplicaliles. Oïi ne doit jamais l'employer chez les
sujets atteints d'alfeclions du cœur, ni chez ceux
présentant une artériosclérose appréciable, ni chez
les personnes âgées. — D' ii. bouquet.
xnonog'lotte (du gr. monos, unique, et glâlta,
langue) adj. Linguist. Qui ne parle qu'une langue :
Les médecins, dont la majorité, dans tous les
pays, est monor lotte, veulent mettre V espéranto
à leur service. || Anton. Polyglotte.
Mutilés de la guerre (Pkocurations à
DONNER PAR LES). IJroil. Régime de jacilités et
faveurs spériales institué par la loi du 18 novem-
bre 1916. Génératilés. — Les mutilés de la guerre
ont, et auront, à recourir à des procurations en de
nombreuses circonstances de la vie; par exemple,
à l'occasion de la gestion d'un patrimoine.
Or, suivant la règle générale, les procurations sont
établies par actes sous-seing privé, ou même en la
forme de lettres; et ce n'est ^ue dans quelques cas
exceptionnels (visés, notamment, par les art. 36,
73,933 et 2127 du G. civ.) qu'il est indispensable
que les procurations soient rédigées devant notaire.
A ce point de vue, quelle est légalement la situa-
tion des mutilés que la nature de leurs blessures
empêche de signer (les aveugles, les paralysés, les
amputés des membres supérieurs) et qui, par suite,
se trouvent être, en fait, comme des illeltrés? —
Pour eux, toute procuration sera nécessairement
établie par notaire; et, de là, du fait de leur infir-
mité, la charge de frais spéciaux.
Une loi du 18 novembre 1916 (due à l'initiative
parlemenlairc) a, dans cet ordre d idées, assuré aux
mutilés des immunités diverses, de nature à atténuer
quelque peu l'injustice de leur sort.
Cette loi est applicable à l'Algérie et aux colonies.
Immunités diverses. — 'Voici les immunités
qu'au profit des mutilés de la guerre a consacrées, en
prii!cipe, la loi du 18 novembre 1916 (art. 1" et 3) :
1° il y a exemption des droits de timbre, c'est-à-
dire qu'il y a emploi exclusif du papier libre, et il
en est ainsi tant pour les minutes et originaux que
Four les expéditions et copies; — 2° la formalité de
enregistrement, qui reste obligatoire, a lieu gra-
tuitement; — 3" les honoraires et émoluments des
officiers publics (nolaires intervenants) ou ministé-
riels (huissiers chargés des notifications) sont réduits
de moitié, d'après leur chiffre figurant aux tarifs offi-
ciels; et cette réduction s'applique non seulement à
la rédaction des actes, mais, en ce qui concerne les
droits de rôle, à la délivrance des expéditions.
Devant la Chambre des députés, Pugliesi-Conti
avait demandé que la rémunération due aux offi-
ciers publics ou ministériels fût, dans son inté-
gralité, remboursée par l'Etat. La proposition ne
fut pas admise, sur cette observation du rapporteur,
Bergeon : « Nous devons avoir le souci d'alléger
les charges de l'Etat chaque fois qu'il est possible.
Aussi nous n'hésilons pas à faire appel aux officiers
publics et ministériels eux-mêmes, dont l'esprit pa-
triotique acceptera volontiers un sacrifice en faveur
de nos mutilés de la grande guerre. »
A quelles procurations ou autres actes s'appli-
quent les immunités. — A la concession aux mutilés de
la guerre des immunités que nous venons de préciser
la loi du 18 novembre 1916 a posé une double limite.
Première limite. — C'est seulement pour les
procurations et pour les actes qui en sont la consé-
quence qu'interviennent les immunités.
La procuration peut entraîner une décharge en
faveur du mandataire; elle peut également être sus-
ceptible de révocation; et de la procuration, comme
de la révocation ou de la décharge, une notification
peut être nécessaire : aux procurations, aux révoca-
tions et décharges de procurations, ainsi qu'à toutes
notifications de chacun de ces actes, sont acquises
les immunités établies (art. 1"').
Deuxième limite. — Aux termes de l'article 4 de
la loi, ne bénéficient des immunités : ni les procu-
rations collectives (celles données par le mutilé en
même temps que par ses cohéritiers ou ses copro-
priétaires);— ni les procurations assujetties à d'autres
droits d'enregistrement que le droit fixe (celles qui,
par leur nature, donnent ouverture à des droits pro-
portionnels et ont été considérées ici comme le
prélude de conventions plus importantes, avec les-
quelles se confondent les procurations); — ni, d'au-
tre part, les révocations, décharges et notifications
ap|)lic-ables aux deux catégories ci-dessus de procu-
rations exclues.
Conditions mises aux immunités. — Ont droit
aux immunités tous les mutilés de la guerre, qu'il s'a-
gisse de civils ou de militaires et marins (art. 1").
D'après l'article 2 de la loi, les intéressés doivent
justifier : 1» qu'ils sont dans l'impossibilité physique
de signer; — 2" que celte impossibilité est le résultat
Nanode.
LAROUSSE MENSUEL
de la mutilation; — 3° que celle-ci est consécutive
aux événements de guerre, est une conséquence
directe de la guerre.
L'olficier ministériel inslrnmenlant est tenu d'ins-
crire dans l'acte la déclaration qui lui est faite à cet
égard. Le mandant peut (sans être obligé de le faire)
produire à cet officier ministériel le certificat de ré-
forme ou de pension dont il est nanti, ainsi que, le
cas échéant, le
certificat déli-
vré (sans frais)
par l'autorité
militaire.
La produc-
tion de ces piè-
ces est, au con-
traire, exigée
vis-à-vis du re-
ceveur de l'en-
registrement.
— Louis André.
nanode
n. m. — Genre
d'orchidéesépi-
dendrées, fon-
dé par Lindley
sur une seule
espèce, origi-
naire de l'Amé-
rique australe.
— Enoygl.
Celte curieuse
orchidée épi-
phyleest carac-
lérisée par des
feuilles oblon-
gues charnues,
enigainanles à
la base, aiguës,
obliques, des
fieurs terminales dans lesquelles le labelle, circulaire
et de couleur carmin, est adné et bordé d'une frange
assez longue tout autour. Elle croit sur les arbres
des forêls andines. — Jean dk Chao».
Nouveaux Pauvres (les), pièce en un
acte et en prose, de.I.-F. Fonson, représentée pour
laprenilère fois à la Comédie-Française le l»'' décem-
bre 1916.
Les Nouveaux Pauvres nous mènent dans la
salle à manger d'un célibataire original, égo'iste,
avare, nommé M. Jean. A la façon dont il épluche
le cahier de dépenses devant sa bonne, Mélanie,
on recoimaît un patron difficile et regardant. Mélanie
est le modèle de la docilité. Elle accepte poliment
les observations et s'incline devant tous les ordres.
La salle à manger est simple, sans luxe : un buffet,
une table, un lustre.
On attend un convive, M. Paul. Le voici. C'est un
officier convalescent. Il a été blessé au genou. Il
boite encore et s'appuie sur une canne. M. Jean
reçoit affectueusement son ami, beaucoup plus jeune
que lui. Il le régale d'un bon verre de porto et lui
apprend la vraie façon de déguster. Paul ayant mis sa
jambe malade sur une chaise garnie d'un beau cous-
sin, l'économe M. Jean ôte aussitôt le coussin, pour
en mettre un plus ordinaire à la place. Voilà le type,
maniaque et grincheux. Mais il témoigne à Paul une
paternelle affection et une grande joie de le revoir.
M. Jean sort pour aller à la cave lui-même. Mélanie
entre pour mettre le couvert. Paul échange quelques
mots avec la servante et, aussitôl, il est frappé par
son air de distinction, de discrétion, de résignation
courageuse:" Vousn'avez pas toujourséléenservice?
— NonI » Et, mise en confiance parla franchise du
soldat, elle lui raconte son histoire.
Mélanie n'est pas son nom. Elle est M"" Yvonne
'Van Doren. veuve du premier président de la cour
de Gand. Lors de l'invasion de la Belgique par les
Allemands en 1914, elle a dû s'enfuir avec sa fille,
Hélène, qui a dix-neuf ans. Elles sont allées d'abord
à Londres, puis elles sont venues à Paris. Elles
pourraient quémander les secours que la générosité
publique et privée accorde aux réfugiés belges. Mais
il ne leur plaît pas de prendre à d'autres plus malheu-
reux peul-êire leur part de cliarilé. Et elles se sont
mises à travailler. M"!! Van Doren est entrée comme
bonne chez M. Jean; sa fille, Hélène, donne des
leçons de piano et l'aide elle-même dans les tra-
vaux du ménage et de la couture.
Paul écoule avec une respectueuse admiration
ces confidences. Il s'est levé, il s'est présenté lui-
même à M"" Van Doren, comme dans un salon, el
il lui a oITert un fauteuil. Mélanie a accepté sans
gêne el sans embarras les égards qu'elle a connus
toute sa vie comme femme du monde.
Quand M. Jean remonte de la cave, il trouve Paul
et sa bonne en conversalion réglée et correcte. Il va
manifester sa surprise, quand le jeune sous-lieute-
nant se lève et présente la bonne à son patron :
« — Madame Van Doren ! »
Jean, stupéfait, tropoccupé de lui-même pour avoir
jamais remarqué la dislincîion native de sa servante,
ne sait quelle contenance garder et prend une atti-
N' 123. Mai 1917.
lude un peu gênée de déférence mitigée. Il s'absente
de nouveau pour aller chercher du dessert.
La fille de M"" Van Doren arrive sur ces entre-
faites et, comme le dîner réclame les soins de la
cuisinière, Hélène et Paul demeurent seuls. Le jeune
officier subit aussitôt le charme de cette délicieuse
jeune fille, qui a gardé les façons du monde et qui
s'intéresse au blessé comme ferait une infirmière de
la Croix-Rouge. Paul plaisante sur sa blessure et la
boiterie qui lui en est restée. Mais non; il boite à
peine... 'voyons ! Et voilà le blessé qui essaye ses pas,
appuyé sur le bras de la gentille Antigone. Celle-ci
éprouve un sentiment très doux, qui lui fait oublier
un moment sa situation actuelle. Mais, tout à coup,
elle se reprend et s'enfuit à la cuisine. Paul reste
seul, troublé. Que se passe-t-il en lui ? Hélène a fui :
sans doute, il lui a déplu. A-t-îl élé trop familier?...
M. Jean rentre et le retrouve inquiet, désemparé. 11
le fait causer. 11 devine. Paul, mécontent de lui-même,
déclare qu'il ne peut rester plus longtemps dans
cette maison. Il a une course pressée à faire ; il
l'avait ouliliée. El voici revenir Hélène, son chapeau
sur la lèle, revèlue de son manteau, son sac à la
main ; elle aussi va partir.
Il faut bien s'expliquer. M"» Van Doren ne le dis-
simule pas : elle et sa fille sont à présent deux fem-
mes pauvres, des épaves de la guerre. Elles sont les
Il Nouveaux Pauvres », comme il y a aussi les i. Nou-
veaux Riches X.Hélène n'est pas un parti possible, et
il est plus prudent et plus convenable qu'elles dispa-
raissent,pouréviler ledangerd'nn amour sans issue.
M. Jean se sent remué par des sentiments nouveaux
de bonté et d'altruisme. Comme le Bonhomme Jadis,
de Murger, il s'attendrit devant cette charmante
idylle. 11 devient bon et taquin :
« Alors, nous partons, mademoiselle Hélène? Un
télégramme pressé qui vient d'arriver, n'est-ce pas?
— Justement, monsieur! — Monlrez-le. — Je ne l'ai
plus. — Vous l'avez déchiré et vous l'avez jeté, je
suis sûr? — Justement, monsieur! »
Et, doucement, M. Jean prend la main d'Hélène el
la met dans la main de Paul. Ces deux jeunes gens
s'aiment. Ils sont tous deux de bonne famille. On
les mariera.
En allendant, ils dînent tous les quatre à celte table
où M. Jean prenait ses repas toul seul. Le céliba-
taire égoïste est devenu gai, généreux, heureux,
parce qu'il a pu êlre bon et faire un peu de bien.
L'idée de cette comédie est ingénieuse el genti-
ment traitée. Les caractères sont finement observés :
le vieux célîbalaire endurci, que l'ègo'isme rendait
maussade et que la bonté restitue à la vie souriante
et heureuse; la femme du monde réduite par la
guerre à une condition inférieure qu'elle accepte
avec courage, avec une résignation douce el intelli-
gente, à travers laquelle transparaît la délicatesse de
l'éducation première; la sensibilité vive el ingénue
de la jeune fille faite pour une vie agréable et un
mariage assorti à sa situation antérieure; la senti-
mentalité aimante du jeune sous-lieutenant sans
famille, qui a soif d'affection, de tendresse et d'inti-
mité. — Léo Claretie.
Les rôles ont été créés par M"" Suzanne Devoyod
(Mélanie), Huguette Duflos [Hélène) ; et par MM. 'io Fé-
rauijy {Jean), Lo Roy [Paul).
Héformés n» S (Situation des militaires).
Législ. mîlit. — La réforme définitive n" 2 est pro-
noncée soit pour des infirmités anléricures à l'incor-
poration, soit poardes infirmités ou mutilations résul-
tant de blessures reçues hors du service, soit pour
des infirmités provenant de maladies ne résultant pas
du fait même des obligations du service militaire.
Elle résulte également, de plein droit, du rejet par
le ministre d'uneproposition de congé de réforme n»l,
et ce, à la date de la comparution de l'intéressé devant
la commission spéciale.
Les réformés n" 2 n'ont droit ni à pension, ni
même à la gratification renouvelable. Ils sont, cepen-
dant, hospitalisés tant que l'exige leur état de santé,
et le ministre est autorisé à leur accorder soit une
allocation temporaire (loi du 9 déc. 1916), soit un
secours éventuel (inslr. du 27 soût 1886).
Allocation temporaire. — Jusqu'à la promulga-
tion d'une nouvelle loi générale sur les pensions
militaires, le ministre de la guerre est autorisé à
accorder des allocations temporaires mensuelles de
30 ou de 50 francs, payables d'avance, aux militaires
réformés n" 2, sous la double condition :
1* Que le militaire ait été incorporé pendant 60 jours
au moins, entre le 2 aoôt 19U et la date de la cessation
des hostilités ;
2" Que son infirmité ait été aggravée par les fatigues,
dangers ou accidents de service. L'aggravation .sera pré-
sumée imputable aux fatigues du service, sous réserve do
la prouve contraire à la cltargo de l'autorité militaire;
3" Que le degré d'invalidité atteigne ou dépasse 4o p. 100;
40 Que le militaire ne soit pas hospitalisé aux frais de
l'Etat.
L'allocation est accordée, par le ministre, pour
une période de trois mois ou de six mois, après avis
d'une commission spéciale. Elle est renouvelable dans
les mêmes formes. Au cas où, en vertu d'une déci-
sion spéciale ou de dispositions législatives nouvelles,
le réformé n"> 2, bénéficiaire d'une allocation tempo-
N- 123. Mal 1917.
raire, 3st admis à pension ou à gratification, le mon-
tant des allocations perçues par lui sera imputé sur
les anéiages de la pension ou de la graliflcation
s'appli'liiant à la période pendant laquelle il a perçu
rallocaliou, sans qu'aucune retenue pour trop-perçu
puisse être opérée à son détriment.
Secours. — Si le rélornié n" 2 ne remplit pas les
conditions soécifiées par la loi du 9 décembre 1916,
il peut prétendre éveniuellement à un recours à
titre d'ancien militaire ayant pris part à la campa-
gne actuelle.
Les secours de l'espèce se divisent en deux catégo-
ries: les secours éventuels et les secours permanents.
Le secours éventuel est accordé pour une lois seu-
lement, mais la demande peut en êire renouvelée un
an ajirès la concession du dernier secours. Le laux
est de 50 à 100 francs pour les Ciiporan.x et soldats
et de 60 à 100 francs pour les sous-ofOciers. La de-
mande est adressée au ministre de la guerre par
i'intermé.iiaire du général commandant la subdivi-
sion du domicile du postulant. liUe est accompa-
gnée des pièces ci-après, établies sur papier libre :
état de services du militaire, certiQcat de position
délivré par le maire.
Le secours permanent est accordé à d'anciens olfi-
ciers ou autres militaires n'ayant pas droit à pension
et qui comptent au moins dix ans de service, aux
anciens militaires amputés ou aveugles n'ayant pas
droit à pensioTi. Piiyable par semestre et d avance,
il peut être retiré lorsque la concession n'en parait
plus justifiée. Les pièces à fournir sont les mêmes
que pour l'attribution du secours éventuel.
Ré/'ormé n" 2 aliéné, tuberculeux ou malade. —
Lorsqu'un militaire a obtenu, par suite d'aliénation
mentale, un congé de réforme n» 1, les frais d'in-
ternement sont acquittés au moyen d'un précompte
effectué par l'asile sur le montant de la gratification
de réforme ou sur les arrérages de la pension con-
cédée. Si l'affection mentale n'a pu être considérée
comme une consé-iuence du service et si, par suite,
l'intéressé a été réformé n" 2, ses frais d'entretien
ne peuvent être supportés par le département de la
guerre après que la réforme a été prononcée. Le
malade doit être traité au titre civil. Les dépenses
d'hospitalisation incombent dès lors à la famille, si
elle a des ressources suffisantes (art. 2 de la loi
du 30 juin 1838 sur les aliénés; art. 206, 207, 212,
215 et 1558 du Code civil sur la dette alimentaire). A
défaut de ressources de 1 interné et de sa l'amille, les
frais d'entretien incombent soit à la coUeclivilé du
domicile de secours acquis par une résidence liabi-
tuelle d'un an (commune ou département), confor-
mément à la loi du 30 juin 1838, aux articles 6 et
suivants de la loi dul5juilletl893 sur l'assistance mé-
dicale gratuite, appl cable aux aliénés, suivant arrêt
du conseil d'Etat en date du 12 lé v. 1897, soit à l'Ktat
(ministère de l'intérieur), faute d'un domicile de se-
coursreconnu(loidefinancesdu13juil.l911, art. 101).
En ce qui concerne les militaires atteints de tuber-
culose pulmonaire, la réforme n'est prononcée que
pendant leur séjour à l'hôpital ou il la slation sani-
taire où ils sont envoyés pour y faire leur rééduca-
tion au point de vue prophylactique (loi duls oct.
1915). Toutefois, les hommes reconnus tubercu-
leux à leur arrivée au corps ne sont pas proposés
pour être envoyés, au titre mililaire, dans les sta-
tions sanitaires, mais doivent être immédiatement
réformés n» 2. Ces militaires pourront être admis
dans les dispensaires antituberculeux créés par la
loi du 19 avril 1916.
Nous avons dit qu'un réformé n" 2 malade devait
être soigné dans un établissement hospilalier, tant
qu'il n'étaitpas à l'abri d'accidents graves immédiats.
Pendant son séjiur à l'hôpital, il n'a droit à aucune
solde ou mdemnité; lorsque son élat entraîne des
soins prolongés, que la lamille, faute de ressources,
ne peut supporter, il est maintenu en traitement
dans un hôpital militaire jusqu'à ce que le préfet du
département où il a son domicile de secours ait
décidé son transfert dans un hôpital civil, aux frais
de l'assistance médicale gratuite. L'admission dans
les étalilissements hospitaliers de la guene n'est
autorisée, en effet, qu'à l'égard des anciens militaires
gratifiés ou pensioimés.
Tranxformntiini de la réforme n" 2 en réforme
n°1. — Ti)ut réformé n<'2 peut, pendant un délaid un
an à compter de la cessation de l'activité, réclamer la
transformation de son congé de réforme n''2 en congé
de réforme n" 1, avec pension ou gratification.
Il arrive fréquemment que d'anciens militaires
admis à la réforme n° 2 s'imaginent, à tort, que la
réforme n" 2 est prononcée pour des infirmités
moins graves que celles qui peuvent entraîner la
réforme n°l. Sans attendre d'être examinés à nou-
veau par les commissions spéciales de réforme à
l'expiration du délai <le trois mois (art. 3 de la loi du
17 août 1915), il» sollicitent un nouvel examen mé-
dical en vue d'être admis à la réforme n" 1. Or, si le
rapport spécial dressé à la suite de la demande de
l'inléri'ssé (elle doit contenir tontes les précisions
désirables sur l'origine de l'infirmité) ne démontre
pas que l'origine des infirmités peut être raltachée
à un fait de service, une fin de non-recevoir sera
opposée (circulaire guerre, 27 févr. 1916). Cepen-
LAROUSSE MENSUEL
dant, sans solliciter leur admission à la réforme
n" 1, les anciens militaires, pour sauvegarder leurs
droits éventuels à pension ou àgra ilication, peuvent
demander à être soumis à des examens médicaux
périodiques ; s'ils sont dans l'impossibilité de se
rendre auprès de la commission spéciale de réforme,
ils seront examinés à domicile (inslr. minist. du
■23 mars 1897 sur les pensions, art. 4!i-53).
Lorsqu'un mililaire libéré du service par voie de
réforme n" 2 reiuse de rentrer dans ses loyers
parce qu'il estime avoir droit à une pension ou à une
gratification de réiorme, il adresse directement au
ministre de la guerre une réclamation dont il lui
est donné récépissé. 11 est mis en sub-
sistance dans un corps de troupe
jusqu'à notification de la décision ini-
nistérielle, et il reçoit, pendant ce
temps, les allocations dont il bénéficiait
avant d'êlre libéré. Si cette décision
n'intervient pas dans les quatre mois à
courir de la date de la remise de l'ac-
cusé de réception, le réclamant pourra
se pourvoir devant le conseil il Etal,
mais seulement dans le cas où il solli-
citerait une réforme n" 1 avec pension.
Réforme n" 2 et allocalion de la loi
du 5 aoûl 1914. — Lorsque le soldat re-
formé n" 2 se trouve dans l'impossibi-
lité de se livrer à aucun travail, sa l'a-
mille doit continuer à recevoir les al-
localion et majorations de la loi ilii
5 août 19U. Elles lui sont maintenin'
tant que le réformé n» 2 n'a pas n
trouvé, à son retour dans ses foyers
le salaire ou le traitement ou, d'une Oi
çon générale, la situation qu'il avm
avant la guerre; c'est seulement à par
tir de ce moment que le retrait doi
être prononcé.
Les familles dont les demandes au
raient été écartées (pour motif du re-
tour dans ses foyers du militaire ré-
formé n" 2 ou du réformé temporaire)
pourront renouveler ces demandes au-
près des commissions compétentes.
Dans ce cas, le point de départ de l'al-
location sera fixé au jour où a été for-
mulée la demande initiale.
Si, en efi'et, l'allocation a été refuséo
à la famille du mobilisé au moment où i
celui-ci a rejoint son corps, c'est parce
qu'il n'a pas élé considéré comme sou-
tien indispensable, et la réiorme n° 2
n'a pas modifié cette situation. Le chef de famille qui
n'a pas cru devoir demander l'allocation au moment
de son départ n'est pas admis à le faire lorsqu'il re-
vient dans ses foyers après avoir été réformé n" 2.
Visile du réformé n° 2. — L'article 3 de la loi
du 17 août 1915 (loi Dalbiez), commenté par l'ins-
Iruction du 30 août 1915, a imposé une contre-
visite au réformé n» 2 trois mois après la déci-
sion qui a prononcé le classement dans la position
de réforme. C'est après celte seconde visite qu'il
est défini. ivement réformé n" 2, s'il est mainteim
dans celte position. (V. loi Dm,biez, Larousse
Mens., t. III, p. 642.) — Marcel Petit.
Saléza (héon-Albeil), chanteur scénique fran-
çais, né à Bruges (Basses-Pyrénées) le is octobre
1S65, mort à Paris le 26 novembre 1916. Simple
ouvrier, fabri-
cant de cordes
et d'espadrilles,
il travaillait chez
son père et de-
vaitlui succéder,
quand un ama-
leur de musique,
l'entendant un
jour chauler, fut
vivement frappé
par les belles
qualités de sa
voix de ténor et
l'enfjageaà culti-
ver sérieusement
le chant et la mu-
sique. Le jeune
sandalier suivit
ce conseil. Il se
rendit à Paris, se
fit admettre au
Conservatoire en
18Hti, et en sortit deux ans après, avec un premier
prix de chant et un second d'opéra.
Engagé tout de suite à l'Opéra-Comique, Saléza
y débuta dans le rôle de Mylio du Roi d'Ys, où il
remplaça Talazac, malade (nov. 1888). et il joua
encore à ce IhéiUre Ricliard Cœur de Lion. Après
avoir chanté de nouveau le Roi d'Vs à Bordeaux, à
Rouen et à Rayonne, il qiiilla l'Opéra-Comique et
alla passer deux ans à Nice, où il forma réellement
son répertoire, en se produisant successivement dans
Faust, Rigolelto, la Muette de Portici, Roméo et
i3i
Juliette, Carmen, le Prophète. II y créa les rôle?
d'Enée dans la Prise de Troie, de Berlioz, et de
Henri de Hichmond dans Richard III, de Salvayre,
créations qui lui valurent un très grand succès per-
sonnel. Sa voix généreuse s'était développée et avait
acquis une ampleur et une souplesse rares.
C'est alors qu'il fut appelé à 1 Opéra pour créer le
rôle de Mathô, dans Salammbô, de Heyer; il y mon-
tra de remarquables qualités de chanteur et de co-
médien. On le vit ensuite dans Rodrigue du Cid,
Siegmund de la Walkyrie, dans Siyui'd, Roméo et
Juliette. Il fit deux bonnes créations: Nouralydans
Djelma, de Ch. Lefebvre, et Olello, que lui confia
Albert Sal«ia, da
.le Mathù. .le Sulammljà.
Albert Saliza.
Verdi, quand le vieux maître eut remanié son œuvre
pour notre grande scène (1894). Saléza partit ensuite
pour Monte-Carlo, où il joua ta Damnation de Faust
et le rôle d'Eilolf dans Hulda, œuvre posthume de
César Franck.
Rentré à l'Opéra en 1897, il interpréta Tann-
haiiser, puis quitta de nouveau ce théâlre pour aller
à Londres et aux Elats-Unis, où il resta durant cinq
saisons consécutives. Il y chanta tout son répertoire,
auquel il ajouta Raoul des Huguenots, Radamès
d'Aïda, Ed.y^ar de Lucie de Lanimermoor, Torrido
de Caoalleria rusticana, Rodolphe de la Bohème;
il y joua encore Ero et Leundro, de Maucinelli, et
Lohengrin. Il obtint partout des succès retentis-
sants et mérités.
Terrassé prématurément par des maladies consé-
cutives, le brillant ténor dut quitter la scène, où il
ne lit plus que de courtes apparitions, et se consacra
à l'enseignement du chant. Cependant, en 1903, se
sentant en voie de guérison, il essaya de chanter
Werther, mais ses forces le trahirent : il fut obligé
de renoncer à son projet et d'abandonner pour tou-
jours la carrière théâtrale. Il mourut subitement un
dimanche, en l'église Saint-Charles, de Monceau; la
veille encore, il avait fait son cours au Conservatoire
avec toute la vaillance et l'ardeur qu'il mettait à faire
passer son âme d'artiste dans l'âme de ses élèves.
Albert Saléza fut à la fois un excellent chanteur
et un excellent comédien. Doué d'un organe superbe
dont il se servait avec infiniment de talent, il avait,
dans son jeu passionné, une élégance et une autorite
tout à fait remarquables. — J.-m. Delisli.
Sienkie'Wicz (Henryk), romancier polonais,
né àWola Okrzpjska (gouvernement de Radom) en
1846, mort à 'Vevey (Suisse) le 16 novembre 1916.
Originaire de Litliuanie, la famille de Sienkiewicz
avait été chassée de ses foyers par l'invasion russe
et s'était réfugiée en Pologne. Le souvenir de ces
épreuves ne contribua pas médiocrement, sans doute,
à fortifier Sienkiewicz dans un nationalisme irréduc-
tible, où il puisa, du reste, le meilleur de son talent.
Après de solides études au collège et & l'univer-
sité de Varsovie, Sienkiewicz aborda sans tarder
la carrière des lettres et, en 1874, publia, sous le
pseudonyme de Litwos, son premier volume. Les
années qui suivirent furent consacrées par le jeune
écrivain à de nombreux et lointains voyages, qui
compléléreiit sa formalion ; en 1876, notamment, il
parcourut les Elats-Unis et séjourna en Californie.
Cette humeur voyageuse devait encore l'entraîner
1
lleiirjk Sienkit>wicz.
132
en 1891 à un voyage d'exploration dans l'Afrique
centrale. Entre temps, sa réputation d'écrivain s'é-
tait faite en Pologne. Aussi bien, a. partir de 1877,
Sienkiewicz n'avait cessé de produire et, jusqu'en
ces dernières années, cette production se poursuivit,
régulière et toujours renouvelée. Ce qui frappe tout
d'abord, en effet, lorsqu'on jette sur son œuvre un
regard d'ensemble, c'est l'extrême variété qui la
caractérise; on y sent l'activité d'un esprit très
souple, sollicité par toutes les formes de la pensée,
accessible à toutes les influences, curieux de s'es-
sayer dans tous les genres :études sociiles{Esquisses
au fusain), scè-
nes de la vie rus-
tique (une Idi/lle
dans la forêt), ro-
mans de mœurs
familières, à la
manière de Die-
ItensetdeDaudet
{ta Famille l'o-
lianecki. Mada-
me U/sen), essais
de psychologie
{ Sans dogme ) ,
romans à ten-
dances satiriques
{Barlei'c le Vain-
queur), souve-
nirs de voyage
[Pages d'Amé-
rique ) , grandes
fresques histori-
ques {Par le fer et par te feu, le Déluge, Messire
Wolodowski, les Chevaliers de la ci'oix), évocations
de l'antiquité {Quo vadis), études politiques {l'Eter-
nelle Victime, Prusse et Pologne), tous les genres se
retrou vent dans son œuvre, abordés avec une égale fa-
cilité, sinon avecune égale maîtrise. Tout en admirant
celte féconde diversité, il serait injuste de s'en tenir
au premier jugement qu'elle suggère et de voirdans
Sieu'Kiewicz une manière d'n essayiste », sans per-
sonnalité affirmée; ce seraitungroscontresens.il
est vrai que la renommée, volontiers capricieuse, a
commis un contresens plus gros encore en faisant
de Sienkiewicz l'homme d'un seul livre. En 1900, le
nom de Sienkiewicz, fort connu en Pologne, mais à
peu près ignoré au dehors, fut soudainement porté
k la célébrité par la traduction d'un de ses romans,
déjà vieux de quatre ans : Quo vadis. Ce fut un des
plus extraordinaires succès qu'ait jamais enregis-
trés l'histoire du livre. Traduit dans toutes les
langues, répandu dans tous les pays, lu partons les
|)ul)lics (en moins de deux ans, il s'en vendit plus
de /lOO.OOO exemplaires en Angleterre et en Améri-
(|ue), adapté bientôt à la scène et popularisé dans la
suite par le cinématographe, Quo vadis restera tou-
jours, dans la mémoire des hommes, l'œuvre maî-
tresse de Sienkiewicz. Rien n'est plus faux, cependant.
Certes, il ne saurait être question de contester les
mérites de ce roman, dont le principal réside dans la
forme universelle, c'est-à-dire accessible à tous les
esprits, qu'y revêt le talent de son auteur. Est-il
besoin de rappeler les aventures de la touchante
Lygie et de l'honnête 'Vinicius? L'intrigue, habile-
ment conduite, se meut avec aisance dans un cadre
où l'art du romancier a sn grouper, en les animant,
les plus récentes découvertes de l'archéologie et
de l'histoire : les tableaux du Forum, du palais de
César, de la Fête dans les jardins, de l'incendie de
Home, sout autantd'évocalions pittoresques et d'une
satisfaisante approximation. Quant aux personnages,
ils sont heureusement diversifiés. Los uns sont ri-
ches en nuances : c'est Lygie, horo'ine pudique et
gracieuse, sorte de Psyché chrétienne, ainsi qu'on
l'a justement qualifiée ; c'est 'Vinicius, dor.t le carac-
tère se développe et s'idéalise au cours du roman;
c'est Ursus, avec son mélange de grossièreté et de
tendresse, don t Sienkiewicz a dû trouver le prototype
parmi les paysans de Pologne. D'autres, plus sim-
plifiés, prennent une valeur de symbole : en Néron
se personnifie le matérialisme bestial du monde
aniiqne, tandis que Pétrone, par son dilettantisme
élégant et raffiné, représente le culte de la poésie
et de la beauté qui fut l'honneur du paganisme ;
en face d'eux, Pierre, dont la grandeur monde n'ex-
clut pas un reste d'humaine faiblesse, caractérise
cette alliance de timidité et de force qui marnue
l'aurore du christianisme. H n'est pas jusqu'au style,
tour à tour pittoresque et poétique, qui n'ajoute au
charme de l'œuvre. Ce sont là, certes, des qualités
sérieuses.. Justifient-elles, cependant, l'extraordinaire
succès de ce roman? La gloire de Sienkiewicz ne
risque pas d'être amoindrie, même si l'on dénonce
dans 1 unanime engouement pour Quo vadis une
part d'exagération. Le succès s'explique-t-il par
l'originalité du genre? Mais, bien avant Quo vadis,
les Martyrs de Chateaubriand et la célèbre Fabiola
du canlinal Wisemans avaient offert de semblables
évocations; bien pins, dans sa patrie même, Sien-
kiewicz trouvait des modèles, notamment le fameux
romancier Kraszewski, auteur également de deux
romans antiques : Chrétienne et Villa Jovis. Fut-on
séduit par l'exactitude des peintures? Mais qui peut
LAROUSSE MENSUEL
se piquer de pénétrer, de façon exacte et réellement
objective, la mentalité d'une époque dont nous sé-
parent tant de siècles et tant de différences de civi-
lisation? Au vrai, chaque génération se fait de l'âme
antique une représentation en rapport avec ses goûts
et ses tendances. Les gens du xvn' siècle concevaient
l'antiquité à la manière de Corneille et de Racine, et
cela nous semble aujourd'hui désuet. Le principal
mérite de Sienkiewicz — et c'est là, sans doute, qu'il
faut chercher la raison de son succès — fut de per-
mettre aux hommes de 1900 de se retrouver sous les
vêtements antiques dont il habilla ses personnages.
11 faut bien le dire, d'ailleurs, car la gloire a de ces
fantaisies, le roman qui filla célébrité de Sienkiewicz
reste dans sou œuvre une exception. Alors qu'après
Quo vadis, la librairie — sinon la littérature —
française fut inondée de romans antiques et que de
toutes parts surgirent, au milieu d'orgies latines ou
romaines, des Spartacus, des Messaline, des Tibère,
des Julien l'Apostat, Sienkiewicz dédaigna d'exploi-
ter une veine trop facile et, plus jamais, il ne revint
à l'antiquité. Par contre, il reprit, avec les Clie-
valiersde la croix, la série de ses romans nationaux,
inaugurée en 1884 par une admirable trilogie.
Si l'on veut apprécier Sienkiewicz dans la saveur
originale et la force de son talent, ce n'est pas sous
un accoutrement antique qu'il le faut considérer,
mais bien quand il revêt l'armure étincelante des
guerriers de Pologne et qu'il célèbre les exploits
des grands ancêtres nationaux. Là est le véritable
Sienkiewicz, là s'atteste sa réelle et prestigieuse
maîtrise. Les suffrages de l'étranger sont allés à
l'auteur de Quo vadis, mais c'est l'historien des
gloires nationales, l'évocateur des passés héro'i-
ques qui a suscité l'admiration de ses compatriotes.
C'est celui-là qu'ils ont voulu honorer, lorsqu'en
1900, ils lui ont offert la terre d'Olegoreck. De
même l'attribution du prix Nobel, qui fut faite à
Sienkiewicz en 1906, couronnait avant tout une
œuvre essentiellement polonaise et patriotique.
« La littérature en Pologne, a dit le poète Adam
Miçkiewicz, a été l'épanouissement du sentiment
patriotique qui vibre en tout cœur polonais ». Nul
n'a mieux que Sienkiewicz vérifié cette définition.
L'amour de la patrie, tout frémissant d'orgueil au
souvenir des grandeurs passées, attendri de pitié
en face des misères présentes, tel est l'unique
sentiment qui anime l'œuvre de Sienkiewicz et, mal-
gré une diversité apparente, en constitue l'unité.
Même Qtio vadis s'y rattache par le sentiment
religieux qui l'emplit, par cette exaltation du catho-
licisme, qui est en Pologne, ne l'oublions point, une
des conditions fondamentales de la vie nationale.
L'unique but de Sienkiewicz a été de stimuler
la conscience de ses frères de Pologne en leur
révélant la grandeur de leur passé et en les mettant
en garde contre les erreurs du présent.
Le passé, il le célèbre dans ses quatre grands
romans historiques : Par le fer et par le feu, le
Déluge, Messire Volodowski, les Chevaliers de ta
croix, livres massifs, compacts, d'une lecture par-
fois pénible, surtout pour des étrangers peu fami-
liers avec l'esprit polonais. Le sujet de tous ces
romans est la série des luttes que la Pologne,
champion de l'indépendance slave, soutint jadis
contre les Teutons, les Cosaques, les Suédois,
N' 123. Mai 1917.
d'une irrémédiable déchéance. — Il y a dans l'œuvre
de Sienkewicz un petit récit, une simple nouvelle,
composée vers 1885, qui est peut-être ce qu'il a
écrit de plus profond: ISarlek le Vain'/ueur. Aver.
quelle ironie, mêlée de pitié douloureuse, est retra-
cée l'aventure symbolique de ce na'if paysan polo-
nais, qui, rentré dans son village, après avoir fait
dans les rangs allemands la campagne de 1870,
escompte la reconnaissance de ceux pour qui il s'e>t
battu et voit, au contraire, son fils rudoyé par un
maître d'école prussien, son modeste bien accaparé
par un usurier prussien, tandis que lui-mSme est
jeté dans une prison prussiennel Puissent les Po-
lonais se souvenir de ce livre et en méditer les
leçons, à l'heure où, parmi eux, tant de Barlek se
préparent de semblables désillusions I
Celte ardeur d'apostolat que Sienkiewicz a mise
dans son œuvre, il l'a portée aussi, et jusqu'au der-
nier jour, dans sa vie. Tous ses efforts ont été in-
lassablement consacrés au relèvement de sa patrie:
c'est le noble usage qu'il a voulu faire de sa for-
tune et de sa gloire. Au début de la guerre, il s'était
rendu en Suisse, non pour s'y tenir, comme certains,
«au-dessus de la mêlée", mais pour faire œuvre
utile en faveur de ses malheureux compatriotes. Il
dirigeait, à 'Vevey, l'Office général des secours pour
les victimes de la guerre en Pologne. C'est à ce
poste de combat que la mort est venue le prendre,
mettant un digne couronnement à une carrière
glorieuse, entièrement consacrée au plus noble idéal.
Les œuvres de Sienkiewicz — presque toutes tra-
duites en français — sont : Es.wis ^874), Hania
(1877), Esquisses au fusain (1877), la Fumille
Polaniecki, Par le fer et par le feu (1884), Bar-
tek le Vainqueur (1885), le Déluge (1887), Messire
Volodowski (1x88), Sans dogme (1891), En vain,
Cette troisième Madame Elsen, Quo vadis (1S96),
Journal d'un artiste, les Chevaliers de la croix
(1900), Pages d'Amérique, A la source du bonheur.
Allons à lui. Au champ de gloire (1907), l'Eter-
nelle Victime (1909), Prusse et Pologne, Sous le
joug... Il faut y joindre plusieurs recueils de contes
et nouvelles. — g. guikakd.
singe n. m. Arg. milit. Bœuf et surtout viande de
conserve. |1 Boite de singe, boîte de conserve : Nous
avons tapé dur sur la boule (de son) et tes boîtes
DE SINGE. (A. Galopin.) — Boite de singe désigne
aussi l'obus allemand de « 77 » : L'infanterie s'est
emparée d'une sacrée batterie qui distribuait des
BOÎTES DE SINGE en veux-tu, en voilà. (A. Galopin.)
Sous-marin commercial (le). — Le
Deutschland n'est pas, comme on l'a cru trop sou-
vent, le premier sous-marin qui ait traversé l océan
Atlantique; le parcours avait été fait avant lui par
des sous-marins venus de Montréal en Angleterre;
mais le Deutschland est bien le premier sous-
marin qui ait entrepris un voyage de long cours en
affirmant la prétention de ne transporter que des
marchandises.
Parti de Heligoland pour sou premier voyage, le
23 juin 1916, ce sous-marin allemand arriva dans la
baie de Chesapeake, devant Baltimore (Etats-Unis),
le 9 juillet, après avoir accompli un parcours de
4.380 milles marins environ. Le Deutschland. reçaiti
de Baltimore le l"' août 1916 avec des marchandises
Coupe longitudinale du Deutschland, vue de profil : I. Cumpartiment dPS moteurs électriques; 2. Compartiment des moteurs Diesel'
3. Cargaison; 4. Approvisionnements; 5. Kiosque; ti. Couloir de communication; 7. Chambre de navigation et caltities de réquii>age;
8. Batteries d'accumulateurs ; 9. Compartiment des chaînes.
o
^mj
o:
Coupe longitudinale du Ueutschland, vue en dessous : I. Comparliraenls des moteurs électriques ; 2. Compartiments des moteurs Diesel;
3. Cargaison; 4. Approvisionnements; 5. Kiosque.
les Turcs. L'histoire, toujours appuyée sur une
minutieuse érudition, ne fournit plus simplement
un décor, comme dans Quo vadis; elle constitue
le fond même du récit. Les personnages sont forte-
ment caractérisés; on devine, cependant, que le vé-
ritable héros n'est pas tel ou tel individu, mais la
race elle-même. Elle revit tout entière, avec ses
qualités d'exubérance et de hardiesse tapageuse, au
milieu des scènes les plus diverses. Par là ces romans
prennent une étonnante ampleur : ce sont de larges
fresques, qui, par le sujet et la manière, rappellent
les grandes épopées primitives. Elles les rappellent
aussi par la langue, qui, au jugement des Polonais,
atteint à un extrême degré de couleur et de relief.
Si grande que soit l'exaltation de Sienkiewicz en
face des splendeurs du passé, elle ne l'aveugle pas
sur les problèmes de l'heure présente : tout au con-
traire, sa clairvoyance en est accrue pour deviner le
péril qui, venant de Prusse, menace la Pologne
pour l'Allemagne, est arrivé le 23 août devant l'em-
bouchure du Weser. Son voyage de retour demanda
vingt-deux jours, alors que celui d'aller s'effectua en
dix-sept jours. Il a ensuite efi'eclué sur la cote de
l'Amérique un second voyage, qui a clé signalé par
un accident à la sortie du port de New-London.
Le Bremen. autre sous-marin commercial battant
pavillon allemand, a été, croit-on, moins heureux.
Attendu en Amérique du Sud, il n'y est pas arrivé
et, quoique les autorités allemandes n'aient pas
avoué sa perte, on peut le considérer comme coulé
ou capturé. C'est la nouvelle que donnait, le 8 août
1916, le journal suisse Berner Tageblatt et (pie con-
firme une iuronnation récente des journaux anglais.
Ces deux bâtiments sont, en apparence, du moins,
la propriété dune société par actions qui se créa à
Brème le 8 novembre 1915. sous la direction d'.\llred
Lohmann, président de la chambre de commerce
de Brème.
Croquis du sous-marin allemand ■ Deutschlano
i. Périscope.
2. KiosqU'-.
3. Propulseur.
4. Aileron stabilisateur.
5. Moteur Diesel.
6. CloisoD.
7. Cale â marchandises.
8. Couljir.
9. Cabine du commandant.
10. Cabines des officiers et
mécaniciens.
11. Cabines pour les hommes.
[■i. Espace entre les deux coquei,
13. Quille anliroTilis.
N' 123. Mai 1917.
Celle initialive inaltenilue pose un ensemble de
questions nouvelles, qu'il n'e.sl pas sans intérêt d'exa-
miner. Quel but poursuivent les Allemands en es-
sayant d'adapter les sous-marins au.v transports com-
miMCiau.v, après s être appliqués k en faire l'arme de
destruction la plus cruelle qui soit contre le com-
merce maritime des Alliés?
Il semble que nos ennemis s'elTorcenl d'obtenir
un double résultat : d'abord, attirer l'attention des
neutres sur une prouesse allemande qui sera van-
tée, par les radiotélégrammes dont le monde est
inondé, comme une manifestation de la supériorité
allemande dans le domaine scientilique et technique ;
ensuite, s'ellorcer de prouver que le blocus anglais,
qui resserre ses mailles chaque .jour, est brisé,
puisque des bâtiments allemands peuvent traverser
impunément les lignes des croiseurs.
Ji n'esl pas diflicile de se faire une opinion sur ces
prétentions allemandes.
En ce qui concerne les diftlcultés techniques
vaincues, nous avons vu que la traversée opérée
par le Ueutschland avait eu au moins un précédent.
Sans rabaisser le mérite des constructeurs et des
marins allemands,
on peut dire que
I le sous-marin com-
mercial ne réa-
[lise aucune inno-
[valion essentielle
F dans l'art de la na-
1 vigation. 11 consti-
[ tue simplement un
' type particuliére-
I ment robuste de
I submersible, doté
I de moteurs puis-
I sauts et d'un appro-
visionnement de
combustible qui lui
assure un rayon
d'action étendu.
Nous donnons ici
un croquis de l'in-
térieur du submer-
sible Deutschiand.
Les détails de cons-
Irnctioii ayant été
tenus secrets, nous
ne pouvons garan-
tir la véracité de
ces dessins, les-
quels seraient faits
d'après des indica-
tions précises four
nies par des Amé-
ricains qui le vi-
sitèrent.
Les journaux
américains ont 1 2
donné, quant aux
principales carac-
téristiquesdusous-
marin, des chiffres
qui ne sont pas
concordants : pour
lesuns,salongueiir
est de 315 pieds
(96 mètres), sa lar-
geur de 30 pieds
(9™, 14); pour d'au-
tres, il n'a que f,i mètres de long et 8™, 9 de large;
son déplacement est é\ alué par certains à 2.000 ton-
nes. Ce dernier chiffre appelle quelques réserves.
Toutefois, même en acceptant ces données comme
parfaitement exactes, il n'y a là que le type légère-
ment agrandi des submersibles en construction dans
les marines du monde, au moment où la guerre a
éclaté. D'après le recueil des Finîtes de combat du
commandant de Balincourt (1914), la France avait
en achèvement, au début de la guerre, deu.\ submer-
sibles de 73 mètres de long et 704 tonnes de dépla-
cement et, parmi les submersibles en chantier, quel-
ques-uns atteignaient 833 tonnes de déplacement.
L'Angleterre avait, à la même époque, en construc-
tion nn sous-marin, le G. I., de 1.500 tonnes de dé-
placement, donnant 12 nœutis de vitesse en plongée
avec des machines dont la puissance allait de 2.400
à K.ilOO chevau.\, suivant que le navire naviguait en
immersion on en surface.
La puissance, la régularité des moteurs sont les
f.icteurs essentiels de ces grands sous-marins, qui
sont, le plussouvent, livrés à eux-mêmes, ne peuvent
altendre de secours de personne et doivent éviter
toute avarie de machine qui leur serait fatale. 11 est
possible que les moteurs Diesel du Deutschtan't
soient en progrès sur ceux des sous-marins en ser-
vice avant la guerre. En tout cas, il ne faut pas ou-
blier que, si l'industrie des moteurs marins n est pas
encore prospère en France, elle est en voie d'accrois-
sement ailleurs qu'en Allemagne. Nos alliés anglais.
les Américains, les Norvégiens, les Suédois, les
Danois surtout construisent aujourd'hui des moteurs
qui peuvent remplacer utilement les machines à
vapeur sur les navires de commerce. Or, le aous-
LAROUSSE MENSUEL
marin est, de tous les bâtiments de mer, celui qui
peut profiter le plus du progrès des moteurs; car,
pour lui, la niacliine à vapeur est interdite.
Pour donner une idée du progrès des moteurs
marins en ces dernières années, il sufhra de dire
que les chantiers Burmeisler et Wain, de (Copenha-
gue, ont construit, récemment, pour la compagnie
de l'Est asiatique danois, vingt bâtiments à mo-
teur, dont le moindre a une portée en lourd de
plus de 10.000 tonnes; sur six de ces bâtiments, il
y a des moteurs de 5.300 chevaux; sur douze, des
moteurs de 4.000 chevaux et, sur deux, des moteurs
de 3.300 chevaux. Leur vitesse varie de 13 nœuds
à 13 nœuds 1/2.
Depuis le voyage du Zelandia, le premier grand
navire à moteur qui alla en 1913 des mers du Nord
en E.xtrême-Orient, les progrès de la construction
de ces moteurs ont été incessants. (V. moteurs ma-
rins, p. 4i>.)
Le voyage du Deutschland en fournit une preuve
nouvelle et plus tapageuse que les précédentes.
D'après le croquis que nous donnons ici, les
cales du submersible seraient placées des deux
U. Coque extérieure légère en
acier.
J.n. Coque intérieure en acier.
Réservors pour ballast et
certains approvisionne-
ments ;
Cale à marchandises.
bords du navire. On ne .sait pas au juste quelle est
leur capacité de transport, et les chiffres fournis par
la presse allemande, à ce sujet, ne peuvent être
acceptés sans réserves. D'après l'analyse qu'en don-
nent les journaux suisses, le Deutschland aurait
une capacité de transport de 800 tonnes. Ce chilTre
semble manifestement exagéré. Il faut, en effet, que
le submersible emporte un approvisionnement con-
sidérable d'huile minérale, pour le cas où il ne serait
pas ravitaillé en haute mer. Même à vitesse écono-
mique, les 4.300 milles de la traversée exigent une
énorme consommation de combustible. D'autre part,
le capitaine du submersible ne peut trop charger
son navire, ce qui diminuerait ses qualités nautiques
et même sa sécurité. Il est vraisemblable que le
Deutschland n'a pas été imprudent au point d'em-
porter plus de 400 on 450 tonnes de marchandises,
tant à l'aller qu'au retour.
On voit le résullat de ce voyage, commencé le
23 juin et fini le as soûl : 800 à 900 tonnes de mar-
chandises transporlées en deux mois! Il faudrait,
pour ravitailler l'Allemagne des produits les plus
précieux qui lui mau(|uent, une flotte de deux ou
trois cents submersil)les et, cette fiotle, dont la cons-
titution est matériellement impossible, ne serait à
l'abri ni des accidents, ni des perles. L'Amérique,
d'ailleurs, ferme désormais ses portes aux sous-
marins ennemis et leur interdit tout ravitaillement.
Aussi, le communiqué de l'agence Wolff, paru le
12 juillet 1916, après l'arrivée du Deutschland à
Baltimore, faisait-il preuve d'une emphase bien
exagérée pour un si faible résullat :
Les communications réguliirea avec les Etats-Unie sont
rétablies : les Bouveaux soas-marins peuvent transporter
133
à volonté non «enlemcnt des letircs, (iépf'olies, Journaax,
CD dépit <lii lilocus anglais, mais aussi cmmeucr eu Amé-
rique des marcliandisës comme les couleurs, produits clii-
miuues cl pharmaceutiques, tamlis que le» Allemand»
obtiendront le caoutchour, ainsi que d'autres produits dont
la possession sera bientôt plus qu'agréable.
Rien de pareil n'est à attendre du sous-marin
commercial.
U pourra transporter quelques marchandises, dont
le prix, en Allemagne, est devenu exagéré, mais ce
navire ne pourra contribuer eflicacenient au ravi-
laillemenl de nos ennemis, ni encore moins per-
mettre de prétendre que le blocus de l'Allemagne
est brisé. U n'y a pas, d'ailleurs, de blocus déclaré
des côtes germaniques et, même s'il existait, ce ne
seraient pas quelques passages de briseurs de
blocus qui en feraient contester ni l'efflcacilé, ni
l'elfeclivité.
On peut donc dire, en résumé, que le sous-
marin commercial imaginé par l'Allemagne ne
réalise aucune innovation essentielle dans le do-
maine de la navigation sous-marine et qu'il sera
d'une ulililé très secondaire pour le ravitaillemenl
de nos ennemis.
Mais, ces constatations faites, il importe d'envi-
sager un autre aspect de la question : quelle atti-
tude les Etats neutres vont-ils avoir vis-à-vis des
sous-marins, dits « commerciaux ■•, si l'emploi avait
tendance à en devenir fréquent, et comment les
Alliés envisagent-ils le statut de ces sous-marins?
Le précédent du Deutschland ne peut être invo-
qué comme la preuve de la reconnaissance du sous-
marin commercial par les Etals-Unis. Les diplo-
mates américains n'ont fait aucune déclaration de
principe au sujet de ce type nouveau de navire; ils
ont fait examiner le Deutschland par des experts
et ont conclu, à la suite de cette visite, qu'il n'avait
ni l'armement, ni le caractère d'un navire de guerre
et qu'il pouvait être accepté comme bâtiment de
commerce.
Les gouvernements alliés ne considèrent pas
qu'on puisse faire bénéficier un sous-marin com-
mercial du statut ordinaire des bâtiments de com-
merce, et l'on aperçoit facilement leurs raisons. Le
sous-marin est le navire le plus apte aux dissimu-
lations et aux maquillages : présent dans les eaux
territoriales, il peut se soustraire aux recherches
en s'iminergeant. Ce serait le bâtiment idéal pour
l'exercice de la fraude en douane et de la contre-
bande aux frontières de mer; bâtiment de commerce
aujourd'hui, il peut, le lendemain et par la seule
apparition qu'il fera devant un navire marchand,
intimider le capitaine, faire évacuer l'équipage et
capturer le navire, ou le couler.
Aucune m^irque distinctive ne permet de l'identi-
fier; aujourd'hui sous un nom, demain sous un
autre, apparaissant tantôt avec le pavillon allemand,
lanlôt avec le pavillon autrichien, il ne saurait
être traité comme les navires qui ne peuvent échap-
per à la surveillance, ni manquer d être reconnus
quand ils commettent des infractions aux règles du
droit des gens. Enfin, la façon dont nos ennemis
ont usé des sous-marins n'encourage pas à donner
à une certaine catégorie de ces navires, aussi dan-
gereux que les autres malgré l'apparence, des im-
munités particulières.
D'autre part, l'exploitation du sous-marln de com-
merce ne pourrait être envisagée comme rémuné-
ratrice qu'avec la situation actuelle de l'.Mlemagne,
où des matières comme le caoutchouc valent di.x
fois plus qu'en Amérique; elle exige un personnel
trop nombreux, trop spécialisé, des dépenses trop
fortes pour qu'elle entre jamais dans la pratique cou-
rante. La compagnie Lohmann ne donnera pas de
beaux dividendes, et la tentative qu'elle a faite par
ordre du gouvernement allemand est le dernier
essai de ravitaillement d'un pays assiégé. U est
aussi vain de penser à ravitailler 1 Allemagne par ce
moyen qu'il l'eût été, en 1870, d'envoyer des vivres
à Paris par les ballons de Gambetta. — Jean déteoi».
Dr. intern. — Doit-on considérer le « sous-
marin commercial » comme nn navire viarchand
ordinaire? — Doit-il bénéficier des garanties
attachées aux bâtiments des flottes commer-
ciales?— Quand le Deutschland est apparu à
Baltimore, se présentant comme un transatlan-
tique de la ligne de navigation sous-marine alle-
mande, von Jagow, ministre des affaires étrangères
en Allemagne, s'est fait interviewer par Vlnter-
national Sew Service, auquel il a fait les déclara-
tions suivantes :
Voici un navire innocent, conçu, construit et envoyé
aux Etats-Unis dans le but exprès de faire cesser une
situation contre laquelle les Etats-Unis protestent... Ce
navire sera suivi d'antres semblables, construits pour at-
teindre les mêmes Uns pacifiques et altruistes. Il rappor-
tera en Allema<^ne des produits que l'Angleterre a dé-
fendu à vos fermiers, vos fabricants et vos marchands de
vendre à leurs clients européens... Je ne vous demande
pas le moins du monde de vons faire spécialement le cham-
pion du sous-marin commercial, ou de lui accorder des
privilèges extraordinaires. Mais je veux dire ou 'en plus
des raisons ordinaires qui viennent du respect de la jus-
tice et du droit international, vous puises dans le sonci
do vos intérêts toutes les raisons possibiei d'accordor au
134
Deuiichland les mêmes droits — exactement les mêmes,
et ceux-là soulemeDt — an'aux navires qui ne sont pas
capables de naviguer en plougie, aussi bien qu'en surface.
En réalité, l'adaptation à un usage commercial
d'un engin de guerre tel que le sous-marin a sou-
levé de longues polémiques et posé une délicate
question de droit inlernational. Les Etals-Unis ont
été appelés à la solutionner. Ils ne pouvaient l'élu-
der : en remettant le sort du Deuiscidand entre
leurs mains, l'AUemagneles obligeait par cela même à
prendre une décision et & créer ainsi une jurispru-
dence pour l'avenir. L'articlelï de la convention Xlll
de La Haye de 1907 leur imposait, en effet, impé-
rieusement le devoir de se prononcer. Selon que le
Deuiscidand serait considéré par eux comme un
navire de guerre ou un bâtiment de commerce, ils
devaient, ou bien le contraindre à quitter leurs
eaux territoriales dans les vingt-quatre heures, ou
Le DeuUchland remorqué devan-.. Baltimore pour regairner la haute mer. ( Muai de ses mâts
de télégraphie sans Ql, il aaoooce au loin son départ.)
bien, au contraire, le laisser libre de demeurer à
son gré dans les ports américains, comme tous les
autres navires marchands.
Le coup de Carlhagéne. — Quelques semaines au-
fiaravant, le21 juinl9I6, un sous-marin allemand de
a flotte de guerre, l'USS, était venu mouiller dans
le port de Carthagène, dans l'intention d'apporter au
roi d'Espagne une kltre du kaiser. Il ne laissa pas,
du reste, dépasser les délais prévus par l'article 12
de la Convention de La Haye. Et pourtant, des pro-
testations s'élevèrent contre ce qu'on appela le «coup
de Carthagène ». On agita la question de savoir si
ce sous-inarin — qui venait de couler quatre navires
italiens et deux français — pouvait revendiquer le
droit d'asile et de ravitaillement, selon les règles
établies pour les bâtiments de guerre ordinaires.
Si c'est l'opinion du gouvernement espagnol, pris de
court par cet événement imprévu, a écrit à ce propos el
Libéral do Madrid, cela n'est en aucune façon l'opinion
du poiivernouient allemand ; celui-ci, en effet, a toujours
prétendu que les prescriptions du droit maritime interna-
tional, ayant été faites avant l'apparition des sous-marins,
ne s'api)li()uent d'aucune manière à ces derniers. Le sous-
marin, d'ai'rôs les tliéories germaniques, constitue un fait
nouveau, qui modifie du tout au tout les règles anciennes.
On saisit tout de suite la portée de celte discus-
sion. Si la légalité de l'escale de vingt-quatre heures
est reconnue, si les submersibles peuvent aller se ra-
vitailler dans les ports neutres, ou y faire réparer
leurs avaries, plus n'est besoin, pour eux, de bases
clandestines et de complicités occultes pour s'appro-
visionner. Une simple station de vingt-quatre heu-
res dans les ports neutres remplacerait & souhait ces
LAROUSSE MENSUEL
moyens de fortune. On voit d'ici les avantages pré-
cieux qu'en retirerait l'Allemagne pour la continua-
tion de sa guerre sons-marine.
Mais l'Esnagne ayant, dit-on, fait savoir à l'Alle-
magne qu'elle ne désirait pas voir se répéter l'inci-
dent de Carthagène, on a pu croire un instant que
le « sous-marin commercial » n'était qu'une répéti-
tion, sous une autre forme, de la même idée. 11 est
évident que, si l'emploi de ces submersibles non
combattants se généralisait, l'Allemagne pourrait se
servir indirectement des ports neutres pour ravi-
tailler ses sous-marins de guerre, en pleine mer,
en des points convenus d'avance, par l'inlermé-
diaire des sous-marins de commerce admis àséjour-
ner à leur gré dans les ports des non-belligérants
et à y prendre n'importe quelle cargaison.
Tel n'était peut-être pas le but de l'Allemagne en
inaugurant le sous-marin commercial. Peut-être vou-
lait-elle sincèrement
cunsliluerune Hotte ca-
pable de contre-balan-
cer dans une certaine
mesure les effets du
blocus qui l'encercle;
peut-être méditait-elle
de faire servirses sous-
marins à deux usages
et de les métamorpho-
ser tour à tour en na-
vires iimoceuts et en
navires hostiles, de fa-
çon à pouvoir entre-
prendre des actions de
destruction dans les
mers lointaines, pour
atteindre plus sûre-
ment le» navires de
commerce des Alliés,
qui, jusqu'alors, pou-
vaient se croire en
sécurité dans l'Océan,
la zone dangereu.se
n'ayantpasdépasséjus-
qu'ici les abords des
côtes européennes.
Controverse sur le
cas du Deutschland.
^ Quels que soient les
desseins du goaverne-
iiient de Berlin, laques-
lionqueleDeutschland
avait posée, par son ar-
rivée à Baltimore, de-
vant le gouvernement
américain, ne pouvait
demeurersans ré-
ponse. Trois systèmes
étaient en présence.
1" Système. — Le
Deutschland est un
navire privé, voya-
geant pour un but com-
mercial. Il n'est pas
armé otîensivement.
Son équipage est com-
posé de marins de la
tlotle marchande de
l'Allemagne. 11 est ré-
ffuliiTement inscrit sur
la liste des navires de
t commerce. Son com-
mandant n'a pas de commission de la marine de
guerre. C'est, il est vrai, un navire d'un type
spécial, nouveau. Mais il est de principe que la
navigation est libre et qu'aucun Etat n'a le droit
de régler le mode de navigation, pas plus que
le parcours des navires des autres Étals. Aucune
convention Internationale n'a délini la forme el les
particularités des bâtiments de commerce. Si cer-
tains des règlements internationaux relatifs k la
conduite des navires, aux fanaux, à leur couleur,
aux signes phoniques à faire en cas de brouillard,
aux manœuvres à exécuter en cas de rencontre,
aux signaux, à la vérificutiondu pavillon, à la preuve
de la nationalité, à la police des mers, etc., ne peu-
vent s'adapter à l'emploi du sous-marin comme
navire de commerce, il n'y aura qu'à les refaire : ils
sont trop anciens; ils sont tous antérieurs à l'inven-
tion des submersibles; il n'a jamais été dans la
pensée d'aucun légiste de vouloir que les règlements
ne soient pas perfectibles el ne puissent s'harmo-
niser, par d'opportunes revisions, avec les progrès
delà science et les adaptations multiples auxquelles
se prêtent lesinventions. On ne peut limiter d'avance
les applications du genre humain. Il peut donc
exister des sous-marins commerciaux. Ce n'est pas
une nison parce que, jusqu'alors, les submersibles
n'avaient servi qu'à des usages de guerre pour vou-
loir qu'on ne puisse de bonne foi les employer à
des buts pacifiques. Doil-on déclarer dès maintenant
que les ballons dirigeables ne peuvent être que des
engins de guerre, parce qu'ils n'ont jusqu'ici prali-
quement servi qu'à des opérations hostiles? Mais,
s'il n'est pas contestable au'un sous-marin puisse
«• 123. Mai 1917.
avoirun caractère exclusivement commercial, il n'est
pas davantage douteux qu'il doive bénéficier, soit
dans les ports neutres oii il fait escale, soit en mer,
s'il est rencontré par un croiseur ennemi, de toutes
les garanties attachées aux bâtiments des flottes
marchandes.
2« Système. — Le Deutschland esl un navire de
guerre, créé en raison de la guerre et qui ne peut
avoir d'utilité que pendant la guerre. En temps de
paix, quel avantage un navire de commerce pourrait-
il retirer de la faculté de naviguer en plongée?
Aucune raison de vitesse, de sécurité, de tonnage
ne pourrait militer en faveur d'une telle innovation.
Le rôle du sous-marin marchand est. d'ailleurs, nette-
ment délimité pour furcer un blocus. Son invisi-
bilité n'a pas d'autre objet, et elle a, de ce fait, un
caractère nettement hostile. En dehurs de cette
fonction spéciale, un tel bâtiment ne peut donner
lieu à une entreprisecommerciale viable. La guerre
ne se fait pas seulement par les armes; tout instru-
ment qui sert à réduire à néant une opération militaire
est un outil de guerre. Le Deutschland a, sans
doute, les apparences d'un navire paisible, mais il
est trop facile à un belligérant de se donner, ainsi,
une allure innocente. Si l'Allemagne avait eu soin,
avant le début des hostilités, d'instituer une flotte
de sous-marins commerciaux, elleserait en meilleure
poslui'e, aujourd'hui, pour l'ai réadmettre le caractère
du Deutschland. En tous les ras, les neutres ne
peuvent, sans violer leur neutralité, changer leurs
règlements, en temps de guerre, au prolit d'un belli-
gérant, et il est évident qu'on ne peut accepter le
sous-marin commercial qu'en modifiant en sa faveur
la plupart des règlemeiils qui forment le statut de na-
vigiition marchande. D'ofi ces conséquences ; 1° que
le Deulschlandne peut séjourner dans un port neutre
plus de vingt-quatre heures, à supposer qu'on lui
concède le droitdasile accordé, par les Conventions
internationales, aux navires de guerre ordinaires;
2° que les belligéranls ont le droit de l'atlaquer sans
avertis.sement, s'ils le rencontrent en haute mer,
comme n'importe quel autre vaisseau de la flotte
mililaire ennemie.
3" Système. — On peut admettre que le Deti/scft/ajic/
n'est pas un navire de guerre, si l'exairien minutieux
de sa structure et de son conditionnement ne révèle
rien de suspect. Mais, en raison de son type spécial,
de l'impossibilité de le distinguer d'un sous-marin
armé, de son pouvoir d'échapper à la police des
mers et à la visite à laquelle les bâiimeiits mar-
chands ordinaires sont soumis, il faut le classer
dans la catégorie des navires construits clairement
en contratlicUon des règlements établis par les
Conventions internationales et sujets, pour ce motif,
à destruction à première vue.
Procédure el décision américnines. — Quelle fut,
en présence d'un cas aussi nouveau, la procédure
suivie par les Etats-Unis? C'est très simple. Le
gouvernement de 'Washington, écartant la question
de principe et sans se préoccuper de la forme et du
caracti're spécial du navire qui en fait un bà!iinent
à surprises, n'a envisagé que le fait. Il s'est norné à
regarder si \s Deutschland éi&W, construit, ou non, en
vued operalionshostiles.il acbargéd'imeenquêteles
employés du lise, auxquels furent adjoints, sur la de-
mande de l'Angleterre et de la France, des experts
navals. L'enquête à laquelle il a été procédé et dont
il a été dressé procès-verbal a donné lieu aux cons-
tatations suivantes : le Deutschland est peint en
vert de mer pour assurer l'invisibilité; sa tourelle
d'observation porte un canon-signal, avec quarante
charges de munitions et quatre pistolets. Aucun
autre armement n'a été découvert. Le navire ne
porte pas de tubes lance-torpilles. Onn'apaslronvé
dans sa structure de dispositif spécial, lui permet-
tant de recevoir un armement. L'examen des papiers
montre que le bâtiment est régulièrement inscrit
sur la liste des navires de commerce. Le eoninian-
danl du navire n'a pas de commission de la marine
de guerre allemande.
En présence de ces constatations, le département
d'Etat a déclaré formellement que le Deutschland
était un navire marchand, qui ne pourrait être em-
ployé à l'attaque sans de grandes modilicalions dans
sa construction, qu'au surplus, son cas ne consti-
tuerait pas un précédent et que chaque cas ultérieur
ferait l'objet d'un examen particulier et serait jugé
spécialement.
Telle est la décision des Etats-Unis ; qu'ils le
veuillent ou non, elle crée un précédent : elle fait
entrer dans le droit des gens le système du sons-
marin commercial. C'est une grave responsabilité
que l'Amérique a prise là, vis-à-vis des autres na-
tions et pour elle-même. Les rôles, en elfel, peu vent se
retourner un jour, et ce précédent, que les Etats-Unis
créent aujourd'hui, les belligérants d'Europe, rede-
venus neutres, le lui opposeront pent-êlre demain.
Le sous-tnai-in commercial peut-il être attaqué
sans avertissement ? — Quoi qu'il en soit, le gou-
vernement de Washington a laissé en suspens la
moitié du problème. 11 a reconnu officiellement le
statut du Deutschland comme navire marchand; il
n'a pas dit s'il avait les mêmes privilèges que les
navires marchands et si l'ennemi, le rencontrant eu
/y 1Z3. Mil 1917.
mer, pouvait, on non. Ip couler sans avertissement.
En outre, une procédure est à créer pour l'entrée et
la sortie des sous-marins commerciaux, afin que
leurs mouvements puissent être ronliolés, que leur
pavillon puisse être vérilié, etc. Les Ktats-Unis se
moulri-rent très circonspects sur les multiples giies-
lionsque soûle vaitl^ipplication de leurdécision. Dans
une série de notes publiées par la presse, ils lais-
sèrent cependant voir que si, grâce aux précautions
prises par l'Allemagne, ils
n'avaient pu assimiler le0eu/s-
c/i/a"(iàuunavire de guerre,
il était pratiquement dinicile
de leconsidtrer, en règlegéné-
rale, comme un navire mar-
chand ordinaire, qu'on ne peut
attaquer que s'il tente de luir,
après avoir été semonce. — On
ne peut nier, en efTet, qu'un
bâtiment de commerce doit
répondre à certaines défini-
tions et, par son aménage-
ment, obéir à certaines pres-
criptions, à des règlements de
police et de sûreté. Le sous-
marin commercial de l'Alle-
magne n'est pas dans ces con-
dilions; il a un moyen défensif
dont les autres bâtiments sont
privés : il plonge. Par contre,
il n'a pas de canots de sau-
vetage ; il peut s'armer en
mer et devenir un corsaire
dangereux ; il ne porte aucune
marque dislinclive qui per-
mette de ne pas le confondre
avec un submersiblede la flotte
militaire. Comment, dans ces
conditions, pourra-t-il ne pas
èlre coulé à vue? Les Alliés
devront-ils renoncer à atta-
quer les sous -marins alle-
mands parce que, parmi ceux-
ci, quelqnes-unspeuvent exis-
ter qui ont le caractère de
navires marchands ? 11 faut
avouer que le cas du Deuts-
chland est tout à fait anor-
mal et que, s'il était difficile
aux Etats-Unis d'assimiler à
un vaisseau de guerre un
sous-marin non armé, il est
tout aussi difficile à la flotte
franco-anglaise de lui accor-
der les privilèges des bâti-
ments de commerce dont le
caractère se reconnaît aisé-
ment, parles particularités in- . i-:., .j.i„_-
discutables de leur structure.
Le point de vue de la Suéde.— Les Etats-Unis,
avons-nous dit, n'ont pas voulu créer de précèdent,
lisse sont gardés de toute généralisation. Us n'ont
pas été au delà du fait intrinsèque qui leur était
soumis. Ils ont dit que le Deutscidand, ce bateau-
là seul, n'élait pas, à leur avis, un vaisseau de guerre
pt qu'il pouvait emporter à son voyage de retour des
munitions ou toute autre cargaison qu'il lui plairait
de prendre. Ils n'ont pas dit qu'on lui devait garan-
tir aucun des privilèges des bâtiments de commerce.
Mais il fallait bien se douler que la décision en fait
du gouvernement de Washington serait immédiate-
ment exploitée et aurait, auprès de certains neutres
moins jaloux de leur indépendance que les Etats-
Unis, la valeur d'un antécédent se prêtant à des
généralisations regrettables. La Suède n'a pas perdu
de temps pour entrer dans celle voie. La décison
américaine date du 11 juillet. Huit jours après, le
19, une ordonnance suédoise aamettait les sous-
marins commerciaux au traitement des navires de
commerce ordinaires.
Les Alliés ont aussitôt protesté. Leur thèse est
catégorique. Tout sous-marin doit être traité comme
navire de guerre, parce qu'aucune distinction appa-
rente ne garantit sa destination pacifique. La note
de la France au gouvernement de Stockholm place
la question sur son véritable terrain :
L'ordonnance royale du 19 juillet 1916, dit-elle en sub-
stance, autorise les sous-marins de commerce à navi-
^uer en plongée dans les eaux territoriales suédoises ; le
gouvernement suédois semble considérer un sous-marin
comme un bâtiment d'un type exceptionnel pour justiJier
sa destruction immédiate et sans avertissement dans les
eaux suédoises, mais il exempte de ce traitement les sous-
marins appartenant à des compai:nies commerciales. Il ne
dit pas, au surplus, comment on devra distinguer le péris-
cope eu même le kiosque d'un sous-marin de commerce
d'avec ceux d'un sous-marin de guerre. D'où il suit que
les forces navales suédoises hésiteront à attaquer un sous-
marin allemand dans les eaux territoriales, sous prétexte
qu'il pourrait être un sous-marin do commerce, tandis
qu'elles n'auraient aucune hésitation de ce genre en pré-
sence d'un sous-marin appartenant aux Alliés, puisque ces
derniers no se servent pas de sous-marins do commerce.
LAROUSSE MENSUEL
merciaux devra ressortir avec certitude de faits con-
nus. En fait, il est à craindre que le gouvernement
de Stockholm ne se prête à un usage frauduleux de
toute une flotte de combat parce que deux ou trois
des unités de cette flotte auront été ûaptisées « com-
merciales » par l'astucieuse Allemagne.
Et la conclusion de tout ceci est qu'une fois de
Elus, on va dire que les législateurs ont eu la vue
asse. Dansle domaine delà navigation sous-marine
Il point d'amarrii^;;, -. .^t^-
-j .\Lw-LuiiJun.
que
A cette note la Suède s'est bornée à répondre
le l'alTectation d'un sous-marin aux usages com-
corame dans celui de la navigation aérienne, il faut
bien avouer, en effet, au point de vue du droit inter-
national, qu'on en est réduit à improviser des solu-
tions, presque toujours par voie d'analogie.
11 faut le regretter. Cependant, n'accusons per-
sonne. Le législateur doit avoir, sans doute, les yeux
tournés vers l'avenir. Mais on ne légifère pas sur
des hypothèses; on ne peut étudier que des faits
concrets. — Maiurïce DtjYAL.
Toumeux (Jean-Jlfaunce), écrivain français,
né le 12 juillet 1849 à Paris, mort dans celle ville
le 13 janvier 1917. Fils d'un peintre littérateur,
Maurice Tourneux prit de bonne heure le goût des
Maurice Tourneus,
leltres et des arts. Il débuta au « Dictionnaire des
anonymes » de Barbier et termina l'édition des œu-
vres complètes de Diderot commencée par J.Assézal.
C'était là un travail d'érudit fort important, qui assu-
rait au commentateur une notoriété certaine. Mau-
rice Tourneux garda toute sa vie l'amour de la
documentation précise, sans que jamais le travail
135
minutieux des fiches lui ait fait perdre de vue l'objet
principal de son admiration : ses travaux bibliogra-
phiques sur Théophile Gautier et sur Mérimée ne
nuisaient en rien à la clairvoyance du lettré. Il
étudia les porlrails, les dessins et la bibliothèque
de Mérimée, puis fut chargé d'une mission ^
l'étranger et en rapporta les éléments de son livre
sur les Manuscrits de Diderot conservés en Russie
(1885) et, sans doute aussi, ses premières noies pour
un ouvrage qui ne devait paraître qu'une dizaine
d'années plus tard : Diderot et Catherine II. La
sûreté de la documentation, l'agrément du style
firent couronner le livre par l'Académie française.
Cependant, Maurice Tourneux avait réimprimé la
Correspondance de Grimm, Diaerol, Reynal; ainsi,
la suite de ses publications permeltait de connaître
parfaitement le philosophe français et son milieu.
Maurice Tourneux ne s'en tint pas là. De Diuerot
à l'étude de la Révolution, la pente était facile. La
Bibliographie de Vhistoire de Paris pendant la
Révolution française valut à l'auteur le prix Brunet,
qui lui fut décerné par l'Académie des inscriptions
et belles-lettres. Commencé en 1890, ce travail ma-
gistral ne fut terminé qu'en 1907; il fut complété,
en 1895, par la publication des Procès-verbaux de la
Commune de Paris et, en 1898, par l'ouvrage sur les
Sources bibliographiques de la Révolution fran-
çaise. C'est encore à ce cycle de travaux qu'il faut
rattacher l'essai bibliographique paru en 1895 sur
Marie-Antoinette devant l'histoire.
Maurice Tourneux s'appliquait, en même temps, &
classer les renseignements recueillis sur les artistes :
en 1897, il fit paraître la Table générale des docu-
ments contenus dans les archives de l'art français.
C'est là un élément de travail indispensable à tous
les chercheurs et à tous les critiques. Les ta-
bles de la Revue universelle des arts et celles des
lettres et documents contenus dans l'Amateur
d'autographes s'ajoutent à celles des archives de
l'art français. Enfin, toujours dans le même ordre
d'idées, Maurice Tourneux étudiait la bibliothèque
des Goncourt.
Un homme si passionné pour la documentation
artistique devait fatalement être lui-même écrivain
d'art; Maurice Tourneux mit à profit ses propres
recherches, el il publia sur La Tour et sur Eugène
Delacroix des études historiques et critiques fort
remarquables. Ces deux artistes donnent, du resie,
les dates extrêmes de la période chère à l'érudit.
C'est un homme du passé, d'un passé qui va de 1750
à 1850, ou à peu près. On n'est donc pas surpris de
voir Maurice Tourneux s'intéresser aux écrivains
de cette époque et publier les Mémoires de Mar-
montel, les Merceriana de Mercier de Sainl-Lég?r,
les Soupers de Daphné de Meusnier de Querïon,
V Amitié de deux jolies femmes de M"" d'Epinay,
de faire éditer l'Histoire de Beaumarchais de Gudtn
de La Brenellerie et, enfin, avec J. Guifi'rey, la Cor-
respondance inédite de La Tour. Il faut mettre éga-
lement à l'actif de Maurice Tourneux quelques no-
tices surTamizey de Larrotjue, Léon Sapin, Etienne
Charavay. Sur ce xviii« siècle qui lui était cher, il
préparait un nouveau travail consacré aux pastel-
listes : la mort est venue l'interrompre. Maurice
Tourneux laissera le souvenir d'un écrivain disert
et délicat, d'un érudit remarquable, et son nom,
grâce à ses travaux bibliographiques, restera atta-
ché à tontes les recherches qu'on fera dans l'avenir
sur l'histoire poliiique et artistique de la France à
la fin du XVIIie siècle. — Tristan LlCLÉnB.
Vaccination antitypMque. Méd. —
Méthode qui consiste à inoculer sous la peau des
cultures de bacilles d'Eberth atténués, sensibilisés
ou morts, dans le but, soit de guérir une typhoïde
déclarée, soit de protéger contre elle une personne
encore indemne.
1° Historique. — V. Larousse Mensuel, t. II,
p. 420.
2° Vaccins. — On emploie les mêmes vaccins, qu'il
s'agisse de prévention ou de cure. On en dislingue
six principaux :
a) Cultures de bacilles tt/phiques tués par lu
chaleur. — C'est le vaccin le plus anciennement
employé. Chantemesse et Vidal stérilisaient à 1 20» G.;
actuellement, on ne dépasse guère 55 et même 53".
b) Cultures stérilisées par les antiseptiques. —
Le vaccin de H. Vincent est stérilisé par l'élher.
c) Vaccins vivants. — Castellani a utilisé des
bacilles vivants atténués par le chaulTage à 50» G.
.\rdin-DeIleil, Baynand et Nègre, Netler.Boinet, etc..
se sont servis de vaccins vivants, sensibilisés par la
méthode de Besredka. Ces vaccins sont de peu de
durée; ils confèrent une immunité plus forte que
les vaccins morts, mais ils exposent le sujet prédis-
posé à de réels dangers et peuveut en faire un por-
teur de germes.
d) Extraits bacillaires ou aulob/sats. — Les
extraits sont obtenus d'aulolyses de bacilles typhi-
ques morts ou vivants ; dans ce dernier cas, l'aulo-
lysat doit être stérilisé. Le plus employé est ï'auto-
lysat de H. Vincent. Ce ne sont pas là de véritables
vaccins, mais plulôt des sérums protecteurs contre
les endotoxines du bacille d'Ebertb,
130
e) Auio-vaccius. — Wright, puis Thiroloix et
Josué ontcberclié h. utiliser l'aulo-vaccin, c'est-à-dire
des cultures chauffées à 58° G., des hacilles typhi-
ques isolés du sang même du malade à soigner. Ce
procédé foiiinit au patient le vaccin qui, théorique-
ment, lui convient le mieux; il ne peut être, natu-
rellement, administré qu'à titre curatif.
f) Entéro-vaccin. — Nous ne citerons que pour
mémoire le vaccin de Lumière ou entéro-vaccin,
ainsi nommé parce qu'il est administré en pilules,
par la voie di^estive, ce qui le rend d'un emploi
commode. Dubary lui reconnaît les mêmes avanta-
ges qu'aux vaccins de Ghanteiiiesseetde H. "Vincent;
il produirait, comme ces derniers et sans aucun
inconvénient ni conlre-indicalion, une immunisa-
tion sati.sfaisante. Il a été utilisé sur une moindre
échelle que les précédents, et beaucoup de médecins
restent encore sceptiques quant à l'efficacité de ses
résultats.
g) Valence des vaccins. — On sait aujourd'hui
qu'il existe de très nombreuses races de bacilles
d'Eberth, dont chacune parait avoir sa nocivité
propre, sa valeur. Un vaccin est dit « monovalent ■>
<|uand il résulte de la culture d'une seule race de
bacille typhique; il est dit « polyvalent » quand il
est constitué par un mélange de bacilles d'origines
variées, (j'est ainsi que, dans le vaccin polyva-
lent de H. Vincent, on trouve différentes variétés
d'Eberth, empruntées à la France, à l'Algérie, au
Maroc, etc. Le nouveau vaccin polyvalent du même
auteur contient même aussi les paraiyphiques Aet B,
qui causent, comme on lésait, des épidémies super-
posables à celles de ladothiènentérie. La polyvalence
d'un vaccin augmente nécessairement ses propriétés
curatives et immunisantes, puisqu'elle permet de
l'appliquer non à une seule variété, qui peut ne pas
être celle dont le sujet est victime, mais aux races
diverses que l'on rencontre le plus fréquemment.
3° Vaccination préventive. — Le vaccin utilisé,
quel qu'il soit, ne doit pas avoir plus de trois mois
de date, car il perd de son efficacité en vieillissant;
c'est pourquoi il faut toujours s'enquérir de l'âge du
vaccin. On doit aussi se préoccuper de son mode de
préparation et de sa force, cette dernière étant dans
un certain rapport avec le nombre des corps bacil-
laires qu'il contient, comme on le verra plus loin.
a) Doses et technique. — L'injection hypodermique
du vaccin se fait sous la peau de la poitrine, des
flancs et, de préférence, du dos. Cependant, Cour-
mont et Rochaix ont utilisé le vaccin en lavements.
Plusieurs injections sont généralement nécessaires;
avec le vaccin de Wright, employé dans l'armée
belge et l'armée anglaise, on se contente de deux
injections, quelquefois même, d'après Cobard, d'une
seule. Avec le vaccin de Chantemesse, on injecte
successivement 1/4, puis 1/2, puis 3/4, puis un centi-
mètre cube. Avec le vaccin de H. Vincent, quatre
ou cinq injections sont indispensables. Notons que
les doses sont réduites au quart pour les enfants
de sept à douze ans, à la moitié pour ceux de douze
à quinze. Pour les adultes, le sexe ne modifie pas
les doses.
Gomme le vaccin de H. 'Vincent est de beaucoup
le plus employé dans l'armée, nous allons donner
avec plus de détails sa technique particulière.
Le lieu d'éleclion de l'injection est la région mé-
diane de l'omoplate gauche, au milieu de la fosse
sous-épineuse, à deux travers de doigt au-dessous
de l'épine. Désinfecter à la teinture d'iode avant la
piqûre et prendre soin que celle-ci soit réellement
hypodermique et non sous-aponévrotique ou intra-
nmsculaire. Badigeonner de nouveau à la teinture
d'iode après la piqûre et laisser sécher avant que le
patient se rhabille. Aiguilles et seringues ne peuvent
servir que pour une seule injection et doivent être
stérilisées à l'eau bouillante, avant de servir à un
autre sujet.
Avec le vaccin antitypho'idique polyvalent simple,
4 ce. 1/2 sont nécessaires pour assurer l'immunisa-
tion. On les répartit en 4 injections, respectivement
de 1/2, 1, 1 1/2 et 1 1/2 ce. Chez les sujets peu vi-
goureux, sans tare éliminatoire cependant, on peut
procédera une injection préliminaire, dite d'épreuve,
de 1/4 ce; si elle n'est pas suivie d'une réaction
thermique d'un degré au moins, on continue comme
ci-dessus; si la réaction thermique est supérieure à
un degré, on ne continue pas la vaccination.
Avec le vaccin mixte triple (.intitypho'idique et
antiparatyplio'i'de A -f- B), 7 ce. 1/2 sont nécessaires
à l'immunisation. On les répartit également en 4 in-
jections, respectivement de 1, 2, 2 et 2 ce. C'est avec
ce vaccin triple qu'a élé immunisée la classe 1917
et que sera immunisée celle de 1918.
Toutes ces injections de vaccins simples ou de
vaccins triples sont faites de 8 jours en 8 jours en
tout cas, jamais à des intervalles moindres que
8 jours ou supérieurs à 15.
Toutes les personnes qui se présentent à la vacci-
nation doivent être très soigneusement examinées,
car de cet examen dépend la réussite sans accident
de l'immunisation. Les contre-indications sont : la
tuberculose à tous les degrés et sous toutes ses
formes, les affections pleurales et cardiaques, l'état
fébrile, quel qu'il soit, et tous les états aigus, l'albu-
LAROUSSE MENSUEL
minurie et, à ce point de vue, examiner attentive-
ment les urines des sujets qui o.it eu antérieure-
ment soit la scarlatine, soit la diphtérie, la variole,
la pneumonie. Enfin, si le sujet a été atteint depuis
moins de cinq ans de fièvre typho'ide ou de fièvre
muqueuse, remettre à plus tard la vaccination. Le
paludisme chronique n'est pas une contre-indication
absolue; il faut seulement administrer aux palu-
déens, la veille et le jour de chaque injection, 75 cen-
tigrammes de quinine.
Pendant les vingt-quatre heures qui précèdent et
les vingt-quatre heures qui suivent l'injection, le
sujet doit être mis au repos et éviter le froid; le
soir de l'injection, repas maigre, soupe aux légumes
par exemple, s'abstenir absolument de vin, bière et
boissons alcooliques. En cas de malaises, cépha-
lalgie, fièvre, 50 centigrammes d'aspirine (jamais
d'antipyrine); en cas de fièvre élevée, nausées, vo-
missements, repos au lit et diète.
Enfin, il convient de procéder le même jour à
l'examen du sujet et à sa vaccination afin d'être
assuré de l'état réel de celui-ci.
b) Réactions. — Les réactions consécutives aux
inoculations sont toujours plus notables avec les
vaccins bacillaires qu'avec les autolysats. On note :
localement, un peu de rougeur, de douleur et de
tension ; comme signes généraux, courbature, mal
de tête, fièvre légère (exceptionnellement 39° et au
delà), diarrhée, vomissements, etc. 11 est à noter, ce-
pendant, qu'avec les vaccins de H.Vincent, quand
on prend toutes les précautions indiquées plus haut,
les réactions sont à peu près insignifiantes. Morange,
dont les observations portent surplus de 25.000 vac-
cinés par les procédés de Vincent, a constaté qu'il
y a une légère réaction thermique (38°) une fois sur
40 et une forte réaction (40°) une fois sur 500, réac-
tion toujours attribualde soit à un examen insuf-
fisant du sujel, tuberculeux latent ou méconnu,
néphrilique, cardiaque, infecté par l'Eberth depuis
moins de 3 à 4 ans, etc., soit à des imprudences
commises par lui. Avec le vaccin de Chantemesse,
les réactions ne semblent pas beaucoup plus fortes.
Elles n'ont, d'ailleurs, dans tous les cas, aucune
gravité.
c) Immunisation. — Dans le sang des personnes
vaccinées, on observe les mêmes modifications
humorales que dans le sang des typhiques : appari-
tion du pouvoir bactériolytique et des agglutinines
du sérum, mais le taux de l'agglutination varie avec
le vaccin. D'après Vincent, il ne semble pas qu'il y
ait, après les injections, de période négative, carac-
térisée par une aplitude
plus grande à contracter
l'infection; en outre, les
injections préventives
faites à des sujets chez
lesquels la maladie était
déjà à l'état latent n'aug-
mentent nullement la
gravité de l'infection,
mais tendent au contrai-
re à lui conférer une al-
lure plus bénigne. Ladu-
rée de l'immunité pro-
curée par les injections
préventives n'est pas en-
core définitivement fixée. Cependant, les vaccins vi-
vants, préparés suivant le procédé de Besredlsa,
paraissent produire une immunité plus durable que
les vaccins morts,
Suivant Wright, ces derniers immuniseraient
pour trois ou quatre ans ; H. Vincent admet actuelle-
ment que ses vaccins exercent une action suffisam-
ment protectrice pendant au moins cinq ans. Il na
jamais été ol)servé d'accidents anaphylactiques.
d) Résjiltats. — Ils sont très satisfaisants et suffi-
samment connus de tout le monde ; nous nous con-
tenterons donc d'en rappeler seulement quelques-
uns. Avant la guerre, sur 67.845 sujets non vaccinés
des équipages de la flotte et des ouvriers des ports,
542 eurent la lièvre typho'ide et 118 un embarras
gastrique fébrile; sur 3.107 sujets vaccinés avec le
vaccin Chantemesse, sujets appartenant aux mêmes
professions et vivant dans les mêmes conditions, un
seul fut atteint d'embarras gastrique fébrile.
Depuis la guerre, grâce à l'application de la loi
Léon Labbé sur la vaccination antitypho'idique
obligatoire, les vaccins ont rendu les plus précieux
services. On sait, en effet, que, dans la région des
Flandres, la fièvre typho'ide est à l'état endémique ;
la vie dans les tranchées humides et malsaines acheva
de favoriser l'extension du fléau et, bientôt, les rava-
ges de la dolhiénentérie devinrent fort inquiétants :
un seul corps d'armée eut jusqu'à 10.000 cas de fièvre
typho'ide; mais la vaccination systématique des sol-
dats a modifié du tout au tout cette situation et, de-
puis l'année dernière, les cas de typhoïde et de para-
typhoides son t tombés déjà au-dessous de la moyenne
du temps de paix. Dans une grande place de l'Est,
où 70.000 hommes environ étaient rassemblés, il y
avait plus de 130 entrées par jour à l'hôpital pour
causede typho'ide ; la vaccination ramena ces entrées,
au bout de ipielques semaines, à 3, puis à 0. (Bouquet. )
Le nombre des vaccinations pratiquées en France
Bacille de la typhoïde (tr. gr.).
/V 123. Mil 1917.
s'élève à plusieurs millions, pour lesquelles le labo-
ratoire du Val-de-Grâce, dirigé par le P"" H.Vin-
cent, a livré beaucoup plus de 100.000 litres de
vaccin. A l'élranger (Angleterre, Canada, Etats-
Unis), les résultats ont été sensiblement les mêmes.
Pendant la guerre des Balkans de 1912-1913, Pétro-
vich, sur loo sujets vaccinés, vivant dans des con-
ditions particulièrement typho'igènes, n'observa que
deux cas de fièvre typho'ide bénigne. 11 convient,
en effet, de remarquer que des sujets vaccinés peu-
vent ultérieurement contracter le dothiénentérie,
ce qui a fait mettre en doute la valeur de la mé-
thode. Mais l'examen attentif de ces cas montre
qu'il s'agit alors d'individus ou bien mal et incom-
plètement vaccinés, n'ayant reçu, |Kir exemple,
qu'une ou deux injections, ou bien vaccinés contre
la fièvre typho'ide, mais non contre la paratypholde
à laquelle se rattachait l'infection dont, en réalité,
ils ont été atteints. Sans nier absolument qu'un
sujet convenablement vacciné puisse être malade
avant l'expiration du délai reconnu d'immunisation,
il faut, néanmoins, reconnaître que ce cas est extrê-
mement rare et que, par conséquent, la vaccination
préventive garde toute sa valeur pratique.
4° Vaccination curative. a) Doses. — Elle em-
ploie les mêmes vaccins que la vaccination préven-
tive. Les doses en varient suivant la forme et la
gravité de la maladie et l'espèce de vaccin utilisé,
mais il n'y a pas, quant à présent, de règle absolue.
C'est ainsi que le nombre des corps bacillaires
injectés, — nombre déterminé approximativement
par dilution du vaccin et numération à l'hémati-
inètre, — varie considérablement avec les auteurs:
Chantemesse conseille des doses faibles, surtout
dans les formes hypertoxiques : Boinet préconise
une dose de 2 milliards de bacilles à chaque injec-
tion; Ardin-Delteil, 1 milliard, puis 2 et 3 ; Netter
en injection trois fois 500 millions, Thiroloix et
.losué 200 millions, Pétrovich 23 millions, Sadler 2
et 4 millions.
Beaucoup de médecins so contentent d'une seule
injection, dont l'effet se fait sentir au bout de trois à
cinq jours, et qu'ils ne répètent, si besoin est, que
huit à dix jours plus tard. Au contraire, Netter in-
jecte trois jours de suite; Boinet, quatre; Ardin-
Delteil tous les trois jours seulement; Thiroloix fait
deux injections le premier jour, une seule le second
et une dernière quand la fièvre est tombée.
b) Réactions. — Localement, on n'observe qu'un
peu de tuméfaction douloureuse passagère. Comme
réactions générales, il faut mentionner la fièvre ou
si elle existe, son augmentation, avec malaises et
réapparition des taches rosées. Netter a signalé des
accidents péritonéaux; Sacquépée et Chevrel attri-
buent les hémorragies observées quelquefois à
des accidents anapliylacliques. Par suite, Louis et
E. Combe estiment que la vaccinothérapieestcontre-
incliquée quand il y a eu des hémorragies intesti-
nales même légères et de la mégalosplénie accusée.
Enfin, les réactions sont d'autant moins fortes et l'ef-
ficacité curative d'autant plus grande que les injec-
tions sontpratiquéesplusprèsdu débutde la maladie.
c) Résultats. — Les principauxsont: abaissement
de la température à partir du troisième ou quatriè-
me jour après l'injection (d'où raccourcissement
assez notable de la période de pyréxie), amélioration
de l'état général, atténuation ou disparition de la
stupeur, htimidilication de la langue, accroissement
de la diurèse, cessation de la diarrhée; enfin, re-
chutes plus rares et convalescence plus courte.
D'après les statistiques de Netter, concernant
1. 31 8 cas traités par la vaccinalion curative, on compte
5 décès et 7.57 rechutes pour 100 malades ; d'après
Méakins et Forster, seulement 2,4 décès et 2,5 re-
chutes pour 100, au lieu de 13 décès et 40 rechutes
chez les non-vaccinés. Utilisant le vaccin sensibilisé
de Besredka, Ardin-Delteil, Raynaud et Nègre trou-
vent, à Alger, 2,08 décès pour loo, au lieu de 8.38 chez
les non-vaccinés. Pétrovich, en Serbie, note 2,8 dé-
cès pour 100 au lieu 12,8 chez les non-vaccinés, etc.
Malheureusement, tous les auteurs n'apportent pas
des résultats aussi satisfaisants. Suivant Déléarde
et Leborgne, en effet, 6 enfants de dix à quinze ans
inoculés avec le vaccin de Besredka ont donné 2 morts
et 2 rechules; 4 enfanis du même âge, non inoculés,
n'ont donné que 1 décès et 2 rechules. Cette série,
toutefois, paraît exceptionnellement fâcheuse.
En résumé, dans la majorité des cas la vaccina-
tion curative procure une amélioration évidente,
surtout quand elle est pratiquée de bonne heure;
dans les cas graves, anciens, chez les personnes
âgées, épuisées, mégalospléniques, les résultats
sont moins favorables; parfois, même, ils ne sem-
blent pas meilleurs que ceux qu'apporic le Iraite-
ment classique. Néanmoins, cette mélhode, parais-
sant inoffensive par elle-même, peut être ulile-
inent préconisée, quand le diagnostic est posé de
bonne heure, pour raccourcir la période morbide
et diminuer les chances de rechute; mais elle ne
dispense pas de l'emploi sinmllané des autres pro-
cédés de traitement. — D'J. Laumonier.
Tans. — liiiprinierie Larol'sse (Xlorrnu, Ati^r. tiiUun cl C"},
17, ruç Monïparnasse. — Le aérant : L. tJRosiLKv,
-}.■ r~^
i^cadémie des sciences. — Election
d'un secrétaire perpétuel. L'Académie des sciences
a procédé, le 2 avril 1917, par la voie du scrutin, à
l'élection d'un secrétaire perpétuel pour les sciences
mathématiques, en remplacement de Gaston Dar-
boux, décodé. Au premier tour de scrutin, le nombre
des votants étant de 40, Emile Picard a
obtenu 39 suffrages et a été proclamé élu.
(V. PiCAHD, p. 160.)
Sagdad ou Baghdad (le don de
Dieu], frrande ville de l'empire ottoman,
dans la Turquie d'Asie, capitale duvilayei
qui porte son nom, assise sur les deux
rives du Tigre, à 800 kilomètres du fond
du golfe Persique ; 125.0ii0, H5.000 ou
200.000 habitants, selon les auteurs.
Bafrdad est la ville la plus importante
de l'lrak-.\rabi ou Babylonie et même de
tout le Djézirèh, c'est-à-dire de tout le pays
que délimitent l'Euphrale à l'ouest et le
Tifc're à l'est. Elle étale dans la vaste
plaine au milieu de laquelle coule le Tigre,
encaissé entre deux hautes berges, des
maisons de toutes dimensions, de tous styles
et de tous caractères, da milieu desquelles
émergent les minarets élancés et les cou-
poles massives des mosquées.
Ces maisons, naguère développées sur-
tout sur la rive droite du fleuve, se multi-
plient aujourd'hui de préférence sur la rive
gauche ; toutefois, c'est de l'autre côté du
Tigre que se rencontrent les palais et les
magnifiques demeures dont les terrasses
de marbre et les jardins ombreux, les
grenadiers et les orangers, les palmiers,
les liuissons de jasmin ou de roses s'éten-
dent jusqu'au bord même du fleuve. Rien
ne pourrait impressionner plus favorable-
ment le voyageur, si les maisons construites
sur la rive gauche ne contrastaient pas sin-
gulièrement avec ces superbes habitations.
Du côté de l'ouest, en elTet, rien de
semblable ; des maisons plus petites et plus
enta.ssées, hautes d'un étage et faites en
briques ou en torchis pour la plupart,
comme le sont, d'ailleurs, derrière les pa-
lais qui bordent le Tigre, les maisons de
la rive droite.
Pour circuler à travers la ville, aucune
grande voie en dehors du lleuve; rien que des rues
étroites, tortueuses, malpropres, dont ne sauraient se
contenter les exigences modernes, mais dont la réfec-
tion exigerait des travaux et des dépenses énormes.
« Pour régulariser toutes les rues de Bagdad avec
l'équerre et le compas, écrivait en 1910 Hakki-bey,
il faudrait meltre la ville tout entière en ruine. »
Dans de telles conditions et faute de grands bou-
levards pavés et sillonnés de tramways et d'autres
moyens de transport, toute la circulation se concentre
LAROUSSb: MENSUEL. — IV.
sur le Tigre. Quelle animation sur ce fleuve rapide,
profond de plusieurs mètres, large de 250 à 350 et
roulant, en moyenne, un volume d'eau de 4.600 mè-
tres cubes par seconde !
A Bagdad, jusqu'où remontent les requins du
golfe Persique, viennent aboutir les navires de plu-
A Baghdad . Maisons et Jardins qui s'étaient sur la rive droite du Tigre et ri
embarcations, dites kou/fas, qui servent à le traverser.
sieurs milliers de tonnes, spécialement adaptés à la
difficile navigation du lleuve et capables de porter
chacun un millier d'hommes et des marchandises à
Ëroportion, qui font sans cesse la navette depuis
iassora
A Bagdad, en amont du pont de bateaux qui, seul
encore, relie l'une à l'autre les deux rives du Tigre,
viennent aboutir les radeaux flottants, les planchers
soutenus par des outres que sont les kéleks partis
de DiarbéKir, de Mossoul ou encore de Taktak, sur
le Grand Zab. Là sillonnent sans cesse le fleuve des
esquifs de formes singulières, dont les types se sont
perpétués depuis les lointainesépoquesdes Ghaldéens
et des Assyriens : mac/cou/fs, de charge et de course
en nattes de roseaux, recouverts d'un enduit de bi-
tume ;/tou^as, sortes de petits paniers ronds, formés
de cerceaux reliés par des rameaux flexi-
bles tressés entre eux et recouverts d'un
enduit bitumeux qui les rend imperméa-
bles, eux aussi, etc. II y a là, pour qui l'a
contemplé seulement une fois, un spec-
tacle inoubliable.
Ce n'est pas le seul que Bagdad puisse
offrir au visiteur. La ville conserve, en
effet, de beaux restes des temps de sa
splendeur : le palais des pachas, la douane,
des tombeaux de saints abrités dans des
mosquées aux coupoles dorées comme celle
de Kasmein (ou Kaziinen) et aux minarets
parfois inclinés, des vestiges de ses hautes
murailles en briques entourées de fossés.
Aussi la ville a-t-elle grand air, lorsque,
vue de la plaine, elle montre au loin ce qui
reste de ses remparts flanqués de tours, les
minarets de ses mosquées et les dômes de
ses synagogues et de ses églises. Pour
être toute difl'érente de celle qu'on ressent
à la vue des palmeraies des bords du Tigre,
l'impression n'en est pas moins vive.
A Bagdad, comme partout ailleurs dans
l'empire ottoman, la population est très va-
riée : Turcs, Arabes, Arméniens, Persans,
Grecs, juifs, y vivent les uns à côté des
autres, groupés suivant leur religion dans
les différents quartiers de la ville; ceux-ci
sur la rive droite et ceux-là sur l'autre
rive du Tigre. A cette population lixe
s'ajoute une très importante population de
passage, constituée surtout par les pèlerins
qui vont vénérer les tombeaux des saints
chiites à Kerbéla et à Nedjef ; de là le dé-
saccord des chiffres donnés pour la popu-
liition de Bagdad. Pas plus qu'elles ne sont
d'accord sur le chiffre total des habitants,
les statistiques ne concordent sur le nom-
bre des adeptes de chaque religion ; l'une
d'elles donne à la ville 60.000 musulmans,
35.000 Israélites et 5.000 chrétiens de
toutes confessions ; une autre lui attribue
86.000 musulmans (dont 50.000 sunnites
et 3.600 chiites, Arabes et Persans), 52.000 juifs et
7.000 chrétiens : Arméniens, Cbaldéens, Syriens,
latins et grecs.
Le point vers lequel converge toute cette foule,
quel qu'en soit le chiffre exact, est le bazar, renommé
autrefois à l'égal de celui de Stamboul, mais bien
déchu aujourd'hui et, cependant, riche et d'une réelle
importance. On ne saurait s'en étonner, car Bagdad
est située sur la route des caravanes entre Alep et
Damas d'une part, le golfe Persique et l'Inde d'autre
6
138
part ; c'est un centre industriel et, en même temps, un
centre commercialoù la Perse, relativement toulepro-
che, envoie surtout ses produits en grande quantité.
Ainsi s'expliquent le maintien de bazars impor-
A Bagdad : Le pont de bateaux, long di- plus de 2.-)0 mètres qui relie les deux rives du Tigre.
tants à Bagdad et la persistance du rôle de cette ville
comme chel'-lieu économique de la province; « tous
les pays voisins y envoient leurs trafiquants (écrivait
naguère Denis de Hivoyre), et les domestiques des
grands seigneurs de la plaine ou de la montagne
accourent s'y approvisionner pour le compte de leurs
maîtres ».
Bagdad fabrique encore aujourd'hui des articles
de maroquinerie, de sellerie et de coutellerie, des
tissages et des teintures de soieries, de lainages, de
cotonnades pour l'usage oriental ; elle possède aussi
une fonderie de canons. Son commerce est évalué à
40 millions de francs environ cliaque année. Celui
de la province est plus considérable encore : 25 mil-
lions de francs aux exportations et 35 à 40 millions
de francs aux importations, soit 60 à 65 millions en
tout. Le trafic augmentera singulièrement le jour où
le complet achèvement du chemin de fer de Bagdad
(déjà terminé et exploité entre Bagdad et Samara)
ouvrira à ses marchandises toutes les roules du
monde, reliera la grande ville de la Mésopotamie à
l'Asie Mineure et à Gonstanlinople.
Bagdad n'est pas seulement un vrai centre écono-
mique d'une réelle importance; c'est également une
capitale administrative cons'dérable. Elle est, en
effet, le chef-lieu d'un district d'une superficie de
6.500 kilomètres carrés et celui d'un vilayet qui
s'étend sur les pays traversés par le Tigre et par
l'Euphrate dans une partie de leur cours moyen en-
tre les deux vilayets de Mossoiil, plus septentrional,
et de Bassora, plus méridional.
■Vaste de 99.000 kilomètres carrés et peuplé de
375.000 habitants (soit près de 10 au kilomètre
carré), le vilayet de Bagdad produit une foule de
marchandises, dont l'exportation est considérable :
la gomme arabique et la gomme adraganle, du blé,
de l'orge, du riz, des fèves, des dalles, des racines
de réglisse, des noix de galle. Les plaines mésopota-
miennes fournissent à la remonte de l'armée anglo-
indienne des chevaux, des mulets. Enfin, des laines
d'espèces variées, des peaux de différentes natures,
des étoffes en poils de chèvre ou de chevreau contri-
buèrent pour leur part à accroître le commerce de
la province de Bagdad et celui de sa ville capitale.
Èndépitdu preslige dont elle jouit encore aujour-
d'hui, celle-ci n estplusaussi considérablequ'ellelefut
au temps des califes abbassides ; c'est à celte époque
que Bagdad a vécu ses années de plein épanouissement
ei atteint son apogée. Fondée en 762 par Al-Mansour
pour remplacer Damas, la capitale desOmeyadeSjBag-
LAROUSSE MENSUEL
dad semblait bien plutôt, à l'origine, devoir être un
campqu'une ville proprementdile ; maiselle était as-
sise dans unpays riche en ressources naturelles, parse-
mé de nombreuseslocaliléspréislamiques, où s'élaient
déjà élevées de
grandes cilés ayant
joué leur rôle dans
l'histoire univer-
selle (Babylone, Sé-
leucie, Ctésiphon);
elle ne tarda pas à
englober dans son
territoire les agglo-
mérations dissémi-
nées aux alentours
et à prendre un très
grand essor. Quel-
ques années après
la morl d'Al-Man-
sour(779), qui l'avait
fait construire en
quatre ans sur la
rive occidentale du
Tigre, Bagdad s'é-
lendaîl sur la rive
orientale du fleuve
l't arrivait à l'apo-
1,'ée de sa splendeur.
C'est sous le gou-
- ornement des cinq
-uccesseurs immé-
diats d'Al-Mansour
• t grâce à eux que
lî^gdad a pris un
tel développement ;
depuis l'avènement
d'AI-Mahdî jusqu'à
la mort d'Al-Ma-
moun (775-833), elle
n'a cessé de gran-
dir, surtout la rive
gaucheduTîgre.sur
laquelle Al-Mahdî
transféra sa cour.
Le calife y fut suivi
par les riches fa-
milles de Bagdad,
en particulier par les
Barmécîdes, dont
les chefs furent, j us-
qu'aujourde ladis-
grâce de Dj af ar sous
le règne d'Haroun-
al-Raschid, les zélés
serviteurs et les favoris des souverains abbassides.
Alors, la magnifique demeure construite parcelle
puissante famille passa aux mains du calife el devînt
le premier noyau de l'ensemble grandiose des bâti-
ments qui formèrent le palais de la rive orientale.
N° 124. Juin 1917.
parcourant la nuit, en compagnie de Djafar, les rues
de Bagdad pour venir en aide aux malheureux, re-
dresser les torts et châtier les méchants, du monar-
que dont la renommée s'étendit jusqu'en Occident,
qui envoya des ambassadeurs et des présents à
Charlemagne, du souverain des Mille el une Nuils.
Après la mort d Haroun-al-Raschid, durant le
règne de son fils et successeur Al-Mamoun (813-
833), Bagdad conlinne donc de jeter le plus brillant
éclat, en dépit des sanglants événements qui mar-
quent le début de ce règne et qui entraînèrent la
destruction de quartiers entiers, sur la rive occiden-
tale du Tigre. Pendant la fin de l'époque abbasside,
ou plutôt à partir de l'année 892, date où les califes
quittèrent Samara pour rentrer à Bagdad, abandon-
née par eux depuis 836, celle ville reprit son es.sor,
mais presiiiie exclusivement sur la rive orientale du
fleuve. Elle occupe de nouveau la place la plus
importante dans le monde civilisé, par sa grandeur,
par son luxe et par sa richesse; et, jusqu'en ii'6H,
elle demeure la résidence des Abbassides et la capi-
tale de leur empire. Mais le jour où, avec ses trou-
pes mongoles et turques, le premier sultan seldjou-
kide, Houlagou, s'empare de Bagdad (10 février
1258), la déchéance définitive commence. Alors, de
capitale d'empire, la ville n'est plus que simple ca-
pitale de province, sauf au moment où quelques-
uns des descendants d'Houlagou en font leur rési-
dence d'hiver. Un peu plus tard, lorsqu'elle est prise
pour la seconde fois par Tamerlan (1401), Bagdad
subit des dévastations dont elle est tout un temps à
se relever. Saccagée ensuite à plusieurs reprises
par des conquérants de nationalités diverses, elle
décline davantage encore aux xvi« et xvii» siècles
et tombe, au milieu du second de ces deux siècles,
dans un abaissement qu'elle n'avait encore jamais
connu. Elle en est sortie au xviii" et au xix« siècle,
une fois devenue capitale d'un grand pachalik de la
Turquie d'Asie; jamais, toutefois, jusqu'à l'heure
actuelle, elle n'a retrouvé sa prospérité de la grande
époque abbasside, du temps où elle comptait une
population supérieure à 800.000 habitants.
L'exploitation du Bagdadbahn la lui rendra-t-elle
et lui procurera-t-elle un nouvel essor? Ce ne sont
pas, dans tous les cas, les Allemands qui semblent
maintenant devoir exploiter la voie ferrée dont ils
avaient conçu le projet et exécuté en grande partie
les travaux, puisque les Anglais sont aujourd'hui les
maîtres de Bagdad.
On sait comment ils y sont parvenus, après avoir
commencé dès 1914 une expédition qui a été cou-
ronnée de succès au mois de mars 1917. Après avoir
occupé Fao, puis Mohammerah, ils se sont emparés
de Bassora dès le 21 novembre 1914; puis, poussant
plus avant le long des rives du Chatt-el-.^rah, ils
ont installé leur base d'opérations à Gourneh ou
Korna, au confluent du Tigre et de l'Euphrate. C'est
de là que le général Townshend s'est avancé, en
septembre 1915, jusqu'à Kut-el-Amara, et même a
A Bat'dad : Eglise laUnc. (V. p. 12i et 126.)
Auparavant, déjà, c'est-à-dire dès le début du règne
d'Haroun le justicier (786-809), la ville de l'Est
pouvait rivaliser avec celle de l'Ouest, et Bagdad
était le centre d'un très grand empire islamique, un
foyer intense de vie intellectuelle et le premier en-
trepôt commercial de l'Asie antérieure.
Elle le demeura sous les successeurs de ce célèbre
calife, du sévère justicier que la légende représente
poussé jusqu'à Ctésiphon, à une quarantaine de
kilomètres seulement de Bagdad. On se rappelle
qu'après la victoire remportée par lui en cet endroit,
le 22 novembre suivant, le général Townshend a dû
reculer jusqu'à Kut-el-Amara et qu'il y a dû capi-
tuler au mois d'avril 1915. CV. Kut-el-Amah.\, p. 128.)
On sait aussi que cet échec n'a pas découragé les
Anglais et que nos alliés se sont alors préparés len-
«• 124. Juin 1917.
lemeiit et minutieusement, de toules les manières,
pour une seconde campagne d'hiver : par la cons-
truction de deux chemins de fer de campagne,
par celle de travaux d'endiguement, par l'accumu-
lalion de renforts et d'approvisionnemcnis, par des
opérations de police contre les bandes d'Arabes
pillards de la région (Moiiténks, etc.). Dans la nuit
du 13 au 14 novembre 1916, les forces du général
anglais sir Frederick Stanley Maude ont commencé
r.
LAROUSSE MENSUEL
il quitta le barreau pour la magistrature et fut
nommé substitut à Montbrison (12 avril 1K62). II fut
investi, le 6 juillet 1867, des mêmes fonctions au
tribunal de première inslance de Marseille. De là
il passa à Toulon, le 24 janvier 1872, en qualité de
procureur de la République. Elevé au poste de pro-
cureur général à Basiia le 6 juillet 1876, il fut en-
voyé, le 22 janvier 187S, à la Cour de Nancy,
comme procureur général, et devint sur place pre-
5oo looo Met
Forte
nurée
d'attaquer les Turcs, contenus par elles à Sanna-
Yat, à quelques kilomètres en aval de Kut-el-
Amara, sur la rive gauche du Tigre, et se sont em-
parées des lignes d'Es-Sinn, sur la rive droite. Puis,
franchissant le Chatl-el-Haî et le remontant sur ses
deux rives, elles sont arrivées tout près du point
où il se sépare du Tigre, en face de Kut-el-Amara,
ont franchi le Tigre h. Choumran (23 février 191Ti;
enfin, après une série d'opérations qui ont amené
la prise des positions turques entre Sanna-"Yat et
Kut-el-Amara, les Anglais sont rentrés dans Kut-
el-Amara même le 25 février. Poursuivant aussitôt
leurs succès, ils ont délogé leurs ennemis des posi-
tions où ceux-ci essayaient de se maintenir, à quel-
que 2.Ï kilomètres dans rO.-N.-O. de Kut-el-Amara,
et les ont talonnés sans cesse jusqu'à Laj, jusqu'à
Ctésiphon, jusqu'à Diala enfin, sise au confluent du
torrent du même nom avec le Tigre, à quelques
kilomètres des faubourgs sud de Bagdad (8 mars
1917). Forçant alors le passage de la Diala, ils ont
occupé Bagdad le 11 du même mois de mars et ont
ensuite poussé vers le nord et vers l'est, de manière
à préparer leur jonction avec les Russes, venus de
Haniadan et de Kermanschah par Kengawer et les
défilés que franchit la Diala à travers les chaînes
élagées du Zagros. — Henri Froidbvaux.
Sallot - Seaupré (Marie -Clément-Jules-
Alexis), magistrat français, né à Saint-Denis (île de
la Uéunion) le 15 novembre 183fi, mort à Paris le
16 mars 1917. Il fit à Paris ses études de droit, fut
lauréat de la Faculté et soutint sa thèse de doc-
torat le 23 novembre 1859. Il avait pris la collalio
pour sujet de droit romain et le retour successorul
pour"'sujet de droit français. Inscrit au barreau de
Paris, il fut nommé, en 1860, secrétaire de la confé-
rence des avocats, sous le bâtonnat de .Iules Favre.
Il figurait le second sur une liste ofi Barboux était
inscrit le premier et qui comprenait les noms de
Thureau-Dangin, Desjardins, Lair, Jozon et Asse.
l.e 16 novembre 1861, il prononça, à l'ouverture
de la conférence, un discours qui fut imprimé :
Parallèle entre l'éloquence du barreau, celle de
la tribune et celle de la chaire. L'année suivante,
mier président (23 octobre 1879). Il entra à la Cour
de cassation le 3 décembre 1882 et fut nommé, en
1887, membre du tribunal des conflits. Le 10 jan-
vier 1899, à la suite de la démission retentissante
de Quesnay de Beaurepaire, le conseiller Ballot-
Beaupré, qui siégeait alors à la chambre des re-
quêtes, fut nommé président de la chambre civile
par le ministre l.ehret. Il allait jouer un rôle consi-
dérable dans l'atTaire Dreyfus. Quand la première
demande de revision fut soumise, en vertu delà loi
de dessaisissement, à toutes les chambres réunies de
la Cour, le pre-
mier président,
Mazeau, confia le
rapport à Ballot-
Beaupré. Ce ma-
gistrat, très ré-
servé, n'avait pas
jusqu'alors mani-
festé d'opinion
Îiersonnelle sur
e fond du pro-
cès. Partisans et
adversaires de la
revision attendi-
rent anxieuse-
mentles résultats
de l'examen du
dossier. L'avocat
Mornard ayant
présenté une re-
quête en récusa-
tion des trois conseillers de la Cour (Petit, Crépon
et Lepelletier), qui s'étaient prononcés contre la re-
vision en qualité de membres de la commission
consultative, Ballot-Beaupré conclut au rejet de la
requête, ce qui lui valut la sympathie et excita l'es-
poir des « antirevisionnistes ». Mais, dans son rap-
port sur le fond, Ballot-Beaupré, après un exposé
froidement impartial des deux thèses en présence,
déclara qu'en son âme et conscience il attribuait à
Esterhazy le bordereau imputé à Dreyfus. La Cour
lit siennes les conclusions du rapporteur.
Lorsque Mazeau fut atteint par la limite d'à^.
Ballot-Ucaul'i'
139
c'est Ballot-Beaupré qui le remplaça, le 2 octobre
1900. Il eut à prononcer, comme premier prési-
dent de la Cour suprême, l'arrêt de la seconde revi-
sion, qui cassait sans renvoi la condamnation de
Dreyfus par le conseil de guerre de Rennes. On sait
de quelles violentes attaques il fut l'objet, soit
comme rapporteur, soit comme premier président. Il
fut atteint par la limite d'âge le 16 novembre 1911
et nommé premier président honoraire.
Personne n'a jamais contesté ni la science juri-
dique, ni la mémoire prodigieuse, pi la puissance
de travail de Ballot-Beaupré. Ce magistrat, qui
connaissait si bien la lettre de la loi, ne voulait, pas
en être esclave. Une interprétation purement philo-
logique des textes lui paraissait contraire à l'équité.
A la cérémonie du centenaire du Code civil, le 30 oc-
tobre 1904, il définit ainsi le devoir du juge :
J'estime que le juge, en présence de l'ambiguïté d'un
texte, ne doit pas s'attarder à rechercher obstinément
quelle a été, il y a cent ans, la pensée des auteurs du
Code civil en rédigeant tel ou tel article : il doit se de-
mander ce qu'elle serait, si le même article était aujour-
d'hui rédigé par eux ; qu'en présence de tAus les chan-
gements qui, depuis un siôcle, se sont opérés dans les
idées, dans les mœurs, dans les institutions, dans l'état
économinuo et social delà France, la justice et la raison
commanaent d'adapter libéralement, humainementle texte
de la loi aux réalités et aux exigences do la vie moderne.
Au physique, Ballot-Beaupré était haut et droit,
assez corpulent. Sa figure, ronde et glabre, s'éclairait
parfois d'une ironie discrète. Sa parole était précise
et ferme, sa santé robuste. II menait une vie re-
tirée, éloignée du monde et de la politique. II avait
« le goiit de la méditation et un fonds solide de
relig-ion vraie ». (Joseph Reinach.) Ses collègues
louaient sa bienveillance et son affabilité. — Depuis
1910, il était grand-croix dans l'ordre de la Légion
d'honneur. — Paul iialts.
Bazin (Henry-Emile), ingénieur français, né le
20 octobre 1829 à Nancy, mort le 14 février 1917 à
Dijon. Il fit toutes ses études au lycée de Nancy et.
en 1846, était re-
çu à l'Ecole poly-
technique, l'an-
née même où il
passa son bacca-
lauréat es scien-
ces; il était le
plus jeune de la
promotion. A sa
sortie de Poly-
technique, il en-
tra à l'Ecole des
ponts et chaus-
sées et, en 1851,
fut nommé ingé-
nieur des ponts à
Saint-Flour. De
là, il passa suc-
cessivement à
Aurillac, Ton-
nerre et, enfin, à
Dijon (1856); il
resta trente ans dans celte ville au service du canal
de Bourgogne, d'abord comme ingénieur ordinaire,
puis comme ingénieur en chef.
Bazin n'avait pas abandonné les mathématiques
et, pendant les loisirs que lui laissaient sos occupa-
tions professionnelles, il s'adonnait volontiers à la
culture de cette science. De 1851 à 1853, il fit pa-
raître dans le « Journal de Liouville » quelques mé-
moires originaux sur la théorie des déterminants et
des formes quadratiques. La tournure de son esprit
semblait le porter plutôt du côté des mathématiques
pures, etl'orientation de sa carriire versThydrauliquo
lut, pour ainsi dire, tout à fait accidentelle : en ar-
rivant à Dijon, en 1856, il s'y rencontra avec l'in-
génieur Darcy, qui avait été ingénieur en chef de la
Côte-d'Or jusqu'en mars 1848 et avait été placé, peu
après, à la tête du service municipal de la ville de
Paris. Darcy avait commencé à Dijon d'importantes
expériences sur le mouvement des eaux dans les
tuyaux de conduite et, tout en occupant ses nou-
velles fonctions à Paris, il avait résolu de conti-
nuer ses travaux : Bazin devint son collaborateur
et, depuis cette époque, se donna complètement aux
travaux d'hydraulique. Il y acquit peu à peu une
réputation qui devait devenir universelle, et les lois
qu'il énonça sur le régime uniforme des eaux dans
les canaux et les cours d'eau sont aujourd'hui de-
venues classiques. Parmi les importantes questions
dont il s'occupa, citons ses études sur la vitesse
maximum du courant dans les canaux à ciel ouvert,
celles sur la propagation des intumescences ou des
ondes de translation, sur le fonctionnement des dé-
versoirs, sa théorie du mascaret qui se produit à
l'embouchure de certains fleuves et, en particulier,
de la Seine, etc. Tous ces travaux lui avaient ac-
quis une notoriété universelle, qui s'accrut encore
lorsque deux ingénieurs américains, Hiimphreysel
Abbol, après avoir fait d'importantes études sur le
Mississipi, mirent en doute les lois qu'il avait for-
mulées. Bazin n'eut aucune peine à montrer que
l'appareil dont les expërimenlaleurs s'étaient servis
140
pour mesurer les vitesses du courant n'était rien
moins que précis et que, dans certains cas, il don-
nait des indications fausses.
En sa qualité d'ingénieur, Bazin marqua par
d'importants travaux son passage dans le départe-
ment de la Côle-d'Or. On lui doit l'agrandissement
du réservoir de Pauthier et la création du réser-
voir de Pont, tous deux destinés à l'alimentation
du canal de Bourgogne ; ce fut également sous sa
direction que fut captée la source de Sainte-Foy
pour le service des eaux de la ville de Dijon,
C'est en 1865 que Bazin fit paraître son principal
ouvrage : Hecherches hydrauliques. Darcy était
mort prématurément à Paris en 1858, mais Bazin
associa son nom à cette publication; elle comprend
deux volumes : le premier traite des Recherches
expérimentales sur l'écoulement de l'eau dans les
canaux découverts, le second des Recherches expé-
rimentales relatives aux remous et à la propaga-
tion des ondes. Parmi ses autres publications, ci-
tons un certain nombre de mémoires, qu'il publia
de 1867 à 1887, sur diverses questions se rattachant
à l'hydraulique et à la navigation intérieure et, enfin,
les sept fascicules qu'il fit paraître de 1887 & 1897
sur l'écoulement en déversion. Ces derniers ont été
réunis ensuite en un seul ouvrage, édité en 1898. On
lui doit aussi une traduction adaptée de l'algèbre
supérieure de Salmon.
Tout en consacrant à la science la plus grande
partie de son activité intellectuelle, Bazin avait tou-
jours conservé le goût des études littéraires. Il li-
sait couramment six ou sept langues et se distrayait
volontiers de ses études techniques par la culture
des classiques latins et grecs. Il était devenu ins-
pecteur général des ponts et chaussées en 1886.
En 1888, l'Académie des sciences lui avait décerné
le prix Montyon de mécanique et, en 1913, lors du
nouveau règlement concernant la constitution de
notre grand corps savant, Bazin fut admis dans la
section de mécanique comme membre non résident.
Sa grande valeur professionnelle et sa grande pro-
bité lui avaient valu d'être choisi comme expert, en
1882, à propos d'un très ancien procès entre la ville
de Genève et le canton de Vaud, au sujet de la dé-
limitation des eaux du lac Léman. — o. boucbbnt.
Caterpillar {ka-tèr-pi-lar — mot angl. signif.
chenille) n. m. Dispositif pour déplacer un vé-
hicule sur des terrains impraticables avec voitu-
res ordinaires, caractérisé par une chaîne sans fin
de grande largeur en contact avec le sol par son
brin inférieur et qui passe sur deux roues, dont l'une
peut être motrice : Le principe du Caterpillar date
de plus d'un demi-siècle.
— Encycl. Les récents exploits, sur le front, des
automobiles blindées, des chars d'assaut et autres
cuirassés terrestres ont vulgarisé en France le mot
LAROUSSE MENSUEL
I. Généralités. — Les roues constituent, comme
chacun sait, des organes de locomotion très satis-
faisants pour des véhicules destinés à se déplacer
sur des surfaces à peu près unies et suffisamment
résistantes, telles que le sont ordinairement les rou-
tes, mais elles n'offrent pas des avantages équiva-
lents pour l'avancement en terrain mou, accidenté
ou parsemé d'obstacles divers. La transmission de
la charge du véhicule au sol par l'intermédiaire
«• 124. Juin 1917.
On peut donc assimiler une voiture munie d'or-
ganes de traction caterpillars à un véritable véhi-
cule sur rail présentant cette particularité que la
voie ferrée est portée par la voiture elle-même qui
se charge de la poser d'une façon automatiqne et
continue devant le chariot de roulement et de la
déposer immédiatement après le passage de celui-ci.
Pour entrer plus avant dans le détail des dispo-
sitions caractéristiques des différents organes d un
Fig. 3. — Vue en plan du même tracteur : M, moteur ; N, embrayage principal ; 0, changement de vitesse ; P, changement de sens
de marctie; R et R', embrayages à freins, spéciaux à chaque Caterpillar.
d'une très faible portion de la jante s'opère dans
des conditions défeclueuses de répartition, ce qui
détermine des pressions qu'un terrain sans consis-
tance ne peut supporter et provoque l'enlisement
des roues. De plus, ces mêmes organes ne sont pas
aptes à s'agripper au sol pour escalader ou descen-
dre des pentes très abruptes et ne subissent pas sans
dommage les efi'ets des brusques dénivellations
qu'ils peuvent rencontrer.
Aussi a-t-on été amené à envisager l'utilisation
d'engins de locomotion difi'érents, présentant une
surface de contact avec le sol beaucoup plus éten-
due, dont l'adhérence soit également plus grande,
et qui soient suffisamment souples pour s'accommo-
der des obstacles rencontrés et se modeler, pour
ainsi dire, sur le relief ou le creux du terrain oîi
ils se meuvent.
Les dispositifs à chaîne sans Un connus sous le
^
Fig. I. -
Vue en élévation d'un tracteur agricole système Ilolt
dentée; D, roue folle;
Il Caterpillar » ainsi que l'expression » tank », em-
ployée en Angleterre pour désigner de nouveaux
engins destinés à broyer les réseaux de fils de fer
barbelés, à franchir les tranchées en dépit des
obstacles de tout genre semés sur le terrain.
Si le mol est nouveau dans son acception d'ins-
trument de guerre, il l'est beaucoup moins au point
de vue industriel, et le Caterpillar a déjà derrière lui
tout un passé agricole et colonial. Les principes sur
lesquels il repose, sans être entièrement nouveaux,
sont ce|)endant assez peu connus du grand public
et, après les avoir exposés d'après les travaux mêmes
des invenleurs et en avoir indiqué les applications
dans les domaines de l'agriculture et des colonies,
nous montrerons, avec tonte la mesure que comporta
pour le moment le sujet, l'adaptation des caterpillars
a la guerre actuelle, à laquelle ils sont surtout re-
devables de leur notoriété.
; A, voie sans fin; B, chariot en deux sections; C, roue de traetion
E, rouleaux de guidage.
nom de caterpillars remplissent parfaitement ces
conditions. Le principe du système n'est pas nou-
veau; [nous avons, en effet, trouvé la description
d'une disposition de bande flexible de roulement
dansunepublication anglaise datant de l'année 1877;
l'idée en avait même déjà été donnée par un Fran-
çais, de Bouyn, dans un brevet de 1871, et rien ne
nous permet d'affirmer qu'il n'en ait pas été indiqué
d'autres exemples à une époque plus ancienne.
D'une façon générale, un n caterpillar » se com-
pose d'une chaîne sans fin de grande largeur, pas-
sant sur deux roues, dont l'une est dentée et mo-
trice et l'autre folle. Cette bande de roulement
supporte le poids du véhicule en totalité ou en
partie, par l'intermédiaire d'un chariot pourvu de
galets qui roulent sur le rail formé par la partie
interne du brin inférieur de la chaîne en contact
avec le sol (^i;. 1).
Il Caterpillar », nous dirons que le c/iarto< ou truck
est généralement constitué par un bâti à flasques,
formant une poutre d'une grande rigidité et dans
lequel sont touiillonnés un certain nombre de ga-
lets de roulement. Ces galets doivent faire saillie,
au-dessous du niveau de la partie basse des roues
sur lesquelles passe la chaîne, d'une quantité suffi-
sante pour que les éléments de Iraclion ne puissent
en aucun cas venir en contact avec le sol, au moment
où ils sont en prise avec les roues. Par sa partie
supérieure, le chariot est relié élastiquement au
châssis du véhicule, généralement au moyen de res-
sorts; mais on peut également réaliser une suspen-
sion élastique delà charge sans l'emploi de ressorts
en faisant pivoter le chariot sur un arbre de manière
qu'il puisse avoirun mouvement d'oscillation limité
dans un plan vertical (^y. 3). Quelle que soit la dis-
position employée, il est nécessaire d'empêcher tout
déplacement longitudinal du chariot par rapport au
châssis, ainsi que tout déversement du chariot à
droite ou à gauche. On obtient ce résultat à l'aide
de connexions diverses, telles que des tiges diago-
nales et des bras transversaux ou consoles. Lors-
que, pour répartir un poids tris lourd sur le sol,
on est amené à donner à la chaîne sans fin une lon-
gueur de por-
tée approxima-
tivement égale
à la longueur
totale du véhi-
cule, il devient
nécessaire de
diviser le cha-
riot en deux
sections reliées
entre elles de ^ _ (.^^jj^j oscillant, sans ressorts,
manière à tra- ■" à trois galets de roulement.
vailler conjoin-
tement et ainaintenirleur alignement, tout en réali-
sant pour la charge un support élastique. A cet effet,
les sections sont articulées ensemble à leur bord
supérieur adjacent, et l'on interpose des ressorts
entre chacune d'elles et le châssis; le '.racteur re-
présenté [fia. 1) possède une disposition de ce genre.
Les voies sans fin sont composées d'éléments
articulés. Chaque élément {fig. 4) comprend une
plaque, ou patin, garnie d'ondulations pour pouvoir
s'agripper au sol ; au dos du patin est fixé le mail-
lon correspondant de la chaîne proprement dite, et
les différents maillons sont articulés ensemble au
moyen de broches ou boulons. Chaque patin pré-
sente à ses extrémités des parlies courbes, destinées
à chevaucher les parlies courbes du patin suivant.
Le but de cette disposition est de réaliser des joints
empêchant l'entrée de la boue entre les sections
de la voie.
Les maillons eux-mêmes présentent npe construc-
lion ajourée suivant leurs faces latérales ei une por-
tion de tête formant rail destinée à constituer avec
les maillons suivants la voie conlinue sur laquelle
roulent les galets du chariot. On comprend que les
ouvertures des parois latérales des maillons permet-
tent d'éviter dans la chaîne l'accumulation de la boue
et des graviers, qui serait très préjudiciable à son
fonctionnement, surtout une fois la boue séchée
«• 124. Juin 1917.
(les dents du pignon d'entraînement chassent ces
déchets, qui peuvent être évacués par les ouvertures
latérales). ,. ■ , . ri
La roue motrice de traction de la voie sans fin esl
g-énéralemeiit montée à l'arrière sur le cliàssis; elle
reçoit le mouvement par engrenages (ou chaîne
Galle). La roue folle d'avant doit être pourvue de
di-ipositifs de réglnge, permetlantde tendre la chaine-
chenille et d'en rattraper le mou. Dans ce but, elle
peut être, par exemple, tourillonnée sur un arbre in-
dépendant, monté dans un coussinet coulissant, sur
^^H deux
^^™ muni;
Pig. J. — Détail en coupes transversale et lonpitudinale dos
deux éléments consécutifs d'une voie flexible sans fin : 1. Patins
munis d'on lulations et de joints de recouvrement ; 2. Maillons de
cliaine à faces latérales ajourées ; 3. Partie supérieure des mail-
lons formant rail.
lequel peut agir une lige de poussée, vissée par son
autre extrémité dans un manchon fixé au châssis.
Pour soutenir et guider le brin supérieur de la
chaîne sans fin, on prévoit généralement sur le
châssis un certain nombre de rouleaux.
Les indications qui précèdent sont suffisamment
détaillées pour pernietlre d'avoir une idée exacte
de la constitution d'un « Caterpillar ». Il convient,
maintenant, d'examiner de quelle manière ces or-
ganes sont adaptés aux châssis ou caisses des véhi-
cules pour en assurer le déplacement dans de bonnes
conditions.
Une première disposition représentée en 1 {fig. 5)
consiste à employer une seule bande de roulement
sans fin s'étendant longitudinalemcnt suivant l'axe
du châssis. L'avant du véhicule est muni d'une ou de
deux roues directrices. En outre, pour que la ma-
chine s'adapte aux dénivellations du sol et soit main-
tenue verticalement en équilibre, il est prévu des
roues de stabilisation, montées sur des essieux arti-
culés qui font saillie de chaque côté du châssis et
qui sont réglables en hauteur.
Dans une autre disposition très courante, repré-
sentée en 2 [fig. 5), on fait usage de deux caterpil-
lars, la direction du véhicule étant réalisée par des
roues orientables à l'avant.
Avec une troisième disposition plus récente, re-
présentée schématiquement en 3 (fig. 5), on a
cherché à réduire le plus possible les dimensions
^
oTï
J5L_L
K
M
Fit}. 5. — Schémas des ilisiiositions de voies sans fin sur les
Téhicules ; 1. Un seul Caterpillar, un avant-train directeur, deux
roues de stabilisation ; 2. Deux calerpillars. un avant-train di-
recteur; 3. Deux caterpillars, pas d'avant-train directeur.
d'encombrement du véhicule. Les roues directrices
sont supprimées, et le contrôle du mouvement de la
machine est obtenu par l'intermédiaire des deux
organes de traction, qui sont commandés indépen-
dammrnt l'un de l'autre. Lorsque le Caterpillar de
droite et celui de gauclie sont actionnés à la même
vitesse, l'avancement se fait suivant une ligne droite ;
si l'on veut, au contraire, faire tourner la machine
d'un côté ou de l'autre, il suflit de ralentir le mouve-
ment d'avancement de l'un des organes tracteurs.
Pour se diriger à droite, par exemple, il convient
de serrer le frein de ce même côté, puis de faire ces-
ser, ou de ralentir, la commande du Caterpillar de
droite en dégageant l'embrayage correspondant, ou
en le laissant patiner. L'organe de traction de
gauche, conservant sa vitesse normale, fait tourner
le véhicule du côté où l'effort moteur a été diminué.
Cette manœuvre s'obtient du sii'ge du conducteur
au moyen de commandes appropriées; elle peut
même être réalisée par la disposition spéciale d'un
seul levier, que l'on incline à gauche ou à droite.
Pour la foire motrice nécessaire à l'actionnemenl
des « caterpillars », on peut faire appel à tous les
systèmes qui sont employés dans l'automoliile. Le
moteur & explosions fournil la solution la plus cou-
rante. La transmission de l'cITort moteur à la roue
LAROUSSE MENSUEL
de traction de chaque bande sans fin est réalisée
par l'intermédiaire d'un changement de vitesse et
(l'un changementde sens de marche. Sur des arbres
14i
caterpillars sans roues directrices, on peut réalisert
pour des travaux de ferme et d'horticulture, de petits
tracteurs légers, puissants et d'encombrement réduit
Caterpillar employé comme tracteur agricole.
transversaux intermédiaires, on dispose un em-
brayage et un frein pour chaque Caterpillar {fig. 2).
L emploi de la vapeur peut être préféré dans cer-
tains pays où le charbon est à bon marché. La ma-
chine à vapeur possède, d'ailleurs, de précieux avan-
tages : elle est d'une grande souplesse, se prête à
des efforts de démarrage
assez puissants et donne
la possibilité de simpli'
fier les organes de trans-
mission ; une coulisse
fiermet, comme sur les
ocomotives, d'obtenir le
renversement de la mar-
che et de modifier l'al-
lure en faisant varier la
détente, sans qu'il soit
nécessaire d'avoir re-
cours à un mécanisme
spécial de changementde
vitesse par engrenages.
On peut aussi choisir
l'électricitécomme agent
moteur; dans ce cas, le
véhicule porte des accu-
mulateurs, ou bien pro-
duit lui-même l'énergie
électrique nécessaire à
l'aide d'un groupe moteur k explosions-dynamo.
Les types de caterpillars que nous avons décrits
jusqu'ici sont du système Holt; d'autres inventeurs
ont adopté des dispositions un peu dilTérentes. Nous
signalerons, à titre d'exemple, le Caterpillar Bul-
lock (fig. 6), dans lequel le chariot n'existe pas; le
poids du véhicule se reporte sur la roue du milieu,
qui est motrice. C'est elle seule qui opère le déroule-
ment de la voie sans fin ; les roues extrêmes ne sont
pas commandées et servent seulement à guider et
maintenir la chaîne. Dans ce système, la répartition
de la charge sur le sol se fait suivant une surface
moindre que dans le système précédemment dé-
en largeur et en hauteur, qui peuvent être employés
dans des espaces bas et étroits et que l'on peut faire
avancer sous des arbres, dans des vergers et des
vignobles. Nous devons ajouter que les véhicules à
voie sans fin donnent la possibilité d'appliquer les
procédés de culture mécanique dans des exploita-
Fig. 6. — Caterpillar (système Bullock).
crit; par contre, il est à penser que les change-
ments de direction du véhicule s'opèrent avec une
grande facilité.
IL Applications agricoles et coloniales. Agri-
culture. — Dès leur origine, les caterpillars ont
été tout spécialement étudiés pour leur emploi
comme tracteurs agricoles. Us s'accommodent par-
faitement bien des terrains de labour où ils ontk
travailler. I^n adoptant le type de véhicule à deux
Fig, 7. — VéhiCTile de transport ou les caterpillars sont simplement porteurs.
tions s'étendant même sur des terrains très escarpés.
Déjà très répandu aux Etats unis d'Amérique, ce
système a fait son apparition en France au concours
agricole de 1911. A l'heure où s'affirment les préoc-
cupations de remettre rapidement en valeur nos
champs en partie délaissés par suite des nécessités
de la guerre, les tracteurs « caterpillars » figureront
certainement en bonne place parmi ceux qui seront
employés dans la culture mécanique.
Transports coloniaux. — Avant l'établissement
d'un système de routes sufflsammentdéveloppéeld'un
réseau de voies ferrées permanentes, les véhicules à
voie sans fin se posant automatiquement sur le sol
offrent le moyen de mettre en valeur des régions nou-
velles, demeurées inexploitées faute de moyens de
communication pratitjues. On peut former de véri-
tables trains, dont la locomotive, constituée par un
tracteur du genre de celui représenté dans les figures
1 et 2, remorquera un certain nombre de ■wagons du
tvpe donné à la figure 7, qui auront été attelés les uns
à" la suite des autres. On remarquera que, dans ces
véhicules, les caterpillars ne sont pas tracteurs, mais
simplement porteurs, leur rôle consistant à répartir
convenablement la charge sur le sol ; l'une et I autre
des roues qui supportent la chaîne sans fin peuvent
donc être folles et ne pasêtremuniesdedenis. Nous
signalerons en outre que, dans le modèle représenté,
il n'a pas paru nécessaire de prévoir une suspension
élastique entre le châssis et le chariot k galets.
III. Applications aux fortins automobiles blin-
dés. — On conçoit sans peine tout le parti que l'on
peut tirer des «caterpillars » pour réaliser le dépla-
cement de véhicules militaires de tout genre.
Dès l'époque de l'expédition du Transvaal, les
Anslais en ont tenté la mise en usage et, au cours
de la guerre actuelle, on a pu constater que l'état-
142
major britannique a eu maintes fois rocours à des
tracteurs caterpillars pour effectuer certains trans-
ports en terrain diflicile. Ces engins de locomotion
sont, cependant, restés à peu pWs complètement in-
connus du public, jusqu'à l'apparilion sensation-
nelle des tanks. Personne n'ignorait, au contraire,
le large emploi qui a été fait des automol)iles ar-
mées et cuirassées, montées sur roues ordinaires.
On n'a pas oublié que, lors de la ruée des barbares
LAROUSSE MENSUEL
Ces fortins automobiles sont constitués par une
sorte de caisse blindée complètement fermée, dont
les parois latérales de droite et de gauche sont for-
mées par deux énormes caterpillars, également re-
vêtus de blindages. L'intérieur de la caisse, où l'on
pénètre par une trappe disposée sur l'un des côtés,
est aménagé pour recevoir te mécanisme moteur, les
organes de transmission, le réservoir à comt)us-
tible, les soutes à munitions, ainsi que le personnel
Le Caterpillar appliqué aux tanks : Tank anglais en action. — Le mot anglais tank veut dire réservoir, citerne; mais les tanks ne
sont ni des réservoirs, ni des citernes. Leur nom, véritable sobriquet, est dû & l'exclamation d'un tommy qui, voyant pour la première
fois cette fortei"esse automobile, s'écria : ■■ A tank ! » (Tiens, une citerne !) Le nom est resté à ces cuirassés de terre, dont la forme, en
effet, rappelle un peu ces grands réservoirs métalliques destinés au transport des liquides et qui, suivant l'usage auquel ils sont des*
tinés. prennent le nom de wagons-réservoirs, voitures-citernes, etc. (Nous consacrerons plus tard au tank une étude complète.)
sur la Belgique et le nord de la France, en août 1914,
leurs troupes d'avanl-garde étaient précédées d'en-
gins de ce genre, qui effectuaient des raids auda-
cieui contre lesquels il était malaisé de se défendre.
Les voilures (modèle Opel ou autres) étaient
protégées par un léger blindage de 4 millimètres
d'épaisseur; l'armement était constitué par des fu-
sils ou des mitrailleuses, dont l'emplacement avait
été, dit-on, soigneusement prévu en temps de
paix sur les voitures de tourisme. — Pour se dé-
fendre contre les fils de fer qui auraient pu êtie
tendus en travers de la route, ces véhicules étaient
munis à l'avant de couteaux ou de dispositifs de re-
lèvement. Les Allemands possédaient, en outre, des
automobiles plus lourdes et plus fortement proté-
gées, armées de petits canons Krupp.
Du côté des Alliés, l'étude de l'automobile militaire
n'avait pas été négligée. Il noussuffirade rappeler l'au-
tomobile-mitrailleuseGenty, construite par Panhard
et Levassor, l'auto-canon de Dion, la voiture Char-
ron, avec caisse complètement blindée, surmontée
d'une tourellecomprenant l'armement, dont un grand
nombre de spécimens avaient été fournis à la Russie.
Les Belges avaient, eux aussi, un excellent modèle
d'automobile blindée, qu'ils ont pu continuer à cons-
truire même après l'envahissement de leur pays et
dont ils ont envoyé de nombreuses unités k la
Russie. Ce sont ces engins montés par un personnel
belge qui ont effectué cette magnifique randonnée
en Galicie vers le mois d'août 1916, pénétrant à
150 kilomètres à l'intérieur des lignes ennemies et
y désorganisant les services d'arrière.
Sur le front occidental, en présence de lignes
complètement stabilisées, les automobiles de re-
connaissance n'ont pas eu à intervenir depuis long-
temps et ont cédé la place aux engins automobiles
de défense antiaérienne, qui se sont fort multipliés.
D'autre part, les difficultés de la guerre de tranchées
et l'accumulation formidable de défenses que l'en-
nemi avait eu le temps d'établir en deux années ont
modifié singulièrement la conception première des
moyens qu'il convenait d'employer pour réussir une
attaque de grande envergure.
Si l'artillerie lourde peut réglerson tir d'une façon
précise pour détruire les fils barbelés, les abris et
les ouvrages de toute sorte élevés par les Allemands
en première ligne, elle ne peut avoir la même effi-
cacité sur les secondes lignes. On a donc été amené
à étudier des engins d'attaque qu'aucun obstacle
n'arrêterait, qui pourraient écraser les réseaux de fil
de fer, franchir les tranchées, suivre l'ennemi dans
sa retraite d'une ligne k l'autre et frayer le passage
à l'infanterie à travers tous les obstacles accumulés
sur les positions d'arrière et qui n'auraient pu être
atteints par le feu de l'artillerie.
Tel a été le but de ces fortins automobiles
blindés ou croiseurs cuirassés terrestres, connin
également sous le nom de tanks, et auxquels le sol-
dat anglais a donné le surnom plus fantaisiste de
M Crème de menthe ».
nécessaire pour la conduite de la machine et la ma-
nœuvre des pièces et qui se trouve ainsi entièrement
à l'abri du tir de l'ennemi. Des mitrailleuses sont dis-
posées à l'avant et à l'arrière, et chacune des faces la-
térales du fortin est armée de deux canons en tourelles
mobiles dans des constructions en encorbellement;
de ce fait, la disposition d'armement est jusqu'à un
certain point assimilable à celle d'un cuirassé de mer.
La machine est actionnée par deux chaînes sans
fin, de dimensions considérables, du type décrit plus
haut; ces chaînes sont composées d'une série de pa-
tins plats articulés les uns avec les autres et présen-
tant à l'avant une nervure destinée à mordre sur le
terrain; elles offrent cette parlicularité que, bien
que portant sur le sol sur une grande longueur, elles
se relèvent nettement à l'avant, suivant une ligne
oblique inclinée de 30° à 40° sur l'horizontale. Cette
disposition permet à l'appareil de franchir plus aisé-
ment les tranchées et de sortir d'un trou d'obus en
s'agrippant de l'avant à la partie antérieure de l'en-
tonnoir, tandis que l'arrière s'appuie à la paroi posté-
rieure, déterminant ainsi un puissant effort de levage.
Le véhicule comporte également deux roues arrière,
vraisemblablement orientables, quoique les change-
ments de direction pourraient aussi être obtenus en
donnant aux deux caterpillars des vitesses différentes.
Ces monstrueux engins pèsent, souvent, un poids
supérieur à 15 tonnes et avancent à une vitesse de
6 à 8 kilomètres à l'heure. On s'imagine sans peine
les terribles ravages qu'ils
peuvent exercer, broyant les
arbres, écrasant les fils de
fer, renversant les murs, dé-
molissant les redoutes et se
frayant un passage à travers
tous les obstacles accumulés
par l'ennemi, sans cesser de
cracher la mitraille à travers
les meurtrières de leurs cara-
paces blindées. Les Allemands
en ont vu avec terreur l'appa-
lition sur le front anglais du
côté de Pozières, en septem-
bre 1916. Il est à présumer que
pourront être engagés les nouveaux appareils qui
compenseront, par des qualités encore plus grandes
résultant de l'expérience acquise, le désavantage de
ne plus pouvoir profiter de l'effet de surprise dont
avaient bénéficié les premiers.
Pour un grand nombre de personnes, le Cater-
pillar évoque une origine américaine, peut-être
parce que c'est aux Etats-Unis que ces organes ont
été <( mis au point» et appliqués aux tracleurs agri-
coles. Jusqu'à plus ample informé, il semble bien
que c'est au Français de Bouyn que revient l'hon-
neur d'avoir, dès 1871, posé le principe du Caterpillar
de bataille et développé en 1873, dans un brevet, les
plans d'une machine de guerre offrant avec les
tanks modernes de remarquables analogies : loco-
motion par chaînes sans fin, armement de six
«• 124. Juin 1917.
canons à l'intérieur d'une caisse entièrement cui-
rassée. Cet engin, que de Bouyn conçut au len-
demain et sous l'impression profonde de nos dé-
sastres de 1870, peut être considéré comme le
véritable ancêtre des fortins auloinobilcs blindés
actuellement en action. — a. Vuléry.
Circonférence au diamètre (Rapport
DE la). Calcul du nombre -jt. — Le problème du
caléul deir, rapport de la circonférence au diamètre,
est l'un des plus anciens de la géométrie. Pendant
longtemps, on lui a cherché une valeur exacte, et le
problème ainsi posé portait le nom de problème de
la quadrature du cercle, c'est-à-dire problème qui
consiste, étant donné un cercle, à calculer exacte-
ment le côté d'un carré ayant la même surface.
Si R est le rayon du cercle, sa surface est tt R*.
Pour que le problème fflt possible, il faudrait que
le nombre 7t dépendît d'une équation quadratique à
coefficients rationnels. Or, on démontre que ir ne
peut même pas être racine d'une équation algébrique
à coefficients rationnels. Hermile a démoniré d'une
façon rigoureuse l'incommensurabilité du nombre ir
et de son carré, déjà démontré une première fois
par Lambert, puis par Legendre.
L'importance de la connaissance du rapport de la
circonférence au diamètre a fait que de nombreux
mathématiciens se sont attachés à son calcul plus
ou moins approché. On se serl, pour cela, de deux
méthodes différentes : celle des périmètres et celle
des isopérimètres. Dans la première, suivie par
Archimède, on prend un cercle de rayon 1 ; on y
inscrit un hexagone dont le périmètre est forcément
égal à6 et le demi-périmètre à 3. Cela fait, on calcule
successivement les périmètres des polygones d'un
nombre de côtés, double chaque fois du précédent,
inscrits dans la même circonférence.
Par exemple, en partant de l'hexagone, on aura
successivement :
NOMBRE DE CÔTÉS
Demi-périmètres Demi-périmètres
(polygone* inMritt) (pulygon** eirconicrii.)
6.
12.
24.
48.
96.
192.
3,00000 3,46411
3,10582 3,21540
3,132S2 3,15967
3,13935 3,14609
3,14103 3,14272
3,14145 3.11188
Les valeurs de la circonférence ainsi calculée sont
approchéesparde/ou/. En calculantles côtés, doublés
chaque fois, des polygones réguliers circonscrits, on
aurait des valeurs approchées par excès. Par exem-
ple, en s'arrêtant au polygone de 192 côtés, on au-
rait pour valeur du demi-périmètre 3.14188.
La valeur de la demi-circonférence du rayon 1 est
donc comprise entre les nombres
3,14145 et 3,14188.
On peut ainsi continuer le calcul, en resserrant les
limites autant qu'on le désire.
Dans la méthode des isopérimètres, on se donne
le rayon r et l'apothème a d'un polygone régulier,
par exemple un hexagone, et on calcule le rayon et
l'apothème du polygone d'un nombre de côtés dou-
ble et ayant le même périmètre.
Les deux méthodes conduisent à des calculs équi-
valents, quand elles sont convenablement appliquées.
On arrive à cette proposition, due à Schwab, de
Nancy, en 1813 : Le nombre l/7t est la limite vers
laquelle tend la suite des nombres obtenus en par-
tant de 0 et 1/2 et prenant alternativement la
moyenne arithmétique et la moyenne géométrique
entre les deux qui précèdent.
Valeurs numériques de tt. Le nombre 7t, avec ses
10 premières décimales, est t. = 3.14159 26535....
( AF= 3x2R)
(FG= t BC)
E F~G
(AG= C=2tïR)
à -J
15.000
Fig. 1.
Pour les besoins de la pratique, on adopte cou-
ramment la valeur
TT = 3.1416
approchée à moins de 1/30.000'.
On avait donné des valeurs de tt en fractions
ordinaires. Archimède, l'initiateur de la géométrie
du cercle, avait indiqué pour valeur de 7t la fraction
22/7, quidonne la valeur 3. 142, exacte àl/3. 000" près.
Pierre Metius, le père d'Adrien Metius, mathé-
maticien célèbre, donna une valeur plus approchée,
par la fraction 355/113, qui, exprimée en chiffres dé-
cimaux, fait connaître 7t avec les 6 premières déci-
males exactes 3.141592.
On peut retenir aisément la fraction de Pierre
Metius. On écrit sur la même ligne deux 1, deux 3,
N' 124. Juin 1917.
deux 5. On a ainsi le nombre 113355. On le par-
tage en deux par le milieu. La partie de droite, 355,
est le numérateur de la fraction; la partie de gau-
che, 113, en est le dénominateur.
Une manière de déterminer graphiquement le
développement d'une circonférence de rayon donné
avec une approximation de 1/15.000', est la sui-
vante {fio- 1) :
On prend la circonférence, et 1 on y inscrit un
carré. Gela fait, sur une droite indérmie, on porte,
à partir don point A pris pour origine, d'abord
3 lois le diamètre du cercle, puis la cinquième par-
lie du côlé du carré inscrit. La longueur totale AG
ainsi obtenue représente le développement de la
circonférence.
Cela revient, en effet, à ajouter au triple du dia-
mètre le cinquième du carré du côté, qui est égal
à RvTou le dixième du carré construit avec le
diamètre, D \/î7 Ou, ici, D est égal à 1. Cela revient
Jonc à aiouler au nombre 3 le dixième de v/2, qui
est égal à 1.U4, c'est-à-dire 0.1414. Gela donne la
valeur de tt : 3.1414 au lieu de 3.1416. L'erreur est
donc de 2/30.000" ou de 1/15. 000«.
Voici une seconde méthode graphique {pg. 2) :
( MN = 3R)
( VN =\Z)
6
100.000'
Avant tracé la circonférence et deux diamètres per-
pendiculaires AB et VT, on mène la tangente en T,
et on lire un rayon CM, faisant avec AB un angle
de 60 degrés. Il sul'lit de porter une longueur égale
au rayon à partir du point \. A partir du point M,
on porte sur la tangente une longueur MN, égale à
trois fois le rayon. On joint 'V.N. La longueur VN
donne le développement de la demi-circonférence
à 6/100.000" près.
On a calculé la valeur de ■;: avec de nombreuses
décimales.
Ludolf von Geulen en a donné 34, Lagny li8.
Dans un manuscrit de la bibliothèque Ratcliff, à
Oxford, on trouve •;; avec 155 décimales.
Dans les temps modernes, le calcul a été poussé
plus loin encore.
Dans les Tables d'intégrales définies de Bierens
de Ilaan (.\msterdam, 18o8-1867i, la valeur du rap-
port de la circonférence au diamètre est exprimée
avec 73U décimales exactes.
Dans le volume XXll des Proceedings of Ihe
Royal Sociely of London {n" du 23 octobre 1873,
page 43 , une note de Will. Shanks, présentée
par G. -G. Stokes, donne la valeur de tz avec
707 décimales; l'exactitude de toutes ces décimales
a été vérifiée par l'auteur.
Voici cette valeur complète du nombre ■tt :
LAROUSSE MENSUEL
Colorants naturels (les). Renaissance
DE LEUR INDUSTRIE PENDANT I.A GUERRE. — En 1856,
Perkin, chimiste anglais, en étudiant les dérivés des
goudrons de houille, découvrit une superbe matière
colorante, la mauvéine ou rosolane, teignant la soie
en violet rouge, et, en 1859, Verguin, chimiste
français, obtint la fuchsine qui teint la laine et la
soie en une magnifique nuance rouge. Le succès
industriel de ces deux substances excita l'ardeur des
chimistes, et c'est aujourd'hui
fiar centaines que se comptent
es colorants artificiels; ifs of-
frent une variété extrême, une
grande fraîcheur de tons, une
parfaite constance dans les ré-
sultats et une économie notable
sur les colorants végétaux.
A la veille de la guerre ac-
tuelle, l'importante Industrie de
ces produits synlhéti<iiies, née
en Angleterre et en France un
demi-siècle auparavant, était
firesque complètement entre
es mains des Allemands (ex-
portation allemande en 1912 :
60.000 tonnes de colorants, va-
lant 300 millions de francs).
Aussi, dès les premiers jours
du blocus exercé par les flottes
de l'Entente, la pénurie des
colorants artificiels se fit sentir
dans le monde entier, les usines
françaises, anglaises ou améri-
caines ne pouvant décupler leur
production du jour au lende-
main, ni se mettre à fabriquer
immédiatementles700 produits
colorantsdontl'Allemagne avait
le monopoleabsolu. On fut donc
forcé de revenir aux colorants
naturels, dont l'industrie renaît depuis deux ans. Ils
ne peuvent, certes, rivaliser avec les colorants delà
houille par la variété et l'éclat des nuances, mais ils
sont beaucoup plus solides à l'air, à la lumière, au
frottement, au lavage, et l'on s'aperçoit aujourd'hui
qu'en perfectionnant les méthodes de culture et de
fabrication, en exerçant un contrôle sévère sur la
pureté des colorants végétaux mis en vente, certains
d'entre eux pourront peut-être, après la guerre,
continuer à lutter contre les colorants artificiels.
Passons une rapide revue des colorants d'origine
végétale ou animale qui bénéficient de ce renou-
veau d'aclivité.
Indigo. — L'indigo est une belle matière colo-
rante, employée pour teindre le coton non mordancé.
Elle est produite par des légumineuses du genre in-
digotier (indigo fera), dont les unes sont des herbes
et d'autres de petits arbustes, cultivés dans les ré-
gions tropicales. C'est à la suite d'une fermentation
particulière que l'on fait subir à la plante coupée
que l'indigo se forme. (V. indigo, indigotier, Nouv.
Lar. III. . t.V.) Une tonne de feuilles fournitde 1 kil. 500
à 2 kil. 500 du principe colorant qui, obtenu en pâte,
est séché et découpé en morceaux ou pains ordinai-
rement cubiques. La plus grande partie de l'indigo
vient des Indes anglaises (Bengale et Madras',
et Londres est le principal marché de ce colorant.
143
très méthodes tout aussi économiques ont été décoa-
vertes depuis.
Les résultats du lancement sur le marché mondial
de ce nouveau produit furent extrêmement rapides.
En 1905, la culture de l'indigo aux Indes occupait
310.000 hectares; en 1906, elle tombe à 132.000 bec-
tares; en 1914, à 46.400 hectares. Dès 1908, l'emploi
de l'indigo naturel est à peu près abandonné en
Allemagne, en Autriche, en France, en Angleterre,
Iiidigu (indigu fera tinctona) ; B. ('anipéche Iiœniatoxylon Campechianuui; i C. Mûrier
des teititurtem (morus Unctoria).
et les usines allemandes exportent de l'indigo de
synthèse à destination des Indes (400 tonnes en 1912).
Mais la guerre survient, elle marchédel'indigo na-
turel s'améliore. En août1914,rindigoiiidien valait à
Londres 6 francs le kilogramme; ilvautaujourd'hui
32 francs, et la surface cultivée en indigotiers a été,
en 1915-1916, de 103.000 hectares, c'est-à-dire qu'elle
a plus que doublé en deux ans.
En février 1916, les producteurs et négociants in-
diens d'indigo se sont réunis en un congrès à
Delhi, dans le Pendjab, dans le but de rechercher
les moyens pratiques de lutter, après la guerre,
contre la cnnruri'cnce de l'indigo synthétique. Les
3, 11159
26335
89793
23846
26433
83279
30288
41971
69399
37510
58209
74944
59230
78164
06286
20899
86280
34825
34211
70679
82148
08631
32823
06647
09384
46095
50382
23172
53594
08128
48111
74502
84102
70193
85211
05539
61462
291S9
51930
38196
44288
10975
66593
34461
28475
64823
37867
83165-
27120
19091
45648
56692
34603
48610
45432
66482
13393
60726
02491
41273
72458
70066
06315
58S17
48815
30920
96282
92540
91715
36436
78925
90360
01133
05305
48820
46652
13841
46951
94151
16094
33057
27036
57595
91953
0921 S
61173
81932
61179
31051
18548
07446
23799
62749
56735
18857
52724
89122
79381
83011
94912
98336
73362
44065
66430
86021
39501
60924
48077
23094
36285
53096
62027
53693
97986
95022
24749
96206
07497
03041
23668
86199
51100
89202
38377
02131
41694
11902
98858
25446
81639
79990
46597
00081
70029
63123
77387
31208
41307
91451
1839S
05709
85...
11 existe un quatrain qui permet de se rappeler les
trente premières de ces décimales. On inscrit au-
dessus de chacun des mots qui le composent le
nombre de lettres dont ce mot est formé, et la suc-
cession de ces chillres donne le nombre 3 et les
trente premières décimales du nombre ~.
Voici ce quatrain :
:i 1 4 I r. 3 2 li r, :! 5
Que j'aime à faire apprendre un nombre utile aux sages,
s 9 7 9
Immortel Arctiimède, artiste Ingénieur !
3t. 1 8 4626
tjai do ton jugement peut priser la valeur ?
433 g 327 9
Pour mui, ton problômo eut de pareils avantages.
Les nombres de lettresdonnent les chiffres suivants :
Z = 3, 11159 26 535 89 793 23 846 26 433 83 279...
2ui sont identiques aux trente premières décimales
u nombre calculé avec 707 chifi'res. — Aiphonu BiKoar.
LAROUSSE mensuel, — JV.
Les pains d'indigo du commerce ont une teneur
très variable en matière colorante pure ou indigo-
line : 30 à 35 p. 100 pour les indigos américains,
30 à 60 p. 100 pour ceux de l'Inde, 70 à 80 p. 100
pour ceux de Java. Le Tonkin fournit un indigo très
pur, utilisé presque entièrement par l'industrie tinc-
toriale indigène. Certaines sortes sont falsifiées
avec de l'argile, du bleu de Prusse, des matières
colorantes diverses. Les caractères extérieurs des
indigos du commerce : forme et dimensions des
pains, friabilité et onctuosité de la matière, etc., ne
peuvent suffire pour guider l'acheteur, de sorte
qu'un essai chimique préalable peut seul fixer sur
la valeur colorante véritable du produit.
En ls79, le chimiste allemancl von Baeyer, après
des tentatives qui durèrent plusieurs années, réussit
à fabriquer synthétiquement l'indigotine dans son
laboratoire; mais c'est seulement en 1903 que la
société de la Badische Aniline und Soda Fabrik
parvint à obtenir à bas prix ce produit pur en oxy-
dant la naphtaline par l'anhydride sulfurique. D'au-
A. Quercitron(qucrcuitinctûria ou coccincu ^ "i.
lut«ola ; C. Sumao (rhus cori&ria,.
vœux suivants ont été émis : nécessité de prodiguer
aux producteurs les encouragements officiels ; en-
semencement à l'aide de graines sélectionnées pour
accroître le rendement en indigotine; perfectionne-
ment des méthodes d'extraction et de purification;
établissement par les chimistes de l'Elat de types offi-
ciels d'indigo donnant toutes garantira à l'acheteur
et le dispensant d'essais chimiques coûteux; entente
entre les exportateurs du produit pour la création
et l'emploi de méthodes commerciales généralisées,
permettant de recjDnquértr et de conserverla clientèle.
144
La lutte entre l'indigo nalnrel et l'indigo de syn-
thèse sera intéressante à suivre, à la fin des hosli-
lités. Les condilions, en effet, ne sont plus les
mêmes que dans la lutte entre la garance et l'aliza-
rine artificielle: la garance est très pauvre en aliza-
rlne, tandis que l'indigo naturel est très riche en
indigotine (jusqu'à 80 p. 100). L'élévation certaine
du prix de toutes choses et, en particulier, de la
main-d'œuvre en Allemagne et dans toute l'Iiiurope
pendant de nombreuses années après la guerre per-
A. Bois de Pcrnambouc (caesalpinia echîn:ita) ; ïi. Cachou
(acacia catechu).
mettront peut-être, celle fois-ci, à la nature de
triompher du laboratoire.
Campéche. — Le campêche est le bois de l'/ia?-
matoxylon Campechianum, arbre épineux des An-
tilles et de l'Améiique cenirale, appartenant à la
famille des légumineuses. Ce bois est dur, pesant,
d'un rouge brun ; il renferme un principe non coloré,
isolé par Chevreul, Vhémaloxylhie, qui, au contact
de l'air, s'oxyde et donne un colorant, Vhématéinr.
L'arbre à campêche croit rapidement sans aucune
culture et dan» les plus mauvais terrains, se mul-
CocliciiiUe tr.iqttcKe d'u^uiilia liiTuaudsi couverte tic
cocbenilles). — A, mâle; li, femelle.
tipliede lui-même par semences et peut être exploité
dès l'âge de dix ans. Les arbres, auatlus en janvier
à la hache, puis écorcés, sont conduits par les ri-
vières, lors des pluies d'équinoxe, jusqu'aux chan-
tiers, où on les découpe en bùcnes de 1"»,50 à
2 mètres de long. Après dessiccation, leur intérieur
est rouge vif et la surface d'un noir bleuâtre. Le
Mexique fournil les bois les plus riches en principes
tinctoriaux; viennent ensuite, par ordre de qualité,
le Honduras, Saint-Domingue et la Jamaïque.
En 1915, il est arrivé au Havre 22.000 tonnes de
campêche en bûches, chilîre double environ de
l'importation habituelle au cours des années qui ont
LAROUSSE MENSUEL
précédé la guerre. Les bûches, transportéesdansles
fabriques d'extraits, sont divisées en copeaux qui
passent dans des batleries de diffuseurs, contenant
un poids d'eau égal à environ cinq fois celui du
bois. L'eau est maintenue à 100° C. par un courant de
vapeur. Au bout de six heures, le jus, titrant 2° B.
environ, est lancé dans des bacs et oxydé par un cou-
rant d'oxygène en présence de solutions alcalines,
puis concentré et desséché à l'étiive. La poudre ob-
tenue, qui est le colorant ou hématéine, est mise en
barils et vendue aux teinturiers sons les noms com-
merciaux d'hémot, hémoline, hémaline.
La réputation du campêche est détestable, à cause
des fraudes sur les vins auxquelles il a jadis sou-
vent participé; mais c'est un bon colorant pour la
laine, la soie et le colon. L'hématéine forme avec
les sels métalliques des laques de couleurs diverse.s,
très résistanles à la lumière, moins au lavage. On
l'emploie surfont pour teindre en noir; elle donne
aussi des gris, des violets, des rouges et entre dans
la préparation de nombre de bonnes
couleurs composées. Elle sert aussi
en ébénislerie pour» èbéniser» l'aca-
jou, le cerisier, le poirier, le chêne.
Fiislet. — 11 ne s'agit pas, ici, de
1.1 matière colorante du sumac fus-
tel (l'Iius cotinus) dont nous par-
lons plus loin, mais bien de celle que
renferme le bois du mûrier des
teinturiers (morus lincloria), dit
encore bois jaune, bois de Cuba,
fusiic, vieux fustet, arbre de la
famille des urticacées, croissant aux
Antilles, au Mexique, au Brésil et
aux Indes. On l'emploie sous forme
de copeaux, d'extraits en pâte ou en
poudre. Son principe colorant jaune,
ou fustine, change de teinte avec
les mordants et donne des noirs en
mélange avec le campêche.
Avant la guerre, le fustet était
encore ut lise pour la teinture des
cuirs, mais à peu près abandonné
pour celle des tissus. Il est aujour-
d'hui la base de la teinte kaki des
uniformes, et Le Havre a reçu en
19to près de 10.000 tonnes de bois
jaune.
Gaude. — La gaude ou réséda
jaunâtre, réséda des teinturiers
(reseda luteola), est une herbe bi-
sannuelle, très commune en France
et dans toute l'Europe ; elle atteint
1 mètre à 1™,50 de hauteur. Elle
renferme une matière colorante, la
Inléoline, communiquant aux tis-
sus de soie, de laine ou de coton
mordancésà l'alun, une belle teinte
jaune, solide et brillante. On culti-
vait jadis la gaude dans l'Hérault
et dans l'Eure. Avant la guerre, elle
n'était plus employée que par les
fabricants de papiers peints : elle a
repris depuis un regain d'activité;
on lui préfère, cependant, le querci-
tron, sept à huit fois plus riche en
matière colorante.
Quercitron. — C'est l'écorce du
ctiéne tinctorial ou cliênejaune {quercus coccinea)
de l'Amérique du Nord. L'écorce du cliêne noir
{q. nigra) de la Caroline du Sud fournit un quercitron
de qualité inférieure. Le quercitron est moulu gros-
sièrementet mis en futaille. Le port du Havre, en 19 15,
a reçu plus de 800 tonnes de cette belle matière, uti-
lisée sous forme d'extrait. Elle est riche en tanin
et en un colorant jaune, le quercilrin, qui donne
sur coton des bruns avec les alcalis, des verts avec
l'alun, les sels de fer ou d'étain.
Bois du Brésil. — Ces bois sont fournis par plu-
sieurs espèces de brésillets ou cœsalpinia, arbres de
la famille des légumineuses. Suivant leur origine, on
les nomme bois de Pernambouc, de Sainte-Marthe,
des Antilles, de la Jamaïque. Tous donnent avec
l'eau, par infusion ou décoction, une belle matière
colorante rouge, devenant rouge sombre sous l'action
de l'alumine et rouge violacé par les sels de chrome.
Les bois du Brésil, jadis très employés, puis délais-
sés, retrouvent en ce moment un regain de faveur.
Sumac. — Le nom de sumac s'applique à plusieurs
arbrisseaux du genre rhus, de la famille des téré-
binthacées. Chaque année, on coupe leurs tiges; on
sépare par battage les extrémités, les feuilles et les
pétioles, qui, broyés sous des meules en pierre, four-
nissent le produit connu commercialement so..3 le
nom lie feuilles de sumac. Deux broyages successifs,
suivis d'un tamisage, en font du sumac en poudre,
qu'une pulvérisation au mortier transforme en su-
mac fin.he sumac le plus riche en tanin et en matière
colorante provient du sumac des corroyeurs {rhus
cormï-ia), cultivé en Sicile, en Espagne, au Portugal,
au Monténégro et en France. Celui du sumac fustet
{rhus cotinus) et celui du redoul (coriaria myrti-
/olia) sont beaucoup moins appréciés. La meilleure
sorte vient de Sicile. Pour les sumacs récoltés en
IV 124. Juin 1917.
France, les marchés sont Montélimar et Montauban.
En 1915, nos ports ont reçu 10.000 tonnes de sumac,
et les deux tiers ont été employés en nature par le,
tanneurs et les mégissiers, car le sumac est, avant
tout, une matière tannante. L'autre tiers a été uti-
lisé sous forme d'extrait par les fabricants d'encres
et surtout par les teinturiers de la région lyonnaise,
pour la teinture en noir et en gris. Il est, pour cet
usage, associé avec le campêche.
Cachou. — Le cachou est extrait par ébulli lion dans
l'eau des branches et des feuilles d'une légumineuse
de l'Inde, l'acacia à cachou {acacia catecliu), d'un
palmier {areca catechu) et d'une liane de Malaisie,
le gambir {uncaria gamhir), de la famille des rubia-
nées. Le cachou provient surtout des Indes anglaises
cl arrive en Angleterre en blocs irrégiiliers d'en-
eiron 50 kilogrammes. Utilisée de plus en plus en tan-
verie et en pharmacie, cette substance était remplacée
comme matière tinctoriale par des bruns .synthéti-
ques ; elle est activement employée depuis le débu t de
Ensemencement de la cochenille à l'aide de panjt
la guerre pour teindre le colon et la laine en brun, en
olive ou en noir, suivant les sels auxquels on l'associe.
Carmin de coclienille. — Le carmin de cochinille
est une couleur d'un rouge vif éclatant, extraite du
corps desséché de la femelle d'un insecte, la coche-
nille du nopal {coccus cacti). Originaire du Mexique,
lacoeheuiiieaélé introduite aux Canaries, à Java, au
Honduras et même en Italie, en Espagne, en Algérie
et en Corse. Grosse comme une lentille, la femelle est
aptère; elle vit fixée sur les raquettes des nopals, en
suce la sève, y subit plusieurs mues, s'y reproduit et
meurt. Les mâles sont ailes. Au Mexique, on cultive,
pouréleverl'insecte, leso/)un/ia//er;ian</siet.suriout
Xeiyu'iétësCasIiltaaiiian-GalirielàeVopunlia ficus
/nrfica, qui sont inermes. Les boutures sont aptes, au
bout de deux à trois ans, à recevoir des cochenilles;
ces dernières sont apportées dans des étuis en feuille
de palmier; elles s'y fixent et demeurent immobiles
pendant tout leur développement, qui dure quatre
mois. Ouïes récolte alors en les faisan t lomberàl'aide
de pinceaux sur des nattes posées à terre. Un certain
nombre d'entre elles restent et donnent une nouvelle
génération, récoltée trois à quatre mois plus tard.
Le procédé de mise à mort de l'insecle inHue sur
la valeur du colorant. La cochenille du Mexique
comprend trois variétés : la noire ou zucatille, d'un
rouge cramoisi, est obtenue par torréfaction de l'in-
secte sur une plaque de fer chaulTèe (c'est la plus
estimée); la r/rise ou argentée, ou jaspée, provientdu
passage de l'insecte au four dans un nouet de linge;
la rouge, due à l'immersion dans l'eau bouillante,
suivie d'un séchage au soleil, fournit une teinte d'un
rouge vineux, peu apprécié. I.es cochenilles recueil-
lies sur les nopals sauvages ont peu de valeur.
Marseille et Bordeaux sont nos ports principaux
pour l'importation de celte substance; elle y valait
/»• 124. Juin 1917.
18 francs le kilogramme en 1S60, était tombée à
4 francs en 1874, valait 6 francs en juillet 1914, pour
remonlcr à 12 Iraiies vers la fin de 1916.
Pour fabririuer le carmin, on écrase les cochenilles
dans un moulin, et on jelte la poudre obtenue dans
des cuves en bois, où on l'épuisé par agitation dans
l'eau bouillante contenant des sels alcalins. On re-
cueille le carmin sur des toiles, on le presse, et on
découpe en morceaux la pâle obtenue: ;ipi' < i\c~-
LAROUSSE MENSUEL
II faut reconnaître que, dans cette concurrence &
l'édition française, nos ennemis n'étaient point seuls.
De l'Angleterre amie et alliée nous arrivent les stocks
considérables des collections Nelson et iJeiil, dont
on sait le succès justi lié par une apparence élégiinle
et un bon marché contre lequel, de par la situation
économique de notre pays, noire production se
trouve sans moyens de défense; car, si les matières
preniic'res employées par finduslrie de la librairie
Plantation récente de nopal de Castilla pour l'élevage de la cochenille.
siccation, elle est livrée en poudre au commerce.
Le carmin fin, qui valait 40 francs le kilogramme
en 1914, vaut aujourd'hui 75 francs.
Le carmin n'a jamais cessé d'être employé par
les dislilbileurs, les parfumeurs, les confiseurs et
les fabricanis d'encres de couleur. L'emploi des la-
ques de carmin pour la teinture, les papiers peints,
la peinture à l'huile, à peu près abandonné avant
la (,'uerre, a repris aujourd'hui une assez grande
inif('i'tance,en raisrm de la rareté des colorants syn-
tbéliques. — F. Faideau.
Congrès national du Livre. — Le
11 mars 1917, dans le grand amphillitiltre Uichelieu,
Raymond Poincaré, président de la République,
a ouvert solennellement la première séance d'un
Congrès naliunal du Livre, dont l'idée prcniière fut
lancée en 191(5 à la Foire de Lyon, par Pierre De-
courcelle, alois président de la Société des gens de
lettres, qui en a poursuivi l'organisation, d'accord
avec Louis Hachette et Kmile Picard, de l'Académie
des sciences (v. p. 1(10), présidents respectifs du
Cercle de la Libiairie et du Coinilé du Livre.
Au cours de la semaine qui suivit celte séance
d'inauguration, du li au 17 mars 1917, cinq cents
délégués, réunis au Cercle de la Librairie, ont exa-
miné vingt-six rapports traitant de différentes ques-
tions techniques et d'intérêt général, pour aboutir k
l'expression d'un nombre important de vœux des-
tinés à améliorer, à fortifier les conditions écono-
miques et professionnelles de l'induslrie et du com-
merce du livre.
On sait la rude et trop souvent, hélas! avantageuse
concurrence faite, depuis nombre d'années, à ce
commerce et à cette industrie car les Allemands.
Là, comme sur tant d'autres terrains de production,
mais plus ïlprement encore parce que le livre est le
grand inslrument Je propagande nationale pour la
France, les producteurs tenions ont poursuivi noire
ruine. Dans celle lutte, ils ontdéployé leurs qualités
d'organisation et de méthode persévérante; non
conlenls d'utiliser à leur profit les avantages qu'ils
trouvaient dans une situation économique privilé-
giée, ils se servaient encore d'armes perfides en
imprimant sous des noms français d'abominables
publications, dont la grossièreté leur servait de thème
pour parler de la décadence et de l'immoralité de
notre littérature nationale. Enfin, poussant l'audace
jusqu'au bout, ils en venaient à tenter la lutle sur
noire sol même, en publiaiil cette liibliolheca ro-
manica, édition de nos classiques fraïu^ais h bon
marché, avec laquelle ils essayaient de retrotiver le
succès de leur collection Teubner des classiques
littéraires anciens.
(papiers, cartons et percalines) payent à la douane
pour entrer en France, le livre, lui, qui est l'ensem-
ble manufacturé de ces produits, entre en franchise.
Comme, pour ces matières premières, noire in-
dustrie est tributaire de l'étranger, on comprend
les conséquences.
Et pourtant, dans ces conditions désavantageuses,
le commerce de la librairie a maintenu la lutte. Les
chilfres de nos statistiques sont là pour le prouver.
De 1905 à 1913, si le total de nos importations « en
matières imprimées» passait de 36.971 à 62.537 quin-
taux, en augmenlalion de 69 p. 100, le chilfre de
nos exportations mainlenait tout au moins la dis-
tance, en s'élevant de 77.905 à 132.590 quintaux, soil
70 p. 100 d'augnienlation. Encore peut-on faire va-
loir que, sur le chilfre de 3.643 quintaux consti-
tuant en faveur de l'.Mlemagno une augmentation de
106 p. 100, la plus grande part se classait en pério-
diques spéciaux : les 'nauvais petits romans {Nick
Carter et autres) et surtout les soixante journaux
de modes dont les éditeurs de Berlin et de Vienne
inondèrent la place de Paris et sous l'inlluence des-
quels le bon renom de la couture française faillit,
d'ailleurs, sombrer à tout jamais.
Le Congrès du Livre a pris l'initiative de deman-
der aux pouvoirs publics d'assurer la défense du
marché français parl'établissement d'une taxe d'en-
trée, non sur le livre en général, qui doit demeurer
franc de droits, mais sur les livres, périodiques et
imprimés en langue fratiçuise, annotés ou non,
fabriqués à l'étranger, taxe dont le taux variera
suivant l'origine (pays ennemis, neutres ou allies,
de langue française ou de langue étrangère) ; les
droits ainsi établis, sauf en ce qui concerne les pro-
duits ennemis, pour lesquels ils pourraient être
prohibitifs, devront être compensateurs, c'est-à-dire
lenir comple de la somme des avantages que le pro-
duit fabriqué trouve dans les pays importateurs.
Cette défense de notre industrie nationale sur le
terrain économique, il resterait à la compléter par
un certain nombre d'initiatives de propagaiule à
l'intérieur, dont le programme a été adopté : de fré-
quentes expositions feront connaître au public les
améliorations apportées dans la fabrication, et il est
question d'une participation du livre français au
Salon annuel des Beaux-Arts, en attendant la créa-
tien de ce nniséedu Livre dont le projet est à l'élude
depuis quelque dix ans; une réorganisation sérieuse
de la critique littéraire se substituant dans les jour-
naux à l'uniforme publicité dont l'abus a fini par
stériliser l'action ; la publication de bibliographies
méthodiques et complètes, non seulement à l'usage
du public savant, mais en vue de cette clientèle de
lettrés et de curieux qui fait la masse intelligente
Pierre Decourcelle, président
de la Société des gens de lettres.
14S
des acheteurs; la pratique scmpuleuse d'an service
de dépôt légal imposé à l'imprimeur et k l'éditeur
fiour garantir l'enricbissement intégral de nos col-
ections nationales, telles sont les mesures qui ont
paru de nature à compléter un ensemble de réformes
capables d'assurer et d'élargir la fortune du livre
français.
Pour le défendre dans la campagne de calomnie
menée par nos ennemis, pour barrer la route à cette
produclion malsaine avec laquelleona tenté de dés-
honorer la langue française et en vue de combattre
la démoralisation par le livre et par l'image, le
Congrès a émis toute une série de vœux demandant:
1" au service des douanes, de saisir les ouvrages
dont le caractère pornographique sera nettement
établi et de fer-
mer notre fron-
lière à ceux qui
ne porteront pas
le nom et l'a-
dresse de l'im-
prinieur; 2" aux
tribunaux, de
poursuivre im-
placablemen t
ceux qui tente-
raient de repren-
dre à l'intérieur
la besogne arrê-
tée à lafrontière;
3" à nos agents
diplomatiques et
consulaires, d'ob-
tenir des puis-
sances étrangè-
res que les publi-
cations qui se ré-
clament indû-
ment d'une origine française cessent d'être admises
à se produire en dissimulant leur origine véritable.
Mais il ne faut pas qu'à l'étranjîer notre action
s'enferme dans les étroites limites d'une intervention
officielle : on demande à nos édileurs d'y organiser
un puissant elforl, notamment par l'envoi de voya-
geurs qui, tout en faisant connaître les produits de
la librairie française, y propageront l'exposé de nos
méthodes commerciales, de nos procédés de crédit
à long terme, dont les Allemands, contrairement à
ce qu'ils prétendent, n'ont jamais eu l'exclusif usage.
Sous ce rapport, divers grands projets sont à l'étude,
et il y a tout lieu d'espérerqu'ilsaboutiront prochai-
nement pour de fructueuses réalisations.
En même temps que les réformes dans nos mé-
thodesd'exploitalion, leCongrès aexaminé et adopté
un ensemble de vœux relatifs à l'amélioration du
fonds et de la technique de notre industrie libraire.
Sur deux points principaux, il y a lieu de se préoc-
cuper delà concurrence ennemie : en matière d'édi-
tions classiques anciennes, il conviendra d'établir
une collection d'auteurs grecs et latins accompagnés
de traductions, ainsi que des collections de textes,
avec un supplément contenant des notes et rédigé
en différentes langues, pour l'usage des pays où ces
textes pourraient être expliqués. Ouantaux éditions
musicales, il semble difficile d'unifier les efforts et,
pourtant, la publication d'une édition nalionaledes
grands classiques a été décidée en principe par le
syndicat des éditeurs de musique.
Ces divers projets seront facilités par les réfor-
mes qui vont être tentées du côté technique et, sur-
tout, en ce qui concerne la fabrication du papier,
dans laquelle notre industrie demeure tributaire de
l'étranger pour les matières premières. En 1913, la
Suède, la Norvège, le Canada, la Suisse, la Rus-
sie, r.Mlemagne et l'Autriche importaient chez
nous 1.110.987 quintaux de celluloses chimiques et
2.594.489 quintaux de celluloses mécaniques. Si
notre pin, trop résineux et trop noueux, n'est utili-
sable que pour la fabrication des pâtes à papier de
journaux, il semble que notre sol se prèle admira-
blement à la culture du tremble et du peuplier à
croissance rapide, qui donne, en Italie notamment,
d'excellents résultats. N'avons-nous pas, d'ailleurs,
au premier rang de nos brousses coloniales, l'alfa,
dont la récolte se fait sur une étendue de territoire
traversant r.\lgérie et la Tunisie de l'ouest à l'est?
Cet inépuisable champ produit une fibre à papier
excellente, nerveuse, formant ressort sous la presse,
et il y a quarante ans que r.\ngleterre en a fait l'un
des princip.'iux centres de ravitaillement de son in-
dustrie. Grâce à des marchés avantageux, grâce aux
bas tarifs de son fret, au prix du charbon et de la
soude qui sert au traitement chimique des alfas, ce
pays tire de nos propres colonies un produitque nos
fabricants n'arriveront à établir pour leur compte
que si nous réussissons, conformément au vœu du
(Congrès, à réaliser l'amélioration de nos tarifs de
transport et de la fabrication des produits chimiques
nécessaires.
Car nous ne manquons ni de matériaux ni de
capacités; la valeur professionnelle de notre main-
d'œuvre est loin d'être inférieure k celle de nos
rivaux; nos imprimeurs, nos graveurs ne le cèdent
k personne, et si, sous le rapport des machines, nous
146
sommes restés tributaires de l'Allemagne et devons
le rester encore de l'Amérique, ce n'est point à nos
constructeurs qu'il faut eu l'aire porter la responsa-
bilité. Là encore, des raisons économiques, profon-
des souvent, contraiienl notre production nationale.
Aidons-la par des réformes de méthode et de tarifs;
supprimons, lorsqu'ils sont nuisibles, certains droits
de douane, comme pour les toiles de fantaisie, dont
le prix de revient suflit à mettre en état d'infériorité
notre industrie de la reliure, jusqu'à ce que nos chi-
mistes aient trouvé l'équivalent de cet apprêt qui
donne aux cartonnages anglais cette souplesse et
cette élégance par où se justifie leur succès. El,
afin d'assurer le recrutement de notre main-d'œuvre,
les dilt'érentes sections du (congrès ont été unanimes
pour souhaiter l'application stricte de la loi de 1851
sur le contrat d'apprentissage, ainsi que l'organisa-
tion d'un enseignement prolessionnet postscolaire.
En élaborant un tel programme de réformes, le
Congrès national du Livre n'a eu qu'un but : donner
au livre français les moyens de remplir son rôle,
qui est d'assurer dans le monde l'expansion de la
pensée française. Pour y réussir, l'union de tous les
Français est indispensable; ceux qui écrivent les
livres ont donné l'exemple de cet esprit de solida-
rité en faisant voter le principe d'uiie commission
d'arbitrage, composée d'éditeurs et d'auteurs, en
vue de résoudre à l'amiable toutes les diflicullés qui
les séparent. Ecrivains, professeurs, savants, intel-
lectuels, tons devront concourir à l'œuvre commune
en organisant, par des conférences et des missions,
la propagande de la France à l'étranger.
Que nos représentants officiels s'occupent d'atti-
rer dans nos Facultés les étudiants de tous les pays,
alliés et amis, que notrejeunesse se montre curieuse
d'aller étudier dans tontes les Universités du monde
et que l'Etat s'ingénie à rendre pratique ce libre-
échange de la pensée universelle.
Ainsi nous remédierons en partie au mal qui
menace notre pays dans sa force initiale. Alors que
300 millions d'Anglo-Saxons et 120 millions de Ger-
mains assurent à leurs races une clientèle et une pro-
pagande, intensifions la valeur de nos 50 millions de
Français, en attendant que puisse se relever le chiffre
de notre natalité. C'est par ce vœu que le Congrès a
tenu à clore ses travaux en demandant au Parlement
de faire disparaître le fléau de l'alcoolisme, qui dimi-
nue la race en force, en nombre et en intelligence.
Tel est l'ensemble des mesures indiquées par le
Congrès national du Livre en vue de fortifier cette
liranche de notre industrie nationale. Pour assurer
l'exéculion de ses vœux, il a nommé un comité exé-
cutif où neuf personnalités, respectivement choisies
par tiers, représenteront les trois associations qui
participèrent à l'organisation : la Société des Gens
de lettres, le Cercle de la Libraiiie et le Comité du
Livre. Pierre Uecourcelle, président de cette pre-
mière session, demeure président de ce Comité exé-
cutif, auquel mission a été donnée de préparer le
prochain Congrès. — Jules Perrik.
Couteau-fourcliette pour mutilés.
— Les personnes privées de l'usage d'un bras ou
d'une main à la suite de blessures de guerre ou pour
toute autre cause éprouvent naturellement de gran-
des difficultés, au cours des repas, pour couper la
viande ou les autres aliments qui leur sont servis.
Le couteau-fourchette, constitué par la combinai-
Coule&u-fourchette pour mutilés.
son d'une fourchette ordinaire avec une lame de
couteau à tranchant curviligne disposée au-dessous
du manche de la fourchette, permet, à l'aide d'une
seule main et en tenant la fourcliette comme d'ordi-
naire, de couper la viande en imprimant à la lame
un mouvement de bascule et de piquer ensuite le
morceau sectionné. Cet instrument, facile à manier
d'une seule main, convient aux blessés qui ont perdu
l'usage d'un bras. — l.-d.
Dupont (Gabriel), compositeur français, né à
Caen le !«■• mars 1878, mort le 3 août 1914 au 'Vé-
sinet (Seine-et Oise). Sous la direction éclairée de
son père, professeur de musique et organiste de
l'église Saint-Pierre de Caen, Gabriel Dupont étudia,
des son enfance, le piano, l'orgue et l'harmonie et ne
tarda pas à manifester de remarquables dispositions.
11 vint à Paris h l'âge de quinze ans et suivit, au
Conservatoire, les cours d'orgue de Widor. Se sen-
tant peu de goût pour l'improvisation et sans s'attar-
der à poursuivre des succès d'examen, il sollicita de
Massenet la faveur d'être admis dans sa classe de
composition. Auditeur, puis élève titulaire, il reçut,
après le départ de Massenel, l'enseignement de
Widor, qui s'intéressa particulièrement à lui.
Gabriel Dupont.
LAROUSSK MENSUEL
En 1901, il obtenait le premier second grand prix
de Home avec la cantate Myrrka, après avoir été
proposé pour la récompense suprême par la section
de musique de l'Institut. Cette fois encore, il ne
persévéra pas, dédaigneux du prestige des titres et
rebelle à la discipline de l'éducation officielle. Son
jeune enthousiasme avait hâte de s'épancher sanscon-
trainte dans cette langue musicale où tout semblait,
pour sa sensibilité, se transposer naturellement.
Le succès précoce de la Cabrera, en octobre 1903,
appela surlui l'attention. D'après le livret de Henri
Cain, il avait écrit, pour le concours institué par
l'éditeur Sonzogno, une partition qui fut jugée
digne du premier prix, doté d'une .somme de cin-
quante mille francs, et qui assurait, en outre, à l'au-
teur une .série de représentations. La Cabrera, jouée
d'abord à la Scala de Milan et dont M""= Gemma
Bellincioni incarnait le principal rôle, fut reprise
avec succès à l'Opéra-Gomique par la ciéatrice.
Les premières atteintes du mal inexorable qui
devait l'emporter forcèrent bienlôt Dupont à cher-
cher le lepos sous
un climat répa-
rateur. 11 com-
mença, en 1903,
à Hyères, et
acheva, en 1905,
au Vésinet, le re-
cueil pour piano
des Heures do-
lentes, dont il
orchestra et fit
entendre aux
concerts Colon-
ne trois frag-
ments. La Mai-
son dans les
dunes, égale-
ment pour piano,
écrite à Arcachon
quelques années
plus tard, relève
de la même inspiration. Parfois, une allusion thé-
matique atteste la communion secrète des deux
œuvres, des états d'âme et des paysages.
La musique « pure » doit, en outre, à Dupont un
Petit poème pour violon, un poème symphonique.
Jour d'été; le l'oème, pour piano et cordes, tout
frémissant d'exaltation pathétique; le Chant de la
Destinée, qui fut, aux concerts Colonne, accueilli
avec faveur. Les délicates mélodies des Poèmes
d'automne, trop peu chantées, l'Hymne à Aphro-
dite avec chœurs, nous acheminent vers son œuvre
lyrique, particulièrement significative.
Il est digne de remarque que la jeune école fran-
çaise, celle où se manifestent le plus sensiblement
les troubles de l'évolution, néglige le théâtre. Dupont,
au contraire, a été d'abord attiré par la scène. A la
Cabrera succèdent la Glu, drame lyrique en quatre
actes et cinq tableaux, d'après un livret de Henri
Cain, tiré de l'œuvre célèbre de Richepin, représen-
tée, pour la première fois, à Nice, le 24 janvier 1910;
puis la Farce du cuvier, sur un livret de Maurice
Lena, jouée avec un vif succès à la Monnaie, de
Bruxelles, en 1911, et à Lille en 1912; enfin, ^ntar, en
collaboration avec Chekri-Ganem et dont la partition,
terminée quelques mois avant la guerre, a été reçue
à l'Opéraet devaitêtre représentée en octobre 1914.
Les pi'omesses de fécondité que laissait pressentir
son impatience du joug scolaire, Dupont les a tenues.
Il disait un jour qu'il « entendait tout en musique ».
Son inspiration ne porte, en effet, aucune trace de re-
cherche ni de labeur; on y sent la ferveur et la spon-
tanéité d'une vocation profonde, et elle atteint, jusque
dans des œuvres de jeunesse comme les Heures do-
lentes, i une vérité et à un relief dans l'expression
vraiment saisissants. Telles pages visionnaires évo-
quent le romantique emportement de Schumann à
côté de la tendresse de Franck. Mais ce ne sont là
que des sympathies sentimentales. L'indépendance
de Dupont vis-à-vis des procédés, des trouvailles
même qui ont enrichi la musique moderne ou des
sectes dont chacune prétend l'incarner à elle seule,
est flagrante. Une forte culture le protège contre les
complaisances faciles envers les caprices de la mode,
l'asservissement de la pensée à la forme. On sent qu'à
l'heure prochaine de la maturité, il se sera fait une
esthétique et un langage à lui, soit qu'il s'abandonne
à la » mélancolie du bonheur » dans l'intimité du cla-
vier ou d'une mélodie, soit qu'il chante rudement le
tragique destin de la Glu, ou qu'il ressuscite la
verve jaillissante des vieux conteurs dans la Farce
du cuvier. Cet art sain, robuste, clair et raffiné tout
ensemble, audacieux quand il le faut avec la clair-
voyance et la confiance en soi d'une pnre sincérité,
est essentiellement français. — Paul Locard.
♦entonnoir n. m. — Art milit. Excavation pra-
tiquée à la surface de la terre, soit par un obus de
gros calibre, soit par l'explosion d'une mine : Dé-
truire tes tram liées ennemies et en tuer les occu-
pants, pour s'emparer des entonnoirs et les faire
servir d'abris et d'amorces de tranchées, tel est te
but dei mines en bien des cas. (H. de Varigny.)
N' 124. Juin 1B17.
espionnage et la Trahison (l). i» En
temi'S de paix. — Définition ; organisation et ré-
pression de l'espionnage. — L'espionnage, suivant
la définition de Garraud [Traité de droit pénal fran-
çais), consiste «à obtenir ou à recueillir des informa-
tions plus ou moins secrètes sur la politique, les
ressources militaires, l'organisation défensive ou
offensive des Etats étrangers et à livrer ces rensei-
gnements, soit à titre gratuit, soit à prix d'argent,
à un autre gouvernement ».
Ainsi, l'espionnage comprend deux actes; un acte
préparatoire : obtenir ou s'emparer des documents
et renseignements dont le secrel intéresse la défense
nationale, et un acte d'exécution : livrer ces docu-
ments ou renseignements à un autre gouvernement.
On voit tout de suite en quoi l espionnage diffère
de la trahison. Celle-ci estle fait, pour uu national,
de servir une nation étrangèi-e dans des entreprises
nuisibles à son propre pays. Ainsi, tandis que l'es-
pion agit, dans l'intérêt de sa patrie, au détriment
de l'étranger dont il découvre et livre les secrets,
le traître agit dans l'intérêt de l'étranger au détri-
ment de son pays.
Cette distinction, cependant essentielle, n'est ap-
parue que fort tard dans la législation criminelle
des Etats. La trahison est un crime; l'espionnage
est un service.
L'espionnage est-il conforme aux lois de la
guerre'/ — Ce service est-il légitime'? L'Etat qui le
pratique en temps de paix ne fait-il qu'user d'un
droit reconnu par la pratique internationale, ou bien
accomplit-il un acte hostile, de nature à entraîner
des complications diplomatiques? La question ne
se pose plus. Montesquieu, Vattel, Pasqnale Fiore
étaient des adversaires de l'espionnage. Frédéric II
de Prusse, Napoléon, Bugeaud et, de nos jours, la
plupart des auteurs, et notamment Funck-Bren-
tano, Sorel, Calvo, Bliintschli, Heffter, etc., ad-
mettent, au contraire, que s'instruire des desseins de
l'ennemi à l'aide d'espions n'est pas un procédé
contraire aux lois de la guerre. Ce n'est peut-être
pas, en temps de paix, un acte de bon voisinage,
mais, dès lors que des pays voisins ont des secrets
l'un pour l'autre, le faitde chercher à les surprendre
alin de se prémunir contreles conséquences qui pour-
raient en résulter au point de vue de la défense na-
tionale, au cas éventuel d'une rupture des relations
diplomatiques, est parfaitement explicable et suffit
à justifier le rôle des espions.
Au surplus, les Conventions de La Haye de 1899
et de 1907, qui proclament cependant que les belli-
gérants n'ont pas un droit illimité quant au choix
des moyens de nuire à l'ennemi, n'en considèrent
pas moins comme licites les ruses de guerre et
l'emploi des moyens nécessaires pour se procurer
des renseignements sur l'ennemi et sur le terrain.
(Convention IV de 1907, art. 24.) Ce texte formel
légitime, au moins eu temps de guerre, la pratique
de l'espionnage, et le bon sens veut, avec le général
Lewal, qu'il soit organisé avant l'ouverture des
hostiliiés, car, avant de se mesurer avec un en-
nemi, il importe d'être exactement renseigné sur
ses forces, la valeur de ses armements, la puis-
sance de son matériel, la disposition de ses forts,
son plan de mobilisation, etc.
L'espionnage àlravers l'histoire. — Retracer l'his-
toire de l'espionnage serait retracer l'histoire de
toutes les guerres. Polybe rapporte qu'Annibal
avait préparé son expédition en Italie en s'y faisant
précéder par une nuée d'agents, chargés de s'en-
quérir de tout ce qui pouvait être utile à la bonne
marche de son armée. Bayard, le chevalier sans
peur et sans reproche, faisait de même i-onslamment
usage d'espions : il leur dut, notamment, la levée du
siège de Mézières (1521).
Frédéric II se servait admirablement d'agents
secrels, et il s'en vantait : <• M. le maréchal de
Soubise, disait-il, se fait suivre de cent cuisiniers,
et moi, je me fais précéder de cent espions. » H les
payait largement : « Un homme qui risque d'être
pendu, expliquait-il, mérite une bonne récom-
pense 1 » C'était, du reste, l'avis du maréchal de
Saxe, qui, très partisan de l'emploi des espions,
ajoutait judicieusement : « On ne saurait dépenser
trop d'argent pour les avoir bons. » La générosité
de Napoléon envers les espions était telle que son
principal agent, Schulmeister, avait, en 1X14, une
fortune de 40.000 livres de rente. L'Empereur payait
royalement les services de ses espions, mais il esti-
mait ne pas leur devoir autre chose. A Schulmeisler,
qui lui demandait un jour la croix d'honneur :
'< De l'argent, tant que tu voudras, lui répondit-il ;
la croix, jamais I Je la réserve à mes braves. »
Il faut aller, du reste, jusqu'à Napoléon, pour trou-
ver en France ime organisation rationnelle de l'es-
pionnage. Sous son règne, le service des rensci,a:ne-
ments fut admirablement compris, sous la direction
de Savary, duc de Rovigo, qui avait sous ses ordi-es
Schulmeisler. Celui-ci alla jusqu'à servir d'espion
double, en 1805, entre l'Empereur et le général autri-
chien Mack ; la capitulation d'Ulm est en partie son
œuvre; il avait réussi à persuader Mack qu'il aurait la
victoire et à le retenir dans la place jusqu'à ce que le
mouvement enveloppant de Napoléon fût terminé.
«• J24. Juin 1917.
La correspondance de l'Empereur fourmille d'ins-
tructions, d'oÉ-dies donnés pour établir un véritable
réseau d'espionnage autour des armées ennemies.
De la sorte, il n'ignorait presque rien des intentions
ou des mouvements de ses adversaires. Fouché et
Talleyiand le secondaient à la perfection : « Tout
général, disait- il, qui opi're, non dans le désert,
mais dans un pays peuplé, et qui n'a pas d'informa-
tions, ne connaît pas son métier. »
Plus tard, un des plus célèbres généraux de notre
campagne d'Algérie, le maréchal Bugeaud, s'ins-
pira des méthodes de Napoléon; il avait, sur la terre
d'Afrique, un service tris complet d'information.
<i L'espionnage, disait-il, est une des parties les plus
importantes de la guerre. Le général qui saura
l'employer habilement en tirera des avantages con-
sidérables,... et obtiendra des résultats que, faute
de renseignements précis, il eût été obligé d'acheter
par des marches et des contremarches sans fin et
beaucoup de sang répandu. Savoir trouver, dresser,
employer les espions, est plutôt un don de la nature
que le produit de la
réllexiou.ll sera utile
d'avoir, dans tout
corps agissant pour
son compte, un ser-
vice relatif à l'es-
pionnage ».
En 1870, les Alle-
mands appliquèrent
avec méthode les
idées de Napoléon ;
en entrant en cam-
pagne contre la
France, ils étaient au
courant de tout ce qui
pouvait les aider ii
nous vaincre. Un de
leurs principaux es-
pions, Schulz, arrêté
à .Metz, révéla, avant
déire fusillé, toute la
formidable organisa-
tion de nos ennemis.
La nôtre était à peu
prés nulle. Ce n est
qu'après nos premiers
revers que nous avons
tenté d'improviser un
service d'espionnap:e.
Ce service accomplit
des prodiges de bia-
voure e t d'audace .
Mais il était trop tard.
C'est en temps de
paix qu'il aurait fallu
l'organiser.
Depuis cette épo-
que, les Allemands
ont encore perfec-
tionné leur service
de renseignements.
Les Japonais, en
1904-1905, au cours
de la guerre de Mand-
chourie, se montrèrent leurs dignes émules. Bien
avant lacampagne, ils avaientpeuplé le territoirerusse
d'agents qui, déguisés en marchands, commis voya-
geurs, etc., recueillaient tous les renseignements uti-
les et étendaient sur le futur théâtre de la guerre un
réseau d'espionnage dans lequel l'armée russe se dé-
battit sans pouvoir cacher un seul de ses mouvements.
L'organisalion de l'espionnage en temps de paix.
— Il n'existe pas, à ce sujet, d'organisation supé-
rieure à celle des Allemands. Gréée en 1848, elle a
pris en quelques années des proportions inouïes.
.\lors qu'en France l'espionnage ne dispose que de
petits crédits, le Reichstag a successivement volé,
pour ce service, une subvention qui, de 305.000 francs
en 1855, fut portée, en 1866, à 1.300.000 francs et,
en 1912, à 19.500.000 francs.
Le vérilal)le organisateur de l'espionnage alle-
mand fui Stieber, que Bi^marck seconda de tout son
pouvoir. Dès 1866, la guerre contre la France étant
décidée en principe, Stieber étendit, dans les qua-
torze déparlements que devaient traverser jusqu'à
Parisles troupes d'invasion, un réseau d'espionnafre,
constitué sur les bases d'une véritable administra-
tion. Les déparlements à envahir étaient groupés
en quatre inspections générales, ayant leur point
d'altache & Berlin, Bruxelles, Lausanne et Genève.
Cliaqiieinspectcuravaitsousson contrôle des agents
à poste fixe, dont il recevait les rapports ; au-dessus
des inspecteurs, étaient placés deux lieutenants de
police, sous la haute direction de Stieber. A la veille
de la guerre de 1870, l'.Mlemagne avait en France
30.000 espions; quand les hostilités éclatèrent,
ceux-ci restèrent chez nous, avec mission de rensei-
gner le troisième bureau du grand élat-major prus-
sien, devenu Bureau des renseignements. Ils veil-
lèrent à la sftrelé personnelle du généralissime et
des hauts personnages du G. Q. G. et fournirent
toutes sortes de renseignements sur les emplace-
menta, la force numérique, les mouvements de nos
LAROUSSE MENSUEL
troupes, sur l'état d'esprit et les ressources des po-
pulations que l'armée allemande allait envahir.
Après la guerre, les vainqueurs perfectionnèrent
un service qui leur avait donné de si brillants ré-
sultats. Ce service se composait de vingt à vingt-
cinq mille agents & poste fixe, ou faisant partie des
lirigades volantes; ces agents étaient surveillés par
des contrôleurs volants, ayant à leur tête un con-
seiller de police, par région, soumis lui-même à un
directeur général de la police, qui centralisait tous
les renseignements et les remellait à l'élat-major
général de l'armée. Tous ces espions, installés en
France, occupaient des situations commerciales leur
permettant d'agir sans éveiller l'attention. Au reste,
c'est à peine si, de temps en temps, on en décou-
vrait deux ou trois, sur les milliers qu'ils étaient.
Tous se disaient belges, luxembourgeois, suisses
ou même français. En réalité, les Allemands, afin
de ne pas donner l'éveil, avaient à leur solde huit à
neuf mille agents de nationalité suisse ou belge.
Une de leurs attributions principales était l'établis-
L'Es|jion, tableau ilAlbcn BcLiain,
d'ai'réler le garde champêtre.
ier ,18yii,. — A gauche, uq tjeadaraie grave, impassible, interroge un espion, déguisé en colporteur, nue vient
A droite, hommes, femmes et entants traduisent par leurs gestes la menace, la colore et 1 imprécation.
sèment de fiches concernant chacun de nos officiers.
Quand un officier était vulnérable, à raison de sa
situation de fortune, de sa vie privée ou de ses pas-
sions, il devenait la proie toute désignée de l'en-
nemi, comme l'enseigne de vaisseau Ullmo, avec
qui l'agent Theissen enti-a en relations pour la li-
vraison, contre 950.000 francs, des documents se-
crets de son bâtiment. On sait comment notre ser-
vice de contre-espionnage déjoua les entreprises
de l'atient allemand, comment fut surprise la cor-
respondance échangée, par la voie d'un journal,
entre l'espion et l'amant de la Lison et quel fut le
piège tendu à ce dernier pour amener son arrestation.
Différentes catégories d'espions. — On peut classer
les espions en plusieurs catégories : les espions sim-
ples, au service d'un seul parti; les espions doubles,
qui, pour mieux servir un parti, se mettent également
au service de l'adversaire; les espions permanents
et les espions spéciaux désignés pour l'accomplisse-
ment d'une seule mission ; les espions fixes ou lo-
caux, qui vivent dans une contrée, l'étudient à fond,
et les espions mobiles : voyageurs de commerce, col-
porteurs, marchands ambulants, dont les déplace-
ments, expliqués par des raisons d'ordre purement
commercial, n'attirent pas le soupçon. 11 y a aussi des
espions présumés : les aéronautes,Ie3 aviateurs (avant
la guerre en cours, notre frontière de l'Est était, à
chaque instant, franchie par des officiers allemands
aviateurs qui se disaient égarés), les agents officiels
à l'étrans'er : représentants diplomatiques, ambassa-
deurs, attachés militaires eu mission, consuls, etc.
Le diplomate hollandais Wicquefort disait, à la
fin du XVII" siècle : « Un ambassadeur est un espion
distingué, qui se trouve sous la protection du droit
des gens. Il Ces agents officiels ont pour mission gé-
nérale de protéger, de négocier, d'observer et de se
rendre compte. On devine tout le parti qu'un agent
diplomatique, doué d'un esprit d'observateur, peut
tirer de ces attributions si élastiques, surtout lorsqu'il
147
est à la solde d'une puissance comme l'Allemagne,
i[ui n'a pas sa pareille en matière d'espionnage.
C'est le cas de rappeler, ici, les agissements du
gérant du consulat de Turquie à Genève, Richtofen,
qui se livrait en Suisse, en 1902, à un véritable es-
pionnage politique, et l'expulsion des consuls des
puissances centrales, à Salonique, en 1916, au cours
de la guerre actuelle, ces agents ayant organisé tout
un service de renseignements autour de l'armée du
général Sarrail. (V. Larousse Mensuel, t. 111, p. 717.)
L'histoire fournit, d'ailleurs, un grand nombre
d'exemples analogues. L'un des plus connus est celui
du colonel Czeinicheff, aide de camp de l'empereur
de Russie Alexandre 1", en 1811, qui avait organisé
à Paris, dans les bureaux du ministère de la guerre,
un espionnage en règle et c^ui, deviné par Savary,
réussit à s'enfuir, le 25 (évni-.r, avec d'importantes
notes sur notre future campagne de Russie.
Répression de l'espionnage en temps de paix. —
Si la pratique de l'espionnage ne peut donner lieu
normalement & aucune difficulté d ordre diplomati-
que, — puisqu'il est
admis que chaque
puissance peut avoir
en pays étranger son
service de renseigne-
ments,— par contre, il
est au pouvoir de cha-
que gouvernement
d organiser chez soi
le contre-espionnage
afin de dépister les
agents de l'étranger,
de réduire à néant
leurs agissements, de
les traquer et de s'em-
parer au besoin de
leur personne, car
il va de soi qu'ils ne
jouissent d'aucune
Immunité.
Si les recherches du
service du contre-es-
pionnage permettent
d'acquérir la certitude
(lue des agents diplo-
matiques ont outre-
passé leurs pouvoirs
en se faisant les or-
ganes ou les compli-
ces d'une alfaire d'es-
pionnage, le gouver-
nement peut, évidem-
ment, exiger leur
rappel, ou même leur
retirer d'office leurs
lettres de créance.
11 est bon d'ajouter
que, la plupart du
temps, les Etats, bien
3ue mis au courant
es agissements de la
police étrangère, se
gardent bien de s em-
parer de la personne
des coupables. Ils trouvent plus habile de les sur-
veiller, de les lancer sur une fausse piste et de leur
faire obtenir des renseignements erronés. C'est ainsi
que, lorsqu'il s'est agi de l'adopliondéfinitive de notre
canon de campagne de 75 "/" à tir rapide, notre ser-
vice de contre-espionnage a su aiguiller les recher-
ches des agents allemands, avides de connaître le
secret de notre merveilleux frein hydropneumatique,
sur des documents fabriqués pour la circonstance.
Les espions établis en pays neutre sont, naturelle-
ment, les plus difficiles à atteindre. D autre part, il
est rare qu'une afi'aire d'espionnage ne se complique
pas d'un crime de haute trahison, car les auxiliaires
les plus précieux des agents de l'étranger sont les
nationaux .'officiers, fonctionnaires, commis ou par-
ticuliers qu'ils réussissent à corrompre, afind'oble-
iiirde leurs mains, ou par leur intermédiaire, les ren-
seignements ou les documents qu'ils convoitent.
Insuffisance et confusions de la loi française.—
Or, il se trouve que la loi française, impitoyable, à
Juste raison, pour les traîtres, ne punit, au contraire,
que de peines relativement légères les espions. A ses
yeux, la trahison est un crime et l'espionnage un
délit, et même elle établit une certaine confusion
entre l'espionnage et la trahison, lorsque celle-ci est
de moindre importance.
A vrai dire, en temps de paix, il n'y a, pour ré-
primer en France l'espionnage et la trahison, que la
loi du 5 avril 1886 et les articles 76 et suivants du
Code pénal. La loi de 1886 punit l'espionnage de
peines allant de un à cinq ans de prison et de 1.000
i 5.000 francs de dommages-intérêts, mais elle punit
également de ces peines les fonctionnaires publics,
agents, préposés au gouvernement et même toutes
personnes qui auront livré ou communiqué, ou sim-
plement divulgué, en tout ou en partie, à un indi-
vidu non qualifié pour en prendre connaissance, les
plans, écrits et documents secrets intéressant la d6-
lense nationale ou la sûreté extérieure de l'Etat.
148
LAROUSSE MENSUEL
N' 124. Juin 1917.
Soldats (lu génie anglais reconstruisant, sur la Somme, un pont que les Allemands ont fait sauter pendant Ifur letruilc.
Or, il s'agit lîi d'un crime tri'S grand : lalraliison;
la loi n'a eu en vue, il est vrai, que la négligence,
l'indiscrétion commise par des Français, en delioi-s
de toute idée de vendre leur pays. Mais le résultat
est le même et, souvent, l'intention malveillante seia
difficile à prouver. Or, il faut que celle-ci existe
pour rendre applicables les articles 76 et suivants du
Code pénal (crinies contre la sûreté de l'Etat, punis
de mort, ou du moins de la dé|)ortation dans une
enceinte fortifiée, depuis que la loi du 8 juin 1850 a
abrogé la peine de mort en matière politique).
C'est en vertu de l'article 76 du Gode pénal que
furent condamnés : le sous-officier Cliatelain, qui
était entré en relations avec des agents élrangeis
pour leur livrer un fusil modile 1886; le capitaine
Dreyfus, accusé d'avoir livré à une puissance étran-
gère des documents secrets, et l'enseigne de vais-
seau Ullmo, accusé d'être en relations avec l'étran-
ger pour la livraison des plans et papiers secrets de
son bâtiment. Au contraire, au caporal Deschamps,
convaincu d'à voir livré à une puissance étrangère une
mitrailleuse, on appliqua l'article l»'' de la loi de 1886
sur l'espionnage, correclionnalisant ainsi le crime de
trahison, sans doute parce qu'il apparutd'uue gravité
moindre dans l'espèce et que le fait, qualifié crime,
eût entraîné l'application de peines trop sévères, il
n'y en a pas moins là une regreltable confusion.
La refonte de la loi du 18 avril 1886 est à l'ordre
du jour depuis l'époque de sa mise en vigueur, tant
elle a semblé confuse et insuffisante. Et cependant,
en dépit de très nombreuses propositions de loi sou-
mises à l'examen du Parlement et votées, tantôt par
la Chambre et tantôt par le Sénat, nous avons atteint
la guerre sans qu'une législation définitive ait été
adoptée sur la répression de l'espionnage.
Il 11 semble, dit Larquier dans son rapport sur le
projet de loi relatif à cette matière, déposé au cours
delaprécédenle législature et repris Ie8juilletl914.
qu'il faille chercher la raison de l'échec de tous ces
projets dans l'exagération des pénalités qui allaient,
dans des cas nombreux, jusqu'à la peine demort ou les
travaux forcés à perpétuité, et pouvaient provoquer
des représailles de la part des législations étrangères».
C'est qu'en celte matière si délicate, en elfet,
le droit interne est tributaire du droit international.
Nqus examinerons dans un second article les rè-
glements internalionaux et les droits des belligé-
rants relalivement à la capture et à la punition des
espions en temps de guerre. — Maurice duvài..
* fourneau n. m. — Art milit. Fourneau de
mine. Cavité que l'on creuse au bout d'un puits de
mine ou d'un rameau de galerie et que l'on remplit
de matière explosive : Les dimensions du fourneau
sont réglées par la charge qu'on y veut introduire,
et la charge, naturellement, dépend du terrain
et de l'effet recherché. (II. de Varigny.)
Guerre en lOl^^igi»? (la). [Suite.] —
Le mois d'avril, qui a vu luire le millième jour
de la guerre, a été marqué par des faits d'ordres
très divers : les uns militaires, les anires diplo-
matiques ou politiques, d'une portée variable dans
leur importance immédiate, comme dans leurs con-
séquences. D'un côté, un effort militaire formi-
dable de la part de la France et de l'Angleterre,
avec des résultats sérieux, peut-être, cependant
inégaux aux espérances qu'on avait pu concevoir;
de l'autre, l'adhésion formelle des Etats-Unis à la
guerre, acte décisif par sa valeur morale, consi-
plutôt l'impression d'une attente, et il faut recon-
naître que la décision américaine et la révolution
russe, les deux événements essentiels de la guerre
jusqu'à ce moment, tous deux d'une portée impos-
sible à calculer, étaient bien faits, l'un et l'autre,
pour justifier des deux côtés celle sorte d'hésitalion
que les plus solennelles déclarations ne pouvaient
dissimuler entièrement. Il était naturel, d'ailleurs,
que l'ampleur sans cesse accrue du confiit et la di-
versité des éléments engagés rendissent de plus en
plus difficile une solution et obscurcissent momen-
tanément l'horizon.
L'offensive franco-anglaise, si brillamment com-
mencée en mars, s'était continuée en avril avec la
même vigueur. Elle avait pour objeclif, au début
du mois, à l'ouest, Saint-Quentin et Cambrai ;
puis, à partir du 9, elle s'était développée enlre
Lens et Arras. Ecrasés par une préparation d'artil-
lerie comme ils n'en avaient pas encore vu, les
Allemands avaient dii, sous la poussée méthodique
et irrésistible de l'armée anglaise, abandonner les
hauteurs de "Vimy, qu'ils avaient lortiflées depuis des
mois et qu'ils considéraient comme intangibles. Ils
avaient laissé enlre les mains de nos alliés 13.000
prisonniers, dont 264 officiers, et près de 500 bou-
ches à feu de tous calibres. La conséquence to-
pographique de ce succès avait été de dégager
Arras, de permettre la prise de Liévin, d'amener
les Anglais jusque dans les faubourgs de Lens.
Continuant leur marche en avani, ils avaient,
par la bataille de la Scarpe, à partir du 20 et sur
les deux rives du (li'uve, remporté un nouveau suc-
cès, qui les conduisait, à la fin du mois, jusqu'au
delà de Gavrelle et de Guémappe. Leur pression sur
l'ennemi avait été continue, et si, de leur côté, ils
ne s'élaient pas ménagés, s'ils avaient fait preuve
d'une ténacité et d'une endurance admirables, ils
avaient inlligé aux AUemandsdes pertes énormes. —
Sur le front français, l'avance avait continué dans
la forêt de Coucy. Puis, à partir du 16, s'était dé-
roulée une grande action enlre Soissons et Reims,
qui avait eu pour conséquence essentielle la prise,
dans le massif de Moronvilliers, du mont Cornillet
et du .Mont-Haut, à l'aile droile, tandis qu'à gauche,
nous avions atteint la ligne LafTaux, Nanlenil-Ia-
EntrOe des troupes britanniques dans la ville dePéronne, sauvagement détruite par Irs Allemands au moment lie leur retraite.
dérable par l'avenir qu'il ouvre, par le poids dont
il pèsera sur les affaires du monde; en troisième
lieu, indices graves, indiscutables, d'un trouble dans
l'unanimité de l'Allemagne, d'un ébranlement dans
sa confiance, de souffrances alimentaires crois-
santes, d'agitations sociales ; en même temps, efforts
multiples, mais peu coordonnés, du moins en appa-
rence, des Empires centraux pour aboutir à une
paix qui leur donne quelque satisfaction et réserve
l'avenir ; enfin, gêne de plus en plus pénible chez les
neutres, que la prolongation de la guerre écrase et
inquiète sans qu'Usaient, pourtant, l'énergie néces-
saire pour réagir dans un sens ou dans un aulre.
Cet ensemble ne laissait pas place à une conclusion
nette et ne permettait aucun pronostic sûr. On avait
Fosse, Braye-en-Laonnois. Plus de 2(1.000 prison-
niers, 175 canons lourds, 119 canons de trancliée,
412 mitrailleuses avaient été le gage de celte avance.
Pourtant, Heims n'avait pas été dégagée, et cette
malheureuse ville avait reçu, depuis le 1="' avril, plus
de 6.'). 000 obus. Ces résultats étaient assurément re-
marquables. 11 ne semblait, cependant, pas qu'ils eus-
sent élé aussi étendus que les prévisions du haut com-
mandement l'auraient voulu, ni que le but assigné à
l'offensive eût été atteint. Il n'estpas possible au sim-
ple chroniqueur que nous sommes de fixer une cause
à celte insuffisance. Nous n'étions, et ne pouvions,
être renseignés. La nomination du général Pétain
aux fondions de chef d'état-major général de
l'armée, survenue après de longues délibérations du
«• 124- Juin 1917.
conseil des ministres, avait prouvé, du moins, que
le gouvernement senlaitle besoin de coordonner en
bonnes mains l'ensemble si complexe de notre orga-
nisation militaire et qu'après tout le poste de géné-
ralissime, qu'avait occupé le général Jolîre, n'était
pas sans raison d être. D'autre part, l'annonce d'une
série d'interpellations pour la rentrée des Chambres
montrait que le pou-
voirlé;^-isl,itir voulait
être éi-lairé. il était
seulement regretta-
ble que ces faits eus-
sent créé dans l'opi-
nion publique une
agitation (|ui se tra-
duisait par les ru-
meurs les plus ab-
surdes. Personne,
d'ailleurs. n'était plus
dijfnede laconliance
publique que le gé-
néral Pétain. On ne
peut nier, du reste,
que les Allemand»
n'aient opposé à no-
tre attaque, comme
à celle des Anglais, ' i
une résistance déses-
pérée. Ceu.x qui s'i-
ma^'inaient que les
défaites partielles
que subissaient cha-
que jour nos ennemis
et les pertes énormes
qu'ils chercbaient à
cacher de leur mieux
se cbantîeraient dès
lors en une déroute
libératrice sem-
blaient s'êlre fait des
illusions, l^a lenteur
de notre avance ne
pouvait, en aucune
façon, diminuer no-
tre certitude de vain-
cre; mais il sautait Iln tank
aux yeux que les Alle-
mands opposeraient à notre marche en avant toutes les
ressources en honiTnes et en matériel dont ils pou-
vaient disposer, l's a vaientpassé de l'ofTensive à la dé-
fensive. Bien qu'ils eussent, d'après leurs Communi-
qués, la prétention de ménager leurs troupes et d'être
partoutviclorieux.ljien qu'ils aient sansvergognean-
noncé à leurs peuples la défaite irrémédiable des An-
glais, leurs vicloiressesonttraduitesparunreculsans
LAROUSSE MENSUEL
Les fameuses « lignes d'Hindenburg » étaient un rem-
part insufflsant là où il n'était pas inexistant, et les
sacritices consentis étaient sans proporlion avccles
résultats obtenus. Rien n'était plus significatif que le
Communiqué du 24 avril, par lequel Luddendorf, le
bras droit d'Hindenburg, après avoir fait l'éloge de
l'énergie et de la confiance de l'armée, lançait anx
r
1
r
1
l'oate tcléphoinque militaire fran.;ais, en plein vent.
arrêt, par des pertes considérables en morts, blessés
et prisonniers, par l'obligation de mollre en ligne de
très noinbreusesunités prélevées sur d'autres fronts,
par l'impuissance à rien entreprendre ailleurs, notam-
ment surle fiontrusse, où, pourtant, l'occasion était
unique pour une attaque foudroyante. Il était évident
que la relraiteallemande n'avait plus rien de spontané
et de volontaire, qu'elle n'était plus une mesurede pru-
dence ni un piège tendu à l'ennemi, ni même le résul-
tat génial d'un plan tactique combiné de loin. Elle de-
venait une retraile bien conduite, coupée de contre-
attaques, mais très coûteuse et toujours payée par une
perlede terrain. Les raisonnements les plus subtils et
les équivoques les mieux truquées n'y pouvaient rien.
anglais aux prises avec l'iiiiaiilerie aUeiuaaUe, a l'est d'Arras. (Tfte Sfilicrc
ouvriers un appel pathétique et terminait par ces
mots terribles : « 11 s'agit d'être ou de ne pas être ! n
Tout, au surplus, prouvait que le haut commande-
ment allemand savait à quoi s'en tenir sur l'avenir
de sa défensive, et il apparaissait très clairement que
la violence de ses résislances et de ses réactions avait
pour seul but de nous affaiblir, de ralentir notie
élan, d'ébranler notre moial et de créer chez nous
un découragement qui, sous des formes diverses,
commençait à se faire sentir en Allemagne. L'opi-
nion publique avait déjoué cette tactique, et elle
voyait nettement les avantages que nous avions
remportés, ceux, aussi, que le développement d'une
politique étrangère bien menée sous le ministère
Briand nous promettait à brève échéance. Si donc
il y avait à regretter qu'un résultat plus décisif n'eût
pas été obtenu, tout permettait la confiance. Encore
une fois, il fallait savoir attendre et se rappeler que
le temps travaillait pour nous. Quand on éciira
l'histoire de ce tcmp.s-ci, il est probable qu'on devra
faire une place de choix aux temporisateurs.
D'ailleurs, parmi les réflexions qui s'imposaient
à l'esprit quand on passait en revue les événeinenls
militaires du mois d'avril, il en était que l'on a di'i
faire plusieurs fois déjà depuis le début de la guerre.
En particulier, on pouvait se demander poLirquoi,
une fois encore, l'offensive surle front occidental
restait isolée et ainsi laissait à nos ennemis la faculté,
dont ils ont largement profité, de jeter devant nous
des forces inutiles ailleurs. Sans doute, on ne son-
geait pas à s'étonner que les Russes n'eussent rien
tenté pour soutenir notre attaque : il nous suffisait
que les Allemands eu.ssent négligé de mettre à pro-
litleur désarroi, lien était de même des Roumains.
Mais pourquoi, se demandait-on, nos alliés italiens,
certainement débarrassés à ce moment précis de
toute inquiétude sérieuse au sujet de la grande at-
taque précédemment annoncée, et alors au moins
ajournée, des Autrichiens, pourquoi les troupes de
Cadorna se bornaient-elles à des engagements de
détail, incapables d'inquiéter le commandement alle-
mand? Pourquoi larmée Sarrail, qui n'avait devant
elle que les Bulgares, ennemis très certainement
découragés, affaiblis, sans soutien sérieux, n'appor-
tait-elle pas à l'œuvre commune une collaboration
plus efficace'? Même en lui tenant compte des com-
bats heureux qui prouvaient davantage l'alTaissement
bulgare, on avait le droit de s'étonner qu'elle n'agit
pas plus énergiqiiement. Nous ne nous chargeons pas
de répondre à ces questions. On devait, cependant,
remarquer, en ce qui concerne l'Italie, que la prolon-
gation de la mauvaise saison avait pu infiuer sur
(les opérations militaires que le terrain montagneux
rend difficiles en tout temps, et l'on espérait qu'à la
suite de l'entrevue qui avait réuni à Saint-Jean-de-
Maurienne, au dél)ut d'avril, les ministres alliés Ribol,
Lloyd George, BoseUi et Sonnino, il avait été réglé.
U9
sinon le détail d'une attaque qui restait dans le do-
maine militaire, du moins certaines difficultés qui
avaient pu surgir et l'orientation générale de l'ac-
tivité italienne. Il n'était pas impossible, en effet, que
l'attente où s'étaient tenus les Italiens ne fût liée au
règlement des questions relatives à la Grèce, qui
intéressent à un si haut point nos voisins, et que
les opérations autour
de Saloniquene fus-
sent, elles aussi, so-
lidaires de leurs dé-
cisions. L'armée de
Salonique, il faut le
dire, a toujours dû
s'inquiéter d'assurer
ses communications
elson ravitaillement,
que la guerre sous-
niarinegênedansuiie
mesure qu'il ne faut
cependant pas s'exa-
gérer. G est pourpa-
reràcelincon veulent
et pour diminuer les
chances de torpillage
en réduisant au mi-
nimum la durée des
traversées qu'on s'é-
tait depuis longtemps
préoccupé de créer
ime route de terre
qui abrégeât le trajet
maritime. La longue
route de Santi-Qiia-
ranta à Salonique,
igui s'achevait et qui
avait été construite
moitié par les Ita-
liens, moitié par les
Français, avec la
main-d'œuvre alba-
naise, devait réaliser
enfin une économie
énorme dans les
communications.
Sans doute, on eût pu
choisirune route en-
core plus courte, et plusieurs avaient proposé un tracé
à travers le terriloire grec, qui aurait pu être, depuis
bien des mois, achevé. La question grecque s'était,
devant ce projet, dressée comme un empêchement
dirimant. On devait donc accueillir avecjoie l'ouver-
ture tn s prochaine de la route de Santi-Quaraiita à
Salonique, et on devait espérer qu'elle rendrait plus
aisé de ce enté l'apport de l'aide italienne ; par suite.
l'oste fi-ançais de sentinelle:, doubles, au nord de i .\isne.
on avait le droit d'escompter que l'armée Sarrail
sortirait enfin de son attitude expectanle et donnerait
tout ce qu'on est en droit d'en attendre.
Par contre, en Asie, nos alliés anglais avaient
continué à progresser, d'une part, sur la côte de
Syrie, vers Gaza, d'autre part, dans la vallée du
Tigre, où, poursuivant leurs succès après la prise
de Bagdad, ils s'étaient emparés, le 23 avril, de la
gare de Samara, sur la rive droite du fleuve. Cette
nouvelle victoire marquait de plus en plus nettement
la débâcle du projet allemantî sur la Mésopotamie,
à tel point que certains organes de la presse ger-
manique n'hésitaient pas à jeter par-dessus bord le
vieux rêve du Hambourg-Bagdad, qui, nous l'avons
dit, était un des buts de la guerre et restera sans
aucun doute, après la paix, l'objectif secret de la po-
litique commerciale des Empires centraux. Aucune
réaction mililaire allemande ne s'était produite en
avril contre l'avance anglaise en Mésopotamie. Cer-
tes, les Turcs livrés à eux-mêmes avaient résisté de
leur mieux. Us n'avaient pu arrêter le désastre, et il
devenait de moins en moins probable, à l'époque de
l'année où l'on se trouvait, qu'il leur lût possible de
faire, avec chance do succès, un retour offensif.
Ainsi, .«ur aiirun point du front de torrr, les Allr-
LAROUSSK MENSUEL
rer du cabinet Lambros, ce qui eût permis le retour
aux affaires de Zaïmis, avec lequel les conversations
eiissenl été plus faciles. Mais il n'y avait eu là qu'une
comédie ridicule, qui n'avait abouti qu'au maintien
de Lambros. On émettait même l'hypothèse d'une
abdication de Constantin en faveur de son fils aîné,
qui eût rappelé Venizelos. De temps à autre, l'En-
lente avait fait annoncer officiellement des mesures
(If rigueur, qui n'étaiont point venues. I,a situation,
r^
- la Summc, près de Péronne, détruite par l<jii Allemaads au moment de leur rciraito.
mands n'avaient aucun fait à enregistrer qui pût
justifier la confiance grandiloquente de leurs Com-
muniqués. — Sur mer, les torpillages avaient conti-
nué, et l'on doit reconnaître que les résultats obtenus
par la piraterie sous-marine méritaient de retenir,
et retenaient, d'ailleurs, l'attention des Anglais et la
nôtre. Le but fixé par le gouvernement allemand en
février, après trois mois de guerre à outrance, était
pourtant très loin d'être atteint. L'Angleterre avait
pris, et continuait à prendre, des mesures de défense,
qu'elle ne divulguait pas, mais qui opéraient, et de
rationnement, qui la mettaient à l'abri de l'épuise-
ment annoncé par les Allemands. En outre, le tor-
pillage de plusieurs navires-hôpitaux anglais avait
soulevé l'indignation universelle et provoqué une
protestation de la Croix-Rouge de Genève. Nous ver-
rons que les torpillages de navires neutres avaient,
par surcroît, accru le nombre des ennemis de l'Alle-
magne et créé dans les autres pays, victimes des
prétentions navales de nos ennemis, un grave ma-
laise. On pouvait donc conclure de tous ces faits que,
si nous avions éprouvé quelque déception dans les
résultats de notre ofi'ensive, l'ensemble des opéra-
tions militaires restait encourageant et nous per-
mettait d'envisager la suite de cette guerre dans un
esprit d'optimisme, averti et discret sans doute,
mais légitime.
Certes, la solution de toutes les questions en
suspens n'apparaissait pas avec une parfaite clarté.
Nous avons tout k l'hcuie cité en passant la question
grecque. Elle était fort loin dèlre réglée. Ce qui
ressortait, sans aucun doute possible, des renseigne-
ments certains fournis par la presse au cours du
mois d'avril, prouvait que le roi Constantin n'avait
aucunement changé de maxime de gouvernement.
On savait que des bandes de comitadjis, formées de
soldats grecs et commandées par des officiers grecs,
opéraient au nord du royaume contre l'armée alliée
et en liaison avec les Bulgares; que, si les troupes
grecques, comme il avait été promis, avaientélé éva-
cuées sur le Péloponèse, grâce à l'artifice de nom-
breuses permissions, un grand nombre de soldats
avaient pu rentrer dansla Grèce duNord,oùilsétaient
tout prêtsà utiliser les milliers de fusilsqu'en dépit
des conventions on y avait conservés; que les exci-
tations des associations de réservistes n'avaient pas
diminué et que, jointes à celles de la presse quoti-
dienne germanophile, à celles de la propagande
allemande et à lacomplicitédugouvernementroyal,
elles pouvaient à tout moment provoquer des inci-
dents aussi graves que ceux du l'' décembre 1916.
Les ministres de l'Entente avaient fait des re-
présentations auxquelles il avait été répondu par
îles ar^ties et de véritables fins de non-recevoir.
CODtteatin avait paru un instant disposé à se sépa-
nous le répétons, restait très trouble. Quiconque
est un peu au courant et pèse tous les éléments du
problème s'étonne médiocrement que les choses
aient pu durer si longtemps, que « Tino », comme on
dit que Guillaume II appelle son beau-frère, ait pu
impunément jouer loujours son jeu pour garder son
trône et que l'Entente ait semblé craindre de trouver
N' 124. Juin 1917.
très importantes, dont la coexistence de deux
gouvernements grecs, l'un à Salonique, l'autre &
Athènes, ne diminue pas la complexité. Il est cer-
tain que, si l'on envisage simplement la question au
point de vue démocratique absolu, la déposition de
Constantin et la proclamation d'une République
hellénique, dont venizelos serait le chef désigné,
semble une solution aussi ai.sée que conforme aux
principes qui tendent à s'imposer à tous les peu-
ples. Reste à savoir si cette hypothèse satisfait
tous les Hellènes, si elle est un remède sûr aux
maux d'un peuple dont une partie semble attachée à
la monarchie, si, enfin, elle permet un règlement
acceptable des compétitions qui se débattent autour
(le l'Epire, del'Albanie, delà Macédoine, de l'Adria-
tique, des Iles et de l'Asie Mineure. Bien entendu,
nous ne saurions résoudre ce problème délicat, mais
nous le posons pour monirer à nos lecteurs qu'il
est loin d être simple et qu'il faudra être d'une cer-
taine force en algèbre politique pour poser cette
équation et ensuite la résoudre. Nous (Jisons tout
cela pour faire comprendre, comme nous l'avons
d(>ji souvent tenté, que, s'il est facile de s'irriter
contre Constantin et si les moyens de le mettre à la
raison apparaissent à première vue prompts et sans
phrases, il est moins aisé, dans la réalité, au milieu
du guêpier grec, de ne pas faire, sous couleur d'éner-
gie, le faux pas toujours possible, qui compliquerait
fout. En attendant, le gouvernement provisoire de
Venizelos continuait à grouper à Salonique tous les
éléments hostiles au gouvernement royal et tout ce
qui était pratiquement utilisalile pour la guerre dans
l'armée grecque. On annonçait même un voyage de
l'homme d'Etat grec à .lanina. Il était vraiserablalde
qu'il avait été sérieusement question de la Grèce à
l'entrevue de Saint-Jean-de-Maurienne.
En avril comme en mars, l'attention publique avait
(^té surtout retenue sur les Etats-U nis et, certes, j amais,
non seulement dans l'histoire de cette guerre, mais
dans l'histoire du monde moderne, ne s'est rencon-
tré un événement plus considérable que la décision
de la grande République américaine d'entrer dans la
lutte. Après la rupture des relations diplomatiques,
nprès l'essai de la neutralité armée, le président
Wilson avait constaté qu'une seule solution était pos-
sible et claire : la guerre aux côtés de l'Entente et
pour les mêmes raisonsqu'elle. Le Congrf'set le peuple
américain l'avaient suivi hardiment dans cette voie.
C'estle 2 avril que le président Wilson, s'adrossant
ponc la troisième fois au Congrès américain, lui avait
pose la question décisive avec cette fermeté dans la
pensée et l'expression, cette rigueur de logique et de
conscience qui caractérisent ses messages précé-
dents. Dans celui-ci, il avait montré ce qu'était la
guerre sous-marine allemande,lessoun'rances qu'elle
imposait au monde, l'impossiljilité d'obtenir justice
une solution. Sans doute, la révolution russe a sin-
gulièrement déblayé le terrain et, certainement, sup-
primé au roi de Grèce un appui moral qu'il était
impossible de méconnaître; sans doute, aussi, les
violations évidentes de la parole donnée et les
présomptions éclatantes de partialité agissante
envers l'Allemagne ont affaibli beaucoup les argu-
ments qui pouvaient, en faveur de la Grèce, être
tirés de sa neutralité. Mais il reste que la question
grecque, qui, au début de 1916, était très facile à ré-
gler, avant l'accession de l'Italie à la coalition, sou-
lève actuellement des difficultés d'ordre territorial
Utia carricr.u, (■un iti. Ltijài.j-i-uucy.
par les moyens ordinaires, la nécessité d'aboutir à
l'état de guerre et les conséquences qu'il entraînerait :
il déclarai t, en conséquence, qu'aucune entente n'était
possible avec un gouvernement autocratique qui rem-
plissait le monde de ses espions et échappait à tout
contrôle, et il proclamait la responsabilité des gouver-
nements pour tous leurs actes. Son message élait à la
fois un programme américain de la guerre et une
déclaration démocratique des droits de l'humanité.
Nous en donnons ici quelques passages essentiels :
La guerre sous-niarine contre le commerce est une
guerre contre l'humanité : c'est une guerre contre toute»
W 124. Juin 1917.
FRONT GAMBRAI-SAINT-QUENTIN
ISl
152
tes nations. Des navires américains ont été coulés, des
vies américaines ont été perdues dans des circonstances
aui nous ont violemment émus, mais d'autres navires et
autres citoyens des nations neutres et amies ont été
coulés et précipités dans les flots de la môme façon. Il
n'y a aucune distinction, et le défi a été lancé à toute l'hu-
manité... Ce n'est pas la vengeance qui doit être notre but,
ce n'est pas l'affirmation victorieuse de notre puissance
Fhysique; c'est simplement la revendication du droit de
humanité, dont nous ne sommes qu'un champion indivi-
duel...Obéissant sans hésitation à ce que je considère comme
mon devoir constitutionnel, je conseille au Congrès d'ac-
cepter formellement l'éiat do guerre qui lui a été imposé
et de prendre les mesures immédiates, non seulement
pour mettre le pays en état de défense complet, mais
aussi pour obliger l'Allemagne, en employant toutes nos
ressources, à accepter do terminer la guerre à nos condi-
tions... La neutralité n'est plus longtemps possible ni
mémo désirable, quand la paix du monde entier et la
liberté des peuples se trouvent en jeu et que la menace do
cette pai-x et de cette liberté vient de l'existence de gou-
vernements autocratiques, appuyés par la force, qui im-
posent leur volonté, sans tenir compte de la volonté des
peuples. Nous sommes au commencement d'un âge oti les
gouvernements doivent, tout comme les individus, être
rendus responsables de leurs actes. Nous n'avions aucune
querelle avec le peuple allemand. Nous éprouvons pour
lui de la sympathie et de l'amitié. Ce ne fut pas, d'ailleurs,
sous son impulsion ni mémo avec son approbation que In
gouvernement allemand a déclaré la guerre. Cette guerre
allemande a été décidée comme les vieilles querelles
d'autrefois, alors que les peuples n'étaient jamais consul-
tés et (|Ue la lutte avait lien dans l'intérêt de la dynastie
ou d'un petit groupe d'ambitieux... Notre espoir de paix
future a été renforcé par les événements merveilleux f|tii
viennent d'avoir lieu en Russie, qui, pour tous ceux qui la
connaissent le mieux, a toujours été jirol'ondément démo-
cratique. L'autocratie qui couronnait le sommet do son
édifice politique, si longtemps qu'elle se soit maintenue et
SI territile que fut sa puissance réelle, ne représentait
pas, en t'ait, la Russie dans son caractère national. Au-
joiird'lmi, cette autocratie est abattue. Voici que le peuple
russe, grand et généreux, est joint, avec toute sa majesté
et sa puissance natives, aux forces qui combattent dans
le monde pour la liberté, la justice et la paix. C'est un
associé de plus, un associé plein de noblesse, dans notre
ligue d'honneur.
La note que nous avons interceptée et qui était adres-
sée au ministre d'Allemagne au Mexique prouve éloquein-
ment que le gouvernement allemand avait l'intention do
surexciter des inimitiés contre nous à notre propre porte.
Eh bien, nous acceptons ce défi, parce que nous savons
que, dans un gouvernement do ce genre et qui emploie de
telles méthodes, nous no trouverons jamais un ami et
que, dans un pouvoir organisé toujours prêt à exécuter je
no sais quels projets, il ne peut y avoir aucune garantie
do sécurité pour les gouvernements démocratiques du
mondo. Nous voici donc forcés d'accepter la bataille avec
l'ennemi naturel de la liberté et, pour ce faire, nous em-
ploierons la force entière de la nation. Nous sacrifierons
notre vie, notre fortune, tout ce quo nous possédons à un
tel devoir, avec la fierté de savoir qu'enfin le jour est
arrivé oii l'Amérique peut donner son sang pour les
mêmes principes d'od elle est née, ainsi que pour le bon-
heur et la paix dont elle a pu jouir.
11 élait ulile de ciler ces passages si noblement
idéalistes pour fiiire conipi-eiidie et pour fixer le
LAROUSSE MENSUEL
bition immodérée et la froide cruauté, héritage de
ses plus lointains ancêtres, elle dévoile aussi la per-
sistance d'une illusion qui peut devenir dangereuse
et contre la((uelle la presse germanique a ci-u devoir
protester? (1 serait malséant d'insister sur ces erreurs
Un poste autrichien ' i .,
lionorables, qu'expliquent assczla position lointaine
de l'Amérique et l'absence de tout contact immédiat
avec l'Allemagne. Combien de temps nous i'aiidra-
t-il, à nous qui avons tant souffert, pour accepter
cette idée, démentie par les faits, que l'Allemagne
a été entraînée contre nous par son seul gouverne-
ment et qu'il n'y a pas, entre le peuple allemand et
Le général français Focli passant en rfvUL' les- tnjupes italienne:
• li^ frnnt do J'Isonzo.
point de vue auquel le président 'Wilson est lente-
ment arrivé, ainsi que les principes qu'il convie
l'Amérique à détendre. Dirons-nous qu'il y a peut-
être aussi dans ce Message quelque utopie et
qu'écrit par un homme d'Etat, il ne pouvait l'être,
pourtant, que par un homme d'Elat américain? Fe-
roiis-mus observer que, si la distinction si franclie
qu'il établit entre le peuple allematid et son gou-
vernement fait honneur à sa loyale confiance envers
une nation qu'il voit à travers un mirage évanoui
et dont il semble ignorer la docilité consentie, l'am-
son empereur, une complicité nui étend sur tout ce
qui est allemand la responsabilité de l'initiative de
la guerre et des méthodes barbares qui y furent
appliquées?
La proposition de proclamer l'état de guerre que
contenait le Message du président Wilson fut ap-
prouvée, le 4 avril, au Sénal, par 82 voix cnnlre 6,
le 6 avril, à la Chambre des représentanis, p.ir
373 voix contre 50. Quant au programme que
contenait ce document : emprunt, appui financier
et de toute nature aux belligérants, équipement
N' 124. Juin 1917.
de la marine, service militaire obligatoire et levée
de ,'iOO.ooo hommes, il a été, au cours du mois
d'avril, dans chacune de ses parties, approuvé par
le Congrès ou mis à exécution par le gouvernement.
Le m avril, élait volé «n emprunt de 7 milliards
de dollars et. après des débals très vifs,
ofi les pacifistes ont multiplié leurs
efforts, soutenus, d'ailleurs, par une
campagne allemande de fausses nou-
velles, le mois s'est terminé sur le vote
du service militaire obligatoire, par
397 voix contre 24 à la Chambre, par
81 contre 8 au Sénat. Entre temps, le
président s'est plusieurs fois adressé
directement au peuple américain pour
lui dire son devoir et faire appel à
Json palriolisme. — Ainsi s'est trouvée
consommée l'imion de l'Amérique et de
l'Europe démocratique. Pour la pre-
mière fois, l'isolement que les E.als-
„,. Unis avaient jusqu'ici cru pouvoir gar-
der, la barrière qui semblait s'élever
entre les intérêts américains et la poli-
, = tique européenne disparaissaient. Déjà,
à plusieurs reprises, l'Ainérique avait
marqué qu'elle sentait ne plus pouvoir
se désintéresser de l'avenir du monde.
Son action s'était manifestée au mo-
ment de la guerre russo-japonaise, au
moment de la conférence d'Algésiras.
Mais jamais elle n'avait compris aussi
largement le rôle qu'elle doit jouer
dans le monde et la cotnmuuauté d'in-
térêts moraux qui unit totiti'S les dé-
mocraties de la planète. Il y a là le
coitimencement d'une politique jus-
qu'ici impossihle, que les agissements
de l'Allem.igne ont créée et dont les
conséquences sont immenses. La pré-
sence k 'Washington, auprès du prési-
dent Wilson, du ministre anglais Kal-
lour, du ministre français Viviani et du
maréchal Joffre et l'accueil enthou-
siaste qui leur a été fait signifiaient
autre chose que la réunion des repré-
sentants de trois grands pays. C'était
le symbole concret d'un principe nou-
veau. Non pas qu'il faille imaginer
r.\mérique adoptant nos idées, nos
haines, nos passions, nos méthodes
et nos traditions. L'Amérique restera
l'Amérique. Mais rien, dans le monde, ne pourra
plus se régler sans elle.
Les républiques de l'Amérique du Sud avaient
été, elles aussi, très troublées pur les agissements
des sous-marins allemands. Après le torpillage du
Pavana, le Brésil, le 10 avril, avait rompu ses
relations diplomatiques avec l'Allemagne. Le 14,
c'élait le tour de la Bolivie; à la (in du mois, du
Guatemala.
Dans les autres, un mouvement de résistance à
l'opposition germanique se marquait de plus en plus,
favorisé, il faut bien le dire, par les tentatives des
iioiTibreux Allemands établis dans l'Amérique du
Sud, notamment au Brésil, pour s'organi.ser militai-
rement et s'imposer par la force, preuve nouvelle
des lointains ptéparatifs allemtinds et du danger
qu'ils avaient fail courir à la liberté snd-américaine.
l^e Brésil, précisément, venait de concltite avec la
France une convention financière qui lui assurait
une stabilité économitjue nécessaire et le liait avec
nous par des intérêts importants.
11 n'y a pas à s'étonner, d'ailleurs, que les effets de
la politique allemande se fissent senlir en Amérique
aveclentour. L'immensité lerrilorialede ces régions,
leur position maritime, les or gines diverses de
leurs populations, leurs habitudes politiques, leurs
mœurs les rendaient beaucoup moins aptes que nous
à saisir rapidement toutes les conséquences d'une
victoire allemande. S'il a fallu aux Anglais de longs
mois pour transformer leur mentalité et l'adapter
aii.t exigences du motule actuel, combien plus lente
encore devait être l'ailaptation des Elals-lnis et
encore plus celle de l'Amérique du Sud à des né-
cessités dont le soupçon ne les a pas jusqu'alors
el'deurés. C'est peu à peu que ce travail pouvait se
faire. Grâce à l'énergie du président Wilson et à
la cohésion plus forte du peuple des Elal.s-Uuis, à la
haute idée qu'il a de son honneur et de sa inission,
le résultat a été très vite atteint et, certes, rien
n'est plus remarquable à ce poinl de vue que le vote
du service obligatoire. Rien n'est plus saisissant
que cette coalition démocratique, qui se forme dans
le monde conlre les autocraties. Il est permis de
voir là le résultat des efforts de tous les peuples
vraiment lilires que la Révolution française a pous-
sés dans cette voie, il y a plus d'un siècle. 11 est
curieux aussi de constater que les peuples de même
origine dans l'ancien et le nouveau monde se
groupent comme par une affinité de race et se ren-
contrent dans une décision commune. _
Mais, ici, une exception doit être indiquée. En
Europe, l'attitude de l'Espagne semble contraster
avec celle des républiques espagnoles d'Amérique.
omte de Romanones,
d'Etat espagnol.
I
«• 124. Juin 1617,
Nous avons parlé souvent dans ces chroniques
do l'Espagne; nous avons dit notre respect pour
son jeune et pénéreux loi, et il n'est gTière de na-
tions avec lesquelles la France ait eu au cours des
siècles des relations aussi étroites, aussi variées,
si fortement em-
preintes, à tout
; l'iidre, de sym-
I iilhie et d'admi-
r;ition. — L'Es-
|);if,'ne, pourtant,
réserve faite de
son action bien-
faisante qui s'est
largement appli-
iiuée à tous les
lielligérants, a
piélendu rester
l'iitièrement neu-
treet. quoiqu'elle
soulfrît criielle-
Tiient des pirate-
ries allemandes,
elle avait, en
avril, manifesté
une fois de plus,
dans des circons-
tances dont elle
est juge, mais qui sont graves pour elle, son désir
de tenir la balance égale entre les deux coalitions.
A la suite du torpillage du San Fulyencio, le comle
de Romanonès avait adressé à l'Allemagne une pro-
lestation qui ne fut pas alors publiée. Puis, le
19 aoiit, à la suite de dissentiments dans le ministère
et après avoir lu au roi un mémorandum énergique
où il constatait la
situation diflicile
où se trouvait
l'Espagne, le ris-
que qu'elle cou-
rait de se voir
distancée par l'A-
mérique dans la
lutlepourla civi-
lisation, le pre-
mier ministre re-
metlail au roi sa
démission. Ilétait
remplacéparGar-
cia Prieto. mar-
quis d'Alhuce-
mas, qui rétablis-
sait les garanties
constitutionnel-
les suspendues
etaffirmait à nou-
veau la volonté
de l'Espagne de maintenir sa stricte neulralité. La
publication jusqu'alors différée en Espagne, faite avec
assez peu de correction à Berlin, de la note précé-
demment adressée à l'Allemagne, ne marquait pas
l'énergie attendue, et un discours prononcé le 29 avril
Liarcia Prieio, marquiâ (rÂlhucemas,
homme d'Etat espagnol.
LAROUSSE MENSUEL
d'une propagande de presse effrénée. Il fallait se
garder de conclure, et on devait considérer combien
l'Espagne est dans une situation précaire et pénible.
Mais il n'était pourtant pas possible de ne pas re-
marquer que 1 Hspagne, à l'abri de toute invasion,
sûre que toutes ses frontières ne seront pas violées
par nous, montrait une tendance à s'incliner, pour
ne pas dire autre chose, devant les sommations et
les brutalités de l'Allemagne. Si cet état d'esprit
153
où elle ne sait elle-même comment atteindre sans
famine la prochaine récolle. Nous avons dit, le
mois dernier, que celte attitude, qui prolonge la
guerre pour le plus grand profit de quel(|ue8-uns,
ne pouvait durer. Les Etats-Unis, sur ce point, pou-
vaient donner à l'Entente un moyen d'action d'an
poids écrasant.
Quanta la Suède, elle avait continué le rôle qu'elle
a joué depuis le début de la guerre. Privée mainte-
CoDvoi (le ravitaillement austro-hongrois dans les Alpes de TransjU-anie.
était pour nous sans danger, il choquait notre
sympathie pour l'Espagne chevaleresque, et il nous
inspirait, pour l'avenir matériel et moral de ce pays
ami, de race latine, des inquiétudes pénibles.
Les autres pays neutres d'Europe ont continué
eux aussi à souffrir des menées allemandes. La
Suisse, eu particulier, a dû subordonner ses envois
de bétail aux expédilions de charbon allemand. Le
Danemark et la Norvège n'avaient pas vu leur silua-
tion s'améliorer, el il était peu probable que l'avenir
leur réservât un sort meilleur. Il y avait, en effet, de
grandes chances pour que le blocus de l'Allemagne
par l'Entente lût de plus en plus resserré. Il était
prouvé qu'en 1916 le ravitaillement allemand par les
neutres s'était chiffré environ : pour la Suisse par
7U.000 tonnes, pour le Danemark par 600.000 tonnes.
L.pti.Lfde de la rcvuiulKju en ixiiaMc . u
par l'ancien président du conseil, Maura, non seule-
ment insistait sur l'obligation de l'Espagne de rester
neutre, mais, à propos de Gibraltar et du Maroc,
lenait un langage qui ne pouvait être considéré
comme amical, ni pour l'Angleterre ni pour la France.
Cet ensemble de faits était d'autant plus troublant
qu'il était accompagné d'offres économiques de
1 Allemagne, d'une tentative de mainmise de cette
puissance sur le commerce espagnol des fruits et
pour la Hollande par 1.200.000 tonnes. La Suisse
avait envoyé à ses voisius du Nord 30.000 têtes
de gros bétail; le Danemark en avait fourni 7.000
par semaine; la Hollande leur apportait tous les
produits possibles et, au cours d'avril, il élait
tjuestion, par manière de chantage à l'égard de
1 Angleterre, d'une fourniture de 20.000 têtes de
bétail que l'Allemagne projetait, disait-on, d'échan-
ger contre du blé qu'elle livrerait, au moment même
nant de tout motif de crainte à l'égard de la Russiei
elle avait accepté que Stockholm devînt le centre
d'une action socialiste internationale, qui avait pour
but de ménager une paix séparée avec notre alliée
et de fomenter dans ce pays des divisions qu'il
s'obstine à repousser. Les socialistes français avaient
refusé de se rendre k Stockholm, mais le Hollandais
Troëlstra n'avait eu garde de s'abstenir; le Russe
Lénine y était venu de Suisse par la condescendance
de l'Allemagne, et les socialistes allemands n'a-
vaient pas manqué au rendez-vous. Pendant ce
temps, Branting, dont on connaît les sentiments
amicaux à l'égard de la France, faisait en Russie
une besogne toute contraire et, au même moment,
une agitation socialiste se produisait dans le peuple
suédois lui-même. Le cabinet Swartz, qui avait suc-
cédé au cabinet HammerskjOld et qui n'en était
qu'un remaniement, semblait impuissant à rétablir
le calme dans les esprits et, peut-être, dans les rues.
Comme son prédécesseur, il devait chercher un ac-
cord commercial avec l'Angleterre, cependant que,
dans tout ce que nous venons d'examiner, il fallait
voir la main et
l'esprit de l'Alle-
magne. Ce qu'on
a appelé dans cer-
tains journaux le
« complot de
Stockholm » n'é-
tait qu'une me-
née allemande
pour utiliser en
vue d'intérêts al-
lemands la révo-
lution russe.
Ilétaitfacilede
déduire de ce qui
précède que la
question suédoi-
se était fort déli-
cate et qu'aucune
des causes de
trouble que nous
avons souvent si-
gnalées : question économique, agitation « activiste »,
agitation sociale, tendances germanophiles de la
reine, n'avait cessé d'agir.
Or, aucun fait connu ne permettait alors de pen-
ser que la Russie penchAt vers une paix séparée.
Tout prouvait, au contraire, qu'à part les éléments
extrêmes, tous les partis travaillaient à organiser
une Russie nouvelle el comprenaient que les tradi-
tions, les intérêts, l'esprit de la nation russe les
obligeaient à continuer la guerre contre son an-
cienne et perfide ennemie. La proclamation du
prince Lvov, le 10 avril, le retour du socialiste
Plekhanof, le 18, et les manifestations auxquelles
il avait donné lieu, les efforts impuissants de Le-
Le gL^néral allemand Grœner, directeur
de roftice de guerre.
loi
LAROUSSE MENSUEL
«• 124. Juin 1917.
Le marché a Okhnda, viiic de Serbie, au uurd-uuesl de MoiiasLir.
nine, porte-parole des socialistes et du gouverne-
ment allemands, les déclarations des chefs mili-
taires, celles de MilioukofT, la présence à Petrograd
de socialistes anglais, des députés socialistes fran-
çais Moutet, Cacliin et Lafond, celle du raini;-tre
Albert Thomas, tout tendait à coordonner les divers
■ courants de l'opinion russe vers une continuation
pure et simple de la guerre contre l'Allemagne.
Tout le mois d'avril avait passé sur la révolution
russe sans amener de troubles et, si la coexistence du
gouvernement provisoire et du Comité des ouvriers
et des soldats, si la diversité et l'élendue même du
pays restaient des inconnues difficiles à déterminer,
il était bon d'enregistrer que la Russie accueillait
avec joie le nouveau régime et que les éléments de
désordre et d'anarchie, ainsi que les éléments paci-
fistes, n'avaient pu se développer assez pour amener
une catastrophe. Ce n'était pas le comple de l'Alle-
magne, dont l'intérêt était de troubler la rénova-
lion de la Russie et d'attirer à elle les partis à idées
simplistes, incapables de voir loin, ignorants du
passé, accessibles aux séductions et aux promesses
fallacieuses. Là encore, l'appoint des Etats-Unis
pouvait apporter à ce grand pays l'appui matériel et
moral qui lui était indispensable.
L'Allemagne avait cherché à pêcher en eau trou-
ble. La situation se tendait, en elTet, h l'intérieur, à
la fois par suite des restrictions alimentaires et par
suite de l'agitatinn politique. Le rescrit par lequel,
le 3 avril, Guillaume II avait promis la réforme
électorale en Prusse, en reportant son application
après la fin de la guerre, n'avait satisfait personne.
La minorité socialiste était devenue de plus en
plus active et iniluente, et les grèves de Berlin, à
partir du 18 avril, dont la réalité et limportance
sont certaines, même en admettant qu'elles n'aient
eu sur la production d'ordre militaire qu'une influence
passagère, avaient marqué une fissure entre le peu-
ple et le gouvernement. Le communiqué Ludden-
dorf, dont nous avons parlé plus haut, et les mesures
du général Grœner co'incidaient sur des modes dif-
férents pour prouver la gravité du mouvement po-
pulaire et étaient contredits par la compromission
mattendue du gouvernement devant l'attitude mena-
çante des ouvriers. — Au même moment, l'Autriche
ne pouvait dissimuler son désir de paix. Les difficul-
tés y grandissaient entre Allemands et Tchèques, et
le gouvernement
royal, obligé de
réunir enfin le
Reichsrath , pro-
mettait h tous les
partiset ne tenaità
personne. — Alle-
magne et Autriche
avaient donc cher-
ché il gagner la
Russie; celle-ci
par des déclara-
lions mielleuses de
bon vouloir, que le
comte Czernin ré-
pandait dans la
presse, celle-là par
l'intervention de
ses, socialistes offi-
ciels,Scheidemann
et Sudekum, par
ses menées chez
les socialistes neu-
tres : en Suisse
auprès de Grimm,
en Hollande au-
près de Troèlstra,
chez les Russes au-
près de Lénine.
Là-dessus bro-
chaient l'abroga-
tion de la loi contre
les jésuites, les dé-
clarations officiel-
les au sujet de
l'insuffisance des
vivres et l'agita-
tion causée par les
projets de réforme
électoraleque la no-
blesse prussienne
trouvait intoléra-
bles et le peuple
trop lointains. On
devait conclure à
un trouble de l'opi-
nion, dont il était
sage de ne pas
s'exagérer l'éten-
due présente, qui
pouvait être le
commencement
d'une dislocation,
mais dont notre
presse avait le tort
<le nous entretenir
trop exclusi \ ement.
En Angleterre, divers discours de Lloyd George
avaient une fois de plus formulé l'énergique réso-
lution de vaincre qui anime ce pays et qui, chaque
jour, éclate sur le front anglais. Il ne fallait pour-
tant pas Ignorer gu'une grave question, celle du
home rule irlandais, restait en suspens et qu'une
autre, également grave, les élections générales de
la Chambre des communes, s'y rattachait implici-
tement. Rien n'était décidé, à la fin d'avril, ni sur
l'une ni sur l'autre. Elles étalent, d'ailleurs, sans
répercussion possible sur la conduite de la guerre
et sur l'opinion anglaise à ce sujet.
En France, les vacances que le Parlement s'était
accordées avec largesse n'avaient pas tout à fait
éteint les intrigues politiques, mais une détente se
produisait pourtant. Le ministre Violletten'ètaitpas
plus heureux que son prédécesseur pour le règle-
mentdes restrictions alimentaires, et ses arrêtés suc-
cessifs faisaient surtout ressortir la difficulté de la
question. L'attention publique n'était pourtant pas
tournée vers le dedans: le peuple de France ne de-
mandait qu'à travailler et à lutter; elle élait tout
entière tournée vers le dehors; elle voyait avec joie
les succès des armées franco-anglaises; elle en at-
tendait la suite etl'espérait heureuse; elle était prête
à accorder confiance à ceux qui lui donneraient le
sentiment d'une volonté solide, d'un désintéresse-
ment absolu, d'un dévouement total à l'intérêt publia.
De plus en plus, la gravité de l'heure la fatiguait
des politiciens. — Jules Gerbaclt.
*lèVTe n. f. — Art milit. Lèvre d'un enlnnnoir de
mine, rebord de l'excavation pratiquée dans le sol
par l'explosion d'une mine, l'enlonnoir ainsi produit
offrant une ressemblance avec une bouche ouverte
à la surface de la mer : L'ennemi a, fait exploser
une mine; nous avons occupé une partie des
i.kvRES de l'enlonnoir.
Mariage des femmes de nationa-
lité ennemie. Hist. et dr. Combinaisons de
mariaç/es suspectes. — hinovalion lér/ale tendant
à les déjouer.
Combinaisons de mariaqes suspectes. — Au début
des hostilités, la loi du 7 avril lîilô a autorisé le
gouvernement à retirer la naturalisation qui avait
été accordée aux sujets ou anciens sujets de puis-
sances entrées en guerre avec la France; d'autre
part, l'article 6 de cette loi a formellement prescrit :
Aucune nattiralisation nouvelle d'un sujet d'une puis-
sance en guerre avec la France ne pourra être accordée
avant la signature définitive de la paix.
(Voir l'article Naturalisations, Larousse Men-
suel, t. III, p, oSi».)
Une femme appartenant à une nation en hostilités
avec la France n'en gardait pas moins la faculté de
l'aire échec, grâce à l'arlicle 12 du Code civil, à l'ar-
ticle 6 de la loi du 7 avril 1915 : il lui suffisait d'é-
pouser un Français.
En effet, aux termes du premier alinéa de l'arti-
cle 12 du Code civil, l'étrangère qui épouse un
Français suit la condition de son mari. Quelle que
soit sa nationalité d'origine, elle acquiert obligatoi-
rement la nationalité française, avec tous les droits
et prérogatives que cette nationalité comporte, et
Aux Etat8.'jDis, à New-York : Une sectiun de la " Ligue dei femme» aoiericaiiiei .. ^'entraînant aux exercices miUtaires
La plupart d'entre elUi porteol le coitume maiculin.
«• 124. Juin 1917.
elle se trouve, dès lors, à l'abri de toutes les mesures
ou précautions de sûreté et de police que peut
inspirer le souci de la défense nationale à l'égard
des étrangers ressortissant à un pays en guerre avec
nous, lin ce qui concerne l'étrangère devenue
l'épouse d'un de nos coin iiatriotes, il ne peut plus
être question ni de l'expulser, ni de l'interner, ni de
placer ses liiens sons séquestre.
Au commencement de la guerre, un certain nom-
bre de mariages de la nature précitée ont été célé-
brés; mais il ne s'agissait que d'espèces isolées et
dans lesquelles les intéressés n'avaient, en général,
en vue que la régularisation d'une situation anor-
male. Peu à peu, les cas de ces unions sont devenus
plus fréquents, en même temps qu'audacieux jus-
qu'au cynisn:e; des mariages de pure façade ont été
réalisés avec des Français sans scrupules, sous la
seule influence du désir d'éluder les mesures de
sauvegarde envers nos ennemis, dans dcc conditions
non se.ilement suspectes, mais, parfois, manifeste-
ment dangereuses pour notre sécurité.
Certains cas — devenus de notoriété publique —
méritent d'être mis en relief.
Une Allemande, de condition aisée, a épousé, en
août 1916, dans la région de la Savoie, un commis-
sionnaire-cireur de chaussures parisien, duquartier
de la Porte-Maillot, à qui elle a concédé une petite
renie, pour prix de sa complaisance, ainsi que de
sa renonciation par avance à une vie commune. La
raison d'une telle union était de faire échapper les
intérêts de cette Allemande à la mise sous séquestre
et de lui permettre de venir vivre à Paris, en toute
tranquillité et liberté.
Autre espèce, encore plus caractéristique : une
Hongroise, de trente-cinq ans, riche ei très artiste,
a contracté en Suisse mariage avec un Français
de soixante-quatorze ans, tailleur de pierre, sans
fortune, sans éducation ni instruction. Son but était
de rentrer à Paris comme Française et, selon toute
vraisemblance, de s'y livrer à l'espionnage.
Innovation due à la loi du 1S mars 1917. — Sur
l'initiative du gouvernement, est intervenue la loi
du 18 mars 1917, dont l'article unique porte :
Pendant la durée des hostilités et par dérogation aux
dispositions de l'alinéa premier de I article 12 du Code
civil, l'étrangère, sujette d'une nation ennemie, qui aura
épousé un Français, n'acquerra la nationalité de son mari
3 ne si le mariage a été préalablement autorisé par le garde
es sceaux, ministre de la justice.
Ainsi donc, l'acquisition de la nationalité fran-
çaise par l'étrangère, dans le cas qui nous occupe,
se trouve subordonnée à une préalable autorisation
du maiiage par le ministre de la justice.
Quelques observations et précisions : 1» l'innova-
tion ne bouleverse pas l'article 12 du Code civil, puis-
qu'elle n'est que momentanée et doit prendre fin avec
les hosiili tes; — golamesure s'applique à tout mariage,
avec un Français, d'une femme appartenant à une
nationalité ennemie, sans tenir compte si le mariage
a été célébré en France ou à l'étranger; — 3° le ma-
riage contracté sans l'autorisation préalable édictée
n'est pas nul : il conservera tous ses effets légaux
au point de vue des personnes et des bieub; mais il
ne permettra pas l'entrée dans la nation française
des étrangères « indésirables », qui conserveront
leur nationalité d'origine. — Louis asdeé.
* millième n. m. — Art milit. Unité d'angle em-
ployée dans l'artillerie française de campagne (c'est
l'angle sous lequel on voit un objet placé à une dis-
lance égale à mille fois sa longueur; par exemple,
un mètre à un kilomètre, deux mètres & deux kilo-
mètres, etc.) : Les milhêmes, les angles de site, les
dérives, toutes ces choses qui définissent les don-
nées du tir, s'envolent sur l'aile rapide du télé-
phone. (Charles Nordmann.)
morling, morlingue ou morningue
(fusion des mots d'argot 7nornî/?e, monnaie, eizingue,
argent) n. m. Arg. Porte-monnaie : Les yeux du
poilu, ses mire/les, s'illuminent lorsqu'il voit son
MORiiNG se remplir de ronds, de balles, de thunes.
(Maurice Barrés.)
Nouveaux Itiches (les), comédie en trois
actes, en prose, de Ch.-A. Abadie et Raymond
de Cesse, représentée pour la première fois au théâtre
Sarah-Bernliardt le l"mars 1917. — Le premier acte
a lieu dans un thé élégant des Champs-Elysées. Aune
table du fond, un groupe bavard de demi-mondaines
et de journalistes parle de tout : de la guerre, qui ne
semble pas les gêner beaucoup; du riche Edmond
Legendre. ancien mécanicien devenu millionnaire
dans la fabrication des hydravions pour l'armée;
de Martinet, autre fournisseur militaire, qui a fait
fortune dans les moteurs; de son fils, Georges, un
brave aviateur.
A une taille de droite, sont assis Daniel Fronsac,
un aventurier de lettres, qui poursuit la fortune par
tous les moyens, et Blanche Delorme, une actrice
qui cherche un puissant protecteur et commandi-
taire. Daniel Fronsac connaît Edmond Legendre,
le nouveau riche ; il le présente à l'actrice, qui
s'amuse de ses manières gauches. A ce moment, un
journaliste, Saturnin, interpelle le groupe du fond,
LAROUSSE MENSUEL
devenu trop bruyant, et s'emporte contre les profi-
teurs de la guerre, qui entretiennent le luxe des
ptites dames habituées des thés élégants. Legendre
mtervient et prend la défense de ceux qui ont gagné
de l'argent uniauement par leur travail utile à la
défense nationale.
Arrivent des amis, invités de Legendre : M. Ance-
lier, nouveau pauvre, que la guerre a ruiné, et sa fille
Eveline, fiancée à Georges Martinet. Eveline, qui a
été élevée dans l'aisance, cherche du travail et une
situation. Legendre la prend comme dactylographe;
elle entrera en fonctions le jour même. Legendre
a acheté le château de La Châtaigneraie, qui appar-
tenait à son ami Ancelier, et tous s'y rendront tout
à l'heure en automobile. Ancelier et sa fille vont se
préparer pour cette promenade. En leur absence.
Martinet annonce à Legendre qu'il s'oppose au ma-
riage de son fils avec Eveline, puisqu'elle est ruinée.
Georges proteste qu'il n'aura pas d'autre épouse que
celte jeune fille, qu'il aime. Martinet se fiche, le
renie, le déshérite,... et sort.
Legendre a donné rendez-vous au thé à sa
femme, Françoise, aujourd'hui riche, mais guindée
et gênée, dans sa nouvelle situation. Elle fait dans
la salle une entrée comique et va s'asseoir toute
penaude à la table de son mari. Les Ancelier re-
viennent, et l'on part pour La Châtaigneraie.
Le second acte se passe dans le parc de La Châtai-
gneraie, devant la terrasse du château. Les invilés
sont Ancelier, sa fille, Fronsac et Blanche Delorme,
que le journaliste a présentée comme sa femme à
M™e Legendre. Celle-ci se sent mal à l'aise dans son
rôledechâtelaineetdanssoncorset.Tandisquechacun
va faire un tour dans le parc, Legendre dicte quel-
ques lettres à Eveline, devenue
sa dactylographe : il répond â
un entrepreneur qui veut ache-
ter et abattre les grands ar-
bres séculaires de la propriété.
Eveline ne peut retenir ses
larmes à l'idée que ces beaux
arbres, sous lesquels elle a
grandi, vont être coupés. Le-
gendre, touché, la rassure: il
refuseral'ofi'redumarchand de
bois. Georges Martinet arrive
Legendre laisse le» amoureux
ensemble et leur promet de
les aider à conclure le ma-
riage. 11 assure à Eveline une
dot de 200.000 francs, dans
l'espoir que le père Martinet
baissera pavillon devant la
somme promise à la fiancée.
Mais il n'en est rien : Mar-
tinet est ambitieux ; il a des
visées politiques; aussi refuse-
t-il Eveline, parce qu'il veut
allier son fils à la famille d'un
député qui le fera élire.
Fronsac et Blanche reparais-
sent. Fronsac a persuadé à Le-
gendre, dontil l'ait l'éducation,
que sa fortune lui impose une
liaison avec une jolie actrice,
et Blanche a entrepris la con-
quête dunouveaumillionnaire.
Legendre n'a aucune inclina-
tion pourcettefiUeprétentieuse,
mais il se résigne à cette né-
cessité de son état, puisque
c'est o parisien ». M™» Legen-
dre entreau momenloù Blanche
enlace de ses bras son riche
ami. La pauvre épouse éclate
en sanglots. Legendre lui ex-
plique la nécessité sociale qui
le force à contracter cette liai-
son extraconjugale. Dans une
scène amusante, les deux
époux, qui s'adorent, regrettent
le bon temps où ils n'étaient
pas riches : lui ouvrier méca-
nicien, elle marchande des
qualre-saisons, et ils étaient
heureux. Pour se consoler des ennuis de la fortune,
ils iront un soir dans leur vieux quartier, au fond
de Montmartre ; ils revêtiront de vieux habits, et ils
mangeront à la guinguette, ils coucheront à l'hôtel
meublé : ils revivront un soir de leur jeunesse
Le troisième acte se déroule dans le bureau de
l'usine Legendre. Tous les ennuis tombent sur le
pauvre homme. Son pieux pèlerinage avec sa femme
au pays de leur bonheur passé a été surpris, ra-
conté, ridiculisé, sali par la plume venimeuse du
reporter Saturnin, qui se venge de l'algarade du
premier acte. Blanche Delorme, furieuse, est la fable
de tout Paris. Ede vient exiger de Legendre qu'il
divorce. Fronsac lui persuade que c'est très o pari-
sien ». Legendre consent avec peine. Heureusement
les événements se précipitent pour tout arranger.
Une dépêche du ministère de l'aviation informe
Legendre que les appareils livrés par lui ne fonc-
tionnentpas.Aussitôt.le patron, alarmé, revêt la veste
155
de toile bleue et va examiner le moteur de l'appa-
reil, qui est sur le chantier. Il découvre le défaut.
L'acier de la bielle est de l'acier mou, qtii fait li-
maille au frottement, et le moteur se coince. Cet
acier lui a été livré par Martinet. Celui-ci, convoqué,
découvre qu'il a été dupe des spéculateurs. Il a
payé bon marché de l'acier qu'il croyait bon et qui
ne vaut rien. Sa responsabilité est engagée, et son
crédit va sombrer. Legendre le sauve, à la condition
qu'il approuve le mariage d'Eveline et de Georges.
Martinet consent, heureux d'en être quitte à si bon
compte. Quant à Fronsac et Blanche, reconnus enfin
par Legendre comme un couple d'aigrefins, ils sont
mis à la porte par le riche mécanicien, qui revient
tendre et soumis vers sa bonne femme d'épouse.
Tout finit bien.
Cette pièce est le début de deux auteurs dans l'art
dramatique; elle est habilement conduite : les carac-
tères y sont bien dessinés et adroitement présentés.
Les <i Nouveaux Riches « sont un témoignage cu-
rieux de l'apparition d'une caste neuve, les enrichis
de la guerre. — Léo Claretib.
Les principaux rôles ont été créas par M"" Jeanne
Cheirel (Françoite Legendre), Germaine de France (^oe-
line Ancelier), Suzy Depsy (Blanche Delorme), et par
MM. Abel Tarride [Edmond. Legendre), Chamero\' {Mar-
tinet), Félix Grouillet (Daniel Fronsac), Dorian (George»),
Grégoire (Saturnin), Angelot (Ancelier).
Orient (l'). Ses richesses naturelles. — La
politique allemande de pénétration en Orient et
l'entrée en action de la Turquie à la remorque de
l'Allemagne, dont elle est devenue un instrument,
ont fait déborder jusqu'en Asie le théâtre d'nne
guerre qui aurait pu paraître, au premier abord.
Puits de pétrole jaillissant, a Bakou, ville russe sur la mer tZasitienn,-.
destinée à être exclusivement européenne. En réa-
lité, il entrait depuis longtemps dans les vues de
l'Allemagne d'étendre sa domination en Orient, et
tel était bien l'un des buts poursuivis par le kaiser
dans la guerre actuelle. Les Alliés ont dû, nécessai-
rement, résister à ce mouvement turco-ailemand et
en empêcher les progrès. C'est ainsi que la lutte
s'est trouvée prendre une telle importance dans les
Balkans et, d autre part, au Caucase, en Arménie,
en Perse, en Mésopotamie, et qu'elle aurait pu
s'étendre jusqu'en Egypte. Si la Turquie d'Asie,
qui forme l'Orient immédiat de l'Europe, a sus-
cité les convoitises germaniques, ce n'est pas
seulement parce qu'elle fournit des voies d'ac-
cès vers les Indes et tout l'Extrême-Orient ; c'est
aussi à raison de sa valeur propre, et, comme on ne
peut penser aujourd'hui que la paix puisse être
conclue sans un nouvel amoindrissement imposé à
l'empire ottoman, il est intéressant de savoir quels
1S6
sont les produits naturels de ces pays, dont il pourra
y avoir à régler le sort. D'une façon générale, ils
possèdent d'importantes ressources agricoles et,
dans certaines de leurs parties, ils renferment aussi
des richesses minérales.
L'Asie turque, dont la partie nord forme la bor-
dure méridionale de la mer Noire, entoure la
Méditerranée orientale ; elle vient confiner à
l'Egypte, au sud du bassin méditerranéen. Se rat-
tacliant par sa situation même au climat méditerra-
néen, elle se trouve placée dans une région inter-
médiaire entre le climat continental européen, que
LAROUSSE MENSUEL
l'olivier, la vigne, le mûrier, le figuier et les divers
pistachiers, lenlisque et térébinlhe; on y fait l'éle-
vage des bœufs, des moulons, des chevaux et
mulets. Ghio est une ile extrêmement fertile et très
bien cultivée, qu. produit du blé, du vin, du coton,
de l'huile et des légumes Sa principale richesse
est dans les fruits qu'elle exporte : oranges, citrons,
raisins, figues, grenades, etc. Une autre culture
tout à fait répandue à Ghio est celle des lentisques,
qui donnent la pâte parfumée appelé mastic. On
y élève enfin des vers à soie, grâce aux mûriers
qu'on y cultive. Samos est riche aussi en fruits et
La viUe d>î Beyrouth, port de Syrie sur la Méditerranée, et la montagne du Liban.
représente la Russie, et le climat tropical, auquel
appartient l'Arabie. A lest, elle louche à la Perse,
c'est-à-dire à l'un des côtés de ce pays de l'Iran,
au climat très sec, qui est regardé comme une des
parties de la grande zone désertique de l'hémisphère
nord. Mais la Turquie d'Asie est loin de présenter
ime uniformité coiiiplMe de climat, et ses produc-
tions végétales ne peuvent, par suite, être les mêmes
partout. Les régions maritimes se dilTérencient
nécessairement beaucoup de celles de l'intérieur et,
parmi ces dernières, il en est qui sont soit monta-
gneuses, soit formées de plaines ou même déser-
tiques, et il en est aussi qui sont plus ou moins
arrosées. Nous envisagerons successivement plu-
sieurs régions, qui sont en réalité plutôt naturelles
que politiques : l'Asie Mineure, l'Arménie et le
Kourdistan, les vallées du Tigre et de l'Euphrate,
la Syrie et la Palestine, puis l'Egvple du Nord.
En ce qui concerne l'Asie Mineure, la diiTérence
est pai-liculièrement manifeste entre les côtes dont
le Climat est moins excessif et l'intérieur, où la
sécheresse est très grande. Tout le pourtour de
cette péninsule avancée de l'Asie ne se présente
même pas avec des conditions climatériques sem-
blables.
La côte septentrionale, que baigne la mer Noire,
est la plus froide. Klle le doit à ce que rien ne la
défend contre les vents froids qui lui viennent, par-
dessus les eaux, des plaines de la Russie; mais,
plus on se rapproche de l'est, plus le climat s'adou-
cit, grâce au Caucase, qui protège la côte coiilie ces
mêmes vents. Comme, d'autre part, le Caucase
concentre l'humidité, c'est de l'ouest & l'est que la
hauteur des pluies augmente. Toute celte côte,
s'étendant de l'entrée septentrionale du Bosphore
jusqu'à la Russie, est dominée de près par de
hautes montagnes, sur les pentes desquelles sont
d'épaisses forêts où abonde le chêne.
La côte occidentale, formant l'extrémité de la
péninsule, est beaucoup plus favorisée comme cli-
mat et beaucoup plus productive. Elle est la moins
pluvieuse et la plus chaude. Elle comprend d'abord
le littoral de la mer de Marmara, qui ne diffère
guère de la côte septentrionale. Mais, à partir de
l'issue des Dardanelles, commence la côte dite «de
l'Archipel », très découpée, sur laquelle les chaînes
de montagnes, dirigées de l'inlérieur, projettent de
nombreuses presqu'îles et, par ces découpures, mul-
tiplient les baies et les golfes. La mer Egée, qui la
baigne, est semée d'îles, lesquelles sont des déliris
de la côte. Le climat de celle partie est à peu près
le même que celui de la Grèce, qui lui fait face et
Fossède les mêmes plantes. C'est en abondance que
on trouve des vignobles, des vergers, des mûriers,
des arbres à fruits. Toute cette région maritime est
très fertile et, surtout, la province de Smyrne. Les
îles de l'Archipel sonl également très productives.
Lemnos, en face de l'entrée des Dardanelles, donne
des céréales, de l'orge, des figues, des légumes et
possède d'excellents vignobles ; on y élève des
troupeaux de brebis. A Mylilène, l'ancienne Lesbos,
qui jouit d'un délicieux climat tempéré, on cultive
légumes, et on y fait des vins renommés. Rhodes,
île dotée d'un merveilleux climat, produit des
céréales variées : blé, orge, seigle, avoine, des
olives, delà vigne, des légumes, des arbres fruitiers
de toutes sortes, des palmiers, des mûriers, de hauts
et beaux arbres, comme platanes et peupliers. Mais
l'île est incomplètement cultivée faute de bras et
aussi à raison des procédés primitifs qui y sont
employés.
Quant au littoral méridional de l'Asie Mineure,
ou littoral méditerranéen, il est tout à fait privilé-
gié. Bordé par la chaîne du Taurus, qui y forme les
deux énormes saillies du Taurus Lycien et du Tau-
«' 124. Juin 1917.
courbes accentuées, mais qui, dans leur ensemble,
sont orientées de l'est à l'ouest et viennent se perdre
dans les presqu'îles qui découpent la côte de la mer
Egée. Tout le centre est occupé par un plateau
élevé, le plateau d'Anatolie, où s'étalent des nappes
lacustres, sans écoulement vers la mer, comme le
Touz-gheul. C'est au sud -est que ce plateau est
bordé par les plus naiites montagnes : Taurus,
Anti-Taurus. Une sécheresse exlrème est la carac-
téristique du climat de ce plateau intérieur. Aussi
n'est-ce pas dans celte partie centrale que l'on
pourra trouver des terrains productifs. On les ren-
contre, au contraire, dans toute la zone montagneuse
qui en forme le pourtour et où les piuies sont plus
abondantes, soit sur les pentes des montagnes et
sur les plateaux, soit dans les vallées.
II est à remarquer que les ressources végétales de
l'Asie Mineure sont d'autant plus variées qu'on y
trouve réunies à la fois les flores de l'Europe, de l'Asie
et de l'Afrioue du Nord.
Les céréales y sont très prospères et viennent
même jusqu'à une altitude assez élevée. Klles cons-
tituent l'une des richesses de taule laTurquie d'Asie,
aussi bien du côté de la Méditerranée que de celui
de la mer Noire. On sait qu'en Russie, à peu de dis-
tance au nord de la mer iNoire, la région du Tcher-
noziom (ou de la Terre noire) e-t un véritable grenier
à blé et que la zone des sleppes fertiles, située au Sud,
autour de la mer Noire et de la mer d'.\zov, quoique
moins riche, possède aussi une couche de terreau
où, par une patiente mise en œuvre, on arrive en-
core à obtenir des céréales. Sans égaler les richesses
du Tchernoziom, elles oITrent, dans l'Asie Mineure,
un très grand avenir.
Une autre production à mettre en regard des cé-
réales estle coton; nonquesa culture soit aujourd'hui
florissante, mais parce que, très délaissée, elle est
susceptible de regagner sa prospérité ancienne. On
le cultive notamment dans les vallées du Ghedis-
Tchiiï, du Koulchouk-Meudéré ou Petit-.Méandre,
du Bœyuk-Mendéréou Grand-Méandre, qui s'ou vrent
sur la mer Egée. Il vient aussi en abondance dans
la région des plaines du vilayet d'Adana.
De même que sur beaucoup de parties de la côte,
les arbres fruitiers sont aussi nombreux que variés
dans l'intérieur de l'Asie Mineure. Nous nous bor-
nerons à citer, parmi les fruits les plus répandus et
les plus réputés, les figues, oranges, olives, abricots,
pêches, poires, pommes, grenades, pistaches, etc.
En quelques endroits favorisés par le climat, on
trouve des palmiers. Dans beaucoup de réglons, on
fait des vins excellents et même renommés, tels que
ceux de Brousse. Bien que le pays ait subi de fâcheux
déboisements, les arlires y sont encore abondants;
on y trouve des peupliers, des platanes, des syço-
La viUe de Jaffa, port de Syrie, sur la Méditerranée.
rus Gilicien, il est protégé par cet écran monta-
gneux contre les vents du nord, et la température,
tout en présentant des moyennes élevées, y est
douce et égale. Sur les côtes, on trouve des jardins
florissants, des palmiers, des aloès, toutes les
plantes et toutes les essences des régions méditerra-
néennes, aussi bien chaudes que tempérées. Au-
dessus, sur les flancs du Taurus, s'élagent des
forêls. En face de la côte de Cilicie, l'île de Chypre,
appartenant à l'Angleterre, que nous nous bornons
à mentionner, bénéficie du même climat et produit
en abondance des céréales, du vin et des végétaux
à substances odoriférantes.
Si nous pénétrons dans l'intérieur de l'Asie Mi-
neure par delà les chaînes qui bordent ses côtes
nord et sud, nous les trouvons doublées en arrière
de séries d'autres chaînes décrivant parfois des
mores, des noyers, des cyprès. Les pentes des pla-
teaux sonl presque partout couvertes de magnifiques
forêts, riches en bois de construction et d'ébéniste-
rie; il en est ainsi, par exemple, de la partie mon-
tagneuse du vilayet d'Adana. La plus vaste de toutes
les forêls de l'Anatolie est l'Agatch-Denghiz (la
« Mer d'arbres »), à lest du Zakaria. L'Asie Mineure
donne aussi du tabac, des plantes médicinales,
comme le pavot à opium servant à faire du lauda-
num, des plantes à produits odoriférants : henné,
mastic du leutisque, térébinlhe, ambra, des graines
oléagineuses, des gommes, de la réglisse, des légu-
mes variés, des fèves, du chanvre, des mûriers.
L'élevage est pratiqué dans certaines vallées et
sur les pentes des montagnes, et il est à peu près la
seule ressource que peut offrir le plateau d'Anatolie.
Mais, comme sur celui-ci les pâturages ne consistenl
«• 124. Juin 1917.
PRODUITS D'ORIENT
157
158
qu'en une herbe courte, ils ne se prêtent pas à l'éle-
vage du gros bétail, tandis qu'ils conviennent très
bien pour la race ovine ; on y élève une race de mou-
Ciiravane ;i travers k* iléaert de Syrie.
tons à grosso queue. Les bœufs sont rare.s, mai.s il
y a beaucoup de bulfles. Les chèvres sont une véri-
table richesse pour le vilayet d'Angora, en raison
des qualités de leur toison .soyeuse. Les chevaux
sont peu nombreu.\ ; on se sert surtout comme mon-
tures des chameaux et des ânes.
L'Arménie turque et le Kourdislan sont les pays
qui, de l'Asie Mineure, s'élendent à l'E. jusqu'à la
liussie et à la Perse; au S. du Kourdislan est la
Mésopotamie. Arménie turque et Kourdislan sont
des contrées extrêmement montagneuses, où se
rencontrent et s'enchevêtrent de hautes chaînes :
Alpes Pontiques, prolongements du Caucase, monts
du Kourdislan, Taurus, et qui ont pour point cul-
minant le mont Ararat, d'une altitude de 5.172 mr-
tres. Le climat de ces pays varie beaucoup d'apri>
l'altitude et selon les influences qu'ils subissenl. On
y trouve aussi des écarts de température considé-
rables d'une saison à l'autre. C'est ainsi que, dans
le vilayet d'Erzeroum, il fait en hiver des froids
rappelant ceux de la Sibérie et qu'on y jouit, en
été, au moins dans certaines parties, d'un climat
digne de l'Italie. Aussi ne devra-l-on pas s'étonner
de trouver, dans de telles contrées, les productions
les plus diverses.
Ainsi que dans l'Asie Mineure, les céréales sont
un des produits principaux de l'Arménie turque et
du Kourdislan. La vigne, très répandue, fournit des
raisins doux et savoureux; on cite notamment les
vignobles de la vallée du Tortoun-Sou, affluent du
Tchorolih. Le vin de Malatia, qui est excellent, est
fait avec des raisins d'une grosseur extraordinaire;
celui de Diarbékir est très réputé. Les arbres frui-
tiers sont aussi lune des richesses de ces pays. Ils
sont très abondanis dans le vilayet d'Erzeroum et
dans les autres vilayets situés plus au S.; les ver-
gers, ainsi que les vignoble;; de Malatia, sont regar-
dés comme les plus beaux de l'.Vrménie. Sur lo
bords de la mer Noire, où les pluies sont plus fortes,
les arbres fruitiers sont aussi très nombreux; ci-
tronniers, orangers, oliviers emplissent les jardins
de Trébizonde et de Rizé. La culture du coton a
pris une grande importance à Trébizonde; on en
récolte aussi dans le vilayet de Diarbékir. On fait
beaucoup d'élevage dans celui d'Erzeroum.
La Mésopotamie, qui comprend toute la contrée
baignée parle Tigre etl'Euphrate, depuis leur sor-
tie des montagnes du Kourdislan jusqu'à l'embou-
cliure du Ghat-el-Arab dans le golfe Persique, est
également un pays d'une remarquable fertilité na
turelle, susceptible de fournir en abondance des cé-
réales et du coton, ainsi que beaucoup d'autres pro-
duits, si, grAce à une irrigation rationnelle, on lui
rend la prospérité dont il a joui autrefois. Nous ren-
voyons à ce que nous avons dit déjà à son sujet dans
le Larousse Mensuel (mars 1916, Mésopotamie).
En bordure de la Méditerranée orientale, la Syrie
et la Palestine, pays montagneux, que limite àl'E.
le désert, subissent à la fois l'influence des vents
humides de la mer et, par l'autre côté, celle des
vents desséchants. Aussi le climat varie-l-il selon
les régions. Sur le littoral, les hivers sont plus doux,
etcertains endroits sont tris favorisés, comme Saïda,
l'ancienne Sidon, qui, à raison de ses belles fleurs
et de ses excellents fruits, a toujours été qualifiée de
Sidon la Fleurie. Dans les montagnes, le froid est
très vif, et il y tombe beaucoup de neige. Elles étaient
autrefois couvertes d'arbres, mais, malheureusement,
LAROUSSE MENSUEL
elles ont été très déboisées; si les hauteurs qui do-
minent la plaine de Baalbek portent encore des
forêts, les fameux cèdres du Liban ont à peu près
disparu, etc'est par bos-
quets épars que l'on
trouve encore des ar-
bres : chênes, érables,
genévriers,poirierssau-
vages, etc. Dans la par-
tie orientale de la Syrie
et de la Palestine qui
confine au désert, le cli-
mat est excessif, et les
écarts de température
sont considérables.
Ce n'est guère que
dans les parties voisines
de la mer, dans les val-
lées bien arrosées de
l'intérieur et dans quel-
ques plaines que l'on
trouve des régions fer-
tiles. On peut citer,
lomme les meilleures,
la vallée de la Bekaa,
appelée jadis Cœlé-Sy-
rie, entre le Liban et
r.\nti-Liban; dans la
Palestine, la valiée du
Kizon , qui forme la
plaine d'Esdrélon ; la
|)lai ne de Saron ou
Sahil, entre Cesarée et
.laffa, l'ancien Cbanaan.
Les principales cul-
tures sont les céréales :
blé, orge, millet, mais; la vigne, qui donne le « vin
d'or » du Liban; les fruits, parmi lesquels les oran-
gers et les citronniers abondent; les légumes va-
riés, entre autres, fèves et lentilles; le sésame, le
tabac. La production du colon se développe dans la
région d'Alep; les racines de la réglisse y sontaussi
une des spécialités. Sur toute la côte de Syrie, la
pêche des éponges est active en été. L'élevage du
ver à soie est en progrès dans le Liban. Le bétail
est aljondant dans le vilayet d'Alep, où il constitue
la principale fortune des nomades.
Au sud de la Méditerranée, le rivage africain dé-
bute par l'Egypte. Là s'étale l'ample delta du Nil, de
«• J24. Juin 191?.
chaînes volcaniqueset qui ont subi de nombreux bou-
leversements géologiques, qui renferment le plus de
minerais. Dès l'antiquité, on en a exploité beaucoup
et, aujourd'hui, les gisements reconnus sont nom-
breux; mais, à quelques exceptions près, on n'a pas
encore mis en valeur toutes les richesses minières
de ces contrées : c'est seulement depuis que les voies
de communication ont été plus développées que l'on
a poursuivi avec plus d'activité leur exploitation.
La houille se rencontre par places dans la zone
entière du Nord, comme, d'ailleurs, on en trouve, et
en plus grande quantité encore, de l'autre côté de
la mer Noire, au Caucase et en Russie. Il en existe
aussi à Brousse, que l'on s'est mis à exploiter da-
vantage, et dans la bordure littorale de la mer Egée,
notamment près de Suiyrne.
En ce qui concerne les minerais, ils sont assez
répandus partout, mais quelques régions sont privi-
légiées. Il en est ainsi de celle de Brousse, où l'on
trouve du fer magnétique, du plomb aruenlifère, du
cuivre, du zinc, de l'antimoine; le vilayet de Smyrne
possède à peu près tous les mêmes métaux.
Le fer, l'or, l'argent, le plomb, le zinc, le chrome, le
manganèse se rencontrent sur de nombreux points de
l'Asie Mineure occidentale et méridionale. Le Taurus
Cilicien et le Taurus Arménien renfermentdes mines
de plomb argentifère, etil en existe, au centre de l'Ana-
tolie,pràsd' Angora et à Si vas. Dans l'Est, son tdenom-
lii'pnses mines de cuivre, dont plusieurs exploitées,
n
Jcrusalciii ; la tour Autonia et la mosnUL^c .lOmar. — Le départ des vaisseaux du désert.
ce (leuve dont l'étroite vallée contient les seuls ter-
ritoires productifs du pays. Le colon est la plus
importante des cultures et celle qui fournit le plus
à l'exportation. La canne à sucre vient au second
rang parmi les produits d'exportation.
Les céréales, blé et maïs surtout, riz en certains
endroits, comptent aussi parmi les cultures les plus
répandues. 11 en est de même des légumes, pois,
fèves, lentilles, oignons. Telles sont tout au moins
les productions principales.
Si des produits végétaux nous passons aux produits
minéraux, nous pourrons voir que la Turquie d'Asie
n'en est pas dépourvue. Mais ce sont surtout l'Asie Mi-
neure, l'Arménie et le Kourdislan, pays traversés de
dans les vilayets de Trébizonde et d'Erzeroum et, à
A rghanamaden,prè3de Diarbékir. Leseaux thermales
sont abondantes, et celles de Brousse attirent des bai-
gneurs. Dans la Syrie, auprès d'Alep, à Djeboul, se
trouve l'une des principales salines de l'Asie turque.
Les carrières peuvent fournir aussi de précieux
matériaux, calcaire, granit. Dans le vilayet de
Brousse, il existe de beaux marbres blancs, roses,
bleu antique, ainsi que du lapis-laznli. L'île de Chio
est réputée aussi pour ses nombieuses carrières de
marbre. Il faut signaler encore l'émeri et la pierre
à aiguiser de Smyrne et les mines d'écume de mer
d'ICski-Chehr, qui sont les plus belles et les plus
riches que l'on connaisse. — Gustave Reoelspeeorr.
I
H' 124. Juin 1917.
♦paludisme n.m. — Encycl. La g-uerre, qui a
singnliiTemenl agirai é un certain nombre de mala-
dies et qui en a fait oclorequelqties-unes que, jusqu'ici,
nous avions ignorées, nous apporte une question du
paludisme. La base en est la crainte que nous de-
vons éprouver de voir le fléau allumer sur notre
territoire des foyers nouveaux ou ranimer ceux que
nous pensions éteints. L'exposé de ce problème ac-
tuel nous invite à passeren revue les causes de cette
extension possible et les moyens, prophylactiques
ou curalifs, dont nous disposons pour l'enrayer.
Le paludisme infestait jadis une bonne partie de
la France. Les mesures d assainissement et surtout
d'assécliement prises, le développement des cul-
tures, le traitement efficace des sujets malades ont
diminué dans de notables proportions la superficie
des régions envahies. Aujourd'hui, en effet, 1 accord
est fait d'unanime façon sur les causes du paludisme
et la façon dont il se propage. L'expérimentation a
corroboré ce que nous avaient démontré les autres
méthodes de recherche, et les succès remarquables
obtenus par les mesures qui découlent de celte façon
de considérer le problème ont mis fin aux quelques
incertitudes qui pouvaient subsister. Le paludisme
est causé par un parasite microscopique du sang,
que Laveran, qui le découvrit en 1880, avait nommé
Hœmamseba malarise et qui est rangé actuellement
dans le genre Plasmodinm. Ce parasite est peut-
être unique, peut-être multiple, et l'opinion présente
semble pencher en faveur d'une multiplicité des es-
pèces, dénoncée par la variété des formes; il y aurait
alors un Plusmodium vivax, responsable de la fièvre
tierce, un l'iasmodium malariae, cause de la fièvre
quarte et un P. falciparum (ce nom est dû à sa
lorme en croissanl), qui donnerait naissance aux
fièvres irrégulières et aux formes les plus graves de
la maladie. Celle-ci, on le sait, est caractérisée sur-
tout par la fièvre, survenant par accès ou existant de
façon plus ou moins continue et pouvan'. se mani-
fester sous forme d'accès pernicieux, ceux-ci con-
sistant dans l'adjonction, au symptôme fièvre, de
phénomènes typhoïdes, algides, cérébraux, etc., des
plus dangereux. Cette fièvre n'est que la manifesta-
tion extérieure d'une infection profonde, qui cause,
d'autre part, une hypertrophie considérable de la
rate et du foie, une anémie intense, souvent une
cachexie incurable et, en tout cas, un affaiblisse-
ment très considérable de l'individu, redoutable
pour lui et ses descendants.
Ce parasite du paludisme, le Plasmodium, est in-
Anwphi'ie. — Dans leau, larve danophele. (Les orifices respi-
ratoires s'ouvrent sur la surface dorsale de l'avatit-ilernier ao-
neau; pour respirer, la larve doit donc flotter horizontalement.
troduit dans le sang de l'homme par la piqiîre d'in-
sectes du genre Anophèles, le plus connu de ces
moustiques étant 1'^. maculipennis . L'appareil di-
gestif de ce diptère sert d'habitat et de lieu de
transformation et de fécondation au Plasmodium,
qui passe ensuite dans les glandes salivaires de l'in-
secte, et celui-ci, lorsqu'il pique un sujet sain, lui
transmet l'infection en lui inoculant ce parasite.
11 résulte de cet exposé très succinct que la pro-
phylaxie du fléau se résume dans deux précautions :
détruire l'insecte, l'empêcher de se reproduire, dune
part, et, de l'autre, guérir les paludéens et supprimer
ainsi la source où le diptère peut s'approvisionner
lie Pldsntodium. C'est la mise en œuvre de ces me-
sures qui avait permis de rétrécir, comme nous l'a-
vons dit, la carte du paludisme en France. Il a donc
fallu des conditions non velles pour que, loin de conti-
nuer ce mouvement rétrograde, le fléau se montre au-
jourd'hui capable de prendre une sérieuse extension.
Ces conditions, nous les trouvons dans la venue
ou le retour en France de nombreux sujets atteints
récemment ou anciennement de malaria et, en cette
LAROUSSE MENSUEL
qualité, porteurs de parasites. II faut admettre, en
effet, que les anophèles susceptibles de répandre
l'infection existent sur tout notre territoire. Certes,
ils sont plus nombreux, plus vivaces, plus dange-
reux, par conséquent, dans les régions chaudes du
Sud-Est et du Sud-Ouest et, notamment, sur la Côte
d'Azur et autour du bassin d'Arcachon. Mais, en
réalité, on les rencontre, quand on les cherche, un
peu partout, et on les a idenliflés dans les grandes
Culex. — Dans l'eau, larve du culex. (Les orifices respiratoires
sont À l'extrémité d'un tube; pour respirer, la larve se tient obli-
quement.}
villes du centre même, car une femelle d' Anophèles
maculipennis (les femelles seules sont dangereuses)
a été capturée dans un laboratoire du Muséum à
Paris et une autre à l'Institut Pasteur. Les porteurs
de germes que nous avons signalés viennent donc
compléter fâcheusement les possibilités qu'a le fléau
de se réveiller ou de s'étendre.
Ces porteurs de germes, disions-nous, sont des
paludéens anciens ou nouveaux. Ceux-ci sont des
soldats de notre armée d'Orient qui ont gagné le
mal dans la presqu'île des Balkans et, notamment,
sur les rives du 'Vardar, particulièrement infestées
par le paludisme et oii les victimes ont été nom-
breuses. Ils sont revenus en France malades, par-
fois convalescents, mais non guéris, c'est-à-dire
hébergeant le parasite dans leur système circulatoire.
Les aulres sont des hommes de nos contingents co-
loniaux, des soldats de l'armée d'Afrique, des indi-
gènes de nos possessions d'outre-mer accourus à
l'appel de la métropole ; ce sont aussi des travail-
leurs venus des mêmes régions pour combler ici les
vides causés dans noire main-d'œuvre par la mobi-
lisation. Eux aussi sont des porteurs de germes, qui,
pour chroniques qu'ils soient, n'en sont pas moins
dangereux. Ce péril, nous en avons constaté la gra-
vité en voyant des cas de paludisme se déclarerchez
des Français n'ayant jamais quitté leur patrie et
parfois dans des pays qui ignoraient jusqu'à présent
la malaria. On les rencontra, ces victimes nouvelles,
parmi nos troupes métropolitaines, quand elles
avaient partagé certains cantonnements avec des
unités coloniales; on les vit dans la population ci-
vile, soit que celle-ci ait été en contact, elle aussi,
avec des troupes venues des pays chauds, soit que,
dans la région, se soient installés de nombreux tra-
vailleurs indigènes, employés par exemple, aux
usines de guerre (Camargue), soit encore qu'il s'a-
gisse de régions où les hôpitaux recevaient en grand
nombre (et parfois exclusivement) des paludéens,
soit, enfin, que les nouveaux contaminés habitassent
des pays où venaient en convalescence les palu-
déens récents que nous avons signalés.
Le péril est d'autant plus grand, àn'en pas douter,
qu'il s'agit de pays qui ont mieux connu autrefois
déjà ce fléau. C'est qu'en effet, ces contrées sont
celles qui accumulent les conditions d'existence les
plus favorables pour les anophèles. Mais, dans les
autres même, il ne faut pas en négliger la possibilité.
Dans les pa\3 où les moustiques sont très nom-
breux et la malaria endémique (comme la Campagne
roiuiiine), ou dans ceux où les épidémies sont parti-
culièrement redoutables, on a pris un certain nom-
bre de précautions énergiques pour empêcher les
sujets sains d'être piqués par ces insectes, qui ne
sont, d'ailleurs, dangereux que le soir et la nuit. Du
nombre sont le grillagement des portes et des fenê-
tres avec des toiles métalliques à mailles lines, l'u-
sage de moustiquaires entourant les lils et de vête-
ments spéciaux où des tulles recouvrent toutes les
parties communément découvertes, comme le visage
159
et les mains. Ces mesures sont, la plupart du temps,
inutiles chez nous. Mieux vaudra lutter exclusive-
ment contre l'insecte propagateur du mal par les
méthodes gui ont jusqu'à présent réussi, c'est-à-dire
la destruction des moustiques, celle surtoutde leurs
larves, l'assèchement de la région, la di.-^parition de
toutes les flaques d'eau qui peuvent servir de lieu de
ponte et, enfin, la cure poursuivie longtemps des
malades atteints que l'on s'efforcera, en même
temps, de protéger contre l'accès des anophèles.
La destruction des moustiques adultes ne peut
compter que pour une faible part dans cette lutte,
car elle sera forcément partielle. Rien ne vaut, pour
la disparition de ces insectes, la destruction de leurs
larves elles emp^chementsapportésàleurpullulation.
La larve de l'anophèle vit dans l'eau, de même,
d'ailleurs, que celle du cousin, qui est inoffensif. On
distingue ces deux larves l'une de l'autre par ce fait
que la première se tient dans l'eau horizontalement,
de manière à faire affleurer à la surface ses stig-
mates respiratoires, situés sur sa partie dorsale,
tandis que la larve des culicides (cousins) se tient
obliquement, ses stigmates étant placés au bout d'un
tube respiratoire qui lui permet cette position.
On voit par ce simple exposé que les deux espèces
de larves sont obligées, pour vivre, de venir res-
pirer à la surface à intervalles rapprochés. C'est
une particularité que l'on met à profit dans la lutte
contre l'insecte. En effet, le dessèchement réel des
contrées marécageuses est une œuvre de longue ha-
leine, qui ne peut être pratiquée que par les ingé-
nieurs et les agronomes, car l'extension des cultures
en est un élément essentiel. D'autre part, dans les
grandes étendues d'eau (étangs, lacs), où pullulent
volontiers les larves d'anophèles, la seule manière
de lutter de façon efficace semble être l'élevage en
grand nombre de poissons très destructeurs de ces
petits êtres et dont les espèces les plus recomman-
dables paraissent être celles qui constituent le groupe
des cyprins (poissons rouges). Mais, à côté de ces
superficies considérables, il taut tenir grand compte
des étendues beaucoup plus médiocres, telles que
des mares et des marettes dont on peut sans incon-
vénient souiller les eaux; on empêche les larves de
moustiques d'y vivre en répandant sur ces eaux du
pétrole ou une huile minérale du même genre, qui,
lorsque l'insecte veut venir respirer à la surface,
constitue une couche imperméable à l'air et une
sul)stance qui bouche ses stigmates respiratoires.
Enfin, ce sera l'affaire des particuliers ou des com-
munautés de faire disparaître les très petites éten-
dues d'eau où les moustiques ne se font pas faute
de pondre, telles que les flaques, l'eau résiduelle
des gouttières, celle qui s'accumule dans des vases
ou la surface non recouverte des réservoirs.
Toutes ces mesures gagneraient, évidemment, à
être surveillées par les autorités sanitaires. Aussi,
à la suite d'un rapport de "Wurtz, qui faisait remar-
quer que, si les méfaits des anophèles diminuaient
ou disparaissaient dans nos colonies, c'était grâce
aux règlements édictés, notamment en Afrique
orientale française, et organisant officiellement la
recherche et la destruction des gites de moustiques,
l'Académie de médecine a-t-elle émis le vœu, dans
sa séance du 12 septembre 1916, que « les pouvoirs
donnés aux autorités sanitaires pour la prophylaxie
des épidémies soient étendus à la recherche et à la
destruction des moustiques. Ces mesures, ajouta-
l-elle, comprennent le droit de visiter les immeu-
bles et de prescrire les mesures nécessaires ».
L'isolement de tous les porteurs de germes est
naturellement impossible à réaliser pratiquement.
Mais il est indispensable que cette mesure soit au
moins mise en œuvre dans les hôpitaux ou lessalles
destinés exclusivement aux paludéens, notamment
Coupe autéro-postérieure d'un anophèle femelle su^'ant le
sang : A, trompe ; B, gaine.
dans les pays où les anophèles sont très nombreux.
Celte précaution consistera surtout à empêcher l'ac-
cès des moustiques dans ces salles à l'aide de gril-
lages comme ceux dont nous avons déjà parlé.
D'autre part, il faut éviter, autant que possible, de
faire séjourner les troupes coloniales dans les ré-
gions spécialement infestées de moustiques.
Le traitement des paludéens est l'autre partie de
la prophylaxie du paludisme qu'il nous reste à en-
visager. Chacun sait qu'il est un médicament spé-
cifique du paludisme et qui est utilisé de façon
classique pour le guérir, c'est la quinine. L'expé-
rience, maJhpureusemenI trop grande, que nous vaut
160
la guerre actuelle semble avoir démontré que la qui-
nine doit toujours être considérée commele remède
le plus efficace. On a seulement introduit quelques
modifications dans son administration. Les caciiets,
les comprimés, sont employés pour réaliser cette
administration par voie buccale, comme par le passé.
Lorsqu'on veut agir plus énergiquement et plus vite,
beaucoup de médecins emploient les injections sous-
cutanées, mais elles ont l'inconvénient de s'accompa-
gner parfois de complications douloureuses et même
graves. Aussi a-t-on introduit dans la thérapeu-
tique quinique les injections intraveineuses, que l'on
conserve néanmoins pour les cas graves, ou ceux
dans lesquels on veut a^ir avec une particulière in-
tensité. La vitesse d'absorption des sels de quinine
par celte voie est telle que le goût de l'alcaloïde est
perçu parfois parle malade pendant que l'injection
est poussée dans son système circulatoire. En second
lieu, on lient la quininisation continue des malades
pour inutile, sinon susceptible de renforcer leur ré-
sistance au médicament. On adopte ordinairement, à
l'houre acluelle, une admini.«lralion discontinue, qui
ne donne la quinine qu'à certains jours, sui vant le dé-
veloppement et l'évolution des parasites dans le sang.
On adjoint volontiers, à l'heure présente, à la qui-
nine l'arsenic sous forme d'injections intraveineuses
d'arsénobenzol ou l'administration de méthylarsi-
nate par la bouche. (A. Gauthier.) Les uns considè-
rent 1 arsenic comme ayant une action intéressante
sur le Plasmodi uni lui-mlrne; la plus grande partie
des médecins tiennent qu'il est surtout un admirable
restaurateur de l'organisme, qui permet au palu-
déen de se mettre dans d'excellentes conditions
pour lutter de lui-même contre le mal. C'est, en
tout cas, un reconstituant du sang des plus énergi-
ques. C'est surtout, chez les paludéens chroniques,
chez ceux dont les parasites se montrent, suivant
l'expression courante, quininorésistants, que son
emploi est indiqué.
La quininisation préventive des sujets sains, dans
les endroits où le paludisme est tout particulière-
ment à craindre, est encore une mesure qui s'im-
pose et qui a rendu aux gens menacés de très grands
services. — D' Henri Bouquet.
Picard (Gharles-Emî'/e), mathématicien fran-
çais, né à Paris le 24 juillet 1856. D'abord élève au
lycée de 'Vanves (1864-1868), Picard acheva ses
études élémentaires au lycée Henri-IV, oui s'appe-
lait, au moment où il y entra, lycée Napoléon. 11 en
sortit en 1874, après avoir élé reçu premier au con-
cours de l'Ecole normale supérieure ; il avait été, la
même année, reçu second & l'Ecole polytechnique.
Admirablement doué. Picard fut un brillant élève
de l'Ecole normale, où il suivit, entre autres, les le-
çons de Darboux et, à sa sortie (1877), il était reçu
première l'agrégation des sciences mathématiques;
de plus, la même année, étant encore élève de
l'Ecole, il soutenait avec succès sa thèse de docto-
rat es sciences. 11 avait alors vingt et un ans; il avait
choisi pour sujet de thèse : Application de la théorie
des complexes linéaires à l élude des surfaces et
des courbes gauches. Le jeune savant entrait dans
la carrière universitaire sous les plus brillants aus-
pices, et ses maîtres, qui avaient deviné en lui rétoffe
d'un grand mathématicien et fondé sur son avenir
les plus belles espérances, ne furent pas déçus.
Après être resté un an comme préparaleur agrégé à
l'Ecole normale supérieure et, en même temps, ré-
pétiteur du laboratoire d'enseignement delà section
des sciences à la Pacullé des sciences de Paris, il
devint maître de conférences à l'Ecole normale
(1878-1879), puis chargé du cours de calcul diffé-
rentiel et intégral à la Faculté des sciences de
Toulouse. En 1881, il était rappelé à Paris pour
suppléer Bouquet dans son cours de mécanique
physique et expérimentale de la Faculté des sciences,
puis, en 1883, dans son cours de calcul différentiel
et intégral. Enfin, il était nommé professeur de
calcul différentiel et intégral à la Sorbonne.
Picard avait déjà publié à cette époque de remar-
quables travaux d'analyse et, l'année même de sa
nomination à la Sorbonne, l'Académie des sciences
lui décernait le prix Poncelel; deux ans plus tard, il
obtenait le grand prix de mathématiques. Enfin, le
11 novembre 1889, il était élu membre de celte
même académie pour la section de géométrie, en
remplacement de Halphen.
Picard conserva la chaire de calcul dilTérenliel et
intégral à la Sorbonne jusqu'en 1897; à cette dale et
sur sa demande, il fut nommé professeur du cours
d'analyse supérieure et d'algèbre supérieure. D'autre
part, depuis 1900, il fait des conférences à Sèvres
pour l'enseignement secondaire des jeunes filles, et il
professe la mécanique générale à l'Ecole centrale
des arts et manufactures depuis 1894.
Picard est l'un des plus profonds analystes de notre
époque. On lui doit de très importants travaux tanten
analyse pure que dans l'application de cette science
& la géométrie, à la mécanique et à la physique.
Citons ses mémoires sur les fonctions uniformes
d'une variable liées par une relation algébrique;
sur les fonctions uniformes a/jfectées de coupures;
sur les fonctions uniformes de deux variables in-
Eniile Picard.
LAROUSSE MENSUEL
dépendantes ; sur les fonctions doublement pério-
diques avec des points singuliers essentiels; sur
certaines expressions quadruplement périodiques
dépendant de deux variables; sur des classes de
fonctions transcendantes ; sur les fonctions en-
tières; sur les fonctions hyperfuchsiemies, htjpera-
béliennes, hypergéomélriques de deux variables ;
sur les équations aux dérivées partielles; sur les sub-
stitutions linéaires; sur les périodes des intégrales
doubles et multiples. Citons aussi ses remarquables
travaux sur les équations différentielles, en parti-
culier sur les so-
lutions singuliè-
res des équations
différentielles
ordinaires du
premier ordre;
sur la conver-
gence des séries
représentant les
intégrales des
équations diffé-
re>itielles;surles
méthodes d'ap-
proximation
dans les équa-
tions différen-
tielles; d'autres,
sur lesintégrales
doubles des fonc-
tions algébri-
ques; plusieurs
mémoires ccmcernant la théorie des surfaces algé-
briques, ainsi que sur les intégrales doubles qui se
rattachent à cette théorie ; sur les intégrales de diffé-
rentielles totales de première ^seco7\de et troisième
espèces; sur les surfaces hypereltiptiques dont l'une
des catégories a élé désignée par H. Poincaré sous
le nom de surfaces Picard. Citons encore ses mé-
moires sur les forynes quadratiques binaires, ter-
naires et quaternaires, etc., et aussi sur la théorie
des fonctions algébriques de deux variables indé-
pendantes, qui lui valut, en 1888, le grand prix des
sciences mathématiques à l'Académie des sciences.
Enfin, parmi ses travaux relatifs à la mécanique
et à la physique, citons : sur la rotation d'un sys-
tème déformable; sur l'équation aux dérivées par-
tielles qui se présente dans la théorie de la vi-
bration des membranes ; sur la distribution de
l'électricité avec la loi de Neumann et sur le pou-
voir refroidissant d'un courant fluide; sur l'équa-
tion fonctionnelle de Fredholm, etc.
Tous ces mémoires, dont la plupart sont des tra-
vaux de premier ordre, ont élé publiés dans les pé-
riodiques scientifiques français et surtout dans les
« Comptes rendus » de l'Académie des sciences. 11 a
publié à part : Traité d'analyse (cours professé à la
Faculté des sciences), 3 vol., 2' éd. (1901-19(19);
Théories des fonctions algébriques des deux varia-
bles indépendantes, avec G. Simart, 2 vol. (1897-
1905) ; Quelques réflexions sur la mécanique, sui-
vies d'une première leçon de dynamique (1902);
son rapport intitulé « Sciences », qu'il écrivit pour
l'Introduction générale aux rapports du jury in-
ternational de l'Exposition universelle de 1900 et
qui est un exposé magistral de la suprématie de la
science. C'est, d'ailleurs, ce rapport qu'il a repris et
développé dans un volume : la Science moderne et
son état actuel, paru en 1905. Dans ce remarquable
ouvrage, il a décrit les méthodes et les tentfances
scientifiques actuelles, ainsi que la pénétralion et les
influences réciproques des différentes branches de la
science en insistant sur les grandes théories, sur la
valeur qu'il convient de leur attribuer et sur leur rôle.
Parmi ses autres publications, citons encore : Sur
le développement de l'analyse et ses rapports avec
diverses sciences (1905), conférences faites en Amé-
rique ; Sur le développement, depuis un siècle, de
quelques théories fondamentales dans l'analyse
mathématique, conférence faite à Rome en 1908,
au 4' congrès des mathémaliciens; l'Œuvre de
H. Poincaré (1913).
De plus, il a publié, sous les auspices de l'Aca-
démie des sciences, les Œuvres de Charles Uermite,
4 vol. (190:)-19I2), et il a collaboré, avec C. Jordan,
H. Poincaré et E. Vessiot, à la publication des
œuvres de G. -H. Halphen; ce dernier ouvrage doit
comprendre 4 volumes, dont le premier seulement
est paru (1916). Il a également publié, dans l'c An-
nuaire du Bureau des longitudes » de 1916, une no-
lice nécrologique sur le commandant E. Guyou, etc.
Depuis 1912, Picard est membre du Bureau des
longi Indes, où il a remplacé H. Poincaré; l'Acadé-
mie des sciences, qui l'avait choisi pour vice-prési-
dent (1908-1910), puis comme président, pendant
l'année 1910, vient de l'élire secrétaire perpétuel,
en remplacement de Darboux. ("V. Académie des
SCIENCES, p. 137.) Il a également remplacé Darboux
comme membre du conseil de l'Observatoire d'astro-
nomie physique de Meudon.Il estofficierde la Légion
d'honneur depuis l'année 1900. — o. bodcuint.
Quadrature du cercle. f'V. circon-
férence AU DIAMÈTRE [RAPPORT DE LA], p. 142.)
«• J24. Juin 1917.
Ravitaillement civil en blés, fa-
rines et pain. Hist. et dr. La défense ali-
mentaire. — Réquisition par l'autorité civile. —
Taxation du prix du blé et des céréales. — Régle-
mentation de la mouture du blé; taux de blutage
obligatoire. — Fabrication, composition et mode
de vente du pain. — Sanctions pénales des me-
sures prises. I. Généralités. — C'est le minisire
du commerce qui, au début de la guerre actuelle, a
reçu la mission du ravitaillement de la population
civile. Toutefois, en 1916, a été créé un ministère
du ravitaillement.
Depuis 1914, la récolte du blé en France a été de
plus en plus inférieure à nos besoins, qui, annuelle-
ment, exigent près de 100 millions d'hectolitres
de blé. En 1916, la récolle n'a guère atteint que
60 millions d'hectolitres, et la récolte de 1917 nous
menace d'un déficit plus considérable encore, par
suite, surtout, du manque de main-d'œuvre et de l'ex-
tension des surfaces de terres non cultivées, (V. Pain
UE FARINE DE RIZ, au Larousse Mens., p. 20.)
Or, au fur et à mesure que croissait l'ubligation
de recourir aux blés exotiques, les importations dues
au commerce ont fléchi, en raison de l'élévation in-
cessante ducoûldu freletde l'augmentation progres-
sive des prix des blés étrangers. En même temps, la
spéculation se manifestait, qui, sur le marché inté-
rieur de la France, entretenait, tant sur les blés indi-
gènes que sur les blés du dehors, des cours exagérés.
En octobre 1916, le prix des blés exotiques, rendus
dans les ports français, était de 50 francs le quinlal,
prix qui n'avait jamais été atleint depuis 1871.
La silualion se complique de cette nécessité abso-
lue, impérieusement imposée par des considérations
politiques et sociales : le pain — base essentielle et
très française de l'alimenlalion nationale — doit être
maintenu en quantité suffisante et à un prix normal.
Un cri d'alarme saisissant a élé jeté, le 2 février
1917, par le ministre du ravitaillement et le ministre
du commerce, dans une circulaire aux préfets :
La terre de France, par suite de la guerre (y est-il dit),
ne produit plus tout le blé nécessaire à ses enfants. L'ap-
point doit être acheté à l'étranger et payé en or... Perdre
du pain, c'est perdre de l'or. I^erdre du pain, c'est perdre
des cartouches. Que tous les bous citoyens s'emploient,
par les conseils et par l'exemple, à supprimer tout gas-
pillage du blé, do la farine, du pain...
Et, quelques semaines plus tard, était placardé,
dans toutes les communes de France, un vibrant
appel de ralliement " à tous les Français, à toutes
les Françaises des campagnes » sur ce thème :
« Semez, semez du blé I » On y lisait : « En semant par-
tout où vous le pourrez, autant que vous le pourrez, songez
que vous remplissez le devoir le plus haut de défense
nationale. »
Aux problèmes de l'alimenlation du pays en blé,
farine et pain, se rattache toute une série de lois et
décrets successifs :
1" La loi du 16 octobre 1915, relative aux opérations
d'achat et de vente de blé et de farine pour !e ravitail-
lement de la population civile ; — elle est issue de projets
de loi déposés les 19 mars et 18 mai 1915.
2^ La loi du 25 avril 1916, qui a complété la loi de 1915 ;
— elle est née d'un projet de loi dont le dépôt avait eu
lieu quelques jours auparavant, le 16 avril. Un décret du
27 juin I9I6 a réglé les détails d'application de cette loi.
3' Les lois des 17 avril et 29 juillet 1916, concernant la
taxation et la réquisition do l'avoine, de l'orge et du seigle.
4° La loi du 30 janvier 1917, portant attribution do primes
à l'agriculture, à l'occasion du blé récolté on France
{atjToqée par la loi du 7 avril 1917).
5° Le décret du 9 février 1917, réglementant la fabri-
cation et le mode de vente du pain, — qui a été exécu-
toire à partir du 25 février 1917.
6' La loi du 7 avril 1917, relative à la taxation du blé.
7° I.a loi du 8 avril 1917, ayant irait à l'addition de fa-
rines de succédanés à la farine de froment.
8' Le décret du 8 avril 1917, relatif à l'application de
ces lois des 7 et 8 avril 1917 (dont l'article 20 aété abrogé
par te décret du 19 avril 1917).
Qo Le décret du 19 avril 1917, réglementant la fabri-
cation et la vente de la pâtisserie et de la biscuiterie.
Des dispositions principales, et toujours en vi-
gueur, de ces textes divers, nous allons faire ici un
examen d'ensemble.
Signalons tout d'abord qu'en juillet 1916 a élé
institué, près le ministère de l'intérieur, un Comité
central de ravitaillement, composé des représcn-
tanls de plusieurs ministères (entre aulres du minis-
tère de la guerre et du ministère du commerce), qui
a pour objet l'harmonie et l'unilé des méthodes du
ravilaillement civil et du ravitaillement militaire.
II. Principes établis. Détails de LEtin mise en
APPLICATION. Faculté pour le gouvernement d'im-
porter du blé exotiqtte. — Le ministre du com-
merce est chargé d'effectuer à l'intérieur, aux colo-
nies ou à l'étranger, des achats de blés et de farines.
(Loi du 16 oct. 1915, art. 2.)
Contrairement à ce qui est ordinairement pres-
crit pour les acquisitions faites par l'Etat, les achats
de blés et farines peuvent être efTectués sans marché
ni adjudication, quel qu'en soit le montant. (Même
loi, arl. 5.) Le ministre du commerce répartit sui-
vant les nécessités de la consommation, et par voie
de cessions, les blés et farines qu'il achète. (Même
loi, art. 2, § 1".)
I
r 124. Juin 1917.
Un comité con~ul!alif donne son avis : sur la fixa-
lion des prix d achat et de cession; sur les condi-
tions générales des marchés. (Même loi, art. 5 et 9.)
Faculté pour l'autorité civile de réquisiiionner
le blé et la farine. — Au moment de Télaboration
de la loi du 16 octolire 1915 et & propos du droit
de réquisition sur les approvisionnements en subsis-
tances ouvert à l'autorité militaire par les articles 5
et 7 de la loi du 3 juillet 1877, relative aux réquisi-
tions mililaircs, on a songé à permettre à l'autorité
militaire de déléguer son droit à l'autorité civile
pour le blé, sur toute l'étendue du territoire, en vue
de l'alimentalion de la population civile. (V., dans
le Larousse Mensuel, Réquisitions militaires pen-
dant LA GUERRE, t. III, p. 906.) En définitive, il a
été estimé qu'en la matière, il n'y avait pas lieu
de faire intervenir l'autorité militaire; qu'il conve-
nait de conférer directement le droit de réquisition
i l'autorité civile, en lui imposant, toutefois, l'obli-
gation de suivre les règles établies par la loi du
3 juillet 1877.
C'est celte combinaison qui a été consacrée par l'ar-
ticle 1" de la loi du 16 octobre 1915, ainsi conçu :
Pondant la durée do la guerre, il peut être pourvu, par
voie do réquisition de blé et do farine, à rapprovisionne-
ment de la population civile. — Le droit de réquisition
est exercé, dans chaque département, par les préfets ou
par leurs délégués, sous 1 autorité du ministre du com-
merce et dans Tes conditions prévues par la loi du 3 juil-
let 1877 relative aux réquisitions militaires.
Tel est le principe.
Mais la pratique a promptement montré que l'ap-
plication aux réquisitions civiles des dispositions
ré.^lant les réquisitions militaires entraîne souvent
des complications et des retards. De là cette innova-
tion, due & l'article 3 de la loi du 29 juillet 1916 :
En outre du droit de réquisition collective prévu à l'ar-
ticle 1" de la loi du 16 octobre 1915, le préfet peut réqui-
sitionner directement le blé, la farine ou le son, ainsi que
le seigle, l'orge et l'avoine, qu'ils soient détenus par le
producteur ou déposés dans uu magasin, un entrepôt ou
une gare, ou qu'ils soient en cours de transport, par voie
ferrée ou fluviale.
Le ministre du commerce répartit les blés et
farines réquisitionnés, suivant les nécessités de la
consommation, par voie de cessions. (Loi de 1915,
art. 2, § 1".)
Taxation du prix et recensement du blé. — Jus-
qu'à l'intervention de la loi du 29 juillet 1916, le
commerce du blé à l'intérieur est resté libre, aucun
texte de loi n'ayant encore fixé un prix maximum
pour les transactions entre particuliers, producteurs,
commerçants ou meuniers.
La taxation du blé a été, par la loi du 29 juillet
1916, innovée « à partir du l" aoiit 1916, pendant
la durée des hostilités et pendant l'année qui suivra
la démobilisation générale ». Sous le régime de cette
loi de 1916 (art. V), le blé ne pouvait être vendu,
chez le producteur, à un prix supérieur à 33 francs
les 100 kilogrammes.
La matière est aujourd'hui régie par la loi du
7 avril 1917 et par le décret intervenu le lendemain.
Voici les dispositions essentielles de la loi du
7 avril 1917 :
Art. 1". — Les dispositions des lois du 17 avril 1916
et du !9 juillet 1916 concernant la taxation et la réquisition
do l'avoine, de l'orge et du seigle, sont applicables au blé-
froment et à toutes Ips céréales et farines susceptibles
d'entrer dans la fabrication du pain.
Art. 2. — La différence entre le prix du blé établi
par l'article 1" de la loi du 29 juillet 1916 et celui qui
pourrait résulter de la taxe à établir en vertu de l'article
précédent sera remboursée par l'Ktat... — Il en sera de
même en ce qui concerne les céréales succédanées.
Quant au décret du 8 avril 1917, il a ordonné, sur
tonte l'étendue de notre territoire, le « recensement
des blés, orge, seigle, maïs, sarrasin, soja, sorgho,
millet, fèves et féveroles, se trouvant chez les
cultivateurs ».
A ceux-ci a été demandée une déclaration volon-
taire : avant le 25 avril 1917, ils ont eu à indiquer
:'i leur mairie les quantités de céréales qu'ils déte-
naient, en stocks battus et en stocks en gerbes.
Le décret a stipulé (par ses art. 3 et 5) que les
quantités de blé non déclarées au 25 avril 1917 ne
pourraient être vendues ou réquisitionnées à un prix
supérieur à 33 francs les 100 kilogrammes, tandis que
le blé déclaré serait acheté, à caisse ouverte, au prix
de 36 francs. 11 s'agit, en somme, d'une amende de
3 francs par quintal pour le blé non déclaré.
Pour les céréales, a été accordée à chaque culti-
vateur une tolérance de déclaration : de 10 p. 100
pour les quantités en grains; de 20 p. 100 pour les
quantités en gerbes.
Les cullivaleurs, sur les quantités déclarées, ont
été autorisés à conserver :
1* Pour leur consommation ou celle de leur famille,
100 kilogrammes de blé ou de toute autre céréale, par tête,
jusqu'au 15 août 1917 ;
20 Les quantités nécessaires à l'alimentation du bétail
de leur exploitation, jusqu'au 15 septembre 1917.
Le prix maximum de 36 francs peut être majoré :
l* D'une somme de I fr. 50 représentant les frais de
camionn.igc et de mnnureiition, la rémuoératioD dea ioter-
mcdiaires et autres frais;
LAKUUSSE MENSUEL
2» Du prix de transport par voie ferrée de la gare de
départ à la gare du moulin ou du lieu de consommation.
Quant aux prix des farines, des céréales autres
que le blé et des divers succédanés, c'est dans cha-
que département qu'ils doivent être fixés.
Le blé taxé a été ainsi légalement défini : il s'agit
du « blé-froment récolté en France »; il doit peser
77 kilogrammes à l'hectolitre et ne pas contenir plus
de 2 p. 100 de corps étrangers. (L. du 16 oct. 1915,
art. 2, § 2.) — Voir blé, Larousse Mensuel,
t. 111, p. 721.
Par suite, il y a lieu :
1° A une augmentation ou à une réduction de 1 p. 100
sur le prix pour chaque kilogramme en plus ou en moins
constaté à l'hectolitre;
2° A une réduction de 1 p. 100 sur le môme prix pour
chaque unité en plus pour cent de corps étrangers, {ù. du
16 oct. 1915, art. 2, § 3.)
Additions pertnises à la farine de froment. —
Pour la fabricalion du pain mis en vente, la loi du
8 avril 1917 autorise (tout en donnant au gouverne-
ment le droit de la rendre obligatoire) l'addition k
la farine de froment de farines de succédanés,
telles que farines de seigle, de maïs, d'orge, de
sarrasin, de riz, de fèves, de féveroles.
Interdictions diverses concernant les farines et
le pain. — La loi du 16 octobre 1915 a donné au
ministre du commerce la faculté, pendant la durée
de la guerre, de fixer — par voie de décrets, après
avis du ministre de l'agriculture — le prix des fa-
rines. A titre d'exemple, notons les décrets des
15 septembre et 15 novembre 1916, qui ont succes-
sivement taxé, pour les départements de la Seine
et de Seine-el-Oise, le prix de la farine destinée à
la panificalion.
Actuellement, en aucun cas, le prix des farines
ne peut dépasser celui qui résulterait d'une extrac-
tion à 80 p. 100 du blé, tel que nous l'avons ci-
dessus défini. (L. du 16 oct. 1915, art. 8 ; 1. du
29 juill. 1916, art. 1", in fine.)
C'est peu à peu que le taux de blutage, fixé
d'abord à 74 p. 100 par la loi du 16 octobre 1915,
a été porté à80 p. 100. Son augmentation progressive
a été inspirée par le désir d'utiliser pour la fabri-
cation di pain la totalité de la farine qu'on peut
tirer du blé et, par là même, d'augmenter les
disponibilités en farine. Le taux primitif de 74 p-
100 excluait le son et les remoufages ; or, les re-
moulages ont une valeur nutritive qui n'est pas à
négliger, malgré leur inconvénient de donner à la
farine une couleur grisâtre. Grâce aux taux actuels
de blutage, les remoulages se trouvent incorporés
à la farine blanche.
Il n'est permis de retirer de la mouture du blé
que deux éléments : la farine et le son; les remon-
tages doivent obligatoirement rester incorporés
à la farine. (L. du 25 avr. 1916, art. l"; circul. du
ministre du commerce du 26 avr. 1916; circul. du
ministre de l'Sgriculture du 11 juill. 1916.)
D'ailleurs, — sous réserve de q lelques déroga-
tions, qui, notamment, se rattachent aux pains de
régime ou de santé, — il est interdit aux meu-
niers, marchands de pains, boulangers, pâtissiers,
épiciers et marchands de denrées alimentaires, de
détenir, sans motifs légitimes, d'autres produits de
la mouture du blé que la farine entière et le son.
(Décr. du 27 juin 1916, art. 1" et 5; circul. du
ministre du commerce du 26 avr. 1916 ; décr. du
9 févr. 1917, art. 4.)
A été prévue la constitution d'un échantillon-type
de farine entière, qui, dans chaque préfecture, doit
être mis à la disposition des intéressés, pour mieux
leur permettre de se conformer au type exigé. (Décr.
du 27 juin 1916, art. 9; circul. du ministre du com-
merce du 8 juill. 1916.)
Autres interdictions :
1« L'emploi de produits de la mouture de blé tendre pour
la fabriCHtion des pâtes alimentaires. (Décr. du 27 juin
1916, art. 7);
i" Sous réserve des mélanges prévus par la loi du
8 avril 1917, la mise en vente ou vente d'une farine de
froment autre que la farine entière (loi du 8 avr. 1917,
art. 3) ;
3° Le gaspillage de pain propre à l'alimentation humaine
(même texte).
Interdiction s'appliquant au blé, aux céréales
et à la farine. — Il est défendu d'annoncer, de
publier ou d'afficher, pour le blé, la farine ou le
son, ainsi que pour le seigle, l'orge et l'avoine,
— à vendre ou vendus sur les marchés, — des
cours supérieurs aux prix taxés. (L. du 29 juill.
1916, art. 4.)
Composition et conditions de fabrication du
pain; son prix. — Depuis le décret du 8 avril 1917.
les préfets sont devenus les meuniers et boulangers
de leur déparlement : ils sont chargés de veiller à
l'addition de farines de succédanés à la farine de
froment; ils doivent utiliser les céréales ou les di-
vers succédanés qu'ils pourront trouver dans leur
département et rechercher les moyens de faire
moudre le plus économiquement possible les grains
destinés au mélange avec la farine de froment;
enfin, ils établissent et fixent, dans leur départe-
ment, le prix du pain, en tenant comple des mé-
161
langes de farines qu'ils auront été amenés à réaliser.
(Décr. du 8 avr. 1917, art. 3.)
Les mélanges de farines de succédanés à la farine
de froment ont été, le 8 avril 1917, autorisés jus-
qu'à concurrence du pourcentage suivant :
Farine d'orge 15 p. 100
Farine de maïs 15 p. 100
Farine de sarrasin et de seigle 25 p. 100
En même temps, a été prévue l'utilisation de
farines d'autres succédanés, mais sous réserve de
la fixation du pourcentage par le ministre du ravi-
taillement. (Décr. du 8 avr. 1917, art. 14.)
En aucun cas, le prix du pain ne pourra dépasser
celui fixé par les taxes existant au 8 avril 1917, ma-
joré de 2 centimes et demi par kilogramme. (Uécr. du
8 avr. 1917, art. 15, § 2.)
Aucun pain ne doit avoir un poids inférieur à
700 grammes et une longueur supérieure à 80 cen-
timètres. (Décr. du 9 févr. 1917, art. 1", § 1".) II en
résulte spécialement que les pains d'une livre ou
au-dessous ne sont plus autorisés.
Depuis le 25 février 1917, — date de la mise en
application du décret du 9 février 1917, — ont cessé
d'èire en vigueur toutes dispositions réglementaires,
tout arrêté préfectoral ou municipal comportant,
pour la fabrication du pain, des conditions de poids
ou de longueur moins restrictives. Par contre, ont
continué à être appliqués les arrêtés préfectoraux
ou municipaux contenant des dispositions de poids
ou de longueur plus restrictives. (Décr. du 9 févr.
1917, arL 6.)
Interdiction de la vente du pain frais. — Cette
interdiction a été établie en ces termes par l'ar-
ticle 2 du décret du 9 février 1917 :
La vente du pain frais est interdite. En conséquence, le
pain ne pourra être mis en vente ou vendu que douze
heures après sa cuisson, et il ne pourra être soumis â des
procédés de conservation destinés à le maintenir frais.
Pour la vente du pain rassis au poids, le décret
du 8 avril 1977 (art. 15, § 3) a, quant au poids
livré, admis une tolérance. Cette tolérance ne peut
pas dépasse! 5 p. 100.
Suppression des pains de luxe; réglementation
de la pâtisserie et de la biscuiterie. — Sont inter-
dites sur tout le territoire la fabricalion, la vente
ou la mise en vente des pains de luxe ou de fan-
taisie, notamment des pains farinés, des petils
pains, des pains briochés, croissants, biscottes fraî-
ches et autres pains faits avec de la farine addi-
tionnée de lait, lactose, sucre ou beurre. (Décr.
du 9 févr. 1917, art. 1", § 2 ; circul. du ministre du
ravitaillementdu23févr. 1917; décr. du 8 avr. 1917,
art. 21, §2.)
Par contre (sous réserve des restrictions résul-
tant de la réglementation que le décret du 19 avril
1917 a établie en ce qui concerne la vente de la pâ-
tisserie et de la biscuiterie), restent permises, en
principe, la fabrication et la vente :
1» De toute pâtisserie fraîche (celle qui doit être con-
sommée dans les quatre jours de sa confection), ainsi que
ds la pâtisserie de conser\'e, des biscuits et des brioches ;
2" Des pains de régime ou de santé, des pains dits * à
soupe • et des pains briés. (Décr. du 8 avr. 1917, art. 21, § 1".)
Autres interdictions diverses. — Est prohibée la
vente du blé au détail, c'est-à-dire par (quantités
inférieures à un quintal. (Décr. du 27 juin 1916,
art. 6.)
Pour l'alimentation du bétail et des chevaux, ânes
et mulets, il est interdit d'employer :
!• Du froment eu grain, propre à la mouture, qu'il soit
pur ou mélangé â d'autres céréales ;
20 De la farine do froment propre à la consommation
humaine. (L. du 25 avr. 1916, art. 2; circul. du ministre du
commerce du 26 avr. 1916.)
D'autre part, il est interdit d'emplover pour la
distillerie du froment en grain propre àla mouture,
qu'il soit pur ou mélangé à d'autres céréales. (L. du
8 avr. 1917, art. 3, in ^le.)
III. Sanctions pénales des interdictions kt
PROHIBITIONS. — Les infractions aux interdictions
et prohibitions édictées en la matière sont consta-
tées dans les formes prévues à l'article 8 du dé-
cret du 27 juin 1916 et à l'arlicle 2 de la loi du
8 avril 1917, non seulement par tous les officiers de
police judiciaires, mais par les agents du service
de la répression des fraudes, ou par des agents
spéciaux désignés par les préfets.
Toutes infractions commises sont de véritables
délits, justiciables des tribunaux correctionnels.
Elles sont punies (sous réserve de l'application de
l'article 463 du Code pénal sur les circonstances
atlénuantes et de la loi du 26 mars 1891, dite « loi
Bérenger ») de 16 à 2.000 francs d'amende et de six
jours à deux mois d'emprisonnement, ou de l'une de
ces peines seulement.
Dans tous les cas, le tribunal saisi a la faculté
d'ordonner que son jugement sera, intégralement ou
par extraits, affiché dans les lieux qu'il fixera et, de
plus, inséré dans les journaux qu'il désignera, — le
tout aux frais du condamné, sans que la dépense
puisse excéder 500 francs. (L. du 16 oct. 1915,
art. 8, § 3; 1. du 29 juill. 1916, art. 3, § 3; I. du
8 avr. 1917, art. J.) — Looli Anoii*.
Adrien Seigoette.
162
Seignette (Adrien), naturaliste et pédagogue
français, né à Versailles le 27 janvier 18'i2, mort à
Palis le lu décembre 1916. Fils d'un professeur de
lycée qui devint censeur et proviseur, il fit ses étu-
des dans les nombreux établissements par où passa
ion père. Les principaux furent les lycées de Rouen,
Amiens et Orléans. Après son baccalauréat (Tou-
louse, 1858), il entra dans l'Université comme répé-
titeur de lycée (Orléans, 1859; Toulouse, 1860-1863).
Comme beaucoup des .jeunes universitaires de celte
époque, Seignette avait des convictions républi-
caines et fréquentait les milieux hostiles à l'Empire.
En 1863, il fut nommé professeur au collège de Foix,
se fit recevoir licencié es sciences physiques à Tou-
louse, enseigna à Condom en 1866-1869, puis à Cas-
tres de 1869 à 1873. Les matières de son enseigne-
ment étaient fort di verses : mathématiques, physique,
chimie, histoire naturelle, arpentage, comptabilité
et hygiène. En l'année 1873, une famille amie, qui
partait en voyage, lui proposa de l'accompagner
comme précepteur. Adrien Seignette accepta et prit
un congé qu'il
prolo:ngea .jus-
qu'en 1880. ïlsé-
.journa en Italie
et put étudier à
loisir la végéta-
tion sud-italien-
ne, ainsi que les
laves du Vésuve.
Il réunit aux en-
virons de Naples
une belle collec-
tion minéralogi-
que, que possède
aujourd'hui le ly-
cée Condorcet.
De retour à Pa-
ris en 1879, il fut
délégué dans les
fonctions de pré-
parateur de bo-
tanique à l'Ecole
normale supérieure et passa avec succès sa licence
es sciences naturelles. Gaston Bonnier, maître de
conférences à l'Ecole normale et plus lard profes-
seur à l:i Sorbonne, s'intéressa à Seignette, qui, après
avoir été son élève, devint son ami.
En 1881, eut lieu pour la première fois le concours
d'agrégation des sciences naturelles. On fit deux
agrégés : Mangin, aujourd'hui professeur au Mu-
séum, et Seignette, qui fut aussitôt nommé profes-
seur divisionnaire de sciences naturelles au lycée
Condorcet. Il conserva ce poste jusqu'à sa retraite
(1901). Le brillant succès de son enseignement ie
fit charger par le recteur Gréard de prononcer ie
discours d'usage à la distribution des prix du Con-
cours général, en 1898. Il traita du rôle de l'ensei-
gnement des sciences naturelles dans le développe-
ment intellectuel et glorifia la loi du travail.
Admis, sur sa demande, à une retraite anticipée,
il fut nommé inspecteur général honoraire de l'ensei-
gnement primaire, en récompense des services qu'il
rendait h cet enseignement. Depuis 1880 jusqu'à sa
mort il a dirigé le " Journal des Inslitnleurs », en
lui donnant pour devise i « Travail, c'est joie! »
Il avait soutenu, en 1889, sa thèse de doctorat
es sciences, inlitulée Recherches anatomiques et
physioloifigues sur tes tubercules (Paris, 18S9).
C'était lin travail important, relatif « aux réserves
souterraines des végétaux, à l'anatomie des or-
ganes où s'accumulent ces provisions de nourri-
ture nécessaires au développement de la plante
pendant la saison suivante, à leur formation, à
leur destruction, aux changements chimiques qui
s'y produisent. On y trouve aussi d'élégantes
méthodes pour déterminer la température interne
des plantes et ses variations, suivant que les cel-
lules vivantes dégagent plus ou moins de chaleur ».
Seignette s'était montré à la fois naturaliste et phy-
sicien.
Mais son œuvre pédagogique est plus considé-
rable encore que son œuvre scientifique. Il eut
d'abord à organiser l'enseignement des sciences na-
turelles dans les lycées et collèges. Cet enseigne-
ment, supprimé pendant le second Empire, avait
été restauré par les programmes de 1880. Mais on
manquait de personnel, de matériel et de méthodes,
et les inspecteurs généraux, mathématiciens ou
physiciens, avaient peu de sympathie pour cet ordre
d'études. Le directeur de l'enseignement secon-
daire, qui était Edgar Zévort, gendre de Pasteur,
demanda à Gaston Bonnier de surveiller la réali-
sation de la réforme. Bonnier prit Seignette pour
collal)orateur. Us recrutèrent des maîtres, dissipè-
rent les dil'ficutés soulevées par les chefs d'établis-
sements, firent des conférences aux professeurs et
répandirent des brochures de propagande. Seignette
s'occupa surtout du choix des échantillons et des
pièces anatomiques destinés à reconstiluer les ca-
binets d'histoire naturelle. Sans lui, dit Bonnier,
« la réforme eût sans doute échoué ». Il a écrit
riour l'enseignement secondaire plusieurs pelits
ivres qui eurent un vif succès: Cours élémentaire
LAROUSSE MENSUEL
de géologie (Paris, 1885); Paléontologie animale
(1899); Conférences de néologie (1899).
Il fut aussi un organisateur dans l'enseignement
primaire. 11 a voulu donner à l'école plus d'homo-
généité et de continuité. Aussi a-t-il adopté la mé-
thode dite concen/Wçue, " qui part du connu pour
aller à l'inconnu, dece qu'on sait à ce qu'on ne sait
pas ». Les trois cours, élémentaire, moyen et supé-
rieur, sont comme trois cercles qui vont en s'élar-
gissant, mais ont un centre commun. L'élève du
cours moyen revoit ce qu'il a appris dans le cours
élémentaire, grossi de développements nouveaux,
et il retrouve dans le cours supérieur les notions
des années précédentes, sous une forme plus com-
plète et plus approfondie. C'est dans cet esprit que
Seignette a composé avec Bonnier des Eléments
usuels des sciences ph;/siques et naturelles (3 vol.
in-12, 1882-1884) et, sous sa seule signature, un
cours complet d'enseignement primaire qu'il a ap-
pelé l'Ecole moderne (1898-1900), comprenant
15 volumes petit in-S" (17 pour les maîtres). Le sa-
voir encyclopédique de Seignette et l'expérience
acquise par lui durant ses années de préceptorat
lui ont permis de rédiger lui-même toutes les par-
ties du cours : sciences, agriculture, langue fran-
çaise, histoire et géographie, etc.
Il ne s'est pas contenté de fournir au personnel
enseignant une méthode efficace et de bons instru-
ments : il a voulu aussi augmenter l'indépendance
et relever la dignité des instituteurs. Il s'est donc
associé à la campagne en faveur de la nomination
des fonctionnaires de l'enseignement primaire par
les autorités universitaires et non plus par le mi-
nistre de l'intérieur. II importe, en effet, quel'insli-
tuteur ne puisse plus être considéré comme un agent
électoral. Au moment de la guerre, un projet de loi
en ce sens avait été déposé et aurait peut-être
abouti. — Seignette a favorisé la diffusion des as-
sociations amicales d'instituteurs désignées sous le
nom de <i Petites A »; il a contribué à la création
des mutualités scolaires, des patronages laïques et
des universités populaires. Il a combattu pour la
liberté de conscience et pour le féminisme, contre
l'alcoolisme et l'abus du tabac. D'une manière gé-
nérale, il a encouragé toutes les initiatives qui ten-
daient aux progrès intellectuels et sociaux, à l'amé-
lioration physique et morale de notre race.
Ses amis vantaient son commerce, sa cordialité
souriante, la vivacité spirituelle de ses propos.
Surtout, ils admiraient le travailleur qui avait dit
dans son discours du Concours général : « L'homme,
aujourd'hui, resterait accablé sous la plus terrilile
malédiction si on lui jetait ce cri : Tu ne travail-
leraspasl » Ce n'était point là une phrase à effet,
mais l'expression d'une loi ardente qui a fait l'unité
et l'harmonie de la vie de Seignette. — Maurice enoch,
Selniersh.eim(Antoine-Pa«Z), architecte fran-
çais, né à Langres (Haute-Marne) le 23 juin 1840,
mort à Paris le 4 décembre 1916. Elève d'Eugène
Millet, il travailla sous sa direction de 1862 à 1870.
Plus particulièrement, il participa à tous les dessins
d'exécution des importants travaux dont son maître
fut chargé durant cette période : nef nouvelle, por-
tail, tours de la cathédrale de Moulins; restauration
du château de Saint-Germain-en-Laye.
Cette initiation fixa l'orientation de Paul Sel-
mersheim, qui débuta au Salon de 1866 par une série
d'études de clochers des environs de Paris : Notre-
Dame d'Elampes, Nogent-sur- Marne , Conflans-
Sainte-llonorine, Athis, Auteuil. La qualité de tels
relevés le faisait admettre, en 1869, aux services
des Monuments historiques et des Edifices diocé-
sains. Dès lors, il allait donner sa mesure dans une
suite de travaux dont les préparations furent récom-
pensées aux Salons de 1873 et 1876, aux Expositions
universelles de 1878, 1889 et 1900. Mais c'est sur les
chantiers qu'il faut le suivre: il y œuvre avec science
et circonspection, car il se gardera toujours des res-
titutions, parfois hasardeuses, oséesparles premiers
réparateurs de nos vieux monuments et, en particu-
lier, par VioUet-le-Duc. Le nombre des restaurations
exécutées par Paul Selmersheim durant sa longue
carrière, pour le compte des Monuments historiques
et des Edifices diocésains, est considérable. On en
rappellera seulement les principales, lentement me-
nées, mais sur des données certaines fournies par
les c< témoins » patiemment recherchés au cours de
l'entreprise toujours conduite selon la méthode des
premiers constructeurs : 1871-1873, Cuisines ducales
de Dijon; 1873-1906, Eglise Saint-Leu d'Esserent
(OiseJ; 1874-1911, Ancienne cathédrale de Noyon
(Oise); 1876-1895, Hôtel de ville de Clerniont
(Oise); 1877-1912, Eglise de Saint-Urbain deTroyes,
qu'il dota, déplus, à'une façade; 1878-1911, Eglise
de Morienval (Oise); 1879-1894, Eglise d'Orbais
(Marne); 1885-1895, Eglise de Dormans (Marne) ;
1886, Maison Juillet, à Paray-le-Monial (Saône-et-
Loire) ; 1892, Maison des gens d'armes, à Caen;
1903, Escalier des procureurs, au Palais de Justice
de Rouen ; 1911, Maison de Nicolas Flamel, 51, rue
de Montmorency, à Paris.
A la mort d'Eugène Millet, survenue en 1879, il
avait été appelé à lui suixéder comme architecte
Paul Selmersheim.
/»• 124. Juin 1917.
diocésain des cathédrales de Moulins et de Troyes,
auxquelles était adjointe, quelque temps après, la
cathédrale de Langres. Inspecteur général des Mo-
numents historiques depuis 18S7, il avait, en IS'Jo,
l'honneur d'être nommé architecte de la cathédrale
de Paris, dont il restaura la tour nord en 1908 et
la porte liouge. En 1896, c'était la cathédrale de
Chartres qui lui était confiée. II exécuta là d'impor-
tants et fort délicats travaux, dans des conditions
difficiles et par des moyens qui ont été applaudis
des gens de métier. Par exemple, pour la réfection
du Vieux clocher, en place du volumineux et oné-
reux charpentage
habituel, il éta-
blit au sommet de
la flèche un écha-
faudage Cl en bas-
cule », maintenu
pardescâbles mé-
talliques fixés en
différents points
de la ville, et qui
résista heureuse-
ment à la poussée
violenledes vents
particuliers à la
plaine de Beauce.
Il mena égale-
mentàbienlares-
taurationdespor-
chesdestransepts
sud et nord, réus-
sissant, au cours
d'une besogne
rendue périlleuse par une ancienne défectuosité
constructive, à corriger le porte à faux d'arcs-bou-
lants dont les bases avaient été remplacées par
des linteaux lors de l'adjonction des porches. Enfin,
de 1897 à 1916, il avait la satisfaction de faire œu-
vre complètement personnelle dans la construction
et l'aménagement de l'église Notre-Dame d'Eper-
nay (Marne), travail remarquable, qui termine di-
gnement sa carrière.
Paul Selmersheim a aussi dirigé d'importantes
entreprises pour le compte d'établissements reli-
gieux ou de particuliers qui, tout en recourant à son
savoir d'arcnitecte-archéologue, s'en remettaient à
son expérience et à son goût pour des travaux neufs.
C'est ainsi que, de 1879 à 1898, il fut appelé à res-
taurer à Fonlaine-lez-Dijon la chapelle de Saint-
Bernard, fondée par Louis XIII et Anne d'Au-
triche, l'accordant, ainsi qu'un donjon voisin, à une
nouvelle église votive avec communauté contiguë.
S'il réparait seulement la chapelle de Dun (Saône-
el-Loire), il restaurait, agrandissait, aménageait et
décorait intérieurement les châteaux de Thourij
(Allier) et de Rambuteau (Saône-et-Loire).
Parlant en qualité de président de la Commission
de classement des antiquités nationales et objets
mobiliers, Louis Gonse a, durant la séance du 15 dé-
cembre 19 î 6, excellemment ju^'é l'œuvre du maître
français qui venait de disparaître : « Selmersheim,
comme architecte des Monuments historiques, a
joué un rôle de premier plan, et son influence, ses
doctrines se sont exercées dans le meilleur sens. Il
s'était séparé de l'école de Viollet-Ie-Duc en substi-
tuant à la restauration et à la res/î/u/Zo/i des anciens
édifices leur réparation, leur consolidation et leur
simple entretien. II avait le sens archéologique, le
respect des vieilles pierres et des « témoins ». Les
grands travaux qu'il a exécutés à Saint-Urbain de
Troyes, à l'ancienne cathédrale de Noyon, à la
cathédrale de Chartres, resteront des modèles à pro-
poser à nos jeunes architectes. »
Paul Selmersheim était membre de la commission
du Vieux Paris, où son érudition, la sûreté de ses
connaissances techniques étaient lort appréciées. Il
a présidé l'Union syndicale des architectes. Ses
deux fils comptent parmi les meilleurs artisans du
mobilier moderne. L'un, Pierre Selmersheim, né à
Paris en 1869, après avoir été attaché durant plu-
sieurs années aux ateliers Majorelle, de Nancy, est
revenu à l'architecture; il est, notamment, l'auteur
d'un logis ingénieux dans la distribution comme
dans la disposition de la façade, qui répond à des né-
cessités particulières : l'hôtel Follot, rue Schœlcber,
à Paris. L'autre, Tony Selmersheim, né à Saint-Ger-
main en 1871, a eu mission, à la suite d'im concours,
d'exécuter le nouvel ameublement du cabinet du pré-
sident du conseil municipal de Paris. — ch. Sàunur.
Sucre et la G-uerre (lk). — Production
FRANÇAISE DES GRAINES DE BETTERAVES. MÉTHODES
DK SÉLECTION. — Econ. polit, et agr. Une des den-
rées sur lesquelles la guerre a eu manifestement
une action importante est le sucre. Cet aliment, le
premier, a été taxé, puis limité pour les Français à
une consommation de 750 grammes par tête men-
suellement. Si l'on considère les statistiques su-
crières, ces conséquences étaient normales; à la
veille des hostilités, la production mondiale était
d'environ 18 millions de tonnes, fournies en parties
presque égales par la betterave et la canne à sucre ;
or, ces q'ianlilés suffisant à peine aux besoins de
«• 124. Juin 1917.
la consommation 1res peu de réserves étaient consli-
luées; l'influence de la guerre, nulle sur lesculturesde
raime, cultures en pays tropicaux (Indes, Java, ( ;uba),
fui au contraire prépondérante sur les cultures de
bettcaves: celles-ci, à part 655.000 tonnes obtenues
aux Etats-Unis, étant essentiellement européennes.
1. Production du mcre en Europe (I9IS-I9I i) en tonnes.
France... 960.900 tonnes Hollande. 316.177 tonnes
Allemagne î.700.913 — Belçrique. 298.58* —
Rnssie... 1.7S0.000 — Italie.... 213.632 —
Autriche. . 1.308.040 — Espagne. . 174.000 —
Hongrie. . 593.575 — Danemark 149.408 —
n. Surfaces ensemencées en betteraves {<9I}-I9IS).
1912 1913
France 228.500 207.600 hectares.
\llomagne 547.850 527.436 —
Russie 763.296 743.048 —
Belgique 66.000 54.800 —
Autrichc-Hongrie-Bosnie.. 448.500 424.100 —
Surface totale 2.297.213 2.202.40S —
Or, les pays centraux exportaient près de 2.250.000
tonnes ;celle exportation est naturellement arrêtée, et
Ipo L..r,..n.-la!i-(-' i AnirJplPrre notamment) durent se
pourvoir ailleurs.
D'autre part, la
Belgique et nos
régions envahies
A. Betterave four-
ragère, avec sa racine
aux deux tiers hors de
terre. — B, Betterave
sucriere, avec une ra-
cine entièrement en-
terrée et son collet
très court.
OÙ, précisément, la culture de la betterave était lo-
calisée, ne purent utilement pourvoir à nos besoins.
Enfin, depuis 1914, nos récoltes furent en déficit, par
suite du manque de main-d'œuvre nécessaire à une
culture aussi exigeante : tout concourait pour res-
treindre la production ; malgré les elTorts de nos
cultivateurs, les achats faits à l'étranger, la restric-
tion de consommation s'imposait logiquement.
in. Productions des régions envahies françaises
en betteraves {par tonne} 1911.
Nor<i 104.065 Ardennes 9.960
Pas-de-Calais. . . . 123.287 Marne 132.960
Somme 111.748 Meuse 336
Aisne 148.125
tSoit. pour les quatre premiers départements, les 70 p. 100
de la production française.]
A cette situation actuelle il n'existe guère de so-
lution immédiate; la betterave ayant besoin de beau-
coup de main-d'œuvie, la culture ne pourra s'en dé-
velopper tant que durera la guerre; l'extraction du
sucre de divers végétaux, comme certains l'ont pro-
posée, de l'érable, par exemple, .ne peut être envi
sagée sérieusement, aucun des végétaux signalés ne
pouvant lutter avec la betteiave comme richesse en
matières sucrées. Quant à l'emploi de la saccharine,
si ce produit chimique est doué d'un fort goût sucré,
ce n'est nullement un aliment, c'est un trompe-goùt
tout au plus; il ne faut pas oublier que le sucre est
un aliment de haute valeur, excellent pour l'individu
ayant à exécuter rapidement une série d'efforts.
Pour l'avenir, il en est tout autrement, mais ceci
dépend de nos agriculteurs; or, il est pénible de
constater que nous sommes les plus mauvais pro-
ducteurs de betteraves et que la France, pays pro-
ducteur, est tributaire de l'étranger pour i achat de
ses semences. Oci est inadmissible ; cependant, nous
devons nous inclinerdevant les statistiques: celles-ci
montrent qu'en France, le rendement moyen à l'hec-
tare fut, pour la période 1908-1913, de 25.321 kilo-
grammes de racines titrant 13,21 p. 100 de sucre,
alors qu'en Allemagne, on arrivait pour la même
période à 27.293 kilogrammes et à 16,6 de richesse,
ropréieiitant près de 1 .200 kilogrammes de sucre brut
produits en plus à l'hectare; ceci, il est vrai, dans un
pays de sol et de climat très favorables. Mais cette
LAROUSSE MENSUEL
dépréciation nous poursuit vis-à-vis de pays moins
bien pourvus que le nôtre; notre rang est presque
le dernier parmi les Etats européens.
Ilendement en sucre brut par hectare{l90S-l9IS).
[Pilletin de la Société d'Encouragement pour l'industrie nationale]
4.560 kil.
4.533 —
4.441 —
4.333 —
4.2'i8 —
Autriche.. . . 3 846 kil.
Espagne. . . . 3.806 —
Italie 3.745 —
France 3.344 —
Russie 1.361 —
Danemark.
Allemagne
Suède . . .
Hollande .
Belgique .
liendemenl en sucre brut par 100 kil. de racines.
Allemagne 16.61
Autriche 15.46
Hollande 15.33
Suède 15.33
Russie 15.24
Belgique 14.67
Danemark 14.46
France t3.Si
Espagne 12.85
Italie 11.64
Quelles sont les causes de cette situation ?Des études
des divers agronomes qui ont examiné les méthodes
étrangères il sem-
ble que le cultiva-
teur français lait
revenir trop fré-
quemment la bet-
terave dans ses as-
solements; en Alle-
magne, les fermes
à betteraves ne
plantent, en raci-
nes, qu'un quart à
un septième de leur
surface; elles pos-
sèdent de vastes
prairies et entre-
tiennent de nom-
breux bestiaux; la
fortequantilédefii-
mierobtenueva uti-
lement améliorer
lesbetleravières. Il
yaurait, chez nous,
intérêt à restrein-
dre les emblavures
par l'usage des ra-
cines à grand ren-
dement; on diini
nuerailainsilesdil
(icultés provenaiii
du recrutement de
la main-d'œuvre.
163
était Insuffissnle; elle ne permettait gTière de dé-
passer une richesse de 10 p. 100 avec une race, alors
très appréciée, la Klein Wanzleben.
Vers 1870, de Vilmorin constate que les qualités
sucrières se transmettent dans la descendance ; mais,
comme létaux de sucre va en diminuant en moyenne
d'une génération k une autre, il est nécessaire de
refaire constamment des sélections. Le savant agro-
nome prend comme indication de richesse d'abord
la densité des betteraves en les plongeant dans des
bains salés ou sucrés , puis, avec plus d'exactitude, la
densité du jus extrait d'un échantillon prélevé au sein
même de la racine, ses recherches le conduisirent
k la création de plusieurs races riches. Vers ls90, le
taux atteignait 13.7 p. 100 {séleclion physique)
Ce mode de sélection pouvait se perfectionner;
car, jusqu'ici, on attribuait la même valeur à des
racines de même poids ou de même taux de sucre,
sans tenir compte que la plante, être vivant, est
,\. Betterave blanciie à sucre, fi-ançai;
améliorée (L. de Vilmorin). — G
Enfin, il importe
de nous soustraire à la dépendance dans laquelle
nous nous étions mis vis-à-vis de la Russie et,
surtout, des empires centraux, pour l'achat des
semences, ceci nous plaçant dans une situation
des plus mauvaises, nous laissant dans l'igno-
rance de la richesse sucrière que donneront les
semences importées.
Aciiat des semences à l'étranger.
1892.... 1.373 tonnes. 1907.... 3.396 tonnes.
1897.... 3.115 — 1912.... 3.712 —
1902 .... 3.207 — 1914 .... 4.122 —
Si nous voulons augmenter le rendement en
poids des racines et leur taux en sucre, c'est-à-
dire faire produire plus à la terre de France, il
est absolument nécessaire que les semences soient
préparées par nos moyens. Il y a soixante ans,
les cultivateurs se contentaient d'espèces tenant
10 p. 100 au plus de sucre; aujourd'hui, ce taux a at-
teint dans certains pays jusqu'à 18 p. 100, et ceci n'est
qu'un taux moyen, certains su-
jets exti-aordinaires ayant pu
donner jusqu'à 26 p. 100.
Ces résultats s'obtiennent par
la séleclion raisonnée des e>
pèces belteravières; en s'inspi-
rant des règles de Darwin, un
Français, L. de Vilmorin, le
premier, réussit à établir df>
races riches; ses travaux n'eu-
rent pas en France l'applic:!-
lion qu'ils méritaient, tamli
qu'au contraire, à l'étrangii
on les perfectionnait avec suc-
cès. En France, il n'y avait
guère que le centre d'Orchies (Nord) et quelques
exploitations qui fissent l'étude de la graine; pres-
que toute la quantité nécessaire était importée.
Méthodes de séleclion. — Nous rappellerons que
la betterave, plante de la famille des chénopodées,
se développe la preruière année en un système foliacé
abondant, surmontant une racine plus ou moins volu-
mineuse; dans la feuille, s'élabore la combinaison
des éléments de l'atmosphère pour former le sucre;
celui-ci s'accumule ensuite dans la racine. La se-
conde année, U plante fleurit et fructifie. Dès 183S,
les Allemands, taxés sur le poids brutdes betteraves,
cherchaient à obtenir des racines riches en sucre.
Dans ce but, ils pratiquèrent une sélection, unique-
ment basée sur les caractères extérieurs (sélection
morphologique), ne prenant pour porte-graines que
les individus de forme régulière, de belle apparence.
Cette sélection, ne reposant sur aucune base certaine,
se fra.;e l-'ouquier d'IIérouel). — B. Betterave blanche à sucre
Betterave blanche à sucre, allemande (Klein Wanzleben).
soumise aux lois générales de l'hérédité. De fait, en
choisissant des sujets (séleclion individuelle) et
étudiant leur descendance, on peut augmenter pro-
gressivement
le taux de su-
cre; onobtionl
aujourd'hui In
p.lOOenmoyeii-
ne, et, comme
nous le disions
plus haut, cr
taux pourra en-
core s'amélio-
rer. En rèsii
mé, le travail
du sélection
neur, d'aprr>
les termes mê-
mes de Schri-
baux, auteur
Betterave a sucre de première année. — B. I.a même, de seconde année et deurie.
d'une remarquable étude sur la production des grai-
nes (Bull. Soc. d' Encouragement), doit avoir pour
but d'obtenir de la récolte d'un hectare et au moin-
dre prix de revient le maximum de sucre brut.
Mise en pratique de la séleclion. — Pour mettre
en pratique la sélection, on fait choix d'une terre
bien homogène, uniforme de composition, après
préparation par une culture de trèfle et une bonne
fumure; on y sème vers mars. Les plants, levés, sont
éclaircis pour en conserver une dizaine par mètre
carré ; les binages sont ensuite donnés avec les soins
des cultures maraîchères. Au moment de l'arra-
chage, on procède à un premier triage basé sur la
seule apparence en s'aidant au besoin de gabarits
de tôle, types des racines parfaites; on donne la
préférence aux individus à beau système foliacé,
rejetant les collets creux ou allongés, indice d'une
montée en graine prématurée. On peut également
164
choisir les sujets & chair dure, ce dont on s'assure
avec un poinçon de 4 ">/"' (méthode de Peltier), ce
poinçon ne pouvant pénétrer de plus de 3 centimètres
dans un sujet riche.
I^es feuilles coupées, les betteraves triées sont
conservées en silos de petites dimensions (0™,90
à 1 m. de largeur, 0™,80 de hauteur sur plusieurs
mètres de longueur) que l'on protège contre le froid
par une épaisseur de 0",10 de paille et des couches
de terre pouvant atteindre jusqu'à 0"',90. Pour
prévenir la transformation du sucre en alcool, par
suite du manque d'oxygène, tous les 3 à 4 mètres,
on dispose des fagots en cheminée d'aération ; il con-
vient également d'éviter
les échaufTements. L'idéal
serait, évidemment, une
installation permettant le
réglage de la température,
liurant cette saison d'hi-
vernage, on mesure la ri-
chesse en sucre par une
mélhodechimique simple :
dans la racine, à la partie
la plus riche, comme l'in-
dique le dessin ci-contre,
on prélève au foret un peu
de pulpe; 4 gr. 065 de celle-
ci, mélangés d'eauetd'acé-
tate de plomb pour clari-
fier, donnent un liquide
sucré, que l'on examine
au polarimètre. Dans une
ferme, un laboratoire de
trois hommes et une dizai-
ne d'aides (enfants ou fem-
mes) permet l'examen de
3.000 betteraves par jour.
Les racines sont clas-
sées d'après leur poids et
leur richesse en sucre;
seules, sont conservées
celles donnant, par exem-
ple, 1 p. 100 de plus que la moyenne des plantes
travaillées, c'est-à-dire : si celles-ci contenaient
16 p. 100 de sucre, seules, les racines titrant au moins
17 p. 100 sont conservées.
Les plantes ainsi séparées sont classées en trois
groupes de richesse crois-'^ante ; les mères, les
grand'mères et les sujets d'élite.
Les mères et les grand'mères sont destinées à la
production commerciale, les premières dès l'année
suivante, les autres au bout de trois ans après un
nouveau semis; les .sujets d'élite sont destinés à
lutter contre la dégénérescence et, à l'état futur de
racines, à être soumis à de nouvelles sélections.
Enlin, on rencontre parfois des sujets extraordi-
naires ; on les réserve sous le nom de télé de famille
à la prépaia lion de races améliorées ; naturellement,
Répartition du sucre dans la
betterave ; AB, zone de plus
frande rictiesse; CDEF. zone
e richesse moyenne. (La fleclie
indique la direction à donner
au foret pour prélever l'échan-
tillou de la pulpe.)
Variation de la richesse en sucre de betteraves de première
génération issues de la même mère.
toutes les indications relatives à ces plantes sont
notées (richesse en sucre, poids, moulage des for-
mes, etc.) pour comparer, dans la suite, les progrès
réalisés dans la sélection.
Les betteraves analysées sont remises en silos, les
élites et têtes de famille conservées comme des fruits
sur des claies. En mars, on les plante pour la fruc-
tification en sol bien fumé (par hectare 30.000 à
40 000 kil. de fumier bien fait, 600 à 800 kil. de
superphosphate, 3oO kil. de nitrate et 200 kil. de sel
de potassium); les racines sont espacées d'un mètre
les unes des autres, après avoir enlevé les collets
pour donner une fructilication buissonnante; durant
la végétation, on procède à de fréquents binages et
à des arrosages à la nicotine à 2 p. 100, pour détruire
les pucerons.
■Vers août, on coupe les porte-graines à la faucille,
et, les disposant en gerbes et en chaînes, on fait sé-
cher à l'air durant plusieurs jours; les gerbes battues
sur une toile laissent tomlier les plus belles graines;
les autres s'obtiennent par de nouveaux séchages
LAROUSSE MENSUEL
suivis de nouveau battage; les graines, blutées, sont
séchées soit sur le plancher des greniers, soit, mieux,
dans des séchoirs à air chaud.
On peut améliorer certaines pratiques de la sé-
lection en procédant par bouturage et greffe; les
racines en serre dèveloi peut des bourgeons, que
l'on sépare en conservant un peu de la chair adhé-
rente; ces boutures, mises en pot, sont repiquées
en avril. Quant aux Dourgeons terminaux, ils sont
greffés sur des racines quelconques; enfin, le restant
de la racine initiale, coupé en quatre, est également
planté : on réussit ainsi à augmenter vingt fois la
production de la graine. Enfin, dans plusieurs exploi-
tations, surtout dans les plantations de deuxième
génération, on opère en planchons, c'est-à-dire avec
de petites betteraves obtenues par un semis très
dru (33 à 40 kil. à l'hectare) et laissant quarante
individus au mètre carré; ces planchons donnent
la seconde année des porte-graines très vigoureux,
à graines plus régulières que ce'les données par les
souches normales.
Les graines épurées se vendent 1 fr. 40 à 1 fr. 50
le kilogramme en temps normal, or en récolle 2.000 à
2.500 kil. à l'hectare. On voit combien cette culture
est rémunératrice, la graine doit contenir 3 p. 100
au plus d'impuretés, 15 p. 100 d'eau et donner après
quatorze jours un tauxde germination de 70 à 80p. 100
selon le poids de la graine (20 à 25 gr. par mille) ; on
emploie pour les semis 25 kilogrammes par hectare.
Telle est l'industrie agricole qu'il convient de dé-
velopper en France, si nous voulons devenir indé-
pendants dans la question sucrière. Longtemps
on a cru qu'il fallait un travail très méticuleux
pour réaliser la sélection; en réalité, il n'en est
rien : les graines étrangères n'étaient pas les meil-
leures; nos cultivateurs peuvent espérer en obte-
nir d'aussi bonnes. II leur suffit, en partant d'une
race choisie, de chercher à conserver le taux de
richesse saccharine, pour réussir, ils garderont
comme porte-graines les sujets de belles formes,
de lourde densité, de chair dure; celte sélec-
tion permet déjà d'empêcher les dégénérescences.
«• 124. Juin 1917.
Salon des Artistes français de 1892. En même temps,
■Vimar étudiait en sculpteur les formes nerveuses
et élégantes de ses modèles, et ses petits bronzes
sont d'un goût très distingué.
Cependant, c'est surtout comme dessinateur qu'il
a été apprécié. Il a collaboré à la partie artistique
de plusieurs journaux; entre autres, au « Figaro il-
lustré », au o Ri-
re », au « Soleil
dudimanche»; il
a exécuté des af-
fichesdecourses,
des cartes posta-
les, etc.; il a pu-
bliéde nombreux
albums : tantôt il
en composait lui-
même le texte,
tantôt il travail-
lait en collabora-
tion avec Paul
Guigou, Eugène
Mouton (Méri-
nos), Léo Clare-
tie, H. Signoret,
Camille Lemon-
nier. L'Arche de
Noé et l'Illustre
Domptetir {ISQli) firent à leur auteur une réputation
de maître humoriste et furent traduits en anglais.
Il convient de citer également : les Vertus et les
Grâces des bêtes (1894); le Dernier des lions (1896);
la Ménagerie de bébé (1900); le Roman du renard,
te Boi/ de Marius Bouillabès (1906) ; la Poule à poils,
qu'un éditeur de New- York fit traduire pour la plus
grande ioie des enfants ainéricains; la Légende des
bêtes; le Petit Chaperon Rouge; le Mardi gras des
animaux; l'Oie du Capitale; etc. 'Vimar excelle à
deviner les intentions des animaux el à les faire de-
viner. Il ne se contente donc pas de transcrire les
formes; il veut aussi traduire les qualités psycholo-
giques,— celles, du moins, que nous attribuons aux
Auguste Vimar.
Un cas difficile, tableau d'Auguste Vimar.
Pour progresser ensuite et élaborer les races
spécialisées, il faut l'intervention du laboratoire.
II conviendrait de grouper des associations de pro-
ducteurs et de fabricants pour lesquelles les frais
d'une installation se feraient en commun; il est à
noter que ce qui se pratique avec la betterave pour-
rait se réaliser avec toutes les autres graines, pour
le grand bien de la production de la richesse agricole
en France. — M. Mcliki^.
Vimar (Nicolas-Stanislas-jluffUiie), dessina-
teur, peintre et sculpteur français, né à Marseille
le 3 novembre 1851, mort dans cette même ville le
20 août 1916. Sa famille, les Wimar, originaire
d'irlanjle, vînt se fixer en France à la suite de
Jacques II d'Aiigletene, en 1688, le nom se francisa,
et un des membres, le comle 'Vimar, fut, souslaRe-s-
tauration, sénateur de la Meuse et pair de France.
La vocation d Auguste 'Vimar fut précédée par
une vive passion pour les animaux, entre autres
pour les chevaux. Maisce ne fut qu'après une longue
étude qu'il se décida à montrer ses travaux. Il fallut,
pour l'y décider, l'innuence de ses amis, Victorien
Sardou et Clairin. Il ne commença à exposer à Paris
qu'en 1885. Son Lévrier blanc fut très remarqué au
bêtes d'après leur aspect et leurs allures. Il se garda
de leur imposer des déformations et de trop user,
comme Grandville, d'accessoires et d'habillementshu-
mains. C'est par des moyens directs, un dessin très sûr,
le choix et l'abondance des détails qu'il nous amuse. Il
a le comique littéraire, c'est-à-dire qu'il fait naître les
commentaires malicieux et complexes. La connais-
sance des formes lui permet une traduction rapide à la
plume, et son trait ferme, élégant, est toujours très ex-
pressif.Un telamoureux de la comédie animale ne pou-
vait manquerd'êtrepourlesfabulistesun collaborateur
lie choix. La Fontaine, La Chambauiiie, Florian ont
donc été illustré.: par Vimar; et ces livres sont, parmi
tous ceux de l'artiste, dotés du plus sûr agrément.
Ainsi, Auguste Vimar fut à la fois un observateur
attentif et un maître de l'imagination. Jusqu'à la
fin de sa longue carrière, il travailla; son atelier
était, comme on l'a justement dit, une vérilahle
arche de IS'oé. d'où les bêtes, à l'infini, se répandaient
dans le monde. Les musées de Dijon et de Digne
conservent des études de Vimar; sa Causerie de
chiens est au musée de Marseille. — Edme Tasst.
Paria. — Imprimerie I.aroiîsse (More.Tii. Aiu-o. r.iUon et C'*).
17. rue Montparnasse. — Le j/eranl ; L. Oroslbt.
• "N" 125. -
ILLET 1917 • III
•*^^**^'^^a^f^^^^^^^^^^^^^'^?ï^ï^7ï^77777rf^7r77r7i77^^7f777^^^v77^777X
Ambulances chirurgicales auto-
mobiles. — La gravité des blessures dans la
guerre actuelle, l'urgence d'intervenir opératoire-
ment le plus rapidement possible, la proportion infi-
niment plus élevée des guérisons après les inter-
ventions précoces ont attiré, dès le début de la
guerre, l'attention sur l'inlérêt qui s'attacherait à la
création de centres chirurgicaux aussi rapprochés
que possible de la ligne de combat et qui seraient
pourvus d'une installation telle qu'on pût y prati-
quer toutes les opérations, même les plus graves et
les plus délicates, dans les
mêmes conditions favo-
rables que l'on rencontre
dans les hôpitauxlesmieux
aménagés et les cliniques
les plus modernes. Telles
sont les idées qui condui-
sirent, vers la lin de l'an-
née 1914, un chirurgien
des hûpilaux de Paris, le
D'' Marcille, à créer line
première ambulance auto-
mobile qui rendit, dès le
début de son fonctionne-
ment, d'excellents services
et permit de sauver la vie
à de nombreux blessés. Le
principe était d'avoir tou-
jours à sa disposition des
mstruments et des pièces
de pansement stérilisés.
une salle d'opération par-
faitement aseptique, des
chirurgiens rompus aux
interventions les plus dilli-
ciles. Tout l'agencement
de l'ambulance chirurgi-
cale n" 1 (c'était son nomj
tenait dans trois camions
et une remorque, ces voi-
tures pouvant j)asser par-
tout. L'installation s'effec- '■"= """
tuait en quelques heures.
Ces camions comprenaient, outre la salle d'opéra-
tion, avec ses bouilloires, son autoclave et son
générateur de vapeur pour le chauffage, le matériel
d'un hôpital de 120 lits, un groupe électrogène,
tout un approvisionnement do pharmacie et de ma-
tériaux pour pansemcnls. Le D' Marcille y opéra
avec le D'Hallopeau. — Cotte conception est restée
celle qui a guidé le Service de santé de l'armée
dans la création des services chirurgicaux auto-
mobiles actuellement en usage et qui, moyennant
quelques perfectionnements, répondent r.dmirable-
ment aux desiderata formulés par tous les chirur-
giens. Il faut, d'ailleurs, déciire séparément deux
formations distinctes, qui ont des destinations diffé-
rentes : les ambulances chirurgicales proprement
dites et les groupes complémentaires de chirurgie.
1° Ambulances chirurgicales. — Primitivement
conçues pour fonctionner de façon entièrement au-
tonome, ces ambulances comprenaient au début des
voitures contenant le matériel d'hospitalisation et
des voiturettes pour le transport des blessés. Ac-
tuellement, elles fonctionnent en union avec une
ambulance importante qui assure les services d'hos-
pitalisation et de transport, et elles ne contiennent
que le nécessaire au point de vue purement chirur-
gical. L'ambulance chirurgicale, ainsi composée,
forme, ainsi que le dit un des chirurgiens qui font
partie de leur personnel, le centre d'un vaste en-
semble étroitement fusionné. Les deux formations
ainsi unies fonctionnent en étroite collaboration, le
principe restant toujours la réalisation d'un hôpital
offrant, aussi près que possible de la ligne de com-
bat, tout le confort chirurgical d'un service hospi-
talier de premier ordre du temps de paix.
L'ambulance chirurgicale, en ordre de marche,
comprend trois camions techniques et deux camion-
nettes. Débarrassons-nous tout de suite de ces deux
dernières, qui servent à transporter le matériel en
vrac du service général. Les Irois camions, A, B, C,
sont le principal de la formation.
Le camion A, dit « de stérilisation », contient le
générateur de vapeur qui est peut-être la pièce es-
sentielle de l'ambulance, des autoclaves, des bouil-
leurs, des radiateurs pour l'installation du chauffage
central. Le camion B est à deux lins. En marche, il
renferme tous les appareils de radiographie qui
sont relégués dans la partie antérieure de la voiture
où les contient une sorte d'armoire; tout le reste
du camion est occupé par les pièces démontées du
baraquement opératoire. Le camion C, également à
deux fins, transporte à l'avant un groupe éloctrogène
assez puissant pour, d'une part, fournir le courant
nécessaire à la radiologie et, d'autre part, pour as-
surer l'éclairage par environ 120 à 150 lampes. Le
reste de la voiture trans-
porte les instruments de
chirurgie, la pharmacie et
les objets de pansement.
Lorsque l'ambulance
chirurgicale est arrivée
sur le lieu où elle doit
fonctionner, le pavillon
opératoire est immédiate-
ment monté. Il est formé
d'un baraquement zn plan-
ches, qui comprend trois
pièces : deux salles d'opé-
ration et une salle de sté-
rilisation. Ses dimensions
sont d'environ 14 mètres
sur 5. En trois heures, tout
cet ensemble peut être
monté. La voiture radio-
logique est alors rendue à
sa destination principale,
les appareils installés en
leur lieu fixé, et tout le
camion, peint en noir à
l'intérieur, est adapté
exclusivement aux opéra-
tions de radiographie in-
'lispensables. Les salles
d opération sont nues, les
murs en sont peints en
blanc ou recouverts de
"""""• I toile cirée de même cou-
leur, ce qui assure une
asepsie facile par lavage avec des solutions appio-
priées. Elles sont fournies d'eau stérilisée par la
chaudière, chauffées par des radiateurs et éclairées
à l'électricité. Le plancher est recouvert de lino-
léum. Les autoclaves assurent la stérilisation soit
en boites contenant tout le nécessaire pour des opé-
rations déterminées, soit sur plateaux (ce qui était
l'idée première du D' Marcille) sur lesquels sont
disposés tous les instruments, linges, champs opé-
ratoires, pansements, pouvant permettre une inter-
vention délicate et rapide.
En général, celle installation est complétée en
empruntant à l'ambulance qui se charge de l'hospi-
talisation une salle sous tente servant à l'examen
du blessé et à sa préparation (déshabillage, lavage,
nettoyage, application d'un pansement provicoire).
LAHOUSSIi MENSUEL. — IV.
166
(ietle salle communique avec les salles que nous
avons décrites et avec les autres salles de l'ambu-
lance (salles garnies de lits;, de telle façon que le
un ifcliaique d'L
umii!t;ii]fntairf île chir
l'avant], (flu/i. mid.)
blessé, une fois entré dans la formation, puisse en
parcourir tous les services sans ressortir au dehors.
Le personnel d'une ambulance chirurgicale pro-
prement dite (non compris celui de l'ambulance
d'hospitalisation à laquelle elle estunie) comprend :
4 chirurgiens, 4 médecins, 1 radiographe, 10 étu-
diants en médecine et 16 infirmiers. L'un des chi-
rurgiens exerce les l'onctions de médecin chef.
Pour donner une idée del importance des services
rendus par une formation de ce genre, citons les
chiffres suivants, empruntés k un travail d'un chi-
rurgien faisant partie d'une ambulance automobile,
à l'aide-major H. Monod : pendant une semaine,
l'ambulance à laquelle il est attaché a pu opérer une
moyenne de 40 blessés par vingt-quatre heures.
La chaudière est restée sous pression jour et nuit,
fournissant une chaleur continue (24° G. dans les
salles d'opération en fonctionnement) et jusqu'à
16 stérilisations par jour. Le groupe électrogène a
fonctionné toutes les nuits pendant quatorze heures,
sans une défaillance.
Une installation de ce genre permet non seule-
ment d'opérer les blessés avec tonte la rapidité dé-
sirable et dans des conditions techniques parfaites,
mais encore de garder les grands opérés hospitalisés
pendant un temps suffisant pour que leur transport
ne soit plus pour eux un péril. Les ambulances chirur-
gicales actuellemen t en service sont au nombre de 21 ,
qui sont toutes utilisées sur le front français. De plus.
LAROUSSE MENSUEL
Le groupe complémentaire, en ordre de marche,
se compose d'un camion renfermant instruments,
appareils de stérilisation, groupe électrogène, ins-
tallation radiologique,
et d'une remorque qui
transporte le pavillon
opératoire. Celui-ci est
formé de parois dou-
bles,recouvertes àl'in-
térieur de toile cirée;
le parquet est recou-
vert de linoléum. Il
comprend deux pièces :
une salle d'opération
et une salle de prépa-
ration. Le chauffage
est assuré par circula-
tion d'eau chaude. 11
y aura, lorsque le pro-
gramme sera entière-
mentréalisé,140deces
groupes chirurgicaux.
Actuellement, ils sont
au nombrede 90 en ser-
vice sur le front fran-
çais. — D' H. Bouquet.
A.nnales du
théâtre et de la
musique (1914-
1915), par StouUig.
— Malgré les événe-
.igie, [Le i;,„ui,t cio-i. ..gcc ,3t il mcnts, Stoulliga Conti-
nué son intéressante
publicalion, qui atteint
aujourd'hui à son quarantième volume. 11 y a réuni
les deux années 1914 et 1915, apportant ainsi une
utile contribution à l'histoire du théâtre français à
la veille et au début
de la Grande Guerre.
Quel contraste entre
ces deux périodes I
En 191'!, c'est, sur
toutes nos scènes, une
pleine et brillante acti-
vité : les auteurs y pro-
diguent leurs talents,
le public y fête toutes
les formes d'art et té
moigne mèine d'une
sympathie particulière
pour celles qui nous
viennent d'au delà du
Rhin. N'est-il p:is cu-
rieux, en effet, que cette
année 1914 s'ouvre par
une triomphale apo-
théose de l'œuvre wa-
N' 126. Juillet 1917.
tienne, tandis qu alaGalté-Lyrique on applaudissait
la Danseuse de Tanagra, œuvre habile et colorée
de Hirschmann, Madame Roland oe Fourdrain,
chez qui l'influence de Massenet s'allie à une émo-
tion très personnelle, qualité que l'on retrouve
moins chez Nouguès, dont le même théâtre repré-
sentait la Vendetta. Quant à l'opérette, elle restait
toujours 11 viennoise >>, et l'éternelle Veuve joyeuse
triomphailencore, enl9I4,àrApollo, tandis que son
auteur, Franz Lehar, faisait applaudir au Trianon-
Lyrique le liai des montagnes. Pourtant, une tenta-
tive intéressante et heureuse était faite par Xavier
Leroux, « le noble compositeur de la Reine Fiam-
metle », qui ne rougissait pas d'écrire pour l'ApoUo
un gracieux opéra-comique, la Fille de Figaro.
Puisse cet exemple stimuler nos compositeurs et
les rendre favorables au divertissement léger de
l'opérette, maintenant que nous voilà — pour long-
temps, sans doute — débarrassés des Rêves de valse
et autres d^Z/ca/esies germaniques!
L'art dramatique proprementdilatlestait, en 1914,
son ordinaire vitalité; sans compter les reprises,
on constate, d'après le relevé de StouUig, que, pen-
dant les sept mois que dura la saison, près de
110 pièces nouvelles furent représentées. Entre tant
d'œuvres si diverses, il est diflicile d'établir une pa-
renté, ou même de dégager quelque tendance précise
de notre théâtre à la veille de la guerre. Tous les
genres y figurent, depuis les plus follement gais jus-
qu'aux plus austèrement graves. Et ceci est, du
moins, à l'éloge du public français, dont l'éclectisme
accueillait avec uneégale faveur les cocasses inven-
tions d'un Feydeau, dans Je n trompe vas mon
mari, et les profondes suggestions d'un de Curel,
dans la JVoui;c//e7do/e, se haussant même jusqu'aux
sublimités un peu vertigineuses d'un Paul Claudel,
dans l'Otage. Entre ces extrêmes, s'échelonne la
série des pièces aimables, qui vont par gammes
4
s
i^iu
p
t^^
s 2
Plan d'une ambulance chirurgicale, en ordre de fonctionnement : A. camion de stérilisation ; B, ca-
mion de radiographie ; C, camion de pharmacie ; V, voiture de hlessés arrivant ; 1 , tente Tortoise ; 2, salles
d'opération; 3, salle d^ stérilisation; 4, tente-bivouac; p, passage couvert; P, salie de pansement;
S, salles d'hospitalisation; O, salle d'ofticiers. {liutt. métt.)
Vue intérieure du pavillon opéi-atoiro d'une ambulance chirurgicale automobile. {Bull, niid.)
deux formations complètes de ce genre sont gardées
en réserve, pour remplacer immédiatement tout ca-
mion momentanément hors d'état de fonctionner.
2° Groupes complémentaires de chirurgie. —
Ces groupes, beaucoup plus simples, sont destinés à
être annexés à une ambulance divisionnaire spécia-
lisée de façon plus ou moins durable dans le trai-
tement des blessés et à laquelle ils apportent une
nide puissante en lui fournissant un pavillon opéra-
toire démontable et toute une installation de stérili-
sation, de radiologie et d'éclairage électrique.
gnérienne, avec les représentations de Parsifal à
l'Opéra? RiBn n'avait été négligé, remai-que StouUig,
pour rendre accessible au public l'œuvre du maître
deBayreulh : "La mise au point musicalede l'œuvre
était absolument remarquable; jamais pareil résul-
tat n'avait été obtenu à l'Opéra. Une salle com-
ble écoutait avec re-
cueillement le drame
sacré. » La recette de
la première représen
tation d'abonnement
dépassait20. 000 francs.
L'éclat de ces repré-
sentationsrejetaildans
l'ombre les autrescréa-
tions musicales de la
saison, parmi lesquel-
les Scejno, de Bacholet.
Il semblait, en effet,
que notre goûtréservât
ses faveurs aux œuvres
de facture étrangère et
étrange. Môme, l'en-
chantement desBa/ie/.s
russes se teintait de
germanisme : le « clou »
n'en était-il pas la Lé-
qende de Joseph, de
hicliardStrauss'JPour-
tant, celte même saison
russe nous révélait,
outre le Rossignol de
Strawinski, le Coq
d'or, la dernière œu-
vre de Rimsky-Korsa-
kow, opéra héroïquement burlesque, d'une réalisa-
tion artistique particulièrement originale.
A rOpéra-Gomique, la tradition française était
plus jalousement maintenue avec la Marchande
d'allumettes de Tiarko Ricliepin, la Péri de P. Du-
kas, la reprise du Rêve de Uruneau, et surtout
Marouf de Rabaud, œuvre de hante valeur, d'une
musicalité claire et vivante. Sur les autres scènes
lyriques, VAmore dei tre Re de Montemezzi, repré-
senté au Théâtre des Champs-Elysées, renouvelait
les formules déjà trop connues de la jeune école ita-
nuancées du rire à l'attendrissement et qui, par la
diversité des peintures qu'elles présentent, offrent
un tableau raccourci de notre époque, avec ses ridi-
cules et ses faiblesses. Quelques-unes ne visent
qu'à peindre. Ainsi Pétard de Lavedan, Madame
(l'A. Hermant, un Grand Rourgeois d'E. Fabre;
d'autres marquent une intention moralisatrice,
comme le Rourgeois aux champs de Brieux. D'une
façon générale, il semble qu'en 19I4on était envoie
de revenir insensiblement au théâtre « honnête ».
Les laideurs morales, les tares honteuses ne sollici-
taient plus, comme naguère, l'imagination des au-
teurs dramatiques; les grands conflits de passions
étaient éj^alement délaissés pour l'étude des senti-
ments ordinaires, à la portée, dirait-on, de toutes les
âmes. La tragédie n'était guère représentée que par
la fidèle et vivante adaptation de Macbeth par Jean
Richepin. Par contre, un des grands succès de la
Comédie-Française fut la Georgetle Lemeunier de
Donnay, et l'on ne trouva pas étrange que l'au-
teur eût osé choisir pour héroïne une femme exclu-
sivement éprise de son mari. Et n'est-ce pas encore
la paisible douceur de l'intimité conjugale qui a ins-
piré la Pèlerine écossaise de Sacha Guitry? D'un
autre point de vue, il est intéressant de signaler,
chez certains de nos dramaturges, une évolution
vers le genre sérieux. C'est ainsi que Tristan Ber-
nard, qui, d'ailleurs, faisait applaudir aux Français,
dans le Prince Charmant, ses dons ordinaires de
fine et ironique observation, donnait au théâtre An-
toine une pièce très dramatique, la Force de men-
tir; de même, Francis de Croisset, renonçant à son
genre léger et railleur, s'efforçait, avec l'Evervier,
d'émouvoir les spectateurs de l'Ambigu. 11 n'est
pas jusqu'au talent de de Fiers et Caillavet qui n'ait
pris une forme plus attendrie, plus humaine, dans
leur comédie. Monsieur Rrotonneau. E*, parmi
les autres pièces, à divers titres intéressantes,
de cette saison, avec Le Destin est maître, la der-
nière œuvre d'Hervieu, drame vigoureux et ramassé,
il faut cMerV Envolée de Dévore, la Sauvageonne
de Guiraud, le Mannequin et Ma tante d'Honfleur
de Gavault, la Victime de 'Vendérem, Poussière
de Lenormand, sans oublier les Cinq messieurs
de Francfort, où triompha Guitry, et la curieuse
Danse des fous de Biriaski.
M* 125. Juillet 1917.
Mais voilà que, soudain, la guerre, comme un for-
midable coup de Ihéàti-e, est venue jeler la perlur-
balion dans le monde dramatique. Avec la mobilisa-
lion, les tbéàlres ferment leurs poiles. Sans parler
de la diisorgaiiisation qui résulle des mesures mili-
taires, qui donc aurait le goût, en ces heures tra-
giques, d'aller au spectacle? Le 2 août, la recette de
la Comédie-Française atieint tout juste 454 francs!
La vie théâtrale est donc un moment entièrement
suspendue. Elle reprend néanmoins au cours de 1915,
car il faut bien faire vivre le personnel des théâtres :
une à une, les diverses scènes rouvrent. Ce sont
d'abord des matinées, en partie consacrées à des
galas de bienfaisance; car l'histoire du théâtre
en 1915 constitue une des pages de l'histoire de la
charité pendant la guerre : avec une émulation
louable, les directeurs mettent leurs salles, et les
artistes leurs talents, au service des représentations
de bienfaisance; ainsi la Comédie-Françaùse put ver-
ser aux œuvres de guerre 64.000 francs, et la contri-
bution de rOpéra-Cojnique atteiunit 80.000 francs.
D'ailleurs, le goiit du public parisien pour le théâtre
est si profond que la guerre même ne saurait
l'élouiïer. Le soir de sa réouverture, le 13 février,
la Comédie-Française réalisait une jolie recette de
4.000 francs. Pourtant, durant cette année 1915, il
y eut peu de pièces nouvelles ; la plupart des
théâtres puisèrent dans l'ancien répertoire, exhumè-
rent même des œuvres depuis longtemps écartées
de la scène. La Fille de Roland retrouva aux Fran-
çais un accueil chaleureux, ainsi que Pour la Coii-
rontte de Coppée. Ailleurs, les vieux drames (le
Courrier de Li/on, le Maître de forges) et les vieux
vaudevilles (les Surprises du divorce, la Carolte...)
alternaient avec les pièces d'inspiration patriotique
I (Alsace, les Oherté, Marceau). P&Tmiies nouveau-
' tés, bien rares sont celles qui n'ont point quelque
affinité avec l'actualité: de ce nombre sont, ce pendant.
Jalousie de Sacha Guitry, les Deux Vestales de
Maquet. Mais, déjà, l'allusion transparaît dans la
Vierije de Lulèce, drame en vers de Villeroy; elle
s'affirme davantage dans Colette Baudoche, adapta-
tion par Frondaie du roman de Barrés; elle forme
enfin toute la trame de pièces comme la Kommun-
Uanlur, Vieux Ttiann, les Catltédrales, Kit, les
fiancés de Hosalie, les Exploits d'une petite Fran-
çaise. L'opérette, elle aussi, se faisait cocardière et
arborait fièrement à l'Apollo la Cocarde de Mimi
finson de Goublier, tandis qu'au Trianon-Lyrique,
on donnait Fils d'Alsace. D'inspiration généreuse
et de facture .-JOuvent habile, ces œuvres, il faut
l'avouer, sont pour la plupart d'une valeur artistique
médiocre. C'est toujours le propre des pièces trop
directement jaillies de l'actualité immédiate. Pour
s'en convaincre, il suffit de lire la Préface dont
Henry Bidou a accompagné le volume, et oii il a
rassemblé, sous le titre du Théâtre de la Victoire.
quelques analyses et extraits de pièces jouées ii
Paris en 1796 et 1797. Elles sont généralement d'in-
vention assez pauvre et n'ont guère d'autre intérêt
que de refléter, malgré le recul du temps, des préoc-
cupations semblables à celles qui nous obsèdent et
de nous présenter des types et des sentiments
analogues à ceux que la guerre a fait naître parmi
nous. — Félix QOIRAKD.
Baudouin (.WanueZ-Achille), magistrat fran-
çais, né à Tours le 26 juin 1816, mort à Paris le
23 janvier 1917. Il était fils d'un ancien procureur
général près la Cour de cassation, décédé en 1886.
Lui-même a consacré quarante-huit ans de sa vie à
la magistrature. Il se fit recevoir docteur en droit
le 31 juillet1868 par la faculté de Rennes. Ses sujets
de thèse étaient intitulés, pour le droit romain, De
ta loi Aquilia, et, pour le droit français, De l'action
civile naissant d'un fait réprimé par la loi pénale.
L'année suivante, il fut envoyé à Châteaulin comme
substilut.il remplitles mêmes fonctions à Quimper,
puis à Rennes. Le 16 février 1878, il fut nommé
substitut du procureur général à la cour d'appel de
Rennes et, le 28 juin 1880, avocat général à la cour
de Lyon. Le 25 janvier 1885, il devint procureur
général à la cour de Limoges et, le 15 novembre
1890, avocat général à la Cour de cassation, qu'il
dut quitter pour quelques années, quand il prit, le
24 décembre 1893, la succession du président Aubé-
pin au tribunal de première instance de la Seine.
Il revint à la Cour de cassation le 25 juillet 1901, en
remplacement du procureur général Laferrière, dé-
cédé. Il recueillait ainsi la succession de son père,
à dix-sept ans d'intervalle. Enfin, le 16 novembre
1911 , après la retraite de Ballot-Beaupré, il fut nommé
président de la Cour suprême. 11 avait élé promu
grand officier dans l'ordre de la Légion d'honneur,
en décembre 1908.
Ce magistrat était capable d'un labeur écrasant
pour tout autre. Durant les derniers mois de sa vie.
il présidait non seulement les audiences de la
chambre civile, qui avait ses préférences, mais en-
core celles de la chambre des requêtes, dont le
président Tanon était mort et n'avait pas été rem-
placé. Il s'occupait avec passion des œuvres d'assis-
lance nées de la guerre. 11 faisait partie de la Com-
mission supérieure des allocations, du Comité des
LAROUSSE MENSUEL
orphelins de la guerre, du Comité du « Secours
national ». C'est à une séance du « Secours natio-
nal » que la mort l'a frappé subitement.
Ce fut lui qui rédigea le rapport et prononça le
réquisitoire quand la Cour de cassation eut à exa-
miner le pourvoi en révision formé contre le juge-
ment du conseil de guerre de Hennés qui avait
condamné Alfred Dreyfus pour la seconde fois. Jus-
qu'au moment où il fut saisi officiellement par le
ministre de la justice, le procureur Baudouin avait
admis la culpabilité de Dreyfus. Après examen du
dossier, il soutint avec fougue la thèse de l'inno-
cence. Son discours virulent dura huit audiences.
Joseph Reinach a loué sa « pensée bouillonnante »
et sou " éloquence irritée », et il l'a défini :
la science niérao. le répertoire le plus exact, plus abon-
dant qirélo<|uent, surtout rolmste, plein de saillies, d'une
verve qui ne tarissait pas, intempérant parfois et sans
mesure, mais toujours sincère avec lui-même et passionne
do justice. Au physique, petit et sans l>eaucotip de mine,
sans rien non plus do cetto fausse sévérité qu'alfectent les
gens de robe, et le visage et le corps toujours en mouve-
ment comme l'esprit.
Sa parole, selon le président Falcimaigne, était
« brève et parfois impérieuse, son geste vif et par-
fois autoritaire », mais son cœur recelait des n ré-
serves inépuisables d'indulgence et de bonté ».
Pendant les dix années qu'il passa comme chef
du Parquet général à la Cour de cassation, il dut
interpréter de nombreux textes de lois récemment
votées et proposer des jurisprudences nouvelles
pour appliquer les lois concernant les accidents du
travail, les associations et les congrégations reli-
gieuses, la suppression de l'enseignement congréga
niste, la séparation des Eglises et de l'Etat, etc. Ce
travail exigeait non seulement une grande activité,
mais aussi une remarquable faculté d'assimilation
et une laige sympathie pour les tendances de la
société moderne. Ses conclusions dans la question
du monopole des
agents de change
(1910), dans celle
du drapeau pon-
tifical (1911),
dans l'alTaire de
la Grande-Char-
treuse (pourvoi
de Marnier-La-
postolle), ont été
ionguementcom-
inentées et dis-
cutées dans la
presse.
Suivant la tra-
dition constante
de la magistra-
ture, il avait le
goût des lettres.
Il a particulière-
ment soigné le
style des dis-
cours qu'il a prononcés aux audiences de ren-
trée : Des lettres missives (cour d'appel de Lyon,
3 novembre 1883); le Centenaire de la Répu-
blique (Cour de cassation, 17 octobre 1892); le
Procureur général Laferrière (Cour de cassation,
16 octobre 1902); le Conseiller Auguste Boyer
(Cour de cassation, 17 octobre 1904); le Premier
Président Manau (Cour de cassation, 16 octobre
1908); etc. Citons aussi ses éloges funèbres du pré-
sident Louis Lallemand (1898), du bâtonnier Guil-
laume-Ernest Cresson (1903), son rapport sur la
Bibliothèque de la Cour de cassation et l'Ordre
des avocats (1913). 11 a collaboré à la Jurispru-
dence générale de Dalloz et au « Journal des pai-
quets M. — Paul Hai-ts.
Bismarck — G-ulllaume H et Fran-
Çoia-Joseptl. (Les Auteurs de la guerre de
IDIi), par Eruest Daudet [2 vol.] — Avec une inlas-
sable activité, une ardeur au travail quasi juvénile,
l'historien éminent de l' Emigration et de la Restau-
ration a entrepris une nouvelle œuvre : celle de
tracer un portrait aussi précis et fidèle que possible
des principaux auteurs de la guerre; non, certes,
pour buriner une œuvre d'art, mais pour fixer
leurs odieuses responsabilités et montrer comment,
depuis un demi-siècle, la Prusse, dirigée tour à tour
par Bismarck et Guillaume II. entraînant à leur
suite l'inconsistant et lamentable François-Joseph,
a résolument marché au-devant de cette lutte
qu'elle considérait comme l'aboutissement suprême
de sa grandeur, son apothéose.
Ernest Daudet a toujours eu, pour tous ses tra-
vaux, l'heureuse fortune d'avoir en main des docu-
ments de premier ordre; on sent, à la lecture de ces
deux passionnants réquisitoires, qu'il a pu, comme à
son habitude, se documenter aux meilleures sources.
Intimement mêlé depuis de longues années à la
vie politique et diplomatique de l'Europe, ayant
noué de puissantes et flatteuses relations dans plu-
sieurs cours et de nombreuses chancelleries, il était
mieux à même que quiconque de tracer l'historique
de cette préparation lente et perfide, qu'il fait re-
monter, non sans raison, à cent ans.
167
Dès 1806, il se trouva des Allemands, en grand
nombre, qui rêvèrent de réaliser plus tard, à leur
profit, cet impossible empire du monde que Napo<
iéon s'elforçait, à ce moment même, de réaliser par
et pour la France. Mais ils attendirent cinquante
ans avant de trouver un chef: Bismarck, dont il est
vain de nier l'infernal génie, et qui sut, dès son arrivée
au pouvoir, en 1862, tout préparer pour le but qu'il
jugeait essentiel et qu'il dissimula le plus possible :
la lutte avec la France. Jouant ses adversaires avec
une maestria incomparable, trop fln pour les provo-
quer tous ensemble, comme le fit, en 1914, son im-
périal successeur, le ministre du roi Guillaume sat
amputer le Danemark sans blesser l'Angleterre,
vassaliser l'Autriche sans effraver Alexandre II ni
Napoléon III, sans même mécontenter celui qu'il en-
traînait dès cette heure à sa suite, François-Joseph;
étrange réussite, dont on ne saurait, d'ailleurs, attri-
buer tout le mérite... professionnel à Bismarck.
La haine de la France dominait sa politique : 1870
combla donc ses vœux. Il lui sembla que le morcelle-
ment accompli par la conquête de l'Alsace et d'une
partie de la Lorraine marquait la déchéance défini-
tive de la France en Europe. Le fait d'avoir pu écra-
ser sa rivale sans susciter de protestation de l'Au-
triche, de la Russie, de l'Angleterre, lui paraissait
également une victoire diplomatique de premier or-
dre, qui faisait du nouvel empire l'arbitre du monde.
Ce rôle d'arbitre lui suffisait; il ne semble pas,
en effet, que Bismarck ait rêvé cette domination
universelle que les pangermanistes contemporains
de Guillauir.» placent comme but de leurs ambitions.
Mais, comme le démontre fort bien Ernest Daudet,
le hobereau prussien a élé l' " empoisonneur de
l'âme allemande », car c'est lui qui, « en créant
l'unité de l'Allemagne et en exallant ses ambitions
jusqu'au délire, a préparé ce terrain ensemencé de
haine et d'orgueil où nous voyons Guillaume 11 évo-
luer monstrueusement ».
Dans toute la seconde partie de son étude sur le
«chancelier de fer u,réminent historien a pris plaisir
à montrer Bismarck déçu et voyant s'accomplir des
événements qu'il avait crus à tout jamais irréalisa-
bles; le plus cuisant pour lui fut, certes, sa disgrâce.
Ayant réussi h se maintenir au pouvoir durant le
court règne de Frédéric 111, ce prince « humanitaire
et libéral » qui faisait exception et presque tache
dans sa famille et que, pour ces qualités, Bismarck
s'était efl'orcé d'écarter du trône, le chancelier se
croyait appelé à régner jusqu'à l'épuisement de ses
forces sur l'empire qu'il avait créé. On sait que, dès
le mois de mars 1890, Guillaume II acculait Bis-
marck à la démission; le récit de ces événements,
tracé par E. Daudet, est infinimentcurieux. Ses ren-
seignements personnels lui permettent, en effet, de le
parsemer de dé'ails piquants et inédits, qui achèvent
lie préciser les caractères: huit ans durant, la lutte
entre le ministre déchu et le jeune empereur ingrat
se poursuivra à travers toute une série d'incidents,
ilont les chancelleries et les cours allemandes rece-
vaient seules l'écho.
Quand l'ancien chancelier de l'Empire eut rendu
le dernier soupir, à Friedricbsnih. le 30 juillet ls98,
la question se posa entre ses fils, Herbert, Wilhelm,
et sa fille, la comtesse de Rantzau, de savoir sous
quelle forme cette mort serait annoncée à l'empe-
reur Guillaume :
Héritiers de ses ressentiments, ses enfants se refusèrent
à l'annoncer eux-mêmes, et c'est le médecin qui signa le t*-
léframmo adressé à Ouillaume II. L'empereur fcigaitdesa
168
Êas ressentir l'incorrection du procédé ; il proposa que
lismarck fût enterré au Dôme. Ou lui fit répondre nue le
testament du défunt s'y opposait, car il y était stipulé que
Bismarck serait inhumé à Friedrichsruhe et qu'on graverait
sur sa tfjmbe ces mots : » Prince de Bismarck, mort «n vrai
Allemand et fidèle serviteur de Guillaume I". ^ — L'empe-
reur ne put passer outre aux volontés du mort, mais s'em-
pressa d'annoncer sa visite ; aussitôt, les cérémonies de la
mise en hière furent avancées et, quand le souverain entra
dans la chambre mortuaire, le cercueil était cloué. Guil-
laume, tenant à montrer au monde qu'il s'était in extremis ré-
concilié avec le prince, lit célébrer à Berlin un service funè-
bre, mais les places réservées à la famille restèrent vides.
Ainsi (écrit rhistorien\ jusqu'au fond de sa sépulture,
l'ex-chancelier laissait encore éclater son ressentiment..,;
il quittait la vie sans avoir pardonné...
Bismai'ck reçut une partie du châtiment qu'il méri-
tait ; il entrevit la ruine de son œuvre; il assista aux
prémisses de cette alliance franco-russe dont il avait
maintes fois juré d'empêcher la conclusion; il com-
prit que la mégalomanie impériale, en déclarant l'a-
venir de l'Allemagne « sur l'eau » , provoquerait tôt ou
tard l'Angleterre et qu'il se trouverait dans ce pays
un pi'ince assez souple, expérimenté et sûr de soi
pour opposer aux ambitions germaines la barrière
d'une Triple-Entente invincible. Le beau-frère de
Frédéric 111, celui qui devait s'appeler Edouard VII,
allait être, en effet, le véritable deslructeur de l'œuvre
bismarckienne. Guillaume II, dès 1901, ne s'y trompa
point. Est-ce précisément pour endormir la vigilance
de son oncle qu'il proclama, jusqu'à la veille de la
guerre, qu'il voulait être l'empereur de la paix?
Edouard VII, qui disait de lui : « C'est un fou! », sut
percer à jour ses véritables inlention.s; mais l'em-
pereur fit des dupes ailleurs, en France nolamment,
et il fallut le retentissant quos ego d'Agadir pour
dessiller les yeux les plus volontairement fermés.
Il apparut alors que Guillaume il marchait résolu-
ment vers la guerre; le prétexte qu'il avait vainement
cherché au Maroc, les Balkans le lui fourniraient :
insigne folie, puisque, ce faisant, il commençait
par provoquer le tsar Nicolas, dont il avait toujours
escomplé, à tort, la faiblesse de caractère.
On a déjà beaucoup écrit sur les prémisses de celle
guerre et tenté de percer lo mystère de l'atlenlat de
Sarajevo; il semble do plus en plus certain que ce
fut le plus odieux guet-apens policier que quelques
agents autrichiens et hongrois, sous l'inspiration de
Berlin, fomentèrent pour débarrasser Guillaume II
d'un rival d'influence po.ssible. Ernest Daudet a écrit
dans ce livre plusieurs chapitres curieux sur la cour
de François-Joseph, sur cette vieille favorite Cathe-
rine Schraal, dont l'indiience longtemps prédomi-
LAROUSSE MENSUEL
1 auteur responsable et direct de la catastrophe. Sous
ce rapport, pourtant, dit l'historien,
les deux criminels sont égaux. Ce sera le jugement défi-
nitif do l'histoire ; elle constatera qu'en moins de douze
Guillaume II.
nante, quoique toujours occulte, s'exerçait sur l'esprit
fatigué du vieil empereur; mais il est encore trop tôt
pour sonder l'abime de cette étrange société et pouren
pénétrer l'énigme. François-Joseph, qui n'a cessé de
jouer le rôle de suicidé par persuasion, fut-il en cette
affaire le complice conscient ou inconscient de son
suzerain Guillaume, on ne peut encore le dire; mais
sa sénilité ne diminue guère sa responsabilité : en
signant, même les yeux fermés, l'ultimatum du
2;l juillet 1914 à la Serbie, il est devenu le premier
FrançoÏB-Joteph I*'.
jours, le coup de Jarnac préparé par l'Autriche contre la
^>e^l>ie a déterminé, grâce à la complicité de l'Allemagne,
complicité mûrement calculée, la conflagration générale,
facile à conjurer, si Guillaume II l'eût voulu.
Ernest Daudet, dans son prochain volume : « les
Complices », ne manquera pas d'exposer la part pré-
pondérante qu'auront pri.se à ces préparatifs les
Berchtold, les Tisza et d'.autres.
Aujourd'hui, il se borne à présenter face à face
François-Joseph I" et Guillaume II ; s'il reste encore
quelque mystère autour de la figure du vieil empe-
reur, dont le moins qu'on puisse dire esl que son
long règne fut néfaste pour son peuple, la guerre a,
au contraire, dissipé tous les nuages qui pouvaient
embrumer la figure du fantasque ambitieux qui, avec
une intelligence indéniable, ne fut pourtant que
i'iirlisan de sa ruine. Son incommensurable orgueil
en fait le type représentatif de l'Allemand de 1914,
du hobereau prussien, autant que de l'exportateur
westphalien ou de l'intellectuel pangermauiste : il
est hanté par l'image de Napoléon, une image d'ail-
leurs faussée par les couleurs allemandes, mais dans
laquelle il ne considère que la force triomphante. Ce-
pendant, l'orgueil exacerbé, l'hypertrophie du « moi »,
conduisent à la folie; nombreux sont les personna-
ges de l'entourage impérial qui, dès le début du règne,
prédirent la catastrophe finale.
Pas à pas Ernest Daudet suit l'évolution de ce carac-
tère; il relève les propos recueillis par les diploma-
tes ou les voyageurs qui approchèrent l'impérial his-
trion, et son récit, ainsi enrichi de notations multiples,
y puise une vie et une variété captivantes, et nom-
breux sont les détails inédits qui achèvent de nous
faire connaître le personnage et les machinations
auxquelles ses agents et lui se livrèrent dans ce
mois de juillet 1914 où, croyant travailler à leur
triomphe, ils préparèrent la ruine de leurs ambitions.
Ces deux volumes de l'excellent historien, en montrant
sous leur vrai jour les auteurs de l'horrible guerre ac-
tuelle, méritent le succès qui les accueille; ils sont,
en môme temps qu'une vibrante page d'histoire, une
leçon de choses riche d'enseignement. — Pierre raib.
cagibi (provincialisme de l'ouest de la France,
ou encore mot dérivé de cage, sous l'influence de
gourbi) n. m. Arg. milit. Petit réduit, petit abri,
petite loge : Le cagibi du poilu, c'est, sur le front,
le dernier salon oii l'on cause.
cagna ou cagnat (emprunté de l'espagnol
cana, par l'intermédiaire du sabir algérien) n.f. Arg.
milit. Abri individuel du soldat, sous terre ou sur
terre; foyer, intérieur : Torpilles et marmites dé-
gringolent pour chambarder la cagnat. Son inté-
rieur, il le regardait de tous ses yeux : Ah! la
GAGNA 1 Revoir sa gagna! (René Benjamin.)
camoiiilage n. m. Action de camoufler, de
déguiser, de maquiller; résultat de cette action.
«• 125. Juillet 1917.
— Art milit. Art de peindre, de maquiller les
canons et, en général, le matériel de guerre, de
manière qu'ils se confondent, aux yeux de l'ennemi,
avec le sol ou avec la végétation environnante :
f.e camouflage n'est qu'un mimétisme que In
force des choses impose aux guerriers humains
et à leurs engins, comme aux animaux, dans la
terrible lutte pour la vie. (Charles Nordmann.)
Criminalité juvénile pendant la
guerre (la). Hist. Enoryne recrudescence des
crimes et délits commis par les enfants et adoles-
cents. -- Influence de la guerre et de sa durée. —
Influence des films cinématographiques dits « po-
liciers ».— Depuis le commencement de la guerre,
une recrudescence des crimes et délits commis par
les mineurs de treize à dix-huit ans s'est, comme
un autre malheur public, manifestée très neltement.
F,n ce qui concerne les simpU^s délits correction-
nels et la seule région parisienne, voici, d'après les
statistiques établies pour les deux dernières années
judiciaires, le nombre des délinquants de cet âge
qui ontété déférés au tribunal pour enfants du dépar-
tement de la Seine :
Du 1" octobre 1914 au 30 septembre 1915 l.ns
Du 1" octobre 1915 au 30 septembre 1916 2.419
Ainsi donc, c'est de plus du double que le dernier
cbilVredépasse le premier.Eu 1915-1916, ontcomparu
en police correctionnelle 1.241 mineurs de plus
qu'en 1914-1915.
A titre de comparaison, voyons un autre point de
la France. Dans l'an-ondissement judiciaire de Cusset
(oii un centre spécial. Vichy, fournit la majorité des
délits), la même progression constante se marque par
les chiffres suivants : en 1916, y ont été poursuivis
devant la juridiction correctionnelle 53 mineurs de
dix-huit ans, contre 17 seulement en 1915, — soit, en
un an, une augmentation de plus des deux tiers.
Sur une telle recrudescence des délits commis
par l'enfance et l'adolescence, la guerre et sa lon-
gue durée ont manifestement leur inllueiice directe:
la guerre a dispersé la famille, retenant au front le
père et les aînés, prenant la mère pour l'un quelcon-
que des labeurs nombreux que nécessite la défense
nationale; la guerre a aussi, par la mort de faut de
chefs de famille, délinîtivement aboli trop de foyers.
De toutes façons (et cela chaque jour davantage, au
fur et à mesure que la guerre se poursuit), l'enfant
et le jeune homme se trouvent livrés à eux-mêmes
et, l'alcoolisme et la débauche aidant, exposés à
toutes les tentations, à toutes les chutes.
Même chez les jeunes malfaiteurs, un genre de vol,
particulièrement hardi, est devenu général, à Paris et
dans les grandes villes : l'arrachement, presque tou-
jours en plein jour et souvent dans des rues très
fréquentées, des sacs à main que portent les dames.
Le danger s'aggrave encore d'une habitude nou-
velle qui, précisément, s'est surtout implantée depuis
les hostilités : l'engouement des masses populaires
pour les représentations cinématographiques, prin-
cipalement parmi la jeunesse. A Paris, en 1916 et
1917, un grand nombre de tout jeunes gens (dont
certains à peine âgés de 14 ans), arrêtés pour men-
dicité ou pour vol, ont tranquillement expliqué qu'ils
voulaient avoir de l'argent « pour aller au cinéma ».
Or, quant à la jeunesse de conscience hésitante et
au point de vue des soucis qu'elle inspire, le ciné-
matographe a eu trop souvent, au cours de ces der-
nières années, un rôle de démoralisation : en effet,
les films les plus en vogue ont été ceux représentant
des méfaits, des crimes, des actes de brigandage,
tels que les Mtjstèves de New-York, le !lla.sque aux
dents blanches, le Cercle rouge, les Vampires, les
Bandits tragiques.
Ces films-là, dits « films policiers », sont venus
d'au delà de l'Atlantique, et (d'après certains bruits
fort vraisemblables) il serait, parait-il, possible de dé-
gager des ci'constances de leur importation l'action
occulte de l'Allemagne, qui, dans son machiavé-
lisme, aurait prémédité jusqu'à la perte morale de
nos générations nouvelles.
L'influence de ces filins sur l'esprit de la jeunesse
a été, en mars 1917, exposé dans un rapport présenté
au Comité de défense des enfants traduits en jusiice
par un avocat à la cour d'appel de Paris, Bertrand
de Laflotte.
C'est (disait-il) la révélation, expliquée par l'image, de
tous les moyens qu'un malfaiteur peut employer pour
commettre le' délit ou le crime, avec le maximum de chan-
ces dans la réussite et le minimum de risques dans l'échec.
Et, pour que le film soit plus intéressant, plus instructif,
l'auteur du livret et le metteur en scène ont bien soin do
prendre les choses au début, de les analyser paiiemment,
une à une, de montrer le pourquoi et le comment d'une
invention criminelle, sa raison d'être, en vue du double but
poursuivi : le succès et l'impunité. L'ingéniosité du libret-
tiste peut, sur ce chapitre, se donner libre carrière, et
c'est, finalement, en matière de délit ou de crime, la plus
exacte, la plus savante ■ leçon des choses a qui puisse
être donnée.
En voulez-vous des exemples?
Plus de masques qui laissentdaogereusement le menton,
le front et le cou à découvert, ou risquent de tomberai la
victime se débat ; mais, à leur place, une cagoule noire,
qui couvre tout le visage et ne laisse voir que lej yeux.
«• J25. Juillet 1917.
Pour supprimer les empreintes digitales, rien n'est plu»
utile que l'emploi du gant de caoutchouc, et le film poussera
ta documontaiion au point de représenter séparément {en
les grossissant) des doigts nus et dos doigts gantés, pour
bien montrer le danger des uns et la sécurité des autres.
A quoi bon glisser dans sa doublure le billet de banque
ou le diamant qu'on a volé, puisqu'on finit toujours par se
faire prendre à la fouille, alors qu'on no risquera rien
en praiiciuaul dans le lalou de sa ctiaussuro un ovidemcni
qui sera la plus sûre des cachettes, selon les moyens que
le film indi'iucra?
Les perceurs do murailles seront désormais des mala-
droits et dos novices, s'ils ne i)ruli!.L'nt pas ,lo la ief^on (lue
leur donne le héros d'un lilm et qui consiste û dissimuler
l'ouverture pratiquée sous un papier semblable au reste
de la teuiuro.
Le iilin démoralisateur a él6, suivant une très
juste remarque, « une complication dans une maladie
sociale ».
Dans déjeunes imaginations, toujours en travail,
que de funestes suggestions, que d'éveils d'instincts
mauvais sont dus à d'aussi précises et prenantes
évocations I
Le fait est, chaque jour, démontré, notamment &
Paris, par tous les lamentables on odieux détails
constatés dans les huis clos des audiences correc-
tionnelles spéciales aux mineurs.
Deux e.vemples, pris au hasard dans les ar-
chives judiciaires parisiennes :
Le 9 janvier 1916, un court-circuit se produisait
dans une salle de cinématographe, en pleine re-
présentation, et, au milieu de la panique des spec-
tateurs, occasionnait un commencement d'incendie.
L'ordre rétal)li, une tenture avait disparu. Les au-
teurs du méfait étaient trois gamins du quartier,
clients assidus de l'établissement. Ils déclarèrent
que le o coup » leur avait été suggéré par une scène
représentée lit la veille; qu'ils avaient coupé avec
un couteau, à l'instar des héros du fdm, les fils
électriques, afin de provoquer un court-circuit.
Tout récemment, boulevard de la Bastille, en
plein jour, vol important chez un gros négociant.
Près du tiroir-caisse qui a été fracturé, on trouve
le jeune garçon de courses de la maison, B...,
étendu, tout ensanglanté. Il raconte qu'il a été
l^rappé par le voleur, alors qu'il venait de le sur-
f rendre en ses opérations. Or, ainsi que l'enquêle
a établi, le coupable était B... lui-même, qu'avaient
aidé et assisté deux autres employés du négociant.
Tous les trois, ils fréquentaient les cinématogra-
phes, et B..., lorsque sa culpabilité fut devenue in-
déniable, avouaque la mise en scène pratiquée par lui
elses complices lui avait été inspirée parle cinéma.
Au nombre des magistrats municipaux qui se sont
particulièrement émus de la si grave question, il
faut citer les maires de Lyon, de'V'alence, d'AIbi, de
Troyes. C'est un cri d'alarme d'une profonde énergie
fue, dans une circulaire, a jeté ce dernier, alors qu'à
royes se succédaient, de la part d'enfants et d'ado-
lescents, des attentats de tout genre, presque exac-
tement copiés sur les films représentés dans la ville.
De son côlé, le conseil général de la Seine a,
dans ses séances des 14 et 27 décembre 1916, émis
des vœux tendant à ce que, « pour enrayer la cri-
minalité juvénile », interviennent de rigoureuses
mesures en vue de la suppression dans les cinémas
des films démoralisateurs. — Louis andké.
Cuer'vo (Rufino José), philologue hispano-amé-
ricain, né à Bogota (Colombie) le 19 septembre 1844,
mort k Paris le 17 juillet 1911 ; auteur de nombreux
travaux philologiques, parmi lesquels il faut cilpr \\n
Dictionttaire de conslruclion et régime de la langue
espagnole, resté inachevé, et des Notes sur le lan-
gage bogotain comparé avec celui des autres pai/s
hispano-américains, ouvrage remarquable, qui est,
depuis de longues années, le vade-mecum de la phi-
lologie hispanique. On lui doit encore une réédition
de la Grammaire espagnole du ■Vénézuélien Bello.
Cuervo résida en France pendant les trente der-
nières aimées de sa vie et fut un collaborateur as-
sidu de la <■ Romania », de la « Revue hispanique »
et du « Bulletin hispanique », où ses articles étaient
fort appréciés.
Dans sa correspondance, publiée récemment par
les soins de l'.^catlémie colombienne, nous relevons
les noms des plus illustres romanistes européens.
En 1890, il avait été créé docteur honoris causa
lie l'Université de Berlin. 11 était correspondant de
la Royale Académie de Madrid, de l'Académie du
Salvador et membre honoraire de l'Académie mexi-
caine et de l'Académie des sciences, lettres et arts
de Padoue, ainsi que professeur honoraire de la Fa-
culté de philosophie de Santiago du Chili.
Sa carrière scientifique est un bel exemple de ce que
peut obtenir une volonté de fer au service d'une grande
intelligence, en dépit de tous les obstacles de la vie.
Fils de Rufino Cuervo, magistrat colombien, qui
fut recteur de l'Université de Bogota, chargé d'af-
faires en Equ:iteur, ministre plénipotentiaire de son
pays en Bolivie et au Pérou, puis ministre des finan-
ces et chargé du pouvoir suprême en 1846, pendant
l'absence du président Mosciuera, le jeune Cuervo
fiassa sa jeunesse dans un milieu pleinement intel-
ecluel, dans la société de tous les beaux esprits de
l'époque. Il eut, entre autres professeurs, un Fran-
Kulino José Cuervo.
LAROUSSE MENSUEL
çais, A. Bergeron, qui enseignait les mathématiques
au collège militaire.
La guerre civiledel860, qui renversale gouverne-
ment légitime, fit sombrer également la fortune des
laiervo. Le jeune savant, se trouvant dans une gène
voisine de la misère et obligé de faire vivre sa mère
et ses frères, n'hésita pas h se lancer dans une voie
toute nouvelle pour lui : il installa avec son frère
Angel une brasserie. Ce que furent les débuts des
deux jeunes gens, qui n'avaient pour tout guide que
quelques manuels techni(|ues, il est aisé de l'imagi-
ner. Faute de fonds, ils commencèrent par tout faire
par eux-mêmes:
fabrication, mise
en bouteilles, li-
vraisondelamar-
chandise, etc.
Lé succès cou-
ronna pleine-
ment leurs ef-
forts et, en 1878,
ils étaient assez
riches pour visi-
ter l'Exposition
universelle de
Paris. Trois ans
plus tard, ayant
trouvé l'occasion
de se défaire de
leur fabrique, les
deux frères parti-
rent pour l'Eu-
rope; puis ils vi-
silèrent la Terre sainte, l'Egypte, l'Arabie, et se
fixèrent enfin à Paris, où Rufino José allait trouver
les moyens de poursuivre ses études de prédilection.
La vie de Cuervo, pendant les trente années qu'il
passa à Paris, fut une véritable existence de moine
laïque. Très croyant, il se rendait tous les matins
dans une église voisine de son domicile, puis s'en-
fermait jusqu'à quatre heures du soirdans les biblio-
thèques et les archives de la capitale. 11 rentrait
ensuite chez lui, où il mettait en ordre les documents
recueillis, et ne sortait jamais après le diner.
Sa charité était aussi grande que son érudition.
Cuervo est le type achevé de l'aulotlidacie. Sa
vocation philologique, dans un pays et à une époque
où rien ne pouvait l'y encourager, est surprenante.
Elle est due peut-être à l'élude prolonde qu'il avait
faite de la grammaire comparée de Bopp et des
ouvrages du grand Bello 11 avait étudié à peu près
seul la langue hébraïque.
L'apparition de son Dictionnaire fut un événe-
ment partout, sauf, peut-être, en Espagne, où, à l'ex-
ception de quelques rares personnes au courant des
études philologiques, nul n'en aperçut l'importance
capitale. Les nombreuses attaques auxquelles son
ouvrage fut en butte de la part de certaines médio-
crités vaniteuses, qui ne pouvaient supporter qu'un
Américain vînt leur donner des leçons en matière
de langue castillane, attristèrent profondément l'au-
teur. D'autre part, celui-ci, qui s'était servi pour
l'établissement de ses citations de textes de la
litblioteca espaiiola de Rivadenei/ra, se fiant aux
noms glorieux des éditeurs des ouvrages qui y sont
publiés, s'aperçut, lorsqu'il eut l'occasion d'étudier
les précieuses collections de la Bibliothèque na-
tionale de Paris, d'une richesse insoupçonnée en
matière d'éditions espagnoles originales, que la
partie déjà publiée de son travail avait besoin d'être
refondue et que, pour le reste, le mieux était de re-
commencer sur de nouvelles bases. 11 n'en eut pas
le courage. Au moment du Congrès panaméricain
de Bogota, le Mexique lui fit l'offre de subvenir aux
frais énormes de l'impression de l'ouvrage, mais
cette proposition n'eut pas de suites. Il n'y a donc eu
de publiés que les deux premiers volumes, de A jus-
qu'à D. Les fiches pour la continuation jusqu'à la
lettre L ont été préparées par l'auteur et laissées à
son légataire universel, l'hospice de Bogota. Les
ouvrages annotés par Cuervo et permettant de finir
l'ouvrage sont également aujourd'hui en Colombie.
Quant aux Notes sur le langage bogotain, nous ne
pouvons mieux faire que de citer ici quelques lignes
del'appréciation publiée parMorelFatio dans la nécro-
logie de Cuervo [Bulletin hispanique, oct.-déc. 1911):
Cet ouvrage, publié pour la' première fois on 1878 et qui
dés sa seconde édition en 1876 attira l'attention de Pott,
prit peu à peu une ampleur et une importance qui en liront
bientôt un des principaux livres de chevet de l'hispanisant
et du romaniste. D'un simple traité pratique des incorrec-
tions grammaticales du langage d'une contrée d'Amérique,
les A;i«nMcïone« devinrent, surtout dans la cinquième édi-
tion de 1907, une élude aussi approfondie quattachante
sur l'histoire et les destinées de 1 idiome espagnol du nou-
veau monde. Nombre de questions linguistiques d'ordre
général y ont été étudiées à propos de faits particuliers
de l'espagnol américain, ce qui donne à ces Notes une
portée inllnimont plus grande que ne l'indique leur titre.
Cuervo a laissé par testament tous ses biens aux
pauvres de son pays. II a légué ses livres à la bi-
bliothètiue de Bogota, à l'exception de ceux relatifs à
l'Amérique, qu'il a fait remettre h la Bibliothèque na-
tionale de Paris. Il avait, dans un premiertestament,
créé un prix à décerner par l'Institut, mais la crise Ira-
169
versée par son pays, il y a quelques années, amoin-
drissant son patrimoine, le fit renoncer à ce projet.
La mort de Cuervo ne fut guère remarquée en
Europe que par quelques amis du défunt et par les
nombreux pauvres qui avaient recours à sa cnarité.
En Colombie, elle fut considérée comme un deuil
national. Par une loi spéciale du 4 août 1911, le
Congrès colombien décida de lui ériger une statue
et de publier aux frais du Trésor toutes ses œuvres
inédites. — Miguel oi To»o OuBEKT.
Delacroix, racon-té par lui-même,
par Moreau-Nélaton (Paris, 1916). — Les deux vo-
lumes que Moreau-Nélaton vient de consacrer à
Di'Iacroix sont plus qu'une étude. Par la minutie de
U documentation, qui utilise les sources les meilleu-
res et les plus directes, par l'abondance et la richesse
lie l'illustration, qui met sous nos yeux l'oeuvre en-
tier du peintre, cet ouvrage constitue un véritable
et imposant monument à la gloire du rénovateur de
la peinture moderne. Certes, les études sur Delacroix
ne manquaient pas : l'excellente biographie de Tour-
nenx notamment et les remarquables pages de Ro-
senthal dans son livre sur la Peinture romantique
nous permettaient de prendre une idée précise de
l'homme et de l'artiste. Mais, jamais encore, il ne
nous avait été donné d'embrasser dans son ensemble
l'œuvre du maître, de pénétrer dans l'intimité de sa
pensée et de son labeur, de le suivre, en un mot, pas
à pas dans la suite de ses créations. El, pourtant,
Delacroix est un des artistes pour qui l'exégèse est le
plus nécessaire : non seulement la variété de ses su-
jets, la diversité de ses inspirations, ses procédés
d'exécution ont de quoi déconcerter les esprits niai
avertis, mais encore le caractère même de sa pein-
ture, toute vouée à l'expression de sentiments per-
Eugèoe Delacroix, peint par lui-même (Louvre).
sonnels, risquerait de ne pas être pleinement saisi,
si l'on n'était initié au tempérament et aux goiils du
peintre. De là une méconnaissance presque géné-
rale de cet artiste. Sans doute, on n'en est plus au
temps où l'on qualifiait sa peinture de lartouillade;
il est convenu qu'on doit radmircr ; mais, comme
l'a remarqué Rosenthal. « cette admiration est pla-
tonique »; le plus souvent, on se contente pour
l'apprécier de formules vagues, souvent inexactes,
toujours insuffisantes pour enserrer les multiples
aspects d'un génie .si complexe. Delacroix, cepen-
dant, a pris soin lui-même de nous laisser l'indis-
pensable commentaire de son œuvre, en tenant un
Journal minutieux de ses pensées; en outre, dans sa
correspondance, il s'abandonne aux plus complètes
effusions : il se livre tout entier avec ses ambitions,
ses rêves, ses défaillances. C'est en utilisant celte
riche et précieuse mine de renseignements que
Moreau->félaton est parvenu à projeter sur cette
curieuse et si attachante ligure une lumière qui n'en
laisse dans l'ombre aucun Irait. Comme l'indique
son titre, c'est à Delacroix qu'il abandonne le plus
souvent la parole, c'est l'artiste qui se raconte lui-
même, et l'auteur, ici, se réduit volontairement an
rôle modested'inlerprèle;inlerprèlesubtil, d'ailleurs,
et plein de l'intelligence de son sujet, qui, tout en
inainlenant au premier plan son personnage, sait
évoquer discrètement le milieu dans lequel celui-ci
a évolué, les personnalités diverses qu'il a coudoyées
dans sa carrière. Ainsi cet ouvrage, qui ne prétend
qu'à être une biographie de Delacroix et une analyse
de son œuvre, non seulement nous initie à tous les
LAROUSSE ^fENSUEL,
170
secrels de son au, mais aidera à fixer nombre de
poinU de criliqne et à redresser certains jugements
erronés, trop facilement acceptés jusqu'ici.
On croit avoir tout dit, quand on a qualifié Dela-
croix de peintre romantique. Encore faudrait-il
s'entendre sur le sens de ce mot. Sans doute, ctiro-
nologiquement, Delacroix appartient au grand mou-
vement d'émancipation littéraire et artistique que
fut le Romantisme; sims doute, son tempérament,
foncièrement individualiste et tourmenté, porte la
marque du mal du siècle ; un moment môme, en
IsiV, écœuré des injustices de la critique, il se jeta
dans le clan des romantiques et en imita les ou-
trances, — dans son illustration de Faust, par
exemple; et certes, aussi, sa peinture est roman-
tique, si l'on entend par là qu'elle fut surtout émo-
tive et recherclia exclusivement le pittoresque,
c'est-à-dire le caractère, au besoin même en de-
hors de la beauté. Mais, comme le montre Moreau-
Nélaton, le romantisme de Delacroix fut d'une
essence particulière : il fut « intime et spirituel » ,
selon le mot de Bau-
delaire, non de parade
et d'enveloppe, comme
celui de Hugo, avec
qui, d'ailleurs, Dela-
croix sympathisait peu.
Un instant, les deux
hommes s'étaient rap-
prochés, — Delacroix
avait même dessiné
les costumes d'Amy
Robsart, — mais cette
intimité dura peu ; dès
1829, Delacroix avait
repris sa lière indépen-
dance de solitaire. Du
reste, Hugo ne le com-
prenait guère : pour
lui, comme pour l'Ins-
titut, Delacroix était
le peintre du laid. « Il
lui reprochait de n'a-
voir jamais fait briller
sur la toile un seul
beau visage de femme,
et il contestait que
l'expression dune
physionomie fût à
même de suppléer à
la pureté linéaire des
traits ». De sou côté,
Delacroix incriminait
Hugo d'avoir « fait
croire à la possibilité
de faire autre chose
(|ue vrai et raison-
nable ». Ces mots sont
à retenir, car ils prou
vent qu'au fond, Dela-
croix, malgré ses au-
daces, demeurait atta-
ché à la tradition clas-
sique. Dès sa jeunesse,
il avait une passion
profonde ])our les au-
teurs anciens . « Je
coimais les anciens,
écrivait-il, c'est-à-dire
que j'ai appris à les
mettre au-dessus de
tout ». Et ailleurs :
Il La lecture des anciens nous retrempe et nous
attendrit; ils sont si vrais, si purs, si entrants dans
nos pensées I » Parmi les modernes, c'est aux
maîtres de la littérature classique qu'allaient ses
préférences; Corneille, Molière, Boileau, et surtout
Racine, dont il disait finement : « Racine était un
romantiiiue pour les gens de son temps; pour tous
les temps, il est classique, c'est-à-dire parfait. >> De
même, en musique, à Beethoven il préférait Mozart
et à Mozart même Cimarosa. On voit donc à quoi
se réduit le romantisme de Delacroix et combien il
faut se méfier des formules trop commodes. Dela-
croix a pu donner le change par le mouvement qu'il
a prodigué dans ses tableaux et qui contrastait si
brutalement avec la froideur figée de l'école de
David; lui-même le reconnaissait d'ailleurs : « Je
n'aime pas la peinture raisonnable ; si je ne suis pas
agité comme un serpent dans la main d'une pytîio-
nisse, je suis froid ; tout ce que j'ai fait de bien, je
l'ai fait ainsi. » C'est pour cela qu'il avait fait son
dieu de Rubens, <■ ce père de la chaleur et de l'en-
thousiasme » ; c'est pour cela aussi qu'il supportait
mal la contrainte du modèle, « qui n'entre jamais
dans le mouvement que nous avons vu avec l'œil
de l'imagination », et qu'il s'en afi'ranchissait le
plus possible pendant l'exécution de ses grandes
œuvres. Mais qu'on ne s'y trompe pas : a\ant de
s'abandonner aux impétuosités de son tempéra-
ment, Delacroix s'astreignait à de patientes et minu-
tieuses études. Très heureusement, Moreau-Nélaton
a extrait des cartons du maître un grand nombre
d'esquisses qui témoignent de tout le labeur par le-
LÂROUSSE MENSUEL
quel Delacroix préludait à ses grandes créations.
Pour ses tableaux d'histoire, il fouillait les biblio-
thèques, s'entourait de croquis empruntés aux ou-
vra,^■e3 d'érudition; avant de peindre son Sarda-
napale, il copiait des miniatures persanes; pour
préparer son Justinien, il couvrait ses albums de
figures byzantines, étudiant tous les types icono-
graphitnies contemporains de son personnage. Sous
ses apparences d'improvisateur, Delacroix était
donc un laborieux ; il a dit lui-même : « La peinture
lâche est la peinture d'un lâche. » Cette conscience,
ce souci d'atteindre à la perfection, n'est-ce pas un
des caractères l'on<lamentaux de l'art classique?
Le classicisme de Delacroix ne consiste pas uni-
quement, d'ailleurs, dans sa probité et son respect de
l'art. 11 se manifeste dans les tendances mêmes de
son œuvre, qui accuse un retour progressif vers
l'antique. Rien de plus curieux que de suivre cette
évolution à travers les pages de Moreau-Nélaton.
Au début et jusqu'à 1832, Delacroix tire son inspi-
ration soit des fantaisies de son imagination, soit de
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L'Eiitrte des fruisés à Contanliiiyple ou la Prise de Con&tantinople. tablt'nu d'Eugêiip Delacroix (18*1), au musée du Louvre. — La ville
vient d'éU'e prise d'assaut; les chefs des croisés, ayant à leur tête Baudouin, comte de Mandre,sont arrivés auprès d'un palais d'où l'on arrache
un vieillard éperdu Montés sur leurs chevaux et escortés par leurs écuyers qui portent leurs pennuns, ils s'avancent fièrement au milieu des
familles en larmes qui implorent leur pitié. Au fond.' sur les bords du Hosphore rempli de bateaux dont plusieurs sont en danimes, s'étagent en
aiuphithé&tre les maii>onB blanches et les palais de CoDstantinoplû; entre ces constructions éloignées et les premiers plans, on aperçoit une mél^e.
ses lectures. 11 recherche les sujets dramatiques et
violents, où peut se déployer la fougue de son tem-
pérament. Beaucoup lui sont fournis par Byi'on,
Shakespeare et Gœthe. L'exotisme, aussi, le séduit :
sans le connaître, il subit le prestige de l'Orient et
s'cfi'orce d'en fixer d'intuition les couleurs écla-
tantes. La Barque de Dante, le Massacre de Scio,
Uarino l'aliero, le Combat du Giiiour, Sardana-
pale, Faust, l'Evèque de Liège, se rattachent à cette
première manière, qu'il n'abandonnera d'ailleurs
jamais entièrement. En 1848, il donnera encore une
Mort de Valentin, une Mort de Lara, un Othello;
à plusieurs reprises, il tentera de fixer la troublante
figure li'Ilamlet (1836, 1839). Entre temps, cepen-
dant, ses goûts avaient évolué, et celte évolution
date du voyage que Delacroix fit au Maroc en 1832.
Les impressions qu'il en rapporta exercèrent sur
son talent une influence incroyable, au point presque
de le modifier. Non seulement il avait appris à Tan-
ger, à .Meknès et à Alger ce qu'est l'Orient véritable
— dont il sera dès lors le prestigieux et fervent
interprète {Femmes d'Alqer, les Convidsionnaires
de Tanger, laNoce juive, l'Empereur du Maroc, etc.)
— mais encore il y avait eu la révélalion de l'an-
tique. Cl Les Grecs et les Romains sont là à ma por-
tée, écrivait-il en contemplant les Arabes drapés
dans leurs burnous blancs. Les héros de David et
compagnie feraient une triste figure avec leurs
membres couleur de rose auprès de ces fils du
soleil ». Comme le remarque trèsjustement Moreau-
Nélaton, Il jusqu'à ce voyage révélateur, de l'Orient
il ne connaissait que des friperies ; l'âmç des héros
N' 125. Juillet 1917.
d'Homère lui échappait, jusqu'au contact avec ces
frères cadets de Priam, conservés sur le sol barba-
resque. C'est elle qui, désormais, présidera à ses plus
chires créations ». Non seulement il s'inspirera de
l'antiquité dans ses grandes compositions décora-
tives (Salon du roi et ISilAiothéque du Palais-
Bourbon, Biblioliieque du Luxembourg, Salon
d'Apollon au Louvre, Cha/ielte de Saint-Sulpice),
où il se révéla l'égal des Rubens et des Véronèse,
mais c'est l'antiquité même qu'il transportera dans
certaines toiles importantes, telles que la Médée fu-
rieuse (1838), la Justice de 'l'rajnn (18'in), la Mort
de Marc-Aurile (18'i5). Ce dernier tableau même
marque une étape plus accentuée dans ce retour au
classicisme. Delacroix, qui jusqu'ici n'avait cud'aulre
souci que le pittoresque, y verse quelque peu n dans
la tendance académique à surcharger la peinture
d'une mission philosophique et littéraire ».
Outre ces suggestions d'ordre général, le livre de
Moreau-Nélaton se prêterait encore à de nombreuses
considérations sur des points particuliers : ou y re-
lèverait, par exemple,
de curieuses indica-
tions sur les maîtres
de Delacroix ou, du
moins, les artistes qui
iniluèrent sur son fa-
lent; parmi eux, ou ne
sera pas peu surpris de
'encontrer des peintres
comme Lawrence, si
lointain , semble-t-il ,
etdont, pourtant, Dela-
croix s'est toujours plus
ou moins souvenu dans
ses portraits. On y
trouverait également
d'intéressantes obser-
vations sur Delacroix,
auimalierou peintre de
natures mortes. 11 n'est
pas jusqu'à la techni-
que du maître qui ne
soit scrupuleusement
analysée par Moreau-
Nélaton, et les détails
qu'il apporte sontd'une
extrême importance
pour éclairer et guider
nos jugements. Qui-
conque a fréquenté
quoique peu Delacroix
a été frappé de l'iné-
galité d'éclat de sa
peinture. Certaines de
ses toiles apparaissent
comme » une sorcelle-
rie lumineuse, une
elTervescence de cou-
leurs». C'est le cas, par
exemple, du Marina
Faliero et de t Entrée
des croisés à Coitstim-
tinople. Par contre,
d'autres — et en plus
grand nombre — sem-
blent ternes et, selon
le mot de J. Breton,
Il boueuses » . Cepen-
dant, Delacroix est
avant toutun coloriste.
Il a créé en matière
de coloris une véritable technique, établissant entre
les couleurs certains rapports nécessaires, détermi-
nant le jeu des couleurs complémentaires pour
l'obtention des demi-teintes : les ombres vertes, par
exemple, dans le rouge, violettes dans le jaune. Sa
palette — dont Moreau-Nélaton nous donne une
reproduction — était préparée avec une rigueur
scientifique. Bien plus, dans l'exécution même, il
s'appliquait à faire chanter ses couleurs par des
juxtapositions savantes, entrt'la(;ant les teintes, les
rompant, procédant, selon sa propre expression, par
floctietage. Mais, dans ses incessantes recherches,
Delacroix n'a pas toujours été heureux : bien sou-
vent, soumises à trop de mélanges, les couleurs se
sont salies, ont pris cet aspect boueux qui décon-
certe. Delacroix avait, en outre, un goût funeste pour
les bitumes et l'huile grasse; trop volontiers, aussi, il
usait d'un procédé qui consistait à mélanger avec
la couleur une pommade faite de cire délayée dans
de l'essence de térébenthine. Beaucoup de ses
œuvres ont été ainsi compromises par ces pratiques
hasardeuses.
On voit les multiples sources d'intérêt que pré-
sente cette consciencieuse étude, où rien de ce qui
peut aider à la compréhension de Delacroix n'est
laissé de côté. El ce n'est pas seulement l'artiste
qui revit en ces pages, c'est l'homme tout entier,
avec son tempérament de lutteur, que n'ont pu
abattre les mille vicissitudes de sa carrière, avec
son caractère un peu hautain, dédaigneux de la
foule et de la mode, arec son cœur, qui demeura
l*rmé à l'amour, mais s'ouvrit largement à l'amilii ;
I'
fh 125. Juillet 1917.
avec son âme, enfin, tour à tour enthousiaste et mé-
lancolique, foncièrement douloureuse, mais soute-
nue néanmoins par la passion de son art. D'ailleurs,
chez Delacroix, rlioinme et l'artiste ne font qu'un :
celui-ci n'a été nue le traducteur des émotions de
celui-là; comme l'a dit Baudelaire, « en contemplant
la série de ses tableaux, on croit assister à la célé-
bration de quelque mystère douloureux », et c'est
bien aussi l'impression définitive qui se dégage de
cette élude, écrite avec une pieuse ferveur. Génie
puissant, qui, sans sortir de sa fiére et cbère soli-
tude, a su marquer de sa forte empreinte l'art du
XIX" .'^ièclc, Delacroix est une de ces figures qu'on
ne peut approcher qu'avec respect : pour nous avoir
fait pénétrer dans son intimité, Moreau-Nélaton a
droit à notre gratitude. — F. Ouirano.
draisine {dré-zi-ne) n. f. Wagonnet dont on
«e sert, sur les chemins de fer, pour le transport des
matériaux lé!,'ers, et qui porte souvent un moteur
autonome, électrique ou à pétrole.
Espionnage en temps de guerre (l').
— Ses éléments constitutifs. — La clandestinité.
théorie de la répression. — Garanties dues aux
espions contre les exécutions sommaires. — Les
guides. — L'espionnage, en temps de paix, est assi-
milé h un délit, de la compétence des tribunaux
ordinaires, et réprimé, en France, par la loi du
18 avril 1886, insuffisante et confuse. CV.p. 146.)
En temps de guerre, l'espionnage est traité comme
un crime, et son auteur est jugé et puni militairement
iir un conseil de guerre ou par une cour martiale,
în France, c'est le code de justice militaire du
9 juin 18.';7 pour l'armée de terre (art. 20'i à Î08) et
le code du 4 juin 1878 pour l'armée de mer (art. 262
à 266) qui constituent l'ensemble des lois de répres-
sion pour l'espionnage en temps de guerre.
Mais, ici, les lois internationales interviennent
pour déterminer les élémenls constitutifs du crime
et préciser la procédure que les Etals sont tenus
d'adopter a l'égard des espions. Nous voulons parler
des Conventions de La Haye de 1899 et de 1907, que
l'on peut comparer aux Instructions de 1863 pour
les années de campagne des Elats unis d'Amérique,
au Projet de Déclaration inlernatinnale concernant
les lois et coutumes de la guerre, "adopté par la
Conférence de Bruxelles, en juillet-août 1874, et au
Manuel publié à Oxford en 188Q par l'Institut de
droit international.
Signes distinctifs de l'espionnage. — Ces diffé-
rents textes sont d'accord sur la définition de l'es-
pion. Ne peut être, disent-ils, considéré comme
espion que l'individu qui, agissant clandestinement
ou sous de faux prétextes (l'Instruction américaine
de 1863 ajoute : « ou sous un déguisement n) recueille,
ou cherche à recueillir, des informations dans les
localili-s occupées par l'ennemi, avec l'intention de
les commimiquer à la partie adverse. Cette défini-
lion se retrouve en substance dans l'article 206 de
notre code de justice militaire.
Ainsi les éléments constitutifs de l'espionnage en
temps de guerre sont : 1° la clandestinité; 2" la
recherche d'informations; 3" la présence dans les
localités occupées par l'ennemi; 4° l'intention de
communiquer à la partie adverse les informations
ou les documents recueillis (comme, par exemple,
en 1870, ce meunier espion qui, parles orientations
des ailes de son moulin, indiquait aux Allemands
les mouvements de nos troupes).
La preuve qu'un individu recherche des mforma-
tions et a l'intention de les commimiquer à la partie
adverse est souvent difficile à établir. Par contre,
la clandestinité, le déguisement et la présence d'un
individu ainsi travesti en deçà des lignes ennemies
sont des faits qui ne peuvent guère s'expliquer, en
temps de guerre, que par l'intention d'espionner.
Peu importe, au surplus, la nationalité de cet indi-
vidu, poiiivu que ce ne soit pas celle de l'armée au
sein de laquelle il s'introduit, car, dans ce cas, son
acte ne serait pas celui d'un espion, mais d'un traître.
La clandestinité est nécessaire pour qu'il y ait es-
pionnage, etily a présomption d'espionnasepourtout
mdividu déguisé, trouvé dans les lignes ennemies. Les
Conventions de La Haye, del899et 1907, spécifient,
en effet, qu'on ne doit pas considérercomme espions
les militaires non déguisés (éclaireurs, patrouilles
parlies en reconnaissance, aviateurs, etc.), qui ont
lénélré dans la zone d'opérations de l'armée ennemie,
l'elfel de recueillir des informations. De même,
ajoutent ces Conventions, ne sont pas considérés
comme espions les correspondants de journaux, les
militaires et les non-mililaires, accomplissant leur
mission, chargés de transmettre des dépèches desti-
nées soit à leur propre armée, soit à l'armée ennemie :
\ cotlo catéporio appartiennent également les indi-
vidus envoyés on tmllon pour transmettre les d«^p/^clies
et, en piMxVal, pour entretenir les conimumicationB entre
les diverses parties d'une armée ou d'un territoire.
S'ils sont capturés au cours de leur mission, ils
doivent bénéficier du traitement dil aux prisonniers
de guerre.
Cette prescription condamne formellement la
thèse de Bismai'ck. qui, le 23 novemhrel87o, appre-
nant l'allerrissage à Evreux du premier ballon-iiosle
l
LAROUSSE MENSUEL
fiarli de Paris assiégé, s'écria : « Ce n'est pas
oyal ! ■!, et, dans une dépêche du 29 novembre 1870
à l'homme d'Etat américain Washburne, prétendit
traiter les aéronautes en espions.
11 n'est pas douteux, d'après les Conventions pré-
citées, que les pilotes des ballons ou des avions
qui atterrissent dans les lignes ennemies ne peu-
vent être considérés que comme des prisonniers de
guerre, même s'il s'agit de sujets appartenant à des
nations étrangères aux belligérants el qui servent,
comme volontaires, dans l'armée d'un de ceux-ci.
Les Turcs, en 1913, ont donc commis une atroce
violence, en même temps qu'un acte contraire aux
lois internationales, en fusillant à Andrinople l'avia-
teur russe Kostius, au service de l'armée bulgare,
qui avait dû atterrir dans les lignes ottomanes.
Répression de ie.i/iionnage en temps de guerre.
— D'après la loi française (art. 206 du code de
justice militaire), les espions sont punis de mort.
Mais, s'ils encourent une peine aussi sévère, ce
n'est pas en raison de l'ignominie de leurs acies ;
171
prisonoier de guerre et n'encourt ancnne responsabilité
po'ir ses actes d'espionnage anlériears.
Les Instructions américaines de 1863 contenaient
déjà cette prescription; elles ordonnaient seulement
de placer le prisonnier sous une plus étroite surveil-
lance, comme un individu particulièrement dan-
gereux.
Ainsi, d'après ces textes, 1» l'espion doit être
Eris sur le fait; 2" il n'encourt aucune responsa-
ilité pour ses actes antérieurs ; 3° il ne peut être
puni sans jugement préalable.
Par suite, il n'appartient pas à l'autorité militaire
de mettre à mort sur-le-champ l'espion qui est dé-
couvert. Elle doit le déférer, dans tous les cas, à
la justice militaire ; il doit être juï;é. Cette sage
précaution a pour but d'empêcher de regrellaliles
erreurs de se produire et d'éviter au coupable un
châtiment exercé ab irato, disproportionné avec le
degré de gravité des faits qui lui sont reprochés :
Un examen sérieux est nécessaire pour éviter les mé-
prises déplorables (écrit le juriconsultc français Bonflts'i.
La Barque de Dante. t.Tbleau d'Eugène Delacroix (1822 , au musée du Louvre. — Dame et Virgile, conduite par i*hlt*gyas, traversent
le lac qui entoure les murailles de la ville infernale de Dite. Les damnés s'attachent à la barque et s'efforcent d'y entrer. Le ciel eit
éclairé par les sinistres lueurs de l'incendie éternel; de longues rlainmes, mêlées *i des toui-biUoog de fumée, roug-issent l'horizon.
Le groupe des deux poètes se détache sur ce fond livide. Dante, debout à l'avant du bateau, recule épouvanté et se presse contre le
poète mantouan. Celui-ci, accoutumé aux horreurs du Tartare. regarde avec une sorte de mélancolie les miséraliles qui se débattent
dans les eaux loui'des du lac infernal et qui s'accrochent avec les mains et les dents au plat-bord de la barque.
c'est parce qu'il importe de défendre, par la me-
nace d'un chiltiment e.vemplaii'e, l'armée et le pays
contre le grave danger qu'ils représentent. L'es-
pionnage n'est pas un crime, au sens absolu du
terme, puisque les Conférences de La Haye en ont
reconnu le caiactère licite. Service d'une incontes-
table utilité pour le belligérant qui en fait usage,
l'espionnage n'est assimilé à un crime qu'aux yeux
du belligérant qui en est la victime.
C'est en ce sens que l'article 101 des Instructions
américaines de 1863 dispose que : '''
Bien que la ruse soit admise comme un moyen légitime
et nécessaire et bien ([u'ello n'ait rien de contraire à l'Iion-
neur militaire, le droit commun de la guerre permet d'ap-
pliquer même la peine do mort aux auteurs d'attentats
d'un caractère clandestin ot déloyal contre l'ennemi,
parce qu'ils sont d'autant plus dangereux qu'il est plus
difficile de s'en garder.
Mais aussi, le droit international a pris soin de
déterminer les conditions dans lesquelles l'espion
devait êtie frappé par la justice du pays dont il dé-
couvre les secrels et contre lequel il prend des in-
formations pour en faire profiter sa propre pairie.
Les Instructions américaines de 1863 se bornaient
à spécifier que l'espion pourrait être pendu, qu'il
ail réussi, ou non, à obtenir les informations qu'il
cherchait, ou à les transmettre à l'ennemi. Lepi'ojet
de déclaration delà Conférence de Bruxelles de 1874
était aussi vague :
L'espion pris sur le fait (dit l'article îo) est traité
d'après les lois en vigueur dans l'armée qui l'a saisi.
C'est seulement dans les Conventions de La Haye
de 1899 et 1907 que nous voyons apparaître les ga-
ranties que réclament en toute affaire criminelle, à
l'égard des accusés, la justice et l'humanité. L'ar-
ticle 30 de ces Conventions décide que « l'espion
pris sur le fait ne pouri'a être puni sans jugement
préalable ». L'article 31, reproduisant l'article 22 du
Projet de Bruxelles de 1874, ajoute :
L'espion qui, ayant rejoint l'armée à laquelle il appar-
tient, est capture plus tard par l'cnuemi, est traité comme I
pour écarter des accusations mal fondées, si fréquentes
en temps de guerre, oïl chacun est enclin à voir partout
des espions. LTn officier, quel que soit son grade, ne doit
pas être autorisé à ordonner l'exécution sommaire des
individus accusés d'espionnage.
Et cela, même au cours de la bataille.
Qued'exéculions sommairesont eu lieu, cependant,
au cours de la guerre actuelle, et de combien de
violences de ce genre les Allemands ne se sont-ils
I)as rendus coupables, en 1914, au couis de l'inva.-^ion
de la Belgique et de la France, alors même que rien
n'était moins établi que le soupçon dont ils acca-
blaient leurs victimes I
Enfin, en décrétant que l'espion ne peut être puni
que s'il est pris en flagrant délit el n'encourt au-
cune responsabilité pour ses actes antérieurs, le
législateur de La Haye a voulu ôter aux belligé-
rants la tentation d'exercer des représailles conire
des prisonniers ou des otages dont ils auraient à se
venger. C'est aussi parce que l'espionnage n'est pas
une infraction aux lois de la guerre.
La tentative et la complicité d'espionnage sont
punies comme l'espionnage lui-même. La peine de
mort ne doit être appliquée que dans les cas les
|ilus dangereux. On a beaucoup blâmé les prescrip-
tions de l'autorité allemande des 16 et 19 août 1870,
menaçant de la peine de mort, dans tous les cas, les
espions, faux guides, traîtres et autres indii idus dan-
gereux. La peine de mort, a ditGlunlschlI. n'est guère
évilable, mais elle ne doit être appliquée que dans les
cas oîi la culpabilité est réellement grave.
Ces cas ont été nombreux, malheureusement, du-
rant celte guerre, surtout au moment de l'invasion
et de la retraite allemandes, après la bataille de la
Marne. Nous citerons, entre autres exemples, un
trailre qui correspondait avec l'ennemi au moyen
des aiïuilles d'une horloge; un bcrfier qui condui-
sait son troupeau non loin d'une ballerie française
défilée, sur laquelle, dès qu'il s'Hait prudemment
retiré, s'acharnaient les obus allemands; un autre
qui indiquait, à raison de 100 francs par renseigne-
172
ment, l'emplacement de notre artillerie, au moyen
de signaux lumineux; etc. Tous furent fusillés.
Les guides. — Les Conventions de La Haye sont
muettes sur la question des guides. Par contre, il
en est parlé dans les Instructions américaines de
1863 (art. 93 à 97).
Les guides sont des habitants des territoires en-
vahis, que l'ennemi, dans l'ignorance où il se trouve
des roules qu'il doit suivre, requisrt de lui montrer
le chemin et de le conduire. C'est là une pratique
depuis lons:temps établie, mais qui n'en est pas
moins cruelle, car elle contraint des non-combat-
tants, qu'on devrait, à ce titre, laisser en paix, de
commettre contre leur propre patrie l'acte le plus
nuisible qui soit et les met en face du cas de cons-
cience le plus terrible qu'on puisse imaginer.
Un guide n'est pas un espion. S'il s'ofTre librement
à l'armée ennemie, on doit le considérer comme un
traître et le punir comme tel, dès que les circons-
tances le permettront. Que si, au contraire, il n'agit
que contraint et forcé par les troupes de l'envahis-
seur, il échappe à toute poursuite de la part de la jus-
lice de son pays, puisqu'il n'a cédé qu'à la nécessité
et se trouve, au contraire, douloureusement atteint
dans son patrioli-^mo, sesjoiirs étant, ausnrplus, mo-
Un exemple (»e(jleiiibre 1914). — bomt-slioue de ferme, pris eu tlagrant délit d'es-
pionnage et de trahison et fusillé au bord de la route, a Varzy. près de Reims. (Sur la
pancarte fixée au poteau au-dessus du cadavre, on lit : « iilspion, traître à son pays. >')
nacés, au cas où l'on viendrait à découvrir qu'il
donne de faux renseignements et cherche & ioduire
en erreur l'ennemi.
Toute armé© en campagne (disent dans ce sens les
Instructions américaines) a besoin do guides, et elle les
prend d'autorité si elle ne peut s'en procurer autrement.
Nul ne peut être puni, s'il n'a servi de guide à l'eimemi
qu'à la suite de violence et de contrainte.
Le citoyen qui sert volontairement de guide contre son
propre pays commet une trahison et sera puni conformé-
ment aux lois de son pays.
Les guides qui sont convaincus d'avoir sciemment
égaré les troupes peuvent être punis de mort.
Dans ce dernier cas, il faut, en effet, que l'inten-
tion coupable du guide, héro'ique dans son dessein
d'induire l'ennemi en erreur, soit démontrée; les
conseils de guerre doivent donc être circonspects,
et le guide qui s'est lui-même trompé sur le chemin
à suivre ne doit pas être condamné.
Mais il faut le proclamer bien haut : si la pratique
reconnaît aux belligérants la faculté de contraindri'
les non-comba Liants à leur servir de guides, cette
tolérance, qu'on peut à bon droit déplorer, doit
être considérée comme une exception au piincipe
de justice et d'humanité qui veut que les habitants
paisibles ne puissent être forcés, de quelque ma-
nière que ce soit, de fournir d'autres renseigne-
ments utiles à la guerre entreprise contre leur pays,
de trahir des secrets, de donner la signification "de
certains signaux, enfin de prendre part d'une façon
^elconque aux opérations. (Convention de La Haye
LAROUSSE MENSUEL
de 1907, art. 44.) Tout au plus, l'ennemi peut-il re-
quérir les habitants de verser des contributions en
argent ou en nature et de transporter, avec leurs
chevaux et voitures, des fournitures nécessaires à
l'armée, des blessés, des prisonniers, des troupes.
Là doit se borner la coopération personnelle des
non-combattants à la guerre contre leur pays. Or,
il est certain que, durant les hostilités en cours, de
même qu'en 1S70-1871, les Allemands ont exigé, non
seulement des prisonniers de guerre, mais encore
de la population civile des territoires envahis, des
prestations infiniment plus pénibles et ont marty-
risé les récalcitrants. Les rapports officiels sur les
atrocités commises par l'ennemi en Belgique et en
France, les récits des rapatriés ne laissent malheu-
reusement aucun doute à cet égard. Lorsque l'heure
viendra des négociations de paix, il faudra, pour
l'honneur de la civilisation et la pércnnilé du droit
international, que ces violations — qui sont des
crimes — nedemeurentpas impunies. —Maurice Duval.
Fiè'VTe bilieuse hématurique ou lié-
moglobinurique. — La lièvre bilieuse héma-
turique est une complication, relativement fréquente
dans ccriaincs régions intertropicales (Sénégal,
Madagascar, Réunion, Martinique,
Guadeloupe), du paludisme. Toute-
fois, si cette éliologie ne semble
pas douteuse en ce qui concerne
l'accès bilieux lui-même, Vaccks
jaune (ictérique), comme on dit
aux colonies, elle a pourtant sou-
levé des objections en ce qui tou-
che à l'hémogloliinurie. D'abord, la
présence de sang dans les urines
foncées ou noirâtres a été niée par
différents auteurs et.notamment, par
Daullé, sous le prétexte principal
qu'on n'y pouvait découvrir aucune
hématie. Mais les recherches de
Dutrouleau, Corre et 'Venturini ont
établi d'une manière irréfutable,
par l'examen au spoctroscope, la
présence de l'hémoglobine. En se-
cond lieu, on a attribué l'hémoglo-
binurie soit au traitement qui-
nique, qui, en effet, est parfois ca-
pable de déterminer une hémoglo-
binurie légère, soit à un microbe
spécial autre que celui du palu-
disme. Mais, d'une part, la lièvre
bilieuse hématurique a été obser-
vée chez des paludéens qui n'avaient
pas été traités depuis longtemps ou
qui même n'avaient jamais été trai-
tés par la quinine et, de l'autre,
Vhemamœha malariœ de Laveran
a pu être observé dans le sang des
hématuriques avant l'accès ou dès
son début, tandis qu'au contraire,
on le rencontre rarement au cours
où à la fin de l'accès. Ajoutons ce-
pendant que, tout dernièrement, on
a tenté de rattacher cette compli-
cation à la syphilis, parce que,
chez les malades atteints d'accès
bilieux hémoglobinuriques, la réac-
tion de Bordet-Gengou est souvent
positive. Hirata a même rapporté
un cas dans lequel la fièvre héma-
turique a été guérie par l'adminis-
tration de l'arsénobenzol. Rien ne
dit effectivement que, dans un tel
cas et dans des cas analogues, la
syphilis ne s'est pas superposée au paludisme, mais,
à l'ordinaire, il convient d'admettre, avec Laveran,
que le paludisme constitue l'élément étiologiquc
essentiel, puisqu'il figure toujours dans les antécé-
dents morbides des malades.
D'après Nielly, qui a particulièrement étudié celle
complication, c est dans les formes graves de l'ini-
paludation ancienne, surtout dans le type rémittent,
que l'on rencontre la fièvre bilieuse hématuri(|uo.
L'ictère se montre d'emblée, ce qui différencie cette
maladie delà lièvre jaune; les vomissements sont
bilieux et ressemblent à de l'eau d'épinards, les
selles bilieuses aussi dès le début, les urines bru-
nâtres ou noires; puis apparaissent les hémorragies,
l'ataxie, l'adynamie; tantôt l'état typhique augmente
peu à peu et les malades meurent dans le coma,
tantôt la fièvre tombe, les vomissements cessent,
l'ictère et l'hémoglobinurie s'atténuent, et le patient
se rétablit progressivement. En tout cas, cette com-
plication est des plus graves et demande, en consé-
quence, un traitement énergique.
Ce traitement est, en principe, celui du paludisme
(v. ce mot, p. 1î)!l). c'est-à-dire que la quinine doit
en faire les frais principaux et essentiels. Mais une
difficulté résulte ici de cette circonstance que la qui-
nine peut déclancber une crise d'hémoglobinurie ou
l'aggraver. Aussi Job conseille-l-il de n'administrer
la quinine d'abord qu'à très faibles doses, que l'on
augmente ensuite peu à peu. Cet inconvénient apoussé
certains médecins à recourir aux préparations ar-
N' 125. Juillet 1B17.
senicales et notamment à l'atoxyl, à l'hectine et à
l'arsénobenzol. Les résultats obtenus, quand le pa-
ludisme est pur de syphilis, ne paraissent que mé-
diocrement encourageants ; l'atoxyl a été rapidement
abandonné en raison de ses dangers ; l'hectine donne
fiarl'ois des améliorations, mais toujours de moins
ongue portée que la quinine ; quant à l'arsénobenzol,
il semble plutôt nocif qu'utile dans le paludisme
bilieux hématurique, en raison de l'état du foie.
Par suite, dans ces toutes dernières années, on en est
franchement revenu & l'administration de la quinine.
Paul Carnot et A. de Kerdrel recommandent les in-
jections intraveineuses de quinine, qui sont très
bien supportées et agissent rapidement; elles pro-
curent d excellents résultats, surtout au début des
accès. Toutefois, ces auteurs reconnaissent que,
même en injections intraveineuses, la quinine ne
parait pas réaliser la stérilisation définitive de l'or-
ganisme infecté par l'hématozoaire. Pour réaliser
cette stérilisation, Ch. Richet et Griffin préconisent
les injections intraveineuses de quinine à haute dose
('lO à 80 centigrammes) et répétées jusqu'à guérison
dans tous les accès pernicieux graves; en agissant
ainsi d'une manière brutale, on tend à détruire ra-
fiidement tous les hématozoaires, sans leur donner
e temps de s'adapter au médicament, et, si l'hémo-
gloliinurie est parfois légèrement accrue, elle cesse
rapidement, par disparition de la cause. Ce der-
nier procédé, néanmoins, ne parait pas dépourvu
d'inconvénients, et il semble que celui, plus doux,
à doses atténuées de Carnot et de Kerdrel, soit ap-
pelé, comme l'indique Grall, à donner des résultats
plus satisfaisants dans la fièvre bilieuse hémoglo-
binurique. — D' J. lacmokibr.
Foucauld (Charles-Eugène, vicomte de) [plus
lard désigné, après son entrée dans les ordres, sous
les noms de Frère Charles deJésus,ij>\i\s de Père de
Foucauld], explorateur français, né à Strasbourg le
15 septembre 1858, mort assassiné à Tamanrasset,
dans le Hoggar (Sud-Algérien), le i" décembre
1916. C'est dans la carrière militaire qu'il débuta.
Entré à l'Ecole de Saint-Cyr en ls7S, il en sortit
dans la cavalerie; d'abord sous-lieutenant au 4° ré-
giment de hussards, il passa ensuite au 4^ régiment
de chasseurs d'Afrique et prit pari, en Algérie, à la
répression de l'insurrection de Bou-Amama. De ce
jour, il ressentit pour l'.M'rique une atlraction qui
devait dominer toute son existence; il en devint
un des plus brillants explorateurs, et, quand il
eut orienté sa vie vers d'autres destinées, c'est
en Afrique qu'il revint s'établir en saint ermite.
La carrière militaire de Charles de Koucauld fut
courte. Dès le mois de juin 1882, l'insurrection algé-
rienne terminée, il avait sollicité un congé pour faire
un voyage dans le Sud et étudier les Arabes; et,
comme ce congé ne lui avait pas été accordé, il
avait donné sa démission. Il s'installa alors à Alger
pour préparer un voyage au Maroc, pays encore peu
connu, vers lequel il se sentait surtout adiré. Sa
première tentative ne réussit pas. 11 essaya de péné-
trer dans le Rif par l'Oranie, en prenant une route
précédemment suivie par Duveyrier. Mais les mau-
vais temps dus à la saison el l'agitation qui régnait
dans le pays l'obligèrent à revenir en arrière et à
gagner Tanger par la mer. 11 n'allait pas tarder à
entreprendre un nouveau voyage qui, celte fois,
devait s'accomplir avec le plus magnifique succès
et qui rendit célèbre le nom du jeune olficier.
A cette époque, le Maroc n'avait pas encore été
parcouru dans toute son éti'ndue par des voyageurs
européens et, en dehors du blad ef-.Malibzen, où l'on
circulait en toute sécurité, le blad es-Siba avait seu-
lement été traversé par quebiues explorateurs ou,
exceptionnellement, visité sur quelques points. Il
est bon de rappeler que ce fut surtout à des voya-
geurs et à des savants français que furent dues,
pour la plus grande part, l'exploralion el l'élude
scientifique de ce pays, qui devait un jour entrer dans
notre domaine. Ils avaient fait déjà une oeuvre utile
depuis la conquête de l'Algérie, mais la plus belle
et la plus hardie des explorations françaises au
Maroc devait être celle du vicomte de Foucauld.
Le jeune explorateur — il n'avait alors que vingt-
cinq ans — avait préparé le programme de son iti-
néraire de façon à le rendre le plus fécond en résul-
tats utiles. Il s'était proposé de ne passer, autant que
possible, que par di'S contrées encore inexplorées
el, parmi celles-ci, de choisir les régions qui pou-
vaient offrir le plus d'intérêt.
Mais quel moyen allait-il employer pour mener à
bien cette entreprise, étant donné qu'un Européen
ne peut, sans courir les plus grands dangers, péné-
trer librement dans les contrées occupées par les
tribus indépendantes? Un déguisement élait indis-
pensable. René Caillé, Rohlfs, Lenz avaient usé de
ce suliterfuge et s'étaient fait passer pour des mu-
sulmans. De Foucauld tiouva plus favorable de se
déguiser en juif, et il se donna pour un rabbin russe.
11 passa ainsi plus inaperçu el, dans les mellahs ou
quartiers juifs des localités où il slalionnait, il put,
sans trop de risques, parvenir à faire des observa-
tions astronomiques et écrire des nuits entières
pour mettre ses notes auçQuranl. Il élait, d'ailleurs,
«• 125. Juillet 1917.
accompagné d'un rabbin authentique, (]ui se mettait
toujours en avant chaque fois qu'il fallait être en
rapport avec des indigènes; il arriva à ce dernier
de forger les plus invraisemblables histoires pour
expliquer l'exhibition des instruments de son com-
pagnon. Mais, malgré toutes ces précautions, le
voyageur se trouva plus d'une fois en danger.
Parti de Tanger le 20 juin 1883, de Foucauld alla
d'abord parTélouan jusqu'à Chechaouen, d'où il vou-
lait atteindre Fez; mais l'état d'hoslllilé des tribus
l'obligea à y renoncer. De Télouan, il se rendit
alors à Ksar-el-Kébir par un itinéraire nouveau et
revint à Tanger. 11 en repartit le 5 juillet et, repas-
sant par Ksar-el-Kébir, il arriva à Fez le 11. De cette
ville, il poussa une pointe jusqu'à Taza, dont l'oc-
cupation par la Franoe date seulement de 1914.
Le 23 août, lexploraleur repartit de Fez pour
Meknés après avoir été visiter Sefrou, et c'est alors
que, se dirigeant vers le Sud, il accomplit l'une des
parties les plus nouvelles et les plus intéressantes
de son voyage. Il ga.^na le Tailla et, par Beni-Mel-
lal, le Moyen Atlas. De Demnal, il atteignit le Haut
Allas, qu'il franchit pour arriver à Tikirt. De ce
point, il se rendit à Tiztiit par la région de l' Anti-
Atlas. Passant le Sous, il remonta sur Agadir et
Mogador, où il arriva le 28 janvier 1884
Le vicomte de Foucauld n'arrêta pas son voyage
après cette première grande tournée, déjà si fruc-
lueuse. Le 14 mars, il en entreprit une seconde, très
importanle aussi, vers le Nord-Ksl,dans la direction
lie r.'Vlgérie. Reprenant par Taroudant la vallée du
Sous, il revint à Tiznit et, de là, il suivit l'Anti-
.\llas, puis longi'a le Grand .MIas sur son versant
méridional par les pays du Mezgila, du Dadès, du
Todra, du Ferkia. Il pénétra alors dans les hautes
vallées du Guéris et du Zis, franchit une fois de plus
le Grand Allas et atleignit la haute vallée de la
Moulouia, qu'il descendit en passant par Debdou et
par les plaines de Tal'rala et des Angad. F^nfin,
ayant alleinl Oudjda, il pénétra en territoire algérien
et arriva à Lalla-Marnia le 23 mai 1884.
Dans un espace de onze mois seulement, le hardi
explorateur avait fait faire pour la connaissance du
Maroc des progrès beaucoup plus considérables
qu'aucun de ses devanciers. Il avait, au moins, dou-
blé la longueur des itinéraires levés jusque-là avec
soin dans ce pays et, sur un trajet parcouru d'en-
viron 3.000 kilomètres, il y en avait 2.2S0 d'entière-
mentnouveaux; pour le surplus, il avait repris et per-
fectionné les travaux
de ses préd;-cesseur.s. 11
avait déterminé 43 lon-
gitudes et 40 latitudes,
et, alors que l'on ne
connaissait que quel-
(|ue3 dizaines d'altiiu-
des, il en rapportait
près de 3.000.
Celte grande explo-
ration lui valut, en 188o,
une médaille d'or de la
Société de géographie,
et ce fut I exploialeur
saharien Henri Duvey-
rierqui.chargédu rap-
port, mit en relief les
hauts mérites du jeun<'
officier, devenu un émi-
nent géographe.
En 1888, Charles de
Foucauld publia le ré-
cil de son voyage dans
un volume intitulé Re-
connaissanceauMariic
(ISSS-iSS/iJ, ouvrage
très développé, illustré
denombreuxcroquisile
l'auteur, plein de pré-
cieux renseignements
et remarquablement
écrit, qui est devenu
aujourd'hui un ouvrage
fondamental sur le
Maroc. Les indications
géographiques etelhni-
ques qu'il co.ilienl n'ont cessé de guider nos officiers
au Maroc ; grâce au vicomte de Foucauld, on connais-
sait désormais avec exaclilude la topographie de
l'Atlas marocain, et l'on avait pour la première fois
des indiealions précises sur la population et les res-
sources des diverses régions du Maroc. Ij atlas qui
accompagne scm ouviage comprend une carte en
20 feuilles, à l'échelle de 1/230.000», et une carte
d'ensemble & l'échelle de 1/6.000.000»; elles sont
remarquables par leur grande sûreté scientifique.
Malgré le brillant succès de son exploration, de
Foucauld n'avait jamais cherché à en tirer gloire. 11
était toujimrs resté modeste ; il fuyait le monde et ré-
solut un jour d'y renoncer tout à fait. Discrètement,
sans bruit, il entra dans un couvent de trappistes, eti
Arménie, et, en 1901, il se fit ordonner prêtre. Le
jenne officier était devenu le Frère Charles de Jésus.
Cependant, l'Afrique, qu'il avait tant aimée, ne
cessait de hanter sa pensée, et un moment vint où
LAROUSSE MENSUEL
I il décida d'aller mener sa vie d'anachorète en plein
Sahara. Le Frère Cliarles de Jésus prit alors le titre
de « Père de Foucauld ».
Il alla s'établir à Beni-Abbès, dans la Saoura, à
250 kilomètres au sud de Figuig, où il construi-
Le l'ère de Foucauld.
suit de ses propres mains un modeste ermitage et
une petite chapelle. Désireux de consacrer sa vie
à la charité, il installa près de sa demeure une sorte
de petit dispensaire, où il donnait l'hospitalité aux
indigents, les soignait et leur procurait des vivres.
Mais, plus tard, il pénétra plus avant encore dans
le Sahara. Lorsque le colonel Laperrine, dont il
Lai-uUcric anglaise allant prendre position.
avait été le camarade à Saumur, eut reçu le comman-
dement des Oasis sahariennes, le Père de Foucauld
se joignit à lui dans une de ses tournées militaires,
en 1904, et, en 1903. il alla s'installer à Taman-
rassel, petit village targui, situé sur les montagnes
du Hoggar, à 1.800 kilomètres au sud d'Alger. Sa
demeure de Tamanrasset se trouvait au pied sud-
ouest de la Koudiat, par 1.230 mètres cf altitude;
mais il possédait aussi une maison au centre du
massif du Hoggar, au sommet de l'Acekroum, par
2.900 mètres d'altitude, d'où l'on jouissait d'une vue
superbe. N'appartenant plus à aucun ordre et auto-
risé à résider, comme prêlre libre, dans le vicariat
apostolique du Sahara, confié aux Pères Blancs, il
avait pris, par assimilation, le titre de « Père ».
Là encore, le Père de Foucauld se dévoua avec
abnégation aux œuvres de charité dont il avait fait
l'undesbulsdcsavie. UdonnaitdessoinsauxTouareg
malades et se montrait plein de bonté pour cette pu-
173
pulation encore mal attachée à nous, qui toujours
l'avait respecté et admiré, et qui l'appelait le « ma-
rabout ». En même temps, il se trouvait faire œuvre
utile de propagande fiançaise, et son inlluence per-
sonnelle était très grande. Le fameux amenokal des
Touareg Hoggar, Moussa Ag Amastane, ne prenait
pas de décision importante sans le consulter
Enfin, travailleur infatigable, le Père de Foucauld
mettait à profit le genre de vie qu'il menait pour
réunir des informations et des documents de toute
nature sur les Touareg. Il avait étudié à fond la
langue tamahag et le tifinar, idiome écrit; il avait
fait un lexique français-tamahag et tamabag-fran-
çais; il avait recueilli et traduit un nombre considé-
rable de poésies, traduit et analysé de nombreux
textes concernant les coutumes et l'histoire des
Kel-Ahaggar.
Un de ses anciens camarades, l'interprète mili-
taire de Motylinski, étant venu étudier le tamahag
sur place et ayant succombé en 1907, au retour de
sa mission, le Père de Foucauld se chargea de met-
tre ses notes au net, et il en profita pour élargir le
travail de son ami et y incorporer les travaux qu'il
avait faits lui-même sur les Touareg, ce qui donna
un intérêt encore plus grand au volume qui fut
publié sous le nom d'A. de Motylinski : Gram-
maire, dialogues et dicliontiaires français-toua-
reg. Tome !"■. Grammaire et dictionnaire fran-
çais-touareg (1908). Hené Basset, doyen de la Fa-
culté des lettres d'Alger, se chargea de faire paraître
ce volume aux frais du gouvernement général de
l'Algérie. Cet ouvrage, ainsi mis au complet, l'em-
porte en valeur sur tout ce qui a été fait jusqu'ici sur
la langue des Touareg. Le Père de Foucauld a laissé
un autre manuscrit: c'est une série de notesgramma-
ticales de près de deux cents pages, rédigées d'après
les textes d'A. de Motylinski, qui viennent compléter
et rectifier les travaux de Hanoteau et de Masqueray.
A Tamanrasset, le Père de Foucauld avait con-
servé les poésies réunies par de Motylinski, qu'il
avait étudiées avec le plus grand soin. Il avait aussi
tous les éléments d'une grande encyclopédie sur les
mœurs, les coutumes, la vie, la langue et l'histoire
naturelle de la région de l'Aliaggar. Depuis plusieurs
aimées, il avait également fait, à Tamanrasset, des
observations climatologiques. De telle sorte que, si
sa demeure n'a pas été pillée, on y trouvera encore
une documentation considérable.
Cet homme de grand caractère, qui aura apporté
par ses sentiments
d'humanité, par son
patriotisme et par ses
savants travaux, une
admirable contribution
à l'œuvre de pénétrii-
tion française en Afri-
que, a fini sa vie en
martyr. Il a été assas-
siné par un rezzou de
pillards senoussistes,
(|ui a envalii le Hoggar
le 1" décembre 1916,
a pénétré jusqu'à Ta-
manrasset et, le crime
accompli, s'est retiré
sans faire aucun mal
aux indigènes. Ce for-
fait, commis par une
bande fanatique, a'niit
été prémédité. La mort
de ce vénérable as-
cète et grand Français
a été particulièrement
déplorée par tous les
11 Sahariens », explo-
rateurs et officiers ,
qui, traversant le dé-
sert, faisaient halte au-
près de cet hôte si ac-
cueillant, toujours prêt
à leur donner les ren-
seignemen ts, les
conseils les plus pré-
cieux, auprès de qui
ils travaillaient et qui,
volontiers, se faisait leur guide. Plus que quiconque,
ils avaient pu apprécier sa valeur, son énergie et
sa science. — Gustave Reoslsperobr.
O-uerre en lOl-é-lQl"? (la). [Sui/«.] —
Les événements qui se sont déroulés pendant le
mois de mai 1917 sont particulièrement ditficiles à
apprécier. Jamais, depuis le début de la guerre, on
n'avait senti plus fortement la complexité des pro-
blèmes qui se présentent à l'humanité, et jamais les
solutions qu'ils peuvent comporter n'avaient paru
d'une réalisation plus délicate. La révolution russe
qui, pendant le mois d'avril, s'était comme recueillie
et dont on avait pu espérer un instant qu'elle se
maintiendrait dans les voies de la sagesse, avait
brusquement jeté dans le débat l'intransigeance
mystique de ses théories révolutionnaires, l'absolu
de ses formules pacifiques et sa totale ignorance
des conditions historiques du la vie européenne. 11
174
LAROUSSE MENSUEL
'mais anglais,
munis de masques coutre les gaz aspl.yxiaiits, au moment de leur départ pour la tranchée.
1 jénêrai FayoUe païae U revua da tei troupaa Tiotoriamof,
No 125. Juillet 1917.
en était résulté un trouble grave, non seulement
dans la direction générale de la guerre et de la di-
plomatie, mais, quoi qu'on fît, dans l'équilibre de
l'Entente et, fait plus grave encore, dans l'énergie
morale des peuples coalisés pour le triomphe du
droit et de la jus lice. On avait suivi avec an.xiété les
fluctuations désordonnées de ce que la presse appe-
lait!'» opinion russe », alors qu'on n'avait sans doute
devant soi que despersonualilés plus ou moins quali-
liées, qui n'avaient qu'une valeur individuelle et non
une valeur de représentation, alors, aussi, qu'on était
sans aucun renseignement solide sur ce que faisait,
disait et voulait cette collectivilé polymorphe qui
compose l'empire russe : assemblage cou lus de peu-
ples étrangers les uns aux autres, que l'autorité
mystérieuse des tsars avait pendant des siècles
réunis sous un même joug et que la chute prodi-
gieuse du régime avait, en fail, plongés dans le
désordre et l'anarchie. On avait vu, et non sans
crainte, aflicher hautement la prétention qu'avaient
ces éléments si profondément désunis d'imposer
précisément à l'Europe la direction dont ils nian-
qiiaient eux-mêmes et leuriutentiou de subordonner
leur conduite à l'égard de la guerre au plus ou
moins d'obéissance que l'on montrerait à leurs in-
jonctions.—Telleétaitla caractéristique des événe-
ments du mois de mai. Par suite, aucune conclusion
n'en pouvait être tirée. Des efforts immensi's et
admirables aviiient été faits, et étaient faits chaque
jour, pour canaliser cette confusion, pour en extraire
tout ce qui pouvait être utile au bien commun, pour
écarter les ferments louches dont on discernait mal
les origines exactes et les combinaisons obscures.
Mais on sentait nettement qu'on élait en présence
de l'inconnu, que les calculs antérieurs se trouvaient
faussés, que les plus fermes énergies, les causes les
plus justes et les plus claires se voyaient à la merci
du redoutable imprévu que recelaient les nébulosités
russes. Moment critique, à la vérité, qu'il fallait
noter ici et qui comptera parmi les plus angoissants
qu'ait vécus l'humanilé.
Dans ces conjoiiclures, malgré l'ampleur des
moyens employés sur le terrain militaire, malgré de
très réels succès sur le front occidental, on avait eu
la sensation très nette qu'à moins d'une victoire
culminante que personne n'attendait, les événements
de guerre proprement dits passaient momentanément
au second plan et étaient dominés par une force
occulte, dont aucun précédent ne permettait de
mesurer la puissance.
11 ne suit pas de là que les attaques énergiques
des Anglais et des Fran(;ais le long de la fameuse
ligne Hindenhurg aient été infructueuses. Elles
avaient élé la continuation naturelle de l'avance réa-
lisée à partir du !«■■ avril. On a été très injuste pour
cette opération militaire, et le fait qu'elle n'a pas
léalisé toutes les espérances qu'on en avait conçues
et que des fautes y furent commises a conduit un
peu légèrement à la coLisidérer comme inniileet
sans résultats. C'est là une opinion qui n'a jamais
été partagée par les Anglais, lesquels en étaient bons
juifes. L'action militaire qui s'était continuée sans
interruption depuis celle époque avait obligé les Alle-
mands aune résislance désespérée et à des conlre-
allaques très coûteuses. La prise du plateau de
Craonneparles Français le 3 mai, celle de Fresnoy,
de Bnllecourt, de Hœux par les Anglais dans la pre-
mière quinzaine du mois avaient permis de dominer
des positions allemandes fort importantes. Autour
de Moronvilliers, notre situation s'était améliorée.
Près de La Fère, on avait été arrêté par l'inondation
que les Allemands avaient tendue devant nous. Mais
partout on avait harcelé l'ennemi, on l'avait contraint
à des reculs intéressants, en même temps qu'on
lui faisait des prisonniers en nombre important.
Tout cela formait un ensemble qui n'était nullement
négligeable, qui non seulement maintenait notre
avantage, mais permettait d'espérer mieux pour l'ave-
nir. — Le gouvernement l'ratiçais avait pourtant jugé
utile de modilier le grand commandement. Le géné-
ral Pétain, précédemment nommé chef d'état-major
général de l'armée, avait reçu le commandement en
chef des armées du Nord et de l'Est; le général
Foch l'avait remplacé à la tête de l'état-major géné-
ral, et le général Nivelle avait reçu le commande-
ment d'un groupe d'armées. Ce n'est pas encore
l'heure de juger l'opportunité et la valeur de ces
changements. Cliacun des hommes que nous venons
de nommer avait rendu au pays des services émi-
nents, avec des qualités et des défauts d'ordres divers.
Chacun d'eux était capable d'en rendre encore dan>
des postes nouveaux et d'assurer avant tout l'orga-
nisation dont nous avions encore un si grand besoin.
L'histoire dira si, à l'heure présente, on fut juste
pour chacun d'eux. — Au surplus, quand on essaye de
juger les résultats obtenus en mai sur le front occi-
dental, il importe de ne pas oublier qu'ils ont été
gravement modifiés et influencés dans leur dévelop-
pement proliable par la stagnation du front russe.
Les Allemands avaient, pendant celte période, com-
plètement négligé les Russes. Sachant que la désor-
ganisation del armée moscovite et le travail pacifiste
intérieur, que le gouvernement allemand aidait large-
ment par les multiples moyens que l'anarchie mettait
«• 725. Juillet 1917.
à sg disposition, interdisaient & nosalliés toute offen-
sive, ils avaient ramené sur le front occidental une
grande partie des divisions qui couvraient le front
oriental. Il en était résulté qne nous avions ren-
contré devant nous une résistance très supérieure
à celle qui aurait dû nous être opposée et qu'alors
que les soldats russes fraternisaient avec les Alle-
MitrailU-iiiie installée (tans les tranchées, pour tirer
sur les avions ennemis.
mamls, les nôtres et les soldats anglais se faisaient
tuer pour permettre à la révolution russe de s'al-
fermir. On l'adil aux Russes en Russie même, et on
a bien l'ait. Nous ne l'avons peut-être pas assez dit
en France, et nous avons eu tort. A chacun ses res-
ponsal)ilités. Il est à remarquer aussi que, de même
que sur le fioii t russe les A llemands n'a vaien t songé à
aucune oiïensive et, par suite, avaient cessé do ma-
nifester iiucune velléité de marche sur Peirograd,
de même, sur le front roumain, on n'avait pas
LAROUSSE MENSUEL
mais, en mai, ils n'en avaient même plus parlé. Ils
avaient borné leur effort à arrêter l'offensive anglo-
frani^aise. Us la jugeaient donc très sérieuse, et ils
considéraient certainement comme de première im-
portance d'empêcher qu'une avance des Franco-
Anglais menaçant leur fron l et, subsidiairement, leur
frontière, ne portât par suite un rude coup à la con-
(lance du peuple allemand. Cela en disait plus long
sur le moral de nos ennemis qne tous les commen-
taires et les racontars plus ou moins véridiques des
journaux quotidiens.
La révolution russe avait eu également son contre-
coup sur les opérations militaires des Anglais vers
la Palestine et au delà de Ba^'dad. Puisqu'on ne
faisait plus rien ni du côté russe, ni du côté rou-
main, il devenait possible de libérer les divisions
turques dont on avait eu besoin jusqu'alors im peu
partout sur le front oriental, et il était loisible aux
Ottomans de se porter en force vers Ma^'dad et veis
Gaza. Sans doule, la saison se prêtait peu h une
allaque, mais le renforcement des fronts turcs arrê-
tait la marche des Anglais et les obli^'eait à rame-
ner, eux aussi, des renforts qu'il leur était, il faut
le reconnaître, beaucoup plus diflicile qu'aux Turcs
de conduire à pied-d'œuvre. Ces renforts venaient-
ils de Salon ique, personne n'eût pu le dire. Il était
permis de le supposer.
L'armée de Salonique, en effet, dont on avait pu
attendre quelque action importante, était, en mai,
restée inactive. On aurait pu croire, cependant, qu'à
la suite de l'entrevue de Saint-Jean-de-Maurienne
et des concessions faites à l'Italie en Palestine et
dans le golfe de Smyrne, on aurait enfin abouti, en
firêce, à une action décisive. I. a chute du ministère
Lambros, l'arrivée aux alfaii'es de Za'imis, l'auleur
de la trahison à l'égard de la Serbie, qu'on regar-
dait bien à tort comme plus capable de négocier
avec l'Entente, n'avaient rien changé à l'attitude du
roi Con.'^tantin. Le temps travaillait pour lui, et l'ap-
proche de la récolte, non moins que la sobriété de
son peuple et la faiblesse des Alliés, allaient lui
permettre de négliger le blocus qui fermait ses
ports. La situation restait inchangée et, de moins
en moins, on pouvait comprendre notre attitude.
Dans ces conditions, la question de l'armée de Sa-
lonique restait liée à celle de la Grèce; puisqu'on
laissait le roi Constantin préparer en paix son
avenir à sa guise et organiser notoirement des
bandes armées, on pouvait se demamler si l'armée
Sarrail n'aurait pas, un jour prochain, à compter
avec lui. Il y avait encore là un point d'interroga-
tion troublant et une indécision qui s'ajoutait à
d'autres.
Sur un seul point la révolution russe n'avait eu
aucune répercussion militaire, et l'on pouvait enre-
gistrer un important succès. Sur le Carso. nosalliés
Les péaiches.casernes sur les canaux, à l'arriére du front.
entendu dire qu'ils songeassent à une marche vers
Odessa. Ainsi, les deux grands objectifs de la guerre
sur les fronts de l'Orient européen étaient sinon
oubliés, du moins ajournés. On devait tirer de là
cette conséquence que les Allemands, d'une part,
espéraient qne la révolution russe leur faciliterait
la paix qu'ils souhailaient. d'autre part, qu'ils étaient
à ce moment inatériellenient incapables de mener
de front des opérations aussi étendues et aussi éloi-
gnées les unes des autres, alors que, quelques mois
auparavant, elles entraient dans leur plan. A la vérité,
ils n'avaient pu les achever, et rien n'avait mieux
montré la faiblesse de leurs conceptions militaires;
italiens avaient marché hardiment, et une très habile
manœuvre du général Cadorna lui avait permis de
faire un bond en avant, sur tout le front de Gorizia
à la mer. Dans la seconde quinzaine de mai, il avait
désorganisé les défenses autrichiennes et fait près
de 2.Ï.0OO prisonniers. L'Italie entière en avait conçu
une juste fierté et les plus légitimes espérances
C'était un coup porté à r.\utriche, qui, s'ajoutanl à
bien d'autres, rendait plus précaire la situation de
l'empire austro-hongrois et ne pouvait manquer de
fortifier les désirs de paix depuis longtemps mani-
festés dans le peuple comme chez les gouvernants.
Sur mer, la guerre sous-marine était restée une
175
menace pour l'avenir. On en avait beaucoup parlé.
Il semblait qu'on eût aussi agi. 11 était certain, en
ellel, que les pertes subies en mai étaient inférieures
à celles qu'on avait enregistrées en avril, et la défense
contre les sous-marins avait été beaucoup plus ac-
tive. Les AUeinanils continuaient à compter beau-
coup sur l'action de leurs submersibles. On devait
constater que qualie mois d'opérations sous-mariues
sans merci n'avaient pas influé sérieusement sur la
situation alimentaire et industrielle des Alliés et
Le général Cadorna, généralissime des armées italiennes.
que les calculs de nos ennemis semblaient devoir
être faux. Comme contre-partie, il fallait bien cons-
tater aussi que, si le blocus allié imposait à l'Alle-
magne de graves souffrances, qu'elle ne niait plus,
la force de résistance du peuple allemand paraissait
encore intacte, et on ne voyait pas, si l'on observait
froidement la situation, que ce lût par là que l'on
pût aboutir à une solution rapide.
Ainsi, au point de vue militaire, rien de décisif
encore sur notre front, stagnation complète sur le
front russo-roumain etsur le front de Salonique, me-
naces latentes sur le front d'Asie Mineure; au con-
traire, avance féconde sur le front italien. Tel était
le bilan du mois de mai.
En fait, tout avait tourné autour de la question
russe. Nous avons dit, le mois dernier, qu'une in-
quiétude était née, en avril, au sujet des tendances
russes à une paix séparée dont l'effet eût été de dis-
loquer l'Entente, de débarrasser l'Allemagne d'un
ennemi redoutable, de conduire, par la force des
choses, à une paix générale qui eût laissé ouverts
tous les litiges en cours et, en somme, l'injustice
allemande victorieuse. Nous ajoutions qu'à ce mo-
ment-là rien ne permettait d'aflirmer que la Russie
voulait une paix séparée et qu'au contraire les dé-
clarations gouvernementales devaient nous amener
à une conclusion tout opposée. Il n'y avait là qu'une
apparence. L'insuffisance des renseignements venus
de Russie et le chaos d'opinions qui régnait dans
ce pays masquaient la vérité. La crise avait éclaté
en mai, et tout le péril de la situation s'était dévoilé.
Le gouvernement provisoire rus.se avait publié,
le 27 mars, un Manifeste, connu en France vers le
M avril, dans lequel il indiquait, en termes d'ailleurs
assez vagues, que la Russie n'entendait enlever de
territoires à personne, mais qu'elle restait fidèle à
ses engagements envers les Alliés et à ses traditions.
« Le peuple russe, y disait-on, n'admettra pas que
la Russie sorte rabaissée de la grande lutte, ni
ébranlée dans ses forces vitales ». Cette déclaration
impliquait, par suite, la fidélité au pacte de Londres,
à toutes les conventions signées entre les Alliés
depuis lors et, nolammenl, i celles qui avaient trait
à l'empire ottoman et à Constantinople. Le, 3 mars,
le gouvernement provisoire crut devoir donner à
ce document un caractère plus général elune portée
plus étendue. Il fit savoir à ses représentants à
l'étranger, par une Note spéciale qui devait être
remise par eux aux gouvernements auprès desquels
ils étaient accrédités, que la déclaration de mars
devait être considérée comme l'expiession de la
volonté russe. « Il reste entendu, écrivait-il, et
le document ci-joint le dit expressément, que le
gouvernement provisoire, en sauvegardant les droits
acquis de sa patrie, restera strictement respectueux
des engagemenis assumés vis-à-vis des alliés de la
Russie ». Il affirmait à nouveau que la Russie ne
songeait pas à une paix séparée et exigerait « les
garanties et sanctions nécessaires ». Celle Note,
évidemment inspirée et rédigée par Milioukoff et
ses amis, fit un excellent effet à l'étranger. Elle
déchaîna le conflit en Russie. Le comité des déli
116
gués des ouvriers el soldats, dont le représentant
le plus en vue était Kerensky, réclamait la paix
Il sans annexions ni indemnités ». C'était avant
toull'abandon des prétentions russes surConstanti-
nople et, peut-être, si l'Allemag-ne comprenait le
parti qu'elle pouvait tirer de la formule, la paix
séparée. Cette divergence essentielle de vues entre
Le général lii..u.-,3iii,i, j;cm:iiiii>:iiiuu dt;^ iti lu^■l:^ nisbc--
les deux groupements qui se partageaient, ou plutôt
qui réclamaient l'exercice dn pouvoir, fut la cause
de la crise aiguë qui a jailli, en mai, ruiner larévolu-
tion russe et compromettre l'avenir du monde. Dès
le 5 mai, une Note additionnelle, publiée comme
une transaction entre les deux partis, expliquait que
o le peuple russe ne cherche pas à renlorccr sa
puissance extérieure aux dépens des autres peu-
ples et ne vise h l'asservissement ni à l'abaisse-
ment de quiconque ». En même temps, le Comité
des ouvriers et soldats, effrayé sans doute de l'agi-
tation anarchiste qui régnait dans l'année et le
peuple, recommandait le calme, aprcs avoir semé la
tempête. Entre le palais Marie, où siégeait le gouver-
nement présidé par le prince Lvof, et la salle Cathe-
rine du palais de Tanride, où se réunissait le Comité
des ouvriers et soldats, des négocialions se poursui-
vaient pour arriver à former un ministère de coali-
tion nationale. Ces négociations, après des péripéties
mal connues, échouaient. Elles étaient reprises pres-
que aussitôt, devant le danger formidable de dissolu-
tion sociale qui de plus en plus menaçait la Russie.
Coup sur coup, on apprenait le l'i mai la démission
de Goutchkof, ministre
de la guerre, celle du
général Kornilof, gou-
verneur de Petrograd,
enfin celle de Miliou
kof, ministre des affai-
res étrangères. Le Co-
mité des délégués des
ouvriers et soldats,
sortede représentation
de l'Assemblée confu-
se de la salle Cathe-
rine, par 4 1 voix contre
19, acceptait de parti-
ciper au gouvernement
provisoire et publiait
un appel à l'armée, qui
marquait enfin un sen-
timent très net de la si-
tuation critique de la
Russie. On y répudiait
toute idée de paix sé-
parée ; on y montrait le
danger de ia fraternisa-
tion qui se pratiquait
couramment sur le
front russe entre sol-
dats russes et soldats
allemands; on y expli-
quait aux soldatsque la
LAROUSSE MENSUEL
chie, adjurait l'armée de lutter contre l'ennemi
commun et de ne pas laisser tout le poids de la
guerre peser sur les Alliés occidentaux, laissait à
l'Assemblée constituante le soin de régler le par-
tage des terres et annonçait des négociations avec
les Alliés sur la base des déclarations antérieures.
En outre, le 18 mai, Kerensky, devenu le membre le
plus important du gouvernement, dans son ordre du
jour à l'armée, proclamait la patrie en danger et exi-
geait de tous une exacte discipline. Entre temps, un
Congrès des paysans, réuni à Petrograd, faisait des
ilc'clarations dans le même sens que le gouverne-
ment et que le Comité des ouvrieis et soldats.
Ce très bref résumé des événements russes ne
donne, assurément, qu'une idée lointaine de ce qui
s est passé réellement et du drame historique dont
les scènes se sont déroulées entre le palais Marie et
le palais Tauride, entre le gouvernement et le Co-
iTiilè, entre Petrograd, Moscou et les grandes villes
russes, entre les socialistes et les cadets, entre les
soldats et leurs chefs. Nous ignorions tous les dé-
tails. Nous avions même quelque peine à fixer les
dates des documents essentiels. Nous n'apercevions
quel'ensemble, etnouspouvions, pourtant, jngerque,
pour atteindre le résultat auquel on était parvenu à
la fin de mars, pour organiser enfin un gouverne-
ment qui présentit quelques chances de durée et
une autorité k peu près reconnue, il avait fallu, de
la part des hommes qui dirigeaient, dans la me-
sure où il peut être dirigé, le peuple russe, ou qui
l'ont conseillé, une dépense prodigieuse d'intelli-
gence, d'activité, d'énergie et de courage, qui mé-
rite toute notre admiralion. A ce litre, on devait
dire que le ministre français Albert Thomas, qui
n'avait pas cessé de multiplier ses démarches,
ses conversations et ses exhortations aux gou-
vernants et à la population russes, avait certaine-
ment rendu à la Russie, h la France et aux Alliés le
service considérable de maintenir le lien entre la
Russie et l'Occident et de faire entrer, autant que
cela est possible, dans les cerveaux moscovites les
raisonsoccidentales et historiques qui nous obligent
à pousser jusqu'au bout la lutte contre l'Allemagne.
Mais, ceci dit, bien des questions troublantes s'é-
taient posées il nos esprits dans le courant du mois
de niai et, à la fin du mois, même après la trêve qui
semblait signée entre les partis en Russie, nous
étions encore en présence des plus terribles problè-
mes. Le moindre n'était pas de déterminer en qui
résidait le gouvernement russe, quelle y était la
part dn gouvernement provisoire, du Comité révo-
lutionnaire, de l'armée, des généraux, de la Douma,
des zemtsvos, du Congrès des paysans, des grandes
villes, car chacun de ces éléments prétendait parler
au nom de la Russie. Suivant qu'on accordait créance
h ceux-ci ou à ceux-là, on risquait d'être entraîné
dans des sens divers, de refouler et de détourner de
soi les autres courants qui semblaient balayer turnul-
lueusement la masse russe. Nous pouvions ensuite
Irislall-itinii rapiiu
(ieB lignes téléphtiiuqurs
sur U- terrain rciiris à rennemi.
victoire seule pouvait garantir l'avenir de la révolu-
tion; on y déclarai t que le Comité avait obtenu du gou-
vernement Il de renoncer à la politique de conquêtes»
et de II réclamer le même renoncement de la part
des puissances alliées ». En conséquence de l'accord
intervenu entre les deux partis, un ministère était
formé, à la tête duquel restait le prince Lvof el où
l'on voyait Tcheretchensko aux affaires étrangères,
Skobelef au travail, Tseretelli aux postes, Tchernof
à l'agriculture, Kerensky h la guerre et à la marine.
Le 17 mal, le nouveau gouvernement publiait un
Manifeste où il fixait les grandes lignes de son pro-
gramme, annonçait des mesures contre la famine,
des mesures fiscales visant les classes aisées, s'en-
gageait à combattre la contre-révolution et l'anar-
nous demander si, après être, en somme, entrés dans
la guerre à la suite de la Russie pour son intérêt
slave contre l'expansion austro-allemande, nous
n'allions pas être amenés, par la révolution russe, non
pas k une paix européenne réglant une fois pour
toutes le statut des nations et rendant la vie possi-
ble, non pas même à une paix fixant le sort du monde
slave, ni à une paix russe cornpiise dans le sens des
traditions séculaires de la Russie, mais à une paix
purement révolutionnaire, où tout autre intérêt que
l'intérêtle plus étroitement conçu de certaines classes
russes serait à peu près négligé. La révolution russe
avait été d'abord faite par le parti modéré, qui se
considérait, au pointde vue de l'extérieur, comme lié
par la tradition historique russe. Elle voyait dans la
Kerensky. ministre de la guerre en Russie.
«• 125. Juillet 1917.
dislocation de l'empire ottoman, dans l'établissement
de la Russie à Couslantinuple et sur les détroits,
l'aboutissement de toute la politique russe depuis
Pierre le Grand. A l'intérieur, elle envisageait un
gouvernement représentatif où, du tsarisme, il ne
resterait plus que le tsar. Ces idées étaient cellesde
Milioukof. peut-être aussi celles d'une majorité im-
portante de citoyens russes et, aussi bien, le parti
adverse a-t-il donné une forme concrète ii son oppo-
sition en exigeant précisément la démission de
Milioukof, qui, par contre, a dû être considérée par
tous ceux qui connaissent l'histoire russe conune la
marque sensible de l'abandon, par la Russie, de ses
anciennes et légitimes ambitions.
A la fin de mai, la direction de la révolution
russe avait noioirement passé du parti modéré au
parti avancé, des cadets aux socialistes révolnlion-
naires. La parlici|i;ilion .'i bi î'iifrr'' n'él.iil plus
considérée com-
me un moyen,
pour la Russie,
de réaliser ses
tendances histo-
riques extérieu-
res, mais seule-
ment ses tendan-
ces sociales : le
partage des ter-
res, l'égalité po-
litique, la liberté
des citoyens.
C'éait son droit.
Mais n'allait-on
pas plus loin?
Déjà, l'abandon
par la Russie de
toute prétention
sur Goiistantino-
pleet lesdélroits
modifiait un des buts essentiels de la guerre. Au lieu
de relouler l'empire turc en Asie, où on lui aurait fait
un slatutqui eût mis hors de son pouvoir destructeur
l'Arménie et la Syrie et, par suite, de priver le groupe
austro-allemand d'une zone d'infinence où il voulait
s'établir en maître, il fallait prévoir le maintien de
l'empire turc et, avec lui, de tontes les ambitions alle-
mandes, de tous les troubles généraux qu'elles peu-
vent et doivent entraîner dans la vie de l'Europe.
C'était là, pour l'Allemagne, dont on sait les desseins
sur l'Orient, un véritalile succès, une tranquillité
pour l'avenir. L'Orient lui restait ouvert, et l'impor-
tance du succès anslais en Mésopotamie diminuait
beaucoup. Mais il y avait plus : les Russes voulaient
la paix la plus rapide possible, et la question était
de savoir si, dominés par le souci de leurs propres
affaires, ils ne la chercheraient pas simplement dans
un slatu quo mile, qui ne leur donnerait que des
garanties apparentes et n'en apporterait aucune
aux Alliés. En outre, la formule « ni annexion, ni
inilemnilé », que les Russes essayaient d'imposer
au monde, si elle peut être acceptée par le parti so-
cialiste allemand, ne règle aucune des questions
i|iii intéressent la France, l'Italie, la Belgique, la
Serbie, la Roumanie, le Monténégro, l'Arménie,
la Grèce, la Pologne, et elle suppose que tontes
les destructions et les massacres dont l'Allemagne
est responsable resteront sans réparation. Sans
doute, on a essayé partout d'apporter à la formule
des gloses explicatives. Lloyd George et Asi]uith,
Ribot, l'Amérique, la presse française, Tcheret-
cliensko lui-même, ont fait remarquer que le retour
de l'Alsace-Lorraine à la France n'était pas une an-
nexion et qu'il fallait que les auteurs responsables
des dommages de la guerre en payassent les con-
séquences. Mais il n'en est pas moins évident que,
si cette formule demeurait la base de la paix, la ques-
tion de l'Alsace-Lorraine était insoluble, puisque
l'Allemagne considère ce malheureux pays comme
une province définitivement allemande, qui ne pour-
rait faire retour à la France que par une annexion
illégitime, puisqu'il n'y a pas un seul Allemand, à
quelque parti si avancé qu'il appartienne, qui soit
disposé à reconnaîlre notre droit sur l'Alsace-Lor-
raine, ni la spoliation de 1870.
La même question se pose pour la Pologne prus-
sienne et autrichienne, pour l'Arménie, pour la
Serbie, pour le Trentin et Trieste. Certes, on met
en avant le droit des peuples de disposer d'eux-
mêmes par un vote. Mais, nous l'avons déjà fait re-
marquer, fcra-t-on voter pour la liberté de IWIsace
les fils de ceux qui nous l'ont prise? Tel est le dan-
ger des formules, tel est surtout le danger des
abstractions. L'historien qui observait les faits à la
fin de mai ne voyait pas sans criiinle celte folie de
l'abstraction s'emparer de certains partis, ni, après
la tenue du Conseil national du parti socialiste
français, le programme russe, très beau en soi, très
humain, mais encore ntopique el on partie incom-
patible actuellement avec la justice et les possibili-
tés pratiques, devenir le programme des socialistes
français, unifiés de nouveau dans l'internationalisme.
Beaucoup de bons citoyens, qui étaient des gens
sages, que ne possèdent aucune folie imnexionniste.
aucune vision d'anéantissement impossible du peuple
GRÈCE ET FRONT MACÉDONIEN
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C.Matapan.
Fotam^^^g^.}ficalaos
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Caps^î^C. C»fe\\a
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Echille 1 : 2 600 000
ChârSid^ra-
a 10 10 30 «0 M eo io iok
178
LAUOUSSË MKNSUEL
Supplément au n' 125 Juillet 1917.
PlRATKKlK — Perdu» uaii» i iiinm-iisiLc lie 1 Un-ail, apica le Lurpiiiaf^e ^i- ri-u< i iC ..o ilauiu u, -< -■[ n^uAiiuitd Lundon At;«'«y.
Barbarie. — Une nés nuninrctisos ei tristes scènes <io neportation ne la pojiuiaiion civile des jiays envahis (F. Matania, The Sphère),
«• 125- Juillet 1917-
rAROTTSSE MENSUEL
Canon pneumatique de 60, de Brandt, avec 4 pompeurg.
alleiiiaiiil ni d'indemnité irréalisable et qui, par-
dessus le marché, étaient convaincus de la néces-
sité des réformes sociales, regrettaient que, dans
cette occasion solennelle, les solutions vraiment
françaises n'eussent pas prédominé, et ils conce-
vaient, de celte docililé à suivre une impulsion exté-
rieure, des craintes qui n'étaient pas sans motif. — La
question russe, avec toutes ses conséquences pro-
chaines et lointaines (et il y en avait bien d'autres
que celles que nous venons d'énoncer), restait donc,
à la fin de mai, obscure et pesante. En l'absence
(l'une décision militaire concluante, 11 était du de-
voir de tout Français d'en suivre, d'aussi près qu'il
se pouvait en l'état de nos renseignements, l'évolu-
tion et l'extension.
C'est ainsi que la Conférence de Stockholm avait
pris, peu à peu, une signification particulière, qui,
de jour en jour, la rattachait plus étroitement à la
révolution russe. A l'origine, le projet de confé-
rence socialiste internationale, élaboré par les socia-
listes suédois et hollandais, avait paru très suspect,
même aux socialistes français, dont la majorité n'en-
visageait, au début de mai, aucune possibilité d'y
prendre part. Des questions de procédure et de pro-
tocole avaient été soulevées qui, au fond, cachaient
la crainte d'une collusion allemande, et l'attitude
des socialistes allemands, celle du Russe Lénine,
n'étaient pas de nature à dissiper cette impression.
Puis, sous l'influence des socialistes rusies, qui
avaient persuadé les socialistes français Cachin et
Moutet pendant leur séjour en Russie, l'idée d'aller
à Stockholm comme à une réunion préparatoire
d'un congrès inlernational, qui discuterait les prin-
cipes fondamentaux de la paix et du slatul des
peuples sur la base du questionnaire élaboré par les
révolutionnaires russes, s'était imposée à tel point
aux dirigeants socialistes que le Conseil national
socialiste français, qui jusqu'ici avait réussi à se
tenir, pour la durée delà guerre, en dehors de toute
relation internationale compromettante, avait décidé,
le 28 mai , daller à Stockholm. La majorité, qui,
quelques jours auparavant, ne parlait de rien moins
que de mettre Scheidemann en accusation devant
1 Internationale, avait, sous l'influence, disait-on, de
renseignements secrets apportés de Russie, aban-
donné brusquement son opposition et s'était ralliée
h la minorilc. La décision avait été prise à l'una-
nimilé. Par suite, et sans revenir sur les réflexions
que nous avons faites plus haut, on allait voir les
socialistes français, en pleine guerre, discuter avec
des socialistes des nations ennemies et en dehors
de tout mandat légal les moyens d'aboutir à la paix.
En admettant même que, par une suprême habileté,
les Allemands ne s'y fissent pas représenter, ils y
auraient des hommes de paille et des accointances.
Le programme dessocialistos autrichiens etbongrois,
programme purement allemand, où la question des
nationalités était traitée à l'allemande, où le natio-
nalisme autrichien perçait ï toutes les lignes, en
disait long à ce sujet. Le congrès international d'un
parti, sans participation des gouvernements, était
un l'ait nouveau de la plus haute gravité. Qu'allaient
représenter les délégués qui discuteraient à Stoc-
kholm, quelles idées précises, au nom de qui 7
N'allaient-ils pas constituer, h côté des gouverne-
ments légitimes reconnus par les peuples, respon-
sables devant eux, un autre gouvernement imper-
sonnel et irresponsable, ne représentant qu'une
minorité dans chaque peuple, dont les décisions
s'imposeraient ensuite aux gouvernements légaux?
De plus, en manifestant une hâte inconsidérée de
paix, en émettant la prétention de forcer l'Alle-
magne à la révolution, n'allait-on pas lui donner
des raisons de tenir énergiquemenl, de se grouper
en un seul faisceau, et, alors que tout conseillait
d'attendre avec patience et courage une solution
heureuse que le temps nous préparait, ne risquait-
on pas, au contraire, do précipiter un dénouement
qui, venant avant son heure, ne pouvait que nous
être défavorable?
Le seul fait qu'on était amené à poser des ques-
tions semblables suffisait à faire deviner tous les
dangers de la situation. Les socialistes français
avaient cru pouvoir l'accepter. Que ferait le gou-
vernement français devant celle résolution? Le
gouvernement américain semblait décidé à empê-
cher que personne d'Amérique n'allât à Stockholm;
le Labour Party en avait dit autant pour le compte
de l'Angleterre, mais l'Indépendant Labour Parly
était d'avis contraire. 11 y avait donc division sur
l'opportunité d'une pareille réunion. S'il était permis
de se livrer à des hypolhèses inquiétantes à son
sujet, il était sage, pour conclure, d'attendre les
événements. On ne devait pourtant pas se dissimu-
ler qu'un élément inattendu intervenait dans la
guerre, et on avait le droit de craindre, sans suspec-
ter, bien entendu, ni le patriotisme, ni la sincérité
de qui que ce fût, que les intrigues allemandes
179
n'eussent à Stockholm le champ libre. Pouvait-on
aussi oublier l'emprise du socialisme allemand sur
le vieux socialisme français? Enfin, la leçon des trois
dernières années nous conduisait-elle vraiment à
un inlernationalisine confiant et sûr? La violente
émotion que les décisions du parti socialiste français
avait causée dans le Parlement, l'annonce d'une
interpellation et d'un grand débat pour le 1" juin
ne faisaient que traduire l'impression générale et
montraient que les représentants du pays avaient
compris toutes les conséquences de l'acte qu'une
minorité se disposait à accomplir. Un nombre
immense de Français étaient du même avis.
Les Etals-Unis n'avaient pas été moins attentifs
que l'Europe à la question russe, et il était hors de
iloute qu'on l'envisageait suus le point de vue que
j'ai exposé plus haut, c'est-à-dire avec une grande
sympathie pour
le peuple russe
et le plus vif du-
sir de l'aider à
fonder sa liberté
surledroit,mais,
en même temp-,
avec le sentiment
de l'inexpérience
decepeupleeldu
dangcrqu'ilpeut,
avec les meilleu-
res intention»,
faire courir au
progrès général
et à sa propre li
berté. C'est, ru
somme, ce qu'a-
vait exprimé le
socialiste améri-
cain Gompers,
dans une lettre
auComilédesou-
vriers et soldats
dePetrograd. Cependant, les Etals-Unis prenaient les
mesures que comportait leur déclaration de guerre. Us
préparaient méthodiquement une armée et une flotte.
Ils examinaient les moyens de restreindre chez les
neutresleurs importations, aflnde diminuer le ravilail-
lemenl consécutif del'Allemagne. Ils avaient accueilli
avec enthousiasme le maréchal Jofl're et 'Viviani.
L'éloquence entraînante de ce dernier, la forme
si française de ses discours, ses énergiques déclara-
tions avaient fait une durable impression, tandis
que les souvenirs qu'apportai! avec lui le maréchal
remuaient profondément le peuple américain, pas-
sionné pour le droit et la justice. Cette mission
avait été une manifestation sensible de la commu-
nauté d'esprit et de cœur qui nous unit à l'Amé-
rique. Il fallait, pourtant,savoir attendre les résultats
de l'entrée dans la lutte des Etals-Unis, et c'était là
le difficile. On ne semblait pas assez comprendre,
et nous avions déjà commis cette erreur pour l'An-
gleterre, que les effets de l'intervention américaine
seraient forcément lents et devaient l'êlre pour
devenir décisifs; et cela faisait d'autant plus re-
gretter les initiatives brouillonnes ou équivoques.
Le général russe Dragomirof.
Canon de 40U sur roio fcri-éo. dreski puur les tirs eu hautaur. (▲ fauohtt, l'obut prêt à flllNr.)
i80
Du côté des neutres, l'impossibilité d'accorder la
neutralité avec les exigences allemandes était appa-
rue même aux mieux disposés. En Espagne, le
ministère Garcia Prieto en avait fait l'expérience.
La canonnade du l'alricio avait réveillé les dis-
cussions que la chute de Romanonès aurait dû
éteindre. 11 avait fallu faire de nouvelles observa-
tions à l'Allemagne. La lulte de manifestations
avait repris entre neulralistes el enlenlistes. C'était
un trouble profond qui ébranlait déjà le nouveau
ministère. Garcia Prieto se débattait dans des dif-
ficultés inextricables, jusqu'à se demander si, comme
le ministère Romanonès, il ne devrait pas suspendre
les garanties consliluliounelles. On parlait d'un mi-
nistère Dato, sans qu'il fiV permis de prévoir s'il
apporterait une solution impossible à trouver.
Le Brésil l'avait bien senti. Après le torpillage
du Pavana, celui du Tijtica avait rendu la silualion
plus aiguë encore. Le niinislre des alfaires étran-
gères, Lauro Muller, avait été remplacé par Nilo
Peçanba. Le Parlement avait volé le retrait de la
neutralité et la saisie des navires allemands inter-
nés. C'était l'acheminement vers la guerre.
En Scandinavie, les trois puissances avaient de
nouveau, dans le congrès qui réunit périodiquement
leurs représentants, posé le principe de leur neu-
tralité dans (les termes qui décelaieu' leur embarras.
La différence des tendances nationales de chacun des
peuples Scandinaves donne à leur réunion un carac-
tère facticeet purement géographique. Leurs intérêts
sont opposés, comme leurs sympathies. La Suède,
LAROUSSE MENSUEL
des socialistes russes et de certains Français, que
cette action interne pût se traduire par des résultats
positifs et immédiats. Certes, on discutait plus ou-
vertement et plus àprement que jamais. La con-
liance d'antan dans le gouvernement des Hohen
zollern n'avait plus son ancienne solidité. Les
articles publiés par le prince de Hoheulohe, à la
fin de mai, dans la Nouvelle Gazelle de Zurich,
élaient sur ce point très significatifs. Mais la révo-
lution allemande, malgré quelques paroles de Schei-
dcmaiin, ne semblait pas mûre. La disette continuait
à imposer de grandes souffrances surtout à la popu-
lation des villes qui, en dépit de quelques grèves et
peut-être d'émeutes, la supportait dans l'ensemble
avec cette l'ésignation apathique et disciplinée qui
curaclérise le peuple allemand. Le Heichstag s'était
réuiii au début de mai, mais c'est seulement le 15
que le chancelierde Belhmann-HoUwegavait parlé.
Une fois de plus, il avait proclamé la victoire alle-
mande et refusé de faire connaître explicitement
les buis de guerre de l'Allemagne. Il avait, d'autre
part, prononcé à l'égard de la Russie des paroles
doucereuses et adroites, qui avaient pour but de
donner au peuple russe l'illusion d'une bonne volonlé
pacifique et d'intentions conciliantes. Ce discours
de mauvaise foi, mais habile, avait contre-balancé
l'eflét de l'inlervenlion de Scheidemann, qui avait
préconisé la paix sans annexion, et prononcé le
mol de Cl révolution r. Ce qui n'empêchait pas les
pangermanisles d'émettre chaque jour les plus
folles prétentions sur des pays français et belges.
Pièce d'artiller
En particulier, restait fort divisée contre elle-même.
Elle n'était pas celle des puissances neutres chez
laquelle la guerre avait eu le contre-coup le moins
profond. Les torpillages des navires suédois dans le
golfe de Botnie avaient rendu plus sensible la me-
nace allemande. Les discussions socialistes avaient
ébranlé la tranquillité publique, elles privations ali-
mentaires la sérénité suédoise.
La Suisse continuait à souffrir de la guerre, à
tous les points de vue. Les élections socialistes de
Bâie, l'affaire de La Chaux-de-Fonds avaient été
à des titres divers, mais caractéristiques, lessymp-
lômes d'un mécontentement et d'un trouble, dont
les répercussions non encore amorties pouvaient
se prolonger profondément.
Enfin, en Extrême-Orient, la Chine, travaillée par
les agents allemands, avait eu, sur la question de la
guerre, sa crise ministérielle. Elle hésitait à se join-
dre à l'Entente, cependant que les Japonais, plus avi-
sés, profilaient delà situalion ébranlée de rAllemagne
pour s'assurer les positions commerciales les plus
avantageuses. — Le monde entier était de plus en
plus remué à fond par la guerre européenne.
L'.\llemagne, cela est naturel, avait ressenti aussi
fortement, mais autrement que l'Entente, le contre-
coup de la révolution russe. Elle y avait vu surtout
un encouragement à la résistance, un espoir immense
de paix séparée. Elle avait libéré ses forces militaires
(lu front oriental. Elle attendait paliemmenl l'effet de
l'indiscipline et de la fraternisation dans les rangs
de l'armée russe. Elle ne négligeait pas d'agir sour-
dement sur les individus et sur les masses, et nous
avons le droit d'affirmer que le socialisme alle-
mand, qui est d'abord allemand avant d'être inter-
national, n'était pas resté inaclif. D'autre part, il
est probable que les ferments révolutionnaires
avaient agi en Allemagne comme ailleurs, mais en
rapport avec l'esprit allemand. — Il y avait peu
de vraisemblance, quoi qu'en pût penser la na'iveté
dans (111 buis, s(ir le ironi isrinzo-Oorizia.
En somme, l'Allemagne ne semblait pas faiblir
sensiblement, il faut le dire avec courage : il est
inulile de se payer de mots. 11 fallait, pour l'ébranler,
autre chose que des discours etdes articles de jour-
naux. Elle était encore, malgré certains symptômes
d'ébranlement, fortement gouvernée. La majorité
socialiste restait impérialiste, et la minorité, d'ail-
leurs très surveillée, y était négligeable. La pro-
messe de réforme électorale, que le Rescrit d'avril
avait fait miroiter aux yeux des populations prus-
sieimes, étaitoubliee, etla commission que présidait
Scheidemann s'était ajournée su ries brutales et dédai-
gneuses observations d'un fonctionnaire suballerne.
Rien, nous lerépélons, ne permettait de prévoir une
révolution prochaine, et, si l'histoire nous apprend
que les révolutions éclatent presque toujours à l'oc-
casion de prétextes insignifiants, elle nous enseigne
aussi qu'elles se préparent de très loin. 11 ne sem-
blait pas que la préparation allemande fût achevée.
On pouvait, à coup sur, en dire autant de l'.-Vutri-
chc-llongrie, mais la situation était tout autre. Si
les populations austro-hongroises ont, comme les
autres, des aspirations sociales et démocratiques,
elles ont d'abord des aspirations nationales. Elles
ont aussi un désir de paix plus affirmé que partout
ailleurs, et leur jeune empereur est là-dessus d'ac-
cord avec elles. Il n'était pas possible de dire si ce
désir avait provoqué avec l'Allemagne des dissen-
timents, et nous ignorions quel avait été le but des
déplacements du comte Gzernin. Mais la démission,
enfin donnée et acceptée, du comte Tisza était un
événement qui devait être retenu.' Le comte Tisza
est un des auteurs responsables de la présente
guerre; il était l'adversaire décidé et violent de la
réforme électorale hongroise; il était non moins
opposé à l'autonomie de la Galicie ; il faisait lour-
dement sentir son autorité et son ambition en toute
occasion, et, au moment du couronnement de
Charles IV, son insistance pour y tenir la première
«" J25. Juil/e( 7977.
place lui avait fait des ennemis nombreux dans la
haute noblesse et parmi les catholiques. On igno-
rait pourtant encore les vraies raisons de sa chute.
On avait parlé, pour le remplacer, de l'archiduc
Joseph, puis du comte Andrassy, puis de Weckerlé,
mais aucune combinaison n'avait encore abouti.
Ce changement de personne devait-il augurer un
changement de système ? La monarchie austro-
hongroise, nous l'avons dit souvent, a joué son
existence dans cette guerre. La constitution de 1867
porte en elle des germes de dissolution. Le rè-
glement de la question polonaise s'impose depuis
le début de la guerre. Quel serait-il? Ferait-on de
la Pologne un royaume pour l'archiduc Charles-
Etienne? Donnerait-on l'autonomie à la Galicie, ou
la réunirail-on à la Pologne ? Et, dans ce cas, que
deviendrait la Pologne prussienne? Les Tchèques
de Bohême et les Croates accepteraient-ils de n'avoir
lias, eux aussi, satisfaction, el, dans cette hypothèse,
iiue deviendrait le rôle jusqu'ici prépondérant de la
Hongrie? Toutes ces questions se posaient à Char-
les IV, et la guerre créait pour les résoudre une
atmosphère lourde et peu propice. L'intérêt évident
de la monarchie est de pousser à la paix et de régler
son sortpendant qu'il en est temps. Les victoires de
Cadorna ne pouvaient que fortifier ce sentiment. —
G'eslsurces entrefaites que, pour la première l'ois de-
puis le début de la guerre, s'était réimi, aux derniers '1
jours de mai, le Reichsrat autrichien. Dès la pre-
mière journée, sous les dehors du calme, on avait
senti les anciens ferments de division entre les
Allemands et les autres nationalités. Le président
Gross n'avait élé élu que par la minorité allemande.
Le reste du Parlement s'était absteim. Des députés
tchèques comme Kramarcz, encore en prison, man-
quaient. Le discours du trône, le 31 mai, avait indi-
qué sous la forme alambiquée que revêtent ces
documents les questions brûlantes du moment :
question galicienne, question hongroise, existence
de l'empire. L'empereur Charles n'y avait pas dit un
mot de la guerre. Les discussions ne pouvaient pas
manquer d'être vives au Reichsrat.
Nous avons marqué, il y a un mois, l'urgence pour
l'Angleterre de la question irlnndaise. L'éleclion à
Longford de Mac Guiness, Siun-Feiner authentique
et condamné lors de la dernière insurrection, co'inci-
daiit avec un manifeste des évêques irlandais en sens
contraire, avait été un symptôme des dispositions ré-
volu tionnairesd'unepartie de l'Irlande. Lloyd George,
avec son esprit de décision ordinaire, avait posé le
problème de façon à ne permettre aucune échappa-
toire. Ou bien, avait-il dit, on reconnaîtra aux six
comtés de l'Ulster le droit de se séparer du reste de
l'Irlande, ou bien on réunira une (Convention irlan-
daise pour décider quel gouvernement sera donné à
l'ile. Cette solution était celle à laquelle s'était arrêté
le gouvernement. Restait à savoir quelle attitude
prendraient les comtes de l'Ulster, d'une part, les
Sinn-Feiners d'autre part. Quelle qu'elle fut, le sys-
tème proposé ne laissait place à aucune critique,
et la parole était aux Irlandais. L'Angleterre n'en
coulinuaitpas moins sa lulte énergique contre l'Alle-
magne, et sa ferme volonté d'aboutir était encore
pour nous la plus solide des garanties.
L'acte essentiel du gouvernement fran(;ais, en
mai, avait été le discours du président Rihot lors de
la discussion des interpellations sur la politique
extérieure; discours très élevé de pensée, très habile
au point de vue parlementaire et socialiste, que
beaucoup ont trouvé tro]) dénué de précision et
trop rempli de formules absolues et peut-être dan-
gereuses. Une polémique s'élait engagée à ce sujet
et, au surplus, la question de la conférence de
Stockholm allait fournir au gouvernement une
occasion de s'expliquer et de s'affirmer. Beaucoup
souhaitaient sentir chez lui plus de fermeté, une
impression de direction qu'on cherchait, et qu'on ne
trouvait pas. La grève des midinettes, toutes celles
qui suivirent et qui eurent un succès complet, malgré
la justice des revendirations apportées, avaient, on
ne peut le nier, inquiété l'opinion. L'appel du mi-
nistre de l'intérieur au public avait paru plutôt un
aveu de faiblesse qu'un ferme encouragement à la
sagesse nécessaire et aux conciliations possibles.
Le peuple français, qui acceptait les restrictions
alimentaires en les souhaitant moins changeantes,
eût voulu voir plus clair dans sa situation et désirait
une énergie plus sensible dans le gouvernement
du pays. Il était las des discours. Il avait besoin
d'actes et de vérité. 11 ne demandait qu'à travailler
avec confiance. Il voulait qu'on lui montrât claire-
ment les raisons de sa confiance. — la\ti g«rbault.
* hydrologie n. f. — Encycl. Institut d'hydro-
logie de Paris. Depuis de nombreuses années, les
personnes au courant des questions économiques et
scientifiques concernant l'hydrologie et les stations
tliermales regrettaient que la France ne mit pas plus
pleinement en valeur son domaine hydrominéral,
(|ui est sans rival au monde. (V. stations thebmales,
Larousse Mensuel, t. \", p. AôO.) La création d'un
organisme central d'études et d'enseignement était
surtout considérée comme devant permettre à notre
pays de lutter sans désavantage contre la coDcnr»
«• 125. Juillet 1917.
rence élraiigère. Celle-ci esi très redoutable et profite
d'une organisation fort bien comprise et fortement
encouragée par les goiivernenienls, à tel point que
l'on a prouvé que la ricliesse économique produite en
Allemagne, en 1910, parla cure thermale et climati-
que dépassait un total de six cents millions de marks,
tandis que, dans le même temps, elle n'était pas supé-
rieure, cliez nous, à cent cimiuan le millions de francs.
Des vœux en faveur de celle création furent expri-
més par de nombreux congris d'hydrologie, par
63 des conseils municipaux intéressés, parles direc-
teurs des grandes compagnies de chemin de fer, par
la Société d'hydrologie, par le Syndicat des méde-
cins des stations thermales et climatiques. De nom-
breuses personnalités scienlifiques joignirent leurs
efforts à ceux de ces groupemenls, et un groupe in-
terparlementaire des stations de France porla plu-
sieurs fois la question à la tribune du Parlemenl.
L'inslilut d'hydrologie de Paris fut créé par dé-
cret, le 13 mars 1913, par Louis Barlhon, ministre
de l'instruction publique. 11 est latlaché au Collège
de France et constitué par six laboratoires de l'Ecole
pratique des hautes éludes.
Le programme de l'Institut est double. Il comprend,
d'une part, un ensemble de recherches scieutifii]uc5
originales et d'études d'intérêt général d'ordre admi-
nistratif; d'autre part, il comprend l'enseignement
technique de l'hydrologie et de la climatologie.
Parmi les études scientifiques ressortissant à
l'Institut d'hydrologie, il faut citer : les recherches
sur la composition et l'action des eaux minérales el
de l'atmosphère; l'analyse, systémaliquement re-
prise, de toutes les eaux minérales françaises;
l'étude des moyens de purification, de captage, d'em-
bouteillage des eaux; la rédaction d'un volume offi-
ciel concernant les stations thermales et analogue
au Bi'iderbuck alleinund, qui est édité par les soins
du gouvernement impérial, etc.
Pour répondre à son programme d'enseignement,
l'Institut doit organiser des cours d'hydrologie géné-
rale ou clinique, des conférences descriptives sur
les stations et des conférences scienliliques sur les
questions étudiées dans ses laboratoires.
L'Institut est donc chargé d'étudier et d'enseigner
toutes les questions d'ordre scientifique, technique
ou administratif, se rapportant aux eaux minérales
et aux climats.
11 est administré par un conseil qui a pour pré-
sident Maurice Croiset, administrateur du Gollige
de France, pour vice-président Edmond Perrier,
président de la 3° section à l'Ecole pratique des
hautes études, pour secrétaire général le Yi' G. Bar-
det. De ce conseil font parlie les directeurs des la-
boratoires, le directeur de l'Enseignement supérieur
au ministère de l'instruction publique et le président
du groupe interparlementaire des stations thermales
et climatiques de France. Un comité de perl'ectionne-
ment, réunissant les noms des personnalités scienli-
liques ou administratives, donnera son avis sur les
questions relatives aux actes extérieurs de l'Institut.
Les six laboratoires constituant l'Institut d'hydro-
logie sont les suivants :
1* Laboratoire de physique liydrologique : directeur
d'Arsoiival, membre de l'Institut, professeur àa Collège
de France ;
2" Laboratoire de chimie physique : directeur Charles
Moureu, membre de l'Institut, professeur à l'Ecolo de
pharmacie ;
S" Laboratoire de chimie analytique hydrologique : direc-
teur Georges Urbain, professeur à la Faculté des sciences ;
4" Laboratoire de thérapeutique hydrologitjuo : directeur
Albert Robin, membre de l'Académie do médecine, pro-
fesseur à la Faculté:
5" Laboratoire d'hydrologie générale : directeur G. Bar-
det, président de la Société de thérapeutique et président
de la Société de minéralogie;
6" Laboratoire d'hygiène hydrologique : directeur Bor-
das, professeur suppléant au Collège de France.
L'Institut d'hydrologie a commencé à fonctionner
au début de l'année scolaire 1913-191 'i. Un cours
d'hydrologie générale a été fait à l'hôpital Beaujon,
au bénéfice de médecins et d'ingénieurs désireux
de se spécialiser dans la carrière hydrologique ou
climatique; des conférences ont été faites par les
directeurs des laboratoires, et des travaux scientifi-
ques de valeur sont déjà sortis de ces laboratoires.
A cet Institut doit être annexée une Ecole d'hydro-
logie, qui sera installée dans des bâtiments dépen-
dant du Collège de France. Cette Ecole comprendra
une salle de cours et conférences, ainsi que deux
laboratoires de travaux pratiques, réservés l'un à
l'hydrologie générale, l'antre à la clinique hydro-
logique. — Dr Maurice GiuJt.
Laborl(Fema?irf-Gustave-Gaston), avocat fran-
ijais, né à Reims le 18 avril 18(i0, mort à Paris le
14 mars 191 7. lUit ses études au lycée de Reims et vint
ensuite à Paris pour y suivre les cours de la Faculté
de droit, dont il devint lauréat (\" prixdecodecivil,
1881 ;!"■ prix de droit romain, 1883). Inscritau bar-
reau de Paris le 11 novembre ls8l, il était nommé,
en 1888, 2" secrétaire de la Conférence des avocats et
prononçait en cette qualité, le 26 novembre 1888, un
Discours remarquable : " Le Procès du (Collier ».
Il fit au Palais de très brillants débuts (Procès
des anarchistes Clément Duval, pillage et incendie
physi
Fernand Laborl.
LAROUSSE MENSUEL
de l'hôtel de Madeleine Lemaire, 1887, et Pinl,1889;
Affaire Gabriel Compayré contre Numa GiUy, 1889).
Sa parole éloquente, sa prestance, l'attrait de sa
fsionomie s'imposèrent d'emblée à l'attention.
)ans son discours de secrétaire de la Conférence
se révélait déjit son esprit pénétrant et hautement
impartial qui s'affirma ensuite dans ses plaidoiries
pour Vaillant (Attentat à la Chambre des députés,
I8II4); pour Ahmed-Riza et le Mechveret, 1897;
pour Thérèse Humbert dans l'affaire de l'héritage
des Crawford, 1903; pour le chérif Abd-el-Hakim
contre le ministre des Affaires étrangères, 1904;
pour le marquis de Val-Carlos contre Rochefort,
1904 ; pour le sénateur Charles Humbert contre le
.U«/in, 1908;pour M"» Caillaux, 191i.
La cause la plus retentissante que Labori ait
soutenue est l'Affaire Dreyfus on il entra en inter-
venant d'abord au nom de M"" Alfred Dreyfus,
comme partie plaignante, dans le procès Esternazy,
1" conseil de
guerre de Paris
(10janvierl898);
puis, en défen-
dant Zola pour-
suivi en diffaina-
tionpour la publi-
cation de son ma-
nifeste 'I J'accu-
se », Cour d'as-
sises de la Seine
(7-23 fév. 1898).
Saconduitedes
débats, durant
17 audiences, au-
tant queson plai-
doyer pour Zola
qui reste un véri-
table monument
d'éloquence judi-
ciaire consacrè-
rent la renommée de son puissant talent d'avocat, en
même temps que de la droiture de sa conscience.
Au cours du procès Dreyfus devant le conseil de
guerre de Rennes (7 aoùt-9 septembre 1899) où il
assistait avec M' Démange le capitaine Dreyfus, il
fut victime — le 14 aoiit — d'un attentat qui faillit
lui coûter la vie : un inconnu lui tira, presque à
bout portant, un coup de revolver.
Bien que revenu à l'audience le 22 août, il ne
plaida pas pour Dreyfus. Il publia cependant, dans
la livraison de février 1902 de la « Grande Revue »,
dont il était le directeur, en expliquant pourquoi il
s'abstint de prendre la parole, ses Notes de plai-
doirie pour le procès de Rennes.
Labori apparut dès lors comme l'avocat unique des
grands procès politiques, ainsi que l'ont déclaré à
sa mort, non seulement les journaux français, mais
la presse de tous les pays. Le limes du 15 mars 1917
disait notamment à ce "sujet :
Sa renommée n'était point limitée à la France; en An-
gleterre, en Amérique, il était considéré comme le per-
sonnago qui représentait le mieux les traditions françai-
ses de justice Ce n'est point seulement la France qui
éprouve à la fois une perte publique et personnelle par la
mort de M« Labori !
Dès sa mort, les manifestations de deuil el de
sympathie ont eulieu dans tous les barreaux du monde.
Le grand avocat anglais J.-B. Matlhews qui avait, en
(|ualitédeprésidentd" la célèbre association anglaise
d'avocats, nthe Hardwicke Society »,présidéle ban-
quet offert à Fernand Labori par les avocats anglais,
lorsque, invité parle barreau de Londres, en 1901,
il y fut l'objet d'une inoubliable manifestation, a
écrit au lendemain de la mort du bâtonnier Labori :
Par le lier courage et le dévouement avec lequel il a
rempli son rôle d'avocat, Labori occupe un rang élevé
dans la liste des plus grands avocats du monde. Son nom
et sa renommée ne périront jamais; ils vivront aussi long-
temps qu'existera l'institution du barreau sur la terre.
Le bâtonnier Chenu qui fut son adversaire au der-
nier procès retentissant que plaida Labori — affaire
de M"" Caillaux — l'a salué, mort, en des termes
admirables, dans un article publié par le Gaulois
du 16 mars 1917; il le dépeint ainsi :
Sa stature haute et droite, sa large poitrine, ses épaules
athlétiques donnaient l'impression d'une force irrésistible
en son harmonie. Ses beaux traits réguliers s'animaient
au suufllo du combat, ses yeux lançaient dos flammes.
L'émotion répandait la pâleur sur son visage. La voix
grandissait, s'enflait, grondait dans un fracas de tonnerre.
Les qualités maîtresses du talent d'avocat de Labori
étaient : méthode, d'une puissante logique, jointe à
une ardeur sans égale; clarté de l'argumentation;
justesse et précision du langage.
Elu membre du conseil del'Ordre en 1905, par un
nombre de voix qui n'avait pas encore été atteint, il
fut élevé en juin 191 1 aux fonctions de bâtonnier qu'il
exerçajusqu'en octobre 1913, et c'est en cette qualité
qu'ilfut invité parles Barreaux desEtals-Unisd'.^mé-
riqne, et du Canada, à des fêles où il fut l'objet de
nombreuses manil'estationsd'enthousiaste sympa Ihie.
Labori se fit une notoriété autant comme juris-
consulte que comme avocat. Rédacteur en chef de
U « Galette du Palais » de 1887 à 1892, il publia
181
un Répertoire encyclopédique du Droit fronçai»
en 12 vol., complété par un Supplément en 2 vol.
Epris d'art, ils occupaitdelittt- rature etde musique,
n fonda le 1" mars 1897 la Grande Reiiue pour y
exposer librement ses idées et y affirmer ses goiits.
Entré dans la vie politique en 1906 comme député
de Seine-et-Marne, il convient de signalerle rôle qu'il
joua au Parlement, comme rapporteur dans la discus-
sion du projet de loi sur la réforme des Conseils de
guerre, présenté parson ancien client de venu général
et ministre de la Guerre, l'ex-lieutenant-colonel Pic-
quart. Bien décidé à ne pas se représenter après l'in-
cursion qu'il avait faite dans la politique, il tint,
plusieurs mois avant l'expiration de son mandat, à
expliquer, dans un article paru dans le Malin du
7 mars 1910, les causes pour lesquelles il ne bri-
guerait pas à nouveau les suffrages de ses électeurs:
la désorganisation des pouvoirs publics et l'inanité
ducontrôle parlementaire. Prévoyant déjà la guerre:
... Je veux croire — y écrivait-il — que nous sommes
prêts matériellement. En avons-nous la certitude? I.e8
exemples que nous avons connus laissent un doute cruel
dans les esprits. Quel surcroît d'etforts ne faudrait-il pas
alors à ce grand peuple, toujours égal heureusement aux
plus redoutables épreuves, pour vaincre l'ennemi au
dehors et résister à l'anarchie au dedans?...
Cet article complète très heureusement les consi-
dérations que Labori avait développées sur le Devoir
Moral et Social, et sur la Politique, dans la» Grande
Revue « (1901), considérations qui, rapprochées des
idées générales exposées dans ses pla.doiries, ré-
vèlent que, en Labori, le philosophe et le penseur
profond était égal au jurisconsulte et à l'orateur.
Comme avocat il a publié : Discours de rentrée.à
la Cou/éreuce des Avocats: le l'roc'es du Collier
(1888); Plaidoirie pour Vaillant (1894); Plaidoirie
pour Ahmed-Riza el le Mechveret (1897); Affaire
Zola, débats et plaidoirie (1898); \otes de plai-
doirie pour le Procès de Rennes (1900); La Salio-
nalité musulmane et l'Edit de l'itl. Plaidoiries
pour Abd-el-Uakim (1904): Plaidoirie pour de
Val-Carlos contre BocÀe/'0!7 (19U4); enfin ses Sdis-
cours de Bdtonnat prononcés le 2 décembre 1911 et
le 7 décembre 1912; Répertoire encyclopédique du
Droit français{l8S'J-iH^6)elSupplément (l<ii)fi\inO].
Les plaidoiries pour Thérèse Humbert (1903)
et pour le sénateur Charles Humbert contre le
« Matin » (1908) ont été publiées par le Journal, lors
du compte rendu des débats. La Plaidoirie pour
.W"»" Caillaux (1914) a été publiée par le Figaro.
Dans l'ordre politique, 2 brochures intitulées: te
Mal politique el les l'artis (1902); les Idées Morales
et la Polilique (1902) ; et le Rapport sur la liéforme
des Conseils de guerre (1907). — c. Duoas.
Hiampes électriques à filament mé-
tallicLUe (les). — Le problème de l'éclairage ar-
tificiel pratique et à bon marché a reçu depuis une
dizaine d'années une heureuse solution par l'emploi
de la lampe électrique à filament métallique, qui a ra-
pidement remplacé presque tonles les autres lainpi s
électriques et puissamment contribué à la vulgarisa-
tion de ce mode d'éclairage, si sûr et si avanlageu.v.
Le grand pouvoir éclairant de ces lampes est la
conséquence directe de la haute température à la-
quelle il est possible de porter le filament sous lin-
lîuence du courant. Tout le problème de l'éclairage
se résume en effet dans celui-ci : trouver des coi-ps
assez réfractaires à la fusion pour pouvoir être
portés sans détérioration trop rapide, ni dépen>e
exagérée, à la température la plus naute possible.
On démontre, en effet, que l'énergie totale rayon-
née par un corps quelconque sous l'influence de la
chaleur est proportionnelle à la 4° puissance de sa
température absolue. Quand celle-ci s'élève, la fré-
quence des radiations s'élève également; elles sont
d'abord exclusivement calorifiques, ptiis deviennent
en partie lumineuses en suivant l'ordre des couleurs
du spectre : le corps est d'abord porté au rouge,
puis sa teinte jaunit, et les radialidns supérieures
(vert, bleu, violet, uUra-vioIetJ venant s'ajouter suc-
cessivement aux premières, le corps devient d'une
blancheur éblouissante. L'énergie lumineuse émise
alors est à peu près proportionnelle au cube de
l'énergie totale rayonnée et, par conséquent, à la
12" puissance de la température absolue du corps
chaud. On voit par là quel intérêt présente, en pra-
tique, une augmentation de quelques degrés.
C'est là le secret de la grande économie réalisée
par les lampes à filament mélallique : alors que le
filament de carbone des anciennes lampes ne pou-
vait guère être poussé sans dommage au-dessus de
1 .800°, les filaments de tantale et d'osmium atteignent
facilement 2.0000 et celui de tungstène 2.200°.
Pour augmenter celte température, il sulfit d'agir
sur le courant électrique en augmentant la tension
aux bornes de la lampe. On dit alors que la lampe
est « pous.sée » ou « survoltée «.
On a constaté par de nombreuses expériences que
l'intensité lumineuse croît à peu près comme la
4* puissance de la tension pour une lampe à filament
métallique et comme sa 6« puissance pour les
lampes au carbone. Ainsi, une lampe de cette der-
nière espèce, donnant 14 bougies sous 90 wolta.
182
en fournit 24 sous 100 volts, 41 sous 110 volts,
61 sous 120 et 72 sous 125 volts. En même temps, la
dépense du courant par bougie s'abaisse de 3 watts 2
à 1 watt 2. Mais la durée du filament diminue en
même temps, car il émet, sous l'influence du courant,
des particules f|ui viennent s'écraser contre le verre
de l'ampoule en produisant un noircissement carac-
téristique. C'est celle considération de durée qui
interdit le snivollage des lampes au carbone au-
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1500 Heures
VariatioDS de la coasommation spécifique de diverses lampes :
1" en durée du voltage. 2o en fonction de la durée d'utilisation.
dessus dune cerlaine limite peu économique et qui
a conduit les industriels à la recherche d'un lilament
plus réfraclaire.
Le niaiiient métallique, par la très haute tempé-
rature qu'il peut supporter, permet de réduire consi-
dérablement la consommation du courant pour une
même intensité lumineuse produite, c'esl-à-dire le
rendement lumineux.
C'est ainsi qu'une lampe k filament de tungstène,
donnant 16 bougies sous 90 volts, en donnera 22
sous 100 volts, 30 sous 110 volts, 40 sous 120 volts
et 55 sous 130 volts. Les consommations par bougie
s'abaissent en même temps de 1 watt 4 à 1 watt 18,
1 wall, 0 watt 85 et 0 watt 70. Cette lampe est donc
environ 2,5 l'ois plus économique que la précédente.
Au point de vue de la duri'e, la lampe à filament
métallique peut être plus facilement survoltée. Ceci
provient du fait que la résistance électrique du mé-
tal augmente avec la température, tandis que celle
du charbon diminue.
Toutefois, il ne convient pas de pousser la lampe
au deli de la tension optimum qui correspond à une
durée moyenne de 1.000 à 2.000 heures, suivant le
pri.x des lampes. C'est sur ces données pratiques
que sont établies la plupart des lampes actuelles.
Voyons comment on est parvenu à les réaliser.
Les premières lampes à filament métallique utili-
saient toutes le platine. La plus ancienne, construite
par Moleyn en IS'il, était constituée par un fil de
mêlai enroulé en hélice dans une ampoule de verre
et sur lequel on faisait tomber lentement de la pou-
dre à charbon, qui brûlait avec éclat à son conlacl.
Plusieurs inventeurs simplifièrent ce dispositif :
nous citerons Pétrie, qui, en 1847, employa le pla-
tine iridié porlé à l'incandescence, et de Chaugy,
qui, en 1858, disposa le filament en spirale serrée.
Ce n'est qu'en 1878 qu'Edison fit paraître la pro-
mière lampe à incandescence industrielle : c'était
une ampoule vidée d'air, dans laquelle le filament
de platine enroulé en spirale avait été préalablement
débarrassé par un chauffage énergique des gaz occlus
dans ses pores. Le fil ainsi privé d'air pouvait être
poussé à une température très élevée, mais il res-
tait fragile et d'un prix exagéré. Edison fit ensuite
breveter un filament de platine iridié, recouvert d'une
mince couche d'oydes métalliques réfractaires :
chaux, magnésie, oxyde de cérium, etc.
Il eut encore l'idée d'appliquer un dispositif in-
verse du précédent, qui consiste à porter à très
haule température un bâtonnet formé de ces oxydes
métalliques en l'échaulTant par l'action d'un fil de
platine enroulé autour de lui en hélice très serrée.
(>ette dernière lampe fut l'occasion d'un grand
nombre de recherches pour l'utilisation des oxydes
métalliques. Elle aboutit, en 1897, à la découverte de
Nernst, qui réussit, par des mélanges d'oxydes de
métaux rares: magnésium, thorium, zirconium, etc.,
& constituer des bâtonnets assez conducteurs à haute
température pour laisser passer un courant suffi-
sant à les maintenir incandescents. Le chauffage
préalable du bâtonnet est obtenu par quelques spires
de platine enroulées autour de lui et parcourues
par un courant dérivé qui se coupe automatiquement
LAROUSSE MENSUEL
quand le bâton est assez chaud. Cette lampe ne doit
jamais être poussée ; elle supporte mal les variations
de voltage. Sa consommation o.scille entre 1 watt 7 et
1 watt 3 par bougie, selon la puissance. De fabrica-
tion allemande (A. E. G.), elle est surtout répandue
dans l'Europe centrale.
D'ailleurs, d'autres recherches plus intéressantes
encore, portant sur le filament métallique lui-même,
allaient engendrer presque en même temps la nou-
velle lampe dont
l'usage est devenu
universel.
Le problème se
posait ainsi : le
corps entrant dans
la composition du
filament devait
être : 1° assez
conducteur par lui-
même pour per-
mettre un allumage
direct (ce devait
donc être un mé-
tal); 2" assez réfrac-
laire pour pouvoir
être porlé à la plus
liante température
possible; 3» assez
limace pour résis-
ter longtemps à
celte température;
4° assez ductile
pour être étiré en
filaments 1res min-
ces; 5° d'un prix
de revient assez
faible.
Toutes cescondi-
'tions étaient difli-
cil(!3 à réaliser si-
multanément. On
se préoccupa tout d'abord des deux premières, et
l'on expérimenta successivement les métaux les
plus réfractaires.
Dès 1899, Aller lança le filament d'osmium, qui
fut bientôt concurrencé par le tantale, dont les pre-
miers fils furent obtenus par von Bolton en 1903.
Ce dernier métal, qui fond vers 2.280», se prêle
assez bien au martelage el à lélirage. Sa résistance
électrique croît rapidement avec la température :
elle est, pour un fil de 1 mètre de longueur etl°""'
de section, d'envirom 0 ohm 16 à froid et 0 ohm 9 à
la température d'incandescence. Celte faible résis-
tance oblige à obtenir des filaments 1res fins el
longs, ce qui est une sérieuse complication pour la
fabrication et suffisait à justifier les prix 1res élevés
des premières lampes au tantale. Mais l'augmenta-
tion de la résistance à chaud constitue une
qualité précieuse, qui leur permet de résister
efficacement aux variations de voltage et
d'être poussées assez liant.
Au point de vue de la consommalion de
courant, le progrès est déjà très sensible :
1 watt 3 à 2 watts par bougie, au lieu de 3 à
4 watts pour la lampe au carbone. Celle
consommation est assez variable : elle dé-
croît pendant les dix premières heures de
service jusqu'à un minimum de 1 wall 5 à
1 wall 6 ; elle croît ensuite, d'abord assez
vite, puis lentement, pour atteindre la va-
leur-limite de 1 watt 9 à 2 watts jusqu'à la
rupture du filament, qui se produit au bout
de 1.000 à 1.200 heures.
Les premiers fabricants de lampes au
tantale se sont heurtés à de graves difficul-
tés pratiques : ce fut d'abord la nécessité
de se procurer la main-d'œuvre habile el
l'outillage compliqué indispensables à l'ol)-
tention d'un bon filament. Puis la grande
longueur de fil nécessaire pour chaque
lampe oblige à le disposer en zigzag sur
des supports nombreux, si l'on ne veut pas
augmenter démesurément les dimensions
de l'ampoule. Ce travail est compliqué
et délicat, étant donné l'extrême finesse
du filament.
De plus, la distance forcément réduite
qui sépare le fil incandescent du verre
de l'ampoule pourrait l'échaulTer de façon
dangereuse et le rendre perméable. Il faut donc pré-
voir des attaches spéciales, empêchant le (il de ve-
nir au conlact du verre, sans gêner sa dilatation.
Enfin, la fiagilité du filament provoque un fort dé-
chet de fabrication, sans compter la casse inévitable
lors du transport et de la mise en place Toutefois, '
la cassure n'est pas toujours irréméiliable, le fil de
tantale pouvant se ressouder à lui-même sous ten-
sion. Cette curieuse propriété permet souvent de pro-
longer la vie utile des lampes.
La préparation du filament de tantale se fait de
plusieurs manières. Le métal piirétant assez difficile
à obtenir et à travailler, on a cherché, pour simpli-
fier, à utiliser le minerai préalablement aggloméré.
Von Bolton se servait d'un filament de tétroxyde de
«• 125. Juillet 1917.
tantale, qu'il sonmellait dans le vide à l'action d'un
courant de plus en plus intense. Le lil se réduisait
ainsi peu à peu et .se soudait en quelque sorte à lui-
même, mais sa section devenait ainsi irrégulière, et
le lil restait fragile.
Dronhard inventa, en 1908, un procédé très simple:
il traite par l'acide sulfurique une solution éten-
due de tanlalate de potassium. Le précipité obtenu,
fillré et lavé, est dissous à nouveau dans une solu-
tion d'acides oxalique et sulfurique. La liqueur ainsi
obtenue est employée comme éleclrolyle, le courant
arrivant h une anode de charbon. Un filament
de carbone sert de cathode : le tantale s'y dépose
lentement jusqu'au diamètre convenable. Le fila-
ment ainsi préparé est particulièrement homogène
et robuste.
Les autres procédés employés dérivent plus ou
moins des précédents. Ils donnent tous des filaments
dont la résistance électrique varie de 14 à 20 mi-
crohms-cenlimètres. Celle valeur est beaucoup trop
faible pour les tensions usuelles des réseaux de dis-
tribution. Heureusement, il suffit, pour l'augmenter,
de chaufi'er le fil dans une atmosphère d'azote à
faible pression : on quadruple ainsi la résislivilé du
fil, ce qui permet de réduire sa longueur à 70 centi-
mètres environ. Pour le loger dans l'ampoule, on
emploie divers procédés : filaments ondulés, en spi-
rales, en hélice, en obliques, etc. Finalement, on a
adopté la disposition en simples zigzags droits, dis-
posés suivant les génératrices d'un cylindre. Chaque
coude du zigzag est maintenu par ïiiie potence en
nickel, terminée par un petit crochet et fixée au bâton
de verre qui constitue l'axe ou « pied » de la lampe;
le nombre est en général de 22 (11 de chaque coté).
Par suite de celte disposition, le flux lumineux péri-
phérique horizontal est très uniforme. Par contre,
il est très irrégulier dans le plan vertical. Mais ce
défaut peut être corrigé facilement par l'emploi
d'abat-jour ou de dilluseurs.
La lampe au tantale est très sensible aux varia-
tions brusques de voltage ; en particulier, elle s'ac-
commode mal du courant alleriiatif, ce courant
provoquant une vibration continuelle du filament
qui le désagrège et le brise en peu de temps. C'est
là le plus grand défaut de cette lampe, qui a dû, de
ce fait, céder la place à d'autres moins fragiles.
Le filament d'osmium fut mis au point en 1903
par la société Aiier. Ce métal est plus réfractaire
que le tantale, puisqu'il ne fond que vers 2.500»,
mais il est à peu près impossible de l'obtenir par
étirage en fils assez minces, et l'on doit recourir k
des filaments composés, servant de supports provi-
soires. On a d'abord employé dans ce but le platine
en fils très fins: en les chauffant dans des vapeurs
d'acide osmique en présence d'un hydrocarbure,
l'osmium se dépose sur le platine, qu on volatilise
ensuite par un courant intense. L'inconvénient du
Répartition de rintensité Itintincuse d'une lampe à filament métallique
dans un plan vertical.
procédé est que les deux métaux se combinent plus
ou moins, ce qui abaisse le point de fusion du fil.
Il est préférable et plus simple de plonger le fil de
platine dans une solution d'acide osmique: le dépôt
d'osmium se fait alors spontanément.
On a employé aussi comme support provisoire un
filament de charbon ordinaire (coUodion), que l'on
porte au rouge en présence d'acide osmique et de
vapeur d'eau. L'osmium se dépose sur le charbon
qui liri'ile en même temps. On peut mélanger préala-
blement au collodion une pâle de sucre el de sulfure
d'osmium, qui lui donne plus de solidité et accélère
la substitution.
Actuellement, on préfère filer I la presse une p4te
formée d'osmium en poudre et de matières organi-
«• 125. Juillat 1917.
ques agglomérantes (sucre, gélatine, etc.) que l'on
carbonise ensuite lentement dans le vide. Ce fil,
composé ainsi d'osmium et de charbon, est ensuite
chaulTé dans une atmosphère de vapeur d'eau et
d'hydrocarbure de façon à brûlerie charbon et à ne
conserver que le métal.
Ce fil est généralement cassant; mais, à l'inverse
du tantale, il se condense sous l'action du courant,
s'assouplit et devient par suite peu sensible aux
variations de voltage et aux chocs, de sorte qu'il
peut être employé sans difficulté en courant alter-
natif et que le déchet est minime.
La résistance électrique croit avec la température,
moins vile que pour le tantale, de sorte que l'inten-
sité lumineuse croît plus vite avec le voltage; la
consommation spécifi(|ue décroît donc plus rapide-
ment. Elle passe de 1 watt 3 pour le voltage nor-
mal à 0 watt 9 pour une surtension de 10 p. 100 et
0 watt 75 si la surtension atteint 20 p. 100. C'est là
un nouveau progrès sur la lampe au tantale.
Le montage du filament dans l'ampoule est ana-
logue; toutefois, les zi;;zags sont en général moins
nombreux et plus allongés. Sa durée moyenne
atteint 2.000 heures; l'intensité lumineuse croit
d'abord pendant 200 heures environ, pendant les-
quelles le (ilament se contracte et se forme, puis
elle diminue lenlement jusqu'à perdre 20 p. 100 de
sa valeur. L'osmium ne se désagrégeant pas comme
le tantale sous l'action du courant, la lampe ne
noircit pas, si le vide de l'ampoule est suffisant.
Le troisième métal, le plus couramment employé
actuellement pour la fabrication du filament métal-
lique, est le tungstène, cjui e-t l'un des métaux les
plus réfraclaires, puisqu'il ne fond que vers 3.100°.
Le premier essai de sou utilisation fut fait par
Just, qui substitua le tungstène au carbone d'une
lampe lîdison en le portant à l'incandescence eu
présence des vapeurs d'oxydes de tungstène et d'hy-
drogène, et qui essaya aussi le filage à la presse
d'une pâte renfermant du tungstène pulvérulent.
Just soumit ensuite un filament de carbone porté
au rouge à l'action du gaz hexachlorure de tun}.'s-
tène en présence de l'hydrogène. 11 transformait
ainsi le carbone en carbure de tungstène, qu'il ré-
duisait ensuite par la vapeur.
En même temps, Kuzel faisait breveter le procédé
suivant : le tungstène, réduit en poudre fine, est dis-
sous dans l'acide chlorhydrique étendu et chaufi'é ;
cette solution, lavée à l'eau distillée et redissoute
un certain nombre de fois, finit par laisser déposer
du tungstène colloïiial à l'état pâteux, facilement
étirable en fils très homogènes.
Ce n'est guère qu'en 1908, néanmoins, que la
société Auer prépara industriellement ce filament à
l'aide d'une pâte d'iiydrate acide mélangé à nn peu
d'ammoniaque et filée à la presse, puis réduite à
l'état métallique à haule température. Peu après, la
société Siemens réalisait ainsi l'étirage direct : on
plaçait le tungstène en poudre dans des tubes d'alu-
minium ou de cuivre de faible diamètre, entourés
eux-mêmes d'un tube d'acier très mince. Après un
chaiilTage préalable pour chasser les gaz occlus, on
passait l'ensemble dans des filières de plus en plus
fines. Qnand le diamètre était suffisamment réduit,
on détiuisait les deux tubes extérieurs par l'action
des acides. Le tungstène, plus réfractaire, restait
seul; on le portait à l'incandescence dans le vide
pour achever de le purifier.
De son côté, la société Westinghouse réalisait
l'étirage d'une autre façon : la pâle est un mélange
de trioxyde de tungstène et de zinc en poudre,
qu'on traite après chauffage par l'acide chlorhydri-
que de façon à réduire l'oxyde par le zinc et à ne
conserver que le tungstène métallique et pâteux, qui
s'étire alors facilement en filaments que l'on purifie
par le courant dans une atmosptière de gaz inerte.
Citons encore la société américaine « G. E. C» »,
qui emploie un amalgame de tungstène en poudre,
de cadmium et de bismuth : ce mélange, pâteux par
lui-même, se file très aisément. Le mercure et le
bismuth, relativement très volatils, disparaissent
sous l'action d'un courant modéré. Un courant plus
intense élimine ensuite le cadmium, et le tungstène
reste seul. Dailleurs, les fabricants utilisent les pro-
cédés les plus divers; la liste en serait fastidieuse.
La résislivité du tungstène étant très faible (6 mi-
crohms-cenlimèlres), soit trois fois moins que le
tantale, il a fallu réduire le diamètre des fliamenis
jusqu'à 3 centièmes de millimètre. Fort heureuse-
ment, ce métal est très ductile, et l'étirage, loin de
diminuer sa ténacité, le rend aucontraiieplusdense.
plus lisse et plus homogène : on oblicnt des fils qui
résistonl à une traction de 4oO kilogrammes par
millimètre carré. La résislivité croissant très vite
avec la température (coefficient 0,005 par degré), la
lampe est pour ainsi dire autorégulatrice, c'esl-à-
dire peu sensible aux varialidiis de voltage.
Autre avantage : le tungstène pouvant être poussé
à une température très élevée, le rendement lumi-
neux est très amélioré : la consommation s'abaisse
à 1 watt 2 par bougie pour le voilage normal et à
1 watt pour une surtension de 10 p. 100.
On peut, d'ailleurs, survoller bien davantage en
ayant soin de plonger le filament dans une atmo-
LAROUSSE MENSUEL
sphère de gaz inerte : c'est le principe des lampes
intensives dites o demi-watts », dont nous reparlerons.
La lampe au tungstène donne une lumière re-
mari|Uahleinent blanche et fixe, quels que soient
le voilage et la durée d'utilisation. Sa consomma-
tion est à ueu près constante pendant toute la vie
utile de la lampe, qui dépasse facilement 1.500 heu-
rco, aussi bien sur courant alternatif que sur cou-
rant continu. De plus, l'ampoule ne noircit pas, et
le filament ne finit par se briser que sous l'influence
d'un choc violent ou d'une modification moléculaire
due à un fonctionnement trop prolongé ou trop
inlermillenl.
Enfin, le tungstène étant moins rare que le tan-
tale et l'osmiun et s'étirant plus facilement, la
lampe peut élre établie à meilleur compte : aussi
son prix ii-t-il baissé progressivement de 5 francs à
1 franc environ pour les lampes de faible intensité
(10 à 50 bougies).
On peutdirequela lampe au tungstène a été pous-
sée à un degré de perfection qui en fait la meilleure
et la plus économique des lampes à filament métalli-
que. Elle se fait pour tous voltages jusqu'à 2i0 volts
et toutes intensités jusqu'à 3.000 bougies (lampe in-
tensive). Elle est universellement répandue. Les mar-
183
droit à Paris, il voyagea en Italie et en Allemagne,
et suivit des cours, surtout de philosophie, aux uni-
versités de Bonn et de Berlin, en 1864 et 1865. De
retour en France, il s'adonna à l'économie politique,
qui fut désormais l'objet unique de son activité
puissante et régulière.
En 1867, il obtint sa première récompense de l'Aca-
démie des sciences morales et politiques, avec un
mémoire intitulé: De l'influence exercée sur le taux
des salaires par l'état moral et intellectuel des
populations ouvrières. Le prix Bordin fut décerné
à Paul Leroy-Beaulieu, « avocat à Paris». Deux ans
plus tard, la « Revue des Deux Mondes » insérail
son premier article : les Sociétés anonymes en An-
gleterre et en Italie (1" déc. 1869). Il est devenu
l'un des principaux collaborateurs de celte revue,
dont il a présidé le conseil de surveillance pendant
plus de vingt-cinq ans. En 1870, il obtint quatre prix
à l'Académie des sciences morales — fait inouï dans
les annales de l'Institut — avec quatre mémoires
ayant pour sujet : De l'instruction et du salaire des
femmes employées dans les travaux d'industrie
(piix du Budget); De l'administration locale en
France et en Angleterre (autre prix du Budget ;
Des impôts fonciers considérés dans leurs effets
Fofmes diverses de lampes & filament métallique (osmium, tantale, tungstène).
ques françaises les plus connues sont : la lampe Z
(La Carrière), la lampe Iris (Larnaude), la lampe
Mazda (Thomson-Houslon), la lampe métal, etc.
Nous ne cilcions maintenant que pour mémoire
un certain nombre de lampes qui utilisent des fila-
ments de métaux divers ou d'alliages.
Parmi les métaux, on a employé avec quelque
succès l'iridium, métal rare et peu ductile; le sili-
cium, qui a l'avantage de posséder une résistance
assez glande pour pouvoir être utilisé en fils de
faible longueur avec un bon rendement lumineux
(lampe Hélios : 1 watt 2 par bougie), enfin le titane
(lampe Heany).
Parmi les alliages, signalons la lampe Allen
(tungstène-titane), la lampe Cazin (iridium-os-
mium), la lampe Siemens (tungstène-tantale) et
enfin la lampe Osrain, doni le filament se compose
d'osmium et de tungstène (wolfram, minerai de
tungstène, d'oii le nom d'os-ram). Cette lampe, d'ori-
gine allemande, possède à peu près les caractéris-
tiques de la lampe au tungstène : sa consommation
spécifiquedel watt 3 varie peu pendant les 1.000 pre-
mières heures, mais augmente ensuite sensible-
ment. Elle supporte, d'ailleurs, moins bien les sur-
li'usions que la lampe au tungstène, sur laquelle
elle n'a aucun avantage marqué.
Dans un prochain article, nous traiterons plus
spécialement de la fabrication des lampes à filament
métallique et des lampes intensives. — J. Davien.
Leroy-Beaulieu ( Pierre-Pnu/), économiste
français, né à Saumur (Maine-et-Loire) le 9 dé-
cembre 1si:î, mort à Paris le 9 décembre 1916. Sa
famille était d'origine norm.Tnde : son grand-père
avait été maire de Lisieux après 17X9, puis député
du Calvados à r,\ssemblée légi.slatlve; son père avait
été aussi maire de Lisieux et député du Calvados
sous la deuxième République et au début du second
Empire. Paul Leroy-lîeaulieu filde brillantes études
au lycée Bonaparte (aujourd'hui Condorcet) et fut
lauréat du concours général. Après avoir fait son
économiques et le Système colonial des peuples
moderne» (prix Léon Faucher). Ces mémoires, rema-
niés, devinrent des livres. Ildonna son premier ar-
ticle au « Journal des Débats » le 19 juin 1871 et
combattit dans ce quotidien les idées protection-
nistes de Thiers. En janvier 1872, Emile Boutmy
ouvrit l'Ecole des sciences poliliques. La première
leçon fut faite par Albert Sorel, la seconde par
Paul Leroy-Beaulieu, qui traita de Vincome-tax
anglais. L'année suivante, il fonda, sur le modèle
de l'n Economist », publié en Angleterre, un heb-
domadaire destiné à l'étude des questions finan-
cières, administratives et sociales : C Economiste
français (1873). Chaque semaine, Paul Leroy-
Beaulieu y rédigeait l'article de léte : pendant qua-
rante-quatre ans, un seul numéro du journal a été
privé de cet article directorial.
Le 6 juillet 1878, l'Académie des sciences mo-
rales admit parmi ses membres celui qu'elle avait
plusieurs fois couronné, en remplacement du mar-
quis d'Audiffret. Puis, en 1879, son beau-père, Mi-
chel Chevalier, le célèbre économisle qui négocia le
traité de 1860 avec l'Angleterre, lui offrit la sup-
pléance de sa chaire d'économie politique au Col-
lège de France. Paul Leroy-Beaulieu en devint
titulaire en 1880. Il y étudia successivement la ré-
partition des richesses, le collectivisme, les revenus
publics et l'impôt, le rôle de l'Etat moderne, la
science économique, Proudhon, Adam Smith,
Hicardo, John Stuarl Mill, le crédit, la monnaie et
les banques, la diminution de la population, l'asso-
ciation, les finances publiques, budgets et em-
prunts, les systèmes coloniaux, les écoles socia-
listes, etc. Plusieurs de ses ouvrages ont pour
oriffine son cours du Collège de France.
Fils et petil-lilsdedépulés. partisan convaincu du
régime représentalif, il eut des ambitions politi-
ques. Mais ni les électeurs ni les parlementaires ne
se montrèrent favorables à ce censeur impitoyable
de leurs fautes. Tantôt il ne fut pas élu, tantôt il
fut élu, mais non pi-oclamé; tantôt proclamé, mai*
184
invalidé. C'est ainsi quil échoua à Paris en 1S74
aux éleclions mumci>le., (XVI« arrondi'saëmenl '
à Gonstanline, en août 1877, à une élection iSa
tiye partielle et, à Lodùve, aux élections fè.
lal.ves, en 187,S, lS8;i, 18S5, 1889 e 1890 II
appartenait au parti de !a di'oile. Il a consigné
!îën vi:"''."""' '^'^ ''^ i'"P'-«»sions de candida" ■ fal-
heureux dans une pelite brochure : un Ckapilre
m^T^f^l-:!^ '-'''- '-'- '- ^'^^
so??rtfI''T"/"' ''"/'P'' " Pei-ditcoup sur coup
trava, r^ ^ni"n' d- ^""T" 1"' '••"'''''' dans ses
travaux, et son lils Pierre, tué à 'ennemi. Malgré
es soixante-douze ans, il avait paru supporter
^^ "^r .:ifir^!!!,9!:-!!-., 4? conslitution
LAROUSSE MENSUEL
Paul Leroy-Beaulicu.
rnhno „ • -, !'>•"•<:» yrueiies, et sa consti utioi
robuste n avait pas semhlé altérée. Une grippe in
feclieuse le .rrassa en quelques semaines nfisse
ars •ntn':"^^"'^' •'""' •^'"'I .arçons Ve%T
rl.^TJ' "" '"'V"' ''"■■'''■^ Chronologique, la liste
inlellecluel des populations ouvrières et de son
influence sur le taux des salaires (Paris, 1868)
"Nous ne voyons de salut, suivant le cours naturel
des choses, que dans le développement de l'aisance,
de la moralité et
de l'instruction,
trois progrès dé-
pendant heureu-
•sement les uns
des autres «.
Toute la théorie
économique de
l'auteur est déjà
danscetteconclu-
sion. — Guerres
contemporaines
(Bruxelles, 1869).
Ce sont des re-
cherches statis-
tiques sur les
pertes d'hommes
et de capitaux
causées par les
guerres de 1853
nements actuels ont fait rouvrir ce it vre! quPpenneî
de curieuses comparaisons. - ia Queslol oL-^re
ZnTL'r"'' "";''• "''>' - i'-^'lminislralZn
locale en France et en Anglelerre (1872), en colla-
boration avec Flourens. -Le Travail ces f„s
au xix» .,«,.«(., „3). -De la colonisation ihez les
peuples n,oclernes(l813. C'est la refonte du mémoire
couronné e-i 1870 qui portait pour épigraphe «La
fondation des colonies est la meilleure affSiie dans
aquelle onpmsse engager les capitaux d'un vieux"
lt7Tl " '"'"''^'"■''y-Beaulieuaélé un colonisa-
leii aidentpar.^eslivresetparsesexemples.— 7'rai/é
'''^''^'f'^'' 'les finances inil, 2 vol.):Cet ouvrage!
In 1 de son enseignement à l'Ecole des sciences
po I iques et de ses études parues dans des périodi-
?ll;n- ""•'; """"^"^'^P création. Aucun livfe aulé-
neur n aurai pu mériter ce titre. - Essai sur la
répartition des rjckesses et sur la tendance à une
V^'l'l ,"""''"'''? ''^^ conditions (um). Suivant
aule iir, le paupérisme, au lieu de s'aggraver, comme
le prétend 1 école socialiste, ne cesse? au contrai e
d'à" 'ml'XT'' " • ^" 1"-°'^'''"='» jouit mainiénânt
d awmtages qu il ne connaissait pas autrefois. -
cLusn^'ZT' ^f^lT" <:''"h^Vlu nouveau so-
ciansmejm-',). — L Alç/erieet ta Tunisie (Mm) —
nr'^mé* '^ "'"."""'"'e politique (1888), souvent réim-
primé. — LHal moderne et ses fonctions (1889)
dénonpJ f "''^'' H '■'""'S'^^ '^^ 1 Etat moderne et
dénonce ses empiétements sur la liberté indivi-
fivP iTlp''*'',' '^'^ /f ? intrusions, l'esprit d'?ni iâ-
Ip, vnl^^if "'.'^''"' ''",''' responsabilité diminuent;
les volontés s énervent. ., C'est par là, conclut-il
que les nations sont exposées à déchoir ». — Traité
^ von'RpfiSr"''"1 ''■<*'•■<'«<»«'•« politique (1895,
5 vol.). RenéStourm le considère cbmme l'ouvragé
e plus important de Paul Leroy-Beaulieu. C'est ,?n
ncTlL^n? r'!'"' ?/■.'""'?"'• «'«^t intéressé person"
a^ irnlP . ■^^ ^iVl^^ financières, industrielles et
agricoles : „ J'antôt à mon avantage, tantôt à mon
BkT'ài''ver" '^'' '"i"^-"*!^ ''^"^ les entreprlesTes
plus diverses sur le vieux et le nouveau conti-
nent. » 11 avait été en contact avec des banquiers
des in,,-énieurs,des explorateurs, des proSa res
des cul 1 valeurs, des ouvriers. Son ïïiformation
danTllTrf^ " '"r"='«- - ^^ Sahara iTsoT-
danet les Chemins de fer transsa/iariens (1904)
les rés^ulHu'l" ■••^'l'^'ilit^tio" du Sahara d'aprVs
les résultats des missions F atters et Foureau-
lonLîe'arLpï '''''.,P°'''" '^«'''' «on^l'niie une
longue artère lianssaharienne, parlant de nos dos-
sessions africaines du Nord, i- L'Art de rdïclr
et nerersa forliine {mG\. -La Q, est on de la
mmlatton (mi). Ce livre, d.mt es épreuves
lurent lues à l'Académie des sciences morafes le
j!o,|anv.er 1913, provoqua une vive émo ",n LW
eur y montre, par des statistiques dûment con
Irolées, que la population de la France est non
seulemen stationnaire, mais déclinante. 11 nréco
nise le retour aux idées religieuses et morales e
propose un certain nombre de mesures iSuves
U^À!^■ ^Ac'"'*""^' «»'•'<= rapport de gôÛlrôùx
o'o'o'o'Tan : "e' T^''" "".'J^^^ "' l^^^JuTdè
lu.uuu irancs, et Leroy-Beaul eu en emniova 1p
montant à créer une nouvelle fondation Triennale
nb , Im '"" "°'",' •=" f"'^"'' de la propagande là
plus efficace, ou la plus méritoire, pourfe renou-
vellement de la natalité en France -- Les deu.
UaZVetTl '''''''' '" P"bliésontpourtit"-
la uueire de liU vue en son cours ckaaue ■!p
mazne (1915-1916). C'est la réunion de ses *a Ucics"
étudiaU "k "■'' t ';• ''E<=°nomiste frança s t où i
étudiait la « situation » et les ., perspectives »
Pour mieux suivre les événements, il a'^^^ftaban:
donné son cours au Collège de France et s'ébit
consacré tout entier à ce qu'il considé^^-ait co.nme
son devoir patriolinue : „ Eclairer et somênir 'o ni
mTssio'n""d1sait'nP^"'"'^ ' '* ""''"' "^"« <^"î« ^^"<^
mission, disait- I, que je puisse désormais efli-
cacement remplir, alln de servir mon pays.
Paul Leroy-Beaulieu était, en France le renré
lîbral'tZ iT""" '■? '?'''"' éco,rôm?ste'S e"
' la sse; rtZ 1 ■" """"'"' '" ''""<^"^« 'o'-mule :
«laisser faire, laisser passer ... Il a écrit dans son
Précis d économie politique : „ Les loTs qui prés
dent au capital, au salaire, à la ré, arhUon des
richesses sont aussi bonnes qu'inéluctables Files
?U "na"t en''"'^? ^'""T'^' '« i"huma n ''
11 a, naturellement, combattu avec énergie le nro-
teçtionmsine et le socialisme sous toutes fésf^-ines
Citons quelques-unes de ses brochures de n'ona
gande : lesCilationsde M. Jaurès et laVéracdé
des socialistes; Grande, moyenne et petite pro-
priété ; Fermage (1897) ; cillectiviJe agi^àire
salton ZT'"" <"'"^ ' '''■''■''■' '^« nionopoli-
sfion des assurances par l'Ëlat (l9o5) • elc
mrmat'el1.'7"T-'^ '■Z'^''^' des chS 'de fer
Fe revenu 4 "'n r?"' ^^"^'^ <=' personnel sur
le revenu. Ses polémiques étaient vives mais
courtoises, et il savait parfois rendre justice à dés
la s?eTne'TvT" ■ ''°''""', ^'"^ ^ux inlipodes de
ipenTeu"génraI ..""" "î" " ' '^^''' ^^°""-' ""
Ce théoricien des finances gérait une grosse for-
Tu"ni';ie'de vf/™ 'l' '"• '^«•oni--'tion"poSait^°e„
lunisiede vastes domaines, qu'il visi ait presque
chaque année. Il avait une^ grande propriété à
S''em:n;'''lf'-''-,^'"'^-^1' '' '1 l'ad'ZIstrait
a lectement. 11 suivait ainsi la méthode analytique
et concrète d'Adam Smith, qu'il opposait au do"
malisme deMallhns,dc Hica"do et'de Stuart Mil!
H ctait admiinstraleur de la Société houi 1 -.re et
cT-s ctml;!,!' ?«""r r^ i^^P'^^-ne), de la SocLfé
les cheminb de fer et phosphates de Gafsa (Tu-
dè'la'sociMéd""^" des chemins de fer poringais,
de la bociété d assurar.ces « la Foncière» pI n,-n
s.dentde la Soci.lé des produckuis et d^/Ll'es'
reunies de Roquefort (Avevron)
Sa notoriété était mondiale. Ses livres ont été
raduits dans la plupart des langues. 11 élaiUuen
bre correspondant des académies de Pelrograd de
s^lés HP P ' ^,"'?J''"^' ,''°'=^'''' honoraire dos Mi^er-
Bologne ï'»^'-'/ ^'""''""■•^•'^« Dublin et de
Bologne. — Il avait de la prestance, des traits ré-
guliers, une certaine solennité dans es gesles Son
TeXul "?',"" r '''"'"' T'' "^ fonltrè's'bfe""
veillant. Les adversaires de son système écono-
mique ont rai lé son optimisme; maii on est ob°i"é
d admirer le labeur et la dignité de sa vie la ?i^
^àtJl^^:^^'^' '^ "-"P'di'^ deVes
«• 125. Juillet 1917.
lO^-^?.^ M*^®''^P^® (TllÉRAPEUTlOUE PAR
tementnVMé?i^'T'f '.'*•''" ^'- ^herapeia, trai"
loxygèL ''' traitement dont fagent est
meTtfî'e?«lns^l°.frf^""' compte parmi les médica-
mems les plus actifs mis à profit par la médecine
Malgré que son emploi soit déjà ancien ce n'est
quen ces dernières années qu'on a recornu que
raL'^Tera^^iri"^''^^ P"-^'^"'''''"' d^'^'^ili'"
oans des affections non moins variées. La techni-
modinéP^Ï "■ P'°' ^'''^'' de "lème, pro ondé?nent
modifiée depuis quelque temps. A ces divers
lires, l'oxygénothérapie consti ue un des chanitrés
nn'^'r^'" *''*T"'^d« '« ">«^»Peuliq"e présenté e
son utilisation dans le traitement de certaines blés
sures de guerre rend son étude plus acfûe lé encore
mies. A lune de leurs extrém tés est fixé un tube
de caoutchouc, qui se termine par un embout nlat
ordinairement en verre ou en'^ébonUe et ou i,!
eTrem'îiourun-n'''"''"^' °" ^"terposé'entre'îera lo,î
ei 1 embout un flacon contenant de l'eau et destiné
à laver le gaz avant de permettre son absorption Dans
certaines circonstances, même, l'eau de ce flacon est
additionnée de substances ant septiques com2 la
créosote ou 1 essence de térébenthine. Les ballons
oxygène sont gonflés parle pharmacien à l'aide de
Fn t^^T "ï"' «^o'-'iennent le gaz sous pressîon
En ces derniers temps, on a mis en piatioue des
corps artificiels de la classe des peroxydes ^qûi dé
dcîlvan'V ^'o^^Tfi '°''^'1"°" '^^ niet^n présence
de i eau. Ces oxylilhes peuvent êlres utiles surtout
lorsquon se trouve éloigné de toute officine o , "on
puisse trouver des battons d'oxygène. Ils ne ven^
aussi servir, en cas d'urgence, à préparer ^e"ler?
poranémen une certaine quaullté de ce gaz
La grande indication médicale des inhalations
d oxygène est constituée par des dyspnées On leT
ploie ainsi dans les dysp/iées des asthma qués des
tuberculeux, des cardiaques, des urémiques C'est
surtout lorsque ces dyspnées sont de nature îoxioue
èsuHàfs "Tltf ""' ''°f^'^''"« donne' dlTon
lesuiiats. 11 rend encore de grands services dans
carta.nes dyspepsies, où il empêche les vomisse-
ments, dans les bronchites fétides, dansia c° We
et la pneumonie. C'est le médicament héroïque del
empoisonnements par les gaz toxiques ét°Tota.n!
meut, par 1 oxyde <îe carbone ouïe gaz d'éclairage
On a contesté longtemps quel'oxyg.^iepùt dé triifré
la cmbinaison formée par l'oxyde de c,?rbone avec
1 hémoglobine du sang. Nicloîix a démoiTré que
celte propriété est réelle, à la condition d'émplovér
1 oxvgene en grande quantité et à l'aide d'aZr.^1
OUI embout lu remnlacépar un masque appl qùé
hermétiquement sur le visage «i'i"i4ue
Les broncho-pneumonies infanliles sont iusticia-
>ies de la thérapeutique par l'oxygène, et \vën (de
tlTj 'l,'"°"""'^ ^"î^' '•*''= d« toute prèm ère impor!
tance elle y pouvait jouer. Pour cela, il faut em
ploy,.rles inha allons d'oxygène de façon systéma-
tique, depuis le début de la maladie juJquTîa
de"mn"o"liir^r^*- °" """'"=' dansTLt!
ue lou d 200 litres d oxygène par jour aux enfants
malades en répétant les iiihalationsloîesïesTeures
et même plus fréquemment. II est bon chez les très
.jeunes entants, de remplacer l'embôt par un en-
tonnoir que 1 on tient, presque en permanence au
dessus de la bouche et du nez du petit màfàde et à
très courte dislance de façon à le faire respirer dans
une atmosphère d'oxygène i^-spnei dans
Dans la coqueluche, WeiU et Mouriquand nlili-
senl 1 oxygène surtout dans les formes gra es de la
naladie. Ces inhalations, pratiquées encore à dis-
é"voh,t[on '•^PP'-°^'>'^«', "■"Pêclient lap^îarilioVou
ie\olutiori des broncho-pneiiumnies fréquentes
diminuent linlensilé des quintes et font dilâràîlrè
la cyanose. Sapel er donne les inhalations? d'oxy-
gène, depuis le début de la coqueluche, à chaque
quinte e encore en dehors des quintes. ' ^
Dans la toux émélisanle des tuberculeux nui
provoque des vomissements presque con^Ums àp? '
es repas, Gouraud et Paillard ont obtenu la cos'l-
lion de ce phénomène pathologique par l'inhalation
fiî'itThï,: ?.:pr'^"^^ '"'"''' 'd'oxyyiii^é-L' 1^
^l^wF h"^ *" î>y>c/;on dans les cavités du corps.
— U( ja, dans plusieurs des applications que nous
g1zde'laT'ni''T''- '' "T?"'^^ seulemeiLoZe
gaz de la respiration que l'oxvgène est mis à con-
tnbulion mais comme antiseptique. C'est à ce tit?e
aussi qu on a eu l'idée de le faire pénétrer dans
cerlaines cavités atteintes de désordre inlJclieux
tlî i • ""'', '""'*'', ''". S"'"™e adaptée au bout du
lul.e qui prolonge le ballon et pénétrant, d'aulre
part dans la cavité utérine, Thiriar, le premier
trièp Hé'''r'""'%''?*^'^''''"« septiquès de la ma:
t àua î^nsf " """''''-^ "," P"" 1 '"-t'-umenlalion et
Yll^lf'^^h'ivec^ncceH, les infections puerpérales.
clns 7Ti;'iria?'''w ''•'' T'^'"''?"' plusieurs méde:
cin-, (I hiriar VVeiss, Sencerl à injecter de l'oxy-
nfl^s rlnVr'"'"'""" "» «^ours'de certaines périll-
nite.. On estime, cependant, que l'action du gaz est
due, dans ces cas, au pouvoir qu'il a d'exciter les
défenses nalurelles de l'organisme plus qu'à ses
ver us an isepliques. Ces injections intra-périt^
rnmiP?"."' etrectuées surtout! la suite des Lp"lt
tomieset après toilette soignée de la séreuse ma-
lade. De même a-t-on préconisé l'injection d'oxygène
dans la péritonite tuberculeuse, où l'accès de l'air
seul a dé,à paru donner des sJccés aprlï laparÔ-
tomie exploratrice. « ii^ioio
Enfin, on a recommandé, dans les arthrites du
^W»?m" '""■ °"' '■''"? ""«^ «"d s'accompagnen"
d epauchements synuviliques, l'injection d'oxygène
dans la svnov,ale de celle articula ion. Celte injec-
tion se fait de préférence à laide d un des ins ru-
inen Is que nous allons décrire et qui servent aux
injections sous-cutanées.
L'orypène en injeclions sous-cutanées. — LMns-
Irumenta ion se complique lorsqu'on veut procéder
à des injections sous-cutanées d'oxvgène En cas
d urgence, cependant, on peut parfaitement elTec-
uer ces injections en adaptant simplement au
tuyau de caoutchouc qui prolonge le ballon conte"
nant le gaz une aiguille ie plalfne iridié "oigneu-
sement sien isee. Ou enfonce cette aiguille dans e
ISSU cellulaire sous-cutané après avSir slériHsé à
la tein ure d iode la place de li piqûre, et on presse
sur le ballon. Mais, en agissant de là sor"ef on a
I
«• 726. Juillet 1917.
une pression inconslante, un oxygène peiil-êlre im-
pur el, sui-loul, on ignore quelle quantité de gaz on
injecte. Duiiwirest (de Renage) a quelque peu per-
fectionné ce procédé en adaptant par son arrière,
c'est-à-dire par le côté où est ta valve d'entrée de
l'air, une soufflerie de Ihermocauti'-re au ballon
d'oxygène. L'extrémité du tube de cette soufflerie
est alors montée sur une seringue en verre, dans
laquelle est mis du coton filtreur et au bout de la-
quelle est fixée Taiguille. La pression est ainsi régu-
larisée, l'oxygène (illré et, en quelque manière, con-
naissant la contenance de la soufllerie, on peut
savoir approximativement quelle quantité de gaz a
passé dans les tissus. (Ramond.)
Sapelier préconise une technique plus rationnelle.
Son appareil se compose de deux flacons à tubulure
inférieure, ces tubulures étant unies entre elles
par un tube de caoutchouc. L'un des flacons est plein
d'eau, et un tube de verre passant par son bouchon
plonge dans cette eau; tube qui est en rapport,
d'autre part, avec un réservoir d'oxygène. On
abaisse le second flacon, vide, de façon à produiie
une diPTérence de niveau. L'eau du premier flacon
s'écoule dans le second, produisant un vide que
l'oxygène vient remplir. Lorsque le flacon vide
s'est rempli d'enu, l'autre est plein d'oxygène. On
rompt sa communication avec la source de gaz, et
on fixe, h la place du tube de raccordement, un
autre tube, muni d'une aiguille stérilisée. On élève
alors le second flacon, rempli d'eau, de façon à créer
en sen^ inverse la différence de niveau, et l'oxygène,
chassé par l'eau, s'échappe par ladite aiguille. Si les
flacons sont gradués, on peut savoir, par l'abaisse-
ment du niveau de l'eau, quelle quantité d'oxygène
a passé par l'aiguille et calculer même sa vitesse de
pénétration.
Martinet, à son tour, a créé un appareil qui a de
grands points de comparaison avec celui de Sape-
lier, mais en est un appréciable perfectionnement.
Il ulilise deux flacons à trois tubulures, et le jeu
d'une soufflerie rend inutile le procédé de la double
Schéma d'un appareil Martinet, pour injections
hypoileruiiques d'oxygène.
différence successive de niveau, d'autant que la mise
en communicalien du flacon à oxygène avec une
bombe où ce gaz est renfermé sous pression per-
met de supprimer le remplissage par aspiration.
Enlin,le plus précis et le plus complet des appareils
à injections d'oxygène est l'oxygénateur de Bayeux.
Cet appareilcomprend. outre un réservoir d'oxygène
sous pression, une boite contenant deux détenteurs
conjugués, un robinet de distribution à cadran, un gros
manomètre indiquant le volume degazconleimdans le
récipient, un petit manomètre renseignant à tout ins-
tantsur lapressionque l'oxygène injecté atteint dans
les tissus.enfin une colonne métallique ouest un filtre
chargé de retenir les particules microscopiques flot-
tant dans la masse gazeuse. Un raccord d'entrée
permet de visser le récipient, un raccord de sortie,
à cùne de friction, permet d'adapter le tube de
caoutchouc auquel sera fixée l'aiguille. Le cadran
circulaire mobile du robinet indique le débit en cen-
timètres cubi'S par minute, et l'on peut, en amenant
le chifl're de ce débit en face d'une pointe fixe, ob-
tenir la vitesse d'injection désirée.
Quel que soit l'appareil employé, on aura avan-
tage à choisir, pour lieu de l'injection, la face ex-
terne de la cuisse ou la région fessière. Dans les
autres régions, l'introduction de quantités appré-
ciables de gaz pourrait avoir des inconvénients.
Bayeux conseille, comme vitesse, de ne pas dépasser
30 centimètres cubes à la minute. La moyenne du vo-
lume à injecter est de 250 centimètres cubes pour un
adulte, sauf indications spéciales. Cettedose est même
parfois trop élevée pour certaines susceptibilités qui
se manifestent par des phénomènes d'excitation.
Les iudicationsdes injections sous-cutanées d'oxy-
gène sont celles des inhalations, mais il est indé-
niable que l'on obtient, par cette technique, les
résultats poursuivis avec plus de rapidité, d'in-
tensité el de sûreté. Ce sont encore les dyspnées
qui sont les indications les plus fréquentes, sur-
tout les dyspnées toxiques, mais il faut leur ajou-
ter celles qui sont dues à un obstacle mécanique
(rétrécissement, tumeur) placé sur le trajet des voies
aériennes, dyspnées dans lesquelles l'inhalation ne
donnerait aucun résultat. De plus, dans les points
LAROUSSE MENSUEL
de côtés névralgiques, l'injection sous-cutanée
d'oxygène amène parfois une sédation du symp-
tôme. Enfin, les injections d'oxygène ont été préco-
nisées à titre de médicament général dans certaines
affections caractérisées par l'imperfection des com-
bustions internes.
L'oxygène dans le Irailement des blessures de
r/uerre. — Plusieurs indications ont paru, au cours
des derniers mois, légitimer
l'introduction de l'oxygène
dans la thérapeutique des ble>-
sures de guerre. Tout d'aboid.
on a préconisé, contre les li>-
tules suppurantes et prolon-
gée», l'injection dans le trajet
fisluleux d'oxygène gazeux. 11
y a là, semble-t-il, un degré
plus avancé d'oxygénation que
dans l'usage de l'eau oxygénée,
déjà très employée. Lorsque
ces fistules sont vieilles et tor-
pides, Bayeux a recommandé
d'utiliser non l'oxygène pur,
mais l'oxygène ozonisé.
Contre les plaies septiques
et gangreneuses, on avait pres-
crit les douches d'air extrême-
ment chaud, destinées à stéri-
liser les tissus. Certains chirur-
giens préfèrint, en ce cas, les
douches d'oxygène, celui-ci se
laissant plus faiiloment porter
à de très hautes températures
et ses propriétés antiseptiques
étant, en la circonstance, précieuses. L'oxygène, à
8110 ou 1.000 degrés, appliqu", bien entendu, sous
anesthésie générale, amène la stérilisation des tissus
par une véritable carbonisation. Ce procidé doit
être, pour réussir, employé dans les vingt-quatre
premières heures et s'accompagner de débridemenl
des antractuosités de la plaie et de son nettoyage
minutieux. Une pratique moins
énergique, mais également la-
vorable,consistedans l'usage de
douches di tes /(i/pecAemian/es,
données sur les plaies à l'aide
d'un jet d'oxygène chauffé à 50°,
tempéralureque l'on peut porter
à 200° si le jet est promené sim-
plement à la surface de la blessu-
re.On acti ve ai nsi de façon éner-
gique lacicatrisation de celle-ci.
Contre lesgrandesinfections
compliquantlesplaiesdeguerre,
on a utilisé les injections sous-
cutanées d'oxygène. En ce qui
concerne le tétanos, nous n'a-
vons pas de noinbrenx exemples
de cette thérapeutique, qui ne
peut être qu'adjuvante de la sé-
rothérapie. Dans la gangrène
gazeuse, on a reconimandérin-
jection interstilielleimmédiale
lorsque la gangrène est mena-
çante ou même déclarée. On
prescrit alors CVenuin, Mar-
ques) de gonfler le membre
comme im ballon en mettant un
lien serré à la racine pour em-
pêcher la diffusion du gaz. Ce
traitement, qui se recommande
de l'aclion énergique de l'oxy-
gène sur les microbes anaéro-
bies, n'est pas approuvé parla
majorité des chirurgiens; ils
craignent que cette pratique ne
fasse laisser au second plan ou
retarder les grands dcbride-
ments, qui leur paraissent tou-
jours le traitement le plus ra-
tionnel de cette infection re-
doutable.
Contre les gelures des pieds,
qui constituent une variété de
gangrène, Dumareslpre.scrit les
injections d'oxygène faites à
une profondeur de trois h quatre
centimètresau niveau delapar-
tie inférieure de lajambe, l'ai-
guille étant dirigée vers le bas.
La quantité & injecter serait,
d'après lui, de deux à trois litres,
à faire pénétrer lentement et à
renouveler quand l'absorption
en est réalisée.
Injec lions in'.raveitietises
d'oxyifène. — C'est là une méthode encore plus
énergique que l'injection sous-cutanée, mais qui
n'est encore que dans la période d'èlnde. Elle ne
parait pas sans ilanuer, mais il est certain que, si
sa technique était nettement fixée, on pourrait en
espérer des résultats très efficaces, notamment dans
tes cas d'urgence et surtout dans les intoxications
du sang. — f iienn Bouoi.it.
185
Petrogracl à la côte mourmane (Che-
min DE KER DE), nouvelle voie ferrée de l'empire russe,
longue de plusde1.400kilomèlreset courant àtravers
la Russie septentrionale, depuis Pelrograd jusqu'à
Ekalcrininskalat;avan, par Petrozavodsk et Soroka.
La guerre est, d'ordinaire, bien peu favorable aux
œuvres de paix; elle a contribué, cependant, à la
création de quelques-unes d'entre elles, mais pour
Oxygénateur de précision de U. Bayeux, construit par JuIl-^ li. l.
une raison spéciale : parce que ces œuvres de paix
ont été détournées de leur but originaire et trans-
formées en instruments de guerre, "l'elles sont deve-
nues, en particulier, les voies ferrées; mieux qne
jamais, on en a compris l'utililé stratégique el, par-
tout où il était nécessaire, on s'est efforcé d'en
créer de nouvelles, ou de développer les lignes
10.000 ooo
Chemin de fer de Petrog^rad à la cdte mourmane.
existantes pour des fins purement militaires. 'Voilà
pourquoi les chemins de fer ont été nniltipliés der-
rière le front de chacune des armées belligérantes;
voilà pourquoi, ici, le rail a été poussé plus vile, tan-
dis que, là, étaient établis des embranchements el
des raccordements; ailleurs, on a créé de tontes
pièces, pour ainsi dire, des lignes nouvelles.
Parmi ces dernières, l'une des plus imporUntes,
1
186
à tous égards, est celle qui unit aujourd'hui Petro-
t'rad, la capitale de la Russie, aux rivages nord-
occidentau.v de la Russie, le chemin de fer de la
côte mouruiane.
I. Pour comprendre l'utilité slratégique d'une
telle voie ferrée, il suffit de jeter les yeux sur une
carte représentant la situation militaire actuelle.
IVlaitres du Bosphore et des Dardanelles, que gardent
leurs alliés turcs, maîtres, grâce à leurs flottes, de
la Baltique méridionale, les Allemands isolent com-
plètement les Russes de leurs alliés de l'Kurope
occidentale. Pratiquement, la situation est la même
pour une Russie agrandie qu'au temps où Pierre le
(jrand travaillait à ouvrir à la Moscovie « une fe-
nêtre sur l'Euioiie »; c'est uniquement par les mers
glaciales que l'ours moscovite peut se mettre en
relations avec le léopard britannique et avec le coq
gaulois..., à moins qu'il n'utilise la longue route de
l'est, celle dn Transsibérien, de l'océan Pacifique,
des Etats-Unis et de l'Atlantique. Mais ce n'est
vraiment pas là un itinéraire pratique; aussi a-t-il
fallu en revenir à la vieille roule utilisée par les
premiers navigateurs et commerçants européens
venus trafiquer en Russie daiis la seconde moitié
du xvi« siècle, à celle que suivirent, dès 1555, Ri-
chard Chancellor et les « marchands aventuriers
d'Angleterre », les marins dieppois en 1583 et le
Marseillais Nicolas du Rend et ses compagnons
parisiens en 15SB.
Grâce à la construction du chemin de fer Moscou-
Vologda-Arlihangel, terminée dans les toutes pre-
mières années du xx» siècle, le vieil et grand port
de la mer Blanche s'est bien trouvé, dès le début
de la guerre mondiale, k même de rendre de très
précieux services; il a joué un rôle, non pas seule-
ment analogue à celui qu'il remplissait naguère,
mais même un rôle beaucoup plus considérable en-
core pour le ravilaillement et l'armement de la
Russie par l'Europe. Toulofois, la nature ne lui
permet pas de le faire d'une façon continue. Le
port d'Arkhangel, situé à l'embouchure de la Dvina
ou Diina du Nord, est chaque hiver obstrué par les
glaces qui couvrent la mer Blanche, depuis son
étranglement septentrional jusqu'à son liltoral sud;
de fin septembre à fin mai, il est complèlement
isolé de la mer libre. Si donc on a pu, durant les
quelques mois où il est accessible aux navires, tirer
d'Arlili.ingel un très grand parti économique et mili-
taire, force a bien été de chercher ailleurs cette porte
permanente sur la mer libre dont l'empire des tsars
(Nicolas II rognait encore à cette époque) avait abso-
lument besoin.
Depuis longtemps, déjà, le gouvernement russe
s'était préoccupé de la question et, depuis long-
temps aussi, il savait où créer, en cas de nécessité,
le port qui lui était indispensable : sur la côte mour-
mane, c'est-à-dire sur la partie la plus occidentale
des rivages septentrionaux de la Russie, comprise
entre le cap Nord et le cap Sacré (Sviato'f Noss).
Là, grâce à l'influence bienfaisante duGuIf Slream
(qui ne pénètre pas dans la mer Blanche), la mer
ne qèle jamais ; là se trouve, à Ekaterininskaia-
gavan (port ou havre de Catherine), sur la côte oc-
cidentale de l'esliiaire <le la 'l'ouloma, un port ma-
gnifique, accessible aux gr.inds navires de com-
merce et capable d'être transformé en port de
guerre. Dès la fin du xix" siècle, on parlait de la
création d'une slalion pour les navires de guerre
russes en cet endroit; dès 1905, au cours de la guerre
russo-japonaise, les mériles du port de Catherine
avaient été mis à l'épreuve et dûment constatés.
C'est donc bien là, au point de la Russie le plus rap-
proché de l'Angleterre, qu'il convenait d'établir la
porte permanente de ce pays sur la mer libre, et
c'est là, par conséquent, qu'il fallait faire aboutir
un nouveau chemin de fer, susceptible d'avoir en
tout temps, malgré les intempéries des saisons, un
trafic considérable. Aussi, dès qu'il se rendit compte
que la guerre serait longue, le gouvernement russe
songea-t-il à tirer parti d'un port dont il connaissait
les mérites et à le rattacher & la capitale de la
contrée par une voie ferrée.
II. Pour l'établissement de cette voie, deux tracés
étaient possibles. L'un utiliserait les chemins de fer
finlandais qui desservent différents ports de la côte
au nord du golfe de Finlande et qui atteignent au-
jourd hui Tornéa, située sur la rive gauche du fleuve
du même nom, à la frontière russo-suédoise; des
points du réseau les plus rapprochés de la côte
mourmane (c'est-à-dire d'UIéaborg, de Kajaani ou
de Nurmes), on n'aurait eu dans ce cas qu'à pro-
longer sur 500 ou 600 kilomètres des lignes déjà
construites. — Le second tracé exigeait un effort
beaucoup plus considérable; il ne s'agissait de rien
moins que de construire presque de toutes pièces
une ligue nouvelle, longue de plus de 1.400 kilo-
mètres, entre Petrograd et Ekaterininskaïagavan et
de jcler le rail par-dessus d'immenses étendues
désertes.
Tout bien pesé, pour assurer à une voie ferrée
d'un intérêt capital une sécurité complète, on a pré-
féré ce second tracé. Sans doute, serait-il beaucoup
plus coiiteux, puisque, seule, la première section en
était déjà construite (de Petrograd à Zvanka, sur
LAROUSSE MENSUEL
120 kilomètres), mais il était direct, indépendant,
et, parce que plus oriental, à l'abri des agressions
possibles de 1 ennemi.
Ce tracé, qui part de la capitale politique de la
Russie, emprunte jusqu'à Zvanka la grande ligne
de Pelrograd-Vologda-'Viatka-Perm. De ce point,
il contourne le lac Ladoga à l'E., passe entre cette
vaste nappe d'eau et le lac Onega, puis, par Petroza-
vodsk (liJ.OOO habitants), il atteint les ports de la
côte occidentale de la mer Blanche, qu'il longe jus-
qu'à son confluent avec laTouloma. Une fois Soroka,
puis Kem, desservis, il franchit cette rivière et en
longe l'estuaire jusqu'à Ekaterininskaïagavan. Là
se trouve le point terminus du chemin de fer de la
côte mourmane.
m. Telles sont les données essentielles de la
nouvelle ligne. Un coup d'oeil jeté sur la carte
montre que celle-ci suit d'abord, de PetÈograd à
Soroka (soit sur environ 750 kilom.) le fond d'une
dépression géologique naturelle unissant, par le
goU'e de Finlande et les lacs Ladoga et Onega, la
mer Baltique à la mer Blanche; elle court ensuite
durant 415 kilomètres jusqu'à Kandalakcha, sur des
terrasses granitiques, pour s'insinuer enfin durant
288 kilomètres dans la dépression qui sépare la
presqu'île de Kola du reste de la Laponie.
On peutconclure de ces indications géographiques
que le relief des pays traversés par le chemin de fer
de la côte mourmane est peu accentué; tel est bien
le cas, en effet, puisque la point culminant de ce
tracé très peu accidenté est à 133 mètres d'altitude
seulement. Mais si, de ce côté, les ingénieurs russes
n'ont pas eu à vaincre de grandes difficultés, ils en
ont rencontré de très sérieuses dans les terrains
mouvants ou tourbeux, dans les « prairies trem-
blantes » qui avaient déjà constitué naguère un réel
obstacle à la construction du chemin de fer Ark-
hangel-Vologda-Moscou; d'autres difficultés encore
résidèrent dans les conditions spéciales du climat
des pays traversés, aux abords du cercle polaire
arctique, bien que la rigueur du climat fût moindre
<lan3 l'Est qu'en plein centre de la Laponie. Néan-
moins, grâce à l'expérience acquise antérieurement,
grâce au labeur ininterrompu d'une véritable armée
de travailleurs, grâce aussi aux contacts avec la
mer, la construction s'est faite avec une rapidité
extrême depuis le mois de février 1915; elle a pu
être menée sur plusieurs tronçons à la fois et à
raison de 3 kilomètres par jour en moyenne sur
chaque front d'atlaque.
Aussi, dès le mois de janvier 1916, la ligne (à écar-
tement normal) a-t-elle été livrée à l'exploitation ré-
gulière enlre Petrozavodsk et Soroka, soit sur 381 ki-
lomètres de longueur; un peu plus tard (avril 1916),
ehe l'a été entre Kandalakcha et Kola (288 kilom.).
Entre Soroka et Kandalakcha, le service provi.soire-
ment assuré par bateau le long des côtes de la mer
Blanche est devenu normal par voie ferrée (début
de 1917).
IV. Ainsi se transforment les conditions économi-
ques dos pays de l'intérieur compris entre la capi-
tale de la Russie et la mer Blanche. Naguère, avant
la construction du chemin de fer d'Arkhangel, les
marchandises destinées à la région occidentale de
la mer Blanche et les pèlerins qui se rendaient au
couvent de Solovetsk prenaient d'abord la route des
grands lacs, puis, à pailir de Povênels au nord de
l'iJnéga, adoptaient la route de terre ou la voie flu-
viale. Les unes et les autres se sont détournés depuis
lors de ces pays, séduits par l'appât de la rapidité,
de la sûreté, de la régularité et de la commodité
el, pour les voyageurs au moins, par celui du bon
marché. Le chemin de fer du Nord-Ouest ramènera
sans doute dans ces contrées presque désertes le
peu de vie qui s'en était relire depuis le début du
xx" siècle et leur en procurera plus encore. Ce
n'est certes pas mainlenant, en temps de guerre et
au lendemain immédiat d'une révolution capitale,
que se feront pleinement senlir les conséquences
de la construction de cette ligne ferrée; l'essor éco-
nomique de la contrée ne tardera pas à se produire,
néanmoins, comme s'est produit, aussitôt après l'ou-
verture de la voie ferrée^Ioscou-Vologda-Arkhangel,
celui des régions traversées par ce rail. Alors, toute
une partie de la Russie a repris vie, et Arkhangel
est devenue une ville de 35.000 habitants et un grand
port de commerce. .Ainsi en sera-t-il dans l'avenir
pour une partie au moins des pays du nord-ouest de
la Russie, grâce au nouveau chemin de fer; mais,
dès maintenant, la ligne de la côte mourmane rem-
plit le rôle pour lequel elle a été exécutée et, au
point .spécial du raviiaillement de la contrée, elle ne
déçoit aucune des espérances que l'on avait légiti-
mement fondées sur elle. — H. l'EamEviui.
Rayons X. — Etat actuel des applications
des rayons X. — L'industrie des ampoules ra-
diologiques de querre. — Radiologie de ntierre.
— Voilure radiotof/i(/ue. — Depuis la publication
(v. t. I^', p. 107) de l'article hadiouigie, mettant
la question au point en 1907, de graves événements
ont entraîné les médecins à utiliser les indications
données par les radiations X, dans leurs investiga-
tions sur les blessés. Naturellement, il a fallu adap-
ff 125. Juillet 1917.
ter le matériel et les méthodes aux nouvelles condi-
tions. Nous nous proposons, ici, de montrer ce qui
a été fait dans ce sens; mais, auparavant, nous
compléterons les notions déjà indiquées par l'ex-
posé des progrès réalisés depuis, tant en théorie
que dans la technique de l'applicalion.
Théorie. — La genèse des rayons X est aujourd'hui
mieux connue. Leur formation s'explique actuellement
de la façon suivante : si, dans une enceinte close,
dont l'air a été extrait presque complètement, on fait
éclater entre deux pièces métalliques {électrodes)
la décharge d'un courant à très forte tension
(100.000 volts par exemple), on observe que les mo-
lécules gazeuses sont dissociées en ions positifs,
lesquels se groupent vers la cathode (électrode liée
l'ig. 1. Ampoule radiogéne Pilon, pour les petites installatioDi.
au pôle négatif) et les électrons négatifs, qui,
constituant un faisceau recliligne dit faisceau catlto-
dique, se précipitent vers l'anode, la frappant avec
une très grande vitesse, donnant l'illusion d'un violent
bombardement {bombardement cathodique). A ce
moment, leur énergie se transforme ; caractérisées
par une allure vibratoire, les nouvelles radiations
sont connues sous le nom de rayons X.
Ces rayons sont analogues dans leur marche aux
rayons lumineux, mais avec une fréquence d'oscilla-
tions cent à niillefois plus grande Ils sont complexes
et formés d'un ensemble de radiations douées de
pouvoirs pénétrants différents. En effet, une de leurs
propriétés les plus curieuses est leur faculté de se
propager à travers les corps solides avec plus ou
moins de facilité, selon la grandeur du poids molé-
culaire de ceux-ci; -^ les matières organiques sont
aisément traversées, ainsi que l'aluminium, le plus
léger des mélaux. Au contraire, le plomb, à molécule
très lourde, les arrête sous une très faibleépnisseur.
Les rayons X, en outre, influencent la plaque pho-
Fi'j. 9. Ampoule raJiogène Pilon intensive, à refroidissement
par eau: a. cathode; b, anode; c, anticathode; «j, miroir de
tungstène; r, régulateur (en usage dans le service de santé).
tographique et rendent diverses substances (plati-
nucyanures, sulfure de zinc) fluorescentes en les
illuminant d'une vive lueur.
Pour produire ces rayons, il est indispensable
d'employer l'énergie électrique sous la haute tension
de plusieurs milliers de volts. Les machines statiques
cnusagt au début sont depuis longtemps reconnues
insuffisantes ; on préfère transformer un courant à
basse tension à l'aide d'appareils {transformateurs)
basés sur les lois de l'induction.
En principe, si deux circuits conducteurs sont
voisins, toute variation électrique dans le premier
{inducteur) se traduit dans le second {induit) par la
création d'un courant électrique induit. C'est ainsi
que du courant continu à 110 volts envoyé dans un
fil gros et coui't induit, dans un fil fin et long dont
la disposition forme la bobine Rhumkorff.un courant
à haut voltage, chaque fois que ce courant contiuu
est brusauemenl coupé ou rétabli.
De là l'utilité des interrupteurs, toujours annexés
aux bobines. On renonce aujourd'hui aux anciens
interrupteurs à marteau ou au sysième oscillant à
mercure, beaucoup trop lents; on emploie des sys-
tèmes électroly tiques (v. iar.A/e;i.? , 1. 1'"', p. 127) ou
mieux, comme plus robustes, les tui-bines à mercure.
Dans celles-ci, un dispositif rotatif oblige un jet de
mercure à s'épandre sur des peignes convenablement)
disposés; le passage du jet sur le peigne établit le
courant, les solutions de continuité entre les peignes
correspondent à des interruptions. En multipliant
les peignes et en augmentant la vitesse de rotation
du jet, on provoque une série très rapide de coupures
du courant. Les étincelles de rupture, toujours à
craindre, sont empêchées par l'adjonction d'un
condensateur à feuilles d'étain, celui-ci absorbant le
«• 125 Juillet 1917.
couranlde self-induction créé par la rupture brusque.
(V. scliéma, /ig. 7.)
Le courant induit est de nature alternalive;
rétablissement et la rupture du courant inducteur
donnant des courants de sens inverse, on ne peut
l'utiliser qu'après passage dans une soupape d'onde,
susceptible defonctionner dans un seul sens.
Celte soupape (type Villard, Pilon) est une sorte
d'ampoule, dont une des électrodes est immense par
rapporta 1 autre; de cette disposition il résulte que
celle électrode fonctionne seulement quand le sens
du courant en fait une cathode : l'onde pour laquelle
elle devient anode se trouve arrêtée. Il est, en effet,
nécessaire, pour réaliser la décharge, que la cathode
soit de grande dimension et placée dans un espace
spacieux afin de ne pas entraver l'électrisation du gaz
raréfié garnissant l'ampoule.
Avec le courant alternatif, on emploie également
un transformateur, mais celui-ci est dit statique,
par opposition aux précédents, car aucun organe n'y
est mobile; le courant alternatif, sans qu'il soit besoin
de l'interrompre, élant oscillant par nainre, induit
dans le second circuit un courant analogue, mais
de voltage différent, selon la résistance du circuit.
Il faut simplement trier les ondes, en prenant les
phases de même sens; on y parvient à l'aide d'un
commutateur spécial, dit con/ac< tournant, qui capte
le courant cliaqiie fois qu'il est de même sens.
Perfectionnement des ampoules. — En pratique,
les ampoules sont constituées par une capacité de
verre soufflé dans laquelle s'engagent les électrodes:
lacaihode en aluminium pur d'une part, de l'autre
l'anode dédoublée dans plusieurs modèles en une
anode proprement dite en aluminium et en unepièce
métallique spéciale, Vanticathode; ces deux parties
sont reliées électriquement l'une à l'autre. Lescons-
Irucleurs ont été conduits à construire celte anli-
catbode, organe recevant tous les chocs des rayons
Ciillioiliques sous forme d'un miroir concave pour
mieux orienter les radiations et à la constituer
d'un métal réfractaire, à très faible tension de vapeur.
Fig. 3. Ampoule radiogène du H^ Belot, à refroidissement
à ailettes, pour la radiothérapie.
très conducteur et en même temps très dur: pour
cet usage, on emploie le platine, l'iridium et sur-
tout le tungstène.
Comme une grande partie de l'énergie mise en
jeu est transformée en chaleur, il importe de se
débarrasser de celle-ci; on y parvient en montant
l'anticalhode sur une masse métallique terminée au
dehors par des ailettes (refroidisseur à air) ou par
un dispositif à circulation d'eau {fig. S et S).
Pour augmenter sans risque l'intensité supportée
par l'ampoule, tout l'appareillage de verre a été
supprimé dans le tube Zehnder,
tube complèlement mélallique,
portant des fenêtres d'alumi-
nium ou de verre pour la sortie
des rayons X. L'anticalhode est
formée d'un bloc de tungstène
monlé sur un support de ma-
gnésie, le tout étant isolé de la
paroi par une partie en porce-
laine; ce tube, en permettant
l'emploi de courant intense,
produit des rayons très péné-
trants, utiles pour diminuer le
temps de pose.
Tube Coolidge. — Le pro-
grès le plus important a été
récemment réalisé en Amé-
rique par Coolidge. Son tube,
construilen Francepar les éta-
blissements Pilon d'Asnières,
est le plus puissant actuelle-
ment connu ; il permet de don-
ner, à volonté, des rayons de
pénétration déterminée et de
conserver durant la marche
une remarquable fixité, fait
impossible à obtenir avec les
ampoules ordinaires.
On sait, et l'exposé ci-des-
sus le rappelle, que la décharge dans l'ampoule radio-
gène nécessite la présence d'électrons ou molécules
électrisées. On les réalise dans le tube ordinaire en
ne poussant pas le vide à ses dernières limites et
laissant queliiie léger résidu gazeux. Dans le tube
Coolidge, on part d'un autre procédé : le vide le plus
absolu est maintenu dans 1 ampoule, les électrons
Fio. J. Tube Coolidge
LAROUSSE MENSUEL
nécessaires & la connexion de la décharge sont obte-
nus en échauffant, k volonté, l'une des électrodes.
Dans ce but, la cathode est constituée par un fila-
ment de tungstène en relation avec une batterie
d'accumulateurs; le courant de celle-ci, réglé par un
Fig. s. Montage d'un tube Coolidge ; T, tube Coolidge ; A. hatterie
d'accumulateurs permettant l'écbaulTement du lilameot a.
rhéostat, permet de chauffer le filament jusqu'à
l'incandescence. A ce momenl, les électrons néces-
saires sont vaporisés, le régime de décharge s'éta-
blit. Pour le reste, la construction du tube ne dif-
fère guère de celle des ampoules ordinaires : l'anode
n'est pas dédoublée; elle sert d'anticathode; c'est
une pièce massive de tungstène forgé de 2 centi-
mètres de diamètre, pourvue des dispositifs usuels
de refroidissement.
Ce tube est éminemment réglable; en effet, dans
les appai'eils ordinaires, les variations dans la pro-
duction et la qualité des rayons X proviennent de
la marche elle-même; celle-ci entraîne la destruc-
tion des molécules gazeuses, le tube se vide de lui-
même, les radiations sont alors émises en moins
grandes quantités, tandis que leur pénétration aut-
mente par suite de l'accroissement nécessaire de la
différence de voltage aux bornes de l'appareil. Si l'on
modifie l'atmosphère de l'ampoule en y faisant péné-
trer quelques bulles gazeuses par le régulateur, les
phénomènes inverses se produisent. En résumé, le
maintien d'un tube à un régime constant exige une
très grande surveillance, presque impossible à sou-
tenir si l'opération a quelque durée.
Au contraire, dans le tube Coolidge, les molécules
gazeuses n'intervenant plus, tous ces inconvénients
disparaissent. La température du filament, aisée à
maintenir fixe, entraîne la stabilité du faisceau de
radiations. En outre, en faisant varier cette tempé-
rature, on règle la grandeur du débit des radiations;
en modifiantle voilage, on modifie leur puissance de
pénétration. A ces qualités s'ajoute l'avantage de la
fixité du point d'impact, d'oii la concentration des
rayons en un faisceau très serré, point intéressant
pour augmenter la finesse des images.
Temps de pose. — Un des progrès consécutifs de
ces çerfectionnements a été la possibilité de réduire
considérablement les temps de pose nécessaires pour
radiographier. Au début, les poses étaient intermi-
nables; on arrive actuellement à de bons résultais
avec des poses ^e 12 à 15 secondes par cenlimèlrc
d'épaisseur des organes à traverser, l'ampoule étant
de 40 à 50 centimètres du patient et l'intensité ne
dépassant pas un milliampère. Ce résultat est im-
portant, car il s'ensuit un très grand soulagement
pour le blessé et la possibilité d'obtenir l'immobilité
absolue, condition indispensable pour la netteté des
examens.
Pour réduire encore plus les temps de pose, les
praticiens font fréquemment usage d'écrans renfor-
çateurs, écrans recouverts de substances fluores-
centes (tungstatede calcium), capables de conver-
tir les rayons X en radiations très actiniques. En
appliquant l'écran contre l'émulsion de la plaque
même, on réalise des réductions de pose de 1/25" à
1/40'; le procédé a toutefois l'inconvénient d'altérer
la finesse des images par une sorte de phénomène
analogue au halo, phénomène bien connu des pho-
tographes.
L'instantanéité même a été réalisée ; les ampoules
peuvent supporter un temps très court une intensité
considérable (300 à 400 fois plus grande qu'en ré-
gime normal). Sous cette influence, le rayonnement
devient très intense et très pénétrant, rendant pos-
sible la pose instantanée. Pour obtenir une rupture
instantanée du circuit, Dessauer a imaginé l'artifice
I suivant : dans le circuit de l'ampoule, on place un
Fig. 6. Epaisseur graduée de
lamelles de plomb superposées.
187
fli fin fusible pour une intensité donnée, principe
analogue au coupe-circuit de toute canalisation élec-
trique. Au moment où le circuit est fermé, l'am-
poule s'illumine; mais aussitôt, le fil, en se vapori-
sant, entraîne la rupture du courant. En disposant
même une série de fils fusibles et de plaques se
substituant à intervalles synchrones, il est possible
de prendre une suite de vues analogues & celles de
la cinématographie et de fixer ainsi les mouvements
successifs d'un organe.
Applications des rayonsX. — Nous ne reviendrons
pas sur les nombreuses applications médicales lon-
guement exposées Ici. (V. Lar. Mens., t. 1", p. 127.)
En métallurgie, d'intéressants travaux ont pu être
exécutés; le tube Coolidge, par sa fixité et la possi-
bilité -de donner des rayons très pénétrants, a per-
mis d'étudier la perméabilité des métaux. Comme
ceux-ci sont perméables sur une certaine épaisseur,
il est possible de découvrir au sein même de la
matière les manques d'homogénéité, les criques, les
soufflures. Tous ces défauts viennent en teintes
plus moins claires sur le fond uniforme donné par
le passage & travers le métal sain. La profondeur a
pu atteindre 55 millimètres dans l'acier, xo milli-
mètres avec l'alumi-
nium, 4 millimètres
avec le plomb. A titre
d'exemple, Pilon a pu
rendre visible un ving-
tième de millimèlre
d'étain à travers28 mil-
limètres d'acier. Malgrr
ces épaisseurs, le temps
de pose est assez fai-
ble : une plaque pbo
tographique s'influencp
en quelques minutes à
travers 42 millimètres
d'acier.
On peut ainsi exami-
ner sur place des ma-
chines non démontables et se rendre compte, non pins
comme en mélallographie, de la structure des sur-
faces, mais des accidents possibles dans la profon-
deur. Un exemple typique a été l'examen des sou-
dures autogènes où l'œil ne percevai t rien d'anormal ;
les rayons X ont permis d'y reconnaître soit une
insuffisance d'adhérence, soit une structure po-
reuse, etc. Celte nouvelle application est appelée à
rendre de grands services dans les ateliers mélal-
lurgiques; il suffit, en effet, de placer la matière à
éprouver sur une plaque photographique sous châs-
sis, d'exposer quelques instants aux rayons du
tube, pour obtenir au développement l'inscription
de tous les défauts.
Radiologie de guerre. Situation ae l'industrie
des rayons X en France. — Dès la mobilisation, la
nécessité d'installer un grand nombre de laboratoires
(le radiologie s'imposa en toute urgence. Or, la fabri-
cation du matériel et principalement des ampoules
étant toute spéciale, quelques usines seulement exé-
cutaienlces travaux. Les ampoulesétaient construites
en France par deux grands établissements : Pilon et
Thurneysen, assez puissants pour avoir pu tenir
contre la concurrence allemande, si importante dans
la verrerie scientifique. La moliilisalion, naturelle-
ment, leur enleva leur personnel; la situation était
critique. La réquisition des ampoules en magasin
para aux premiers besoins ; pour le surplus, les usines
françaises, après une fermeture momentanée, réus-
sirent à récupérer leurs ouvriers et à se remettre au
travail. Entre temps, les verriers français, en parli-
ciilier L. Appert, ae Clichy, réussissaient à reconsti-
tuer des verres analogues aux verres de Thuringe
jusqu'alors employés.
La fabrication dut se plier aux exigences d'une
production intense et rapide, tout en cherchant de
nouveaux modèles capables de satisfaire aux deman-
des des radiographes militaires. Il fallut construire
des appareils robustes, transporlables, capables de
supporter de grands écarts d'intensi lé, tout en étant de
conduite aisée. Actuellement, l'industrie du matériel
radiographique en France, afl'ranchie de la tutelle
allemande, est cap.ible non seulement de se suffire,
mais d'alimenter les hôpilaux de nos alliés.
Construction des ampoulf s. — La construction des
ampoules radiogènes comprendplusieurs opérations.
Les électrodes se font au tour, avec de l'aluminium
pur; l'anticathode exige plus de travail : elle se pré-
pare avec une barre de cuivre à l'extrémité de la-
quelle on ménage une place pour une plaque de
lungstène. Celle-ci appliquée, le tout est soumis k
un traitement thermique, suivi d'une forte compres-
sion pour en former un bloc bien compact. La masse
de cuivre ensuite calibrée au tour, percée de part en
part pour y établir les organes de refroidissement,
garnie d'un collet de platine pour sa soudure ulté-
rieure au verre, est finalement pourvue d'un prolon-
gement de criftal. La pièce est alors éprouvée pour
s'assurer que le; soudures ne présentent aucune fuite.
Pour constituer l'ampoule elle-même, le verre est
soufflé en un ballon ue 3 à 4 litres de capacité; le
col servira à placer la cathode, tandis que divers
tubes rapportés par iQU(}ure seront les logenicnli de
188
l'anode, de l'anticalhode, etc. Là le talent de l'ou-
vrier se révèle en entier, son habileté manuelle
devant être très grande pour réussii de telles pièces.
Les tubulures réalisées, coupées à distance conve-
nable, garnies de leurs électrodes et soudées, l'appa-
reil est examiné en vue de savoir s'il tient le vide.
Ce point reconnu, l'air est extrait à la pompe à
mercure; la pompe permet d'atteindre un dixième
de millimètre de pression. Durant ce pompage, le
courant envoyé dans l'ampoule échauffe les élec-
trodes et en fait dégager les gaz occlus; ce traitement
de formation est assez long et doit se poursuivre
tant que la pompe extrait quelque gaz.
L'ampoule, séparée, soudée au chalumeau, p-jis
garnie de ses accessoires, est envoyée au labora-
toire, où on la soumet à de multiples vérifications.
Toutes les opérations, où l'action nocive des
rayons X peut être à craindre, se pratiquent à l'abri
dépais écrans de plomb. Le pompage, par exemple,
s'efTectue dans une cabine de bois revêtu de plomb;
une fenêtre dt verre piombeux suffit à l'opérateur
placé au dehors pour suivre l'opération et pratiquer
toutes les manœuvres utiles, sans jamais recevoir
l'irradiation de l'ampoule.
Radiolor/ie en campagne. Voiture radiologique .
— Pour appliquer pratiquement les radiations A, on
opère soit en influençant des plaques photographi-
ques que l'on développe ensuite à la façon usuelle
[radiographie), soit en examinant, dans robscurité,
sur un écran fluorescent (radioscopie), l'ombre por-
tée par les ravons traversant les corps interposés.
LAROUSSE MENSUEL
voiture ï l'aide d'un câble souple. Les images ins-
crites sur les plaques, le développement a lieu com-
modément dans la voiture même, sans risque de
voile. Cette conception, réalisée par la voiture Mas-
siot, à traction automobile bien entendu, a été très
appréciée, et plusieurs modèles analogues ou dérivés
sont actuellement en usage.
Localisation des projectiles. — En temps de
Fig. 8. Vision pseudotcopique.
ffuerre, naturellement, la plupart des travaux rndio-
logiques ont pour but la recherche des projectiles,
débris d'os, fractures, etc. Or, tout organe traversé
par les rayons X donne, sur l'écran ou sur la plaque,
une silhouette ombrée du membre ou du projectile
en teintes plus ou moins foncées, selon les diffé-
rences de perméabilité. Une seule pose ne donne
qu'une indication de direction; pour déterminer
exactement l'emplacement du corps étranger, préoc-
cupation de tous les radiographes, un grand nombre
de procédés ont été proposés. Tous se rattachent au.\'
Fig. 7. — Schéma do l'installation d'un poste radiogra-
Ehique. avec courant continu ; A, ampoule radiogène ;
, anttcathode ; B, soupape d'onde ; m, milliampère-
mètre : G, transformateur: D, turbine h mercure (le
mnteiir d. pour la facilité du schéma, a été placé au-
dessous de la turbine] ; it, circuit du moteur; E, con-
densateur; R, rhéostat; S, source électrique; P, objet
à radiographier ; p, plaque photographique.
Pour la commodité des opérateurs, tout un appa-
reillage de pieds porte-ampoule, de cadres porte-
écran, de lits d'examen, etc., a été inventé. Tous
ces appareils prennent place dans les formations
fixes, où il est aisé d'installer les instruments les
plus délicats. Nous donnons ci-joint [fig. 7) le schéma
du montage des appareils en utilisant du courant
continu à 110 volts, par exemple, le plus souvent
produit par les secteurs d'éclairage.
En campagne, tout est différen t, l'opérateur se trouve
en présence de difficultés tellts qu'il a été nécessaire
de constituer des installations mobiles, aisément dé-
plaçables. Deux conceptions ont été envisagées : dans
la voiture Boulant, par exemple, un véritable hôpital
roulant est aménagé; le chirurgien opère dans la
voiture avec l'aide du radiographe installé dans un
compartiment spécial. A cette ambulance lourde on
oppose une voiture légère exclusivement radiologi-
que, se rendant rapidement là où son intervention
est nécessaire pour y apporter le matériel voulu.
Celui-ci retiré, la voiture sert de chambre noire,
tandis que le moteur du véhicule actionne une
dynamo (110 volts, 15 ampères) pour produire le
courant nécessaire. Arrivé à l'ambulance, où il est
attendu, le radiographe transporte et installe en
moins de 10 minutes, au chevet même du blessé,
son lit d'examen pliant, le transformateur et l'am-
jpoule, puis les liaisons avec les dynamos de la
méthodes suivantes : 1» double examen radiographi-
que selon deux axes perpendiculaires ; 2" double
radiographie en déplaçant l'ampoule d'une quantité
connue (méthode Colardeau, v. Lar. Mens., t. 111,
p. 361); 3° radiographie en prenant trois repères
sur la peau, qui (igurenl, avec le projectile, les quatre
sommets d'un tétraèdre dont on étudie les projec-
tions sur deux plans rectangulaires.
Tous ces moyens ont donné naissance à plusieurs
publications. Pour simplifier les interprétations des
clichés et éviter la construction de l'épure résul-
tante, les radiographes emploient des barèmes, des
abaques ou des appareils de mesure : trusquins,
compas, matérialisant dans l'espace la position du
projectile par rapport à des points de repère. Un de
ces compas est dii au D' Hirtz; sa description est
exposée (t. III, p. 463). 11 dérive de la troisième mé-
thode. Le radiographe fait ses épreuves, trace son
épure et règle d'après elle son compas, qu'il laisse
au chirurgien. Celui-ci, au moment d'opérer, retrouve
sur le blessé les points de repère; en les faisant
conTcider avec les branches du compas, il en déduit
immédiatement la position du projectile.
Sans nous étendre davantage sur ces appareils,
les deux articles précités donnant les renseigne-
ments nécessaires, il convient de signaler que la
radiographie ne donne pas toujours complète satis-
faction. Il reste des cas douteux causés par des pro-
N' 125. Juillet 1917.
jectiles légers, logés dans des masses organiques
épaisses îles ombres des images sont confondues et
indécises. Dans de pareils cas, l'examen stéréoscopi-
que peut, en donnant la sensation du relief, amener
le praticien à situer les corps étrangers par rapport
à des organes bien définis et aisément repérables.
La vision pseudoscopique des clichés radioscopi-
ques peut égalementdonner d'utiles indications. Cette
vision est réalisée en inversant les images sléréosco-
piques ordinaires. L'objet dans la position I {fig. S)
donne l'illusion d'être dans la position II, c'est-à-
dire parait être vu à l'envers, si bien qu'une radio-
graphie du thorax prise du côté poitrine paraît être
prise du côté dos. 11 est inutile d'insister sur les don-
nées utiles que peut fournir un pareil examen.
Richard et Colardeau ont obtenu par un jeu de
prismes un stéréoscope inverseur, donnant directe-
ment cette vision pseudoscopique (Acad. des scien-
ces, 14 févr. 1916) et, par suite, convenable pour
l'examen désiré.
Enfin, les rayons X peuvent être employés durant
le travail du chirurgien. Orilinairement, l'opérateur
examine à l'écran les progrès de son intervention;
par suite, il se condamne à l'obscurité et s'expose
aux dangers des radiations, ou il suit les indications
transmises par un aide-radiographe, se plaçant ainsi
sous une dépendance étrangère. Pour éviter ces
inconvénients, le D"" Bergonié a combiné une
méthode opératoire en employant la lumière rouge
monochromatique, dans laquelle le chirurgien cou-
serve sa sensibilité visuelle. L'opération sefaitsous
une lumière rouge. De temps en temps, on supprime
l'éclairage pour examiner un écran placé sous le
champ opéraloire ; la radioscopie apparaît aux yeux
du praticien avec tous ses détails, la perception
ayant acquis sous l'inlluence des radiations rouges
une acuité particulière pourdistinguer.par contraste,
les images vertes de l'écran. Ces alternatives suffi-
sent pour opérer en toute connaissance de cause; la
radiographie devient ainsi véritablement le guide
sûr du chirurgien, pour le grand bien de nos mal-
heureux blessés. — M. MoLiNiÉ.
Ribot (r/te'orfu/e-Armand), professeur ot phi-
losophe français, né à Guingamp (Côtes-du-Nord)
le 18 décembre 1839, mort à Paris le 9 décem-
bre 1914. 11 commença ses études secondaires au
collège de sa ville natale et les poursuivit au lycée
de Saint-Brieux. Sur le désir de sa famille, il entra
dans l'administration de 1 enregistrement; mais il
la quitta au bout de deux ans, pour obéir à son ins-
piration personnelle, qui le dirigeait vers l'ensei-
gnement. 11 alla à Paris préparer le concours de
l'Ecole normale supérieure, où il fut admis en 18R2.
11 eut pour maîlres Caro et Lachelier et fut le con-
disciple de Lavisse. Agrégé de philosophie en 1865,
il fut professeur aux lycées de 'Vesoul (1865-1868),
de Laval (1868-1872), prit un congé et revint à
Paris. Il soutint ses thèses de doctorat es lettres le
13 juin 1873. Passionné pour les études de psycho-
logie physiologique, il fréquenta les laboratoires
de la Facullé de médecine, les hôpitaux et les cli-
niques destinés au traitement des maladies ner-
veuses. Il avait publié, en 1870, la Psjichologie
anglaise contemporaine, son premier ouvrage. En
1876, il fonda la « Bévue philosophique ». Les
idées neuves et hardies de ses livres et les ser-
vices rendus par sa revue lui valurent une grande
notoriété dans le public philosophique et médical.
Très loué, très critiqué aussi, il s'imposa. Il fut, en
1885, chargé d'un cours de pyschologie expérimen-
tale à la Sorbonne et, en février 1888, une chaire
de psychologie expérimentale et comparée fut créée
pour lui au Collège de France, sur la proposition
de Renan, pour remplacer la chaire de droit na-
turel, devenue vacante. Ribot professa avec éclat
pendant une dizaine d'années, puis se fit suppléer
par Pierre Janet et prit sa retraile en 1901. Son
suppléant devint son successeur. Il avait élé élu en
1899 membre de l'Académie des sciences morales
et politiques, dans la section de philosophie, à la
suite du décès de Nourrisson, également professeur
de philosophie au Collège de France. Son aclivité
ne se ralentit pas durant ses quinze dernières an-
nées : il garda toujours la direction efi'ective de la
« Revue philosophique », et publia plusieurs livres
de valeur. Au moment de sa mort, il préparait un
article sur la conception finaliste de l'histoire. Tou-
tefois, sa vue affaiblie lui rendait le travail plus
pénible.
Il laisse seize volumes, dont quelques-uns ont eu
plus de vingt éditions et ont été traduits en anglais,
en allemand, en russe, en espagnol, etc. Il a exposé
ses principes et son but dans la Psychologie an-
glaise contemporaine (Paris, 18701. La psychologie
était devenue, en France, une sorte de prétexte à
exercices littéraires. Il s'agissait d'en faire une
science. Il fallait donc se dégager de toute hypo-
thèse métaphysique, aussi bien matérialiste que
spiritualiste, appliquer une méthode rigoureuse à la
recherche des faits et dégager les lois ol)jectives
des phénomènes. Les psychologues modernes de
l'Angleterre ( Stuart Mill, Alex. Bain, Herbert
Spencer) pouvaient servir de précieux modèles. —
N' 125 Juillet 1917.
Sa thèse l&tine : Quid David Harllei/ de consocia-
lione idearum seiiseril (la Tliéoiie de l'association
des idées dans llarlley, laTi) est consacrée à un
précurseur de ces psychologues. David Hartiey,
médecin anglais (1705 1757), fut l'élève de Newloii
en physique. Il s'est efforcé d'e.xpliquer par des vi-
brations les phénomènes nerveux et, en général,
tous les phénomènes physiologiques. Quant aux faits
de conscience, il en cherchait les lois dans l'asso-
ciation des idées et dans les condiLions organiques
qui en règlent l'apparition. La thèse française (l Hé-
fédilé. Elude psychologique sur ses phénomènes,
ses lois, ses causes; 2« édit. refondue en Usai)
traite un sujel qui semblait réservé aux biologistes.
Les philosophes français avaient, jusqu'alors, né-
gligé l'hérédité, ce facteur essentiel de l'évolution.
Hibot établit que les caractères spécifiques sont
toujours héréditaires, ainsi que les caraclères pro-
pres aux races ou aux variétés. Les caraclères indi-
viduels se transmettent souvent, mais il y a lutte
entre les influences différentes du père, de la mère,
de3ascendanls:c'est le phénomène del' « alavisme»,
que compliquent les circonstances accidentelles sur-
venues pendant la fécondation et la grossesse.
La fhUosophie de Schopenhauer (1874) semble
isolée dans l'œuvre de Ribot, qui ne s'intéressait
guère qu'à l'hisloire de la psychologie et s'inter-
disait sévèrement toute incursion sur le domaine
de la métaphysique. Cependant, la trace de son
commerce avec le philosophe de la volonté apparaît
dans certaines parties de l'œuvre de Ribot, notam-
ment dans sa Psychologie des sentimenls. Lui-
même a déclaré que plusieurs pages de Schopenhauer
étaient « pleines de remarques pénétrantes et d'une
psychologie achevée ».
La publication de la « Revue philosophique » a
occupé une place prépondérante dans la vie de
Ribot. Si l'on veut connaître l'altitude du direcleur
en face des problèmes et des écoles philosophiques,
il faut relire le programme qui ouvre le premier nu-
méro (janvier 1876). La revue avait pour objet de
donner un tableau exact et complet du mouvement
philosophique en France et à l'élranger, sans favo-
riser ni exclure aucun système, aucune tendance.
Toutes les parties de la philosophie : connaissance
théoriquede l'homme, morale, critique des sciences
de la nature, histoire des doctrines, devaienty avoir
accès, y compris la métaphysique, à la condition
qu'elle ne se réduisît pas à des variations brillantes
sur des thèmes connus et qu'elle eût les faits pour
base. Le premier numéro comprenait un article de
Paul Janet sur les causes fmales, à côté de deux
travaux psychologiques de Taine et de Herbert
Spencer.
La Psychologie allemande contemporaine (1979)
expose les méthodes instituées par Weber, Fechner,
Wundl, pour appliquer aux faits psychologiques des
Î)rorédés d'observation et d'expérimentation ana-
o,:;ues à ceux des physiciens et des naturalistes et
pour établir des relations numériques entre les
sensalions et leurs antécédents physiologiques. —
Les trois volumes qui suivirent (les Maladies de la
mémoire, 1881 ; les Maladies de la volonté, 1883;
les Maladies de la personnalité, 1885) eurent un
succès considérable. Ce sont des études de psycho-
logie pathologique. Les phénomènes anormaux, tels
que l'amnésie, totale ou partielle, l'aboulie, le dédou-
blement ou l'altération de la personnalité, sont des
données expérimentales éminemment révélatrices,
fournies par la nature elle-même. Les médecins
spécialistes des maladies nerveuses s'întéressèrenl
vivement à ces trois petits livres, et Charcot rappe-
lait volontiers ce qu'il devait aux travaux de Ribot.
Pour cet auteur, la mémoire est un phénomène
essentiellement organique, dont la base est la nutri-
tion, " c'est-à-dire le processus vital par excellence ».
11 n'y a qu'une différence de degré, non de nature,
entre la mémoire consciente de l'homme et des
animaux supérieurs et la mémoire, réduite à la
conservation et à la reproduction de certains états,
sans « reconnaissance ». que l'on observe dans les
êtres les plus simples de la série animale et chez
le végétal lui-même.
Dans les livres qui ont suivi, Ribot a élargi sa
méthode. Sans répudier les secours de la psycho-
physique, de la psychologie physiologique et de la
palholo^'ie nerveuse, il a fait un plus large appel à
la psychologie comparée de l'homme, de l'enfant et
de l'animal ; il a interrogé l'histoire, l'anthropologie,
la linguistique, etc. Avec un rare esprit critique, il
a exposé CPlte méthode large et féconde de la psy-
chologie actuelle dans im chapitre du volume inti-
tulé De la méthode dans les sciences, i'" série
(1908), dû à la collaboration de plusieurs savants.
Dans la Psychologie de l'attention (1888), il définit
l'attention une adaptation générale, du corps plutôt
3ue de l'esprit, dépendant à l'origine de l'instinct
e conservation individuelle. L'Evolution des idées
générales (1897) montre comment les idées géné-
rales ont pour points de départ les simples images,
que les animaux possèdent en commun avec l'homme.
— D'après VEssai sur l'imagination créatrice (1 900),
il n'existe pas d' « instinct créateur » spécial.
L'homme est capable de créer parce qu'il possède
Tliéodule Kibut.
LAROUSSE MENSUEL
des besoins, des appétits, des tendances et des
désirs et que les images peuvent revivre en lui
spontanément, en se groupant dans des combinaisons
nouvelles.
La Psychologie des sentiments (1896), la Logique
des sentiments (1905), V Essai sur les passions (I90ti)
et les Problèmes de psychologie a/feclive (1909)
nous montrent
Ribot moins
exclusivement
préoccupé du
système nerveux
et se rappro -
chant, sur cer-
tains points, de
la philosophie
bergsonienne.
Contrairement
aux intellectua-
listes, qui voient
danslesentiment
une« intellection
confuse», il affir-
me avec Scho-
penhauer la prio-
rité de la vie
affective. Il a eu
le mérite d'appe-
ler l'attention sur
l'existence d'une mémoire purement émotionnelle.
— Dans le dernier volume qu'il ait publié (la Vie
inconsciente el les Mouvements, 1914), il a entrepris
l'examen des rapports de l'activité inconsciente avec
les mouvements. L'étude des mouvements lui parais-
sait avoir été trop souvent oubliée au profit des
phénomènes intellectuels et des états affectifs.
Il a traduit, avec A. Espinas, les Principes de
psychologie de Herbert Spencer (1874-1875). H a
collaboré à l'Année psychologique d'Alfred Binet.
En dehors des nombreux articles qu'il a publiés
dans sa revue, il a fait paraître un travail sur la
psychologie de Wundt dans la « Revue scientifi-
que » de 1873 et dressé le bilan de la philosophie
française à son époque dans la revue anglaise
AJjn(/(1877).
Th. Ribot a fondé en France la psychologie scien-
tifique. On peut, cependant, lui trouver des pré-
décesseurs. Sa critique de la philosophie spiritua-
lisle traditionnelle et ses propres tendances offrent
quelque parenté avec celles de Taine. François
Picavet a montré qu'il était de la lignée des idéo-
logues de la fin du xviii' siècle, Destult de Tracy
et Cabanis, qui avaient voulu créer une psycho-
logie objective et biologique, science dont Auguste
Comte avait plus tard posé la définition. On peut
rappeler aussi que le cartésianisme ne s'est pas
montré indifférent à l'étude de l'organisme humain
et que Bossuet a cru devoir placer une description
du corps de l'homme en tête de sa Connaissance de
Dieu et de soi-même. A une époque oii la psycho-
logie française confinait trop à la morale et à la
littérature, Ribot est venu apporter le goiît des
recherches précises, des notions approfondies
d'anatomie, de physiologie et de pathologie, et une
érudition considérable, fécondée par le point de
vue évolutionnisle. Ses travaux ont abouti à des
conclusions solides, qu'il a su faire comprendre du
grand public, grâce aux qualités de sa parole et de
son style, si clairs et si vivants, exempts de pré-
tentions oratoires et de terminologie pédantesque.
Sa vie a été simple comme son langage. Son seul
mérite lui a valu quelques honneurs. 11 a encouragé
tous ceux qui lui paraissaient capables d'enrichir
la psychologie d'observations ou d'idées nouvelles.
11 n'a vécu que pour son œuvre. — Maurice enoch.
Rosalie (lî). Arg. milit. Surnom donné par les
soldats français à la baïonnette : Décidément, les
Boches n'aiment pas Rosalie. Nos fa7itassins bon-
dirent dans la tranchée ennemie et, en un clin
d'oeil, RosAUE fit place nette.
Rosalie, sœur glorieuse
De Duraodal et ae Joyeuse...
Théodore Botrbl.
Salonlque à Athènes (Chemin de fer
de). — Le cliemin de fer de Petrograd à la côte
mourmane (v. p. 185) n'est pas la seule ligne dont
les années de guerre que nous traversons aient vu le
complet achèvement. Pour être de bien moindre
envergure, la jonction des voies ferrées de la Grèce
au réseau européen, qui a été effectuée en 1915, pré-
sente un réel intérêt (v. la carte, p. 177).
On sait comment ont été construits les chemins
de fer en Grèce: non point suivant un plan préa-
lable, mais au fur et à mesure des progrès réalisés
par le royaume. Pendant longtemps — depuis 1832
jusqu'en 1881 — les frontières hellènes étaient de-
meurées immuables; garantie par les puissances
protectrices, l'existence de l'Etat grec était assurée,
mais non point son accroissement territorial, ni
son essor économique. Aussi le gouvernement, dont
la stabilité et les finances étaient précaires, fut-il très
long à doter le pays de routes et plus long encore à
le doter de chemins de fer. En 1869, on ne comptait
189
en Grèce que 461 kilomètres de roules ; une seule
ligne ferrée, longue de 8 kilom. 1/2 seulement,
conduisait d'Alhènes au Pirëe.
Peu à peu, cependant, a été établi dans le royaume
un réseau d'un millier de kilomètres de voies étroites.
Ce réseau dessert l'Attique, le Péloponèse (ligne
d'Athènes à Corinthe, d'où un vrai chemin de ronde
est décrit par le rail autour du plateau central el
vient aboutira Kalamala sur le golfe de Xoron), la
région de Missolonghi; enfin, la Thessalie (lignes de
Larissa et de Trikalasur Volo), acquise presque tout
entière par la Grèce dans l'été de 1881. Puis, en 1892,
le gouvernement hellénique entreprit l'exécution
d'un chemin de fer à écartement noimal, destiné à
parcourir du sud au nord toute la Grèce continen-
tale, depuis Athènes jusqu'à la frontière septentrio-
nale du royaume.
Retardée, par suite de circonstances multiples,
pendant une dizaine d'années, la construction de
cette ligne fut menée à bien en quatre années (1902-
1906) parla Société de construction des BatignoUes.
Dès lors, une voie ferrée longue de 394 kilomètres et
flanquée de deux petits embranchements (sur Chalkis
en face l'île d'Eubée : 21 kilom.; surStylis, au fond
du golfe de Lamia: 23 kilom.) relialePirée au petit
neuve côtier Papapouli, qui marquait, avant le traité
de Bucarest de 1913, la frontière entre le royaume
de Grèce et l'empire ottoman. Ainsi se trouvaient
desservies les régions les plus fertiles du pays, par
un long ruban ferré qui s'élevait sur les pentes des
contreforts montagneux de l'CEta et du Pinde jus-
qu'à 600 mètres d'altitude et qui franchissait sur de
beaux viaducs les nombreux ravins au fond desquels
coulent des torrents le plus souvent desséchés: ceux
de l'Assopos et du Gorgopotamos, entre autres.
Quand, àla suite du traité de Bucarest ( 1 0 aoilt 1913),
Salonique fut, au grand désespoir des Bulgares,
officiellement devenue une ville hellénique, le gou-
vernement d'Athènes résolut de compléter son œuvre
en prolongeant jusqu'à la capitale de la Macédoine
la ligne construite sous ses auspices entre 1902
et 1906. Il ne dépendait plus que de lui, en effet, d'ac-
complir une œuvre qu'il n'avait pu mener à bien
jusque-là, par suite de la mauvaise volonté persis-
tante du gouvernement ottoman.
Dès le début de l'année 1914, une convention si-
gnée par le ministère Venizelos assurait le prolon-
gement de la ligne sur 90 kilomètres depuis Papa-
pouli jusqu'à Plali, point situé sur la voie ferrée
Salonique-Monastir, à 36 kilomètres dans l'ouest de
l'antique Thessalonique. Malgré les difficultés que
rencontrèrent les ingénieurs de la Société des Bati-
gnoUes, du fait de la guerre européenne, le travail
Dut être effectué dans un laps de temps assez court.
On put, en outre, établir, comme il l'avait été prévu,
sur une longueur de 3 kilomètres, une voie de raccor-
dement entre Plati et Topsin, une petite station de
la ligue menant de Salonique à Uskub, à Nich et
à Belgrade. Le 9/22 mai 1916, le roi de Grèce Cons-
tantin inaugurait solennellement la ligne nouvelle,
vingt-six mois après le commencement des travaux.
Ainsi a été complètement menée à bien la cons-
truction d'une ligne ferrée, longue au total de
487 kilomètresel parcourant du S. au N. toute lapartie
continentale du royaume hellénique. Intéressant au
point de vue politique, parce qu'il rattache étroite-
ment les parties nouvelles du royaume de Grèce
aux anciennes, ce travail l'est plus encore au point
de vue économique. Il n'ajoute pas seulementprès de
100 kilomètres aux 2.247 kilomètres de voies ferrées
que le royaume de Grèce (Macédoine comprise)
comptait en 1913; il fait aussi sortir la Grèce de
l'isolement dans lequel elle se trouvait jusqu'alors,
par terre, par rapport au reste de l'Europe, car il
rattache pour la première fois ses voies ferrées aux
grandes lignes internationales. Désormais, on peut
gagner par rail non pas seulement Salonique d'un
côté, mais Karasouli (d'où l'on atteint Constanti-
nople par Dédéagatch) et Nich, pour se rendre de
là à Constantinople encore (par Sofia) et à Varna,
sur la mer Noire, comme aussi à Belgrade, à Vienne,
à Berlin, à Paris. La construction de la voie ferrée
Panapouli-Plati-Topsin, c'est l'entrée des lignes
helléniques dans le réseau des rails européens.
Une telle jonction n'aura-t-elle pour résultat que
déplacer Athènes à 3.270 kilomètres de Paris par une
voie ferrée ininterrompue? N'incitera-t-elle pas, —
après la guerre et une fois bien élabli le trafic sur
territoire grec, — la malle des Indes à préférer la
route Calais-Pirée-Port-Saïd à celle de Calais-Brin-
disi-Port-Sald? Quelques bons esprits ont déjà envi-
sagé celte éventualité; mais elle ne semble pas, dans
tous les cas, devoir se réaliser immédiatement, el
elle ne saurait être durable, puisque la ligne Calais-
Pirée-Porl-Sald ne tardera pas, sans doute, à être
détrônée par une route plus orientale encore, par le
trajet Ca'ais-Conslantinople-Bagdad.
Quoi qu'il en soit, 11 semble dès maintenant cer-
tain que les craintes conçues au moment de l'ou-
verture de la nouvelle ligne ne se réaliseront pas.
Puisqu'ils n'ont p.is utilisé contre les soldats de
l'Entente, depuis un an, le chemin de fer de Papa-
pouIi-Plali-Topsin, les germanophiles grecs ne s en
serviront pas dans l'avenir. — ii. h'^oiDiviox.
190
'''saucisse n. f. — Aéronautique milit. Ballon
captif de forme allongée — d'où cette appellation po-
pulaire imaginée parles soldats— qui sert d'obser-
vatoire pour repérer les batteries el suivre les
mouvements de l'ennemi.
tlialassogrrapllie (fî — du gr. Ihalatsa,
mer, et grapkein, décrire) n. f. Science qui a pour
but l'étude de la mer, aux points de vue physique,
chimique et biologique.
tIialassograpliiq,ue adj. Qui se rapporte
à la thalassographie : Congrès tiialassographique.
Eludes THALASSOGRAPHIQUES.
— Encycl. Comité royal tiialassographique ita-
lien. Celte inslilulion, fondée en 1910 par le gouver-
nement italien, a pour but !'« étude physico-chimique
et biologique des mers italiennes, en tant qu'elle se
rapporte surtout à l'industrie de la navigation et de
la pêche et pour l'e.xploralion de la haute atmos-
phère dans ses rapports avec la navigation aérienne ».
Avant 1910, des croisières avaient été déjà organi-
sées sous le patronage de l'académie des Lincei et
de l'Association italienne pour l'avancement des
sciences. La création du Comité royal thalassogra-
phique a permis de centraliser tous les efforts; une
importante station de biologie marine a élé installée
à Messine et inaugurée le 16 décembre 1916 et, bien
que la guerre actuelle ait porté atteinte aux nom-
breux projets du comité italien, les travaux qu'il a
déjà publiés sont des plus importants et permettent
de fonder les meilleures espérances sur le dévelop-
pement futur de cette nouvelle organisation.
*tir n. m. — Tir de barrage, Tir d'artillerie
exécuté en avant des troupes qui se disposent à atta-
quer et destiné à empêcher l'ennemi soit de se
replier, soit de recevoir des renforts : Le tir de bar-
rage est comme un long détroit de mort creusé
soudain entre deux territoires et qui interdit de
passer de l'un à l'autre..., autrement que dans la
barque du. nocher Caron. (Ch. Nordmann.)
— Tir de contre-barrage, Tir d'artillerie ripos-
tant à un tir de barrage et destiné à empêcher les
assaillants de se porter à l'avant : Le contre-bar-
rage de l'ennemi était médiocre. (Henry Bidou.)
— Tir sur zone. Tir d'artillerie ayant pour objet
de balayer une région étendue, où l'on suppose
que des forces ou des batteries ennemies se sont
dissimulées : Les tirs sur zone exigent une dé-
pense effroyable de munitions. La probabilité
pour qu'un ter sur zone soit efficace est toujours
très faible. {Gh. Nordmann.)
Volonté de rhomme (la), comédie en trois
actes et en prose, de Tristan Bernard, représentée
pour la première fois, sur le théâtre du Gymnase,
le 12 avril 1917. La scène se passe à Saint-Cloud,
dans le salon de la villa qu'habite le ménage Soubre.
Les jeunes époux ont une pelite fille, avec qui la
fiUeUe des Robel — des amis — est venue passer
une quinzaine, accompagnée de sa gouvernante,
M"« Clara. Le père de M™' Soubre, papa Thiauville,
qui a fait fortune dans là brocante, habite là aussi.
Enfin, un cousin, Chavarus, est un intime de lamaison.
Au lever du rideau, M. Soubre téléphone et s'im-
patiente des lenteurs et des erreurs de la télépho-
niste. Il veut savoir si l'Exposition d'ameublement
ancien, rue de la Paix, est encore ouverte. Sa femme
entre pour lui demander si elle doit prendre, ou non,
l'automobile. Que fera-t-il? Ira-t-if à cette exposi-
tion? ira-t-il aux courses? Madame emmènera-t-elle
les enfants goûter à Paris, ouà Versaille3?lra-t-clle
à Paris avec son mari, et laissera-l-elie les petites
au jardin? Chacun de ces partis est examiné par
M. Soubre, adopté et aussitôt repoussé. Nous sa-
vons ainsi tout de suite que nous avons affaire à un
indécis, un irrésolu, un homme sans aucune volonté,
un anémié cérébral, pour qui se décider est une
souffrance. (L'auteur nous avait déjà montré ce type
dans une comédie plus gaie, mais plus outrée, tri-
p/epa</e.) L'indécision de M. Soubre apparaîtencore
quand le directeur d'une agence de location, qu'il a
convoqué, vient chez lui pour lui offrir le choix entre
deux villas à Aix-les-Bains, où il ira passer l'été avec
sa famille. Prendra-t-il lapluspetile villa, qui est meu-
blée avecplus de goût,ou la plus grande, qui estmeu-
blée de façon plus ordinaire? 11 accepte et refuse l'une
et l'autre tour à tour et se décide pour celle dont il n'a
d'abord voulu à aucun prix. Voilà le personnage : il
est bien posé. Son caractère est l'absence de vo-
lonté: il va en acquérir, nous allons voir comment.
En fin de compte, M"» Soubre a emmené les
enfants goûter à Paris. Son mari restera seul à la
maison, il se reposera.
Soubre reçoit la visite de son cousin et ami Chava-
rus. Celui-ci était la veille chez les Robel, les parents
de la petite qui est venue avec sa gouvernante passer
quelques jours à Saint-Cloud. Chavarus conte les
nouvelles, les papotages de Paris. Chez les Robel,
on a parlé de M. Soubre. On insinue qu'il s'est mis
en fort bons termes avec la gouvernante. M"» Clara.
Soubre en rit et hausse lesépaules. Faut-il que les gens
aient du temps à perdre I D'où a pu naître ce potin?
Chavarus s'en va. Soubre reste seul, fume, lit,
bâille, s'ennuie. Le potin de toutà l'heurelui revient
LAROUSSE MENSUEL
à l'esprit. Et le voilà qui s'occupe de M»' Clara, à
qui il n'avait jamais pensé. Il l'appelle et donne à sa
curiosité l'honnête prétexte d'avertir cette jeune
personne des bruits qui courent à son insu.
M"e Clara en rit, et s'en va. Soubre croit qu'iln'a
pas suffisamment expliqué, établi, éclairci ce ra-
contar absurde. Il appelle de nouveau M"« Clara.
Celle-ci, docile, avec une impassibilité malicieuse,
revient s'asseoir devant le bureau de Soubre, qui lui
renouvelle ses regrets de l'incident, dit des généra-
lités sur la malveillance des gens qui éprouvent le
besoin de s'occuper de leurs voisins quand leurs voi-
sins ne s'occupent pas d'eux ; mais, peu à peu, l'intérêt
pour M"= Clara naît dans le cœur de Soubre, qui
proteste de sa sympathie. 11 la voudrait malheu-
reuse pour pouvoir la consoler; il s'intéresse à elle.
M"« Clara écoule celle série de banalilés en femme
qui les connaît et qui sait où elles tendent el où elles
aboutissent. Soubre est venu s'asseoirprès d'elle sur
le canapé ; il prend la main de la jeune fille, il dépose
un baiser sur ses doigts, puis sur la joue, comme si
elle était sa sœur, sa « petite sœur»; puis dans le cou,
dans les cheveux : les voilà d'accord. M"°" Soubre
rentre, et son mari n'ose l'approcher, à cause du
parfum de Clara dont son veston est imprégné; il
se met à l'air près de la fenêtre, secoue la poudre
de riz de son col et chantonne de l'air satisfait d'un
homme qui n'a pas perdu sa journée.
Au second acte, Soubre et Clara sont devenus
complices. M™" Soubre a des soupçons, mais elle
se tait. Le papa Thiauville, lui, a déjà deviné. Tout
en essayant de vendre aux bonnes et à l'ami Chavarus
les montres et bijoux que par habitude professionnelle
il achète à l'hôlel Drouol, il peste contre cette intrigue
de son gendre avec celle qu'il appelle son « Anglaise »,
car, pour lui, toute gouvernante est une Anglaise.
Mi'« Clara, qui est autoritaire, jalouse, querelleuse,
fait des scènes à Soubre parce qu'elle le voit Irop
rarement; et le papa Thiauville estime qu'il n'est pas
bien, dans une maison correcte, que le patron « soit
disputé par une femme qui n'est pas la sienne ».
Gela fait mauvais effet aux yeux des domestiques.
M"' Clara ne veut pas que Soubre la quitte pendant
les mois d'été. Gomme ses patrons vont à Biarritz,
il faudra qu'il y vienne aussi. Mais Soubre proteste :
il a loué à Aix, où son beau-père fait sa saison. II
ne peut aller contre celte nécessité. Clara tempête,
Soubre refuse; mais il cédera, car, en fait de vo-
lonté, il n'a que celle de Clara. Mais c'en est une : les
pires difficultés ne l'arrêtent plus. Il a loué une villa
à Aix?... 11 fait venir l'agent de location, résilie avec
fierté et loue à Biarritz. Il a retenu à l'hôlel d'Aix
es chambres de ses beauxpareuls?... Il les décom-
mande. Il s'agit, maintenant, de persuader au beau-
père qu'il vaut mieux pour lui aller à Biarritz qu'à
Aix. Soubre envoie quérir d'urgence le médecin de
la famille, qui, croyant à un accident grave, accourt
en laissant un client dans son cabinet. Soubre lui
explique qu'il désire une ordonnance déconseillant
Aix à M. Thiauville et lui prescrivant Biarritz. Le
docteur se drape dans sa dignité : il ne saurait avoir
de ces viles complaisances, dont la seule idée est
humiliante pour la Faculté. Soubre annonce d'un
Ion ferme qu'il s'adressera à un confrère. Et voilà
le docteur pris entre ses grands airs et son désir de
ne pas céder à un concurrent une bonne clientèle.
Tout en refusant avec morgue, il cherche une échap-
patoire, et il la trouve dans un mot que Soubre
jelle dans la conversation. « Voilà trois ans de suite
qu'ils vont à Aix. — Trois ans? s'écrie le docteur.
Il faut un repos. Jamais quatre ans de suite! » Il
ordonne que M. Thiauville n'aille pas celle année à
Aix, et il n'y met nulle complaisance. «Vous ne le
voudriez pas, dit-il à Soubre, que je ferais tout de
même cette délense ». Et voilà l'affaire arrangée.
Ainsi, Soubre le veule a su vaincre les obstacles les
plus ardus avecune ténacité, une volonté, une rapidité
de décision dont on ne l'eût pas cru capable. Mais,
hélas 1 tout ce beau et dur travail esl en pure perte:
les Rol)el iront non pas à Biarritz, mais à Dinard.
Au troisième acte, Soubre, fatigué du despotisme
de M"" Clara, veut rompre avec elle. L'ami ( jhavarus
s'offre comme intermédiaire : il va signifier son congé
à la jeune et impérieuse institutrice. Il la voit, il lui
parle et, peu à peu, il subit lui aussi le charme de cette
gentille personne. Dans le même salon, sur le même
canapé, avec les mêmes paroles que Soubre, il s'atten-
drit, il assure Clara de sa sympatiiie, de son intérêt,
de son désir de la consoler, il l'appelle sa « petite
sœur. » Elle est seule, il est seul : ils partiront
ensemble, ils iront à Venise, et Chavarus installera
au retour M"= Clara dans un coquet appartement.
Soubre en est débarrassé. Il demeure entre son
beau-père, sa femme et sa fillette.
Cette comédie est d'une psychologie fine, déliée,
perspicace. La situation est conduite avec simplicité
el naturel. Le style a de la propriété, de la jus-
tesse, de la clarté. Le comique est discret et de
bonne marque, avec une dose d'observation amère,
souriante et vraie. — Léo cijiretie.
Les principaux rôles ont été créés par M"" Jane
Renoiiardt (Clara), Marie Marcilly [M" Soubre), et par
MM. Signoret (,Sow6re), GuyonfïIs{pa/ïa Thiauville), A.xxiré
Lefaur{ CÂ'«yarf/s).
Teoilor de W'yiewa.
N' 125. Juillet 1917.
■Wyzevra (Teodor de 'Wyzewski, connu
en littérature sous le nom de), écrivain polonais
de langue française, né à Kalusik (Pologne) le
30 août 1862, mort à Paris le 8 avril 1917.
Fils d'un savant médecin, auteur de plusieurs
ouvrages de philosophie, qui s'était établi à Cler-
mont (Oise), Teodor de Wyzewa lit ses études à
Paris. Remarqué par Georges Perrot aux examens
du baccalauréat, en Sorbonne, il fut admis comme
boursier au collège Sainte-Barbe, en 1879. Il prépara
les concours universitaires, les passa brillamment
et, après un bref
stage dans len-
seignenidut, se
consacra à lalil-
téralure. Il dé-
buta en donnant
au« Figaro » plu-
sieurs éludes sur
le Mouvement
socialiste en Eu
rope. Il se mêlii
aux écrivains no
valeurs de la gu
nération « sym
bolisle» etpubliii
dans la « Revui'
indépendante »
des études d'art
quifurentremar-
quées. Son pre-
mierouvrage, /es
Grands Peintres,
parut en 1888. Puis vinrent ses Contes chrétiens,
les Disciples d'EmtnaUs ou les Etapes d'une conver-
sion, te Baptême de Jésus ou les Quatre degrés du
scepticisme (1892), un roman, Valbert ou les Récils
d'un jeune homme, œuvres qui manifestèrent les ten-
dances catholiques de sa pensée etlemyslicismede sa
nature. Illesadressaitsurtoutauxlecleursderavenir.
Ferdinand Brunetière ou vrit à Wyzewa la « Revue
des Deux Mondes ». Il y assuma la tâche délicate de
porter à la connaissance du public français le mou-
vement des idées à l'étranger. Il remplit cette tâche,
dans laquelle il succédait à Cherbuliez, avec un tact,
une clairvoyance et une ampleur qui firent de sa
rubrique une des plus intéressantes de la « Revue des
Deux Mondes ». Teodor de Wyzewa possédait une
rare érudition. Nul homme de sa génération n'a pu
se targuer à plus juste titre du beau privilège de la
culture dont il ne faut pas, à cause du sens absurde
ou criminel que lui donnent les Allemands, méses-
timer l'appellation bien française. Celle culture latine
réalisait en son tempérament slave un harmonieux
équilibre. Ses connaissances très étendues, ses
curiosités très nombreuses le portèrent à étudier les
manifestations de tous les arts. Il possédait à fond
la plupart des langues européennes (anglaise, ita-
lienne, russe, allemande, Scandinaves), mais, contrai-
rement à beaucoup d'érudits, il maniait celle de son
choix, la langue française, en véritable arlisle Sa
phrase était vive, sinueuse, élégante, son style fré-
missant et nuancé. Critique lucide et pénétrant, à
propos de qui l'on a évoqué Sainte-Beuve, Wyzewa
réunit sous le titre Nos maîtres une série d'études
consacrées à Mallarmé, Villiers de L'I.sle-Adam,
Renan, Taine, Anatole France, Jules Laforgue. On
lui doit aussi un livre sur Beethoven et Wagner et
une excellente traduction de la Légende dorée de
Jacquesde Voragine. Il collabora aii «Temps » ; ses
Histoires de partout y témoignèrent d'une singu-
lière souplesse d'esprit.
Mais c'est surtout, peut-être, comme traducteur et
commentateur des grands écrivains étrangers que
Teodor de Wyzewa se fit une place à part. Citons,
parmi les œuvres qu'il nous restitua : le Mystère du
grand Hesper de Frank Barrelt (traduit de l'an-
glais); la Dette de Jettchen Gebert de Georg Her-
mann (Irad. de l'allemand); l{és)trreclion, la Sonate
à Kreutzer et le Théâtre complet de Tolstoï (tra-
duits du russe); le Livre de la route. Saint François
d'Assise et les Pèlerinages franciscains de JOrgen-
sen (traduits du danois).
En faisant connatlre ces œuvres dans notre pays,
où l'indifférence pour les littératures étrangères fut
longtemps à déplorer, Teodor de Wyzewa a mérité
notre gratitude.
Ses principaux ouvrages sont : les Grands Peintres
(2 vol., 1888); le Mouvement socialiste en Europe
(1890); Contes chrétiens (1892); Valbert. roman
(1893); l'Art et les Mœurs chez les Allemands
(1894); Nos maîtres (1896); Ecrivains étrangers
(3 vol., 1895-1898); Beethoven et Wagner (1899):
Peintres de jadis et d'aujourd'liui (1901); les
Maîtres italiens d'autrefois (1907) ; Quelques figures
de femmes aimantes ou mathetireuses {\9l)X): Ma
tante Vicenliite ; le Roman coiilemporain à l'étran-
ger; le Cahisr rouge. Citons encore, parmi ses
nombreuses traductions: le Reflux, Saint-Yves, le
Mort vivant de R.-L. Stevenson, le Maître de la
terre de R.-H. Benson. — Cario» Larkonds.
Paril. — Imprimerie Larousse (Moreaii, Au^^. QiUon et O*),
17, rue Montparnaite. — Le gérant : L. Groilit.
* Académie des sciences. Election de
Henri Lecomte. — Le 26 lévrier 1917, l'Académie
des sciences a procédé à l'électioD d'un membre
titulaire dans la section de botanique, en remplace-
ftenl d'Edouard Prillieux, décédé (v. Lar. Mens.,
mars 1916). Les candidats en présence étaient :
Henri Lecomte, professeur an Muséum d'iiistoire
naturelle et P. -A. Danjjeard, professeurà la Faculté
des sciences de Paris. Le nombre des volants
élant de 4 4, au premier tour de scrutin, Henri
l^ecomte oblient24 suffrages et P. -A. Dangeard 20.
Henri Lecomte a été proclamé élu. (V. p. 211.)
Aiinond(Emile.Théodore), législateur ethomme
politi(]i)eri':inçais,néàVarennes-en-.\rgonneiMeuse)
le 3 novembre 1850, mort à Paris le 28 avril 1917.
Elève de l'Ecole polytechnique, promu sous-lieute-
nant pendant la guerre de 1x70-1871, il lit la cam-
pagne et prit part aux combats qui furent livrés au-
tour de Paris. Ingénieur civil des mines, après la
guerre, il se consacra à l'industrie, en même temps
qu'à la polilique d'action républicaine.
Maire de Saint-Leu-Taverny (Seine-et-Oise) de-
puis 1S92, conseiller général de Seine-et-Oise et, plus
lard, président de cette assemblée, après la mort
de Maurice Berleaux, ministre delà guerre (1911),
il se présenta, dans la circonscriplion de Pontoise,
aux éleclions législatives de 1893. Battu par son
concurrent, Brincard, rallié, il lut élu contre lui,
au l""'tour, aux élections suivantes (8 mai 1S98).
En 1902, il échoua devant la candidature de
Roger Ballu, mais il reconquit son siège en 1906,
bien qu'il eût alors pour principal concurrent le
commaiulant Driant. Il entra enlin au Sénat lors du
renouvellement partiel du 3 janvier, élu aul" tour
par 795 voix sur1.'iS7 votanis. 11 se fit inscrire au
groupe de la gauche démocralique et ne tarda pas
à prendre, dans les rangs de la haute Assemblée,
une place prépondérante, tout en se tenant constam-
ment en dehors des questions de politique pure. Il
arrivait, du reste, précédé d'une réputation qu'il
s'était acquise à la Chambre par son rapport sur le
projet de loi tendant à compléter l'outillage national
par l'exérulii n de voies navigables nouvelles et l'a-
mélioration des canaux, rivières et ports maritimes
(1901). Ce rapport, complet et solidement établi,
est un modèle du genre et pourrait servir de base
au programme économique de demain. En outre,
.Minond avait été rapporteur du projet relatif au
rachat des chemins de fer de l'Ouest (1908).
Membre. dèsl909, de la comniissiiui sènatorialedes
finances, il fut désigné comme rapnorteur des budgets
dis chemins de fer de l'Etat et des travaux publics,
ainsi que des conventions et garanties d'intérêt. Il
conserva ces fondions pendant trois ans. Aimond
cotmaissait à fond loutes les questions se rapportant
aux transports publics; aussi trouva-t-il dans les tra-
vaux législatifs qui lui furent confiés (rapports, in-
terventions fréquentes à la tribune) le plein emploi
de ses facultés. Travailleur infatigable, doué d'un
LAH0US3B MENSUEL. — IV.
jugementsùr, ne reculant devant aucune criliiiue dès
qu'il la croyait fondée, il acquit, par sa connaissance
des affaires et la fermeté de son attitude, un renom
auquel rendent hommage ceux-là même qui ne pou-
vaient partager toutes ses idées.
Le 29 janvier 1913, il fut nommé rapporteur géné-
ral de la commission des finances, en remplacement
de Baudin; il se trouva, dès lors, tout à fait dans
son élément. C'est qu'en effet, comme parlementaire
financier, son œuvre est considérable. 11 faut citer
notamment ses rapports relatifs au projet portant
suppression des contributions directes et l'établis-
sement de l'impôt général sur les revenus et d'un
impôt complémentaire sur l'ensemble des revenus ;
Emile-Théodore Aimond.
rapports qui furent déposés en décembre 1913 et
dont il eut à défendre les conclusions, au printemps
de 19U, contre les conceptions toutes différentes
du ministre des finances, Caillaux.
Constamment à la tribune, sa parole facile,
limpide, son argumentation claire autant que serrée
cui'cnt un grand succès au cours de cette discussion
Diissionnante, où il défendit avec beaucoup de ta-
lent les pi'incipes d'économie, de prudence et de
loyauté fiscales et, notamment, l'immunitédelarente.
On retrouve la même clairvoyance, la même sa-
gacité, le même souci de ménager les ressources du
pays dans ses rapports relatils à nos budgets, et l'on
remarqua la vigueur avec laquelle, dans son rapport
général sur le budget de 19U, il dénonça le déficit
croissant de nos finances.
Pendant la guerre actuelle, dont il avait prévu
loutes les conséquences au point de vue économi-
que, son labeur, particulièrement écrar^ant, facilita
la lourde lAche du ministre des finances. 11 s'acquitta
jusqu'au bout, avec un patriotisme et une vaillance
que n'atténua point la maladie, de la mission qu'il
s'était tracée. Il laisse de nombreux rapports, des
di -cours pleins d'enseignements et quantité d'arti-
cles de revues et de journaux. Ses obsèques ont
eu lieu à Paris le l" mai (1917). Il a été inhumé &
Saint-Leu-Taverny. — François Bestuiek.
A.llenia0ne. La Conception germanique de
l'Etat et le Pangermanisme. — On ne peut bien
comprendre l'agression allemande de 1914 que si
l'on analyse la conception germanique du rôle de
l'Elat, conception d'où découlent les méthodes et
les pratiques atroces dont les soldats du kaiser don-
nent au monde le douloureux spectacle.
La guerre que les Empires centraux déchaînèrent
en 1914 fut essentiellement, de leur côté, une guerre
d'ambition, de conquête et de magnificence.
Il ne suffisait pas aux Allemands de s'être vengés
di's défaites que Napoléon leur avait jadis infligées,
d'avoir réalisé leur unité, pris l'Alsace et une partie
de la Lorraine, limité par les clauses économiques
du traité de Francfort notre activité industrielle et
commerciale: ils voulaientélablirdéfinitivementleur
hégémonie sur l'Europe et, de là, rayonner sur le
monde. Pour atleindi-e ce but, il lenr fallait dissou-
dre le groupement international qui s'était constitué
à l'effet de leur faire contrepoids; mais celte tâche,
si complexe et si vaste fût-elle, ne leur semblait pas
au-dessus de leurs lones. La France, amputée de
nouveaux territoires, ruinée par une effroyable in-
demnité de guerre, serait, politiquement et écono-
miquement, réduite h l'élat de puissance secondaire;
on la punirait ainsi de s'être refusée à un rapproche-
ment avec ses vainqueurs sur le terrain des affaires
et de n'avoir pas indirectement acceplé, enfin, les
annexions de 1871. Comme les petits Etals ne doi-
xent pas gêner l'expansion des grands, la Belgique,
de gré ou de force, deviendrait un satellite de
l'immense empire geimanique; car elle ne pouvait
être qu'un bastion allemand ou anglais et. de Calais à
.•\nvers, nue artillerie puissante menacerait le littoral
de la Grande-Bietagiie, dépossédée de l'empire des
mers. Déjiouillés des provinces Baltiques et de la
Pologne, les tsars, rejelés vers l'Asie, ne joueraient
plus en Occident qu'un rôle secondaire. El alors, au
moyen de conquêtes territoriales plus on moins dé-
guisées, de conventions militaires, de traités com-
meiciaux, les HoheuzoUern pourraient constituer
cette Europe centrale {Milteleuropa) dont l'Allema-
gne et l'Autriche-llongrie formeraient le noyau et
qui s'étendrait de la mer du Nord au golfe Persique.
englobant les peuples des Balkans et la Turquie,
altirant dans sa sphère d'influence la Suisse, la Bel-
gique, les Pays-Bas et les Etats Scandinaves.
Le 20 mai 1915, donc pendant la guerre, les
grandes associations agricoles et industrielles de
r.Mlemagnc consignèrent leurs revendications an-
nexionnistes dans un mémoire secret adressé au
chancelier. La paix devait assurer aux frontières
de l'empire, à l'ouest et à l'est, « une plus grande
sécurité » et permettre k l'activité nationale de «se
8
192
développer vigoureusement et sans contrainte » dans
les domaines politique, militaire, naval et écono-
mique. Pratiquement, la Belgique, dépendance de
l'Allemagne, serait divisée en territoire wallon et
en territoire flamand, ce dernier disposant de la
prépondérance; toutes les grandes affaires y seraient
dirigées par des Allemands, et elle n'aurait pas de
politique extérieure. Quant à la France, elle ne se-
rait pas n.ise en tutelle, comme la Belgique, mais
seulement dépossédée de son littoral atlantique jus-
qu'à la Somme et d'un /tin/eW«nrf suffisant pour que
les ports annexés de la Manche où aboutissent les
canaux puissent prendre leur maximum de dévelop-
pement économique et stratégique. Le bassin minier
de Briey s'ajouterait aux bassins eliarbonniers du
Nord et du l^as-de-Galais, pour alimenter les hauts
fourneaux d'Essen et de Weslphalie. Enfin, pour ne
pas laisser la l'rontii're exposée à l'invasion, on s'em-
parerait de Verdun et de Belfort, ainsi que du ver-
sant occidental des Vosges qui s'étend entre ces
deux places fortes. Les populations annexées se-
raient mises hors d'étal d'exercer une intlucnce po-
litique sur les destinées de l'empire et privées de
tous les moyens de puissance économique, y compris
la propriété moyenne et la grande propriété, qui
passeraient en des mains allemandes : la France in-
demniserait les propriétaires et les accueillerait.
Ces conquêtes industrielles à l'Ouest auraient pour
contrepoids, à l'Est, des conquêtes agricoles sur la
Russie, et ainsi .serait consolidée, dans un « heureux
équilibre », la structure économique de l'Allemagne.
Il est nécessaire {lisait-on dans le Mémoire secret) do
renforcer la base agricole de notre économie nationale ;
il faut rendre possible une colonisation agricole allemande
de grande envergure, ainsi rjuc le rapatriement en pays
d'empire do paysans allemands vivant à l'orranger. no-
tamment en Rus.sio. et actuellement mis hors la loi ; il faut
enfin accroître fortement le chiffre do nos nationaux capa-
bles de porter les armes; tout cela exige une extension
considéraiile des frontières de l'empire et de la Prusse
vers l'Est par l'anne.vion d'au moins certaines parties des
provinces Baltiques et do territoires situés au sud de celles-
ci, sans perdre de vue qu'il faut aussi rendre possible la
défense militaire do la frontière allemande occidentale.
Pour reconstituer la Prusse orientale, il est indispen-
.sable de protéger sérieusement ses frontières on les élar-
gissant de (|uel(iues bandes de territoire; la Prusse orien-
tale, la Posnanie et la Silésie no peuvent rester les marcbes
extérieures et exposées qu'elles sont maintenant.
Mais ce n'est pas seulement à l'absorption de
l'Europe et de l'Asie occidentale que prétendaient
les Allemands; ils voulaient régner sur mer et onlre-
mer, ruiner la puissance française dans l'Afrique
liu Nord, la puissance anglaise aux Indes et en
Egypte, — sinon au Transvaal, — accaparer les ter-
ritoires de l'Afrique cenlrale, s'infiltrer eu Australie,
dans les républiques sud-américaines et même aux
Etats-Unis. Dans son fameux voyage en Palestine
(1898), Guillaume II s'était déclaré le « protecteur
de tons les musulmans », sans égard pour les droits
des Etats catholiques en dej régions oii, depuis des
siècles, ils exerçaient leur tutelle.
Comment l'Allemagne avait-elle pu concevoir des
ambitions aussi extravagantes ?Coniinent| lorsqu'elle
eut tenté de les satisfaire par la force, viola-t-elle
délibérément tous les principes et toutes les lois qui
forment la base des sociétés humaines? Kant et
Orethe étaient-ils, en fin de compte, responsables
d'une atroce déviation mentale, déjà en germe dans
leurs enseignements? Cette dévialion avait-elle
seulement commencé avec Flchle pour se conti-
nuer avec Hegel et Nieizsche? Quoi qu'il en soit,
l'idéalisme et le mysticisme germaniques, déformés
par le caporalisme prussien, r valent à leur tour
imprimé un caractère métaphysique et mystique an
pangermanisme, doctrine tentaculaire fondée sur la
conviction que le peuple allemand, supérieur aux
autres races, avait été élu pour régénérer le monde,
qu'il était lapins haute incarnation de l'esprit divin,
que l'empire des Hohenzollern réalisait pleinement
et définitivement la notion d'Etat. Et la responsa-
bilité de l'intoxication pangermaniste, véritable
phénomène de régression, incombait à la monarchie
prussienne.
< Que le roi soit à la tète de la Prusse, la Pmsse ù la
tAtede l'Allemagne, l'Allemagne à la tête de l'univers »,
disait le prince de Biilow en 1904, le jour de l'inaugura-
tion du nouveau palais de la Chambre des seigneurs.
Forgée de pièces etde morceaux sans cohésion, arti-
ficiellement rapprochés malgré des obstacles géogra-
phiques absolument défavorables, la Prusse ne s'était
constituée qu'au prix d'une lutte tenace, et, comme
l'a noté Emile Hovelaque, ses « fatalités de forma-
tion et de développement » avaient fait d'elle :
un organisme condamné, tel un cancer, à la proliféra-
tion indéfinie de ses cellules envahissantes, a l'agression
constante ou à la disparition.
La guerre fut donc pour elle une industrie nalio-
nale, et un Hanovrien, Rehberg, disait justement :
I^a Prusse n'est pa.s un pays qui a une armée, c'est une
armée qui a un pays.
Les Etats allemands de l'Ouest et du Sud avaient
vécu surtou' d'une vie intellectuelle : leur unifica-
tion poUtifue fut réalisée par Bismarck, qui lui
donna le caractère d'une affaire internationale et
LAROUSSE MENSUEL
militaire. 11 est vrai de dire que l'Allemagne favo-
risa l'absorption de sa personnalité par le peuple
de la Germanie qui, par ses origines, lui était le
plus étranger; car les Prussiens de nos jours sont
le résullat d'un mélange d'Allemands, de Finnois,
de Slaves, etc., ainsi que l'a établi le profes-
seur Louis Léger.
L'unité allemande ne résulta pas d'une libre asso-
ciation de volontés, mais d'une rigide soumission à
un régime administratif sans souplesse :
C'étaient (a dit Berg.son) des visions do brutalité, de
raideur, d'automatisme, qu'évoquait l'idée de la Prusse,
comme si tout y eût été mécanique, du geste de ses rois
au pas de ses soldats.
Dans la conception germano-prussienne, l'Etat est
essentiellement la force et la puissance suprême,
celle au-dessus de laquelle il n'y arien eu ce monde.
11 a pour fondenienl rarniée.qui est à la fois le plus
important des pouvoirs publics et la représentation
vivante de l'unité nationale. Il n'est pas lié irrévo-
cablement par .ses obligations internationales : s'il
conclut des traités, c'est sous condition résolutoire
liotestative et avec celle réserve que les circons-
tances dans lesquelles ils ont été formés ne subiront
pas de cbangenieiil. Seul juge de ses intérêts, il ne
saurait se soumettre aux sentences de la justice ar-
liitrale. La lutte est la règle des relations inlerna-
tionales, la loi de l'humanité, et, tandis que la guerre
enfanle l'héroïsme, réalise le développement de la
collectivité, propage la culture de la race supérieure,
la paix ne peut que déterminer le triomphe de l'in-
dividu. Or, riitat est au-dessus de la société civile,
cbangeanle et mouvante, parce qu'il est la perma-
nence et la stabilité; théoriquement libres, ses su-
jets lui doivent l'obéis-ance absolue. 11 est aussi au-
dessus de la morale: ayant pour lui la force, il peut
créer un nouvel ordre de choses aussi légal et aussi
moral que le précédent.
L'essence de l'Etat (dit von Bernhardi), c'est la force...
Il est immoral pour un Etat do ne pas étendre sa puis-
sance, si cette extension est demandée par un accrois-
sement de sa population. Un pays ne peut être lié par
des traités désaviiiuagenx pour fui.
Et le professeur Lasson, de l'Universilé de Berlin,
a posé en principe qu'une loi n'étant qu'une force
infiniment supérieure, il n'y a pas de loi d'Etat à
Klat ; qu'un ICtat qui reconnaîtrait une loi ferail
l'aveu de sa faiblesse; qu'un petit Elat n'a droit à
la vie qu'en proporlion de sa force de résistance.
Bismarck avait proclamé déjà :
Là on est en (|llestion la puissance de la Prusse, je ne
connais pas de loi.
Et, bien avant lui, le fondateur de l'Etat prussien
ne s'était fait aucun scrupule de dire :
.le ])rends d'abord : je sais bien qu'il se trouvera toujours
des pédants pour démontrer (|ue j étais dans mon droit.
Ce « despote éclairé » avait écrit dans sa jeunesse
une réliilation du Prince; vm\s « le visage de Ma-
chiavel et le masque de l'Antimacliiavel co'incident
exaclement », et c'est en Allemagne, d'après Char-
les Benoist, qu'on a vu de notre temps :
la reprise Ja plus complète du machiavélisme : théo-
rique avec le « surhomme » do NieT.zsclie, — l'homme fort,
(lui n'est qu'une transposition du prince. — pratique avec
Bismarck. La théorie et la pratique allemandes ont mémo
exagéré le machiavélisme primitif. Dans le machiavélisme
d'origine florentine et latine, il n'y avait rien d'inutile ; il y
avait le sens de la mesure et do l'équilibre : np qui'* nivnsî
L'.\llemagno s'est ruée par dtlà, à deux pieds, à quatre
pieds, en cheval échappé, en bêto lâchée. Le macliiavé-
lisme, chose scabreuse, même pratiqué par des artistes,
ne saurait être qu'une vilaine chose, quand il est pratiqué
par des barbares.
Une conception aussi e.xorbitante du rôle de l'Etat
n'étail pas le produit d'une aberration particulière
aux gouvernants d'outre-Hhin. Elle avait ses théo-
riciens dans l'Université et dans l'armée, avec
Treitschke et von Bernhardl ; elle comptait des
partisans dans le monde des affaires; elle s'était
propagée à peu près dans tous les milieux; elle en-
gendra, avec une sorte de folie collective, une doc-
trine et une pratique de guerre si monstrueuses
qu'il faut remonter jusqu'au temps de la monarchie
assyrienne pour trouver un terme de comparaison.
C'était partout le même prurit de lucre et de con-
voitises, la même avidité gloutonne, le même besoin
d'exploiter l'univers pour en tirer puissance et profil.
A l'Impératif catégorique de Kant (écrivait le philosophe
Liard. après avoir vu à l'œuvre l'AUemagne guerrière), à
l'impératif catégorique de Kant, valable pour tous les
êtres raisonnables, à la pensée largement humaine de
Gœthe, elle a substitué l'impératif do son orgueil et l'am-
bition démente d'être au-deftgnit de tout le monde. A cette
fin. elle embrigade derrière les forces de la matière les
disciplines de l'esprit : la métaphysique, pour faire des-
cendre Dieu du ciel sur la terro et l'incarner dans le peuple
allemand, qui devient ainsi le peuple-Dieu : l'iiisioire. pour
forcer une histoire à son profit et faire de la maison de
Hohenzollern, du royaume do Prusse, do l'empire alle-
mand, des personnes prédestinées au gouvernement de
l'univers; le droit, pour nier chez les autres tout droit (jui
lui serait un obstacle ou simplement une gêne et placer
l'unique source du droit non dans la raison des consciences,
mais dans l'acier des canons; la science, pour tirer d'elle,
alliance diabolique des camps et des laboratoires, des
moyens d'extermination d'une férocità inédite.
(V 726. Aoat 1917.
L'hégémonie ai.lemanoe et la poutiqui-: d'éqiji-
UBRE. — L'unité allemande ne fut pas une conclusion ,
mais un point de départ. L'empire était à peine re-
constitué an profit de la Prusse que Bismarck faisait
peser sur l'Europe une lourde servitude. L'a-tucieux
chancelier ne se conlenta pas d'appeler l'Autriche-
Hongrie et l'Italie à garantir l'observation du trailé
de Francfort : il se lit donner la promesse que la
Russie ne nous aiderait pas en cas de guerre franco-
alleniatide; il s'assura dans les Balkans l'alliance
roumaine; il prépara l'emprise germanique sur
Gonstanlinople; il profita de noire rivalité coloniale
avec l'Angleterre pour se ménager les sympathies
de la grande puissance marilime. L'équilibre euro-
péen était rompu au profit de la Tripliee.
En môme temps, r.Mleiuagne, principalement
agricole, devenait un Etal de grande induslrie, plus
homogène et plus riche, mais dépendant de l'étran-
ger par son commerce exlérieur et par l'émigralioii
du trop-plein de sa popiilalion croissante. (V. le Dé-
veloppement écniinmiqne de iAlleinar/ne conlem-
poniine, 1>l7-l-l9ii, par Albert Pingaud [1916].)
En 1895, Guillaume II constata publiquement les
progrès de l'expansion germanique.
I/cmpire allemnnri fdit-il) est devenu un empire mon-
dial. Les produits allemands, l'activité allemande traver-
sent l'océan. Aidez-moi ù rattacher solidement ce plus
grand empire allemand à la mère patrie.
La polillque mondiale et coloniale, dont l'initialive
appartenait au monde des afi'aires, entraîna la créa-
tion d'une marine marchamle, puis d'une marine de
guerre pour proléger la navigation commerciale, et
ce développement économique excita les convoitises
d'un peuple qui, de plus en plus à l'étroit chez lui,
considéra comme un droit île s'installer lourdement
chez les aulies. Des Allemands de toute classe et
(le toute profession piilliib'iient sur toute la surface
habitée du globe. Indnsiriels et commerçants, ingé-
nieurs et conlremailres, employés et institutrices
pratiquaient l'espionnage dans les maisons où ils
étaient admis, et, grîlce à la loi Delbriick, ils pou-
vaient, tout en oliteiiant la naliiralisalion étrangère,
conserver pendant dix ans leur nationalité d'origine.
Le kaiser avait ainsi, un peu partout, une armée
d'espions, attendant l'heure de revêtir l'uniforme et
de «commander en ennemis l,*! où leur hypocrite bon-
homie avait inspiré confiance. A l'étranger comme
à l'intérieur, tous apporlaient au .service de l'Etait un
dévouement aveugle, une volonté respectueuse «ie
l'aulorité officielle, organisée mécaniquement pour
l'action. Dans toute l'Europe et en Amérique, le dé-
veloppement du machinisme et la puissance écono-
mique avaient plus ou moins snbslilué, dans la vie
sociale, la notion de qunniilé kla notion de qualité;
mais c'est en Allem.igne que l'ineNacle conception de
l'idée de progrès avait engendré le plus de roua-'es.
Ne distinguant pas entre le grava et lé colossal,
dépourvu de ce sentiment du goi'it et de la science
qui l'eût préservé de la folie des fausses grandeurs,
l'industriel allemand se trouva d'accord avec le mili-
taire pour considérer le slalu qno comme un recul
et pour voir dans une guerre siiremcnt conduite le
moyen d'accroître d'un seul coup sa richesse ma-
lérielle. Un peuple armé jusqu'aux dents et qui
guette l'heure de la curée devait nécessairement
entretenir en Europe un état d'insécurité et de trou-
ble, dont la conséquence fut l'augmentation, dans
Ions les pays, des armements el des cliarges fisca-
les, mais aussi le réveil de la politique d'équilibre :
alliance Iranco-russe, entente franco-anglaise, accords
méditerranéens. Irai es avec le Japon. Contre ce
svstème préventif, où elle prétendait voir une poli-
tique agressive d' « encerclement », l'.MIemagne mit
en œuvre toutes les ressources de sa diplomatie bru-
tale, d^ns l'espoir de dissocier la coalition que ses
convoitises avaient formée, et elle exploita les ques-
tions marocaine et balkanique.
Pendant la conférence d'Algésiras, l'Allemagne se
rendit compte que ses ap' étits rencontraient enfin
des obstacles, et elle renforça ses défenses côtières,
accrut sa puissance navale, perfectionna ses forma-
tions de réserve. La guerre fut, dès lors, à la merci
d'un incident. Elle aurait pu éclater en 1908, lorsque
rAutriche-Hongrie s'anne.\a la Bosnie et l'Herzé-
govine; car l'Allemagne, qui avait manœuvré de
manière à n'avoir pas contre elle r.\nglelerre, était
prête à soutenir son alliée. Le tsar Nicolas II con-
seilla à la Serbie d'accepter le fait accompli, et la
paix fut conservée au monde par la volonté d'un sou-
verain qui préféra subir un échec, plutôt que d'assu-
mer la responsabilité d'uneconflagration universelle.
La chancellerie allemande crut que la Fiance
s'inclinerait à son tour pour les mêmes motifs, et
elle monta le « coup d'Agadir ». Mais elle se
heurta au sang-froid, à la résolution, au patriotisme
d'un peuple qu'elle avait jugé incapable de s'unir.
El, comme l'Italie était liée par les accords mé-
diterranéens, comme la Grande-Bretagne, dont la
flotte ne redoutait rien de la flotte germanique, dé-
fendait ouvertement notre cause, le gouvernement
de Berlin signa la convention ûvl 4 novembre 1911,
non par amour de la paix, mais parce qu'il n'était
pas assuré de vaincre. Ce répit, qu'il se donnait
prudemment, fut considéré en Allemagne comme
N' 126. Août 1917
LAROUSSE MENSUEL
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La ' Grande Allemagne », d'après le rêve ambitieux germanique. — L'Allemagne agrandie par des annexions proprement dites et par des zones de protection de ses limites nouvelles, coosidéréea
comme des » marches >■ ou provinces frontières. (L'étendue occupée par les peuples vassaux ouvre à l'Allemagne les roules des Indes et de la Chine par Uagdad.)
une capiluialion du kaiser et de ses min'.slres,
comme un échec insupportable dont il convenait
de tirer vengeance, et les mécontents ne cessèi-ent
plus d'attiser le feu centre nous. A la démocratie
française, naguère tenue pour anarchique et im-
puissante, on attribuait maintenant des intentions
belliqueuses, des sentiments agressifs, une soif
de revanche. Et tout fut mis en œuvre pour assui-er
le succès de la guerre : augmentation des lorces
militaires et navales, production d'un immense ma-
tériel, construction de lignes purement stratégi-
ques vers le Luxembourg et la Belgique, propa-
gande par l'enseignement et par la presse, action
diplomatique, invasion piéalable de ta France par
inliltralion économique et (inanciére, emploi des
modes ingénieusement divers de l'espionnage le
plus bas.
Tout bon Allemand (écrivait le général vou Benthardi
en 1913) attend, en contenant sa colère, l'heure de l'action
libératrice.
Un rapport militaire officiel, dont notre ministre
de la guerre eut communication au mois de mars
de cette même année, insistait sur la double néces-
sité de renforcer l'armée impériale, de répandre
dans le peuple l'idée que la France était respon-
sable de la charge de plus en plus lourde des ar-
mements; ainsi la guerre apparaîtrait comme une
délivrance et comme la prélace d'une ère certaine
de prospérité. La pensée de l'élat-major général
était de procéder par attaque brusquée.
Il faut fdisait le général de Molko. chef du grand état-
major) laisser de côté ^es lieux communs sur la responsa-
bilité de l'agresseur. Lorsque la guerre est devenue néces-
saire, il faut la faire en mettant toutes les chances de
son coté. Le succès seul la justilie. L'Allemagne ne peut
ni ne doit laisser à la Russie le temps de mobiliser ; car
elle serait obligée de maintenir sur sa frontière orientale
une force telle qu'elle se trouverait en situation d'égalité,
sinon d'infériorité, avec la France. Donc, il faut prévenir
notre principal adversaire dès qu'il y aura neuf chances
sur dix d'avoir la guerre et la commencer sanit attendre,
pour écraser brutalement toute résistance.
Les Etats secondaires seraient « domptés » s'ils
no voulaient absolument pas suivre l'Allemagne.
La Belgique et la Hollande, qui pourraient fournir
à la France une base d'opéi-ations, seraient occu-
pées et permettraient d'agir contre nous par sur-
prise, pendant que des troubles, habilement sus-
cités dans l'Afrique du Nord, en Egypte et en
Russie, absorberaient nos forces et celles de nos
amis et alliés.
Les provinces de l'ancien empire allemand, comté de
Bourgogne et une belle part de la Lorraine, sont encore
aux mains des Francs; des milliers de frères allemands
(les provinces Battiques gémissent sous le ioug slave.
C'est une question nationale de rendre à r.VHeraagne ce
([u'clle a autrefois possédé.
11 y avait bien, en Allemagne, « des forces de
paix, mais inorganiques et sans chefs populaires »
(Livre jaune, 1914, n" 5), tandis que le paiti de
la guerre, encouragé par l'infériorité présumée de
la Triple-Entente, recevait des dii'ections puissantes
et incessantes, disposait de nombreu.v moyen» de pro-
pagande, préconisait sansrelâchelétablissementdans
le inonde du De«<4c/i/i(»i (puissance allemande). La
guerre paraissait aux uns inévitable, aux autres so-
cialement et économiquementnécessaire, sinon utile
à leurs intérêts; d'autres, encore, la voulaient par
une sorte d'orgueil l)ismarcliien, ou bien par rancune,
quand ils n'y étaient pas poussés « par haine mys-
tique de la France révolutionnaire». Pour beaucoup,
enfin, elle apporterait une solution ii des difficultés
intérieures dont la gravité al'.îit croissant.
Eclairé par ses agents de rexlérieur, notre gou-
vernement prit les mesures que lui dicta le senti-
ment du danger et fit voter le retour au service
de trois ans. L'effort français, précaution indispen-
sable, fut exploité contre nous comme une preuve
d'ho.sl.ilité active, et les autorités impériales profitè-
rent de la célébration du centenaire des guerres de
délivrance pour exaller le sentiment patriotique.
On était bien décidé, cette fois, à nous mettre hors
de course, à prendre sur nous une avance grâce à
laquelle la France serait humiliée on écrasée, et
le Heichstag vota, au milieu des acclamations,
le.ï lois militaires. Dans les derniers mois de
l'année 1913, le partide la guerre nousétail le plus
en plus hostile, et le kaiser cédait peu à peu au cou-
rant qui emportait son peuple, à l'influence des
pangcrmanistes et du kronprinz.
Jusqu'à la Un du monde (disait l'héritier du trône), l'épée
restera le suprême facteur, le facteur décisif.
Alors que nous maintenions la réduction à trois
ans de la durée du service, le Heichstag votait suc-
cessivement plusieurs lois militaires, destinées à
assurer aux armées impériales une supériorité
écrasante. La comparaison des crédits votés res-
pectivement en France et en Allemagne, de 1905 à
191.3, pour les dépenses militaires, est significative.
France ; 1905, crédit supplémentaire annuel de
21 millions; — 1914, crédit non renouvelable de
720 millions et crédit supplémentaire annuel de
257 millions.
Empire allemaml : luoo, crédit non renouve-
lable de .S7 millions et crédit supplémentaire annuel
de 39 millions pendant 6 ans; — 1911, crédit non
renouveliible de 103 millions et crédit supplémen-
taire annuel de il millious pendant 5 ans; — 1912,
crédit non renouvelable de 180 millions et crédit
supplémenlaiie annuel de 55 millions; — 1913.
crédit non renouvelable de l.lOo millions et crédit
supplémeiilairc annuel de 22S millions.
Et. lorsque notre Parlement eut enfin rétabli le
service de trois ans, 1 Allemagne affecta de considé-
rer comme une provocation un acte de légitime
défense, une mesure indispensable de précaution.
Le 13 juillet 1914, 1 insuffisance de notre préparation
était encore signalée ii la tribune par le sénateur
Charles llumbert.
Les hesponsabilités. — Le gouvernement impé-
rial allemand n'a cessé d'afiirmer que la guerre lui
avait été imposée. C'est au contraire et iiiconlesia-
blemeiil aux Empires centraux qu'incombe la res-
ponsabilité du conflil leplusmeurlrierqui ail jamais
cnsaiig anié le monde : à l'.VIIemagne, «ssoilice de
gloire relentis>anle et de domination : ii I Autriche-
Hongrie, non moins résolue à aire triompher ses
anibilioii.x particulières en les .solidarisant avec celles
de son puissant allié cl ni.iitre. Pour la quatrième l'oiN
ilepuis un siècle, la Prusse troublait vo oiitairement
la paix : l'annexion des duchés, la dérapilalion de
194
l'Autriche, l'unification de l'Allemagne au profit des
Holienzollern auraient préparé l'asservissement de
l'Iiurope sur les ruines de la politique d'équililire.
A La Haye, c'est le délégué allemand qui avait
écarté toute proposition de désarmement.
La Russie et l'Angleterre étaient encore moins
firêtes que la France à alTronter, au mois d'août l'.il 1,
e choc de la puissante inacliine militaire montée
avec tant de soin par le grand état-major allemand.
La première, encore affaiblie p:ir lalutte qu'elle avait
soutenue conire le Japon, n'av;iit achevé ni ses arme-
ments ni les clieinins de fer indispensables à la rapide
mobilisation de ses millions de soldats; la seconde
ne disposait, pour rappeler le langage dédaigneux
du kaiser, que d'une « misérable petite armée ».
La situation intérieure des trois puissances leur
commandait, autant que l'état de leurs forces mili-
taires, d'éviter toute complication extérieure, et
on ne l'ignorait pas à Berlin. En Hussie, la tran-
quillité publique avait été tronl)lée par des émeutes
ouvrières, etune agitation politi<iiie profonde annon-
çait déjà larévolution qui devait emporter le tsarisme.
En Angleierre, la crise du home rule devenait si
inquiélaute que la guerre civile était imminente dans
rUIster. En France, enfin, un procès célèbre, qui
accaparait l'attention publique, démontrait l'acuité
et la violence de nos divisions politiques.
On nous attribuait des projets de revanche, alors
que nous avions « consenti à la paix un sacrifice
sans précédent en portant un demi-siècle, silen-
cieux, à nos lianes la blessure ouverte » par l'.MIe-
magne, que nous avions refoulé au fond de notre
cœur 11 le désir des réparations légitimes », que le
gouvernement et les Chambres étaient tout occiipé.s
des proldèmes démocratiques et sociaux, que notre
gouvernement avait transigé cliaque fois que la
diplomatie impériale nous avait cherché querelle.
La France ne voulait pas déchaîner la guerre, et
une minorité s'était même eonsliluée, qui croyait
possible un rapproche.ment avec un peuple qu'elle
connaissait mal.
Les cabinets de Paris, de Londres, de Saint-
Pétersbourg avaient multiplié leurs elTorts pour le
maintien de la paix : l'Allemagne n'adhéra ni à la
proposition anglaise de conférence, ni à la propo-
sition française de commission internationale, ni à
la demande d'arbitrage adressée au kaiser par le
tsar. Pour déclarer la guerre à la Russie, il lui fallut
prétexter des mesures qu'elle savait absolument pré-
ventives ; pour déclarer la guerre à la France, il
fallut imaginer de toutes pièces des griefs ridicules.
Pendant la semaine qui précéda la rupture, le
parti socialiste de notre Parlement se mit en con-
tact permanent avec la présidence du conseil pour
agirdans un sens modérateur. De Bethmann-Hollweg
essaya, pourtant, dans la suite, de faire croire que
la mobilisation gén'M-ale russe avait déterminé l'état
de guerre, alors qu elle fut, en réalité, postérieure
à la moliilisation générale autrichienne. Sortant un
jour du ministère des affaires étrangères, où il avait
appris que nos troupes de l'ICsl, malgré la formidulile
menace allemande, restaient à 8 kilomètres de la fron-
tière, Jaurès dit an coll'gue qui l'accompagnait :
Vous savez, nous serions à leur place, je no sais pas ce
que, maintenant, nous pourrions l'aire do mieux pour
assurer la paix.
Le kaiser a affirmé à plusieurs reprises que la
guerre lui avait été imposée. « Devant Dieu et de-
vant les hommes, déclara-t-il solennellement dans
un manifeste à la nation allemande, je jure que ma
conscience est nette; je n'ai pas voulu la guérie ». Il
est possible que ce inéiralomane ait été tout d'abord
pacifiste, bien qu'il parlât toujours de la paix sur un
ton belliqueux, la main sur la poignée de son sabre;
mais il est, en tout cas, certain qu'il céda peu à peu
il la pression pangermaniste,et,le 22 novembre 1913,
notre ambassadeur à Berlin mettait son gouverne-
ment en garde:
Guillaume II (écrivait-il) se familiarise avec un ordre
d'idées qui lui répugnait autrefois et. pour lui emprunter
une locution qu'il aime à employer, nous devons « tenir
noire poudre sôcho ».
L'empereur n'aurait eu, pendant la semaine crili-
aue, qu'un mot à dire pour prévenir la catastrophe;
ne le prononça pas, soit parce qu'il en était venu
à partager le délire collectif qui s'était emparé de
son peuple, soit parce qu'il n'eut pas le courage de
réagir. Lorsqus la Prusse attaqua l'Autriche, en 1 Stiti,
Guillaume l""' lança, le 18 juin, un manifeste où
il disait:
Ce n'est pas ma faute si mon ](euplc doit soutenir un
dur combat et souffrir dos malheurs, mais nous n'avons
pas le ehoix : nous devons combattro pour notre existence.
Or, le maréchal de Moltke a formellement affirmé
que la guerre de 186r> avait eupour unique objet l'éta-
blissement de l'hégémonie prussienne en Allemagne.
A un demi-siècle de distance, Guillaume 11 mentait
avec la même effronterie, prenant à témoin ce
« vieux dieu allemand» sous les traits duquel on
découvrit, pendant les hostilités, l'Assur farouche
à qui les Sargonides rendaient compte de leurs
cruautés systématiques.
Le député socialiste Scheidemann, devenu l'un
des meilleurs soutiens de l'impérialisme agressif.
LAROUSSE MENSUEL
disait en 190S, au Roichstag, à propos des promesses
constitutionnelles du kaiser : « Manquer à sa parole
est l'une des traditions les plus sacrées de la maison
dé HobenzoUern. » Et Guillaume 11 navait-il pas
dit à .Iules Simon, venu à Berlin pour représenter
la France il la Conférence ouvrière internationale :
" 11 n'y aurail qu'un criminel ou un fou pour lan-
cer ces deux grands peuples lun contre l'autre ! »
La responsabilité de rAutricbe-Ilongrie et de son
empereur-roi n'est pas moindre que celle de l'Alle-
magne, et cet Etat composite, qui aurait pu jouer
en Kurope un rôle pondérateur, y était devenu un
lacteiu- de provocations et de troubles. Le panger-
manisme avait en Autriche des « filiales », des
foyers secondaires et, en Hongrie, il était l'allié
énergique de l'impérialisme allemand.
Quant à François-Joseph, la médiocrité de son
intelligence ne l'a pas empêché d'exercer une in-
lluence néfaste sur les destinées de la double monar-
chie. Il succomba à l'Age de quatre-vingt-six ans,
après soixanle-lniit ans d'un règne constamment as-
sombri par les désastres militaires, les luttes civiles,
les drames domestiques, épreuvesqu'ilsupportaavec
fermeté, quelques-uns disent n avec indiltérence ».
Dépossédé des territoires lombards et véuilieus, exclu
de la Confédération germanique, obligé de capituler
devant les Hongrois, à qui il sacrifia les Slaves, on
le vit, après la constitution de l'empire allemand,
accepter l'alliance dégradante de ceux qui l'avaient
vaincu et humilié. Les Hongrois étant pleinement
d'accord avec les Allemands centralistes de la Cis-
leithanie et avec les Allemands d'Allemagne, c'est
l'infiuence germanique qui prévalut de plus en plus
à 'Vienne, qui tourna vers Salonique les regards de
François-Joseph, qui assura dans la double monar-
chie la prépondérance des banques allemandes au
détriment des établissements français de crédit.
L'Autriche-Hongrie, «glissant» peu à peu vers l'Est,
chercha dans la péninsule balkanique la compensa-
tion des perles qu'elle avait subies en Occident.
L'annexion de la Bosnie et de l'Herzégovine en
1908 contenait en germe les complications d'où
sortit la guerre de 1914. Pour le comte d'^renlhal
et les partisans de sa politique d'agrandissements,
les deux nouvelles provinces de la monarchie de-
vaient, en efi'et, être le noyau d'une grande Serbie
autrichienne; mais celte confiscation brutale dune
population émancipée du joug turc rompit l'équilibre
des Balkans et finit par déchaîner une confiagralion
générale.
'Voilà un siècle (écrivait Albert Sorel)que l'on. travaille
à résoudre la question d'Orient. Le jour où l'on croira
l'avoir résolue, l'Kurope verra se poser inévitablement
la question d'Autriche.
Par l'annexion de la Bosnie-Herzégovine, l'empe-
renr-roi substituait, dans ses rapports avec le tsar,
une politique conquérante à une politique transaction-
nelle, tandis que rAllemagne, garantie contre un
retourofl'ensîfdesHabsbourg, préparait, par la concep
tion du Milleleurnpa, sa domination sur l'Asie et
s'implantaitàConstanlinople. Lachancellerie austro-
hongroise prévoyait et mesurait si bien les dangers
de ses manœuvres que, dès le printemps de 191H,
elle demainla à l'ilalie si celte puissance prendrait
le.T armes dans l'éventualité où les projets contre la
Serbie déclancheraient une guerre générale. Fran-
çois-Joseph mourut le 21 novembre 1916. La fin tra-
gique de son fils unique Rodolphe (1889) et l'assas-
sinat de son neveu François-Ferdinand (1914) firent
passer la couronne sur la tête de Charles l'"', fils de
l'archiduc Othon et de l'archiducliesse Marie-Jose-
pha, princesse de Saxe. Né à Parsenberg (17 août
1887), il épousa la princesse Zita, lille du duc Robert
de Parme et de sa seconde femme Marie-Anlonia,
infante de Portugal. Il avait fait de bounes études
administralives et militaires et passait pour un esprit
sérieux, mais dominé par l'impératrice. Son avène-
ment (novembre 1916) ne modifia en rien les rap-
ports de l'Anlriche-Hongrie avec l'.'Vlleniagne.
En somme, ni le kaiser, ni son état-major, ni ses
ministres n'avaient pu croire que la Hussie soutien-
drait la Serbie par les armes, que la France se soli-
dariserait avec son alliée dans un confiitqui ne la
touchait pas directement, que l'héroisme belge fe-
rait échouer la surprise .stratégique sur laquelle on
comptait pour nous réduire brusquement à l'impuis-
sance, que la Grande-Bretagne interviendrait si la
Belgique était menacée et refuserait de niaquignon-
ner sa neutralité ; en un mol, que la Triple-Entente,
simple groupé diplomatique, se dresserait résolue
contre la Triple-Alliance. Ils avaient encore moins
prévu que l'ilalie déchirerait bientôt le pacte qui la
liait aux Empires centraux, après avoir fait, dès le
l'i^aont 1914, une déclaration de neutralité; que
leurs pratiques de guerre leur aliéneraient la plu-
part des neutres et que les Etats-Unis finiraient par
faire cause commune avec les Alliés.
D'ailleurs, la responsabilité de la catastrophe n'in-
combe pas seulement au gouvernement, aux soldats
et aux gens d'alTaires : l'Allemagne tout entière fut
la complice active de tous ses dirigeants, l'armée
n'étant que le prolongement de la chaire, de l'ate-
lier, de l'Université. Dans un manifeste célèbre,
quatre-vingt-treize intellectuels osèrentsoutenir que
«• »2e. Août 1917.
l'Allemagne n'avait ni provoqué la guérie, ni com-
mis de violences systématiques au mépris du droit
des gens et que les Alliés poursuivaient l'aneanlis-
sement de la culture germanique. Parcel A p/jel aux
nalions civilisées, les <• représentants de la science et
de l'art allemands» mettaient leur autorité au service
de la politique et se solidarisaient avec le militarisme,
oubliantlecon.seildeleur ainè.I'historienMommsen:
« Prenez garde que, dans cet Etat, qui lut à la lois
une puissance en armes et une puissance en intelli-
gence, l'inlelligence ne s'évanouisse et qu'il ne reste
qu'un Etat purement militaire. »
Une guerre de principes. — La guerre de 1914
ne fut donc pas seulement un conflit d intérêts posi-
tifs entre Etats, mais une grande crise historique,
une luUe entre deux principes de civilisation, entre
deux conceptions de la vie sociale.
Tandis que l'Alleuiagiie ne songeait qu'à assu-
jettir les autres peuples pour les insérer dans son
organisation automatique, la France et ses alliés,
au nom du principe d'équilibre, entendaient main
tenir le droit <les nations, petites ou grandes, de fixer
elles-mêmes la forme de leur gouvernement et les
conditions de leur développement. Les uns voulaient
imposer au monde une discipline uniforme, hiérar-
chique etservile; les autres allaient, au péril de leur
vie, défendre les conquêtes qui avalent marqué les
grandes étapes de la civilisation : la conscience etla
science désintéressée, la justice et le respect des
contrats, la charité et la fiaternité, la liberté des
individus et des peuples, le droit des nationalilés et
l'idée de patrie. Ici, la Kultur était rabaissée à 1' « art
de transformer le monde en utilité et de tirer de lui
tout ce qu'il peut proiluire » ; là, c'est dans le perfec-
tionnement intellectuel et moral que l'on plaçait le
but de tout progrès. A la raison d'Etat, à la philoso-
pliie de la force, à la gloritication de la puissance
brutale les Gréco-Latins opposaient l'équité, la no-
lion du droit, la supériorité de l'idée sur le maté-
rialisme économique. Les Allemands et leurs com-
plices exécutaient une entreprise de brigandage :
la F'rance et ses alliés défendaient la cause de
l'humanité. — Maxime PtTlT.
arcliaesthétisme {ar-ka-es-té-tism' — du gr.
arichaios, quicomnience, et «ts//ié4(S, sensation) n. m.
Biol. Théorie biologique de Cope, d'après laquelle
la conscience (ou la sensation) co'incide avec l'aurore
de la vie: La tliéorie de /'archaesthétisme ouvre
une place au système de Cope dans la rubrique
générale de l'orthogén'ese. (Delage-Goldsmith.)
arriération {a-ri, si-on — de arriére) n. f.
Psychol. et pedag. Etat d'un enfant arriéré : Je suis
d'avis que tout retard d'intelligence égal à deux
ans constitue une présomption extrêmement grave
(/'arriération. (Alfred Binet.)
atéliosefdugr. apriv.et teleiâsis, achèvement)
n. f. Forme d'infantilisme dans lequel le sujet reste
enfant par tous ses attributs, y compris sa taille.
Bassin d'essai des résistances des
carènes. La connaissance de la résistance
qu'éprouvera un navire de forme donnée se dépla-
çant dans l'eau à une certaine vites.se est indispen-
sable au constructeur pour déterminer les dimen-
sions et la puissance des machines qui doivent
actionner le bâtiment.
S'il était possible d'évaluer à priori cette résis-
tance, on pour-
rait é vi 1er de
graves mécomp-
tes se traduisant
par des sommes
considérables el
donner au navire
les formes les
mieux appro-
priées à la vitesse
et au rôle mili-
taire ou commer-
cial qu'il aura à
remplir.
Aussi, depuis
Newton elEuler,
nombre de sa-
vants et d'archi-
tectes navals ont-ils essayé d'établir une théorie de
résistance des carènes.
Enfin de compte, on a pris pour base le théorème
de similitude mécanique formulé par Né'wton
en 1740 et que Reich, sans avoir eu connaissance
des travaux de Newton, a introduit dans son cours
d'application du génie maritime en France.
Appliqué aux navires, ce théorème conduit à la
loi suivante :
Pour deux navires semblables ayant des vitesses
proportionnelles aux racines carrées de leurs di-
mensions linéaires homologues, leurs résistances
sont proportionnelles aux cnbes de leurs dimen-
sions, c'est-à-dire à leur déplacement. (On appelle
déplacement le poids total du navire évalué en
tonnes métriques.)
Prenons, par exemple, un navire de 100 mètres de
long et un modèle réduit de forme semblable de
P'i'j. 1. — Coupe d'un des couples
d<^ construcliuQ du petit modèl«.
r;
«• 126 Août 1917.
4 mètres de long-ueur; les vitesses correspondantes
>
étant dans le rapport de la v jl? = 5, si la vitesse
4
du petit modèle = 2 nœuds, la vitesse du navire
sera de 10 nœuds (1 nœud = une vitesse de 1.852 m.
k l'Iu'ure). Si le petit modèle pf'se 200 kilogrammes
ou 0 tonne 2, les déplacements étant dans le rapport
de longueurs homologues à la puissance 3, le dépla-
cement du grand navire sera de
0 tonne 2X25' = 3.12.ï tonnes
et 5 .. résistance à la marche sera égale à celle du
modèle multipliée par le rapport -7r^= 15.62.1.
La résistance d'une carène remori|uée en eau
calme se coiiipo-^c de deu.x parties /irincipales : la
résistance dirette opposée par la carène et la résis-
tance due au lrott<-nient du li(iuide s'ir la partie
immergée qui ne suit pas exacieinenl la loi de simi-
litude et dont la valeur est calculée à l'aide d'une
formule que nous donnons plus loin. Ce fut en 1871
que le savant anglais F. Fronde réalisa à Clielston-
(iross, près de Torqnay, la première installation
complète de ba>^in pour l'expérimentation des mo-
dèles représentant les bâtiments à une échelle ré-
duite, et il parvint à déduire des résistances offertes
par les modèles les résistances des bâtiments eux-
mêmes.
Les autres nations suivirent les Anglais dans cette
voie. En France, en 190ti, fut inauguré par Thom-
son, ministre de la marine, le bassin d'essais, situé
à Paris, boulevard Victor, bastion 69, et dont les
dimensions sontles suivantes: superficie totale 2 700
mètres carrés, longueur totale 160 mètres, longueur
utile 13.Ï mètres, largeur au niveau de l'eau 10 mè-
tres, profondeur 4 mètres.
Pour l'intelligence de ce qui va suivre, il est indis-
ensable de savoir qu'on représente dans la marine
es formes extérieures d'un bâtiment à l'aide d'un cer-
tain nombre de lignes courbes, tracées sur sa surface.
Ces lignes sont de trois sortes; toutes sont planes :
1° Les lignes d'eau ou sections horizontales ; ce
sont les intersections de la carène avec des plans
parallèles au plan de la flottaison ; on les projette
sur un plan les nues à côté des autres (v. la fig. 3);
2» Les couples ou membrures ; sections verticales,
intersections de la carène par des plans perpendi-
culaires au plan vertical de symétrie du navire
(/Sff-1);
3° Des sections longitudinales parallèles au plan
de symétrie ; on trace en général dix lignes d'eau
équidistantes en partant du bas de la carène; les
couples sont au nombre de vingt.
Pour la coiistiuction des petits modèles, on a
adopté la parafline, parce qu'elle se coule, se tra-
vaille facilement et est susceptible
d'un beau poli ; les modèles ont en
général de -'i à 5 mètres de longueur.
A l'aide des plans des navires on l'ait
avec des planchrs minces et des lattes
en bois une carcasse à échelle réduite,
semblable au bâtiment dont on vent
calculer la résistance à la marche et
dont le contour intérieur, garni de
toile, représente grosso modo les
formes extérieures (fig. 1).
Dans cette carcasse creuse on en
introduit une seconde semblable, mais
un peu plus petite ; entre les deux, on
coule delà paraffine fondue; on laisse
refroidir, on enlève ensuite la car-
casse extérieure, et on obtient les
modèles de la figure 2.
Il s'agit, maintenant, de leur don-
ner la forme similaire exacte de la
carène du bâtiment ; on y parvient
au moyen de l'appareil très ingénieux
de la ligure 3.
On place le modèle renversé dans
une cuve disposée sous la machine à
tailler, portée par un chariot pouv?nt
se mouvoir horizontalement à l'aide
de moteurs électriques.
Un ouvrier a sous les yeux un plan
horizontal sur lequel sont tracées à
une échelle réduite les projections
des lignes d'iau, et il tient dans la
main gauche un guide avec léqml il va suivre exac-
tement le contour de ces lignes.
Ace guideest fixée une transmission qui agit sur les
couteauxC,C',lesquels sont animés d'un mouvement
de roiation. Quand, grâce à une petite échelle pro-
portionnelle, ces couteauxontété placés à la hauteur
verticale de la première ligne d'i'au sur la co(iue, ils
viennent l'enserrer entre leurs arêtes coupantes. Avec
la main droite, l'ouvrier met en marche les moteurs
électriques qui font avancer horizontalement la ma-
chine à tailler, en même temps qu'il suit exactement
avec son guide le contour de la ligne d'eau en cause.
Grâce h la transmission spéciale, chaque couteau
enlevant la matière en excès dessine sur le côté du
modèle un trait qui représente une ligure semblable
LAROUSSE MENSUEL
à celle delà ligne d'eau. C uand la
première ligne (celle du fond)
est tracée, l'ouvrier abf isse les
couteaux à bauteurde la seconde
ligne et recommence l'opéralion.
On polit ensuite le modèle en
enlevant la matière en excès
entre les lignes d'eau succes-
sives, et on obtient ainsi à une
échelle réduite nue carèneexac-
tement semblable à celle du
bâiiment.
On porte alors le petit navire
dans le bassin rempli d'eau sous
la plaie-forme mobile qui, &
l'aide de générateursélectriques,
doit l'entraîner à différentes
vitesses.
Sous cette plate-forme (fig. 1 ),
la coque en paraffine est main-
tenue par des guides à billes;
ellepeutoscillersousl'effetde pe-
tites vagues qu'elle va produire
dans sa marche en avant, mais
elle suivra une direction bien
rectiligne sur l'axe du bassin.
A l'intérieur de la coque et à
l'arrière, se trouve accrochée
une tringle, dont l'extrémité su-
périeure est fixée à un dynano-
mètre placé sur la plate-forme
mobile. C'est pari intermédiaire
de celle tringle que la coque
en paraffine va être entraînée,
quand la plate-forme se mettra
en mouvement h différentes vi-
tesses, et sa résistance à la marche sera enregistrée
par le dynamomètre.
En même temps que les résistances, les espaces
parcourus, ainsi que le nombre de secondes que met
la plate-l'orme à les franchir, sont enregistrés par des
contacts électriques successifs, et l'on obtient ainsi
les résistances du petit modèle pour des vitesses dé-
terminées de la plate-forme et, par suite, du modèle.
D'après les formules de Fronde, la résistance due
au frottement est obtenue avec une approximation
suffisante par laformuleR/' en kos= s X SXK'"'.
dans laquelle S représente la surface mouillée
en mètres carrés, ■/ la vitesse en mètres par seconde;
o est un coefficient qui dépend de la longueur L
en mètres de la surface frottante.
Pour la valeur de o, on se sert au bassin d'essais
de la formule o = 0,1392 -f- _£:r2L^, L étant la
^ 2.68 -I- L .
longueur de la coque du modèle.
I.a résistance du navire remorqué, en faisant ab-
19H
Fig. i. — Modèle en paraffine, renversé sur le chariot de la tnaohine.
straction d'autre» facteurs dont nous allons parler,
peut alors se traduire par l'expression suivante :
Si nous appelons R la résistance totale du navire ;
Kr sa résistance directe; R/" sa résistance au frotte-
ment; D le déplacement du navire en tonnes; >• la
résistance totale du modèle; rz sa résis lance directe ;
r/" sa résistance au frottement ; d son déplacement en
tonnes, on a :
pour le navire R = Rr -f R/";
pour le modèle r = ri -f rf.
En divisant par les déplacements correspondants,
on obtient:
li Hi- , RA ., . r r: , >/ ^^
D = D- + -^ >*) *' 5 = d + i ^*)-
Fia. 3. — Mathuio .1 uiUcr avec ses cimicaus C, i ■. - En 1' ...ii vu ].■ [.lan liuri^onlal
(les traces îles ligues d't-au que 1 ouvi-iei- suil successivement afec son guide.
Au moyen de la formule de Fronde, on calcule
R/' et !■/■.
D'un autre côté, on mesure r au bassin d'essais par
la fraction d'un petit modèle; on obtient donc i-
ou -^ au moyen de la formule (2); comme, d'après
Rc rz
la loi de similitude, -=r = -r' on a finalement :
D d
R_ rj R/'
D ~ d "*" d'
c'est-à-dire la résistance du navire par tonne de
déplacement.
Nous avons fait abstraction jusqu'ici d'autres fac-
teurs de la résistance à la marche d'un navire.
Sans parler de celle de l'air sur la partie émergée
de la coque, quand le bâtiment, au lieu d'être re-
morqué, est mis en mouvement par ses hélices et
que celles-ci tournent dans le sens de la marche en
avant, il se produit un appel d'eau de l'avant à l'ar-
rière, et les choses se passent comme si le navire,
au lieu de progresser en eau calme, marchait contre
un courant.
La résistance correspondante à une vitesse V est
donc plus grande que celle du navire remorqué à la
même allure dans une eau tran(|uille ; l'intensité de
ce nouvel élément dépend de la grandeur des héli-
ces, de leurs proportions, de leurs positions par rap-
portai la carène.
Une nouvelle inconnue s'introduit dans les cal-
culs, quand on cherche à déterminer la puissance en
chevaux que devront fournir les machines pour attein-
dre une vitesse donnée, car on ignore à priori le
rendement de l'ensemble des machines et des pro-
pulseurs, c'est-à-dire la fraction du travail total de»
machines réellement utilisée pour fair.e avancer le
navire.
Ce rendement dépend à la fois : 1° des machines
qui perdent une certaine quantité de travail en frot-
tements, vibrations, ébranlements, etc.; 2° des pro-i
pulseurs qui, en même temps qii'ijs exercent sur les
paliers de initiée la poussée n.écessaire pour faii-ç
marcher le bâtiment, provoquent'da.us 1 eau des'tour-
billonnemenls, remous etc., d'où résultentdes pertes
de force vive. Il en est de même des pertes de force
vive qu'occasionnent les lames qui se forment à
l'arrière et que le navire entraine avec lui.
Pour s'en rendre compte dans une certaine me-
sure, derrière la plate-forme horiz ntale du bassin
d'essais qui remorque le petit modèle, on a installé
une deuxième plate-forme roulante à même hauteur
que la première, qui, au moyen de dispositifs spé-
ciaux, permet de connaître le rendement des diffé-
rents modèles d'hélices, étant donne que la poussée
des hélices doit être évidemment égale à la résis-
tance totale du navire.
Pour se rapprocher autant que possible des condi-
tions de la pratique, on place sur les côtés du petit
modèle, à hauteur deseiiiplacemenls qu'elles occupe-
ront sur le navire, des modèles réduits d'hélices
qu'on fait tourner aux vitesses correspondant à la
poussée nécessaire pour vaincre la résistance à la
propulsion du modèle.
Bien qu'indépendantes du petit modèle, elles agis-
sent sur les formes de l'arrière par l'effet de leur
rotation, comme les hélices agiront sur la coque du
navire en pleine mer.
196
LAROUSSE MENSUEL
Fig. i. — Plate-i'onue innl.i!
Les deux plates-formes marcliant exaclement à la
même vitesse, les hélices accompagnent la coque
dans son mouvement de propulsion, et l'influence
de leur rotation peut être ainsi évaluée d'une façon
suffisamment précise. Ce qui précède permet au lec-
teur de se rendre suffisamment compte des difficultés
que rencontre l'ingénieur qui établit les plans d'un
type nouveau de bâtiment en ce qui concerne seule-
ment les rési>tanct s de la coque.
Si l'on y ajoute les questions de rayon d'action,
d'ordre militaire, armements, protection contre l'ar-
tillerie ennemie, défense contre les sous-marins,
les dirigeables, les aéroplanes, on voit que le pro-
blème est des plus complexes.
Avec toutes les données qu'on peut obtenir aujour-
d'hui, grâce aux bassins d'essais, on arrive, fait
remarquable, à délenniner à 3 ou 4 p. 100 près la
puissance des machines nécessaires à la propulsion
d'un navire.
Pour donner une idée des puissances en chevaux
des navires modernes à grande vitesse, nous citerons
quelques exemples :
1914. Cuirassé Royal Oak : 26.200 tonnes, long. 176 m.,
2 hélices, vitesse 21 nœuds, 44.000 chev. indicjuos.
1913. Cuirasse (Jueen Eiisabetli-.ïiAm tonnes, long. 183 m.,
2 liclices, 23 nœuds, cliauH'age à l'huile seule,
60.000 chevaux.
1912. Croiseur do ligne Tiger : 30.000 tonnes, long. 221 ni.,
3 hélices, 30 nœuds, 87.000 chevaux.
1910. Croiseur de ligne Moltke : 23.000 tonnes, long. 186 m.,
2 liélices, 28 nœuds 4, 86.000 chevaux.
1913. Croiseur légercuirassô C/iainjtion : 4.O00 tonnes, long.
125 in., 2 hélices, 30 nœuds, chauli'age à l'huiTe
seule, 40.000 chevaux.
Les croiseurs américains du nouveau programme
voté dernièrement par le Congrès auront entre 240
et 270 mètres de longueur, 175.000 chevaux, des
machines électriques, un chauffage à l'huile seule et
près de 3.Ï.000 tonnes de déplacement; leur prix s'é-
lèvera à plus de 100 millions de francs. — Poidlouii.
Boissons fermentées économiques.
— Le vin est la plus parfaite, mais aussi la plus
coûteuse des boissons ferinenlées. Son prix, qui va
s'élevant depuis le début des hostilités, en reslreint
l'usage, et beaucoup de personnes le remplacent sur
leur table par d'autres boissons fermentées, plus
économiques.
Epiciers, droguistes, herboristes vendent à l'envi,
en paqucis ou en (laçons, des mélanges divers, pro
près à préparer des boissons de ménage. Le mieux
est de les fabriquer soi-même en parlant des matières
premières. Celles-ci doivent toujours contenir du
sucre, générateur d'alcool par l'inlennédiaire des
levures. On peut aussi employer des substances
amylacées, puisqu'elles sont capables de se trans-
former en sucre sous l'action de divers ferments;
par exemple, l'amylase de l'orge germée ou malt.
Les boissons fermentées s'ohiiendront donc avec
des fruits mûrs, des graines farineuses, des plantes
à sève sucrée, du miel, de la mélasse, du sirop de
glucose (peu recomiiiandable parce qu'il est souvent
impur), du sucre, seuls ou mélangés. Il sera bon
parfois d'y joindre des principes aromatiques (hou-
blon, écorce d'orange) ou acides (acides citrique,
tarlrique), qui relèveront la saveur du produit.
Boissons de ihuits. — Tous les fruits charnus
pouvant subir la fermentation vineuse, on utili-
sera : 1» l'excédent d'une nroduction fruitière su-
rabondante: fraises, groseilles, framboises, cerises,
prunes, pêches, nèfles, etc., en France ; dattes, ca-
roidics, figues en Algérie; 2° les fj-uils tombés des
arbres avant complète maturité ; 3» les résidus de
la préparation des gelées et confitures; 4° les iriiils
desséchés: pommes, raisins, etc.; S" enfin, les fruits
sauvages qui se perdent sur le sol des bois ou au
pied des haies.
Les boissons de fruits ont été jusqu'ici peu utili-
sées en France; leur qualité y laisse souvent il dé-
^• 126. Août 1917.
sirer, faute d'une connaissance suflisaiite des règles
de leur préparation. Elles sont, au contraire, d'un
einplui courant dans les contrées oti le vin est rare.
Obtenues d'abord dans le ména,!fe ou dans lii
ferme, en Scandinavie, en Angleterre, en Alle-
magne, elles sont devenues, dans ces pays, l'objet
d'importantes industries. Il existe même aux envi-
rons de Leipzig, de Dresde, de Zittau. des établis-
sements ne s'occupant que de la fabrication en
grand de ces boissons spéciales, vendues à l'état
naturel ou rendues mousseuses.
Cette préparation étant assez délicate, on n'ob-
tiendra de bons résultats qu'en se conformant aux
indications suivantes:
Traitement des fruits. — N'employer que des
fruits nu'irs à point, sains et propres ; les laver au
I besoin ; enlever les parties pourries, les feuilles et
branchelles. Ecraser les fruits le plus tôt possible
après leur récolte. Les vases de cuivre, de zinc et
d élain sont h proscrire dans toutes les manipula-
tions; seuls conviennent les récipients en grès bien
propres, les cuves, futailles et tonnelets nettoyés et
iiiiM-liés (2 centimètres de mèche soufrée par lîeclo-
lilre de capacité).
l'ermenlation du jus seul. — La méthode la plus
sijre consiste à mettre en fermentation le jus seul
ou moûf, séparé de la pulpe du fruit : Pilonner les
fruils dans un baquet avec ou sans addition d'eau,
laisser reposer 24 heures; tamiser ou filtrer à tra-
vi'is un linge; presser la pulpe restante et remplir
'lu jus une bonbonne ou une futaille en laissant
'luelques centimètres de vide dans le récipient, de
tidle sorte que les écumes formant le cliapeau vien-
nent s'y loger. Fermer avec un purificateur d'air
(bouchon percé muni d'im tube courbé rempli
il'ouate) ou une bonde hydraulique (bouchon percé
dans lequel passe un tube de caoutchouc qui vient
al)outir dans un récipient plein d'eau posé à terre).
La température la plus convenable est comprise
entre 20 et 25"". La fermenlation commence vers le
deuxième ou troisii'me jour; elle devient tumul-
tueuse et dure de 10 à 20 jo:irs, selon la tempéra-
Fruits cultivés : 1. Cerises; 2. Fraises; .1, Pèche; 4. Framboises; 5. Prunes ; 6. Nèfle; 7, Cormes; 8. Pomme: 9. Poire ; 10. Citrons:
11. Orange ; 12 Figue ; 13. Kaisiu de Corinthe; U. Caroube; lo. Groseilles à maquereau; Iti. Groscilbs à grappes ; 17. Datteg.
«• 726. Août 1917.
lure, le fruit employé, la richesse en sucre. Quand
le passage des bulles de gaz carbonique à travers
Teau de la bonde hydraulique devient très lent, la
iermenlalion est à peu prés terminée.
Fermentation dea fruits crus écrasés. — On
verse dans une cuve le mélange de moût et de
pulpe. L'emploi d'une cloison trouée horizontale,
lormée, par exemple, de lattes entre-croisées, qui
laisse passer et retient la pulpe, évile la montée de
cette dernière à la surface du récipient sous la
poussée du gaz carbonique produit par la fermen-
tation. Elle sallérerait vite, produisant l'acélifica-
tion du liquide. L'agitation de la masse, une ou
deux fois par jour, avec un bâton, est nécessaire.
Fermentation des fruits cuits écrasés. — Les
fruits tris acerbes ou peu aqueux, comme pru-
nelles, alises, arbouses, gagnent à être traités par
l'eau bouillante; leur âpreté diminue et ils devien-
nent plus fermentescibles, qu'on emploie soit le jus
seul, soit le mélange de pulpe et de jus.
Addition de levure. — Si la fermentation est
tardive, languissante, irrégulière, c'est que les le-
vures naturelles manquent (par exemple, sur les
fraises, les mûres de ronces, etc., sur tous les
fruits lavés ou ébouillantés) ou se multiplient mal
dans un jus trop riche en acides, trop pauvre en
sucre et en matières azotées. Le remède consiste à
ajouter au moût des levures de vin blanc sélec-
tionnées du commerce (100 centimètres cubes par
hectolilre) ou de la levure de bière (même dose).
Y joindre du pliosphale d'ammoniaque (15 grammes
par hectolitre) qui servira à nourrir les levures.
Correction des moàts. — La plupart des bois-
sons obtenues avec les fruits sauvages sont trop
acides pour êlre agréables au goût et trop faible-
ment alcoolisées pour pouvoir se conserver.
On obtient des produits de qualilé supérieure en
corrigeai! Iles moùls par addition d'eau et de sucre.
La dose de sucre varie avec chaque fruit et avec
Correction des moûts de fruits
Quantités d'enu et de sucre à ajouter par litre de jus.
Jiêduire ces cfiiffres d^un dixième si l'on prend pour base
le kilof/rannne de fruits.
NOMS DES FRUITS
Aireïles mjTtilles. . .
Alises
Arbouses
Canneberges
Cerises
Cormes
Cornouilles
Épine-vinette
Fraises
Framboises
Genièvre
Groseilles à grappes.
Groseilles à matiuereau
Mûres des ronces. .
Pèches
Prunes qiiestches. .
Prunelles
Sureau (baies de). .
lu.
1,9
1
1,5
3
0,5
1
1,5
1,5
0,5
t
2,4
1,4
1.1
0,5
0,4
1,5
POIDS DU BUCRB
350
100
100
450
150
170
100
300
150
300
100
350
850
200
100
80
300
350
500
250
ÎOO
100
200
280
200
450
250
400
200
500
400
300
200
150
400
450
750
500
300
I.OOO
300
400
300
«00
350
550
300
800
550
450
300
230
500
530
S-5-
3,1
2,5
2
1
6
3
1,7
1,5
3.9
2,4
3
4
4,3
2,7
3
4
3
1.5
la nature du produit désiré : faible, si l'on ne veut
qu'une boisson de ménage à consommer tout de suite,
elle doit être plus forte pour préparer une boisson
de table, encore plus pour une boisson liquoreuse.
La première catégorie, celle des boissons de mé-
nage, est seule économique actuellement, en raison
de la rareté du sucre. En réduisant de moitié les
chiffres normaux indiqués dans notre Tableau de
correction des jnoûts, on obtient encore des bois-
sons agréablees.
Le sucre peut être remplacé par du miel, de la
mélasse, du jus de poiré, du raisin de Gorinthe.
Notons que la fermentation de 1.800 grammes de
sucre donne 1 litre d'alcool absolu; celle de 4 kilo-
grammes de raisin de Gorinthe fournit le même
volume d'alcool.
Gerlaitics levures ne faisant pas fermenter la
saccharose (sucre ordinaire), il est parfois utile
d'invertir le sucre, avant de l'ajouter, pour le
rendre fermentesciblc. Pour cela : faire dissoudre
le sucre dans une quantité d'eau suffisante; y
lyouter de l'acide tartrique (3 grammes par kilo-
gramme de sucre) et faire bouillir 10 minutes.
Traitement de la boisson. — Quand la fermen-
tation est terminée, laisser reposer 2 à 3 jours
il bonde fermée et tirer au robinet ou, mieux, sou-
tirer en futaille ou en bouteilles ; consommer le
plus tût possible. Les boissons de table ou de des-
LAROUSSB MENSUEL. — IV.
L\KOUSSK MENSUEL
sert sont soutirées en bouteilles champenoises bien
bouchées et ficelées, après un collage et un filtrage
(4 grammes de gélatine blanche par hectolitre, ou
r> çframiTi''^ >lp tanin >p|on les rn^, pni* ba"-'-.- nf
197
framboises se prépare couramment en Russie, en
Pologne, en Allemagne ; celle de groseilles est très
appréciée aux Etats-Unis et surtout en Angleterre.
Vuici quelques recettes-types ■
Fruits sauvages : 1. Prunellier ; 2. AUouchier ; 3. Amélanchier ; 4. Aubépine fcpnellp») ; 5. AUsier ; 6. AreroUier ; 7. Ronce ;
8. Busserolles; 9. Arbouses; 10. Airelles rouges ; 11. Airelles myrtiUes; 12. Cornouilles; 13. Epine-vinette; 14. Sureau (fruits); 15, Genévrier
repos de 8 jours) qui les ont rendues d'une limpi-
dité parfaite.
Fruits cultivés. — Les fraises, framboises et
prunes fermenlantdifficilement, l'addition de levures
s'impose presque toujours.
La boisson de cerises est excellente; celle de
lîoiM4ton* d* 'jraines : 1 ChâQC (glands); 2. Uuublun ; 'i. Orge
l» Cerises : Remplir un tonneau débondé de ce-
rises écrasées additionnées d'eau; maintenir le plein
par addition d'eau pendant toute ladurée de la fermen-
tation. Tirer au robinet. Au début, on peut remplacer
le liquide tiré par de l'eau pour maintenir le plein.
i" Groseilles à maquereau : Employer des fruits
mûrs sans excès, débarrassés de leur calice et de
leur pédoncule; les écraser sur un ciible qui retient
les peaux ; le jus et la pulpe tombent dans un baquet
qu'on recouvre d'une toile. Repos de 48 heures en
lieu frais. Décanter alors le jus ; y ajouter le liquide
qui s'écoule de la pulpe pressée et l'eau de lavage
du marc(l litre d'eau pour 10 kilogrammes de marc),
puis de l'eau et du sucre si on le juge utile. CV.
le tableau.) Après fermentation, soutirer, coller,
mettre en bouteilles.
3° Cormes : Pilonner dans un baquet les fruits
mûrs et non blets; arroser d'eau bouillante; rincer;
verser en futaille débondée pour faire une nouvelle
addition d'eau bouillante; au total, 1 litre à 1 litre et
demi par kilogramme de fruits. Ajouter de la levure
dans le liquide refroidi. (Le cidre de cormes ou
corme se prépare en Bretagne; sa saveur rappelle
celle du poiré, mais il est plus capiteux.)
4° Nèfles : Employer les fruits non blets, coupés,
dénoyautés et broyés. Ajouter de l'eau. La boisson
obtenue avec les nèfles seules est peu agréable; on
l'améliore beaucoup en mélangeant à ces fruits des
cormes, ou bien des poires et des pommes tombées.
Résidus de confitures bt gelées. — De préfé-
rence, les utiliser immédiatement, en mélange avec
des fruits frais ou secs, ou des plantes quelconques
pour boissons. Si l'on ne peut opérer tout de suite, les
conserver pendant quelques jours dans un récipient
i|ui doit en être plein et les recouvrir d'une solu-
tion de sucre. ,
Fruits secs. — Ce sont les pommes, poires,
ligues, raisins secs, etc., du commerce, ou les fruits
tombés, les fruits sauvages qu'où a desséchés au
four en attendant d'en avoir une quantité suiflsante.
Pour 100 litres : Prendre 25 kilogrammes de fruits
secs; les traiter à trois reprises par 25 litres d'eau
chaude; presser le résidu et le joindre dans la
lulaille aux 75 litres de liquide obtenu. Ajouter de
i i 5 kilogrammes de sucre dissous dans l'eau et
interverti; puis de la levure dans le liquide refroidi.
Fruits sauvages. — Les airelles du Nord et de
l'Est (airelle mi/rlitle, airelle rouge, airelle cous-
si/ie/Ze ou fanMeiKi',(/e) -se récoltent en aoiM septembre
et se traitent ainsi : Pilonner les fruits dans un
8»
198
baquet, ajouter ladose d'eau indiquée dans le lableau.
Après 24 heures de repos dans le oaquet couvert d'un
linge, pisser le liquide, ajouter la dose de sucre dans
la futaille et laisser l'ermcnler. La boisson d'airelles
myrtilles est d'une couleur très foncée, d'une sa-
veur spéciale appréciée dans les Vosg-es et en Suisse.
Les fraises et framboises sauvages, récoltées en
Boissons de plantes sucrées :
1 . Vigne : 2. Betterave sucrière ;
5. Mais.
juin-juillet, les cornouilles, les baies d'épine-vinelle
et de sureau (très miires et égrenées), récoltées en
octobre, se préparent comme les airelles. Il en est
de même des mûi'es des ronces, mais la fadeur de
ce fruit oblige h ajouter 1 gramme d'acide tartrique
par litre de jus. La boisson fermentée de mûres ou
moré étaild'usage courant en France au moyen âge.
Les arbouses, jolis fruits ressemblant à des fraises,
se récoltent en jauvier-l'évrier en Algérie, en Corse,
en Provence. On les traite comme il a été dit pour
les cormes. Les husserolles, produites aussi par une
espèce d'irbousier, donuentun produit inférieur.
Les cenelles (fruits de l'aubépine), les azeroles,
alises, allouches, amélanches, se récoltent à l'au-
tomne et se traitent de même, seules ou en mélange.
Les prunelles sont les fruits sauvages les plus
employés en France pour la fabrication d'une pi-
quette très désaltérante. Celle qu'on obtient avec
les fruits crus noircit à l'air, est de saveur âpre et
de qualité médiocre; les fruits cuits donnent, au
contraire, une boisson agréable, surtout quand on
peut les additionner de sucre.
Pour 100 lilres : Faire cuire 3 décalitres de pru-
nelles bien mûres, mais encore formes, dans 50 litres
d'eau; brasser en broyant; verser dans la futaille le
liquide passé à travers une toile ; ajouter 10 kilogram-
mes d'eau chaude ayant passé sur le marc, puis le
sirop et, après le refroidissement, 100 grammes de le-
vure. Remplir avec de l'eau ; brasser pour mélanger.
Les baies de genièvre sont cueillies en oclobre-
novembre, quand elles sont d'un noir bleu. On ne
les utilise qu'après un séjour de deux ans sur des
claies, au grenier, où elles sèchent. La boisson fer-
mentée, ou genèvrette, très estimée en Suède, se
prépare ainsi :
Pour 100 litres : 50 lilres de fruits écrasés; rem-
plir la futaille avec de l'eau, laisser fermenter pen-
dant un mois. Après 3 jours de repos, tirer en fai-
sant le plein avec de l'eau pendant quelques jours.
Boissons de.oraines. — L'orge et le gland sont
surtout employés; ce dernier, très économique. On
y ajoute souvent des cônes de houblon, à cueillir en
septembre dans les baies et les bois où cette plante
abonde. Voici deux types :
l» Orge. Pour 100 litres : 5 kilogrammes d'orge,
200 grammes de cônes de houblon, 4 kilogrammes
de sucre; remplir d'eau; ajouter 100 grammes de
levure de bière bien délayée; laisser fermenter de
15 à 20 jours. Gomme il s'agit ici d'une petite bière
domestique, préparée pour l'usage personnel et
dont le titre ne dépasse pas 2 degrés d'alcool,, la
déclaration à la régie n'est pas obligatoire.
2° Glands. Ponr 50 litres : Faire macérer pendant
15 jours dans l'eau 25 kilogrammes de glands mûrs,
sains, propres et aussi peu germes que possible.
.Jeter l'eau tous les trois jours et la renouveler : on
enlève ainsi l'amertume des glands. Introduire alors
LAROUSSE MENSUEL
les glands dans la futaille, puis 80 giammes de
cônes de houblon, de l'eau pour remplir presque
complètement, puis 50 grammes de levure de bière
délayée. Agiter avec un bâton. Laisser fermenter 15
à 20 jours. On peut remplacer le houblon par 2 ou
3 kilogrammes de fruits frais ou de fruits secs, ces
derniers versés avec l'eau dans laquelle ils ont
bouilli.
Boissons de plantes sucrées di-
verses. — Les racines de betteraves,
les tiges vertes de ma'is, les jeunes
pousses et feuilles de vigne, les cosses
de pois, les pétioles de rhubarbe ren-
ferment une sève sucrée susceptible
de fermenter en donnant une boisson
agréable, surtout si l'on y ajoute quel-
ques fruits, divers aromates et un peu
de sucre. Il en est de même delà sève du
bouleau. Nous citerons cinq types :
\<> Betteraves. Pour 50 litres: 6 kilo-
grammes de racines finement décou-
pées, 5 kilogrammes de fruits de saison
(poires, pommes, raisin), 1 kilogramme
de sucre, 15 grammes d acide tartrique.
Recouvrir d'eau; laisser fermenter.
2° Tiges de mais encore vertes. Pour
50 litres : 10 kilogrammes de tiges,
écorcées et coupées en morceaux longs
de 10 centimètres, 5 kilogrammes de
fruits divers; eau.
3" Jeunes pottsses et feuilles de
vigne. Même dose : En hacher et piler
10 kilogrammes; arroser le tout de
5 litres d'eau bouillante ; presser au
bout de 24 heures; ajouter 3 kilo-
grammes de sucre; remplir d'eau; lais-
ser fermenter.
4° Pétioles de rhubarbe. Boisson k
préparer en juin-juillet. Cette boisson,
très appréciée en Angleterre, est d'une
longue conservation ; elle s'éclaircit
difficilement. Pour 50 litres : Couper
en petits cubes 10 kilogrammes de pé-
tioles et grosses côles épluchés et lavés
et les mettre à macérerpendant 8 jours
dans un récipient avec 20 litres d'eau.
Agiter deux à trois lois par jour. Tami-
ser en pressant légèrement et verser le liquide dans
une futaille. Ajouter leszesles de deux citrons fine-
ment râpés et 3 kilogrammes de sucre. Remplir d'eau.
5» Cosses de pois. Pour 50 litres : Faire bouillir
pendant trois heures 10 kilogrammes de cosses avec
30 lilres d'eau; passer, en pressant, à travers un
torchon; faire bouillir le jus sur le feu pendant une
demi-heure avec 150 grammes de cônes de houblon
et les zestes de deux citrons finement râpés. 'Verser
3. Pois : *. Rhubarbe :
Boissons de sucre aromatisées :
3. Coriandre (graines]
1. Frêne ; 2. Sureau {fleurs} ;
4. Sapin (feuilles).
le liquide tiède dans la futaille; ajouter en brassant,
après refroidissement, 100 grammes de levure dé-
layée et quelquespoignéesdecossesde pois. Remplir
d'eau. Après la fermentation, mettre en bouteilles.
Boissons de miel ou hydromels. — Ces boissons,
à base de miel additionné de fruits, sont écono-
miques pour le propriétaire de ruches. Voici une
recette pour 50 lilres :
■Verser dans la futaille 30 lilres d'eau bouillante,
10 kilogrammes de miel, 10 grammes de phosphate
d'ammoniaque. Ajouter dans le liquide refroidi des
fruits écrasés (8 kilogrammes de cerises ou 4 kilo-
gi'ammes de raisin, ou 4 kilogrammes de mûres de
ronces, ou 12 kilogrammes de pommes ou poires).
Après fermentation, ajouter 5 grammes de tanin
pour coller; laisser reposer 5 jours, soutirer et met-
Ire en bouteilles.
Boissons de sucre aromatisées. — Elles sont
innombrables et utilisent des aromates variés : cônes
«• 128. Août 1917.
de houblon, zestes d'orange amère ou de citron, co-
riandre, feuilles de sapin, etc. Nous citerons les
deux meilleures :
1» Frenelle ou cidre de frêne. Pour 100 lilres :
Faire infuser 100 grammes de feuilles de frêne
(cueillies sur l'arbre en été et séchées â l'ombre)
dans l'eau bouillante; passer sur un linge. Epuiser
150 grammes de chicorée torréfiée dans l'eau bouil-
lante; passer et ajouter le jus coloré. Faire dissoudre
5 kilogrammes de sucre cristallisé et 80 grammes
d'acide tartrique. Laisser refroidir le mélange
liquide et ajouter 75 grammes do levure fraîche en
la délayant (ou 25 grammes de levure sèche). Lais-
ser fermenter à bonde ouverte. Mettre en bouteilles
ficelées, ou consommer rapidement. Lafrenette est
une boisson excellente et peu coûteuse, recomman-
dée aux rhumatisants.
2" Tisane mousseuse de sureau. Pour 60 litres :
Elargir l'ouverture de la bonde jusqu'à 10 centi-
mètres de diamètre. Verser 48 lilres d'eau, puis
400 grammes de bon vinaigre. Faire un nouel de
mousseline renfermant 1 kil. 500 de sucre cristallisé
et 40 grammes de fleurs sèches de sureau, le tout
bien mélangé. Introduire ce nouet par la bonde et
l'immerger totalement en le suspendant; il ne doit
baigner que dans la partie supérierire du liquide. Au
bout de 6 jours, retirer le nouet, agiter le liquide
avec un bâton; laisser reposer un jour et mettre en
bouteilles ficelées et laissées debout. Après 8 jours,
la fermentation est complète, et la boisson, qui mousse
comme du Champagne, est bonne à boire. — F. FiiMiu.
Cau'WèS (Paul), jurisconsulte français, né k
Parisle 3 mai 1843, mort à Versailles le 27 avril 1917.
Reçu docteur à la Faculté de droit de Paris en
1865, il compléta son in~trriclion jriridique par des
éludes historiques et, ayant suivi les cours de
l'Ecole des Charles, il fut reçu, en 1867, archiviste-
paléographe. La même année.ilpassaitavec succès le
concours d'agré-
gation de droit et
il était reçu le
deuxième. Atta-
ché comme agré-
gé à la Faculté
de droit de Nan-
cy, il y enseigna
successivement
ledroilcriminel,
le droit romain
et le droit civil.
Uyreslajusqu'en
1S73, époque à
laquelle il fut ap-
pelé à Paris pour
suppléer le pro-
fesseur Balbie
dans son cours
d'économie poli-
tique. La chaire
d'histoire du
droit qu'occupait le professeur de Valroger étant
devenue vacante en 1882 par la mort de son titu-
laire, Paul Cauwès succéda à celui-ci, et ce fut avec
bonheur qu'il put revenir- aux travaux d'histoire qui
l'avaient toujours beaucoup attiré. Il fui doyen de la
Faculté de droit de Paris de mars 1910 k novembre
1913, date de sa retraite.
De ia période durant laquelle Paul Cauwès a
professé l'économie politique date son plus im-
portant ouvrage, toujour-s apprécié, grâce auquel
.srirvivraà son auteur tout le fonds de son ensei-
gnement si fécond : Précis du cours d'économie
politique professé à la Faculté de droit de Paris,
2 vol. {\'<' édil., 1879-1880; 2« édit., 1881-1882).
La 3« édition a paru sous le titre: Cours d'économie
polititjue (Paris, 1892-1893, 4 vol.).
Juriste et historien tout à la fois, Paul Cauwès
ne s'était pas laissé dominer dans ses exposés éco-
nomiques par des tendances doctrinales; mais,
éclairé par l'histoire sur l'évolution des institutions
et les transformations sociales, il avait envisagé les
questions d'économie politique sous un aspect pra-
tique et avait basé toutes ses considérations sur
l'observation des faits. Il avait ainsi introduit dans
l'en.seignement de la science économique des mé-
thodes nouvelles, dont la supériorité et les avantages
se sont trouvés depuis amplement justifiés.
Aussi, dans son ouvrage très complet, livre d'en-
seignement qui embrasse toutes les parties de la
science économique (économie politique générale,
économie industrielle et sociale, économie publique
et financière), trouvons-nous toutes les aoctrines
nettement exposées et librement discutées, ce qui
amène son auleur à faire un examen critique et
raisonné de la législation économique en vigueur.
Jurisconsulte éclairé, l'auteur y montre en même
temps avec raison toute l'utilité que présente l'ad-
jonction de la science économique à l'étude du droit.
Parmi de nombreuses éludes spéciales écrites
par Paul Cauwès dans des revues diverses sur des
sujets juridiques ou d'économie politique, nous ci-
terons, notamment, celles concernant la Condition
faite par la loi de recrutement aux enfants nés en.
Paul Cauwès.
«• 126. Août 1917.
LAROUSSE MENSUEL
199
Le château de Coucy et ses alentours, en août liJlV.
France de parents étrangers (Nancy, 1869), les
Nouvelles Compagnies île colonisation privilé-
giées (1892), la Protection des intérêts économi-
ques de la femme mariée (1894), les Commence-
ments du crédit public en France (1895-1896).
Menlion doil être faile aussi de sa thèse de doc-
toral sur la Pétition d'hérédité en droit romain et
en droit français (\%6h). Paul Cauwés a également
collaboré au Recueil général des lois et des ar-
rêts, de Sirey. Ajoutons qu'il a élé l'un des fonda-
teurs de la « Revue d'économie polilique » et qu'il a
contribué à !a création de 1' « Association française
pour la proleclion légale des travailleurs », dont il
a élé le premier président. — Gustave REaELspEaaEa.
Cbâtlment de barbaries allemandes
aux Etats-Unis. (Episodes de la guerre de
Sécession.) — A la guerre de Sécession, en Amé-
rique, se rattache un procès criminel, fort retentis-
sant en son temps, qui, à des points de vue divers,
offre un intérêt d'actualité. Le misérable judiciaire-
ment convaincu de faits de barbarie envers des pri-
sonniers de guerre, le capitaine Henri 'W'irz, était un
Germano-Américain; et, en la circonstance, on con-
state, — précisément dans la République américaine
si généreuse, mais si rigide d'équité, — l'application
par anticipation de l'idée très justement en laveur de-
puis l'effroyable ouragan de 1914 : pour l'apaisement
de la conscience humaine, il faut que le vainqueur
impose au vaincu le châtiment, par les pénalités du
droit commun, des excès criminels de la guerre.
Henri Wirz, né en Suisse, à Zurich, était d'ori-
gine allemande. En 1x49, il émigra en Amérique et,
s'étant marié, il devint planteur dans la Louisiane.
C'était un homme de si.x pieds, aussi fort qu'il
était grand. Débauché, violent et emporté, voilà
pour le moral. Il y avait à peine douze ans qu'il vi-
vait en .Vmérique, lorsque, en 1861, éclata la grande
guerre civile, la guerre de Sécession, entre les Etats
du Nord et les Etats du Sud, entre le gouvernement
fédéral et les Confédérés séparatistes, du côté des-
quels la Louisiane s'était rangée. Wirz s'enrôla
dans les troupes de la Confédération; il y obtint le
grade de capitaine.
En juin 1862, à FairOaks, au cours de l'éclatante
victoire des Confédérés, Wirz fut blessé. Dès lors,
il vil décliner sa santé, déjà fort compromise par
les excès; et c'est vainement qu'en 1863 il vint
chercher en Europe la guérison de ses maux.
La Confédération avait créé, à Andersonsville,
un camp spécial où elle détenait, en grand nombre,
des prisonniers faits aux armées fédérales. L'orga-
nisateur du camp, le général Widner, — un autre
Germano-.\méricain, — avait déclaré :
Je vais établir ici un parc qui tuera plus de damnés
Yankees que l'on ne pourrait en abattre sur le front...
Le camp avait une étendue d'environ vingt acres.
Une palissade, rigoureusement close, le délimitait.
Il était en partie dénudé ; ailleurs, ce n'étaient que
mauvaises nerbes, ronces et broussailles. Dans les
alentours directs, des bois aux vieux el beaux arbres,
mais aussi des marécages aux miasmes fétides. Le
camp était, par surcroît, laissé dans un étal perma-
nent d'immonde saleté; les mouches y pullulaient,
de même que les poux.
L'enclos était traversé par un ruisseau qni four-
nissait la seule eau à boire. Celte eau, contaminée
de toutes manières, était mortellement malsaine.
Pour les reclus, en ce coin maudit, pas d'abris
fermés : simplement des hangars el quelques poteaux
recouverts de toiles. Or, le climat était atroce : pen-
dant le jour, une chaleur intolérable ; dès la nuit
venue, une rosée qui, pénétrant tout d'humidité, gla-
çait les êtres jusqu'aux moelles. Dans le camp, un
hôpital; mais à quel point rudimentairel...
L'est au capitaine Wirz qu'à son retour d'Europe
fut confiée la direction du bagne organisé avec une
résolution si implacablement sauvage.
Dès la mise en œuvre de son autorité sur Ander-
sonsville et ses hôtes lamentables, Wirz sentit fré-
mir en lui, — à l'exemple de son frère de race, le
fondateur du camp, — tous ses instincts barbares
de Germain.
Au nombre de ses sous-ordre allait être un Alle-
mand de Kranclorl-sur-le-Mein.
Wirz imagina, dans l'enceinte du camp, une ligne
que les prisonniers ne pouvaient dépasser. Sur celle
ligne, des fusils étaient tenus braqués, et tous ceux
qui enfreignaient la défense étaient tués, sans aver-
tissement. La cruauté était d'autant plus raffinée
que, sur la « ligne de mort », existait 1 eau la moins
impure, l'eau qui, très ardemment, tentait la soif
des internés.
Les évadés étaient furieusement traqués par des
meules de chiens sauvages, quileurmordaientel dé-
chiraient leschairs, parfois même les mettaient à mort.
D'autres infractions plus légères à la discipline
étaient punies par la suppression de la ration ali-
mentaire, ou par d'atroces tortures, telles que « le fer
au cou » ou (I le bâillon », dont Wirz se plaisait à
amuser sa femme et ses filles.
Comme un prisonnier, du nom de Villiam Sle-
wart, manifestait l'intention de s'enfuir, Wirz le
tua de sa propre main, puis il s'empara des trente
dollars que le mort avait sur lui.
Une autre fois, un pauvre di.ible aborda le sou-
dard, lui demandant humblemeiit : « Laissez-moi
aller hors de lapalissade,... pour avoir un peu d'air.
— Que veux-tu dire?... » s'écria, en allemand, Wirz,
d'un Ion furieux. Et, d'un coup de revolver — la
brute! — il l'abaltil.
Les aliments étaient insuffisants. Les hommes
n'avaient plus que la peau sur les os. Beaucoup
moururent d'inanition. D'autres, afi'olés, mettaient
fin à leurs souffrances en se coupant la gorge.
Les malades eux-mêmes n'avaient pas plus de
soins. Les trois quarts des décédés auraient pu cire
sauvés par un traitement normal. Contre la dysen-
terie un seul remède en usage : les mûres des
ronces du camp ; et encore les gardiens, pour se
faire des tartes, en dépossédaient-ils les malheu-
reux qui les recherchaient. L'un des médecins
d'Andersonsville, le D' John Baies, a affirmé :
Pour le traitement dos plaies, nous n'avions absolament
que de l'eau.
Les plaies gangrenées étaient fréquentes et, à leur
propos, cet autre témoignage :
Les plaies gangrenées restaient sans pansement ; les
f>laie8 étaient remplies de mouches et de poux. Un
lomme, j'en suis certain, est mort d'avoir été rongé par
les poux ; il en était couvert comme d'un vêtement.
Wirz se réjouissait de voir la mort faucher les
captifs, se vantant de faire plus, ponr la cause des
Confédérés, que n'importe quel général sur le
champ de bataille ; el, toutes les fois qu'on enter-
rait une de ses victimes, l'abominable geôlier répé-
tait invariablement cette macabre plaisanterie :
Voilà comment je donne aux Yankees la terre pour la-
• inelle ils se battent !...
Et, chaque jour davantage, le nom d'Andersons-
ville, la pensée de son « enfer » suscitaient l'hor-
reur et la colère dans les Etats de l'Union.
Après qu'en avril 1865 la victoire finale leur
eut été acquise, les Fédéraux, satisfaisant aux exi-
gences de l'opinion publique, traitèrent en bandit de
droit commun le grand responsable de tant de bar-
baries : Wirz fut arrêté et déféré, pour ses actes
de cruauté, pour ses crimes, à une commission
militaire, réunie à Wasinghlon.
Les débats — dont le retentissement fut universel —
durèrent plusieurs mois, d'aoiit à novembre 1865.
Depuis sa captivité, 'Wirz ne cessait d'écrire des
lettres pleines d'exaltation religieuse.
Les mois passèrent et, vers octobre, 'Wirz, se di-
sant très malade, à peu près inerte, les yeux éteints,
— bien que s'animant parfois d'une expression sau-
vage, — paraissait brisé, au moral comme au phvsi-
que. C'est étendu sur un sofa qu'il suivait les audien-
ces. Ses paroles étaient devenues incohérentes, sa
voix inintelligible. Il lui arrivait de s'évanouir, et
on devait l'éventer, lui donner de l'eau fraîche.
Lorsqu'un incident le contraignait à se lever, il ra-
massait son grand corps sur lui-même, — « comme
s'il eût craint qu'il ne tombât en pièces », dit un
compte rendu, — el, rassemblant toutes ses forces,
à grand effort, il se mettait debout. Pour le trajet
entre sa cellule et la salle de la commission militaire,
il fallait user d'une civière. Celle hypocrite dépres-
sion, faite pour apitoyer, ne touchait personne. Nul
ne fut dupe de la comédie.
La défense opposait à l'accusation d'énergiques
dénégations, tentait de pathétiques appels à la
pitié. L'avocat Baker s'écriait :
Le capitaine Wirz, détenu, dénué de tout, faible de
corps et d'esprit, est incapable même de fournir A ses
conseils la plus petite information certaine sur les points
les plus essentiels de sa défense ; et, en face de lui, un
des plus forts gouvernements de la terre rassemble, pour
l'écraser, tous les moyens en son pouvoir, va jusau'à ac-
cumuler sur sa tête tous les débris de la Conféaératioo
défunte !...
Et lentement, péniblement, à travers des incidents
multipliés, — que compliquait l'esprit de chicane,
parfois intolérante, manifesté par le ministère pu-
blic, le juge-avocat Shipman, — le procès se traînait
en d'interminables et oiseuses dépositions.
Henri Wirz fut reconnu coupable et condamné à
la peine de mort, c'esl-à-dire à la pendaison. Très
promptement, la sentence fut sanctionnée par le
nouveau président des Etats-Unis, Johnson.
Mme Wirz, ayant alors obtenu la faveur de voir et
embrasser son mari, fut surprise au moment où elle
lui remettait une fiole de poison.
Le jeudi 9 novembre, dans la soirée, avis fut
donné à Wirz qu'il devait se préparer à la mort. Le
lendemain, le tortionnaire d'Andersonsville, qui
avait subitement retrouvé son énergie, marcha froi-
dement à l'échafaud et fut pendu devant la foule
qui depuis longtemps réclamait la punition de ses
crimes. — Louis Ajidr£.
cblclé n. m. (mot espagnol. Latex qui découle
du tronc du sapotillier et,d'aulres arbres de la même
famille (sapolacées).
— Encycl. Le cniclé est utilisé dans la prépara-
lion de ces pâles masticatoires (chewing-giims) dont
les Américains font un si grand usage, et sa récolte
dans les forêts tropicales du Guatemala, du Hondu-
ras, donne lieu à un mouvement d'affaires important.
Il faut conduire à pied-d'œuvre, c'est-à-dire dans
des forêts difficilement praticables, les ouvriers re-
crutés parmi les Indigènes et qui exigent, pour les
difficultés de l'entreprise, des salaires assez élevés.
Les arbres sont choisis avec soin, et chacun de
ceux qui ont reçu la marque subit la saignée. Celle-
ci se fail, d'ailleurs, de façon toute spéciale : un indi-
gène grimpe jusqu'au faile de l'arbre et redescend
200
lentement en pratiquant, tout le long du tronc, des
incisions en biais qui se rejoijrnent l'une l'autre, ou
une incision en spirale ininterrompue. Ces incisions
servent de rigole au latex et se prolongent jusqu'au
pied de l'arbre, où l'on dispose une gouttière en
feuille de palmier qui conduira la récolte dans un
récipient ad hoc.
Le latex, ainsi recueilli, subit sur place une pre-
mière préparation, qui consiste en un filtrage à tra-
vers une toile, puis concentration par chaulTage en
des récipients de cuivre. On le coule en pains assez
volumineux et, lorsque ces pains sont refroidis et
durcis, on les expédie, à dos de mule, au magasin
principal de l'exploitation, souvent fort éloigné du
lieu où s'est faite la récolte. De là ils sont expédiés
(par bateau^ aux ports des Etats-Unis, où s'en appro-
visionnent les manufactures nombreuses qui traitent
le chiclé et lui fout subir diverses opérations avant
de le livrer aux consommaleurs sous forme de petites
tablettes de ckewing-gum. — Jean de Chaon.
Coucy et ses h.a'bitants (lk Château de).
Les Allemands, dans leur folie de destruction sys-
tématique, cherchent à atteindre particulièrement
les monuments qui peuvent nous être chers par les
souvenirs qui s'y rattachent. Après Reims, monument
de la grandeur de nos rois, après Arras, symbole de
la puissance des communes, voici Coucy, témoin de
la grandeur féodale, qui s'effondre sous leurs coups.
Le château de Coucy, situé dans le département de
l'Aisne et l'arrondissement de Laon, était btlti h.
l'extrémité de la colline allongée qui domine la
Lette, affluent gauche de l'Oise. Ses proportions
énormes étaient faites pour résister aux plus rudes
assauts. Ruine magnifique, il attirait avant la guerre
de nombreux touristes et promeneurs. Ses murs dé-
mantelés, sa masse imposante racontaient les diver-
ses phases de notre histoire, en rappelant les luttes
dont il avait été rol)jet et le témoin.
Le château et ses habitants étaient à la même me-
sure, et cette mesure était unique en son genre. La
demeure seigneuriale avait abrité pendant deux
siècles une race pleine de caractère, la lignée des
Coucy, qui joua un rôle de première importance à
l'époque féodale, grâce à ses richesses, à l'étendue
de ses domaines et à son tempérament aventureux,
justifiant ainsi sa devise orgueilleuse :
Hoxj ne suis, ne prince, ne duc, ne comte aussi ;
je suis le sire de Coucy.
Avant Enguerrand llf, le constructeur présumé du
château, la plus ancienne mention du nom de Coucy
remonte à 1059, où apparaît
un certain Anbri de Coucy,
possesseur d'un premier cas-
tel, construction romane bâtie
sur le même emplacement.
Toutefois, le véritable fon-
dateur de la lignée des Coucy
parait être Enguerrandl",sei-
gneur plein de talents et aussi
de rudesse. Son fils, Thomas
de Marie, qui prend posses-
sion du domaine après lui,
exagère les défauts de son
père et se conduit comme une
sorte de brigand; il est battu
par le roi Louis le Gros, qui
lui enlève la tour de Coucy (1117) et le réduit à une
soumission complète. Mais, en revanche, ses deux
successeurs vont mourir en Terre sainte, légitimant,
en le mettant au service de Dieu, ce goût des aven-
tures qui est au fond de l'âme des Coucy.
Enguerrand III, dont l'avènement marque l'apogée
de la maison, natt eu plein mouvement communal.
Après avoir donné une charte de franchises aux bour-
geois de ses domaines, il se croit en droit de leur
demander leur aide pour la reconstruction de leur
ville et du château, qu'il entreprend vers 1225.
Sa puissance accrue par des mariages adroits et
son ambition démesurée, qui l'entraînent à mécon-
naître les lois les plus sacrées du royaume, à défier
l'archevêque de Reims, à faire arrêter en pleine ca-
thédrale le chapelain du chapitre de Laon, lequel avait
refusé de se soumettre à ses volontés, lui font com-
prendre la nécessité d'un inviolable repaire où il se
sente en sûreté. Son projet réalisé, il se rit de tout
et de tous et se croit assez fort pour se livrera toutes
ses fantaisies, parfois louables, mais parfois aussi
d'une insolente audace.
Si, en effet, il est un des promoteurs de la croi-
sade des Albigeois et l'un des principaux acteurs à
la bataille de Bouvines, il hésite, cependant, quoique
enivré de gloire et d'orgueil, fort de sa richesse et
confiant dans la solidité de la retraite inexpugnable
qu'il s'est ménagée, à entrer en lutte avec le roi lui-
même pour lui disputer sa couronne. La minorité
de saint Louis lui fournit un prétexte, et il réussirait
dans ses desseins si Blanche de Caslille ne parvenait,
grâce à une adroite diplomatie, à conquérir ce cœur
farouche et à l'amener, de son propre gré, à jurer
fidélité au roi, dont il accepte de neplusêtre le rival,
mais l'égal, ainsi qu'il le répète et le démontre
maintes fois à ses intimes.
Au reste, son serment ne l'engage pas plus, lui , que
Armes des seigaeurs
de Coucy.
LAROUSSE MENSUEL
sa lignée ; car, s'il est vrai que son fils aîné meurt à
la croisade en sauvant la vie au frère du roi, son
fils cadet, Enguerrand IV, se montre le digne héri-
tier de tous ses a'ieux et, notamment, de Thomas de
Marie, en se livrant à de nombreuses exactions et en
narguant le roi, qui menace de le faire exécuter. Il
s'en tire moyennant une forte amende et semble,
sur la fin de sa vie, donner les marques de quelque
repentir. Après ces rudes batailleurs, le château
tombe en quenouille. Un procès, qui dure dix-huit
ans, en donne la possession à la deuxième branche
des Coucy, race plus puissante que la première, plus
aventureuse encore s'il est possible. Le premier
de la deuxième branche est Enguerrand 'VI, appa-
renté à plusieurs maisons royales, qui défend le
Château de Cuucy. — Le dunjou et la porte du Muse
château contre les Anglais el meurt à Crécy en 1346.
Mais c'est le second, Enguerrand VII, qui est le plus
typique : sa vie est la mieux remplie el la plus cu-
rieuse qu'on puisse imaginer. Né au milieu des tris-
tesses de la guerre de Cent ans et de la révolte des
11 Jacques », il subit malgré lui les conséquences
de la première, mais réprime impiloyablementla se-
conde. Les vicissitudes de la défaite le font choisir
comme otage pour garantir la rançon du roi Jean
le Bon. Il est donc envoyé en Angleterre. Là, il réus-
sit à épouser la seconde fille du roi Edouard III et
se trouve ainsi possesseur d'immenses domaines
en Angleterre et en France. Il retourne à Coucy
en 1368. La guerre éclatant de nouveau entre la
France et l'Angleterre, il se croit tenu par son ma-
riage de rester neutre. Cependant, rester neutre ne
veut pas dire, pour un homme de ce carictèi e, rester
inactif; il va se battre en Italie contre les Visconti,
tyrans de Milan. Un peu plus tard, comme, par sa
mère, fille de l'empereur Léopold, il possède des
droits à la couronne d'Autriche, à la mort de ce
prince, il entreprend de les faire rccoimaître. Le roi
de France l'approuve, une partie de la noblesse le
suit, il ramasse une bande d'aventuriers et tente un
coup de main audacieux, qui éclioue. Il ajoute alors
â son blason une couronne renversée, allusion à ses
droits méconnus. Sur ces entrelaites, Edouard III
meurt. Enguerrand profite de cette circonstance pour
répudier sa femme, en laissant à sa fille, Philippote,
qui n'est jamais venue en France, tous ses biens en
Angleterre. Ainsi dégagé, il peut se battre contre
les Anglais. Charles V lui offre l'épée de conné-
table; il la refuse et propose généreusement au roi
de nommer à sa place Olivier de Clisson. Alors,
s'ouvre sa carrière diplomatique. On le suit tour ii
tour en Bretagne, où il engage le duc à faire la
paix avec le roi de France; puis en Espagne, où il
accompagne le duc d'Anjou; en llalio, où il par-
ticipe avec les Génois à une expédition contre les
«• 126. Août 1917.
pirates africains. Il apparaît aussi comme médiateur
en Savoie. Sa dernière entreprise est la croisade de
Nicopolis. Il accompagne le comte de Nevers; il
est fait prisonnier par le sultan Bajazet, et il meurt
à Brousse, au moment où l'on négocie sa délivrance
(1397). Entre temps, il a fait d'importantes modifi-
cations au château, ce qui ajoute pour nous à l'intérêt
de sa vie. Il meurt sans héritier mâle et, dès lors, la
race des Coucy s'éteint dans un inlerminable procès
entre les deux héritières, Marie de Bar et Isabault
de Nevers. Désormais, le château abritera des étran-
gers; étrangers de marque, d'ailleurs, puisque c'est
le duc Louis d'Orléans, le propre frère du roi, qui
s'en rendra acquéreur (1400) el qu'après lui, le titre
passera aux héritiers mâles de la famille d'Orléans.
Cette possession n'ira
pas, cependant, sans
de multiples contes-
talions. Entrer dans
le détail de ces luttes
serait s'y perdre. Di-
sons, seulement, que
le duc de Bourgogne,
jaloux de l'acquisition
du duc d'Orléans, cher-
che à la lui enlever et
que c'eslunedes causes
lie la longue lutte des
Bourguignons et des
Armagnacs. Coucy
passe alternativement
d'une main dans l'autre
el, finalement, se trou-
ve appartenir au duc
Louis Ild'OrIéans,lors-
quil devient roi sous
le nom tle Louis XII.
Ce dernier réunit Cou-
cy à la couronne et le
concède en apanage à
sa fille, Claude de
France, femme du duc
d'Angoulême, plus tard
Frani;ois I''', qui, à son
tour, le donne à litre
d'apanage à son second
fils, (Jharles de Valois.
Le domaine esl ensuite
attribué comme douai-
re à Catherine de Mé-
dicis (1562). Quatorze
ans après, il passe à
Diane de France et
rentre enfin dans la
m aison d'Orléans-
Bourbon, qui le garde
jusqu'à la Révolution.
Peudant les guerres
de religion, les protes-
tants, appréciant la va-
leur stratéf;ique du
château, s'en emparent
en 1567. Tour à tour,
on le voit aux mains
des calvinistes et des
partisans de la Ligue, puis, ensuite, dans celles des
Frondeurs. Enfin, en 1652, Mazarin, qui suspecte
Hébeit, gouverneur de la place, de manquer de
loyalisme envers son souverain, ordonne de déman-
teler l'imprenable châleau, dont l'existence même
demeure un danger pour la couronne. Hébert résiste
à l'ordre du ministre et s'enferme dans Coucy. La
place n'est pas prise, mais, les habitants de la ville
s'étanl plus tard soumis, Mazarin charge un ingé-
nieur es travaux de feu, Métezeau, le vieil ingénieur
du siège de La Rochelle, de rendre désormais Coucy
inoffensif. C'est la deuxième fois que le château subit
l'épreuve de la poudre, sans laquelle il n'aurait ja-
mais pu être réduit. En 1411, en effet, lorsd'un siège
par les Bourguignons, le comte de Saint-Pol avait
employé la mine, une nouveauté de l'époque; mais
la galerie, mal élayèe, s'était écroulée, ensevelissant,
près de la porte Maître-Odon, curieux et travail-
leurs. Les 50 barils de poudre massés par Métezeau
el son fils sous le donjon et sous les lours ont
plus d'effet que la mine du comte de Saint-Pol, mais
la silhouette générale résiste et résistera jusqu'au
jour où un ennemi, l'Allemand, qui n'a même pas
pour excuse un intérêt stratégique, s'acharnant sur
cette vieille muraille ridée, consacrera 28.000 kilo-
grammes d'explosif à l'anéantir 1
Le château de Coucy était la plus typique des de-
meures féodales et, surtout, le plus parfait exemple
de l'ingéniosité stratégique du xur" siècle. Sous ces
deux aspects, par ordre d'importance et de chrono-
logie, il se classait, au dire de Viollel-le-Duc (dont on
ne peut négliger l'opinion quand il s'agit des cons-
tructions du moyen âge), entre le Château-Gaillard
et les fortifications de Carcassonne et d'Avignon.
En ces temps, où la défense était supérieure à l'at-
taque, un château à l'épreuve du feu, des balisles,
des flèches, des travaux souterrains, capable de ré-
sister à un siège par la famine, ne pouvait être ré-
duit : Coucy était impienable.
1
«• 12e. Août 1917.
L'ait de l'ingénieur, à celte époque, n'était pas seu-
lement d'écraser l'assaillant, il consistait snrloul
à le décourager. Celui-ci était donc conduit à des
obstacles de plus en plus insurmontables, dans les-
quels s'aflirmait graduellement la supériorité de
l'assiégé. A Goucy, l'assiégeant devait commencer
par s'emparer du village ; c'était là que se présen-
tait le seul flanc accessible du cliâleau. Sur les
autres, en effet, la muraille s'élevait à pic à la crête
du coteau et, sur la muraille, courait un chemin de
ronde facilement défendable. Le village de Coucy
était entouré d'une enceinte fermée de trois portes.
Les portes étant les points vulnérables de la forti-
fication, toutes étaient bien défendues, mais particu-
lièrement celle qu'on appelait la porte de Laon, où
l'architecte avait accumulé un ma.\imum de défenses
pour un minimum d'espace. Une fois maître de la
porte de Laon, l'assaillant était maître du village.
Il lui fallait alors pénétrer dans la basse-cour du
château, et il se heurtait à la porte Maître-
Odon. Cette porte, sur le modi-le de la
précédente, était supérieurement armée.
Un fossé la séparait de Coucy-la-Ville; un
pont-levis l'isolait, une herse et deux tours
en gardaient l'entrée. Les défenseurs
étaient massés dans le corps de garde et,
comme la méfiance est le meilleur moyen
d'éviter une trahison, des meurtrières très
étroites permettaient d'apercevoir l'enne-
mi, mais non de communiquer avec lui.
De plus, les hommes chargés de la garde
du pont-levis n'avaient aucun contact avec
ceux qui le faisaient manœuvrer. Si l'en-
nemi était parvenu à se rendre maître de
cette porte, il pénétrait dans la basse-
cour. Celle-ci était flanquée d'un rempart
et de dix tours. Elle renfermait les com-
muns et une chapelle dite des " Onze-Mille-
Vierges », dernier vestige du château ro-
man. Maître de la basse-cour, l'assaillant
qui aurait voulu pénétrer dans le chAteau
rencontrait un nouveau fossé, large de
20 mètres, qui séparait la basse-cour de
la chemise du donjon. Sur ce fossé était
jeté un pont, qui aboutissait à l'unique
porte du château proprement dît, et ce
pont était défendu à l'entrée et à la sortie
par deux portillons. Mais, pour forcer la
porte elle-même, protégée par trois herses
et défendue par une brelêche, il fallait
encore que l'assaillant affrontât les tirs
croisés de la tour de l'Est et du donjon,
ce qui rendait l'entreprise des plus péril-
leuses. Supposons l'ennemi dans la place ;
le voici dans ce quadrilatère irrégulier,
flanqué de quatre tours de cinq étages,
disposées autour d'une cour dominée par
le donjon; mais il lui faut, maintenant,
conquérir successivement chaque bâti-
ment. Là, chaque salle est une casemate,
chaque porte nécessite une effraction,
chaque escalier demande une escalade;
l'assiégé se défend chez lui, il a de longue
date calculé ses sacrifices, ménagé sa re-
traite, et il se défend pied à pied, avec mé-
thode. Son dernier refuge sera le donjon.
Le donjon de Coucy était un monument
gigantesque. Il mesurait 31", 25 de dia-
mètre; il avait des murailles d'une épais-
seur de plus de 7 mètres, sa hauteur était de 54 mètres.
C'était la plus grosse et la plus forle tour du monde.
Ce donjon était isolé de l'extérieur par un fossé
de 8 mètres et protégé par une chemise en maçon-
nerie de 20 mètres de haut. Son unique porte ne
communiquait avec la cour intérieure du château que
par un pont à bascule relevé en cas d'attaque ; elle était
défendue par un mâchicoulis, une herse, un vantail
barré, un second vantail au delà de l'entrée de l'esca-
lier et une grille ; c'est assez dire l'importance qu'on y
attachait. Le pont à bascule était manœuvré comme
celui de la porte Maitre-Odon; mais, lorsqu'il était
relevé, Un système ingénieux permettait aux défen-
seurs de se dérober par le fossé pour prendre les as-
saillants à revers. Des souterrains partant de divers
points du château jouaient, d'ailleurs, le même rôle.
Le donjon comprenait trois étages. (Le moyen
par lequel les ingénieurs de l'époque avaient triom-
phé des difficultés de sa construction a été mis en
lumière par Melleville, qui, le premier, a fait re-
marquer que les trous de boulin percés en spirale
au long de la tour avaient servi à étayer un écha-
faudage d'une inclinaison assez peu prononcée pour
qu'on y montât à l'aide de treuils des chariots
pleins de matériaux.) Il n'existait pas dans le donjon
d'étage souterrain, afin que l'ennemi, qui aurait
tenté d'y pénétrer en creusant une mine, ne ren-
contrât pas de vide. La porte d'entrée, mentionnée
plus haut, conduisait par un couloir à une salle,
au rez-de-chaussée, qui servait de magasin pour les
provisions et pour les armes. Les défenseurs s'ap-
provisionnaient au moyen d'un monte-charge ma-
nœuvré à l'aide d'un treuil placé à l'étage supérieur,
et chaque étage était percé à cet effet d'une ouverture
centrale. Le premier, haut de 13 mètres et voûté
LAROUSSE MENSUKL
d'ogive comme le suivant, était au niveau du chemin
de ronde qui faisait le tour du château et avec lequel
il pouvait communiquer par un pont volant qu'on
rentrait à l'intérieur en cas d'attaque, ce qui isolait
le donjon. Le deuxième était occupé entièrement
par une immense salle en rotonde, entourée d'un
balcon intérieur. C'était là le cœur du château, l'âme
de la résistance. Plus d'un millier d'hommes pou-
vaient s'y rassembler lorsque le chef avait quelque
communication collective à faire à la garnison.
L'étage supérieur, pavé de plomb, était bordé par le
mur de la tour, peicé de vingt-quatre ouvertures,
sur lesquelles s'appuyaient en temps de guerre les
houriis en bois qui permettaient aux défenseurs du
château de battre le pied des remparts. Il y a lieu
de noter qu'à Coucy les contreforts ou corbeaux exté-
rieurs destinés à soutenir les hourds étaient en
pierre. C'était un acheminement vers le mâchicoulis,
lequel n'est qu'im hourd entièrement construit en
Le château de Coucy : resUtuUon de VioUel-le-Duc,
pierre et soustrait ainsi à l'action du feu, suivant la
définition qu'en donne Vîollet-le-Ducdans sonEssai
sur l'architecture militaire. A noter aussi la pré-
caution qu'avait prise l'ingénieur d'éviter qu'aucun
escalier ne conduisît directement aux faites des
bâtiments, mais seulement à une chambre de chaque
étage, dételle sorte qu'on pouvaitétablîrun contrôle
de ceux qui montaient ou descendaient et leur inter-
dire le passage.
Telle était l'ingéniosité de cet ensemble de dé-
fenses, graduant les difficultés et rendant à peu près
impossible la prise de la place forte. Au reste, l'his-
toire a rendu nommage à l'architecte, car, tant que
le progrès humain n'eut pas découvert la force
explosive, le château de Coucy demeura imprenable
et ne fut occupé par l'ennemi que quand, de lui-
même, il ouvrit ses portes.
Ainsi se présentait le château au point de vue
purement militaire, mais il faut aussi dire quelques
mots dune partie des bâtiments que Viollet-le-Duc a
crue de construction contemporaine du donjon, mais
que Lefebvre-Pontalis a pu, grâce à des documents
nouveaux, considérer comme ayant été remaniée et
même entièrement transformée au xiv« et même au
début du w" siècle. Ces bâtiments se distinguent
par leur agrément et leur charme, qui contraste
avec le plan rude, uniquement défensif, conçu par
Enguerrand III. Il s'agit de divers corps de logis con-
tenant la salle des Preux et la salle des Preuses et
datant d'Enguerrand VII. La salle des Preuses était
la pièce principale d'une habitation à deux étages.
L'architecte du xiv» siècle avait percé trois larges
baies dans l'épaisse courtine du château, qui en
formait le mur extérieur. Par ces baies, le jour
éclairait largement les sculptures peintes et les
201
dorures qui ornaient cette .salle immense et, notam-
ment, le manteau d'une cheminée gigantesque sur
laquelle se détachaient, plus grandes que nature,
les statues des neuf preuses d'où elle tirait son
nom. La salle des Preux, dans le bâtiment contigu,
était encore plus grande et plus décorée. EUle avait
60 mètres de long et pouvait contenir 3.000 per-
sonnes. D'un côté, elle prenait jour sur la campagne
au-dessus du chemin de ronde et, de l'autre, sur la
cour intérieure du château. Une immense verrière,
percée au midi sous les lambris de la voûte de bois,
achevait d'égayer cette magnifique salle de réception.
Une cheminée double, analogue à la précédente,
portail les statues des neuf preux. Celle de Bertrand
Uu Guesclin y avait été ajoutée par Charles d'Orléans,
lors du remaniement définitif, au xv siècle. Aux
deux extrémités de la pièce se trouvaient deux tribu-
nes : l'une d'elles destinée aux musiciens, l'autre aux
dames, cette dernière décorée de pampres et de fruits.
Contre les bâtiments de lasalle des Preux
s'élevait une chapelle du xiii' siècle, très
richement ornée et dont les vitraux étaient
d'une particulière beauté.
La grandeur et le romanesque, unis à la
puissance, tels étaient les caractères de
ce logis et de ses habitants. Les Coucy et
leur château avaient traversé les siècles,
grâce à ces traits qui paraissaient les
associer dans une même immortalité. Il
semblait que la ruine auguste de l'impo-
sante forteresse n'eût plus rien à craindre
de la morsure du temps; mais, ce que les
siècles n'avaient pu l'aire, le vandalisme
allemand l'a accompli. Le 22 mars 1917,
les soldats du kaiser ont, une fois encore,
donné la mesure de la « KuUur » alle-
mande : Coucy n'est plus, maintenant,
qu'un amas de décombres. Le célèbre
château est réduit à néant ; deux des tours,
celles qui faisaient face à Chauny, sont
détruites, le reste est méconnaissable. La
fameuse porte de Laon, si pittoresque, a
disparu. Les barbares ont tenu à abattre ce
géant, avant de se retirer sous notre vigou-
reuse pression. A ce témoin de la gran-
deur féodale, qui pouvait nous parler de
notre passé glorieux, ils ont voulu fermer
la bouche. Mais leurs efl'orls sont vains :
le vieux château se dresse invaincu dans
notre souvenir, et ses pierres écroulées
attestent seulement la sauvagerie des hor-
des teutonnes. — Jean-Gabriel Leuoins.
Déjerlne (Jules), médecin français,
né à Genève, de parents français, le 3 août
1849, mort à Paris le 26 février 1917. Il a
succombé à une attaque d'urémie aiguë.
Elève de Vulpian, interne des hôpitaux
de Paris, docteur en 1879 avec une thèse
sur les Lésions du système nerveux datis
la paralysie ascendante aiguë, Déjerine
se consacra, on pourrait dire « de façon
exclusive », à la pathologie du système
nerveux. En cette partie de la médecine,
il fit faire à nos connaissances de grands
Erogrès, qu'il s'agisse des symptômes mor-
ides, de la classification des maladies ou
des lésions qu'elles déterminent dans les
différentes parties constituantes de l'axe
nerveux, ou de ses ramifications périphériques. C'est
peut-être dans cette dernière partie de son œuvre
qu'il se montra surtout un maître dont les décou-
vertes resteront. Il scruta sans répit, avec une
grande sagacité, l'anatomie pathologique de ces
délicats appareils. C'était là une besogne presque
neuve, en bien des chapitres de laquelle Charcot
et ses élèves n'avaient fait qu'esquisser la tâche. En
d'autres, il perfectionna notablement ce qu'avait
établi l'école de la Salpêtrière. Il s'occupa aussi
bien de l'anatomie macroscopique, qui considère
les grosses lésions et pour laquelle suffit le rensei-
gnement fourni par les yeux, que de la microsco-
pique, où le grossissement instrumental est néces-
saire. Pour cette dernière, il fut le promoteur d'une
méthode d'examen de la moelle par coupes minces
en série, qui furent un moyen d'investigation des plus
précieux. Pour mieux établir ce que les lésions occa-
sionnaient dans cet appareil nerveux si compliqué, il
eu revisal'anatomie normale et publia un ^//<rsrf'(j na-
iomie du système nerveux, qui est un ouvrage de très
grande valeur. Déjerine aura marqué dune forte
empreinte son passage dans la médecine contempo-
raine, et il n'est guère de maladies du système ner-
veux dans l'histoire desquelles il ne devra être
nommé. Signalons, parmi elles, le tabès, la mala-
die de Tbomsen, les myélites, la syringomyélie, les
névrites, elc.
Sa vie fut droite, simple et calme, et c'est peu à
peu, à force de travail, par l'évidence du mérite de
ses travaux continus, par la valeur des notions nou-
velles découvertes, qu'il s'imposa au monde scienti-
fique Il conquit un à un les honneurs et les fonc-
tions. Chef de clinique à l'hôpital de la Charité
en 1879, il était nommé, en 1882, médecin des hô-
202
pitaux de Paris el agrégé de la Facullé de méde-
cine en 1886. En celte qualité, il fit des conférences
très suivies d'anatomie pathologique et donna un
enseignement hospitalier remarqué aux Enfanls-
Malades et à Bicêtre. Pendant le cours de son agré-
gation, il eut l'occasion de suppléer le P' Peter à
la clinique médicale de la Charité en 1893, el l'on
s'aperçut vite que la pratique du malade lui était
aussi familière que les études de laboratoire. Aussi,
en 1901, fut-il
nommé profes-
seur. La chaire
d'histoire de la
médecinenepou-
vait êlrepour lui
qu'une étape pro-
visoire,comme il
est regrettable
qu'elle le soit tou-
jours. Il l'échan-
gea rapidement
contre une chaire
de pathologie In-
terne, qu il dé-
laissa h son tour.
Sa vraie place
était à la Salpê-
trière, dans cette
chaire de clini-
que des maladies
Le D' Déjerine. ^u système ner-
veux qu'avait il-
lustrée Charcot et où Raymond avait ensuite pro-
fessé. Déjerine, qui y enseigna jusqu'à sa fin, fut le
digne successeur de ces cliniciens émériles.
Les distinctions académiques ne lui firent pas dé-
faut. En 1879, à la Société anatomique, il était titu-
laire du prix Godard; en 1886, l'Institut (Académie
des sciences) lui décernait un prix Montyon, con-
jointement avec le P' Landouzy, pour avoir indivi-
dualisé, en collaboration, une maladie nouvelle, la
myopathie alrophique progressive, à laquelle leurs
deux noms sont resiés appliqués. Membre de la
Société de biologie, membre honoraire de la Société
royale do Londres et titulaire, par elle, de la mé-
daille d'or Moxon, le P"' Déjerine fut élu membre
de l'Académie de médecine en 1908, dans la section
d'anatomie pathologique.
Beaucoup des travaux de Déjerine ont été faits en
collaboration avec sa femme, M™" Déidrine, née
Klumpke (docteur en médecine, la première femme
reçue interne titulaire des hôpitaux de Paris, cheva-
lier de la Légion d'honneur). Du nombre est l'Atlas
remarquable dont nous avons parlé. 11 a, de plus,
publié : VHéréditê dans les maladies du système
nerveux ; Traité des maladies de la moelle épinière
(en collaboration avec le D'A. Thomas); Traité de
séméiologie du système nerveux; Traité des psy-
chonévroses, sans compter les très nombreuses com-
munications faites aux sociétés savantes dont il était
membre. — D' ii. booouet.
Frédéric HI [l'Empereur] (1831-1888), par
Henri Welschinger. — Ce n'est pas une étude d'en-
semble du caractère du second empereur allemand,
de sa vie, ni de son règne éphémère, que l'historien
a voulu donner dans le présent volume; il a seule-
ment montré entre l'empereur Frédéric III et Bis-
marck « des oppositions et des désaccords considéra-
bles au point de
vue de la politi-
que allemande ».
11 en a trouvé le
plus éclatant té-
moignage dans le
Journalduprince
et dans l'extraor-
dinaire procès
que le chancelier
intenta aux pre-
miers éditeurs de
ce journal.
Après avoir,
dans une pre-
mière partie, re-
tracé brièvement
la carrière de
Frédéric III, in-
sistant spéciale-
ment sur sa dou-
loureuse agonie,
il a, dans une se-
conde partie, publié quelques extraits du Journal du
prince durant la guerre de ISTOet a terminé en rela-
tant le procès intenté au secrétaire de Frédéric, Gell-
cken, qui avait donné, au mois d'octobre 1888, à la
Deutsche Hundschau, la primeur du Journal prin-
cier et qui, le 4 janvier 1889, fut acquitté par le tri-
bunal de Leipzig, à la grande colère du chancelier.
Né lel8 oclobrel831, le prince Frédéric, élevé en
soldat comme tout HohenzoUern, mais doué d'une
intelligence assez fine et d'un caractère assez indé-
pendant, subit à dix-sept ans le contre-coup de la Ré-
volution de 1848 et en garda, toute sa vie, sembl«-t-il,
empereur d'Allemagne (18;il-1888).
LAROUSSE MENSUEL
ie souvenir et les tendances libérales et religieuses.
11 épousait, le 26 janvier 1858, la fille aînée delà reine
d'Angleterre, 'Victoria, à la grande fureur de certains
hobereaux prussiens, et, dès l'arrivée au pouvoir de
Bismarck, critiqua sa brutalité et son absolutisme.
Cependant, plus Allemand que son père, moins
fervent Prussien, mais aussi plus diplomate, il appuya
le chancelier au lendemain de Sadowa, quand Bis-
marck exigea la paix immédiate pour éviter d'ulté-
rieures revendications autrichiennes : la Prusse
venait d'affirmer sa suprématie en Allemagne; le
résultat essentiel était atteint.
Admirateur de la Pranceetde Napoléon III comme
beaucoup d'Allemands d'alors, il ne fit rien pour
amener la guerre entre les deux pays; mais, comme
général, il s'y préparait assidûment, la sentant im-
minente et fatale.
Il la conduisit en soldat intelligent, énergique;
H. 'Welschinger ajoute : <■ humain », et il rappelle
en effet les différents ordres donnés par le prince à
ses troupes prescrivant « le maintien sévère de la
discipline, l'interdiction de toute mesure hostile aux
populations ».
L'historien se doit de relever ces déclarations,
qui forment un si parfait contraste avec le pillage
organisé, durant tout le cours de la présente guerre,
par les officiers allemands et leur souverain. Mais,
tout autant que Bismarck ou Guillaume I"", Frédé-
ric désirait l'écrasement de la France, sur lequel
devait se fonder la gloire des HohenzoUern : il par-
ticipa étroitement aux négociations qui précédèrent
la proclamation du roi de Prusse comme « empe-
reur allemand ». Moins formaliste que son père, il
considérait ce titre, qu'il rapprochait de celui d'im-
peralor romanus, comme représentant exactement
sa prééminence et ses prérogatives; mais il préten-
dais étendre ces prérogatives et devenir le souve-
rain véritable de l'Allemagne. Le 18 janvier 1871,
il écrivait dans son Journal :
Le roi ot ses descendants sont tenus do faire de l'em-
pire rétabli une vérité... Les espoirs qu'avaient nourris nos
ancêtres depuis tant d'années, les rêves des poésies alle-
mandes sont réalisés et, libéré do la sainte malédiction
romaine, un empire se dresse, reformé dans sa tête et ses
membres sous son antique nom et sortant d'une nuit qui
dura tant d'années.
Dans cet enthousiasme mystico-germanique du
père, ne retrouve-t-on pas facilement le thème de
mainte proclamation du fils'.'
Imbu de la doctrine de la prédestination, fier du
rôle qui lui était dévolu, le prince Frédéric se prépa'-a
minutieusement
au « poste sacré »
que son père de-
vait lui léguer;
mais, quand l'em-
pereur Guillau-
me l" mourut,
le 8 mars 1888, à
quatre-vingt-onze
ans, l'empereur
Frédéricse savait
condamné: un
cancer de la
gorge lui cau-
sait d'épouvanta-
bles souffrances,
que leclimatmé-
diterranéen de
San Remo ne
pouvait atténuer.
Pas un instant, il
nesongeaàtrans-
mettre la couronne à son fils
voulait régner.
Bismarck, auquel le D' Bergman avait affirmé
que l'empereur Frédéric ne régnerait pas trois mois,
s'efforça de retarder la solution de toutes les diffi-
cultés pendantes; cependant, voulant associer le nou-
veau souverain k sa politique de rudesse et de per-
sécution vis-à- vis du Reichsland, il lui fit signer, le
8 mai 1888, l'ordre relatif aux passeports. On ne sait si
l'empereur opposa quelque résistance : son affaiblis-
sement rapide ne le lui eût pas permis, et l'on ne peut,
d'ailleurs, allirmerque sa politique, vis-à-vis de l'Al-
sace-Lorra'ne, fût différente de celle du chancelier.
La publication du Journal de l'empereur, entre-
prise six mois à peine après la mort de celui-ci, ne
pouvait pasnepas soulever lesprotestationsdelacour
de Berlin, et on s'explique mal comment Je confi-
dent du prince disparu, le P' Gelfcken, heureux pos-
sesseur des papiers intimes de son maître, osa les
communiquer à qui que ce fût et encore moins les
publier sans l'autorisation expresse de Guillaume II.
Fut-il vraiment encouragé à celte inconvenance par
la veuve de l'empereur, qui désirait grandir le renom
de son époux? On en veut douter pour l'honneur de
cette princesse, et pourtant...
Henri "Welschinger a pris soin de noter tout ce
qui, dans ce Journal, pouvait déplaire à Bismarck,
tout ce qui, notamment, prouvait sa duplicité lors de
la guerre de 1870 et dans ses rapports avec les princes
allemands. Il est de fait que le kronprinz d'alors sup-
portait mal la tyrannie du chancelier, qu'il avait sur
L'impératrice Victoria (18+0-1901).
né pour le trône, il
«• 128. Août 1917.
la politique intérieure de l'empire des vues diffé-
rentes, qu'il préconisait une politique plus unitaire,
s'appuyant davantage sur le peuple et tendant i
annihiler peu à peu les droits des princes; il nous
est difficile, à nous Français, de dire laquelle de ces
deux politiques était la plus favorable à la grandeur
de l'Allemagne, la plus dangereuse pour l'Europe.
La publication de Geffcken, autorisée et même de-
mandée par le défunt, si l'on en croit le dire de l'in-
téressé, ne tombait pas sous le coup de la loi ; l'in-
culpé fut acquitté. Bismarck, qui avait cru devoir
émettre des doutes sur l'authenticité du Journal, en
fut pour sa courte honte.
Aujourd'hui 27 janvier 1871, c'est le treizième anniver-
saire de mon fils Guillaume (écrivait à cette date le
prince Frédéric). Puisse-t-il devenir un homme fort, loyal,
lidèle, ot même un véritable ÂUcmand, qui continuera à
se maintenir, loin de tout préjugé t
Et il ajoutait :
On a vraiment peur quand on pense aux espérances qui
reposent déjà actuellement sur la tête de cet enfant et
quelle grande responsabilité nous incombe devant notre
patrie pour la direction que nous donnons à son éducation.
Ecrasante responsabilité, en effet, devant Dieu et
devant les hommes, que l'histoire ne pourra pourtant
pas rejeter tout entière sur Frédéric III. Car, s'il a
développé chez son fils l'orgueil allemand dont il
était lui-même à si haut point imbu, il lui a toujours
prêché la haine de la guerre, le respect des droits
d'aulrui, le culte de la justice et delà vérité, l'amour
de son peuple. Résumant son impression sur le
Journal de l'empereur éphémère, H. Welschinger
ne conclut-il pas : « Je ne connais rien qui puisse
condamner autant et flétrir même les actes cyniques
d'un Bismarck et la politique orgueilleuse et folle
d'un Guillaume 11 I » — Pierre Rain.
Q-arantie des ou-^rrages en métal
précieux. Dans un précédent article (v. La-
rousse Mensuel, t. III, p. 864), nous avons fait con-
naître les modifications qui avaient été apportées, à
la date du 15 mai 1916, par l'administration des
finances, ii la réglementation de la garantie, dans le
but de donner satisfaction à l'industrie française
de la bijouterie-joaillerie-orfèvrerie, trop comprimée
par des presciplions plus que centenaires.
Ce n'était là, cependant, qu'un piemier pas dans
la voie des réformes depuis longtemps réclamées
par les intéressés, car la question si importante delà
libre sortie de nos bijoux restait toujours en suspens.
Aux termes de la loi du 25 janvier 1884, nosbijou-
tiers jouissent de la liberté entière de fabriquer à
tous titres leurs articles destinés à l'exportalion ;
mais, comme cette loi n'a rien modifié à la régle-
mentation touchant la consommation intérieure et
qui consiste essentiellement, ainsi qu'on le sait, à ne
laisser vendre en France que des bijoux atteignant
un certain minimum de fin, il a fallu prendre en
même temps une série de mesures pour avoir la
certitude qu'on n'écoulerait sur le marché intérieur
aucun article fabriqué à bas titre pour l'exportalion.
Tel a été l'objet du règlement d'administration pu-
blique pris le 6 juin 1884 pour l'exécution de la loi
précitée du 25 janvier précédent. Mais les formalités
imposées dans ce but à la fabrication par l'administra-
tion des finances avaient été si minutieuses, qu'on en
était arrivé à paralyser la production h bas titre.
Certes, il était tout naturel d'exiger la déclaration
par les fabricants de leur intention de produire des
objets à tous titres, ainsi que la tenue de comptes
spéciaux suivis en quantités et vérifiés par les em-
ployés de la garantie; personne, d'ailleurs, ne protes-
tait contre de semblables prescriptions. Par contre,
les intéressés s'élevaient très vivement contre la
stricte obligation d'avoir à faire passer sans excep-
tion tous leurs articles destinés à être exportés par
le bureau de Garantie, où ils étaient vérifiés, pesés,
emballés, puis dirigés vers nos frontières, accompa-
gnés de soumissions que la douane devait viser et
retourner vers le bureau de Garantie ayant elTeclué
les opérations précitées en vue de la décharge des
comptes des exportateurs.
Le fabricant français ne pouvait donc, suivant le
mode d'envoi à sa convenance, faire parvenir à ses
clients étrangers les olijets choisis par eux; d'autre
part, si ces mêmes clients étrangers se présentaient
dans ses magasins, il ne pouvait davantage leur faire
la remise des articles, ces derniers devant obliga-
toirement être expédiés hors de France, ainsi qu'il
vient d'être dit : présentation à la Garanlie, boîtes
cachetées, établissement de soumissions déchargées
au passage à la frontière, etc.
Les résultats étaient désastreux : les commission-
naires étrangers acheteurs de bijoux aux titres de
leur pays, presque toujours inférieurs au litre fran-
çais, en étaient arrivés à déserter la place de Paris;
et on pouvait même noter que certains de nos expor-
tateurs, pour ne pas perdre tout à fait leur clientèle
étrangère de ces articles, donnaient les commandes
en Allemagne, à Pforzheim, centre de la fabrication
de la bijouterie, où ils bénéficiaient de la liberté
absolue d'expédition.
Les statistiques sont, d'ailleurs, probantes et mon-
trent la grande disproportion qui existe entre les
«• 126. Août 1917.
chiffres de sortie de nos bijoux en or au titre français
intérieur (750 "V" ou 18 carats) et les chiffres de sortie
des bijoux à l)as litre. Par exemple, les chiffres re-
levés de cini] ans en cinq ans sur une période de
vingt ans avant la guerre sont les suivants :
1893.
1898.
1903.
1908.
1913.
EXPORTATION DE BUOUX D OR
Aa titre français
intérieur
(miDimum 750"/")
1.009 kiloi^.
931 —
l.UO —
1.668 —
Î.155 —
106 kilogr.
10« —
247 —
366 —
4 Dr. —
Un tel résultat est évidemment paradoxal ; car, par
suite de la vulgarisation du luxe dans les différents
pays du inonde, la consommation des bijoux à bas
titre est beaucoup plus considérable que celle des
bijoux à un titre plutôt haut, comme le titre français
de 18 carats. Or, il n'eslpas douteux que, si le prin- |
cipe excellent de la liberté de fabrication posé par
la loi de 18Si avait été complété par le principe de
la » libre sortie », nos fabricants, grûce au renom
mondial de nos industries de la bijouterie, auraient
pu elTicacement lutter contre la concurrence alle-
mande, qui, précisément, a enregi.sfré en 1913 un
chiffre d'exportation décuple du nôlre.
11 y avait donc bien là une situation à rétablir, qui
a Uni par préoccuper vivement 1 administration des
finances. Depuis la guerre, elle a, de concert avec les
intéressés, étudié cette question vitale pour notre plus
grande exportation, et elle a abouti à faire adopter
par le conseil d'Etat, à la date du 31 décembre 1916,
un décret qui modifie les dispositions reconnues à
l'expérience néfastes pour notre libre expansion.
Aux termes de ce nouveau décret, nos fabricants
de bijouterie pourront être dispensés par l'adminis-
tration, au moyen d'autorisations annuelles et tou-
jours révocables afin de prévenir les abus, des for-
malités anlérieureinent obligaloires pour la sortie
de leurs articles. Dorénavant, ils auront la liberté
d'expédier leurs bijoux à l'étranger directement, sans
passer par le bureau de Garantie et de la manière
qui leur conviendra; et, d'autre part, si un acheteur
en gros étranger se présente dans leurs magasins,
ils pourront lui remettre sur-le-champ et sans for-
malités les bijoux choisis. On exige seulement que
nos fabricants-exportateurs continuent de tenir le
registre prescrit par le décret de 1884 oti, d'une part,
sont inscrits les bijoux à bas titre dès leur termi-
naison et, d'autre part, les ventes effectuées, avec
toutes références permellant au service de la Garan-
tie de connaître les noms et adresses des destina-
taires à l'étranger, ou des personnes ayant pris li-
vraison sur place des objets.
11 faut reconnaître qu'une telle réglementation est
extrêmement libérale et qu'en l'instituant l'adminis-
tration des finances marque une véritable confiance
à la corporation de la bijouterie. Mais il était absolu-
ment nécessaire de prendre le contre-pied du décret
de 1884, puisque, vraiment, on voulait faire œuvre
pratique et donner à notre fabrique, par la « libre
sortie » réelle de ses produits, la possibilité de con-
quérir sur les marchés internationaux une des pre-
mières places, sinon la première. Certes, notre bijou-
terie, si elle n'est plus gênée dans son expansion,
peut sans conteste l'occuper grâce au goût, à l'élé-
gance et au bien-fini de la main-d'œuvre de ses ar-
tistes et de ses ouvriers. — J. Canoàroii..
Guerre en 1914-191'7 (la). [Sui'^e.] —
Le mois de juin, trente-cinquième de la guerre, a
été, comme le précédent, un mois d'attente assez
trouble. On y a senti la large et profonde répercus-
sion des inquiétudes que nous avions signalées à la
fin de mai et, si les craintes que l'on avait pu con-
cevoir ont semblé s'atténuer, elles n'avaient pas,
au dernier jour du mois, entièrement disparu. Sans
doute, il n'y avait pas eu, et il ne pouvait y avoir, de
réponse ferme à la question russe. Mais le seul fait
que la révolution russe avait pu résister aux sug-
g:eslions et aux utopies des extrémistes, la constata-
tion que la Russie, si l'on ne pouvait la considérer
encore comme une force organisée, n'apparaissait
plus, cependant, comme menacée d'une dissolution
anarchique prochaine, marquait un progrès que
l'historien devait enregistrer comme un symptôme
favorable. Des indices sérieux permettaient d enre-
gistrer la possibilité, sinon d'une reprise iinmédiale
de l'offensive sur le front oriental, du moins d'un
groupement régulier de l'armée russe. Alors qu'en
mai on avait dû, sous peine de se leurrer gravement,
non seulement tenir pour nulle la collaboration
russe, mais encore redouter une fraternisation cri-
minelle avec les troupes allemandes et une sécurité
absolue pour nos ennemis, en juin, on avait vu le
sentiment de la discipline reparallre et la nécessité
de la résistance s'imposer. Bien plus, l'éventualiié
LAROUSSE MENSUEL
d'une paix séparée de la Russie soit avec rAutriche-
Flongrie, soit avec l'Allemagne, soit avec l'une ou
l'autre, que tout homme sérieux avait dû admettre
comme imminente, était, à ce qu'il paraissait, tout
à f ai t écartée, et des assurances précises nous avaient
été données à ce sujet. Le nuage qui couvrait l'ho-
rizon oriental s'était donc éclairci, mais il restait
épais et sombre, et nous n'avions nulle certitude qu'il
n'en sortirait pas quelque orage imprévu et redou-
203
giques, employé de bonnes troupes de choc et subi
de grosses perles. Leur but était à la fois de nous
user et de nous tàter, notre immobilité relative étant
pour eux une inconnue qu'il était de leur intérêt de
dégager. Il n'y avait, semblait-il, pas d'autres consé-
quences h en tirer, mais elles dénotaient pourtant,
chez notre adversaire, le désir de chercher une solu-
tion et de profiter de l'inaction russe. — Nos alliés
anglais, après une préparation très méthodique et
Après la victoire, Français et Anglais au repos dans la tranchée conquise.
table. Les causes qui rendaient si instable l'équi-
libre intérieur russe subsistaient par cela même
qu'elles tenaient au tempérament même des peuples
moscovites, à leur passé, au fardeau d'ignorance
qui pesait sur eux, et qu'à côté de ces raisons intrin-
sèques d'agitation et de désordre, les excitations
organisées de l'Allemagne, libres d'agir dans cet
immense pays privé d'une force gouvernementale
universellement reconnue, continuaient tranquille-
ment leur œuvre funeste. Le temps seul pouvait
diminuer le danger, et il fallait inscrire à notre actif
cette seule circonstance que rien de fâcheux ne se
fût manifesté en juin. Résullat modeste, certes, en
apparence, mais, considérable cependant, si on le
mesure au besoin de paix qu'avait l'Allemagne.
D'autre part, la question grecque avait singulière-
ment changé d'aspect et, quoiqu'il y eût bien des
réserves à faire sur les conséquences possibles de
la solution adoptée, celle-ci avait, du moins, l'avan-
tage de la clarté ; le public français s'en trouvait
satisfait et rassuré.
Les événements d'Espagne, de Suisse, de Norvège
prouvaient une fois de plus combien s'élendaient les
répercussions du confiit européen, et l'échec évident
de la conférence de Stockholm, sur laquelle nous
reviendrons, prouvait que, si le mot de « paix » était
entendu par tous avec joie, il était compris très dif-
féremment et, par suite encore, très loin d'une réali-
sation concrète. D'ailleurs, l'attiXude des Etals-Unis,
l'apparition effective de son armée en Europe signi-
fiaient très clairement qu'aucune transaction n'était
possible avant que toute cause de conflit ultérieure
eût été anéantie. Par suite, à la fin de juin, la
continuation de la guerre restait une nécessité iné-
luctable. L'intérêt vital de la patrie ne l'exigeait pas
moins que l'avenir de l'humanité.
L'effort militaire, abstraction faite du front italien,
oti l'activité fut très grande, mais sans résultais
essentiels, avait été, bien entendu, supporté énergi-
quement par les armées française et anglaise sur le
front occidental. Sur le front proprement français,
il n'y avait eu, en juin, aucune offensive sérieuse.
Mais les Allemands avaient fait des eflorls énormes
pour reconquérir les positions qu'ils avaient perdues
depuis avril du côté de l'Aisne, et ils avaient, en
outre, repris une offensive partielle du côté de Ver-
dun,surla rive gauche de la Meuse. Lesdeux points
essentiels de leur attaque avaient été Cerny à l'ouest
et, dans le secteur de Verdun, le bois d'Avocourt,
la cote 304 et le Mort-Homme. Ils avaient, dans ces
entreprises, qui étaient restées vaines, mais qui
avaient nécessité de notre part des réactions éner-
Irès savante, avaient, le 7 juin, engagé dans la direc-
tion d'Ypres une action locaie, mais, pourtant, d'une
grande portée, qui les avait mis en possession des
villages de Messines et de Wytschaete, de près de
7.500 prisonniers et d'un imporlantmalériel. D'autre
part, ils avaient serré de très près la ville de Lcns,
et les Allemands, pour retarder leur marche, avaient
dû recourir à l'inondation. Nos ennemis ne pou-
vaient avoir de doute sur la volonté des Anglais
d'avancer à tout
prix. Il faut le
répéter, la pré-
paration anglaise
et française au-
rait eu de tout
autres résultats,
peut-être des ré-
sultats décisifs ,
si elle n'avait pas
trouvé devant
elle les renforts
allemands venus
du front russe. Il
y a là un élément
qui a faussé tous
les calculs et qui
a obligé, pour un
temps dont on ne
fieut déterminer
a durée, à limi-
ter l'effort de-
vant un obstacle
brusquement grandi. Il semblait que la sagesse, dans
ces conditions, ordonnât d'attendre et de ne pas ris-
quer, par une impatience impardonnable, les résul-
tats acquis. Ilélaitde notreintérêt,nou3ravonsdéjà
dit, de prolonger la lutte, l'usure allemande étant su-
périeure à la nôtre — nous entendons « à celle de l'En-
tente » — et l'Empire allemand n'ayant pas, comme
notre gigantesque groupement, des moyens de re-
nouvellement inépuisables. Le public français ne
s'arrêtait pas assez à ce point de vue si réconfortant,
et notre sens critique suraigu nous portait à exagérer
beaucoup plus que de raison certaines faiblesses
de notre situation, inévitables dans un pareil cata-
clysme, mais bien plus graves chez nos ennemis.
Malgré la stagnation russe, la situation militaire
était bonne à la fin de juin, et il était permis, sans
se monter la tète, d'en espérer d'heureuses suites.
Aucune modification importante en Italie, aucune
sur le front de Salonique, ni sur le front roumain,
ni sur le front asiatique, où la saison rendait les
Jonnart. haut commissaire
des puissances de l'Entente. A Athènea.
âoi
LAROUSSE MENSUEL
Les gros canons anglais en route pour le front.
opérations très difficiles. Pourtant, du côté des
Balkans, les événements de Grèce pouvaient être le
prélude d'une orientation nouvelle.
Nous avons noté, fin mai, à quel point l'approche
de la moisson en Thessalie rendait instable la si-
tuation des Alliés en Grèce et, par voie de consé-
quence, à Salonique. Si on laissait le roi Constan-
tin accaparer le blé de Thessalie, non seulement le
blocus delà Grèce devenait illusoire, mais encore
le gouvernement royal pouvait, en interdisant toute
exportation de céréales, affamer les îles grecques
ralliées au gouvernement national de Salonique.
Une solution devenait urgente. — Le 9 juin, on
apprenait que l'ancien ministre français Jonnart,
envoyé en Grèce à titre de haut commissaire des
Le roi Alexandre de Grèce, second (Ils de Constantin,
né au château de Tatoi le 20 Juillet 1893.
puissances de l'Entente, était arrivé à Athènes. Le
choix de Jonnart, qui a gouverné l'Algérie avec
une rare habileté, était heureux ; on pouvait attendre
de lui des résolutions fermes et une diplomatie sans
détours. 11 était investi des pouvoirs les plusétendus.
— Dès son arrivée, il décidait, conformément aux
instructions qu'il avait reçues, de faire occuper la
Thessalie par les troupes françaises et de s'assurer
delà récolte. Puis, après une série d'entrevues avec
le ministre grec Zaïmis, il lui signifiait que la pré-
sence du roi Constantin en Grèce n'était plus pos-
sible, qu'une abdication était nécessaire et que la
couronne devait passer non au diadoque, dont les
sentiments germanophiles étaient trop connus pour
qu'on pût avoir en lui aucune confiance, mais au
second fils du roi, le prince Alexandre. Constantin,
comprenant que toute résistance était impossible,
s'était soumis. Tandis que les troupes françaises
débarquées occupaient le Pirée, les abords d'Athènes
et l'isthme de Corinthe, le roi, la reine, leur famille
et leur suite s'embarquaient pour l'Italie, qu'ils tra-
versaient, et allaient momentanément s'établir en
Suisse.
Ce n'était là que le prélude d'un changement plus
important. Les puissances protectrices, France, An-
gleterre.Russie, entendaient rétablir en Grèce la vérité
constitutionnelle et, pour cela, rappeler la Chambre
de 1915, illégalement dissoute par Constantin. On
put se demander un instant si le changement de roi
suffirait pour permettre d'aboutir. Une proclamation
lancée par le jeune roi Alexandre, et dans laquelle il
se présentait comme le continuateur et, en quelque
sorte, le lieutenant de son père, parut étrange et
symptomatique. On a dit, depuis, que ce document
était l'œuvre du général Dousinanis, dont la germa-
nophilie n'a jamais fait doute, et qu'Alexandre n'en
avait pas compris la portée. Quoi qu'il en fût, il
importait d'aviser. Za'imis, qui avait accepté de né-
gocier le départ du roi, ne semblait pas disposé à
prendre les mesures subséquentes qui étaient indis-
pensables, notamment le rappel de la Chambre de
1915. Il préféra se retirer. Un seul homme, Veni-
zelos, était possible. Chargé de former un cabinet,
il quittait Salonique et arrivait à Athènes. Le 28 juin,
son cabinet était constitué. Le 29, il rompait toute
relation avec l'Allemagne et l'Autriche et, de concert
avec Jonnart, il prenait les décisions qui s'impo-
saient : exil des conseillers les plus compromis de
Constantin, notamment de Dousmanis et de Gounaris,
épuration du corps des officiers, épuration de la
magistrature par la suspension de l'inamovibilité,
N- 123. Août 1917.
punition des auteurs responsables de l'attentat du
l'"' décembre, réunion d'une Assemblée nationale
appelée à définir avec plus de précision les pouvoirs
du roi et ses rapports a\ ec la nation. Connue consé-
quence du rétablissement d'im gouvernement régu-
lier, on envisageait déjà l'évacuation de la Thessalie
par les troupes françaises qui l'avaient occupée et
le rappel des troupes grecques précédemment éva-
cuées dans le Péloponèse. La Grèce était rendue à
elle-même. Il était grand temps.
11 était malaisé, au lendemain de ces événements,
de les juger impartialement et, surtout, d'en dire
tout ce qu'on en pensait. On pouvait, cependant,
essayer de résumer la situation et, en le faisant, nous
nous bornerons à rassembler ici ce que nous avons
dit, depuis trois ans, dans ces chroniques, au sujet de
la Grèce. On ne peut pas plaindre Constantin : il a
tout fait pour mériter son sort, et il est rare de voir
un règne si bien commencé compromis si maladroi-
tement par une inintelligence aussi profonde des inté-
rêts du royaume et de la couronne. Monté sur le trône
après l'assassinat de son père à Salonique, au milieu
du triomphe de la première guerre balkanique, cou-
vert de gloire par la seconde, ayant vu la Grèce
doublée par ses succès, adoré de son armée et de
son peuple, Constantin pouvait se croire destiné à
un règne calme et fécond et escompter pour la
Grèce les plus brillantes destinées. Appuyé sur Ve-
nizelos, il se voyait en passe d'éclipser la Bulgarie
et, peut-être, de régner à Constantinople. La guerre
de 1914 vint troubler ce rêve d'or. D abord orienté
en apparence vers l'Entente, il laissa Venizelos
préparer avec les Alliés les bases d'un accord qui
ouvrait à la Grèce les plus brillantes perspectives
en Asie Mineure. Puis, brusquement, en mars 1915,
il renvoyait son ministre et prononçait la dissolution
de la Chambre. Malgré une pression éliontée, la
Chambre nouvelle était en majorité venizeliste, et
■Venizelos revenait au pouvoir. Il allait faire voter
l'exécution intégrale du traité avec la Serbie et
l'entrée de la Grèce dans la lutte, lorsque le roi le
renvoyait de nouveau et, comme la Cli ambre refusait
son concours au nouveau ministère, une nouvelle
dissolution intervenait. A la suite de ce coup de
force, les élections, faites par une minorité d'élec-
teurs, amenaient enfin une Chambre docile, avec
laquelle Constantin essaya de gouverner. La de-
mande par laquelle l'Entente, le 21 juin 1 9 1 6, réclama
la dissolution de cette Assemblée, qui ne représentait
rien, resta sans résultat et, à partir de ce moment,
se développa dans toute son impudeur la cauteleuse
politique du roi de Grèce. Que cette politique ait été
inspirée par l'Allemagne, c'est ce dont i I n'est pas per-
mis de douter. C'est sous cette inspiration que (Cons-
tantin a livré la Serbie à ses ennemis, au mépris du
traité formel par lequel la Grèce était liée à la voisine
généreuse qui l'avait aidée dans sa lutte contre les
Bulgares; ce sont les conseils allemands qui l'ont
conduit à laisser ses pires ennemis, les Bulgares,
s'approprier le fort Ruppel et la ville de Cavalla et
à remettre aux Allemands tout un corps d'armée
grec. C'est la même aberration qui a provoqué les
persécutions contre les venizelistos, le guet-apens
du l»"' décembre et toutes les mesures hypocrites
par lesquelles le gouvernement royal a si longtemps
abusé de la patience de l'Entente. Se croyant sûr de
Un grand réservoir d'eau potable sur le front britannique.
«• 126. Août 1917.
la victoire de Guillaume II cl de son appui éven-
tuel, Constantin est resté fidèle à son beau-frère,
même lorsque celui-ci se fut déclaré impuissant i
le soutenir clîectivemenl. Mais il ne négligeait pas,
cependant, l'appui du tsar Nicolas, et il est trop cer-
tain que l'opposition russe a été pour beaucoup dans
les lenteurs de l'Entente et dans une longanimité
qu'on a si souvent imputée au gouvernement fran-
çais. Kort de ce double appui, il se crut capable
d'attendre la paix allimande, et il laissa en toute
confiance écraser la Serbie et la Hulgarie prendre
des gages. Entre temps, il dut pourtant céder par
instants pour ne pas rompre et, ainsi, peu à peu, il
vit son armée désorganisée, ses finances à vau-l'eau,
son peuple sans pain, son commerce ruiné, son
Le fusil à lunette, dans les tranchées.
royaume divisé en deux et toutes les espérances de
la Grèce anéanties. Tel était l'état du royaume hel-
lénique à la lin de juin, et on peut juger par ce court
résumé de la tâche écrasante qui incombait à Veni-
zelos. Il fallait y joindre des difficultés, dont la
solution était sans doute proche, mais qu'il eût été
préférable d'écarter, du côté de l'Epire du Nord.
Le 5 juin, l'Italie avait proclamé l'indépendance de
l'Albanie sous son protectorat. Hle avait occupé
Janina, mais elle avait aussi occupé Argyrocastro.
Certes, il n'y avait pas là une menace. Il y avait tout
de même une mainmise sur une partie de territoire
que la Grèce avait précédemment considérée comme
sienne. De tous côtés, par suite, c'était l'occupation
étrangère, — amicale, personne n'en doutait, — mais
tout de même désobligeante, et il était urgent que
cettesituation prit fin. Si on la compare h ce qu'elle
LAROUSSE MENSUEL
prudence était de toute nécessité. Assurément, l'En-
tente se trouvait délivrée du grave souci que lui
.ivait causé la trahison toujours possible de Cons-
tantin. D'autre part, n'assumait-elle pas dorénavant
la responsabilité de l'avenir de la Grèce et la charge,
le cas échéant, de la défendre contre l'Allemagne?
A la nouvelle que les Alliés réclamaient l'abdication
205
ravant était-elle devenue praticable ï la faveur de la
révolution russe? Il était difQcile de répondre néga-
tivement. Cependant, à y regarder de plus près, les
remarques suivantes s'imposaient. Quelque para-
doxal que paraisse celte opinion, il esl vraisemblable
que la révolution russe, tout en précipitant les événe-
ments, n'avait pas très seasiblemenl modifié la posi-
Une mesae militaire dans les carrières du SoissoiuiaiB.
de Constantin, Guillaume II avait adressé à son
beau-frère une de ces dépêches retentissantes dont
il est coutumier. Il y marquait son indignation du
traitement inlligé par les Alliés au roi de Grèce, et il
en menaçait les auteurs du « poing de fer » de l'Alle-
magne. Y avait-il là simplement une de ces mani-
fcsialions oratoires qui ont si souvent mis en relief
l'incurable impulsi vite de l'empereur allemand et par
où il entend prouver au monde sa puissance victo-
rieuse et irrésistible?Y avait-il, en outre, eni'espèce.
è
.'•A
t;'
J
tion de l'Allemagne vis-à-vis de la Russie. Plus on
démêlera l'histoire des derniers mois du gouverne-
ment du tsar, plus on se persuadera qu'en dehors
et au-dessus de la personne de Nicolas, la défection
de la Russie impériale se préparait presque ouver-
tement. La protection que le tsar accordait à Cons-
tantin se fiit, sans doute, accommodée d'une inter-
vention allemande, qui aurait eu pour but de ruiner
le parti venizeliste et les Alliés. D'où il résulte que,
si les Allemands, à la fin de juin, semblaient n'avoir
rien à redouter du front russe qui pût empêcher
une expédition vers MonasUr et Larissa, ils n'a-
vaient pas davantage eu de crainte à concevoir de
ce côté quelques mois avant. Ils n'avaient pas pu
intervenir alors, faute de moyens matériels. Toute
réserve faite sur le besoin qu'ils avaient de frapper
l'imaginaiion du peuple allemand par un coup hardi
quelque part, il
a'
Ce qui reste de rUûtel de Ville d'Arras. (V, Larousse Mensuel, t. III, p. 363.)
aurait pu èlre au cas où, en 1915, la Grèce, comme
le souhaitait Venizclos, aurait suivi les voies que
l'Entente était prête à lui ouvrir, on mesure le
recul que la politique germanique de Constantin et
de ses conseillers avait fait subir à la Grèce.
Quelles conséquences pouvaient avoir pour l'En-
tente la reconalitulion de l'unité grecque et l'entrée
de la Grèce dans la coalition contré l'Allemagne et
ses alliés, c'était là un ordre de considérations où la
un moyen bruyant de masquer un échec aux yeux
de l'Allemagne et de lui annoncer en même temps
une réplique décisive? Ou bien fallait-il y chercher
des intentions réelles, un plan ultérieur d'interven-
tion armée en Grèce? Il y avait de tout cola dans le
geste impérial. Ce qui nous importait avant tout était
l'éventualité d'une attaque de la Grèce par les Alle-
mands. Etail-elle à redouter? L'inlervenlion qu'llln
dcrburg avait Jugée impossible quelques mois aupa-
ne semblait pas,
u'à la fin de juin
seussentdavan-
tage ops moyens
et qu'ils fussent
en mesure dedis-
traire des autres
fronts des forces
suffisantes pour
une expédition
vers le royaume
grec. Ils eussent
enefi'ettrouvéde-
vant eux l'armée
Sarrail et l'armée
grecque. Certes,
il ne fallait pas
se' payer de mots
et accorder à
cette force mili-
taire une valeur
Le général américain Pershing.
qu'elle n'avait pas L'armée venizeliste avait attiré la
meilleur des soldats hellènes. Le reste était à réorga-
niser. Cependant, le rétablissement de l'uni té grecque
donnait aux mouvements do Sariail une liberté qu ils
n'avaient jamais eue, et ilétaitpermis dépenser qu'il
saurait en user. En outre, il était certain, d'après les
renseignements rapportés par Albert Thomas, que
l'armée roumaine reconstituée étaitdevenue un élé-
ment important dans la lutte balkanique et que, de
ce chef, l'arTiiée bulgaro-turque, au cas d'une cam-
pagne allemande vers la Grèce, aurait bien as.scz à
laire de défendre la ligne du Danube contre les Rou-
mains. Dans ces conditions, l'hypothèse d'une opé-
ration des Allemands vers Athènes devait être, au
moins pour le moment, rangée parmi celles aux-
quelles la mégalomanie alleiiiaude pouvait songer,
mais dont l'heureuse réalisation était très probléma-
ti<iue. Le « poing de fer » de l'Allemagne pouvait
se lever ; il lui était moins aisé de s'abattre et de
frapper juste. Par suite, on avait le droit d'espérer
206
que l'œuvre de reconslilulion entreprise par Veni-
zelos ne serait pas gravement troublée par les me-
naces allemandes. On devait dire que cela ét:iitbien
nécessaire. La tâche était énorme, et il fallait, pour
la conduire & bien, un palriotisme, une fermeté
d'esprit et une bonne volonté que l'on rencontrait
largement chez le
chef du gouverne-
ment grec et cliez ses
collaborateurs, mais
qu'on ne pouvait
espérer trouver au
même degré chez
tous les Hellènes,
dont beaucoup, peut-
être, restaient atta-
chés secrètement à
l'ancien régime.
Au surplus, les ter-
mes ambigus des dé-
clarations de Cons-
tantin en quittant le
pouvoir, le soin qu'il
avait mis à éviter le
motd'u abdication»,
laissaient planer un
doute sur l'avenir.
Il fallait que le nou-
veau gouvernement,
et ses premiers actes
en donnaient l'assu-
rance, montrât une
énergie farouche qui
fût capal)le d'inspi-
rer une terreur salu-
taire aux tenants du
régime royal. Enfin,
il était urgent de dis-
siper, nous l'avons
dit plus haut, toute
obscurité entre l'Ita-
lie et la Grèce au su-
jet de l'Epire du
Nord et de l'Albanie.
Dès 1915, Venizelos
avait aflirmé que la
Grèce ne visait à
aucune action sur
l'Adriatique. L'Italie, de son côlé, n'avait pas in-
térêt à se fixer sur la rive orientale de cette mer,
en dehors de Vallona qu'elle occupait et du canal
de Corfou, où il lui était nécessaire d'être maî-
tresse. Une entente était facile, on l'attendait.
Ainsi, au total, la question grecque était en bonne
voie de règlement. Il eût été puéril de la considérer
comme résolue.
Nous en dirons autant de la question russe et dans
un tout autre ordre de grandeur. On n'attend de
nous aucun détail précis sur les événements russes.
Ils nous échappent. Ceux qu'enregistrait la presse
quotidienne et auxquels elle donnait une impor-
tance fort exagérée montraient uniquement que nous
ne savions presque rien sur ce qui se passait dans
l'ancien empire des tsars. Nous avons dit les rai-
sons, topographiques et ethnographiques, économi-
ques et mentales, qui s'opposent à ce qu'on applique
aux mouvements du peuple russe les mêmes mé-
thodes critiques qu'on emploierait chez nous. Un
doit, toutefois, marquer que l'impression d'anxiété
et presque d'angoisse, que faisait éprouver,
fin mai, la révolution russe, avait perdu de sa dou-
loureuse acuité. Quoiqu'il fût dangereux de géné-
raliser et impossible de conclure, on sentait une
tendance vers une organisation dont on ne voyait
pas encore nettement le plan, mais dont le besoin
s'imposait même aux révolutionnaires avancés. Le
congrès des Soviets et son comité exécutif avaient
compris l'impossibilité d'une paix immédiate, la
nécessité d'un rétablissement de la discipline mili-
taire. La caractéristique tentative d'autonomie sé-
paratiste ébauchée par la ville de Cronstadt avait
cédé devant les sommations du gouvernement et
des Soviets. Sans doute, on était très imparfaite-
ment renseigné sur ce qui se passait dans les pro-
vinces, en Ukraine, par exemple, mais l'énergie
d'hommes comme Kerensky, dont le rôle paraît bien
avoir été admirable, et comme Tsaretelli, débrouillait
lentement les [ils singulièrement mêlés des intrigues
qui s'agitaient autour du gouvernement. Ils sen-
taient que l'avenir de la révolution était dans la
sagesse de ses chefs et que toute aberration extré-
miste était un auxiliaire de la contre-révolution. Il
était manifeste, d'autre part, que les éléments mo-
dérés qui avaient fait la révolution, et essentielle-
ment la Douma avec son président Rodzianko,
conservaient une autorité morale sérieuse. L.e seul
fait que le congrès des Soviets ait tenté de dissoudre,
avant le terme légal de son mandat, cette Assemblée,
suspecte comme un reste des institutions tsaristes,
devait être interprété beaucoup plutôt comme une
preuve de son importance politique que comme la
simple constatation d'une déchéance accomplie.
L'Allemagne, nous le répétons, avait, en Russie,
agi aussi librement qu'elle pouvait le souhaiter, au
LAROUSSE MENSUEL
moyen d'une organisation d'espionnage et de cor-
ruption qui datait du tsarisme et dont le désordre de
la révolution n'avait certes pas dérangé les agisse-
ments. C'était là, pour la révolution, le plus grave
danger qiui la menaçAt. Le gouvernement l'avait
senti, et I expulsion du Suisse Grimm, après la décou-
Ua zeppelin en détresse dans la mer du Nord; son équipage est recueilli par un voiUer.
verte de son intrigue progermaine, indiquait que le
fiéril apparaissait clairement aux yeux des chefs de
a démocratie russe. Mais, par contre, les puissances
de l'Entente, de leur côté, avaient appoité à leur
alliée le secours de leurs conseils actifs et de leur
appui matériel. L'ambassadeur anglais sir Bucha-
nan n'y avait point manqué. Le ministre français
Albert Thomas, avec une activité infatigable et un
sens exact de la situation, s'était prodigué sur tous
les points importants de la Russie, et il avait rap-
porté en France des indications d'une hante valeur.
Le marécnal von llindi^nburK (I )
et l'un de ses principaux auxiliaires, le général Ludendorff (S).
«• 126. Août 1917
Enfin, le président Wilson, dansson « Appel au peuple
russe », avait, avec la claire précision qui lui est
propre, exposé aux Russes le sens de l'intervention
américaine, la nécessité de l'union pour la victoire.
Les nations (avait-il dit) doivent prendre conscience
do la communauté de leurs intérêts vitaux et constituer
iine association effec-
tive pour assurer ces
intérêts vitaux contre
les agressions d'une
puissance autocratique
et régie par le bon
plaisir.
Pour atteindre ces
résultats, nous sommes
consentants à verser
notre sang et nos ri-
chesses, car ce sont là
les buts que nous avons
toujours fait profession
derechercherot, si nous
no versons pas mainte-
nant notre sang et notre
argent, si nous ne réus-
sissons pus maintenant,
il se peut que nous ne
puissions jamais réali-
ser cette union et mon-
trer une force prépon-
dérante dans la grande
cause de la liberté hu-
maine.
Le jour est venu de
vaincre ou d'abdiquer.
Si les forces de l'au-
tocratie peuvent nous
diviser, elles l'empor-
teront sur nous. Si nous
nous tenons bien unis,
notre victoire 6st cer-
taine et, avec elle, la
liljerté qu'elle doit nous
assurer. Nous pourrons
nous permettre, alors,
d'être généreux, mais
nous ne pourrons, mê-
me alors, nous permet-
tre d'être faibles, ni
négliger d'exiger au-
cune garantie de jus-
tice et de sécurité.
De plus, l'échec de
la conférence de
Stockholm, les dé-
clarations des socialistes allemands, l'alTaire Grimm,
dont nous reparlerons, avaient certainement donné
à réfléchir aux hommes très intelligents qui diri-
geaient ou essayaient de diriger la politique russe;
ilsyavaienttrouvé un pointd'aiipni pour résister aux
mouvements incohérents de la masse, ou volontai-
renientanarchiques de certainsmeneurs extrémistes,
dont les tendances et les buts sont difficiles & déter-
miner. A la fin de juin, pas plus qu'à la fin de mai, on
ne pouvait dire ni ce qui sortirait pour la Russie
même de la révolution russe, ni si, dans la coalition
contre les Empires centraux, la Russie nouvelle ap-
porterait une aide utile à la lutte contre le militarisme
prussien etl'hégémoniealleniande. Il fallait se conten-
ter de se réjouird'avoirjusqu'alors échappé au pire
et savoir attendre, ce qui est la conclusion néces-
saire de tons les événements du temps présent.
Si, maintenant, l'on se retournait du côté de l'Oc-
cident et de l'Atlanlique, tout ce qui se passait aux
Etats-Unis donnait au contraire une impression virile
de réconl'ort et de calme confiance. Sous la sage et
énergique impulsion de son président, la grande
Hépublique s'organisait. La conscription donnait
dix millions de soldats inscrits ; le premier budget
(le guerre se chiffrait par dix-sept milliards de francs,
celui de l'emjirunt de la Liberté par treize milliards.
Dans le discours qu'il avait prononcé à l'occasion
du « Flag Day » (Journée du drapeau), le président
Wilson avait de nouveau fait l'historique de la
situation et marqué le point de vue américain ; il
avait montre le jeu de l'Allemagne et sa position
actuelle, les efforts qu'elle faisait pour se sauver
par une paix immédiate, sa tentative pour berner le
inonde entier.
Le fait capital qui, aujourd'hui, se dégage et s'affirme
(avait-il dit en terminant), c'est que cette guerre est
une guerre de peuples en lutte pour la liberté, la justice
et le droit de se gouverner eux-mêmes, une guerre qui
^'arantisse à chacun de ces peuples et au peuple allemand
lui-même ses nropres sécurités et qui assurera le plein
exercice des libertés qui sont une des conditions de son
existence. Pour nous, il n'y a qu'un choix possible, et ce
choix est fait. Malheur à celui ou à ceux qui cherchent Â
se mettre on travers de notre route en ce jour de suprême
rosolutioD et où le principe qui, par-dessus tout, nous
tient à. eœur, doit être hautement affirmé. Potir le salut
dos nations, nous sommes prêts à plaider devant le tribunal
lie l'histoire, et notre drapeau brillera d'un nouveau lustre.
Nous payerons de notre vie et de nos biens la victoire de
la grande foi ({ui nous a vus naître, une gloire nouvelle
luira sur notre jjcuple.
Presque à la môme date, dans deux magnifiques
discours, Viviani rendait compte à la Chambre des
députés et au Sénat de la réception qui lui avait été
faite en Amérique avec le maréchal Jofire et des for-
tes impressions qu'il en avait rapportées. Enfin, le
13 juin, Paris faisait une réception enthousiaste au
général Persbing, commandant en chef des troupes
W 126. Août 1917.
AU NORD-EST DU LÀONNAIS
207
208
américaines et, le 28, le premier contingent anif'Ti-
cain débarquait dans un de nos ports de l'Atlan-
tique L'historien ne peut rester insensible à un tel
ensemble de faits. Une armée américaine passant
l'océan pour venir défendre sur le sol européen les
principes mêmes qui ont fait la puissance des Etals-
Unis, n'est-ce pas la conséquence logique de l'aide
accordée par la F"rance à la République naissante, il
y a cent cinquante ans, alors que les troupes fran-
çaises allaient réaliser des libertés auxquelles le peu-
ple français aspirait encore et qu'à l'heure actuelle
A peine les pays envahis sont-Us libérés que les paysans, heureux de retrouver leurs terres, se mettent
aux travaux champêtres, comblent les trous d'obus, enlèvent les fils de fer barbelés, etc., sans se soucier
des obus qui çà et là tombent encore dans la campagne.
tous les peuples du monde n'ont pas encore conqui-
ses? Depuis lors, l'Amérique s'était tenue dans une
sorte d'isolement égoïste, et il semblait qu'elle mit
un soin jaloux à distinguer sa vie et ses destinées
de celles des peuples du vieux monde. Elle a com-
pris, et c'est la gloire du président Wilson d'avoir
dégagé cette idée, qu'elle ne pouvaitplus longtemps
se désintéresser de la marche du monde, sous peine
de voir se dresser devant elle et contre elle un prin-
cipe de gouvernement diamétralement opposé à
celui sur lequel elle a fondé son avenir. Aujourd'hui,
la fusion est faite entre l'Amérique et l'Europe. On
peut dire qu'une nouvelle ère de l'histoire du monde
a commencé le jour où les premières troupes amé-
ricaines ont mis le pied sur la terre française.
L'Amérique du Sud l'avait compris. Le Brésil,
qui, on se le rappelle, avait précédemment rompu les
relations diplomatiques avec l'Allemagne, avait, à
la (in de juin, renoncé à la neutralité et, sans être
dans l'état précis de guerre, se rangeait en principe
aux côtés des Etats-Unis. L'union d'intérêt qui
existait entre la Republique brésilienne et celles de
l'Argentine et du Chili permettait d'induire sûre-
ment que ces deux grandes démocraties partageaient
les sentiments de leur voisine. C'était, en somme,
toute l'Amérique qui répudiait toute attache avec
l'Allemagne.
La vie intérieure de nos alliés anglais et italiens
n'a été marquée, en juin, que par l'affirmation nou-
velle de leur décision de lutter jusqu'au bout. Lloyd
George l'a dit éloquemment en Angleterre, Boselli
et, après lui, Sonnino, en Italie. Les bruits de
changement ministériel à Rome n'ont pas abouti et,
au contraire, à la fin de juin, le cabinet Boselli
semblait fortifié.
Dans le groupe de nos ennemis, il ne paraissait
pas qu'en Allemagne aucun événement intérieur
nouveau fût intervenu, qui pût modifier la situation.
Au contraire, la publication d'un manifeste social-
démocrate sur les buis de guerre montrait plus
LAROUSSE MENSUEL
clairement que jamais la parfaite conformité de
vues du gouvernement et des socialistes. Avec une
mauvaise foi sophistique, ce document, en affectant
de reconnaître le droit des peuples de se gouverner
eux-mêmes, passait très rapidement sur les nations
englobées dans les Empires centraux, insistait sur
celles qui sont comprises dans le domaine colonial
anglais ou français et, enfin, déniai ta l' Alsace-Lor-
raine tout droit de retour à la France. Elle qualifiait
d' « annexion» la réparation de l'injustice de 1871 et
elle considérait le traité de Francfort comme un
acte définitif, qui
n'avait fait que ra-
mener l'Alsace-
Lorraine dans la
patrie germanique.
C'est bien là la
théorie que l'Alle-
magne s est effor-
cée avant la guerre
et s'efforce encore
de faire prévaloir.
Le socialiste sué-
dois Branting l'a
relevée récemment
pour la combattre.
Avant 1914, la pro-
pagande allemande
Il partout représen-
té la volonté fran-
çaise de discuter
toujoursletraitéde
Francfort comme
une marque de
notre esprit agres-
sif, et elle s'est pré-
paré à l'avance des
arguments pour re-
jeter sur nous la
responsabilitédela
i;uerre qu'elle r.ié-
(lilait. N'oublions
pas qu'il n'y a pas
un Allemand qui ne
pense ainsi et que
le gouvernement
allemand étouffe ou
dénature toute ma-
nifestation en sens
contraire. C'est ce
qui est arrivé pour
le compte rendu
des séances du
Landtag d'Alsace-
Lorraine au début
de juin, oii l'on a
vainement essayé
d'obtenir une dé-
monstration favo-
rable à l'Allema-
gne. Sudekum a de
même échoué au-
près des socialistes
alsaciens.
Sans doute, Scheidemann, retour de Stockholm, a
marqué des intentions de réalisation démocratique
qui ont déplu. Mais la mentalité générale, univer-
selle de l'Allemagne reste monarchique, etle peuple
allemandentendnerecourir, à ce sujet, aux conseils ni
à l'aide de qui que ce soit. Bien plus, il semblait qu'il
y eût une recrudescence de folie annexionisle et pan-
germaniste, et les exagérations débitées à ce sujet ne
nous montrent pas notre principale ennemie comme
disposée à la paix. Elle la souhaitait pourtant ardem-
ment, et elle travaillait sourdement à démoraliser
ses adversaires, pour les gouverner malgré eux à son
profit. Elle avait opéré en Russie, elle opérait en
France, et c'était celle certitude d'une action dans
cette direction qui avait donné tout leur sens à cer-
taines polémiques très caractéristiques nées à Paris
vers cette époque et aux débats sur la Conférence
de Stockholm. Il semblait que la presse eût cessé
volontairement de nous entretenir des difficultés in-
térieures de l'Allemagne. Ces difficultés n'avaient
pas, pour cela, disparu. L'Allemagne sentait très bien
que, si elle n'obtenait pas une paix très prochaine,
elle était sûre de la défaite finale. Nous ne le com-
prenions pas assez.
Le désir était le même en Autriche et, là, on ne
s'en cachait pas. L'empereur Charles, plus encore
que son partenaire allemand, avait fondé de grands
espoirs sur la révolution russe et, à mesure que cet
espoir s'éloignait, on sentait la double monarchie
plus désemparée. Les plus graves questions s'agi-
taient à l'intérieur : en Hongrie, la question électo-
rale, en Autriche, la question slave sous sa forme
tchèque et sous sa forme polonaise, partout la ques-
tion des subsistances et la question financière. A la
Bourse de Genève, le cours de la couronne avait
précédé de fort loin celui du mark dans une dégrin-
golade effarante. En Hongrie, le ministère Esterhazy,
péniblement formé, avait trouvé devant lui une
solide opposition. Le trouble où le ministère Tisza
avait jeté le pays s'était amplifié jusqu'à l'émeute, et
Albert Thomas, ministre de l'armement.
N' 728. Août 1917.
Budapest avait été le théâtre de véritables scènes
de pillage. A Vienne, les passions nationalistes et
séparatistes s'étaient manifestées violemment au
Reichsrat et, là encore, le Parlement n'était pas un
lieudepaix. L'opposition desdèpulés polonais cl leurs
prétentions inat-
tendues avaient
obligé le minis-
tère Glam-Marli-
nic à se retirer-
II avait été rcm-
Elacé par le ca-
inet Seidler,
uniquementcom
posé de fonction-
naires, et les pa-
rolesmaladroites
deson chef contre
le droit des peu-
plesàréglerleurs
destinées n'a-
vaient fait qu'ac-
croître l'âpreté
des discussions.
On voyait donc la
monarchie aus-
tro-hongroise
profondément agitée. On devait se demander si le
vague loyalisme autrichien qui en avait relié les
Earties hétérogènes n'allait pas se relâcher ou se
riser et si le jeune empereur, malgré une bonne
volonté évidente, n'éprouverait pas la fragilité d'un
empire que le vieux François-Joseph était parvenu,
grâce à des circonstances propices, à maintenir uni.
Hien ne prouvait, cependant, qu'il diU sortir de là
autre chose qu'une de ces crises comme la double
monarchie en aeonnubeaucoupet d'où elle s'est tirée
modifiée, mais vivante. 11 est, en eiïel, plus facile de
rêver la destruction de l'empire austro-hongrois que
de le remplacer par quelque chose d'acceptable Un
groupement germano-magyaro-slave vaut mieux,
pour l'f^urope, qu'un démembrement qui laisserait
toute l'Europe moyenne à un Etat germanique unifié.
Le plan d'une Milteleuropa forlemeiit consliluèe,
cher aux Allemands, ne sourit pas à tous les Au-
trichiens. 11 doit avoir conlre lui quiconque veut
fermement la paix future de l'Europe. L'aversion
de Charles l" pour un projet qui absorberait son
empire sous pré-
texte de le conso-
lider ne l'empê-
chait pas de
conserver avec
l'Allemagnedin-
times relations.
On commentait
beaucoup, fin
juin, un voyage
à grand fracas
qu'il allait faire
à la cour de Ba-
vière. Ceci déno-
tait, en tout cas,
quelque chose
d'inusité en Al-
lemagne.
Il est à re-
marquer que, si
les pays belligé-
rants souffraient
de plus en plus de
la guerre et sem-
blaient hésiter quelquefois sur la suite qu'il convenait
de lui donner, les neutres d'Europe, qui voulaient rcs-
terneutres ou ne pouvaient ne l'être pas, en sentaient
de plus en plus le contre-coup et voyaient naitre
chez eux, à cause de la guerre et presque toujours à
la suite de louches intrigues allemandes, des incidents
de la plus haute gravité. — La Confédération helvé-
tique, qui, en dépit de rhonnêlelé de ses intentions
et de ses elTorts sincères, n'était pas toujours arrivée
à persuader l'Entente de son absolue impartialité,
avait vu brusquement éclater l'afl'aire Grimm-Hoff-
mann. Certains hommes politiques suisses, persuadés
de la victoire allemande et crédules au sujet de la
guerre sous-marine, oubliaient, en outre, la nature
très spéciale de la neutralité suisse, qui n'est pas
une neutralité libre de son choix, mais plus que cela :
une neutralité de droit international, chargée de
devoirs étroits, lis semblaient avoir considéré
dans la révolution russe un moyen rapide de ter-
miner la guerre. C'est de Suisse qu était parti Lénine.
Le conseiller national Grimm, l'un des chefs du parti
socialiste suisse, zimmerwaldien de marque, l'avait
suivi. A Petrograd, il avait travaillé dans le sens
d'une paix séparée de la Russie avec l'Allemagne.
Pour se renseigner avec précision sur les intentions
de l'Allemagne, il avait consulté, par l'intermédiaire
du ministre suisse en Russie, le conseiller fédéral
Hoffmann, qui , s'étant trouvé chargé des affaires exté-
rieures en 1914, en avait depuis lors, par une déci-
sion du Conseil fédéral prise en vertu de ses pleins
pouvoirs de guerre et bien que cette pratique fût
contraire à la Constitution, conservé la direction.
Dato, président du conseil
des ministres espagnols.
I
H' 126. Août 1917.
C'est HofTinann qui avait fait choisir comme gé-
néralissime de l'armée suisse le général "Wille, dont
la germanophilie n'a jamais fait doute et qui a con-
trihué à introduire dans l'armée suisse les mœurs
militaires prussiennes, si antipathiques à la démo-
cratie, llseraitmal-
séant dénumérer ■ jjjlM|fiV>MI l.mijj.wti« |lj
ici les circons- w; --r.^'- :<:.-.--»- »f
tances où les senti- <
ments intimes du
conseiller Holl-
mann se sont fait
jour dans ses actes
publics; le moins
qu'onpuissedireest
qu'il apparaissait
clairementauxper-
sonnes renseignées
que, tout en main-
tenant la neutralité
helvétique, il con-
cevait le dévelop-
pement économi-
que et intellectuel
de la Suisse comme
orienté vers l'Alle-
magne. C'était son
droit, nous l'.ivons
dit ici souvent.
Mais cette ten-
dance risquait de
l'entraîner au delà
des bornes qu'il
s'était lui-même
fixées. Consultépar
Grimm, il lui ré-
pondit par un télé-
gramme officiel
chiffré, en lui fai-
sant connaître,
dans un esprit trop
clairement favora-
ble aux vues de nos
ennemis, les condi-
tions allemandes,
sur lesquelles il pa-
rait avoir été sûrement renseigné de bonne source.
La dépèche, déchiffrée par un indiscret — on igno-
rait tout détail — avait été publiée dans unjournal
de Stockholm. Elle était de là passée en Suisse.
L'émotion y fut énorme.
Sans doute, on a dit qu'Hoffmann, dans son désir
de paix, ne songeait qu'à la Suisse, qui souffre tant
de la guerre. Mais per-
sonne n'a contesté sérieu-
sement qu'en donnant la
main à des négociations
entre la Hussie et l'Alle-
magne, il fiivorisaitcelle-ci
au détriment de l'Entente
et travaillait à désa-
gréger les ennemis des
Empires centraux. Le lait
était si paient que le Con-
seil fédéral repoussa toute
solidarité avec l'acte de
son ministre des affaires
étrangères et qu'Hoffmann
donna immédiatement sa
démission, qui fut acceptée
par le Conseil national.
Son remplacement à une
très forte majorité par
l'honorable Ador, le pré-
sident de la Croix-Rouge
suisse, dont le ncjm est
universellement respecté
en Suisse et chez tous les
belligérants, montrait
mieux que toute autre
manifestation le désir de
faire oublier l'impardon-
nable imprudence d'Hoff-
mann. Alais cet incident
a ramené l'attention en
Suisse sur des questions
discutées depuis le début
de la guerre. 11 a mis en
lumière le grave incon-
vénient de la diplomatie
secrète et celte pratique
regrettable qui a permis
à un conseiller fédéral
d'engager son pays, sous
sa.seide responsabilité, en
dehors du Conseil fédé-
ral. II a remis sur le
tapis la question des pleins pouvoirs du Conseil fé-
déral. 11 a renouvelé les critiques sur les tendances
militaristes de l'étal-major qui, qu'on le veuille ou
non, constitue on fait, à côté du gouvernenieut, un
pouvoir spéeial et Iriilèpcmlant, qui communique di-
rectement avec les (^.liiimbres. Il a conduit la presse
romande à faire res:>ortir de quel réseau d'iullueuuo
LAROUSSE MENSUEL
germanique la Suisse était entourée et quelles orga-
nisations économiques l'Allemagne y avait implan-
tées. Il a, en un mot, redonné une force nouvelle à
toutes les antipathies qu'une démocratie comme la
Confédération helvétique nourrit contre le pouvoir
Les fantassÏDS itaUens, recouverts do casques, de oiiirasses, d'épaulières, etc.. comme les soldats de Tantiquité
prennent d'assaut toute une ligne autrichienne sur le front de l'Isonzo. {The Sphère.}
personnel et à toutes les craintes que lui inspire le
souci de son indépendance. Les vrais amis de la
Suisse, dont nous sommes, doivent souhaiter que
cette leçon porte ses fruits et que la neutralité suisse
reste une neutralité scrupuleuse et sévère. C'est à ce
prix seul que la Suisse peut vivre libre. Son exis-
tence et son avenir intéressent toute l'ïiuixjpe. Cet
A l'Université Columbia de New-'York, Viviani et le maréchal Jolïre viennent de recevoir les diplômes de di>cteur,
que leur a remis le président Butler.
avenir n'est pas dans l'engrenage allemand. L'affaire
Hoffmann en persuadera beaucoup de Suisses, qui,
en dépit de l'évidence, n'avaient pas encore vu le
péril dressé devant eux.
Non moins diflicile que celle de la Sui.sse était la
position des pays Scandinaves et, en particulier, celle
de la Norvège. Ce pays a cruetlemuul souffert des tor-
209
pillages. II sété en butte k toutes les menaces del'Alle-
magne. A la tin de juin, on découvrait qu'un Allemand,
le baron Bautenfels, aidé de deux Finlandais, intro-
duisait en Norvège, par la voie diplomatique alle-
mande, des explosifs destinés & être employés contre
la marine anglaise
et, peut-être, nor-
végienne. Celle
découverte avai<
provoqué, on le de-
vine, une immense
émotion. On alten-
daitlesexplications
del'Allemagne,
mais le fait seul
suffisait à manifes-
ter le sans -gêne
effronté et les in-
tentionsdu gouver-
nement allemand.
— En Suède, les
Allemands ne se
gènaiejitpasdavaii-
tage et, plus d'une
fois, les bateaux
chargés de vivres
avaientétéenvoyés
par le fond par les
submersibles alle-
mands. La Confé-
rencedesitockholm
apparaissaitdeplHS
en plus comme une
machine de guerre
allemande. La bon-
nefoi.ledésird'une
paix juste et dura-
ble des socialistes
suédois, surtout
chez liranting,
ne pouvaient être
mis en doute. On
n'aurait pu en dire
aulant du Hollan-
dais Troelstra, et
cetteaventureavait
failli, par la faiblesse russe et la na'ivelé française,
tourner dans le sens allemand. La fermeté des gou-
vernements alliés, celle du président Wilson avaient
déjoué la manœuvre. A la fin de juin, la Conférence
de Stockholm n'était plus un danger, bien que les
socialistes russes eussent décidé de s'y rendre. La
belle déclaration de 'Vanderveide et des socialistes
belges au sujet des an-
nexions, des réparations et
des responsabilités de la
guerre, avait achevé de tout
mettre au point. Il n'en
était pas moins grave, au
point de vue de la Suède,
que l'Allemagne se fùtper-
mis d'installerà Stockholm
une officine de paix alle-
mande. — Quant au Dane-
mark, tiraillé entre l'Alle-
magne et r,\ngleterre, il
voyait le chef de la majo-
rité socialiste gouverne-
mentale, Borgbjerg, pacti-
ser, à Pelrograd, avec les
social-démocrates alle-
mands et le ministre so-
cialiste Stauning travailler
ouvertement à la paix alle-
mande; répétition intéres-
sante du cas Hoffmann et
qui montre la même in-
compréhension des inté-
rêts nationaux. — Ainsi,
l'Allemagne, en Scandi-
navie comme en Suisse,
essayait de profiter de va-
gues affinités ethniques et
de sa position géographi-
que pour préparer une
main-mise sur les petits
pays auxquels, seule, une
paix humaine, qui respec-
tera les petits comme les
grands , pourrait assurer
une existence tranquille
et féconde.
Nous avons montré pré-
cédemment les difficultés
où se débattait l'Espagne.
Elles s'étaient accrues en
juin. La formation de co-
mités militaires, notamment d'un comité de l'infan-
terie h lîareeloue, qui avait posé au ministre de la
guerreun véritable ultimatum. avait révèle un danger
grave. Le ministère Garcia Prielo n'avait pu faire
face à ces difllcultés. et il avait cédé la place à un
ministère Dato. Celui-ci, pour assurer l'ordre, avait
dil suspendre do nouveau les garanties coustitu-
210
tionnelles. L'agitation s'était compliquée de l'affaire
de l'U-C 82, sous-marin allemand, enlré dans un
port espagnol sous de louches prétextes, retenu
quelques semaines et puis relâché sur sa promesse
de regagner directement un port allemand. La pu-
blication d'un décret général interdisant aux sous-
marins les eaux espagnoles n'avait pas suffi à atté-
nuer le regrettable effet produit par la faiblesse de
l'Espagne à l'égard de l'Allemagne. L'Espagne, si
sympathique et si généreuse, éprouvait de plus en
plus la difficulté de rester neutre, et l'antagonisme
entre la germiinophilip de certains et les affinités
latines de la nation risquait d'entraîner dans des
conflits intérieurs graves ce pays prompt aux pro-
nunciamienlos et aux révolutions.
En France, le mois de juin avait été marqué
par de très beaux discours, plutôt que par des actes.
Cependant, au premier jour du mois, la question de
la participation des socialistes français à la Confé-
iioldats russes h Petrogratl
rence de Stockholm avait été réglée. On avait craint
qu'elle ne le fût selon la thèse socialiste. En fait,
le président Hibot refusa nettement les passeports
et, après un comité secret, où notre politique exté-
rieure fut une fois de plus abondamment discutée,
la Chambre, par 455 voix contre 55, affirmait de
nouveau notre désintéressement et notre volonté
d'obtenir, outre la restitution de l'Alsace-Lorraine,
les réparations nécessaires. Le 6, le Sénat, à l'una-
nimité, adoptait une motion conçue en termes iden-
tiques. Le reste du mois avait été occupé par des
discussions et interpellations sur le ravitaillement,
sur les loyers, sur l'utilisation des ellectifs, et on
était obligé de constater que le piétinement parle-
mentaire n'épargnait pas plus le ministère Hil)ot
que ses prédécesseurs. Il fallait noter, le 14 juin,
un discours courageux et nécessaire du ministre de
la guerre, Painlevé, surles appréciations pessimistes
relatives à l'offensive d'avril. Le mois s'était clos,
comme il avait commencé, sur un comité secret. On
devait constater que la Chambre s'habituait à dis-
cuter à huis clos. L'opinion publique avait supporté
tout cela avec son habituelle patience. Beaucoup
estimaient, cependant, qu'en un temps oii des ques-
tions si graves s'agitaient, ofi l'on se sentait entouré
par un réseau serré d'intrigues pacifistes allemandes
qui trouvaient un écho malheureux chez quelques
Français plus bruyants que sagaces, obsédés d'illu-
sions et d'utopies, et peut-être chez quelques misé-
rables dont les motifs étaient moins excusables, il
eût été bon que le gouvernement fit connaître avec
énergie sa désapprobation et les mesures qu'il comp-
tait prendre pour arrêter cette campagne.
Le refus des passeports pour Stockholm avait été
bien accueilli. On s'étonnait, cependant, que le parti
socialiste s'évertuât à chercher des formules adou-
cies pour réclamer le retour de l'Alsace-Lorraine à
la France. Tout le monde sentait d'instinct que cette
question vitale était le sujet même de la guerre;
LAROUSSE MENSUEL
i^ue, depuis 1871, c'était elle qui avait pesé sur
1 Europe et déchaîné le conflit suscité en apparence
par l'occasion serbe; que, tant que l'iniustice ne
serait pas réparée, il n'y aurait pas de paix possible
dans le monde. Il était souhaitable que cette vérité
fût proclamée. Il l'était aussi qu'on affirmât devant
tous, devant l'armée du front, comme devant les
civils de l'arriére, que jamais notre position n'avait
été si forte et notre avenir si sûr; que l'entrée en
lutte de l'Amérique nous garantissait la victoire si
nous savions durer, user notre ennemi, le forcer à
reconnaître ses torts ; qu'aucun doule sur notre
avenir ne pouvait subsister; que, par suite, déserter
la lutte, simplement faiblir, reculer devant quelques
privations, quelques gênes, nous refuser aux sacri-
fices nécessaires après ceux déjà consentis, serait
un crime à l'égard de notre passé, de nos morts, de
la patrie et de l'humanité, un lâche suicide la veille
de la victoire. Quelques publicistes courageux le
disaient et secouaient rude-
ment ceux que l'un d'eux avait
fustigés du nom de « défai-
listes ». On attendait que tout
lela fût redit, au nom de la
France, par une autorité assez
haute pour que sapa rôle accrût
la force des courageux, raffer-
mit les timides et refoulât
ilans les ténèbres extérieures
les semeurs de panique, arti-
sans conscients ou incons-
^^^- jà I cients d'une paix qui ne serait
~^y9^ lE^- ' pas française. — Juie» Gerballi.
.^ Xjazarine, roman, par
4X, i Paul Bourget (Paris, 1917). —
(;'est autour du divorce que
se déroule le drame psycho-
logique qui constitue la trame
du nouveau roman de Bour-
get ; mais l'auteur, qui.dansun
roman antérieur {un Divorce),
avait déjà longuement traité la
((uestion du divorce sous son
double aspect religieux et so-
cial, n'a pas cherché ici à re-
nouveler la discussion. Il a
voulu avant tout peindre une
âme de jeune fille, et sa Laza-
rine doit être considérée
comme une étude de psycho-
logie religieuse. C'est ainsi, du
moins, qu'il convient d'envisa-
ger le roman, si l'on veut lui
garder tout son intérêt. Porté
dans le domaine des idées
pures, le sujet de ce roman
risquerait, en effet, de paraître
un peu déconcertant dans sa
donnée et même choquant
dans son dé veloppemen t ; l'au-
teur lui-même n'a pas osé
l'étendre jusqu'à son terme
extrême. Qu'une jeune fille,
profondément chrétienne, se
détourne avec horreur d'nn homme qu'elle aime et
quil'aime, quand elle apprend qu'il est divorcé, soit:
ce sont là des scrupules religieux parfaitement légi-
times; mais que celte même jeune fille revienne à
cet homme, une fois que celui-ci a tué sa femme, et
qu'elle reporte sur le meurtrier l'amour qu'elle refu-
sait au divorcé, il y a là une altitude difficilement
admissible tout d'abord. Cette attitude s'explique, au
contraire, si l'on accepte la logique particulière selon
laquelle évoluent les sentimentsde l'héroïne, dominée
par sa foi religieuse. Mais ce postulat est nécessaire.
Le roman débute par une série de lettres, desti-
nées à nous présenter les divers personnages : c'est
un procédé d'exposition ingénieux et rapide, mais
qui a l'inconvénient de nous jeter dans le drame
avant que nous soyons bien familiarisés avec les
acteurs. Nous apprenons ainsi que Lazariiie, jeune
fille qui vit avec son père, le colonel Emery, dans
une villa de Costebelle, près d'Hyères, s'est éprise
d'un officier, le capitaine Graffeteau, en convales-
cence dans un sanatorium voisin; son amour est
partagé, elle en est sûre, quoique jusqu'ici le capi-
taine ne se soit pas déclaré. Cette réserve n'est pas
sans inquiéter la jeune fille, qui cherche vainement
le pourquoi de ce silence. En vain sa sœur s'efforce-
t-elle de calmer une exaltation qu'elle juge dange-
reuse; en vain met-elle Lazarine en garde contre
une déception possible; Lazarine a une foi entière
dans son héros, qu'elle aime autant qu'elle l'admire;
sa seule prudence, dit-elle, c'est de prier. « Elle
prie pour que cet amour, qui est entré en elle
comme un hôte sacré, nel'entraînejamais au péché».
Otte phrase, incidemment jetée, est capitale, non
seulement pour la compréhension du caractère de
la jeune fille, mais aussi pour l'explication du roman
lui-même. Spontanée, tendre, passionnée même,
Lazarine est une catholique fervente, qui mêle la
religion à toutes ses pensées et à tous ses actes,
parce que la loi religieuse est pour elle la loi su-
»• 128. Août 1917
prême. Qu'un conflit surgisse entre son amour et
sa conscience religieuse, c'est en faveur de cette
dernière que, fatalement, il se résoudra. Et le conflit
surgit, en effet. Incapable de soupçonner la moindre
déloyauté chez celui qu'elleaime, Lazarine atlribuela
réserve du capitaine au scrupule honorable de ne
pas enchaîner la destinée dune jeune fille au sort
incertain d'un soldat près de retourner au combat :
fille de soldat elle-même, Lazarine est brave, elle
parlera donc la première. Or Lazarine se trompe, et
nous apprenons bientôt le véritable motif des réli-
cences de Graffeteau : il est divorcé, et il sait bien
que jamais Lazarine ne consentira à se marier en
denorsde l'Eglise; voilà la raison de son silence. Il
eût été plus correct à lui d'éviter la jeune fille, de
ne pas ébaucher une intimité équivoque et dange-
reuse, mais Gralfeteauestunsenlimenlal,un « émo-
tif, chez qui le désir paralyse la volonté ». 11 l'a
montré déjà dans son premier mariage, oii, uni à
une femme indigne, il a eu pour elle les plus avilis-
santes complaisances, avant de se résoudre, dans
un sursaut d'honneur et sur les instances de ses
amis, à s'en séparer. Et c'est cette même faiblesse
qui l'empêche maintenant de renoncer au charme
d'une piésence qui lui devient chaque jour plus
chère. D'ailleurs, ne va-t-il pas bientôt partir, sans
espoir de retour? Or voici que les événements se
précipitent et se compliquent. Lazarine, cédant à la
spontanéité de son cœur, fait k Graffeteau l'aveu
de son amour et demeure accablée, quand l'of-
ficier, sans répondre, s'éloigne d'elle.
D'autre part, la première femme de Graffeteau,
Thérèse Alidiére, une névrosée opiomane, qui se
trouve elle aussi installée dans le voisinage, est re-
prise pour son mari d'une soudaine fantaisie, d'un
« coup de foudre du caprice » et le lui écrit. Graffe-
teau répond à cette tentati vede rapprochement par un
refus brutal, qui provoque chez Thérèse un accès de
rageuse colère et un désir de vengeance immédiate.
Instruite des visites de Graffeteau chez le colonel
Emery et soupçonnant les raisons sentimentales qui
l'y conduisent, elle se rend auprès de Lazarine, lui
révèle qu'elle est la femme du capitaine Graffeteau,
l'instruit de son divorce et lance contre son mari
d'adroites calomnies, le représentant comme un
« homme coquet, aimant à plaire, à être ému, à
ébaucher des idylles ».
La pauvre Lazarine écoute tout cela dans une mi-
sère grandissante. « Il a joué avec moi comme avec
les autres », pense-t-elle. La rupture s'impose, d'au-
tant que le colonel Emery, qui s'est renseigné de
son côté, apprend lui aussi le divorce de Graffeteau.
Son informateur est le général Brissonnet, ami com-
mun des deux personnages. Bourget a voulu repré-
senter en lui le type traditionnel du soldat, qui ne
badine pas avec l'honneur; mais, précisément, il est
trop traditionnel pour être absolument vrai. C'est ce
général qui, autrefois, a obligé Graffeteau à divorcer.
Est-il donc en droit, ainsi qu'il le fait dans un court
billet au colonel, de présenter comme une tare ce
divorce dont il a été l'instigateur, de traiter son an-
cien ami de a caractère sans honneur », sans dire
rien des motifs qui avaient rendu ce divorce néces-
saire? Sans doute, cette réticence était utile pour
aggraver le malendu qui précipitera le drame; mais,
si ce n'est qu'un artifice de métier, il manque quel-
que peu d'adresse ; si, au contraire, le jugement du
général traduit les vrais sentiments de l'auteur,
cette extrême sévérité choque tous ceux qui, même
en respectant les principes religieux, ne voient ce-
pendant pas dans le divorce un crime irrémissible.
Accablé de toute part et instruit des calomnies de sa
femme, l'infortuné Graffeteau veut se justifier au
moins aux yeux de Lazarine et a une entrevue avec
Thérèse, afin d'obtenir d'elle une rétractation. L'é-
pouse perverse voit là une occasion excellente pour
reconquérir son ancien mari donlelle sait la faiblesse,
etelle déploie, poury atteindre, toutesles séductions
de sa perversité ; mais, soutenu par la pensée de
Lazarine, Graffeteau résiste, et, comme Thérèse lui
lance une suprême bravade, il l'abat à bout portant
d'un coup de pistolet.
La victime est peu intéressante, et nous apprenons
sans déplaisir que la police, trompée par les appa-
rences, attribue celte mort à un suicide. Graffeteau
ne sera donc pas inquiété par la justice des hommes,
mais sa conscience ne lui épargne pas les remords,
et il y a là une suite de pages excellentes d'analyse
où, dans le désarroi de ses sentiments et de ses pen-
sées, le malheureux délibère avec lui-même sur la
conduite à tenir : il ne voit pas d'autre issue que le
suicide. Mais Lazarine a toutdeviné, tout pressenti.
Dans un élan de passion généreuse, elle accourt
chez l'officier, recueille de lui l'aveu de son meurtre,
combat sa résolution au nom de leur mutuel amour,
et lui promet, s'il consent à vivre, d'être sa femme.
Qu'on n'aille point voir là un phénomène d'exalta-
tion passionnelle, ni un acte de cliaritable pitié. La-
zarine obéit simplement aux suggestions de sa foi
religieuse. Elle veut sauver l'âme de Graffeteau,
non seulement en lui épargnant le péché de suicide,
mais encore en prenant sa part du crime de l'of-
ficier, pour en partager l'expiation. « En vous of-
frant d'être voire femme, après cet assassinat, dit-
«• 12e. Août 1917.
elle, je fais mien tout votre passé. Nous l'expierons
ensemble ». C'estdonc par esprit de sacrilice etpour
des motifs purement religieux que Lazarine se dé-
termine. Et cela est très beau; et cela ne nous sur-
prend pas d'une jeune fille aux conviclions si ar-
dentes. Mais, comme nous savons combien il y a en
cette même âme de force de passion, nous nous
demandons, malgré tout, jusqu'à quel point Lazarine
n'est point inconsciemment dupe d'elle-même et si
l'amour, l'amour tout simple, n'entre pas pour une
grande part dans sa décision. Ce problème ne pour-
rait trouver sa solution que plus tard, après le ma-
riage des deux personnages, une fois que ceux-ci,
soustraits aux impressions de la tragédie récente,
seraient revenus de leur exaltation. Mais, il faut
l'avouer, un tel mariage se conçoit mal, et l'auteur,
qui le sentait bien, a préféré esquiver une difficulté
peut-être insoluble. Sitôt après ces étranges fian-
çailles, Gralfeleau a rejoint son poste de combat,
et il y est tué trois mois plus tard. Ce dénouement
était prévu : c'était le seul possible et, en somme, le
seul satisfaisant; par sa mort, GralTeteau a racheté
son crime, et comme, par surcroît, il s'est converti
auparavant, Lazarine n'a plus d'inquiétude pour le
salut de celui qu'elle aimait. C'est dans celte pensée
et dans les consolations de sa foi qu'elle puise sa
force de résignation, décidée à suivre la voie que
lui traceront sa douleur et son amour.
Derrière cette étude psychologique, intéressante
et curieuse, derrière celte tragédie violente et ra-
fiide, Bourget, fidèle à l'idée qu'il avait déjà déve-
oppée dans le Setts (te la mort, a voulu surtout
présenter la religion catholique comme une source
de confiance et d'énergie. C'est la pensée maîtresse
de son livre ; elle se vérifie non seulement dans les
héros principaux, mais aussi chez des personnages
secondaires, comme cet officier aveugle, à qui la foi
fait accepter joyeusement sa misère. Mais Bourget
ne pouvait-il la soutenir sans verser dans ce ton doc-
trinal et sermonneur, auquel il semble désormais se
complaire? Cette note nouvelle, quicaraclérise l'évo-
lution de Bourget, est, à ce titre curieuse ; il nous
en a fait, cependant, entendre d'autres, plus vigou-
reuses et plus attrayantes. — FéUr Gcirano.
Liecomte (Henri), botaniste français, né à
Saint-Nabord ('Vosges) le 8 janvier 1856. Ancien
élève de l'école normale primaire de Mirecourt,
Lecomte resta pendant quatre années (1875-1879)
instituteur dans le déparlement des Vosges, et c'est
fiendant celte période, malgré les vicissitudes du
abeur quotidien, qu'il prépara l'examen du bacca-
lauréat es sciences. En 1880, il alla étudier à la
Kacullé des sciences de Nancy et, en 1884, il était
reçu premier à l'agrégation des sciences naturelles.
Lecomte entrait délibérément dans l'enseignement
secondaire, et il l'ut nommé directement professeur
à Paris au lycée Saint-Louis, puis au lycée
HenrilV (1884-1896). En 1889, il était reçu docteur
es sciences naturelles, avec une thèse remarquable :
Contribution à l'élude du liber des Angiospermes;
enfln, en 1906, il était nommé professeur de bola-
nique au Muséum national d'histoire naturelle; il y
dirige la chaire et le laboratoire de phanérogamie.
On doit à Lecomte de nombreux travaux se rap-
portant à toutes les branches de la botanique.
Toutefois, ses études se sont orientées peu à peu
vers la botanique systématique et l'établissement
des dores coloniales; les nombreuses régions, dont
certaines peu connues, qu'il a lui-même explorées,
lui ont permis de se faire une idée exacte de la
répartition de certaines espèces. C'est par milliers
que l'on compte les plantes qu'il a rapportées de ces
voyages scientifiques et qui ont été classées dans
les belles collections du Muséum, et ses travaux
relatifs à la classification des végétaux sont des plus
importants.
Dans le domaine de l'anatomie et de la biologie,
il convient de citer ses importantes éludes du liber.
U en a minutieusement suivi les caractères géné-
raux, puis il a étudié les tubes criblés et les cribles
et expliqué d'une façon simple leur formation, ainsi
que la production et la destruction du cal; enfin, il
a étudié le rôle physiologique de ce tissu dans la vie
des plantes.
Citons aussi ses mémoires sur la formation du
?ollen cfiez les annnacées; sur quelques points de
anatomie de la tige et de la feuille des Casuarinées ;
sur les articulations florales, mémoire dans lequel
il fait une étude très détaillée de l'articulation florale
dans les dilTérenles familles de phanérogames an-
giospermes et qu'il fit suivre d'un autre mémoire non
moins remarquable sur la chute des /leurs; sur une
nouvelle Balanop/ioracée du Congo français; stir
le dimorphisme des fleurs chez les Hevea; sur la
constitution des graines de Musa: sur le fruit et les
graines du Bananier; sur les tubercules radicaux
de l'Arachide; sur tes graines de Modbi et de Coula
du Congo français, en collaboration avec Hébert;
sur les graines de Thyméléacées; sur la dissémi-
nation des fruits et des graines chez les Erio-
caulon; sur la fleur et le fruit des Sépenihes; sur
les feuilles d'un Corypha de l'Indochine; sur le tu-
bercule des Balanophoracées ; sur les sapolacées du
Uenn Lecomte.
LAROUSSE MENSUEL
groupe des Mimusopées ; sur les graines de Landol-
phia; sur les Lauracées de Chine et d'Indochine, etc.
C'est en 1893-1894 que Lecomte entreprit son
premier voyage d'exploration. Il avait été chargé
par la Société d'études et d'exploitation du Congo
français de parcourir la région forestière qui s'étend
de rOgooué à la frontière portugaise (600 Kilom. en-
viron). Outre une abondante récolte de plantes où
l'on put reconnaître et étudier, plus tard, un certain
nombre d'espèces inconnues jusque-là, il sut réunir
de nombreux documents de toute sorte ; il étudia
tout spécialement les arbres producteurs du caout-
chouc et rapporta de nombreux échantillons de bois
différents, dont quelques-uns constitueraient des ma-
lériauxdepremier ordre pourlaconslruclion ou l'ébé-
nisterie. C'est à
lasuile de ce pre-
mier voyage qu'il
publia ses tra-
vaux sur /es Za/ea;
à caoulcliouc.
En 1898, une
nouvelle mission
lui était confiée
par le ministère
des colonies; il
s'agissait d'assu-
rer l'acclimata-
tion des arbres
à gutta- perclia
dans les Antilles
et à la Guyane.
En rentrant en
France, il publia
son ouvrage : les
Arbres à gutta-
percha (1899),
dans lequel, après avoir passé en revue les connais-
sances acquises sur la production de lagulla-percha,
il décrit les circonstances dans lesquelles on peut
assurer l'acclimalalion des plantes à gutta dans nos
colonies d'Amérique.
En 1900, il publiait un remarquable ouvrage .Sur le
coton, qui lui valut l'attribution du prix Hossi par
l'Académie des sciences morales et politiques el,
en 1903, le gouvernement de l'Afrique occidentale
française, désirant propager la culture du cotonnier
dans cette colonie, le chargeait d'entreprendre en
Egypte une enquête approfondie sur la culture du
cotonnier. Dans son volume : le Coton en Egypte
(19041, Lecomte consigna le résultat de ses obser-
vations, et la Société nationale d'agriculture, qui lui
avait déjà décerné sa médaille d'or en 1900 pour
l'ensemble de ses publications coloniales, lui fit à ce
sujet un rappel de médaille d'or en 1905; de plus,
le gouvernement général de l'Algérie, en 1905, lui
demandait d'explorer la colonie pour s'assurer des
possibilités de culture du cotonnier.
Enfin, en 1911-1912, il était chargé d'une mission
en Indochine par le ministère de l'instruction pu-
bique; il s'agissait de compléter nos collections bo-
taniques pour l'élaboration de la flore générale
de l'Indochine ; il en rapporta plus de 2.000 plantes.
Le rapport qu'il rédigea à celle occasion est publié
sous le titre : Voyage botanique en Extrême-
Orient {I9\i el im).
C'est à la suite de tous ces voyages et dès sa nomi-
nation au Muséum d'histoire naturelle que Lecomte
se proposa, avec la collaboration de spécialistes
Irançais et étrangers, d'élaborer une vaste publica-
tion encyclopédique de la flore coloniale, de façon
à faire connaître les productions végétales de nos
colonies et, s'il y a lieu, 1 indication de leur utilisa-
lion. Il commença par la h'iore générale de ïlndo-
chine (acluellement en cours de publication); un
certain nombre de fascicules sont déjà parus. On y
trouve les descriptions de près de 3.000 espèces, dont
plus de 700 nouvelles. Pour sa part, Lecomte y a
étudié de nombreuses familles; de plus, il a fondé
une publication spéciale, les Noiulse systematicae,
où se trouvent réunies les diagnoses des nouvelles
espèces créées au laboratoire de phanérogamie du
Muséum; d'ailleurs, en prenant la direction de la
chaire de phanérogamie, Lecomte a pu donner libre
cours à son activité scientifique, et son laboratoire,
tel qu'il a su l'organiser, peut soutenir aujourd'hui la
comparaison avec les services analogues, les meil-
leurs, de l'étranger. Il a fondé, en 1897, la Revue des
cultures coloniales. Parmi les autres publicalionsde
Lecomte, citons : tes Textiles végétaux (1892), ou-
vrage qui fait partie de l'encyclopédie des Aide-mé-
moire, section de l'ingénieur; te Cacaoyer et sa cul-
ture (1897), avec la collaboration de Cn. Chalot; le
Café {tsf<9); te Vanillier {1901), a"ec la collaboration
de Ch. Clielot. Il convient aussi d'indiquer spéciale-
ment les notes qu'il a publiées sur le parfum de la
vanille et la formation de la vanilline; la Culture de
l'arachide en Egypte (1904) ; /'( Production agricole
et forestière dans les colonies françaises (travail
fnblié par les soins du ministère des colonies pour
Exposition de 1900), etc. On lui doit aussi une col-
lection d'ouvrages classiques. — L'Académie des
sciences, en 1915, avait décerné à Lecomte le prix
Gay, pour le récompenser de ces importants tra-
211
vaux et des services qu'il avait rendus à la bota-
nique coloniale. Le 26 février 1917, il fut élu membre
de celte même Académie. Lecomte fait partie de nom-
breuses sociélés étrangères, et il a été nommé che-
valier de Légion d'honneur en 1904. — o. Boociuiit.
limnimétrique adj. Qui a rapport à la limni-
mélrle, à la mesure du niveau des lacs : Les obser-
vations LiMNiMftTRiQUES poursuivtes sur la mer
d'Aral ont permis récemment de constater la crue
sensible de ses eaux depuis ISSà.
llthopone n. m. Couleur blanche, utilisée
dans la peinture industrielle.
— Encycl. Le lithopone est formé d'un mélange
de sulfure de zinc et de sulfate de baryte. Son prix
est moindre que celui du blanc de zinc (oxyde de
zinc), mais il couvre moins bien, et il est moins du-
rable; d'ailleurs, ce prix dépend de sa teneur en
sulfure de zinc. Le lithopone s'obtient par l'action
d'une solution de sulfate de zinc sur une solution
de sulfure de baryum : une partie du sulfure de zinc
formé se transforme en carbonate de zinc, sous l'ac-
tion du gaz carbonique de l'air. Il a l'avantage de
ne pas noircir sous linflnence des émanations sulfu-
reuses du gaz d'éclairage. — G. B.
XjOefler (Charles), officier et e.xploraleur fran-
çais, né à Cambrai le 19 décembre 1869, mort au
champ d'honneur près de Barleux (Somme) le 4 sep-
tembre 1916. Sorti de l'Ecole spéciale militaire de
Saint-Cyr en 1891 et nommé sous-lieutenant d'in-
fanterie de marine, il fut afl'eclé au cadre des tirail-
leurs tonkinois en 1893; il fit en Indochine sa pre-
mière campagne. U passa ensuite en Afrique, on
il devait bientôt se distinguer comme explorateur
et comme soldat dans de nouvelles campagnes
coloniales.
Il était encore lieutenant quand, en 1899, il prit
part, au Congo, aux travaux d'une mission envoyée
par le ministère des colonies et dirigée par le com-
mandant Gendron. L'objet de celle mission était de
faire le levé topographique d'une partie de la colonie
et de procéder à la délimitation de concessions qui
avaient été accordées à des .sociétés commerciales.
La mission comprenait deux brigades, qui devaient
relier par une chaîne de triangles Libreville à Braz-
zaville el se rencontrer près de Lekeli, sur l'Alima.
affluent du Congo. Le lieutenant Lœfler fit partie de
la seconde brigade, qui partit de Libreville et que
dirigeait le lieutenant d'artillerie Jobil, récemment
tombé, lui aussi, au champ d'honneur. En se rendant
seul directemenlde la Nyanga à Lekeli parla rivière
M'Pama, ce qui représentait un itinéraire d'environ
700 kilomètres, il reconnut l'existence d'un plateau
sablonneux , dé-
couvert eldepar-
cours facile, qui
élait susceptible
de créer une
bonne voie de
communication
entre Loango el
l'Alima. Il donna
sur son explora-
lion une note à la
Société de géo-
grapliie : Mis-
sion Gendron
au Congo fran-
çais. Explorii-
tion du lieute-
nant Lœfler (2:t
aoùl-18ocl 1899);
Note sur la ré-
gion comprise
entre le tTGounié et l'Alima (la Géographie, t. III,
1"" semestre 1901).
Un article précédent, dû au lieutenant E. Jobit,
doime également des renseignements sur la parti-
cipation du lieutenant Lœfler à la mission : Mission
Gendron au Congo français. Exploration de la
brigade Jobit {id., p. 181-192, avec carte).
Lœfler n'était pas encore de retour de cette impor-
tante mission quand il fui nommé capitaine le 22 sep-
tembre 1899, toujours dans son arme, qui devint
ensuite 1' « infanterie coloniale ».
En 1901, Lœfler, étant alors administrateur de la
Haute-Sanga, fut chargé d'effectuer une reconnais-
sance de tout le pays compris entre la Haute-Sanga
et le bas Chari et d'atteindre ce fleuve, puis le lac
Tchad, par le Logone. Son exploration apporta une
importante contribution à nos connaissances géogra-
phiques sur ces régions. Du côté du nord, le pays
n'avait été rigoureusement parcouru avant lui que
par Maistre.
Parti de Carnot le 28 janvier 1901, 1.œller élait de
retour à ce poste le 7 août suivant, ayant accompli
un voyage d'environ 2.600 kilomètres, dont prés
de 2.000 en pays cuinplètement inexploré.
Après avoir atteint le Chari à Kouno, en traver-
sant le pays des Lakas, itinéraire de 850 kilomètres
qu'il avait mis quarante-cinq jours à effectuer, le
capitaine LŒder descendit le (.hari, puis le traversa
à Mandjaffa, pour gagner le Logone.
LieuteDaut-colonel Lwllci-,
212
Il remonta ce fleuve et, le quittant pour se porter
à l'ouest, il prit la direction du lac Toubouri par le
sillon semé de mares qui met ce lac en contact avec
leLogone. Puis, continuant sa route vers le pays de
Binder jusqu'au mayo Kabbi, qui est uni au lac
Toubouri elqui se jette dans la Bénoué, il put arri-
ver à cette constatation que, durant la saison des
pluies, le Logone était relié au mayo Kablii et que
leurs eaux, confondues, ne forment plus qu'une seule
route sur laquelle circulent les pirogues.
La Bénoué se serait trouvée ainsi susceptible de
devenir une voie de pénétration vers le Tchad. Celte
hypothèse se trouvait avoir des conséquences des
plus importantes au point de vue du ravitaillement
de nos territoires du Tchad, et le capitaine Lenfant,
au cours de la mission dont il fut chargé en 190/i,
put constater que la communication existe en effet
et que, malgré des difficultés, elle peut être utilisable.
Du Kabbi, le capitaine Lœflerrevint à Carnot par
un nouvel itinérairequi longeait la frontière du Came-
roun en coupant les rivières Ba ou Bini, Mambéré,
Lim, branches supérieures du Logone occidental,
puis l'Ouahme, au delà de la région rocheuse de
Bouar; il rejoignit, à Bam, son itinéraire de départ.
En même temps qu'elle avait préparé la voie à
la mission du capitaine Lenfant, l'exploration de
Loefler avait apporté des connaissances entièrement
nouvelles sur la région comprise entre la Sanga,
le Chari et le Cameroun, région que les itinéraires
du lieutenant Lancrenon et ceux de la mission Moll
pour la délimitation du Cameroun devaient achever
de faire connaître.
La mission du capitaine Lœfler avait donc donné
d'importants résultats aux points de vue politique,
géographique et commercial. On peut en juger par
les relations qu'il a écrites sur son exploration et
qui ont été publiéos dans le « Bulletin du comité
de l'Afrique française : lienseignemenls coloniaux :
De la Santfa au Chari et à la Bénoué (1902,
carte au 6.000.000"^) ; les Régions comprises entre
la Haule-Sanga, te Chari et le Cameroun (1907,
carte au 4.000.000'^).
Les levés tonographiques exécutés par lui jour
par jour jt qui lui ont permis de dresser une carte
très complète de ces régions en cinq grandes plan-
ches à léchelle du 200.000" lui ont valu, en 1909,
une médaille d'or de la Société de géographie.
Chef de bataillon en 1908, Charles Lœfler fit en-
core campagne en Afrique occidentale française.
Après la prise d'Aïn-Galal<a par le colonel Largeau,
en novembre 1913, une recoimaissance envoyée le
mois suivant, de l'Afrique occidentale, sous les
ordres du chef de bataillon Lœfler, au moment
même oii les troupes du Territoire militaire du
Tchad occupaient le Borkou, vint préparer notre
action au Tibesli en nous donnant une connaissance
plus précise du pays. 11 parvint, dans cette impor-
tante opération, à établir son campement dans le
Zaouar, sur le flanc méridional duTibesti,àla fin de
décembre, et àpénétrer jusqu'au voisinage du Borkou.
Promu officier de la Légion d'honneur en août 191 4,
Charles Lrpfler se trouvait encore en Afrique lors-
que la guerre éclata. Il fut nommé lieutenant-colo-
nel le 5 mai 1913 et vint sur noire front de l'Est,
où il prit uuepart active aux opérations. Il se signala,
dans le combat où il trouva la mort, par son hé-
roïque conduite, à laquelle a rendu hommage la
citation suivante, dont il fut l'objet:
So tenant dans la parallèle de départ sous un feu vio-
lent d'artillerie et d'infanterie, n'a pas hésité à se porter
on avatit pour soutenir son premier bataillon d'attaque
et repousser une contre-attaque dirigée par l'ennemi sur
le flanc. Est tombé mortellement frappé par une balle en
donnant à son régiment le magnifique exemple de son
brillant courage et do son bel esprit de décision.
Enfin, la citation fait une juste allusion à sa car-
rière coloniale, au cours de laquelle il s'était dis-
tingué dans toute une série de campagnes, eu ajou-
tant ces mots : « Beaux antécédents militaires aux
colonies. » — Gustave REOBLSPBaoER.
Madame de Staël et la Suisse, par
Pierre Kohler (Paris-Lausanne, 1916). — Nombreuses
sont déjà les études consacrées à M™= de Staël.
Cette femme illustre conserve des amitiés presque
aussi vives que celles qui l'accompagnaient sur les
chemins d'exil. Ses ennemis demeurent aussi pas-
sionnés. Il semble que sa cendre soit chaude encore;
l'exaltation où se consuma sa vie est communica-
tive, et c'est l'un de ses meilleurs historiens qui
écrivait un jour : <i Plus je la connais, plus je la
déteste! » C'est avec d'autres sentiments que Pierre
Kohler a composé l'ouvrage qu'il lui consacre au-
jourd'hui. On pourrait même lui reprocher d'être
un peu pesant, un peu lourd; mais son livre est
riche et plein. On y trouvera de nombreux docu-
ments, dont quelques-uns sont inédits. La thèse,
enfin, qu'il soulient est modérée et, par là, assez
juste. Pierre Kohler n'essaye pas de faire de M™" de
Staël une Suissesse. Il n'ignore pas ce qu'elle doit
à la France, mais il montre bien qu'elle ne serait
sans doute pas ce qu'elle est, si elle était simplement
née à Paris de parents français et que ce qui l'at-
tachait surtout à la France, c'était le cœur.
LAKOUSSI': MENSUEL
Car il suffit de l'étudier d'un peu près, et dans sa
vie et dans ses œuvres, pour distinguer son origine
étrangère, l'influence qu'exercèrent sur elle des
ascendants étrangers, 1 éducation qu'elle en reçut,
les traditions qu'ils lui transmirent, et aussi pour
constater avec quelle passion elle accueillit des
amitiés qui n'étaient pas françaises et avec quelle
constance elle revint toujours en Suisse, même
quand elle n'y était pas contrainte et malgré les
M»' de Staôl, tableau de Mi'e Godefi-oy. (Musée de VersaillcB.)
plaintes qu'elle y faisait. Dans Dix années d'exil,
après avoir raconté comment elle avait fui en 1812
pour se réfugier en Russie, elle ajoute :
C'est ainsi que je fus obligée de quitter en fugitive
deux patries, la Suisse ot la Krance.
Retenons cet aveu, assez rare sous la plume de
M™= de Staël et qui, pourtant, éclaire d'une lumière
juste sa physionomie. Elle avait deux patries, la
Suisse et la France.
Et, d'abord, ses origines étaient suisses. La famille
du banquier Necker, son père, venue d'Allemagne,
avait été naturalisée genevoise en 1724 et, par la
suite, franchement accueillie dans les milieux gene-
vois. Necker pouvait écrire, le 17 juin 1798 :
J'ai donc été Genevois par ma naissance, Genevois par
mes places et mon rang dans les conseils de la Républi-
que, Genevois comme représentant de cette République
dans une cour étrangère, Genevois eucore par les sacri-
fices éminents que j ai faits à mes principes d'éducation,
et j'ai montré, de plus, l'intention où j'étais de venir finir
mes jours près de ma patrie en achetant dès l'année 1784
une terre et une habitation de choix, à deux lieues de
Genève.
Mais, si Necker ne s'est jamais considéré comme
Français et n'a jamais, d'ailleurs, élé considéré
comme tel, sa femme, Suzanne Curchod, fille d'un
ministre calviniste du pays de Vaiul, était plus
suisse encore que lui. Leur petite fille, Germaine,
qui naquit le 22 avril 1766 vers six heures du soir,
était peu française ; et ce fut encore un 'Vaudois, le
chapelain de l'ambassade des Provinces-Unies, qui
la baptisa le 26 avril.
Bien que née et élevée à Paris, ce ne fut point
une éducation française que reçut la petite Germaine ;
sa mère s'y employa avec soin. Elle fit venir des
livres de Genève, une Bible, un Nouveau Testament,
Il le tout de la plus nouvelle version », le catéchisme
d'Oslerwald et, en un mot, écrit-elle,
les livres de piété qui peuvent m'étre nécessaires
pour l'instruction de ma petite, qui commouco à parler et
à cum]>rendre.
Et, n'ayant pu trouver une gouvernante suisse à sa
convenance, elle se charge elle-même de l'éducation
de sa fille.
Celle-ci, vers douze ou quatorze ans, se libéra de
l'influence de sa mère, mais ce fut pour se soumettre
à celle de son père. Entre temps, on lui avait donné
une petite amie, avec qui elle devait rester liée
jusqu'il sa mort, et c'était une Genevoise, Jeanne-
Catherine llnber, fille île Barthélémy Huber-Talon,
établi à Paris pour ses affaires. Enfin, dans le
«• 126. Août 1917.
salon de son père, devenu ministre résident de la
république de Genève à Paris, elle voyait défiler un
grand nombre de Suisses.
En 1784, Necker achetait la baronnie de Coppet,
le château, les terres, les droits féodaux. Pendant
qu'on effectuait les réparations nécessaires, l'ancien
ministre de Louis XVI s'installait avec sa famille au
château de Beaulieu, aux portes de Lausanne. Ger-
maine se mêla à la société du pays. Elle y goûta
des formes de sentiments et de pen-
sées nouvelles. Les danses, les jeux
d'esprit, les poésies de circonstance
occupaient les jours. La jeune fille en-
gageait un commerce d'esprit avec
Deyverdun. Elle voyait M™« de Mon-
lolieu et Bridel. Elle comparait les
bonnes mœurs de Lausanne au bon
goiit de Paris, indifférente d'ailleurs
aux beautés champêtres qui l'entou-
raient. Le sens des choses rustiques
lui manqua toujours.
C'était à Coppet (écrit -elle dans son
journal) que mon père était le plus heu-
reux. On respire en ce lieu l'indépendance ;
toutes les idées ambitieuses paraissent si
petites auprès de ces monts qui touchent
aux cieux! Les hommes qui vous environ-
nent sont heureux : un rempart formidable
vous sépare de la France. Une patrie (ju'on
a quittée dès l'enfance retrace au cœur les
souvenirs et le calme de cet âgo.
Mais ce calme ne convenait point à
l'ardeur de son âme.
Mon père (dit-elle encore) a sacrifié au
goût de ma mère son penchant infini pour
la Suisse... Pour moi,... je craignais mor-
tellement qu'il voulût passer sa vie dans sa
terre; qu'il me pardonne, je n'ai pas encore
assez fait provision de souvenirs pour vivre
sur eux le reste de ma vie.
Mais cette préférence qu'elle mani-
festait pour la vie de Paris ne devait ni
arrêter les relations commencées avec
les habitants de Genève et de Lau-
sanne, ni effacer dans son cœur et dans
son esprit les impressions ressenties
sur les bords du lac Léinan. Et lorsque,
quelques années plus tard, en 1788,
elle écrit ses Lettres sur les ouvrages
et le caraclire de Jean-Jacrjues Hous-
seau, elle s'appuie sur « un Genevois
qui a vécu avec Rousseau pemlant les
vingt dernières années de sa vie », et
elle témoigne, par certaines remarques sut la Lettre
sur les spectacles, ou sur la Nouvelle Iléloise, de son
expérience de la Suisse. Et, puisqu'il est ici question
de Rousseau, on peut bien dire que, lorsqu'elle pa-
raîtra être son disciple, plus tard, dans Delphine,
ou dans la Lillérature, ce n'est pas dans 1 œuvre
même de Jean-Jacques qu'elle aura cherché son
inspiration, mais elle aura puisé aux mêmes sources
que lui, aux sources protestantes et cosmopolites
de Genève.
En 1790, elle rejoint ses parents à Coppet. A
partir de cette date, ses voyages en Suisse se mul-
tiplient. Sans doute, elle s'écrie : « Ce pays-ci ne me
plaît pas du toull » Elle y revient pourtant chaque
année ; elle y séjourne de longs mois. Trop de liens
l'y rattachent pour qu'elle puisse en demeurer éloi-
gnée longtemps ; et, lorsque les événements poli-
tiques rendent impossible son séjour en France, c'est
en Suisse qu'elle s'établit, soit à Genève, soit à Lau-
sanne, soit à Coppet. Elle gémit d'ailleurs d'y vivre.
J'ai toute la Suisse dans une magnifique horreur
(écrit-elle en 1794). Ces hautes montagnes me font l'efl'et
dos grilles d'un couvent qui nous sépareraient du reste du
monde. On vit ici dans une paix infernale. On frémit, on
se meurt dans ce néant.
Pour peupler ce néant, elle s'occupe à sauver de
la guillotine tous les Français qu'elle peut, à faire
venir auprès d'elle ses amis. Elle fait mille démar-
ches auprès de Leurs Excellences de Berne ; elle
multiplie les intrigues à ce point que, dès 1792, le
Conseil secret de Berne écrit au bailli de Lausanne
de la tenir éloignée du pays. Mais son obstination
a raison de leur surveillance, et elle demeure l'in-
termédiaire entre la société française et le monde
suisse.
En 1798, se produit la révolution helvétique; le
pays de 'Vaud s'émancipe, les Français entrent en
Suisse, Berne tombe, la République helvétique se
constitue. M""" de Staël était contraire à l'interven-
tion française et à la Révolution. Patricienne, elle
redoutait de voir disparaître ses droits féodaux et
aussi de voir changer sa vieille Suisse. Le nouveau
régime ne lui fut jamais sympathique.
C'est le moment, d'ailleurs, où, auprès de son père,
elle écrit l'ouvrage qui ne fut publié qu'en 1906 :
Des circonstances aclxielles qui peuvent terminer
la Révolution et des priiicipes qui doivent fonder
la Réiiublique en France. L influence genevoise s'y
mauileste nettement. Comment ne la retrouverait-
on pas dans le chapitre sur les religions, où M"'» de
Staël, après avoir affirmé la nécessité des religions
dans une république, montre le protestantisme
W lie. Août 1917.
comme devant être la religion de l'Elal, el donne en
exemple les miiiislros suisses.
D'ailleurs, les nombreuses lelalions qu'elle entre-
tenait en Suisse, soit avec les gens mêmes du pays,
soit avec les étrangers de passage, lui fournissaient
de» idées el des faits. On sait assez que son livre De
la lilléiatuie lut un livre « causé ». Benjamin Cons-
tant l'unissait à la société lausannoise, plus ouverte,
plus cosmopolite que celle de Genève. Elle y était
vilipendée el admirée; mais les Lausannois recon-
naissaient bien dans son œuvre une nuance de sen-
timent, un goût d'approfondir, un penchant à l'ob-
servation moiale el à l'e.xplication des esprits qu'ils
sentaient déjà exister en eu,\-mèmes.
Quant aux relations qu'elle entretenait avec les
principaux intellectuels de ce pays, on peut bien dire
qu'elles (ont de sa vie un raccourci de l'Iiisloire lit-
téraire de la Suisse romande en ce temps. On en
trouvera le détail dans l'ouvrage de Pierre Kohier.
Retenons seulement la liaison avec Benjamin
Constant, dont les vicissitudes et les troubles buu-
leversrrenl tout Lausanne. L'intérêt n'est pas là,
d'ailleurs. Il se trouve dans l'union même de l'au-
teur d'Adolphe et de celui de Corinne. Quelque
orageux qu'aient été les diiïérenls épisodes de cette
Benjamin Constant. -^Portrait dessiné et gravé par Esbrard.,
liaison, on peut aflirmer que Benjamin Constant et
M"" de Staël se sont aimés ; et aussi qu'ils se sont
intimement compris. Dans leurs œuvres, bien des
points apparaissent semblables. Les mùmis ten-
dances s'y mariireslent. Tous deux ont le goût du
libéralisme et du moralisme, l'intelligence des litté-
ratures germaniques, la fidélité au protestantisme;
tous deux sont cosmopolites. Et, sans doute, dans
ces ressemblances, on pourrait voir l'eCTet d'une in-
fluence exercée par l'un sur l'autre; mais, en réalité,
c'étaient là des caractères naturels à l'un el à l'autre,
puisque ce sont des caractèi"es propres à l'esprit
suisse et à l'espi il romand.
Bien qu'elle ait toujours mieux aimé Lausanne
que Genève, M™« de Staël entretint des rapports
suivis avec la grande société de Genève. Elle y
donna dts réceptions bridantes; elle yjoua la co-
médie.Tout en ne l'aimant pas à cause de ses imper-
tinences, les Genevois sont liers d'elle et des célé-
brités qu'elle leur amène. Sans doute, dit Jean Picot,
« elle donnait un mauvais exemple à la jeunesse ge-
nevoise, qui n'était que trop disposée à l'admirer en
tout et partout »; mais, aupi'ès d'elle, s'atlardent les
principaux esprits du temps. Voici Fi'édéric JuUin
de Cbàloauvieiix, homme d'esprit, fin et ingénieux,
qui écrivait à la morl de M°" de Staël : « Mes opi-
nions, mes sentiments se sont formés sur les siens. »
Voici Louis Odier, le médecin, et l'oculiste ^iau-
noir, le pasteur Cellerier. L'érudit Guillaimie Favre
lui communique son érudition. Paul-Henri Mallet,
l'historien du Danemark, lui donna sans doute
toutes ses notions sur la littérature runique, sur les
poésies et les antiquités du Nord. Le professeur
Pierre Prévost l'iiislruisil sur le drame antique.
11 faudrait encore citer les frères Piclet, avec qui
elle finit par se brouiller, tant son amitié se montra
importune, Il faudrait mettre à part l'aniilié de
M"' Necker et de Saussure.
LAROUSSE MENSUEL
Plus lard, pendant les grands jours de Goppet,
toute cette société demeure fidèle à Corinne. Elle
gémit toujours vers ailleurs; mais son déplaisir de
vivi'e en Suisse ne tient pas à la Suisse : c'est elle-
même qu'elle veut fuir, plus encore que le pays où
elle doit vivre. Les réceptions, la comédie, les con-
versations, le travail ne suffisent pas à occuper ses
joui's. Singulièrement brillante, pourtant, est cette
société, où se rencontrent généraux autrichiens,
princes de Prusse et nobles de Russie, sans oublier
les Américains. Le N'euchiUelois François Gaudol
nous renseigne abondam-
ment, dans ses lettres, sur
les plaisirs qu'on goi'ilail à
Coppel. Grand amateur de
lettres et de musique, il avait
beaucoup voyagé, et il con-
naissait le monde. M"" de
Staël aimait à s'entretenir
avec lui de faits et d'idées;
et on peut sentir ce qu'elle
lui doit par celte phrase
qu'elle lui écrivait, au temps
ou elle travaillait à son livie
l)e VA lie mur/ ne :
Vous êtes un esprit sur les
frontières des deux pays, et
votre jugement mo servira pour
deux uations.
Deux autres fidèles accom-
pagnent RIrac Je Staël : Sis-
mondi, néàGenève, elBons-
l^lten, né à Berne. Bonstet-
ten, lui aussi, était exacte-
ment suspendu euti-e la Ger-
manie el le monde latin, el
son influence s'exerça sur le
cosmopolitisme de M™' de
Staël. Elleluidulde connaiti-e JeandeMuller, à qui
elle consacre tout un cliapilre dans V Allemagne ;
et lorsque, apri's la inoit de son père, elle partit en
Italie, il lui fil lire son Voyage clans le Liitium, au-
quel il travaillait alors. On s'en aperçoit dans Co-
niine. Elle-même i-econnait, d'ailleurs, l'impression
qu'elle a ressentie de celte lecture.
La campagne do Rome m'a frappée par le souvenir
de votre livre (lui ccritelle de Rome) en février ISOj;
c est de la description ù l'ol^jot t^ue mon intérêt aprocédé.
^ M""= de Staël ne connut pas, d'ailleui's, que la
Suisse romande. Elle fit plusieurs excursions dans
la Suisse allemande. On se souvient des pages
([u'elle a consacrées dans V Allemagne à Jean de
Muller et à Lavaler, à Pestalozzi et à Fellenberg.
Faut-il rappeler, enlin, le lécit qu'elle a fait de la
Fête des Beigers à Interlaken?
Lorsque, en ISlj!, elle quitta la Suisse, ce ne fut
pas sans regret :
Cette .Suisse encore si calme et toujours si belle, ces
habitants qui savent être libres par leurs vertus, lors
même qu'ils ont perdu l'indépen-iance politique, tout ce
pays me retenait ; il me semblait qu'il me disait tie ne pas
le quitter.
Elle ne se souvient plus, à ce moment, de l'horreur
<|uece pavs lui inspirait, de l'ennui qu'elle y avait
éprouvé. Et, plus lard encore, lorsqu'elle est libre
enfin de vivre à Paris, elle écrit qu'elle regrette
Coppel même pour sa solitude. C'est à Coppel, enfin,
i|u'on la ramène morte en juillet 1817, et c'est là
qu'elle repose encore, dans le mausolée familial,
au pied de la cuve de marbre où sont étendus M. et
M°« Necker.
Libérale, protestante, morale, sentimentale el
mélancolique, M""» de Staël, par plus d'un Irait,
décèle ses oi-igines, l'éducalion qu'elle reçut, les
influences qui agirent sur elle. Son père a pro-
clamé qu'il était genevois. Pour elle, elle a souvent,
éci-it Charles de Villiers en 1814, à propos de 1'.^/-
lemagne, « remarqué d'elle-même qu'elle n'avait
pas, en sa qualité de Genevoise et de protestante,
celte étroilesse, ce ti-avers d'esprit qui met les
autres, Parisiens et Parisiennes, en garde conlie
les idées étrangères ». Mais, plus souvent encore,
elle a affirmé son amour de la France; elle l'a
prouvé aussi; elle s'est prouvée française. Si elle a
besoin de lelti-es de naturalisation, elle en a de
magnifiques. — Jacques Bompard.
Marmite noirvégienne (la). On désigne
sous ce nom un ustensile de cuisine qui se compose
essentiellement d'une marmite ordinaire ou d'im
récipient quelconque en terre ou en métal, que l'on
place à l'intérieur d'une boîte capitonnée d'un ma-
telas mauvais conducteur de la chaleur.
Cette boîte a pour but de servir d'enveloppe au
récipient et de lui conserver sa température propre
le plus longtemps possible, en l'isolant de l'air
extérieur et en évitant la déperdition de la chaleur
par convectioii.
On voit que le principe de cet appareil est aussi
vieux que le monde : il est. en efl'ei, donné par la
nature elle-même, qui a pris soin de protéger les
animaux contre le froid de l'atmosphère en les
revêtant d'épaisses fourrures, de toisons on de
plumages dont l'unique fonction est de former
213
autour de leur corps un matelas protecteur, qui
emprisonne et immobilise une grande quantité d'air
el empoche celui-ci de se renouveler ik la smface
du corps et de venir lui dérober ses calories. —
C'est, en elTet, cette immobilisation de l'air ambiant
qui, en empêchant la déperdition de chaleur par
les courants de conveclion, el aussi par rayonne-
ment, constitue le secret de l'efficacité des calori-
fuges en général, des vêtements, fourrures, cou-
vertures et matelas en particulier. — C'est aussi
tout le secret de la marmite norvégienne et des
Le cliàteau de Coppet, sur la rive occidentale du Léman (Suitte).
appareils qui en dérivent. Ces instruments ne créent
donc nullement la chaleur nécessaire à la cuisson
des aliments; ils la conservent seulement pendant
un temps assez long pour que celle-ci soit complète.
La cuisson d'un aliment quelconque dépend, eu
efl'et, de deux facteurs : la température à laquelle
on le porte, et le temps pendant lequel on le main-
tient ensuite à cette lempéialure. Le produit de ces
deux facteurs donne la quantité de chaleur néces-
saire à la cuisson. Or, la température est limiée
pour tous les aliments aux environs de 100°, point
débullition de l'eau qui les baigne, exception faite
pour les grillades, que l'on soumet directement à
l'action du feu el pour lesquelles, d'ailleurs, il con-
vient de ne pas trop dépasser cette limite. C'est
donc, en définitive, sur le temps seul que l'on peut
agir pour obtenir une bonne cuisson : la marmite
norvégienne permet précisément de prolonger ce
temps presque indéfiniment sans aucune dépense de
combustible, simplement en isolant les alimenls préa-
lablement chauffés de l'air e.vlérieur.Elle n'estdonc
pas d'invention récente, comme on pourrait lecroire.
Elle est même employée depuis fort longtemps et
sous des formes très diverses dans les pays Scandi-
naves (d'où son nom) et aussi en Russie et en Rouma-
nie, et même
en France,
où nombre
de villageoi-
ses ont cou-
tume de por-
ter la marmi-
te de soupe
bien fermée,
après le pre-
mier bouil-
lon, sous
l'édiedon de
leur lit, où
elle achève
lentement sa
cuisson el où
elles la re-
trouvent en-
core chaude
à la fin de la
journée. Le physicien français Saussure s'en ser-
vait couramment, e' la maison Japy en construisait
des modèles, il y a plus de cinijuante ans. Elle ne
doit son regain de célébrité qu à la crise actuelle
du combustible.
La marmite norvégieime étant un simple perfec-
tiiinnement de la cuis.-on sous le matelas, sa valeur
dépend tout entière de l'enicacilé isolante de son
capitonnage. On aura donc iulérêl non seulement
à en augmenter l'épaisseur, mais aussi à eu choisir
judicieusement les matériaux : dans ce but. toute
substance mauvaise conductrice de la chaleur peut
convenir, pourvu qu'elle soit assez divisée et assez
serrée pour séparer et immobiliser efficacement les
molécules d'air interposées: la laine, le duvet, la
plume, les chiffons divisés, le papier découpé en
banileleltes, la fibre do bois, la sciure, le foin, la
paille, le son el même le sable consliluent les
meilleurs matelas isolants. La boile extérieure rlle-
niôme doit être de préférence en bois ou en carton.
Fig. 1. — (. Boile; •!. Marmite ou récijiient;
3. l^iiveloppo de âauellti ; i. Capilunnagc.
214
On voit qu'il est très facile de construire soi-
même une mai-mile norvégienne et qu'il n'est pas né-
cessaire, du moins pour les liesoiiis les pins usuels,
de recourir aux appareils coùleux, compliqués et
parlois peu ellicaces, qu' l'on trouve dans le com-
merce sons le nom de cuiseuis, autocuiseurs, etc.
Il snl'fil, en effet, de posséder un récipient cylin-
drique, de préférence en terre (marmite ou cocote)
sans queue et à anses peu saillantes et placées
aussi haut
que possible,
- 1. ('oussin, 2. Enveloppe.
couvercle,
qui doit fer-
m e r t r h s
exactement.
La capacité
de ce réci-
pient doit
être telle
qu'il soit
normalement
rempli pres-
que compli-
lemeiit lors
delacuisson,
afin d'éviter d'emprisonner de l'air inutile dans la
caisse. Cette caisse doit mesurer au moins 20 cen-
timètres de pins que le récipient clioisi, aussi bien
en hauteur qu'en longueur et en larg-eur, de ma-
nière à laisser la place pour un capitonna;;* de
10 centimètres d'épaisseur. A défaut d'une caisse
spéciale, ou emploiera avantageusement un coll're
à bois, une malle, un baquet, un carton à chapeau,
même une lessiveuse.
Le capitonnage sera conslilué par l'une des ma-
tières isolantes indiquées plus haut : papier découpé,
par exemple. On commencera par en garnir le fond
de la boite sur une épaisseur de 10 centimètres
environ, convenaldement serrée. On disposera en-
suite sur ce lit, bien au centre de la caisse, la mar-
mite préalablement introduite dans un sac de flanelle
ou de laine fait îi sa mesure, ou encore dans une
petite caisse en carton parfaitement ajustée (fig. •/).
BABÈMB DU TIÎMPS Nl'xESSAlRE X LA CUISSON DBS ALIMKNTS
LES PLUS U.SUK[.S PAR LA .MAR.MITH NORVÉGIENNE
ALIMENTS
CUISSON PRÉALABLE
(temps d"él»uUi tien)
SÉJOUR
dans la marmite.
Pot-au-feu
Pommes de terre. .
Légumes frais. . . .
Légumes secs. . . .
Kiz, pâtes
Fruits frais
Fruits secs
Viandes rôties . . .
Ragoûts
20 à 30 mÎDUtcs
10 —
20 —
2,-, —
5 —
ir, —
25 —
30 —
20 —
3 à 5 heures
2 à 3 —
3 à 4 —
4 à 5 —
2 à 3 —
2 à 3 —
3 à 4 —
3 à 4 —
2 à 3 ~
On remplira ensuite l'inlervalle compris entre le
sac et la caisse d'un capitonnage très serré, .iusqu'à
la hauteur du couvercle de la marmite. On rabattra
par-dessus ce rembourrage la partie supérieure du
sac découpée à cet ellét en 4 ou 5 pans par exemple,
([ue l'on fixera à la paroi de la boile d Une manière
quelconque (colle ou petits
clous fixés à la caisse ou
à des peiits bâtons de bois
verticaux V II sera alors fa-
cile de retirer la marmite
de la lioîte, sans détériorer
le matelas isolanl. Enlin,
on recouvrira le tout d'une
Fig. 3. — Marmite norvégienne.
couverture de laine ou d'un coussin bien moelleux,
et l'on fermera soigneusement la caisse (fig. 2).
Il va sans dire qu'il est facile et, dans bien des
cas, avantageux d'apporter à cette fahrication de
principe les perfectionnements les plus variés, sui-
vant les besoins ou les exigences de chacun. Ainsi
la caisse peut comporter deux ou plusieurs marmites
juxtaposées (dans une malle ou dans un coiïre à bois
par exemple), ou encore superposées (dans une
caisse haute, lessiveuve, etc.). On pourra même
construire une véritable pelite armoire à plusieurs
élagcs, ayant chacun son affectation. On peut aussi
Fig. 4. — CoLipc d'un cuibf ur à
cloche : a, b, c, d. cassi rôles divei sC!, ,
A, cloche calorif-iige ; U. plateau infi ■
rieur; C, disque en fonle formant
volanL de chaleur.
LAROUSSE MENSUEL
augmenter l'efficacité de la cuisson en enfermant
dans la boîte, sous la marmite, une brique préala-
blement chauffée ou, mieux, un disque en fonte
spécial, agissant comme accumulateur de chaleur.
Ce procédé est employé dans les cuiseurs, qui sont
des caisses norvégiennes perfectionnées, dont les
ligures 4 et 5 donnent un schéma de principe.
L'usage de la marmite est très simple. Il com-
porte, bien entendu, une cuisson préalable sommaire
des aliments sur un foyer ordinaire : réchaud à gaz,
fourneau de cuisine, etc. Il suffit de prendre la pré-
caution de remplir le récipient le plus possible, afin
d'accumuler le maximum de chaleur. Quand cette
cuisson préalable est terminée (voir ci-contre le
barème des temps nécessaires), on place rapidement
la marmitebouillante
et bien couverte dans
la caisse, que l'on
referme hermétique-
ment. Les aliments
continuent à cuire
lentement, sans au-
cun danger et sans
dégagement de fu-
mée ni d'odeur, sans
surveillanceaussi, ce
qui est un avantage
très appréciable. Il
est. en effet, parfaite-
ment inutile et même
nuisible d'ouvrir la
caisse pendant l'opé-
ration. 11 suffit de
retirer le récipient
au bout du temps
indiqué au barème
pour le séjour dans
l'appareil. 11 n'y a,
d'ailleurs, aucun in-
convénient, au con-
traire, à ce que ce
temps soit dépassé,
même de plusieurs heures, car le plat ne risque pas
de réduire et de se dessécher, puisqu'il n'y a aucune
déperdition de vapeur. 11 y a méine lieu de tenir
compte de ce fait et de ne mettre dans la marmite
que la quantité d'eau que l'on désire en retirer. Il
n'est pas nécessaire de faire réchauffer les aliments
avant de servir, si l'on a soin de n'ouvrir la caisse
qu'au moment du repas L'efficacité d'une caisse bien
fiiite est facile à constater : elle ne laisse passer au-
cune chaleur à l'extérieur, toutes les calories soni
retenues par le matelas calorifuge, et c'est à peine si la
température du récipient s'abaisse en 24 heures d'une
dizaine de degrés. Si son couvercle ferme bien, il n'y
aura pas non plus de condensation intérieure, et les pa-
rois de la caisse reslerontparfaitementsèches. Il con-
vient, cependant, de
la maintenir on verte
chaque fois qu'elle
n'est pas ulilisée
Le premier avan-
tage de ce mode de
cuisson prolongée est
une énorme écono-
mie de combustible.
Celui-ci n'a plus, en
effet, à fournir que
la chaleur nécessaire
pour porter les ali-
ments à l'ébullilion.
Le reste de la cuis-
son n'exige plus au-
cun combustible.
L'économie totale
qui en résulte peut va-
rier de 40 à 70 p. 100,
suivant la durée de
la cuisson, suivant
le genre de combus-
tible employé' pour ' ,; J^f;
l'ébuUition et aussi B. c. clément mobile, D. socl
suivant l'efficacité de ".'V- ^' K"""''*''!" circulaire an.,,-
, . viole recueillant les eaux de conden-
lacaisse norvégienne snlion ; F, cloison cli-culalre horl-
et l'habileté de ce- zontaie.
lui qui s'en sert. De
nombreuses expériences ont montré qu'elle atteint
facilement 50 p. 100, si l'on emploie le gaz pour la
cuisson préalable et qu'elle augmente encore si
l'on se sert du charl)on, dont le pouvoir calorifique
est particulièrement mal utilisé dans les fourneaux
de cuisine mis à la disposilion du public, surtout
dans les appartements parisiens, même les plus
<( modernes ».
A cet avantage énorme qu'il serait facile de
chiffrer et qui représente certainement une éco-
nomie de 150 à 300 francs par an pour un ménage
modeste de 4 à 6 personnes employant le gaz et
de 300 à 500 francs pour le même ménage em-
ployant le charbon (à liiO francs la tonne;, il faut
encore ajouter une notable économie d'aliments,
puisque ceux-ci. cuisant en vase clos, ne peuvent ni
réduire, ni se dessécher, ni attacher, ni brûler; ils
conservent, de plus, toute leur odeur et leur saveur. |
5. — Coupe d'un cuiseur à
A. couvercle calorifuge .
.1 ..,..1.;,.. r» .-..„!.. ;..i-,.
«• J2e. Août 1917.
Knfin, l'emploi de la niarniile norvégienne évite
toute perte de temps, tout souci de surveillance,
tout dégagement de buée et d'odeurs. On peut donc
dire que c est un instrument de tout repos.
Ajoutons qu'elle protège aussi bien contre la
chaleur ambiante que contre le froid etqu'elle peut
servir de glacière aussi bien que de cuiseur.
Il existe actiielleinenl un grand nombre de ces
marmites sur le marché. On trouve aussi des cui-
seurs très perfeclionues de difièi-enls modèles, qui
permettent de faire à peu près tous les genres de
cuisine simultanément ou même séparément, y
compris les grillades. Les figures 4 et 5 en indi-
quent deux types : le type à cloche et le type à étages.
Nous nous son.mes contenté de donner ici le prin-
cipe de ces appareils, qui dérivent tous de la mar-
mite norvégienne, et la façon de fabriquer celle-ci
simplement et économiquement. — Jacques n.vMitN.
Montres fusibles. On désigne sous le
nom de montres des pièces de terre réfraclaire,
dont la composition atlribue & chacundes typesem-
pluyès un point de fusion diiïérent, ce qui permet,
par l'observation du moment où elles s'affaissent à
la chaleur et disparaissent par fusion, de constater
la température d'un four.
Ces n témoins » sont d'invention relativement
récente. Pendant des siècles et jusqu'au commen-
cement du xixe, il n'existait aucun moyen si'ir d'éva-
luer une température. L'empirisme régnait en mai-
Ire, et l'art du céramiste était fait de traditions plus
ou moins fantaisisles.
Cependant, la cuisson des produits a toujours été
considérée, en céramique, comme une opei'ation im-
portante, puisqu'elle constitue le dernier stade de la
fabrication. Déjà délicate lorsqu'il s'agit de poteries
simples, elle offre plus de difficultés encore lorsqu'il
s'agit de latence fine; car, en dehors de l'obtention
du corps de la poterie elle-même, il faut obtenir
une glacure qui fasse corps avec le biscuit.
Ce sont ces difficultés nu'il faut vaincre pour ré-
soudre le problème complexe que constitue la con-
duite d'un four céramique. Les potiers ont long-
temps manqué de moyens pour opérer des cuissons
rationnelles, et il semble que l'idée de recourir à
un témoin pour juger de la cuisson est relativement
moderne. Le manuscrit d'Hellot, rédaction faite
pour le roi Louis XV, sur la fabrication de la por-
celaine tendre, fait cependant mention, dans la des-
cription de la cuisson de la porcelaine, de montres
dont la nature n'esl toutefois pas indiquée.
La nécessité de ces montres s'allirma de jour en
jour. Tout d'abord, elles furent constituées le plus
souvent par un fragment de la poterie à cuire. Leur
forme la plus usuelle était celle d'un échantillon
qu'on peut sortir du four à un moment donné. Ce
n'élaitlà, toutefois, qu'une pyrométrie bien rudimen-
taire et d'une exactitude douteuse, car il ne suffit pas
de porter une pâte céramique à une température
donnée pour lui faire acquérir toutes ses qualités;
une action prolongée est nécessaire. L'indication
pyrométriqiie ne fera pas connaître que la transfor-
mation est effectuée, mais qu'elle peut s'effectuer.
On devait être tout naturellement amené à utiliser la
fusion des corps. Mais les corps dont on pourrait dis-
poser à cet égard sont peu nombreux et leurs points
de fusion assez mal répartis. 11 semblait que des
alliages auraient pu permettre de résoudre la ques-
tion, mais la chose a été reconnue impossible, leurs
points de fusion suliissant des variations inattendues.
On se rendit compte que cet inconvénient dispa-
raîtrait si le corps thermométrique était de même
nature que la pâte céramique à cuire. De cette idée
sont sorties les montres fusibles, composées de ma-
tériaux de même nature que ceux qui entrent dans
la composition des pâtes.
Les matériaux qui sont généralement employés
pour la fabrication des montres fusibles usuelles sont
le feldspath orthose, le kaolin décanté, le quartz et
le marbre.
Il parait assez difficile de savoir d'une manière
précise où les montres fusibles ont pris naissance.
.Vlbert Oranger signale que, verslN7,T, des faïenciers
anglais se servaient, pour le contrôle de leurs
cuissons, de montres fusfbles et qu'il a vu à la
faïencerie de Meltlach, sur la Sarre, des montres
fusibles employées pour la cuisson de l'émail; mais
il faut arriver à l'année 1885 pour trouver dans
deux publications des données précises sur les mon-
tres fusibles. La première est due aux Français
Lauth et Vogl, créateurs de la porcelaine dite « nou-
velle de Sèvres »; la seconde à l'Allemand Seger.
chef du service des recherches à la manufacture
royale de Charlottenbourg.
Pour nous renseigner très exactement sur la marcbo du
feu dans la première partie de la cuisson et nous permettre
d'obtenir une parfaite égalité dans les diverses régions du
four, nous avons imaginé (écrivaient Lauth et Vogt) l'em-
ploi de montres spéciales, que nous désignons sous le nom
de montres fusibles. Ce sont des fragme.its d© matières
frittées de fusibilités différentes, auxquelles nous donnons
des formes variées, et qu'on dresse sur de la terre glaise a
côté des montres ordinaires; leur disparition successive
par fusion indique nettement si la mémo lempèrature est
atteinte au même moment dans les points où ces montres
sont di:,posées.
N- i2i>. Août 1917.
LAROUSSE MENSUEL
Trois montres fusibles étaient indiciiiées dans la
nolii^e snr le l'uliiicaliDn de la pâle nouvelle. Les
auteurs en firent connaîlie plus taid unequatiième.
On donnait à ces nioulrçs, pour les uistln.^'uer,
lies formes différentes (rectanjjle, triangle isocèle,
Iriangli' rectangle, cercle), et leurs points de fu-
sion élaient estimés 6^5" — l.lôO» — LiOU^et l.aîO".
L'industrie française ne prêta, il faut le recon-
naître, aucune attention aux montres fusibles pen-
dant prés de quinze ans.
Opendant, Seger, qui avait de son côté entrepris
il'élablir une échelle de montres fusibles, composa
ses mélanges suivant des rapports moléculaires. Un
.second uii moire de lSîj6 vint compléter le premier.
Seger y disposait d'une série de montres dont le
point de fusion était estime varier depuis 1.150°
jusqu'au point de fusion du platine. Ces montres
furent designées dans l'indusirie sous le nom de
<i cônes de Jseger «, bien qu'elles aient affecté la
forme de pyramides triangulaires.
Par la suite, Cramer et Hecbt firent adopter une
nouvelle échelle de montres plus fusibles que la
première montre de Seger et, en 1908, celte échelle
elle-même fut remplacée parune autre, dans laquelle,
au lieu de baser la composition uniquement sur
^des rapports moléculaires, on s'est borné à partir de
composilions molécu-
nairenienlilélinies et à
en faire des mélanges
présentant des dilfé-
rences de fusibilité
aussi équidistanles
que possillle. Ces mon-
tres sont à base de
•Montres fusibles.
magnésie et de chaux, avec un peu de soude
comme élénienls fusibles.
En .\nglelerre, notamment dans le Slaffordshire.
où lindustrie céramique est très florissante, les mon-
tres fusibles allemamles ont trouvé une concurrence
sérieuse dans les thermiiscnjies de Handciofl et
dans les Hent lieconler Walkins. Ces montres sont
constituées, les premières par des barres qu'on dis-
pose horizontalement sur un support ad hoc cons-
truit avec des échelons, les secondes par des com-
positions fusibles sous forme de petites l)allps h peu
près cylindriques, qu'on place dans un support spé-
cialement disposé.
On peut, cependant, dire que, jusqu'en 1914, In
fabrication des montres fusibles fut presque tout
entière aux mains des Allemands. La manufacture
royale de Cliarlotlenboury. grâce à la régularité des:i
fabrication, av.iit en quelque sorle le monopole de
la fou.niture de ces appareils dans le monde entier.
La guerre est venue transformer la situation en
empêchant nos industriels de se procurer en Alle-
magne les montres fusibles qui leur étaient nécessai-
res. Obligés de se suffire à eux-mêmes, nos nationaux
se mirent au travail, et des besoins actuels de l'in-
dustrie cérami((ue une nouvelle fabrication est née.
Guériniau, président de l'union céramique et
chaiifournière de Fiance, falirique depuis le début
de 1916 des montres fusibles, qui ont remplacé sur
le marché fram;ais les montres de Cliarlottinbonrg.
Pourétalilir ces montres, qui, comme ci lies de Seger,
sont basées sur l'abaissement de fusion du kaolin
par adjonction de bases alcalines ou alcalino-ter-
reuses, il a fallu procéder à des mesures et expé-
riences très minutieuses, afin de déterminer le
nombre de degrés correspondant aux diverses addi-
tions du fondant. Par une i-inovation heureuse,
ces montres portent un numéro qui représente le
ilixiime de leur point de chute estimatif. Ainsi la
montre 90 est une montre dont le point de chute
est 900°. Ces montres, appelées « décimales fran-
çaises » en raison de la numération que Guérineau
a eu l'idée de leur appliquer, présentent sur les
indications conventionnelles des montres de Seger
de grands avantages.
11 est à remarquer que les montres décimales sont
soumises auconlrôledu lal)oraloire d'essai de la manu-
facture de Sèvres. Leur échelle est presque complète
pour les besoins courants de l'industrie, et leur utilité
s'affirme de jour en jour. — o. Lajnel et c. Dubosc.
Pain de guerre. On mange, depuis quel-
ques semaines, en Krance, un nouveau pain, de
composition peut-être un peu diverse suivant les
régions du pays, mais qui se distingue essentielle-
îiieutdu pain (|ue l'on y consommait auparavant par
lieux caractéristiques fixes : en premier lieu, par le
blutage plus élevé de la farine (S5 p. 100 au lieu de
80 p. 100, et de 70 il 75 p. 100 avant la guerre) et
ensuite par l'adjonction, à cette farine de froment,
d'autres farines, dans la proportion de la p. 100.
Ces farines adjointes sont, en général, celles de
seigle, d'orge, d'avoine, de mais, de riz, peut-être
de féverolles. Otte composition de l'aliment
fondamental pouvant faire l'objet de critiques et
même suggérer des craintes en ce qui concerne
l'influence exercée par ces modilicat ons sur la
santé publique, il est bon de voir quelles seront les
qualités du nouveau pain et s'il doit, ou non, être
considéré comme inférieur à rancien.
L'élévation du coefficient d'ulilisation de la fa-
rine mérite une première étude. Le blutage, on le
sait, est une opération par laquelle on sépare la fa-
rine proprement dite du son, en l'agitant au-dessus
de tamis ou blutoirs à mailles plus ou moins ser-
rées. On dit qu'une farine est blulée à 70 p. 100, par
exemple, lorsque, du produit brut de la mouture du
blé, on retire 30 parties sur 100, lesquelles consti-
tuent le son. Plus le blutage est bas, plus la farine
estblanche. Le blutage à85 p. 100, que décrète la loi
nouvelle, aura donc comme première conséquence
de faire entrer dans le pain 13 p. 100 de son de plus
et de donner ii ce pain ime couleur gris.'dre, abstrac-
tion faite des teintes diverses que pourra lui com-
muniquer telle farine additionnelle, ainsi que nous
le verrons plus loin. Mais ceci n'est qu'une consi-
déralion secondaire ; il est beaucoup plus impor-
tant de savoir ce que vaudra ce blutage élevé, au
point de vue purement nutritif.
On est unanime à admettre que les farines très
blanches, blutées au min inuim, c'est-à-dire à 70 p. 100,
et qui constituaient avant la guerre le pain de luxe
devenu presque unique dans les grandes villes et
notamment à Paris, sont d'une valeur alimentaire
très insuffisante. Ces farines, dites « larines pre-
mières », sont moins riches que les autres en élé-
ments minéraux, en gluten et en phosphore. Le
pain ainsi fabriqué est plus plaisant à l'œil et d'un
goût plus fin que le pain plus grossier, comme le
pain bis ou le pain de campagne, fabriqué avec des
farines blutées à 80 p. 100 environ, mais il présente
un déchet nutritif qui n'est pas douteux.
En suivant cette pratitpie du blutage exagéré (dit le
P** Arnaud Gauricr). pratitjue tout au plus bonne pour
le riche, qui trouve des aliments azotés en surabondance
dans sa nourriture journalière, on sacrifie l'apparence,
et l'on prive l'ouvrier d'un pain plus nutritif et qu'il pour-
rait payer moins cher.
Quelques-uns, allant plus loin, accusent le pain
blanc de nos villes d'êti-e, pour celui qui le con-
somme, une cause importante de déminéralisation
et de provoquer la neura>tliénie, la tuberculose et
l'hypeisthénie gastrique, etc., toutes affections dont
la déminéralisation serait justement, à leur avis, le
lien commun (Monteuuis). On peut, d'ailleurs, rap-
peler ici que Magendie, ayant nourri un chien
exclusivement avec du pain de luxe, le vit mourir
en cinquante joui's, alors qu'un autre chien, nourri
non moins exclusivement avec du pain bis, survi-
vait sans limites. Le pain bis parait donc, en ce qui
concerne la valeur alimentaire, être de beaucoup
pi-efériible au pain blanc et, à cet égard, le blutage
à 80 p. 100. qui est celui de la farine avec laquelle
on fait le pain de ferme, semble un taux très recom-
mandable.
La conséquence extrême de cette façon de voir a
été soutenue par quel(|ues auteurs qui, en consé-
quence, ont préconisé le pain complet, c'est-à-dire
celui labri(|ué avec une farine à blutage nul ou en-
viron, blutage à 100 ou au moins 95 p. 100. L'opi-
nion du plus grand nombre des bygiénislescompé-
tents est qu'on ne gagne rien à passer d'un extrême
à l'autre. C'est Fauvel, surtout, quia réduit logique-
ment et scientifiquement les qualités que certains
reconnaissaient à celle fabrication. Alwaler et lui
ont conclu de leurs études respectives que le pain
complet était moins bien assimilé que le pain bis et
laissait dans les selles un résidu plus élevé. D'un
tableau de Harry Snyder il résulte que l'énergie
utilisable du pain complet s'élève à 3.226 calories
pour liiO grammes, alors que les chiffres, pour le
pain blanc et le pain moyen, seraient respective-
ment de 3.579 et 3.l)-16. Enlin, Fauvel admet que la
proportion de phosphore contenue dans le pain
complet n'est pas, contrairement aux assertions des
partisans de ce dernier, plus élevée que celle du
pain ordinaire. Il élèverait, de plus, d'après le
même auteur, le taux des composés puriqnes, entra-
verait .sensiblement l'assimilation générale et irri-
lerait l'intestin. Il apparaît, en dernier ressort, que
c'est cet inconvénient (|ui est le plus grave. Si le
pain blanc n'a pas assez d'action sur l'intestin, le
pain complet en aurait trop, et cet excès ne serait
pas sans danger.
Le blutage actuel de la farine, à 85 p. 100, tient
donc le milieu entre celui qui caractérise le pain
complet et celui du pain bis. On peut considérer
qu'il ne peut avoir aucun inconvénient sérieux,
ceux que l'on reproche aux taux d'extraction trop
élevés ne commençant guère, de l'avis général, que
vers un blutage de 9i) p. loo. Tout au plus, les per-
sonnes à l'intestin délicat et facilement excitable
pourront-elles y trouviT une irritation qui n'aura,
certainement, aucune gravité. Il est bon, d'ailleurs,
de faire remarquer que la Commission supérieure
de l'armée a préconisé, pour le pain de troupes, une
faritie blulée à Si p. loo environ, ce qui est bien
proche du taux actuel. De ce côté, il ii y a rien de
très important & craindre. Il e-t prudent, cependant,
pour les personnes sujettes à l'enlerite ou atteioles
de dyspepsie, de n'user de ce pain que modérément.
On ne saurait, non plus, trouver de sujets de dé-
fiance dans l'addition à la farine do froment de
farines extraites d'autres plantes. Un examen rapide
de la valeur nutritive de celles-ci nous fixera à cet
égard.
Le seigle est employé d'une façon très générale
pour l'obtention de pains bis et, dans certaines ré-
gions, on fait même du pain avec une farine où le
seigle entre ilans la proportion d'un tiers (uiéteil).
Tout ce que l'on peut reprocher à la farine de
seigle, c'est de donner un pain légèrement aigrelet
(A. Gautier). D'autre part, le pain fabriqué avec
celte farine se conseive bien sans sécher.
La farine de riz est une de celles qu'on aurait le
plus d'avantages k associer à celle de froment. La
proportion pourrait varier sans inconvénients de 6
à 10 et même 20 p. 100, d'après E. Maurel (de Tou-
louse), qui a préconisé ce mélange depuis longtemps
et surtout en avril 1915, à l'Académie de médecine.
Les produits azotés du riz sont un peu inférieurs à
ceux du blé, mais ses hydrates de carbone sont
notablement supérieurs. I,es .laponais, d'ailleurs,
ont fait entrer de longue date la farine de riz dans
la confection de leur pain de guerre. Au point de
vue national, il y aurait encore à cette addition ce
côté très intéressant que, le riz nous étant fourni
par nos colonies, il serait inutile, pour nous le
procurer, de débourser l'or que nécessite l'achat du
froment à l'étranger. Le pain dans lequel entre du
riz est très blanc, mais la pâte, quand la proportion
est un peu forte, lève difficilement. Le goût de ce
pain est excellent.
Le maïs est également utilisé de toute antiquité
pour la nourriture des hommes dans certaines
régions, comme le nord de l'it.ilie, la province de
Naples, la Savoie, la Roumanie, etc. Sa farine est
très nourrissante. On peut seulement lui reprocher
qu'une assez forte proportion des substances azotées
qu'elle contient échappe à l'absorption intestinale.
La farine de mais est parfois blanche et le plus
souvent jaune. Llle communique, naturellement,
lorsque sa proportion est assez forte, cette couleur
au pain. On a accusé la farine de maïs de causer la
pellagre. Le problème n'est pas encore résolu d'une
façon qui réunisse tous les suffrages, mais il est
évident que la farine provenant d'un maïs récolté
et broyé dans de bonnes conditions est tout à lait
inoffensive.
L'avoine donne également une farine des plus
nourrissantes et même quelque peu excitante. C'est
la plus riche des céréales en graisses, phosphore
organique et lécithines. Klle est encore très légère-
ment laxalive. L'avoine sert, au demeurant, à faire
des bouillies très utiles dans la diététique infantile
et dans l'alimentation des malades. L adjonction de
sa farine à celle du froment parait ne devoir com-
porter que des avantages.
L'orge est, certainement, la moins recommandable
des céréiiles an point de vue qui nous occupe. Il
faut savoir, néanmoins, qu'en bien des pays, par
mesure d'économie, le mélange de la farine d'orge
à la farine de froment est pratiqué depuis long-
temps. La pâle qui contient ime forte proportion
de larine d'orge est peu agréable au goût et lève mal.
Mais cette addition est, en tout cas, exemple d'in-
convénients. Il n'eu restera que la conlirmation du
dicton connu: « grossier comme du pain d'orge ».
Il semble utile que, dansia farine de seigle employée,
on laisse une partie de la cuticule du grain (Weill
et Mouriquand).
En mai dernier, d'après les dêclaralions du minis-
tre du ravilaillement, 40 iléparteinents déjà utili-
saient les mélanges ci-dessus, dans des proportions
diverses, pour la fahiicalion du pain; quelques-uns,
comme la Hante- Vienne, avaient adjoint la pomme
de terre à leur farine. Ils reviennent ainsi k une
idée plus que centenaire, puisque l'adjonction de la
pomme de terre dans ces conditions était déjà pré-
conisée par Parnientier et .Mustel. C'est à propos
des essais de ce dernier que Voltaire disait:
Je soutiens que mon puin. moitiit froment, est tout
aussi blanc ei plus nourrissant que celui de tionesse.
Quand on n'y mettrait i(u'un tiers de pommes de terre, co
serait toujoiirs un tiers do farine d'épargné.
L'observation du mélange des farines pour mé-
nager celle de pur froment, mélange fixé à 15 p. 100,
est devenue obligatoire, en France à la date du
18 juin 1917. — D' Henri BouQuiiT.
Prédictions, prophéties. Toutes les
fois que l'ordre étal)li vient à être bouleversé dans
le plan des œuvres de la nature (éruptions, trem-
blements de terre, etc.) ou dans le domaine de
l'activité humaine (guerres, révolutions^, les peuples
sont enclins à rechercher des prédiciiuns du cata-
clysme subi.
216
La question de savoir si celle connaissance anti-
cipée des événements néfasies aurait pu permettre
de les éviter ou d'en atténuer les conséquences n'est
généralement pas posée. C'est l'altrait du surnaturel
qui asit sur les foules, bien plus qu'un sentiment <lu
préservation rétroactive el, par conséquent, inutile.
Les Orientaux acceptent le fait accompli en mnr-
Pierre d'Ailly, d'après une gravure du xvri* siècle.
murant le : » C'était écrit! » bien connu; les Occi-
dentau.\, plus positifs, s'edorcent de trouver, réelle-
ment écrite, l'expression des volontés supérieures.
Toutefois, lorsque la tourmente se prolonge et
que les supputations luimaines sont impuissantes à
en prédire l.i (in pour une date déterminée, certains
esprits sont possédés du désir de trouver des préci-
sions à ce sujet dans des textes inspirés, ou prétendus
tels, et sou ventapocryplies. Désir peu sage, d'aillem-s:
quelle n'eût pas été notre angoisse si, dès le 2 août
1914, nous avions su que la guerre devait absorber
plus de trois années de notre existence?...
Quoi qu'il en soit, la gravi té et la durée de la guerre
acluelloont favorisé la production el l'interprétation
d'un grand noml)re de prédictions, voire de prophéties.
Lesdeux expressions sont loin d'être synonymes.
Lapl•e■</^c/^o/^ ressortit au plan naturel. Elle est le plus
souvent le résultait d'une série de calculs ou d'ol)ser-
valions (prédictions astrologiques) ou même simple-
ment la conclusion logique d'un raisonnement. La
prophétie se réclame du plan surnaturel el prétend
être d'inspiration divine. Aussi esl-elle vague, am-
biguë, susceptible de nombreuses interprétations.
Telle dédiiil rarement l'événement qu'elle annonce
el ne le situe jamais dans le temps. L'exemple le
Fins fameux de prophétie incompréhensible est
Apocalypse de l'apotre saint Jean.
D'après les autorités religieuses, celle obscnrilé,
qui ne se dissipe que lorsque l'événement prophé-
tisé est accompli, est parfaitement voulue. Le but
des prophéties ne serait pas, en elTet, d'avertir les
hommes ni de les mettre en garde, mais seulement
de leur prouver l'existence d'un Elre supérieur pour
qui le temps n'est pas une quantité mensurable. Le
passé, le présent et l'avenir ne sont que des repères
conventionnels établis par l'homme. Dieu, d'un
seul coup d'oeil, voit l'Elernité, ainsi qu'il est dit
dans la Phnrsale: « Tout se présente à la fois, le
premier et le dernier jour du monde. » Pour mani-
fesler sa science, il indique àcertainsprivilégiésquel-
ques-nns des événements qui maniueront notre vie.
Nous n'entreprendrons pas la discussion de celte
théorie étroitement liée à l'étude de problèmes phi-
losophiques non résolus. L'examen du libre arbitre
est de ce nombre.
Les Eglises sont très réservées en matière de pro-
phéties et, celies composant le dogme mises à part,
n'en lonl pas un article de foi.
Toute prophétie nettement llermulée, comportant
des précisions de dates, de fails et de personnes,
doit être ti'inie pour douteuse, du fait même de ces
qualités. Telle e-^t celle qui fut cilée récemment et
qui indique la date exacte du commencement de la
(juerre par dé<luclion de 1,'entrée en campagne de la
Houmanie. Elle annonce aussi la défaite complète
de l'Allemagne pour le 28 août 1917. Si les événe-
ments viennent à jusiifier cette échéance si pro-
chaine, nous sommes fondés à dire que celle pré-
vision de l'avenir est unique au monde.
Le texte nous en vient d'Italie. 11 est attribué au
même saint Malachie, évftquedn xn° siècle à Armagh
(Irlande), qui aurait déjà prédit la suite des p.ipes en
désignant chacun d'eux par une devise latine. Pie X
LAROUSSE MENSUEL
est l'ijnts ardent, feu ardentdela foi oufeu dévorant
de la guerre, laquelle a commencé à la (in de son
pontificat. Le pape actuel, c'est religio tUpopulata,
devise véri(iée,airon traduit le mot re/i'.^i'o par «chré-
tienté ». (V. Petite Correspondance du n" 123.)
Outre celles qu'on attribue aux visionnaires et
aux extatiques religieuses, les vaticinations dans
lesquelles ou voudrait voir une annonce de la guerre
actuelle sont, nous l'avons dit, fort nombreuses.
Plusieurs d'entre elles sont, d'ailleurs, reproduites,
au moins pajliellement, à chaque époque troublée
de l'histoire européenne. Il est, en effet, facile d'en
extraire les passages convenant aux événements
du moment, car elles annoncent presque tous les
maux qui peuvent fondre sur la pauvre humanité.
Telles sont les prophéties du solitaire d'Orval et
celle des moines du couvent de Lehnin.
La prophétie de sainteOditeesl plus intéressante.
Elle a donné naissance à de nombreuses légendes
du pays d'Alsace, ayant toutes la même conclusion
défavorable à l'empire germanique :
Lorsque Holienburg tombera,
L'.VIleniagno s'écroulera.
Hohenburg n'est autre chose que l'antique forle-
resse du lu» ou iv<= siècle qui portail le nomd'^/<i-
lona. On en voit encore les vestiges sur les pentes
de la montagne de Sainte-Odile. (Alsace.)
Lo texte latin attribué à Odile, fille d'Adalric, sei-
gneur du duché d. Alsace, remonterailau vii"= siècle.
11 prédit la chute de l'empire qui opprimait le
duché, à la suite d'une guerre,
cû vingt peuples 'livers entreront en lutte. Le conquérant,
parti des rives du Danul)e, rein portera d'abord desvictoires
sur terre, sur mer et jusque dans les airs, car on verra ses
guerriers ailés chevaucher jusque dans le firmament pour
en sai.sir les étoiles, qu'ils projetteront sur les villes pour
les incendier.
Et voici l'annonce de la guerre sous-marine :
La terre sera bouleversée, les fleuves rougis de sang,
les monstres marins eux-mêmes seront épouvantés dans
leurs insondables retraites.
Les fervents de prophéties remarquent avec com-
pl.iisance que ces visions hyperboliques sont aciuel-
lement susceptibles d'interprétation, alors même
qu'on pouvait les classer parmi les divagation; dé-
nuées de vraisemblance, il y a quchpie vi"gt ans
seulement. Ils admettent quo les événements futurs
se succèdent devant les yeux du visioi.naire à la
manièrede lilmscinèmatographiques. Ces! la théorie
exposée par les Ecritures bibliques. Ezochiel an-
nonce cl définit ainsi sa mission :
Le Soigneur me dit :« Fils do l'homme, propliétiso. Je
suis avec toi, tu n'auras pas do visions menteuses. »
(Kzéch., XIIL)
La révélation de saintJean ou Lettre aux Eglises,
connue sous le nom d' « Apocalypse », eslune des-
cription très minutieuse d'un spectacle contemplé
pendant une extase. Le voyant se borne h raconter
ce qu'il a vu par permission spéciale, sans essayer
d'expliquer ce qu'il ne comprend pas lui-même.
11 n'est pas sans intérêt de rappeler h ce sujet un
fait assez récent pour être contrôlable en tous ses
détail ;. En 1896, une « voyante », M"" Henrietle
Couëdon, se disant inspirée du ciel, aurait débité
en un style bizarre, sorte de prose assonancée, des
« prophéties » qui obtinrent un grand succès de cu-
riosité. L'une d'elles aurait été ainsi formulée :
Près des Champs-Elysées.
Je vois un endroit pas élevé.
Qui n'est pas pour la pitié.
Mais qui en est approché
Dans un but de charité.
Qui n'est jias la vérité.
Je vois le feu s'élever
Kt les gens hurler,
Des chairs grillées,
Des corps calcinés.
J'en vois comme jiar pelletées...
Un an plus lard, au commencement de mai 1897,
eut lieu la catastrophe du Bazar de la Chiirité. Il est
bien certain qu'ancnne des paroles de M"" Couëdon
ne précisailni la date, nilelieiidu sinistre, mais il est
non moins vrai que tous les détails prélendus donnés
par elle s'adaptent à la réalité des faits accomplis.
L'endroit «peu élevé qui n'est pas pou la
piélé, etc. », c'est la constmclion en planches où les
réunions furent plus mondaines que réellenienl cha-
ritables. Il n'est pas jusqu'à l'expression un peu
triviale» par pellelées » qui n'ait trouvé sa justifi-
calion : les journaux de mai 1897 racontent, en effet,
que le déblayemi'nt des restes carbonisés futelfectué
au moyen de « pelles ».
Quant à l'exactitude de la dale de la prophétie, il
est, parait-il, facile de la vérifier, car les prédictions
de la voyante de la rue Paradis auraient été réunies
en volumes dès isn6.
Hasard 7 Coi'nciilences ? Prévision réelle ? Nous
n'entrerons pas dans le débat. Des somniilés médi-
cales ont reconnu que M"" Couëdon était un « sujet
psychique » remarquable, et Diderot a déclaré :
que l'homme d'esprit a la faculté de voir loin dans l'immen-
sité du possible...
A\ec les prédictions, nous entrons dans un do-
maine plus accessible à nos facultés.
«• 126. Août 1917.
La prédiction se réalise, ou ne se réalise pas,
mais elle est généralement assez C/'aire pour être
facilement comprise. Nous négligerons toutes celles
ne présentant pas un caractère d'authenticité absolu,
facile à contrôltr. Les unes ne nous ont été trans-
mises que par vole de traditions orales, les autres
ont été modifiées, traduites, interprétées pour servir
une fin politique ou religieuse déterminée. Pour ne
citer qu'un exemple, disons que la seule question
connue sous le nom de « question Louis X\'II » a
provoijué l'exhumation ou la confection de plus de
600 pi édiclions ou prophéties, affirmant toutes la
survivance de l'enfant royal du Temple.
Les plus calégoii(|ues sont d'origine germanique,
ce qui s'expli(|ue par ce fait que le prétendu « pré-
tendant Il a passé la majeure partie de sa vie en
Allciniigne.
Par contre, bien rares sont les prédictions ayant
annoncé pour une époque nettement circonscrite
des événements qu'il était difficile de prévoir. Nous
en citerons, cependiint, trois, dont l'anlhenticité est
indiscutable, puisque les textes originaux existent
encore dans nos bibliothèques. Elles se rapportent
tontes les trois h la Révolution française, dont elles
indi(|uent la date et dont elles résument les prin-
cipes dominants. La similitude des termes employés
par trois auteurs ayant vécu à des époques diffé-
rentes permet de supposer que les deux derniers se
sont inspirés de la proposition formulée par leur
devancier. Ils avalent donc iugé que la prédiction
était digne d'être reprouuite.
En 1414,Piiire d'Ailly, chancelier de l'Université
de Paris, el Gerson, le célèbre théologien, écrivaient
dans un ouvrage ayant pour litre imar/o inundi la
phrase suivante, que nous traduisons littéralement :
De nombreuses, grandes et étonnantes transforinatioas
du monde, et surtout à propos de lois civiles el de sectes
religieuses, auront lieu eu l'année 1789.
Ce livre raie étal tàlabibliothèquedeDouai avant la
guerre. Nous n'osons espérer de l'y retrou ver, mais les
chercheurs, curieux de ces sortes de textes, pourront
lire la même ph rase, énianant'.u même Plerred'Ailly,
dans un manuscrit de 1418 : De persecucionihns
Ecclesise, consnr\ô à la bibliothèque de Marseille.
La môme prédiclion fut reprodiiile en 1548 par
Richard Roussal, dans un livre ayant pour titre
De /'estai et mulalioti (tes temps, actuellement à
la Bibliolhèque nationale. "Voici la copie textuelle
de la phrase :
Mrsino les astrologues disent estre à venir environ les
ans do Nostre Seigneur mil sept cens oc tante et neuf f 1789),
avec dix révolutions saturnales, et oultre environ '25 ans
après (1814) do très gran-ies et espouvantables niusta-
tions et altérations en icoluy universel monde : mesme-
ment quant aux sectes et loix.
Enfin, le médecin de Henri II, le fameux Michel
de Nostre-Dame, plus connu sous le nom de « Nos-
Iradamns », reprend à son tour la même annonce
tîirsoii. d aiJixs une ^'ravure du xviip siècle.
oraculaire en lui faisant subir quelques variantes.
C'est encore à la Bibliothèque nationale qu'on trou-
vera l'édition des Centuries et Présar/es, imprimée
à Lyon par Pierre Rigaud en 1556 (cote 4.ii21,
lettre V). La prédiclionde la Révolution faill'objet
du paragraphe 140 de la lellreà Henri II. Elle pré-
cise même que les plus grands raouvemenls popu-
laires se produiront
en l'an mil sept cens nonante deux (1792), qne l'on cuydera
estre une rénovation de siècle.
La subtilité des commentateurs de Noslradamus
voit dans cette phrase la définition formelle de l'ère
«• 126. Août 1917.
républicaine, sans omeltre l'essai de Iransformaiion
(lu calendrier grégorien. Mais que n'ont-ils décou-
vert dans l'œuvre de leur proplièlel Ils sont parve-
nus à metire en évidence toute la succession des
faits de notre histoire.
Nous ne dirons pas par çiuels ingénieux et hardis
procédés. Il est bien certain que quelquss-uns des
.■x<^jÊÊ^^^^^^t
^
1-^1 J
!^W'
f^\
1 \ ^m</
\m
' "^m^
Nostradamus. d'apivs Diétrich.
quatrains composant les Centuries présentent des
analofîies troublantes avec certains récils lilsloriques
auxquels les traducteurs les adaptent compK'lement.
Tel est celui qui s'adapte à la mort de Henri II.
Rranlônie raconte que le roi, pour éprouver la science
divinatoire de son médecin, le mit en demeure de
lui annoncer un événement important. Nostradamus
lui remit alors le quatrain suivant, qui figure dans
l'éililion de 1556 (Biblioth. nationale) :
Le I.yon jeiino lo vieux surmontera.
Kn ciiamp lielli(]ue, par singulier duelle.
Dans ca^'e d'or les yeux luy crèvera.
Deux classes une, puis mourir ; mort cruelle '.
Ce qui s'intcrpri te ainsi :
Iles deux adversaires, courageux comme des lions, le
jeune vaincra le vieux on combat singulier; il lui crèvera
les yeux masoués par la cago d'or du casque. Les assis-
tants qui avaient pris parti pour l'un ou l'auirecombat-
t.Tnt s uniront dans la même douleur. Le blessé mourra
d'une murt précédée d'une longue agonie.
Montsomery, l'adversaire du roi, n'avait que
vingt-neuf ans. Henri II, âgé de quarante et un ans,
mourut onze jours après le tournoi, le 10 juillet 1.ï5<J.
Et Brantôme ajoule que, quelques heures avant
d'expirer, le royal moribond s'écria :
Ail! maudit dovip qui prédit et si bien et si mal!
Les Centuries contiennent un assez grand nombre
d'analogies curieuses. C'est ainsi que tel quatrain,
adapté à l'avènement de Henri IV, commence ainsi :
Amour alôgre non loingpose lo siège.
Ce que les commentateurs ne manquent pas de
traduire :
Le Vert-Galant, peu après son avènement.
Fit le siège de Paris.
(X" centurio, 38* quatrain.)
Louis XIV est l'/Ematien, c'est-à-dire le lils de
l'aurore ou le Roi-Soleil. Le 7" quatrain de la
.K« centurie contient cette prédiction :
L'.-Emaiien dira : « Tout je soubmets »,
que l'on peut effectivement interpréter :
Lo Roi-Soleil dira : « L'I'^iût, c'est moi ! »
La naissance et le règne militaire de Napoléon
auraient été prévus dans le quatrain suivant :
Un Empereur naistra près d'Italie,
Qui a 1 empire sera vendu bien cher,
Diront avec quels gens il se rallie.
Qu'on trouvera moins prince que boucher.
(l" Centurie. 00' quatrain.)
Mais, pour quelques concordances heureuses, que
de paroles incompréhensibles et quelle obscurilc !
Les partisans de No>tradainus, travaillant il la ma-
nière des chercheurs de rébus, sont obligés de tri-
turer son texte, d'en décomposer les mots pour en
faire jaillir l'exnlicalion adéquate. Nous attendons
avec curiosité leurs interprélalions relatives à la
guerre de 1914, car, chose étrange, aucune des Cen-
turies ne semble l'avoir prédite...
1 1 n'en reste pas moins vrai que P. d'Ailly, Roussat
et Nostradamus ont pu annoncer un événement de
l'importance de la Révolution en lui attriliuaiit sa
LAROUSSE MENSUEL
date exacte, \s. une époque où il était difCcile de
concevoir la possibilité d'un pareil bouleversement.
Ont-ils réellement été favorisés d'une vision
nette de l'avenir? S'il en fut ainsi en vertu de quel
privilège '?
Ces questions restent sans réponse, encore que de
nombreuses hypothèses aient été émises pour tenter
de les résoudre. Le moindre défaut de toutes ces
théories est qu'elles ont pour hase un postulat
dont l'évidence est loin de s'imposer à l'esprit ou à
la raison. C'est ainsi que l'une d'elles peut être ré-
sumée <le la façon suivante :
Tous les événements intéressant l'humanité sont,
depuis de nombreuses années, depuis des siècles
même, en état de préparation, d'aucuns diront « en
puissance ». Les cataclysmes d'ordre physique ne se
produisent que lorsqueles courants, les feux, les gaz
souterrains ont suivi cerlaines directions, brisé ou
contourné certains obstacles. On peut concevoir que
des instruments d'une sensibilité supérieure soient
un jour construits pour déterminer la nature de ces
courants et en mesurer l'intensité. Le sismographe
nenregisire-t-il pas les moindres frémissements de
l'écorce terrestre ?
De même, les actes humains existent en germe
dans le tréfonds psychique des individus. Des cou-
rants de volonté se transmettent de père en lils,
de génération en génération, se modifient, sont ca-
iKilisés pour confluer au cratère d'où jaillira la révo-
lution ou la guerre.
Certains êtres sont induencés par ces ondes
occultes, comme les récepteurs de télégraphie sans
lil sont actionnés par les ondes hertziennes. Nous
connaissons tous, d'ailleurs, des hommes sujets à
des 11 pressentiments .1 nettement caractérisés. Ceux
f| ni lisent dans l'avenir sonl doués d'une sensibilité de
même nature, mais à un degré infiniment plus élevé.
Nous ne discuterons p.is cette thèse. Rien ne pré-
vaut contre la brutalité des faits : aucun instrument
n'avait indiqué l'heure de l'éruption de la montagne
Pelée, à ta Martinique, en 1902, nul devin n'avait
prédit celle du commencement de la guerre. Devons-
nous en conclure que toutes les prédictions ou pro-
phéties relatives au conllit mondial sont vaines et
M"* Hem'iette Couî-don,
indignes d'ir.térêt? Non; surtout si l'assurance con-
solatrice qu'elles renferment peut constituer une
sorte d'appoint d'énergie pour certaines âmes ébran-
lées par la longueur et la sévérilé de la lutte.
Quant à la date de 1?. conclu?ion victorieuse, elle
nous surprendra en pleine fièvre d'activité venge-
resse, comme l'autre, celle de l'aurore sanglante,
nous a surpris dans notre quiétude pacifique.
Noire unique préoccupation doit être non d'en
préciser l'échéance, mais bien d'en précipiter l'ap-
pi'oche. — Henry DECHARnooNr,.
*pri8e n. f. — Prise d'armes. Action militaire
d'apparat (revue, manœuvre, remise de décora-
tions, etc.) pour laquelle les troupes prennent les
armes : Une piiipe d'armes a eu lieu, cet après-
midi, dans la grande cour d'honneur de l'Hôtel
lies Invalides.
Quatre Journées (lfs), conte lyrique en
4 actes et 5 tableaux, d'après Emile Zola; poème et
musique d Alfred Bruneau, représenté pour la pre-
mière fois il lOpéra-Comique le 25 décembre 191G.
— Les fragments qui composent ce « conte lyrique »
sont très . uurls. Du moins, semblent-ils prétendre k
rexpre:,sion d'une idée profonde. On y retrouve,
sous la fallacieuse a|)parencedu réalisme, ce mélange
de philosophie poétique, de fiction symbolique, ce
2n
panthéisme d'où sont issus Germinal oa le Rêce et.
pour ainsi dire, toute l'épopée des /{ou3on-4f'C</i«ii7.
Les Quatre Journées, ce sont, essentiellement,
« les quatre âges de la vie associés aux quatre sai-
sons de la nature ».
A Dourgues, aux bords de la Durance, par une
radieuse matinée de Printemps, les lavandières et
les bergers marient leurs voix dans un ctiœur allè-
gre. Jean rencontre Hahet, la « grande fille brune »,
qu'il aime depuis longtemps en silence. Dans ses
deux mains joinles, il recueille pour la désaltérer
un peu d'eau, et il lui fait l'aveu de sa tendresse.
L'abbé Lazare, l'oncle de Jean, qui a pénétré le
secret des deux jeunes gens, bénit leurs fiançailles,
en attendant qu'il les unisse, quand Jean, qui va
apprendre un métier h la ville, aura regai^ié la
ferme.
L'Eté, c'est l'ardeur et le fiamboiement de la lutte.
Sur un champ de bataille où retentissent les échos
des clairons sonnant la charge, Jean est étendu,
inerte, brisé, respirant à peine. Et cependant, peu à
peu, il se soulève et se reprend délicieusement à
la vie. Soudain, auprès de lui, il entend un gémis-
sement. Un homme est là, comme lui, presque
anéanti, revêtu de l'uniforme abhorré de l'ennemi.
Mais ce n'est pas un ennemi : Alsacien, Frantz a
été contraint de servir contre la pairie mutilée. Dé-
sormais, libéré du joug, il s'attachera, corps et
âme, à son sauveur. Tous deux entonnent un hymne
à la gloire des provinces reconquises et parent de
fleurs des champs leurs armes.
A V Automne, en cadence, les vignerons foulent de
leurs pieds nus les raisins généreux. 11 y a quinze
ans que Jenn, la guerre terminée, est rentré au vil-
lage. Il a épousé Bahet, qui vient de lui donner un
fils, Jacques, et lous deux sourient au petit être qui
perpétuera leur race.
Frantz n'a pas quitté Jean, et l'abbé Lazare rend
grâce à Dieu, qui leur a si abondamment dispensé
sa bénédiction. Mais ce bonheur même, trop lourd
pour ses vieux ans, l'abbé Lazare ne va pas le sup-
porter. 11 défaille et rend le dernier soupir, entrant
dans la mort comme on s'abandonne au plus doux
sommeil.
Dix-hnit ans ont passé. 'L'Hiver, à la ferme, le
soir, au coin du feu, Babet et Jean, les tempes grises,
et Fr.mtz sont rassemblés. Jacques a maintenant
une sœur, la petite Marie, âgée de dix ans, qui joue
auprès dfe lui. La vallée se perd dans le brouillard.
La Durance déborde et a déjà envahi les champs.
Tout k coup, des clameurs retentissent : le village
lui-même est menacé ; des maisons s'écroulent, la
crue impitoyable va submerger la ferme elle-même.
Le toit d'une grange effondrée vient heureusement
échouer sur le seuil. Tous s'y embarquent, mais,
seuls, Jean et la petite Marie seront sauvés par
Frantz. Du moins, la race ne périra pas. La vie
éternelle aura, encore une fois, vaincu.
Fidèle à la mémoire de Zola, Bruneau est demeuré
fidèle à lui-même. On chercherait en vain dans les
Quatre Journées la curiosilé ou l'influence de la ver-
tigineuse évolution de la musique contemporaine.
11 estime que la généralité du style traditionnel
convient à roxpres>ion des idées générales, des
grands mouvements de l'âme, des vérités élernelles.
Lia même simplicité, la même franchise, la même
clarté dans l'inspira ion ou dans la forme, la même
vigueur, celte rudesse même à laquelle Bruneau
incline volontiers, on les retrouve dans les Quatre
Journées. Los thèmes ont la netteté et la sponta-
néité des mélodies populaires. La longue pastorale
qu'est le l" acte, l'invocation de Jean et de Frantz
à l'Alsace et à la Lorraine, non exempte de grandi-
loquence au i', apparaissent en ce sens très carac-
téristiques.
C'est peut-être au cours des derniers épisodes
que la personnalité de Bruneau se manifeste avec
le plus d'évidence dans les tonalités chaudes et
lumineuses, dans le pittoresque mouvement du pré-
lude et des chœurs du 3* acte, dans la déclamation
plus serrée, plus expressive, enfin, dans la scène de
l'inondation, et son développement orchestral, où
rien ne cessj d'être vraiment et constamment du
théâtre, . — Paul Locard.
Les principaux rôles ont été créés par M"* Davellt
(Buliel), M"" 'Vitleno [JUarguerile], MM. Fontaine [Jean),
.lean Perler {l'abl>i jMsare), Anàié Ailard [Frantz j, Llieu-
roux {Jacques),
samniy (mot amer.) n. m. Sobriquet donné aux
soldats de l'armée régulière des Etals-Unis (comp.
en français Pitou, ''Duuionet , Poilu; en angl.
Tommii). C'est un diminutif de Sam (Oncle Sam,
représentation populaire de l'Amérique) : Le pammy
porte un feutre 7nou à larges bords. — PI. des
SAMMIES : Les sammies ont débarqué pour la pre-
mière fois 671 Europe {en France) le iS juin 1917.
"Woè-vre, "Wol-vre ou Voivre (pron.
Quatre ), pelile région de la Lorraine, partagée
entre les deux départements de la Meuse et de
Meurthe-et-Moselle.
11 est difficile de déterminer exactement ce qu'est
la Woëvre, pour plusieurs raisons : d'abord le sens
du mot, tel que l'emploient aujourd'hui les gens
218
mêmes du pays, est tout autre que ie sens étymolo-
(fique; en ouire.le nom de « Woëvre >> n'est pas un
nom de pays «adaptant à une région naturelle; en-
lin, tout le monde n'est pas d'accord pour assigner
à la Woëvre les mêmes limites. De là, tout natu-
rellement, de nombreux flottements et même des
contradiclions.
Le mot Woëvre vient de Vabra, qui parait bien
être un nom celtique et qui désignait, selon toute
vraisemblance, un lieu boisé. .Mais, tandis que le
nom de Woivre ou Woëure semble plutôt donné dans
lest de la France à des forêts au sol humide, dans
la SVoëvre elle-même, le sens du mot est tout diffé-
rent et tel que la grande forêt de Woëvre n'est pas
englobée dans ce que les gens du pays appellent
la a Woëvre •>. D'après une minutieuse enquêle
faite sur place par le professeur Lucien Gallois,
celle-ci est simplement la région limoneuse soi-
gneusement défrichée, la terre riche et bien culti-
vée, la terre & céréales. Ainsi s'explique l'existence,
autour de la « grande Woëvre », d'ime ceinture
presque continue de peti tes Woëvres, qui sont comme
1 annonce de la grande ; ainsi s'e.\plique encore
l'existence, en dehors d'elles, de localilés dites « en
Woëvre », à cause de la valeur du terroir. — Enfin,
si l'on donne parfois le nom de Woëvre à la plaine
comprise entre .Moselle et Meuse depuis Tonl et
■Pagny au S. jusqu'aux collines du Luxembourg
français vers la Cliiers au N., on a pris l'habitude,
dans les descriplions géographiques, 'd'imposer ce
même nom à la bande marneuse au-dessus de la-
quelle se dresse, dans l'Ouest, la ligne réguliÎTe des
Côtes-de-Meuse. Ainsi, géologiquemenl parlant, la
Woëvre, moins large dans sa partie seplenlrionale
qu'on ne le dit parfois, descend au S. jusqu'au dépar-
tement des Vosges; elle occupe tout le tei.ain argi-
leux qui commence au confluent de la Meuse et du
Vair et qui se développe dans la direction du N.,
jusqu'à la Chiers, en s'épanouissant plus ou moins.
Adopte-l-on cette manière de voir, la Woëvre
constitue un canton géologique bien individualisé
de la Lorraine, inséré en forme d'arc de cercle
entre les croupes boisées nui portent le nom de
l'aies ou llanls-ile-Metise et les pays de Haye et de
Briey à l'E. Le confluent de la Meuse et du Vair et
l'éperon ardennais qui sépare la Meuse et la Cliiers
en amont du point où elles confondent leurs eaux,
voilà respectivement les limites méridionale et sep-
tentrionale de celle sorte décroissant, dont la con-
vexité adopte intérieurement le dessin des pentes
LAROUSSE MENSUEL
orientales des Côles-de-Mcuse et est marquée exté-
rieurement, vers Conflans, par le chemin de fer qui
va de Toul à Longuyon.
Quelques limites que l'on assigne à la Woëvre
ce petit pays est partie inlégrante de ces auréoles
concentriques, d'altitude croissante depuis les plaines
parisiennes jusqu'aux Vosges, dont l'examen de
toute carte hypsométrique montre nettement l'exis-
lence et dont chacune a son individualité géolo
gique. Elle s'identifie même, dans un cas, avec cette
auréole argileuse incomplète qu'encadrent des au-
réoles oolithiques beauco-up mieux dessinées.
Pour qui adopte celle manière de voir, la Woëvre
se divise en deux parties, séparées l'une de l'autre
par l'avancée du promontoire de Hattonchàlel: au S.
(le ce promontoire, des deux côtés de l'isthme de
Toul, c'est la Woëvre méridionale; immédiatement
au N., la bande argileuse .s'épanouit plus complète-
ment et atteint dans sa partie centrale, en pleine
Woë v re septentrionale,
une largeur d'un peu
plus de 20 Idiumètres,
entre Chàtillon-sous-les-
Côtes et (jontlans.
(;'est, dans l'ensem-
ble, une plaine de sol
argileux, inclinée vers
le N.-K. et d'une alti-
tude moyenne de 220 m.,
mais variant suivant les
lieux entre 274 m. (à la
source de l'Orne) et
200 m. (à Conflans). De
hautes buttes isolées,
• avec des talus au profil
rectiligne réglés comme
des terrassements arti-
ficiels et un couronne-
ment horizontal de cal-
caire rognonneux, bos-
sueiit parfois la surface
monotone et triste de
cette plaine, dont l'ar-
gile épaisse et tenace
est recouverte à l'O.
(surtout autour de
Fresnes, dans la
<■ Grande Woëvre »),
par une croiile, en cer-
tains points considé-
rable, de marnes et de
calcaire.
La Meuse et la Mo-
selle effleurent la Woë
vre, l'une au N. 0. et
l'autre au S.-E. A la
première ne vont guère
que de minuscules ruis-
seaux; au contraire, la
seconde draine la ma-
jeure partie de la con-
trée au moyen de ri-
vières nées au pied de
la puissante paroi des
Hauts ou Côles-de-Meu-
se. Ce sont les empié-
tements de la Moselle
Messine, les captures
u.iguère ré.ilisées par
elle des cours d'eau du
Val de l'Ane, deTron-
des et de Boncourt, qui
ont amené la Woëvre
méridionale à se vider presque complètement dans
la .Moselle. Quant à la Woëvre septentrionale, c est
l'Orne, unie en aval de Metz à la Moselle parifio ni.
d'altitude seulement, qui en a soutiré les eaux en
décapitant un réseau d'affluents gauches de la Chiers.
De nonioreux étangs, étalés sur de vastes sur-
faces, parsèment la Woëvre. Là viennent s'amasser
les eaux que les précipilations atmosphériques dé-
versent sur le pays (moyenne 760""" environ) et qui,
après avoir détrempé la masse argileuse, jaillissent
dansl'Ouest à travers les fissures des calcaires coral-
liens demi l'argile est parfois revêtue et s'écoulent
en ruisselets. De ces cuvettes, orientées pour la plu-
part dans le plan d'inclinaison et souvent égrenées
en chapelets, les eaux s'écoulent paresseusement
vers la Moselle par des plis peu accusés, qui sont
les vallons à peine échancrés du Terrouin, du Rupt
de Mad, de l"Yronet surtout de l'Orne, au val très
évasé. Mais ces eaux ne fournissent pas à la Moselle
un tribut aussi considérable qu'elles le devraient,
car elles se perdent en partie, avant d'arriver au
fleuve collecteur, dans les crevasses calcaires du
pays de Haye.
Gr,ice à la circu.ation des eaux de ruissellement,
le sol de la Woëvre a élé amendé, tout au moins en
un certain nombre de points. Le long des lits flu-
viaux, l'argile disparaît sous une légère couche cal-
caire, véritable feutre absorbant et disciplinant les
eaux, constitué par la désagrégation des roches co-
ralliennes et des chiiilles des Hauls-de-Meuse. Mal-
heureusement, une très petite partie de la contrée
«• 12e. Août 1917.
bénéficie seule de cet amendement; presque partout,
les terres demeurent fortes, donc humides.
Après les ondées (dit B. Auerbach), la plaino so trans-
forme eu un bourbier ; do vastes morceaux du terroir de-
nieureul noyés sous des mares; ce sont les youttiSf les
naux ou noues, les crackottes, selon l'expression pitto-
resque des environs de Toul. Ko hiver, la surface s'amol*
lit sous les pluies : en été, sous les chaleurs, elle se con-
tracte, se ride et se fendille.
Aussi l'homme doit-il améliorer urtificiellemenl
cette terre originairement peu propice, en nombre
de points, à la culture.
Le paysan lorrain y parvieni,en la chaulant et en
la drainant. Connue les matières premières se trou-
vent sur place, — éboulis et rognons calcaires dissé-
minés un peu partout, argiles nécessaires à la fabri-
cation des tuiles servant à constituer des tuyaux de
drainage, — le cultivateur de la Woëvre a'rrive à
ses fins et met le sol en état de produire. Ensuite, il
l'exploite en ayant soin de lui faire rendre ce qu'il
pont le mieux donner, c'est-à-dire des céréales, et
surtout du blé. Parfois, dans le pays privilégié, il
ne laboure qu'avec deux chevaux: ailleurs, il a be-
soin de trois ou même de quatre bêles. Mais il est
loin (le pouvoir labourer partout. De maigres bois
au sol fangeux, débris d'une forêt ou « haie » défri-
chée au cœur du pays, et d'étroites prairies, confi-
nées sur les bords des ruisseaux (où elles recouvrent
la traînée de graviers calcaires favorables à leur dé-
veloppement), introduisent, en effet, quelque variété
dans ces paysages monotones. Fiiuves de cliauines,
verts de forêts, étincelants d'étangs, traversés par le
ruban des routes, tels sont les paysages de la
Woëvre; ils font de la contrée, vue des Hauts-de-
Meuse, Il une peau de fantastique animal étendue sur
le sol », suivant l'expression pittoresque d'Ardouin-
Dumazet.
Les agglomérations humaines ne tiennent pas
toujours une grande place dans les paysages de la
Woëvre, et l'on ne saurait s'en étonner.
Kégion omtirumée, barrée de nappes traîtresses, avec
un sol de glaise où le pied s'embourbe, la Woëvre (dit
exaciemoni Auerbacti) ne sollicite pas les établisse-
ments humains.
On en rencontre, cependant, par toutes les par-
ties de la contrée; mais quel contraste entre les
hameaux exigus et en quelque manière contraclés
sur eux-mêmes, qui sont disséminés dans la plaine,
et les gros villages, enchâssés dans les vignes et
les vergers, qui se pressent en alignement régu-
lier au pied des côtes, « sous les côtes » 1 Ici, c'est
Wadonville, avec 58 habitants (pour la commune
entière). Latour-en-Woëvre, avec 1.'i6 habitants, etc.;
le chef-lieu d'un vaste canton, Fresnes-en-Woëvre,
ne compte que 6.55 habitants. Là où jaillissent les
sources au contact du corallien et de l'oxfordien,
voici Billy, Châtilloii, Hannonville, Mesnil, Sainl-
Maurice-sous-les-Côles, et d'autres encore, dont le
village le plus important est Hannonville-sous-les-
Côtes, avec ses 797 habitants.
Les vergers et les vignes. le lonc des escarpement*
des côtes, sont la ricliesso do ces villages, bien exposés
au soleil et à l'ahri des tirouiUards, (|ui remplissent la
vallée de la Meuse. (J. Vidal de La lilache.)
Là, par suite, la population est vraiment dense:
c'est la partie la plus habitée de la Woëvre, dont la
seule ville est Etain, sur l'Orne (2.927 bab.), à
moins que l'on ne considère le camp retranché de
Toul (15.88'i ban.), sur la Meuse, comme la capilale
du pays. Etain, simple chef-lieu d'un canton du
département de la Meuse peuplé de 9.7't7 habitants,
sert de marché à toutes les populations agricoles
des environs.
Pour des raisons slralégiqiies, les voies ferrées
sont très rares en Woëvre. On a préféré lais.ser dans
leur état naturel ces glacis <le la forteresse deVerdun
que coiistihienl li's Hauls-de-Meuse Aussi, au N. de
la grande ligne de Paris à Toul et Nancy jiar Com-
niercy, ne peut-on signaler à travers la 'Woëvre
qu'une voie courant d'O. en E., celle de Verdun à
Metz, par Etain et Conflans. Du S. au N., le chemin
de fer de Toul à Longuyon par Tbinucourt et Con-
flans ne fait guère que dessiner, sur une partie de
son tracé, le contour oriental de la Woëvre, et voilà
encore ce que font dans l'Ouest des lignes stratégi-
ques à voie élioite courant au pied des Côtes-de-
Meuse, entre Lérouville et Jiivigny.
On sait comment la Woëvre, l'ancien pnr/us Va-
brensis des Mérovingiens, est devenue toute proche
de la frontière franco-allemande, dont, avantle traité
de Francfort du 10 mai 1871, elle était vrainieni
éloignée. Les officiers qui ont fait depuis lors une
étude approfondie des » marches de l'Est « et de
leurs abords ont vu de bonne heure dans la Woëvre
Il le champ clos de formidables rencontres à ve-
nir»; les batailles qui s'y sont livrées depuis le
début de la Grande Guerre européenne, dès 1914.
et surtout les combats qui ont eu lieu autour de
Verdun en février-mars 1916, attestent l'exactitude
de cette prévision. — Henri froidevaoi.
Paris. — Imprimerie Larousse (Moreau, Aiigé, Oillon et Ct«J,
17, rue MontparnaBse. — Le gérant ; L. Groslet.
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* A-Cadémie française. Election et récep-
tion d'Alfred Capus. — Le 12 février 1914, l'Aca-
démie française élut Alfred Capus au fauteuil devenu
vacant par la mort de Henri Foincaré. Un seul tour
de scrutin suffit. Capus obtint 16 voix sur 31 ;
Léon Bourgeois en réunit 13, et il y eut deux bul-
letins blancs. La réception, longtemps ajournée,
eut lieu le 28 juin 1917, et l'on vit se réaliser la
prophétie d'Edmond StouIIig, au 34* volume de ses
Annales du théâtre {190S): « Peut-être aurons-nous
le savoureux plaisir d'entendre, sous la coupole, le
discours de l'auteur des Deux hommes malicieuse-
ment reçu par Maurice Donnay. »
L'exoiile d'Alfred Capus est, suivant les meil-
leures traditions, simple et modeste. « Vague élève
de l'Ecole des mines », transfuge des sciences passé
au théâtre et au journalisme, il s'est senti « glacé »
devant l'œuvre de Poincaré, devant « ces propor-
tions inusitées, ces brusques ouvertures sur les
terres lointaines, ces larges espaces peuplés de sym-
boles ». Cependant, il lui faut pénétrer, « fiit-ce à
tâtons et en trébuchant, sous les voûtes de l'édi-
Oce ». Le droit de toucher aux choses scientifiques
n'est-il pas de tradition chez les littérateurs fran-
çais? Ce serait porler atteinte à la formation intel-
lectuelle de la France que de vouloir établir une
séparation entre les deux tendances, scientifique et
littéraire. Henri Poincaré, malgré la précocité de
ses aptitudes mathématiques, avait reçu une ins-
truction générale très complète, et sa « jeune curio-
sité s'étendait à tout, de l'histoire naturelle à la
politique ».
Après avoir rappelé les premiers triomphes de
son prédécesseur, Alfred Capus fait un curieux
portrait de la jeunesse française qui débuta dans le
monde peu après la guerre de 1870. Selon lui,
Henri Poincaré (né en 1854), dont la carrière se
développa avec une belle régularité, aurait été une
exception. Le plus grand nombre des jeunes gens
de celte époque, peu confiants dans les cadres so-
ciaux que l'épreuve avait fait éclater, avaient voulu
s'établir en marge des sentiers battus, ou percer de
nouvelles routes. De là une sorte d' « anarchie
bourgeoise » :
Il y avait à ce moment-là à Paris, dans le moade des
lettres, du journalisme, du théâtre, l>eaucoup de jeunes
gens qui, entres comme Poincaré et quelques années à
Seine après lui dans les grandes écoles, avaient aban-
onné leurs études sous des influences et des nécessités
diverses : erreur des familles dans le choix de la profes-
sion, manque d'argent, hâte pour chacun de gagner sa
vie. La presse, en pleine transformation, s'ouvrait à ces
jeunes lettrés, rebutés par les dures épreuves des exa-
mens et des concours, incapables, aussi, de l'abnégation
que la science réclame... Quand les heures n'él leut pas
trop lourdes, dans la caresse des premiers succès, lis so
félicitaient d'avoir quitté le professorat on la carrière
d'ingénieur; ils so prenaient au mirage de l'indépendance.
Un article inséré dans un journal, un acte joué dans un
théâtre les faisait s'apitoyer sur les camarades do col-
lège qui s'avançaient péniblement à travers la hiérarchie
professionnelle... Parfois, un frisson passait sur notu
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
d'être seuls sur les cliemins de traverse en proie aux
rôdeurs. C était aux heures incertaines, devant un in-
succès ou ce que nous croyions être une injustice, et
l'amertume nous montait aux lèvres, avec le doute de la
vocation qui nous avait jetés dans ces aventures. Alors,
les camarades d'école au cortège régulier prenaient leur
revanche...
Il est piquant de constater gue beaucoup de ces
traits s'appliquent à Capus lui-même, né en 1858.
(V. p. 222.) L'emploi du mot nous dans les der-
nières phrases achève d'affirmercecaractère person-
nel, dont l'ora-
teur s'est excusé
plus loin. Pour
mieux faire sail-
lirl'originalitéde
l'existence r.! e-
née parHenri
Poincaré, il nous
a livré un frag-
ment de sa pro-
pre histoire.
Il revient en-
suite au mathé-
maticien génial
et confesse qu'il
ne pourra nous
parler de la
grande décou-
verte des fonc-
tions fuchsien-
nes, parce qu'il
n'est pas bien sûr
lui-même de savoir ce que c'est. Il ignore, en
outre, qui était Fuchs :
Les renseignements n'abondent pas sur ce géomètre
allemand, dont la biographie est marquée par ce trait,
assez fréquent chez les savants de son pays, que Fuchs
n'est pas 1 inventeur des fonctions fuchsiennes.
Cette étude a conduit Poincaré à l'examen de la
géométrie non euclidienne, dont le principe, tout
au moins, est intelligible aux profanes, et que Capus
définit i< une sorte de nihilisme géométrique »,
venant de la pensée slave. On peut lui concéder
l'origine slave de Lowatschewsky; .-nais Bolyai était
hongrois et Riemann allemand. Tous les trois ont
supposé faux l'axiome des parallèles, connu sous le
nom de « postulatum d'Euclide », elils ontconstruit
des géométries indépendantes de cet axiome, par-
faitement cohérentes, mais en complet désaccord
avec la géomélrie classique. Capus rappelle l'énoncé
courant de la célèbre proposition, qu'il suppose
ironiquement présente à toutes les mémoires, ou à
presque toutes : « D'un point situé hors d'une droite,
on ne peut mener qu'une parallèle à cette droite. »
Le texte même du Grec Euclide est plus compliqiié.
A la géométrie non euclidienne se rattachent d'é-
tranges théories sur l'espace à moins de trois ou à
plus de trois dimensions. Capus rapporte le mot d'un
vieux révolutionnaire qui s est écrié, devant cette
Henri Poincaré.
invention nouvelle : « Chouette ! en chambarde l'es-
pace 1 » — Ni chambarder, ni cet emploi tout parti-
culier du mot chouette ne figuraient jusqu'ici au
Dictionnaire de l'Académie.
Les articles de Poincaré sur la géométrie eucli-
dienne ont été recueillis dans le volume intitulé
laUcience et l'Hypothèse, bientôt suivi de la Valeur
de la science. Capus consacre à ces deux ouvrages
de philosophie scientifique la plus grande partie de
son discours. L'idée fondamentale de Poincaré est
que la science n'est pas un absolu, mais le résultat
toujours perfectible, jamais parlait, d'une collabo-
ration entre l'homme et les choses et qu'il ne faut
pas demander si une théorie scientifique est vraie,
mais si elle est commode et féconde. Des idées ana-
logues avaient été développées déjà, d'un point de
vue plus spécialement philosophique, par Emile Bou-
troux, beau-frère de Henri Poincaré, dans sa thèse
sur la Contingejice des lois de la nature (1874) et
daiisson cours sur l'Idée de loi naturelle (1892-
1893). Mais, vers 1902, la doctrine de la relativité
de la science eut un grand retentissement, en raison
d'un certain goût d'anarchie que Capus attribue à
la société mondaine de ce temps :
Je me hâte de dire que je n'accuse point les gens du
monde d'être anarchistes ou de l'avoir eié à l'heure dont
je vous parle. Ils restaient de fermes conser\'ateurs dans
-l'ordre social; ils étaient inébranlublement attachés au
principe de propriété; le trouble dans la rue leur eût été
insupportable. Mais, au contraire, le trouble dans les es-
prits leur procurait une âpre distraction et quelque chose
d'assez analogue à de la volupté. Ils se sentirent frappés
d'une sorte do grâce à l'envers, quand, à la lecture du
livre de Poincaré, ils crurent entendre que la science ne
reposait que sur des conventions et des hypothèses...
Cette conclusion illégitime ne déplut pas aux
sceptiques et séduisit quelques âmes religieuses, trop
promptes àproclamer l'échec d'une science qu'on leur
représentait comme hostile à la foi. Mais Poincaré,
dans la préface de la Valeur de la science, coupa
« les attaches entre le scepticisme et lui, et aussi
entre lui et la Révélation ». Sa pensée a été traduite
par Capus, sous une forme littéraire très heureuse :
La science est née du conflit initial de l'homme et de la
nature, celui-là armé d'une curiosité destinée à n'être
jamais assouvie, celle-ci avare des innombrables secrets
qu'elle ne se laisse arracher qu'un à un. Durant de longs
âges, un mystère commun les enveloppa. lis vécurent
coûiondus i>ar le décret de leur création. L'humanité
commença à l'heure ou il leur fut permis d'être des puis-
sances distinctes, et il semble dès lors que la nature n'ait
jamais pardonné complètement à Ihomn^o d'avoir gagné
sur elle son indépendance. La lutte fut d'abord farouche
entre des adversairesdont l'un, se sentant d'une essence
supérieure, voulait asscrvirl'autre et lo traiter en esclave.
Cotte lutte, c'est la civilisation. A mesure que les siècles
passaient, elle se faisait inégale, et la nature s'inclinait
vers rbo.nmo davantage. D'implacable, elle devenait fa-
milière, puis soumise, mais avec des intermittences de
colère et oe révolte. Un traité était nécessaire entre ces
deux formidables pouvoirs. La science, c'est le traité de
paix qui unit dorénavant l'homme à la nature et règia
leurs rapports.
9
220
Sans doute, ce traité est complexe et contient des
M clauses secrètes ».
Les lois de la nature sont approximatives, provi-
soires et révisables, mais on peut se conlier en elles
sans craindre de trop vives déceptions. « La nature,
domptée, agit vis-à-vis de nous, et malgré nos soup-
çons à son égard, avec délicatesse et bonne foi ».
Le soleil se lève régulièrement tous les matins; il
nous chauffe et nous éclaire sans se préoccuper de
l'hypothèse de Copernic, non plus que de celle de
Plotémée. La lune, en deux cents ans, n'a été en
retard que d'une seconde sur la position que lui
assigne la loi de Newton. « C'est évidemment le
minimum de la désobéissance ».
Mais il ne faut demandera la science ni le bonheur,
ni la justice, comme 11 ne faut pas la rendre res-
ponsable des horreurs de la guerre actuelle. Certes,
le progrès n'est pas une illusion ; mais ce qui en est une,
c'est de croire à la continuité du progrès... 11 est à la
merci de monstres qu'on croyait enchaînés et que, sou-
dain, un sombre enchantement délivre.
Capus s'est étendu sur l'œuvre de Poincaré beau-
coup plus que sur sa personne. Toutefois, dans la
seconde partie de son discours, il nous rappelle la
visite académique qu'il dut lui faire jadis. Il nous
montre <i une figure attentive et tendue», un « regard
qui semblait déchirer un voile pour pénétrer jusqu'à
vous ». Mais c'est une esquisse fugitive, et l'orateur
revient aux idées et aux travaux du savant. Il essaye
de donner aux non-initiés quelque idée du calcul
infinitésimal, si merveilleusement manié par l'in-
venteur des fonctions fuchsiennes. C'est un agréable
exemple de difficulté élégamment vaincue :
{Le principe) consiste à ne s'approcher qu'à petits pas,
à pas extrêmement petits, de grandeurs trop complexes
pour que la raison puisse les embrasser tout entières ; à
envisager ainsi une ligne courbe comme composée de
lignes droites extrêmement petites qui n'ont plus l'espa'ce
nécessaire pour s'infléchir; un mouvement énorme et
varié comme la somme d'une inlinité de mouvements
uniformes qui n'ont pas le temps de se dépareiller. Ces
quantités toutes petites sont accessibles à notre esprit. 11
fteut alors établir entre elles des relations ; puis il les pro-
ongo jusqu'à ces grandeurs trop complexes pour être à
sa portée, mais qu'il atteint ainsi par une série de mer-
veilleux détours qui constituent ce que la mathématique
nomme Vintégration.
Enfin, Capus loue en Poincaré la passion de la
vérité et le culte de la science pour la science, culte
qui peut sembler étrange « dans un monde où l'in-
dustrie est érigée en divinité ». Mais, o au-dessus
de l'utile, il y a le vrai » et, d'ailleurs, il arrive sou-
vent qu'une vérité d'apparence désintéressée reçoive
des applications fécondes. L'humanité a donc besoin
de penseurs tendus uniquement vers le vrai; elle a
besoin d'une élite intellectuelle :
Elite, démocratie, c'est la dualité du monde contempo-
rain. Ces deux puissances doivent y subsister côte à côte,
sans se confondre ni se combattre, sous peine qu'une
société ne soit plus qu'une cohno... Une nation victo-
rieuse peut voir sa victoire ruinée par dos ignorants ou
par des fanatiques, si elle n'est pas sans cesse avertie et
préservée. Ce sera le rôle de 1 élite française, dont les
privilèges ne resteront légitimes que si elle les justifie
par des services...
Dans sa réponse, Maurice Donnay apported'abord
son tribut d'éloges à la mémoire de l'académicien-
géomètre : il a goûté l'humour de ceriain chapitre
de géodésie et les idées morales du volume intitulé
Dernières pensées. Mais il prétend être demeuré
Il stupide » et avoir eu honte de son ignorance en
ouvrant les livres à « couverture d'un rouge satur-
nien » où Poincaré a consigné sa philosophie ma-
thématique. Reprenant une pensée de Capus, il
souhaite la pénétration mutuelle des lettres et des
sciences. Trop de distance les sépare aujourd'hui.
Des méthodes atlrayantes pourraient, sans doute, les
rapprocher. 11 rêve d'un Essai d'arithmétique illus-
trée, avec de « belles images, de belles histoires, de
plaisantes anecdotes et des rapprochements ingé-
nieux ». Capus lui paraît avoir les qualités requises
pour écrire un tel ouvrage. Ainsi, « pendant quel-
ques beaux soirs, dans un beau parc, le charmant
Fontenelle fit un cours ou, plutôt, deux doigts de
cours d'astronomie aune marquise ». A "ec la même
délicatesse ingénieuse, Capus a su définir le calcul
des infiniment petits. Empruntant à son tour le
langage des hautes mathématiques, Donnay an-
nonce qu'il va traiter Capus comme une équation
différentielle et tâcher de 1' « intégrer » :
Je suis certain que vous excuserez cette familiarité
que je ne me permettrais pas, d'ailleurs, avec un inconnu :
mais nous nous connaissons depuis un assez long temps, et
je crois même que nous nous tutoyons, monsieur.
Donnay fait donc, à grands traits, la biographie
de Capus. Il nous montre, à Aix en Provence, les
1. vieux hôtels familiaux que les antiquaires n'avaient
pas encore visités pour en emporter les meubles »
et II les habitants diserts, sans être bavards, gais
sans être turbulents, représentant assez bien cette
nuance de notre Midi, que l'on pourrait appeler A/ù/î
juste ». Il nous fait un joli tableau de la Provence :
Tantôt à la ville, tantôt aux champs, votre enfance s'est
écoutée dans ce quadrilatère provençal, qui, au dire des
voyageurs, rappelle en certains lieux des paysages de la
Maurice Donnay.
LAROUSSE MENSUEL
Grèce; vous voyiez des paysans et des citadins qui tous,
sous un beau ciel, aimaient la vie au dehors; vous
voyiez, au printemps, les ama-ndiers en fleurs, qui sont
comme des nuages roses parmi la verdure triste des oli-
viers ; vous voyiez des aqueducs, des arcs de triomphe, des
arènes, de vieilles tours dorées par dix-huit siècles de
soleil ; vous avez grandi dans une civilisation latine.
Le jeune Alfred Capus s'était d'abori- destiné à
la marine. A douze ans, il fut mis interne au Kcée
de Toulon, n et tout se passa comme si » l'Ecole
navale devait s'ouviir un jour devant lui. Capus,
dont la myopie
eslextrême, avait
alors II une vue
perçante : regard
de petit oiseau
de proie et, d'ail-
leurs, Capus veut
dire faucon ». Il
dévorait des 11-
vresd'aveutures,
le Consulat et
l'Empire, e\,AV3.\\,
lu, à quinze ans,
tous les ouvrages
d'Auguste Comte.
Mais il n'entra
pas à l'Ecole na-
vale. Il vint sui-
vre à Paris une
classe de mathé-
matiques spécia-
les. Il et tout se passa comme si » l'objet de ses efforts
était l'entrée à l'Ecole polytechnique. Mais il était
inliabile au dessin, commeHenri Poincaré : «c'est un
des points par lesquels on peut mener un parallèle »
entre eux; et il entra à l'Ecole des mines, sans
grande vocation. Il aimait les boulevards et la litté-
rature. Il avait connu au lycée Fontanes Etienne
Grosclaude et Paul Hervieu, « tout ce qu'il 'aut
pour écrire ». Après avoir recueilli un petit héri-
tage, il 11 jeta sa casquette à galons d'argent par-
dessus Tortoni », le café où se réunissaient les
célébrités du boulevard, et fit du journalisme, puis
des romans, puis du théâtre. II était « comme un
jeune arbre dont les feuDles s'envoleraient et se
renouvelleraient sans cesse ».
Maurice Donnay résume spirituellement le roman
Qui perd gagne. 11 en compare les personnages aux
êtres sans épaisseur de la géométrie de Riemann.
Les héros de Capus romancier sont « dénués non
pas d'épaisseur ni même de finesse, mais dépourvus
d'une certaine dimension psychologique que l'on
appelle communément le sens moral •'. Ou plutôt, ils
ont une morale « non euclidienne ». La société qu'il
dépeint avec n une neutralité bienveillante », « une
indifférence cordiale » et «une tranquillité bien per-
sonnelle », est n une sécrétion logique de la grande
ville surpeuplée et complexe, tentatrice et tenlacu-
laire ».
La même « tranquillité » règne dans son théâtre :
Brignol est un escroc sympathique. « Ce n'est pas
une sombre canaille, mais séduisante et diapré; des
plus vives couleurs. 11 va d'irrégularité en irrégu-
larité, comme un papillon vole de fleur en fleur ».
Les hommes ou les femmes de ce théâtre manquent
souvent de la dimension psychologique dont il a été
déjà question :
Vos amants ne descendent pas d'agonie en agonie et de
désastre en désastre l'escalier, humide de leurs pleurs, des
amours douloureuses... Ils savent bien, vos amants, que
" plaisir d'amour ne dure qu'un moment »; ils se refusent
à souscrire que n chagrin d'amour dure toute la vie » .Vous
avez pour leurs fautes de l'indulgence et de la tolérance,
qui sont deux formes de la compréhension. Vous n'insul-
tez jamais une femme qui fait un faux pas, ni même celles
(lui se sont fait une démarche exclusivement composée
de faux pas, et même vous nous montrez parfois de petites
créatures légères pour lesquelles une chute est une
chance, et cela est tout à fait conforme à l'ét^'mologie :
chance, cadence, do cadere» tomber, ce qui tombe à
propos.
Une des qualités les plus éminentes de Capus,
c'est l'esprit, dont il est prodigieusement riche :
« Vous êtes, lui dit Maurice Donnay, un de nos
milliardaires. » Il est aussi « le roi du paradoxe »,
du paradoxe devenant souvent une vérité, et le cau-
seur le plus « flegmatiquement élincelant » qui fût
jamais : « On pourrait dire de votre conversation
qu'elle est un feu d'artifice, si l'artifice y avait la
moindre part. » On a eu tort de le considérer « comme
le père prodigue d'une doctrine nonchalante et op-
timiste ». Il prêche aussi la maxime : « Aide-toi, le
ciel t'aidera. » Dans ses « chroniques brillantes et
sensées » d'avant la guerre, dans les articles quoti-
diens qu'il publie depuis trois ans, il allirme bien
que tout peut « s'arranger », mais à la condition de
rentrer « dans la tradition, dans la mesure, dans
l'ordre et dans le goût français ».
Suit une évocation de l'heure douloureuse « qui
fit lever dans ce Paris inquiétant et dans cette
France calomniée les légions bleues des héros et
les légions blanches des infirmières». Au moment
où les combats se livraient en Belgique, Capus et
Donnay se sont rencuatrés. L'angoisse les tenait
W* 127. Septembre 1917.
silencieux. Tels deux fils, pendant qu'on opère leur
mère, se taisent ou n'échangent que des paroles in-
signifiantes, pour tromper leur angoisse :
C'étaient des heures tragiques, la France pouvait suc-
comber, et elle n'a pas succombé, pourtant! Depuis, nous
avons traversé bien des heures douloureuses, de glorieuses
aussi, de désespérées jamais! Notre mère ne mourra pas,
monsieur, elle ne peut pas mourir...
Tels sont lesderniers mots de ce discours, où l'émo-
tion patriotique et les préoccupations morales succè-
dent sans effort à de l'ironie, à de l'humour et même
à des boutades montmartroises. — Maurice Enocb.
allocataire n. Celui, celle qui reçoit une
allocation : Il y a des allocataires militaires et
des ALLOCATAIRES réfugiés qui restent encore inoc-
cupés. (Léon Bourgeois.)
Banques fédérales aux Stats-XJnis
(les Nouvelles). — Il y a, au département du Trésor,
à Washington, un bureau de la circulation fiduciaire
(Currency Bureau), dont le chef, the Controller of
Ihe Currency, publie chaque année cm rapport su.
les « banques nationales » aux Etats-Unis. Le bu-
reau et les banques nationales ont été institués à la
même époque, en 1863, par une loi votée au plus
fort de ta guerre de Sécession.
Cette création fut essentiellement une mesure de
circonstance. Il s'agissaitdeconstituerun marché aux
obligations que le gouvernement fédéral était con-
traint d'émettre pour la conduite de la guerre contre
les Sudistes.
Les banques « nationales », instituées sous le ré-
gime de la loi de 1863, avaient pour objet principal
de souscrire aux emprunts fédéraux. A cet effet, elles
étaient investies du droit d'émettre des billets qu'elles
recevaient, tout imprimés, du département du Tré-
sor, contre dépôt d'obligations du gouvernement fé-
déral soucrites par elles. Ces billets étaient déclarés
monnaie légale [légal tender) et avaient cours sur
tout le territoire de l'Union.
Il existait, d'autre part, dans chacun des Etats
constituant l'Union, des banques d'émission, dites
n banques d Etats », créées en vertu de chartes lo-
cales. Mais leurs billets n'avaient cours que dans les
limites de l'Etat où se trouvait situé le siège de la
banque émettrice.
Lorsque le gouvernement fédéral, après la guerre
civile et surtout dans la période de 1872 à 1890, eut
remboursé une grande partie de la dette publique,
la circulation des banques nationales, ne pouvant
êlre gagée que par des titres de celte dette, diminua
forcément.
De 1890 à 1900, diverses mesures furent adoptées
pour stimuler les émissions de billets et multiplier
le nombre des banques émettrices.
Ces mesures eurent pour conséquence que le
nombre des banques nationales s'accrut considéra-
blement de 1900 à 1914, jusqu'à atteindre le chiffre
de 7.000 et que le montant de leur circulation s'éleva
à plus de 3 milliards de francs. Mais ce montant ne
pouvait plus s'augmenter, les banques nationales
possédant et ayant déposé en garantie la plus grande
partie (80 p. 100) de la totalité des obligations en-
core existantes du gouvernement fédéral. Le système
était, pour l'avenir, dépourvu de tonte élasticité.
Or, les affaires exigeaient une circulation de plus en
plus élastique, à cause des demandes périodiques
considérables de capitaux pour les vastes régions
agricoles des Etats-Unis.
Un autre défaut du système était la concentration
d'une forte partie des réserves des banques natio-
nales dans les établissements des trois villes à « ré-
serve centrale » : New- York, Chicago et Saiut-Louis,
où les capitaux, recevant un intérêt de 2 p. li'O, de-
vaient être de toute nécessité appliqués à des em-
plois fructueux (notamment à des prêts au jour le
jour ou à très court délai) par les banques des trois
villes, qui avaient à payer cet intérêt sur les réser-
ves déposées chez elles. A la moindre alerte, les
banques nationales réclamaient leurs réserves, elles
banques des trois grandes villes dénonçaient leurs
prêts ; une crise violente éclatait. Celle de 1907 est
encore dans tous les souvenirs sur les places finan-
cières de l'Europe comme aux Etals- Unis.
Après cette dernière crise, l'opinion publique exi-
gea sérieusement une réforme du système de ban-
ques et de circulation
On alla au plus pressé, et la loi Aldrich-Vreeland,
Emergency Currency, de 1908 fournit les moyens de
créer, dans les cas graves, une circulation supplé-
mentaire et temporaire de billets, à concurrence de
2.500 millions de francs.
Puis une commission monétaire fut chargée de
faire une enquête générale et de présenter les élé-
ments d'une solution définitive.
La commission élabora un projet qui vit le jour
en 1912 et qui servit de base à la loi dite Fédéral
Reserve Ad, votée le 23 décembre 1913 par le Con-
grès démocrate que le peuple des Etats-Unis avait
nommé l'année précédente, en même temps que le
président Wilron.
La loi tendait, d'après le libellé même du titre, à
créer des banques « de réserve fédérale », à four-
!»• 127- Septembre 1917.
nir au pays une circulation fiduciaire plus élastique,
à instituer des moyens de réescompte pour le papier
de commerce, à étaLilir un contrôle plus effectif sur
les banques des Etats-Unis. »
La réforme laisse subsister tout le système des
« banques nationales » en vigueur depuis la guerre
de Sécession, mais le subordonne à f institution de
douze grandes banques placées sous l'action directe
du Trésor et fonctionnant comme établissements
d'émission sous le contrôle d'un Conseil fédéral, or-
ganisme central, dont le siège est à Washington.
L'amoncellement des substructions édifiées par
les générations précédentes n'est donc pas sacrifié.
Le législateur a seulement superposé à cette bdse
(banques nationales, banques d'Etats, circulation ga-
gée par les titres de la dette publique) éprouvée
par tant de cri ses, une construction moderne pourvue
d'un oulilla^'e perfectionné. Dans le système édifié
en 1913, les Etats-Unis, dont la superficie dépasse
de beaucoup la moitié de celle de l'Europe, sont
pourvus de V « unité » dans le gouvernement de
• douze banques supérieures d'émission », opérant
dans autant de villes importantes, avec un seul gou-
verneur et un conseil suprême à leur tête, et dont
le capital est formé par les banques nationales.
La reforme promulguée, il fallut en préparer
l'application, ce qui prit toute l'année 1914, et ce
travail ne laissa pas d'être entravé par les réper-
cussions de la guerre européenne.
Le Comité d'organisation, composé du secrétaire
du Trésor, du secrétaire de l'agriculture et du con-
trôleur de la circulation, eut pour première tâche
la division du territoire des Etats-Unis en douze
régions ou « districts », dont chacune formerait le
domaine économique, «bancaire », d'une Ferlerai
Réserve Bank établie dans une ville importante
désignée comme chef-lieu du district. La tâche
était délicate, puisqu il s'agissait de la meilleure ré-
partition géographique possible de la force finan-
cière du pays entre des divisions à créer artificiel-
lement. La solution du problème exigea des soins
méticuleux et beaucoup de tact de la part des mem-
bres du Comité d'organisation.
La carte ci-dessous montre la division, qui a été
adoptée, du territoire entier des Etats-Unis en douze
districts ayant pour centres bancaires les villes de :
Boston, Clevcland,
New-Yorl\, Richmond,
Pfiiladetpliio, Atiaota,
Cfiicago, Kansas-City,
Sainl-Louis, Dallas,
Minnoapolis, San-Francisco.
LAROUSSE MENSUEL
l'indiana, sud du Michigan, sud du Wisconsin; la
population globale est de 12.6S8.000 habitants.
Le capital le plus élevé est celui de la Banque
du deuxième disirict, qui a son siège à New-York.
Il s'élève à 100 millions de francs et a été formé par
221
New-Hampshire, Maine et 'Vemiont, avec une po-
pulation de 6.558.000 habitants.
Deux banques fédérales, ayant leur siège l'une à
Richmond (cinquième district), l'autre à Atlanta
(sixième district), desservent les Elats du sud de
X Washington, le Bureau d'impression et de gravure qui fonctionne 2i heures par jour, pour le tirage des boTu et certi/icatt du Trésor.
les souscriptions de 480 banques, parmi lesquelles
se trouvent les plus importantes banques « natio-
nales » de l'Union. La superficie du district couvre
le seul Etat de New- York, soit 128.000 kilomètres
carrés, avec une population de 9.113.000 habitants.
La banque du troisième district a son siège à
.. Vmite i/Ttat
_ùim'te<fe
^district àanœ/re
Les Etats-Unis divisés en 12 districts bancaires, avec la capitale de chacun d'eux.
Dans la répartition des douze banques, il y a
pour chacune d'elles à considérer :
l" La superfîcio du district bancaire dont la villo où
elle a son siôge oetle chef-lieu, les Etats et fragments
d'Etats qu'omfjrasse cette superticie ;
2* La population du district ;
3" Le nombre des banques actionnaires, fonctionaant
dans le district;
4* Le montant du capital formé par les souscriptions
de ces l>anques, pour ccacune des banques fédérales.
La plus importante des nouvelles banques fédé-
rales, au point de vue du chiffre de la population et
du nombre des banques actionnaires, est celle du
septième district, dont Chicago est le siège. Son
capital, de 65 millions de francs, a été formé par
971 banques. Le district couvre une superficie de
460.000 kilomètres carrés (plus des quatre cin-
quièmes du territoire français), et comprend les
États suivants : lowa, nord de l'illinois, nord de
Philadelphie. Son capital, de 65 millions de francs,
a été souscrit par 758 banques. Le district couvre
une superficie de 103.000 kilomètres carrés, compre-
nant le New-Jersey, le Delaware et l'est de la
Pensylvanie, avec 8.110.000 habitants.
Viennent ensui te, par ordre d'importance, au point
de vue du capital, les baiiquesdcs quatrième et premier
districts, ayant leur siège l'une à Gleveland, l'autre k
Boston. La banque de réserve fédérale de Gleveland
a un capital de 65 millions de francs, qu'ont formé
764 banques. La superficie du district, 478.000 kilo-
mètres carrés, comprend : l'ouest de la Pensylva-
nie, l'Ohio, une partie de la 'Virginie occidentale et
l'est du Kentucky ; population 7.961.000 habitants.
La banque de Boston a un capital de 49 mil-
lions de francs, que 441 banques ont souscrit. Les
175.000 kilomètres carrés de superficie du district
comprennent les six Etals de la Nouvelle-Angle-
terre, Massachusetts, Rbode-Island, Gonnecticut,
l'Union, en bordure de l'Atlantique et sur le golfe
du Mexique, avec, pour les deux, un capital de
55 millions de francs, constitué par 877 banques,
et une superficie de 1.060.000 kilomètres carrés
(deux fois la superficie de la France), comprenant :
le reste de la Virginie occidentale, le Maryb nd,
avec le district fédéral de Columbit et la capitale
Washington, la Virginie, la Caroline du Nord, 'a
Caroline du Sud, le "Tennessee oriental, la Géorgie,
la Floride, l'Alabama, le sudduMississipi et l'est de
la Louisiane, avec une population de 15.215. 000 bab.
Par les sept banques de réserve fédérale que nous
venons d'énumérer, se trouve desservie toute la
partie du nord, du centre et du sud des Etats-Unis
de l'Est, soit le tiers oriental du territoire de
l'Union, avec un chiffre de population de 60 mil-
lions d'habitants.
Les deux autres tiers du territoire, couvrant plus
de 5 millions de kilomètres carrés et comprenant tous
les Etats situés â l'O. du Mississipi avec la partie
occidentale de quelques Etats de la rive gauche du
fleuve, ont été divisés en cinq districts, comprenant
ensemble un peu plus de 30 millions d'habitants.
Les cinq banques de district de cette région ont
leur siège à Saint-Louis, Minneapolis, Kansas-Gity,
Dallas et San-Francisco. La banque de réserve de
San- Francisco est laplus importante des cinq au point
de vue du capital (39 millions Qe francs) et celle qui
dessert la plus vaste superficie (1.800.000 kilomètres
carrés, plus de trois fois la superficie de la France),
comprenant tout le groupe des Etats du Pacifique :
Californie, ■Washington, Orègon, Idaho, Nevada,
Utah, une grande partie de l'Arizona.
La banque du neuvième district, qui a son sièg« \
Minneapolis, dessert le Montana, les deux Dakotas,
le Minnesota, le nord du Wisconsin et du Michigan.
Le dixième district (Kansas-Gity) embrasse le
Wyoming, le Nebraska, le Colorado, le Kansas,
l'angle nord-ouest du Missouri, le nord du Nou-
veau-Mexique et de l'Oklaboma.
Le district dont le chef-lieu est Dallas comprend
la plus grande partie du Noir.eau-Mexique et de
l'Oklaboma, le Texas et l'ouest de la Louisiane.
En résumé, les douze banqu:;s du district ont été
constituées avec un capital global de 534 millions
de francs, souscrit par 7.571 banques d'impor-
tance très inégale, représentant pour chacune d'elles
im contingent moyen de 72.000 francs.
Les banques fédérales sont gérées chacune par
un conseil d'administration, composé de neuf mem-
bres : trois choisis par les banques actionnaires,
trois désignés par les mêmes banques sur des listes
d'industriels, de commerçants ou d'agriculteurs du
district, présentés par le Conseil fédéral, trois nom-
més directement par ce conseil. L'un de ces der-
niers est président du conseil d'administration de
la banque du district. Sons le titre et avec les fonc-
tions d'un Fédéral Réserve Agent, il représente
l'autorité centrale au milieu des administrateurs.
La banque de disirict ne traite point d'affaires,
avec le public directemenL Ses seules relaliont,
222
à l'intérieur du territoire américain, sont avec le
gouvernement, avec les banques fédérales des au-
tres districls et avec les banques nalionales du dis-
trict qui ont contribué à la formation de son capital
et dont elle concentre les réserves. Avec les billets
qu'elle a le droit d'émettre, elle réescompte le papier
de commerce des banques nationales de son district;
elle peut, en outre, escompter du papier de banque
étranger et des acceptations. Elle ne reçoit de dépôts
que des banques ses actionnaires et du gouverne-
ment lédéral.
L'organe moteur de tout le système est le Fédéral
Reserve Doard (ou Conseil de la réserve fédérale) in-
vesti des pouvoirs les plus étendus de contrôle sur
les banques fédérales et même du droit, en nombre
de cas (notamment pour la fixation des taux d'es-
compte), d'intervention dans leurs opérations.
Le Conseil de la réserve fédérale siège à Washing-
ton. Il est composé de sept membres : le secrétaire
du Trésor et le contrôleur de la circulation, repré-
sentant le gouvernement et membres de droit; cinq
autres personnes nommées pour dix années par le pré-
sident des Etats-Unis, avec l'assentiment du Sénat.
Le 16 novembre 1914, a commencé le fonctionne-
ment des Fédéral Reserve Banks. A cette date, l'éco-
nomie générale du pays ne se ressentait déjà plus
de la perturbation passagère causée par l'explosion
de la guerre européenne. Le taux de l'intérêt, qui
s'était d'abord élevé à 8 p. 100, était revenu aux con-
ditions normales. Les Etats-Unis commençaient à
fournir aux belligérants et, notamment, aux nations
de l'Entente des vivres et du matériel de guerre en
grande abondance,
A la fin dfc 1915, le pays avait importé de l'or en
quantités inconnues jusqu'à ce moment ; les banques
avaient les réserves les plus élevées qu'elles eussent
jamais réunies. Les circonstances avaient donc été
extrêmement favorables pendant ce'te première
année d'application de la réforme bancaire, en sorte
que les effets bienfaisants de la loi ne s'étaient
réellement fait que peu sentir. L'expérience ne
pouvait être, par cela même, considérée comme dé-
cisive. Toutefois, le nouveau système avait joué
convenablement, par l'acceptation des « foreign
trade bills » dans le même temps que les banques
nationales, actionnaires dos Fédéral Reserve Banks,
s'étaient habituées au réescompte des traites com-
merciales que l'on voulait substituer aux obliga-
tions du Trésor fédéral, comme base de la circula-
tion fiduciaire.
U[ie des principales caractéristiques du système
nouveau est le pouvoir régulateur qu'il met en œu-
vre pour la répartition des ressources entre les dif-
férentes régions du pays, selon les besoins existants
et les nécessités changeantes provenant de circons-
tances critiques ou exceptionnelles, alors qu'au-
paravant les forces bancaires, disséminées sur le
territoire, étaient isolées et impuissantes par l'indé-
pendance même dans laquelle elles étaient, en cas
de crise, obligées d'évoluer. — a. moirbad.
Blessés de guerre et réformés
(iNsmNE SPÉCIAL POUR LES). Une proposition de
résolution de Henry Pâté et Petitjean, votée le
17 juillet 1916 par la Chambre des députés, avait
invité le gouvernement à instituer d'urgence un
insigne spécial pour les blessés de guerre ou les
mil.taires retraités, mis hors cadres ou réformés
pour maladies contractées ou aggravées au service
depuis le début des hostilités.
Cette institution a été réalisée par une circulaire
du ministère de la guerre du 11 décembre 1916,
complétée par trois circulaires ministérielles des
27 janvier, 3 février et 15 juin 1917.
Conditions d'attribution de l'insigne. — Les
personnes qui ont droit au port de l'insigne spécial
sont : l" tous les blessés de guerre; par suite, les
militaires blessés accidentellement ou en service
commandé n'y ont pas droit.
2° Les militaires rayés des contrôles par suite de
réforme pour maladie. Les seuls bénéficiaires sont
ceux dont la maladie a été contractée ou aggravée
par le fait du service, c'est-à-dire ayant bénéficié
ou devant bénéficier de la réforme n» 1, qu'ils aient
été, ou non, dans la zone des armées. Les infirmités
ou blessures accidentelles dues au service depuis
le début des hostilités et ayant, de ce fait, entraîné
la radiation des contrôles par suite de retraite, de
mise hors cadres ou de réforme n" 1, doivent être
assimilées aux maladies, conformément à la juris-
prudence du conseil d'Etat.
3° En dehors des blessés de guerre et des réformés
n" 1, dont les titres sont évidents, l'insigne spécial
sera accordé aux réformés n" ê remplissant les deux
premières conditions fixées par l'arlicle l"' de la loi
du 9 décembre 1916 relatives aux allocations tempo-
raires mensuelles, c'est-à-dire :
a) Avoir été incorporés pendant soixante jours
au moins depuis le 2 août IfllA ;
6) Avoir subi une a'-'gravalion de leur infirmité
due aux fatigues, dangers ou accidents du service
militaire, aqqravation présumée imputable au ser-
vice, sous réserve de la preuve contraire à la charge
de l'autorité militaire.
Intiigne
LAROUSSE MENSUEL
4" La réforme temporaire étant assimilable, pour
les hommes de troupe, à la position des officiers
placés hors cadres, qui ont droit à l'insigne, les
militaires réformés temporairement devront éga-
lement recevoir l'insigne des blessés et réformés,
s'ils réunissent les conditions indiquées ci-dessus
pour les réformés n» 2.
5" Il en sera de même des militaires réformés n°2
depuis la mobilisation et remplissant les mêmes con-
ditions, pla-
cés ultérieu-
rement soit
dans le servi-
ce armé, soil
dans le ser-
vice auxiliai-
re, à la suite
de la contre-
visite prescrite par la loi du 17 août 1915, ou des con-
tre-visites qui pourront de nouveau être ordonnées.
6° Les of/îciers retraités pour d'autres raisons que
pour blessures ou infirmités provenant du service,
rayés des cadres ou mis hors cadres, doiventremplir
les mêmes conditions que les réformés n» 2.
7° L'insigne sera attribué aux militaires versés
dans le service auxiliaire pour maladie contractée
ou aggravée au service s'ils réunissent les conditions
imposées aux réformes ;i» 2.
Délivrance de l'insigne spécial. — Chaque ayant
droit, en commençant par ceux rentrés dans leurs
foyers, recevra l'insigne une fois pour toutes. Les
dépôts des corps de troupe à l'intérieur (ou les
chefs de service pour les militaires ne dépendant
pas d'un corps de troupe) sont chargés de la remise
ou de l'envoi de cet insigne : 1" a .x ayants droit pré-
sents dans la zone de l'intérieur, soit au dépôt.
spécial pour les blessés de guerre
et réformés.
tS" RÉGION
57" RÉGIMENT D' Infanterie
DÉPÔT À Bordeaux
Lr Commandant nu Dépôt pu 57« Régiment
(^'Infanterie
certitio que Monsieur Deblise (Jean-Marie),
Sergent,
Blessé de querre,
a droit au port du ruban, avec étoile émailMe rougo,
constituant l'insigne spécial pour les blessés de guerre,
ou les militaires retraités, ou rais hors cadres, ou ré-
formés pour maladies contractées ou aggravées au
service au cours de la Campagne actuelle conire
l'Allemagne et ses Alliés.
A Bordeaux, le 10 août 1917.
Le Commandant de Dépôt,
X...
Certificat provisoire.
soit en congé, soit dans une formation sanitaire;
2" aux ayants droit présents dans la zone des ar-
mées; 3" aux militaires rentrés dans leurs foyers.
L'envoi à ceux-ci a lieu sur demande des intéres-
sés, légalisée par le maire ou le commissaire de
police de la résidence.
Les autorités chargées de délivrer l'insigne, com-
mandants des dépôts ou chefs de service, apprécient
le bien-fondé des demandes et y donnent satisfac-
tion dans le moindre délai. Les demandes concer-
nant des militaires que leur conduite à l'armée aurait
rendus indignes de recevoir l'insigne ne sont sus-
ceptibles d'aucune suite ; les postulants en sont avisés
par le renvoi de leur demande.
Tous les hommes qui, bien que réformés n» 2, se
trouveraient dans les conditions exigées pour avoir
droit à l'insigne (infirmités etblessures par accidents
dus au service, ou maladie contractée ou aggravée
par les fatigues du service) devront adresser une de-
mande au général commandant la région de laquelle
dépend le dépôt de leur corps ou le service auquel ils
appartenaient. Le général statuera sur le vu des
motifs de réforme et en tenant compte de tous les ren-
seignements susceptibles d'établir la cause etles cir-
constances de l'accident ou, en cas de maladie, les
circonslances qui ont pu en déterminer l'origine ou
l'aggravation, notamment la nature du service auquel
le militaire était affecté.
Insigne et certificat. — L'insigne spécial aux bles-
sés de guerre est constitué par un morceau de ruban
d'une longueur de O",!© et une ^/otZeémaillée rouge
vif. Le ruban, bordé de blanc, orné au centre d'une
raie rouge, présente deux raies jaunes, quatre bleues
et six blanches.
Un certificat provisoire, délivré par le com-
mandant de dépôt ou chef de service, attesie que
M... a droit au port du ruban, avec étoile émaillée
rouge, constituant l'insigne spécial pour maladies
contractées ou aggravées au service au cours de la
campagne actuelle contre l'Allemagne et ses alliés.
(V« 127. Septembre 1917.
La médaille commémorative de la campagne
19H-I91 [?] à créer après la guerre fera l'objet d'un
concours ultérieur; elle sera en bronze patiné et du
diamètre de 32 millimètres ; son ruban sera identi-
que à celui de l'insigne spécial pour les blessés de
guerre. — Joseph DuRiKUx.
Capus (Vincent-Marie-j<i/'red), auteur drama-
tique et journaliste français, né à Aix en Provence
le 25 novembre 1858. Son père était avocat, inscrit
au barreau de Marseille. Ses premières études se
firent à Aix. Il les continua au lycée de Marseille,
qu'il abandonna pour celui de Toulon, en vue de
préparer l'Ecole navale. Sa vocation maritime prit
lin à quatorze ans. Il vint alors à Paris terminer ses
études au lycée Fontanes (aujourd'hui Condorcet).
11 fut cantlidat à l'Ecole polytechnique, mais se
contenta d'entrer à l'Ecole des mines. 11 y poursui-
vit sans enthousiasme ses études scientifiques et ne
conquit pas le titre d'ingénieur. Il s'intéressait sur-
tout à la littérature et aux multiples aspects de la
vie parisienne. Avec son ami Louis Vonoven, il
avait publié un recueil de nouvelles : les Honnêtes
(jens (Paris, 1878). Ces « honnêles gens » sont
de petits bourgeois de province, dont les manies, les
étroitesses et les ridicules sont rendus avec assez
de verve. Les jeunes auteurs annonçaient qu'ils
avaient sur le chantier un roman intitulé la Bataille
de Paris. Il ne parut jamais. 'Vonoven avait l'am-
bition de faire du théâtre. 11 convertit Capus à ses
goûts, et les deux amis parvinrent à faire jouer, le
20 avril 1879, aux matinées Talien du théâtre Cluny,
une petite pièce en un acte, le Mari malgré lui,
qui eut 18 représentations. Capus n'était pas encore
majeur, et 'Vonoven faisait son volontariat.
Après sa sortie de l'Ecole des mines, Capus quitta
Paris et regagna sa Provence, un peu déçu dans
ses espoirs. Pendant deux ans, il vécut à la cam-
pagne, aux environs d'Aix, dans une solitude apai-
sante, aumili^u des livres, et compléta son éducation
littéraire. 11 revint à Paris en 1882, à la recherche
d'une situation, et remplit pendant quelques mois
l'emploi de dessinateur chez un constructeur-méca-
nicien de la rue du Faubourg-Saint-Denis. 11 accepta
ensuite de faire partie, comme ingénieur, d'une ca-
ravane d'émigrants, et il était déjà au Havre, sur le
point de s'emliarquer pour une ile lointaine, quand
il reçut fort à propos la nouvelle qu'un petit héritage
lui était échu. Il quitta aussitôt ses compagnons de
voyage et rentra à Paris définitivement. L'expédi-
tion devait finir par un désastre, etles organisateurs
furent traduits en justice (cf. Port-'l'arascon, d'Al-
phonse Daudet).
Grâce à sa petite fortune, il put se mêler au monde,
fréquenter les cercles, se lier avec des hommes de
letlres, notamment avec Paul Hervieu et Marcel
Prévost. Il fit ses débuts comme journaliste le
21 avril 1882, au « Clairon », récemment fondé et
dirigé par J. Cornély. Darwin venait de mourir.
Aucun collaborateur ordinaire du « Clairon » n'était
en mesure d'écrire une notice sur son œuvre. On
s'adressa à Capus, qui sut faire un usage littéraire
des connaissances scientifiques acquises à l'Ecole
des mines. Son article fut signé d'un pseudonyme :
Canalis. Il fut invité adonner d'autres articlesà cet
organe catholique et royaliste, dont les idées sem-
blent avoir été les siennes à cette époque. Il eut
comme camarades au « Clairon » Mermeix, Simon
Boubée, Jules Ranson, Gaston JoUivet, etc. Canalis
resta son pseudonyme. Toutefois, il emprunta à
Taine la signature Graindorge pour un article
nécrologique sur Garibaldi. Il faut mentionner son
article du 5 mai 1882 sur de Champagny et ses
Notes d'un passant, réflexions politiques, spirituelles
et désabusées.
En 1883, Octave Mirbeau fonda <• les Grimaces »,
revue hebdomadaire, qui vécut à peine six mois
(21 juillet 1883-12 janvier 1884). Capus y rédigea
les II Grimaces politiques » et collabora à huit nu-
méros. Sa chronique du 1"^ septembre est un compte
rendu fantaisisle d'un conseil des ministres. Il cul-
tivera plus tard ce genre avec beaucoup de succès.
Son dernier article est inspiré par la mort du comte
de Chambord. Le ton des « Grimaces politiques »
est tantôt ironique, tantôt sévère.
La même année, il entre au " Gaulois » et aban-
donne pour longtemps le ton sérieux. Son idéal
semble désormais de « blaguer » hommes et choses,
d'affecter une indifférence amusée et amusante,
d'être «bien parisien » et « boulevardier ». 11 se
répand bientôt dans la presse : il donne au «Malin »
des Interviews comiques, conversations imaginaires
sur les événements du jour, analogues à la discus-
sion des ministres dans o les Grimaces ». Il publie
des contes, nouvelles et dialogues dans « l'Illustra-
tion » (1889-1893), " l'Echo de Paris » (1893-1894,
sous le pseudonyme de Graindohoe), dans le
Il Gaulois du dimanche » et le « Soleil du diman-
che ». Il fait imprimer deux romans : Qui perd
gagne (1890) et Faux départ (1891); un recueil de
nouvelles : Monsieur veut rire (1893), et donne
au 'Vaudeville Brignol et sa fille (?^ novembre
1894). La pièce n'eut que huit représentations
(cinquante lors de sa reprise par l'Odéon en 1901).
I
/»• 127. Septembre 1917.
Mais Jules Lemaitre, après quelques réserves sur
la composition et le dénouement, l'appela « dans
ses parties excellentes, une rare comédie de mœurs
et presque une comédie de caractère ». Il comparait
le principal personnage, Brignol, « homme d'affaires
visiounaire », à Mercadet, à lArnoux de l'Education
sentimentale, au Micawber de David Copperfield
et à lEkiiàl du Canard sauvage. Néanmoins, lirignol
était original. Un tel jugement pouvait, aux yeux
de Gapus, compenser l'insuffisance du succès.
Au lendemain de Brignol, il entra au « Figaro »
et y donna, sous la rubrique Au jour le jour, de
courts dialogues, fantaisistes et frondeurs, élégants
et naturels, sur les actualités parisiennes. En 1895,
il lit paraître un nouveau roman. Années d'aven-
tures. On le joua sur plusieurs scènes avec un suc-
cès croissant. Enfin, il connut la gloire au théâtre
avec la Veine (1901). Il négligea alors un peu le
journalisme. A certains moments, son nom tint
l'affiche de deux ou trois théâtres de Paris à la
fois. L'Académie française la élu le 12 février 1914.
(V. p. 219.) Après la mort de Gaston Calmelte, il
est devenu rédacteur en chef du « Figaro », avec
Robert de Fiers. Le premier « éditorial » signé de
ses initiales a paru le 2 mai 1914.
Les premiers romans d'Alfred Capus donnent une
forte impression de vérité. Les héros sont le plus
souvent des déclassés, des jeunes gens d'origine
bourgeoi.se qui ont mal profité de leurs études. Ils
ont fait un ■■ (aux départ » et sont obligés de vivre
des « années d'aventures ■). Leur moralité estminre.
Ils espèrent en la chance, ne croientguère qu'au dieu
Hasard et jouent souvent à <i qui perd gagne ». La
romposition de ces œuvres est assez lâche, comme
l'existence des personnages est incohérente. Le
style est nu : point d'attendrissement ni de décla-
mation. La réalité n'en ressort que mieux. Jules
Lemaitre a dit de Qui perd gagne que c'était
« presque un chef-d'œuvre ». Farjolle, héros de ce
roman, est devenu le Brignol de la pièce. Aucun de
ces livres n'a eu beaucoup de lecteurs jusqu'au jour
oii Capus a été applaudi au théAtre. Ils ont été réim-
primés depuis. Le dernier roman de Capus est Ka-
binson (1910). 11 a publié deux séries d'études sur la
société contemporaine, intitulées les Mœurs du
temps (2 vol., 1912-1913).
Voici la liste complète des œuvres représentées
d'.Mfred Capus : le Mari malgré lui (comédie en un
acte, Cluny, 20 avr. 1879), en collaboration avec
L. 'Vonoven: Brignol et sa fille (3 actes, 'Vaude-
ville, 23 nov. 1894); Innocent! (3 actes, Nou-
veautés, 7 févr.1896), en collaboration avec Alphonse
Allais [cette pièce n'a pas été imprimée]; ï"om(lacle.
Nouveautés, 16 févr. 1897), petite comédie tirée
d'une nouvelle; Rosine (4 actes. Gymnase, 2 juin
1897), pièce qui eut jieu de succès, intéressante ce-
pendant [c'est l'histoire d'une jeune fille â qui une
première faute a rendu la vie difficile; il y a beau-
coup de réalité douloureuse, pas assez de relief]:
Petites folles (3 actes. Nouveautés, 13 oct. 1897;,
sorte de vaudeville agréable, qui fut bien accueilli
du public; Mariage bourgeois (4 actes, Gymnase,
5 mars 1898): Mon tailleur {i acte, joué au «Figaro»
le 15 mai 1898, repris à l'Odéon le 27 mai 1898);
les Maris de Leontine (3 actes. Nouveautés, 14 févr.
1900), vaudeville dans le genre de Georges Feydeau,
gros succès; ta Bourse ou la vie (4 actes et 5 ta-
bleaux. Gymnase, 4 déc. 1900); la Veine (4 actes.
Variétés, 2 avr. 1901), jouée 161 foisde suite à Paris;
la Petite Fonctionnaire (Z actes. Nouveautés, 21 avr.
1901) [le sujet est analogue à celui de Rosine, mais
la note est gaie au lieu d'être mélancolique]: les
Deux Ecoles (4 actes, Variétés, 28 févr. 1902), l'une
des pièces de Capus les plus unanimement appré-
ciées; la Châtelaine (4 actes. Renaissance, 25 oct.
1902), grand succès [mais les uns ont félicité l'au-
teur de son optimisme « h base de volonté », les au-
tres lui ont reproché d'avoir écrit un banal conte
bleu]; le Beau Jeune Homme (5 actes, Variétés,
27 févr. 1903); l'Adversaire (4 actes, Renaissance,
23 oct. 1903*, en collaboration avec Emmanuel
Arène [peinture vivante du monde des journalistes,
des clubmen et des députés et drame conjugal dont
le dénouement ne manque pas d'originalité]; Notre
iei/nesse (4 actes, Comédie-Française, 16 nov. 1904)
[sujet grave, déjà Irai lé par l'auteur dans une nou-
velle intitulée DciLT frères]; Monsieur Piégois (3 ac-
tes. Renaissance, 5 avr. 1905) [les portraitsde joueurs,
de demi-mondaines ot d'aigrefins y sont remarqua-
bles]; l'Attentat {5 actes, Gaîté, 9 mars 1906), en col-
laboration avec Lucien Descaves [caricature du
monde politique]; les Passagères (4 actes. Renais-
sance, 9 oct. 1906) [les « passagères » sont les fem-
mes qui accaparent tour à tour le cœur du person-
nage principal, don Juan malgré lui]; les Deux
Hommes (4 actes, Comédie-Française, 20janv. 1908)
[l'auteur y procède par antithèse et oppose l'homme
d honneur à l'homme d'argent; l'impression géné-
rale est assez triste]; l'Oiseau blessé (4 actes. Re-
naissance, 7 déc. 1908) [pièce de forme alerte et
gaie, morose quant au fond]; un Ange (3 actes,
Variétés, 14 déc. 1909) [cet<i ange » est une joueuse];
l Aventurier (4 actes, Porte-Saint-Martin, 4 nov.
1910) (le héros est un converti, qui rappelle le prin-
LAnoUSSB MENSUEL. — IV,
Alfred Capus.
LAROUSSE MENSUEL
cipal caractère d'homme de la Châtelaine]; les
Favorites (4 actes. Variétés, 1" déc. 1911) [série de
jolis tableaux parisiens, faiblement reliés] ; En garde!
(3 actes. Renaissance, 19 mars 1912), en coilabo-
raiion avec Pierre Veber; Hélène Ardouin (5 actes.
Vaudeville, 14 mars 1913) [histoire vraie et doulou-
reuse, qui finit par la mort de l'héroïne]. .-Mfred Capus
a réuni ses œuvres dramatiques dans un Théâtre
complet, qui comprend huit volumes (1910-1913).
Le dialogue de Capus est l'un des plus parfaits
que l'on ait jamais entendus au théâtre. Il est natu-
rel sans vulga-
rité, élégant sans
recherche, spiri-
tuel sans mots à
effets. Sa techni-
que dramatique
est plus contes-
tée. Souvent les
scènes se suivent,
sans s'appeler. Il
arrive aussi que
les dénouements
n obéissent ni à
la logique des
situations, ni à
celle des carac-
tères. Ce manque
de cohérence ri-
goureuse est sen-
sible dans ses
romans; il est
plus grave au
théâtre, qui a besoin de concentration. Cette dis-
persion est peut-être consciente et voulue ou, du
moins, elle peut s'expliquer par la nature du but
que vise l'auteur et par la psychologie des types hu-
mains qu'il nous montre. Dans une conférence ayant
pour titre Notre époque et le Tliédire (16 mars 1906),
il nous renseigne sur l'objet de la littérature dra-
matique contemporaine et, sans doute aussi, sur
le dessein de son propre théâtre. Il s'agit de rendre
a les nuances nouvelles d'humanité » que le change-
ment— ou le bouleversement — des conditions so-
ciales a fait apparaître de nos jours. Jadis, les caté-
gories sociales étaient tranchées, et les caractères
humains, les professions humaines nettement définis-
sables. Aujourd'hui, tout se pénètre et s'embrouille.
D'où les déclassés et les situations irrégulières. Ttls
sont les hommes et les choses qui offrent une matière
nouvelle aux écrivains dramatiques. Or, pourrait dire
Capus, la vie de ces hommes est livrée au hasard;
leurs caractères sont ondoyants. Les pièces où ils
figurent pourront donc présenter quelque décousu,
qui exprimera fort bien l'inconsistance de la réalité.
La philosophie de Capus a parfois été définie un
'< optimisme souriant ». « Tout s'arrange », dit Bri-
gnol au moment où le rideau va baisser. On a voulu
faire de ce mot la formule morale du théâtre de
Capus, en y joignant une autre boutade sur l'heure
de veine accordée à chacun au moins une fois en
sa vie {la Veine). Ce serait la philosophie du hasard
providentiel. Mais elle ne s'applique pas, il s'en
faut, à toutes les pièces de Capus. Dans Hélène
Ardouin, c'est la mort d'Hélène qui « arrange «les
choses. Le dénouement des i)eu.r hommes esl amer.
Les personnages les plus nombreux et les plus ori-
ginaux de l'œuvre de Capusont, malgré leurs gestes
drôles de fantoches, quelque chose d'assez vil et de
désobligeant. 11 serait étrange que l'observateur pé-
nétrant de gens si peu recommandables eut une
conception optimiste de la vie. Mais il ne faudrait
pas non plus lui attribuer la philosophie opposée, en
donnant une importance excessive à certains pas-
sages de ses pièces. C'est Jules Lemaitre qui semble
avoir porté le jugement le plus exact, au début de
la carrière de Capus. D'après lui, l'auteur de Bri-
gnol est un « réaliste à la manière classique, ni
russe, ni évangélique, ni amer, ni moral, ni même
immoral». Il rappelle Alain Lesage « par «a tran-
quillité et sa lucidité ». Ajoutons qu'il le rappelle
aussi par sa composition un peu flottante.
Depuis le mois de mai 1914, Alfred Capus est
devenu le directeur de conscience politique d'une
fraction notable de la bourgeoisie française. La
guerre a encore grandi l'influence morale de ses
•I éditoriaux ». Il a repris le ton sévère qu'il avait eu
quelquefois dans « le Clairon » ou dans « les Gri-
maces », et a renoncé à une ironie •• nlagueuse »
qui n'est plus de saison. Mais le journaliste ayant
charge d'âme ne saurait avoir tué en lui, il "faut
l'espérer, le spirituel auteur dramatique, fort goûté
du public. — Maurice Enocb.
Devoir de l'Amérique en face de
la OTierre (le), par Théodore Hoosevelt (Paris,
1917T. — L'opinion américaine, entre 1914 et 1917,
a subi une évolution très marquée. Il n'est point
douteux qu'au début de la guerre les sympathies
d'outre-mer allaient en grande majorité à r.\lle-
magne. On en sait les raisons; la France était mal
connue à l'étranger (les Français ne se connais-
saient-ils pas mal eux-mêmes '.' t et la puissance de
réalisation qu'avait montrée l'Allemagne depuis de
223
nombreuses années dans presque tous les orares de
l'action avait de quoi plaire à l'esprit pratique des
habitants de Chicago et de New-'iork. Assez rapi-
dement, cet état d'esprit se modifia en notre faveur,
et, certes, notre participation à l'Exposition de San-
Francisco, la dignité de notre attitude devant l'in-
di.scrétion de la propagande germanique y contri-
buèrent quelque peu; mais la tenue inattendue de la
France, l'union sacrée à l'intérieur et aux armées
l'héroïsme de nos troupes surent éveiller l'admira-
ration américaine et faire revenir sur un jugement
trop hâtivement prononcé ceux qui ne nous connais-
saient que par nos scandales politiques et par nos
scandales mondains. Sans doute, l'Allemagne possé-
dait encore aux Etats-Unis de puissants auxiliaires:
tous ces Germano-Américains, les gens à trait
d'union, comme on les appelle là-bas, qui restaient
dans leur nouvelle patrie les serviteurs fidèles de
l'empereur. Ils ne ménagèrent rien pour garder
toute influence entre l'.MIantique et le Pacifique;
et, pour atteindre leur but, ils usèrent de tous les
moyens : des campagnes de presse et des campagnes
électorales; ils allèrent jusqu'au crime en faisant
jeter des bombes dans les manufactures et dans les
usines. Pendant ce temps, le gouvernement alle-
mand, voyant les sympathies lui échapper, s'imagina
qu'il pourrait s'imposer par la crainte, là où il
n'avait pu s'imposer par l'amour, et la guerre sous-
marine dut intimider les Etats-Unis. On sait à quel
résultat aboutit l'Allemagne. Ce n'est pas le lieu de
rappeler ici les différents épisodes de la lutte di-
plomatique entre les deux pays et les nombreux
échanges de notes auxquels elle donna lieu. Aujour-
d'hui, après le message fameux lu au Congrès amé-
ricain par le président Wilson, on peut juger la
grande action du président et la ligne de conduite
qu'il a suivie depuis le début de la guerre ; mais, au
cours même de ces deux années, il s'est trouvé aux
Etats-Unis des hommes qui eussent préféré une ac-
tion plus vive et plus rapide de leur pays, une inter-
vention immédiate dans la guerre européenne et
qui menèrent une campagne assez forle contre ce
qu'ils appelaient les «lenteurs de la politique prési-
dentielle ». Au premier rang de ces hommes se trou-
vait Théodore Roosevelt, qui, par sa situation poli-
tique et par son caractère personnel, a toujours
exercé une influence assez considérable aux Etals-
Unis. Il ne nous appartient pas de nous mêler aux
polémiques qui ont pu, pendant un certain temps,
se poursuivre en Amérique. D'ailleurs, la décision
du président Wilson a mis aujourd'hui tout le monde
d'accord. Mais il est de grand intérêt de lire le re-
cueil où Théodore Roosevelt a réuni les différents
articles qu'il a publiés dans la presse américaine
pendant les deux premières années de la guerre.
Ecrits dans ce style vivant qui est bien de la ma-
nière de l'ancien président, ils ne nous touchent pas
seulement par les renseignements qu'ils nous don-
nent sur le sentiment national aux Etats-Unis, mais
surtout par leur caractère général, par les préceptes
de morale et de politique internationale que nous
y trouvons :
Qu'il y ait beaucoup on peu de gens dans le monde,
qu'ils soient gras ou maigres, qu'ils soient des intellec-
tuels ou non. cela ne constitue pas une ditTêrence vitale ;
ce qui est essentiel, c'est qu'il y ait des hommes prêts à
mourir pour un sentiment qui, à leur avis, fait toute la
différence entre une porcherie et un paradis. Les hommes
ne vivent pas que de pain.
Pareilles aux hommes sont les nations. Comme
les hommes, elles doivent avoir un idéal et s'appli-
quer toujours à faire leur devoir. C'est pourquoi il
y a tant d'immoralité dans une neulialité. On sait
que ce qu'il y a de plus détestable aux yeux de
l'Eglise, c'est la tiédeur, l'indifférence. Il est immo-
ral de rester indifférent entre le juste et l'injuste.
De même, il n'est pas tolérable que l'on demeure neu-
tre, quand il s'agit du bien et du mal. Une nation
n'est vraiment une nation que lorsqu'elle poursuit
obstinément l'idéal qu'elle a su se fixer, surtout
lorsque ce n'est pas commode de le poursuivre :
Une nation n'est tout à fait admirable que si elle con-
sent à lutter désespérément pour un grand idéal, sans le
moindre souci d'mtérét matériel.
Il s'agit, par suite, de rechercher tout d'abord de
quel côté se trouve le bon droit et, lorsqu'on l'a
clairement vu, de le soutenir conire le mal. Que
l'on ne s'imagine point, d'ailleurs, gapuerune vie tran-
3uilleen laissantpasser uniouruneiujustice, parin-
ifférence ou par lâcheté. On en soliflore bientôt soi-
même. Une injustice en entraine une autre. Dans la
guerre actuelle, il n'est pas douteux que l'Allemagne
« a péché contre la civilisation par sa conduite envers
la Belgique et par sa manière de faire la guerre »;
il était donc moral que, dès l'origine, les différentes
nations se prononçassent contre elle. Mais elles ont
accepté par leur silence la violation delà Belgique:
etc'estpour cela que, dans la suite, elles ont souffert
dans leurs biens et dans la vie de leurs conci-
toyens. Le développement de la guerre sous-marine
est la suite logique de l'attitude des neutres.
Mais il ne suffit point de vouloir faire son devoir,
il faut pouvoir l'accomplir. Lorsqu'on a un idéal
auquel on est si fortement attaché que l'on consent
224
k prendre les armes pour le défendre, il est néces-
saire d'avoir une puissance militaire. Les valeurs
sociales et moralos d'une nation ne peuvent être
maintenues que si elles sont appuyées par l'épée.
Comment, s'il en est autrement, une nation pourra-
t-elle résister à un voisin sans scrupules, guerrier
et militariste? De ce fait encore la guerre actuelle
fournit de vivants exemples. Si la Belgique avait eu
une armée pour défendre sa neutralité, elle n'aurait
sans doute pas été envahie et ravagée comme elle
l'a été, et peut-être, même, eût-elle été respectée en-
LAROUSSE MENSUEL
C'est selon ces principes que doit se conduire
tout peuple soucieux d'être véritablement un peuple.
Ce sont ces principes que Théodore lloosevelt
reproche aux Etats-Unis de n'avoir pas appliqués.
Il ne convient pas que nous prenions parti dans ces
polémiques passionnées; mais on peut rappeler
celle longue période pendant laquelle les Allemands
ont essayé, par tous les moyens, de faire pression
sur les Etats-Unis. L'espionnage se glissait partout.
Les attentats se inullipliaient dans les usines; le
nombre des victimes, hommes femmes, enlants en-
I. .jniiu^ii niiiiniyn
Le colonel Théodore Roosevelt prononçant un discours patriotique et belliqueux h Mineola (Long-Island).
tièrement. Et, si l'Angleterre avait eu une prépara-
tion militaire suffisante, la guerre ne se serait peut-
être pas produite; elle aurait duré, en tout cas,
moins longtemps.
Aucune nation ne peut garder en permanence des va-
leurs sociales dignes d'être gardées, si elle ne développe
Sas en soi une force militaire sutlisante pour sa propre
éfense.
On aurait tort, d'ailleurs, de réprouver indistincte-
ment toute guerre. La guerre n'est ni bonne ni mau-
vaise en elle-même. Elle n'est qu'un moyen pour une
fin. C'est cette fin qui lui donne sa valeur morale.
Les paroles que prononçait le président Monroe,
devant le Congrès, le 3 décembre 1822, gardent
leur actualité :
L'histoire des dernières guerres en Europe (disait-il)
démontre qu'aucun système de conduite, si correct soit-il
en principe, ne peut protéger les puissances neutres
contre les injustices des belligérants, que la vue d'une
nation sans défense et trop éprise de paix est une invita-
tion très instante à la guerre et qu'il n'y a aucun moyen
d'éviter cette guerre, si ce n'est d'être toujours prêt à
l'affronter. Mais, s'il est sur terre un peuple qui doive
être de tout temps spécialement préparé à défendre les
droits dont il jouit ce peuple est sans aucun doute celui
des Etats-Unis.
Mais cette préparation militaire ne doit pas être
seulement matérielle, elle doit être aussi morale.
Sans doute, il s'agit de construire des canons, de
faire des munitions, d'avoir des troupes nombreuses
et disciplinées; mais il faut aussi que l'âme des
citoyens soit prêle & endurer les souffrances de la
guerre. L'Amérique a une flotte importante, mais
celte flolte ne peut donner son plein effet que si
une armée puissante fait concorder ses efforts avec
les siens. Il ne faut pas faire les choses à demi; il
vaut mieux ne rien faire du tout. Aussi, en même
temps qu'un puissant matériel, il convient de pré-
parer un puissant personnel. On y parviendra -en
augmentant l'armée régulière, de façon que, le jour
venu, on puisse non seulement parer les coups,
mais encore prendre l'offensive. L offensive est né-
cessaire, même dans une guerre de défense.
On le sait, cela a été prouvé maintes fois, l'opi-
nion publique internationale, lorsqu'elle n'est pas
secondée par la force, n'a aucune influence sur la
conduite d'une puissante nation militaire. Un gou-
vernement prouve son idéal démocratique en pous-
sant à l'entraînement militaire universel et en décré-
tant au besoin le service militaire universel.
voyés au fond de la mer par les sous-marins gran-
dissait chaque jour. Les Germano-Américains te-
naient ouvertement des réunions :
Nous sommes tous ici (disaient-ils) des frères allemands,
quel que soit le pays où nous vivons.
Une action sommaire aurait mis fin à ces menées
et à ces campagnes. Il ne doit y avoir en Amérique
que des Américains. Les Germano-Américains
eux-mêmes doivent n'être qu'Américains. Certains
le sont, d'ailleurs. Un assez grand nombre d'Amé-
ricains venus d'Allemagne ont prouvé, à maintes
reprises, leurs sentiments de loyalisme. Mais, trop
souvent, ils ont voulu être à la fois Germains et
Américains, et cela même est inadmissible. Que
l'on ne s'imagine point, d'ailleurs, que l'on s'adresse
spécialement aux habitants des Etats-Unis, origi-
naires des puissances centrales. On a demandé une
alliance entre les Etats-Unis et l'Angleterre, pour la
simple raison que beaucoup d'Américains ont une
origine britannique. Cette raison ne peut suffire. Si,
dans la guerre actuelle, les Etals-Unis doivent se
ranger aux côtés de la (jrande-Brelagne, c'est uni-
quement parce que la Grande-Bretagne défend la
justice et le bon droit.
Tous les Américains sont originaires de pays dif-
férents. Si chacun demeurait fidèle à sa nation
d'origine, il n'y aurait plus de nation américaine.
Or, la nation américaine existe, et elle doit traiter
les peuples étrangers selon leur conduite, restant
fidèle à son propre idéal.
Si les Etats-Unis ont paru parfois l'oublier dans
la guerre actuelle, leur oubli est dû à l'absence de
leur préparation militaire.
Si celui qui a entendu le son de la trompelte ne se
garde pas, dit le prophète Ezéchiel, et que l'épée vienne,
l'emporte et le tue. quel que soit cet homme, son sang
retombera sur sa tôte.
Les Etats-Unis sont responsables de leur fai-
blesse. La propagande pour la paix a pris depuis
quelques années une extension effrayante et a abouti
à la négociation et à la ratification de plusieurs
traités d'arbitrage. Cette propagande a exercé une
influence certaine sur la politique gouvernementale
nationale, et nombreux sont les gens qui ont placé
la paix au-dessus de tout, même au-dessus de la
justice; comme si l'on avait pu faire respecter les
traités qui avaient été solennellement signés, on a
parlé d'une ligue mondiale pour la paix. Ce ne pou-
N> 127. SapttmbK 1917.
valent être que des mots, alors qu'il fallait des actes.
Pendant la guerre actuelle, des projets de paix mon-
diale, même basés sur le bon droit, ne peuvent être
qu'inopportuns, du moment qu'on n'a pas dans les
mains une force militaire qui les maintienne vali-
des. Vouloir faire la paix sans se préparer à l'aclion,
c'est vouloir assurer le triomphe de l'injustice; c'est
criminel, c'est absurde.
D'ailleurs, la propagande pour la paix n'a pas seu-
lement influé sur la politique du pays, elle a agi sur-
tout sur le senlimentdu peuple; soit que l'on prêche
la lâchelé, soit qu'on encourage une mollesse morale
et physique qui engendre inévitablement la lâchelé,
on produit une dégénérescence marquée, dont les
effets regrettables se marquent dans tous les ordres
d'action.
Et alors, on en revient toujours au même point :
il faut se préparer à la guerre, il faut éviter la politi-
que de neutralité. La politique de neutralité assure
qu'en cas d'attaque, personne ne viendra à votre
secours, parce qu'en d autres temps vous aurez mieux
aimé votre tranquillité que la justice, et la prépara-
lion à la guerre détourne de vous les attaques. C'est
aux guerres victorieuses, faites en vue de sauvegar-
der le bon droit, que l'on doit la plupart des progrès
de l'humanité. La formation dune armée, par l'éta-
blissement même, s'il est nécessaire, du service
universel, non seulement permet à une nation d'agir
chaque fois que son idéal le lui commande, mais en-
core donne à la jeunesse une noblesse de caractère,
une habitude de la discipline, une confiance et une
fiossibilité de travailler en commun, qui sont bien
es caractères essentiels nécessaires à une démocra-
tie moderne. On aurait tort de vouloir mettre en
contradiction la démocratie et la force mililaire.
Une démocratie doit être pour sa défense aussi forte
qu'une autocralie dans son despotisme. Elle ne pour-
rait plus vivre le jour où il serait prouvé qu'elle est
incompatible avec la sécurilé nationale.
Double donc est le devoir des Etats-Unis :
Premièrement, nous devons prévenir un désastre en
comprenant enfin que notre puissance militaire est à peu
près nulle et en nous préparant. Deuxièmement, nous devons
sérieusement, loyalement et une fois pour toutes, aban-
donner une habitude, à la fois nuisible et stupide : l'ha-
bitude de croire que les mots suffisent par eux-mêmes et
n'ont aucun rapport avec les actes ;par suite, nous devons,
dès maintenant, refuser de signer des traités qui ne peu-
vent être, et ne seront pas, mis eu pratique au moment voulu.
Leurdevoir, les Etals-Unis l'ont compris. La rup-
tureavec les puissances centrales, leur participation
financit're etmatérielle àlaguerremondialeen faveur
des Alliés, leur entrée en sct'iie dans la grande mêlée,
sontdes actes, etceux-là mêmes que demandailThéo-
dore Roosevelt. Moins que personne, nous ne devons
oublier aujourd'hui les courageuses campagnes qu'il
a menées pour notre cause. — Jacques bompasd.
* dicliorisandre n. f. ou dichorlsandra
n. m. Genre de plantes de la famille des comméli-
nées, origi-
naires du
Brésil.
— Encycl.
Les dicho-
risandres,
donton con-
naît une
trentaine
d'espèces ,
sont des
plantes her-
baiées viva-
ces, à feuil-
les entières,
engainantes,
à fleurs en
grappes ter-
minales; le
fruit est une
capsule à
trois valves.
On les cul-
tive, en Eu-
rope, dans les serres chaudes; elles prospèrent en
compost de terreau de feuilles additionné de terre
franche et nécessitent des arrosages copieux. Une
des plus jolies espèces est la dicliorisandre ondée
à feuillage panaché, très cultivée comme plante
ornementale. — J. de Cuaoh.
Fruits (Séchage et conserve des). Quand
la récolle des fruits est abondante, il est bon d'en
mettre une certaine quantité en conserves, ce qui,
pendant l'hiver, permettra de varier le régime ali-
mentaire. Le meilleur moyen pour y parvenir est
de dessécher les fruits, comme on le fait sur une
grande échelle en Amérique, d'où nous viennent à
foison des abricots et des pèches, si appréciés, sur-
tout depuis le commencement de la guerre.
Les fruits secs ne doivent pas être considérés
comme une simple friandise tout au plus bonne pour
faire des desserts à l'usage des gourmands. Ce sont
de véritables alimenls, qui nourrissent par le sucre
qu'ils contiennent en abondance et auquel s'ajoute,
Dichorisandre ODdée; (a) Qeur.
N' 127- Saptembn 1917.
parfois, un peu de maliéres grasses. De plus, ils
sont riches en cellulose, substance qui a la propriété
d'exciler la contraclilité des fibres musculaires de
l'intestin, de faire ainsi progresser les résidus du
bol alimenlaire et d'éviter, par suite, les malaises
de la constipation prolongée, les douleurs, les phé-
nomènes d'intoxication. A ce dernier point de vue,
les fruits secs sont supérieurs aux fruits verts,
comme le montre le tableau ci-dessous, dressé
par Alquier et commenté, récemment, par Gley,
dans une conférence laite à la Société scientifique
d'hygiène alimenlaire.
Comme le remarque Gley, cinq figues sèches
contiennent plus de cellulose qu'une portion de
200 grammes de choux de Bruxelles ou de carottes;
huit abricots séchés ne le cèdent pas à cet égard k
cette même ration de carottes, et dix pruneaux.
ALIMENTS
s fignes sèches. . .
Choux de Bruxelles
8 abricots séchés,
S carottes
Epinards
10 pruneaux
Scarole
Mâche
1 pomme
Pain
1 orange
fr.
0,10
0,24
0,16
0,10
0,80
0.11
0,20
0,20
0,12
0,09
0,10
65
200
50
200
250
50
210
125
100
200
109
APPORT DE
4,1
3,0
2,9
2,5
1,9
1,6
1,6
1,4
1.1
0,9
0,8
179
109
131
79
60
121
42
29
55
506
39
0,055
0,220
0,122
0,126
0,333
0,090
0,476
0,690
0,218
0,018
0,256
quantité tout à fait suffisante pour que la muscula-
ture intestinale soit mise en action, l'emportent sur
une bonne salade.
Les fruitsqui se prêtentparticulièremen tau séchage
sont : les abricots, les pêclies, les pommes, les poires,
les figues, les raisins, les prunes. Secs, ils se con-
servent pendant une ou plusieurs années, puis, mis
dans l'eau, ils se gonflent et, cuils, retrouvent, à
peu près, le bon goiit des fruits frais, surtout quand
on y ajoute un peu de sucre. Ils peuvent aussi se
déguster tels quels, ainsi que cela se pratique pour
les raisins et pour les figues. Notons, à propos de
ces dernières, qu'elles peuvent pallier à la pénurie
du sucre; en les faisant cuire avec du riz, on obtient
un excellent dessert, très nourrissant et à saveur
presque aussi sucrée que si l'on y avait ajouté de la
saccharose granulée ou coupée à la mécanique, sur-
tout lorsqu'on prend soin de mâcher en même temps
riz et figues. Les fruits à sécher seront choisis parmi
les plus mûrs, — les « blets » eux-mêmes convien-
nent très bien, — mais il faut rejeter ceux qui sont
pourris ou commencent à moisir.
Pour chasser l'eau des fruits et assurer ainsi
leur conservation, il faut, naturellement, avoir re-
cours à la chaleur, ce qui peut s'obtenir avec le
soleil, avec des appareils spéciaux appelés évapora-
teurs, ou avec le four de boulanger.
a) Le soleil ne peut être utilisé que dans les ré-
gions où il est très vif et, en France, à part quelques
conlrées du Midi, le fait est assez rare. Il ne peut
guère aussi être utilisé que pour certains fruits, les
figues et les raisins notamment, et aussi quelques
fruits à noyaux. On expose les fruits sur des claies,
en une seule couche, que l'on retourne tous les
jours pour que tous les points soient atteints par la
dessiccation. Ce séchage peut se faire à lair libre,
mais il est généralement accéléré sous des châs-
sis dont on soulève un peu la vitre d'un côté pour
Permettre à l'air de s'y renouveler et, par suite, à
humidité de s'en aller. Les fruits que l'on met ainsi
h sécher peuvent être entiers ou coupés en deux;
pour ceux qui conlieinent des noyaux ou des pépins,
on conseille de les ébouillanter au préalable pour en
tueries cellules, ce à quoi on arrive en les plongeant
(dans un panier), pendant cinq minutes, dans de
l'eau bouillante contenant! p. 100 de carbonate de
souJe. Mais cette opération n'est pas indispensable.
b) Les évaporateuri sont d'un emploi très commode.
Il en existe plusieurs marques. Nous n'en décrirons
qu'une, qui s'appelle te Franfai*. Cetévaporateurse
compose d'un foyer et d'une chambre de combustion
en fonte. Afin d'augmenter la surface rayonnante de
la chambre de combustion, ses parois ont été for-
mées d'une série d'ondulations du métal. Ce déve-
loppement à la surface de chauffe a été encore com-
plété par l'adjonction d'une tôle ondulée, qui absorbe
d'abord une partie de la chaleur des parois, pour la
restituer bientôt à l'air qui s'échauffe à son contact.
Les gaz de la combustion s'échappent dans la che-
minée «près avoir parcouru un double circuit de
LAROUSSE MENSUEL
tuyaux, placés dans une chambre située directement
au-dessous de la chambre de séchage et régnant
sous toute la longueur de celle-ci. Le foyer et la
chambre de combustion sont enfermés dans une
double enveloppe de tôle. L'air froid pénètre dans
le calorifère par des orifices ménagés à la partie
supérieure de l'enveloppe extérieure, circule entre
lesdeux en veloppes, absorban t ainsi la chaleur rayon-
née par l'enveloppe intérieure, et accède dans la
Châssis pour le séchage des fruits ; 1. Dessous du chAssis Tide';
2 Claie sur laquelle on met les fruits à sécher; 3. Vitrage mo-
bile ; 4. Crémaillère pour soulever le vitrage.
chambre du calorifère par des orifices percés tout
au ba3 de celle-ci. Il traverse la chambre de chauffe
en longeant les parois de la chambre de combustion.
De là, pénétrant dans le réduit ménagé au-dessous
de la chambre de séchage, il continue à s'échauffer
au contact des tuyaux de fumée, puis pénètre enfin
dans celte chambre. Le compartiment supérieur de
celle-ci constitue la chambre de séchage proprement
dite. C'est là qu'on introduit les fruits à dessécher.
Ce compartiment est muni de portes à ses deux
extrémités. Elles servent à introduire les fruits frais
et à les extraire après dessiccation. Les fruits sont
placés sur des claies (cadres en bois léger sur les-
quels on a cloué un fond de fil de fer galvanisé) ou-
vertes à leurs extrémités. Elles s'introduisent dans la
chambre de séchage par série de trois et traversent
la chambre dans toute sa longueur. On chaufi'e avec
du bois ou de la houille. Pour qu'on puisse avoir la
température voulue, il y a un régulateur permettant
à tout instant d'augmenter ou de diminuer la vitesse
du courant d'air. Afin de suivre d'une manière per-
manente la marche de l'opération, deux thermo-
mèlres sont disposés, l'un à l'entrée du courant d'air
Evaporateur te Français (système Tritsehler).
chaud dans le chambre de séchage, l'autre à sa sor-
tie. Des glaces ménagées dans les portes permettent
de consulter les thermomètres sans rien ouvrir.
c) A défaut d'évaporaleurs, on peut avoir recours
aux simples fours de boulanger, en utilisant la cha-
leur emmagasinée dans la maçonnerie; mais la
conduite de la dessiccation est assez difficile, une
chaleur trop faible ne produisant aucun effet et une
chaleur trop forte détériorant les fruits. Il faut pro-
céder à plusieurs reprises, faisant alterner le sé-
chage au four et l'exposition i l'air, d'où un travail
assez pénible et qui, semble-t-il, pourrait être en
partie évité si l'on pouvait établir dans le four un
courant d'air qui ne le refroidisse pas trop, ce qui,
à vrai dire, n'est pas très facile.
Les abricots et les pêches donnent d'excellents
résultats à la dessiccation, comme on peut le voir
dans ceux que la Californie nous envoie en abon-
dance. Il faut, au préalable, les couper en deux et
enlever le noyau. Tantôt on lais.se la peau, tantôt
on l'enlève avant l'introduction dans l'évaporateur.
En ce qui concerne les pêches, on y arrive très vite
de la façon sui V ante : on prépare une lessive alcaline
en faisant dissoudre de 500 à 1.000 grammes de car-
bonate de soude dans 10 litres d'eau et en faisant
bouillir. On place les pèches dans une sorte de panier
à salade ou dans un seau percé de nombreux trous, et
on lesplonge dans la lessive chaude pendant quelques
secondes. On retire le panier, et on le plonge tout de
suite dans de l'eau froide et plusieurs fois renou-
225
velée. Dès lors, la peau n'est plus adhérente à la
pulpe et s'enlève au moindre attouchement. On
chauffe a environ 95°; mais, à la fin, il ne faut pas
dépasser 90°, afin de ne pas caraméliser leur surface.
Pour les pommes et les poires, on procède à peu
firès de même, mais il est nécessaire d'enlever
a peau et le cœur, puis de les découper en rondelles.
On les place à la main sur des claies en une seule
couche et sans qu'ellesse touchent. Les rondelles sont
misesàplatà raison de 3kil.400par mètre carré ou,
en piles couchées, à raison de 10 kilogrammes par
mètre carré. On allume le foyer de l'év-iporateur,
dont la température s'élève. Quand celle-ci a atteint
70°, on peut placer les claies avec leurs fruits, et on
laisse monter la température jusqu'à 90° ou 95oau
plus. La dessiccation complète exige environ cinq
heures. Lorsqu'on veut avoir de beaux produits, il
faut, dès qu'on a coupé les rondelles, les mettre
dans une boite spéciale où l'on fai t brûler du soufre,
ce qui a pour effet de les « blanchir », c'est-à-dire
d'empêcher leur noircissement à l'air. On arrête
l'opération dès que la teinte brune a disparu; sinon,
l'acide sulfureux, au contact de l'humidité des pom-
mes, donne de l'acide sulfurique qui les fait verdir.
Pour les prunes, on peut se contenter du four du
boulanger et se servir, autant que possible, des
prunes d'Agen — dites prunes d'enle — ou des
prunes de Sainl-Anloine ; mais beaucoup d'autres
variétés peuvent aussi convenir à l'obtention des
firuneaux. On les laisse d'abord en plein air, au so-
eil, pendant un ou deux jours, puis on les soumet
à trois cuissons successives, séparées par des expo-
sitions à l'air : la première, à 45° ou 50°; la seconde,
à 60° ou 70°, au maximum; la troisième, à 89° ou 90°
et, quelquefois même, 100°. Voici, d'après Louis
Bruguière, quelle est la marche journalière des opé-
rations pendant le cours d'une campagne. Vers six
à sept heures du soir, immédiatement après la sor-
tie de la dernière fournée du jour, on remplace
celle-ci, sans augmenter la chaleur, par la prune
verte ou simplement flétrie au soleil. La chaleur
douce conservée dans le four est, en effet, très favo-
rable à enlever, pendant la nuit, l'excès d'humidité
du fruit et à donner à sa peau la consistance Voulue.
Le lendemain malin, vers six à sept heures, on
retire celle fournée, et on la remplace par des prunes
plus avancées, après avoir élevé, bien entendu, la
température au degré voulu pour la catégorie de
fruits à mettre au four. A midi ou une heure de la
même journée, on procède d'une façon identique
avec une autre fournée de prunes ayant acquis nn
certain degré de cuisson et préparée dans ce but.
Enfin, le soir, à six ou sept heures, on garnit le four,
comme la veille, de prunes vertes ou flétries au soleil.
Celles-ci viennent-elles à faire défaut, on tient prête
une fournée plus avancée, puis on chauffe au degré
convenable cette autre catégorie de prunes, qui doit
rester dans le four jusqu'au lendemain malin. Quant
àladernière chauffe, c'esl-à-dire àla dernière action
du feu, elle se prolonge pendant un temps plus ou
moins long, dépendant de l'état du fruit et que l'ha-
bitude apprend bientôt à déterminer. —Henri codpiw.
Un lance-bombe dans les tranchées.
O-uerre en 191-4-191'7 (la). [Suite.] —
Le trente-sixième mois de la guerre, sans apporter
aucun changement appréciable dans la situation des
fiarlies en présence ni aucune indication ferme dans
e sens d'une conclusion rapide et acceptable de la
guerre, a montré de plus en plus, par la variété et
la complexité des événements dont il a été rempli,
l'universalité du conflit qui bouleverse le monde.
Qu'on envisage les faits au point de vue américain,
226
ou du point de vue allemand, ou du point de vue russe
ou du point de vue grec, ou du point de vue de l'En-
tente franco-italo-anglaise, on constate que tous les
intérêts à la fois, politiques, économiques, ethni-
ques, sont posés en même temps; le règlement de
questions si diverses apparaît si ardu qu'on sent
du même coup la difficulté presque mextricable de
la solution et la né-
cessité d'en trouver
une qui soit définitive.
Toute l'imperfection
des formules d'avant-
guerre éclate aux yeux
et, cependant, on ne
voit pas clairement
que les formules nou-
velles renlerment en
elles-mêmes une puis-
sanceintrinsèqued'or-
ganisation et de paix.
On a, par exemple,
mis en avant et on
attache un prix parti-
culier à la question
des nationalités, aux
droits des petites na-
tions de disposer de
leur sort et de régler
leur gouvernement, et
personne ne conteste
le principe même. Or,
ce qui se passait en
Russie à la fin de
juillet, lémiettement
dont était menacée
une grande niilion,
formée et cohérente
depuis trois siècles,
mettait brusquement
en lumière le danger
de la formule et tai-
sait apparaitre tout à
coup la vision d'une
Europe morcelée à
l'infini et reculant jus-
qu'à la confusion du
moyen âge. D'autre part, les luttes parlementaires
allemandes et la conclusion du conflit, ou de l'appa-
rence du conflit, survenu entre le militarisme et
le parlementarisme, indiquaient clairement combien
le peuple allemand était encore éloigné des concep-
tions politiques de la plupart dps peuples de l'Eu-
rope et de l'Amérique; par contre, le spectacle de
ce qui se passait aux Etats
Unis nous montrait en
action, dans des circons-
tances tragiques qui n'en
troublaient pas le fonction-
nement, une forme de ré-
publique qui n'a de com-
mun avec la nôtre que le
nom. Ainsi s'affiriiiaienl la
diversité des conceptions,
le sens variable des mois
et des étiquettes, la diffé-
rence des tempéraments et
des aspirations. Il restait
évident que la justice et
le droit avaient été ou-
trageusement violés, que
l'humanité s'était replon-
gée dans la barbarie, qu'il
fallait à tout prix l'en sor-
tir et rendre de nouveim
l'almosphère respirable :i
tout le monde. On atten-
dait le souffle qui serait
capable de purifier l'air, le
geste éner;^i(|ue qui met-
trait chacun à sa place et
réglerait les rapports iii-
lernalionaux viciés. On
ne pouvait donc prévoir
au juste d'où il viendrait.
Peut-être devait-on vrai-
ment espérer qu'il était ré-
servé àrAméri(|ue.
Les événements militai
res de juillet avaient éli
très importants, bien qu'il
fût impossible, à la fin du
mois, d'en mesurer les
conséquences concrètes.
Ils s'étaient déroulés sur
le front franco-anglais et, contre toute attente, sur
le front ru.sse. — En France, pendant tout le
mois, les Allemands avaient mené de sérieuses
attaques, de la Meuse à la Somme, sur toute la
ligne que l'offensive d'avril, si critiquée et pour-
tant si utile, nous avait donnée. Au Chemin-des-
Dames, sur la Meuse, à la cote 304, au noid de
l'Aisne, à Craonne et à Hurtebise, au plateau de Ca-
lifornie et aux Caseiiiales, partout, nos troupes
avaient énergiqueinent résisté; les rares petits suc-
L.\ROUSSE MENSUEL
ces de nos ennemis avaient été éphémères et, en
tout lieu, les pertes qu'ils avaient subies avaient été
sanglantes. On avait eu l'impression que le kron-
prinz, oublieux de la leçon de Verdun, avait voulu
renouveler l'opération sur un autre terrain. Il
s'était heurté au même échec, et on s'expliquerait
mal qu'il s'y fût exposé si l'on ne savait aussi que
UaUc ! (Ai-UUeurs anglais sur le front de Belgique, allant prendre position sous le feu de rennami [ The Sphère.])
l'avance d'avril et les combats qui en avaient été le
complément nous avaient mis en possession de
points de haute importance, détenus par les Alle-
mands depuis longtemps, et dont la valeur straté-
gique était considérable Ces observatoires, repris
par nous, n'avaient pu nous être enlevés malgré la
prodigalité avec laquelle le commandement ennemi
«• 1S7. Septembre 1917.
du possible. Ce qui restait de ces attaques était une
héroïque défensive de nos troupes, avec des retours
d'offensive éclatants et fructueux. La ruée du kron
prinz, malgré les raisons que nous venons de noter,
demeurait un de ces événements militaires qui mon-
trent avec clarté l'insuffisance du jugement alle-
mand. Espérer réussir en juillet 1917 ce qui avait
échoué en février 191 6
montrait, chez nos ad-
versaires, une grave
ignorance de tout ce
que nous avons fait
dans l'intervalle et une
outrecuidance dange-
reuse pour eux. L'at-
taque sur Verdun au-
rait pu réussir. On est
fondé k dire aujour-
d'hui qu'elle aurait dû
réussir. L'arrêt brus-
que par nos troupes
de cette formidable
poussée et la résis-
tance qui l'a brisée
après plusieurs mois
de luttes gigantesques
resteront dans l'his-
toire militaire de l'hu-
manité un des faits de
guerre les plus inat-
tendus, explicables
seulement par des rai-
sons morales. Mais,
depuis février 1916,
notre armement a fait
des progrès incontes-
tables et si, h certains
moments, notre com-
mandement a renou-
velé certaines fautes
qui sont peut-être fa-
tales, il était facile de
deviner que nous ne
nous laisserions pas
plus entamer en 1917
n'en 19 16. Les mêmes
.i-s :u!imMirs britanniques sur le front ilca liamlii-s, tu juimi i.ii.
sacrifiait les vies humaines. Ce n'était, du reste,
(|u'une des raisons qui avaient poussé l'héritier im-
périal à des attaques inutiles et coîiteuses. Les
événements de la politique intérieuredel'.^llemagne
exigeaient des succès, et un habile trucage des
communiqués permettait de faire croire ii la popu-
lation qu'on remportait des avantages sérieux et
qu'on était, d'autre part, inébranlable sur le terrain
précédemment conquis. La crédulité du peuple ulle-
inand, en ces matières, semble atteindre Us limites
raisons morales subsistaient. Cette erreur psycho-
logique des Allemands, si fréquemment renouvelée
depuis le début de la guerre, pouvait, avec un autre
peuple que le peuple français, n'avoir pas les mêmes
inconvénients. Il est certain que notre tempérament
l'a mise en pleine valeur et qu'elle procure aux
Allemands des surprises dont ils ne se lassent pas.
Le résultat était, nous le
répétons, que notre dé-
fensive, qui n'était pas
imposée, mais voulue, de-
venait pour l'ennemi, par
l'usurequi en résultait, plus
fâcheuse presque qu'une
oH'ensive si nous nous y
étions décidés. La situa-
tion de notre front, fin
juillet, non seulement ne
présentait aucun point in ■
quiétant, mais elle deve-
nait plus forte par les
échecs successifs que nous
infligions à l'ennemi. Elle
avait, en outre, l'énorme
avantage de laisser à nos
alliés américains le temps
de s'armer, de s'organiser
et de venir prendre leur
place en face du front al-
lemand. Celle importante
opération avait commencé
en juillet, et ilneconvenail
pas d'y insister. Il suffisait
de savoir qu'elle se pour-
suivrait avec la décision,
l'ampleur et l'ordre que
l'esprit américain sait met-
Ire dans ses entreprises.
A côté de nous, depuis
le point où le front an-
1,'lais se soude au nôtre,
l'olTort allemand n'avait
pas été moindre que sur le
front purement français.
Là aussi, des luttes vio-
lentes avaient eu lieu, et Ie.ç
Allemands, — une dépêche
de Guillaume II à Hinden-
hurg le prouve assez, — se monliaient très inquiets
des projets anglais dont l'étendue leur échappait.
Quelques succès partiels, qu'ils avaient remportés,
avaient été sans lendemain. Dans les derniers jours
du mois, une lutte d'artillerie, dont la violence dé-
passait ce qu'on avait jusqu'alors vu et entendu,
s'étendait sur tout le front flamand, et les défenses
alleman<les étaient soumises à une destruction sys-
léiualique et irrésistible. Les Allemands, certes, ne
se faisaient pas faute de riposter énergiquemenl,
«• 127. Septembre 1917.
mais l'iinporlanrc cl la sùreli* de la pri^paration an-
glaise (ionnairnl à penser que la partie n'était tout
de même pas égale. L'effet de l'artillerie anglaise
sur des défenses fixes, soigneusement repérées, pi-
lonnées sans relâclie, devait l'orcémenl être plus
efficace et plus grave de conséquences multiples
que celui de l'artillerie allemande sur des buts
cliangeanls, multiples, incertains; il en pouvait ré-
sulter pour les Anglais une gène sérieuse, mais rien
de décisif qui les obligeât à renoncer et à reculer.
C'est, au contraire, à celte éventualité qu'étaient
acculés les Allemands. L'attaque d'infanterie qui
s'était déclenchée le 31 juillet sur tout le front, de
Nieuport à Ypres, et que dès l'abord on a appelée la
a bataille des Flandres », avait donné une avance im-
médiate, dont on ne pouvait évaluer la portée défini-
tive, mais dont les résultats étaient déjà remarquables.
Elle se produisit précisément au moment où s'im-
posait à eux absolument une offensive sur le front
russe. Personne, à la fin de juin, mômeparmi les mieux
renseignés, n'aurait pensé qu'un réveil de l'armée
russe lut alors possible, et c'est avec un étonnement
joveux qu'on reçut, dès le l«f juillet, l'annonce d'une
orfensive brusque et violente sur le front de Gali-
cie, dans la direction de Lemberg et de Wladimir-
Volinski. Sous l'énergique impulsion de Kerensky et
sous le commandement de Broussilof et de Korni-
lof, l'armée russe, ou plutôt les meilleurs éléments
de celte armée, menèrent pendant la première quin-
zaine de juillet une attaque très heureuse, qui sur-
prit complMemenl l'ennemi, permit une forte avance
sur un front de 20 kilomètres et procura plus de
30.000 prisonniers. Elle prouva, en outre, que l'on
pouvait encore, en dépit des apparences, attendre
de l'année russe un ellort énergique, et elle replaça
nos alliés au rang militaire d'où il faut reconnaître
qu'ils avaient depuis trois mois singulièrement
déchu. Les Austro-Allemands en éprouvèrent une
surprise eïlrème, et ils ne furent pas éloignés de
considérer l'attaque russe comme un guet-apens et
une trahison. Elle ne rentrait pas dans leur plan.
Pour eux, c'en était lini de l'armée russe et de la
Russie comme adversaire militaire. Il n'y avait
plus qu'à attendre les effets de la désorganisation
révolutionnaire savamment entre tenue par les agents
allemands, bien pourvus de moyens de séduction.
On se sentait libre de ce côté. On escomptait la
paix. Les événements de la première quinzaine de
juillet troublèrent cette quiétude, et il fallut aviser.
Des troupes allemandes, qui n'étaient plus des trou-
pes au repos, furent ramenées sur le front russe,
cependant que l'intrigue allemande encourageait la
révolution à Petrograd et l'indiscipline dans l'ar-
luée. Le gouvernement russe n'a pas caché que les
échecs qui. à partir du 20 juillet, ont obligé 1 armée
russe h évacuer Tarnopoî, occupé depuis 1914, et
LAROUSSE MENSUEL
dépassé le but. Il en était sorti une volonté plus
forte que jamais de sauver la Russie. 0"°' 1" '' *"
fût, de même qu'on avait accueilli avec joie le réveil
russe, de même ou suivait avec anxiété la marche
des Allemands vers l'Est. Les conséquences en pou-
vaient être immenses,
etl'éventualilé de l'oc-
cupation de la Bessa-
rabie et de la Huko-
vine, de l'ouverture
de la route d'Odessa,
par suite d'un ravi-
taillement possible de
l'Allemagne dans ces
riches provinces, n'é-
taient pas sans ouvrir
des perspectives in-
quiétantes.
Une espérance, ce-
pendant, naissait du
côté roumain. Nos al-
liés, fidèles à leur pa-
role et plus secoura-
bles aux Russes que
ceux-ci ne leur avaient
été, avaient victorieu-
sement attaqué, et ce
retour offensif, inat-
tendu aussi, était de
nature à créer à nos
ennemis des embar-
ras nullement négli-
geables sur la Putna
et sur le Sereth. —
Dans ces conditions,
ils n'avaient rien ten-
té, cela vasansdire, du
côté de Salonique, et
les Bulgares s'étaient
tenus parfaitement
tranquilles. Il deve-
nait même vraisem-
blable que les soucis
que nous aurions pu
avoir de ce côté
étaient, au moins pour
le moment, superfius.
Si l'on résume celte
situation militaire, on
constate que les Alle-
mands avaient été en-
traînés à entreprendre sur le front oriental une
opération de grande envergure sur laquelle ils ne
comptaient pas. Assurément, cette opération, si elle
était menée rapidement et si elle ne rencontrait
aucune résistance, pouvait être fructueuse, tant au
227
mandes depuis le début de !■ guerre, elle allait
moins vite et moins loin qu'il ne fallait pour un
succès complet, si, en même temps, la menace rou-
maine et la constante pression anglo-française agis-
saient simultanément, la nouvelle campagne orien-
^i-
k
A l':ui>. .l;,ii> 1.1 (Mur ,.nii.niipur tic lllil-tul dcs InvaUJtjs. le ^''-'^i^'^i'i^'^iJi^'il français va rcccvuii- le premier eouUugcul des
troupes amérieaines d'-barquees en France. C'est la rèle de rindépendance des Etats-Unis {Indei^endence Uay^ 4 jtilUot Ï917).
Rayninn'l Poinearê, président de la République {-\-u a : & sa droite. Antonin Dubost, président du- Sénat, le général Pcrshiniî,
la maréchal Juffre ; a sa gauche, Paul Deschanel, président de ta Chambre, Oi-aves Sharp, ambassadeur des Etats-Unis,
Paul Paintevé, ministre de la guerre, ramlral Lacaze, ministre de la marine.
Slanislau, et à laisser les Allemands franchir le Se-
reth, ont été dus au refus de marcher opposé par
certaines divisions, à la discussion des ordres des
chefs, à l'abandon de loute subordination. On ne pou-
vait prévoir, aux premiers jours d'août, jusqu'où
irait la déroute russe. Pourtant, nous dirons plus
loin que l'effet de l'intervention occulte des agents
allemands à Petrograd, qui faillit conduire aux pires
folies pacifistes la révolution russe, avait finalement
point de vue économique qu'au point de vue des
gages nouveaux qu'elle mettait entre les mains de
nos ennemis; elle pouvait aussi avoir sur le peuple
austro-allemand un effet moral fort opportun. Il fal-
lait, d'ailleurs, pour cela, que, sur le front occidental,
rien ne survînt qui fût de nature à compromettre ii
l'Ouest ce qu'on eût gagné à l'Est. Si, au contraire,
l'opération rencontrait quelque résistance, si, comme
il est arrivé à presque toutes les entreprises alle-
Arrivée à Paris du premier contingent des troupes américaines 13 juillet 19I7J.
[Un bataillon du 16* régiment dlnfanterie défile avec ses deux drapeaux.]
laie pouvait présenter les plus grands risques. Tout
dépendait, en somme, de la résistance russe. Il n'é-
tait pas indispensable qu'elle fût toujours victo-
rieuse; il suffisait qu'elle fût tenace. Elle dépendait
de trop d'éléments disparates pour qu'on put sage-
ment pronostiquer quoi que ce fût. Il était seulement
permis de penser que les Allemands, si grande que
fût encore leur force militaire, n'étaient pas en état
de supporter, sur tous les fronts, un effort d'inten-
sité égale; et celui qui commençait à peser sur eux
à l'Ouest, le 31 juillet, semblait être dune ampleur
sans précédent. — En ce qui nous concernait, nous
n'avions pas de raison de douter de notre succès
personnel, mais
nousne pouvions
répondre que de
ce qui dépendait
de nos propres
forces.etnousde-
vions envisager
la nécessité d'un
effort prolongé.
Nousnotonsici
que le Siam avait
déclaré la guerre
àrAUemagne.Ce
nouvel ennemi
ne menaçait di-
rectement, à la
vérité, aucune
partie de l'em-
piregermanique,
mais il augmen-
taitlenombredes
territoires dans
lesquels l'influence allemande se trouvait annulée
pour le temps de la guerre. Or, nous savons que tout
ce qui atteint l'Allemagne dans ses projets orientaux
est d'une grande importance pour l'avenir. L'Allema-
gne a engagé la guerre cour la possession économique
de l'Orient. Tout ce qui comprometson plan est pour
elle une véritable défaite. A ce titre, le geste du Siam
est loin d'être une quantité négligeable ; et, si on l'a-
joute à tous ceux qui l'ont précédé, on s'aperçoit que la
situation économique de I Allemagne se présente sous
un jour peu favorable. Saurons-nous en tirer parti?
C'est aussi le lieu d'indiquer sommairement une
tentative, évidemment d'inspiration allemande, pour
faire sortir la Chine de la grande coalition contre
l'impérialisme prussien. La tentative éphémère du
général Tchang-Tsoun pour restaurer la dynastie
mandchoue et remettre sur le trône le petit empe-
reur Hsuan Tong avait pour but certain de brouiller
Mahai, roi da SUm, b< cd IMl.
228
les cartes en Chine et d'y rendre quelque autorité
aux Allemands. La rapidité avec laquelle ce mouve-
ment fut réprimé par le général Touan Tchi Jiu en
a montré le peu de solidité L'épisode n'en était
pas moins instructif et symptomatique de l'inces-
sante activité de nos ennemis, même là où on les
peut croire le plus diminués.
Les événements qui ont marqué la vie intérieure
des Etats belligérants n'ont pas été d'un moindre in-
térêt que les événements militaires. Ici encore, l'at-
tention a été retenue avant tout par la Russie, qui,
pour la seconde fois
depuis le début de la
Révolution , a traversé
une crise qui pouvait
être mortelle. Des
troubles très graves,
organisés par lesmaxi-
malisles, c'est-à-dire
par le parti de l'anar-
chie et de la paix
immédiate, avaient
éclaté au début de la
seconde quinzaine de
juillet Ils coïncidaient
avec une crise minis-
térielle causée par la
démission des minis-
tres modérés Chinga-
ref et Manioulof, qui,
après la retraite de
Milioukof , étaient res-
tés les collaborateurs
du prince Lvol'. Ils
coïncidaient égale-
ment avec l'avance
victorieuse de Brous-
silof, et ils étaient, par
suite, si favorables à
la cause allemande
qu'il était naturel d'y
chercher la main et
l'argent de l'Alle-
magne. Quelle fut
l'étendue exacte de
ces désordres, nous
l'ignorons, lis furent
vraisemblabi emen t
très graves, et ils mi-
rent en péril la vie
même de la Russie.
C'était, d'ailleurs, le
moment où l'Ukraine
organisait son autono-
mie, où la Finlande
décidait de se séparer
de la Russie. Il ne se-
rait pas juste, semble-
l-il, d'assimiler com-
plètement ces deux
mouvements. L'auto-
nomie de l'Ukraine
apparaît, quelque péril qu'elle représente, comme
moins dangcreuseque celle de la Finlande. 11 y a cer-
tainement dans la conceplion ukranienne quelque
chose de factice et d'exagéré. S'il y a 23 millions
d'Ukraniens, il n'y en a pas 38 millions, comme ten-
draient à l'affirmer les revendications territoriales
du parti ukranien. Si les Ukraniens peuvent se ratta-
cheràuneorigine qui n'estpasmoscovite, s'ils ontune
lansTufi et une littérature propres, il y a, du moins, une
union ancienne
enlrel'Ukraineet
la Russie propre-
mentdite.etiln'y
a pas eu oppres-
sion delapremiè-
re parla seconde.
Cependant, la sé-
paration de l'U-
kraine priverait
1 a Russie de
850.000 kilomè-
tres carrés de
terres extrême-
ment riches. Elle
ouvrirait la fron-
tière du côté de
la Galicie ; elle
feraitnaitred'iné-
vitables conflits
entre le nouvel
Etat et la Polo-
gne. — Les rai-
sons de la Finlande de se séparer de la Uussie sont plus
profondes. Elle sont fondées sur une antipathie qui
confine à la haine, et ces sentiments ont leur source
dans une tyrannie qui ne fut pas contestable. Mais l'au-
tonomie de la Finlande menace directement la Russie
au nord et réveille le vieil antagonisme entre la Suède
et l'empire moscovite. Aussi bien, l'attitude du gou-
vernement provisoire n'a-t-elle pas été identique à
l'égard des deux provinces. A l'égard de l'Ukraine, les
délégués du gouvernementavaientcru pouvoir accep-
LAROUSSE MENSUEL
ter le principe de l'autonomie; à l'égard de la Finlande,
le gouvernement s'était refusé à accepter toute idée
de séparation. Dans l'un comme dans l'autre cas, on
voyait mal, de prime abord, de quels moyens de ré-
pression pouvait user le gouvernement. Ce qu'il faut
retenir aussi, c'est que la démission de Chingaref et
de Manioulof semblait avoir eu précisément pour rai-
son les concessions laites sans mandai et sous le coup
de la nécessité par les délégués gouvernementaux à
l'Assemblée ukranienne, si bien que le parti modéré
apparaîtrait comme le défenseur de 1 unité russe.
1
Le géiiéi
Ije défilé du premier contingent américain dans la cour d'Honneur de l'Hôtel des Invalides (mercredi, 4 juillet 1917).
D'ailleurs, les troubles de Petrograd avaient retardé
la crise ministérielle, et c'est seulement après la ré-
pression et le rétablissement de l'ordre que le prince
Lvof se retira avec les ministres cadets et laissa la
présidence du conseil à Kerensky, auprès duquel de-
meurèrent Tseretelli et Terechtchenko. Le minis-
tère devenait entièrement socialiste et, d'accord
avec le Soviet, assumait une véritable dictature, dont
le chef était Kerensky. On devinait que le gouver-
nement, galvanisé par l'énergie supérieure de son
chef, entendait employer désormais la manière forte
et comprenait que le sort de la Révolution était lié
à la victoire aux .frontières et à l'ordre à l'intérieur.
La tâche qui incombait à Kerensky et à ses colla-
borateurs était vraiment effrayante. L'indiscipline
militaire menaçait de livrer la Russie à l'invasion.
Il fallait, d'une main de fer, supprimer les habitudes
dissolvantes de discussion déraisonnable et d'égalité
impossible qu'on avait laissées depuis trois mois
s'établir dans l'armée. — Les éléments de desordre
intérieur et les maximalistes extrêmes groupés au-
tour du personnage équivoque de Lénine avaient
essayé, probablement appuyés sur de l'argent alle-
mand, de s'emparer de la direction des affaires à
Petrograd. Il paraît vraisemblable aussi que Lénine
et ses partisans excitaient les plus basses passions
fiopulaires et que le massacre des juifs qui, dès
es premiers jours de la Révolution, a figuré avec
le partage des terres dans le programme révolu-
tionnaire, était au nombre des promesses qui lui
gagnaient des partisans. Le gouvernement décréta
Lénine d'arrestation et, avec lui, les maximalistes
les plus compromis. — Il fallait enfin lutter contre
les tentatives séparatistes et l'effritement de l'cm-
Ïiire russe. Sans doute, on peut concevoir une
Russie fédéraliste, mais on doit observer que le
fédéralisme est une forme de gouvernement qui n'est
permise qu'aux démocraties déjà fortes et capables
de se conduire. Il ne saurait, sans les risques les plus
graves, succéder brusquement à l'unité et à la con-
centration. La Révolution française l'avait compris.
Le gouvernement russe était en train d'entrer dans
W 127. Septembre 1917.
le même état d'esprit que la Convention. Pour la
Russie, la scission de l'Ukraine, de la Finlande,
peut-être de la Lithuanie, serait un recul de trois
siècles et conduirait infailliblement à des luttes san-
glantes. Trouver un mocius vivendi qui respecte les
aspirations particularistes. tout en conservant l'unité
russe, est une chose difficile en tout temps, presque
irréalisable en pleine crise, par un gouvernement
qui n'est pas universellement accepté. On remarque,
en effet, que, si le parti socialiste s'est montré, en ces
temps troublés, le plus actif, le plus disposé à pren-
dre des responsabili-
tés et à se dévouer
pour sauver la patrie,
ce parti n'a pas avec
lui la majorité du
peuple russe. Cepen-
dant, il était clair que
c'était lui qui avait le
plus de chances de ral-
lier le peuple autour
de lui et de s'en faire
entendre, ne fût-ce
que par l'appât ren-
fermé dans la redou-
table question du par-
tage agraire.
On voit quel monde
de difficultés se pré-
sentait aux hommes
courageux qui, à la fin
de juillet, assumaient
le pouvoir. La posi-
tion de la Russie avait
alors une frappante
lessemblance avec
celle de la France en
1793. Mais, pour être
juste, il faut dire que,
si ta position de notre
pays î'utalors terrible,
celle de la Russie, en
juillet 1917, l'était bien
davantage. Les causes
morales, topographi-
ques, ethniques, reli-
gieuses,économiques,
intellectuelles que
nous avons déjà énu-
mérées dans nos pré-
cédents articles agis-
saient toutes ensem-
ble. L'immensité du
pays, les différences
de race et de langue,
l'ignorance effrayante
de la masse, l'écrase-
ment des consciences
par un régime d'au-
tocratisme corrompu
et violent, conduitpar
l'intérêlet parlapeur,
la superstition universellement répandue, fléau de
la cour comme de l'isba, le fatalisme d'un peuple
qui, avec des qualités incontestables de générosité et
des aptitudes réelles à des institutions libres, est
resté oriental, rêveur et nuageux, étaient autant
d'obstacles à une organisation qu'il eût fallu rapide et
solide. Lutler à la fois contre toutes ces causes dépri-
mantes, donner à tout ce peuple un idéal commun,
remettre le gouvernement d'eux-mêmes à des gens
auxquels le nom
du tsar suffisait
naguère à tout ex-
pliquer et à tout
justifier, donner
une solution aux
questions écono-
miques les plus
difficiles à résou-
dre dans tous les
pays et dans tous
les temps, répri-
merlesambitions
que devait faire
naître une pé-
riode de révolu-
tion où l'on pou-
vait tout espérer
et tout tenter, en
même temps dé-
fendre l'intégrité
du territoire con-
tre un ennemi or-
ganisé et tenir
serré le lien avec des alliés dont on devait con-
server le concours sans être bien certain d'être
d'accord avec eux sur tous les points à régler, voilà ce
qu'avait à faire le gouvernement de Kerensky. Pour-
rait-il triompher de tant d'olistacles et, au pis aller,
tenir? Nul ne pouvait l'affirmer. On devait, du moins,
le souhaiter ardemment, et personne n'avait le droit
d'ignorer que la question russe restait, en tout état de
cause, la lourde inconnue qui pesait sur le monde.
Ërzberger, chef du parti catholitjuc
allemand.
«• 127. Septembre 1917.
REGION DE VALENCIENNES
229
ââô
LAROUSSK MENSUKI-
liaiar (le l'armée sur le front.
Pendant que ce drame, dont chaque acle nou-
veau était attendu avec angoisse, se jouait en Russie,
une autre pièce, qui teuait beaucoup plutôt de la
comédie, se déroulait en Allemagne. Nous avons dit
— et c'estuu fait patent — que l'Allemagne souhaite
la paix. Elle avait cherché à l'obtenir par des décla-
rations hypocrites et par la collaboration étroite avec
Scheidemannetleparti social-démocrate. Cesystéme
ayant échoué, elle a essayé de l'aire marcher les catho-
liques, et le discours dans lequel leur chef, Erzberger.
se prononçait pour la paix sans annexions a été un
antre ballon d'essai fabriqué par les mêmes mains.
Gomme il devait arriver, le discours d'Erzberger a
posé la question de la paix sur un terrain oii pan-
germanistes et non-annexionnistes se sont en appa-
rence gourmés, mais où ils étaient d'accord sur un
point, à savoir
i|ue la paix alle-
iiKinde doit être
une paix victo-
rieu.se. — D'autre
part, la question
politique divisait
profondémentles
partiset les Etats
confédérés, et il
était résulté de là
un trouble assez
sérieux, qui ne
semblait pour-
tant pas devoir,
pas plus que pré-
cédemment.
avoir de suites
importantes. Sur
ces entrefaites,
le 11 juillet, un
rescrit de Guil-
laume II promettait le vote paritaire en Prusse. L;i
position du chancelier de Bethmann-Hollweg sem-
blait plus solide que jamais ; elle n'avait jamais élc
si menacée. Au même moment où paraissait le re.'^-
crit, le kronprinz était appelé à Berlin, où se trou-
vaient déjà Hindenburg et Luddendorf. Ces deux
généraux avaient avec les chefs de partis des entre-
vues où il est certain que Luddendorf joua le rôle
principal et dans lesquelles on exposait aux hoinme--
poliliques les plus considérables la situation militaire
sous le jour le plus avantageux.
Que se passa-t-il exactement entre l'empereur, son
fils, les deux généraux et le chancelier? Il est permis
de penser que ce dernier fut peu ménagé par ces troi s
derniers personnages et que, se voyant si fortement
discuté, il préféra, malgré laconflance que lui gardait
l'empereur, se retirer. Le 14, il donnait sa démission.
11 était presque aussitôt remplacé par le D' Michaelis,
fonctionnaire longtemps obscur, que les questions do
ravitaillement avaient mis en vedette et qui dut sans
doute son élévation à la protection d'Hindcnburg. L;i
retraite du chancelier entraînait celle de Zinimer-
mann ;mai3 HelIVerich, donton avait, àplusieurs re-
prises, annoncé le départ, restait vice-chancelier.
Le 19, le nouveau chancelier se présentait devant le
Reichstaget, dansun discours habile, où il reprenait
la thèse allemande des origines de la guerre, il se dé-
clarait prêt à une paix qui eût assuré les frontières et
l'existence de l'Allemagne victorieuse. A la suite de
ces déclarations équivoques, le Parlement votait, |
.-J. Balfour. premier lord
de l'amirauté.
par 214 voix contre HH et 17 abstentions, la mo-
tion de paix dont le discours de Michaelis n'était
que le paraphrase. Il y repoussait toute idée do
conquête, réclamait une réconciliation durable des
peuples, 1^ liberté des mers, la création d'organisa-
tions juridiques internationales, mais se déclarait
décidé à tenir jusqu'à la victoire si ces propositions
étaient repoussées.
Quelques réflexions sont ici nécessaires. Sur la mo-
tion de paix, il est utile de constater qu'elle ne coïn-
cide pas entièrement avec le discours du chancelier
Michaelis, qui laisse la porte ouverte, sous prétexte
d'assurer les frontières allemandes, à des rectitlca-
tions et annexions plus ou moins déguisées, et tout
permet d'affirmer que le commentaire ainsi ajouté
par le chancelier rend bien exactement la véritable
pensée des Allemands, y compris les socialistes. Elle
est d'accord avec lui sur la question de l'Alsace-
Lorraine, dont le retour à la France est considéré
par tout bon Allemand comme une annexion. On
doit, d'autre part, constater que les passages relatifs
à la réconciliation des peuples, à l'égalité écono-
mique sans aucun boycottage, à la liberté des
mers, trahissent des inquiétudes et montrent les
Allemands tout prêts à accepter ou à exiger que
leurs victimes leur pardonnent et oublient leurs
procédés barbares. Personne ne s'y est trompé et.
si le Reichslag a cru que son appel à des juridic-
tions internationales et ses vœux tendant à une ré-
conciliation générale feraient illusion à qui que
IV 127. Septembre 1917.
i-e soit, il s'est grossièrement trompé. Il ne suffit
pas nue de Rethmann-Holweg ait démissionné pour
que l'ultimatum à la Serbie, la violation de la Bel-
gique et le II chiffon de papier » sortent de notre
mémoire. L'effet que les Allemands attendaient de
la motion avait donc manqué totalement; la ques-
tion de la paix n'avait pas fait un pas.
C'est ce qui poussa certainement le nouveau chan-
celier à faire, dès le 25 juillet, aux représentants de
la presse des déclarations où, prenant directement
à partie les Alliés et la France en particulier, il
nous accusait formellement d'avoir négocié avec la
Russie, à la veille de la Révolution, un accord ten-
dant non seulement à nous restituer l'Alsace-Lor-
raine, mais encore à rectifier notre frontière sur la
rive gauche du Rhin. Ces déclarations, perfides, vio-
lentes, mensongères à la manière de Bismarck, qui
ne tenaient aucun compte des affirmations de la
Chambre et du Sénat au début de juin, a valent pour but
de nous présenter au monde comme des agresseurs,
de fortifier l'opinion du peuple allemand sur sa posi-
tion défensive, de nous faire porter la responsabilité
de la continuation de la guerre, de nous lier les
mains, de consolider l'opposition pacifiste en tous
pays, et surtout de nous brouiller avec les Russes en
établissant une contradiction entre nos buts deguerre
et les leurs : di-
version oppor-
tune au moment
où la Russieétait
sitroubléeetbien
propre à augmen-
ter la déroute de
l'armée, en ap-
puyant par cette
argumentation
hypocrite les me-
nées des agita-
teurs soldés. La
réponse de Ribot
à la Chambre, le
31 juillet, avait
remis les choses
au point et dé-
voilé le procédé
bismarckien du
chancelier Mi-
chaelis.Cetéclat,
qui ne pouvait abuser personne, arrivant au moment
de la campagne de Galicie et de l'attaque franco-an-
glaise, dénotait pourtantun violentdésir de paix et une
volonté de l'obtenir partons les moyens. Le mensonge
qui pèse sur ton te la politique allemande depuis trois
ans continuait. 11 ne pouvaitnousémouvoir. Les décla-
rations qu'au même moment Balfour faisait au sujet
de l'Alsace-Lorraine montraient à l'Allemagne, en
quête de justilicalions, que nos alliés ne se laissaient
pas émouvoirpar ces bruyantes manifestations et ne
perdaient pas de vue le but essentiel de cette guerre.
II importe, en outre, de ne se faire aucune illusion
sur la véritable portée de l'agitation politique qui a
paru se manifester autour de la question parlemen-
taire et de la question du sulTrage universel. L'Al-
lemagne, en tant qu'empire, a un gouvernement
parlementaire où le pouvoir du Parlement se réduit
au vote des lois sans aucune influence précise sur
D' Michaelis, grand-cham-elier
d'Allemagne.
Qii.itrc.niAts de course américain, entièrement construit en boia. pour iju'en cas de torpillage, lei épaves ne sonilireiu pas
et «erveiit tiiéme au uauvcL-itre des uauCragéa,
Suopl. a
un- 127. Sept 1917. LA FÈTI' Di;S DllM'liAlJX, LE 14 JLILLLT 1017, A PARIS
231
■M. Puiiicarc, prùsijont do lu Ri'iiulilu|ue, rcmctiaiu dos dccoratioos et la uouvellc lourragùrc au 1J2' jcyimeat d'inraiiteric, sur le Cours do Viu..otinci.
hos délégations dos bataillons do clinssours à ]iicd passant dovaDt lo Lion do [ioKort, sur la place DoDrcn-Hochcrcaii. point terminus dtt détUô des trotipos.
I ^ nfkl'Câir \ti.*v»;i'i r — I v
232
Li:S TROUPKS FKANÇAlStS A PARIS, Ll^ 14 .HILI.KT 1017 Suppi. au n- 127. Sept. itiu.
I
1. Le drapeau des chasseurs à pied, troué, déchiqueté par les éclats d'obus et les balles (décoré de la Légion d'houneur, de la Médaille militaire et de la Croix de guerre). —
2 Défilé d'un régimont do ligne sur le Cours de 'Viucennes. — 3, Troupes d'Afrique passant devant la tribune onicielie. — 4. Défilé des fusiliers marins. — 5. Chasseurs à cheval
passant sur la place do la Nation, entre les colonnes de l'hilippn Ait(.Misto et de Louis IX. — B. Los chasseurs alpins au repos, boulevard Saint-Germain.
«• 127. Septembre 1917.
le gouvernement même. Le chancelier dépend de l'etn-
fiereur seul, et le Parlement n'a été pour rien ni dans
adémission de Bellimann-HoUwcg, ni dans la nomi-
nation de son successeur. Quant à la question d'un mi-
nistère responsable pris dans la majorité du Parlement,
c'est une question d'ordre fédéral, c'esl-à-dire qui
regarde les seuls Etats qui
forment l'empire, repré-
sentés par leurs délégués,
et non le Parlement. Elle
est réglée par la Constitu-
tion de l'empire, qu'il n'ap-
partient pas au Parlement
de changer, et les Etats ne
veulent pas plus entendre
parler d'une modification
qu'ils ne veulent accepter
chez eux le suffrage uni-
versel. 11 y a donc, dans le
mouvement qui s'est fait
autour de ces questions,
une agitation qui, partout
ailleurs, pourrait aboutir à
une révolution, mais qui,
en Allemagne, reste à la
suri'ace. Elle peut, à la
longue, pénétrer les mas-
ses. La complexion alle-
mande et la constitution
allemande s'opposent à ce
qu'elle aboutisse rapide-
ment et résolument. Les
efforts que le chancelier
faisait, fin juillet, pour
donner quelques porte-
feuilles à des parlemen-
taires étaient une concep-
tion sans conséquence et
nepouvaientmémepasêtre
considérés comme le com-
mencement d'une nou-
veauté féconde. C'était
plutôt un moyen de grou-
per plus étroitement les
partis autour du pouvoir
et de les domestiquer plus Les soidacs iu<
fortement. 11 faut donc se
garder de comparaisons qui pèchent par la base et
d'être dupe de mot» qui changent de sens avec la
latitude. Ce n'est que par un long travail que le Par-
lement allemand finira par devenir un véritable Par-
lement. Ce travail commence à peine.
Quant au changement du chancelier, il fallait
l'interpréter, semblait-il, comme une victoire du
parti militaire dé-
guisée sous des ap-
parences pacifiques.
11 avait évidemment
paru h beaucoup
d'hommes politi-
ques que le chance-
lier qui avait fuit la
guerre ne pouvait
pas faire la paix ;
on faisait en outre
payeràdeBethmann-
Holweg l'insuffi-
sance des résultats
obtenus par la
guerre. Quelle fut
au juste la respon-
sabilité personnelle
du chancelier dans
une guerre que les
révélationsdeHaase
nous montrent, sans
qu'on l'ait démenti,
comme décidée dès
le début de juillet
191'), l'avenir seul
pourra le détermi-
ner. En tout cas, il
a été l'acteur en
scène, le porte-pa-
role et, en admettan t
même qu'il ait suivi
plutâtquedirigé une
politique que menait
une force qui lui
était supérieure, par
lui ont vu le jour
certaines formules
où l'esprit allemand
s'est incarné. 11 en porte le poids. Il n'a jamais rien fait
ni rien dit qui puisse alléger les charges qui pèsen,t sur
lui. Son successeur arrivai tau pou voir sous les auspices
d'Hiiidenburg. C'est pour nous une mauvaise recom-
mandation, et ses premiircs déclarations publiques le
montraient décidé à appuyer la politique militariste,
brutalement s'il le fallait et sans scrupule. Ceux qui
auraient pu croire que l'Allemagne était sur le pomt
de modifier ses vues et de revenir à la raison auraient
dû, dès l'abord, savoir à quoi s'en tenir. L'elTacemenl
voulu deGuilIaume II depuis plusieurs mois et, en par-
LAROUSSR MENSUEL
ticulier, dans cette crise, était significatif. Ou l'empe-
reurse réservait pourquelque manifestation bruyante
à un moment oii l'Allemagne en aurait besoin, ou il
passait la main peu i peu et disparaissait pour ne pas
porter les lourdes responsabilités de l'avenir. Dans
l'un comme dans l'autre cas nous devions nous défier
I le portrait de Kerea^ky dans les rues de Petroi^rad
de lui. L'Allemagne continuai là se croire siire de la vic-
toire. Elle se posait maintenant en innocente victime.
Elle était plus dangereuse encore dans cette posture.
L'Autriche, pendant tout ce mois, avait assez peu
fait parler d'elle. Elle avait assez de ses difficultés
intérieures, et elle bornait son action à se déclarer
toujours formement unie avec sa voisine. Une ren-
Un épisode de l'attaque des tranctiéet ennemies par les tanks britanniques, à travers les palmiers de MéaopoUmie.
contre bruyante des deux empereurs avait eu lieu,
à la fin de juillet, sur le front hongrois. On y avait
échangé des assurances d'amitié inébranlable. Le
comte Czernin, second un peu elfacé, plus prudent
que le D' Michaelis, s'élait refusé il s'appesantir sur le
sujet scabreux des responsabilités de la guerre. Mais
il avait multiplié les avances à la Hussie, et on eût pu
croire, à l'entendre, que jamais la double monarchie
n'avait gêné en quoi (jue ce soit, dans son développe-
ment, aucune des nationalités qui la composent. L'ef-
fronterie de ces affirmations ne devait pourtant pas
233
Ips faire négliger. Cela n'empêchait pas r.Vutriché
d'avoir besoin de la paix, de la souhaiter ardenjment
et de la chercher sans la trouver. On avait prétendu
que le pape travaillait à s'entremettre pour tirer d'af-
faire le jeune empereur, avec lecjuel if est lié par les
liens étroitsd'une ancienne affection. Sans nier ces in-
tentions, il fallait accueil-
lir avec prudence tout ce
qui se disait de leur réa-
lisation po.ssible.
On avait,pendanlle mois
de juillet, parlé de moins
en moins de la conférence
de Stockholm, dont on
avait cru pouvoir enregis-
trer l'échec. Cependant, k
la fin de juillet, la présence
M Paris des délégués du
"■oviet, accompagnés du
ministre anglais Hender-
son et du socialiste anglais
Macdonald, les délibéra-
lions des socialistes fran-
i;ais avaient rendu à la
question toute son actua-
lité. On avait vu avec re-
ijret les Bocialistes fran-
çais, entraînés par la mi-
norité de leurparli, s'en-
gager à nouveau, au nom
de l'internationalisme,
dans un scabreux projet de
rencontre avec les socia-
lisles ennemis et neutres.
De nouveau, on devait se
demander à quel titre ils
figureraient dans cette réu-
nion internationale, avec
quel mandat, au nom de
qui ils parleraient, jusqu'à
quel point leurs décisions
engageraient la France.
Ouelle serait l'attitude du
gouvernement devanlcette
altitude des socialisles ?
On espérait que l'énergie
antérieure se retrouverait.
Elle était plus nécessaire que jamais.
Nous avons marqué, le mois dernier, les difficul-
tés qui menaçaient l'Espagne. Le mois de juillet a
été pour elle très critique, aulant que la censure
espagnole a permis de le deviner. Le fait capital a
été une tentative pour réunir à Barcelone une sorte
de Parlement séparatiste, llsemlilait que celle réu-
nion eiit échoué en
partie et, bien que
l'état de siège eût
été proclamé à 'Va-
lence, le ministère
Dato, à la fin du
mois, paraissait à
peu près maître de
la situation. Quoi
qu'il en soit, la posi-
tion neulre de l'Es-
pagne restait fausse
etdifficile,etla ques-
tion se posait tou-
jours de savoir si
elle parviendrait à
rester jusqu'au bout
en dehorsduconflit.
La France, en tout
eus, souhaitait sin-
cèrement que l'Es-»
pagne, à qui tant de
familles doivent le
soulagement de
leurs inquiétudes
sur la vie des leurs,
sortit honorable-
ment de la crise
qu'elle traversait.
La question de
la Hollande, de la
Suisse et des Etats
Scandinaves setrou-
vait liée dorénavant
à celle des restric-
tions que les Etats-
Unis avaient décidé
d'imposer aux ex-
portations en pays
neutres. Les statistiques britanniques, mises .sons les
yeux du gouvernement américain, prouvent péremp-
toirement que la Hollande a fourni à rAlfemagne
Î.OOO tonnes de denrées alimentaires par jour, que
les Etals Scandinaves ont largement contribué à
nourrir nos ennemis, que, de plus, la Suéde a litté-
ralement entretenu la guerre en fournissant à
r.\llemagne du mineiMÎ de fer, du ferro-silicium,
du manganèse et d'autres produits indispensables,
sans compter la pâte de bois. La Hollande a, en'
oulrc, exporté en Allemagne de grandes quantités
234
de fourrages qu'elle avait elle-même importés. Or,
le président Wilson n'enlend pas que les neutres
achètent aux Etats-Unis des denrées qui, direclemenl
ou indirectement, contribueraient à nourrir l'Alle-
magne. Il est à remarquer qu'après avoir donné au
firésident les pouvoirs nécessaires pour surveiller et
imiter les exportations, le Sénat américain avait
essayé de les limiter ei> adjoignant au pouvoir exé-
cutif une commission composée de trois membres
de la haute Chambre et destinée & contrôler l'action
présidentielle. Le président Wilson n'avait pas hé-
sité à protester contre cette prétention, qu'il jugeait
inconstitutionnelle, et le Sénat lui avait donné raison.
On pouvait espérer beaucoup des restrictions an-
noncées. L'idée que nous avons nourri nos ennemis
et prolongé la guerre avec nos propres ressources,
quelque énorme qu'elle puisse paraître, est pourtant
I expression de la vérité. Il est plus que temps que
cela cesse. Nous pouvons compter sur la clair-
voyance du président Wilson pour empêcher que
l'Amérique ne soit un centre de ravitaillement alle-
mand par la complicité et la cupidité de certains
neutres. Cette situation a trop duré. — Il ne résulte
pas de ce qui précède que la position des neutres
en sera facilitée. A la fin de juillet, on voyait l'Alle-
magne exercer sur la Suisse, à qui elle fournit, en
les faisant attendre, le charbon et le fer, un chantage
odieux. Elle prétendait exiger d'elle une grosse
avance de fonds en échange d'une promesse de
charbon, et il était vraisemblable que la Suisse
serait obligée de céder. L'Allemagne voyait là un
moyen de se procurer du crédit et de lier financiè-
rement la Suisse à ses destinées pour le présent et
l'avenir. C'est sa façon de respecter la neutralité.
Nous devions plaindre la Suisse. Il était de son
intérêt aussi de résister à ces exigences.
Nous avons, le mois dernier, noté en France un
certain travail de l'opinion, qui semblait tendre à un
découragement injustifié. Nous devons, de même,
noter que cette vague pessimiste, que les hommes
responsables n'avaientpeut-êtrepas assez prévue ni
arrêtée, avait singulièrement perdu de sa force.
Outre que la leçon de la tragédie russe n'avait pas
été perdue et qu'elle montrait plus que jamais la
nécessité de l'union et de la discipline aussi bien
civile que militaire, des fêtes réconfortantes avaient
fait éclater la confiance du peuple français dans ses
alliés et dans son armée. La fête de l'Indépendance
américaine, le 4 juillet, avait été une occasion nou-
velle d'affirmer notre liaison de cœur et d'intérêts
avec les Etats-Unis. La revue du 14-Juillet avait
permis à la population parisienne d'acclamer les
délégations des régiments cités & l'ordre du jour et
de saluer avec émotion les drapeaux décorés, loques
informes et glorieuses, qui disaient mieux que tous
les récits l'héroïsme de nos soldats.
D'autre pnrt, les comités secrets de la Chambre et
du Sénat s'étaient terminés par des ordres du jour
qui, plus clairement que la motion de paix allemande,
avaient afiirmé la justice et le désintéresseinent de
nos buts de guerre. Même, au Sénat, la discussion
publique avait amené Clemenceau à dénoncer forte-
ment le travail pacifiste accompli, avec grand soup-
çon de complicité ennemie, par une certaine presse,
qu'il avait qualifiée durement; des découvertes inté-
ressantes de la police avaient montré que les récla-
mations du sénateur duVar n'étaient pas simplement
sorties de son imagination, et il n'est pas niable que
le discours où le chancelier Michaelis a montré une
parfaite connaissance de tout ce qui s'était dit dans
les comités secrets de juin a donné à la thèse de
Clemenceau un argument d'une force singulière. Il
faut reconnaître que tout cela avaitdétendu l'opinion
publique et relevé les esprits qui s'étaient laissé
déprimer, mais que, plus que jamais, la nécessité
d'un gouvernement fort et décidé était apparue.
La réunion à Paris, le 25 juillet, d'une conférence
interalliée, où se rencontrèrent Lloyd George, Son-
nino, raffermi par le vote de confiance de la Chambre
italienne, les délégués russes, Pachitch et, pour la
première fois, un délégué de laGrice, était bien faite,
d'ailleurs, pour donner confiance. Ladéclaration dans
laquelle les délégués affirmèrent qu'on ne pouvait dé-
poser les armes que lorsque les Alliés auraient rendu
impossible « le retour d'une agression criminelle telle
que celle dont l'impérialisme des Empires centraux
porte la responsabilité «.l'afOrmation de leur volonté
de défendre le droit des peuples, particulièrement
dans la péninsule des Balkans, étaient une réponse
nette aux menaces allemandes. On avait, en outre,
réglé dans la Conférence la difficile question grecque.
II avait été décidé que les troupes de l'Entente con-
serveraient tant qu il serait nécessaire les positions
stratégiques quelles occupaient, mais que le gouver-
nement civil serait rendu aux autorités grecques.
C'était, à la fois, affirmer le droit de la Grèce et la
volonté des puissances de défendre ce droit. C'était
un avertissement aux Bulgares. On devait se louer de
voir ainsi terminée, pour le moment, l'afl'aire grecque,
qui, on le saura plus tard, fut plus difficile que
beaucoup n'ont voulu le croire. Il dépendait, main-
tenant, des Grecs eux-mêmes de montrer s'ils étaient
capables de tirer parti de la situation avantageuse
que la longue patience des Alliés leur avait faite.
LAROUSSE MENSUEL
Les Etats-Unis n'avaient pas été représentés & la
Conférence. Ils avaient considéré que les questions
qui devaient y être traitées ne les intéressaient pas
directement. Ils se réservaient pour de plus graves
circonstances. En attendant, ils agissaient. On devait
beaucoup espérer de leur concours réfléchi et te-
nace. Il fallait méditer les paroles récentes de
Lansing : « L'Amérique, avait-il dit, fait appel à
toute son énergie, à toutes ses ressources pour la
suppression de certaines choses mauvaises qui me-
nacent la paix et la liberté du monde. En raison de
l'ampleur de notre tâche, notre effort prendra un
certain temps pour se manifester; mais, quand nous
serons complètement prêts et que toutes nos forces
seront employées, lentement d abord, puis avec un
élan et une puissance grandissants, nous sommes
persuadés que nous vaincrons toute résistance et
atteindrons le but désiré. » — Juie» Qerbiolt.
Lampes électriques à filament mé-
tallique (Fabrication des). Lampes intensi-
ves. Nous avons décrit dans un précédent article
(v. p. 181) l'évolution de la lampe à filament métal-
lique en ce qui concerne principalement la constitu-
tion des filaments et leurs propriétés électriques et
mécaniques. Disons, ma ntenant, quelques mots de
la fabrication de la lampe elle-même.
Les fabricants de lampes à filament métallique ont
profilé, dès le début de leur industrie, de l'expé-
rience acquise depuis longtemps par les producteurs
de lampes à filament de carbone. Toutefois, ils ont
eu à résoudre tonte une série de problèmes délicats
que ne comportaient pas les anciennes lampes, en
particulier la construction du pied de lampe ou
support du filament.
Les matières premières nécessaires à la fabrica-
tion des lampes à filament métallique sont les sui-
vantes :
1* Des ampoules de verre brut de soufSage appelées
matras ;
f Des baguettes de verre plein de 2 à 4 millimètres de
diamètre ;
3' Des tubes de verre de 8 à 10 millimètres de diamètre ;
4" Du fil de nickel de O'^.OOOS à 1 millimètre;
5" Du fil de cuivre de même diamètre ;
6» Du fil de platine de 2 à 4 millimètres;
1" Des bobines de filament étiré de 3 à 5 millimètres;
8" Des culots en laiton emboutô et du plâtre fin pour
scellement sur verre ;
9^ Du tube de verre de 3 à 4 millimètres pour le queu-
sottage.
Les fils préparés aux dimensions convenables sont
mis bout à bout dans l'ordre : cuivre-plaline-nickel,
et soudés au chalumeau, de façon à obtenir un con-
ducteur unique formé de 3 fragments assemblés, qui
constituera par la suite le fil d'amenée de courant.
De leur coté, les baguettes et les tubes de verre
sont sectionnés en morceaux d'égale longueur. Cha-
que baguette est ensuite confiée à
une machine qui la maintient ver-
ticale, tout en la faisant tourner
dans la flamme d'un cbnlumeau
convenablement dirigé. Dès que
le point choisi est suffisamment
ramolli, la baguette est compri-
mée dans le sens axial et s'aplatit
en ce point en formant une perle
sur laquelle on viendra piquer les
potences de nickel qui supporte-
ront le filament.
D'autre part, chaque petit tube
de verre est confié à une machine
rotative, qui ramollit au chalu-
meau l'une de ses extrémités, puis
l'évasé légèrement.
Ce sont ces trois éléments : tube
évasé, tige perlée et fils conduc-
teurs qui constitueront, par leur
assemblage, le pied de la lampe
ou support du filament. Aussi la
machine chargée de faire cet assem-
blage est-elle appelée » machine à
faire le pied ». Les deux conduc-
teurs d'amenée de courant vien-
nent se placer entre le tube et la
tige, comme l'indique la figure 1.
Des chalumeaux convergents vien-
nent alors ramollir l'extrémité su-
périeure du tube, que des mâchoi-
res aplatissent ensuite de façon à
emprisonner et à souder au verre
les parties en platine du fil conduc-
teur (le platine ayant même coeffi-
cient de dilatation que le verre,
l'étanchéité est ainsi assurée). En
même temps, la baguette se trouve soudée au tube
de façon absolument parfaite.
Le pied étant ainsi constitué \fig. S), on vérifie
soigneusement si les fils conducteurs sont bien
restés intacts pendant l'opéralion, puis on forme au
sommet de la baguette une seconde perle semblable
à la première, par un procédé tout à fait analogue.
Quand la perle est encore molle, on y implante les
petites potences en fil de nickel qui soutiendront le
filament. On réchauffe également la perle inférieure
y^~^^.
Fij.'. — Eléments
entrant dans la cons-
titution du pied de
la lam|>e, tels qu'ils
sont disposés sur la
machine à faire le
pied.
N' 127. Septembre 1917.
dans laquelle on vient fixer d'autres potences dis-
posées en quinconce par rapport aux premières.
Puis on soude à deux de tes potences inférieures
les extrémités de nickel des fils conducteurs d'ame-
née de courant.
Le pied est alors terminé (fig. 3), et il ne reste plus
qu'à y fixer le filament enroulé préalablement sur
une bobine dévideuse. Cette
opération se fait à la main o—^^-j ^
£_n
Fig. i. — Ampoule queusottée. avant
et après le fixage du pied
Fig. S. — Pied de la lampe Bortant Fig. S. — Pied de lampe
de la machine à faire lu pied. à recevoir le fUamenl.
très simplement: l'ouvrière attache l'extrémité du
filament au crochet de la potence, qui reçoit l'un
des fils d'amenée du courant, puis aux différents
crochets supérieurs et inférieurs du pied, de façon
à décrire un iigzag cylindrique, qui se termine au
secondfilconduc-
leur par un ser-
rage à la pince.
Onvérifieensuite
le filament et ses
contacts en y
faisant passer un
courant électri-
que, le pied étant
préalablement
enfermé dans
une ampoule
remplie d'azote
ou d'hydrogène,
pour éviter la
combustion.
Il reste alors &
introduire lepied
dans son am-
poule et à l'y sou-
der convenable-
ment. Pour cela,
il est nécessaire
de préparer d'a-
bord celle-ci. On
part, en général,
d'un matras qui
a la forme d'une
ampoule prolongée du côté du culot par un tube de
gros diamètre, complètement fermée et remplie
d'air. On commence par chauffer au chalumeau
l'extrémité
de ce ma-
tras oppo-
sée au tube
de façon à
y pratiquer
un trou cir-
culaire sur
les bords
duquel on
vient son-
der un petit
tube de ver-
re de 3 ou
4 millimè-
tres de dia-
mètre appe-
lé queusot,
qui servira
à retirer
l'air de
l'ampoule :
cette opé-
ration s'ap-
pelle le
queusot-
tage.
On casse
ensuite par
chaufi'age et refroidissement brusque l'étranglement
du gros tube de façon & l'ouvrir largement, puis
l'ampoule, ainsi queusottée et ouverte, est confiée à
une machine qui y introduit le pied tout préparé et
le soude au gros tube convenablement ramolli par
Fig. s. —Lampe à filament mtHallique toute mon-
tée ; A. ampoule; B, pied de la lampe ; <'C. potences
à crochet en nicliel; F, filament; N, fil de nickel;
P, fll de platine ; Q, fll de cuivre ; M, culot de vis.
Fig. 6. — Lampe intensive dite « demi-watt ».
AC 127. Septembre 1917.
des chalumeaux. L'ampoule i-enfermant le pied ne
communiaue plus alors avec l'extérieur que par le
queusot {fig. 4). On prend un certain nombre de ces
ampoules ainsi préparées, et on les soude par leur
queusot à un tube collecteur en verre relié à une
trompe à mercure. Il est nécessaire d'obtenir un vide
aussi parfait que possible et, en tout cas, inférieur
au millième
de millimètre
de mercure.
L'une des
trompes les
plus e m-
ployées est la
pompe Gaede
qui, au bout
de quelques
minutes de
fonctionne-
ment, amène
la pression à
0,0003 miUi-
mètredemer
cure. Vers la
fin du pom-
page, on fait
fiasser dans
es lampes un
courant élec-
trique suffi-
sant pouréva-
cuer les der-
nières traces
de gaz conte-
nues dans
l'ampoule.
Quand le vide
parfait est
obtenu, on
ferme l'am-
po u 1 e en
chauffant simplement le queusot au chalumeau. Il
ns reste désormais du queusot que la petite pointe
de verre qui termine l'ampoule.
Celle-ci étant ainsi terminée, on l'essaye en sou-
mettant le filament au voilage normal, ou même h
un voltage légèi'ement supérieur pendant un temps
plus ou moins long. Si cet essai est satisfaisant et
si le pouvoir éclairant du filament est reconnu
normal, la lampe est dirigée sur l'atelier de plâ-
trage : c'est là que le
culot est (ixé à l'ampoule
au moyen d'une matière
siccative et isolante, gé-
néralement du plâtre fin.
On a soin de laisser dé-
passer au dehors les deux
(ils d'amenée de courant,
qui sont ensuite soudés
séparément à deux pla-
quettes de contact en
laiton encastrées elles-
mêmes dans le couvercle
en matière isolante (vi-
trite ou carton spécial)
qui recouvre le plâtre
et termine le culot à
baïonnette. S'il s'agit de
culots & vis (Edison),
l'un des fils conducteurs
est soudé k la partie file-
tée du culot.
Il ne reste plus, alors,
qu'à nettoyer la lampe
et à la faire passer au
banc photomélri que pour
déterminer son pouvoir
éclairant et la classer
dans la catégorie cor-
respondante : 10, 16,
25... Ijougies; 100, 105, 110... volts. Les indications
convenables sont alors marquées sur le culot, et la
lampe ainsi terminée est envoyée au marquage (ap-
flication de la marque de fabrique sur le verre de
ampoule par l'acide fluorhydrique) et, finalement,
à l'emballage et à l'expédition.
On voit par ce simple aperçu quelles multiples
opérations doivent subir les matières premières
avant de constituer une lampe prête à l'usage : on
peut compter qu'une cinquantaine d'ouvrières doi-
vent y prendre part successivement. Ce sont, en
effet, les femmes qui sont généralement employées
à la fabrication des lampes à filament métallique,
cette fabrication demandant des qualités particu-
lières d'adresse et de soin, sans exiger d'efforts
considérables. Les salaires quotidiens varient gé-
néralement de 4 à 6 francs, suivant la fonction et
l'habileté des ouvrières.
La fabrication des lampes à filament métallique
s'est considérablement développée en France dans
ces dernières années, malgré l'impitoyable concur-
rence étrangère. Actuellement, les usines suffisent
à peine à la demande ; le nombre de personnes
quelles emploient peut être évalué à plus de
Fig. 7. — Répartition des feux lumineux d'une lampe intensive.
LAROUSSE MENSUEL
5.000 et la production à plus de 100.000 lampes
par jour environ.
Lampes intensives. — II nous reste, maintenant,
à dire quelques mots des lampes intensives, dites
• demi-watt », qui, grâce à leurs qualités de luminosité
et de bon rendement, tendent depuis quelques an-
nées et de plus en plus à se substituer aux lampes
métalliques ordinaires et surtout aux lampes à arc,
dont elles suppriment les frais considérables d'en-
tretien.
Les lampes intensives ne sont autre chose que
des lampes à filaments métalliques fabriquées spé-
cialement pour être survoltées en fonctionnement
normal.
Nous avons vu, en effet, que la température du fila-
ment de tungstène d'une lampe ordinaire ne dépasse
guère 2.200" en régime normal. Celle température
est encore fort éloignée du point de fusion, qui est
à 3.100°. On dispose donc d'une marge assez vaste
pour améliorer le rendement lumineux, qui augmente
très vite avec la température.
En survoltant de plus en plus le filament d'une
lampe métallique ordinaire, on est très vite arrêté
par la désagrégation rapide du filament, qui se brise
au bout d'un temps de fonctionnement de plus en
plus court. Les particules émanées du filament vien-
nent s'écraser sur l'ampoule et la noii-cissent, in-
terceptant en partie les rayons lumineux ; en même
temps, la section du fil diminue, sa résistance aug-
mente, et le rendement lumineux diminue rapide-
ment, sous l'influence combinée de ces deux causes.
Dès 1912, Irwing montra qu'une atmosphère
d'azote, en particulier, diminue considérablement la
désagrégation et que, de plus, il y a grand avantage,
au point de vue du rendement lumineux et de la durée
utile, à employer des filaments de gros diamètre.
Ces expériences décisives furent reprises par un
grand nombre d'industriels et servirent de base à
la fabrication des nouvelles lampes.
Celles-ci sont donc foi-mées d'une ampoule de
verre remplie d'azote ou d'argon additionné d'azote
à la pression atmosphérique, ou à une pression in-
férieure et contenant un filament de tungstène de
gros diamètre (1 à 5 millim.), enroulé en hélice
serrée de faible diamètre (1 à 3 millim.) et de 1 à
5 centimètres de longueur, suivant la puissance de
la lampe. Celte hélice est elle-même supportée de
place en place par des bâtonnets de tungstène, dis-
posés le plus souvent en forme de fer à cheval, de
façon à mieux répartir le rayonnement dans toutes
les directions.
Cette disposition du
filament en hélice a de
nombreux avantages :
1° l'encombrement est
restreint, ce qui permet
de réduire aussi les di-
mensions de l'ampoule ;
2° le montage en est plus
facile gue dans la lampe
ordinaire, qui exige des
supports compliqués;
3° le filament, n'étant ja-
mais tendu, est moins
fragile; 4° le foyer lumi-
neux, étant plus conden-
sé,se refroidit moins fa-
cilement ; 5° la source
étant presque punctifor-
me, la lampe se prête
mieux aux applications
optiques : phares, pro-
jections, etc.
L'ampoule est sem-
blable à un ballonnet
sphérique, muni d'un
long col cylindrique qui
la relie au culot. Ce col
a pour but d'éloigner le
foyer lumineux du culot
de la lampe et d'éviter que celui-ci ne soit porté
à une température excessive par les gaz chauds
qui circulent dans l'ampoule. On conçoit, en efi'et,
que l'atmosphère d'azote, échauffée par le filament
et refroidie d'autre part par l'ampoule, est soumise
à de violents courants de convection. La lumière
émise par les lampes intensives se caractérise par
sa blancheur éblouissante, la température du fila-
ment atteignant 2.700 à 2.800°, de sorte que sa cou-
leur se rapproche plus qu'aucune autre de colle de
la lumière du jour, ce qui est un avantage sérieux
pour l'appréciation des couleurs des tissus, pein-
tures, etc.
La puissance lumineuse croissant beaucoup plus
vite que la température, la lampe intensive est plus
sensible que la lampe ordinaire aux variations de
voilage; mais, grâce à la robustesse du filament, la
durée utile n'est pas diminuée sensiblement. Elle
atteint facilement 1.000 heures.
D'autre part, par suite du survoltage, la consomma-
tion spécifique est considérablement diminuée. Elle
peut s'abaisser jusqu'à 0,65 watt par bougie, pour
une durée utile de 1.000 heures, et à 0,6 watt pour
une durée de 600 heures. Pratiquement, elle vane de
235
0,65 à 0,8 -watt, suivant la fabrication. Od voit que
la dénomination « denii-watt * ne représente pas en-
core lan-alité pratique, mais plutôt une limite d ail-
leurs assez dilUcile à atteindre, si l'on ne veut pas
réduire par trop la durée utile de la lampe. Remar-
quons à ce sujet que les rendements sont toujours
donnés par rapport à l'intensité lumineuse horizon-
tale, qui est constamment supérieure à l'intensité
moyenne sphérique, comme l'indique la courbe de
répartition lumineuse (fig. 7).
On évalue le rendement lumineux des meilleures
lampes intensives de 12 à 15 p. 100 de l'énergie élec-
trique dépensée. Ce faible rendement est dû k ce
fait inévitable que la plus grande partie de l'énergie
est transformée en chaleur, l'atmosphère d'azote
favorisant, d'ailleurs, cette déperdition. Seule, la dé-
couverte d'un corps plus réfractaire que le tungstène
pourrait améliorer ce rendement.
Les lampes intensives s'emploient de plus en plus
pour l'éclairage des grands appartements, des ma-
gasins, restaurants, ateliers, usines et surtout pour
l'éclairage extérieur. Elles remplacent avantageu-
sement les lampes ordinaires et même les lampes k
arc, malgré le meilleur rendement lumineux de ces
dernières (0,4 à 0,6 watt par bougie), toutes les
fois que le prix du courant n'est pas exagéré : elles
donnentun éclairemenlplus fixe et mieux réparti et
n'entraînent aucuns fraisd'enlretien et de crayonnage.
Les lampes intensives se fabriquent pour des in-
tensités lumineuses comprises entre 50 et 3.000 bou-
gies et pour les voltages usuels jusqu'à 240 volts. Les
voltages les plus bas sont les plus favorables au point
de vue de la facilité de fabrication et de l'économie
de courant; aussi a-t-on intérêt, pour les installations
importantes, à abaisser la tension d'alimentation. Cela
est particulièrement facile quand le courant est alter-
natif, grâce à l'emploi de transformateurs réducteurs.
On construit même, pour les grosses lampes, des
petits réducteurs individuels, dissimulés dans le culot
de la lampe, qui abaissent la tension d'alimentation
à une quinzaine de volts. — JacquM Daiosii.
Ijandouzy (touîs-Joseph-Théophile), médecin
français, né à Reims le 27 mars 1845, mort à Paris le
10 mai 1917. Fils et petit-fils de médecins (son père
était directeur de l'Ecole de médecine de Reims), il
commença ses éludes médicales dans sa ville natale
et vint à Paris en 1867. Il était interne des hôpitaux
quand éclata la guerre de 1870. Il contracta un enga-
gement comme aide-major et fut attaché, pendant le
siège de Paris, au service du professeur 'Villemin,
au Val-de-Grâce. Nommé ensuite chef de clinique,
médecin des hôpitaux en 1879, professeur agrégé
l'année suivante,
son enseigne-
ment eut.dès ses
débuts, un grand
succès, dû la foi. >-
à sa science so-
lide, à la clarté
et à l'élégance de
son exposition, à
son penchant
marqué pour les
nouveautés. Il fit
à ce moment plu-
sieurs remplace-
ments professo-
raux (dont celui
de son maître
Hardy), dans
lesquels il se ré-
véla comme cli-
nicien de valeur.
En 1893, il fut
choisi par la Faculté comme professeur de thérapeu-
tique, chaire qu'il échangea, en 1901, contre une
chaire de clinique médicale. C'est dans son service
de l'hôpital Laënnec qu'il donna alors toute sa me-
sure, créant là un centre d'enseignement qui fut
très fréquenté par les étudiants et par les médecins
étrangers. La même année, il succéda, comme
doyen de la Faculté de médecine de Paris, au pro-
fesseur Debove, et il fut toujours, par la suite, con-
firmé dans cette fonction par ses collègues, malgré
qu'il ait eu à faire face, en cette qualité, à des diffi-
cultés réelles, notamment au cours des manifesta-
tions qui mal■f^uèrent certains concours d'agrégation.
Membre de 1 Académie de médecine en 1894, il
entra, en 1913, à l'Institut, comme membre libre de
l'Académie des sciences. Il était commandeur de la
Légion d'honneur et titulaire, de date récente, de la
médaille d'or des épidémies. La guerre actuelle le
trouva, malgré son âge, aussi ardent que quarante-
quatre ans auparavant à mettre au service des sol-
dats et du gouvernement son activité et ses connais-
sances. U sollicita et obtint un service de médecine
militaire à l'hôpital installé dans le lycée Buiïon. Il
est mort d'une infection urinaire, que ne put enrayer
une opération faite au mois de janvier dernier et
après laquelle '.1 ne cessa de décliner. Ses obsèques
ont été célébrées le 14 ma dans la chapelle du Val-
de-Grâce. U est inhumé au cimetière Montparnasse.
L'œuvre scientifique de Landouzy est consid6-
Louis Landouzy.
236
rable, et il n'est guère de cbapitres de la médecine
qu'il n'ait enrichis d'une contribution personnelle.
Au début de sa carrière, encore sous l'influence de
l'enseignement de Charcot, il se livra à des recher-
ches fécondes en pathologie nerveuse. Parmi les
sujets qu'il traita avec le plus de succès, il faut
citer la myopathie atrophique progressive, qu'il indi-
vidualisa le premier avec son élève et ami Déjerine
et qui porte maintenant leurs deux noms. 11 étudia,
d'autre part, les affections du cœur et des vaisseaux,
notamment en ce qui concerne l'influence, sur ces
appareils, des maladies infectieuses. Il s'attacha à
l'étude de la syphilis, montra (il y revenait encore
l'an dernier) que les plaques blanclies de la commis-
sure des lèvres et de la face interne des joues, trop
facilement appelées « plaques des fumeurs », sont
la plupart du temps d'origine spécifique acquise ou
héréditaire, et étendit au delà de la période secon-
daire la phase contagieuse de l'avarie.
Mais la maladie à l'étude de laquelle Landouzy
consacra ses soins particuliers et sa plus grande
persévérance fut la tuberculose. Il s'en occupa
d'abord au point de vue purement scientifique, ana-
tomo-palhologique et clinique, puis il mit tous ses
efforts à la combattre en tant que maladie sociale.
11 individualisa une forme nouvelle de l'infection,
dont les allures la rapprochent de la dothiénentérie,
et qu'il décrivit sous le nom de lyplto-bacil/ose. Il
défendit, contre l'école allemande dont Koch était
le chef, la tliéorie de l'unicité du bacille tubercu-
leux et la fit triompher au congrès de Washington;
il montra que la pleurésie séreuse, dite longtemps
a fiigore, est, dans la grande majorité des cas,
d'essence tuberculeuse; il dépista cette infection
dansplusieursmanifesfationspathologiquesoù. avant
lui, on ne la soupçonnait pas, et d'aucuns prétendi-
rent même qu'il avait accru, de façon quelque peu
exagérée, le champ d'action de la redoutable « pan-
démie ». Les conditions d'hérédité du mal (hérédo-
disposition, hérédité de graine et de terrain), les
formes qu'il affecte chez les petits enfants furent un
des sujets qu'il scruta le plus heureusement. Dans
sa campagne — on pourrait dire sa « croisade », tant
il y apporta un zèle d'apôtre — contre la tuberculose
considérée comme maladie sociale, il fut infati-
gable et d'une ardeur qu'il serait difficile de surpas-
ser. Il n'est pas de forme de combat qu'il n'ait accep-
tée, perfectionnée ou créée ; pas d'oeuvre préservatrice
à laquelle il n'ait apporté l'appui de son nom, de sa
science, de son talent; pas de rôle qu'il n'ait volon-
tiers assumé. Membre et souvent président de toutes
les ligues et de toutes les sociétés qui se fondaient,
il combattait encore le péril dans les corps savants
dont il faisait partie. Par la plume, par la parole,
par l'action, il fut un des partisans les plus utiles de
l'hygiène sociale, un de ceux que toutes les grandes
causes utiles au pays et à l'humanité trouvèrent tou-
jours sur la brèche. Lorsque la guerre éclata, il vit
tout de suite et clairement le danger qu'allait créer la
tnberculose parmi ces hommes aijglomérés, soumis
à une hygiène toujours médiocre, souvent déplo-
rable, dans des formations où le malade côtoie si
fréquemment l'homme sain. Il fut le promoteur de
toutes les mesures destinées à diminuer le danger
par des soins assidus et logiques donnés à ceux
qu'il appela les « blessés de la tuberculose ». Quel-
ques semaines avant sa mort, c'est encore d'eux
qu'il parlait à l'Académie de médecine.
Landouzy fut, à l'étranger, le représentant digne,
honoré, inlassable, de la science française et souvent
le délégué officiel de notre pays dans les congrès
internationaux : à Philadelphie, à Berlin, à Stock-
holm, à Copenhague, à Bruxelles, etc. Partout, il
sut revendiquer pour notre école médicale la place
de premier rang qu'il estimait lui revenir, partout
il combattit pour les idées qui sont les siennes et
avec une sûreté de vues, une clarté, une richesse
d'arguments, une éloquence même qui toujours lui
assuraient la victoire. Le riche domaine hydro-
minéral de la France eut en lui un défenseur et un
apôtre. Tous les étés, pendant treize années consé-
cutives, il dirigea un voyage aux eaux minérales
qui faisait le tour de nos stations, dont on peut dire,
qu'il faisait magistralement les honneurs aux visi-
teurs étrangers. Il les convainquait de l'excellence
de nos sources, dont il est à penser qu'il fit connaître
les vertus à pas mal de compatriotes.
Landouzy fut un extraordinaire modèle d'activité
laborieuse. Levé tôt, couché tard, on se demande,
néanmoins, commeiit cet homme pouvait trouver,
dans la longue journée qu'il se créait ainsi, le temps
de remplir le programme qu'il s'était tracé, de faire
son service d'hôpital et ses leçons cliniques, d'assis-
ter aux séances des innombrables conseils, comités,
sociétés dont il faisait partie, d'écrire de nombreux
articles, de remplir ses fonctions de doyen, de s'oc-
cuper d'une très importante clientèle et de consacrer
encore quelques instants aux belles-lettres et aux
arts, auxquels il rendait un culte fervent. El, malgré
son apparence frêle, il était partout oii l'on avait
besoin de lui et tenait toujours amplement sa place.
11 était pelit, portait haut la tète, parlait bref; il était
accueillant, bon et éloigné de toute morgue réelle,
quoiqu'il aimât les honneurs. Sa voix était sonore,
LAROUSSE MENSUEL
son langage émalllé de mologismcs qu'il affection-
nait, mais, néanmoins, correct et parfois élégant. Il
nous reste de lui, comme œuvre écrite, un volume
sur la Sérothérapie et une quantité considérable
d'articles d'une infinie variété de sujets. 11 était ré-
dacteur en chef de la « Revue de médecine » et di-
recteur scientifique de la « Presse médicale ».
Ce fut, somme toute, un savant de valeur, un
médecin émérite, un excellent professeur, un doyen
apprécié, un champion infatigable de l'idée fran-
çaise. Ce fut aussi le type de ce médecin de l'avenir
qu'il envisageait: soucieux autant d'iiygiène sociale
que de clinique individuelle, et qui! dépeignait
« empêcheur de maladies, plus que guérisseur de
malades ». Il fit montre, en plusieurs circonstances,
d'une grande fermeté de caractère et, en 1914, resta
dans Paris menacé et qu'il eiit pu facilement quit-
ter, estimant que le doyen de la Faculté de méde-
cine devait être lii si l'ennemi envahissait la ville.
Beaucoup de choses passeront dans son œuvre;
mais, parmi celles qui resteront, il faut compter
l'exemple qu'il donna d'une vie de travail acharné,
d'une grande foi dans la science et dans son pays,
d'une vision généreuse du rôle social du médecin.
Sa vie aura fait honneur à la médecine, à la Faculté
de Paris et à la France. — D'Hcmi Bouquet.
leblebii n. m. Aliment préparé avec le pois
chiche, en Bulgarie et en Turquie.
— Encycl. Le leblebii est obtenu après plusieurs
torréfactions des pois chiches. Il a un goût douce-
reux, assez agréable, et constitue, dans toute la
contrée située à l'est des Balkans, un aliment très
apprécié. On l'utilise aussi pour la confection de
certaines pâtisseries et, quelquefois, comme succé-
dané du café. — c. B.
Manutention mécanique (la). La ma-
nutention mécanique est l'art de manipuler les
marchandises sans le secours de la main-d'œuvre ou,
tout au moins, en réduisant celle-ci au minimum
La manutention mécanique prend à notre époque
une importance considérable, la quantité de mar-
chandises à manipuler ne cessant d'augmenter et la
main-d'œuvre devenant de plus en plus difficile à
trouver. Elle est devenue depuis quelques années
une industrie imporlanle; elle fait usage d'appa-
reils d'une très grande variété, que l'on peut ratta-
cher à l'une des divisions suivantes : transporteurs,
élévateurs, transporteurs-élévateurs, descenseurs,
appareils spéciaux.
'Transporteurs. — Les transporteurs déplacent
les marchandises horizontalement ou avec une faible
inclinaison ; ils sont, ou non, continus.
Transporteurs continus. — Les transpor-
teurs continus sont à tablier roulant sans fin, à
N' 127. Septembre 1917.
Le chargement de la marchandise sur la courroie
a lieu à un des bouts de cette dernière et son dé-
chargement à l'autre bout ; mais, dans bien des cas,
le tablier est chargé ou déchargé en un point quel-
conque de sa course : le chargement se lait par
une trémie qui projette la matière sur la courroie
au point où on le désire ; pour le déchargement, on
utilise un appareil appelé « déverseur », qui est
muni de roues et peut venir se placer en un point
quelconque de la courroie. La courroie passe dans
le déverseur sur un certain nombre de cylindres
disposés de façon qu'elle déverse la marchandise
dans une trémie.
Les transporteurs à courroie peuvent être ins-
tallés en pente, à la condition que celle-ci ne soit
pas accentuée à ce point que les objets glissent en
cours de route. L'emploi de ces transporteurs se
prêle à des chaniienients de direction en faisant
déverser les matières par un premier transporteur
sur un second placé en contre-bas et orienté dans
une autre direction.
Transporteur à lamelles métalliques. Les la-
melles métalliques sonten acier, àjoues, pouréviler
les chutes de matières sur le côté. Elles se suivent
de façon à former une surface plane continue ; elles
sont fixées à deux chaînes sans fin parallèles, qui
roulent sur des rails par l'intermédiaire de galets;
& chaque extrémité, les deux chaînes passent sur
un ensemble de roues montées sur un même axe ;
les lamelles sont articulées de façon h suivre ce
mouvement. La traction de l'appareil se fait par la
rotation de l'arbre de l'une des extrémités.
La vitesse de ces transporteurs est très lente :
ils peuvent gravir des pentes allant jusqu'à fiO degiés,
à condition de munir le bas de chaque lamelle d'une
plaque de tôle perpendiculaire au sens de la marche
afin de retenir les matières.
Ces appareils sont utilisés pour le transport des
charbons, des minerais, des phosphates, etc. ; ils
atteignentdeslongueursdelOO mètres et quelquefois
plus et peuvent débiter jusqu'à 500 tonnes par heure.
Transporteurs à lamelles de bois. La lamelle de
bois remplace la lamelle métallique du précédent.
Transporteurs à godets. Les transporteurs à go-
dets, ou convoyeurs, s'appliquent à des parcours
très longs, comportant des changements de niveau
et de direction. Ils rendent
les plus grands services
dans les installations où
l'on a de grandes quanti-
tés de charbon et de mâ-
chefers à manipuler ; c'est
le cas pour les grandes
usines à gaz; un con-
voyeur peut à lui tout seul
assurer toutes les opéra-
I
^^TÎo»vSÏ5ÛSranM7e"Sf^^^^^^^^
Schéma u'un convoyeu». — t*' mouvement : Le charbon arrive par i et est emmené
par le convoyeur dans les silos à charbon 2, 3 *, où il est remisé. — 9* mauvcmenl: Le
charbon tombe des silos par H, 6, 7 dans le convoyeur et va tomber dans 8 et 9, qui soni
les trémies d'alimentation des chaudières 10, il. — 3" mouvement : Le uiàcbefer tombe des chaudières 10 et 11 dans le convoyeur,
d'où il est emmené dans le silo à mâchefer 12; do là, il est évacué par dfs wagonnets 13.
godets, à raclettes, à secousses, & chéneau propul-
seur, à hélice, à table circulaire. (Il existe également
des transporteurs à air aspiré ou comprimé.)
Transporteur à tablier roulant. Le tablier est
constitué soit par une courroie, soit par des la-
melles métalliques ou en bois.
Transporteur à courroie. La courroie peut être
en coton, en toile, en cuir, en caoutchouc, en
tresse métallique, en tôle d'acier.
Quelle que soitla constitution de la courroie, elle
s'enroule à chacune de ses extrémités sur un rou-
leau ; elle est soutenue sur tout son parcours par
d'autres rouleaux ; elle esttendue au moyen soitde vis
et de crémaillères, soit d'un rouleau s appuyant sur
sa partie inférieure. Suivant la marchandise à
transporter, la partie supérieure de la courroie est
plate ou en forme d'aube ; cette forme est obtenue
en faisant soutenir la courroie par des galets inclinés.
La courroie est entraînée par un des rouleaux
I sur lesquels elle passe à l'une de ses extrémités.
lions nécessaires. Les godets sont suspendus h des
galets roulants sur rail, et ils sont réunis les uns aux
autres de façon à constituer une longue chaîne sans
fin. Leur chargement a lieu â la main ou au moyen de
trémies; ils peuvent même se charger automatique-
ment dans certains cas, en passant comme une
drague dans la matière à charger. Leur décharge-
menta lieu automatiquement, grâce à un taquet que
l'on place au point voulu et qui fait basculer le
godet à son passage. La capacité de transport des
convoyeurs peut aller de 10 à 1.S0 tonnes à l'heure.
Leur longueur est absolument variable ; il en existe
de 500 mètres de long.
Transporteur à raclettes. Il se compose d'une
auge dans laquelle arrive la matière; des raclettes
avancent dans l'auge et poussent la matière ; elles
sont fixées à deux chaînes sans fin parallèles, qui les
entraînent dans un sens à l'intérieur de l'auge et
les font revenir en sens inverse, au-dessus de
l'auge, k leur point de départ.
N' 127. Septembre 1917.
MANUTENTION MÉCANIQUE
237
Tbansportfcbs, Ki.i-
f. Orua (^leclriquA automobile, piTotant«, de 1.000 kfloffr. -~ '1. Pont trnnsiiurtfur n
complèleni«>nl \c wRgunnt>t. — r.. l'rcnil imrrnal d'un pont roulant Ui! ir> tonncH. — (>. Uai
devant la bascule). — 7. Talan transporteur de 3 tonnes
KSCFNSEITRS, Cl'I-miTBORS.
|Vec l>enne automatique. - 3. Qrti^ pWotantC. fur porttqn» roulant. — (. rulhuleur rvttxirBant
waironnpt autumoi^ur J'une voie aerifni»^ Ht wa^ronnet Her.i prs^ au moment oà 11 i^auerm
cabine pour conducteur. — 8. Montv-ctiarge double de S tonnes.
238
Transporteur à secousses. Il est constitué par une
auge en lôle d'acier animée d'un mouvement de
va-et-vient. Dans un de ces types, par exemple,
l'auge est moulée sur roues, et le mouvement lui est
donné au moyen d'un excentrique; le mouvement
d'avant étant plus fort que le mouvement d'arrière,
la matière se trouve projetée en avant.
Transporteur à chéneau propulseur. Il se com-
pose d'un chéneau avançant lentement avec la
marchandise et ramené subitement en arrière, de
telle manière que la matière reste au point où elle
était arrivée.
Transporteur à hélice. Une hélice est renfermée
dans un cylindre; la matière arrive à l'entrée de ce
cylindre, el elle se trouve entraînée par l'hélice ; elle
LAROUSSE MENSUEL
sur ce câble; il est attaché au câble tracteur au
moyen d'une pièce qui fonctionne automaUi|uement,
tant pour l'accouplenient que pour le désaccouple-
ment. Les câbles sont soutenus de distance en dis-
tance par des pylônes, et l'intervalle entre deux
pylônes peut attemdrelOO, 300, 1.000 et même 1.300
mètres dans des cas particuliers. La hauteur des
pylônes au-dessus du sol est normalement de 6 à
10 mètres, mais elle peut atteindre 20, 30, 50 mè-
tres. Des pentes de 86 millimètres ont été atteintes
avec ce système, et l'on a construit des lignes attei-
gnant 35 kilomètres de long.
Les wagonnets affectent des formes différentes,
suivant la nature des marchandises à transporter.
Aux extrémités de la ligne, les câbles porteurs
Chargement d'un navire sur une cdte inaccessible, gr;ice a un chemin de l'cr ai-rion.
ressort à l'autre extrémité du cylindre. Ce transpor-
teur convient à des matières légères ne collant pas
et n'usant pas, à transporter en petites quantités.
Transporteur circulaire. Dans les magasins où
l'on a des paquets nombreux à trier, on fait arriver
ces derniers sur de grandes tables circulaires, ani-
mées d'un mouvement de rotation assez lent pour
permettre le tri des colis. Le diamètre de la roue est
proportionnel à l'intensité du trafic.
Transporteur à air aspiré ou comprimé. Un ap-
pareil de ce genre convient au transport des grains.
Despompespro-
n] duisent un vide
assez granddans
unrécipient;ce-
lui-ciestréunià
des trompes
d'aspirationsus-
pendues dans le
grain ; ce der-
nier ee trouve
aspiré ; il va
dans le récipient
d'où il passe
dans une série
de pièces pour
être finalement
refoulé par un
courant d'air.
L'air comprimé
est utilisé en le
projetant sur le
grain qui est en-
traîné. On em-
ploie l'air aspiré
quand la ma-
tière doit être
transportée de
plusieurs points
vers un même point et l'air comprimé quand la
marchandise doit être acheminée d un même point
vers plusieurs autres.
Transporteur hydraulique. L'eau est quelquefois
utilisée pour le transport de certaines denrées; en
sucrerie, notamment, on achemine les betteraves de
cette façon ; il y a en même temps lavage.
Transporteurs non continus. — Ces transpor-
teurs sont constitués par les chemins de fer aériens
sur câbles et par les voies aériennes.
Chemin de fer aérien sur câbles. Ce chemin de
fer passe au-dessus des accidents de terrain, fran-
chit de grands espaces sans pylônes de soutien,
supprime »es ouvrages d'art, ponts, tunnels, etc. ; il
a un grand débit, pouvant atteindre 200 tonnes â
l'heure avec une seule ligne.
II se compose, pour l'aller, de deux câbles, un por-
teur et un tracteur el, pour le retour, de deux câbles
également; le wagonnet est suspendu au câble por-
teur par deux ou quatre roues & gorge, qui roulent
Wagoaiii
sont reliés à une voie fixe, suspendue à deux mètres
au-dessus du plancher, et sur laquelle les wagonnets
sont roulés àla main ; celte voie est constituée par
un rail soutenu au-dessus du vide par des consoles;
un aiguillage permet aux wagonnets de passer du
rail sur le câble porteur, ou inversement. Le rail
suspendu sert, d'une part, de trait d'union entre les
deux câbles porteurs et permet, d'autre part, d'ame-
ner les wagonnets aux points de chargement ou de
déchargement, qui peuvent se trouver assez loin,
dans des ateliers par exemple. A cet effet, le rail se
prolonge jusqu'à ces points, ou encore il donne
naissance à de nombreux autres rails auxquels il
se ramilie par des aiguillages.
Le chargement de minerai, charbon, sable el ma-
tières analogues s'eCTiclue le plus souvent par des
trémies à fermeture à coulisse, sous lesquelles passe
le wagonnet dont le chargement ne demande que
quelques secondes. Le déchargement du wagonnet
a lieu en lefai>ant ou basculer ou ouvrir par le fond,
grâce à un taquet qui se trouve au point voulu.
Le graissage des câbles porteurs s'opère souvent
au moyen d'un wagonnet spécial portant un réser-
voir qui, sous l'action de l'air comprimé, verse sur
les câbles, tout le long de la ligne, une huile for-
mant vernis.
Comme moyen de contrôle et pour connaître ap-
proximativement le tonnage transporté, on enregistre
à l'aide d'un compteur le nombre des wagonnets
qui passent; lorsqu'il est nécessaire d'avoir ce ton-
nage exactement, on emploi'^ une Balance spéciale,
placée en un point quelconquede la ligne et qui ins-
crit le poids de chaque wagonnet sur un ticket.
Dans des cas particuliers, le chemin de fer aérien
ne comporte pour chaque ligne qu'un seul câble,
qui est tracteur ; le wagonnet est attaché à ce câble.
Les voies aériennes. Ces voies sont constituées
par un rail placé ï une certaine hauteur au-dessus
du sol; elles peuvent être aussi sinueuses qu'on le
désire. Elles sont plutôt réservées à des trajets
courts. Le wagonnet est suspendu au rail soikj)ar
l'intermédiaire de roues et, dans ce cas, la traction
a lieu à la main ou par câble, soit par l'intermédiaire
d'un chariot de roulement qui porte un moteur élec-
trique, l'ensemble étant alors automoteur Le cou-
rant arrive par une canalisation spéciale, un câble
par exemple, auquel le moteur est relié par un petit
trolley. Les voies aériennes peuvent recevoir des
aiguillages et des plaques tournantes comme les
voies terrestres.
Le fonctionnement avec wagonnets automoteurs
est le suivant : les wagonnets suspendus se suivent
sur le rail et se déversent automatiquement au point
précis voulu comme les chemins à câble; mais, ici,
un dispositif de blocage automatique empêche les
wagonnets de se rejoindre, et on évite ainsi des col-
lisions. A cet effet, la canalisation qui amène le
courant est divisée en secteurs séparés les uns des
autres : quand un wagonnet quitte un secteur pour
«• 127. Septembre 1B17.
entrer dans le suivant, il coupe le courant dans le
secteur qu'il abandonne; de celle façon, il y a tou-
jours entre deux wagonnets un secteur sans courant.
Lorsqu'une torte pente doit être franchie, les wa-
gonnets sont munis d'une pince avec laquelle ils sai-
sissent un câble tracteur, qui les tire pendant le trajet
de la rampe.
Les wagonnets sont souvent munis d'un treuil
électrique qui permet de descendre la benne, jus-
qu'au fond d'un bateau par exemple, pour être char-
gée; lorsque le wagonnet arrive au-dessus du point
où il doit descendre, le treuil se met en action auto-
matiquement, grâce à un dispositif électrique. Il
peut également être manœuvré k distance, toujours
électriquement, ou encore du sol par des tirettes.
Les wagonnets sont quelquefois remorqués par
un autre wagonnet moteur portant une cabine dans
laquelle se tient un conducteur ; en général, les wa-
gonnets accompagnés de la sorte sont munis d'un
treuil, et l'homme est là pour diriger les manœuvres
de montée et de descente.
Elévateurs. — Les élévateurs déplacent les mar-
chandises verticalement, ou avec une forte incli-
naison. Ils sont continus ou non continus.
Les élévateurs continus sont à godets, à bennes,
à plateaux, à crochets, à rouleaux, à tapis roulant, à
poche de toile.
Les élévateurs à godets sont constitués par des
godets fixés à la suite les uns des autres sur une
chaîne simple ou double sans fin; les godets mon-
tent chargés ; en haut, ils se retournent en dé versant
les marchandises qu'ils contiennent; ils redescen-
dent à vide dans leur position renversée ; en bas, ils
se retournent et reprennent leur position normale.
A ce moment, ils sont rechargés soit à la main, soit
automatiquement, par des trémies ou en passant
dans la matière àla façon d'une drague.
Souvent, l'appareil tout entier est enfermé dans
une gaine en bois ou en tôle. Ces appareils sont très
employés pour l'élévation des matières pulvéru-
lentes comme grains, plâtre, chaux, ciment, etc.
Les élévateurs à bennes et à plateaux sont dis-
posés de manière que les bennes ou les plateaux
ne se retournent pas comme les godets une fois
arrivés en haut; 1 appareil est, au contraire, cons-
titué pour servir en même temps à la montée et à la
descente des paquets: il marche assez lentement
pour qu'un employé puisse prendre les paquets à
leur passage devant l'étage auquel ils sont destinés.
Lrs élévateurs à crochets sonl ceux daiislesquels
les godets sont remplacés par des crochets pouvant
soutenir des pièces cylindriques comme des ton-
neaux.
Les élévateurs à rouleaux ont l'aspect d'une glis-
sière dont on aurait remplacé le fond uni par des
cylindres tournant de façon à pousser les marchan-
dises vers le haut. Ces cylindres sont composés de
disques métalliques séparés deux à deux par un
creux: les disques d'un cylindre pénètrent dans les
Elévateur a guUcls, draguant direciemeul le eharbon
dans un uaviie.
creux du suivant; ces élévateurs peuvent suivre un
chemin sinueux; ils fonctionnent uicn jusqu'à une
pente d'environ 25 p. 100.
Les élévateurs à tapis roulant rentrent en réalité
dans la catégorie des transporteurs continus à
courroie décrits plus haut; ils sont utilisés pour
gravir des pentes faibles.
Les élévateurs à poche de toile sont constitués
par deux chaînes sans fin parallèles, réunies par des
«• 127- Septembre 1917.
LAROUSSF MENSUEL
239
Transport ù lamelles métalliques, vu à l'une de ses extrémités.
(Ui:bit : 30 toDues Je coke à l'heure.)
Culbuteur roulant, capable de décharger 8 wa^uiinets d'un seul coup,
soit 26.400 kilogrammes de minerai.
échelons. Entre ces échelons est tendue une toile
plus longue que la distance des deux échelons, de
manière que la toile tonne une poche dans laquelle
on place les caisses.'
Elcvaleurs non continus. Ce sont les monte-
charge <'t les grues.
Monte-charge. Il est constitué par une cage, une
benne ou tout autre organe, qui est monté par un
treuil actionné par la transmission d'une installation
à vapeur, par moteur électrique, ou à la main.
Les monte-charge sont munis d'appareils de sé-
curité, qui les retiennent eu cas de rupture
de la chaîne ou du câble.
Grues. Les grues afleclent les formes
les plus variées ; elles peuvent être pivo-
tantes ou non, fixes ou montées sur roues
pour se déplacer ; elles peuvent être à por-
tique, c'est-à-dire leposer sur des piliers for-
mant un pont sons lequel peuvent passer les
'Wagons, ce portique pouvant d'ailleurs se
déplacer sur rails. Leur pailie supérieure
peut se lever ou s'abaisser. Enfin, elles peu-
vent être des combinaisons de ces divers
types. Elles sont actionnées à la main,
hydrauliquement, par la vapeur, par l'élec-
tricité.
Dans les ports de mer, les grues sont en
nombre considérable pour le déchargement
des bateaux. Pour les matières en amas
comme le charbon, on emploie des bennes
qui sont soit & chargement à la main, soit
à chargement automatique. La benne à char-
gementaulomatiquediteàograppin »se com-
Îiose de deux mâchoires s'ouvrant ou se re-
erraant; la benne qui va au chargement est
descendue la mâchoire ouverte; elle arrive
ainsi en conlact avec la marchandise à ra-
masser; on tire ensuite sur le câble qui la
porte ; la disposition est telle que les deux
mâchoires se referment et emprisonnent
une certaine quantité de matière.
Dans les deux cas, de benne à charge-
ment à la main ou de benne à grappin, le
déchargement peut avoir lieu automatique-
ment, exactement au point désiré, grâce à
un câble tiré par le conducteur qui agit sur
un déclic qui fait basculer la benne dans le '
premier cas ou ouvrir les mâchoires dans le
second cas.
Transporteurs-élévateurs. — Ces appa-
reils servent & la fois à élever, à trans-
porter, k descendre les marchandises ; ce sont les
ponts transporteurs, les câbles-grues transporteurs,
les ponls roulants.
Ponts transporteurs. Un pont transporteur est
un pont, fixe ou mobile, utilisé pour la circulation
d'une grue ou, le plus souvent, d'une benne ; il repose
soit par ses deux extrémités sur deux piliers, soit
par sa partie médiane sur un pilier. Dans le cas
de la circulation d'une benne, il porte un treuil,
actionné électriquement ou par la vapeur, qui sert
à la translation de la benne et aux différentes opé-
rations de levage et de descente de cette dernière.
Les dispositions varient : en principe, sur le pont
roule un chariot ; le ti-euil est relié à ce chariot,
ainsi qu'à la benne, au moyen d'un câble disposé de
telle façon qu'il peut effectuer la série des opéra-
tions : faire monter la benne chargée et la mettre en
contact avec le chariot, entraîner le chariot, l'arrêter,
faire descendre la benne. La benne est à grappin,
ou non.
Ces ponts sont particulièrement utilisés pour le
déchargement des bateaux; on les surélève pour
qu'ils ne gênent pas le passage de la mâture des
navires; souv'ent, même, leur extrémité surplombant
l'eau peut se relever ou coulisser à l'intérieur du
pont. Certains de ces ponts ont 100 mètres de portée
entre pieds et 140 mètres de long.
Câbles-grues transporteurs. — Dans certaines
installations, on supprime le pont transporteur, qu'on
Benne automatique & minerai; minerai pris: 3 mètres oubes 600;
poids de la benne : 10 tonnes.
remplace par des câbles tendus entre deux tours
montées sur roues et, par conséquent, mobiles ; sur
l'un de ces câbles roule le chariot, qui porte la
benne : cette benne est à chargement à main ou à
grappin. Le treuil est dans l'une des tours, et le
conducteur se trouve soit dans l'une des tours, soit
dans une cabine qui roule sur le câble porteur et
accompagne le chariot de roulement portant la
benne. Enfin, si le câble passe au-dessus d'un endroit
à protéger contre la chute des matières portées par
les wagonnets, on établit un pont-abri au-dessus de
cet endroit. Certaines installations atteignent des
portées de 200 mètres.
Ponls routatih. Ils sont habituellement placés
dans les parlies hautes des ateliers, et se composent
d'un pont métallique reposant sur des galets qui lui
permettent de rouler sur des rails ; ce pont porte un
chariot qui se déplace d'une de ses extrémités à
l'autre; sur ce chariot est fixé un treuil, dont la
fonction est de soulever du sol la charge à trans-
porter, de tenir celle-ci pendant le transport, de le
redescendre enfin au point voulu.
Ces ponts sont quelquefois roulés à la main ou
par câble; mais, le plus généralement, ils sont ac-
tionnés électriquement. Les mouvements à obtenir
sont de trois sortes : déplacement du pont pour
qu'il vienne dans le même plan que la cliarge à
transporter, déplacement du chariot pour le mettre
exactement au-dessus de la charge, mouvement du
treuil. Ces différents mouvements sont obte-
nus par trois moteurs, quelquefois par un seul.
Les grands ponts roulants portent une
cabine, dans laquelle se tient le conducteur;
cette cabine est suspendue au pont ; le mé-
canicien a devant lui tous les organes de
commande, et la cabine est en général placée
à un des bouts du pont roulant, de façon
que le conducteur puisse bien surveiller
toutes les opérations.
Appareils de descente. — Un très grand
nombre des appareils décrits plus haut
peuvent servir à la descente des marchan-
dises, mais il existe des appareils qui ne
servent qu'à la descente. Tels sont la glis-
sière, le descenseur à rouleaux, le plan in-
cliné automatique.
La glissière est l'appareil de descente
le plus simple; elle est droite quand la rampe
n'est pas trop forte, hélicoïdale dans le cas
contraire.
Le descenseur à rouleaux comporte un
plan incliné dont le plancher est constitué
par des rouleaux parallèles fous, c'est-à-dire
absolument libres de tourner autour de leur
axe horizontal. Les caisses placées sur un tel
plan incliné descendent avec facilité.
Le plan incliné automatique consiste en
une voie inclinée, sur laquelle descend par
son propre poids un wagon net chargé, qui
remonte seul, une fois vide, à son point de
départ. Une pièce de bois repose en travers
des rails en un certain point ; le wagonnet
rencontre cette pièce de bois, la pousse de-
vant lui, ce qui a pour effet d'entraîner un
câble qui remonte un contrepoids. Le wa-
gonnet heurte ensuite un taquet, qui fait
ouvrir ses portières ; le chargement s'é-
chappe complètement grâce à la forme en dos
d'âne du fond du wagonnet et à la disposition
des portières, qui sont constituées par les parois laté-
rales de ce dernier. Lorsque le wagonnet est vide,
il ne peut plus retenir le contrepoids en l'air, et ce
dernier redescend en faisant remonter le véhicule.
Appareils spéciaux. — Culbuteurs de wagons.
Ces appareils sont destinés au déchargement
instantané des wagons ; ils opèrent, soit en bas-
culant le wagon en avant (déchargement par la
fiaroi antérieure s'ouvrant), soit en le basculant sur
ecôlé(déchargementparlesportes ou par la paroi la-
térale s'ouvrant), soi l en le retournant complètement.
Dans les deux premiers cas, le déchargement a
lieu dans des récipients situés soit plus bas, soit
plus haut que la voie. En récipients plus bas, le
wagon arrive sur un plateau qui bascule en incli-
nant fortement le wagon, tout en entraînant un
contrepoids qui fait remettre en place le wagon dès
que celui-ci est vide. En récipients plus hauts, on se
240
i.aroi'ssp: mensuel
Pont roulant, portant à gauche le chargeur d'un four Martin (!) et, à droite, un électru-aimant t,2) pour manutention do lingot.
sert ou d'une grue qui élève en l'air le wagon, puis
le fail basculer, ou d'un plan incliné, sur lequel monte
une plato-loi-me sur laquelle est placé le wagon; en
liant, la forme de la voie est telle que la plate-forme
s'incline fortement en entraînant le wagon dans
son mouvement.
Le culbuteur qui retourne complètement le wagon
est constitué par une sorte de cylindre métallique à
parois à claire-voie, dans lequel on fait entrer le
wagon, et que l'on fait tourner ensuite, de façon à
mettre le wa^-on à l'envers. Pour des wagonnets de
mine, on fait des culbuteurs analogues, qui renfer-
ment,jusqu'à huit wagonnets de chacun 8.300 kilo-
grammes; c'est donc 26.400 kilogrammes qu'un
culbuteur de ce genre peut renverser en une seule
opération.
Electro-aimant de déchargement. — Cet appa-
reil est constitué par un plateau circulaire de fer
doux d'une certaine épaisseur, dans lequel se trouve
un dispositif électrique. Lorsqu'on fait passer le
courant dans ce dispositif, le plateau s'aimante en
vertu d'une propriété électrique connue (éleclro-
aimantalion]\ lorsque le courant cesse, l'aimanlation
disparaît. Si donc, dans un transporteur, par e.xem-
ple, on lemplace la benne par un tel plateau et qu'on
descende ce dernier dans un bateau chargé de lin-
gots, ceu.\-ci s'al tacheront à l'éleclro-aimant dès
qu'on fei-a passer le courant. Ensuite, on soulèvera
l'appareil et, en maintenant toujours le courant,
on le transportera au-dessus du point où doivent
être placés les lingots. L'appareil une fois au-dessus
de ce point, on arrêtera le courant, l'aimaTitation
cessera, et les lingots, se drtachant de l'électro-
ainiant, tombei'out à l'endroit voulu.
Remarques sur les inslallaUons de manutention
mécanique. — La manutention complète des mar-
chandises dans une usine comporte habituellement
l'emploi simullnnéde plusieurs des appareils décrits
plus haut: le choix de ces derniers dépend de la nature
et de l'élat physique des matièies à transporter,
des conditions locales, du débit qu'on veut obtenir.
La manulention mécanique joue un rôle de pre-
mier ordre dans la manipulation du charbon et dans
le déchargement et le chargement des bateaux dont
on doit toujours abréger le séjour dans les ports.
Aussi, dans ces applications, reuconlre-t-on des ins-
tallations très complètes. — M. nEOKLBAonBR.
IMartin (Pierce-Emile), ingénieur français, né
k Bourges le 18 août 1824, mort à Kourchambault
(Nièvre) le 21 mai 1915. Il appartenait à une fa-
mille de métallurgistes; son giand-père maternel,
G.Dufaud, avait été ingénieur, fondateur des forges
de Fourchambault, et son père, Emile Martin, avait
contribué à la prospérité et à l'extension de l'entre-
prise. La voie de Pierre Martin était toute tracée.
Sorti de l'Ecole des mines de Paris en 1844, il
romineiiça sa carrière à Fourchambault, aux côtés
lie son père, et y resta jusqu'à ce que celui-ci eut
acheté, en 1854, les forges de Sireuil (Charente);
il fut alors chargé de la direction de cet établisse-
ment. Ce fut en 1861 qu'il prit son premier brevet
pour la fabrication de l'acier par action directe du
fer sur la fonte à haute température ; ces premiers
essais furent malheureusement infructueux, car
l'appareil qu'il utilisait ne lui donnait pas une tem-
pérature suftisanle pour arriver à un bon résultat.
On sait que les fontes renferment de 2 à 5 p. 100 de
carbone avec du silicium, du phosphore, du soufre
et, presque toujours, du manganèse. L'acier, au
conli-.-iire, ne renferme au maximum que 1,7 p. 100
de carbone (avec une teneur plus forte, il cesse
d'être malléable) et d'autres éléments, mais en plus
faibles proportions. Cet acier peut s'obtenir par
carburation du fer (cémentation) ou par décarbura-
lion des fontes. (V. acier, au Nouv. Lar. Ht., t. 1".)
Sir Henry Bessemer avait déjà indiqué, en 18.i6, le
procédé du convertisseur et, dès 1862, l'industrie
métallurgique commença à l'utiliser : la méthode
Bessemer consiste à décarburer entièrement la fonte
pour ajouter ensuite une certaine quantilé de fonte
manganésif ère
qui, entre autres,
fournit le car-
bone nécessaire
à la transforma-
tion.
.Martin voulait
ne faire qu'une
décarburation in-
complète de la
fonte. Il prit son
brevet défi ni tif
le28 juillet 1865:
il était arrivé à
obtenir une tem-
pérature suffisan-
te avec le foui-
Siemens. 11 utili-
sait d'immenses
foursàréverbèi'e,
sur la sole des-
quels il plaçaitde
la fonte et des dé-
chets de fer. La teneur en carbone de l'ensemble
pouvait être ainsi lixée à l'avance; le tout était
chauffé à une températui-e d'environ 1.800 degrés,
à l'aide d'un gazomètre Siemens, muni de récupé-
rateurs; il arrivait à fabriquer ainsi jusqu'à 25 ton-
nes d'acierenune seule pièce. Le nouveau procédé de
fabrication de l'acier enli-a immcdialement djns la
pratique industrielle et, en 1869, vingt-cinq fours
iMartin fonctionnaient déjà en France. Martin resta à
la tête des établissements de Sireuil jusqu'en 18N3.
En 1867, il avait obtenu la grande médaille d'or à
l'Exposition universelle pour son nouveau procédé
de fabrication de l'acier et, en 1878, il avait été fait
chevalier de la Légion d'honneur. .■\ujourd'hui, dans
la production mondiale d'acier, c'est-à-dire plus de
70 luillions de tonnes, la moitié au moins est fabri-
quée par le pi-océdé Martin. Celui-ci aurait dû réa-
liser une grande fortune; malheureusement, la vali-
dité de ses brevets n'a pas été reconnue, et il dut
soutenir de nombreux procès. C'est pourquoi le co-
mité des Forges de France, il y a quelques années,
ouvrit une sousciiption en sa faveur, après s'être
inscrit lui-même pour 100.000 francs. Pierre Martin
fut, à celle occasion, convié à un banquet organisé
en son honneur le 9 juin 1910 et présidé par Mil-
lerand, alors ministre du commerce. Celui-ci remit
à .Martin la croix d'officier de la Légion d'honneur.
Au mois de mai dernier, l'association des maîtres <le
forges anglais lui avait décerné la grande médaille
d'or Bessemer. Pierre Martin faisait partie de cette
rieiTO Martin.
«• »27. Septembre W17.
grande phalange de bons Français qui, tout en res-
tant inconnus du grand public, n'en sont pas moins
de véritables bienfaiteurs de l'huinanité et apportent
à leur pavs un surcroît de richesse, en même temps
qu'une gloire incontestable. — Q. Bodcdent.
pellagre n. f. (de l'ital. pelle agra, peau
aigre). [Syn. ital. : mal ciel .<iole, calore del fegato,
mat rosso, mal liella miseria, umor salso, etc.;
esp. : mal de la rosa, mal del higailo, ftema sa-
lada, etc.; France : maladie de La Teste, mal de
Saitile-Bose, gale de Saint-Agnanl, etc.; Rouma-
nie : Pdrleala, Jupuiala; lat. : lepra Asinriensis.]
.Maladie caractérisée par des accidents cutanés, des
troubles digestils et nerveux et pouvant se terminer
par la folie et la cacliexie.
— Encvcl. La pellagre est une vieille maladie, sur
laquelle l'attention a été de nouveau attirée en ces
temps derniers par de récentes éludes faites sur son
origine et par les discussions qui se sont élevées
sur le danger hypothétique que l'introduction de
la farine de ma'is dans le pain pouvait nous faire
courir à cet égard.
Il est d'usage de considérer que la pellagre n'existe
en Europe que depuis 1 introduction du ma'is dans
les contrées oii elle sévit, c'est-à-dii-e depuis le
début du wm^ siècle. Cette opinion est aujourd'hui
moins généralement admise, et un certain nombre
d'auteurs croient qu'elle existait en ces régions bien
avant d'y être observée. Ils se fomlent, pour étayer
leur opinion, sur ce fait qu'à l'époque où l'on re-
connut l'existence de la pellagre, son extension étSit
tout aussi vaste qu'aujourd'hui et sur cette autre
particularité que la pellagre, déclarée inconnue
aux Etats-Unis en 1906, fut reconnue, dès qu'on l'y
rechercha, sévir dans trente-trois Etats de l'Union
(1912). Ces études sur la date d'apparition et la dis-
tribution géograpbi(|ue du mal ont un très gros
intéi'êt, car elles sont susceptibles d'apporter des
arguments de gi-ande valeur en ce qui concerne les
causes de sa naissance. A l'heure actuelle, la distri-
bution géographique de la pellagre compieiid d'a-
bord l'Italie, où certains districts sont frappés dans
la proportion d'un habitant sur dix, la Houmanie,
l'Espagne, la Hongrie, le sud-ouest de la France. Il
faut ajouter à ces foyers ceux qui ont été récomment
constatés aux Etats-Unis, en Egypte et en Angle-
terre (Ecosse, pays de Galles, Slïetlands, Irlande).
Il semble que le premier auteur qui ait décrit
celte maladie soit Gaspar Casai, médecin de Phi-
lippe V. Il faut ensuite citer, dans son histoire, les
noms de Thierry, médecin du duc de Duras (17501,
de Frapolli, qui l'éludia le premier en Italie (1771),
de Strambio (1784), de Hameau, médecin de La Teste
de Buch, qui décrivit les pi-emicrs cas observés en
France (1812), de Fachei'is et Marzari, qui incrimi-
nèrent les premiers le ma'is, de Balai'tlini, qui fut
l'auteur de la théorie verdéramique (1844), de Rous-
sel (1845), puisdeLombroso, Babcock, Sambon,etc.
On décrit généralement trois degiés dans la ma-
ladie. Le premier degré est caractérisé par l'éry-
thème cutané, parfois précédé par un énanthèiTie
buccal et de la salivation, par des douleurs gas-
triques, des troubles intestinaux, des maux de tête,
des vertiges, de la diminution des forces physiques,
des crampes, des signes de néphrite et des troubles
oculaires, pai-mi lesquels un des plus fi'équents est
la cataracte. Quand le second degré est atteiu I, tous
les signes que nous avons décrits s'exagèrent, la
diarrhée s'in.stalle de façon plus intense, et surtout
les phénomènes nerveux tendent à dominer le tableau
morbide. C'est ainsi que l'on note des accès épilep-
tiformes, des convulsions rachidiennes, du tremble-
ment, de la tristesse, etc. Au troisième degré, tous
ces phénomènes persistent, mais la prédominance
de certains d'entre eux est caractéristique. C'est le
stade terminal, où la cachexie, les paralysies et la
démence marquent à la fois la déchéance totale de
l'individu et fout pressentir sa fin prochaine. Non
que la pellagre doive aboutir fatalement à cette ter-
minaison. Mais, si la guérison, moyennant surtout
des soins hygiéniques, est fréquente au premier
degré, elle devient moins facile au deuxième, où la
maladie laisse souvent des traces chez l'individu
guéri, et elle est tiès rare au troisième. Le mal est
d'autant plus grave qu'il frappe des sujets dont
l'état antérieur les fait moins résistants, et le pro-
nostic est d'autant plus favoratile qu'il est aisé de
changer les conditions de vie du malade.
L'érythème pellagreux mérite quelques mots de
description, car il est sans doute le signe le plus
caractéristique de la maladie. Il apparaît de préfé-
rence sur les parties du corps découvertes : dos des
mains, cou, face, région dorsale des pieds, mais
on l'a signalé en d'autres points du corps. Il esl
généralement symétrique. Parfois, il donne, ayant
envahi la nuque, le cou et la face antérieure de la
poitrine, la figure d'une cravate. 11 débute par de la
rougeur, avec sensation de prurit et léger œdème
de la peau. Ensuite, apparaissent des bulles, plus
ou moins confiuentes, emplies d'un liquide transpa-
rent, qui se rompent. La desquamation s'établit
alors, compliquée de fendillements, et laisse la peau
dépigmentée. Cet érythème s'établit généralement
N' 1Z7. Septembre 1917.
au début du printemps, disparaît au bout de quelques
mois et rtapparait au printemps suivant. Celle alter-
nance marque la marclie de la maladie, qui agit
ainsi par poussées successives et saisonnières, les-
quelles se succèdent jusqu'à la guérison ou jusqu'à
la terminaison mortelle.
La folie pellagreuse est assez fréquente, puis-
au'une stalislique de Modène accusait 6 p. 100
'aliénés parmi les individus atteints de celte ma-
ladie. On a décrit, à cet égard, des délires aigus et
des délires chroniques. D'une façon générale, on
conslale surtout, dans ces cas, de la mélancolie,
avec tendance très marquée au suicide, de la manie
reliK'euse, de la stupidité.
Toute cette partie de l'histoire de la pellagre est
bien établie, et il n'y a aucune contestation ni sur
les symptômes de cette maladie, ni sur son degré
de gravité, ni sur les complications (myélite, typhus
pellagrcux) qui l'accompagnent parfois, ni encore
sur l'alTaihlissement physico-psychique qu'elle laisse
souveni chez l'homme guéri et qu'il peut même
transmettre, au moins en partie, à sa descendance.
Il n'en est pas de même de l'origine de la maladie,
et nous pouvons dire que ce chapitre est loin d'être
encore élucidé entièrement.
On doit nommer seulement un certain nombre
d'explications qui représentent la pellagre soit
comme une variété de lèpre, soit comme une com-
plication du paludisme, soit comme une transforma-
tion de la syphilis, ou encore comme une consé-
quence de la vie au grand soleil, de l'alcoolisme, de
l'usage des viandes salées. D'autres, avec plus de
raison peut-être, ont considéré la pellagre comme
une simple maladie de misère, oùl'alimentalion dé-
fectueuse et insuffisante, l'absence d'hygiène, etc.,
ont la plus grande part. Cette opinion est encore
soutenue de nos jours. On peut estimer seulement
qu'elle est incomplèle et que la misère intervient
ici comme facteur de fréquence et de gravité. Mais,
en réalité, deux théories sont en présence : l'une,
admise de façon très générale, et qui incrimine l'ali-
mentation par le maïs, l'autre, plus récente ou du
moins récemment renouvelée, qui fait de la pellagre
une maladie infectieuse.
La Ihëorie maïdique estsoutenue depuis longtemps
en Italie. Elle se fonde sur ce principe que la pel-
lagre n'existe que dans les pays où l'alimentation
par le maïs forme la base de la nourriture et dans
la population qui fait de cette céréale la plus grande
consommation. Le principe de la théorie est donc
l'influence exclusive du maïs sur sa production.
Mais cela n'explique pas cette apparition même, car
tous les mangeurs de maïs ne deviennent pas pella-
greux, il s'en faut de beaucoup. 11 a donc fallu cher-
cher une explication plus détaillée. Les uns ont
incriminé le maïs insuflisamment mûri. Ils se fon-
daient sur ce fait que c'est surtout à la limite géo-
graphique supérieure de la culture de la plante que
la maladie apparaissait, tandis qu'elle était incon-
nue dans les pays très chauds où elle mûrit facile-
ment et vite, comme le Pérou, l'Asie Mineure, etc.
En second lieu, vint la théorie verdéramique, qui
estime que c'est la seule ingestion du maïs attaqué
par un cryptogame qui cause la maladie.
Ce cryptogame serait le Sporisorium matdis ou
verdet (ou encore verdérame) ; il se présente dans
la plante sous la forme d'une poudre de couleur
veri-de-gris formée de spores. D'autres pensent que
filusieurs champignons sont susceptibles de causer
es mêmes méfaits. Ces cryptogames produiraient
des poisons solubles dans l'alcool, ce qui explique-
rait l'apparition de la pellagre chez certains. indi-
vidus ayant bu des liqueurs fermentées à base de
maïs. Une des dernières explications données met
en cause un poison de la famille des plomaïnes,
auquel Lombroso a donné le nom de pellagro-
zéine, tandis que d'autres incriminent un alcaloïde
produit dans les mêmes conditions. Enfin, 'Weill
et Mouriquand, rangeant la pellagre dans ce qu'ils
appellent les « maladies par carence », estiment que
la farine de maïs dangereuse est celleoù la cuticule
du gi ain n'est pas conservée en quantité suffisante.
La théorie infectieuse n'est pas, non plus, très
récente. Elle a été soutenue successivement par
Kelsche, Cuboni, M"" Manicatide, etc. Mais celui
qui a apporté en sa faveur les meilleurs et les
plus récents arguments est Sambon, professeur à
l'Ecole de médecine tropicale de Londres (1905-
1914). Cet auteur montre d'abord que la distribu-
tion géographique de la pellagre ne coïncide nulle-
ment, comme on l'a avancé, avec la distribution de
la consommation maïdique et que, d'autre part, la
pellagre est à peu près inconnue dans les villes des
contrées où la pellagre est endémique, villes où,
cependant, on mange du maïs comme dans les cam-
pas'nes. Il fait état, ensuite, de ce que les mesures
prophylactiques prises en Italie par application des
théories classiques n'ont eu aucune influence sur le
développement de la maladie. 11 s'appuie, enfin, sur
les conditions régionales, saisonnières, etc., dans
lesquelles le mal se contracte. Sa conclusion est
que la pellagre est une maladie infectieuse, dont
1 agent, qui est peut-être un protozoaire, n'est pas
encore connu et dont l'animal transmetteur serait
LAROUSSE MENSUEL
un insecte de la famille des Simulides et, sans ooule
aussi, un autre insecte de la famille des Chirono-
midés. La valeur des arguments fournis par
Sambon et le fait qu'il a été le premier à ac-
cuser la mouche tsé-lsé de causer la maladie du
sommeil et le pediculua vestimenli d'occasionner
le typhus exantliématique (deux hypothèses recon-
nues actuellement exactes) font que la théorie in-
fectieuse apparaît à beaucoup de médecins et de
parasitologues comme mieux appropriée à ce que
nous savons de la pellagre que là théorie maïdique.
La question, en définitive, reste à l'étude.
Le traitement de la pellagre est, avant tout, hygié-
nique : il consiste à soustraire le malade aux con-
ditions défavorables d'existence qui lui ont permis
de contracter la maladie. C'est dire que l'incertitude
sur l'origine réelle de celle-ci rend ces soins un
peu empiriques D'autre part, il importe de soigner
individuellement les symptômes de l'afTection. On
utilise, à cet égard, les préparations arsenicales, les
médicaments antidysentériques, le régime alimen-
taire, les bains, la protection des parties décou-
verles du corps, etc. Plusieurs sérums (Talasescu,
Nicolaïdi) ont été préconisés. — D' Henri Bououet.
Pessard (EmiZe-Louis-Fortuné), compositeur
de musique, né à Paris le 29 mai 1843, mort dans
cette même ville le 10 février 1917. — Issu d'une
famille oùla musique était particulièrement cultivée,
Pessard manifesta dès son jeune âge de remarqua-
bles dispositions.
A six ans, il s'es-
sayait déjàà com-
poser. Il travailla
ta flûte sous la
direction de sou
ftère ; sa mère
ni enseigna le
piano.
Après un stage
de trois mois à
l'école Nieder-
meyer,ilenlraau
Conservatoire,
dans laclasse
d'accompagné -
mentet d'harmo
nie de Bazin, ou
il remporta un
premier prix en
1862. Elève de
Carafa pour la
fugue, il se vit décerner, à l'unanimité, en 1866, le
grand prix de l'Institut avec la cantate Dalila, àoni
l'exécution à l'Opéra-Comique, l'année suivante, fut
accueillie favorablement.
Après avoir achevé le séjour réglementaire à
Rome, Pessard revint à Paris et put faire repré-
senter à l'Opéra-Comique, le 21 février 1870, un
ouvrage en un acte, la Cruche cassée, qui plut au
public. Il n'en dut pas moins attendre huit ans
avant que le théâtre ne lui donnât de nouveau
l'hospitalité. En collaboration avec Paul Arène et
Alphonse Daudet, il avait écrit une courte par-
tition, le Char, qui met en scène Alexandre de Ma-
cédoine, le philosophe Aristote et la courtisane
Briséis, et dont il faut louer la verve prime-sauticre,
la finesse et l'esprit. Ce n'est que le 28 janvier 1878
que le C/tar fut joué à l'Opéra-Comique. La même
année, au mois de juillet, le Théâtre- Lyriiiue don-
nait la première représentation du Capitaine Fra-
casse, dont le livret avait été tiré par Catulle Mendès
du célèbre roman de Théophile Gautier. Pessard y
montrait un instinct vif et sûr de l'elîet dramatique,
l'adresse, l'élégance aisée d'un art façonné par une
longue expérience, une inspiration abondante et
souple, peut-être une facilité excessive. Les mêmes
qualités se retrouvent, à un degré supérieur, dans
Tabarin, que l'Opéra-Comique représenta en 1885.
Dès l'abord, la maîtrise de la pensée s'y affirme;
l'expression est plus ferme, plus colorée, plus savou-
reuse, l'harmonie plus riche, le style plus personnel.
Le quasi-échec de Tartarin sur les Alpes en 1887,
à la Gaîté, dont le musicien, semble-l-il, ne peut
pas être rendu responsable, ne découragea pas
Pessard. Il donna en 1891, à l'Opéra-Comique. les
Folies amoureuses et, en 1893, aux BouffesPari-
siens, Mam'zelle Carabin, qui fournirent une bril-
lante carrière. L'Opéra-Comique a repris les Folies
amoureuses.
Comme tous ceux dont la vocation s'est éveillée
en naissant, dans la pure atmosphère de leur art et
chez qui le « métier », la technique semblent moins
acquis que naturels et comme innés, Pessard & été
un producteur extrêmement fécond.
Aux œuvres lyriques déjà mentionnées il faut ajou-
ter Castor et l'ollux. Don Quichotte, opéras bouffes
en un acte, Gifles et baisers, Hugketle, Laridon,
opéras-comiques en un acte également, des suites,
diverses pièces d'orchestre et de musique de chambre,
dont un trio pour piano, violon et violoncelle, des
chœurs avec ou sans accompagnement, des motels,
deux messes, des duos, deux recueils : les Chansons
gaillardes et les Joyeusetés de bonne compagnie,
EmUe Pessard.
241
ceues-ci sur deï poèmes de Passerai, Hugo, Mus-
set, Théophile Gautier, Hégésippe Morcau ; une
centaine de mélodies, des pièces de piano plus nom-
breuses encore, détachées ou en recueils. Il faut
citer, parmi ces dernières, les Vingt-cinq pièces,
précédées d'une lettre de Gounod, qui renferment
des pages originales et pittoresques; les Dix pièces
pour passer le temps, dont les Pifferari sont la plus
notoire et, parmi les deux cahiers de Vingt mélo-
dies el de Vingt-cinq mélodies, Mimi Pinson, A une
fleur, Ma mie Annette et surtout Bonjour Suzon,
qui a connu la vogue.
Professeur d'harmonie au Conservatoire, direc-
teur de l'enseignement musical dans les trois mai-
sons d'éducation de la Légion d'Honneur, Pessard
a rédigé successivement, avec talent et compé-
tence, la critique musicale à I' « Evénement », à
la II Mode illustrée » et à la « Revue pour tous ».
Il a contribué, en fondant l'Association des jurés
orphéoniques, à relever le niveau des concours
régionaux propres à favoriser le développement des
sociétés populaires. Il a été président de 1 importante
société II la Sirène », de Paris.
Pessard a appartenu à cette génération de compo-
siteurs français, nourris des traditions classiques, qui
ont grandi dans le rayonnement de la musique ita-
lienne et dont Gounod semble avoir jadis fixé la des-
tinée. Les conquêtes du wagnérisme, la révélation
russe, l'épanouissement de l'impressionnisme ont
brusquement orienté vers un autre idéal l'esthétique
contemporaine. Gardons que la fatalité des dates ne
nous rende injustes à leur égard. — Paul locae».
rimator n. m. Oiseau appartenant au groupe
des passereaux et à la famille des cratéropodidés.
— Encycl. Ce genre est caractérisé par la forme
de son bec et par sa queue courte. Le bec est mince,
plus long que la tête ; le culmen est incurvé vers le bas,
il est échancré près de la pointe. La queue est arron-
die et a moins de la moitié de la longueur de l'aile.
Les deux espèces connues sont lerimatormalacoptile
[rimator malacoptilus) de l'Himalaya el le rimalor
strié de blanc
(rimator albo-
shv'aius) de Su-
matra Le front,
le vertex, la nu-
que et le man-
teau sont d'un
brunrougeâtre,
surlequel se dé-
tachent les ra-
chis de couleur
fauve. Les plu-
mes du dos ont
le vexille inter-
ne noir, tandis
que l'externe
est brun; le
rachis est d'un
fauve pâle. Le
croupion, la queue et ses couvertures supérieures
sont rougeâlres, les couvertures alaires et les vexilles
externes des rémiges sontd'un brun roux, avec rachis
moins foncés; les lores sont fauves, les joues sont
noires el fauves, avec une ligne noire en dessous;
le menton est blanc jaunâtre, la gorge, la poitrine et
l'abdomen sont d'un brun roussâtie, sur lequel se dé-
tachent les rachis, plus pâles ; la région anale et 1rs
couvertures inférieures de la queue son t d'une couleur
ferrugineuse. Le bec est d'une couleur cornée, les
membres sont rouge brunâlie; l'iris est brun clair.
La longueur de cepelit animal n'est que de 12 cm. 5.
Le rimalor est insectivore ; il habile principale-
ment les hautes montagnes du Sikkim, de l'Assam
et du nord de la Birmanie. — A. ménéoaux.
Semaine anglaise (la). Hisl. et dr. —
1. Généralités. —Définition. — On appelle « se-
maine anglaise » une organisation de travail com-
portant, à part le repos du dimanche; le repos de
l'après-midi du samedi.
Historique. — L'Angleterre, tout particulière-
ment avancée dans l'évolution industrielle, a eu la
première la journée légale de dix heures pour les
femmes et pour les enfants; et, en vue d'assurer le
repos partie du samedi, elle a consacré à leur égard
la semaine de 55 heures et demie, dans certaines
industries, telles que les industries textiles.
En France, c'est en plein moyen âge que la semaine
anglaise a été pratiquée : dans nos vieilles cornorn-
tions, le travail cessait le samedi après midi, afin de
permettre aux ouvrières de vaquer aux soins du mé-
nage et de garder l'entière liberté du dimanche.
L'.Mlemagne.qui a, elle aussi, adopté la journée de
dix heures pour les femmes elles enfants, a établi,
fiour les femmes, la semaine de 58 heures: le samedi,
es femmes quittent le travail deux heures plus tât.
En 1902, une enquête ouverte à travers nos départe-
ments a montré qiie, dans un certain nombre d'indus-
tries, le repos de l'après-midi du samedi était, en tout
ou en partie, spontanément accordé par les patrons.
La semaine anglaise a fait, en 1913, l'objet d'im-
fiortants débats au conseil supérieur du travail, sur
es rapports de Briatau nom des membres ouvriers.
Rimator malacoptilus.
242
LAROUSSE MENSUEL
«0 127. Septembre 1917.
REMARQUES
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VENT
r-Ai8L£
Peuille-diagranime d'observations météorologiques, faites à Clamart (Seine) pendant le mois do juin 1917, chaque jour, à 9 heures du matin.
et de Pralon au nom des membres pati-ons, Briat
défendait, dans l'intérêt de la famille, la semaine
anglaise; Pralon combattait l'intervention législa-
tive, déclarait que les patrons n'étaient point opposés
à la réTorme, mais il souhaitait que l'application fiit
librement faite, suivant les ciiconslances et la situa-
tion de chaque industrie et de chaque patron.
Devant la Chambre des députés, le problème du
repos de l'après-midi du samedi a été posé, pour
l'ensemble des établissements industriels, par deux
propositions de loi, — émanant, l'une, du comte
Albert de Mun et, l'autre, de Henry Gbéron, — qui
ont donné lieu à un rapport présenté le 6 mars 1914
par Justin Godart.
Origine directe de la loi du 11 juin 1917. — La
question demeurait en suspens lorsque, en mai 1917,
certains incidents survinrent dans l'industrie du vê-
tement. Quelques maisons de couture de Paris ayant
pris l'initiative de donner, à partir du 12 mai, le repos
de l'après-midi du samedi, sans attribution des sa-
laires correspondant aux heures de travail suppri-
mées, les ouvrières de l'industrie du vêtement s'ému-
rent: elles réclamaient le repos du samedi après midi,
mais avec maintien des salaires applicables à la durée
de ce repos; elles voulaient, en outre, une Indemnité
de cherté de vie. Des grèves se produisirent, qui
englobèrent 73 corporations et 98.000 ouvriers.
t)ans une réunion, qui eut lieu le 20 mai au mi-
nistère de l'intérieur et à laquelle prirent part les
représentants des groupes patronaux et les délégués
des grévistes, l'intervention de la loi fut demandée
par les uns et par les autres.
Et, pour donner satisfaction à ces désirs, le gou-
vernement saisit la Chambre des députés, dès la
séance du surlendemain, d'un projet de loi tendant
à organiser pour les femmes, dans les industries du
vêtement, le repos de l'après-midi du samedi.
L'exposé des motifs du projet contenait ces pré-
cisions :
Le présent projet a simplement pour but, dans une
industrie spéciale où la question vient de se poser d'une
façon particulièrement ai^uo, d'^ donner une solution im-
médiate et transactionnelle, qui permette de rétablir la
paii et la bonne entente entre les deux parties en pré-
sence.— Il ne vise, d'autre part, que le personnel féminin.
Ce projet est devenu la loi du 11 juin 1917.
II. Portée d'application et détails de la loi
DU 11 JUIN 1 '17. — Etendue et durée d'application
de la loi. La loi du 11 juin 1917 n'a qu'une éten-
due d'application partielle : 1° elle n'est applicable
que dans les industries du vêtement, ou (pour em-
ployer les termes formels de son article 1<^"') que
« dans les industries visées par l'article 33 du livre I"
du Gode du travail et de la prévoyance sociale », tel
qu'il a été modifié par la loi du 10 juillet 1915 :
« travaux de vêtements, de chapeaux, de chaussures,
de lingerie en tous genres, de broderies, de den-
telles, de plumes, de fleurs artificielles et tous autres
travaux rentrant dans l'industrie du vêtement »;
2" elle n'est applicable qu'en faveur des femmes :
« ouvrières de tout âge ».
En tout cas, la loi du 11 juin 1917 englobe la
même catégorie de travailleuses qui, au point de
vue du salaire, ont fait l'objet des dispositions de
la loi du tO juillet 1915. (V. dans le Larousse Men-
suel, année 1916, page 797, l'article travail à domi-
cile des ouvmfcRES du vêtement.)
Autre trait caractéristique de la loi duHjuinl917.
— C'est une loi temporaire : elle.ne doit avoir effet
que « pendant la durée de la guerre et tant qu'une
loi générale ne sera pas intervenue ».
Comment doit être assuré le repos de l'après-
midi du samedi. — C'est à des règlements d'admi-
nistration publique que la loi du 11 juin 1917 a, par
son article 1"', remis la charge d'assurer, dans les
conditions générales qu'elle détermine, le repos
pendant l'après-midi du sameai.
Toutefois, tenant compte des conditions spé-
ciales aux diverses professions du vêtement, le
même texte a laissé, en principe, aux accords libre-
ment consentis par les syndicats patronaux et ou-
vriers de chaque profession et de chaque région le
soin de régler comment le repos de l'après-midi
du samedi sera adapté aux conditions particulières
de ladite profession dans la région considérée.
Là où de tels accords seront intervenus, les rè-
glements d'administration publique s'y référeront.
Dérogation possible à l'occasion de la confection
militaire. — L'article 2 de la loi édicté :
Lorsque les besoins de la défense nationale l'exigeront,
1 application de la présente loi pourra (par décision du mi-
nistre de la guerre) être suspendue en ce qui concerne
les ouvrières travaillant pour la confection militaire.
Sanctions des contraventions. — Les infractions
aux règlements d'administration publique interve-
nus en exécution de la loi du 11 juin 1917 sont
constatées, par les inspecteurs du travail et sous la
forme de procès-verbaux, dans les conditions que
détermine l'article 107 du livre II du Code du tra-
vail et de la prévoyance sociale.
Ces infractions sont passibles des pénalités pré-
vues par les articles 159 à 163 inclus dudit livre II :
poursuites devant le tiibuual de simple police et
amende de 8 à 15 francs (autant de fois qu'il a été
relevé de contraventions); — en cas de récidive
dans les douze mois, poursuite devant le tribunal
correctionnel et amende de 16 à 100 francs (autant
de fois qu'il a été relevé de nouvelles contraven-
tions), à part la possibilité d'affichage et d'insertion
dujugement. — LouIsAhdré.
SO'viet (vi-éf — mot russe signifiant conseil)
n. m. Nom par lequel on désigne le conseil des dé-
légués ouvriers et soldais qui s'est constitué à Pe-
trograd pendant la Révolution russe. (Le même nom
a été donné aux assemblées analogues qui se sont
formées en province sur le modèle du « soviet » de
Petrograd) : /.es éléments extrêmes du soviet se
trouvent heureusement en minorité. Le congrès
des soviets s'est déclaré énergiquement pour le
renforcement de la force militaire, tant défensive
qu'offensive. (J. Bounleau.)
— Encicl. Le soviet est une sorte de Parlement
ouvrier. 11 est censé représenter la nation en face
du gouvernement provisoire, dont il contrôle les
actes. II se compose actuellement de 2.000 membres,
élus dans les usines et la garnison de Petrograd II
a siégé en permanence au commencement de la
Révolution, puis ses réunions sont devenues pério-
diques. 11 a choisi un comité exécutif de 90 membres,
qui a lui-même élu un « bureau de comité execu-
tif » de 27 membres. Onze commissions s'occupent
de la politique intérieure, de la politique étrangère,
de la législation sociale, de l'organi.sation ou-
vrière, etc. Un membre du comité exécutif est à la
tête de chaque commission. Dans les circonstances
graves, le so«ie< de Petrograd convoque en assem-
Idée générale les comités des soviets locaux et les
représentants des conseils des paysans. — P. iIalts.
Temps (Prévision du). — I. Prévision par
LES DIAGRAMMES DES COURBES BAROMÉTRIQUES ET
THEHMOMÉTRiQUEs. VoIci, d'après de nombreuses
observations que nous avons faites, une méthode à
la fois facile et pratique pour établir d'une ma-
nière très satisfaisante la probabilité du temps,
quelques heures à l'avance.
Celte méthode s'adresse à tous par la simplicité
tant du principe sur lequel elle repose que par celle
des moyens permettant d'atteindre un bon résultat.
«• 127. Septembre 1917.
LAROUSSFÎ MKNSUEL
243
Divers aspects du ciel nuageux : A, première période ; beau temps: B, deuxième période ; avant l'orage; C, troisième période : orage. - 1. Cirrus; 2. CirroHïUiiiuluB; 3. Alto-cumuius ; 4. Cumulus;
Ei. Voile blanc de cirro-stratus ; 6. Voile gris d'alto-stratus; 7. Cuuiulo-nimbus.
Sans entreprendre, par ties études ardues et
précises, la recherche de la prévision du temps,
ce qui 3St le privilège des savants, les cultiva-
teurs, les jardiniers, les marins et même les
promeneurs peuvent, par le procédé que nous
préconisons, obtenir un pronostic des phénomènes
météorologiques prochains et baser sur les notions
ainsi acquises la direction de leurs travaux ou
leurs déplacements.
La méthode dont il s'agit consiste d'abord à tracer
de la double évolution barométrique et therinomé-
trique un diay^ramme dont nous donnons ci-contre
un spécimen. Ce schéma doit être constitué de telle
sorte que la courbe barométrique soit placée au-
dessus de la courbe thermométrique, et il importe
que les heures d'observation de ces courbes coïn-
cident exactement.
L'heure convenable pour ces observations est
9 heures du matin. C'est cette heure qui a été re-
connue par les météorologistes comme celle des
moyennes de la journée. (A. Angot, Instructions
méiéoro loi) iq ues.)
Insa-iptioji des diagrammes. — A 9 heures du
matin, après lecture préalable des instruments, on
fait un point, sur la
feuille (les diagram-
mes, à l'intersection
de la ligne du jour
d'observation et de
la ligne afTeclée à la
notation de la pres-
sion barométrique,
et un autre point à
la ligne de tempéra-
ture. Le lendemain
et jours suivants, à
la même heure, on
opère de la même
façon.
En réunissant en-
suite par de petits
traits, au fureta me-
sure, les points de la
pression barométri-
que et ceux de la température, nous obtenons deux
lignes que l'on nomme l'une courbe de pressio7i,
l'autre courbe de température, et l'on remarque,
l'expérience eu fait foi, que, lorsqu'il y a rapproche-
ment des lignes, c'est un signe de mauvais temps
prochain (vent ou pluie) et que si, au contraire,
elles s'éloignent l'une de l'autre, le temps ira vers
le beau.
Nous allons, d'après ce principe général, entrer
dans quelques détails.
Hemarques générales sur les lignes des dia-
grammes de la pression barométrique et de la tem-
fiéralure (la ligne barométrique étant au-dessus de
a ligne thermométrique). — 1" Lorsque les lignes
ont tendance à se rapprocher l'une de l'autre, on
peut prévoir le mauvais temps (vent ou pluie, dé-
pression cyclonique);
i" Lorsque les lignes s'éloignent lentement l'une
de l'autre, c'est un indice de beau temps ^aire anti-
cyclonique);
3" Lorsi|u'elIes se rapprochent brusquement l'une
de l'autre, c'est l'annonce d'une forte dépression
(orage, grains, tempête, cyclone, selon la grandeur
de la dépression);
1. Girouette; 2. Flan; 3. ProOL
4° Lorsqu'elles s'éloignent brusquement l'une de
l'autre, le temps sera beau, mais de courte durée;
5° Lorsque les lignes oscillent en se rapprochant
l'une de l'autre, une dépression suivra;
6» Lorsqu'elles oscillent en s'éloignant l'une de
l'autre, le temps se remettra lentement;
7° Le parallélisme des lignes indique un temps
fixe, moyen, beau ou mauvais.
{Remarque. — Le mauvais temps se produit
lorsque la ligne barométrique, après être descendue,
commence à remonter.)
— II. Prévision par l'observation de la direc-
tion DES VENTS. {Courants supérieurs et inférieurs.)
Pour établir un pronostic du temps, il faut — et
cela est le point de départ — rechercher les cou-
rants supérieurs de l'atmosphère. Ces courants nous
sont révélés par la marche des nuages. Dans ce
cas, il faudra observer les cirrus, les cii'ro-cumu-
lus, les alto-cumulus, c'est-à-dire tous les nuages
Îiarcourant ,.-,,
es régions '.. '.
supérieures
vers 9.000 et
10.000 mè-
tres d'alti-
tude. Cette
recherche est
facile à faire.
En nous
reportant à la
figure qui
représente
l'installation
d'un ;petit
poste météo-
rologique,
nous remar-
quons un mât
au sommet
duquel est
établie une
girouette.
Cette girouet-
te indique les
courants de
terre, ou inférieurs. Au-dessous de cette girouette,
nous voyons deux règles, dont l'une est fixe, orien-
tée dans la direction nord-sud. (Cette direction a dû
être établie avec soin, à la pose du mat, au moyen
de la boussole et de l'étoile polaire.) Au-dessus de
cette petite règle fixe, se trouve une autre règle,
plus longue, mobile celle-là, pouvant se mouvoir
dans un plan horizontal à l'aide de deux cordes et
dont les extrémités tournent autour de l'axe de la
girouette. (V. la fig. ci-dessus.)
Pour observer les courants supérieurs, on se place
au pied r.u mit et, regardant le ciel au-dessus de
la girouitte, on examine attentivement la marche
des nuîiges désignés plus haut; puis, faisant pivoter
la règle autour de son axe, on la place dans le sens
de la marche de ces nuages.
En comparant sa direction avec celle de la règle
fi::e nord-sud, on détermine les courants supérieurs
et, par là, le tlécalagequi existe entre eux et le veut
inférieur de terre décelé par la girouette.
Cette première observation enregistrée, on l'ins-
crit sur la feuille des diagrammes dans le petit
cadre réservé à la Direction des vents.
,\.'
RU', règle mobile orientée dans le sens de
la niai-ciie des nuages ; NS. règle flxe orientée
nord-sud.
La connaissance une fois acquise par l'observa-
tion des vents favorables à la pluie ou au beau temps,
à l'humidité ou à la sécheresse, au froid et à la
gelée, dans chaque région particulière, sera une
première indication pour le pronostic que conQr-
mera la marche des courbes du diagramme.
Avec quelques mois de pratique et d'observa-
tions régulières et consciencieuses, on pourra, par
cette simple méthode, obtenir de très bons résultats.
— III. Installation d'un poste météorologique
ÉLÉMENTAIRE À L USAGE DE LA PRÉVISION DU TEMPS.
Ce poste doit être établi dans un endroit décou-
vert, de préférence sur une
hauteur, isolé des maisons
et des arbres.
Il se compose d'un mât à
girouette, un baromètre, un
thermomètre.
Le mât devra avoir une
hauteur convenable, plus ou
moins grande selon les ar
bres et les maisons avoisi-
nants, de façon que la gi-
rouette soit bien à tous les
vents.
Celle-ci doit être cons-
truite telle que la représente
la figure ci-contre, formée
d'une double palette (ou
gouvernail en angle), dont
le sommet pivotera sur la
tige verticale passant par
l'axe du mât. Elle seraéqui-
libréepar un contrepoids, de
façon que le poids de la tige
indiquant la direction du
vent soit égal à celui de la
double palette. Elle devra
être très sensible à la moin-
dre brise.
Au-dessous de cette gi-
rouette, sera établie la règle
mobile pour les recherches
des courants supérieurs dé-
crits plus haut.
Des deux autres instru-
ments indispensables, l'un,
le baromètre (anéro'ide, à
mercure ou enregistreur )
sera placé à l'abri des in-
tempéries, dans un apparte-
ment, ou fixé dans une caisse-
abri au mât de la girouette;
l'autre, le thermomètre, peut
être de mêmeinslallé sur la
face nord du mât, à 1 m. 30
du sol, et protégé par des vo-
lets interceptant les rayons
du soleil ou autres rayons
de lumière ou de chaleur
artificielles, susceptihiesderinfluencerdireclement.
Succession de phénomènes précédant l'orage. —
Par une belle journée et un ciel bleu uni, on aper-
çoit, venant de l'Ouest (et l'observation vaut en
général pour toute la France) des nuages en fila-
ments dans les régions très hautes de l'almosphire.
Ce sont des cirrus, qui précèdent les dépressions e'
les otages.
Petit poste météorolo-
gique: 1. Girouette; 2. Règle
mobile ; 3. Rèvle ûxe orien-
tée; 4. Baromètre; 6. Ther*
mouièti'e.
244
Puis viennent les cirro-stratus, les cumulo-stra-
tus. Le ciel se couvre d'un voile blancliàlre formé
de cino-slratus; les cumulus qui se présentent
alors au-dessous de ce voile se dilatent et devien-
nent les cumulo-nimbus, d'où tombent les ondées
orageuses.
— IV. Conclusion. On le voit donc, la méthode
que nous venons d'exposer est très rudimentaire et
s'adresse aux personnes ne disposant, comme instru-
ments d'observation, que d'un baromètre, d'un
thermomètre et d'une girouette. La règle dont elle
s'inspire, fondée sur de nombreuses remarques,
pourra, comme toute règle, subir quelques déroga-
tions, mais elles seront très rares.
Les expériences auxquelles nous nous sommes
livré ont péremptoirement démontré que le rappro-
chement des courbes et leur éloignement sont
fonction de l'activité atmosphérique; que, les pro-
cessus de ce mécanisme s'appuyant sur des faits
exacts, il en résulte une harmonie où se reflète
comme dans un miroir la vie des phénomènes qui
se déroulent dans les hautes régions.
G'est ainsi, par exemple, que l'on constate la ré-
gularité aveclaquelle, lorsque les deux lignes, après
s'être rapprochées lentement ou brusquement, exé-
cutent, pour s'éloigner l'une de l'autre, un change-
ment de direction bien marqué, on voit apparaître
l'une des perturbations suivantes : vent, pluie,
orage, cyclone. (Les pliases de la lune ont aussi sur
LAROUSSE MENSUEL
à exiger des candidats des connaissances bien supé-
rieures h celles dont ils auront plus tard à faire
usage. Cette erreur n'est pas nouvelle : elle avait
été déjà dénoncée par Renan, dont Avesnes a très
justement rappelé le témoignage : « Le système des
examens et des concours, écrivait 1 auteur de
l'Avenir de la science, n'a été appliqué en grand
qu'en Chine. Il y a produit une sénilité générale et
incurable. Nous avons été nous-mêmes assez loin
dans ce sens, et ce n'est pas là une des moindres
causes de notre abaissement. » Le danger de ce
<> mandarinisme » est, en effet, de mettre au pre-
mier rang les qualités intellectuelles au détriment
des facultés actives et du caraclère, dont le r6le est
cependant prépondérant dans la pratique; en outre,
en plaçant si haut l'accès des diverses carrières, on
risque d'éveiller des déceptions chez ceux qui y
parviennent, lorsqu'ils mesurent la disproportion
entre l'effort fourni et le résultat obtenu. Quiconque
se juge supérieur au métier qu'il exerce ne tarde
pas à s'en dégoùler. Qu'arrive-t-il7 Les uns dé-
missionnent et cherchent ailleurs un emploi tardif
de leurs facultés; parmi ceux qui restent, beaucoup,
par lassitude, ci'dent à la routine; seuls demeurent
actifs et énergiques ceux qui portent en eux le
soutien d une léelle vocalion.
Telle est la thèse soutenue par Avesnes; pour
l'illustrer, il eût pu choisir ses personnages dans
n'importe quel milieu, car la crise qu'il dénonre
iQfitaltatiou d'uQ petit poste mét('-Mrolugi(|ue. pour la prévision du temps. (L'observateur dirige la règle mobUe
dans le sens de la marche des nuages [cirrus]).
les lignes une influence passagère, qu'il serait facile
de reconnaître par expérience.)
Les feuilles-diagrammes dont un spécimen est
joint à cet article ont été disposées de façon à cons-
tituer, en même temps qu'un moyen de prévision
du temps, un document précieux à conserver aux
points de vue climatique, agricole, maritime, etc.
Une colonne sous le titre Remarques servira à
l'observateur pour y inscrire ses notes personnelles
selon sa profession (labour, ensemencement, mois-
sons, récoltes, pêche, chasse, etc.). Ces notes seront
très intéressantes à consulter dans la suite, grâce
à l'enregistrement, par les diagrammes respectifs,
des circonstances atmosphériques dans lesquelles
les travaux se sont effectués et à la comparaison des
résultats obtenus. — Andrô des Oacuons.
Vocation (la), par Avesnes. — En décernant
à ce volume le grand prix du roman de 1916,
l'Académie française a voulu récompenser une
œuvre consciencieuse et solide, un peu toulfue, où,
derrière la ficlion du roman, se débat une question
d'un intérêt toujours actuel. L'auteur s'attaque à la
conception trop strictement intellectuelle des exa-
mens qui ouvrent l'accès des carrières militaires ou
maritimes et dans lesquels il est uniquement tenu
compte des connaissances livresques clés candidats,
à l'exclusion de leurs aptitudes réelles, de leur
« vocalion ". Tel candidat, reçu au concours dans
les premiers rangs, fera plus tard un oflicier mé-
diocre, sans goût pour son métier; tel autre, au
contraire, éliminé pour l'insuffisance de son savoir,
eût été un remarquable meneur d'hommes. Ainsi, la
sélection, telle qu'elle s'opère par l'examen, n'est
pas toujours juste. De même, la préparation qu'exi-
gent les concours actuels a ce défaut de ne pas
être exactement adaptée au but poursuivi; pour
faciliter la sélection, on a été conduit à rendre les
examens plus difficiles, à surcharger les programmes.
sévit dans toutes les carrières. C'est sur la marine
qu'il a fixé son choix, jugeant, non sans raison, que
cette carrière est une de celles où la vocation est
le plus impérieusement nécessaire et aussi sans
doute parce que, pour y avoir appartenu, le milieu
maritime lui était le plus familier.
Ce qui frappe tout d'abord, en effet, en lisant le
livre d'Avesnes, c'est la connaissance que l'auteur a
de son sujet ; il le possède dans ses moindres dé-
tails et le traduit avec une frappante vérité. Cette
impression s'atteste dès les premières pages, qui
peignent un concours d'entrée à l'Ecole navale : la
fièvre des candidats, l'émolion des parents, venus
pour assister leur fils, la sollicitude inquiète des
bons Pères — il y a là une silhouette de jésuite
très bien enlevée — puis, un peu plus tard, dans
la grande salle de l'Orangerie, l'angoisse des con-
currents, dont la mémoire s'oblitèie en face des
problèmes à résoudre; tout cela est rendu avec une
remarquable justesse. Non moins exacte la scène
de l'examen oral, où chaque examinateur atteste sa
préoccupalion de placer au premier rang la ma-
tière de son enseignement : le professeur de fran-
çais s'indi^nant de ce qu'un futur marin ne puisse
expliquer les finesses d un texte de La Bruyère, le
professeur d'histoire — une amusante et véridique
figure — s'étonnant qu'on ignore les ouvrages du
cardinal Fleury, l'examinaleur de mathématiques
exigeant une démonstration nouvelle et aucun
d'eux ne s'inquiétant de l'aptitude maritime des
concurrents.
Parmi ceux-ci se trouve Jean de Raimondis, le
héros du livre. G'est à lui que l'auteur s'attache,
pour suivre dans sa personne l'éveil progressif de
la vocation, au cours des diverses péripéties du
roman. Ces péripéties, à vrai dire, sont peu nom-
breuses et, du point de vue purement romanesque,
peul-être serait-on fondé à reprocher à l'auteur
quelque insuffisance. Pour avoir entrevu, le jour
N' 127. Septembre 1917.
même de l'examen, la sœur d'un de ses camarades,
une fillette de douze à treize ans, de Raimondis en
tombe amoureux. Pareil emballement est à la ri-
gueur excusable chez un collégien, mais on a peine
à admettre qu il puisse se transformer en un senti-
ment prolonj et durable. C'est pourtant ce qui ar-
rive : complaisumment, Jean entretient le souvenir
de cette rapide vision; il se plait à l'évoquer dans
le cadre pittoresque de sa vieille demeure pater-
nelle ; il l'évoque sans doute aussi au cours de ses
lointaines croisières, puisque, se retrouvant, quel-
ques années plus tard, en présence de la jeune fille
— c'est leur seconde entrevue ! — il charge aussitôt
son oncle de la demander en mariage. 11 esl, d'ail-
leurs, éconduit, la jeune May du Ponlcournay pré-
férant épouser un autre officier, le riche et brillant
Amédée Privaz. Notre héros se désole, sans trop
nous érpouvoir cependant, car il est difficile de ne
pas taxer de quelque exagération son desespoir, ses
colères, « sa tristesse infinie ». Heureusement, il a
la vocation, et l'amour de son métier de marin lui
fera oublier ses autres déceptions. Sans doule, cette
intrigue sentimentale ne devait, dans les intentions
de l'auteur, tenir qu'une place sei:ondaire; mais
peut-êUea-l-ileulort, l'imaginant, de ne pas lui don-
ner plus de consistance. 11 y a là un léger défaut.
Quant à la thèse elle-même, elle est très nette-
ment posée et défendue par les divers personnages.
En face de Raimondis, qui sacrifie à sa double vo-
calion de soldat et de marin ses rêves — un peu
naïfs — d'amour et ses désirs passagers de ri-
chesse, qui dédaigne les vaines idoles de la foule
pour marcher droit vers son idéal, qui trouve enfin
dans l'amour de son état la plus précieuse et la
plus intime satisfaction, nous voyons d'autres ca-
ractères également représentatifs : c'est Privaz qui,
reçu le premier à l'hcole n ivale, n'a de goût que
pour la science pure et qui, parlait candidat, ne
sera par la suite qu'un médiocre marin (il s'em-
pressera, du reste, de donner sa démission); c'est
Bourgandois, qui, féru de musique, souffrira de
rester dans la marine, faute d'aulres ressources;
c est Tom du Ponlcournay, le candidat malheureux,
lequel se voit refuser l'entrée de l'Ecole, ce qui ne
l'euipêchera point de se créer par son énergie une
situation superbe. Ainsi, sauf pour Jean de Rai-
mondis, la sélection de l'examen a été plutôt
malheureuse.
On s'y attendait bien un peu; mais l'auteur, par
l'exacte peinture de ces divers caractères, nous
conduit insensiblement à partager ses idées. 11 a eu
soin, d'ailleurs, d'atténuer ce qu'il pouvait y avoir
d'un peu trop rigoureux dans sa démonstration en
s'efTorçant de créer autour de ses héros une atmo-
sphère de réalité, et c'est là le très réel mérite de
son livre. Dans les ordinaires romans à thèse, en
effet, l'intérêt ne s'attache guère qu'aux personnages
qui servent à la démonstration : auprès d'eux n'ap-
paraissent que des figures falotes, perpéluellement
reléguées aux arrière-plans. 11 en résulle souvent
une impression peu satisfaisante. Ici, au conLraire,
le fond du tableau est aussi minutieusement traité
que les scènes essentielles. Autour du héros prin-
cipal, se meuvent quantité de personnages qui,
pour ne remplir que des rôles épisodiqiies, n'en
sont pas moins soigneusement étudiés. Certains, il
est vrai, paraissent un peu traditionnels; tels le
financier Privaz, grand manieur d'argent, ou la
marquise du Ponlcournay, la grande dame beso-
gneuse, mais d'autres sont d'une psychologie plus
intéressante, comme le père de Jean, une très
curieuse figure, ou le baron d'Orves, aristocrate
traditionaliste, qui tient dans le roman l'emploi du
raisonneur. Tous, du moins, contribuent à produire
une impression de vie réelle,
A la même impression concourt la description de
diverses scènes, très animées et pleines de couleur :
un bal à Dinard, le mariage de May du Poutcournay.
11 y a là, se mêlant aux discussions, aux échanges
d'idées, aux exposés de théories, un intéressant
essai de peinture de la vie mondaine, qui confère
à l'œuvre un aspect un peu touffu peut-être, un peu
balzacien, mais atteste, du moins, chez son auteur de
solides qualités.
A ne juger ce roman que du point de vue artis-
tique, on risquerait, malgré les mérites qu'on y dé-
couvre, de n'en point déterminer l'exacte valeur. Ce
qu'il convient d'y louer surfont, c'est, outre la thèse
très juste qui y est soutenue, l'élévation de pensée
qui l'a inspiré. A une époque où les carrières mili-
taires étaient volontiers décriées — le livre a élé
écrit en 1912 — l'auteur a lenu d'abord à rappeler ce
que l'état d'officier supposait de désintéressement et
de dévouement au bien public. Mais son livre
contient une leçon plus profonde encore : il tend,
reprenant une belle maxime du président d'Agues-
seau, à nous démontrer que « le pins précieux de
tous les biens est l'amour de son élat ». Cette vé-
rité, qui constitue la pensée essentielle du roman et
lui donne sa véritable significaliiui, est une de celles
qu'il n'est jamais inopportun d'évoquer. — F. OoiiinD.
Paris. — Imprimerie Laroussc (Moreou, Aufré, Oillon «t 0«),
n, rue Montparnasse. — Le fférant : L. OKOiLiy.
Académie des sciences. Le 33 avril 1917,
l'Acadt-mie des sciences a procédé à l'élection d'un
membre dans la section de médecine et chirurgie, en
remplacement de Gli. Bouchard, décédé. Au premier
leur de scrutin, le nombre des volants étant de 51,
Quénu obtient 22 sulTrages, PozzH2, Bazyll et Dé-
tonne 6; au second tour, Quénu obtient 31 suffrages,
Pozzi 14 et Bazy 6.
Ouénu, ayant obtenu
la majorité des suffra-
ges, est proclamé élu.
(V. Quénu, p. 26'.i.)
— Le 7 mai 1917, *
l'Académie des scien-
ces a procédé, par la
voie du scrutin , à
l'élection d'un mem-
bre de la section de
Réopraphie et de na-
vigation, en rempla-
cement d'E. Guyou,
ilécédé. Au troisième
tour de scrutin , le
nombre des votants
étant de .'i7, le vice-
amiral Fournieroblint
25 sulTrages et E. Per-
rin 22. E. Fournier,
ayant réuni la majori-
té absolue des suffra-
ges.aétéproclamééIu.
{V. Fournier, p. 253.)
Allemagne.
Les doctrines de
guerre et lks atro-
cités allemandes
(v. Larousse Mensuel,
n» d'août 1917). Un
peuple qui se croit
supérieur à tous les
autres et désigné pour
les dominer, qui s'at-
tribue le droit d'an-
nexer des territoires
pour écouler le trop-
plein de sa population et de ses produits, qui s'est
fait de l'Etat une conception monstrueuse, un tel
peuple ne peut avoir que des doctrines de guerrs cor-
rélatives de ses doctrines politiques. Elles théories
du grand état major allemand sont elTectivement en
relation étroite avec celles des philosophes, des his-
loriens el des professeurs : elles ont pour base ce
principe, appliqué par les militaires comme par le
gouvernement, qu'aucune règle de droit, aucune
considéralion d'humanité ne doit entraver l'action
de l'armée, parce que la lin justifie les moyens :
L'imagination et le sentiment (disait Bismarclc) sont,
(lan-i la vie humaine, l'ivraie qu'il faut coupar et brûler;
10 froid calcul doit y régner aoul.
LAROUSSE UENSUEL. — IV.
La piraterie allemande :
Ce conseil féroce n'a pas été perdu, et nous n'en
voulons pour preuve que la réponse faite, en novem-
bre 1915, au maire de Chauny, par un officier prus-
sien de réserve, avocat dans la vie civile el chargé
alors de la Kommandanttir :
Monsieur le maire, je vous l'ai dit et répété plusieurs
fois, j'entends que dorénavant vous n'insistiez plus : les
Le paquelxit anglais Caiifomia, torpilU uni avertiisement dini l'Atlantique, le 8 férrier IM7.
' (Fr. de Haeneo, tke ittustraled London Stwt.)
souffrent aucune restriction de nature à affaiblir
l'œuvre des troupes. Blume et Bernhardi professent
la même philosophie brutale, enseignent l'emploi de
la force illimitée pour le triomphe de ce qu'ils
appellent 1' <■ idéal allemand ». Pour Hindenburg, la
guerre la plus terrible est la plus humaine, parce
qu'elle abrège la durée des hostilités.
Les puissances si-
gnataires de la Con-
vention de La Haye
du 23 juillet 1899 —
et r.\llemagne est du
nombre — s'étaient
engagées à rédigerdes
instructions confor-
mes au « Règlement
concernant les lois et
coutumes de la guerre
sur terre » annexé à
cette Convention. Or
les instructions éla-
borées par la section
historique du grand
état-major de Berlin
[Kriegsbrauch im
Landkriege, 1902)
passent sous silence
d'importantes dispo-
sitions du Règlement,
ou violent parfois son
esprit, comme on peut
s'en assurer par la
traduction de ce do-
cument publié avec
notes par Paul Car-
penlier, sous le titre :
les Lois de la guerre
continentale {i' édit ,
1916).
On y lit des décla-
rations de principe
tout à fait caractéris-
tiques :
^
mots pitié, humanité sont rayés du dictionnaire. C'est en-
teudu, n'est-ce pas?
Clausewitz, le premier, dans son traité Von
Kriege, soutient la prétendue nécessité de la « forme
absolue de la guerre », de la guerre terroriste el im-
pitoyable. De .Mollke déclare que les loi» de la guerre
ne sont pas codiliablcs, que les opérations ne doi-
vent pas tendre seulement à affaiblir la force armée
de l'ennemi, mais à miner toutes ses ressources éco-
nomiques et autres, que l'autorité militaire est au-
dessus de toute obligation naturelle ou contractuelle.
Hartmann expose que les exigences de la guerre
priment toutes les considérations juridiques, légiti-
ment toutes les violences d'ordre public ou privé, ne
Une guerre énergiquc-
ment conduite ne peut
pas être uniquement di-
rigée contre l'ennemi coml>attant et ses dispositifs de dé-
fense, mais elle tendra et devra tendre également à la
destruction de ses ressources matérielles et morales.
Les considérations humanitaires, telles que les ménage-
ments relatifs aux personnes et aux biens, ne peuvent
l'aire question que si la natare et le bat do la guerre
s'en accommodent
Coninio les tendances morales du xix' siècle ont été
essentiellement dirigées par des considérations humani-
taires, qui ont asseï souvent dégénéré en sensibilité, sinon
en sensiblerie, il n'a pas manqué de tenutives ayant pour
objet de faire évoluer les usages de la guerre dans un
sens absolument en opposition avec la nature et les fins
mêmes de celle-ci, et l'avenir nous réserve certainement
encore bien des elTorts du même genre, d'autant plus
qu'ils ont déji trouvé no* reconnaissance morale dans la
10
Georges Payelle,
premier président de la Cour des CompUs,
président lie la Commission d'enquôlc
instituée pour constater sur place les
violations commises par les Allemands.
246
coQveDtioD de Geoève et les conférences de Bruxelles et
de La Haye...
C'est en creusant l'histoire des guerres que l'officier se
défendra contre les idées humanitaires exagérées et qu'il
se rendra compte que ia guerre comporte forcément une
certaine rigueur et, bien plus, que la seule véritable
humanité réside souvent dans l'emploi dépourvu de ména-
gements de ces sévérités.
La publication de ce manuel, où l'offlcier allemand
est mis en garde contre les entraînements « huma-
nitaires », produisit une telle émotion que le baron
Marschall von liieberstein, délégué du kaiser à la
conlérence de La Haye de 19o7, formula sponta-
nément une proposition ainsi conçue :
La partie belligérante qui violerait les dispositions du-
dit règlement sera tenue à indemnité, s'il y a lieu ; elle
sera responsable de tous actes commis par les personnes
faisant partie de sa force armée.
C'est donc à l'école de leurs plus grands écri-
vains militaires que les ofliciers du kaiser ont ap-
fris les éléments de la guerre de terreur ; c'est ii
exemple et à l'insligalion de leurs chefs que les
soldats se sontlivré.s à des actes aussi cruels pour
leurs victimes
quedéshonorants
poureu.x-mémes,
puisqu'ils ont
commis k peu
près tous les cri-
mes et délits de
droit commun :
les assassinats et
les tueries sau-
vages, les viols
et les soûleries
sanglantes, les
danses et les cris
de joie devant les
maisons en flam-
mes, les réquisi-
tions injustes et
épuisantes, les
vols de meubles
et d'objets de
toute sorte trans-
portésenAlleiua-
gne,lepillageetla
destructiondevil- »
les sans défense, la ruine des sanctuaires et des monu-
ments de l'art. Ils pouvaient encore alléguer, lors-
qu'ils violèrent la neutralité belge, leur désir de
nous assommer avnnt que noire
mobilisation fût terminée; mais, au
cours des hostilités, ils commirent
inutilement des attentats conli'e les
personnes et contre les biens, et
ils les commirent froidement ou
joyeusement, avec de lourds raffi-
nements de cruauté.
Le simple e.\posé des atrocités
allemandes constitue le plus inexo-
rable des réquisitoires. En ce qui
concerne la Fiance, on le trouvera
dans Us rapports de la Commission
d'enquête instituée par décret du
2'i septembre 1914 pour constater
sur place les violations du droit des
gens commises par l'ennemi et
qui estprésidée parle premier pré-
sident de la Cour des Comptes,
Georges Payelle. La Commission a
écarté tous les actes de guerre,
même les plus douloureux, pour
ne retenir que les crimes de droit
commun; elle a écarté soigneuse-
ment tous les témoignagessuspects,
tous les faits qui lui ont paru pou-
voir être contestés.
On constate d'abord que nos
agresseurs et leurs alliés n'ont pas
plus respecté la Convention de Ge-
nève sur la Croix-Rouge que la
Déclaration de Sainl-Peter.'ibourg
ou le Règlement de La Haye sm
l'interdiction de certains projec-
tiles. Ils ont bombardé des forma-
tions et des établissements sani-
taires, tiré sur des médecins et di ;
brancardiers, employé des projec-
tiles explosifs ou cbargés de ma-
tières fulminantes ou inflammables,
ainsi qne'des balles s'épanouissant
ou s'aplalissant dans le corps des
blessés, comme les balles à noyau
découvert ou à enveloppe pourvues d'incision. l'sont
usé de liquides enflammés et de gaz asphyxiants ou dé-
létères. Ils ont tiré sur des combattanis qui avaient
rais bas les armes ou qui, n'ayant plus les moyens
de se défendre, s'étaient rendus à discrétion. Ils ont
contaminé les puits en y jetant des matières pro-
pres à corrompre l'eau, et ils n'ont pas craint parfois
d'user de préparations bactériologiques pour provo-
quer des ëpizooties ou des maladies Iransmissibles à
Ibomme. Des prisonniers, blessés ou non, ont été
Daii>niietlc scie
ailemaude.
Cartouches de revolver allemand à balle
I tête résistante à nez creux « et à balle
rendue.
LAROUSSE MENSUEL
assassinés par ordre, ou bien martyrisés : tels le soldat
Godeiroy, qui eut les pieds broyés à coup de crosse,
et le soldat Lafleur, sur qui un officier bavarois tira
une balle de revolver en pleine poitrine, après
l'avoir fait désarmer. D'autres ont été traités avec
une dureté impitoyable, soumis à une hygiène et à
un régime alimentaire compromettant leur santé ou
leur existence, dépouillés de ce qui leur apparte-
naitpersonnellement, employés k des travaux exces-
sifs, martyrisés dans les camps de représailles,
filacés sur le front des troupes ou à proximité de la
igné de feu. Le
règlement alle-
mand de 1902
reconnaît mê-
me le droit de
mettre à mort
les prisonniers
en cas de né-
cessité inélucta-
ble, lorsqu'il n'y
a pas d autre
moyen de les gar-
der et que la pré-
sence des prison-
niers constitue
undangerpourlà
propre existence
du capteur.
Innombrables
sont les actes
de crua u lé
commis à l'é-
gard des populations civiles. Le Règlement de La
Haye interdit au vainqueur de forcer les habitants
du territoire occupé à prendre part aux opérations
militaires contre leur propre pays, ordonne à l'oc-
cupant de respecter l honneur et les droits de la
famille, la vie des individus et
la propriété privée, inteniit le
pillage, soumet à des limites
et à des conditions précises la
levée des impôts et des contri-
butions de guerre, règle l'exer-
cice du droit de réquisition,
défend l'application des pe.iies
collectives à raison de faits in-
dividuels, prohibe toute des-
truction ou dégradation inten-
tionnelle des édifices religieux,
hospitaliers, scientifiques et ar-
tistiques, ou la saisie des oeu-
vres d'art et des objets mobi-
liers, reconnaît la qualité de
belligérant il la population qui
prend ouvertement les armes à
l'approche de l'ennemi. Il n'est
pas une de ces prescriptions ([ui n'ait été enfreinte.
Dans la plupart des endroits où nous avons fait notre
enquête, nous avons pu nous rendre compte que l'armée
allemande professe d'une façon constante le mépris le
plus complet do la vie humaine, que ses soldats et même
ses chefs ne se font
pas faute d'ache-
ver les blessés,
<iu'ilstuentsanspi-
tié les habitants
inolTensifs des ter-
ritoires qu'ils en-
vahissent et qu'ils
n'épargnent, dans
leur rage homicide,
ni les femmes, ni
les vieillards, ni les
enfants. {Happort
de la Commission
d'enquêtet I, p. 8.)
Et, pourtant, le
Règlement alle-
mand de 1902 dé-
clare que l'habi-
tant du pays en-
nemi peut conti-
nuera vivre sous
la protection de
la loi ; que le
droit de pillage
est tombé en dé-
suétude; que la
|)r()priété de l'Etat, excepté dans quelques cas spé-
ciaux, doit être respect'^e; que la propriété privée
immobilière ne peut être ni confisquée ni aliénée;
que la propriété privée mobilière est réputée au-
jourd'hui inviolable ; que l'enlèvement d'argent,
de montres, de bijoux, etc., est un vol criminel et
punissable; que le pillage, la spoliation de l'habi-
tant par la terreur ou l'abus de la force militaire,
sera réprimé de la façon la plus sévère.
Les fusillades de Lunéville, de Gerbéviller, de
Nomény, de Senlis (1914) restèrent tristement cé-
lèbres, mais les exécutions individuelles ne furent
pas moins nombreuses que les assassinats collectifs.
Quand ils n'assassinaient pas les patients, les
Allemands s'amusaient k leur faire croire que leur
dernière heure était venue. A Coulommiers, ils ac-
cablèrentd'injures le maire et le procureur delà Ré-
publique, auprès duquel des gardiens tinrent, pen-
W 128- Octobre 18)7..
1
Balle allemande à
entailloK loniritndinalcs
après emploi.
Partie d'uQ chargenr alleniand
à balles retournées.
dant toute une nuit, des propos tendante persuader
ce magistrat de l'imminence de son exécution.
Les documents abondent qui font ressortir la
culpabilitéde ces brutes. Voici,
à titre d'exemple, ce que deux ■
soldats croient devoir noter
sur leur carnet de campagne :
Les cadavres des Français tués
attendent encore leur sépulture.
Us ont tous été frappés à la tête
ou à la poitrine. Nousavous reçu
la permission de piller, ce qu'on
ne s'est pas fait dire deux fois.
Des ballots entiers de linge, du
vin en liouteilleg et en tonneaux,
des poulets et des porcs furent
enlevés. A une heure eut lieu le
déjeuner, et c'est eu la compa-
gnie des Français morts qu'il
fut pris. On s'habitue maintenant
à tout. (Extrait du carnet du liran-
cardier Joseph Ott, 33* division,
XVI' corps d'armée.)
3 septembre 1914 «... Horrible
carnage. Le village entièrement
bn'ilé, les Français jetés dans les
maisons en flammes, les civils
brûlés avec tout le reste.» (Extrait
du carnet du so.dat llassemer,
du 'Vlll* corps d'armée, relatant
le massacre de so dats et de civils
brûlés vifs à Sommepy [Marne].)
Dans les régions lomliées
au pouvoir des forces alle-
mandes, la vie ne fut qu'une
longue épreuve pour les sur- Cartouciic, ai;^ji..»i.Uoi :
vivants, soumis à un régime l'""" avec balle à noyau dé-
j . j • I i-i. couvert, laulre avec ballo
de terreur, de violences, d hu- à entaïues longitudinales,
milialions et de goujateries.
On les obligea, la nuit, à ne pas avoir de lumière et
à tenir ouvertes les portes de leur maison ; on les
empêcha de sortir librement; on leur défendit,
sous peine de mort pour eux et d'amende pour leur
village, de cacher des soldats fraiw ni-; on les r:in-
çonna sans mesure; on alla jus-
qu'à punir ceux qui ne saluaient
pas assez humblement les offi-
ciers ennemis et, à Chauny, les
« délinquants » durent passer et
repasser, en s'inclinant très bas,
devant un mannequin alTublé d'un
uniforme. Sous prétexte d'assu-
rer la sécurité des troupes et de
maintenir le calme dans la popu-
lation, le commandement choisit
des otages parmi les notables.
A Reims, le 12 septembre 1914,
le maire dut, par ordre, faire afficher une procla-
mation où il était dit :
Les otages seront pendus à la moindre tentative de
désordre. De même, la ville sera entièrement ou partiel-
lement brûlée et les habitants pendus si une inCractiou
quelconque est commise aux prescriptions précédentes.
Les attentats contre les femmes et les jeunes filles
revêtirent un caractère de brutalité dégoûtante. A
"Vitry-en-Perthois, dans la Marne, tt,
la dame X..., âgée de 45 ans, et la dame Z..., âgée de
89 ans, ont été l'une et l'autre violées. Cette dernière est
morte une quinzaine de jours après.
Nous nous bornerons à ce court extrait du rap-
port de la Commission d'en-
quête.
Si les actes de viol peuvent
à la rigueur être tenus pour le
fait de soudards isolés, il n'eu
est pas de même des assassi-
nats, non plus gue des vols,
déprédations, pillages et in-
cendies, qui furent exécutés
par ordre, après avoir été
systématiquement organisés:
meubles emportés ou sacca-
gés, caisses privées et colTres-
forts éventrés, vols sur les
personnes, soustraction de bi-
joux, d'argenterie, de linge,
de vêlements, de machines à
coudre, de bicyclettes, démé-
nagement des caves, tout sol-
licita la rapacité d'un envahis-
seur qui, gradé ou non, laissa,
en riant d'un large rire bête,
dans les maisons vidées,
d'ignobles souvenirs de son
passage. Au château de Baye,
les collections de bijoux et de
médailles furent pillées, et
l'on trouva dans le plus grand
désordre la chambre à cou-
cherde l'explorateur, qui avait
été occupée par un personnage
d'importance, que l'on croit
être le duc de Brunsvirick. Le pnblicisle allemand
Arnold-Steinmann, dans un travail publié à Slutlgorl
en 1916, a démontré que la fortune populaire de
l'Allemagne s'était accrue pendant la guerre, grâce
eu croix.
Cartouches allemandes
k balle fendue en croix.
«• 128- Octobre 1917.
aux sommes appréciables envoyées du front par
les soldats : il a du même coup démontré l'impor-
tance des vols commis dans les régions occupées par
des brigands qui ont élé jusqu'à profaner des sépul-
tures, jusqu'à détruire les arbres qui ombrageaient
dans nos cimeUires les tombes des soldats français.
L'incendie fut, concurremment avec le pillage,
pratiqué cornnie moyen de dévastation systéma-
tique ou d'intimidation. L'armée allemande possé-
dait un matériel spécial, comprenant des torcbes,
des grenades, des fusées, des pompes à pétrole, des
baguetles lie matières fusantes, des pastilles faites
d'une poudre comprimée très inflammable. Scr-
maize, Revigny, Glermont-en-Argonne, Nomcny,
Gerbéviller, furent, entre autres, méthodiquement
ruinés au début de l'invasion, et les mêmes pro-
cédés sauvages désbonorcjent le repli allemand au
printemps <le 1917 : sur les 37 communes de l'ar-
rondissement de Hoye, trois seulement restèrent
debout, et la zone évacuée, qui comprend Noyon,
Ghauny, Jussey, Hoye, Nesle, Péronne, n'était plus
qu'un désert.
Tout y a été détruit (lisait-on dans le Berliner Tage-
klatt du SO mars 1917). Plus nn arbre, plus un arbuste. Il
n'y a plus ni maison ni cliaumiôre. C'est ainsi (jue nous
avons répliqué au refus d'accepteur nos propositions de
paix. Que les partisans de ta continuation de la guerre
sachent aujouriThui ce (|iie la guerre a de plus allVeux !
Entre l'eiinemi et nous, il doit être créé un désert.
La soldatesque, en effet, brûla, démolit, saccagea
jusqu'aux arbres fruitiers, emporta tout ce qu'elle
put et rendit le reste inutilisable.
Le Règlement de La Haye interdit formellement
l'attaque ou le nombardeinent des villes, villages,
habitations ou bâtimcnls qui ne sont pas défendus,
et il spécifie niême que toutes mesures doivent être
prises pour épargner
les édifices consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences
et A labii'nfaisance. les hôpitaux et les lieux de rasscni-
blement de malades et de blessés, à condition tju'ils ne
soient pas employés en nicmo temps à un but militaire.
En violation de ces oblig.itions lornielles, les Alle-
mands bombardèrent sans utilité des villes sans
défense, comme Ponl-à-Mousson, et s'acharnèrent
à détruire des monuments comme l'hôtel de ville
d'Arras, les cathédrales de Soissons, de Reims, de
Saint-Quentin. La cité du sacre, la ville historique
chère à tous les Français, l'admirable œuvre d'art
qu'était la calliédrale de Reims excitèrent tout par-
ticulièrement leur lureur de destruction. Ils s'étaient
proposé dedétruire Versailles pour épouvanter Paris
en montrant ce qu'ils feraient de la capitale si elle
ne se rendait pas à la première sommation. Déjà,
en 181 i, le liltérateur .lean-Joseph Goerres demanda
à la coalition de réduire en cendres le Louvre,
Sainl-Uenis, Notre-Dame de Reims, et le mot
■< mufle » s'enrichit d'un sens nouveau, pendant que
le maréchal prussien von Muffling gouvernait Paris
au nom des vainqueurs de 'Waterloo.
Il appartenait aux « surhommes » d'oulre-Rhin
de rétablr le servage, de déporter en masse les
habitanis inofl'ensil's sans distinction d'âge, de sexe,
de condition etd'babiludes sociales, et rien n'est plus
tristement éloquent que la simple constatalion de
1 état dans lequel nous furent rendus, au commen-
cement de 1915, les malheureux iniquement arra-
chés à leurs foyers, durement acheminés vers les
lieux de deporlalion, parqués dans des baraque-
ments ou sous des tentes, condamnés à dos travaux
de toute sorte, même d'ordre militaire, ou encore
placés comme des boucliers en avant des troupes
allemandes, très mal et très insuffisamment nourris,
épuisés par un régime impitoyable et insalubre.
On a vu, un jour, un interné dont le torse était tellement
couvert de poux qu'ils y formaient une véritable couche
vivante. Dans tous les camps, d'ailleurs, la vermine qui
pullulait constituait pour les prisonniers un supplice
d'autant plus intolérable que l'administration ne faisait
rien pour y remédier. Il paraît même qu'à Gûstrow,
les soldats se moquaient ouvertement de ceux qui es-
sayaient de détruire les insectes dégoûtants dont ils
étaient infestés. Cependant, ils ont tenté une fois d'en
débarrasser une femme, la veuve M maux, de Béney
(Mouse\ âgée de 87 ans. Pour cela, ils n'ont rien trouvé
de mieux que de l'inonder de pétrole, après l'avoir désha-
billée. A la suite do cotte opération, la pauvre vieille
est tombée gravement malade.
La Commission d'enquête, qui visita ces rapatriés
dans l'Isère et en Savoie, ne put taire son indigna-
tion et sa tristesse :
Pendant le cours de notre enquête, noua n'avons cessé
d'entendre la toux obsédante qui déchirait les poitrines.
Nous avons vu de nombreux jeunes gens dont la gaieté
semblait morte et dont les visages émaciés et pâlis déce-
laient la tare physique déjà peut-être irréparable. Aussi
la pensée nous venait-elle malgré nous que la scientilique
Allemagne, <|iii se targue si volontiers d'avoir toujours
marché à la téie des nations dans la lutte contre la tuber-
culose, semble avoir appliqué son esprit de méthode à pré-
parer dans notre pays la propagation du fléau redoutable
qu'elle a si anlemment combattu chez elle, [S* Happori
de la commission d'eni/uéte.)
D'ordre du général von Graevenilz, en avril 1916,
25.000 Français et Françaises, parmi lesquels des
jeunes filles de seize à vingt ans, furent déportés de
Ronbaix, Tourcoing et Lille dans l'Aisne et les Ar-
LAROUSSE MENSUEL
247
Quelques preuves de la sauvagerie teutonne. — La ville de Chauny (Aisne), détruite par lei AUemand
^>-='^^;;^?^j^jg|^^,.
'=' ,'- ' t -v- -, J ^
La petite vlUe de Roye (Somme), détruite par les Allemands aa moment d'en être chassés par les troupes françaises.
Ce qui reit« de U petite ville de Tergaier (Xisac), anéantie par les hordes allemandes obligéee de fuir devant les troupes française».
248
dennes envahies et obligés à des travaux agricoles.
L'opération eut lieu, sous la menace des baïoiineltes,
le samedi saint et le lundi de Piques : les soldats
pénétraient dans les maisons; un olficier choisissait
les vicLimes, qui étaient conduites pole-mêle dans
une usine et, de là, à la gare. Des femmes furent
employées à faire la cuisine ou la lessive des soldats,
ou remplacèrent les ordonnances des officiers. Pré-
cédemment, la population civile de Landrecies et de
Hancourt avait été astreinte au travail, contraire-
ment aux conventions internationales, le plus sou-
vent sans rémunération. Des hommes libres étaient
devenus, sous la menace de punitions variées, les
auxiliaires des ennemis de leur pays.
L'autorité militaire allemande a allégué, pour jus-
tifier ces déportations en masse, que l'Angleterre
entravait le ravitaillement des régions envahies ;
or, si la saisie de la contrebande et 1 arrêt du com-
merce ennemi sont des actes de guerre légitimes,
il n'en est pas de même des mesures qui ont pour
résultat de tarir les ressources d'un territoire, de
détruire ses moyens de production, de réduire ses
habitants i la famine.
O qui pr.i ;■ ' i iiliqiic à la France; mais, par-
LAROUSSR .MENSUEL
12 août 1914. On se fait une idée de l'état de fureur do
nos soldats quand on voit les villages détruits. Plus une
maison intacte. Tout ce qui peut se manger est réquisi-
tionné par des soldats non commandés. On a vu plusieurs
monceaux d'Iiommes et de tenimes exécutés après juge-
ment. De petits porcs couraient à l'ontour, cherchant leur
mère. Des chiens à la chaîne n'avaient rien à manger ni
à boire, et les maisons brûlaient au-dessus d'eux. Mais
avec la juste colère de nos soldats va aussi de pair un pur
vandalisme. En des villages déjà absolument vides, ils
dressent à leur plaisir l'incendie {le Coq Rouge) sur les
maisons. Les habitants me font peine. S ils emploient des
armes déloyales, ils ne font après tout que défendre leur
patrie. Les atrocités que ces bourgeois ont commises ou
commettent encore sont sévèrement vengées. Les mutila-
tions de blessés sont à l'ordre du jour. (Kxtrait du carnet
du sotiB-oftîcier Dannehl, du 9* bataillon de pionniers,
IX* corps d'armée, décrivant les actes des troupes alle-
mandes on Belgique.)
.Nous avons pénétré dans une maison à Metten (Belgique).
On avait tiré d'une maison. Nous avons pénétré datis la
maison, et nous avons reçu l'ordre do fouiller la maison,
mais nous n'avons rien trouvé dans la maison que deux
femmes avec un etifant. Mais mes camarades ont dit que
les deux femmes avaient tiré, et nous avons aussi trouvé
quelques armes, des revolvers. Mais je n'ai pas vu que
les femmes avaient tiré. Mais on a dit aux femmes qti on
Les enlèvements de la Semaine sainte à Lille et lloitbaix : Le Choix des victimes. (Composition de Lucien Jonas. l'IUuetralion.) —
Des afilches. apposées le jeudi saint (1916), avalent averti les hatjitants qu'ils devaient se tenir, à l'hein-e indiquée, à l'entrée de leurs
maisons ouvertes, feuilles d'identité à la main. Un ofticier allemand passait, désignant ceux et celles qu'il choisissait; puis les victimes
étaient emmenées en troupeau, musique eu tète et encadrées de baïonnettes.
tout où ils furent les maîtres, les Allemands et leurs
alliés se rendirent coupables des mômes excès. En-
vahie au mépris du droit, la Belgique souffrit toutes
les formes de l'oppression, sans, d'ailleurs, se sou-
mettre, et c'est en vain que le général von Bissing
s'efforça de diviser les Flamands et les Wallons,
dont son « poing de fer scella étroitement l'union ».
Au masque haïssable de ce gouverneur l'histoire
opposera la noble figure du cardinal Mercier et l'iro-
nique physionomie du bourgmestre de Bruxelles,
Atiolphe Max. Tous deux protestèrent au nom de
la morale, du droit et de l'honneur, contre le martyre
infligé à leur patrie. Les reilres n'osèrent pas sévir
contre l'archevêque de Malines; ils emmenèrent en
captivité le courageux bourgmestre et punirent éga-
lement de l'exil ceux qui refusèrent d'enseigner il
l'Université flamande de Gand, comme l'historien
Henri Pirenne, ou de siéger dans ce « conseil des
Flandres » , dont ne firent partie que quelques
renégats.
La malheureuse Belgique fut d'autant plus cruel-
lement traitée qu'elle subit le premier choc de l'in-
vasion et que le kaiser voulait briser du premier
coup toute résistance, vaincre par la terreur autant
que par les armes. La ruine de Louvain et de sa
blibliolhèque universitaire, d'Andeniie, de DinanI,
d'Aerschot, de Termonde, la stupide destruction des
halles d'Ypres, marquèrent, avec les assassinats, les
débuts de l'œuvre germanique en Belgique. Des
milliers de prêtres, de vieillards, de femmes et
d'enfants moururent d'une mort atroce, qui était
annoncée par des proclamations comminatoires
pour enlever aux survivants tout courage.
C'est aux Allemands eux-mêmes qu'il convient de
demander la preuve de tant d'ignominies, c'est à
leur propre témoignage qu'il faut faire appel :
Encore de nombreux incendies. Un village haut perché
flambait presque tout entier. A le regarder do loin, je
pensai aussitôt à l'embrasement do la 'W'alhalla dans ic
Crépuscule des fiieux, tableau merveilleux, mais émouvant.
{Extrait du carnet li'un lieutenant saxon, 25 aotit 1914.)
ne leur ferait rien, parce que les femmes pleuraient trop.
Nous avons sorti les femmes et nous avons conduit les
femmes au commandant et, alors, nous avons reçu l'ordre
de fusiller les femmes.
Lo commandant s'appelait Kastendick et appartenait
au 57* régiment d'infanterie. Qtiand la mère fut morte, le
commandant a donné l'ordre de fusiller l'enfant, parce
que l'enfant ne devait pas rester seul au monde et, au
moment où on fusillait la mère, l'enfant tenait encore la
mère par la main, de sorte qu'en tombant elle tira l'enfant
en arrière avec elle. On a bandé les yeux à l'enfant. J'ai
écrit la vérité. J'ai moi-même pris part à cela, parce que
nous en avions reçu l'ordre du commandant Kastendick
et du ca{)itaine de réserve Diiltingen. (Signé: X..., soldat
au 57* régiment d'infanterie, actuellement prisonnier au
fort Pentïiièvre, à Quiberon.)— P. S. Cela m'a fait beau-
coup do peine quand j'ai vu cela. J'avais des larmes dans
les yeux. (X..,, Pcnlhièvrc, lo 13 février 1915.)
Parmi toutes ces tueries, celle qui provoqua tout
particulièrement l'émotion indignée du momie civi-
lisé fut l'exécution de miss Edith Gavell, qui dirigeait
il Bruxelles un Institut pour la formation des infir-
mières et qui avait favorisé la fuite de quelques
soldats anglais et belges. Malgré l'insistance des
ambassadeurs d'Espagne et des Etats-Unis, le gou-
verneur von Bissing fit exécuter la sentence de la
cour martiale lel2aoùtl9lD,à 2 heures du matin.
Parallèlement à l'incendie, au pillage organl.sé, ii
l'assassinat, l'armée allemande pratiqua la paralysie
économique par les rétiuisitionsde grains, de four-
rages et de vivres, par la levée de contributions et
d'amendes démesurées, par l'enlèvement ou le sabo-
tage des machines. Puis, lors(|iie le pays l'ut épuisé
par les exactions de toute sorte etque se fut déclarée
une crise aiguë de chômage, ceux qui l'avaient déter-
minée en prirent prétexte pour déporter les malheu-
reux qu'ils avaient opprimés, ruinés, réduils ii mourir
de faim. C'est le maréchal Hindenbiirg qui exigea
ces rafles, pour punir les Belges de leur patriotisme
intangible et dans l'espoir de déprimer et de décimer
une nation gênante pour l'Allemagne.
Partout, les Allemands et leurs alliés se sont
rendus coupables des mêmes crimes. Sur le front
«• 128. Octobre 1917.
russe, ils ont tué de sang-froid des soldats blessés
et désarmés, brûlé vifs des prisonniers de guerre,
violé des sœurs de charité, employé des projectiles
interdits, des liquides enfiammcs ou coriosils, des
balles explosibles, torturé des prisonniers qui refu-
saient de faire des révélalions. Un des rapports
de la Commission d enquête russe (191B) men-
tionne le supplice infligé à des prisonniers qui,
enfourchés sur des baïonnettes, lurent lancés un
à un dans une rivière. 11 cite le cas de trente
malheureux qui, privés pendant trois jours de nour-
riture, furent livrés aux flammes; les Allemands
mirent le feu au local où ils étaient enfermés, après
avoir jeté des explosifs sur la toiture, et dix seule-
ment purent s'échapper. Un cosaque eut trois doigis
coupés, et on les déposa dans sa poche; un autre eut
les oreilles percées au moyen d'une baïonnette ; un
troisième eut le nez coupé à moitié et dut achever
lui-même l'amputation avec un canif.
L'occupation de la Serbie commença par des as-
sassinats, des viols, des atrocités de toute sorte et le
pillage systématique : Austro-Hongrois, Allemands
et Bulgares rivalisèrent d'ardeur malfaisante. Les
propriétés de ceux qui avaient abandonné leurs
loyers furent aliénées comme biens vacants, et l'au-
torité occupante alla jusqu'à vendre aux enchères les
biens des gens qu'elle avait préalablement déportés.
Car elle poursuivait parallèlement l'e.vploitation
du pays et sa dénationalisation, déportant les mem-
bres du clergé et les instiln leurs, prohi liant l'emploi de
l'écriture cyrillique, brillant les livres, remplaçant
les écoles nationales par des écoles dirigées par des
Allemands ou des Bulgares. Les officiers avaient
effrayé les soldats en leur disant que, s'ils ne
massacraient pas les Serbes, ils seraient massacrés
par eux.
Dans l'Asie ottomane, on assista à un spectacle
plus douloureux encore, à l'extermination concertée
d'une race, et des documents de source allemande,
publiés en 1916 par le Comité de secours aux Armé-
niens, il résulte que cette œuvre diabolique fut exé-
cutée d'après un plan général et uniforme.
De tout temps, les Arméniens avaient élé vic-
times de la brutalité des Circassiens et des Kurdes,
sous l'œil complaisant des valis et des niutessarils
et, malgré les engagements pris par les Turcs au
congrès de Berlin (187S), aucune amélioration
n'avait été apportée au sort de ces malheureux. De
1894 à 1896, sous le règne d',\l)d-iil-Hamid, ils fu-
rent massacrés jusque dans les rues de Constanti-
nople ; mais, en 191'i, c'est l'anéantissement même
d une nationalité chrétienne qui fut poursuivie par
les autorités allemandes, sans que l'ambassadeur du
kaiïer à Constanlinople s'yoppo>àt. Le D^Niepage,
maitre supérieur à l'école allemande tl'.^lep, ayant
un jour appelé la bienveillance du président d'un
comité d'expulsion sur quatre petits enfants :
"Vous ne comprenez donc pas nos intentions! (lui fut-il
répondu). Nous voulons extirper le nom arménien. Do même
quo l'Allemagne ne veut laisser subsister que des Alle-
mands, nous. Turcs, nous ne voulons que des Turcs.
Des centaines de milliers d'êtres humains furent
déportées en masse et décimées en route par l'as-
sassinat, le viol, la faim et la soif.
Après l'Arménie, ce fut le tour de la Syrie, où
sévirent le meurtre organisé et la famine. Enver-
parha avait juré de purger l'empire turc de tous
éléments étrangers.
La liste des atrocités allemandes devrait être
complétée par l'énuméralion des crimes commis
par les pirates: raids aériens contre les populations
civiles, torpillages de paquebots et de bàliinents
marchands, même naviguant sous pavillon neutre,
coulage de navires-hôpitaux, faux radios arrêtant
l'envoi de secours aux victimes, feu ouvert sur les
équipages des bâtiments torpillés. Qi'an'l on leur
reproche les crimes de InLusilania, de V Arabie, du
Sussex, ou l'exécution du ctipitaine marin Fryatt,
coupable d'avoir défendu contre les sous-marins le
navire dont il avait le commandement, ils accusent
les Alliés de vouloir les réduire à la famine par le
lilocus. Or, Bismarck trouvait légitime d'affamer
Paris, et l'un de ses successeurs, le comte de Ca-
privi, demandant au Reichslag des crédits pour
i'augmenlation de la flotte, s'exprimait en ces
termes (1892) :
Plus un pays dépend du commerce maritime, plus il est
nécessaire de couper toutes .-ses communications en cas de
guerre sur mer. car ce pays pourrait avoir besoin du com-
merce maritime pour sa propre nourriture, pour les ma-
tières premières de l'industrie.
Je snis d'avis qu'interrompre la navigation de l'ennemi
restera un moyen indispensable à la lutte. Celui qui fait
la guerre doit atteindre ce but et, lorsqu'il en possède
l'énergie, il réussit en se ser\'ant de tous les moyens, y
compris ceux de la guerre sur mer, celui d'interrompre
tout commerce avec l'ennemi. Personne ne peut renoncer
à cette arme suprême. C'est, du reste, ce qu on a fait dans
la guerre sur terre. Si quelqu'un, pendant le siège do
Pans, avait envoyé un train de vivres vers la capitale
française, ce train aurait été arrêté. Il en e.st de même
sur mer... Ce n'est pas barbare, puisque c'est l'application
a la guerre maritime des principes de la guerre sur terre.
On a dit que les Allemands de 1870-1871 s'étaient
montrés moins inhumains et moins brutaux : les
I
«• 128- Octobre 1917.
I upicrs et mémoires (lu temps révMcnt, au contraire,
les inômcs instiiicis, la même grossièrelé ordurièrc,
les mêmes méthodes appliquées avec plus ou moliis
de violence, selon que les auteurs des attentats se
croyaient plus ou moins sûrs de l'impunilé. Au
xviii' siècle, pendant la gui'ire de Sept ans, la
l'insse imposa à la Saxe le régime abominable
LAROUSSE MENSUEL
nemcnts, il nous guide dans les replis de ces coeurs.
L'histoire divine révélée par Auguste Comte devient
une histoire humaine, plus émouvante ainsi; et elle
n'est pas moins belle, puisqu'elle est, pour ainsi
(lire, rythmée par les admirables lettres cfe Clotilde.
Elle était née à Paris, le 3 avril 181 i, du mariage
du capitaine Marie avec M'" de Kicquelmont; ma-
Lea déportations continuent. (Composition de Lucien Jonas. the JlhistratM London Scw^.) -~ Les Teutons exercent fréquemment leur
ignoble tyrannie sur les iiidlheureuses populations de Belgique par d''S déporotions de civils rassemblés par ordre, à telle heure, et
coudoits ensuite en Allemagne, en foule, sans distinction d'à^e et de sexe, sous la nienac; des fusils et des baïonnettes.
qu'elle infligea de nos jours à la Belgique. Froissart
reprochait aux Allemands de mettre aux fers les
gentilshommes pour en tirer une plus forte rançon,
et Tacite disait déjà que, si les Gaulois se battent
pour la liberté et les Bataves pour la gloire, les
Allemands font la guerre de proie.
En résumé, les soldats de Guillaume II ont con-
duit la lutte que ce souverain a imposée au monde
avec un mf'pris absolu des principes juridiques et
des considérations d'humanité. Ils n'ont plus rien
à reprocher aux Bulgares, dont ils flétrissaient, pen-
dant la seconde guerre balkanique, les effroyables
cruautés. De même que learKultur est en antago-
nisme avec la civilisalion gréco-latine, leur culte de
la force à notre respect de la justice et du droit,
leurs prétentions » hégémoniaques » à nos idées sur
l'indépendance des peuple.-*, de même leur concep-
tion de la guerre est en antagonisme avecla nôtre :
inhumaine, impitoyable, amorale, inspirée d'une iti-
lerprétalion féroce de la doctrine darwinienne, déve-
loppant toutes le puissances du mal. Leur barbarie,
comme on l'a dit, est « scientifitiue » : au lieu de s'op-
poser à la Kutliir, elle en est la conséquence directe.
« Malheur aux vaincus 1 Le vainqueur ne connaît
pas de grâce », clamait Guillauirle II devant ses
troupes, la veille de la bataille de la 'Vistule. —
•I La guerre, disait Louis XIV, ne saurait être faite
trop honnêtement. » — Maiime petit.
Amoureuse histoire d'Auguste
Comte et de Clotilde de 'Vaux (l),
par Giiarles de Rouvre (Paris, 1917). — Parmi les
amours que nos grantis hommes éprouvèrent et
dont ils n'hésitèrent point à entretenir leur temps,
et aussi la postérité, il en est peu d'aussi remar-
«(uables que celles qui attachèrent Auguste Comte
il C otilile de Vaux. On sait la passion qu il montra
pour cette jeune femme, non pas seulement pendant
sa vie, mais encore après qu'elle fut morte, quelques
années à peine après le début de leurs relations; et
on n'ignore pas l'influence considérable qu'elle eut
sur son œuvre, il ce point que certains préti-ndirent
qu'elle détourna de sa direction primitive la philo-
sophie positiviste. Mais, sans doute, cette constance,
cette influence ne suffiraient pas à faire d'une liai-
son quelque chose d'unique. Il y eut quelque chose
(le plus : le philosophe fonda une religion dont la
déesse, la Vierge-Mère, fut celle qu'il avait aimée,
cl une religion véritable, avec un culte minutieu-
sement décrit, qu'il suivit jusqu'à sa mort et que
ses disciples, ou plutôt ses fidèles, suivirent après lui.
De celle histoire amoureuse le public ne connais-
sait gur're que le thème. En voici le détail authen-
tique, que nous donne un petit-neveu de Clotilde,
Charles de Rouvre. A l'aide de la correspondance
nu'érhangèrent la jeune femme et le philosophe, à
l'aide des souvenirs que lui contèrent ses grands-
parcnls, à la fois spectateurs et acteurs dans les évé-
riage comme on en vit souvent, en ces temps, de
l'offlcierde fortune avec l'héritière d'un grand nom.
Les Ficqueliiiont étaient une grande famille de
Lorraine, dont la fortune avait disparu sons la Ré-
volution. Conformément au droit féodal, lorsque la
royauté avait disparu en France, ils s'étaient re-
tournés vers le suzerain naturel du duché de Loi-
raine, l'empereur d'Allemagne. Le frère de M"i^ de
Ficquelmonl devait être plus tard ministre à la
cour d'Autriche.
Quant au capitaine Marie, bien qu'il eût fait
toutes les campagnes de la Révolution et de l'Em-
pire, la chance ne le favorisa point, et il se trouva
simple capitaine au moment de la Restauration. La
situation fut quelque temps assez misérable. Enfin,
grâce aux amis de la famille de Fic(|uelmont, de-
venus tout-puissants, il obtint la perception de Méru,
dans l'Oise. C'est là qu'il vint s'installer avec sa
femme et ses enfants; c'est là que grandit Clotilde,
enfant jolie, mais maniérée et de caractère peu
facile. Elle passa plusieurs saisons aussi dans les
beaux châteaux de ses tantes, en Lorraine ; et, certes,
celle vie lui convenait mieux que le régime de
l'internat, à la Légion d'Honneur, auquel elle dut
pourtant bientôt se résoudre, et où elle devait de-
meurer jusqu'en 183'i.
Si les relations qu'elle avait avec son père furent
toujours assez réservées — le bonhomme était
bougon et surtout peu prodigue — sa mère exerça
une influence certaine sur elle. M"" Marie ne man-
quait point d'une certaine distinction d'esprit, et elle
se plaisait même à dresser des plans d'amer.agement
social par le travail. Les seules discussions qu'elle
pourra avoir plus tard avec sa fille auront pour
unique cause I amour excessif qu'elle lui portait.
Ce fut peu de temps après le retour de Clolilde
que vint s'installer à Méru Amédée de Vaux^ qui
venait y remplir le rôle d'aide à la perception. Il
avait longtemps voyagé aux colonies et n'avait
jamais fait grand'chose de bon ; mais il était
aimable et, malgré l'avis de sa mère, Clotilde
consentit à rêpouser,2s se septembre 1835, plus, sans
doute, par amour du mariage que par amour de
l'homme. Il n'avait pas de fortune et prit l'emploi
de son beau-père, qui alla s'installer à Paris.
Ce furent quelques années de jours gris, à peine
coupés par un voyage au Tréport, que Clotilde y
fit pour sa santé. En 1839, brusquement, Amédée
de Vaux prit la fuite. On s'.ipcrçnt, après sa dispa-
rition, qu'il était voleuret faussaire. Clolilde rentra,
accablée, chez ses parents, retirés à Paris; el,
quelques mois apris, lorsi|ue son mari lui adressera
de longs plaidoyers et des déclarations d'amour,
elle refusera d'y répondre.
Dans son isolément, Clolilde chercha une dislrac-
lion à sa tristesse, el elle songea à faire de la litté-
rature. (>ela l'aiderait aussi, peut-être, à sortir de la
gêne matérielle où elle se trouvait. On peut dire.
24y
en eiïct, qu'elle n'avait pas un sou à- elle, et on sait
qi e son père ne donnait point fac lement le peu
qu'il pouvait avoir. Il fallut que sa mèce s'adressât, en
secret, a suu Irere, Je iiumsue auuichien, qui con-
sentit à faire à sa sœur une pension de 600 francs.
Le frère de (Ilutilde — h- grand-père, précisément,
de M. Charles de Rouvre — fut élevé à l'Ecole
polylechnii|ue, au moment où Augusle Comte y
était examinateur des examens d'entrée. Le philo-
sophe protégea le jeune homme et alla le voir
lorsque celui-ci se maria, en I8'i4. Ce fut à cette
époque que Clotilde quitta ses parents, chez qui la
vie lui était insupportable, pour habiter seule. Elle
devait prendre ses repas chez son Irèrc. C'est là que,
pour la première fois, en avril 1844, elle rencontra
Auguste Comte.
Il avait alors quarante-quatre ans et venait de
divorcer. Il avait achevé sa l'hilosophie positive et
se préparait à élaborer sa Politique positive. La
première impression que la jeune femme lui pro-
duisit fut extraordinaire. Elle se contenta de le juger
laid. Mais il revint souvent et, quelques mois seu-
lement aprè.s la première entrevue, il lui laissait
déjà entendre les sentiments qu'il éprouvait :
Le prix quo vous voulez bien attacher (lui écrivait-il) à
la conversation m'ontiardit à vous déclarer que je serais
très satisfait de voir se multiplier de telles relations. J'ai
souvent été jugii peu sociable, faute de trouver chez les
autres une disposition d'esprit, et surtout de cœur, suf-
fisamment en harmonie avec la mienne.
Le cunliant ahanduo que je me plais à éprouver auprès
de vos parents doit vous indiquer assez ma tendance
naturelle à gottter convenablement votre aimable entre-
tien. Outre l'élévation d'idées et la noble.sse de seniiraenls
qui semblent propres à toute votre intéressante famille,
une triste conformité morale de situation personnelle
constitue encore, entre vous et moi, un rapprochement
plus spécial.
11 multiplie ses visites, et c'est dans une de ces
réunions de famille qu'il prononce, plein d'admi-
ralion pour soi-même, le 16 mai 1845, la fameuse
pensée qu il inscrira en tête de son œuvre :
On ne peut pas toujours penser, mais on peut tonjours
aimer.
De la date où il dit ces mots il fera plus tard le
premier jour de l'an de l'humanité régénérée. En
attendant, dès le lendemain, il adres.-e sa déclara-
tion à Clotilde. Elle le repousse, sans pourtant
rompre avec lui. Il la harcèle et, pour sa fête qui
lombe le 3 juin, il compose sa Lettre pitilosophique
■tvr la commémoration sociale. C'est là qu'on peut
clotilde de Vaux, au moment de sa première communion
(d'après une miniature faite par sa méreK
voir révolution de son esprit, la tendance à la religio-
silé qui n'avait pas encore apparu en lui. On atten-
dait lie lui une cité libre, et il va édifier une Eglise.
H considère ce temps comme celui des fiançailles
et, pourtant, celle qu'il regarde comme sa fiancée
lui écrit :
Au nom de l'intérêt que je vous porte, je vous en prie,
travaillez à surmonter un penchant qui vous rendra
malheureux. Un amour sans espérance tue l'âme et le
corps ; il vous fauche comme un brin d'herbe.
Elle lui montre son cœur « comme flétri ; il faut
qu'il se retrempe aux sources de la ré.-ignation et
de la solitude ». Et elle lui avoue une émotion de
son cœur : depuis sa séparation d avec son mari,
elle a aimé un homme, qu'elle ne nomme pas, et
qui n'en a jamais rien reçu. Cet homme, nous le
savons, c'est le directeur du S'attonal, Armand
Marrast. Augusle Comte reçoit le coup, el à cel
aveu d'un trouble du cœur il répond par un aveu du
trouble de son inlelligence.
.ladis. il a été fou pendant un an. Cette confi-
dence paye l'autre. Le philosophe el la jeune femme
pourront continuera se voir. Si l'amour est impos-
sible entre eux, l'amitié ne leur est pas interdite.
250
Dans coKc amiliù, des événemeiils se produisent
qui l'exallcnl: la publication, en juin 1843, dans le
National, d'une nouvelle de Clolilde, Lucie, nou-
velle autobiographique, qui enthousiasme le philo-
sophe. 11 prend rengagement de ne prendre jamais
que son amie comme épouse. Elle refuse, sans
pourtant fermer ta porte à tout espoir. Il passe de la
joie à la tristesse, s'attarde h la jalousie, lorsque
Marrast oiïre à la jeune femme de devenir la colla-
boratrice hebdomadaire de son journal, bondit dans
le bonheurlorsqu'elle lui emprunte cinquante francs,
pleine d'inconscience, enlin se considère comme
l)ienheureux lorsqu'il lui sert de compère, le 22 août,
au baptême de son neveu. Ce baptême, célébré
dans l'église Sainl-Panl, scelle h ses yeux leur
union mystique. Il ne garde plus de ménagements.
Il ne dissimule plus ses sentiments; son attitude
affirme tous les droits qu'il se juge sur elle. I.,a
famille Marie, on le comprend, ne fut point satis-
faite de celte tenue nouvelle. Il
s'en désespère. C'est alors que la
jeune femme s'offre à lui. Si
étonné qu'il en soit, il n'hésite
point à accepter cette offre; mais,
au dernier moment et malgré
toute sa bonne volonté, elle ne
peut se résoudre k l'abandon de
son corps. Il faut reconnaître
que le philosophe fait tous ses
efforts pour la faire revenir sur
sa décision. Ce n'est que lorsque
Clolilde sera morte qu il voudra
supprimer dans le monde l'amour
physique.
Cependant, les relations re-
prennent, plus calmes, plus nor-
males. Elle travaille à un roman
qui sera son histoire : Wilhel-
mine, et elle fait don à son ami
d'une boucle de cheveux. Elle
lui demande aussi quelques ser-
vices d'argent et, bien qu'il n'en
ait point, il ne l'avoue pas. Mais
les rapports entre le philosophe
et la famille .Marie deviennent
chaque jour moins cordiaux.
M"» Marie demande à sa fille de revenir habiter
chez elle. Clolilde refuse avec éclat ; et ce désaccord
avec lés siens la rapproche encore de Comte.
Celui-ci commence à organiser le culte qu'il célé-
brera plus lard. Le fauteuil où elle s'assit, dans son
cabinet, est l'autel devant lequel il s'agenouille, et
la prière qu'il prononce
consiste à ri^péter une suite chronologique de courts
pass:iges de vos lettres (lui écrit-ii), les [nus propres à
caractériser la marche et la tendance de notre sainte
affeciion.
Mais, de jour en jour, la lassitude accablait la
jeune femme. Elle s'était souvent sentie souffrante,
mais, parce qu'elle avait un teint éclalanl,on la di-
saitmnlade imaginaire. Elle avait des crachements
de sang, et on la disait neurasthénique. C'est le
moment que Comte choisit pour la poursuivre de
son désir. II y a des allusions extraordinaires à sou
état physique dans les lettres qu'il lui adresse en
ce temps-là, et ce n'est pas sans regret que, devant
les refus qui lui sont opposés, il se résigne à la seule
amitié; mais de sa continence involontaire il passe
à la conception des amours chastes, dont il fera
un dogme.
En attendant, il s'inquiète de la santé de la jeune
femme, et il s'inquiète aussi du médecin qui la
soigne et dont il est jaloux, le docteur Cheresl.
Il parvient à le remplacer par le docteur Pinel-
Grandcbamp, qui donnera à sa malade une quan-
tité de drogues, dont l'effet se manifestera déplo-
rable. La malailie s'accroît chaque jour. Clolilde le
cache à sa famille, et Comte l'exhorte & ne recevoir
personne, sauf lui. La dernière lettre qu'elle lui
adresse, le 8 mars, est la glorification de l'amitié ;
Vous vous trompez (écrit-elle), quaad vous dites que
l'amilio n'aime pas.
La famille Marie, qui avait été profondément
irritée, revint quand la maladie empira. Elle trouva
Comte installé en quelque sorle rue Payenne. Il se
montre brusque et dur pour tous; mais, avec Clo-
lilde, il est d une étrange douceur. Il lui écrit des
mots très doux :
Adieu, mon éternelle compagne. Vous m'avez aujour-
d'hui fait profondément sentir Te prix de votre nol>Ie
pureté, qui nous a permis, devant votre môre, de tenir
tendrement votre main dans les miennes, pendant que je
contemplais cette ansôllque physionomie dont raitération
passagère rend encore plus touchante la suave beauté.
Mais, lorsqu'il sut qu'elle allait mourir, il remplit
de ses lamentations la chambre même de la malade,
et il entreprit, pour l'avoir toute & lui, d'c;oarter de
son lit ses parents même. Ils patientèrent un peu, et
ils étaient tous réunis pour assister, le 2 avril, au
(Ion des derniers sacrements. Comte prenait là l'en-
gagement de rendre son amie immortelle. Mais, les
■ours suivants, de grandes seines e irent lieu.
Comte fut mis à la porte, mais le capitaine Marie
lui avait promis de le rappeler avant la fin. Le len-
LAROUSSE MENSUEL
demain, on l'envoya chercher, 11 vint et s'enferma
dans la chambre de la mourante, dont la famille
n'osa pas briser la porte, 11 y resta seul plusieurs
heures. Clolilde venait de rendre le deinier soupir,
quand il reparut. C'était le 5 avril 1X46.
Elle fut enterrée, le 7, au Hère-l.achaise, dans
cette tombe devant laquelle, à des jours réguliers,
Comte devait venir prononcer les prières sacrées
qu'il composait en son honneur.
Le lendemain, le frère de Clolilde demanda ré-
paration de ses actes au philosophe. Celui-ci s'efforça
de ne pas rompre entièrement avec la famille de
son amie. Mais la rupture pouvait êlre difficilement
empêchée. Elle se produisit totale.
Alors, il ne songia plus qu'au travail et à l'ado-
ration de Clolilde divinisée. Dès octobre 1846, il
compose la fameuse « dédicace exceptionnelle à son
éternelle compagne », qui ouvre le premier volume
de la Palilique positive. Il avertit sa femme qu'elle
n'est plus rien dans son estime;
que c'est une autre qui sera l'ins-
piratrice de son nouveau livre, et
il réunit ses disciples pour leur
dire sa vie sentimentale.
Il compose des prières qui,
chaque jour, doivent êlre dites
à heures fixes, prières faites avec
des pensées de Comte, des pa-
roles de Clolilde, des extraits de
ses lettres, des citations espa-
gnoles, italiennes, lalines. Le
cérémonial en est minutieuse-
ment réglé. C'est ainsi que la
prière du matin, qui commence
à cinq heures et demie, dure
une heure, et se décompose en
une commémoration dont la durée
est de quarante minutes, à genoux,
devant l'autel
et une effusion de vingt minutes,
à genoux, les dix autres debout, et
les cinq dernières de nouveau à
genoux.
Chaque semaine, il se rend
Auguste Comte, devant la tombe de son amie.
Chaque année, il lui adresse une
lettre, le jour de sa fête. Ce sont les dix Sainte-
Clotide où vraiment il atleint à une hauteur morale
considérable. Il fonde véritablement une religion,
enterre, marie, baptise. 11 est pape et incorpore
Clolilde au Grand lOlre. Et ce fut ainsi jusqu'à sa
mort, qui se produisit le 5 septembre 1857.
Il y aurait lieu, sans doute, de préciser ce que la
pensée du philosophe dut à l'influence de la jeune
femme etl évolution que détermina cette influence,
mais il aparu suffisant, pour aujourd'hui, de raconter
cette histoire d'amour, l'une des plus étonnantes,
sans doute, par la qualité des personnages et l'ori-
ginalité de sa conclusion, que l'on ait rencontrées
dans la littérature, — Jacques Bompard.
*burlingtonie n. f. Bol. Genre d'orchidées
vandées, ren-
fermant des
herbes épiphy-
tes, des forêts
de l'Amérique
tropicale.
— E.NCYCL.
Les burlingto-
nies, et notam-
mi nt la bur-
lingtonie jolie
(hurlingtonia
rfecora), sontde
gracieuses or-
chidées, à très
belles fleurs
groupées en
grappes; le la- ,
belle de ces/
fleurs est d'uni
blanc pur, tan-
dis que le péri-
gone, à folioles
membraneuses,
con volutées,
obliques, est
rose, parsemé
de taches lie de
vin. Les grap- BurUngtonle.
pes de fleurs
sont portées par des hampes simples, munies d'une
seule bractée au-dessous du point oh naissent les
fleurs. On cultive dans les serres, avec cette jolie
variété, les espèces rubescens, candida, fragians,
rigida, maculata, etc. — Jean de ch*on.
Cafés de fantaisie ou pseudo-cafés
(les). On sait combien est grande l'importance
du café dans les échanges commerciaux (v. La-
rousse Mens., t. Il, p. 554). Celte denrée, devenue
indispensable, fournit une infusion dont l'usage
modéré facilite la digestion et active le travail
intellectuel et dont l'abus provoque de l'insomnie
/V- J28. Octobre t9I7.
et du tremblement. Le café n'est pas un aliment;
au contraire, il accélère la nutrition générale et,
par suite, la consommation des réserves de l'or-
ganisme. Il renferme trois principes essentiels : l'un,
aromatique, la ca/'éone, développé pemlanl la torré-
faction; l'autre, amer, fébrifuge; le troisième, exci-
tant, la caféine. La présence de ce dernier oblige
beaucoup de personnes nerveuses àse priverdecetle
boisson qu'elles affectionnent, il existe bien, à Ma-
dagascar et dans les îles voisines, des caféiers sau-
vages, dont les graines sont dépourvues de caféine
co/fea Humblotiana et Perrieri), mais elles possè-
dent une extrême amertume, dont aucune manipula-
tion n'a encore pu les débarrasser ; peut-être y par-
viendrait-on par la culture. Fn attendant, on vend
depuis 1908 des cafés décaféinés par des procédés
chimique8(v. Larousse Mens., t. Il, p. 131); ilspossè-
dent l'arôme du café, sans en avoir I action excitante.
Les pseudo-cafés ou cafés de fantaisie, nommés
parfois improprement«ucce(/nne« du café, ne possè-
dentpas lespropriétés du café et n'en rappellent que
vaguement la saveur. On les mélange au café, ou on
les emploie seuls en infusion; tous colorent fortement
l'eau et renferment un principe amer. Des raisons de
santé, d'économie, de goilt, ont contribué à répandre
l'usage alimentaire des cafés de fantaisie, dont cer-
taifis donnent lieu à un commerce important.
Chicorée. La n chicorée caféiforme » est citée
en France pour la première fois dans la troisième
édition du Dictionnaire d'histoire naturelte de
ValmontdeBo-
mare, publiée
en 1775. La
chicorée, em-
ployée par les
Hollandais
vers la fin du
xvii» siècle, fut
introduite en
Prusseenl763,
puis en Suisse,
en Angleterre,
en Belgique et
enFrance.C'est
à la fin du
X viii" siècle
qu'on com-
mence à culti-
ver la chicorée
à café dans nos
départements
du Nord. La
culture et la
préparation
de ce produit
ayant été dé-
crites longue- Chicorée,
ment ici-même
(v. Larousse Mens., t. III, p. 368), nous n'y revien-
drons pas. La chicorée (cichorium intybus) n'a
qu'une seule des propriétés du calé, celle de colorer
fortement l'eau dans laquelle on la fait infuser ; elle
est acre, amère, apéritive, dépurative et purgative,
faiblement alimentaire.
Certaines personnes emploient par goût le mélange
café-chicorée, surtout pour préparer le café au lait;
beaucoup plus l'emploient par économie, mais à
celte clienlMe volontaire s'ajoute une clienlèle in-
volontaire encore plus nombreuse : elle comprend
les habitués des cafés et restaurants et les acheteurs
de café moulu chez des conunerçants sans scrupules.
Rien n'est plus facile que de recoimaître la pré-
sence de la chicorée dans le café en poudre. 11 suffit
de verser doucement une pincée de la poudre sus-
pecte à la surface de l'eau contenue dans un verre.
Si le café est pur, il surnage pendant assez long-
temps sans colorer l'eau; au contraire, la chicorée,
très spongieuse, absorbe rapidement le liquide, le
colore en jaune brunâtre et coule au fond.
La chicorée est souvent elle-même falsifiée avec
des céréales, des glands doux, des carottes, des
cosselles de betteraves, etc. Toutes ces subst:mces
végélales, séchées, grillées, pulvérisées, imprégnées
de sucre caramélisé par la torréfaction, ont l'aspect
de la chicorée. Parfois, même, les fraudeurs y mé-
langent du vieux marc de café, des drèches de
brasserie, de la tourbe, des matières minérales, La
« chicorée de guerre », qui fut vendue au commen-
cement de 1915, renfermait toutes sortes de tissus
végétaux torréfiés, sauf de la chicorée, car les
principales régions productrices de cette denrée,
c'est-à-dire la Belgique et le nord de la France, ve-
naient d'être occupées par l'ennemi.
Malt. Le malt consiste en graines de céréales
germées artificiellement, afin d'y faire développer un
ferment, Vami/lase. capable de transformer l'amidon
en sucre, puis on arrête •'a germination en le toiirail-
lant, c'est-à-dire en le desséchani dans l'air chaud.
La malterie est une grande industrie qui alimente
les brasseries, les glucoseries et les distilleries
Le malt d'orge est le plus employé: il est brun et
pos-ède un parfum prononcé de café grillé; d'où
l'emploi fort répandu de son infusion comme pseudo-
café économique non excitant, tonique et digestif.
«• JP8. Octobre 1917.
Céréales. Les graines d'orge, d'avoine, de blé, de
seigle et de mais non germées, erillées dans un
brûloir à feu doux, puis broyées dans un moulin.
Noisetier ; a, fleurs mâles ; c, fruit.
sont mélangées frauduleusement au café ou à la
chicorée, ou sont employées par quelques amateurs
pour adoucir la saveur du café.
Glands doux. Les glands doux sont fournis par des
variétés du chêne vert (v. p. 197), le chêne d'Espagne
(Quercus caslel-
lana), le chêne
ballote {Quercus
ballota), lechêne
grec {Quercus
œsculus), répan-
dues sur tout le
pourtour médi-
terranéen; ces
glands sont co-
mestibles et se
mangent à la fa-
çon des châtai-
gnes Torréfiés
et moulus, les
glands doux four-
nissent un pseu-
do-café, dont la
vente donne lieu
à un petit com-
merce. L'infu-
sion, de saveur
peu agréable, est
faiblement ali-
menlaire.
Les glands
doux y sont d'ail-
leurs souvent
remplacés par les
glandsordinaires
de nos forêts, dé-
Lupin : a. fleur. barrasses de leur
principe âpre par
macéralion pendant plusieurs jours dans de l'eau
souvent renouvelée et par des lavages répétés avec
de leau contenant 1 à 2 p. 100 de carbonate de
soude, ou encore
par une germina-
tion partielle due
à un séjour d'une
semaine dans le
sol humide.
Noisettes. Les
noisettes, privées
de leur coque,
sont torréfiées,
puis cassées au
marteau toutes
chaudes , entou-
rées d'un linge;
les fragments
sont réduits en
poudre dans un
moulin à café.
L'infusion obte-
nue est une bois-
son saine, de sa-
veur délicieuse
et n'ayant au-
cune des pro-
ririélés du café. Ce produit ne se trouve pas dans
e commerce.
Lupin à café. Le lupin à feuilles étroites {Lupi-
nus anguslifotius) est une léguminense annuelle k
fleurs bleues, indigène en France. On le cultive un
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
Poil chiche : a, fruit.
L.\ROUSSE MENSUEL
peu partout en Bretagne sous le nom de café de
jardin, et beaucoup de paysans s'imaginent posséder
des plants du véritable caféier. La gousse, mûre en
août, renferme quatre à cinq graines assez grosses,
presque rondes, aplaties sur les deux faces; chaque
Caroubier ; a, fleur mâle ; b, fleur femelle ; c, fruit.
pied en fournit environ 10 grammes. Après une
dessiccation lente, ces graines, torréfiées, broyées
et mises à infuser dans l'eau bouillante, donnent une
boisson brune, amère, à arôme faible, rappelant un
peu celui du café. L'habitude, presque générale en
Astragale : a, de Crète ; b, astragale glycyphylle ; c, son fruit.
Bretagne, d'arroser largement l'infusion d'eau-de-
vie, complète l'illusion. Aussi est-ce de bonne foi
que, dans beaucoup d'auberges, le lupin est servi
comme café.
Pois chiche. Les graines du pois chiche {Cicer
Cassier : a, casse flstuleuse ; b. fleur de la casse flstuleuse ;
c, fruit; d, casse lancéolée.
arielinum), appréciées comme aliment dans le midi
de l'Europe, fournissent un pseudo-café commercial,
consommé surtout dans le Languedoc. L'infusion
de ces graines n'est pas trop désagréable, quand une
torréfaction bien menée a fait disparaître complète-
ment le goût de pois.
Gaillet ; o, fleur grossie.
251
Astragale d'Espagne. Cette légumineuse annuelle
{Astragalus bœticus) est une herbe à fleurs jaunes.
L'emploi de ses graines comme pseudo-café a été
fort répandu à l'époque du blocus conlinental; il est
encore fréquent en Angleterre.
Caroube Le caroubier {Ceratonia siliqxta) est un
arbre du littoral méditerranéen ; ses longues gousses,
réduites en pulpe, subissent un grillage qui les
transforme en un café de fantaisie, consommé
par les indigènes du Maroc sous le nom de karouba.
Cassier occidental. Celle légumineuse annuelle
buissonnante {Cassia occidentalis) croît dans les
régions chaudes des deux continents. Ses graines,
torrcliées et broyées, fourni.ssent le café nègre du
Sénégal, de la Martinique et du Gabon, dont 1 arôme
rappelle beaucoup le
café, mais qui ne pos-
sède pas de propriétés
excitantes. Cette den-
rée caféiforme figura à
l'Exposition univer-
selle de 1855 parmi les
produits de la Guade-
loupe; un certain bruit
l'ut fait alors autour
d'elle; on essaya vai-
nement de la « lan-
cer n comme produit
bien supérieur à la chi-
corée. Le café nègre
est toujours utilisé à
la Guadeloupe ; il est
quelquefois importé en
Angleterre.
Gaillet gratleron .
Cette mauvaise herbe
{Galium aparinej, fort
commune partout en
France, appartient,
comme le caféier, à la
famille des rubiacées.
Ses fruits, de 3 à 6 mil-
limètres de diamètre, sont couverts de poils cro-
chus et s'accrochent aux vêtements, lis sont em-
ployés parfois.
Gaertnera vaginata et Psychotria herbacea. Ces
deux rubiacées des régions chaudes fournissent
des graines ayant une forme analogue à celles du
caféier et utilisées de même, mais leur saveur est
assez différente, et elles ne renferment pas de caféine.
Gombo. Le gombo ou ketmie comestible {Hibiscus
esculentus) est une malvacée des régions chaudes, à
fruit comestible. Les graines sont torréfiées avec soin
dans un brû-
loir à café jus-
qu'à ce qu'elles
ne crépitent
plus ; on les
étale tout de
suite sur une
table de mar-
bre ou sur tout
autre corps
pouvantles re-
froidir rapide-
ment, et on les
broie. L'infu-
sion rappelle
le café, avec
une saveur
spéciale qui
plaît à Beau-
coup de gens.
Figues. L'u-
sage du feigen
kaffee ou café
de figues a
pris naissance en Autriche-Hongrie, il y a environ
un demi-siècle. De là il s'est répandu en Allemagne
et dans les Balkans. En France, depuis une dizaine
d'années et surtout depuis la guerre, le café de
figues a une clientèle et se trouve dans beaucoup
d'épiceries. ("V. p. 196.)
Le chiffre suivant donnera une idée de l'impor-
tance de ce produit; en 1898, il a été importé en
Autriche (sans la Hongrie) 2 millions et demi de
quintaux de figues sèches destinées à la torréfaction ;
la plus grande partie provenait de la région de
Smyriie. A la suite de plusieurs mauvaises récoltes
survenues eu Asie Mineure, les usiniers autrichiens
firent des commandes à nos producteurs du Midi el
d'Algérie.
Dès 1899, une société se fonda, el des usines s'é-
levèrent à Bordeaux pour la torréfaction des figues.
En 190i, l'attention du gouvernement général de
l'Algérie fnt attirée sur le café de figues par les
grosses commandes de figues sèches faites par des
commerçants autrichiens. Aidés el encouragés par
l'administration de la colonie, des industriels se
rendirent en Autriche pour étudier les détails de la
torréfaction el, peu après, deux usines furent ins-
tallées : l'une à Bougie, l'autre à Aomar; elles trans-
forment en café de figues une notable partie de
l'énorme production de la province de Conslantine.
10*
Gombo ou gombaud : a, fruit.
252
Les mélhodes employées pour cette préparation ont
déjà été indiquées (v. Larousse Mens., t. 111, p. 370).
Le succès que rencontre aujourd'hui en France
le café de figues est une conséquence de la guerre;
beaucoup de personnes ont remplacé la chicorée
devenue rare et chi're par les figues torréfiées, que
leur offrent nos producteurs privés de leur clien-
tèle de l'Europe centrale.
Le calé de ligues ressemble d'une manière éton-
nante au café moulu; il est vendu en paquets bien
clos, car il absorbe facilement l'Iiumidité et se prend
en mottes, qu'il faut ensuite briser. Employé seul,
il donne une infusion sucrée d'un goût agréable.
Mélangé au café dans la proportion d'un tiers, il
colore fortement l'infusion et en tempère l'amer-
tume, au lieu de la rendre acre, comme la chicorée;
il l'édulcore, la rend onctueuse et alimentaire. Le
café de figues permet de donner aux enfants un
café au lait nutritif, dont le goût leur plaît et dans
lequel il n'entre aucun grain de calé; la chose ne
serait pas possible avec la chicorée.
Il est devenu proverbial, en Aulricbe, de dire qu'il
n'y a pas de bon café sans figues. Sans partager cette
opinion, on peut cependant affirmer que le café de
figues vient en bonne place par ses nombreuses qua-
lités dans le groupe des denrées de second ordre
constitué par les cafés de fantaisie. — F. faidbau.
Caron (Jules-Edmond), officier de marine et
explorateur français, né àQuimperle 12juilletl857,
mort à Toulon le 2 juin 1917. borti de l'Ecole na-
vale en 1876, il élait lieutenant de vaisseau depuis
le 3 juillet 18S5 quand, l'année suivanle, le 20 août,
il quitta la France pour accomplir au Soudan une
mission, au cours de laquelle il devait amener pour
la première fois une petite flottille française devant
l'un des ports de Tonibouctou. Ce voyage eut une
grande importance, tant par les connaissances géo-
graphiques nouvelles qu'il nous apporta que comme
ayant été un premier pas accompli pour préparer
l'établissement de la France à Tombouctou.
Depuis l'explorateur français René Caillié, aucun
navigateur n'avait pu s'avancer aussi loin sur le
Niger. Celui-ci, en 1828, monté sur une pirogue in-
digène, avait pu effectuer le levé du bras du fleuve
compris entre Djenné et Kabara, le port de Tom-
bouctou, et il était revenu sain et sauf de cette dan-
gereuse expédition. Poursuivant les plans de péné-
tration vers le Niger déjà conçus par Kaidherbe,
ceux de nos officiers qui furent chargés du com-
mandement supérieur du Haut-Fleuve avaient
envisagé la possibilité d'atteindre Tombouctou par
la voie du Niger. En septembre 1885, le lieutenant
de vaisseau Davoust s'était avancé sur la canon-
nière le iVijerjusqn'à Djenné, après avoir exécuté
le levé d'au moins 390 kilomètres du fleuve.
Le lieutenant de vaisseau Caron, qui le remplaça,
devait poursuivre l'œuvre commencée et la faire
plus complètement aboutir. Le commandant supé-
rieur du Haut-Fleuve était alors le lieutenant-
colonel Galliéni, qui avait été appelé à ces fonctions
en octobre 1886, et ce fut lui qui, pour assurer l'e.x-
tension de l'influence française dans les pays avoi-
sinant le Niger, chargea le lieutenant de vaisseau
Caron de conduire à nouveau la canonnière le
Nifier vers Tombouctou, et il prit toutes les mesures
qu'il put pour faire réussir le voyage. Le lieutenant-
colonel Galliéni donna au chef de la mission de
longues et précises instructions.
A la canonnière le Niger avaient été ajoutés un
chaland qui fut appelé le Manamhougou et un
sliarpee de 8 mètres, le Titi. C'est avec cette petite
flottille que le lieutenant de vaisseau Caron quitta, le
1" juillet 1887, le bassin de Manambougou, situé
sur le Niger à trente-cinq kilomètres en aval de
Bamako. 11 était accompagné du sous-lieutenant
d'infanterie de marine Lefort, fils du contre-amiral
Lefort, du D'' Jonenne, médecin de la marine, et de
19 hommes seulement. C'était un personnel bien
restreint pour accomplir une mission aussi dange-
reuse et aussi délicate dans ces régionsjà peu près
inconnues et dont la soumission devait être dilfici-
lement obtenue; il fallut toute l'énergie de Caron
et de ses compagnons pour arriver à un aussi no-
table résultat.
A partir de Sansanding, la mission se trouvait en
pays à peine frayé, la carte d'un explorateur précé-
dent, le lieutenant de vaisseau Mage, s'arrêtant à
cette localité, et les itinéraires levés par le lieute-
nant de vaisseau Davoust n'ayant pas pu être mis
au net, par suite de son état de santé. La flottille
s'avança donc en pays inconnu pendant deux mois
et demi, les officiers faisant eux-mêmes les levés
des rives et notant les profondeurs du fleuve et les
courants.
Mais la petite expédition n'avait pas seulement à
faire l'étude géographique des contrées traversées :
elle avait unemission politique à remplir, et c'était la
partie la plus difficile de sa tâche. La ville de Tom-
bouctou, très divisée entre des tendances diverses
d'où résultait pour elle un état d'anarchie, subissait
surtout l'influence du cheik du Macina, Tidiani,
qui avait su habilement réorganiser son royaume
et étendre son action politique. Le lieutenant de
LAROUSSE MENSUEL
vaisseau Caron eut avec lui de nombreuses palabres
a Bandiagara, sa capitale, sans pouvoir réussir à
traiter. La mission parvint, néanmoins, à continuer
sa navigation sur le Niger, mais, par suite de l'in-
tervention de Tidiani, l'accès de Tombouctou lui
fut rendu impossible.
Le 17 août 1887, la flottille française vint mouiller
tout près de Koriume, le premier port de Tom-
bouctou. Mais ce fut en vain que les officiers fran-
çais essayèrent
d'entrer en pour-
parlers avec les
chefs et notables
de Tombouctou,
pour pouvoir al-
ler jusqu'à la
ville ; de toutes
parts, des senti-
ments hostiles se
manifestaient, et
un guet-apens
était préparé. On
refusait tout ra-
vitaillement à la
mission et, quoi-
qu'il lui en coû-
tâlbeaucoup,elle
dut revenir en ar-
rière sans avoir
pu voir la ville Capitaine de vaisseau Caron.
mystérieuse.
Après un voyage de retour, qui fut des plus pénibles,
elle avait regagné Manambougou le 5 ocloore.
Mais, si la mission du lieutenant de vaisseau Caron
n'avait pu entrer à Tombouctou, elle avait néan-
moins donné d'importants résultats. Elle s'était
avancée à 500 kilomètres environ dupointoù avaient
cessé les relèvements du lieulenant de vaisseau
Davoust, et il était désormais établi que, sur 800 ki-
lomètres, le Niger était parfaitement navigable.
En dehors des itinéraires et des levés rapportés
par la mission, on lui doit aussi de nombreux et
précieux renseignements politiijues et économiques,
qui ont largement guidé dans tout ce qui a été en-
trepris par la suite. L'ouvrage publié par le lieu-
tenant de vaisseau E. Caron et dédié par lui au
colonel Galliéni : De Saint-Louis au port de Tom-
bouctou (Paris, 1891), contient des détails du plus
haut intérêt sur le Macina et sur le pays de Tom-
bouctou, et il y montre combien il devenait opportun
de répandre dans les pays du Nij^er la civilisation
française et d'y faire naître un mouvement commer-
cial. Il a terminé son ouvrage par un vocabulaire
sonra'i, langue parlée à Tombouctou.
Nommé capitaine de frégate en 1900 et capitaine
de vaisseau en 1908, Edmond Caron était à la re-
traite depuis 1911. — Gustave Reoelsperger.
crayonnage n. m. Indust. Entretien des bâ-
tonnets de charbon, dits crayons, employés dans les
lampes électriques.
— Encvcl. Le craxjonnage des lampes à arc
consiste dans le remplacement des crayons de char-
bon qui constituent les pèles on électrodes entre
lesquels jaillit l'arc électrique. Dans les lampes à
l'air libre, ce remplacement doit se faire au bout
d'une vingtaine d'heures de service ; dans les lampes
à vase clos, au bout de quatre-vingts à cent heures,
l'usure des charbons étant moins rapide.
*éctielon n. m. — Art milit. Echelon d'artil-
lerie. Ensemble des accessoires de batteries : clie-
vaiix, avant-trains, caissons de ravitaillement, voi-
tures d'approvisionnement, forge, etc. : Quand les
pièces ne se déplacent que raremetit, il n'a a pas
d'intérêt à ce que les écHEi ONS restent dans leur
voisinage immédiat. (Charles Nordmann.)
Empoisonneuse prussienne (une Cé-
lèbre). Histoire et psrjciiologie criminelle. —
Vers 1765, à Nuremberg, un Prussien, du nom de
Steinacker, tenait une auberge-cabaret, à l'enseigne
sinistre <i la Croix Noire ». Le logis était égayé par
les rires et ébats d'une blonde et mignonne enfant,
la fille du Prussien, Marguerite Steinacker.
Marguerite resta orpheline de bonne heure, et.
avant ses vingt ans, elle se maria, devenant ainsi
— à son extrême satisfaction — une notabilité du
pays : elle épousait le notaire Zwanziger. Elle était
d'un caractère vif et enjoué; quant à son mari, il
élait sédentaire, taciturne, ni remuant ni baiard,
mais elle le craignait, disait-elle, comme un enfant
craint le fouet.
La jeune femme tomba dans la mélancolie, se
mit à lire des romans, commença par le déjà très
célèbre \\erther.
L'impression que ce livre produisit sur moi fut si
grande (a-t-elle écrit) que pendant longtemps je ne fis (|ue
pleurer. Si j'avais eu un pistolet, je me serais probaljle-
ment tuée.
Du Paméla anglais à la bourgeoise tragédie
Emilia Galotti, la notairesse en vint à un sentimen-
talisme maladif; elle n'aspirait plus qu'à se rendre
intéressante, qu'à fixer les regards.
Un petit héritage, puis un gain important à la
AI- 128. Octobre 7977.
loterie bouleversèrent tout à coup la tranquille et
modeste façon de vivre du ménage, mirent en fuite
l'humeur morose de maître Zwanziger. Tant que
les écus durèrent, ce ne fut dans la maison — au
cliquetis de verres, au son des violons — que feslins
et bombances, fêtes et bals. De celte période d opu-
lence le tabellion garda une habitude : la fréquen-
tation des estaminets, où, maintenant, entre gais
vivants et la chope en main, il passait ses journées.
Pendant ce temps, M^^ Zwanziger — aussi sen-
suelle que rêveuse — avait des amants ; et, un
jour, elle disparut avec un pimpant officier. Son
mari la supplia de rentrer au foyer; mais, quand
elle y eut consenti, il demanda et obtint le divorce.
Peu après, les ex-époux se remariaient ensemble.
A dater de cette époque (racontait Marguerite), nous
vécûmes heureux, car j'avais lini par m'apercevoir que
Zwanziger avait de nobles sentiments et, après tout, un
bon cœur.
Fort subitement, en 1796, trépassa le mari si
tardivement apprécié. La veuve avait alors dans
les trente-cinq ans. Elle allait pouvoir poursuivre
librement, allégée de toute entrave, le roman de sa
vie de fantaisistes complications, d'aventures sou-
vent incohérentes.
Tombée dans la misère, elle fut contrainte de se
faire servante ou bonne d'enfants ; et cette déchéance
la frappa profondément dans son amour-propre,
dans l'orgueil qui la dominait. D'après son témoi-
gnage personnel,
elle riait et pleurait à la fois ; et, lorsque ses maî*res lui
donnaient des ordres, elle atfectait de les recevoir avec
humilité, mais se faisait un point d'honneur de les en-
freindre.
Chassée de tous côtés, elle demanda asile à l'un de
ses anciens amants, mais elle trouva auprès de lui
tant de froideur, tant de dédain, qu'elle parla d'en
finir avec l'existence, de se trancher les veines. Ce-i
une seule veine qu'elle s'ouvrit au bras; elle n'eut
pas grand mal, et son amant en rit beaucoup.
Indignée, Marguerite protesta de la sincérité de
sesinlentionsde suicide, et elleprit le parti d'aller se
jeter à la rivière. Mais, ne négligeant pas, en une
telle circonstance, de satisfaire son goût inné de la
mise en scène, elle se fit accompagner par sa do-
mestique jusqu'au bord de l'eau et, un livre de
poésies à la main, elle se laissa glisser dans la
rivière en déclamant ce vers :
La vie est un fardeau dont la mort nous délivre.
L'endroit choisi était si peu solitaire que, bien
vite, deux pêcheurs accoururent à son secours.
Loin de s'apitoyer, son compagnon lui fit tenir
aussitôt sa garde-robe, une somme d'argent et le
conseil de s'en aller le plus tôt possible, le plus loin
qu'elle pourrait...
La délaissée cria à la persécution, déclara à l'hu-
manité tout entière une haine éternelle.
Personne n'a eu pitié de moi (disait-elle), je n'aurai
pitié do personne!...
11 lui semblait — à l'en croire — qu' « un noir
démon » venait de s'emparer d'elle. De nouveau,
elle fut réduite à se mettre en service, de droite et
de gauche, au gré de ses caprices.
A Vienne, alors qu'elle était sur le point de quit-
ter une grande famille aristocratique, ou elle trouvait
l'ouvrage fatigant et les gages mesquins, son ange
gardien, a-t-elle prétendu, lui murmura à l'oreille
de ne pas s'en aller sans une compensation. Or,
ce jour-là, l'enfant de la maison, en train de jouer
avec les bijoux de sa mère, lui mit dans la main une
bagne de prix; la servante partit en emportant
la bague, et soutint depuis qu'une voix intérieure
lui avait dit de la garder.
Pour se soustraire aux recherches de la police,
que les journaux annonçaient, elle échangea son
nom de Marguerite Steinacker, veuve Zwanziger,
contre celui d'Annetle ou Nanette Scbœnlcben; et,
dans les annales judiciaires, ce nom d'emprunt est
à peu près exclusivement resté son nom définitif.
En sa personnalité rénovée, la fille du cabarelier
s'in.stalla en Prusse, dans la petite ville de Neu-
markt. Elle y enseignait aux jeune filles les ouvrages
d'aiguille. Tout d'abord, sa conduite fut régulière,
prudente; mais Annette Schœnleben se lia avec
un vieux débauché, officier de haut grade, dans
l'espoir de l'amener à l'épouser, de recouvrer
ainsi son vrai rang dans la vie et de s'entendre,
avant de mourir, appeler « Votre Excellence ».
Ses projets échouèrent, et Nanette en éprouva
une nouvelle et très vive rancœur.
Perdue de réputation à Neumarkt, elle dut re-
prendre ses pérégrinations. Cette fois, elle s'en alla
dans une région de la Prusse appelée l'Oberland.
Elle y vivait de travaux de couture. Ses manières,
invariablement affables, révélaient qu'elle avait eu
une situation moins humble; et de tous elle fai-
sait l'admiration, tant par son industrieuse acli-
vité, sa conduite exemplaire, son amour du pro-
chain, que par sa profonde piété.
L'aventurière avait maintenant atteint la cin-
quantaine. De son ancienne beauté, plus de trace.
Son visage était devenu laid, horrible, cadavéreux;
/V" 128. Octobre 1917.
mais en son regard — tapi au creux des orbites
profondes, comme aux afîucts de l'éternel imprévu —
un étrange pou\uir de fascinalion survivait.
Les crimes se groupent en une bri've période:
di.\-luiit mois, de mai 1808 à septembre 1809,
pendant l'occupation de la Prusse par l'armée de
Napoléon. Annette Schœnleben opi're par l'arsenic
dans trois maisons où, successivement, la fourbe
s'était fait accueillir comme gouvernante.
En mai 1808, elle entrait chez M. Glaser, un
bourgeois aisé du village de Kasendorf, — homme
de cinquante ans, qui, depuis plusieurs années,
vivait séparé de sa femme. Très promptement,
Nanette acquit sur son maître toute influence; et, à
l'approbation générale, elle en vint à le décider h
une réconciliation avec sa femme. Dans le même
but, elle avait, à plusieurs reprises, écrit à M°" Gla-
ser et fait intervenir les amis communs. Bien que
protestante, elle avait poussé le zèle jusqu'à charger
un prêtre de dire des messes pour le succès de la
pieuse entreprise. M"' Glaser se laissa convaincre;
mais, en se mettant en roule pour Kasendorf, elle
adressa à ses parents celle lettre :
Je ne puis vous exprimer ce que j'éprouve. II se pasise
dans mon cœur un comhat inextricable. Serait-ce le pré-
sage lie quelque maltieur?...
Tandis que M. Glaser se rendait au-devant de sa
femme, Nanctle prépara, pour la recevoir, une
grande fêle, qui mit sur pied tout le village. La
façade de la maison était décorée de guirlandes ; le
lit nuptial, jonché de fleurs, élait orné d'un distique
à la louange du couple réconcilié.
Quatre semaines après son retour à Kasendorf,
Mme Glaser tombait malade et mourait.
Nanelle avait conçu l'idée de se faire épouser par
M. Glaser, et elle avait attiré dans la maison celle
dont la mort dovait, pensait-elle, lui donner la place.
A peu de temps de là, Annette Schœnleben avait
pour maître un célibataire, qui habitait Sanspareil,
.VI. Grohmann, fort bel homme de vingt-huit ans.
11 était sujil à de fréquentes attaques de goutte, et
Nanette lui prodiguait les soins les plus assidus, les
plus prévenantes attentions : elle s'efforçait de cap-
ter sa confiance, de gagner son cœur. Mais M. Groh-
mann, fort épris d'une dame, songeait à la prendre
en mariage : Nanelle se vengea de sa déception en
enlevant à sa rivale le fiancé, qu'elle aurait voulu
pour elle-mcme.
Le jour même de la signature du contrat, le céli-
bataire se déclara gravement malade. « C'est une
goutte remontée », disait-on autour de lui.
Nanette ne quitta pas un seul instant le chevet de
M. Grohmann, et elle pleurait à chaudes larmes. Le
malade expira dans d'atroces souffrances, pendant
que l'on proclamait l'éloge de sa gouvernante et de
son inlassable dévouement.
Annette Schœnleben passa ensuite au service des
époux Gebliardt. La maîtresse de la maison était à
la veille d'accoucher. Nanette la soigna de façon
parfaite, et la délivrance fut heureuse. Mais, le troi-
sième jour de ses couches, M™« Gebhardt, prise de
vomissements, succomba à d'horribles douleurs. En
mourant, elle recommandait le nouveau-né à Nanette,
qui ne songea plus qu'à la remplacer comme épouse.
On conseilla à M. Gelihardt de ne pas garder une
servante qui semblait amener le malheur avec elle.
Celui-ci répondit qu'il n'était en rien superstitieu.x,
et Nanette demeura à la tête de la maison.
Cependant, parmi les invités et les domestiques
de M. Gebhardt, les indispositions devenaient de
plus en plus fréquentes.
Un jour de septembre 1809, plusieurs amis étaient
réunis au logis, pour « jouer à la boule •>. Nanelle
ayant servi de la bière, qu'elle était allée chercher
au cellier, tout le monde fut malade.
<i Ne persistez donc pas à conserver chez vous
une femme que poursuit la fatalité », répéta-t-on à
M. Gebhardt, avec plus d'insistance.
A la fin, ce dernier, à grand regret, congédia
Nanette. 11 la paya très largement et la pourvut des
certificats les meilleurs.
Jusqu'au dernier moment, Nanelle se montra com-
plaisante envers tous et très attentive à ses devoirs.
Auprès du maître qui la renvoyait, elle alTectait le
plus vif chagrin, selamenlant surtout sur l'orphelin,
qui, désormais, se trouverait privé des soins d'une
seconde mire. Son zèle de ménagère impeccable,
elle le poussa jusqu'à remplir les salières, avant
son départ. El, comme l'on s'en étonnait, elle ré-
pondit, sur le Ion de la plaisanterie, ces mois : « C'est
pour porter bonheur à ceux que je quitte. »
La voilure l'attendait à la porte. A tous les assis-
tants on versa du chocolat, sur le désir qu'en avait
exprimé M. Gebhardt. Nanette couvrit de baisers
le nouveau-né, lui fit prendre du lait et, après avoir
dit adieu à toute la maisonnée, elle partit.
A peine un quart d'heure après, tous ceux qui
avaient goûté au chocolat furent en proie h de
violentes soulTrances, avec vomissements. L'enfant
lui-même criait de douleur • le malheureux avait
eu aussi sa dose d'arsenic.
Des soupçons contre Nanette s'élevèrent et peu
à peu se précisèrent. M. Gebhardt demeurait incré-
dule; il avait reçu de la congédiée une lettre où elle
LAROUSSE MENSUEL
se disait certaine d'être tellement regrettée par l'en-
fant qu'il faudrait bien la rappeler. Mais à celle
lettre M. Gebhardt ne répondit pas : il venait d'être
reconnu que Nanelle, en guise d'adieu, avait mis
de l'arsenic même dans les salières.
Quelques jours plus tard, Annette Schœnleben
fui arrêtée, sous l'inculpation d'empoisoimeineiils,
malgré toutes ses protestations d'innocence.
L'exhumation de ses victimes présumées et l'au-
topsie de leur cadavre fournirent contre elle de
décisives et irrécusables preuves. Elle abandonna
dès lors son système d'absolue dénégation, avouant,
notamment, que c'est par deux fois qu'elle avait
administré de l'arsenic à M™" Gebhardt. Cet aveu
fait, elle eut une très forte attaque de nerfs.
Son procès commença le 16 avril 1810. L'avocat
chargé de sa cause lui plaisait beaucoup.
Je priais Dieu (a-t-elle affirmé) de me laisser revenir de
l'autre monde, pour instruire ce zélé défenseur do ce qui
s'y passait et lui témoigner ainsi ma reconnaissance.
Il y eut condamnation h mort.
Annette Schœnleben employa le peu de temps de
vie qui lui restait à écrire des Mémoires. Ces
Mémoires, publiés en Allemagne, sont une confes-
sion; ils confirment les aveux recueillis pendant le
procès et dégagent le mobile des crimes.
Le vœu, le vœu ardent de l'abominable et dou-
cereuse mégère était de reconquérir, grâce à un
mariage avantageux, sa première position sociale,
de redevenir une dame, de commander aux autres
comme on lui commandait. Ce but, nous le lui avons
vu poursuivre successivement auprès de M. Glaser,
de M. Grohmann et de M. Gebhardt.
Mais comment s'expliquaient tous les multiples
projets ou actes d'empoisonnement collectif — pu-
rement stupides, et d'une maladresse si flagrante —
qui, dans la maison Gebhardt, avaient marqué la fin
de sa diabolique carrière?... Par une implacable
misanthropie, s'exacerbant sans cesse; surtout par
le plaisir et l'orgueil d'exercer un occulte et fatal
pouvoir. Dans la sensation d'une si absolue puis-
sance de mort, elle se complaisait : sa vanilé en
était satisfaite pleinement.
Pendant l'instruction de ses forfaits, comme on
étalait en sa présence un paquet d'arsenic, ses yeux
de monstre s'étaient mis à étinceler d'une horrible
convoitise. Et, alors que l'heure de l'expiation était
proche, la condamnée déclara que sa mort pouvait
être considérée comme un événement heureux pour
le genre humain :
En effet (disait-elle), je n'aurais jamais pu résister à la
tentation d'empoisonner encore.
A aucun moment, chez cette dégénérée hysté-
rique, pas le moindre repentir. Une lois sur l'écha-
l'aud,son adieu à la vie fut plein d'ironie : au magistral
chargé d'assister à l'exécution elle fit une révérence,
puis au bourreau une autre. — Louis andr*.
Fournier (François-Erae*/), vice-amiral fran-
çais, né le 23 mai 1842 à Toulouse. Sa carrière fut
des plus brillantes et des plus rapides. Entré à l'école
navale en 1859, il en sortait aspirant en 1861 et de-
venait successivement enseigne (1865), puis lieute-
nant de vaisseau (1869). 11 prit part à la campagne
franco-allemande de 1870 et se signala tout particu-
lièrement à la bataille du Bourget. En 1879, il était
nommé capitaine de frégate.
Le 11 mai ls84, en qualité de délégué du gouver-
nement français, il signait à Tien-'Tsin, avec Li-
Hung-Tschang vice-roi duTchili, le traité par lequel
la Chine abandonnait ses droits sur le Tonkin, s en-
gageait à retirer immédiatement les garnisons qu'elle
avait installées dans le pays et à respecter les traités
passés entre la France et l'Annam, à la condition
qu'on lui assurât la sécurité de ses frontières méri-
dionales. Malheureusement, ce traité ne fut pas ob-
servé par nos ennemis, et une colonne française, qui
s'était avancée sur la foi de cette convention, fut
traîtreusement attaquée à Bac-Lé; les complications
entre la France et la Chine parurent augmenter, et
le traité de Tien-Tsin fut vivement critiqué à Pa-
ris. Fournier, qui venait d'être nommé capitaine de
vaisseau (24 mai 188 i), prit vivement la défense de
son œuvre, et il eut à celte occasion un duel reten-
tissant avec H. de Rochefort, le polémiste du jour-
nal \' In transi géant.
En 1891, E. Fournier élait nommé contre-amiral,
et, après avoir été attaché à de Lanessan, gouver-
neur général de l'Indochine et spécialement chargé
de l'organisation militaire dans la colonie, il était
appelé, la même année, au commandement de la di-
vision navale de l'Exlrême-Orient. En 1895, il deve-
nait commandant de l'Ecole supérieure de guerre de
la marine et, en 1897, élait nommé vice-amiral. L'an-
née suivante et jusqu'en 1900, il commandait en chef
l'escadre de la Méditerranée. Il élait commandeur
de la Légion d'honneur depuis 1894. En 1902, il re-
présentait le gouvernement français à Washington,
à l'inauguration du monument Rochambeau.
Lorsque, en 1904, pendant la guerre russo-japo-
naise, surgit entre la Russie et l'Angleterre le dif-
férend connu sous le nom d incident de Hull,
E. Fournier fut le délégua envoyé par le gouver-
"•v"-j'i'T»a
Le vice-amiral Fournier.
253
nement français pour siéger dans la commission
chargée de régler celte afTaire; les commissaires le
choisirent comme président, et il contribua pour
une large part au règlement amiable qui intervint,
en apportant dans la direction des dèbals un tact et
une modération qui furent unanimement appréciés.
Le vice-amiral Geivais étant passé au cadre de
réserve, E. Fournier l'avait remplacé dans le com-
mandement éventuel de la principale flotte française
en cas de guerre (1905). Il dirigea les grandes ma-
nœuvres navales de 1905 et fit, à celte occasion,
expérimen ter diversesformalions tactiques nouvelles.
E. Fournier n'est pas seulement un marin habile
et un tacticien de premier ordre, on lui doit aussi
de nombreux travaux scientifiques : il a perfectionné
plusieurs instruments en usage dans la marine et
s'est occupé spécialement de l'usage des compas.
On lui doit également de nombreux mémoires sur
la force et la di-
rection des vents fr* —
et les cyclones,
ainsi que de ro-
marquablessolu-
lions géométri-
ques des problè-
mes de technique
et de stratégie
navale. Citons
encore ses im-
portants travaux
sur la résistance
del'eauàlalrans-
lation des carè-
nes; il sut, à ce
sujet, utiliser les
mesures recueil-
lies par les soins
du Service des
conslructionsna-
valesdans le bas-
sin d'essai de
Paris et en tira de remarquables conclusions. Depuis
1901, E. Fournier est membre du Bureau des lon-
gitudes, où il a remplacé de Bernardières ; enfin,
le 7 m.ii 1917 (v. Acauémie des sciences), il a été
élu memlire de l'Académie des sciences pour la
section de géographie et de navigation, en rempla-
cement d'E. Guyou.
On lui doit de nombreuses publications, parmi
lesquelles nous citerons : Instructions sur l'appli-
cation d'une méthode nouvelle pour refaire à
la mer, en quelques minutes et sans calcul, le
tableau complet des corrections du compas (1871) :
Métiiode géométrique nouvelle pour déterminer
la déviation de l'aiguille aimantée par le fer des
navires (1873); Détermination immédiate de la
déviation du compas par ta méthode des compas
conjugués (1878); HéguUition immédiate du
compas-étalon aux atterrages, avec ou sans dé-
rangement de la route du navire (1890); Cyclones
et typhons (1890); la Flotte nécessaire. Ses avan-
tages stratégiques, tactiques et économiques {IS96}
[c'est dans celte remarquable étude qu'il préconisait
la substitution aux vaisseaux de ligne des croiseurs
extra-rapides, puissamment armés en artillerie];
Recherche des formes de carènes les plus favora-
bles aux grandes vitesses (1899) ; Recherctie des lois
dynamiques de l'air dans les cyclones et leur
application à la détermination de la route de
sécurité des navires dans ces ouragans (1903);
Notre marine de guerre. Réformes essentielles
par un marin (1904) ; Etude sur la loi des va-
riations des hauteurs barométriques et de la
force des vents en fonction de la distance au
centre des cyclones (1807) ; Vitesse des navires.
Résistatice de l'eau en navigation ordinaire et en
navigation sous-marine (1909';: la Politique na-
vale et la Flotte française (1910), ouvrage cou-
ronné par l'Académie française.
Le vice-amiral Fournier avait été nommé grand
officier de la Légion d'honneur en 1900, puis grand-
croix en 1905 ; de plus, en 1905, il obtenait la médaille
militaire. Enfin, depuis mai 1907, il est placé dans le
cadre de réserve de l'armée navale. — o. Bouchent.
Guerre en 1 9 14-191 •? (i.a). [SH//e.] —
Le premier mois de la quatrième année de guerre,
s'il n'a été, comme ceux qui l'ont précédé, qu'une
morne et lourde continuation du cauchemar qui
pèse sur le monde, a pourtant apporté, au point de
vue militaire, un élément nouveau, depuis longtemps
souhaité et que les peuples de l'Entente ont vu ap-
paraître comme un espoir. Pour la première fois,
pendant le mois d'août on a eu la sensation nette
que l'action des Alliés, au lieu d'être successive et
disséminée en efforts isolés, partant sans portée gé-
nérale, élait dirigée par un plan commun, dont
l'exécution simultanée décuplait les effets. L'attaque
franco-anglaise des Flandres, l'attaque française
devant 'Verdun, l'attaque italienne dans les Alpes
Juliennes, toutes trois heureuses et la dernière vrai-
ment menaçante pour l'Autriche, mieux que toutes
les visites de chefs d'Etat et bien que celle du pré-
sident Poincaré sur le front italien eût été un symp-
234
lôrae nouveau et suggestif, ont montré une cohésion,
une communauté de vues, enfin un plan générai
dont toutes les parties sont liées. Tous ceux qui
suivent de près le développement de cette guerre
et qui n'ont jamais douté qu'il n'y eût entre les
Alliés des vues convergentes avaient regretté que
cet accord n'éclatât pas aux yeux et ne vînt pas, par
des manifestations sensibles, imposer à tous l'im-
pression d'une maîtrise des événements dont, trop
souvent, nous avons laissé à nos ennemis l'appa-
rence et même la réalité. On voyait, à la fin d'août,
LAROUSSIi MENSUEL
Currie, pour les Français, par le général Anthoine,
avait très heureusement commencé dès le 31 juil-
let, par la prise de Steenstraete et de Bixschoote et
par une avance très marquée à l'est d'"ypres. Arrê-
tée pendant plus de dix jours par des pluies torren-
tielles qui gênèrent beaucoup notre action, elle
avait repris vers le H août; le 16, elle aboutissait à
un nouveau succès par la prise de Langemarck et
de Dlegrachten et par l'encerclement de ce qui reste
de la malheureuse cité de Lens. Tous les objectifs
que s'étaient proposés les Alliés avaient été atteints.
A Londres; Déiilé de truniic;; aiuericai
que cela changeait, et, en dehors même de l'impor-
tance des résultats acquis, on ne pouvait nier l'im-
portance morale de ce facteur, la confiance qu'il
mspirail au moins averti de nos concitoyens. Rien
n'était plus nécessaire. Nous supportions, après
trois ans, sans faiblesse, le poids d'une guerre uni-
que dans lliistoire, mais il fallait compter avec la
fatigue générale, avec l'influence des privations et
de la cherté de la vie, avec l'inévitable dépression
des corps et des âmes devant une épreuve dont la
fin n'apparaissait pas clairement. Certes, il restait
une ombre pesante au tableau. La concordance des
efforts ne pouvait être totale, tant que la Russie
n'avait pas relronvé son équilibre matériel et mo-
ral. L'anarchie qui y régnait était pour les Empii'es
centraux un atout, nullement décisif sans doute,
mais qui gênait grandement le jeu de l'Entente. On
verra plus loin
que, si des efforts
presque surhu-
mains avaientété
faits pour en-
rayer le désordre
russe, il subsis-
tait par son fait,
sur l'avenir mili-
taire de la guerre
du côté oriental,
une inconnue for-
midable.Aupoint
de vue diploma-
tique, les peuples
anxieux de la
paix avaient eu
un instant l'es-
poir d'entendre
la premirre auto-
rité morale du
monde pronon-
cer les paroles
décisives, capa-
bles d'ouvrir la voie k une organisation supportable
des rapports internationaux. La lettre du pape
Benoît XV aux puissances avait été une immense
déception. Plus que jamais, on devait se convaincre
qu'aucune médiation n'était possible, parce que le
conflit dépasse toutes les puissances morales. Com-
mencé en pleine paix par l'Allemagne, contre tout
droit, avec la volonté de soumettre le monde par la
force, il ne peut être résolu que par la force, et le
droit ne peut vaincre que par elle. Toute transaction
serait un aveu d'impuissance matérielle, une défaite
consentie et irrémédiable. L'Entente avait, à la fin
d'août, trop de raisons de penser que la supériorité de
la force avait évolué de son côté pour ne pas la faire
servir enfin au triomphe du droit et de la justice.
On se souvient que l'offensive anglo-française des
Flandres dirigée, pour les Anglais, par le général
Le (général Anlhoine.
chef de l'ai'mée française des Flandres.
> devant le roi et la reine d'Angleterre.
Les Communiqués allemands, oii il ne faut plus
chercher depuis longtemps aucun renseignement
exact dès que la fortune des armes cesse d'être fa-
vorable à nos ennemis, se sont donné beaucoup de
peine pour diminuer la victoire franco-anglaise à la
prise de quelques «entonnuii-s», suivant un mot qui
leur a paru si heureux qu'ils en ont couvert tous
leurs reculs. Ils ont prêté aux Anglais d'immenses
projets, et il leur a été facile de proclamer qu'ils
n'avaient pu être réalisés. 11 était, sans doute, néces-
saire de duper le peuple allemand par de tels artifices.
Nous n'y sommes plus pris. Nous connaissons la
méthode anglaise, toute d'ordre, de réflexion et de
sagesse. Nos alliés n'avancent qu'à coup sûr. Leurs
filanssont vastes, certes. Jamais ils n'ont pensé qu'ils
es exécuteraient d'un seul coup, à la vieille mode,
sur un ennemi dont il faut d'abord écraser les dé-
fenses. Si l'opinion allemande se contente de ce qu'on
lui raconte, c'est une preuve de plus que l'orgueil et
l'esprit de domination dont quelques obstinés ré-
servent encore le monopole à la caste dirigeante sont
bien des vices inhérents à la nature même de ce
peuple, et nous n'avons, dans ces Chroniques, jamais
cherché à prouver autre chose. Nous avions donc,
en dépit des mensonges intéressés de l'Allemagne,
un gros succès à enregistrer du côté des Flandres.
Plus gros succès peut-être encore, surtout au point
de vue moral, du côté de Verdun. Après une longue
et irrésistible préparation d'artillerie, les troupes pla-
cées sous le commandement du général Guiilaumat
avaientenlevé, le 20et le 21 , la côte du Talon, Champ,
Chainpneuville, les cotes 304 et 340, la côte de l'Oie,
Regnéville, Sanioifueux; le 24, la cote 304. Elles
avaient ainsi refoulé vers le iVord les armées du
kronprinz et repris presque entièrement le terrain
perdu en février et mars 1916. 11 y avait là une
opération magnifique, préparée dans tous ses dé-
tails, enlevée avec un entiain admirable par nos ré-
giments, réussie enfin en tous points et répondant
exactement, sans accroc, sans déception, aux prévi-
sions des chefs qui l'avaient conçue. La grandcroix
de la Légion d'honneur, décernée au général en chef
Pétain, a été le symbole concret de la reconnais-
sance nationale envers les héros connus ou obscurs
qui pied à pied délivrent le sol de la patrie. Pour
les Allemands, ces échecs, ces quelques « enton-
noirs » perdus, ces « replis stratégiques », sous quel-
que nom qu'ils dissimulent leur déconvenue, étaient
graves, au point de vue moral comme au point de
vue militaire. Ils perdaient des ouvrages formida-
blement fortifiés depuis de longs mois, des voies de
communication indispensables, des observatoires
de la plus haute valeur. Surtout, ils perdaient tout ce
qu'ils avaient conquis au prix de sanglants sacri-
fices. C'était l'échec définitif de leur ruée sur
Verdun. C'était, pour nous, la marque une fois de
plus affirmée d'une volonté inébranlable de repren-
dre la terre nationale et de fermer à la barbarie
N' 128. Octobre 1917.
cette porte de la civilisation. Comme l'a dit le pré-
sident Poincaré dans sa visite au front du 29 août,
ri L'humanité tout entière a compris que de la partie
grandiose et tragique qui se jouait sur les deux ri-
ves de la Meuse dépendaient la liberté des peuples
et l'avenir de la civilisation ». C'était enfin, de notre
part, une indication nouvelle dans le sens que nous
avons souvent marqué : ne pas nous laisser entamer
dans cette portion orientale de notre territoire, que
sa richesse économique rendrait si utile à l'ennemi
et que nous ne pouvons à aucun prix abandonner.
Au moment même où ces victoires sur notre sol
venaient réconforter notre cœur, les Italiens com-
mençaient dans les Alpes Juliennes un mouvement
de grande envergure, d'une ampleur très supérieure
à tout ce qu'ils avaient entrepris jusqu'ici et dont la
portée pouvait être immense. Le 20 août, une opé-
ration militaire de premier ordre leur permettait de
franchir l'isimzo supérieur, et leur élan était tel
qu'ils enfonçaient le front autrichien sur soixante
kilomètres. Le 24, ils s'emparaient du monte Sanlo
et s'installaient sur le plateau de Bainsizza. Ils me-
naçaient toutes les voies de communication autri-
chiennes, et la collaboration des flottes italienne et
anglaise, avec lesquelles la flotte autrichienne en-
fermée à Pola
n'osait se mesu-
rer,permettaitde
rendre la côte
intenable. On ne
pouvait encore
apprécierl'exacle
conséquence de
cette avance, qui
n'était qu'un
fragment d'un
plan très vaste,
niais on (levait
attendre avec
confiance le dé-
veloppement de
cette entreprise,
qui classe le gé-
néral Cadorna
parmi les grands
chefs militaires
dont le nom res-
tera dans l'his-
toire. La bataille
engagée autour
du monte San
Gabriele dès le
29 août pouvait
nous ménageries
plus heureuses
surprises. L'Au-
triche, livrée à
ses seules forces,
semblait incapa-
ble non seule-
ment de résister,
mais d'arrêier la
poussée italien-
ne. Il y a lieu,
d'ailleurs,decon-
stater que, par-
tout où les Autri-
chiens n'ont pas
été soutenus par le support germanique et par l'ap-
point de l'organisation militaire allemande, ils ont
succombé. La ré-^istance serbe etl'avance victorieuse
des Russes en 1914, 1915, 1916 et 1917 l'ont assez
prouvé. Or, les Allemands, retenus en France par les
offensives des Flandres et de Verdun, occupés du
côté russe par leur avance vers la Bessarabie, étaient-
ils capables de distraire les secours nécessaires pour
contre-balancer la supériorité italienne? On pouvait
en douter et, par suite, aux premiers jours d'août,
on avait le droit d'espérer qu'on était, du côté de
Trieste et du Trenlin, à la veille d'événements im-
portants. L'Autriche était menacée de payer cher la
guerre dont elle avait fourni le prétexte, et sa posi-
tion critique éclairait d'un jour singulier les tenta-
tives pacifiques du souverain pontife.
Malheureusement, dans cette attaque concertée et
concentrique, un élément capital a manqué. Non
seulement les Russes n'attaquaient pas en même
temps que leurs alliés, malgré les protestations de
fidélité qu'ils multipliaient à leur égard, mais ils ne
résistaient même pas et, après avoir, fin juillet,
abandonné leurs positions avancées sur le territoire
autrichien, ils abandonnaient encore aux Austro-
Allemands les frontières de Bessarabie et la route
de Jassy. Il y avait là un fait qui, pour ne pas être
inattendu après tout ce qu'on avait vu se passer déjà
sur le front russe, restait très grave. Non seule-
ment, entre le Dniester et le Prulh, nos ennemis
voyaient la voie librement ouverte, mais cette
avance dégageait Mackensen en Moldavie et obli-
geait l'armée russo-roumaine, qui, composée des
meilleurs éléments russes et des excellentes troupes
roumaines, résistait victorieusement et reprenait du
terrain, à battre en retraite en plein succès pour
éviter un enveloppement qu'il ne dépendait plus
Le général OutUaumat,
commandant l'armée de Verdun.
(V 128. Octobre 1917.
LA FLANDRE OCCIDENTALR
255
256
d'elle d empêcher. Une fois de plus, la Roumanie,
maljiré sa magnifique volonlé de se défendre et de
vivre, était la victime de la Russie. Cette lâcheté
des ti'oupes russes désorganisées était d'autant plus
fâcheuse que, si l'on examine de près la situation à
ce moment, on ne peut n'Être pas surpris de la len-
teur de l'avance allemande en août et de l'inaction
lie nos ennemis sur le front nord. Comme on ne
pouvait l'attribuer h la résistance russe, qui était à
|)eu près nulle, il fallait bien en chercher la cause
dans une diminution de la puissance d'attaque de
LAROUSSE MENSUEL
leur résistance et leurs contre-attaques ne tendaient
qu'à retarder k'ur repli forcé et h leur préparer des
lignes de retraite qui devaient être de moins en
moins aisées à défendre; en Italie, on ne pouvait
prévoir encore jusqu'où irait la défaite autrichienne.
Par contre, sur le front russe, moins par la force des
Allemands que par la faililesse des Russes, l'avenir
était très incertain, et nos ennemis pouvaient être
conduits, presque sans coiTihat, à la conquête d'avan-
tages que la plus simple résistance les aurait empê-
chés d'acquérir, mais qu'ils seraient peut-être en
Le roi George V d'Angleterre devant la ville de Péronne, détruite par les AUemaDdâ au moment de leur retraite.
l'Allemagne. Cette constatation faisait ressortir da-
vantage encore le dommage causé par le trouble
mental de la Russie, et il reste évident qu'il eût
sufli alors, pour gêner considérablement nos enne-
mis, pour donner à l'attaque énergique de la vail-
lante Roumanie le point d'appui qui eût rendu
possible une poussée victorieuse contre Mackensen,
que les Russes tinssent seulement devant l'avance
assez molle des Austro-Allemands. L'indiscipline,
l'incohérence des vues, le travail démoralisateur
de tous les agents de destruction mettaient donc en
péril non seulement la Russie, sa liberté, son avenir
économique, son intégrité nationale et son honneur,
mais elle allait contre le but même de l'Entente,
contre la liberté des peuples, contre la civilisation,
et, sous le na'if prétexte de hâter la paix, elle pro-
longeait la guerre. Grave leçon, que les Russes ne
comprenaient pas et dont le sens, même chez les
Alliés, échappait à un certain nombre d'illuminés
ou d'ambitieux sans scrupule. Dans cette guerre, où
tant de responsabilités sont en jeu, la démagogie
russe doit d'autant plus porter les siennes que nous
avons à enregistrer, de la part des citoyens russes
clairvoyants et patriotes, de plus énergiques efforts
pour arrêter leur patrie sur la pente fatale. Kerensky
mérite toute notre admiration et tous nos encoura-
gements. Il était impuissant à compenser le mal
fait â l'humanité par l'ignorance, 1 aveuglement uto-
pique ou les louches intrigues d'un trop grand
nombre de ses concitoyens.
On doit compter au nombre des conséquences
lointaines possibles d'une avance austro-allemande
vers la mer Noire les entreprises évidemment pro-
jetées par le plan général allemand sur Bagdad
d'une part, sur Salonique d'autre part. Assurément,
ce sont là des hypothèses ultérieures ; elles n'eu sont
pas moins vraisemblables. Nous prions qu'on veuille
bien ne jamais perdre de vue l'idée allemande sur
l'Asie et l'intérêt qu'ont nos ennemis à posséder des
gages: moyens d'échange pour la paix, moyens
d'expansion économiiiue pour l'après-guerre. Nous
ne songeons pas assez à tout cela. Eux s'y préparent
dès maintenant et, si nous ne leur barrons pas la
route, nous ne serons pas les maîlres, plus tard, de
nous opposer à la reprise du travail patient qu'ils
avaient commencé avant la guerre et qu'ils entendent
bien continuer la paix faite.
Ainsi, l'action militaire avait été nettement défa-
vorable aux Allemands et à leurs alliés en Belgique,
en France et en Italie. Sur les deux premiers fronts.
mesure de s'assurer unii|uement parce que les
Russes leur permettraient de les prendre. Aucun
pronostic sûr n'était possible de ce côté.
Nous notons ici comme un événement intéressant,
précisément au point de vue de l'expansion asia-
tique de l'Allemagne, la déclaration de guerre que
la République chinoise avait décidé, dès le 2 août,
N' 128 Octobre 1917.
aux visées ultérieures qu'elles manifestaient. Pour
l'avenir, la conséquence de la rupture actuelle de
tonte relation économique avec l'ExLrême-Orieut
est pour l'Allemagne un facteur négatif, dont l'in-
fluence se fera très fortement sentir. Les Allemands
avises ne s'y trompent pas, et ils voient avec an.viété
s'accumuler des ruines qu'on aura bien du mal à
relever. Il y avait là, sans doute, une compensation
au problème russe : elle ne suffisait pas à calmer
nos inquiétudes.
En dehors des événements militaires, en dehors
des discussions Socialistes sur la Conférence de
Stockholm et de certains faits politiques sur lesquels
nous reviendrons plus loin, 1 événement important
du mois d'août a été l'exhortation à la paix que le
pape a écrite au 'Vatican le 1'"' août et qu'il a livrée
à la publicité vers le 16 du même mois. Ce docu-
ment, dont il ne faut ni exagérer ni diminuer
l'importance, avait pour but, dans l'esprit de son
auteur, de faire réfléchir les gouvernements et les
peuples sur leshori'eurs de la gueri'e et la nécessité
de la paix, de leur exposer des vues sur l'organi
sation de l'humanité après la guerre, enfin de fixer
les conditions générales en deliors desquelles la
paix lui semblait irréalisable. Or, sur aucun de ces
points, le pape n'a proposé de solution satisfai-
sante et, sur plusieurs d'entre eux, il est resté fort
en deçà de ce que la justice, le respect du droit et
les aspirations des peu les auraient dû lui dicter. Il
est nécessaire de citer dans le texte même les
passages de la lettrepontifieale qui visent les points
essentiels de toute négociation en vue de la paix.
Tout d'abord (a dit lopape), le point fondamental doit
ôtre qu'à la force matérielle des armes soit substttui^e la
force morale du droit, d'oii résulte un juste accord de tous
pour la diminution simultanée et réciproque des arme-
ments, selon des règles et des garanties à établir dans la
mesure nécessaire et suffisante pour le maintien de 1 ordre
public en chaque Etat et pour la substitution aux armées
dune institution d'arbitrage avec une haute fonction paci-
ficatrice, selon des règles à concerter et des sanctions à
déterminer contre l'Etat qui se refuserait soit à soumettre
les questions internationales à un arbitrac;e, soit à en ac-
cepter les décisions. Une fois la suprématie du droit ainsi
établie, on enlève tout ol)Stacle aux voies de communica-
tions des peuples en assurant par des régies à fixer égale-
ment la vraie liberté et la communauté des mers, ce qui
d'une part éliminerait les multiples causes d'un conflit et,
d'autre part, ouvrirait à tous do nouvelles sources de pros-
périté et de progrès.
Quant aux dommages à réparer et aux frais de la guerre,
nous ne voyons d'autre moyen de résoudre la (juestion
qu'en posant comme principe général une contribution
entière et réciproque, justifiée du reste par les bienl'aits
immenses à retirer du désarmement, d'autant plus qu'on
ne comprendrait pas la continuation d'un pareil carnage
uniquement pour des raisons d'ordre économique. Si, pour
certains cas, il eu existe à rencontre des raisons particu-
lières, qu'on les pèse avec justice et équité. Mais ces
accords pacifiques, avec les immenses avantages qui en
découlent, ne sont pas possibles sans la restitution réci-
proque des territoires actuellement occupés: par consé-
([uent, du côté de l'Allemagne, l'évacuation totale do la
Belgique avec garantie de sa pleine indépendance poli-
tique, militaire et économi({ue vis-à-vis de n'importe
'wy^
'■'ty-i
Le départ d'une vagtie d'assaut, au nord de TAisne.
de faire à l'Allemagne et qui lui a été notifiée offi-
ciellement vers le milieu du mois. C'était là l'épi-
logue des intrigues allemandes en Chine et de la
tentalive avortée de restauration impériale. Gomme
nous l'avons dit le mois dernier pour le Siam,
l'accession à l'Entenle des puissances asiatiques,
dont l'intervention militaire est sans portée, n'en a
pas moins une valeur considérable au point de vue
économique. Appliquée à la Chine, cette constatation
prend une importance immense, si l'on songe aux
entreprises allemandes dans le Céleste-Empire et
quelle puissance; l'évacuation également des territoires
fi-ançais; du côté des autres parties belligérantes, sem-
blables restitutions des colonies allemandes. Pour ce qui
regarde les questions territoriales, comme, par cxemjue,
celles qui sont débattues entre l'Italie et l'Autriche, entre
l'Allemagne et la Franco, il y a lieu d'espérer ((u'en con-
sidération des avantages immenses d'une paix durable
avec désarmement, les parties en conflit voudront les
examineravecdes dispositions conciliantes, tenant compte
dans une mesure juste et possible, ainsi que nous l'avons
dit autrefois, des aspirations des peuples et, à l'occasion,
en faisant coordonner les intérêts particuliers avec lo
bien général de la grande société humaine.
«• 128- Octobre 1917.
Le mCino esprit d'équité et de justice devra diriger
l'examen des autres questions territoriales et politiques,
notamment celles relatives à l'Arménie, aux Etats balka-
niques, aux territoires faisant partie de l'ancien royaume
do Pologne, auquel, en particulier, ses nobles traditions
historiques, les soutfrances endurées spécialement pen-
dant la guerre actuelle doivent justement concilier les
sympaihies des nations : telles sont les principales bases
sur lesquelles nous croyons que doive s'appuyer ta future
réorganisation des peuples. KUes sont de nature à rendre
impossilile le retour de semblables conflits et à préparer
la solution de la question économique si importante pour
l'avenir et le bien-être matériel de tous les Dtats belligé-
rants. Aussi, en vous les présentant à vous qui dirigez à
cette heure tragique les destinées des nations belligé-
rantes, nous sommes animé d'une douce espérance, celle
de les voir acceptées et do voir ainsi termmer le plus tôt
possible la lutte terrible qui apparaît do plus en plus
comme un massacre inutile. Tout le inonde reconnaît
d'autre part que, d'un côté comme de l'autre, l'honneur
des armes est sauf. Prêtez donc l'oreille à notre prière ;
accueillez l'invitation paternelle que nous vous adressons
au nom du divin Rédempteur, prince de la Paix; réflé-
chissez à votre très grave responsabilité devant Dieu et
les hommes. De vos résolutions dépendent le repos et la
joie d innombrables l'amilles, la vie do milliers de jeunes
gens, la félicité, en un mot, des peuples auxquels vous
avez le devoir absolu d'en procurer les bienfaits; que le
Seigneur vous inspire des décisions conformes à sa très
sainte volonté ; fasse le ciel qu'en méritant les applaudis-
sements de vos contemporains, vous vous assuriez aussi,
auprès des générations futures, le beau nom de pacifica-
teurs. Pour nous, étroitement uni dans la prière et la
pénitence é. toutes les âmes fidèles qui soupirent après la
paix, nous implorons pour vous le divin esprit, lumière et
couseil.
Si l'on étudie dans le détail ce document, on
constate d'abord que le pape évoque, pour l'avenir,
ce qu'AsquiHi évoquait dans son discours du
4 août 1916, ce que le président 'Wilson soutiailait
dans son message du 22 janvier 1917, ce que Ribot,
Henaudel et les socialisles, enfin l'ordre du jour de
la Chambre française du 5 juin 1917 appellent la
Société des îialions. Mais la lettre pontificale n'ap-
porte sur cette formule, qui, en somme, n'est qu'une
formule, aucune clarté nouvelle. « Les règles et
garanties à établir », les « sanctions h déterminer «,
restent dans le vague de la phraséologie pontificale;
et, lorsque l'oLiconslate que le développement aboutit
à réclamer « la vraie liberté et la communauté des
mers », on ne manque pas de se souvenir que cette
même formule sert depuis des mois à l'Allemagne
comme d'une armecontrel'Ana'leterre. En fait, qu'est-
ce que lu Société des nations? Ne devons-nous pas nous
demander si, en l'état actuel des relations interna-
tionales, nous ne sommes pas en présence d'une de
ces formules décevantes dont nous avons trop, de-
puis quelques mois, expérimenté le péril et qui ris-
Costumes pittoresqueB dont se sont affublés quelques grenadiers français,
chargés d'une incursiOD dans les trancbées allemandes.
quent d'être un paravent commode aux ambitions
et aux passions des violents, sous le couvert de la
conliance des na'ifs? Si nous devons tendre à réaliser
le droit parmi les peuples, ne doit-on pas craindre
(|ue, si tous les peuples n'entrent pas dans la Société
des nations avec le même cœur et la même foi, on
s'expose à Être dupé encore une fois par des mots,
pendant que de pins habiles et de moins scrupuleux
cueilleront les réalités? Au fond, ce que recherchent
LAROUSSE MENSUEL
les peuples depuis bien longtemps, c'est d'établir
entre eux un code de lois analogue à celui qui régit les
citoyens dans chaque nation. La cliose sera-t-elle
possible au sortir du fléau qui sévit? L'humanité
est-elle parvenue à ce stade de son développement?
L'intelligence humaine est-elle assez
maîtresse des instincts pour imposer
celte conception? Nous posons ces
questions. Nous n'oserions les ré-
soudre affirmativement. Ce que nous
voudrions, c'est que notre pays, si
épris de droit et de justice et qui a
Souvent payé si cher cette passion, ne
se laissât pas séduire par un mirage et
que son idéalisme ne le conduisît pas
JL de nouvelles et pénibles expériences.
— Quoi qu'il en soit, Benoit XV ne
résout pas la question. U se contente
de l'énoncer, et l'historien s'étonne un
peu nue le chef de l'Eglise catholique
semble ne plus se souvenir que ses
prédécesseurs les plus illustres du
moyen âge, mieux placés que lui pour
imposer une solution, ont échoué dans
leur entreprise. Quant aux condîlions
précises qui devraient servir de base
à des négociations de paix, Benoît XV
les limite étrangement : évacuation de
la Belgique, évacuation du territoire
français, restitution des colonies alle-
mandes, pas de dommages de guerre.
Le reste demeure dans l'ombre de
l'abslraclion. La France, l'Italie discu-
tinont avec l'Allemagne et l'Autriche
sur les questions territoriales qui les
divisent. Pour le surplus, le saint-
père se borne, en fait, à constater qu'il
y a des questions balkaniques, une
question arménienne, une question
polonaise, et c'est tout. Ni l' Alsace-
Lorraine, ni la Serbie ne sont nom-
mées.
Personne ne peut lire la lettre pon-
tificale sans rendre hommage aux sen-
timents qui l'ont dictée. Mais, ceci
dit, qui donc prétendrait y trouver la
parole qui s'impose au monde, l'auto-
rité devant laquelle tous s'inclinent
parce qu'elle représente la justice, le droit, l'huma-
nilé? Une fois de plus, le souverain pontife s'est
abstenu de rechercher et de fixer les responsabilités
de la guerre, et son silence à l'égard de la Serbie,
son approbation tacite du traité de Francfort mon-
trent trop qu'il ne s'est pas élevé au-dessus
des préoccupations temporelles. Alors que
partoul on rencontre des consciences qui se
préoccupent, en dehors de toute autre consi-
dération, de l'absolu du droit, le pape a
cherché à formuler une sorte d'opportu-
nisme international, qui ne résout rien et
qui est en conlradiclion avec l'état de
concorde qu'il souhaite constituer entre les
peuples. Et pourtant, en se plaçant en pré-
sence de la conception catholique de l'auto-
rité papale, n'est-on pas fondé à penser que,
seul entre toutes les puissances morales qui
régissent le monde, le pape, souverain
■ juge spirituel, avait le devoir de ne pas se
Tjk] retrancher derrière une impartialité d'or-
TII '^^^ temporel et de prononcer, dans la cause
■ ! qui se vide par les armes, un verdict solen-
» nel, annonciateur irrésistible de la paix?
Par suite — et sans chercher àdiminuer le
mérite du geste pontifical — il est bon de se
rappeler, comme nous l'indiquions dans
notre dernier arlicle, que, pour des raisons
d'affection personnelle autant que pour des
raisons de politique religieuse, le pape
Benoit XV s'emploie à sauver l'Autriche.
' On a cherché à lier son intervention à la
politique d'Erzberger, à des intrigues alle-
mandes, à l'ordre du jour du Beichstag. il
n'y a certainement là qu'un des éléments
de la question, et les tendances du pape
le conduisent beaucoup plus vers les inté-
rêts autrichiens que vers les Intérêts pure-
ment allemands. Celasul'fit à expliquer qu'il
y n'ait rien dit de la Serbie et que, pour ne
rien pi'éciser au sujet du Trentin, il ait dû
aussi laisser dans l'ombre la question do
l'Alsace- Lorraine . Nous le répétons, la
lettre du pape a été une grande déception.
En aucun pays, elle n'a satisfait personne.
A la fin du mois, les Empires centraux
n'y avaient encore fait aucune réponse.
Il était seulemenlcertain — etle chancelierMichaelis
ne l'avait pas caché — qu'ils n'étaient pas d'accord
sur le fond et sur les termes de cette réponse,
et on peut supposer que l'Autriche, qui, sans
doute, avait fondé des espoirs sur l'intervention
pontificale, était fort embarrassée pour exprimer
honorablement ses désirs et ses besoins. L'Entente
n'avait pas, non plus, répondu. Mais il était facile de
prévoir ce qu'elle dirait, et elle avait depuis long-
257
temps trop nettement défini ses buis de guerre etl'es-
prit qui l'anime pour avoir rien à y changer. Seul,
le présidenl Wilson avait fait publier, sous la signa-
ture de Lansing, une Note très nette, en réponse à
celle de Benoît XV. Fidèle à laconvictionquii'acon-
Le gfénéral Pétam sur le iront du Laonnois. A sa droite, le général Hiunbert;
à sa gauche, le général Fcraod.
duit à la guerre après avoir épuisé tous les moyens
de conciliation et plus hardi que le pape, il y délinis-
sait, sans obscurité de langage ou de pensée, son opi-
nion sur les responsabilités de la guerre, sur son but
libérateur, sur l'impossibilité de traiter avec le gou-
vernement militariste qui a entraîné dans celte catas-
trophe l'Allemagne et le monde, sur la distinction
qu ili'autlaire entre le peuple allemand et l'impéria-
lisme qui l'a dévoyé, sur l'obligation qui s'impose-
rait, si l'Allemagne ne se libérait pas elle-même, de
continuer à se défendre contre elle sur le terrain
économique. Il importe de bien se pénétrer de l'im-
portance d'un tel document, qui pose à nouveau,
avec une clarté admirable, la question vitale dont
le monde entier cherche la solution, et il iaut citer
presque en entier la Note américaine:
L'objet de cette guerre est de délivrer les peuples libres
du moDde de la menace et de la puissance actuelles d'un
vaste système militaire contrôlé par un gouveroeniont ir-
responsable qui, ayant comploté secrètement de dominer
le monde, a poursuivi son plan sans respecter ni l^s obli-
gations sacrées des traités, ni les prati<^ucs séculaires et
les principes anti(^ues et vénérés du droit internatiûnal et
de 1 honneur; qui, ayant choisi délibérément son heure
pour déclarer la guerre, frappe son coup férocement et
soudainement ; qui ne se laisse arrêter par aucune bar-
rière de loi ou de pitié ; qui a submergé tout un comlaenc
sous des âots de sang, non du sang des soldats seulement,
mais aussi du sang do femmes et d'eufants innocents et
do pauvres gens sans défense et qui, aujourd'hui, reste
debout, ébranlé, mais non encore vaincu, l'ennemi des
quatre cinquièmes du monde.
Ce pouvoir, ce n'est pas lo peuple allemand. C'est lo
maître barbare du peuple allemand. Ce n'est pas notre
atl'aire de savoir comment ce grand peuple est tombé
sous son contrôle et s'est soumis à son esprit de domina-
tion ; mais c'est notre affaire de veiller à ce que te reste
du monde ne soit pas plus longtemps laissé à sa dispo-
sition.
Traiter avec un tel pouvoir par le moyen d'une paix
suivant le plan proposé par Sa Sainteté lo pape serait,
autant que nous pouvons eu juger, lui permettre une récu-
pération de ses forces et une renaissance de sa politique;
ce serait rendre nécessaire la création d'une combinaison
hostile permanente des nationscontro le peuple allemand,
qui est son instrument; ce serait l'abandon de la Russie
nouvelle à l'intrigue, à des interventions subtiles et va-
riées et la certitude que la contre-révolution serait sou-
tenue par toutes les influences mauvaises auxquelles ce
gouvernement a depuis longtemps accoutumé le monde.
La paix peut-elle être basée sur la restauration du pou-
voir du gouvernement allemand, ou sur sa parole d'hon-
neur qu'il engagerait dans un traité de conciliation et
d'arran^remcnt?
Les nommes d'Etat responsables doivent maintenant
voir partout, s'ils ne le savaient avant, que la paix ne
peut se reposer avec sécurité sur des restrictions poli-
tii{ues et économiques établies au bénéfice de certains et
au détriment des autres, sur une action vindicative d'au-
cune sorte, ni sur aucune espAce d'injustice volontaire.
Le peuple américain a éprouvé d*>8 préjudices intolé-
rables du fait du gouvernement impérial gcrmanit^ue;
2S8
mais il ne désire pas de représailles contre le peuple alle-
mand, lequel a soutTcrt lui-même toute sorte de maux dans
cette guerre qu'il n'a pas demandée. Il croit que la paix
devrait être fondée sur les droits des peuples et nou sur
ceux des gouvernements.
Donc la base de tout projet de paix est celle-ci : elle
doit reposer sur la foi de tous les peuples intéressés ou
sur la parole d'un gouvernement ambitieux et intrigant
qui s'oppose à un groupe de peuples libres. Telle est la
base primordiale do la question, et c'est cette base qui
doit être appliquée.
Les buts que cherchent les Ktats-Unis dans cette guerre
sont connus du monde entier, de tout peuple à qui il est
prrmis do mnnaître la vérîié. Et ces buts n'ont pas besoin
LAROUSSE MENSUEL
ditions diplomatiques, un pouvoir de médiation qui
aurait pu être irrésistible. On ne pouvait que le
regretter.
Où l'effort pacifique du pape avait échoué, l'effort
socialiste, cristallisé aulonr de la Conférence de
Stockholm, avait-il abouti? Pas davantage et, là
encore, un échec sans gloire avait pour cause
l'indécision des caractères et l'impuissance à se
dégager des vieilles formules. Ni l'interpellation
Renaudel à la Chambre française, ni, en Angle-
terre, les manœuvres un peu équivoques du
ministre socialiste Henderson, ni les discours
Au front. Poste d'écoutc-avertisseur, survcillani et signalant le passage des avions ennemis.
d'étrô établis de nouveau. Nous ne cherchons point d'avan-
tage matériel d'aucune sorte. Nous estimons que les torts
vraiment intolérables que nous a causés lo furieux et bru-
tal esprit de domination du gouvernement impérial alle-
mand doivent être réparés, mais nous ne voulons que
ce soit au détriment de la souveraineté d'aucun |ieuple ;
nous voulons plutôt revendiquer les droits de ceux qui
sont faibles et non de ceux qui sont forts.
Les représailles, le démembrement des empires, la créa-
tion de Ligues économiques égoïstes et intéressées, nous
les répudions comme impossibles et procurant un résultat
plus mauvais encore que futile, et non une base de paix
d'aucune sorte, au moins pour une paix durable. Cette
paix doit être basée sur la justice et la sauvegarde des
droits de l'humanité.
Nous ne pouvons regarder la parole de ceux qui gou-
vernent aujourd'hui l'Allemagne comme une garantie d'un
état de choses durable, à moins que cette parole ne soit
appuyée par une manifestation si évidente de la volonté
et des desseins du peuple allemand qu'elle puisse légiti-
mer raccc[)tation des autres peuples.
Sans de telles garanties, en l'état actuel des choses,
nul homme, nulle nation ne peuvent avoir contianco dans
des traités, dans des accords pour le désarmement, s'ils
veulent remplacer jiar un système d'arbitrage Iles combi-
naisons do force militaire, et môme s'ils contiennent des
arrangements formels en vue de la reconstitigkioo des
grandes nations.
Nous devons donc attendre quelque nouvelle et évïdente
démonstration des intentions qui animent les peuples
constituant les Empires centraux. Veuille Dieu que ce
témoignage puisse se produire bientôt et de manière à
rendre à tous les peuples la confiance qu'ils peuvent avoir
partout dans la foi des nations et pour hâter la possibilité
de conclure la paix 1
Sans doute, on peut — et nous l'avons déjà écrit
mainte fois — exprimer des réserves sur l'idée que
îe fait du peuple allemand le président Wilson ; on
peut se demander s'il ne se l'imagine pas autre qu'il
n'est et si ce peuple, en acceptant d'être pétri et
façonné comme il l'a été et comme il l'est par le
militarisme prussien, dont il n'est nullement déta-
ché à l'heure présente, n'a pas aussi accepté volon-
tairement une lourde part de responsabilité dans
l'immense affliction qui désole l'Europe. Mais il
reste que le président américain a donné la for-
mule de paix qui satisfait tous les esprits sages,
tous ceux qui conçoivent pour l'humanité un idéal
réalisable, alors que Benoît XV s'était tenu à des
formules de compromission instable et d'arrange-
ment boiteux qui ne laissent place à aucun espoir de
paix dénnilive. Il est très curieux, au point de vue
historique, de constater un pareil déplacement de ce
qu'on pourrait appeler 1' « axe idéaliste du monde ».
Quoi qu'il advienne de ces déclarations abstraites,
auxquelles les circonstances ont donné indubitable-
ment une force d'action concrète considérable, on
pouvait conclure que l'intervenlion de Benoit JCV,
évidemment sincère, quels qu'en aient été les mo-
biles accessoires, avait manqué son but et que la
plus haute puissance spirituelle du monde avait
ruiné, par une conception trop étroite de son rôle
et un attachement regrettable à de médiocres tra-
d'Albert Thomas n'avaient éclairé la question.
En Angleterre, le parti travailliste qui, vers le
10 août, votait par 1.846.000 voix contre 550.000
la participation à la Conférence de Stockholm,
n'avait plus trouvé le 21 août, sur la même ques-
tion et dans le même sens, que 1.234.000 voix
contre 1.231.000, c'est-à-dire seulement une majorité
de 3.000 voix, et ce changement radical d'opinion
«• 1Z8. Octobre 1917.
participation, elle n'avait pu obtenir l'unanimité,
qui avait été posée comme condition de la validité
de ses décisions. De ce conflit d'opinions, de cette
confusion, une seule chose ressortait clairement : à
savoir la profonde division du parti socialiste non
seulement considéré au point de vue international,
mais aussi considéré au point de vue national. Ni
les Frani;ais, ni les Anglais, ni les Russes, ni les
Italiens n'étaient d'accord entre eux et chez eux.
On devait penser que cette division venait préci-
sément de ce que chaque fraclion du parti socialiste
n'avait pas su franchement reléguer au second plan,
pour un temps, ses idées et son rôle international,
afin de se consacrer uniquement à l'essentiel de
l'heure présente, c'est-à-dire au salut national, élé-
ment indispensa-
ble de l'interna-
tionalisme futur.
Laconception in-
ternationaliste
absolue a pesé
lourdement sur
le parti socialis-
te; la recherche
vaine qu'il a faite
d'un accord im-
possible avec les
socialistes alle-
mands, nette-
ment impérialis-
tes, a compromis
l'effort immense,
incontestable et
si utile qu'il a fait
pour combattre
ces mêmes idées
impérialistes. Il
en est résulté qu'il s'est trouvé morcelé et impuis-
sant et qu'il a écarté de lui, par cette erreur gros-
sière, des bonnes volontés qui l'eussent fortifié.
A la fin d'août, la Conférence de Stockholm n'avait
plus, se fût-elle tenue, aucune autorité possible.
L'effort du socialisme vers la paix, comme l'ef-
fort du pape, tous deux partis d'un même et tris
louable sentiment d'horreur pour les misères inouïes
de cette guerre, avaient l'un et l'autre échoué,
pour avoir cru que la paix pouvait se conquérir,
à l'heure tragique oii nous sommes, autrement que
par la guerre.
L'histoire intérieure des peuples belligérants et
des peuples neutres pendant le mois d'août n'a pas,
prise dans son ensemble, été paisible. Une fièvre
travaille le monde. De tous les pays, la Russie est
A. Henderson, secrétaire du Z.(i6ûurPar/j/,
ancien ministre britannique du Travail.
Patrouille française opérant une reconnaissance dans les ruines de Braye-cn-Laonnois (Aisne], village détruit par les Allemands
et situé sur le front, au sud du Ctieinio des Dames.
faisait éclater la difficulté de marquer clairement le
but que l'on visait. — En France, le 11 août, le parti
socialiste, s'appuyant sur le premier vole de ses cama-
rades anglais, avait accepté d'aller à Stockholm; tout
en proclamant les droits de la France sur l'Alsace-
Lorraine, il n'avait pas eu le courage d'aller jus-
qu'aux dernières conséquences de sa déclaration et
avait accepté, avec des conditions très obscures et à
peu près irréalisables, l'idée d'un plébiscite. Enfin,
le 27 août, une conférence socialiste interalliée s'était
réunie à Londres, et il était patent que, sur aucune
question : ni sur la participation à la Conférence de
Stockholm, ni sur la manière de comprendre cette
celui sur lequel les yeux se tournent par une attrac-
tion intense. Que deviendra ce peuple russe, anar-
chique, incohérent et si capable de grandes choses?
Et les hommes incomparables qui essayent de mo-
deler en une forme solide cette matière riche, mais
insaisissable et mêlée de tant d'éléments impurs,
parviendi'onl-ils à réaliser cette œuvre giganlesi|ue?
Tout est obscur, en ce moment, dans l'histoire de la
Russie. Nous ne saisissons que quelques traits gé-
néraux. Le détail reste dans l'ombre. En sortira-t-il
jamais? Voici ce qui apparaissait au début d'août.
Une nouvelle crise, très grave, après celles déjà
subies, avait failli compromettre toute la révolution
«• 128. Octobre 1917.
russe et la faire sombrer brusquement dans la pire
démago^'ie déjà plusieurs fois domptée. En présence
des diflicultes qu'on lui suscitait et de l'indiscipline
de l'armée, Kerensky avait donné sa démission.
Dans la nuit du 3 au 4 août, après des discussions
violenles, il revenait sur sa décision et, fortifié par
l'aiiliésion momentanée de tous les partis, il appa-
raissait plus que jamais comme le seul homme ca-
pable de sortir la Russie du désordre où elle se
mourait. Un cabinet de coalition était formé. Le
général Kornilof était nommé généralissime; des
efforts prodigieux étaient faits pour réorganiser l'ar-
mée et arrêter sa déroute sur le front galicien. Pour
écarter toule idée de contre-révolution, le tsar Ni-
colas et sa famille étaient transportés à Tobolsk, en
Sibérie. Le 25, Kerensky réunissait à Moscou une
Conférence générale des divers partis. Il semble
qu'au cours de celte réunion, où toutes les opinions
se sont exprimées librement, où le général Kornilof
a fait im lableau poignant de la terrihle situation
militaire qui étrangle la Hussie, où les partis mo-
dérés qui ont fait la révolution ont pu revendiquer
leur part d'aclioii. l'autorité personnelle de Kerensky
se soit alîermie par des paroles inoubliables. Pour
la première fois, il y a eu là une tentative de repré-
sentation réfrulière, de délibération commune sans
exclusion. On pouvait espérer que ce sérail le com-
mencement d'un gouvernement auquel il serait
défendu d'hésiter sur l'énergie des moyens. La
question de la paix était écartée. Restait à savoir
si la volonté énergique de Kerensky suffirait à la
tâche. A l'égard du séparatisme, le gouvernement
provisoire avait prononcé la dissolution de la Diète
de li'inlande, et la question de l'Ukraine pouvait être
résolue pacifiquement. Mais, en dehors de quelques
principes généraux, des divisions profondes sur la
méthode du gouvernement s'étaient manifestées. Le
parti cadet était entré dans l'opposition. L'agitation
provo(juée par les maximalistes et par Lénine était
loin d'être calmée. Bien que Lénine lui-même fût
rentré en Suisse par l'Allemagne, ses partisans con-
tinuaient son travail de dissolution sociale et, parti-
culièrement dans les armées du Nord, à la tête des-
quelles le général Letchinsky avait été placé avec
pleins pouvoirs, l'œuvre d'indiscipline et de démo-
ralisation pacifiste s'exerçait ouvertement. L'auto-
rité de Kornilof et du gérant du ministère de la
guerre, Savinkof, était combattue à outrance. Parmi
les ouvriers, à Moscou, pendant la Conférence, et
pour la déconsidérer, une grève générale avait été
fomentée, et une propagande désolante fonctionnait.
D'autre part, les aifficultés de ravitaillement étaient
LAROUSSE MENSUEL
l'incapacité grossière et i la corruption dn gouver-
nement des Isars.
A l'autre bout de l'Europe, l'Espagne avait été
très près d'une révolution. Nous ignorions tout des
événements dont une censure prudente réservait la
connaissance aux historiens de l'avenir. Nous sa-
259
événements politiques qui s'étaient, à notre con-
naissance, produits en Allemagne. Les changements
ministériels qui avaient eu lieu au début du mois
avaient une orientation beaucoup plutôt conserva-
trice que libérale: le départ du dictateur des vivres,
von Batocki, et de l'organisateur de lamobilisation ci-
Une représentation en plein air, dans les montag;nes de Uonastir.
vions que des troubles, sévèrement réprimés,
avaient eu lieu à Barcelone, à Saragosse, h Burgos;
que le vieil esprit séparatiste de la Catalogne avait
essayé de s'imposer au pays; qu'il y avait eu grève
des chemins de fer du Nord et de criminels sabo-
tages; qu'on avait tenté la grève générale; que
l'ordre, à la fin du mois, paraissait rétabli et que le
ministère Dato allait poser au roi, rentré à Madrid,
la question de confiance. Mais nous n'étions pas
éclairés sur le sens véritable de ce mouvement, sur
ses causes réelles et sur son but ; nous ne pouvions
déterminer s'il se rattachait directement aux pas-
sions germanophiles ou francophiles soulevées par
Le généralissime Kurnilof harauguaut les troupes russes, sur le front.
immenses. On songeait à évacuer Petrograd, faute
de pouvoir y nourrir la population qui s'y était
accunmlèe. De tous côtés surgissaient les plus
cruelles surprises. La situation de la Russie res-
tait, par suite, très inquiétante et, si l'on pouvait
penser son gouvernement et même les principaux
fiartis convaincus de la nécessité d'une élroile
iaison avec les Alliés, il subsistait tant de causes
de ruine qu'on ne pouvait demander autre chose
i ce pays que de vivre péniblement. Il était pour
l'Entente un poids lourd à traîner, et on se ren-
dait compte trop tard de l'imprudence que l'on
avait commise en faisant confiance si longtemps à
la guerre, à l'action locale de l'Allemagne, si large-
ment organisée dans la Péninsule, ou s'il n'était
que la conséquence indirecte de l'agitation générale
que la guerre a semée en Europe. Nous devions
souhaiter que ce grand pays ami, au souverain
duquel nous devons lant, reprit son équilibre et
son rôle. Gravement touché comme les autres par
les répercussions de la guerre, il était nécessaire
qu'il parvînt à rétablir le cours régulier de son
existence et l'indépendance totale de sa vie nationale.
C'était notre intérêt et celui de l'Entente.
11 avait été impossible, à notre avis, en l'état de
nos informations, d'allribuer un sens précis aux
vile, Groener, le montraient assez. La nomination de
Kuhlmann au secrétariat des affaires étrangères
présentait ce caractère d'appeler à la direction de la
politique extérieure un diplomate assez enclin à
penser que l'hégémonie allemande se serait réalisée
à moins de frais et plus sûrement par les moyens de
la haute finance et de la haute industrie que par les
moyens militaires. Au point où l'on en était, cette
désignation était curieuse. D'autre part, les débuts,
incertains malgré leur fracas, du chancelier Michae-
lis,le soin qu'il avait pris de se dégager de la formule
de paix du Reichstag, les délibérations de la Com-
mission plénière de cette Assemblée sur la censure,
les commentaires de la presse sur la Note pontificale
et le vague des indications fournies parle chancelier
au sujet de la réponse à faire, enfin, la création
de la Commission des quatorze, nouveau rouage
extra-constitutionnel, com|)osé mi-partie de mem-
bres du Reichstag, mi-partie de membres du Con-
seil fédéral, tout cela ne manifestait pas une
désagrégation du système impérialiste et un ache-
minement vers un régime parlementaire régulier.
Bien plutôt y devait-on voir un moyen de donner à
certaines idées une superficielle satisfaction. Mais
on se serait grossièrement abusé si l'on avait cru à
une modification de la mentalité allemande. L'appel
du président 'Wilson ferait-il réfléchir ce peuple ï
Faliait-il, au contraire, rester persuadé que rien
qu'une défaite, un affaiblissement militaire incon-
testable, accompagnés d'une grave dépression phy-
sique et morale causée par l'insuffisance alimentaire,
peuvaient changer les idées du peuple allemand sur
son gouvernement? Jusque-là, ne lui resterait-il pas
fortement attaché et ne se leurrerail-il pas avec lui
de rêves de victoire et d'hégémonie pangermaniste?
Le peuple allemand s'est solidarisé jusqu'ici avec la
dynastie impériale. Il en a endossé les erreurs et les
crimes, et les spoliations qui ont agrandi la Prusse,
notamment celle de 1870, non seulement restent pour
lui légitimes et irrévocables, mais sont un encoura-
gement à en préparer d'autres. Qu'une minorité
pense autrement, c'est certain ; cette minorité est
sans action matérielle et sans autorité morale. Etait-
elle appelée à grandir ? Le plus élémentaire bon
sens commandait une extrême prudence.
L'Autriche restait, de son côté, dans une situation
difficile. La chule du premier ministre hongi-ois
Eslerhazy, son remplacement par le D"" 'W'eckerlé,
à la fin d'août, marquaient une orientation de la
politique dans un sens économique et allemand.
La situation lamentable du change autrichien à
l'étranger était, pour le nouveau ministère, une
préoccupation de premier plan. L'Autriche avait
de plus eu plus besoin de la paix. Les opérations
sur le Carso devenaient désastreuses. Le manifeste
yougo-slave du ministre serbe Pachilb rendait la
question slave plus aiguë que jamais. La question
polonaise s'éloignait de plus en plus d'une solution
favorable. Les difficultés de l'empereur Charles
allaient croissant, et la crise sans solution du minis-
tère Seidierneles diminuait pas. Etait-ce de ce côté
que viendraient les premiers craquements de l'Eu-
rope centrale? Tout portail à le croire.
Quant à l'Angleterre, malgré les difficultés inté-
rieures causées par les incarlades du ministre socia-
260
liste Henderson et par la menace d'une prève des
chemins de fer, les discours toujours fermes et
semés d'heureuses formules de Lloyd George
l'avaient montrée bien décidée à lulter sans rémis-
sion contre un ennemi qui, par la piesse, par les
Kerensky assiste au défilé du cortège funèbre des cosaques tués au cours des émeutes à Petrograd.
manifestations officielles de ses dirigeants et par ses
attaques aériennes coulie des villes ouvertes, ne
négligeai t rien pourentrelenir l'opinion anglaise dans
l'idée d'une continuation implacable delà guerre. La
tenue admirable de l'armée anglaise devant l'ennemi
et ses succès continus n'étaient pas pour diminuer la
confiance des peuples brilanniques dans la force etla
sainteté de leur cause. La conférence alliée qui
s'était tenue à Londres dans la première quinzaine
d'août et les événements militaires qui l'avaient
suivie fortifiaient d'ailleurs ce sentiment.
En France, le ministère Ribot, au début du mois,
était sorti heureusement de l'interpellation Renau-
del, qui avait fourni au premier minisire l'occasion
de marquer à nouveau ses intentions au sujet de la
conférence de Stockholm et des conditions de la paix.
Une majorité de
392 voix con-
tre 61 avait mar-
qué la confiance
de la Chambre.
11 n'y avait,
d'ailleurs, là
qu'une apparen-
ce. Le ministère
Hibot n'était pas
solide. La démis-
sion de l'amiral
Lacaze, ministre
de la marine, qui
désapprouvait, au
nom de la disci-
pline, une enquê-
te acceptée par
Ribol, celle de
Denys Cochin ,
Pierre Renaudel, député sociaUste du Var. avaient été des
signes de désa-
grégation que n'avait pas compensés la nomination
à la marine des députés Chaumet et Jacques-Louis
Dumesnil, choi.x d'ailleurs fort honorables, mais sans
pouvoir de cohésion. Les discussions socialisles au
sujet du maintien dans le cabinet du minisire Albert
Thomas avaient, en outi'e, monti'é qu'un parti impor-
tant n'avait dans le ministère qu'une confiance pro-
visoire. Mais le grand ébranlement était venu de
l'affaire du journal le Bonnet liouge. L'arrestation
de liuval, administrateur de cette léiiille, trouvé à
la frontière porteur d'un chèque de 125.000 francs
émanant d'une banque de Mannhoim, l'ari-estalion
dudirecteur du journal, Vigo, dit Almereyda, aven-
turier dépourvu de scrupules, dont le rôle apparais-
sait depuis longtemps aux citoyens clairvoyants
comme singulièrement louche, sa mort mystérieuse,
compliquée d'une troulilante et inexpliquée tenta-
tive de suicide, la démission du directeur de la sû-
reté générale Leymarie, mille bruits que la malveil-
lance fit courir sur le ministre Malvy et auxquels
des apparences semblaient donner du poids, enfin la
démission même de ce ministre, rendaient, aux
derniers jours d'août, la situation du cabinet Ribot
fort délicate. On avait l'impression d'un (lottemenl
fâcheux dans la direction du gouvernement et de
LAROUSSE MENSUEL
mésintelligences internes. Les ambitions allaient
déjà leur train. On doit déclarer que, si pénible que
fût l'affaire du Bonnet Bouge et si compromettante
qu'elle fût devenue pour quelques-uns, on devait se
féliciter que les circonstances eussent permis de la
poussera fond. Elle
devait siirement
ouvrir des yeux
jusqu'alors obsti-
nément fermés sur
les intelligences
lointaines ou pro-
chaines qu'une cer-
taine presse a pu
conserver avec
l'ennemi et dévoi-
ler les agissements
de celui-ci, trop
longtemps niés et
pourtant trop évi-
dents, il y avait là
une opération de
salubrité morale et
nationale et une
mesure de sécurité
absolument indis-
pensables. Il eût
mieux valu que le
hasai-d et le zèle
heureux d'un obs-
cur fonctionnaire y
eussent moins de
partetqueles aver-
tissements donnés
depuis longtemps
au pouvoir eussent
étémoinsnégligés.
On pouvaitdire, ce-
pendant, que les
découvertes inat-
tendues deTafTaire
Almereyda avaient détendu l'opinion en écartant
un réel danger. L'héroïsme de nos troupes et les
succès de nos alliés l'avaient d'au-
tre part exaltée. On pouvait sans
appréhension attendre la suite et
se préparer aux difficultés de l'hi-
ver. On était loin, d'ailleurs, d'avoir
résolu toutes les questions relatives
au chaufi'age et à l'alimentation. On
eût soubaiié plus de clarté, d'unité
de direction, de fermeté dans la dé-
cision. Une fois de plus, on consta-
tait que le peuple de France est un
peuple très patient. — Jules Gerbault.
kuixiQuat {tceum'-kouèl) n.m.
(mot angL). Nom donné, en Amé-
rique et aujourd'hui en Europe, à
une variété de citronnier.
— Encycl. Le kumquat ou ci-
tronnier du Japon [citriisJaponica)
est, comme son nom l'indique, ori-
ginaire du Japon ; mais il était cul-
tivé également en Chine comme
ornemental depuis longtemps lors-
que les Américains en tentèrent
l'acclimatation chez eux, où il oc-
cupe aujourd'hui des espaces assez
étendus.
Si le kumquat se multiplie assez
difficilement de graines, les greffes
réussissent assez bien, mais elles
exigent un choix dans les sujets;
c'est ainsi que les greffes faites sur
l'oranger doux ou le bigaradier ne
réussissent pas, mais qu'en revan-
che, si le sujet est un limonia, le
succès est complet; on peut égale-
ment greffer avec succès sur le cé-
dratier ou l'hybride de cédrat ou
limon. Dans le cas où la culture du
kumquat est faite uniquement en
vue de l'ornementation, c'est même
ce sujet qu'il faut préférer.
Le D'' Trahut, président de la
Société d'agriculture d'Alger, en a
préconisé chaudement la culture en
Algérie et s'est livré à des essais
très intéressants dans ce but. 11
s'agit ici surtout des variétés à
fruits : les fruits du kumquat trou-
vent jusqu'à présent leur emploi en
confiserie, où ils sont utilisés à la
préparation des conserves. Les ci-
trons du Japon sonlimmergésdans
des sirops sans aucune préparation
préalable et, consommés au bout de quelque temps,
fiossèdent une saveur délicieuse. Les Américains
es consomment crus, et il est à présumer que, plus
connu en France, cet excellent fruit se répandra
vite. Sous cette forme même, il est excellent; à
l'inverse, cependant, des autres aurantlacées, qui
fournissent des fruits dont c'est la pulpe qui est la
N' 128. Octobre 19U.
partie comestible, le kumquat donne des fruits dont
le péricarpe est la partie la plus savoureuse. Il laut,
néanmoins, faire un choix dans les variétés frui-
tières : au Japon, on distingue le nagnmi (à fruits
oblongs, très élégant de port), le marumi (à fruits
ronds, petits) e\,l' omikin-kan (à fruits ronds et gros).
Le nagami est un très joli arbuste ornemental;
pour la consommation, il faut choisir les fruits à
Kumquat ou citronnier du Japon.
peau épaisse, tendre et douce, car il existe égale-
ment des fruits à peau mince, coriace, à saveur as-
tringente et désagi'éable. Les fruits des autres va-
riétés n'ont pas la même saveur.
Aux Etats-Unis, dans les cultures bien conduites,
un pied de kumquat donne de 1 à 3 kilogrammes
de fruits, que la confiserie paye 1 franc et jusqu'à
1 fr. 50 le kilogramme. C'est donc, comme on voit,
une exportation assez rémunératrice. — j. db CmoN.
I
Don Quichotte, tableau de La Gandara (1913).
La Q-andara (Antonio de), peintre français,
né à Paris en 1.S62, mort dans cette ville le 30 juin
lui 7. Très jeune, en 1876, il entra à l'Ecole des
beaux-arts et il y fut jusqu'en 1881 élève de Géroine.
Mais son admiration allait surtout aux portraitistes
d'Espagne et d'Angleterre. La famille de son père
était, du reste, espagnole, celle de sa mère anglaise.
IV 128. Octobre 1917.
LAROUSSE MENSUEL
Carte du froQt austro italien, au nord-est de Gorizia.
Il est remarquable que l'artiste moderne ait su, dès
ses débuis, synthétiser les traditions des deux races
qui se confondaient en lui et donner ainsi à ses
œuvres un caraclère tout à fait particulier. 11 envoya
au Salon des Champs-Elysées, en 1883, un Saint
Sébaslie?!, mais il resta ensuite dix ans sans exposer
de nouveau. Il ne reparut qu'en 1892, au Salon du
Chainp-de-Mars, avec un portrait de la comtesse de
Monlehello, et lit la même année une Exposition par-
ticnliire, où les portraits de la comtesse de Gre/'-
/'Ulhe,dc\Aprincesse de Car aman-Chimay, au prince
de Sagan, du prince de Polignac, du prince Bor-
ghese étaient réunis. Le succès de cette Exposition
fit de La Gandara l'un des portraitistes favoris du
monde aristocratique. Dès cette époque, d'ailleurs,
toutes les qualités du peintre s'y révélaient, et son
exécution seule prit dans la suite plus de souplesse
et de sobriété.
Dans les premières œuvres de La Gandara, on
rencontre encore, en effet, des empâtements qui,
malgré leur modération, pourraient faire songer
autant à Zurbaran qu'à Vélasquez. N'ayant pu re-
trouver le métier de ce dernier, dont les larges cou-
lées de couleur, selon qu'elles couvrent entièrement
la toile ou la laissent apparaître, donnent des valeurs
plus ou moins foncées et un modelé d'une simplicité
extrême, Antonio de La Gandara assouplit son exé-
cution en réservant les pâtes ou plutôt les demi-pâtes
pour les parties claires des visages et des mains et
en n'employant que des jus colorés pour les parties
sombres. Il se rapprochait ainsi de la méthode de
travaildes maîtres anglais commeThomas Lawrence.
Parmi les peintres modernes, son aîné, James 'Whis-
ller, lormé aux mêmes écoles, lui indiquait la voie.
On peut suivre cette évolution vers la sobriété des
moyens dans la suite de portraits exposés au Salon
de la Société nationale des beaux-arts : le comte
(le Monlesquiou (1893), la princesse de Chimay
(1894), Sarah Bernhardt, Rose Caron, Paul Ver-
laine (1895), Afmo Rémy Salvator, Henri Fou-
quier (1899), M»' Morlet', Paul Escudier (1901). La
présentation des personnages est en général d'une
grande aisance; les attitudes sont naturelles, sans
mouvement inutile; elles confèrent aux œuvres de
l'artiste beaucoup de noblesse et de style. Cette qua-
lité est accentuée encore par un dessin sommaire
autant qu'il sied et plein de caractère. Antonio de
La Gandara, pour éviter les surcharges de couleur,
travaillait avec une attention vive; il ne traçait un
trait qu'après s'être assuré de sa justesse et de
sa puissance expressive; il ne posait une touche
qu'après en avoir
longuement vé-
rifié la qualité et
r exactitude.
Ainsi s'explique
l'économie re-
marquable de son
métier, en même
tempsque sa fran-
chise. La gamme
colorée dans la-
quelle il aimait
à peindre était
généralement
sourde et sans
éclat factice ; et,
s'il ne cherchait
dans les visages
et les mains que
l'essentieldumo-
delé, il se mon-
trait dans les
étoffes un exécutant prestigieux; il aimait les to-
nalités choisies, les bruns mordorés les roses
fanés, les gris d'argent.
Les succès du portraitiste ont fait tort au paysa-
giste qu'était également Antonio de La Gandara.
Dès 1896, il avait envoyé au Salon un Coin des Tui-
leries; pour se délasser, il aimait à brosser des vues
de Paris et surtout des vues de pares. Là encore, il
avait été guidé par l'exemple des Jardins de la
villa Médicis de Diego Vélasquez. Avec moins
d'opulence, sans doute, mais avec un sens artistique
d'une acuité rare , l'artiste moderne avait tracé
des vues nombreuses du parc du Luxembourg: la
Colonne (1899), le Bassin (190Î), la Statue de
il/me de Montpensier (1909), sans parler d'études
Antonio de La Gandara.
diverses du jardin cher à Watleau ou des Tuileries
ou même de Versailles (la Statue d'Apollon [1914]).
Amoureux du style et des lignes harmonieuses,
La Gandara trouvait en ces motifs une ordonnance
d?jà parfaite; il en accentuait encore le parti déco-
ratif, cherchait avec soin la courbe d'une tige de
fleur ou d'arbre, le dessin d'un bouquet de corolles
ou de feuilles, les rapports de tons discrets et ri-
ches. A plusieurs reprises, il se servit de ces motifs
comme fond de ses portraits ; ainsi (It-il pour une
Jeune Femme et une Vieille Femme dans un parc
(1901) et pour le Jeu de cache-cache (1902). De
Paris même il avait, dès ses débuts, donné des £^e/s
de nuit sur le boulevard; plus tard, il revint aux
architectures choisies et peignit Notre-Dame, la
place de la Concorde, la place des Victoires (1913) :
celle-ci est l'une de ses plus parfaites études: elle
rivalise de perfection avec une vue de la Porte Saint-
Denis, assez récente. Le peintre ne négligeait pas
d'animer ses paysages de petits personnages, et son
souci de la vérité des altitudes, de la sobriété de
l'exécution leur donnait un caractère fort précieux.
il est possible que.dansl'avenir, lesportraitsd'An-
tonio de La Gandara ne conservent pas, malgré leur
beau style, toute la faveur dont ils ont joui dans
notre temps. Peut-être reprochera-t-on au peintre de
n'avoir pas toujours assez insisté sur le modelé des
visages: d'avoir trop sacrifié à l'agrément d'une
robe; d'avoir négligé les corps pour le costume et
d'avoir cédé à la nécessité de travailler d'après le
mannequin plutôt que d'après le modèle ennuyé
d'avoir à subir les séances de pose.
Les élégantes figures de La Gandara resteront, ce-
pendant, des exemples précieux des modes de la troi-
sième République, comme celles d'un Winterhalter
le sont pour les modes du second Empire. Mais les
amateurs d'art délicat continueront, sans doute, à re-
chercher ses jolies vues de jardins et de rues de
Paris, comme ils recherchent encore les petits
paysages d'un Jean Breughel ou les délicates vues
vénitiennes d'un Guardi ou d'un Maricschi.
Le musée du Luxembourg conserve d'Antonio
de La Gandara la Dame à larose (M"« R. Salvator)
et celui de la Ville de Paris un Paul Escudier qui
262
fait penser aux figures du temps de Henri IV.
Parmi les derniiTes œuvres de l'artiste, il convient
de citer encore les portraits de Polaire (1905),
de Af™' Naffelmakers (1908), de Lina Cavalieri
(1912J, Don Quichotte (1913), d'Ida Rubenslein
(19U)- Enfin, on retiendra que La Gandara fut
un fort agréable dessinateur au pastel : en ses
études sur papier teinté, d'une très belle écriture,
il se rapproche a\itant des maîtres français du
xviii' sii'clp, de Boucher entre autres, qu'il estimait
fort, que des maîtres anglais. — Tristan Liclère.
Le Dantec {Félix-Aiexandre), biologiste et
philosophe français, né h Plougaslel-Daoulas (Finis-
tère) le lejanvier 1869, mort à Paris le 7 juin 1917.
Son pi're était médecin et exerça sa profession
d'abord k Plougastel, puis à Lannion ; il avait pour
beau-frère le commandant Emile Guyou, membre
de l'Institut, mort en 1915 (v. t. III, p. 732).
Un esprit attentif et curieux de toutes choses, une
prodigieuse mémoire, un zèle infatigable le sigualent
tout d'abord à l'attention de ses maîtres, qui trou-
vent en lui l'élève le plus brillant. Ses premières
études, faites au lycée de Brest, puis au lycée Janson-
de-Sailly, à Paris, lui valureutles plus hautes récom-
Feuses et, à seize ans, il est admis le premier à
Ecole normale supérieure (concours de 1885). De
bonne heure, sa vocation se précise et l'entraîne
invinciblement vers les sciences objectives. Com-
prendre, discerner l'enchaînement naturel des phé-
nomènes, situer la vie dans le cadre du monde ofi
nous vivons, jalonner les frontières du connaissable,
au delà desquelles la pensée la plus intègre devient
vagabonde, tel fut le rêve du jeune homme; pour
vivre ce rêve, il se dépensa avec une impatiente
prodigalité, comme s'il eût prévu sa fin prématurée.
Malade depuis longtemps, il conserva quand même
la plus grande sérénité d'esprit et, bien que son
caractère se recommandât par une entière indépen-
dance, il savait apporter dans la discussion une
courtoisie dont il ne se départait jamais.
A sa sortie de l'Ecole normale (1888), il fut prépa-
rateur à l'Institut Pasteur, oii il eut comme maîtres
Melchnikoff et Pasteur lui-même, qui ne devait dis-
paraîlre que quelques années plus tard et qui avait
fondé sur son jeune élève les plus légitimes espé-
rances. Après avoir fait un an de service mililaire
au Tonkin dans l'infanterie de marine, il revint en
France et fut reçu docteur es sciences en 1891; il
avait pris pour thèse de doctorat ses Recherches sur
la digestion intracellulaire chez les prolozaires.
La même année, il était chargé de cours à la Facullé
de Dijon, mais mis immédiatement en congé pour
aller au Brésil fonder un Institut Pasteur. A son
retour, il fut nommé maître de conférences à Lyon
(1893). En 1896, il demanda à revenir à Paris comme
préparateur et, en 1898, il était chargé d'un cours
d'embryologie générale, créé spécialement pour lui.
En 1909. il obtenait la croix de chevalier de la Légion
d'honneur.
L'œuvre de F. Le Dantec est considérable, et l'on
peut dire que tout son système biologique et philo-
sophique est basé sur la loi d'assimilation fonc-
tionnelle. La science de la vie ayant comme objectif
l'étude des caractères communs à tous les êtres vi-
vants, le biologiste doit reconnaître tout d'abord,
parmi les manifestations vitales, celles qui sont vrai-
ment caractéristiques de la vie. Quant aux phéno-
mènes qui intéressent à la fois les corps vivants et
les corps bruis, ils permettront de situer la vie dans
l'univers et de saisir les relations qui unissent les
êtres vivants au milieu dans lequel ils vivent. Le
critérium de la vie, d'après Le Dantec, réside dans
le phénomène d'assimilalion.
Dans un milieu convenablement choisi, l'animal
s'accroît; il s'accroît en assimilant, c'est-à-dire en
rendant semblable à sa propre substance la substance
du milieu aux dépens duquel il s'accroît. Ce phéno-
mène général peut être considéré comme le signe
diacritique de la vie. Toutefois, il est souvent ma-
laisé de le mettre en lumière, à cause des phénomè-
nes de destruction qui viennent le masquer. C'est le
cas, notamment, pour les êtres supérieurs, chez
lesquels, pendant l'âge adulte, il y a équilibre entre
l'assimilation et la destruction ; cette dernière l'em-
porte durant la vieillesse et aboutit à la mort.
Tant que la vie se poursuit, l'assimilation persiste,
mais elle est combattue par des facteurs de destruc-
tion ou, si l'on préfère, de îMrin^ioris qui proviennent
fatalement d'un milieu hétérogène, dont l'action
s'exerce, d'ailleurs, sur les choses comme sur les
êtres. La vie est une lutte, et cetle lutte entraîne une
variation au cours des fonctions successives, le mot
n fonction » signifiant ici l'activité totale de l'orga-
nisme. La vie est donc une succession de fonctions.
L'assimilation fonctionnelle évoque la loi d'habi-
tude énoncée par Lamarck : la fonction crée l'or-
gane ; mais elle s'oppose, par contre, au principe
de Claude Bernard, qui établit la destruction fonc-
tionnelle en admettant que la substance vivante se
détruit pendant le fonctionnement de l'organisme
et se reconstitue pendant les période d'inaction.
Pour Le Dantec, l'être vivant répond à toutes les
\ arialions du milieu, en opposant à chaque modifi-
Félix Le Danlec.
LAROUSSE MENSUEL
cation une action directement contraire et capable
de balancer la cause des troubles. La lutte pour la
vie, c'est la lutte pour l'équilibre et, dans la nature
vivante, le phénomène d'équilibre prend une forme
caractéristique : l'habitude.
Cette théorie de l'assimilation fonctionnelle con-
duisait Le Dantec à la transmission héréditaire :
tout être vivant est le produit de son hérédité et
de son éducation. Il admet comme motif principal
de variation l'adaptation directe de Lamarck, mais
il reconnaît aussi le rôle important de la sélection
après coup de Darwin; il concilie ingénieusement
les deux méthodes et montre qu'elles corroborent
les mêmes résul-
tats. Par contre,
il s'élève avec
véhémence con-
tre l'école néo-
darwinienne ,
dont Weissmann
etEhrlichse sont
institués les
champions. Ren-
chérissant sur
l'idée deDarwin,
qui adme ttail
l'existence au
seindelamatière
vivante de parti-
cules représenta-
tives ou gemmu-
les, Weissmann
s'est ingénié à
démontrer l'im-
possibilité de la
transmission des caractères acquis, en considérant
ceux-ci comme autant d'entités statiques et indépen-
dantes. Le Dantec accorde à ces particules, ainsi
qu'aux pliénoménines de toute espèce, la même va-
leur scientifique qu'à la vertu dormi tive immortalisée
par Molière, et à cette conception simpliste des natu-
ralistes allemands et de leurs nombreux prosélytes il
substitue lanotion du patrimoine héréditaire, lequel
respecte l'unité de mécanisme individuel, unité qui
ressort de toutes les découvertes de la science de la
vie. Absolument, tous les caractères sont des carac-
tères acquis; mais ce qui se transmet de génération
en génération, ce sont des propriétés et non des
caractères. Ceux-ci, sous l'inlluence des variations
éducatives, modifient le patrimoine héréditaire,
c'est-à-dire l'équilibre d'ensemble de l'organisme.
Le Dantec dénonce aussi les interprétations fan-
taisistes, par les darwiniens, de la question sexuelle.
Darwin accorde aux hasards de l'amphimixie un
rôle capital dans l'évolution spécifique ; au contraire,
le biologiste français soutient que, si l'union des
sexes peut entraîner des variations, elle agit en
même temps comme un modérateur spécifique de
variation, car elle entretient le type moyen de
l'espèce.
Le patrimoine héréditaire s'enrichissant des
adaptations successives et chacune d'elles se trou-
vant définie par la loi d'assimilation fonctionnelle,
l'activité totale de l'individu est déterminée à chaque
instant par les fonctions qui précèdent et par les
circonstances actuelles. 11 en résulte que sa liberté
est illusoire. La conscience, comme tout ce qui ap-
partient à l'individu, est assujettie à l'adaptation. Du
monde extérieur al'fiuent les excitants, lesquels éveil-
lent, par l'intermédiaire de nos sens, la conscience,
c'est-à-dire la connaissance subjective que nous
avons de certains phénomènes qui peuvent être
étudiés objectivement jusqu'au moment où ils sont
transformés par l'appareil des nerfs sensitifs. Mais
cetteconnaissance subjective est fonction de l'habi-
tude, et la conscience est inséparable des liaisons
du mécanisme d'ensemble.
Le Dantec estimant que la science de la vie em-
brasse tout ce qui se rapporte à la vie, la générali-
sation impressionnante qu'il lire de ses déductions
scientifiques ne doit pas surprendre.
Il s'est promis d'aller jusqu'au bout, et il y va, quoi
qu'il arrive. Or, il arrive qu'il se trouve dans la
cruelle alternative de choisir entre des croyances
qu'il respecte — car il comprend les infiuences an-
cestrales — et les révélations de sa foi scientifique.
Alors, il sape impitoyablement les édifices fondés
sur le libre arbitre etsur les entités métaphysiques.
Après quoi, il regarde autour de lui et voit qu'il est
seul. Le sentiment qu'il en a lui laisse une amer-
tume que l'on devine dans ses derniers ouvrages.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : ceux qui tiennent
Le Dantec pour un pessimiste ne l'ont jamais connu.
Sa vie est toute pleine de l'allégresse «u'il puisa
dans son immense labeur. Les hommes l'ont déçu,
mais non ce qu'il reconnut comme étant la vérité.
Ses adversaires rendront cette justice à sa cons-
cience de savant : elle fut incorruptible.
Parmi ses principaux ouvrages, nous citerons :
Théorie nouvelle de la vie (1896); le Déterminisme
bioloqi(jue et la Personnalité consciente (1896) ;
l'Individualité et l'Erreur individualiste (1897);
Evolution individuelle et hérédité (1898); La-
marckiens et darwiniens (\S99); la Sexualité (1899);
N' 128. Octobre 1917.
l'Unité dans l'être vivant (1902); les Limites du
connaissable; la Vie et les Phénomènes natu-
rels i\903); Traité de biologie (1903); les Lois na-
turelles (1904); les Influences ancestrales {\90li);
Introduction à la pathologie générale (1905); la
Lutte universelle (1906); l'Athéisme (1907); De
l'Iiomme à la science (1907); Eléments de philo-
sophie biologique (1908); Science et conscience
(1908); la Crise du transformisme [leçons profes-
sées à la Faculté des sciences) [19091; le Chaos et
l' Harmonie universelle (1911) ; la Stabilité de la vie
(1911) ; l'Egoïsnie, seule hase de toute société (Ï9ll) ;
Qu'est-que la science? (1912) ; la Science de la vie
(1912); la Mécanique de la vie; Savoir. Considé-
rations s\ir la méthode scientifique, la guerre et la
morale (1917).
Félix Le Dantec collabora, en outre, à de nom-
breux ouvrages, revues scientifiques et encyclopé-
dies (n Grande Encyclopédie »). 11 prêta son asssidu
concours à la « Revue encyclopédique », ainsi qu'au
" Nouveau Larousse illustré ». — Jacques Mokeav.
Mensonge de la science allemande
(un), par Victor Bérard (Paris, 1917). ^11 s'agit, dans
ce volume, des Prolégomènes, que Fréd. Wolf fit
paraître, en 1795, comme une sorte de préface à une
édition de l'Iliade. 'Wolf était alors professeur à
l'Université de Halle, d'oii il devait passer à celle
de Berlin. Ces prolégomènes firent une révolution
dans le monde érudit.
Pour l'auteur, si l'on se risque à lire au fond de
sa pensée, il n'y a pas eu d'Homère. L'Iliade est un
simple recueil, tormé, et encore assez tard, de chants
primitivement distincts.
Cette audacieuse théorie renversait des traditions
vingt-cinq fois séculaires. Il fallait croire, désormais,
que toute l'humanité avait été victime d'une illu-
sion; et c'est à Wolf, disaient ses amis, qu'elle
devait d'en être enfin affranchie.
Ce qu'il y a de certain, c'est que le nom du cri-
tique allemand fut bientôt célèbre, même au delà
des frontières de son pays. Quand il vint mourir à
Marseille, en 182'i, ses disciples purent faire ins-
crire sur sa tombe l'épitaplie qu'on y voit encore :
o Au prince des philologues. »
Ainsi protégé par la gloire même de son auteur,
le système wolfien se propagea peu à peu en Alle-
magne; lentement, il y gagna à peu près tous les
esprits. Quant à la France, elle résista longtemps :
elle restait fidèle à la vieille tradition. Mais l'ascen-
dant que les idées etles choses germaniquesprirent
sur nous, surtout après la guerre de 1870, triom-
phèrent enfin de nos répugnances, et, vers la fin du
xix« siècle, le mouvement parut irrésistible.
Un esprit scientifique (écrit V. Bérard) no devait plus
croire à l'existence, ni surtout à l'œuvre d'un poète, auteur
do Vlliade et de VOdyssée. C'est une audace qu'on ne par-
donnait pas alors à dos Français.
Eh bienl Victor Bérard ofi're aux Français, dans
son nouveau volume, une revanche éclatante. Il
rappelle d'abord que la thèse antihomérique a vécu.
Ce qu'on déclarait, il y a vingt ans, une idée vaincue,
est aujourd'hui une idée victorieuse.
En 1912 (écrit-il), M. A. Sliewan passait en revue
trente ou quarante ouvrages de toutes langues: et il
concluait que lesentimont général, sur l'/Z/orfe clïOftyssée,
était désormais pour l'unité d'auteur.
Le système wolfien est donc jugé. Mais V. Bérard
a voulu juger 'Wolf lui-même. 11 entend montrer
que celui qu'on a appelé parfois « le grand Alle-
mand » ne mérite pas la renommée dont il a joui.
Qu'il soit entendu, avant tout, qu'on lui attribue à
tort la paternité de l'idée à laquelle on s'est plu à
attacher son nom. La question n'est plus de savoir
si cette idée est bonne, comme on l'a cru, ou mau-
vaise, comme on le croit et comme il faut le croire.
Telle qu'elle est, doit-elle passer pour la propriété du
pliilologue de Halle? Ses compatriotes, et beaucoup
trop des nôtres aussi, ne l'ont-ils pas flatté en célé-
brant, à ce sujet, l'originalité de ses vues ut la har-
diesse de son esprit? — Si, certainement.
D'abord, à l'égard de l'originalité en général,
Wolf ne paraît pas être h la hauteur des panégyri-
ques qui l'ont célébré. Il a, du reste, fait tant de
cours et écrit, en beau latin, tant de livres et de dis-
sertations, qu'on se demande où il aurait trouvé le
temps nécessaire à toutes les recherches originales
dont on lui fait gloire. En dix ans, de 1782 à 1792,
sans parler de ses occupations de professeur, il
édita, a-t-on dit, il imprima, il corrigea des épreuves
o avec rage ». Quels loisirs pouvait-il bien lui rester
pour ses découvertes philologiques?
Ajoutons — et ceci rend un peu rêveur — que,
par un singulier hasard, ses livres paraissaient bleu
souvent juste après d'autres où étaient traités les
mêmes sujets. Oh! sa prudence ne choisissait pas,
généralement, pour s'en inspirer, les plus connus,
ceux dont l'auteur attirait particulièrement l'atten-
tion publique. Il préférait les modestes renommées.
Que si, malgré tout, il se croyait obligé de faire
des excursions plus haut, il avait une manière, tou-
jours la même, de laisser croire au lecteur qu'il ne
suivait pas les traces d'autrui, même quand il en
avait l'air. C'était d'écrire, dans une jolie préface,
«• 128. Octobre 1917.
qu'il pensait depuis longtemps à ce sujet, que ses
idées étaient arrêtées, ou même que l'impression
était déjà commencée quand l'ouvrage, qui avait dit
les mêmes choses avant lui, lui était parvenu; il n'y
avait donc pas inspiration, il y avait rencontre.
"Victor bérard doime plusieurs exemples. Happe-
lons-en un.
Un philosophe suisse, Jean-Bernard Mérian, ve-
nait de publier une dissertation intitulée : Examen
lie la question si Homère a écrit ses poèmes. Cette
dissertation était écrite en français, et \Volf lisait le
français; il le parlait même au besoin. C'était enl793,
et les Prolégomènes ont été écrits en 1794, pour être
publiés en 1795. L'auteur affirme qu'il n'a lu l'Exa-
men qu'après coup, à la hâte; il était justement
arrivé, prétend-il, à la feuille de son manuscrit où il
faisait cette conlidence, et la feuille allait partir pour
l'imprimerie. Or, si rapide que lut alors sa lecture,
il s'aperçut qu'entre les pages françaises et les
siennes il y avait une ressemblance frappante. Il en
fut réduit, dit-il, pour ne pas fatiguer les érudits de
redites inutiles, à supprimer une partie de son
texte et à réduire tout le reste. Le lecteur ne l'accu-
sera donc pas, s'il l'en croit, d'avoir profité du tra-
vail d'autrui.
Mais il ne l'en croira pas. Car celte partie des
Prolégomènes ressemble tout à fait à un alirégé de
Mérian. Et qui nous prouvera, qui pourra jamais
nous faire admettre qu'elle résume quelques pages ]
de Wolf, que Wolf n'a jamais publiées, au lieu
de résumer tout simplement celles que Mérian avait
données l'année précédente et que Wolf avait cer-
tainement sous les yeux?
Quand on emprunte sans avoir aucune intention
ni aucune habitude de dérober, pourquoi prendre la
précaution de dire : n Ne vous y trompez pas! je ne
suis pas un voleur I »
L'écrivain allemand s'est d'ailleurs trahi par quel-
ques expressions prises à l'écrivain français. — Nous
disons» français » quant à la langue. — Celui-ci avait
cru devoir parler ue la boussole et de la poudre à
canon. Wolf fait comme lui. Il trouve que, si l'écri-
ture n'était pas inventée au temps d'Homère, c'estun
mérite de plus, pour le poêle, que d'être arrivé à la
perfection sans un secours si précieux, et il ajoute :
N'admirons-nous pas davantage les vieux navigateurs
d'avoir accompli leurs itinéraires sans boussolo {sine
pyxide nautica) ? Nos soldats d'aujourd'hui comprenneut-
ils facilement qu'Alexandre et César aient fait de si
crands exploits et pris tant de forteresses avant l'invention
Se la poudre à canon {ante inventiouem pulveris nitrati',1
En employant ces expressions, l'écrivain allemand
se copiait-il aussi lui-même, ou son esprit y pen-
sait-il, spontanément, sans les avoir lues et au mo-
ment précis oii il allait les lire dans les pages ou vei les
sous ses yeux?... Il ne faudrait pas, cependant, qu'il
comptât trop sur la complaisance de ses lecteurs et
surleur crédule naiveté. Parlons franc! Il venait de
les voir dans le texte de Mérian. Il nous trompe
donc quand il affirme qu'il n'a connu ce texte
qu'après avoir composé le sien.
Ces procédés se sont renouvelés fidèlement à
l'égard de l'abbé d'Aubignac. D'Aubignac a écrit
ses Conjectures académiques vers 1665, et elles
ont paru cinquante ans après, en 1715. On sait qu'il
y soutient que les poèmes homériques sont une
réunion d'épisodes venus de diverses mains et pos-
térieurement rassemblés.
C'est donc la théorie dont Wolf s'est fait
depuis le défenseur. Eh bien, "Wolf déclare n'avoir
connu les Conjectures académiques qu'après en
avoir conçu lui-même la doctrine. Or l'ouvrage
avait paru dans les premières années du xviii' siècle ;
il était écrit en français — et Wolf, on l'a vu, lisait
bien le français — et il avait enfin pour auteur,
selon les expressions des Prolégomènes, « un homme
qui n'était pas sans renommée ni bon sens et que
l'on connaissait même en Allemagne ».
Comment croire qu'un critique, passionné pour
l'élude des poèmes homériques ail ignoré, jusqu aux
dernières années du siècle, un tel ouvrage et l'opi-
nion révolutionnaire dont il se faisait le propagateur?
Malgré ses dires, on peut être certain que le philolo-
gue de Halle l'a lu avant d'entreprendre le sien. 11 suf-
firait peut-être, d'ailleurs, pour en avoir l'assurance,
de considérer avec quelle insistance il le décrie.
Ecoutez plutôt : Quelle témérité, quelle légèreté
d'esprit! Quelle ignorance de l'antiquité! — "Wolf as-
sure qu'il fut tellement choqué de tant de faiblesse
qu'il se mit il chercher des raisons pour rester fidèle
à la tradition. Car l'ouvrage de d'Aubignac lui ins-
pirait un véritable ■■ dégoût • pour l'opinion qu'il
s'était faile lui-même avant de la voir si étrange-
ment défendue. Il parle ailleurs des « aveugles
assauts d'Hédelin (abbé d'Aubignac) », et il appelle
ses idées et ses preuves « des songes et des folies ».
'Veut-on une autre preuve de ses larcins dissi-
mulés? Le Français d'Ansse de 'Villoison, chargé
d'explorer la bibliothèque de 'Veriise, y avait dé-
couvert, on le sait, un manuscrit infiniment pré-
cieux, une Iliade, copiée au x" siècle el contenant
des scolies de critiques anciens. Le texte parut
en 1788. Or, Wolf travaillait, dit-il, depuis quinze
ou seize ans, k une édition d'Homère. L'ouvrage
LAROUSSE MENSUEL
était terminé. Et il arriva que ce texte, établi par
lui avec tant de peine, se trouva justement pareil à
celui du x" siècle, qu'on venait de découvrir à
Venise; il n'eut aucun besoin de le corriger!
Du reste, quoiqu'il ait loué ailleurs Villoison, il
crut, selon son habitude, devoir lui dire son fait el
le mettre à sa place. 11 écrit donc qu'il y a une
grande différence entre le simple lecteur d'un ma-
nuscrit (comme Villoison) et le critique qui entre-
prend la correction d'un texte, une correction hypo-
thétique, rationnelle et scientifique (comme Wolf).
La seconde œuvre demande du génie; la première
n'exige que de l'application : « c'est de la basse
voltige ».
Malheur donc h. ceux dont Wolf est le débiteur!
Qu'ils s'appellent Villoison, Mérian ou d'Aubignac,
il les rabaisse, avec zèle, et dans quel dessein, sinon
pour écarter toul soupçon de s'être inspiré d'eux et
d'avoir marché à leur suite?
Ce sont, sans doute, toutes ces injustices, mêlées
à tant d'assertions invraisemblables, qui ont provo-
qué, de la part d'un membre de llnslitut, Lacour-
Gayel, ce jugement tranchant et vigoureux : « Wolf
est un plagiaire et un faussaire. »
Et il faut bien avouer que le critique de Halle ne
rachète pas l'insuffisance de sa loyauté par la per-
fection de sa méthode. Pourquoi, d'abord, annoncer
qu'il traitera un jour telle question, qu'il donnera
tous les détails nécessaires, tous les documents,
toutes les preuves? C'est une manière, on le voit
bien, de se dispenser de les donner tout de suile
et lorsque le lecteur aurait le droit de les attendre.
Du moins faudra-l-il se croire lié par cet engage-
ment? Mais non; Wolf promet, et ne lient pas.
Voyez les Prolégomènes. Le litre fait espérer trois
études : une sur l'origine des poèmes homériques,
une autre sur les triinslormations que le texte a su-
bies, une troisième sur la critique qu'il appelle. A la
suile de ce titre, l'auteur écrit : Premier volume.
Le lecteur compte donc sur plusieurs volumes, trois
sans doute, el il admire déjà le vaste développe-
ment que va recevoir la question et l'ampleur
qu'aura l'ouvrage.
Le vieil Horace demanderait :
Quid dignum tanto feret hic promissor biatu?
D'abord, il n'y a jamais eu de second volume, bien
que l'auteur ait vécu encore trente ans; Wolf ne s'est
plus occupé de l'élude sur les transformations des
poèmes.
El, quant à celle qui concerne les origines, à peine
en a-t-il écrit le début qu'il déclare, dans le pre-
mier volume, téméraire et impossible de la mener
à bien : « Vouloir chercher l'acte primitif en sa
pureté, ne pas vouloir nous contenter, nous autres,
modernes, du texte qui satisfit Plularque, Longiii
et Proclus, ce serait désirer le vide..., nous jeter
dans une débauche de divinations efi'rénées. Aban-
donnons Vespoir de pouvoir jamais nous figurer
quelle fut primilivemenl la forme des poèmes ho-
mériques. » Quoi I mais que disait donc la première
ligne de votre titre : Etude sur la forme ancienne
el originale des poèmes homériques?
Aussi, malgré la célébrité dont cet ouvrage a
joui, il est difficile de ne pas le trouver un peu
étrange. Il est vrai, si l'on en croit l'anleur, qu'il a
été composé à la hâte, comme ses autres écrits.
Mais on pourrait toujours demander que la pensée
générale en filt claire. L'Iliade est-elle un recueil
d'épisodes divers d'origine, ou doit-elle passer pour
l'ouvrage d'une seule main ? Les Prolégomènes pré-
sentent des textes pour l'une et l'autre opinion, et,
quoique l'écrivain semble pencher pour la pre-
mière, nulle part il ne le déclare nettement et ne
condamne la seconde.
Nous savons bien que cetteobscuri té n'est passeule-
ment imputable à une maladresse de composition;
elle parait voulue. Mais ce n'est pas une excuse,
c'est une faute nouvelle. Cette critique manque
ainsi d'indépendance et de courage. "yVolf a peur.
11 craint d'être accusé d'n athéisme homérique »,
comme dirait 'Villoison. En écrivant, il tient les re-
gards attachés sur Berlin : que va penser le gou-
vernement? A tout prix, il veut rester bien avec le
gouvernement.
Oh ! peu lui chaut de l'Eglise. Elle ne peut rien
contre lui, et il la déteste. « Aussitôt nommé pro-
fesseur, écrit V. Bèrard, son premier soin fut de
se faire affilier à la franc-maçonnerie ». 11 applau-
dissait même de loin, comme ses meilleurs amis,
aux coups les plus terribles que la Révolution fran-
çaise portait alors à la religion. Mais il n'entendait
pas courir le risque de déplaire à la royauté prus-
sienne. Savourons cet aveu ; au moment où les
Prolégomènes viennent de paraître, il écrit à son
ami Boltiger :
J'ai si bien voilé ma ponséo que, sûrement, on ne
peut pas me poursuivre, du moins devant la Cour su-
prême do Berha.
En France, notre bon abbé d'Aubignac n'avait
eu besoin de prendre aucun masque, toutecclésias-
liquequ'il étaitet quoiqu'il écrivitsous Louis XIV.
11 n'hésitait même pas & s'en expliquer ouverte-
ment. II proclamait qu'il avait horreur de l'hérésie
263
en religion et de la fronde en politique, mais que,
dans les matières d'érudition, la critique était libre :
11 n'y a point de loi, dans la politique, qui empêche
d'exammer et de censurer Homère, ni d'article do loi qui
prononce l'excomunicacion majeure contre ceux dont les
scrupules ne s'accorderaient pas avec les doctriues des
derniers siècles.
On voit toute la différence des deux méthodes,
des deux hommes et des deux pays.
Au résumé, quelle est la part du professeur al-
lemand dans la campagne littéraire qui tenta de
dépouiller Homère de ses ouvrages? U'abord, ce
n'est pas lui qui en a eu l'initiative. Mais, en la
reprenant, il 1 a fait accepter de ses compatriotes,
et, comme tant d'autres idées d'origine française,
celle-ci est revenue en France après avoir fait un
long voyage en Allemagne. V. Bèrard a voulu
la restituer à l'auteur des Conjectures académi-
ques; il n'est, du reste, pas le seul. Dans ces der-
nières années, un critique éminent, de langue
allemande, mais de nationalité suisse, Finsler,
n'a pas balancé à écrire :
L'abbé d'Aubignac est le père de la critique homéri-
que, chez les modernes... Wolf qui le juge d'une façon
sciemment injuste, trahit par là même qu'il lui devait plus
que sa vanité ne lui permettait d'en faire l'aveu.
Il est vrai qu'il croyait être arrivé, contre l'unité
de l'Iliade, à une démonstration mathématique, en
prouvant l'ignorance de l'écriture dans ces temps
reculés. Cet argument lui semblait péremptoire, et
on l'a vanté longtemps comme définitif. Qu'en
reste-t-il maintenant?
Un des successeurs de Wolf à l'Université
de Halle, un des maîtres de la philologie homérique,
F. Blass, répondait dès 1903 :
De l'édifice des Prolégomènes, il n'y a plus une pierre
debout aujourd'hui, pas même celle que 'Wolf regardait
comme la pierre angulaire de son système : je veux dire
l'argument fondé sur l'absence de l'écriture au temps
d'Homère. Les gens du métier l'ont renversé.
En retour, la gloire d'Homère est debout; elle vit.
Heureux ceux qui n'ont pas obéi aux aspirations des
Wolfiens ! Ils n'ont pas à se reprocher, aujourd'hui,
d'avoir proclamé faussement qu'elle était morte.
Quant à celle de Wolf, elle parait bien malade. Il
faut être reconnaissant à Victor Bèrard d'en avoir
montré la fragilité et le mensonge. — Georges Bertrih.
mésonal n. m. Méd. Nom donné à un anes-
Ihésique local que l'on emploie comme la cocaïne.
— Encycl. Le mésonal, préparé par Ch. Nicoud,
est le chlorhydrate de l'alcool benzo'll-triéthyldiami-
dométhyl-isobutilique. Il se présente sou» l'aspect
d'une poudre blanche, formée de minuscules lamelles
brillantes, fondant à 192°, soluble dans l'eau, l'alcool
et la glycérine. Les observations faites par les mé-
decins et les dentistes ont montré que le mésonal
traverse l'organisme sans subir de transformation;
qu'il ne possède aucune action vaso-motrice, reste
inolfensif pour les nerfs, les bronches, les reins et
que son pouvoir anesthésique est égal, mais plus
régulier, que celui de la coca'ine. — B. Sintueii.
musicolog'ue (du gr. mousikê, musique, et
logos, discours) n. m. Qui est versé dans la science
de la musique : Un 1res érudit musicolooub.
niveroUe'n. f. Genre d'oiseaux coniroslres,
de la famille des fringillidés el de l'ordre des
passereaux.
— Enoycl. Les niveroUes sont caractérisées par
un bec conique, droit, robuste et poinlu, plus haut
que large à la
base. Le tarse
et les doigts
sont forts, el
l'ongle du
pouce atteint
ta longueur
du doigt lui-
même. Les ai-
les sont lon-
gues et effi-
lées, avec les
deuxièmes et
troisièmes ré-
miges rétré-
cies au bord
extrême. La
queue est am-
ple, légère-
ment échan-
crée en son
milieu.
Le genre ni-
verolle (mon-
lifringilla') NiveroUo.
comprend
18 espèces, dont une, la niverolle ordinaire (mon-
tifringilla niualis), habile l'Europe; 10 les pays
montaeneux du centre de l'Asie : Cachemire, Né-
paul, "Tibet, Mongolie; 2 la Sibérie orientale; 1 le
Kamlschatka et le Japon (montifringitla brunnei-
nucha) et 4 le nord de l'Amérique jusqu'aux mon-
tagnes Rocheuses.
264
La niveroUe de Blanford (monLifringilla Blan-
fordi) est une des plus jolies espèces, avec sa cou-
leur noir cannelle, sa gorge noire et une ligne noire
médiane qui tranche sur le front blanc. La poi-
trine et le ventre sont gris. Ses ailes et sa queue
sont foncées. Longueur totale : 14 centimètres.
L'espèce d'Europe est la niveroUe des neiges,
appelée encore pinson île neige ou gros-bec nive-
roUe {monti/'ringilla nivalis)lL.]. C'estun oiseaudes
hauteurs, qui hahite les Alpes et les Pyrénées jusqu'à
3.000 mètres environ.
Les parties supérieures sont d'un brun nuancé de
noirâtre sur le dos, mais la tête et le cou sont gris
cendré. Les parties inférieures sont d'un cendré
pâle, avec une tache noire à la gorge chez le mile
et qui le distingue de la femelle.
Les rémiges primaires sont d'un brun noir et fine-
ment lisérées de blanc sur toutes les couvertures de
l'aile, et les rémiges secondaires sont blanches. La
queue est blanche, sauf les deux rectrices médianes,
qui sont noires; les autres sont marquées d'une tache
noire à l'extrémité, sauf k l'interne ou aux deux
externi's. Le bec est noir, gris et iris brun.
Sur la femelle en noces, les couleurs sont moins
FIg. 1. — Types d'obus explosifs pour pièces d'artillerie de campagne ; 1. Obus américain (A. explosif;
B, corps d'obus ; C, l'usée de culot ; D, douille ; P, poudre sans fumée, nitro-celUilosej. — 2. Obus anglais
(A, l'usée; G, gaine; B, corps d'obus; L, lyddite; O, pastille étanche; D, douille; P, poudre sans fumée,
nitro-cellulose; M, amorce). — 3. Obus français (A, bouclion de sûreté; B, détonateur ; C, mélinite; D, douille;
P, poudre sans fumée en brins; M, amorce). — 4. Obus russe {A, détonateur; B, explosif; D, douille;
P, poudre sans fumée).
tranchées. En automne, les deux sexes sont à peu
près identiques. Les jeunes, avant la mue, ressem-
blentàlafemelleen automne. Longueur totale: 19cen-
timètres; aile pliée, 12 centimètres; queue, 7 cen-
timètres; tarse, 2 centimètres; culmen, 1 cm. 2.
La niveroUe vit par troupes en été, non loin des
neiges persistantes, dans les terrains découverts,
cherchant des graines, des larves, des insectes et des
vers entre les rochers et les pierres.
En automne, elle descend toujours d'autant plus
bas que la saison est plus rigoureuse. On la trouve
parfois, alors, dans les vallées jusqu'au voisinage des
villages. On en voit des bandes composées de 60 in-
dividus, sautillant gracieusement sur les routes.
(Elle ne perclie pas.) Son vol est léger et assez ra-
pide. Le chant du m&le est un gazouillement peu
LAROUSSE MENSUEL
varié et peu sonore, qu'il est possible d'exprimer
par puitt, puitt.
La niveroUe niche dans les régions élevées,
dans des fls.sures, des troncs, sous les toitures ou
les chevrons des chalets et des hospices : Saint-
Bernard, Spluegen, Siinplon, Gemmi, Grimsel,
Sainl-Gothard, etc. Le nid, assez grossier, est fait
de paille et d'herbes sèches, avec garniture chaude
de laine et de plumes. Elle fait souvent deux
fiontes de 4 à 6 œufs; la première a lieu en mai,
a deuxième en juillet. Les œufs sont d'un blanc
mat. Les petits sont nourris d'abord avec des vers,
des insectes, puis, plus tard, avec des bourgeons et
des graines.
Cette espèce se rencontre sur tous les hauts
sommets et les cols des Alpes, des Pyrénées et
des Apennins. Elle ne paraît pas nicher dans
le Jura, bien qu'elle y ait été signalée, et fait
défaut aux îles Britanniques, à la Scandinavie et à
la Finlande. — A. MfNéoAux.
Obus et slirapnells (Fabrication des).
On ne peut livrer aujourd'hui une bataille avec
chance de la gagner qu'en dépensant plusieurs mil-
lions de projectiles
de tous calibres.
D'autre pari, indé-
pendamment des
actions principales,
l'acUvité de l'artil-
lerie s'exerce jour-
nellementsurtoiUe
l'étendue i'un front
immense; la con-
sommation quoti-
dienne des milliers
de batteries instal-
lées drpuis la mer
du Nord jusqu'en
Orient correspond
à une dépense d'o-
bus que personne
n'avait pu prévoir
avant la guerre.
En temps depaix,
la fabrication des
munitionsd'artille-
rieélaitcontiéeaux
arsenaux d'Etat
tels, qu'en France,
Bourges pour l'ar-
mée de tsrre,
Ruelle pour la ma-
rine, et aussi à de
grandes usines ci-
viles spécialisées
dans ce genre de
fourniture, comme
le Creusot, Saint-
Chamond, Châtil-
lon-Commentry ,
les aciéries Jacob
Holtzer, etc.
Les prévisions
étaient tellement
inférieures aux be-
soins réels révélés
par la guerre que
l'on n'avait pris
aucune des me-
sures susceptibles
d'industrialiser la
production des di-
vers projectiles.
Au lendemain de
la bataille de la
Marne, dont les
magnifiques résul-
tats furent cepen-
dant limités, com-
me on le sait, par le
manque d'obus, on
se rendit compte, en
France etdans tous
les pays alliés, que
la fabrication in-
tensive des muni-
tions était indis-
pensable pour préparer la victoire. On fit appel
toutes les ressources métallurgiques du pays, et les
industriels petits et grands furent invités k prendre
part, chacun dans sa mesure, à l'effort colossal qui
allait être tenté. En même temps que l'on modi-
fiait les usines existantes de manière à leur per-
mettre de fabriquer des projectiles à la place de
locomotives ou d'automobiles, on en installa de
neuves, spécialement étudiées dans ce but.
Laissant de côté les méthodes forcément arrié-
rées et les moyens de fortune que l'on utilisa dans
les ateliers de constructions mécaniques réquisi-
tionnés, nous décrirons surtout les véritables arse-
naux civils installés par de puissants groupes pour
fournir au gouvernement les millions de projectiles
dont il avait besoin.
N' 128. Octobre 1917.
On peut distinguer les obus en deux grandes ca-
tégories, suivant les calibres considérés. On fait
évidemment une consommation beaucoup plus
grande de projectiles légers, tels que les obus fusants
de 75 et de 155 tirés par les pièces de campagne.
Il ne faut pas oublier, non plus, la coîisoinmalion
des canons de marine de petits calibres, devenus
très nombreux sur les destroYi'rs, les torpilleurs,
les chalutiers et les navires àe commerce armés,
qui contribuent à la lulte contre les sous-marins.
Le mode de fabrication que nous allons décrire
peut s'appliquer aux munitions de toutes les armées
alliées pour canons de 7.ï, de 90, de 120, de 155
fran<;ais, canons de campagne et obusiers anglais
de 3 à 6 pouces, pièces russes, serbes, italiennes,
roumaines, belges, portugaises, etc.
L'obus explosif de l'artilleriedecampagne se com-
pose essentiellement d'un tube cylindrique ou corps,
fermé à l'arrière par un culot épais formant le
fond et surmonté à l'avant d'une partie ogivale sur
laquelle on visse la fusée. Une bague de cuivre
rouge, qui fait saillie sur le corps vers sa partie in-
férieure, assure l'étanchéité au moment du tir en se
moulant dans les rayures de la pièce et donne en
même temps au projectile un mouvement de rota-
tion autour de son axe longitudinal. Un léger ren-
flement, ménagé à la naissance de l'ogive, guide
l'obus dans l'âme de la pièce.
Le début de la fabrication est donc la production
d'une ébauche comportant une enveloppe d'acier
dont le vide intérieur sera obtenu soit en forgeant
le métal sur un mandrin, soit en creusant un tronçon
de barre pleine à l'aide d'un outil tranchant, monté
sur un tour ou sur une perceuse. Le forgeage, bien
qu'exigeant un puissant outillage spécial composé
de presses et de poinçons, donne lieu â une perte
de métal presque nulle. La méthode par forage
occasionne, au contraire, une perte importante
d'acier, puisque toute la partie centrale de l'ébau-
che est transformée en copeaux. C'est donc le pro-
cédé par forgeage que l'on doit choisir, quand il
s'agit d'installer une fabrique de projectiles entière-
ment neuve.
Le métal nécessaire est fourni par les aciéries en
barres d'environ 2°", 50 de longueur, ayant 82 milli-
mètres de diamètre. L'artillerie française achète à
cet effet des aciers demi-durs au carbone, obtenus
au four Martin acide, et dont la résistance, après
Fig. 3. — Lopin pour la fabrication d'un obus de 75 «/■.
recuit, varie de 55 ii 60 kilogrammes, avec 18 p. 100
d'allongement. Après la trempe à l'eau à 18" C.
suivie d'un réchauffage an four (ou revenu) à 52.')° G.,
la résistance du métal atteint 83 à 105 kilogrammes
par centimètre carré, et l'allongement n'est plus alors
que de 9 p. 100. La composition moyenne d'un tel
acier est la suivante :
CarI>one
.... 0.30
Silicium
.... 0.18
Manganèse
.... 0.50 à 0.80
Phosphore
.... 0.04 à 0.70
Soufre
.... 0.00 à (1.50
A leur arrivée, les barres sont examinées, et on
élimine celles qui présentent des défauts de surface
les rendant inutilisables. Il s'agit ensuite de les
découper en lopins d'environ 20 centimètres de
longueur.
On emploie, à cet effet, des batteries de scies cir-
culaires ou à mouvement alternatif, qui peuvent di-
viser une barre en huit ou dix lopins par une seule
opération. On a construit aussi des tronçonneuses
Fig. 6. — Ebauche d'un obus de 7S après tréQlage.
hydrauliques ou à air comprimé, dont le principe
consiste à introduire la barre dans une lunette et à
la soumettre à l'action de lames courbes dont l'en-
semble embrasse toute sa périphérie. Chaque outil
tranchant est actionné par un piston qui le pousse
énergiquement vers l'axe du lopin à obtenir.
Ce dernier procédé est beaucoup plus expéditif et
plus économique que l'emploi des scies, car, avec
une série de six ou de huit tronçonneuses, on
«• 128. Octobre 1917.
seclionne une barre à une vitesse suffisante pour
produire plusieurs milliers d'ébauches à Iheure.
Los presses hydrauliques à pprcer et à tréfiler,
employées dans la méthode par forgea,i,'e, comportent
essentiellement un solide bAti, composé de quatre
colonnes et d'un sommier supérieur supportant un
cylindre dans lequel se meut un piston portant le
Poinçon vertical à sa partie supérieure. Au bas de
appareil, entre les quatre colonnes, se trouve la
matrice d'acier, dont le diamètre intérieur est
calculé de tille manière que l'ébauche, obtenue sous
la (orme d'un cylindre creux, présente l'épaisseur de
métal voulue pour chaque calibre de projectile à
fabriquer.
En vue de cette opération, les lopins d'acier ré-
chauffés dans un four, à une température d'environ
1.000" G, sont soigneusement grattés pour détaclier
les feuillets d'oxyde avant l'introduction dans la
matrice. Quand ce perçage est terminé, un extrac-
teur, solidaire des pistons de relevage, chasse
l'ébauche, et la machine est prêle pour une nou-
velle opération.
On peut fabriquer ainsi k l'heure jusqu'à 75 ébau-
ches de projectiles de campagne. Appliquée aux gros
oliusde marine de 381 millimètres de diamètre exté-
rieur, cette presse fournit une pièce en moins
de 10 minutes.
Le treillage consiste à placer l'ébauche de perçage
sur un poinçon et à lui faire traverser successive-
ment deux
bagues de
fonte trem-
pée de dia-
mètres dé-
croissants,de
manière à
faire dispa-
raître les sur-
épaisseurs
de métal
qu'elle pré-
senti', afin de
la ramener
aux dimcn-
sionsdefinis-
s a g e indi-
quées par les
tracés sans
lui faire su-
bir un usi-
nage coûteux.
On emploie
Fig. 7. — Matrice d'ogivage à la presse.
des presses & InHiler hydrauliques, verticales ou
horizontales, remplacées quelquefois, comme au
Greusol, par exemple, par des trêfileuses électriques,
simples et robustes, qui permettent desuppiimerune
grande partie des accumulateurs et des pompes in-
dispensal)les, quand on emploie la pression de l'eau
pour actionner ces machines.
Les presses à tréfiler doivent être réglées avec
un très grand soin, car les tolérances accordées sur
les iliamètres intérieurs des obus sont très faibles,
et l'action du poinçon tréfileur remplace ici toute
une série d'opérations (centrage, cyliudrage, lamage
du fond) qui, dans le procédé par forage, s'exécutent
sur des tours très précis.
On forme l'ogive en coiffant l'ébauche d'une ma-
trice présentée par une presse hydriiulique ou en
procédant à un étampage horizontal entre deux
demi-malrires d'acier dur, fixées l'une à l'enclume,
l'autre à la tige d'un marteau-pilon.
L'opération comprend le refoulage et l'ogivage
proprement dit.
Le refoulage, destiné à obtenir le volume de métal
nécessaire pour la formation de l'ogive, s'effectue
dans une matrice fermée, où l'ébauche est introduite
au sorlird'un four à alvéoles, dans lequel son extré-
mité a été chanfi'ée à 900» G.
Le corps d'obus refoulé est réchauffé une seconde
fois sur une longueur de 50 à 60 millimètres pour
l'ogivage par coittage, puis il subit l'action de la ma-
trice, qui, d'un seul Coup de presse, lui donne le
profil voulu. On vérifie ensuite les dimensions du
projectile et, si l'opération est bien conduite, les
rebuts ne doivent pas dépasser 1 p. 100. On emploie
gour ces réchauffages des fours à gaz munis de
rùleurs intensifs et permettant de préparer 60 ébau-
ches à l'heure.
Pour les shrapnells, on fabrique à la presse une
ogive indépendante rapportée, qui se visse sur le
corps.
Les obus subissent alors l'éboulage, qui consiste à
faire tomber au tour l'extrémité de l'ogive, puis on
perce k la cote indiquée par la figure 8.
Ils sont alors prêts pour le traitement thermique,
qui comprend une trempe suivie d'un revenu servant
à améliorer la structure moléculaire de l'acier et à
augmenter sa limite d'élasticité, ainsi que sa résis-
tance.
Les obus sont chauffés dans un four k sole incli-
née k la température de 850°, puis immergés dans un
bain de trempe. On emploie à cet effet un appareil
permettant de réaliser deux aspersions simultanées,
intérieure et extérieure, d'eau à 20° G., suivies d'une
LAROUSSE MENSUEL
immersion totale. L'obus est sorti avant refroidisse-
ment complet, afin d'éviter les (apures de trempe.
Le revenu s'opère soit dans des fours à moufle
à marche continue, dits fours roulants, soit dans
des bains d'étain, ou encore dans des fours à gazo-
gène, dans le cas des projectiles de gros calibre.
La température est comprise entre 500 et 550° C.,
suivant les propriétés physiques et chimiques du
métal traité
Les corps d'obus ainsi terminés subissent l'épreuve
de pression individuelle à 1.400 kilogrammes par
centimètre carré, au moyen d'une presse hydraulique.
Quand le traitement thermique a été bien effectué,
H
26 7,5
Fig. S. — Obus prêt puur la trempe.
l'opération ne doit donner lieu à aucune déformation
permanente; s'il en était autrement, le projectile
serait rebuté, et celte mesure serait très onéreuse
pour le fabricant, étant donné l'étal d'avancement
de l'ébauche.
Les résultats du traitement thermique sont cons-
tatés par un essai spécial, dit " à la bille de Brinell ».
Un grain d'acier dur de 10 millimètres de diamètre
doit donner, sous une pression de 3.000 kilogi'ammes
obtenue à la presse hydraulique, un diamètre d'em-
preinte d'environ 3™™, 6. Les obus reconnus trop
durs ou trop doux à la suite de celte épreuve sont
soumis à une nouvelle trempe, puis à un revenu.
Le corps d'obus est alors prêt pour les opérations
de finissage, dont le nombre et l'ordre varient, dans
les diverses usines, suivant l'outillage dont on dis-
pose.
L'expérience obtenue depuis le début de la fabri-
calion intensive nécessitée par la guerre actuelle a
permis d'étudier une succession de vingt opérations-
types de finissage, qui donne le rendement maximum
dans un atelier muni de machines-outils modernes.
Nous donnons ci-après la désignation et l'ordre
des divers éléments de l'usinage :
1° Examen au banc do balourd ; — 2» Centrage côté
ogive ; — 3» Centrage côté culot ; — 4» Ebauchage exté-
rieur de la partie cylindrique; — 5" Finissage extérieur
de la partie cylindrique; — 6" Mise à l'épaisseur du culot;
— 7" Exécution du logement de la ceinture, lamage et
chanfrein ; — 8" Moletage du logement de ceinture ; —
9" Usinage extérieur de l'ogive ; — 10° Usinage de la lu-
mière; — 11" Exécution du fossé de la lumière; — 12" Fi-
letage de la lumière; — 13" Rognage du teton de centre;
— 14* Vérification du centre de gravité et du poids; —
I5« Essai de pression à 1.400 kilogrammes; — 16" Pose de
la ceinture; — 17° Cliariotage de la ceinture; — 18» Pro-
filage de la ceinture ; — 19" Pastillage du culot ; — 80" Mar-
quage.
L'examen au banc de balourd est un des essais à
propos desquels les services de l'artillerie se mon-
trent le plus exigeants. En effet, si le centre de gra-
lU
D
75 — 5
3Q-
Jl
D'
Fig. 9. — Finition extérieure d'un obus sur un tour
muni d'un chariot à quatre outils.
vite du corps muni de son ogive n'est pas situé sur
l'axe de figure, en un point très voisin de la position
calculée, le projectile ne suivra pas la trajectoire
prévue. Toute surépaisseur crée des mouvements
perturbateurs, et l'excentricité maximum du centre
de gravité tolérée ne dépasse pas S/IO"' de milli-
mètre.
Pour vérifier si un projectile présente une excen-
tricité dangereuse, un contrôleur le fait rouler len-
tement sur deux réglettes disposées dans un plan
rigoureusement horizontal. Le corps ne doit pas
revenir en arrière, quand on le lance légèrement.
Quand, au contraire, un arrêt suivi d'oscillations
décèle un excès de poids d'une génératrice, on s'as-
sure que l'obus est dans les tolérances au moyen
d'un appareil appelé vérificateur d'excentricité. Si
besoin est, on détermine, à l'aide d'une balance des
moments, l'excès de poids de la génératrice lourde
afin de pouvoir renvoyer la pièce à l'atelier, où elle
sera retouchée pour supprimer l'excès de métal
signalé.
On procède ensuite aux deux centrages cAlé ogive
265
et câté culot. On donne au trou central, côté ogive,
un coup de fraise conique; le trou côté culot est
retouché et déplacé, si l'on conslate un mauvais
centrage de la pièce.
L'ébauchage et le finissage extérieurs de la paiiie
cylindrique s'exécutent sur un tour k contre-pointe,
muni d'un chariotà plusieurs outils à profil constant.
C'est également sur le tour que le culot est mis
d'épaisseur; l'ouvrier règle son travail au moyen
d'une broche Oxe, qui s'appuie sur le fond du pro-
jectile.
La gorge de ceinture est obtenue au moyen d'une
molette profilée, qui donne le cône et le cnanfrein,
et des molettes striées transversalement servent &
produire le moletage final en pointes de diamant.
On donne à l'ogive sa forme exacte sur un tour
muni d'un reproducteur, qui réalise automatique-
ment le profil du dessin.
On procède ensuite à l'exécution de l'œil de la
lumière et à son filetage sur un tour à peigne, ou
sur une machine automatique à fileter. Enfin, on en-
lève le centre, de manière à éviter d'avoir à retou-
cher le fond, dont l'épaisseur a été réglée lors de la
mise d'épaisseur du culot.
Il est indispensable de procéder alors & la vérifi-
cation de la position du centre de gravité dans le
plan méridien; si l'obus ne satisfait pas aux condi-
tions exigées, dans les limites de tolérance impo-
sées, on le retourne à l'atelier pour être retouché à
l'ogive ou au culot. Les obus trouvés trop légers
sur la balance sont rebutés. On allège tout pro-
jectile trop lourd en se rapprochant des cotes mi-
nima. Le fabricant doit chercher à n'obtenir que des
projectiles lourds, car la retouche est presque
toujours possible dans ce cas, tandis qu'on ne peut
alourdir un obus léger.
L'essai à la <■ bille de Brinell » révèle les défauts de
porosité, les tapures à la trempe, les ti-aces de re-
tassiire, etc. Pour vérifier l'étanchéilé absolue des
enveioppes, celles-ci
sont soumises pen-
dant dix secondes à
l'action d'une presse
hydraulique, capable
d'exercer un effort de
1.400 kilogrammes
parcentimètre carré.
On emploie, k cet
effet, une presse or-
dinaire verticale,
avec accumulateuret
multiplicateur de
pression, ou bien un appareil à plongeur cylindrique,
pénétrant à l'intérieur du corps d'obus. Le gonfle-
ment permaneni, après suppression de l'effort, ne
doit pas dépasser un dixième de millimètre, et le
culot ne donnera lieu k aucun suintement.
La pose de la ceinture, ou ceinturage, s'opère au
moyen d'une presse hydraulique et comprend trois
opérations successives, consisiant à fixer l'anneau
de cuivre rouge dans son logement en l'écrasant
entre deux demi-coussinets, puis à le sertir deux
fois de suite, d'aliord en le faisant passer dans une
bague.striée, puis par passage dans une bague lisse.
Le ceinturage exige les plus grands soins, car sa
bonne exécution est indispensable à la précision du
tir. La ceinture est ensuite cliariolée sur un tour
parallèle, et on lui donne son prolil définitif au moyen
d'une molette de forme.
On a créé des appareils spéciaux, permettant de
souder rapidement à l'étain la pastille de fer-blanc
dont on munit le culot pour obturer les fuites que
pourraitprovoquer
la porosité ou le 1^^^^.^^^^!,-^^^^^^^^^^^^^^
manquede compa- ^^^^^^S^^^^^^^^^^
cité du métal. La
pastillede l'er-blanc
soudée à l'ètain
donne de meilleurs
résultats que les
pastilles de cuivre
rouge encastrées.
Enfin, l'obus
passe dans des ma-
chines spéciales,
servant à le mar-
quer en creux au-dessus de la ceinture. Ces diverses
marques indiquent l'aciérie qui a fourni le métal,
l'usine qui a procédé au trempage, le numéro du
lot auquel apôartlent l'obus et, enfin, la pression
d'épreuve qu'il a supportée.
Aux ateliers de fabrication sont annexées de
vastes salles, où des équipes d'hommes et de femmes
vérifient toutes les dimensions des obus finis à l'aide
de calibres, de mandrins et d'appareils vérificateurs
divers, au nombre d'une trentaine pour l'obus de 75.
Les projectiles reconnus bous par les contrôleurs
de l'usine sont soumis ensuite, par lots de I.OflO ou
2.000. à l'examen des agents réceptionnaires officiels,
représentant la puissance intéressée.
Vingt obus par lot sont minutieusement examinés
dans toutes leurs parties, au point de vue des di-
mensions, puis on procède à une nouvelle vérifica-
tion du centre de gravité. Les contrôleurs militaires
Fig. 10. — Ogive de l'obus, après
l'eDlèveiiieut de l'œil.
Chariota^e de la o«jntare.
Fig. II. — ProBI d«flnitir.
266
se servent d'une épreuve au son pour éliminer, avant
ceinlurage, les corps d'obus présentant une sonorité
douteuse correspondant à des défauts internes invi-
sibles, tels que tapures, pailles, criques, etc.
Les projectiles sont enfin lavés au pétrole, graissés
k l'intérieur, quand le cahier des charges l'exige,
Fifç. H. — Typt's deshrapnells : 1. Shrapnell américain (A. poudre noire;
B, poudre sans fumée, nitr.j-ceilulose). — 2. SJirapnell anglais (A, poudre
noire; li, poudre sans fumée). — 3. Shrapnell fran<:ais (A. poudre noire;
B, Doudre sans fumée en brins). — 4. Shrapnell russe f A, poudre noire ;
B, poudre sans fumée).
et coiffés d'un bouchon de bois, pour préserver de
toute avarie le filelage de l'œil de la lumière. La
mise en wagons a lieu finalement, et les obus sont
dirigés vers les ateliers où doit s'opérer le charge-
ment, c'est-à-dire la plupart du temps vers des arse-
naux très éloignés des forges qui procèdent à la
fabrication des enveloppes.
Afin d'accélérer la production des usines de muni-
lions, on a installé dans les divers ateliers des ap-
pareils de manutention automatique, consistant en
courroies spéciales à éléments multiples, ou en
chaînes circulant au fond d'auges métalliques à
parois en forme de 'V.
Les variantes principales que l'on peut apporter
au mode de fabrication que nous venons d'e.\poser
sont surtout motivées par les cliangements de ca-
libre des projectiles et par la nécessité de recourir
à des métaux plus faciles à obtenir et à usiner que
les aciers demi-durs.
Les projectiles de gros calibre ne peuvent être
pratiquement fabriqués que par forgeage, ou par le
procédé de la coulée directe dans des moules, qui
sera exposé plus loin. Les opérations de l'usinage
sont à peu près les mêmes que celles qui s'appliquent
aux obus de 75, mais les machines-outils employées
sont naturellement de tris forts modèles, de même
que les presses hydrauliques servant au forgeage,
dont la puissance atteint jusqu'à 3.000 tonnes.
Les projectiles des pièces de 220 à.sao millimètres
sont munis de trois ceintures de cuivre parallèles,
que l'on met en place au moyen de presses spéciales
comportant plusieurs mandrins à anneaux concen-
triques.
Les appareils de manutention des usines livrant
les projectiles de l'artillerie lourde doivent égale-
ment être très puissants. On se sert de wagonnets
circulant sur rails et remorqués par des locomo-
tives électriques ou à benzine. On emploie aussi des
ponts roulants, qui se déplacent sur des chemins
aériens au moyen de galets de fort diamètre.
Les obus ne sont pas alors suspendus à des chaînes
ou à des crochets. On les serre, par groupes plus ou
moins importants, entre des sommiers de bois, que
l'on réunit par des vis passant dans des oreilles
métalliques filetées intérieurement. Ce mode de ma-
nutention est notamment employé dans les nou-
veaux ateliers de munitions du Creusot.
La main-d'œuvre féminine est surtout utilisée
dans les ateliers où l'on fabrique les obus de petits
et de moyens calibres. On l'a étendue progressive-
ment à un grand nombre d'opérations jusqu'ici ré-
servées aux hommes. Suivant leurs aptitudes physi-
LAROUSSE MENSUEL
ques, les femmes sont aujourd'hui réparties dans les
ateliers de contrôle et de vérification, ou bien affec-
tées à la conduite de certaines machines-outils, telles
que tours, perceuses, etc. Souvent, aussi, on charge
des femmes de diriger les chariots à commande
électrique, tels que ceux qu'emploient à Paris-Gre-
nelle les ateliers Citroën. On peutestimerà
15 p. 100 la proportion de femmes que l'on
embauche actuellement dans les grandes
usines modernes spéci;ilement consacrées
à la fabrication intensive des munitions.
Comme nous l'avons dit plus haut, on a
cherché à remplacer l'acier par d'autres
métaux et surtout par la fonte. On a beau-
coup discuté, surtout en Angleterre, sur la
question do savoir si l'on pouvait réelle-
ment fabriquer en fonte tous les obus. On
a résolu la question en limitant l'emploi
de ce métal aux calibres moyens dont cer-
taines parties peuvent être laissées brutes.
D'autre part, on a eu recours non pas à
la fonte mécanique ordinaire, mais à un
métal spécial, dit fonte aciérée, conforme
au cahier des charges du 31 juillet 191 5, éta-
bli parle ministère de la guerre français.
On fait subir aux barreaux de métal pré-
parés en vue des essais de réception des
épreuves de choc au moyen de moutons à
chute libre, dont la mas.se frappante pèse
12 kilogrammes. On a dû modifier, pour
les ol)U3 de fonte, les conditions des essais
d'étanchéité à l'eau, qui se font à une pres-
sion de 300 kilogrammes par centimètre
carré pendant dix secondes, pour les pro-
jectiles de calibre inférieur ou égal à
16 centimètres.
On obtient la fonte aciérée au four Mar-
tin, au four électrique, au convertisseur ou
au cubilot.
C'est ce dernier procédé qui est de beau-
coup le plus répandu, parce qu'il est le plus
simple. On emploie à cet effet des cubilots
de fonderie,souvent munis d'un avant creu-
set que l'on chauffe d'une façon très intense
au moment de la coulée. 11 est indispen-
sable qu'un appareil soit desservi par une
soufllerie fournissant du vent à la pression
de 35 centimètres d'eau, à raison d'environ
1.000 mètres cubes d'air par tonne de fonte
ou par heure.
Afin de rendre le métal fluide, on em-
ploie des mélanges de fonte ayant une te-
neur en silicium de 2,5u p. 100 et contenant au
moins 1 p. 100 de manganèse. Quand on travaille
avec des fontes hématites très résistantes, on y ajoute
20 p. 100 d'acier, proportion que l'on augmente jus-
qu'à 40 p. 100 dans le cas des fontes ordinaires.
L'emploi de la fonte aciérée a l'avantage de per-
mettre de fabriquer les obus
par simple coulage dans des
moules verticaux. La prépara-
tion des moules peut avoir lieu
debout ou à plat : on peut les
étuver ou couler à vert et pla-
cerleculot soit en baut,soiten
bas ; le coulage se fait parchute
ou en source, avec ou sans mas-
selottes. Souvent, on pratique
le moulage à la main dans des
moules en trois parties, avec un
joint à l'ogive et un autre au
culot. Ilestinfinimentplus pra-
tique d'employer les machines
& mouler, notamment pour les
obus del 20 et de 155 ■»/■". Cette
catégorie d'appareils se répand
déplus en plus dans les fonde-
ries, à la suite des patientes
éludes de Bonvillain et Ron-
ceray, qui ont introduit ce ma-
tériel en France.
On rencontre dans cette fa-
brication par moulage un cer-
tain nombre de difficultés de
détail, bien connues des fon-
deurs. Le sable employé pour
la préparation des moules doit,
naturellement, être réfraclaire
et perméable. On le renouvel-
lera très souvent et, même, on
ne l'emploiera qu'une seule fois
s'il s'agit de gros obus. La cou-
lée en source paraît la meil-
leure, et l'on s'attachera à réaliser une température
uniforme dans toutes les parties du moule. On peut
arriver à couler jusqu'à 60 obus de 220 à l'heure en
supprimant les évents et les masseloltes; ou place le
culot en haut, et on introduit le métal dans le moule
par deux coulées carrées de 10 à 15 "/" de côté.
Il est très important d'employer des noyaux très
secs et, surtout, rigoureusement centrés, pour éviter
les refus aux épreuves de balourd.
Bien que le cubilot soit très employé pour l'obten-
tion des fontes aciérées, il existe des usines très im-
«• 128. Octobre 1917.
portantes travaillant exclusivement avec des petits
convertisseurs de deux à cinq tonnes, systèmes Robert
ou autres, qui fournissent d'excellents résultais. On
peut citer notamment, dans cet ordre d'idées, les
métaux obtenus par la Société des aciéries de Paris
et d'Outreau.
On emploie beaucoup, pour l'artillerie de campa-
gne, l'obus à bulles connu sous le nom de « shrapnell «,
qui consiste en une enveloppe métallique remplie
de balles de plomb d'environ 12 ""/n» de diamètre,
dont le nombre varie de 200 à 360. Les shrapnells
peuvent être du type ordinaire à charge inférieure,
ou bien du système dit « à hauts explosifs », dont
l'enveloppe ne se brise pas sous l'action de l'explo-
sion de la charge; dans ce cas, les balles s'échap-
pent par la partie supérieure, correspondant à la
fusée qui vole en éclats au moment du choc.
La fabrication du shrapnell diffère de celle des
obus fusants par certains détails, introduits surtout
dans le but d'obtenir une grande régularité dans
l'épaisseur des parois, afin d'éviter les cxcentragcs.
Comme nous l'avons dit plus haut, l'ogive du shrap-
nell est vissée sur le corps, au lieu d'être obtenue de
forge avec es dernier. La pose de la ceinture est
également rendue délicate par le peu d'épaisseur
des parois.
Nous ne pouvons entrer dans le détail des modi-
fications, d'ailleurs légères, que subissent les outils
et la machinerie consacrés à l'usinage des shrapnells.
Les usines chargées de ce travail ont dû installer
notamment des ateliers pour la fabrication méca-
nique des balles; l'ancien procédé, qui consistait à
les fondre, ne donnait pas une production assez in-
tense, quand il s'agissait de marchés portant sur des
millions de shrapnells.
La fabrication moderne des balles consiste à étirer
les lingots de plomb en fils d'un diamètre légère-
ment supérieur à celui des balles qu'il s'agit d'ob-
tenir. Cette opération s'elfectue au moyen de presses
qui peuvent transformer de 300 à 1.000 kilogrammes
de plomb antimonieux par heure de travail.
Les fils ainsi obtenus passent ensuite, par série de
douze à la fois, entre des conformateurs composés
de deux cavités hémisphériques; en se rapprochant,
les matrices ébauchent les balles, qui sont ainsi sé-
parées par un léger intervalle. Ce mode de fabrica-
tion produit à la surface des grains une mince col-
lerette, qu'il est facile de supprimer en les faisant
rouler dans des tonneaux à polir. Les presses
fonctionnent avec assez de rapidité pour produire
de 800 à 1.000 balles parminule, ce qui correspond
à plus de 500.000 balles par machine et par journée
de dix heures.
Les obus de toutes natures sont munis à leur
sommet d'une fusée et à leur base d'une douille qui
renferme la charge de poudre.
La fabrication des douilles ne diffère pas essen-
tiellement de celles des douilles de cartouches ordi-
Fiff. 15. — Schémas montrant l'usage des calibres de vérification des corps d'obus :
A. Caliore de longueur totale; B. Mesure de l'épaisseur de la chambre; C. Vérification du dia-
mètre extérieur du culot et du filetage servant à fixer la fusée; D. Trois calibres servant à
vérifier la forme extérieure de l'ogive, ainsi que la forme et les dimensions du logement de
la ceinture; E, Mesure de l'épaisseur du corps d'obus; F. Vérification des dimeuaions inté-
rieures de la chambre à poudre et du profil de la ceinture.
naires, sauf que l'outillage employé est ici plus
puissant. On partde rondelles délation spécial, que
l'on fait passer successivement dans des matrices
de plus en plus grandes, où elles sont refoulées par
des poinçons d'acier. L'opération se divise en un
nombre de passes suffisant pour éviter de fendre
le métal, ou de le rendre cassant par un écbaulfe-
mcnt trop rapide.
La fabrication des fusées est, au contraire, extrê-
mement compliquée, à cause du nombre et de la pe-
titesse des pièces qu'elles comportent. L'usinage des
«• J28. Octobre 1917.
LAROUSSE MENSUEL
267
Pii_ 2, Oiivrieri-B anglaises conduisant une liatlen» de scies a mouvement alternatif, servant au tronçonnanc de» barres pour obu». — Fi|f. t. Press» milcanique a emboutir nour la (kbricaUon des cnru
d.. bus de pplii» c:.libret. - Hj[. 6 Presse tovdiaulLiue servant k la fabrication des corps d'obus par forgeage dans une matrice que 'on volt k la partie i..féri«un de l'appareil. - ïîr li TouînLe dH
gros obus, uar des fi-mniea, dam une usine di' niumi.ons anglaise. - Fi». 13. Véritication .lu perçage et «fil inelagc d ■ losil des luuil.'ros d'un lot d'obus de gros ealibre. — T^g 11 Atelier da contrée dal
gros obus, desservi par un pont roulant (les projectile» sunt seirés par groupes de huit entre dos plateau» de bois luspendul au crochet du pont). - Fig. il. rraniporteur autoiutlaue k abaiae btsUim
Jetting et Joaas, installé dans une usine k munitions française, pour la ntaoutention des corps d'obus vides de 16. ^ • #
268
fusées, des délonaleurs et dos gamcs-rclais s'opèro
dans des usines de dccoUelaKe pourvues de tours
spéciaux à grande vitesse pour le travail du laiton
en barres de pelit diamètre.
Les arsenaux de l'Elat reçoivent des divers fabri-
cants les enveloppes, les fusées et les douilles né-
cessaires à l'assemblage des obus. Le chargement
a lieu à la main dans des ateliers où la poudre est
lassée dans les corps au moyen de pilons de bois.
Pour accélérer la production, on a adoplé un outil-
lage mécanique, consistant en une séiie de ma-
chines servant à peser les charges de poudre ou les
balles et à les introduire dans les projectiles i l'état
de compres.'iion voidu.
Afin d'empêcher le mêlai des corps d'obus de se
rouiller et dans le but d'éviter la décomposition des
Kig. 16. — Série des six premièrps opérations servant à fabri-
quer une douille d'.-bus fusant aiiniais de 8 kiloiîraiiim.'» fprojx-
tile le 18 livres): A. Plan; U. Ebauclu-. pri-niier coup de prcase;
C. Ebauche, deuxieuie coup de pr.-sse (étn-age) : D. Ebauclie, troi-
sièiue coup de presse (étirage); E. Fnrmation du culot; F Suite
de l'étirage (quatrième coup de presse); O. Fia de l'étirage
(cinquième coup de presse .
explosifs, on recouvre l'inlérifiir des enveloppes
d'uni' couche de \ernis laiiué. Celte application peut
se l'aire à la main, mais il existe des appareils per-
metlant d'obtenir le laquage très rapidement avec
une grande régularité. Ou emploie, à cet eiïel, des
pulvérisateurs à air comprimé, que l'on fait péné-
trer dans chaque enveloppe au moyen d'une pé-
dale. On peut ainsi vernir plusieurs centaines de
projec.iles à l'heure. — Charles Lordiib.
paratyphoïde (du gr. para, k côté, ei de ty~
phniile) adj. Méd. Se dit d'une maladie inleclieuse
fébrile, dont les allures se rapprochent de la ty-
phoïde : Fièvre, aff'erlinn PAnATYi'HnïDE || Se dit
aussi de ce qui peut causer cette maladie: Bacille
PARxTVPHOi'DE. — Substantiv. : Etre atteint d'une
PARATYPHOÏDE.
— Encycl. C'est en isge que, pour la première
fois, deux médecins françiiis, Aihard et Ben-
saude, parlèrent d'états paralyphoïdes, c'est-à-dire
de maladies infectieuses léhnles. ayant des poiuts
communs nombreux avec la dolhiéiientérie vraie,
mais en dilTèrant tout d'abord par des dislinclions
cliniques, puis par les agents microbiens qui pou-
vaient en être rendus responsables.
Ces bacilles, voisins du bacille d'Eberth, qui cause
la fièvre typhoïde, en sont cependant liés dlilérenls,
et l'on peut, soit au moyen de l'hémocullure, soil
à l'aide de l'épreuve d'agglutination, déceler celui
qui, dans chaque cas particulier, est & l'origine de
la maladie. Ils forment, d'ailleurs, un groupe assez
complexe, dans lequel il faut faire figurer surtout :
le bacille paratyphique A, de Brion et Kayser; le
bacille paratyphique B, de Conradi et Drigalsky;
l'entérocoque de 'i'hiercelin ; le bacillus enlerilidis,
de Gaerlner, et même le hacterium coli commune.
Les alfections causées par ces micro-organismes
revêtent, elles aussi, en réalité, des symplomatolo-
gies assez variées. Mais, comme, In^'S souvent, elles
aiïectent des allures proches de celles de la typhoïde,
le nom de paratyphoïdes leur convient de façon
péni^rale. Aussi devons-nous faire rentrer dans celte
classe, pour la plus grande part, les afTections qui
avaient reçu jadis les noms de lyphoïdettes ou de
fièvres muqueuses et même un non nombre des
LAROUSSIi: MENSUEL
embarras gastriques s'accompagnant de fièvre vive.
Pendant la présente guerre, ces fièvres paraty-
fiholdes, dénommées parfais, dans ce cas paiticu-
ier, diarrliée des trancliees, prennent une impor-
tance nouvelle, du fait de leur relative fréquence.
Les Allemands, en elfet, en sont très fréquemment
atteints, de par la consommation qu'ils font de char-
cuterie préparée de façon plus ou moins cori'ecte,
les bacilles paratyphiques habitant volontiers la
viande de porc mal préparée et, semble-t-il, celle
des porcs allemands de préférence. Les soldats
d'oiitre-Ilhin, pendant leur séjour dans les tranchées,
souillent celles-ci de leurs excréments, lesquels con-
tiennent fréquemment ces bacilles. Le jour où nos
soldats prennent ces tranchées, ils se conlaminent
facilement au contact de la terre ainsi souillée, et
là est l'origine des cas fréquents de paratypho'ide
que la médecine de guerre d'aujourd'hui nous per-
met d'enregistrer. Mais cette éliologie, qui parut
prédominante surtout au début, .semble n'être qu'un
élément de contamination. Les bacilles paratyphi-
ques se renconlrent dune laçon plus générale dans
les aliments mal pi'éparés, les eaux souillées, etc.
Lorsque les bacilles que nous avons énumérés —
et surtout le bacille paratyphoïde B — donnent nais-
sance à une maladie simulant la dothiénentérie, on
peut, le plus souvent, remaïquer certaines particula-
rilés dans l'évolution de celte maladie, qui mettent
tout au moins sur la voie du diagnostic. C'est ainsi
que le début de l'affection est, en général, plus
brusque, dénué des saignements de nez caractéris-
tiques, mais accompagné de la diarrhée qui, dans la
lièvre typhoïde classique, se lait attendre plus long-
temps. Il y a souvent des sueurs pi'ofuses; les taches
rosées symptoinatiques, ou manquent, ou, au con-
traire, se montrent avec une profusion anormale.
La stupeur, qui a donné son nom à la fièvre ty-
phoïde, est ordinairement moins marquée.
Le pronostic des étals paratyphoïdes de ce genre
est, dans la plupart des cas, bénin, et la marche de
la maladie est plus rapide que dans la dothiénen-
térie. Les complications, qui font une grande partie
de la gravité de celle-ci, sont beaucoup plus rares
et, notamment, on n'y voit qu'exceptionnellement
les hémorrag es inteslinnles et les perloialions.
Mais les bacilles paratyphoïdes peuvent donner
naissance à des maladies très différentes ou, lout au
moins, à des variétés très d slincles de la précédente.
C'est ainsi qu'on a signalé des fièvres avec icti re et
des formes intermitlenles, bien étudiées par Netter
et Ribadeaii-Uumas. Ces dernières seraient princi-
palement dues au bacillus enlerilidis, de Gaerlner.
C'est souvent celu -ci qui donne de même les for-
mes suraiguës, à allures d'intoxications, qui sont
la conséquence d'ingeslions aliiiientaires nocives.
Les maladies dues aux viandes avariées, surtout de
conserve, et aux charcuteries malsaines, si peu rares
en Allemagne et qui ont reçu lii-bas le nom de sal-
monelloses, rel 'vent de celle origine, ou d'une ori-
gine analogue. De nombreuses épidémies véritables
ont été décriles par les ailleurs allemands et, dans
quelques-unes de ces atteintes collectives, on voit
à. la fois, bien que la même cause puisse être incri-
minée, des malades semblant de vérilables lyphiqucs
et d'autres sujets qui présentent le tableau tn'sdiiïé-
rent de l'intoxication alimentaire aiguë. Dans ce
dernier cas, ce qui domine, ce sont les douleurs
abdominales, les vomissements, la d.airhée, les
basses températures, les accidents circulatoires et
nerveux. L'évolution peut êlre alors IrJs grave et la
terminaison fatale. On semble, d'aillems, U l'heure
présente, réserver le nom i]eparat;/plioïdes aux alli'c-
tions causées par les bat;illes paratyphiques A et B.
Le traitement dos alfections paraiyphoïdes et
évidemment variable dans une certaine mesure, sui-
vant les variétés qui se présentenl. Dans les formes
qui se raiiprochent si nellement de la typhoïde
vraie, la thérapeutique ne diffère guère de celle que
réclame celle dernière, mais, le plus souvent, on
pourra l'appliquer de façon plus modérée.
Tout naturellement, la prophylaxie de ces élats
palho ogiques doit être la mesure thérapeutique
il laquelle il faut nous attacher de préférence On
voit, sans qu'il soil besoin d'y insister, qu'elle relève
des mêmes mesures d'hygiène et de propreté qui
sont de mise contre la dothiénenlérie. En ce qui
concerne les circonstances présentes, ces mesures
appartiennent aussi bien à l'hygiène des camps, des
années et des champs de bâlaille, qu'à celle des
individus en particulier.
Le vaccin antityphique, préparé avec des bacilles
d'Eberth seuls, est sans valeur contre ces affections,
où cet agent pathogène n'intervient pas. On l'ié-
pare, d'autre part, un vaccin anliparalyphique, ntili-
s ni les cnllures des bacilles paratyphiques A et B
et qui protège efficacement conlre li'S affections que
ces deux micro-organismes provoquent II ne faudrait
pas hésiter à s'adiesser ."i lui, si la maladie prenait
une allure épidémique sérieuse. On vaccine même
aujourd'hui courammnnl les jeunes classes de l'ar-
mée, notamment, avec un vaccin Irivalent, c'esl-à-
rlire préservatif à la fois contre la fièvre typho'fde
(à bacille d'Eberth) el conlre les deux paratyphoïdes
(à bacille A et à bacille B). — d^ iienri bouquit.
«• 128. Octobre 1917.
pharyngodynie n. f. (du gr. phaïunx,
"gt/os, gosier, et uUuné, douleur). Sunsiitiou dou-
loureuse localisée dans l'arriere-gorge.
— Encycl. Celle douleur est natui ellemenl plus
accusée lorsqu'on tente des mouvemenis de déglu-
tition. La pharyngodynie est un phénomène cons-
tant dans les angines et les affections du pharynx.
On a décrit, sous le nom de pharyngodynie ;/rip-
pale, une sorte d'angine marquée par une douleur
pharyngienne intense, hoi s de propoilion avec les
signes locaux observables, lesquels sont parfois
nuls. Celte pharyngodynie fei-ait suite à certaines
atteintes de grippe. — h. b.
Presse clandestine dans la Bel-
gique occupée (i.aj, par J. Massart (Nancy,
1917). — Vice-directeur de la classe des sciences
à l'Académie royale de Belgique, J. Massart, de-
meuré à Bru.velles jusqu'en août 1915, a participé
à la lutte opiniâtre que les Belges soutniineiil
contre leurs envahisseurs. II étiiit donc à même de
nous faire connaître l'état despril de ses compa-
triotes et leur indomptable foi'ce de résislance à
une oppression odieuse. iJéjà, dans un précédent
volume : Comment les lielyes résisleul à la domi-
nation allemaniie, il avait apporté sur ce sujet
d'intéressanies et multiples précisions. Son nouvel
ouvrage, spécialement consacré à la publication et
à la distribution clandestine de journaux, brochures
et livres, constitue un chapitre particulier et très
curieux de l'histoire de résislance.
Dès leur eiilrée à Bruxelles, le 20 aoiJtl914, les
Allemands avaient supi rimé toutes les publica-
lions, ne laissant subsister d'autres modes d'informa-
tion que leurs affiches officielles, dont on devine
aisément le degré de sincériié. Pour lever les der-
niers doutes, — s'il en restait, — Massiu I reproduit
intégralement une de ces affiches, placardée le
11 septembre 1914 sur les murs de Bruxelles et re-
latant les principaux faits militaiies de la semaine
écoulée. On y lil, entre autres nouvelles, que la
ville ouverte de Lemberg a été évacuée par les Au-
trichiens, sans combal, pour des raisons stratégi-
ques et kumanilaives (!), qu'une escadre allemande
a capturé quinze barques de pêehe anglaises, mais
pas la moindre allusion à la bataille de la Marne!
Le caractère tendancieux de ces affiches étant trop
manifeste, les Alleniands firent pai-aitre au bout de
quelque temps certains journaux soi-disant belges
et indépendants, en réalité élroilement domesti-
qués, comme le Bruxellois, ou pub'iés par cou-
li';iinle, comme l'Ami de l'ordre, l'I.cho d'Oslende,
le Liltitral, dont les directeurs furent emprisonnés
<■ pour avoir rt^usé de faire reparaître leur journal
sous la censure allemande". Les extraits que J. Mas-
sart donne de ces diverses feuilles en révèlent lout
l'asservissement, et l'on comprend le courageux
arrêt, rendu le 2.') juin 1915, parle tribunal de
Bruxelles, où, répondant à un plaideur qui deman-
dait l'insertion d un ji gement dans des journaux
belges, les magistrats pioclamérent « qu'il n'y avait
plus en Belgique de journaux belges depuis l'orcu-
pation allemande, les feuilles qui paraissent quoti-
diennement dans le pays ne mérilant pas ce lili'e ».
Si prévenus que fussent les Belges contre de
telles publications, il importait, cependant, de com-
baltre les germes d'erreur et de démoralisation
qu'elles contenaient. Sans doute, des journaux de
France el d'Angleterre parviennent encore, malgré
les obstacles el les risques de mort, à franchir la
frontière hollandaise, mais ce mode de propagande
est par lui-même insuffisant, le nombre des exem-
plaires introduit étant restreint el leur prix (5 à
200 francs pour le Times, 2 à3 francs pour les jour-
naux fiançais) trop coiiteux pour la masse. La cou-
rageuse initiative de quelques citoyens supplée en
partie à celte insulfisance :
Chaque jour, do multiples personnes achètent des jour-
naiiv anglais et français et ropient:'i la machine à «écrire les
passages les plus saillants. Les feuillets sont ensuite distri-
bués en cachette, soit gratuitement, soit à un prix minime.
Certaines œuvres même se sont fondées pour
réimprimer des chroniques, des poésies, des dis-
cours, des documents diplomatiques et jusqu'à des
ouvrages d'origine française ou an>;laise: telle est,
par exemple, la Itevue hebdomadaire de la presse
française, qui paraît régulièrement en fascicules
de 16 pages, la Soupe, qui donne chaque semaine
une cinquantaine de pages daciylogrnphiées, la
Cravache, qui a répandu les dessins de Raemackers.
Mais les plus intéressantes de ces publications sont
celles qui donnent des arlieles originaux et qui,
malgré la censure allemande, maintiennent les
droits de la pensée libre et de la parole inclépcn-
danle. Ce sont: la Vérité, le Belge, Paine, de
Vluamsche Leeutv, de Vrije Stem, et le plus im-
portant de tons, la Libre Belgique.
Du 1" février 1915 au 31 déreinhre 1916, ce der-
nier journal n'a pas fait paraître moins de 100 nu-
méros. Quand parait-il, où l'imiTime-l-on, quels en
sont les auteurs, comment circule-t-il? Autant de
mystères, contre lesquels s'exerce vainement la
curiosité irrilée des aiilorilés allemandes. Le biil
letin se qualifie lui-même de « régulièrement irré-
«• «28. Octobr» 1917.
gulier ■> ; il donne comme adresse ■ Kommandantur-
Bruxelles », el situe ses bureaux o dans une cave
aulomobile ». Tantôt il est déposé sous enveloppe
dans la boîte aux lettres, tantôt un ami vous le glisse
mystérieusement dans la main, tantôt on le trouve
en boime place sur sa table de travail (c'est de celte
manière que von Bissing le recevait). Tout est orga-
nisé, d'ailleurs, pour déjouer les indiscrétions.
Celui qui so ctiarge de répandre ta Libre Belijique re-
çoit de chaque numéro un certain nombre d'exemplaires.
Il en fait trois ou quatre paquets, qu'il remet à autant
d'amis; chacun de ceux-ci partage de nouveau son stock
entre un petit nombre de personnes sûres, et ainsi de suite
jus ju'a ceux qui distribuent le journal aux clients. Cbaqut!
distributeur sait donc de qui il reçoit les numéros et à qui
il les remet, mais il ignore quels sont les échelons supé-
rieurs et inférieurs.
Ces précautions sont nécessaires pour dépister la
police allemande, qui, vainement, multiplielesprimes
aux dénonciateurs (celles-ci furent
portées successivement de 5.000 à
2.Î.U00, puis à 75.000 francs), pro-
digue les perquisitions, poursuit sa
chasse jusque dans la rue :
On arrdte les avocats, les employés
L do bureau, les fonctionnaires, bref, tous
I ceux qui sont munis d'un portefeuille, et
r on leur bouleverse leurs papiers pour y
découvrir la Libre Belgique.
L'humour belge s'exerce naturel-
lement aux dépens des Sherlock
Holmes de la Kommandantur :
Les Bruxellois racontent que la Kom-
mandantur a reçu plusieurs fois dos let-
tres anonymes, donnant des renseigne-
> inents précis sur le local où s'élabore la
\ Libre Belgique. La police arrivait en
' graud secret, se faisait ouvrir la mai-
son, descendait vivement tel escalier,
enfilait le couloir, poussait la porte indi-
quée sur le plan, et débouchait... dans
un water-cîoset.
On conte également la mésaven-
ture des policiers, allant arrêter
André Vésale, dont la statue se
dresse sur la place des Barricades.
Il y a, dans ces défis à l'autorité
allemande, d'autant plus de crânerio
que les risques encourus sont fort
graves : le P. "Verriest, rédempto-
riste, fut frappé d'une amende de
4.000 marks pour s'être occupé de
répandre la Libre Belgique, et le
P. Dubar, jésuite, soupçonné de col-
laborer au même journal, fut con-
damné à douze ans de travaux for-
cés. Ainsi, traquées de toute part,
mais se moquant des châtiments et
des menaces, la Libre Belgique et
les publications similaires poursui-
vent leur courageuse campagne :
Quant à tuer la Libre Belgique (disent
les rédacteurs, dans une adresse à von
Bissing) n'y comptez pas, c'est impos-
sible. Klle est insaisissable, parce qu elle
n'est nulle part. C'est un feu follet qui
sort des toniites de ceux que vos com-
patriotes ont massacrés à Louvain, Tamines, Dînant, et
qui vous poursuit. C'est aussi le feu follet qui sort des
tombes des soldats allemands tombés à Liège, â \Va-
lehem, à l'Vser. C'est enfin la voix de toutes les mcrcs,
la voix de toutes les veuves et de tous les orphc.ins
qui pleurent ceux qu'ils ont perdus; cette voix augmente
tous les jours d'intensité; elle ne se taira que lorsque le
dernier de vos soldats et de vos agents aura cessé de fou-
ler notre sol envahi au mépris de tout droit.
Si piltoresques que soient tous ces détails snrl'or-
ganisalion de la presse clandestine en Belgique, le
véritable intérêt du livre de J. Massart réside surtout
dans les extraits qu'il nous offre des articles parus
dans ces journaux et qui nous permettent d'appré-
cier, en face de l'arrogante brutalité germanique,
l'altitude fière et indomptable de la population belge.
Le dossier des crimes allemands est déjà consi-
dérable :les textes empruntés par J.Massart aux pu-
blications clandestines le précisent et le complè-
tent. La férocité des envahisseurs, leur fourberie,
leur outrecuidance, leur rapacité, sont mises en
pleine lumière dans ces courageux articles, qui ne
cessent de dénoncer les cruautés, de réfuter les
mensonges, de protester contre les violalions du
droit. Les Allemands tentent-ils, dans quelque
écrit, de justifier leur conduile, d'atlénuer leurs
méfaits, aussitôt, d'une de ces officines mysté-
rieuses où s'élaborent les publications prohibées,
s'élève un âpre et irréfutable démenti. C'est la
Soupe, qui, dans ses n"» S4'i et 388, dresse pour
chaque commune la statistique des maisons incen-
diées et pilloes, des civils tms ou envoyés comme
prisonniers en Allemagne; c'est la Vérité, qui, dans
an article du 12 juin 1915, fait le relevé de tous
les actes de brigandage allemand depuis l'occupa-
tion. Pas une mesure n'est prise, pas un ari'êté
n'est publié, qui ne provoque aussitôt quelque com-
mentaire vigoureux et flétrissant. Cette activité in-
lassable, toujours prête à servir les intérêts de la
LAROUSSIi: MENSUEL
patrie et à combaltre la lyrannie allemande, n'a pas
nDédiociement contribué, sans doute, à maintenir le
moral de la population et à lui faire accepter les
rigueurs de son long martyre.
Une constatation, à la fois réconfortante et tou-
chante, qui se dé(,'age en effet du livre de J. Mas-
sart, c'est l'inaltérable bonne humeur des Belges,
leur conflance dans la victoire 'finale, leur relus,
même au prix des pires souffrances, de pactiser
avec le vainqueur. De cet optimisme J. Massartnous
explique les causes ;
Il lient (rliL-il) à nos souffrances mêmes, à rincessanto
tension qui nous est nécessaire pour lutter pied à pied
contre les exigences de l'Allemand, à la claire notion «{ue
nous avons de ses faiblesses et de ses fureurs impuis-
santes... Celui qui risque journellement sa liberté et sa
vie n'a pas le temps do s'abandonner au désespoir.
Aussi, ces jeunes gens qui bravent la mort pour
rejoindre leurs frères d'armes, ces parents que l'on
CII A (i niN I»',\ M OL'R
CompOBtlioa de G. L«fiouiM.
Depuis un an déjà, Je te cherche nuit et Jour,
Peiite abhorrée, tu m'échappes toujours.
Réduction de la gravure de la preoiiérfl page du n" 62 de <• la Libre Belgique ».
frappe d'amendes ou qu'on emprisonne parce que
leurs fils sont partis servir letir pays, ces ouvriers
que l'on affame et qui acceptent la famine et la sé-
paration plutôt que de mettre leurs bras au service
de l'ennemi, ces civils que l'on fusille pour être
trop attachés à leur patrie, tous, au milieu de leurs
épreuves, gardentun sourire gouailleur et mépii-
sant. Gomme au temps de p;iix, l'humour, la
ce zwanze », fleurit dans les rues de Bruxelles. C'est
elle qui épingle un numéro de la Libre Belgique an
dos d'un soldat allemand, devenu ainsi agent de
firopagande pour le journal traqué; c'est elle qui
ance chaque jour de nouvelles et plaisantes anec-
dotes, qui concourt à la rédaction du Petit Dik-
iionnaire de hochet q^ l'on relève des articles
comme ceux-ci :
Kabochb, — mot dérivant par kontraction du substantif
latin kapiit, qui signifie tcie, et de l'adjectif boche, tête
karrée, dont les parois sont parfaitement imperméables
et dont le côté facial no présente aucune espèce de phy-
sionomid, sauf à l'heure do la soupe.
Kaiskr, — bipède amphibie, do l'ordre des karnassicrs,
tribu dos Hobenzollern. Sur terre, ses mœurs sont celles
des grands Çi-l'.ns ; sur mer, celles des squales. Cet
animal, à l'état libre, est extrêmement prolitique. mais
tout fait espérer qu'il no se reprorjuit pas en kaptivité...
KAMAtîAnK, — terme s'appliquant au guerrier ennemi,
lorsque celui-ci est le phis fort.
Kamei.ote, — ensemble des produits do l'industrie alle-
mande en temps de paix.
Kanard, — produit volatil fabriqué en grosses kantitès
par la MaisonWolfffBerlin) ; très assimilable pour lesesio-
maks teutoniques, provofjun des nausées chez les neutres.
Katout. — terme di-linissant le sort du guerrier ennemi,
lorsque celui-ci est le plus faible.
KATHëoRALB, — ciblo pour les obus de 420.
KoNTRKFAÇON, — procédé artistique, littéraire, scienti-
fique et industriel, où s'est uniquement affirmé le génie de
la race germanique.
Krondrinz, — espèce de Hobenzollern apparenté, par
la forme do son bek, ù l'ordre dos rapaces, mais so rai-
269
tactiaot a la triba des mammirèros sapërieart en ceci
qu'il a le pouce opposable aux autres doigts, ce qui lut
ficrmot do saisir ei de reieuir avec la plus grande faci-
il6 tous les objets mobiliers.
Nombreux sont les exemples, cités par J.Massart,
de cet esprit goguenard des Belges, qui s'atteste
non seulement par des démonstrations tiidivi-
duelles, comme le port d'insigues patriotiques
(délit qui fut Irappé par von bissing d'une amende
de 600 marks ou d'un emprisonnement de six se-
maines), iflais jusque dans les manilestations col-
lectives. Les Allemands ayant interdit la célébra-
tion de la fête nationale le 21 juillet 1916 et
la fermeture des magasins ce jour-là, sous peine
d'un emprisonnement de six mois ou d'une amende
de 20.000 marks, voici comment, d'après la Libre
Belgique, fut observé l'arrêté :
Hurt avait voulu que Bruxelles soit ouvert le SI juillet,
Bruxelles fut tout vert le 21 juillet. Dès les premières
heures du jour, tonte la populatiuu avait
son ruban vert. Tous, hommes, femmes,
enfants, mémo les chii-ns, et aussi les
chevaux, chacun manifestait.
Les magasins étaient curieux à voir.
Ici, on avait vidé la vitrine, ou bien on
avait tout caché sous du papier vert.
Là, on avait étalé les portraits du Roi
et de la Keine. Dans telle grande mai-
son, le gérant se promenait tout seul,
portes grandes ouvertes, en liabit de
cérémonie. C'était tordant.
Et, poursuivant son récit, le jour-
nal raronle le délilé silencieux de la
population deviint le monument des
martyrs de l'indépendance, que gar-
daient des soldats allemands, baïon-
nette au canon, et au>.si l'émouvante
nianilestation de Sainte-Oudule, où
ofliciait le cardinal Mercier :
La messe continue. L'absoute est dite.
La Brabançonne éclate, grave, lente,
d'une lenteur voulue, mais le peuple a
qui on a recommandé d'être calme n'en
peut plus... Une voix claironnante a jeté
trois mots dans l'air raturé : Vive le iioil
et alors, oh ! alors... Pendant quelques
minutes, c'est une clameur immense,
énorme, qui va et vient, s'enfle éclate,
reprend de plus belle... En vain, l'orgue
essaye de dominer cette tempête. Les
tiras tendus agitent des mouchoirs, des
chapeaux... On pleure, on rit. on est
heureux. Hurt, vous êtes trop petit,
beaucoup trop petit. 'Votre empereur
avait avoué son impuissance en face
de l'âme belge, et vous, Hurt, de quoi
vous ('-tes - vous mêlé? Hurt, pauvre
petit Hurt !...
Il en coiita, d'ailleurs, à Bruxelles,
pour cette manil'estation, la bagatelle
d'une amende de 1 million de marks.
Un peuple qui, aprrs deux ans
d'épreuves, trouve encore en lui-
même une telle force de résistance
n'est pas près de lléchir, ni de se
soumettre. Telle est la conclusion
qui se dég-age du cimsciencieux tra-
vail de J. Massart et qui jusliQerait,
s'il en était besoin, l'objet et le plan
de son livre. Sans doute, comme il le remarque
lui-même,
Les écrits prohibés ne sont qu'un épisode presque insi-
p niHaiu dans la lutte de chaque jour que les Belges de
Boli:ii|ue ont à soutenir conire les exigences du pouvoir
occupant. Mais, mieux qu'un ati're mode d'activité, la
presse clandestine permet à l'étranger de saisir sur le vif
l'incompréhensible énergie et la persistante bonne hu-
mour d un peuple qui refuse de se laisser écraser.
Filix OUISIKO.
Quénu (Edouard-André-'Viclor-Airred), chi-
rurijicn français, né le 12 juillet 1852 à Marquise
(Pas-de-Calais). Interne deo hôpilaux de Paris en
1875, docteur en 1881, chirurgien des hôpitaux
en 1883, prol'esseur agrégé de la Faculté de Paris
(section danatomie) en 18.N6, il exerça de 1.' 90 à 1905
les fonctions de directeur de l'amphithéâtre d'ana-
lomie des hftpitaux et fut nommé professeur de
clinique chirurgicale en 1907. Membre de l'Acadé-
mie de médecine depuis 1908, il a été élu membre
de l'Institut (Acadéinie des sciences) le 23 avril 1917,
en remplacement du professeur Bouchard. Ses
concurrenis k cette place étaient le professeur Pozii,
le médecin inspeclcur général Déforme et le doc-
teur Bazy. Il est officier de la Lésion d'honneur.
L'œuvre du professeur Quénu est considérable, et
son iniluence sur la chirurgie conten.piiraine a été
grande. Il la doit d'abord à son enseignement, qu'il a
commencé à l'amphithéftlre des biNpilaux comme
prosecteur, poursuivi comme directeur des travaux
scientiliques d.ins cet et blissemcnt, qu'il réorganisa
et où il forma des élèves nombreux, dont plusieurs
sont devenus des maîtres à leur tour. Dans son ser-
vice de l'hôpital Cochin, il professa d'abord en tant
que chargé de cours de clinique annexe, et sa nomi-
nation de professeur ne fil que confirmer oflicielle-
mcnl cet enseignement, •'pril roiillnna ii dispenser
dans le même établissement. D'autre part, membre.
D«uia de E. ï'apeur.
270
nous l'avons vu, de l'Académie de médecine, mais,
en outre, de la Société analomique, de la Société
de cliii'iii'gle, dont il lut le président et dont il est
resié l'un des membres les plus actifs, il prit part,
dans ces sociétés savantes, à toutes les discussions
où la chirurgie était intéressée et souvent les pro-
voqua lui-même par ses travaux originaux. On peut
mettre à son actif, à côté de ceux-ci, les nombreux
rapports, très étudiés, qu'il lut sur des observations
présentées à la Société de chirurgie.
Son œuvre écrite est également très importante.
Elle se compose surtout de mémoires sur les points
les plus divers de la tliérapeutique et de l'acte opé-
ratoire. La plupart de ses mémoires et de ses articles
ont été publiés par la « Revue de chirurgie » dont il
est le rédacteur en chef depuis 1908 ou dans le
Il Bulletin médical ».
Parmi les sujets qu'il a étudiés avec prédilection
et oil il a énoncé les idées les plus personnelles et
les plus fécondes, il faut noter tout d'abord la chi-
rurgie du rectum, sur laquelle, outre de nombreux
mémoires, il éirivil, en collaboration avec le pro-
fesseur Hartmann, un ouvrage en deux volumes : la
chirurgie du foie et des voies biliaires, à laquelle il
lit faire de notables progrès et où il préconisa,
notamment, l'opération de la cholédocolomic, qui
est actuellement adoptée partout; la chirurgie du
pancréas, celle de la rate et celle des voies respira-
toires. 11 a écrit, dans le a Traité de chirurgie » de
Duplay et Réélus, les chapitres qui traitent des
tumeurs, des angiomes, des maladies des veines,
des corps étran-
gers articulaires,
des maladies du
pancréas, do la
rate, etc. On lui
doit encore de
nombreux arti-
cles d'anatomie
pure, ayant trait
surtout aiix vis-
nères abdoriii-
caux. En techni-
que opératoire,
on doit mention-
ner qu'il fut un
des défenseurs de
l'asepsie cliirur-
gicale, conti-
nuant en cela
l'œuvre de son
maître Terrier et
que ce fut lui qui
recommanda le premier l'usage, universellement
accepté aujourd'hui, des gants de caoutchouc dans
la chirurgie opératoire.
Mobilisé, dès le début de la guerre, en qualité de
médecin principal de 2" classe, le professeur Quénu
fut chargé de missions importantes et fut appelé à or-
ganiser la réparti tion des blessés dans les hôpitaux du
camp retranché de Paris, ainsi qu'à émettre, sur l'é-
vacuation des grands blessés, des opinions qui furent
reconnues justes, et appliquées, bien qu'un peu tardi-
vement. Il s'intéressa à toutes les questions de chi-
rurgie de guerre. Il publia des travaux remarqués
sur'la désinfection des plaies et sur le traitement des
blessures de l'abdomen, où il préconisa la laparo-
tomie systémaliqiie, contrairement à l'opinion alors
courante, conduite qu'il défendit vigoureusement de-
vant la Société de chirurgie. — D' ucnri Bouooet.
Redon (Odllnn), peintre et lithographe fran-
çais, né à Bordeaux le 20 avril 1840, mort à Paris
le 6 juillet 1916. 11 fit ses premières études dans sa
ville na aie, puis entra à l'Ecole des beaux-arts de
Paris dans l'atelier Gérome. Mais ce maître au
réalisme direct ne pouvait convenir au grand imagi-
nalir que lut Od.lon ReJon. Le passage de ce der-
nier à l'éciile oCncielle fut donc pour lui de peu
d'ulililé; les seules influences qui lui furent réelle-
ment profitables furent celles du botaniste Clavaud
et du graveur Rodolphe Bresdin.Avec le premier, il
prit le goût des plantes et de l'anatomie florale,
peut-être aussi des insectes; il étudia les courbes
gracieuses des tiges, les silhouettes décoratives des
corolles et des feuilles, les harmonies puissantes des
ailes de papillons. Avec Bresdin, il prit le goût de
la gravure; l'ami de Champfleury lui enseigna sans
doute à manier la pointe et l'acide, et c'est par l'eau-
forte qn'Odilon Redon débuta dans la gravure.
Cependant, l'eauforte se prête moins aisément
que la lithoffrnpliie aux effets de clair-obscur. L'eau-
forte est d'abord l'art du trait; et, malgré que quel-
ques maîtres aient pu obtenir par elle d'élonnants
coutrnstes d'ombre et de lumière, elle n'offre pas en
cet ordre autant de facilités que la lithographie.
C'est à celle-ci que devait s'adonner surtout Odilon
Redon. Il avait lait un assez grand nombre d'études
au fusain, etFinliii, qui les vit et qui maniait lui-
même excellemment le crayon lithographique, con-
seilla ce mode d'expression k son conl'ri re.
C'est donc comme lilhograplie qu'Odilon Redon
flgjira aux Salons de 1885. 1886 et 1888. Il prit part,
ensuite, de 1889 à 1893, aux Expositions de la Société
Ed. Quénu.
Odilon Redon.
LAROUSSE MENSUEL
des peintres-graveurs. Parallèlement, il avait publié
touie une série d'albums de lithographies : Dans le
rêve {'[Hig), A Edgar l'oe {ISSi), les Origines (1kk3),
Hommage à Goya (1885), la Nuit (1886). L'imagi-
naire et le fantastique y formaient la principale
source d'inspiration de l'artiste, séduit parle monde
inconnu des pre-
miers âges ou par
le monde mysté-
rieux des om-
bres. Odilon Re-
don créait des
êtres embryon-
naires, d'une
constru c t io n
sommaire, et
l'effet résidait
surloutdans d'au-
dacieuses opposi-
tions de noir et
de blanc. Oiiilon
Redon n'est libre
dans l'exécution
que lorsqu'il in-
vente ; lorsqu'il
copie son dessin,
il se fait timide ,
presque hésitant, mais reste pourtant plein de charme
et conserve toujours un agrément décoratif.
Les recueils qui suivirent illustraient fort libre-
ment quelques textes : le Juré d'Edmond Picard
(1886), la Tentation de saint Antoine de Flaubert
(1888), les Fleurs du mal de Baudelaire (1890), la
Maison hantée de Bulwer-Lytton (1896) 11 faut citer
encore l'Apocalypse de saint Jean (1899) et quel-
ques pièces isolées : les Yeux clos, Parsifal, Briin-
tiilde, ainsi que des profils des peintres 'Vuillard,
Bonnard, Sérusier, Denis, du critique R. Marx,
du pianiste espagnol Ricardo Vinès, du guitariste
Llobet. Ces profils, dans leur na'iveté, ne manquent
pas d'attrait; si Redon, réaliste, est généralement
dessinateur assez faible, il reste toujours grand déco-
rateur. C'est là sa qualité dominante. Peu d'artistes
ont su comme lui donner aux lignes un rythme
sensible, oppos'^r les valeurs claires et foncées, les
tonalités éclatantes et délicates. Aussi un Paravent,
exposé au Salon d'automne en 1905, constitue-l-il
une de ses meilleures oeuvres. Odilon Redon est un
harmoniste des traits et des couleurs, une sorte de
musicien pour les yeux ; il ne repiésente que rare-
ment la réalité directe, et son œuvre est souvent plus
voisine des belles enluminures ou des riches tapis
de Perse que de nos ordinaires œuvres d'Occident.
Dans la lithographie, Odilon Redon se montre un
artiste curieux, mais il est supérieur dans le pastel.
Ses vases de fleurs sur fonds gris ou bruns, ses
papillons, ses marines aux barques voilées de toiles
dorées sont d'une richesse incomparable. La Barque,
le Vitrail sont parmi ses pages les plus réussies. Il y
a de lui quelques peintures murales de fleurs au châ-
teau de Domeny, en Bourgogne. Le muoée du Luxem-
bourg conserve la peinture des Yeux clos. L'artiste
a figuré en 1900 à l'Exposition centennale avec trois
lithoi;raphies; il a fait, en outre, des Expositions par-
ticulières en 1894 et en 1903 à la galerie Durand-Ruel.
On a quelquefois rattaché Odilon Redon au groupe
impressionniste. 11 ne s'en rapproche, cependant, que
par la recherche d'un coloris éclatant. Mais son
œuvre, toute d'imagination, toute décorative, est,
en réalité, aussi loin que possible du vérisme harmo-
nieux de l'école impressionniste. — Tr. i.icléee.
rondoir n. m. Appareil destiné à recevoir des
bouteilles pleines dont on veut assurer l'occlusion
parfaite jus-
qu'au moment
où elles passent
aux mains de
l'ouvrier char-
gé d'en effec-
tuer le bou-
chage définitif.
— E N c Y c L .
Les rondoir s
sont des tour-
niquets métal-
liques, pivotant
sur un solide
bâti de bois ou
de fonte; la
partie essen-
tielle e s t u n
plateau ou une
couronne por-
tant dedistance
en distance des
sabots (en bois,
cuir, caout-
chouc, etc.;, montés à ressort, sur chacun des-
quels on peut placer une bouteille d'un calibre
déterminé. A chaque sabot correspond un bou-
chon conique de caoutchouc ou de cnir, sur
lequel vient appuyer le goulot de la bouteille, qu'il
obture ainsi barmétiquement. Les modèles de ron-
Rondoir métaUîaue
(système Jost et Méhéo).
Rondfir en bois (systcme TalUar:!}.
N' 128. Ootobr» 1917.
doirs sont nombreux, et le dispositif qui assure le
maintien de la bouteille est variable ; mais il
importe que ce dispositif soit assez robuste pour
serrer vigoureusement le goulot de la bouteille
contre le cône obturateur, maintenu solide et en
même temps assez souple pour en permettre le
dégagement.
Employées dans les fabriques de liqueurs et spiri-
tueux qui ont une grande production journalière,
les rondoirs
facilitent le
travail des ou-
vriers et ont
surtout pour
but d'éviter le
renversement
et le bris des
bouteilles entre
les opéi-ations
du remplissage
et du boucha-
ge; mais ce
sont des appa-
reils indispen-
sables dans
l'industrie des
vinsmousseux.
Tout chantier
de dégorge-
ment et de do-
sage des vins
de Champagne
en doit être
pourvu. Il s'a-
git, en efl'et,
ici, d'éviter à tout prix la perte de mousse et, pour
obtenir ce résultat, de reboucher immédiatement
les bouteilles au fur et à mesure que le dégorgeur
en a expulsé le dépôt et jusqu'au moment où le
doseur s'en empare à son tour pour y introduire la
liqueur, puis dès qu'elle sort des mams de celui-ci
pour attendre son bouchage définitif. — P. Monnot.
Successions militaires (lksI. — Bureau
OES SUCCESSIONS MILITAIRES. — Lcs effets, objets ou
valeurs laissés parles militaires tombés au champ
d'honneur constituent pour leurs familles des reli-
ques si précieuses, des souvenirs si attachants,
qu'une dos premières préoccupations des pouvoirs
puhlics a été, dès le début des hostilités, de prendre
toutes mesures uliles pour recueillir, centraliser,
conserver ces objets et en assurer ensuite la trans-
mission aux héritiers et aux ayants dioit.
Dans ce but, il a été créé un n Bureau des succes-
sions militaiies », qui est installé actuellement dans
l'ancien établissement des jésuites de Vaugirard,
au n» 1 de la rue Lacrelelle, près de la porte de
■Versailles, à Paris (X'V« arr.).
Historique du service. — Un règlement du 12 jan-
vier 1912 avait prévu pour le temps de guerre la
création d'un « Bureau de comptabilité et de ren-
seignements des armées » qui comportait une sec-
tion chargée des successions militaires, mais ne
fixait pas les détails de son fonctionnement. Il fallut
donc, dès le début de la mobilisation, improviser
l'organisation du nouveau service.
La section élait créée dès le 6 août 1914. Les
premiers envois de successions parvenaient des
armées le 19 octobre 1914.
.Jusqu'au début de 1916, celte section, qui dépen-
dait du service de santé, fonctionna sans qu'aucun
statut réglementaire fût intervenu.
Conformément au vœu de la Commission extra-
parlementaire des pensons militaires, présidée par
Ribot, ministre des finances, une loi du 18 fé-
vrier 1916 a institué au ministère de la guerre un
Service général des pc usions, secours, renseigne-
ments aux familles, de l'état civil et des successions
militaires.
Un décret du 12 avril 1916 a fixé les attributions
de ce service.
Le Service général ainsi créé a élé pincé sous la
haute direction de Pierre Marrainl, directeur général
honoraire au ministère des finances. 11 comprend :
l" I.o Service des peDsIons et secours:
i" Le Sei-vice des renseignements aux familles, de l'état
civil et des successions militaires.
La Section des successions militaires est la troi-
sième de ce deuxième service.
Attributions du Buueau hes successions mili-
TAiHES. Ouverture de la succession. — Ui s qu'un
militaire est décédé dans la zotie des armées, soit
sur le chnmp de bataille, soit dans les cantonne-
ments, dans les formations sanitaires ou les infir-
meries des pares, les objets, ellels personnels,
sommes ou valeurs lui ayant appartenu, à l'exclu-
sion de ceux apparleniint à l'Elat, trouvés sur son
corps ou dans les canlonnemenls des unilés, sont
remis aux officiers d'èlat civil des corps, qui sont
chargés d'en assurer la de^linatinn.
Enroi des objets et valeurs. — Les objets sont
soigneusement emballés dans des saehels en toile,
cousus, plombés ou scellés; chaque sachet ne com-
porte qu'une succession individuelle et est muni
N* 128. Octobre 1917.
d'une étiquette mentionnant lea nom , prénom ,
frade, régiment, etc., le domicile et l'adresse de
eipidileur.
Les cantines sont plombées et portent les mêmes
indicalions.
Les objets sont envoyés au Bureau des successions
militaires par la poste, comme objets recommandés
en franchise; les cantines sont expédiées par che-
min de fer, avec ordres de transport.
Les titres, valeurs diverses et sommes supérieu-
res k 2 francs sont remises par les officiers d'état
civil du secteur aux officiers de l'état civil des corps
et aux gestionnaires des formations sanitaires, puis
aux payeurs, au titje de la Caisse des dépôts et
consignations, les sommes inférieures à 2 francs
restant placées dans les porte-monnaie ou porte-
feuille compris parmi les objets de la succession.
Les bijoux et oiijets précieux sont transmis au
Bureau des successions militaires dans des boites
scellées à la cire, par le service des postes aux ar-
mées et en franchise.
Le» testaments trouvés parmi les papiers des mili-
taires décèdes sont adressés immédiatement sous pli
rouge recommandé au Bureau des successions mili-
taires, accompagnés d'un bordereau d'envoi don-
nant toutes indications sur l'identité du testateur.
Tous les objets ayant appartenu à des militaires
décédés dans les conditions ci-dessus et conservés
dans les dépôts doivent être également envoyés au
Bureau des successions militaires.
Compétence du Bureau. — Le Bureau des suc-
cessions militaires reçoit et liquide les successions :
!■> Des militaires français, créoles, tirailleurs, sénéga-
lais, marocains, inalgactios. anDamites, etc. ;
■i" Des militaires taisant partie du corps expéditionDaire
d'Orient;
3* Des militaires de la légion étrangère, même de na-
tionalité étrangère ;
i' Des militaires décédés ou disparas en mer au cours
des traversées;
5» Des prisonniers français décédés en Allemagne ou
en Suisse;
$< Des militaires non identifiés.
Mais n'entre pas d.tns ses attributions la liqui-
dation des successions :
a, des militaires des armées alliées;
b, des militaires ennemis;
c, des marins;
d, des militaires décèdes dans la zone de l'intérieur.
Oroanisation et fonctionnement du service. —
Actuellement, le B. S. M. (Bureau des successions
militaires) est dirigé par un officier d'administration
principal du service de santé, qui a sous ses ordres
il ofticiers appartenant à diverses armes ou ser-
vices et qui sont répartis entre diverses subdivi-
sions; environ 600 secrétaires, dont une grande
proportion de dames auxiliaires composent le per-
sonnel chargé d'assurer la marche du service, sous
la surveillance et la direction des officiers.
Dans le personnel masculin figurent quelques
hommes ayant des aptitudes spéciales à raison de
leur situation dans la vie civile : avocats, avoués,
notaires, etc.
Le Bureau des successions militaires comprend le
cabinet du chef de bureau et trois subdivisiona qui
sont : Entrées, Manutention et Inventaires, Liqui-
dations.
Cabinet. — Le chef du Bureau a la surveillance
de l'ensemble du service.
Au cabinet sont rattachés la correspondance gé-
nérale et le personnel.
Le Bureau reçoit une nombreuse correspondance
émanant des familles, soit pour demander les objets
laissés par les militaires décédés ou disparus, soit
pour réclamer des objets qui manquent dans les
envois qui leur ont été transmis.
Il est répondu à toutes les lettres qui parviennent
au B. S. M. dans le plus bref délai. Des enquêtes
sont entreprises auprès des formations de 1 avant
ou des dépôts pour les réclamations des- objets qui
sont signalés manquants, lorsque la famille donne
des précisions suflisaiites.
Le personneldonne lieu àde multiples questions :
discipline, répartition entre les services, payement
des salaires, permissions, maladies, contrôle des
présences, etc. Le matériel et les fournitures de
bureau, le service du vaguemestre sont également
sous l'autorité directe du chef de Bureau.
Entrées. — Les colis contenant des successions
sont transmis en gare de Paris-Montparnasse, à
l'adresse du B. S. M.
Dès leur arrivée, le service des entrées en prend
possession, examine leur état extérieur et fait toutes
réserves s'il constate des avaries.
Chaque envoi devant être accompagné d'un relevé
comprenant toutes les successions faisant l'objet
d'un même envoi par le même org.ine expéditeur,
Il s'assure de l'arrivée de toutes les successions. Kn
cas de manquants ou de perles, il correspond avec
les organes expéditeurs et fait toutes enquêtes utiles.
Chaque succession faitl'objet d'un numéro de suc-
cession, qui est ainsi établi : un envoi comprend
100 successions; cet envoi collectif émanant d'un
corps ou d'une formation reçoit, à son arrivée, un
numéro d'enregistrement : 28334, par exemple. A
LAROUSSE MENSUEL
chaque succession de cet envoi il est donné on
i-ous-numei'o de 1 à 100, en sorte que la succession
Durand, qui porte le n» 24 sur ce relevé collectif,
portera le nuni' ro de succession 283H4/24.
Le service des entrées établit ensuite une chemise
individuelle pour chaque success.on ainsi créée.
Cette chemise contiendra ultérieurement tous les
documents relatifs à cette succession et constituera
le dossier de cette suci ession.
Il crée également une fiche individuelle au nom
de chaque militaire qui fait l'objet d'une succession
et la place dans un fichier général. La consultation
du fichier général permettra ultérieurement la re-
chercue des dossiers individuels, grâce au numéro
de succession porté sur la fiche.
Les chemises individuelles et les colis sont ensuite
remis au service de la manutention.
Manutention. — Les relevés de successions ren-
ferment généralement l'énumération des objets dé-
pendant de chaque succession. Le service de la manu-
tention inventorie autant que possible le contenu de
chaque paquet ou cantine et établit un collalionne-
ment avec les relevés de succession. En cas d'erreurs
constatées, il se met en rapport avec les expéditeurs
pouf faire opérer les rectifications nécessaires.
Les cantines sont ensuite emmagasinées dans un
local spécial; les paquets et pochettes sont placés
dans des armoires suivant l'ordre de leurs numéros
de succession et les objets précieux renlermés dans
un colîre-fort.
Les elTels sont prêls, dès ce moment, à être livrés
ou expédiés lorsque les ayants droit auront été dé-
signés par le service des l'iquidations.
Liquidations. — Les chemises individuelles sont
remises par la manutention au service chargé de la
liquidation des successions.
Le rôle de ce service consiste à déterminer
l'ayant droit à la succession et à donner l'ordre d'en-
voi. Dans ce but, après que le décès a été constaté
au moyen des renseignements fournis par les archives
ou le Bureau des renseignements aux familles et
lorsque les familles n'ont pas pria l'initiative de
fournir elles-mêmes les justifications héréditaires,
il adresse au maire de la commune qui a été chargé
de notifier le décès un quesliunnaire demandant si
le défunt a laissé une veuve, des descendants, des
ascendants, des frères ou sœurs, oncles, tantes ou
tous autres héritiers.
La réponse du maire tient lieu de certificat d'hé-
rédité, lorsque la valeur de la succession est infé-
rieure à 150 francs.
Pour les successions d'une valeur de 150 à
1.500 francs, il est exigé un certificat d'hérédité dé-
livré par le maire, le juge de paix ou un notaire.
Les successions de 1.500 francs et au-dessus ne
sont délivrées que sur la production d'un certificat
de propriété établi par un notaire conformément aux
prescriptions légales.
En ce qui concerne la dévolution héréditaire, il
n'a pas semblé possible de s'en t>nir à la stricte
application des règles du droit civil. Il ne s'agit pas,
à proprement parler, de la liquidation d'une succes-
sion, mais de la remise de souvenirs constitués par
de menus objets personnels, tels que montre, pipe,
brirjuet, objets de toilette, linge de corps, livret
individuel, bibelots divers, etc. Aussi s'est-on ef-
forcé, par des mesures spéciales dictées par les cir-
constances, de concilier les principes du droit avec
les intérêts et les convenances de tous.
Une instruction ministérielle du 9 septembre 1916
établit comme suit l'ordre de remise des objets ayant
appartenu aux militaires :
1* Veuves, à moins d'opposition de la part des autres
ayants droit et si le divorce ou la séparation de corps
n a paô été prononcé. (Décision confirmée depuis par l'ar-
ticle 4 de la loi du 16 avril 1917) ;
20 Héritiers légaux dans l'ordre fixé par le code civil ;
3« A défaut d'iiéritiers, les ol>jet8 peuvent être remis
aux personnes s'étant occupées du défunt ou l'ayant élevé.
Par suite de la nature indivisible des objets re-
cueillis, s'il y a plusieurs cohéritiers, le B. S. M.
est autorisé a remettre la succession à l'un d'eux se
portant fort pour le compte des autres.
La liquidation des successions est facile dans la
majorité des cas : lorsque, par exemple, le défunt
laisse une veuve survivante et des enfants, ou bien,
s'il est célibataire, ses pire et mère.
Mais il n'en est pas toujours ainsi, et l'attribution
des objets soulève des difficultés qui sont tantôt
d'ordre juridique, tantôt d'ordre matériel.
La liquidation nécessite l'examen de toutes sortes
de questions de droit : questions de minorité et de
tutilli-, de légitima ion, de reconnaissance d'enfant-i
naturels, d'aveu de paternité, de divorce, de sépara-
tion, de testament, d'absence, d'exhérédation, de
nationalité, etc.
Les difficultés d'ordre matériel sont également
fréquentes, soit que la famille réside en pays en-
vahi, soit que les recherches eiïectuées ne permet-
tent pas de découvrir les héritiers, soit que l'identi-
fication du militaire soit particulièrement délicate,
soit que le sort du militaire ne puisse pas être exac-
tement déterminé, soit que les héritiers n'acceptent
pas la succession.
Victor Tiitot.
271
Pour l'examen de ces questions, il a été créé quel-
3ues services spéciaux, que nous passerons en ret ue
ans un prochain article. [A suivre.) — fSd. Booati.
Tissot (Joseph- I..ouis-Kic/or), écrivain suisse,
né à Bulle, pris de Kriboiirg, le 16 soàt lt>45, mort
k La Koclii' ^ illi bon, près de Palaiseau, le 4 juillet
1917. Fils d'un no aire fribourgeois, 'Victor Tissot
commença ses études au colli ge de Fnbuurg et les
poursuivit à Sion. Animé, ti is jeune, de la vocation
littéraire, il envoyait, dès son adolescence, des poé-
sies et des pages descriptives à la « Gazette du 'Va-
lais ». Obéissant au désir de son père, qui souhaitait
qu'il fût magistrat, Tissot étudia le droit à Tubin-
gue, puis à Vienne. Mais il délaissa bientôt la juris-
prudence pour les lettres. 11 passa plusieurs années
en Allemagne et,
sans ressources
personnelles, as-
sura les bases de
sa vie matérielle
par un précepto-
rat. Il vint se
fixer à Paris en
1867 et lut d'a-
bord employé de
librairie.
Puis il entra au
« Courrier fran-
çais », journal
d'ardenleopposi-
tion à l'Einpiie,
fondé par'Vermo-
rel et Louis Ma-
çon. Ce dernier,
qui portait à Tis-
sot une alTeclion
particulière, lui
confia le poste de secrétaire de l'administration. La
lâche à remplir n'était pas, en vérité, des plus titlérai-
res, puisqu'elle consistait & écrire sur des bandes les
adresses des abonnés du journal, et les appointements
n'étaient quedel 00 f ancs par mois. Lorsque le «Cour-
rier français » succomba sous un troisii me avertisse-
ment gouvernemental, succédiint à de nombreuses
amendes,Tissot se trou vade non veau sans ressources.
Maçon le fit admettre, comme professeur de lan-
gue et de littérature françaises, dans une institution
de jeunes gens, à Aire, près de Genève. Là aussi,
ses appointements mensuels étaient de 100 francs.
C'est alors que Victor Tissot fit ses véritables dé-
buts dans le journalisme, à la « Gazette de Lau-
sanne », dont il devint secrétaire de rédaction (I87u).
Après un séjour en Allemagne, il vint, en 1874, se
fixer à Paris, définitivement cette fois, mais sans re-
noncera fai redenombreiix voyages à traver. l'Europe.
Travailleur persévérant, administrateur avisé, il
dirij^ea le supplément littéraire du « Figaro » et colla-
bora à la " Revue contemporaine », au « Correspon-
dant », k la « Revue de France », etc. En 18»3, il
créa VAImannch Hachette, dont il assura la publi-
cation jusqu'à sa mort. Il dirigea le « Tour du
Monde » et le journal illustré « Mon Dimanche ».
C'est en 1876 queViclorTissot, mettant à profit sa
connaissancedel'Allemagne.publia/e loi/affeaupaj/s
lies milliari/s, dont le succès fut retentissant. Avec
une loyauté sévère, aiguisée d'ironie et une sûre clair-
voyance, il Y dévoi'ait l'organisation prussienne, qui
fendait perfidement à dominer l'Europe. L'espion-
nage allemand en France avant 1S70 était mafrislra-
lement étudié dans ce livre, qui fut. pour beaucoup
de lecteurs, une révélation. La traduction et la cir-
culalion en furent, bien entendu, interdites en Alle-
magne. Le passage de Victor Tissot en Bavière (1875)
donna même lieu à des perquisitions domici iaires.
Tissot a été essentiellement un écrivain de voya-
ges. Il ex''ellait à peindre les mieurs et à pénétrer
la psvehologie des peuples. Qu'il trailJt de la Russie,
de l'Àllemapne, de l'Autriche ou de .'on propre pays,
c'était toujours en observateur subtil, un peu caus-
tique, soucieux de voir et déjuger parlui-méme. Les
mêmes qualités se retrouvaient dans son talent de
journaliste, qui était avant tout mordant. Il soutint
en Suisse des polémiques relentissanles. Un de ses
différends les plus vifs l'opposa aux prêtres du can-
ton de Fribourg, qui ne voulaient pas autoriser les
jeunes gens à danser le dimanche. Tissot combattit
cette interdiction, qu'il jugeait abusive. Il dépensa
dans ses articles une ironie si cinglante, que le con-
servateur du musée de Fribourg, clérical intransi-
geant, fit reléguer le buste de l'écrivain au grenier,
pour manifester sa réprobation. Pourtant, Victor
Tissot, loin d'être irréligieux, soutint ardemment le
catholicisme en d'autres occasions. Mais son carac-
tère iudépendantlui attira des querelles* on alla jus-
qu'à incendier son cb»let.
L'auteur du Voyage au pays des milliards était
resté très actif, en dépilde son âge avancé. La guerre
venue, il entra dans le comité de la Ligw des /'Oys
neutres, dirigée contre nos agrc-^seurs. Français de
cœur, animé d'un mépris profond à l'égard de l'am-
bition et de l'avidité tiidesques. il publia, en 1916,
l'Allemagne casquée, sorte de refonte des ouvrag'es
précédents, enrichie de chapitres nouveaux. L«dai-
272
cription des usines d'Essen, frappante de vigueur et
de vérité, renlerjuait, au dire de l'auteur, tout le
symbolisme dis l'Allemusne moderne.
Viclor Tissot légua pur testament à sa ville natale
de Bulle une g-amle partie de la fortune qu'il avait
acquise au cours de sa cari icre. Il la destinait k l'éta-
blissement d'un musée gruyérien et d une biblio-
thèque dont ses propres collections, tableaux, objets
d'art et livres, ont tonné les premier- lots.
Les principales œuvres de 'Victor Tissot sont: les
Beaux-Arts enfuisse {tS69); A la recherche du bnn-
LAROUSSE MENSUEL
mal bâties que celles de la ville haute, mais dissé-
minées au milieu de jardins où des vergers floris-
sants et bien irrigués alternent avec de beaux vigno-
bles produisant le meilleur vin de toute l'Arménie.
Ces fleurs, ces vergers, ces vignobles semblent dé-
noter un climat très doux; néanmoins, et en raison de
son altitude. Van connaît, durant les nuits d'hiver, de
basses températures : lo" et même 20° au-dessous
de 0° C. Par contre, en été, la chaleur est assez
forte, mais sans guère dépasser plus de 35° à 40°.
En réalité, la villede Van jouitdonc d'un climat net-
Le plateau de Van, vu du lac de Van. Au fond, les monts du Taurus arménien, avec leurs nettes éternelles.
heur (1871) ; Vo>/ar/e au pa;/s des milliards (1875) ;
Voyage aux pays annexés (1876); les Prussiens en
AÛeiiiagne{lS'6)\ les Arenlures de Gaspard von der
Gomer (1879) ; Voyage au pays des Tziganes (1880) ;
la Hongrie, de l'Adriatique au Danube (1882); l'Al-
lemagne amoureuse (1884); Chefs-d'œuvre des pro-
sateurs français au xix= siècle (en collaboration avec
CoWna); les Curiositésdel' Al lemagtie du Nord{\SS5);
les Curiosités de l'A Uemagne du ^ud (1885) ; l'Ajri-
que pilloresque{\S»l];la Hussie el les Busses{\H81);
Russes et Allemands; Au pays des nègres (1887);
le Continent américain et les Iles (1887) ; la Police
secrète prussienne ; Vienne et la vie viennoise ; la
Suisse inconnue (1888). Eu collaboration avec Cons-
tant Haiu ro : Aventures de trois fugitifs ; les
Prosateurs de la Suisse française (1897); l'Al-
lemagne casquée (1916). Viclor Tissoi a, en outre,
traduit de l'allemand des contes de Hi yse, Kœrner,
Miilbach et la Société et les Mœurs allemandes,
du docteur Scherr. — Carlos Laekokdi.
trialisme {lissm') n. m. Système matériel ou
moral, composé de trois éléments qui conservent
leur individualité dans la combinaison.
— Polit. Réunion, sous un même souverain, de
trois Etats gardant leur autonomie : Les Slaves au-
trichiens voudraient siibslituer au dualisme actuel
un TRIALISME où le groupe slave aurait la même in-
dépendance politique que le groupe allemand otique
la Hongrie. Le comte lisza était l'adversaire résolu
du TniAusMK et de tontes les combinaisons tendant
à transformer le dualisme en système fédéralif ou
se rapprochant du fédéralisme. (Auguste Gauvaiii."
"Van, ville de laTurquied' Asie, sur le plateau d'Ar-
ménie, à peu de dislance du grand lac qui porte son
nom : 30.000 habitants ( Vanliotes) d'après V. Cuinet,
62.000d'aprèsr/l/nif(nac/irfeG"//iapour l'année 191 7.
La ville de Van (le Van Chelir des Turcs, Y Ani-
Khaïhak des Arméniens) est bâtie par 1.800 mè-
tres d'altitude dans un bassin verdoyant, entouré de
trois côtés par des chaînes calcaires très dénudées,
de 3.500 à 4.000 mètres d'élévation au-dessus du
niveau de la mer. La partie occidentale de ce bassin
est, au contraire, toute basse ; là se trouve un lac for-
tement salé, dont les eaux n'ont pu s'enfuir vers
l'ouest, par suite de la présence d'une coulée de lave
qui isole le bassin de Van de la plaine de Mouch.
C'est à 3 kilomètres des bords orientaux de la
mer de Van que se dresse la ville du même nom,
iiux confins d'une vaste plaine, mesurant 70 kilomè-
tres de tour et fort peuplée. Celle ville se compose
de deux agglomérations distinctes : le Ghenab ou
" Château», enclos de hautes m: railles créRelées et
(lanquéos de tours et bâti sur un rocher nummuli-
lique faille et crevassé, diuninant la plaine d'environ
100 mètres de hauteur; puis, au pied de ce rocher
isolé, a excellent donjon naliirel, d'où l'on peut sur-
veiller fous les environs », le faubourg d' Irkerdon
ou « des jardins », aux maisons auiisi basses et aussi
tement continental, et l'on ne saurait s'en étonner.
Sa jpopulation est loin d'être homogène; comme
dans les autres villes de l'Arménie, on y constate un
singulier assemblage de races et de religions. Cui-
net, qui attribue à Van 30.000 habitants seulement,
lui donne 16.000 musulmans, plus de 13.000 chré-
tiens et 500 juifs; mais les mulsnmans sont turcs et
kurdes et, parmi les chrétiens, il faut distinguer les
chrétiens catholiques, grégoriens et protestants, les
chaldéens et les latins. Lis Arméniens, qui sont des
gens intelligents, actifs et souvent riches, ont, à Van
même oudans ses environs, quelques établissements
d'instruction très florissants. Grâce à la présence de
consuls et de missionnaires, les chrétiens et les mu-
1
«• 128 Octobre 1917.
vile industrielle de Van, pour être inférieure à son
activité agricole, est néanmoins relativement consi-
dérable. Les laines des nombreux troupeaux de
moutons et de chèvres de la montagne servent à la
confection de tissus, de manteaux, qui jouissent en
Turquie d'une certaine réputation. Les efflores-
cences salines du lacsonl, d'autre part, assez active-
ment exploitées et servent à la préparation d'un savon
qui s'exporte jusqu'en Syrie. Quant aux richesses
minièresdont les gisements ne sont souvent qu'à peu
de dislance de Van, elles ne sont ni exploitées, ni
même suffisamment reconnues. Le soufre, la bouille,
le fer, le pétrole se trouvent en de nombreux en-
droits du vilayet de Van, grand de 33.100 kilomètres
cariés (47.500 kilom. carr. d'après Cuinet) et peuplé
de 308.000 habitants; mais le manque de voies de
communication s'oppose à leur mise en valeur.
De même, si le commerce est moins important
qu'il ne le devrait, la faute en est à l'état défectueux
des routes ou à leur absence totale, non au manque
d'esprit de négoce des Vanlioles. Il y a plus de deux
siècles déjà, Tournefort voyait avec raison dans les
Arméniens les <■ maîtres du commerce du Levant » ;
les Arméniens de Van sont dignes de leurs frères de
lace et font dans des bazars assez bien achalandés un
commerce encore assez actif, dont les fruits, lespeaux
tannées et les armes de Van sont les principaux ar-
ticles. Malheureusement pour eux, leur pays est très
accidenté, peu sûr, par suite de la présence toute pro-
che des Kurdes pillards des montagnes. Aussi, en
dépit de son importance stratégique au voisinage de
r.Aderbaidjan, une des plus riches provinces de la
Perse, en dépit aussi de son importance administra-
tive comme chef-lieu d'un district de 22.700 kilomè-
tres carrés et d'un vilayet, la villede Van denieure-
t-elle en dehors de la plupart des tracés futurs de
voie ferrée; cependant, une ligne française parlant
(le Sanisoun et gagnant Arghana par SivasetKhar-
poutdoit, dans un avenir que l'on ne saurait évaluer,
d'Arghana, gagner Van en passant par Uitlis. Alors,
l'antique Thospitis deviendra une ville moderne.
Actuellement, elle garde encore des souvenirs
d'un très lointain passé, bien que ces souvenirs ne
remontent pas aux temps mêmes de sa fondation.
Celle-ci, que la légende attribue à Sémiramis, date
au moins du ix« siècle avant notre ère, de l'époque
où le pays était habité par un peuple parent des
Géorgiens et des montagnards actuels du Caucase.
Van était alors la capitale d'une principauté vassale
de l'Assyrie, comme l'attestent des inscriptions
cunéiformes très nombreuses, gravées sur le haut
rocher à pic qui porte la citadelle. Après la ruine
de l'empire d'Assur, la principauté de Van, où les
Arméniens remplacent alors les habitants primitifs,
devient vassale des différentes dominations qui se
succèdent en Mésopotamie, à débuter par celle des
Perses, qui ont laissé à Van même des inscriptions
relatant les exploits de Xerxès. Les Parthes, eux
aussi, ont tenu sons leur domination Van, qui eut
La fortertsse de Van, on Arnirnie turque.
sulmans y vivent en meilleur» rapports que presque
partout ailleurs.
Van est donc une ville présentant, de par le chiffre
de sa population, une certaine importance; bien que
secouée parfois par des tremblements de terre, elle
est, d'autre part, assez florissante. Elle doit celte
prospérité à des causes multiples et surtout à la
fertilité d'une campagne riante, bien irriguée et
dont un proverbe dit : «Van dans ce monde, le pa-
radis dans l'autre. •> De beaux champs de céréales,
de riches vignobles couvrent les campagnes; les
jardins potagers produisent de noml)reuses espèces
de légumes d'Kurope et d'Asie. Sur les bords du
lac, qui mesure une superlicie de 3.690 kilomètres
carrés, poiriers, cerisiers, abricotiers forment de
riches vergers clos de hautes murailles, tandis que
les saule.», les trembles et les peupliers s'alignent
dans la campagne et que les mûriers revêtent cer-
tains coteaux particulièrement favorisés. — L'acti-
au moyen âge une existence agitée, avec des pé-
riodes d'indépendance, et qui fut alors ravagée par
les Turcs Seidjoukides et par les Talars. Plus tard,
elle tomba dans la vassalité des Perses, puis fut
reprise par les Turcs, sous la domination desquels
elle était encore au début de la guerre actuelle.
On sait que Van, située sur la route de la Cau-
casie au Tigre ou plutôt à la Mésopotamie, a joué
un certain rôle dans la Grande Guerre et que Russes
et Turcs l'ont prise et reprise plusieurs fois. Le ré-
sultat de ces alternatives sera, sans doute, de faire
disparaître les vestiges des magnifiques palais qui
faisaient jadis la gloire et la parure de Van; c'est à
peine, avant les derniers événements, si la belle
mosquée de la Sinanieh et une vieille église du
vm" siècle, Saint-Pierre-et-Saint-Paul, en rappe-
laient la splendeur passée. — H. Faoïoivioi.
Paris.— Imprimerie Larousse (Moreau, AuKé, CiUon et C'»J,
t7, rue Montparnasse. — Le gérant : L. GaoSLEt.
W 129. - NOVEMBRE 1917
MÉÉMUMMiAMÉMitlMiUlMMl
MMÉMIiiaillliW
jTNi,
Académie des inscriptions et belles
lettres.— lilections (le l-'raiiçois Thureau-Dangin
etdu cotnle ll.-François Delaborde. Pourlapremiére
fois depuis l'ouverture des hos-
lililés, l'Académie des iiiscrip-
lioiis et belles-lelires a pro-
cédé à des élections, le 4 mai
1917. Il s'agissait de remplacer
deux académiciens ordinaires,
décédés : Georges Perrot et
Paul Viollel. Les candidats i,
la succession de Georges Per-
rot étaient l'abbé J.-B. Chabot,
membre de la commission du
Corpus des inscriptions sémi-
tiques; (élément Huart, profes-
seur à l'Ecole des langues orieii-
tales vivantes ; Gharles-'V. Lan-
glois, directeur des Archives
nationales; Paul Lejay, pro-
fesseur de philologie latine à
l'Institut catholique de Paris;
Joseph Lolh, professeur de phi-
lologie celtique au Collège de
France; François Thnreau-
Dangin, conservateur adjoint
au Musée du Louvre; Maurice
Vernes, directeur à l'Ecole des
hautes études, section d'his-
toire et de philologie. Le nom-
bre des votants était de 32 ;
Stoursde scrutin lurent néces-
saires. Les candidats obtinrent
successivement: Chabot, 8, 7,
7,6,1 voi.\; Huarl, 3, 0,1,1,0;
Langlois, 5, 8, 10, 9, 13; Lejay,
4.5,0, 1, 0;Loth, 4,1,1,0, 1;
Thureau-Dangin, 8, 11, 13, 15, 17;
Vernes. o à tous les tours. Fran-
çois Thureau-Dangin, ayant
obtenu la majorité absolue, a
été proclamé élu. (V. p. 300.)
La succession de Paul 'Viol-
lel était briguée par Charles
Bémont, historien, directeur
adjoint à l'Ecole des hautes
éluiles; le comte H.-François
Delaborde, professeur à l'Ecole
des Chartes; Gustave Glotz,
professeur d'histoire ancienne
à la faculté des lettres de Paris;
Clément Huart; Emile Mâle,
professeur d'histoire de l'art à
la faculté des lettres de Paris;
Jules Martha, professeur d'élo-
quence latine à la même faculté; Etienne Michon,
membre du comité des travaux historiques, et Mau-
rice Vernes. Il y eut 4 tours de scrutin, qui donnèrent
les résultats suivants : Ch. Bémont, 6, 7, 5, 5; H.-F. De-
laborde, 5, 11, 16, 20; G. Glotz, 2,4,4,0; a. Huarl,
LAnoUSSE MENSUEL. — IV.
2, 0, 0, 0; E. Mâle, 5, 4, 5, 7; J. Martha, 7, 1, 2, 0;
E. Michon, 3,5, 0,0; M. Vernes, 2,0, 0, O.Le comte
H.-François Dclabordeaétè proclaméélu. (V.p.278.)
Les si'jnfj du Zodiaque et kurs aliriviatiom. — Lfs chiffres romains Iniliquenl la succession de» signes ; les chiffres arabes,
la succession des mois. Autrefois, les signes du Zodiaque coïncidaient avec les coostellations qui ont servi à les désigner.
" aïs. a cause de la ""*'"'"''*""''''" *'•'■•"''-'•" ii»'..»^i..- — ; •■...; — .__!. _ . . . ^ ....
ps. le S(
cotncidence sera rétablie après environ '26.000 ans. (V
mais, a causa de la Drécession deséquinoies. il n'y a plus aujourd'hui coïncidence ; ainsi, du temps d'Hipparque k l'équino^e
de printemps, le Soleil se trouvait dans la constellation du Bélier: aujourd'hui, il se trouve dans celle du Poissons. La
l'art. ÉquiNoxB AU A'out'eau Larousse tUuittri.)
Académie des sciences. — Election
d'Emmanuel Leclainche. Le 11 juin 1917, l'.^ca-
démie des sciences a procétïé, par la voie du
scrutin, à l'élection d'un membre de la section
d'économie rurale, en remplacement de H, Chau-
veau, décédé. Au second tour de scrutin, le nombre
des volants étant 49, E. Leclainche obtient 26 suf-
frages et G. Moussu, professeur à l'école d'Alforl,
23 suffrages. E. Leclainche,
ayant réuni la majorité absolue
des siilTrages, a été proclamé
élu, (V. Leclainche, p. 292).
Astrologie. ( Sciences
OCCULTES.) L'expression
sciences occultes désigne gé-
néralement toutes les théories,
toutes les pratiques, toutes les
doctrines même qui ne sont pas
acceptées par la science pro-
prement dite; — d'aucuns écri-
raient «par la scienceollicielle».
Le champ de ces études en
dehors est des plus vagues. La
divergence d'opinions com-
mence à l'atlribulion du quali-
flcatif 11 occulte ». Celte épithèle
se rapporte-t-elle aux sciences
elles-mêmes, c'est-à-dire à leurs
lois et à leur en.seignemenl, ou
bien qualifie-t-elle les phéno-
mènes spontanés ou provoqués,
sur lesquels la doctrine est
basée ?
Dans le premier cas, le mol
u ésotériquc" exprimerait plus
exactement l'idée d'inilialion
secrète (grec esoterikos, inté-
rieur; en l'espèce, intérieur du
temple où les adeptes se réu-
nissaient).
.\ notre époque, la seconde
hypothèse est plus habituelle-
ment admise. L'expression est
alors elliptique : les sciences
occulles traitent des « choses
cachées », de celles que Cicé-
ron appelait les res occultse.
C'est la définition adoptée
par Emile Faguel :
L'occultisme (écrivait-il) est un
mot nécessairement vaf^ue, qui dé-
signe l'ensemble des phénomènes,
les uns ph} siques. les autres psy-
chiques, qui contrarient l'idée gé-
nérale que nous avons des lois de la
nature et dont les causes et le mé-
canisme nous sont encore cachés.
Celle explication présente
l'avantage d'éviter l'emploi du
mol science, plus volontiers ré-
servé, dans son acception habituelle, aux théories
classées, indiscutables, faites de lois constantes et
considérées comme déflnilives.
Quant à l'astrologie (qui est l'art divinatoire fondé
sur l'observation des aslres et des phénomènes
11
274
célestes), doit-elle être classée parmi les sciences
occultes? — Oui, car elle n'est qu'une branche de
l'alchimie. Si nous en croyons ses adeptes, l'alchimie
remonte aux premiers â^es du monde. Elle n'a pas
pour unique objet, comme on le croit commimément,
de déterminer la formule de la pierre philosophale.
Le grand-œuvre comporte la connaissance de toutes
les lois qui régissent l'évolution de la matière.
L'astrologie, comme toules les sciences magiques,
est basée sur le principe fondamental de la philoso-
phie alchimiste, celui de 1 hylozoïsme.
En voici l'exposé : la matière, quelle que soit sa
forme, est un être vivant. Le minéral, le végétal,
sont composés d'une forme sensible ou corps et
d'un principe spirituel ou âme {anima).
Notons, dès maintenant, que cette proposition, si
audacieuse qu'elle puisse paraître, est susceptible
d'une sorte d'interprétation, dans l'état actuel de nos
connaissances. La conception moderne du mouve-
ment vibratoire, la découverte de l'état radiant
suggèrent des analogies intéressantes.
De même, les quatre éléments de nos pères :
terre, eau, air, feu, dont le rôle en alchimie est des
plus importants, peuvent être traduits en langage
scientiiique par les mots : solide, liquide, ga-
zeux, radiant, qui caractérisent les quatre états
de la matière.
Les recherches astrologiques, d'après le principe
de l'hylozo'isme, s'appliquent à trouver tout ce qui
intéresse la vie matérielle des planètes et s'effor-
cent de préciser toutes les manifestations de leur
vie spirituelle. Aussi l'astrologie est-elle dite spécu-
lative. Mais les lois qu'elle admet et sur lesquelles
elle appuie ses raisonnements ressemblent plus à
des postulala qu'à des théorèmes. Les deux plus
\mportantes méritent, néanmoins, d'être citées :
I". — La Nature procède toujours avec unifor-
mité. De même qu'elle ne fait pas de sauts {Natura
non facil salins), elle ne lait pas d'exceptions. La
matière agit sur la matière. Nul ne songe, aujour-
d'hui, à nier les lois de l'attraction, par exemple. La
production des marées est causée par le voisinage
de la Lune. De même, le principe spirituel exerce
Zone zodiacale ; E, Equateur ; Z, écUptique ; P, axe du monde
A, axe de récliplique ; O. équinoxe de printemps. — F.èche a, sens
du mouvement propre du Soleil sur l'écliptique ; flèche b, sens du
mouvement de rotation diurne.
son influence sur le principe de même essence que
lui : l'àme agit sur l'âme.
II". — Les influences astrales, physiques et spiri-
tuelles, développent leur maximum d'intensité sur
le corps et sur l'âme de l'homme, au moment de sa
naissance. C'est en vertu de cette seconde loi que
l'astrologie est également dite horoscopique. Elle
détermine l'aspect du ciel, la position des astres par
rapport à la Terre, k l'heure de la venue au monde
de l'homme considéré, et dresse avec ces données
son thème de nativité.
La première série d'opérations ressortit à l'astro-
logie et à la cosmographie. Afin de permettre au
lecteur de comprendre, à l'occasion, les représen-
tations graphiques d'horoscopes, nous résumerons
Quelques principes fondamentaux, communs à ces
deux sciences. Les planètes et, par conséquent, la
Terre, effectuent leur voyage circumsolaire chacune
suivant une courbe fermée, plane et légèrement
ellipsoïdale. Toutes ces courbes, ou orbites, sont
contenues dans une zone relativement étroite du
sphéroïde céleste, appelée Zodiaque.
Le Zodiaque est jalonné par douze constellations,
devant lesquelles la Terre passe une fois au cours de
sa translation annuelle. Leurs noms et leur ordre de
répartition sont donnés par le distique bien connu :
Sunt Arîes, Taurus, Gemini, Cancer, Léo, Virgo,
Libraque, Scorpiits, Arcilenena, Caper, Amphora, Places.
(jCeaont: le Bélier, le Taureau, les Oémeaux, lo Cancer,
le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagit-
taire, lo Capricorne, lo Verseau, les Poissons.)
LAROUSSE MENSUEL
Aux premiers âges de l'astrologie, chacune de
ces constellations correspoudait à l'une des parties
de l'écliptique, divisée en douze arcs égaux, et lui
avait donné son nom. Mais le phénomène de la
précession des équinoxes a provoqué un déplace-
mentde cette correspondance. Aujourd'hui, du signe
Gémeaux de notre écliptique, c'est le Taureau qui
Tab
eau des douze signes du Zodiaque
NOM
FiaURA-
CONSTELLATION
ÉTOILE PRTOCIPAI.B
DU SIONB
TION
comprise
voisine deréeliptiqiie
Bélier
Y
Les Poissons
a d'Andromède
Taureau . . .
^
Le Bélier
a du Bélier
Gémeaux. . .
0
Le Tauioau
Aldébaran
Cancer ....
6s,
Les Gémeaux
Castor et PoUux
Lion
SI
Le Cancer
Régulns
Vierge ....
«K
Le Lion
Denebola
Balance . . .
iQ.
La Vierge
Epi de la Vierge
Scorpion. . .
m
La Çalance
a de la Balance
Sagittaire . .
>-^
Le Scorpion
An tarés
Capricorne .
•h
Le Sagittaire
Altaïr
Verseau . . .
K»
Le Capricorne
s du Capricorne
Poissons. . .
K
Le Verseau
Fomalhaut
est vu, et non les Gémeaux ; du signe Cancer, on voit
les Gémeaux et ainsi de suite. L'examen du tableau
des signes du Zodiaque fera comprendre la valeur
de ce déplacement.
D'autre part, les orbites planétaires faisant un
angle très petit avec le nôtre, il en résulte que les
constellations zodiacales exercent sur les planètes
les mêmes influences que sur la Terre. Aussi les
astrologues tiennent-ils compte non seulement des
actions zodiacales, mais encore et surtout de celles
émanant des planètes ainsi influencées.
Les astrologues du temps de Ptolémée ne consi-
déraient que sept astres : le Soleil, la Lune, Mer-
cure, Venus, Mars, Jupiter et Saturne.
Ceux d'aujourd'hui, d'accord en cela avec les as-
tronomes, en considèrent douze. Des cinq planètes
nouvelles, deux seulement, Uranus et Neptune, sont
O
^Le Soleil
3
La Luno
9
Vénus
Mercure
Uranus
ï)
Saturne
9/
Jupiter
Mars
Neptune
Représentation des astres visibles considérés par les astrologues.
visibles, grâce à la puissance de nos instruments.
Les trois autres : Junon, Pluton, Vulcain, ont été
calculées par les astronomes et déduites d'un rai-
sonnement de philosophie cosmologique par les
astrologues.
Il nous reste à indiquer les cas dans lesquels les
influences développées p:ir les planètes s'ajoutent,
se contrarient, ou se neutralisent.
Considérons d'eux quelconques de ces planètes.
■Vues de la Terre, elles se meuvent sur des orbites
qui semblent se confondre et que nous pouvons re-
Mouvement apparent des astres ; Exemples du quadrature,
d'ojiyotition, de conjonction, de trigone.
/V 129. Novembre 1917.
présenter par une circonférence dont notre sphéro'ide
serait le centre. En réalité, elles panourent, dans
le même sens, avec des vitesses sensiblement égales,
des ellipsoïdes plus ou moins grands, suivant qu'ils
sont plus ou moins éloignés du centre de gravitation
qui est le Soleil.
De la Terre, nous les verrons donc dans l'une des
positions suivantes :
Si nous supposons que l'une des deux planètes est
fixe en A, l'autre sera vue soit en B, soit en G, soit
en I), soit encore en A.
Lorsqu'un astre étant en A, l'autre est vu en B
ou en D, la mesure de l'arc qui les sépare est de
90°; on dit, alors, qu'ils sont en quadrature.
Le premier astie étant encore en A, si le second se
trouve en (;, à l'autre extrémité du diamètre, ils sont
en o/iposilio7i.
Les deux astres sont en conjonction lorsqu'ils
paraissent serenconireren A et A', et la conjonction
est complète lorsqu'un astre passe exactement devant
l'autre et le cache à notre vue ^éclipse).
Les positions iulcrmédiaires sont également inté-
ressantes. La plus remarqualile et la plus agissante
est celle du trigone. Dans ce cas, la mesure de l'arc
qui les sépare est de liO".
En conjonction, les influences se doublent.
Eu quadrature, elles se contrecarrent violemment
(la quadrature est un pi-ésage de lutte, de colère).
En trigone, elles s'aident puissamment.
En opposition, elles se repoussent.
Les influences sidérales ont été localisées par
les astrologues dans les douze maisons du ciel.
Chacune de ces maisons est la douzième partie de
Les douze maisons du ciel [fiq. 1). — Pour présager, d'après les
règles de l'astrologie, la deslinée future d'un être humain, il fil-
lait déterminer l'êt-it du ciel au moment de sa naissance, c'est-à-
dire au moment précis où sa destinée était écrite au ciel et fixée
pour la vie : c'était ce que i'on appelait dresser le t/iéme de tinti-
vite. En voici les procédés 1< s plus simples et les plus ordinaires.
Les signes du Zodiaque étant répartis dans leurs douze maisons
sur une fig tre du genre de celle ci-dessus, où le Bélier occupe le
triangle qui forme la maison n. 1. on dressait une figure analogue
pour y noter l'état du ciel au moment de la naissance. (V. fig. 2.)
1.08 douze maison» du cieU^J. 2). — Sur celle deuxième figure,
analogue à la première, on répartissait les constellations suivant
la place qu'elles occupaient au moment de la nnissance; celle qui
moulait alors i. l'horizon occupait le trinngle n" 1 et recevait le
nom Aascendant. Cela fail, on déterminait les places respectives
des planètes dans les eonslollations au même moment. Soit, dans
la ligure ci-dessus, la Balance étant l'a-oendant de Saturne dans
l'ascendant : on notait qui- Vénus «tilt avec le Bélier dans la
niaiion n» 7. soit en aspect diamétral ou opnosilion, etc. Le thnite
df nativité ou horoscope une fois dressé, il lallaiten ilétermiiier
le sens, c'est-à dire les présages tirés de la combina son des acti.MU
variées que l'on supposait exercées par les constellations et les
planètes ; la durée de la vie, les apliluiles. les quulites, les paa-
Bions, les événements et les maladies.
/«• 129. Novembre 1917.
la sphfre céleste idéale vue d'un point quelconque
de la Terre. Ce cercle des maisons est, en consé-
quence, le plan diamétral de cette sphère. On
conçoit que le nombre de ces cercles est infini,
mais chacun d'eux, divisé en douze secteurs égaux,
contient la totalilé des influences. Par des raison-
nements de pure cabale, après avoir étudié la
nature des actions développées par les constella-
tions et les planètes et en avoir fait, en quelque
sorte, la somme algébrique, les astrologues ont
attribué à chacune des maisons une caractéristique
LAROUSSIi: MENSUEL
adeptes affirment que le ciel astrologique n'est ja-
mais menteur. La vie d'un homme peut ne pas tenir
toutes les promesses d'un beau thème, parce que
certaines contingences sont susceptibles de contra-
rier les impulsions favorables : l'éducation, l'entraî-
nement des passions, par exemple. Mais le cas con-
traire ne se produit jamais. Un sujet, né sous un
ciel dépourvu de caractéristiques marquantes, c'est-
à-dire sous un ciel indifi'érent, ne devient jamais un
homme de génie, ni même un personnage réelle-
ment distingué. Éa résumé, le thème astral donne
BùTOKopt fit itichet-Aji'je, — ïbèiiie harmonique ; Conjonction de
Neptune et d Uranus ; de Mars, Lune et Soleil, dont les inlluences sont
auicnientées par le %'oisinaçe en dodectile et en sextile de Jupiter. Mercure,
Vénus. Ces deux conjonctions sont en trigone avec Saturne. Pas d'oppo-
sition, pas de quadrature ; nul signe de violence.
Boroscope de Bobespierrf. (heure de naissance connue). [M C, milieu du
ciel]. — Deux planètes seulement en relation de conjonction ; tlième mou-
vementé, où se retrouvent tous le» signes de révolution. Opposition vio-
lente de Jupiter et de Mercure. Les inlluences maléllques sont augmentées
par le trigone. Quadrature de Mercure avec Vénus et Uranus.
dominante. Un distique datant du moyen â{;e en
donne la signification :
Vita, lucrum, fratres, genitor, nati, vaîetuâo,
Uxor, mors, pietas, regnum, benefactaque, carcer.
Vita ; la vie, la force, la saoté. Lticrum : l'argent, les
bieits et les maux qu'il engendre. Fratres : la parenté
collatérale. Genitor : le père, l'ascendance mâle, la trans-
mission des biens héréditaires. Nati ; les enfants, la pos-
térité. Vnletudo ; les maladies, les infirmités, les défail-
lances physiques et morales. Uxor : l'épouse, les mariages,
les contrats et, par une sorte de conséquence ironique,
les procès. J/ors : la mort, l'anéantissement des choses
et des êtres et, encore par voie de conséquence, les héri-
tages. Pietas : la spiritualité, l'intuition,
la religiosité. Itfgnwn : les honneurs, la
naissance, la proifession. Benefacta : les
dons, les bienfaits, la confiance, l'amitié.
Carcer : les ennemis, la prison, l'exil.
Toutes ces influences sont, suivant
la position relative des astres, posi-
tives ou négatives, augmentées ou
atténuées.
En résumé, les opérations princi-
pales de l'érection d'un horoscope
sont d'ordre purement cosmographi-
que et ont pour objet : 1° d'établir et
d'orienler, pourun point donné, aune
heure connue, le cercle des maisons;
2" (le placer les astres et les constella-
tions dans chacune de ces maisons.
Pour interpréter les résultats obte-
nus, les astrologues modernes utili-
sent des tables venues jusqu'à nous
par voie de tradition, mais remontant
aux temps historiques les plus recu-
lés. Petosiris et Necepso, prêtres de
l'ancienne Egypte, Plolémée, les tem-
Îiles grecs et, plus lard, au moyen âge,
e fameux Regiomonlanus, ont laissé
des enseignements encore suivis par
les mages d'aujourd'hui.
L'examen des thèmes de nativité
despersonnages célèbres peut présen-
ter quelque intérêt. Nous en citons
quatre, à titre documentaire: Michel-
Ange, Robespierre, Napoléon, Flau-
bert. Ces figures ne sont données
que comme exemple de position des
astres au moment d'une nativité.
Pour les lire, il faut se rappeler que les conjonc-
tions d'autres elles Irigones amplifient les influences.
Les quadratures et les oppositions les contrarient
et sont considérées comme des présages de violence.
Un beau thème est harmonique. Le triangle équi-
latéral formé par le concours de trois trigones, cas
extrêmement rare, indique les tendances les plus
élevées d'un esprit calme, ne s'attacbant qu'aux
spéculations d'ordre supérieur.
Convaincus de l'infaillibilité de leur science, les
la valeur probable d'un individu. Il est remarqua-
ble, ajoutent-Ils, que le fatum astrologique n'exclut
aucunement l'exercice du libre arbitre, ni celui de
la volonté :
Astra inclinant, non nécessitant,
dit la philosophie hermétique. (Les astres prédispo-
sent, mais ne nécessitent pas.)
Cette sage réserve présente le double avantage
de fournir aux astrologues une justification dans le
cas où un horoscope ne se réalise pas et, surtout, de
les prémunir contre certaines accusations tendan-
MC
275
dont les racines touchent aux âges quasi fabuleux.
En Chaldée, comme en l'"gypte, l'astrologie était le
privilège mystérieux d'une caste. Elle passa ensuite
en Grèce, où elle se perfectionna, s humanisa et
s'adapta aux idées religieuses ; puis en Italie, où les
astrologues devinrent les conlidents de tous les
ambitieux.
Ce sont les temples de l'Egypte des pharaons qui
nous ont légué les principes fondamentaux auxquels
nos astrologues modernes ont encore recours. Peto-
siris et Necepso, disciples d'Hermès, auraient les
premiers étudié l'influence des ré-
gions zodiacales. C'est également à
ces deux prêtres antiques qu'on attri-
bue la transmission de la fameuse
table d'Emeraude, dont les principes
condensés régissent toute la science
alchimique.
Lapremièreproposilionen est ainsi
conçue :
Il est vrai..., il est réel..., il est certaiii
que ce qui est eu bas est comme ce qui
est en haut, que ce qui est eu haut est
comme ce qui est en bas pour les mer-
veilles de 1 accomplissement de la chose
unique.
Les occultistes d'aujourd'hui voient
dans cette sorte d'axiome la première
suggestion formulée relative à l'unité
de la matière et à la continuité des
œuvres de la nature. D'après eux, les
mages de l'antiquité auraient eu non
seulement cette conception, mais en-
core celledu mou vement des planètes,
donc de la Terre, autour du Soleil.
Lorsque Zoroastre, Pytbagore et
d'autres encore imaginaient un Soleil
tournant autour de la Terre fixe et
plate, ils avaient dii recourir à un
procédé de démonstration analogue à
celui que nos professeurs modernes
emploient dans les cours de cosmo-
graphie élémentaire. Cette affirmation
est bien hypothétique. Il n'en demeure
F as moins que les astrologues de
antiquitéclassique,grecq je et latine,
obtenaient des résullats surprenants, au dire des
auteurs contemporains.
L'art d'ériger des horoscopes ne constituait qu'une
partie de leur science, car ils étaient capables de
résoudre le problème inverse et de procéder synthé-
tiquement. En réunissant les faits marquants d'une
existence, ils prétendaient remonter jusqu'à son ori-
gine, c'est-à-dire déterminer la date de naissance du
sujet. Plutarque, dans sa KierfeBomu/iis (traduction
.•\myot, chap. XVIII), écrit en effet :
Du temps do Marcus Varron, homme docte et qui
avait autant lu aux anciennes histoires que Romain qui
Borotcope de yapotéon (heure de naissance connue). — Conjonction de plu-
sieurs astres, indiquant la prédestination aux grandeurs et le déreloppemeot
intellectuel ; Mars. Neptune, Soleil, Mercure, Saturne. Vénus. Conjonction
bénéllciée par le double trigone av,>c Uranus. Mais plusieurs oppositions :
Saturne avec la Lune, Uraoua avec Jupiter. La présence d'une coméle amplifie
ces signes d'orage et de vie mouvementée, menacée d'une chute subito.
moniq
BoroKCpe de Flaubert (heure de naissance inconnue). - Th
nique ConjoncUon de quatre planètes ; Mercure, ^enus Nepti
- Thème har-
ptune, Ura-
nus. él du Soleil, en rl^ratiôn par double trigone avec Saturne et Jupiter
dune part, avec Mars de l'autre. Nul signe de violence ; au contruu-e, in-
dices ifune vie tout cniièrc consacrée à un idéal d'étude, favoriite par
cette relation de planètes saiu quadrature ni opposition.
cieuses. En attribuant, cette fois, h l'expression son
sens péjoratif, l'astrologie ne doit pas être classée
parmi les « sciences occultes ». Elle ne se livre à
aucune pratique secrète et ne prétend entretenir
aucun commerce avec des entités mystérieuses. Elle
ne porte pas d'atteinte à la liberté morale de l'homme.
Nous n'entreprendrons pas de résumer l'histoire
de l'astrologie. Elle remonte aux époques les plus
reculées, et nous en trouvons des vestiges dans toutes
les littératures, même dans la philosophie chinoise,
fut oncques, il y avait un de ses amis nommé Tarrulius,
grand p^iilosopho et mathématiciea et se mêlant du cal-
cul astrologique pour le plaisir do la spéculation seule-
ment, en quoi il était tenu pour excellent. Varron lui
proposa en thème qu'il chorchit l'heure et le jour d«
naissance de Romulus on la colligeant par la consé-
quence do ses aventures, ni plus ni moins qu'il se fait
es résolutions de quelques problèmes géoniétrniues, pour
ce qu'ils cliseut que par un mémo arlitice se peut prédire
ce qui doit arriver à un homme en sa vie quand on a su
l'heure de sa aativité et connaître aussi Vhoure de sa
nativité, quaud on sait ce qui lui est advenu en sa vie.
276
Tarrulius, d'après Plutarque, ses recherches faites
et ses calculs elfeclués, fut à même de fournir les
précisions suivantes :
Romulus fut coDcu au premier an de la seconde
olympiade, le vingt-troisième jour du mois que les Egyp-
tiens appellent Cnoesac, qui est le mois de décembre,
environ les trois heures du jour, à laquelle heure il y eut
éclipse entière de soleil, et vint à la lumière le vingt et
unième du mois de Thoth, qui est le mois de septembre,
environ le soleil levant.
Les Romains instruits connaissaient tous l'astro-
logie et accordaient le plus grand crédita la science
généthliaque. Virgile, qui savait tant de choses, était
un maître dans l'art d'interpréter les influences
astrales. Il est vrai qu'il fut soupçonné de s'être
adonné à des pratiques confinant à la sorcellerip.
On le confondit même avec un autre personnage,
peutêlre légendaire, appelé « Virgile le iVIagicien <>,
auquel on attribuait une puissance prestigieuse ex-
travagante. Ce qui est incontestable, c'est que l'éton-
nante quatrième églogue, placée sous le vocable
épigraphique « PoUion «, débute par un horoscope
renouvelé des prédictions de la Sibylle de Gumes :
Ullima Cumxi venit jam carminis xtas...
La Sibylle avait prédit que, lorsque les astres re-
viendraient dans la situation qu'ils occupaient à la
naissance du monde, les événements se reprodui-
raient dans le même ordre, en commençant par
l'âge d'or. C'est la première théorie connue des
cycles astraux.
Le II mathématicien » Théagène annonça h Octave
sa brillante destinée; Scribonius dressa l'horoscope
de Tibère; Néron, Vespasien, Marc-AurMe, crurent
aux Chaldéens. Septime-Sévère épousa, dit-on, Julia,
allii (le devenir roi, puisqu'un astrologue avait prédit
qu'elle épouserait un roi. Alexandre Sévère fut lui-
inêine un astrologue et créa des chaires d'astrologie.
Un poète, Manlius, exposa la science astrologique
dans un poème didactique. Un astrologue de l'époiiue
néronienne, ApoUonios de Tyane, né en Cappa-
doee, venu à Rome pour y n voir de près un tyran »,
lut si bien exaucé que Néron le prit sous sa pro-
tection et qu'il fut aussi le favori et le conseiller de
Vespasien.
Le christianisme, à son origine, fut l'adversaire
de l'astrologie ; quelques docteurs la combattirent
comme portant atteinte à la liberté et à la Provi-
dence, mais la plupart, sans contester la réalité de
ses résultats, y virent une inspiration du démon;
d'autres s'efforcèrent d'en concilier les doctrines
avec la foi, et de là naquirent d'innombrables héré-
sies astrologiques. Persécutée par les empereurs
chrétiens, proscrite par les docteurs de l'Eglise,
l'astrologie survécut, cependant, à la ruine du paga-
nisme; mêlée à des vestiges des cultes orientaux,
associée aux pratiques de la magie et de l'alchimie,
la divination sidérale devint une science occulte,
pratiquée obscurément, mais à laquelle nombre
d'esprits curieux cherchèrent à se faire initier. Les
Juifs et les Arabes furent alors les dépositaires des
procédés de la divination; beaucoup d'adeptes se
tirent une industrie de l'art de tirer un horoscope.
Mais l'Eglise catholique, d'abord très sévère pour
toutes les pratiques d'arts divinatoires, sembla, au
xni» siècle, ne plus interdire absolument l'étude de
l'astrologie. On lit, en effet, dans saint Thomas
d'Aquin, cette appréciation indulgente :
Quoique le libre arbitre ne soit pas soumis à l'action
déterminante dos causes naturelles, cepentiant ces causes
facilitent ou empêchent parfois les actes exécutés par le
libre arbitre. D'autre part, les hommes cèdent souvent à
leurs passions, qui sont des mouvements de l'appétit sen-
sible, auxquels les corps célestes peuvent coopérer ; petit,
en effet, est le nombre des sages qui résistent à ces impul-
sions. De là vient que les astrologues arrivent à prédire
fréquemment la vérité, surtout d'une manière générale,
mais non dans les cas particuliers, parce qu'un homme
peut toujours, en usant de son libre arbitre, résister à ses
passions. Le sage domine les astres.
Les rois, entre autres ceux de France, etlesprinces,
loin de dédaigner les avis et les prédictions des
astrologues, en faisaient si grand casqu'ils attachaient
officiellement à leur personne les meilleurs dresseurs
d horoscopes. Alphonse X de Castille était follement
épris de cette science et la cultivait; Charles V
conformait ses décisions aux résultats des calculs
de Thomas de Pisan, le père de la sage et savante
Christine, et Gerson écrivit un livre pour réfuter
les doctrines de cet astrologue. Louis XI entretenait
une véritable académie d'astrologues, parmi lesquels
on peut citer: AngeloCattho, archevêque de Vienne,
Jacques Llioste, Pierre Chomet et, surtout, le fameux
Coictier. Ce dernier avait eu la prudence de révéler
au roi que la destinée du souverain était étroitement
liée à celle de son maître mire [médecin), si bien
que la mort de Coictier ne devait précéder celle de
Louis XI que de vingt-quatre heures...
Toute l'ancienne France fut favorable aux astro-
logues et même hospitalière à ceux venus de
l'étranger.
Dans un précédent article, nous avons cité la pré-
diction de Pierre d'Ailly, relative à la Révolution.
(V. p. 216.) Pierre d'Ailly, devenu cardinal sous
le pontificat de Jean XXII, écrivit une thèse sur la
concordance de l'astronomie et de la théologie
LAROUSSE MENSUEL
(Concordia aslronomise cum theologia, Paris, 1490),
qui est considérée comme une des plus habiles ten-
tatives d'adaptation des doctrines scientifiques de
l'époque aux révélations bibliques. Cent ans avant
lui, Gautier de Metz avait composé un poème didac-
tique : l'Image du monde, contenant un chapitre
intitulé II De la vertu du ciel et des étoiles ».
Au xiv» siècle, vivait le célèbre Pierre de Mon-
tereggio, connu sous le nom de Regiomontanus.
Il convient de noter que la prédiction qui lui est
attribuée, relative à l'ère révolutionnaire, a été dé-
Un astrologue au xvi« siècle, composition d'Eugène Deveria (1
naturée après 1789. Collin de Plancy, dans la Fin
des Temps (Paris, 1871), cite :
Post mille expletos a partu Virginia annos
Et septingentes rurâus abire datos
Octuagesimus octavus, mirabilis annus... etc.
Ce qui se ti-aduirait ainsi : « Lorsque mille ans se-
ront accomplis depuis l'enfantement de la Vierge et
que, de plus, il se sera écoulé sept cents ans, la
quatre-vingt-huitième année sera étonnante... », etc.
Or, le texte original donne comme second vers :
Et post quingentes rursus ab orbe datas,,.
Ce qui reporte les événements à 1588 seulement,
année qui ne fut remarquable que par la journée
des Barricades, dont l'importance est loin d'être
proportionnée aux terribles menaces de la prophétie.
On ne peut parler de l'astrologie au xvi« siècle
sans rappeler les noms de Richard Roussat, cha-
noine de Langres, et de Nostradamus, l'aulcur
des Centuries. (V. p. 217.) Un grand nombre de
quatrains sont, en effet, écrits en langage horosco-
pique, et le fameux médecin fil partie de l'aréopage
magique de Catherine de Médicis.
Les mémoires du xvi' siècle sont, d'ailleurs, rem-
plis d'anecdotes ayant pour sujet la réalisation
de prédictions faites aux seigneurs du temps. Le
Il Loyal Serviteur », lui-même, pourtant si sobre en
ses récits, raconte en ces termes l'annonce faite à
Gaston de Foix avant la bataille de Ravennes :
C'était merveille de ce que disait des choses passées, et
encore, qui plus fort était, parlait des choses à venir, cet
astrologue do Carppi.
Il n'est rien si certain qu'il n'y a que Dieu qui sache
des choses futures. Mais l'astrologue de Carppi a dit tant
de choses et à tant de sortes de gens, qui depuis sont
advenues, qu'il a mis beaucoup de monde en rêverie.
Cet exorde montre bien la réserve toute chrétienne
de l'historiographe du Bon Chevalier et donne un
cachet d'authenticité à la prédiction qu'il raconte :
'Voyant l'amitié qui existait entre le duc de Nemours
«• 129. Novembre 1917.
(Gaston de Foix), La Palice et le Bon Chevalier, il dit à
ces derniers : <. Messeigneurs, je vois bien que vous aimez
fo»t ce gentil prince ici, lequel est votre chef; aussi le
mérite-t-il, car sa face vermeille démontre bonne nature.
Prenez bien garde à lui le jour de la bataille, car il est
pour y demeurer. S'il en échappe, ce sera un des grands
et élevés personnages qui jamais sortit de France, mais
je trouve grosse difrïculté qu'il puisse en échapper. »
L'usage d'entretenir des astrologues et surtout de
faire tirer des hoi'oscopes se perpétua an xv, au xvi«
et jusqu'au xviie siècle. La reine Catherine de
iVlédicis ne contribua pas peu audéveloppement, en
France, des prati-
ques divinatoires.
Elle fit venir de la
cour de Laurent de
Médicis, son pèi-e,
des astrologues cé-
lèbres, tels que
Luc Gauric et les
Rnggieri. Le pre-
mier fut le favori
des souverains
pontifes Jules II,
Clément Vil et
Paul m, qui le
nomma évêque de
Civita-Ducaie.
Quant aux Rug-
gieri, ils se spécia-
lisèrent en quelque
sorte chacun dans
une branche de la
science magique.
Lepère, Vecchio
Ruggier (Ruggier
leVieux), pratiquait
surtout l'alchimie,
tandis que ses deux
lils s'adonnaient de
nrélérence à l'astro-
logie. Cosme Rug-
giero, devenu le
couiseiller intime
de Catherine, diri-
geaitJe cénacle de
devins installés à
la cour de France.
Les Mémoires de
Claude Grôulard
rapportent une
anecdote mettant
en relief le crédit
illimité dont jouis-
saient les mages de
l'époque. Cosme
Ruggiero ayant lu
dans les astres que
Il Saint-Germain »
serait funeste à la
reine, celte der-
nière s'abstint jus-
qu'à sa mort d ha-
biter la demeure
royale de Saint-
Germain-en-Laye.
KUe mourut au château de Blois, assistée d'un mé-
decin du nom de « Saint-Germain » et fut inhumée
dans la paroisse blaisoise placée sous ce même vo-
cable. Il Et voilà, dit Groulart, comme il est difficile
d'empêcher ce qui est arresté ». (Mémoires de
Claude Groulart, chap. XII.)
L'astronome danois Tycho-Brahé avait tiré l'ho-
roscope de l'empereur d'Allemagne Rodolphe II, qui
vécut entouré d'astrologues.
Henri IV et Sully, plutôt enclins au scepticisme
qu'à une crédulité excessive, ne cachaient pas
leur foi aux prédictions résultant de l'observation des
asires. A la naissance de Louis XIII, Henri IV fit
tirer l'horoscope deson fils par le médecin Lariviére.
Sully affirmait, de son côlé, que son précepteur,
l'astrologue La Brosse, l'avait averti que le roi
de Navarre et lui-même, étant nés le jour dédié
à sainte Luce, auraient des destinées brillantes,
chacun selon son rang. Le même Sully, dans ses
mémoires, raconte que la duchesse de Beaufort,
Gabrielle d'Estrées, accordait une telle confiance
aux supputations de son astrologue particulier, Ri-
sacazza, « qu'elle pleurait nuit et jour parce qu'il
lui avait prédit qu'elle mourrait jeune, ne serait
jamais reine et qu'un enfant lui ferait perdre le
fruit de ses espérances ». {économies myales.
chap. LXIV.) On sait comment l'horoscope se réa-
lisa: la Belle Gabrielle mourut en pleine beauté,
d'une maladie dont nul ne précisa jamais la
nature.
Nous terminerons cette revue rapide des astrolo-
gues les plus connus en notant que le cardinal de
Richelieu lui-même admettait la possibilité de réa-
lisations d'horoscopes; car, disait-il, » il faut con-
fesser qu'il y a beaucoup de choses étranges dont
nous voyons les effets et dont nous ignorons les
causes ». Lorsque Anne d'Autriche accoucha de
Louis XIV, l'astrologue Morin était présent pour
dresser le thème de nativité, mais il était caché dans.
If 129. Novembre 1917.
l'apparleinent et fit son œuvre secrètement, ce qui
déjà indique lo progrès des idées. Au xviii« siècle
encore, les pratiques de l'astiologie étaient fort
répandues : le comte de Boulainvillicrs, qui s'en
occupait, a laissé sur ce sujet plusieurs ouvrages
demeurés manuscrits et, à la fin de ce siècle, les
encyclopédistes pouvaient écrire : « Quoique l'as-
trologie judiciaire ait été solidement combattue,
elle règne encore et particulièrement en Italie. »
Disons encore que Valot, le médecin préféré de
Louis XIV, établissait pour chaque nouvelle année
le pronostic des maladies qui menaçaient son royal
patient. Les prévisions se réalisaient si exactement
que Vilot fut toujours soupçonné de les avoir fabri-
quées après coup.
Il nous reste à examiner les questions qui se po-
sent naturellement au sujet de l'astrologie. Cette
science jouit-elle encore de quelque crédit? Les
événements actuels ont-ils été prévus par les mé-
thodes boroscopiques?
Sans parler des pseudo-devins, lesquels exploitent
le désir de connaître par avance la série des évé-
nements qui peuvent survenir, aulrement dit la
n bonne aventure », il est certain mie des esprits
distingués et scientifiques appliquentleurs aptitudes
à la recherche des inlliiences astrales sur les actions
humaines. Leurs études portent sur des collectivités
plutôt que sur des personnalités isolées, et la raison
de celte préférence nous permettra de répondre à
la deuxième question. Le résultat de l'action des
astres sur une agglomération est plus perceptible
que lorsque cette action ne s'exerce que sur un des
éléments composant la masse. Les effets de l'attrac-
tion sélénienne, par exemple, sont beaucoup plus
marqués sur un océan que sur une mer intérieure
comme la Méditerranée.
D'autre part, une masse d'hommes se soustraira
moins facilement que ne le ferait un individu isolé
à l'action des effluves sidéraux; car, ne l'oublions
pas, l'àme et l'esprit reçoivent des prédispositions
et non des impulsions définitives. Une force peut, en
effet, en équilibrer une autre, ou la faire dévier :
tout dépend de leur intensité respective et de leur
direction. Mais considérez mille personnes soumises
aux mêmes influences, au même moment; composez
les mille tendances ou les mille volontés, et vous
obtiendrez la résultante formidable quEdgard Poe
appelait 1' « àme de la foule ». Or, l'astrologie pré-
lend connaître la nature des influences émises par
les planètes à une heure donnée. Elle saura donc
mesurer l'intensité de la résultante, déterminer sa
direction et, par conséquent, prédire l'effet qu'elle
produira.
Telle est la théorie. Pour lui donner plus de vrai-
semblance, les astrologues comparent volontiers la
Terre effectuant son voyage cîrcumsolaire h un
véhicule traversant différentes contrées. Notre pla-
nète nous entraîne dans les régions zodiacales, dont
les constellations constituent le paysage. De même
que les contrées terrestres sont soumises à des cli-
mats différents, de même chaque maison astrolo-
gique possède une atmosphère spirituelle, qui lui
est propre. Nul ne pourrait nier l'influence du cli-
mat sur le caractère des peuples et sur leurs mœurs
même. L'état hygrométrique de l'air agit si nette-
ment sur l'âme des foules que tontes les efferves-
cences, tous les mouvements populaires, se pro-
duisent en été ou en automne, très rarement en
hiver : Saint-Barthélémy; Prise de la Bastille,
10-.\oùt, Journées de Septembre, Agitation du Midi
viuicole en juin 1907, etc.
Cette évocation des événements qui troublèrent
les populations vinicoles du Midi en 1907 nous
fournira aussi une réponse à la deuxième question.
En général, les mouvements populaires sont annon-
cés avec une certaine précision par les astrologues.
En particulier, l'agitation du Midi avait, dit-on, été
prédite dès 1903 dans un article signé « Nebo », que
toute la presse parisienne reproduisit en juin 1907. Le
passage caractéristique do cet article est le suivant :
^ Il est impossible de so soustraire à la conclusion que
l'année 1907 sera une année profondément néfaste.
En particulier, pour lixer une date spéciale, lo 21 juin 1907
parait réunir les plus malfaisants de tous les aspects. On y
constate la conjonction de Neptune à la fois avec Jupiter
et le Soleil, c'est-à-dire avec les astres les plus bénéfi((ues,
*|Ui apporteront au peuple un succès à peu près certain.
La violence est indiquée par « opposition d'Cranus avec
la conjonction précédente et en conjonction lui-même avec
Mars, la planète fatale u. De plus, Saturne est en quadra-
ture, tant de la triple conjonction de Jupiter, de Neptune
et du Soleil, que de la conjonction d'Cranus avec Mars,
dont il surcharge encore la mauvaise signiiicatioD. n {Echo
du merveiUeuXf 15 mars 1903.)
La date du 21 juin 1907 avait été nettement indi-
quée, mais les événements n'étaient pas localisés.
11 eût fallu, pour obtenir celte précision, que l'astro-
logue dressât la carte de tous les aspects du ciel pour
chaque latitude afin de choisir la plus maléficiée.
Quant à la guerre actuelle, elle avait été annon-
cée pour l'année 1910...; le calme devait renaître vers
191 'i, qui se trouva être la date de la conflagration.
H y eut donc une erreur considérable dans le pro-
nostic. Toutefois, les prévisions n'étaient pas en dé-
faut quant à la durée minimum de l'immense conflit.
LAROUSSE MENSUEL
Certains astrologues expliquent ainsi la différence
de précision dans l'annonce de deux catégories
d'événements de même gravité : l'émeute naît d'un
concours d'impulsions de même sens. Il y a réunion
d'une grande quantité d'individus ayant les mêmes
visées, les mêmes tendances et, surtout, les mêmes
aspirations. La guerre peut être considérée comme
résultant de volontés contraires. Dans le cas de
gouvernemenls autocratiques, elle dépend de la
décision d'un nombre restreint de personnages.
Ainsi, en 1914, la France, certes, ne désirait pas
la guerre, tandis que l'Allemagne la préparait de-
p ;i_s longtemps : deux forces de sens contraires
sont bien en présence. De plus, bien qu'il soit
parfaitement établi que tout le peuple allemand
souhaitait ardemment et depuis longtemps ce cata-
clysme, il n'en est pas moins vrai que l'empereur
allemand seul est responsable de son déclenche-
ment... — Uenry Decuarbognb.
A.ttraction. Le problème des deux corps.
Le système de Copernic, que le grand astronome fit
connaître en 1543, dans son ouvrage De revolulio-
nibus orbium cseleslium (libri VI), devait être, par
la suite, d'une grande fécondité. Ce furent d'abord
fes lois de Kepler, publiées en 1609, qui vinrent le
compléter si heureusement. Ces lois, au nombre de
trois, s'énoncent ainsi :
1» Toute planète décrit autour du Soleil, et datis
le sens direct, une ellipse dont le Soleil occupe un
des foyers.
i" Les aires décrites par le rat/on vecteur gui
joint le centre du Soleil au centre de la planète sont
proportionnelles aux temps employés à les décrire.
Ainsi, la Terre ayant mis un temps t pour passer
de la position T à la position T' et un temps t' pour
passer de la position Ti à la position T/, S étant le
centre du Soleil, on a la relation :
Aire TST' _ l
Aire T,ST,'~«''
En particulier, pour des temps égaux, les aires
décrites par
le rayon vec- J' T
leur ST sont
égales.
3° Les car-
rés des temps
des révolu-
tions sidéra-
les de deux
planètes sont
proportion-
nelsauxcubes
des grands
axes de leurs
orbites.
Si l'on con-
sidère deux
planètes effectuant leurs révolutions en des temps t
et t', les ellipses qu'elles décrivent autour du Soleil
ayant respectivement des grands axes dont les me-
sures sont A et A', la troisième loi de Kepler donne
la relation :
fL—'hl
;'s — A'3-
Les trajectoires décrites par les planètes étant
connues, ainsi que les lois de leurs mouvements.
Newton se proposa de rechercher les forces qui pro-
duisent ces
mouvements, , ^ \ ,
et il trouva (|ue O d C
le Soleil attire
chaque planète proportionnellement à sa masse et en
raison inverse du carré de sa distance. Il ne s'arrêta
pas là et fut conduit à énoncer le « principe de la gra-
vitation universelle » : deux molécules quehonques
s'attirent, et la force qui les sollicite l'une vers
l'autre est proportionnelle à leurs masses et en
raison inverse du carré de lexir distance.
0 et 0' étant les deux molécules, d leur distance,
m et m' leurs masses, 0 est attiré par 0', et inverse-
ment; les forces d'attraction sont dirigées suivant
la droite 00', et elles ont pour intensité f-^,
f étant un coefficient de proportionnalité.
Problème des trois corps. — La loi de Newton
donnait la solution du problème des deux corps. En
réalité, ce problème, en astronomie, ne se pose
pas; c'est le problème de n corps qu'il importait
de résoudre. En d'autres termes, la loi de Newton
étant admise, on se trouvait en présence du pro-
blème général suivant : n points matériels de
masses connues occupant des positions détermi-
nées à un moment donné, ces points étant ani-
més de vitesses connues en grandeur et en direc-
tion et se trouvant soumis deux à deux à la loi
de gravitation universelle, déterminer leurs posi-
tions à un instant quelconque. Pour n ^ 3, on a le
problème des trois corps.
Depuis Newton, de nombreux mathématiciens se
sont appliqués à trouver une solution générale de
277
ce problème. Clairaut, Euler, d'Alemberl, Laplace,
Lagrange, puis H. Poincaré, s'en sont préoccupés et,
pourtant, jusqu'à ces temps derniers, le problème
des trois corps n'avail été résolu que dans certains
cas particuliers. Pratiquement, on utilisait des solu-
tions approchées, qui, d'uilleuis, répondaient suffi-
samment aux besoins de l'astronomie : en se basant
sur ce que l'ensemble des planètes du système 80-
1
laire constitue une masse qui n'est qu environ —
^ ^ 700
de la masse du Soleil, on considère d'abord l'action
du Soleil sur une planète (problème des deux corps),
puis on fait des corrections au mouvement obtenu
en tenant compte des forces perturbatrices résul-
tant de l'action des autres planètes ; les effets de ces
dernières sont appelés perturbations. Les éléments
de la planète, calculés a'après le problème des deux
corps, se tiouvent alors augmentés ou diminués de
quantités qui sont généralement petites et que l'on
appelle inégalités. En somme, les corrections suc-
cessives que l'on se trouve obligé de faire donnent
naissance à des développements en séries plus ou
moins compliqués; en tout cas, les solutions pra-
tiques que l'on trouve ainsi ne constituent pas une
véritable solution mathématique, et les équations
différentielles du problème des troiscorps sont restées
sans solution. H. Poincaré avait trouvé des solu-
tions particulières remarquables et, sans aller Jus-
qu'à l'opinion radicale de 'Tisserand, qui déclarait le
problème impossible à résoudre, il semblait bien
qu'après les travaux de l'éminent mathématicien
français, le problème resterait longtemps encore
sans solution. Il n'en fut rien : un astronome de
l'observatoire d'Helsingfors, Sundmann, dans des
notes communiquées à la Société des sciences de
Finlande (17 décembre 1906 et 18 janvier 1909) et
enfin dans un mémoire paru au tome XXXVl des
Acta mathematica en 1912, en donna une solution
complète. L'Académie des sciences récompensa ce
beau travail en accordant à Sundmann, en 1913, le
prix G. de Ponlécoulanl. « En se plaçant au point
de vue de l'analyse pure, disait Emile Picard dans
son rapport à l'Académie, nous pouvons dire que
le mémoire de Sundmann est un travail faisant
époque pour les analystes et les astronomes ma-
thématiciens. Beaucoup pensaient que le problème
des trois corps ne serait résolu que grâce à l'intro-
duction préalable de transcendantes nouvelles très
compliquées. Ce n'est pas un des moindres éton-
nemenls pour le lecteur que de voir avec quelle
simplicité, en s'appuyant seulement sur des résultats
aujourd'hui classiques dans la théorie des équations
différentielles ordinaires, le savant finlandais arrive
il la solution d'un problème si difficile ». — G. Boucbbmt.
Baudin {Pierre), homme politique français,
né à Nantua le 21 août 1863, mort à Paris le
31 juillet 1917. 11 était le neveu du représentant du
peuple Alphonse Baudin, qui fut tué le 3 décem-
bre 1851 sur les barricades du faubourg Saint-An-
toine, enveloppé
de son écharpe
de député, en ri-
postant à ceux
qui lui repro-
chaient son in-
demnité parle-
mentaire:" Vous
allez voir com-
ment on meurt
pour 25 francs! ■>
Pierre Baudin
vint de bonne
heure à Paris, où
il fit ses études
classiques et le
droit. Avocat à la
courd'appel.ilfut
élu, sur un pro-
gramme avancé,
conseiller muni-
cipal dans le
XII" arrondissement (quartier des Quinze-Vingts),
aux élections du 17 avril 1893, et il prit aussitôt
une part active aux travaux de l'Assemblée, s'oc-
cupant notamment des budgets et des emprunts.
Trois ans après (3 juin 1896), il siégeait à Vilôlel
de Ville en qualité de président, et il eut à rece-
voir, le 7 octobre 1896, la visite des souverains
russes aux édiles de Paris. Ici se place un petit
incident qui le caractérise: il refusa — courtoise-
ment, d'ailleurs — la distinction honorifique que,
selon l'usage, le tsar Nicolas voulait lui décerner:
Baudin estima que l'acceptation de cette dignité eût
été incompatible avec ses opinions.
Aux élections législatives du 22 mai 1898, il se
présenta, dans le XI' arrondissement de Paris, dans
l'ancienne circonscription de Eloquel, et il battit, au
scrutin de ballollage, le député socialiste sortant,
Kaberol. .Vu cours de cette septième législature, il
fut successivement membre de la commi.ssion du
buiiget et des commissions du travail, du divorce
et de la presse. C'est lui qui fut rapporteur du
projet de loi sur les conditions du travail en 1899.
Pierre Baudin.
278
Le Î2 juin 1899, Waldeck-Rousseau, constituant
son ministère de « Défense républicaine», lui confia
le porlefeuille des travaux puldics, qu'il conserva
jusqu'au 3 juin 1902; il fut, en cette qualité, l'un
des organisateurs de l'Exposition de 1900, et il
marqua son administration par l'élaboration d'un
«rand programme de travaux publics, destiné à faire
suite au célèbre programme de Kreycinet et qui
aurait doté la France d'un réseau de grands canaux
et d'un outillage maritime perfectionné.
Entre temps, le siège de la circonscription de
Belley s'élant trouvé vacant, Baudin s'y présenta
et fut élu le 1" juillet 1900. Au renouvellement
général des 27 avril 190Î et 6 mai 1906, il fui suc-
cessivement réélu. Son activité au Palais-Bour-
bon se déploya surtout à la commission du budget,
h laquelle il appartint de 1904 à 1907, ainsi qu'à la
commission de la marine et à celle des travaux pu-
blics, sous la neuvième législature.
Le 3 janvier 1909, aux élections sénatoriales de
l'Ain, il fut élu au siège laissé vacant par la mort
du sénateur Pochon. Il fut réélu le 7 janvier 1912.
Pierre Baudin se fit inscrire au groupe de la gauche
déniocTatique, et l'on se fera une idée du zèle qu'il
manifesta dans l'exercice de son mandat si l'on con-
sidère que, de 1909 à 1914, il a rédigé 25 rapports
des plus importants, concernant notamment l'orga-
nisation de l'iiéionautique militaire, le protectorat
fr«n(;ais au Maroc et le traité franco-allemand relatif
aux atfaires du Maroc, la délimitation des posses-
sions françaises et allemandes dans l'Afrique équa-
loriale, le budget général de 19J2, etc. 11 est, en
outre, l'auteur d'une proposition de loi sur l'orga-
nisation des réserves de l'armée active (1912).
Lorsque, après l'élection de R. Poincaré à la
présidence de la République, Briand reconstitua
le ministère, Pierre Baudin accepta, le 21 jan-
vier 1913, le portefeuille de la marine; il le garda
dans le cabinet Briand du 18 février 1913, ainsi
que dans le cabinet Barlhou, du 22 mars au 8 oc-
tobre 1913. Ce fut l'époque de la réforme électorale
et de la loi de trois ans. Baudin, durant son minis-
tère, redoubla d'elToits pour tenter d'obtenir de
notre industrie la fabrication des moteurs indis-
fiensables à nos sous-marins, et il s'occupa spécia-
ement, en outre, de la question de la conservation
des poudres.
Cliargé de plusieurs missions à l'étranger, il fut
ambassadeur extraordinaire de France aux fêtes du
centenaire de la répidilique Argentine et commis-
saire général à l'Exposition internationale de Buenos-
Aires ; il publia à ce sujet un rapport intéressant sur
l'agriculture, les transports terrestres, les beaux-
arts et les arts appliqués.
Le 1" mars 1915, pendant la guerre, le gouverne-
ment le chargea encore d'une mission de propagande
dans la république Argentine. C'est au retour de
cette missiim qu'il ressentit les premières atteintes
de la maladie qui devait le contraindre à renoncer
il la vie pul)lique et qui l'a conduit au tombeau.
Comme législateur, l'œuvre de Baudin est impor-
tante, (^omnie écrivain et journaliste, il a égale-
ment accumulé un grand nombre de travaux per-
sonnels. Il a collaboré nitaniment, en province, au
« Courrier de l'Ain ■>, dont il était le directeur poli-
tique et, à Paris, h un grand nombre de journaux,
surtout au « Journal » et au " Figaro », où sa colla-
boration fut très assidue. On n'a pas oublié sa cam-
pagne pour la spécialisation et l'autonomie des
budgets industriels.
Baudin a été vice-président (1907), puis, à la mort
d'Alfred Mézières, président de l'Association des
journalistes parisiens; il était ancien président de
la Société des gens de lettres, président effectif
(1909 à 1916), puis président d'honneur de la Ligue
maritime, ancien président de l'Association des
secrétaires de rédaction, etc.
Il a écrit de nombreuses préfaces d'ouvrages ; de
plus, il est l'auteur d'une certaine quantité de livres
dont il suflit d'indiquer les titres pour montrer
l'étendue et la variété de ses connaissances. Citons
donc : les Grandes Journées populaires. Histoire
illustrée des révolutions (1S99), les Forces perdues
(1903), la Poussée (1904), l'Armée moderne et les
Ètals-Majors {i905), le Point de vue français {]906),
l'Alerte (1906), la Préparation au service militaire
(1907), l'Allemagne dans la Méditerranée (I9ii7),
Nous et les autres (1908), la Vie de la cité (1908),
la Politique réaliste à I'ex/érieur(l9(l9), la Rançon
du pro(/resl\909), Notre armée à l'œuvre (1909), le
Budfiei et le Déficit (1910), la Dispute française
(1910), les Journées du Hourget (1911), l'Empire
allemand et ^Allemagne (1912), l'Argent de la
France (1914), etc.
Pierre Baudin laisse le souvenir d'un travailleur
opinii^tre, doué d'une intelligence pénétrante et d'un
cœur sincèrement patriote. Il est mort avant d'avoir
pu donner toute sa mesure. — Fr. burtiubr.
bifrénaire n. f. ou bifrenaria n. m. Genre
d'orchidées vandées, originaires du Brésil.
— Encycu Le genre bifrénaire, dont on connaît
une douzaine d'espèces, renferme des plantes her-
bacées, épiphytes, qui croissent sur les arbres des
LAROUSSE MENSUEL
forêts amazoniennes. Ces orchidées pseudo-bul-
beuses ont des feuilles subsolitaires, pliées, de con-
sistance cartilagineuse, de grandes fleurs disposées
sur un pédoncule radical, simple ou ramifié. Les
sépales sont libres, étalés, à peu près égaux, les laté-
raux connés avec la base prolongée de la colonne.
Les pétales sont deux fois plus petits que les sépales ;
le labelle a la forme d'un capuchon. Dans l'espèce,
la plus gracieuse {bifrenaria lladwenii) a des sé-
pales d'un vert jaunâtre, marbrés de taches brunes
ou rouges; le labelle en est blanc rosé, relevé de
touches d'un joli carmin. — Jean de Chaon.
Carte d'identité imposée aux étran-
gers (Dr. aAm.)GéiiéraUlés. — La loi du 8 août 1893
soumet à une immatriculation dans les mairies les
étrangers, non admis à domicile, arrivant dans une
commune, pour y exercer, à un litre quelconque,
une profession, un commerce ou une industrie,
c'est-à-dire pour y travailler.
D'autre part, un décret du 2 octobre 1888 édiclait :
(1 Tout étranger, non admis à domicile, qui se pro-
posera d'établir sa résidence en France, devra, dans
le délai de quinze jours à partir de son arrivée, faire
à la mairie de la commune où il voudra fixer cette
résidence une déclaration » précisant son identité.
A l'occasion de la guerre actuelle (par une mesure
de précaution qu'imposait la sécurité nationale), au
décret du 2 octobre 18S8 s'est substitué, par voie
d'abrogation, un décret intervenu le 2 avril 1917, qui,
à bon droit plus rigoureux, a imposé aux étrangers
l'obligation d'une carte d'identité, en adaptant à l'ins-
titution nouvelle toute une organisation spéciale.
— Les dispositions de ce décret sont entrées en
vigueur le 15 mai 1917.
Carte d'identité devenue obligatoire. — Fonc-
tionnement général de l'organisation établie. — La
carte d'identité vaut permis de séjour.
Est soumis à l'obligation de la carte d'identité
n tout étranger devant résider en France plus de
quinze jours et âgé de plus de quinze ans ».
Toutefois, des représentants diplomatiques ou
consulaires des pays étrangers la carte d'identité
n'est point exigée.
L'étranger assujetti à la carte d'identité est tenu,
dans les 48 heures de son arrivée dans la première
localité où il doit résider, de demander cette carte
d'identité au préfet du déparlement.
Récépissé de sa demande lui est donné. Si, pen-
dant la période nécessaire à l'établissement de la
carte, l'étranger est appelé à se déplacer, le récé-
pissé lui sert de sauf-conduit, et il doit faire viser
ce récépissé par le maire ou le commissaire de po-
lice, à son arrivée ou à son départ des localités ou
il se rend successivement.
La carte d'identité, une fois délivrée, tient lieu
elle-même de sauf-conduit. Dans chaque localité
où ils résideront, les étrangers devront la faire vi-
ser, à l'ariivée et au départ, par le maire ou le
commissaire de police.
Mention des visas donnés est faite, dans les mai-
ries, sur des registres spéciaux.
Le carnet d'étranger, délivré par l'autorité mili-
taire, tient lieu de carte d'identité, tant que le titu-
laire de ce carnet réside dans la zone des armées.
Lorsque l'étranger circulera dans la zone de l'inté-
rieur, il devra faire viser son carnet d'étranger con-
formément aux prescriptions prévues pour les dé-
placements de l'étranger muni de la carte d'identité.
Néanmoins, la carte d'identité peut être délivrée à
tout étranger de la zone des armées, muni du carnet
d'étranger, qui en fait la demande.
Au ministère de l'intérieur (direction de la Sûreté
générale) fonctionne un service dit Service cen-
«• 129. Novembre 1917.
Irai, où sont tenues à jour les fiches correspon-
dant aux cartes d'identité délivrées aux étrangers.
Sur ces fiches sont, en outre, portées les condam-
nations encourues par les étrangers : avis en est
donné au Service central (dans le mois de l'arrêt ou
du jugement) par les greffes des cours et tribunaux.
Aux étrangers quittant la France les cartes d'iden-
tité sont retirées, à la frontière. Les autorités de
la frontière renvoient au Service central les cartes
ainsi retirées. Elles fournissent également (après
avoir établi leur identité) les noms des étrangers
qui n'ont pas pu présenter leur carte.
Conditions générales d'obtention de la carte
d'identité. — Le étrangers qui demandent une carte
d'identité doivent : 1" fournir trois photographies
(de face et sans chapeau); — 2° remplir deux ques-
tionnaires, indiquant leurs nom, prénoms, filiation,
ainsi que toute une série de détails et renseignements
nécessaires pour bien préciser leur identité, tels
que deux références à l'étranger et deux références
en France; — 3° fournir toutes autres justifications
de leur identité qui leur seront demandées.
L'un des deux questionnaires remplis est conservé
à la préfecture du département qui a délivré la
carte; l'autre est renvoyé (avec photographie) au
Service central.
Sur la carte d'identité obtenue, la photographie
est oblitérée au timbre sec, sur deux des coins.
Les photographies des cartes d'identité doivent
être renouvelées tous les trois ans. La date à laquelle
le renouvellement aura été effectué sera portée sur
la photographie, à l'encre rouge. Toute carte péri-
mée sera sans valeur.
Obtention possible d'un duplicata. — Si la carte
d'identité a été perdue, il peut en être délivré un
duplicata. Mention du duplicata sera porlée sur la
nouvelle carte, et avis de sa délivrance sera donné
au Service central.
Obligation incombant au.r logeurs et restaura-
ti^urs. — Les propriétaires, hôteliers, logeurs doi-
vent signaler (dans les 24 heures) au commissaire
de police ou au maire la présfnce des étrangers
habitant leurs immeubles ou établissements.
Il en est de même pour les restaurateurs ou pro-
priétaires de pensions de lamille, qui hébergent
habituellement des étrangers.
Infractions et sanctions. — Ce qui domine la
matière, c'est le droit d'expulsion hors du territoire
français appartenant au ministre de l'intérieur, en
vertu de l'article 7 de la loi du 3 décembre 1849.
Tout étranger qui aura gratté, surchargé, falsifié
une carte d'identité, ou qui, dans l'accomplissement
d'un acte administratif, aura utilisé une carte autre
que celle lui appartenant, sera expulsé de notre
territoire.
Quant aux infractions proprement dites aux di-
verses dispositions du décret du 2 avril 1917, elles
sont passibles : '." de ta peine de simple police pré-
vue à l'article 471, ' 15, du Code pénal, c'est-à-dire
d'une amende de 1 à b francs ; — 2° selon les circons-
tances, de l'expulsion hors de France. — Louu André.
Delaborde (comte Di^nigne -Marie -//enn'-
François), historien et érud.'. français, né à Ver-
sailles le l^r juillet 1854. Il est le fils an comte
Henri Delaborde, qui fut secrétaire perpétuel de
l'Académie des beaux-arts. Ancien élève de l'Ecole
des Chartes, il fut nommé archiviste-paléographe
avec le numéro 3 en janvier 1877 et, en septem-
bre de la même
année, membre
de l'Ecole fran-
çaise de Rome.
Après son retour
en France, il en-
tra aux Archives
nationales, où il
devint sous-chef
delà section his-
torique. Depuis
le 18 août 1904, il
occupe, à l'Ecole
des Chartes, la
chaire d'étude
critique des
il Sources de
l'histoire de
France ». L'Aca-
démie des ins-
criptions et
belles-lettres se l'attacha d'abord comme auxiliaire
de ses travaux. Elle l'a élu membre titulaire le
4 mai 1917, en remplacement de Paul Viollet,
décédé. 11 est aussi membre de la Société des
antiquaires de France. Son principal ouvrage,
couronné par l'Académie française, est une étude
d'histoire diplomatique et militaire : l'Expédition
de Charles VIII en Italie (Paris, 1888). Parmi ses
autres publications, nous citerons seulement : Char-
les de Terre sainte provenant de l'abbnye de
Nolre-Dame-de-Josnpfial (1880) ; Etude sur là chro-
nique en prose de Guillaume le Breton (1881); le
Procès du chef de saint Denis en 14IU (1885'; Jean
de Joinville et les Seigneurs de Joinville (1894);
II.-F. comte Delaborde.
l
f;
g
H' 129 Novembre 1917-
Jean Froissarl et son temps (1895); Léon Gautier
(1899); Elude sur la constilulion du trésor des
Charles (1909); le Texte vrimili/ des enseignements
de saint Louis à son fils (1912). 11 a édile les œuvres
de Ki(,'ord et de Guillaume Le Breion. liisloiiens
lie Pliilippe Auguste (188i-18S6); ta Vie de saint
Louis, de Guillaume de Saint-Pathus, et le tome V
des " Layetles du Trésor des Gliartes ». — Paul lUti-Ta.
dodectil, lie («lu gr. dôdeka, douze) adj. As-
Iron. Sedilde I,» position de deux planètes éloignées
luue de laulrede lio degrés : Aspect dodectu..
Supanloup (MO"") [Un grand évÊque], par
E. Kaguel.— Le portraildeDupanloupest undesplus
fouilli'â qu'ait tracés la plume iufat galile de l'auleur
du Lihi'riilisme. G. Faguet fut séduit par cette figure
iutelligiMile et passionnée, par cet apôtre ardent,
par l'élévation et la purelé de son ànie, par sa
boulé proloude, par la soif de vérité qui était en
lui, par ses vertus intellectuelles de pédagogue, de
)syebologue, de moraliste, de directeur, par ses ta-
ents aussi très singuliers, très personnels, d'écri-
vain et d'oraleur. Aussi a-t-il tenté de pénétrer
celle psychologie, de comprendre les leçons re-
ligieuses et morales de ces discours et de celle vie
même, qui fut un perpétuel combaL II y a réussi
race à cette connaissance si profonde et si sûre de
àme humaine, à cette science des nuances, à cet
imperturbable bon sens qui étaient les qualilésdomi-
nanles du maître de la critique conlemporaine. Sous
sa plume, Dupanloup revit dans toute sa com-
plexité : après avoir été l'objet d'éloges peut-être
exagérés et de critiques acerbes et trop souvent in-
justes, il oblienteulin l'étude impartiale qu'il méri-
tait. Et quel plus bel élo^e pouvail-on, d'ailleurs,
faire de lui que de le cojiiprendre dans celle galerie
illustre où l'on doit réunir les plus grandes figures
du passé et où il sera seul avec « Monsieur "Vin-
cent » k représenter le clergé frauçais I
Félix Dupanloup était un enlant naturel et, s'il porte
le nom de son p're (celui-ci s'orlhograpliiat Dupen-
tou/)), c'est qu'il naquit le 3. janvier 1802 en Haute-Sa-
voie, où l'on suivait encore la coulunie sanle,qui obli-
eait la fil le mère à déclarer le nom du prre présumé.
le prénom de Félix, il le dut au village où sa mère
s'arrêta pour le meltre au monde (Saint-Félix), alors
qu'elle se rendait à l'hospice de Chamliéiy ; il ne
connuljamais son père, mais vécut au conlrairedurant
toute sa jeunesse sous lalulellede sa mère, M"« De-
cbosal, pauvre fiUeorpheline, qui, loule rouni'^sante,
s'en vint en 1809 cacher sa misère et son enlant à
Paris. Recommandée à la famille de Rnhan-(;hahot,
elle entra à son service; du même coup, l'enfant
acquérait de puissants prolecteurs : il fut placé au
collège Sainte-Barbe, puis, à treize ans, au petit
séminaire deSaint-Nicolas-du-Cliardonnet, où il ne
tarda pas à devenir l'élève modèle :
Ses vers latins (dit son biographe) étonnaient toute la
population latinisaute de Paris.
Ordonné en 1825, il fut nommé vicaire à la Ma-
deleine, où, comme directeur des caléchismes de
jeunes filles, il allait durant neuf années remporter
les plus brillants succès. Toutes les femmes du
grand monde y conduisaient leurs filles et suivaient
ses instructions; une de ses catéchistes les plus
enthousiastes fut Pauline de Périgord, fille de la
duchesse de Dino. C'est par son intermédiaire que
l'abbé Dupanloup, en 1838, fut présenté à Tal-
leyrand ; à ce moment, Dupanloup avait dû,
jugé o tiop encombrant » à la Madeleine, entrer
comme codirecteur au petit séminaire de Sainl-
Nicolas-du-Chardonnet. Ce déplacement lui avait
été fort pénible; son rôle, lors delà conversion de
Talleyraiid, lui fut une douce consolation. Bernard
de Lacombe. dans son livre : la Vie privée de Tal-
teyranil, a longuement étudié, tous documents en
main, celle parlie de la vie de Dupanloup; Faguet
n'y consacre que quelques pages. On sait que l'ex-
évêque d'Aulun, se sentant vieillir, désirait se ré-
concilier avec l'Eglise; mais la rélraclalion qu'au
nom du saint-siège Ms'' de Quélcn exigeait qu'il
signât lui semblait bien humiliante; une fois encore,
il négociait. Dupanloup sut manœuvrer si habile-
ment qu'il obtint, à la derni're heure, la signature
si ardemment souhaitée par l'enlourage du prince.
En 18i0, l'abbé Dupanloup fui nommé professeur
de théologie à la Sorbonne : ce n'était peut-être pas
là le poste qui lui convenait; car, théologien, il l'était
peu..., juste assez pour les gens du monde; des
attaques contre Voltaire lui valurent l'hostilité d'une
partie de ses élèves et de ses collègues. Il cessa son
cours au bout de deux ans, rentra dans son séminaire
et se donna tout à sa vocalion de moraliste et de pré-
dicateur, en même temps qu'il faisait ses débuts
dans la politique en entrant, à la suite de Monla-
lembert, dans la lutte pour la liberté de l'enseigne-
ment. Il publiait ses Lettres à M. de Bmglie, ses
brochures sur les Associalions religieuses, l'Ins-
truction, la Pacifi-ation religieuse; il rééditait et
commentait la Vraie et solide vertu sacerdotale
deFénelon (I8'.5-1848).
La révolution de 1848, suivie de prèe de la mort
de «a mère (1849), le troubla profondément et le
LAROUSSE UENSUEt. — IV.
LAROUSSE MENSUEL
rapprocha du monde politique; il encouragea Fal-
loux à accepter ub mmistère, et Falloux, quelques
mois plus tard, le pria d'accepter l'évécbé d'Orléans.
Dupanloup résista longtemps : il avait à Paris une
situation très indépendante et très en vue; il avait
quitté depuis 1845 son petit séminaire, où il avait
laissé de si vils regrets (cf. Souvenirs d'enfance e(
de jeunesse de Renan), il avait le titre de « monsei-
gneur ■ et de protonotaire apostolique. Orléans lui
sembla l'exil; il finit par accepter comme une croix
cetévêché, que le pape le suppliait de ne pas refuser
(1849) et qu'il devaitconserver jusqu'à sa mort.
Contrairement au reproche que lui ont fait ses ad-
versaires, il remplit avec un admirable dévouement
et une incomparable activité ses devoirs d'évêque,
réorganisantles séminaires, les écoles, les retraites,
les conférences, les missions. Mais, dormant peu,
n'étantjamais deloisir, il donnait encore une grande
piirtdeson temps à ses occupations extra-orléanaises,
restant, par correspondance, le directeur de cons-
cience de nombreux Parisiens, commençant son
Ml' Dupanloup.
grand ouvrage sur l'Education, qui est un de ses
plus puis titres de gloire, celui qui le rapproche de
Fénelon, son modèle.
Doux et pacili(|ue, il s'efforçait de montrer l'Eglise
ouverte à tous les hommes de bonne volonté et, ce
faisant, s'allirait Iboslililé des intransigeants, qui
élevaient à plaisir des barrières entre l'Eglise elles
doctrines du siècle :
C'est une habitude chez ces hommes (disait-il) de tran-
cher prôcipiianunent, téniérairetiient, violemment touto.s
les questions religieuses, les plus graves et les plus dil'ti-
cilcs; et quand, une fois, ils les ont tranchées, do ne plus
tolérer une dissidence, de queltiue part et de quelque haut
qu'elle vienne. C'est cette habitude qui nous parait un péril.
Et il interdisait à 1' « Univers » l'entrée de ses
séminaires, suivi dans ce geste énergique par qua-
rante-six évêtjues.
En 1854, il fut reçu à l'Académie française. Le fin
lettré qu'il était, le défenseur de la culture classique
l'ut particulièrement fier de l'honneur qui lui était
fait et qui le mettait hors de pair dans l'épiscopat.
Il restaurait et développait à Orléans le culte de
Jeanne d'Arc, qu'il appelait déjà la « sainte de la pa-
trie ». En 1859, il lança une proleslation contre «les
attentats dont le saint-siège est menacé » et blâmait
implicitement le rôle imprudent de la France dans
la guerre d'Italie, soulevant ainsi les colères des im-
périalistes démocrates; en 1864, il s'attirait de nou-
velles attaques de Louis Veuillutpar son trop habile
commentaire du Syllabus. Rien ne venait plus à
rencontre de son opportunisme ane la fameuse en-
cyclique pontificale prononçant l'anathème contre
toutes les doctiines di es libérales; il souffrit cer-
tainement de sa publication, mais, fils soumis, il s'y
rallia d'une façon qui adoucissait et libéralistiit le
Syllabus autant et aussi bien qu'il était possible de
le faire. Six cent trente évêqnes de toutes les par-
lies du monde aloplèri'nt son commentaire, que
Rome s'empressa d'approuver, pour ne pas avoir à
le désavouer
Il eût aimé à poursuivre la m^me politique habile
en 1870, lors du concile du 'Vatican, mais l'heure
n'était plus aux commentaires. En propo-iint la pro-
clamation du dogme de rinfaillibilité pontificale, les
amis de Pie IX entendaient obtenir une ratification
pleine et entière du Syllal>us; Mk' Dupanloup vit le
danger et, tout en aiflrmant .se rallier à la défini-
279
tion da nonTean dogme, il en déclara la procla^
malion inopportune.
La paix soit k cette maison, la paix loit t eett« ciU
(disait-il a ses diocésains avant de se rendre an concile):
la paix dans la vérité, la paix dans la charité... A ce siècle
qui a besoin de nous cl dont nous avons aossi besoin il
faut frayer les pas vers nous.
Pleinement d'accord, en cette circonstance, avec
le gouvernement français, il acceptait presque de
porter ses doléances et de réclamer son aide le cas
échéant; ce fut là son erreur, si tant est que, dans la
chaleur de la lutte, il ait été au dernier moment
jusqu'à engager l'empereur à retirer ses troupes de
Rome pour amener le concile à résipiscence. Mais
celte manœuvre, qu'on lui a reprochée, Faguet fait
remarquer qu'on n'en a pas la preuve :
Pour ce qni est de son opinion, je tiens qu'il avait raison ;
?|ne proclamer l'infaillibilité du pape six ans après le Syl-
abu9 était très inopportun et qii'il était aussi rationnel de
no pas procIamerl'infaiMibilité.y croyant, en 1870, que, n'y
croyant pas, de ne la proclamer jamais. Pour ce qui est de
ses démarches, encore qu'elles n'aient pas été absolument
ce que je voudrais qu'elles eussent été, elles furent telles
qu'elles ne méritent qu'une légère et respectueuse désap-
probation.
An moment même de la proclamation du dogme,
l'attention du monde entier n'était plus tournée
vers Kome, mais vers la France et l'Allemagne;
Mer Dupanloup fut, pendant la guerre, la providence
d'Orléans : il se prodigua et obtint du vainqueur
de précieuses concessions, relatives tant à l'occupa-
tion de la ville qu'au payement des contributions de
guerre. Aus.si était-ce une véritable dette de recon-
naissance que les Orléanais acquittaient en députant
leur évoque à l'Assemblée nationale.
Il y joua un rôle important; plus, peut-être, dans
les couloirs qu'à la tribune. Royaliste convaincu, il
s'employa avec ardeur à obtenir la fusion des deux
branches de la famille des Bourbons. Il écrivit au
comte de Chainbord une de ces lettres qui eussent
convaincu tout autre, demandant pour la France
malade et mourante des ménagements, de la clair-
voyance, tous les sacrifices possil)Ies : se faire, même
par un très noble sentiment, des impossibilités qui
n'en seraient pas devant Dieu serait le plus grand
des malheurs.
Par ailleurs, il prit une part active à la discussion
de la loi sur l'enseignement supérieur, en même
temps qu'il publiait ses derniers volumes pédago-
giques. Il vieillissait, mais restait toujours actif et,
quand il mourut dans sa chère Savoie, au château
de la Combe, où il aimait à villégiaturer, le 11 oc-
tobre 4878, on ne se serait pas douté qu'il avait
soixante-seize ans.
L'étude de la vie de Mïr Dupanloup n'occupe que
la moitié du livre d'Emile Faguet ; toute la seconde
partie est, en effet, consacrée à l'analyse, précise et
minutieuse, des idées du grand évèque, dont le libé-
ralisme est une caractéristique de ses idées politi-
ques et religieuses : libéralisme orthodoxe, sans
doute, mais qui, sur beaucoup de points, le rap-
proche des gallicans. Le grand argument que Du-
panloup développe en faveur du christianisme, fait,
en j)assant, remarquer Faguet, est un argument
social, et cela aussi précise sa mentalité : plutôt gue
de prouver, comme Pascal etBossuet,que la religion
est vraie ou, comme Chateaubriand, qu'elle est belle,
il préfère démontrer son utilité.
Après quoi, le critique aborde les idées pédago-
giques, les idées morales de l'éducateur et du direc-
teur de conscience. Nombreux sont les correspon-
dances, les manifestes, les écrits de tout genre qui
le guident dans celte tâche; il consacre tout un
chapitre — et ce n'est pas le moins intéressant — k
résumer les conseils de l'évêque aux femmes, aux
jeunes filles, aux jeunes époux, leur prêchant à tous
la tolérance et l'éducation mutuelle, donnant à la
femme un rôle fort élevé dans la famille et dans la
société, ce qui lui vaut d'êlre traité par E. Faguet,
peut-être avec un grain d'ironie, de « féministe ».
Grand moraliste (dit en concluant son biographe), grand
pédagoîrue, brillant or.-iteur. aamiralile polémiste, philo-
sophe peu profond, mais clair et persuasif, impeccable
honnête homme, désintéressé dans ses idées comme dans
sa vie, il reste un de ces hommes qui ont honoré haute-
ment leur état, leur Eglise, toutes les idées qu'ils ont soa-
tenues, et leur pays. — pierre R»iii.
é'^rasis (z() n. m. Amas confus d'êtres ou de
choses écrasés : Des écrasis de corps humains.
(Pierre Loti.)
Electricité (.applications domkstioi'ks dk i.').
Les apiilicalions domestiques de l'éleclricité ont
pris, dans ces demi res années, un tel développe-
ment q^u'il n'est presque pins personne qui n'ait k
les utili-er plus ou moins. Nous citerons les princi-
pales, et nous dirons quelles sont les précautions k
prendre pour éviter tout ennui dans leur installation
et dans leu.- asage.
Les plus anciennes de ces applications sontbasées
sur l'emploi de la pile électrique, qui fut le premier
générateur industriel d'électricité. Toutes les piles
empruntent leur énergie aux réactions chimiques
auxquelles sont soumis les corps qu'elles renfer-
ment. Elles sont composées d'un nombre variable
280
d'éléments ou couples, reliés en série de telle façon
que les tensions s'ajoutent, la tension aux bornes
de chaque élément variant de 1 à 2 volts suivant le
type. L'intensité du courant ou débit fourni par les
piles est faible, et leur puissance est rapidement
limitée par la polarisation (diminution de la ten-
sion; quand le débit augmente. Aussi les piles ne
peuvent-elles être employées qu'à l'alimentation
d'appareils n'exigeant qu'un courant faible et inter-
mittent : sonnerie, téléphonie el télégraphie domes-
tique, éclairage momentané, etc.
La pile la plus employée pour ces usages est la
pile Leclanché à vase poreux (/îj.i). Elle se compose
d'un vaseen verre, contenant
une solution de sel ammo-
niac, dans laquelle plongent
d'une part un bâton de zinc
(pôle négatif) et, d'aulre part,
un vase poreux renfermant
un crayon de charbon (pôle
négatil), entouré d'une pâte
de bioxyde de manganèse
(dépolarisant). Il convient,
cependant, de ne pas laisser
la pile débiter inutilement;
l'entretien en est tros sim-
ple : il suffit de remettre de
temps en tempsdel'eaudans
le vase (jusqu'à 3 ou 4 centi-
mètres du bord) et du sel am-
moniac en quantité suffisante
et de nettoyer les zincs, s'il y
alieu. Ces piles doivent être pig , _ p^^ LedaDché.
placées, autant que possible,
dans des endroits secs et enfermées dans des boîtes
qui les protègent efficacement contre les poussières.
On vérifiera de temps en temps que les bornes sont en
bon état. Le prix d'un élément de pile Leclanché varie
de 1 fr. 50 à 5 francs, suivant le modèle ; trois éléments
suffisent pour alimenter les sonneries d'une maison
ou d'un appartement. Pour les mettre en série, il suffit
de réunir le pôle négatif de l'un au positif du voisinet
de faire partir des deux pôles extrêmes la canalisa-
tiion vers les sonneries et les interrupteurs. Celle-ci
se fait en fil de cuivre de 10 ou 12 dixièmes de mil-
limètre de diamètre, recouvert d'une ou deux
couches de coton. Cet isolement est suffisant pour
la faible tension mise en jeu. Aussi les fils peuvent-
ils être, sans inconvénient, réunis en faisceau et
maintenus par des crochets de métal, sans précau-
EXTINCTION
ALLUMAGE
i^ ^-0=^
Fig. 2 (A). — Montage unipolaire.
tion spéciale. Si l'on veut commander une même
sonnerie de deux endroits différents, il faut évidem-
ment brancher les deux interrupteurs en parallèle à
l'aide d'un ou deux fils supplémentaires (^3. 2). Les
Interrupteurs de commande affectent les formes les
plus variées : bouton électrique, poire, etc. Il est
toujours facile de vérifier le contact des petits res-
sorts auxquels aboutissent les fils. Quant aux son-
neries elles-mêmes, le principe en est bien connu
EXTINCTION
ALLUMAGE
1
1,
(gU ug)
:i
4
Oi
®J Lj2)
Pig 2. (B). — Montage bipolaire.
(v. l'art. SONNERIE au Nouveau Larousse ill.); leur
réglage se fait aisément, à l'aide du ressort de la
palette et de sa vis de contact. L'installation d'une
sonnerie domestique ne présente, en résumé, aucune
difficulté ; elle exige tout au plus un peu d'ingéniosité
dans le tracé des fils, de façon à éviter les longueurs
et les traversées de murs inutiles. Celles-ci doivent
toujours se faire sous tubesde porcelaine assez larges.
La pile Leclanché peut également servir à l'éclai-
rage momentané, à l'aide d'une petite lampe de 4 volts
fonctionnant sur 3 éléments en série. Pour faire de
l'éclairage de longue durée, il faudrait employer les
piles aux bichromates alcalins (Poggendorf) à zinc
mobile (les zincs pouvant être soulevés hors du
liquide par un treuil), ou à circulation (le liquide
Souvant être renouvelé par circulation automatique),
m leur préfc're généralement les accumulateurs,
qui ont favantage d'avoir une tension plus cons-
tante (1,8 à 2 volts) et un débit plus considérable,
sars exiger autant d'entretien. Les accumulateurs
ont une résistance intérieure très faible; il faut
LAROUSSE MENSUEL
donc éviter soigneusement de les faire débiter sur
des circuits liop peu résistants, car il s'ensuivrait
des courts circuits qui pourraient détériorer les
plaques. Il faut aussi avoir soin de les décharger et
de les recharger périodiquement et de ne jamais
laisser tomber la tension à moins de 1^,8 par élé-
ment. D'ailleurs, la capacité d'une batterie d'accu-
mulateurs étant exprimée en ampère-heures (Ah)
indique suffisamment ce qu'on peut lui demander :
10 Ah, par exemple, pourront alimenter une lampe
de 0,5 ampère pendant 20 heures ou deux lampes sem-
blables pendant 10 heures, etc. On a intérêt à em-
ployer alors des lampes de 10 ou 12 volts, par
exemple, pouvant être alimentées par une petite bat-
terie de 6 éléments en série, ce qui diminue les
frais d'installation et permet d'employer au besoin
de simples Qls de sonnerie pour les canalisations.
Une autre application simple et intéressante des
piles et accumulateurs est la galvanoplastie, qui réa-
lise la dorure, l'argenture, le cuivrage et le nicke-
lage des objets par l'électrolyse et permet la repro-
duction des médailles, cachets, bas-reliefs et motifs
de toute sorte; elle s'applique même à la métallisa-
tion des objets naturels tels que feuilles, fleurs, fruits,
branches, insectes, etc., dont on peut faire ainsi de
jolies et presque inaltérables pièces d'ornementation.
(V. l'art. GALVANOPLASTIE BU Nouveau Larousse ill.)
Signalons, enfin, quelques petites applications,
comme : le réveil électrique, qui n'est qu'une son-
nerie dont le contact est commandé par les aiguilles
ou par le mouvement d'horlogerie; l'avertisseur
d'incendie, qui, sous l'influence de la dilatation pro-
duite par la chaleur, établit un contact actionnant
une sonnerie; l'avertisseur électrique contre les
voleurs, dont les contacts sont commandés par l'ou-
verture des portes, fenêtres, etc.; l'horlogerie élec-
trique, qui est surtout appliquée aux horloges pu-
bliques, et l'allumage électrique des becs de gaz
et des lampes à essence, soit par l'action d'un fil de
platine traversant la mèche et porté au rouge par le
passage du courant, soit, plutôt, par celle de l'étin-
celle de rupture du courant envoyé dans une petite
bobine de self-induction. En ce qui concerne l'instal-
lation du téléphone chez soi, on doit prendre les
mêmes précautions que pour les sonneries. Pour la
description des appareils, voirleNouv. Lar.illuslré.
Nous arrivons, enfin, à l'application la plus répan-
due de l'électricité : l'éclairage domestique. Son
installation exige un certain nombrede connaissances
préalables et de précautions que nous allons résu-
mer brièvement. Le problème est, d'ailleurs, difl'é-
rent, suivant que l'on habite la ville ou la campagne,
ou plutôt suivant que l'on se trouve, ou non, à proxi-
mité d'un réseau de distribution de courant.
Dans les grandes villes comme Paris, des câbles
souterrains à haute tension, généralement à courants
alternatifs, venant des usines génératrices, parcou-
rent les principales artères sous les trottoirs : de
place en place, on prend sur ces cables une dériva-
tion ou branc/tement, constituée par un petit câble
aboutissant au poste de transformation situé dans
la cave de l'immeuble à desservir {fig. 3). Ce câble
Fig. 3. — Branchement sur c&ble souterrain à baute tension.
passe par un coupe-circuit à haute tension CC avant
d'arriver au primaire P du transformateur. Un pa-
raloudre D, intercalé entre un des fils du câlile et
la terre, protège l'inslallation contre les surtensions
possibles. L'enroulement secondaire S du tranfor-
mateur fournit du courant à 110 volts; il aboutit à
un tableau comportant un interrupteur bipoaire et
des coupe-circuits, d'oti part la colonne montante
alimentant l'immeuble et placée ordinairement dans
l'escalier. Un dispositif de sécurité B coupe auto-
matiquement le courant en cas de contact acciden-
tel entre le primaire et le secondaire.
Sur chaque palier de l'immeuble se trouve un cof-
fret de branchement pour chaque appartement. Ce
cofi'ret comporle un coupe-circuit, d'où part la déri-
vation se rendant au tableau de l'abonné.
En arrivant à ce tableau {fig. 4), le courant passe
d'abord par un interrupteur bipolaire, puis par le
compteur, et enfin par un coupe-circuit protégeant
l'installation intérieure. L'interrupteur, étant placé
«o 728. Novemore 1017.
avant le compteur, doit être muni d'un couvercle
plombé par le secteur comme le compteur lui-
même, afin de prévenir toute fraude (utilisation du
courant avant son passage dans le compteur). L'in-
terrupteur peut aussi être placé avant le compteur,
mais toujours avant le coupe-circuit, pour permettre
de remplacer sans danger le fusible de celui-ci. Le
rôle du coupe-circuit est de couper automatiquement
le courant en cas de court circuit ou de surcharge
sur l'installation de l'abonné; la coupure est obtenue
par la fusion de fils ou de lames d'étain appelés
/usibles, dont la section est calculée de façon que la
rupture ait lieu pour une intensité déterminée :
0n"n,4 de diamètre pour un courant de 1 ampère,
O^^iG pour 3 ampères, 0"'",8 pour 5 ampères.
Fig. 4. — Branchement d'abonné sur colonne montante.
imm,2 pour 10 ampères, etc. Le fusible est sou-
vent enfermé dans un tube isolant (fibre ou porce-
laine), qui permet son remplacement sans inter-
rompre le courant et sans danger. Le fusible du
tableau de l'abonné doit fondre avant celui du cof-
fret de branchement, de façon à pouvoir être rem-
placé dès que le court circuit aura été supprimé.
Il y a lieu, aussi, de se préoccuper, quand la ligne
d'alimentation est aérienne, de protéger l'installation
intérieure contre la foudre. On emploie à cet efl'et des
parafoudres de divers modèles. Le plus simple
consiste à enrouler en hélice de 10 à 20 centimètres
de diamètre et d'une douzaine de spires la ligne d'a-
menée de courant avant son entrée dans l'immeuble.
On constitue ainsi une bobine de self qui arrête
les surtensions atmosphériques à haute fréquence et
les réfléchit dans la ligne où elles s'amortissent. On
peut, d'ailleurs, relier la ligne elle-même, avant
l'entrée de cette bobine, à un parafoudre à cornes,
à peigne ou à condensateur (V. l'art, parafoudre
au Nouveau Larousse ill.)
Au tableau de l'abonné commence l'installation
intérieure proprement dite. Voyons sommairement
comment il convient de l'établir. La première chose
à faire consiste à déterminer le nombre de lampes
dont on a besoin; ceci est affaire d'estimation per-
sonnelle et de convenance, mais on peut compter
qu'une pièce est suffisamment éclairée quand le
nombre de bougies installées est égala la moitié du
nombre exprimant le volume de la pièce en mètres
cubes. Ainsi, une salle de 5 m. X 6 m. et 4 m. de
haut, soit 120 mètres cubes, pourra êlre éclairée
par 4 lampes de 16 bougies, si les tentures sont de
couleur claire. Pour avoir un éclairage brillant, il
faudrait prendre 4 lampes de 25 bougies et davan-
tage, si les tentures sont de couleur sombre, etc.
Les emplacements des lampes sont déterminés
par des considérations utilitaires ou artistiques et
par l'économie d'installation ; à ce point de vue, un
foyer unique à
grand éclat est
toujours plus
avantageux que
plusieurs foyers
dispersés. 11 con-
vient,entoutcas,
de s'arranger de
façon àracourcir
le plus possible le
trajet des canali-
sationset à éviter
surtout les tra-
versées des murs
et cloisons qui
donnent presque
toujours des dé-
boires, soit au
moment du per-
cement, soit par
la suite. En prin-
cipe, on établit une canalisation principale parlant
du tableau et traversant tout l'appartement, sur la-
quelle on prend des dérivations protégées chacune
parun petit coupe-circuit individuel (fig. 5). Chaque
dérivation ne doit pas comporter plus de 5 lampes.
I>es canalisations doivent être faites en fils ou
câbles de cuivre convenablement isolés par une cou-
che de caoutchouc pur, recouverte d'une couche de
caoutchouc vulcanisé, et protégés par une tresse ou
un rulian enduit. Ils doivent pouvoir supporter une
tension double de la tension de service, et leur
isolement doit être tel que la puissance correspon-
dant aux pertes soit inférieure aux 2 dix-millièmes
de la puissance totale de l'installation. Par exemple,
Fig. 5. — Coupe-circuit à tabatière :
F, m fusible.
(V» 129. Novembre 1917.
pour une puissance déclarée de 100 watts sous
100 volts, la puissance dissipée ne devra pas dépas-
ser 0,02 watl, ce qui correspond à une puissance
d'isolement de 500.000 ohms ou 0,3 mégnom. Une
installation bien faile atteint plusieurs mégohms.
Pour faire l'essai d'isolement et l'essai de tenson, il
faut, nalurellement, débrancher préalablement tous
les appareils d'ulilisalion (lampes, moteurs, etc.), y
compris le compteur.
Le diamètre des fils employés ne doit être ni trop
grand pour ne pas exagérer le poids de cuivre et,
par suite, la dépense d'installation, ni trop faible
pour ne pas chauffer au passage du courant ou di-
minuer, par leur résistance propre, la tension aux
bornes des lampes. On devra choisir la section des
fils de façon à ne pas dépasser une densité de cou-
rant de 5 ampères par millimètre carré pour une
section de 5 millimètres carrés, de 4 ampères jus-
qu'à 15 millimètres carrés, de 3 ampères jusqu'à
50 millimètres carrés, de 2,5 ampères jusqu'à 50 mil-
limètres carrés, de 2 ampères jusqu'à 100 millimètres
carrés, etc. (Règlement de l'Union des syndicats de
l'électricité.) Pratiquement, on emploie du fil de
10 dixièmes de millimètre de diamètre jusqu'à
1,5 ampère, du fil de 12 dixièmes de 1.5 à 3 am-
pères, du 15 dixièmes jusqu'à 5 ampères et du
20 dixièmes jusqu'à 10 ampères.
Au-dessus de 10 ampères, il vaut mieux employer
des câbles lormés de plusieurs fils ou brins.
Le nombre d'ampères passant dans chaque fil est
déterminé parle nombre de lampes qu'il alimente,
en comptant 0,1 ampère par 10 bougies pour les
lampes à filament métallique et 0,3 ampère pour
les lampes à filament de charbon. Pour les moteurs
et les appareils de chauffage, l'intensité normale du
courant est indiquée par les constructeurs. On peut,
d'ailleurs, l'obtenir approximativement en divisant
la puissance exprimée en watts par la tension aux
bornes en volts.
Les jonctions de fils entre eux ou épissures doi-
vent être particulièrement soignées, de façon à as-
surer un excellent contact, si l'on ne veut pas perdre
le bénéfice de la haute conductibilité du cuivre. A
ce point de vue, les épissures devraient toujours être
soudées, au moins pour les intensités un peu fortes.
Pour les installations intérieures à faible courant
n'utilisant que des fils, on peut se contenter de dé-
nuder soigneusement les extrémités des deux brins
à raccorder, sur 10 centimotres de longueur en-
viron, en les grattant au couteau ou, mieux, en les
frottant au papier de verre. On rapproche alors les
milieux des deux brins dénudés, et l'on enroule
chaque extrémité libre en spirale sur l'autre fil,
— Epissure simple.
comme le montre la figure 6. On serre ensuite les
spirales à la pince, de façon à assurer un bon
contact, et, si l'on peut, on les soude à l'élain et à
la réfine (ne jamais employer d'acide). Il faut en-
suite isoler l'épissure en la recouvrant d'au moins
deux couches de ruban de caoutchouc enroulé en
spirale sur toute la partie dénudée et même un peu
au delà de chaque côté (1 centimètre au moins) et
protéger cet isolant par quelques spires de toile
Fig. 7. — Epissure de câbles.
chattertonée. Les épissures de cibles sont un peu
plus compliquées : après avoir dénudé les extré-
mités, on écarte en éventail les brins formant la
couche extérieure du câble, et l'on coupe à la pince
tous les autres fils. On rapproche les deux éveji-
lails ainsi formés en ayant soin d'entrelacer régu-
lièrement les fils qu'on enroule ensuite sur le brin
Pig. 8. — Epissure en T.
opposé, comme l'indique la figure 7. Pour une déri-
vation à angle droit, on emploie l'épissure en T
Uig. 8). L'essentiel est qu'un serrage énergique des
nia assure un excellent contact.
La pose des fils peut se faire de trois manières
principales: sous moulure, sous tubesetsiirisolateur.
La moulure est très employée dans les apparte-
ments, en particulier à Paris, ofi elle est obliga-
toire. Elle est constituée par des baguettes de bois
très sec, portant des rainures dans lesquelles on
loge les fils, qui sont ainsi nettement séparés et pro-
Fig. 9. — Coupe d'une
lisation sans moulure.
LAROUSSE MENSUEL
tégés très efficacement. Les moulures sont recou-
vertes d'une baguette plate, formant couvercle; elles
se font à deux ou trois rainures (une rainure par
fil), qui doivent toujours être un peu plus larges que
le diamètre des fils, afin que ceux-ci n'y soient pas
serrés. La moulure se cloue facilement aux murs;
il faut se servir, pour cela, de pointes fines, ne les
enfoncer que dans la partie médiane de la moulure
et veiller, en clouant le couvercle, à ce qu'aucune
pointe ne vienne en contact avec un fli et provo-
quer une mise à la terre par l'intermédiaire du
mur. Quand le mur est en
briques ou pierres dures, on
ne peut clouer la moulure
directement; il faut, alors,
faire des tamponnages : pour
cela, on commence par faire
dans le mur des trous cylin-
driques à l'aide d'un tampon-
noir, sorte de ciseau d'acier
sur lequel on frappe au mar-
teau, tout en faisant tourner
constamment l'outil sur lui-
même. On peut aussi em-
ployer une mèche et un vile-
brequin. Quand le trou est
assez profond (4 centimètres
par exemple), on y enfonce
au marteau un morceau de
bois tendre (tampon) légè-
rement conique, sur lequel
on vient ensuite clouer la moulure (fig. 9). La mou-
lure, bien posée, donne un isolement parfait etpro-
tège bien le fil; mais elb est disgracieuse et, d^ail-
leurs, impossible à employer dans bien des
cas (coudes, traversées, trajets sinueux).
Pour les traversées des murs ou cloi-
sons, il faut d'abord faire un trou au
tamponnoir ou, de préférence, à la mèche.
On place ensuite dans ce trou un tube de
cuivre dépassant légèrement de chaque
côté et évasé de façon à ne pas présenter
d'arêtes vives ; on y introduit les fils après
les avoir préalablement passés dans des
tubes de caoutchouc, qui les isolent entre
eux et les mettent à l'abri de l'humidité.
Le tube de caoutchouc est, d'ailleurs,
recommandable chaque fois que le fil conducteur
n'est plus sous moulure. C'est le cas, par exemple,
lorsqu'il s'agit de croiser un tuyau d'eau ou de gaz, ou
une pièce métallique quel-
conque; il faut, alors, de
plus, avoir soin de couder
les fils, de telle sorte qu'ils
ne puissent venir au con-
tact du métal.
Quand on veut monter
des canalisations électri-
ques sur des appareils à
gaz, il faut prendre des
précautions particulières Fig. lO. — Raccord isolant.
contre les courts circuits,
qui pourraient fondre les tuyaux et enflammer le
gaz. Il faut d'abord isoler l'appareil à gaz de sa con-
duite principale à l'aide d'un raccord isolant (^^. 10),
formé de deux brides de bronze séparées par une
rondelle isolante (ébonite, fibre ou caoutchouc) et
serrées par des boulons isolés. Les lustres métalli-
ques ordinaires doivent également être suspendus
par des poulies i^olantes (fig, 11). Sur tous ces ap-
pareils, on ne doit employer que des fils souples à
deux conducteurs isolés au caoutchouc et sous tresse
de soie ou colon. Ces fils sont, d'ailleurs, très prati-
ques, car on peut leur faire suivre tous les contours
des lustres en les fixant simplement par des fils de
soie. Il est bon d'intercaler, aux
points de fixation, une petite feuille
de caoutchouc ou de papier épais
entrelelustreetlesfils (il convient
de se méfier des lustres vendus
tout montés, dans lesquels les fils
passent à l'intérieurdes tubes mé-
talliques non isolés intérieure-
ment. Le passage à l'extérieur est
toujours préférable).
Pour la fixation aux plafonds,
le mieux est de suspendre les
conducteurs de place en place au
moyen de fils de soie serrés préa-
lablement sur des pointes fines
fixées au plafond. Le fil électrique
ainsi attaché est bien isolé, et les
attaches sont presque invisibles.
Le fil doit, bien entendu, être
assorti à la couleur des boiseries
et du plafond. D'ailleurs, dans les installations mo-
dernes, les plafonds sont traversés sous des tubes
spéciaux noyés dans le plâtre : seules, les extrémités
des fils sont apparentes.
Ces tubes s emploient de plus en plus. Il y en a
de différents modèles, tous isolés intérieurement;
on les désigne communément sous le nom de tubes
Bergmann. Ils sont constitués par un tube de carton
spécial comprimé, recouvert d'une feuille de tôle
Fig. 11.— Poulie
Isolante.
281
plombée. On les noie dans le plâtre on le ciment
des murs, ou bien on les fixe extérieurement par
des crochets. Le fil doit y être introduit avant la
pose, et le tube est coude au fur et à mesure des
besoins à l'aide d'une pince
spéciale. Ce procédé donne de
très bons isolements, mais le
montage est très délicat et coû-
teux, et il ne convient C[ue pour
l'installation des maisons en
construction, et non pour une
installation faite après coup.
Dans les locaux humides (ca-
ves et sous-sols), ou pour les
passages extérieurs, on emploie,
de préférence à la moulure, qui
s'imprègne et pourrirait vite,
des taquets ou poulies isolantes en porcelaine (fig.iî
et 13), sur lesquels on vient fixer les fils à l'aide
d'une vis centrale ou de ficelle goudronnée. Le fil
doit être soigneusement
isolé pour éviter tout
contact accidentel soit
entre fils, soit avec la
terre. L'avantage de ce
procédé est que la cana-
lisation est toujours ac-
cessible et facile à visi-
ter et à réparer.
Nous ne décrirons pas
Fig. 12. - Poulie
simple.
Pig. 13. — Taquet aerre-flli.
en détail le petit appareillage que comporte toute
installation d'éclairage domestique. Nous avons
déjà dit un mot des coupe-circuils; ajoutons seule-
ment qu'il convient d'en placer un à l'origine de
Fig. ti. — Prise de connot.
Fig. 14. — Interrupteurs de lampes.
chaque dérivation, comportant jusqu'à cinq lampes.
Ils doivent, en tout cas, être proportionnés à l'inten-
sité du courant qui les traverse. Il en est de même
des interrupteurs et des commutateurs, qui doivent
être à rupture brusque.
Les modèles en sont
très divers; les plus em-
ployés et les plus éco-
nomiques sont ceux en
porcelaine, avec couver-
cle en porcelaine ou mé-
tallique (fig. 14). Les fils
y sont introduits par des
rainures et des trous mé-
nagés dans le socle et
viennent se serrer sous
des vis à tête plate. Deux
autres trous servent à
passer les vis à bois qui
les fixeront au mur à
l'aide d'un tamponnage.
L'appareil doit être
isolé du mur paruneron-
delle de bois ou de mica.
Les prises de courant
s'emploien t pour le bran-
chement des lampes mobiles. II en existe un grand
nombre de modèles, généralement en porcelaine :
la prise de courant à trous est la plus pratique
(fig. 15). Le fil souple de la
lampe aboutit à un bouchon
muni de deux broches en cui-
vre, que l'on enfonce dans les
trous pour donner le contact.
On doit éviter d'arracher le
bouchon en tirant sur le fil.
Le montage de ces appareils est
aussi simple que celui des in-
terrupteurs.
Celui des douilles est facile
aussi, surtout pour les douilles
à vis, très employées en Angle-
terre et en Amérique. En
France, on emploie surtout la
douille à baïonnette [fi^. 16):
elle renferme une pastille en
porcelaine, sur laquelle sont
montés deux contacts à res-
sorts appelés pistons, au pied
desquels on vient fixer les fils à
l'aide de deux petites vis. Les fj, jg _ Douine
douilles à clef (fig. 17) renfer- i baïonnette,
ment un petit interrupteur.
Le montage d'une douille doit être fait avec soin
et les fils bien isolés des parties métalliques,
§o\ir éviter tout risque de court circuit. On y arrive,
'ailleurs, facilement. Pour les lampes intensives,
Fig. 18. — Douille 1 via.
282
on emploie surtout la douille à vis, dont le mon-
tage est encore plus simple (fig. 18). Toutes ces
douilles peuvent ëlre montées sur des patères
isolantes (fig. 19), fixées aux murs ou aux plafonds.
Une installation bien faite doit présenter un iso-
lement tel que la perte du courant ne dépiiS£>e pas
les deux dix-millièmes du débit normal. Elle doit,
d'ailleurs, résister à un essai,
sous une tension double de la
tension normale. Les secteurs
parisiens sont très sévères à ce
sujet; de pluo, ils limitent la
densité de courant dans les flls
àîaiiipères par millimèlrecarré
pour les sections inférieures &
5 inillimèlres carres et à 1 am-
père pour lesseclions supérieu-
res. Ils prescrivent l'emploi des
moulures ou des tubesisolanis et
interdisent l'usage des attaches
métalliques ; leurs règliMnents,
très complets, peuvent être pris Fig. 1 7.— Douille à clef.
comme critérium d'une bonne
installation, et il sera toujours bnn de s'en inspirer.
Les mêmes prescriptions s'appliquent, du reste,
également aux canalisations qui alimentent des
moteurs ou des appareils de chauffage. Des mo-
teurs nous ne dirons rien, le sujet étant spécial
et, d'ailleurs, trop vaste, sinon
qu'ils doivent être appropriés
k la ten ion et à la l'orme du
courant (continu ou alternatif)
dont on dispose et toujours
protégés par un conpe-cijcuit
et, s'il y alieu,par un rhéostat
de démarrage. Kn général, les
ftetits moteurs employés dans
es installations dumestiques
(ventilateurs, machines à cou-
dre, etc.) ne nécessitent qu'un
interrupteur.
Quant aux appareils de
chaulTage, ils ne nécessitent
qu'un inlerrupleur et une
canalisation proportionnée à l'inlensité du courant,
3ui est toujours indiquée par le constructeur. Ils
oivent, de pins, comme les moteurs, êlre protégés
par des coupe-circuits individuels. L'isolation de
leur circuit électrique doit être parfaitement soi-
gnée; la chaleur
et la dilatation ne
doivent produire
aucun risque de
court circuit. Ces
appareils con-
sonimi-nt en gé-
néral des cou-
rants assezinlen-
ses : le nombre
de calories qu'ils
fournissent est
d'environ 800 par
kilowatt -heure.
On peut les divi-
ser en troiscatégories : 1» appareils de chauffage pro-
prementdils (poêles, calorifèi-es, radiateurs, chauffe-
rettes, bouillottes, bassines, etc.) ; 2° ustensiles de
cuisine (récliauds, gnlle-pain, chaulfe-plats, pois à
eau, pots à colle, etc.); 3° appareils spéciaux (l'ers à
repasser, fers à friser, sèche-cheveux, appareils
médicaux, cataplasmes, thermocautères, etc.). La
description de ces divers appareils nous entraî-
nerait trop loin. Tous les renseignements néces-
saires à leur emploi sont, d'ailleurs, donnés par le
fabricant. — Jacques Dauien.
Slé'vatlon (l'), pièce en trois actes, en prose,
par Henri Bernslein, représentée pour la première
l'ois à la Comédie-Française le 5 juin 1917.
La scène est à Paris, dans le salon de M. et
M"» Cordelier, le 31 juillet 1914. M. Cordelier,
éminent professeur de chirurgie, a vingt-trois ans
de plus que sa femme Edilh.
Au début du premier acte, celle-ci est seule dans
le salon, assise à son bureau. Elle téléphone pour
demander des détails sur les bruits de mobilisation
qui circulent. Des visHes arrivent : une amie,
M"» Germaine Ledru, dont le mari est officier et
déjà à son posie, puis Louis de Génois, qu'Edith a
connu, il Y a deux mois, dans un dîner ou elle 1 eut
comme voisin de tal)le; enfin. M"» Cordelier mère,
qui n'a qu'un instant et doit sortir aussitôt. Cette
dernière s'éionne que sa bru, ordinairement si réser-
vée, si timide, soit si exactement informée sur les
détails de la mobilisation pos.sible; elle soupçonne
quelque chose et ne peut se résoudre à partir et à
laisser sa belle-fille en tête à tête avec Louis de Gé-
nois, dont elle se méfie.
Elle n'a pas tort. Edith, après huit ans de fidélité
et d'existence vertueuse, a été séduite par ce bel
homme, aux manières de mondain perverti. On vient
d'apprendre que l'ordre de mobilisation est affiché.
Edith a une crise de désespoir. Elle supplie Louis
d'accepter un poste sans danger dans un état-major.
Fig. (9. — Patère isolante.
LAROUSSE MENSUEL
Il s'y refuse. Que, du moins, avant son départ, il lui
accorde une heure de rendez-vous I 11 ne peut pas :
il doit pai tir tout de suite pour 'Verdun. C'est donc
fini, ils ne se verront plus. Edilh est folle de dou-
leur; Louis est assez indifférent. On sent qu'il a
accepté celte aventure sans lui donner autrement
d importance, tandis que, pour Edith, c'est sa vie
qu'elle a engagée dans cet amour, et elle s'est
donnée tout entière avec une passion furieuse.
Le mari rentre, accompagné d'un ami, le docteur
Courtin, elde son fils Jacques Gourlin, qui est animé
d'une belle fièvre patriotique. Louis de Génois parle
de la guerre avec aisance et calme.
La guerre ? Je ne suis bon qu'à cela (dit-il).
On comprend qu'il ne se méprend pas sur le peu
de valeur de sa namre morale. ,Tout à l'heure, de-
vant les larmes d'Edith, ne lui a-t-il pas affirmé :
Je ne vaux pas cela !
Jacques Courtin part, plein d'enthousiasme. Louis
de Génois se relire très posément. Editlj reste seule
avec son mari et le docteur Courtin. Les deux
hommes échangent quelques idées générales sur la
guerre, et le docteur Cordelier proclame :
L'effroyable malheur qui nous menace contient sans
doute le ^'erme d'un bienfait inliniment plus grand et plus
durable.
C'est la pensée mère de l'ouvrage ; elle pourrait
le précéder comme une épigraphe.
Courtin parle du départ de son fils, qui va & Toul;
il dit les dangers particulièrement graves qui me-
nacent, de ce côté, les troupes de couverture. Ces
mots ravivent dans le cœur d'Edith ses mortelles
appréhensions sur le sort de Louis de Génois, et elle
s'évanouit silencieusement.
Tandis qu'elle revient à elle, Courtin se retire, et
le mari reste en tête à tête avec sa femme. 11 n'est
pas étonné de celte syncope, due à l'événement du
jour, à l'anxiété générale qui a secoué cette jeune
femme, très nerveuse :
Ce que disait Courtin t'a suggéré d'effroyables images.
Mais, pendant qu'il paile, il est frappé de l'alléra-
lion des traits d'Edith. Ce n'est point là une émo-
tion ordinaire. Sa haute intelligence ne le laisse
piis s'aliuser davantage; il a tout compris. Et, entre
ces deux êtres, le dialogue s'échange en répliques
vives, hardies, nettes, d'une loyauté tragique :
Tu crains donc pour quf>lqu'un?... Tu as un amant !
— Oui. — Qui ? — M. de Génois.
Et voilà soudain le drame engagé à fond.
Cordelier ressent une poignante douleur, mais sa
nature d'élite lui donne la force de la surmonter.
La guerre et le danger national ne lui laissent ni le
droit ni le loisir de se consacrer à des aiigoisses
d'ordre privé. Certes, il ne peut concevoir comment
celle femme, élevée parmi les plus nobles carac-
tères et les plus éclatantes gloires de la médecine,
a pu s'abaisser à une telle intrigue, à de si vils
mensonges. Edilh se justifie avec hauteur :
Je l'aimais !
Le mari souffre dans toutes les libres de son hon-
neur, de sa tendresse. Il fait face à l'orage. Il or-
donne à sa lemme de ne pas déserter le poste
d'infirmière qu'il lui avait assigné dans ses hôpi-
taux; elle y demeurera, mais elle sera désormais
une étrangère pour sou époux. Et celui-ci s'inter-
roge, délimite courageusement la part qu'il a lui-
même dans la responsabilité de ce cataclysme, car
il a eu tort d'épouser une femme trop jeune. Cela
devait arriverl...
Le deuxième acte se passe six mois plus tard, dans
ce même salon. On y voit défiler quelques types de
« femmes de la guerre » : Germaine Ledru, femme
d'officier, toujours courageuse et forte, sérieuse et
grave; M"» Gilquin, que les deuils ont frappée
cruellement et qui exhale en acrimonie, contre les
frivoles et élégantes caillelles, le fiel de sa grande
douleur.
Je vous souhaite plus de chance qu'à moi (dit-elle a
M*"' Ledru). Ce no sera pas difticile !
Les deux autres visiteuses. M™"" Sabine Boutard
et Odette Hainon, personnifient celle catégorie de
femmes qui traversent la guerre en rolies à la mode,
en chapeaux dernier cri, en souliers vernis, préoc-
cupées des thés et des papotages mondains comme
si la guerre n'existait pas. Leurs maris sont embus-
qués à l'abri dans des bureaux et des usines. Ces
perruches sont odieuses. Klles sortent sans attendre
le retour de M""= Cordelier, car elles ont des thés
de la plus haute importance.
Edilh renli-e, et son mari ne tarde pas à arriver.
Ils vivent à pi'ési ni isolés l'un pr's de l'autre :
Cordelier ne cesse de porter à sa femme une ten-
dresse douloureuse. Il la voit fatiguée, exténuée par
son service à l'hôpital, où elle se dépense fiévreuse-
ment. Il exige qu'elle prenne un congé d'un mois.
Edith refuse, évidemment parce que ce serait re-
tarder les heures oii elle reçoit les lettres de Louis
de Génois.
On apporte une dépêche. Elle apprend à Edith
que IVl. de Génois, blessé, a été évacué dans un
hiipitalde Rennes. Angoissée, exagérant le malheur,
elle décide de partir aussitôt. Le mari refuse à
«• J29. Hovembn 1917.
présent le congé qu'il offrait tout à l'heure. Edith
biave cette défense et court à la gare pour s'informer
des heures des trains.
En son absence, Cordelier reçoit la visite de sa
mère, qui se doutait de ce drame intime : il lui ra-
conte tout, et il lui dévoile son état d'àme. Recon-
quérir Edith, il ne l'espère plus. Mais il faut la
sauver, il faut l'arracher à ce roman fatal qui la
conduira à l'abandon et à la misère, au mépris
public, au scandale et au remords. M. de Génois est
indigne d'une telle femme. Cordelier s'est rensei-
gné : c'est un viveur, un débauché; il avait, et il a
gardé une maîtresse, une M"" Lucienne-Francine,
avec laquelle il lisait les lettres qu'Edith lui écri-
vait : ces lettres, celle gourgandine en a battu
monnaie elles a vendues au mari. C'est un monde
ignoble. 11 ne faut pas qu'Edith glisse sur celle
pente redoutable. Cordelier lui racontera toutes ces
horrcui s, et il espère l'arracher au malheur de sa vie.
Edith revient, fermenient décidée à partir, et elle
arrête les observations qu'elle pressent : M. de Gé-
nois est la plus noble nature, et il s'est battu en
héros; il a mené à la tête de ses hommes des assauts
superbes, il a été plusieurs fois blessé, il a reçu
quatre palmes, la croix de la Légion d'honneur, il a
des citations splendides. — Les maîtresses de jadis?
Ehl qu'importe? Folies de jeunesse! Et aujourd'hui,
que pèse l'opinion d'un Cordelier, d'un ctiirurgien
qui vit à l'abri, loin des balles, dans son hôpital à
l'arrière et qui a peut-être escompté les hasards des
obus pour se débarrasser de son rival?
Devant l'explosion d'un tel amour, Cordelier de-
meure anéanti et muit; il remet sur le bureau le
faquet des lettres que la maîtresse de M. de Génois
ui a vendues; il se tait, il ne salira pas par de la
diffam; lion cette immense passion; il se résigne, il
s'nicline devant la « force de l'amour », il laisse
Edilh s'éloigner, et il sanglote dans les bras de sa
vieille mère, accourue pour le consoler.
Troisième acte. A l'hôpital de Renues. Une cham-
bre aux murs blancs et nus. Des fioles sur une che-
minée ; sur une table, la canline du lieutenant Louis
de Génois. Deux lits. L'un est vide. Dans l'autre,
de Génois sommeille.
L'infirmièi'e introduit M""" Edith Cordelier et
laisse seuls les deux êtres, qui sont tout à l'extase
de leur réunion. De Génois a beaucoup changé,
physiquement et moralement. Sa voix est gra\e, el
il ne voit plus la vie et les événements comme au-
Irelois. Il avoue à Edilh qu'il l'aimait à la légère;
mais celte passionnelle, dit- il, s'est tiansformée en
un amour noble et grand, qui est né là-bas, dans
les tranchées, devant l'ennemi :
Louis : Edith,... une nuit... Une nuit, en Lorraine,
dans notre cagna, j'avais écouté longtemps mes deux
camarades qui échangeaient des souvenirs... Oh! de
petites ctioscs très banales... Mais chacune de leurs
plirases commençait par : ■ Ma femme. » Et leurs yeux
étaient si l>caux !... Je me taisais... A la fin, je suis sorti.
Il faisait une nuit pleine de brouillard... J'ai dépassé les
flls de fer... Kien ne bougeait, ce soir-là. Et dans ce
silence, dans cette solitude étrange, je l'ai vue ! Tu étais
dans ton lit. af^sise, courbée; tu m'écrivais sur tesgenoux...
Parfois tu levais ton anxieux visage, plein de ma pensée...
Je te voyais si bien, ma pauvre petite) cliose fidèle et pal-
pitante ! Et tout à coup, j'ai entendu ma voix qui disait
tout haut : « Ma femme... ■ C'était la première fois!... Ma
femme! Ma femme! Ah ! quel appel jailli des profondeurs
de mon instinct vers cette intimité divine, vers tout ce
que je n'ai pas connu ! Je suis resté jusqu'au matin dans
cette lugubre plaine, rempli de vivants invisibles et de
morts..., avec toi. Oui, toute la nuit, avec toi. ma femme...
Toute celte nuit..., la nuit de nos noces. — Edith : Louis,
tu pleures... Pourquoi pleures-iu?.. C'est la faiblesse?
(Ei, comme il secoue la tête)S'\ 'mais si! Tu t'es trop agité...,
la fièvre monte... {Elle s'est lev'e.) — Louis : Viens près de
moi ! — Edith, qui recule : Mon petit Louis, tu me re-
gardes si tristement... Ton infirmière aussi m'a regardée
avec pitié... — Louis : 'Viens, ma petite. — Edith : Oh I
j'ai trop peur... On me ment... Tout le monde ment! Moi
aussi, je mens, carj'ai peur depuis que je suis là ! — Louis :
Viens. — Edith : Louis, non ! — Louis : Edith, je vais
mourir. — Edith : Non! non! je t'aime... Ne meurs pas,...
aimons-nous ! »
Louis tient à présent des propos élevés; il exècre
la guerre, que les tueurs les plus courageux sont les
premiers à maudire; s'il meurt, il faut qu'Edith lui
survive; il le lui fait jurer, et il faut qu'elle revienne
à son mari et qu'elle panse elle-même la plaie
qu'elle a creusée dans ce pauvre vieux coeur.
Edith, interdite, remuée par cet apôtre de beauté
morale, s'arrache peu à peu aux liens de l'amour;
elle ira vers son mari, elle le jure.
El, lentement, tandis que l'infirmière vient an-
noncer l'heure du pansement, tandis qu'au loin
chantent les échos du concert organisé à l'hôpital
par la Cliansoti aux blessés, Edith sort pour re-
gagner sa chambre d'hôtel, qu'elle quittera pour
revenir le soir auprès du grand blessé dont les
heures sont comptées.
Une nolile pensée a présidé à l'inspiration de cet
ouvrage : la guerre evt atroce, mais, par les dangers
qu'elle crée, par les héro'ismes que suscite le pa-
triotisme, par la secousse qu'elle imprime aux sen-
timents, elle modifie, ou, comme dit l'auteur en se
servant d'un terme fâcheux, elle « conditionne » nos
états d'âme. Le feu purifie, grandit, élève la menta-
lité. A cause de la guerre, Cordelier fait passer au
I
/V 129- Novembre 1917.
second plan ses chagrins intimes, Il frissonne de-
vant la beauté d'un amour qu'il fut incapable de
faire naître à son profit. A cause de la guerre, Louis
de Génois renonce à son passé de viveur et à ses
habitudes inlérieures d'homme à bonnes fortunes;
il se bat en soldat superbe, il hausse son amourette
à la hauteur d'une émotion noble, pure, et il aboutit
aa sacrifice de son é.i;oîsme; à cause de la guerre,
Edith renonce à une passion qui emplissait son être
i le déborder, elle rentre dans l'austère devoir, et
elle reviendra résignée et douloureuse auprès de
celui dont elle avait meurtri le cœur et écrasé la vie.
Un souffle surhumain a effieuré ces êtres et les
a soulevés au-dessus des mesquines conditions de
la vie pour leur faire des volontés cornéliennes;
c'est comme une ascension en grappe d'âmes régé-
nérées par la soulTrance, le fer et le sang; c'est l'élan
collectif de chétifs humains vers un idéal radieux
de beauté morale et d'élévation. — Léo Claretis.
I,os principaux rôles ont été crées par M"» Pierat
(Edith Cordelier), M"' Piorson l^1/*« Cordelier mère), et jiar
MM. de Féraudy [Le professeur Cordelier), Georges Grand
(Louis de Oenois). Les autres rôles, par : M*'» Maille,
Berthe Bovy, Sazanoo Devoyod, Jane Faber. de Chau-
veroD, Emiltenne Dux, et par MM. Paul Mounet, Denis
d'Inès, René Rocher.
* éperonnier (ro-ni-^ n. m. — Nom d'un genre
d'oiseaux couirostres, de la famille des fringlUidés
et de l'ordre des passereaux. (Il ne faut pas con-
fondre avec le genre qui porte le même nom, mais qui
appartient au groupe des phasianidés [v. Nouv. Lar.,
t. IV, p. 218].)
— Encycl. Les éperonniers {calcarius) sont ca-
ractérisés par un bec conique acumiué, avec man-
dibule supérieure
un jpeu renflée en
arnère, à arête
légèrement con-
vexe. Les ailes
sont moyennes ,
assez eflilées;
l'ongle du pouce
est long et presque
droit. Ce genre
comprend trois es
pèces : deux habi-
tant les plaines du
nord de l'Améri-
que et du Mexi-
que, l'éperonnier
peint ( calcarius
piWo) et l'éperon-
nier orné (calcarius omala), et une espèce de l'an-
cien monde, l'éperonnier, bruant ou plectrophane
lapon, ou encore bruant inontain {calcarius Lappo-
nica) [L.], qui est plus rapproché des vrais bruants
que le bruant des neiges {passerina nivalix).
Le bruant montain a la tête, la gorge, les joues,
le devant du cou et le haut de la poitrine noirs. La
nuque porte un large deml-collIer roux marron,
bordé en avant par le prolongement du trait sour-
ciller. Le dos et le croupion sont noirs, avec les
plumes largement bordées de roux et de gris; l'ab-
domen est blanc, avec quelques macules noires; les
ailes et la queue sont noirâtres, celle-ci bordée de
blanc. La femelle a des couleurs moins vives et
moins tranchées et a un plumage varié de brun et
de roussâtre, comme les jeunes. Bec jaune k pointe
noire; longueur totale, 16 centimètres.
Cet oiseau niche dans les régions arctiques et
subarctiques du nouveau monde et de l'ancien, sur
les côtes du Groenland, en Laponie, l'ile Jean-
Mayen, Va'igatch, Nouvelle-Zemble, Terre Fran-
çois-Joseph. Dans le nord de la Sibérie etde l'Amé-
rique, au sud du cercle polaire, il ne niche que sur
les montagnes. En hiver, il émigré vers le Sud; il
est plus rare dans l'Europe occidentale que dans
l'Europe orientale. On a trouvé des individus isolés
jusque dans la Suisse et le nord de l'Italie.
Lemonlain court à terre comme les alouettes et,
comme elles, il s élève en l'air en chantant. Dans le
Nord, on le trouve dans les toundras et les maré-
cages, au delà de la limite des arbres. Il se nourrit
de graines et d'insectes. Son nid, fait de mousses et
de liges d'herbes sèches, repose sur le sol, caché
dans des buissons; il est tapissé de plumes à l'inté-
rieur. En juin, la femelle y dépose cinq à six œufs,
ifris olivâtre, avec taches et traits bruns. Les îles du
Commandeur et le Kamtchatl<a ont une sous-espèce
spéciale, de même que l'Alaska. — a. MiNÉoinx.
Finances de guerre. (Deuxième trimestre
dt 1911.) Kranxe. — C'est en février 1917 que le
ministre des finances, Alexandre Ribot, a pré.senté
au Parlement la demande de crédits pour le deuxième
trimestre de 1917. Le total s'élevait à 10.500 mil-
lions, soit 3.500 millions par mois.
Avec les 9 500 millions demandés antérieurement
pour le premier trimestre, les exigences de l'état de
guerre, pour la période du 1" janvier au 30 juin 1917,
atteignaient 20 milliards.
La dépense moyenne mensuelle a été de 1.340 mil-
lions en 191 4, de 1.900 millions en 1915, de 2.697 mil-
lioDs en 1916, de 3.340 millions pendant la première
Eperonnier : 1, mâle ; 2, femelle.
LAROUSSE MENSUEL
moitié de 1917. « C'est une situation grave, dit Ri-
bot; on ne saurait voir sans préoccupation s'accen-
tuer à nouveau une progression dont, après les efforts
considérables accomplis durant la première partie
de la guerre, on pouvait espérer le ralentissement ».
A la lin du deuxième trimestre de 1917 (terme
des trois premières années de guerre), la dette totale
de la France (y compris la partie antérieure à 1914)
s'élevait à 9i milliards, de francs. Cette dette n'est
consolidée qu'à concurrence d'environ 50 p. 100.
Elle comprend, en dehors des rentes 3 p. 100,
perpétuelle et amortissable, et 5 p. 100, des bons et
obligations de la Défense nationale pour 20 mil-
liards, des avances de la Banque de France pour
11 milliards, des engagements à l'étranger (en An-
gleterre et aux Etats-Unis principalement) pour
11 milliards, etc.
Un troisième emprunt de la Défense nationale
était annoncé offlcieusement en août pour le mois
de novembre 1917.
Angleterre. — Lorsque Bonar Law, le ministre
des finances du Royaume-Uni, fit aux Communes,
au milieu de juin 1917, un exposé de la situation du
Trésor, il dit aux membres du Parlement que, pen-
dant les neuf premières semaines de l'année fiscale
1917-1918 (soit dul'^ avril au 7 juin 1917), la moyenne
quotidienne des dépenses de la Grande-Bretagne
s'était élevée à 197 millions de francs, soit, pour la
période envisagée, un total de 12 milliards et demi.
Naturellement, cette moyenne quotidienne de 197 mil-
lions s'applique aux dépenses de toute nature : in-
térêts de la dette publique, services civils, conduite
de la guerre, etc. Il est juste de noter que, prié de
dire s'il pouvait donner quelque espoir d'une dimi-
nution prochaine de la moyenne quotidienne de
dépenses, Bonar Law répondit qu'il avait toute rai-
son de considérer un tel espoir comme sérieuse-
ment fondé.
La Chambre des communes s'est alarmée de voir
les dépenses prendre de telles proportions. Quelques-
uns des membres les plus Importants de cette Assem-
blée croient qu'une enquête est nécessaire, afin que
l'on puisse voir où passe tout cet argent, et que le
Parlement devrait im:iglner un moyen de reprendre,
au moins partiellement, le contrôle sur les dépenses
publiques qu'il a perdu depuis la guerre. Une réso-
lution a été préparée dans ce sens et, déjà, en août,
elle avait recueilli 190 signatures. L'augmentation
continue de la dépense, de la taxation et de l'endet-
tement est devenue, pour quelques parlementaires,
un mal intolérable, auquel il faut remédier d'ur-
gence. Quant au premier mini.slre Lloyd George, il
n'a fait aucune opposition à l'ouverture aussi pro-
chaine que possible d'un débat sur cette résolution.
La dépense moyenne journalière ayant été de
197 millions du \" avril au 30 juin 1917, il a été
dépensé en Angleterre, pendant cette période, à peu
près 7 milliards et demi de francs. Il a été pourvu
à ces exigences par des moyens de trésorerie (bons
et obligiations de l'Echiquier) pour un peu plus des
deux tiers et, pour le reste, par le produit de la
taxation.
Les ressources budgétaires ont fourni : 14 mil-
liards et demi en 1916-1917, contre 8 milliards et
demi en 1915-1916 et 5 milliards et demi en 1914-191 5.
La moyenne journalière des dépenses a été de
13.500.000 francs en 1913-191 4, de 38.500.000 francs
en 1914-1915, de 107 millions en 1915-1916, de
150 millions en 191H-1917.
Dans le deuxième trimestre de 1917, la moyenne
journalière a varié de 175 à 197 millions de francs.
Les dépenses de l'Angleterre, dans Tannée fiscale
1916-1917, se sont élevées à 55 milliards de francs,
contre 39 milliards en 1915-1910, 14 milliards en
1914-1915 et 5 milliards en 1913-1914.
Du 1" aoilt 1914 au 31 mars 1917, l'Angleterre a
donc dépensé 108 milliards de francs. Le deuxième
trimestre de 1917, qui est le premier de l'année fis-
cale britannique 1917-1918, a ajouté 15 milliards à
ce total de dépenses, le portant à 123 milliards pour
les trois premières années de la guerre.
Etats-Unis. — Le deuxième trimestre de 1917
a amené des modificiilions profondes dans l'état bud-
gétaire des Etats-Unis. La physionomie du comple
général des recettes et dépenses pour l'année fiscale
1916-1917, close le 30 juin 1917, a été complètement
bouleversée par le fait que c'est au début de la der-
nière période trimestrlelledecet exercice que 'Wilson
a tait résolument entrer l'Union dans la guerre
mondiale.
Durant les neuf premiers mois de l'année fiscale,
soit du I"' juillet 1916 au 31 mars 1917, la compa-
raison des cbifi'res budgétaires avec les montants
correspondants du précédent exercice ne présentait
que de peu significatives différences, résultant des
avantages et des charges de l'état de neutralité.
Mais, dans les trois derniers mois, soit du l" avril
au 30 juin, les Etats-Unis étaient devenus un Etal
belligérant. Aussitôt, le Congrès et le gouvernement
durent s'engager dans une voie de dépenses consi-
dérables et s'occuper de la création de ressources
nouvelles adéquales. Le résultat fut un énorme gros-
sissement des chilTres du budget total de 1916-1917
par rapport à l'année fiscale antérieure 1915-1916.
283
Le total des dépenses a passé, en effet, de S.SOO mil-
lions de francs k 13 milliards, l'état de guerre, dans
le deuxième trimestre de 1917 (le quatrième de l'an-
née fiscale 1916-1917). ayant provoqué un supplément
de dépenses de 9 milliards.
Le total des recettes, d'autre part, est porté de 4 k
17 milliards de francs. De cette dernière somme
l'imnfita fourni 5 milliards etdemi, l'emprunt 11 mil-
liards et demi, dont 7 milliards provenant de l'em-
prunt de la Liberié émis au lendemain de la décla-
ration des boslllltés.
L'exercice fiscal 1916-1917, clos le 30 juin 1917,
se soldait ainsi par un ezédent de recettes d'environ
4 milliards de francs.
Pendant les trois premiers mois de leur participa-
tion à la guerre, les Etals-Unis ont dépensé une
somme égale au total de la dette publique existant
lors de la déclaration de guerre.
Les dépei ises journalières a valen t été de 1 7 millions
de francs en mars 1917. Elles passèrent en avril k
50 millions, en mai à 53 millions, en juin k 69, en
juillet k 122 millions.
Les Etats-Unis avaient ouvert aux Alliés, jusqu'k
la fin du mois d'août, un total de crédits en chiffres
ronds, de 10 milliards de francs, dont 5 milliards k
l'Angleterre, 2 milliards et demi k la France, un mil-
liard à l'Italie, un milliard k la Russie.
Ces avances du gouvernement américain aux
Alliés furent aulori.«ées par la loi du 24 avril 1917.
Le montant en pouvait être porté à 15 milliards de
francs, à prélever sur un ensemble de ressources
de 35 milliards, dont la création (sous diverses
formes d'emprunt) a été sanctionnée par le Congrès.
Les Etats-Unis ont, en fait, prêté aux Alliés, depuis
le début du deuxième trimestre de 1917, une somme
totale moyenne de 2 milliards et demi de francs
par mois, ce qui fait 15 milliards de francs pour les
six mois écoulés depuis l'entrée de l'Union dans la
guerre mondiale. Ce total représente approximati-
vement la valeur globale de toutes les acquisitions
de matériel de guerre, de munitions, de vivres et
de matières premières, eiïectui es aux Etats-Unis
pendant la même période de six mois parles nations
alliées : Grande-Bretagne, France, Russie, Italie,
Belgique et Serbie.
Alle.magne. — Jusqu'à présent, l'Allemagne avait
émis six emprunts de guerre, un tous les six mois,
qui ont donné un produit total de 60 milliards de
marks ou 75 milliards de francs. Il y faut ajouter les
ressources provenant de la taxation, 10 k 12 mil-
liards de francs, et la mise en circulation de bons du
Trésor pour une dizaine de milliards.
La part du deuxième trimestre de 1917 dans le
total des dépenses de l'Allemagne peut être fixée k
10 milliards de francs.
Les différences avec les périodes précédentes ne
sont donc pas accusées bien nettement dans la situa-
tion financière apparente de l'Allemagne au cours
du deuxième trimestre de 1917. Les embarras ont
dû, cependant, s'accroître dans une très notable
proportion.
En tout cas, l'or est en diminution dans l'encaisse
de la Banque de l'empire. Le total en était encore
de 3. 166 millions de francs le 15 juin 1917. En sept
semaines, soit au 7 août, il avait fléchi k 3.000 mil-
lions. Dans ce même temps, la circulation fiduciaire
s'est accrue de 8o0 millions de francs, passant de
11.025 à 11.880 millions de francs.
La dette actuelle de l'Allemagne se compose des
éléments suivants :
Dette antérieure à la guerre : Empire, 6.125 mil-
lions; Etats confédérés, 19.375 millions; six em-
prunts de guerre, 75 milliards ; bons du Trésor de
l'empire, 10 milliards; bons de la Prusse, 5 mil-
liards. Total : 115 milliards.
Un septième emprunt de guerre a été émis de
septembre à octobre, six mois exactement après la
dernière grande opération du même genre.
Russie. — La Banque d'Etat, en Russie, avait,
en 1914, au moment où la guerre a éclaté, une
encaisse métallique de 4.500 millions de francs.
C'est encore, à 200 ou 30» millions près, le chiffre
actuel. Mais la circulalion fiducliiire a passé de
4 milliards et demi en juillet 1914 à 37 milliards
de francs en juillet 1917. La part, dans celte aug-
mentation, du deuxième trimestre de l'année en
cours, a été de 6.2'iO millions, ce qui ne saurait
étonner, puisque c'est dans ces trois mois que se
sont développées les premières péripéties de la
crise révolutionnaire en Russie.
Les résultats de la chute violente du tsarisme, dé-
plorables au point de vue militaire, ne l'ont pas été
moins au point de vue financier. Les hommes que
le flot populaire a portés aux sommets où sesl
recruté le nouveau personnel gouvernemental n'ont
trouvé, lorsqu'il s'est agi de faire vivre et fonction-
ner le nouveau système, d'autre procédé que le
recours k cet antique instrument de création artifi-
cielle de la monnaie, 'fout au moins ont ils es-
sayé, — et non sans un certain résultat, — de lan-
cer un emprunt intérieur, dont un peu d'ordre
assurerait sans doute la réussite.
Le change du rouble n'a cessé de fléchir dans ces
mois consacrés k l'organisation d'un embryon de
284
gouvernement provisoire. Le rouble n'a plus valu
bientôt que 1 fr. 50, moins même, en attendant une
dépréciation plus forte encore; en septembre, le
cours du rouble est tombé à 1 franc.
D'après le ministre des finances de Russie en
septembre 1917, Nekrassof, collèsue de Kerensify,
les dépenses de l'Elat ont pris sous le régime révo-
lutioimaire une expansion démesurée. La circulation
s'était accrue, pour chaque mois de guerre en 1916,
de 290 millions de francs. Pendant les deux premiers
mois de 1917, l'émission mensuelle des billets de la
Banque d'iitat se trouva portée à 423 millions. A par-
tir de mars, elle a été en moyenne de 832 millions.
A la grande conférence de Moscou, tenue en août,
Neltrassof fit la déclaration suivante : «Je vous ex-
pose ces chiffres, dit-
il, pour vous montrer
combien la situation
financière est diffi-
cile. » Il reconnut que
le nouveau régime
coûtait au pays beau-
coup plus clier que
l'ancien et que cer-
taines administra-
tions engloutissaient
d'énormes sommes
pour leur entretien. 11
dit encore que les dif-
ficultés financières de
l'Etat dépendaient
fiour une bonne part de
a hausse extraordi-
naire des salaires ou-
vriers. Dans la seule
usine Poutilof , les tra-
vailleurs avaient for-
mulé de nouvelles re-
vendications s'élevant
à près de cent millions
de roubles.
Il est remarquable
qu'en dépitdes embar-
ras politiques si gra-
ves au milieu desquels
il se débattait, le gou-
vernement provisoire
avait osé lancer o l'em-
prunt de la Liberté »
et que, déjà, au milieu
d'août, les souscrip-
tions dépassaient un
total de 3 milliards
de roubles.
Italie. — Le gou-
vernement italien
avait effectué, dans
l'exercice clos le
30 juin 1916, un total
de payements de 11 milliards de francs. Le mon-
tantdes dépenses s'est élevé, dans l'exercice sui-
vant 1916-1917, à 18 milliards, soit une augmenta-
tion de 7 milliards. Le mouvement des dépenses
allant sans cesse en croissant, on peut évaluer à un
peu plus du quart du montant annuel le contin-
gent afférent au dernier trimestre de cet exercice,
qui est le deuxième de l'année 1917. Le chiffre
approximatif est légèrement supérieur à 5 milliards,
soit une moyenne mensuelle de 1.700 millions. Des
moyens de trésorerie ont servi à couvrir les dé-
penses de ce trimestre, en Italie. — a. moiïead.
Guerre en 19 14-1 917 (la). [Suite.] —
Le 6 septembre dernier, en une cérémonie simple
et grave, le gouvernement français a célébré l'anni-
versaire de la victoire de la Marne. Quand on re-
porte son souvenir à cette époque redoutable de
septembre 1914, on aperçoit plus clairement qu'alors
l'importance libératrice de cet événement. Plus
tard, dans quelques siècles, quand on écrira l'his-
toire de ce temps-ci et que tous les détails auront
plongé dans l'ombre des archives et l'oubli définitif
des mémoires humaines, cette date seule émergera,
dominant les années sinistres qui apparaîtront
comme un retour inexplicable de barbarie. L'his-
toire, en efi'et, ne se trompe pas : elle néglige les
bas-fonds et les plaines où s'agitent les instincts de
l'humanité; elle ne s'arrête qu'aux sommets. Dès
maintenant, quand on repasse de sang-froid dans
son esprit tous les faits accomplis depuis lors, on
constate que les luttes gigantesques qui ont mérité
l'admiration des peuples civilisés n'ont été, à côté
de la victoire de la Marne et quelque héroïsme
qu'on y ait déployé, que des aciions d'ordre secon-
daire. Dès le 6 septembre 1914, l'échec allemand
était définitif. Il a fallu tout l'aveuglement et tout
l'orgueil de ce peuple, il a fallu que les intérêts
d'une caste dominante se sentissent tout à coup me-
nacés d'anéantissement par cette défaite irrémédia-
ble, pour que la guerre continuât. Rien, & notre sens,
ne montre mieux l'absolue nécessité d'en finir avec
l'esprit militaire de l'Allemagne que la pensée des
sacrifices inouïs, des souffrances accumulées, des
douleurs subies, de tout ce bouleversement dont le
LAROUSSE MENSUEL
monde aura tant de peine à ae remettre et dont
l'obstination de l'Allemagne est seule responsable.
Rien, aussi, n'est plus propre à nous assurer dans
notre décision de lutter jusqu'au bout; le résultat
non seulement est certain, il est acquis. Nous avons
commis assez de fautes depuis la Marne, nous avons
eu assez d'occasions d'être écrasés pour n'avoir pas
pu échapper à notre sort, si notre sort eût été d'être
vaincus et la civilisation avec nous. La France a
été le rempart du monde contre ce nouveau flot
d'invasion barbare. Elle a, une fois de plus, ac-
compli son destin. Il y a là de quoi nous aider à
supporter bien des angoisses et bien des misères.
Il n'avait, d'ailleurs, pas été Inutile, en septem-
bre 1917, de faire appel h cette certitude et à cette
Le 6 septembre 1917, le gouvernement français, ayant à sa tête le président de la République, Raymond Poincarê. est ail' upe-
noise, sur le champ de bataille de la Marne, pour célébrer le troisième anniversaire de la victoire française qui sauva rhmii.i ij,; à
ceux qui tombèrent si glorieusement pour la Patrie rhommage de sa pieuse reconnaissance. Alexandre Ribot, président du cunseil, prunonce
un éloquent discours, au milieu d'une assistance profondément et patriotiquement émue.
espérance. Sans doute, les événements militaires
des fronts occidentaux, en France et en Italie, n'a-
vaient point trompé l'attente qu'avaient permise
les victoires du mois d'août. De ce côté, aucune in-
quiétude n'était possible, et on pouvait seulement
s'étonner sans comprendre que les Allemands con-
tinuassent sur le
front français des
attaques toujours
condamnées à un
sanglant insuc-
cès. Mais, sur le
front oriental-
nord, la faiblesse
lamentable de
l'armée russe
avait fait naître
de nouvelles
craintes,et l'anar-
chie de l'Etat
russe ouvrait à
nos ennemis, ou-
tre des perspec-
tives encoura-
geantes de tran-
quillité militaire,
la possibilité de
conquêtes faci-
les. La grande
épreuve matérielle et morale que la révolution russe
imposait à l'Europe était devenue plus aiguë encore
qu'en août, et il était vraisemblable qu'on s'achemi-
nait vers des décisions de la plus haute gravité pour
l'avenir. Il eûtété pourtant peu raisonnable de s'ima-
giner que les événements russes, même supposés
aussi défavorables qu'ils pou valent l'être, fussent ca-
pables de modifier la conclusion de cette guerre. Ils
étaient seulement de nature k orienter autrement
l'ambition allemande et à la mettre aux prises avec
d'autres difficultés. En ce qui nous concerne, nous
sommes disposé à penser que nous nous en sommes
exagéré l'importance. Sur un seul point, on devait être
d'accord : la révolution russe et ses conséquences
militaires avaient, sans aucun doute, reculé l'heure
de la paix et relevé le courage de l'Allemagne.
Le major général sir Arthur Currie,
commandant les troupes canadiennes
sur le front britannique.
«• 129. «ovembre 1917.
La situation militaire, sur le front franco-anglais,
avait continué à être très bonne. Non seulement
nous avions maintenu toutes les positions conquises
en août au nord et au nord-ouest de Verdun, non
seulement les assauts répétés que l'armée du kron-
prinz avait lancés contre elles s'étaient brisés avec
de grosses pertes, mais, du côté lu nord-est, le
8 septembre, un nouveau bond en avant nous avait
donné le bois Le Chaume. D'autre part, nos alliés
anglais, continuant à combiner leurs efforts avec
notre extrême gauche, avaient élargi leurs positions
autour d'Ypres dans une région très difficile et, du
20 au 29 septembre, ils avaient victorieusement
avancé dans la direction de l'Est et du Nord.
Chacun de ces succès avait, à la vérité, donné
peu de terrain supplé-
mentaire, et les Alle-
mands avaient trouvé
dans cette circons-
tance un moyen de
transformer leur
échec en victoire;
mais, chaque fois, on
avait fait tout ce qu'on
iivait voulu faire, et
l'on avait afiaibll l'ad-
versaire. Jamais, du
reste, le moral des
troupes n'avait été
aussi ferme et leur
élan aussi impétueux.
11 fallait attribuer ce
résultat à l'excellente
organisation que les
armées alliées, après
bien des tâtonnements
etdes erreurs, avaient
enfin acquise. La su-
pérloritéde l'artillerie
leur était désormais
assurée. Ce n'était
(|u'après des prépara-
tions prolongées, dont
l'effet irrésistible était
d'anéantir les défen-
ses de l'ennemi en
première ligne et de
gêner ses mouve-
ments à l'arriére, que
l'infanlerie interve-
nait. Les pertes en
étaient singulière-
ment diminuées et,
surlout,onévitait ainsi
les surprises démora-
lisantes que causait
naguère dans nos
rangs la brusque in-
tervention de contin-
gents ennemis ou de mitrailleuses qu'une prépa-
ration insuffisante n'avait pas réduits préalable-
ment à une impuissance totale. La sécurité et la
confiance de l'infanterie en étaient accrues d'au-
tant. Certes, l'artillerie, contrebattue par l'ennemi,
voyait son action devenir de plus en plus dange-
reuse pour ses efi'ectifs, mais la certitude de faire
un travail utile avec un matériel perfectionné main-
tenait dans ce corps remarquablement entraîné une
fermeté inébranlable. L'abondance inépuisable des
munitions et des canons, l'assurance de pouvoir
toujours dominer l'adversaire, étaient devenus des
éléments de succès de premier ordre. Ainsi, c'estpar
l'artillerie, soutien indispensable de l'infanterie, que
nous aurons pu vaincre. Au début de la guerre, notre
canon de 75 a été l'élément essentiel de notre résis-
tance. A l'heure présente, notre artillerie lourde à
tir rapide donne à nos attiiques une solidité sans
égale. Ce qui se passe en 1917 montre assez claire-
ment ce qui eût pu se passer en 1914, si notre ma-
tériel eût été à la hauteur de notre courage.
Ajoutons à ce travail de l'artillerie celui de notre
aviation et, quand nous disons» notre», nous y com-
prenons celle des Anglais, qui atteint autant de perfec-
tion qne de hardiesse. Le repérage des positions et
des batteries ennemies, la photographie du terrain à
conquérir, le servicedes renseignements sur les mou-
vements de l'arrière, enfin le bombardement des can-
tonnements et dépôts de munitions de l'ennemi sont
des tâches essentielles, désormais inséparables du
succès, dans la guerre moderne. Nos aviateurs l'ac-
complissent avec un courage et un élan qui entraî-
nent, hélas! bien des pertes douloureuses et qui fau-
chent une jeunesse incomparable ; mais les résultats
admirables que l'on obtient compensent la grandeur
du sacrifice, et les pi'res et les mères qui pleurent leurs
fils ne versent pas des larmes inutiles. Les Allemands
avaient multiplié les raids sur Londres, mais on était
certain que l'heure des représailles était proche.
Sur le front italien, l'avance obtenue en septembre
avait été moindre que celle d'août, mais nos alliés
s'étaient implantés sur le plateau de San Gabriele,
et ils y étaient restés en dépit des Autrichiens. Là
aussi, la force de l'artillerie avait soutenu l'élan de
l'infanterie. La direction des opérations était aux
IV 129. Novembre 1917.
mains de Cadorna, comme elle était aux mains de
Pélain et de Douglas Haig. Elle n'était pas, quoi qu'en
pût penser et dire le fétichisme allemand, dans celles
d'Hindenliurg.
On ne pouvait malheureusement pas faire la même
constatation sur le front oriental. Si, au sud, du
côté roumain, les Allemands avaient rencontré une
résistance acharnée, souvent victorieuse, qui arrê-
tait leur marche vers Odessa, au nord, l'action cor-
ruptrice des idées pacifistes et révolutionnaires avait
accru l'indiscipline dans l'armée russe et rendu
impossible non
seulement toute
attaque, mais
même toute ré-
sistance. Sans
doute, on avait lu
de belles procla-
mations, on avait
abondamment
discouru sur la
nécessité de dé-
fendre la Russie
et ia révolution,
mais il n'y avait
eu là que des pa-
roli's, et les actes
étaient en contra-
diction avec les
mots. Dans les
premiers jours de
septembre, Riga
availété évacuée
parrarinée russe
Les troupes alle-
mandes, com-
mandées par le général von Eichhorn, y étaient entrées
le 3, et cette conquête sans péril avait été exallée
fiar nos ennemis comme une victoire glorieuse. A
a vérité, ils n'en avaient tiré en septembre d'autre
parti que de pouvoir s'avancer sur la Duna, le long
de laquelle il semblait bien, à la fin du mois, qu'ils
eussent l'intention de s'étal)lir avant l'hiver pour
tenir les roules de Pfctrograd et de Moscou. Mais la
prise de Rlua pouvait avoir d'autres conséquences
et, notamment, une attaque conlre Petrograd. Cette
opération pouvait être tentée par deux routes : l'une
terrestre, longue de 400 kilomètres, ce qui est
long partout, mais surtout en Russie et dans la
saison où l'on entrait; l'autre, maritime, par le
golfe de Finlande. De ce côté, la faiblesse de la
Léopold de Bavière, commandaDt
les troupes aUemaodes en Coui-lande.
LAROUSSE MENSUEL
soit qu'ils fussent incapables d'un effort décisif de
ce c6té, soit qu'ils aient hésité à s'engager dans
une marche à travers la Russie, soit, enfin, qu'ils
aient jugé plus utile d'attendre les événements
russes, de favoriser le désordre par leur propagande
28K
leurs, pas la portée réelle d'une telle éventualité.
Ce serait ici le moment de se souvenir de ce qu'il
y a d'artificiel et de voulu dans la position géogra-
phique de la capitale actuelle de La Russie. Tenir
Petrograd n'est pas tenir la Russie, et l'importance
Une tranchée anglaise à l'arrière, sur le front des Flandres.
et, peut-être, de préparer une paix qui leur assure-
rait des avantages supérieurs aux risques d'une
entreprise miliiaire. Pour l'une quelconque de ces
raisons, ou pour toutes à la fois, les Allemands
n'avaient pas utilisé leur succès, alors que, sur ce
front, le temps favorable à une marche en avant
était fort restreint par l'arrivée de l'automne et
Le roi d'Italie Viotur-Kninianuel 111 et le prébident de la République Raymond Poinoaré visitant cti qui reste des ruines
du château de Coucy, ravagé par la sauvagerie alleoiande.
flotte russe pouvait êti-e largement escomptée, et les
Allemands avaient sans aucun doute à Cronstadt,
seule défense militaire de la capitale russe, des
intelligences qui devaient leur faciliter la tâche.
On disait, au dernier jour du mois, que des forces
navales importantes étaient massées dans la Baltique,
et Kerenslty avait annoncé publiquement qu'elles
avaient pénétré dans les eaux finlandaises. On devait
constater, toutefois, que les Allejiiands, après le
grand bruit fait par eux autour de la prise de Riga,
étaient demeurés à peu près immobiles en septembre.
l'approche de l'hiver. De même, au sud, leurs opé-
rations avalent manqué d'ampleur et. sur le front
de Salonique, elles avaient été nulles. Quelque
part que I on fasse aux préoccupations politiques
qu'avaient certainement les Allemands, on doit,
fiourtant, déduire de cette inaction relative que
eurs moyens militaires avaient diminué, comme
nous l'avons déjà fait remarquer, et qu'ils ne dispo-
saient plus de forces suffisantes pour tenter sur
Petrograd une marche foudroyante dont l'effet
moral eût été immense. Ne nous exagérons, d'ail-
de cette conquête serait limitée à un affaiblissement
de la Russie par le nord, à une régression territo-
riale vers le temps des luttes avec la Suède au xvi« et
au XVII" siècle. L'histoire se recommence sans cesse.
L'agitation entretenue en Lilhuanie et en Courlande,
l'espoir pour l'Allemagne de s'étendre de ce côté
dans des provinces dont la possession est très
souhaitable au point de vue économique, la compli-
cité de la Finlande, dont l'histoire vraie nous échappe
depuis plusieurs mois, peuvent pousser l'Allemagne
à chercher la maîtrise de la Baltique, si la Russie
lui laisse détruire l'œuvre de Pierre le Grand.
Mais la Russie reste, même dans l'hypolbèse de
cette perte, et il n'y aurait là qu'un avantage local,
très regrettable pour le présent et pour l'avenir,
mais nullement aécisif. Nous devions donc garder
notre sang-froid en présence d'une tentative d'avance
allemande dans la partie nord de la Russie. Nous ver-
rons tout à l'heure si des pronostics étaient possibles
au sujet de l'attitude future du gouvernement russe.
Du côté turc, les Allemands n'avaient pas davan-
tage pu intervenir. Le gros échec éprouvé, fin sep-
tembre, par les troupes ottomanes à l'ouest de Bag-
dad, rendait toute reprise de cette ville impossible.
11 résulte de ce qui précède que la situation mili-
taire sur le front occidental était absolument solide
et continuait à permettre les grandes espérances que
fteuvent inspirer l'ordre et la méthode chez les chefs,
e courage et la confiance chez les soldats. Une cam-
pagne d'hiver, à moins d'événements précipités et
inattendus, était certaine. Tout le monde, en France,
en acceptait la perspective, et l'armée était prête à
en supporter les fatigues et les périls. 11 n'était pas
certain que le même état d'esprit régnât en Alle-
magne. Du côté russe, tout était incertitude, et les
Allemands ne semblaient pas avoir de plan arrêté.
On doit reconnaître qu'étant donné le secours qui
pouvait leur venir, sans qu'ils eussent à bouger, des
événements intérieurs russes, la sagesse la plus élé-
mentaire devait les poussera patienter. Nos lecteurs
n'ont pas attendu qu'à la date du 1" octobre nous
ayons pu dire par le menu ce qui s'était passé en
Russie pendant le mois de septembre. Il est possible
que nous connaissions un jour le détail de cette his-
toire. A l'heure oi!i nous écrivions, nous l'ignorions,
et il est probable que les mieux informés n'étaient
pas plus avancés que nous-même. L'obscurité la plus
complète planaitsurles actesdu gouvernement russe,
non moins que sur ses intentions, et tout ce qu'on
pouvait dire, en résumé, était que l'anarchie avait
atteint, en septembre, dans ce malheureux pays, une
acuité désolante. 11 faut, cependant, dégager quel-
ques faits essentiels, dont le sens exact échappait
en partie, mais dont la matérialité était certaine.
On se souvient qu'à la fin d'août, un Congrès avait
eu lieu à Moscou, qui avait eu l'apparence d'une
représentation sinon du peuple russe, du moins des
partis que groupent autour d'eux les dirigeants ac-
tuels de la Russie. Il est très important, soit dit en
passant, de ne se faire aucune illusion sur le rap-
286
portréel qui existe entreles assemblées délibérantes
russes, lesquelles remplissent la presse du bruit de
leurs dèbais et de lincohérence illuminée de leurs
motions, et la Russie au nom de qui elles pré-
tendent parler. Le mandat des membres de ces as-
semblées ne leur a été, jusqu'ipi,lepl us sou vent con lié
que par eux-mêmes. Nous sommes en présence de ré-
volutionnaires théoriciens, revenus pour la plupart
de l'exil, parmi lesquels les rivalités persouuelks
Les généraux Persliing et Franohet d'Esperey aux environs de Saint-Qiicnlin
jouent un rôle considérable, et qui prétendent appli-
quer au poiipie russe les rêveries irréalisables dont
ils ont entretenu leur agitation et leur mysticisme
pendant leur séjour à l'étranger. Situation périlleuse
entre toutes, qui paralyse les hommes d'action et
risque de porler au premier plan des utopistes capa-
bles de sacrifier à des abstractions l'avenir de la
Russie et du monde. Le Congrès de IVIoscou était loin
d'avoir fait l'un ion entie les partis. Un fait l'avait do-
miné : l'intervention du général Kornilof et ses adju-
rations véhémentes en faveur du rétablissement de la
LAROUSSE MENSUEL
de la guerre. Puis, brusquement, on apprit, vers
le 10, qu'un conllit aigu éclatait entre Kornilof et
Kerensky; que Kornilof demandait des pleins pou-
voirs pour conslituer un gouvernement et relever
la discipline; qu'il marchait sur Petrograd et qu'en
même temps les cosaques et leur hetman, Kalediue,
se déclaraient pour lui ; que Kerensky organisait la
résistance con lie Kornilof et se proclamait généralis-
sime ; que le général Alexeieff était rappelé dans les
conseils du gouvernement; enfin, le 14,
que Koi nilof renonçaitàson entreprise,
se rendait et demandait des juges. On
conçoit que l'opinion publique, en Eu-
rope et en Amérique, ait été secouée
par ces non velles.Lapiesse quotidienne,
fort désorientée, a pris parti pour Ke-
rensliy ou pour Kornilof; mais, d'une
manière générale, elle a été unanime
four déploi'er un pareil conflit devant
ennemi et pour appeler de tous ses
vœux le rétablissement de l'ordre, quel
que fût celui qui le rétablirait.
Or, il semble, d'après des informa-
lions ultérieures, qu'il n'y eut pas de
conllit entre Kerensky et Kornilof,
que premier ministre et généralissime
étaient d'accord et que leur effort
commun, sous l'apparence d'un anla-
gonisnie, tendait au même but, c'est-
à-dire, devant la nécessité de la résis-
tance à l'invasion, à une reconstitu-
tion di^ l'armée. Qu'y avait-il de vrai
dans ces informations? Il était im-
possible de le dire. Ce qui paraissait
évident, c'est que Kornilof n'avait au-
cune intention contre-révolutionnaire,
qu'il continuait le rôle patriotique qu'il
avait joué au Congrès de Moscou et
que, s'il avait contre lui les anarchistes
(le l'armée — les massacres d'officiers à
■Viboig le prouvèrent assez — il avait
oiirlui touslcs corps militaires solides etorganisés.
) autre part, il devint de plus en plus clair que le
mouvement de Kornilof, môme avant qu'on piirlàt
d'une entente préalable avec Kerensky, avait dimi-
nué l'autorité de celui-ci et l'avait rendu suspect au
Soviet, ainsi qu'aux maximalistes, qui avaient ga-
gné du teiTain. Ce qui suivit fut très obscur.
Les journaux ont prêté à Kerensky des intentions
de dictature; on a parlé de république russe, on a
eu devant soi une sorte de Directoire de cinq per-
sonnes, dont ni les pouvoirs ni l'autorité morale
ï^
Les prisonniers allemands s'appli(^uant mutuellement sur le dos de la veste et sur le fond du pantalon
les initiales P. G. (prisonnier de gueirej.
discipline militaire. L'autorité de Kerensky n'était pas
.sortie fortifiée de ces débats ; l'intransigeance des
maximalistes des soviets n'avait pas diminué, et leur
action fâcheuse continuait à s'exercer sur l'armée.
Dans les jours qui suivirent la lin du Congrès, sur-
vinrent la prise de Riga le 3 septembre, l'appel
des soviets à l'armée , auquel succéda bientôt
un ordre du jour insensé demandant la suppres-
sion des troupes de choc commeconlraire àl'égalité,
le procès Soukhomlinoff où les Allemands ne man-
quèrent pas de chercher des arguments qui leur per-
missent de rejeter sur les Russes la responsabilité
n'ont été bien définis; on a vu, surtout, s'élever des
rivalités de personnes, notamment celle deTchernof
contre Kerensky; on a parlé d'une dictature mili-
taire qui aurait été confiée au général 'Verkowsky;
on a senti que le moment était peut-être proche où
les maximalistes prendraient le pouvoir et où, par
suite, l'anarchie serait triomphante. Pour tenter de
régler la question gouvernementale, le comité des
ouvriers et soldats du Soviet avait décidé de réunir
une conférence populaire, composée de délégués de
différentes classes de la nation, — comment nom-
més, on l'ignorait, — et qui aurait compris environ
fV- 129. Novembre 1917.
mille membres. Comme, au même moment, la ma-
jorité du Soviet avait passé aux maximalistes, on
pouvait craindre que celle conférence ne fût assez
hostile & Kerensky pour l'obliger à quitlrr le pou-
voir et pour le passer peul-êlre àTchernol', théoricien
agraire, dont les sentiments « dél'aitisles » inspiraient
li-s plus graves déliances. On en était là au 1" oc-
tobre, du moins d'après les renseignemenis connus.
Kallait-il essayer de tirer une conclusion? Nous
ne l'avons point pensé. Trop de forces diverses,
insoupçonnées ou inconnues, agissaient en Russie;
nous étions Irop
imparfaitement
informés des
hommes et des
choses; nous sa-
vions trop peu ce
qui se passait ail-
leurs qu'à Petro-
grad, à Smolcnsk
et à Moscou, pour
tenter de faire
une synthèse
d'événements
qui nous dépas-
saient. Des faits
comme le formi-
dable incendie de
Kazan, que nous
n'avons presque
connu que com-
me un fait divers,
prouvent assez
combien de dé-
tails énormes
nous échappent dans les convulsions russes. Quel
avenir se préparait pour ce peuple, si plein de
ressources, que le Isarisnie n'a pas su éduquor et qui,
par la faute de ses gouvernants, n'a jamais pu
mettre en œuvre ses qualités foncières? Àllail-il se
désagréger dans le fédéralisme, comme l'y prépa-
raient les conclusions du Congrès des nationalités
tenu à Kiev? Allait-il devenir la proie de l'Alle-
magne, attentive à profiter de sa désorganisation,
habile à la bâter, toute prête à se présenter en sau-
veur? Les points d'interrogation se multipliaient, et
il est trop évident que, pour les alliés de la Russie,
dont aucun n'a pensé à l'abandonner, quelque fable
qu'ait pu inventer à ce sujet la mauvaise foi germa-
nique, ils devaient considérer avec quelque inquié-
tude le spectacle de ces mouvements désordonnés,
qui en couvraient peut-être d'autres plus violents,
plus graves, plus décisifs. — II n'est pas douteux,
nous y revenons, que les Allemands n'aient vu dans
les affaires russes une aide et peut-être une sofu-
fion. La possibilité de se payer sur la Russie, l'ex-
pansion industrielle et cnnimerciale qu'ils peuvent
entrevoir et que, dès maintenant, ils organisent dans
ce pays à la la-
veur dos trou-
bles, une direc-
tion nouvelle, ou
plutôt renouve-
lée, de leur poli-
«
Le général russe Kornilof.
tique orientale, i
une nouvelle
Katcdine, lictman des cosaques.
route ouverte
vers l'Asie, et,
plus que tout,
l'espoir d'une
paix séparée qui
eût obligé l'Eii-
fenle à modifier
tiius ses plans,
étaient des con-
siiléralions qui
n'ont certes pas
échappé à un es-
prit aussi ouvert,
aussi averti sur tous les problèmes politiques et éco-
nomiques que celui du secrétaire d'Llatdes affaires
étrangères, von Kûlilmann. Mais celte perspective
d'une extension germanique vers l'Est, d'une conti-
nualion pacifique de l'écrasement des Slaves, com-
mencé il y a plus de sept siècles par les cheval iersTeu-
toniques, ne seraient pas des événements de nature à
assurer la paix du monde. De quel œil serai l-elle envi-
sagée par les Américains et, plus spécialement, par
les Japonais? 11 est permis de penser que ni les uns ni
les autres ne sont disposés à laisser les Allemands
s'installer en Russie sous une forme quelconque, et il
se poiirrail que la question russe, envisagée en fonc-
tion des inlérêts de l'Amérique et de lExtrême-
Orien t, fijt destinée à prendre une tout autre tournure
que celle que pré voit peut-être la diplomatie, toujours
un peu simpliste, de nos ennemis. Nous signalons
ces différents points de vue, comme nous avons
Ihabitude de le faire et parce que nous les considé-
rons comme capables de nous réserver des sur-
prises. On a souvent parlé du Japon en septembre.
On en avait parlé, prématurément, en liiU. Les
choses ont marché depuis. Nous ne doutons pas que
les affaires russes ne soient suivies par les Japonais
avec une attention particulière. On ne pouvait en
M» 129. Itwembrt 1917.
LE FRONT AUSTRO-ITALIEN DE TOLMINO A LA MER
287
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dire plus à la fin de septembre. — La question de
la paix, qui, dans l'esprit des Allemands, est cer-
tainement liée, depuis longtemps, i, celle de la
Russie, n'avait pas cessé de fournir à la presse
des développements abondants, sans toutefois qu'on
se fût acheminé vers une solution sur les condi-
tions de laquelle nous avons dit, le mois dernier,
notre sentiment. On
avait, pendant tout le
mois, annoncé la ré-
ponse des Empires
centraux & la Note
pontificale du mois
d'août. On avait pré-
dit, — si peu vrai-
semblable que ce fût,
— qu'elleconliendrait
des propositions con-
crètes, et on les for-
mulait d'office. Les
réponses de l'Allema-
gne et de l'Autriche
ont été connues seu-
lement le 22 septem-
bre, et elles sont res-
tées dans le vague des
déclarations platoni-
ques. La réponse
allemande a proclami!
l'amour de la paix qui
avait toujours inspiré
Guillaume II avant
1914, et elle n'a pas
manqué de laisser
dans l'ombre la ques-
tion de la responsa-
bilité de la guerre.
Elle a, comme aussi la
réponse autrichienne,
adhéré avec enthou-
siasme aux principes
généraux de droit et
d'arbitrage que l'Alle-
magne a violés avec
méthode et sans
pitié depuis tiois ans.
Ces réponses furent-elles doublées d'une Note
verbale remise au nonce de Munich et dans laquelle
le gouvernement allemand formulait à l'égard de
l'indépendance de la Belgique des propositions,
f eut-être déjà émises secrètement au denut de
année, inspirées certainement des idées de von Bis-
sing et empreintes d'une impudence provocante qui
en rend l'aulhencité sus-
pecte, nous ne pouvions
alors le dire exactement.
L'agence WolfT en avait
lancé la nouvelle, qui
avait été démentie par
von Kiihimann, peut-être
à la suite du déplorable
effet qu'elle avait produit.
Il semblait peu probable
que, jusqu'à ce moment,
les Empires centraux,
incertains de ce qui allait
se passer en Russie, eus-
sent précisé des proposi-
tions. Dans une réunion
de la commission plénière
du Reichstag, le 28 sep-
tembre, le chancelier Mi-
chaelis et le secrétaire
d'Etat von Kûhlmann
avaient insisté dans le
sens de la Note. Michaelis
avait prudemment dé-
claré que l'Allemagne res-
tait M les mains libres »
et, par suite, n'avait fixé
aucun but concret à la
guerre. Von Kiihimann
avait longuement insisté
sur la conformilé d'opi-
nion du peuple allemand,
du Reichstag et du gou-
vernement, et il avait af-
firmé que l'Allemagne
était prêle à faire la paix.
Sous la phraséologie de
ces divers documents, il
était aisé de relever des
intentions très nettes :
avant tout, le gouvernement allemand tenait à
affirmer son union intime avec le Reichstag et avec
le peuple allemand. C'était une réponse indirecte
au président Wilson, à la distinction faite par lui
entre le peuple allemand et la dynastie régnante, à
l'absence de tout gouvernement démocratique et
responsable. C'était aussi un moyen nouveau de
lier le peuple à la politique impériale. En second
lieu, il ressortait des documents allemand et autri-
chien à la fois un grand embarras à formuler des pro-
positions de paix, un désir violent d'attirer l'Entente
LAROUSSE MENSUEL
dans des négociations sans précision, pour lui impo-
ser ensuite des conditions avantageuses à l'Allema-
gne, enfin et surtout, un besoin impérieux de faire
la paix. Sur ce point, aucun doute n'était possible.
L'Allemagne souhaitait la paix qui lui était devenue
nécessaire, et l'Autriche ne pouvait plus s'en passer.
En Allemagne, les difficultés alimentaires allaient
Essai de redressement d'un navire marchand, victime des torpilles ennemies.
croissant, et il n'était pas impossible que des diffi-
cultés industrielles plus graves encore, atteignant la
fabrication des munitions, ne surgissent à bref délai.
Les ressources de recrutement s'épuisaient peu à
peu, et il existait une fatigue générale, qui se tradui-
sait par un affaiblissement de la race. D'autre part,
les conquêtes mêmes de l'Allemagne n'étaient pas
camp de prisonniers allemands, a l'arriore du Iront trançais.
sans créer des embarras. Le gouvernement allemand
de la Belgique augmentait chaque jour l'odieux de
cette occupation. Celle de la Pologne était encore
plus malaisée, sans parler des frictions que ne doit
pas manquer de susciter le condominium austro-
allemand. La nouvelle Constitution dul2 septembre,
la création d'un conseil de région et d'un conseil
d'Etat coexistant avec leur gouverneur général,
dont les pouvoirs peuvent annuler en beaucoup de
cas ceux du gouvernement soi-disant national qu'on
accorde à la Pologne russe, sont une dérision et un
(V* 129. Novembre 1917.
trompe-l'ceil sur lequel les Polonais ne peuvent
s'abuser, en dépit de la propagande que l'Allemagne
multiplie en tous lieux. Par ailleurs, la maladresse
et l'absence de scrupules de la diplomatie allemande
avaient suscité des difficultés graves. La publication,
à Washington, des dépêches envoyées par le comte
de Luxbourg, ministre d'Allemagne à Buenos-Ayres,
par l'intermédiairede
la légation de Suède
qui était complice et
dans lesquelles ilcon-
seillail de ne rien cé-
der à l'Argentine, de
couler ses bateaux
« sans laisser de tra-
ces » au moment
même où l'Allema-
gne s'engageait à res-
pecter la neutralité
argentine, avait com-
promis gravement la
Suède , mais avait
aussi rendu délicate
la position de l'Alle-
nia.!;ne en Amérique
méridionale. Militai-
l'inent et malgré les
ommuniqués tendan-
cieux, l'Allemagne ne
laisait plus que tenir
il 10uest,et nous avons
dit que, même à l'Est,
elle semblait hésiter.
— En Autriche-Hon-
grie, la situation était
plus difficile encore.
Sans revenir sur les
échecs du Carso et
l'avance italienne sur
Trieste, les embarras
intérieurs étaient
énormes. Les bonnes
intentions du jeune
empereur à l'égard
des nationalités, son
désir de gouverner
avec ses amis avaient échoué totalement et n'avaient
eu d'autre résultat que de susciter des divisions in-
térieures inextricables. Le cabinet Seidler, devenu
définitif, avait contre lui l'hostilité des 'Tchèques
et de la presque totalité des Polonais et ne présen-
tait pas de chances de vitalité. Enfin, au point de
vue économique, la fatigue générale était extrême.
On comprend donc que
lesEmpirescentraux aient
jugé bon de paraître en-
trer dans les vues du
pape et de s'appuyer sur
la force catholique, après
s'être servis de la force
socialiste. Nous avons
dit, le mois dernier, que
le pape cherchait avant
tout à sauver l'Autriche.
Il n'a pas jusqu'ici fait
preuve de beaucoup de
tendresse pour la France,
parce, dil-on, on lui
persuade que l'avenir du
catholicisme est dans le
triomphe des Empires
centraux. Alors qu'en
France l'attitude des
catholiques a été irré-
prochable, qu'ils ontpayé
de leur sang avec une
générosité inépuisable,
qu'ils combattent avant
tout pour le droit et la
justice et que l'épiscopat
fiançais selforce, sans
grand succès, tl'ail-
leurs, de faire accepter
les formules papales en
les commentant, les dis-
]iositions des catho-
liques en Espagne, en
Suisse, sont fort nette-
ment du côté austro-alle-
mand, et le travail paci-
fiste auquel ils se livrent,
peut-être même en
Italie, tend sans aucun
doute à favoriser les Empires centraux. Il suffirait
de comparer l'accueil empressé fait en Suisse à
rarchevêc|ue de Lemberg par le clergé helvétique
avec l'indifférence absolue qu'a rencontrée le car-
dinal Mercier lors de son passage à travers le ter-
ritoire de la Confédération pour être fixé sur les
sentiments du haut clergé suisse. Au surplus, c'est
en Suisse, autour de Lncerne, d'EinsiedeIn et de
Coirequesesont tramées les intrigues dErzberger;
la présence, dans ces parages, du député catholique,
celle du prince et de la princesse de Biilow, de la
/V* 128. Novembre 1917.
LAROUSSE MENSUEL
289
Légende
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V
^SraSHMdaal \
ve*e-
ele â
LE NORD-OUBST DB LA LA FLANDRE OCCIDENTALE
baronne Burian, de l'ancien chancelier Belhmann-
Hollweg, sans compter celle du célèbre von Gerlach,
ne sont assurément pas fortuiles. 11 est possible que
le Vatican, qui, nous le craignons, n'a pas encore
très bien compris la grandeur des événements
actuels et qui se trompe entièrement sur le sens
vrai des opéralions militaires, se croie indépendant
à l'égard de l'Autriche et de l'Allemagne. En fait, il
les sert. Il est payé de retour. On disait, pourtant,
que la parfaite soumission des Notes austro-alle-
mandes, auxquelles il avait pu ajouter l'impudence
de la Note bulgare, ne l'avait qu'incomplètement
consolé de la réponse du président Wilson et qu'il
avait, non sans une certaine candeur, attendu des
propositions plus précise.';, qui n'étaient pas venues.
Pour nous, sans nous arrêter outre mesure à l'in-
tervention papale, mais sans négliger les menées
pacifistes des catholiques, nous devions retenir le
désir de paix de l'Allemagne.
Nous devions aussi nous garder contre la campagne
pacifiste qu'elle fait chez les neutres, inquiets de l'ave-
nir et soumis dorénavant, grâce à l'énergie des Etats-
Unis, à des restrictions d'exporlation qui les mena-
cent dans leur vie quotidienne. Le travail accompli
en Suisse, le sans-gêne sans cesse montré à l'égard
de la Hollande, les complicités avec la Suède, sur la-
quelle nous avons si souvent appelé l'attention de nos
lecteurs et dont la duplicité, dans l'alîaire de l'Argen-
tine, est une véritable violation de la neutralité,
tout concorde à montrer que l'Allemagne veut utili-
ser tous les moyens pour obtenir la paix avant que
sa situation trop compromise ne l'oblige à la suhir.
Il faut reconnaître que la position des neutres de-
vient chaque jour plus pénible. La Suisse, en particu-
lier, obligée de subir les exigences allemandes pour
son charbon et pour son fer, celles de l'Entente pour
son alimentation et les autres besoins de son indus-
trie, se sentétranglée et se défend comme elle peut. Il
y a là une si tuation que l'on comprend mal en France
et qui nous rend injustes envers un pays auquel tant
des nôtres doivent la vie. C'est k nous d'alléger h la
Suisse, au moins par nos bons procédés, les con-
traintes que nous ne pouvons lui éviter; c'est à nous
aussi, par une propagande intelligente et discrète,
qu'il appartient de lui montrer où sont son intérêt et
son avenir. — Nous en disons autant pour l'Espagne,
où nous avons tant d'amis et dont il convient que nous
n'augmentions pas les difficultés intérieures, heureu-
sement amorties par l'énergie du ministreDato. Nous
devons songer à l'après-guerre. Notre héroïsme nous
a fait des admirateurs. Il dépend de nous qu'après
l'admira' ion, qui est un sentiment passager, il reste
une estime solide, une forte amitié et une union
d'intérêts qui nous lie pour notie profit commun.
En dehors de l'affaire Luxbourg, qui a fait grand
bruit et qui est venue s'ajouter & ce dossier criminel
de l'Allemagne que le président 'Wilson n'a peut-
être pas renoncé àenrictiir encore, les Etats-Unis
ont continué leur formidable et méthodique prépa-
ration de la guerre dans le domaine militaire, linan-
cier et économique. Il est très évident que la réso-
lution du peuple américain et l'admirable lucidité
de son chef sont, pour l'Allemagne, un élément
essentiel de son évidente inquiétude et expliquent
sa hàle tortueuse à chercher la paix. De plus, les
révélations faites chaque jour au sujet de la |>ropa-
gande pacifiste allemande projettent sur If s procédés
allemands une lumière éclatante, qui, même pour
des gens sans vergogne, devient gênante. C'est,
d'ailleurs, grâce à la police américaine qu'une affaire
d'intelligence avec I ennemi, suivie eu France de-
puis plusieurs mois sans qu'elle pût aboutir, s'était
Von Kohlmann,
8pcrétaii*e d'Etat allemand.
290
& la (In de septembre subitement éclaircie. Après
l'aflaire Almeroyda, raffaiie Bolo pacha nous mon-
trait en action, sur un plan plus va^le, avec des
ressources énormes, l'œuvre occulle delAilcmagne
dans les pays alliés et pariiculièrement en France. 11
y avait là, pour
les gens clair-
voyanls,unecon-
lirmalion vrai-
ment curieuse de
soupçons déjà
loiiilains. Il faut
ajouter que, si
l'Allemagne,
comme il était
certain, désirait
lapaix, elle avait
employé, pour y
préparer les es-
prils, des agents
bien malclioisis.
Nous ne vou-
lons que pronon-
cer le nom de la
Grf'ce pour que
l'allcntioH de nos
lecteurs re.-le
éveillée sur ce
pays où l'on ne sait pas nettement ce qui se passe
et qui reste une énigme, sinon dangereuse, du moins
troublante et, en tout cas, très coûteuse pour la
France. On apeut-êlreun peu \ lie considéré laques-
lion grecque comme résoliip, et l'iMiteute pourrait
bien avoir à truîuer là, pendant lonnle'nps, un poids
un peu lourd. — Far contre, ou avait vu peu à peu
se dissiper les malentendus qui existaient eulre
rilalie et la Serbie, et la question yougo-slave ne
pouvait plus être un sujet de soucis ultérieurs.
La France n'avait pas manqué de scandales, re-
grettables, certes, mais dont la découverte était ulile.
Après Almereyda, Bolo pacha; après Bolo paclia, le
député Turmel. On déplorait (piune de ces affaires
conduisît le pieniier président de la Cour d'appel
de Paris devant la Cour suprême. Mais on sentait
un allégement à savoir dévoilées des trames mal-
propres, qui n'étaient rien moins que des trahisons
dont on s'élait senti enlouré, sans pouvoir les dé-
masquer. — Le grand événement de septembre avait
été la chute du ministère Ribot et l'avènenienl du
ministère Painlevé. Le public avait mal compris les
tractations qui avaient accompagné ces deux opé-
rations politiques. Gharné de former un nouveau
cabinet, Riliot avait d'abord réussi, puis échoué
devant l'opposition socialiste. Substitué à Ribot,
comme chef futur d'un cabinet de concentralionnat o-
nale, Painlevé s'était trouvé en présence des mômes
difficultés. Il avait dû, pour aboutir, constituer, sans
participation socialiste, un cabinet qui conservait
en partie le personnel du cabinet Ribot et oii l'élé-
ment radical dominait, sans que, pourtant, le parti
radical se fût déclaré entièrement sntisfait. Albert
Thomas, dont l'intelligence et l'énergie ont éié
unanimement appréciées depuis le début de la
guerre, n'avait pas accepté de faire partie du cabinet.
D'accord avec son parti, il se réservait. Riliot restait
ministre des affaires étrangères. II y avait des gens
informés qui afOrmaient que ceci ne compensait pas
cela et que Ribot n'avait pus, dans les circonstances
présentes, la fermeté de caractère que la France récla-
LAROUSSE MENSUEL
«• 129. Novembre 1917.
La Croix-Rouge, dans ]a guerre de montajrne. —
traiispone un blessé
mait du chef responsable de sa politique extérieure.
Le peuple français, qui, on doit le dire, devenait de
plus en plus iiidilférent à ces contingences minis-
térielles, souliaitait avant tout qu'on lui lit de bonne
besiigiie, qu'on lui assurât son ravitaillement et
qu'on ne mit pas en péril, par des compromissions
inavouables, la situation favorable de la France. Les
personnes, qu'il ignorait, lui importaient peu. On
avait le droit d'espérer que Painlevé montrerait,
comme président du conseil, les mêmes aptitudes
heureuses qui lui avaient assuré le succès comme
ministre de la guerre. On voyait, non sans regret, le
travail égoïste des partis recommencer comme en
temps de paix. On comprenait que cette cause
méprisable écartait du pouvoir les hommes les plus
utiles, en un temps oii il aurait fallu songer unique-
ment au bien général. Mais cette misère constitu-
tionnelle des démocraties était surmontée par la
bonne volonté et le bon sens du peuple de France,
qui, malgré la longueur de la «uerre, restait ferme
dans la lutte. C'était là, dans la grande bataille des
nations, un élément sûr de notre succès, dont les
Empires centraux étaient incapables d'apprécier la
force inusable. — Jules Gerbàult.
Çfjrrostat {stn. — du gr. guros, tournant sur
lui-même et s'alikos, qui se tient) n. m. Se dit de
tout solide animé d'un rapide mouvement de rota-
tion autour de son axe : Le diaboln, le pmjec/ite
(l'une arme rayée parcourant leur trajectoire sont
des GYROSTATS.
— Encycl. Techn. La direction des sous-marins.
Fig. i. — Gyroscope. Sens de
la précession (;0. sous l'influoncc
d'uue pression (AJ.
Dès que le navire marchand aperçoit le périscope d'un sons-marln, il lance à la mer une n boîte à fumée », d'où se dégat^e
immédiatement un nuage tr^s épais et trt-t éten lu, qui le mnsque coinpldtemeul k son ennemi. Le sous-marin ne peut plus, alors, que
lancer au hasard ses torpilles, et le navire marchand manœuvre plus k son aise pour lui échapper.
Une caisse-civière, transformée en wagonnet aérien,
au-dessus d'un précipice.
des aéroplanes, des navires, est devenue actuel-
lement une question du plus grand intérêt; la
guerre, en multipliant ces appareils, devait con-
duire à rechercher l'élimination des causes d'acci-
dents : une grande parlie de ce problème a été
résolue par l'emploi du gyroscope (fig. 1).
Bien que cet instrument ait été imaginé, en 1852,
par le Français Foucault, son ap^licalioii dans l'in-
dustrie est toute récente; elle est liasée sur les mani-
festations spéciales de l'inertie, présentées par tout
solide animé d'un rapide mouvement de rolalion.
Bogaert, un des praticiens du gyrostat, le mot
étant de sens plus général, le dénhit ainsi : « Tout
solide dont l'ellipsoïde
d'inertie central présente
un axe de révolution, axe
autour duquel il tourne
avec une vitesse angulaire
très grande, comparative-
ment aux autres rotations
auxquelles il peut être
appelé à participer. »
Les conditions relatives
à l'ellipso'ide d'inertie si-
gnifient que le solide est
parfaitement équilil)ré par
rapport à l'axe de révolu-
tion; la toupie, le diabolo,
le rotor d'un allernateur,
la terre elle-même sont
des gyrostats.
Le grand nombre de
pièces rotatives répandues dans l'industrie montre
combien l'inlluence des effets gyroslaliques est im-
portante à connaître, soil pour l'utiliser, soit, au
contraire, pour en écarter les inconvénients.
f^iï^t gyroslalique. — Tout le monde connaît la
toupie gyrosco-
piqiie (fig. 2), .^ —
couslituée par ^■''
un volant mas-
sif niiiinlenu
dans un cadre,
lui-même placé
en porte à faux
sur un support.
Au repos , le
système est in-
capalile de res-
ter sur ce sup-
port ; au con-
traire, dès que
le volant tour-
ne, il semble se
soustraire aux
lois de la pesan-
teur, prend un
état d'équilibre
stable, tout
endécrivantun
cercle autour
de son point
d'appui. On re-
marqiie que
toule perturbation, pour modifier l'orientation, est
aussitôt corrigée automatiquement, l'axe conservant
sa direction. On admet, pour expliquer celte carac-
Fig. 2. — Toupie gyroscoplque.
IV* 129. Novembre 1917-
téristique du gyrostat, que toutes les forces qui le
sollicitent peuvent, endei'tilère analyse, se réduire à
deux couples (systèmes de deux forces égales, paral-
lèles et de sens inverse) : l'un, agissant perpendicu-
lairement à l'axe, modilie la vitesse, l'autre, agissant
dans le plan de l'axe du gyrostat, entraine son dépla-
cement. Ce couple ou action tournante est dit couple
dévialeur; le déplacement est désigné sous le nom
de firécession.
Si donc la direction de l'axe est modidée, un
couple de réaclion exerce aussitôt une action dans
le plan perpendiculaire pour modifier la précession ;
au contraire, une précession forcée réagit aussitôt
sur la direction de l'axe. Tout se passe comme si
l'axe de rotation propre et celui que l'on veut faire
naître tendaient à se superposer en sens et direc-
tion, c'est-à-dire que l'on observe une remarquable
conservation du parallélisme des axes de rotation.
Le gyrostat représente, par suite, un appareil capa-
ble {ie conserver la direction d'un axe rotatif; toutes
ses applications reposent sur cette conséquence.
Si nous reprenons l'exemple de la toupie gyros-
copique, nous voyons que sa précession autour de
son point d'appui est la résultante de l' action cons-
tante de la pesanteur, celle-ci agissant comme force
perturbatrice sur le volant. Cette action constante
détermine une réaction tournante & 90", d'où la ro-
tation constatée. Si ci'lte précession était rendue
impossible par suite de la fixité des points d'appui,
ce sont ceux-ci qui recevraient toute la pression et en-
dureraient toute la fatigue; nous verrons, plus loin,
l'influence de ce fait en construction mécanique.
Le couple déviateur d'un gyrostat est calculable
mathématiquement; sa formule, en fonctions de J,
moment d'inertie du voUnt, de û, vitesse de rota-
tion propre du gyrostat et de to, vitesse de la préces-
sion, est la suivante : C = J Q eu.
Influence mécanique de ie/f'et gyrostalique. —
L'emploi industriel de pièces tournantes à grande
vitesse devait conduire les ingénieurs à calculer
l'influence de l'effet gyrostalique, surtout lorsque
ces machines (turbines, rotors, etc.) sont installées
i bord de solides déplaçables (navires, aéroplanes,
automobiles, etc.). Cette influence est souvent très
importante : elle explique le bris des arbres, la fa-
tigue des paliers. En ellet, sur les navires, le roulis,
les changements de cap agissent comme précession
forcée; comme les pièces tournantes sont montées
sur paliers fixes, toute la réaction doit être neu-
tralisée par la résistance de ces paliers, souvent aux
dépens de leur solidité. Ces effurls peuvent être con-
sidérables; un disque de turbine delOO kilogrammes
tournant à 3.000 tours par minute exerce, par exem-
ple, sur ses paliers un effort de 95 kiloîjramuies alter-
nant 3.0110 fois par minute, pour un roulis de lo", si
ce disque est monté sur un axe disposé en travers
du bâtiment. Ces réactions sont sulfisantes pour
bri«er les arbres des roues à aubes, en cas de virage
brusque. II convient, par suite, de construire les axes
très robustes et surtout de disposer les machines
de telle façon que les arbres soient paralb'les à la
longueur du navire; on peut encore utiliser des
machines symétriques tournant en sens inverse.
C'est encore l'effet gyrostalique qui provoque, à
la suite d'un dérapage, la rupture de l'arbre d'un
automobile, le volant disposé sur un axe longitu-
dinal engendrant une pression anormale, lors d'un
brusque changement de direclion.
L'Iiélice et le moteur rotatif d'un aéroplane sont
aussi des gyrostals ; leurs réactions, dans un vi rage ra-
pide, son tassez importantes pour provoquer, si l'avia-
teur n'y prend pas ganle, des accidents par capotage.
Conséquences pratiques de l'état gyrostalique. —
Plusieurs déductions de la théorie du gyrostat ont
permis d'appliquer cet appareil à la résolution de
problèmes mécaniques. Selon l'état de sollicitation
du corps tournant, on remarque : 1» la conservation
de la direction de la verticale, dans le cas, où l'appa-
reil mobile autour d'un axe est soumis à une force
constante (pesanteur, dans l'exemple de la toupie gy-
roscopique) ; 2° la possibilité de suivre un chemin
déterminé, si l'axe matériel est en contact avec un
guide fixe (celui-ci est épousé dans ses moindres si-
nuosités); 3° conservation d'une direction in variable,
si le gyrostat est entièrement libre (celle orientation
sera celle du méridien du lieu, dans le cas où le gyros-
tat est soumis à laseule action de la rotation terrestre).
Annlications mnthématiques. — Toutes les appli-
cations des gyrostals dérivent de ces remarques ; sans
nous occuper de l'étude des mouvements de la toupie,
du diabolo, du cerceau, du boomeran'.;, tous résultant
de l'effet gyrostalique, nous signalerons l'influence
de cet effet sur les projectiles des armes rayées;
ceux-ci sont de véritables gyrostals tournant sur
leur trajectoire. La théorie, d'accord avec la pra-
tique, explique la déviation subie p|ar ces projectiles,
déviation les écartant du plan de tir; elle démontre,
par exemple, que le phénomine est moindre sur les
petits projectiles et qu'il convient d'employer pour
les tirs courbes des rayures & pas allongé.
Applications aux instruments de mesure. — La
première application du gyrostat fut son adapta-
tion, par Foucault, k l'étude de la rotation de la
LAROUSSE MENSUEL
terre. L'appareil de Foucault, désigné sons le nom
de gyroscope, comprend un volant suspendu à la
Cardan de telle façon que son axe soit libre de se
placer dans tous les azimuts, seulement dans cer-
tains d'entre eux, si une partie de la suspension est
immobilisée; l'appareil est parfaitement équilibré,
le centre de gravite coïncidant avec le cenire d'inertie
dans toutes les positions. 11 en résulte une parfaite
indifférence d'équilibre vis-à-vis de la pesanteur;
seule, la rotation de la
terre pouvait avoiruiie
influence, ce qui fut
en effet vérifié.
Foucault démontra:
1" Que, sur un corps
mobile tournant au-
tour d'un axe libre de
sedirinerdans un plan
horizontal, la rotation
de la terre développe
une force directrice
solliciiant l'axe du gy-
rostat vers le méri-
dien ; 20 Si le corps
mobile est libre de se
mouvoir dans le plan
du méridien, il s'orien-
te parallilement àl'axe
du monde, permettant
ainsi de délerminer la
latitude d'un lieu dont
onconnaitleméridien.
Nous verrons, plus
loin, que ce gyros-
cope a été l'origine des compas actuellement utilisés
dans la marine.
D'autres instruments ont pour base un gyrostat;
celui-ci, en maintenant une direction verticale ou
horizontale constante, même à bord d'un navire ou
d'un aéroplane, permet la construction des pendules
gyroscopiques déterminant la verticale exacte des
inscripteurs d'oscillations, des trace-roulis, etc.
Sur le même principe est basé le collimateur
Pleuriais [fig. 3 et 4) pour établir un horizon arti-
ficiel ; en mer, le seul repère qui offre un caractère
291
Le gyroscope de Foucault, s'orientant dans la
direction du méridien et donnant le nord géogra-
phique, consliiuait une Bolulion élégante; malbeu-
reuseinent, de grandes diflicultés pratiques s'oppo-
saient à la réalisation de l'exacte coïncidence entre
les centres de gravité et d'inertie. Déjà recherché
en 1884, en France, le gyrocompas ne fut construit
a n'en adopt.int un gyroscope stabilisé, son centre
e gravité étant placé au-dessous du centre de sus-
Fig. i. — Coupe schématique
du collimateur Fleuriais : a, tore
rotaiif actionné par la sourflerie b,
•ystèmeoptique :c. éclairage étec*
trique d.
Fig. 5. — Coupe du gyrocompai
allemand : A , gyroscop» : P. flutteur
dans le bain de mercure U ; RR, rote
des Tents.
de fixité sur lequel on puisse se baser pour déter-
miner la position où l'on se trouve, dans l'observa-
tion au sextant, est la ligne de démarcation entre le
ciel et l'eau. Celle-ci étant souvent masquée par les
brumes, presque toujours invisible la nuit, la pro-
duction d'un horizon artificiel complète utilement
le sextant.
L'appareil comprend une toupie en forme de tore,
mue par une petite soufflerie; cette toupie, reposant
par sa pointe dans une cavité sphérique, tend &
« dormir » verticalement. Si l'on dispose à sa partie
supérieure un olijectif dont le foyer se trouve exac-
tement au centre d'un faisceau de traits clairs tracés
sur une plaque de verre noir, les traits étant trans-
parents et perpendiculaires à l'axe de la toupie,
ceux-ci paraîtront constamment horizontaux dans
la lunetle du sextant, constituant par suite un repf re
horizontal fixe. Pour être rigoureux, une léyère
correction doit tenir compte de l'inlluence de la ro-
tation terrestre. Un dispositif lumineux éclairant le
repère permet ainsi l'usage du sextant, par tous les
temps, de jour ou de nuit.
Compas gyroslatiques ou gyrocompas. — L'ap-
plication la plus importante dans le domaine des
instruments de mesure a été l'application du gyrostat
aux compas de navire.
La boussole magnétique fut parfaite, tant que les
b&timents étaient construits en bois; mais, du jour
où l'acier, le fer entrèrent dans la construction
navale, que le navire fut sillonné en tous sens par
des canalisations électriques, rai{,'uille aimantée,
malgré des compensations, ne fournit plus que des
résultats inexacts et incertains.
Fig. 3. — Collimateur Fleuriais (A), monté sur un scztftat.
pension, tandis qu'un dispositif spécial amortit les
oscillations résultant de cette disposition en pen-
dule. Tel fut le compas Anschutz-Kaempfe, adopté
par la marine allein nde [1909] {fig. 5).
Un tel gyrostat doit être maintenu horizontal par
une suspension sans
fioltemeni.Onleréa-
lise avec un volanlde
6 kilogrammes, mù
électriquement; son
axe horizontal est
soutenu par une pièce
flottant dans un bain
de mercure, lui-
même suspendu & la
Cardan . Une rose des
vents est placée sur
le support flottant, sa
ligne N.-S. étant pa-
rallèle à l'axe du vo-
lant ; elle s'oriente
dans la bonne direc-
tion, dès que le gy-
rostat est animé. Les
oscillations pendu-
laires parasites sont
amorties par un dis-
positif ingénieux; le
gyrostat lui-même
étant utilisé comme
ventilateur centri-
fuge, l'air expulsé servant par un jeu de palettes à
rétablir l'équilibre de l'appareil.
Ce compas, insensible aux variations magnétiques,
doit, cependant, être compensé, certaines actions
(vitesse du navire, latitude) ayant sur lui une in-
fluence qu'il est aisé
de calculer.
En 1912, l'ingé-
nieur américain
Sperry a construit
un compas plus pra-
tique. Son gyros-
tat A, à axe verti-
cal, tourne dans une
boîte B, vide d'air,
mobile sur un axe
horizontal, les pivots
de rotation étant fixés
à un cadre D, lui-
même suspendu par
un lil EF, ceci cons-
tituant l'organe sen-
sible d'orientation
^'^e^^ssederota-
lion du volant est
considérable; elle at-
teint 30. DUO tours par
minute. Elle est réa-
lisée par un moteur
sans frottement, dans
l'espèce moteur àcou-
rant triphasé, re qui entraîne l'installation d'une mi-
nuscule usine de transformation du courant; le trans-
formateur tient dans le pied du compas. Cette nécessité
fait de ces appareils des merveilles de précision.
Pour les auiplilicr el permettre leur reproduction
& distance, les indications de l'organe sensible se
transmettent, par l'intermédiaire d'un petit moteur
Fig. 6. ~ OTrocompat Sperry.
292
électrique M, à une boite de protection G, qui sup-
porte la rose des venls. Une masse pendulaire H,
placée à la partie inférieure de l'appareil, restreint
les nnouvements d'oscillalion.
On évite les corrections, grâce à un dispositif
dont on aperçoit les deux cadrans sur la figure; elles
sont déterminées et corrigées automatiquement. Le
LAROUSSE MENSrjEL
tionne électriquement les organes stabilisa ieurs or-
dinaires (ailerons, gouvernails, etc.). il en a été de
même d'une solution trouvée par Sperry et qui a
valu à son auteur le prix de l'Aéro-Club -^-i France
en 1913.
Stabilisation directe. — L'action directe a per-
mis la réalisation des véhicules monorails en leur
conservant l'équilibre récessaire. Nous
renvoyons le lecteur à la description du
monorail Brennan {Larousse Mensuel,
t. I"', p. 679), type de tous ces appareils,
ignalons dans le même ordre d'idées l'au-
S:
tomobile Schilowslîi (1914) è deur roues
placées en tandem et maintenues en équi-
libre par un gyrostat central.
L'application la plus importante a été
la suppression du roulis en mer. Un na-
vire à flot se balance sur la vague en
constituant un véritable pendule ; si l'on
crée un balancement analogue, mais de
phase contraire, il est évident que l'action
du roulis est pratiquement annulée.
Le premier appareil employant le gy-
roscope est dû à 1 Allemand Schlick (1904).
Il consiste en un lourd volant à axe ver-
tical, pouvant osciller sur lui-même dans
le sens transversal du bâtiment; l'efTet
gyrostatique détermir.ant une réaction
perpendiculaire, le volant oscille en phase
décalée de 90° avec celle du roulis. Il faut,
toutefois, compléter l'appareil par des bu-
toirs et un frein pour limiter les oscilla-
tions ; malheureusement, le mouvement
pendulaire n'est efficace qu'à condition
d'être synchrone avec le mouvement de
la vague. L'appareil une fois lancé ne pou-
vant modifier son mouvement aussi vite
que se modifie l'action variable des flots,
la correction n'est pas toujours efficace
^%.
!)•
Fig. 1. — Coupe d'un gyrocompas Sperry.
compas maître est ordinairement installé dans le
kiosque du commandant; de là, par une série de
canalisations électriques, ses indications sont trans-
mises à divers compas secondaires, dits répétiteurs,
distribués dans le bâtiment.
L'avantage de déterminer la position exacte du
navire est considérable. Les compas, étant tous
exacts, se trouvent tous comparables entre eux. La
même indication sur un navire est connue du chef et
de son timonier, dans une flotte de tous les chefs :
la même route peut être suivie sans erreur.
C'est, outre l'élimination des accidents, la possi-
bilité de faire des économies de comliustible sur la
route, par suite de la rectitude de marche; quant
aux sous-marins, seul le gyrocompas pouvait leur
permettre de s'orienter.
Applications comme stabilisateurs. — La résis-
tance particulière du gyrostat à s'opposer aux déso-
rientations peut le rendre précieux chaque fois que
l'on cherche à se débarrasser des mouvements para-
sites, c'est-à-dire dans les installations de régula-
teurs, d'amortisseurs ou de stabilisateurs. Le gyrostat
permet égalemen t d'établir des équilibres impossibles
dans les conditions ordinaires; par exemple, dans le
cas du véhicule glissant sur un fil {monorail).
Pour utiliser un gyrostat, deux moyens peuvent
être envisagés, soit que l'appareil, simplement sen-
sible à la désorientation, agisse sur les commandes
nécessaires pour actionner la correction {action in-
directe), soit que le gyrostat, p ir sa masse, ramène
l'équilibre par ses seuls moyens {action directe).
Dans ce second cas, l'appareil doit être de grande
dimension.
Stabilisation indirecte {stabilisation des torpilles
et des aéroplanes). — La stabilisation indirecte est
appliquée à la conduite des torpilles; dans le type
Whitehead employant l'appareil Obry, un gyrostat
est actionné au moment où la torpille franchit le
tube de lancement. Son axe étant parallèle à l'axe
longitudinal de l'engin, le volant tend toujours à
conserver ce parallélisme et, par ce fait, à maintenir
la direction initiale; toute embardée se traduit par
l'inclinaison du gyrostat. Celui-ci agit alors sur un
réservoir d'air comprimé, ouvrant des valves com-
mandant un gouvernail de direction. Les petites
imperfections de l'appareil entraînent une légère
déviation, celle-ci atteignant à peine un millième de
la course; la direction de la torpille peut être con-
sidérée comme rigoureuse.
La stabilité de l'aéroplane est également possible à
l'aide du gyroscope; la navigation aérienne est si
délicate que l'idée d'adopter des stabilisateurs auto-
matiques est aussi ancienne que la création des
appareils pratiriues. Dès 1884, Maxim cherchait le
problème avec le gyroscope; la solution a élé trou-
vée dans l'appareil Regnard (1910). Par exemple, un
gyrostat à axe vertical, selon ses inclinaisons, ac-
eaucoup plus intéressant est l'appareil
de l'Américain Sperry (1912), dit (^j/roscope
oc/j/', par opposition au précédent, agissant
, par passivité. Dans cet organe, le volant
a son axe horizontal; il est monté norma-
lement au travers du navire et peut rece-
voir autour d'un axe vertical des mouve-
ments de précession variables. Ces mouvements
sont provoqués par une machine spéciale, elle-même
Fifj. 8. — Dispositif du çiTostat autiroulis de Schlick :
A, gyrostat; B, coulrepoids ; C, cadre mobile sur les tourillons d.
commandée par un petit pendule gyroscopique très
sensible {fig. 9).
Tout se passe, dans l'appareil Sperry, comme dans
Fig.9.
- Gyroitat stabilisateur Sperry, pour éliminer l'influence
dit roulis.
le jeu enfantin du cerceau, le garçonnet frappant le
sommet du cerceau dans le sens où il désire le di-
riger. En frappant à gauche, par exemple, la force
appliquée détermine par effet gyrostatique une réac-
tion perpendiculaire faisant tourner le cerceau à
«• 129. Novembre 1917.
gauclie. La machine de précession joue le rôle du
bâton : elle entraîne le gyroscope dans le sens voulu.
Cette précession forcée se manifeste par une réac-
tion perpendiculaire autour de l'axe longitudinal du
navire, ce qui annule la tendance au roulis.
L'efl'ort à exercer est très faillie; les oscillations,
quelle que soit l'amplitude, se réduisent à peu de
chose, ainsi que le montre le graphique ci-dessous
ifig. 10). C'est pratiquement la suppression du roulis.
Au contraire, en diminuant la vitesse du volant,
il est aisé d'établir un mouvement voulu d'oscilla-
f\r.rt/\^.^^m.m^,^f\,
l'ig. 10. — Courbe tracée sur l'indicateur de roulis ; AB, sans
action du gyroscope ; C, le gyroscope étant acUooné.
tion du bâtiment et d'employer celui-ci à briser les
glaces, à se dégager de bancs de sable, à s'incliner
pour tirer dans une position favorable, etc.; le capi-
taine devient absolument maître de régler le balan-
cement de son navire.
La suppression du roulis rend le navire plus habi-
table, supprime le mal de mer si redouté des passa-
gers, économise le combustible par la facilité de
la marche sur un fluide moins résistant, diminue la
fatigue de la coque, etc. Sur les navires de guerre,
il rend les plates-formes des navires plus stables,
limite les parties de la ceinture exposées aux coups
de l'ennemi. De tels avantages furent vivement
appréciés; les marines anglaise, américaine dispo-
sent aujourd'hui d'un grand nombre de navires
munis de cet organe stabilisateur. Les volants sont,
naturellement, de grandes dimensions; un des plus
grands, destiné à un transport, comprend deux dis-
ques pesant chacun 27.500 kilogrammes, avec 3 mè-
tres de diamètre sur 70 centimètres d'épaisseur.
Tournant à la vitesse de 1.150 tours par minute,
leur préparation exige un mêlai très homogène : on
donne la préférence à l'acier moulé.
Les sous-marins ont également profité de cet
engin stabilisateur; pour eux, grâce aussi au gyro-
compas, on peut dire que leur combativité, par suite
de l'utilisation du gyrostat, a augmenté de 50 p. 100.
Devant de telles applications, on peut prédire le
brillant avenir réservé à cet organe mécanique, jus-
qu'ici considéré soit comme un jouet, soit comme
une curiosité de cabinet de physique. — m. Mouhié.
Xieclainclie (£>«OTanuei-Louis-Auguste), pa-
thologiste français, né à Piney f Aube) le 29 août 1861 .
11 fit ses premières études au lycée de Troyes, puis
entra à l'école vétérinaire d'Alf'ort (1878). Ce fut là
qu'il se lia avec le professeur Nocard, qui, quelques
années plus tard, devait être pour lui « le plus sûr
des guides et le meilleur des maîtres ». En 1886,
Leclainche, après concours, était nommé répétiteur
de pathologie médicale et de clinique à l'école d'Al-
fort, puis, en 1888, chargé du cours de jurisprudence
commerciale et de médecine légale; en 1889, il était
nommé chef des travaux de pathologie médicale et
de clinique. A cette époque, il avait déjà publié
dans divers périodiques (« Recueilde médecine vété-
rinaire », <i Archives vétérinaires », etc.) un certain
nombre de notes et mémoires concernant la patho-
logie animale. 11 donne, en 1891, un Précis de patho-
logie vétérinaire, limité à l'étude des maladies
internes du cheval. Mais, déjà à celte époque, ses
études commençaient à s'orienter vers d'autres buts;
nommé, au concours, professeur à l'école vétérinaire
de Toulouse, en 1891, il allait avoir un laboratoire
à sa disposition et plus de temps pour se consacrer
à l'étude. Chargé d'enseigner, à l'école de Tou-
louse, la pathologie des maladies contagieuses, il
décide de fixer, en un ouvrage classique, l'état pré-
sent des connaissances acquises dans ce domaine,
et il publie, en 1895, avec la collaboration de Nocard,
les Maladies microbiennes des animoux. Ce fut un
travail considérable, et les deux autres éditions de
l'ouvrage, publiées en 1898 et 1903, sont pour ainsi
dire deux œuvres entièrement nouvelles, tant l'évo-
lution scientifique dans cette branche spéciale s'ef-
fectue avec rapidité. Cette publication lui valut, en
1.S98, le prix Montyon de l'Académie des sciences.
Les difficultés qu'il eut à vaincre pour réunir les
documents nécessaires à la préparation de ce traité
lui donnèrent l'idée de créer un périodique résu-
mant tous les documents intéressant la médecine
vétérinaire. C'est ainsi que prit naissance, en 1903,
la Revue générale de médecine vétérinaire.
La réputation scientifique de Leclaincbe fui éta-
blie par ses belles recherches sur le rouget. Ce fut
en 1897 qu'il publia sa première note Sur la séro-
thérapie du rouget de porc; en 1899, il indiquait
le cheval comme producteur de choix pour la pré-
paration de grandes quantités de sérum immuni-
sant; en 1900, l'étude du sérum et des séro-vaccins
était achevée et, aujourd'hui, des centaines de mil-
liers d'animaux sont immunisés chaque année : le
rouget était vaincu.
Emmanuel LecUinche.
N' 129. Novembre 1917.
Leclaincbe s'attaquait ensuite au charbon symp-
lomaiique ; il poursuivit ses recherches pendant
près de quinze ans, avec la collaboration de Vallie.
Sa première noie sur le charbon symptomalique fut
publiée en 1900 dans les « Annales de l'Institut
Pasteur » ; il y indiquait la dilliculté d'obtenir le
bacleriutn Chauvœi en cultures pures, à cause de
la souillure par le vibrion septique, puis il étudiait
les circonstances étiologiqiies clu charbon acciden-
tel. Quelques mois plus lard, il comparait le vibrion
septique et la bactérie du charl)on et montrait que,
malgré les rapports étroits qui existent entre les deux
microbes, l'immunisation vis-à-vis de l'un est ino-
pérante à l'égard de l'autre. La culture pure, chaufTée
à 70° C, donne un vaccin ulilisable dans la pratique ;
d'autre part, un
sérum immuni-
sant était obtenu
chez le cheval.
Toutefois, ce ne
futqu'enl913que
des races vrai-
ment atténuées
de la bacti'rie
furent obtenues,
par 1 action com-
binée d'une lem-
péralure dyssé-
nésique et d'un
milieu de culture
peu favorable.
Depuis cette épo-
que, la vaccina-
tion par les vac-
cins purs est pra-
tiquée avec suc-
cès sur des mil-
lions de bovidés, en France et à l'étranger ; elle tend
à se substituer complètement aux méthodes anté-
rieurement utilisées.
L'analyse des accidents consécutifs aux vaccina-
tions montre qu'ils sont dus, le plus souvent, à la
sensibilisation antérieure des vaccinés par des
infections avortées; d'où l'emploi combiné, dans
les milieux contaminés, des sérums et des vaccins,
le sérum ayant pour effet d'empêcher toute action
pathogène du virus-vaccin : c'est la méthode de la
sérovaccination que Leclaincbe applique au rouget,
puis au charbon symptomalique, et qui est devenue
classique.
En 1898, dans une note (la Sérothérapie de la
gangrène gazeuse), publiée dans les « Archives médi-
cales de Toulouse », Leclaincbe faisait connaître un
procédé d'obtention d'un sérum actif contre le vibrion
seplique et les affections qu'il détermine; en 1901,
il donnait, dans une seconde note, publiée dans les
« Aimales de l'Institut Pasteur », des indications très
précises sur le mode de préparation du sérum et
sur ses propriétés.
Citons encore les résullals qu'il obtint, en colla-
boration avec Vallée, dans la sérothérapie des suppu-
rations. Dans ses expériences sur le rouget du porc,
Leclaincbe avait remarqué que le sérum introduit
dans les tissus avec le virus exerce une action locale,
et l'on sait que, d une façon générale, lorsqu'un lissu
est envahi par un microbe virulent, l'apport des anti-
corps spécifiques favorise puissamment la défense.
En 191î, dans un mémoire présenté à l'Académie
des sciences [Sur le traitement spécifique des
plaies), il faisait connaître les résultats des travaux
qu'il avait entrepris avec la collaboration de Vallée;
il indiquait les procédés d'obtention et les proprié-
tés d'un sèrnm polyvalent, fourni par des chevaux
traités par des injections répétées de pyogènes, en
émettant l'avis que « la thérapeutique chirurgicale
paraissait devoir bénéficier largement de celle médi-
cation ». Le sérum polyvalent, préparé aujourd'hui
fiour le compte du service de santé de l'armée, est
argement utilisé dans la cliirurgie de guerre : trai-
tement local des plaies, prévention et traitement des
infections consécutives. Enfin, les travaux antérieurs
de Leclaincbe ont permis d'étendre les valences du
sérum à certains agents des gangrènes gazeuses :
le vibrion septique et le bacillus perfringens.
En dehors de ces travaux de tout premier ordre,
on doit encore à Leclaincbe d'importantes recher-
ches de bactériologie et de médecine expérimen-
tale. Il a été élu membre de l'Académie des sciences
le 11 juin 1917. Depuis 1911, il est inspecteur géné-
ral, chef des services sanitaires au ministère de
l'agriculture et, depuis 1913, directeur du laboratoire
de recherches des services sanitaires à Alfort et
officier de la Légion d'honneur. — o. Boochent.
Monuments lllstoriques (les). [Conser-
vation, hestauratio.n], par Paul Léon (Paris, 1917).
— Les actes de vandalisme commis par les Alle-
mands nous rendent encore plus précieux que par
le passé les monuments de l'ancienne France.
L'acharnement méthodique des ennemis & les dé-
truire prouve que leur présence n'a pas seulement
une signification pilloresque, mais qu'il est en eux
une valeur morale dont la qualité se confond avec
les fastes, l'esprit, les traditions de la nation,
LAROUSSE MENSUEL
Dans quelles conditions ces monuments sont-ils
parvenus jusqu à nous, quels furent les moyens em-
ployés pour assurer leur conservation, comment
garantir leur perpétuilé dans l'avenir, autant de
questions soigneusement étudiées et clairement
élucidées par Paul Léon. Nul plus que lui n'était à
même d'entreprendre une pareille étude. Chef des
services d'architecture au sous-secrétariat d'Etat
des beaux-arts et, comme tel, chargé depuis dix ans
de la direction des Monuments historiques, il leur
a consacré tous ses instants. Etudiant les lois et
règlements qui
les protègent, ^ — ^^^r
compulsanllesar-
chivesconsliluées
par plusieurs gé-
nérations d'ar-
chéologues et
d'archilecles, con-
trôlant sur place
la documentation
écrite, il a pu se
faire une opinion
raisonnée en ce
qui concerne, no-
tamment, les di-
verses méthodes
de restauration
adoptées ou reje-
lées depuis près
d'un siècle. S'il a
acquis une certi-
tude, il se garde,
cependant, d'un
absolutisme que
d'autres connu-
rent et dont les
résultats furent
fâcheux :
Cette étude(écrit-
il) pose plus do pro-
blëines qu'elle n'en
résout et présente
un recueil de faits
puisqu'un corps do
doctrine.
L'ouvrage de
Paul Léon com-
prend trois gran-
des divisions : les
Origines du Ser-
vice des Monu-
ments histori-
ques,-l'Organisa-
tion du Service :
inventaire, clas-
sement, budget,
personnel; l'Œu-
vre du Service :
ulilisation, entou-
rage, restauration
des Monuments.
On extraira de
ces diverses par-
lies des informa-
tions peu con-
nues, des faits
typiq ues , enfin
quelques consi-
dérations di-
gnes d'attention.
Sous le terme « Monuments historiques », on com-
prend aujourd'hui tous les chefs-d'œuvre de l'art
éclos sur notre sol, à quelque période qu'ils remon-
tent; et tous, en elTet, sont dignes de la sollicitude
nationale. Il n'en avait pas été de même auparavant.
Le xvu" et le xviii" siècle méprisaient les œuvres
antérieures à la Renaissance. Et la défaveur s'élen-
dait jusque parmi le clergé. Fénelon, lui-même, est
sans indulgence pour les édifices médiévaux :
On croit que tout va tomber (écrit-il à Dacier). Tout est
plein de fenêtres, de roses et de pointes. La pierre semble
découpée comme du carton, tout est en l'air.
Plus tard, l'archéologue Millin qualifiera les
sculptures des catliédrales de » figures indécentes
et ridicules ». Deux voix discordantes, cependant :
celle du philosophe Diderot, qui reconnaît que les
anciennes églises agrandissent les objets par la
magie de l'art ; celle de Frémin, auleur de Mé-
moires critiques sur l'architecture (1702), qui cite
Notre-Dame et la Sainte-Chapelle comme deux
édifices
faits selon l'objet, selon le sujet et selon le lieu. Distri-
bution de la lumière, résonance des chants, vue de
1 office dans toute les parties du monumeat. Cela s'ap-
pelle de la bonne architecture.
Ce ne sera pas l'avis de la Révolution, non plus
que celui de l'Empire, périodes de classicisme
intolérant ; ni même celui de la Restauration,
durant laquelle, de l'aveu de Montalemherl, les
monuments de l'ancienne France connurent un
vandalisme dépassant en importance les méfaits
de 1789.
293
Par contre, Paul Léon révèle un fait généra-
lement ignoré : la persistance attardée des tradi-
tions méiliévales dans certains chantiers. Le»
causes : l'interdiction imposée par la liturgie de
faire un usage profane des matériaux prove-
nant de la démolition des églises, la symboli-
que immuable observée par quelques ordres. A la
fin du xvin* siècle, les oénédictins, reconstituant
l'abbaye de Sainl-Maixent, dévastée par les hugue-
nots, reproduisent les formes gothiques de l'an-
cienne église. Même persistance médiévale dans
Cathédrale d'Aagouléme, avant restauration.
les cathédrales d'Orléans et de Blois, réédifiées en
plein xviu" siècle. Auparavant, Saint-Etienne de
Caen avait vu reconstiluer avec une telle maîtrise
ses parties primitives qu'il est bien difficile, main-
tenant, de discerner des lormes originales (xi"-xv«s.)
celles qui résultent des travaux du xvu' siècle.
La Révolution dispersa ces chantiers. Si, la tour-
mente passée, l'on s'occupe des anciens monuments,
c'est pour les condamner. En 1810, l'arcbilecte
Petit-Radel expose au Salon un procédé pour dé-
truire une église de style gothique au moyen du
feu : o L'édifice s'écroule lui-même en moins de dix
minutes. » Mais la pioche suffit : c'est elle qui, en
pleine Restauration, rase deux des trois beaux clo-
chers de Saint-Germain-des-Près. Bref, il arrive
un moment oii l'on ignore tout de la structure des
églises d'autrefois. Chargé de réédifier la flèche de
la tour septentrionale de la b^isilique de Saint-
Denis, Debret, membre de l'Institut, emploie des
matériaux si lourds et si mal calculés qu'à peine
élevée, son œuvre s'alTaisse et entraîne la démo-
lition de la tour jusqu'à la plate-forme.
Le souci officiel de réparer les monuments natio-
naux naît seulement à la suite de la révolution de
Juillet :
Louis XIV (a écrit Alexandre de I^borde) avait dédaigné
le souvenir de François l" et do Henri IV, Napoléon celui
de Louis XIV, la Hesiauration les hauts faits de Napoléon.
Pour la première fois, un souverain avait assez profondé-
ment le sentiment de la patrie pour confondra dans son
cœur tout ce qu'elle avait produit de grand.
11 est vrai qu'un important mouvement d'opinion
l'y encourage : c'est une élite que passionne la pu-
294
blicalion commencée en 1823 par le baron Taylor,
des Voyages pittoresques et romantiques de l'an-
cienne France, celle un peu antérieure des Monu-
ments de la France classés climnologiquement,
d'Alexandre de Laborde, « livre plus souvent con-
sulté que cité ». C'est au^si la jeunesse roinanli(|ue
éprise du moyen â^■■e ; c'est surtout une nouvelle
école hisforiiiue, très piéocciipée des manifesta-
tions du caractère français. L'un de ses plus ar-
dents représont;ints, Gnizol, r\m, dans ses cours de la
Sorbonne, montrait dans le dédain du passé le signe
d' « un alTaiblissement national », est devenu mi-
nistre et altfiche son nom h toute nne série de me-
sures conformes à .«a conception de l'histoire. Di'S
le 21 octobre ISSO, Ludovic 'Vitet est, sur sa propo-
Cathédrale d'Angoulôme (état actuel).
sition, nommé inspecteur général des Monuments
historiques. Ces fonctions comportent une double
tâche : l'inventaire des monuments et leur conser-
vation efîective. Le 18 juillet 18H4, Guizol, fidèle à
son programme, constitue le Comité des documents
inédilsde l'histoire de France et, le 10 janvier 1X35,
un nouveau groupe qui a mission de rechercher
tous les documents pouvant se rapporter à l'his-
toire morale et inlellectiielle du pays. C'est le Co-
mité des monuments inédits de la lilté ature, de
la philosophie, des sciences et des arts considérés
dans leurs rapports avec l'histoire f/énérale de
la France, bientôt déchargé d'une mission trop
vaste encore par l'institution du Comité des arts
et monuments ; car, observe Guizot,
l'histoire des arts n'est point écrite dans les livres, elle est
écrite dans les monuments.
En fait, ces comités réunissent les éléments d'in-
formations qui permettront au Service des Monu-
ment-< historiques de faire œuvre utile.
Mais il ne suffit pas de catalof;uer les édifices; il
faut les réparer. D'où la néce>silé d'avoir un per-
sonnel renseigné et de l'argent pour les trnviui.'s.
Dès 1831, un crédit de 80.000 francs est obtenu
des Chambres; il est porté à 120.000 francs en 1835,
à 200.000 en 1837. Or, les demandes de subventions
LAROUSSE MENSUEL
se multiplient, et les considérations politiques, plus
que l'iutérêi des monuments, inRuent sur les déci-
sions ministérielles; les ressources se disséminent.
Contre ces errements ne cesse de protester Mérimée,
qui, depuis 1833, remplace Vitot à l'inspection géné-
rale. Aussi propose-t-il d'instituer une commission
qui opérera le classement des demandes de sub-
vention. Ce classement est, en fait, celui des mo-
numents dont la restauration sera subordonnée à
leur importance archéologique et i leur état de
conservation. Il obtient gain de cause en 1837. Par
un arrêté du 29 septembre, la Commission des Mo-
numents historiques est instituée sous la présidence
de \atoul, près duquel prennent place Leprévosl,
de Monlesquiou, baron l'aylor, Caristie, Dtiban.
Mérimée occupe
los fonctions de
l'cré taire. Désor-
ni.iis, les opéra-
lions d'inventaire
cl de classement
pourront être me-
ures avec conti-
nuité et selon une
règle inflexible;
de même les tra-
vaux. Et combien
ils se présentent
multiples I
De toutes parts,
on signale des
monuments qui,
faute d'entretien
.111 xvn" et au
xviii» siècle, ou
par suite de dé-
vastation sous la
Révolution ou
il'utilisalion dan-
;rrcuseou inlem-
[l'slive sous les
I i\^imes suivants,
iiut menacés de
p( rir si Ion ne
leur porte un
prompt secours.
C'est lacathédrale
de Chartres, dont
la couverture en
plomb a été enle-
vée en 1794 pour
foudre des balles;
c'est Saint -Ur-
bain de Troyes,
transformé en
balles et dont la
toiture laisse pas-
ser les eaux qui
pourrissent le
griiin; c'est en-
core Saiut-Ayoul
et Saint-Nicolas
de Caen, devenus
magasins à four-
rages, tandis que
le splendide dou-
ble vaisseau de
l'église des Jaco-
bins de Toulouse
sert d'écurie, de
même que Saint-
Yved,de Braisne.
D'aulreparl, le pa-
lais des papes, à
Avignon, est oc-
cupé par la trou-
pe, le château de
Gaillon et l'abbaye du Monl-Saiul-Michel sont uti-
lisés comme pénitenciers. De loin, ces monuments
fout encore illusion, mais quand on approche!...
Au premier abord (écrivait Mon talembert à Victor Hugo),
Toulouse paraît dominée par uno foule do clochers pyra-
midaux et d immenses nefs, hautes et larges comme des
tentes plantées par une race de géants, "n approche, on
ne trouve qu'une ignoble écurie ou un grenier à foin.
Conformément au désir de Mérimée, la Commis-
sion des Monuments historiques concentra ses res-
sources sur les édifices considérés comme essentiels.
Elle obtint même, pour certains d'enire eux, des
dotations particulières. C'est ainsi qu'une loi du
22 juin 1845 ouvre, pour la seule restauration de
l'amphithéâtre d'.\rles, de Saint-Ouen de Rouen, du
château de lilois, un crédit de 2.276.000 francs.
Notre-Dame, d'autre part, absorbera pendant des
années, pour sa remise en état, des crédits spéciaux,
dont le montant est considérable.
Mais l'argent n'est pas tout; il faut trouver des
techniciens pour conduire avec sagacité les travaux
de restauration. Or, lorsque le Service des Monu-
menls historiques est créé, les traditions du moyen
âge sont oubliées : un personnel est à former. Pour
les tout premiers travaux, on recourt à un autodi-
dacte de valeur, Piel, qui restaure les monuments
de l'Oise; on dispose aussi d'un groupe déjeunes
«• J29. flmembn 1917.
prix de Rome, qui, au retour de la 'Ville éternelle,
ont étudié par inclination personnelle les édifices
du midi de la France : Caristie, Achille Leclère,
Labrouste, Duban. Les ingénieurs des ponts et
chaussées apportent, enfin, leur science pratique.
C'est l'un d'eux, Flachat, qui reprendra en sous-
œuvre la tour centiale de la cathédrale de Bayeux,
sans découronner sa partie supérieure, dont la dé-
pose était déclarée indispensable par l'architecte.
A ces premiers réparateurs allaient succéder des
spécialistes orientés par goût vers l'étude des monu-
ments du moyen âge et formés pour la plupart à
l'atelier de Labrouste, où étaient professées des idées
originales appuyées sur de solides connaissances pro-
fessionnelles. Ils sont bien connus. Ce sont : Lassus,
■Viollet-le-Duc, E. Millet, Bœswilwald, lUipricht-
Rohert. Mais 'Viollet-le-Duc est le plus illustre; car,
durant une carrière longue et bien remplie, il a
exécuté des restaurations dont le retentissement a
été d'autant plus considérable que leur auteur joi-
gnait à la valeur technique une facilité de plume,
une originalité d'esprit et une séduction personnelle
dont bénéficia la cause des Monuments historiques.
Mais il est permis de reprocher à Viollet-le-Duc
d'avoir, au cours de restaurations d'édifices particu-
lièrement précieux, osé des restitutions contestables
statue «le la duchf>8se de Berry à la catliédrale de Bourges.
(ReBUturatioD actuelle, d'api-L-s l'œuvre pi'imitive dont Holbein
a laissé un dessin.)
en vue de leur donner une unité de style qu'ils
n'avaient jamais connue; méthode dangereuse, qui
devait le mener à remplacer, dans les cathédrales
de Paris et d'Amiens, des éléments existants pour
d'autres d'une forme très difléiente. Celte erreur, il
l'a partagé,; aveccertains, qui n'avaient pas ses belles
qualités. Par exemple, Abadie, dont les travaux de
restaurations à Saint-Front de Périgueux, à la c.ithé-
drale d'Angoulême et à l'église Sainte-Croix de Bor-
deaux, ont mérité d'être sévèrement critiqués.
Cependant, dès les piemières années de fonction-
nement du Service des Monuments historiques, les
restitutions arbitraires avaient été condamnées. Au
Cdiirs de la séance de la Chambre du 11 juillet 1845.
Montalembert, l'un des plus ardents avocats de la
cause des monuments, protestait contre l'idée d'ha-
biller à neuf toutes les vieilles cathédrales, de
rel'aiie toutes les façades, de remettre des têtes à
toutes les statues et des statues à toutes les niches.
Lassus et 'Viollet-le-Duc, alors k ses débuts, confor-
maient leur projet de restauration de Notre-Dame
à ce programme : « Chaque partie ajoutée à quelque
époque que ce soit doit en principe être conservée,
consolidée et restaurée dans le style qui lui est pro-
pre. » Ils proposaient, en conséquence, de respecter
le chœur de De Cotte : « Car nous pensons qu'il se-
rait fâcheux de détruire sans de bonnes raisons un
souvenir historique aussi important que celui là. »
Celte discrétion, si vite oubliée, est maintenant
devenue loi. La doctrine nouvelle est basée sur le
respect absolu des monuments. C'est que, d'une
part, l'admiration pour le pas<é, limiléepar réaction
contre les préjugés classiques aux xii^-xv» siècles,
mais plus particulièrement au xin«, considéré comme
l'âge d'or de l'art médiéval au temps de "Viollel-le-
Duc, s'étend aux monuments et aux choses qui leur
sont postérieures; d'autre part, que telles des resti-
tutions applaudies entre 1830 et 1S50 et considérées
comme de pur style, avec le recul du temps, appa-
raissent comme des échantillons détestables du go-
thique de pendules, dit « style troubadour ».
Paul Léon est, bien entendu, partisan résoin
des méthodes nouvelles, c'est-à-dire de l'entretien
discret, substitué à la restauration intégrale. Tout y
convie. Près d'un siècle de grands travaux assure
«• 129. Novembre 1917.
une nouvelle durée aux monuments de l'ancienne
France. Il n'y a plus qu'à les préserver de nouvelles
déprédations. Or, avec les récents moyens tech-
niques : consolidation sans dépose, emploi du ci-
ment armé, on peut faire beaucoup à petits frais.
Mais les édifices laissés au culte étant hors de
cause, de ces monuments, que faire? Faul Léon
est partisan de leur utilisation pratique : mairie,
musée, école, tribunal. 1 /appropriation peut imposer
certaines modilications. Elle garantit tout au moins
l'avenir de la construction, qui représente, dès lors,
une valeur immobilière. C'est aussi la seule façon de
sauver nombre d'anciens logis qui, bien que protégés
par les lois des 30 mars 1887 et 31 décembre 1913,
sont, faute d'achat par l'Etat ou les municipalités, ou
d'attribution d'indemnités sous condition, menacés
de démolition par leurs propriétaires.
La question brillante des restaurations d'après-
guerre n'est pas altordée dans le présent volume.
Pourtant, son auteur l'a étudiée, ainsi qu'en témoi-
gnent d'excellentes pages, ailleurs publiées, sur
statue de la duchesse de Berry, & la cathédrale de Bourges.
tRestauratiun arbitraire de la tête, exécutée en 1S28.)
V Architecture rurale dans la France envahie. Mais,
pour les Monuments historiques, le problème est
complexe. Quoi qu'en pensent certains esprits, qui
accepteraient d'un cœur léger la disparition totale
de tels ou tels monuments, il est certain qu'il fau-
dra reconstruire. Reims demeurant éternellement
en ruine n'est qu'un mol. Aucun de ceux qui ont
admiré la silhouette de ses éditices religieux ne
poui-ra accepter cette ville sans sa cathédrale. Ici, à
moins d'un nivellement par l'artillerie que notre
pensée se refuse à accepter, il faudra ressusciter le
passé avec les éléments dont on dispose. Ailleurs,
des soins discrets atténueront les blessures. Là
seulement où il ne restera rien, les initiatives
nouvelles seront légitimes. Quoi qu'il en soit, le
livre de Paul Léon nous offre une récapitulation de
faits, un recueil d'expériences qui peuvent tenir lieu
du CI corps de doctrines » que, modestement, il s'est
refusé à CoUiger. — Charles Sin.Msa.
Morale kantienne et Morale Iiu-
maine, par Félix Sartiaux (Paris, 1917, in-8°).
— Napoléon I" confondait dans un égal mépris
Cagliostro, Kant et « tous les rêveurs de l'Aile-
magne ». Les pliilosophes français du xix' siècle,
bien loin de relenir cette accusation de charlata-
nisme, ont, pour la plupart, glorifié la » révolution »
kantienne. Liard compare Kant à Socrate et loue
le phiiosophe de Kœnigsberg d'avoir rendu sa
« haute magistrature morale » à la métaphysique,
« après vingt siècles de dépossession ». La "morale
de l'école éclectique et celle des néo crilicisles
(Kenouvier, Pillon, Dnuriac) sont parties du point
de vue kantien. La notion de « devoir », telle que
l'ont exposée, durant bien des années, nos manuels
scolairps, est d'inspiration kantienne. Pendant
combien de temps les thèses pfiilosophiques de
doctorat es lettres ont-elles reproduit, avec des
variations brillantes, la doclrine essentielle des
LAROUSSE MENSUEL
deux Critiques! Cela commençait par un jeu de
massacre : tous les arguments ontologiques des
Platon, des Arislote, des Descaries et des Leibniz
élaientd'abord réduits à néant. Puis surgissait le ma-
gicien moderne, r« impératif catégorique ». Aussitôt,
la liberté, l'immortalité de l'âme et Dieu renais-
saient sous l'égide de la loi morale, objets de
croyance et non plus de science. Aujourd'hui encore,
si les kantistes purs sont rares, Kant a conservé,
cependant, des admirateurs dévots dans l'Université
française.
On sait que les quatre-vingt-treize intellectuels
allemands, qui ont signé la déclaration du 3 octobre
1914, ont jugé à propos de mettre leur apologie du
militarisme prussien sous le patronage de tjœthe,
de Beethoven et de Kaut. Aucun Français n'a cru
nécessaire de défendre Gœtheni Beethoven de cette
imputation calomnieuse. Au contraire, la mémoire
de Kant a paru compromise à quelques-uns de ses
fidèles, et 'Victor Basch, professeur à la Sorbonne,
s'est efforcé de prouver que le pangermanisme était
étranger à la pensée de Kant. Il est contredit par
Félix Sartiaux, qui pense avoir découvert dans les
écrits kantiens au moins les germes des conceptions
sauvages énoncées par Treitschke et mises en pra-
tique par les troupes impériales. Il oppose la morale
« numaine » à la morale de Kant, les enseigne-
ments de l'expérience aux systèmes arbitraires, les
sentiments réels des hommes aux formules absolues.
Son gros volume de plus de quatre cents pages est
de lecture facile et parfois même amusante. C'est
un peu un pamphlet de guerre, qui ne dispensera
pas de consulter les grands travaux de Boutroux et
de Delbos ; mais un certain parti pris de dénigre-
ment n'a pas empêché l'auteur de bien comprendre
la philosophie de Kant, d« l'interpréter avec une
clarté dont le philosophe allemand était incapable et
de la critiquer avec beaucoup de force et de finesse.
P. Sartiaux n'est pas un « professionnel ». Son
domaine est plutôt l'archéologie. 11 a publié naguère
un livre agréable intitulé: Troie, la guerre de Troie
et les origines préhistoriques de la question
d'Orient (1915). Ce n'est pas sans intérêt qu'on le
voit appliquer aux recherches philosophiques les
méthodes de l'histoire et de la philologie: il a voulu
faire la psychologie de Kant et retrouver la genèse
de ses idées. La tâche était assez nouvelle, car, jus-
qu'ici, les historiens de la philosophie s'étaient le
plus souvent bornés à grouper en un système cohé-
rent les idées, quelquefois disparates, répandues
dans les publications de Kant, après sa conversion
au criticisme.
Bien que le but de l'auteur soit une réfutation de
la morale kantienne, il a donné d'abord une brève
analyse de la Critique de la raison pure, dont la
méthode originale a été suivie par Kant dans ses
écrits postérieurs, notamment dans ses ouvrages de
morale. F. Sartiaux nous montre donc Kant, dans
son fétichisme pour une science une, intégrale et
absolue, affirmant l'existence en l'esprit humain de
formes universelles, nécessaires et antérieures à
toute expérience, filets inévitables qui prennent les
« choses » et les emmaillotent si bien que l'esprit ne
feut plus prétendre à les connaître en elles-mêmes,
l fait, naturellement, les réserves nécessaires sur la
théorie kantienne de l'espace et du temps et sur la
réalité des jugements synthétiques à priori, fonde-
ments supposés des mathématiques et même de la
pliysique. Il décerne, d'ailleurs, des éloges à l'inven-
teur ingénieux de cette construction artificielle :
(I Kant, dit-il, a donné une impulsion féconde à
l'Idéalisme. » Mais il a « poussé jusqu'à des conclu-
sions intenables l'idée juste et profonde » de son
système. On ne saurait, en effet, sans injustice,
blâmer Kant de n'avoir prévu ni l'analyse bergso-
nicnne des idées d'espace et de temps, ni la critique
qu'a faite Henri Poincaré des principes mathéma-
tiques. Mais F. Sartiaux a raison d'insister sur la
tendance de Kant au dualisme, qui se révèle dans
l'opposition radicale établie entre l'esprit et les cho-
ses, sur son goiit excessif pour les classifications
symétriques et sur l'abus qu'il fait de déductions
logiques, tirées de simples définitions de mots. Quel-
ques louanges sont accordées à la dialectique
transcendenlale, qui démontre l'impuissance de la
raison à fonder l'existence objective des idées de
substance et de Dieu : « Cette partie de son œuvre
est définitive. »
Mais la morale kantienne, soit théorique, soit
pratique, est présentée sans respect et jugée sans
indulgence. Le dualisme y reparaît, plus choquant
encore que dans la Criltque de la raison pure.
Pour justifier la science, Kant a dressé devant
les choses les formes de l'esprit. Pour fonder la
morale, il érige en face des actes humains la loi
du devoir. C'est l'application aux choses des for-
mes de 1 esprit qui constitue la connaissance; c'est
l'application de cette autre forme appelée le devoir
qui engendre la moralité. Ni l'intérêt, ni le désir du
bonheur, ni la sympathie pour le prochain ne peu-
vent avoir de valeur morale : « Le devoir est la né-
cessité d'accomplir une action par seul respect pour
la loi. » Cette loi universelle, nécessaire, antérieure
et supérieure aux faits moraux, ressemble à une
295
pierre météorique tombée des cieux aur la terre.
Son origine est, en eflet, divine, si I' « impératif caté-
gorique » n'est autre que le commandement de Dieu,
laiclsé et rationalisé. Il est né d'une fusion entre
l'idée scientifique de loi universelle et nécessaire
et la doctrine théologique qui définit le bien et le mal
d'après les ordres émanant d'un Dieu personnel. Le
dualisme de la morale kantienne reflète la double in-
fiuence qui a présidé au développement intellectuel
de Kant : le piétisme de ses maîtres Schulz et Knut-
zen et le rationalisme de 'WoIfT, disciple de Leibi .z.
C'est la survivance du sentiment religieux qui est à
la base du fameux raisonnement : «Je dois, donc je
puis, donc je suis libre. » C'est elle qui explique l'af-
firmation morale de la vie future et de l'existence
de Dieu.
On sait quelle fut la vogue de ce christianisme
démarqué. Kant a vraiment accompli une révolution
dans l'histoire de la morale. Avant lui, aucune
morale rationnelle ne s'était appuyée sur l'idée du
devoir. Platon, Aristote, Epictète, Descartes, Spi-
noza, Leibniz, Pascal même et Bossuel on l considéré
la morale comme la recherche du bonheur. Depuis
Kant, l'idée d'obligation est apparue comme le ron-
dement nécessaire de la morale. Victor Cousin,
Jouffroy, Paul Janet ne semblent pas avoir remarqué
l'origine religieuse de cette idée. Du reste, on pour-
rait soutenir que le christianisme lui-même, en fai-
sant espérer aux fidèles les joies du paradis, ne
répudie pas entièrement l'eudémonisme, c'est-à-dire
la morale du bonheur. — En cette partie de son
livre, F. Sartiaux doit beaucoup à un article vigou-
reux de Brochard, qui écrivait en 1902 : « Ceux-U
se trompent, qui persistent à voir dans la morale
kantienne un progrès sur la morale antérieure; elle
est en réalité un retour à l'âge théologique. » La ré-
volution kantienne ne serait donc qu'une régression.
Sur la détermination par Kant des devoirs parti-
culiers, F. Sari' aux observe que l'auteur de \iiléla-
p/iysique des mœurs n'énumère pas la justice parmi
les devoirs de vertu et qu'il dit peu de chose de
l'amitié. Or l'amitié tenait une place considérable
dans la morale antique, et l'idée de justice a la préé-
minence dans les théories morales contemporaines.
Une morale qui néglige l'amitié et ignore la justice
n'est pas vraiment •< humaine ». Mais les sentiments
ont peu d'attrait pour Kant. Son ambition est de
fonder une morale universelle, nécessaire et ne de-
vant rien aux considérations d'utilité, de convenance
et de sentiment. Pour décider si une maxime a le ca-
ractère d'un devoir, il en déroule les conséquences.
L'une d'entre elles se trouve-l-elle en contradiction
avec l'idée essentielle de la maxime, celte maxime
est à rejeter. Une maxime dont les conséquences
peuvent se généraliser sans jamais rencontrer de
contradiction doit être tenue pour une règle morale.
Mais F. Sartiaux, reproduisant avec queli|ues relou-
ches une critique célèbre de Schopenhauer, fait voir
que ce bel édifice logique n'est qu'une façade trom-
peuse. Sans en avoir conscience, Kant a élayé ses
démonstrations des notions mêmes qu'il se figurait
avoir exclues et, notamment, de celle d'intérêt. Nous
rencontrons encore une fois le dualisme : rationa-
lisme apparent et persistance obscure des idées
morales dues à la première éducation.
On a beaucoup vanté le libéralisme politique de
Kant et son enthousiasme pour la Révolution
française. Mais on trouve aussi dans son œuvre
l'apologie du despotisme et la condamnation des
révoltes populaires :
On ne peut admettre en ancone manière le droit de sédi-
tion, encore moins celui de rébellion et, moins encore
qu'aucune chose, de s attaquer à son souverain, sous pré-
texte d'abus de pouvoir, à sa personne ou à sa vie. La
moindre tentative de ce genre est une haute traliison, et
un traître de cette espèce, qui tente de tuer sa patrie
(parricide), ne peut être puni que par la mort. I.e ùevoir
qu'a lo peuple de supporter l'abus du pouvoir suprême,
alors môme qu'il passe pour insupportable, se fonde sur ce
que l'on ne doit jamais considérer la résistance & la légis-
lation souveraine autrement que comme illégale. (JUéia-
pliytique du droit.)
Il y a dans Kant un curieux mélange d'idées libéra-
les, popularisées par nos philosophes du xviii» siècle,
et de doctrines aulorilaires, renouvelées de Hobbes
et de Bossuet, qui ne surprennent point chez un
fidèle sujet de Frédéric 11 et de Prédéric-Guillaimne II.
Ici encore, règne le dualisme.
La même incohérence trouble ses opinions rela-
tives à la guerre. Dans son Traité de /lai'j- perpé-
/ue//e(1 795), il a déclaré que la guerre esl condamnée
par le tribunal de la Raison, et il a rédigé en neuf
articles la " charte suprême de l'humanité ». (Basch.)
Les deux paragraphes suivants (2 et 6) sont d'un inté-
rêt tout particulier, dans les circonstances actuelles :
Nul Etat, grand ou petit, no pourra jamais être acquis
par un autre Etat, ni par héritage, ni par échange, ni par
achat, ni par donation.
On ne doit pas se permettre, oans une guerre, des hos-
tilités qui seraient de nature à rendre impossible la <-on-
flance réciproque, quand il sera question de paix. Tels
seraient rusage que l'on ferait d'assassins ou d'eni)>oison-
nours. la violation d'une capitulation, rcncourak-cmeot
secret à la rébellion, etc.
"Voilà une doclrine qui ne rappelle en rien le prns-
sianisme. Mais, en des ouvrages antérieurs, Kant a
296
fait une sorte de théorie mystique de la guerre :
" La guerre, quand elle est conduite avec ordre et
respect des droits civils, a quelque chose de sublime
en sc! ». Elle est maîtresse d'énergie et développe
« jusqu'au plus haut degré tous les talents qui ser-
vent à la culture ». Elle est voulue par la Provi-
dence ; elle est dans le plan de la nature : « L'homme
veut la concorde et l'harjnonie; mais la nature sait
mieux que lui ce qui lui est bon : elle veut la dis-
corde. » F. Sarliaux trouve à cette dernière pen-
sée une couleur nietzschéenne. Les citations qu'il
a réunies habilement tendent à prouver que l'étiit
d'esprit de Kant n'est pas toujours incompatible
avec celui des intellectuels allemands férus de
militarisme.
Le chapitre qui termine le livre : " Kant et la Men-
talité prussienne, » est un réquisitoire assez violent,
mêlé de railleries. F. Sartiaux reproche au philo-
sophe ses manies, ses ridicules, l'automatisme de sa
vie matérielle, morale et intellectuelle et cite des
anecdotes plaisantes. 11 blâme surtout son égoisme,
son impuissance à comprendre les autres, son orgueil
et sa servilité envers le pouvoir. Plusieurs de ces
traits : mécanisme, vanité et soumission passent, en
elfet, pour caractériser les Prussiens.
Malgré tons ses travers et ses lacunes morales,
Kant a été honoré par ses disciples d'un culte quasi
religieux. Malgré son verbalisme, sa scolaslique
aride, sa systématisation outrancière, ses insulTi-
sances et ses contradictions, la philosophie kan-
tienne a forcé le respect et l'admiration d'excellents
esprits. Gomment s'expliquer cette méprise, si
c'en est une? F. Sartiaux estime qu'il lui faudrait
tout un volume pour répondre à cette question. Il
pense que le kantisme a plu surtout par son carac-
tère de religion la'ique. On peut lui accorder que
celte philosophie n'est guère en harmonie avec les
traditions de la pensée française. Ce n'est pas un
ennemi de Kant, mais un iiiterpi He bienveillant
de sa doctrine, c'est Victor Delbos qui a écrit en
décembre 1915 :
Il y a dans la pensée allemaDde, à partir de Kant même,
quelque chose d'éitormef l'idée de la déduction qui se pré-
pare et do la création qui s'opère dans et par l'inconscient :
— sous prétexte d'idéalisme, une tratiison de l'idée claire,
de la raison lumineuse et classique {Lettre à Xavier Léon).
Et, s'il est vrai qu'une morale puisse s'instituer
indépendamment des croyances religieuses, à la lu-
mière de l'histoire et de la sociologie, en satisfai-
sant les besoins réels des hoiumes et leur aspira-
tion au bonheur dans la justice; si l'homme moral
est un être vivant, sentant et souffi-ant, non une
entité logique, édifiée à gi-and renfort de concepts
universels et nécessaires, la morale kantienne n'est
pas une morale « humaine ». — Maurice ekocb.
Raspoutine (Grégoire Efimovitch), le favori
de la dernière cour de Russie, le dispensateur des
faveurs impériales sous Nicolas II. 11 naquit en 1864
d'un pauvre moujik sibérien, Efim Novy, à Po-
krovskoé, district de Tumen, gouvernement de
Tobolsk; dans ce village mal famé, il passa son en-
fance et son adolescence, ignorant, paresseux, sans
métier, nu jour jardinier, le lendemain maraudeur
ou postillon, plus ami de la bouteille et des jupons
que de la charrue. Il eut plusieurs fois maille à
partir avec la justice : pour vol de chevaux, faux
témoignas-e, viol dune vieille mendiante et de deux
fillettes de douze à ti-eize ans. Mais il s'en tira à bon
compte, pour quelques coups de fouet. D'ailleurs,
toute sa vie il fit honneur au surnom de « dissolu »,
de « Raspouline », qu'il s'était cyniquement donné.
Bref, rien ne faisait prévoir la brillante carrière
qui l'attendait.
Soudain, le moujik changea d'allures. Bien que
marié et pèi'e de deux filles, il se vêtit d'un froc, se
ceignit d'une corde et se fit moine vagabond, quê-
teur et prêcheur. Pourquoi cette conversion? Mys-
tère I Il avait trouvé son chemin de Damas sur la
route de Pokrovskoé au monastère de Verkhotouré,
où il eut un jour à conduire un prêtre :
La veille (raconta-t-il), comme je m'éla'is assoupi aux
champs, j'avais eu une vision. Le saint thaumaturge
Siméon était devant moi et m'ordonnait d'abandonner ma
mauvaise vie, de m'enfermer dans un monastère et de
prier pendant deux années. « Ensuite, di^il, la gloire
viendra à toi. »
Muni d'ime lettre du supérieur du Verkhotouré
pour le célèbre pèie Jean de Croustadt, Raspouline
quitta la Sibérie. Le saint national de la Russie fut
frappé de la « force surnatm-elle », de « l'étincelle
divine », qui étaient en Grégoiie Efimovitch et le
recommanda à l'archevêque Théophane, recteur de
l'Académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg.
Voici notre moujik dans la capitale, précédé déjà
d'une petite renommée de n saint », d'n homme de
Dieu ». Quelques salons s'ouvrirent pour le rece-
voir, curieux de voir et d'entendre ce moujik, aux
yeux d'un bleu sombre très pénétrants, à la forte
odeur de « bouc », aux mains agiles et fines, aux
ongles très longs et d' « une crasse incroyable », ne
sachant ni lire ni écrire et se disant r« exorciseur
des démons », le « guérisseur des passions volup-
Raspoutine.
LAROUSSE MENSUEL
tueuses », « véritable homme des bois, mais parlant
de l'amour comme un séducteur », a dit la princesse
Lucien Murât. En France, il efit vite passé de
mode. Là-bas, au pays des imaginations fortes, ar-
dentes, déséquilibrées, du penchant au merveilleux,
au mysticisme, il
trouva un terrain
si favorable qu'il
devint en quel-
ques années le vé-
ritable autocrate
de la Russie.
Son pouvoir
était absolu sur
1 ' i m p ê r a t !■ i c e
Alexandra Feo-
dorovna et, par
elle, sur Nico-
las II. N'avait-il
pasledondesain-
teté pi'ouvé par
le pouvoir des
miracles? Ne te-
nait-il pas entre
ses mains la vie
chancelante du
seul héritier, qu'elle avait désiré si longtemps, du
fragile tsarévitch (|u'elle avait la terreur de perdre?
Raspouline connaissait sa force :
Le tsar sait que ia vie de son fils unique, l'héritier,
dépend de mes prières et que je puis, moi, quand je le vou-
drai, le briser, lui et les siens, comme ces miettes Je pain...
... L'impératrice fait toutes mes volontés. Elle n'ignore jias
que le jour où elle cesserait de m'obéir, sa vie ne vaudrait
pas un fifrelin.
Voici un grand saint, dit-elle en présentant Raspoutine
à son rival, le fameux moine Uiodor, et. de plus, un homme
d'une grande intelligence; tu dois lui obéir.
Voiciletondeslettresdel'impératriceàRaspoutine:
Je vous aime et n'ai foi qu'en vous. Dieu veuille nue
nous nous revoyions bientôt. Je vous embrasse. Votre fille.
L'isba des Novy, à Poki-ovskoé, se remplit de
meubles magnifiques, de tapis de prix, de portraits
du tsar et de la tsarine ornés de leurs autographes
et de chemises brodées de la main même d'Àlexan-
dra Feodorovna.
Sa théologie morale tient en quelques lignes :
Le salut s'achète par le repentir. Mais, où il n'y a point
péché, il ne peut y avoir repentir. Péchez donc, pourvu
que vous ne péchiez pas par vénalité et que vous vous
repentiez. Pour cela, il faut qu'on se confonde avec moi
âme et corps. Tout ce qui vient de moi est la lumière, pu-
rifiant les péchés d'autrui.
Tel est ce mélange intime de grossièreté et de
religiosité, de mysticisme et de luxure. Les « traite-
ments spirituels » du « saint » sont du même goût,
et il a institué une étrange thérapeutique morale
dans un établissement de bains de Petrograd. Ren-
seignés par leurs pénitentes, l'archevêque Théo-
phane, l'évêque Ermogène, le pèi-e Iliodor n'hési-
tent pas à dénoncer le puissant thaumaturge devant
le saint-synode (1912).
Raspouline se défend ainsi :
Il est vrai que j'ai conduit au bain ces pauvres malades
du corps et de l'âme et que j'y suis resté avec elles, mais
par là j'ai prouvé de manière éclatante et mon pouvoir do
guérir et mon empire sur moi-même.
Le procès eut son écho à la Douma ; le député octo-
brisle Goutchkov s'écrie :
La sainteté de l'autel et celle du trône sont en péril.
C'est un ulcère qui dévore le cœur du peuple.
Le scandale était trop grand, Raspoutine dut
s'éloigner. Il partit en proférant des menaces. Et,
comme la santé du tsarévitch vint aussitôt à se
ressentir de cet éloignement, l'impcralrice obtint le
retour du « thaumaturge » et la punition des accu-
sateurs : Iliodor est exilé, les deux évêques sont
disgraciés.
Ce laïc sans alphabet triomphait des évêques el
des vrais moines. Il devient tout-puissant sur l'Eglise
orthodoxe, il fait des évêques et il fait des saints.
Son compagnon de farces et de jeux, le jardinier
Varnava, devient évêque de Tobolsk, sachant tout
juste lire et écrire. L'ancien jardinier et l'ancien
postillon se piquent de faire béatifier un prêtre du
gouvernement de Tobolsk, nommé Jean. L'Eglise
orthodoxe se regimbe contre tant de prétention. Le
procureur du saint-synode, l'honnête Samarine,
démissionne: des évêques veulent le suivre en
nombre; un prêtre-député s'écrie à la Douma :
Notre devoir est de crier bien haut, si haut que toute
la Russie orthodoxe puisse nous entendre, que l'Eglise
orthodoxe est en danjrer... Oui, je ne sais quelle main
boueuse s'avance vers l'Eglise pour saisir les rênes de ses
destinées.
Mais le tsar tient pour ses deux protégés contre
le vœu de toute l'Eglise.
Au printemps de 1911, Raspouline s'embarqua à
Odessa pour la Terre sainte. Tout bon orthodoxe se
doit d'aller en Palestine. En 1915, il fit paraître à
Petrograd le récit de son pèlerinage. (Grégoire
Raspoutine : Aies pensées et me'ditations, brève des-
cription d'un voyage aux Lieux saints, avec des
«• 729. Novembre 1917.
réflexions sur les questions religieuses, l" partie,
Petrograd, 1915; n>= partie, fac-similé d'écriture).
Cet écrit, paru quatre années après l'événement, a
un but apologétique, polémique, très transparent.
Raspoutine vit avec sa puissance s'acci-oitre le
nombre de ses ennemis. En juillet 1914, il faillit
périr assassiné en gare de Tumen, par une femme
qui lui déchaigea son revolver dans le ventre. Sa
forte constitution le sauva cette fois. Quand la guerre
éclata, en août 1914, Raspoutine est parvenu au faîte
de sa puissance. « De simples billets écrits de sa
main sur des chiffons de papier et adresses par lui
à des ministres ou à des directeurs suffi.saient à pro-
curer des places aux gens qu'il pi'oposait ». Il em-
ploya celte influence à entraver la poursuite de la
guerre. Il fut le meilleur instrument de la politique
germanophile en son pays :
Tous ces idiots qui entourent le tsar ne lui ont fait faire
que des sottises; moi, (jui no suis qu'un simple paysan,
mais à qui Dieu le Seigneura parlé et transmis ses ordres,
j'ai dit au tsar que la guerre est un crime et que la guerre
serait sa perte. Je sais bien que de grands personnages
ont voulu m'écarter. Je crache sur eux. Je sui.s plus puis-
sant qu'eux tous. J'en connais trop long. L'esprit de Dieu
est en moi, Grégoire, son serviteur. Tu seras étonnée
de ce qui adviendra l'un de ces jours, ma fille (à la prin-
cesse Uadziwill), mais il faut que je travaille d'abord à
finir cette guerre.
C'est la triste période des « influences occultes »,
des catastrophes militaires, des changements de mi-
nistres. Nicolas 11 semble ne rien voir. Les avertis-
sements, pourtant, ne lui firent pas défaut. L'impé-
ratrice douairière, veuve d'.\lexandre 111, brouillée
avec sa belle-fille à cause de Raspoutine et de sa
clique, eut un long entretien avec Nicolas II à Kiev,
où elle lui demanda le renvoi du favori. Ce fut en
vain. Les grands-ducs ne cachaient pas non plus
leurs sentiments. NIcolas-Nicolaevitch le détestait
ouvertement. On lui prête beaucoup de mots contre
le favori :
Si tu tiens à garder ta tête sur tes épaules, abstiens-toi
de venir. (Raspoutine voulait aller au grand quartier.)
C'est singulier, la sainte Vierge m'est apparue à moi aussi
et m'a dit que je devais te donner du pied au derrière.
Le grand-duc Nicolas fut pour ce envoyé au Cau-
case. Nicolas Mikhai'Iovitch écrivit au tsar :
Tu m'as déclaré souvent que tu n'avais confiance en
personne et que tu étais constamment trompé. S'il en est
ainsi, cela est surtout vrai de ta femme, qui t'aime et qui
t'induit en erreur, entourée qu'elle est de personnes domi-
nées par l'esprit du mal.
AlaDouma, Milioukhov,Pourichkévith,Bobrynski
dénoncent courageusement Raspoutine (14 novem-
bre 19lfi). Même dénonciation au Conseil d'empire
(9 décembre). Nicolas II reste sourd. C'est aloi-s qu'un
complot s'ourdit contre la vie du favori. Les conju-
rés, qui ont gardé leur .secret, l'attirent au palais
du prince Youssoupov, marié à la propre nièce de
l'empereur, et le tuent (17-30 novembre 1916). Son
corps fut retrouvé sous la glace, deux jours après,
sous le pont Pétrovsky. L'empereur, Protopopov,
des minisires, de hauts dignitaires voulurent porter
sa dépouille. Derrière, suivaient en pleurs la tsarine,
Mme Vyronbova, des dames de la cour. On lui éleva
un tombeau dans les jardins de Tsarskoié-Sélo. Là,
presque chaque jour, une calèche s'arrêlait, d'où des-
cendait en voiles de deuil Alexandra Feodorovna.
Ainsi disparut, bizarre, ignorant, débauché, impos-
teur, mais peut-être, en quelque mesure, dupe de lui-
même et siirement doué d'une certaine force, Ras-
poutine, le dernier saint du dernier tsar. — s. reuleii.
* seizaine n. f. — Espace de seize jours ; salaire
ou indemnité que l'on paye tous les seize jours :
Le pmjement des allocalions par seizaine a été
substitué au payement par huitaine.
Successions militaires (les) '[s»t/e]. —
Sticcessions des officiers. — Les successions des
officiers et assimilés, adjudants, aspirants, pilotes
aviateurs, comprennent généralement des cantines,
des valises, des sacs de sellerie, dos caisses, en un
mot des colis volumineux dont la réception et l'ex-
pi'dition sont accompagnées d'ordi-es de transport.
Elles se composent, dans la plupart des cas, de
titres, valeurs, objets précieux, elTets personnels,
documents divers. Un soin tout particulier doit donc
être apporté à leur liquidation, à raison même de
celte importance.
C'est dans ce but qu'un service spécial, qui n'est
qu'une annexe du service des liquidations, a été
chargé du règlement de ces successions.
Successions en retour. — Malgré toules les pré-
cautions qui peuvent être prises, il se produit iné-
vitablement des erreurs dans la liquidation et l'en-
voi des successions.
L'erreur remonte parfois au moment du départ
des objets du front. C'est ce qui arrive lorsqu'un
même paquet contient des objets appartenant à dif-
férents militaires, ou qu'un paquet est envoyé au
Bureau des successions militaires, à un autre nom
que celui de son véritable propriétaire.
D'autres erreurs peuvent provenir de l'inexpé-
rience du personnel, telles que les erreurs d'expé-
dition : une expédition faite, par exemple, à Ville-
N' 129. Novembre 1917.
franche (Rhône) au lieu de Villefranche
deux paquets expédiés l'un à la place de l'autre.
Enlin, des retours proviennent de cas de force
majeure : les ayants droit ont changé d'adresse au
cours de l'enquête, ou sont décédés.
Dans ces divers cas, les maires ne peuvent effec-
tuer la remise des paquets, ou bien les familles, qui
ne reconnaissent pas les objets qu'ils contiennent,
les retournent au bureau des successions mililaiies.
Di's leur retour, sauf, bien entendu, dans le cas
d'erreur matérielle, les paquets sont inventoriés
strictement; tous les éléments d'identification trou-
vés dans les documents qu'ils renferment sont soi-
gneusement notés, toules recherches complémen-
laires sont elTectuées pour découvrir les véritables
ayants droit, et ce n'est pas toujours chose facile.
Un militaire est décédé, laissant deux enfants mi-
neurs nés de deux lits différents sous la tutelle lé-
gale de leur grand-père. Les quelques souvenirs du
défunt sont envoyés au tuteur; mais le grand-père
est mort sur ces entrefaites; l'un des enfants a été
confié à une vieille parente, l'autre à une œuvre
d'orphelins de la guerre. Les droits des enfants sont
égaux, les reliques ont le même prix pour eux. Au-
quel d'entre eux les remettre?
Idenlificalions difficiles. — Les successions arri-
vent fréquemment au B. S. M. avec des indications
erronées portant sur les noms, prénoms et les corps
auxquels les militaires appartiennent. Ces erreurs
se produisent généralement quand un militaire,
grièvement blessé, s'exprime difficilement, donne
un nom mal entendu, des prénoms inexacts, se
trouve dans un important convoi de blessés, au mi-
lieu de camarades qui n'appartiennent pas à son
unité. Un nom mal écrit, un prénom omis, le nu-
méro du corps déformé sont autant de sources d'er-
reurs, difficiles parfois & réparer: Bonay donné pour
Bonnet; 73« d'infanterie pour 173'; Martin Adolphe
pour Martin Victor-Adolphe nécessitent des recher-
ches parfois très complexes.
Les documents trouvés sur les cadavres ne don-
nent pas toujours des renseignements bien précis.
Une succession arrive sous le nom Elier. Ce nom
a été pris sur un fragment de lettre trouvé sur le
corps. Grâce à l'indication du lieu d'expédition, l'en-
quèle a permis de découvrir le militaire décédé qui
s'appelait Elle R... Le prénom avait été pris pour
le nom.
Une caisse d'officier arrive avec la seule indica-
tion : Il Armour, officier. » L'ouverture de la cantine
a fait découvrir des papiers permettant d'identifier
le propriétaire de cette caisse, qui avait été vaine-
ment recherché sous le nom d'Armour. Le nom du
fabricant de conserves Armour, de Chicago, inscrit
sur la caisse, avait été pris pour le nom de l'officier
décédé.
Dans d'autres cas, l'identification n'est possible
qu'en soumettant
à l'examen des
familles intéres-
sées les objets re-
cuillis.
C'est ainsi
qu'une succes-
sion étantarrivée
auB.S.M.aunom
de Tropez, sans
autre indication,
corps présumé,
1" régiment de
marche d'Afri-
que, l'enquête
fait découvrir
deux militaires
du même nom à
ce même régi-
ment, décédés
tous les deux &
la même époque
et dont les deux
fa''milles habitent
Alger. La confu-
sion entre les
deux militaires
n'a pu êtredissi-
fiée qu'en présentant successivement auxdeux famil-
es, par l'entremise du maire d'Alger, lesobjets reçus.
Inconnus. — Le B. S. M. reçoit des paquets ou des
colis trouvés dans la zone des armées, dans les can-
tonnements ou sur des cadavres non identifiés, dont
les propriétaires inconnus ne sont pas dénonnnés.
Les objets ainsi reçus sont présumés avoir appar-
tenu à des mili laires décédés, et toutes recherches u li-
lessont immédiatement entreprises pour l'identifica-
tion de leurs propriétaires au moyen des otjjets reçus.
Le Bureau a réussi, dans bien des cas, des identifi-
cations trc's difficiles.
Le numéro porté sur une montre, une adresse de
tailleur figurant sur un vêtement, une photographie
avec l'adresse du photographe, ont permis de dési-
gner les propriétaires des ol)jets.
Testaments. — Nous avons vu que les testaments
trouvés dans les papiers des militaires étaient
adressés directement au B. S. M. par pli séparé. Au
LAROUSSE MENSUEL
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I. Gozo/- —
S^JaValleWW
_, MalW -> i .'! V
'"^-L^mpeduaa y \ \ \
Lcâ grands fonds de la McdîLerraDée, au aord et au sud du di^troit de Messine.
cours des inventaires entrepris au B. S. M., il est
découvert parfois des documents constituant des
actes de dernière volonté.
L'usage s'est établi de transmettre ces testaments
à la seclion des Archives du ministère de la guerre,
qni reçoit déjà les testaments authentiques établis
aux armées. Celle-ci en fait la remise au président
du tribunal civil du domicile du testateur pour être
déposés en l'étude du notaire de la famille.
Lorsque le testament est ouvert et déposé, le ser-
vice se met en rapport avec le notaire chargé de la
liquidation de la succession, et c'est à lui qu'il adresse
les objets et les titres de la succession, en sa qualité
de mandataire légal des parties, surtout lorsque les
ayants droit ne sont pas d'accord.
Disparus. Prisonniers. — Une section spéciale
liquide les objets parvenus au B. S. M. ayant appar-
tenu à des militaires dont le décès n'a pu être établi,
ou qui sont prisonniers.
Dans le premier cas, sur la jusiification de l'acte
de disparition, les objets sont remis après un délai
La station biologique de Messine. — Façade du cûlé sicilien, mr.
. Il's rt'servoii-s d'eau de mer.
de six mois de la date de la disparition à l'épouse,
aux descendants ou ascendants, ou à un séquestre
ou à un administrateur judiciaire.
Les biens des prisonniers sont renvoyés au dépôt
de leurs corps, ou remis h toutes personnes munies
d'une autorisation spéciale du prisonnier donnée par
une simple lettre, revêtue du timbre de la komman-
dantur, ou à son mandataire porteur d'une procura-
lion donnée antérieurement.
Benseif/nemenls au pul>lic. — 11 existe, i l'entrée
de l'immeuble 1, rue Lacretelle (Paris), un bureau
spécial chargé de répondre aux demandes verbales
de renseignements des parents ou des amis des mi-
litaires décédés. Si les véritables ayants droit se
firésentent munis de toutes lesjustiflcations voulues,
a remise des objets leur est j'aite immédiatement,
contre décharge.
Conseils pour obtenir rapidement la délivrance
des successions. — Les veuves, héritiers, légataires
ou autres ayants droit qui désirent recevoir sans
aucun retard les effets ayant appartenu à des mili-
taires décédés aux armées peuvent adresser une de-
mande au chef du Bureau des successions militaires,
1, rue Lacretelle. Cette demande doit être accompa-
gnée d'un certificat d'hérédité indiquant les nom,
prénoms, domicile exact de l'ayant droit. Ce certificat
peut êtie établi sur jiapier libre par le maire du do-
micile du défunt ou de l'ayant droit, par le juge de
paix ou un notaire.
En cas d'existence de plusieurs ayants droit, ils
devront s'entendre pour désigner un mandataire
commun et transmettre au B. S. M. un pouvoir
régulier.
La liquidation d'une succession, du moment où elle
est parvenue au B. S. M., nécessite en moyenne un
délai de cinq à six semaines; de nombreuses succes-
sions sont liquidées dans un délai plus court, mais
la difficulté de se procurer des renseignements occa-
sionne parfois des retards que les intéressés peuvent
réduire en s'adressant directement au Bureau.
L'envoi des successions est effectué par poste on
par chemin de fer, en franchise, par l'entremise des
maires du domicile des ayants droit.
Conclusions. — Il n'est pas possible de donner le
chiffre, même approximatif, du grand nombre de
successions entrées au B. S. M., qui y sont conser-
vées ou qui ont été transmises aux familles, mais
l'œuvre accomplie par ce service est considérable.
.Vprès les tâtonnements du début, la machine est
aujourd'hui bien au point, et les familles de nos
glorieux morts peuvent lui accorder toute leur
confiance.
Malheureusement, pour des raisons que tout le
monde comprendra, les souvenirs de nos morts ne
sont pas, ne peuvent pas toujours être recueillis
(cadavres non retrouvés), ou ne parviennent pas au
B. S. M. (trains bombardés, bateaux coulés).
Le B. S. M. s'applique de toutes ses forces à don-
ner satisfaction aux familles; les pieuses reliques qui
lui parviennent font l'objet des soins les plus atten-
tifs; toutes les précautions sont prises pour leur
conservation et leur acheminement normal vers les
êtres chers qui aspirent à les recevoir et les atten-
dent, stoîqucs et graves, pour pouvoir les honorer
dans un suprême hommage de reconnaissance,
d'amour et de foi. — Edouard bodrès.
Thalassogra'Pbique Italien (le Comité
royal). Les Italiens ont entrepris, depuis quelques
années, une œuvre scientifique de premier ordre :
les applications aux industries les plus diverses des
ressources de toute sorte que l'on peut tirer de la
mer. Il est très important de faire connaître en
France, où ce mouvement scientifique est & peu
prés ignoré, sauf de quelques spécialistes, l'origine
et le mécanisme de cette œuvre, appelée à rendre à
nos voisins les plus éminenls services. L'Italie la
doit à son » Comité royal thalassographlque italien »
(Heriio Comitalo talassor/rafico italiano : H. C. T. /.\
Cette dénomination, un peu compliquée, appelle
une explication; nous traduirons le mot « talasso-
giafico » par océanographique, ce qui indiquera
tout de suite le but de 1 institution. Quant au mot
regio, il montre qu'il s'agit d'une œuvre officielle-
ment reconnue et patronnée par l'Elat, qui, en rai-
son de son importance, la considère comme un de
ses services légalement constitués. C'est donc tout
298
autre chose qu'un simple comilé ou qu'une société
privée, ce que, d'ailleurs, elle était à ses débuts;
mais son développement a marché si vite qu'elle est
devenue un grand organisme d'Elat, rendant di"jà
d'importants services et appelé à un avenir des plus
intéressants. La guerre, si elle a diminué l'activité
du Comité, ne l'a point arrêtée, et les préparants
continuen-t pour qu'aussitôt après la cessation des
hostilités, son action reprenne tout son essor.
La situation géographique de l'Italie dans la Mé-
diterranée est telle que les travaux océanogra-
phiques, exécutés au large de ses eaux territoriales,
arrivent de toute part et rapidement au contact des
mers baignant les côtes des nations voisines. Aussi
les questions scientiliques deviennent-elles bientôt
internationales et touchent-elles promptement aux
LAROUSSE MENSUEL
colonies. Il suffit de signaler, à titre d'exemple,
quelle importance il y aurait h résolument aborder
1 étude des moyens pratiques d'utiliser la force des
marées. Nous laissons perdre des millions de che-
vaux-vapeur et, pourtant, si, depuis quelques années,
on avait sérieusement souKé à en tirer parti, la ques-
tion du charbon ne se poserait plus.
Revenons au Comité thalassographique italien.
Son origine, très modeste, remonte à 1881. Un
ingénieur-hydrographe, Magnaghi, l'un des précur-
seurs de l'océanographie, et le professeur Giglioli
commencèrent des recherches marines qui n'étaient
qu'un essai préliminaire. Ils s'adressèrent à l'aca-
démie des Lincei pour assurer la continuité de leurs
travaux. Sur le rapport de l'illustre savant Blaserna,
présidant une commission composée de représen-
%!Ï&Ï^S^^
La station biologique italienne {+) à l'entrée du port de Messine, en bordure sur le détroit.
questions économiques. C'est pour ces raisons
qu'avec la meilleure grâce du monde nos amis ita-
liens nous ont convié, déj.i depuis plusieurs années,
à prendre part aux conférences préliminaire.-s char-
gées d'élaborer un vaste plan de recherches océano-
graphiques à exécuter de concert avec eux. On
verra, en lisant cet article, combien il est utile et
nécessaire pour la France de répondre à l'offre de
collaboration de l'Italie et de poursuivre avec elle,
dans la Méditerranée, l'œuvre dont elle a déjà exé-
cuté chez elle une notable partie, suffisante pour
mettre en évidence tout son intérêt. Les Espagnols
ont accepté celle collaboration; ils travaillent acti-
vement de leur côté; ils ont même commencé divers
travaux préliminaires et suivent les plans proposés
sur quelques points particuliers, en altendant que
les circonstances permettent de le faire partout. La
collaboration de l'Autriche-Hongrie fut effective jus-
qu'à la guerre.
La France peut-elle rester la seule puissance rive-
raine de la Méditerranée occidentale qui ne ferait
rien? Peut-elle accepter de laisser ses voisins et
rivaux effectuer dans ses eaux européennes et afri-
caines la part qui luirevienllégitimement? Ce serait
déjà un échec moral grave, s'il n'était question que
de recherches de science pure, n'ayant qu'un intérêt
théorique pour une poignée de savants. Mais ce
n'est là qu'un petit côté de la question, car les tra-
vaux en vue sont la base même de recherches in-
dustrielles multiples relatives aux pêches, à la vie,
à la reproduction, aux migrations des poissons, aux
produits commerçables que l'on peut en tirer. Puis
il s'agit de faire la carte du fond de la Méditerranée,
qui est, bien que cela semble étonnant, une mer très
mal connue, d'en étudier les courants, les marées,
la composition des eaux, leur chimie et leur phy-
sique, l'utilisation des plantes marines littorales, etc.
Notons encore toutes les questions de météorologie
?ui peuvent entrer dans ce vaste programme, où les
taliens ont même introduit l'aviation dans ses rap-
ports avec la navigation. Ajoutons à cette liste les
questions relatives au personnel marin, aux écoles
de pèche, de pilotage, etc., qui appellent souvent
des solutions inlernalionales.
Hemarquons, en outre, que, si la France se déci-
dait à collaborer à ces travaux avec les autres na-
tions riveraines de la Méditerranée, rien ne l'eiripê-
cherait de profiler de cette organisation pour étendre,
ponrson compte personnel, une partie du programme
à ses eaux de l'Océan et de la Manche el de ses
tanls de cette académie et des ministères intéressés,
une première campagne thalassographique fut exé-
cutée, en aoûtel septembre 1883, par le Washington;
elle servit en quelque sorte d'expérience; puis les
choses en restèrent là jusqu'en 1908. C'est alors que
la Société italienne pour le progrés des sciences
(qui correspond à notre Association française pour
l'avancement des sciences) reprit la question et
institua un comilé provisoire qui se réunit à Home
et à Padoue en 1909 et commença im-
médiatement, sous les auspices du mi-
nistère de la marine, une série de
croisières périodiques. 11 faut, dès
maintenant, signaler l'activité féconde
d'un grand savant italien, le profes-
seur-sénateur Vilo Volterra, qui fut
réellement l'initiateur et l'âme de ce
comité ; la France l'a appelé à l'aire à
la Sorbonne un cours de hautes ma-
thématiques, et il a été nommé corres-
pondant de l'Académie des sciences de
Paris. Nous retrouvons à côté de lui le
professeur Blaserna, également membre
correspondant de notre Académie des
sciences, le professeur-sénateur Grassi,
le professeur Vinciguerra, le chimiste
Bruni, l'ingénieur Ravà, l'hydrographe
Magrini,ramiralCattolica,etc.Tonsce3 o, *, c, trois
hommes sont connus pour leurs beaux
travaux dans les sciences de la mer : biologie, hydro-
graphie, chimie, etc.
En 1910, le gouvernement italien, sur la proposi-
tion des minisires Luzzalti et amiral Gattolica, ilècida
de Iransfornier ce comilé privé en un organisme
d'Etat. La loi fut promulguée le 1" juillet 1910 et
complétée par une autre, le 3 juin 1913. En voici
les traits caractéristiques :
Akticle 1". — Est institué le R. C. T. I., a^aat fonc-
tions executives pour l'étude pliysico-chimiquo et bio-
logique des mers italiennes, en tant qu'elle se rapporte
surtout à l'industrie do la navigation et de la pèclio et
pour l'exploration de la liaute atmosphère dans ses rap-
ports avec la navigation aérienne.
Le Comité aura à sa disposition et administrera les
revenus suivants : 1° Contnmition du gouvernement de
60.000 francs par an ; 2" Contributions fixes ou temporaires
d'aures administrations publiques, de corps scientifiijues
et privés ; 3" Le ministère de la marine pourvoit aux
moyens de transport pour les croisières et les campagnes
thalassograpliiques ; 4° Une somme de 100. OOO francs, on
cinq aoauitcs, est attribuée à la construction et à l'ameu-
ti- 129. Novembre 1917.
bloment d'une station dite Institut centrât de biologie
marine à Messine.
La loi organise ensuite le Comité, où nous trouvons
un sénateur et un député élus par leurs collègues,
deux délégués de la Société italienne pour l'avan-
cement des sciences, un du Syndicat technique des
pêches, les présidents des académies et sociétés scien-
tifiques qui contribuent aux dépenses, du Magistralo
aile Acque, de la Commission géodésique, du Conseil
des pêches, du Bureau cenlral météorologique, de
rinstilut hydrographique, de la Ligue navale, les
directeurs de l'Ecole navale, de la marine mar-
chande, de l'aéronautique militaire, enfin les techni-
ciens appelés dans son sein par le conseil lui-même.
Cette énuméralion, un peu longue, donne bien
l'idée (les intentions et du but poursuivi par cette
réunion de spécialistes coiupétenls.
Le siège officiel du Comité est à Gênes, auprès de
l'Institut hydrographique; cependant, les réunions
du bureau directeur ont presque toujours lieu à
Rome, au ministère de la marine; mais le Comilé se
réunit tous les ans, dans une ville différente, en
co'incidence avec le congrès de l'Association pour le
progrès des sciences.
Le personnel scientifique du Comité est composé
de spécialistes en diverses sciences, d'assistants et
de préparateurs biologistes, plus spécialement versés
dans les questions de pêche; les autres, physiciens,
chimistes, aviateurs. Ils résident auprès des divers
Instituts du Comilé, notamment à la station de Mes-
sine, à l'université de Padoue; là, sous la direction
du professeur Bruni, se font les analyses spéciales
à la chimie marine el, sous la direction du profes-
seur de Marchi, sont coordonnées les observations
hydrographiques.
Une des organisations scientifiques qui donnèrent
les meilleurs résultats futcelle de ces croisières pério-
diques préparées par la campagne du Was/dnglott.
11 s'agissait d'étudier, aux diverses saisons de l'an-
née, dans des points parfaitement déterminés
d'avance, les modifications physico-chimiques de
l'eau de mer à dilférenles profondeurs. Mais ces
observations devaient être rigoureusement faites,
suivant des méthodes précises et fixées une fois
pour toutes. Le Comité se mit en rapport avec le
gouvernement austro-hongrois; lise réunit à Venise
avec ses délégués pour conclure un accord prélimi-
naire. Une commission internationale fut nouiiiiée,
qui se réunit plusieurs fois à Monaco, sous la pré-
sidence du prince Albert pr; elle arrêta le plan de
travail à faire dans l'Adriatique, détermina dans celte
mer les lignes transversales et longitudinales sui-
vant lesquelles le navire devait exécuter des obser-
vations et précisa les méthodes d'étude des maté-
riaux recueillis. Cette première organisation fut le
germe d'où sortit un programme beaucoup plus vaste,
applicable à toute la Méditerranée, que la guerre
actuelle a fait remettre à des temps meilleurs.
Il fut réalisé dans l'Adriatique, régulièrement
tous les trois mois, quatorze croisières, jusqu'à lélé
de 1914. C'est le navire le Cyclope qui, pour le
compte du gouvernement italien, fit ces croisières
en suivant un réseau de huit lignes transversales.
états successifs de la larve de l'anguille vulgaire (leptocéphale).
Tous les dix milles marins, il fit une station, dite de
« premier ordre », en recueillant des échantillons
d'eau à la surface, puis à 5, 10, 20, 30, 50, 100, 200,
500 mètres et au fond, avec les températures corres-
pondantes. Dans les intervalles, on fit des stations
plus courtes; partout, on exécuta des pêches de
toutes sortes, des prises de plancton, des observa-
tions météorologiques, des dosages des gaz dissous
dans l'eau, des études sur la transparence de l'eau,
les dépôts du fond, les courants, etc. Les matériaux
et les observations innombrables furent répartis
entre plusieurs spécialistes pour être étudiés; leurs
travaux sont puldiés dans un recueil (|ni a pour litre
Bulletin de la Commission permanente inlernalio-
nale pour l'élude de V Adriatique.
Dans les intervalles des croisières régulières, on
en exécuta d'autres acces.soires, notamment sur les
côtes de Libye, pour l'étude des bancs d'épongés;
puis on en fit spécialement, pour l'étude des pois-
sons, dans les mers Ionienne et Thyrrhénienne. en-
fin sur les côtes albanaises pour l'étude de la lecb-
N' 129- Novembre 1917.
nique scientifique de la pêche. Il faut encore citer
une croisière spéciale pour l'étude des dommages
causés aux câbles télégraphiques sous-marins par
les animaux perforants.
Toutes ces imporlaiites recherches furent con-
fiées à de hautes personnalités scientifiques; le
commandement des navires était entre les mains
d'officiers savants, spécialistes de la marine royale
italienne. Maisd'au-
tres travaux étaient
organi^^ésenvuedes
recherches dans les
eaux littorales. On
croit généralement
que la Méditerra-
née est une mer
satis marées; il est
vrai qu en bien des
points du lilloral
elles ne sont pas
apparentes, du
moins pour les pro-
fanes; mais, dans
d'autres, elles sont
très marquées,
d'amplitude et de
rythme variés. Ce
sont justement ces
variations locales
qu'il s'agit d'étudier
et qu'il taudrait sui-
vre, non seulement
sur les côtes ita-
liennes, mais sur
tout le lilloral mé-
diterranéen. Aussi
le Comité a-t-il ins-
titué une commis-
sion maréographi-
que, chargée d'or-
ganiser les recher-
ches par rapport à
l'hydrographie, à la
navigation, aux Ira-
vaux publics. Elle a
institué un réseau
maréographique de
premierordre, com-
posé de dix -sept
stations, réparties
sur le littoral ita-
lien, sarde et sici-
lien ; les observa-
tions y sont faites
avec des appareils,
selon des méthodes
identiqueset un syn-
chronisme absolu.
Le Comilé a pris
l'initiative d'une ré-
organisation com-
plète des stations
météorologiques cô-
tières, sous la direc-
tion de l'Institut hydrographique. Il a fallu, en effet,
refaire toute l'instrumentation surannée et obtenir
que les navires marchands fassent à bord, pendant
leurs voyages, des observations précises. Le Comité,
pour obtenir ce dernier résultat, a publié un Manuel
pour les observations météorologiques en mer, ré-
digé par le professeur Marini.
Il organisera plus tard un service régulier de
prévision et d'annonce des tempêtes le long de la
côte et en hante mer par la télégraphie sans fil.
Il faut encore signaler l'important service de l'ex-
ploration de la haute atmosphère que le Comité a
organisé; il est destiné à centraliser et grouper les
observations, pour fournir rapidement aux voya-
geurs de l'air les indications météorologiques et
aérologiques dont ils ont besoin; un conseil, sié-
geant h Rome, dont dépendent 30 stations aéoro-
logiques, gouverne ce service. Celles-ci lancent des
ballons-pilotes, et les résultats sont télégraphiés de
façon & constituer un bulletin quotidien.
La tâche du Comité est donc la solution de pro-
blèmes d'intérêt général italien; mais il est des
questions d'intérêt plu^ local. Pour les exposer et
les résoudre, on forma, dans chacune des princi-
pales villes maritimes de l'Italie, un centre de cul-
ture et d'action, afin de coopérer aux travaux d'en-
semble et aux problèmes locaux. A Gênes, a été
établie la section Ligurienne du Comilé; à Venise,
la section Adriatique; à Naples, la section Parthé-
nopéenne, présidée par l'amiral Cattolica; à Mes-
sine, se constitue la section Sicilienne, présidée par
le prince di Scalea.
Tontes ces organisations scientifiques nécessitent
des publications, destinées à faire connaître le plus
promptement possible les résultats théoriques et
pratiques obtenus. Nous trouvons là aussi une grande
activité qui, si elle a élé ralentie par la guerre, n'a
pas été, cependant, interrompue. Le Comité a pu-
blié d'abord des monographies relatives aux poissons
(murénoldes, par Grassi ; scopélides, scombëroldes,
LAROUSSE MENSUEL
par Sanzo); puis une très importante série de mé-
moires, relatifs surtout aux animaux marins, à la
pcclie, à la physique et à la chimie de la mer. On
y trouve des notes sur le développement des mu-
rènes, de l'anguille, du thon, par Grassi; sur les
larves de divers poissons, par Sanzo; puis des tra-
vaux du professeur de Marchi sur la salure et la
température des eaux, du professeur de Toni sur
1. Vinciguerria Lucetia. — 2. Macrourua cfielorhynchus. — 3. Myctophium gemellari.
4. Argyropelecus afDnis. — 5. Opistoproctus soleatus. — 6. Cbauliudus barbatus.
les algues, de Levi Morenos sur la pêche en Libye,
de Sella sur les bancs d'épongés de Libye et de
Tunisie... Nous ne pouvons tout citer; disons seu-
lement que le 56= mémoire vient de paraître.
Un bulletin trimestriel donne des comptes rendus
des actes officiels, les procès- verbaux des commis-
sions, des programmes de recherches à entrepren-
dre, do courtes notes scientifiques, enfin des résumés
des travaux relatifs à l'océanographie. Cinq volumes
sont actuellement publiés.
Trois volumes ont élé, en outre, spécialement
consacrés à la publication des travaux de l'Adria-
tique ; deux autres constituent un bulletin mensuel
maréographique. Ces deux publications ont été in-
terrompues par la guerre.
Parmi toutes les créations dues à l'activité du
Comité thalassographique italien, il faut signaler
maintenant la magnifique station biologique cen-
trale, récemment ouverte à Messine. On peut dire
que celte station compte parmi les plus intéressantes
et les mieux organisées du monde entier. Au cours
de la mission qui lui fut confiée par le gouverne-
ment, en Italie, à la fin de 1916, L. Joubin fut chargé,
en compagnie de S. A. S. le prince de Monaco,
de représenter la France à l'inauguration de cet
établissement, qui eut lieu à Messine le 11 décem-
bre 1916. Un court séjour dans cet admirable pays
a permis aux deux visiteurs d'étudier cette station et
de voiries traits les plus caractéristiques de sa faune.
Le rapporteur de la commission internationale,
qui siégea à Rome en 1914 et dont il sera question
plus loin, s'exprime ainsi au sujet de cette station :
Lo Comité sentait l'absolue nricossitô d'un Institut bio-
logiiiue central qui permît, outre l'exécution, par <Jos
moyens proportionnais, <rôtu(les importantes do biologie
marine, un premier examen du matériel bioIo<,Mijue re-
cueilli en mer et sa distribution à différents spt^cialistes.
On discuta longuement sur la localité où construire cet
Institut; mais, par suite d'un ensemble de circonstances
et d'uQ vote unanime des biologues, on choisit Messine,
appelée le Paradit de» toaloguet.
299
Cette dénomination a été, en effet, employée de-
puis longtemps par les naturalistes pour désigner
Viessine, et la suite de cet article en fera com-
prendre la raison.
La station fut, d'abord, prévue très modeste:
mais l'extension du littoral italien, dû à l'acqui-
sition de la Libye, d'aulres accroissements, prévus
dans l'avenir, décidèrent le Comité à construire une
station beaucoup plus considérable. Une école de
pèche en est une annexe, que l'on est en train de
réaliser actuellement, en vue de l'instruction des
jeunes marins de la région et de leur orientation
vers des méthodes moins surannées et plus scien-
tifiques que les méthodes actuelles.
Il est nécessaire, maintenant, d'expliquer la très
curieuse raison de la richesse si vantée de la
faune de Messine, qui lui a valu une réputation
universelle parmi les naturalistes. Si l'on examine
la carte bathymélrique des mers italiennes, on voit
tout de suite deux grandes fosses. La Méditer-
ranée atteint là ses deux profondeurs maxima : la
fosse tyrrhénienne au nord de la Sicile, la fosse
ionienne au sud-est. La première est à peu près au
centre du grand triangle formé par la Corse et la
Sardaigne à l'ouest, la côte italienne à l'est, la
Sicile et la Calabre au sud. La seconde occupe la
région limitée au nord par la Calabre et l'entrée de
l'Adriatique, au sud la cote africaine, à l'est la Grèce
et la Crète. La première dépasse 3.500 mètres,
la seconde 4.440 mètres de profondeur, maxinmm
actuellement connu dans la Méditerranée. Or le»
deux mers sont complètement séparées, sauf une
communication par l'étroit chenal qu'est le détroit
de Messine. Celle disposition réalise deux enton-
noirs opposés par leur tube de sortie, au point le
plus resserré desquels se trouvent Messine et Reggio
de Calabre. Entre ces deux villes, le sol sous-marin
se relève brusquement en une crête, véritable mu-
raille à pic, qui n'est au-dessous de la surface des
eaux que d'une centaine de mètres. Quatre fois par
jour, deux fois dans chaque sens, un violent courant,
dû probablement à la marée méditerranéenne, s'en-
goufi're alternativement de l'entonnoir du nord
dans celui du sud, et réciproquement; il vient se
heurter contre la crête sous-marine, qui le force à se
relever. 11 arrive alors à la surface, où il forme de
grands ioiirbillons. Ces courants amènent avec eux
à la surlace les animaux flottants des grandes pro-
fondeurs. Si l'on veut bien se souvenir de la peine
que, depuis un demi-siècle, les naturalistes prennent
pour se procurer de rares échantillons des habitants
de la mer profonde, de tous les navires qu'ils y ont
employés, de l'argent dépensé en croisières, on
conviendra que c'est pour eux une joie de trouver là,
en parfait état
et en grand
nombre, une
partie des
êtres mysté-
rieux qu'ils
ont tant de
mal à pêcher,
qu'ils ne
voient habi-
tuellement
que morts et
en mauvais
état. C'est
pour le biolo-
gue une jouis-
sancescienti-
fique de voir
ces êtres abys-
saux parfaite-
ment intacts
vivre dansles
aqnariumsde
la station; ils
ne ressem-
blent guère,
alors, aux
échantillons
défigurésqu'il
n'avait vus
que conser-
vés dans l'al-
cool... Quand
le temps est beau, rien n'est plus simple que de les
capturer en utilisant un petit canot et un filet à main
à l'entrée même du port de Messine. A celle faune
si curieuse, si spéciale et si riche, vient se super-
poser la foule des êlres flottants qui vivent norma-
lement & la surface ; le vent du sud, ou siroco,
les entraîne dans l'entonnoir du détroit, où on les
capture en grand nombre.
Il est assez facile, pour un naturaliste spécialiste
de ces faunes marines, de séparer celle qui vient des
grandes profondeurs de celle qui vit dans les eaux
superficielles. Les animaux abyss^mx possèdent quel-
ques caractères très nets, dont voici les principaux:
beaucoup d'entre eux ont des organes lumineux;
ce sont de petites lanternes, dont les rayons sont
projetés par des lentilles cristallines et des réflec-
teurs argentés. Quelquefois, une mince lamelle
Histioteutbis Bonelliana.
300
translucide colorée vient s'intercaler à l'origine du
jet de lumière et la fait devenir verte, rouge, jaune,
bleue, à la volonté de l'animal.
C'est toujours sur la face ventrale du corps que
ces appareils sont placés dans la peau: mais, chez
certains poissons, il y en a jusque dans la bouche,
derrière une formidable ligne de dents aiguës qui
loncllonnent comme un piège à loup, appâlé par la
lumière. Les poissons, les céphalopodes, les crus-
lacés possèdent très souvent ces organes; ils sont
plus rares et plus simples dans les autres groupes
d'animaux marins.
Ces anim.iux bathypélagiques sont souvent trans-
parents comme du cristal; telle est la célèbre larve
<^r\^
1. Aristeus antennatus. — 2. Phyllosome de scyllaride.
de l'anguille, qui ressemble à une lame de verre el n'a
aucun rapport de forme avec celle qu'elle aura après
sa transiormalion. Ces larves pullulent à Messine,
où on les trouve avec celles, analogues, des autres
poissons de la même famille. Très souvent, les ani-
maux de grande profondeur, surtout les poissons,
présentent sur leur corps une cuirasse argentée,
bronzée, dorée ; leur peau peut être rouge, brune,
noire, bleu d'acier. Ces caractères donnent à ces
bêles un aspect tout à fait spécial.
Nos connaissances sur la vie de ces êtres sont
très rudimentaires, puisque nous n'en possédions
jusqu'à présent que de rares individus, lesquels,
presque toujours, sont ramenés morts par les engins
qui les capturent dans les grandes profondeurs, on
très délériorés. C'est précisément ce qui lait l'ori-
ginalilé de la station de Messine d'être placée dans
un endroit unique au monde, où l'on peut observer
ces êtres abyssaux parfaitement vivants.
La station a été établie suivant le mode général
des constructions de Messitie adopté après le trem-
blement de terre de 1909 ; un rez-de-chaussée, un
étage bas, le tout ea ciment armé. Tout le Messine
nouveau, qui s'élève à côté el sur les ruines de l'an-
cien, est construit sur ce type imposé. Elle est située
sur une langue de terre en demi-cercle, dont la con-
cavité enferme le port de Messine et la convexité
borde le détroit, face à la merveilleuse côte de Ca-
labre. Les laboratoires sont donc à portée de leurs
embarcations abritées dans le port el aussi des cou-
rants qui, à quelques mètres de l'entrée de la sta-
tion, apportent les animaux dont il vient d'être ques-
tion. Le rez-de-chaussée est occupé tout entier par
les cabinets de travail, oii chaque naluraliste trouve,
à côté d'un confortable bureau, des aquariums ali-
mentés par un courant continu d'eau de mer. La
lumière est, cela va sans dire, éblouissante dans ce
pays et permet les photographies les plus difficiles.
Les services annexes: bibliotlièque, collections, bu-
reaux, sont installés à côté des laboratoires. Le pre-
mier étage est affecté au logement du personnel. Le
sous-sôl est aménagé en magasins pour la verrerie,
les réactifs, les engins de pêche, les collections
d'animaux conservés pour élude ultérieure, etc. Des
pompes électriques amènent l'eau de mer dans de
vastes bassins où elle se décante, puis elle est ré-
partie au moyen d'ingénieux systèmes de conduites
dans les aquariums, où la pression la projette en
un jet entraînant de l'air pulvérisé nécessaire à la
vie des animaux.
Les embarcations aestinées aux travaux scienti-
fiques consistent en un vapeur de 450 tonneaux,
ayant une machine de 900 chevaux, destiné aux
croisières de longue durée et à grande distance ; il
est aménagé pour opérer tous les sondages, dragages
et autres recherches prévues dans le plan des croi-
sières périodiques et de l'exploration scientifique de
la Méditerranée. Le Comité possède, pour les recher-
ches en Adriatique, un autre fond plat, à très faible ti-
LAROUSSE MENSUEL
rant d'eau, spécialement aménagé pour permettre les
travaux délicats, même quand la mer est agitée. Des
embarcations légères, vedettes h pétrole, canots, per-
mettent la pêche dans le port et le détroit de Messine.
La direction de l'établissement est confiée au pro-
fesseur Sanzo, l'un des spécialistes océanographes
les plus qualifiés pour ses travaux sur les pois-
sons de grandes profondeurs; il a, comme adjoints,
deux assistants et deux préparateurs.
Il nous reste encore à envisager une des fonc-
tions du Comité. Ce n'est pas seulement en Italie
que son action se fait sentir. Nous le trouvons
encore à la tête d'une vaste entreprise internationale,
à laquelle il a été fait allusion plus haut et qu'il
est indispensable d'exposer maintenant avec quel-
ques détails, car la France s'y trouve intéressée au
premier chef. Il s'agit du projet d'étude scientifique
de la Méditerranée dans son ensemble. Celte mer,
centre séculaire de la civilisation, est, quelque éton-
nement qu'on en aie, très mal connue au point de
vue océanographique; si l'on pouvait élucider une
série de questions complexes qui composent le pro-
blème méditerranéen, non seulement on aurait fait
une acquisition de premier ordre pour la science
pure, mais encore une quantité de conséquences
économiques et industrielles en découleraient : les
pêcheurs, les navigateurs, les météorologues, les
ingénieurs y trouveraient largement leur compte.
Ce serait, en oulie, une occasion de mettre en con-
tact les savants et les industriels des pays latins, qui
trop souvent s'ignorent et ne savent pas mettre en
commun leurs découvertes pour en tirer parti.
C'est à l'exécution de ce vaste plan international
que le Comité italien s'est dévoué, sous la haute
direction du prince Albert de Monaco.
C'est à Genève, au congrès international de géo-
graphie réuni en août 1908, que, sur la proposition
du professeur Vinciguerra, une commission provi-
.>^oire fut constituée sous la présidence du prince de
Monaco, pour établir un plan d'étude scientifique de
la Méditerranée. Elle se réunit à Monaco en 1910,
à l'occasion de l'inauguration du musée océano-
graphique. Le programme des travaux fut com-
muniqué à toutes les puissances intéressées.
En levrierl914,une nouvelle séance de la commis-
sion eut lieu, sous la présidence du professeur-séna-
teur Volterra, dans la salle de l'académie des Lincei,
à Rome. Les pays représentés étaient l'Autriche-
Hongrie, l'Espagne, la France, la Grèce, l'Italie, la
principauté de Monaco, la Tunisie. Les sommités
du comité thalassographique représentaient l'Italie,
qui, sous la direction du professeur 'Volterra, mit
au net et établit définitivement le plan des travaux
à exécuter non seulement en haute mer, mais sur les
côtes de la Méditerranée. Une entente fut préco-
nisée entre les nombreuses stations biologiques qui
entourent la Méditerranée pour faire des recherches
simultanées et uniformes sur diverses questions,
notamment sur les migrations et la reproduction
des poissons dans les zones côlicres de pêche.
11 fut convenu que les délégués, à leur retour,
feraient les démarches nécessaires auprès de leurs
gouvernements afin d'obtenir les pouvoirs indispen-
sables pour signer les accords définitifs dans une
réunion plènière de la commission internationale.
Celle-ci devait avoir lieu à Madrid, en mai 1915. On
devait y apporter les déclarations et les engage-
ments des pays intéressés de participer financiè-
rement aux travaux, d'y fournir cliacuu un bateau
et le personnel nécessaire pendant trois années
consécutives à partir du 1<"' janvier 1916. Il fut, en
outre, convenu que le centre de la commission
internationale de la Méditerranée serait à Monaco
et que cet office central serait présidé par le prince
de Monaco; celui-ci désigna le D' Richard comme
secrétaire général. Enfin, une commission fut nom-
mée par René'Viviani, alors ministre de l'instruc-
tion publique, pour établir les voies et moyens de
participation de la France. Le plan financier et
scientifique fut adopté après plusieurs séances de
discussions approfondies; il fut remis au ministre
Viviani, qui était tout disposé à faire le nécessaire
pour la présentntion d'une loi au Parlement. La
guerre a tout fait remettre à des temps meilleurs.
La conférence de Madrid a été ajournée sine die.
Mais, en Italie et en Espagne, on n'a pas arrêté les
préparatifs; on travaille. Le navire du Comité tha-
lassographique italien, dont il a été parlé plus haut,
est destiné à exécuter les plans et programmes des
croisières. En Espagne, le navire (.Vunez de Balboa)
et le personnel travaillent déjà, notamment dans le
détroit de Gibraltar. Dans ces deux pays, tout est
prêt pour que, dès que la paix sera signée, les tra-
vaux commencent. Chez nous, il est malheureuse-
ment impossible d'en dire autant. 11 est bien certain
que la France se devra à elle-même de répondre à
I invitation du Comité thalassographique italien.
Mais il faudra un long espace de temps pour obtenir
la loi nécessaire, signer les accords, construire le
bateau spécial et commencer l'exécution de notre
part de recherches. Souhaitons que les temps nou-
veaux amènent la prompte réalisation d'une œuvre
scientifique et utilitaire dont la France ne saurait se
désintéresser. — l. joubm.
Fr. Thureau-DangiQ.
«• 129. Novembre 1917.
Thureau-Dangin (François), assyriologue
français, né à Paris en 1872. II est le fils de P.iid
Thureau-Dangin, qui fut secrétaire perpétuel de
l'Académie française. Attaché depuis lS95au Musée
du Louvre, il est devenu conservateur adjoint du
département des antiquités orientales de ce musée
A plusieurs reprises (1896, 1898, 1901), il a été chargé
par le ministère
de l'instruction
pul)lique de se
rendre à Cons-
tantinople, afin
d'étudier et de
classer les docu-
ments trouvés à
Tellopar la mis-
sion française el
entrés au Musée
impérial ottoman.
Mobilisépendanl
la guerre, il ap-
partient aujour-
d hui à l'armée
d'Orient et sert
son pays à la fois
comme soldat et
comme savant.
Ses travaux d'é-
pigraphie assy-
rienne font autorité dans le monde entier. Le
4 mai 1917, l'Académie des inscriptions et belles-
lettres l'a nommé membre titulaire, en rempla-
cement de Georges Perrot, décédé. Il a publié :
Recherches sur l'origine de Vécrilure cunéiforme
(Paris, 1898, supplément en 1899); Recueil de
tabletles chaldéennes (1903); les Cylindres de
Goudéa, transcription et traduction (1905); Ins-
criplions de Simier el d'Akkad (1905; édition alle-
mande à Leipzig, en 1907); Lettres et contrats de
l'époque de la première dynastie babylonienne
(1910), etc. 11 a collaboré, pour la partie épigraphique,
aux Découvertes en Chaldée d'Ernest de Sarzec et
Léon Heuzey (1900 et suiv.), aux Nouvelles fouilles
de Tello du commandant Gros (1910-1911) et à la
Restitution matérielle de la stèle des vautours, de
Léon Heuzey (1911). 11 a dressé l'Inventaire des
tablettes de Tello coiiservées au Musée impérial
ottoman (1911 et suiv.). Il a donné de nombreux
articles à la « Revue d'assyriologie et d'archéologie
orientale » à la n Revue sémitique », au « Journal
asiatique », aux « Comptes rendus de l'Académie
des inscriptions et belles-lettres », au « Recueil de
travaux relatifs à la philologie et à l'archéologie
égyptiennes et assyriennes », à la « Revue d'his-
toire et de littérature religieuses » et à plusieurs
revues spéciales allemandes. — Paul halts.
tracliodonte (ko) n. m. Reptile fossile dino-
saurien ornithopode, de la familledes hydrosauridés.
— Encycl. Les premiers restes de cet animal,
découverts en 1838, étaient très incomplets. Le crâne
a été trouvé récemment dans les couches de Lara-
mie (Dalioba), appartenant au crétacé supérieur. Il
est long de 1™,18, déprimé, large en arrière de
42 centimètres et en avant élargi en un bec de ca-
nard qui a 40 centimètres. Les orbites sont allon-
gés, les narines grandes. Les maxillaires étaient
entourés de gaines cornées, dont on a trouvé des
restes; les dents étaient petites, spatuliformes, avec
une face seulement recouverte d'émail; elles for-
maient plusieurs rangées placées les unes sur les
autres, en direction verticale, pour constituer un
pavé serré. Elles différaient donc complètement des
dents de l'iguaiiodonte par leur taille el leur forme.
Les dents de remplacement s'intercalaient entre les
dents fonctionnelles et entraient déjà en usage avant
la chute de celles-ci. Elles étaient au nombre de
2.072, soit 630 dents pour chaque maxillaire supé-
rieur, tournant en dehors leur seule face recouverte
d'émail, et 406 pour chaque maxillaire inférieur, qui
tournaient en dedans leur face à émail.
Les vertèbres cervicales et dorsales sont opis-
thocèles, les vertèbres caudales courtes, avec apo-
physes épineuses grêles, allongées. L'ischion est
très mince, le fémur porte un Irochanter interne en
forme de crête. Le reste du squelette concorde avec
celui de l'iguanodon. Les membres antérieurs sont
très courts, les membres postérieurs très hauts.
En 1908, on a découvert, dans l'Etat deWyoming,
un trachodonte momifié, dont les viscères étaient
desséchés, et l'épiderme avait laissé un moule d'une
merveilleuse netteté et très caractéristique.
Ce dinosaurien à bec de canard n'était donc pas
recouvert d'une carapace, comme on voulait l'ad-
mettre. De plus, les doigts sont réunis par une
membrane figurant une palmure, ce qui am'^ne à
conclure que le trachodonte avait des habitudes
aquatiques. Donc l'attitude bipède n'était pas exclu-
sive : il prenait aussi l'attitude quadrupède et se
déplaçait des quatre pattes sur les terrains mouvants
près desquels il vivait. Il est donc voisin du diplo-
docus. — A. MÉnfGAUX.
ParÏB. — Imprimerie Larousse (Moreau, Auge, Gillon et C'«),
17, rue Montparnasse. — Le gérant : L. Groslet.
' N- 150. - DECEMBRE 1917
ttéâÉÉÉtàélâÊmÉÉiâÊmiiilÉÊÊiÈii^aiÊiàÊi
m
«M«IMiÉMétfMâa«MriilMi
Académie des sciences. — L'Académie
des sciences a procédé, le 21 mai 1917, par la voie du
scrutin, à l'élection d'un membre de la section de
botanique, en remplacement de R. Zeiller,
décédé. Au premier tour de scrutin, le
nombre de votants étant de 49, P. -A. Dan-
geard obtient 38 suffrages, H. Molliard 9
et L. Malruchot 2. P. -A. Dangeard, ayant
réuni la majorité absolue des suffrages, a été
proclamé élu. (V. Dangeard, p. 306.)
œgagropile ou égagropile n. m.
(du gr. aigagros, chèvre sauvage et pilos,
laine foulée). Concrétion formée de poils et de
débris végétaux inassimilables, que l'on trouve
parfois dans l'estomac des ruminants et, plus
rarement, dans celui des hommes. || Syn. bé-
zoARD d'Allemagne, faux bézoard, tricho-
BÉZOARD.
— Encycl. ^gagropiles humains. On sait
que les îEgagropiles trouvés dans l'estomac
des animaux proviennent des poils qu'ils ava-
lent par léchage et qui, agglomérés avec des
enveloppes de grains, des brins de paille, etc.,
restent indéfinimentdans le tube digestif, sous
forme de tumeurs arrondies, feutrées, quel-
quefois très lisses, d'une grosseur qui peut
atteindre le volume d'une tête d'homme. Dans
leur pharmacopée, les anciens avaient rangé
les aegagropiles, parmi les bézoards, les-
quels étaient surtout des' concrétions pier-
reuses dans le genre des calculs et qu'ils utili-
saient comme sudorifiques, hémostatiques, etc.
Velschius, médecin de Leipzig (xvii« s.), a
écrit unlivresurlespropriétésdeTsegagropile.
Les aegagropiles son't naturellement beau-
coup plus rares dans l'espèce humaine, mais
ils n'y sont pas inconnus. Ils sont, alors, le
plus généralement, formés de cheveux, mé-
langés parfois i des brins de laine, du papier,
de la ficelle, etc. On peut donc penser qu'ils
ne se trouvent guère que chez des enfants in-
conscients de leurs actes, des malades, des
aliénés ou, en tout cas, chez des sujets à
mentalité quelque peu anormale, ayant pris la
manie d'avaler leurs cheveux et même d'autres
genres de corps étrangers. Cependant, on
connaît au moms un cas où l'origine est très
différente, celui de Schulten, où la malade,
travaillant comme (lieuse de poils de vache
(pour la confection de souliers), avalait de
petits fragments de poils en humectant ses
doigts. Les cas d'segagropiles humains sont
aujourd'hui, dans la science, au nombre d'une
trentaine. La plupart d'entre eux ont été des
trouvailles faites à l'autopsie de malades dé-
cédés soit d'autres maladies, soit à la suite
d'accidents causés par cette tumeur elle-même,
mais dont l'origine était restée inconnue. D'au-
tres ont été découverts au cours d'une opéra-
LAROUSSE UENSUEL. — IV.
tion nécessitée pour parer à ces désordres, mais
sans que le diagnostic de tumeur pileuse ait été porté
antérieurement à l'intervention chirurgicale. A notre
Art marocftin ; Porte ea hioaxe dA U mosquAtt Quaraoujac, à fet (xiv* titele]
connaissance, le diagnostic exact n'aurait été porté
que deux fois et, dans ces deux circonstances, par
analogie avec un cas antérieurement décrit et ré-
cent. Au reste, plusieurs de ces tumeurs (et,
naturellement, surtout les plus médiocres
comme volume) sont restées muettes, c'est-
à-dire ne donnant lieu à aucun sjmptôme,
pendant toute la vie de celui qui en était
porteur. Lorsque ces symptômes se sont ma-
nifestés, ils ont consisté en douleurs gastri-
ques, vomissements, amaigrissement, coliques
et parfois alimentation très difficile ou même
quasi impossible. Une complication rarement
enregistrée a été la perforation de l'estomac.
Ces tumeurs sont de grosseur très variable,
mais, la plupart du temps, l'aegagropile est
fort important et, dans nombre de cas, il
remplit totalement la cavité gastrique, dont il
représente alors le moulage plus ou moins
parfait. 11 arrive encore de façon assez fré-
quente que la tumeur déborde l'estomac lui-
même par des prolongements du côté du duodé-
num ou de l'œsophage. Dans quelques cas, il y
avait un prolongement intestinal, formé par
une sorte de cordelette dont les constituants
étaient les mêmes que ceux de l'aegagropile
lui-même. Nous citerons ici l'exemple d'une
des tumeurs les plus récemment décrites et
qui fut présentée par le D' Dauriac à l'Aca-
démie de médecine. Le cas, qui est typique,
concerne une fillette de treize ans, laquelle ne
pouvait plus se nourrir, sur la fin, qu'avec
des aliments liquides, mais ne ressentait ni
douleurs, ni vomissements. Les diagnostics
les plus divers furent portés. On fit la laparo-
tomie, et on enleva complètement l'estomac,
qui semblait transformé en une tumeur mas-
sive. Ce fut à l'ouverture ultérieure du viscère
que l'on reconnut la nature de la masse. On
apprit alors que la fillette mangeait ses che-
veux, la nuit, depuis son jeune âge. Elle a
parfaitement guéri. Pour illustrer ce que nous
disions plus haut, notons qu'une tumeur du
même genre, enlevée par gastrectomie et pré-
sentée quelques semaines après, également \
l'Académie de médecine, par le D' A. Broca,
fut diagnostiquée avant l'intervention, .seule-
ment après lecture du fait précédent. Dans
ce dernier cas et dans quelques autres, on a
signalé la présence de cheveux dans les selles
de la malade (ce sont surtout les femmes, et
les femmes jeunes, qui forment le sujet de
toutes ces observations d'œgagropiles) et par-
fois dans les vomissements. Le seul traitement
de ces tumeurs est, évidemment, l'ablation par
le chirurgien. Parmi les trente-deux ou trente-
trois observations connues, on a procédé à la
gaslrotomie (ou à la gastrectomie) dans quinze
cas, et aucune mort consécutive k 1 intervention
opératoire n'est signalée. — D' MuriM onxs.
a
302
Art marocain (Exposition d'). Les plus
récents et les meilleurs précis d'art musulman, celui
dp Saladin et Migeon entre autres, ne font pas de
place à l'art marocain, et pour cause:
jusqu'à des temps tout proches de nous,
le Maghreb el-Aksa est demeuré si peu
accessible et, par suite, si peu étudié,
qu'il n'était pas possible de se faire
une idée de ses ricliesses artistiques,
pas plus que d'en étudier scientilique-
ment la géograpliie, ou de dresser avec
quelque précision un inventaire de ses
rlche>ses économiques. 11 n'en est plus
de même aujourd'hui: grâce à la paci-
fication graduelle du pays et aux pa-
tientes observations de quelques fonc-
tionnaires ou amaleurs éclairés, on a
constaté que, comme les autres parties
du monde islamique, le Maroc possède
— ou plutôt a possédé — un arl véri-
table et digne de retenir l'atlention des
connaisseurs. C'est ce dont fournil la
preuve l'Exposition d'art marocain ou-
verte fin mai 1917 au pavillon de Marsan
(Louvre), au béiiélice des œuvres de
guerre marocaines. Orsanisée par la
Résidence générale de France au Maroc,
par l'Union centrale des Arts décora-
tifs, par la Société des Orientalisles,
cette Exposition, dont le principal arti-
san fut J. de La Néziire, groupe une
importante série de documents et de
pii-ces, qui permettent d'acquérir une
idée de ce qu'ont su faire, dans des
temps plus ou moins éloignés <lu nôtre
^mais toujours postérieurs à l'antiquité),
el de ce que savent faire encore les
artistes du Maghreb el-Aksa.
I. En matière architecturale, on le
savait déjà au début de la grande guerre
actuelle, mais on le sait mieux encore
depuis quelques mois. Depuis neuf cents
ans, en effet, le Maroc a élevé des nio-
numenis d'architecture religieuse, mi-
litaire ou civile, dont plusieurs ont
disparu, mais dont beaucoup subsistent
encore : on trouve parmi eux de vérita-
l)les chefs-d'œuvre, qui n'ont pas manqué de frapper
les Européens, visiteurs de la contrée. Quedemoini-
nienls intéressants ou même remarqualiles signalés
par Edmond Doutté dans cet £n Tribu, dont la publi-
cation a, malgré sa co'incidence avec la guerre,
retenu l'attention des spécialistes I A Tin Met,
par exemple, la mosquée almohade, dont la
vue fut « un émerveillement » pour le voya-
geur, avec ses pendentifs, ses entrelacs, etc. En
visitant les palais impériaux ou les maisons
des notables, on a découvert à Fez, à Meknis,
à Marrakech, << de véritables alhambras ».
Quelques semaines avant l'explosion de la
guerre, le chef du service des Beaux-Arts, au
cours d'une exploration méltiodique de Fez.
pénétrait pour la première fois dans les me-
dersas de cette ville, qui datent pour la plu-
part de l'époque des Mérinides; « ce sont des
chefs-d'œuvre qui ne le cèdent en rien aux
merveilles d'Andalousie et qui, parleur nombre
et le cadre qu'ils empruntent aux rues pitto-
resques de Fez Bali, constituent un Iré.sor
inestimable pour l'art et le tourisme ». Enfin,
pendant la guerre même, les travaux dirigés
à Rabat par le savant Marcel Diculaloy ont montré
l'intérêt architectural que présentent les ruines de la
grande mosquée Hassan, l'importance et la beauté de
cet édifice duxn=siècle,donlle minaret (la tour Has-
san), frère de la Koutoubia de Marrakech et de la
Giralda de Séville, subsiste encore acluellemenl.
Rien, dans tous ces monuments de pierre, et non
LAROUSSE MENSUEL
pas de briques, qui ne soit digne d'une véritable
admiration, comme aussi d'une véritable étude. Quelle
beauté, quelle noblesse et quelle élégance, quelle pu-
Broderie bleu fonce,
reté de lignes dans la porte des Oudayas et la mosquée
deChcllaàRabat, dans les portes et les murailles de
Marrakech et de Fez, dans les medcr-as de Fez,
«dentelles de plâtre que supportent des poutrelles de
cèdre et des carreaux émaillés »; enfin, dans les pa-
CouBsin en cuir excisé (époque conteoiporaiae}.
Poire à poudre en cuivre ciselé (xtx* siècle).
lais croulants de Meknès, n ce Versailles qu'un sul-
tan du xvii" siècle imagina de construire à l'exemple
duGi'and Roi ». (R. Kœchlin.) Telle est la conclusion
qui se dégage de l'examen des photogi'aphies et des
relevés d'ensembie et de détail groupés dans les pie-
mières salles de l'Exposition d'art marocain, comme
aussi des aquarelles de Maurice Tranchant de Lunel.
L'élude de tels panneaux de plâtre singulièrement
fouillés et ajourés (par exemple, le panneau sculplé
d'après le mirbab de la medersa de Beni-Yousouf à
.Mari-akecbqu'exposeleservicedesAntiquilés, Beaux
.\rls et Monuments historiques du Maroc), celle des
carreaux de faïence découpés ou zéliges, celle des
portes de bois sculpté de motifs géométriques dont
l'Exposition d'art marocain offre de si intéressants
exemples, évoque des souvenirs du Caire et de Gre-
nade. C'est la même i-ichesse d'imagination, comme
aussi la même finesse et la même grâce, te même
Koilt et la même maîtrise d'exécution.
Voilà des faits que, tout récemment encore, per-
sonne ne savait et peut-être même ne soupçonnait.
Quant au mobilier que pouvaient contenir de tels
édifices, on n'en connaissait rien. Comment eùl-il
pu en être auti'ement? La plus grande partie des
olijets qui les ornaient ont été anéantis au coui's
des siècles, et bien rares sont ceux qui subsistent
aujourd'hui. Pas, ou fort peu de ces tissus, de ces
céramiques, de ces cuivres, de ces manusci-ils, re-
montant à des temps reculés, comme on en possède
de tant de parties de l'Orient musulman. L'Exposi-
tion d'art marocain ne contient que des objets de
la fin du XVII' siècle ou du début du siècle suivant :
quelques meubles, des tapis, des broderies, des
N- 130. Uecembre 1917.
étoffes, des armes damasquinées, des bijoux, des
reliures. Sans doute, les arts sont-ils alors en déca-
dence ; le goi'il en est néanmoins remarquable, et
quelles admirables couleurs, quels tons
chauds et en même temps harmonieux !
Tel brille-parfum du x\ii« siècle, tels
élriers damasquinés du xviii», telle lan-
terne en cuivie et telles reliures à peu
près de la même époque en témoi-
gnent victorieusement, comme aussi
les guichets de la porte monumentnle
reconstituée pour la medersa Bon
Ananya de Fez, comme tel linteau de
boissculiité, telcarieau émaillé ancien,
telle penture, telle poignée de sabre,
dont les relevés figui-ent à l'Exposition.
Ainsi se trouve foimé, grâce à l'obli-
geance des fonctionnaires ou des offi-
ciers ayant séjourné au Maroc, à dé-
buter par le général Lyautey, un en-
seinbled'art ancien absolumentunique :
jamais encore on n'avait vu à Paris
une telle réunion de documents sur l'art
marocain des temps passés ou, pour
parler plus exactement, des temps mo-
dernes, car qui nous permettra de
connaître les arts industriels du Maroc
médiéval, les produits sortis de ses
manufactures d'armes, par exemple?
11. L'étude des arts industriels du
Maroc moderne, voilà donc un des
grands attraits de l'Exposition d'art
marocain; mais cet attrait n'est pas le
seul. Non contents, en effet, de montrer
que cet art, bien que proche parent
de l'art hispano-arabe, a gardé dans les
siècles passés son originalité propre et
même des procédés spéciaux dans
l'exposé desquels nous ne saurions
entrer ici, les organisateurs ont voulu
placer sous les yeux des visiteurs ce
qui en subsistait aujourd'hui et faire
connaître comment on travaille à en
préparer la renaissance. Au moment
où la France arriva au Maroc, le même
phénomène s'y produisait que dans le
reste de l'Afrique Mineure : les métiers
languissaient, les artistes avaient graduellement per-
du leur habileté de main ellest; le. Sansdoute, rencon-
trait-on encore çà et là quelques rares ouvriers du bois
et du métal, du tissu et de la céramique ; mais combien
déchus par rapport à leurs prédécesseurs I Les meil-
leurs artisans et les plus remplis de goût aban-
donnaient les uns après les autres des métiers
qui ne leur permettaient plus de vivre. Plus
de chaudronniers, comme ceux qui firent na-
guère les beaux lustres de la mosquée Qua-
raouyne à Fez. Dans la même ville, dont
c'était naguère une s|)écialité, plus que deux
relieurs capables de bon travail ; plus de céra-
mistes de valeur, ni à Fez, ni àSaffi. Tel enlu-
mineur était devenu petit libraire, et tel spé-
cialiste du plâtre sculplé avait dû, pour
vivre, s'improviser cuisinier. Comme l'a écrit
Raymond Kœchlin dans son Maroc en pair,
« fabricants de plâtres ajourés, de carreaux
émaillés et de tapis, tisserands, brodeurs, cé-
ramistes et menuisiers avaient oublié, pour la
plupart, les beaux modèles d'autrefois » :
mortes, ou à peu près mortes, étaient au total
les vieilles industries indigènes.
Au Maroc, comme en Algérie, mais beaucoup plus
tôt que dans ce pays, et même dès le début, l'admi-
nistration a pris à cœur de réagir contre ce déplo-
rable état de choses. L'institulion d'un service des
Beaux-Arts (arts indigènes), soucieux de ses devoirs,
y a puissamment contribué. Découvrir les spécia-
listes égarés dans des professions diverses et les
ramener à leurs anciens travaux, remettre en usage
la technique et les traditions anciennes et, pour ce
faire, fonder des aleliers s'inspirant uniquement,
pour la fabrication des tissus, pour le travail du
métal ou du bois, des méthodes et des procodés en
honneur dans les ateliers d'autrefois, voilà l'œuvre
Bol en faïence fxvtii* sicola}.
I
N' 130 Décembre 1917.
A UT MAUOr.MN
303
n
Tapis au ['Oint nuuô de Rabat ^appartenant au t'éiiéral Lyautcv, (xviii* sicclo}.
mi(
^ * îv' -' ♦ . - r *^ U ^Vf^ V ' 4--% ♦ /--4' ^
->
^^l«Wl,
> l't;/. i.xviii': et xixe sioclefi}.
l'oire à poudre (iix* s.).
Poire & poudre (xix* s.j.
Ia- [laii" de la uiedcisu Allaiiiu'. u l'ci M\' .-.iiclc.
Pwi-te «i« ia kiiubba de U incderw Bou AoADfa, à h'ei (xiv« ciede).
304
du Service des arts indigènes. Il a recueilli de toutes
parts, dans le pays, des modèles anciens, et il en a
constitué (à Rabat, dans la superbe medersa des
Oudayas, et à Fez) des collections accessibles à tous ;
il a fondé à Rabat, à Salé, àFez, àMeknès, des ateliers
spéciaux où sont exécutés des tapis, des nattes, des
broderies, des reliures. Rie.^ de plus plaisant que les
échoppes pittoresques groupées à Rabatdansie jardin
de la medersa, tout près du Musée (la reconstitution
d due ancienne boutique
de Meknès, occupée par
un enlumineur en donne
une idée à l'Exposition).
Là, les vieux ouvriers les
plus habiles enseignent à
des apprentis à teindre
les laines au moyen de
couleurs végétales et non
plus à l'aniline, h tourner
et peindre des pots, à tra-
vailler le cuir... Ce sont
les produits de ces ate-
liers, comme aussi ceux
des travailleurs contem-
porains, que présente, à
côtéd'objets anciens, l'Ex-
posilion d'art marocain.
Mais elle ne présente
que le beau côté des arls
industriels duMaghreb el-
Aksa, cariln'estpasques-
tion ici d'ethnographie,
mais biend'artmarocain.
Parfois, néanmoins, ladé-
cadence est bien visible,
quand on étudie en parti-
culier ces poteries vernis-
sées de Fez, dont le des-
sin demeure intéressant,
mais dont la valeur céra-
mique, nulle hier, com-
mence à remonter aujour-
d'hui. Par contre, cer-
tains spécimens, plus ou
moins nombreux, de ta-
Lanterne en cuivre, avec verres pis, de nattes, de brode-
de couleur (xi,. .iècie). ries, de reliures, permet-
tent d'apprécier à la fois
la beauté réelle de l'œuvre et un heureux retour
aux traditions d'autrefois. Non contents de teindre
leurs laines au moyen de végétaux, les producteurs
de tissus de haute et de basse lice copient les plus
Poignarda en cuivre et en argent (xix« siècle).
beaux modèles de temps relativement anciens —
des xvu« et xviii« siècles — et se remettent à faire des
œuvres vraiment dignes de ce nom. Fins tapis à points
noués fauchés, belles ceintures de soie longues de
deux à cinq mètres et larges d'environ quarante
centimètres, formant quatre rectangles de couleurs
différentes, broderies à double face de Fez, broderies
LAROUSSE MENSUEL
sur Gletde Rabat, broderies juives d'Azemmour, aux
oiseaux stylisés, etc., charment à la fois, au pavillon
de Marsan, l'œil et le goût du visiteur. Et de même
font quelques reliures peintes sur cuir de chèvre,
avec des reliefs obtenus à la presse sous des matrices
de bois dur et des couleurs à l'œuf dans les creux,
des nattes au décor de lignes droites, des mosaïques
de faïence dont des entrelacs géométriques recli-
lignes, les testirs, forment les motifs, des peintures
sur bois à la colle ou à l'œuf, etc.
m. Tandis que ces séries attestent la renaissance
d'arts arabo-marocains (si l'on peut dire) ayant na-
guère brillé d'un très vif éclat, d'autres séries per-
mettent de constater l'originalité de l'art berbère
du Maghreb el-Aksa. Les Berbères sont, on le sait,
beaucoup plus nombreux au Maroc que dans les
autres parties de l'Afrique Mineure; là se trouve
le groupement le plus considérable et le plus com-
pact des Berbères demeurés à peu près purs. Dans
M* 130. Décembre 1817.
C'est, en effet, dans l'administration qu'il commença
à révéler ses mérites. En 1870, pendant la guerre,
il est à Paris chef du cabinet de Jules Ferry.
Après la conclusion de la paix, alors que la Com-
mune de sinistre mémoire avait des répercussions
dans les départements méridionaux, il est envoyé
à Nice comme secrétaire général de la préfecture,
puis à Marseille, où les troubles Tinissaient à peine.
A vingt-neuf ans, il est nommé préfet de l'Aube,
puis préfet du Doubs, ensuite préfet du Nord et,
enfin, ministre-résident de France en Tunisie, où il
marque son passage en concevant et en réalisant
l'idée du protectorat et de l'organisation beylicale,
tels qu'ils existent depuis. Sa mission terminée, il
est élu membi-e de l'Académie des sciences morales
et politiques, hommage mérité, remlu par l'illustre
assemblée aux services que le pays doit à Paul
Cambon.
Mais ce n'est pas seulement ses aptitudes d'or-
Broderie juive d'Azemmour (xviiie siècle).
les montagnes encore insoumises de l'Atlas ou dans
les provinces à peine pénétrées du Sud (le Sous,
entre autres), se sont conservées, plus vivantes que
partout ailleurs, les anciennes coutumes, les kdnowi,
et aussi les traditions artistiques des Berbères. De
ces dernières l'Exposition d'art marocain fournit
des preuves multiples; elle atteste, chez un peuple
dont les productions artistiques n'avaient guèie re-
tenu l'attention jusqu'ici, des dons réels : le sens du
décor géométrique et le sens de la couleur. C'est
seulement du premier de ces dons que l'examen des
aimes exposées aupavillon de Marsan (fusils à pierre,
sabres, poignards recourbés, poires à poudre) prouve
l'existence; différentes étoffes et aussi des bijoux
variés : bracelets , colliers , pectoraux , ceintures
montrent la combinaison de ces deux dons. On les
remarque surtout dans ces tapis de haute lice, non
fauchés, à grosse laine longue et irrégulière, fabri-
qués sous la tente, dans les douars de la plaine,
comme le montre une curieuse réduction de grande
tente, peuplée de poupées berbères, ou encore dans
les chaumières de l'Atlas. Le trait droit et le point
sont les seuls éléments décoratifs de ces tapis lâches
de tissus, mais chauds, moelleux et confortables; les
colorations, d'un très bel effet, sont parfois noires,
orangées ou fauves, parfois, au contraire, d'un éclat
extrême, mais toujours harmonieuses; jamais d'exa-
gérations ni de contrastes criards, pas plus dans les
tons les plus rutilants que dans les teintes douces
et délicates. Il y a là, dans une certaine mesure et
sans exagérer la portée du mot, une véritable révé-
lation. Des couvertures provenant des Beni-M'guild
et des Beni-M'lir, des Riata et des Zaer, etc., des
colliers et des bracelets en perles des Zaer, des po-
teries berbères du Rif, de Taza, des Tsoul, etc.,
complètent cet ensemble, où plus d'un motif déco-
ratif atteste la persistance de traditions phéniciennes
ou byzantines.
IV. L'Exposition d'art marocain est donc digne
d'être visitée et même d'être étudiée avec soin. Elle
le mérite à un double point de vue : du côté artis-
tique, elle ajoute à notre connaissance de l'art mu-
sulman et elle met en lumière les qualités artistiques
des Ghleuh ou Berbères du Maroc; elle montre,
d'autre part, à quels résultats intéressants, voire
excellenls, sont d'ores et déjà parvenus, dans leur
œuvre de relèvement des industries d'art maro-
caines, le service des arts indigènes et l'adminis-
tration tout entière du Protectorat. — Henri Froidevaci.
'l' Cambon (Pierre-Paui), administrateur et di-
ploinale français, né à Paris le 20 janvier 1843. Il fut
élevé au lycée Louis-le-Grand, se destina d'abord au
liarreau et fut entraîné ensuite dans une autre voie.
Paul Cambon doit à l'ancienneté de ses services
dans la diplomatie d'être devenu le doyen des am-
bassadeurs français et étrangers encore en fonc-
tions aujourd'hui.
A ses débuts dans la vie publique, on ne pouvait
prévoir — et lui-même sans doute ne Je prévoyait
pas — que son destin le dirigerait vers la diplomatie.
ganisateur qu'ils avaient mis en lumière. Ses fonc-
tions comportaient un double caractère; et, en rai-
son des incessants rapports que le résident général
entretenait avec les autorités beylicales, le diplo-
mate devait y être égal à l'administrateur. Il n'est
donc pas étonnant qu'ayant à choisir entre deux
routes, il ait alors souhaité de se consacrer unique-
ment à la carrière diplomatique, à laquelle les cir-
constances l'avaient si bien préparé. Désormais, ce
sera sa voie.
En 1891, il est envoyé à Madrid comme ambas-
sadeur de France. S'il n'avait déjà fait son appren-
tissage à Tunis, on pourrait dire que c'est à Madrid
qu'il l'a fait; apprentissage singulier, où l'apprenti
nous apparaît déjà ainsi qu'un patron rompu à tous
les usages, à toutes les nécessités de la profession,
comme si, chez lui, l'intuition tenait lieu d'expé-
rience, et aux conseils duquel ses gouvernants ne
pourront se dispenser d'attacher le plus grand prix.
En 1893, lorsque la question d'Orient rend néces-
saire la présence à Constantinople d'un agent expé-
rimenté et habile, c'est lui qui est désigné pour
ce poste.
La question d'Orient constituait alors le prin-
cipal souci des chancelleries européennes. Elle
s'était réveillée peu de temps avant et, au lendemain
de la guerre russo-turque, le Congrès de Berlin, qui
avaitpré tendu la résoudre, n'avait fait que ia rendre
plus aiguë, ainsi qu'en témoignaient l'agitation des
pays balkaniques, les troubles macédoniens, les as-
pirations albanaises, les insurrections Cretoises et
les massacres commis par les Turcs en Arménie.
Ce que furentalors la conduite et l'attitude de Paul
Cambon, nous le savons par le Livre Jaune que pu-
blia le gouvernement français lorsque les atrocités
dont l'empire ottoman fut le théâtre eurent pris (in
momentanément. Mais, indépendamment des dépê-
ches publiées dans ce recueil documentaire et qui,
toutes, ont trait à ces hécatombes criminelles, il en
est d'autres qui ne sont pas encore entrées dans
l'histoire et où se révèlent la prévoyance, l'esprit
d'à-propos et la sagacité de notre ambassadeur dans
ses jugements et dans les appréciations parfois pro-
phétiques auxquelles il se livre.
Nous devons observer aussi que ce ne fut là
qu une part de la tâche qu'il s'attachait à réaliser.
Il en est une autre qui n'attirait pas moins son atten-
tion : elle consistait à combattre l'influence alle-
mande, qui s'exerçait à Constantinople non seu-
lement sur le sultan, mais encore dans tous les
milieux politiques de l'empire, depuis le jour où, en
1882, Abd-ul-Hamid avait obtenu du cabinet de Ber-
lin qu'une mission d'olficiers allemands viendrait
procéder à l'instruction militaire de l'armée turque.
Cette influence, c'est l'ambassadeur de Guil-
laume Il qui en était l'in.strument; il s'employa
d'une façon particulièrement active lorsque von
Hadowitz fut mis à la tête de l'ambassade impériale.
Ce diplomate, élevé à l'école de Bismarck et qui
avait été mêlé de près à la fameuse crise de 1875,
était aussi rusé qu'entreprenant et ne négligeait
,v- 130- Décembre 1917.
rien pour convaincre le sultan que son inlérét lui
commandait de s'orienter dans l'orbite de l'Allema-
gne. Mais ses efforts n'étaient pas toujours couron-
nés de succès. La politique d'Abd-ul-Hamid avait
toujours été celle des compensations et des ména-
gements et, quand les représentants de Berlin
essayaient de l'attirer dans la Triple-Alliance, il
répondait qu'il ne voulait pas aliéner sa liberté.
Le jour où je mo sentirai menacé (disait-il), je saurai de
quel côté chercher mes vrais amis.
Dans sa bouche, ces propos n'avaient qu'une
importance très relative ; car, en réalité, il était
toujours prêt à se donner au plus offrant, mais
seulement, il est vrai, à tilre temporaire. Exercer
une action sur lui était une œuvre singulièrement
difficile pour l'ambassadeur allemand; l'active sur-
veillance de l'ambassadeur français la rendait plus
difficile encore. Quoique leurs relations restassent
courtoises et, parfois même, fussent amicales, le
premier avait trouvé dans le second le plus rude
adversaire. A la lumière des rapports de celui-ci,
on peut le voir engager la lutte avec celui-là, la
soutenir dans toutes ses péripéties et frapper à coups
redoubles sur son rival, avec une main de fer
gantée de velours. Au mois de juin 1894, à propos
des questions autour desquelles se manifeste la
rivalité des puissances européennes, Paul Cambon
peut constater que, pour la première fois, le sultan
.\bd-ul-Hamid laisse voir l'intention « de venir de
notre côté ».
Nous en avons assez dit pour démontrer ce que
fut son rôle pendant la durée de son ambassade.
Quand il la quitta, en 1898, pour aller représenter
la France à Londres, sou autorité parmi les mem-
bres du corps diplomatique accrédités en Turquie
(•lait incontestée. Ils le considéraient comme un
guide sûr et avisé; c'est lui que consultaient, dans les
circonstances difficiles, ceux dont le gouvernement
marchait d'accord avec le sien. Ces témoignages de
sympathie confiante se renouvelaient à tout instant.
Sa réputation était donc solidement établie, quand
il fut envoyé à Londres, en 1898. C'est là que depuis
près de vingt ans il a donné toute sa mesure.
Lorsqu'il y arrivait, les relations entre l'Angleterre
et la France se ressentaient encore des dissen-
timents dont l'événement de Fachoda avait démontré
la vivacité. Il fallait ramener l'accord entre les
opinions des deux pays, le solidifier, le stabiliser,
le rendre durable et fécond, tâche épineuse et déli-
cate, dont on ne peut apprécier l'importance qu'en
se souvenant du trouble et des appréhensions qui
régnaient de toutes parts à cette époque. C'est alors
qu'interviendra l'Entente cordiale, dont nous voyons
aujourd'hui les glorieux résultats et de laquelle le
nom de Paul Cambon est inséparable.
Delcassé était alors ministre des affaires étran-
gères. Dans l'entretien qui s'engage entre lui et le
nouvel ambassadeur, à la veille du départ de celui-
ci, ils tombent d'accord pour reconnaître que ce
serait une chose heureuse que les questions liti-
gieuses pendantes entre Londres et Paris fussent
résolues sous la forme d'une attestation de confiance
réciproque et d'un rapprochement basé sur un com-
plet accord de vues quant à l'avenir. Les circons-
tances, en Angleterre, ne se présentent pas d'abord
comme favorables à cette politique de sagesse. Lord
Salishury est alors à la tête du ministère anglais,
s'entètantdans sapolitique de « splendide isolement »,
qu'approuve sa souveraine; il ne croit pas qiie
1 heure soit venue de s'écarter de la route dans la-
quelle il s'est engagé. Comme, d'autre part, il a
compris que l'intérêt de sa patrie ne commande pas
moins que celui de la France que les dissentiments
''apaisent, il se prête au règlement de l'affaire de
Fachoda, et les relations des deux nations s'amélio-
rent sensiblement. C'est déjà un grand résultat,
mais ce n'est qu'un premier pas vers lebut que poursuit
Paul Cambon, encouragé par son gouvernement. 11
faut donc s'armer de patience et attendre une occa-
sion meilleure, ce qu'il fait avec une sérénité égale
à sa confiance dans l'avenir.
L'année suivante, cette confiance est justifiée. La
reine Victoria n'existe plus; son fils lui a succédé
sous le nom d'Edouard 'VII. Lord Salisbury tient
toujours le gouvernail de la politique anglaise, mais,
sous ses ordres, la direction des affaires étrangères
a passé dans les mains de lord Lansdowne, petit-
fils, par sa mère, du général fraiçais comte de
Flahaut. jadis aide de camp de Napoléon 1"' et, sons
le second empire, ambassadeur à Londres et chan-
celier de la Légion d'honneur. Disposé à s'inspirer
de la voix du sang, lord Lansdowne laisse Paul
Cambon reprendre avec lui l'entretien commencé
avec lord Salisbury et lui soumettre le programme
écrit dont il poursuit l'exécution. Tout ce qui doit
créer et assurer l'Entente cordiale est contenu dans
ce programme. Le ministre anglais est bientôt sé-
duit; le roi Edouard VII l'approuve et se déclare
prêt à le seconder pour orienter la politique britan-
nique dans la voie qui lui est ouverte par l'initiative
du représentant de la France.
Non seulement il y donne son adhésion, mais il
révèle à l'Europe l'existence de ce rapprochement
sensationnel en offrant d'aller officiellement rendre
Paul Cambon.
LAllOUSSli MENSUEL
visite au président de la République française. A
Paris, on accueille avec joie l'expression de ce dé-
sir; toutefois, on se demande si l'heure est oppor-
tune pour y donner suite. Depuis la guerre du
Transvaal, l'opinion, en France, n'est pas favorable
à l'Angleterre; on craint qu'elle ne se manifeste
dans les rues de la capitale sur le passage du sou-
verain britannique. Mais il est convaincu que de
telles craintes sont vaines, et il se llatte avec tant
de vivacité de n'avoir rien à craindre des Parisiens
que sa visite est décidée, à la condition posée par
lui qu'il sera reçu le plus solennellement possible.
Lorsque, bientôt après, il traverse la France et s'ar-
rête à Paris, la réception qui lui est faite démontre
qu'il y a vu clair et que justes étaient ses prévi-
sions. C'est le
commencement
de l'accord que
consacre bientôt
la visite du pré-
sident Loubet à
Londres. Le jour
même où celui-ci
recevait à Saint-
James-Palace le
corps diplomati-
que, lord Lans-
downe, Delcassé
et Paul Cambon,
dans une confé-
rence rapide, je-
taient les bases
d'une identité de
vues sur la ques-
tion égyptienne
et préludaient
ainsi à l'arran-
gement d'avril 1904, qui marque une progression
décisive sur le chemin de l'Entente cordiale, en
prouvant aux deux nations qu'elles avaient mainte-
nant le même intérêt à ne plus se désunir.
Après avoir joué dans cet épisode le rôle que
nous indiquons, Paul Cambon était naturellement
désigné pour poursuivre son œuvre patriotique.
Nul n'ignore plus avec quel dévouement il s'y est
consacré et comment, prévoyant, avisé, inspirant
à ses interlocuteurs par sa franchise, par sa loyauté
et par la sagesse de ses conseils une confiance sans
limites, il a cultivé laborieusement la belle fleur
dont il avait jeté les racines dans un sol qu'on pou-
vait croire ingrat, mais qu'il avait su féconder et
rendre fertile au delà de ce que la France pouvait
espérer. A cet égard, il y a lieu de rappeler son
inlervention entre l'Angleterre et la Russie en oc-
tobre 1904, lors du fameux incident de Hull. C'était
en pleine guerre russo-japonaise. Une flotte russe
de secours, commandée par l'amiral Rogestvenski,
en traversant la mer du Nord, coule des barques
anglaises de pêche, qu'elle a prises, dans la nuit,
pour des torpilleurs japonais. L'émotion, en Angle-
terre, est immense ; des paroles menaçantes sont
prononcées, ce sera la guerre demain. Sans prendre
conseil de son gouvernement, Paul Cambon se pré-
cipite au Foreign-Oflice, prêche le sang-froid, la
modération, la patience, et fait prévaloir dans le
cabinet britannique l'idée d'une commission d'arbi-
trage qui établira les responsabilités et prononcera
les sanctions. Grâce à lui, un conflit anglo-russe fut
évité, dont les conséquences eussent été elfroyables.
Mais c'est surtout à la veille de la guerre actuelle
que cette Entente cordiale, dont l'honneur ne lui
appartient pas moins qu'au roi Edouard 'VII et
qu'aux ministres français et anglais qui étaient alors
en fonctions, nous apparaît dans toute son efficacité.
11 n'est pas besoin d'insister pour faire comprendre
combien est justifiée l'exceptionnelle réputation
dont jouît Paul Cambon dans le corps diploma-
tique mondial, dont, nous l'avons dit, il est le doyen
respecté. — Ernest Daudet.
Cllèq.ues (Dernier état de notre législation
SUR les). Dr. comm. et pén. — I. Généralités. —
Le développement de l'usage des chèques, qui, en
Amérique et en Angleterre, a si puissamment con-
tribué à favoriser l'essor économique, est chez
nous fort gêné par nos vieilles pratiques de thésau-
risation au logis et de payements en numéraire.
Toutefois, avant la guerre actuelle, le mouvement
des chèques s'était, en quelques années, considéra-
blement accru en France : le nombre des chèques
émis était passé de 6.827.000 en 1897 à 12.261.000
en 1909, c'est-à-dire avait augmenté de près du
double en douze ans.
Pour encourager cette circulation fiduciaire, en
fortifiant la confiance du public dans le chèque,
notre législation de 1865 et de 1874 sur les chèques
a été modifiée et complétée. Telle a été l'œuvre de
deux lois principales : 1° la loi du 30 décembre 1911
sur les chèques barrés, votée sur l'initiative du sé-
nateur Antony Ratier, et dont une loi du 26 jan-
vier 1917 a étendu les dispositions; 2» la loi du
2 août 1917 sur les chèques sans provision ou à
provision insuffisante, due à la proposition des dé-
putés André Hesse et André Honnorat.
305
Signalons, au point de vue fiscal, qu'un décret do
9 octobre 1913 a créé un nouveau type de timbre,
destiné à timbrer à l'extraordinaire, au tarif de
20 centimes, les chèques de place sur place ; que la
loi du 26 janvier 1917 a édiclé :
Lors de la présentation d'un chèque à rencaissement,
l'additton sur le chèque de la doroiciliation pour payement,
soit à la Banque de France, soit dans une banque ayant
un compte à la Banque de France, ne donnera ouverture
à aucun droit de timoré.
II. Loi DU 30 DÉCEMBRE 1 >ll SUR LES CH^UM
BARRÉS. — Avec le chèque ordinaire au porteur, un
voleur, contrefaisant la signature du bénéficiaire,
peut aisément toucher le montant du chèque.
Selon les dispositions de la loi du 30 décem-
bre 1911, le chèque barré — qui est un « chèque
traversé de deux barres parallèles » — a, notam-
ment, l'avantage de parer à un tel danger, ainsi
que nous allons l'expliquer, et, par suite, d'accroître
la sécurité des tireurs.
Le chèque barré a pour caractéristique de ne pou-
voir être tiré que sur un banquier et de ne pouvoir
être encaissé que par un banquier. La loi du 26 jan-
vier 1917 a, à ce point de vue, assimilé les agents
de change aux banquiers.
Le barrement du chèque peut être effectué, à tout
instant, soit parle tireur, soit par un porteur.
Le barrement peut être : 1° « général », si, entre
les deux barres, le chèque ne porte aucune désigna-
tion particulière de banquier, ou bien porte seule-
ment la mention « et compagnie »; — 2" <• spécial »,
sile nom du banquier estinscritentre les deux barres.
Le barrement général peut, dans la suite, être
transformé en barrement spécial.
Le chèque à barrement spécial ne peut être pré-
senté au payement que par le banquier désigné. Tou-
tefois, si ce banquier n'opère pas l'encaissement
lui-même, il peut se substituer un autre banquier.
Il est interdit au porteur d'ellarer le barrement,
ainsi que le nom du banquier désigné.
Le tiré qui paye le chèque barré soit à une per-
sonne autre qu'un banquier, si le barrement est géné-
ral, soit, si le barrement est spécial, à une personne
autre que le banquier désigné, n'est point libéré.
Comme le chèque ordinaire, le chèque barré doit,
dans tous les cas, être daté et présenté dans les dé-
lais légaux. En ce qui concerne les chèques barrés
remis par un banquier à une chambre de compensa-
tion, l'apposition d'un simple cachet à date est suf-
fisante pour indiquer la compensation.
III. Loi DU 2 AOÛT 1917 sur les chèques sans
provision ou à provision insuffisante. — En cas
d'insuffisance ou même en cas d'absence de provi-
sion préalable entre les mains du tiré, dans quelle
situation se trouvait, avant la législation nouvelle,
celui qui avait reçu un chèque, même barre? El
quelles pénalités encourait le créateur d'un chèque
sans provision ou à provision insuffisante?
Ces questions donnaient lieu à de graves incerti-
tudes juridiques; et, en définitive, le porteur dupé
demeurait désarmé, tant au point de vue civil qu'au
point de vue pénal : d'où la loi du 2 août 1917.
Effet, au point de vue civil, du chèque à provi-
sion insuffisante. — En 1905 et 1906, sur l'initiative
de la Cour de cassation, une jurisprudence avait
pris corps, d'après laquelle un chèque n'est valable et
ne peut produire d'effet que si le tiré a, d'avance,
reçu en dépôt dans sa caisse une provision suffi-
sante pour que le montant du chèque soit acquitté
à première réquisition; dans le cas contraire, le
chèque est considéré comme étant, dès l'origine,
frappé d'une nullité radicale, pour le tout. Consé-
quence : le porteur d'un chèque ne pouvait avoir
aucun droit sur les fonds déposés chez le tiré, si ces
fonds étaient inférieurs au quantum du chèque; il
ne pouvait se faire attribuer la provision partielle,
et celle-ci devenait, en cas de faillite, le gage de
tous les créanciers.
Pour obvier à un tel état de choses, la loi du
2 août 1917 a, en son article 1"", posé la règle sui-
vante : si la provision est inférieure au montant du
chèque, celui-ci produit tous les elTcls attachés au
chèque régulier, jusqu'à concurrence de ladite provi-
sion; il ne doit être considéré comme irrégulier que
pour le surplus.
Pénalités contre le créateur d'un chèque non
provisionné. — Contre le tireur émettant un chèque
non provisionné, c'est-à-dire sans provision ou avec
provision insuffisante, les sanctions pénales, anté-
rieurement à la loi du 2 août 1917, faisaient défaut,
en fait.
Au cas de mauvaise foi du tireur, les tribunaux
répressifs élaient presque toujours désarmés. Seul,
en effet, l'article 405 du Code pénal, punissant l'es-
croquerie, était susceptible d'être invoqué; mais la
jurisprudence déclarait, à juste raison, qiie le tireur
de mauvaise foi d'un chique non préalablement pro-
visionné ne se rendait pas passible, par la seule
remise du chèque, des dispositions de rarlicle 405;
qu'il n'y avait escroquerie, au sens de cet article,
que si à la remise du chèque s'était jointe une mise
en scène ou l'intervention d'un tiers, dans le but de
donner force et crédit aux allégations mensongères
du tireur.
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
12*
306
Or, si l'on voulait que le chèque fût couramment
reçu comme un billet de banque, il fallait qu'en
cette matière, le faussaire fût puni sévèrement,
ainsi nue l'est le falsificateur du billet de banque.
La foi du 2 août 1917, par son article 2, a, sui-
vant les cas, institué une sanction très différente :
en certaines circonstances, il y a un délit contra-
venlionnel, frappé d'une simple amende; en d'autres
circonstances, apparaît un délit spécial, que répri-
ment à la fois l'emprisonnement et l'amende.
Délits contraventionnels. — Si, sans mauvaise
foi de la part du tireur, notamment par suite
d'une erreur involontaire quant à l'importance de
la provision, il y a eu émission " sans provision
préalable et disponible », la sanction est une amende
de 6 p. 100 de la somme pour laquelle le chèque est
tiré (sans que cette amende puisse être inférieure à
100 francs).
Si la provision est inférieure au montant du
chèque, l'amende ne porte que sur la différence
entre le montant de la provision et le montant du
chèque.
Délit spécial. — Au cas de préjudice subi par ce-
lui à qui le chèque a été remis et de mauvaise foi
de la part du tireur, il y a délit dans deux hypo-
thèses différentes : 1° si l'émission du chèque a eu
lieu o sans provision préalable et disponible »; —
2° si, après l'émission du chèque, il y a eu retrait
de la provision, en tout ou en partie.
La peine consiste : en un emprisonnement de
deux mois à deux ans; en outre, en une amende,
dont le maximum est le double de la valeur nominale
du chèque, et le minimum le quart de cette valeur.
L'article 463 du Gode pénal sur les circonstances alté-
nuantes est applicable au déli t spécial créé. — l. andrè.
Cœur (Chirurgie du). La chirurgie du cœur
est restée, jusqu'à ces dernières années, inexis-
tante. Le cœur était considéré comme un organe
auquel il était interdit de toucher et, en 1887, un
chirurgien très estimé, Peyrol, écrivait : « En pré-
sence d'une plaie du cœur, le chirurgien est à peu
près désarmé. Les expériences de Block, démon-
trant que la suture d'une plaie du cœur peut être
faite rapidement et avec succès chez les animaux,
tout intéressanles qu'elles soient, ne paraissent pas
applicables jusqu'ici à l'homme. » Plus loin, le même
auteur déclare ce mode de traitement « à peu près
chimérique ». A cette époque, on discute encore
fiour savoir s'il faut retirer du cœur, ou les y laisser,
es corps étrangers, même aisément accessibles.
Les expériences sur les animaux n'avaient pas
seulement été faites par Block, mais aussi par
Salomoni et Del Vecchio. Farina fut le premier
qui, en 1896, transporta ces données en chirurgie
humaine; son opéré, après une survie de six jours,
succomba a une broncho-pneumonie. La première
guérison fut obtenue la même année par Rehn,
chez un sujet atteint de plaie du cœur par coup de
couteau, plaie qui fui suturée. En France, la pre-
mière opération de ce genre fut faite par Marion
en 1S98 et la première guérison obtenue par Fontan
en 1900.
A ce moment, on enregistrait déjà 11 cas de
chirurgie active du cœur. Ce nombre montait à 51
cas (Terrier et Reymond) en 1902 et à 68 (Guibal)
en 1905. En 1906, Lenormant réunissait une statis-
tique de 128 observations avec 47 guérisons, soit
une proportion de 37,7 p. 100 de résultats favora-
bles. Cette proportion montait, en 1911, à 43 p. 100.
La guerre actuelle devait nous apporter un nombre
notable de plaies du cœur suivies d'intervention
chirurgicale, dont les enseignements sont précieux
à enregistrer.
Le premier point à élucider est de savoir si l'in-
tervention est nécessaire dans les plaies du cœur.
Celles-ci sont constituées soit par des blessures
d'instruments coupants ou piquants, soit par des
fragments de projectiles inclus dans l'épaisseur du
muscle cardiaque, ou libres dans une des quatre
cavités. Dans les plaies simples, qui se présentent
le plus fréquemment en clientèle civile (coups de
couteau), les signes révélateurs sont souvent fort
graves et indiquent un étal très menaçant. Ce sont :
une pâleur « mortelle », un pouls petit et irrégulier,
des syncopes et des crises d'étouffemenl. Il semble
que beaucoup de ces signes soient surtout sous la
dépendance de la présence, dans le péricarde (le sac
séreux qui enveloppe le cœur), de sang épanché à
travers la plaie et qui comprime l'organe lui-même.
La guérison spontanée de ces plaies est extrême-
ment rare, et la mortalité en est fixée, par les sta-
tistiques, à 84,8 p. 100. Cette statistique est même
très sujette à caution, car on n'y a pas fait figurer
les blessés, fort nombreux, qui succombent avant
d'être transportés dans un hôpital et confiés à un
chirurgien.
Les corps étrangers (fragments de projectiles,
surtout) enclavés dans l'épaisseur des parois car-
diaques semblent parfois assez bien tolérés. Mais,
fort souvent, il y a des signes de souffrance réelle :
douleurs, troubles respiratoires, vomissements de
sang, gêne et fatigue, syncopes, etc. Quelquefois, le
corps étranger dépasse à l'intérieur de la cavité, et
LAROUSSI-: MENSUEL
les dangers qu'il fait courir au blessé s'en accrois-
sent. Dans le cas de corps étranger libre dans la
cavité cardiaque, les signes deviennent beaucoup
plus importants : il y a une angoisse considérable,
de la gêne respiratoire très accentuée, de la cya-
nose, de l'affolement du cœur. Si l'intervention
dans la première série de cas peut n'apparaître pas
nécessaire, elle semble, au contraire, s'imposer
dans la seconde. Pour peu intenses que soient, dans
certains cas, relativement rares, les signes fournis
par ces corps étrangers, il faut bien savoir que la
situation peut s'aggraver à tout instant. Un corps
étranger peut amener dans le sang qui remplit le
cœur des coagulations, d'où danger d'embolie. Il
peut même constituer l'embolus lui-même, car ces
fragments de projectiles ne restent pas immobiles.
On a vu l'un d'eux, sous l'écran radioscopique, exé-
cuter des mouvements complexes qui suivaient le
cours du sang dans la cavité cardiaque et obéis-
saient aux coniractions de l'org.ine; dans un cas,
on a signalé une balle qui, incluse d'abord dans
l'oreille droite, fut ensuite retrouvée dans la veine
fémorale. Chaque cas, d'ailleurs, doit être discuté
en particulier, suivant la situation du corps étranger,
sa forme, les phénomènes anormaux qu'il déter-
mine, les difficultés de l'opération, elc.
L'intervention, en effet, est naturellement des
plus délicates. II faut d'abord ouvrir la cage Ihora-
cique, en pratiquant un volet qui oblige à la résec-
Lc cœur dans le thorax : od, oreillette droite ; og. oreillette
gauche; vd, ventricule droit; vg, ventricule gauche,
tion de portions de côtes et de cartilages. Puis vient
l'ouverture du péricarde, ou tout au moins l'agran-
dissement de la plaie qui a été causée à cette enve-
loppe par la pénétration du corps étranger. Enfin, il
faut saisir le cœur dans la main gauche (gantée de
fil par-dessus le gant de caoutchouc, afin d'éviter
que le cœur ne glisse dans la main) et procéder à
l'incision du muscle cardiaque. Saisir le corps
étranger et l'extraire est 1 avant-dernière phase de
l'opération. Relativement aisée quand il est enclavé
et facile à saisir, elle devient extrêmement ardue
quand il est libre et mobile. La dernière partie de
l'intervention est constiluée par les sutures du
cœur, du péricarde et de la paroi. Ces opérations,
bien entendu, ne peuvent être tentées que dans un
milieu chirurgical très bien agencé et moyennant
une asepsie scrupuleuse (bon nombre de morts
post-opératoires, dans les sutures simples, ont été
cau.sées par des complications infectieuses). Elles
doivent être, en outre, précédées d'un repérage ra-
diologique minutirux. L'opération, en général, est
plus aisée sur les ventricules que sur les oreillettes,
et elle est particulièrement délicate sur l'oreillette
gauche, profondément située (un seul cas, dû à
K. Le Fort, de Lille). Nous ne pouvons insister
sur les incidents qui peuvent marquer les opérations
de ce genre; les principaux sont les hémori'agies,
les syncopes, l'arrêt du cœur, etc.
A la statistique de suture cardiaque que nous
avons donnée plus haut il faut ajouter celle qui a
trait aux extractions de projectiles tentées depuis le
début de la guerre en France. Ces interventions,
d'après le rapport présenté par Delor me à l'Académie
de médecine, sont au nombre de 13, sur lesquelles
on ne compte que trois morts. Les opérations
laitesj notamment, pour corps étrangers intra-
ventriculaires du cœur droit, le plus facilement ac-
«• 130. Décembre 1917.
cessible, ont été suivies de succès dans 4 cas sur 4.
11 est difficile de savoir s'il surviendra des compli-
cations chez ces opérés. Ce que l'on peut dire, c'est
qu'ils étaient, avant l'intervention, en menace de
mort perpétuelle et que, « chez ceu.x qui ont survécu
après l'opération, les renseignements qu'on possède
font bien augurer de leur avenir ». (Delorme.) Quant
aux sutures simples de plaies du cœur, on a revu,
plusieurs années après l'opération, des blessés qui
ne se ressentaient nullement de leur blessure anté-
rieure et dont le fonctionnement physiologique
était redevenu normal.
On peut se demander, en présence de ces résul-
tats très remarquables et faits pour encourager à
l'audace les chirurgiens, s'il ne serait pas possible
d'intervenir chirurgicalement sur le cœur en de-
hors même des blessures et de tenter la guérison
opératoire de lésions organiques, congénitales ou
acquises, qui ne relèvent, jusqu'à présent, que de la
médecine et contre lesquelles elle est trop souvent
absolument désarmée. On pourrait ainsi penser à
remédier, par exemple, aux rétrécissements des ori-
fices cardiaques, qui sont en dehors de toute théra-
peutique. Un certain nombre de chirurgiens ont
lait, à ce sujet, des expériences sur les animaux.
Parmi eux, il faut citer surtout Carrel et Tuffler.
Les opérations entreprises par le premier sur des
chiens et portant sur le cœur et les gros vaisseaux
de sa base donnent à cet égard des espoirs nota-
bles. La seule opération de ce genre tenlée sur
l'homme (par Doyen, en 1913, sur une jeune fille
atteinte de cyanose et menacée d'une mort prompte)
a été suivie d'insuccès. — D' Henri bouquet.
Dangeard (Pierre-Augustin-Clément), bota-
niste français, né à Ségrie (Sarlhe) le 23 novem-
bre 1862. Ancien élève de l'école normale primaire
d'Alençon (Orne), où il entra en 1878, il fut d'abord
instituteur adjoint à Chanu (Orne) en 1881, puis à
Fiers (Orne) en 1882. Mais ses goûts le poussaient
de plus en plus vers l'étude des sciences naturelles;
aussi fut-il au comble de ses vœux lorsque, après être
resté pendant quelques mois professeur des cours
élémentaires du collège de Domfront, il obtint, en
1883, la place de préparateur à la Faculté des
sciences de Caen. C'est là que sa vocation se précisa
de plus en plus. Avec son maître, le doyen Mo-
rière, il herborisa dans toute celte région normande
des environs de Caen, où la diversité des terrains
et, par suite, des flores, ollie au botaniste les res-
sources les plus variées. Toutefois, il semble que
ce soit le D'' Edouard Bornel, auquel il fut chaleu-
reusement recommandé par Morière, qui exerça
sur Dangeard la plus heureuse influence en l'enga-
geant à e.vplorer le domaine des infiniment petits,
encore si peu connu.
En 1886, il passa sa thèse de doctorat. Son tra-
vail : Recherches sur les organismes inférieurs ne
passa pas inaperçu, car, à rencontre de ce qui avait
été fait jusque-là, il basait la différenciation entre
les animaux et les végétaux sur le mode de nutrition.
Cette thèse fui le point de départ de nombreux tra-
vaux, dans lesquels, en partant du mode de nutri-
tion, Dangeard put suivre la phylogénie des orga-
nismes inférieurs, »oit du côté delà série animale,
soit du côté de la série végétale, puis, après l'élude
du développement et de la structure, établir les liens
d'affinité et les relations des familles entre elles.
Il étudia ainsi de nombreux organismes inférieurs
appartenant soit au règne animal, soit au règne vé-
gétal. Citons, particulièrement, ses travaux sur les
■Vampyrelles, les Chytridinées, les Cryptomonadi-
nées, l'es Eiigienées, les Flagellées, les Acrasiées, cer-
taines familles d'algues inférieures, lesChlamydonio-
iiadinées, etc. Pour récompenser ses travaux sur les
organismes inférieurs, l'Académie des sciences lui
avait décerné, en 1887, le prix Desmazières, exœquo
avec un savant algologue italien.
En dehors du problème général de distinction
entre les animaux et les végétaux, Dangeard a traité,
<ians le domaine des infiniment petits, d'autres pro-
blèmes des plus importants : d'abord, il a étudié
d'une façon toute particulière la nutrition. Il a
montré que la chlorophylle appartient en propre aux
végétaux et que, chez les animaux colorés en vert,
il n'y a pas de cbloroleucites, mais, en réalité, des
algues microscopiques qui vivent en symbiosedans
le protaplasmade ces animaux. 11 a, d'ailleurs, étudié
de nombreux cas de symbiose et, en particulier,
celle des lichens. On lui doit aussi une méthode
autre que la merotomie et qu'il a appelée enucUojiha-
rjie, pour rechercher les rôles respectifs du noyau
et du proloplasma dans la vie de la cellule; il a
établi qu'il existait, parmi les organismes inférieurs,
des êtres qui possèdent une organisation double,
comparable à celle des frères siamois, avec cette
différence qu'il s'agit d'un état normal susceptible
d'être transmis à travers les générations. Il a mis
au point, par des études sur les flagellées, les lois du
cloisonnement énoncées par Hertwig et Pflueger;
il a montré qu'il y avait exagération dans le rôle
attribué à U chromatineextranucléaiie, etil aétudié
le noyau et son mode de division, comme on le fait
pour la cellule elle-même.
«• 130. Décemre 1917
LAROUSSE MENSUEL
307
Pierre Dangcard.
Dans un autre ordre d'idées, il convient de citer
ses beaux travaux sur la sexualité chez les champi-
gnons supérieurs. Son premier mémoire à ce sujet
(« Comptes leiulus « de l'Acadtmie des sciences,
30 janv. 18!i:l), en collaboration avec son prépara-
teur Sappin-TroiilTy, avait pour titre : Recherches
hislologiques siir les urédinées. Il fut suivi d'un
certain nombre d'autres concernant \k Reproduction
sexuelle des ustilar/inées, des ascomycéles, de la
truffe, des basidionii/cètes, etc. Oii peut dire qu'on
lui doit la découverte de cette sexualité. C'est pour
récompenser les importants résultats qu'il venait
d'obtenir que l'Académie des sciences lui décerna,
en 1906, le grand prix des sciences physiques;
d'ailleurs, ce prix fut décerné au concours, car
l'Académie avait proposé comme snjet de concours,
en 1905, le problème de la reproduction sexuelle
deschampignons
supérieurs. Il a
aussi contribué à
la détermination
de la sexualité
chez les champi-
gnons inférieurs,
chez les algues,
chez les infusoi-
res ciliés; enfin,
il a donné une
nouvelle théorie
delasexualilégé-
nérale qui per-
met d'expliquer
les phénomcncs
de parthénoge-
nèse expérimen-
tale, ainsi que les
divers cycles de
développement
que l'on rencontre chez les algues, les champignons,
les muscinées, les plantes supérieures et aussi l'alter-
nance telle qu'elle existe chez les protozoaires et
les animaux supérieurs.
Dangeard s'est également intéressé à la patho-
logie ; il a créé des vergers d'étude pour les pom-
miers et poiriers, et il a étudié un grand nombre
de maladies diverses causées par des parasites et
susceptibles d'altérer ces deux arbres.
Les fondions de préparateur de botanique qu'il
avait exercées à la Faculté de Caen avaient donné
à Dangeard des notions précises et étendues sur
l'anatomie générale des plantes ; aussi lui doit-on
d'importants travaux de morphologie et d'anatomie
végétales. Enfin, il convient encore de citer ses
travaux de physiologie générale, toute une série
d'expériences sur la synthèse chlorophyllienne, le
phototaclisme, l'action de lalumière sur les pigments
végétaux et les substances colorantes diverses,
l'adaptation chromatique, etc.
Tous ces travaux permettent de classer Dangeard
parmi les premiers botanistes contemporains; ils
font l'objet de très nombreux mémoires, qui ont été
publiés surtout dans les ■ Comptes rendus » de l'Aca-
démie des sciences et dans la revue « le Bota-
niste ", dont Dangeard est le directeur.
11 avait été nommé, en 1886, chef des travaux de
botanique à la Faculté des sciences de Caen ; il
devint ensuite maître de conférences (1891), puis
professeur de botanique (1894) à la Faculté des
sciences de Poitiers. Enfin, en 1908, il était chargé
de cours de botanique à la Faculté des sciences de
Paris. Depuis 1909, il est chevalier de la Légion
d'honneur (promol ion L%marck);ennn,le21mail917,
il était élu membre de l'Académie des sciences
pour la section de botanique, en remplacement de
R. Zeiller (v. p. 301). En 1911, il a été nommé pré-
sident de la Société mycologique de France et,
depuis191'i, il exerce les fonctions de président de
la Société de botanique de France. — Q. Boucbbmt.
Electricité (le Chauffagk par i-'). La rare'é
et le renchérissement croissant de tous les com-
bustibles excite de toutes paris l'ingéniosité des
inventeurs, des industriels et des clients eux-
mêmes vers la recherche démodes de chauffage qui
utilisent au mieux leur pouvoir calorifique. A ce
point de vue. le chauffage individuel, tel qu'il est
pratiqué encore actuellement presque partout, est
tout simplement désastreux, étant donné le mau-
vais rendement de la plupart des appareils de
chauffage de petites dimensions employés. L'éco-
nomie bien comprise consisterait k brûler le com-
bustible dans des appareils puissants à grand ren-
dement thermique et à distribuer les calories ainsi
produites aux particuliers. La grosse difficulté du
système réside dans le transport de ces calories.
çiui ne peut se faire que par l'emploi d'un agent
intermédiaire : air, eau ou vapeur d'eau pour les
calorifères d'immeubles, vapeur, gaz ou électricité
pour les dislribullo'is lu'baines.
Ce dernier agent est, sans contredit, le plus souple
de tous, les canalisations qui lux servent de sup-
port étant de simples fils métalliques légers, peu
encombrants, peu coûteux à installer et divisibles à
l'infini en autant de ramifications qu'il y a d'appa-
reils à desservir. Il est aussi plus propre, plus
hygiénique, plus silencieux et, surtout, moins dange-
reux que tous les autres, le gaz d'éclairage en pai-
ticulier. Malheureusement, les prix élevés do
l'énergie électrique en France ont nui jusqu'à pré-
sent au développement de ce mode de chaufTa^'e,
dont l'emploi s'est largement répandu ces dernières
années dans la
plupart des au-
tres pays indus-
triels : Amé-
rique, Allema-
gne, Suisse ,
Angleterre, oii
les prix prati-
qués sont gé-
néralement in-
férieurs.
Théorique-
ment, un ki-
lowatt-heure
(liwh.)peulpro-
duire environ
S60 calories,
tandis qu'un
mètre cube de
gaz de ville dé-
gage par sa
combustion de
4.000 à 5.000
calories. Pra-
tiquement, des
études compa-
ratives très sé-
rieuses, basées
sur plusieurs
années d'expé-
riences et de
nombreuses
statistiques, ont
montré qu'avec
les appareils de
chauffage ac-
tuellement en
usage, la quan-
ti té d'éleclri-
ci té équiva-
lente k 1 mètre
cube de gaz
n'est que de
à 3 kwh. La
pnrs, seuls, le fer, le nickel et les métaux rares
(platine, etc.) peuvent être employés; mais le fer
s oxyde rapidement, le platine est d'un prix prohi-
bitif; et le nickel a l'inconvénient d'être beaucoup
moins résistant à froid qu'à chaud, d'où un appel
de courant exagéré lors de la mise en service. On
emploie de préférence des alliages de métaux, dans
•:k;x*:-:-:''>>>:*:<*-:-:-:-:-:->>>-:-Ni,™*
1. Graod radiateur à lampes chauffantes (Goisot^. — 2. Petit radiateur à lampes efaauffaates. '
rural pour cheminée de fer. — 4. Radiateur & résistances obscures.
différence entre la pratique et la théorie tient au
mauvais rendement thermique des appareils à gaz,
alors que celui des appareils électriques est tou-
jours égal à 1, l'énergie étant tout entière trans-
formée en chaleur. Il faudrait donc, pour que le
chauffage électrique puisse lutter économiquement
avec le chaiifi'age au gaz, que le prix du kwh. soit
de 2 à 3 fois plus faible que celui du mètre cube de
gaz, c'est-à-dire qu'il ne dépasse pas 10 centimes en
moyenne. Or, ce prix peut être facilement atteint
dans bien des cas, surtout quand les usines géné-
ratrices d'électricité empruntent leur énergie à des
forces hydrauliques (houille blanche), le prix de
revient du kwh. ne dépendant pas, alors, des cours
du charbon comme pour les usines à vapeur. Il est,
d'ailleurs, appliqué actuellement par plusieurs see-
teurs, notamment en Suisse, où la question prend
chaque jour une importance croissante.
Le principe du chauffage électrique est celui-ci :
absorber dans des résistances convenablement cal-
culées et étaolies l'énergie électrique fournie par
les secteurs, cette énergie se transformant auloma-
tiquement et sans perle en chaleur (effet Joulel,
quelle que soit, d'ailleurs, la nature du courant dont
on dispose (continu ou alternatif, haute ou basse
tension). Toutefois, la basse tension (jusqu à
120 volts) doit être préférée, les appareils devenant
de plus en plus difficiles à établir à mesure que la
tension augmente. Ceci se comprend facilement, si
l'on considère que les corps dont on dispose pour
constituer les résistances chauffantes doivent élre
à la fois bons conducteurs du courant et très réfrac-
taires à la chaleur, pour ne pas se détériorer à haule
température. Seuls, les métaux, les charbons et
leurs agglomérés répondent à ces conditions; mais
la faible résistance qu'ils opposent au courant
oblige, si l'on ne veut pas atteindre des intensités
trop fortes qui détérioreraient les canalisations, à
n'employer ces corps qu'en longs fils de faible sec-
tion ou en fragments très divisés, de façon à ac-
croître artificiellement leur résistance électrique,
qui serait insuffisante sous les tensions de MO et
120 volts en usage presque partout. D'antre part,
les corps employés doivent pouvoir résister, sans
usure ni modification moléculaire sensible, non
seulement à la chaleur, mais aussi à l'action chi-
mique des corps voisins (oxygène de l'air, matière
du support, etc.).
Ces diverses qualités ne peuvent guère être ob-
tenues simultanément; chaque corps a ses avan-
tages et ses inconvénients. Nous les classerons en
trois catégories :
1» Résistances métalliques. — Parmi les métaux
lesquels entrent surtout le fer, le nicki I, le cuivre,
le zinc, le manganèse, etc. Leur résistance élec-
trique est plus élevée et varie moins avec la tempé-
rature que celle des métaux purs, mais ils devien-
nent, en général, cassants à l'usage. Le plus connu
de ces alliages est le maillechort. Les résistances
métalliques sont employées à l'air libre ou en vase
clos pour éviter l'action de l'air ou, mieux, complè-
tement protégées par des feuilles d'amiante ou de
mica, ou par une couche d'émail, etc. On peut aussi
les disposer en spirales très fines ou en former de
véritables tissus mé-
talliques souples
(coussins chauffants,
cataplasmes électri-
ques, etc). On peut,
enfin, déposer le mé-
tal en couches min-
ces sur des plaques
de mica, d'amiante
ou de porcelaine.
2° Résistances en
charbon. — La plus
commune est la
lampechaufTante,qui
n'est qu'une puis-
sante lampe à fila-
ment de charbon
remplie d'un gaz
inerle (azote ou hy-
drocarbure), dont le
but est d'augmenter
la conductibilité par
convection. Cette
lampe a l'avantage
d'éclairer en même
temps qu'ellechauffe,
ce qui donne l'illu-
sion d'un chauffage plus efficace. On fait aussi des
résistances en charbon aggloméré, pur ou mélangé
de silice, ou carborundum ; elles sont surtout em-
ployées pour le chauffage des fours de laboratoire.
3° Résistances tnixtes ou agglomérées. — On a
cherché à augmenter la résistance des métaux en les
divisant et en les mélangeant à des substances
inertes, de façon à éviter l'emploi de fils fins et cas-
sants. Dans les résistances métallocéramiques Par-
villée, le métal (nickel) s'emploie en poudre fine,
qu'on agglomère avec des argiles réfractaires sous
pression à haute température : on obtient ainsi des
bâtons très solides et résistants, pouvant supporter
des courants intenses. On peut aussi employer le
charbon au lieu du métal pour constituer ia partie
. Fer a n^passer à accumulaUon.
2. Petit fer à repasser.
308
conductrice (Le Roy), ou même employer des grains
de charbon de différentes grosseurs, comprimés dans
des tubes-cartouches (Wœlker). Ou bien, encore, on
peut constituer des mélanges de sels métalliques et
de matières inertes, qu'on réduit ensuite pour obte-
nir une incorporation plus complète du métal dans
la masse (Hereus). D'ailleurs, les recherches se
poursuivent dans ces diverses voies : les brevets
sont nombreux et les résultats très intéressants.
Un autre genre d'appareils chauffants utilise la
chaleur produite par les courants parasites induits
LAROUSSE MENSUEL
On emploie, en physiothérapie, des appareils chauf-
fants appelés condenseurs de chaleur ou réflecteurs-
condenseurs, constitués par des lampes chauffantes
disposées dans des habillages réfléchissants nickelés,
et des cataplasmes électriques en tissu métallique
souple recouvert d'une enveloppe de laine et dont
la consommation est assez réduite pour qu'on puisse
les brancher sur une douille de lampe ordinaire.
Ajoutons que les radiateurs électriques à circula-
tion d'air conviennent particulièrementau chauffage
des salles de malades, car ils possèdent un pouvoir
1. Grande rôtissoire. — 2. Petit ltîI. — 3. Petit récliauti. — *. Table ciiauffante.
. Petit réchaud de cuisine.
dans un circuit magnétique sous l'influence d'un
courant alternatif. Le circuit dans lequel passe le
courant excitateur est alors indépendant du circuit
magnétique dont fait généralement partie l'objet à
chauffer (fer à repasser, réchaud de cuisine, etc.).
C'est là un avantage au point de vue de la bonne
conservation des appareils, mais il y a des incon-
vénients : plus grand encombrement, fonctionne-
ment impossible sur courant continu. Ce principe
est, par contre, très employé en métallurgie, dans
les fours à induction. (V. l'art, électrométal-
LunciK au Nouveau Larousse ilL]
Enfin, un troisième genre d'appareils utilise la cha-
leur produite par l'arc électrique jaillissant enti'e
deux élecli'odes de charbon ou de métal dans un
espace resti-eint et bien clos. On
peut ainsi produire des tempé-
ralui'es ti'ès élevées en des
points bien localisés. C'est le
principe des fours à électrodes.
(V. Nouv. Lar. ilL, loc. cit.)
En dehois de cette importante
application, l'arc n'est guère
employé que pour le chauffage
des fers à repasser et à souder.
Au point de vue de leurs ap-
plications, nous diviserons les
appareils de chauffage en trois
classes :
1" Appareils scientifiques ou
On a souvent besoin, pour les
expériences de laboratoire, d'un chauffage très uni-
forme, constant et prolongé, dont la surveillance est
fatigante et fastidieuse. Le chauffage électrique, par
sasécurité, est alors tout indiqué pour remplacer le
chauffage par le gaz, avec lequel on est toujours à la
merci d'une fuite. Les étuves et les fours sont tou-
jours à double enveloppe, la résistance chauffante
étant disposée contre l'enveloppeintérieure. L'inter-
valle séparant les deux parois est garni d'un calori-
fuge qui réduit les perles au minimum : la chaleur
reste emprisonnée, et un courant très faible suffit à
l'entretenir, de sorte que ce mode de chauffage si si'ir
est aussi, dans ce cas particulier, le plus économique.
Les étuves sont à température fixe ou varialjle ;
elles comportent souvent deux circuits de chaulfage,
qu'on fait d'abord fonctionner ensemble pour at-
teindre rapidement la température désirée. On sup-
firime alors l'un d'eux, l'autre suffisant à maintenir
e degré voulu. Le réglage peut, d'ailleurs, être obtenu
automatiquement par l'action d'un thermomètre à
contact commandant un circuit auxiliaire.
Signalons aussi les bains-marie, les bains de sable de
divers modèles et les stérilisateurs chiruigicaux, dont
le plus parfait semble être celui du D'Wiart, cons-
truit par la maison Goisot et dans lequel la tempé-
rature se maintient parfaitement constante à 170° G.
de laboratoire.
stérilisateur remarquable, l'air qui les traverse étant
porté à plus de 170° G. (teinpérature de stérilisation).
Des expériences faites en 1908 par le D' Sartory,
avec le stérilisateur SalIé, ont montré qu'une salle
de 100 mètres cubes, contenant 50.000 bactéries par
mètre cube, est complètement stérilisée en moins
de trois heures, avec un appareil de 11 hectowatts
seulement.
2° Applications industrielles. — Elles sont très
nombreuses, et nous ne pourrons qu'indiquer les
principales. Elles constituent d'abord toute une
branche de l'industrie métallurgique, pour laquelle
nous renvoyons aux traités spéciaux et au Nouveau
Larousse ill. {V. électrométallurgie.)
Les industries mécaniques emploient surtout le
fer à souder électrique, qui peut être chauffé inté-
rieurement par l'arc électrique ou, plus ordinaii-e-
ment, constituer l'une des électrodes de l'arc, l'autre
étant formée par la pièce à souder elle-même. La
haute température de l'arc suffit pour fondre le mé-
tal au point voulu. On peut ainsi soit découper des
tôles suivant n'importe quel tracé, soit, au contraire,
les souder à l'autogène. Pour la soudure ordinaire,
on se contente, en général, de promener le fer à la
surface de la pièce, le courant qui passe par le point
ChautTe-fers à friser.
de contact étant suffisantpour élever la température
au degré voulu. Signalons aussi les fours k cémen-
ter, employés par la petite métallurgie. Les chemins
de fer et tramways électriques chauffent leurs voi-
tures soit avec des radiateurs placés sous les ban-
quettes et qui consomment de 1.000 à 5.000 watts
par voiture, soit, plus simplement, par des chauffe-
rettes placées au niveau du plancher, sous les pieds
des voyageurs, et qui consomment une dizaine de
watts par décimètre carié. C'est là une application
de plus en plus importante.
L'industrie des tissus utilise des presses à plateaux
chauffés électriquementpourle traitement des étoffes,
des fers spéciaux pour le grillage des tissus et sur-
tout des velours, qui devient ainsi plus économique,
plus aisé, plus régulier et, surtout, plus rapide (trois
minutes au lieu d'une heure).
En papeterie, l'emploi des cylindres sécheurs
chauffés électriquement se répand de plus en plus :
N' 730. Décembre 7977.
il évite la complication et les dangers d'explosion
des cylindres chauffés à la vapeur et permet d'em-
ployer des appareils à la fois plus légers, moins
l'er à souder.
encombrants et plus rapides et d'obte-
nir, en faisant passer le papier succes-
sivement sur des cylindres de plus en plus chauds,
à température facilement réglable, un séchage pro-
gressif et régulier.
La boulangerie, elle aussi, qui emploie pour ses
fours des combustibles relativement très coûteux,
aurait souvent intérêt à employer à cet usage le
chauffage électrique, d'autant plus que, le travail se
faisant surtout de nuit, aux heures de faible charge
des usines, l'énergie pourrait être fournie à des prix
très avantageux. Ce procédé n'en est, d'ailleurs, plus
à la période des expériences; il est déjà très répandu,
en Suisse notamment, et présente des avantages
incontestables d'hygiène, de propreté et de commo-
dité. La consommation varie de 300 à 500 watts
par kilogramme de pain.
La pâtisserie et la confiserie font usage de tables
chauffantes en fonte, dont la consommation (8 à
10 watts par décimètre carré) est presque insigni-
fiante, et de chaudières à fondre le sucre.
La blanchisserie moderne fait aussi un emploi de
plus en plus fréquent des fers à repasser électriques.
Ces appareils ont l'avantage de la propreté et obli-
gent à des allées et venues moins fréquentes, d'où
gain de temps appréciable et diminution de la main-
d'œuvre. La chapel-
lerie s'en sert pour
le chauffage des feu-
tres et des formes.
L'agriculture elle-
même a parfois re-
cours à l'éleclricité
pour le chauffage des
couveuses ei cham-
bres d'élevage et
pour le séchage des
fourrages et des
fruits.
Enfin, d'une ma-
nière générale, l'em-
ploi de l'électricité
est indiqué dans tous
lescasoùlechau ff âge
au gaz ou au char-
bon présente des dangers ou des inconvénients sé-
rieux : étuves de séchage de la poudre et des explo-
sifs, chauffage des liquides diint les vapeurs sont
facilement inflammables, séchage des épreuves
d'imprimerie ou des photographies, des fleurs artifi-
cielles, etc., marmites pour le chauffage des colles,
vernis, huiles, peintures et corps gras, en général;
tables chauffantes pour le séchage du celluloïd, du
caoutchouc, etc.
Pour en finir avec ce genre d'applications, nous
dirons quelques mois des essais (|iii ont été faits
ces dernièi'es
années et qui
se pour sui-
vent actuelle-
ment en Suis-
se pour le
chauffage des
chaudières
tubulaires
par l'électri-
cité. Plu-
sieurs petites
chaudières
pouvant don-
ner de 50 à
100 kilogram-
mes de va-
peur à l'heure
ont été cons-
truites, et il
est question
d'appliquer
ce système à
ChauffeHîolle.
1. CliaufTc-pieds. — 2. BouiUotte cbauffe-lit.
des locomotives de chemin de ferou, tout au moins,
au réchauffage préalable de leur eau d'alimentation.
Etant donné le prix très bas de l'énergie hydio-
électrique et le prix croissant du charbon d'impor-
tation étrangère, cette opération se présenterait avan-
tageusement pour nos voisins, qui envisagent aussi le
développement de la pratique de la cuisine électrique.
3° Applications domestiques. — Elles peuvent se
diviser en deux classes : a) chauffage des apparte-
ments; 6) appareils de cuisine et de ménage.
Pour le chauffage électrique des appartements, on
emploie des poêles ou radiateurs renfermant soil
(les lampes chauffantes (radiateurs lumineux), soit
des résistances métalliques ou agglomérées. Les
Baia de sable.
«• 730. Décembre 1917.
premiers ont l'avantage d'avoir une très faible capa-
cité calorilique et, par suite, de rayonner la chaleur
dèa leur mise en service, ce qui est précieux dans
bien des cas; de plus, leur aspect lumineux rend le
chaultage plus agréable. Le même effet de chauffage
rapide peut également être obtenu avec les poêles
ou radiateurs à circulation d'air. Ils sont constitués
par des résistances de faible capacité calorifique,
disposées à l'intérieur d'une enveloppe en tôle géné-
ralement cylindrique et ouverte à ses extrémités in-
férieure et supérieure. La ventilation par différence
de densité de l'air .
est pratiquement
suffisante. La
construction des
radiateurs se
prêle, d'ailleurs,
aux formes et aux
dimensions les
plus variées; leur
consommation
varie dans de
grandes limites.
11 est en général
nécessaire de consommer 2 à 3 watts par mètre
cube du volume de la pièce à chauffer et par
degré de différence entre la température extérieure
et celle que l'on désire maintenir dans cette pièce.
Ainsi, pour maintenir 15° dans un cabinet de toi-
lette de 10 mètres cubes, la température extérieure
étant de 0°, un petit radiateur mural de 300 watts
serait suffisant. Il faudrait au moins 3 kw. pour
chauffer un salon de 100 mètres cubes dans les
mêmes conditions. Ces exemples correspondent, pour
Paris, où le kwh. est vendu 50 centimes, à des dé-
penses horaires de 0 fr. 15 à 1 fr. 50. On voit que
le chauffage électrique est surtout intéressant pour
les petites pièces où l'on ne séjourne qu'un instant
(8 à 10 centimes par jour pour la toilette, par exem-
ple),etdevient
un luxe aux
tarifs actuels
pourlechauffa-
ge des graiiiis
appartemenis
(7 à 8 francs
pour un salon
chauffé pen-
dant 5 heures).
Néanmoins, la
propreté abso-
lue de ce moile
de chauffage,
la sécurité et
l'entretien nul
des appareils
le rendent in-
téressant, mê-
me pour le
chauffage d'un
salon utilisé à
certains jours
pendant quelques heures, ou d'une chambre à cou-
cher pendant quelques minutes le matin et le soir.
D'ailleurs, les prix ci-dessus sont relativement très
élevés, el nombreux sont les secteurs, surtout à l'étran-
ger et particulièrement en Suisse, qui vendent le kwh.
pour le chauffage à un prix bien inférieur au tarif
d'éclairage (10, 5 et même 2 centimes 1/2 au lieu de 50).
En somme, le chauffage électrique n'est écono-
mique que si l'énergie est fournie à bas prix (10 à
15 centimes par kwh.). Au-dessus de ce prix, il ne
convient qu'à des applications particulières de chauf-
fage momenlané ou comme appoint d'un système
déjà établi (chauffage central, par exemple), ou en-
core pour maintenir constante la température et
assurer en même temps la ventilation des salles de
réunion. Dans
ce dernier cas,
l'air chauffé
électrique -
ment est in-
sufflé dans la
salle générale-
mentparle haut et s'échappe par lesissues naturelles ;
la consommation est d'autant plus faible que l'assis-
tance est plus nombreuse, chaque personne contri-
buant, par sa présence, au chauffage de la salle.
La cuisine électrique tend à se répandre plus en-
core que le chauffage des appartements, en raison
de la sécurité et de l'hygiène qu'elle présente, de la
simplicité et du parfait rendement des appareils. Les
?lus répandus sont les fourneaux à plaques chauf-
anles en dessous. La plaque, en fonte noire, peut
être portée à 300° ; la garniture est en tôle, nickelée
ou non. Les casseroles se posent simplement sur la
plaque, et la chaleur se communique par contact; il
est donc nécessaire que le fond en soit bien plat
pour que la chaleur se répartisse bien. Ces fourneaux
comportent trois ou au moins deux allures de marche,
réglables par simple jeu d'un commutateur qui in-
troduit plus ou moins de résistances dans le circuit.
Leur consommation varie de 200 à 10.000 watts
suivant les modèles, leur poids va de 1 kil. S à 150 ki-
Etuve de stét-ilisation.
Allume-cigares.
LAROUSSE MENSUEL
logrammes. En raison du chauffage indirect, la cuis-
son est plus lente et la dépense de courant un peu
plus forte qu'avec les appareils à chauffage direct,
mais ils sont d'un emploi plus universel. Dans cette
catégorie, se placent aussi les réchauds de table et
les grils de différents modèles.
Dans les appaieils à chauffage direct, les résis-
tances chauffantes sont disposées à l'intérieur du
récipient. Ce son t des bouilloires, cafetières, théières,
percolateurs, samo-
vars, rôtissoires, mar-
mites en fonte ou en
métal nickelé, chauffe-
plats et chauffe-assiet-
tes, bains-marie et fon-
taines chauffantes, sur
le détail desquels nous
ne nous étendrons pas,
chaque appareil étant
en général livré avec
les instructions néces-
saires à son emploi.
.\ous indiquerons seu-
lement quelques chif-
fres de consommation.
Celle d'unecafelièreou
d'une théière ordinaire
est de 500 watts, celle
d'un samovar 1 kw.,
les percolateurs attei-
gnent 2 kw. 5. Les
marmites universelles
et les marmites en fonte
absorbent 600 watts
pour une contenance
de 2 litres, 1.200 pour
5 litres, 1.800 pour
10 litres, 3.000 pour
30 litres. Un petit gril
exige 800 watts, un four
de 30 X 50 X 25 centi-
mètres 2 kw. 5. Un
chauffe -assiettes con-
somme 400 watts pour
12 pièces, 800 pour ,iO,
1.600 pour 120, 4.000
pour 500. Les réci-
pients d'eau ou fon-
taines chauffantes com-
portent différents mo-
dèles et capacités avec
ou sans comp arti -
ments et différents ré-
gimes de vitesse: ils
ne doivent jamais être
laissés vides. Une fon-
taine de 50 litres con-
somme 2 kw. pour éle-
ver la température de
l'eau de 40" en une
heure. Pour élever
100 litres de 30° en
30 minutes, il faudrait
7 kw.
Signalons, enfin, di-
vers petits appareils
d'un emploi moins
courant : le chauffe-soxhlet (300 w. pour une bou-
teille), l'inhalateur (200 w.), le chauffe-colle (200 à
800 w.), la bassinoire (30 w.J, le chauffe-pieds (30 à
60 w.), le fer à friser (30 w.) et à onduler (100 w.
chauffés directement, le chauffe-fers [indépendant
(200 w.), le sèche-cheveux à courant d'air chaud
les fers à repasser de divers modèles (200 à 600 w.),
l'allume-cigares, etc.
Toutes ces applications sont essentiellement pra-
tiques, sûres, propres et hygiéniques. Elles n'atten-
dent, pour se développer en France comme elles le
méritent, qu'un abaissement raisonnable du prix de
vente de l'énergie électrique appliquée au chauffage. A
cet égard, l'emploi du double tarif, très répandu à
l'étranger, résout très simplement le problème : le
courant est fourni à plein tarif pendant les heures
d'éclairage et à faible tarif pendant les autres
heures afin d'uniformiser la charge des usines, les
clients s'empressant de réduire, aux heures d'éclai-
rage, leur consommation en chauffage et force mo-
trice, afin de la reporter sur les autres heures. Cette
méthode est à l'avantage aussi bien du secteur, qui
voit sa charge régularisée, que de l'abonné soucieux
de ménager ses deniers. — Jacques daiiiex.
emanatorlum (é, ri-om' — du lat. emanare,
s'écouler) n. m. Salle d'inhalation, spécialement
disposée pour le traitement médical à l'aide de
l'émanation du radium. || PI. Des emanatoria.
— Encycl. Les nouvelles techniques médicales
utilisant le pouvoir actif du radium, au moyen de
l'émanation dégagée par les substances radio-actives,
exigent dans certains cas que l'émanation soit res-
pirée par le malade.
Dans ce but, on a réalisé un dispositif commode
en envoyant de l'air chargé d'émanation dans une
pièce de dimensions restreintes, aménagée pour
309
éviter la diffusion de l'air actif au dehors, tout en
réalisant sa purification en absorbant les produil.'i
nocifs de la respiration. L'air est rendu actif, soit en
brisant au sein de la pièce une ampoule de verre
remplie d'émanation, soit en le faisant barboter
dans une solution d'un sel de radium, soil, encore,
en le captant aux griffons d'une source raiiio-active.
Le patient doit séjourner deux heures par joui
dans l'emanatorium ; ce mode de traitement réusit
Va patrouilleur de l'air. — Tout le long de la côte, des ballons exécutent continuellement des pa-
trouilles qui guettent sans cesse les aéronefs et les sous-marins ennemis. On volt ici un de ces appareils
au moment où les marins anglais sont sur le point de lâcher les cordages. Cet appareil se compose de
trois gros ballonnets, disposés un peu en forme de trèfle.
dans le rhumatisme, la goutte, les névralgies. Pour
rendre la cure plus énergique, on éleclrise parfois le
malade négativement, l'émanation concentrant sur
les corps négatifs un dépôt de matière active. — M. m.
auerreen 1914-191'? (la). [Sui7«.]-
Au moment de résumer les impressions qu'a lais-
sées, pendant le mois d'octobre, la guerre qui désole
le monde, l'embarras du chroniqueur était extrême
D'une part, il constatait avec une profonde admira-
lion les efforts accomplis et les résultats obtenus
par les armées anglo-françaises sur le front occi-
dental; d'autre part, il ne pouvait considérer sans
un serrement de cœur et sans une réelle angoisse
ni ce qui se passait ou se préparait dans l'extrême
nord du front russe, ni les événements si graves
qui se précipitaient sur le front italien; enfin, s'il
regardait à l'intérieur des Etats belligérants et aussi
des Etats neutres, il était frappé de la façon la plus
inquiétante par le malaise général qui se manifes-
tait chez tous les peuples par les luttes politiques,
latentes ou avouées, qu'on y observait, par les scan-
dales qui s'étalaient au grand jour sans aboutir à
des répressions suffisantes, ni même à une clarté
satisfaisante pour la conscience publique. On sen-
tait partout un contraste violent et une lutte sourde
entre les vertus naturelles de chaque race et les
habitudes morbides qu'elles avaient contractées au
temps de la paix: comme il arrive toujours, la guerre
développait les pires et les meilleurs instincts;
l'héroïsme journalier et presque inconscient des
soldats sur le front coudoyait les trahisons compli-
quées et les défaillances spontanées de l'arrière.
11 semblait que la continuation d'une guerre à la
prolongation de laquelle personne au monde n'était
préparé eût déséquilibré l'humanité. Le sentiment,
très net chez les uns, obscur chez les autres, de ce
310
trouble moral s'ajoutant aux soaiïrances physiques,
aux privations mullipliées, à l'angoisse, aux deuils,
à l'incerlilude de la vie, avait mis dans tous les
cœurs le désir de la paix. Mais, partout, aussi bien
chez les peuples de l'Entente que dans le groupe-
ment germanique, on comprenait que la paix n'était
pas encore possible, que rien n'était terminé, sur-
tout que l'avenir n'était pas assuré, et personne ne
voulait d'une conclusion qui n'aurait été que le
prélude certain de luttes nouvelles; la déception
qui naissait de cette constatation comme l'incapa-
cité où l'on était de
fixer un terme à ces kjJ^ti^>J! .:~ ' '
misères rendaient à
tous l'existence plus
pesante. Il faut ajou-
ter que, pendant le
mois d'octobre, on
avait eu l'impression
trfts précise qu'il
s'était échangé dans
la coulisse des paroles
graves, qui auraient
pu influer fortement
sur la fin de la guerre
et auxquelles on
n'avait pas donné
l'attention qu'il eût
convenu. 11 planait un
my.'itère sur certaines
questions, et l'instabi-
lité ministérielle ne
masquait qu'imparfai-
tement des fautes que
l'on pouvait supposer
d'autant plus lourdes
qu'on les cachait avec
plus de soin. Certains
faits restaient incom-
p r 6 he n sibles, ou
étaient affectés d'une
signification menson-
gère, qui, pour les ini-
tiés, leur était liée
étroitement et d'une
indiscutable clarté. Ja-
mais plus ardemment
on n'avuitsouliaitéque
quelque événement
caractéristique vînt
déchirer les voiles et
fit éclater la vérité.
Le résultat des opérations militaires avait été, ici,
très bon et plein d'encouragements, lii, aussi fâcheux
que possible et très inquiétant. Sur le front franco-
belge, les troupes françaises, anglaises et belges
étaient de nouveau entrées en action à partir des pre-
miers jours d'octobre, d'une part en avant d'Ypres et,
d'autre part, sur l'Oise. Les résultats acquis étaient,
du côté de la Belgique, une avance sérieuse dans la
forêt d'Houthulst et sur la crête de Passche[idaele,de
l'aulreunbondenavantenlreSoissonsetLaon.Leas,
les Français,
commandés par le
général Maislre,
avaient faitenvi-
roull.200prison-
nierssurl'Aisne;
le 26, les Anglais
avaient enfin oc-
cupé la crête de
Passchendaele et
fait aussi plu-
sieurs milliers de
pr i so n n i ers.
Les Allemands
avaient essayé
vainement de ré-
ag-ir sur le front
r^ ™y iM^ I , lie Verdun. Nous
I Wf y Sr , jf À n'avons pas be-
ce résumé si som-
Lc général Maistre. maire ne donne-
rait qu'une idée
très incomplète de l'étendue dusuccès, si l'on n'y ajou-
tait les pertes très lourdes des Allemands et, surtout,
le fait important que nous restions maîtres de l'offen-
sive. L'avance, comme nous l'avons fait remarquer
souvent, était lente, parce qu'on était en face d'or-
ganisations allemandes très fortes, consolidées depuis
de longs mois avec tous les perfectionnements que
nos ennemis ont su apporter à leur défensive et, par
suite, difficiles à détruire. Mais, en dépit de l'artil-
lerie adverse, ces destructions étaient méthodiques
et irrésistibles. Elles surprenaient l'ennemi et ne lui
laissaient aucun moyen de les éviter. Elles étaient la
preuve de la parfaite préparation de nos entreprises,
de la sûreté du commandement, de la solidité et de
la lucidité des troupes. Cet ensemble confirme que,
si les résultats étaient lents, ils étaient définitifs. Ce
n'est pas qu'ils allassent sans pertes douloureuses
pour nous, et nous ne songeons pas ici seulement aux
morts et aux blessés, en nombre réduit grâce & la
LAROUSSE MENSUEL
perfection des jiréparations d'artillerie, mais notre
avance était jalonnée forcément par le bouleverse-
ment du pays, par la ruine des Habitations, par la
désolation de la terre, nécessité cruelle, mais iné-
luctable, qu'impose la libération du territoire et que
la nature et la paix répareront.
Donc, dece côté, non seulement aucune inquiétude,
mais unemarche progressive, parfaitement combinée,
qui pesait sur l'adversaire, dont il sentait toute la por-
tée, quelque effort qu'il fît pour la diminuer sous la
phraséologie savante. On ne pouvait affirmer, bien
Une tranchée aUemande dans la région de TYser.
entendu, que nous ne verrions plus sur notre front
les grandes ruées allemandes et que nous n'aurions
pas à rassembler toute notre énergie contre l'inva-
sion; la logique des faits et les leçons du passé per-
nieltaient de reléguer ces possibilités parmi les liy-
pollièses que la sagesse envisage, mais dont la réali-
sation concrète n'est pas vraisemblable. A la fin
d'octobre, nous poussions peu à peu les Allemands
hors de chez nous et hors de la Belgique, et les résul-
tats obtenus par l'effort combiné des armées anglaises
et des armées françaises étaient de l'ordre positif.
Tout autre était la situation du côté russe. La prise
de Higa avait été suivie de l'occupation des îles
d'OEsel et de Dago et de la retraite de la fiotte russe,
d'une menace croissante sur Hclsiugfors et sur Pe-
trograd. Sans doute, sur la Dvina, les Allemands, à
la fin du mois, dessinaient un mouvement de repli.
11 n'y avait là, certainement, qu'unmoyen d'attirer les
Russes en avant ou une sûreté prise contre tout
retour offensif, en l'admettant possible, qui eût me-
nacé Riga. 11 était inutile de faire des pronostics sur
les intentions ultérieures des Allemands. Marche-
raient-Ils vers Petrograd? Se borneraient-ils, pour le
moment, à consolider leur situation, avec des vues
d'avenir dans le golfe de Riga? C'est ce qui appa-
raissait à la fin du mois. On annonçait, en effet, un
débarquement de troupes. Au surplus, il était trop
évident que, sur ce point, la résistance russe ne pou-
vait être un obstacle sérieux. Ce qui se passait à
l'intérieur de la Itussie laissait le champ libre aux
opérations militaires de l'ennemi, comme â ses intri-
gues politiques. La marche sur Petrograd ne parais-
sait pourtant pas pouvoir être imminente. Elle était
moins simple qu'elle ne semblait à la seule inspec-
tion d'une carte à échelle réduite : la saison s'avan-
çait; il n'y avait à prévoir aucun ravitaillement
sérieux sur le territoire russe; les moyens de trans-
port manquaient. En outre, les Allemands avaient
besoin de leurs forces ailleurs, et l'appui qu'àce même
moment ils prêtaient aux Austro-Hongrois limitait
forcément leur effort oriental. On ne devait donc pas
craindre, semblait-il, une marche rapide de nos en-
nemis en Russie, et il était à remarquer qu'ils ne
paraissaient pas chercher à frapper de grands coups
avec de grosses masses, qu'ils n'avaient plus. Leurs
opérations du côté russe, pour inquiétantes qu'elles
fussent, tant au point de vue des destinées présentes
de nos alliés qu'au point de vue de leurs répercus-
sions futures, confirmaient par leur lenteur même
l'impossibilité où étaient les Allemands, par suite
de l'affaiblissement de leurs effectifs, d'opérer sur
plusieurs points à la fois. Leur action de ce côté
fi' 130. Décembre 1917.
n'avait été possible que par suite de la faiblesse de
la flotte russe. Ils avaient pu utiliser ainsi leur
propre fiotte, qu'ils ne risquaient nulle part ailleurs.
Et on ne peut manquer, à cette occasion, de cons-
tater avec quelle adresse ils savent employer leurs
forces sur les points où elles peuvent entrer en
œuvre le plus opportunément. Ils ont suppléé à l'in-
suffisance de leurs forces de terre en engageant une
entreprise qui peut se faire en grande partie par
mer. Les Russes ont sauvé leur flotte, et on enre-
gistre avec satisfaction l'épisode glorieux du Slava;
mais ils étaient inca-
pables de faire plus.
Les Allemands le sa-
vaient. Ils en avaient
profité. Cette circons-
tance même permet-
tait de supposer que
leur marche sur le
territoire russe n'était
pasmenaçante. C'était
là une maigre conso-
lation en présence des
immenses déceptions
que nous causait le
peuple russe, nous di-
rions « la politique
russe u, si les Russes
avaient eu une poli-
tique.
Ce qui s'était passé
en Italie aux derniers
jours d'octobre con-
tredisait, en ce qui
concerne ce pays, nos
conclusions de la fin
de septembre et mon-
trait, ce que l'on cons-
tate chaque jour dans
la presse, avec quelle
prudence on doit ra-
tiociner en pareille
matière. La direction
de l'offensive qui, au
début du mois, après
l'avance sur le plaleau
de Bainsizza, semblait
être définitivement
fixée entre les mains
de Cadorna, lui avait
échappé totalement
et, en apparence, brus-
quement. Le plateau de Bainsizza était perdu, avec
tout le Prioul, la frontière enfoncée, Udine el Cividale
occupées, la vallée de l'Isonzo envahie, la plaine
italienne ouverte. Les Austro-Allemands se glori-
fiaient d'un nombre considérable de prisonniers et
de canons enlevés. C'était une grande défaite...
11 fallait prendre des mesures pour que ce ne fût
pas un grand désastre. Ou s'y employait, on pou-
vait avoir confiance en Cadorna; d'autre part, la
France envoyait en Italie une véritable armée de
troupes aguerries, qu'appuyait un contingent anglais;
l'unitédefrontse
réalisait efficace-
ment. Mais on
était sans rensei-
gnementssérieux
et sûrs ni sur les
causes militaires
dece brusque re-
virement et de
cette surprise, ni
sur les détails de
cetteretraite pré-
cipitée, qui, com-
me toutes les
opérations de ce
genre, n'avait
certainement pas
pu se faire sans
de très grosses
pertes en hom-
mes et en ma-
tériel. On savait
seulement — et
l'événement seul
eût suffi à le prouver — que les Allemands, avec des
effectifs importants, où figuraient aussi des Bul-
gares et des Turcs et une puissante artillerie, étaient
venus au secours de l'.Vutriche-llongrie aux abois et
avaient pris, avec Mackensen pour chef, la direction
des opérations. Cela en disait long sur les rapports
intérieurs des deux Empires, et il y avait des conclu-
sions politiques à en tirer. Mais, au point de vue
militaire, l'aide allemande avait mis les llaliens en
présence d'une masse combattante considérable et
de moyens de destruction supérieurs, sur un ter-
rain très difficile qu'ils venaient de coiniuéi ir, où
ils n'avaient sans doute pas eu le temps de s'orga-
niser fortement, sur lequel, en outre, ils comptaient
n'avoir afl'aire qu'aux seuls Autrichiens, dont la
force d'attaque, après les succès italiens des derniers
mois, paraissait une quantité négligeable. On doit
T.e maréchal Conrad von Hœzend.'rf,
commandant leu troupes aulriohiennes sur
le front italien.
«• 130. Décembre 1917.
remarquer que, par surcroît, la topographie du pays
est excessivement favoral)le à une invasion. Alors
que les Italiens, pour avancer vers l'Est, sontobligés
de franchir les lignes parallèles des vallées et de gra-
vir les pentes abruptes des montagnes qui les bordent
et sur lesquelles ils doivent ensuite s'accrocher, une
armée d'invasion venant de l'Est et du Nord trouve
dans ces mêmes vallées, une fois le plateau conquis,
des routes parallèles qui laconduisent vers la plaine.
Certes, ces routes sont difliciles, dominées; les obsta-
cles naturels permettent d'y gêner l'ennemi, peut-être
de l'y arrêter. .Mais il semble que la vraie tactique
de défense, une fois que la fatalité de la guerre a
fait perdre la maîtrise de ces routes, soit, après avoir
harcelé l'ennemi, de l'attendre au débouché des val-
lées, en terrain découvert, au moment où, déjà fa-
tigué, il estobligéde se déployer devantl'adversaire,
qui a derrière lui la facilité de son ravitaillement
etdeses réserves.
Cette conclusion
se corroborait, en
l'espèce, de la né-
cessité d'attendre
quelques jours
pour laisser à
l'armée française
le temps d'arriver
et de rétablirnon
seulement l'équi-
libre du nombre,
maisaussilacon-
flance des Irou-
pesitaliennes,un
peu troublées
d'avoir devant
elles des Alle-
mands et non
plus des Austro-
Hongrois. L'arrêt
se ferait- il sur
le Tagliamento,
ou sur la Piave'?
On comprend que le commandement ne mit pas le
public au courant de ses plans. Il fallait laisser aux
événements le temps de se produire. On ne pouvait
le faire sans anxiété. Certes, ce n'était pas le sort de
toute la guerre qui se jouait là. Il était pourtant évi-
dent que celui de l'Italie dépendait, en partie, de l'is-
sue de celte lutte formidable et que celui de l'Au-
triche y était étroitement lié. Comme l'avait dit le
ministre de la guerre italien, il y avait là autant
une manœuvre politique qu'une opération militaire.
Les Allemands, après avoir laissé longtemps l'Au-
triche à ses seules forces, entreprenaient de la sauver.
Là encore, ils opéraient sur le terrain quileur était le
plus favorable, et ils essayaient de frapper un grand
coup contre l'ennemi le plus faible, au moment où ils
pensaient n'avoir à se mesurer qu'avec lui seul. Ils
renouvelaient la manoeuvre de Roumanie. Mais il
s'agissait, cette fois, du « fidèle second », et n'y avait-il
pas là un indice que l'Allemagne, sentant le besoin
de limiter ses ambitions, revenue de ses vues sur
l'Asie, gouvernait dans le sens d'un groupement
germanique puissant et attendait de son succès contre
l'Italie la formation de cette Europe moyenne qui
restera pour l'avenir le plus grave des dangers?
Cette intervention, qui visait à paralyser militaire-
ment et moralement l'Entente en détachant d'elle
l'Italie, ne marquait-elle pas aussi l'étroite dépen-
Le général von Below, commandant
l'armée allemande sur le ftont italien.
LAROUSSE MENSUEL
dance où l'.Autriche allait se trouver à l'égard de la
Prusse, si elle lui devait son existence? Par suite,
le sort de l'Italie nous intéressait non seulement
parce qu'elle était notre alliée latine et qu'elle avait,
comme nous, tout risqué pour la cause du droit,
mais parce que sa défaite marquerait l'avènement
d'une politique germanique uniliée, grosse de consé-
quences. Le gou-
vernement fran-
çais, en prenant
des mesures
énergiques pour
marcher rapide-
ment au secours
de l'intégrité ita-
lienne menacée,
continuait sa po-
litique séculaire.
On doit se poser
la question de
savoir si cette
intervention iyi
extremis, qui.par
suite, comportait
de gros risques,
n'eût pas été plus
opportune au
moment où les
Le général allemand Ludendorff.
victoires italiennes mettaient l'Autriche aux abois
et s'il n'eût pas été préférable qu'elle se fût produite
pour achever une victoire décisive, plutôt que pour
réparer une défaite menaçante. N'avait-on pas, au
lieu de mettre toute sa confiance dans de rapides
et décisives opérations militaires, obéi à des illu-
sions pacifiques, et n 'avait-on pas été dupe des avances
que l'Autriche avait esquissées? Ou bien — et
ceci serait plus grave encore — l'invasion de l'Italie
n'était-elle pas la conséquence et comme la re-
vanche de l'échec de certaines propositions qui
nous auraient été faites et que nous aurions reje-
tées brutalement? Ne devait-on pas se demander,
aussi, comment l'inertie de l'armée d'Orient avait
facilité l'envoi de divisions bulgares sur le front
italien? Ces mystères s'éclairciront plus lard. On
était partout, dès lors, autorisé à se demander si
la politique de l'Entente avait été menée, pendant
les derniers mois, avec toute la netteté et la fermeté
qu'eût exigées la complexité de la situation.
Les entreprises aériennes des Allemands avaient
continué contre l'Angleterre. L'une d'elles, le 20 oc-
tobre, avait abouti à la perle de quatre zeppelins
abattus ou pris sur le sol français. L'impudence de
nos ennemis ne diminuait pas pour cela. Leurs jour-
naux nous menaçaient sans cesse de représailles et,
oublieux de leurs crimes, nous imputaient comme
des actes barbares les quelques rares incursions que
nos avions avaient faites au-dessus des villes alle-
mandes, pour venger les innombrables victimes ci-
viles de Nancy, de Bar-le-Duc, d'Epernay, de Dun-
kerque, de Paris, de Belfort, de Londres et de tant
d'autres villes et villages ravagés par l'abominable
industrie de l'Allemagne. Il fallait, au contraire,
penser que le compte ouvert par nos ennemis lais-
sait à leur passif un excédent terrible d'atrocités
aériennes, qu'il fallait venger, et dont l'horreur
restait à leur charge.
Quant à la guerre sous-marine, il était difficile
d'en parler avec précision. Il faut reconnaître que
nous étions mal renseignés à son sujet, et il importait
La ville d'Ypres a élé réduite en ruines par loi sauva^eï^ bumbat-deiin-uts d<-s tr><iipos .lu kaiser. — Prisonniers allemands,
capturés par les troupes britanniques, passant devaut les ruines.
311
de savoir attendre que l'intervention américaine se
fût fait sentir.
On le voit, le résumé de l'impression militaire que
laissait le mois d'octobre était très mélangé de clarté
et d'ombre. Nous étions, chez nous, tout à l'espé-
rance. Bien des images se montraient sur les autres
fronts.
_ La situation militaire, bonne ou mauvaise, avait
l'avantage d'être claire. La situation politique et
diplomatique ne l'était pas. Sauf en Angleterre, où
le calme était peut-être plus apparent que réel, et
aux Etats-Unis, où l'ardeur guerrière & son début
était supérieure à tous les mouvements contraires,
partout ailleurs, on constatait des symptômes plus ou
moins graves de ce trouble général dont nous
avons parlé en débutant. Au fond, toute cette agi-
tation était dominée par la question de la guerre, ou
plutôt par la question de la paix, car, même dans les
pays neutres, où l'action corruptrice de l'Allema-
gne s'exerçait
le plus libre-
ment, comme
l'Espagne, la
lutte entre la
tendance ger-
manophile et
la sympathie
pour les Alliés
de l'Entente
jouait un rôle
très important
dans le malaise
intérieur dont
souffrait le
monde entier.
11 était hors
de discussion
quelesEmpires
centraux sou-
haitaient de
plus en plus la
paix et que tou-
tes leurs entre-
prises ten-
daient h la
rendre possible
ou à l'imposer.
Ils souffraient
cruellement de
la guerre, mais
la discipline ac-
ceptée par leurs
peuples, jointe
à la tyrannie
militaire qu'ils
subissaient,
était assez forte
pour leur per-
mettre long-
temps encore
d'en supporter
le poids. Les
luttes politi-
ques étaient
graves, surtout
en Autriche, où
ellescouvraient
des revendica-
tions nationa-
les, plus impé-
rieusesque tou-
tes les ambl- poste d'ubservaliuii allemand capturé près
tionsdespartis. de Lens. (C'est un bâti creux, camouflé avec
Mais si eraves ^*^ feuiliage et de l'écorce, pour lui donner
i„'ii__ f..^ l'apparence d'un tronc d'arbre. On voit la teie
du guetteur à la deuxième ouverture.)
qu'elles fus-
sent, elles
étaient moins essentielles que nos journaux ne
le disaient, et il y avait là, pour le moment, plus
de manifestations oratoires que de mouvements
profonds. Pendant tout le mois, on nous avait
surabondamment entretenus des bruits de démis-
sion du chanchelier Michaelis , du vice-chance-
lier HelfTerich, de l'amiral von Capelle. Tout le
mois avait passé sans apporter une solution. Au
dernier jour d'octobre, Michaelis était toujours
titulaire des fonctions. Sa chute paraissait, cepen-
dant, imminente. Guillaume 11 avait offert au comte
Hertiing la chancellerie de l'empire. L'annonce
d'un chancelier bavarois, dont l'influence catholique
eût balancé celle d'Erzberger, était accueillie fraî-
chement par les partis allemands. On disait, pour-
tant, qu'avant d'accepter, le comte Hertiing provo-
quait une sorte de consultation des groupes du
Keichstag. Y avait-il là une nouveauté foncière, ou
une satisfaction apparente? Le départ de Michaelis
devait-il être considéré comme autre chose de plus
que la constatation de l'insuffisance de ce person-
nage temporaire, voué à l'oubli, ou était-elfe le si-
gne d'une orientation nouvelle dans la politique
allemande? On pouvait en douter. Le parti Hin-
denburg-Ludenûorf restait toujours puissant; le
soixante-dixième anniversaire du généralissime avait
permis les manifestations d'idolâtrie, et il fallait bien
conclure que tout ce qu'on avait dit jusqu'alors sur
312
les réformes pai'Ieinenlaires reslail à la snil'ace. On
avait sans doute exagéré à dessein les revendications
pangermanistes, et il pouvait bien n'y avoir simple-
ment dans tout le bruit fait autour de celte ques-
tion qu'un moyen de chauHer l'opinion et de la main-
tenir au degré voulu
de température patrio-
tique. Nous n'avons
cessé de mettre nos
lecteurs en garde con-
tre le mirage d'une
Allemagne assoiffée de
réforme électorale et
de libertés politiques.
Nous avons l'impres-
sion, quand nous lisons
la presse quolidienne,
qu'on se monte un peu
la tête à propos de pas
grand'chose. Qu'il y
ait en Allemagne des
tendances sociales, qui
pourront un jour abou-
tir à une évolution,
voire à une révolution,
il serait puéril de le
nier. Mais c'est là un
travail interne très
lent, sur lequel nous
n'avons pas à compter
pour le moment pré-
sent. Le militarisme
prussien restera fort,
tant qu'on pourra l'en-
tretenir avec des prises
de Riga et des pro-
messes d'invasion de
ritalie,nouvellesàefrel
gros et facile, mal con-
tre-balancées par nos
succès réels et solides,
que les Communiqués
allemands n'ont pas de
peine à noyer dans les
détails littéraires et èi
habiller en succès.
En fait, ce qui a
par-dessus tout préoccupé les gouvernants austro-
allemands, c'est la paix et la façon dont sera trai-
tée la question économique. Quel sort sera fait à
r.\llemagne'? Quelle place lui destine-t-on dans les
/apports entre les peuples? Sera-t-elle, comme on
l'en menace, mise au ban
des nations et verra-
t-elle les marchés se fer-
merdevantelle; par suite,
son peuple dépérir? L'ac-
tion combinée de l'Eu-
rope, de l'Asie, des Etals-
Unis, de l'Amérique du
Sud, représentée par le
Brésil, par l'Uruguay, par
le Pérou, par l'Argentine
hésitante encore en oc-
tobre, mais toute prête à
se joindre à l'Entente,
aura-t-elle pour résultat
un régime économique
qui isolera l'Allemagne?
Ou bien l'Allemagne ob-
liendra-t-elle que les rap-
ports économiques soient
librement repris entre
elle et le reste du monde,
et pourra- l-elle, après
avoir pansé ses plaies,
reprendre son élan inter-
rompu par sa trop grande
hâte à conquérir l'hégé-
monie par les moyens
violents? Tel est le pro-
blème qui se pose. Sui-
vant la solution qu'on
pourra lui donner, l'.'Mle-
magne respirera libre-
ment ou étoulîera dans
ses frontières : c'est une
question de vie ou de
mort. C'en est une aussi
pour le reste du monde;
car, en admettant qu'on
fasse à l'Allemagne sa
part, encore faudra-l-il
qu'on s'assure qu'elle ne reprendra pas sa théorie de
la n place au soleil », qui comporte, au point de vue
allemand, une mainmise sur la place des autres. 11
y a là un ordre d'idées un peu complexe, qui échappe
fi trop de personnes et qui, pourtant, domine tout le
débat. On comprend que, devant ce problème, la ques-
tion territoriale soit au fond de peu d'importance, et
il est vraisemblable que r.\llemagne, désireuse de
tirer parti de sa situation militaire encore bonne et
des gages qu'elle détient, se soit, en octobre, montrée
disposée peut-êtreà nous doimerles satisfactions aux-
LAROUSSE MENSUEL
quelles nous ne pouvons pas renoncer. Sans doute, la
déclaration bruyante de von Kiililmann à propos de
l'Alsace Lorraine, « bouclier de l'Allemagne », « partie
inlangible de l'empire », semble avoirété àl'encontre
de ce qui précède. Il pourrait bien n'y avoir eu là
Un satit dan» le vide de la nacelle du ballon cerf-volant. — Des deux côtés de la nacelle du ballon est accroché un appareU en aluminium,
qui a la forme d'un énorme éteignoir, et linierieiir de ch.iquc appar-il renfei'nie un parachute. Quand le ballon est en pyi-il (soit qu'il prenne
feu, soit qu'un vent viob-nt fasse rompre le câble qui le retient à terre), les observateurs qui le niontcut se hâtent de ^eter par-dessus bord
cartes, cArnets, instruments, etc., puis chacun d'eux s'attache aux cordages fixés au bas de 1 appareil et se lance dans le vide. Le poids du corps
entraine le parachute, qui s'ouvre, et l'atterrissage a lieu en 5 à 10 minutes et presque toujours sans encombre. (.Matania, the Sphene.)
qu'un trompe-l'œil, l'expression d'une déconvenue
pénible, un éclat pour couvrir des propositions har-
dies qui n'avaient pas été accueillies comme on
l'avait espéré, bien plus que l'affirmation d'un dogme;
et l'insisîance de la presse allemande à démentir
f:
ijld;ils ailcinaiMl.-; r.-iits prisonniers dans une cave lic Hray-en-Laonnois
tous les bruits relatifs à l'abandon de r.\lsace-Lor-
raine ne font que fortifier cette opinion. Dans cet
incident, les dates jouent un grand rôle. Il n'est
pas possible, aujourd'hui, de l'éclaircir. Mais les con-
jectures que nous venons d'énoncer sont assez vrai-
semblables. Le contraste entre les déclarations paci-
fiques du comte Czernin au début du mois et la
grande colère de Kiihlmann indique assez qu'entre
les deux moments il s'est passé quelque chose que
nous ne savons pas, ou, du moins, que savent seuls
les initiés. Ne doutons pas un instant, d'ailleurs, que
N' 130. Décemtre 1917.
le point de vue économique ne domine aussi l'aclion
de l'Angleterre et celle des Etats-Unis. Tout l'elfort
des Empires centraux tend à créer une situation de
fait qui leur permette de payer, par des restitu-
tions territoriales, la position économique qu'ils
souhaitent. Ne l'ou-
blions jamais, et trou-
vons là des raisons de
lutter contre une hégé-
monie toujours possi-
blf si l'Allemagne n'est
pus ramenée, purement
el simplement, au droit
commun. Nous ne pou-
vons manquer de rap-
peler à nos lecteurs, à
propos de cette ques-
tion de la paix et des
désirs austro- alle-
mands, ce que nous
avons déjà dit de l'ac-
tion du pape. Il n'est
nullement invraisem-
blable que le besoin
d'utiliser les bons offi-
ces et l'inHuence du
souverain pontife ait
pesé sur le choix de
Guillaume 11, lorsqu'il
a olfert la chantellerie
au Bavarois Hertling.
Le rôle de la catho-
lique Bavière est de-
venu de plus en plus
important en Allenia-
i;iie, et le projet de lui
livrer l'Alsace n'en est
ii;is un des moindres
indices. La liaison de
la Bavière et du pape
a pu sembler à Guil-
laume 11 un lacet utile
à mettre entre les
mains d'un chancelier
très versé dans la po-
litique catholique.
Il reste, pourlajuste
solution du problème de la paix et de ses consé-
quences économiques, une inconnue peut-être irré-
ductible, qui est la Russie. L'Allemagne a, sans
aucun (loute, un intérêt sérieux à ne rien brusquer
de ce côté et, au contraire, à s'organiser dans des
gages, l'jlle, qui n'oublie
rien, se souvient assuré-
ment de l'ancienne puis-
sance de la Ligue han-
séatiqne en Russie. Rien
d'impossible à ce qu'elle
rêve de recommencer en
grand, en « colossal »,
cette histoire, que l'on
croyait entrée dans l'obs-
curité des temps.
Que s'était-il passé en
Russie, pendant le mois
d'octobre? II serait hardi
de tenter de l'écrire.
.\près la conférence dé-
iiiocralique de Moscou,
Kerensky avait pénible-
ment constitué un minis-
tère. Qu'avait repré-
senléceministère? L'As-
semblée qu'on appelait
lavant-Parlement s'était
réunie. Quels en étaient
et l'origine et les pou-
voirs? Que représentait-
elle exaclemeut? A côté
d'elle subsistaient les so-
viets de paysans, d'ou-
vriers, de soldats, comi-
tés exécutifs , congrès
d'intellectuels, réunions
qui délibéraient chacune
pour leur compte, sou-
vent les unes contre les
autres, ayant chacune leur
politique intérieure et ex-
térieure, leurs plans de
gouvernement et leurs
utopies. A côté encore,
c|uel était le gouverne-
ment de l'Ukraine et de la Finlande, quel était le sort
des provinces, quel rôle jouaient les Cosaques et leur
général Kaledine? Quel était, enfin, dans celte confu-
sion, le degré réel d'anarchie que subissait le pays?
Où en était, en particulier, la question agraire? Il
était impossible, à la fin d'octobre comme à la fin de
septembre, de répondre à ces questions troublantes.
La Russie apparaissait comme un org-anisme sans di-
rection, qui semblait uniquement occupé de parler,
d'écrire, de publier des manifestes, et à qui 1 action
était radicalement impossible et comme interdite.
«• 130- Décembre 1917.
LE FRONT NORD RUSSE
313
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o Plecmcfienaym Kostrka sA KochaiM'n^'M^ran.
'■ ■ Chemins de fec
Echelle 3.000.000
10 o 2& âoKil
Am!SJi
~5*
314
Les meilleurs amis de la Russie, ceux qui croient
encore et espèrent en elle, étaient les premiers à s'en
inquiéter et à guetter cliez ce peuple désorienté une
lueur de sagesse et un éclair de volonté. Fin octo-
bre, on annonçait la venue en France, pour la
conférence interalliée, de Sliobelelf ; mais, déjà, le
Îirogramme dont on le disait porteur clioquait tout
e monde par les airs de décision qu'affectait un
pouvoir incapable de se diriger lui-même, par une
LAROUSSE MENSUEL
des raisons plus graves. Painlevé avait offert, puis
repris sa démission, et cette menace de crise s'était
terminée, au moins en apparence, par la démission de
Kibotetson remplacemen t par le ministre d'Etat Bar-
thou..\ ce moment, le ministre des linancesKIotz avait
fait adopter Sun projet d'emprunt de dix milliards,
et l'on n'était pas sans dire que cette question d'em-
prunt était la seule raison de maintenir un cabinet
qui n'avait pas d'appui solide dans le Parlement.
Nos aviateurs étudiant leur prochain raid en pays ennemi.
orientation trop évidemment inspirée des intérêts
et des vues de l'Allemagne, par l'impudence ridi-
cule et dangereuse qui se manifestait dans la per-
sistance à vouloir fixer aux autres des buts de
guerre, alors que la Russie était incapable de con-
tinuer la guerre. On appuyait cette impression de
la satisfaction éprouvée par la presse allemande à
la nouvelle du voyage de Skobeleff, et on devait se
demander quelle pourrait être l'autorité et quelle
serait l'attitude d'un envoyé ainsi annoncé.
De quelque côté qu'onse tournât, on ne décou-
vrait aucune éclaircie dans l'horizon russe, et la vie
journalière de ce grand peuple apparaissait comme
un problème. Kerensky restait le chef nominal du
gouvernement. Quelle était son autorité, qu'avait-il
derrière lui, quel était l'état réel de l'armée? Nous
doutons que personne eût été en état de le dire.
L'opinion puljlique s'attendait à tout, et tout était
possible. Cette situation rendait plus nécessaire que
jamais une cohésion parfaite parmi les autres signa-
taires du pacte de Londres.
Cette cohésion subsistait sans aucun trouble. Elle
dépendait, évidemment, d'une inéluctable nécessité
historique, car elle dominait les changements inté-
rieurs dans les gouvernements alliés. Elle s'impo-
sait à tous, et il est probable quelle restera, dans
le souvenir des peuples, le grand fait humain de ce
temps-ci. Au-dessous de cette notion générale, et
comme abrités par elle, les peuples, au point de
vue politique, vivaient leur vie ordinaire. En Italie,
le ministère Boselli était mis en minorité et se
retirait. Sous le coup de l'émoi causé par l'invasion
allemande, l'union semblait se faire enti'e les partis
pour soutenir un ministère Orlarido, dans lequel
restait le ministredes affaires étrangèresSonnino. —
En France, le ministère Painlevé, sans cesse inter-
pellé, continuait à vivre, bien qu'il n'eût pour lui
qu'une majorité indécise et qu'il eût contre lui une
minorité nombreuse et un groupe d'abstentionnistes
assez mal intentionnés. — L'histoire du cabinetPain-
levé, pendant le mois d'octobre, est pleine de tra-
verses. Le 8 octobre, la lecture à la tribune par le pré-
sident du conseil d'une lettre où le journaliste Léon
Daudet accusait de haute trahison l'ancien ministre
de l'intérieur Mal vy avait déchaîné une tempête on
le ministère avait failli sombrer. Le 12, après une
séance ofi Briand et Ribot avaient parlé avec succès
de notre diplomatie, un incident en apparence sans
importance, la modification au Journal officie!
d'un passage du discours de Ribot, avait provoqué
dans le Parlement une vive agitation. Une séance
secrète en avait été la conclusion. L'ordre du jour
pur et simple, dont elle avait été suivie en séance
publique, n'avait satisfait personne; les bruits qui
s'étaient échappés au dehors avaient seulement ap-
pris que la situation de Ribot était devenue inte-
nable el celle du cabinet incertaine. Ce que l'on col-
portait sous le manteau expliquait cette énigme par
Parallèlement à ce perpétuel imbroglio ministé-
riel, se déroulait la trame sans fin des affaires scan-
daleuses dont la chronique remplissait les colonnes
des journaux : affaire Bolo, afl'aire Tunnel, afiaire
Lenoir et Desouches, affaire Daudet-Malvy, lais-
saient planer sur trop de gens de trop graves suspi-
cions. On chuchotait des noms. On s'étonnait de
l'audace de quelques-uns, qui, accusés, se faisaient
accusateurs et traînaient à travers le dédale de la
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iV 730. Décembre 79)7.
indécis et, il faut bien le dire, plus préoccupé de
précautions politiques que de salubrité nationale.
C'était là sa faiblesse. Il n'était pas possible de pen-
ser que ni les décisiotis du congrès socialiste tenu à
Boi-deaux, ni celles du congrès radical-socialiste tenu
à Paris pendant le mois, eussent fortifié ni même fa-
cilité la tâche aux cabinets futurs. Sans doute, les
socialistes avaient décidé de participer aux combinai-
sons ultérieures; mais les radicaux-socialistes parais-
saient disposés à s'accorder pour l'avenir, dans la for-
mation des ministères, une influence prépondérante
et un pouvoir d'exclure qui n'étaient pas de bon au-
gure. La seule conséquence qu'on pût tirer de ces con-
sultations de partis, qui n'ajoutaient rien à la solidité
morale du pays, était la certitude de l'instabilité mi-
nistérielle, à un moment où rien n'était plus néces-
saire que la permanence, consentie par tous, d'un
gouvernement énergique, décidé à en finir avec cette
besogne fétide, mais nécessaire, de nettoyage. Ja-
mais l'union n'avait été plus souhaitable, et jamais,
peut-être, on n'avait eu si vivement la sensation que
l'on était en présence d'appétits individuels, prêts
avant tout à se satisfaire. Rien n'était plus curieux
et, en somme, au milieu de tant de dégoûts, rien
n'était plus réconfortant que de constater qu'au mo-
ment même où s'affirmaient la bassesse de certains,
les calculs honteux de quelques criminels et les
mesquines ambitions d'un plus grand nombre, l'ar-
mée, c'est-à-dire le peuple français en armes, mon-
trait un héro'isme admirable et luttait, sans s'émou-
voir de ce qui se passait derrière elle, pour la patrie
et pour la liberté humaine. Mais on ne pouvait
[nanquer de son^jer qu'il ne fallait pas abuser de
ces contrastes et qu'il était temps que l'atmosphère
de l'arrière fût purifiée.
Les Etats-Unis poussaient leur préparation mili-
taire et, déjà, ils prenaient p;irt à la défense commune,
cependant que Lansing, continuant à dépouiller ses
dossiers, dévoilait peu à peu à l'Amérique et au
monde les perfides complots de l'Allemagne et
supputait les millions qu'elle avait dépensés pour
fomenter des désordes et acheter des consciences
américaines. Ces révélations agissaient rapidement
sur l'opinion. Le Brésil se déclaraiten état de guerre
avec l'Allemagne. Le Pérou et l' Uruguay rompaient
avec elle leurs relations diplomatiques. Le vide se
faisait peu à peu.
Eu Europe, la Suède, à lasuilederaflaireLuxbourg,
avait dû changer de ministère, et le pouvoir avait
passé aux libéraux. La situation des peuples Scandi-
naves, par rapport à la navigation et au ravitaille-
ment, ne cessait de s'aggraver. L'éner^'ique protesta-
tion de la Norvège contre les pertes que lui imposait
la marine allemande était un cri d'indignation et de
douleur. La gène pesait de plus en plus sur l'Europe.
•Sijp-
Ua chantier de fabrication de ÛIs de fer barbelés, à l'arrière du front.
procédure des informations judiciaires qu'ils parais-
saient diriger, plutôt qu'ils ne les subissaient. On res-
tait sceptique devant certaines perquisitions et cer-
taines annonces de complot, qui semblaient trop
invraisemblables, et où l'on soup^■onnait ou une
regrettable na'iveté, ou le besoin de détourner l'atten-
tion publique sur des pistes nouvelles et illusoires.
On aspirait à la vérité totale, à la justice, à l'assai-
nissement. Le cabinet, composé de gens estimables,
intelligents, honnêtes, présidé par un homme aux
intentions duquel on rendait pleine justice, semblait
En Espagne, une crise très grave éclatait à la fin
d'octobre. Les juntes d'officiers qui, en juin, avaient
provoqué la chute du ministère Garcia Prieto,
avaient de nouveau fait entendre leur voix. Les
divisions politiques, les agissements de l'Allemagne,
les réclamations militaires créaient une situation
des plus délicates. L'accord entre le roi et le pré-
sident du conseil, Dato, ne semblant plus complet,
Dato avait remis sa démission. Mais on était en
présence de quelque chose de plus qu'une chute de
ministère : on sentait l'Espagne profondément trou-
«• 130- Décembre 1917.
blée, incapable de se diriger, divisée sur la grande
question européenne, trop faible pour prendre parti,
sans année solide et, pourtant, menacée d'être do-
minée par un pouvoir militaire. Hien ne montrait
mieux combien le milieu créé par la guerre était
favorable à l'éclosion des mouvements désordonnés,
des revendications de classe ou de caste, des révo-
lutions et de l'anarchie. Nous suivions avec un
intérêt sympathique et un peu inquiet tout ce qui se
passait en Espagne, et nous souhaitions qu'elle
échappât aux risques qui semblaient une fois de
plus la menacer.
Ainsi la guerre pesait sur tous les peuples. Ceux
qui en portaient la charge directe comprenaient
mieux que jamais la nécessité d'aboutir à un règle-
ment définitif, capable d'assurer la paix pour long-
temps, de permettre à tous les peuples de respirer,
de se développer librement sans influence extérieure
occulte, selon leur génie national et leurs besoins.
L'impossibilité d'une pai.\ bâtarde et prématurée
apparaissait de plus en plus clairement, non moins que
la nécessité d'une paix sage et franche. Mais il fallait
la gagner. Tout le monde faisail-il pour cela tout
ce qu'il devait? Question redoutable qui eût mérité
que beaucoup réiléchissent aux responsabilités écra-
santes qui pesaient sur eux. — Jules Geebàult.
Houille blanche (la). La perturbation con-
sidérable créée par l'état de guerre dans notre
organisation industrielle et surtout la nécessité de
produire des métaux, des munitions, des explo-
sifs, etc., en grandes quantités, malgré les difficultés
de notre ravilaillement en combustibles, ont montré
combien il était nécessaire d'utiliser les grandes
forces que la nature met à notre disposition et
d'essayer de suffire, par nous-mêmes, à nos propres
besoins.
Le problème se pose déjà; il se présentera en-
core avec plus d'acuité dans la période d'après-
guerre, lors de la crise économique inévitable qui
caractérise ces périodes. A ce moment, lorsque le
manque de main-d'œuvre, l'insuffisance de force
motrice feront sentir leur action, la lutte indus-
trielle reprenant avec toute son âpreté, nos indus-
triels devront résoudre le délicat problème de la
production intense à l'aide de moyens nouveaux.
Ue la solution rapide de celui-ci dépendront nos
succès économiques.
Or la houille noire ou charbon extrait de nos
mines l'est en quantité insuffisante pour nos tra-
vaux. Nous demandions chaque année aux impor-
tateurs anglais, belges ou allemands, plus de dix
millions de tonnes : cette situation médiocre ne peut
s'améliorer; au contraire, même, car nos mines du
Nord (3/4 de notre production) nous seront rendues
dans un tel état que plusieurs années seront néces-
saires pour les restaurer. Evidemment, les traités
de paix nous donneront des compensations, mais,
quelles qu'elles soient, nous devons orienler l'indus-
trie vers l'utilisation des forces motrices oaturelles.
Au premier rang
de celles-ci, les
eaux doivent rete-
nir notre attention.
Energie hydrau-
lique, houille
blanche, houille
verte. — Les eaux,
considérées en
tant que fluide en
mouvement se dé-
plaçant vers les
points bas, repré-
sentent une quan-
tité d'énergie la-
tente, potentielle,
considérable, qu'il
est aisé de capter
en utilisant les
dilTérences de ni-
veau soit de la
chute en monta-
gne, soit en créant
sur le cours d'un
fleuve non navi-
gable un barrage
derrière lequel les
eaux s'accumulent.
Ces dénivellations
peuvent varier de
plusieurs centaines
de mètres à quelques mètres; la puissance recueillie
dépend, naturellement, de la diflérence de niveau et
du débit des eaux.
Travail produit = Poids de l'eau utilisée par se-
conde X hauteur do chute.
On réserve généralement l'expression métapho-
rique de houille blanche anx captations d'énergie
hydraulique des eaux glaciaires des montagnes,
ainsi qu'à la captation de la puissance des rivières
non navigables lorsque les barrages et installa-
tions ont créé une chute importante. Sous le
nom de houille verte, on désigne plutôt les pe-
LAROUSSE MENSUEL
tites installations établies sur les rivières, grâce à
des barrages insignifiants et de portée généra-
lement agricole. Nous nous en occuperons dans un
prochain article.
Historique de la
houille blanche. —
Les Français doi-
vent revendiquer
hautement pour un
des leurs la pre-
mière adaptation
des eaux glaciaires
à la production de
la force motrice.
En 1869, un ingé-
nieur, Aristide
Bergès,aniénageait
une chute de
200 mètres, puis
une autre de 500,
pour actionner une
râperie de bois,
transformée en-
suite en papeterie
à Lancey, près de
Grenoble.
Cette œuvre ma-
gistrale, si bien dé-
finie par Hanotaux
dans ces quelques
mots : ce Aristide
Berges enferme
son tuyau au flanc
des rochers et
monte jusqu'au gla-
cier qu'il enlerme
dans sa chambre
d'eau ; il met la
main sur la cascade
et laconduit apaisée
dans son atelier »,
fut encore complé-
tée par Berges lui-
même. Ce précur-
seur de toute cette
techniqueeutl'idée
des lacs-réservoirs
pour régulariser les
débits des chutes
et celle, également
féconde, de la dis-
tril)ution électri-
que dans la région.
D'un ruisseau in-
signifiant débitant
au plus bas une cen-
taine de litres par
seconde, faisant à grand'peine mouvoir quelques
moulins et battoirs de chanvre à 3 ou 4 chevaux.
Berges, en l'améliorant, a pu actionner une papeterie
315
Evaluation de la puissance disponible. — En pre-
nant pour puissance celle fournie par les eaux
moyennes, les principales régions françaises sont
Schéma d'une ingtallalioD hydro-électri(}ue : A. barrage; B, chambre d'eau: C, conduite forcée; D, turbo-
alternateur ; E, canal de décharge ; F, transpart de force ; V. vanne de réglage.
ulilisant2.000 chevaux, assurer la marche des tram-
ways de Grenoble à Champaraillan et fournir la lu-
mière dans toute la vallée du Grésivaudan. Aujour-
d'hui, son œuvre est continuée par son fils, Maurice
Berges, auquel on doit, dans la région dauphinoise,
un grand nombre d'installations hydro-électriques.
De tels exemples ne pouvaient rester stériles; de
nombreux imitateurs ont peu à peu mis en valeur
une grande partie des eaux des Alpes, des Pyré-
nées. Actuellement, on estime en France à t. 200. 000
le nombre des chevaux hydrauliques aménagés,
sur une totalité de dix millions environ: le champ
reste encore vaste aux futures entreprises.
Vue générale de l'usine de la Société hydro-électrique de l'Eau d'OUe, à Allemoot ilsère/.
susceptibles de donner, après entière captation, les
quantités d'énergie suivantes :
Région des Alpes (Savoie, Dauphiné). 2.000.000 chevaux.
Région de la Durance, Nice, Provence. 2.600.000 —
Région des Pyrénées 2.000.000 —
Région du massif Central, Vosges, Jura. 1.800.000 —
Autres régions 800.000 —
Cette puissance se réduit à environ 4.600.000 HP.,
en estimant les chutes au minimum (moment de
l'éliage). Une telle énergie demanderait, pour être
produite, près de 18 millions de tonnes de houille,
soit beaucoup plus que nous ne demandions jadis à
l'exportation.
Si notre pays est favorisé, grâce à son relief
montagneux, d autres contrées possèdent également
d'importantes réserves de houille blanche. Le ta-
bleau suivant indique les disponibilités des régions
les mieux pourvues :
Disponibilités. Chevaux aménagés.
Etats-Unis. .. 30 millious HP. 2 millions HP.
France 10 — 1.2 —
Italie 5.5 — 0.5 —
Suisse 1.5 — 0.4 —
Norvège 18
Suède 6 —
Allemagne. . . 1.5 —
Autriche .... 5 —
Aménagement d'une usitie hydraulique mo-
derne. — A l'humble roue du montagnard action-
nant péniblement une scierie par le choc des eaux
sur ses palettes se substituent aujourd'hui des
installations considérables, capables d'utiliser com-
plètement la puissance des eaux.
En partant de la source d'énergie à capter, tor-
rent ou rivière, on commence par établir, en travers
du lit, un barrage, mur en maçonnerie ou formé de
fermes d'acier recouvertes de tôle, arasé de façon
qu'à la période des crues les eaux puissent se dé-
verser par-dessus la crête. Latéralement, un canal
de dérivation plus ou moins long conduit les eaux
dans une chambre; de là partent les conduites for-
cées, destinées à canaliser la chute jusqu'aux appa-
reils d'utilisation.
Cesconduiles,en tôle d'acier àjoints latéraux soudés
pour les hautes chutes, en tôle simplement rivée
ou en ciment armé pour les basses pressions, peu-
316
LAROUSSE MENSUEL
Intérieur de l'usine de la Société hydro-électrique de l'P^u d'Olle, à AUemont (Isère).
venl atteindre parfois plusieurs kilomètres de lon-
gueur, sons un diamètre de plusieurs déciniMres.
Leur rosislance esl telle cjue non seulement elles
cloivenl résister à la pression des euux, mais égale-
ment résister anx chocs, dits « coups de bélier n,
causés pai' les vininafces brusques.
hivers disposilil's pernieltcnt de vider la conduite
eir cas d'accident; quanUiux l)aiTag'cs, on les établit
de lelle façon que les pieiTes unlrainées, les débris
végélanx dépo.-és contre les grilles de la dériva-
tion, par suite du ralentissement de vitesse de
l'eau, soient expulsés par une chasse violente en
ouvrai}l une vanne spéciale dite passe à graviers.
Sur les rivières à grande crue, le barrage peut
être muni de vannes énormes qui l'ouvrent en en-
tier ; tel le
barrage de
Tnilières,sur
la Dordogne,
qui peut lais-
ser aux Ilots
tujnultueiix
de l'inonda-
tion un libre
passage de
IT^iSO de
hauteur.
L'énergie
disponible de
cette eau en
pression esl
captée par
une turbine,
véritable
manège des
chevaux hudrauliques. d'après l'expression pitto-
resque de Nansouty. L'eau, en s'éconlant dans cet
appareil, détermine la rotation d'une roue: selon la
façon dont le fluide moteur agit sur le système, la
turbine sera centrifuge (entrée par le centre, rejet
à la périphérie), ou cenlrinète (entrée extérieure,
rejetau centre); enfin, l'eau en jet peutsimplementse
projeter contre les aubes d'une roue (roue Pelton).
Si l'on rencontre quelques types centrifuges, les
modèles les plus employés sont, aujourd'hui, pour
les chutes basses et moyennes, les turbines centri-
pètes (système Francis), à axe horizontal ou vertical;
pour les hautes chutes, on préfèie la roue améri-
caine (système Pelton), simple roue portant à sa
circonférence une série d augets que viennent
frapper un ou plusieurs jets issus de la conduite à
travers des buses munies d'injecteurs de réglage.
Utilisation de la puissance captée. — Nous
voici, grâce à la turbine, en possession d'un axe
tournant. On peut y adapter une transmission mé-
canique quelconque et l'utiliser directement sur place
pour mouvoir les machines les plus diverses. Le
plus souvent, on adopte un autre modus faciendi.
l'énergie mécanique est transformée en énergie élec-
trique, plus commode pour les emplois à distance.
L'installation se complète, dans le l)âtiment des
turbines, par des générateurs d'électricité, directe-
schéma de la turbine centripète : a,
arrivée deau; b, dépurt de l'eau.
ment branchés sur l'axe des turbines. Si le courant
est utilisé sur place dans des opérations d'électro-
chimie, ces générateurs fournissent du courant
continu à faible voltage; au contraire, si le courant
est destiné à être transporté, on fait usage d'alter-
nateurs. La tension de ces machines peut atteindre
5.000 volts; des transformateurs convenables la
remontent vers 50.000 volts. I^e courant esl ensuite
envoyé sous cette haute tension souvent à plusieurs
kilomètres de distance.
Ces transports sont aujourd'hui usuels; en Amé-
rique, une ligne de 375 kilomètres fonctionne par-
faitement. Pour amener à l^aris l'énergie captée
sur le Rhône, une tension de 120.000 volts en cou-
rant triphasé a pu être envisagée; la question est
résolue dans le sens le plus pratiijue.
Coiït de la houille blanche. — Lorsque l'on dé-
passe les modestes ressources d'un industriel cap-
tant une chute pour les besoins de son exploitation,
pour passer aux importants transports d'énergie,
l'opération nécessite de tels capitaux que, seules, de
puissantes sociétés les peuvent réunir.
Les frais d'aménagement sont souvent considé-
rables ; d'après Pacoret, le classique de la houille
«• 130. Décembre 1917.
blanche, on évalue le prix d'aménagement aux taux
suivants :
Hautes chutes : JOO à 600 francs le cheval hy-
draulique à la turbine, soit ooo à 1.400 francs lé
kilowatt à l'usine.
Chutes par barrage sur rivière: 600 à 1.200 francs
le cheval hydraulique à la turbine, soit 1.500 a
2.000 francs'le kilowatt à l'usine.
L'usine de Ponsonnas (Isère), avec une chute de
50 mètres donnant 20.000 HP., est revenue ii
2.200.000 francs; celle de Jonage sur le Rhône, pour
Disposition schématique de la roue PeUon : û, a, augets
recevant l'impulsion du jet d'eau b.
une puissance semblable, sous 11 mètres de chute, a
coûté près de 40 millions de francs. Le prix de re-
vient du cheval-annuel varie énorméjnent : il sera
de 40 francs pour une chute de 500 mètres débitant
2 mètres cubes par seconde et de 120 francs, par
exemple, pour une chute de 40 mètres débitant
25 mètres cubes. Le prix du courant électrique ne
descend guère, pour l'éclairage, au-dessous de
0 fr. 03 le cheval-heure; pour la force, il oscille
entre O fr. 025 et 0 fr. 125.
Inconvénients de la houille blanche. — Il
semble que tout soit parfait dans l'adaptation de
ces forces naturelles; malheureusement, la houille
blanche présente un grave inconvénient, lorsqu'il
s'agit de distribution d'énergie constante et sans
arrêt.
En effet, le régime des eaux étant irrégulier, les
débits, suivant les saisons, sont des plus variables :
les eaux glaciaires ont leur plus faible débit en
hiver, tandis que les eaux pluviales, au contraire,
ont le leur en été.
Divers procédés ont été cherchés pour remédier
à cet inconvénient. Une des solutions les plus élé-
gantes se réalise lorsque l'on dispose à la fois de
chutes glaciaires et pluviales ; les étiages n'ayant
pas lieu en même temps, il est possible de com-
biner les deux débits (alliance des Alpes et du
massif Central, des Pyrénées et du bassin de la
•jaronne). Dans d'autres cas, on construit des lacs
ou réservoirs régulateurs; mais, le plus souvent, les
exploitants sont obligés d'entretenir de puissantes
stations thermiques pour suppléer par le charbon
Transport du courant électrique à haute tensioa.
N' 130- Décembre 1917.
ou les huiles lourdes aux manques de la chute,
les frais se trouvent considéiablement au^menlés,
certaines de ces stations thermiques ayant une puis-
sance de plusieurs milliers de chevaux (l'usine d'Aix,
de la Société du littoral méditerranéen, a, par
exemple, une valeur de Î5. 000 HP.)-
Une autre cause de difficultés fut encore pendant
longtemps l'obstruction possible des riverains aux
travaux d'aménagement, l'ingénieur voyant se
dresser sur son chemin de vagues industriels
exploitant de quelques roues ou moulins désuets,
d'autres s' opposant au passage des conduites sur
leur propriété : partout, c'étaient des indemnités à
payer, quand ce n'étaient pas des tentatives de
chantage. Le législateur a dû intervenir et établir
pour les installations hydrauliques un régime spé-
cial, favorisant leur établissement.
Avantages et applications de ta kouille blanche.
— La production de la force motrice ainsi réalisée
représente un avantage considérable sur la produc-
tion de celte môme force par le charbon; en effet,
tandis que celui-ci s'épuise sur terre, varie de prix
avec les circon.«tances et représente pour nous.
Français, une matière industrielle insuffisante,
l'énergie des glaciers et des sources se renouvelle
chaque année et se trouve, par suite, être inépuisable.
Grâce aux multiples applications de l'électricité,
la force niolrice et la lumière pouvant être distri-
buées à toute une région, aucune limite ne restreint
la puissance que de telles applications peuvent pré-
tendre ; par le transport à distance, le centre le
bien moins favorisé de la nature peut rivaliser
avec les contrées les mieux pourvues en richesses
LAROUSSE MENSUEL
utilisant les chutes des bassins de l'Isère, de la Ro-
manche, de l'Arve, du Fier, du Drac, etc., on peut
citer d'importantes usine.s chimiques et métallur-
giques (Bozel, les Carbures métalliques, la Compa-
t^nie des produits chimiques d'Alais et la Camargue,
l'Electro-MétalIurgie, le Quartz-Fondu, les aciéries
Girod, à Ugine), de nombreuses papeteries (Lancey,
Riouperoux), des Sociétés de transport de force
(Société du Centre et de la Loire) exploitant le sec-
teur de Saint-Etienne et du Roannais, etc.
Sur le Rhône, la Société des forces motrices du
Rhône possède l'usine de Jonage (20.000 HP.); plus
au sud, l'importante Société de l'énergie électrique
du littoral méditerranéen, avec un capital, tant ac-
tions qu'obligations, de 100 millions, exploite dix
chutes importantes (Brillanne IS.OOOkw., 'Ventavon
25.000 kw. sur la Durance, Plan du "Var et Mescla
sur le 'Var, Fontan sur laRoya, etc.), lui donnant au
moins 60.000 kw. pour desservir les départements
côtiers,alimenterMarseille, Arles, Nice, Cannes, etc.
Dans les Pyrénées (100. 000 HP. aménagés en 1914),
de hautes chutes dans les hautes vallées de l'Ariège,
de la Garonne, de l'Orlu, du Gave de Pau sont
exploitées par plusieurs sociétés (Société hydro-
électrique des Pyrénées; le Chemin de fer du Midi
avec ses usines de Soulom sur les Gaves 21.000 HP.,
d'Eget 5.000 HP. pour l'électrificalion de ses
trains, etc.), puis, sur le cours de la Dordogne,
l'usine de Tuilières 16.000 HP., au Sud-Ouest élec-
trique, etc.
Le développement de notre richesse nationale
en houille blanche ne peut que se poursuivre nor-
malement. La question n'est plus à la période des
Usine de la Société hydro-électrique de Laval (Isère).
minérales ou aménagées près de grandes voies de
communication.
Pour donner une idée de ce que l'on peut tenter
dans ce sens, un projet que la guerre a remis à plus
lard envisage l'alimentation de Paris (métropoli-
tain, secteurs électriques, tramways, etc.), soit
300 millions de kilowatts-heures, au moyen d'une
li^fne conduisant à la capitale 150.000 HP., captés
sur le Rliône à Genissiat.
La production du courant peut êtié employée à
l'élaboration de divers produits chimiques (carbure
de calcium, chlorates et perchlorates pour explosifs,
produits de blanchiment, persels, cyanamide, acide
nitrique, etc.) ou de plusieurs produits métallurgi-
ques (ferro-alliages, manganèse, zinc, nickel, alu-
minium, acier, etc.). Naturellement, ces fabrications
ne sont intéressantes à préparer que dans le cas
où les frais de transport des matières premières et
des produits finis sont faibles, ce qui n'est pas tou-
jours le cas en pays montagneux. De même, le prix
du cheval produit par la chute doit intervenir, sa
valeur modifiant considérablement les prix de re-
vient, selon les usines.
Principales exploitations de houille blanche en
France. — Nous compléterons cette rapide mono-
graphie en indiquant les principales exploitations
françaises ; leur importance montre l'intérêt qui
s'attache au problème de la houille blanche.
Dana les Alpes, outre de nombreux industriels
expériences ; les entraves juridiques, la concur-
rence des combuslib'es étant écartées, l'essor im-
portant donné par la guerre à diverses fabrications,
tout concourt pour augmenter l'importance de la
puissance aménagée. Il faut espérer de ces faits
que la France sera pourvue, dans un laps de temps
relativement court, d'une merveilleuse arme indus-
trielle. — M. MOLIMÉ.
Hussein Kamel-paclia, sultan d'Egypte,
né en 1854, mort au Caire le 9 octobre 1917. Le prince
Hussein Kamel était le second fils du khédive Isma'il,
célèbre par ses prodigalités, qui régna de 1863 à 1879
et mourut en 1895 à f^onstantinople. H était l'oncle et
le successeur du khédive Abhas 11 Hilmi, qui a été
déposé par r.Xngleterre en 191 i. le petit-fils du fa;neux
Ibrahim-pacha, dont les victoires sur les Turcs et
les Syriens ont passionné l'Europe de 1840 et l'ar-
l'arrière-pelit-fils de Méhémet-Ali.ce Turc d'origine
macédonienne, qui réussit à se faiie nommer vice-
roi d'Egypte par le sultan de Constanlinople, l'obli-
geant, par la force des armes, à transformer cette
province en fief héréditaire h son profit (9 juil-
let 1805).
Méhémet-Ali gouverna jusqu'en 1847; il eut pour
successeur son fils adoptif, Ibrahim, qui régna peu
(1847-1848), puis son petit-neveu Abhas (1848-1854),
et son quatrième fils, Sald-pacha (1854-1863), auquel
succéda Ismall, le neveu de ce dernier.
Husiein Kamel.
317
Ismall eut sept fils, dont l'aîné, Mabomed Tewfik-
f tacha, obtint à son tour le pouvoir, le 26 juin 1879,
orsque son père — qui avait échangé, en 1867, le
titre de vice-roi
contre celui de
khédive — fut
contraint par la
Porte , sur les
.sollicitations des
puissances euro-
péennes, de don-
ner sadémission.
(Tewfik régna de
1879 à 1892, et
c'est son fila,
Abbas II Hilmi,
qui recueillit
alors sa succes-
sion.)
Les sept fils
d'Ismall reçurent
chacun une édu-
cation différente.
A l'exception de
deux — dont
Tewfik — quires-
tèrenten Egypte,
ils furent respectivement élevés dans diverses capi-
tales européennes. Le prince Hussein Kamel fut en-
voyé en France. 11 vint à Paris, vers la fin du
.second empire; Napoléon III le reçut à sa cour avec
beaucoup d'égards et lui donna le même précepteur
militaire qu'au Prince impérial, le colonel Caslex.
Cependant, l'entreprise du canal de Suez, com-
mencée avec le khédive Saîd, s'achevait. En 1S69,
de grandes fêtes d'inauguration eurent lieu en
Egypte à cette occasion, et le khédive Ismaîl fit à
l'impératrice Eugénie, venue pour y assister, une
réception splendide, qui coûta des millions. Les em-
barras financiers — déjà grands — de l'Egypte s'en
accrurent; les puissances européennes s'en rnèlcrent.
Dix ans après, Isma'il démissionnait et quittait la
terre des pharaons pour se relireren Italie, à Naples,
où ses fils, Hussein et Ahmad Fouad, vinrent le
rejoindre.
Sous Tewfik, son fils et successeur, les affaires
n'allèrent pas mieux et, à la suite des révoltes d'Ara-
bie et des massaci-es d'Alexandrie, l'Angleterre in-
tervint, en 1882, et occupa militairement l'Egypte,
à titre provisoiie. Depuis, la Grande-Bretagne a
constamment maintenu son armée d'occupation, et
la France, qui s'était laissée devancer, en éprouvait
d'amers regrets. Tewfik mourut en 1892.
Le prince Hussein aurait du, alors, lui succéder,
comme étant l'aine de la famille :mais son père, Ismaîl,
qui avait voulu introduire en Egypte les institutions
européennes, avait obtenu — à prix d'or — du sul-
tan, du temps qu'il était khédive, le fiiman de mai 1866,
qui substituait à l'ordre traditionnel de succession
au trône en vigueur dans l'empire ottoman la suc-
cession par ordre de primogéniture en ligne directe.
C'est pourquoi le successeur de Tewfik fut son fils,
Abbas Hilmi, de même que Tewllk avait succède à
Isma'il en qualité de fils aîné.
Hussein se trouvait donc, par le firman de 1806,
définitivement écaité du khédivat.
Abbas II Hilmi voulut, au début de son règne,
montrer une certaine indépendance vis-à-vis de
l'Angleterre, notamment dans le choix des fonction-
naires. Le gouvernement britannique lui répondit,
en 1893, en renforçant son armée d'occupation, ce
qui amena une série de froissements avec la France,
jusqu'à ce Qu'en 1904 un accord, habilement négocié
par Delcassé, intervint entre Londres et Paris,
par lequel les deux puissances se désintéressaient
réciproquement, l'une du Maroc et l'autre de l'Egypte.
(Déclaration du 8 avril 1904.)
Mais il a fallu la guerre de 1914 pour que le pro-
tectorat de fait que le gouvernement britannique
exerçait se changeât en protectorat de droit. C'est
maintenant chose faite. Le khédive Abbaa Hilmi,
i|ui régnait depuis le 2ii mars 1892 — et qui avait
fait son éducation à 'Vienne — commit la faute de
se laisser circonvenir par le parti des Jeunes-Turcs,
aux mains desquels se trouve l'impuissant sultan de
Turquie, Mahomet 'V, et de s'allier aux ennemis de
la Triple-Entente. 11 alla à Constantinople au mo-
ment où l'Allemagne et l'Autriche entraînaient le
gouvernement ottoman dans le conflit européen, et
il se vanta de ne rentrer en Egypte qu'avec une
armée de 40.000 hommes pour en chasser les An-
glais. L'Angleterre ne pouvait avoir une meilleure
occasion d'exécuter ses desseins. Elle ne la laissa pas
échapper. Libre de tous égards vis-à-vis de l'Alle-
magne et de la Turquie et fort de l'accord franco-
iinglaisde 1904, le gouvernement britannique libéra
définitivement, le 17 décembre 1914. l'Egypte de la
■sujétion ottomane en proclamant son protectorat, qui
supprimait toute vassalité vis-à-vis du sultan de
r.onstantinople et, par conséquent, toute redevance
pécuniaire. El, le lendemain, il déposait du khédivat
.\bbas Hilmi et nommait à sa place, avec le titre
lie sultan et la qualification de « Hautesse » — pour
mieux marquer son alTranchissement k l'égard de
318
la Porte — le prince Hussein-pacha, l'oncle du
khédive dépossédé, le plus ancien des princes vi-
vants de la famille de Méhémet-Ali.
Ainsi, Hussein Kamel, que la volonté de son père
avait écarté du pouvoir, s'y trouvait ramené par les
hasards de la politique dont il s'était, pourtant, tenu
volontairement à l'écart.
En effet, lorsqu'en 1884, peu de temps après les
événements qui motivèrent l'occupation anglaise, il
obtint de rentrer en Egypte, il se consacra tout en-
tier à 1 agriculture et mena l'existence calme d'un
grand propriétaire terrien. A ce titre, il fut un des
promoteurs de la création d'un ministère de l'agri-
culture et de la Société l<hédiviale d'Egypte. Il
accepta, cependant, la présidence de l'Assemblée
nationale égyptienne, mais il remarqua vite une
hostilité jalouse chez le khédive, son neveu, qui le
soupçonnait dinli-iguer pour le supplanter, parce
qu il était le favori du liant commissaire anglais,
lord Cromer. Pour mettre fin à cette suspicion, le
prince Hussein démissionna. Entre temps, il eut
l'occasion de recevoir, dans son beau palais de
Ghisé, (ju'entourent de féeriques jardins, le tsaré-
vitch Nicolas, devenu depuis empereur de Russie,
au retour d'un grand voyage au Japon, et le loi
Edouard Vil, alors simple piince de Galles.
Le sultan Hussein, grand, blond, élancé, élégant,
avait vraiment les allures d'un prince. C'était un
hommedehauleculture, expérimenté, libéral; il avait
beaucoup de sympathie et de goût pour les choses
européennes. Il avait eu, de son union avec la prin-
cesse Ain el-Haijat, un fils, le prince Kamel Eddine, et
deu.\ filles; sa seconde femme, la princesse Melek,
fille adoptive de son père Ismaïl, lui a donné trois
filles, dont l'une est morte en 1914.
Lacérémonie d'investiture du sultan Hussein avait
eu heu en janvier 1915, en présence du régent,
sir A. -H. Mac-Mahon, des autorités égyptiennes, de
l'armée et du corps diplomatique, cependant qu'une
fetwa du sultan de Gonstantinople le décrétait d'ac-
cusation pour félonie et le renvoyait devant une
haute cour, tandis que le khédive déchu allait por-
ter ses vaines doléances à Vienne et à Beriin.
Ainsi, le statut fondé surlesfirmansdeslS juin 1841
et 27 mai 1866, faisant de l'Egypte une véritable
royauté vassalede Gonstantinople; se trouvait frappé
de caducité. La terre des pharaons, que les khédives
ont eux-mêmes, à deux reprises, au cours du siècle
dernier, essayé d'afi'ranchir de tout rapport avec la
Turquie, est maintenant libérée de ce joug et, de
même que l'Angleterre a reconnu le protectorat
français sur le Maroc en donnant son adhésion au
traité franco-marocain du 30 mars 1912, la France a
reconnu le protectorat anglais de l'Egypte, confor-
mément à l'accord du 8 avril 1904.
Il est seulement regrettable que le règne d'Hussein
Kamel ait été d'aussi courte durée. Ami sincère de
la France, dont il était l'hôte fidèle chaque année
avant la guerre, il laisse, en Eyypte, d'unanimes
sympathies, surtout parmi la population agricole, à
laquelle il s'est toujours intéressé. Son successeur,
le sultan Ahmad Fouad \<"; est son propre frère; né
en 1867, il a fait ses éludes en Italie, et l'on vante
son courage, l'indépendance de ses opinions et la
fe.-meté de son attitude. Les puissances de l'Entente
espèrent trouver en lui un ami dévoué, le digne
successeur de Hussein Kamel. — Fr. bbrthier.
*iaard (Louis), philosophe et administrateur
français, né à Falaise (Calvados) le 22 aoiit 1846,
mort à Paris le 21 septembre 1917. Ses études se
6rent au collège de sa ville natale (1854-1864), puis
au lycée Chariemagne (Paris), où il se prépara au
concours de l'Ecole normale supérieure, section des
lettres. Admis en 1866 (5" sur 13), il eut pour ca-
marades de promolion Gartault, Jalliffier, Rayet,
Luchaire, Couat, Rabier, Clairin, Debidour, etc.'
Ses principaux maîtres furent le latiniste Gaston
Boissier, l'helléniste Jules Girard et, surtout, le phi-
losophe Jules Lachelier, dont la doctrine a laissé
des traces profondes dans sa pensée. Mais, tout
en s'instruisant des systèmes philosophiques an-
ciens et modernes, il s'intéressait fort aux discus-
sions politiques du jour. Enthousiaste des idées libé-
rales, il allait, le jeudi, entendre Jules Simon aux
séances du Corps législatif. En 1868, il prit part à la
lutte électorale et fit campagne pour la candidature
de Jules Kavre. Ce fut une mauvaise note dans son
dossier. Reçu, l'année suivante, à l'agrégation de
philosophie (on fit deux agrégés : Liard et Elle Ra-
bier, qui devint directeur de l'enseignement secon-
daire), il fut exilé au lycée d'enseignement secon-
daire spécial de Monl-de-Marsan, comme chargé
du_ cours de morale (3 septembre 1S69). Cette dis-
grâce n'attiédit pas la foi politique du jeune profes-
seur, qui s'affilia au parti républicain de Mont-de-
Marsan, fit des conférences et contribua à la création
d'une bibliothèque populaire. Il devait prononcer
le discours d'usage à la distribntion des prix du
lycée (août 1870), quand fut connue la nouvelle de
nos premiers revers. L'éloquence d'apparat fut sup-
primée, et Liard consacra sa parole et sa plume à
des œuvres patriotiques. Il fit, au théâtre de Bor-
deaux, une conférence sur le rôle des volontaires
LAROUSSE MENSUEL
aux armées, à l'occasion du concours offert par des
volontaires espagnols, et une autre sur les Chdli-
menls de Victor Hugo, dans une soirée littéraire
au profit des Français prisonniers en Allemagne
(novembre-décembre 1870). Dans ces deux discours,
il attaquait violemment le régime impérial. Vers la
même époque, répondant & un ancien député des
Landes, il prolestait, dans un article de journal
contre l'idée de restaurer une dynastie. Puis, joi-
gnant l'action à la parole, il prit du service dans l'ar-
mée, fut désigné pour commander une batterie d'ar-
tillerie et dirigé sur Pau. Il allait partir pour la zone
des opérations quand survint l'armistice. Il reprit
sa chaire, occupée en son absence par Boirac, depuis
recteur de l'académie de Dijon, mort en 1917. H
reprit aussi son activité politique, dans les réunions
publiques et dans la presse, en combattant la candi-
dature du légitimiste de Gavardie. Le scrutin fut
favorable aux conservateurs, et de Gavardie de-
manda le déplacement du professeur républicain
Liard fut alors nommé à la chaire de philosophie
du lycée de Poitiers (avril 1871). Cette fois, le poste
était digne de lui.
Les trois années qu'il passa à Poitiers furent fé-
condes. Son brillant enseignement lui valut des
succès au Concours général. Il prépara la licence
es sciences naturelles, qu'il passa devant la Faculté de
Poitiers en 1873,
et soutint à Pa-
ris, la même an-
née, ses thèses de
doctorat es let-
tres. Le 26 sep-
tembre 1874, ilfut
chargé du cours
de philosophie à
la Faculté des
lettres de Bor-
deaux et titula-
risé en décem-
bre 1876. Ce fut
lui qui fonda les
Annales de la
Faculté, où il pu-
blia de nombreux
articles, notam-
ment sur Des-
cartes. Il donnait
en même temps
à la « Revue philosophique », récemment créée par
Théodule Ribot, des études sur les logiciens an-
glais contemporains. Mais les recherches du philo-
sophe ne nuisaient pas au zèle du citoyen, soucieux
de prendre part à la vie publique: élu conseiller
municipal, il fut adjoint au maire de Bordeaux et
délégué à l'Instruction publique et aux Beaux-Art-^
(1877-1880). Des millions furent votés par la ville
pour organiser sa Faculté de médecine et recons-
truire ses Facultés des sciences et des lettres.
Liard étudia les projets, surveilla l'exécution des
travaux et montra des qualités d'administrateur qui
le désignèrent au choix du ministre de l'instruction
publique pour le rectorat de Caen (27 novembre 1880).
Dans un discours prononcé à Rouen, en 1881, à hi
rentrée des écoles préparatoires d'enseignement
supérieur, il a défini les buts de son administra-
tion : d'abord fortifier les liens qui doivent unir les
trois ordres d'enseignement, supérieur, secondaire
et primaire, dont chacun a sans doute sa fonction
propre, mais qui doivent tous concourir harmonieu-
sement à la vie intellectuelle et morale de la na-
tion ; ensuite, relever et fortifier l'Enseignement
supérieur, qui ne saurait se borner à délivrei des
diplômes et à faire des cours pour gens du
monde, mais dont la mission est de faire progresser
les sciences, pures et appliquées, de rehausser la
Louis Liard.
Il !• .-i'1'i..jwv-^o, u^. ICIiaiISRCi Id
culture Irançaise et d'encourager les applications
îlles. Il faut donc créer des bibliothèques
intlustrielles. .. .«^^ u«.i,> v.icci uco uiuuuiui.'que:
et des laboratoires, multiplier les enseignements
autoriser les cours libres. Enfin, les Facultés ne
doivent pas mener une vie indépendante et s'ignorer
mutuellement. Comme il existe une solidarité
entre les sciences, il est indispensable que les
Facultés entretiennent entre elles des relations
efficaces. Liard appliqua avec succès ce large pro-
gramme pendant ses quatre années de rectorat. Le
28 septembre 1884, un décret l'appela à la direction
de l'Enseignement supérieur, après la mort préma-
turée d'Albert Dumont (1842-1884). Son prédéces-
seur avait élaboré un plan de reconstitution de
l'Enseignement supérieur: les Facultés françaises
devaient être groupées en un certain nombre
d]Universités régionales, formant des unités orga-
niques et ayant une part d'autonomie administrative
et financière. Le nouveau directeur, épris du même
idéal, eut la joie de le voir réaliser sous son admi-
nistration. Les décrets de 1885 restaurèrent la per-
sonnalité civile des Facultés, tombée en désuétude,
et leur reconnurent l'aptitude à posséder et à rece-
voir. Le règlement d'administration publique du
22 février 1890 (Liard étant conseiller d'Etat en
service extraordinaire) fixâtes conditions de leur
budgetet de leur comptabilité. La loi du 28 avril 1893
créa les corps de Facultés. Les décrets des 9 et
N' 130. Décembre 1917.
10 août 1893 élargirent les attributions du conseil
général des Facultés. Enfin, la loi du 10 juillet 1896
institua les Universités françaises. La même année
Liard lut élu à l'Académie des sciences morales et
politiques, en remplacement de Jules Simon, dont
il a étudié l'œuvre dans un article de la <. Revue
de Paris " du 1" mars 1898.
Après la retiaile d'Octave Gréard, Liard quitta la
diieelion de l'Enseignement supérieur pour le vice-
rectorat de l'Académie de Paris (16septembrel9û2).
11 eut à faire appliquer les nouveaux programmes
de 1 enseignement secondaire. Dans un discours
prononcé au conseil académique de Paris, à l'ou-
verture de la session de novembre 1902, il dé-
finit l'esprit de la réforme et caractérisa les deux
modes de culture, classique et scientifique, tous
deux nécessaires au développement intellectuel de
la nation. Liard, qui avait joint l'étude personnelle
des sciences à son éducation littéraire, était parti-
culièrement compétent pour préconiser l'union des
deux cultures. Il n'oublia pas l'Enseignement supé-
rieur : grâce à de généreuses donations que le vice-
recteur eut le talent de provoquer, l'Université de
Paris s enrichit d'établissements considérables. On
lui doit, en outre, l'initiative des relations universi-
taires franco-américaines : heureuse forme de pro-
pagande française, qui n'a peut-être pas été sans
influence sur le sentiment public aux Etats-Unis
pendant la guerre actuelle.
Au moment où les Allemands marchaient sur
Pans, un décret du 2 septembre 1914 chargea Liard
des fonctions de secrétaire général du ministère de
I instruction publique pendant l'absence du ministre,
La nécessité de combler les vides laissés par la
mobilisation dans les cadres du personnel ensei-
gnant lui imposa un travail immense. Malgré son
énergie, il sentit, vers la fin de la troisième année de
la guerre, que les forces et la santé l'abandonnaient.
II demanda et obtint sa retraite pour le 1" octobre
1917 (décret du 13 juillet). Le président du conseil,
Alexandre Ribot, le remercia, dans une lettre pu-
bliée par les journaux, des services qu'il avait
rendus à la France et à la République. Il est mort
quelques jours avant la date fixée au terme de son
activité. Son successeur, Lucien Poincaré, était
directeur de l'Enseignement supérieur depuis octo-
bre 1914.
L'œuvre écrite de Liard se divise en deux parties,
correspondant à peu près aux deux périodes de sa
carrière, enseignante et administrative. Depuis sa
nomination à Poitiers jusqu'à son entrée au minis-
tère de l'instruction publique, il a publié des articles
et des ouvrages de philosophie. Ensuite, il s'est
consacré à des études sur l'Enseignement supérieur.
Dans sa thèse latine, De Democrilo philosopha
(1873), il passe en revue la vie, les écrits et la doc-
trine du philosophe grec Démocrite. Sa thèse fran-
çaise, fles dé finilions géométriques et Uesdé finitions
empiriques (1873, réimprimée en 1887), n'est pas
un travail de pure logique, comme le titre pourrait
le faire supposer. Liard a voulu y déterminer la na-
ture, la valeur et le rôle des définitions en géométrie
et en histoire naturelle. II a été amené à des recher-
ches psychologiques et à des conclusions métaphy-
siques sur la valeur de la science. Il admet un
accord, d'ailleurs indémontrable, entre la pensée et
les choses. Les Logiciens anglais contemporains
(1878) ont comblé une lacune : les systèmes déduc-
tifs des logiciens Hamilton, Morgan, Boole, Stanlev
Jevons; les systèmes inductifs de Herschell, Whe-
well,StuartMill,HerbertSpencer, étaient jusqu'alors
assez mal connus en France. Liard en a donné un
exposé exact et clair, sans y joindre de crilique. La
Science positive et la métaphysique (1879) marque
l'effort le plus vigoureux de sa pensée philosophique.
Son ouvrage comprend trois parties : la science, la
crilique, la métaphysique. Dans la première, il exa-
mine les doctrines qui ramènent la philosophie à la
science : positivisme, associationnisme, évolution-
nisme, et il conclut que la science ne peut se suffire
à elle-même. La seconde et la troisième partie sont
d'inspiration kantienne : l'absolu existe, mais il est
inaccessible à la science; seule, l'intuition morale
nous permet de l'entrevoir. La science et la méta-
physique sont radicalement distinctes : elles n'ont
ni le même objet, ni le même but, ni le même rôle.
La science n'atteint pas les régions intimes de l'exis-
tence. Au contraire, la métaphysique, issue de la
moralité, a le droit de revendiquer un empire uni-
versel. Descartes (1881) est une étude historique.
Liaid y a soumis les textes à une critique minutieuse.
11 expose successivement la méthode, la science et,
en dernier lieu, la métaphysique de Descartes. A l'en-
lendre, l'initiateur de la philosophie moderne serait
avant tout un savant, épris de mathématiques, plus
encore de physique et de sciences naturelles, spé-
cialement de médecine. Les théories métaphysiques
ne seraient pas essentielles à sa doctrine fondamen-
tale. Ce point de vue, très original et très habilement
défendu, n'a pas rallié tous les suffrages.
Les publications les plus importantes de la période
administrative sont : l'Enseignement supérieur en
France (2 vol. 1888-1894), travail historique allant
de 1789 à 1893 ; Universités et Facultés {\S90); Pages
N' 130. Décembre 1917.
ép<irses (1902), recueil de discours et d'articles con-
cernant À. Dûment, A. Thierry, J. Simon, E. Spul-
1er, Pasteur, A. Gaudry, Lacaze-Dulhiers, etc.;
l'Université de Paris [i vol., 1909); les Bienfaiteurs
de l'Université de Paris (1913). Il a donné des ar-
ticles à la « Revue philosophique u, à la " Revue
des Deux Mondes », à la « Revue de Paris i>, à
la « Revue politique et parlementaire >>, à la
o Revue bleue », à la « Revue internationale de
l'enseignement », etc. Il a collaboré au « Grand Dic-
tionnaire Larousse » et à la « Grande Encyclopédie » .
Le principal de ses écrits pédagogiques est une
/.ojiçue (1884), souvent réimprimée. 11 a publié des
Lectures morales et littéraires (1883), à l'usage de
l'enseignement primaire élémentaire et supérieur;
un petit manuel : Morale et enseignement civique
(1883) pour les écoles primaires; des éditions clas-
siques de plusieurs auteurs philosophiques : livres I
et 11 du De finibits, de Cicéron (traduction française
de Stiévenart, 1873); première partie des Principes
de la philosophie de Descartes (1885), etc.
Son style est sobre et vigoureux. Les rares
images qu'on y rencontre sont empruntées au.\
sciences. L'homme était également simple et éner-
gique. Son extérieur avait quelque rudesse : le front,
large et austère, le regard ferme, la moustache
épaisse et tombante, la voix irnpérative causaient
d'abord une impression de gêne. Mais ces traits
violents étaient capables de se détendre et de sourire.
Ce chef juste savait être bienveillant et même atfec-
tueux. Dans une adresse qui lui fut remise le
24 juillet 1917, les membres du conseil de l'Univer-
sité lui ont décerné cet éloge : « Vous avez été
vraiment le recteur, l'homme qui dirige et veut
qu'on marche droit. » — Maurice enoch.
Maréchal de Riclielleu (le), par P. d'Es-
trée (Pans, 1917). — Le maréchal de Richelieu est
une de ces figures dont la légende s'est emparée de
bonne heure, pour en cristalliser les traits. Elle en
a fait une manière de don Juan français, le type du
séducteur professionnel, dont l'existence n'aurait été
qu'une perpétuelle course au plaisir, une suite inin-
terrompue d'aventures galantes. Déjà, du vivant
même du maréchal, l'opinion des contemporains
s'arrêtait complaisamment à cet aspect du person-
nage, et tous les Mémoires du temps fourmillent
d'anecdotes sur la carrière amoureuse du favori de
Louis XV; au lendemain de sa mort, en 1791, ces
anecdotes étaient rassemblées par un certain Paur,
qui les publiait sous le titre de Vie privée du ma-
réchal de liichelieu. Cet ouvrage, avec les Mémoires
de Richelieu, œuvre apocryphe, rédigée par Soula-
vie (1790), avait jusqu'ici formé la base des diverses
biographies du maréchal. Il appartenait encore à
l'histoire de présenter cette curieuse figure sous son
jour véritable, et c'est à quoi s'est appliqué P. d'Es-
trée. En s'appuyant sur une documentation abon-
dante et minutieusement contrôlée, il a étudié son
héros sans parti pris, l'a suivi dans tous les inci-
dents de sa vie privée et publique, bref, s'est elTorcé
de nous le restituer dans son intégrité, avec ses
qualités et ses défauts.
Comme il fallait s'y attendre, le libertinage du
maréchal tient dans celte biographie une place im-
portante. Tout en observant une discrétion louable,
P. d'Estrée en dit assez pour nous édifier sur le ca-
ractère et le tempérament de celui que le président
Hénault appelait « l'homme à bonnes fortunes du
siècle, le dompteur de toutes les femmes ». Ses
effronteries de page à l'égard de la duchesse de Bour-
gogne, qui le nommait sa « jolie poupée », ses intri-
gues avec M"' de Charolais et M"» de Valois, son
roman avec M™" Michelin, naïve et touchante bour-
geoise qui mourut d'avoir trop complaisamment
écoulé ce grand seigneur séduisant, mais volage, ses
aventures avec M""» de Villeroi, de Lauraguais, de
La Pouplinière, pour ne citer que les principales,
ses inventions libertines, — telles que sa galerie
monastique, — ses stratagèmes à la Faul)las four-
nissent matière à nombre de pages amusantes ou
curieuses, mais elles ne suffiraient pas à caractériser
tout le personnage.
Si la Palatine, qui délestait Richelieu, n'a vu en lui
qu'un II archidébauché, un petit crapaud, d'une inso-
lence rare, le pire des enfants gâtés », Duclos, qui
n'était pas plus tendre, l'a défini avec plus de justesse :
un homme assez sin^lier, qui a toujours cherché à faire
du bruit et n'a pu parvenir à être illustre : qui, employé
dans les négociations et à la t6te des armées, n'a jamais
été regardé comme un homme d'Etat, mais le ctief des
gens à la mode, dont il reste le doyen.
Si sévère que soit ce jugement, il exprime, du
moins, le caractère foncier du maréchal et la mesure
de ses ambitions.
Louis-François-.\rmand de Vignerot du Plessis,
qui était né à Paris le 13 mars 1696, n'eut, semble-
t-il, tant qu'il fut seulement duc de Pronsac, d'autres
préoccupations que de passer joyeusement son
temps. Satisfait d'être, selon le mot de Saint-Simon,
« la plus jolie créature de corps et d'esprit qu'on
pût voir », devenu bien vite n la coqueluche de la
cour », il allait de conquête en conquête, de folie
en folie, et il ne fallait pas moins que la Bastille, où
LAROUSSE MENSUEL
il fut enfermé trois fois, pour interrompre le cours
de ses frasques. Mais, quand la mort de son père,
en 1715, lui eut transmis les « noms et armes de
Richelieu », qu'il tenait de son arrière-grand-oncle,
le cardinal, le jeune duc, sans s'assagir toutefois,
mariiua ses aspirations d'un ordre nouveau et pré-
lendit jouer, parmi les hommes, un des premiers
rôles sur la scène politique. Outre la vivacité natu-
relle de son tempérament et son esprit d'intrigue,
qui trouvaient là matière à se déployer, Richelieu
était soutenu dans son ambition par son amour-
propre. 11 supportait mal d'être traité de haut par les
grands de la cour, qui dédaignaient ce « Vignerot »
et ne lui ménageaient pas leur mépris. Tel le comte
de Clennont, à qui Richelieu refusait l'accès de la
chambre du roi et qui lui criait brutalement :
Quoi ! un valet tel que toi refusera l'entrée au plus
proche parent de ton maître !
Aussi le voyons-nous, dès 1718, se mêler à la cons-
piration de Cellamare et devenir le complice d'Al-
béroni. Le complot ayant été découvert, Richelieu
tut envoyé de nouveau à la Bastille : grâce aux
démarches de M"« de Valois, il
se tira heureusement de cette
fâcheuse aventure et en fut quitte
pour une captivité de quelques
mois. Sitôt libéré, il reçut l'ordre
de se retirer dans son domaine
de Richelieu, en Poitou ; mais,
cette fois encore, son exil ne fut
pas de longue durée et, rentré
en grâce, il venait occuper, enl720,
à l'Académie française, le fau-
teuil du marquis de Dangeau. 11
avait à peine vingt-quatre ans, et
son orthographe était des plus
incertaines. L'année suivante, il
prenait séance, comme pair, au
Parlement. Académicien, pair de
France, ces litres étaient encore
au-dessous de ses ambitions.
La mort du Régent, qui le te-
nait malgré tout en suspicion, lui
ouvrit la carrière diplomatique.
Sur l'intervention de la marquise
de Prie, loule-puissanle sur le duc
de Bourljon, il obtint, en 1724,
l'ambassade de Vienne. On voit
combien Richelieu savait user,
pour ses intérêts personnels et sa
fortune, de sa puissance de sé-
duction sur les femmes. C'est,
d'ailleurs, la méthode qu'il appli-
quera constamment dans sa car-
rière et qui lui réussira souvent.
Elle lui servit beaucoup déjà dans
son ambassade. Fanfarinet —
c'est le sobriquet que lui don-
naient ses ennemis — se révéla à
Vienne habile diplomate. Grâce
aux concours féminins qu'il s'était
ménagés (ne lui a-t-on pas re-
proché d'avoir élevé ses visées sur
l'impératrice?) il parvint à évin-
cer de la cour d'Autriche l'in-
fluence espagnole et mena à bien
l'œuvre de pacification qui lui
avait été assignée et que sanc-
tionna le traité de Vienne de 1 727.
A ses succès diplomatiques Ri-
chelieu joignit bientôt la réputa-
tion militaire. U avait fait, en 1712,
ses premières armes sous le commandement de
Villars, en Flandre; depuis 1718, il était colonel
d'un régiment d'infanterie. Lors de la guerre de
succession de Pologne, il prit part à la démonstra-
tion tentée par l'armée du Rhin, fil bravement son
devoir au siège de Kehl et reçut, en 1734, le grade
de brigadier d'inlanterie. A la fin de la campagne,
il était pourvu de la lieulenance générale du Lan-
guedoc. Ainsi, Il avant d'atteindre sa quarantième
année, il était parvenu au but que se proposaient
tous les grands seigneurs : il occupait un poste offi-
ciel dans le monde administratif, après avoir con-
quis une place honorable dans les rangs de l'armée ».
Ce n'était pas assez, cependant, pour cet ambitieux,
qui venait par surcroit de contracter une union des
plus flatteuses en épousant, en 1734 — c'était son
second mariage — Elisabeth de Lorraine, fille
d'Anne-Marie-Joseph de Lorraine, prince de Guise.
Un tel mariage flattait la vanité du « petit-fils des
Vignerot » et rehaussait singulièrement son pres-
tige. Aussi ne dissimula-t-il plus sa véritable ambi-
tion, qui était d'entrer au conseil du roi et d'occuper
le posie de premier ministre, auquel, estimait-il. lui
donnait droit sa parenté avec le grand cardinal. Il
crut pouvoir y atteindre par ses voies ordinaires,
en se faisant le pourvoyeur des plaisirs du roi et en
liant partie avec les favorites. Par ses intrigues —
que secondait activement M™' de Tencin — il par-
vint à détacher Louis XV de M"" de Mailly et à lui
substituer la sœur de celle-ci. M™' de La Tournello.
Le détail de ces intrigues, longuement narré par
319
d'Estrée, ouvre des aperçus curieux sur la mentalité
de ces courtisans, uniquement soucieux de plaire aa
monarque et de se pousser dans sa faveur par les
moyens les plus inavouables. Le crédit de M""" de
LaTournelle semblait assurer la fortune de Riche-
lieu, qui obtint la charge de premier gentilhomme
de la chambre, peu après que la nouvelle farorite
eut reçu le duché-pairie de Châteauroux. Dès lors,
Richelieu va être, à la cour de Louis XV, un per-
sonnage d'importance.
Très pénétré de ses fonctions, il les remplit jus-
qu'à sa moi t avec une régularité ponctuelle, réglant
1 ordonnance des spectacles, la pompe des cérémo-
nies officielles et apportant en toutes choses un
souci souvent exagéré de l'éliquette. Malheureuse-
ment, la fin soudaine de la duchesse de Châteauroux
ruina les espérances de Richelieu. « C'est moi
qu'on empoisonne, s'était-il écrié en apprenant cette
nouvelle; j'étais sûr de la généralité des galères ! »
De fait, on put croire un instant à la cour que le
grand favori était définitivement disgracié; il fut
même question de lui enlever sa charge de premier
gentilhomme, mais Richelieu tint bon. Il avait, ce-
Le duc de Richelieu, maréchal de l^rance (statue de Pigalle, au Louvre).
pendant, à lutter contre l'hostilité de la nouvelle fa-
vorite, M"" de Pompadour. Il s'elTorça délayer
son crédit chancelant sur des succès militaires,
d'abord à Fontenoy, où, selon certains historiens,
il décida par son intervention de la victoire,
puis à Gènes, d'où il délogea les Autrichiens, ce
qui lui valut la dignité suprême de maréchal de
France.
Malgré toute sa souplesse, Richelieu ne put
s'élever plus haut. Par un manque de clairvoyance
assez singulier chez un courtisan si avisé, Richelieu
n'avait cru d'abord qu'à une fantaisie passagère du
roi pour M™" d'Etiolés et n'avait pas soupçonné
toute l'importance que la favorite allait prendre
dans l'Etat. Aussi ne lui ménageait-il point les atta-
ques, résolu à II crosser la petite Pompadour et à
la traiter comme une fille de l'Opéra ». De là, entre
les deux adversaires, une guerre sournoise, masquée
sous les dehors d'une exquise politesse : la marquise
exploitait spirituellement les écarts de conduite du
maréchal et les scandales de sa vie privée; Riche-
lieu, de son côté, multipliait les tracasseries, à
Eropos de questions d'étiquette et des spectacles de
i cour, qu'il entendait régler seul. Dans ce duel,
le maréchal ne fut pas le plus fort. Il finit par com-
prendre qu'il « n'avait rien à gagner à se buter
contre la maîtresse du roi ». Aussi, en 1750, se ré-
concilia-t-il avec la marquise; réconciliation forcée,
peu sincère de part et d autre, et qui ne devint dé-
finitive que sept ans plus lard, après l'attentai de
Damiens. Encore subsista-t-il entre eux une mé-
320
LAROUSSE MENSUEL
N* 730. Décembre 1877.
Gance réciproque et une sourde hostilité. Il en ré-
sulta qu'en dépit de toutes ses intrigues, Riclielieu
ne parvint pas à forcer l'entrée du conseil royal.
Vainement alla-t-il recueillir de nouveaux lauiiers
dans l'expédition de Minorque, vainement rem-
porta-t-il dans la campagne de Hanovre de brillants
succès, qu'annulèrent malheureusement les clauses
imprudentes de la capitulation de Closterseven.
Ses adversaires, la marquise de Pompadour en tête,
étaient à l'affût de ses moindres fautes : on lui re-
procha ses exactions en tenitoire ennemi, — qui lui
avaient valu le surnom de l'ère la Maraude; — on
lui reprocha d'avoir, par une inaction coupable, con-
tribué à la défaite de Soubise à Rosbach; on alla
même jusqu'à l'accuser d'avoir pactisé avec Fré-
déric li et trahi les intérêts de son roi. Une telle
accusation était-elle fondée? Ce n'est point l'avis de
d'Estrée, et il semble bien, en effet, que le maréchal
n'ait été coupable que d'imprévoyance et de légè-
reté. Mais ses contemporains jugèrent autrement;
Riebelieu devint la fable de la cour et de la ville.
Devaut ce déchaînement d'hostilités — si cruel pour
son orgueil — il comprit que son rôle était fini,
qu'il valait mieux pour lui renoncer à la vie mili-
taire et politique et se confiner dans ses doubles
fondions de premier gentilhomme et de gouver-
neur de Guyenne, charge qu'il avait obtenue en
17.Ï5. II s'éloigna donc de la cour en 1758 et se re-
tira à Bordeaux.
C'est là que l'abandonne son historien, et nous de-
vons en marquer un regret. Si la carrière politique
du maréchal est close à cette date, son activité ne
cessa, néanmoins, de se dépenser. Sa retraite ne fut,
d'ailleurs, ni définitive, ni inaclive. Il fut mêlé aux
intrigues qui préparèrentl'avènement de la du Barry ;
une fois de plus, il caressa l'espoir de devenir pre-
mier ministre et contribua dans ce but à la chute de
Clioiseul; mais, cette fois encore, il fut déçu dans
ses a[nl)itions. 11 eût été égalementiutéressanlde le
retrouver à la cour de Louis .WI, oii ce survivant
d'une époque abolie fut accueilli avec une indiffé-
rence dédaigneuse. Sa vie privée, d'ailleurs, continua
d'être fertile en incidents divers; témoin ses dé-
mêlés avec M"' de Saint-Vincent et son troisième
mariage, en 1780, avec M"" de Lavaux. Et nous au-
rions été curieux de suivre jusqu'à ses derniers
jours cet alerte vieillard, que les ans n'avaient
point corrigé et qui, après une vie si agitée, s'étei-
gnit doucement, en 1788, « sans faire l'enfant »,
selon son propre mol.
Biin qu'on puisse critiquer les limites un peu ar-
bitraires que d'Estrée a données à son élude, celle-ci
garde, néanmoins, tout son prix. En traçant le por-
trait de ce grand seigneur, qui sut allier les choses
de l'amour et de la politique, qui entretint d'autre
part avec Voltaire un commerce assidu d'amitié et
trouva, au milieu de ses multiples intrigues, le
temps de s'intéresser aux lettres et aux arts,
d'Estrée n'a pas seulement peint une figure intéres-
sante : en ce personnage remuant et tapageur, c'est
tout le xvni'= siècle qui revit, avec son esprit raf-
finé, son charme élégant, son instinct de tolérance,
son goût des arts, et aussi, il faut le dire, son scep-
ticisme railli-ur, sa soif du plaisir, son absence de
scrupule et de sens moral. — i'- Gciuand.
IVIaroc (Art marocain). V. p. 302.
Noces d'argent (les), comédie en quatre
actes et en prose de Paul Géraldy, représentée pour
la première l'ois à la Comédie-Française le 6 mai liH 7.
Le premier acte se passe chez M. et M""" H.i-
melin, dans la chambre de leur fille, Suzanne. Ils
ont aussi un fils, Max. C'est le jour du mariage de
Suzanne avec Henri, à l'heure du retour des invités
pour le lunch qui suit la messe. La chambre est
encombrée de corbeilles de fleurs, de cadeaux, de
paquets, de valises, car les jeunes époux vont partir
en voyage à quatre heures. Tonte la maison est
pleine de monde et d'animalicm. Il n'y a que ce
petit coin où Ion est tranquille. Aussi ceux qui
aiment un peu de calme viennent s'y réfugier;
notamment Max, jeune homme de dix-neuf ans
et demi, frère de la mariée, et une amie de la fa-
mille, Eveline, une femme divorcée, que les enfants
appellent « marraine ».
La jeune mariée vient revêtir sa robe de voyage et
vérifier si son sac est prêt. Seuls, sont admis le
père, qui adore sa fille et que ce départ émeut tris-
tement, la mère, qui a plus d'énergie, le frère et
la demoiselle d'honneur Jeanne, et la marraine.
Max est une sorte de chérubin moderne, mais
plus emporté, plus passionné, plus pratique qui'
son aïeul. Il s'ennuie; il a soif d indépendance et
de tendresse; l'aflection de ses parents ne lui suffit
plus : il flirte avec Jeanne. Puis il se trouve seul
avec sa marraine, qui est encore jolie et qui ne s'en-
nuie pas moins. Ils se font apporter des sandwichs,
du Champagne; Max est énervé, en veine de confi-
dences et de c^linerie; la chaleur, le vin, le parfum
des fleurs, la musique de César Franck, que joue
l'orchestre dans le salon, ont tendu les nerfs d'Kve-
line, qui prend Max sur ses genoux pour le bercer
et le consoler.
Mais la mariée arrive avec ses parents et change
de toilette. C'est l'heure des adieux; les jeunes
mariés se sauvent, presque sans dire au revoir, et
la jeune épouse n'a pas le temps d'embrasser son
père. Les voilà partis. Eveline prend congé ; Max,
qui est allé lui chercher une voiture, ne revientpas.
Tout le monde a quitté la maison, tout à l'heure si
bruyante, à présent calme, déserte. Le père et la
mère affectent une sérénité, une joie qu'ils n'éprou-
vent pas, mais ils dissimulent leur chagrin pour
ne pas s'attrister l'un l'autre, et ils restent là tous
les deux, sans savoir comment ils vont occuper le
reste de la journée.
Le deuxième acte a lieu dans la salle à manger des
Hamelin Le père et la mère finissent de déjeuner.
Max n'est pas rentré; son couvert l'attend. Sa mère
est outrée des manières que son fils a prises ; elle
le sent s'évader de sa tendresse et de sa tutelle ; il
est toujours sorti et ne prévient même plus s'il ne
doit pas rentrer. La maison esl morne, silencieuse.
Le père ne songe qu'à sa fille absente depuis deux
mois, à ce voyage de noces qui n'en finit pas. Il se
retire pour aller travailler dans son cabinet.
Arrive Eveline. Les deux amies parlent de sujets
indifférents, des jeunes mariés qui sont à Zurich et
enfin de Max. Eveline console M™« Hamelin : les
jeunes gens, quand ils arrivent à cet âge, ont besoin
de liberté; il ne faut pas les tenir en lisière, ni leur
rendre la maison odieuse. La bonne apporte le cour-
rier. Ce sont des journaux et une lettre pour Max.
M™» Hamelin reconnaît l'écriture, car des lettres pa-
reilles sont déjà arrivées; c'est une main de femme.
Et voici soudain qu'Eveline s'intéresse à cette lettre,
la flaire, l'examine, la retourne, plus agitée et plus
curieuse que la mère elle-même. Elle finit par briser
le cachet : c'est une lettre galante, avec une photo-
graphie d'actrice. La mère sourit amèrement. Eve-
line est en proie à une émotion grandissante, pa<se
de la surprise à la colère, s'emporte contre M"« Ha-
melin, à qui elle dit à présent tout le contraire de
tout à l'heure : elle n'a pas surveillé son fils, elle le
laisse courir. La mère regarde avec surprise celte
femme, dont la jalousie amoureuse ne se contient
plus; elle veut repousser les soupçons, mais la vérité
éclate : Eveline est la maîtresse de Max. La mère
(prouve d'abord de la fureur, du dégoût, de la ja-
lousie; elle chasse son amie, qui partira en voyage.
Quand Max rentre, elle se prépare à lui faire une
scène terrible. Elle regarde ce joli garçon, elle com-
prend que c'est un homme; elle ne lui dit rien, elle
le laisse aller; ce n'est pas à lui qu'elle en veut,
c'est à elle, la voleuse de tendresse. Quand son
mari rentre, elle lui apprend tous ces événements.
Le père ne s'indigne pas, et dit : « Autant celle-ci
qu'une autre ! » Il faut craindre une gourgandine :
avec elle, c'était la sécurité I
Le troisième acte débute de la même façon et avec
les mêmes paroles que l'acte précédent, dans le même
décor. M. et M™"= Hamelin finissent de déjeuner, et
Max encore n'est pas rentré. A présent, c'est le père
que ces absences irritent davantage ; la mère a plus
d'indulgence. La vie est toujours monotone, silen-
cieuse. Le père prend son café, allume un cigare,
tapote le baromètre et va travailler dans son cabinet.
Les jeunes mariés n'ont pas donné de leurs nou-
velles. Max rentre, et sa mère tâche de le reprendre;
elle le questionne affectueusement, lui arrache ses
confidences. Mais l'enfant manque de confiance et
crie à l'inquisition; il s'emporte et sort dans une
explosion de colère injustifiée. La pauvre mère sent
qu'elle n'a plus de fils. A-t-elle encore une fille?
Celle-ci arrive enfin. Elle est rentrée de voyage
depuis la veille, et elle a attendu vingt-quatre
heures pour revoir ses parents, à qui elle ne
trouve rien à dire, ni à raconter. L'entrevue est
une déception pour le père. Suzanne ne songe qu'à
faire l'inventaire des meubles et bîhelots qu'elle
pourrait soutirer à sa famille pour garnir son appar-
tement, à la bonne qu'elle peut emprunter pour aider
au service chez elle. Les pauvres parents assistent
avec tristesse à cet envol des tendresses de leurs
petits qui s'évadent.
Le quatrième acte se déroule dans l'appartement
desjeunes mariés, dont le luxeetle confort moderne
contrastent avec la simplicité vieillotte de l'intérieur
familial. Suzanne a une dizaine d'amis à dîner : les
jeunes femmes mettront leurs plus belles toilettes
pour que le coup d'œil soit plus joli.
Max fait son service militaire à Nancy. Il a une
permission; il vient en passant embrasser sa sœur;
il ne verra pas sa mère, parce qu'il a réservé tout
son temps pour son amie. Quand on annonce
\Ime Hamelin, il se sauve par l'escalier de service,
pour ne pas la rencontrer.
M"" Hamelin est en deuil : son mari est mort de
chagrin. C'est le jour anniversaire de son mariage,
le jour de ses \oces d'arç/enl. Elle a attendu toute
la journée sa fille, qui n'est pas veinie, et elle vient
elle-même. Elle s'est habillée à tout hasard, et elle
voudrait bien être invitée au dîner, pour êlre moins
seule dans son ennui. Mais, quand elle voit cette
maison où l'on n'a cure d'elle, où l'on ne songe
qu'aux invités et à la joie, elle refuse l'invitation
qui lui est faite mollement; elle se contente de
donner à la cuisinière quelques conseils pratiques
et utiles et, tristement, abandonnée, elle rentre
chez elle.
Telle est cette pièce, d'un réalisme dur, noir et
impitoyable. C'est la Course au flambeau, sans en-
volée, ni enthousiasme, ni aventures, mais dans la
mélancolie d'une atroce vérité. L'égoisme insou-
ciant et inconscient de la fille mariée, la férocité
méchante du fils auraient pu faire appeler ce drame
le Calvaire d'une mère L'observation y esl péné-
trante, perspicace, aiguë, parfois un peu tatillonne,
toujours curieuse. Le style a de la netteté, sans relief
ni trait. L'ouvrage, écrit avant la guerre, ne répond
plus à la mentalité de notre temps, où l'esprit de fa-
mille, le respect des mères soutirantes, T'afTection
filiale attendrie par la douleur se sont réveillés et ont
forgé an public une âme nouvelle. — Léo cj-iRETiE.
Les principaux rôles ont été créés par : M"" Bertlie
Cerny (Exieline). 'Vatpreux (Suzanne), Emilienne Dux
(M" Hamelin), Huguetie DuHos {Jeanne); MM. Léon Ber-
nard [M. Hamelin), René Rocher (Max).
Pain de guerre. Si le pain actuellement
livré à la consommation en France ne peut être re-
gardé comme dangereux en aucune façon, si ses
inconvénients physiologiques se résument, ainsi que
nous l'avons dit, en une action peu intensive suri in-
testin et à quelque difficulté de digestion pour les
estomacs sensibles, il a donné lieu à d'autres cri-
tiques, auxquelles il était intéressant de parer. Sa
couleur brune, son acidité, l'aigreur de son goût, la
difficulté de le tremper dans un liquide (et surtout
dans le bouillon, qu'il surit immédiatement) ont
poussé les cliercheurs à essayer d'améliorer la pani-
lication, tout en se servant uniquement des farines
mises actuellement à la disposition de la boulangerie.
C'est ainsi que Lapicque, professeur au Muséum
d'histoire naturelle, et Legendre ontélmliéla ques-
tion au point de vue de la chimie alimentaire et
préconisé un pain de fabrication quelque peu diffé-
rente, qu'ils ont présenté successivement à l'Aca-
déniie des sciences et à l'Académie de médecine
(sous le nom de « pain français ») et dont la formule
a été adoptée par le sous-secrétariat des inventions,
des études et des expériences techniques (ministère
de l'Armement).
En somme, le pain français est un pain à l'eau
de chaux. Les qualités de ce pain étant très réelles
et susceptibles de faire disparaître les inconvénients
signalés plus haut, nous croyons devoir reproduire
ici la notice publiée à l'usage des boulangers par le
sous-secrétariat des inventions :
Principe. La farine actuelle à 85 p. 100 contient de ta farine
Ijlanche, des remotilages ou recoupettes et môme parfois
un peu de petits sons. Les recoupettes et les jietits sons
contiennent des ferments nuisibles qui agissent sur la
farine et la modifient pendant le travail du boulanger ; ils
colorent la pâte, la surissent et lui donnent une odeur
aigre et un goût acre. On peut arrêter cette fermentation
on neutralisant leur acidité naturelle au moyen ie l'eau
de chaux. Les recoupettes, ainsi neutralisées, sont d'une
couleur jaune, au lieu d'être grises ou roses.
Préparation de Veau de c/iau.T. L'eau de chaux se pré-
pare avec de la cliaux vive du commerce. Pour éteindre la
cliaux, on verse une petite quantité d'eau, insuflisante
pour mouiller toute la masse. Au t>out d'un instant, la
i-haux s'échauffe, fume, se boursoude et linit par s'effri-
ter en poudre blanche. Si toutes les pierres ne sont pas
réduites en poudre, on ajoute à nouveau un peu d'eau
jusqu'à ce que toute la chaux soit éteinte. La chaux
éteinte ne se conserve pas à l'air, mais seulement dans
l'eau: il faut donc n'en préparer que la quantité à mettre
immédiatement dans le bac du fournil. Pour avoir toujours
do l'eau do chaux dans le fournil, on utilise le réservoir
d'eau placé près du four, dans lequel on place à demeure
de la chaux éteinte, soigneusement enfermée dans uu
nouet d'étoffe fine et serrée ou feutrée, de la flanelle par
exemple. Ce nouet est pendu avec une ficelle au milieu du
réservoir. On lui imprime quelque agitation; au bout
d'une demi-heure, l'eau s'est éclaircie et peut être em-
ployée comme l'eau ordinaire pour le pétrissage de la
pâte. La quantité de chaux qui peut se dissoudre dans
l'eau est très petite, 1 p. 1.000 environ ; la chaux introduite
ne fond donc que très lentement. Lorsque le uouot est vide»
il suffit de le remplacer à nouveau.
PanificaHnn. Rion n'est change à la pratique actuelle.
Bésultat, Le pain français ainsi obtenu est mieux levé ;
sa croûte est ferme ; il dégage une bonne odour. Sa sa-
veur est douce, sans acidité ni âcreté ; il laisse un arrière-
goût agréable. Il se conserve mieux.
Quelques boulangers ont soulevé des objections.
Les unes portaient sur l'inconvénient tjue pouvait
avoir la chaux ainsi introduite dans 1 organisme
Celte crainte est vaine, d'abord au point de vue de
l'action de celte chaux, puis en raison de la très
minime quantité absorbée et qui est égale, pour un
liilogramme de pain, à la quantité de chaux conte-
nue dans un verre de lait. Ils ont, d'autre part,
excipé du tour de main nouveau à apprendre. Pour
leur enlever toute difficulté à cet égard, un boulanger
mobilisé (et qui fut le préparateur technique de
Lapicque et Legendre) est mis à la disposition des
boulangers désireux de s'instruire de cette panifica-
tion nouvelle (laquelle est, à bien peu de chose
près, l'ancienne et ne présente aucune difficulté) au
sous-secrétariat des inventions, 23 bis, rue de l'Uni-
versité (Paris), tous les jours, de 2 à 3 heures.
Plus récemment, Leroy (de Rouen) a proposé de
substituer à l'eau de chaux indiquée plus haut une
«• 730. Décembre 1917-
LAROUSSE MENSUEL
321
BàtimeQts de guerre allemands : 1. Croiseur de bataille MoUkt. — 2. Croiseur protège kuniyiijtrg. — 3. Dreadnought Belyoiand.
eau de chaux glucosée, utilisant une solution de
glucose. L'avantage de cette modification serait
d'augmcnterla solubilité delà chauxet d'accroître son
action sur les farines et la pâte. Le pain, une fois fa-
briqué, contiendrai! (pour un kilogramme),! gramme
de glucose et 50 centigrammes de chaux), le tout
sous forme de glucosate de chaux. — o. LiaiviÈRs.
patinette (né-te) n. f. Jouet d'enfant, nommé
aussi TROTTINETTE (v. cc mot, p. 324) : La pati-
nette règne tlatis les promenades et sur les
trottoirs de Paris.
Ports en temps de guerre (Conditions
d'accès aux). Les bâliments de guerre entrant
de jour ou de nuit dans un port militaire ou de
commerce du territoire maritime de leurs nations
échangent avec les sémaphores, les postes de si-
gnaux ou les forts de la défense côtière, des signaux
secrets, dits de reconnaissance, qui leur permet-
tent d'affirmer leur identité. Ces signaux sont faits
soit par pavillons le jour, soit par signaux lumineux
la nuit, soit, dans les deux cas, par T. S. F.
Quand le navire a été reconnu et qu'il en a reçu
l'autorisation, il se dirige vers l'entrée du port, qui,
dans la plupart des cas, est protégé contre les incur-
sions possibles de l'ennemi par des champs de mines
de fond ou de torpilles vigilantes automatiques.
Dans ces zones dangereuses, ont été ménagés des
temps « bouché », comme disent les marins, dans la
demi-brume, les objets apparaissent avec des di-
mensions fantastiques.
Pendant les grandes mnaœuvres de l'escadre du
Nord, en 1897, non seulement les hommes de veille
aux bossoirs, mais encore les officiers de quart, qui se
servaientdelunettesspécialesdenuit.ontconfonduun
destroyer de 250 ton-
neaux avec un croi-
seur de 4.000.
Il est, d'ailleurs, de
bonne guerre, pourles
bâtiments de taille mo-
dérée, de chercher à
modifier leur appa-
rence extérieure.
Pendant les mêmes
manœuvres, déguisé
en charbonnier avec
des voiles à l'avant
et à l'arrière pour masquer ses pièces de tourelles,
le garde-côtes cuirassé le Bouvines, suivi à bonne
distance par le croiseur le Chasseloup-Laubat, affu-
blé d'une troisième cheminée en toile et transformé
en long paquebot avec tous ses feux électriques de
chambres étincelants, ne fut pas arrêté par les tor-
pilleurs qui barraient le passage.
Dans les Belts, un aviso-torpilleur divisionnaire
secrets sont l'objet de précautions parlicnlièi'es pour
empêcher qu'on ne les dérobe ou qu'on ne les copie.
Ils sont renfermés dans une boite en fer, placée
dans une armoire du logement du commandant et
qui contient des livres et desdocuments confidentiels.
Un officier chargé de cet important service y ap-
porte les modifications que le ministère de la marine
Silhouette du dreadaougbt allemand Belgoland.
passages dits « chenaux de sécurité », dont la direc-
tion est indiquée par des points discrets naturels
ou artificiels à terre, que l'on éclaire momentané-
ment la nuit, lors des rentrées des navires.
Les bâtiments de coml)at utilisent également ces
signaux pour se reconnaître entre eux et empêcher
des méprises fâcheuses et difficiles à éviter, malgré
les carnets de silhouettes qu'ils possèdent tous et
3ui donnent le profil général de la coq^ue, des mâts,
es tourelles, des cheminées des navires de toutes
les nations. 11 est bon d'ajouter que la nuit, par
Al
poussa même les choses plus loin en démontant une
de ses deux cheminées.
A l'heure actuelle, une des ruses les plus fré-
quemment employées par les sous-marins consiste
à s'attacher par temps calme le long d'un petit na-
vire à voiles, qu'ils remorquent pour masquer leur
présence, réussir à s'approcher d'un navire de
commerce et 6 le canonner à bonne portée avant
qu'il ait eu le temps de se reconnaître et d'appeler
à son secours.
Les codes qui servent à confectionner les signaux
SUhouette du torpedo-boot allemand, série G^€9 h G-f 79.
peut juger i propos d'y introduire, et il est seul avec
le commandant à les avoir en mains.
En cas de reddition à l'ennemi, de naufrage ou
d'abandon du navire, les pièces confidentielles de
toute nature, dont les couvertures sont pour beau-
coup lestées de lames de plomb, doivent être jetées
à la mer ou détruites.
Mais, malgré toutes ces précautions, il est arrivé,
cependant, que l'ennemi a réussi à se procurer les
codes secrets, ce qui peut avoir momentanément une
importance capilale, surtout depuis la découverte de
la T. S. F., puisqu'il peut intercepter et interpréter
les signaux préparés à l'aide de ces codes et même,
comme le fait s'est passé au début des hostilités,
donner lui-même des ordres immédiatement exé-
cutoires à une force navale.
Le commandant d'une division navale alliée, qui
avait le contact avec des croiseurs ennemis, reçut
par code secret l'ordre de rejoindre immédiatement
sa base. Or ce message avait été lancé par l'ennemi.
Le conseil de guerre appelé à statuer sur le cas dé-
chargea,naturellement,rofficier général en question
de toute responsabilité.
Il est facile de comprendre le désarroi apporté
dans une amirauté, quand elle a la preuve indiscu-
table que l'ennemi a en sa possession les codes se-
crets nationaux.
Non seulement il faut les modifier sur-le-champ,
mais encore notifier le fait à la connaissance Je
tous les navires de guerre stationnés dans les ports,
les colonies ou à la mer, sans en excepter un seul,
et également à tous les agents consulaires et à tous
les fonctionnaires qui en sont détenteurs.
En ce qui regarde l'accès des ports pour les na-
vires de guerre étrangers ou de commerce, la ques-
tion est tranchée par le décret du 26 mai 1913, portant
règlement, pour le temps de guerre, des conditions
322
d'accès et de séjour des navires autres que les na-
vires français dans les mouillages et ports du litto-
ral français et des pays de piolectoial.
Les dispositions du dén-et du 19 juillet 1909
fixaient une zone d'interdii:tion uniforme de trois
milles marins (1 mille.= 1.852 métrés), soi 15.556 mè-
tres, pour la protection du littoral français, et édio-
LAROUSSE MENSUEL
national qu'il avait écbani^és avecles rares navires
rencontrés sur sa route. Le même fait s'est produit
sûrement, au début de la guerre, pour les clippers
venant d'AusIralie et les (grands quatre-mâts chargés
de nitrate venant des ports chiliens.
On est donc obligé d'apporter la plus grande atten-
tion aux mouvements des navires de commerce se
Silliuuette des croiseurs de bataille allemands .Vo^f/ce et Gceben.
taienldes coiuliUuiis identiques pour les bases d'opé-
rations de la flotte et pour les ports de commerce.
Pour assurer dans de meilleures conditions la
sécu.'ité des grands ports de guerre, la zone d inter-
diction située au large de leurs fronts de mer a été
portée à 11.192 mètres.
Les conditions d accès aux ports, dont la défense
est organisée a(in de leur permettre de remplir leur
rôle de bases d'opérations de la flotte, ont donc été
différenciées de (."elles relatives aux ports de com-
merce, uniqucniiMit protégés dans le but de les pré-
server des instilles de l'ennemi et de bien préciser
les formes sous lesquelles l'accès des ports français
devait être demandé et accordé.
Entre le lever et le coucher du soleil, tout navire
visé par le décret précité doit porter son pavillon
national et son numéro du code international dès
qu'il approche de la zone interdite. (Tous les navires
de guerre ou de commerce de haute mer du monde
entier sont inscrits avec un numéro
particulier dans ce livre spécial. En
plus, il existe toute une série de
signaux par pavillons, boules et
llammes, communs à toutes les na-
tions, et qui permettent aux navires
qui se rencontrent à la mer de
communiquer entre eux, quelle que
soit leur nationalilé.)
Si le navire désire y pénétrer, il en
fait la demande en hissant le pavillon
de pilote ; mais il se tient en dehors
de cette zone jusqu'à ce que l'en-
trée lui ait été accordée par un sé-
maphore, un poste de signaux, un for 1
ou un bâtiment d'arraisonnement.
Auxappi'oches des ports, est posté
en permanence un bâtiment armé,
lequel va au-devant des navires qui
se présentent, pour les arraisonner, c'est-à-dire pour
leur demander d'où ils viennent, quelle est la nature
de leur cargaison, le nombre d'hommes de leur
ériuipagc et de leurs passagers, leur état sanitaire...
et, au besoin, contrôler leurs déclarations parla visite
des papiers de bord qu'ils doivent posséder et dont
nous parlerons plus loin.
La réponse aux demandes d'entrée faites par un
sémaphore, poste de signaux ou fort, est donnée
par les signaux suivants du code international :
pavillon 8, entrée accordée; flamme (banderolle) I),
entrée dilTérée; pavillon Q, entrée interdite.
Les zones intiM'diles sont parfois indiquées de
pays à pays par les services hydrographiques et
sont inscrites dans les Instructions nautiques des
Trois boules sur
la même drisse, si-
;;in' distinetif du
bâtiment d'arrai-
sonnement.
dirigeant versles poris, pour les arrêter k distaiici'.
si, par hasard, ils faisaient route sur un champ de
mines nouvellement créé, et les navires arraisou-
neurs sont chargés, au besoin, de leur couper la
route, quand, de bonne foi, ils n'obtempèrent pas
immédiatement aux premiers coups de semonce,
qu'ils peuvent prendre pour des coups d'exercice
ou d'essais des pièces, dans leur ignorance de l'élal
de guerre, sans compter que les circonstances al-
«• 730. Décembre 1B17.
l'entrée sont les suivants : bâtiments autorisés h le
faire par le gouverneur de la place, soit à leur dé-
part, soit en cours de route; bâtiments en danger,
paravaries ou mauvais temps et dans l'impossibilité
absolue d'attendre à la mer le lever du jour ou de
gagner un autre mouillage.
En cas de brume, tout navire désirant pénétrer
dans la zone interdite hisse les mêmes signaux que
par temps clair et fait des appels au sifflet ou à la
sirène, jusqu'à ce que l'autorisation lui ait été accor-
dée par le navire d'arraisonnement.
Tous les navires doiven déférer immédiatement
aux injonctions d'un bâtiment de guerre ou d'arrai-
sonnement, d'un sémaphore, d'un poste de signaux
lails à la main, par signaux du code international
ou par coup de semonce.
Quand un navire enlend un coup de canon k blanc,
dit" de semonce », tiré à son intention par une batte-
rie de côtes ou un navire de guerre, il doit, quelle
que soit sa distance à la terre, stopper immédiatement
et faire machine en arrière pour casser sa vitesse ;
il peut renouveler sa demande, mais attend la ré-
ponse sur place.
Si, m.ilgré un premier coup de canon à blanc, le
navire ne s'arrête pas sur-le-champ, deux minutes
après, un deuxième coup de canon est lancé près
de lui et si, après un nouvel intervalle de deux mi-
nutes, le navire n'a pas stoppé et cassé sa vitesse, le
l'eu est ouvert efTectivemenl sur lui.
En cas d'urgence, on peut supprimer les coups de
semonce; il en est de même, la nuit, si l'on voit
un navire s'engager dans une zone interdite.
Quand le navire a élé autorisé & entier dans un
port, il est soumis à lonles les règles prises par les
.Silhouette du croiseur allemand Kônignli'u
Silhouette de sous-marin allemand U-ô.
différentes nations; mais il arrive fréquemment
qu'elles ne sont fixées qu'au début des hostilités ou
dans le courant de la guerre et, par suite, inconnues
de beaucoup de navires de commère ; ces derniers,
surtout les navires à voiles, restent parfois des mois
sans même soupçonner les événements politiques
ou militaires qui ont pu se passer depuis leur départ.
A Shanghai', en Chine, entra un beau jour, dans
la rade de Woo-Sung, un grandpéirolierà voiles de
la Standard-Oil-Company, venant de New- York
par le cap Horn et n'ayant pu avoir, pendant ses
180 jours de traversée sans relâche, aucune nouvelle
des continents, sauf par les signaux du code inter-
mosphériques sont souvent telles que, sur certains
points du littoral, on ne distingue que très imparfai-
tement le relief de la côte et les emplacements des
balleries
Si l'entrée est accordée, le navire entre à vitesse
réduite dans la zone interdite, en conservant flottant
le pavillon d'appel du pilote.
Si l'entrée est diflérée, le navire manœuvre pour
laisser libre l'entrée des passes, attend le bâtiment
d'arraisonnement et se dirige vers lui à vitesse ré-
duite, quand il l'a aperçu.
Si l'entrée est interdite, le navire doit renoncer
à entrer et gagner un autre mouillage.
Le bâiiment d'arraisonnement se distingue par
trois boules, placées sur la même drisse.
Entre le coucher et le lever du soleil, tout navire
visé par le décret que nous analysons doit porter son
pavillon national et avoir ses feux de navigation
allumés, dès qu'il s'approche de la zone interdite.
Ces feux consistent en un feu vert à tribord
(droiie), 1 feu rouge à bâbord (gauche), i feu blanc
en tête de mât et 1 feu blanc à l'arrière, dit « feu
de poupe ».
S'il désire pénétrer dans la zone interdite, il en
fait la demande en brûlant
plusieurs feux de Bengale
appuyés d'appels au sifflet
ou de sirène, mais il se
tient en dehors de cette
zone jusqu'à ce que l'au-
torisation lui ait été ac-
cordée.
i.e navire, les feux de
navigation clairs, attend
le bâtiment d'arraisonne-
ment, qui se distingue la
nuit par trois feux rouges
superposés ; il appelle au besoin l'attention de ce
dernier en brûlant des feux de Bengale et, s'il n'a
pas été semonce, c'est-à-dire si l'on n'a pas tiré de
coups de canon à blanc à son intention pour l'arrê-
ter, peut se diriger vers lui à vitesse réduite.
L'entrée est interdite par un feu coston rouge,
brûlé par un poste à terre ; le navire doit alors se
diriger vers un autre mouillage.
En principe, il est interdit à tout navire v=sé par
le décret de demander à pénétrer dans les zones si-
tuées au large des hases d'opérations de la flotte :
Cherbourg, Brest, Toulon, Bizerte.
Les seuls cas où les capitaines puissent demander
autorités locales pour les points et les heures de dé-
barquement, l'interdiction pour les einljarcations de
circuler la nuit et de s'approcher des navires de
guerre.
En ce qui regarde l'arrêt des navires avant leur
arrivée au port, celte question est réglée par les ins-
Iruclions complémentaires relatives aux bâtiminl.s
neutres et aux [irises, en addition aux instructions
générales du 15 juillet 1870.
Nous avons parlé des papiers de bord, qui ser-
vent à coiiliôler les déclarations des capitaines.
Ils sont constitués par les documents suivants :
l'acte constituant la nationalilé, le congé, le per-
mis de navigation ou certilicat de navigabilité, le
rôle d'équipage, comprenant la liste des passagers
et leur nationalité, la patente de santé prise au dé-
part du dernier port visité, le journal de bord, sur
lequel doivent être inscrits les routes suivies, les
positions déterminées chaque jour par les observa-
tions astronomiques, les navires rencontrés, les si-
gnaux échangés, les événements de mer, échonages,
abordages, les morts, les naissances, le manifeste du
chargement, la charte-partie si le navire est afl'rélé et
les connaissements dûment signés. — C' A. PoiolouS.
*Riga,, ville et port de commerce de la Russie
d'Europe, gouvernement de Livonie, sur la Dvina
occidentale ou Duna; 558.000 haliilanls en 1913.
Centre de lignes ferrées sur Pelrograd, Orel, Milau
et Tukkum; embranchements vers Bolderaa (l)una-
munde) et Miililgiaben. (V. la carie, p. 3l:i.)
C'est sur des terrains bas et sablonneux, au mi-
lieu desquels serpente la Duna (large en cet endroit
de 800 mètres) qu'est établie la ville de Riga. Celle
ville est surtout développée sur la rive droite du
fleuve, qui se jette à 13 kilomètres en aval dans la
mer Rallique, au fond du golfe de Livonie. Un seul
de ses faubouigs, celui de Mitau, se trouve, en effet,
sur la rive gauche de la Duna, tandis que, comme
la cité elle-même, les autres faubourgs de Riga,
ceux de Pelrograd et de Moscou s'élèvent sur la
rive droite.
Ses 5 iS.OOO habilants sont de races et de reli-
gions diirérentc s. Parmi eux se trouvent des Alle-
mands, des Russes, des Leites ou Letlons, des
.luils. des Eslhes. etc., dont les uns sont île « vieux
croyants ». les antres des luthériens et autres réfor-
més, des catholiques, desisraélites, etc. En 1897, les
.allemands y formaient (à en croire certaines sta-
tistiques allemandes, sans doute tendancieuses)
«• 130. Décembre 1817.
46 p. 100 de la population totale (alors 256.i00 ha-
bitants); les Russes représentaient 20 p. 100; les
Lettons 20 p. 100 également; le reste était esthe ou
d'autres nationalités. Quant aux religions, elles se
répartissaient ainsi : luthériens et autres réformés,
64 p. 100; grecs orthodoxes, 18 p. 100: catholiques
romains, 6 p. 100 ; juifs, 12 p. 100. Comment s'étonner,
liés lors, que Ri,i<a possède 10 églises évangéliques,
l église réformée, 1 église anglicane, 2 églises ca-
iholiques romaines et 14 églises grecques ortho-
doxes, sans compter 2 synagogues ?
Entre les habitants de la ville, il n'existe pas de
fusion; ils vivent dans des quartiers différents : les
Allemands dans la « vieille ville » et dans le fau-
bourg de Pelrograd, les Russes dans le faubourg
de Moscou et les Lettes dans celui de Mitau. Mais
on aurait tort de conclure de là à des différences
La Tour du Poivre, à Kiga, dernier vestige des murs de la
ville. (Les meurtrière^s y furent pratiquées en 1710.)
sensibles entre les quatre parties dont l'ensemble
constitue la ville de Ri.tfa; avec leurs maisons de
bois, leurs fabriques (toute la vie industrielle de
Riga est concentrée dans les faubourgs) et leurs
rues larges et régulières, les faubourgs se ressem-
blent tout à fait. Ils contrastent, par contre, avec la
« vieille ville », le centre des affaires, — d'aspect
moyenâgeux, aux rues étroites et tortueuses, aux
massives maisons de pierre. Là .se trouvent les curio-
silésde la cité et ses vestiges des lempspassés : l'église
Saint-Pierre et la cathédrale, bâties au xiii* siècle,
comme aussi l'église Saint-Jacques, l'ancien château
du grand maître des Chevaliers Porte-Ulaive (fin du
XV» s. et début du xvi"), la curieuse maison de la
Corporation des Têtes Noires (xiii« s.), etc.
Bien que Riga soit le chef-lieu du gouvernement
de Livonie, comme aussi le chef-lieu d'un district de
62 223 kilomètres carrés, bien que ce soit le quartier
général du quatrième corps d'armée, la résidence
de l'archevêque grec orthodoxe de Riga et Mitau
et celle d'un archevêque catholique, le siège d'un
consistoire général évangélique, etc., là ne réside
point le grand intérêt de celle ville. Cet intérêt, il
faut le chercher non point dans l'importance admi-
nistrative de Riga, mais dans sa valeur économique.
Riga est une ville d'eaux; mais elle est beaucoup
plus : elle est une ville industrielle, grâce à ses
nombreuses fabriques de draps et de lainages, de
soieries, de cotonnades, de bougies, de machines,
de spiritueux, grâce à ses scieries, ses huileries, ses
minoteries, grâce à ses brasseries, dont la bière est
très répandue en Russie. Enfin, et surtout, Riga est
une des grandes villes commerçanles de la contrée,
son troisième port (après Petrogiad et Odessa) et la
cité la plus commerçanle des bords de la Baltique.
Naguère, elle se pinçait au quatrième rang parmi les
ports de commerce de tout l'immense empire russe
d'Euiopeet d'Asie, etélait devancée parRevel; à la
fin du XIX' siècle, elle a ga};né une place et s'est substi-
tuée à Revel, immédiatement derrière Odessa. Cela
tient surtout aux moilificalions apportées aux condi-
tions de navigabilité de lu Dunaet aux progrès de l'ou-
tillage économique de la Livonie. Riga avait beau-
coup souffert de l'ouverture (en 1884) dn canal ma-
ritime de Cronstadt à Peirograd, comme aussi de
l'existence d'une barre à l'embouchure de la Duna :
force était aux navires d'un fort tonnage de s'ar-
rêter à 15 kilomètres en aval, au port de Duna-
LAROUSSE MENSUEL
munde, c'est-à-dire à l'embouchure même du fleuve.
Aujourd'hui, le cours inférieur de la Duna est acces-
sible aux navires d'un tirant d'eau de 6 mètres jus-
qu'aux quais mêmes de Riga; la ville a bénéficié,
d'autre part, de la construction du chemin de fer
qui, depuis 1897, relie les quais de son port à
Rybinsk et au réseau navigable du Volga par Pskof ;
d'autres voies directes sont lancées vers Vilna et
Kovno. De tout cela est résulté un réel essor com-
mercial de Riga, oîi, depuis 1897, le mouvement du
port, construit de 1850 à 1861 et accessible aux
navires pendant les 236 jours de l'année où il est
libre de glaces, dépasse annuellement un million de
tonnée. Les envois de chanvre, de céréales, de bois,
y atteignent une valeur plus grande que les arrivages
de charbons, de cokes et de coton ; le mouvement
commercial deviendra bien plus grand encore, le jour
où auront été réalisés les grands projets conçus pour
l'amélioration des voies navigables de la Russie et
adoptés par la Commission interministérielle de 191 1 :
canalisation de la Duna entre Riga et Vilebsk, grâce
à la suppression des rapides qui existent en aval
de Jakobstadt, — jonction de la Duna à l'embou-
chure de la Neva par les voies navigables en partie
existantes (de Vilebsk à Petiograd^ — jonction de
la Duiia au Dnieper par un canal de Vitebsk à Orcha
et à la Bereziua canalisée.
Riga, que protège du côté du golfe de Livonie le
fort de Dunaniunde, établi à l'embouchuie de la
Duna, sur la rive droite du fleuve, au coiilluent de
lAa de Courlande ou Bolder-Aa (qu'il est qiieslion
de canaliser jusqu'en amont de Mitau), l'opulente
Riga compte actuellement plus de sept siècles
d'existence. Elle a été fondée en 1200 et enceinte
de murs par Albert de Buxhoewden, le troisième
évêque de Livonie (1198-1229); il en fit sa capi-
tale et y installa, dès 1201, l'ordre des Chevaliers
Porte-tjlaive, des Frères de la milice du Christ,
qu'il venait de créer et auxquels le pape Inno-
cent m donna les statuts des Templiers, .\insi,
de bonne heure. Riga prit une réelle impoitance.
Siège d'un archevêché dès 1255, elle enira, au
xiii<^ siècle, dans la Ligue hanséatique et acquit très
vile, glace au commerce, une grande prospérilé.
Elle embrassa la Réforme en 1522 et secoua, tôt
après, le joug de ses évêques (1525), puis adhéra en
1541 à la Ligue de Smallialde; mais elle ne tarda
pas à tomlier sous la domination polonaise (1547).
Abandonnée au royaume de Pologne en 1561, elle
garda du moins tous ses privilèges antérieurs, que
Gustave-Adolphe de Suède lui confirma, après l'avoir
enlevée aux Polonais (1621). Un peu plus tard, après
l'abandon des prétentions polonaises sur la Livonie
(traité d'Oliva, 1660), Riga fut même érigée par
Charles XI de Suède en capitale du duché de Livo-
nie, et elle le resta depuis lors, sous la domination
des Russes, qui, après l'avoir vainement assiégée en
1656 (comme les Saxons et les Polonais en 1701 ). s'en
emparèrent en 1710 et la gardèrent avec la Livonie
au traiié de Nystadt (1721). Bombardée en lsl2 par
les Franco-Prussiens de Macdonald, bloquée en 1 S54
par les Anglais, pendant la guerre de Crimée, Rifra
(où naquit en 1836 le grand explorateur africain
Georges Schweinfûrth) n'a plus eu d'histoire depuis
cette époque jusqu'à la guerre actuelle, sauf celle de
ses agrandissements, de la construction de son
port, de la destruction de ses vieux remparts (1858)
et de ses progrès économiques.
Elle a eu, par contre, depuis le commencement
de la guerre européenne de 1914, une histoire mou-
vementée. Dès l'été de 1915, en effet, les Allemands
ont fait de Riga un de leurs buts d'opérations,
quand, après avoir victorieusement franchi la fron-
tière de la Prusse orientale (mai), ils se sont avan-
cés, sous la conduite du maréchal Hindenburg, à
travers la Courlande (juillet). Ils ont alors menacé
la capitale de la Livonie, et par terre et par mer;
mais ils ont été bientôt tenus en échec des deux
côtés et, dès lors, pendant deux ans, campé dans les
marécages de l'Aa, presque en vue des faubourgs de
la ville. Aussi, en prévision d'attaques éventuelles,
Riga fut-elle évacuée et débarrassée de tout ce qui
avait une valeur industrielle, économique et admi-
nistrative, tandis que les Russes fortifiaient la ligne
de Pskov, qui va de la Narova à la Velikaïa-Rieka,
en passant par le lac Péïpous. C'est dans de telles
conditions, sans aulrenient essayer d'assurer Riga
contre toute attaque et de refouler l'adversaire loin
de la ville, que se passa toute l'année 1916, comme
aussi une bonne partie de 1917 : les Russes seiitaient
leur situation précaire, malgré la multiplicité et la
puissance de leurs retranchements, par suite de leur
infériorilé en artillerie lourde; ils savaient que, le
jour où les Allemands voudraient attaquer sérieu-
sement Riga, ils s'en rendraient les maîtres.
C'est ce qui est arrivé en seplembre 1917. Après
avoir, dès le milieu d'août, préparé leur offensive,
les Allemands préludèrent à leur attaque effective
le 9/22 août, le long de la voie ferrée Tukkum-Riga :
bienlôl après, apparurent des croiseurs et des cha-
lutiers-dragueurs, à l'entrée du golfe de Livonie;
mais c'est le 19 aoûl/1""' septembre seulement que
la bataille se déclencha vraiment. Alors. 400 à 600 ca-
nons allemands, dont beaucoup du calibre de
323
8 à 9 pouces, réduisirent au silence les 180 canons
des Russes, dont les plus nombreux élaient d'un
calibre très inférieur (3 pouces). Tirant de manière
très précise, sur des buts connus, repérés depuis
longtemps et réglés encore par des aviateurs montés
dans des appareils blindés, ces canons anéantirent
en quatre heures toutes les batteries russes d'ixkull;
puis, se tournant contre les tranchées oii étaient
blottis les soldats russes de la 186' division, ils écra-
sèrent l'ennemi sous une pluie de projectiles
Une ru^ «^ ...^". a. c: ia Tour de Pierre.
asphyxiants. Par les ponts de bateaux lancés sur la
Duna, les fantassins allemands partis d'Illukst fran-
chirent ensuite ce fleuve et la Petite Egel et, malgré
leur infériorité numérique (1 contre 3), contraignirent
les Russes à la retraite, en dépit de la vaillante dé-
fense des brigades lettonnes. Cependant, les canons
allemands s'étaient tournés contre Riga même;
le 21 août/3 septembre, au matin, les vainqueurs
pénétrèrent dans la capitale de la Livonie.
Poursuivant sans arrêt leurs succès, les Allemands
attaquèrent les colonnes russes qui venaient d'éva-
cuer Riga; ils les empêchèrent de tenir entre la
Grande Ef,'el et l'Aa et les contraignirent de se retirer
loin dans l'est de la ville, derrière la rivière Inisoupé
et dans une série de villages qui vont rejoindre
bien au sud, au camp retranché de PriedrichstadI,
l'ancien front de la Duna (23 aoùl/5 septembreV
Alors, satisfaits pour un temps de leurs nouveaux
succès du côté russe, les Allemands s'en tinrent là
et se fortifièrent sur le terrain gagné à l'est de
Riga et de Dunamunde, prise i)ar eux au lendemain
même de la conquête de la capitale de la Livonie
(4 septembre). Leur objectif était pleiuementatleinl,
puisque, à son heure et sans grandes difficultés, le
général von llutier s'était emparé de Riga et avait
avancé d'une étape nouvelle dans la conquête des
provinces russes de la Balllque.
On a, naturellement, rendu les perturbations cau-
sées par la révolution russe responsables de ce
nouvel échec; indéniablement, l'ébranlement de la
discipline et les intrigues nouées, parmi les soldats
russes, par les révolutionnaires à la solde de l'Alle-
magne y sont pour quelque chose, mais il faut tenir
compte aussi, et dans une large mesure, de la supé-
riorité écrasante des Allemands en artillerie et dans
toutes les armes techniques. Là semble bien être,
en (tn de compte, la cause essentielle de la nouvelle
défaite des Russes. — Henri FR<,ii.Bv«t;x.
ripolinlser (rad.i-ipo^i») v. a. Peindre au ripu-
lin : Le Tourinq-Club ripolinise les pensions de fa-
mille pevilitesau fontlilesmontagnes {Ocl.\lirbeiu).
Il On dit aussi ripoliner : hipoliner un mur.
324
slsmotliérapie n. f. (du gr. seismos, se-
cousse, et therapeia, traitement). Traitement de
certaines maladies au moyen de vibrations rapides
et régulières que l'on imprime soit & l'organisme,
soit à une partie limitée du corps.
— Encycl. Les vibrations ou, pour parler plus
exactement, les trépidations ont été employées de-
puis longtemps, d'une manière empirique, contre
certaines maladies nerveuses et, en particulier, la
maladie de Parkins (ou paralysie agitante). On
avait aussi imaginé un casque et un fauteuil trépi-
dants, qui ont rendu d'appréciables services. Au-
jourd'hui, s'étant mieux rendu compte du méca-
nisme de l'action thérapeutique vibratoire, on a
recours à des appareils vibrants d'une grande
régularité, mus par l'électricité et donnant de 2.500
(appareil de GraitTe) à 15.000 tours (appareil de
Bourcart) à la minute. Ce sont les appareils dits
à sismolhérapie de la série F.
Les Indications de la sismothérapie sont déduites
des considérations suivantes. D'après les expé-
riences de Soula (de Toulouse), les vibrations mé-
caniques exercent une action excitante sur les cel-
lules nerveuses; elles augmentent l'activité des
échanges et tendent à régulariser le fonctionnement
de ces dernières. Par conséquent, dans les affec-
tions où le système nerveux est altéré, troublé et
déréglé, la sismothérapie peut, et doit, donner de
bons résultats, à la condition, toutefois, comme le
recommande Baudisson, que les vibrations soient
isochrones, constituées par un frémissement doux,
plutôt que par une série de secousses et, enfin, atté-
nuables suivant les besoins. C'est pourquoi on a
actuellement abandonné presque complètement les
vibrations manuelles, sauf quand il s'agit simple-
ment d'exercer une forme de massage, dans des
cas qui, la plupart du temps, restent en dehors de
ceux que vise spécialement la sismothérapie.
Dans les appareils de Gaiffre et de Bourcart, mus
par un moteur électrique, les vibrations sont trans-
mises à un manche flexible en acier, à l'extrémité
duquel viennent se fixer des pelottes, tampons ou
axes en caoutchouc, que l'on applique sur la région
à traiter. Dans l'appareil de Baudisson, une lame
d'acier est mise en vibration par un électro-ai-
mant; cette lame transmet ses vibrations à une
tige qui lui est perpendiculairement fixée et dont,
seul, le bouton terminal est appliqué au point voulu.
Les vibrations sont communiquées aux éléments
nerveux par les os, les ligaments et les tendons,
meilleurs conducteurs que les tissus musculaires,
cellulaires ou adipeux. Quand on veutmettreen vibra-
tion la totalité du système nerveux, on promène le
bouton terminal de la tige vibrante sur les apophyses
épineuses de toutes les vertèbres, en remontant jus-
qu'à l'occiput pour atteindre l'encéphale; quand on
ne veut atteindre qu'un segment particulier du né-
vraxe, on appliquele bouton terminal sur l'apophyse
épineuse de la ou des vertèbres correspondantes, en
se guidant alors sur les localisations médullaires
établies par Babinski ou par Abrams (de San-Fran-
cisco). Quand il s'agit de maladies chroniques de la
moelle, ou bien de destructions pathologiques des
nerfs dans les membres ou ailleurs, le bouton termi-
nal doit êlre appliqué de préférence sur les tendons
correspondants, de manière à intervenir par voie
réflexe et à revivifier les éléments nerveux voulus.
Nombreuses sont les affections qui ressortissent
à la sismothérapie; en dehors des états neurasthé-
niques et psycnasthéniques, de la paralysie agi-
tante, de la parésie et de l'atrophie musculaire, des
impotences fonctionnelles consécutives à des trau-
malismes, etc., on peut citer : certaines affections
cardiaques, la tachycardie, notamment la constipa-
tion, la dysménorrhée douloureuse, etc.
Les conlre-indications de la sismothérapie sont
les états d'inflammation ou d'irritation de la
moelle. ~— Dr o. laumonibr,
staurotliëçLue (du gr. stauros, croix, et
Ihéicé, récipient) n. f. Archéol. byzant. Reliquaire
contenant une parcelle de la vraie croix : Les
STAUROTHÈQUES Ont généralement la forme d'une
croix à double traverse enchâssée dans un riche
coffret. La plus remarquable est la staurothèque
de Limbourg, un vrai chef-d'œuvre de l'art by-
zantin. (Charles Diebl.)
tract (mot anglais emprunté du lat. tractus,
pris dans le sens de « développement continu »)
n. m. Petit traité (feuille ou brochure) sur une
question politique ou religieuse, que l'on distribue
abondamment dans le public pour influencer son
opinion : Les Allemands répandent parmi les Alliés
des TRACTS préconisant une paix sans victoire.
trottinette {tro-li-né-le) n. f. Jouet d'enfant,
consistant en une planchette montée sur roues et
munie d'une tige articulée, terminée par une poignée,
qui commande la roue d'avant et sert de gouvernail.
(Pour mettre l'appareil en mouvement, l'enfant pose
un pied sur la planchette, lient en main le levier do
direction et repousse le sol de l'autre pied. Quand
il a obtenu une vitesse suffisante, il pose les deux
pieds sur la planchette et se donne l'illusion, pen-
Trottinette ou patinette.
LAROUSSE MENSUEL
danl quelques secondes, d'être sur un véhicule auto-
mobile) : Le principe de la trottinette est ana-
logue à celui des célérifères et des draisiennes de
jadis. Il Syn. patinette. ,
Vaillantes (les), par Léon Abensour (Paris,
1917). — L'héroïsme, le dévouement et le labeur
des femmes françaises et alliées pendant la guerre
mondiale ont
inspiré déjà
plusieurs li-
vres et de
nombreux ar-
ticles de jour-
naux ou de re-
vues. Il man-
quait un tra-
vail d'ensem-
ble, une étude
historique e t
sociologique.
Tel est l'ou-
vrage de Léon
Abensour, his-
torien de pro-
fession, obser-
vateur attentif
et bienveillant
du mouve-
ment féminin
dans la société
moderne, àqui
l'on doit le
Féminisme
sous le règne
de Louis-Phi-
lippe et en 18A8, paru en 1913. L'expérience de
deux années et demie de guerre lui a paru suffi-
sante pour classer des faits, définir des tendances
et hasarder quelques idées générales. Ses docu-
ments sont abondants et sûrs, ses conclusions pru-
dentes. La rigueur de la méthode ne lui impose pas
l'austérité du style, qui est limpide, alerte et gracieux
sans préciosité, comme il sied au partisan d'un
féminisme raisonnable. Aucune trace de passion po-
litique. Barthou lui dit avec raison dans sapréface :
Pour vous incliner devant une robe, riche ou pauvre,
laïque ou confessionnelle, il vous a suffi de savoir qu'elle
était portée avec dignité.
Dans la première partie du livre intitulé les Fran-
çaises et la Vie de France, l'auteur commence par
rappeler la situation de la femme française avant la
guerre et les causes qui ont grandi son rôle social
au cours du xix» siècle : développement de la grande
industrie, cherté croissante de la vie, crise du ma-
riage, progrès de l'instruction féminine, multiplica-
tion des n isolées » et des o déclassées ». Les reven-
dications féministes, d'abord effets de toutes ces
causes, en ont ensuite augmenté la puissance. A la
veille de la guerre, le féminisme français était en-
core mal connu du public, mais possédait déjà une
organisation féconde. Il tenait des congrès, fondait
des journaux : « la Fronde », « l'Entente », « la
Française », « l'Equité », etc., distribuait des tracts
et s'efforçait d'agir. Ses principaux groupements
étaient : la Ligue française pour le droit des femmes,
l'Egalité, le Conseil national des femmes, l'Union
française pour le suffrage des femmes, la Vie
féminine. Il était « intellectuel et bourgeois », à la
différence du féminisme anglais, qui avait pénétré
davantage dans la masse populaire.
La guerre survint. Les femmes n'eurent plus à
soutenir leurs droits : la force des choses leur impo-
sait des devoirs, et l'heureuse pratique de ces devoirs
semble avoir consacré des droits futurs. Elles ont
dû remplacer les hommes dans les travaux mêmes
oii ils se croyaient indispensables et dans les postes
qu'ils s'étaient réservés.
Elles ont labouré la terre, tourné des obus, con-
duit des automobiles et des tramways, enseigné dans
les lycées, collèges et écoles de garçons, présidé des
conseils municipaux, administré des villes sous le
feu de l'ennemi.
Des gens, épris de merveilleux, ont crié au mi-
racle. Abensour prouve fort bien que c'est faire
injure à la femme française d'avant la guerre. Les
poupées ne se sont pas transformées soudain en
héroïnes. La guerre n'a pas supprimé la coquetterie
qui s'étale encore dans certaines excentricités de la
mode. Elle a seulement révélé des volontés et des
énergies latentes, mis au jour des trésors de zèle et
de dévouement qui demeuraient sans emploi dans
l'état social antérieur. La guerre n'a pas non plus
donné des cœurs de Spartiates ou de Romaines aux
mères et aux épouses françaises. La perte d'un fils
ou d'un mari ne les gonfle pas d'un orgueil corné-
lien. La pudeur du silence couvre leurs douleurs.
Dans l'élan général qui a emporté les femmes de
France, les groupements féministes ont joué un
rôle particulièrement actif : l'Union française pour
le suffrage des femmes envoie des vêtements, des
remèaes et des douceurs aux soldats originaires des
pays envahis ; la Française a créé des salles-abris,
avec distractions honnêtes et boissons hygiéniques
N* 130. Décembre 1917.
pour les soldats convalescents. Le Conseil national
et l'Union fraternelle ont voulu éviter le morcelle-
ment du domaine familial aux enfants des militaires
et marins tués à l'ennemi et leur assurer un bien
insaisissable. Leurs démarches ont provoqué l'envoi
d'une circulaire du ministre de la justice (mars 1 915),
qui est un acheminement vers ce but. L'Assistance
aux dépôts d'éclopés, l'Œuvre du soldat convales-
cent, la Lingerie du soldat, la Serviette du soldat,
le Vêtement du prisonnier de guerre, l'Office de
renseignements pour les familles dispersées, l'As-
sociation pour l'aide fraternelle aux réfugiés et
évacués alsaciens-lorrains émanent aussi d initia-
tives féminines. L'action persévérante des femmes,
secondée par l'état de guerre, a fait cesser une ini-
quité monstrueuse en obtenant la fixation d'un mi-
nimum de salaire pour les ouvrières à domicile (lois
du 22 mai et du 10 juillet 1915). La reprise de l'in-
dustrie française après la guerre a préoccupé éga-
lement les sociétés féministes. Le comité de la Vie
féminine s'est entendu avec le Touring-Club pour
ouvrir une école hôtelière : avant l'ouverture des
hostilités, le personnel des hôtels de France com-
prenait 88 p. 100 d'Allemands! L'industrie du jouet
était devenue une spécialité allemande. Une Fédé-
ration du jouet français a été fondée par des
femmes et des expositions de nos jouets organisées
à Paris et dans les principales villes des Etats-Unis.
Le chapitre sur 1 « Internationale féminine » est
particulièrement curieux. L'auteur nous montre que
l'attitude des groupes féministes, avant et pendant
la guerre, a été de tous points semblable à celle du
parti socialiste. Les féministes ont connu les illu-
sions du pacifisme. Aussi l'Allemagne a-t-elïe voulu
faire servir à ses fins politiques l'Alliance interna-
tionale pour le suffrage des femmes, comme elle a
tenté d utiliser à son profit l'Internationale socia-
liste. Elle a d'abord multiplié chez elle, chez ses
alliés et chez les neutres, les manifestations fémi-
nines en faveur de la paix. Puis les féministes hol-
landais ont lancé l'idée d'un congrès international
à La Haye. Mais la principale association féministe
d'Angleterre désapprouva toute participation au
congrès. Les Russes ne donnèrent pas leuradhésion.
Les Serbes la refusèrent énergiquement. Les fémi-
nistes françaises notifièrent leur abstention aux
organisatrices et rédigèrent un manifeste où elles
déclaraient ne pouvoir reprendre le travail commun
qu'après la restauration du droit violé.
La seconde partie de l'ouvrage : « Face à l'ennemi »,
et la troisième : « Chez nos alliées », sont surtout
des recueils d'actions héroïques, touchantes ou dou-
loureuses, habilement groupées et accompagnées de
remarques suggestives. Nous relèverons seulement
quelques faits généraux : la propagande des suffra-
gettes anglaises en faveur des enrôlements et du
travail dans les usines de guerre (le changement
de l'opinion en faveur du service militaire obliga-
toire serait dû en partie aux femmes d'Angleterre) ;
l'influence heureuse des femmes de l'aristocratie
anglaise sur toutes les œuvres de guerre ; la for-
mation de corps d'armée britanniques, entièrement
composés de femmes, qui furent employées, en
France, aux services de l'arrière et parfois même
en première ligne, pour les communications télégra-
phiques et téléphoniques (c'est la réalisation d'une
idée qui fut chère à M™« Dieulafoy) ; la campagne
meurtrière des infirmières écossaises en Serbie ;
enfin, la présence de femmes relativement nom-
breuses dans les formations combattantes de la
Russie : quatre cents femmes ou jeunes filles ont
servi dans les Cosaques de l'Oural.
L'auteur refuse de « s'égarer sur le fuyant terrain
des anticipations ». Les circonstances de la guerre
ont-elles développé chez la femme le goût de l'indé-
pendance ou le regret du foyer dispersé ? Il ne
saurait l'affirmer. Mais il n'hésite pas à dégager une
leçon de la dure expérience d'aujourd'hui : toute
fille, même riche, devra désormais apprendre un
métier qui la mette à l'abri du besoin en cas de
revers. « Collaboratrice dans la bonne fortune, rem-
plaçante dans la mauvaise, telle devrait être l'épouse
de demain ». En outre, il lui paraît juste « de n'in-
terdire à la femme, parce que femme, aucun des
emplois dont une expérience de plus de trois ans
l'a montrée capable ». Que les hommes ne craignent
pas la concurrence! Après la guerre, les bras seront
rares et les mutilés nombreux. La main-d'œuvre
féminine sera partout nécessaire, à moins qu'on ne
veuille faire appel aux étrangers.
Les femmes ont été admises dans les commissions
administratives des bureaux de bienfaisance, dans
les comités agricoles, dans le comité du travail
féminin. Plusieurs ont exercé en fait des fonctions
municipales. Ne serait-il pas équitable de leur
accorder sinon le vote politique, dont la plupart ne
se soucient guère, du moins le vote municipal,
conformément à un projet de loi récemment déposé?
C'est l'opinion de Léon Abensour. Ainsi la guerre,
odieuse aux femmes, aurait servi la cause du
féminisme. — Miurice Enocb.
Parif. — Imprimerie I.AROuseï (Moreau, Aupé. Gillon et Cl»),
17, rue MoDtp&mute. — Lt gérant : L. QRoaLBT.
La Lande (Les Sangliers).
N" 131. — Janvier 1918
alchimie n. f. — Le mot alchimie désigne
l'ancienne chimie et, particulièrement, laii supposé
de la transmutation des métaux en or et en argent.
— Encycl. On a souvent confondu la signincation
du mot cliimie avec celle de la « chrysopée » des an-
ciens livres. La cljrysopée contenait les principes de
la labrication de l'or, de même que l'argyropée expo-
sait les méthodes de pioductionartincielle de l'argent.
L'alchimie a des prétentions pins élevées et plus
étendues : elle se définit « la science de la vie dans
les trois règnes ». Sa philosophie n'est, d'ailleurs, pas
limitée à l'étude des actions humaines au cours de
la vie terrestre, car elle s'efforce de suivre
l'âme après son passage du plan matériel
au plan divin.
L'étymologie du mot est incertaine. Les
égyptologues y trouvent le préfixe arabe al
(article idc") et la racine cAeme, exprimant
le lieu d'oriftine de la science par excel-
lence : «Ghemi» (terre de Cham). iTorigine
revendiquée par les hellénistes est muins
nuageuse. Elle est restrictive, car elle
semble limiter les opérations alchimiques
aux seuls travaux d'une métalMirgie .spé-
ciale. Le verbe grec /eiao), je fonds, en se-
rait la racine, comme dans le mot " chyme».
L'alchimie ne serait, alors, que l'art de fon-
dre les métaux et de les suivre dans leur
évolution On peut, enfin, citer une troisième
étymologie, fabuleuse celle-là, bien qne re-
montant seulement au iw siècle de notre
ère. Elle est due à Zosime le Panopolilain,
le plus ancien des chimistes connus. Zosime
affirme que, parmi les mauvais anges qui
entreprirent de diminuer l'omnipotence du
Créateur, il .s en trouva pour s'éprendre
des filles des premiers hommes. Conti-
nuant l'œuvre néfaste du serpent d'E<len.
ils voururent donner à la créature humaine
la science qu'elle ignorait. Le document
(|u'ils composèrent pour cette fin était
symbolisé par le mot Chema, qui exprime
la totalité de la connaissance des œuvres et des
lois de la nature.
Si l'alchimie est la plus ancienne des sciences,
elle en est aussi la plus complexe et la plus étendue.
Tous les arts occultes procèdent de ses doctrines.
La transmutation d'un mêlai ordinaire en un métal
plus noble ne peut être considérée que comme une
de ses branches, voire une de ses conséquences.
Toutefois, Zosime consacre d'importants passages
de ses œuvres à la production artilicielle de l'or.
C'est le polygraphe grec du viii" siècle, Georges le
Syncelle, qui nous expose sa doctrine tirée de son
Vivre Imonth: l'homme est une parfaite réduction
de l'univers, un microcosme. Il est donc doué des
mêmes propriétés créatrices que le macrocosme
(univers). Il peut faire germer la substance vivante
sous l'une de ses formes et la développer jusqu'aux
LAHOUSSt MENSUEL. — IV.
limites extrêmes fixées par le Oéatcur Le grain de
sénevé de l'Ecriture produit un arbuste vigoureux,
porteur d'innombrables semences. L'or engendre
l'or suivant la même loi, et l'homme récoltera la
moisson précieuse s'il sait imiter la nature en ses
œuvres fécondantes et transformatrices.
L'alchimie est donc la science des secrets de la
nature. Les modernes ont adopté sans restriction
cette définition des anciens. Ils la complètent même
en précisant lebutdes investigations humaines dans
chacun des trois règnes. L'alchimie est thérapeuti-
que lorsqu'elle s'.nppliqne à dèijairer les quintes-
ChrysopéedeCléopâtrc. — A. Owroftoro... serpent nu dragon qui se mord laque
rmiivrequi n'a ni commencement ni fin. tU était pourvu de trois oreilles, figurant le
sublimées et de quatre pieds, qtii représentaient le» quatre corps ou métaux fo
sences vitales qui empêchent l'enveloppe charnelle
de se désagréger. Elle est palingénésiqne lorsque,
par ses procédés, elle substitue la vie qui commence
à la vie qui s'achève, dans le règne végétal princi-
palement. Elle pratique alors les greffes et les mar-
cottes, pour assurer la continuité de l'existence des
plantes. Elle est chimique lorsque, ayant ramené un
métal quelconque à l'état originel unique, elle pro-
voque son évolution et le fait passer par les phases
011 se fixeront la couleur et la densité désirées. Les
alchimistes du moyen âge affirmaient même que
leur science confinait à l'herméneutique sacrée, sur
laquelle repose la Transmutation par excellence,
c'est-à-dire celle qui change le pain et le vin en
chair et sang divins.
Le simple énoncé des principales éludes de l'un
des plus grands alchimistes connus, Albert Tbeu-
tonius, né en Souabe au xii« siècle, met en relief
lensemble des connaissances que devait posséder
l'homme qui se livrait au « grand œuvre »:Specu/i/»i
aslro}iomicum(M\roirsislronom\que]\Devef/elalibus
et plnnlis; De mineralibus ; De morte et vila, etc.,
et enfin Ce alchimia libellus, dans lequel il expose
que <i l'homme est la fin de toute chose naturelle,
parce que toutes les choses ont été laites pour son
usage. Il peut donc tout produire, s'il a su pénétrer
le sens des causes ».
Le grand œuvre étant la recherche des moyens
de perpétuer la vie, il n'est pas èlonnant que cer-
taines définitions le limitent, par synec-
iloi he, à la production de la pierre philo-
sophaleouàcellede la «panacée». La pana-
cée est destinée à assurer la continuité de
la vie, en dépit des maladies, sans en
excepter la plus redoutable, la caducité.
Elle est constituée par l'or potable, c'est-
à-dire par l'or chimiquement et alchimi-
quement pur.
Le double but de cette branche de la
science apparaît donc nettement. Il consiste
à doter les hommes du métal qu'ils con-
voitent si àprement et à leur rendre le
moyen d'atleindre une longévité perdue
depuis les temps bibliques.
Les anciens exposaient ainsi les prin-
cipes de la transmutation : tous les corps
sont formés d'une sulislance unique, elle-
même composée de soufre, de mercure et
de sel, qu'il ne faut ni confondre avec les
matières ordinaires portant ces noms, ni
avec le soufre, le mercure et le sel pliilo-
sophiques. Un quatrième agent s'ajoute
aux trois autres pour leur donner la vie :
c'est le fermenlatif. dont nous explique-
rons plus loin le rôle indispensable.
11 n'est pas inutile de noter l'importance
symbole de, V^^ '^^ alchimistes de toutes les époques
stroisvapeurs ont attribuée aux influences cabalistiques
ndamentaui ) ,,gj Nombres. Le Ternaire symbolise la
synthèse de la création, c'est-à-dire qu'on
trouve le nombre trois dans tout ce qui est appelé
à participer à l'existence universelle. Pour que la
substance puisse être douée de vie, trois éléments
sont indispensables. Ce sont :
le soufre alchimique (carbone), qui donne la densiHcation,
le mercure alchimique (hydrogène), qui détermine In vo-
latih'sation,
le sel alchimique (oxygène), agent de résolution capable
de ramener le soufre et le mercure à l'état de corps
simples.
Mais l'aboutisseinent de tout effort est symbolisé
par le Quaternaire, graphiquement représenté par le
carré, parce pue quatre est le nombre de l'harmonie,
tleladnrabililé, sinon de l'immortalité. C'est ^__,
par quatre lelIresquerEcrilure désigne Dieu: M 'Jl'
(yé, h, ova, b. d'où Jéovah), le suprême Créateur.
La vie durable et la beauté seront donc obtenues
13
326
Far l'adjonction d'un quatrième élément qui fixera
évolution à son teime définitif.
Transmuter un métal ordinaire en un métal plus
noble, c'est augmenter sa densité et lui faire pren-
dre une couleur approchant le plus possible du
jaune. Pour obtenir ces résultats, il faut extraire
du métal considéré des éléments d'hydrogène et
\l
Kautfptv
1. Dessin d'un appareil distillatoire, tiré des ouvrages de Zosime.
2. Alambic d^ Synésius.
les remplacer par des éléments d'oxygène, car la
densité et la couleur sont fonctions de la quantité
de sel et de soufre alchimiques entrant dans la
composition du corps soumis à la transmutation.
L'état qualifié « or » est la limite supérieure de
l'évolution. L'antimoine, au con-
traire, est de couleur blanche
(hleuâlre) et de densité minime,
parce que ses éléments dominants
sont hydrogénés, c'est-à-direissus
du mercure alchimique. (11 ne faut
pas oublier que l'argent à l'état
natif n'est pas blanc.)
La substitution des éléments
atomistii|ues est obtenue par la
projection, au sein du métal, d'un
agent de feimentation auquel on
a donné le nom de pierre pkilo-
sophale. Son aclion est en tout
point comparable à celle d'une
levure inti'oduite dansune matière
organique. Pour comprendre son
rôle, il est nécessaire de se re-
porter aux deux principes essen-
tiels de la philosophie alchimique :
1° la matière, qui est une, évo-
lue ; 2° la vie renaît de la putré-
faction.
11 e.st intéressant de remarquer
que ces propositions, l'ejetéespar
la science moderne, ont reçu une
sorte de consécration nouvelle
depuis la découverte du radium.
Comparons-les, par exemple, aux
roiioln.sions du D"' fiuslave Le
Bon, il la siiilc de son élnde sur
l'Evolution de la iiuilière :
1" La matière, jusou'à présent en-
visagée comme inerte, est un im-
mense réservoir d'énergie — énergie
intra-atomique — qu'elle peut dépas-
ser sans rien emprunter an dehors.
2° C'est de l'énergie intra-atomi-
3ue, qui se manifeste pendant la
issociation do la matière, que ré-
sultent la plupart des forces de l'uni-
vers : électricité et chaleur solaire,
notamment.
3" La radio-activité ost la pro-
priété de tous les corps sans excep-
tion, mais à des degrés différents.
On peut, sans aucune témérité,
rapprocher ces théories toutes
récentes des principes de la phi-
losophie alchimique et, en par-
ticulier, de celui de l'hylozoisme
(v. ASTROLOGIE, page 274). On
pourrait même les considérer comme l'exégèse
scientifique de l'adage latin : mens agitai molem.
Pour imiter rapidement le lent travail de la nature,
l'homme devra provoquer k son gré les change-
ments d'état caractérisant l'évolution et produire en
temps voulu la fermentation indispensable. Pour
réveiller le côté spiirarliqiie du métal d'apparence
inerte, il s'efforcera de donner la vie & ses élé-
ments constitutifs; autrementdit.d obtenir le soufre,
le mercure et le sel philosophiques. Le soufre phi-
losophique est rouge pourpre. 11 est extrait de l'or
réduit en chaux. Le mercure provient du bichlorure
Symbole alchimiste
du parvis de Notre-
Dame de Paris-
Roger Bacon. (Blblioth. nat.)
LAROUSSE MENSUEL
de mercure. Il est liquide et fluorescent. Le sel
philosophique, de couleur blanche, a pour base le
sel marin et est recueilli en petits cristaux réfrin-
gents.Combinés
suivant une for-
mule alchimi-
que, ces trois
éléments consti-
tuent la pierre
pbllosophale.
Le processus
des opérations
est le suivant :
les trois corps
philosophiques
sont enfermés
dans un matras
ovo'ide(œufphi-
losophique),qui
est ensuite in-
troduit dans un
fourneau à ré-
verbère, autre-
fois appeléa/Ao-
nor. Sous l'ac-
tion du sel, le
soufre et le mercure entrent en putréfaction. Après
quelques mois de cuisson, on retire de l'œuf un
composé rouge, sous forme de sel, qui est Vélixir
de vie pour les trois règnes.
L'élixir, ou panacée, ne possède pas de vertu créa-
trice. 11 ne pourrait rendre la vie ni à un végétal ni
à un animal déjà désagrégés par la mort. Mais c'est
le tonique idéal, capable de rendre à
1 économie l'activité solaire, perdue ou
consommée. C'est surtout le ferment de
tous les métaux. Mêlé à l'or chimique-
ment pur, il donnera la « poudre de
projection », qui hâtera l'évolution du
métal jusqu'à sa maturité, jusqu'à son
état définitif, qui est l'or.
Le secret de la transmutation réside
tout entier dans la formule de l'élixir
et, par conséquent, dans celle de la
poudre de projection. Bien qu'elles soient
exprimées en langage hermétique, les
règles à observer pour mener à bien
la » coction » du métal à transformer
sont toujours compréhensibles dans les
traités d'alcnimie. Il suffit, pour les tra-
duire, de connaître les correspondances
astrologiques, c'est-à-dire les influences
attribuées aux planètes d'après les ca-
ractères mythologiques des dieux dont
elles portent les noms. Les couleurs
prises par la masse en fusion fournis-
sent aussi des repères bien déterminés.
Mais les proportions cabalistiques à
donner aux éléments de la pierre pbi-
losophale avant de les introduire dans
l'œuf, la durée de chacune des phases
(le la cuisson, l'incorporation dans le
mélange d'une certaine substance, à un
moment propice et seulement à ce point
critique, sont aulant de mystères à peu
près impénétrables. Les propriétés
transformatrices de la pierre philoso-
phale sont, d'ailleurs, varialiles suivant
le degré de perfection auquel l'npérateur
l'a poussée. Le premier degré {rouge
pâle) transmute en or pur un poi<lsde métal ('gai an
poids de la pierre. Le dernier degré (rouge pourpre)
permet d'obtenir la métamorphose eu or pur diin
poids de métal vulgaire dix mille fois plus grand que
celui de la pierre.
N' 131. Janvier 1918.
Le métal asem, dont il est question dans ce véné-
rable document, est vraisemblablement celui que les
Latins nommaient electrum, c'est-à-dire un alliage
d'or et d'argent où ce dernier entrait pour un cin-
quième (Pline). Jusqu'à Néron, toutes les monnaies
jaunes étaient en electrum. Le fils d'Agrippine fut
le premier qui exigea de l'or pur pour la frappe de
son impériale effigie. (L'a«em ou Velectrum ne doi-
vent pas être confondus avec notre vermeil moderne,
qui est de l'argent doré en surface). Les procédés
alchimiques de fabrication de l'or étaient connus
des Latins. Sénèque note que Démocrite savait
Il colorer les métaux, les ramollir et les changer
d'état par la cuisson u. Toutefois, des données pré-
cises à ce sujet nous font défaut, car Dioclétien,
avant de se retirer à Salone, fit détruire tous les
traités d'alchimie de l'empire.
Par contre, nous connaissons d'une manière cer-
taine la suite des opérations effectuées par les
occultistes du moyen âge. Elle est telle que nous
l'avons précédemment décrite. Les documents abon-
dent, et le moins intéressant n'est certes pas celui
dont nous donnons la reproduction. Chacun peut le
voir sur la grande porte d'entrée de Notre-Dame de
Paris, située du côté de l'Hotel-Dieu. Il est sculpté
sur une grosse pierre de milieu, face au parvis.
Gambriel, alchimiste du xix= siècle, en donne une
explication qui peut être ainsi résumée :
Les besants en relief sur les trois côtés visibles
du socle sur lequel se tient l'évêque sont les natures
métalliques soumises à la transmutation, à leurs
difl'érents états. Sur la face de notre figure, ces na-
tures sont arrivées à la phase de perfection corres-
Notre Bibliothè-
que nationale pos-
sède un grand nom-
bre de mauuscrils
et d'ouvrages trai-
tant lie la science
aleliimiqiie. Les
Fersonnages de
antiquité le plus
souvent cités sont:
Platon, Aristote,
Hermès, Jean l'Ar-
chiprêtre , Zosime
le Grand, Syné-
sius, Olympiodore,
Dioscoris de Thé-
rapis, Cléopâlre
(femme de Ptolé-
mée),Théophraste,
Archélaiis , Glau-
dien, etc. Quant
aux doctrines, qui
ont peu varié jusqu'à nos jours, elles ont pour base
la théorie d'Empédocle sur les quatre éléments. Le
plus ancien des textes alchimistes est probablement
le papyrus grec de Leyde, trouvé dans un tombeau
de Thébes. 11 contient non seulement des formules
magiques, mais encore des procédés industriels de
teinture et d'alliage et aussi de recettes médicales.
Berthold Schwartz. (Biblioth. nat.
Raymond Lulle, martyrisé à Bougie par les musulmans (graTure du xvt' siècle).
pondant à la fermentation, sous l'action du dragon
babylonien ou mercure philosophique. Le dragon
part de l'homme entouré de flammes, car il a été
produit par lui. Ses deux serres embrassent l'atha-
nor; sa tête est au-dessous des pieds de l'évoque.
L'alhanor est au-dessus des flammes; il contient
l'reuf qui y est mis en digestion et se termine en
voûte sous les pieds de la statue. L'évêque repré-
sente la vie spirituelle et physique produite ou ré-
veillée par le mercure, et son geste dît à ceux qui
le regardent :
Si vous devinez ce que je représente, taisez-vous !
On peut affirmer que, depuis le V siècle de notre
ère jusqu'à nos jours, les méthodes alchimiques n'ont
subi d'autres transformations que celles résultant du
perfectionnement progressif des instruments em-
ployés. Le matras de Zosime le Panopolitain, tel
que nous le révèle le manuscrit de Saint-Marc, était
encore en usage au moyen âge lorsque des femmes
telles que Théosobie, Marie la Juive et Cléopâtre
la Savante opéraient la précieuse métamorphose.
On peut avoir une idée de l'étrange cuisine qui se
perpétrait dans certains laboratoires lorsqu'on lit
dans les mémoires du xv' siècle que deux magi-
ciens, Larnold et Mandan, dépendaient les cadavres
du gibet de Montfaucon pour les brûler et en
extraire le ferment vital capable de produire l'or et
le diamant, h'auri sacra famés de Virgile devait
fatalement induire en tentation les imposteurs elles
empiriques. Mais la justice était sans pitié pour les
fraudeurs. Ils étaient pendus à un gibet ironique-
ment doré. Charles IX s'était laissé séduire par les
arguments d'un certain Jean des Galans, sieur de
({• 131. janvier rare.
Pezerolles, et lui avait donné un laboratoire et
cent vingt mille livres pour les premiers frais d'une
labrication d'or intense, destinée à alimenter le tré-
sor roval. Des Galans, s'étant enfui avec la somme,
lut arrêté et pendu au pibet symbolique.
11 serait injuste de classer tous les alchimistes en
semblable compagnie. Beaucoup d'entre eux étaient
de vrais savants, pas-
sionnés pour la con-
naissanceplus que pour
la richesse. La chimie,
la pharmacopée, la
thérapeutique même,
leur doivent leurs pre-
niières découvertes.
C'est le moine anglais
Roger Bacon qui, au
xni» siècle, établit le
premier en Europe les
pi-oportions de char-
i)on, de soufre et de
salpêtre entrant dans
la composition de la
poudre. La poudre ne
lut employée pour la
guerre que lorsqu'un
autre alchimiste, le
moine allemand Ber-
Ihold Si'hwartz, lit
londre les premiers
canons vénitiens, en
1320. C'est encore au
XIII' siècle que vivait
le chimiste et alchi-
miste Raymond Lulle,
qui. grâce à la panacée,
guérit d'un cancer une
jeune fille qu'il aimait.
Lulle parvint, dit-on,
à la connaissance com-
plète et fabriquade l'or
et du diamant en pré-
sence de la cour d'An-
gleterre. Mais il dési-
rait si peu la fortune
qu'il s'en fut en Mau-
ritanie pour y évan-
géliser les infidèles et
y fut massacré. Au
xv siècle, le médecin
et alchimiste Para-
celse introduisit en
médecine l'emploi des préparations mercurielles et
des sels métalliques. La plupart de ses découvertes
ont été faussement attribuées à Basile Valentin,qui
fut peut-être son disciple. Paracelse fit ses premiè-
res éludes de haute science d.ins le laboratoire de
Fugger. C'est là qu'il trouva la formule du cemen-
LAROUSSE MENSUEL
qu'il fut accusé de sorcellerie devant le tribunal de
l'Inquisition.
Le fils, Mercure, fit ses premières études ésoté-
riques avec des Bohémiens. Il parvint si rapidement
à la fortune que l'opinion du temps était qu'il pouvait
produire l'or à volonté. Son ouvrage De inferno
est des plus curieux, et Leibniz ne dédaigna pas
.tALTERJVJ NON sn.QyiSWSESSZ.POTEST.
i'»T<t:OIAJ PHH-IPPV.y THCOPHiyiSTVS^^ l
Paracftlie (estampe du xvu* siècle).
tum regnle, qui provoquait la métamorphose de
1 argent granulé en or pur. Savant passionné, il ne
craignit pas de brûler solennellement, à BMe, les
ouvrages de Galien et d'Avicenne. Bien qu'il profes-
sât que la connaissance de la cabale et de l'astrologie
fussent indispensables au traitement des maladies,
il s'efforçait de trouver des remèdes naturels pour
leur guérison. Il employait l'aimant contre les
hémorragies et les maladies nerveuses et fut le pre-
mier & introduire les éléments ferrugineux dans les
organismes appauvris.
Il faut encore citer les deux 'Van Helmont, père
et nis, qui vivaient nu xvi« siècle. Le premier, mé-
decin alchimiste, obtint des cures si merveilleuses
L'AlchiDQiste, tableau de David Teniers le Jeune fI6W).
de composer son épitaphe, dans laquelle il affirme
que Van Helmont sut reconstituer la doctrine de
Pythagore et appliquer les lois sacrées de la Cabale.
Notons aussi une découverte fortuite, faite en 1699
par l'alchimiste Brandt : pour trouver le fameux
ferment vital, Brandt faisait bouillir d'innommables
liquides, provenant surtout des déjections humaines,
lorsqu'il vit apparaître à la surlace de sa coction
des parcelles d'un corps lumineux, qui n'était auire
que le phosphore.
Le plus populaire des alchimistes de France fut
certainement Nicolas Flamel, né vers 1330 et dont
on peut encore voir la maison à Paris, au n" 12 de
la rue de Montmorency. Sa fortune rapide fut la
cause d'un grand nombre de légendes, qu il laissa .se
propager autour de son nom. D'un esprit très subtil,
il sut exploiter toutes les circonstances et se con-
cilier les bonnes grâces du clergé en subventionnant
plusieurs églises et surtout celle de sa paroisse,
Saint-Jacques-la-Boucherie. 11 dota également le
charnier des Innocents de deux arcades couvertes
d'hiéroglyphes.
Les connaissances alchimiques de Nicolas Flamel
sont encore très discutées. 11 est, cependant, certain
qu'il était au courant des formules cabalistiques, ainsi
que le prouvent certaines inscriptions relevées sur
sa maison. Les défenseurs de sa mémoire opposent
aux accusations d'usure dont il fut l'objet le fait
qu'on ne trouva qu'une médiocre fortune dans sa
succession, après sa mort et celle de sa femme Per-
nelle. Il écrivit un Essai philosophique en vers et
un Trailé sur la Iransformalion des métaux.
Le siècle suivant, les annales de l'alchimie s'enri-
chissent de nombreux noms, parmi lesquels nous
relevons ceux de Bernard Trevisan (î,ïl5) et des deux
Isaac, d'origine hollandaise. Mais le plus célèbre
est, sans conteste, Cornélius Agrippa, né à Nette-
sheim (Belgique).
Au leur de savantes études sur le Banquet de
Platon et la doctrine d'Hermès Trismégiste, Corné-
lius Agrippa fut appelé & la cour de Cbarles-Qiiint.
C'est alors qu'il composa ses n Trois livres de phi-
losophie occulte », dont les enseignements sont
encore en honneur dans les écoles théosophiques.
Sa théorie des quatre éléments (Philo-Occulte,
livre 1") renferme celle proposition : « Laplus petite
des molécules d'un corps quelconque contient l'es-
prit créateur de l'univers », dans laquelle il suffit de
remplacer les mots « molécules » et « esprit créa-
teur » par • atomes » et « énergie » pour retrouver
les conclusions formulées par le docteur 6. Le Bon
sur l'évolution de la matière.
327
Aux xvii"^ et xvni« siècles, les hommes de science
se séparèrent des alchimistes, ces derniers n'étant
plus possédés que du seul désir de parvenir k la
richesse. Les grands seigneurs eux-mêmes allu-
mèrent des fours dans leurs palais et ne dédaignè-
rent pas de fréquenter les misérables laboratoires
du faubourg Sainl-Marceaux, pour y chercher les
secrets magiques.
L'engouement gagna
les dames de la coui',
<|iii s'adonnèrent pas-
sionnément à l'étude
des sciences naturel-
les. L'élan fut, dit-on,
donné par M"" d'Ar-
conville, qui recevait
ses visiteurs dans une
chambre oii le sque-
lette qui servait à ses
études d'anatomie était
incomplètement caché
sous le lit.
Sous Louis XIV,
tous les besogneux
■' soufflaient » éperdu-
ment. Le pauvre Scar-
ron, lui-même, se mê-
lait d'alchimie en sub-
ventionnant plusieurs
praticiens. Toujours
en quête d'affaires ,
rapporte M"" de Main-
tenon, il demandait à
la pierre philosophale
et la fortune qui se
déroba toujours, et la
santé qu'il ne connut
jamais. La foi en l'élixir
de vie était, d'ailleurs,
fort répandue à cette
époque. M"" de Sévi-
gné raconte que son
amiCorbinelli, qui vé-
cut cent ans, devait sa
longévité à la fameuse
panacée (lettre à Bus-
sy, 13 octobre 1677).
Mais les faits et gestes
des sorciers du xviu'
siècle étaient loin
d'être toujours aussi
bienfaisants. Après le
« four de digestion de Saint-Croix », place Maubert,
l'antre de la Voisin préparait ses « poudres de sym-
pathie ». L'empoisonneuse et tueuse d'enfants (2.500
furent enterrés dans son jardin) présidait tout un
(■(Miacle d'alchimistes. La célèbre Affaire des poisons
nous révèle leurs noms : Chasleuil, de Bachimont,
Nicolas Flamel, d'après Rembrandt (estampe du xvil« liècle).
Cardeban, Rabal. dont \'« eau astringente» est encore
en usage. Le principal compère était Vasseur, qui
mit en relations la 'Voisin avec la marquise de
Montespan, à laquelle elle promit de procurer l'éter-
nelle fidélité du roi.
M™' de Sévigné, qui suivit avec beaucoup d'at-
tention les variations de fortune de la belle favorite,
assure que les préparations de la Voisin avaient
pour effet d'écarter réellement ses rivales passa-
gères. Il nous est impossible, par respect pour le
lecteur, de donner la composition de ces poudres.
Leur fabrication exigeait on meurtre d'enfant çt uq
328
sacrilège, ce dernier par l'eulreiiiise de l'infâme
Guibourg. La fortune ain^i acquise par la Voisin
(plus de cent mille livres par an) justifia le vieux
proverbe français et s'en alla sinon par le tambour,
du moins par l'athanor, car elle lut en partie consa-
crée à la recbercbe du « grand œuvre ». On trouva
dans les papiers de l'empoisonneuse un poème en
l'honneur du Dragon vert :
De l'or gloritié qui cliaiigo en or ses frères.
Le terrain était bien préparé pour cet autre aven-
turier connu sous le nom de Caglioslro. Né à
Palerme en 1743, Joseph Balsamo, qui se fit appeler
marquis de Pellegrini, comte de Phœnix, marquis
d'Haunat et enlin Caglioslro, mit à profit les con-
naissances en pharmacie qu'il avait acquises dans
une officine d'apothicaire. 11 passa, enl780, quelque
temps à Strasbour;,', où il eut un immense succès.
C'est dans celte ville que le phrénologue Lavater
vint le voir et se lit répondre :
Si votre science est supérieure à la mienne, vous n'avez
lias besoin de moi. Si c'est moi qui, de nous deux, suis
le plus savant, je n'ai pas besoin do vous...
Lavater ayant insisté pour savoir d'oii Caglioslro
tirait sa science et à quoi elle s'appliquait, ce dernier
lui répondit :
în verbia, in heràis, i?/ lapUlibu»^
indiquant par ces mots qu'il procédait par incanta-
tions, qu'il connaissait la médecine naturelle et
Joseph Ualsamu, dit " cujite de Cagliostru ».
qu'il pratiquait l'alchimie. Caglioslro fut, on le sait,
mêlé à l'Affaire du collier. Il sut choisir ses adeptes. . .
et ses dupes parmi les plus hauts personnages du
royauiTie : Rolian, Miromesnil, 'Vergeiines, Chau-
lieu, Pulignao furent ses disciples. Il fonda mèuie
une loge dite du « rit égyptien » à laquelle les
femmes avaient accès. On ne peut expliquer la folle
crédulité des clients de Cagliostio que par la sorte
de fascination et de magnétisme qu'il exerçait sur
eux. Il promettait à ses fidèles une « régénération
physique » qui leur permettrait de renouveler leui's
principes vitaux tous les cinquante ans. Le grand
<i Cophte » — tel était le titre qu'il se donnait —
détermina même les l'hilalèthes venus àt-aris en 1785
à assister à l'une de ses cérémonies rituelles... « Sa
doctrine doit être regaidée comme sublime et pure »,
déclarèrent-ils. Tous les détails relatifs à la vie
connue de Caglioslro peuvent être lus dans un
ouvrage anonyme et très curieux de notre Biblio-
thè(|ue nationale : Vie de J. Balsamo. Extrait de la
procédure instruite à Rome en i790. (Bibl. nat.,
K-t4-268.)
L'alchimie du xviii"^ siècle fit autant d'efforts pour
composer des philtres que pour fabriquer de l'or.
C'est à celte époque que le comte de Saint-Germain
fit son apparition à la cour de France. D'origine
mystérieuse, on croit cependant qu'il était fils natu-
rel d'un banquier de Bordeaux et de la reine d'Es-
pagne, veuve de Charles II. Il affirmait qu'un cer-
tain élixir de longue vie lui avait permis de braver
la mort pendant des siècles. Son étonnante connais-
sance des plus petits détails de l'histoire et la décla-
ration de M""= de Gergy qui prétendait avoir vu le
comte à 'Vienne, cinquante ans avant son arrivée à
Paris, accréditèrent celle légende. La « Loudon
Chronicle » raconta aussi que Saint-Germain fit
présent à une de ses amies de la cour d'une petite
fiole d' « élixir de jeunesse ». Une camérière en but
un soir le contenu. Le lendemain matin, la mailresse
ne put reconnaître sa femme de chambre, âgée de
quarante-cinq ans, dans la jeune OUe de seize ans
LAROUSSE MENSUEL
qui se rendit à son appel. Les mémoires du temps
disent aussi que le comte de Saint-Germain connais-
sait des secrets pour guérir les perles malade» et
leur faire acquérir un volume triple de celui qu'elles
ont habituellement.
Pendant la Révolution, en dépit des plus gi'aves
événements, l'alchimie eut encore ses fidèles. A
Paris, un nommé Eteilla dirigeait un « cours de
magie » en 1793. Citons, enfin, le monomane Ber-
biguier du Thym, le « tléau des farfadets », qui,
en 1796, s'achai-nait à trouver la composition de la
« pislole volante ». Celle merveilleuse pièce d'or
de\ait revenir d'elle-même dans la poche de son
propriétaire après le payement d'un achat...
A notre époque, l'alchimie compte encore des
adeptes, sinon des initiés. Notre grand Balzac en
^ étudia les doctrines et, particulièrement, celles con-
cernant l'unité et l'évolution de la matière. « Tout
provient de la substance, dit un de ses personnage^,
de cette substance dont les transformations ne dif-
fèrent que par le nombre, par un certain dosage
dont les proportions produisent les individus et les
choses». (Louis Lambert, (JEuvres philosophiques.
— Voir aussi la Hec/ierche de l'absolu, etc.)
En lS43,Ombriel publiait un cours de P/i!^sopAie
/te»VHe7i'7ue. Cyliani, vers 1830, expliquait toute la
philosophie occulte dans son livre : Hermès dévoilé.
Beaucoup plus près de nous, des théoriciens ont
cru à la possibilité de faire de l'or par les méthodes
antiques. Un médecin très estimé, le docteur En-
causse, connu sous le pseudonyme de " Papus » dan^
le monde théosopliique, affirmait naguère sa foi
complète en la science alchimique. Le chimiste
Moissan fit, croit-on, du diamant artificiel, dont
le prix de revient était d'ailleurs su|iérieur à celui
de l'achat du diamant naturel. On dit même que
le gi-and Berthelol ne niait pas la possibilité de
produire l'or par des opérations chimiques.
11 serait intéressant d'étudier les répercussions
que pourrait avoir sur nos mœurs une production
artificielle et abondante du « métal rutilant et
blond », pour parler la langue des bermétistes.
Mais ce serait là une vaine spéculation philoso-
phique. Certaines tribus d'Afrique occidentale, voi-
sines pourtant des terrains aurifères du Galam et du
Bourè, ont encore pour unique monnaie d'échange
le petit coquillage blanc connu sous le nom de
« caurie »...
Lanature est jalouse deses secrets. Elleneles livre
à l'homme qu'en vue de la perpétuation des espèces.
Son but serait-il atteint si elle se laissait dérober le
moyen de produire l'or à volonté ? — H. Decharbooke.
Bloy (Léon), écrivain français, né à Périgueux
le 11 juillet 1846, mort à Bourg-la-Reine le 3 no-
vembre 1917. Il révéla de boime heure une fou-
gueuse passion pour tout ce qui est art. La peinture
l'attira d'abord. A di.v-buil ans, il fit de lui-même
un « féroce portrait », peint « à l'huile de requin »,
qu'il a reproduit plus tai-d en tête d'un de ses li-
vies. « Il apparaît là, se rongeant un poing dans
un mastic de bitume, de terre d'ombre et de car-
bonale de plomh, fixant le spectateur de deux yeux
terribles, sanguinolents à force d'intensité ». Ce
jeune peintre, d'aspect farouche, avait une âme
de révolté. La rencontre de Barbey d'Aurevilly fil
de lui un littérateur truculent, aussi enthousiaste
que prompt à l'anathème. Il dévora des livres
mystiques et pleura de délice en lisant la Dou-
loureuse Passion, de Catherine Emmerich. Barbey
d'Aurevilly avait cloué ce « mastodonte d'orgueil »,
comme une « chouette pieuse, à la porte rayonnante
de l'Eglise de Jésus-Christ ». Il fit la campagne
de 1870-1871 dans un corps franc, chargé d'éclai-
rer l'armée de la Loire. Il se battit furieusement
et fut cité à l'ordre du jour. Après la guerre, nous
le trouvons dans les bureaux de la Compagnie des
chemins de fer du Nord, dont il fut, à l'entendre,
<■ un des plus exécrables employés ». Il y écrivit
la Chevalière de la mort, « sa première entreprise
littéraire ». A celte époque, « il imitait outrageuse-
ment Gai'lyle ». Rodolphe Salis l'accueillit au « Chat
Noir ». Ses premiers articles furent, dit-il, de « sin-
cères coups de bottes dans le derrière maculé d'un
grand nombre de mes contemporains». Il débuta
dans la o Nouvelle Revue », le \" mai 1883, pai' une
critique sévère de Louis Veuillot, qui venait de
mourir. Quelques mois après, ce fut le P. Didon
qu'il attaqua violemment dans le « Figai-o ». L'arti-
cle était intitulé : un Savonarole de Nuremberg
(27 févi'ier 1884). Le célèbi-e dominicain y était in-
culpé de tendances germanophiles. Léon Bloy était
désormais classé comnje pamphlétaire. Il donnait
en même temps au <i Petit Caporal » une étude sur
les l'oèmes ironiques d'Emile Goudeau (22 et 26 jan-
vier 1884) et faisait paraître ses deux premiers
livres : le Révélateur du globe et Propos d'un en-
trepreneur de démolitions.
L'année suivante (1885), il entreprit la publication
d'un journal hebdomadaire : « le Pal ». Le premier
numéro commençait par cette phrase : « J'ai long-
temps cherché le moyen de me rendre insupporta-
ble à mes contemporains. » On lisait plus loin : « Je
déclare mon irrévocable volonté de manquer easen-
Léon Bloy.
N' 131. Janvier 1918-
tiellement de modération, d'être toujours imprudetit
et de remplacer toute mesure par un perpétuel dé-
bordement. » Il tint parole. C'est avec une violence
inouïe qu'il vilipenda Albert WolfT, Emile Berge-
rat, Aui-élien Scboll, Arthur Meyer, Henri Fou-
quier, Mei-meix et quelques autres'représentantsde
" la grande vermine », c'est-fi-dire de la presse.
Liaient aussi malmenés, ou tout au moins égrati-
gnés : Victor Hugo, Jules Vallès, Edmond About,
Guy de Maupassanl, etc.
Sur la couverture rouge se dressait un immense
pal, garni de quatre suppliciés, dont l'un avait les
traits de Jules Ferry. A côté, Léon Bloy, en cos-
tume oriental, observait les contorsions des victimes
en fumant sa pipe. 11 n'y eut que quatre numéjos
(4, 11 et 25 mars, et l" avril 1885), « le million-
naire qui com-
m andi lait « le
Pal » ayant dé-
claré que la chose
ne l'amusait pas
assez pour l'ar-
gent qu'elle lui
coiitait ». Malgré
cette durée éphé-
nièie, le curieux
périodique valut
à Léon Bloy des
haines inexpia-
bles. La presse
organisa contre
lui la conspira-
tion du silence.
11 collabora, ce-
pendant, à deux
reprises, au « Gil
HIas »,de 1888 b
1889 et de 1892
à 1894. Le 13 avril 1894, il y publia une chronique
où il défendait, avec sa vigueur habituelle, Laurent
Tailhade, blessé par une bombe d'anarchiste au
restaurant Foyol, contre Edmond Lepelletier, qui
avait commenté l'événement dans 1' « Echo de
Paris », sous le titre : une Bombe intelligente.
Lepelletier envoya ses témoins à Bloy, qui refusa
de se battre en invoquantses principes religieux et
l'absurdité flagrante du duel. La direction du o Gil
Blas » en prit prétexte pour congédier un rédacteur
compromettant. Désormais, l'accès des grands quo-
tidiens fut interdit à Léon Bloy. Seules, quelques
revues hardies lui furent hospitalières: telles >> la
Plume » et surtout le « Mercure de France ».
(1 L'Assiette au beurre» inséra également quelques
pages de lui. Il conserva la même intransigeance
dans ses procédés de polémique et publia de beaux
et nombreux livres, que la critique affecta d'ignorer.
Son début en librairie fut le Révélateur du globe,
Christophe Colomb et sa béatification future (1884).
Cette étude, préfacée par Barbey d'Aurevilly, est
une explication mystique de l'un des plus grands
faits de l'histoire : la découverte de l'Amérique.
L'idée en fut suggérée à l'auteur par les ouvrages
du comte Roselly de Lorgnes, qui avait réclamé la
canonisation de Christophe Colomb. — Propos d'un
entrepreneur de démolitions est un recueil d'ar-
ticles parus pour la plupart dans le « Chat Noir ».
Il s'y trouve aussi des pages inédiles : Léon XIII et
la Conspiration des imbéciles. Le volume est dédié
« au très vivant, très fier, très impavide baron du
Saint-Empire de la Fantaisie, au gentilhomme-
cabarelier Rodolphe Salis, fondateur du Chat Noir
et découvreur de celui qui signe ces panes ».
Treize ans plus tard, eu apprenant la mort de Salis,
Bloy regretta les éloges qu'il avait prodigués à
« ravaleur de sabres littéraires et artistiques », au
11 triste rodomont qu'il plut à Dieu de mettre au
commencement de mes écritures, comme un avis
paternel du néant de ce terrible labeur ». — Le
Désespéré (1886), l'un des chefs-d'œuvre de Bloy,
est une autobiographie sous forme de roman. Le
héros, Cain Marcbenoir, écrivain catholique su-
l)lime et honni, a recueilli une misérable prostituée,
Véronique, à qui il a enseigné l'amour de Dieu.
11 s'éprend d'elle. Véronique, devenue une sainte,
essaye d'éteindre la passion de son ami en sacrifiant
sa beauté: elle vend ses cheveux et ses dents.
Le livre se termine par la mort de Marcbenoir,
qui expire de faim et de désespoir, loin de Véro-
nique, loin de son ami, dans la vaine attente d'un
piètre. Il y a des pages puissamment douloureuses
ou éperdument lyriques. Il y a, en outre, un formi-
dable 11 éreintement » d'Albert Wolfi', « l'hermaphro-
dite prussien ». Francisque Sarcey, sous le nom de
« Mérovée Beauclerc », y est l'objet de violences à
peine moindres. Un brelan d'excommuniés : l'En-
fant terrible, le Fou, le Lépreux (lins) rend hom-
mage à trois écrivains catholiques rejetés ou dédai-
gnés parl'ICglise : Barbey d'Aurevilly, Ernest Hello
et Paul Verlaine. Bloy affirme que « les catholiques
modernes baissent l'art d'une haine sauvage, atroce,
inexplicable ». Dans Christoplie Colomb devant les
taureau.-): (1890), il exécute tous ceux qui s'opposent
à la canonisation de Christophe Colomb. 11 prend
surtout à partie le duc de Veragua, descendant de
H' 131. Jinvier 1918-
Colomb, qui s'intéresse plus aux courses de tau-
reaux qu'à la sainlelé de son ancêtre. — En 1891,
parut dans le « Ma§rasiii littéraire» de Oand la Cheva-
lière de la mort, écrite en 1877, publiée en volume
seulejnenl en 1896, oraison funèbre de la reine
Marie-Antoiiielle, exéjjèse mystique de sa mort,
critique passionnée du xviii' siècle et de la Révolu-
tion française. — l.e Salut par les Juifs (1892) est
une étrange tentative d histoire mystique. L'auteur
se défend d'être antisémite. 11 vénère la race d'où la
Rédemption est sortie. Il est vrai que les premiers
mots du livre sont : " Cette apothéose de la ver-
mine... », Israël, peuple élu et cependant réprouvé,
n'est rien de moins que le symbole humain d'un
conflit entre le Chilsl et le Saïnt-Ksprit. Bloy sem-
bleêtre entré dans les conseils de la Trinité. Gomme
les Juifs ont autrefois crucilié le Pauvre en Jésus,
ils le crucifient aujourd'hui sous la forme de l'Argent,
qui est la substance du Fauvre. — Sueur de sang
(1893) réunit trente contes, tous publiés dans li-
«.GilBlas». Ce sont des souvenirs de la guerre franco-
allemande. <i Quand la France soulfre, s'écrie le mys-
tique Léon Bloy, c'est Dieu qui souffre, c'est le
Dieu terrible qui agonise par toute la terre en suant
le sang ». Pondant « cette guerre unique en son
genre, doytt tous les ressorts furent cachés,... tout
le monde fit d'incomparables sottises. Les géné-
raux fiançais laissèrent échapper toutes les occa-
sions, sans cesse renaissantes, de la victoire, et les
généraux allemands n'en laissèrent échapper aucuno
de déshonorer imniortellementleur patrie». — Léon
Bloy devant tes cochons (189'i); les «cochons» sont
les journalistes qui se sont acharnés sur Bloy.
défendant Laurent Tailhade. Cette brochure com-
mence ainsi : « Tenez pour dit, mes petits mignons.
Sue je subsiste pour vous embêter i/i œternum. »
lie se liMinine par un poème lyrique en prose :
Lamentation de l'épée. L'épée rappelle son passé
glorieux et se désole de servir aujourd'hui à vider
les querelles d'immondes folliculaires. — Histoires
désotiUgeantes (189il), recueil de contes, souvent
allégoriques, toujours ironiques ou amers. L'un
d'eux, la Plnt belle trouvaille de Caïn, se rapporte
à la vie d'adolescent de Léon Bloy. — Ici on assas-
sine les grands hommes (1895), plaquette illustrée
lie trois vignettes, par Léon Bloy, et consacrée à
Ernest Hello. — La femme pauvre , épisode contem-
porain (1897), le second roman elle second chef-
d'œuvre de Bloy. C'est encore une sorte d'auto-
biûgra'phie, très librement conçue, qui fait suite
au Désespéré, nl^e présent volume, dit Bloy, n'est
qu'une longue digression sur le mal de vivre, sur
l'infernale disgrâce de subsister, sans groin, dans
une société sans Dieu ». Il a dit aussi : « J'ai écrit
ce violent poème uniquement et précisément en
haine des honnêtes femmes. » Clotilde, l'héro'ine,
n'est donc pas une <■ honnête fi'mme ». Mais, comme
la 'Véronique du Désespéré, elle est devenue une
« sainte ». Des pa^es poignantes nous montrent,
dans une maison insalubre, l'agonie du fils de Léo-
pold et de Clotilde. Il faut également citer la dis-
cussion entre Marchenoir (Bloy) et Bohémond de
l'Ile-de-France (Villiers de L'Isle-Adam). — Le men-
diant ingrat (Bruxelles, 1895), journal de l'auteur,
de 1892 à 1895 : notes savoureuses, lettres éloquen-
tes, envolées lyriques, cris de misère, invectives
universelles. Des poèmes en prose y sont insérés:
la Vi^jie abandonnée et le Cortège de ta femme. —
Je m accuse (1900), avec vignettes et culs-de-lampo
de Léon Bloy. La seconde édition porte en frontis-
pice le portrait de l'auteur à dix-huit ans (novem-
bre 1863). C'est un pamphlet contre Emile Zola. —
Le Fils de Louis .\'r/(l900). Bloy admet la survi-
vance de Louis XVII en la personne de Naun-
dorfî. — Exégèse des lieux communs (1902), cri-
tique acerbe et souvent amusante de quelques
proverbes ou aphorisnics bourgeois. — Les Der-
nières Colonnes de l'Eglise (1903): Ooppée, Brune-
tière, Iluysmans, Bourget, le P. Didon, etc., sont
les buts de ce jeu de massacre. — Mon journal
(1904), qui continue le Mendiant ingrat, embrasse
les années 1896-1900. De janvier 1899 à juin 1900,
Bloy a séjourné en Danemark. — Delluaires et
Porchers (1905), réunion d'articles belliqueux et
fiiltoresques, parus pour la plupart dans « la Plume ».
e l' Gil Blas » et le « Mercure de France ». — Quatre
<ins de captivité à Cochons-sur-Marne [Lagny]
(1905), suite du journal de Bloy pour les années
1900-19(14. — La Résureclion de Villiers de L'Isle-
Adam (1906). — L'Epopée byzantine et Gustave
Schlumberger, articles publiés dans la <i Nouvelle
Revue » en novembre et décembre 1906. — Celle
jui pleure (1908), effusions lyriques inspirées par
a 'Vierge de la Saletle. — L'Invendable (1909),
suite du journal pour les années 1904-1907. — Le
Sang du pauvre (1909), écrit « dans une volonté
absolue de haine et d'exécration pour les riches ».
liloy avait déclaré, en 1884 : « Je suis un commu-
nard converti au catholicisme. » — Le Vieux de la
montagne (i9\l], journal de la période 1907-1910.
— t'ylme(/eNa/)o/eon(1912).<' J'ai ce grand homme
dans le sang au point qu'il m'est difficile d'entendre
parler de lui sans perdre ou rattraper quelque
«hose de mon équilibre, » écrivait Bloy à Frédéric
LAROUSSE UENSUEL. — IV.
l
LAROUSSE MENSUEL
Masson, le 3 février 1904. — Viede Mélanie[CiiWei],
bergère de la Saletle, écrite par elle-même en 1900.
Son eît/ance, introduction par Léon Bloy (1912). —
Exégèse des lieux communs, 2* série (1913). — Le
l'élerin de l'Absolu (1914), suite du journal pour
1911-1912. — Jeanne d'Arc et l'Allemagne (1915),
livre inspiré par la guerre actuelle. — Au seuil de
l'Apocalypse (1916), suite du journal pour 1913-
1915. — Méditations d'un solitaire en 1916 (1917).
— Constantinople et Byzance (1917). — Il a donné
en 1906 des l'ages choisies de sou œuvre.
a Je ne veux pas être un pamphlétaire à perpé-
tuité », assurait Léon Bloy il y a quelque vingt-cinq
ans. Il n'a cependant jamais cessé de lancer ses
litanesques injures. C'est l'amour, parait-il, qui le
poussait irrésistiblement à invectiver ceux qui sac-
cageaient son idéal. Bloy ne s'est-il pas défini « le
pèlerin de l'Absolu »? «Oui sait, après tout, si la
forme la plus active de l'adoration n'est pas le blas-
phème par amour, qui serait la prière de l'aban-
donné? » \ ï'ontondvo, il sp fai-^ait même violeiu'o
■329
économique d'un Etat et, pendant la guerre, lui
donnent la garantie de pouvoir subvenir aux besoins
de la défense nationale et au ravitaillement de la
population civile.
Ce développement exige l'amélioration des ports
maritimes et fluviaux parallèlement & l'augmenta-
tion du nombre et du tonnage des navires desti-
nés à assurer le trafic. Beaucoup de nos ports ne
possédaient pas, dès avant la guerre, un outillage
suffisant pour répondre k l'accroissement considé-
rable des importations par nier qui s'est manifesté
depuis deux ans. Cette pénurie de moyens a causé
de très importants relards dans le débarquement
des marchandises et entraîné de coûteuses *uce«/a-
ries, qui sont venues grever le prix de revient des
denrées et ont déterminé en partie les difficultés de
la vie chère.
Mais, en dehors de l'outillage proprement dit de
débarquement, les ports de quelque importance
doivent anssi posséder des aménagements permet-
tant de faire aux navires touies les rt'.n.-n-nlinris né-
Cale de lialagc on travers, comprenant six berceaux roulants.
et ne rejetait pas toute la lave qui bouillonnait en
lui : 0 Les colères qui sortent de moi ne sont que
des échos singulièrement affaiblis d'une imprécation
supérieure que j'ai l'étonnante disgrâce de répercu-
ter. » Son âme était celle d'un prophète : Isaie ou
Jcrémie et, le plus souvent, Ezéchiel. II savait bair,
mais aussi admirer et aimer. Il admirait Christophe
Colomb, Napoléon, Barbey d'Aurevilly, Hello, 'Ver-
laine. Il aimait le moyen âge, parce qu'on y souf-
frait et priait. Il aimait le Fauvre, et même sa
pauvreté, qui, pourtant, le torturait. Il aimait Dieu
d'une ardeur infinie, mais il délestait les prêtres
ti'des et dépourvus du sens de l'art : « bestiaux
consacrés », « vendeurs de contre-marques célestes ».
Son mysticisme manquait de sérénité.
Son vocabulaire est étonnamment riche. On lui a
reproché l'abus des mots orduriers. « Ses livres,
a dit plaisamment Remy de Gourmont, semblent
rédigés par saint Thomas d'Aquin en collaboration
avec Gargantua ». Léon Bloy a lui-même écrit dans
le Désespéré:
Marclienoir avait la réprobation scatotopiquo. Le bé-
fueutismo cafard des contemporains d'Ernest Renan
avait rigoureusement blâmé (lour l'énergie stercorale do
ses anatnèmes. Mais, avec lui, c'était uno chose dont il
fallait qu'on prît son parti. Il voyait le monde moderne,
avec toutes ses institutions et toutes ses idées, dans un
océan de boue.
Le néologisme était une autre de ses manies. Les
mots qu'il a inventés, en les calquant sur le latin ou
en les dérivant de types français, pourraient fournir
la matière d'un lexique assez gros. Malgé tout, sa
langue est de bon aloi, sa syntaxe impeccable. Son
style, un peu bariolé, est moins empâté que celui
de Huysmans, avec quiilofl're de nombreuses ana-
logies. — Notons que le Désespéré est antérieur
aux romans catholiques de Huysmans. Un large flot
d'air et de lumière circule dans cette prose drue et
limpide. C'est du français. Le temps enfoncera sans
doute dans l'oubli les malédictions de Léon Bloy. Il
devrait respecter les pages vibrantes ou émues
qui abondent dans le Désespéré et dans la Femme
pauvre. — Maurice Enoch.
Cales de balage ou slip-'ways {slip'-
oué). Les événements actuels font un peu dure-
ment comprendre au public de notre pays combien
est primordiale la nécessité d'assurer le développe-
ment de la marine marchande qui, pendant la paix,
est un des éléments les plus actifs de la prospérité
cessaires et le plus rapidement possible. Chaque fois
que la coque est à réparer, le navire doit être mis
à sec et entrer dans une forme de radoub ou dans
un dock flottant. Les installations de ce genre sont
fort coûteuses, et leur construction peut être longue;
on s'explique assez bien que tous les ports de nos
côtes n'en soient pas munis ou que celles qui exis-
tent puissent devenir insulfisantes pour recevoir les
navires de forts tonnages. II aérait difficile d'enga-
ger partout les dépenses considérables qu'entraîne
la construction de formes de radoub ou de docks
llotlants répondant aux exigences du trafic local;
aussi a-t-ou songé, pour un certain nombre de nos
ports, â l'emploi d'un engin connu en Angleterre et
en Amérique sous le nom de slip-ways ou railway-
dry-dock et auquel nous avons donné en France
l'appellation de cale de hala^e.
Succinctement, cet engin se compose d'un chariot
mobile complètement aménagé, qui est descendu
dans l'eau k une profondeur suffisante pour que le
navire puisse y être échoué. Le chariot est alors
halé avec le navire, sur un plan incliné, jusqu'à
ce que sa plate-forme soit amenée bien au-dessus du
niveau liquide.
Le slip-way comprendra donc trois parties essen-
tielles : le chariot mobile, appelé aussi ber ou
berceau, le ptari incliné et l'appareil de halage.
Lorsque la quille du bateau repose sur le berceau
mobile perpendiculairement à la direction du plan
incliné, la cale de halage est dite transversale. Elle
est, au contraire, longitudinale si la quille est placée
suivant la direction de ce plan.
Les cales de halage peuvent être, en outre, à ber-
ceau glissant ou à berceau routant, suivant que le
chariot mobile se déplace en glissant sur une plate-
forme par l'intermédiaire de coulisses, ou se meut
au moyen de galets sur un plan incliné muni de
voies ferrées.
Berceau. — Le berceau doit être construit de
telle sorte que toutes les parties de la coque du ba-
teau qui y est échoué soient facilement accessibles.
Il doit présenter une disposition appropriée et une
répartition judicieuse des supports, de manière à
éviter au navire les elTorts qui seraient suscepti-
bles de le détériorer. L'ossature du berceau, en bols
ou en métal, est constituée par des pièces longitu-
dinales ou longerons, qui sont réunies par des tra-
verses. An-dcss\ts de la charpente, sont disposés les
appuis nécessaires pour maintenir le navire. A cet
1.1»
330
effet, les longerons centraux servent de supports à
une série de lins en bois dur, sur lesquels vient re-
poser la quille au moment de l'échouage sur le
berceau.
Il est à remarquer que, depuis le moment où le
LAROUSSE MENSUEL
saire pour loger une crémaillère dont nous avons
défini le rôle plus haut.
Appareils de halage. — Le balage des berceaux
se fait au moyen déchaînes ou de câbles qui sont
enroulés sur des c.ibestans, des treuils à vapeur ou
Cale de balago longitudinale
Nt au l»remief iil:tii If
i tins et deux lignes lat<
brion commence à porter sur les lins et tant que la
quille ne s'y appuie pas tout entière, l'équilibre du
bateau est inslaljle. 11 est donc nécessaire qu'il soit
maintenu par des haussières reliées à terre.
Le bateau doit, d'autre part, être soutenu à droite
et à gauclie sur ses flancs, avant qu'il ne sorte de
l'eau; les moyens d'nccoj'aje qui remplissent cette
fonclion doivent être établis pour fournir au navire
un appui sensiblement équivalent à celui qu'il rece-
vait de la masse liquide qui enveloppait sa coque.
Gesdisposilils sont généraleniont constitués par des
sous-ventrières oncoins, glissantsurdes plaques de
fer qui recouvrent les faces supérieures des tra-
verses d'ossature du berceau. Un linguet porté par
la tèle de ces coins peut s'engager dans une cré-
maillère de façon qu'ils ne reviennent pas d'eux-
mêmes en arrière. La queue de chanue coin est
munie, en outre, d'un piton d'altaclie, u'oi'i part un
cordage qui, passant sous la quille entre deux tins,
se retourne de l'autre côté du berceau sur une poulie
de renvoi et, finalement, remonte s'attacher sur
l'extrémité supérieure d'un potelet en bois on enfer
(Ixésurlatraversineets'élevant au-dessus (lu ni veau de
l'eau. Le câble doit être saisi par des hommes en
barque et porté au navire, d'où on le tire au moment
voulu pour amener la sous- ventrière correspondante
en contact avec le flanc du navire.
Sous la charpente du berceau sont disposés soit des
coulisses s'il s'agit d'im ber glissant, soit des sup-
ports d'essieu de galets s'il s'agit d'un ber roulant.
Ces galets sont beaucoup plus nombreux sous le
longeron central qu'au-dessous des longerons laté-
raux, la majeure partie du poids du navire devant
se reporter sur les premiers. Sous les longerons
sont, en outre, disposés plusieurs linguets, qui peu-
vent venir s'engager dans des crémaillères du plan
incliné, afin de s'opposer lorsqu'ils sont abaissés à
tout mouvement de descente du chariot.
Plan incliné. — Le navire étant assis sur les
tins, la coque étant élayée par les sous-ventrières,
il s'agit de le faire remonter sur un plan incliné.
Cette partie de l'engin doit être établie suivant
une inclinaison qui varie de O^.O" à O^.OS par mètre
pour les cales à ber glissant et de 0",05 à O^jOe par
mètre pour les cales à ber roulant.
Les voies de glissement ou de roulement sont
supportées par des pilotis ou par une plate-lorme
continue en béton. Il est nécessaire, en tout cas,
que ces fondations soient suffisamment .solides pour
ne subir aucun fléchissement lorsque le poids du
navire s'y appuie. La partie immergée du plan in-
cliné, qui porte le nom d'avant-cale, doit être assez
longue pour soutenir le bateau jusqu'à ce qu'il ait
atteint son tirant d'eau normal. S'il en était autre-
ment, le navire, en abandonnant le plan incliné,
plongerait et se relèverait briisqueftient, pouvant
ainsi donner des coups dangereux sur l'avant-cale.
Les plans inclinés pour ber glissant sont munis de
glissières. Pour les bers roulants, lorsqu'il s'agit
d'une cale longitudinale, les voies ferrées sont gé-
néralement constituées par quatre rails parallèles ; les
deux rails du milieu sont très rapprochés l'un de
l'autre et ne laissent entre eux que l'espace néces-
Iri'Mil; .-m .,.>0.u]i4 |.hui. 1.
îrales de sous-ventriercs.
électriques, ou sont lires par des presses hydrauli-
(|nes à moufles.
Installations existantes, — Un certain nombre de
cales de halage fonctionnent en France.
Nous citerons d'abord celle de Bordeaux, qui est
du type transversal à berceau glissant. Le plan in-
cliné est constitué par 53 longrines reposant sur des
N' 131. Janvier 1918
dimensions moindres qui font la « petite pêche ».
Le plan incliné, qui est établi suivant une pente de
l/20«, comporte une solide plate-forme en béton, sur
laquelle sont posées quatre lignes parallèles de rails
sur 190 mètres de longueur; les deux rails extérieurs
sont à 6 mèlresd'axe en ave; les deux rails centraux
sont très rapprochés l'un de l'autre, ne laissant
entre eux que l'espace nécessaire pour loger une cié-
maillère, qui ne doit exister, d'ailleurs, que sur une
longueur de loo mètres à partir du haut de la cale.
Le chariot mobile se compose de deux berceaux
de 40 mètres et 30 mèlres de longueur, pouvant être
accouplés ensemble de façon à fournir une longueur
totale utilisable de 70 mètres. Ces bers sont suréle-
vés à l'arriére pourqu'un bateau ayant un tirant d'eau
de lm,;iO à l'avant et de 3"',10 à 3"», 20 à l'arrière
puisse être halé à mer haute. L'ossalure métallique
de chaque berceau comprend une poutre centrale en
caisson à section varialile, supporlant la ligne de
tins, et deux poutres latérales également en caisson.
Ces longerons sont réunis par des traverses prin-
cipales au nombre de cinq pour le grand ber et de
trois pour le petit. Ces traverses portent les sous-ven-
trières à coins glissants; l'ossature est complétée
par un ceitain nombre d'enlretoises secondaires,
formant soli\ âge. Sous les poutres centrales, sont
fixés respectivement 6.'i et 46 supports d'essieux,
correspondant à 220 galets; il y a, en outre, 8 lin-
guets pouvant s'engager dans la crémaillère du
plan incliné; sous les poutres latérales, sont fixés
32 et 24 supports d'essieux, avec 56 galets. Ces
galets ont 30 centimètres de diamètre.
L'effort de halage a lieu directement au moyen
d'un cable en deux parties, qui vient passer sur
une poulie, dont la chape est fixée solidement au
point de jonction des deux berceaux. Ce câble a
203°'/"' de circonférence, sa résistance correspond
à une charge de rupture de 202 tonnes; ses deux
extrémités viennent s'enrouler sur le treuil autour
de deux tambours de l'n,20 de diamètre, munis de
rainures hélicoïdales en sens inverse. Le treuil est
actionné éleclriquenient par un moteur à 550 tours;
la démultiplication est obtenue par des engrenages
répartis sur cinq arbres; la vitesse de halage sera
de OIS""/"", par minute pour les charges maxima et
de 1°',80 pour les charges légères.
Les cales de halage (slip-vmys) constituent des
engins très précieux, qui ont l'ait leurs preuves. Ils
r de halage longitudinale. — On voit au [ireiuier jl i
un navii'c maûcouvre pour venir
,;.: ' ics rails et leschaînes de traction ;
i é'clioucr sur le berceau, qui est immerge.
pieux et support ant des glissières sur lesquelles porte
le berceau mobile. Les coulisses de ce ber sont elles-
mêmes formées par deux rails Brunnel juxtaposés,
réunis par des traverses. Le frottement n'étant pas
le même partout, il est nécessaire, pour obtenir un
avancement parallèle du chariot, d'avoir recours à
un cible compensateur de disposition fort ingénieuse.
A lloueii, il existe aussi une cale en travers à ber-
ceau glissant, qui offre celle particularité que des
galets sont interposés entre les rails du chariot et
ceux du plan incliné.
Gomme exemple de cale longitudinale à ber rou-
lant, nous citerons celle qui est actuellement en
construction à Fécamp. Elle pourra recevoir des
bateaux de 1.000 tonnes, ce qui est suffisant pour
répondre aux exigences locales de ce port, où il
s'agit surtout d'avoir un engin permettant de faire
les réparations nécessaires aux trois-màts moru-
tiers revenant de Terre-Neuve et à des bateaux de
conviennent surtout pour les petits tonnages, bien
qu'à l'étranger on en ait construit de très impor-
tantes (5.(100 t. à Gardiff, 3.500 t. |à Copenhague,
3.000 t. à Neweaslle, Gardiff, Halifax, 2.500 t. à Hull
et Newcastle). Leurs avantages résident principale-
ment dans lécoiioinie de construction et la rapidité
de mise à sec du bateau; dans certains slip-ways
récents, le halage peut être exécuté en une heure,
ce qui laisse dans une journée au moins six heures
pour le travail de réparation. La force motrice dé-
pensée serait également beaucoup moindre que celle
qui est nécessaire pour réaliser et entretenir l'as-
sèchement d'une forme de radoub. Enfin, la pos-
sibilité d'établir les slips de manière à pouvoir
faire remonter la plate-forme du berceau jusqu'au
niveau du sol environnant donne des facilités
considérables d'accès et de travail, notamment
pour la manutention des matières et de l'outillage
servant à la réparation. — o. Liinel et o. Dobosc.
«• J3) Janvier 1918.
Cambon (Ju/e«-Martin), administrateur et di.
nlornale français, né à Paris le 5 avril 1S45, et frère
cadet de l'aiilre ambassadeur, Paul Cambon. On peut
(lire des Cambon qu'ils ont donné le rare exemple
lie deux frrres suivanl la môjne carrière, marchani
parallèlement dans une voie identique et s'y dis-
tinguant au même degré en servant leur pays dans
des circonstances que les péri-
péties des temps où nous vi- - ...-_.-
\ons rendirent parfois singu
lièrement difficiles.
Comme son aine, Jules Cam-
bon, élevé au lycée Louis-le-
Grand, .se destinait au barreau;
nous le trouvons en 1870 secré-
taire de la Conférence des avo-
cats. Mais la guerre survient,
et il y remplit tout son devoir
de bon Français en qualité de
capitaine au 2« régiment de
moIjiles.Ccstde là qu'il aborde
la carrière administrative. Au-
diteur au conseil d'Etat en
1871, il entre, en 1874, dans les
services du gouvernement gé-
néral de l'Alfi-érie. 11 est préfet
de Conslantine en 1878, puis,
tour à tour, délégué du gouver-
neur général à la commission
chargée de l'organisation de
notre colonie, secrétaire géné-
ral de la préfecture de police
au mois de lévrier 1879, préfet
du Nord en 18S2, préfet du
Rhône en 1887 et, enfin, place
à la tête du gouvernement de
l'Algérie en 1891. 11 y reste du-
rant six années, prenant part
dans la Chambre, comme com-
missaire du gouvernement, à
toutes les discussions aux-
quelles donnent lieu la recons-
titution de l'Algérie et la sup-
pression du sysième dit <• du
rattachement » qui centralisait
4 Paris les affaires de lacolunie.
Encore aujourd'hui, le souve-
nir des améliorations intro-
duites par lui dans nos affaires
coloniales n'est pas oublié.
Son passage au gouverne-
ment de l'Algérie était une pré-
paration utile à la carrière di-
plomatique, car toutes les ques-
tions musulmanes avaient dû
être traitées par lui, et il s'était
notamment mis en rapport avec le grand chérif de
l,a Mecque. — Désigné pour occuperun grand poste,
il est nommé, en octobre 1897, ambassadeur de la
République française aux Etats unis d'Amérique.
Rien encore, si ce n'est son brillant passé, ne
permettait de prévoir ce qu'il serait dans ses nou-
velles fonctions. Mais on put deviner bien vite qu'il
leur donnerait le même éclat que dans celles qu'il
avait déjà remplies. Six mois après qu'il eut pris
possession de son poste, la guerre entre la Répu-
blique américaine et l'Espagne éclatait : elle dura
peu de temps; les deux adversaires, l'Amérique
viclor'euse et l'Espagne vaincue et réduite à la dé-
fensive, avaient bâte d'en finir avec une situation
douloureuse. Le président Mac-Kinley, dont la po-
litique avait rendu la guerre inévitable, n'était pas
homme à y persévérer, alors qu'en la prolongeant
il ne pouvait en obtenir de plus grands avantages.
Roosevelt se plaisait à dire de ce président qu'il
avait un éclair de chocolat à la place de la colonne
vertébrale, comparaison assez piquante, appliquée à
un homme qui avait engagé résolument les hosti-
lités, encore qu'il fiit, par nature, le partisan des
solutions pacifiques et l'ennemi de la violence.
La reine-régente d'ICspagne était encore plus que
lui avide de paix et cherchait le moyen de le lui
faire savoir. D'accord avec ses mmistres, elle
recourut à l'intermédiaire du gouvernement fran-
çais et lui fil demander s'il voudrait intervenir à
Washington pour faire ouvrir des négociations. Le
cabinet de Paris ne pouvait répondre à cette requête
qu'après avoir consulté son ambassadeur, et c'est de
celui-ci que dépendait la décision à prendre.
Au début de la guerre, la France et l'Autriche
s'étaient chargées de la protection des intérêts espa-
gnols aux Etals-Unis et, dans ce pays, le caractère
de cette protection n'avait pas été très bien compris.
On inclinait à croire que les deux gouvernements
protecteurs étaient les alliés de l'Espagne et, à tout
instant, la presse locale leur reprochait — accusation
sans fondement — de ne pas observer une neutralité
rigoureuse. Ce grief ne s'aggraverait-il pas si la
République française devenait le porte-parole du
cabinet de Madrid? Cependant, tout bien pesé,
l'ambassadeur de France se déclara prêt à se char-
ger de la mission qu'on lui demandait d'assumer et
dont le succès pouvait faire tant d'honneur à notre
pays. Quelques jours plus tard, il recevait de Ma-
LAROUSSE MENSUEL
drid une lettre de la reine-régente, destinée au pré-
sident Mac-Kinley et par laquelle cette souveraine
demandait à conclure la p:iix en désignant Jules
Cambon comme son mandataire : le représentant de
l:i République française devenait ainsi en quelque
sorte un ambassadeur espagnol, fonction aussi dé-
licate qu'imprévue, en laquelle il allait accroître aux
■iiriffiiJB*
Cale de haïa^e tunguuuiQiiie. -- Le ualeau, a sec, csl en eours de reparaiion.
Etats-Unis le prestige de la France et révéler avec
éclat son habileté diplomatique. Les négociations
s'ouvrirent dès le lendemain : elles donnèrent lieu
à des débats ardents et passionnés, mais il suffit de
douze séances pour les faire aboutir. Le 12 août 1898,
la paix était signée. Les résultats qu'avait obtenus
le négociateur lui assuraient la gratilude du gou-
vernement espagnol et la haute estime du gouver-
nement américain, en même temps qu'ils le plaçaient
an premier rang de la diplomatie mondiale et don-
naient à son nom un prestige exceptionnel.
On ne saurait donc être surpris de l'accueil qu'il
reçut à Madrid lorsque, à la fin de 1902, il fut appelé
à représenter la France dans ce poste, que son frère
avait occupé avec distinction et où son souvenir
n'était pas effacé. Le séjour de cinq années que
.Iules Cambon lit en Espagne acheva de mettre en
lumière les qualités et les mérites par lesquels il
s'était distingué à Washington; on savait mainte-
nant tout ce qu'on pouvait attendre de lui. En 1907,*
l'ambassade de Berlin étant devenue vacante et, les
affaires du Maroc exigeant la présence auprès de la
cimr impériale d'un diplomate d'expérience, de sa-
voir-faire et d'autorité, on confia à son patriotique
dévouement la direction de ce grand poste. Son
frère à Londres, lui eu Allemagne, Barrère à Rome,
.lusserand aux Etats-Unis, les intérêts internatio-
naux de la France étaient en bonnes mains.
Notre ambassadeur a résidé à Berlin pendant sept
années, qui peuvent être considérées comme les plus
remplies et les plus émouvantes de son existence
diplomatique. Qimique les affaires du Maroc eussent
déjà pesé lourdement sur les relations des deux
cabinets, il y fut reçu avec une courtoisie qui ne
laissait rien à désirer. Guillaume II la lui témoigna
eu lui rappelant les négociations de Washington et
en le félicitant du riile qu'il y avait tenu.
Du reste, jusqu'au jour oùs'annoiiça la guerre, Jules
Cambon n'eut qu'à se louer des procédés dont il était
personnellement l'objet. Mais il ne se dissimulait pas
ce qu'ils voilaient d'irritation, de ressentiments, de
convoitises et, pour tout dire, de mauvais desseins.
Les rapports qu il adressait à son gouvernement, ceux
qu'on peut lire dànsle Livre Jaune relatif aux négo-
ciations de 1911, aussi bien que ceux qui n'ont pas
été publiés, attestent sa clairvoyance et la sagesse de
ses prévisions, non moins que la fermeté qu'il a dé-
ployée alors dans la défense des intérêts de son pays.
331
Ce qui caractérise ces rapports, c'est que les dis-
cussions dont ils rendent compte sentent souvent
la poudre. Que l'ambassadeur discute avec le chan-
celier von Bethmann-lloUweg ou avec le secrétaire
d'Etat von Kiderlen, on devine que le cabinet de
Berlin ne pardonne pas à la France de ne pas vou-
loir lui permettre de prendre pied au Maroc et d'y
établir I hégémonie qu'elle cherche à s'assurer par-
tout dans le monde. En ces années que les menaces
il peine cachées sous les paroles rendent aussi tra-
giques que la guerre elle-même, le diplomate fran-
çais peut croire à tout instant qu'elle va éclater. En
plus d'une circonstance, et notamment dans le cou-
rant de juin et de juillet, lors de notre installatiuu
à Fez, où nous avait appelés la protection de nos
nationaux, et lors de l'envoi d'un navire allemand
à Agadir en 1911, les entretiens de l'ambassadeur
de France avec le secrétaire d'Etal, von Kiderlen,
se déroulent sous l'inlluence d'un péril que l'un et
l'autre devinent imminent; surtout lorsque Jules
Cambon, pour couper court à des questions in»i-
dieuses, à des suggestions perfides, déclare nette-
ment que la France est résolue à rester politique-
ment maîtresse de la zone d'action qu'elle occupe
dans les pays africains. On dirait d'un duel; dès le
début des négociations, les propos qui s'engagent
donnent l'impression d'un croisement d'épées.
Jo vous ait décrit l'état d'esprit do mon pays, dit l'am-
bassadeur de Franco ; si vous ne voulez pas en tenir compte.
il est inutile que nous causions. Oui, s il est dans vos vues
d'avoir quelque part du Maroc, il vaut mieux no pas com-
mencer la conversation ; l'opinion, en France, ne 1 accepte-
rait pas sur ce terrain.
— C'est-à-dire que nous devons faire notre deuil du
Maroc, s'écrie Kiderlen.
— Dans l'intérêt de nos bons rapports, ne multiplions
pas les voisinages ; il n'est pas do pire querelle que celte
de murs mitoyens.
Que von Kiderlen se fût rebiffé, c'était la rupture.
Mais, oulre qu'à cette heure Gnillaume II n'était
pas résolu à la guerre, Jules Cambon, obéissant aux
instructions de son gouvernement, laissait entendre
que l'Allemagne pouvait trouver des dédommage-
ments ailleurs qu au Maroc.
Dès lors, l'éventualité de cessions territoriales an
Congo se trouvait posée, et c'est sur ce terrain que
les négociations allaient se poursuivre. Ce fut le
mérite de l'am-
bassadeur de
France de ne pas
les laisser s'en-
venimer et de
comprendre que,
même au prix
d'une portion du
Congo, il était
prudent de les
conduire à une
issuepacifique. A
expulser l'Alle-
magne du Maroc
sans la dédom-
mager ailleurs,
nouseussionsou-
vertleconililjsans
trouverpersonne
pour soutenir
notre cause, tant
notre prise de possession excitait les jalousies de l'Eu-
rope. Les concours que nous avons trouvés depuis
nous eussent fait défaut, même celui de la Russie.
Dureste.tandisqu'en Franceonconsidérailcomnie
dommageables pour nous les concessions faites à
1 adversaire, le parti militaire allemand déclarait que
l'.irrangement d'Agadir était une victoire pour les
Française! ime défaite humiliante pour l'.Mleniague,
et le ministre des colonies de l'Empire donnait avec
éclat sa démission. Seul, Guillaume II paraissait
satisfait. Le 1'"' janvier 1912, à la réception diplo-
matique, il disait à Jules Cambon :
On nous jette aiijourd'hui des pommes cuites, mais vous
verrez que, l'an prucliain, on nous dressera des statues
L'année suivante, le régime des pommes cnîfe>-
s'était à ce point aggravé que le kaiser, redoutant
d'être frappé d'impopidarité dans l'Empire au profit
du krouprinz, changeait d'accent; le l""janvierr,U3.
il apostrophait notre ambassadeur en ces termes :
■Voici vingt-cinq ans, monsieur l'ambassadeur, quo jo
tends la niam À la Franco et qu'elle me la refuse.
11 était déjà sur le chemin de la guerre et, au mois
de novembre suivanl, il en faisait l'aveu au roi des
Belges, en ajoutant qu'il " était silr de vaincre ».
Quelques mois après, en avril 1914, dans une con-
versation intime, le secrétaire d'Etat von Jagow,
qui avait succédé à von Kiderlen, faisait part à .Iules
Cambon des vues de l'.Mleinagne sur les petites n.n-
tions, qui, suivant la doctrine impériale, devaient de-
venir des vassales des grands empires, ou disparaître.
En présence de ces déclarations, l'ambassadeur
de France, convaincu que l'.Mleinagne préparait un
coup de Jarnac, s'efforçait d'en persuader son gou-
vernement et de conjurer le péril qu'il envisageait.
Ses derniers efforts, & la veille de la guerre, témoi-
gnent de son dévouement à la cause de la paix.
.'ules Cambon.
332
Mais il se heurtait à ini parti pris dont von Jagow
se faisait l'organe, avec peut-être plus de mauvaise
foi et de perlidie que son prédécesseur. N'empêche
<iue notre aml)assadeur, en quittant Berlin au mois
«'août 1914, pouvait se rendre cette justice qu'il ne
s'était pas trompé sur les desseins du gouverne-
ment impérial et que, s'il n'avait pu prévenir le
cataclysme qui se déchaînait sur le monde, il l'avait
prévu et prédit.
Sa perspicacité ne pouvait qu'accroître la noto-
riété dont il jouissait dans la diplomatie européenne.
IClle l'a suivi dans la letraite où il passa quelques
mois après l'ouverture des hostilités, et à ce point
ou'appelé depuis aux l'onclions de secrétaire généi al
<iu ministère des affaires étr.mgères, il est mainte-
nant, aux yeux de tous, au même titre que son frère,
l'un des négociateurs qui seront désignés lorsque
s'ouvriront les conléreuces internationales en vue
•de la paix pour y représenter la France.
Si l'on veut se rendre compte de la notoriété dont
il jouit aujourd'hui dans les régions diplotnatiques,
il suffit de se rappeler l'hommage que lui a rendu
publiquement Ril)ot, le 12 orlohre dernier, à la
trihune de la Chambre des députés. Le ministre dé-
fendait nos diplomates contre des accusations qui
venaient de se produire et qui, pour une mince part
de vérité, contenaient des sévérités excessives. Il
fut ainsi amené h rappeler l'opinion professée à cet
égard par des hommes d'Etat étrangers qui s'étaient
montrés plus justes dans leurs appréciations sur la
diplomatie française que quelques-uns de nos com-
patriotes. Il raconta qu'à Berlin, un peu avant la
{fuerre, dans le salon de l'ambassadeur britannique,
où se trouvait Taft, l'ancien président de la Répu-
blique américaine, l'un des invités avait dit en le
«nontrant : «Voilà un homme! », et que le repré-
sentant de laGrande-Brelagne s'était écrié, en riant :
Si Jules Cambon était ici. vous verriez comment, en
remuant son petit doigt, il nous conduit tous.
.lainais hommage plus juste ni mieux mérité.
Ce n'est qu'une aneedole, continua Ribot, mais elle
tnontre en quelle singulière estime sont tenus nos ambas-
sadeurs et celui dont je parle. En peut-on citer un qui ait
«u plus do clairvoyance, de fermeté, qui ait mieux averti
son gouvernement, qui ait mieux rempli, dans toute leur
<Stendue, les devoirs d'un véritable ambassadeur?...
Il ne semble pas qu'on puisse rien ajouter à cette
louange, que justifient si bien les souvenirs que nous
venons d'évoquer. — Ernest Daudet.
cliysis ild-ziss) n. m. Genre d'orchidées van-
dées, originaires de la Colombie et du 'Venezuela.
— Kncyci.. l>es chysis, voisins des cyrtopodium,
sont des plantes épiphytes, à feuilles nervées, engai-
nantes à la base, à gi-appes latérales miiltiflores. On
■en connaît plusieurs espèces, dont trois
jirincipalement {chysis aurea, chi/sis
Ixvis et chysis hraclescens) sont cultivées
■dans les séi'res d'Kurope; on les élève en
'pots,daiiS un mélange de terre tourbeuse
•et de mousse rendue perméable par un
bon drainage. L'espèce aurea, remai--
<iuable par les macules briin orangé qui
marquent les pièces du périanthe et les
touches violettes du laliélle, était appelée
par lesorchidophiles coloiiiliiens <• gueule
du taureau rouge » {red buU's nioulli). Le
chysis liJBois a des fleurs plus grandes
qui; la précédente espèce; ces lieurs sont
jaunes, avec des taches d'un brun terne
sur le labelle. Quant au chysis brades-
cens, les fleurs en sont tout à fait diffé-
rentes ; les pièces du périanthe sont
d'un blanc lilial, tandis que le label est
jaune. — J. de Cuaon.
Courmont (Jules), médecin fran-
■çais, né à Lyon en 1865, mort dans cette
même ville le 25 février 1917. C'est au re-
tour d'une mission accomplie sur le Iront
■des armées britanniques que Jules Cour-
mont, qui était mobilisé depuis le début
■de la gueri'e, a été frappé dans son ser-
vice de l'Hôtel-Dieu de Lyon, au cours
d'une de ses visites quotidiennes, d'une
hémorragie cérébrale, à laquelle il a succombé le
lendemain, sans avoir repiis connaissance.
Professeur d'hygiène à la Faculté de médecine et
de pharmacie de Lyon, médecin des hôpitaux de
cette ville, membre correspondant national de l'Aca-
<iémie de médecine (1909), ancien commissaire gé-
néral de l'Exposition de Lyon (1914), vice-président
du conseil supérieur d'hygiène de France, officier
de la Légion d'honneur, JuIesGourmont était un des
maîtres de l'école lyonnaise actuelle, et ses travaux
lui avaient fait une place enviable dans le monde
scientifique, en dehors de la grande notoriété qui
était la sienne dans la ville oij il professait.
Les problèines de bactériologie et d'hygiène sont
ceux auxquels il a apporté la plus cfTective contribu-
lion. Ses études ont porté tout d'abord de préférence
sur l'action des toxines microbiennes introduites
dans l'organisme (toxine tétaniqiie, toxine diphtéri-
■quc,elc.)et surles vaccinations. 11 avait, notamment,
LAROUSSE MENSUEL
fait de fructueuses recherches sur les vaccinations
réalisables par la voie rectale. 11 s'adonna spéciale-
ment aux études sur l'infection tuberculeuse, recher-
chant les voies du microbe, identifiant des espèces
baclériennes nouvelles, étudiant, avec Dor, la tuber-
culose spéciale des poules et en tirant d'utiles con-
clusions pour la lutte contre l'infection humaine. 11
fut un des initiateurs, avec Nogier, de la stérilisa-
lion de l'eau par les rayons ultra-violets du spectre.
Les grands problèmes d'hygiène sociale étaient
une de ses préoccupations préférées. Il combattit
vigoureusement,
par des articles
de revue, par ses
coiu's , par des
conférences et
surtout par les
innovations pra-
tiques qu'il réali
sait avec un sens
aigu de l'organi-
sationnécessaire,
les grands fléaux:
la tuberculose,
I alcoolisme, la
dépopulation . I.'l
était dii'ecteurde
l'Institut Pasteur
de Lyon et avait
rempli, depuis le
début des hosti-
lités , les fonc-
tions de direc-
teur de l'hygiène dans les formations militaires et
sanitaires de la région lyonnaise, sans préjudice des
nombreuses missions de même ordre qui lui furent
confiées dans différents secteurs des armées.
J. Courmont laisse un nombreux bagage de publica-
tionsscientiflques, dontunebonnepartiedoit être cher-
chée dans les <( Comptes rendus » de l'Académie des
sciences, de l'Académie de médecine et de diverses so-
l'iétés savantes. Nous avons, en outre, de lui, un Prem
(le bactériologie, un l'riScis de microbiologie des ma-
ladies infectieuses des a7iimaux (en collaboration
avec Panisset)etun Précis d'hygiène (en collabora-
lion avec Lesieur etRochaix). — D' .Maurice oilix.
diatryma n. m. Nom d'un genre d'oiseaux
fossiles de l'Amérique du Nord, formant la famille
(les diatrymidés, de l'ordre nouveau des diatrymœ,
voisin des gastornithes.
— Encycl. Un squelette à peu près complet de ce
genre vient d'être découvert en 1910 par une mis-
sion du Musée américain d'histoire naturelle de
New-York, dans le bassin du Bighorn, affluent de
Df Jules Courmont.
a. Chysis aurea; (i. Chysis bractesccns.
droite du Mississipi, dans les couches de l'éocène
inférieur CWyoming). C'est le premier squelette
complet d'oiseau fossile que l'on trouve en Améri-
que, tous les autres oiseaux que l'on a découverts
n'étant représentés que par des fragments des mâ-
choires ou des membres poslérieurs. Cette décou-
verte nous dévoile une forme d'oiseau gigantesque,
tout à fait inattendue en Amérique.
Ce squelette (2"», 15) présente peu de rapports avec
les autres squelettes connus, fossiles ou actuels; les
genres les plus rapprochés sont les émous et les ca-
soars d'Australie et de la Nouvelle-Guinée, et spé-
cialement les genyornis du pléistocène d'.\ustralip.
Le crâne est énorme pour un oiseau, car sa lon-
gueur est de 42'^",5. Le bec est très fort, très gros.
Il a 22'='", 5 de long et 16 centimètres de hauteur à la
base. La mandibule inférieure est puissante et mas-
sive, car les deux maxillaires sont larges, fortement
unis à la symphyse. Elle se termine par une pointe.
N' 131. Janvier 1918.
Ge bec diffère de celui de tout autre oiseau moderne.
Le bec des perroquets s'en rapprocheàdivers points
de vue, mais il est toujours d'il ue taille beaucoup plus
faible, tandis que celui des toucans et des casoars est
d'un type tout différent. Le bec du diatryma rappelle
celui du géant phororhacus, du pliocène de la Pala-
goiiie. Ainsi que lui, il est sans dents et n'a pas d'al-
véoles comme on envoit sur celui de l'énorme gaslor-
nis, du cernaysien, du tertiaire inférieur des en virons
de Reims. Le bec du çent/ornis est aussi massir,mais
moins élevé et moins comprimé, car il rappelle plus
celui des drommus (émous). Les narines sont très
petites ; l'os carré est large, court et épais.
Les vertèbres sont courtes et extraordinairement
massives, quelques-unes manquent à ce squelette.
Ce sont celles qui sont indiquées en pointillé sur la
ligure. L'animal avait 13 ou 14 vertèbres cervicales
et 8 dorsales, portant des côtes larges et plates, plus
Squelette du diatryma.
§SJÊ
que chez le casoar. Elles avaient un tuberculum et
un capitulum bien séparés et ne portaient pas d'apo-
physes récurrentes comme chez les kainichis [pala-
medea). Le sacrum est malhcuieusement incomplet
et endommagé. A sa suite, on 'rouve neuf vertèbres
caudales en plus du pygostylo. La ceinture scapu-
laire ressemble à celle de l'éuiou et du casoar, sans
qu'il y ait alfinilé entre elles. L'humérus avait la
grandeur de celui du casoar, le radius était petit.
Ou ne possède pas le sternum ni les os du memliri'
antérieur, mais on peut tout de même conclure qu'il
était très réduit.
L'os iliaque est large et très long, suitout en ar-
rière de la cavité cotyloi'de, où se place la tête du
fémur. L'ilium et l'ischion sont soudes par ossifica-
tion; le pubis est très allongé. Cette ceinture pel-
vienne rappelle donc celle des cnriama ou seriamu
de l'Amérique du Sud. Le membre postérieur est
massif et doit être rapproché de l'emoii géant éteint
de l'Australie qu'on a appelé genyornis. 11 est plus
grand que celui du phororhacus et du gaslornis,
mais beaucoup plus petit que celui du moa géant
(dmornis maximus). On possède les deux fé-
murs, un tibia et un péroné complet, et la plupart
des osselets des pieds. Le fémur est massif et a
37"", 5 de long; le tibia en a 66, tandis que le pé-
roné est petit et très court. Le diatryma avait quatre
doigts inégaux, les moas en avaient trois égaux.
Ce squelette entier mesure 2'",1.t de hauteur. Donc,
le diatryma était un oiseau gigantesque, terrestre,
ayant des ailes trop faibles pour le vol. Il avait une
tête énorme, courte, attachée au corps par une nu-
que massive, forte, contrastant avec celle des ra-
tites actuels : autruches et nandous et même des
moas. Le corps et les membres poslérieurs étaient
gros et lourds. La figure ci-dessus donne la restau-
ration probable de ce curieux animal, dont les
plumes rappelaient celles du casoar.
Le diatryma n'a pas de rapports avec les oiseaux
à dents du crétacé américain : Vhesperortiis, qui se
rapproche des grèbes, des plongeons, et Yichthyor-,
nis, voisin des fous, des cormorans et des frégates.
Ni les pingouins, ni les drontes ne présentent de
caractères de comparaison avec lui.
Le diatryma ne présente des rapports de parenté
qu'avec le genre moderne cariuma du sud de
l'Amérique, qui est regardé comme un type pri-
mitif de carinates et qu'on place dans le groupe
des gruiformes. Par sa taille, sa gros.se tête, son
gros bec comprimé, il rappelle le phororhacus de
Patagonie,et il est probable que ces oiseaux avaient
les mêmes mœurs, puisque ses vraies afflnités le
rapprochent non des ratites, mais des carinates,
dont il parait être dérivé. Pour ces raisons, ce
genre bizarre mérite donc de former un ordre à.
part, celui des diatryniiE.
«• 131. Janvier 1918
Ce genre comprend trois espèces, trouvées dans
l'éocène inférieur des monlsWasatch du Nouveau-
Mexique et dans celui du Wyoming. Les deux pre-
mières ont été établies sur des fragmînts de méla-
larsiens (diatryma gif/atilea et ajax); la troisième
{diati-yina S.eiiu) seule est connue par un squelette
complet. Son œuf n'a pas été découvert, mais la
Restauration du diatryma.
aille fait supposer qu'il devait avoir presque la
grosseur de celui de l'aîpiornis.
Celle découverte importante, complétant celles
déjà faites, montre que, dans les temps tertiaires, ont
vécu un grand nombre de genres d'oiseaux dérivés
des groupes primitifs du mésozo'ique, qui, de même
que les mammifères placentaires, par des dilTéren-
ciationsprogressives, produites par des causes simi-
laires, ont condai t aux ordres actuels, puis aux genres
actuels et, finalement, aux espèces de noire époque.
On a dit que les temps tertiaires sont l'ère desmammi-
féres placentaires; on peut donc tout aussi bien dire
qu'ils sont l'ère des oiseaux. — A. ménéoaui.
D'un jour à l'autre, comédie en trois actes,
en prose, par Francis de Croisset, représentée pour
la première fois à la Comédie-Française le 13 no-
vembre 1917. L'action se passe près d'Elbeuf, au
rhàteau de M. Chardin, dans un salon qui donne
de plain-pied sur le parc. C'est le 31 juillet 191 4, an
malin. M. Chardin, compositeur amateur, joue au
piano une valse qu'il vient d'achever et qui est d'un
art très inférieur. Mais ilest très passionné de mu-
sique et, quand il entend la sonnerie du téléphone,
il la localise sur la gamme des sons : ré, ré, ré, ré.'
Sa femme, M""' Chardin, née de Sérignan, est oc-
cupée d'elle-même et de sa sanlé; elle est une ma-
lade imaginaire, et elle se découvre plusieurs mala-
dies tous les jours. Ce malin-là, elle a noté sur son
carnet 94 élernuements, et elle a diagnostiqué le pa-
ludisme. Elle est traitée par le docteur du village,
un brave homme, pauvre, socialiste et honnête, le
D' Marinois, qui arrive pour ausculter sa robuste
malade. Celle-ci, pour le recevoir, revêt un peignoir
médical et se fait apporter un choix de fioles, ther-
momètres, loutàfait ridicule. D'ailleurs, ces détails,
qui occupent le début de la pièce, n'auront pas
d'écho dans la suite, et on les oubliera.
M. et M"i« Chardin attendent l'arrivée de leur
fille Marthe. Celle-ci a été mariée à M. Robert de
Vrécourt, un liberlin qui l'a rendue malheureuse.
Elle a divorcé, et elle rentre de Rome, où elle a ad-
miré les musées et obtenu du 'Vatican l'annulation
de son mariage. Elle est à présent libre et dispo-
nible, un peu désœuvrée. Mais, dans les conversa-
tions de la rue, les bruits de guerre ont pris con-
sistance, et le tambour annonce l'ordre de mobili-
sation. Marlhe a retrouvé chez elle un grand ami
d'enfance, le fils du D"' Marinois, André : il doit
rejoindre dès le lendemain et, puisqu'il va partir, il
se décide à faire à Marlhe l'aveu de son amour,
qu'il avait toujours refoulé parce qu'il est pauvre. Il
part, et il assure Marthe que son image le suivra
parmi les dangers et soutiendra son courage. Le
père Marinois, qui arrive alors, désapprouve son fils,
dont celte passion lui semble déplacée dans la mo-
destie de leur situation. M"" Chardin, inquiète sur
le sort de son château de Sérignan, qui est près de
la frontière de l'Est, y emmène son mari et sa fille.
Au second acte, la guerre dure depuis deux ans
et demi. Le chàleau de Sérignan a été réduit en
ruine. Les Chardin sont revenus dans leur pro-
priété d'Elbeuf. Quand la toile se lève, ils héber-
gent un aviateur anglais d'une belle humeur comique.
Il appelle « dr6lesde petits cailloux »les vénérables
pierres qui sont tout ce qui reste du château de
Sérignan et, en partant, il charge M™' Chardin de
ses devoirs pour • votre fille qui est si excitante «■
LAROUSSE MENSUEL
Marthe s'ennuie. Elle fréquente les hôpitaux, et
elle va à Rouen, pour s'étourdir, déjeuner avec des
officiers. Elle voudrait avoir des enianls à donner à
la France. Son frère, Jérôme, est un inulile, un
réformé. Le désœuvrement de la jeune femme va
soudain trouver de l'occupation.
C'est d'abord la nouvelle que son ex-mari, Robert
de Vrécourt, s'est batlu vaillamment, a été blessé à
la tête, a été décoré.
M. Chardin l'a rencontré, et il voudrait le récon-
cilier avec Marlhe. 11 le ramène chez lui. Robert se
montre très empressé et très galant auprès de la
jeune femme dont il n'est plus le mari. Celle-ci est
d'abord sufi'oquée, puis amusée et intéressée. Elle
ne renvoie pas Robert, qui reviendra.
Un second flirt vient l'occuper : un ami de son
frère, un industriel, Michelot, qui adore Marlhe en
silence, avec la gaucherie timide du malchanceux
qui ne connaît ni la fantaisie, ni la poésie; un
homme calme, que le dimanche dérange dans ses
habitudes de régularité et de travail. 11 déclare sou
amour à Marlhe et lui propose le seul bonheur dont
il dispose : un bonheur sérieux, sans distraction.
Je vois cela, dit Marthe, un bonheur qui no me fera
aucun plaisir.
Après Michelot, c'est André Marinois qui sur-
vient. Et c'est à cause de lui que Marlhe est ner-
veuse, agacée. 11 n'est bruit dans le pays que de la
conduite prudente d'André, embusqué à l'abri, loin
du front. Marlhe l'aurait voulu plus héro'ique, el
elle le lui dit. André pâlit à ce reproche comme
sous une injure. II s'irrite de ce que Marthe n'ait
pas eu assez d'amour pour deviner la vérité. La
mère d'André est gravement malade; une émotion
peut la tuer. C'est pour elle que le D" Marinois
a fait propager dans le pays le mensonge de l'em-
buscade. En réalité, André s'est battu bravement,
et il a été l'objet de trois belles citations. A cette
nouvelle, Marthe, heureuse, désabusée, dit toute sa
joie et sa fierté. En parlant pour la guerre, André
lui avait demandé un baiser : qu'il le prenne, elle
le lui donne. Mais le jeune homme, dépilé, n'en
veut plus. Il ne se sent pas aimé, mais seulemenl
admiré. C'est trop peu.
I..e baiser que vous m'offrez, jo l'ai déjà reçu. — De
qui? — De mon général !
Le troisième acte apporte la résolution des trois
intrigues de Marthe.
D'abord Michelot. Il est devenu un nouveau riche.
Les Chardin sont ruinés. Le fils, Jérôme Chardin,
soutient le candidat, dont il deviendrait l'associé.
Marthe consent : elle n'est pas rebutée par la gau-
cherie niaise de ce prétendant. Mais, quand elle
apprend que cette grosse fortune est l'œuvxe de lu
guerre, qui ruinait et endeuillait les autres, tandis
qu'elle enrichissait Michelot, elle le congédie.
Avec son ex-mari Robert, qui devient pressant el
galant, elle ne sait que résoudre, et elle subit le
charme de ce séducteur habile, qui a réveillé leurs
souvenirs de lune de miel.
Le séducteur sera vaincu par son rival et par le
vieux docteur, qui, cette fois, estime que Marlhe
ruinée n'est plus au-dessus de son fils : ils sont
dignes l'un de l'antre. Marinois use d'un conte allé-
gorique des Mille et une Nuits pour faire com-
prendre à M. de Vrécourt que son flirt manque di'
noblesse. Celui-ci se trouve en présence d'André.
qui, dans une scène de bonne allure, oppose les
fêtards d'avant-guerre aux jeunes gens que la guerre
a jetés, dès leur entrée dans la vie, au milieu des
drames et des douleurs graves, leur apprenant tout
le sérieux de la souffrance, de l'existence et de
l'amour : auprès de ces jeunes âmes ardentes cl
sincères, les petites amourettes de M. de Vrécourt
sont bien méprisables. Celui-ci le comprend et s'en
va pour ne plus revenir.
Marlhe et André, demeurés l'un devant l'autre,
tombent dans les bras l'un de l'autre.
Celte comédie a de jolies qualités de détail. La
conduite en est un peu floltanle, le numérotage des
scènes, des entrées, des sorties manque parfois d'ai-
sance et de naturel. Le slyle est fin et agréable. Les
caractères principaux ont de la tenue : Vrécomt le
galanlin, André le jeune héros sans tache, Michelot
le filateur, qui traite l'amour comme un contrat de
laines. Marlhe oscille entre l'inquiétude nerveuse
et la tendresse. Les aulres caractères onl un relief
moins accusé. C'est l'œuvre d'un dramaturge expert,
qui excelle à conduire de jolies scènes, et elles
abondent au cours de cet ouvrage, qui laisse une
impression charmante. — Wo claektib.
I^es principaux rôles ont été créés par : M"" Blanciie
Pierson iM"' Chardin mère). M"' Leeonlo (JtJarthe),
M.M. G. Béer (Michelot), R. Duflos (rfe Vrécourt). Siliiot
{Chardin), Léon Bertrand (Marinais), Le Roy (Aurfrc').
France devant l' Allemagne (la),
par G. (jlemenceau (Paris, 1916). — Sous ce titre.
G.Clemenceau a rassemblé un certain nombredeses
articles de l'Homme libre el de l'Homme enchaîné.
C'est généralement une redoutable épreuve pour
des articles de journaux que d'être réunis en volume.
Ecrits au jour le jour pour commenter le fait qui
333
passe, pour souligner la préoccupation du moment,
ils sont voués, le plus souvent, à une destinée
éphémère et perdent leur intérêt, dès qu'ils cessent
d'êlre soutenus par l'actualité qui les a inspirés. Ce
péril, à vrai dire, était très atténué en la circons-
tance : pour être vieilles déjà de plus de trois ans,
ne sont-elles pas toujours présentes el actuelles,
les émotions qui font, depuis août 1914, toute notre
existence? Ce sont ces émotions qui revivent dan.s
les pages de G. Clemenceau, reflétées par un tempé-
rament très impressionnable, que rien ne laisse indif-
férent et qui garde, en dépit de l'âge, des qualités
véhémentes dejeunes.se. L'auteur est même remonté
plus haut. Les premières pages de son livre nous
offrent des fragments de discours et d'articles, datés
de 1908 à 1913, où G.Clemenceau dénonçait déjà les
visées de l'Allemagne, la montrant
conduite, par une fatalité à la<)uelle il lui est impossible
de se dérot)er, à exercer sur ses voisins une pression telle
qu'ils devront lui accorder tout au moins les facilités éco-
nomiques dont elle a besoin.
C'est celle claire compréhension de la mentalité et
de la politique allemandes, basées l'une et l'autre sur
le culte de la Force, qui fit de G. Clemenceau un chaud
partisan de la loi de trois ans.
Sous prétexte de se garantir contre notre agression
(êcrivait-il en 1913). l'Allemagne n'en continuera pas moins
SCS entreprises de surarmomont, jusqu'au jour qu'elle
croira propice pour en finir avec nous. Car il faut être vo-
lontairement aveugle pour no pas voir que sa fureur d'tié-
gémonie, dont l'explosion ébranlera tout le continent euro-
péen, la voue contre la France à une politique d'exter-
mination.
Aussi s'élevait-ilcontre la « puérilité du pacifisme »,
contre ce rêve imprudent d'u un brusque retour, sans
cause déterminée, aux senlimenls de fralernité hu-
manitaire ». Aussi s'indignai t-il de toutes les mesures
qui pouvaient restreindre notre effort militaire :
Je veux bien donner trop à la défense nationale (décla-
rait-il); je me refuse le droit de lui donner, pour si peu que
ce soit, moins qu'il n'est nécessaire.
Qu'on ne cherche point, dans ce rappel d'articles
et de discours anciens, une intention d'apologie
personnelle. Ce serait mécoimaitre à la fois le carac-
tère de G. Clemenceau et la pensée qui l'a guidé dans
la constitution de son volume. S'il a rappelé quelques-
ims de ses écrits d'avant-guerre, ce n'est pas pour
tirer vanité de sa clairvoyance.
Je n'ai besoin {a-t-il dit) ni de critique, ni de louange.
pour aller tout droit mon chemin.
Mais il a jugé que les pensées qui y .sont exprimées
étaient celles de la majorité de la nation et qu'elles
concouraient à préciser la figure de la France, con.s-
riente et résolue en face de l'.MIemagne menaçante.
L'intention se précise encore du fait que, dans les ar-
ticles rassemblés, on chercherait vainement trace de
ces discussions d'oi-dre inlérieur, de ces critiques
dont G. Clemenceau, à l'ordinaire, n'est point mé-
nager. C'est, si l'on ose dire, du (Jemenceau expurgé,
ce qui ajoute d'ailleurs un attrait nouveau à ces pages
si intéressantes déjà, en tant que commentaire des
cvénements de la guerre. On a l'habitude — à qui
la faute? — de voir surtout en G. Clemenceau le
polémiste, le conlradiclpur inlassable, chez qui l'es-
prit d'opposition va parfois jusqu'au système et dont
la combativité s'alimente d'un perpétuel méconten-
tement. Ouvrez ce livre; vous vous trouverez soudain
en présence d'une âme, cerles, toujours vibrante et
pa.ssionnée, mais dont la passion a pour support ex-
clusif le patriotisme, en même temps qu'elle enve-
loppe une pensée d'une haute portée philosophique.
Et voici un autre Irait non moins curieux : De quoi
est faite la philosophie de cet esprit, qui apparaît
à beaucoup comme un destructeur? De traditiona-
lisme et d'idéalisme !
La première loi des peuples (écrit G. Clemenceau) est
la nécessité de défendre l'tiéritage de l'histoire.
Ainsi affirme-t-il neltement son attachement à la
tradition. Il l'affirme encore par de constants rappels
ihi passé et des aienx : c'est au nom des aïeux, qui
souriront d'êlre égalés par des enfanis, qu'il salue
l'enthousiasme des jeunes classes; c'est dans le sou-
venir des aïeux qu'il voit le stimulant de notre
énergie :
Nos morts, nos grands moi;^, cette illustre porssièrc
dont nous sommes pétris, c'est pour ceux du ]»assé comme
pour ceux de l'avenir que nos fils sont an coml>at.
N'est-ce pas la continuité des sacrifices qui subs-
titue à la succession des temps un ordre de per-
manence?
Il est un passé qui demeure présent, et c'est aux toml>cs
lies grands morts que la silencieuse pensée des vivants
l'a lixé.
Certes, ce ctilte de la tradition ne va pas sans de-
voirs, car :
La gloire du passé n'est nno raison de vivre que si les fits
des grands ancêtres sont do taille à les égaler.
Mais quelle lumière d'idéalisme ne projette-l-il
pas, par contre, sur toutes nos conceptions ! Une
nation n'est plus une simple colleclivilé d'individus:
c'est une fiine, une âme de floraison diverse, jaillie
334
«l'un môme tronc séculaire, tordu par les âges, avec
«les racines dénudées qui plongent, en quêle de vie,
jusque dans la nuit des choses. Et quel sens profond
prend alors l'idée de Pairie I
La Patrie, mot mystique, qui tient l'iiomme enfermé
dans un cercle ma^'l(|uo de sentiments, de pensées, do
traditions écrites uu seulement soniies, dont il ne peut
pas, dont il no vont pas sortir, car une telle noblesse lui
vient dos prands aïeux que ce serait lélonie do n'en pas
garder le dépôt pour les générations à venir.
C'est à la clarté de cet idéalisme que G. Clemenceau
juge les comlilioiis et les péripéties de la lulle pré-
sente, qu'il nous montre le peuple IVanc-ais jiiillissaiil
Georges Clemenceau, président du conseil
et ministre de la guerre. — Phot. Dornac.
d'une pièce, plus grand et plus fort, silencieux, sou-
riant, avec des yeux chargés d'énergie invincible,
qui crient que l'histoire de France ne peut pas s'ar-
rêter; à ses côlés, l'Angleterre, qui a nolilemenl tiré
l'épée pour la dignité, dans l'indépendance, des peu-
ples de l'Europe; la Russie, dont G. Clemenceau
pouvait encore saluer « l'idéalisme et la volonté »
et, en face des trois grandes nations, un germa-
misme délirant de mégalomanie, qui prétend impo.-ier
au monde, lequel vent être libre, l'hégémonie du
fer. Tel est bien, en effet, l'enjeu de la lutte :
■C'est la destinée do toute la civilisation européenne
sur laquelle le sort des armes va prononcer ; le niainiicn
d'une belle diversité do culture dans l'indépendance des
peuples, ou l'exécrable tentative dune unité de germani-
sation mécanique sous un talon de fer.
Cette conscience des véritables buts de la guerre,
chaque soldat français la porte — plus ou moins
claire — en hii-mi'nie et y puise le principal élément
de son courage. Sans doute, il ne suflit pas, pour
être vainqueur, de lutter pour une cause juste; la
justice n'est rien sans la force qui la seconde, recon-
naît voloiiliei-3 G. Clemenceau; mais il constate ail-
leurs, et non moins justement :
Un bomme ne vaut pas tm hommo au hasard. Il y a
dans chacun une âme particulière de force ou de fai-
blesse, av(X la détente d'énergie i\m en dérive, l.a force
est dans la conscience d'une noblesse supérieure, la fai-
blesse dans l'indigniré des sentiments qui ont amené
l'homme au combat.
Et il ajoute :
La victoire se décidera non seulement par le nombre
des pièces d'artillerie ou l'addition des bomnics enf^agés,
mais par la valeur surtout des sentiments qui ont mis les
armes aux mains.
Aussi a-l-il en la victoire des Alliés une foi entière,
qui ne s'est démentie à aucun moment, même aux
heures les plus dures.
■Vous ne pouvez pas vaincre (dit-il aux Allemands), parce
que, derrière nos armées que vous voyez eu lignes, il y a
des forces do fatalité litstorique et de volonté raisoiinée,
qui nous poussent, lâches ou braves, aux suprêmes vertus
a'héroïsme ; vous no pouvez pas vaincre, parce que la
LAROUSSE MENSUEL
force d'un jour ne peut ôtro que d'un jour, quand elle
tente de s'installer dans la violation du droit ; vous no
pouvez i)os vaincre, parce que votre force est de servitude
organisée, parce que toutes vos servitudes savamment
agencées ne font de vous que des automates, qui peuvent
imiter les mouvements de la vie libre, mais ne sont pas
la liberté ; vous ne pouvez pas vaincre, parce que nous
sommes tenus — sous peine de nous voir souflleter par
notre histoire, par nos pères, par nos enfants — de nous
succéder jusqu au dernier sur le front, pour prendre tou-
jours et toujours plus de vos basses vies en donnant géné-
l'eusement des nôtres tout ce que la noblesse de notre
sang réclamera.
Ce dernier argument atteste que l'idéalisme de
G. Clemenceau ne l'aveugle pas sur les nécessités
pratii|nes. La victoire, potir lui, ne petit être obtenue
([ue par l'elfort total de tous. Il précise :
Tous, cela veut dire qu'aucun ne doit manquer ; femmes,
enfants, vieillards doivent à la Patrie envers qui il n'y a
ûu'un devoir intégral, à la mesiiro des forces de chacun,
de ne rien épargner deux-mêmes; — rien, rien I
Et aux timides, aux tiédes, s'il s'en trouve, il
lance cette cinglante maxime:
On n'est pas digue de vivre, quand on ne se sent pas
digne do mourir.
Ainsi de toutes ces pages, si remplies d'idées,
qui, depuis le jour de la déclaration de guerre jus-
qu'aux grandes journées de 'Verdun, nous offrent
une suite d'appréciations discontinues sur le rôle de
la France et de l'Allemagne dans cet énorme choc
de vies humaines, se dégagent de viriles leçons où
l'âme française, en même temps qu'elle s'y exprime
tout entière, peut acquérir une trempe solide. Et il
en émane aussi comme un rayonnement de gran-
deur qui illumine la belle figure de la France, en
lutte non pour conquérir, non pour dominer, non
pour asservir, mais pour maintenir son droit d'être,
d'être toute selon son génie. — F. Guirako.
Guerre en 1914-191'? (i.a). [Suite.] —
I.e malaise général qtie nous avions noté dans
notre dernière chronique comme constituant la ca-
ractéristique du mois d'octobre ne s'était pas dissipé
au coui's du mois de novembre. 11 s'élait aggravé de
l'incertitude angoissante de la politique russe, des
succès des maximalistes, de la liaison de leurs in-
trigues avec celles de l'Allemagne, de la menace de
plus en plus prochaine d'une paix séparée et de ses
conséquences. Bien habile ei"it été celui qui eiJt pu,
au 30 novemlire, tracer la direction, même approxi-
mative, des événements h intervenir. Certes, la con-
duite militaire de la guerre avait abouti, nous le
dirons plus loin, à de tris hetireux résultats. Mais il
semble que c'ait été, jusqu'ici, la fatalilé de celte
guerre que d'aticun côté, aucun succès n'ait jamais
été décisif, de sorte que, si les victoires anglaises en
Flandre, autour de Cambrai, en Piilestine et en Mé-
sopotamie, si nos avances magniliqties sur le front
de Champagne et devant Saint-Ouentin, si la résis-
tance italienne sur la Piave avaient l'ortilié nos
espoirs militaires et notre confiance, on senlait que
l'Allemagne, comme elle n'avait point manqué de
«• 131. jMvier 1918-
rigeants occasionnels de documents diplomatiques
secrets, la rupture effective du pacte de Londres
par ceux mêmes qui auraient dii y rester le plus
strictement fidèles, avaient désoibilé ri';ntente. Il
fallait la réorganiser. En lait, les Etals-Unis y pre-
naient lein- place elfective sans avoir rien signé;
d'autre part, on devait en même temps, si l'on était
sage, peser à son poids réel le recul de la Russie et
ne pas fermer les portes à un retour possible de celte
puissance. 11 n'est pas besoin d'insister sur l'énorme
difficulté de cette lâche dijilomatique sans précédent.
Au dernier jour de novembre, alors que, sous la
présidence de G. Clemenceau, était réunie à Paris la
Conférence interalliée, il fallait espérer qu'on sau-
rait prendre les résolutions les plus énergiques et
atissi les plus prudentes et qu'on affirmerait hau-
tement, devant les entreprises et les hypocrisies
de l'Allemagne,
les principes sa
crés qui diri
geaientrEnlentc
et les buts dé-
sinléressés vers
lesquels elle ten-
dait toutes scbi
forces.
On peut dire,
même en son-
geant au front
italien, que tous
les événements
militaires qui
méritaient d'être
retenus en no-
vembre avaient
élé heureux pour
les Alliés. En
France, dès le
début du mois,
la prise du Che-
min des Uames,
si longtemps dis-
puté, si âprement défendu par les Allemands, avait
été un grand succès de nos armes. On avait à tioter,
& ce propos, le nom du général Maisire, puisqti'il
reste impossible de citer dans ces chroniqties, qui
n'ont aucunement la prétention d'être des relations
militaires, la liste dos corps qui ont contribué à
liljérer encore un morceau du sol national. D'autres
succès en Haute-AI.-ace, devant Saint-Quentin, à la
cote 344, avaient fortifié nos positions. Surtout,
aucune contre-attaque allemande, quelqtie puissante
qu'elle eût été, n'avait pu ébranler notre ligne nou-
velle et nous reprendre les positions conquises.
Infjinterie, artillerie, génie, aviation, cavalerie (â
cheval et à pied) avaient tenu partout avec une
énergie et une valeur morale qtii étaient pour l'ave-
nir notre meilleur e=poir. Les diflicullés que nos
soldats rencotitraient devant eux ne diminuaient
pas, et il ne servirait de rien de tenter de mépriser
ni la résistance de l'adversaire, ni ses moyens malé-
Qénéral anglali sir H. U. 'Wilion,
représentant TAnglcterre
au Comité milliaire permanent interallié.
j"i,uy»rig
.^iL'.MlWfK^hm
.^r^^V-t5.j
Tank camouflé, prêt à l'attaque.
le faire, pouvait affecter de considérer tout cela
comme négligeable. Pendant ce temps, le travail
souterrain que nos ennemis av.iient parlctit orga-
nisé portait ses fruits et, en France, on découvrait
à chaque instant de n luvelles raisons de reclier-
cher des accointances traîtresses auxquelles on se
fiit aupai'avanl refusé de croire. Il est trop évident —
et on ne peut éviter d'y revenir sans ces.se — que
l'attitude de la Russie, la publication faite par ses di-
riels. C'e.-<t là un argument déleslahie, qu'on a trop
etiiployé dans la presse et qtii n'aboutit qu'à de dé-
courageantes désillusions. Nos soldais ont vaincu,
non parce que l'ennemi qu'ils avaient devant eux
était de qualité médiocre, mais parce qu'ils lui sont
supérieurs et que nos moyens d'aclion dépassent les
siens; et, au surplus, les Allemands eux-mêmes,
dans les rares moments où ils ne peuvent éviter
d'être sincères, le reconnaissent. Cette constatation
tf 131. Janvier I9IH
est assez glorieuse pour que nous en fassions état et
que nous l'insciivioiis au coinple de nos espérances.
Mais les ciicoiislances tactiques avaient, en no-
vembre, dotné à nos alliés anfflais l'honneur des
plus beaux coups. Dans la premiiTe quinzaine de
novembre, ils remportaient la victoire de Passchen-
daele; dans la secumle, celle de la Scarpe. Dans la
première, ils afririiiaient une fois de plus la sûreté
de Icnr.s plans, la vigueur de lours soldats, l'opiniâ-
I
Camouflage d'artilleurs anglais, prépo:î(:s au lir contre les avions.
treté de leurs attaques; dans la seconde, ils se révé-
laient tacticiens novateurs et heureux, et ils sur-
prenaient complètement l'adversaire par une offen-
sive brusquée et silencieuse.
Le résultat de ce double succès était non seulement
de fortifier leur situation en Flandre, mais encore de
percer en un point la ligne Hindenburg et de mettre
nos alliés aux portes de Cambrai: avance limitée,
sans doute, non pas parce que l'ennemi l'a empêchée
d'aller plus loin, mais parce qu'on n'a pas voulu se
laisser eniraîner sans profit au delà des limites qu'on
s'était fixées. Les Allemands, bien qu'ils n'aient pu
aller jusqu'à nier tout à fait leur étonnenient et leur
échec, ont triomphé aisément de ce que leur défaite
n'avait pas été plus complMe. Le nouveau chancelier
allemand, comte Hertling, dans son discours an
Reich.'^lag du 29 novembre, s'était consolé delà ba-
taille de la Scarpe en affirmant que les Anglais n'a-
vaienlpas atteint la côte des l''landrcs, qui était, selon
lui, leur objectif. Cette argumentation à l'usage du peu-
ple allemand n'a aucune portée pratique. Nous avons
déjà dit son vent que les Anglais, comme nous-mêmes,
n'avancent que petit à petit, mais qu'ils ne reculent
jamais, alors que les Allemands, dans nos territoires
envahis, reculent toujours et, le plus souvent, beau-
coup plus qu'ils ne voudraient. Le fait que, lors de
la bataille de la Scarpe, la cavalerie anglaise a pu
se lancer dans la brèche faite par l'infanterie et
«nlever des canons, exploit qui semblait désormais
impossible, suffit à démontrer que les Allemands ne
sont plus complètement maîtres de leur résistance
et que leur défensive n'est pas, comme ils le pré-
tendent, invincible. Quant à l'arrêt des Anglais
de vaut Cambrai, oii l'on avait pensé un moment qu'ils
entreraient, il s'explique par cette seule raison que,
dominant la ville et ses entours, nos alliés n'avaient
nul besoin de dépenser pour y entrer un effort inutile
et qui aurait pu être contraire. On devait donc enre-
gistrer avec joie et confiance les victoires anglaises
et ne pas tomber dans le travers qui consiste à dé-
précier nos propres succès parce qu'on veut les juger
d'après les règles d'une tactique ancienne, que la
LAROUSSE MKNSUbl.
guerre présente a complètement déroulée. On devait,
pourtant, signaler une fols de plus que la liaison
entre nos opérations et celles des Anglais n'était
pas, cette fois encore, clairement apparue, et on
s'étonnait que la très [luissaiite contre-attaque alle-
mande sur les deux ailes anglaises n'eût pas provo-
qué de notre part une collaboration qui, à pre-
mière vue, semblait indispensable.
Cependant que, sur notre front, les Anglais ébran-
laient les lignes alle-
mandes, ils rompaient
tout à fait les lignes
turques en Mésopota-
mie et en Palestine.
En Mésopotamie, le
général Maude, qui de-
vait malheureusement
mourir au milieu de
son succès, avançait le
long du Tigre et, à
18.ïkilomMres de Bag-
dad, remportait la vic-
toire de ïekrit. Com-
bien un tel avantage
n'eût-il pas été plus
fructueux, si l'on avait
pu combiner l'action
anglaise avec l'action
russe et menacer Mos-
soul ! Mais il fallait
prendre la situation
comme elle était el
s'en déclarer satisfait.
Ce que les Anglais
n'étaient pas les maî-
tres de faire avec les
Russes, nous voulons
dire: ruiner les projets
d'hégémonie alle-
mande en Asie Mi-
neure, ils le réalisaient
avec leurs seules
forces.
En Palestine, la prise
de Gaza, celle de Jalla,
la maîtrise du chemin
de fer, l'avance mé-
thodique vers Jérusa-
lem, leur procuraient
des avantages inesti-
mables et semblaient
préparer leur entrée
dans la Ville sainte.
De tels événements
étaien t pleins de consé-
quences pour le pres-
tige turc et même pour
le prestige allemand,
puisque l'empire otto-
man n'est plus qu'un
humble satellite de
l'Allemagne. Lorsque
le comte Hertling, dans le discours déjà cité, par-
lait négligemment des victoires anglaises en Orient
et leur déniait toute importance dans les destinées
de la guerre, il faisait contre mauvaise fortune bon
cœur. Rien de ce qui se passe en Orient, rien, non
plus, ne l'oublions pas, de ce qui se passe dans les
colonies allemandes de l'Afrique, n'est indill'érent,
à des degrés divers, pour l'issue de la guerre et pour
les négociations de paix. En particulier, les coups
portés par les Anglais en Palestine et en Mésopo-
tamie remettent tout à fait en question les préten-
tions de l'Allem.ngne sur la ligne de l'Euphrate. Or,
c'clait là un de leurs objectifs essentiels et, pour la
liberté du commerce de l'Asie, il est de la plus haute
importance que cette grande voie reste ouverte. En
admettant même que l'infinence anglaise y devienne
prépondérante, cette hypothèse serait beaucoup
moins dangereuse, pour des raisons géographiques,
que celle qui aboutirait à une maîtrise allemamle
sur ces régions. De même, pour la Palestine, il ini
porte beaucoup au repos nllérieur de l'Europe qii
ce pays soit soustrait à la domination économiqur
de l'Allemagne, qui, de là, rayonnerait aisément sur
1 Egypte et sur l'Afrique centrale. On devait ainsi
con-iilérer comme tout à fait fécond l'excellent tra-
vail des Anglais dans l'Asie occidenlale. Si le comte
Hertling, dans sa revue de la situation m litaire
allemande, avait glissé sur les échecs turcs d'Asie,
il avait bruyamment exulté sur les succès anstin-
allemands d'Italie, sur l'invasion de la Vénélie, sur
les suites escomptées par lui de cette campagne.
Nous avons dit sans ambages la gravité du (léchisse-
mcnt italien. Les causes, d'ailleurs, en furent plus
politiques que militaires. Une partie des troupes
italiennes, personne ne le nie, avaient été travaillées
par la propagande défaitiste qu'avait organisée
l'Allemagne en s'inspirant du précédent rn..^se, et
elles y avaient succombé. Tout esprit militaire, tout
sentiment d'honneur et de discipline avaient disparu
de leurs rangs. Ajoutons à cet empoisonnement moral
l'état d'espritde l'arrière italien, les discussions poli-
tiques, les dirUcuItés écoûomiques, même la résis-
335
tance durable d'une partie de l'opinion aa principe
de l'intervention de l'Italie dans cette guerre. Ajou-
tons-y aussi rinfiuence indubitable de la lettre de
Benoit XV sur la paix et la propagande pacifiste
catholique. Si nos lecteurs veulent bien se rappeler
ce que nous avons dit. à la fin de septembre, de l'étal
d'esprit des catholiques et du clergé suisses et de
l'infiltration probable de cet esprit en Italie, ils com-
prendront comment, sur des âmes déjà incertaines
et ébranlées, ide pareilles idées ont pu avoir une
action mortelle. La déroute italienne a été faite de
tout cela, au moins autant que de la pression austro-
allemande. Mais l'Italie tout entière s'était ressai-
sie. Elle s'était sentie atteinte dans ses œuvres vives
La menace sur la Vénétie, sa plus chère province,
la plus récem-
ment réunie à la
mère patrie, lui
était brusque-
ment apparue, et
elle ne se trom-
paitpoint.conime
une menace di-
recte contre son
unité. L'union
s'était faite. Cha-
cun avait com-
pris ses erreurs,
les déplorait et
voulait les répa-
rer. L'armée ita-
lienne, après le
périlleux passage
du Tagliamenlo,
avait reformé ses
unités désagré-
gées, et elle avait
opposé à l'ennemi une résistance qui l'avait surpris.
Les Austro-Allemands avaient pi é vu une déroute to-
tale, un débordement irrésistible de leurs troupes jus-
qu'à la grande plaine duNordel jusqu'à l'Adige. Arrê-
tés sur la Piave, arrêtés sur le plateau d'Asiago, ils
avaient, eux aussi, le besoin de se reformer, d'assu-
rer leurs ravitaillements, de transporter leur grosse
Oénéral autrichien Krobatin,
A droite, le i:éut^ral aii){laiii AUeubv, coiitnianUa- t l'aruire
expéditionnaire de Pale^li^r. — A cauche, 1.- général Bailloud,
inspecteur des troupes françaises en Syrie. [lUutlrtilivn,)
artillerie, el l'opération dans des pays montagneux,
à moyens de transport limités, présentait d'énormes
difficultés. D'autre part, les renforis fiançais et an-
glais affinaient. Une résistance ordonnée, avec des
bases solides, s'organisail. Il ne s'agissait plus, pour
les Austro-Allemands, d'une invasion à la mode
barbare, où l'on aurait potis.sé les fuyards l'épéi-
dans les reins el où l'on eût cueilli sans combat les
milliers de prisonniers et les centaines de canons.
Ils avaient devant eux une opéraiiou mililnlre régu-
lière, qui ne comportait plus d'im|irovisalioii, ni de
hasard. Ceci explique que le mois de novembre se
fût terminé sans que les Allemands eussent fait, en
Italie, des progrès proportionnés à la soudaineté de
Général Herbert Plumer, commandant
les troupes anglaises en Italie.
336
leur première attaque. Ce n'est pas que le danger
ne restât très grand. Pend<int que les généraux
Uelow et Krobatin menaçaient le front italien sur la
Piave inférieure et, éventuellement, sur la Brenta,
le maréclial Conrad von Hœtzendorf se préparait à
descendre en Italie par le Trentin et à prendre à
revers nos :illii''s. I,a pai'lii^ était considéralile pour
les deux adver-
saires. Leschan-
f'i's, à y regarder
(le près, étaient
('(,'ales , si l'on
sonfje à l'appoint
franco - anglais
d'une pari, à la
nécessité, d'antre
part, pour les Al-
lemands, décon-
centrer leurs
Iroupes et de les
transporter en
nombresuffisanl.
— Les Italiens
abordaient cette
lutle gigantesque
avecun chef nou-
veau, le général
Aruiando Diaz,
qui avait rem-
placé, à la tête
des armées de
Viclor-Emmannel et sous le commandement su-
prême, mais nominal, du roi, le général Cadoina.
Les troupes françaises él:iicnt conmiandées par le
général FayoUe, et le général Focb, qui, dis la pre-
mière heure, était en Italie, apporlait là encore le
secours précieux de son expérience et de ses conseils.
Les Anglais étaient commandés par le général IMu-
mer. Il y avait là un ensemble de qualités militaires
éprouvées, qui
devait inspirei-
00 n (lance et
permettre d'at-
tendre, avec
anxiété sans
donle,maisavec
feriueté, les évé-
nements (|ui al-
laientse produi-
re à bref liélai.
Une (|uestion
se posait, pour-
tant,encore. Elle
avait certaine-
ment été étu-
diée par les gou-
vernements al-
liés, au moment
même où nous
écrivions, au
cours des con-
férences qui
avaient alors
lieu à Paris,
(tiielle influence
aurait sur les
autres fronts et,
en particulier,
sur le front ita-
lien, la suppres-
sion imminenle
ou le rétrécisse-
ment dans d'é-
normes propor-
tions du front
russe, si, connue
on pouvait le
supposer, les
liostililés ces-
saient ou se
trouvaient très
fortenienlrédui-
tes de ce coté?
Sur quel point
porteraient les
forcesennemies
disponibles'.'Les
Allemands pro-
fiteraient-ils de
ce soulagement
inespéré pour
essayer d'écraser les forces alliées en Italie ou pour
une offensive sur le front franco-anglais de France?
Ou bien atlaqueraient-ils Salonique, où les hosti-
lités, en fait, étaient slagnanles? Ou, enfin, cour-
raient-ils en Palestine et en Mésopotamie au secours
de l'empire turc défaillant? La multiplicité même
des objectifs possibles devenait un embarras pour
nos ennemis, sans compter l'aléa sérieux que pré-
sentait un abandon total, ou à peu près, du front
russe, derrière lequel, outre l'exemple dangereux
de l'anarchie, on devait, peut-être, tenir compte de
la possibilité d'un retour offensif partiel. II était évi-
demment impossible de conclure dans un sens quel-
GénOral Armando Diaz,
généralissinie de raruiée italienne.
LAROUSSE MENSUEL
conque, et il se dressait là un point d'interrogation
troublant. Mais la violence des attaques allemandes
sur les fronts français et l'afflux de troupes nou-
velles sur le front italien permettaient déjà de con-
clure que c'était de ce côlé d'abord que se ferait
sentir le contre-coup de la tiahison russe.
Autre question non moins grave : si les Austro-
Allemands et les Russes se mettaient d'accord pour
cesser les hostilités, que deviendraient les centaines
de milliers de prisonniers des Empires centraux, qui
seraient certainement échangés contre les prison-
niers russes, que détenait et qu'avait torturés l'Alle-
magne? Viendraient-ils grossir les rangs de nos
ennemis? Dans l'affli-mative, quelle serait leur valeur
mililaire? Il était nécessaire de réfléchir à ces divers
sujets, si l'on ne voulait être pris de court par les
événements. 11 serait trop commode d'ignorer ces
questions, quitte à se lamentersileschosestoin'naient
mal et à faire porter aux antres la responsabilité de
N' 131. Janvier 1918.
misérables dont il faudra bien encore dire un mot
tout à l'heure.
Si, maintenant, nous entreprenons l'étude de la
silualion diplomatique, nous sommes immédiate-
ment atlii'és de nouveau vei's la question russe, qui
pèse d'un poids éciasant sur la politique mondiale
de ri)eure présente. — A la lin d'octobre, on en était
encore à une tenlative du gouvernement révolu-
tionnaire parlementaire. Kerensky cherchait à s'en-
tendre avec l'avant-parlement, tandis que les maxi-
malistes, autrement dits « bolcheviks », préparaient,
s.nis trop se cacher, semble-t-il, une révolution
contre la révolution. Le 6 novembre, on savait que
le général Verkhosky, minisire de la guerre, avait
été destitué à cause de ses tendances maximalisles
avérées. Le 7 novembre, le nouvel ambassadeur de
Russie, appelé à représenter le gouvernement de
Kerensky auprès de la République française, arri-
vait à Paris. Le même jour, ou apprenait que la
1. utilisation d'un blockhaus, pris aux Allemands, comme poste de mitrailleuse contre avions. — 'J. Mitr:tillcuse$ montées
sur auio-caïuion pour protéger les ballons captifs dans leurs déplacements.
sa propre imprévoyance. Cette mélhode déplorable
a été trop répandue chez nous avant la guerre pour
que nous ne cherchions pas à l'éliminer de nos es-
piits et que nous ne prenions pas l'habitude de
|-egarder en face les éventualités les plus pénibles. —
A la fin de novembre, notre situation mililaire était
très bonne en France et en Asie. Il dépendait de
nous qu'elle le fût en Italie, même dans l'hypothèse
d'un accroissement des forces adverses.
Sur mer, la guerre avait conlinué, et le comte
Heriling avait, comme il convenait, prédit une fois
de plus la deslruclion de la puissance maiitime
anglaise. Mais il y avait loin de la parole aux lails,
et le moment ofi l'aelion sous-marino finirait la
guerre n'était pas encore proche. Il ne fallait nulle-
ment se dissimuler l'importance des dommages cau-
sés au commerce de l'Enlente par les submersibles
allemaïuls; il ei'it élé pusillanime d'en exagérer les
conséquences. L'apportmilitaireamérieain traversait
l'Atlantique sans dommages, et le fret, concentré de
plus en plus sur cet appoint décisif, se maintenait
grâce au concours des Etats-Unis, du Brésil, du
.lapon. Il y avait là un éléu)ent à peu près stable de
l'équilibre de la guerre, et il est peu vraisemblable
que le comte Heriling ait à ce sujet des illusions.
Il faut retenir, en outre, que, dans la baie dlléligo-
land, un engagement naval availeulieu, où les forces
anglaises avaient remporté un succès qui, pour
n'avoir pas été matériellement considérable, était
cependant un fait nouveau d'une certaine portée.
Dans les aii's, l'avialion française avait apporté
son concours habituel au repérage des positions et
au harcèlement des déplacements de troupes et des
dépôts de l'arrière. L'aviation anglaise s'était mon-
trée particulièrement hardie dans ses attaques meur-
trières à faible hauteur. La dépense quotidienne
d'héroïsme inconnu et silencieux qui se faisait sur
tous nos fronts eût, certes, mérité de retenir l'atlen-
tion de la presse plus que les scandales honteux ou
révolution maximiliste, qui avait éclaté le 4, triom-
phait à Pelrograd et que ses chefs proclamaient la dé-
posilion de Kerensky. Comment, par quelles intrigues
ouvertes ou cachées, avec quelles ressources la
révolution avait-elle triomphé; avec quelles vio-
lences, avec quelles forces? Il était impossible de le
savoir. Les contradictions les plus criantes se succé-
daient dans les informations de la presse, et Hélait
sage de s'abstenir de toute autre préoccupation que
d'enregistrer ce qui ressortait à peu près certaine-
ment de faits constants. La nouvelle révolution avait
eu pour chefs principaux Oulianof, dit « Lénine », et
Bronstein, dit « Trotsky », lesquels, déjà, l'un et
l'autre, depuis plusieurs mois, jouaient un réle pré-
pondérant dans l'effort vers les solulions extrêmes.
On a déjà vu précédemment quelles avaient été
les relations de Lénine avec l'Allemagne et l'Au-
triche; comment Lénine était venu de Suisse en
Russie avec la permission de l'Allemagne et com-
bien il avait intrigué pour la conférence de Stock-
holm. Le but de Lénine et de Trotsky était, au
point de vue intérieur, un bouleversement total ife
l'état social par la terreur et, au point de vue exté-
rieur, la paix <' sans annexions ni indemnités », avec
le droit pour les peuples de disposer d'eux-mêmes.
Dès le 11 novembre, les soviets lançaient un appel
à la paix. Mais c'est seulement à la fin du mois que
l'action de Lénine et de Trotsky en ce sens s'était
nettement affirmée. Jusqu'à ce moment, il semble
bien qu'ils aient été surtout occupés à affermir leur
position. En effet, Kerensky, éch.nppé de Petro^rail,
avait réuni des troupes et marchait sur la ca|)itale.
Un moment, on le crut vainqueur. 11 était vaincu et
en fuite. Rentra-t-il alors à Moscou et s'unit-il à
Kaledine et à Kornilof? Rien n'était certain à ce
sujet. Ce que l'on sait sfirement, c'est qu'il y eut à
Pelrograd et à Moscou de sanglantes batailles, à la
suite desquelles l'avantage, longtemps disputé, resta
aux bolcheviks; c'est qu'à partir de cette date, veis
«• 131- Janvier 1918-
LE FRONT ITALIEN
337
le 13 novembre, on n'entendit plus parler de Ke-
rensky; c'est, enfin, que la résistance aux maxima-
listes parut s'être concentrée dans le Sud, autour de
Kaledine et de sps cosaques. A parlir de la seconde
quinzaine du mois et en dépit des nouvelles variées
venues de toutes les sources et qui, presque toutes,
étaient hostiles au gouvernement de Lénine et do
Trotsky, on dulconslater qu'en lait Lénine etTrolsky
agissaient comme s'ils avaient été les maîtres de la
Russie et parlaient au nom du peuple russe. L'usage
qu'ils firent de ce pouvoir à l'inléiieiir, nous
l'ignorions. Au point de vue diplomatique, leurs
manifestations furent assez éclatantes et insolites
pour retenir l'attention du monde entier. Ils se
déclarèrent déliés de tous les traités secrets signés
par les régimes précédents, notamment du pacte de
Londres, et, pour affirmer leur indépendance à cet
égard, ils publièrent ces documents, sans s'occuper
de ce qu'en penseraient les gouvernements signa-
taires et avec l'intention non dissimulée de les
compromettre; publication plus significative parle
choix des documents, par la tendance qu'elle mar-
quait et le scandale qu'elle causa que par les ré-
vélations qu'elle entraîna. Les traités dits o secrets»
ne l'étaient plus guère, et leur divulgation n'apprit
pas beaucoup plus que ce que l'on savait sur le par-
tage projeté de la Turquie et sur les ambitions
russes vers Constantinople.
Beaucoupplus grave fut, même en admettant qu'une
partie des armées russes ne l'eût pas acceptée, la
proposition d'armistice que lança Lénine et la me-
nace qu'il ajouta de faire immédiatement une paix
séparée si, le 2 décembre, les belligérants n'avaient
pas consenli à entainer des pourparlers pour une
suspension des hostilités. L'Allemagne et 1 Autriche
adhérèrent très vile, peut-être, cependant, après
quelques hésitations, h une avance aussi avanta-
geuse pour elles, et un armistice de fait exista, dès
le 27 novembre, sur le front nord, après la négocia-
LAROUSSE MENSUEL
«• 73t. Janvier 1918
Soldats allemandB et leurs lance-flammes (Flammenwer^er),
Pièce italii : ':■' :. ^.':. inx postes avancés
lion que consentit l'adjudant Krylenko, décoré par
Lénine du titre de <■ généralissime ». Tels sont les
faits essentiels.
Quelles réalités existaient sous ces faits ? Quel
était l'étendue effective, tant au point de vue de la
possession d'un pouvoir efficace qu'au point de vue
géographique et au point de vue moral, de l'autorité
dont se parait le gouvernement de Lénine et de
Trotsky ? Etait-il, comme on le disait dans la presse
française et dans une partie de la presse étrangère,
un de ces accidents monstrueux qui surgissent dans
la vie d'un peuple, — assez fréquents dans l'histoire
du peuple russe, — et qui, après un succès éphémère
de violence, disparaissent, non sans laisser derrière
eux du sang, des ruines et de la honte? Le triomphe
des bolcheviks allait-il se changer rapidement en
déroute, et le bon sens, les traditions, le retour aux
lois, la paix sociale allaient-ils .succéder à l'anar-
chie, au partage des terres et à la terreur? Kaledinc
et les cosaques, Doukhonine et la majorité des ar-
mées allaient-ils ramener l'ordre, reprendre la guerre
contre les Empires centraux et renouer les relations
avec l'Entente? Une Constituante, pour la nomina-
tion de laquelle les élections étaient commencées
et semblaient donner l'avantage aux modérés, on
un nouveau Parlement révolutionnaire allaient-ils
se substituer, avec une apparence de légalité, à
l'usurpation maximaliste? Ou bien Lénine et Trotsky
représentaient-ils vraiment l'opinion et les désirs de
la masse russe, et nous leurrions-nous d'illusions
dangereuses en nous imaginant que nous n avions
devant nous qu'un pouvoir temporaire, impuissant
et, par suite, plus dangereux pour nos ennemis que
pour nous ? Sans pouvoir faire un choix motivé
entre ces deux opinions diamétralement opposées,
il était sage de tenir compte de toutes les deux. Il
n'était nullement impossible que la masse du peuple
russe, sans culture intellectuelle, ignorante de toules
les questions de politique générale, épuisée par une
guerre qu'elle ne comprenait pas, ayant perdu toute
unité et tout principe commun depuis fa chute du
tsar, naturellement pitoyable et pacifique, fût en-
traînée à la suite de Lénine et de
Trotsky par le mirage du mot de
paix. Nul plus que la masse russe
n'est capable de se laisser séduire
par les mots et les idées simples.
S'il en était ainsi — et l'avenir seul
pouvait le dire — l'Alliance russe,
telle qu'elle avait été conçue jadis,
était à passer par profits et perles,
et il fallait nous résigner à régler
nos comptes avec l'Allemagne en
dehors de toute participation mos-
rovite. Conclusion très grave pour
nous, assurément, et qui compli-
i|uait par un côté la question que
simplifiait de l'autre l'aide améri-
caine, mais très grave aussi pour
la Russie. Quelle paix pouvait-elle
espérer, sinon, dans l'état de dé-
sorganisation où elle était, une paix
qui l'asservirait à l'Allemagne? Le
comte Hertling l'avait dit : l'Alle-
magne souhaitait rétablir avec la
Russie de bonsrapports, su>7ou< au
point de vue économique, et ces
quelques mots renfermaient toute la
polilique allemande de l'heure pré-
sente. Comme nous l'avons déjà
dit, l'anarchie russe, si dangereuse qu'elle fût au
point de vue politique, et la ruine industrielle de ce
pays ofi'raient à l'expansion économi(|ue allemande
un terrain incomparable, tel qu'elle n'avait jamais
pu en espérer de semblable, et cette situation était
si étrangement favorable aux intérêts allemands
qu'elle suffirait à prouver la complicité du gouver-
nement de Berlin avec Lénine et ses amis. D'autre
part, l'Allemagne veut la paix, — le discours pro-
noncé le 29 novembre par Kiihlmann à la commis-
sion plénière du Heichslag contient à ce snjel <les
avances non dissimulées et une invile & des son-
dages en ce sens, — et l'Autriche ne peut s'en
passer ; le premier ministre Seidler l'a dit presque
explicitement. Comment n'eussent-elles pas essayé,
par l'exemple de la Russie, de tenter et de troubler
les autres peuples, d'infiuencer les neutres, de provo-
quer des défaillances, et l'exemple de l'Italie n'élait-il
pas encourageant? N'y avait-il pas là un moyen, sinon
sûr, du moins heureusement préliminaire, d'arriver à
lapaixi'alleman-
de "? On com-
prenait donc fort
bien la politique
suivie par l'Alle-
magne.On voyait
moins bien com-
ment la formule
de Lénine sur la
liberté des peu-
ples s'accorde-
rait avec l'impé-
rialisme alle-
mand, comment,
en parliculier, se
réglerait laques
tion polonaise,
quelecomteHer-
tling avait pris
grand soin de li-
miter à la Polo-
gne russe. On se
demandait, sur-
Général Berthelot.
chef de la mission française en Roumanie.
tout, de quel efi'et serait la formule russe sur lespopu-
lalions, non allemandes ni hongroises, de l'Autriche-
Hongrie et quels fermentsanarchiques rapporteraient
de Sibérie les milliers de prisonniers de race slave
que la conlagion révolutionnaire avait pu gagner et
qui allaient rentrerdans leurs foyers pour y retrouver,
avec la guerre, la domination autrichienne ou hon-
groise. Il faut redire nettement qu'il ne semblait pas
que la même question se posât pour l'Allemagne.
Nous avons souvent écrit ici que nous ne croyons
pas, pour le moment, à la révolution allemande. Le
onnite Heriling- avait pris soin de déclarer que la
m^0^
^
"^ ^
Troupes d'infanterie italicuûc allant prendre posiliou sur les Alpes neigeuses.
Légende
«• J3I. Janvier 1918
conslilulion allemande était excellente et que le
pouvoir saurait y apporter les modificalions néces-
saires. Cette simple et sommaire assurance avait
sufll pour permettre à
tous les partis, même
à la minorité que di-
rige Haase, d'approu-
ver le discours du
«iiancelier. Le Parle-
ment allemand avait
déjà précédemment
accepté comme une
satisl'actioa suflisante
<iue le comte Hertling
lie fiU désigné, au dé-
bulde novembre, pour
ces hautes fonctions,
qu'après qu'il eut con-
féré avec les divers
partis politiques. La
démission dllelffe-
rich, l'adjonction au
ministère de deux par-
lementaires. Payer et
Kreidberg, avait com-
plétécetlesalistacUon,
et l'on sentait que le
Parlement, ellrayé
certainement par les
pratiq<ies des révolu-
tionnaires russes,
éprouvait le besoin de
limiter ses ambitions
de réformes politi-
ques. H serait sage que
l'on admit partout au
nombre des faits ac-
3uis la communauté
e pensée et de but du
peuple allemand et de
.ton gouvernement et
qu'on ne prit pas trop
au sérieux la véhé-
mence accidentelle
d'une presse qui n'a
jamaisété moins libre.
Le danger d'une con-
tamination révolu-
tionnaire deRussie en
Allemagne n'a donc
pas pu arrêter sérieu-
sement le gouverne-
ment du kaiser, et les
perspectives brillan-
tes que lui ouvrait la
proposition d'armis-
tice eussent d'ailleurs
suffi à lui concilier
non seulement toute la puissance financière et indus-
trielle de l'empire, mais encore l'adhésion unanime
du peuple allemand. Quant à la liberté de la Polofïne
russe, de la Lithuanie
et de la Courlande,
expressément pro-
mise par Hertling, il
était sensé de croire
que le gouvernement
allemand se sentait
armé pour l'uliliser à
son profit. Lénine,
d'ailleurs, était resté
dans le vague dune
formule générale et
souple, et il n'avait fait
aucune allusion ex-
presse ni au duché de
Posen, nia la Galicle.
Les réserves mêmes de
Scheidemaim ne por-
taient pas sur ce point
et n'étaient pas incom-
patibles avec les inté-
rêts économiques al-
lemands. — Heslaient
la question autri-
chienne, les périls in-
térieurs de la monar-
chie, l'hostilité crois-
sante entre l'Autriche
«t la Hongrie. Il se
peut que l'Allemagne
n'ait pas cru contrai-
res aux intérêts du
germanisme les em-
barrasdeson «brillant
second», ou qu'elle ait
cru trouver pour lui,
en Italie ou dans les
lialkans, des dédom-
magements convena-
bles. Nous n'étions pas renseignés à ce sujet. Nous
savions seulement que la tension des rapports entre
lAulriche et la Hongrie était à retenir et à observer.
Quel qu'ait été le poids de chacune de ces raisons
LAROUSSE MENSUEL
dans la détermination allemande de négocier un
armistice avec le gouvernement de Lénine, l'Entente
avait devant elle une situation nouvelle. En ad-
339
alliés pour se refaire une vie supportable et ^e
soustraire au joug allemand. Mais, en attendant.
l'Entente devait, pour terminer heureusement la
guerre, tendre toutes
SCS forces et s'impo-
ser une unité d'action
qu'elle n'avait pas
encore connue.
On y avait lâché
aux conférences de
Hapallo, où s'étaient
rencontrés, après la
défaite italienne,
Painlevé.Lloyd Geor-
ge, Orlando,'les gé-
néraux Foch, Rober-
tson et Cadorna, le
ministre français
Franklin-Bouillon et
l'ambassadeur Bar-
rère. On était tombé
d'accord pour créer
un Comité de guerre
inteiallié, qui organi-
serait une conduite
commune de la guerre
et qui siégerait à Ver-
sailles. L'annonce de
cette création avait,
d'ailleurs, suscité de
vives discussions, en
France et en An-
gleterre.
En France, on pré-
conisait, sans se ren-
dre compte des diffi-
cultés d'exécution, un
commandement uni-
que; en Angleterre,
on acceptait mal cette
idée, qui n'efîlpu, sem-
blait-il, devenir con-
crète que sous un
commandement su-
prême français. D'ail-
leurs, la chute du
ministère Painlevé,
les polémiques ar-
dentes qu'avait provo-
quées en Angleterre
un discours hardi et
sans ménagements
que Lloyd George
avait prononcé à Paris
en revenant de Ra-
Cartc des opérations des troupes britanniques et des contingents franco-italiens, d'Egypte en Palestine.
mettant même que la proposition d'amnistie n'aboulîl
pas, on traînât en longueur, en acceptant même
l'hypothèse peu vraîseMii)laI)le d'un réveil russe
Fontaine et abreuvoir publies & Satonique. (The Sphère.)
total OU partiel, il n'y avait plus à espérer de la Russie
aucune aide elTective, et le moins qu'on pouvait
attendre était que ce malheureux pays, disloqué,
ëmietté en fragments débiles, acceptât l'aide de ses
pallo, avaient retardé
la réalisation du pro-
jeldeComitédeguerre
interallié. UneConférence générale interalliée s'était
réunie à Paris le 29 novembre. Les chefs de gouver-
nement de France, d'Italie, d'.-\nglelerre, de Serbie
y assistaient en per-
sonne. On comptait
que, mieux placée et
plus qualifiée pour
examiner d'ensemble
la situalion de l'En-
tente, elle prendrait
les mesures nécessai-
res pour réaliser l'uni-
léde vues et l'unité de
lirecliontantdésirées
et pour retirer à l'Alle-
magne la manœuvre
de la guerre. Jamais
une déclaration ferme
sur les buts de l'En-
tente, jamais une défi-
nition claire de ses
vues d'avenir n'a-
vaient été si néces-
saires. Partout, l'opi-
nion publique en avait
besoin.
Dessymplômes gra-
ves le prouvaient. Une
lettre ouverte de lord
Lansdowne aux puis-
sances de l'Eniente et
où l'on doit reconnaî-
tre qu'il se rencontrait
avec les ulopistfs rus-
ses était de nature à
troubler cerlains es-
firits. Il fallait, une
ois de plus, montrer
l'inanité et l'injustice
de la formule « ni
annexions ni indem-
nités u, comprise au
sens allemand, affirmer la nécessité d'un règlement
vraiment équitable et libre des question'* pendantes
de nationalité. Il fallait, en un mot, définir la seule
paix possible, celle qui s'inspirertit de la justice et
340
du droit, et arrêter l'agitation pour la paix à tout prix
quel'Allemafrne eiitrelenaitparloul. Ceslainsi qu'en
Suisse (les troubles très graves avaient éclaté à Zu-
rich, le 18 novembre, à la suite de manifeslatious paci-
fistes, et avaient créé dans ce pays, pourtant si pon-
déré, une tension des esprits des plus lâcbeuses, où
la main et l'argent de l'Âlleniagne n'avaient pas été
difficiles h trouver. De même, à tout instant, les dé-
couvertes que l'on faisait aux Etals-Unis révélaient
l'extension formidable de la propagande et de l'es-
pionnage allemands.
Mais, là, la ferme volonté et les claires conceptions
de Wilson dictaient tout de suite les mesures né-
cessaires. L'emprunt américain avait donné des
résultais inespérés. La mobilisation américaine, le
passage de l'armée des Etats-Unis en France s'opé-
raient sans à-coups et selon les prévisions. Les
mesures relatives aux exportations, au blocus, au
fret, à l'aviation se succédaient suivant un plan
défini. Enlln, une mission très imporlante, composée
de techniciens et dirigée par le colonel House. était
venue en Europe pour faire la liaison avec les Etals-
Unis et apportait dans notre activité un peu brouil-
lonne la précision américaine. La présence du repré-
sentant des Etals-Unis à la Conférence de Paris et
la mission du colonel Ilouse étaient des faits moins
bruyants que les événements russes; pour qui savait
voir, ils avaient une portée considérable. On atten-
dait donc de la Conférence do Paris des paroles
décisives et surtout des actes.
Nul pays ne les souhailailplus que la France, où le
sentiment public oscillait entre une admiration pas-
sionnée et reconnaissante pour nos soldais et un
dégoût croissant pour les scandales, peut-être les
trahisons, que la presse lui révélait peu à peu. On
peut dire que le ministère Painlevé, malgré l'hono-
rabilité incontestée, la sincérité et la bonne volonté
de son chef, avait succombé sous l'irritation qu'avaient
fait naitre la lenteur des procédures, civiles ou mili-
taires, et l'indécision que montra le président du
conseil dans une situation où tonte la France aurait
applaudi à des mesures énergiques. A son retour de
liapallo, Painlevé avait apporté à la Chambre des
députés une déclaration relative à la politique exté-
rieure, qui, malgré le vague un peu troublant de
certains passages, avait été approuvée par 250 voix
contre 192. Mais, quelques moments après, à propos
(le la politique intérieure et des affaires en cours
d'instruction, le ministère avait été mis en minorité
par 277 voix contre 186. Le président de la Répn-
l)lique avait, après de rapides consultations, fait
a-ppelerO. Clemenceau et, malgré l'exclusive pronon-
cée contre lui par le parti socialiste, l'avait chargé
<le former le ministère. Dès le 16, le cabinet Cle-
menceau était constitué. Le 20, il se présentait do-
'P'
Vig, 1. Transformation de la pente d'une
riviéro en biefs et chutes par la construction
des barrages a. a.
AvAal
Fig. 2. Barragea : 1. Disposition en déversoir; ?. Disposition par vanne.
■vaut les Chambres et, après une éloquente déclara-
lion et >m discours très net du président du conseil,
en réponse à diverses interpellations, il groupait
autour de lui 418 voix conli'c 65.
Le chroniqueur fidèle que nous prétendons être doit
dire que l'arrivée de G. Clemenceau au pouvoir a
rencontré de très franches adhésions dans le public
et l'armée et que, dans les Chambres, il avait été reçu
avec plaisir et espoir. On pensait volontiers que
le journalisle ouUancier qui avait passé son temps
à vitupérer les gouvernements, à dénoncer nos mi-
sères et à prêcher les mesures de salut public, devait
procurer au pays les actes, au besoin hardis, dont il
avait besoin et qu'il réclamait. En un mot, on avait
la sensation qu'on serait gouverné. On le souhaitait
depuis longtemps. On avait confiance. Le mois s'était
terminé sur cette impression salnlaire et nouvelle.
La Chambre des députés avait décidé, sur la de-
mande même de Malvy et malgré ce que celle
démarche avait d'insolite, de déférer l'ancien mi-
nistre de l'iEitéricnr à la Haule-Cour, pour y êlre
jugé sur l'accusalion de hante trahison que Léon
baudet avait lancée contre lui et que Painlevé avait
naguère portée à la Iribune de la Cliamlire des dé-
putés. Quelque regrettable qu'il fût que de sem-
îilables affaires pussent surgir alors que l'ennemi
foulait la lerre française, tout le monde réclamait
LAROUSSE MENSUEL
qu'une justice impartiale prononçât sur cette redou-
table accusation et que celui qui en était l'objet
fût lavé ou puni. Le Sénat avait à remplir une
grande et difficile tâche de pacification intérieure.
En attendant, on avait l'œil fixé sur les lignes fran-
çaises et sur l'Italie, où nos enfants allaient com-
battre. Il était temps pour le gouvernement, le
Parlement et le peuple français, de ne plus s'occuper
que d'une chose : la guerre et nos soldats. ConiEue
l'avait dit fortement G.Clemenceau: " Nos soldats
avaient des droits sur nous. » On l'avait un peu
oublié. — Jules Gerbal'lt.
Mouille verte (La). On appelle «houille verte»
la puissance motrice des rivières et des cours d'eau.
Nous avons précédemment exposé ici l'importance
des richesses hydrauliques françaises utilisables par
l'industrie, nous plaçant au seul point de vue de la
caplation des
eaux en monta-
gne. (V. p. 315,
HOUILLE BLAN-
CHE, force mo-
trice des sour-
cesnaturelleset
chutes d'eau, i
A côté des ins-
tallations dé-
crites destinées
aux fabrica-
tion s de la
grande indus-
trie, aux trans-
ports d'énergie
à longue distance, etc., une source d'énergie beau-
coup plus modeste est disséminée presque partout
sur notre terriloire; son utilisation ra<!OH;(ei/e peut
rendre les services les plus signalés, surtout auprès
de nos populations rurales: il s'agit de l'utilisation
des multiples chutes de faible hauteur, aisées à
aménager sur les cours d'eau, navigables ou non,
de débit même infime.
Cl Utilisation rationnelle », disons-nous; car, si
l'emploi du courant des rivières pour actionner des
moteurs remonle à l'ère chrétienne et fut, depuis,
naturellement plus ou moins bien appliqué par les
hommes, souvent l'adaptation laissait à désirer, les
machines employées ne recueillant qu'une partie
insignifiante de 1 énergie disponible.
Peu à peu, un grand nombre d'installations an-
ciennes durent être abandonnées, principalement le
jour où une force motnice considérable devenait né-
cessaire par les exigences de la transformation de
l'outillage et la concentration surtout de l'industrie
meunière dans des établissements importants.
Or, de ces usines abandonnées,
fréquemment le barrage a été conser-
vé ; la chute qu'il crée reste inutili-
sée; en chaque point, ces usines en
chômage représentent une faible puis-
sance, mais, par leur nombre (plu-
sieurs milliers), on perd une partie
considérable de la richesse naturelle
de notre sol.
Cependant, rien n'est plus aisé que
d'en tirer parti, sans rien changer à
l'aménagement des canaux d'arrivée
ol de départ des eaux; il suffit de
remplacer le moteur désuet par un
autre pins perfectionné: roue mo-
derne on, mieux, turbine.
La turbine est plus spécialement
indiquée; son rendement élevé rend
utilisables les chutes les plus faibles,
mais la rénovation des installations
hydrauliques n'est vraiment possible
qu'en adoptant l'éléganle solution
d'asso"ier la turbine à la dynamo. La produelion de
l'électricité permet de dilTuser l'énergie captée et
d'adapter son usage aux besoins les plus variés.
Tout comme la houille blanche eut son apôtre en
Berges, l'utilisalion des basses chutes eut, en la
personne d'un Français bien intentionné, H. Bres-
son, un vulgarisateur actif. Après avoir désigné
celte captalion d'énergie sous le nom métapboricine
de liouille verte, en soin enir des verts ))âturages
traversés par les cours d'eau à leur origine, Bres-
son, par l'exemple, la parole, le livre s'en fit le vul-
garisateur, indiiiuant l'imporlance de cette richesse
si nèglij,'ée et, dressant son inventaire, montra l'in-
térêt considérable que nous avions à en assurer
l'exploitation.
L'œuvre de ce novateur remonte aux premières
années de ce siècle; depuis le moment où Uresson
menait le bon combat en faveur de la houille verte,
nos besoins en force motrice ont augmenté; la pé-
nurie de main-d'œuvre dans nos campagnes, la crise
actuelle des combustibles montrent aujourd'hui avec
plus d'acuité encore qu'aucune parcelle d'énergie
disponilde ne doit êlre négligée, surtout lorsqu'il
est si facile de la recueillir.
Aménagement d'une chute. — Considérons un
des mille ruisselets qui s'écoulent dans n<is plaines
de l'Ouest, par exemple; si nous représentons son
N« J3». Janvier \^1S.
cours en profil (fig. 1), entre sa source et l'endroit
où une rivière plus importante l'absorbera, il existe
une différence de niveau plus ou moins grande;
cette pente nécessaire à l'écoulement de l'eau, insen-
sible entre deux points voisins, peut être trans-
Fig. 3 (A). Roue à palettes ou en dessous.
formée par une série de barrages en plans séparés
pardes chutes. La pente, jadis inutilisable, devient,
en chaque point de chute, génératrice d'énergie,
énergie que nous pouvons évaluer d'après la for-
mule :
Quantité d'eau écoulée par seconde X par hauteur do
ciiuto ; 75 = nombre de chevaux disponibles.
Le barrage constitue, en travers de la rivière,
une muraille derrière laquelle l'eau s'accumule; que
Fig. 3 (B). Roue de côté, à aubes plates.
l'on ouvre un passage {fig. 2) dans cette muraille, et
l'eau, en se précipitant, sera susceptible d'actionner
une roue ou une turbine placée dans sa trajectoire.
Divers accessoires complètent celle installation :
vannage réglable à la main ou automatiquement
Fig. 3. (Cl Roue k augets ou en dessus.
pour faire varier l'admission d'eau, canal de fuite
assurant le retour de l'eau à la rivière, elc. Sur les
rivières navigables, le barrage doit comprendre une
écluse pour le passage des bateaux.
Appareils d'ulilisalion. — L'appareil le plus an-
cien pour recueillir l'énergie de la chute est la roue,
dont on connaît plusieurs dispositions, depuis la
^• 13/. J3invîer 1918-
simple roue à palettes planes entraînée parla vitesse
de l'eau (roue en dessous), jusqu'aux roues plus
perfectionnées, dans lesquelles l'eau agit par sou
poids, soit que le fluide moteur soit admis par la
partie supérieure (roues en dessus), ou de côté dans
des augets de forme appropriée {fig. 3).
Ces derniers appareils ont un rendement
important; on compte, en effet, un rende-
ment de :
;iu à 40 p. 100 pour les roues en dessous.
75 — — de côté.
80 — — en dessus.
Malgré ses perleclionnemenls, la roue
reste toujours un appareil encombrant,
coiiteu.'C, susceptible d'entretien; sa marche
lente se prête mal, par la multiplicité des
transmissions, à la liaison avec des géné-
ratrices électriques.
La turbine correspond mieux aux adap-
tations nouvelles; son rendement, même
dans les types ordinaires, atteint celui des
medieures roues ; sa rotation rapide la rend
éminemment propre à la marche de la dyna-
mo; quant à son encombrement, il est in-
signiliant vis-à-vis d'une roue de même
puissance: une turbine de cinq chevaux
mesure environ 0'",10 de diamètre, surune
liauteur de 1 mètre. Dans les installations
hydro-électriques, le type de turbine le plus usuel
est à marche centripète, l'axe étant vertical; l'eau,
obligée de pénétrer par la périphérie des couronnes
d'aubes, est chassée par l'intérieur, après avoir en-
traîné la rotation du système (fii/. 4).
Cette rotation est assez grande (250 tours par mi-
nute) pour s'adapter facilement à l'aide d im jeu
de poulies aux 1.500 à 2.000 tours nécessaires à la
machine électrique. La dynamo sera, naturellement,
de dimensions très restreintes, proportionnée à la
Puissance de la chute ; c'est dire la simplicité de
installation et la possibilité de l'organiser partout,
(^es organes de la turbine, très robustes, n'exigent
presqueaucunesurveillance; ladynamo, protégée par
un coffre, se trouve à l'abri des poussières. Le tout
peut se confier à un manœuvre agricole, simplement
soigneux : il suffit de s'assurer de temps en temps
de la marche normale. Cette simplicité même rend
la diffusion des applications de la houille verte émi-
nemment facile.
Au besoin, le courant produit dans les heures de
chômage peut être emmagasiné dans une batterie
<laccumulaleurs et servir ensuite selon les besoins;
les accumulateurs, comme les appareils produc-
teurs, exigent très peu de surveillance. Les schémas
ci-après (^j. 5 et 6) indiquent le montage de tous ces
appareils; sa connaissance suffira à faire tomber les
préventions des personnes peu initiées, considérant
une installation électrique k fortiori comme com-
plexe et dangereuse ; évidem-
ment, tout dépend de son impor-
tance. Ici, ne l'oublions pas,
nous restons dans les limites de
quelques kilowatts.
Avantages de la houilleverle.
— L'énergie ainsi créée peut ser-
vir non seulement à l'éclairage
des bâtiments delà ferme, mais,
également, à la mise en marche
des multiples machines agri-
coles, depuis le tarare jusqu'aux
batteuses; ceci présente un in-
térêt considérable, à l'heure où
la machinerie agricole se vul-
garise de plus en plus.
Onpeutestimerlaforcenéces-
saire aux machines usuelles à :
LAROUSSE MENSUEL
exemples tes plus typiques est celui des usines de
Thury-Harcourt,où,de deux roues modernes entraî-
nées par l'Orne, l'une, de 30 chevaux, actionne deux
dynamos pour l'éclairage deThury,lautre,de35che- ,
vaux, fait tourner un alternateur de 5.000 volts. Le
Type de turbine employée dans les instaUatiODS de houiHe verte.
courant produit éclaire le bourg d'Aunay-sur-Odon,
à 14 kilomètres de là.
Cependant, lorsqu'il s'agit d'éclairage, il est né-
cessaire d'avoir une production constante de cou-
rant. Or, celle-ci, dans le cas de la houille verte,
dépend du régime des eaux. Cette
question, déjà importante pour les
chutes en montagne, lest ici éga-
lement; mais, tandis que les eaux
glaciaires voient leur débit varier,
on présentant l'hiver un minimum,
au moment où les besoins lumineux
augmentent, les eaux des rivières
présentent précisément l'inverse,
le plus bas niveau coïncidant avec
la sécheresse de l'été. La consom-
mation de lumière variant avec les
saisons selon la même courbe, la
houille verte se montre particu-
lièrement commode {fig. 7).
Jours d'été — peu de lumière
nécessaire = peu d'activité des
turbines.
Jours d'hiver — beaucoup de
lumière nécessaire = grande activité des turbines.
Il faut, toutefois, remarquer que les hautes eaux
lieuvent, par leur exagération, réduire ou annuler
le fonctionnement de la turbine, l'élévation du
niveau d'aval pouvant submerger l'installation.
3i\
petit propriétaire rural disposant de quelques che-
vaux pour s'éclairer et actionner les machines
de sa ferme, jusqu'à celui des sociétés d'éclai-
rage et de force motrice. Les exemples pourraient
être multipliés; leur connaissance suggérerait sans
doute à plus d'un l'idée de prendre sa part
de cette richesse, qui passe perdue au bout de son
domaine...
L'installation d'une chute est subordonnée à di-
verses formalités administratives. Sur les cours
d'eau non navigables et non flottables, le lit appar-
tient aux riverains ; il suffit de respecter le droit
des liers. L'emploi de l'eau élant déjà acquis, les
autorisations sont aisément accordées par le minis-
tère de l'agriculture. Pour les rivières flottables ou
navigables, le lit faisant partie du domaine public,
les autorisations dépendent du ministère des tra-
vaux publics. Si le régime du fleuve n'est pas altéré
par la prise d'eau, les préfets statuent après enquête
des ingénieurs, sauf recours au ministre. 11 en est
de même pour les installations temporaires. Toutes
les autres exigent l'avis du conseil d'Etat ; dans
les cas de concession, le bénéficiaire doit une rede-
vance à l'Etat.
Le ministère de l'agriculture a toujours favorisé
la reprise des petites installations en simplifiant les
formalités, en autorisant ses agents à dresser les
projets d'installation et d'aménagement et en accor-
dant des subventions pour exécuter les travaux. De
fuit, depuis plusieurs années, la progression des
nouvelles usines a été en augmentant. Enfin, pour
mieux réaliser la valeur d'un cours d'eau, il y a
quelquefois avantage, si la chute est trop importante
Tarare, concasseur.
évrémeuse, barat-
te, laiterie
1
clieval.
batteuse
4
chovaui.
Haclio-maïsàgrand
débit
6
chevauï.
Scie mécaoiquo
(circulaire ouà
ruban)
6àS
cbcvaux.
Avec 8 chevaux, un domaine
moyen peut assurer lous ses ser-
vices, les machines ne fonction-
nant pas toutes en même temps ;
en outre, ces 8 chevaux donne-
ront, le soir, plus de lumière
qu'il n'est nécessaire.
L'exploitation agricole peut
donc tirer le meilleur parti d'une
chute voisine, lorsque cette cir-
constance heureuse ne se réa-
lise pas. L'électricité permet encore, par une cana-
lisation aérienne, de porter la Imnière et la force
à dislance, — parallèle lointain avec nos transports
de houille blanche dans les Alpes. Ici, restant dans
les limites plus modestes de noire sujet, on peut
compter transporter à 10 kilomètres environ la moi-
tié de la valeur effective d'une chute.
Plusieurs usines établies d'après cette conception
-assurent l'éclairage de quelques bourgs. Un des
Fiçr. 5. — Installation
grdle; T. turbine : t,
B,
hydro-électrique de houille verte : M, bief d'amont ; N. bief d'aval ;
réglage de la turbine; 0, dynamo: A. batterie d'accumulateur), ;
tableau de distribution ; a, départ de la ligne.
A part cette période d'inondation, ces caplures
par barrage n'ont guère de crainte de manquer de
force. Aussi, pour les petites stations installées en vue
de la distribution de la lumière, il suffit d'un petit
moteur à pétrole, toujours facile à mettre en mar-
che, pour donner le renfort nécessaire et assurer la
régularité exigée par tout service public.
L'utilisation de la houille verte se prête à de
nombreuses combinaisons; depuis l'exemple du
Fig. 6. — Schéma d'une installation électrique ; D, dynamo; A. ampèremètre; V. volt-
mètre; C, disjoncteur pour éviter la décharge de la batterie Aq d'accumulateurs dans la
dynamo; l, lampes ou moteurs d'utilisation; M, commutateur à trois flches pour utiliser,
selon le cas, la dynamo, la batterie, ou procéder à la charge de celle-ci.
pour les besoins des exploitations riveraines, à ce
que les propriétaires se groupent pour établir à frais
communs une petite station centrale. Même, pour
des installations plus importantes, des groupements
d'agriculteurs peuvent constituer des associations
syndicales autorisées par la loi.
Coût de la houille verle. — Si nous reprenons
l'exemple du domaine agricole exigeant 8 chevaux
pour son bon entretien, en comptant le rendement
de la turbine à 0,75 et celui de la dynamo à 0,80, la
chute captée doit représenter au moins 16 chevaux;
par exemple,
800 litres d'eau
à la seconde,
s'écoulant sous
1 "',50 de chute.
Une telle dispo-
sition, en ad-
mettant une
distance de
700 mètres en-
Irelacbuteetla
ferme, revientà
18.000 francs
(prix ante bel-
ium), la turbine
figurant pour
6.000 francs. Le
prix de revient
est de 8,5 cen-
limcs le (Ae val-
heure , moitié
(lu prix de re-
vient du che-
val-heure pro-
duit par une
machine à va-
peur, avec les
avantages d'une mise en marche instantanée et d'une
surveillance facile.
On compte une dépense initiale de 1 .500 francs à
2.000 francs (prix ante bellum) par cheval pour les
installations inférieures à 10 chevaux; ce prix
s'abaisse de 800 à 1.000 francs pour les puissances
comprises entre 10 et 15 chevaux.
Statistique de ta houille verte. — La France,
dans la région ouest, avec les fleuves côliers, les
bassins de la Seine et de la Loire, est éminemment
favorisée en cours d'eau ; dans la seule région nor-
mande, Hresson donne les chiiTres suivants (année
1900) du nombre de rivières et de la puissance
moyenne utilisable (en comptant les iast«lUtions
PriaUin|M.
Fig. 7.— Allure saisonnii-re discours d«^au;
:. De houille veric ; 2. De houiUe bUnche.
342
ayant fonctionné), nombre par suite inrérieur à la
puissance utilisable :
Départements Nombre do Chevaui Utilisés
— cours d'eau, utilisables. en 1900.
Orne 970 .10.200 2. 460
Eure-ot-Loir. . 91 4.160
Manche 820 11.000 2.982
Calvados.... 1.371 9.500
Eure 141 18.000
Sarthe 93S 13.900
Mayenne. ... 1. 496 15.800
D'autre part, au congrès des Sociétés savantes, à
Grenoble, en mai iyi3, le rapporleur, Barbillion, ad-
mettait en France l'exislence de 4().000 iiislallalions
d'une puissance moyenne de 15 chevaux-vapeur,
soit, en somme, près de 700.000 clievaux de puis-
sance totale.
Ce nombre montre l'importance de la houille
verte et Justifie tous les eiicourag-emenls donnés
aux populations rurales en vue de la caplation de
cette énerg-ie; nul doute que les circonstances ac-
tuelles ne provoquent un retour vers les vieux mou-
lins, en les modernisant, pour le grand bien de
l'agriculture. — m. Moumé.
Liotard (Tic^or -Théophile), gouverneur des
colonies et explorateur, né à Pondichéry le 17 iuil-
letl858, mort à Bordeaux le 22 août 1916. 'Venu tout
jeune de l'Inde en Fiance après avoir perdu ses
parents, Victor Liotard avait passé son enfance à
Pont-l'Âbbé, dans la Charente-Inférieure, et avait
fait ses études aux collèges de Saintes et de Roche-
fort. Entré comme étudiant en pharmacie à l'Ecole
de médecine navale de Rochefort, il fut reçu aide-
pharmacien de la marine en 1883, et c'est à ce titre
qu'il débuta dans la vie coloniale; ce fut à la Guade-
loupe qu'ilful d'abord envoyé. Reçu, après concours,
pharmacien de deuxième classe de la marine en 1 888,
il fut envoyé, sur .sa demande, au Sénégal, où il fit
campagne et rendit dis services signalés. C'est
désormaiaen Afrique que devait s'écouler sa brillante
carrière. Au moment de la formation du corps de
santé des colo-
nies, il demanda
à en faire partie
et fut nommé
pharmacien de
première classe
des colon'<îs .
C'est alors qu'il
se mit à la dis-
position du com-
missaire général
dugouvernement
au Congo, de
Brazza, et qu'il
commença dans
l'Afrique cen-
trale des expédi-
tions qui se pour-
suivirent durant
sept années pres-
que sans inter-
ruption. Au cours
de ces difficiles missions, il ne se montra pas seu-
lement un explorateur actif et hardi, il se distingua
également par ses qualités d'administrateur aussi
habile que prudent.
Arrivé au Congo en décembre 1891, Liotard eut
à défendre nos nouveaux établissements contre les
tentatives de pénétration des agents de l'Etat indé-
pendant du Congo. Une interprétation erronée, qui
avait été donnée par les Belges à la convention du
29 avril 1887, avait suscité ces conflits territoriaux
et amené nos voisins à pénétrer dans des régions
que noua regardions comme dépendant du Congo
français. Notre envoyé sut très habilement sauve-
garder les intérêts français dans le llaiit-Oubangui,
malgréles difficultés de la situation, et ce fut avec des
forces très restreintes, malgré l'envoi de quelques
renforts, qu'il dut assurer la défense de nos postes
et réprimer les mouvements hostiles des yidigènes.
Un nouvel accord ayant été conclu le 14 août 1894
entre la France et l'Etat indépendant du Congo,
Victor Iviotard, revenu au Congo après un repos de
sept mois en France, put, en 1895, comme comiiii.s-
saire du gouvernement dans le Haut-Oubangui,
poursuivre l'occupation des territoires où s'étaient
à tort installés les Belges, et il fit successivement
(lotter notre pavillon sur Bangasso, Rafaï et, le
10 juillet 1895, sur Semio.
C'est alors que Victor Liotard put reprendre l'exé-
cution du programme de pénétration vers le Nil et
qu'il commença l'occupation progressive de la pro-
vince du Bahr-el-GhazaI, que les Congolais belges
venaient de nous abandonner. En février 1896, ac-
compagné du capitaine Hossinger, il arriva dans le
bassin du Haut-Nil à Tamboura. dont le sultan
signa un traité de protectorat.
A ce moment, un petit corps expéditionnaire, qui
devait jouer un grand rôle dans l'histoire du Congo,
fut envoyé vers le Haut-Oubangui ; ce fut la mission
Marchand. Parti de Marseille le 25 juin 1896, le
capitaine Marchand débarqua à Loango le 23 juil-
. Victor Liotard.
LAHOUSSiî MENSUEL
let; ce fut seulement le 1" mars 1897 que la mission
put quitter Brazzaville et se mettre en route pour
le Haut-Oubangui, d'où elle devait gagner le Nil.
A son arrivée à Kouango, le 18 avril, le capitaine
Marchand reçut du commissaire Liotard, qui opé-
rait dans la région de Dem-Ziber, le conseil fort
avisé de prendre, pour se diriger vers le Nil, la voie
de Tamboura de préférence à celle de Dem-Ziber,
qui n'était pas encore soumise; malgré les diffi-
cultés que présentait la traversée des marécages du
Bahr-el-Ghazal, le capitaine Marchand se conforma
sagement à cet avis.
Liotard put, pendant ce temps, grâce à l'influence
que par son habile diplomatie il savait gagner sur
les populations, poursuivre sans encombre et avec
de faibles forces la prise de possession du Bahr-
el-Ghazal. Le 17 avril 1897, l'interprète militaire
Grech, envoyé en avant, put arborer le drapeau
Irançais sur les ruines de Dem-Ziber, l'ancienne
résidence de Lupton-bey, gouverneur du Bahr-
el-Ghazal au nom de l'Egypte, et, dix jours après,
le peloton de tirailleurs sénégalais qui suivait, sous
les ordres du lieutenant Chapuis, vint s'y installer.
.\n milieu de juin, Liotard arriva lui-même à
Dem-Ziber.
C'est ainsi que Victor Liotard avait, par son habile
politique vis-à-vis des indigènes, par sa ténacité et
son courage, préparé la marche de l'héroïque mis-
sion Marchand, qui devait s'achever à Fachoda,
le 10 juillet 1898.
Le brillant collaborateur de Brazza avait été
nommé gouverneur de 4"^ classe des colonies en 1896
et de 3= en 1898. En 1900, il fut désigné pour rem-
placer Victor Ballot comme gouverneur du Daho-
mey et fut élevé, l'année suivante, à la 2" classe de
son grade et à la l" en 1904. Il devint gouver-
neur de la Nouvelle-Calédonie en 1906 et, en 1908,
il fut mis à la tête de la Guinée française, dont
il sut assurer la tranquillité et le développement
économique. Admis à la retraite en 1910 et nommé
gouverneur général honoraire, il fut appelé aux
fonctions de percepteur à Pessac, près de Bor-
deaux. — Gustave REOELsi'EaoER.
* marron n. m. — Encycl. Ulilisation des
marrons d'Inde. Depuis l'époque déjà lointaine
(v. Nouv. Lar. ill.,i, V), où la culture du marron-
nier d'Inde {sesculus hippocaslaneum) fut introduite
en France, tous ceux qui ont vu, à l'automne, sur nos
promenades publiques, la terre jonchée de ces
beaux fruits de couleur caractéristique se sont de-
mandé si l'on n'arriverait pas, quelque jour, à les
utiliser, soit au point de vue industriel, soit même
au point de vue alimentaire. C'est dire que la ques-
tion de l'emploi du marron d'Inde n'est pas nouvelle
et, pourtant, il a fallu arriver jusqu'aux heures diffi-
ciles que nous traversons aujourd'hui pour voir
aboutir des essais préconisés depuis longtemps.
Depuis quelques mois, le marron d'Inde n'est plus
un produit sans valeur: l'Etat s'est décidé à l'utiliser
pour la préparation de l'alcool et de l'acétone, deux
produits indispensables à la conduite de la guerre.
Les marrons secs et débarrassés de leur enveloppe
sontpayéslS centimes le kilogramme (8 centimes
pour le ramasseur, 5 centimes pour le collecteur,
2 centimes pour l'expéditeur).
Le fruit du marronnier comprend une grosse cap-
.sule verte, hérissée d'aiguilles, qui renferme généra-
lement une ou deux graines; celte capsule se détache
facilement, et les graines constituent le marron pro-
prement dit. Celui-ci est formé de deux cotylédons
soudés et d'une radicule placée dans une dépression ;
l'enveloppe a une belle couleur hriuie. L'analyse
chimique du marron d'Inde a été faite bien souvent,
soit pour des marrons secs ou frais, ou encore pour
des marrons décortiqués ou non. La partie cotylé-
donaire sèche renferme, d'après A. Gori {Comptes
rendus de l'Académie des sciences, 3 septem-
bre! 917), 2à 3 p. 100 de matières grasscs,6à7p. ion
de matières azotées et 20 à 30 p. 100 d'amidon, avec
une substance amère du groupe des saponines et
une substance colorante. C'est cet amidon qui est
transformé en sucre, puis en alcool et en acé-
tone. Cet emploi industriel du marron d'Inde sur-
vivra-t-il à la guerre? Rien n'est moins certain, car
les frais de main-d'œuvre et de transport sont
relativement élevés.
C'est surtout au point de vue de l'alimentation des
animaux que les essais faits ces temps derniers avec
le marron d'Inde peuventdevenir intéressants. D'ail-
leurs, cette question d'alimentation a été envisagée
depuis longtemps : Parmenlier, en 1771, faisait con-
naître un procédé permettant de fabriquer du pain
avec une fécule de marron préparée d'une façon
spéciale et mélangée avec un poids égal de pommes
de terre préalablement cuites ; Baume (pluviôse
an V) indiquait la préparation d'un pain de marron
d'Inde que l'on obtenait par l'emploi d'une farine
de marron avec deux fois son poids de farine de blé.
Ce qui fait que le marron d'Inde n'a pas été em-
ployé, jusqu'ici, d'une façon générale, comme ali-
ment pour les animaux, c'est l'idée préconçue que
ce fruit est vénéneux ; ce n'est généralement que
depuis quelques années, dans certaines campagnes
N' 131. Janvier 1918-
de France, que l'on s'est risqué à l'utiliser pour
1 alimentation des vaches et des moutons, et les
essais ont donné d'excellents résultats.
La grosse difficulté pour faire accepter le marron
par certains animaux est qu'il renferme un principe
amer, sur la nature duquel les chimistes ne sont pas
d'accord: Frémy a cru l'identifier avec lasaponine;
Uochleder, après avoir fait un extrait alcoolique des
cotylédons, en a extrait une matière amorphe, jaune
et colorante, une substance qui correspond à la sa-
ponine de Frémy et à laquelle il a attribué la foi-
Rameau fleuri de marronnier :
A,' fruit dans son brou ; H, graine ou marron d'Inde.
mule C'2 H'» O^" et, enfin, un principe amer, l'argy-
rescine. Quoi qu'il en soit, plusieurs traitements peu-
vent être utilisés pour débarrasser la pulpe de mar-
ron de ce principe amer. Parmenlier et Baume la ré-
duisaient en une pâle, à laquelle ils faisaient subir
plusieurs lavages à l'eau puie; d'autres ont utilisé
l'eau alcaline ou même acidulée. Il est bien évident
qu'on ne saurait s'arrêter à un trailementcompliqué,
s'il s'agit de la nourriture du bétail. D'une commu-
nication faite par Dechambre à l'Académie d'agri-
culture (24 octobre 1917) il résulte que « le marron
cru, grossièrement broyé, convient au mouton jus-
qu'à la dose de 1 kilogramme. Cuit à la vapeur ou
à la chaudière, avec rejet de l'eau de cuisson, il
peut entrer dans la ration des bovins d'engraissement
jusqu'à la dose de 3 kilogrammes. Sous la forme de
farine obtenue après concassage, lévigation et sé-
chage, afin de faire disparaître le principe amer, le
marron sera accepté par le porc, qui en recevra ainsi
1 kilogramme dans sa pâtée ». De plus, il faudra se
garder de donner des marrons aux animaux de
basse-cour, car ils constituent pour ceux-ci et sur-
tout pour le canard un toxique relativement puis-
sant. — Q. Lemaire.
M'ûntz (Charles-/lc/(!7/e), chimiste français, né
à Soultz-sous-Forêls (Bas-Rhin) le 10 août 1846,
mort à Paris le 20 février 1917. Issu d'une vieille
famille alsacienne, il était le frère d'Eugène Miintz,
l'éminenl historien d'art français, mort à Paris en
1902. Son grand-père fut député du Bas-Rliin de
1831 à 1835; son père, notaire à Soultz-sous-Korêts.
avait été obligé d'abandonner son élude pour avoir
refusé le serment de fidélité à l'empereur.el il s'était
réfugié à Paris, où il avait trouvé un emploi à la
Compagnie des chemins de fer de l'Est. D'une na-
ture délicale, Achille Miintz fut élevé par une de
ses tantes à Wœrhl-sur-Sauer, et ce n'est qu'en 1863
qu'il vint rejoindre son père à Paris; il termina ses
études élémentaires au colli'ge Chaptal, puis suivit
les cours de l'Ecole de pharmacie.
En 1867, il devint préparateur de Roussingaull au
Conservatoire national des Arls-et-Métiers; ce fut ce
qui décida sa vocation. A l'école du maître dont les
travaux de chimie agricole opérèrenl une véritable
révolution dans l'agriculture et l'orientèrent dans la
voie véritablement scientifique qu'elle suit aujour-
d'hui, il ne tarda pas à se passionner pour celle
science. Schlœsing ayant suppléé Boussingaull dans
cette chaire d'économie rural;, dont il devait devenir
titulaire en 1887, Miintz continua ses fonctions de
préparateur, et ils collaborèrent pour mener à bonne
fin toute une série de travaux de la plus haute im-
portance.
Il resta au Conservatoire des Arts-et-Métiers jus-
qu'en 1875 et fut ensuite attaché au service des con-
tributions indirectes en qualité de chimislc en chef
du laboratoire d'Arras pour l'analyse des sucres.
I
Achille Mûntz.
(V 131. Janvier 1918-
En 1876, l'Institut national agronomique ayant élé re-
constitué, il lut choisi comme chef des travaux prati-
ques de chimie. Boussingaull avait élé nommé direc-
I -Mt des laboratoires ; à la mort de ce dernier, Miintz
iii succéda et conserva jusqu'à sa mort le poste de
professeur-directeur des laboratoires de chimie de
cette école.
Miinlz était un travailleur consciencieux et mo-
deste; haliile praticien, il s'attaqua surtout aux grands
probliMiies de l'agronomie présentant une application
pratique immédiate. Elève de Boussingault, il appli-
quait lui-même ses méthodes et ses découvertes, et
ce lut un agriculteur de premier ordre; il cultivait
de vastes étendues de terrain, qui lui servaient de
champs d'expé-
riences. Il a ex-
ploité de grands
vignobles, et les
travauxqu'il a pu-
bliés sur la cul-
ture de la vigne et
lesmaladiesduvin
sont aujourd'hui
connus de tous
les viticulteurs.
Ce fut également
à la suite d'une
longue expéri-
mentation qu'il
publia son mé-
moire surlanour-
rilure du bétail.
il avait opéré sur
d e nombreuses
étables, sur les
chevaux de la
Compagnie générale des omnibus de Paris et sur
les chevaux de plusieurs régiments de cavalerie.
La plus belle découverte de MUntz est celle qu'il
fit, en collaboration avec Schlœsing, du ferment
nitrique. La nitrification eslla formation de nitrates
aux dépens de l'azote organique ou ammoniacal des
sols. Boussingault avait déjà montré que l'azolelibre
n'intervient pas dans la nitrification et que l'acide
azotique se forme aux dépens des matières orga-
niques du sol. Ce fut en 1877-1879 que Schlœsing; et
MUntz découvrirent l'action microbienne qui préside
au phénomène; ils ont tout d'abord constaté que,
dans une terre soumise à l'action des vapeurs de
cliloroforme ou stérilisée à 100°, la nilrilication ne
se produisait pas; elle se trouvait brusquement arrê-
tée et ne réapparaissait que lorsque la terre était
de nouveau abandonnée à elle-même et grâce à un
nouvel ensemencement avec une parcelle de terre
végétale. Enfin, ils sont parvenus à isoler et à cul-
liver le ferment nitrique dans un milieu approprié,
en particulier dans l'eau d'égout stérilisée.
Le microbe nitrique, qu'ils ont appelé micrococcus
nilrificans, a une forme ronde, légèrement ovale ; il
est aérobie et se trouve répandu dans toute la terre
végétale; sa fonction a pour objet d'apporter l'oxy-
gène gazeux aux matières organiques du sol.
Mûntz a encore montré que, chaque fois que la
nitrification est entravée, soit par compacité de la
terre, par exemple, ou encore par acidité ou manque
de ferment nitrique, l'azote des matières organiques
se transforme en ammoniaque; même si la nitrifica-
tion est normale, il y a encore formation de petites
quantités d'ammoniaque. Il a établi, avec Marcano,
que les grands gisements naturels de nitrates que
l'on rencontre dans le sol proviennent de l'action
de l'eau de mer sur d'immenses masses de matières
organiques, qui sont, en général, d'orgine animale.
Ses éludes sur la composition de l'air atmosphé-
rique nous ont également fourni des résultais
remarquables. A l'aide de méthodes nouvelles pour
le dosage de l'ammoniaque et des produits nitreux,
il a montré qu'en général, la teneur de l'air en gaz
carbonique ne varie guère avec l'altitude, mais
qu'elle diminue toutefois dans les parages du cap
Horn et en Patagonie, ce qui s'explique par l'aug-
mentation de solubilité du gaz due au refroidisse-
ment de l'air au contact des mers australes. Avec
Aubin, il a montré qu'aux altitudes élevées, l'air
contient des poussières d'azotate d'ammoniaque; il
a également décelé dans l'air la présence de vapeur
d'alcool et de gaz carbonés combustibles, cet alcool
provenant, d'après lui, de la décomposition des
malières organiques du sol. 11 a étudié, avec Mar-
rano, la quantité d'oxygène apportée & la terre par
les eaux de pluie; avec le même collaboraleur, il a
découvert la perséite dans le laiirus Persea, etc.
P^n dehors de nombreux mémoires, qui ont été
publiés dans les « Comptes rendus ■> de l'Académie
lies sciences, les » Annales de l'Institut agronomi-
que ». etc., il a fait paraître à part : Recherches sur
t alimenlation des chevaux, dans 1' « Encyclopédie
Frémy ■>, avec la collaboration d'A.-Ch. Girard (1884) ;
Mélliodes d'analyses appliquées aux substances
O7rtfo/es(t888); îes Vir/nes. Recherches expérimen-
tales sur leur culture et leur exploitation, en colla-
boration avec E.Rousseau (1895; flappoW.îur /eipro-
cédés à emploi/er pour reconnaître tes falsifications
des huiles d'olive comestibles et indualriellea (1895];
LAROUSSE MENSUEL
Etude sur la valeur agricole des terres de Mada- i
gascar, avec E. Rousseau (1901); tes Industries de
la conservation des aliments (1906); Eaux météo-
riques et atmosphériques, avec la collaboration de
Laisné; Recherches sur la nitrification intensive et
l'établissement des nitrières à haut rendement,
avec la collaboration de Laisné (1908), etc. Il a
aussi dirigé la publication de la « Bibliothèque de
I enseignement agricole u.CettecoUection d'ouvrages
du plus haut intérêt n'a malheureusement pas été
achevée. C'est dans cette série qu'il publia son traité
les Engrais, avec la collaboration d'A.-Ch. Girard
(3 vol. [1888-1891]); cette œuvre de vulgarisation eut
un retentissement considérable et consacra la répu-
tation de Muntz parmi les agriculteurs.
Miintz avait été élu membre de l'Académie des
sciences en 1896, pour la section d'économie rurale ;
il succédait à Jules de Reiset. Il était aussi direc-
teur de la station de recherches de chimie végétale
lin Collège de France et officier de la Légion d'hon-
neur. — O. Bouchent.
naturemortiste {tisst') n. Peintre de natures
morles : La Société des pastellistes est fondée. Nous
aurons ensuite les natubemortistes, les portraitis-
tes, les légumisles, lespanoramistes, lesvérétisles.
navalisme {tissm') n. m. Politique tendant à
conquérir la suprématie navale dans le monde entier :
Dernburg a cru justifier le militarisme prussien
en attaquant le navalisme anglais.
neurasth.énisant {sté-7ii-zan), ante adj-
verb. Qui produit la neurasthénie : Le vide est neu-
RASTHÉNiSANT. (Marcel Prévost.)
obusite {zit') n. f. Pathol. Ensemble de trou-
bles, les uns organiques, les autres fonctionnels, que
l'éclatement proche d'un obus de gros calibre déter-
mine chez certains sujets, sans qu'ils soient propre-
ment atteints (Elle se manifeste souvent par une
surdité, soit organique, soit névropathique) : i'oBU-
siTE, étudiée par Ranjard, est causée par une mo-
dification brusque de la pression atynospliérique
ambiante et par l'intensité de la détonation.
Plantes médicinales (les). [Culture et
récolte]. Depuis quelque temps, les gouvernements
d'Angleterre, d'Italie et surtout de Russie se préoc-
cupent d'encourager dans leurs pays la récolte et
la culture des plantes médicinales. En effet, la plus
grande partie de ces plantes provenaient, avant la
guerre, d'Allemagne et d'Autricbe-Hongrie. C'était
donc un tribut assez lourd que chacun payait aux
Empires du centre de l'Europe, nos ennemis actuels.
II était d'un très gros intérêt de s'en affranchir, ce
qu'ont compris nos alliés, qui s'efforcent, par divers
moyens, d'établir surtout la culture de ces plantes,
assez rares sur leur territoire. On peut citer, à cet
égard, la Russie, qui a distribué aux cultivateurs
plusieurs milliers de déciatines de semences, éva-
lués à une somme de 9 millions de roubles.
A son tour, la France se doit d'instaurer chez elle
sinon la culture des plantes médicinales, culture
sur les difficultés et les aléas de laquelle nous
reviendrons plus loin, du moins leur
récolte. La plus grande partie de
ci^s végétaux poussent, en effet, natu-
rellement et à l'état sauvage .«nr
notre sol. D'autre part, les sorties
d'or qu'e.xigeait jadis leur achat à
l'élranger atteignaient plusieurs di-
zaines de millions. Beaucoupd'excel-
lents esprits se sont donc préoccu-
pés de cette question, et deux im-
fiortants rapports ont été écrits sur
e sujet et présentés au Syndicat gé-
néral de la droguerie française : l'un par Boulan-
ger (de Paris), l'autre par de Poumeyrol (de
Lyon). Nous puiserons quelques précisions dans
ces deux documents, ainsi que dans un article ré-
cent du D' Chevalier, afin d'établir l'intérêt qui
s'attache à la vulgarisation de cette industrie et à
la façon dont on peut espérer la mener à bien.
L'intérêt financier, dont nous avons déjà parlé,
est un des premiers à mettre en lumière. Les sta-
tistiques de l'administration des douanes nous
peuvent, en cette matière, servir de guide, malgré
qu'il soit assez malaisé de faire état de leurs ren-
seignements. Cela lient à ce que les plantes médi-
cinales n'y ont pas une place à part, mais sont
comprises dans un ensemble qui groupe une grande
quantité de végétaux, lesquels peuventêtre importés
dans des buts divers. Nous y verrons, néanmoins,
que les racines, par exemple, figurent dans le lotal
de ces importations pour 6 millions de francs (chiffre
rond) en 1907, pour 5 millions en 1908, pour 5 mil-
lions et demi en 1909. De même, les fleurs et feuilles
arrivent, pour chacune de ces années, à un total
d'environ 4 millions ; les écorces à deux millions
environ, etc. Le total de ces importations, en ne
considérant que les espèces utilisées par la dro-
guerie, arrive donc à une somme fort importante,
qui se chifi're certainement, comme le dit le pro-
fesseur Perrot, par dizaines de millions.
Mais il y a d'autres intérêts en jeu que le finan-
cier. Celui de la droguerie est, sans doute, le plus
Am&nde (fruit et coupe).
Uistorte (racine).
343
sérieux, si l'on mel à part l'intérêt des malades, qui
lui est connexe et sur lequel nous reviendrons.
Etant donné la provenance habituelle des plantes
médicinales, elles ont, dès le début de la présente
guerre, lait défaut et, malgré les prix élevés qu'ils
ont offerts, les droguistes n'ont pu se les procurer
qu'en quantité fort inférieure aux besoins, même
les plus pressants. La situation s'aggravait, en effet,
du fait que la mobili-
sation avait enlevé à leur
travail les quelques rares
récoltcurs qui existaient
en France. « Il ne s'est
pas recueilli, depuis le
début des hostilités, dit
dans son rapport de Pou-
meyrol, un dixième de la
quantité produite babi-
tuellementsurlesol fran-
çais, quantité qui était déjà bien loin de sufQre aux
besoins de la consommation nationale ».
11 faut donc, de toute nécessité, pour maintenant
et pour plus tard, organiser sur des bases beaucoup
plus larges la récolte des plantes médicinales sur
notre territoire : pour maintenant, afin de parer aux
besoins urgents de la droguerie; pour plus tard,
afin de cesser nos achats à l'étranger et de procurer
à nos nationaux de très appréciables ressources,
lout en exigeant des frais d'installation à peu près
nuls. Nous créerons ainsi une industrie qui, ne ré-
clamant que des con-
naissances très élé-
mentaires et vite ac-
quises, permet d'utili-
ser l'activité de tous,
depuis les femmes et
les enfants jusqu'au.x
mutilés et aux conva
lescenls, chose fort
appréciable à l'heure
présente.
Avantd'examinerles
conditions dans les-
quelles peut et doit se
faire cette récolte, il
nous paraît nécessaire
de donner quelques
notions sur les plantes
médicinales, leurs usages, leur efficacité et leurs
baliitats. Ce sera la meilleure façon de considérer,
dans ce problème, l'intérêt des malades, qui de-
vront, en définitive, profiter de leurs qualités.
Utilisation des plantes médicinales. — Il est
facile, évidemment, de railler l'usage des plantes
médicinales et de se gausser, suivant un mot connu,
de « la médecine des simples, h l'usage des imbé-
ciles ». Mais, à regarder les choses de plus près,
on change rapiilement d'opinion. 11 est bien évident
qu'un cerlain nombre
de remèdes des près et
(les bois usurpent une
iiputation que rien ne
vient légitimer et que.
parmi les recettes qui
sont conservées prè-
cieu'^emenl dans les
campagnes , beaucoup
n'ontqu'une valeur très
médiocre. Un grand
nombre de ces plantes,
par contre, ont une ac-
tion réelle, si réelle que
plusieurs d'entre elles
sont des poisons vio-
lents. D'autre part, les
précautions d'heure, de
saison, de lunaison, re-
commandées pour leur
cueillette, ont pris
une allure de mystère
sous laquelle se e:i-
chentdes traditions par-
foi s fort sages.
Si nous consultons
la liste des piaules chiendent
médicinales ou recon-
nues comme telles, nous y trouverons d'abord
les espèces majeures : celles dont on relire, sous
le nom d'alcaloïdes, des remèdes extrêmement
actifs, que la médecineutilise quotidiennement d'une
façon très satisfaisante. Dans celle série figureront,
par exemple, la digitale (digitaline), le genêt (spar-
téine), l'aconit (aconitineU la Jusquiame (hyoscya-
mine), la belladone (atropine). Puis viendront ries
espèces d'action moindre, mais encore indéniable,
parmi lesquelles nous placerons des purgatif» comme
le nerprun, le ricin, la mercuriale, des anlhelmin-
Ihiques comme le grenadier et la fougère mâle, des
anligoutlenx comme la colchique et l,i bryone, puis
la rue, l'uva-ursi, la sabine, la valériane. D'autres,
moins importantes, mais encore très utiles, figurent
dans des remèdes connus, comme la chicorée et
l'alkékenge, lesquels font partie du sirop de chicorée,
utilisé chez les petits enfants, le millepertuis, qui
Bourgeon de sapin.
3U
entre dans le baume du Commandeur, le capillaire,
qui fait partie de Iclixir de Garus, le cresson, qui
entre dans le sirop antiscorlmtique, l'amandier, qui
sert k préparer le sirop d'orgeat et les lociis. Viennent
ensuite les innombrables tisanes, dont les vertus ont
été réhabilitées par le professeur Pic au congrès de
Lyon (1911) : bouirache, bouleau, camomille, cliien-
dent, pensée, violette, lichen, til-
leul, etc. Nous ferons ensuite une
classe à part des plantes em-
ployées par les fabricants de li-
queurs : le carvi, le fenouil, l'ab-
sinthe, la coriandre, le genépy, la
gentiane, les menthes. Puis nous
retiendrons celles qui sont utili-
sées en parfumerie : lavande,
thym, romarin, saponaire. Reste-
ront alors les véritables simples,
celles dont les vertus ne sont rien moins que dé-
montrées. Ne les considérons pas encore comme
inactives, car, quotidiennement, nous découvrons
que, moyennant telles particularités de récolte ou
tel moyen de traitement, elles se montrent, au con-
traire, efficaces. Peut-être n'est-il pas inutile de
donnerde celle assertion quelques
exemples : celui de la bardane,
dont la racine sèche n'a aucune
action véritable, tandis que, si
elle est utilisée fraîche, elle four-
nit un remède fort actif contre la
furonculose; celui du fenugrec,
qu'.Xvicenne recommandait con-
tre le diabète et que, récemment,
nous avons, en elTet, reconnu actif
contre cette maladie; celui, enflii,
de l'aubépine, qui est, d'après des
compétences indiscutables, iilile
contre l'hypertension artérielle.
On multiplierait facilement ces
preuves.
Ce rapide coup d'œil suffit,
fiensons-nous, à démontrer que
es plantes médicinales ont une
très réelle ulilité et que les cueil-
lir, les vendre aux droguistes,
c'est contribuer à guérir ou, tout
au moins, à soulager un nombre
très grand de malades. Ces uti-
lisations successives que nous
avons passées en revue nous
prouvent, d'autre part, que leur sryone racine au aoi).
commerce ne risque pas de péri-
cliter de sitôt et que les droguistes, qui s'en ser-
vent pour tant de préparations de tout ordre, en ont
un besoin constant. Les déboui:hés de cette indus-
trie sont donc, dès maintenant, assurés, et l'on peut
estimer que la vogue de ces plantes n'est pas près
de s'arrêter.
Habitai des plantes médicinales. — Quand nous
avons dit plus haut que les
plantes médicinales, du moins
pour la très grande majorité,
poussaient naturellenieiil chez
nous, nous n'avons pas voulu
annoncer, bien entendu, qu'on
les trouverait toutes en toute
région de notre territoire.
Chacune d'elles a son habilat
préféré et indispensable, ce-
lui qui réalise non seulement
les conditions qui convien-
nent à sa végétation, mais,
parfois, celui qui, seul, lui
donne ses principes actifs.
Nous verrons tout à l'heure
quelle importance ces di-
verses notions prennent dans
l'installation de cette indus-
trie chez nous. Pour le mo-
ment, et surtout pour compléter les notions géné-
rales que nous croyons devoir donner sur les
simples, nous indiquerons, à titre d'exemples, les
habitats des principales parmi ces plantes; ceci, de
façon sommaire, car quelques-unes d'entre elles
pourraient parfaitement pren-
dre place dans plusieurs de
ce» catégories à la fois.
Il y a d'abord celles qui
poussent partout, dans les
lieux incultes, sur le bord
des chemins, celles que nous
piétinons à chaque instant
sans nous soucier soit de
leur valeur médicinale, soit
des ressources pécuniaires
qu'elles peuvent fournir. Ci-
tons, parmi ces plantes bana-
les, le millefeuille, l'armoise,
la fougère mâle, l'épine-vinelte, la bourrache, la
bryone, la centaurée, la chicorée sauvage, la cus-
cute, le cynoglosse, la slramoine, l'œillet, l'herbe
aux chantres, l'épurge, le fumeterre, le lierre ter-
restre, la jusquiame, le millepertuis, l'ortie blanche,
la bardane, le melilot, la mercuriale, le bugrane,
Consolide (racine).
Datura stramoine
(fruit et graine grossis).
Grenade ouverte.
LAROUSSE MENSUEL
l'origan, la pariétaire, l'alkékenge, le plantain, la
ronce, la patience, le séneçon, la tanaisie, la ver-
veine, le bouillon-blanc, elc.
Dans les régions méridionales du pays seulement
se rencontrent l'adonis, le charbon-bénit, la slaphi-
saigre, le concombre sauvage,
le fenouil, le galega,rhysope,
le psyllium, le romarin, la
sauge, le capillaire.
Dans les pays montagneux,
on peut cueillir l'aconit, le
pied-de-chat, l'uva-ursi, la
spargulaire, l'arnica, la bella-
done, la gentiane, la sabine,
la livèche, la joubarbe, le
sorbier des oiseaux, l'ellébore
noir.
Au bord de la mer et dans
les lieux salés, se trouvent l'ache, l'absinthe mari-
lime, la scille, le cinéraire maritime.
Au bord de l'eau, on peut récoller l'acore, la gui-
mauve, le cochléaria, la menthe verte, le saule
blatic, la scropbulaire, la douce-amère, la valé-
riane, la morelle noire.
Sur les coteaux secs, vivent l'anémone, le buis, le
serpolet, le dompte- venin, la pensée sauvage; dans
les régions gréseuses et gra-
nitiques, la digitale, le lyco-
pode, le genêt ; dans les
haies et les buissons, le lise-
ron, le gratteron, l'herbe
à Robert, la grande mauve,
le prunellier, le nerprun, la
bourdaine, la saponaire, la
pervenche.
Les bois et forêts nous
fournissent le bouleau, le
châtaignier, le muguet, l'au-
bépLne, le faux ébénier, la
ficaire, le fraisier, le houx,
le noyer, le genévrier, la
mélisse, le sceau de Salo-
mon, le polypode, le peu-
plier noir, le chêne, la scolopendre, la véi'onique,
la violette.
On récolte, dans les pâturages humides, le col-
chique, la petite centaurée, l'aunée, la menthe, la
historié, l'ulmaire, la grande consoude, le tussilage;
dans les marais bourbeux, la ciguë vireuse, le ros-
sulis, la graliole, le ményanlhe; dans l'eau, enfin,
le cresson, les nénufars, la phellandrie.
Enfin, existent chez nous, cultivés : l'angélique, la
camomille, le persil, la petite absinthe, la menthe
poivrée, la coriandre, le laurier-cerise,
le laurier-rose, le fraisier, la réglisse,
le houblon, l'origan, la marjolaine, la
pivoine, la rose (à cent feuilles et de
Provins), la vigne, le gaultheria, etc.
Nous n'avons pas tout nommé, tant
s'en faut. Cette liste, pour très incom-
plète qu'elle soit, peut déjà montrer
quelle quantité et quelle variété de (fruit en coupe)
plantes il est possible de cueillir chez
nous. Toutes ces plantes sont utilisées et, par
conséquent, demandées par les droguistes. Toutes,
(|uoique à des degrés divers, tenant à leur rareté
plus ou moins grande, aux difficultés de la récolte,
aux soins dont elles ont besoin, peuvent procurer
des ressources apprécia-
bles à leurs récolteurs.
Disons, dès maintetenanl,
que, sauf cas un peu
exceptionnels, il ne faut
néanmoins, pas compter
que cette récolte suîlise
à assurer la vie des fa-
milles. Les ressources
qu'elle procurera doivent
venir comme un appoint, appoint facilement gagné
et bien tentant pour les habitants des campagnes,
pour lesquels la peine à prendre sera véritablement
bien petite.
Encore faut-il qu'ils ne la prennent qu'à bon
escient, c'est-à-dire qu'ils effectuent une récolte
vraiment utile, qu ils traitent les plantes comme
Guimauve (racine).
Jujubier
Colchique (bulbe).
Mercuriale ; a, mâle, b, femelle.
elles doivent l'être et qu'ils sachent à qui vendre
leur récolte. Il ne s'agit pas, en effet, de récolter
au hasard, pêle-mêle et de croire que le droguiste
(ou, en général, l'acheteur) aura le loisir de faire le
tri dans cette cueillette. Il faut cueillir certaines
plantes, qui seront d'un rapport assuré, et rien
qu'elles. En d'autres termes, il y a, dans cette in-
«• 131. jMvier 1918.
dustrie, quatre points essentiels : connaître, cueillir,
sécher, vendre.
Connaître, d'abord. Nous avons montré qu'il est,
suivant les pays, des plantes dont la récolle est
plus facile, d'autres qu'on n'y trouvera pas ou, seu-
lement, en petiles quantités. Il en est, en même
temps, parmi celles qui viennent naturellement
dans la contrée, certaines dont la vente sera rému-
nératrice, d'autres trop banales pour pouvoir pro-
curer des ressources, sinon en très grands stocks.
Il faudra connaître les unes et les autres, afin de
savoir dans quel
sens diriger ses
efforts. Les pre-
miers maîtres
doivent se trou-
ver sur place. Ce
seront les institu-
teurs, les curés,
les professeurs
d'agriculture, les
pharmaciens, tou-
tes gens qui con-
naissent les plan-
tes pour les
avoir étudiées. Au
besoin, il est cer-
tain que les dro-
guistes intéressés
à celle récolle et
futurs acheteurs
ne demanderont
pas mieux que
d'aider ces moni-
teurs de leurs
conseils. On a pré-
conisé fort juste-
ment la création,
dans certains cen-
tres, de musées
sommaires, oîi un
herbier, à la disposition de tous, conserverait les
types des principales plantes qu'il y a possibilité de
récolter et qu'il y a avantage à cueillir dans la
région. C'est sur celles-là exclusivement que devra
porter l'effort des récolleurs.
Cueillir, ensuite. Chacune de ces plantes demande
à. être récoltée à une époque donnée, et la cueillir à
d'autres moments serait s'exposer à travailler pour
rien. Il y a ainsi un véritable calendrier du récol-
Orande patience.
Tètes de pavot (formes différentes).
leur de plantes, qui donne l'époque la plus favorable
pour chacune d'entre elles. On peut y voir que cette
industrie des plantes médicinales pourra s'exercer
tout au long de l'année; mais les mois d'hiver, bien
entendu, seront presque une morte-saison et de-
vront être considérés comme tels dans plusieurs
régions. Le temps favorable à la récolte varie ainsi
suivant les espèces et le terrain.
Il est impossible, en conséquence,
de fixer une date, même approxi-
mative, de façon générale. Tout
ce que l'on peut dire, c'est que
les (leurs doivent être cueillies
en plein épanouissement, plutôt
avant qu'après : les leuilles au
moment où les organes de repro-
duction commencent k se déve-
lopper, les racines en mai-juin,
au moment de la floraison.
On vient de voir, par les quel
ques lignes qui précèdent, que ce
ne sont pas les mêmes parties
que l'on doit rechercher dans
chaque planle. Pour l'une, c'est la
racine, pour une seconde, la fleur,
pour d'autres, la feuille ou la tige
qui est utilisée et renferme les
produits actifs. Il faut encore tenii
compte de l'âge nécessaire do ces
différentes parties, et les racines,
par exemple, ne se récoltent en
général que la deuxième ou la
troisième année. Tout cela, qui
est encore à apprendre avant de
se livrer k celte profession, est
beaucoup plus simple qu'il n'y paraît au premier
abord. Il faut réfléchir, en effet, que, pour chaque
contrée, l'acquisition des connaissances nécessaires
ne portera que sur un petit nombre d'espèces.
En troisième lieu, sécher. C'est là, à n'en pas
douter, la partie la plus difficile et, surtout, la plus
délicate. Il faut bien savoir que les droguistes, dis-
Raifort (racinei.
Supplément au N- 131. Janvier 1918. LAROUSSE MENSUEL
Tableau des principales plantes médioinades existant en France à l'état sauvage.
34S
NOM
FRANÇAIS
NOM LATIN
Absinthe (Grande) . . . .
Absinthe (t'etite)
Absinthe maritime. . . .
Ache (des marais)
Artemisia absinthum.
Artemista pontica.
Artemista marittma.
Apium graveolens.
Acore. ...
Actée
Actea spicata.
Adonis
Agaric
Polyporus officinalis.
Agrimonia eupatoria.
Physalis alkekengi.
Alkékenge
AUéiuia
Amygdalus communis.
Anémone pulsatilla.
Angelica arehangelica.
Aristoloche
Armoise
Artemisia vulgaris.
Aspérule odorante ....
Asperula odorata.
Cratxgua oxyacantha.
Aurone
Ballote
Itallota fxtida.
Barbarea vulgaris.
Lappa major.
Veronica beccabunga.
Beccabunga
Benoîte
Bétoine.. . .
Betonica officinalis.
Polygonum bistortn.
Verbascum thapsus.
Bistorte
BouilIon-blanc
Bouleau
Rhamnus frangula.
Borrago officinalis
Capsella bursa pastoris.
Bryonia dioica.
Anchusa officinalis.
Ouonis spinosa.
&IIXUS sempervirenê.
Alatncaria chamonuUa.
Anthémis nobilis.
Arundo donnx.
Bourrache
Bourse à pasteur
Bryone (Couleuvrée).
Buglosse . . .
Bugrane(Arrête-b(jciiri. .
Camomille allemande . .
Camomille romaine. . . .
Canne de Provence. . . .
Capillaire
Bibes nigrum.
Erytkrxa centaurium.
Cnicus benedictus.
Centaurée (Petite) ...
Chardon bénit
Chardon-Marie
Chéhdoine (G^* Eclaire).
Chèvrefeuille
Chicorée sauvage
"^i/ybum mariartum.
Chelidonium majus.
Lonicera caprifolmm.
Cichorium intybus.
Agropyrum repens.
Conium maculatum.
Cochlearia officinalis.
Ciguë (Grande)
Cochlearia officinal. . . .
Colchique ...
Consoude (Grande) ....
Cresson
Symphitum officinale.
CuHcula Ji'uropxa.
Cyclamen
Cvnoglosse
Cynoqiossum officinale.
Dflphinium consnlida.
Digitalis purpurea.
Asclejtias vincetoxicnm.
Dauphmelle (Pied d'aï"»).
Digitale
Dompte-venin
Douce-Amère ...
Elatenum Conci"*sauvB«)
Ellébore blanc (Véràtre).
Ellébore noir
Epine -Vinette
Epurge . .
KcbaUium elaterium.
Verntrum album.
Elleborua niger.
Berberts vulgarts.
Ergot de seiele. .....
Er>'simum (H^-aux-ch*"»)
Esule rondo. . . .
Claviceps purpurea.
Erysimum officinale.
Eucalyptus qiobulus.
Eupaiurium cannabinum.
Trigonella fxnum grmeum
Ficaria ranunculoides .
Atptdium filix masc.
Dictamus fraxinella.
Fucus vesiculosus.
f-'umaria officinalis.
Ficaire (Petite éclaire). .
Fougère mâlf
FraxineUe(D(Ctamc blanc).
Fucus (Varech)
Galega. . . .
Galium des marais. . . .
Oattilier
Gnlium palustre.
Vitex agnus castus.
Génépi
Genêt. . .
Oentiane
Gentiana lutea.
FAMILLR
Composées.
Composées.
Composées.
Ombellifères.
Rononculacées.
Aroïdées.
RenoDCulacées.
Henonculacées.
Champignons.
Labiées.
Rosacées.
Solanées.
Oxalidées.
Amygdalées.
Renonculacées.
Ombellifères.
Renonculacées.
Composées.
Composées.
Rubiacées.
Rosacées.
Composées.
Composées.
Labiées.
Composés.
Crucifères.
Composées.
Scrofulariacées.
Solanées.
Rosacées.
Labiées.
Polygonacées.
Scrofulariacées.
Hétulacèes.
Rhamoacées.
Borragiuées.
Crucifères.
Cucurbitacées.
Borraginées.
Légumineuses.
Buxacées.
Composées.
Composées.
Graminées.
Fougères.
Ombellifères.
.Saxifragées.
Gentianées.
Composées
Composées.
Composées.
Papavéracées.
Caprifohacées.
Composées.
Graminées.
Ombellifères.
Crucifères.
Liliacées.
Borraginées.
Crucifères.
Convolvulacées.
Primulacées.
Borraginées.
Renonculacées.
Scrofulariacées.
Ascléptadoes.
Solanées.
Cucurbitacées.
Liliacées.
Renonculacées.
Berbéridées.
Euphorbiacoes.
Champignons.
Crucifères.
Euphorbtacées.
Myrtacées.
Composées.
Ombellifères.
Légumineuses.
Renonculacées.
Fougères.
Rutacées.
Algues.
Fumariacées.
Légumineuses.
Rubiacées.
Verbénacéos.
Composées.
Légumineuses.
Gentianées.
TERRAIN FAVORABLB
Lieux incultes;
Montagneux.
Lieux salés.
rochers.
HABITAT
FARTIKS
OTILISÉBI
Jura,Daaphiné.Pyréoées,Céveanes
Alpes (et cultivée).
Littoral de l'Océan.
Côtes (Océan, Méditerranée).
Pyrénées, Alpes, Jura, Vosges, etc. j peu^^og "
Sommités fine* et feoU**
Toute la plante.
Toute la plante.
( Racine, tiges, feuilles,
f Graines.
Régions ombragées et humides
des montagnes. Lorraine, Alsace, Jura, Alpes. Py-lRhizome.
Eaux stagnantes, bord de 1 eau. I ^.^^^^-^^^^^j^'l^F.i^^^^ -^ |
d Alpes , Pyrénées, Vosges , Bour- \ Parties aériennes.
) gogne. (Racine.
j Alsace, Cévennes, Montpellier. Tiges et feuilles.
Alpes, Dauphmé. T^"^® la plante.
Toute la France.
Toute la Franco.
Bois des montagnes.
Tronc des mélèzes.
Lieux incultes, chemins.
Lieux incultes.
Vignes, champs calcaires.
Lieux ombragés.
Coteaux secs.
Cuit
Bord des rivières.
Lieux incultes, terres légères.
Pâtur. des mont»**', granits, grés.
Bois ombragés.
Toute la plante.
Toute la plante.
Tige et feuilles.
Fruit.
Toute la plante.
Fruits.
Prairies grasses ; terr. argileux-
Rochers maritimes.
Lieux lucultes, haies.
Terrains incultes.
Terrains humides.
Lieux incultes, bord des chem.
Bord des eaux, fossés humides.
Bois ombragés.
Bois et haies.
Bois.
Prés hum., feurtout montagn.
Lieux incultes, bord des chem.
Forêts siliceuses.
Haies et bois.
Lieux cultivés, jardins.
Champs, lieux incultes.
Coteaux arides, bois.
Dans les moissons.
Lieux sablonneux.
Endroits humides.
Roches humides.
Montagnes.
Cuit
Lieux humides, champs, bois.
Champs.
Lieux stériles, bord des chem.
Lieux incultes.
Haies, vieux murs, décombres.
Haies, jardins.
Lieux incultes, bord des chem.
Lieux cultivés.
Endroits frais.
Bord de l'eau.
Pâturages humides.
Prairies humides.
Ruisseaux (et cultivé).
Parasite de l'ortie et
Bois.
Lieux incultes et secs.
Moissons.
Terrains granitiçjues et siliceux.
Lieux arides et incultes.
Bord des ruisseaux, bois.
Lieux incultes, décombres.
Pâturages de montagne.
Cultivé.
Bois calcaires, haies.
Jardins, habitat, abandonnées.
Dans te
Décombres, chemins, vignes.
Terr. cultivés près habitations.
Bord des eaux.
Vignes, coteaux arides-
Champs cultivés.
Champs, haies, bois humides.
Buissons, haies, chemins omb**.
Coteaux calcaires.
Mer.
Champs, jardins, vignes.
Prairies, bord des fossés.
Liouxmarccageux, borddel'eau
Lieux humides.
Terrain aride de montagne.
Terrains quartzeux.
Montagnes (300-1.700").
Presque toute la France
Toute la France.
Cuit ivé.
jDauphinô, Auvergne, Bourgogne.jp, ^^,j,
i Jura, Vosges, Seine-et-Oise. gtc.r '*"" *^"®'^®'
JTiges, feuilles, grain"
} Racines.
i Parties aériennes.
iRacmes.
Plante entière.
Fleurs et racines.
Feuilles.
Fleurs.
Fruits.
Racine.
Plante entière.
Toute la plante.
Feuilles.
Feuilles, graines.
^Racine.
)Feuilles, tige, âenrs.
Toute la plante.
y" Toute la France (surtout Alpes etjg^^^g®^*
Racine.
Racine,
ivée.
Toute la France.
Commune partout.
Montagnes de France, Sologne.
Commune.
Toute la France.
Toute la France.
Midi do la France.
Toute ia France.
Midi de la France.
Toute la France.
Toute la France.
Toute la France.
( Vosges)
Toute la France.
Toute la France.
Presque toute la France.
Toute la France.
Nord, Ouest, montagnes.
Commune.
Commune.
Partout.
Partout.
Midi de la France, Vendée.
Toute la France.
Commune.
Ouest et Centre {surtout cultivée).
Région méditerranéenne.
Midi, Corse.
Presque tontes les montag*** franc.
ivé.
Toute la France.
Midi de la France.
Toute la France.
Midi de la France.
route la ïj'rance.
Toute la France.
Commune.
Commun.
Partout.
Littoral de l'Océan etde la Manche.
Toute la France.
Toute la France.
Toute la Franco.
du chanvre.
Jura, Savoie.
Toute la France.
Toute la France.
Vosges, Auvergne, Alpes, etc.
Commun.
Toute la France.
Midi de la France.
Montagnes de France.
Bnanconnais. Provence.
Presque partout.
Toute la France.
seigle.
Toute la France.
Toute la France.
Littoriil méditerranéen.
Toute la France.
Surtout régions méridionales.
Régions méridionales.
Commune.
Commune.
Toute la France.
Toutes les côtes.
Toute la Franco.
Région méridionale.
Sud-Est.
Littoral méditerranéen.
.\lpes (surtout Savoie).
Commun.
\lpes, Pyrénées, Vosges, Jura.
Racine.
Racine.
Feuilles et fleurs.
Ecorce.
Fruits.
Plante entière.
Feuilles et graines.
Racine.
Toute la plante.
Racine.
Ecorce, feuilles.
Plante entière.
Fleurs.
Racine.
Toute la plante.
Graines.
Fruits, feuilles.
Plante entière.
Feuilles et fleurs.
Plante entière.
Réceptacles.
Plante entière.
Feuilles, fleurs.
J Feuilles.
fRacines.
l' Plante entière.
Feuilles, graines.
Feuilles.
iFleurs.
) Fruits.
Jg raines.
(Bulbes.
Fleurs.
Racines.
Toute la plante.
Plante en fleurs.
Tubercules.
Racine.
Plante entière.
Feuilles (de 2* année).
Racines.
Plante entière.
Fruit.
Racine.
Racine.
Racine.
Graines,tiges,feuiUes
Plante entière.
Plante entière.
Feuilles.
Fleurs, racine.
\ Parties aériennes.
i Parties souterraines.
Graines.
Plante entière.
Rhizome.
Racine.
Toute la plante.
Plante entière.
Plante entière.
Plante entière.
Graines.
Plante entière.
Fleurs, tige.
^Fleurs.
ï Racine.
éPOQCH
DS aiCOLTB
Juillet-ao&t.
Juillet-août.
.Sept. -octobre.
Sepl.-oct. l'»an.
2* année.
Automne.
Juin à août.
Août-sept.
Juin-juillet.
Automne.
Avril-mai.
Automne.
Juin à août.
Juin & août.
Mai.
Octobre.
Avril-mai.
Mai-jnin : 'lenrs
en mars-avriL
Juin (S* année).
Oct.(tin l"an.).
.Mai àjuillet.
Automne.
Juin-sept.
Juillet-août.
Mai.
Mai.
Sept.-octobro.
Juin à août.
Juillet-août.
Juin à août.
Juilletraoût.
Avril à juin.
Automne.
Juin à août.
Mai-scpt.
Mai àjuillet.
Août à octobre.
Automne.
Automne.
Automne.
Mai à août.
Juillet-août.
Toute l'année.
Août-sept.
Juin-juillet.
Toute l'année,
sauf l'hiver.
Toute l'année.
Juin.
■Juin-à août.
Toute l'année.
Avril à juillet.
Juillet-août.
Sept.-ocrobre.
Juin-juillet.
Mal àjuillet.
Juillet-août.
Juin-juillet.
Juillet-août.
Juillet-août.
Avril à sept.
Printemps.
A partir de juin.
Se pt.- octobre -
Toute l'année.
Juin à août.
Mai àTanlomne
Août-sept.
Mai-juin (lel'an-
née suivante).
'Juin.
Juillet.
Mai-juin.
Septembre.
Printemps-été .
Juin à août.
Automne.
Fin de la i^'ann.
Juin à août.
Juin à sept.
Juin à sept.
Juinàaoùt(2*a.)
Mai à août.
Juillet-août.
Juillet-août.
Mai-juin.
Juin-juillet.
Juin à sept.
Juin à octobre.
Juin à octobre.
Juillet-août.
Juillet-août.
Octobre-nov.
Juin-juillot.
Avril-mai.
Tout l'hiver.
Automne.
Toute l'année.
Mai à sept.
Juillet. -aoiU.
Mai àjuillet.
Automne.
Eté.
Mai-juin.
Juillet-août.
Automne.
LAR0U5BE MENSUEL.
13'
PLANTES MÉDICINALES
Lakoursk mrnsiifl.
PRINCIPALES PLANTES MÉDICINALES
1. Absinthe. — 2. Armoise. — 3. Armoise dos montagnes. — 4. Adonis. — 5. Anis. — 6. Ail. — 7. Alkékengo. — 8. Aloos. — 9. Amandier. — 10. AniSmone pulsatile. —
U. Angélique. — 12. Aconit. — 13. Arnica. — 14. Année. — 15. Bardane. — 10. Belladone. — n. Bourrache. — 18. Bétoino. — 19. Bistorte. — 20. Bouillon-blanc. — 21. Busse-
rolle. — 22. Bryono. — 23. Buis. — 24. Camomille. — 25. Capillaire. — 20. Cassis. — 27 Petite cenlaurco. — 28. Chardon bénit. — 29. Ciguë. — 30. Colchique. — 31. Chicorée
sauvage. — 32. Consoude. — 33. Cochléaria. — 34. Cresson. — 35. Digitale. — 36. Drosora. — 37. Douco-amôre. — 38. Ergot de seigle. — 39. Erysimum. — 40. Eucalyptus. —
41. Fenouil.— 42. Fenugrec. — 43. Fougère mâle. — 44. Fiimeterre. — 45. Grenadier. — 40. Geuôt à balais. — 47. Gentiane. — 48. Guimauve. — 49. Grémil. — 60. Houblon. —51. Lis blanc
PLANTES MEDICINALES
LaROUS-SU MKN6CRU.
PRINCIPALES PLANTES MÉDICINALES
5. Lavande. — 6. Lichen d'Islande. — 7. Lierre terrestre. — 8. Lin. — 8. Lycopode. — 10. Lanrior-rose. — 11. Mauve. —
5. Mélilot. — 16. Mercuriale. — 17. Millepertuis. — 18. Muguet. — 19. Nerprun cathartique. — JO. Oranger. — 81. Origan.
1. Gui. — 8. Hysopo. — 3. Jnsquiame. — 4. Jujubier
12. Marronnier. — 13. Menthe poivrée. — M. Mélisse. -
— !J. Pavot. — 23. Persil. — n. Pervenche. — 25. Pin sylvestre. — 26. Pensée sauvage. — 27. Polypode. — 28. Raifort. — 29. Réglisse. — 30. Ricin. — 31. Ronce. — 3S. Rue. —
33. Koso do Provins. — 34. Romarin. — 35. Rhubarbe. — 36. Genévrier sabino. — 37. Saponaire. — 33. Sauge officinale. — 39. Safran. — 40. Serpolet. — 41. Scille. — it. Sun.
moine. — 43. Sapin. — 44. Tabac. — 45. Tanaisie. — 46. Tilleul. — 47. Tussilage. — 48. Valériane. — 49. Vératre. — 50. Verveine. — 51. Violette.
348
LAROUSSE MENSUEL Supplément ru W 131. Janvier 1918-
Tableau des principales plantes médioinjaes existant en France à l'état sauvage. {Suite,)
NOM
FRANÇAIS
Oermandréo aquatique
Globulaire (Turbith) . .
Gratiole (Herbe au pau-
vre homme)
Grémil (Herbe aux perles)
Grenadier
Gui
Guimauve.
Herbe à Robert
Hiëble (Petit Sureau).
Houblon
Houx (Petit)
Hysope
Joubarbe
Jasqaiame
Laurier -rose ,
Lavande
Lichen d'Irlande
Lierre terrestre
Lin
Liseron des champs . . .
Lobélie
Lycopode
Mandragore
Marjolame
Marronnier d'Inde
Marrube
Mauve
Méhlot •
Mélisse
Menthe-Pouliot
Menthe poivrée
Ményanthe (Trèfle d'eau)
Mercuriale
Millofeuille
Millepertuis
Morello notre
Moutarde noire
Muguet
Myrtille
Narcisse
Nénufar blanc
Nerprun
Œillet
Origan
Ortie
Ôitie blanche
Panicaut (Chardou- Ku-
land
Pariétaire
Patience ,
Pensée sauvage
Persil
Pervenche (Grande). .
Pervenche (Petite). . .
Pied-de-chat
Pin sylvestre
Pissenlit. . .
Plantain. . .
Poivre d'eau
Poh
Prôlè.
Psyllium (H*»« aux puces)
Pulmonaire
Romarin
Ronce
Rossolis
Rue
Sabine
Saint-Bois
Saponaire
Sauge
Saule.
Sceau de Salomon. . . .
Scille
Scolopendre
Scrofulaire aquatique .
Scrofulaire noueuse . .
Séneçon
Serpolet
Souci
Spargulaire
Stœchas
Staphysaigre
Stramoine
Sureau
Tanaisie
Thym
Tilleul
Tormentille
Tussilage
Ulmaire (Reine des prés).
Uva ursi (Busserole). . .
Valériane
Véronique.
Verveine .
Violette . .
NOM LATIN
Teucrium scordium.
Globularia alypum.
Gratiola officinalit.
Lithospermum officinale.
Punica granatum.
Viscum album.
AUhxa officinalis.
Géranium Robertianum.
Snmbucus ebulut.
Humulus lupulus.
liuscus aculeatiu.
ffyssopus officinalis.
Sempervivum tectorum.
Hyoscyamus niger.
Nerium oleander.
Lavandula spica.
Cetraria Islandica.
Glechoma hederacea.
Linum usîtatissimum.
Convolvulus arvensis.
Lobelia urens.
Lycopodium clavatum.
Alropn mandraf/ora.
Origaniim majorana.
^sculus hippocastanum.
Marrubium vulgare.
Malva sylvestris.
Melilotus officinalis.
Melissa officinalis,
Mentha pulegium.
Mentha piperata.
Menyanthes trifoliata.
Mercurialis annua.
Achillea millefolium.
Hypericum perforatum.
Solanum nigrum.
Sinapis nigra.
Convallaria majalis.
Vaccinium mijrtiUus.
IVarcissus pxeudo-narcissus.
Nymphéa albn.
Rhamnus cathartica.
Oianthus caryophytlus.
Origanum vulgare.
Urtica dioica.
Lamium album.
Eryngium campestre.
f'arietaria officinalis.
liumex obtusifolius.
Viola tricolor.
Apium petroselium.
Vinca major.
Vinca minor.
Antennaria dioica.
Pinus sylvestris.
Taraxacum dens leonis.
Plantago major.
Polygonum hydropiper.
Polypodiiim vulgare.
Eouisetum ai'vense.
Plantago psyllium.
Pulmonaria officinalis.
Rûsmarinus officinalis.
Rubus fructicosus.
Drosera rotundifolia.
Rata graoeolens.
Juninerus Sabina.
Dapnne Meiereum.
Saponaria officinalis,
Salvia officinalis.
Salix alba.
Polygonatum vulgare.
Scilla maritima.
Scolopendrium officinale.
Scrophularia aqnatica.
Scrophularia nodosa.
Senecio vulgaris.
Thymus serpyllum.
Calendula officinalis.
Arenaria rubra.
Lavandula siêechas.
Delphinium staphysagria.
Datura stramonium.
Satnbucus nigra.
Tanacetum vulgare.
Thymus vulgaris.
Tilxa sy{vestris.
Poteniilla tormentilla.
Tussilago farfara.
.Spirxa ulmaria
Arciostaphyloa uva ursi.
Valeriana officinalis,
Veronica officinalis.
Veràena officinalis.
Viola odorata.
PAMILLB
Labiées.
Globulariacées.
Scrofulariacées.
Borragioées.
Granatées.
Loranthacées.
Malvacées.
Géraniacées,
Caprifoliacées.
Urticacées.
Liliacées.
Labiées.
Crassulacées.
Solanées.
Apocynées.
Labiées.
Lichens.
Labiées.
Linéos.
Convolvulacées.
Lobeliacéos.
Lycopodacées.
Solanées.
Labiées.
Sapindacées.
Labiées.
Malvacées.
Légumineuses.
Labiées.
Labiées.
Labiées.
Gentianées.
Kuphorbiacées.
Composées.
Hypéncacées.
Solanées.
Crucifères.
A.sparaginées.
Ericacées.
Amaryllidacées.
Nymphéacoes.
Rhanmacées.
Caryophyllacées.
Labiées.
Urticacées.
labiées.
Ombellifères.
Urticacées.
Polvgonacées.
Violacées.
Ombellifères.
Apocynées.
Apocynées.
Composées.
Conifères.
Composées.
Plantaginées.
Polygonacées.
Fougères.
Kquisétacées.
Plantaginées.
Borraginées.
Labiées.
Rosacées.
Droséracées.
Kulacées.
Conifères.
rhyméléacées.
Caryophyllacées.
labiées.
Salicinées.
Liliacées.
Liliacées.
Fougères.
Scrofulariacées.
Scrofulariacées.
Composées.
Labiées.
Composées.
Cary ophyi lacées.
Labiées.
Itenonculacées.
Solanées.
Caprifolaciées.
Composées.
Labiées.
Tiliacées.
Rosacées.
Composées.
Rosacées.
Ericacées.
Valérianées.
Scrophulariacées.
Verbe nacées.
Violacées.
TBRRAIN FAVORABLK
Fossés, prés humides.
Lieux arides et pierreux.
Marais, lieux aquatiques.
BoiSf coteaux calcaires.
Cultivé da
Parasite (Pommier et autres
Endroits humides.
Décombres, vieux murs, bois
Lieux incultes, fossés.
Haies et buissons.
Lieux stériles, terr. calcaire
Vieux murs, lieux secs.
Vieux murs, toits de chaume.
Lieux incultes, chemins.
Cultivé.
Lieux secs.
Sur les rochers et le sol.
Prairies humides, haies.
Cuit
Champs.
Lieux marécageux.
Mont»''**gréseusesetgranitiq".
Lieux marécageux.
Lieux mar'ôcageux.
Forêts.
Lieux secs, bord des chemins.
Lieux cultivés, décombres.
Moissons, bord des chemins.
Bois, buissons.
Prés humides, bord des fossés.
Ordinairement cultivée.
Marais, terrain tourbeux.
Lieux cultivés.
Lieux incultes.
Prairies sèches, chemins.
Lieux cultivés, clairières.
Lieux humides, bord de l'eau.
Bois.
Montagnes siliceuses.
Bois, prairies montagneuses.
Eaux stagnantes.
Haies et bois.
Murs, ruines.
Cerrains incultes, chemins.
Lieux incultes.
Terr. incultes, chemins, haies.
Lieux arides.
Murs, rochers, décombres.
Chemins, lieux frais, fossés.
Champs sablonneux cultivés.
Sauvage sur les bords de 1
Haies, bord des ruisseaux.
Bois, haies.
Pelouses arides, siliceuses.
Bois des montagnes.
Pelouses, prairies.
Lieux incultes, chemins.
Lieux humides.
Rochers, troncs d'arbres.
Champs hum., bord des eaux.
Lieux pierreux ou sablonneux.
Bois, lieux ombragés.
Lieux secs et arides.
Haies, champs, bois.
Marais tourbeux.
Lieux arides.
Montagnes.
Bois montueux.
Fossés, haies, bord des champs.
Coteaux secs et stériles.
Bord des rivières.
Bois, rochers ombragés.
Bord de la mer.
Roches humides, puits.
Bord des ruisseaux.
Lieux humides, bois.
Lieux cultivés.
Lieux secs, arides, pelouses.
Surtout
Champs sablonneux.
Champs sablonneux.
Champs sablonneux.
Champs incultes, décombres.
Haies, voisinage des habitat.
Terr. incultes, bord des chem.
Lieux secs.
Bois, allées.
Prairies et bois.
Lieux argileux et humides.
Lieux humides, bord de l'eau.
Lieux ombragés des monta»""
Bord de l'eau, lieux humides.
Bois, chem., coteaux ombragés.
Décombres, bord des chemins
Haies, bois.
HABITAT
Presque partout.
Région méditerranéenne.
Centre et Midi.
Presque toute la France.
ns le Midi.
arbres, rare sur le chêne).
Sud de la France.
Toute la France.
Commun.
Tonte la France.
Presque partout.
Midi : Grenoble, Sisteron, Graiic, etc.
Alpes, Pyrénées, Jura.
Toute la France.
Midi (mdigène).
Région méridionale.
Montagnes de France.
Toute Ta France.
ivé.
Commun. •
Ouest de la France.
Vosges, Auvergne, Âples, Pyrénées.
Midi (surtout Italie et Afrique).
Midi de la France.
Partout.
Commune.
Toute la France.
Commun.
Toute la France, Corse.
Toute la France.
Pyrénées (état sauvage).
Toute la F'rance.
Toute la France.
Commun.
Toute la France.
Toute la France.
Commune.
Toute la France.
Alpes, Jura, etc.
Montagnes.
Commun.
Toute la France.
Toute la France.
Surtout régions méridionales.
Commune.
Commune.
Toute la France,
Toute la France.
Toute la France.
Toute la France.
a Méditerranée. — Cultivé.
Centre et Midi.
Commune.
Région montagneuse.
Toutes les montagnes de France.
Presque toute la France.
Commnn.
Toute la France.
Toute la France.
Toute la France.
Régions méridionales.
Nord et Est (jq. Savoie).
Littoral méditerranéen.
Commune.
Montagnes, Gironde, Alsace, etc.
Région méridionale.
Alpes et Pyrénées.
Alpes et Pyrénées.
Toute la France.
Régions méridionales, Corse.
Toute la France.
Toute la France.
Région méditerranéenne.
Presque toute la France.
Presque toute la France.
Toute la France.
Toute la France.
Toute la France.
cultivé.
Pâtur. des Alpes et des Pyrénées.
Région méditerranéenne.
Provence et Languedoc.
Toute la France.
Toute la France.
Toute la France.
Midi de la France.
Presque toute la France.
Toute la PVance.
Toute la France.
Toute la Franco.
Montagnes de France.
Partout, sauf région méditerra-
néenne.
Toute la France.
Commune.
Toute la France.
TAUTIKS
uTiLisâss
Plante entière.
Plante entière-
Plante entière.
Plante entière.
Racine.
Fleurs.
Fruits.
! Feuilles.
Fleurs.
Racine.
I Plante entière.
S Fleurs.
1 Baies.
I Fleurs.
* Fleurs.
Rhizome.
Plante entière.
Feuilles.
Plante entière.
Fleurs.
Toute la plante.
Plante entière.
Graine.
Plante entière.
Plante entière.
Plante entière.
Racine.
Feuilles.
Fruits.
Plante entière.
Feuilles, fleurs.
Fleurs.
Feuilles.
Plante entière.
Feuilles.
Feuilles, racines.
Plante entière.
Parties aériennes.
Sommités fleuries.
Toute la plante, baies.
Plante entière.
Fleurs, feuilles.
Fleurs.
Fruits.
Fleurs, bulbes.
Rhizome.
Fruits.
Fleurs.
Plante entière.
Plante entière.
Fleurs.
Racine.
Plante entière.
Racine.
Plante ont. (exe. rac).
^Racines,
kiraines.
Plante entière.
Plante entière.
Plante entière.
» Fleurs.
) Fruits.
Plante entière.
Plante entière.
Plante entière.
Rhizome.
Plante entière.
Plante entière.
Plante entière.
Plante entière.
Feuilles.
Plante entière.
Tige et feuilles.
Fruits.
Fleurs, écorce.
Plante entière.
Fleurs, feuilles.
(j Fleurs
^Feuilles.
f Ecorce.
Plante entière.
Racine.
Plante entière.
Plante entière.
Plante.ont.(surt.f"").
Plante entière.
Plant. ent.(surt. fleurs
Fleurs, feuilles.
Plante entière.
Plante entière.
Graines.
Feuilles.
Fleurs.
Fruits.
Sommités fleuries.
Plante entière.
Fleurs.
Racine.
Fleurs.
Plante entière.
Fleurs.
Fruits.
Fleurs, graines.
Racine.
Plante entière.
Plante entière.
Fleurs.
EPOQUE
DE RÉCOLTK
Juin à août.
Avril à juin.
Juin-juillet.
Mai-juillet.
Mars à mai.
Août à nov.
Juin.
Juillet.
Automne ethiv.
Mai à août.
Juin-juillet.
Sept. -octobre.
Août-septemb.
Mars-avril.
Automne.
Juillet-août.
Juillet-août.
Mai à juillet.
Juin-juillet.
Juillet-août.
Toute l'année.
Avril à juin.
Juin-juillet.
Juille^août.
Eté.
Juillet-août.
Juillet.
Août-septemb.
Juillet à sept.
Juin à août.
Juillet à. sept.
Juin-août.
Juillet-août.
Août-septemb.
L'été.
.Mai à octobre.
Juin à août.
Mai à août.
Juin àseptemb.
Juin à août.
Mai àl'automn.
Avril à juin.
Juillet-août.
Mars-avril.
Août-spptemb.
Août-septemb.
Juillet-août.
Juillet-août.
Juin à octobre.
Avril-mai.
Juillet à -sept.
Juin à octobre.
Juillet-août.
Mai à octobre.
Fin do la l" an.
Priut. do la2*a.
Mars à juin.
Mars à juin.
Mai à juillet.
Mai-juin.
2* an., automne.
Toute l'année
{exe. hiver).
Avril à juillet.
Juillet à oct.
Juillet à sept.
Mai à octobre.
Avril à juillet.
Avril à juillet.
Mars à juin.
Juin à octobre.
Juillet-août.
Juin-juillet.
Oct. novembre.
Juillet à sept.
Juillet-août.
Juin-juillet.
Avril-mai.
L'été.
Toute l'année
Mai-juin.
Août à octobre.
Eté.
Juin-juillet.
Juin à août.
Toute l'année.
Juin à sept.
Août-sept.
Mai à sept.
Mai-juin.
Juin-juillet.
Août-sept.
Juin.
.Sept. -octobre.
Juillet-août.
Juin-juillet.
Juillet.
Juin à sept.
Mars-avril.
Juin-juillet.
Mai-juin.
Août.
Mai à juillet.
Automne.
Juin-juillet.
Juin à octobre.
Mars-avriL
Mugucl irhuuiiie).
N' 131. Janvier 1918.
tillaleui'^, elc, n'achèteront que les plantes bien
desséchées, car celles qui ne le seraient pas de façon
convenable ne leur seraient d'aucune utilité. Les
plantes, d'autre part, seront d'autant plus actives et
d'autant plus recherchées que celle dessiccation
aura été mieux effec-
tuée. Certains spécia-
listes sont d'avis que
nous ne pourrons guère
lutter contre nos ri vaux
étrangers, après la
guerre, en ce qui con-
cerne les prix de re-
vieiil. leur main-d'œu-
vre étant bien moins
dispendieuse que la
notre Parcontre.nous
pourrons lulter très
avantageusement au
point de vue qualité,
et les qualités supé-
rieures seront toujours
très recherchées Les
précautions prisespen-
dant la cueillette, le
nettoyage soigneuxdes
plantes récoltées seront déjà des conditions favo-
rables, mais, répétons-le, c'est la dessiccalion qui
est, en pareille matière, l'opération principale.
Les plantes, ou du moins beaucoup d'entre elles, se
dessèchent fort bien à lair, à la condition, naturel-
lement, d'être mises pendant cette opération à l'abri
des intempéries et,
notamment, de la
pluie. Etendues de
façon que l'air cir-
cule autour d'elles,
sur des claies ou
des toiles dans un
hangar ou un gre-
nier, la plupart des
feuilles et des fleurs
se dessèchent bien.
Mais elles se dessè-
chent lentement, et
celle condition est
assez peu favorable
Ou a préconisé des
hangars du même
genre, où l'on établi
rail nn courant d'air
plus aclif Cela est
impossible à réaliser
pourdes particuliers.
Rhubarbe (coiiped de tiges) '
a, de France,
b, d'Amérique.
ff
Ricin rgraitial :
'(. d'Amérique,
b, de France.
possible pour des industriels, qui installeraient des
séchoii-s communs, ainsi que nous allons le voir
Pour nn certain nombre de plantes, notamment
pour celles qui soni épaisses et principalement
pour les liges et les racines, la seule méthode qui
puisse donner de très bons résultats est le séchoir
à air chaud. Ainsi la dessiccalion se fait plus vite,
et les plantes risquent moins de
perdre leurs qualités actives.
L'installation d'un séchoir à air
chaud, dont peuvent, d'ailleurs,
bénélicier toutes les plantes ré-
coltées, est une chose relalive-
ment très simple. Quelques claies
bien disposées, quelques toiles
tendues, une pièce fermant bien
elunpoêleconslituent,en somme,
toute l'installation nécessaire.
Néanmoins, il faut considérer que,
fiour des campagnards qui veu-
ent seulement trouver dans la
récolle des plantes un su|)plément de ressources,
c'est encore une installation trop dispendieuse et
trop compliquée. Sans doute, dans certaines ré-
gions, plusieurs de ces récolteuis pourront-ils se
grouper pour la réaliser. Mais le mieux, en ces
matières, consiste dans l'élahlissement de séchoirs
communs faits par les acheteurs de plantes eux-
mêmes. A l'heure actuelle, des séchoirs de ce genre
existent déjà dans les principaux centres de récolte :
aux environs de Paris, en Maine-et-Loire, en Au-
vergne, dans la région lyonnaise. Les grandes
usines où l'on
traite les plan-
tes médicinales
en possèdent,
où seront des-
séchées les
plantes récol-
lées dans les environs et achetées par les usiniers. Ces
séchoirs communs, de quelque nature qu'ils soieiit,
ne peuvent être utilisés que par les récolteurs
des environs, ou, pour les plantes peu périssables,
comme les racines, par des récolteurs travaillant
dans une zone plus éloignée. Le transport des
plantes fraîches est, en effet, rendu quasi impos-
sible par les tarifs des chemins de fer. Le séchage
sur place est donc inTmimenl prélérable.
Il ne faut commencer à cueillir les plantes médi-
cinales que lorsqu'on est assuré de vendre sa ré-
Safran (stigmate grofsi).
a. ergot de seigle,
'. avfc ses claviceps.
LAROUSSt; MENSUEL
colle. Pour cela, il faut que les récolteurs se mettent
en rapport avec les droguistes, sachent d'eux quelles
plantes leur sont utiles et seront achelées, lesquelles,
au contraire, sont peu intéressantes. Il n'est pas rare
que cette classiliealion varie suivant l'époque où
loffre est faite, en raison des besoins, variables,
eux aussi, du marché. Le Syndicat général de la
droguerie française (7, rue de Jouy, Paris) don-
nera à ceux qui veulent se livrer à celle récolte
tous renseignements utiles afin de les mettre en
rapport avec les acheteurs. Le même syndicat fail
éditer un « Guide du récolteur des plantes médici-
nales », comprenant des conseils sur les différents
points que nous avons examinés.
Culture des piaules médicinales. — Il est ten-
tant, afin d'avoir toujours une piovision des plantes
les plus demandées, de se livrer à leur cultuie.
Posons en principe que la cul-
ture des plantes qui se trouvent
communément & l'état sauvage
ne serait pas rémunératrice et
qu'il faut s'en garder. 11 serait
surfont intéressant de cultiver,
d'une part, les plantes de pays
tempérés(jui ne viennent pasen
France à 1 état sauvage, comme
le grindelia robusta, Vhama-
inelis Viroinica, le capillaire
du Canada, etc., de l'autre, les
plantes indigènes qui ne vien-
nent pas spontanément en abon-
dance et qui font défaut, notam-
ment, dans le pays où l'on habite. Citons, parmi
ces dernières, en ce qui concerne le bassin de
Paris : la belladone, le datura, la jusquiame, la
menthe poivrée, l'angélique, la coriandre, le ro-
marin, la violette, la lobélie, la sauge, le cochléaria,
la historié, la buglosse, l'acor.it, le galéga, la camo-
mille, la valériane, elc. (Boulanger.)
Mais la culture des plantes médicinales est une
entreprise en réalité très délicate. 11 faut, pour en-
tamer cette industrie, non plus des connaissances
superdiiellescomme celles que
nous avons passées en revue,
mais des connaissances très
approfondies touchant la nature
du sol qui convient à chacun de
ces végétaux, les soins qu'ils
demandent, les périls qu'ils cou-
rent du fait de l'atmosphère,
des insectes, des plantes para-
sites, etc. Or, on peut avouer
qu'en cette matière, nous som-
mes loin d'être renseignés aussi
bien que cela serait nécessaire.
Tous ceux qui ont tenté ces
cultures ont eu des échecs à
côté de leurs succès et ont dû
apprendre à leurs dépens bien
des choses qu'ils ignoraient. On
doit faiie remarquer, en outre, que ces notions fonda-
mentales variant non seulement pour chaque plante,
mais pour chaque région où Ion veut la cultiver.
D'autre part, si l'on peut cueillir, à l'état sauvage,
suivant les demniides et négliger les végétaux de
mauvais rendement, parce que ni les uns ni les
autres n'ont coulé aucun soin, il faut ne cultiver
qu'il bon escient et savoir à l'avance quelles seront
les demandes au moment de la récolte, afin de ne
pas risquer un travail inutile Enfin, il ne faut pas
ignorer qu'une plantation restera toujours un cer-
tain temps sans rémunérer celui qui l'a entreprise,
car bon nombre de plantes ne doivent être récoltées
que lorsqu'elles sont âgées de plusieurs années.
Toutes ces conditions font que la culture des
plantes médicinales n'est pas fréquente et que beau-
coup de pays où on s'y livrait autrefois ont cessé de
s'y adonner. C'était
cependanlune
vieille industrie
française, puis-
qu'elle est prévue,
pour certaines es-
pèces, dans les Ca-
piUilaires Ue (>har-
lemapne. Al'heure
actuelle, trois ou
quatre maisons de
droguerie au plus s'y livrent avec une certaine en-
vergure. Une enquête faite auprès d'elles prouve
que c'est là une industrie qui réserve bien des
déboires à ceux qui s'y adonnent. Des cultures
moins importantes donneraient, sans doute, des ré-
sultais moins aléatoires.
Il apparail. en résumé, que la culture en grand
de ces plantes demande de grandes ressources et un
budget qui puisse résister aux surprises et aux revers
momentanés avant de trouver sa rémunération. Les
petites cultures peuvent être entreprises par des cul-
tivateurs sur des superficies modestes, à la condition
d'être très renseignés à l'avance sur les débouchés
qui leur seront ouverts au moment de la cueillelle.
C'est, en tout cas, une industrie dans laquelle il ne
f»ut s'aventurer qu'avec préraution. — D' h. booquk.
Valériane (racine).
■Veratre (racinej.
349
stiplture n. m. Passereau de la famille des
timéliidés, voisin des fauvettes et des roitelets.
— Encycl. Ce genre ne comprend qu'une espèce,
le stipiture malachure {stipilurus malachurus) ou
queue gazée. Ce joli petit oiseau a un bec grêle,
court et droit, portant de pelites narines arron-
dies et quelcjues poils à la base. Ses ailes sont très
courtes, atteignant à peine la naissance de la queue;
la 2« et la 3* rémige sont les plus longues. Les
tarses sont minces et grêles, les pattes ont 3 doigts
en avant et 2 en arrière. Les trois paires de rec-
trices sont formées de filets très lins, barbelés de
noir. Les plumes du croupion sont longues et
soyeuses. Le bec est brun, la tête est roux ferru-
gineux, tacheté de noirâtre sur la nuque ; le dos
Slipiture queue gazée.
est brun, les plumes étant marquées de noir près
de la tige ; les couvertures sont brunes, avec leur
centre noir; les rémiges sont brun foncé, les pri-
maires bordées extérieurement de cendré, les secon-
daires de brun fauve, de sorte qu'elles ressemblent
aux grandes couvertures. La gorge, la poitrine
sont d'un bleu clair, comme un trait au-dessous
des yeux partant de la base du bec; l'abdomen est
blanchâtre.
La femelle et le jeune n'ont pas de bandelettes
bleues au-dessus des yeux. Chez la femelle, la poi-
trine est rousse, comme les côtes du corps.
Cet oiseau vit en Tasmanie et dans le sud de
l'Australie, depuis Morelon-l3ay jusqu'à la rivière
des Cygnes, à l'ouest. II se tient dans les districts
marécageux couverts de longues herbes serrées, au
milieu desquelles il vit toujours, car on ne le voit
jamais voler, ses ailes étant trop faibles; mais,
comme il court très vile, tourne et retourne dans ce
milieu avec la plus grande facilité, il échappe faci-
lement à ses ennemis.
Oïdinairemenl, la queue est relevée; mais, parfois,
elle est repliée sous l'abdomen. Son nid renferme
trois petits oeufs. Il forme une masse sphérique pré-
sentant une ouverture latérale; il est construit avec
des herbes entrelacées et des plumes.
Son nom local est émeu wren ou roitelet émeu,
à cause de la disposition des plumes de sa queue.
La femelle est un peu plus grande que le mâle.
Ce dernier n'est pas plus grand que le roitelet, car
il a environ 15 centinii 1res de longueur totale, dont
plus de 10 pour la queue seulement. — a. MÉa^ami.
Tobulsk, ville de la Sibérie occidentale, sur la
rive droite de l'Irtych, à 3 kilomètres en amont du
Tobol, d'où son nom (58»I1'54" lat. N., 65° 53' 24"
long. E.|, chef-lieu du gouvernement du même nom.
Cette ville est plus que trois fois centenaire, fondée
en 1!>87 par le cosaque Daniel Tchoulkov, qui reçut
l'ordre de naviguer avec cinq cenls cosaques jus-
qu'à l'embouchure du Tobol et d'y édifier une for-
teresse avancée. Il y trouva Bitsik-Toura, « ville
des femmes ", probablement résidence d'une des
femmes de Koutchoum, ce kan lalare battu par
lermak, et y établit l' « ostrog » de 'Tobolsk, qui
dépendit au début des voïvodes de 'Iloumen. En
1590, un volvode spécial y fut installé, le prince
Koltsov-Masalski, et, dès I59'i, Tobolsk devint une
vraie ville et prit l'aspect qu'elle conserve encore
aujourd'hui, avec son mur d'enceinic, percé de tours
et de portes et entouré d'un fossé profond. Elle
dépendit de l'archevêque de Vologda jusqu'en 1620,
date à laquelle elle reçu» un chef religieux indépen-
dant, avec le titre d' « archevêque de Sibérie et de
Tobolsk » en la personne de Cyprien (1620-24). qui
se mit à convertir païens et musulmans et k b»tir
350
églises et monastères. Ses successeurs eurent à
lutter contre les dissidents du raskol. Le siège de
Tobolsk jouit même du titre de « métropolitain de
Sil)érie et de Tobolsk » durant un siècle (1664-1768).
A cette importance religieuse elle joignit, en 1708, le
titre de chel'-lieu du nouveau gouvernement de Si-
bérie, comprenant toute la partie de la Sibérie con-
quise, avec le gouvernement de Perm et une partie
de celui de Viatka. La ville prospérait, mais toujours
sous la menace de deux terribles ennemis : l'iiicen-
die (12 incendies historiques) et l'inondation, fléaux
périodiques. En 1701, les deux villes basse et haute
brûlèrent, 28 maisons restèrent debout; en 1757,
817 bâtiments furent détruils, en 1788, 1.110 mai-
sons et 9 églises. Le danger de l'inondation n'était
pas moins terrible (1734, 1761, 1789, 1859). Le gé-
néral-gouverneur Gagarin, en 171 6, fit creuser par des
captifs suédois un canal de plus de 3 kilomètres de
longueur, qui reporta la bouche du Tobol en aval de
la ville et permit de défendre avec succès contre les
érosions la base des escarpements île Tobolsk; mais
l'Irtych reste redoutable contre la villebas.se. Le mo-
nastère Znamenski dut changer trois fois de place.
Dès 1761, Tobolsk l'ut révélée aux Français par
le voyage resté célèbre du savant académicien et
astronome Chappe d'Auteroche, qui, voulant déter-
miner avec exactitude la parallaxe du soleil, arriva
à Toliolsk le 10 aviil 1761, après avoir fait en un
mois 3.118 versles en traîneau. Il Irouva une ville de
13.000 habitants, la plupart russes ou naturalisés.
Bien accueilli du gouverneur, de l'archevêque et
des hauts fonctionnaires, il lit aux autres l'effet d'un
magicien. Il fut jugé prudent de lui donner une
garde armée et de lui conseiller de ne pas sortir
seul, d'autant que, pendant son séjour, l'inondation
de l'Irtych submergea la basse ville jusqu'aux toits
et fit des victimes. Il quitta Tobolsk le 28 août. Un
autre savant, Falk, y vint en 1772 et trouva une
ville florissante, avec 14.593 orthodoxes et 600 Ta-
tars, 2 monastères, 12 églises de pierre, 2.274 mai-
sons, dont une en pierre, 27 auberges. 2 hôtels et
63 magasins. La première pharmacie date de 1763,
la première imprimerie de 1784. La fin dn xyin» .siè-
cle marque l'apo^'-ée de cette ville, devenue, en 1788,
résidence du lieutenant général ou vice-roi de Sibé
rie, troisième capitale des tsars russes, avec un
MouiiiiK-nt origu à Toljoliik. à la mémoire d'Iermak.
palais nouveau, contenant la salle du trône de Cathe-
rine II, ornée de tous les portraits de la famille
impériale.
Le xix" siècle marque les étapes successives de
la décadence de Tobolsk. La colonisation russe, en
s'étendant vers le Sud et vers l'Orient, détrône la
vieille capitale sibérienne. On change la direclion
du grand « tract » sibérien, route postale, reportée
plus au sud via Omsk. Le gouvernement général de
la Sibérie occidentale passe, en 1824, dans cette der-
nière ville. Les hauts fonctionnaires et leurs servi-
lesquittentsnccessivementTobolsk (1824-1839). Ceci
explique que Tobolsk, relativement aux autres villes
sibériennes, ait peu augmenté : 13,436 b^bit^nts en
LAROUSSE MENSUEL
1839, 18.473 en 1870, 22.257 en 1894, 23.200 au-
jourd'hui, avec 210 maisons eu pierre et 3.500 de bois.
Telle est, brièvement retracée, l'histoire de cette
vieille ville sibérienne. Elle comprend deux parties:
la ville haute, quartier perché sur la falaise élevée
de l'Irtych, dont l'aspect est imposant avec son Krem-
lin, les coupoles de ses églises (13 églises parois-
siales, 11 chapelles particulière.s), la tour « sué-
doise », grande lourde pierre, construite sur Tordre
de Gagarin par les prisonniers suédois, avec l'ar-
chevêché qui domine elles nombreuses bâtisses ad-
ministratives, et la partie basse, malsaine et maré-
cageuse, souvent inondée, assise sur les bords de
l'Irtych au cours sinueux, ville découpée par de
nombreux ruisseaux, entre lesquels passentdes rues
«• 131 Janvier 1918
d'Irbil et deNijni-Novgorod. Son industrie (30.000 à
40.000 roubles par an) est peu développée : tanne-
ries, pelleteries, savonneries, distilleries, abattoirs,
préparation des conserves de poissons, etc. Quelques
artisans fabriquent divers objets en utilisant comme
matière première l'ivoire du mammouth, bien con-
servé dans un sol argileux et éternellement gelé. Le
commerce (1 million à 1 million et demi de rou-
bles) est alimenté surtout par la vente et la prépa-
ration du poisson du bas Obi et les fourrures. Enfin,
les transports par voie fluviale constituent une des
principales ressources.
Avec ses multiples églises, dont les plus anciennes
sont la cathédrale de Sainle-Sophie, qui renferme
une icône de cette sainte de la première moitié du
Le Kremlin de Tobolsk.
tortueuses et étroites, construites de divers bâtiments
en pieri-e et en bois de diverses couleurs, avec des
habitations charinautes l'été, tristes et humides
l'hiver (hiver — 14,0; printemps 0,0 ; été + 13,5:
automne 0,0). La ville, huit mois endormie, s'éveille
brusquement à la fonte des neiges; le 15 mai, c'est
la pleine floraison: les barques et les bateaux à
vapeur sillonnent l'irlych et emplissent le port de
mouvement et de vie. Les bateaux font une escale
de deux à trois heures; c'est suffisant pour faire
le tour des deux villes. La population est presque
entièrement russe et de religion orthodoxe. 11 y
a, cependant, une église catholique et une syna-
gogue,\ quelques Tatars et quelques Ostiaks. On y
rencontre aussi des tsiganes, qui dansent et chantent
dans les rues, tirent les caries, lisent les lignes
de la main, vendent ou échangent des chevaux ou,
encore, des recettes médicales propres à guérir gens
et animaux.
L'insiruction y est développée et donnée par un
gymnase classique, une école pour filles, une école
lechnique industrielle, une école des aides-vétéri-
naires et chirurgiens, un séminaire, des écoles
paroissiales (14 établissements d'instruction en 1900,
presque tous dans la ville basse; 2.333 étudiants en
1897). Une bibliothèque populaii-e (15.0110 à 20.000
prêts annuels) et une bibliothèque publique, très ri-
che d'ouvrages concernant la Sibérie. Quelques re-
vues et journaux paraissent à Tobolsk : la Gazette
officielle du gouvernement, la Gazette ecclésiasti-
que, VA nnuaire du musée, la feuille sibérienne. Un
jardin public ouvert eu 1839, où se dresse face à
l'immense plaine sibérienne, comme un symbole de
la puissance et de la politique des tsars, le monu-
ment du bandit-cosaque lermak, coniiuérant de la
Sibérie, est le lieu de rendez-vous de tout Tobolsk,
avec un musée ethnographique à l'entrée de ce jar-
din, dans un joli bâtiment à un étage en pierre. Non
loin, près de l'archevêché, se voit une petite cha-
pelle où fut accrochée, durant trois cents ans, la
cloche de la petite ville d'Ouglitch, exilée là, après
avoir élé mutilée, pour avoir osé sonner le tocsin
lors du massacre du tsarévitch et de la famille impé-
riale par l'ordre de Boris Godounof. Par grâce de
l'empei'eiir, elle fut remise solennellement, le
9 mai 1S92, à trois notables d'Ouglitch. Le musée
de Tobolsk en garde la copie en papier mâché.
La vie sociale et charitable est très développée
sur le sol russe. La moindre ville renferme nombre
de sociétés et d'associations; Tobolsk ne déroge
pas à la règle générale, avec son association des
officiers du bataillon de réserve, sa société impériale
de musique, sa société dramatique, sa société de
tempérance, ses associations de bienfaisance pour
aider les étudiants peu fortunés du gouvernement,
ceux du gymnase et les pauvres de la ville.
Située dans un rayon pauvre, loin dn chemin de
fer, à l'écart de la route postale, Tobolsk ne peut
prétendre à une grande activité économique. Sa
grande foire dure un mois : l^' novembre-1"' décem-
bre (500.000 roubles). Elle reçoit des marchandises
xvii» siècle, une autre figurant Ivan IV le Cruel, et
de nombreux trésors, dons des tsars de Moscou,
l'église de la Trinilé, de l'Assomption, de Saint-
Nicolas, elc, avec son monastère de l'.^ppiirition,
le plus ancien de Sibéi-ie, Tobolsk est une des villes
saintes de l'orthodoxie.
De très bonne heure, fin du xvi= siècle, le gouver-
nement et la ville de Tobolsk furent choisis par
l'aulorité russe comme un des priiici|iaux lieux de
déportation et d'exil. Le bureau central de déporta-
tion y fut établi en 1823. Jusqu'à cette époque, au-
cune donnée statistique du mouvement de déporta-
lion dans les gouvernements de Sibérie n'a été
conservée. Sur un espace de soixante-quinze ans,
un tiers du nombie total des exilés en Sibérie fut
envoyé dans ce gouvernement; annuellement, 6.000
pour 18.000. Il serait irmtile et hors de mesure d énu-
mérer les personna^'es célèlires qui vécurent exilés
dans les murs de Tobolsk. I .e pins mai-quanl restei'a
sans nul doute le dernier frappé, l'ex-enipereur Ni-
colas II, qui, détrôné par la révolution de mars 1917,
fut, avec son fils, le tsarévitch Alexis-Nicolaevitch, et
les autres membres de sa famille, envoyé à Tobolsk.
Le choix de celte ville, qui s'explique par sa dé-
chéance même comme ville sibérienne et par sa diffi-
culté d'accès, n'en est pas moins pour Nicolas 11
et son fils d'une ironie cruelle, cette ville leur rappe-
lant, plus qu'aucune autre de Sibérie, la gloire im-
périale des Roinanov. Tobolsk se souvient toujours
que l'empereur Alexandre 11, alors qu'il nélait
que tsarévitch (2 juin 1837), le grand-duc Alexis-
Alexandi-ovitch (I""' juillet 1873\ enfin le tsarévitch
Nicolas-Alexandrovitrh, le fcilnr Nicolas II, ac-
tuellement déporté (10 juillet 1891), « daignèrent »
la visiter.
Hommes célèbres nés à Tobolsk : Erchov, Slov-
tsov, Mendéleiev. — s. Reizlbr.
"Windsor (le Château de). En remplaçant
(17 juillet 1917), pour la famille royale de Grande-
lirelagne et d'Irlande, son ancien nom germanique
de Siixe-Cohourg et Gollia par celui striclement
anglais de Windsnr, qui désigne l'une des plus
vieilles terres de la couronne et le château le plus
évocateur de la noble tradition britannique. le roi
George V unit tout le présent à tout le passé. C'est
un hommage qu'il rendit à la lignée de ses grands
ancêtres, lesquels, de Guillaume le Conquérant au
polilique Edouard Vil, aimèrent Windsor et prési-
dèrent, de là comme de Londres, à la formation de
la vieille Angleterre d'abord, puis du Royaume-
Uni, enfin de l'empire actuel.
Windsor est situé à une vingtaine de kilomètres
à l'ouest (le Londres, dans un site agreste, au milieu
lie riantes campagnes, de bois et de forêts, parmi
lesquels de hautes futaies. La Tamise y coule en de
nombreux détours. Sur la rive droite du fleuve,
s'élève la ville, qui compte environ 20.000 habitants,
et ses maisons s'étendent au pied de la colline sur la-
quelle est construit le château royal, Windsor Castle.
L'ensemble des nombreux bâtiments qui consti-
N' 131 Janvier 1918.
LAROUSSK MKNSLliL
331
Vue géoérale du cbâlettu de Vr'iiidlor, Mtué prés de la Tamiiie, k uue viDglaine de kilomètres ouest de Londres.
tuent le cliâleau forme un rectangle irrégulier,' et
les tours massives, les murs épais, en certains points
les larges fossés sont impressionnants par leur as-
pect robuste et leurs dimensions. Au milieu de ce rec-
tangle, sur le point le plus élevé, se trouve le don-
jon {Tower liounU, la Tour ronde), surmonté d'une
plate-forme d'où la vue porte au loin sur douze
comtés. Les couleurs de 1 Union Jack y sont his-
sées et, lorsque les souverains sont présents, c'est
l'étendard royal qui les remplace.
A l'ouest du donjon Loicer Ward, est la partie in-
férieure, qu'habitaient jadis les souverains. Seule,
elle reste avec sa véritable architecture des origines.
Lower Ward renferme l'historique chapelle Saint-
Georges. Upper Ward, partie supérieure, l'habita-
tion royale définitive, est à l'est du donjon, avec
ses grands appartements, que les souverains firent
construire lorsqu'ils se trouvèrent à l'étroit dans
Louer Ward, délaissé par eux et réservé aux chape-
lains et au personnel.
Des terrasses, d'où l'on jouit de panoramas éten-
dus sur les environs, entourent partiellement le châ-
teau ; celle du nord, la plus grande, domine les talus,
le parc et les prairies, où se tlonnaient autrefois jou les
et tournois; celle de l'est donne vue sur des jardins
Ma française, impeccables et fort beaux.
Les rares vieilles chroniques saxonnes parlent peu
de la région. Dans quelques documents, on trouve,
toutefois, quelques récits de batailles entre Bretons
et Normands du Nord (Northmen) et des traces du
passage des Romains. La légende mentionne les ex-
péditions fluviales d'un de ces hardis chefs du Nord,
qui mourut au cours de l'une d'elles et fut enterré
près du lleuve. La colline était appréciée pour sa
valeur militaire, aussi bien par les uns que par les
autres, et elle était entourée d'une palissade de bois,
qui constituait les fortification'; primitives.
Windsor doit son nom : Witidlesora, Winding-
shore (rive où il vente) à ce que le vent soufflant
sur la Tamise faisait constamment frissonner les
grands arbres du rivage.
La contrée était également renommée pour les
plaisirs de la chasse : toutes les variétés de gibier y
abondaient. Les premiers souverains y vinrent, et ce
sont eux qui, dans « Old 'Windsor », b&tirent quel-
ques n loges » de chasse.
Les terres de 'Windsor appartinrent & Edouard
le Confesseur, qui en fit don à l'abbaye de West-
minster pour le salut de son âme et le rachat de
ses péchés; mais, après la conquête par les Nor-
mands de France, leur chef, Guillaume le Conqué-
rant, visita la région et la trouva fort belle. Il y
chassa et, finalement, séduit par la beauté du site,
il s'entendit avec le prieur de Westminster et chan-
gea quelques-unes de ses terres d'Essex contre
celles de Windsor, dont il devint définitivement
propriétaire. Sans tarder, il fit construire un solide
château normand, dont le souvenir des châteaux féo-
daux de France, tels que Arques, Château-Gaillard,
lui fournirent l'idée.
Au charme du paysage s'ajoutait l'intérêt poli-
tique d'avoir dans la vallée une forteresse puissante
qui, avec la Tour de Londres également commen-
cée, constituaient deux centres fortifiés de grande
valeur. Aussi, pour mettre le château à l'abri des
attaques des hommes, bastions, escarpements, tours,
fossés ne furent pas ménagés par les constructeurs.
Un successeur de Guillaume édifia à l'ouest du
donjon une chapelle dédiée à saint Edmond et quel-
3ues bâtiments utiles ; le tout fut également entouré
e remparts et de tours et devint Lower Ward, que
les souverains habitèrent. Le séjour leur fut très
agréable et le château pri t une telle importance qu'ils
le trouvèrent bien vite insuffisant. Pour être plus
au large, ils utilisèrent les terrains de l'autre côté
du donjon, VUpper Ward. Edouard III commença
les constructions nouvelles. Chaque roi continua son
œuvre, et ce n'est guère que du temps de la reine
Victoria que cette partie fut réellement terminée.
C'est dire l'intérêt qu'ils portèrent toujours au châ-
teau, malgré les péripéties terriblement mouvemen-
tées de la vie de certains d'entre eux. Citons, parmi
les principaux : Henri I"^, qui commença la chapelle
dédiée d'abord à saint Edmond; Henri II, qui fit
construire le côté de VUpper Ward; Henri III, les
murailles autour de Lower Ward, la tour Salisbury
et la tour de la Jarretière; Edouard III, qui, avec
la collaboration du grand prélat et architecte Guil-
laume de Wykeham, ajouta plusieurs bâtiments et
le cloître du Doyen, la tour de Winchester où l'on
voit encore l'inscription : Hoc fecit Wukeham;
Edouard IV, qui posa les premières assises de la cha-
pelle dédiée à saint Georges en remplacement de la
primitive chapelle Saint-Edmond, que Henri VII et
Henri VIII terminèrent, laquelle devint la chapelle
de l'ordre de la Jarretière; la reine Elisabeth, à tjui
l'on doit plusieurs bâtiments et spécialement la Biblio-
thèque royale. Shakespeare et sa compagnie jouèrent
plusieurs fois devant elle, sur une scène édifiée
dans le hall Saint-Georges. La reine prit chaque
fois grand plaisir au spectacle, qui comprenait, entre
autres pièces, tes Joyeuses Commères de Windsor.
A l'époque des Parlementaires, le château connut les
excès des exaltés d'alors; mais, si de pieuses reliques
conservées dans la chapelle Saint-Georges furent dé-
truites, l'ensemble uu domaine n'eut pas trop à souffrir.
Le séjour du château plaisait beaucoup à la reine
Anne, et elle se trouvait dans une de ses petites
tours, lorsqu'un courrier du duc de Marlborough
vint lui apprendre la victoire de ses troupes à
Blenheim, victoire qui eut une si grande influence
sur les destinées de l'Angleterre. George III, dési-
reux d'un plus grand confort, fit, vers 1800, modi-
fier plusieurs bâtiments par son architecte Wyatt,
qui restaura également la chapelle, et le roi, par recon-
naissance, le fit chevalier et lui octroya le nom de
Wyattville; mais les amoureux du passé ne lui
pardonnèrent pas ses transformations à la moderne.
Les souverains ornèrent leurs appartements d'œu-
vres d'art, statues et surtout tableaux. Des salles
sont consacrées aux toiles de Van Dyck, Rubens,
Zuccarelli; d'autres possèdent de nombreux Law-
rence, Gainsborough, Holbein et des œuvres de
maîtres flamands et italiens. Le mobilier contient
des pièces uniques et, â Windsor, se trouvent quel-
ques-uns de nos plus beaux Gobelins, dont certains
offerts par Charles X à Guillaume IV; une collection
d'armures renferme une série de raretés. Dans la
chapelle Saint-Georges, à côté de reliquaires con-
tenant des souvenirs des saints anglais, tels que
Thomas de Tontesburg et Guillaume d"York, des
stalles sculptées des chevaliers de la Jarretière, le
maître-autel et son retaille, la porte sculptée du jubé
qui sépare la nef du chœur, les monuments funèbres
majestueux des rois et des grands personnages témoi-
gnent de l'efl'ort d'art soutenu à travers les siècles.
Chaque souverain ajouta son apport personnel k
celui de ses prédécesseurs et, pour les citer, il fau-
drait citer tous les rois d'Angleterre et toute l'his-
toire du Royaume-Uni.
Durant les temps plus modernes, la reine Victoria
et le prince Albert y reçurent avec la plus grande
solennité l'empereur Napoléon III et l'impératrice
Eugénie, en 1855, lors de leur première visite en An-
gleterre; une revue au parc et de grandes fêtes mar-
quèrent ce cordial rapprochement franco-anglais.
Le prince-consort fut enterré à Windsor en 1861,
et la regrettée reine Victoria consacra à sa mémoire
une chapelle commémorative {Albert Chapel). C'est
au château qu'eut lieu, en 1 867, le mariage du prince
332
de Galles d'alors, devenu depuis le prévoyant roi
Edouard VU, avec la princesse Alexandra de Dane-
mark. La princesse Victoria tenait beaucoup à
Windsor, qui fut toujours, avec Balmoral et
Osborne, sa résidence préférée ; elle n'y oublia pas
ceux qu'elle aimait, et le monument qu'elle fit élever
dans la chapelle Saint-Georges, en souvenir du
prince impérial Napoléon, tué comme officier an-
glais au Zoulouland en 1879, est un témoignage
émouvant de ses nobles sentiments. Elle tint il être
ensevelie à Windsor, et c'est dans le grand parc,
au mausolée de Progmore, que ses cendres reposent
pieusement, à côté de celles du prince-consort Albert.
L'histoire nous dit aussi que c'est à Windsor
qu'Edouard 111, qui développa les construclions d'une
façon heureuse, créa l'ordre de la Jarretière en 1349,
le jour de la fête de saint Georges. On connaît
l'origine de cet ordre fameux : la comtesse de Salis-
bury ayant laissé tomber sa jarretière lors d'une
fêtp donnée au ciiateau, le roi la ramassa et, se la
mettant au bras, prononça la phrase célèbre :
n Honni soit qui mal y pense! » En réalité, l'Angle-
terre avait déjà connu les druides et leurs réunions,
puis les compagnons du roi Arthur, les chevaliers
de la Table iioiide et autres. Le nouvel ordre se
rattachait à ce passé et, en le créant, le roi réussis-
sait très habilement à consolider parmi les nobles
son infiuence et sa politique, en même temps que
les chevaliers trouvaient dans les tournois, joutes
et passe d'armes dont les réunions étaient accom-
pagnées, l'occasion de montrer leur habileté, leur
courage et leur valeur militaire. Peu après sa
créalion, de grandes fêles réu-
nirent les chevaliers de l'ordre
au château; il en vint non
seulement d'Angleterre, mais
d'Ecosse, de France, de Bour-
gogne, d'Italie, du Hainaut, des
Flandres, du Brabant, d'Alle-
magne ; la chapelle Saint-
Georges devint la chapelle de
l'ordredontsaintGeorK-esétail
le patron. Toute la chrétienté
retentit des exploits des che-
valiers k Windsor, et l'empe-
reur riigismond, en entrant à
Constance, tint à honneur de
porter solennellement les in-
signes du nouvel ordre.
Il y eut même à Windsor
une branche féminine de l'or-
dre, qui fut appelée l'ordre
des Dames de la Fraternité
de Saint-Georges.
Jusqu'à la (in du xvii" siè-
cle, le château servit égale-
ment de prison, surtout la
Tour ronde ou donjon. La
tour du roi Jean rappelle le
souvenir de Jean II le Bon,
roi de France, fait prisonnier
à la bataille de Poitiers par
le Prince Noir et qui y passa
de tristes heures, malgré la courtoisie de ses
gardiens. Chargé d'aller en France chercher sa
rançon, il ne put réussir à trouver la trop forte
somme fixée, et revint chevaleresquement, en vrai
Français, fidèle à sa parole, reprendre sa captivité
pour mourir tristement à Londres.
Jacques d'Ecosse fut également logé comme pri-
sonnier dans une tour de Windsor. Il jouissait,
comme Jean 11, d'une liberté relative, et c'est dans
les jardins du château qu'il rencontra Jeanne, de la
noble famille des Beaufort, qui devint sa femme. Le
roi d'Ecosse David II y fut également interné.
Le château peut êtçe visité en l'absence de la
cour; après les bâtiments eux-mêmes, tours impo-
santes, construclions massives ou chapelles élan-
cées, après les slalues qui ornent les cours et les
passages, les appartements royaux constituent la
partie la plus intéressante. Ils sont tous situes dans
Vp/ier Ward; leur ameublement et leur décoration
sont dignes des seigneurs du château; les œuvres
des maîtres les plus réputés qui les ornent, pein-
tures, statues, objets d'art, porcelaines, etc., forment
un véritable petit musée d'incomparable valeur.
Les salles les plus remarquables sont :
La salle Rubens, qui ne contient que des peintures
du maître, entre autres le célèbre portrait de sa
femme, une Sffin/e/-'anîi//e. un portrait de Philippe II.
La salle Zuccarelli, ou galerie de peinture, qui ren-
ferme plusieurs Zuccarelli, des Holhein, des Rem-
l)randt et des toiles de Claude Lorrain, André del
Sarte, le Guide et le Titien.'
La salle Van Dyck, qui renferme vingt-deux ta-
bleaux du peintre," dont son fort beau portrait par
lui-même, des portraits de Charles I", du duc de
Buckinghain, de la comtesse de Dorset.
La salle du Trône, tout en velours bleu, avec les
portraits des souverains par Lawrence, Gainsbo-
rough. Van Dyck, Kneller.
Le Grand Vestibule, où se trouve une importante
collection d'armes, armures et drapeaux du temps
d'Elisabeth et de Charles I".
LAROUSSE MENSUEL
La salle de Garde, qui contient également des
armes et des drapeaux, quelques-uns français; une
mention toute particulière doit être faite du bouclier
de François I^'', œuvre de toute beauté de Benvenulo
(À'Uini, dont le roi de France fit présent à Henri VIII
d'Angleterre, lors de la fameuse entrevue du Camp
du Drap d'or; il s'y trouve aussi l'armure du roi de
France Jean II, le Bon, des épées de Napoléon l""",
de Jacques I"', de Charles l"", du duc (!e Marlhorough.
La salle du Conseil, la grande salle de Réception,
dans laquelle se voient de fort beaux Gobelins; la
salle d'Audience, les cabinets du Hoi et de la Reine,
avec, dans celui-ci, le fameux tableau de Quentin
.Metsys : les Misères; la salle de Waterloo, avec
vingl-.>^ept portraits superbes de Lawrence, dans
laquelle sont donnés souvent des spectacles; la
grande salle à manger et la chambre du Roi, où
vint, huit jours avant sa mort, en 1861, le prince-
consort.
La Bibliothèque royale, dont la première idée re-
monte à la reine Elis.-ibeth, possède, entre autres,
une collection fort belle de dessins de vieux maîtres,
spécialement de Léonard de Vinci, Michel-Ange,
Ruphaël, Holbein et Albert Diirer, ainsi qu'une
collection de miniaturesdela famille royale du temps
de Henri VU. Parmi les imprimés, la collecliou his-
torique anglaise, établie par la regrettée reine Vic-
toria, est venue compléter heureusement l'ancien
fonds, et l'ensemble constitue une bibliothèque très
riche. La bibliothèque du Chapitre, plus spécialement
réservée aux chapelains dans Lower VVarcl, contient
également des trésors comme imprimés anciens.
l.p château ilf Windsor.
La vue que l'on a de la Bibliothèque royale est
une des plus belles du chàleau; elle s'étend sur la
Tamise et Klon, tout proche, et les yeux se réjouis-
sent agréablement de ce joli paysage, un des plus
charmants de l'Angleterre.
Dans toutes ces pièces des appartements royaux,
s'affirme l'attachement des souverains à leur vieille
demeure anceslrale; chacun a tenu à honneur de
l'orner. Mais une époque qui a pins profondément
que d'autres marqué sa trace dans l'aménagement
intérieur est celle du xv' siècle : ses meubles sont
là fort bien à leur place, dans leur vrai cadre, et
font grande impression.
L'autre partie du château : Upper Ward. contient
les habitations réservées aux chevaliers de l'ordre
de la Jarretière, aux chapelains et au personnel, le
cloître du Fer à Cheval, le cloître du Doyen, la
bibliothèque du Chapitre, ainsi que la chapelle
Albert, consacrée à la mémoire du prince-consort.
et la chapelle Saint-Georges.
La chapelle Saint-Georges, chapelle de l'ordre
de la Jarretière depuis 1349, fut bâtie par f^douard IV
au XIV» siècle et restaurée par George III. Elle est
considérée à juste raison comme le monument le
plus beau de style gothique, en Angleterre. Elle
renferme une nef et deux bas côtés, avec chapelles
latérales; le chœur est séparé de la nef par un jubé
fort beau, orné de riches sculptures. Dans le chœur,
se trouvent les stalles des chevaliers de l'ordre de la
Jarretière, chefs-d'œuvre de menuiserie d'arl, avec,
au-dessus de la stalle réservée à chacun, sa ban-
nière; puis la loge royale entourée des plus délicates
ferronneries. Le relable du maître-autel représente
la résurrection du Christ et son apparition.
Parmi les statues et monuments commémoratifs
érigés dans la chapelle en mémoire des grands per-
sonnages, le tombeau de Henri VIII (1548) retient
l'attention, avec ses 634 statuettes; de même ceux de
Jane Seymour (l.')37), mère du roi Edouard VI, de
Charles ]" (1649), d'Edouard IV, du duc de SulTollk
(1S4S) et celui, plus récent, du Prince impérial (1879).
N« 131. Janvier 1918.
La chapelle a contenu jusqu'avant la Réforme de
très nombreuses reliques de saints anglais : Osyth,
Richard, David, Marguerite d'Ecosse, Thomas
d'Hereford, Guillaume, Thomas de Canterbury. Plu-
sieurs ont été détruites alors; celles qui restent
sont enchâssées dans des reliquaires, remarquables
comme exécution et comme richesse.
Entre Upper Ward et Lower Ward, se dresse le
donjon ou la Tour ronde, jadis tout le château, puis
prison d'Etat, puis, délinilivement, habitation des
gouverneurs du château. Le gouverneur porte l'uni-
forme semblable à celui des autres dignitaires des
forteresses royales, telles que la Tour de Londres;
les plus célèbres furent : le prince Hupert, qui amé-
nagea fort heureusement le donjon et resta le type
du gouverneur rêvé, et le duc de Kent; le prince-
consort Albert fut aussi gouverneur du château. La
Tour ronde contient quelques canons anglais repris
aux Ecossais durant les vieilles guerres de rivalité
d'autrefois.
Parmi les autres tours, mais faisant partie de
Upper Ward ou de Luwer Ward, citons la lour
Normande, celle du roi Jean, d'Edouard III, de
Winchester, de Salisljury, de Davil.
Le château contient aussi, comme tout vrai vieux
château féodal, quelques passages souterrains, plus
ou moins secrets ; l'un d'eux conduit à une chapelle
à quelques kilomètres de distance, et il en existe de
même entre les diverses parties du domaine.
Les écuries royales se trouvent en dehors; elles
sont le siège de l'Ecole d'équilation de 'Windsor;
leur construction a commencé sous Guillaume IV, qui,
comme ses prédécesseurs el
ses successeurs, élidt grand
amateurde chevaux; c'estdire
le soin avec lequel elles ont été
établies et sont entretenues.
Les terrasses et les jardins
autour du château ajoutent à
sou charme. A côté des jardins
Muraux, le petit parc, planté de
beaux massifs, renferme deux
villas royales, des statues el
le mausolée de Frogmore, oii
reposent la reine Victoria elle
prince Albert. Le grand parc
s'étend sur 720 hectares et est
coupé, dans une partie de son
étendue, par une longue ave-
nue. Long Walk, qui part du
château. Il est fort bien amé-
nagé et très giboyeux ; il mène
:i Virr/intaWaler. pièce d'eau
arli(icielle,conslrni le vers 1746
par le duc de Cumberland el
'lui reste l'une des plus belles
il des plus grandes de l'An-
^'leterre.
Dans la forêt de Windsor,
plus imposante avec ses vieux
arbres, ont lieu les grandes
chasses royales. Quelques bâ-
timents : Royal Loilge. Sincie.ti
collage de style gothique, bâti par George IV, Cum-
berland Lodge, y ont été construits autrefois el ser-
vent encore de pavillons de chasse. Le grand Sha-
kespeare aimait cette vieille forêt, el l'on y montre
toujours llerne's Oak (le Vieux Chêne), dont la
légende est passée, par lui, à l'immortalité.
La ville de Windsor, fort intéressante par elle-
même, renferme quelques vieux hôtels, et son Guild-
kall méiite de retenir l'altention du visiteur. Immé-
diatement de l'autre côté de la Tamise, se trouve
Eton, célèbre par son collège, construit en 1440
par Henri VI et ofi est élevée la plus riche jeunesse
anglaise. On peut citer, parmi ses anciens élèves :
Fox, Grey, Ganning, Carlyle, Gladstone. Rosebery.
Le duc de Wellington, en visitant le collège, a dit
que les jeunes Etoniens avaient gagné là les vic-
toires anglaises, car leur courage el leur obéissance
étaient les résultats de l'enseignement et de la dis-
cipline de l'école où ils furent formés; les glorieux
exploits des Elan boys d'aujourd'hui témoignent
qu'ils sont toujours égaux, sinon .supérieurs, â leurs
aînés d'autrefois.
11 faut quitter Windsor el sa région en .s'arrêtant
au Broca. sur l'antre rive de la Tamise; de cet en-
droit, où quel(|ues lieanx arbres et nn nom rappellent
la demeure d'un vieux gentilhomme normand, qui
y vécut il y a des siècles, il faut jeter un coup d'œil
sur le château.
Il apparaît, de l'autre côté du fleuve, de la plus
majestueuse manière. On distingue nettement I en-
semble des tours, des clochetons, des bâtiments,
des terrasses, et l'esprit évoque aussitôt le passé, La
pensée se reporte vers ces rois et ces reines qui
vécurent là; cette longue lignée de souverains qui
créèrent cette grande œuvre qu'est l'empire britan-
nique, et ils méritent à juste litre l'affection et
l'estime que chaque Anglais, à travers le monde,
leur témoigne, — Loui» ltimet.
Parts. — Imprimerie Larousse (Moreau, Auge. GiUon et €>•),
il. rue Montparnftttt. — Lt gérant : L. OftOSLIl.
La Montaéne. (Les Chamois.)
m
N' 132. — Février 1918
Académie des inscriptions et belles-
lettres. — Election du comte Alexandre de
Laborde. Le 26 octobre 1917, l'Académie des ins-
criptions et belles-lettres a procédé à l'élection d'un
membre libre, en remplacement de Joret, décédé.
Les candidats étaient, par ordre alpliabélique: Bru-
tails, archiviste de la Sorbonne; le docteur Capitan,
professeur au Collège de France, membre de l'Aca-
démie de médecine; le commandant Esperandieu,
correspondant de l'Académie et le colonel comte
Alexandre de Laborde, bibliophile. Le nombre des
volants était de 34; quatre tours de scrutin furent
nécessaires. Les candidats obtinrent successive-
ment: Brutails, 4,2,1,0 voix; Capitan, 10, 10, 11,9 ;
Esperandieu, 9, 7, 5, 2 ; de Laborde, 11, 15, 17, 23.
Le comte Alexandre de Laborde est proclamé élu.
A.ncey (Geor^es-Marie-Edmond Mathevon de
CuBNiEu, connu en littérature sous le nom de
Georges), écrivain français, né à Paris le 9 dé-
cembre 1860, mort dans cette même ville le 18 no-
vembre 1917.
Georges Ancey fit ses humanités au lycée Fontanes
et passa ensuite, avec succès, les premiers examens
de droit. 11 enira, en 1884, au ministère des affaires
étrangères, fut attaché, jusqu'en 1887, à la direction
politique, puis, de 188'? à 1888, au service des ar-
chives. Ayant quitté le ministère, il se consacra
entièrement à son œuvre littéraire.
Il avait débuté, en 1886, par un recueil de poèmes
intitulé: Autres choses, qui valait surtout par le soin
de la forme. C'est au théâtre que Georges Ancey
devait trouver sa voie véritable. Sa production,
presque exclusivement dramatique, fut restreinte et
derare qualilé. C'est Antoine qui mit à la scène la
plupart de ses pièces.
Observateur pénétrant, analyste impitoyable,
Georges Ancey n'a pas craint de pousser à fond
l'étude des caractères. Il a peint avec un art bien
personnel, fait de force et de précision, la sottise et
la méchanceté humaines. Peut-être, dans ses pre-
mières œuvres, telles que l'Ecole des veufs (18s9)
DU la Dupe (1891), montra-t-il quelque outrance.
Mais c'est bien l'âpreté, la franchise un peu cruelle,
qui distinguent son talent. Dans l'Avenir (1899), ces
qualités se manifestèrent à un degré remarquable,
sans qu'on pût accuser l'auteur de parti pris. Après
un silence de plusieurs années, Georges Ancey
donna Ces Messieurs, ouvrage qui ne le cède en
rien au précédent. Jouée en 1903 au théâtre Molière
à Bruxelles, celte pièce fut interdite par la censure
à Paris, à cause de certaines allusions relatives au
clergé. Sa représentation sur la scène du Gynmase
fut autorisi'e en 1905 et obtint un vif succès.
Outre son théâtre, Georges Ancey a publié le récit
d un voyage en Grèce, sous ce titre emprunté à un
vers d'Aristophane : Athènes couronnée de violettes
(1908). C'est un recueil d'impressions et d'observa-
Uons, notées dans une langue à la fois subtile et
Hinple. L'auteur aime et comprend la Grèce, mais
il la célèbre rarement sur le mode lyrique. Citons,
pourtant, ce joli passage, inspiré par « l'enchantement
du golfe Saronique » :
La journée s'avance, sans na nuage ; il est près de cinq
heures. Sur ma droite, la féerie touche maintenant à son
apothéose. L'Espagne esc inondée de soleil, mais la Grèce
est inondée de clarté. A deux pas de moi, j'ai la mer d'un
bleu qui m'était inconnu, foncé et transparent. Au fond
du golfe, là-bas, atterrissent, en courbes molles et pleines,
les dernières courbes des montagnes d'Argolide, comme
pour s'abreuver à la mer; elles s'inclinent en longues
pentes, elles se pressent et se dépassent sans confusion,
en troupe disciplinée et nombreuse, avec des flancs mau-
ves ou violets, avec des cimes lumineuses et poudrées
d'or. Partout, autour de moi, sur la mer, sur les monts,
une atmosphère à la fois dorée et laiteuse, où la lumière
se transforme en clarté, où l'œil s'exalte sans que rien
l'olTense : Homère, Homère seul, cette fois encore, me don-
nera de résumer
mon plaisir. Bien
certainement, ce
moment est l'heure
de Loxias l'Obli-
que, l'heure ou dé-
jà il s'incline dans
la maturité de su
course ic'estl'heu
re duDieudontl'arc
est d'argent.
Georges Ancey
mena une vietrè»
retirée. Insou-
cieux des succès
faciles et de la
réclame, il fut un
écrivain scrupu-
leux eldigne.. au-
tant que par leurs
qualités psycho-
logiques, ses piè-
ces, longuement
mûries, se signa-
lent par la netteté de leur dialogue et la solidité
de leur construction.
Les œuvres de Georges Ancey sont : Autres
choses, poèmes (1886); Monsieur La7nl)tin, comédie
en un acte (Théâtre libre, 1S88); les Inséparables,
comédie en trois actes (id., 1889); l'Ecole des
veufs, comédie en cinq actes (id., 1889): Grand'-
mère, comédie en trois actes (Odéon, 1890); la
Dupe, comédie en cinq actes (Tnéàlre libre, 1891);
l'Avenir, comédie en cinq actes (théâtre Antoine,
1899); Ces Messieurs, comédie en cinq actes (1903);
Athènes couronnée deviolettes (1908). — c.LiB»o»i)».
angine de Vincent n. f. On donne le nom
ô'angine de Vincent k une affection .de la région
amygdalienne, occasionnée par l'action associée d'un
bacille et d'un spirocbète vivant en symbiose.
— Encyci.. Cette association d'un bacille à extré-
mités amincies (dit pour cela fusiforme) et d'un
spirochète a été décrite pour la première fois,
en 1892, par IL Vincent, actuellement médecin ins-
(ieorges Ancey.
I.AJ10USSK .MENSUEL.
IV.
pecteur général de l'armée française, dans la {)0ur-
riture d'hôpital. Quelques années plus tard, il indi-
vidualisait les lésions pharyngiennes dont nous
parlons et qui portent justement son nom. Les exa-
mens faits de frottis prélevés à la surface des ulcé-
rations dans cette angine montrent souvent la pré-
sence d'autres micro-organismes, qui sontseulement
surajoutés, et parliculièrement de germes sapro-
phytes et de microbes anaérohies de la putréfaction.
L'angine de Vincent mérite d'être isolée des autres
angines par ses symptômes spéciaux, sa marche, sa
résistance aux remèdes communément employés
dans les affections de ce genre et, surtout, par sa
nature. Elle n'est, en effet, que la manifestation
amygdalienne d'un processus véritablement gan-
greneux, qui peut donner lieu, dans d'autres régions,
k des manifestations diverses. Sur la peau, cette
association fuso-spirillaire détermine la pourriture
d'hôpital ou l'ulcère phagédénique des pays chauds;
dans la bouche, des stomatites, parmi lesquelles il
faut sans doute placer la stomatite mercurielle, ou
des gangrènes comme le noma; dans le pharynx,
l'angine de Vincent ou la gangrène du pharynx, il
existe des lésions souvent gangreneuses génitales,
œsophagiennes, gastriques et pulmonaires, qui recon-
naissent la même origine. Enfin, on a trouvé le même
groupement microbien dans certaines gangrènes
consécutives à des blessures de guerre.
Les manifestations cliniques de l'angine de Vincent
ont pour théâtre ordinaire l'amygdale ou les tissus
avoisinanls, la lésion étant presque toujours unila-
térale. Elle est constituée par une ulcération qui est
souvent, dans une première phase, recouverte par
une fausse membrane, mais qui, dans l'état de pureté,
se montre irrégulière, grisâtre, à bords nettement
délimités. 11 y a une fièvre assez forte, des phéno-
mènes généraux marqués, surtout dans la forme
grave, de la gingivite et une fétidité intense de l'ha-
leine. Les ganglions correspondant à la région sont
médiocrement tuméfiés.
Abandonnée à elle-même, l'ulcération n'a aucune
tendance à la guérison spontanée. Suivant la gravité
du cas, on voit alors soit une persistance de cette
lésion qui s'étend peu à peu par pbagédénisme, soit
deslésionsdeslruclrices, très sérieuses, qui atteignent
la région et les régions voisines. Dans toutes les
manifestations de la symbiose fuso-spirillaire, le
même dualisme dans la marche des lésions <peut,
d'ailleurs, être observé, comme l'a bien marqué
Le Blaye (de Tours).
L'angine de Vincent résiste, avons-nous dit. aux
modes de traitement ordinaires des amygdalites.
Les gargarismes et colhiloires sont ici inopérants.
Il fautuserdetopiques plus énergiques. Danslesfor-
mes simples, la teinture d'iode, le bleu de méthylène
et l'arsénobenzol, en applications locales, donnent
des résultats constants. Le dernier nommé est sans
doute celui qu'il convient d'employer de préférence,
car il a sur les formes graves une action que n'ont
pas les autres topiques. Dans ces formes gangre-
14
Autopède.
354
lieuses, lorsque les lésions deviennent très graves
et que l'état général est fortement atteint, lorsque,
surtout, les applications to-
piques ne semblent nullement
agir sur le processus, on a
obtenu de bons résultats
avec les injections intra-
veineuses d'arsénobenzol et
de novarsénobenzol, laites
suivant les méthodes usitées
en thérapeutique antisyphili-
tique. — Dr Henri Bouquet.
autopède (du gr. autos,
par soi-même, etdulat.jt)e.5,pe-
(^l's, pied)n.m.
Sorte de trotti-
nette(v.p.324)
pour adultes,
montée sur
deux roues
pneumatiques
et pourvue
d'un petit mo-
teur : i'AUTO-
pÈOE,surnom-
mé à tort /'au-
tomobile du
pauvre, a une
grande vogue sur les plages et terrains de sport
d'Amérique.
autopédon n. Personne qui se livre au sport
de l'autopède : /^'autopédon évolue au milieu des
voitures, effectuant, avec de souples inclinations du
corps, des a dehors» à rendre jaloux un patineur.
Siens français aux mains de l'en-
nemi. Hist. et dr. I. Généralités. Importance
des biens et intérêts français aux mains de l'en-
nemi. — Au début de la guerre de 1914, on pen-
sait que les intérêts allemands en France étaient
de beaucoup supérieurs aux intérêts français en
Allemagne. D'ailleurs, en 1914, tandis que plus de
50.000 Allemands habitaient Paris et plus de 150.000
le reste de la France, le nombre des Français rési-
dant au delà du Rhin n'était que de 8,000, et l'Alsace-
Lorraine elle-même n'en comptait que 11.622.
Peu à peu, au cours des hostilités, on s'est rendu
compte de l'importance considérable de l'avoir fran-
çais existant, sous les formes les plus variées, dans
les diverses provinces de l'Allemagne.
Par l'activité de banques neutres, ainsi que par le
concours de certains établissements français, les
grandes compagnies électriques, minières, métal-
lurgiques de nos ennemis avaient, à la date du
l" août 1914, drainé par centaines de millions les
capitaux de notre épargne. L'ensemble des capi-
taux français engagés dans les charbonnages alle-
mands (tels que ceux de Frédéric-Henri, de Carolus-
Magnus, de Hamm) peut être évalué à au moins
200 millions de francs. Dans les forges de Ditlingen,
en Prusse, la participation française est de 40 à 50
p. 100. Quant au commerce français, il était large-
ment représenté à Leipzig, à Dresde, à Berlin,
à Hambourg, k Mayence, à Charlottenbourg.
C'est surtout en Alsace-Lorraine que la fortune
française avait conservé de l'importance. Lai Stras-
burger Post, se basant sur des statistiques offi-
cielles, estimait, dans ses numéros des 18 et 28 fé-
vrier 1917, l'ensemble de la propriété française
dans nos anciens départements du Rhin et de la
Moselle à 1.200 millions de marks, soit à 1 milliard
et demi de francs. A Metz, 600 maisons, représen-
tant un revenu de 1 million et demi de francs, ap-
partiennent à nos compatriotes.
Régime d'arbitraire rigueur auquel sont as-
treints, en Allemagne, les biens et intérêts fran-
çais. — Dés le 7 août 1914, par une déclaration, le
gouvernement allemand a suspendu l'exercice des
droits patrimoniaux appartenant aux personnes ré-
sidant hors du territoire de l'empire et décrété ir-
recevables toutes les Instances qu'elles auraient eu
le droit d'introduire.
Moins d'un mois après, un décret portant la date
du 4 septembre a soumis au régime du séquestre
toutes nos entreprises et tous nos biens en terre
allemande. Leurs directeurs ou propriétaires se sont
trouvés dessaisis de tous leurs droits au profit d'un
n contrôleur », et celui-ci a immédiatement ordonné
le dépôt aes titres et espèces à la Banque de l'em-
pire. Les sanctions de ce décret du 4 septembre
1914 sont les suivantes : amendes, pouvant s'élever
à 50.000 marks; emprisonnement, pouvant atteindre
une durée de trois ans.
Un nouveau décret-loi allemand, du 26 novem-
bre 1914, a aggravé la situation : tous les Français
sont, en Allemagne, dépossédés de tout leur actif,
et la gestion en est confiée à des administrateurs
nommés par le gouvernement.
Les entreprises des Français, là-bas, sont taxées
d'officepourlescontributionsauxempruntsde guerre,
et à l'une d'elles qui ne disposait pas d'espèces on a
infligé une souscription obligatoire de 275.000 marks,
gagée, sans doute, sur son actif immobilier.
LAROUSSE MENSUEL
En Alsace-Lorraine, régime de rigueur tout par-
ticulier. Pour les Alsaciens ou Lorrains d'âge mili-
taire, émigrés en France ou en Suisse, l'Etat alle-
mand a confisqué tous leurs biens, et il en est venu
à s'emparer des biens des descendants ou plus pro-
ches parents des réfractaires. En ce qui concerne le
séquestre^ des biens, l'Alsace-Lorraine a fait l'objet
d'une ordonnance spéciale, rendue le 15 décem-
bre 1914; et, comme administrateurs, on s'applique
à y désigner les personnalités qui, au point de vue
politique, présentent le plus de garanties.
Dans nos déparlements envahis, les mesures de
séquestre à l'égard des biens particuliers sont régis
par des arrêtés pris par les quartiers généraux d'oc-
cupation. Par exemple, dans la région de Noyon,
était en vigueur un arrêté de principe du 27 octo-
bre 1916, signé par le général von Sauberzweig.
La législation allemande ne soumet à aucun con-
trôle les administrateurs des biens séquestrés, dé-
nommés polilische Gùterwalter, c'est-à-dire admi-
nistrateurs politiques des biens. Ces administrateurs
sont libres de gérer au lieu et place du propriétaire,
suivant leur bon plaisir, sans responsabilité réelle :
en effet, en vertu d'un décret-loi du 24 juin 1915,
un Français lésé ne pourra, après la guerre, réclamer
de dommages-intérêts que s'il y a eu négligence ma-
nifeste ou faute grossière et que si les autorités
allemandes donnent l'autorisation de poursuivre.
La principale préoccupation des administrateurs
est, suivant les ordres supérieurs auxquels ils obéis-
sent, de germaniser les entreprises françaises ou
alsaciennes-lorraines qui leur sont confiées.
D'autre part, le 14 mars 1917, le chancelier de
l'empire d'Allemagne a autorisé la liquidation des
biens privés français en pays occupés et en Alsace-
Lorraine. Les liquidations ordonnées sont effec-
tuées, sur l'ordre de l'autorité administrative, en
l'absence même de tout passif et dans un but pure-
ment politique : elles revêtent le caractère d'une
véritable spoliation. Les Allemands prennent comme
prétexte que leurs biens auraient été dilapidés en
France; cela est faux, ainsi que nous le montrerons
plus loin. C'est, de la part de l'Allemagne, la guerre
formellement déclarée aux intérêts privés.
La presse allemande s'est réjouie de la curée
ofl'erte, y conviant les consortiums financiers et in-
dustriels, parlant de partager le butin entre les pay-
sans allemands et les vétérans. Notons que ce n'est
pas seulement en Allemagne que des capitaux fran-
çais considérables sont engagés : c'est également en
Autriche-Hongrie, en Pologne russe, en Belgique,
en Turquie; en Roumanie, une partie des terrains
pétrolil'ères sont la propriété de nos nationaux.
Mesures prises ou envisagées en France. — Aux
termes d'un décret en date du 27 septembre 1914
(postérieur, par conséquent, aux textes coercitil's
allemands des 7 août et 4 septembre 1914), le régime
du séquestre a été, en France, applique aux biens
possédés par des Allemands ou des Austro-Hongrois.
L'immobilisation des biens particuliers ennemis
(avec arrêt des industries et des commerces), en
même temps que la conservation de ces mêmes
biens, entre les mains de la justice, comme un
« otage économique », telles sont les idées direc-
trices et déterminantes de la théorie du gouverne-
ment français. En tout cas, nos séquestres sont pla-
cés sous le contrôle unique de la magistrature, et
l'organisation du système est chez nous, dans tous
ses détails, purement et simplement d'ordre judi-
ciaire. (V. PROHIBITIONS COMMERCIALES, t. III, p. 602,
et DÉCLARATION OBLIGATOIRE, t. III, p. 752.)
Quant à la vente en France des biens allemands,
elle n'a jamais été autoris''e par les tribunaux
qu'avec la plus grande circonspection et unique-
ment en cas de marchandises périssables ou pour le
payement de dettes exigibles.
L'actuelle organisation par l'Allemagne de la li-
quidation des biens français a, en juin 1917, motivé,
de la part de notre ministre des affaires étrangères,
Alexandre Ribot, une déclaration qu'il a fait par-
venir par l'intermédiaire de l'ambassadeur d'Es-
pagne à Berlin, disant notamment :
Le gouvernement français proteste avec énergie contre
la prétention allemande de présenter les liquidations or-
données comme des représailles contre des ventes de
biens allemands, effectuées on France, dans des cas fort
rares....
Cette déclaration sera portée à la connaissance de tous
les gouvernements alliés et neutres. Il est nécessaire, en
eifet, que les étrangers qui pourraient se rendre acqué-
reurs de biens liquidés par les autorités allemandes sa-
chent Cjue la France considère comme non avenues ces
liquidations, la nullité de ta liquidation devant entraîner
celle de toutes les aliénations subséquentes.
Cette nullité aux yeux du droit français est for-
mellement résultée de la loi du 8 novembre 1917,
«relative aux saisies et aux ventes effectuées en
pays ennemis, dans les territoires occupés par l'en-
nemi ou en Alsace-Lorraine », — loi que nous étu-
dierons plus loin.
Comme il était indispensable, en toute hypothèse,
que le gouvernement français connût, dans la me-
sure du possible, quels sont les biens français aux
mains de l'ennemi, un décret du 2 juillet 1917 avait
déjà rendu obligatoire la déclaration de ces biens.
N' 132. Février J8J8.
Mais, devant l'extrême importance des intérêts
politiques et matériels en cause, notre loi du 8 no-
vembre 1917 constitue-t-elle une réponse suflisanle
à la menace allemande? — Ce que nos ennemis pa-
raissent redouter, c'est qu'il soit fait entre tous les
Alliés un bloc de tous les biens allemands, qui, par
voie de représailles, seraient, suivant un plan
commun, soumis à un système de rétorsion. Le mi-
nistre français de" affaires étrangères, Alexandre Ri-
bot, a, du reste — suivant ses déclarations devant
la Chambre des députés, lel3 juillet 1917 — engagé
des négociations en ce sens; et la question s'est
agitée dans les conseils des Alliés.
A noter une nouvelle déclaration allemande qui
— persistant à affecter de considérer le système
français des séquestres comme un moyen de ruiner
« les puissantes entreprises allemandes » — con-
tient ce passage :
Le gouvernement allemand agira maintenant jusqu'à
ce que le but visé soit atteint. Ni la déclaration de nullité
qu'affectionne le gouvernement français, ni le reproche
de détournement, ni la menace des conséquences n'y
changeront rien.
II. Déclaration des biens et intérêts fran-
çais EN PAYS ENNEMIS OU OCCUPÉS. — Le décret du
2 juillet 1917 (qui n'a été inséré au Journal officiel
que le i" septembre suivant) a rendu obligatoire
cette déclaration. Jusqu'à l'intervention de ce dé-
cret, la déclaration n'était que facultative.
Au ministère des affaires étrangères fonctionne,
depuis 1916, une commission spéciale, dite Commis-
sion des réclamations, chargée de constituer les
dossiers des réclamations concernant les intérêts
privés français en pays ennemis ou en territoires
occupés et qui a pour annexe un Office désintérêts
privés en pays ennemis ou occupés. C'est là qu'é-
taient reçues les indications données par les inté-
ressés, spontanément. Le rapport justificatif du dé-
cret du 21 juillet 1917 expliquait :
La connaissance des biens français au pouvoir de l'en-
nemi est dès niainienant nécessaire pour déterminer les
mesures à prendre à l'égard des biens ennemis que nous
détenons et pour négocier avec nos alliés, en vue d'arrê-
ter de concert ces mesures.
Les mêmes informations seront également indispen-
sables au moment des négociations de paix, pour défendre
les intérêts de nos nationaux et sauvegarder ainsi une
partie importante de la fortune publique française.
Il y a donc lieu, par une mesure semblable à celles
fiu'ont déjà prises nos ennemis et certains de nos alliés,
de rendre obligatoire, et dans la limite où elle est possible
et utile, la déclaration des biens français qui sont au
pouvoir de l'ennemi...
_ Il s'agit d'obtenir une évaluation globale du gage effec-
tif que nos ennemis détiennent.
Le décret du 2 juillet 1917 impose à tout Fran-
çais et à toute personne morale de nationalité fran-
çaise de déclarer (dans les conditions et sauf les
exceptions qui seront précisées par des arrêtés mi-
nistériels) les biens et intérêts qu'ils possèdent en
pays ennemis et en pays occupés par l'ennemi.
Les déclarations sont toutes envoyées (sous pli
fermé, non affranchi) à l'Office que nous avons si-
gnalé, l'Office des intérêts privés en pays ennemis
ou occupés. Il en est accusé réception.
Un arrêté ministériel du 15 juillet 1917 a com-
plété le décret, en précisant, notammeni, les per-
sonnes tenues de faire la déclaration et les biens
soumis à la déclaration.
En voici quelques précisions :
Parmi les personnes morales de nationalité française
assujetties à la déclaration, figurent les établissements
publics ou reconnus d'utilité publique, les sociétés, les
compagnies, les associations ; et, pour les personnes mora-
les, la déclaration est faite valablemen part l'administra-
teur délégué, par le directeur et, généralement, par toute
personne qualifiée pour représenter la personne morale.
La déclaration doit comprendre, en principe, tous les
biens et intérêts, de quelque nature qu'ils soient (biens et
intérêts commerciaux, industriels, agricoles, financiers ou
maritimes, droits et intérêts résultant de contrats de
droit public ou privé, etc.), soit en pays ennemis ou occu-
pés par l'ennemi, soit, d'une manière générale, à la dispo-
sition ou aux mains de l'ennemi, au moment où est faite
la déclaration.
La déclaration devait, tout d'abord, intervenir
dans le délai de trois mois à dater du 1""' septem-
bre 1917; mais un arrêté ministériel du 15 novem-
bre 1917 a prorogé le délai jusqu'au l«r février 1918.
Cet arrêté du 15 novembre 1917 stipule, en outre :
Des prorogations individuelles de délai pourront être
accordées notamment aux habitants des départements
occupés qui en feront la demande à l'Office des biens et
intérêts en pays ennemis et occupés, en spécifiant qu'ils
ne possèdent pas les renseignements nécessaires pour
faire actuellement une déclaration sincère concernant
leurs biens ou intérêts dans les départements envahis.
Un caractère strictement confidentiel est assuré à
toute déclaration. Toute déclaration ne peut être
utilisée qu'à l'occasion des négociations diploma-
tiques relatives à la sauvegarde des biens et intérêts
en pays ennemis ou occupés ; et même les déclara-
tions individuelles ne sont produites aux gouverne-
ments ennemis que surle consentementde l'intéressé.
III. Nullité des saisies et ventes en pays en-
nemis ou OCCUPÉS ET EN Alsace-Lorraine. — La
loi du 8 novembre 1917, qui a pour objet cette nul-
N- 132. Février 1918.
LAROUSSE MENSUEL
355
Bataille de Marengo (U juin 1800 . tibleau de Lejeune {1801. Musée de Versailles). — Apres le brillaat combat de Montebello, où Lannes battit le général autricbien Ott (9 juin). Bonaparte attaqua l'armée
ennemie, que le commandant en cbef Mêlas avait concentrée à Alexandrie. Par d'habiles manœuvres il la cerna, et Mêlas n'eut d'autre ressource que de s'ouvrir un passage de vive force vers Plaisance : c fut
la bataille de Marengo, dans laquelle 20.000 Français eurent à lutter contre 60.000 Autrichiens. La bataille, commencée à huit heures du matin, resta longtemps indécise; mais, vers trois heures, les Français
accablés par le nombre rétrogradent sur toute la ligne. C'est alors que Desaix, détaché vers Novi et rappelé par le Premier Consul, arrive, avec sa division toute fraîche. La lutte recommence de plus belle,
et Mêlas, qui avait déjà expédié des courriers à Vienne pour annoncer sa victoire, voit ses colonnes, culbutées, mettre bas les armes ou s'enfuir sur la route d'Alexandrie. Les Autrichiens perdirent 8.000 hommes,
les Français 6.000; la perte la plus cruelle é^ait celle du gén-'ral Desaix, frappé d'une balle k la poitrine, au moment où il engageait sa division dans la bataille. Le lendemain, Mêlas signait la convention
d'Alexandrie, qui livrait à la France toute ut haute Italie jusqu'au Mincio. Une seule bataille avait terminé cette immortelle campagne.
lilé, est due à l'initiative prise par le gouvernement,
le 23 février 1917. C'est un décret-loi italien qui a
servi de base au projet de loi. Dans l'exposé des
motifs de son projet, le gouvernement expliquait :
U Dous a paru Décessaire, par un texte de loi, de détruire,
dans la mesure du possible, tes oITets des actes dn spolia-
tion dont il s'agit, en les déclarant nuls et non avenus aux
yeux de la loi française, ainsi qu'ils le sont, d'ailleurs, pour
la plupart, en vertu du règlement annexé à la convention
de La Haye, sur les lois et coutumes de la guerre sur terre,
en date du 29 juillet 1899. Cette convention a été ratifiée
par tous les Etats signataires, parmi lesquels figure la
totalité des belligérants actuels. Les actes contraires aux
dispositioDS du règlement doivent être considérés comme
illicites dans tous les pays signataires de laconvention.
Il est donc certain que, comme tels, ils seraient annulables
en France ; mais il a paru nécessaire de signaler ce fait
aux intéressés par un texte spécial.
Leprojelétaitinspiréparundoublesouci: manifes-
ter, une fois de plus, solennellement, la volonté de
l'Etal fiançais de détendre énergiquement les intérêts
de ses nationaux mis en périlparles actes arbitraires
de nos ennemis; — gêner l'application des mesures
prises par eux en appelant l'attention des acquéreurs
des biens en question sur le caractère des opérations
auxquelles ils participent et, par conséquent, en les
prévenant des dangers auxquels ils s'exposent.
La loi du 8 novembre 1917 a (suivant 1 expression
du rapporteur devant la Chambre des députés, Roul-
leaux-Dugage) o posé la première pierre de l'édifice
que nous devons construire pour réparer le mal qui
a été fait avec une volonté réfléchie et tenace ».
Les dispositions de la loi du 8 novembre 1917 sont,
rétroactivement, « applicables aux mesures prises
par l'autorité ennemie et aux faits qui se sont passés
a dater du jour ofi l'état de guerre a existé entre la
France et le pays ennemi intéressé ».
Actes coneernanl les biens publics. — L'article 1"
de la loi du g novembre 1917 s'attache & sauvegarder,
dans la mesure du possible, les biens de l'Etat, des
départements et des communes, ainsi que leurs trésors
d'art ou d'histoire; et, à ce point de vue, sa préoccupa-
tion s'étend à bon droit à l'Alsace-Lorraine. Des nou-
vellesde presse nousont apporté l'écho de transfertsen
Allemagned'objets d'art ou de valeur se trouvant dans
les monuments ouïes musées des provinces perdues
en 1 871 (vitraux de la cathédrale de Strasbourg, pièces
du musée Schœugauer, de Colmar, etc.).
L'article l«r déclare « nuls et non avenus », c'est-
à-dire frappés d'une nullité absolue :
1» Tous actes portant atteinte aux droits de propriété ou
de jouissance appartenant à l'Etat, aux départements, aux
établissements publics ou reconnus d'utilité publique ,
accomplis par les autorités ennemies dans les départements
français occupés par elles, et contraires aux conventions
internationales.
2° Les actes concernant les biens de même nature, accom-
plis ouordonnés en AIsace-Lorraine(dans un but politique ou
à la faveur des circonstances de guerre), par les autorités al-
lemandes, quelles qu'elles soient, ou par les administrateurs
d'établissements publics ou reconnus d'utilité publique.
3" Dans les mêmes territoires, les opérations effectuées
parlesautorités ennemies concernantlesmusées, galeries,
bibliothèques, archives et, en général, tous les biens ayant'
un caractère artistique, scientifique, historique ou admi-
nistratif.
Actes concernant les intérêts privés. — L'article 2
de la loi du 8 novembre 1917 vise les actes préjudi-
ciables aux intérêts privés, même dans les pays
alliés occupés par l'ennemi. 11 est ainsi conçu :
Sont nuls et non avenus tous actes d'aliénation ou de
disposition, toutes inscriptions ou radiations d'hypothè-
ques, toutes déchéances, toutes destitutions ou révoca-
tions, toutes mesures de spoliations fiscales ou autres,
accomplies, prononcées ou ordonnées par les autorités
ennemies, quelles qu'elles soient, dans un but politique ou
à la faveur des circonstances de guerre, et concernant les
biens et droits de toute nature appartenant à des Français
ou a des Alsaciens-Lorrains d'origine française, en terri-
toire ennemi ou en territoire français ou allié, occupé par
l'ennemi, ou en Alsace-Lorraine.
Ces dispositions peuvent, par des conventions
spéciales, être étendues aux ressortissants des puis-
sances alliées et neutres, résidant dans les départe-
ments français occupés et en Alsace-Lorraine.
Remarque importante : aux tribunaux a été laissée
la faculté, dans les cas prévus par l'article 2 et sur
la demande des intéressés, d'apprécier les motifs
réels des mesures attaquées, de discerner si ces
mesuresonl, ou non, été accomplies «dans un but po-
litique ou à la faveur des circonstances de guerre ».
Énqagemenls pris envers des sociétés ou des
particuliers ennemis. — Il a été signalé au gouver-
nement français gue, par suite de l'occupation, des
habitants des régions envahies ont été forcés, soit
en raison des circonstances, soit par contrainte de
l'autorité ennemie, à passer des contrats, à s'engager
civilement ou commercialement (et spécialement i
souscrire des polices d'assurance) avec des sociétés ou
des particuliers ennemis. Ces obligations sont par-
lois d'une durée importante, qui dépassera le temps
de l'occupation. Et il a paru indispensable aux au-
teurs de la loi du 8 novembre 1917 que ces engage-
ments pris sous l'empire de la nécessité, et qui sont
de nature à léser gravement nos compatriotes ou
les intérêts français, puissent être annulés dès la
cessation des hostilités.
Le principe enaétéformellementinscritdanslaloi.
Les engagements et contrats en question sont
déclarés annulables par l'article 3. La nullité en sera
prononcée par le tribunal, sur la demande des in-
téressés fPranijais ou Alsaciens-Lorrains, d'origine
française). L'application du principe posé, c'est-à-dire
les conditions de cette annulation, seront ultérieure-
ment fixées par un décret.
Les dispositions de l'article 3 peuvent (comme
celles de l'article 2) être étendues, par des conven-
tions spéciales, aux sujets des puissances alliées ou
neutres, résidant dans les départements français
occupés ou en Alsace-Lorraine, — Louis AnoKi.
Bonaparte, président de la Répu-
l>ll(iue italienne {la domination française
dans l'Italie du Nord, 1796-1805) ; 2 vol., par Albert
Pingaud. — Nous voici en face d'un curieux sujet, bien
limité, traité en une œuvre de tout premier ordre,
longtemps attendue. La guerre a relardé de trois
ans le lancement dans le public de cet important
travail, gue des juges privilégiés ont eu le loisir
d'apprécier avant nous, puisque la première édition
porte déjà la mention : « couronné par l'Académie
française », récompense tout particulièrement mé-
ritée. Comment, en quelques lignes, montrer tout
ce qui, dans ces deux volumes, est nouveau et attire
l'attention? L'auteur, tout en examinant le délai! de
la situation politique, économique, militaire, surtout
morale, de l'Italie du Nord dans celte période si
importante de son histoire, a dressé des tableaux
d'ensemble qui frappent par la vigueur du trait et la
fiuissance du coloris : les cent premières pages du
ivre, qui résument la situation de la haute Italie k
la veille delà Révolution, qui exposent les caractè-
res des gouvernements, les senliments et les idées
des gouvernés, rappellent Tocqueville.
336
Bonaparte apparaît sur le théâtre de sa jeune
gloire dans toute sa complexité : h plusieurs re-
prises, riiistorien reprend le portrait, le creusant
chaque mois davantage, s'efforçant de discerner, au
milieu des résolutions plus ou moins spontanées,
plus ou moins libres, les sentiments intimes du gé-
néral, du consul et de l'empereur. Dans le chapitre I"
du livre II, notamment, Albert Pingaud compare
l'histoire avec lalégende qui a pris naissance à Sainte-
Hélène dans l'entourage même de Napoléon : l'Empe-
reur, déchu, voulant exposer à la postéritél'excellence
de son système, a commencé parle forger de toutes
pièces, et il s'est prêté des intentions que, vingt ans
plus tôt, il n'avait certes pas eues : « Il semble, dit
l'auteur, que, s'il a cherché à faire illusion aux autres.
LAROUSSE MENSUEL
succèdent, aussi nombreux qu'à Paris, et, ce qui est
pire, les exactions sont si scandaleuses que toutes les
classes de la population protestent; il est vrai que,
dèsCampo-Formio, Bonaparte a quitté l'Italie, l'aban-
donnant à quelques-unes de ses moins recomiiian-
dablescréatures. Les revers de 1799 ramènent les Au-
trichiens dans les plaines lombardes ; on ne tarde
pas k y regretter les Français : les treize mois de
réaction allemande laissent un affreux souvenir.
Aussi les armées du Premier Consul reçoivent-elles
des acclamations dont la victoire deMarengo douljle
le nombre et la chaleur.
La république Cisalpine attend les institutions qui
uidonneront l'impression de la fixité; un an durant.
pourtant, elle se débat dans le provisoire, subissant le
régime de l'occupation mi-
litaire, sans garantie et sans
honneur. L'abus des réqui-
sitions entraîne les souf-
frances des particuliers, le
désarroi des finances, l'aug-
mentation continue des im-
pôts; l'administration est
la proie de l'anarchie; une
opposition se développe
contre les conquérants; le
particularisme renaît ; la
Cisalpine n'a pas de limites
naturelles; ses habitants
ne sentent pas encore, ou
ne sentent plus, qu'ils sont
le noyau autour duquel s'ag-
glomérera rilalie future;
la crise est dure et longue.
Bonaparte atermoie et sem-
ble hésiter. C'est qu'en réa-
lité, au lendemain de Ma-
rengo, il a d'abord laFrance
entière à reconstituer, la
paix à conquérir et qu'il se
demande si l'Autriche et
l'Angleterre laisseront sa
domination s'élendre,même
indirectement, sur l'Italie.
Dès qu'il se sent sûr du
lendemain, qu'il a déblayé
le terrain en France et
qu'il sait l'Europe consen-
tante, il donne l'impulsion
d'où vont jaillir l'ordre et
la lumière; il appelle au-
près de lui Melzi, dont il
connaît les qualités de ju-
riste et de diplomate, mais
l'insuffisance de volonté
et l'excessive timidité; il
lui a adjoint Rœderer, un
de ses conseillers les plus
intimes et, d'ailleurs, les
plus capables; il les charge
de rédiger la Constitution
« courte et obscure » que,
au mois de novembre 1801,
il prie les représentants de
ticularités de son obscure 'existence et surtout 'le chagrin qu'il éprouvait de ne pouvoir^ faute ^^ Cisalpine de Venir ra-
d'un peu d'aisance, épouser Tune des filles lie son village. A peine arrivé à l'hospice, Bonaparte tîficr dans la Consulte de
écrivit un billet qu'il confia au guide pour le remettre à radministrateur de l'armée, resté de T vnn T\a rotlo nt-Alonrluo
rautre cOté du Saint-Bernard. Le soir, le .jeune homme, retourné à Saint-Pierre, apprit avec sur- i-^juu. i./t; ^ciic pieieuuuc
Srise quel puissant voyageur il avait conduit le matin, et sut que le général Bonaparte lui faisait assemblée Constituante, Ca-
onner un champ, une maison, les moyens de se marier enfin et de réaliser tous les rêves de sa ractéristioue de l'énofïlie
modeste ambition. — Le Premier Consul s'arrêta quelques instants avec les religieux de rhospice; , . " AiiT i n* )
il les remercia tie leurs soins envers l'année et leur fit un don magnifique pour le soulagement Consulaire, Aloert PingaUU
étudie longuement la ge-
nèse, les préliminaires et
l'œuvre. Bonaparte la domine indirectement, sans
cependant oser parler en maître; mais, quand le
comité des Trente oflre la présidence de la Répu-
blique à Melzi, celui-ci s'empresse de décliner cet
honneur, et Talleyrand intervient pour démontrer
aux députés cisalpins l'intérêt qu'ils auraient à élire
un étranger. La suggestion est assez claire, mais
l'amour-propre italien s'en montre d'abord si
froissé qu'un tiers seulement des membres de la
consulte acclame le nom de Bonaparte. Il faut l'ha-
bileté de celui-ci lors de la séance plénière du
26 janvier 1802, etdeux mesures qu'il fait croire spon-
tanées, pour lui valoir les acclamations unanimes :
la transformation de l'artificielle dénomination de
Cisalpine en " République italienne » et la désigna-
tion de Melzi comme « vice-président » de celte
République ayant sa résidence fixe à Milan.
Depuis six ans, le comte Melzi, qui n'était rien
moins que révolutionnaire de tendances, étant issu
d'une des plus vieilles maisons du palriciat lom-
bard et apparenté par sa mère avec l'aristocratie
espagnole, s'était constamment dérobé aux ins-
tances de ses concitoyens; il considérait la répu-
blique Cisalpine comme inviable et appelait de ses
vœux la constitution, dans l'Italie du Nord, d'un
grand Etat neutre qui, sous le gouvernement d'un
prince espagnol, servirait de tampon entre laPrance
et l'Autriche. Il avait, cependant, dès 1796, été com-
pris dans la délégation chargée de recevoir Bona-
parte ; seul d'entre tous ses confrères, il lui avaitparlé
avec franchise. Deux ans plus tard, il représenlait la
Cisalpine à Rastatt, puis à Paris, toujours & contre-
Bonaparte franchissant les Alpes, tableau de Paul Delaroche (1831. Musée de "Versailles). —
Le Premier Consul passa les Alpes par le Grand-Saint-Bernard, le 20 mai 1800. 11 était monté sur
un mulet et conduit par un jeune guide du pays, qui, chemin faisant, lui exposa naïvement les par-
des pauvres et des voyageurs.
sur la générosité de sa politique, il ait été aussi
amené à se faire illusion à lui-même sur la conti-
nuité de ses desseins. » Celui de ressusciter la na-
tionalité italienne, de lui donner une indépendance
qui ne l'eiît pourtant pas émancipée du trône impé-
rial, est une de ces légendes que les faitsdémentent:
Napoléon a voulu maintenir l'Italie morcelée sous
sa domination et, dans ce but, loin d'agrandir la
République italienne ou le royaume d'Italie, il a tenu
à le limiter à l'ouest par une chaîne de départements
français se succédant] usqu'à Home. Eut-il tort, eut-il
raison, ce n'est pas le lieu de le discuter ; du moins,
l'exposé très précis de l'hi.storien sur ce point im-
portant méritait-il d'èlre signalé.
La sympathie de Bonaparte pour sa patrie d'ori-
gine est pourtant aussi continue que celle des Ita-
liens pour le conquérant qu'ils sentent l'un des
leurs. Le premier contact k Milan, le 15 mai 1796,
est empreint d'une confiance particulière ; cette im-
firession se mue en admiration au lendemain de
a campagne victorieuse; en enthousiasme, en féti-
chisme, pourrait-on dire, après Marengo, au point
que la cérémonie du couronnement au Dôme, le
26 mai 1805, aura les allures d'une apothéose.
Le gouvernement que le général instaure après
ses premières victoires, sous le titre de république
Gispadane (décembre 1796), et qui englobe les ter-
ritoires de Bologne, Perrare , Modane et Reggio,
ne recueille pourtant pas les sympathies populaires;
la république Cisalpine, qui la remplace quatre mois
plus tard et se double de la Lombardie, a une exis-
tence singulièrement troublée. Les coups d'Etat s'y
Francesco Melzi d'Eril.
«• 132. Février 1918.
cœur, prétextant d'une santé délicate pour résilier
bientôt ses charges. Tel est l'homme que, pourtant,
Bonaparte considère comme « le plus accrédité par
ses lumières, son patriotisme et sa probité, plein
d'amour de son pays et tout dévoué à l'indépen-
dance de l'Italie ».Tel est l'homme, d'ailleurs, le plus
respecté et le plus populaire de la République.
C'est à l'étude de son gouvernement qu'est consa-
cré tout le second volume, moins varié que le pré-
cédent, mais peut-être plus instructif et plus nou-
veau d'Albert Pingaud.
Bonaparte a beau avoir revendiqué la présidence
de la République italienne, avoir surveillé l'organi-
sation du gouvernement, en avoir choisi les mem-
bres, son autorité ne peut se faire sentir chaque
jour à Milan; c'est à Melzi, à Marescalchi, nommé
ministre des affaires extérieures, à Guicciardi, h
Spannochi,àPri-
na qu'il délègue
son autorité.
Mais, entre ces
Italiens et lui,
s'interposelapei-
sonne du général
en chef de l'ar-
mée d'occupa-
tion, qu'on pour-
rait appeler le ré
sident généraldr
ce protectorat cl
dont les exigen-
ces ne rendent
pas toujours fa-
cile l'exercice du
gouvernement de
.Milan. C'est Mu-
rat qui est ce gé-
néral en chef, et
on sait son goût
de l'intrigue, son continuel besoin d'argent, sa soif
de popularité : il sera l'adversaire constant de
Melzi, dont il cherchera, sans y parvenir, à ruiner
le crédit aux Tuileries.
Tout en se soumettant k l'autorité de Bonaparte,
qu'il estime, le gouvernement de Milan s'efforce de
grandir la situation de la République dans la pénin-
sule; il cherche à se créer une représentation diplo-
matique qui n'est qu'embryonnaire, mais se heurte
au refus du Premier Consul; il ne réussit pas da-
vantage à faire réduire le subside payé à l'armée
d'occupation, mais il travaille, d'accord avec Bona-
parte, à former une armée italienne, qui, dix ans
plus tard, sous le prince Eugène, fera grande figure
parmi les cohortes impériales. 11 considère que celle
armée sera la meilleure sauvegarde de cette indé-
pendance italienne qui demeure le but ultime de
Melzi et de ses ministres, but ijui les entraine à
négocier même avec l'Autriche àl insu du Premier
Consul, non en principe pour rompre avec la France,
mais pour établir un nouvel équilibre européen,
dont l'indépendance italienne soit le pivot.
Les quatre ans de la République italienne, natu-
rellement fructueux sous le rapport économique,
l'ordre rétabli par Bonaparte ramenant la prospé-
rité en Italie comme dans tous les pays soumis à sa
domination furent donc, pour les ministres de ce
g:ouvernement, lourdes de difficultés et de décep-
tions. Maintes fois Melzi demanda à être relevé de
ses fonctions, et quand, en 1804, Napoléon fit com-
prendre que son accroissement de pouvoir en
France devait en entraîner un semblable en Italie,
Melzi, au milieu de sa tristesse de voir croître la
dépendance de son pays, eut la consolation de pen-
ser que l'heure de sa retraite avait sonné.
Les prétentions du nouvel empereur rencontrè-
rent tout d'abord dans les milieux politiques de la
République italienne une si vive hostilité que Napo-
léon pensa à abandonner le trône d'Italie à Joseph,
puis à Lucien. On saitque ces deux projets furenttour
à tour écartés par les intéressés et, surtout, par
l'Empereur lui-même. Mais, en Italie comme ailleurs.
Napoléon s'imposa k tous par son activité, son
énergie, la rapidité et la sûreté de son jugement,
en un mot par son génie. Il savait, d'ailleurs, la sym-
pathie, l'amour même qu'il inspirait dès longtemps
au peuple italien. Les quelques jours qu'il passa à
Milan en 1805, lors de ce couronnement qui sembla
une théâtrale apothéose, lui suffirent pour rallier
l'opinion des hésitants, pour subjuguer les hostiles,
en faisant sentir à tous qu'à défaut d'indépendance
et de liberté, le nouveau souverain apportait à ses
peuples le prestige de la gloire; et ce fut au milieu
des acclamations unanimes et enthousiastes qu'il
s'empara de la couronne millénaire des rois lom-
bards en s'écriant : a Dieu me l'a donnée, gare à
qui la touche I » — Pierre Rain.
Butors et la Finette (les), pièce en quatre
actes et six tableaux, en vers, de François Porche,
représentée pour la première fois au théâtre Antoine
le 29 novembre 1917. — Avant d'analyser 1 ouvrage,
il est nécessaire, pour la commodité de l'exposé,
d'expliquer ce titre d'apparence étrange : les Butors
et la Finette. Les Butors, bien que le nom d'au-
«• 132. Février 1918.
cune des puissances centrales ne soit prononcé, ce
sont les Allemands. La Finette, c'est la France.
Au premier acte, le décor repré-^ente la terrasse
d'un parc splendide, avec un escalier monumental
qui descend de la scène jusque dans la salle. Au milieu
du proscenium, à la place du pupitre du souflleur,
s'ouvre une grotte, dont l'entrée est masquée par des
feuillages et encadrée par une margelle qui s'arrondit
de haut en bas en fer à cheval. A droite, un coin
du château de la princesse, la Finette. A gauche,
des boulingrins et des massifs amorcent le parc.
Au fond, une immense perspective rappelle le tapis
vert et le grand canal de Versailles.
Des jardiniers travaillent gaiement aux préparatifs
d'une fête. Ils sont houspillés par un intendant dé-
plaisant, nommé Bue. La foule des badauds se masse
déjà derrière les balustrades pour jouir du coupd'œil
de la cérémonie. Hommes et femmes du peuple cau-
sent avec les jardiniers du parc, qui appartiennent
presque tous à la famille Miron. Avec la foule arri-
vent six ouvriers à l'ullure étrange : grande barbe,
pipe en bouche, accent ludesque. Ce sont des offi-
ciers allemands, qui font l'espionnage. Ils interpellent
les ouvriers et leur vantent les méthodes syndicales
de l'Allemagne, où tout se l'ait par discipline. Les ou-
vriers français ricanent et se déclarent pour la liberté.
De là dispule, rixe. Bue parait et commande : « Fixe 1 »
Les ouvriers étrangers prennent aussitôt l'attitude
mililaire. « Filez! » commande Bue. Arrive la char-
manie princesse Finette. Elle cause familièrement
avec lejeune jardinier François Miron, qui lui est sym-
pathique : ils ont été élevés ensemble. François est
artiste, il dessine des jardins; il a voyagé. Au loin,
il pensait à la princesse, qu'il vénère et qu'il aime.
La mère de la princesse, la duchesse Aime, a de
sourds pressentiments : elle hait Bue. Mais la prin-
cesse ne songe qu'au plaisir et fait promettre à Fran-
çois de danser avec elle au bal qui va s'ouvrir.
François s'entretient avec son père, le vieux Miron,
qui n'approuve pas ce qui se passe : « Il y a trop
d'étrangers chez nous ! » Ce Bue, ancien camelot,
valet à tout faire, est suspect.
Mais, déjà, les invités arrivent, princes et ducs de
tous pays, dorés, brillants de bijoux, fleurs de métè-
ques, ramassis de fêtards d'outre-mer. Et la fête
commence, les couples s'enlacent. On danse.
A ce moment, l'obscurité se fait. Seule est éclairée
l'entrée de la grotte au milieu de l'escalier. Bue est
li, debout. 11 ôte son habit, le retourne, le remet, et
paraît en officier allemand. Dans un remarquable
monologue, dont les phrases semblent s'avancer au
fias de parade, scandées par l'écho des marches mi-
itaires allemandes, il se réjouit de l'insouciance de
la France et salue déjà sa défaite, car l'heure a sonné.
Près de lui apparaissent les ouvriers étrangers vus
tout à l'heure : ce sont des officiers boches. Le feld-
maréclial paraît à son tour. Bue le renseigne : les
(Ils des télégraphes sont coupés ; le moteur de l'écluse
qui pourrait inonder le pays pour le défendre a été
brisé et l'éclusier tué. L'espion remet à son maître
des plans de forteresses : il les a pris dans des coffres
qui n'étaient même pas fermés. La France frivole est
en déliquescence : il n'y a qu'à étendre la main dessus.
La vision des espions s efface. Au-dessus de leur
tête, le parc réapparaît. C'est fête de nuit. Des giran-
doles éclairent les bosquets ; la folle troupe des
invités et des femmes à peine vêtues de soies et
coiffées de mauve tournoie.
Soudain, le canon, le tocsin. La vieille duchesse
Anne reconnaît ce son : non, ce n'est pas le tonnerre !
C'est comme en 1870 : c'est la guerre !
La princesse, frémissante, se redresse. Ceux qui
tremblent ou veulent s'amuserencore, elle les chasse :
L'air d'ici désormais ne convient plus qu'aux forts !
Partout, c'est le réveil des forces nationales. Hors
d'ici, les étrangers :
Nous balayons ! Âllez-TOUS-en I
Lejeune frère de François Miron, le petit André,
accourt : l'éclusier est tué, la ferme brûle ! Le tocsin,
les clairons font rage. André n'a pas peur : il a la
crânerie des enfants de France, et l'espérance
Vole avec le soleil sur l'océan des blés.
Le peuple entier vient défendre la princesse :
Vous, les mères, ce sont vos doigts
Qui m'ont pétri ces fortes âmes!
Tout ce beau feu, je vous le dois.
Gardiennes des saintes flammes ;
Mais, aujourd'fiui, vos fils sont grands.
Je TOUS les prends!
UNR VIEILLE FKMMB.
Prenez I Nous les donnons ! Il reste encor deux armes.
Quand on a tout donné : la prière et les larmes !
LA FINETTE.
Et TOUS qui TOUS taisez et que l'horreur pMit,
Les amoureuses, les épouses.
Egoïstes, jalouses.
Me donnez-Tous ces corps tout chauds de votre lit?
LUCILS.
... Nous n'aimons point les lâches.
LA FINETTE.
Courez donc, mes amis, tous, â vos grandes tâches.
Restée seule avec François Miron, la Finette lui
LAROUSSE MENSUEL
demande si l'on peut ouvrir l'écluse qui inondera le
pays pour le protéger. 11 répond qu'il ira et l'ou-
vrira an péril de sa vie. Au moment où François
part, elle lui donne son manteau bleu. Le soldat
français sera vêtu de bleu d'horizon :
Je rôve pour toi d'une étoffe claire
Comme la ligne du coteau.
Tiens, prends mon manteau!
Couvre ta poitrine
Dans ce bleu serein!
Prends ma pèlerine,
Mon grand pèlerin.
K\]ti a la couleur
1)0 nos ciels d'automne !
Prends, je te la donne
Avec ma chaleur.
Sois désormais sacro, symbole de ma force.
Drap d'azur, enveloppe, écorce
Do mes rameaux vivants.
Soldat, sous ces couleurs reçois l'investiture
De mes champs, de mes bols, de toute la nature 1
Va, peuplier, résiste aux vents !
Le deuxième acte se passe dans un des salons du
château de la Finette, pris et occupé par les Alle-
mands. Bue ne s'est pas trahi, et la princesse a
confiance en lui. Des sentinelles veillent aux portes
et aux grilles; des incendies éclairent la nuit. A ce
moment, le feld-maréchal vient voir la princesse; il
lui olfre un traité de paix d'une perfidie doucereuse :
LE MARÉCHAL.
Ce que j'offre, pourtant, n'est pas à dédaigner ;
Notre appui, la fortune.
L'ordre et tous les bienfaits d'une paix sans rancune ;
Mais n'est-ce pas cela qu'on nomme le bonheur ?
Ma franchise est indiscutable,
Les canes sont là, sur la table...
Toute la réponse de la Finette est d'une belle
noblesse et serait à lire :
LA FINETTE.
Comment pleurer assez! Je n'ai que mes deux yeux!
Quand les eaux de la mer couleraient goutte à goutte
Pendant des jours sans fin. entre mes cils usés,
La source, hélas ! serait tarie
Avant que ma face flétrie
N'ait pleuré tous les maux que vous m'avez causés.
Mais aussi je pleurais sur mon imprévoyance,
Mo répétant : * Si j'avais sul »
Ah ! que peut, en effet, la naïve Taillance
Contre un dessein pervers profondément conçu?
Je pleurais sur ma folle tète.
Sur les soirs où j'ai ri, sur mes bals, sur mes fleurs.
Puisque jusqu'à la fin ces poussières de fête
M'ont caché votre crime et mes prochains malheurs.
Mes larmes, à ce coup, viennent de ma colère !...
Votre arithmétique est en faute ;
Dans tous ses calculs elle saute
Un cbiflî're : notre cœurl
La peinture de la race des Français est vivement
menée :
Ecoutez-les tirer ! Ils sont têtus, rageurs.
De race militaire...
Si les hommes manquaient, les femmes, j'en suis sûre.
Saisiraient les fusils des morts !
Le maréchal se retire menaçant. La Finette apprend
alors que François, qu'on croyai t mort, n'est pas tué :
il est caché dans les bois. Elle veut aller le rejoindre
et se confie pour son projet à Bue, à qui elle demande
de l'aider à franchir la grille du parc où les soldais
la retiennent prisonnière. Bue allègue d'abord le
grand danger de désobéira la consigne, puis, en ap-
prenant que François vit, il consent aussitôt, afin de
connaître la retraite du fugitif et de s'en saisir.
Le troisième acte a pour décor la forêt de la Colline,
d'où l'on domine l'immense plaine. Au centre, se
dresse un menhir dont la mère de la Finette a parlé
au deuxième acte: c'est le menhir des Hocs Moussus.
Auprès, est une grotte, où un rocher branlant permet
de dévier le fleuve et d'inonder le pays, dont l'inon-
dation est la meilleure défense.
La Finette arrive dans le fourré désert.
Ici, se place un des plus émouvants passages. Fi-
nette erre seule sous bois. Elle aperçoit des lombes:
elle lit sur des croix des noms amis, et aussi un nom
boche. Elle hésite. Priera-l-elle aussi pour le bour-
reau? Devant la mort, elle oublie la haine. Elle
pleure sur la déponille de son bon jardinier :
Et, maintenant, c'est lui que la rosée arrose !
Et elle pleure sur tous les morts :
Vous, morts de la famille, et vous, morts aàoptifi 1
Bue surgit d'un souterrain : il l'a suivie, malgré sa
défense. A ses reproches il répond par l'insolence,
la familiarité, le désir, la brutalité; il se démasque.
La Finette comprend qu'elle est à la merci de cet
espion par qui elle fut si longtemps dupée : elle
l'abat d'une balle de revolver.
Et voici François, rapportant son jeune frère An-
dré, oui a reçu une balle ûans la tempe et qui meurt.
Que de deuils I Que de sang I
La planète est poisseuse.
Comme le bois do l'écbafaud!
François, à grand effort, a poussé la roche bran-
lante : on entend un bruit de déluge et, par un
curieux jeu de lumières, on voit l'inondation envahir
à l'horizon toute la plaine. Le camp ennemi est
submergé. Le pays est sauvé.
357
Au quatrième acte, nous nous retrouvons dans le
parc saccagé du château, après la victoire et la paix.
La princesse (la France) aime François (le Peu|.le):
ils se marieront. Les ouvriers ont repris les outils, et
le marteau sonne sur les pierres démolies à recons-
truire. La princesse se délie des étrangers :
Mon prochain intendant sera de la famille.
Le peuple, régénéré, repart pour les destinées neu-
ves que l'expérience, l'héroïsme et la beauté feront
splendides.
Tel est cet ouvrage : il est de qualité supérieure.
Cest une allégorie, rendue précise par les allusions
il la réalité et concrète par la vie réelle qui anime
les personnages. C'est le procédé d'Aristophane,
symbolisant le Peuple par le protagoniste Démos, et
mettant dans les Nuées, tes Oiseaux la vérité la plus
actuelle. Ainsi, encore, procédaient nos vieux au-
teurs des Miracles et des Mystères. La formule était
perdue. Il semblait hardi de la reprendre : François
Porche a trouvé la source des émotions fortes.
Les sentiments ont de la noblesse, de la grandeur,
de la beauté : ils sont les nôtres, et le poète a bien
rempli sa mission, qui est d'exprimer en les magni-
fiant les impressions de la foule.
Son style est clair, précis, exact, d'un métal solide
et sonore. L'expression a cette éloquence que pren-
nent les idées et les émotions qui viennentilu cœur
et qui vont au cœur. — Léo CuKn».
Les principaux rôles ont été créés par : M" Simone
[In Finette), MM. Gémior {Bue), Jean 'Worms (Franeoiê
.Ui'ron), Desfontaines (femar»'<;/ia/-rf>/c), M"'Léoniine Mas-
sart [la duchesse Anne), petite Bartout (André).
chromotliérapie n. f. (du gr. khrôma, cou-
leur, et thérapeuein, soigner). Méd. Procédé de trai-
tement de certaines maladies par les couleurs elles
lumières colorées. (Il s'agit donc d'un moyen phy-
sique. Ce mot a été employé dans un autre sens par
Ehrlich, (jui désignait sous ce nom le traitement
chimique [OU cbimiolhérapique] de certaines infec-
tions par des injections de substances colorées:
bleu deraétylène, trypanroth,etc.Nousne nous occu-
perons, dans cet article, que de la première accep-
tion, l'autre ayant été traitée à chimiothérapie.)
[V. Larousse Mensuel ill., t. II, p. 128.]
— Encycl. Le mot chimiothérapie est nouveau
(Foveau de Courmelles, I89I), mais la chose est
fort ancienne, car, de temps immémorial, les Chi-
nois avaient l'habitude de peindre en rouge les
varioleux, et les Tonkinois de badigeonner de sang
de chien les rongeoleux. On sait, au surplus, que les
Roumains mettent encore parfois une chemise rouge
à leurs enfants malades et que cette même pratique
existait autrefois en Espagne.
Ces constatations empiriques ont récemment
trouvé leur raison d'être dans les travaux d'Engel-
mann et de Winogradski , repris et confirmés par
Duclaux. Ces auteurs, expérimentant sur des êtres
unicellulaires : algues, bactéries, anlhéroznaïiles,
protozoaires, etc., ont établi que les manifestations
delà vie élémentaire présentent leur optimum d'ac-
tivité normale dans la zone comprise entre l'orangé
et le vert du spectre solaire, car c'est toujours dans
cette zone que se groupent les microbes exposés à
la lumière spectrale et abandonnés à eux-mêmes. Il
n'y a pas là que le résultat d'une influence attrac-
tive mécanique; les réactions vitales sont effective-
ment accrues, ainsi qu'en témoignent l'abondance
des dégagements gazeux et la rapidité plus grande
des bipartitions cellulaires. Deux autres phéno-
mènes ont été également notés.
D'une part, dans le rouge et l'infra-rouge, qui
représentent la partie la plus chaude et la plus pé-
nétrante du spectre, l'activité vitale des microbes
s'exagère d'abord, mais cesse bientôt, comme épuisée
par l'excès même du fonctionnement. D'autre part,
dans l'indigo, le violet et l'ultra-violet, partie pho-
tographique du spectre de beaucoup le plus riche
en radiations chimiques, l'activité vitale se ralentit
progressivement et disparait par destruction de la
matière vivante, (^ui se vacuolise et dégénère. Au
point de vue biologique, il y a donc, dans le spectre,
trois régions fondamentales : le rouge, suractivant
temporaire, épuisant à la longue; le jaune et le vert
surtout, doués d'un pouvoir équilibrant durable;
enfin, le bleu et le violet, sédatifs et inhibiteurs
d'abord, destructifs ensuite.
Mais, si les lumières colorées produisent de tels
effets sur les cellules vivantes isolées, comment
agissent-elles sur les tissus des êtres complexes et,
en particulier, sur les éléments nerveux? A cette
question ont répondu les recherches de Yung, de
Semper, de Forel et d'autres savants, qui attestent
l'action exercée, en conformité avec les indications
précédentes, sur la nutrition et le développement,
par les diverses régions du spectre. Même chez les
vertébrés supérieurs et l'homme, celte action per-
siste, presque immédiate sur les téguments et leurs
parasites, plus lente et secondaire sur l'état général
et le métabolisme profond, parce qu'elle s'exerce
de préférence par l'intermédiaire du système ner-
veux. De ces diverses données, toutes concordantes
en somme, dérive l'application raisonnée des cou-
leurs au traitement des maladies.
338
Après le premier Iravail de Foveau de Counnelles
en 1890, il faut arriver à la communication Hie au
congrès de Wiesbaden, en 1902. De ses exppriences
Bie conclut, lui aussi, que le rousje est excitant, 1p
vert équilibrant et le violet sédatif, et il reionnul,
en cuire, comme Gh. Boucliard, que la lumière
rouffe n'irrite piis la peau, mais a, cependant, un
pouvoir de pénétration beaucoup plus énergic|ue quu
la lumière bleue, laquelle, au contraire, quoique
très irritante, n'agit que superficiellement. Peu
après, Dreyer lenta d'utiliser ces indications en
badigeonnant la peau avec des solutions rouges
(triipanrolli) pour les rendre plus perméables à l'ac-
lion bactéricide des rayons bleus et violets. Pinsen,
le grand protagoniste de la pholothérapie, ulilisa,
de son côté, la lumière rouge contie la variole et
la bleue contre l'eczéma, le lupus et certaines tu-
meurs malignes de la peau. Les succès appréciables
qu'il obtint encouragèrent d'aulres médecins à re-
courir à sa méthoile, et c'est ainsi que Thymann,
Bickerod, SchuU lulilisèrent contre la scarlatine,
diopl' rapporla qiie, sous l'influence du séjour dans
la « chambre rouge », l'exanthème des enfants scar-
latiiieux pâlissait et s'effaçait, la fièvre tombait, et
les complications, si elles n'étaient pas toujours
évitées, perdaient au moins de leur gravité. Cepen-
d|int, quand le séjour dans la « chambre rou^e »
n'était pas suffisamment prolongé, on voyait, peu
après la sortie de celte chambre, reparaître l'érup-
tion et la lièvre.
Des résullals, également satisfaisants, ont été
constatés par Bie dans la variole et par Krukenberg
dans l'érysipèle. Mais c'est surtout contre la rou-
geole qu'a été vanlé le traitement par la lumière
rouge rérylhrothérapie). Chatinière en France,
Backmannen Finlande, Sisternès, Mariani, Benitez
en Espagne, Simionescu en Houmanie, etc., se sont
déclarés partisans de cette méthode et ont apporté
à l'appui de leur manière de voir un nombre con-
sidérable d'observations, dont quelques-unes sem-
blent concluantes. En France, cependant, on ne s'é-
tait pas, sauf rares exceptions, mouiré très entiché
de ce procédé, auquel Gojnby et Guinon ont même
dénié toute efficacité. Il importait donc de trancher
le différend, et c'est ce qu'a entrepris de faire Oou^'el.
Chargé du service des rougeoleux à l'hôpital
Claude-Bernard, Gouget y installa une « chambre
rouge 1) en faisant coller du papier rouge sur les
vitres des fenêtres et de la porte et mettre une
ampoule de verre rouge aux lampes électriques.
Pourplusde précaution, les malades étaient révolus
d'une chemise rouge. 24 rougeoleux âgés de plus
de 15 ans passèrent par celte chambre. Voici les
constatations auxquelles ils donnèrent lieu. Tous les
malades ont parfaitement supporté le séjour dans la
<i chambre rouge »; aucun cas de mort parmi eux
et, comme complication, deux cas seulement de
laryngile. La conjonctivite du début et la tumé-
faction de la face ont été heureusement influencées,
surtout la première, qui a reparu une seule fois
après la sortie de la chambre. L'éruption elle-même
fut peut-êlre atténuée dans une faible mesure, mais
pas plus sur le visage que sur les parties couvertes.
Quant à la fièvre, elle ne parut avoir été modifiée
ni dans son intensité, ni dans sa durée. Et Gouget
conclut que l'èrythrothérapie n'est pas plus capable
de transformer, contrairement à ce qu'a soutenu
Chatinière, les rougeoles graves en rougeoles béni-
gnes, que de faire avorter ces dernières.
Cependant, les conclusions de Gouget ont été for-
tement attaquées, à l'aide des arguments suivants :
1" la bénignité de l'épidémie n'a pas permis de
mellre en évidence l'inlluence de la lumière rouge
sur les complications ; 2° le séjour trop court (2 jours
en moyenne) des malades dans la « chambre rouge» ;
•S" l'application de la méthode aux seuls adulles
dont les téguments sont plus résistants à la péné-
tration des rayons rouges. Ceux-ci, en effet, ne sont
pas bactéricides; ils n'interviennent que par l'inter-
médiaire du système nerveux, sur lequel ils exer-
cent une action dynamogénique assez forte pour
aller jusqu'à l'excitation, ainsi que Courmont l'a
constaté chez les varioleux exposés trop longtemps
à la lumière rouge. Mais l'action dynamogénique
sur le système nerveux et le renforcement de la ré-
sistance vitale qui en est la conséquence sont su-
bordonnés au degré de pénétration des rayons
rouges. Or, cette pénélrabililé, elle-même condi-
tionnée par la structure des téguments, est — les
expériences de Finsen, de Ch. Bouchard et de Bie
le montrent — notablement affaiblie chez l'adulte,
dont la peau est plus épaisse et plus dure. Les re-
cherches de Gouget ne paraissent donc pas infirmer
définitivement les nombreuses observations publiées
en faveur de l'èrythrothérapie.
La lumière bleue et violette agit par un méca-
nisme tout différent : si elle a peu de pouvoir péné-
trant, elle est, grâce à sa richesse en radiations
chimiques, irritante pour la peau et énergiquement
bacléricide. Aussi les rayons violets et ulira-violels,
notamment ceux des lampes à mercure, sont-ils uti-
lisés avec succès pour la stérilisation de l'eau et
même du lait. L'emploi de ces rayons en thérapeu-
tique (cyanothérapie) n'a pas été toujours bien inter-
LAIIOLSSK MKiNSUEL
prêté, et c'est pourquoi certains résultats de Finsen,
Rumpf, 'Winternilz, Unna, etc., ont paru contradic-
toires. Les deux faits que voici indiquent comment
la contradiclion n'est qu'apparente. Une jeune fille,
atteinte d'eczéma purement tropho-névrotique, vit
son état s'aggraver légèrement par l'emploi de la
lumière bleue, tandis qu'elle guérit rapidement sous
l'inlluence des rayons rouges. Au contraire, uii
homme de cinquante-cinq ans, souffrant d'eczéma
chronique suppurant, ne tira aucun bénéfice des
rayons rouges, tandis qu'une application métho-
dique des rayons bleus améliora sensiblement ses
lésions. Que se passa-t-il, en réalité?
Dans le premier cas, la lumière rouge seule devait
être efficace, parce que l'action nerveuse était pré-
dominaiite et qu'il n'y avait pas de microbes à tuer;
dans le second, le bleu seuldevaitamener deseffets
satisfaisants, parce que la gravité des lésions dépen-
dait surtout de l'ensemenceinentpyogène, ensemen-
cement contre lequel les rayons bleus étaient seuls
actifs. Par conséquent, érythrothérapie et cyanothé-
rapie, tout en répondant à des indications diffé-
rentes, peuvent cependant trouver leur application
légitime dans une même maladie : la première main-
tenant ou augmentant la résistance vilale, la seconde
limilant son action à diminuer l'activité et la viru-
lence des microbes superficiels.
Les lumières bleue et rouge ont été également
utilisées contre les affections nerveuses. Dès 1890.
Foveau de Gourmelles préconisait la lumière bleue
ou violette contre les névralgies faciales ou inter-
coslales, et Finsen a aussi moniré que les appli-
cations suivies de rayons violets et ultra-violels
amendent, dans une certaine mesure, les douleurs
des cancers de la peau et du sein. Au point de vue
psychothérapique, les résultats semblent encore
plus nets. Dans une atmosphère rouge, les neuras-
théniques déprimés, les hypocondriaques, les mé-
lancoliques s'améliorent presque loujours et récu-
pèrent le goût de l'activité et le besoin de mouvement.
Inversement, dans une atmosphère bleue ou violette,
les excités, délirants, agiles et maniaques se calment
peu à peu et recouvrent une véritable tranquillité.
Paiez a utilisé ces propriétés pour obtenir plus
facilement l'hypnose et la suggestion thérapeutique.
Placés dans une chambre rouge s'ils ont besoin de
stimulation, dans une chambre bleue ou violette s'iU
ont besoin de calme, les malades répondent mieux
aux interrogations du médecin, se rendent plus exac-
tement compte de leur état et profitent ainsi davan-
tage des conseils qu'ils reçoivent.
Les lumières jaune et verte n'ont eu jusqu'ici
aucune application méthodique qu'on puisse retenir,
en dehors de l'emploi des vejres jaunes en oculis-
tique, verres destinés à protéger l'œil contre les
radiations offensives du spectre et à lui éviter loute
fatigue et toute irritation inutiles.
En somme, la chromolhérapie n'en est encore qu'à
ses débuts, el tout ce que l'expérience acquise à son
sujet permet jusqu'Ici de retenir, c'est qu'elle repré-
sente un adjuvant parfois ulile dans le traitement de
certaines infections et maladies. — D' J. laumonusr.
eyanotliérapie n. f. (du gr. kuanos, bleu,
et thérapeuein, soigner). Traitement de certaines
maladies par les rayons bleus ou violets. CV. chro-
mothf.hapie, p. 357.)
Degas (Hllalre-Germain-Erfi^ar), peintre fran-
çais, né à Paris le 19 juillet 1834, mort dans celle
ville le 27 septembre 1917. Fils d'un banquier pa-
risien, Degas, après avoir achevé ses études au
lycée Louis-le-Grand, entra à l'école de droit;
il en sortit bien vite, impatient de suivre sa vraie
vocation et de se consacrer exclusivement à la
peinture. 11 est permis de croire que cette voca-
tion s'était éveillée chez lui de bonne heure, favo-
risée et par le goût artistique très éclairé de son
père et par plusieurs voyages qui l'avaient conduit,
tout enfant, en Halle. En outre, sa situation de
fortune, en le metlant à l'abri des préoccupations
matérielles, lui permettait de céder sans réserves
à son inclination. Ce point a son importance : le
peintre qui doit vivre de sa palette cherche fata-
lement à « arriver » au plus vite. Dégagé de tels
soucis, doué par surcroît d'une grande indépendance
de caractère, qui le fit accuser parfois de misan-
thropie, demeuré constamment à l'écart des cote-
ries, bien que, malgré lui, il ait pris figure de chef
d'école, indifférent, enfin, à la renommée, qui vint à
lui sans qu'il l'eût jamais sollicitée, Degas employa
sa longue carrière à approfondir tous les secrets de
l'art du peintre, passant d'un maître à l'autre, es-
sayant de diverses formules el procédant par degrés,
avec une rigueur de méthode qui excluait toute
spontanéité. Aussi l'ensemble de son œuvre altesle-
t-il une perpétuelle et vivante évolution.
A rencontre de la plupart des peintres, dont les
débuis se marquent volontiers par des audaces que
le temps se cliarge peu à peu de tempérer, Degas
ne s'est moniré audacieux qu'à la fin de sa carrière;
ses premières œuvres témoignent, au contraire,
d'une sagesse extrême : elles sont ansolument classi-
ques d'inspiration et d'exécution. C'est que la grande
influence qui présida à ses débuts fut celle d'Ingres.
«• 132. Février 1918.
Si étrange que cela paraisse, Degas fut et resta tou-
jours foncièrement un disciple d'Ingres : c'est à son
école gu'il acquit ce souci de la correction du des-
sin qu il ne cessa de maintenir et de perfectionner;
c'est à son école aussi qu'il puisa le goût des grands
maîtres anciens el, particulièrement, des primitifs
italiens, où se forma le meilleur de son talent.
_ Sorti de l'école de droil, Degas se prépara à
l'Ecole des beaux-arts, sous la direction du peintre
Lamolhe, élève d'Ingres; il y entra en 1855, mais n'y
demeura guère et partit bientôt ipour l'Italie, où il
étudia avec ferveur les maîtres du Quattrocento, —
particulièrement le Ghirlandajo, — s'astreignanl,
selon le précepte d'Ingres, à faire de leurs œuvres
Edgar Degas, tableau de J.-E. Blanche.
de multiples copies et acquérant dans ces études,
en même temps qu'une grande sûreté de métier, ce
goût de la vérité qui devait le caractériser par la
suite. Aussi ses premiers tableaux : Mendiante ro-
maine (1857), portrait de Léon Bonnat (1863), por-
trait d'A. Mélida (1864) — l'un el l'autre au musée
de Bayonne — refiètent-ils celte influence. On la
retrouve dans la facture de ces toiles, à peine cou-
verLes, où les couleurs sont posées très légèrement
sur la préparation rouge, qui transparaît par endroits
et rehausse le coloris; on la retrouve également
dans les tendances réalistes, qu'accuse le visage
émacié de la mendiante ou la laideur accentuée de
Mélida. En même temps, Degas s'essayait à la pein-
ture d'histoire : Jeunes filles Spartiates provoquant
des garçons (1860), Sémiramis consti'ui.iant une
ville (\f,(ii), la Fille de Jephté, Scène de guerre du
moyen dge (Salon de 1865). Mais quelque plaisir
qu'il put prendre à combiner des arrangements pitto-
resques de groupes, quelque hardiesse même qu'il
apportât dans le type de ses figures, affranchies de
toutcaiactère conventionnel, Degas ne pouvait trou-
ver dans la peinture d'histoire la pleine réalisalion
de ses tendances. D'ailleurs, le vent soufflait d'un
autre côté. A celle date de 1865, il se manifeste
dans toutes les formes de l'art un courant vers le
réalisme; la formule que, dix ans auparavant, Cour-
bet avait lancée et dans laquelle il proclamait son
intention de « traduire les idées, les mœurs, l'as-
pect de son époque, selon son appréciation, d'être
non seulement un peintre, mais un homme, en un
mot de faire de l'art vivant », tendait à devenir le
dogme de toute cette jeune génération. Tandis qu'en
littérature, à la suite de Flaubert, s'affirmait, no-
tamment avec les Concourt, la tendance réaliste,
en peinture se constituait, avec Manet, Cl. Monet,
Fanlin-Latour, Renoir, l'impressionnisme. Et, dans
l'imprécision de ce mot — qui, au dire de Degas
lui-même, ne signifie rien — il ne faut pas enfermer
seulement une technique nouvelle; il convient d'y
voir également la tendance à l'expression de la
réalité moderne. C'est dans ce dernier sens qu'on
peut ranger Degas parmi les impressionnistes.
Sans suivre ses nouveaux camarades dans toutes
leurs manifestations tapageuses, sans cesser même,
jusqu'à la fin de l'empire, d'exposer aux Salons offi-
ciels, Degas oriente peu à peu son talent vers la
voie nouvelle el, par degrés, s'achemine vers le mo-
dernisme. Dès cette année 1865, il peint sa Femme
aux chrt/santhèmes, qui inaugure sa seconde ma-
nière. La facture n'a suère varié, elle a loujours la
précision un peu sèche de naguère ; la nouveauté
consiste surtout dans roriginalité — on peut dire
Vétrangelé — de la composition, de la mise en
cadre. Dans ce portrait, la plus grande place est
tenue par une énorme gerbe de chrysanthèmes, le
«• 132. Février 1918
personnage — une femme accoudée — rejeté au
bord de la toile, tst coupé en deux par le cadre !
Sans doute, Degas enlendail-il par là affirmer son
dessein de rompre avec les règles traditionnelles
de composition el de mettre en pratique l'idée fon-
damentale de la nouvelle école, à savoir que le
peintre doit reproduire la réalité, telle qu'elle s'oiïre
à lui, à l'exclusion de toute intervention person-
nelle. On retrouve la même intention, plus accen-
tuée encore, dans d'autres toiles, comme la Femme
à la potiche (1872, Louvre), le l'ortrait du vicomte
Lepic, où le personnage et ses deux (illetles, repré-
sentés traversant la ]ilace de la Concorde, sont
coupés à mi-jambes et, plus encore, les Musiciens
à l'orchestre, dont les trois têtes, placées au premier
plan, occupent la moitié de la toile et opposent leur
masse sombre au fond 1res lumineux rempli par la
scène. Jusqu'à la fin, d'ailleurs, Degas affectionnera
ces bizaireries. Faut-il chercher, comme on l'a pré-
tendu, dans ce mode de composition, un degré plus
grand de vérité? C'est très discutable, et l'on voit
mal en quoi la vérité d'un tableau dépend de la
place qu'y tiennent les personnages par rapport au
cadre. Au fond, Degas ne faisait que substituer un
procédé à un autre. Ce qu'il importe d'en retenir,
cependant, c'est l'impression de mouvement, d'iHS-
lanlané, pourrait-on dire, qui en résulte. Et c'est là,
en effet, le véritable point où il faut se placer pour
caractériser et apprécier l'oeuvre de Degas.
Peintre de la vie moderne, Degas a voulu la
représenter non en des altitudes figées, mais en
pleine action. Son but constant fut la poursuite de
linslanlané de la vie : saisir un mouvement dans ce
qu'il a de plus fugilif et de plus caractéristique, le
fixer sur la toile sans rien lui ôter de sa vivacité
rcmuanle, c'est à quoi l'arlisle, soulenu par une
profonde science du dessin, a, au moins dans la
seconde partie de son œuvre, appliqué son talent.
Dès I8B6, Degas marquait son inlenlion en pei-
gnant des Hc'enes de courses, non plus selon la
formule du « galop volant », introduite par Géricault
et G. Vernot, mais d'après une observation exacte
de l'allure des chevaux et des attitudes des jockeys.
Devan(;ant les données de la photographie instan-
tanée, Degas a su, par la seule acuité de sa vision,
décomposer le galop du cheval, en noter les mou-
vemonls les plus brefs. Cette série de jockeys, qui a
inspiré à l'arliste plusieurs toiles intéressantes, té-
moigne non seulement de la sûreté de son œil, mais
aussi de ses qualités de paysagiste. Bien qu'il ail
exposé chez Durand Ituel, en 1S93, une suite de
paysages, Degas, à rencontre des autres artistes de
son groupe, a peu pratiqué le plein air. Ses paysages
sont généralement très vaporeux, d'une coloration
adoucie, parfois même un peu terreuse, et baignés
d'une sorte de brume aérienne qui leur enlève toute
précision. Us n'ont, au fond, d'autre intérêt que de
contraster, par leur idéalisme, avec le réalisme fon-
cier du reste de l'œuvre du maître.
Après la guerre de 1870, où il avait servi comme
engagé volontaire dans la batterie du peintre
H. Rouart, Degas accentua son dédain pour l'art
acadénii(|ue et se rallia définilivonient au groape
des Indépendants. Il figura à la première Exposition
que ceux-ci donnèrent en 1874 et ne cessa de parti-
ciper aux suivantes, même quand ses anciens com-
pagnons de lutte, Renoir, Monet, Sisley, eurent pris
accès aux Salons officiels. Il exposa régulièrement
aux Impressioimisles jusqu'en 1887, date où il se
retira presque complètement de la vie publique.
C'est à cette période qu'appartiennent ses œuvres
les plus importantes.
Vers 1872, délaissant les champs de courses pour
les coulisses de l'Opéra, Degas inaugura sa brillante
série de Danseuses, qui devait consacrer sa réputa-
tion. Là encore, c'est moins la beauté plastique
qu'il recherche que la poursuite du geste, la nota-
tion brusque du mouvement. Egalement attentif à la
gaucherie ingénue du jeune « rat « (la Famille
Manie) et aux grâces savantes des premiers sujets
(la Danseuse-Ftoile), il accompagne ses modèles
dans toutes les phases de leur vie professionnelle;
il observe leurs essais timides et laborieux à la
classe de danse (Je Foi/er de la danse, la Classe de
Danse) [Louvre], étudie le jeu de leurs muscles
dans les exercices d'assouplissement (Danseuses à
la barre, v. t. 11. p. 666), surprend leurs altitudes
dans l'intervalle des répétitions, celle-ci remontant
son maillot, cette antre arrangeant son cothurne; il
assiste dans leur loge aux derniers apprêts de leur
loWelle ( Danseuse datis sa loge) ei se retrouve encore
près d'elles sur la scène, pour noter leurs harmo-
nieuses évoliilions (Hnnseuses roses. Danseuses se
baissant) saisir l'envolée d'une pirouette (Danseuse
surujie pointe), fixer le sourire de 1 étoile parmi les
applauilissements (Danseuse nu bouquet) [Louvre].
Dans celle enquête, nulle complaisatice, nulle in-
dulgence même; rien que l'unique souci de la pré-
cision el de la vérité. Loin de songer à flatter ses
modèles, Degas en accuse, au besoin en souligne les
délorm.ilions, car c'est là ce qui s'impose d'abord à
son observation aiguë : la maigreur du buste, la
saillie des clavicules et des omoplates, le fuselage
;de3 bras, le développement excessif des jambes sont
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
LAROUSSE MENSUEL
autant de détails précieux et significatifs qu'il n'a
garde de négliger. Même quand il montre ses dan-
seuses sur la scène, parmi le papillotement des
gazes, le scintillement des paillettes, le chatoiement
des feux électriques, la magie colorée des décors,
l'artiste est surtout sensible aux caprices des jeux
de lumière ; tant pis si la danseuse supporte mal
l'épreuve redoutable de la rampe, si la lumière qui
['éclaire brutalement de bas en haut lui donne une
physionomie blafarde, fait saillir sa maigre ossature,
élargit disgracieusement son sourire, accentue le
cerne de ses yeux; le peintre sera satisfait si, par
la juste valeur des tons, la finesse du coloris semé
par endroits de taches vives, il a rendu avec exac-
titude l'atmosphère artificielle du théâtre. Et c'est
359
qu'à la forme, el encore la forme ne l'inléresse-t-elle
que lorsqu'elle s'accompagne de mouvement. Il ne
fait pas poser ses modèles. 'Voilà pourquoi ses nus
n'ont rien d'académique, rien de symbolique sur-
tout : c'est une Femme accroupie dans son lub
(Louvre), une Femme s'essu'/ant (Louvre), une
Femme sortant du bain, pure notation de la réalité.
Comme on l'a justement observé, ce ne sont pas
des nus, mais des déshabillés. Ne cherchons donc
point dans ces analomies, lourdes ou grêles, défor-
mées par le corset et généralement sans grâce,
quelque chose de celte beauté plastique et perma-
nente dont la peinture classique avait fixé la for-
mule. Ce sont des scènes de cabinets de toilette,
traitées par le peintre de la même façon que ses
La Danseuse au bouquet, tableau d'Edgar Degas (Louvre).
ce que Degas réalise avec une incontestable maîtrise.
Pour mieux y atteindre, il a usé des ressources à
la fois plus riches et plus subtiles du pastel.
C'est toujours la même recherche du geste signfi-
catif,delaltilude expressive, qui a guidé Degas dans
ses éludes de Blanchisseuses ou de Modistes. Ren-
dant compte d'une visite à l'atelier du peintre, E. de
Concourt écrivait dans son JouT-nn/, en octobre 1874:
« Degas s'est énamouré du moderne el, dans le mo-
derne, a jeté son dévolu sur les blanchisseuses et les
danseuses; le peintre vous exhibe des tableaux,
commentant de temps en temps son explication par
la mimique... Et Degas nous met sous les yeux des
blanchisseuses, tout en parlant leur langage, et nous
expliquant théoriquement le coup de fer appuyé, le
coup de fer circulaire... "Mieux que tout commen-
taire, cette confidence indirecte nous permet de
saisir l'intention réelle de l'artiste el la véritable
portée de son œuvre.
Certains y ont cherché de l'ironie, de la férocité
même; on s'est plu à faire de Degas une manière de
moraliste, prenant une joie amère à dénoncer les
laideurs de notre civilisation. Cela pourrait s'en-
tendre à la rigueur de tableaux comme l'.lbsinlhe
(Louvre) ou Femmes devant un ca/'e (Luxembourg).
Mais n'y at-il pas quelque exagération à étendre ce
jugement, et Degas at-il mis dans ses toiles tout ce
qu'on a cru y voir? Il faut se méfier des dévelop-
pements trop faciles. Quand Huysmans, dissertant
sur les nus de Degas, prétend que l'artiste, «excédé
par la bassesse de ses voisinages, a voulu user de
représailles et jeter & la face de sou siècle le
plus excessif outrage en culbutant l'idole constam-
ment ménagée, la femme qu'il avilit », ceci est de
la littérature plus que de la crilinue.
En fait, il est peu d'œuvres d où la pensée soit
plus absente, et volontairement. Degas ne s'attache
scènes de coulisses ou d'ateliers. 11 n'a abordé ce
dernier genre qu'à la fin de sa carrière, & partir
de 1883, et c'est peut-être là où son modernisme
apparaît le plus fortement, tant par l'esprit de
l'œuvre que par son exécution.
Dans ses premiers pastels, Degas avait gardé quel-
que chose oe sa facture lisse et serrée: les touches,
fondues les unes dans les autres, noyaient les con-
tours du sujet dans la lumière ambiante, le peintre
transparaissait sous le pastelliste. Par la suite, ce
fut le dessinateur qui domina : Degas adopta exclu-
sivement une facture plus large, procédant par de
fortes hachures, où les coups de crayon se heurtent
et donnent à l'œuvre un éclat assez dur. Dans ses
dernières productions — et particulièrement ses
nus — la facture est plus brutale encore, parfois
même désagréable , avec ces coups de crayon
appuyés et verticaux, qui dédaignent de se plier aux
contours, mais sabrent violemment les chairs et y
jettent de.s crudités de reflets. Le dessin lui-même,
sans rien perdre de sa sûreté et de sa précision, est
volontairement simplifié, réduit aux indications
essentielles; de ce fait les dernières œuvres de
Degas revêtent un caractère d'abstraction qui les
rend assez déconcertantes.
N'exposant plus depuis 1887, jalousement enfermé
dans son isolement, Degas n'a cessé, cependant, de
travailler jusqu'aux environs de 1900 ; vers cette
époque, sa vue, depuis longtemps affaiblie, l'aban-
donna; devenu presque aveugle, il passa ses der-
nières années dans une douloureuse retraite. Du
moins, eut-il la satisfaction d'assister à la consécra-
tion de son talent et au triomphe définitif de son
art. Le legs Caillebotle avait déjà, en 1897, intro-
duit au Luxembourg quelques-unes de ses œuvres.
Avec le legs Camondo, les portes du Louvre s'ou-'
vrirent pour lui en 191t. Ce fut, pour bien des gens,
14»
ar.o
une révélalion. Aussitôl, les amateurs et le public
se piireut d'un vif engouement pour cet ailisle, qui
avait marqué un tel dédain de la renommée : à la
vente H. Houart (1912), sc's Modistes étaient payées
82. 000 francs, et ses Danseuses à la barre attei-
gnaient le prix fantastique de 435.000 francs I
Si l'on mesurait la valeur d'un peintre au prix
de ses tableanx, Degas devrait incontestablement
tenir l'un des tout premiers rangs. iVlais il faut se
garder des classilications hitives, et il suffit de re-
connaître que Degas, par la sûreté de son métier,
la hariliesse de ses vues et aussi par rinflueiice
qu'il exerça sur la génération actuelle, a droit d'être
compté parmi les maîtres de la peinture française
contemporaine. — F. Guihano.
érytlirothérapie n. f. (du gr. éruthros,
rouge, et Ihérapeuein, soigner). Traitement de
certaines maladies par les rayons rouges. (V. curo-
MOTHÉRAPIE, p. 357.)
Étiquettes commerciales (les). Leur
RÔLE POUR l'achat DKS DENRÉES ALIMENTAIRES. —
La loi du l" août 1905 sur les falsifications frappe
tous ceux qui auront trompé ou tenté de tromper
sur le poids, la nature, l'espèce, l'origine, les ijua-
lités substantielles, la composition et la teneur en
substances utiles de toutes marchandises.
En ce qui concerne les produits alimentaires, qui,
seuls, nous occuperont ici, des décrets successifs
ont fixé, pour la plupart d'entre eux, les détails de
la réglementation à laquelle ils sont soumis. Pour
un certain nombre : lait, café, fromages, farines,
semoules, tapiocas, pâles alimentaires, épices et
condiments, ces décrets, en raison de l'état de
guerre, n'ont pas encore paru. La vente de ces den-
rées non encore réglementéesest soumise, d'ailleurs,
comme celle de toutes les autres marchandises,
aux principes généraux de la loi de 1905, et les frau-
deurs n'ont pas le champ libre.
Dans les décrets publiés jusqu'ici, le gouverne-
ment s'est inspiré — trop largement peut-être —
des voeux exprimés par les congrès internationaux
pour la répression des fi-audes réunis en 190», 1909
et 1910 sur l'initiative de la Société universelle la
Croix-Blanche de Genève (v. Larousse Mensuel lit.,
t. I'"', p. 8117). Ces vœux ont été émis à la majorité
absolue des votants, mais il n'est pas sans intéiêl
de savoir que, parmi les congressistes, les indus-
triels et les commerçants, beaucoup plus nombreux
que les chimistes, les hygiénistes et les médecins,
ont souvent fait prévaloir leur opinion, plus con-
forme, parfois, à l'intérêt du producteur qu'à celui
du consommateur.
On peut résumer en quelques lignes les principes
qui ont servi de guide pour la rédaction des décrets
réglementant le commerce des aliments et boissons :
l" Le commerçant peut vendre à son gré tout aliment
pur ou mélangé, à la condition que la substance ainsi
mise en vente ne renferme aucun principe nocif.
2" Sous le nom d'un produit-type déterminé, comme
vin, cliocolat, confiture, il ne peut livrer au client qu'une
substance répondant exactement à la définition du pro-
duit indiquée par le règlement. S'il en modifie la compo-
sition par suppression ou addition d'une ou de plusieurs
substances (cucao privé d'une partie de son corps gras,
confiture glucosée), il doit le faire connaître à l'acheteur.
3° Le commerçant n'est pas tenu, d'ailleurs, de vendre
l'aliment mélangé ou modifié sous son nom-type ; il peut
lui attribuer un nom de fantaisie, qui constitue une « spé-
cialité H alimentaire.
4" Toute tromperie tentée par le vendeur est punissable.
Ainsi, par exemple, les noms vins de Bordeaux, fine
ehiimpa^ne, huile de noix pure ne peuvent s'appliquer,
BOUS peine de poursuites, qu'à un vin de la région de Bor-
deaux, à une eau-de-vio d'une région délimitée entourant
la ville de Coirnac, à une huile fahri(|uée exclusivement
avec des noix. Les indications fournies au public à l'aide
d'étiquettes, marques, factures, papiers de commerce,
emballages et récipients doivent toujours être exactes.
L'étiquetage de la plupart des produits est obligatoire dans
le commerce de détail, et les renseignements qu'il fournit
au consommateur doivent lui faire connaître la nature
des denrées étiquetées.
Nous voyons donc l'importance accordée à l'éti-
quette par les règlements. Aussi, quel soin le pro-
ducteur apporte à sa confection! S'agit-il dune
confiture d'abricots? Une vignette nous montre un
délicieux verger; des abricotiers chargés de fruits
s'alignent, que cueillent d'avenanles jeunesfemmes.
En cartouche, un abricot magnifique, revêtu des
jolies teintes jaunes el rouges de la maturité, nous
donne une haute idée de la qualité des fruits mis en
œuvre chez l'industriel. Les mots confiture d'abri-
cots, imprimés en caractères très apparents et d'un
vif coloris, achèvent de nous convaincre.
Cependant, parfois, sous ces lettres géantes si
brillamment ornées, d'autres, petites, ternes et
sans grâce, cherchent â se dissimuler. Combien de
clients prêtent attention à ces humbles caractères
dont la lecture les renseignerait d'une façon cer-
taine sur la véritable valeur de leur acquisition?
Ils pourraient y lire, par exemple, les intéressants
adjectifs suivants : glucosée ou gélosée, ou encore
fantaisie ou même artificielle, qui leur appren-
draient que l'abricot et le sucre ne se sont pas seuls
unis pour confectionner le produit. La dernière in-
dication peut même convenir & une confiture com- I
LAROUSSE MENSUEL
posée de très peu d'abricot, avec beaucoup de
citrouille nageant dans un magma de glucose et de
gélatine coloré et aromatisé artificiellement.
Four le marchand peu scrupuleux, l'étiquette est
un véritable palladium, sous la protection duquel il
peut vendre aux clients non avertis les mélanges
les plus imprévus. Il n'en serait pas de même si, avant
d'acheter un produit, le consommateur prenait l'ha-
bitude de lire avec attention les indications régle-
mentaires portées sur l'étiquette; il ménagerait à
la l'ois sa santé et sa bourse.
Un petit livre très documenté, œuvre d'un inspec-
teur du service de la répression des fraudes (André
Nuss, Guide du consommateur.), a récemment ap-
pelé l'attention sur cette question. Notre but est
le même.
Avant d'examiner les formules inscrites sur les
étiquettes commerciales, une connaissance plus
complète des règlements est nécessaire.
Définitions des aliments et boissons tt/pes. — La
loi, ainsi que le veut la logique, définit d'abord le
produit qu'elle réglemente. Le législateur n'a pas
voulu prendre pour type l'aliment chimiquement
pur, ainsi que le désiraient les hygiénistes; il a
défini l'aliment commercialement pur, c'est-à-dire
«• 132. Février 1918.
La loi autorise dans les mêmes conditions l'addi-
tion de fécule (5 p. 100 au plus) pour lier certains
produits de la charcuterie, l'emploi du bicarbonate
de soude et du salpêtre pour la conservation des
viandes, la coloration au caramel des bières et des
eaux-de-vie naturelles, l'emploi de la cochenille et
des colorants végétaux dans les sirops, liqueurs,
les pâtes alimentaires, celui de l'éosine et d'au-
tres colorants d'aniline pour colorer les dragées,
celui du jaune naphtol pour les pâtisseries, etc.
Elle autorise aussi le revcrdissase au sulfate de cui-
vre des conserves de légumes verts, des prunes et
« chinois » à confire, à condition que la dose de
cuivre ne dépasse pas 0 gr. 1 par kilogramme de
produit égoutté.
Parmi ces pratiques légales, beaucoup sont regret-
tables, mais, il faut bien le dire, plusieurs d'entre
elles sont imposées par le consommateur, qui va
d'instinct aux eaux-de-vie les plus ambrées, aux pâtes
alimentaires les plus jaunes, aux conlilures de fraises
les plus ronges, aux sirops les plus étiiicelants, aux
conserves de légumesdu vert le plus intense, comme si
la vivacité du coloris améliorait la qualité du produit.
0}>érations facultatives. — Ce sont les plus inté-
ressantes au point de vue qui nous occupe ici. La
TABLEAU I. — Étiquettes tendsuicieuses.
RÉDACTION ÉQUIVOQUE
RÉnACTION SANS AMUIGUITÉ
1. — Y., propriétaire, à Montargis (Gâtinais).
Miel surfln.
1. — Y., apiculteur, à Montargis (Loiret).
Miel du G&tinais.
2. — Louis, à Z... (Vendée).
Fabrique de conserves de sardines
et autres poissons.
2. — Louis, à Z. CVondée).
Conserves de sardines
à, la sauce tomate.
3. — Au canard doré.
Purée de foies.
3. — Comestibles de premier choix.
Purée de foie gras.
4. — Saucisson renommé
Mé/an|e hippique.
4. — Z., cliarcutier.
Saucisson de cheval.
5. — X., propriétaire, à Nice (Provence).
Huile de table 1" choix.
5 X., propriétaire, à Nice (.\lpes-Maritime.s).
Huile d'olive vierge.
6. — Charles, vinaigrier, à Orléans.
■Vinaigre.
6. — Charles, vinaigrier, à Orléans.
Vinaigre d'Orléans.
7. — vieille eau-de-vie.
Jules, commerçant, à Cognac (Charente).
7. — Cognac.
Jules, distillateur, à Cognac (Charente).
8. — Eau-de-vie vieille.
Z., fabricant de cidres, à Falaise (Calvados).
8. — Calvados d'origine.
Z., propriétaire, à Falaise (Calvados).
9. — Y., négociant en vins de Bordeaux.
■Vin rouge supérieur.
9. — Y., négociant en vins do Bordeaux.
Vin de Bordeaux.
l'aliment normal, celui qui n'est ni fraudé, ni fal-
sifié, mais qui a pu subir les manipulations con-
formes aux usages du commerce, manipulations
dont nous parlerons tout à l'heure.
Certaines définitions sont entièrement satisfai-
santes ; celle du vin, par exemple, <jui « est le pro-
duit de la fermentation du raisin frais ou du jus de
raisin frais » (décret du 3 septembre 1907), ou celle
du saindoux, « qui doit provenir exclusivement des
tissus adipeux du porc» (décret du 20 juillet 1910).
Mais, dans certains cas, la définition donnée par
la loi est sensiblement plus large que celle qui est gé-
néralement admise par le consoinmaleur. C'est
ainsi que la bière légale n'est pas la bière pure.
Jugez-en. Le décret du 7 août 1908 la définit ainsi :
<■ la boisson obtenue parla fermentation alcoolique
d'un moût fabriqué avec du houblon ou du malt pur
ou associé à un poids au plus égal de malt prove-
nant d'autres céréales, de matières amylacées, de
sucre Interverti ou de glucose ». Or, pour le public,
la bière dans la fabrication de laquelle sont en-
trés par moitié du malt de riz ou de blé, del'amidon de
mais ou de riz et surtout du glucose, n'est pas une
boisson pure et, cependant, l'étiquette qui la re-
couvre pourra porter les mentions suivantes :
Bière double. Bière supérieure. Bière X, etc. Les
brasseurs employant dans leur fabrication le malt
d'orge pur n'ont d'autre ressource que de le faire
connaître à leur clientèle par l'indication Bière pur
malt d'orge, ou telle autre analogue.
Opérations régulières. — Ce sont celles que le
produit peut subir sans que l'acheteur en soit pré-
venu. Ainsi, le règlement considère comme utiles
et conformes aux habitudes commerciales et hon-
nêtes les manipulations suivantes sur les moûts et
les vins : plâtrage des moûts, avec tolérance de
2 grammes au plus de sulfates par litre de vin; ad-
dition d'acide tartrique au moût; traitement par le
gaz sulfureux ou les bisulfites alcalins des moûts ou
des vins, avec dose maximum fixée; coupage des
vins entre eux; congélation des vins en vue de
leur concentration partielle; pasteurisation; collage
par l'albumine pure, le sang frais, la caséine pure,
la gélatine pure, la colle de poisson; addition de
tanin ; clarification au charbon pur des vins tachés.
loi ne les autorise qu'à la condition que l'acheteur
en soit prévenu, notamment par les libellés d'éti-
quettes. Telles sont, entre autres, les opérations sui-
vantes : addition de farine aux dragées, de fécule
(plus de 5 p. 100) aux pâtés de foie et saucissons, de
glucose au miel ou à la confiture, d'arômes artificiels
ou de colorants autres que ceux énumérés aux opé-
rations régulières; traitement des cacaos parles
carbonates alcalins pour les rendre soliibles.
La totalisation des opérations ainsi permises,
sous réserve qu'elles seront indiquées sur l'étiquette,
arrive à transformer tellement certaines denrées
(qu'elles n'ont presque plus rien de commun avec
I aliment-type dont le nom figure sur l'enveloppe ou
le récipient. II est vrai que ce nom est alors suivi de
la mention fantaisie ou de telle autre analogue,
disposée, d'ailleurs, de telle sorte que le consomma-
teur ne lui accorde aucune attention.
La loi a voulu surlo'.'t renseigner l'acheteur ; elle
aurait pu peut-être le proléger davantage. Deux
exemples nous le montreront.
■Voici le premier : Le glucose pur est un aliment
très sain, que nous consommons dans les fruits mûrs;
mais le glucose commercial, seul employé dans l'in-
dustrie alimentaire, est obtenu en traitant les fécules
par l'acide sulfurique, lequel provient du grillage de
pyrites de fer qui peuvent être arsenicales. Dans ce
dernier cas, le glucose contient de petites (juantites
d'arsenic, et son emploi, permis par les règlements,
soit en prévenant l'acheteur (confiture, miel), soit
même en ne le prévenant pas (bière), n'est certaine-
ment pas sans inconvénient.
Passons au second cas : Il est certain que tous les
colorants dont l'usage est autorisé sont inoffensifs à
petite dose, mais n'est-il pas à craindre que, lorsque
ces doses se répètent à de courts intervalles, elles
ne puissent nuire? Sous la sauvegarde des règle-
ments, notre estomac et notre intestin en voient de
toutes les couleurs. En moins d'une journée, ces
organes délicats peuvent entrer en relation avec la
cochenille d'un sirop ou d'une confiture, le jaune
naphtol d'un gâteau, le bleu de cobalt ou le violet
de Paris d'un décor de pâtisserie, l'érythrosine
d'une dragée, le sulfate de cuivre d'une conserve de
haricots verts I
N' 132. Février 1918.
LAROUSSE MENSUEL
361
TABLEAU II. — Etiquetage des aliments gras.
LIBELLÉ DE L'ÉTIQUETTE
Beurre des Charentes
Beurrerie do X. {Gharente-Inf").
3.
4.
5.
5»".
6.
7.
7**".
8.
8"".
8"".
CE QUE DOIT ÊTRK LK PRODUIT D'aPBÈS
LU RÈGLEMENT
Margarine X
)'■■ choix.
Graisse surfine
Saindoux
Saindoux pure panne. .
Graisse de panne supérieure.
Graisse de veau
Veaudtne
Graisse a//menta/re.
Graisse de coco
Cocotine
Meilleure que le bourre.
Graisse alimentaire
Graisse Charles-Louis ....
La Saint-Antoine
Recommandée pour la cuisine.
Produit fait exactement avec le lait ou la
crème de lait, ou un mélange de lait et do
crème ; doit provenir des Charentes.
Graisse animale additionnée de crème ou de
lait donnant 10 p. 100 de bourre au plus.
Graisso de porc, d'après l'usage.
Provient d'un tissu gras quelconque du porc.
Doit provenir des tissus gras entourant l'in-
testin du porc.
Doit provenir des tissus gras du veau ; peut
porter un nom de fantaisie, mais, si ce nom
aunsens, il ne doit donner lieu à aucune con-
fusion sur l'animal dont l'aliment a été tiré.
Doit être la matière grasse extraite de la noix de
coco; ne peutêtre vendue sous le nomdeôeurre
de coco; peut porter on nom de fantaisie.
I Mélange comestible d'aliments gras divers
dont le producteur ne juge pas utile de faire
' connaître la composition à l'acheteur.
LIBELLÉ DE L'ÉTIQUETTE
9. Graisse comestible
40 p. 100 de saindoux.
10. Huile d'olive vierge
11. Huile d'olive superflne. . . .
12. Huile de noix pure
13. Huile de table, 1" choix. ■ . .
ni»". Huile comestible, 1" qualité.
14. Huile de table à l'olive. . . . .
50 p. 100 d'huile d'olive.
ui>". Huile comestible
40 p. 100 d'olive. 30 p. 100 d'ara-
chide, 30 p. 100 de noix.
15. Huile à friture
1" qualité.
I5i>". Huile de table à friture
40 p. 100 d'huile d'œiUette.
CB QtJB DOIT êTRB LB PRODUIT D'APKâS
LB RBOLBHBNT
Doit contenir la proportion indiqaée de sain-
doux.
Doit provenir des olives traitées à froid.
Doit proV des olives traitées à froid ou à cbaad.
Doit être obtenue uniqnement avec des noix.
Mélanges de diverses huiles comestibles dont
la nature et les proportions ne sont pas
indiquées.
JMélanges d'huiles comestibles dont la compo-
sition est indiqaée partiellement ou com-
plètement.
jMélanges d'huiles comestibles do qualité in-
\ férieure aux précédentes.
TABLEAU III. — Étiquetage des boîtes de conserves et produits de la charcuterie.
jbi»^
3.
5.
S'".
S».
Purée de tomates .
Sauce tomate
La pulpe de tomate y est entière avec tout
son jus.
(Le jus de la conserve a été réduit par éva-
\ poration. L'apparence d'extrait ne doit pas
i avoir été donnée par addition de fécule aux
' n»' 1 et 1 bia.
Sardines vraies, baignant dans l'huile d'olive,
et frites dans l'huile d'olive avant la mise
en boîtes.
Sardines vraies, baignant dans l'huile d'olive
(mais leur friture a pu s'effectuer dans une
huile quelconque).
Doit contenir des sardines vraies, frites et
conservées dans une huile quelconque.
Sardines vraies, frites dans une huile alimen-
tairo et baignant dans une sauce tomate.
Homard, 1 " choix Doit contenir du homard.
Poulet à la gelée (Doivent contenir les produits annoncés, pré-
Extralt de tomates
Sauce tomate concentrée. ...
Sardines à l'huile d'olive
pure
X., usines à Y. (Loire-Inférieure).
Sardines à l'huile d'olive. . .
A la renommée.
Sardines à l'huile
Sardines des gourmets
Sardines supérieures
Roy ans à la sauce tomate..
Tripes à la mode de Caen. . .
Spécialité de déjeuners cliampêires.
L'Excellent.
parés suivant le mode indiqué.
Peut contenir des viandes quelconques non
malsaines. (Les noms de fantaisie sont admis
pour les conserves de viandes.)
Jl. P&té de canard (Les produits annoncés doivent y figurer, mais
12. Terrine de lièvre | ^j', J mSme^" °°" ^*8'«""""*«' " 1»' P«"'
13. Pâté parisien iDoivent renfermer des viandes, issues ou abats
14. Terrine Jean-Louis ! ''« P"™' '"^"f' ''=''" °" '"°"""''
15. Foie gras truffé Foie d'oie ou de canard, avec des truffes.
16. Terrine de foie gras
16'>''. Pâté de foie gras
16'". Crème de foie gras
161"" Pâté Adolphe, au foie gras
17. Purée de foie Jacques. . .
n'i'. Crème de foie Y
17'". mousse de foie
15. Grande charcuterie Z
Pâté de foie.
19. Pâté de foie fécule.
20. Jambon d'York
21. Saucisson pur porc
Zî. Hure aux pistaches, pur porc
23. Jambonneau
24. Andouille de 'Vire
25. Galantine truffée
26. Fromage de tête
27. Saucisson de Lyon
28. Saucisse de Lorraine. . .
29. Cervelas
30. Saucisse de cheval
31. Saucisson d'âne
32. Saucisson d'âne fécule. .
33. Saucisson de cheval.
15 p. 100 do fécule.
[Doivent contenir au moins trois parties de
i foie gras (d'oie ou de canard) pour une de
) viande. La graisse de farce ou de couver-
J ture ne compte pas. (5 p. 100 d'amidon au
[ plus, pour lier.)
(Les mots foie grat ne figurant pas sur
l'étiquette, la composition de ces produits
' est quelconque : foie de veau, graisse,
viande, etc.
Doit comprendre foie de porc, bœuf, veau ou
mouton, graisse de porc, chair à saucisse.
(5 p. 100 d'amidon au plus.)
Id., mais plus de 5 p. lOO de fécule.
NDoivent être composés exclusivement do
' < viande de porc de bonne qualité, avec épi-
•) ces et aromates.
VDoivent être des mélanges de viandes, abats
< ou issues de porc, boeuf, veau ou mouton,
I avec lait, épicos, aromates, oignons, etc.
S Doivent être composés de viande et de graisse
de porc, mélangés, ou non, de viandes de
bœuf, veau ou mouton.
Toute préparation dans laquelle entre de la
viande de cheval ou d'âne. (5 p. 100 de fécule.)
lld., mais plus de 5 p. 100 de fécule et moins
I de 10 p. 100.
ild., plus de 10 p. 100 de fécule.
I
TABLEAU IW. — Etiquetage des aliments sucrés.
1. Sucre mécanique I
2 Sucre NPrésentalions diverses de sucre raffiné, lequel
< doit contenir au moins 99 gr. 5 de saccha-
3. Sucre semoule i rose pour lOO grammes du produit sec.
4. Sucre en poudre \
5. Sucre pure canne Jh. De plus, doit être extrait do la canne à
S'". Sucre colonial
entre 98 et 99,5 p. 100 de
6. Sucre blanc cristallisé.
7. Sucre roux
8.
gbi.
10.
lObi,
11
13.
14.
15.
10.
Miel du Gâtinais.
Miel de sucre. . . .
Qualité extra.
Miel de fantaisie.
Pur sucre.
Doit contenir
saccharose.
Doit contenir plus de 85 p. 100 de saccharose.
8. Miel pur surfin Doit être du miel pur provenant d'abeilles ali-
mentées uniquement par le nectar des fleurs
Miel provenantd'abeilles alimentées en grande
partie à l'aide du sucre ou de glucose.
! Mélange de miel pur et de substances sucrées
alimentaires : glucose, etc. Peut être coloré
artiflciellement.
Confiture de groseilles
Pur sucre et fruit.
Confiture de fraises Fraises (peut-être conservées), sucre et moins
de 2 grammes d'acides citrique ou tartrique
par kilogr. (pour favoriser la prise en gelée).
Id. Mais plus de 2 grammes d'acides citrique
ou tartrique par kilogramme.
Confiture de fraises.
Acidulée.
Confitiu-e d'abricots.
Arôme artificiel.
Gelée de coings
Glucosée.
Gelée de groseilles. .
Coforée.
Fabriqué exclusivement avec des groseilles
fraîches et du sucre.
Aromatisée au moyen d'essences artificielles
ou naturelles.
Contient du glucose.
Addition d'une matière colorante autre que
la cochenille.
19.
20.
SO'".
20'*'.
21.
21'"'.
22.
j2b..,
23.
23'"".
24.
241,1.,
24'".
25.
Confiture d'abricots
Gélosée.
Confiture de fraises
Fantaisie.
Confiture d'abricots
Artificielle.
Addition de gélose ou gélatine.
Le mot fantaisie peut remplacer l'une des
quatre indications précédentes (n»' Il à 17).
Âbricot(à dose infinitésimale). Produit acidulé,
coloré, gélose, aromatisé artificiellement.
Chocolat supérieur (Mélange d'où moins 32 p. lOO de pâle de cacao
_, 1 t TT 5 (privée ou non d'une partie de sa matière
onocoiat JL < grasse) avec du sucre et parfois des
Chocolat du fondeur ( aromates.
Cacao sucré (Mélange d'au moin» 32 p. lOO de poudre de
Chocolat en poudre ( cacao avec du sucre et parfois des aromates.
Cacao Y (Mélange d'au moins 32 p. lOO de pâle de cacao
< (dégraissée pariieltemeni par traitement
Poudre de cacao pure ( mécanique et mise en poudre) et de sucre.
(Mélange d'an moins 32 p. 100 de pâle de cacao
Cacao solubilisé i (dégraisséopartiellomentpartrailementcAi-
Poudre de cacao solubilisée . j ""?«« »"=' carbonates alcalins) et de sucre.
( (La mention sotubuisé est obligatoire.)
Sucre chocolaté pur
Sucre au cacao pur
Sucre au cacao solubilisé. .
Grands établissements X
Chocolat surfin.
25 p. 100 do matières étrangères.i
Chocolat vanillé
27. Chocolat vanillé. . .
Arôme artificiel.
27i>". Chocolat vanllUné .
Mélanges analogues aux numéros 20 & !3 bis,
mais contenant moins de 3t p. loo de paie
ae cacao et, par suite, une plus forte pro-
portion de sucre.
Produit pouvant contenir, en pins de la pâte
de cacao et du sucre, des graisses, du glu-
cose, des fécules, etc.
Chocolat parfiimé â l'aide de gousses de
vanille.
^Chocolat parfumé à l'aide de la vanille artiS-
cielle ou vanilline, produit de syntbtae.
362
Opérations interdites. — Ce sont toutes les opé-
rations frauduleuses : mouillage du vin, du lait,
conservation des aliments et des boissonsparles anti-
septiques (sauf le sel pour les aliments solides et te
gaz sulfureux pour les boissonshygiéniques), emploi
d'ingrédients permis, mais à dose interdite, etc.
Indication de poids. — Pour les sucres, les
graisses et huiles, les confitures (par plus de
500 grammes) et les chocolats et cacaos en boîte
(par plus de 100 grammes), la vente au poids est
obligatoire. Elle peut être remplacée, pour les huiles,
par la vente au volume.
Toutes les autres denrées alimentaires peuvent
être vendues à la pièce (un pot de moutarde, un
sac de bonbons), ou au poids.
Pour les achats à la pièce, aucune indication de
fioids n'est obligatoire sur le récipient ou l'enve-
oppe de la marchandise. Il en est de même si la
denrée, vendue au poids, est pesée devant l'ache-
teur. Danslecas contraire, le décret du 15avrill912
exige que les emballages et récipients dans les-
quels est livrée la marchandise vendue au poids
portent « une inscription indiquant en caractères
apparents soit le poids net, soit le poids brut et la
tare d'usage ».
Une boite de 500 grammes de sucre en morceaux
doit donc porter l'une ou l'autre des trois indica-
tions suivantes :
1» Poids net : 500 grammes;
2» Poids brut : 525 grammes. Tare 25 grammes;
3° Poids brut : 500 grammes. Tare 25 grammes.
Certains épiciers sans scrupules vendent bi'ut
pour net, c'est-à-dire que la boîte n" 3, à laquelle
il manque 25 grammes de sucre, est payée chez eux
le même prix que les boites correctes n"' 1 et 2
chez les commerçants honnêtes. En lisant avec soin
l'étiquette, le client s'évitera cette perte.
Indication d'origine. — Elle est dans certains
cas obligatoire. Les conserves de poissons, légu-
mes et fruits préparées à l'étranger ne peuvent être
introduites et mises en vente en France que si
elles portent sur le couvercle ou le fond, dans une
partie non revêtue d'inscriptions, l'indication du
pays d'origine (Espagne, Norvège, Etals-Unis, etc.)
en caractères latins d'au moins 4 millimètres, es-
tampés en relief ou en creux (lois du 11 juillet 1906-
23 juin 1913).
Sur toutes les bouteilles de vin mousseux prove-
nant de la Champagne viticole délimitée (décret du
17 décembre 1908), l'étiquette Champagne, en ca-
ractères très apparents, est obligatoire. Ce même
nom doit figurer sur le bouchon, lorsqu'il s'agit de
vins préparés depuis mars 1911. Les vins mous-
seux de l'Aube peuvent être accompagés du mot
Champagne, suivi obligaloiremcnldes mots: 2» zone.
Pour tous les autres produits, l'indication d'ori-
gine n'est pas obligatoire, mais, si le commerçant
juge qu'il est de son intérêt de la faire figurer sur
seséliquettes et papiers de commerce, elle doit être
exacte; par exemple: Vouvraij, 1905; Vinaigre
d'Orléans, etc.
Des garanties offertes à l'acheteur par les éti-
quettes.— Les nombreux exemples reproduits dans
nos tableaux font comprendre l'intérêt que présente
pour l'acheteur la lecture attentive des étiquettes
commerciales. Pour apprécier la valeur des garan-
ties offertes au public par la loi, envisageons les
différents cas qui peuvent se présenter.
1" L'étiquette, rédigée nettement, sans ambiguïté,
annonce un produit de second choix ; par exem-
ple : Petite bière. Eau-de-vie de marc fantaisie.
Gelée de coings glucosée. Chocolat à 15 p. 100
de matières étrangères, Pâté de foie fécule. Huile
de table à friture, etc. L'acheteur peut alors ac-
corder toute confiance au vendeur qui indique fran-
chement la valeur de son produit;
2° L'étiquette, rédigée nettement, sans ambi-
gu'ilé, annonce un produit de premier choix; par
exemple : Cidre normand pur jus, Sardi7ies à
l'huile d'olive. Gelée de groseilles pur sucre et
fruit. Chocolat supérieur, etc. Si le commerçant
est honnête, les garanties offertes à l'acheteur sont
les mêmes que ci-dessus. Dans le cas où le produit
est d'une qualité très inférieure à celle qu'annonce
l'étiquette, l'acheteur a recours contre le vendeur,
lequel tombera sous le coup de la loi, à la suite d'un
prélèvement d'échantillons opéré dans son magasin
par le Service de la répression des fraudes;
3° L'étiquette est rédigée d'une façon ambiguë,
tendancieuse. (V./aA/eawL) L'acheteur doit s'abste-
nir, parce que lamarchandise vendue ne correspond
certainement pas à la marchandise annoncée ett^ue,
de plus, s'il veut poursuivre le vendeur, ce dernier,
s'appuyant sur la rédaction imprécise de l'étiquette,
alléguera que l'acheteur a mal compris.
(Notons, en passant, que l'étiquette peut être ten-
dancieuse, non seulement par sa rédaction, mais
par .son ornementation. Une vignette figurant des
grappes de raisin ou des feuilles de vigne est con-
traire à. l'esprit du règlement quand elle accom-
pagne un vinaigre d'alcool; une branche d'olivier,
des olives ou des noix ne peuvent légalement orner
les étiquettes d'huiles de table quelconques de na-
ture non spécifiée) ;
LAROUSSE MENSUEL
4° Le produit n'est pas étiqueté. C'est le cas des
vins, cidres et bières de consommation courante, bus
sur place ou emportés tout de suite par l'acheleur;
mais l'étiquette figure obligatoirement sur les réci-
pients, emballages, casiers et fiits dans tous les éta-
blissements de vente au détail de ces produits, et
son inscription doit indiquer les dénominations sous
lesquelles ils sont mis en vente.
Lorsque l'achat d'une denrée quelconque porte
sur une quantité assez importante, le client aura le
plus grand intérêt à exiger du fournisseur, sur la
facture d'achat, toutes les garanties de nature, d'ori-
gine, de pureté, ce qui lui procurera un recours
légal, au cas où la fourniture lui sejublerait ne pas
répondre au produit demandé.
Examen de quelques libellés d'étiquettes. — Nous
groupons en trois tableaux des exemples de libellés
d'étiquettes se rapportant à des denrées alimentaires
dont la réglementatioEi aparu. Nous laissons de côté
l'examen deséliquettespour boissons, alcools, liqueurs
et sirops, qui nous entraînerait trop loin. D'ailleurs,
les exemples cités et les explications qui les accom-
pagnent suffisent à attirer l'altenlion du consomma-
teur sur ce sujet, qui devrait lui être familier.
Aliments gras. (Voir tableau II.) — Les beurres
et margarines sont régis parla loi du 16 avril 1897;
les graisses et huiles par les décrets des 3 et
11 mars 1908 et du 20 juillet 1910. Le beurre doit
toujours être pur de tout mélange; les seules opéra-
rations permises sur cette denrée sont l'addition de
sel marin ou d'un colorant végétal inoffensif. Les
mottes de beurre provenant des grandes beurrerries
charenlaises portent toujours en relief l'indication
d'origine. Lorsque le beui-re légèrement salé, dit
demi-sel, est vendu le même prix que le beurre
sans sel, l'acheteur y perd, puisqu'il paye le sel
ajouté au prix du beurre : il a, évidemment, avantage
à le saler lui-même.
La margarine ne peut être vendue par les com-
merçants débitant déjii du beurre (cette interdiction
a été levée pour la durée de la guerre): elle doit
toujours être vendue en pains cubiques estampés du
mot margarine. L'emploi de tout colorant artificiel
est interdit.
Les graisses et huiles peuvent être colorées par
les matières colorantes végétales (sauf la gomme-
gutte et l'aconit napel).
L'étiquetage est facultatif pour les beurres, obli-
gatoire pour tous les autres aliments gras.
Conserves alimentaires en boites et produits de
la charcuterie. (Voir tableau III.; — La vente de ces
denrées est régie par le règlementdu 15 avril 1912.
Les conserves de légumes doivent toujours être
préparées avec des légumes frais. Pour la conserva-
tion des légumes et fruits naturellement verts, la
pratique du reverdissage au sulfate de cuivre est
tolérée. On a le droit de le regretter, malgré l'avis
du Conseil d'hygiène el de l'Académie de médecine.
Les conserves et purées de tomates peuvent rece-
voir une teinte plus vive à l'aide de cochenille et,
d'une manière générale, les fruits destinés à être
confits ou conservés dans un liquide peuvent être
colorés à l'aide de tous les colorants végétaux inof-
fensifs, ou même à l'aide de colorants minéraux et
synthétiques, dont la liste est fixée par l'arrêté du
28 juin 1912.
Parmi les conserves de poissons, les plus répan-
dues sont celles de sardines. Le règlement a pris
avec raison la peine de définir la sardine : c'est
Valosa pilchardus des zoologistes, et aucun autre
poisson n'a droit à ce nom.
Il en résulte que les conserves américaines de
sardines ne renferment jamais ce poisson, qui ne
fré<iuente pas les côtes des Etals-Unis; elles con-
tiennent des espèces voisines, à chair moins déli-
cate. Pour le même motif, les conserves suédoises
et norvégiennes de sardines sont toujours du sprat.
Il existe même certaines maisons françaises qui rem-
placent la sardine par du fretin de hareng ou par le
saurel ou cliinchard, sorte de petit maquereau. Sur
les étiquettes des boîtes ainsi préparées, le mot
sardine ne figure pas d'ordinaire ; il est remplacé
par un mot k consonance analogue : sardinette,
sardelle, elc, destiné à tromper l'acheteur, tout en
mettant, dans une certaine mesure, le commerçant
sans scrupules à l'abri des rigueurs de la loi.
Il est regrettable que la loi, qui a rendu obliga-
toire l'indication du pays d'origine des aliments
conservés, n'ait pas ordonné l'estampage de la date
de fabrication sur les boîtes de conserves de toutes
provenances, même françaises. 11 se produit, en effet,
dans les aliments conservés depuis longtemps, de
lentes transformations chimiques, qui diminuent
leur valeur et peuvent même en rendre la consom-
mation dangeureuse. Faute d'indications réglemen-
taires, il est prudent de refuser les boites dont les
couleurs ternies, les inscriptions à demi effacées
révèlent l'ancienneté. Il faut se méfier également
des boites dont les fonds bombés indiquent la
présence des gaz des fermentations et de celles qui
portent sur le couvercle deux gouttelettes espacées
de soudure : elles ont été repiquées, c'est-à-dire
crevées au poinçon pour laisser échapper les gaz des
fermentations, puis cuites et soudées de nouveau.
IV 732. Février 1918.
Le règlement a défini de nombreux produits de la
charcuterie. Il autorise la coloration artificielle des
boyaux, vessies et autres enveloppes et l'addition
d'amidon (5 p. 100) pour lier les viandes. Pour toute
la charcuterie chevaline, l'étiquetage est obligatoire.
Aliments sucrés. (V. tableau I"V.) Le décret du
19 décembre 1910 a réglementé la vente de ces den-
rées. En ce qui concerne le sucre proprement dit, les
indications fournies par le tableau sont suffisantes.
Le règlement des miels mérite qu'on lui consacre
quelques lignes :
Le nom de miel, dit le décret, ne peut être donné qu'au
produit récolté par les abeilles et emmagasiné par elles
dans les rayons do la ruche.
C'est entendu, mais à la condition, cependant,
que le produit récolté par les abeilles soit le nec-
tar des fleurs et non du glucose, mis en abon-
dance à leur disposition à la place des fleurs absentes
aux alentours de leur ruche. Un tel produit doit,
d'après le règlement, porter le nom de miel de
sucre. Le nom de miel peut aussi être appliqué à
des mélanges de miel naturel et de glucose coloi-és
aux colorants végétaux, à la condition que les men-
tions fantaisie ou artificiel figurent sur l'étiquette.
Nous avons déjà parlé à diverses reprises, au
cours de cet article, du règlement sur les confitures,
gelées et marmelades, qui pousse beaucoup trop les
producteurs à la « fantaisie », surtout à celle qui
consiste à remplacer les prunes reine-Claude par
de petites tomates vertes, l'abricot par le potiron,
le sucre par le glucose, les principes naturels des
fruits par les acides, la gélatine, les arômes arti-
ficiels et les colorants.
Nous passerons sous silence les innombrables
produits de la confiserie : dragées, pralines, berlin-
gots, bonbons, pâtes, etc. On voit encore reparaître
sur leurs étiquettes l'orgueilleuse mention ptir
sucre, quand le produit est de choix, ou les indica-
tions plus modestes : fantaisie, acidulé, arôme
artificiel, et pour les préparations dans lesquelles le
glucose ou la farine remplacent partiellement le
sucre, où la gomme est suppléée par la gélatine et
le suc des fruits absents par des acides et des élhers
préparés industriellement.
La réglementation sur les chocolats et cacaos est
très nette :
Les dénominations chocolat, cacao ancré sont réservées
au produit obtenu par le mélange du sucre et de pâte de
cacao ou de pou(lre de cacao en proportion telle que
100 grammes du ]iroduit contiennent au moins 32 grammes
de pâte ou <ie poudre de cacao. Tout produit qui n'en ren-
ferme qu'une quantité moindre est du sucre au chocolat,
et non du chocolat. — F. Faidbau.
evi ou ivy n. m. Nom indigène servant &
désigner l'héorotaire écarlate (vestiar'ia coccinea),
voisin des grimpereaux et habitant exclusivement
les îles Sandwich.
— En'CYCi,. Ce bel oiseau est entièrement couvert
de plumes écartâtes, sauf aux ailes et à la queue, où
les pennes sont noires. Les indigènes de l'archipel
des îles Sandwich avaient porte l'art piumaire à un
haut degré de perfection, car ils se servaient des
Evi ou Ivy.
plumes écarlales de cet oiseau pour fabriquer di-
vers objets, entre autres de grands fétiches, et, pour
les sorciers et les chefs, d'énormes casques à forme
grecque très légers, dont on peut voir des spéci-
mens au musée du Trocadéro, à Paris. Ils faisaient
une forme de vannerie, surlaqiielleilsappliquaientun
filet très fin en corde. Dans chacun des noMids était
prise une plume rouge, qui recouvrait la maille pré-
cédente. La carène du cimier était faite avec les
plumes jaunes d'un autre oiseau dit moho et, sur le
pourtour, se trouvaient des faisceaux ornementaux
de plumes jaunes et noires.
Ces plumes servaient aussi à fabriquer de ma-
gnifiques manteaux écarlales pour les rois et les
princes et qui étaient tenus en si haute estime
dans le pays. Celui qui l'ut offert vers 1874 à l'em-
pereur du Brésil fut estimé, à cette époque, à plus
de 36.000 francs. — A. MÉNiaioi.
N° 132. Février 1918.
Guerre en 1914-191'? (la). [Suite.] —
Les événements (lu mois de décembre 1917 n'avaient
Eas été de nature à modifier les impressions trou-
lanles que les mois précédents avaient laissées
dans les esprits. L'attention avait continué h ètie
concentrée sur ce qui se passait en Russie et autour
des afTaiies russes. 11 avait été, d'ailleurs, impossible
de pénéirer le sens exact des faits, qui, rapportés
pêle-mêle et sans aucune crilique par la presse
quotidienne, ne pouvaient que dérouter l'opinion
publique. La difficulté avait été, précisément, de se
tenir à égale distance d'un découragement sans pro-
portion avec la réalité probable et d'une confiance
inconsidérée à laquelle l'incertitude de notre infor-
mation ne donnait aucune base solide. Dans ces con-
ditions, la politique de l'Entente n'avait pu avoir toute
la précision désirable. Si l'on s'en tenait aux dis-
cours multiples qui avaient été prononcés, on voyait
toujours la même résolution d'aboutir à des solu-
tions solides et durables, à une paix qui ne fût pas
un compromis instable. Si l'on essayait, d'autre part,
de mesurer les réalisations concrètes qui pouvaient
conduire à ce résultat désiré, on constatait que peu
de choses avaient été faites et que la solulion heu-
reuse du problème n'apparaissait pas encore. Mais il
élait intéressant de remarquer que, du côlé des Empi-
res centraux, la morne indécision existait. Sansdoule,
la conclusion d'un armistice sur le front russe elle dé-
but des négociations pour une paix séparée donnaient
l'illusion du délinilif. Si l'on regardait de plus près
les résultats acquis, on s'apercevait que l'Allemaiine
ne savait pas au juste ni où elle allait, ni ce qu'elle
voulait, et il était certain qu'elle cherchait avant tout
à gagner du temps, dans l'espoir de lasser la patience
des peuples de l'Entente, de les séduire par une appa-
rence de modération et de les jouer avec des mots
au sens très large, qu'elle se réservait, avec sa du-
plicité ordinaire, d'interpréter dans le sens le plus
favorable. Le seul atout qu'elle eiit alors dans son
jeu était, précisément, l'obscurité favorable du lan-
gage diplomatique, qui pouvait permettre aux négo-
ciateurs russes, si leur indépendance, comme on
po{ivait le craindre, n'était pas entière à l'égard des
séductions allemandes, d'accepter des conditions
verbalement conformes aux principes humanilaires
invoqués par eux, mais, en fait, uniquement appro-
priées aux désirs et aux besoins de l'Allemagne.
Il fallait donc continuer à compter sur notre pa-
tience et noire courage et souhaiter, comme vœu
du nouvel an, que les gouvernements de l'Entente
eussent la fermeté, la sagesse et l'adresse néces-
saires pour résister aux fourberies de l'adversaire.
Les événements militaires du mois de décembre
n'avaient pas été, à notre point de vue et d'une
Uq périscope binoculaire dans la tranchée.
manière générale, fort satisfaisants, bien que nous
ayons eu à marquer en Orient un succès de la plus
haute importance. Ils n'avaient pas été non plus
décourageants, et, si on les considère au point de
vue de la position militaire de nos adversaires, ils
ne leur avaient rien apporté de nouveau et d'essen-
tiel. — Sur le front franco-anglais, après la brillante
avance anglaise dans le Gambrésis, qui avait, aux
derniers jours de novembre, surpris par sa rapidité
et enthousiasmé par ses résultats immédiats, la
contre-attaque allemande, extrêmement violente,
nous avait obligés à reconnaître que, si les Anglais
avaient, en cette circonstance, montré une hardiesse
de bon augure et inauguré une tactique féconde,
une fois de plus, le manque de liaison entre les
groupes d'armées avait laissé aux Allemands toute
latitude de ruiner, au prix, d'ailleurs, de gros sacri-
fices, un succès qui s'annonçait fructueux. Bien
plus, il n'était plus douteux qu'ils n'eussent obligé
LAROUSSE MENSUEL
les Anglais à reculer, par suite, à rendre le terrain
conquis, et que les perles en canons et en prison-
niers ne se fussent é(|uilibrées de part et d'autre.
Mais — ceci dit très franchement, et les Anglais n'ont
pas hésité à reconnaître les fautes commises —
il restait, en somme, pour les Allemands, un résultat
purement négatif. Ils avaient simplement rétabli
363
Les circonstances présentes et l'état général des
esprits n'ont peut-être pas donné à cet événement
tout le retentissement qu'il méritait. Le nom de Jé-
rusalem ne rayonne plus sur le monde avec autant
de puissance souveraine qu'au moyen âge. Il reste,
pourtant, un symbole lumineux. La ville sainte du
judaïsme, devenue le berceau du christianisme, a
Une groiie pièce sur le front.
leur ligne, non sans avoir consenti des pertes en
hommes qui leur semblent indifférentes, mais qui,
tout de même, comptent. Par suite, aucune modi-
ficallon à leur avantage sur le front anglais et la
preuve faite qu'on peut percer le leur, la fameuse
ligne Hindenhurg, si, une fois enfin, on consent à
opérer avec l'unilôdaclion indispensable. — Sur la
partie française du frout, rien ne s'était passé qui
valût la peine d'être retenu. Toutes les attaques
allemandes avalent échoué. Nos lignes, défendues
par une formidable artillerie, restaient Inébranlables.
En Italie, nos alliés avalent dii, au début de dé-
cembre, continuer à reculer devant la pression
allemande, mais la manœuvre avait été lente et
ordonnée, et les Allemands n'en avalent tiré qu'un
avantage restreint. Puis, la retraite italienne ter-
minée, ils s'étaient heurtés à une résistance solide,
appuyée en arrière par les renforts franco-anglais,
et ils n'avaient plus avancé. Tantôt sur la Piave,
tantôt sur la Brenta, par des poussées alternatives,
qui rappellent leur tactique devant Verdun, ils
avaient tenté d'enfoncer la ligne italienne et d'éten-
dre leur invasion. Ils avalent échoué. Même, les
Italiens avaient repris l'olfensive par endroits. Leur
résistance énergique sur le plateau des Sette-Gom-
muni et leur succès au mont Asolone, le 21 décem-
bre, la reprise du mont Tomba par les troupes fran-
çaises quelques jours après, avalent montré que la
difficulté de la tâche entreprise par l'ennemi était
énorme. Les Allemands, en elTet, malgré la puissance
de leurs moyens d'attaque, ne pouvaient changer ni
les conditions de la saison, ni les condilions du
terrain. Les débouchés dans la plaine italienne,
dangereux en tout temps pour l'envahisseur si la
défense est bleu organisée — et c'était le cas — de-
venaient impraticables en hiver, et les efforts du
maréchal Conrad von Hœtzendorf étalent restés
Infructueux. On pouvait, à la fin de décembre,
espérer que la grande offensive allemande, comme
il est arrivé si souvent, était brusquement arrêtée.
Si elle devait reprendre, ce serait dans de tout
autres conditions. De ce côlé, donc, les grandes
Inquiétudes que l'on avait eues le mois précédent
étaient singulièrement atténuées. Même au point de
vue moral, les Allemands n'avalent gagné réelle-
ment, dans cette entreprise, que de donner occasion
au peuple italien de toucher au doigt le péril, de se
reprendre et de retrouver sa cohésion un instant
compromise. Ils ne pouvaient faire entrer ce résul-
tat comme un gain dans leur compte de guerre.
Pendant que la situation militaire se balançait
ainsi sur le front occidental, en Palestine, les An-
glais avaient continué leur marche vers le Nord, et,
poussant devant eux les Turcs, s'étalent avancés
méthodiquement et prudemment vers Jérusalem
où le général Allenby était entré le 11 décembre.
joué, dans l'histoire du monde, un rôle de premier
plan, et personne ne peut nier qu'elle n'ait été la
source fécondante d où ont coulé vers l'humanité
souffrante les courants les plus bienfaisants. Depuis
que Saladln y était entré en 1187, mettant fin à la
royauté des descendants des croisés, Jérusalem avait
été continuellement sous le pouvoir des Turcs, et la
domination sur la cité sacrée, vénérée par les mu-
sulmans comme par les chrétiens, donnait au sultan
de Gonstantlnople la force morale nécessaire pour
dominer les peuples de Syrie et d'Arabie. Guil-
laume II, au cours de ce voyage de 1898, où il avait
essayé d'éblouir par les manifestations théâtrales
qui lui sont chères les populations de l'Asie occi-
dentale, n'avait pas manqué de faire à Jérusalem une
entrée à grand effet. Celle qu'y a faite, le 11 décem-
bre, le général Allenby a eu et aura des répercussions
plus durables. Quel que soit l'avenir de celte con-
quête, cette interruption de la domination turque
marque une date et commence une autre ère. Le
régime de Jérusalem ne pourra plus être qu'un
régime chrétien. Même, à notre époque de liberté
religieuse absolue, ce mot-là possède un sens libé-
ratoire qui n'échappe à personne. Le général anglais
Allenby est donc entré à Jérusalem, et l'honneur de
cet événement, qui rattache le temps présent aux
légendes les plus lointaines de l'humanité, revient
aux Anglais sans contestation. Mais la France et l'Ita-
lie ont participé à cette conquête, et leurs drapeaux
sont entrés à Jérusalem avec le drapeau anglais.
11 n'est pas inutile — et il ne sera peut-être pas in-
terdit — de rappeler que les conventions qui avalent
été conclues d'abord entre les gouvernements fran-
çais et anglais, lorsque l'éventualité d'une opération
vers Jérusalem fut envisagée, avaient prévu que,
seules, la France et l'Angleterre prendraient, au
nom de la chrétienté, possession de la Ville sainte.
Toute l'histoire depuis les croisades, toute celle
du XIX* siècle, justifiaient celte collaboration et la
voulaient exclusive. C'est aux conférences de Saint-
Jean-de-Maurlenneque les Italiens avaient obtenu
de participer à un honneur que leur histoire passée
ne justifiait pas et que beaucoup ont jugé excessif.
11 ne semble pas que Rlbot, qui était alors prési-
dent du conseil, ait opposé à ces prétentions une
résistance bien vive. Les Italiens ont ainsi acquis un
droit que la France a payé de longs et anciens sacri-
fices, il est difficile, à fheure présente, de prévoir
ce qu'il en pourra résulter. On peut pronostiquer,
cependant, que le prestige de la France, si puissant
en Syrie et en Palestine, ne peut en être fortifié. Il
était bon d? noter ce détail diplomatique, que notre
indifférence à tant de questions a laissé dans
l'ombre. Il sera intéressant de le retrouver au mo-
ment où se réglera la situation de l'Asie antérieure
et, principalemenl,delaSyrleetdeUPalesUne. Pour
ï
364
le moment, ce qui était à retenir de la prise de Jéru-
salem, c'était un rude coup porté à la puissance tur-
que et, par suite, à la puissance allemande en Orient.
Il fallait le considérer comme de la plus haute impor-
tance àl'heuremême où la défaillance russe risquait
de mettre en péril les grands succès anglais en Méso-
potamie et où l'abandonproposé de toutes les avances
russes en Arménie et en Perse risquait de restituer
à l'abominaljle tyrannie turque des régions que les
Russes avaient eu la gloire d'en délivrer. Là comme
ailleurs, apparaissait le crime contre la civilisation
Aérostatiers et aviateurs prenant la vitesse du vent
que les utopistes russes, soutenus par l'intrigue
allemande, étaient sur le point de commettre.
Ainsi, le bilan militaire de décembre, froidement
examiné, se soldait, tout compte fait, à l'avantage
de l'Entente. Ni les grandiloquences de Guil-
laume II dans sa harangue du 22 décembre à son
armée, ni ses étranges et caractéristiques décla-
rations, d'une allure si nettement barbare et
païenne, au sujet du pacte qui lie l'Allemagne
avec le Créateur, ni les railleries d'Hindenburg,
ni les affirmations loyalistes de Czernin, ni les
menaces d'attaque irrésistible n'y pouvaient rien.
Les Allemands, fin décembre, étaient arrêtés en
France et en Italie. Ils étaient battus en Palestine.
Sans doute, ils annonçaient, à grand renfort de
presse organisée, que la libération de leur front russe
allait leur permettre ailleurs — ils ne disaient pas
exactement où — une offensive sans précédent, et
le gouvernement austro-hongrois se réjouissait à
l'avance d'y pouvoir participer. Mais on pouvait
se demander s'il n'y avait pas là, simplement, un
de ces gros moyens d'intimidation auxquels l'in-
firmilé de sa psychologie ramène périodiquement
le gouvernement allemand et si une offensive si
bruyamment annoncée se produirait réellement.
D'autre part, on pouvait constater que les gouverne-
ments français et anglais, les peuples et les armées,
en acceptaient sans crainte l'éventualité et prenaient
leurs mesures pour y parer. 11 était donc permis de
penser que, si cette offensive de venait une réalité — et
nous avons dit depuis fort longtemps qu'il n'y avait
rienlà d'impossible — les Allemands trouveraient à
qui parler. Nous avions, dans les pires conditions,
en l'absence de toute mesure défensive, tenu le coup
à Verdun. Le précédent pouvait nous rassurer.
Sur mer, le seul événement à noter était un échec
pour l'Entente : l'attaque et la destruction, le 13 dé-
cembre, entre l'Ecosse et la Norvège, d'un convoi
protégé, détruit par les Allemands. Les Anglais
avaient, avec leur ordinaire franchise, avoué la faute,
et le remplacement de l'amiral Jellicoë par le vice-
amiral Rosslyn Wemyss en avait été la sanction.
La leçon ne sera certainement pas perdue.
Dans les airs, les Allemands avaient continué
leurs raids nocturnes sur l'Angleterre et sur Lon-
dres. Mais, (in décembre, les Anglais avaient répondu
par un raid en plein jour sur Mannheim, qui avait
produit des résultats très appréciables et restait
pour l'Allemagne un avertissement sérieux. Déplus
en plus, il apparaissait que les moyens aériens allaient
prendre dans la guerre une place importante. La
création, en France, d'un Conseil supérieur de l'aé-
ronautique était une preuve qu'on arrivait enfin
& comprendre cette nécessité. L'Allemagne s'en
LAROUSSE MENSUEL
préoccupait. Les Etats-Unis, d'autre part, sans rien
dire, appliquaient à les préparer une activité très
puissante, cependant qiiele flot de leur armée con-
tinuait à monter sur le sol français et à préparer
la contre-partie des menaces germaniques. Sur le
terrain militaire et malgré la défaillance russe,
l'équilibre se maintenait à la fin de décembre. Le
moment approchait où il serait rompu au profit des
advers.Tires de l'Allemagne. Mais les Allemands em-
ployaient tous les moyens politiques à se soustraire
par une prompte paix à cette redoutable éventualité,
il fallait, en effet, le redire, sans crainte
de se tromper : au dernier jour de l'an-
née 1917, après quarante et un mois
de guerre, l'.-Mlemagne et l'Autriche
voulaient la paix; elles avaient le des-
s' in très ferme, mais très hasardeux,
lie faire servir à cette fin la bonne
volonté de la Russie et d'entraîner à
fa suite 1 Entente, qui voyait très clair
dans la perfidie de cette manœuvre.
L'Allemagne et l'Autriche n'ont pas
hésité à traiter avec le gouvernement
maximaliste, quellequefût l'incertitude
de l'aventure, et deux autocraties aux
abois ont espéré se tirer d'affaire avec
le concours de l'anarchie. Le jeu était
dangereux. La partie n'était pas termi-
née au 31 décembre, mais on ne pou-
vait nier que les Empires centraux
n'eussent, par l'armistice du 15 décem-
bre, gagné la première manche. Après
des pourparlers dont nous n'avons su
que ce que nos ennemis ont bien voulu
que nous sachions, un armistice de
28 jours, du 17 décembre au 14 jan-
vier, avait été conclu à Brest-Litovsk,
entre les délégués des maximalistes
russes et les représentants de la Qua-
druple-Alliance. Les clauses de cet
armistice, qui comportait la cessation
de toute hostilité de terre et de mer
sur le front oriental de la guerre,
contenaient une disposition hypocrite,
relative à l'interdiction du transfert de
troupes sur d'autres fronts, à l'exception
des mouvementsdéjà commencés. Sans
portée du côté russe, cette condition
• avaitpuêtreacceptéesans hésitation du
côté des Allemands, qui avaient profité
de la longue inaction militaire russe pour ramener
sur le front occidental tout ce qui pouvait leur
être utile. Au surplus, cette clause n'avait aucune
sanction, et son exécution ne comportait aucune
surveillance. On a donc le droit de dire — et on
s'explique mal les ménagements de la presse fran-
«• 132. Février 1918.
Le but essentiel de l'armistice était de permettre
des négociations de paix. Elles s'étaient, en effet,
ouvertes à Brest-Litovsk le 23 décembre, sous la pré-
sidence de von Kiihlmann. Elles avaient été inter-
rompues à la fin du mois et jusqu'au 4 janvier pour
permettre à tous les belligérants, avait-on dit, de
prendre part aux négociations, les Russes ayant la
charge de les y engager : clause d'une rare effron-
terie, ausci bien de la part des Allemands que de
la part des Russes. Ce que l'on connaissait alors
des dispositions des deux parties permettait de dire
que l'accord serait facile ou était déjà réalisé sur un
certain nombre de points que l'armistice avait vir-
tuellement réglés, notamment sur le rétablissement
des relations économiques, juridiques, diploma-
tiques, sur le règlement des dommages, sur la res-
titution des navires de commerce, sur l'échange des
prisonniers, sur
la reprise du tra-
fic international.
11 y avait, au
contraire, oppo-
sition manifeste
entre les propo-
sitions russes re-
latives aux terri-
toires relevantde
chaque pays et
respectivement
occupés par cha-
cun des belligé-
rants, ainsi que
surl'organisation
politique ulté-
rieure et l'indé-
pendance de la
Pologne, de la
Lithuanie, de la
Gourlande et des
autres pays de
Le vice-amiral Rosslyn Wemyss,
premier lurd de l'Amirauté.
Microphone avertisseur, ioslallé à Udint pj
caise à ce sujet — que l'armistice du 15 décembre
a scellé la trahison russe à l'égard de l'Entente et
l'alliance des maximalistes avec l'Allemagne.
I.a signature de l'armistice a eu un autre résultat :
elle a permis la reprise immédiate de relations éco-
nomiques et, bien qu'il ne fallût pas s'exagérer la
portée actuelle de ce fait dans la situation écono-
mique où était alors l'Allemagne, il serait d'une
aveugle imprudence de ne pas reconnaître qu'il est,
pour l'avenir, de la plus grande conséquence. Le
commerce et l'industrie allemands ont pu, dès le
mois de décembre, prendre en Russie des positions
qu'il sera très difûcile de leur enlever plus tard.
l'empire russe qui réclamaient leur autonomie. La
question est trop importante pour ne pas citer inté-
gralement le texte des propositions contradictoires
présentées par les Russes et par les Austro-Alle-
mands. La proposition russe était ainsi conçue :
En accord avec la déclaration précise des deux parties
contractantes qu'elles n'ont pas d'intentions belliqueuses
et veulent conclure une paix sans annexions, la Russie
retire ses troupes des piiys qu'elle occupe en Autriche-
Hongrie, en Turquie, en Perse. La Quadruplice retire les
siennes de la Pologne, de la Lithuanie, de la Gourlande et
des autres pays russes.
Conformonicnt aux principes du gouvernement russe, qui
a proclamé le droit pour tous les peuples vivant en Russie,
sansexcoption.dedécider de leur propre sort en allant jus-
qu'à la séparation, les populations do ces régions seronten-
tièrement libres, dans le délai le plus rapide et très pré-
cis,de décider de leur
union avec tel ou tel
empire ou formation
d'Etat indépendant .
Laprésence de trou-
pes quelconques dans
ces régions est inad-
missible, exception
faite pour les milices
nationales ou locales.
Jusqu'à ce qu'une
décision soit prise
sur ces points, l'ad-
ministration de ces
régions sera dans les
mains de délégués
élus do façon démo-
cratique par la popu-
lation locale. Une
commission militaire
spéciale fixera la date
de l'évacuation , le
commencement et la
marche de la démobi-
lisation de l'armée.
Au contraire, les
propositions aus-
tro-allemandes ,
tout en acceptant
le principe de f'éva-
cuationréciproque,
faisaient au sujet
des territoires rus-
ses occupés des ré-
serves essentielles.
Elles disaient :
■ les AllcuianJs.
Article 1".— L Au.
triche-Hongrie et la
Russie déclarent la cessation de l'état de guerre. Les
deux contractants sont décidés à vivre désormais ensem-
ble en état de paix et d'amitié. L'Autriche-Hongrie serait
prête (sous réserve d'une complète réciprocité accordée a
son alliée) à évacuer les positions actuelles et les terri-
toires occupés pour autant que cela n'est pas inconciliable
avec l'article 2, aussitôt que la paix sera faite et que la
démobilisation des forces russes sera accomplie.
La Russie évacuerait simultanément les régions qu'elle
occupe.
Art. 2. — Après avoir proclamé, conformément à ses
principes, pour tous les peuples vivant dans l'empire russe
sans exception, un droit de décider de leur sort qui va
jusqu'à leur complète séparation, le gouvernement russe
prend connaissance des résolutions o^ la volonté du peu-
W 132. Février 1918.
LE FRONT k L'OUEST ET AU SUD DE LAON
365
366
plo est exprimée pour la Pologne aussi bien que pour la
liithuanie, la Courlande, dos parties de rKsthonie, de la
Livonio do réclamer leur complète indépeodance consti-
tutioDDello et do se séparer de l'empire russe.
Le gouvernement russe reconnaît que cette manifes-
tation, dans les circonstances actuelles, doit être consi-
dérée comme l'expression de la volonté populaire et est
prêt à en tirer les conséquences qui en découlent.
Comme dans les régions auxquelles s'appliqueraient les
dispostiions précédentes, la question de l'évacuation ne
se présente pas de façon qu'on puisse procéder comme il
fut prévu dans l'article 1»^. une commission spéciale déli-
bérera et fixera l'époque des modalités de la manifesta-
tion, qui confirmera par un vote populaire sur une large
base, sans pression militaire d'aucune sorte, la déclaration
séparatiste déjà existante, qui, d'après la délégation russe,
a besoin d'être confirmée.
A ces contre-propositions les Russes avaient
répondu :
Nous sommes d'avis qu'on no peut considérer comme
la véritable expression de la volonté populaire que les
déclarations apparais-
sant comme le résultat
d'un vote libre ayant ou
lieu en l'absence com-
plète do troupes étran-
gères des territoires en
question.
Par suite, nous pro-
posons et insistons à ce
sujet pour que cet ar-
ticle soit formulé d'une
façon plus claire et plus
précise.
Cependant, nous ac-
ceptons qu'une commis-
sion spéciale soit cons-
tituée pourl'examendes
conditions matérielles
dans lesquelles peut se
faire ce référendum et
four fixer le délai de
évacuation.
La différence capi-
tale des deux projets
apparaît au premier
examen. Les Russes
proposaient que les
populalionsdeLilhua-
nie, de Courlande et
de Pologne pussent
librement, en dehors
de toute pression mi-
litaire, déciderde leur
sort. Les Auslro-.Mle-
mands, au contraire,
prétendaient tenir
pour acquises à leur
profit les manifesta-
tions, dites o sponta-
nées », de la volonté
de ces peuples qu'ils
avaient provoquées
depuis l'occupation
des territoires par leurs troupes. C'était, par suite,
consacrer leur usurpation et légitimer l'annexion. Ni
la Prusse ne voulait renoncer aux étals monarchiques
qu'elle rêvait d'organiser en Lilhuanie et en Cour-
lande, ni l'Autriche à la couronne de Pologne. Ainsi
éclatait la signification que les Empires centraux
entendaient donner à la formule des soviets : » Pas
d'annexions. » Au surplus, dans une autre réponse
au sujet de l'indépendance des petites nationalités,
tant en Europe
qu'aux colonies,
l'Allemagne avait
notifié que c'é-
tait làune affaire
d'ordre intérieur
des Etats et tout
à fait étrangère
aux négociations
pour la paix. 11
n'est pas inutile
de faire observer
que celle inter-
prétation avait
pour résultat,
comme nous
l'avons signalé
plus haut, de re-
placer l'Arménie
et la Syrie sous
le joug turc,
qu'elle laissait
sans solution la question de la Pologne prussienne et
de la Pologne autrichienne, dont il n'élaitfait aucune
mention, et qu'elle trouvait aussi son application
dans le cas de l'Alsace-Lorraine. Ainsi les négo-
ciations de paix séparée pouvaient être pour l'Alle-
magne une occasion d'affirmer, au mépris de tout
sentiment d'humanité, un principe qui écarlait toute
solution inlernalionale des questions de nationalité.
Comment se résoudrait le conflit? Il était permis
de croire que les maximalisles n'insisteraient pas
ou qu'on trouverait une formule équivoque qui
laisserait toute liberté aux Austro-Allemands. Au
point où en étaient ceux qui avaient engagé la
Russie dans celte impasse, la paix leur était indis-
LAROUSSE MENSUEL
pensable, et ils n'avaient aucun moyen de reculer.
Sans la paix, ce qui leur restait de crédit était perdu,
et le mot seul de « paix » pouvait raffermir leur
pouvoir. En effet, l'anarchie russe avait encore,
bien que cela parilt impossible, grandi pendant le
mois de décembre. Elle dépassait tout ce qu'on pou-
vait croire possible k notre époque. Elle n'était pas
une nouveauté dans l'histoire russe. Elle ne pouvait
rien au point de vue de l'avenir proprement russe.
D'une part, on avait à Petrograd le gouvernement
maximaliste avec Lénine, Trolsky et Krylenko.
Jusqu'à quel point était-il maître de la capitale, il
est impossible de le savoir : s'il y régnait, c'était par
la terreur. Il semblait en conflit avec les socialistes
révolutionnaires; il avait empêché jusqu'alors la
réunion de la Constituante, dont les élections sem-
blaient devoir donner une assemblée hostile aux
maximalisles; il avait fait arrêter en masse les
chefs des cadets; il avait décrété la nationalisation
F:
Lénine
Les alpins italiens ravitaillés par les avions sur les crêtes neigeuses des Alpes.
du sol et des banques ; la disette était terrible, le
numéraire rare, le papier-monnaie innombrable, la
banqueroute imminente. D'autre pari, croissait de
jour en jour l'opposition de plus en plus nette qui
se marquait entre le gouvernement de Pelrograd
et le sud de la Russie, l'Ukraine, riche, unie, forte
de ses trente millions d'habitants, possédant toutes
les roules de ravitaillement, aidée par Kornilof et
Kaledine et nullement disposée à se laisser mener.
L'ultimatum de Lénine avait été fli!rement refusé
par la Rada ukranienne, et les bolcheviks n'étaient
pas assez organisés pour exécuter leurs menaces.
Ainsi on voyait la Russie se démembrer. Au nord
la Finlande, au sud l'Ukraine constituaient déjà des
nations nouvelles avec lesquelles tout le monde
aurait à compter, et d'abord la Russie elle-même,
si tant est qu'il y ait encore une Russie. En présence
de ces immenses difficultés, sans compter l'éven-
tualité d'une contre-révolution monarchique, quelle
résistance pouvaient offrir les maximalisles sans
armée auxexigences de l'Allemagne? C'étaient, par
suite, pour la Russie la perspective d'une abdication
totale, un abandon intégral entre les mains du
puissant voisin, à moins qu'il ne se produisit l'im-
possible, que personne ne pouvait prévoir. On doit
pourtant noter que les informations relatives aux
derniers jours de décembre semblaient indiquer que
le programme allemand inspirait, non seulement en
Ukraine, mais même aux chefs maximalisles, une
répugnance très vive et que le sentiment du crime
qui allait être commis s'imposait peu à peu à la
Russie. Etaient-ce là des informations tendancieuses?
Etait-ce une perfidie allemande de plus? Répondre
avec certitude n'était au pouvoir de personne.
Est-ce à dire que la situation des Empires cen-
traux fût claire et aisée et que la paix séparée avec
la Russie fiit de nature à leur procurer toute la
tranquillité dont ils avaient besoin? Le seul fait,
pour l'Allemagne, de traiter avec les maximalisles
ne contenait-il pas un grave danger politique en
dépit de précautions qui étaient en contradiction
avec les bons rapports apparents de Berlin et de
Petrograd, comme, par exemple, le refus de passe-
ports pour aller en Russie opposé aux députés
Haase et Ledebour?
A/' 132. février 19là.
Pour l'Autriche, quel encouragement ne serait
lasle futur royaume de Pologne, en admettant que
'Allemagne lui en laissât la libre possession, pour
les Slaves de Bohème et pour les Slaves du Sud ?
Enfin, dans quel embarras ne seraient pas les Em-
Fires centraux s'il fallait en venir à la menace, à
exécution militaire, pour forcer la main même aux
maximalisles, ou si l'Aulriche-lIongrie rencontrait
devant elle l'opposition ferme de l'Ukraine et de la
Roumanie? Car, dans tout cela, le sort de la Rou-
manie restait en suspens, en présence des exigences
des Bulgares, qui réclamaient la Dohroudja. La
malheureuse et héroïque Roumanie, incapable de ré-
sister seule, en bulle aux menées maximalisles, avait
été contrainte d'accepter l'armistice. Mais elle n'ac-
cepterait pas la paix, et on ne pouvait prévoir ce
que donnerait son union avec l'Ukraine, si cette
union, comme il paraissait possible, se fortifiait.
Toutes ces questions se dressaient devant l'Alle-
magne, qui avait à la
f mil ,_i fois à pourvoir à la
■ ' continualion d'une
guerre de plus en plus
difficile et à rétablis-
sement d'une paix in-
certaine et sans fon-
doiuenls. Pendant ce
temps, la détresse in-
térieure augmentait,
et la paix avec la
Russie ne pouvait être
utile au point de vue
alimentaire que si la
Russie du Sud y adhé-
rait dans des condi-
tions acceptables. Y
adhérerait-elle?
L'Entente, de son
côté, ne pouvait ne
pas s'inquiéter d'une
paix séparée entre les
Empiles centraux et
la Russie, si celle paix
était conclue sur des
bases acceptables. Si,
au contraire, l'Alle-
magne imposait à la
Russie ses doctrines
impérialistes et sa
domination, l'Eu lente
s'en trouverait forti-
fiée. En attendant les
événements, les pays
de l'Enlente avaient
à peu près tous, par
la bouche des chefs
de leurs gouverne-
menls, proclamé leur
volonté de continuer
à défendre le droit et la justice et de n'accepter
qu'une paix qui pût être durable.
Ce fut d'abord le message que le président Wilson
adressa au Congrès américain le 14 décembre. Il y
proclamait la nécessité de «gagner la guerre», et il
y indiquait les conditions générales auxquelles la
paix pourrait être faite.
Nous regarderons, disait-il, la guerre comme gagnée seu-
lement quand le ])euple allemand nous dira, par des repré-
sentants dûment
accrédités, qu'il est
prêt à accepter un
règlementbasé sur
la justice et la ré-
paration des torts
que ses souverains
ont commis.
Les Allemands
ont fait à la Bel-
gique un tort qui
doit être réparé. Ils
ont établi une do-
mination sur d'au-
tres pays et d'au-
tres peuples que le
leur, sur le grand
empire d'Autricbe-
Ilongrie, sur les
Etats des Balkans
jusque-là libres ,
sur laTurquieet en
Asie.dontces pays
doivent être déli-
vrés. La paix que
nous ferons doit dé- Trotsky.
livrer les peuples
jadis prospères et les peuples jadis heureux de Belgique et
du nord de la France de l'emprise prussienne et de la menace
prussienne, et elle doit aussi délivrer les peuples d'Autriclie-
Hongrie, les peuples des Balkans et les peuples de Turquie,
on KuropoetenÂsie, do la domination impudeuteetétran-
gère do l'autocratie militaire et commerciale de la Prusse.
Nous nous devons, cepeudant, à nous-mêmes de dire que
nous ne désirons en aucune façon nuire à l'omijire austro-
hongrois ou le réajuster. Ce n'est i>as notre affaire do nous
occuper de l'existence propre, indusirielle ou jjolilique, de
ces peuples. Nous ne cherchons, ni n'aspirons à leur dicter
leur conduite de ((uelque façon que ce soit. Nous désirons
seulementvoir que leurs affairessoientlaissécsdans leurs
propres mains en toutesmatières, grandes ou petites. Nous
espérons assurer aux peuples de la péninsule balkanique
H' 132. Février 1918
LAtlOUSSË MENSUEL
t
I
L'exode de la population italienne devant l'otTensive ennemie (Un octobre i9n).. — Pendant la retraite de l'armé'' italienne h travers les plaines du Frioul, les soldats marchèrent jour et nuit, presque tans
repos et sans nourriture, accompagnés d'une foule de civils des districts envabis, qui fuyaient dans le désordre de la panique devant l'invasion austro-allemande. (F. Matania, tfu ^phire.j
et de l'empire turc les droits et l'occasion de rendre leur
propre existence sûre, de protéger leurs propres fortuues
contre la pression et l'injustice et contre le despotisme de
cours ou d'influences extérieures.
Et notre attitude et notre but à l'éjïard de l'Allemagne
elle-même sont de la même espèce. Nous ne voulons pas
de mal à l'emiiire allemaod, et nous ne voulons pas inter-
venir dans ses affaires intérieures. L'un ou l'autre nous
paraîtrait absolument injustidable, absolument contraire
aux principes pour lesquels nous déclarons nous lever et
que nous tenons comme les plus sacrés durant toute notre
existence de nation.
Les hommes auxquels il permet maintenant de le trom-
per et de le gouverner disent au peuple allemand qu'il
combat pour la vie même et l'existence de l'empire, que
cotte guerre est une guerre de légitime défense, déses-
l>érée, contre une agression délibérée. Rien ne pourrait
être plus grossièrement ou inconsidérément faux, et nous
devons chercber avec la plus grande fraocbise et la plus
grande sincérité, en ce qui concerne nos véritables buts, à
convaincre les Âllemanits do la fausseté de cette alléga-
tion. Ko elfet, nous combattons pour leur émancipation de
la crainte, en même temps que pour notre propre éman-
cipation de la crainte, aussi bien que de la réalité d'une
attaque injuste par dos voisins, des rivaux ou des rêveurs
do domination mondiale.
Personne ne menace l'existence, l'indépendance ou le
développement paciâquo de l'empire allemand. Le pire
qu'il puisse arriver au peuple allemand est ceci : si, la
guerre finie, il continuait à être obligé de vivre sous ses
maîtres ambitieux et intrigants, qui cherchent à troubler
la paix du monde, sous le gouvernement d'hommes ou de
classes d'hommes auxquels les autres peuples du monde
ne pourraient se fier, il serait impossible de les admettre
à la Société des nations, qui doit désormais garantir la
paix du monde.
Celle société doit être une société de» peuples et non une
société des gouvernements.
Il pourrait être impossible aussi, dans un tel fâcheux
concours de circonstances, d'admettre l'Allemagne aux
libres rapports économiques qui doivent inévitanlement
sortir des autres associations pour une véritable paix.
Les dommages, les très profonds dommages commis
dans cotte guerre devront être réparés. Cela va do soi.
Mais ils ne peuvent pas être, ne doivent pas être réparés
en commettant des dommages analogues contre 1 Alle-
magne et ses alliés.
L opinion du monde no le permettra pas.
Notre entrée dans la guerre n'a pas changé notre atti-
tude vis-à-vis du règlement qui doit survenir quand elle
sera finie, (juand je disais, en janvier, que les nations du
monde avaient droit non seulement à la liberté des mors,
mais aussi à pouvoir y arriver certainement et sans
crainte d'attaque, je pensais, et je pense maintenant, non
seulement aux plus petites et aux plus faibles nations qui
ont besoin de notre soutien, mais aussi aux nations
grandes et puissantes et à notre ennemi présent aussi
uien qu'à nos associés actuels dans la guerre.
Je pensais, et je pense maiulenaut, à I Autriche-Hongrie
elle-même, parmi les autres, aussi bien qu'à la Serbie et
à la Pologne.
La justice et l'égalité des droits ne peuvent être obte-
nues qu'à un grand prix. Nous cherchons des fondations
permanentes et non temporaires pour la paix du nionilo,
et nous devons les chercher sincèrement et sans crainte.
Nous devons déblayer d'une main parfaite tous les
obstacles au succès et nous devrons faire tout ajustement
de loi qui facilitera l'usage entier et libre de notre rende-
ment et de notre force intégraux d'unité combattante.
La conclusion concrète de ce discours avait été
une déclaration de guerre à l'Autriche-Hongrie.
C'étaient ensuite des discours où Lloyd George pré-
cisait le point de
vue anglais. C'é-
tait enfin celui où,
le 27 décembre,
notie ministre
des affaires étran-
gère s, Stephen
Pichon, mar-
quait à nouveau
nos buts de
guerre, affirmait
pour la première
lois la volonté
de l'Entente
d'exiger l'indé-
pendance de ta
Pologne tout
entière, rappelait
sa décision de
restaurer dans
leur intégrité la
Helgique, la Ser-
bie et la Rouma-
nie, de réunir de nouveau l'Alsace-Lorraine à la
France, de garantir la liberté des nationalités oppri-
mées : arménienne, syrienne, ukranienne, d'exiger
les réparations malérlelles nécessaires.
Ainsi se marquait de plus en plus nettement le
différend enire le point de vue allemand, accepté par
l'Autriche impuissante, et celui de l'Enlente et des
Etats-Unis. De plus en plus, aussi, s'affirmaient le
désintéressement des ennemis de l'Allemagne, leur
éloignement de toute idée de conquête, leur désir
de faire triompiier le droit et la paix : antagonisme
irréductible entre deux principes opposés et dont il
semblait bien que la seule solution possible fût de
vaincre ou se soumettre.
Dans cette dernière phase de la lutte, il deve-
nait pourtant évident que l'Allemagne désirait ar-
Stephcn Pichon.
miniaire des Affaires étrangères.
denjment une solution intermédiaire, qui lui eût
donné la paix qu'elle appelait de tous ses vœux et
qui eût réservé l'avenir. C'est ce que prouvent
péremptoirement les insidieuses ouvertures de paix
qui furent portées en Angleterre au mois d'oc-
toble, presque au même moment où la même ma-
nœuvre se pratiquait en France, et qui ne furent
révélées qu'en décembre. 11 était aisé de discerner
dans l'opinion allemande deux courants : l'un pan-
germaniste, irrité de toute concession, avide de
territoires, sans ménagements pour les fauteurs
de paix; l'autre, qui eût souhaité arranger les cho-
ses par des concessions apparentes, en escomp-
tant des conquêtes économiques. L'Entente doit
combattre l'un et l'autre. Laisser sans règlement
les grandes questions de nationalité, se résigner
à ne pas fixer enfin des lois inlernationales ca-
pables d'enrayer les guerres futures serait aban-
donner le monde à l'hégémonie de l'Allemagne.
S'il y a encore des hommes politiques pour croire
qu'on pourrait se fier à des promesses de sagesse
et à des protestations allemandes de pacifisme, il faut
souhaiter que le hasard des luttes politiques ou la
lâcheté des peuples ne les amènent jamais au pouvoir.
L'exemple de la Russie doit suffire au monde.
D'ailleurs, rien n'était plus suspect que les tenta-
tives d'agitation pacifisle qui avaient été faites de-
puis plusieurs mois et dont la vigueur et la franchise
des gouvernements triomphaient peu à peu. La main
allemande s'y montrait sans aucun doute. Si elle
réussissait parfois, si l'Allemagne parvenait à
écarter quelques périls, si la république Argentine
maintenait sa neutralité, si le Portugal était agité
par une révolution militaire dont ni les raisons, ni
les chefs, malgré quelques protestations, n'appa-
raissaient comme nets de tonte pression extérieure:
si à l'horrible catastrophe d'Halifax on pouvait cher-
cher des causes occultes; si l'Espagne était gra-
vement agitée et si, malirré les déclarations de tous
les partis, il n'était pas défendu de songer à des ex-
citations germaniques; si l'on voyait ainsi en action,
sous des formes multiples, lintcrvention alle-
mande, les pays alliés contre l'Allemagne réagis-
saient fortement contre ses agissements.
La Conférence interalliée, terminée au début de
décembre, avait montré que, sur toutes les questions :
économique, financière et militaire, les Alliés étaient
d'accord. Le président Wilson, en mettant les che-
mins de fer dans la main de l'Etat américain, sous la
direction de Mac Adoo, avait réalisé une réforme
formidable, qui pourra ailleurs servir de modèle.
Mac Adoo, secrétaire de la Trésorerie
des Kiats-Unis.
368
— En Italie, le ministère Orlando avait triomphé de
toute opposition, et les malheurs de la patrie avaient
fait l'union de tous les efforts. — En Angleterre,
le parti travailliste et le gouvernement se trou-
vaient, avec des formes variables, en parfait ac-
cord. — En France, enfin, le ministère Clemenceau
avait continué à mériter la confiance publique, et il
semblait représenter en fait l'opinion générale des
Français, civils ou soldats. Les demandes de pour-
suites contre le sénateur Humbert n'avaient rencon-
tré aucune opposition. Celles qui visaient le député
Loustalot et l'an-
cien présidentdu
conseil Caillaux
avaient été ac-
cueillies par la
Chambre des dé-
putés, en dépit
de bien des rai-
sons d'ordre par-
lementaire qui
auraient volon-
tiers a;?! en sens
contraire si le
sentiment d'une
impopularité
gran dis s an te
n'avait été enlin
perçu par un
grand nombre
et s'il n'avait pa-
ru nécessaire de
montrer claire-
ment qu'il n'y
avait en France, pour les grands comme pour les
petits, qu'une seule et même justice.
Si l'on pouvait s'étonner de quelque chose, c'était de
voir les partis, aveuglés par on ne sait quelle erreur
de jugement, vouloir, dans des sens opposés, devan-
cer l'œuvre des juges et créer à propos d'un seul
homme une agitation malsaine que tous les bons ci-
toyens réprouvaient. La France, nous l'avons dit sou-
vent, aspirai ta entendre un langage net et ferme. Elle
l'avait entendu une première fois lorsque Clemenceau
avait demandé à la Chambre l'appel de la classe 1919.
Elle l'avait entendu ensuite lorsque le président du
conseil avait rel'usé aux socialistes des passeports
pour aller à Petrograd. Quelque pures que fussent
leurs intentions, il leur avait rappelé que, seul, le
gouvernement pouvait parler au nom de la France
et que personne, en France, ne supporterait une appa-
rence quelconque de compromission ou de faiblesse.
On avait depuis longtemps désappris la brièveté dos
paroles et la clarté des volontés. Il semblait qu'on eût,
dans le public, ressenti quelque allégement à entendre
dire ce qu'on attendait qui fût dit.
L'année 1917 se terminait sur une attente. Puisse
1918 nous apporter la victoire et la paix I Préparons-
les sans défaillance. Puissent ceux qui viendront
après nous ignorer toujours les angoisses morales
et les souffrances physiques que la passion de la
justice nous a permis de supporter pour le salut de
l'humanité 1 Mais nous, qui vivons ce combat, n'ou-
blions pas que la dernière minute de résistance
fera le vainqueur. Sachons soulfrir jusqu'au bout.
L'enjeu en vaut la peine. — Jules Qeebault.
rjaborde{^Ze^anf/re-Léon-Joseph, comte de),
officier et bibliophile français, né à Fontenay (Eure)
le 11 novembre 1853. 11 est le (ils du marquis Léon de
Laborde (1807-1869), sénateur, directeur général
des Archives, membre de l'Institut, et le petit-fils
du comte Alexandre de Laborde (1774-1H42), ques-
teur de la Chambre, également de l'Institut. Sa
Luc-binh (eichornia craaaîpes), -• A gauche, la plante avec ses
feuiUes renflées en flotteurs et ses stolons, dontTun émet une ieune
pousse (la plante est flottante^. A droite, la plante, fixée au rivage,
apei-Uu son aspect et les flotteurs de ses feuilles. ^Elle est allongée,
et elle a fleurL)
LAROUSSE MENSUEL
W J32. Février 1918.
Lac envahi par le luc-binh.
famille est d'origine béarnaise. Il fit ses études clas-
siques au lycée Louis-le-Grand (Paris) et fut admis
à l'Ecole militaire de Saint-Cyr en 1873. Promu
sous-lieutenant d'infanterie en 1875, il parvint au
grade de capitaine (1886), puis donna sa démission
l'année suivante. Il fut plus tard nommé lieutenant-
colonel d'état-major dans l'armée territoriale et
reprit du service
avec ce grade
pendant les trois
premières an-
nées de la guerre
actuelle.Membre
de la Société des
bibliophiles fran-
çais depuis le
22 mars 1893, il
en est devenu le
sécrétai re en
1897. Il a fondé,
enl911,IaSociété
française de re-
production des
manuscrits K
peintures, dont il
est aussi le se-
crétaire. Cette
société s'est
donné la mission
de recueillir et
de publier les peintures éparses dans les manuscrits
du moyen âge. L'Académie des inscriptions etbelles-
lettres l'a élu membre libre le 26 octobre 1917. Il est
aussi membre de la Société d'histoire de France et
de plusieurs autres associations savantes.
Ses deux publications les plus importantes sont :
lés Manuscrils à peintures de la Cité de Dieu de
saint Augustin (3 vol. in-fol, av. pi., 1909), ouvrage
couronné par l'Académie des inscriptions, et la
Bible moralisée (4 vol. in-fol. av. pi., 1911 et suiv.).
On lui doit encore : A propos d'une devise (de
Mathieu Beauvarlet, 1908), communication faite à
l'Académie des inscriptions et insérée dans le
« Bulletin des bibliophiles » ; une notice sur le
Alexandi-e, comte de Laborde;
bibliophile Ernest Quentin -Baucharl (1910); Nos
aventures pendant les journées de février, manus-
ciit d'Alexis de Valon, publié en 1910 avec portraits
et avant-propos; Liste des membres de la Société
des bibliophiles français, annuaire de la Société,
avec notices nécrologiques (1911 et suiv.). Le comte
de Laborde a fait, le 30 novembre 1917, à l'Acadé-
mie des inscriptions une communication sur les
manuscrits à peintures conservés dans les biblio-
thèques de Petrograd, avec présentation de repro-
ductions photographiquesprises en 1913. — Paul Halt»
luc-binh. n. m. Plante aquatique de la famille
des pontédériacées, dont le nom scientifique est
eichornia crassipes.
— Encycl. Le luc-binh s'est implanté en Indo-
chine depuis une quinzaine d'années. Les Annamites
l'ont dénommé /!<c-6!7i/i,lesCambodgiens/î'a Aie/. Ses
origines sont incertaines. 'Venu de l'Amérique équi-
Fibres et cordes de luc-binh.
noxiale, il apparut en Cochinchine vers 1900 et au
Tonkin vers 1902. 11 était encore inconnu au Cam-
bodge en 1906, sauf dans quelques arroyos des pro-
vinces avoisinant la Cochinchine. Il a envahi au-
jourd'hui la plupart des cours d'eau et des lacs du
Cambodge, et il a atteint, au milieu de la végétation
tropicale, une notoriété qui ne lui vient pas seule-
ment de la svelte élégance de ses tiges, de ses
feuilles légèrement roulées sur les bords, de ses
fleurs d'un joli mauve épanouies en épis, mais aussi
de ce qu'il est, par la rapidité de sa reproduction
envahissante, un véritable fléau.
Déjà, en 1909, l'attention des autorités avait été
appelée sur les dangers qui résultaient, pour les
provinces du protectorat, de l'extraordinaire végéta-
tion du luc-binh. Un seul pied de cette plante peut,
en quelques mois, couvrir un espace de 600 mètres
carrés. Le pied mère émet des stolons, qui en émet-
tent rapidement à leur tour, et la reproduction est
telle qu'elle forme h. la surface de l'eau un véritable
tapis de verdure sur let^uel il suffit de jeter une
plancbepour traverser à pied sec une étendue d'eau.
/V 13i. février 1616.
Le luc-binh est devenu ainsi un véritable obs-
tacle'à la navigation; les embarcations, jonques et
sampans n'arrivent pas à sofraypr un chemin au milieu
de ses tiges, et la navigation, déjà difficile aux basses
eaux, devient impossil>le aux moyennes eaux.
Transportée et répandue par l'inondation annuelle,
la plante redoutable envahit tout le Cambodge. On
entreprit de la com-
battre par un systfrae
de primes à l'arrai^ha^e
au prix de lourdes char-
ges financières pourles
budgets provinciaux
du protccloral.
Vers 1908, un Fran-
çais, Perrot, en rési- " ~_^
dence au Cambodge, ■i^'^ -<
eut l'idée de chercher
à utiliser la planlemal-
faisante. Il soumit les
tiges de luc-binh à un
traitement destiné à
ohtenir des fibres pour
tisser des pagnes et
des nattes. A cet effet,
il découronna les tiges
de luc-binh de leurs
fouilles, les fit passer
entre les lames d'une
défibreuse jusqu'à ce
qu'elles fussent com-
plètement débarras-
sées de leur pulpe. 11
obtint ainsi des fibres
saines, flexibles et sou-
ples. Il en fit faire des
cordes, avec lesquelles
furent confectionnés
des meubles d'une
solidité comparable à
celle du rotin.
Cette première utili-
sation du luc-binh fut suivie d'une autre beaucoup
iilus importante. Perrot essaya de remplacer, avec
les fibres ainsi obtenues, le jute utilisé dans la
confection du sac à paddy, si importante en Indo-
rhine. A l'aide d'un métier à tisser cambodgien,
il ohtint une toile souple et résistante. Pour obvier
à l'Iiygrometrie du luc-blnb, qui est essentiellement
aquatique, l'inventeur traite les fibres par un bain
d'alun de chrome, qui, en resserrant les pores de la
[liante, la rend anhydre et permet d'autre part de
lui faire absorber n'importe quelle teinture.
L'utilisalion du luc-binh parait appelée à de nom-
breuses applic.ilions industrielles. Les villages cam-
lioilgiens pourraient, tout en se débarrassant d'une
plante nuisible, fournir des fibres qui, rangées en
bottes, pourraient être expédiées comme des balles
de coton en France et y être convenablement trai-
tées. — G. LAi.Nti. et C. Duiiosc.
Maude (sir Frederick Stanley), général anglais,
né en 1864, mort à son poste de commandement en
Mésopotamie le 18 novembre 1917. Apr^» avoir rem-
pli une brillante carrière coloniale, le général Maude
s'est signalé, durant la guerre actuelle, par les ma-
gnifiques succès qu'il a remportés en Mésopotamie,
où il commandait en chef le corps expéditionnaire.
Entré dans l'armée en 1 884, il fit sa première campa-
gne l'année suivante au Soudan. Il fut ensuite afi'ecté
à l'un des premiers régiments de l'armée anglaise,
la Coldstream Guard, puis il passa, en 1896, par
l'école de guerre. De 1899 à 1901, durant la guerre
du Transvaal, il servit avec une grande distinction
et prit part à divers engagements; sa conduite lui
valut d'être cité à l'ordre du jour, et il reçut aussi
l'ordre du Service distingué et la médaille de la
Reine. Un accident faillit, à ce moment, entraver sa
carrière: il fit une chute de cheval et perdit l'usage
du bras droit. Il put, néanmoins, partir pour le Ca-
nada, où il resta trois ans. A son retour, il devint
secrétaire particulier du ministre de la guerre et
travailla à la réorganisation de l'armée anglaise.
Colonel au moment où éclata la guerre, sir Stanley
Maude fut envoyé sur le front français, où il fut
chargé du commandement d'une brigade; il se battit
sur l'Aisne et fut blessé au thorax. Il prit part en-
suite aux opérations des Dardanelles et, lorsque les
positions furent évacuées, il faillit êlre noyé, u avait
été promu major général en juin 1915.
Le général Maude fut appelé au commandement des
troupes britanniques en Mésopotamie en août 1916.
Il prenait ce haut poste à un moment où la situation
était devenue très critique pour nos alliés. La ville
de Kut-el-Amara, sur le Tigre, en aval de Bagdad,
encerclée par les Turcs depuis le mois de décem-
bre 1915, avaitdù,en effet, capituler, le29 avrill916,
malgré l'héroïque résistance de sa garnison, que
commandait le général Townshend. 11 fallait réparer
cet insuccès et assurer la reprise de la marche vers
Hagdad par de vigoureuses opérations. Le général
Mande avait toutes les hautes qualités militaires et
l'esprit d'organisation nécessaires pour mener à bien
cette dure entreprise.
LAROUSSE MENSUEL
Arrivé avec des renforts, le nouveau chef remit
en mouvement les forces britanniques avec un plan
différent et, dès la fin de l'année 1916, il put réaliser
de fortes avances. Tandis qu'en 1915, le général
Townshend avait opéré avec une colonne unique sur
la rive droite du Tigre, les Anglais s'avancèrent, cette
fois, sur les deux rives simultanément. Leur aile
gauche, qui progressait sur la rive sud, le long du
canal de Chall-el-Hal, lequel relie le Tigre à l'Eu-
phrate, s'empara, le 11 janvier 1917, de Koul-el-Ha'i,
situé sur ce cours d'eau et, à la fin du même mois,
elle était arrivée en face de Kut-el-Amara, en amont
de cette place, obligeant par là à une retraite préci-
pitée toutes les troupes turques qui se trouvaient en
aval sur la rive droite. De son côté, l'aile droite, qui
opérait sur la rive uord, d'abord arrêtée par la puis-
Le général sir Staoley Maude.
sanle ligne de défense de Sanna-i-Yal, réussit à la
percer et élargit rapidement la brèche qui avait été
faite. Tandis que les Turcs étaient retenus par ces
attaques, l'aile gauche anglaise réussit, par surprise,
à franchir le Tigre, pendant la nuit du 22 au 23 fé-
vrier, auprès de la boucle de Choumran. Le 24, l'in-
vestissement de Kut-el-Amara se trouva être complet
et, grâce à son habile tactique, le général Maude
put, le 25 février 1917, s'emparer de cette place, qui
était restée pendant dix mois aux mains des Turcs.
La reprise de Kut-el-Ainara ouvrait à nos alliés
la route de Bagdad, qui en était disbint de 147 kilo-
mètres. Le général Maude poursuivit vigoureusement
l'ennemi qui battait en retraite vers l'ouest et, à
partir de ce moment, ses pro);rès furent très rapides.
369
Le 6 mars, les troupes anglo-indiennes atteignirent
la ville de Ctésiphon, qu'elles trouvèrent évacuée
et qu'elles dépassèrent; elles étaient là à une ving-
taine de kilomètres seulement de Bagdad. Le géné-
ral Maude, ayant constaté que toute l'armée turqne
s'était concentrée sur la rive gauche du Tigre, fit
fiasser sur celle-ci, au moyen d'un pont de bateaux
ancé un peu en aval du cônfiuent du Diala, la plus
forte partie des troupes qu'il avait encore sur la rive
droite. Vainement les ennemis essayèrent-ils d'ar-
rêter la marche des forces britanniques; sous la
vigoureuse pression de celles-ci, ils durent évacuer
peu à peu toutes leurs positions et, le 11 mars, ils
abandonnèrent laville de Bagdad, sang même essayer
de la défendre.
La prise de Bagdad, dont les conséquences ont
une si haute importance au point de vue militaire et
politique, restera l'événement capital de la brillante
carrière du général Maude et demeurera un de ses
litres de gloire.
Poursuivant l'ennemi en retraite vers le nord, le
général Maude remporta encore, et avec plus de rapi-
dité que les circonstances ne pouvaient le faire es-
pérer, un notable succès, le 23 avril, par la prise de
la gare de Samarra, station de la ligne de chemin de
fer unissant Bagdad à Tekrit. Le 30 avril, ses troupes
innigeaient, vers l'ouest, une nouvelle défaite aux
Turcs sur les bords du Chatt-el-Adbalm, à une qua-
rantaine de kilomètres de Kifri. Le 6 novembre, le
général Maude emportait d'assaut la ville de Tekrit ;
c'était maintenant la route de Mossoul qui se trou-
vait par là ouverte. Au moment où la mort a surpris
ce vaillant chef, il prenait ses dispositions pour
arriver à une rencontre en un lieu choisi par lui avec
les troupes concentrées à Mossoul. Il a été emporlé
en quelques jours par une fièvre maligne, contractée
dans les pays tropicaux où il avait longtemps séjourné.
La mort de sir Stanley Maude est une grande
perte pour l'armée anglaise. Sur le théâtre où il avait
exercé le haut commandement, c'est à l'habileté et
aujugemcnt avec lesquels étaient conçus et préparés
ses plans que furent dues ses victoires successives;
il savait ménager ses ressources, tout en frappant
avec vigueur. U était très aimé de ses soldats, et
tous ceux qui le connaissaient admiraient son ma-
gnifique caractère militaire. C'est le lieutenant
général Marshall qui a été appelé à le remplacer
dans le commandement de l'armée expéditionnaire
britannique de Mésopotamie. — OuituTe rxoilspekgik.
Meyer (Marie-PaM/-Hyacinthel, philologue et
écrivain français, né à Paris le 17 janvier 1840,
mort à Saint-Mandé le 8 septembre 1917. Il étudia
au lycée Louis-le-Grand, puis à l'Ecole des chartes.
U publia ses premiers travaux dans la» Bibliothèque
de l'Ecole des chartes» (1860-1861) et dans les «An-
ciens poètes français u, découvrit à la bibliothèque
de Gbâlons-sur-Marne le seul manuscrit qu'on con-
naisse de la Chronique de Jean le Bel, alla acquérir
des manuscrits pour la Bibliothèque impériale à la
vente Savila de Londres (6 février 1861), et fut
chargé du classement des archives communales de
Tarascon. Là, le Parisien s'éprit vile des sonorités
de la langue de Provence — nul n'a mieux connu les
dialectes du Midi — et devint l'ami des félibresetde
Misiral. Il manifesta l'indépendance de son caractère
en désavouanlvigoureusement le catalogue rédigé par
lui-même, mais dépouillé par l'Administration de sa
valeurscientifique {Bibliothèque de l'Ecole des char-
tes, 1865). Il fut attaché au catalogue des manuscrits de
la Bibliothèque impériale, autorisé (29 octobre 1864)
à faire, à l'Ecole des chartes, un cours sur l'histoire
de la littérature provençale, commencé le 16 jan-
vier 1865, attaché en qualité d'auxiliaire de l'Aca-
démie des inscriptions et belles-lettres à la publica-
tion de la Gallia christiana (10 novembre 186t),
puis des Historiens des croisades (2^uillet 1869), et
nommé archiviste aux Archives de 1 Empire (1866).
Cette même année (6 janvier) vit paraître la
Revue critique d'histoire et de littérature, fondée
par P. Meyer, G. Paris, Cb. Morel, H. Zolenberg,
Cl revue légèrement révolutionnaire », signalant les
bons livres et. plus encore, sligmatisantles mauvais.
Les quatre jeunes hommes furent sans pitié pour les
auteurs. Le niveau des études, en France, y gagna.
On ne peut que signaler en bloc les articles signés
P. M., d'une érudition impeccable, d'une cri-
tique impitoyable. Après quelques années de celte
police intellectuelle, retardé par la guerre de 1870-
1871,pendantlaquelleilservit la défense de Paris, il
fonda avec G. Paris, son ami — ces deux hommes
travaillèrent toujours côte à côte — la fioinania (jan-
vier 1872), pour recueillir le fruit de leurs recher-
ches, pour lutter contre r« ignorance de nos véri-
tables traditions », pour opposer <• Romania » à
« Germania ». Quarante ans durant, il fuU'ftme de
celle revue, qu'il a remplie de ses publications.
En 1872, il fut nommé secrétaire de l'Ecole des
chartes, en remplacement de Marly-Laveaux, sup-
pléant de Guessard (1869-1870, 1872-1873). pour le
cours de langues romanes k la même Ecole. La
« Société des anciens textes français »,à la création
de laquelle il prit une part active (MIS) el dont il
futdèi l'origine et jusqu'à sa mort le secrétaire, lui
370
doit la publication de nombreux textes, des rapports
annuels et des notices dans l'o Annuaire-Bulletin ».
Une autre société, celle del'u Histoire de Krance »,
lui doit des publications et un magistral discours sur
l'Origine et les Premiers Développements de l'his-
toriographie française, où on lit quelques-unes des
remarques les plus aiguës qui aient été écrites sur
PustsI de Goulanges (1890).
Entre temps, il accomplit plusieurs missions
scientflques en Angleterre (1865-67-68-70-72), « à
l'eiïet de rechercher des documents relatifs à l'his-
toire littéraire de la France », et une mission gra-
tuite dans les archives départementales et commu-
nales du Midi de la France pour recueillir u les
documents diplomatiques ou liUéraires en langue
d'oc» (25 juillet 1881). Sapins célèbre découverte
fut celle d'un poème inconnu, en 19.214 vers octo-
syllabiques, en
fort bon français,
par un des hom-
mes les plus con-
sidérables de son
temps, et qui
nous présente
*^ une des sources
les plus impor-
tantes du règne
de Philippe Au-
guste (l Histoire
■Y ^^^^^^■■^^^^^^ de Guillaume le
Maréchal, 3 vol.
in-8», 1891-1901).
U donna, en 1876,
un remarquable
rapport surl'i,'/ai
actuel de la phi-
lologie des lan-
Paui Mejer. gues romanes,
dans lequel il
constatait que, si l'Allemagne, « par l'eifet d'une
forte discipline scientifique », continuait « encore à
tenir la tête », c'est dans « quelques œuvres d'une
haute distinction», écrites dans les pays romans, que
se trouvait a le gain réel des éludes romanes pen-
dant ces dernières années » {Transactions of tlie
philological Society, for 1875-1876). 11 remplaça
Edgar Quinet au Collège de France (28 jan-
vier 1876) dans la chaire de langues et littératures
de l'Europe méridionale et y professa jusqu'en
1906. Son enseignement s'accrut encore de celui des
langues romanes à l'Ecole des chartes (chargé de
cours [1878], titulaire [1882]). Très exigeant pour lui-
même, il l'était pour ses élèves, qui redoutaient ce
maître froid, ironique et sévère, lequel n'ensei-
gnait pas pour les médiocres. Il donna à cette
grande Ecole (directeur, 1882-1916) beaucoup de
son temps et tout son cœur.
Avant de l'élire parmi ses membres, au premier
tour de scrutin, dès sa première candidature
(30 novembre 1883), en remplacement de Labou-
laye, l'Académie (les inscriptions et belles-lettres
ne lui ménagea pas ses marques d'estime : en 1866,
première mention au concours des « Antiquités na-
tionales », pour le lioman de Flamenca; en 1872,
première médaille au même concours pour son
mémoire : les Derniers Troubadours de la Pro-
vence; en 1874, prix du budget : Elude sur les dia-
lectes de la langue d'oc au moyen dge; en 1879,
premier prix Goberl pour sa nouvelle édition delà
Chanson de la croisade contre les Albigeois; en
1883, présenté et agréé pour le prix biennal de
20.000 francs. Académicien, il fut successivement
membre de plusieurs commissions temporaires ou
permanentes, tant à l'Académie (Histoire littéraire
de la France, Historiens des croisades), qu'au mi-
nstère de l'instruction publique (« Comité des tra-
vaux historiques et scientifiques », « Commission
des bibliothèques et des archives », etc.). 11 eut
encore à présider la coinmission constituée le 11 fé-
vrier 1903 pour simplilier l'orthof^raphe et conclut
à une simplification non entièrement phonétique,
mais logique (Pour la simplification de noire or-
thographe..., 1905, in-S").
P. Meyer fut distrait de la science, une fois dans
sa vie, en 1898, dans l'affaire Dreyfus, quand on lui
demanda son avis d'expert et celui de deux de ses
confrères, Giry et A. Molinier, sur le fameux bor-
dereau. Il posa la question sur le terrain (^ui lui
était familier de la critique des textes : « J étudie
ces questions d'écritures absolument comme j'étu-
dierais une page d'un texte difficile. »
Il apparut, en celte affaire, ce qu'il était : homme
sans parti pris, indépendant et courageux, s|)irituel
et frondeur avec une pointe de malice, un peu
sceptique et hautain: « Je dis que la question de
l'identité de l'écriture du l)ordereau et de celle de
M. Esterhazy se présente dans des conditions, d'une
telle simplicité, d'une telle évidence qu'il suffit
d'avoir l'habitude de l'observation de la critique
pour arriver à la conclusion que j'ai formulée, sauf
réserve. »
Mais ce ne fut là qu'un mince épisode dans une
longue existence dévouée tout entière à la science
désintéressée, connue et honorée des seuls com-
LAROUSSE MENSUEL
pélents : commandeur de la Légion d'honneur
(1907), titulaire de distinctions étrangères (Uxford
et Chicago, 1893; Stocl<holm, 1906; Londres, 1907).
Tel fut ce savant, qui restaura la critique, con-
tribua au relèvement des éludes scientifiques en
France, établit avec G. Paris « le prestige de la
France dans une branche d'études dont l'Allemagne
passait avant eux pour avoir le monopole » et qui
fut, a dit Paris, «le critique par excellence », à qui
« on ne peut que reprocher d'être trop difficile en
fait de preuves ».
Son œuvre fut considérable. Voici quelques indica-
tions Ivks sommd.ires: A ye d'Avignon et Guide Nan-
<eu27, dans «Anciens poètes français» (vol. VI, 1861);
le Roman de Flamenca (1866 et 1901), Alexandre
le Grand (1886), dans « làibliolhèque française du
moyen âge»; lii-un de la montagne (1875), le Débat
des" hérauts d'armes (isn), Uaurel et Ueton (1880),
Haoul de Cambrai (1882), Fragments d'une vie de
saint Thomas de Cantorbéry (\H8b), les Contes
moralises de N. Bozon (1889), Chansonniers fran-
çais de Saint-Germain-des-Prés (1892), l'Escoufle
(1894), Guillaume de La Barre (1895), l'Apocalypse
en français (1900-1901), dans « Société des anciens
textes français »; Chanson de la croisade contre
les Albigeois (1875-1879), l'Histoire de Guil. le
Maréchal (1891-1901), dans « Société de l'histoire
de France ». 11 collabora, en outre, à de nombreux
recueils et périodiques : « Société de l'Orient latin»,
« Histoire littéraire de la France », « Notices et
extraits des manuscrits »..., « Bibliothèque de l'E-
cole des chartes », « Romania », « Revue critique d.
Il donna çà et là des articles et des communica-
tionsdans «Ann. -Bulletin de la Société de l'histoire
de France », « Annales du Midi », « Archives des
missions », « Bulletin de la Société des anciens
textes français », « Bulletin historique et philolo-
gique », « Cabinet historique », o Correspondance
historique et archéologique », « lahrhuch fiir r. u. e.
Literatur », « Journal des savants », « Mémoires
de l'Académie des inscriptions », « Mémoires de la
Société de linguistique de Paris », « Moyen âge »,
<i Société d'histoire de Paris », <■ Revue de Gas-
cogne », « Revue du mois », « Revue des Sociétés
savantes », etc. En dehors des collections et des
revues, il donna : la Littérature française au
moyen dge, de G. Paris (4= édit., 1909), Docu-
ments linguistiçiues du midi de la France (1, 1909,
in-8°), le premier volume d'une série interrompue
par la mort. Signalons, enfin, à la bibliothèque de
l'Ecoledes chartes, 5 volumes: Mélanges de philo-
logie (1860-1910), où il a réuni, à l'usage de ses
élèves, de nombreux tirages à part. — s. Reizlee.
Oiseaux (Protection des). L'ornithologie
économique est non seulement l'élude du rôle et
de la valeur économique des oiseaux, mais c'est
aussi l'étude des voies et moyfns par lesquels on
peut arriver à faciliter en un endroit l'établissement
et la multiplication des espèces reconnues utiles
aux diverses branches de l'agriculture. Les oiseaux
A : B iC ID i
I I I I
^0 \60\60\ 60 I mm.
3S \ i-e \ 60 '~ 85^ mm.
Fig.
/âO ; 230\ 300 1 Z7S \ mn.
! ' ' '
; 1 ! i
: I ; 1
111;
60 \ 70 \ 70 \ 70 \ mm.
— -\-—\—-\ L
2S2 I ^06 \ 4^S0 \ i^SO ; mm .
1 i i i
- Divers modèles de Dîchoirs.
ne sont pas des épaves dont chacun a le droit de
s'emparer au gré de sa fantaisie. Ils sont propriété
de la collectivité et, par conséquent, de l'Etal, qui en
est le tuteur naturel. C'est une immense richesse, qui
peut être évaluée et peut être augmentée. Aussi les
idées de protection rationnelle des oiseaux sont-
elles assez anciennes. Elles prirent corps dès que
des observateurs sagaces se furent aperçus de la
diminution des oiseaux qui se nourrissent d'insectes.
Il y a déjà quarante ans que de nombreux débats
Fiç. 2. — 1. Section longitudinale d'un
trou du pic épeiche; 2. SecUon d'un niclioir
artificiel.
«• J32. Février 19J8.
ont eu lieu en France sur cette question, mais ce
n'est qu'en 1902 que fut signée une convention in-
ternationale, pour la protection des oiseaux utiles à
l'agriculture, entre les divers Etats européens sui-
vants : France, Allemagne, Autriche-Hongrie, Bel-
gique, Espagne, Grèce, Luxembourg, Monaco, Por-
tugal, Suède, Norvège et Suisse (donc, pas l'Italie et
l'Angleterre). Cette convention aval télé disculée aux
congrès ornithologiques de Vienne en 1885 et de
Paris en 1895 et en 1900; elle donne la liste des oi-
seaux utiles et nuisibles.
Cette convention a force de loi, puisqu'elle a été
adoptée par la Chambre des députés et le Sénat en
1902. Elle aurait dû amener la lin du régime dit » des
tolérances «dans le Midi, c'esl-à-dire de la capture
en masse, par des filets et autres engins meurtriers,
soit pendant les passages, soit pendant la période
de reproduction et la fin du déiiicliage.
Dans tous les pays d'Europe, les oiseaux gibiers
et les oiseaux utiles à l'agricullnre jouissent d'une
protection officielle plus ou moinsefficace. Au Canada
et aux Etats-
Unis, il en est
de même aussi
pour les oi-
seaux migra-
teurs. Partout,
les oiseaux qui
sont en voie de
diminution par
suite de l'em-
ploi de leurs
plumes dans la
parure fémini-
ne ont la fa-
veur d'un ré-
gime spécial
plus rigoureux.
Ainsi, lesaigret-
tesen Afrique,
en Australie,
aux Etats-Unis,
au Venezuela;
les paradisiers en Nouvelle-Guinée; les colibris
dans les Antilles et l'Amérique du Sud ; les oiseanx-
lyres en Australie ; les faisans en Chine ; les
grèbes dans l'Orégon; les mouettes et les goélands
sur les côtes des Etals-Unis; les nandous dans la
république Argentine, etc., et même aussi les ei-
ders en Norvège.
Des ligues pour la protection des oiseaux s'occu-
pent de ces questions, surveillent l'exécution des
lois et provoquent de nouveaux règlements. Parmi
elles, la plus importante est l'Association des socié-
tés Audubon, qui englobe le territoire tout entier
des Etats-Unis et qui dispose d'un budget annuel de
plus de 500.000 francs. Aussi aucun Etat n'est-il
allé aussi loin que les Etals-Unis, qui, dans une loi
récente, dite « Plumage bill », ont interdit sur tout
leur territoire l'entrée de toute dépouille, complète
ou partielle, appartenant à des espèces sauvages.
Dans beaucoup de pays, ces mesures ont été com-
plétées par la création de refuges étendus (réserva-
tions) ou de parcs nationaux, dans lesquels la chasse
est interdite et où les oiseaux peuvent vivre et se
multiplier en liberté. Ces réserves ont donné des
résultats remarquables : la première en date est le
Yellowstone Park, établi en 1872 aux Etats-Unis, où
il y en a maintenant plus de dix, ayant une superfi-
cie dépassant 250.000 kilomètres carrés. En Austra-
lie, il y en a 55. En Angleterre, de grands domaines
privés ont été réservés, de même qu'en Allemagne,
en Autriche. En Suisse, le val de Travers dans le
Jura, le val Cluoza dans l'Engadine, ont été récem-
ment choisis dans ce but. Le long des côtes de la
Baltique et de la mer du Nord, beaucoup d'îles
(Memmert, Jordsand, Ellenbogen. Norderoog, Lan-
genwerder, etc.) ont été constituées en réserves
|i0ur la nidification des oiseaux d'eau, avec gardiens
officiels. En France, nous ne possédons que le parc
national de laBérarde,dans les Alpes, fondé en 1913.
El, pourtant, il serait utile d'en créer un dans la
(Camargue, pour proléger le castor, le flamant elles
oiseaux de passage; dans les Alpes, pour le gypaète
barbu et le grand coq de bruyère ; dans le centre de
la France et dans la forêt d'Huelgoat, en Bretagne;
dans les Pyrénées, la création de l'un d'eux est à
l'élude (1916), sur l'initiative du prince de Monaco.
Les insectes attaquent les plantes cultivées ou
sauvages dans leurs racines, leurs tiges, leurs
feuilles, leurs fleurs, leurs fruits et leurs graines et
y produisent des dégâts souvent très importants.
Pour certaines plantes d'Europe, leur nombre est
étonnant. On en compte de 800 à 1.000 sur le chêne,
396 sur le saule, 299 sur les conifères (pins et sa-
pins), 285 sur les pommiers et les poiriers, 270 sur
les bouleaux, 264 sur les peupliers, 237 sur les pru-
niers, 154 sur le hêtre, 119 sur l'aune, 102 sur le
tilleul, 103 sur la ronce, 98 sur le noiselier, 90 sur
l'ajonc, 88 sur le charme, 70 sur l'ortie, 68 sur
l'érable, 58 sur les genêts, 53 sur le blé, 52 sur le
frêne, 49 sur le chou, 34 sur le trèfle, 33 sur la
vigne, 23 sur lechàlaigner, 20 sur l'orge et la carotte,
12 sur le marronnier, 8 sur l'olivier, etc.
«• 132. Février 1918.
Comme les insectes ont un pouvoir de mullipli-
cation extraordinaiie, il e^l clair que celle mul-
titude d'eutiemis ne peut élre détruile que par
l'activité inlassable des oiseaux. Mais le dévelop-
pement des cullurea et la transformalion des métho-
des, de même que le déboisement, l'an-acliaKe
des vieilles souches et des sous-bois, la régularisa-
LAROUSSE MENSUEL
mées, soit à ceux nichant en plein air. Pour les
firemiers, les nlclioirs artillciels pourront remplacer
es trous et les cavités ; pour les seconds, il faudra
créer des endroits, des fourrés favorables à leur
nidilicalion.
A. Nicheurs dans des Irons ou dans des cavités
largement ouvertes. — Les trous dans lesquels ni-
- Niohoirs : I. Arlinciel ordinaire ; 2. Horizonial. pour marlinet; 3. A large ouverture;*. Pour hirondelle de fenêtre;
5. four hii-oad<^lle de rivage.
Imn des cours d'eau, l'augmentation du nombre
des chasseurs et surtout des bniconniers pratiquant
le plégeage ont amené une diminution notable du
nombre des oiseaux. Ces faits créent des devoirs à
la génération actuelle, si elle ne veut laisser dimi-
nuer les moyens naturels de lutte contre les para-
sites et amoindrir la r.-iture.
L'oiseau est-il un rouage indispensable dans l'har-
monie de cette dernière? L'homme peut-il se passer
de ses services? Lui rapporte-t-il plus qu'il ne lui
coûte? Tout est là. C'est une question de calcul de
X doit » et d' « avoir ». En effet, des études scienUliques
sérieuses ont prouvé que les oiseaux détruisent :
1° les insectes nuisibles, leurs œufs et leurs larves
Fig. i— l.NIchoir
bien placé; 2. Nichoir
mol placé.
(cochylis, pyrales, anthonomes, pucerons, bostriches,
nonnes, sautejelles, elc); 2° des quantités de cam-
pagnols et autres petits rongeurs qui dévastent les
récoltes; 3° des quantités de substances putrescibles
nuisibles.
Il est donc nécessaire de protéger les oiseaux ;
mais ils'agit desavoir de quelle manière doit s'exer-
cer la protection et quels sont les oiseaux qui, en
raison de leur utilité ou de leur rareté, doivent être
l'objet de mesures spéciales.
Il n'y a qu'une faconde protéger enicacemenl;
cette façon est indépendante des personnes, et chacun
peut y réussir : c'est d'employer la méthode natu-
relle, qui s'appuie sur les doimées de la biologie,
c'est-à-dire qu'il faut copier la nature pour attirer
les oiseaux. Les mesures pratiques seront de deux
sortes, suivant qu'on aura affaire soit à des oiseaux
nichant daus des trous ou dans des cavités moins'fer-
chent les pics sont fondamentalement toujours les
mêmes. Ils alTeclent plus ou moins la foime d'une
bouteille, mais leur fond est un cône creux. Le trou,
circulaire, donne dans le couloir de la cavité et
présente une inclinaison vers le haut de 4» à 5°, de
telle façon que l'eau de pluie ne peut pénétrer dans
la cavité. Les individus d'une même espèce em-
ploient toujours le même trou de vol ; par consé-
quent, la mesure des diamètres permet de donner à
coup sûr le nom de l'espèce à laquelle appartient
la cavilè. Ainsi, le trou de l'épeichelLe a 32 millimè-
tres de diamètre, celui de l'épeiche 46, celui du
pic vert 60, et celui du pic noir 85.
Les nids artificiels ounichoirs seront donc creusés
dans un morceau de tronc en grume. A(in de repré-
senter à l'intérieur la rugosité des trous de pics, on
y pratique trois sillons nécessaires pour assurer la
sortie facile de l'oiseau. Le couvercle qui ferme la
cavité en haut est une planche en bois, fixée ordi-
nairement par des vis ; mais il est de beaucoup pré-
férable de se servir d'un cylindre de bois formant
bouchon au-dessus du trou de vol et qui alourdit
suffisamment le couvercle pour qu'il tienne bien en
place. On l'applique seulement vers l'avant, en lais-
sant un peu de jour à l'arrière. Cette disposition
évite le glissement en avant et facilite l'ouverture
pour la visite et le nettoyage. Les couvercles en ci-
ment sont trop fragiles ; il faut surtout les éviter
pour le transport. A l'opposé du trou de vol, on
fixe par un écrou une latte longitudinale, qui dépasse
le bloc en haut et en bas et qui est elle-même percée
de deux trous servant à supendre le nichoir.
Modèle A, ■ — Le pins petit modèle correspond à
la cavité du pic épeichelte, avec trou de vol de
32 millimètres.
La cavité a iTl
15 centimètres f[ ,[ / "i kÎI I I
..'
/r
I "^
ir
de profondeur;
en haut elle a
6 centimètres
lie diamètre,
puis elle s'élar-
git vers le bas
à gcm.s.Lebloc
utilisé à cet
effet doit donc
avoir 29 centi-
mètres de long,
14 à 15 de dia-
mètre,ann qu'il
reste pour le
fond de la ca-
vité une épais-
scurdeboisd'au
moins 6 centi-
mètres. Une troncature faite sons le couvercle et
louchant la laite ne permet pas à l'eau de pénétrer
parla face supérieure du couvercle.
Ces nichoirs servent aux espèces suivantes:
Mésanges : charbonnière {Parus major L ), bleue
(Parus cseniteus L ), nonnette cendrée (Pmus pa-
Itistris tonr/irostris Kleinschm.), petite charbonnière
{Parus aler L.), huppée {Pa)-us crhlctlus L.) ; les
sitlelles torchepol {Silta cxsia Wolf); les grim-
pereaux {Certhia orachydactyla Brehm et Cer-
thia familiaria macroUactyla Brehm); les. lorcols
Fig. S. — Protecti"n des nichoiri
contre Ici carnasviera.
371
{J)/nx torquilla L.) ; les gobc-mouchcs noirs {Mus-
cicapa atricapilla L.) ; les rossignols de muraille
iPkœnicurus phœnicurus L.); les pics épeichettes
[Vendrocupus minor L.).
Dans les contrées où les moineaux friquets
{Passer monlanus), plus petits que les moineaux
ordinaires, sont nombreux, on peut les empêcher de
s'emparer des nichoirs en ne donnant que 27 mlUi-
Ires au trou de vol. Toutes les petites mésanges
(donc toutes, sauf la grande charbonnière) s'en ac-
commodent fort bien.
Modèle B. — Le modèle B est seulement plus
grand que le précédent; il correspond au trou de vol
du pic épeiclie. II est constiiué par un bloc de
41 centimètres de long, sur 16 de diamèlre.
Le trou de vol a 46 millimètres, la cavité 23 cen-
timètres de profondeur; elle est élargie en bas &
12 centimètres, tandis qu'elle n'en a que 8 en haut.
Le fond doit avoir 7 centimètres d'épaisseur.
Ce nichoir est occupé par l'étourneau commun
{Stumus vulgoris L.), le pic épeiche {Oendrocopus
major L.), le pic mar (Dendrocopus médius L. ), le
torcol, la sitlelle torchepot, le gobe-mouche noir,
le rossignol de muraille et les diverses mésanges,
quand elles ont le choix.
Modèle C. — Le modèle C a un trou de vol de
60 millimètres et une cavité plus grande que celle
du précédent. Il est ulilisé par le pic vert {Pirus vi-
ridis L.), le pic cendré verdâtre {Pims viridicanus
■Wolf) et la huppe (Upupa epopsL.).
Moitèle D. — Le modèle D, qui a & peu près les
mêmes dimensions que le précédent, mais avec un
trou de vol de 85 millimèlres, convient fort bien au
pigeon colombin {Columha œnaa L.), au rollier
d'Europe {Coracias garriilus L.), à la huppe, au fau-
con cresserelle {talco tinnunculus L.), au corbeau
choucas {Ciirvus niotiedulaL.), aupic roirfW/v/oco-
pns martius L.) et aux rapaces : hulotte {Symimn
alucoL.), chevêchecommune (.4Mene noclua Sco-
poli), chevêchelte {Gluucidium passeriiium. L.),
hibou brachyole {Asio accipilrinus), effraye com-
mune {Strix'flammea L.), scops ou petit duc {Piso-
rliijia scops L.).
Four les martinets noirs {Apus apus L.), on fa-
Fig. 6. — Fourchure pour les nids.
brique des nichoirs E que l'on fixe horizontalement
et dont l'orifice d'entrée, demi-circulaire, est placé
sur la section.
Certains oiseaux comme le rouge-queue titys
{PhœnicurJis ochritrus GihraUnrien.9is Gmélin), le
gobe-mouche gris {Muscicopa qriiola L.). la berge-
ronnette grise {Motacilla alba L.) et aussi le rouge-
gorge (EriMacus jtiéecu/usL.) ne nichent pas dans
des nichoirs F, à ouverture étroite, mais dans des
cavités placées sur les arbres ou dans les fentes de
rochers largement ouvertes. Pour eux, on fabrique
des nichoirs peu profonds, à ouverture très large.
On peut les aménager facilement dans l'épais-
seur des murs, au moment de leur construction. Ils
sont aussi adoplés pour les martinets.
Pour les hiiondelles de cheminée et de fenêtre,
il n'est pas nécessaire de placer des nids en ciment ;
il suffit d'installer, du côté opposé à la pluie, une
planche non rabotée de 20 centimètres de large.
pour qu'elles puissent y suspendre leurs nids, et
une planche pour empêcher les excréments de tom-
ber sur le sol ou sur les passants.
Les bois qu'on emploie de préférence pour ces
nichoirs doivent être mimis de leur écorce, bien
secs, séchés à l'ombre afin qu'ils conservent leur
écorce. Ce sont : l'aune, le chêne, le peuplier, les
pins et tous ceux qui ne se fendillent pas facilement.
Eviter l'emploi du bouleau, qui dure trop peu.
Comme l'oiseau laisse toujours au fond une cer-
taine quantité de poudre de bois provenant de son
Iravail, il faut avoir soin d'y placer une poignée
d'un mélange de sciure et de terre. La sciure sèche
rapidement les excréments des jeunes et ceux qui
pourraient s'y accumuler en hiver.
KixATioN DES NICHOIRS. — Pour suspendre les
nichoirs, il faut choisir l'époque, la place et surtout
la façon de les fixer. L'époque la meilleure est la fin
de l'autonme, afin que les oùseaux qui hivernenlchex
nous puissent y trouver un refuge et s'habituer à
ce nouveau logement. Pourtant, l'hiver, jusqu'à la
mi-avril, est propice; mais ceux qui sont placés
trop tardivement sont plus rarement occupés dans
l'année.
372
Le choix de l'endroit dépend de l'espèce. Les ni-
choirs A doivent être placés à une hauteur de 2 à
4 mètres, sur les arbres ou contre des murs, dans
les vergers, dans les parcs, sur les bordures des fo-
rêts, dans des endroits tranquilles, protégés contre
les vents par des taillis touffus. 11 fautlaisser devant
les trous un espace libre, pour favoriser les envolées
et le retour au nid. On évite d'abîmer les arbres en
se servant de pieux placés à côté d'eux. Les nichoirs
qui ne sont qu'à 1 mètrp du sol, et qui ainsi échap-
pent aux moineaux, sont quand même utilisés par
Fig. 7. — Grande cabane-mangeoire.
les mésanges de petite taille, mais ils ne peuvent
servir que là oh il n'y a pas de carnivores. Dans les
forêts de conifères, le placement ne se fait que sur
la deuxième et la troisième rangée, à partir du bord,
ou dans les clairières. Ceux qu'on place plus en
dedans ne servent que de lieu de repos en hiver.
Pour les mésanges, il faut un nichoir tous les 10
ou 15 arbres.
Les nichoirs B se placent plus haut, de 4 à 8 mè-
tres, dans les villages, les forêts, en bordure des
Prairies, les grands parcs, les jardins, et très près
un de l'autre, plusieurs sur le même arbre. Si on
les place plus bas, de 2 à 4 mètres, ils sont souvent
occupés par les mésanges. Les fruits, cerises et rai-
sins, n'ont rien à craindre des étourneaux vivant
en famille, car les parents ne donnent à leurs petits
qu'une nourriture animale, et ils quittent le pays un
jour ou un jour et demi après la sortie du nid, puis-
qu'il n'y a pas de deuxième ponte. Ceux qui font quel-
ques dégâts sont les étourneaux étrangers au pays.
Les nichoirs G se placent de 2 à 15 mètres de
hauteur, près des
pâturages ou des
prairies humides,
pour la huppe et
les pics verts et
cendrés, et dans
les parcs pour les
pics seulement.
Les nichoirs D
se placent très haut
sur les arbres des
forêts, ou dans les
prairies humides
servant de pâtu-
rage. Pour les pi-
geons colombins,
il est bon d'en
mettre toujours
deux ou trois l'un
près de l'autre.
Les nichoirs E,
pour les martinets,
s'attachent aux
tours, aux murs
élevés; il faut avoir
le soin de les rem-
plir à moitié de
matériaux ayant déjà servi & d'autres nids : de
moineaux, par exemple.
Les nichoirs F se placent à 2 ou 3 mètres de hau-
teur sur les arbres isolés, sous les vérandas pour le
rouge-queue titys et les gobe-mouches gris, ainsi
que contre les murs pour les bergeronnettes grises.
Ils doivent être espacés ainsi de 20 à 30 pas.
D'une façon générale, il est bon d'espacer les
nichoirs plus ou moins, suivant que les oiseaux
cherchent leur nourriture au loin ou dans le voi-
sinage.
Fig. 8. — Nourrlssage des mésanges.
LAROUSSE MENSUEL
En automne, il est nécessaire de faire une revi-
sion, un nettoyage et une reconsolidation des nids.
Si l'on en trouve qui soient habités par des chauves-
souris, il vaut mieux ne rien déranger, puisque ces
mammifères sont insectivores et utiles.
Pour fixer les nichoirs, on se sert de préférence
de vis, dont la longueur dépend de l'épaisseur de
l'écorce. Les vis résistent mieux à la rouille que
les clous.
Les nichoirs doivent être verticaux ou légère-
ment penchés en avant, mais jamais vers l'arrière,
car l'intérieur ne serait pas protégé contre la pluie.
Le trou de vol doit regarder l'est ou le sud-est et
être opposé à la direction habituelle du vent et de
la pluie. Jamais il ne doit être tourné vers le nord.
Dans tous les cas, le nichoir doit être solidement
fixé, afin qu'il ne puisse bouger sous l'action du
vent; les nids mal fixés ne sont jamais occupés.
Nourrissage hivernal. — En hiver, quand la neige
couvre la terre, la faim amène la mort d'un grand
nombre d'oiseaux, surtout des insectivores. Quand
le froid est associé au manque de nourriture, les
mésanges, les grimpereaux, les roitelets meurent en
quelques heures. Pour conserver les oiseaux utiles,
il faut donc les nourrir en hiver. Mais comment
doit-on le faire ?
Il faut placer la nourriture sur divers appareils,
tels que, pendant les plus fortes tempêtes de neige,
ils restent accessibles aux oiseaux. On peut se servir
de cabanes mangeoires d'environ 1^,50 de haut,
dont le toit est prolongé verticalement sur son
pourtour par une lame de verre. Une planche assez
élevée permet de placer la nourriture, qui est ainsi
visible de l'extérieur et qui reste toujours sèche et
bonne. Cette cabane peut être réduite à une sorte
de boîte fixée près d'un mur ou contre une fenêtre.
Pour attirer l'attention des oiseaux, on suspend à une
petite table plus basse des noix ouvertes, des pépins
de citrouille, des morceaux de suif ou des capitules
de soleil. Le meilleur moment pour les installer est
novembre : alors, les oiseaux peuvent s'y habituer
avant les frimas de l'hiver. Il est bon de planter au-
tour de la cabane des conifères, des buissons contre
les rapaces et de placer en dedans des branches de
sapin. 11 faut éviter d'installer cette cabane dans les
jardins publics, à cause des déprédations possibles.
On peut se servir aussi de toits, de vérandas, de
tonnelles de jardin, ou bien d'une natte ou d'un
paillis surélevé à 1 mètre en avant, qui aurait
2 mètres de long et l^.SO de profondeur. Dans le
fond, il faut placer une petite table pour les mésanges
et l'entourer sur trois côtés d'un taillis de 1 mètre.
Il est utile de laisser les feuilles sèches sur le sol.
Quelles sont les substances à donner ? II faut
choisir celles qui donnent de la chaleur : le lard et
le suif, dans les-
quels on inclut des
graines oléagineu-
ses dechènevis,dé
courge, de soleil,
à côté de graines
amylacées : millet,
avoine décorti-
quée ; gros gâteaux
de viande hachée,
riz cuit.
Il faut éviter de
donner du pain im-
bibé d'eau ou de
lait, car il devient
suret fatiguel'esto-
mac, de même que
les restes laissés
dans les cages, sauf
si on les a grillés
pour les stériliser.
Le renouvellement
doit se faire toutes
les semaines.
On peut se ser-
vir aussi de cloches-
mangeoires, sus-
pendre des cada-
vres desséchés
d'oiseaux ou de pe-
tits mammifères, ou enfin répandre du suif sur des
sapins sciés ou déracinés.
Pour les granivores, on peut placer la nourriture
sur le sol, en évitant le pain ou les pommes de terre
cuites.
B. Attraction et multiplication des espèces ni-
chant en plein air. — Les oiseaux qui nichent en
plein air le font sur les buissons, sur les arbres, sur
la terre ou sur les roseaux. Nos meilleurs chan-
teurs appartiennent à ce groupe. Ils ne trouvent plus
les haies, les sous-bois, les buissons, soit en bordure
des forêts, soit au bord des étangs et des cours
d'eau. Il faut donc créer des endroits favorables à
leur nidification, en établissant des plantations
rustiques, supportant bien la taille, se ramifiant
beaucoup, qui se développent bien à l'ombre, qui
produisent des baies appréciées par eux et, en plus,
qui, par leurs épines, éloignent les ennemis.
Ou peut facilement obtenir des baies ou des mas-
«• 732. Février 1918.
sifs d'aubépine, de charme, d'églantier, de nêtre
commun, ties divers groseilliers, de chèvrefeuille,
de genévrier, de viorne-obier ou boule de neige, de
sureau noir et à grappes et même d'épicéas et de
sapins été tés.
Si l'on a la précaution de tailler ces arbustes de
façon à obtenir des fourchures formant des corbeilles
pour les nids, les oiseaux afflueront. On obtiendra
le même ré-^ultat dans les fourrés en liant ensemble
en faisceau des liges ou des branches. Aucune taille ne
doit se faire en élé, pour ne pas déranger les oiseaux.
Les sorbiers, les nerpruns, la bourdaine donneront
des baies pour l'automne, et, si l'on a la précaution
de laisser les feuilles sèches soit sur le sol, soit sur
une toile métallique à 0°>,.50 du sol, les oiseaux
Fig. 10.
■ Divers modèleR de boiteB-maiigeoIref
a'orientaut [lar le vent.
trouveront de la nourriture dans les mauvais jours.
En outre, il faut mettre en hiver à la disposition des
mésanges des capitules de soleil, dont elles sauront
bien décortiquer les graines. Ce que les grives ai-
ment le mieux, ce sont des baies de sureau séchées.
Dans le jardin, on laissera des tas de branches
adossés aux massifs. Des haies vives, épineuses, se-
ront plantées autour des vignes, ou bien des haies
d'épicéas étêtés formant des fourrés impénétrables.
Dans certains cas, de petites auges en ciment per-
mettront de distribuer de l'eau propre pour boire.
C. Lutte contre les ennemis des oiseaux. — Il
faut combattre la multiplication des ennemis des
oiseaux, afin que les bons effets des mesures de
protection ne puissent être annulés.
L'ennemi le plus terrible, c'est l'homme, qui, par
Fig, 9. — Abri-mangeoire,
égoîsme, indifférence et ignorance, se met en tra-
vers des mesures prises. Ce n'est que par l'instruc-
tion et par la propagande à l'école primaire qu'on
arrivera à changer cette mentalité.
Il faut empêcher la divagation des chats loin des
habitations; quand ils s'en écartent de plus de
100 mètres, ils ne recherchent que les oiseaux et
leurs nids. Contrç les chats sauvages ou errants,
on peut protéger les nichoirs avec des clous autour
du trou de vol ou des toiles métalliques.
Les trappes à guillotine à un ou deux comparti-
ments et des pièges à mâchoires sont très efficaces,
comme aussi contre les belettes.
Les écureuils sont dangereux pour les jeunes et les
œufs. Ils ne doivent donc pas être trop nombreux.
Les souris et les rats sont plus dangereux qu'on
ne le croit généralement, autant pour les nichées
posées à terre que pour celles qui sont sur les arbres
même élevés.
«• 732. Février 7978.
Le moineau domestique, par ses cris et son bruit,
éloigne les autres oiseaux de leurs buissons pré-
férés; les friquets les dépossèdent de leurs nichoirs;
il faut donc éviter leur trop grande multiplication.
Il en est de môme pour les geais, les corneilles
mantelées et les pies. Les pies-grièches, écor-
cbeuses et grises, détruisent aussi des adultes et des
jeunes. Les épcrviers capturent des milliers de mé-
sanges et visitent même les appareils de nourris-
sage. La cliasse au
grand duc suffit pour
se débarrasser de tous
ces oiseaux nuisibles.
Parfois, le busard, près
des faisanderies, peut
détruire des faisan-
deaux ; mais, d'une fa-
çon générale, on peut
affirmer que le busard
{Buleo buleo), la cré-
cerelle {Cerchneis tin-
nunculus), les freux,
la pie-grièche d'Italie,
ne sont pas nuisibles.
Le grand duc et le
grand corbeau sont si
rares qu'on peut omet-
tre de parler de leurs
dégâts.
A l'étranger, on a
associé à ces mesures
une fête des oiseaux
et une fête de l'arbre dans les écoles primaires.
Nous terminerons en rappelant qu'au Biological
Survey des Etats-Unis, on a examiné les estomacs
de plus de 35.000 oiseaux, représentant un grand
noml)re d'espèces et qu'il ressort de ces études
qu'aucune espèce d'oiseaux n'est complètement
inutile à l'homme. Les recherches faites en Alle-
magne sur les espèces européennes ont conduit aux
mêmes conclusions. Protégeons donc les oiseaux
pour leur utilité, pour leur beauté, mais aussi pour
la vie et l'attrait qu'ils donnent à la natui-e et aux
paysages. — A. MÉNéajkux.
*I»orel(Désiré-Pau;PARFOURu, dit), comédien et
directeur de théâtre, né à Lessay, près de Coutances
(Manche) le 20 octobre 1842. — 11 est mort à Paris
le 4 août 1917. Entré à dix-huit ans au Conserva-
toire, il en sortit en 1862, avec un second prix de
comédie, et débuta l'année suivante à l'Odéon, dans
la traduction de Macbeth due à Jules Lacroix. 11 y
tenait le rôle de « la troisième sorcière «. Il créa
ensuite Léo dans les Plumes de paon de Louis
Leroy (1864), Bonnet dans le Second Mouvement
d'Edouard Pailleron (1865), Lucien dans la Contagion
d'Emile Augier (1866). Alexandre Dumas fils et
Montigny, directeur du Gymnase, l'enlevèrent à
l'Odéon en payant son dédit, pour le faire jouer dans
les Idées de Madame Aubray (1867). C'était rendre
hommage à son jeune talent. Il resta au Gymnase
jusqu'à la guerre de 1870, à laquelle il prit part.
Blessé d'un éclat d'obus, il fut transporté à l'ambu-
lance de l'Odéon et soigné par Sarah Bcrnhardt,
qui s'était faite infirmière. En 1871, il reparut sur
la scène de l'Odéon, dans Jean-Marie, d'André
Theuriet (11 octobre) et dans les Créanciers du
bonheur, de Cadol. Le théâtre était alors dirigé par
l'association Chilly-Duqiiesnel. Le nom de Porel
devint rapidement populaire : il fut le « grand
comédien de la rive gauche <>. Citons, parmi ses
emplois ou créations : Molière dans la Jeunesse
de Louis XIV d'Alexandre Dumas (1874), Jean
Dulac, l'un de ses plus beaux rôles, dans la Mal-
tresse légitime de Louis Davyl (1874), Taldé dans
les Danicheff àe Pierre Newski (Pierre de Corvin
et Dumas fils, 1876), Richelieu dans Joseph Balsamo
des deux Dumas (1878), Langis dans Samuel Brohl
de Henri Meilhac et ■VictorCherbuliez(l 879), Morgan
dans le Trésor de François Coppée (1879).
Le 31 mai 1880, la direction Duquesnel fut con-
trainte parle ministre d'abandonner le théâtre, qui
passa aux mains de « La Rounat » (pseudonyme de
Charles Rouvenat). La Rounat reconnut la valeur
de Porel d'abord en le nommant directeur de la
scène (décembre 1881), ensuite en faisant de lui son
associé (25 mai 1882). Porel ne cessa d'être acleur
qu'à la fin de 1884. Il créa encore le docteur Rivais
dans Jack d'Alpiionse Daudet et Henri Lafontaine
(1881), Praherneau dans le Klephte d'Abraham
Dreyfus (1881), l'abbé dans le Nom d'Emile Bergerat
(1883), Sword dans Formosa d'Auguste Vacquerie
(1883), etc. Le mauvais état de santé de La Rounat
détermina l'administration des beaux-arts, dans le
courant de novembre 1884, à désigner Porel comme
directeur intérimaire. La Rounat mourut le 25 dé-
cembre de la même année, et Porel fut nommé
directeur de l'Odéon, à titre dénnitif, par le mi-
nistre Fallières.
Les qualités de Porel comédien furent avant tout
le naturel et la finesse. Il réussissait surtout dans
les pièces modernes, où on le comparait à Berton
et à Félix. Très consciencieux et très spirituel, il
était également estimé dans la comédie classique
LAROUSSE MENSUEL
et tenait avec éclat l'emploi des « grands valets ».
On le disait de l'école des Monrose, des Samson et
des Régnier. La tragédie et le drame historique lui
convenaient moins bien : il n'avait rien d'un Fre-
derick Lemaître.
Sa direction de l'Odéon fut active et féconde.
Tout en maintenant les traditions classiques, il élar-
git le répertoire du théâtre et donna plus de luxe à la
mise en scène. Il organisa des représentations popu-
puur la DiJ.ncation.
laires, des abonnements à prix réduits, des matinées
classiques également à prix réduits, à l'intention de
la jeunesse des écoles, où la représentation était
précédée d'une conférence ; Brunetiore, Sarcey, Le-
maître, Larroumet, Barrés, etc., lui prêtèrent leur
concours.
Parmi ses « premières », il faut citer : les Jaco-
bites de François Coppée (1885), Numa Roumestan
d'Alphonse Daudet (1887), Révoltée de Jules Le-
maitre (1889), Amoureuse de Georges de Porto-
Riche, avec Réjane (25 avril 1891), la Mer de Jean
Jullien (1891), etc. Parmi ses reprises : Henriette
Maréchal (\SS5) et Germinie Lacerteux, des frères
de Concourt, avec Réjane (1888), Michel Pauper
de Henri Becque (1886), À'egn d'Alexandre Dumas
père (_1891), etc. Il a introduit la musique à l'Odéon
avec l'Artésienne d'A. Daudet et Bizet(5 mai 1885),
un des grands succès de sa direction. Des adapta-
tions de Shakespeare furent jouées avec musique de
scène : le Songe d'une nuit d'été de Paul Meurice,
musique de Mendeissohn (1886), Beaucoup de bruit
pour rien, de Louis Legendre, musique de Benjamin
Godard (1887), Shylock d'Edmond Haraucourt,
musique de Gabriel l^'auré (1889), Roméo et Juliette
de Georges Lefèvre, musique de G. Thomé (1890).
Il fit représenter en 1892 une nouvelle traduction de
Macbeth par Georges Clerc. Mentionnons encore,
parmi les adaptations d'œuvres étrangères : Crime
et châtiment, drame tiré du roman de Dostoïevsky
par Paul Ginisty et Hugues Le Roux (1888). — Les
efforts de Porel furent récompensés par la croix de
chevalier de la Légion d'honneur (9 juillet 1886).
En 1892, il donna sa démission. Il avait signé avec
la société propriétaire de l'Eden un bail de quinze
années. La scène et la salle devaient être transfor-
mées en vue de leur nouvelle destination. Les tra-
vaux furent exécutés pendant l'été de 1892, et
l'Eden, devenu le « Grand-Théâtre », rouvrit ses por-
tes le 12 novembre avec Sapho, d'Alphonse Daudet
et Adolphe Belot. Porel avait emmené avec lui quel-
ques-uns des meilleurs artistes de l'Odéon : Réjane,
Guitry, Monlbars, Calmetles, etc. L'énorme salle se
prétait à une mise en scène somptueuse. La musi-
que n'y fut pas oubliée : Porel fit jouer, le 9 décem-
bre, un drame lyrique, Merowig, dont les paroles
étaient de Montorgueil et la musique de Samuel
Rousseau. Mais l'œuvre la plus intéressante que
représenta le Grand-Théâtre fut Lysistrata (22 dé-
cembre), spirituelle imitation d'Arislophane, par
Maurice Donnay, jouée par Réjane, Guitry, Mont-
bars, etc. Brusquement, le 30 mars 1893, Porel
arrêtâtes représentations, rompit son bail et licencia
sa troupe : les charges étaient trop lourdes.
Il fut accueilli au Vaudeville par Albert Carré,
qui le présenta à ses actionnaires pour être son co-
gérant. La proposition fut adoptée à l'unanimité, le
\" septembre 1893. En avril 1894, Carré et Porel
succédèrent à Abraham et Masset dans la direction
du Gynin.ise. Le 'Vaudeville et le Gymnase se trou-
vèrent ainsi dans les mêmes mains, et les deux di-
recteurs y instituèrent des abonnements mixtes.
Pendant cette période, les pièces les plus impor-
tantes jouées au 'Vaudeville furent : d'abord la
triomphale Madame Sans-Gêne (27 octobre 1893),
de 'Victorien Sardou et Emile Moreau, que Porel
avait reçue au Grand-Théâtre; puis la Parisienjie,
de Henri Becque (1893); Maison de poupée, d'Ilisen;
llrignol et sa fille, d'.\. Capus (1894); Monsieur le
Directeur, d'Alexandre Bisson et Fabrice Carré;
Viveurs, de Henri Lavedan (1895); la Bonne Hélène,
de Jules Lemaître; Amoureuse, Lysistrata {1^96);
la Douloureuse, de Maurice Uouuay ; Jalouse,
373
d'Alexandre Bisson et Leclerc (1897). Le Gymnaie
représentait en même temps : Pension de famille, de
Maurice Donnay; la Question d'argent, d'Alexandre
Dumas fils (1894); l'Age difficile, de Jules Lemaî-
tre; /es /)emi-J'ierpe«, de Marcel Prévost; Marcelle,
de "Victorien Sardou (1895); la Carrière, d'Abel
Hermant; Rosine, d'Alfred Capus; les Trois filles
de M. Dupont, de Brieux; la Jeunesse de LouiaXlV,
d'Alexandre Dumas.
Le 14 janvier 1898, Rambaud, ministre des beaux-
arts, nomma Albert Carré directeur de l'Opéra-
Comique. Les actionnaires du Vaudeville acceptè-
rent Porel comme directeur unique. Il garda aussi
le Gymnase et y fit jouer les Transallantiques
d'Abel Hermant et l'Ainée de Jules Lemallre (1898).
Mais, cette direction lui paraissant trop fatigante,
il s'adjoignit Chautard pour le Gymnase (!«' fé-
vrier 1899); puis, le 13 novembre de la même année,
il céda la main à Chautard et à Alphonse Franck,
pour ne garder que le Vaudeville.
Pour apprécier la direction de Porel au Vaude-
ville depuis 1898, il suffit de citer quelques-uns des
auteurs qu'il a joués et des ouvrages qu'il a montés :
Maurice Donnay, Georgette Lemeunier (1878), la
Patronne(VMii), Education deprince {reprise, 1906);
Paul Bourget, un Divorce (1908), la Barricade (1908),
avec conférences de Marc Sangnier, Jules Roche,
etc., le Tribun (1911); Paul Hervieu, la Course du
flambeau (1901) ; Brieux, la Robe rouge (1900), l'Ar-
mature, d'après le roman de Paul Hervieu (1905),
Suzette (1909); Henry Bataille, Maman Colibri
(1904), la Marche nuptiale {1905}, le Phalène {I9yi);
Alfred Capus, Hélène ^jv/oum (1913)) ; Victorien
Sardou, Paméla (1898); Pierre 'Wulf, le Ruisseau
(1907); Pierre 'Wolf et Gaston Le Roux, le Lys
(1908); Sacha Guitry, la Prise de Berg-op-Zoom
(1912); Pierre Berton et Charles Simon, Znza (1898);
Beyerlein, la Retraite, pièce d'un Allemand contre
lacastemilitaire allemande (1905); Caillavet, Robert
de Fiers etEtien-
ne Rey, la Belle
Aventure {19\3);
Georges Fey-
deau, le Bour-
geon (1906), le
Dindon (reprise,
1912); Francis
de Croisset et
Mme Fred Cré-
sac , la Passe-
j'eWe(1902); Mau-
rice Hennequin
et Paul Bilhaud,
Heureuse {190Î);
Maurice Henne-
quin et Félix
Duquesnel,Pa/a-
c/to)i(l9u7). Quel-
ques-unes de ces
pièces, données Paui Porel.
d'abord par Po-
rel, ontété reprises par la Comédie-Française, toiles:
la Course du flambeau et la Marche nuptiale.
Le l"' août 1914, la guerre obligea Porel à fermer
les portes de son théâtre. Le Vaudeville ne fut
rendu à l'art dramatique que le 28 juillet 1917.
Porel y fit jouer une revue de Lucien Boyer, Albert
Willemetz et Battaille-Henri. Trois jours après, il
était atteint par la luaîadie et mourait la semaine
suivante.
Il avait épousé, en 1893, Réjane, qui fut longtemps
sa principale interprète. Cette union fut dissoute
par un divorce en 1905.
On lui doit, en collaboration avec Georges Monval,
unouvrage intitulé :/'0(/éon.///s^oirearfinints/i'(i/£i)e,
anecdotique et littéraire dusecond théâtre français.
Le premier volume, qui va de 1782 à 1818, a paru en
1876 et le second (1818-1853) en 1882. — Maurice EsocH.
*Rodin (Auguste), statuaire français, né à Paris
le 12 novembre 1 840. — 11 est mort à Meudon le 17 no-
vembre 1917. Son père était normand et sa mère lor-
raine. 11 commença à étudier le dessin à l'école de
la rue Racine, puis il suivit les leçons de Barye au
Muséum. 11 apprit là à observer la forme et le jeu
des muscles, mais la figure humaine l'attirait sur-
font. De 1864 datent une petite Tête de prêtre et
un buste de l'Homme au nez cassé, qui fut refusé
au Salon et qui est depuis devenu célèbre. Le
savoureux naturalisme de Rodin est déjà là tout
entier. Cet indépendant de la scupllure avait fort
bien choisi ses maîtres : Michel-Ange et Donatello.
Plus tard, ses admirations et son art gagnent en
étendue : Rodin se fortifie au contact des antiques
et des gothiques; sans efTort, parce qu'il revient
toujours à la nature, il concilie des exemples en
apparence très opposés.
De 1865 à 1870, pour gagner sa vie, Rodin tra-
vaille à l'aielicr Carrier-Belleuse; il met au service
de cet agréable décorateur son savoir de construc-
teur de formes, et peut-être emporte-t-il de là un
sens de la grâce, qui trouve plus tard à s'exercer
dans quelques bustes de femmes. En 1871, il appa-
raît au Salon avec une Tête d'Alsacienne en terre
374
cuile, et de nouveau la nécessité le force à exécuter '
des travaux Jccoratil's. De 1872 à 1877, il compose
les frises de la Bourse de Bruxelles et collabore k
l'ornementation du palais des Académies. Revenu
à Paris, il donne des mascarons au Trocadéro.
Entre temps, il expose simplement des bustes : celui
du docteur Thiriar en 1874 et celui du sculpteur
Dampt en 1873.
Jusque-là, Rodin avait vécu à peu près ignoré. Le
plâtre de l'Age d'airain ou l'Homme s'éveillant à
ta nature commence à attirer sur lui, en 1S77,
l'altenlion bien-
veillanledesuns,
sarcastique des
autres. 11 vaut, en
tout cas, à l'ar-
tiste une troi-
sième médaille,
la seule qui lui
fut décernée par
ses confrères. Ce
n'est qu'à l'Expo-
sitionuniverselle
de 1889 qu'il esl
mis hors con-
cours. En 1878
et 1870, il expose
une esquisse do
Saint Jérôme et
une le le de Saint
Jean - Baptiste ;
en 18S0, le Saint
Jean-Baptiste parait en plâtre et l'Age d'airain en
bronze. On s'explique mal, aujourd'hui, les critiques
faites à propos de celle slalue,d'allure grave et simple,
qui a depuis de longues années pris place au musée du
Luxembourg. Mais la banalité des formules usuelles
faisait, sans doute, alors faire à Kodin figure de no-
valeur, alors qu'il était surtout un rénovateur. Nul
homme, en elTet, n'élait plus allentif aux leçons du
passé et, si l'on peut, à sou sujet, formuler une ré-
serve, c'est de s'être laissé parfois aller à imiter
l'aspect fragmentaire que le temps seul a donné aux
œuvres anciennes, et non pas les sculpteurs.
A parlir de 18X1, les œuvres se succèdent sans
inlerruplion. Le modèle en plaire de l'Eue, aux
formes si amples, parait au Salon de celle année-
là, à côté de la Cninlion de l'homme et du bronze
de Saint Jean-liaptiste. Puis ce sont des bustes,
études magnifiques de caractère, d'une construction
solide, d'une exécution ferme et émouvante, parmi
lesquels il faut noler ceux de Jean-l'a'il Laurens
(inSi), d'Alphonse Legros {'HS3), de Da/ou, l'un des
plus beaux qui soient (1884), d'Antonin l'roust
Auguste Rodin.
Saint Jean-Baptisle, œuvre d'Auguste Kodin
(18]Q, musée du Luxembourg).
LAROUSSE MENSUEL
(1885). Dans cet art du porlrail, où nous avons tant
de maîtres, Rodin rejoint Houdon; il n'a peut-être
pas la mesure du grand sculpteur de la fin du
xviii» siècle, et celui-ci reste sans doute supérieur
dans ses effigies de femmes ou d'enfants, mais le
sculpteur moderne se place à côté de lui dès qu'il
s'agit d'un visage masculin.
La première esquisse du monument de 'Victor
Hugo, la plus belle peut-être, date de 1886; de 1887
est le groupe de Persée et Gorgone; en 1888, Rodin
expose deux figures de ses Bourgeois de Calais :
l'Homme qui marche et le Bourgeois à la clef. Le
groupe entier des Bourgeois de Calais se trouve au
Salon de l'année suivante, avec le monument de
Bastieti-hepage. La présentation paraît audacieuse,
parce qu'on a oublié nos œuvres du xv* siècle,
mais on veut bien reconnaître la qualité réaliste de
chaque personnage. Quant à la Vieille Heaulmiére
(IROO), inspirée par la magnifique ballade de Fran-
çois Villon, elle reste,
encore maintenant, un
des morceaux les plus
impressionnants de
l'artisle.
A partir de celle
époque, Hodin expose
â la Société nationale
des beaux-arts; il est,
avec Dalou, Puvis,
Cazin, parmi les fon-
dateurs. C'est le buste
de l'uvis de Chavannes
qu'il y monlreenl892,
ainsi que le nionunieut
de Claude Lorrain,
aujourd'hui à Nancy;
c'est le marbre d'Or-
phée et Eurydice, qu'il
y envoie en 1894; c'est
le bronze définitif des
Bourgeois qu'il y fait
consacrer en 1895. Le
second essai du monu-
ment de Victor Hugo
est de 1S96; il voisine
alors avec un bronze
de Femme accroupie,
où l'auteur interprèle
les formes avec une
largeur et un sens du
rylhineincomparables.
Mais, tandis qu'il re-
cueille la plupart des
sulfrages avec l'Eter-
nel Printemps (1897)
et que ce groupe en
marbre, par la séduc-
tion des lignes et l'agré-
ment des visages, re-
tient l'admiration
générale, Rodin se
prépai'e de nouveaux
advei'saires avec le
Balzac, dont il en-
voie le plâtre au Salon
de 1898.
On connaît cette fi-
gure singulière, d'un
audacieux romantis-
me. Le corps est rejeté
en arrière et tout en-
veloppé dans une lon-
guerobeà plisobliques
et fermes; la tète est violemment bossuée, avec des
yeux enfoncés et des cheveux plaqués en larges
mèches : c'est là moins un portrait qu'une création
inattendue. La Société des gens de lettres, qui, pour
le monumentde Balzac, désirait une image vérisle,
refusa celle œuvre, trop véhémente. Et cependant,
à dislance, elle parait fort acceptable. La tète, pré-
cisément, avec son air effrayant d'orfraie, fait son-
ger à nos masques gothiques si débordants de vie,
si frappants de caractère. Est-ce bien là le vrai
Balzac, non seulement extérieur, mais inlérieur?
rtodin a vu dans l'écrivain une sorte de Daumier
de la plume : peut-êlre lui a-l-il prêté trop de lui-
même. En tout cas, l'œuvre esl troublante et d'un
accent peu commun.
Bien que, par quelques bustes comme ceux de
Falguière (1899), de Gustave Geffrog (1903), de
Berthelot (1906), Rodin soit encore réapparu avec
ses dons de réaliste, il s'engageait de plus en
plus dans le domaine de l'imaginaire. Eu 1900, on
put avoir, au pavillon spécial dans lequel l'artiste
réunit son œuvre, une première idée de ce que
pouvait être sa Porte de l'enfer, monument capital
auquel il songeait dès 1875, auquel il ajoutad'annèe
en année des fragments, mais qui reste inachevé. 11
y eut, toutefois, là, pour Rodin, une pensée directrice
et un prétexte à de nombreuses statues comme les
Ombres (1902). Le Penseur (1904) est aujourd'hui
placé devant le Panthéon. Le mouvement du bras
est peut-être un peu forcé : l'excessif est souvent,
d'ailleurs, l'une des caractéristiques de Rodin et ce
«• 132. Février 1918.
qui lui a suscité les plus vives critiques ; mais U
silhouette générale du Penseur est inoubliable et le
modelé d'une puissance véritable. CV. Suppl. du
Nouv. Larousse ill., p. 431.)
C'est l'un des derniers envois importants faits au
Salon par le statuaire. Le monument en marbre de
Victor Hugo, qui est maintenant au Palais-Royal,
l'avait précédé en 1901. Depuis, Rodin exposa son
groupe de Paolo Malatesta et Francesca Himini,
l'Homme qui marche (1907), l'Orphée (1909), un
Torse de femme (1910); en 1911 et 1913, il se
contenta de montrer des bustes; il ne prit pas part
au Salon de 1914. Beaucoup des œuvres de Rodin
ont quitté la France pour l'étranger, où elles étaient
universellement appréciées, notamment pour l'Amé-
rique; mais le musée du Luxembourg conserve
d'assez nombreux spécimens de ce bel art drama-
tique, des bronzes comme l'Age d'airain, le Saint
Jean- Baptiste, Bellone, la Vieille Heaulmiére,
Le Baiser, groupe en marbre d'Auguste Kodin M898, musée du Luxcoibourg,.
[V. Suppt. du .\uuv. Lar. ill., p. o3J.
l'Ugolin, sans parler des bustes et des marbres, une
Tête de femme, une Danaïde, la Pensée et le groupe
du Baiser. Une Femyne accroupie est au Palais des
beaux-arts de la Ville de Paris ; un buste en marbre
de Puvis de Chavannes orne, à Amiens, le musée de
Picardie; le musée de Lyon conserve le bronze
d'une Ombre et le marbre d'une Tentation de saint
Antoine.
Quelles que soient, d'ailleurs, les qualités des
marbres de Rodin et malgré l'excellent exemple du
Baiser, il semble que le bronze ait mieux servi
son tempérament fougueux et passionné. Les lui-
sants des reliefs, l'ombre profonde des creux don-
nent à celte matière un aspect vigoureux, qui
s'adapte parfaitement à des œuvres débordantes de
force et d'exubérance. C'est surtout grâce à ses
bronzes que Rodiu se montre de la lignée des
douatellesques : la pierre est bonne pour les go-
thiques; la terre cuite et le marbre conviennent
mieux à Gaffieri, à Houdon, à Pradier, le bronze &
Rude et à Rodin. Un savoir surprenant de réaliste,
mis au service d'un esprit ardent, plein de vitalité,
nourri des meilleures traditions, telles sont les
qualités primordiales de cet artiste.
On ne saurait négliger l'importante suite de ses
dessins. On peut les classer en trois séi'ies princi-
pales : les uns sont exécutés à l'encre et souvent
rehaussés de gouache (l'auteur s'y affirme anato-
miste remarquable et sait avec les moindres indi-
cations donner l'idée des volumes) ; d'autres des-
sins, et non des moins séduisants, sont à la mine
«• 132. Février 1918.
lie plomb et modelés avec une incomparable légr-
reté; enfin, toute une série se compose surtout de
croquis de mouvemeiils très prestement notés au
crayon et rehaussés d'aquarelle. 11 va sans dire que ce
classement n'est pas absolu, mais il peut aider à mieux
distinguer les manières diverses de l'auteur. Rodin
a aussi ^ravé quelques planches à la pointe sèche;
entre autres, des Amours conduisant le monde
et divers portraits d'Antonin Pi-oust, de Henri
liecque etae Victor Hugo. Enfin, ses Entretiens sur
l'art ont été publiés par P. Gsell. — Tristan LeoUri.
I^omanof (Le dernier), par Ch. Rivet (Paris,
1917). — Bien que les événements aient marché en
Russie avec une rapidité effrayante et que l'histoire
d'hier soit déjà de l'histoire ancienne, le livre de
Gh. Rivet garde, néanmoins, tout son intérêt pour
quiconque veut démêler les origines et les causes
profondes du formidable bouleversement dont la
Russie est aujourd'hui le théâtre.
Celte étude — il faut le noler tout d'abord — a
une portée plus grande que ne semble l'indiquer son
titre. Ce n'est point un simple recueil d'anecdotes
sur le dernier tsar et son entourage. L'anecdote
s'y retrouve, certes, mais elle n'apparaît que pour
éclairer ou confirmer des observations d'ordre gé-
néral. C'est toute l'histoire intérieure de la Rus.sie
pendant ces dernières années qui nous est présentée
dans ce volume, avec la physionomie des person-
nages qui y ont joué un rôle et des indications pré-
cises sur les divers partis politiques. Que de nou-
veautés nous sont apprises ainsi, et comme il est
regrettable que certaines d'entre elles n'aient pas
été plus tôt répandues en France !
De Nicolas II on ne connaissait guère que ce
qu'en avaient dit les panégyristes officiels. La figure
que nous olfre Rivet est celle d'un autocrate, entêté
d'absolutisme, d'un esprit mobile et soupçonneux,
toujours prêt à écarter quiconque prenait de l'im-
portance au.x yeux de l'opinion et repoussant les
avis salutaires pour enfermer son égoïste indolence
dans une atmosphère de confiance factice. Avec cela,
dépourvu d'énergie, incapable de prendre une déci-
sion, ouvert à toutes les suggestions de son entou-
rage. Le portrait semble poussé au noir ; à y bien
regarder, cependant, il n'y a rien d'outré: dans l'en-
semble, le caractère de Nicolas II, avec ses tendances
mystiques et son absence de qualités de volonté,
reflile les éléments essentiels du tempérament russe,
tels que les analyse Rivet au début de son livre. La
naissance, l'éducation et le milieu suffisent à expli-
quer les autres aspects de cette figure, qui, malgré
sa complexité, n'a rien d'exceptionnel.
Plus nouvelle pour nous encore est la figure de
l'impératrice, dont Rivet se borne à nous donner
une esquisse discrète, mais suffisamment précise.
Mals-ré ses origines occidentales, elle n'avait pu
échapper à l'emprise de cette cour asiatique, tout
imprégnée d'une religiosité maladive. Elle était h
son tour parvenue à « un état d'exaltation mystii|ue
qui confinait à des troubles pathologiques ». Cette
Il demi-folle » exerçait, pourtant, sur son époux,
timide et indolent, un ascendant exclusif. Au lieu de
s'en servir pour diriger Nicolas vers des idées plus
modernes, elle renforça en lui son étroite conception
de l'aulocratisme. Deux sentiments l'inspiraient :
son attachement àsa patrie d'origine — car elle resta
toujours foncièrement allemande — et son effroi de
la révolution, qui lui faisait voir dans les moindres
revendications populaires une menace pour le trône,
qu'elle voulait à tout prix conserver à son fils. Tandis
que « l'Allemande manœuvrait pour sa patrie pre-
mière, la mère incitait l'époux 4 maintenir le pouvoir
daus ses formes surannées pour le règne k venir de
ce frêle Alexis Nicolaievitch », et le tsar, contraint
de céder par faiblesse et par désir de paix domes-
tique, s'écriait parfois en manière d'excuse : « Ah!
vingt Raspouline, plutôt qu'une femme hystérique! »
Eùt-il eu, d'ailleurs, assez d'énergie pour résister à
sa femme qu'il n'eût pu se soustraire aux sugges-
tions mauvaises de son entourage. La cour, qui avait
perdu tout son éclat depuis la l'évolution de 1905, se
bornait à quelques dignitaires inféodés aux idées
de réaction et, derrière ces personnages décoratifs, se
déroulait le jeu redoutable des influences occultes,
auquel présidait le trop fameux Raspouline. (V. p. 296.)
Notre mental lié d'Occidenlauxeslconfonduedevani
l'incroyable aventure de ce paysan sibérien, ignare et
débauché, qui, après avoir exploité la superstition de
ses congénères et s'être acquis sur de naïves paysan-
nes un singulier ascendant, débarqua en 1904 dans la
capitale, où il se fit sacrer prophète par une coterie
de névrosées, rallia à ses pratiques monstrueuses
une aristocratie dégénérée et finit par s'insinuer dans
l'intimité de la famille impériale, qu'il gouverna à
sa fantaisie. La tsarine fut une de ses plus ferventes
adeptes, et la correspondance qu'elle enlrelint avec
ce moine ignoble et malpropre — Rivet en donne
plusieurs extraits — témoigne d'une efTaranle al)cr-
ralion. Celte histoire vérifie pleinement lajudicieuse
observation de Rivet que, dans la Russie, encore
tout imprégnée d'orientalisme, « le progrès mo-
derne s'est superposé sans transition à des moeurs
médiévales ; le xx' siècle y chevauche le zv* ».
LAROUSSE MENSUEL
La même impression se dégage de l'exposé que
fait ensuite l'auteur du « gouvernement russe
d'hier » : malgré le simulacre d'organisation consti-
tutionnelle, institué depuis 1905, tout le pouvoir
elTectif était concentré entre les mains de la bureau-
cratie. La caste administralive, « machine compli-
quée qui commençait avec les puissants fonction-
naires des chancelleries pour finir par les bas
officiers de police ou les petits scribes des institu-
tions locales », élait la véritable maîtresse des
destinées russes. Que pouvait-on attendre d'une
organisation dont les origines dataient de Pierre
le Grand et dont le principe remontait même à Ivan
le Terrible '? Instrument docile du despotisme, la
bureaucratie ne visait qu'à maintenir le pays dans les
traditions de son
Îiassé; en outre, ja-
ousementatlachée
à ses prérogatives,
elle plaçait avant
l'intérêt supérieur
de la nation l'in-
térêt propre de sa
caste: indolence et
corruption étalent
ses deux caractéris-
tiques principales.
Rivet en signale
une troisième, que
la guerre devait fâ-
cheusement révé-
ler: le gouverne-
ment de Pierre le
Grand et de Cathe-
rine Il n'avait pas
seulementeniprun-
té à la Prusse le
système de son ad-
ministration ; il lui
avait demandé aus-
si tout un person-
nel dontlesdcscen-
dants se relrou-
vaient,liierencore,
parmi les dignitai-
res et les fonction-
naires de l'empire.
Telle était l'omni-
potence de l'Alle-
magne dans tons
les domaines de la
vie nationale russe
qu'un député con-
servateur ne man-
quait pas, en pleine
Douma, de crier &
ses adversaires :
« Vous oubliez ,
messieurs les révo-
lutionnaires, que
Guillaume II est 11
pour vous remettre
en place d'un cou|>
de son poing cui
rassé. «
Etayée sur de
tels principes ,
servie par de tels
agents , toute la
politique russe,
depuis 1905, n'eut
qu'un objet : reprendre au pays Içs demi-libert<J3
accordées sous la pression révolutionnaire. C'est ce
qu'on appela la « politique d'apaisement»; — apai-
sement étant ici synonyme de répression. Tempérée
avec le comte 'Witte, la répression s'exerça féroce-
ment sous Stolypine et ses successeurs; ce fut une
ère de pogroms, d'exécutions, de persécutions na-
tionales et religieuses; sons la direction du comité
réactionnaire des « Cent Noirs », l'on traquait sans
merci toutes les formes de libéralisme, toutes les
aspirations des nationalités. Polonais, Finlandais,
Lithuaniens, considérés comme « sujets de deuxième
catégorie », se virent en butte à de continuelles
vexations. La désagrégation qui se marque aujour-
d'hui en Russie n'est que la conséquence de ces
funestes maladresses. La guerre survenue, la bu-
reaucratie ne se gêna pas davantage pour manifester
ses sympathies allemandes. Son ennemi, à elle, c'était
moins l'étranger que l'ouvrier russe, l'intellectuel,
l'étudiant et toute la masse des nationalités oppri-
mées : Finlandais, Polonais, Arméniens. Aussi se
marquait-il, chez les profiteurs du régime, la peur
d'une victoire trop complète, susceptible de porier
atteinte au principe de la monarchie absolue, en
supprimant l'allié occulle que la Russie réaction-
naire avait dans l'empereur allemand. Toute la con-
duite d'un Slurmer, ses manœuvres en vue d'une
paix séparée, son odieux abandon de la Roumanie
s'inspirèrent de ce sentiment...
Pour lutter contre ces forces malsaines, la nation
ne disposait que d'une représentation illusoire, la
Douma. Rivet étudie et caractérise chacun des
partis qui y figuraient. Longtemps émiettés et voués,
375
par le manque d'entente réciproque et rhoslilité du
gouvernement, à des efforts stériles, les divers partis
— & l'exception de l'extrême droite — se groupèrent
dans un sursaut d'indignation et de patriotisme,
lorsque les désastres de 1915 eurent mis en lumière
les vices du régime. Ainsi se forma le Bloc pro-
gressiste, dont les revendications se bornaient &
demander un gouvernement responsable et une poli-
tique rationnelle, respectueuse des libertés indivi
duellcs et des nationalités. Si modéré que fût ce
programme, si urgent qu'apparût le besoin de ré-
formes, les hommes au pouvoir ne voulurent rien
entendre. L'obstination du tsar, fermé non seule-
mentaux aspirations de son peuple, mais aux repré-
sentations mêmes des membres de sa famille (Rivet
Le dernier Romanof : l'ancien Uar Nicolas H, prisonnier à Tsarskoié-Sélo,
queltjues juurs avant son départ puur Tobolsk.
cite notamment la belle et courageuse lettre adressée
au tsar par son cousin, le grand-duc Nicolas Mi-
khaïlovitch), acheva de lui aliéner les sympathies.
« Le mouvement d'opinion, né d'angoisses patrio-
tiques et purement auligouvernemenlal au début,
devint antidynastique ». La révolution était inévi-
table: on sait comment elle éclata. Avec beaucoup
de précision et de vie, Rivet fait l'historique des
journées fameuses qui aboutirent à l'abdication du
tsar et à la proclamation de la république. Son récit,
néanmoins, n'apporte rien qui ne soit déjà connu.
Par contre, chacun trouvera profita lire et à mé-
diter le dernier chapitre du livre, consacré à 1'.^/-
liance franco-russe. On y verra à quelles erreurs, —
erreurs dont nous payons aujourd'hui la faute, —
nous fûmes conduits par une maladroite conception
de cette alliance. Celle-ci, dans l'esprit de son ini-
tiateur, Alexandre III, ne fut qu'une précaution po-
litique. C'est la nécessité seule, et nullement le
sentiment, qui poussa ce tsar autocrate et réaction-
naire & se rapprocher de la République française.
Les Français ne le comprirent pas: jugeant des au-
tres par eux-mêmes, ils virent dans celle union une
liaison d'amour. Il est vrai — et Rivet a tort de ne
point le mentionner — que, si r.\lliance déchaîna
en France un tel enthousiasme, c'est qu'elle mettait
fin à la secrète inquiétude que nous causait notre
isolement en face d'une Triplice hostile et d'une
Europe indifférenle. Quoi qu'il en soit, on eut le
tort, en France, de ne pas se préoccuper asseï de la
façon dont l'alliance était « pratiquée ». Il se trouva
ainsi que la Russie avait allégé notre bas de laine
d'une quinzaine de milliards, sans qu'on eût songé
376
à lui demander ce qu'elle donnait en retour. Bien
plus, rassurée parnotre désintéressement, la Russie
ne modifia point sa politique : Nicolas II continua
avec les Hohenzollern les relations que le Journal
officiel russe qualiliait de « traditionnelle amitié »;
en 1910, il signait avec Guillaume II l'accord de
Potsdam, qui lui accordait toute liberté d'action en
Perse, mais par lequel, en revanche, les deux puis-
sances contractantes « s'engageaient à ne point faire
Partie d'une combinaison de puissances formée contre
une ou l'autre ». La conséquence immédiale en
fut le retrait des troupes russes des territoires fron-
tières de Pologne, ce qui rendait impossible toute
mobilisation rapide contre l'Allemagne. Et tout cela
se fit sans protestation de notre part... Ce rôle
d'amoureux transi, ne l'avons-nous point, d'ailleurs,
poursuivi durant la guerre même, oii, tout à nos
illusions sur le « colosse russe », nous n'avons
peut-être pas prêté une suffisante attention aux me-
nées dangereuses des gouvernants russes, ni se-
condé assez aclivement les aspirations légitimes du
peuple? Selon Rivet, notre trop grande docilité en-
vers le tsar nous a aliéné bien des sympathies parmi
les partis avancés; il estime — et sa conclusion pa-
raît fondée — que si, mieux conscients de notre
double qualité d'alliés et de créanciers, nous avions
montré plus de fermeté et de vigilance, peut-être
bien des déboires de l'heure présente nous eussent
été épargnés. — F. Guirind.
Huses de guerre. — Stratagèmes permis et
perfidies condamnables. — L'emploi de la ruse
dans la diplomatie, dans la guerre économique et
pendant les opérations de guerre, sur terre, sur
mer et dans les airs. — Qu'entend-on par « ruse de
guerre » ? Tout stratagème qui contribue, au cours
des opérations militaires, à surprendre, dérouter,
tromper ou même démoraliser l'ennemi.
La ruse réussit là où la force échouerait; aussi
a-t-elle toujours été l'âme de la guerre. On n'a
jamais songé à la prohiber; il faut, au contraire,
savoir profiler de toutes les occasions de surprendre
son adversaire, épier ses desseins, les prévenir, le
déconcerter, l'abuser.
La ruse et les lois de la guerre. — Tous les au-
teurs, toutes les lois internationales s'accordent pour
déclarer que l'emploi de la ruse est permis à la
guerre.
Los ruses de guerre et l'emploi des moyens nécessaires
pour se procurer des renseignements sur l'ennemi et sur
le torrram sont considérés comme licites,
dit l'article 14 du projet de Déclaration internationale
concernant les lois et coutumes de la guerre, adopté
par la conférence de Bruxelles (juillet-aoiit 1874).
La ruse (est) permise on guerre comme moyen légitime
et nécessaire et ^Q 'a) rien de contraire à l'honneur militaire,
spécifient les instructions de 1863 pour les armées en
campagne des Etats unis d'Amérique (article 101).
Les ruses de guerre sont considérées comme licites,
répète l'article 24 des conventions II (1899) et IV
(1907) de La Haye.
La ruse est donc un procédé de bonne guerre;
mais c'est à la condition qu'elle soit exempte de per-
fidie.
Les nécessités militaires (disent les intructions améri-
caines de 1863, article 15) autorisent à recourir à toutes
les ruses qui n'impliquent pas une violation des engage-
ments stipulés pendant la guerre, ou qui résultent implici-
tement des lois modernes de ta guerre. Elles admettent la
ruso (ajoute l'article 16), mais condamnent la perfidie.
La ruse ne doit jamais consister dans la violation
de la foi jurée, ni dans l'emploi de procédés dont
l'ennemi ne peut se garer, quelle que soit sa vigi-
lance. (Despagnet, n» 526.)
Dans la mise en action de leurs ruses, les adver-
saires doivent respecter les devoirs imposés par le
droit international. Telle est la règle. (Bonfils et
Paul Faucliille, n" 1073.)
Et cette règle, nous verrons que l'Allemagne l'a
violée au cours de la guerre actuelle, comme elle a
cyniquement violé toutes les règles du droit inter-
national.
Est-il vrai, comme on l'a dit, que l'armement
nouveau se prête moins bien que l'ancien à l'emploi
des stratagèmes et des ruses de guerre, que certains
déguisements deviennent plus miilaisés et certains
trucs beaucoup moins efficaces? Nous ne le pensons
pas. Sans doute, entre la frégate, par exemple, et le
trois-mâls marchand, il y avait jadis si peu de diffé-
rence apparente qu'il apuarriver à Lenoir, le héros
d'Algésiras(1805),alorsqu'ilcommandaitune division
de frégates dans le détroit de Malacca, de prendre
pour une escadre ennemie un convoi, parfaitement
ordonné, de navires de commerce. Une telle mé-
prise n'est plus à craindre aujourd'hui. Mais il faut
dire que les ruses se perfectionnent et se moder-
nisent avec les progrès de la science, qui inspire à
la fois à chaque belligérant les moyens de vaincre
les plus inédits et les plus redoutables et, à son
adversaire, les stratagèmes les plus habiles pour
les déjouer.
Ruses diplomatiques. — La ruse s'exerce dans
tous les domaines : économique, diplomatique, mili-
taire ; sur terre, sur mer et dans les airs. EUe est
LAROUSSE MENSUEL
collective ou individuelle, offensive ou défensive, et
nous la trouvons parfois, dans l'histoire, à l'origine
de plus grands événements. C'est ainsi que la guerre
franco-allemande de 1870-1871 eut pour prétexte un
soi-disant aiïront fait au représentant de la France,
affront relaté dans une dépêche dite d'Ems, fabri-
quée frauduleusement, le 13 juillet, par le prince de
Bismarck, le feld-maréchal de Moltke et le ministre
de la guerre à Berlin, de Roon. Le Corps législatif
français eut, d'ailleurs,le tort de décider de la guerre
sans attendre le récit explicatif de notre ambassa-
deur, Benedetti. Quoi qu'il en soit, la ruse de Bis-
marck, qui, peu de temps avant sa mort, s'en faisait
encore cyniquement gloire, restera dans l'histoire
comme 1 une des perfidies les plus abominables, l'un
des actes les plus déshonorants qu'ait jamais pu
commettre un homme d'Etat.
Le stratagème de la dépêche d'Ems est le type le
plus caractérisé de la ruse diplomaliquedéloyale; il
en est d'autres, qui constituent simplement dès actes
de bonne guerre. C'est ainsi qu'avant l'invasion de la
Serbie par les Austro- Allemands, ceux-ci se servaient
de la malle diplomatique pour faire passer en Turquie
quelques-uns des objets ou produits dont cette puis-
sance avait le plus impérieusement besoin. La Rou-
manie avait dii soumettre, à plusieurs reprises, au
droit de visite les courriers diplomatiques envoyés
d'Allemagne et d'Autriche à Gonstanlinople, à rai-
son de leur poids inusité, faisant supposer qu'ils
transportaient de la contrebande de guerre.
La ruse qui consiste à susciter chez l'adversaire
une guerre civile, ou bien chez un neutre des embar-
ras économiques, pour l'empêcher de fournir des
munitions ou du matériel de guerre à un ennemi,
est-elle licite?
Le président 'Wilson, dans son message au Con-
grès, qui a proclamé, le 3 avril dernier, l'état de
guerre entre les Etas-Unis et l'Allemagne, a repro-
ché sévèrement à la diplomatie germanique ses mé-
thodes dépourvues de franchise et de loyauté depuis
le début de la grande guerre :
Divers procès (a dit lo président) ont prouvé que des
complots lurent organisés et mémo dirigés par les repré-
sentants diplomatiques de rAlleniagne aux Etats-Unis...
Une note, que nous avons interceptée et qui était adres-
sée au ministre d'Allemagne au Mexique, prouve éloquem-
ment que ce gouvernement avait l'intention de susciter
des inimitiés contre nous à notre propre porte.
En Irlande, l'Allemagne a suscité une véritable
guerre civile, qui a été à deux doigts de la réussite.
Kn Russie, elle s'était ménagé des amitiés puis-
santes, qui conspiraient avec Berlin en faveur de
l'établissement d'une paix séparée entre les deux
Empires.
Ces intrigues, ces ruses sont illicites chaque fois
qu'elles ont jiour objet de p .ovoquer des troubles,
des insurrections, la guerre civile ou même des
ennemis extérieurs au belligérant ou au neutre
chez qui elles s'exercent. Mais il va de soi que tout
belligérant peut profiler des troubles et de l'insurec-
tion qui éclatent chez l'adversaire pour en tirer le
parti le plus favorable à sa cause. A cela rien à
redire.
C'est de bonne guerre.
Les fausses nouvelles. — Que faut-il décider,
relativement à la publication, par l'ennemi, de fausses
nouvelles destinées à démoraliser les populations?
Cette ruse peut avoir de grosses conséquences et pro-
duire tout l'efi'et qu'en veut obtenir son auteur lors-
qu'elle s'adresse à des populations envahies ou assié-
gées complètement isolées de leur patrie, ignorantes,
par conséquentide ce qui s'y passe, ou bien encore
lorsqu'il s'agit de propagande exercée dans des colo-
nies ennemies ne pouvant recevoir aucune nouvelle de
la métropole. Les auteurs s'accordent à dire qu'une
semblable ruse est réprouvée à la fois par la mo-
rale et par l'honneur, mais qu'elle n'est cependant
pas interdite par le droit international.
Aussi les Prussiens en ont-ils fait de tout temps
largement usage; ceci est conforme à leur méthode
de guerre, qui consiste à obenir la victoire par la
démoralisation de la population non combattante
bien plus sûrement que parla supériorité des armes.
Dans les guerres de 1793, de 1870 et de 1914, ils
ont multiplié les publications de fausses nouvelles.
G. Lenôtre a raconté récemment comment les Prus-
siens, pour avoir raison, au printemps de 1793, des
20.000 Français bloqués dans Mayence par 80.000 en-
nemis, réussirent, après quatre mois < e siège, à leur
faire parvenir un faux exemplaire du Moniteur de la
fie'puo/içue.imprimépour la circonstance à Francfort
et qui relatait toutes sortes de nouvelles menson-
gères, destinées à montrer à l'héroïque garnison de
Mayence qu'elle avait tort de s'obstiner à défendre
une cause qui n'existait plus...
Au cours de la guerre actuelle, nos journaux ont
maintes fois reproduit des fac-similés de pseudo-
journaux français, tels que le Matin et le Journal,
que les Allemands faisaient distribuer parmi les
populations des régions occupées de Belgique et de
France, afin de propager des nouvelles inventées
de toutes pièces, ou des discours de nos hommes
d'Etat, dénaturés et transformés pour les besoins de
la cause. Les Allemands se sont servis aussi de la
«• 132. Février 1918-
Gazette des Ardennes, journal publié en langue
française et qui truquait les communiqués français.
La diffusion (lit-on dans l'ouvrage de Despagnet) des
fausses nouvelles destinées à démoraliser l'eunemi, pro-
cédé si souvent employé par les Allemands, notamment
pendant les sièges de Metz et de Paris, ne peut pas être
considérée comme une ruse perfide, l'origine même dos
nouvelles devaut mettre en détiance sur leur authenticité.
Il on serait différemment si l'exactitude des nouvelles était
garantie sur l'honneur ou par une déclaration officielle.
Despagnet cite deux exemples d'affirmations men-
songères ayant eu pour efi'et d'induire perfidement
l'ennemi en erreur : peu de temps avant la bataille
d'Auslerlitz, Lannes et Murât s'emparèrent, sans
coup férir, du pont de Spitz donnant entrée àVienne,
en annonçant au prince d'Auersperg, qui le gardait,
qu'un armistice venait d'être conclu, ce qui était
faux. D'autre part, Schwarzenberg tenta d'obtenir
du général Berthier qu'il arrête ses troupes en lui
écrivant qu'il arrêtait lui-même les siennes parce
que les plénipotentiaires avaient signé, la veille, à
Châtillon, les préliminaires de la paix, affirmations
dénuées, également, de tout fondement, et dont le
caractère était nettement déloyal.
Quant aux nouvelles répanuues, à dessein, chez
l'adversaire, par des espions à la solde de l'autre
belligérant et qui ont pour but de semer le décou-
ragement, d'exciter à la rébellion ou même de faire
naître des espoirs exagérés afin de provoquer ensuite
de grandes désillusions, se sont là des ruses presque
toujours inefficaces et contre lesquelles le gouver-
nement peut aisément se prémunir, pour peu que sa
police soit vigilanle et bien organisée.
La ruse dans la guerre économique. — Dans le
domaine économique, la ruse s'exerce sur une vaste
échelle. Tout ce qu'un belligérant, bloqué par ses
adversaires, sur terre et sur mer, peut inventer de
stratagèmes pour forcer le blocus et s'approvisionner
d'articles de contrebande, il est évident qu'il va
s'ingénier à le faire. Ce sont là des ruses tout à
fait licites, — toujours, sous les réserves spécifiées
plus haut. Au nombre de celles-ci, nous devons
signaler: le stratagème du pavillon, qui consiste,
pour un navire de commerce ennemi, à tenter, en
arborant des couleurs neutres, de franchir sans
encombre la zone de surveillance parcourue par les
croiseurs chargés de la police des mers; la dissimu-
lation, sous des marchandises d'apparence inno-
cente, d'objets prohibés ; l'expédition de contrebande
de guerre sous forme de colis postaux, immunisés,
dans la pratique, au même titre que la correspon-
dance trouvée à bord de navires arraisonnés et
déclarée inviolable par la Convention XI de La
Haye (1907) ; toutes les ruses destinées à fcire croire
à la destination sincère et finale en pays neutre d'une
cargaison devant, une fois débarquée, passer en
territoire ennemi; tous les déguisements, toutes les
mises en scène ayant pour but de faire passer la
frontière à des marchandises frappées de confisca-
tion, comme ces avions que l'Allemagne voulait
expédier en Turquie à travers la Roumanie en les
donnant pour du matériel de cirque, etc.
La ruse dans la guerre marilime. — Dans la
guerre maritime, la ruse, la feinte, la surprise
jouent un rôle particulièrement important, et libre
cours est donné aux belligérants, à la condition
qu'ils se conforment à des règles précises dont ils
ne peuvent s'écarter sans violer les lois inlerna-
tionales. Ces règles ont trait à la transformation
des navires marchands en navires de guerre, au
pavillon sous lequel un vaisseau de guerre doit
combattre, aux signes d'inviolabilité établis par la
Con\ention de Genève, aux feux, aux signaux, etc.
1" 11 est défendu à un navire de combattre sous
un faux navillon :
Avant de commencer le combat fdéclare l'article 330,
§ 2 du décret du 15 mars 1910 sur lo service à bord des
bâtiments de la flotte française), lo commandant en chef
fait hisser lo pavillon français sur tous les bâtiments.
Duns aucun cas, il ne doit combattre sans pavillon, ou
sous un autre pavillon que le pavillon national.
Mais, jusqu'à ce qu'il ait affirmé ainsi son inten-
tion de combattre, le navire pet tuser à son gré du
stratagème du pavillon et se servir des couleurs
d'une puissance neutre pour échapper, si possible,
à ses adversaires.
2° Il est interdit d'abuser des signes extérieurs
d'inviolabilité établis par la Convention de Genève,
pour couvrir des actes d'hostilité (convention I^V
de La Haye, 1907; art. 23).
Cette interdiction vise le cas où un transport de
guerre, un croiseur auxiliaire ou même une unité
de la flotte couvrirait du drapeau de la Croix-
Rouge de Genève un service de guerre, pour
échapper aux attaques des sous-marins et des des-
troyers ennemis. L'Allemagne, à maintes reprises,
au cours delà présente guerre, a torpillé des na-
vires-hôpitaux. On sait que, chaque fois, elle a pré-
tendu, pour atténuer la portée de son criine, que du
personnel et du matériel rie guerre se trouvaient à
bord, ce contre quoi les Alliés ont toujours énergi-
quemeiit protesté.
3° La transformation en hante mer d'un navire
de commerce en navire de guerre est également une
ruse dont le caractère perfide n'échappe à personne
N' 132- Février 1918.
et que proscrills convention VII de LaHaye(1907).
L'Allemagne a, cependant, abusé du droit qu'elle
s'est arrogé <Je transformer en pleine mer le carac-
tère des navires lui apparlenant. Sa plus récente
translormalion est celle du mystérieux Mœwe, ce
corsaire qui a tant fait parler de lui au début de
la présente année et qui n'a pu être aménagé en
corsaire de guerre qu'en haute mer. C'est un na-
vire parfaitement camouflé, dont l'agencement est
si ingénieusement combiné qu'il peut se transformer
rapidement en navire à voiles. Il voyage généra-
lement sans pavillon: pour approcher du navire
qu'il veut détruire, il arbore le pavillon anglais
afin d'écarter toute méfiance, et ce n'est qu'au mo-
ment de l'attaque que le drapeau allemand est hissé.
Une cargaison de foin dissimule son armement. Il
a des dispositifs permettant de modifier à volonté
l'aspect du pont, ainsi que des cheminées à cou-
lisses. Ses flancs sont peints de couleurs différentes,
de telle façon que le croiseur qui le voit de tribord
ne le reconnaisse plus lorsqu'il est de bâbord.
Le camouflage d'un navire de guerre est une
ruse permise, pourvu qu'au moment de l'attaque, il
n'y ait pas de doute possible sur sa nationalité et
son caractère hostile.
Les Anglais ont, d'ailleurs, usé avec la plus grande
habileté de déguisements semblables, au cours de
la présente guerre, en armant en destroyers d'hon-
nêtes et paisibles chalutiers, qui, par milliers, l'ont
la pèche aux sous-marins ennemis et patrouillent,
en longues files que rien ne distingue des navires
de pêche ordinaires, promenant des filets si puis-
sants que le submersible qui s'y trouve enveloppé
n'a plus aucune chance de s'échapper.
4" Il est interdit de tirer sur un navire qui amène
son pavillon pour indiquer qu'il se rend, et cepen-
dant, r.Allemagne ne respecte pas celte règle, puis-
qu'elle ordonne de di^lruire, dans tous les cas, le na-
vire que ses sous-marins rencontrent dans ce qu'elle
a appelé la « zone du blocus ». Quant à la ruse
qui consiste à faire le simulacre de se rendre pour
mieux tirer ensuite sur l'ennemi qui s'approche, ou
bien à émettre des signaux de détresse pour mieux
surprendre lennemi qui se porte au secours du si-
gnaleur, il est superflu d'en souligner le caractère
nettement perfide et contraire à l'honneur, ainsi
qu'au droit maritime international.
Par contre, on peut, pour tromper l'ennemi, ma-
quiller la côte, avec ses feux et ses principaux
points de reconnaissance officiels, déplacer les
bouées, s'efforcer, en un mot, d'attirer l'adversaire
sur des écueils, roches ou bancs de sable ; ces
guet-apens sont au nombre des ruses qu'un ennemi
peut se permettre.
Mais voici une question plus délicate : un navire
ennemi peut-il arborer les feux de son adversaire?
On devine que cette ruse donne lieu presque tou-
jours à de terribles méprises, comme le 6 juillet 1801 ,
après le combat d'Algésiras, lorsqu'à la faveur de la
nuit, une forte division franco-espagnole, faisant
route sur Cadix, fut suivie par la frégate anglaise
Thames, qui, ayant su observer la disposition, le
nombre et la couleur des signaux des navires espa-
gnols, en alluma de semblables et en pareil nombre
et put ainsi s'approcher, sans susciter la méfiance,
des plus gros vaisseaux espagnols : Sainle-Ërme-
negilde et Real Carlo. Brusquement, la frégate
anglaise lâcha ses deux bordées sur ces navires, qui,
surpris, désorientés, se crurent mutuellement en-
nemis et se combattirent à outrance jusqu'à ce
qu'enfin, incendiés, ils sautèrent tous les deux.
Une telle ruse n'est, assurément, rien moins que
chevaleresque; mais il est évident qu'il n'y a pas
lieu delà critiquer, pourvu qu'au moment de l'at-
taque, l'ennemi se révèle avec son pavillon véritable
et les feux qui décèlent sa nationalité.
La ruse dans la guerre aérienne. — Ce principe
est aussi celui qui doit s'appliquer dans la guerre
aérienne, en cas de maquillage des avions ennemis.
C'est ainsi que. le 22 mai 1915, un appareil allemand,
maquillé de telle façon qu'il avait toutes les appa-
rences d'un avion français, a survolé Paris à une
hauteurde 2.000 à S.OOOmètreset ajelétrois bombes
sans résultat. II va sans dire que de semblables
déguisements, suivis d'attaques, constituent un acte
perfide au premier chef et doit être impitoyable-
ment dénoncé.
Quant aux ruses par lesquelles les pilotes échap-
f>ent à leurs adversaires ou les abattent en de
oyaux et sublimes combats, elles sont si multiples,
si ingénieuses et, par instants, d'une si folle au-
dace, qu'il e<\. impossible de les décrire ici. La ruse
est, aux mains des aviateurs, une arme redoutable ;
elle est, la plupart du temps, l'âme même de leurs
combats et, si les zeppelins hésitent maintenant à
revenir survoler l'Angleterre, après tant de raids
accomplis, dont les derniers furent désastreux, c'est
parce que nos alliés britanniques ont découvert un
stratagème presque infaillible pour les réduire en
flammes.
La ruse dans la guerre conlinenlale. — La ruse
joue é^'alement, dans la guerre continentale, un
rôle de premier plan. Aussi est-elle soumise à des
règles précises, destinées à écarter les ruses per-
LAROUSSE MENSUEL
fides : celles qui consistent dans la violation de la
foi jurée ou dans l'emploi de procédés dont l'en-
nemi ne peut se garer, quelle que soit sa vigilance.
Ainsi, il est interdit: de manquer à la parole
donnée, de rompre inopinément une suspension
d'armes, de tirer après avoir déclaré se rendre,
de feindre d'être grièvement blessé, pour mieux
frapper celui qui vient vous porter secours,
d'abuser de tous les signes d'inviolabilité des per-
sonnes ou des édifices, de couvrir, par exemple, du
drapeau de la Croix-Rouge de Genève des trans-
ports de munitions, pour faire croire qu'il s'agit
d'ambulances en déplacement, de désigner comme
hôpital un bâtiment afl'eclé au service de la guerre;
de déguiser un train de troupes ou de matériel en
train sanitaire, ou de monter, comme on l'a juste-
ment reproché aux Allemands, des mitrailleuses ou
des canons-revolvers sur des voitures de la Croix-
Rouge ; d'employer abusivement le drapeau parle-
mentaire, ou d'envoyer comme parlementaire un
individu dont la véritable mission est de provoquer
ou commettre un acte d'espionnage; de se servir
des drapeaux, insignes et uniformes de l'ennemi,
perfidie dont les Allemands se sont également rendus
maintes fois coupables, soit en revêtant des uni-
formes de l'armée anglaise, soit en employant,
pour mieux se dissimuler parmi la neige, sur le
front russe, des manteaux blancs, dont les commu-
niqués officiels de nos alliés ont signalé l'apparition
à diverses reprises. Notons ici que l'usage de faux
uniformes peut être jusqu'à un certain point toléré,
pourvu que la ruse cesse dès que la lutte est en-
gagée et que, dans le combat, chaque adversaire se
montre avec son vrai caractère, faute de quoi, les
troupes ainsi déguisées ne pourront pas obtenir
quartier.
11 est également interdit d'imiter les sonneries,
les signaux, les mots d'ordre de l'ennemi. C'est en-
core là un grief qu'on doit faire aux Allemands. La
question, cependant, est controversée. Certains au-
teurs admettent que l'adversaire profite de ces ruses
que les règlements de La Haye de 1889 et de 1907
ne prohibent d'ailleurs point.
Un stratagème odieux, que le droit et la civi-
lisation condanment, consiste à se servir comme
d'un bouclier des prisonniers ou des olages, soit
en les parquant à proximité de la ligne de feu,
pour que l'adversaire ne tire pas, dans la crainte
de frapper ses propres compatriotes, soit en les
faisant marcher devant les troupes, crime que
les Allemands ont accompli fréquemment en 1870
et au début de l'invasion de 1914, en Belgique et
en France.
La dévastation, l'incendie, la destruction volon-
taire des établissements, des édifices et, en général,
de tout ce qui appartient à l'ennemi, sont autorisés,
quand la réussile de l'opération entreprise en dé-
pend. Mais dévaster, détruire, incendier pour le
seul plaisir de nuire, cnnstitueront toujours des
procédés illicites, contraires aux lotsde la guerre.
(Pasquale Fiore, le Droit inlernalional.) Ainsi,
défoncer les routes, faire sauter les ponts, démolir
les canaux, les voies ferrées, jeter bas les poteaux
télégraphiques, ou même tendre des inondations,
comme les Belges, sur l'Yser, sont des moyens de
guerre que l'ennemi qui se replie pourra toujours
employer légitimement, afin de briser l'élan de
l'adversaire et entraver son avance. Mais dé-
vaster, brûler, piller, dans l'unique but de ne laisser
à l'occupant qu'un désert de ruines et de décombres
— ce que les Allemands viennent d'accomplir au
cours de leur retraite sur l'Oise et sur la Sommé,
en mars 1917 — ce n'est plus une ruse, c'est une
faute énorme et sans excuse.
Même enfermée dans ces limites infranchissa-
bles, la ruse ofi're encore à l'initiative des troupes
et de leurs chefs un vaste champ d'action. La guerre
de tranchées et de mines se prête admirablement
aux siratagèmes les plus variés pour déjouer l'ad-
versaire et se défiler à ses yeux. Le paysage est
truqué; les batteries sont devenues invisibles; de
fausses batteries sont disposées à dessein pour que
les avions ennemis les repèrent à la place des vé-
ritables pièces, que nul ne peut voir les parcs de
munitions ont l'aspect de paisibles villages, les
canons, les caissons, les convois sont bariolés de
peinture ou recouverts de bâches dont les couleurs
se confondent avec celles du paysage ; les emplois
delà T. S. F. et du téléphone se prêtent également
à de multiples combinaisons ; des communications
entre frères d'armes sont interceptées, à l'aide d'ap-
pareils spéciaux, par l'ennemi qui en fait aussitôt
son profit.
Ces quelques données, forcément incomplètes,
permettront, cependant, de se faire une idée de ce
que doit être l'emploi de la ruse à la guerre. Nul
n'a jamais songé & la prohiber, sous ses formes si
variées d'embusrades, d'attaques nocturnes, de
fausses manœuvres, de feintes, etc. Ce que les lois
de la guerre condamnent de la façon la plus absolue,
c'est la perfidie, c'est l'emploi de procédés con-
traires à l'honneur ; toutes les habiletés sont permises
à la guerre, mais leur emploi ne doit jamais exclure
la vaillance et la loyauté. — Maurice Dirviu
377
* saccbarine n. f . — Encycl. Cbim. La saccha-
rine, préparée pour la première fois, en 187t, par
Fahiberget Remsen, est, au point de vue chimique,
l'anbydro-ortho-sulfimide benzoïque, ou, par abré-
viation, Ir sulfimide benzoïque :
C-H'(^°)azH.
C'est un dérivé du toluène, carbure extrait du
goudron de houille, d'où le nom impropre de sucre
de houille, qu'on lui donne quelquelois.
La saccharine se présente en cristaux incolores, à
légère odeur d'amande amère, soIublesdansSO par-
ties d'eau à 100° C. et seulement dans lOO à 1 5° C. ;
ces cristaux sont également solubles dans l'alcool,
l'éther, l'acétone, les carbures benzéniques, etc.
Chaufl'ée, la saccharine fond en se décomposant
partiellement à 223° 5 C. Douée de propriétés aci-
des, elle forme, avec diverses ba-es, plusieurs sels
minéraux, dont les plus usuels sont ceux de soude
{saccharine sodi-jue), d'ammonium {sucramine}; le
sel de soude, plus soluble, est, en général, préféré
pour la vente.
Tous ces composés ont un pouvoir sucrant con-
sidérable, encore sensible à la dilution d'un 70.000'.
Pouchet fixe à égalité de poids le pouvoir sucrant
de la saccharine pure de 230 à 300 fois celui de la
saccharose ou sucre de betterave; un gramme de
saccharine, incorporé dans un kilogramme de glu-
cose, donne un produit à saveur sucrée égale à celle
du même poids de sucre. La saccharine sodique a
un pouvoir sucrant environ moitié de la saccharine
pure; notons encore qu'à celle-ci nombre de per-
sonnes trouvent un arrière-goût désagréable.
Naturellement, le pouvoir sucrant de la saccha-
rine devait conduire à fabriquer cette drogue en
vue de la substitut r au sucre vegélal ; peu à p u son
industrie s'était développée au point de produire,
en France, plusieurs tonnes par an, mais les mesu-
res restrictives prises par les divers Etats produc-
teurs de sucre (France, Italie, Allemagne) firent
rapidement abandonner cette fabrication.
Jusqu'aux dernières réglementations (loi du
7 avril 1917, décret du 8 mai 1917), autorisant l'em-
ploi de la saccharine, nous étions soumis, en
France, au régime de l'interdiction absolue d'uti-
liser et même de détenir cette substance, sauf pour
les usages thérapeutiques. La fabrication et la vente
réservées aux seuls pharmaciens étaient sévèrement
contrôlées (lois des 30 mars 1902, 26 décembre 1908,
8 avril 1910 et 19 juillet 1914; décret des 12 mars
1902 et 26 décembre 1908). La saccharine ne servait
guère qu'à donner aux diabétiques l'illusion des
mets sucrés ; elle s'administrait également comme
antiseptique, dans certaines affections mycosiques
de la bouche.
Préparation industrielle. — Parmi les nombreux
procédés publiés pour obtenir la saccharine, nous
ne retiendrons comme véritablement industriels que
ceux prenant le toluène comme matière première ;
ce carbure, extrait des benzols du goudron de gaz,
qui en contiennent environ 25 p. 100, étant une
substance commerciale assez facile à se procurer.
Le travail du chimiste consiste à modifier la mo-
lécule du toluène: C'H'.CH'par des incorporations
de soufre, d'azote, pour arriver à la complexité exigée
pour la saccharine. Nous avons, dans un tableau, ré-
sumé les diverses phases de cette transformation mo-
léculaire, en sui vant deux méthodes différentes {fig.i).
La première phase consiste à chauffer le toluène
avec un mélange d'acide et d'anhydride sulfuriques,
pour former le dérivé sulfoné :
C'H*.(CH'),{SO'H),.
D'après les lois de substitution dans la molécule
benzénique C'H', deux groupes substitués peuvent
occuper respectivement trois positions (^p. 2), dési-
gnées sous les noms d'orlho, de meta ou de para;
or, dans la fabrication de la saccharine, seuls les
dérivés ortho possèdent la saveur sucrée. II importe
de se placer dans les conditions où ceux-ci se for-
ment de préférence, soit de procéder à leur puri-
fication en éliminant les portions de dérivés para
qu'ils peuvent contenir.
La charge de toluène et d'acide est chauffée vers
100° C. dans une chaudière à double fond, en agitant
jusqu'à complète solution d'une prise d'essai dans
l'eau; à ce moment, l'acide, neutralisé par de la
chaux éteinte, laisse nn dépôt de sulfate calcique
insoluble et une solution de sel calcique sulfoné.
Celle-ci, séparée au filtre-presse et addilionnée de
carbonate ae sodium, abandonne un précipité de
craie; la solution, filtrée à nouveau, donne, par
dessiccation, une masse de sel sodique sulfoné *
C«H*.(CH')(SO'Na).
En parlant de cette matière, véritable point de
départ de la fabrication, deux voies conduisent à la
saccharine, en employant les mêmes réactifs dans
un ordre différent, selon que l'on commence la
transformation de la molécule par le groupe CH'ou
par le groupe SO'Na.
Dans la première méthode, l'action du perchlo-
rure de phosphore, PCI', transforme le groupe
SO'Na en SO'CI, par substitution du chlore (Q) au
378
sodium (Na); l'opération étant assez violente avec
le perchiorure solide, on préfère, dans une chau-
dière en grès ou en fonle émaillée munie d'un ré-
frigérant, ajouter au sel sulfoné du trichlorure de
phosphore PGI' liquide et à convertir celui-ci, dans
la chaudière même, en perchiorure, par un»couraiil
de chlore gazeux. On opère, en général, au-dessous
de 110° C, point d'ébuUition de l'oxychlorure de
phosphore résultant des réactions. A la fin de l'opé-
C«H5.CH'
toluène.
^ " V SO^Na
dérivé sulfoné du toluène.
I OU II
Actioa du perchiorure
do phosphore.
Action de rammoniac.
^ *^ \SO'AzH«
[sulfamido toluène).
OzydatipD.
Oxydation.
Action du perchiorure
de phosphore.
•"'" \SO2G
Action do l'ammoniac.
'^°" \S02AzH*
ActioD d'ua acide.
^'" \SO*AzH
par déshydratation.
G«<i[],>Azll«
{Saccharine).
Fin. 1. — Scht^ma întiitiuaDt les modiflcations successives de la
molécule du toluène pour parvenir à la molécule de la saccharine.
ration, cet oxychloriire est éliminé par distillation;
il reste dans l'appareil un mélange dépara et d'ortho
chlorures d'acide toluène suHonique. On procède à
leur séparation en utilisant le fait qu'un refroidis-
sement intense laisse le dérivé ortho liquide, tandis
que le dérivé para cristallise.
Le chlorure ortho, purifié, est ensuite soumis à
l'action d'un courant de gaz ammoniac sec; le
groupe SO Cl devient SO'AzH. La masse contenue
dans un simple bac se prend en concrétions cristal-
lines de sullamidotoluène et de sel ammoniac; un
abondant lavage à l'eau enlève ce dernier, laissant
le composé organique insoluble.
Pour arriver à la sulfimide, la molécule doit main-
tenant être oxydée, le groupe CH' se modifiant, sous
1
I
2
1
/\
II
3
1
4
III
Fig- 2. — Positions possibles des produits deux fois substitués
dans le noyau benzénique : 1, ortho; II, meta; III, para.
l'influence de l'oxydation, en CO.OH; la réaction a
lieu, si l'on fait bouillir le sulfainidotoluène avec
une solution aqueuse étendue de permanganate de
potassium; cet oxydant abandonne du bioxyde de
manganèse en fixant de l'oxygène sur la molécule
organique; peu à peu, par l'ébullition, celle-ci perd
de l'eau en se convertissant en anhydrosulfimide
benzoïque ou saccharine.
Ce composé, resté soluble à l'état de sel de po-
tassium, est précipité par un peu d'acide; le dépôt,
bien lavé à l'eau, est transformé à nouveau en sel
de sodium ou saccharine sodique.
Dans la seconde méthode, l'ordre des réactions
est différent : le toluène sulfoné est oxydé avant de
subir l'action du chlorure de phosphore et de l'am-
moniac; l'avantage de cette marche serait de don-
ner des dérivés ortho et para plus aisés à séparer.
Beaucoup d'autres procédés ont été brevetés pour
obtenir la saccharine : les uns oxydent le sulfami-
dotoluène par action électrolytique, les autres rem-
placent le toluène par l'aldéhyde benzoïque. d'autres
obtiennent directement le chlorure sulfoné par
action du toluène sur la chlorhydrine sulfurique
SO' (OH) (Cl), etc. Mais, quel que soit le procédé
suivi, la saccharine doit être purifiée pour éliminer
les substances para qui diminuent son pouvoir su-
crant et lui communiquent même un mauvais goût ;
cette purification s'elTectue par plusieurs cristalli-
sations dansun carbure benzénique, tel que le xylène.
Mode d'emploi. — La saccharine se vend soit pure,
soiten mélange avec toute substance convenable pour
en faire une masse édulcorante; ces produits sont
livrés sous emballage portant la teneur en saccharine
pure et le nom du fabricant. Le commerce commence
LAROUSSE MENSUEL
à être approvisionné, la mise au point de ces fabri-
cations ayant été retardée par le manque momen-
tané du permanganate de potassium; le prix de
vente au détail est de 3 francs les dix grammes de
saccharine soluble (dont 2 fr. 20 de droits et impôts)
divisés en dix petits comprimés.
Pour l'usage, on dissout trois de ces petits com-
primés dans une cuillerée d'eau tiède. Lorsque
l'effervescence est calmée et la
dissolution réalisée, le tout est
étendu d'eau pour faire un demi-
litre ; une cuillerée à café de celte
solution représente
deux morceaux de
sucre, dose suffi-
sante pour sucrer
'^^J^T^^r
Fig. 3- — Chaudière à bain d'huile et agitateur pour sulloner
le toluène : a, agitateur ; b, bain d'huile ; c, thermomètre.
une tasse de café ou de thé. On peut aussi mettre la
dissolution dans un flacon stilligoutte et en employer
quelques gouttes pour obtenir la saveur désirée.
Le décret fixant l'emploi de la saccharine, l'inter-
disant dans certaines catégories d'aliments, il peut
paraître intéressant de la rechercher; on y parvient
aisément en traitant l'aliment par un mélange
d'éther ordinaire et d'éther de pétrole; la saccha-
rine se dissout dans ce liquide ; on reconnaît sa pré-
sence en chauffant avec quelques gouttes de potasse
caustique: la saccharine se transforme en salicylate
de potassium, caractérisé par la belle coloration
violette donnée avec les sels de fer. — m. MoLimi.
Médecine, — Au point de vue physiologique, la
saccharine se comporte comme un corps inerte,
c'est-à-dire qu'elle traverse l'organisme sans être
assimilée ni altérée et s'élimine en nature presque
exclusivement par les urines, peut-être par le lait,
suivant Bruyiants; elle n'est donc à aucun titre un
aliment et ne jouit pas des propriétés alibiles et dy-
namophores reconnues aux véritables sucres. Non
seulement la saccharine n'a pas de valeur alimen-
taire, mais encore elle paraît, d'après le rapport
des D" Brouardel, G. Pouchet et Ogier, présenté,
le 13 aoiit 1888, au comité consultatif d'hygiène pu-
blique de France, arrêter les actions zymasiques
et troubler le pouvoir digestif de la ptyaline sali-
vaire, de la pepsine et du suc pancréatique, entraî-
nant ainsi, à fortes doses et à la longue, notamment
chez les diabétiques qui en font un usage constant,
des dyspepsies et des altérations gastro-intestinales,
ainsi que l'ont constaté Constantin Paul, Woims et
Pavy. En outre, elle irriterait notablement le rein
et serait ainsi dangereuse particulièrement chez
les personnes, enfants, malades et vieillards, dont
l'émonctoire urinaire est fragile. Les auteurs du
rapport précité reconnaissent cependant que la sac-
charine sodique est beaucoup moins offensive que
la saccharine pure.
Les conclusions de Brouardel, G. Pouchet et
Ogier ont été, toutefois, combattues par nombre
(le médecins et d'expérimentateurs. C'est ainsi que
Aducco et Mosso déclarent que la saccharine n'a
aucune action entravante sur la digestion et que des
chiens elles auteurs eux-mêmes ont pu ingérer jus-
qu'à 5 grammes de saccharine par jour sans éprouver
aucun trouble quelconque; l'expérience, il est vrai,
n'a été que de courte durée (huit jours). De même,
Stephenson, Wooldrige en Angleterre, Andrew
H. Smith aux Etats-Unis, Caparoiii, Felici en Italie,
ont pu administrer la saccharine à beaucoup de
malades sans observer d'effets fâcheux. Pourtant,
tous reconnaissent en même temps le pouvoir an-
tiseptique assez énergique de la saccharine, et il est
bien évident que ce pouvoir ne va pas sans amener
une modification plus ou moins marquée des élé-
ments glandulaires gastro-intestinaux, hépatiques et
rénaux. Tout dernièrement, du reste, Manquât a
«0 132. Février 1918.
noté que les dentifrices à base de saccharine altè-
rent les dents et la muqueuse gingivale et que cette
altération doit également se produire sur les mu-
queuses digestives, quand la drogue est prise à l'in-
térieur pendant longtemps.
Comment concilier des affirmations aussi con-
traires ? Dans son rapport à la société de thérapeu-
tique de Paris (14 mars 1917), G. Bardet remarque
que, jusqii'ici, nous n'avons pas de preuves cer-
taines delà toxicité de la saccharine prise à petites
doses et pendant un temps relativement court, mais
que l'expérience acquise ne nous permei pas d'af-
firmer que l'usage de cette drogue, pi"oloni,'é pen-
dant des mois et des mois et k des doses facultatives,
ne sera pas capable d'influencer défavorablement
les fonctions digestives, hépatiques et rénales, chez
des sujets qui sont en état d'insuffisance, non plus
que chez les enfants dont le foie et le rein sont en
formation.
En résumé, ce qu'il convient de retenir de l'exposé
précédent, c'est que la saccharine, si elle a un
pouvoir sucrant considérable (un peu moins élevé
pour la saccharine sodique, qui est en revanche plus
soluble et moins antiseptique), n'a absolument
aucune valeur alimentaire et peut présenter, à la
longue, un certain danger pour les enfants, les
vieillards et les malades, dont l'estomac, le foie et
le rein sont en état de débilité fonctionnelle.
Or, nous nous trouvons, en France, du fait de la
guerre, dans de telles circonstances, que nous de-
vons, de toute nécessité, restreindre de plus en plus
la consommation du sucre.
Aussi le gouvernement a-t-il songé, dès 1916, à
utiliser les substitutifs du sucre, en tête desquels
se place la saccharine. Et il était encouragé à mar-
cher dans cette voie par le large emploi que font
de cette substance l'Allemagne, l'Angleterre, la
Suisse, etc. Il pouvait, il est vrai, s'efforcer de
vulgariser l'usage du glucose, qui, sans avoir une
saveur aussi prononcée que la saccharose, possède
néanmoins les mêmes propriétés alimentaires que
celle-ci. Mais, outre que nous ne possédons pas de
nombreuses fabriques de glucose, on paraît, en haut
lieu, décidé à réserver le glucose produit à la fabrica-
tion de l'alcool destiné à la préparation des explosifs.
Cependant, le gouvernement ne voulut pas recom-
mander l'emploi de la saccharine, dont l'usage ali-
mentaire était jusqu'ici interdit en France, sans
consulter les corps compétents. Dès le commence-
ment de 1917, la Société de thérapeutique de Paris
s'occupait de cette question et, après une discus-
sion approfondie, elle adoptait les conclusions de
son président, G. Bardet, conclusions qui peuvent se
résumer comme suit :
1* La saccharine ne semble pas réellement toxique aux
doses ordinairement employées, mais on ne peut présager
l'effet d'une consommation prolongée chez les enfants,
les vieillards et les malados.
2" La saccharine sodique, dont les effets irritants sont
moins marqués, doit ècro préférée à la saccharine pure.
3" L'addition d'un millième de saccharine sodique au
glucose parait sans inconvénient et fournit un produit qui
présente les qualités sapides et alimentaires de la saccha-
rose.
40 L'usage de la saccharine doit être interdit pour
la préparation des chocolats, sirops, conserves de fruits,
confiseries, etc., qui ne valent, au point de vue alimen-
taire, que par la quantité de sucre alibi le qu'ils renferment,
puisque la saccharine n'a, par elle-même, absolument
aucune propriété nutritive.
b" La substitution de la saccharine au sucre doit être
interdite dans tous les produits pharmaceutiques et les
aliments destinés aux enfants et aux vieillards ; enHn, les
produits saccharines, mis dans le commerce, devront être
munis d'une étiquette spéciale indiquant nettement au
consommateur la nature de le préparation.
Le Conseil supérieurd'hygiènepubliquede France
a adopté les parties essentielles des conclusions qui
précèdent. A l'Académie de médecine, le 24 avril
1917, G. Pouchet, rapporteur de la commission sur
un projet de réglementation de l'emploi de la sac-
charine, déclarait :
Nous estimons qu'il doit être interdit d'une manière
absolue d'employer la saccharine :
a) Dans les produits destinés à être consommés par
les enfants au-dessous de 15 ans, par les vieillards ot par
les malades ;
b) Dans toute préparation pharmaceutique comme rem-
plaçant du sucre ;
c) Dans tout produit où le sucre entre comme aliment
essentiel ou dans lequel, la saveur sucrée étant très pro-
noncée, la quantité de saccharine à laquelle on devrait
recourir serait très importante.
Le rapporteur énumère ensuite les diverses caté-
gories de produits :
!• Ceux pour lesquels l'emploi de la saccharine peut
être autorisé : vins mousseux, vins de liqueur {à l'excep-
tion des vins destinés à la préparation pharmaceutique),
cidres et poirés, eaux-de-vie. iKjueurs (sauf pour les pro-
duit» destinés à l'exportation), limonades, café et thé
(boissons) ;
2° Ceux pour lesquels l'emploi de la saccharine doit
être interdit : bières et petites bières, boissons de ménage,
boissons de cidre, confitures, gelées, marmelades, fruits
confits et compotes de fruits, pâtisseries fraîches et sèches,
cacaos, sucres et chocolats, lait condensé ;
3» Ceux pour lesquels l'emploi de la saccharine est
interdit, mais qui pourraient, au point de vue alimentaire,
disparaître sans inconvénients r sirops, crèmes, glaces
sorbets, bonbons et pastillages.
«• 732. Février 1B18.
Le l«f mai, les conclusions de Pouchet ont été
volées par l'Acadt'mie sans inodilicalions.
En conséquence, par décret du 8 mai suivant, le
gouvernement autorise l'emploi de la saccliarine
puur la préparation des denrées et boissons désignées
dans le rapport de Pouchet et mentionnées ci-
dessus. [1 oblige ensuite les industriels qui fabri-
quent la saccharine ou toute autre suljstance édul-
corante artidcielle destinée à la préparation des
susdites denrées et boissons à faire, au ministère
du ravitaillement général, une déclaration à l'effet
d'être autorisés à elTectuer cette fabricalion.
Quels seront les effets de ce décret? Ils seront cer-
tainement importants, au point de vue de la diminu-
tion de la consommation globale du sucre, si le prix
de la saccharine, qui est actuellement très élevé,
s'abaisse et si, par suite, l'usage de celte substance
se généralise pour la fabrication des boissons énu-
mén'es plus haut. Mais, d'un autre côté, il est à
craindre que le décret de mai 1917 ne facilite la fal-
sification des denrées : confitures, marmelades, si-
rops, pâtisseries, bonbons, dans lesquelles l'intro-
duction de la saccharine peut constituer un sérieux
inconvénient. Un avenir prochain nous fixera à cet
égard. — D'J. Laumonier.
Sainte-Marie Ferrin (Louis-Jean Sainte-
Marie, dit), architecte français, né à Lyon le
31 août 1S35, mort dans la même ville le 19 juil-
let 1917. Ses études classiques terminées, il choisit
la carrière d'architecte. Les médailles qu'il obtint à
l'Ecole des beaux-arts de Paris, dans l'atelier de
Queslel, prouvent avec quelle assiduilé il suivit les
leçons d'un maîlre dont les connaissances classiques
s'alliaient à un rationalisme qui, pour être moins
absolu que celui de Labrouste, l'apôtre des idées
nouvelles, réalisa, cependant, des œuvres telles que
le musée-bibliothèque de Grenoble, modèle de
logique et d'appropriation.
Son initiation terminée, Sainte-Marie Perrin se
fixa à Lyon, où il devait trouver la notoriété, presque
la gloire, à l'occasion de sa participation à l'exécu-
tion des plans arrêtés par Pierre Bossan pour la
construction de Notre-Dame de Fourvière. Au con-
tact de cet artiste mystique, ses conceptions parti-
culières s'assouplirent, accusant une personnalité
tout d'abord bridée par la tradition. Il s'ensuit que
sa carrière accuse trois phases bien distinctes. La
première, purement classique, va de 1864, date de sa
sortie de l'Ecole des beaux-arts, àl871. Attaché tout
d'abord aux travaux de Ibôtel de ville de Lyon, que
restaurait T.-A. Desjardins, architecte en chef de la
ville, il collabora aux autres importants ouvrages de
cet excellent praticien, devenu bientôt son beau-père.
En même temps, il faisait œuvre personnelle dans
les construclions suivantes : Chapelle du château
lie Dortan (A\n,\&6'i), Eglise de Saint-Ci/r au Mont-
d'or (Rhône, 18B5), Façade de Saint-Bruno des
Chartreux (Lyon, 1869), à laquelle, pour se confor-
mer au style intérieur, il donnait un caractère
xvm» siècle accusé, sans être pour cela un rigoureux
pastiche. Cette même année, il est, par le Service des
bàliments civils, nommé architecte en chef de
l'Ecole vétérinaire de Lyon, dont il était inspecteur
depuis 1868. Les œuvres de cette première période
sont empreintes de classicisme, mais avec influence
visible des idées de Labrouste et du goût de Duban,
dont les profils si purs exerçaient sur lui une séduc-
tion encouragée par son beau-père, élève de ce
maître délicat
La période suivante, qui va de 1871 à 1888, est
caractérisée par sa collaboration avec Bossan, lequel,
plus inspiré que savant, avait reconnu la nécessité
de s'adjoindre, pour l'œuvre considérable que le
vœu des Lyonnais lui permettait de réaliser, un se-
cond aux connaissances techniques certaines. D'ail-
leurs, le mauvais état persistant de la santé de
Bossan l'éloignera d'une façon presque continue
des chantiers lyonriais. Son collaborateur est tenu,
chaque année, d'aller le rejoindre à La Ciotat, où il
s'est retiré, pour la mise au point des parties du
projet dont, le reste du temps, l'exécution sera à
surveiller. Mais que d'idées, que d'aperçus nou-
veaux naissent de ces échanges de vues I Les
conceptions personnelles de Sainte-Marie Perrin s'en
ressentent, èi, pour l'Eglise de Thizt/ (Hhône, 1877),
le Clocher de Véglisede LaMulelière (Lyon, 189i),
il est tenu d'inlerpréter des croquis de Bossan, il
réalise ses propres inspirations dans la construction
(lu Monastère de l'Adoration réparatrice (Lyon,
1876), de celui des Clarisses (Lourdes, 1878), de
VHospice de l'Œuvre de ta Croix (Lyon, 1886);
l'édification des églises de Grézieu (Hhône, 1882i,
de Sain/-//^ajirf (Loire, 1883), de Chapottost (Rhône,
1887); la restauration de V Eglise de Saint-Syrnpho-
rien-sur-Coise (Rhône, 1885).
Avec 1888, c'est la période de maîtrise person-
nelle. Pierre Bossan vient de mourir. Le gros œuvre
de Fourvière est achevé, et l'admirable maître-autel
de Bossan se trouve en place. Mais, cette excep-
tion faite, toute la décoration intérieure, qui doit
exaller le culte de l'Immaculé-Conception et qui est
prévue d'une extrême richesse, reste à exécuter,
même à étudier. Là est l'œuvre propre de Sainte-
LAROUSSE MENSUEL
Marie Perrin, et c'est son mérite d'avoir donné à
cet ensemble une physionomie bien particulière, en
mêlant la tradition au modernisme, sans apparente
contradiction. Une connaissance parfaite de la sym-
bolique chrétienne, familière à sa foi profonde, avait,
certes, fort aidé à ce résultat. Cet effort, J. -L.Pascal,
l'éminent architecte, membre de l'Académie des
beaux-arts, l'apprécie en ces termes, dans la notice
nécrologique qu'il a consacrée à son confrère :
Parois murales, mosaïques, vitraux, meubles, marbres,
sièges, bronzes, etc., portent la marque du symbolisme
cher à ses recherches, à la fois traditionnelles et modernes,
où il essaya, évitant la copie textuelle d'œuvres ancien-
nes, de se montrer cependant fidèleau sentimentreligieux.
Cet effet difiicile vers une unité qu'il cherciia dans toute
sa carrière se traduisit en des combinaisons de (ipures,
d'animaux, de fleurs, de feuillages le plus souvent à très
bas reliefs, dont les effets, les valeurs lui étaient toutes
personnelles, travaillés si consciencieusement qu'il cons-
tituait sur place une sorte d'école pour avoir dans la main
jusqu'à la direction du moindre détail d'exécution.
Sainte-Marie Perrin donnait le dessin de la Chaire
et du Siège épiscopal; il élevait le Ciborium qui en-
cadre le maître-aulel de Bossan et isole la statue
de l'Immaculée-Conceplion dressée au-dessus. 11
composait aussi les si curieux motifs, concis comme
des médailles, du pavement de marbre qui se dé-
veloppe à l'entonr de l'anlel ; il construisait et
décorait l'harmonieux Vestibule Saint-Joseph, des-
tiné à relier la basilique à la chapelle provisoire
que rCEuvre désire conserver. Ainsi, Sainte-Marie
Perrin eut le rare privilège de présider à l'élabo-
ration d'un des plus importants ensembles de
décoration religieuse qui aient été ordonnés au
XIX» siècle et le bonheur de le voir réaliser
Fresque totalement. 11 n'est pas inutile de rappeler
heureux choix de ses collaborateurs : Dufraine et
Millefaud pour la sculpture, Lameire pour les mo-
saïques. Décote pour les vitraux.
Malgré ce grand effort et l'âge qui venait, l'archi-
tecte de Fourvière menait d'autres travaux : mai-
sons particulières à Lyon et région; couvents :
Procure des Missions étrangères (Lyon, 1890),.^ lun^i-
379
L'année 1901 était marquée par une construction
autrement importante : le Grand séminaire de
philosophie de Francheville (Rhône). Tout en res-
pectant les dispositions particulières à un pareil
établissement, en les accusant même avec pitto-
resque, Sainte-
Marie Perrin
lient compte ici,
peut-être pour la
première fois
dans ces sortes
d'édifices, desné-
cessités d'orien-
tation et d'hy-
giène nouvelle-
ment préconi-
sées quant aux
lycées et écoles.
Mention spéciale
doit être faite de
la chapelle, dont
le plan trilobé
groupe trois absi-
des autour d'une
vaste coupole oc-
cupée en son cen-
tre par le maître-
autel. L'absidiole centrale est réservée à l'arche-
vêque, qui, de son siège épiscopal, préside aux itn-
posantes cérémonies particulières au rit lyonnais.
Face à l'autel, dans le chœur, sont les stalles des
directeurs, qu'un strabe sépare d'une courte nef,
destinée au public. Les clercs, groupés en novices
de première et de seconde année, prennent place
dans chacune des absides latérales.
Le Maître-autel de Noire-Dame de Saint-
A ff'rique [Aveyron, 1910), le Sanctuaire de l'église
Saint-Clair (Lyon, 1911) et, dans la même ville,
l'Ecole et la Salle d'asile de la paroisse Saint-
Georges (1912) sont les dernières manifestations
d'une activité que les ans avaient peine à lasser.
Correspondant de l'Académie des beaux-arts de-
Sainte-Marie Perho.
Le vestibule Satat-Josepb, oauvre de Sainte- Marie Perrin, à N.-D. de Fourvière (L]ron;.
nat de Miribel (Isère), Carmel de Dumrétny {Meuse,
1897); églises du Saint-Sacrement (Lyon, 1897),
particulièrement personnelle, de Saint-Sauveur en
Hue (Loire, 1900). Pour celle-ci, le rôle de l'archi-
tecte avait été restreint tout d'abord k la restauration
du vieil édifice, dont l'intérêt historique se rattachait
i. sa consécration par un pape d'Avignon, Calixte IL
Mais les matériaux, désagrégés, rendaient toute répa-
ration vaine. Autorisé alors à les meltre il bas, il
récdifla en granit, avec motifs sculptés en pierre de
■Volvic et dans un style roman, presque romain, un
édifice trapu, en accord avec le site montagneux
d'une région confinant à l'Ardèche. Les archéolo-
gues s'agitèrent. Mais l'œuvre, sobre, aux grands
nus, encadrant quelques vides bien proportionnés à
l'extérieur, aux arcs intérieurs constitués par des
alternances de briques et de clavçaux de pierre ré-
partis en surfaces inégales pour éviter la « rayure »,
plaide victorieusement la cause de l'architecte.
puis 1894, Sainte-Marie Perrin se voyait, en 1916,
décerner ce même titre par l'Institut royal des ar-
chitectes britanniques. Il a fréquemment pris la
plume. On lui doit une étude sur Pierre Bossan et
une autre sur le peintre Borel; la Basilique de
Notre-Dame de Fourvière, son origine, son esthé-
tique, son symbolisme (1896) ; une Promenade à
Fourvière (1897), enfin, une suite de conférences
sur l'archéologie, imprimées dans les « Etudes reli-
gieuses». Il s'y élève en toute occasion contre l'imi-
tation étroite d'un style donné :
L'art a ses climats comme la nature, et toute architec-
ture n'est pas bonne et belle sons tous les ciels... Je passe,
sans chercher à les regarder, devant tous les fiomana pur»,
tous les Treitièmes pur< du xix* siècle : loriginal qui noua
trouble et nous charme contient an soi quelque chose que
nous ne reproduisons pas.
Sa fin a été attristée, certainement abrégée, par
ta mort au champ d'honneur d'un de ses fils, capi-
380
taine de cavalerie. C'est son autre fils, Louis-Joseph-
Antoine Sainte-Marie Perrin, depuis longtemps son
collaborateur, qui lui succède comme architecte de
Fourvière. Né à Lyon le 8 janvier 1871 et élève de
son père et de Huguet, à Lyon, de J.-L. Pascal à
Paris, il a personnellement édifié des maisons par-
ticulières, des villas, agrandi le château de Varam-
bon (Ain) et restauré le château des Portes (Creuse).
Il a aussi donné le dessin de plusieurs tombeaux,
parmi lesquels celui du sculpteur Dufraine, le déco-
rateur de Fourvière, qui repose à Feyzin (Rhône).
11 a écrit pour la collection des « Villes d'art » : Bdle,
Berne, Genève, et publié dans les «Notes d'art et
d'archéologie», les lettres de l' architecte-archéologue
Henry de Geymuller. — Charie» Saunibr.
Virus filtrants (Les). On confond quelque-
rois, sous le nom de virus fillranis, les mici'ooes invi-
sibles et certains micro-organismes très petits qui,
grâce à leur mobilité, passent à travers les filtres les
plus serrés. Ces micro-organismes, spirilles et vi-
brions, vivent dans l'eau ordinaire
k l'état saprophytique et ne parais-
sent pas doués de propriétés patho-
gènes. Quand on dilue les sérosi-
tés ou les cultures renfermant des
microbes invisibles, ils passent avec
ces derniers et cultivent dans le
filtrat, où ils demeurent reconnais-
sahles aux forts grossissements.
Bien que « filtrants », ils ne doivent
donc pas être confondus avec les
microbes invisibles pathogènes, aux-
quels ou doit réserver le nom de
Bi'rus filtrants. — D' J. L.
Zeebrugge, port d'escale et de
vitesse du royaume de Belgique
(prov. de la Flandre occidentale), sur
la côte orientale de la mer du Nord.
Comme les rivagesqui l'encadrent,
comme le littoral néerlandais de la
Zélande, qui la précède au N.-E. et
comme le littoral français qui lui fait
suite au S.-O., la côte belge del» mer
du Nord est basse, plate, rectiligne,
séparée des pays bas de l'intérieur
par de longues rangées de dunes.
Celles-ci, de largeur souvent assez
considérable, fixées au moyen de
graminées traçantes, les oyats, contri-
buent pour une grande part à rendre
inhospitalières les côtes de la Flan-
dre, ou plutôt des Flandres, qui
avancent ici, reculent là, et ne sem-
blent devoir se prêter nulle part à
l'établissement de ports vraiment
dignes de ce nom. Le littoral flamand
possède des ports, cependant; il en
possède même un grand nombre.
Naguère, à la fin du xix» siècle, on
comptait six ports, naturels ou arti-
liciels, entre Calais et l'Escaut, sur
une longueur de 130 kilomètres : Ca-
lais, Gravelines, Dunlierque, Nieu-
port, Ostende et Blanltenberghe, in-
dépendamment des bavres du Hont,
Breskens et Terneuzen.Onen compte
aujourd'hui un septième, celui de
Zeebrugge (Bruges-sur-Mer, Bruges
maritime], dont la fondation est toute
récente; il est situé àl'K. de Bruges,
entre les deux grandes stations
balnéaires de Blanlienberghe à l'O.
et de Heyst à l'E., sur le « front
de mer» desquelles voisinent et se
heurtent des villas de tous les styles.
C'est au désir nourri par les Bru-
geois de renouer les traditions com-
merciales de leur belle et vieille cité que Zeebrugge
doit son origine. Après avoir été, au moyen âge, un
port de commerce très actif, Bruges avait vu peu à
peu ses différentes communications avec la mer s'en-
sabler successivement et son importance décroître
au profit d'Anvers. Ses habitants cherchèrent donc,
k la fin du xix" siècle, les moyens de construire un
nouveau port sur la mer; Zeebrugge est le résultat
de leurs efforts.
Dès le début du xvi' siècle, le dessinateur
L. Blondel avait conçu le projet de relier Bruges k
Heyst par un canal maritime. Mais son idée (à
l'appui de laquelle il avait dressé un plan conservé
encore, avant la guerre, aux archives de Bruges) ne
reçut aucun commencement d'exécution, et c'esten
1877 que reprirent des études abandonnées depuis
près de 250 ans. Après quelques hésitations dues k
la décadence économique dans laquelle était tombée
Bruges, on se décida, en 1890, à construire tout
d'une pièce, à Heyst, un port d'escale pour la navi-
gation de vitesse ; ce port d'escale serait relié au
port intérieur de Bruges par un canal maritime à
grande section, long de 10 kilomètres depuis les
deux bassins de l'Ouest et de l'Est, dont l'ensemble
constitue le port intérieur. Mais il fut décidé que
LAROUSSE MENSUEL
la commune de Bruges ne serait pas, contrairement
aux habitudes belges, propriétaire des ports de
Bruges et de Zeebrugge et que la « Compagnie des
installations mariXimes de Bruges » en serait la
concessionnaire. Celle-ci se mit à l'œuvre aussitôt,
et elle put inaugurer, dès 1906, le port de Zeebrugge
et le canal àgi-ande section de Bruges à la mer.
Le point choisi, comme débouché du canal et
comme emplacement de lavant-port, occupe une si-
tuation hydrographique très lavorable. Il se trouve
k la limite où se rencontrent et se combinent les
actions maritimes proprement dites et l'action flu-
viale de l'embouchure de l'Escaut. Des déplace-
ments de sable, qui caractérisent toute la côte belge,
depuis la Panne jusqu'à Blaukenberghe, ne s'y ma-
nifestent plus guère; la mer y est plutôt envahis-
sante, et les seules vases que l'on y rencontre sont
dues à la proximité de l'embouchure de l'Escaut.
Alors que presque toute la côte belge borde une
mer aux très faibles profondeurs, on rencontre, entre
Heyst et Blankenberghe, une véritable rainure des-
PORT DE
ZEEBRUGGE
cendant à 7 et 8 mètres, la fosse de i'Appelzak, sé-
parée par le plateau du Zand — un haut-fond de
6 mètres — de la passe des Wielingen, qui aboutit
à l'Escaut et dont la tenue est excellente. Enfin, ce
même point de la côte belge est couvert en partie,
vers le N.-E., par les bancs et par les îles néerlan-
daises; c'est seulement du côté du S.-E. et du S.
que soufflent les vents les plus violents et que
viennent les tempêtes. Il y a donc là, incontesta-
blement, un ensemble de conditions propices à la
fondation d'un port; aussi les Brugeois se sont-ils
décidés à en tirer parti.
Au point qu'ils ont appelé Zeebrugge, où les
dunes n'ont qu'une épaisseur relativement faible,
ils ont donc construit un port absolument artificiel;
comment eût-il pu en être autrement, sur ces rivages
rectilignes, sans abris naturels, aux coups de mer
violents? Ce port se compose de deux parties : un
arrière-port, long de 660 mètres et large de 98, avec
bassin d'évolution et darses, puis, de l'autre côté de
l'écluse qui met l'arrièreport en communication
avec la mer, un chenal d'accès avec bassin d'écbonage
et un avant-port, qui est en réalité l'élargissement
final du canal de Bruges à la mer du Nord.
C'est cet avant-port qui est le port d'escale de
«• 132. Février 1918.
Zeebrugge; il a été aménagé de manière à assurer,
avec le maximum de rapidité, le transbordement des
voyageurs et des colis de vitesse. La rade qui le
compose, d'une superficie de 138 hectares, est pro-
tégée par une longue jetée courbe, qui s'enracine à la
côte à mi-chemin de Blankenberghe et de Heyst, puis
s'avance en pleine mer, pour s'infléchir ensuite peu à
peu et devenir parallèle au rivage à une distance d'un
Kilomètre de la laisse de basse mer. Cette jetée, lon-
gue de 2 kilomètres et demi et terminée par un mule,
est la partie la plus remarquable des constructions du
port. D'abord pleine sur l'estran, elle est ensuite à
claire-voie (à partir de la laisse des basses mers) sur
une longueur de 300 mètres, afin de faciliterla circula-
tion des courants de marée et d'atténuer les dépôts
de vase qui pourraient se former dans la rade. Plus
loin, la jetée redevient pleine : elle protège le terre-
plein de déchargement qui porte les voies, les han-
gars, les grues, tout l'outillage mû par l'électricité,
lin prévision des violentes tempêtes, cette jetée a
sa base formée de gros blocs monolithes en béton,
et son corps même est surmonté
d'un mur d'abri, également en bé-
ton, qui s'élève jusqu'à 8", 50 au-
dessus des hautes marées. Concen-
triquement à elle, et séparés d'elle
par le terre-plein de déchargement,
les quais se développent sur une
longueur de 1.800 mètres.
Une profondeur de 8 mètres règne
dans la rade sur la moitié de cette
longueur; ailleurs, ce sont des fonds
plus considérables encore : 9™, 50 et
même 11™, 50, nécessités parles voya-
ges des nouveaux long-courriers de
vitesse, qui ont un tirant d'eau de
11 mètres. Pour faciliter à de tels
navires l'accès du port de Zeebrugge
à toute heure de marée, une passe
longue de 3 kilomètres et large de
400 mètres a été creusée à travers le
haut-fond du Zand et relie les profon-
deurs de I'Appelzak à celles des
Wialingen.
Voilà comment et au moyen de
quels travaux a été créé le port de
Zeebrugge, auquel, avant la guerre,
on pouvait prédire un bel avenir.
Quelques établissements industriels
s'étaient déjà fondés dans ses alen-
tours, des fours à coke y avaient été
construits, et une « Société Sol vay » y
faisait la récupération des sous-pro-
duits de distillation de la houille.
D'autre part, le courant de transports
qui s'engoultre dans le pas de Calais
depuis les ports de la mer du Nord
passe devant Zeebrugge, où les navi-
res trouvent la possibilité de s'arrêter
sans faire des trajets inutiles ni des
rebroussements, sans subir des re-
tards, par conséquent. En outre, grâce
à des voies ferrées desservies par des
trains rapidesconduisant à l'intérieur
du pays, les voyageurs, les marchan-
dises de prix, les correspondances
sont transportés sans retard à leur
lieu de destination ; de leur côté, les
marchandises lourdes et encombran-
tes y accèdent aussi, mais moins vite,
par le moyen du canal d'Ostende à
Bruges, qui s'ouvre au fond du bas-
sin del'Ouest et dans le port intérieur.
Aussi, Zeebrugge avait-il commencé
k faire une heureuse concurrence à
Ostende et à Flessingue.
Depuis la guerre, ou plutôt depuis
la conquête de la Flandre occidentale
par les Allemands, Zeebrugge, qui
fut occupé en même temps que Bruges (au milieu
d'octobre 1914), a cessé de jouer son rôle de port
d'escale et de vitesse; mais, en raison de sa pro-
ximité des côtes anglaises et de la nature de
son aménagement, il a servi de base à des sous-
marins et à des destroyers, qui y sont en pleine sé-
curité. D'une part, en effet, les dunes de la côte
permettent de dissimuler des pièces de canon et
rendent facile la défense du port contre des attaques
venues de la mer; d'un antre côté, les faibles pro-
fondeurs qui régnent presque partout dans ces
parages de la mer du Nord sont loin de faciliter ces
mêmes attaques; enfin, en cas de menace, les bâti-
ments allemands peuvent, grâce au canal maritime, se
retirer jusque dans le port intérieur de Bruges, où ils
n'ont plus à craindre que des bombardements aériens.
Voilà pourquoi, malgré leur ardent désir de chasser
les Allemands du port de Zeebrugge, les Anglais n'y
sont point encore parvenus; ils ont dû se contenter
jusqu'à présent d'en bouleverser les installations et
d'en détruire les dépôts au moyen d'expéditions
répétées d'avions et d'hydravions. — h. FaoïDEVioi.
Parti. — Imprimerie Larousse (Morcau, Auge, Oilloo et €<•).
17, rue Montparousa. — Le gérant : L. Qroslbi.
I
I
I
La Forêt. (Lts Renards.)
N" 133. — Mars 1918
Académie des beaux-arts. Election de
Henri Martin. — Le 20 novembre 1917, l'Académie
des beaux-arts a procédé à l'élection d'un membre
dans la section de peinture, en remplacement de
Gabriel Ferrier, décédé.
Le nombre des votants était de 32. Il y a eu
cinq tours de scrutin et, successivement, les voix
se sont ainsi réparties: Henri Martin 9, 13, 15, 15,
17; Déclienaud 5, 7, 10, 11, 13; Wencker 4, 0, 0,
0, 0; René Ménard 2, 6, 6, 6, 2; Schommer 2, 3,
0, 0, 0; Lecomte du Nouy 2, 1, 1, 0, 0; Dawant 2,
1, 0, 0, 0; Muenier 2, 1, 0, 0, 0; J. Bail 2, 0, 0,
0, 0; Priant 2, 0, 0, 0, 0.
Henri Martin est déclaré élu. CV. p. 400.)
Académie des inscriptions et belles-
lettres. Election de l'abbé J.-B. Chabot. — Le
16 novembre 1917, l'Académie des inscriptions et
belles-lettres a procédé à l'élection d'un membre or-
dinaire, en remplacement de Michel Bréal, décédé.
Le." candidats à ce fauteuil étaient, par ordre alpha-
bétique: Bémont, directeur d'études à l'Ecole
pratique des hautes éludes; J.-B. Chabot,
membre de la commission du Corpus des ins-
criptions sémitiques; Delachenal, archiviste-
paléographe; Dorez, bibliothécaire au dépar-
lement des manuscrits de la Bibliothèque
nationale; Huart, professeur de persan à
l'Ecole des langues orientales; Mâle, profes-
seur d'histoire de l'art à la Faculté des lettres
de Paris ; Meillet, professeur de grammaire
comparée au Collège de France; Michon,
membre du Comité des trav;iux historiques
et scientifiques; Vernes, directeur d'études à
l'Ecole pratique des hautes études.
Le nombre des votants était de 32. Quatre
tours de scrutin furent nécessaires. Les can-
didats obtinrent successivement: Bémont, 4,
5, 2, 0 voix; Chabot, 3, 10, 14, 19; Dela-
chenal, 3, 0, 0, 0; Dorez, 3, 1, 0, 0 ; Huart,
1. 0, 0, o; Mâle, 8, 4, 3, 1 ; Meillet, 4, 6, 11, 12;
Michon, 4, 6, 2, 0; Vernes, 2, 0, 0, 0.
L'abbé J.-B. Chabot est déclaré élu. CV. page 386.)
Election de Charles-Victor Langlois. — Dans
la même séance, il fut procédé à l'élection d'un
membre ordinaire, en remplacement de Noël Valois,
décédé. Les candidats en présence étaient, par
ordre alphabétique : Glotz, chargé du cours d'his-
toire moderne & la Faculté des lettres de Paris;
Huart; Langlois, directeur des Archives nationales;
Liolh, professeur de langues et littérature celtiques
au Collège de France, Jules Marlha, professeur
d'éloquence latine à la Faculté des lettres de
Paris.
Le nombre des votants était de 32 ; il y eut deux
tours de scrutin. Les candidats obtinrent : Glotz, 5,
3 voix; Huart, 6, 5; Lariglois, 8, 17; Loth, 6, 2;
Martha, 6, 5. Au premier tour, il y eut, en outre,
un bulletin blanc.
Charles-Victor Langlois est déclaré élu. (V. p. 398).
LAROUSsn MENSUEL. — IV.
œtlioprore n. m. Nouveau genre de poissons
téléostéens, du groupe des malacoptérygiens et de la
famille des myctophidés.
— Encycl. Ce genre, détaché du genre scopelus,
qui comprend vingt espèces, est caractérisé par un
corps oblong, coiiipriiiié latéralement, couvert de
larges écailles, plus grandes le long de la ligne
latérale. La tête est comprimée, le museau obtus et
court. Les mâchoires sont égales, l'inférieure un
peu projetée en avant. La nageoire dorsale est mé-
diane, très élevée, presque triangulaire. Les pecto-
rales sont petites, placées très bas. La nageoire
adipeuse est allongée et proéminente. Une sorte de
gland lumineux est placé en avant de la tête, entre
les deux yeux. En outre, on trouve une tache lumi-
neuse en avant du préopercule. Ce genre porte, comme
les autres myctophidés, des petits organes lumineux
arrondis, ou photophores, qui sont groupés en bas sur
les côtés du corps. Leur nombre et leur disposition
servent à caractériser les trois espèces du genre.
L'aB/Aoprocameiopociom/ja porte quarante écailles
.Stboprora effiilgeDs.
le long de la ligne latérale, tandis que les deux
autres {œthoprora luciila et setkoprora effulgens)
en ont trente-cinq ou trente-six.
La première espèce, caractérisée par la hauteur
de son corps en avant, par la grandeur de son gland
lumineux, l'insertion de ses nageoires et la petitesse
de ses photophores, a été pêchée dans le détroit de
Messine. Mais elle se rencontre très rarement dans
la Méditerranée.
Lœthoprore lucide, un peu plus long, avec une
tête plus obtuse, n'est connu que par un seul spéci-
men, dragué dans l'Atlantique par l'expédition de
l'ei Albatros », par 1.639 brasses de profondeur.
Dans l'œlhoprore brillant {mthnprora e/fulgens),
la tête et le corps représentent environ le quart de la
longueur totale. La tète est plus longue que haute.
Le museau, très court, très obtus, porte un énorme
gland lumineux, arrivant à l'orbite, et un maxillaire
inférieur. La première nageoire est placée plus en
avant que les ventrales. L'arrangement, la dispo-
sition des photophores, est tout à fait particulier à
l'espèce. Entre l'opercule et l'insertion de la nageoire
pectorale, se trouve une large plaque triangiilaire
lumineuse.
On connaît deux spécimens de cette espèce : l'un
trouvé dans un estomac de morue, l'autre capturé
par l'expédition de 1' « Albatros » dans l'Atlantique,
par 1.639 brasses de profondeur. — A. MiiiÉo»ni.
Angoisse de guerre. Sous les noms d' « an-
goisse de guerre », « anxiété de guerre », « états
anxieux », « névrose d'angoisse », etc., on a décrit
des états pathologiques qui peuvent se ramener à
deux grands types distincts: l'un, très léger, n'affec-
tant que superliciellement le psychisme de l'indi-
vidu atteint et qui a été observé dans la population
civile; l'autre, plus grave, constituant une vérilal/.a
psychose, dont les exemples ont été étudiés parmi
les soldats du front.
Le premier type, répondant plutôt à une névrose,
a été signalé par de nombreux médecins et exposé
de façon complète par Rénon. C'est, dit-il,
une maladie des civils en relation avec l'état
de guerre. On l'observe surtout chez des par-
ticuliers ayant des parents en un endroit
exposé de la zone des armées, chez d'autres
dont la situation a été très fortement ébran-
lée ou modifiée par le cataclysme, chez des
réfugiés, des craintifs, des hommes qui ont
vécu dans des villes bombardées, etc. Tous
ces sujets sont, on peut le dire, des nerveux
à tares arthritiques et, chez beaucoup d'entre
eux, il existe un certain degré d'alcoolisme,
qui semble avoir été, h tout le moins, pré-
disposant. Les signes sont à la fois psychiques
et somatiques. L'anxiété est le fond des pre-
miers; elles'exagère aumoindreincident venu
du dehors : sonnerie de téléphone, arrivée d'un
télégramme, bruit anormaldans la rue. 'i'outcela
semble, pour l'anxieux, l'annonce et le début
d'une catastrophe. En même temps, il y a des signes
cardio-vasculaires, consistant notamment en tachy-
cardie (rapidité du pouls), abaissement de la pres-
sion sanguine, puis inappétence et, surtout, insomnie
rebelle, qui a souvent été le premier signe révéla-
teur et qui .résiste à toutes les médications accou-
tumées. On note encore des battements aortiques
dans la région ép'gaslrique, l'exagération des ré-
flexes (achilléen et rotulien), de l'aneslhésie cornéenne
et pharyngée, du dermographisme (ligne blanche).
Le tout parait constituer une névrose à prédomi-
nance vaso-motrice, un déséquilibre de l'influx
nerveux dans le domaine du sympathique. Il est &
remarquer que cet état, qui paraîtrait très normal
chez des sujets naturellement peureux et s'il appa-
raissait & l'occasion de menaces sérieuses, comme
une percée du front, un raid aérien, etc., se mani-
feste tout aussi bien chez des gens naturellement
courageux et dont l'anxiété est déclenchée par des
incidents d'imponance médiocre ou nulle.
382
Ces troubles pathologiques semblent de peu de
gravité, malgré qu'il soit assez difficile de les faire
disparaître. Quelques-uus ont, cependant, vu leur
succéder de véritables vésanies (Dubois de Saujon).
Le traitement sera il la fois psychique, pliysiolhé-
rapique et médicamenteux. La physiothérapie con-
sistera surtout en balnéation ; la thérapeutique médi-
camenteuse fera appel à plusieurs remèdes, parmi
lesquels on doit citer, d'après Rénon, le saule blanc
et le bromure de calcium. Il est à noter que les
hypnotiques coutumiers n'ont aucune action sur ce
genre d'insomnie.
Le second type, qui s'apparente évidemment aux
psychoses, a été observé, disions-nous, chez les
soldats du front. Il nous semble bon d'en décrire un
Sarcophage du v« siècle (mausolée de Gajla Placidia, à Ravenne). — Le Christ dans sa gloire (repré-
senté par l'agneau, syintjole des fidèles), sur le rocher d'où sortent les quatre lleuves du Paradis
terrestre, dont les deux palmiers symboliques sont l'image conventionnelle. (Les deux autres agneaux
représentent les apôtres.)
type moyen, un peu particulier, qui a été bien
éludié par Mercier et Mallet. L'ang-oisse, chez les
hommes dont ils parlent, se manifeste sans aucune
cause commolionnelle ou émotionnelle appréciable,
ce qui la distingue de la plupart des troubles men-
taux de guerre. On la voit même apparaître chez
des sujets qui ne semblent nullement prédisposés.
Cet état est également différent des états mélanco-
liques, psychasthéniques, confusionnels, etc. L'an-
goisse en est le signe prédominant et parfois unique.
On note, néanmoins, au début, une période d'incu-
balion caractérisée par de la fatigue, de l'inappé-
tence et de l'insomnie. L'anxiété indéfinissable qui
marque la période d'état fait que le malade se sent
tourmenté, inquiet, sans pouvoir invoquer de cela
une cause valable. Chez les sujets les plus légère-
mentatleints, tout se réduit à celle symplomatologie
fruste: angoisse et insomnie, et l'accident évolue ra-
pidement vers la guérison, qui arrive spontanément
au bout de quelques jours de repos à l'hôpital. Dans
une seconde catégorie de faits, on voit succéder à
cette première période une phase de doute morbide :
le malade se croil accusé, insulté, il se défend d'êlre
coupable, il demande ce qui va lui arriver, craint
LAROUSSU MENSUEL
des classifications détaillées de ces anxiétés. Lépine
donne, des étals successifs par lesquels peut passer
l'anxieux, des descriptions qui peuvent se résumer
ainsi qu'il suit.
On noie d'abord, chez certains sujets déprimés
par le séjour aux tranchées et ses souffrances : froid,
insomnie, fatigue, danger, etc., un état d'insécurité
pénible et de souffrance morale vague, exagéré par
l'obscurilé. Si un chef énergique et sachant se faire
écouler reprend en mains le soldat, tout peut en
rester là. Si, au contraire, rebuté par le major,
incompris par ses officiers, l'homme reste avec ses
idées anormales, il est susceptible tout d'abord de
succomber à certaines impulsions, surtout au pelit
jour, qui l'amèneront à la mutilation volontaire, à
la fugue, au suicide.
L'affection contiuue-
t-elle à évoluer, on voit
naitreledélireanxieux,
qui débute parfois par
des auto-accusations.
Comme cause détermi-
nante, chez les mala-
des qui débutent par
cette phase, on note
souvent une déconve-
nue de carrière ou de
service, une blessure
légère, les souffrances
de la captivité (offi-
ciers rapatriés d'Alle-
magne), etc. C'est là
que pourraient se pla-
cer les sujets décrits
par Mercier et Mallet,
la crainte première de
ces anxieux étant celle
des sévérités de la dis-
cipline militaire, de
responsabilités chimé-
riques entrevues, etc.
Lépine tient que nulle
suggestion n'a de prise
sur des malades de
ce genre, qui existent
même dans la zone de
l'intérieur. 11 signale
chez eux des troubles physiques consistant en baisse
de la température et de la pression artérielle et
diminution des sécrétions.
Enfin, le même auteur parle des délires aigus
anxieux se terminantpar la mort. On a déjà signalé
des soldats pris de terreur au moment d'une attaque,
semblant incapables de sortir de leur tranchée et qui,
désirant faire leur devoir quand même, tombent
morts en marchant àl'ennemi, sans qu'on puisse ulté-
rieurement retrouver la moindre blessure sur leur
corps. Ne peut-on en rapprocher ces angoissés, pris
soudain d'une « anxiété violente, avec gémisse-
ments, terreurs paniques, oppression respiratoire,
ci-Kur rapide et comme affolé u ? On voit les traits
se décomposer, le refus d'alimenls se faire absolu,
l'agitation motrice devenir incessante, l'insomnie
s'établir de façon implacable et, finalement, le ma-
lade mourir par syncope en deux ou trois jours.
On voit que toutes les variétés peuvent exister
dans celte classe de maladies, de même que toutes
les gravités dans leur pronostic. Au reste, si l'on
voulait examiner la psychologie du blessé de guerre,
même normal, on y trouverait souvent un certain
degré d'angoisse, notamment lorsqu'il a quitté le
L'Adoration des Mages, mosaïque du vi« siècle. (Nef de Saint-Apollinaire-le-Neuf. k Ravenne.)
d'être fusillé, etc. Enfin, dans un troisième groupe,
on trouve des sujets qui deviennent délirants, ont
des hallucinations, des rêves, etc. Dans tous ces cas,
la terminaison est heureuse. On note que l'anxiété
arrive par crises, par véritables raptus, séparés par
des périodes de calme, au cours desquelles le sujet
se remet en confiance et même se rit de ses idées,
de ses craintes et de ses hallucinations.
D'après certains auteurs, il sied de ne pas borner
à cette catégorie de malades les angoisses déclen-
chées par la guerre chez les combattants. Devaux
et Logre, qui les ont bien étudiés, font déjà rentrer
dans les anxieux les peureux véritables et établissent
champ de bataille. Il est fréquent que ces hommes,
qui viennent de combattre avec une bravoure parfois
téméraire, soient pris, lorsqu'ils ont quitté le lieu
de la lutte, d'une anxiété soudaine, qui leur fait
redouter des dangers fort minimes au regard de
ceux qu'ils viennent d'affronter.
Peut-être pourrait-on également trouver un lien or-
ganique entre ces différents états psychiques, qui vont
de la dépression psycho-physique au délire. 11 est re-
marquable que l'on trouve chez tous ces malades de
l'inappétence, de l'insomnie, de l'asthénie musculaire
(sensation de fatigue exagérée), de l'hypotension et
que plusieurs auteurs aient signalé, dans des castres
«• 133. Mars 1918.
différents, l'existence de la ligne blanche dermogra-
phique. Il y a, dans cet ensemble, des signes qui rap-
pellent nettement ceux de l'insuffisance surrénale.
Léri a, d'ailleurs, montré qu'à l'autopsie d'aliénés
morts dans un état mélancolique anxieux, on ren-
contrait souvent des lésions, parfois très impor-
tantes, des capsules surrénales. — D' Henri BoDaunT.
A.irt chrétien (L')[Paris,191S].—LouisBréhier
est l'un de nos médiévistes les plus justement ré-
pulés. L'histoire ecclésiasliqueet l'histoire byzantine
l'ont tour à tour sollicité, et les éludes que, depuis la
guerre, il a consacrées à nos grandes basiliques l'ont
amené à tenter une synthèse non encore jusqu'ici
réalisée : l'étude d'ensemble de l'art clirétien. Le
sujet est immense : Mâle n'a-t-il pas déjà con-
sacré un volu-
mineux in-4° à
ht seule élude de
l'art religieux
au xiii= siècle ?
Mais la difficulté
de l'œuvre est
compensée, et
amplement, par
son intérêt. On
s'en rend compte
en lisant l'œuvre
de Louis Bré-
hier, œuvre soli-
dement charpen-
tée, élayée par
une documenta-
tion d'une grande
richesse, qui sou-
vent est une do-
cumentation de
première main
( l'auteur ayant
lui-même con-
sulté les sources,
c'est-à-dire les
monuments et
œuvresd'art eux-
mêmes), enri-
chie de belles
reproductions de
ces œuvres d'art,
dont un grand
nombre inédites.
Une s'agit pas
d'une fastidieuse
énum ération
d'artistes ou de monuments, ni d'étudesdela technique
architecturale ou picturale, comme on en trouve trop
souvent dans les ouvrages d'histoire de l'art, mais de
la démonstration d'idées générales habilement choi-
sies, qui doivent faire comprendre les rapports entre
le dogme chrétien, la foi chrétienne, les idées et les
aspirations des hommes du passé et leur représen-
tation figurée.
Celte étude de
l'iconographie
chrétienne est
une élude du sen-
timent religieux,
pris dans l'accep-
tion la plus large.
Qui l'aura lue au-
ra parcouru l'une
des plus intéres-
santes étapes de
l'iiistoireintellec-
tuelle et morale
de l'humanité.
L'art chrétien
a eu son enfance
balbutiante, son
adolescence, sa
triomphante jeu-
nesse, sa matu-
ritéetsadécrépi-
tude. L'enfance,
c'est l'art primi-
tif, qui, dui»' au
w" siècle, s'est développé dans les crjples et les
catacombes. « Soit à l'aide de signes mystérieux,
soit par des représentations figurées qui n'ont de
sens que pour les initiés, il cherche à exprimer les
espérances des âmes dans la venue duroyaume de
Dieu ». Représentations et signes (croix, ancre,
monogramme du Christ, poisson symbolique, ornent
surtout tombeaux et sarcophages. Ainsi, l'art primitif
chrétien a, comme l'art égyptien (avec lequel sa tour-
nure encyclopédique et ses préoccupations morales
lui don lient plus d'un rapport), une origine funéraire.
Avec ledit de Milan, qui amène la renaissance du
christianisme et bientôt son triomphe, l'art chrétien
entre dans une phase nouvelle : religion officielle
à l'égal du paganisme et bientôt religion d'Etat, le
christianisme élève partout, et particulièrement à
Rome, Jérusalem, Constanlinople, de somptueuses
basiliques. Loin de se dissimuler dans les cryptes
ou les tombes, l'art chrétien s'étale glorieusement
Le Bon Pasteur (m* siècle).
Musée impérial (Constantinuple).
Croix sculptée (v» siècle).
Crucilixion symbolique (l'Agneau).
Musée national (Ravenne).
W 133. Mars 1918.
au grand jour. Il dispose, pour se iimnifesler, detous
les moyens nialériels dont disposait auparavanHarl
païen et de toutes les ressources d'une habileté tech-
nique df'S lors vulgarisée. C'est avec joie que les
chrétiens mettent toutes ces richesses au service
de la foi nouvelle, avec plus de joie qu'ils se rappel-
lent ses commeucements difficiles. Et d'abord en
Palestine, puis dans tout le monde romain, « des
représentations d'un caractère hislorique sont substi-
tuées aux symboles un peu abstraits de l'ail des cala-
combes ». .\'alivité, Adoration des mages. Ascension
ornent ces églises.
Au caractère historique de l'art chrétien d'alors
se mêle intimement le caractère apologétique. 11
s'agit de montrer à tous, de la façon la plus éclalanle,
<i le triomphe de la vérité sur 1 erreur «. Peintures,
bas-reliefs, somptueuses mosaïques iriontrent le
Christ vainqueur du mal, foulant aux pieds le dra-
gon ou, surtout, le « Christ de majesté •>, empereur
céleste, siégeant dans les nuées sur le trône de
Constantin, La croix, qui apparaît seulement à
celle époque, est non le symbole des souffran-
ces de l'homme, mais le symbole de la victoire
du Dieu : croix toute resplendissante de pierreries,
croix tenue fièrement comme un sceptre par le
Christ imperator.
Hosannah, cantique de gloire et de triomphe
par son inspiration, mais hellénique par sa fornip
comme toutes les œuvres artistiques de lépoque.
tel apparaît, du iv« au vi« siècle, l'art chrétien
dans tout le monde civilisé. A partir du vi' siè-
cle, cette belle unité est rompue. La politique,
la religion, les mœurs, tout rpn.<emble d'une
civilisation sépare lOrient romano-grec, réuni tout
entier sous le sceptre impérial, de l'Occident bar-
bare et morcelé.
Naturellement, les tendances de l'art religieux sont,
ici et là, fortdilTérentes. A Byzance, se perpétue, sur
les chatoyantes mosaïques, les évangéliaires riche-
ment ornés, les fresques éclatantes, la tradition de
l'art monumental et triomphal. Mieux, l'esprit sub-
til des Grecs donne aux œuvres d'art une valeur mys-
tique : n La vénération des images est pour nous
un moyen de communier avec le monde supra-sen-
sible », d'atteindre aux archétypes divins qu'elles
figurent. Iiisensiblement, on glisse sur la pente de
l'idolâtrie. Les iconoclastes arrêtent net le mouve-
ment et substituent à l'art religieux mystique un art
décoratif, d'inspiration arabe et persane. Mais, en 842,
les iconoclastes doivent abandonner la lutte. Le culte
des images triomphe, et l'Eglise tout entière devient
la représentation du monde supra-terrestre. Pour en
faire concevoir l'immuable ordonnance, les artistes
hyz.inlins s'astreignent aux règles les plus rigoureu-
LAROUSSE MENSUEL
383
ë
Dormition et Couronnement de la Vierge. (Tyini>aD du portail nord de la façade de Noire Dame de Pans. v. rs 122u-
ses: tout réalisme, toute fantaisie sontbannis de l'art
ofliciel, qui se fige peu à peu dans un hiératisineétroit.
Mais, à côté de cet art oiïiciel, a pris naissance
dans les couvents un « art monastique et populaire »,
expression non de la subtile dialectique des théolo-
giens, mais de la piété naïve et ardente du peuple.
Gel art, tout le contraire de ce qu'on imagine vulgai-
rement un art byzantin, brille par son naturel et sa
spontanéité, la recherche du détail piltonsque et
pathétique. Aux xiv= et xv', siècles s'est faite sous
cette influence une vraie renaissance hellénique, re-
naissance ari'êtée par l'occupation turque.
L'art occidental n'a pas suivi le même développe-
ment régulier. Les invasions et l'appauvrissement
intellectuel qui en résulte le font retourner aux bal-
La Nativité, !• Bain de rSnrant el l'Adoration de* Magea, moaaîqtie de la ohapetle PalftUna, à Palerma («diOoa achevé eo 1143).
butiements des primitifs. Seuls, les Orientaux établis
en France peuvent décorer un chapiteau ou un mis-
sel. La renaissance caiolingienne et le culte nouveau
de l'antiquité, les progrès matériels réalisés dans
lis villes grâce au grand mouvement commercial
des XI» el xii» siècles rendent possible un nouveau
développement de l'art religieux : l'art roman. Dans
la difféi'ence des conceptions qui sépare l'art roman
de l'art byzantin, se trouve toute la différence qui
sépare le bon sens un peu railleur de l'Occident du
mysticisme oriental. L'art roman ne se propose pas
de révéler, mais d'instruire ; eld'instruire des véiites
religieuses comme de la science profane et des réa-
lités de la vie. De caractère encyclopédique el pra-
tique, il fait de la cathédrale le livre de pierre où
l'histoire de l'humanité, le dogme religieux, la des-
cri ption de la nature s'inscrivent en traits (lainboyanls
aux regards mcine des illettrés. Miroir de la na-
ture, miroir de l'homme, miroir historique, miroir
religieux, telles sont les quatre catégories sous les-
3uelles se groupent fresques, bas-reliefs, sculptures
es portails, statues, enluminures.
Cette classification se rattache étroitement aux
idées littéraires el scientifiques d'alors. Parmi l'in-
finie variété de la nature : animaux réels ou fantas-
tiques, plantes, occupations journalièi'es de l'homme,
se détachent les grandes scènes religieuses et mo-
rales (combat des vertus et des vices, scènes de la
vie du Christ, crucifixion, jugement dernier). Mais
le Christ en croix est représenté encore comme le
Dieu vainqueur de la mort, non comme l'homme
qui a subi de réelles tortures pour l'humanité. Nulle
expression de souH'rance sur son visage, nul aban-
don dans son corps ; mais, sur ses traits comme dans
son altitude, la plus sereine majesté.
L'art gothique, qui n'est pas une réaction contre
l'art roman, mais son développement, présente avec
filus d'harmonie les mêmes caractères, tant pour
es idées que pour l'expression. Dans la cathédrale
gothique, « l'elTorl le plus gigantesque qu'on ail
jamais fait pour édifier la maison de Dieu », l'art
encyclopédique triomphe, mais avec la préoccupa-
tion dogmatique de tout ramener: science, hisloii'e
profane ou sacrée à la démonstration des vérités
religieuses, avec, dans la forme, un équilibre,
une grâce, une mesui-e égalés seulement par la
Grèce de Praxitèle el de Phidias. L'art français
du xiu* siècle est l'une des plus hautes expressions
du génie humain.
Mais, comme l'art grec de la belle époque, il
charme l'esprit, élève l'intelligence, sans émouvoir
profondément la sensibilité. Sous l'inOuence du
grand courant mystique du xiv" siècle, sous l'in-
fluence de l'art monastique de Byzaiice, l'art reli-
gieux se transforme bientôt. Aux xiv« el xv« siècles,
les artistes veulent non plus seulement instruire,
mais émouvoir. La montée au calvaire el la cruci-
fixion sont peintes avec un luxe de détails souvent
horribles, destines & montrer la réalité des souf-
frances du Christ. La face hideuse de la mort appa-
raît sur les cathédrales; spectre affreux, menant la
danse macabi-e. Col art « pathétique el piltorosque »
représente la dernière évolution intéressante de la
manière des maities chrétiens. A partir de la Re-
naissance, si d'extraordinaires génies individuels se
384
LAROUSSE MENSUEL
«• 733. Mars J9J8.
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Les statue» des Apûtres, au portail central de la façade de la cathédrale d'Amiens (1225).
développent, l'art chrétien perd son caractère si par-
ticulier d'enseignement universel. A l'époque mo-
derne et contemporaine, « il y a bien encore (Bréhier
reprend à son compte l'heureuse formule de Mâle)
des artistes chrétiens; il n'y aplus d'art chrétien ".
Bréhier, cependant, entrevoit une nouvelle renais-
sance chrétienne dont une église de Barcelone en
construction pourrait donner déjà quelque idée. — U
est concevable et souliaitable, d'ailleurs, que l'art
moderne, chrétien ou non, reprenne pour le peuple
sa haute mission d'enseignement. — Léon abensoue,
Barrère (CamiZ/e-Eugène-Pierre), diplomate
franijais, né à La Charité le 23 octobre 1851. Entré
tout jeune dans le journalisme, après de fortes
études, sans prévoir eni;ore qu'il aborderait un jour
la carrière diplomatique, il la vit s'ouvrir devant
lui, en 1878, au Congrès de Berlin. 11 s'était rendu
dans cette capitale comme correspondant de jour-
naux et y résida pendant la durée du Congrès. C'est
là que sa vocation s'éveilla en des conditions qui
attirèrent sur les articles qu'il envoyait à Paris
l'attention de Waddington, ministre des affaires
étrangères de France et le principal des trois plé-
nipotenliaires qui représentaient, dans cette grande
réunion, le gouvernement de la République. Le mi-
nistre, ayant apprécié le jeune écrivain, lui offrit
spontanément un poste dans la diplomatie.
L'olfre ayant été acceptée, le nouveau diplomate
était appelé, pour ses débuts, à siéger dans la com-
mission du Danube (1880), commission permanente
internationale, chargée de veiller à l'exécution des
conventions conclues entre les puissances pour assu-
rer la liberté de la navigation sur ce fleuve. Les
études diplomatiques du débutant se trouvèrent
donc dirigées, dès ce moment, vers les affaires
orientales, ce qui explique pourquoi, ayant siégé
dans d'autres commissions auxquelles étaient défé-
rées, pour en régler les détails, la question d'Egypte
et celle du canal de Suez, il était désigné, en 1883,
par l'expérience acquise, pour diriger, au Caire, le
consulat général de France. Il y passa deux ans et
s'y fit encore remarquer par son habileté à se mou-
voir à travers les péripéties auxquelles donnèrent
lieu les dissentiments qui s'étaient élevés entre la
France et l'AngletciTe. Un séjour de deux années
en Suède, où il fut envoyé, en 1S85, comme mi-
nistre de France, un autre séjour en Bavière, où
nous le retrouvons en 18.S8, achevaient de compléter
cette instruction professionnelle, qui ne s'acquiert
que par la pratique, et l'initiaient à la politique
austro-allemande, dont les effets se répercutaient
gar toute l'Europe et, plus particulièrement, dans les
ialkans et au Maroc, les deux berceaux de la guerre
actuelle.
Le poste de Munich, le seul que la Prusse, en
constituant à son profit, en 1871, l'empire allemand,
eût laissé survivre au particularisme des Etats
confédérés, n'avait pas une grande imporlance di-
plomatique; mais, par sa situation géographique,
qui en fait un passage permanent à travers les rou-
tes du Nord, où s'arrêtaient volontiers les plus illus-
tres voyageurs : souverains, hommes d'Etat, savants,
artistes, il était considéré comme un observatoire
d'où, mieux que, de partout ailleurs, le regard pou-
vait embrasser le spectacle que donnaient alors les
cabinets européens. Péripéties résultant de leurs
dissentiments ou de leurs accords, événements sen-
sationnels, inattendus ou prévus, menaçant à l'im-
provisLe la paix continentale ou la consolidant quand
on la croyait ébranlée, avaient à Munich un écho
immédiat.
Les rapports des agents étrangers accrédités en
Bavière sont en général remarquables par la sû-
reté de leurs informations et prouvent que, maintes
fois, leurs auteurs eurent la primeur de celles qu'ils
transmettaient à leur gouvernement.
Ce qu'un observateur attentif et averti pouvait ap-
prendre à une telle école ne devait pas être perdu
pour un homme tel que Camille Barrère. Depuis
longtemps se révélait, dans ses rapports au Quai
d'Orsay, le diplomate clairvoyant et perspicace
qu'on verra ultérieurement défendre en Italie les in-
térêts de la France et déjouer les intrigues alle-
mandes. C'est à Rome, en effet, comme ambassadeur
auprès du gouvernement royal, qu'il devait donner
toute sa mesure. Il y était nommé en décem-
bre 1897, après avoir dirigé pendant quelque temps
l'ambassade de France à Berne. Voilà donc vingt
ans qu'il réside en Italie. II en avait quaranle-six
quand il prit possession de ce grand poste, où une
œuvre digne de lui s'offrait à son intelligence et à
son activité.
Lorsqu'on le compare, tel qu'il était alors, à ce
qu'il avait été jadis au temps de sa prime jeu-
nesse, entraîné par la fougue et les illusions de
l'âge vers les idées avancées, on est amené à cons-
tater qu'au cours de sa carrière diplomatique et
au contact des réalités, il s'était en quelque sorte
qualifié lui-même pour représenter le gouverne-
ment de la République dans un pays où le libéra-
lisme coule à pleins bords et avec lequel la France
avait tant de points de contact, sans parler de la
similitude des origines, mais où des malentendus,
heureusement dissipés aujourd'hui, avaient créé des
dissentiments douloureux. Ils l'étaient d'autant plus
qu'ils succédaient à une longue période d'entente,
résultant des services que nous avions rendus à
notre sœur latine aux heures les plus pathétiques
de sa glorieuse histoire au xix' siècle. Ces dissen-
timents s'étaient déchaînés en 1879, après le Con-
grès de Berlin, sous l'action néfaste de l'homme
d'Etat italien Crispi.
Durant ses passages au pouvoir, Crispi avait
poursuivi la réalisation d'un idéal qui consistait à
fiiire entrer l'Italie dans l'alliance austro-allemande,
convaincu qu'il accroîtrait par ce rapprochement
la force et la grandeur de son pays.
Il atteignit son but en 188i, et fa Triple-Alliance
se trouva formée par l'accession de l'Italie au grou-
pement qui associait depuis trois ans l'Allemagne
à r.\utriche-Hongrie. Ce furent là de mauvais jours
pour les deux grandes nations méridionales, si bien
faites pour s'aimer et qui, dans le passé, s'étaient
prodigué maintes fois affection, dévouement et
confiaiice. Rappelons, toutefois, que, lorsque Ca-
mille Barrère s'installait au palais Farnèse, le
cabinet de Rome commençait à comprendre que sa
politique, en l'inféodant aux Empires centraux, im-
primait à son attitude un caractère regrettable
d'hostilité envers l'Entente franco-russe et lui créait
plus de difficultés qu'elle ne lui procurait d'avan-
tages; il envisageaitia nécessité demellre un terme
à cette situation. Décidé à ne pas rompre avec ses
puissants alliés, il s'attachait de plus en plus à dé-
montrer que le traité qui l'unissait à eux avait,
à ses yeux, une signification purement défen-
sive et qu'il le considérait uniquement comme
une garantie de paix. C'était le commencement de
la sagesse.
Crispi, tombé du pouvoir, avait disparu pour tou-
jours; les effets de son influence s'effaçaient. Le
marquis di Rudini, son successeur, s engageait
dans une autre voie. Il l'annonçait solennellement
au Parlement italien, en mai 1896 :
J'entends maintenir formellement la Triple-Alliance,
mais j'entends l'interpréter de telle façon qu elle n'altère
en rien nos bons rapports avec la Russie et avec la France,
rapports que je m© propose de rendre toujours plus cor-
dialement, plus sincèrement, — je dirais presque «plus
atfectueusement amicaux ».
Le Parlement applaudissait cette déclaration,
qu'à Paris et à Saint-Pétersbourg on accueillait
comme un témoignage d'amitié. En Italie, l'un de
ses plus éminents hommes d'Etat, 'Visconti-'Venosta,
entrait au ministère, afin de collaborer avec di
Rudini pour l'exécution de ce programme, où la
fiilélité à la Triple-Alliance se mélangeait heureuse-
ment à un cordial retour vers la France.
Un traité réglant au mieux des intérêts de tous
la question des Capitulations consacrait, le 30 sep-
tembre 1896, cette situation nouvelle, basée de part
et d'aulre sur un désir sincère de conciliation. Sans
doute, toutes les difficultés n'étaient pas aplanies,
mais on ne pouvait plus douter que, lorsqu'il y au-
rait lieu de les examiner, elles seraient abordées
sans prévention ni parti pris, avec la volonté de les
résoudre amiablement.
Dans un livre attachant, intitulé : l'Italie de-
puis 1S70, où il s'est fait l'historien des événements
que nous évoquons, un jeune écrivain, Albert Pin-
gaud, décrit comme suit leur marche à dater de leur
point de départ :
Co changement d'orientation mit plus de seize années
pour arriver à son terme, parce que les causes détermi-
nantes n'en apparurent que successivement à la surface
des événements et que la forme extérieure des traités survit
d'ordinaire quelque temps à l'état d'esprit qui les a fait
conclure ; mais il s'accomplit avecsuite, malgré des retours
en arrière éphémères.
Dans celte marche, le narrateur distingue trois
périodes principales. De 1898 à 1904, l'Italie se ra|)-
proche de la France, mais sans s'éloigner encore de
ses alliés; de 1903 à 1909, elle se heurte à l'antago-
nisme de l'Autriche, mais sans rompre encore avec
elle; à partir de 1909, enfin, elle devient le théâtre
d'une transformation morale qui sera le prélude et la
condition d'un renversement complet de ses alliances.
T.fs Pamnés dans l'enfer. (Portail latéral du croisillon nord de la cathédrale de Reims [fln du xui* siècle].)
I'
M* 133. Mars 1918-
Si l'on veut se rappeler que Camille Barr^^e était ar-
rivé à Rome à la fin de 1897 et qu'il y réside toujours,
il suffira d'un simple rapprochement de dates pour
permettre à nos lecteurs de mesurer dans toute son
étendue la pari qu'il a prise à ces grands et heu-
reux résultats. Sans doute, il trouvait déjà réalisé
l'accord tunisien conclu en 1896 par son prédéces-
seur au Quirinal, l'ambassadeur Billot, sous les or-
dres du ministre des affaires étrangères d'alors, Ga-
briel Hanolaux. C'était un pas décisif dans la voie
conciliatrice. Mais il y avait encore beaucoup à
fane et, ce qui le prouve, c'est ce qu'a fait celui
dont nous parlons, d'abord en collaboration avec son
chef hiérarchique, Delcassé, et ensuite avec les suc-
cesseurs de celui-ci, pour qui, au fur et à mesure
qu'il connaissait mieux le théâtre où s'exerçaient
les rivalités des dtux groupements de puissances,
il a été un guide sûr et un conseiller toujours
écoulé.
Le traité de commerce conclu par la France avec
l'Italie en décembre 1898 et qui mettait fin à une
guerre douanière préjudiciable aux deux pays fut
spécialement son œuvre ; son œuvre aussi les témoi-
gnages de courtoisie qu'échangent peu après les
deux gouvernements, la venue de la flotte italienne
à Toulon sous les ordres du duc de Gênes pendant
le séjour qu'y fit au mois d'avril 1901 le président
IiOut)et, la visite du roi Viclor-Emmauuel III à
Paris en octobre 1903, au printemps de 1904 celle
du président à Rome et, enfin, les accords relatifs
à l'Afrique, garantissant la liberté de la France au
Maroc et celle de l'Italie en Tripolitaine. Dès 1902,
le ministre français Delcassé avait pu dire à la
Chambre des députés :
Ni directement, ni indirectement, la politique de l'Italie
n'est, par suite de ses alliances, dirigée contre la France.
Elle ne saurait, eu aucun cas, comporter une menace pour
nous, pas plus dans une forme diplomatique que par les
Protocoles et les stipulations militaires internationales.
!n aucun cas et sous aucune forme, l'Italie ne pourrait
devenirni l'instrument nirauxiliaire d'une agression contre
la France.
Port des affirmations de son ambassadeur, non
moins que de sa propre conviction, le ministre
pouvait proclamer cette vérité avec la certi-
tude de ne pas se tromper et qu'il ne serait pas
démenti, bien que le chancelier d'Allemagne,
von Biilow, multipliât elîorts et intrigues pour
déjouer les suites du rapprochement qui s'opérait
peu à peu entre Paris et Rome. « Ce n'est qu'un
flirt, un innocent tour de valse », avait-il dit d'abord
en raillant. Mais il ne railla plus quand il vit que
la valse se prolongeait et que, loin qu'elle les fati-
guât, les valseurs y prenaient tant de plaisir que
bientôt l'Italie laissait entendre qu'elle ne danserait
)lus qu'avec la France et qu'avec les danseurs que
ui présenterait celle-ci.
Elle donna une preuve éclatante de sa volonté,
lors de la conférence d'Algésiras. Si elle eiit été
animée contre nous des sentiments de malveillance
et de jalousie qu'en d'autres temps avait essayé de
lui infuser Crispi, il lui eût été aisé de leur donner
satisfaction; il eût suffi qu'elle votât pour la poli-
tique allemande contre celle que nous entendions
pratiquer au Maroc, laquelle ne l'emporta q.ie dune
voix. Un vole de l'Italie favorable aux Austro-Alle-
mands eût assuré leur victoire et eût été un dé-
sastre pour nous. Le vote des délégués italiens
conjura ce péril en déterminant la défaite diplo-
matique des agents de Guillaume II, et nous ne
saurions oublier ce que nous devons de ce chef à
la loyauté italienne et aux sympathies dont elle
avait commencé à nous donner l'assurance. Il y eut
à Berlin, ce jour-là, des pleurs et des grincements
de dents, comme si l'on y eût pressenti que, si l'Al-
lemagne et l'Autriche déclaraient la guerre à la
France, l'Italie « ne marcherait pas ». Ce que les
Allemands ont ensuite appelé une trahison, alors
que c'était l'exercice d'un droit inscrit dans des trai-
tés, pouvait être, dès ce moment, considéré comme
le prélude des violences de paroles et des injures
dont le gouvernement et le peuple italien furent
assaillis lorsque, en 1914, à la veille de l'ouverture
des hostilités, ils refusèrent d'obéir aux injonctions
de Guillaume II et de François-.Ioseph et de prendre
les armes contre les pays de l'Entente. Us avaient
refusé antérieurement leur concours lorsque, déjà
résolus à la guerre, les Empires centraux l'avaient
éventuellement sollicité de Giolitti, qui présidait le
cabinet de Rome.
hecaêus fsederh ne se poserait pour nous (avait répondu
le ministre) que si vous étiez attaoués. Or, si vous déclariez
la guerre, cest vous qui seriez les provocateurs et, par
conséquent, nous no vous devrions rien.
C'est la même réponse, et encore plus accentuée,
que fit l'Italie à Berlin et à Vienne en 1914, à la
veille des hostilités, et, là encore, on aime à voir
l'action de l'ambassadeur de France et les résultats
de la confiance qu'ilinspirai tau gouvernement italien
et que les événements survenus depuis n'ont fait
qu'accroître et fortifier.
Assurément, sa présence k Rome n'était pas néces-
gaire pour déjouer le complot ourdi par von Biilow
i l'efTel de couper court ii la neutralité de l'Italie
t
Camille Barrère.
LAROUSSE MENSUEL
au profit des Empires centraux. Son gouvernement
avait condamné par avance les menées maladroites
d'un diplomate en délire, qui croyait que la suprême
habileté consiste à acheter les consciences et que
tontes sont à vendre. Mais, en contribuant par un
concours incessant, par son dévouement à la cause
de la justice et
du droit et par
son ardent pa-
triotisme à prou-
ver & l'Italie que
la France ferait
cause commune
avec elle et ne
l'abandonnerait
jamais, il a ren-
du à l'Entente
un service émi-
nent, dont l'en-
trée en campa-
gne des armées
italiennes a
doublé le prix,
ainsi qu'on
pourra s'en
rendre compte
lorsque l'heure
sera venue d'é-
crire l'histoire de l'ambassade de Camille Barrère.
Du reste, n'est-ce pas le ministre autrichien
d',iEhrenthal, mort aujourd'hui, qui a dit un jour :
Les deux frères Cambon et Barrère, voilà un trio de
diplomates auquel aucun pays ne peut rien opposer de
supérieur. (V. p. 304 et 331.)
Cet hommage d'un homme qui, s'il était vivant,
figurerait parmi nos ennemis ne justifie-t-il pas les
i'ugements que nous avons portés sur ces grands et
ions serviteurs de la France? — Ernest daudbt.
Béatrice, légende lyrique en quatre actes,
poème de Robert de Fiers et Gaston-A. de Cail-
lavet, d'après Charles Nodier, musique d'André
Messager, représentée pour la première fois au
théâtre de Monte-Carlo le 21 mars 1914 et à
rOpéra-Comique le 23 novembre 1917.
C'est aux Contes et Nouvelles de Charles Nodier,
où son mysticisme dissipe les mauvais rêves de
Jean Sboffarel d'Inès de las Sierras que de Caillavet
et de Fiers ont emprunté la Légende de sœur Béa-
trix. Le récit en est infiniment touchant. « Non
loin de la plus haute cime du Jura, dans une gorge
étroite et profonde », s'élevait jadis le couvent de
Sainte-Marie-des-Epines-Fleuries, où le culte de la
■Vierge se perpétuait avec une ferveur particulière,
en mémoire d'un miracle fameux. Une pieuse veuve,
qui vivait solitaire dans son château, s'étant, un
soir, aventurée jusqu'à l'extrémité d'une longue
avenue, vit tout à coup resplendir un buisson d'épi-
nes Elle revint le lendemain, accompagnée de son
chapelain, qui découvrit, abandonnée, une statue
de la Vierge, « taillée avec simplicité dans un bois
grossier ». Le prêlre la transporta dans la chapelle;
mais, durant la nuit, elle disparut. On la retrouva
à la place même où elle s'était révélée, et c'est là
que, pour obéir à sa volonté secrète, on lui dressa
un autel.
Parmi les religieuses qui se vouèrent à la servir,
sœur Béatrice se distinguait par le zèle de sa dévo-
tion. Un jour, un jeune seigneur, grièvement blessé
Îiar des brigands, fut recueilli au monastère ; Béatrice
e soigna. C'était le compagnon de son enfance,
celui que le vœu de leurs deux famillesdésignait pour
être son époux et que l'absence lui avait fait oublier.
Il lui rappela leur passé; il lui révéla qu'elle était
belle ; il eut raison de sa faiblesse, et Béatrice
cessa d'être digne de remplir son office sacré.
Après s'être jetée aux pieds de Marie, afin qu'elle
lui pardonnât si sa passion triomphait de la piété
qu'elle lui gardait au fond du cœur, elle s'enfuit avec
son séducteur. Pendant quelques mois, elle connut
toutes les joies du monde. Puis elle fut délaissée et,
de chute en chute, elle tomba dans la plus basse
débauche, o Quinze années s'écoulèrent ainsi et, du-
rant quinze années, l'ange tutélaire que le baptême
avait donné à son berceau se voila de ses ailes et
pleura ». Un jour, enfin, jeune encore, mais flétrie,
méconnaissable, à demi morte de faim, sa course
errante la ramena à la porte du couvent. Elle re-
connut le paisible asile d'autrefois. Elle apprit avec
stupeur que sœur Béalrice n'avait pas quitté le
sanctuaire et, comme elle allait prier à la chapelle
pendant qu'on lui préparait un peu de nourriture
et un lit, elle aperçut la sœur custode, qui s'avançait
vers elle. C'était la Vierge Marie qui avait pris sa
place. Nul n'avait remarqué le départ de Béatrice;
nul ne fit attention à son retour. Elle vécut un
siècle sans avoir paru vieillir, et l'Eglise l'honora
parmi ses saints.
L'adaptation scénique altère, déforme même,
mais avec toute l'habileté requise, la simplicité
charmanle de la légende. Le Jura, trop prosaïque,
apparemment, fait place à la Sicile. On imagine
volontiers, en se rappelant l'adorable miracle des
Roses de la Sainte Elisabeth de Liszt, un prologue
385
où le miracle des Epines se fût accompli. Il luffln
ici que Béalrice l'évoque en un récitatif. Ce cloitre
est, d'ailleurs, hospitalier, lequel reçoit tour à tour
l'évêque de Palerme, puis une bohémienne, qui,
tandis que Béalrice est privée d'assister à l'office
fiour expier un mouvement d'orgueil, lit dans les
ignés de sa main sa tragique destinée; enfin,
Lorenzo, l'ami d'enfance de Béatrice, guéri de sa
blessure, grâce au vœu que la jeune femme a fait
de se consacrer à la Vierge et qui vient la sacrifier
sans scrupule à son désir.
Désir éphémère ! C'est dans le décor ravissant de
la rade de Palerme qii'au second acte le bonheur de
Béalrice agonise. On la retrouve, au troisième, dans
une taverne sordide, où elle danse pour les pécheurs
de la côte.
En vain, Lorenzo, que le hasard met en sa pré-
sence, veut l'arracher à son existence maudite. Elle
repousse avec horreur celui qui a causé sa perle.
Une rixe, dont elle a élé l'enjeu et où un pêcneur a
trouvé la mort, ameute contre elle la populace. Hle
s'enfuit et vient tomber sur le seuil du couvent où
la Vierge la recueille, le jour de l'Assomption.
Les péripéties multiples, les situations disparates
parmi lesquelles l'action évolue oCTraient au compo-
siteur une variété de ressources presque surabon-
dante. De la religion, du sang, de la volupté et de
la mort; une héroïne en qui « Primerose » lutte avec
!■ Carmen », il y avait là peut-être de quoi effaroucher
le père de la Basoche, de Véronique ou des P'tiles
Michu. Si l'on n'estime pas que Béatrice fait oublier
ses aînées, il serait trop aisé, il serait inexact de dire
que Messager a tenté de forcer son talent. Car il n'a
point cessé de faire tout avec grâce. Une constante
facilité, la souple élégance du tour, la clarté, la pu-
reté du style, une grande délicatesse dans l'orches-
tration, ce sont assurément là ses qualités ordinaires.
On se rappelle que Saint-Saëns fut le parrain de cet
art très français. Le sentiment subtU des affinités
sonores, par quoi se définit essentiellement le « mu-
sicien », se discerne, lui aussi, aux lueurs intermit-
tentes de quelques mirages fauréens.
Mais il se peut que l'élude de la partition la
révèle mieux que 1 audition fugitive. On oublie,
en s'attardant à certains détails captieux, que l'ac-
cent dramatique manque parfois de force et de
caractère, que l'on souhaiterait, parfois aussi, dans
l'invention, une personnalité plus originale. Les
épisodes, agréablement poétiques, ont le plus favo-
rablement inspiré Messager. Le chœur des reli-
gieuses déroule, au premier tableau, sur le thème
liturgique de l'Ave maris stella, qui le soutient de
sa basse clandestine, une ondoyante mélodie. Pri-
merose l'emporte, en définitive, sur Carmen. Il y a
dans le duo du second tableau, entre Béatrice et
Lorenzo, une passion peut-être un peu déclama-
toire. Ce don Juan, en somme banal, a quelquefois
la musique qu'il mérite. Le pittoresque du troisième
tableau, adroitement stylisé, s'inlerdit toute vio-
lence. On doit louer, par contre, l'expression dra-
matique, sobre, poignante, de la rencontre de Béa-
trice et de Lorenzo : Je suis la Ginevra, ainsi que
l'émotion pénétrante, le charme descriptif du qua-
trième acte. — Paul LociED.
Les principaux rôles ont été créés par M"'» Chazel
(Béalrice), Mathieu (Musidora), "Vaultier (la Vierge),
Borel (la supérieure). Carton (la bohémienne) et MM. Fon-
taine (Lorenzo), 'Vieuille (l'évêque).
Calandres du palmier. Sous cette déno-
mination, on englobe plusieurs espèces de gros cur-
cuiionides, voisins, au point de vue systématique, de
nos charançons d'Europe et appartenant au genre
rhynchophorus. Leurs larves vivent & l'intérieur
des stipes des palmiers et se rencontrent dans toutes
les régions chaudes du globe. Ayant l'aspect de
gros vers blanchâtres, avec une petite tête cornée,
brune, très ventrues, élastiques au toucher, elles
atteignent de 6 à 8 centimètres de longueur quand
leur croissance est terminée; chacune d'elles repré-
sente donc une masse assez considérable, très riche
en matières grasses, qu'il parait tout indiqué de
faire servir h des usages culinaires. De fait, ces
insectes sont de ceux qui, dans les régions inler-
Iropicales de l'ancien et du nouveau monde, tiennent
une place assez importante dans l'alimentation des
indigènes et sont même parfois appréciés par les
Européens.
L'espèce américaine, qui est la vraie calandre du
palmier, renomme rhynchophorus palmarum. Elle
est remplacée dans l'Afrique occident.nle par rhi/n-
chophoms phœnicis, qui vil sur le chou-palmiste et,
dans les régions indo-malaises, par rhynchophorus
ferrugineus, dont la larve, nommée « gru-gru » par
les indigènes, est très recherchée et se vend parfois
sur les marchés des villes. Le plus souvent, on la
fait rôtir sur le gril ou embrochée par une petite
baguette. On la sert aussi frite dans la graisse,
additionnée de sel et, quelquefois, de jus de citron,
ou préparée en beignets qui rappellent beaucoup,
dit-on, la saveur de nos beignets de cervelle. Dans
la cuisine chinoise, elle constitue un des hors-
d'œuvre les plus appréciés et les plus chers. Avant
de l'utiliser, les Chinois ont coiiliime de l'engrais-
386
3er pendant deux ou trois semaines avec des ali-
ments appropriés (banane, mangue ou ananas) qui
communiquent à sa cliair un goût spécial; ils
obliennent ainsi, selon les cas, le ver-banane, le
ver-mangue, le ver-ananas. Enfin, les indigènes de
Calandres du palmier : a, rhynchophorus ferrugineus (gru-
gru); 6, rhynchr.pliorus palmartim et c, sa larve; d, coque de la
nymphe laite de fibres de palmier.
diverses régions utilisent souvent aussi la larve des
calandres pour préparer une huile médicinale qui
(ouit, parait-il, de quelques propriétés curatives
vis-à-vis des douleurs rhumatismales. — H. Cardot.
Chabot (Jean-Baptiste), orientaliste français,
né à Vouvray (Indre-et-Loire) le 16 février 1860.
Embrassant l'élat ecclé;>iastique, il entra au sémi-
naire de Tours, fut ordonné prêtre et poursuivit ses
études théologiques à l'université de Louvain, de
1887 à 1890. Docteur en théologie de cette univer-
sité (juillet 1892), il obtint, deux ans plus tard, le
titre d'élève diplômé de l'Ecole des hautes études, à
Paris, où il avait suivi des cours de l.ingues orientales.
II fit, en 1893-1894, un voyage d'ctiiiles archéologiques
■en Palestine. Une mission archéologique en Syrie lui
fut confiée en 1897. L'année précédente, l'Académie
des inscriptions et belles-lettres s'était assuré son
concours, en qualité d'auxiliaire, pour la publica-
tion du Corpus inscriplinnitm seinilicaium (Col-
lection des inscriptions sémitiques). Le 16 novem-
bre 1917, elle nomma l'abbé J.-B. Chabot membre
titulaire, en remplacement de Bréal (v. p. 381). Elle
lui avait décerné auparavant le prixBordin en 1897,
son prix ordinaire en 1900 et, en 1900, le prix Jean
Reynaiid, « pour sa Patrologie orientale et l'en-
semble de ses travaux ». En 1895, lorsqu'une chaire
de langues et littératures araméennes avait été
créée au Collège de France, J.-B. Chabot avait été
présenté en seconde ligne par l'assemblée des pro-
fesseurs du Collège et par l'Académie des inscrip-
tions. Le Colle ge de France le fit lauréat du prix
Saintour en 1908.
En dehors de quelques leçons professées à l'Ecole
des hautes études, toute l'activité de l'abbé J.-B. Cha-
bot est absorbée par la publication du Corpus ins-
criptionum semilicarum, du Répertoire d'épigra-
phie .lémilique (tomes I-Ill, 1900-1917), et surtout
du Corpus scriptorum chrislianortim orienlalium
'(Collection des écrivains chrétiens de l'Orient),
oeuvre monumentale qui perpétuera son nom.
C'est en 1902 que J.-B. Chabot conçut le projet
•de compléter les Patrologies grecque et latine par
une Patrologie orientale, qui comprendrait toutes
les œuvres des auteurs chrétiens arabes, coptes,
éthiopiens, syriaques et arméniens. L'utilité de
cette publication était reconnue par tous, mais l'en-
treprise était onéreuse et de longue haleine. L'abbé
Chabot trouva des collaborateurs dévoués : Hyver-
nat, Guidi, Forget, etc., et eut l'appui pécuniaire
des universités catholiques de Louvain et de Was-
hington. Près de quatre-vingts volumes sont au-
jourd'hui parus et, malgré la dévastation de Lou-
Jean-Baptiste Chabot.
LAROUSSE MENSUEL
vain par les hordes allemandes, l'œuvre sera conduite
à son achèvement.
La part de J.-B. Chabot dans le Corpus scripto-
rum chrisiianorum orienlalium est la suivante :
Chronica minora, fascicules 2 et 3 (1904-1 90.5) ;
Dionysius Bar Salibi, Commenlarii in Evangelia
(lllOti); Documenta ad origines monopliysitarum
iltuslrandas (1908); Elias Nisibeinis, Opus chro-
nologicum (1909); saint Cyrille d'Alexandrie, Com-
menlarii in Lucam (1912), etc.
Parmi les autres travaux du même auteur, nous
cileions : Chronique de Michel le Syrien, palriifcbe
jacobite d'Antioche (1166-1199), édition et traduc-
tion française (1899-1910); Synodicon orientale ou
Hectieil de synodes nestorieps, texte, traduction et
notes (1902);
Chronique de
Demis de Tell-
Mahré. Qua-
trième partie,
avec trjdiiclion
(1S95); Histoire
de Mnr Jaha-
laha ///, patriar-
che nesto rien
(1281-1317), ctdu
moine Rabbaii
Çautna, ambassa-
deur du roi Ar-
goun en Occi-
dent (1287), Ira-
duction annotée
(1895-1896); De
sancti Isaaci
Ninivilse vila ,
scriptis et doc-
trina (1892); la
Légende de MarBasstis, martyr persan, texte, traduc-
tion et notes (1893); ^oticesur les manuscrits syria-
ques conservés dans la bibliothèque du patriarcat
grec-orthodoxe de Jérusalem (1894; traduction en
grec, Berlin, 1898); Eloge du patriarche nestorien
Mar Denha /"■■, par le moine Jean, texte et traduction
(1895); Une lettre de Bar Hébréus au calholicos
Denha !"■, lexleellTaduclion[lS9S}; Pierre libérien,
évêque monophy^ite de Mayouma (Gaza), à la fin du
V» siècle (1895); Notice sttr les Yézidis (1896) ; Trois
homélies de Proclus, évêciue de Constantinople
(1896); Vie de Mar Youssef 1", patriarche des
Ghaldéens, écrite en arabe par Abdoulahad, arche-
vêque chaldéen d'Amid (1896); l'Ecole de Nisibé
(1896); Notice sur les manuscrits syriaques de la
Bibliothèque nationale, acquis depulsla publication
du Calalogiie (1896) ; le Livre de la chasteté, com-
posé par Jesusdenah, évêque de Baçrah (1896);
Commenlarius Theodori Mopsuesteni in Evange-
lium D. Johannis (1897); Histoire de Jésus-Sabran,
écrite par Jésus "Yalib d'Adiabène (1897; Notes
d'épigraphie et d'archéologie orientale (1897-1901);
Index analytique et alphabétique des inscriptions
grecques et latines de la Syrie, publiées par Wad-
dington (1897); Notice sur une mappemonde sy-
rienne du Xlll" siècle (1898);'Le//ce du calholicos
Mar Aba //aux membres de l'école patriarcale de
Séleucie, texte, traduction et notes (1898); Begulse
monasticie, texte syriaque et lraductionlatine(189S);
les Evêques jacobites du VIII' au XIII' siècle,
d'après la chronique de Michel le Syrien (1901);
Histoire du moine liahbnn Youssef Bousnaya, par
son disciple Jean Bar Kaldoun, traduite du syriaque
(1901); la Prétendue Chroniqtie de Marthas le
Chaldéen (1905); Marsai le Docteur et les Origines
de l'école de Nisibe (1905); Notes sur quelques
monuments épigraphiquesaraméens{]<i06) ; Eclair-
cissements siir la littératuresyriaque(\9{)6); Inven-
taire sommaire des manuscrits coptes de la Biblio-
thèque nationale (1906); les Langues et les Littéra-
tures araméennes (1910), etc. — Il faut mentionner
à part une traduction nouvelle des Evangiles, d'après
la Vulgate, avec une introduction historique et des
notes explicatives (1911).
J.-B. Chabot a collaboré au « .Tournai asiatique»,
aux « Comptes rendus de l'Académie des inscrip-
tions », à la 11 Revue sémitique », à la « Revue des
éludes juives », à la «Revue de l'Orient chrétien »,
à la n Byzantinische Zeitsclirift », etc. Il a publié
dans les « Nouvelles archives des missions scienti-
fiques » le rapport sur sa mission en Italie et a
donné de nombreuses recensions d'ouvrages à la
« Revue critique », au « Journal des savants », Ma
« Revue de l'histoire des religions », à la <• Revue
biblique », etc. C'est lui l'auteur, dans le Corpus
inscriptionum semiticarum, seconde partie, du
fascicule 3 du tome I" et du premier fascicule du
tome II. — Maurice Enocb.
Comptes courants et clièques pos-
taux. Dr. Comptes courants postaux et leur
mode de fnnrtionnement. — Chèques postaux et
opérations aurquelles ils servent.
— Généralités. Une loi du 7 janvier 1918 a créé
un service de comptes courants postaux et de chè-
ques postaux; un décret du même jour en a régle-
mente le fonctionnement.
«• 733. /Wars 1978.
Nous allons coordonner ici l'ensemble des dispo-
sitions essentielles de la loi et du décret.
Le service est dirigé par l'administration centrale
des postes et télégraphes; il est assuré par des
bureaux de poste régionaux, dits « bureaux de
chèques postaux », qui, établis dans les villes
désignées par décret, ont pour fonctions de tenir
les comptes courants de chèques postaux.
De menues taxes et redevances spéciales ont été
établies à l'occasion du fonctionnement du système ;
mais sont exonérées de la taxe d'alTranchissement
les correspondances elles diverses pièces adressées
parles titulaires de comptes aux bureaux de chèques,
ainsi que par ces bureaux aux titulaires de comptes.
L'organisation instituée en France par la loi du
7 janvier 1918 a été depuis longtemps mise en
pratique avec succès dans un grand nombre de
pays étrangers.
Sur l'initiative active et tenace de Guillaume
Chastenet, aujourd'hui sénateur, puis à l'instigation
même du gouvernement, le Parlement français
avait, à plusieurs reprises, examiné l'opportunité
de la création qui vient d'être réalisée, lorsque, en
mars 1916, devant la (chambre, Louis Amiard,
député de Seine-et-Oise, a, dans une proposition
de loi, repris l'étude de la question, sous la préoc-
cupation des nécessités de l'après-guerre, avec la
confiance que, dans la grande œuvre nationale qui
suivra la fin des hostilités, l'institution du chèque
postal constituerait, « aisément et sans création
coûteuse, une nouvelle facilité donnée à notre vie
économique, un organe bienfaisant et pratique »,
puisque de nature à permettre à chacun, en s'adres-
sant simplement à l'administration des postes,
d'opérer des versements, d'effectuer des virements,
d'envoyer des chèques.
Dans l'exposé des motifs de sa proposition,
Louis Amiard a précisé :
Aucun organisme n'est mieux adapté à la diffusion des
payements et des liquidations par chèques que l'adminis-
tration postale, qui, avec ses Dureaux facilement acces-
sibles à tout lo monde, englobe dans sa ^phë^e d'action
les villages les plus reculés comme les villes les plus
peuplées et qui, de plus, permet de réaliser facilement
toutes les opérations de payement ou de recouvrement
auxquelles les autres adminisiratiuus sont étrangères.
Beaucoup de petits commerçants, de petits industriels,
d'artisans, d'agriculteurs, dont les alTaires no sont pas
assez importantes pour qu'ils puissent procéder par
comptes de chèques dans les banques, ou dont les clients
résident trop loin du siège d'une banque, pourraient pro-
filer du service des chèques postaux, assuré dans n im-
porte quelle l>ourgade de France par tous les bureaux
de poste et par tous les facteurs.
Ouverture, transfert ou clôture des comptes
courants postaux. — Peuvent se faire ouvrir des
comptes courants postaux toutes personnes ou
toutes collectivités privées (associations, sociétés,
maisons de commerce, groupements quelconques de
fait ou de droit).
A l'Etat, aux personnes morales administratives
et aux services publics, même faculté, en principe;
mais le soin de déterminer quelles conditions régi-
ront le cas a été laissé à des décrets spéciaux.
Pour les particuliers et pour les colleclivités pri-
vées, une demande d'ouverture de compte est né-
cessaire, et il faut que cette demande soit agréée
par lailministralion des postes.
La demande d'ouverture de compte doit être dé-
posée (ou envoyée) au bui'eau de poste de la rési-
dence de celui qui la formule; elle peut aussi être
remise entre les mains d'un facteur en cours de
tournée. Toute demande doit indiquer, enire autres
mentions, le bureau de chèques où doit être tenu
le compte dont l'ouverture est souhaitée, et, s'il y
a lieu, la personne ou les personnes autres que le
tilulaiiedu compte, autorisées par lui à signer les
chèques tirés au débit de son compte.
L'administration examine la demande d'ouverture
de compte, notamment au point de vue de l'exac-
titude des déclarations du signataire. Si elle l'ac-
cepte, elle informe le demandeur de cette accepta-
tion, en même temps que du numéro d'ordre du
compte courant.
Dès réception de cet avis, le titulaire doit (sons
peine de voir sa demande d'ouverture de compte
courant considérée comme nulle et non avenue)
effectuer un dépôt de garantie, qui est fixé à
50 francs par compte.
L'administration publie une liste des titulaires de
comptes courants. Celle liste est vendue à toute per-
sonne qui en fait la demande; elle peut aussi être
consultée gratuitement, par le public, dans tous les
bureaux de poste.
En cas de changement dans la position civile ou
la situation légale du titulaire d'un compte courant,
avis doit en être donné au bureau détenteur de ce
compte. L'administration ne peut être tenue res-
ponsable des conséquences pouvant résulter des
modifications qui ne lui auraient pas élé notifiées.
Le titulaire d'un compte courant peut demander:
10 le transfert, d'un bureau de chèques k un autre
bureau de chèques, du compte h son nom;
— 2° à toute époque (dans les conditions qui font
l'objet des articles 38 et 39 du décret du 7 jan-
vier 1918) la clôture de son compte.
/V 133. Mars 1918.
Sera acquis au Trésor public le solde de tout
compte courant postal sur lequel aucune opération
n'aura été faite depuis dix ans.
Mode de fonctionnement des comptes courants
postaux. — Au crédit des comptes courants sont
portés : l" les versements en numéraire, effectués
soit parle titulaire, soil par des tiers à son profit;
joles virements ordonnés, au profit du titulaire, par
d'autres titulaires de comptes courants postaux.
Les versements en numéraire faits par des tiers
sont effectués au moyen de mandats-cartes. Le tilu-
laireducomplea lafaculté d'opérer delamêmefaçoii.
Les virements sont portés au crédit des comptes
courants, au vu du bordereau de virement émanant
du bureau de chèques où est tenu le compte débité.
L'administration est responsable des sommes qu'elle
a reçues pour être portées au crédit des comptes
courants; elle n'est pas responsable des retards qui
peuvent se produire dans l'exécution du service.
Au débit des comptes courants sont portées les
sommes qui font l'objet, de la part des titulaires
des comptes : 1° de chèques tirés par eux, soit à
leur profit, soit au profit de tiers; 2° d'ordres de
virement, au profit d'autres titulaires de comptes
courants postaux.
Dans les conditions que déterminent les articles
34, 35 et 36 du décret du 7 janvier 1918, le titulaire
d'un compte courant est régulièrement informé des
opérations portées au crédit ou au débit de son
compte, de la situation et de l'avoir net de ce compte.
Les comptes courants postaux ne produisent
aucun intérêt.
Nulle réclamation ne sera admise & l'occasion des
opérations ayant plus de trois ans de date.
Les règles des saisies-arrêts et oppositions es
mains des fonctionnaires publics s'appliquent en la
matière. Les exploits doivent, pour recevoir une
suite utile en ce qui concerne les comptes courants
postaux, être signifiés au chef comptable du bureau
de chèques où sont inscrits les comptes.
Chèque postal. — Le chèque postal porte, suivant
les cas, les dénominations que voici : 1» « chèque
de payement », qui se subdivise en « chèque nomi-
natif », lorsqu'il est émis par le titulaire du compte
à son profit, et en « chèque d'assignation », quand il
est tiré au profit de tiers ; — 2» « chèque de vire-
ment » lorsque son montant doit être inscrit au cré-
dit d'autres comptes courants.
L'administration fournit aux titulaires des comptes
deux sortes de formules de chèques (réunies en
carnets): l'une destinée à l'émission des chèques de
payement (nominatifs ou d'assignation) ; l'autre spé-
ciale aux chèques de virement.
Les chèques de payement et leschèques de virement
sont adressés sous pli fermé, ou remis directement
au bureau de chèques, détenteur du compte courant.
Les chèques de payement (qu'il s'agisse de chèques
nominatifs ou de chèques d'assignation) sont trans-
formés en mandats-cartes par le bureau dont il
s'agit et, comme les mandats-cartes ordinaires, ils
sont payés au domicile des bénéficiaires.
Le chèque postal n'est pas soumis aux dispositions
légales concernant les chèques ordinaires (notam-
ment à la loi du 14 juin 1865).
Il est signé par le tireur, et il porte (en toutes
lettres et en chiffres) la date du jour où il est tiré.
Le titulaire d'un compte est seul responsable des
conséquences résultant de l'emploi abusif, de la
perte ou de la disparition des formules de chèques
qui lui ont été remises par l'administration.
Lorsque les mentions figurant sur un chèque sont
incomplètes ou illisibles et, de même, lorsque le
chèque contient des ratures, surcharges, graltas-es,
lavages, etc., l'administration esten droit de relarder
ou de ne pas exécuter les ordres de payement ou de
virement.
La responsabilité d'un faux payement résultant
d'indications d'assignation inexactes ou incomplètes
incombe au tireur.
Le chèque postal ne peut être tiré pour une somme
supérieure à l'avoir net porté en compte (déduction
f.-iile des 50 francs du dépôt de garantie). L'admi-
nistration est en droit de clore d'office le compte de
tout titulaire ayant méconnu cette prescription. Quoi
qu'il en soit, aucun mandat n'est établi on aucun
ordre de virement n'est exécuté en un tel cas.
Le chèquepostal.qiil n'estpassuivi d'effet pourune
cause quelconque, ne peut donner lieu à protêt. Il est
renvoyé au tireur, avec toutes explications utiles.
Le délai de validité du chèque postal est, unifor-
mément, de dix jours (de la date d'émission inclusi-
vement, jiisques et y compris la date & laquelle le
chèque parvient au bureau de chèques). Le chèque
nominatif et le chèque d'assignation ne peuvent dé-
passer la somme de 100.000 francs. — Louis ahdré.
Cosaques. La cosaquerie (le kozatchestvo)
constitue dans la Russie un phénomène complexe,
militaire et social, très original, une des plus inté-
ressantes parmi les multiples manifestations de la
vie russe.
Origines. — La question des origines des cosa-
ques n'est pas encore éclaircie dans tous ses détails.
On a abandonné l'opinion des anciens historiens,
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
LAROUSSE MENSUEL
selon laquelle les cosaques descendaient directe-
ment de peuples étrangers, qui habitaient primiti-
vement quelques parties du sud de la Hussie. On
admet, aujourd'hui, que la cosaquerie n'est pas une
excroissance étrangère dans le corps national, mais
bien une manifestation autonome de la vie russe.
Sans doute, l'influence extérieure n'est pas niable;
elle est visible, dans la chose comme dans le nom.
Le mot kosak n'est pas russe ; c'est un mot tatar,
qui signifie « homme courageux » et qui désignait
chez les Tatars une catégorie inférieure de l'année,
légèrement équipée. Quant au phénomène, il ap-
parut chez ceux-ci, avant de se manifester chez les
Husses. Au XV' siècle, sont mentionnés des kosak
tatars d'Azov, de Pérékop, de Belgorod.
En dépit de ces emprunts, la cosaquerie, en Russie,
est un phénomène du terroir. Le cosaque est un
produit fatal, naturel, des conditions géographiques,
militaires et sociales des royaumes slaves aux xv" et
XVI' siècles. Le danger des incursions des gens no-
mades de la horde, toujours imminent, imposa aux
populations slaves des okraïnes (« marches ») un
genre de vie spécial, les transforma en guerriers
prêts, à tout moment, à s'opposer en armes au mou-
vement perpétuel de flux et de reflux des tribus
voisines. La lutte de l'élément stable contre l'élé-
ment instable, du slavisme contre le nomadisme, a
créé le cosaque. Parallèlement à cette génération
spontanée de cosaques libres (volnye), des mi-
lices cosaques (gorodovye) ont été établies pour
la garde de leurs frontières par les gouvernements
moscovite, polonais et lithuanien.
D'autres causes ont favorisé etdéveloppé cette or-
ganisation. Car, ne voir dans les cosaques qu'une
machine de guerre, une digue militaire, un instru-
ment docile de conquête et décolonisation entre les
mains des rois de Pologne et des tsars de Moscovie,
c'est rétrécir l'histoire. (Comment interpréter, de ce
point de vue étroit, qui a été celui de nombreux
historiens slaves, les luttes perpétuelles enlre ces
cosaques et ces gouvernements? On les passait
sous silence, ou on les présentait comme des phé-
nomènes exceptionnels. D'autres historiens, surtout
polonais, mais russes aussi, et dans une certaine
mesure S.-M. Soloviev lui-même, voulant tenir
compte de ces luttes, les interprétèrent comme le
conflit entre l'ordre et l'anarchie et ne virent dans
Cosaque de la garde en 1890.
la cosaquerie qu'une force inférieure et grossière,
composée d'éléments anarchiques. Le phénomène
cosaque, si l'on veut rendre pleinement compte de
l'histoire, est autre chose de plus qu'un phénomène
purement militaire. Il n'a pas eu pour seule origine
la défense des frontières. Il est aussi un phénomène
politique et social. La cosaquerie, en même temps
qu'elle consliluait le rempart des frontières, satis-
faisait la tendance des masses populaires à édifier
leur vie sur les principes de l'égalité et de l'auto-
nomie ; elle attirait à elle tous les mécontents des
régimes centralisateurs et despotiques, heureux de
trouver une expression un peu grossière, mais tou-
jours précise, dans la construction cosaque (cf.
N.-J. Kostomarov et B.-V. Antonovitch) et de
vivre plus libres & leurs risques et périls. L'intolé-
rance religieuse, le développement rapide du ser-
Cusaque du Uoo en lUd.
387
vage, la puissance démesurée de classes privilé-
giées, d'autres motifs moins purs aussi accélérèrent
encore cette fugue vers ce « lieu d'asile » qu'était
la cosaquerie.
Tels sont, en gros, les causes et modes d'appari-
tion des cosaques. C'étaient, et ce sont, des Russes,
Grands et Petits-Russiens, encore qu'un peu de sang
étranger (tatar, kir-
ghiz, kalmouk) se
soit mêlé au leur, et
des orthodoxes très
attachés à l'ortho-
doxie. Ils ne consti-
tuent pas, dans I em-
pire russe, un élé-
ment ethnique ou re-
ligieux spécial.
Les Cosaques
jusqu'à l'ieiTe le
Oratid : Cosaques
(l'Ukraine et Zapo-
rogues. — Dès le
XV' siècle, une puis-
sante communauté
cosaque s'était for-
mée dans le sud-ouest
de la Russie (cosa-
ques d'Ukraine). Les
rois de Pologne leur
confièrent la garde
de la frontière contre
les Tatars. Leur
avant-garde vers le
Sud était constituée
par une autre com-
Miunauté, complète-
ment indépendante,
qui vivait sur le
Dnieper, au delà de
ses rapides (za porogi), d'où leur nom; zaporogues.
Leur camp, divisé en quartiers ou kourénes, s'ap-
pelait la siètcli. Les membres, égaux enlre eux,
devaient être célibataires (aucune femme n'était
admise), orthodoxes et dociles aux règlements.
Le chef (ataman) était élu par l'assemblée géné-
rale des cosaques, ou Rada. Ils vivaient de la
guerre, de la chasse et de la pêche ; l'agriculture
était interdite. Durant cent ans, se poursuivit, entre
eux et la Pologne, une lutte qui amena avec Bogdan
Khmelnitski la soumission de l'Ukraine au tsar
(1654), àqui les cosaquesprêtèrent serment de fidélité.
Les Cosaques du Don. — Grands-Russiens d'ori-
gine, mentionnés dès 1380, puis en 1551, ils recon-
naissaient la suzeraineté d'Ivan le Terrible en 1570.
On sait la part qu'ils prirent aux « Troubles ».
En 1613, Michel Romanov ayant été proclamé tsar,
l'alaman du Don le reconnut, tout en gardant à peu
près son indépendance. Ces cosaques vivaient en
familles dans de petites villes (stanitsy). Un ataman
élu par l'assemblée, ou kvoug, commandait toute
l'armée. La noyade dans le Don était la peine la
plus habituelle. Chaque « stanitsa » avait son
« kroug » et élisait ses chefs. Au sein de cette com-
munauté égalilaire et démocratique, une hiérarchie
tendait à se créer: d'une part, les starchines (« an-
ciens») de l'autre, les simples cosaques (rfomoui/y et
golily), ceux-ci enclins au pillage et aux expéditions
aventureuses. La situation des paysans ayant empiré
au xvii' siècle, ces derniers affluèrent vers les cosa-
ques. Les querelles intestines entre s<arc/iines et sim-
ples cosaques se développèrent, les tsars soutenant
les premiers. On connaît la terrible jacquerie de
Slenko Razin, qui, pendant trois ans, parcourut le
pays, du Don au laïk, ballant successivement les
troupes du tsar et du shah de Perse, attirant à lui
tous les mécontents et les tribus finnoises et mon-
goles. Finalement, réfugié dans une Ile du Don, il
fut pris, envoyé k Moscou et écartelé (1669). En
1671, le volsko du Don pacifié prêta un nouveau ser-
ment au tsar.
Les Cosaques du Volga, d'Astrakhan. du Caucase,
du laïk, de Sibérie. — i)èsl440, on cite des cosaques
installés dans la région de Riazan. Au xvi' siècle,
ils fondent Samara, Tsaritsin, Saratov. Quelques-
unes de leurs bandes furent dispersées par Ivan le
Terrible, en 1577. Ge sont ces fugitifs qui, avec des
cosaques du Don. allèrent fonder les voïskos cosaques
du Caucase, probablement du laïk, et conquérir la
Sibérie avec Ermak. Dès la fin du xv siècle, il y
eut un mouvement d'émigration russe vers le Cau-
case et, au milieu du xvi», un groupe cosaque, qui
s'appelait grebenskie Kazaki (« cosaques des crê-
tes »), était établi sur la rive droite du Térek. On
mentionne, en 1,i9I,des cosaques du Ia!k (Oural)
dans l'armée du tsar, qui leur reconnut, en 1619, la
propriété du lalk, des sources à l'embouchure.
Ainsi, au début du règne de Pierre le Grand, les
cosaques forment un cercle autour de la partie sud
et sud-est de la Russie et sont engagés en Asie.
La scission causée dans l'Eglise russe par la réforme
(les livres religieux contribua à renforcer les com-
munautés cosaques en y faisant affluer les vieux-
croyants persécutés {raskolniki). Ils y sont, encore
aujourd'hui, en nombre appréciable. L'ancienne indé-
15»
388
pendance et l'ancienne liberté ont déjà subi des
atteintes, bien que leurs atamans soient encore élus.
Les Cosaques sous Pierre le Grand et jusqu'à la
fin. du xviii» siècle. — Pierre le Grand a fait sentir
sa force aux cosaques, comme à ses autres sujets. 11
les utilisa dans toules ses guerres (Suùde, Pologne,
Tatars, Turquie). A la fin de sou règne, la subordi-
nation définilive des atamans à la volonté du tsar
est un fait accompli. La chose n'alla pas sans luttes.
Mazeppa s'allia au roi de Suède Charles XII et fut
défait avec celui-ci à Poltava (1709). La répression
fut sans pitié etlansiêtch iidesZaporoguesdélruile.
Cependant, ce n'est qu'à la lin du xviii» siècle que
disparurent le voïsko de l'Ukraine (1763-1765) et celui
des Zaporogues (177.ï). Le souvenir de ces cosaques,
chevaliers de la liberté, de rhonucur et de l'ortho-
doxie, demeure légendaire eu Russie.
Si les cosaques du Don ne furent point détruits,
ils perdirent leur indépendance. Ils essayèrent aussi
de résister h Pierre le Grand (1707-1708), mais en
vain. Le parti des starchines, favoral)le h l'autorité
Types de cosaques ^1918).
centrale et soutenu par elle, sortit de la lutte for-
tifié, et leur ataman devint un ataman (nakasny)
nommé. En 1719, le voïsko fut subordonné au
collège de la guerre. Il prit part à toutes les luttes de
la Russie au xvni= siècle (guerres de Sept ans, de
Turquie, de Pologne). Catherine II hiérarchisa à la
russe les grades supérieurs (1799). La période hé-
roïque des cosaques du Don prenait fin.
Les cosaques du laïk furent obligés de soumet-
tre la nomination de leur ataman à l'approbation du
Isar (1723). La lutle intestine entre les starchines
et le parti populaire y prit, au xviii" siècle, un
caractère très aigu et dégénéra en une terrible jac-
querie. Pougatchev, cosaque du Don, vint sur
l'Oural, se faisant passer pour le tsar Pierre 111,
mort en 1762. Sur la promesse de partager les terres
et de supprimer le servage, il souleva les serfs
(raskolniki) cosaques et entraîna Bachkirs, Kirghiz,
Kalmouks. Battu, il fut pris et écartelé à Moscou
(1775). Le nom d'Iaïk fut remplacé par celui d' « Ou-
ral » (les cosaques l'ont repris après la chute du
tsarisme en 1917) ; les vieilles coutumes furent sup-
primées, et le tsar nomma l'ataman.
A la fin du xvin" siècle (rien à signaler sur les au-
tres voïskos), les cosaques (150.000 hommes en état
déporter les armes) sontabsolumenlsoumis au pou-
voir central. Un long cordon de cosaques passant
parle cours de l'Oural, Troïtsk, Omsk, Oust-Kame-
nogorsk, est tendu devant les Kirghiz; enfin, ils
maintiennent le drapeau russe tout le long des fron-
tières «le Chine jusqu'à l'océan Pacifique.
Les Cosaques nu XIX' siècle. — L'histoire des co-
saques au xix= siècle se confond avec l'histoire géné-
rale de la Russie. Des DOïi/fos nouveaux apparaissent,
d'autres se transforment. Les cosaques du Don
jouèrent un rôle brillant dans les guerres du Pre-
mier Empire, conduits par leur célèbre ataman,
Platov. Celui-ci, poursuivant les Français de Leip-
zig au Rhin, pénétra en France, où il produisit, à
la tête de ses cosaques, une profonde impression.
L'ataman de tous les cosaques est le grand-duc
héritier (1827). A la tête de chaque voïsko, se
LAROUSSE MENSUEL
trouve seulement un nakasnij. La suppression du
servage, en 1861, introduisit dans les voïskos un
élément libre non cosaque; la loi de 1868 permit
aux cosaques de changer d'état et aux non-cosaques
de le devenir. Par ces lois, par la concurrence
économique, par l'augmentation delà population non
cosaque, par le jeu de nécessités géographiques,
militaires, différentes, la physionomie des cosa-
queries tend à s'altérer et à prendre au milieu de
1 empire russe comme un air anachronique.
Aujourd'hui, ou compte douze cosaqueries ou
voïskos : voïsko du Don, le plus compact et le plus
important, de provenance grande-russienne (Novo-
Tcherkask, Rostov, Taganrog) ; voïsko du Kouban,
de provenance pelite-russienne, en majorité, avec
une population non cosaque qui dépasse la popula-
tion cosaque (lékatérinodar) ; voïsko du Térek, de
provenance plutôt grande-russienne, avec une popu-
lation de montagnards musulmans formant 80 p. 100
de la population totale (Mosdok, sur le Térek);
voïsko d'Astrakhan, ne composant pas un tout com-
pact, mais des îlots
des deux côtés du
Volga, avec une
forte proportion de
Tatars(Astrakhan);
voïsko de l'Oural,
de provenance
grande - russienne
surtout (forte pro-
portion de Kal-
Tuouks et Kirghiz
[Ouralsk]) ; voïsko
d'Orenhourg, sans
caractère ethnique
dominant ( Oren-
bourg); vo'isko de
S ibérie, formant
une large bande
jusqu'à la frontière
de Dzoungarie et
des îlots de Semi-
palatinsk à Biisk
et dans le gouver-
nement de Tomsii
et la province
d'Akmolinsk ; voï-
sko de Semirét-
chinsk (1817), for-
mant des îlots dans
le gouvernement
du même nom
("Verny) ; vo'isko de
ï'iénisséi ; vo'isko
de Transbaikalie
(1851), tout le long
de la frontière de
fihine, jusqu'au
confluent de l'Ar-
goun etdelaChilka
(Tchita, Kiakhta,
Nertchinsk ) ; vo'i-
sko de l'.imour (1860), longue bande toul le long
du fleuve (Blagovêchtchensk); vo'isko de l'Oussowi
(1889) [Nikolskoé].
Organisation actuelle des vo'iskos cosaques. —
L'ataman général est le grand-duc héritier; l'or-
gane supérieur adminisiratif commun est l'Ad-
ministration supérieure des vo'iskos cosaques, qui
forme une direction du ministère de la guerre,
sous l'autorité immédiate du ministre. A la tèle
de chaque voïsko, il y a un nakasmj, qui n'est pas
nécessairement un cosaque. L'ataman du Don est
subordonné directement au ministre de la guerre ; les
atamans des autres voïskos dépendent du chef de la
circonscriplion militaire dont ils font partie. Le terri-
toire de chaque voïsko est divisé en otdêl ou en
okroug (« section » ou « cercle »), à la tête desquels un
ataman remplit les fondions civiles et militaires.
Le voïsko est divisé terrilorialement en stanits;/,
avec un alaman de la stanitsa, qui est élu par l'assem-
blée des cosmiques de la stanitsa et doit être approuvé
par le nakasny du voïsko. "Vient ensuite le village
de trente feux au moins (pociolok), avec un ataman
nommé par l'assemblée des cosaques du village et
agréé par le nakasny.
Vie économique. — Le cosaque, en échange de
l'exemption d'impôts directs fonciers, est obligé de
s'habiller, de s'équiper à ses frais. Le voïsko et la
stanitsa ont un capital, dont la terre est le principal
élément. Initialement, le territoire de chaque voïsko
était tout entier la propriété collective de tous ses
membres. Aujourd'hui, il y a trois sortes de pro-
priétés en pays cosaque : la propriété collective du
voïsko (forêts, routes, etc.), la propriété collective de
cliaque stanilsa (allouée périodiquement en lots ou
pn'i entre tous les mâles, en proportion très variable
selon les voïskos : 10 déciatines pour le Don, plus de
124 pour lOussouri), enfin, la propriété privée
(surtout terres données en pleine propriété aux
officiers et aux tchinovniki [« fonctionnaires »], au
lieu de trailements).
L'agriculture est une des principales occupations
des cosaques. Les autres ressources sont: culture
«• 133. Mars 1918.
du lin, chanvre, jardinage, arbres fruitiers, tabac,
vigne, fourrage, apiculture, élevage du bétail, pê-
cheries et chasse. Un autre élément du capital
cosaque réside dans les minéraux du sol fcharbon,
minerais de fer, cuivre, pétrole, sel). L'industrie et
le commerce, prospères dans certains voïskos cosa-
ques, ne sont point entre leurs mains; ils alTerment
leurs mines. Il n'y a qu'un tout petit prolétariat
cosaque ouvrier dans le voïsko du Don. La situa-
tion économique des cosaques n'est plus aussi bril-
lante qu'elle le fut jadis; les causes eu sont multiples:
accroissement de la population cosaque diminuant
d'autant le capital, renchérissement de toutes choses,
développement ra|)ide dune population non cosa-
que, mieux armée pour la lutle économique.
Service mililuire. — Tous les cosaques étaient
astreints à servir, en fournissant eux-mêmes l'ar-
mement et l'équipement. Aucun règlement écrit
avant 1835. La charle militaire des cosaques, jusqu'à
la révolution, est celle de 1875 {Loi sur le service
militaire des cosaques du Don), successivement
appliquée aux cenlres voïskos.
Tout cosaque mâle doit vingt ans de service mili-
taire, sans possibilité de rachat, ni de remplace-
meul, à partir de 18 ans: trois ans de préparation,
douze ans de service actif (en 3 toia-sde 4 ans chacun,
en activité pendant les 4 ans du l'"' tour), cinq ans
dans la réserve. Sont exempts: les membres du
clergé des communions chrétiermes, les lecteurs et
cliantres orthodoxes, les docteurs en médecine et
olficiers de santé, les pensionnaires de l'Académie
des beaux-arts, les professeurs d'instruction supé-
rieure. L'escorte personnelle de l'empereur était for-
mée par deux so<7ii du Kouban et deux du Térek.
Quoique foncièrement Russes et bien que sensi-
blement transformés, les cosaques constituent en-
core aujourd'hui , en Russie, un type particulier, avec
leurs traditions et leur esprit d'honneur et de disci-
pline militaires, avec leur altitude fière, quelque
peu arrogante, d'hommes n'ayant jamais connu le
servage, se sentant et se disant supérieurs par leur
aisa[ice relative, leur instruction plus développée,
leurs institutions plus démocratiques, à la masse
paysanne russe.
Les Cosaques depuis la Révolution de 1917.
— L'attitude des cosaques, qui avait été celle
de la fidélité au tsar à la première révolution
de 1905, fut une attitude de loyalisme révolu-
tionnaire en mars 1917. Ils n'esquissèrent aucun
geste pour défendre l'ancien régime. Ils précisè-
rent leur attitude dans le « Congrès général des
troupes cosaques », tenu en juin à Novo-Tchcrkask.
Ils se déclarent pour le gouvernement provisoire.
Ils ne vont « ni à droite, ni à gauche ». Ils ne sont
ni pour la contre-révolution, ni en faveur du socia-
lisme, « pour lequel le pays n'est pas prêt ». Ils fe-
ront la guerrejusqu'à une fin victorieuse, aux côtés
des Alliés. Ils lultei'ont pour leur salut, celui de
toute la Russie (hostiles aux tendances centrifuges)
et celui des petits pays slaves. Ils veulent garder
leurs terres et restituer à leurs propriétaires pri-
mitifs celles que le vieux régime a attribuées à des
particuliers, à l'Etat ou aux églises. A la conférence
de Moscou (9/22 août), leur ataman, le général Ka-
ledine, apporte un vrai programme de gouvernement
fort, ennemi des luttes de partis et de classes. En
résumé, politique de guerre jusqu'à la victoire à
l'extérieur, basée sur une armée disciplinée, poli-
tique de sage évolution sociale à l'intérieur. Aussi
défendirent-ils Kerensky les armes à la main contre
la première tentative des bolcheviki (bolcheviks)
[3/16 juillet]. Mais Kerensky ne sut pas garder la
confiance des cosaques. Il ne fil rien pour satisfaire
leurs revendications légitimes; il laissa se déve-
lopper l'anarchie; il défendit mollement les cosa-
ques (déjà peu populaires pour le rôle odieux que
leur avait fait jouer le tsarisme) contre les insinua-
tions, les soupçons, les calomnies colportés contre
eux par les bolcheviki.
Malgré leur loyalisme révolutionnaire, malgré
leur abstention dans l'affaire Kornilof, lequel avait,
pourtant, toutes leurs sympathies, ils se virent
accusés de menées contre-révolutionnaires. Leur
alaman, Kaledine, qui faillit même être arrêté, dut
se justifier, et il le fit pleinement, les larmes aux
yeux, devant tous ses cosaques. L'heure des cosa-
ques sonna en novembre, quand les bolcheviki ren-
versèrent Kerensky. Mais les cosaques (il y avait
à Petrograd le l'", le 3' elle 14° régiment) ne bou-
gèrent pas de leurs casernes. Ils refusèrent de verser
leur sang pour Kerensky, en qui ils n'avaient plus
confiance. L'heure des cosaques reviendra-l-cUe?
Pour le moment, ils ne semblent ni de taille ni
d'humeur à arracher la Russie à l'emprise maxi-
maliste. Dans l'anarchie présente, leur meilleure
façon, peut-être, de travailler au salut de la Russie,
est d'opposer une digue à la contagion maximaliste
sur leur propre territoire, à l'organiser, à se dé-
fendre eux-mêmes, et c'est à quoi ils s'emploient,
à l'instar des nombreuses républiques autonomes
(Ukraine, Arkangelsk, Caucase, Orenbourg, Sibé-
rie, Turkestan, etc.), qui s'instituent en ilôts séparés,
gage futur et éléments d'une grande Russie re-
constituée. — s. REIZX.E».
/V" 733. rars 1918
LAROUSSE MENSUEL
:)89
"^ sJ^ .'
défaitisme {fè-lissin' — rad. défaite) n. m.
Opinion etpoliuqne de ceux qui jugent la défaite
iuévilalile, ou qui l'esliment moins onéreuse que la
conlinualion de la guerre : La guerre aciuelle est
une guerre totale, oU le défaitisme — comme dit
llenrij Bérenger, créateur du mol — est l'arme
la plus dangereuse des Allemands. [Lioa Daudet.)
défaitiste {fè-tisst') adj. et n. Qui a rapport
au déi'ailisine : La dêmaf/ogie défaitiste a /our-
millé sur le cadavre du tsarisme en décomposition.
II. bérenger.) 'l'ous les vrais Français ont laméine
haine des traîtres et des DtvAmsTEi. (H. Bérenger.)
Electricité dans les mines (Emploi
DE L). Les avantages de l'emploi de l'éleclncité
pour l'éclairage et la force motrice sont universel-
lement connus, et ses applications se développent
dans tontes les induslrios. L'industrie niinirre, en
particulier, l'utilise de plus en plus,
tanlpourre.\traction proprement dite
que pour la commande des services
annexes. Les deux principaux avan-
tages de cet emploi sont : 1° la ré-
duction des frais d'exploitation pur
une production plus économique et
une meilleure utilisation de la force
motrice; 2° la plus grande sécurité
du personnel par l'emploi d'appareils
de protection et de machines her-
métiques, empêchant toute explosion
dangereuse.
Le courant électrique est généra-
lement produit par une usine centrale,
comportant des pénéralricps, le plus
souvent à courants alternatifs, mues
par moteurs à vapeur ou à gaz. Ces
derniers sont les plus en faveurdans
les mines de charlion, car ils utilisent
directement les gaz pauvres produits
par les fours à coke ou les gaz des
hauts fourneaux.
L'emploi des turbines à vapeur est
ré.servé à la production de puissances
importantes. L'énergie électrique débitée h l'exté-
rieur par les machines est transmise par câble au
fond de la mine. Ce mode de transport est de 5 à
10 fois plus économique que la transmission par
l'air comprimé. 11 est aussi moins encombrant,
n'échauffe pas l'air do la mine et a l'avantage
de pouvoir servir aussi à l'éclairage, aux signaux,
au téléphone, à la ventilation, à l'abatage et au
transport des matérieux. La forme de courant la
plus employée est le courant alternatif triphasé,
(|ui se prête à une distribution plus simple comme
installation et appareillage et qui permet l'emploi
de moteurs de construction plus économique. Pour-
tant, le courant continu a aussi des partisans, dont
le principal argument est qu'il permet un réglage
plus facile de la vitesse des moteurs et la récupéra-
tion de l'énergie pendant les périodes de freinage.
Les services miniers qui utilisent la force motrice
électrique peuvent se diviser en deux grandes
classes : 1° extraction proprement dite; 2" services
annexes.
La machine d'extraction se compose essentiel-
lement d'un treuil de grand diamètre (6 mètres
environ), sur lequel vient s'enrouler le câble d'acier
supportant le cuffat ou la cage qui contient la charge.
Coiiaques de la « division sauvage • de Kumituf, eo 1917.
Ce treuil est mû p.ir un moteur, dont la puissance
dépend évidemment de rimportauce de la charge,
de la profondeur du puils, de la vitesse d'extrac-
tion, eic. Le moteur électrique l'emiiorte par sa
souplesse sur le moteur à vapeur, dont le rendement
est forcément mauvais pour un régime aussi inter-
mittent que celui des treuils de mine. 11 a, de plus,
sur lui l'avantage de la réversibilité, c'esl-à-direqu'il
peut rendre de l'énergie au réseau d'alimentation,
lorsqu'il fonctionne en générateur actionné par le
câble à la descente (récupération). De pins, le mo-
teur électrique freine aulomatiiiuemenl, lorsque la
vitesse tend à dépasser la normale. Au point de
vue de la consommation de combustible, la dépense
est généralement trois fois moindre avec le moteur
électrique qu'avec le moteur à vapeur. En pratique,
le cable supporte presque toujours une cage à
chaque extrémité, la cage vitle ou descendante con-
TREUIL CYLINDRIQUE
cheyai/x
TREUIL TRONCONIQUE
1000 j
800 /
Puissance /
^'^^
600 /
/ Vitesse
/
Vitesse
VOO / ,'
/ •
/ y
^
//
\
200/ y
/ •
\
/ "<i^
0
20 .30
fs 20 20 33 15 Sec,
■ 1
I-'ij;. 1. ~ Diagramme du tra.l.
tribuant, avec son brin de câble, à équilibrer la
cage montante. 11 faut, bien entendu, tenir compte
du poids du câble, qui est important et qui varie
suivant la longueur de chaque brin, et aussi de
l'inertie considérable des parties tournantes lors du
démarrage et du freinage.
Chaque manœuvre d'extraction est appelée Irait
ou cordée et se divise en quatre périodes : l» accé-
lération ou démarrage; 2" régime; 3° ralentisse-
ment ou freinage; k" arrêt pour manœuvres de
chargement et déchargement. Chacune de ces pé-
riodes, la première en particulier, doit être calculée
de façon que la puissance demandée au moteur
ne dépasse pas la limite qu'on s'est fixée. On arrive
à rendre cette puissance presque constante pendant
la période de régime en employant des treuils Iron-
coniques, qui diminuent aussi le couple nécessaire
au démarrage. Lorsque la vitesse est devenue suf-
lisante pour que le trait puisse s'achever par la force
vive emmagasinée, on coupe l'alimentation du mo-
teur, et la puissance tombe à zéro. Le freinage s'ob-
tient par récupération, la puissance est alors néga-
tive. (V. le diagramme de la fig. 1.)
Les moteurs de treuils sont à courant continu ou
alternatif. Ce dernier a un rendement plus faible au
démarrage (50 p. 100 environ au lieu de 80 p. 100),
par suite de la nécessité de limiter le courant in-
duit dans le rotor, au moyen de résistances hydrau-
lii|ues intercalées; par contre, son rendement est
meilleur pendant la période de régime (95 p. 100 au
lieu de 85 p. 100); enfin, il ne permet pas le frei-
nage par récupération. Ces diverses caractéristiques
font que le courant continu doit être préféré quand
on a â faire des extractions rapides et fréquentes;
en dehors de ce cas, le moteur à courant alternatif
est plus avantageux, car il est moins coûteux et
exige moins d'entretien.
l'our éviter les à-coups sur le réseau et régula-
riser la puissance dépensée, le moteur est ordinai-
rement accouplé à un volant capable d'emmagasiner
une grande quantité d'énergie. On y adjoint un
dispositif de régulation automatique, qui peut être
constitué par un petit moteur asynchrone, alimenté
par le même courant que le moteur
|irincipal et dont le rôle est d'iutro-
duire des résistances croissantes dans
le circuit du rotor du moteur, quand
le courant d'alimentation devieul
exagéré: la vitesse tend ainsi à di-
minuer, elle courant absorbé décroît,
l'énergie supplémentaire étant alors
fournie par l'inertie des masses tour-
nantes, auxquelles on adjoint souvent
un volaul. On peut aussi employer un
groupe convertisseur, constitué par
une commutatrice alimentant un mo-
teur à courant continu, accouplé à un
volant et excité par le courant prin-
cipal. Quand le courant augmente, le
moteur ralentit. et le volant, restituant
du travail, soulage automatiquement
le réseau. L'action inverse se pro-
duit quand le courant d'alimentation
diminue: le volantemmagasine alors
de l'énergie cinétique. Ces dilTérents
systèmes sont à peu près équiva-
lents au poin; de vue du rendement;
ce sont des consiilérations de cons-
truetion et de fonctionnement qui déterminent le
choix qu'on en peut faire.
Le démarrage peut être obtenu de diverses
manières :
1° Si le moteur est à courant continu, on l'ali-
meule soit par une source à voltage variable :
batterie d'accumulateurs ou dynamo excitée sépa-
rément (système Léonard), soit, plus généralement,
par une source à tension constante accouplée en
série à un survolleur-dévolleur réglant la tension
aux bornes du moteur (système Iligner).
20 Si le moteur est à courant alternalif.on insère
dans son rotor un rhéostat, formé de plaques de tôle
immergées dans un liquide conducteur à niveau
variable. Ce procédé a l'inconvénient d'absorber
beaucoup d'énergie. La vitesse angulaire des treuils
étant relativement lente, VII lagrandeur du diamètre,
on a intérêt à employer pour les courants d'alimen-
tation des fréqueiices assez basses : 25 périodes par
seconde en général. Le moteur tourne awrs de 300 à
400 tours par minute. Le volant lui est accouplé
directement, le plus souvent par un système élasti-
que, permettant le débrayage. Le graissage des pa-
liers est fait sous une pression de 5 à 10 kilogrammes,
afln de diminuer les résistances passives, qui sont
390
considérables pour des volants de 30 à 50 tonnes
atteignant une vitesse linéaire périphérique de 80 à
100 mètres par seconde.
L'énergie emmagasinée par ces volants est si
grande qu'on préfi^re souvent les laisser tourner,
même inutilement, toute une n\iit, par exemple, plutôt
que de laisser perdre celte énergie par un ralentis-
sement qui peut, d ailleurs, durer plusieurs lieures.
Elle est suffisante pour fournir 2 ou 3 trails supplé-
LAROUSSE MENSUEL
et l'éclairage au fond, et la commande des ateliers
lie jour.
Le pompage comprend les pompes de fonçage et
les pompes d'épuisement. Les premières sont desti-
nées k évacuer l'eau au moment du forage des puits.
Elles sont centrifuges à axe vertical et directement
accouplées à un moteur électrique asynchrone, com-
plètement fermé à double cloison et circulation
d'eau pour le lefroidissement arlKiciel. Il est. en
Fig. 2. — Machine d'extr^cliou à tambours truiu-oniques (diamètre 3 mètre» à 6 m. SoOJ, actionnée par un moteur Je G76 IIP;
de i'â tonnes ((8g tour» pur minute;.
menlaires quand le courant d'alimentation des mo-
teurs vient à manquer. On renferme parfois les
volants dans des carters en bronze ou en acier, pour
diminuer les pertes par ventilation.
Les courants triphasés produits par la centrale
peuvent être soit utilisés directement dans les mo-
teurs, soit transfoririés en courant continu à tension
variable. Le premier système est plus simple, le
second permet d'employer des moteurs moins puis-
sants, les pointes de puissance étant fournies par le
volant. Dans tous les cas, l'énergie dépensée est de
4 à 8 kilogrammes par tonne de minerai et par kilo-
mètre de profondeur, ou encore de 0,4 à 0,8 kw. par
tonne et par jour, pour des profondeurs moyennes.
Les moteurs sontlargementcalculés,carilsaoivent
pouvoir fournir piès du double de la puissance noi-
male pendant la période d'aceéléralion qui dure une
dizaine de secondes à raison de 2 mètres par se-
conde. La vitesse maximum varie de 10 à 20 mètres
et la vitesse moyenne du trait de 8 à 15 mètres, sui-
vant la profondeur. La période du freinage dure de
5 àlO secondes, suivant la charge utile transportée,
qui est généralement voisine de 3.000 kilogrammes.
Le poids correspondant de la cage et des wagonnets
varie de 4.000 à 8.000 kilogrammes; le cable en acier,
de 30 à 50 "/", pèse de 5 à 10 kilogrammes par mètre.
Toutes ces données interviennent dans le calcul
des moteurs, ainsi que les variations de vitesses
admissibles qu'on fixe ordinairement à 10 p. lOu
en plus ou en moins de la normale. Des écarts plus
ou moins grands conduiraient à des groupes moteurs-
générateurs importants et trop coûteux.
La conduite de l'extraction est simple : elle con-
siste dans la manœuvre d'un levier qui commande
le commutateur du rhéostat d'excitation de la géné-
ratrice et dans celle des rhéostats de démarrage. Des
dispositifs automatiques d'asservissement de ces
appareils empêchent, d'ailleurs, de dépasser les vi-
tesses prescrites pour l'extraction proprement dite,
ou pour la montée ou la descente des mineurs.
Un levier spécial commande le frein h air com-
primé, alimenté par deux groupes compresseurs mus
électriquement. De plus, un frein de sécurité fonc-
tionne, soit h la main, à volonté. Soit automati-
quement, quand l'air comprimé vient à manquer ou
en cas d'ai'rêt du courant, ou encore au cas oii la
cage viendrait à dépasser le niveau de la recette.
L'électricien a sous les yeux un ampère inèlre et un
indicateur de course, donnant à chaque instant la
position de la cage. La figure 2 montre un treuil
d'extraction avec son moteur.
Les principaux services annexes d'une installation
minière sont : le pompage, la ventilation, la traction
effet, impossible d'utiliser à cette fin l'air humide des
puits, qui pourrait détériorer l'isolation des bobi-
nages. Ces pompes sont à haute pression et peuvent
refouler l'eau jusqu'à 400 mètres environ. Pour des
hauteurs plus grandes, on emploie de préférence
des pompes à pistons plongeurs. Le réglage du débit
se fait parla vanne de refoulemenl. Le moteur est
alimenté depuis l'exté-
rieur par un câble armé
sous caoutchouc, appelé
n cible de fonçage ». Lu
tension peut atteindre
3.000 volts.
L'épuisement se fait
maintenant presque ex-
clusivement au moyen
de pompes centrifut;es
multicellulaires à grande
vitesse, accouplées di-
reclement à des moteurs
électriques à courant
continu ou alternatif, qui
ont sur les pompes mues
à la vapeur ou à l'air
comprimé l'avanlaiie
d'un moindre encombre-
ment et d'un prix mi-
nime. Leur rendement
atteintd'ailleursTSp.IOO,
et il est d'autant meilleur
que le débit est plus
grand par rapport à la co-
lonne d'eau. Le rende-
ment varie très vite a\ ec
la vitesse, qui doit être,
par suite, bien réglée
( moteurs asynchrone>
triphasés à puissance
constante ou moteurs ;i
courant continu com-
pound).Les moteurs dits
Il k flux totalisés » conviennent particulièrement :
il est impossible de les surcharger en agissant sur
la vanne, et ils démari'cnt facilement sans vider la
colonne de refoulement. Pour l'épuisement des
galeries inclinées, on se sert de petits groupes
montés sur chariots, qu'on rend parfois automo-
teurs et qui sont alimentés par le circuit de trac-
tion souterrain. On emploie aussi, surtout en Amé-
rique, l'épuisement par caisses à eau. Ce sont des
caisses étanches, pouvant contenir plusieurs mètres
cubes d'eau et circulant dans les puits comme les
cages d'extraction, à l'aide de treuils analogues.
«• 133. Mars 1918.
Ce système a l'avantage de la rapidité; de plus, sa
commande se fait de l'extérieur. Les moleurs de
pompes d'épuisement atteignent souvent des puis-
sances de 800 à 1.000 chevaux et des vitesses de
1.500 à 2.000 tours par minute.
La ventilation des galeries de mines se fait ordi-
nairement par ventilateurs refoulants, actionnés di-
rectement par des moteurs dont la vitesse doit
rester aussi constante que possible. On emploie pour
cela le moteur à courant continu à excitation com-
pound, ou le moteur synclirone ou asynchrone ài
fréquence constante. La charge d'un ventilateur de
mines peut varier parfois du simple au double. Le
moteur doit être calculé en conséquence, et, s'il est
asynchrone, il y aura lieu de le prévoir à bagues
avec rhéostat extérieur ou rotor commandé par le
courant d'alimentation et servant aussi au démar-
rage. Le couple d'un ventilateur variant à peu près
comme le cube de la vitesse, celle-ci varie peu en
pratique, et l'énergie dissipée dans le rhéostat reste
faible. Si le moteur est synchrone, il y a lieu de
l'exciterpar une source séparée facilement réalahle,
de façon à marcher toujours avec le meilleur facteur
(le puissance. On emploie parfois, aussi, un trans-
formateur de fréquence, permettant de faire varier
la vitesse d'envii-on 20 pour 100. D'autres disposi-
tifs permettent d'obtenir des écarts plus considéra-
bles, mais ils sont assez compliqués. Les moleurs
de ventilateurs atteignent couramment des puis-
sances de 2.000 chevaux. Comme ils fonctionnent
presque toujours sans arrêt, toute économie sur
leur construction est intéressante. La figure 3 mon-
tre un moteur de 5.000 chevaux (104 tours par mi-
nute), actionnant un ventilateur de 7™, 40 de dia-
mètre, débitant 100 mètres cubes par seconde,
installé aux mines de Béthune.
Pour le service du fond, la construction doit ré-
pondre aux conditions particulières de la mine. Si
celle-ci est humide, l'isolement des conducteurs est
renforcé et les moteurs, au besoin, clos hermétique-
ment. Il faut les protéger surtout contre les déga-
;4ements de vapeurs acides; mais il faut surtout
éviter tout danger d'incendie par production d'étin-
celles dans les mines à atmosphère grisouteuse.
C'est pour cette raison qu'en France, du moins,
l'emploi des moteurs à collecteur est interdit par
la loi. Seuls, les moteurs à rolor en court-circuit
(cage d'écureuil) sont autorisés. Il existe, cependant,
des moteurs à bagues cuirassés et ventilés, dits anli-
déflagranls, qui donnent toute sécurité à cet égard :
l'air, aspiré d'un côté à travers des grillages de
tôles superposés, s'échappe de l'autre côté du mo-
teur (^,9. 4) par une ouverture garnie de grillages
semblables. Toute explosion est ainsi rigoureuse-
ment localisée à l'intérieur du moteur.
La traction au fond se fait au moyen de locomo-
tives électriques de forme très compacte, alimentées
soit par un système de trolley ordinairement à cou-
l'ig. 3. — Moteur asynctironc triphasé, aetiunnaut uu ventilateur lie ujines*.
rant continu (200 il 500 volts'l. maintenu par des
isolateurs spéciaux, soit par batteries d'accumula-
teurs mobiles. Le premier système s'emploie sur-
tout dans les galeries principales, l'autre dans les
galeries secondaires. Les batteries sont facilement
remplaçables pour ne pas interrompre le service,
chacune d'elles étant calculée en général pour
24 heures de fonctionnement. Une locomotive de
5 tonnes peut remorquer 10 à 12 wagons de 1 tonne
chacun, à la vitesse de 12 kilomètres & l'heure sur
rampe de 1 p. 100. La puissance développée atteint
souvent 250 chevaux.
»• 133. Mars 1978.
Pour les travaux de sondage, on emploie avan-
tageusement des sondeuses rotatives à diamants,
mues par de petits moteurs asynchrones à cage
d'écureuil. Pour l'ouverture des galeries, on sa sert,
dans les terrains mous, de perforatrices électriques
rotatives à mouvement automatique, dont la vitesse
de progression est réglable dans de larges limites
suivant la nature de la roche. Dans les terrains
durs, les perforatrices sont à percussion, l'oulil étant
actionné par une bobine de succion, ou à percus-
sion et rotation combinées. Ces machines sont moins
encombrantes, plus légères et faciles £i
manier que les perforeuses à air com-
primé; surtout, leur consommation est
a ou 6 fois moindre pour le même tra-
vail accompli. Leur puissance moyenne
est de 1 à 2 kilowalts.
Quant aux distributions d'éclairage
électrique, elles sont maintenant d'un
emploi courant dans les mines. Les
canalisations se font sous tubesétanrhes
isolés i 11 térieurement(genreKergmann)
et réunies par des boîtes de jonction.
Les anciennes lampes à huile indivi-
duelles sont remplacées par des lampes
électriques portatives à accumulaleuis-,
pesant!, 5 à Skilogrammes.Toutcourt-
circuit est rendu impossible, et la sécu-
rité est plus grande qu'avec les lampes
à flammes dite « de sûreté ».
L'énergie électrique sert aussi à la
commande des machines des ateliers
de jour et k celle des petits treuils
d'extraction pour plans inclinés ou ser-
vice restreint. En dehors des machines-
outils communes à tous les ateliers de
réparation, on a à actionner des mo-
teurs pour le criblage et le lavage du minerai et,
dans les mines de charbon, pour la fabrication des
briquettes et agglomérés. Ces moteurs sont, en
général, asynchrones, à rotor fermé et à grand couple
de démarrage.
La puissance électrique installée dans les mines
en 1914 dépassait 200.000 kilowatts pour l'Europe
seulement. En France, il faut citer particulièrement
les installations de la Société des mines de Lens
(18.000 kilowatts). —Jacques Diyi».
Gtrand destin commence (Un), par Oné-
sime Reclus (Paris, 1917). — Des deux ouvrages
qu'au moment de sa mort Onésime Reclus a laissés
manuscrits, voici le premier. C'est, comme tout ce
qu'a écrit le regretté géographe, un livre très inté-
ressant et très vivant à la fois; il est entièrement
consacré à l'exaltation de l'Afrique française et à la
démonstration du superbe avenir qui, de ce côté, est
réservé à notre race. Là, et là seulement — à en
croire l'auteur — la France doit prétendre à la
constitution d'un empire colonial; mais quel empire
que cet empire français d'Afrique! Ce sera, en réa-
lité, un " joyeux agrandissement de notre famille ».
Ces quelques mots résument toute la thèse que, d'un
bout à l'autre d'Un grand destin commence, sou-
tient Onésime Reclus; comment la justiHe-t-il?
Dès le début, une difficulté se présente à l'esprit
du lecteur : elle résulte de la diminution de notre
natalité. La race française n'a-t-elle pas perdu sa
lécondité? Oui, répond Onésime Reclus; chez les
différents peuples de la terre, le croit diminue avec
la pauvreté; « la facilité de vivre finit par détruire
la vie », et la France en fournit, hélas! la preuve la
plus éclatante. Nous pouvons donc «beaucoup moins
3ue ne le croient la plupart d'entre nous, par suite
e la décadence de nos familles ». Voilà, précisé-
ment, ce pour quoi nous devons nous borner à
l'Afrique, ^ui est « au plus près de la France » et
qui vaut singulièrement comme terre de coloni-
sation.
Pour justifier la première de ces assertions, un
simple coup d'oeil sur la carte suffit. Pour justifier
la seconde, il convient d'interroger les faits. L'hy-
giène a réalisé de tels progrès qu'on peut vivre
aujourd'hui dans des parties du continent noir où,
naguère, il était impossible de le faire; on y peut
vivre, et on y peut donner la vie jusque sur les
bords du Congo, et on le fera bien mieux encore
dans l'avenir, par toute la superficie de celle masse
compacte, de ce bloc franco-africain qui s'étend de-
puis la Méditerranée et l'Atlantique jusqu'en plein
centre du continent naguère « mystérieux ». Non
contents d'y vivre et d'y donner la vie, les Français
y nationaliseront les indigènes, grâce h l'usage de
fa langue nationale, et ils leur donneront commu-
nauté de pensée avec eux-mêmes; les chemins de
fer, transsahariens et autres, feront le reste. Telle
est, selon Onésime Reclus, la lâche réservée à la
France en Afrique; sans doute, est-ce là une lâche
superbe; mais combien est-elle ardue pour un pavs
à aussi faible natalité que le nôtre! Sera-l-il possible
à 1.1 France de la remplir ?
Oui, répond Vn grand destin commence ; à deux
conditions! La victoire d'abord, la victoire sur « la
pieuvre qui lançait ses fouets sur la terre entière »
et qu'il faut exclure de l'Afrique et du monde. Cela,
LAROUSSE MENSUEL
c'était chose presque faite au moment où Onésime
Reclus écrivait, et c'est chose complètement faite
aujourd'hui, — pour l'Afrique s'entend... Ensuite,
la France devra se comporter, au sud de la Méditer-
ranée, comme les Romains l'ont fait en Gaule, après
la conquête de cette contrée par Cé.sar. Alors, Rome
a romanisé les Gaules par la majesté du nom ro-
main, par la supériorité de sa civilisation, par la
diffusion de la langue impériale, par un réseau serré
de routes stratégiques, par un admirable souci de
l'hygiène des villes, par une merveilleuse utilisation
Fig. 4. — Moteur triphasé de 330 UI*. pour mines grtsouteuses.
des eaux, par le respect des institutions locales, par
une complète tolérance religieuse et, en somme,
par une patience inaltériible. Voilà quelle fut, en
Gaule, la ligne de conduite de Rome; que cette
ligne de conduite devienne celle de la France en
Afrique! Imiter Rome, voilà ce qui lui réussira le
mieux par tout cet immense continent, ce qui lui
permettra de parer de la meilleure façon aux dan-
gers du dehors et à ceu.\ du dedans.
De cette proposition, formellement énoncée dans
le chapitre XIX li'Un grand destin commence (ce
chapitre est intitulé : « Faire en Afrique ce que Rome
fit dans le monde ancien »), Onésiine Reclus fournit
ensuite la démonstration complète dans une série
de chapitres très brefs, mais impressionnants par
leur brièveté même, qui n'exclut nullement l'accu-
mulation des preuves. Le prestige du nom français
est déjà très considérable et, partout, il montre dans
le Français l'homme supérieur àl'indigène. De même,
la civilisation française domine de très haut celle de
notre empire d'Afrique, « pratiquement, politique-
ment, socialement, intellectuelleraent et presque
toujours moralement ». On connaît, d'autre part, les
progrès réalisés par la langue française sur la mul-
titude des dialectes africains ; ou sait que les hommes
de l'époque contemporaine peuvent, en fait de routes
et de voies de communication, faire mieux que les
Romains. Quant à notre service de l'hygiène, à
notre connaissance de la pureté des sources, ils sont
supérieurs à ceux des Romains. Si, d'autre part, en
matière d'irrigation, nous avons à réaliser de très
grands progrès pour en arriver à réaliser le néces-
saire, du moins les forages des puits artésiens de
rOued-Rir et bien d'autres faits encore attestent
notre capacité à cet égard ; il nous incombe de four-
nir la preuve de nos talents dans nos n trois
Egyptes» : du Sénégal, du Niger, du delta duChari
et des rives du Tchad, et aussi dans ces « Egyptes
secondaires » qui existent « dans les bassins conti-
nentaux et dans les bassins côtiers, au pays du
Sénégal, du Niger, du Ghari, du Congo et tout an
long du littoral de la Guinée ». Pour couronner
une telle œuvre matérielle et civilisatrice, main-
tenons provisoirement, mais pendant longtemps,
les institutions locales, et montrons-nous très
tolérants à l'égard des musulmans et à l'égard des
fétichistes ; gardons-nous de favoriser l'islam, car
il est à redouter (■■ il relardera le triomphe de la
France sur sa part » de l'Afrique, dit formellement
Reclus), et travaillons, au contraire, à lui enlever
le plus possible des terres sur lesquelles il veut
s'étendre. C'est là une « œuvre à confier à des mis-
sions chrétiennes de prêtres dévoués jusqu'à la
mort, ce qui est le cas de nombre d'entre eux, cons-
cients de leur devoir, sûrs de leur doctrine, souvent
même ambitieux du martyre... Un Etat vraiment
tolérant — ce que devrait être la France — favori-
serait les missions, soit catholiques, soit proles-
santes ou, du moins, les laisserait absolument libres,
au lieu de les gêner et, peut-être, de les supprimer...
Un catholique sincère, un protestant sincère aussi,
ont plus de chances d'être d'excellents Français
qu'un musulman, bien plus tourné par sa foi vers
Le Caire, La Mecque, Médine, Damas, que vers
Paris, Lyon, Bordeaux et Marseille ».
Bien entendu, pour réaliser une telle œuvre,
si considérable et si belle, une « patience infinie »
391
est absolument nécessaire; aucun des articles de
ce vaste programme ne s'improvise. Mais ta pa-
tience peut-elle quelque chose sans la force? Or,
précisément, la force nous manque : elle nous
manque chez nous, par noire « aiialalilé »; d'au-
tre part, le peu de force vitale qui nous reste,
nous le dispersons, nous le gaspillons follement. De
nos colonies nous écartons les colons pauvres au
bénéfice des colons riches, qui ne colonisent pas, qui
ne peuplent pas, qui ne mettent pas en valeur; —
nos colons, nous les envoyons dans des pays qui ne
sont pas nôtres, où ne (lolte pas notre drapeau, et
c'est là, aussi, que nous faisons affiner nos capitaux.
Onésime Reclus combat la " propagande infatiga-
ble » que font tant d'économistes pour la colonisa-
tion de régions « dont la deslinfc est hors de France,
hors d'Europe » ; il faut réagir. Dcj maintenant,
notre AIrique du Nord nous y aide; là coule « un
fleuve de vie française ». Ce Meuve coule du sud au
nord, puisque les hommes de l'Afrique Mineure
commencent & aider les Français dans la France
même (les migrations actuelles du temps des mois-
sons et bien d'autres faits le prouvent); ce fleuve
coulera un jour du nord au sud, de la Méditerranée
aux sources du Congo. Si, après la grande et terri-
ble guerre actuelle, la France comprend son rôle,
elle agira conformément au programme esquissé tout
à l'heure : elle colonisera l'Afrique. Alors, se pro-
duira le « grand destin » qui ne fait encore que pré-
luder; alors, se réalisera le beau vers de Lucrèce :
liestinxit stellas exortus ut xtlieriiu tôt,
(o Comme le soleil parvenu au zénith efface les étoi-
les »), la France resplendira dans le monde.
Tel est Vn grand destin commence : un livre dont
il est possible de discuter certaines idées, mais un
livre excellent dans l'ensemble et qui valait la peine
d'être analysé avec quelque détail. Tel qu'il nous a
été donné, cet ouvrage n est pas absolument tel que
l'avait conçu Onésime Reclus; une noie des édi-
teurs nous apprend, en effet, qu'avant d'entrer dans
le vil' de son sujet, l'auteur avait envisagé un sys-
tème d'équilibre colonial, basé notamment sur di-
vers échanges de territoires et que la publication
de celle partie du dernier travail de l'éminent géo-
graphe a été remise à un peu plus tard. Un grand
destin commence ne souflre pas de cette amputa-
tion; c'est un livre absolument un, se suffisant
pleinement à lui-même, complet dans le cadre qui
est le sien.
Une excellente biographie d'Onésime Reclus,
écrite d'une plume émue par un des siens — qui
n'a pas signé — précède Un grand destin com-
mence et prépare à la lecture de ce beau livre, aussi
remarquable par sa science impeccable que par sa
foi ardente dans l'avenir de la France et par la vie
de son style, pittoresque et imagé. — Henri Froidevàcx.
Guerre en 1914-1918 (la). [Suite.] —
Le mois de janvier 1918, quarante-deuxième mois
de la guerre, sera certainement caractérisé, dans les
histoires qui s'écriront plus tard, par la stagnation
militaire et, au contraire, par l'activité de ce qu'on
a appelé 1' « offensive diplomatique ». Les armées
étaient restées en présence, mais aucune grande
opération tactique n'avait été entreprise et, en dé-
pit de beaucoup de bruits de presse, il était impos-
sible de prévoir s'il s'en produirait une, et sur quel
point. Mais on avait, plus que jamais, discouru et,
celte fois, la précision de certaines paroles solen-
nelles, la justice et la modération des buts de
guerre qu'elles avaient définis sans ambages ni res-
trictions leur avaient donné une portée sans précé-
dent. Les déclarations de Lloyd George et de Wil-
son, celles de Stephen Pichon avaient, de la façon
la plus évidente, ouvert la porte à des négociations
préliminaires, qui auraient pu conduire à la paix
dans un délai raisonnable, si la politique tortueuse
des Empires centraux et l'aveuglement des peuples
germaniques n'y avaient mis un obstacle qui, en fin
de compte, ne paraissait pouvoir être écarté que par
les armes. Cependant, tout prouvait que la Turquie
et la Bulgarie — celle-ci malgré des vantardises de
presse assezridicules — souhaitaient une paixprompte
et définitive, et l'Autriche, tout en restant fidèle à
son alliance allemande, dont sa partenaire ne lui
laissait d'ailleurs pas oublier les exigences impéra-
tives, était certainement dans une situation telle que
la paix lui était indispensable. L'Allemagne elle-
même, en dépit de ses bravades, souffrait cruelle-
ment, et aucun soulagement ne lui avait été apporté
par la défection russe. L'idée de paix s'imposait
donc, àelle aussi, avec une force croissante et, seule,
la puissance d'un esprit militaire, rt^sté maître de
toute la politique allemande, l'empêchait de produire
tout son effet. Sans doute, on devait se demander si
tout ce que l'on racontait sur l'épuisement physique
et moral de l'Allemagne ne continuait pas a ren-
trer dans la catégorie des illusions décevantes que
la presse française avait depuis trop longlemps fait
défiler sous nos yeux incrédules. Mais la sûreté et
la concordance des renseignements , l'existence
indéniable de grèves et de mouvements populaires
prouvaient que la prolongation indéfinie des pri-
vations de toute nature conduisait peu à peu et
392
sûrement le peuple allemand à une dépression
sans remède. Le gouvernement s'efforçait de ra-
nimer la confiance par des nouvelles habilement
répandues, qui pouvaient faire croire à une détente
prochaine, et le ch;incelier Hertling avait cru
devoir affirmer une l'ois de plus les exigences que
sa prétendue victoire permet à l'Allemagne de for-
muler. Mais la réalité restait, et la lenteur des ré-
sultats diplomatiques donnait à ces affirmations un
démenti inquiétant, que les divisions de l'opinion
rendaient plus sensible. Rien de précis, en elTet,
n'était encore sorti des pourparlers de Brest-Litovsk,
et la solution ne semblait pas proche. On compre-
nait l'hésitation qu'éprouvait l'Allemagne à traiter
avec le gouvernement maximaliste, qui n'offrait au-
Sous-marins ennemis signalés par un vol de moueltos Les maleloU. il bord des j)atrouiUeiirs,
ont remarqué que les mouettes et autres oiseaux dn mer accompagnent les sous-marins avec per-
sévérance, i-ousscnt des cris et décrivent des virages significatifs suivant que le bateau varie ses
mouvenicnls d'immersion. C'est ainsi que la direction de leur vol indique celle du soua-marin, dont
on aperçoit bientôt le périscope en observant attentivement la surface de l'eau.
cuue garantie, ni matérielle ni morale. Mais il fallait
reconnaître que les changements d'attitude de l'Al-
lemagne et ses exigences au sujet de la Pologne et
des provinces Balliques avaient été l'empêchement
essentiel à une marche plus rapide des négocia-
tions. Le peuple allemand ne pouvait pas ne pas
s'en apercevoir, et les peuples de la monarchie aus-
tro-hongroiseledisaientouverlement. I.epcu qu'on
savait des événements intérieurs de Russie, dont
nous parlerons plus loin, donnait l'impression d'un
désordre inimaginalile, <le misères alfreuses, d'une
décomposition universelle etsans remède, étendue ii
tous les organes sociaux, et l'on était incapable de
concevoir comment de ce chaos pourrait sortir un
jour quelque chose; on ne pouvait rien deviner
qui ressemblât aune vie normale et à un gouver-
nement régulier. Les peuples de l'Entente contem-
plaient avec un sang-froid et une fermeté remar-
quables ce spectacle extraordinaire. Ils montraient à
l'égard des Russes une indulgence qui aurait dû ou-
vrir les yeux àce peuple, s'il eût été capable de réfié-
chir ou, plutôt, s'il avait eu conscience de ses actes.
Ils attendaient avec patience que le temps fît sou
œuvre, et ils comptaient un peu sur les lourdes
maladresses par lesquelles la fortune a permis que
l'Allemagne compensât toujours ses plus précieux
avantages. Ils soulfraient avec courage et se prépa-
raientà soutenir de nouvelles luttes. Mais eux aussi
souhaitaient la paix, si bien que l'on peut affirmer,
sans crainte de se tromper, que ce moment curieux
où les hostilités avaient été presque suspendues en
fait, où personne n'abandonnait les positions prises
depuis longtemps et s'affirmait sincèrement prêt h.
LAROUSSE MENSUEL
prolonger indéfinimentla guerre, était dominé, dans
le monde entier, par une aspiration universelle au
repos et une espérance grandissante de la paix.
Sur un seul point, une activité militaire utile
s'était produite. Nos alliés italiens, dans un heureux
réveil, avaient, à la fin de janvier, sur le plateau
d'Asiago et sur la Breiita, marqué une offen-
sive victorieuse, qui leur avait donné plusieurs mil-
liers de prisonniers et des positions avantageuses.
Par ailleurs, on attendait. Quand et sur quel point
reprendraient sur le front français les opérations
militaires ? Aucune conjecture sûre ne pouvait être
faite, à la fin de janvier. Depuis deux mois, on
annonçait une offensive formidable, qui, pas plus
en janvier 1918 qu'en décembre 1917, ne s'était
produite. Certes, la saison
rigoureuse devait être
comptée parmi les raisons
qui avaient amené cet
ajournement d'une attaque
qni était dans la logique
•s choses. Il y en avait
irtainement d autres, et
iis discussions qui
- étaient agitées à Berlin,
Mitour de Guillaume II
lui-même, au sujet de la
politique allemande,
Il 'avaient probablement
lias laissé au coinmande-
nieut allemand la liberté
d'esprit nécessaire à une
opération étendue comme
celle dont on nous avait
menacés. Bref,il ne s'était
rien produit; la question
était de savoir s'il se pro-
duirait quelque chose, si
nos adversaires tente-
raient cette grande aven-
liire et s'ils étaienten me-
-iire de la tenter. On était
|irét à tenir le coup, mais
il ne fallait pas sedissimu-
Irr qu'une offensive alle-
mande, si certains que
nous fussions de la re-
pousser, restait une chose
grave, d'où l'issue rapide
de la guerre et les condi-
tions de la paix dépen-
daient évidemment. Cette
olfensive pouvait se pro-
duire soit à Verdun, soit
en Champagne, soit en
Flandre, suivant que l'ob-
jectif serait Paris, ou Ca-
lais et Dunkerque, ou les
deux directions à la fois.
On s'était, en oiili'e, de-
mandé de nouveau avec
quelque vraisemblance si
les Allemands n'avaient
pas envisagé encore un
coup une attaque par la
Suisse et une marche vers
le Rhône et vers Lyon.
Ce n'était qu'une hypo-
thèse, appuyée d'ailleurs
sur quelques faits con-
crets, et nous devions es-
pérer que toutes les précautions avaient été prises.
L'opinion publique, aussi bien civile que militaire,
sural)ondamment avertie par la presse, ne s'étonnait
d'aucune de ces menaces. Cependant, l'armée améri-
caine grandissait sur le sol français, l'Angleterre for-
tiliaitson recrutement militaire, la France faisait la
chasse aux embusqués et appelai lia classe 1919. D'im-
menses efi'orts étaient accomplis pour mettre notre
aviation à la hauteur de l'aviation allemande. Ou sa-
vait, en effet, que nos ennemispossédaient de grands
appareils du type « Gotha», capables d'un rendement
en vitesse et en chargesupérieuràceuxde nos propres
avions. On avait paru redoulerdesincursions diurnes
ou nocturnes, auxquelles on avait préparé les popula-
tions et, notamment, la population parisienne. On de-
vait toujours craindre, en effet, que le besoin de sau-
vage destruction, le goût de l'horreur barbare dont
l'inutili té et la honte n'ont pas gut'i'i nos ennemis, enfin
leur totale ignorance du calme des Parisiens devant
le danger ne leur suggérassent quelque tentative
monstrueuse. Elle n'avait pas manqué de se pro-
duire. Dans la nuit du 29 auSOjanvier, Londres avait
été bombardée une fois de plus. Dans celle du 30
au 31, de nombreux avions avaient survolé Paris,
tuant 45 personnes, la plupart des femmes et des
enfants, en blessant 207 et faisant de nombreux dé-
gâts matériels. L'inconscience allemande décorait
ces crimes du nom de « représailles ». On devait
souhaiter qu'ils ne restassent pas impunis.
D'autre part, la question de la guerre sous-marine
ne semblait plus se poser avec la même acuité.
Non pas que les torpillages eussent cessé et que,
de temps à autre, quelque méfait retentissant ne I
AI* 733. Mars 1918.
vint frapper l'attention publique; mais il était
avéré, après un an bientôt passé depuis les grandes
menaces de l'Allemagne, que ce n'était pas de ce
côté que viendrait la victoire allemande. La siV
reté avec laquelle les croiseurs américains sillon-
naient l'Atlantique, non moins que le bilan des en-
trées et sorties dans les ports français et anglais,
prouvaient assez que l'on se gardait bien et que la
maîtrise des mers à laquelle avait prétendu 1 Alle-
magne n'avait pas changé de mains. Même, la flotte
anglaise, en coulanidans les Dardanelles le Breskiu
et en forçant le Gœhen à s'échouer, avait montré que
tout finit par se payer et avait remporté une victoire
dont la portée morale dépassait la valeur navale.
Enfin, si, dans cet instant d'accalmie, on établissait
la balance des résultats acquis, on constatait que, si
les Allemands pouvaient mener grand bruit autour
des gages qu'ils détenaient en Belgique, en France,
en Italie, en Roumanie et en Serbie, ils se gardaient
bien de parler de ceux que l'Angleterre avait en
mains, c'est-à-dire toutes les colonies allemandes, la
Mésopotamie et la Palestine. Si l'on y ajoutait le blo-
cus de l'Allemagne afi'amée, manquant d'un nombre
considérable de matières premières nécessaires à
l'industrie et dont la privation afi'eclait cruellement
sa population, on devait conclure qu'au jour des
négociations de paix, quand chacun abattrait son jeu,
tous les atouts ne seraient pas, comme ils voulaient
le faire croire à leurs peuples, entre les mains des
Empires centraux. Il était, d'ailleurs, permis d'espérer
que du Conseil de guerre interallié, qui réunissait à
Versailles, le 30 janvier, sous la présidence de
Clemenceau, Pichon, Lloyd George et lord Milner,
Orlando et Sonnino, Foch, Pétain efWeygand, Ro-
bertson,WilsonetDouglas Haig, Alfieri et Cadorna,
Bliss et Pershing, finirait par sortir l'unité de com-
mandementquiparaissaitsi désirable itoutle monde.
L'effort diplomatique avait été, au contraire, très
actif en janvier, et il s'était appliqué à deux faits
connexes, quoique d'ori.ifine très différente : les
conférences de Brest-Lilovsk et la dérlaratioii du
président Wilson. — On se souvient que les confé-
rences de Brest-Litowsk avaient été interrompues,
lin décembre, sous le préle.vte fallacieux qu'il fallait
permettre aux puissances de l'Entente de prendre
part aux négociations en vue d'une paix générale,
iaute de quoi, une paix séparée serait conclue avec
laRussie. A moins que la na'iveté et l'illuininisme
russe n'aient dépassé les limites possibles, il est
certain que les participants à la conférence de
Brest-Litovsk, et à coup sûr les Allemands,
n'avaient aucun doute sur l'inanité do celle invitation.
11 n'est pas impossible qu'il n'y ait eu, dans ce délai
que s'accordaient les Allemands, que le besoin de
s'occuper exclu-
sivement du dif-
férend politique
qui avait surgi
dans le gouver-
nement et l'opi-
nion à propos des
négocia lions
alors engagées. 11
est utile de rap-
peler, en effet,
que, dès l'abord
et dans des ilé-
clarations qu'en
dépit de la diffi-
culté où l'on se
trouve d'établir
une exacte chro-
nologie des faits,
on peut fixer aux
22 et 25 décem-
bre 1917, les re- , . . , „ „ ,, . . ^, .
nrÂcont'inf,: ail . ^^ général Ilofïmann. plénipotentiaire
presetuduts aile- allemand auitnégociationsaeBrest-Litovsk.
inands avaient
manifesté une bonne volonté évangélique et un
éloiguement précis pour les annexions effectuées
par la force. Mais, le 27 décembre, le ton changeait,
et ils déclaraient ne pouvoir évacuer les territoires
envahis dans les provinces Baltiques, que, par un
sophisme très allemand, ils considéraient comme
déjà séparées de la Russie et, par suite, en dehors
des négociations.
Cette altitude n'avait pas empêché les maxima-
listes d'adresser aux puissances de l'Entente un
manifeste par lequel ils les invitaient à participer
aux négociations pour la paix. — A la reprise des
conférences, les Russes avaient demandé ù trans-
férer la discussion dans un pays neutre, à Stock-
holm en particulier. Le chancelier Hertling, et avec
lui Gzernin, avaient déclaré ce transfert impossible,
tant au point de vue de la difficulté des communi-
cations qu'au pointde vue des facilités qu'un congrès
séparé en pays neutre aurait données aux puissances
de l'Entente d'intervenir à côté des négociations.
Les Russes s'étaient inclinés. Mais la question des
territoires envahis s'était posée à nouveau et, de
chaque côté, on avait précisé son point de vue. Les
Russes demandaient pour eux la liberté complète
de s'administrer et de décider de leur sort, ce qui
comportait l'évacuation par les Allemands, s'enga-
/V- 133. Mars 1918.
LAROUSSE MENSUEL
393
Un incident de loffensive dans les Flandres : Les aitilleuia britanniques changent de positions au galop sous le bombardement intense des Allemands. (Fr de Haenen, (Ae llluMlratcd London NtWM.)
géant pour leur compte à n'exercer sur ces lerii-
toires aucune pression économique ou mililaiie.
Les Austro- Allemands répondaient brutalement
d'abord, parla grosse voix du général HofTmann, puis
non moins nettement par celle de von Kuhlmann, que
celte évacuation ne pouvait avoir lieu avant la paix
générale et qu'au surplus ce n'était pas aux Russes
vaincus à poser des conditions. Dans ces conversa-
tions aigres-douces, l'Allemagne n'avait point mis
de formes, et elle y
a v'a i t montré ou
qu'elle était venue dès
l'abord à Brest -Li-
tovsk avec des inten-
iioiisde fourberie nul-
lement invraisembU'
blés, ou qu'elle avait,
sous la pression pan-
germaniste, modifié
en cours de route les
désirs primitifs de
concessions qui
étaient inspirés par
von Kiihlnianu. Le ré-
sultat, d'ailleurs, avait
été identique. Il sub-
sistait plus qu'un ma-
lentendu : une diver-
gence totale de vues
entre les négociateurs
et, si aveuglés (|ue lus-
sent les maximalistes,
leur chef, Trotsky,
n'avait pu ne pas com-
prendre que la Russie
était h la fois dupe et
victime. Ses protesta-
tions, ses inanifcsles,
lesarticlesdesesjour-
naux n'y pouvaient
rien.Ilélaitavéré que
rAlIemagne ne làcîio-
rait rien de ses con-
quêtes baltiques. Elle
y était poussée d'une
part par son propre
parti militaire, d'autre
part par K's propriétaires baltes, allemands de race
et de langue, qui souhaitaient l'annexion ouverte ou
dissimulée de leurs provinces et redoutaient toute
consultation populaire libre. C'est sur eux qu'elle
s'était appuyée. C'est d'eux qu'étaient venues les ma-
nifestations dites«/)on^a7i(;e«despopulations baltiques
en faveur de l'Allemagne, notamment la plus récente,
celle de la Courlande, sur lesquelles les négociateurs
allemands s'appuyaient sans vergogne pour déclarer
ces régions dorénavant séparées de la Russie. Le
gouvernement russe était obligé d'acquiescer, dans
sa totale incapacité de résister... Il était joué.
Bien plus, un élément nouveau élait intervenu
aux conférences de Brest-Litovsk en la personne
des délégués de l'Ukraine, reconnus par les Russes
et, plus encore, par les Austro-.Mlemands, comme
plénipotentiaires autonomes. — La question de
l'Ukraine était troublante, et il élait bon d'en com-
Le navirc-l)ô{iita) .inglais Rêva, revenant de Gibraltar, a été torpillé et coulô dani le canal de Bristol, par un sous-marin allemand, vers
minuit, le 4 janvier l'J18. Le navire montrait tous ses feux et toutes les marques prescrites par la CouTenlion île La Haye et ne navij^uait pas
dans la zone prohibée par l'ordonnance du gctuvernemenl allemand. d.itée du 29 janvier 1917. C'est un crime de plus h ajouter aux nombreux
forfaits commis par les Allemands en haute n.er et en violation des engagements les plus formels. (Tous les blessés ont été sauvés et trans-
portés a bord des bateaux patrouilleurs i il n y a eu que trois morts parmi tes soutiers.)
firendre rimportance. Nous avons déjà dit que la
'etite-Russie présentait à la fois une force numé-
rique et une cohésion nationale et sociale plus aisées
à saisir que partout .tilleurs en Russie. La Rada de
Kiev se présentait comme un gouvernement régu-
lier, sachant ce qu'il voulait, capable peut-être de
contre-balancer l'incohérence du gouvernement
maximaliste de la Grande-Russit;. L'op|)Oser à ce
gouvernement était une indication facile à dégager
en tout élat de cause. Aboutir avec lui à une paix
séparée était un moyen de déconsidérer le gouver-
nement de Petrograd et de l'obliger à souscrire à
une paix quelcontiue, pourvu que ce fût une paix
et que les populations russes reçussent sur ce point
satisfaction. Mais une autre raison poussait encore
les Empires centraux, et en particulier l'Autriche,
vers une paix rapide avec l'Ukraine : c'était l'espoir
de trouver sur son territoire les réserves de blé
capables de soulager
les souffrances terri-
bles du peuple autri-
chien. On comprend
ainsi pourquoi, à un
certain moment de la
seconde quinzaine de
janvier, les informa-
tions allemandes an-
nonçaient ferme la
conclusion avec
rUki'aine d'une paix
qui était loin d'être
conclue. En eiïet, les
maximalistes, tout en
reconnaissant l'indé-
pendance de l'Ukrai-
ne, ne s'étaient pas
interdit d'en disenter
la forme, et ils avaient
opposé d'abord & la
Rada de Kiev les so-
viets et le gouverne-
ment maximaliste de
Karkhof, faisant dé-
nier par celui-ci aux
délégués du gouver-
nement de Kiev tout
droit de parler au
nom de l'Ukraine. Si
l'on ajoutait à cela la
{iréseiice au sud de la
Russie des troupes de
Kaleilineetd'Alexeief
et celle des troupes
roumaines, on aperce-
vaitdcjà toute la com-
plexité de la question
ukranienne, au seul point de vue de la paix russe.
Mais il y avait autre chose encore et qui intéres-
sait plus spécialement l'Entente : quelles étaient les
limites géographitjues de l'Ukraine'? A en croire les
représentants de l'Ukraine et si l'on s'en réfère à
l'ethnographie pure, une partie considérable de la
Galicie serait non pas polonaise, mais ukranienne,
et devrait être rattachée à l'Ukraine etdistraitede la
Pologne. Mais la Pologne n'avait pas été admise à
394
LAROUSSE MENSUEL
Lf* ri'|>os, aiu-es une atUi
être représentée à Brest-Lilovsk et la question se
discutait unilatéralement enUe l'Ukraine el l'Au-
triche-Hongrie. Si l'on constate que, par ailleurs, la
Lithuanie, de son côté, se montrait disposée, en se
basant sur des arguments anologues, à réclamer
elle aussi des territoires considérés comme polonais,
on s'apercevra qu'il y avait là en germe un diffé-
rend polonais nouveau, que l'Entente avait le plus
grand intérêt à éclaircir. Notons, enfin, qu'en ce qui
concerne la question du blé, si les Empires centraux
trouvaient en Ukraine un centre de ravitaillement
organisé, leur position présente s'améliorait sin-
gulièrement, la paix leur était moins nécessaire,
et, quand elle entrerait en discussion, nos ennemis,
certains que l'Entente ne pourrait plus les alfamer,
auraient là un point d'appui très solide, qui leur
manquait si le blocus auquel nous avons tout
sacrifié pouvait être continué sans fissure jusqu'à
la findes négociations. On voit par ces deux consi-
dérations que la question de l'Ukraine a une portée
beaucoup plus étendue qu'une simple question de
nationalité. Quelle était, à l'égard de l'Ukraine, la
politique de l'Entente? Il eût été téméraire d'émettre
à ce sujet une afiirmalion. Il l'eût été aussi de dire
exactement oii en étaient les négociations avec les
Empires centraux, les habitudes de la propagande
allemande devant nous rendre suspectes toutes les
affirmations publiées sur ce sujet par la presse
d'outre-Rbin jusqu'à la fin de janvier.
Pendant que les négociations de Brest-Litovsk
se prolongeaient ainsi sans conclusion, que deve-
nait la Russie?
Nous avons dit
plus haut le trou-
ble presque inex-
tricable de la
Russie méridio-
nale. Au nord,
les bolcheviiti
(bolc he viks)
avaient accepté
l'indépendance
de la Finlande,
que la France, la
SnJ'deellaSuisse
avaient aussi re-
connue. 11 avait
été dirficile d'ap-
précier jusqu'à
<iuel point cette
indépendance
comportait la li-
berté politique et
Tchernof, président de répliénu^re
Cuuslituante de Petrograd.
si les bolcheviks avaieni renoncé à dominer, en
l'ait, la Finlande.
A Petrograd et dans la Grande-Russie, la tyran-
nie maximaliste sévissait avec des violences, les
nues réfléchies, les autres spontanées, qui nous ré-
vélaient le véritable sens du gouvernement de Lé-
nine et Trotsky. Le 15 janvier, ils s'étaient décidés
à réunir la Constituante, et celle-ci, malgré les
maximalistes, avait pu élire Tchernof pour prési-
dent. Elle avait même voté l'établissement d'une
République fédérative, la socialisation sans indem-
nité de toutes les terres, la paix immédiate et géné-
rale, mais non séparée : voles de pure forme et sans
portée pratique. Mais, le lendemain, elle était dis-
soute et remplacée par le Congrès des soviets. Des
faits sinistres, des mesures radicales de spoliation,
des négationsconcrètesde toute
obligation internationale, fai-
saient éclater l'anarchie crimi-
nelle qui était maîtresse de Pe-
trograd : tel était l'assassinat
en plein jour, par des marins,
dans une infirmerie de prison,
de Chingaref et Kokoscbkine,
tous deux anciens ministres de
Kerensky, tous deux profondé-
ment désintéressés, respecta-
bles, uniquement dévoués au
bien du peuple; telles les mi-
traillades qui précédèrent l'ou-
verture de la Constituante ; telle
la mesure insensée qui renia
tous les emprunts étrangers, à
un moment où la Russie ne peut
tenter de se relever qu'au moyen
des capitaux étrangers ; tels l'ul-
timatum irréfléchi à la Rouma-
nie et l'arrestation du ministre
roumain à Petrograd, Diamandy.
i|ue, seule, une démarche collei
tive des ambassadeurs étran-
gers lit relâcher. Le résultat il
cette politique de destruction c
de meurtre a été caractérise
par deux Allemands : le comte
de Mirbach et l'amiral de Kai-
serling, envoyés à Petrograd
pour discuter un emprunt de
deux milliards à faire à la
Russie. Ce qu'ils avaient vu,
ont-ils dit, « dépassait les pré-
visions les plus pessimistes ".
Personne, ajoutaient-ils, <• ne
pourrait s'imaginer une anar-
chie pareille et une ruine aussi
totale d'un pays jadis florissant".
Kn fait, la révolution russe, qui
avait suscité tant d'enthousiasme
^prématuré, la suite l'a prouvé
— aboutissait au pouvoir absolu
de Lénine el Trotsky et à la
tyrannie sanguinaire d'une seule
classe de la nation, la classe
ouvrière, à l'exclusion de toutes
lesautres.Qne sortirait-il de là?
Le peuple russe reconnaîtrail-il
son erreur et sa folie? Une
lueur de sagesse pourrait-elle ,.,. . h. i,.,„i.„. ,i.„.
., V y *^ I viie d aéroplane dans
renaître un jour dans ces ccr- d<a aih
veaux surchaulfés et ces élé-
ments de désordre lâchés en liberté? Les gouverne-
ments del'Ententearriveraienl-ils à faire comprendre
à Petrograd que la Russie et la démocratie n'ont au-
cun intérêt à se livrer à l'Allemagne et que toute
la politique russe allait à l'encontre uiême des dou-
«• 133. Mars 1918.
trines sociales affichées par le gouvernement russe?
Aucune réponse ne surgissait encore. Le seul fait
incontestable était l'existence, en Russie, d'une
guerre civile abominable.
Pourtant, dans la dernière semame de janvier, des
faits nouveaux du plus haut intérêt devaient être
notés. La résistance du gouvernement de Trotsky à la
paix allemande s'était marquée avec netteté et sans
qu'on sût bien comment la Russie pourrait échapper
à une paix écra-
sante ;ilseniblait
que les diri-
geantsrussesvis-
sent clairement
où l'Alleniagne
voulait les me-
ner. De plus, une
réaction évidente
sefaisaitdansles
esprits au sujet
du fédéralisme
sans conditions
qui avait été jus-
qu'ici àl'ordredu
jour. L'attitude
hostile et domi-
natrice prise par
les bolcheviks à
l'égard de la Fin-
lande et de l'U-
kraine étaitpeut-
otre la preuve qu'ils comprenaient le grave danger
du morcellement politique de la Russie. Enfin, le
besoin d'une force armée organisée se faisait de
plus en plus sentir, et la rupture ofllcielle avec la
Roumanie, la remise des passeports à Diamandi
montraient à Lénine et à Trotsky la nécessité d'une
organisation militaire. Tout cela était nouveau.
Mais la tâche de l'Entente n'en était pas plusfacile,
et la plus stricte prudence continuait à s'imposer.
Pendant que l'ombre qui voilait les destinées
de l'Orient européen s'épaississait ainsi, une clarté
nous était venue sur l'avenir du monde par les dis-
cours lumineux de Lloyd George et du président
■Wilson. Le 5 janvier, à la conférence des délégués
Krylenko
g:.-n.'ralissinie des troupes
iiuiximalistes.
lequel les haubana en ûl d'acier sont supprimés. (Le renforcement
■a auiuiiidrit la rcsiataiice de l'aji- sjstènn.- WaiciÉ^.j
des Trade-V nions, le Premier anglais avait défini
les buts de guerre de l'.-Vnglelerre. 11 avait marqué
([u'elle ne poursuivait ni la destruction ni le démem-
brement de l'Allemagne, pas plus que celui de l'Au-
triche-Hongrie ni de la "Turquie, dans les régions où
«• 133. Mars 1918.
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
395
DIVISIONS ADMINISTRATIVES
DES ILES BRITANNIQUES
ANGLETERRE
\NorOiumberland \^ Cambridge iSSerk.
2 Cumberland 1 6 JfauHnçaon 3 o Backmmam
i durham l ^ VoTthampton 3 1 Sedlàra
w Westmardand 1 8 Katlsnd
i)fortiJiidind\ \9le/ccster
bWest . Work 20 T/Vârwick
Tlàst ■ ) 21 Stafford
bLancashire Z2 Worcester
aaeister Z3 S hropsjiire
tnûerôy 2*- dere/brd
WlfoiGngham ZbMonmouth
\ZZmcom 26 Glaucester
\iliarfblk 27 Wiltshire
[liSuffolk 28 ûxfordsJiire
iZJfertford
33 MiddlesCK
3b Kent
36 Suriey
31 Sussex
ZiJiàmpshire
33 Docset
1.0 Somerset
VI Bevon
*2 Comoaames
PAYS
1 Anglesey
2 Càerjwrraii
ZVenbiah
KfJmt
1 SbeÛand
2 arcades
3 Caithness
itSutberlanji
biiossACromar(y
6/j7verness
TNaJrji
RElqin
3Ban/>'
\aAberdeen
WKincardme
ULSTEW
1 Sonegal
2 Zandanderiy
3^one
kÂvtrim
bDowji
6 Armagdi
7 Moaaghan
8 Fermanagh
9 CavaTL
CONNAUGHT
ViMajo
9 Pembroke
10 Caaimarthen
1 1 irecnock
\ZOamorgan
23 Hadâington
2bJiaxàurafi
26 SeMrK
27 Peebles
28 Lanark
5 Mérianeth
6 MbntgameQr
7 Radnor
8 Cardigan
ECOSSE
l3/'erdA
I6.tonfe2"te2
ViSiirling ^„ „„.,„.-.
1 8 Clackmannan 29 Uenfi-ew
[SKnross ^Oi^c
20 ///!? 3 1 wigtovm
Zl Linlithgovr 32 Kirkcudbright
22 Edimbourg 33 Bumô-ies
IRLANDE
1 1 Sio-o 22 Z'ui/7>7
1 2 i; eitrim 23 Wicklaw
\3Jioscommon ZkCarlow
1* Ccdway 25 Xilkenity
LEINSTER 26 Wexford
Mloat/isUrogieda MUNSTER
le^att 21 aare
MlVestmeath ZAZimerick
MLongfoid 2sTipper3ry
\9]âng's counly saWaterford
lOQneen's 31 CorÀ-
2t kjldare 32Kerry
)]tJnst
'Lra/ar
Ml/ , ^
[(fainiBiid ou Grande lerre
.erwick
^.Bressa
E
H
^ButtofLe
■^5 Stor.
:^ Trié;
fort/!
Vist
lyirair
l?urcades
P^monaoù^¥^ Terre
'— TJtirkwall „'. ,
Hov\^ SHonMskaàûd
PeiiilahjtiFirth
C.Duncansby
'îck
396
la race turque prédomine; mais il avait énergiqiie-
ment déclaré que la restauration de la Belgique,
de la Serbie, de la France du Nord, de la Roumanie
avec les indemnités nécessaires, que la réparation
de l'injustice commise à l'égard de la France
en 1871, que l'indépendance de la Pologne, celle
des peuples slaves soumis à l'Autriche et des natio-
nalités dépendant de l'Empire turc étaient des
conditions indispensables de la paix; il avait parlé
sans aucune acrimonie de la Russie; il avait ter-
miné en précisant les règles internationales dont le
respect peut seul permettre une paix juste et per-
I_^ lutte contre les sous-marins. — Le ccrf-vi>lant, inventé par le capitaine Sacconay, s'éliive avec
son observateur, du bord d'un navire de guerre, pour explorer la haute mer.
manente. L'effet considérable de cette harangue et
delà discussion qui l'avait suivie n'était pas éteint
lorsque nous arriva d'Amérique le texte d'un
message que le président Wilson, au milieu d'un
entbousiasineindescriptible, avait lu an Congtèsamé-
ricain, le 7 janvier, et où il annonçait point par
point les buts de guerre de l'Amérique. Sans doute,
on peut constater dans la pensée de Wilson cer-
taines atténuations par rapport à ses messages
précédents; mais, en ce qui concerne la paix fu-
ture, l'importance historique de ce document est
trop haute et son influence trop certaine pour que
nous n'en reproduisions pas, au moins, ce qui peut
en être considéré comme le dispositif. Selon le
président américain — et tout homme juste et rai-
sonnable sera d'accord avec lui — la paix ne peut
être faite et ne peut être durable qu'aux conditions
suivantes :
1» Accorda de paix conclus ouvertement, après lesquels
il D'y aura plus d'accords ioternatiouauz privés, de quelque
LAROUSSE MENSUEL
nature qu'ils soient, mais la diplomatie procédera toujours
franchement et publiquement.
2° Liberté absolue do la navigation sur les mers en dehors
des eaux territoriales, aussi bien en temps do paix qu'en
temps de guerre, sauf le cas oii ces mers seraient fermées
en totalité ou on partie par une action internationale, eu
vue de l'exécution d'accords internationaux.
3° Suppression, autant qu'il sera possible, do toutes les
barrières économiques et établissement de conditions
commerciales égales pour toutes les nations consentant à
la paix et s'associant pour la maintenir.
4" Garanties suffisantes, données et prises, que les arme-
ments nationaux seront réduits à l'extrême limite compa-
tible avec la sécurité intérieure du paj's.
5° . arrangement libre, dans
un esprit large et absolument
inijtartial, de toutes les reven-
'iioationscoloniales, basé sur
le respect strict du principe
qu'en régianttoutes les ques-
tions de souveraineté, les in-
térêts des populations inté-
ressées devront peser d'un
poids égal avec les demandes
équitables du gouvernement
dont le titre doit être fixé.
6" Evacuation de tous les
territoires russes et règle-
ment de toutes les questions
concernant la Russie, de fa-
çon a assurer la meilleure et
lapins large coopération des
autres nations du monde pour
fournir à la Russie l'occasion
opportune de fixer, sans en-
trave ni embarras, l'indépen-
dance de son propre dévelop-
pement politique et national ;
pour lui assurer un sincère
accueil dans la Société des
nations libres sous un gou-
vernement qu'elle auracboisi
elle-même; pour lui assurer,
enfin, l'aide la plus grande
et de quelcjue nature qu'elle
soit, ou quelle pourrait dési-
rer. Le traitement accordé ;'i
la Russie par ses nations
steiirs pendant les mois pro-
ciiains sera la pierre de touche
qui révélera la bonne volonté
et la comiiréhension de ces
nations pour les besoins de la
Russie, abstraction faite de
leurs propres intérêts et de
leur intelligente sympathie.
7" Belgique. Le monde en-
tier sera d accord que ce pays
'i'iit être évacué et restauré,
sans aucune tentative de ii-
jHiter la souveraineté dont
il ,)ouit à l'égal des autres
iiationslibres. Nulactemioux
i| ne celui-là n'aidera à rétablir
la confiance des nations dans
l'-s lois établies et fixées pour
ri'L-ir leurs relations entre
elles. Sanscetacte de répa-
i.iiiun, la structure et la
\alidité de toutes les lois
internationales seront pour
loiijours affaiblies.
S" Tout le territoire fran-
çais devra être libéré, et les
parties envahies devront être
entièrement restaurées. Le
tort fait à la Franco par la
Prusse en 1871, en ce qui
(■oiicerne l'Alsace- Lorraine,
et qui a troublé la paix du
inonde pendant près de cin-
(j liante ans, devra être réparé,
aliii fine la paix puisse être,
encore une fois, assurée dans
l'intérêt de tous.
9" Un " réajustement » des
frontières italiennes devrait
être etfect'iô suivant les li-
gnes des nationalités claire-
ment reconnaissables.
10" Aux peuples de l'Autri-
che-Uongne, dont nous dési-
rons sauvegarder la place
parmi les nations, devrait être
donnée pour la première fois
l'occasion cl'un développe-
ment autonome.
Il*" La Roumanie, la Ser-
bie, le Monténégro, devraient être évacués ; on leur res-
tituera ceux de leurs territoires qui ont été occupés. A la
Serbie sera accordé un libre accès à la mer, etles relations
entre les divers Etats balkaniques devront être tixées
amicalement sur les inspirations des puissances, suivant
(les lignes établies historiquement. Des garanties inter-
nationales d'indépendance politique, économique et d'in-
tégrité territoriale seront fournies à ces Etats.
12° Aux parties du présent empire ottoman seront assu-
rées pleinement la souveraineté et la sécurité, mais les
autres nationalités qui vivent actuellement sous le régime
de cet empire doivent, d'autre part, jouir d'une sécurité
certaine d'existence, et l'occasion de développer sans obs-
tacles leur autonomie doit leur être donnée.
Les Dardanelles seront ouvertes en permanence et consti-
tueront un passage libre pourlesnaviresetpourle commerce
de toutes les nations, sous les garanties internationales.
13" Un Etat polonais indépendant devrait être constitué,
comprenant les territoires habités par des nations incon-
testablement polonaises, lesciuelles devraient être assurées
d'un accès libre à la mer; 1 indépendance politique, éco-
nomique et l'intégralité territoriale de ces populations
seront garanties par une convention internationale. ]
Baron Motono, ministre des affaires
étrangères du Japoj.
N' 133. Mars 1918-
14" Une Société générale des nations devrait être formée
en vertu de conventions spéciales ayant pour objet de
fournir des garanties réciproques d'indépendance politique
et territoriale à tous ces petits Etats.
Le 10 janvier, le ministre Stephen Pichon, k la
tribune de la Chambre française, donnait son adhé-
sion au programme Wilsori et marquait une fois
de plus la condition essenlielle de la paix française :
la restitution de l'Alsace-Lorraine.
Ces trois discours, dont le plus précis, le plus
propre à servir de base à des négociations, est assu-
rément celui du président Wilson, avaient, en fait,
posé la question de la paix. Si l'Allemagne, qui se
targue d'être sur la défensive et d'avoir la première
fait des propositions pacifiques, alors qu'elle n'a
apporté que des équivoques et des hypocrisies,
a\ ait eu la volonté franche de faite une paix loyale,
acceptable, et non ce qu'elle appelle la « paix alle-
mande », elle eijt saisi cette occasion d'entrer en
conversation. On
avait attendu
avec curiosité la
réponse, anaon-
céependantdeux
semaines et qui
ne vint que le 24
janvier, du chan-
celier Hertling et
du chancelier
Czernin. Le dis-
cours de ce der-
nier a été ce qu'il
pouvait être dans
la situation de
l'Autriche -Hon-
grie, au moment
oti des grèves
formidables écla-
taient,devanlune
population affa-
mée, au milieu
de nationalités diverses et de plus en plus exi-
geantes. Sous une apparente énergie, avec des
affirmations de calme et de confiance qui ne pou-
vaient être que verbales, le comte Czernin avait
laissé transparaître clairement le désir de l'Au-
triche de ne pas se montrer intransigeante et de
laisser la porte ouverte à des conversations aussi
prochaines que possible. Ce discours avait déplu
en Allemagne aux pangermanistes et, sans qu'il
faillit s'exagérer la possibilité d'une désunion entre
l'Allemagne et l'Autriche au moment oii des régi-
ments autri-
chiens arrivaient
sur le front d'Oc-
cident, il fallait
voir là, entre les
deux alliées, une
occasion de mots
désagréa!)les e t
de polémiques de
presse toujours
contraires à une
franche collabo-
ration.
Mais, d'autre
part, le discours
du chancelier
Hertlingavaitélé
une désillusion et
n'avaitpas donné
des talents de cet
homme d'Etat
une très haute
idée . Alors que
Wilson etLloyd Georgeavaientélargi leurs proposi-
tions de façon à embrasser toute la politique future dn
monde civilisé, Hertling s'était évertué à rapetisser
la question, à limiter-chaque litige à des querelles de
peuple à peuple, étrangi'res à la collectivité des na-
tions; ilavaitcbercbé à opposer l'Amérique et l'An-
gleterre, et il avait, une fois de plus, en se basant
sur le faux argument de la similitude de langue, en
osant prétendre que l'Assemblée de Bordeaux, en
1871, avait accepté le rapt de nos provinces de
l'Est, affirmé la définitive réunion de l'Alsace-Lor-
raine à l'Allemagne : le tout accompagné de cou-
plets victorieux et de louanges ii la conscience
allemande. L'écart, non seulement entre les bases
de paix de l'Allemagne et celles de l'Entente, mais
encore entre les mentalités, se marquait une fois
de plus avec une précision impressionnante.
On ne pouvait ne pas se demander, toutefois,
comment le discours du chancelier allemand n'avait
pas été plus affirmatif ; comment il avait pu sembler
adhérer à la formule « pas d'annexions » et admet-
tre, sous une forme, d'ailleurs, bien atténuée, le dé-
sarmement et la Société des nations. 11 était pro-
bable que le discours, qui, d'ailleurs, fut très discuté
en Allemagne, avait été un compromis entre des
tendances diamétralement opposées. — L'Allema-
gne avait eu, en elTet, au début de janvier, sa crise
de gouvernement. Le parti militaire et, dans l'es-
pèce, le général Ludendorf, dont Hindcnburg n'est
Seheidemann. leader des socialistes
alleniands.
«• 133 Mars 19 IS.
f|ue le paravent, avaient été très mécontents de l'atti-
tude de von Kiihlmann à Brest-Litovsk, même apri's
les déclarations que celui-ci avait faites le 27 décem-
lire au sujet des provinces Balliques. Le 2 janvier,
avait eu lieu il Berlin, en présence de Guillaume II,
une réunion où assis-
taient notamment
llertiing, Ludendorf
et Hindenburg.
Sans doute, les in-
fluences militaires y
avaient eu le dessus,
car on parlait, dès le
lendemain, de la dé-
mission de Luden-
dorf. Mais un revire-
ment immédiat sepro-
duisait. Le 4,HertUnK-
repoussait sans amé-
nité les suggestions
des Russes au sujet
du transH'rl des néffo-
ciations à Stoklioliii
et, le 6, on annonçail
qu'il n'y avait pas de
crisemililaire. Malgré
cette solution en ap-
parence déllnitive et
rassurante, depuis
lors, l'agitation avait
continué. Les panger-
manistés réclamaieni
des concessions ; le
parti socialiste et le
lleichsiag se tenaient
à la formule de juillet,
naguère acceptée par
Micliaelis; von Kiihl-
mann était violem-
ment attaqué; une ca-
bale militariste de-
mandait son renvoi et
celui deHertlingetde
Rœdern. Dans son dis-
cours du ii janvier,
Ilerlling avait essayé
de satisfaire toutes les
opinions, sans engager, cependant, l'avenir trop gra-
vement : il avait mécontenté tout le monde. 11 sem-
blait certain que des émeutes graves, corrélatives
aux grèves de Vienne, peut-être en relations avec
la propagande maximaliste, avaient éclaté à Berlin
et dans d'autres villes à la fin du mois. Luden-
dorf et Hindenburg étaient revenus à Berlin pour
conférer avec l'empereur
et le cbancelier. Ou pou-
vait dire, sans crainte dr
se tromper, qu'un trouble,
plus profond qu'on ne
l'avait encore constaté,
agitait l'empire allemand.
Sortirait-il de là une orien-
tation nouvelle? Rien
n'était moins probable.
Malgré les efforts toujours
suspects des socialistes de
Scheidemann , d'ailleurs
d'accord avec le haut
commandement au sujet
de l'Alsace- Lorraine, il
était vraisemblable que le
parti militaire resterait
encore le maître des des-
tinées de l'Allemagne. On
devait, pourtant, retenir
comme un facteur capital
les souffrances du peuple
et, sans penser qu'elles
fussent assez fortes pour
contre-balancer l'emprise
militaire sur ce peuple aux
instincts grégaires, on
pouvait admettre que, sans
aller jusqu'à mettre en
péril immédiat la Consti-
tution allemande et le pou-
voir des Hohcnzollern,
elles ébranlaient le régime
et diminuaient dans une
proportion sérieuse la ré-
sistance allemande.
Ainsi, à la fin de jan-
vier, les positions réciproques étaient nettes. Du
côté de la Quadrnplice, des hésitations certaines
en Autriche; dans ce même pays, en Bulgarie
et en Turquie, un désir ardent de paix, comme
von Kuhlmann lui-même l'avouait, le 25 janvier, à la
grande Commission du Reichsiag; en Allemagne,
des esprits Irèsdivisés, une agitation pangermaniste
et militariste violente, une agitation pacifiste latente,
mais forte, avec de brusques et courtes explosions
aussitôt réprimées ; aucune précision dans les
buts de guerre. Du côté russe, anarchie totale,
aucun pronostic sérieux possible au sujet de la paix.
LAROUSSE MENSUEL
Du côté de l'Knlente, une ferme résolution de
vaincre, plus solide que jamais; la volonté d'une
paix juste, des buts bien définis. Ajoutons-y l'atti-
tude plus ferme prise piir le Japon. I>e 25 janvier,
à l;i Chambre des pairs, le r ■■■l'^ T r-ii-'ii avait
L'n incident ile la guerre de riiuntagae. — Tour s'empurer d'uae position importante, occupée par les Italiens au faite d'une montagne, les
Autrichiens lancèrent des câbles munis de grappins et. protégés par le feu de leurs mitrailleuses, ils commencèrent l'escalade, lis étaient sur le
point de réussir, quand un détachement de volontaires :ilpins «'offrit pour aller couper les câliles. Il y réussit en dépit du feu infernal des
mitraitleuses, et les Autrichiens furent précipités dans la vallée. (Matania, the Sphère.)
affirmé l'accord du Japon avec l'Entente, la vo-
lonté du gouvernement de maintenir la paix et, en
morne temps, la sécurité et la prospérité nationales.
Le ministre des affaires étrangères, Motono, avait
ajouté que le Japon ne devait reculer devant aucun
sacrifice qu'il serait appelé à faire, et il avait indi-
qué qu'il fallait suivre avec une extrême attention
Sur le front do Macédoine. — Groupe de soIdat« serbes écoutant les îostructions donnét^s sur l'emploi des masques contre les gai.
les événements de Russie. C'est que le Japon ne
peut voir sans ouvrir les yeux très grands les faci-
lités qu'une paix imposée à la Russie donnerait à
l'Allemagne pour se retourner vers l'Extrême-
Orient, où nos alliés n'entendent pas supporter son
immixtion; et ce ne serait pas un des résultats les
moins curieux du désordre russe que d'avoir fait
apparaître clairement aux yeux des Japonais le
péril qu'il peut renfermer pour leur situation propre.
On pouvait donc dire que les événements du mois
de janvier avaient eu pour effet, en dépit de la con-
fusion apparente des événements, de grouper plus
397
fortement les belligérants, de faire apparaître à
leurs yeux, clairement, les raisons de la lulte et,
en même temps, de montrer l'isolement périlleux
de la Russie et les indécisions de l'Allemagne. Cela
ne voulait pas dire qu'il ne fallait pas craindre d'elle
un u>rmidable et der-
nier effort.
La France était-elle I
prête, moralement, à
le supporter ? Tout
bien réfiéchi, on pou-
vait répondre affirma-
tivement. Ce n'est pas
qu'il n'y eiil en elle
bien des causes de
trouble et de désu-
nion. Les procès qui
.se traînaient avec une
lenteur très juridique,
l'arrestation de Cail-
laux le 14 janvier,
celle de Loustalot et
Comby, le début du
procès Malvy à la
Haute Cour, l'étalage
public et scandaleux
de documents sur
l'importance desquels
il était impossible de
se prononcer, l'inlcr-
pellalion socialiste sur
un prétendu complot
royaliste, tout cela
faisait-il sur l'opinion
publique l'impression
fâcheuse et dépri-
mante que l'on aurait
pu craindre? Il ne le
semblait pas. L'opi-
nion publique , très
simpliste en tout
temps et plus que ja-
mais en temps de
guerre, n'avait vu
dans ces arrestations
et ces procès qu'une
satisfaction palpable
de sa plus chère passion • l'égalité de tous devant
la justice. Elle comprenait très mal tout ce que les
partis, quels qu'ils fussent, accumulaient de poli-
tique autour de ces affaires, et elle savait un gré
infini au ministère Clemenceau d'avoir déblayé
le terrain. C'était là, sans aucun doute, une men-
talité peu compliquée et, nous l'accordons, un peu
dangereuse. Mais le rôle
d'un chroniqueur est de
constater et, à tout pren-
dre, il était évident que
rien n'était plus désirable
qu'une clarté absolue sur
des agissements sans
franchise et.peut être, sans
droiture. Au front, il
paraissait que régnait le
même sentiment et que de
là était née une grande
confiance. Notre position
morale était donc satis-
faisante et, en dépit de
bien des gênes, dont la res-
triction de la consomma-
lion du pain était certaine-
ment la pire, en dépit de
la cherté de la vie, en
dépit des angoisses, des
deuils et des larmes, mal-
gré le désir passionné
d'apercevoir la fin de tant
de misères, l'ensemble de
la nation tenait bon. Sans
pénétrer très profondé-
ment le détail des faits,
elle en comprenait bien la
direction générale, et elle
l'acceptait. Si donc il eùl
été un peu naïf de fonder
des esiwir^ sur l'union sa-
crée d'anlan, que les partis
politiques s'étaient char-
gés de rompre, il y avait
dans toute la nation, mal-
gré de sourdes excitations
et de vilaines besognes de presse, une cohésion cer-
taine, qui était très rassurante. On devait souhaiter
que ceux qui étaient nos chefs voulussent bien, nne
fois de plus, observant la formule connue, sous cou-
leur de « diriger » la France, la « suivre ». Elle sait ce
qu'elle veut et où il lui faut aller. — Jnies aiauiii.T.
Merbet (Marie-Pierre-F^iir), avocat et érudit
français, né à Amiens le 28 septembre 1847, mort à
l^aris le !"■ novembre 1917. Après de brillantes élu-
des universitaires, il vint à Paris et prit ses inscrip-
tions de droit. Mais sa grande facilité de travail lui
398
permit de suivre en même temps les cours de l'Ecole
des Charles (session 1867-1868). Il obtenait en 1869
le diplôme d'archiviste-paléographe, à la suite d'une
soutenance de thèse sur te Roman de Mélusine, —
essai de bihliorfraphie et de critique, qui lui
assurait le cinquième rang dans une promotion de
treize élus, parmi lesquels se rencontraient Eugène
Aubry-Vitet, H. de Poiitmartin, Camille Pellelan,
Héron de Villefosse, Arlhur Lolh, Etienne Cha-
ravay, etc. Malgré le succès et l'attirance que ne
devaient jamais cesser d'avoir pour lui les éludes
historiques, c'est le barreau qui fixa son activité.
Toutefois, en 1872, il publiait, d'après un manuscrit
provenant de la bibliolhèque Monmerqué et com-
plété par la copie d'une autre version, un Dit du
XV' siècle : Prière Théoptiile ; en 1875, une bio-
graphie de Pierrf Ualiprl. ce frère de François
Habert, poète de
Henri 11, qui, de
inaîlred'écriturc,
devait (Inir, sous
Henri III, a con-
seiller du roy,
baillif de son ar-
tillerie et garde
duscel d'icelle».
Licencié en
droit en 1870 sur
lesEffetsducau-
lionnement en
droits romain el
français, il se fai-
sait inscrire au
Palais le 21 no-
vembre de cette
même année et
poursuivait le
doctorat, qu'il
''■"" "•■'■'"■'■ obtenait en 1874
avec De l'exécu-
tion sur les objets particuliers en droit romain.
Des E/fets des saisies en droit français. En 1875,
il était élu secrétaire de la Conférence des avocats
à la Cour d'appel et, en 1876, il obtenait le pri.x
Liouville.
Ces succès de basoche avaient attiré sur lui l'at-
tention de Léon Cléry, qui se l'attaclia comme
secrétaire. Alors, se créaient entre le maîlre et son
jeune collahoralenr des liens alTeclueux, rendus
durables, a écrit un ami de l'un et de l'autre, << par
des affinilés intellectuelles et une conformité de
goûts ». Léon Cléry, qui, en sa qualité de gendre du
marchand de tableaux Goupil, avait fréquemment
l'occasion de plaider pour le monde des arts, dès
lors, se dessaisit de plus d'une lie ces affaires en
faveur de son secrétaire, devenu, lui aussi, un spé-
cialiste des litiges arlisliques.
Adjoint à la municipalité du 'VI' arrondissement
en 1892, Félix Herbet en était nommé maire le
19 juin 1894, fonction qu'il devait conserver jusqu'à
la veille de sa mort, c'est-à-dire durant vingt-trois ans.
Son activité, dès lors, prit une nouvelle orientation.
Moins assidu au Palais, il consacra ses instant^
disponibles aux études historiques, passion de sa
jeunesse. Très épris de Fontainebleau, il mit en
œuvre, avec une méthode très sûre, les matériaux :
livres, gravures, manuscrits qu'il avait accumulés
sur le palais, la ville et la forêt, dans sa propriélé
de Barbizon. Alors commença dans les « Annales du
Gâtinais ■>, [Brie etGâliiiais] l'« Abeille de Fontaine-
bleau », une série de publications qui, tirées à pari
ou réunies en volumes, consliluent une œuvre de
haute valeur, du fait de l'apport des documents
inédits tirés des Archives nalionales, des fonds
locaux ou de sa propre collection. Signalons : les
Graveurs de l'école de Fontainebleau (1896-1902) ;
les Aiiciennes Enseiijnes de Eonlaineblenu; les
Emailleurs de Eoniainebleau (1897) ; Actes et
Noies concernant les artistes de Fontainebleau
(1901-1904); Dictionnaire de la forêt de Fontai-
nebleau (1903); Fontainebleau révolutionnaire
(1907-190S) ; les Architectes de Fontainebleau sous
François l" {\9\û) ; l'Ancien Fontainebleau (1912) ;
enfin, le Clidteau de Fontainebleau, son travail le
plus considérable, dont l'impression se trouve sus-
pendue, en raison des événements aclnels. 11 est aussi
l'auteur d'une notice sur ie'on Cléry (1903). En 189S,
il avait fondé la « Société historique <lu Vl" arrondis-
sement», à laquelle il donna une impulsion si heu-
reuse que les travaux en ont été distingués par l'Aca-
démie des sciences morales et politiques, qui leur a
attribué, en 1911, le prix Berger. — Charles Saunier.
impaka n. m. Nom employé par les Cafres et
les chasseurs pour désigner le wild cat ou chat sau-
vage (felis Cafra).
— Encycl. L'impaka vit dans l'Afrique australe,
l'Angola, le Congo, la Cafrerie, le Mozambique et
l'Ouganda. Sa taille est celle d'un grand chat domes-
tique; son pelage, d'un fauve ordinairement grisâtre,
présente des bandes plus ou moins nettes, qui de-
viennent très distinctes sur les membres; la queue
porte quatre anneaux noirs, et sa pointe a la même
couleur. L'impaka est un animal nocturne, qui se
LAROUSSE MENSUEL
montre parfois, quand le temps est froid et nua-
geux. 11 erre au milieu des buissons, mais, dans les
contrées découvertes, il se réfugie dans les terriers
abandonnés de l'oryclérope. C'est un animal féroce,
dont la nourriture consiste en petits
mammifères comme les souris, les
rats, les gerboises, etc. Lorsqu'il s'agit
d'un animal un peu grand, comme les
jeunes antilopes, il lui saute sur le dos
et lui coupe les carotides avec les dents.
11 détruit aussi beaucoup d'oiseaux et
surtout des poussins, près des villes;
sur les bords. des lacs et des rivières,
il épie les poissons et, quand ils pas-
sent à sa portée, d'un coup de patte
donné dans l'eau, il les rejette sur la
rive et les dévore. Il cache ses petits,
au nombre de deux ou quatre, dans
des buissons ou dans des cavités, sous
des pierres.
L'impaka est souvent regardé comme
étant la souche d'où dérivent les chats européens. Il
est très voisin du chat vénéré par les Egyplienset re-
présenté par de nombreuses momies. — A. MiNÉoiui.
Ijanglois (Charles-Victor), historien fran-
çais, né à Houen le 26 mai 1863. Ses études, com-
mencées à Rouen, se terminèrent à Paris. 11 fut
élève de l'Ecole de droit, où il prit sa licence, de
la Faculté des lettres, à l'époque où Lavisse y réor-
ganisait l'enseignement de l'histoire, et de l'Ecole
des Chartes, où il entra le quatrième, dans la pro-
motion de Lefèvre-Poutalis et de Funck-Brentano.
Il y reçut l'enseignement de Léon Gautier, Paul
Meyer, Tardif et en sortit premier, avec une thèse
sur Philippe III le Hardi. Admis premier à l'agré-
gation d'histoire, en 1884, il fut nommé, en sep-
tembre 1883, maître de conférences à la Faculté des
lettresde Douai, d'où il passa, l'année suivante, àla
Faculté de Montpellier. Il soutint en 1887 ses thèses
de doctorat es lettres et fut appelé en Sorbonne
(26 juillet 1888), comme chargé d'un cours complé-
mentaire de sciences auxiliaires de l'histoire (bi-
bliographie, paléographie, diplomatique). Nommé,
le 22 février 1901, professeur adjoint assimilé aux
titulaires, il fut titularisé le 21 août 1906, comme
professeur de sciences auxiliaires de l'histoire.
Après la mort de Luchaire, il occupa la chaire
d'histoire du moyen âge (1«' avril 1909). Enfin, un
décret du l»' février 1913 le nomma directeur des
Archives nationales, en remplacement d'Etienne
Dejean, décédé. L'Académie des inscriptions et
belles-lettres l'a élu membre ordinaire, le 16 no-
vembre 1917. lia succédé à Noël Valois. ('V. p. 381.)
La thèse française de Ch.-V. Langlois : le Règne
de Philippe m le Hardi (Paris, 1887) est un rema-
niement de sa thèse de l'Ecole des Chartes. La fin
du xiii* siècle et le début du xiv» ont particulière-
ment intéressé cet historien. Aussi a-t-il été chargé,
dans I'k Histoire de France » publiée sous la direction
de Lavisse, de la période qui comprend saint Louis.
Philippe le Bel et les derniers Capétiens directs
(1901). Il a donné de Louis IX un très joli portrait,
paru d'abord dans la « Revue de Paris » du 1" sep-
tembre 1897. Le règne de Philippe le Hardi, « tout
illuminé d'un reflet » de celui de saint Louis, lui
est apparu comme une fin et non comme un com-
mencement. Au contraire, ce sont des tendances
nouvelles qui se font jour, avec Philippe le Bel et
ses légistes. La figure de ce roi est énigmatique.
.\-t-il eu des idées personnelles et originales, ou
bien a-t-il laissé toute liberté à son entourage?
Ce problème historique ne sera peut-être jamais
résolu. Le procès des Templiers est, aux yeux de
Langlois, un crime judiciaire.
Le moyen âge a été déformé par l'imagination ro-
mantique. Langlois a entrepris de le présenter au
grand public sous des couleurs vraies, en évitant
les généralisations aussi abusives que brillantes.
D'où trois volumes de lecture agréable : la Société
française au xni» siècle, d'après dix romans
d'aventure (1903); la Vie en France aumoyen dye,
d'après quelques moralistes du temps (1908); la
Connaissance de la nature et du monde aumoyen
dr/e, d'après quelques écrits français à l'usage
des laies (1911). Dans l'n Histoire de la langue et de
la littérature française » dirigée par Petit de Julie-
ville, il a étudié l'historiographie au moyen âge
(1896). Citons aussi ses Lectures historiques [393-
1270] (1890), ouvrage classique, son Sai7il Louis
(1886), petit livre de vulgarisation, ainsi quelabro-
chwre l'Inquisition (1902), et ses publications pins
techniques sur la même période de l'histoire de
France: Textes relatifs à l'histoire du Parlement
depuis les origines jusqxi'enlSH (1888); les Ar-
chives de l'histoire de France, en collaboration
avec Henri Stein (1891-1893); Formulaires de
lettres duxn'. du xui' et du \iv' siècle (1890-1898);
De recuperatione Terrse Sancise, traité de politique
générale de Pierre Dubois (1 260-1322), publié d'après
le manuscrit du Vatican (1891); In\entaire d'an-
ciens comptes royaux, dressé par Robert Mignon
sous le règne dé Philippe de Valois (1899); les
Papiers de Guillaume de Nogaret el de Guillaume
/V* >33 Mars I8I8.
de Plaisians au trésor des Chartes (1908); His-
toire de l'écriture en France (1909).
Historien épris de méthode scientifique, il a donne
une théorie de l'histoire conçue comme science dans
L'impaka.
V Introduction aux études historiques {IS91), écrite
en collaboration avec Charles Seignobos. 11 y a ex-
posé comment on fait la critique externe des docu-
ments. On doit joindre à cet ouvrage le Manuel de
bibliographie historique : I. Instruments biblio-
grapliiques{\&9b); II. Histoire et organisation des
études historiques (1901).
Les problèmes que pose la pédagogie l'ont pas-
sionné. Directeur du musée pédagogique, il a fait
une conférence sur l'Enseignement de l'histoire
(1907). II a, en outre, publié : la Question de tensei-
gnementsecondaireen Franceetà l'étranger {\9()0):
la Préparation professionnelle à l'enseignement
secondaire (1902); Questions d'histoire et d'ensei-
gnement (19u2). A l'occasion de l'Exposition de
Paris en 1900, il fut chargé d'un rapport sur l'ins-
truction publique à l'élniuger et définit la concep-
tion de l'enseignement dans une société démocra-
tique. Un voyage fait aux Etats-Unis, en 1904, lui
permit d'exposer, dans sa nouvelle série de Ques-
tions d'histoire et d'enseignement (1906), l'organi-
sation elles prin-
cipes directeurs
des universités
américaines
avec plus d'exac-
titude qu'on ne
l'avait fait avant
lui. Deux confé-
rences, pronon-
cées l'une à Chi-
cago, sur lu
Tradition de la
France, l'autre ii
Philadelphie, sur
Michelet, sont
reproduites dans
le même volume.
Il a donné un ta-
bleau des éludes
h istoriques en
France dans la
Science fran-
çaise, ouvrage publié en 1915, & la suite de l'Expo-
sition universelle de San-Francisco.
Il a fondé, en 1906, le » Bulletin des bibliothèques
populaires ». 11 a collaboré à la « Revue des Deux
Mondes », h la « Revue de Paris », au « Journal
des savants », à la » Hevue historique », etc. L'u His-
toire générale » de Lavisse et Rambaud lui doit un
chapitre sur l'histoire d'Angleterre au moyen âge,
et la a Grande Encyclopédie » des notices sur les
écrivains anglais Dickens elGeorge Eliot.
Charles Langlois a l'érudition méticuleuse d'un
charlisle, la rigueur et l'audace d'un honnne de
science et la foi d un démocrate. Il s'est montré im-
placable pour les travailleurs superficiels ou né-
gligents. Son style est simple, sobre, précis, sans
recherche de la couleur ni de l'elTet littéraire. Il a,
cependant, écrit de belles pages et peint de vigou-
reux tableaux. — Maurice Exocu.
*Ijibéria, Etat nègre indépendant de la côte
occidentale de l'Afrique, à l'extrémité ouest de la
Guinée septentrionale; capitale Monrovia.
Au milieu de la succession decolonies européennes
de toutes les nationalités qui s'échelonnent au long
des rivages occidentaux du continent noir, depuisie
détroit de Gibrallarjusqu'au cap de Bonne-Espérance,
celui qui étudie la carte d'Afrique remarque immé-
diatement l'existence d'un petit Etat indépendant, le
seul qui se trouve sur celle longue bande de côtes.
Qu'est-ce, au point de vue géographique, que le Li-
béria? Qu'est-ce au point de vue politique? Comment
cet Etat a-t-il été amené à prendre parti dans laGrande
Guerre? Voilà ce qu'il n'est pas sans intérêt de rap-
peler, à la suite de la rupture des relations diploma-
tiques du Libéria avec l'Allemagne (8 mai 1917 .
I. Géographie. — C'est sur le littoral de la Guinée
septentrionale, entre les deux fleuves côliers Mano
ou LolTa et Cavally, que le Libéria développe les quel-
que 600 kilomètres de ses rivages. En l'absence des
frontières terrestres nettement déterminées sur fous
Cliarles Langloig.
Armes de la république de Libéria.
A l'horizon, sur un ciel d'azur, se lève un
soleil d'or ; sur la mer, vogue un navire, sur-
volé par une colombe portant une bande-
role d'argent i sur le rivage, une charrue
et un palmier, au naturel comme le navire
et la colombe. Le tout soutenu par une bande
en argent, poi-tant la devise en lettres de
sable : The love of libert;/ browjht us hère.
(L'amour de la lioerté nous a amenés ici).
/V 133. Mars 1S18.
les pointa, il est assez difficile de donner un cbifTi'e
précis pour la superficie de ce pays; les géographes
s'accordent, toutefois, à lui attribuer, entre les terri-
toires anglais du Sierra-Leone et les territoires
fiançais de la Guinée et de la Cote d'Ivoire, une su-
perlicie approximative de 100.000 kilomètres carrés.
Dans de telles conditions, l'Elat de Libéria couvri-
rait un territoire supérieur à l'ensemble des régions
qu'englobent les royaumes des Pays-Bas el de Bel-
gique, le giand-duclié de Luxembourg et la Prusse
rhénane (92.120 kilom. carr.).
Seule, une petite partie de ce vaste territoire
constitue elTeclivemenl l'Etat de Libéria : la région
littorale voisine de l'Atlantique. En effet, avec la
base du gradin inférieur du plateau africain, à en-
vironlSOkilom.
des flots océa-
niques., com-
mence une vé-
ri table lerra
»u//ius,quiest,
en dépit de sa
proximité des
rivages, une
des régions les
moins connues
du continent
noir. 11 n'est
donc possible
de donner un
aperçu géogra-
phique que de
la partie ba.sse
du Libéria.
Celte région cô-
tière ne diffère
en rien de celle
quiluifaitsuile
vers l'est, tout
aulongdulitto-
raldelaGuinée
septentrionale.
Voici d'abord
un littoral très
monotone, do-
minant de peu
leniveaudeiamer, — la côte du Poivré, de Malaguette
ou des Graines, des anciens cartographes; pas de
dunes; seuls, des caps orientés vers l'ouest formant
sur leur versant nord de petites baies où les navires
mouillent en siireté (cap Mount, cap Mesurado), un
autre cap important, le cap des Palmes, el les em-
bouchures — plus ou moins obstruées par une
« barre » — de nombreux cours d'eau descendus
de l'intérieur viennent rompre l'uniformité de ces
rivages. Derrière cet étroit littoral, un marais plus
ou moins large (de 8 à 18 ou 20 kilom.) et couvert
de mangliers, interrompu çà et là par de petites
étendues herbeuses, constitue le début de l'intermi-
nable bande de marais et de lagunes qui se continue
tout au long de la cote septentrionale du golfe de
Guinée jusqu'au Dahomey et au Lagos. Au delà de
cette zone des marais, le sol .s'élève lentement, in-
sensiblement, et I ,
se transforme Tj^^^^iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiniiiiiiiii
peu à peu en col- ^^^"'""" '"I"'""""""' """""""""I
line,pui3en mon-
tagne, ou (pour
parler plus exac-
lement)en rebord
de hauts plateaux
ondulés et parse-
mé.s de collines
boisées. Dans
celte région des
plateaux, nais-
sent la plupart
des grands fleu-
ves côtiers qui ar-
rosent le Lil)éria,
non loin des sources d'affluents importants, ou
même des têtes des grands fleuves de la partie
occidentale de la Côte d'Ivoire : Férédougouba.
Gouan ou Baling, Zo. Ce sont le Mano, le Loffa, le
Dé ou Saint-Paul, le Saint-,Ican, le Sestos, le Ca-
vally; entre le dernier de ces grands fleuves cô-
tiers, qui se grossit du Doiiobé sur sa rive droite
et dont le cours inférieur sert de frontière à la Côte
d'Ivoire du côté de l'ouest, el le Sestos, on doit
ciler des fleuves moins importants : le Sanguin, le
Sinoé Ils prennent leur source dans la région inex-
plorée que traversent plus ii l'ouest, dans leur partie
moyenne, les grandes artères fluviales du centre et
de l'occident du Libéria. Tous ces cours d'eau, ou
du moins la plupart d'entre eux. sont obstrués' de
bancs de sable à leur embouchure; en amont, ils
sont navigables sur une plus ou moins grande éten-
due jusqu'aux premiers rapides, qui marquent leur
sortie de la zone montagneuse.
Tel est l'aspect phvsique du Libéria, dont le
climat est, comme celui des autres parties de la
I minée septentrionale, partagé en deux saisons
principales |: l'une sèche (décembre-début d'avril)
el l'autre humide (fin d'avril-début de novembre)
Drapeau delà république de Libéria.
(11 bandes horizontales, alternative-
ment rouges et blanches; près de la
hampe, sur un fond d'azur carré,
occupant les 5 bandes supérieures, une
étoile blanche à cinq rayons).
_, ■x.Saria
vfaïNSdguGpu"-''
Krouto'
■•Teml)îkoiL
MtDa
GiÉpko a ■
LAROUSSE MENSUEL
séparées par de courtes périodes de transition aux
violentes tornades. Un vent sec et froid, venu du
nord-est, l'harmattan, y souffle, surtout pendant
la nuit, durant la première moitié de la saison sèche,
et contribue pour sa part à y rendre la chaleur plus
supportable et moins fatigante que plus à l'est. Du
moins en est-il ainsi dans la partie côtière du
Libéria, la seule connue; en dehors d'elle, aucune
notion précise sur le climat jusqu'à l'arrivée dans
des régions limitrophes des territoires britanniques
du Sierra-Leone et français de l'Afrique occiden-
tale ; alors, il devient possible de raisonner par
analogie.
C'est également par analogie qu'il est permis d'in-
diquer quelles zones de végétation existent dans le
Libéria. Depuis la mer jusqu'aux lagunes et der-
rière celles-ci, se développe une région forestière
très dense ; au delà, sur les plateaux mandingues,
lui fout suite des steppes de patinages. Nombreuses
sont les plantes tropicales qui poussent sur le sol
libéi'ien et qui promettent à la contrée, le jour où
elle sera mise en va-
leur, un très réel
essor; le café dit
« café libéria » en
est originaire; le
poivre a naguère
donné son nom à la
côte; la canne à su-
cre, le cacaoyer,
l'indigotier, le co-
tonnier, le palmier
à huile, le riz, des
lianesde caoutchouc
y poussent à l'état
spontané ou y sont
parfaitement accli-
matés; l'or et l'ivoi-
reen ont été naguère
tirés en abondance.
Il y a là, par consé-
quent, de très sé-
rieux éléments de
richesse,permetlant
de prédire à l'Etat
de Libéria, s'il veut
et s'il sait en tirer
parti, un bel avenir.
Mais, pour trans-
former ces possibi-
lités en réalités, il
ne faut pas compter
sur les indigènes de
la contrée. Les tri-
bus autochtones, qui
habitent surtout l'in-
térieur du pays (les
Vais et autres tribus
de race mandé, les
Golas, qui sont des
Foulas, enfin les tri-
bus krous : Grébos,
Kroumanes du Ca-
vally, etc.) sont des
tribus barbares,
guerrières, fort peu
hospitalières; elles
ont massacré plus
d'un voyageur et
plus d'un officiereu-
ropéensqui s'étaient
aventurés sur leur
territoire. Il faudra
399
défaut; jamais les Libériens ne se sont sérieuse-
ment occupés de l'aménagement de }eurs ports, ni
de la construction de phares sur leurs côtes, ni de
l'ouverture de voies de communication vers l'in-
térieur, ni de la mise en valeur des richesses
naturelles du Libéria.
II. Organisation politique. — Rien, donc, que
d'embryonnaire dans ce pays, du moins au point de
vue économique. Il n'en va pas de même au point
de vue politique, car l'Etat de Libéria forme, depuis
1847, une république qui a été dotée d'une Consti-
tution s'inspirant lieaucoup de celle des Etats-Unis.
Un président et un vice-président, nommés chacun
pour deux ans et assistés de cinij ministres ou se-
crétaires, constituent le pouvoir exécutif de la
République, dont le pouvoir législatif est exercé
par un Parlement, composé de deux Chambres : un
Sénat et une Chambre des représentants. Les mem-
bres de ces deux Chambres sont également élus,
mais ils n'ont ni les mêmes collèges électoraux, ni
un mandat d'égale durée. Il est intéressant dénoter
<lssidàvaot/ ' Sialia
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■alou£, /'^X?y"J^
LIBERIA
Échelle
beaucoup de temps, de patience et de diplomatie
pour nouer avec elles des relations de bon voisi-
nage. Ces relations, les noirs affranchis venus du
nouveau monde, les seuls qui comptent, les seuls
« citoyens » de l'Etat de Libéria, n'ont pas su les
nouer avec ces tribus indigènes. Aussi la situa-
tion des vrais Libériens, très peu nombreux par
rapport aux autochtones (50.000, eslime-t-on, contre
2.500.000) est-elle en réalité assez précaire; toutes
les fois que les Libériens ont voulu étendre leur
domination dans l'Intérieur, ils ont été battus par
les populations guerrières et bien armées sur le
territoire desquelles ils pénétraient.
Force leur a donc été de se confiner sur la côte.
Ils y ont fondé une dizaine de petites localités, aux
ports plus ou moins accessibles, peuplées de quel-
ques milliers d'habitants : Roberlsport, Marshall,
Grand-Bassa,Greenvllle, Grand-Sesters, Harper... ;
toutes s'effacent devant la capitale du Libéria,
Monrovia baiie sur le revers septentrional de la
presqu'île que termine le cap Mesurado, un des deux
seuls points (avec le cap Mount, haut de 325 m.)
de la monotone el presque rectiligne côte du Poivre,
où les (iernières terrasses du Fouta-Djallon s'avan-
cent jusqu'à la mer.
Monrovia, qui doit son nom au président amé-
ricain Monroe et qui compte 6.000 habitants environ,
est vraiment la seule ville du Libéria; encore son
outillage économique est-il très défectueux. Partout
ailleurs, même à Robersporl, qui se cache derrière
le cap Mount, ce même outillage fait totalement
que, seuls, d'après la Constitution libérienne, les
gens de couleur sont « citoyens de la République »
et, donc, électeurs et éligibles. Une Cour suprême
de justice, siégeant à Monrovia, est l'organe éminent
du pouvoir judiciaire; au-dessous d'elle, existent
des tribunaux de district, au nombre de quatre,
comme les comtés entre lesquels est partagé l'en-
semble du territoire libérien (Monserrado, Grand-
Bassa, Sinoé, Maryland).
Presque tous les « citoyens de la République »
— abstraction faite de ceux qui appartiennent à
l'armée (environ 2.000 hommes en tout) — sont
fonctionnaires ou commerçants et vivent en para-
sites; on compte dans le pays un fonctionnaire sur
deux habitants. Les Libériens vivent, en somme,
aux dépens des indigènes, qu'ils ont, par moments,
tenté d'asservir; ils vivent plus encore aux dépens de»
Européens, grâce aux mesures de foule nature qu'ils
ont prises pour s'assurer l'existence sans rien faire.
Leur tarif douanier a été calculé dans ce but el.
assez récemment encore, le commerce n'était per-
mis aux Européens qu'à la condition de prendre des
Libériens comme courtiers pour entrer en relations
avec les indigènes, seuls producteurs. Mais les res-
sources de cette sorte de monopole commercial,
jointes aux revenus des douanes, n'ont pas toujours
suffi pour contenter les appétits des Libériens.
Force leur a été de contracter des emprunts. Tou-
tefois, la situation financière du pays était, dans les
années antérieures à la guerre, de plus en plus
précaire; on l'a bien vu en 1909-1910, au moment
400
LAROUSSE MENSUEL
N' 133. Mars 1918.
où l'on a cru que les Elats-Unis songeaient à trans-
former le Libéria en pays de proleclorat américain,
à l'aider à réorganiser ses finances, à le mettre enfin
en mesure de convertir sa délie, mais en prenant
comme garantie l'adminislralion desdouanes (projet
Knox du 23 mars 1910). Finalement, pour payer les
délies du Libéria, un emprunt international a été
partagé, conformément à un accord intervenu à
Londres le 15 novembre 1911, enlre l'Angleterre, la
France, l'Allemagne et les Etals-Unis, elles recel-
tes des douanes du Liliéria ont élé adeclées au ser-
vice des inlérêls de cet emprunt.
Comment se justifie l'intervention de chacun de
ces pays dans les affaires financières du Libéria,
voilà ce qu'il importe maintenant de rechercher.
111. Les origines du Libéria et les Etals-Unis. —
L'inlervenlion des Elats-Unis s'explique par le rôle
de ce pays dans les origines mêmes de la république
de Libéria.
Celle-ci esl aujourd'Iiui presque centenaire; ses
plus loinlaines origines renionlenl aux environs de
1S20. Alors, à la suite des troubles provoqués, à
l'époque ré voliilionnaire, dans les colonies françaises
des Antilles par la proclamation de l'abolilion de
l'esclavage, à la suile du grand acte d'abolition de
la traite, par l'Anglelerre, en l'année 1807, el de
son adoption par les puissances européennes au
Congrès de Vienne de 1813, les Anglais d'abord,
puis les Américains, songèrent à rendre à leur
pairie d'origine les noirs délivrés par la caplure
des navires négriers, comme aussi les anciens es-
claves dont ils désiraient se débarrasser; du moins,
comme la chose était impossible, songèrent-ils à
les renvoyer sur les rivages du conlinent africain.
Pour réaliser ce dessein, V American colonisation
Society, l'ondée en 1817, imilant ce que la Sierra
Leone C" anglaise avait précédemment fait dans la
presqu'île de Sherbro, débarqua un certain nombre
de noirs dans la pelile île de la Persévérance, en
face de la ville aciuelle de Monrovia.
Ils furent d'abord mal accueillis par les tribus in-
digènes du voisinage, qui auraient, dans la nuit
du 2 décembre 1822, massacré les nouveaux venus,
.si ces derniers n'avaienl élé lires de leur sommeil par
une femme, Mrs. Nieuport.donlle nom a élé donné à
la fête nationale de la République, \c Nieuport's daji .
Ces noirs ne parvinrent pas seulement à se maintenir
dans l'ile de la Persévérance; ils fondèrent, en oulre,
quelques élablissements le long des rivages compris
entre le Mano et le Cavally, dans les quaire fulurs
dislricts de Monrovia, de Granil-Bassa, de Sinoé, du
cap Palnias. Ainsi naquit la république nègre de
gine des nègres libériens émigrés de plusieurs Elals
d'Amérique — du Maryland, de la 'Virginie, etc. —
le cabinet de Washington s'emploierait toujours
bénévolement en faveur de la république fondée par
les mômes nègres. De l'ail, il en a élé plus d'une
foisaiiisi; àdif-
l'érentes repri-
ses, particuliè-
rement en cas
(le litige enlre
le Libéria et
d'autres puis-
sances, les
hommes d'Etat
de la Confédé-
ration améri-
caine ont ac-
cordé leur bien-
veillant appui à
la République
(lu Libéria.
IV. Le Libé-
ria et l'AUetna-
i/ne. — Ce sont
donc des rai-
sons histori-
ques et senli-
menlales qui
expliquent l'in-
tervention des
Etals-Unisdans
les affaires du
Libéria ; pour
desraisonsgéo-
graphiques, à
cause de leur
communauté
de frontières
avec celte ré-
publique noire,
des rapports de
toute nature
qu'engendre le
voisinage onde
la nécessité
d'acheverladé-
limitation de
leurs territoires respectifs, l'Angleterre et la
France ne peuvent pas s'en désintéresser davan-
tage; c'est une véritable obligation pour ces denx
puissances colonisatrices. Quant à l'Allemagne, elle
justifie par l'importance de ses intérêts commer-
Jeune femme de Orand-Itassa.
Nuisibles des environs de Munrovia,
Libéria, qui ne fut pas officiellement organisée en
un Etal libre et indépendant avant l'année 1847 el
qui fut très vite reconnue comme telle par les puis-
sances européennes (en 1862, seulement, par les
Etats-Unis).
Si tardive ait-elle élé, cette reconnaissance a été
le point de départ d'une sorte de tutelle ou, plutôt, de
protection exercée par les Elats-Unis en faveur du
Libéria. Dans certaines notes diplomatiques posté-
rieures à l'année 1862, le gouvernement américain
n'hésita pas à déclarer qu'en raison même de l'ori-
ciaux son intervention dans les affaires du Libéria.
On connaît avec quelle souplesse « les cinq fils de la
nation allemande » savent s'insinuer partout, s'adap-
ter aux goùls el se plier aux exigences des pays donl
ils désirent conquérir la clientèle. Ils ont déployé
ces qualités au Libéria comme ailleurs, si bien que,
dès la fin du xix« siècle, les maisons de commerce
les plus importantes du pays, à Robcrtsporl, à Mon-
rovia, à Grand-Bassa, à Harper, étaient toutes des
maisons allemandes; en face d'elles, on ne comptait,
en 1898, que deux maisons anglaises et une maison
hollandaise ; aucun commerçant français ne fe
trouvait alors au Libéria. C'est « un Etat allemand,
commercialement parlant ", constatait alors le ré-
dacteur du Libéria, dans le supplément au « Nouveau
Dictionnaire de géographie universelle ». La silua-
tion n'a guère changé depuis celte époque; au
cours de ces dernières années, les deux tiers au
moins du commerce du pays étaient entre les
mains de commerçants allemands. Voilà pourquoi,
en 1911, l'Allemagne a participé à l'emprunt inter-
national dont il a été question un peu plus haut.
Depuis lors, elle n'a jamais négligé une occasion
de consolider cette situation et d'en tirer parti à
son avantage et au détriment des autres puissances
coloniales. A la suile du meurtre d'agents indigènes
de factoreries allemandes à Grand-Bassa et ailleurs,
dans les derniers mois de 1912, elle a envoyé la
canonnière Panther — celle d'Agadir — du Came-
loun à Monrovia, et elle a parlé de placer le Libé-
ria sons la domination d'une grande puissance, dont
il était facile de deviner le nom. En 1913, une
société hambourgeoise s'est efforcée d'obtenir la
concession de travaux publics importants (la cons-
truction d un port à Monrovia, l'établissenienld'une
voie ferrée dans la vallée du fleuve Saint-Paul jus-
qu'aux frontières anglaise ou française à son choix),
et elle s'est fait secrètement accorder celle de trois
lignes destinées à exploiter les richesses des forêts
vierges de la contrée, surtout sur la rive droite du
Cavally, donc près de noire Côte d'Ivoire. C'est là,
en effet, que les Allemands ont une prépondérance
indiscutée; la firme Woermann a même fondé sur
le Cavally un service régulier de vapeurs pour des-
servir les comptoirs fondes par ses compatriotes,
et elle en a profité pour faire en Côte d'Ivoire, sons
le couvert du drapeau libérien, la contrebande des
armes de guerre chez les tribus révoltées de l'inté-
rieur de notre colonie.
La guerre a peu à peu modifié celle situation.
Dès le début, tous les bâtiments allemands qui na-
viguaient sur le Cavally ont cessé de le parcourir,
et les établissements fondés par les Allemands ont
élé abandonnés. Mais, du cap des Palmes où ils
s'étaient réfugiés, nos ennemis ont encore tenté de
nous nuire : ils ont lancé des bandes d'indig-ènes
sur notre territoire, ils ont à peu près détruit le
poste français de T. S. F. établi à Monrovia et ont,
au contraire, utilisé à notre détriment leur propre
poste de T. S. F., comme aussi leur câble vers
Pernambouc; enfin, le port de Monrovia a servi de
refuge à plus d'un navire allemand, à plus d'un
colon du Togo et du Cameroun, ou d'ailleurs. Ces
actes d'infraction à la neutralité que le Libéria avait
proclamée au début de la guerre, ou même de véri-
table hostilité, montrent bien de quelle infinence
l'Allemagne jouissait dans le pays, en 1914 et en 1915.
Mais, graduellement, le blocus el les listes noires
ont entravé les Allemands dans leurs transactions
commerciales (environ 70 p. 100 du commerce total)
el dans les opérations bancaires. La politique pro-
alliée des Etats-Unis a, d'autre part, contribué à
déterminer un revirement dans l'attitude du Libéria.
Son gouvernement a docilement suivi l'impulsion
qui lui venait de Washington, et il a, comme nous
l'avons déjà dit, rompu, le 8 mai 1917, les relations
diplomatiques avec l'Allemagne. Ainsi a disparu
complètement l'influence de nos ennemis dans un
pays que ceux-ci considéraient presque comme une
deleurs «colonies sans drapeau » et sur lequel cer-
tains d'entre eux jetaient des regards de convoitise
et voulaient asseoir de la manière la plus complète
l'emprise allemande.
Sans doute, n'est-ce pas là, dans l'histoire de la
Crande Guerre, un épisode de première importance;
cet épisode a, néanmoins, sou très réel intérêt, à
plus d'un litre. 11 montre comment les Allemands
n'avaient rien négligé; comment ils avaient su péné-
trer partout; comment ils avaient su établir partout
leur influence économique el, derrière celle-ci, leur
iunuence politique; quel effort il a fallu faire pour
les déloger de leurs positions, même secondaires.
.\ tous les titres, par conséquent, cet épisode méri-
tait d'être brièvement raconté. — Henri froioeviui.
IVIartin (Henrt-.Tean-Giiillaume), peintre fran-
çais, né le 5 août ISWil à Toulouse. Il fréquenta,
(lès 1879, l'atelier de .I.-P. Laurens, et débuta en
1880, au Salon des Artistes français, avec un por-
trait. Depuis, il exposa à peu près régulièrement.
Le Jeune homme et la Mort, de 1881, la Course à
l'abîme et la Nuit de mai, de 1882, la Françoise
de Uimini, de 1883, montraient un artiste préoccupé
d'idées littéraires, mais aussi un exécutant habile,
un traducteur de morceaux déjà maître de son mé-
tier. Dès 1883, Henri Martin obtenait une médaille
de première classe; sa toile est aujourd'hui au
musée de Carcassonne. Le Cain, de 1884, est au
musée de Montauban ; les Titans escaladant le ciel,
de 1885, valaient à leur auteur une bourse de
voyage; VUf/olin, de 1887, devait être acheté par le
miisée de Rio de Janeiro.
C'est dans cette toile que le peintre commence
pour la première fois à sentir vivement la nécessité
de peindre les objets non plus isolément, mais dans
W 733 Mars 1918
LAROUSSE MENSUEL
Les Faucheurs, peinlure dê.:orative de Henri Martin (l!>0;ïj. — Ce morceau forme le centre d'un triptyque qui orne une satle du Capitule de Toulousu. Les trois parties de la compositioD sont intime'
meiit liées : les Fauctieurs, au contre, dans un paysage ensoleillé, représentent le midi de ta Ttc ; à droite et à gauche, des groupes, moiDE importants, représentent le matin et le soii'.
l'almosplune qui les enveloppe. Là se trouve, en
somme, le point de départ de l'évolutioQ qui devait
conduire Henri Martin de la formule académique
& la formule divisiouniste. La Nuit d'octobre (1888)
est encore une œuvre de transition; la Fêle de la
fédération (1S89) est déjà une toile claire. Cette
œuvre importante, qui n'a pas moins de 13 mètres
de longueur, a pris place au musée de Toulouse.
Le musée de Uuidcaux possède A chacun sa chi-
mère (1S91). C'est encore à Toulouse qu'on trouve
l'Homme entre le vice et la vertu (1892) et les
Troubadours (1S93V salle des Illustres, au Capitule.
En 1894, Henri Martin peint sa toile Douleur ; en
1895 et en 1896, Apollon et les Muses, les Arts,
plafond, et quatre écoinçons pourune salle de l'Hôtel
de Ville de Paris; en 1897, sa composition Vers
l'abime, actnellenient au musée de Pau ; en 1898,
Clémence Isaure et la Fondation des Jeux floraux
(salle des Illustres du Capitole de Toulouse) ; en
1899, la toile inlitulée Sérénité, achetée par l'Etat
pour le musée du Luxembourf,'. Désormais, la ma-
nière de l'ailiste est coniplèlement fixée: il a aban-
donné l'ancienne technique et peint à longues
touches divisées, prenant place ainsi à la suite des
impressionnistes français et des divisionnisles ita-
liens. Mais, alors que ceux-ci recherchaient d'abord
l'éclat du coloris et la fraîcheur de la lumière, il
semble que Henri Martin ait surtout trouvé dans ce
procédé un moyen d'harmonisalion et de traduction
de l'enveloppe ; en posant les uns à côté des autres
les tons purs, il fait participer chaque couleur géné-
rale aux éléments des couleurs voisines ; il évite,
en outre, la dureté des contours.
Sans nier riieureiise influence de l'impression-
nisme sur la peinture contemporaine, on i)eut penser
que sa techni(|ue n'est pas indispensable à la tra-
duction des effets d'enveloppe ou de lumière. En
particulier, dans la peinture décorative où les taches
de couleur peuvent avoir une assez grande surface,
tout en perniitlant de nombreux contrastes, il n'ap-
paraît pas que le gain soit grand sur ce qu'un Véro-
nèse pouvait tirer de la manière ancienne. Quelle
que soit, d'ailleurs, l'opinion qu'on professe à ce
sujet, on reconnaîtra volontiers que les ambitions
décoratives de Henri Martin, servies par une grande
abondance de trouvailles dans la composition, par
une heureuse facilité dans l'exécution, ont souvent
abouti à des œuvres fort réussies. Parmi elles, il
faut citer encore la Beauté (1900), étude de femme
\i\ie,m\eBncolique{\'Ml),laMusedupeintre(\<i{)<î),
les Faucheurs (1903), une peinture décorative pour
la Caisse d'épargne de Marseille (1904), un autre
panneau décoratif (paysage d'automne) pour la villa
Rostand à Cambo, et to Borrfs (/e Za Garonne (1906),
qui, avec les Faucheurs, ornent une des salles du
Capitole de Toulouse.
Le Crépuscule (1907), destiné à la Sorbonne, valut
en 1907 à Henri Martin la médaille d'honneur du
Salon des Artistes français. Ainsi les confrères du
peintre reconnaissaient sa valeur et s'inclinaient
devant les particularités de salecimique. De la même
année date /af'amii/e, panneau qui décoreaujourd'hui
la salle des mariages de la maiiie du X"> arrondis-
sement de Paris. Parmi ses œuvres plus récentes,
il reste à signaler V Anatole France de la Sorbonne
(1908), les Dévideuses du Luxembourg (1912), l'Au-
tomne, carton pour une tapisserie. Sous la tonnelle
en Été, la Vieille Mendiante (1913), les Amoureux
(musée de Buffalo) et le Travail (1914), panneau
décoratif pour la salle des accidents du travail au
Palais de Justice (v. 1. 111, p. 170). Toutes ces œuvres
avaient figuré au Salon des Artistes français. Depuis
sa fermeture temporaire, Henri Martin a brossé
une décoration pour la salle des délibérations du
conseil d'Etat.
Une œuvre décorative suppose des dessins préa-
lables, indispensables études dont le peintre se ser-
vira pour l'exécution agrandie. Henri Martin a donc
beaucoup crayonné. Ce peintre, qui avait débuté par
être un exécu-
tant précis, vou-
lut ensuite re-
chercher le sty-
le. Mais il ne
l'obtint pas en
accentuant le ca-
ractère indivi-
duel de chaque
modèle; il se
contenta, com-
me le fit Millel
lui-même, de
rechercher le
type profession-
nel. Il Ht des tra-
vailleurs, des
faucheuses, et
non tel travail-
leur ou tel fau-
C h e U r. Un limri Munm.
paysan de Brue-
ghel le 'Vieux, au contraire, tout en atteignant au type
général, conserve sa physionomie particulière. Mais,
le but de l'artiste moderne admis, on ne peut qu'admi-
rer le beau rythme des dessins de Henri Martin. Là,
le trait divisé, mené selon des dominantes harmo-
nieuses, sert excellemment son désir. Dans quelques
portraits, ce trait évoque, agrandi, le réseau même de
la peau, et c'est là, appliqué au visage, un principe
souvent adopté pour le paysage. Avec les derniers
dessins, toute rigueur théorique même disparaît, et
quelques croquis de personnages elde bateaux pris sur
les ports de Bordeaux et de Marseille sont tout à fait
réussis. Henri Martin, en dehors de ses envois au Sa-
lon, avait fait une Exposition particulière de ses œu-
vres, en 1910, à la galerie Petit; depuis novembre 191 7,
il est membre de l'Institut (v. p. 381). — Tristan LkcUre.
Métaux et la Guerre (les). Influence
des hostilités sur la production et la consommation
des métaux. Les méthodes militaires modernes im-
posent aux belligérants une consommation extraor-
dinaire de métaux les plus variés, hors de propor-
tion avec les demandes courantes de l'industrie. Eu
même temps que le fait de guerre exagère les be-
soins, diverses causes entraînent une perturbation
considérable des marchés (appi'l des ouvriers sous
les drapeaux, invasion des districts miniers, blocus
de certaines régions, etc.).
Nous nous proposons, dans cette élude, de passer
en revue les diverses substances métalliques néces-
saires aux armées et de rechercher, pour chaque
parti combattant, dans quelle mesure celui-ci est à
même de soutenir le choc. Aujourd'hui, la lutte
économique allant de pair avec la lutte à main ar-
mée, les peuples capables de grouper aisément les
matériaux indispensables ont ainsi un gage certain
de victoire; la suite de nos comparaisons nous mon-
trera que, sous ce rapport, les Alliés sont particu-
lièrement favorisés, grâce, surtout, à la liberté des
mers qu'ils ont su conserver et à l'isolement dans
lequel ils ont réussi à maintenir leur adversaire
(l'épais prisonnier, d'après l'expression américaine).
Situation avant les Iwslilités. — Le tableau, page
suivante, résumantlaproduction et la consommalion
des principaux Etals en 1913, fixe les idées sur l'im-
portance relative des transactions sur les métaux.
Les chiffres indiqués se rapportent, pour la produc-
tion, à l'ensemble du métal élaboré par chaque pays,
métal extrait des mines locales, ainsi que celui re-
tiré des minerais importés. Cette remarque est des
plus importantes, car, pour quelques pays européens,
le métal produit provient surtout de matières d'ori-
gine étrangère; l'Allemagne, par exemple, traitant
beaucoup de minéraux cuivreux ou plombeux im-
portés, la production réelle se trouve, par suite,
plus faible que celle indiquée, mais ceci n'iniluence
nullement nos conclusions.
D'après ce tableau, nous remarquons qu'au point
de vue général, pour le fer, le cuivre, le plomb et
le zinc, métaux les plus usuels, ce sont les Etals-
Unis qui détiennent la plus forte production ; nous
verrons plus loin tout l'avantage de celte situation.
A part le fer, déjà très abondant en Europe, une
grande partie des métaux américains, le cuivre sur-
tout, étaient importés dans les centres industriels
(le l'ancien continent; les énormes demandes de la
France, de l'Angleterre et de l'Allemagne, nécessi-
tées par le développement extraordinaire des indus-
tries électriques durant ces dernières années, étaient
assurées par les Etats-Unis.
Le zinc était surtout importé en France et en Angle-
terre par la Belgique et l'Espagne, les autres Etals ne
pouvant disposer que d'un léger excédent, à cette épo-
que les Etats-Unis ne s'élan l pas encore outillés pour
produire beaucoup plus que leurs besoins. Pour le
plomb, la France etl Angleterre étaient de gros ache-
teurs po(ir les excédents américains, australiens et
espagnols; les Empires centraux, bien pourvus de zinc,
n'achetaient qu'une faible proporliondeplomb. Il n'en
était pas de même pour l'aluminium : dans ce cas, nous
étions dans d'excellentes conditions, étant exporta-
teurs (5.700 tonnes en 1913), tandis que les Allemands
devaient en importer près de 16.000 tonnes ; il est vrai
que les demandes de leurs industries cachaient la
préparation de réserves en vue de la guerre.
En résumé, si les besoins des Etats étaient restés
identiques, ainsi que leurs frontières, on pouvait
établir le bilan annuel des ressources métalliques,
de la façon suivante :
NATIONS ALLIEES
irraoca, D«lgiqiia, O'-Bnuya», RuMÎ*).
Cuivre. . . . — !:s. 100 tonnes
7in^ i — Î.510 tonnes*
iinc. . . . j_3,o oQo tonnes'
Plomb. . . .— J09.600 tonnes
.\luminium.-i- 10.300 tonnes
EMPIRES CENTRAUX
Cnivre. . . . — 244.400 tonnes
Zinc -t- 41.0M tonnes
Plomb. . . . — S4.000 tonnes
Alamiiiium. — 16.000 tonnes
t. En comprenant la production belge.
2. En éliminant la production belge.
La consommation métallique en Europe étant, en
général, de beaucoup supérieure à la production,
sauf pour l'aluminium du côté allié et le zinc du
côté adverse, les différences étaient compensées,
dans une large mesure, par l'importation.
402
LAROUSSE MENSUEL
1913. Production des métaux.
(Production des miaes ot métaux extraits des minerais importés.)
MÉTAUX
MONltlALB
FRANCE
ORANDE-
URETAGNE
BELOIQUE
RUSSIE
ITALIE
ESPAONE
ÉTATS-UNIS
ALLEHAONE
AUTRICIIË-
IlOnORIE
tonnes
ionnes
tonnes
tonnes
tonnes
tonnes
tonnes
tonnes
tonnes
tonnes
Konto ....
70.000.000
4.950.000
9.700.000
2.360.000
3. 590.000
»
»
31.200.000
17.850.000
1.600.000
Acier(1912)
05.000 000
4.404.000
6.402.000
2.193.000
3.760.080
»
.
29.745.000
15.019.000
2.785.000
Cuivre. . . .
1.000.700
13.200
41.100
»
44.300
1.600
23.000
557.300
52.000
Plomb
1.186.700
28.000
30.300
50.800
.
21.700
203.600
393.100
181.000
24.000
Zinc
894.000
41.000
03.190
217.920
12.000
-
37.280
346.674
289.870
23.920
Mercure . .
4.171
»
1
»
400
88»
1.490
688
833
.\luminium
Cl. 100
13.000
7.500
»
•
"
800
18.300
12.000
1913. Consommation des métaux.
Cuivre. . .
Plomb. . .
Zinc ....
Aluminium
tonnes
103.600
107.600
82.000
O.OOO
ORANDE-
BRETAUNE
tonnes
140.300
101.400
185.200
4.000
tonnes
40.200
tonnes
31.200
KT ATS- UNIS
tonnes
351.000
401.300
312.400
2S.OO0
ALLEMAONE
tonnes
239.300
AUTRICHE-
UONORIE
tonnes
37.200
259.000
225.800 1 46.900
20.000
Que devaient devenir ces situations après plusieurs
mois de guerre, l'invasion de la Belgique, de la
Lorraine et de la Pologne ayant privé les Alliés de
plusieurs régions industrielles, tandis qu'un blocus
étroit forçait les Empires cenirau.x à vivre sur leurs
propres ressources ?
Situation actuelle du marché des principauj
métaux. — I. Fer. De tous les métaux, le fer et ses
dérivés, aciers de toute espèce, sont militairement
les plus employés: canons, projectiles, matériel, etc..
exigent une consommation fantastique. Certains
points du front, très disputés, constitueront de véri-
tables minières, tant est grand le nombre de tonnes
que les artilleries adverses y déversent nuit et jour.
Malgré les pertes de la guerre, on sera surpris, le
jour où l'on connaîtra le nombre de tonnes de fer
qu'il a fallu lancer pour tuer un homme; jadis, on
admettait qu'un soldat exigeait son poids de plomb
pour être tué ; aujourd'hui, il faut compter en tonnes,
par suite de la formidable quantité de mitraille for-
cément gaspillée pour obtenir un résultat.
Nous avons déjà signalé ici pour le fer (v. Lar.
Mensuel ill., t. III, p. 914) quel rôle prépondérant
joue dans l'espèce le bassin de Briey, notre plus
important gisement de fer. Le bassin lorrain est par-
tagé en deux parties par la frontière ante bellum.
Nous retirions de la zone française environ 91 p. 100
de notre produclion totale ; de leur côté, nos ennemis
extrayaient les 80 p. 100 du fer retiré annuellement
d'.\llemagne; la possession de ce riche bassin assu-
rerait donc la maîtrise industrielle; c'est, comme
nous l'avons indiqué, un des enjeux de la victoire.
Actuellement, dépossédés par l'invasion de ce
gisement, ainsi que des importants établissements
de la région du Nord, nous nous trouvons privés de
nos plus importantes ressources en fer et en acier.
D'après un groupement publié en Allemagne et
traduit par les soins du Comité des Forges de France
(n» 3.287 [1916]), la production comparative 1913-
1915 devrait être la suivante :
FONTii. — Production comparative t9tS-t9ls.
ISI3
France 4.4 ( i.95) millions de tonnes.
Orande-Brclague . . 7.8 ( 9.7 ) —
Belgi(|ne 1.9 ( 2.J j —
Hussie 4.5 ( 5.6 ) —
18.6 (fO.55) millions de tonnes.
Allemagne 19. [IT.B ) millions do tonnes.
.'Vntriche-Hongrio . . 2.7 ( 1.6 ) —
21.7 (19. i ) millions de tonnes.
19JS
France 1.1 ( /./) raillions do tonnes.
Grande-B.-etagno. . . 7.8 ( 9.7) —
Knssio 4.5 ( S.6) —
13.4 {f^.^) millions de tonnes.
Allemagne 19. (HS) millions de tonnes.
.\utriclie-Hongric. . . 2.7 { 1.6)
Belgique 1 .9 { i.S) —
France envahie. ... 3.3 ( S.S) —
26.9 (fS.ô) millions de tonnes.
En réalité, les chifTres plus exacts des publica-
tions du Comité des Forges sont légèrement diiïé-
rents; nous les avons inscrits en italique; iU signa-
lent déjà l'exagération allemande; mais, si nous
avons publié ce tableau élaboré par un n Herr Pro-
fesser », ce qui, par suite, n'indique aucun point
inconnu de nos ennemis, c'est pour montrer que ce
groupement, édité pour faire croire que nos ressour-
ces étaient vis-à-vis des Empires centraux réduites
de moitié, est des plus discutables ; car la production
des Austro-.\llemands a été loin de se maintenir
aux taux indiqués, tandis que nous avons pu trouver
par ailleurs le fer qui nous manquait.
En effet, la production de la fonte des Empires cen-
traux a considérablement diminué : 11.789.931 ton-
nes en 1915, contre 13.315.436 en 1916, nos ennemis
n'ayant pu remettre en état les exploitations lor-
raines, trop près de la zone de combat, ni tirer parti
des fonderies belges. 11 en a été de même pour la
production de l'acier brut, qui, de 18.950.000 tonnes
en 1913 (Allemagne et Luxembourg), est tombée à
13.188.000 tonnes en 1915, pour se relever un peu
en 1916 (16.1 71.412). A ces quantités il convientd'ajou-
ter, toutefois, 3.6000.000 tonnes importées de Suède;
au contraire, de notre côté, ayant toute liberté pour
nous approvisionner en Amérique, on a vu dans ce
pâ);s, déjà si actif au point de vue sidérurgique, la
production de la fonle passer de 31 millions de ton-
nes en 1913 à 40 millions en 1916, production à la-
quelle les Etats-Unis n'étaient jamais parvenus ; ceci
nous a permis d'établir, sur l'actuel front de combat,
un mur de fer de résistance toujours croissante.
Naturellement, l'industrie privée doit, pour ses
besoins, recourir également à l'importation et payer
fort cher la petite quantité disponible ; les prix, par
suite de l'augmentation du fret, de la valeur élevée
des charbons, etc., ont presque quadruplé; c'est
ainsi que, pour les fers de construction, on cote les
cours suivants :
fi:rs mabchands
Juillet 1914 : 20 fr. les 100 kgs ; octobre 1917 : 75 fr.
Juillet 1914
TÔLES
22-27 fr. les 100 kgs ;
octobre 1917 : 80 fr.
Il faut, toutefois, remarquer que les Empires cen-
traux, avec leur importante production, ne sont pas
aussi bien pourvus qu'on pourrait le croire; car, s'ils
possèdent le minerai et le charbon pour élaborer
la fonte, il s'en faut qu'ils possèdent tous les élé-
ments nécessaires pour obtenir l'acier brut et, sur-
tout, ces métaux durs et résistants, dénommés
aciers spéciaux, absolument indispensables à la
construction des canons, des blindages, etc.
En premier lieu, pour préparer l'acier, il faut
introduire dans la fonte un alliage de fer et de man-
ganèse, dans la proportion de dix kilogrammes de
manganèse par tonne d'acier; c'est donc une exi-
gence de 130.000 tonnes pour transformer toute
la production allemande, soit dix fois plus que le
sol germain n'est capable d'en fournir annuelle-
ment, les mines de manganèse importantes étant en
France, aux Indes, en Russie, au Brésil, tous pays
où les Alliés ont la facilité de conserver le métal.
Voilà déjà une première entrave, les stocks cons-
titués d'avance ne pouvant avoir l'importance suf-
lisante pour satisfaire aux besoins de l'Allemagne
durant plusieurs années.
H' 133. Mars 191B.
Un grand nombre d'aciers spéciaux sont k base
de chrome. Pour ceux-ci, nos ennemis sont mieux
placés : ils peuvent se procurer le minerai de chrome
en Asie Mineure. C'est leur seule ressource; car,
outre le chrome, dont les principales mines sont en
Nouvelle-Calédonie et en Californie, toutes les au-
tres substances employées dans la préparai ion des
aciers spéciaux viennent de pays accessibles aux
seuls Alliés : le nickel du Canada et de la Nouvelle-
Calédonie, lenio-
1.000
1.000.7
1.186.7
500
l-OO
300
99W
Etats-Unis
Production en milliers de tonnes.
Productions comparées des Etats-Unis
li la production mondiale (1913).
lybdène d'Austra-
lie et du Canada;
letungstèned'Es-
pagne,(leFrance,
d'Australie ou
d'Angleterre, le
vanadium du Pé-
rou, etc. Nous
voyons, par ces
faits, que l'avan-
tage ri'ste de no-
tre côlé, malgré
la privation mo-
mentanée de nos
gisements.
Aupointdevue
du fer, les Rus-
ses avaient été
fort peu touchés,
l'invasion de la
Pologne russe
n'ayant diminué
leur production
quede3à4p.l00.
Seule, la perte du
bassin houillerde
Dombrowa (pro-
duction 0,5 mil-
lions de tonnes
sur 28.8 au total)
était plus sensi-
ble, mais les im-
menses réserves
du Donelz res-
tées intactes, les
apports en fer
et en acier du
Japon permirent
de continuer la
lutte.
II. Cuivre. —
Ce métal est un
des plus em-
ployés dans les
armements (bal-
les de fusil, gar-
gousses et étuis
de cartouche, ceintures d'obus, fusées, construc-
tion des chaudières marines, etc.). C'est dire le poids
énorme de cuivre exigé par les belligérants; un
calcul approximatif en fixe à environ 500.000 ton-
nes, soit la moitié de la production mondiale, la quan-
tité annuellementdépensée pour ces usages. Or, nous
avons vu qu'eu temps de paix, le déficit de chaque parti
était d'environ 225.000 à250. 000 tonnes; le ravitaille-
ment en cuivre pouvait présenter quelques difficultés.
L'Allemagne se trouva rapidement limitée à sa
seule production, qui, jointe aux ressources trouvées
en Serbie et en Turquie, ne représente que quel-
ques milliers de tonnes, les minerais importés ne
parvenant plus aux usines d'élaboration. Aussi épi-
ques furent les trucs employés pour faire arriver au
delà du Rhin le métal rouge; la conirebande hol-
landaise ou suisse fut etTrénée, jusqu'au jour où
les Anglais resserrèrent leur étaii. Après avoir dé-
pouillé les usines des pays envahis des appareils
de cuivre, on collecla parlout, dans les familles, le
moindre morceau de métal, boutons de porte, chau-
drons, etc. La situation doit être plulôt précaire,
malgré la substitution d'alliages divers à base
de fer, d'aluminium, de magnésium, etc., aux pièces
jusqu'ici fabriquées en laiton ou en bronze.
Pour les Alliés, la situation est toute différente;
au moment delà déclaralion de guerre, on évaluait
à20.000tonneslesstocksvisil)Ies. Aussitôt les Anglais
les achetaient, puis mettaient l'embargo sur les na-
vires porteurs de cuivre ou de minerai. La mesure
lut complétée par des achats en Amérique, le pays
du cuivre par excellence. Dès les premiers jours
de 1915, le disponible atteignait 36.300 tonnes; de-
puis, les Etals-Unis ont encore augmenté leur pro-
duction, si bien que la mai Irise des mers nous
assurant l'apport constant du cuivre, nous n'avons
pas eu à modifier nos alliages, ni à détruire nos ins-
lallations industrielles ou électriques, pour en re-
tirer le métal utilisable.
CUIVRE.
Production mondiale. Production des Etait-Unis.
557.300 tonnes.
525.532 —
646.217 —
1010 1.300.609 — 880.700 —
Les cours ont presque continuellement progressé,
I
1913.
1914.
1.000.700 tonnes.
923.888 —
1.001.283 —
I
N' 133. Mars 7978-
lentement au début des hostilités, pour prendre, à
partir de mai 1915, moment où les usines des Alliés
DOl commencé à prendre leur développement, une
hausse rapide, pour atteindre plus de trois fois le
point de départ au début de 1917. Depuis l'alliance
américaine, les cours se sont stabilisés aux environs
de 400 francs les 100 kilogrammes.
Juillet 1914 150 fr. les 100 kil.
Mai 1915 m —
Mai 1916 430 —
Mars 1917 545 —
Aujourd'hui, avec l'aide des Etats-Unis, nous
pouvons plus que jamais, sans inquiétude, envisager
notre situation : le cuivre sera pour nous toujours
suffisamment abondant.
III. Plomb. — Le plomb garnit l'intérieur des
balles anglaises et allemandes; sa demande est, par
suite, considérable; déjà, en temps de paix, le défi-
cit des Alliés se chiffrait par plus de 200.000 tonnes
et celui des Auslro- Allemands par au moins
S'i.OOO tonnes.
La situation est assez comparable k celle du cui-
vre ; pour les Allemands, l'importation étant em-
pêchée, nos ennemis, réduits à leur véritable
production (le chiffre de 181.000 tonnes, donné
pour la production de 1913, contenant une grande
quantité de métal extrait de minerais importés), en
sont à la recherche du vieux plomb dans les cons-
tructions, les conduites d'eau, etc. Il est vrai que
cette quantité récupérable peut être très grande.
Du côté allié, les Etats-Unis (production 1916,
606.628 lonnes, exportation en 1915-1916, 119.000 ton-
nes), l'Australie, l'Espagne assurèrent les besoins.
Les prix ont suivi une marche ascendante, lente-
ment, pour atteindre, au moment de l'entrée des
Américains dans le conflit, presque quatre fois sa
valeur initiale :
Juillet 1914 55 fr. les 100 kil.
Avril 1916 (maximum). . . 111 fr. 50 »
Octobre 1916 99 fr. »
Juin 1917 193 fr. •
IV. Zinc. — Ce métal a subi, du fait de la guerre,
des variations de cours extraordinaires. Parti de
58 francs les 100 kilogrammes, le prix doublait dès
la fin de 1914, triplait en avril 1915, pour atteindre
sa valeur maximum (305 francs) cinq fois son point
d'origine, vers mars 1916 ; depuis, sous l'influence de
la production croissante des Etats-Unis, les cours
ont diminué et se maintiennent aux environs de
200 francs.
Ces variations s'expliquent par la situation géo-
graphique des mines de zinc européennes. Celles-ci,
étant presque exclusivement localisées en Haute-
Silésie (Allemagne), en Galicie (Autriche), en Bel-
gique et en Pologne russe, furent très rapidement
réunies entre les mains des Austro-Allemands; le
tableau suivantrésume cette situation :
ZINC. — Production contrôlée par les empire» centraux.
AVANT L'INVASION
Allemagne 289.870 tonnes.
Autriche 23.920 —
Total 313.790 tonnes.
APRES l'I.NVASION
Allemagne 289.870 tonnes.
Autriche 23.920 —
l'olo^ne russe 8.380 —
Belgique Ï17.920 —
Total 540.090 tonnes.
Réduits à nos propres ressources, nous n'aurions
eu, en dehors des régions envahies, qu'environ
180.000 tonnes pour compenser ces .pertes et satis-
faire à notre consommation. Or, cette dernière étant
considérable, le zinc entrant dans la composition de
nombreux alliages destinés aux armements (laitons
des douilles, maillechort des enveloppes de balles.etc),
nos demandes entraînèrent forcément aux Etats-
Unis un développeinent considérable de la métal-
lurgie de ce mêlai.
Depuis quelques années, les Etats-Unis produi-
saient un peu plus que ne nécessitait leur consomma-
tion; aussi les commandes européennes furent-elles
bien accueillies : la hausse des prix résultante en-
traîna de toute part la création d'usines à zinc;
155.000 cornues fonctionnaient en 1915. En même
temps, un essor très important était donné à la pré-
paration électrolytique, ainsi qu'aux nouvelles mé-
thodes, par le four éleclrique. Bref, dés 1915, les
Etats-Unis produisirent 489.519 tonnes; 619.676 ton-
nes en 1916. Cette production croisante fait pro-
mettre, pour 1917, au moins 900.000 tonnes, trois
fois la demande locale.
C'est depuis cette production considérable que les
cours reprennent des valeurs moins exagérées. En-
core une fois, pour ce métal, la liberté maritime
nous a permis de reprendre l'avantage sur la situa-
lion désastreuse où nous avait mis l'invasion.
Ceci est une leçon : nous pourrions avoir chez
nous la métallurgie du zinc installée avec une
importance assez grande pour nous rendre indé-
pendants. Les procédés actuels exigent des mi-
perais riches, que l'on traite en usant force char-
LAROUSSE MENSUEL
bon, cinq tonnes de charbon par tonne de zinc
extrait, d'où la nécessité de s'installer dans des ré-
gions charbonnières. En conservant ces données,
trop pauvres en houille, nous ne pourrions jamais
faire vivre en France celte industrie; mais nous
possédons des minerais à faible teneur en quantité
considérable, minerais susceptibles de se traiter
économiquement au four éleclrique, c'est-à-dire en
faisant usage des chutes d'eau de nus montagnes.
Cette houille blanche, qu'il est nécessaire de mettre
Millions de tonnes.
701
60
50-
W-
30
20
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C
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3
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CQ
-C-
3
<
1,6
Production en milHons de tonnes.
Production comparée de la fonte (1913).
en exploitation pour lutter contre la pénurie de nos
charbonnages, peut ainsi permettre de traiter sur
place, dans la montagne même, le minerai arraclié
de son gîte, avec très peu de main-d'œuvre, et,
par suite, à un prix de revient très faible.
V. Nickel. — Ce métal joue dans les armements
un rôle important : c'est l'élément nécessaire pour
préparer les maillechorts des enveloppes de bal-
les; mais il est surtout indispensable pour créer
des alliages avec le fer d'une dureté extraordinaire.
Ces alliages ou aciers, à la dose de 5, 10 et même
25 p. 100 de nickel, servent à constituer des tôles de
caissons, des boucliers, etc. L'équipée du Deutscli-
land, allant sous les flots chercher en Amérique
une cargaison de ce métal, prouve combien nos
ennemis en sont dépourvus; en effet, le nickel pro-
vient presque exclusivement de la Nouvelle-Calédo-
nie ou du Canada, c'est-à-dire qu'il est soumis
complètement au contrôle des Alliés : 25.000 tonnes
de métal se trouvent à notre disposition. Les Alle-
mands utilisentquelquescenlaines de tonnesextrailes
de leur sol et quelques quantités provenant des pays
Scandinaves, où se pratique le traitement de mine-
rais pauvres jusqu'ici négligés, plus les quelques
tonnes retrouvées dans les objets de ménage, les
monnaies, etc.
■VI. Atiiimoine. — L'antimoine présente un grand
intérêt pour les .\nglais; il sert à la dose de 2 p. 100
à durcir le plomb employé dans les balles. Nos
mines du Limousin assurent nos besoins et une
partie de la demande anglaise. Les Anglais retenant
tout le métal qu'ils peuvent se procurer, les Améri-
ricains ont recours aux Chinois et aux Japonais;
les difficultés d'assurer les besoins ont fait varier
les cours dans de grandes limites; le métal étant
d'une production relativement restreinte (35.000 ton-
nes), le prix, en juillet 1914, de 70 francs les 100 kilo-
grammes, a atteint 390 francs en août 1917. Quant aux
Allemands, ils ont été conduits par la pénurie d'anti-
moine, à remplacer ce métal, pour durcir le plomb,
par des alliages plomb-sodium et plomb-calcium.
VII. Elain. — Employé pour l'étamage des obus,
la fabrication de divers alliages fusibles et pour la
préparation des fers étamés si nécessaires aux fa-
briques de conserves, etc , l'étain, par suite, a fait
l'objet de nombreuses demandes. La production
mondiale, assez restreinte (128.900 tonnes) se trouve
presque exclusivement contrôlée par l'Angleterre, la
moitié, 6s.iB0 tonnes (1915), venant des importants
établissements des Détroits (Malacca). Le reste est
880
Les chiffres indi-
quent des milliers
de tonnes.
Rapport de l'afr-
croiSKement de la
production des mé-
taux aux Etats-Unis
11913-1S16).
403
exporté d'Australie de Bolivie et du Sud-Africain,
l'importation se partageant sensiblement en trois
parties égales : Angleterre, Etats-Unis et les autres
pays. Ces concurrences ont fait varier considéra-
blement les cours de ce métal, déjà très coûteux ; les
prix croissant constamment, de 373 francs (juil-
let 1914) pour atteindre 970 francs les 100 kilogram-
mes au \" janvier 1917.
VIII. Aluminium. — Ce métal a déjà, ici même
(v. Lar. Mensuel ill. , t. III, p. 827;, été étudié
dans ses rapports avec la guerre. Nous sommes
abondamment pourvus de ce métal, tandis que nos
ennemis importaient chaque année des quantités tou-
jours croissantes soit de métal, soit de bauxite fran-
çaise. Comme une grande partie du matériel de
campement, les carcasses des zeppelins et des aéro-
planes, etc., sonlconstiluéesd'aluminium, les besoins
allemands sont très grands; à défaut de nos bauxites,
les kaolins, les terres de Dalmatie ont été traités
pour en extraire le métal.
En Amérique, le prix de l'aluminium ayant atteint
6 fr. 60 le kilogramme à la fin de 1915, partout on
a remplacé par le cuivre les équipements électriques,
qu'une valeur plus avantageuse avait fait jadis cons-
truire en aluminium. En France, les cours ont subi
moins de variations; de 220 francs les 10» kilo-
grammes en juillet 1914, ils ont atteint 430 francs
en juin 1917. Nous sommes, pour ce métal, par suite
de notre richesse en minerais, les maîtres de la
situation; il est re-
greltable, toutefois, que
nous n'ayons pas eu
plus d'usines hydro-
électriques d'extraction
installées dès le début
des hostilités.
L'industrie de l'alu-
minium a été forte-
ment développée pen-
dant la guerre, la créa-
tion d'alliages résistants
(duraluminium. , acié-
rat) a contribué à aug-
menter les applications
mécaniques; decefail,
la production mondiale
dépasse actuellement
150.000 tonnes, plus de
la moitié provenant des
Etats-Unis.
IX. Mercure. — Le
mercure présente de
nombreux emplois en
temps de guerre; tantôt
il sert à guérir (sublimé,
selsde mercure), tantôt,
sous forme de fulmi-
nate, il enlraîne, par sa
facile décomposition, la
déflagration des explo-
sifs; sa demande est
considérable, atteignant
pour les seuls Alliés plus
de 860 tonnes par an.
Les mines se trou-
vent localisées dans
quelques régions ; la
production en est minu-
tieusement contrôlée.
Les Empires centraux
doivent se contenter
d'Idria (Autriche), cen-
tre très imporlant en
évolution, passant de
570 tonnes en 1905 à
910 tonnes en 1913. De
notre côté, les mines
d'Espagne ( Alin aden l
produisent 1.500 tonnes, l'Italie 1.030 tonnes, la
Russie 400; nous sommes donc absolument cer-
tains de pouvcir nous procurer les quantilés néces-
saires. Les Etats-Unis sont moins bien partagés; la
production locale va constamment en diminuant :
1.050 tonnes en 1905 à 709 tonnes en 1915, tandis
que la consommation suit une marche inverse. L'im-
portation européenne, ordinairement très impor-
tante, se trouve très réduite du failde guerre; il en
est résulté, pour les consommateurs américains, une
crise du mercure : les prix de juin 1914, (liés à
5 francs le kilogramme, ont, New- York, passé, en
décembre 1915, à 20 francs; le cours, en France, se
tient actuellement aux environs de 12 francs.
X. Argent et or. — A côté de ces métaux usuels,
transformables par l'industrie en matériaux de com-
bat, en projectiles, etc., il convient de compléler
cette étude par quelques indications sur les métaux
monétaires.
L'argent, dont la production était d'environ
6.600 lonnes, a subi une diminution de production,
en 1915, au moins de 10 p. loo. l'appoint des Etals-
Unis ayant été seulement de 2.000 tonnes, tandis
que le Mexique, producteur si important en temps
normal, voyait sa production se restreindre du fait
des troubles qui révolutionnent le pays.
1916
Cuivre
557
1913
G07
619
1916
1916
Plomb
Zinc
393
1913
31*6
1913
404
Le prix de 91 (r. 50 le kilogramme, h la veille des
hoslililes, s'élait abaissé à 80 Irancs, en janvier 1915,
les emplois induslriels ayant été considérablement
réduits. C^tte baisse fut toule momentanée: l'argent,
de nouveau recherché, atteignit, le 22 septembre
1916, la valeur de 229 fr. 90, sous l'influence des
commandes des Etats désireux de conjurer la crise
des monnaies par la frappe incessante de piùces
divisionnaires.
L'or, le nerf économique de la guerre, a, au point
de vue minier, été fort peu touché par les hostilités;
les pays producteurs étant en dehors de la
zone des combats, les exploitations, même
en Russie, ont pu se poursuivre normale-
ment; la production mondiale s'est mainte-
nue aux environs de 2 milliards 4 de francs.
OR. — Valeur de la production,
1913... 2.429 miilioQs do francs (684.348 kgs).
1914... 2.370 millions de francs.
1915... 2.472 millions de francs.
Que devient cette énorme production?
L'Allemagne et l'Aulricbe-Hongrie, encer-
clées, doivent se suliire par elle-mêmes;
par suite, leur métal-or reste dans leurs
coffres. Pour les Alliés, la question est
toule différente : ayant conservé la maî-
trise navale, tout ce qui leur manque
vient d'Amérique ou des pays neutres (Es-
pagne). 11 en résulte pour eux une quantité
considérable de fournitures à payer, qu'une
très faible exportation d'Europe vers les
pays américains ne compense nullement;
notre grand avantage se paye en partie par
de l'or, si bien que toute la production du
monde a passé en 1915 en Amérii]ue, fai-
sant de ce pays la contrée la mieux pour-
vue d'or. Le stock des Etats-Unis en or mé-
tallique s'élevait, au 31 décembre 1916, à la
somme fantastique de 14 milliards 837 mil-
lions de francs. Depuis, ces ressources, par
l'alliance américaine, se sont trouvées, en
grande partie, à la disposition des Alliés,
donnant à ceux-ci une maîtrise économique
écrasante sur leurs ennemis.
La valeur cotée de l'or, par principe,
reste fixe, représentant l'étalon de valeur
auquel se rapportent toutes choses ; seuls,
quelques centaines de francs p.ir kilo-
gramme, à titre de prime, indiquent qu'il
est assez difficile de s'en procurer pour les
usages induslriels (art dentaire principale-
ment). La France possède un stock mé-
tallique important; cette puissance lui a
été précieuse pour obtenir les crédits
nécessaires auprès de ses fournisseurs
d'outre-mer. Il faut que les millions qui se
cachent encore dans nos campagnes vien-
nent, par leur présence, augmenter notre
puissance de combativité.
En résumé, au point de vue économi-
que, le résultat des hostilités a été le déve-
loppement extraordinaire de l'industrie mé-
tallurgique, surtout aux Etats-Unis. Cette
contrée, classée déjà en tête de la produc-
tion en 1913, a, selon les métaux, doublé,
triplé, quadruplé sa production, faisant
craindre pour l'avenir une surproduction
effroyable, un effondrement des prix, une
crise industrielle, etc.
Pour l'instant, les diverses phases de la
lutte ont amené le maintien de la liberté îles merspour
les Alliés et le blocus des Empires centraux, si bien
que la situation est, pour nous, incomparablement
supérieure, malgré les perles que nous fait subir
l'invasion. Cette étude montre que, par suite de la
transformation de la guerre en lutte de matériel,
nous avons en mains d'excellents moyens de parve-
nir à hâter l'indiscutablo victoire, moyens sans cesse
accrus, pendant que ceux de nos adversaires ne peu-
vent que décroiti-e. — M. Molini*.
IQ'ationalltés (Principe des). — Idées géné-
rales. Définitions et fondement du principe. Les
nalionalilés et Véquihbre européen. — Dr. int. Au
moment où la plupart des belligérants exposent leurs
buts de guerre et trouvent les garanties d'une paix
durable dans la constitution d'une Europe où toutes
les nations seraient vraiment indépendantes et li-
bres, il est intéressant d'entrer dans quelques déve-
loppements relatifs à ce principe des nationalités,
critiqué jadis par les uns, adopté fervemment parles
antres et dont, aujourd'hui, tonsles gouvernements se
recommandent, même ceux qui s'apprêtent à le mécon-
naître le jour où il s'agirait de l'appliquer, à supposer
qu'il devienne l'une des bases de la paix future.
Définir le principe des nationalités, expliquer sur
quel fondement il repose, énoncer les controverses
auxquelles il donne lieu, montrer enfin quelles sont,
dans la guerre en cours, les visées nationalistes des
belligérants et dans quelle mesure le principe des
nationalités se trouve mis en cause par les peuples en
réveil, qui reprennent conscience d'eux-mêmes, tel
est le plan de cette élude, qui a pour but de donner
LAROUSSE MENSUEL
un aperçu du problème dont il serait vain, sans
doute, d'attendre, de l'immense conflit actuel, la so-
lution définitive.
Définitions. — Le principe des nationalités serait,
au dire des auteurs italiens, le fondement du droit
international, la règle dont l'observation stricte
aplanirait toutes les oppressions, toutes les contes-
tations entre les Etals et qui serait seule capable
d'établir entre eux des relations propres à faciliter
le développement pacifique de chaciiie peuple. On
peut donc le définir ainsi : « C'est le droit, pour cha-
VariatiûDS du cours des métaux usuels (d'après les cours publiés par let
courtiers près le tribunal de commerce de Paris).
que nationalité, de s'organiser comme Etat et, pour
chaque fraction de cette nationalité, soumise aux lois
positives d'un autre Etat, de s'en séparer radicale-
ment pour se réunir à l'Etat auquel la rattache la
logique des lois naturelles. » La nationalité est, en
effet, la communauté d'origine, de langage, de con-
formation physique, d'intérêts etde sentiments, qui at-
tire les individus les uns vers les autres et constitue
ces agrégations humaines qu'on appelle «nations».
Différentes sortes d'Etats. — Or, il existe de nom-
breuses nations qui ne sont pas, ou ne sont plus
constituées en Etat. D'autres se sont groupées sous
l'égide d'un Etat unique et forment ce qu'on appelle
une Union, une Confédération, ou bien un Etat fé-
déral. La Pologne, démemlirée, partagée entre la
Russie, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, est
l'exemple tristement classique de la nation qui a
perdu son autonomie, son indépendance et ne cons-
titue plus un Etat. La Suède et la -Morvège, aujour-
d'hui séparées, ont pendant près d'un siècle constitué
une union; l'Autriohe-Hongrie est, à l'heure ac-
tuelle, le dernier type de l'Union d'Etals; de I8I.1
à 1866, les nations dont se compose l'Allemagne ont
formé une Confédération à laquelle a mis fin le traité
de Prague, après Sadowa; l'Allemagne est aujour-
d'hui un Empire fédéral d'un type spécial, au sein
duquel les Etals allemands, comme la Bavière, la
Saxe, le Hanovre, se trouvent êlre dans un lien de
dépendance étroite vis-à-vis de la Prusse, dont le roi
est, en même, temps l'empereur fédératif. Au con-
traire, l'Amérique du Nord, la Suisse, le Mexique,
la république Argentine, le Brésil, le 'Venezuela,
sont de véritables Etats fédéraux.
«• 133. Mars 1878.
A vrai dire, les Etats vraiment homogènes, ne
renfermant que des populations appartenant à la
même nation, comme la France et l'Espagne, sont
rares. Encore a-t-on voulu voir en France des ten-
dances ethniques difl'érentes, susceptibles de provo-
quer, dans quelques régions, un mouvement sipa-
ratiste ou, du moins une certaine indépendance
provinciale. Nous voulons parler, notamment, de
r Armorique française, qui fut, de toutes les provinces
de l'ancien régime, celle qui bouda le plus longtemps
au gouvernement démocratique. Mais il s'agissait là
bien moins d'une question ethnique que de raisons
religieuses, politiques et dialectiques. En réalité, le
principe des nationalités ne s'est jamais posé sérieu-
sement en France. Il n'en va pas de même dans la
Grande-Bretagne, où il existe, depuis plusieurs siè-
cles, une question irlandaise, que l'on di.-cute encore.
D'antres Etats, au contraire, sont essentiellement
une agglomération hétérogène de nations, qui jurent
de se voir accouplées; telle l'Autriche-Hongrie, qui
comprend des populations allemandes, tchèques,
magyares, slovaques, Slovènes, polonaises, serbes,
croates, latines, etc. Telle, aussi, la Russie, au dé-
membrement de laquelle nous assistons depuis la
chute du tsar, et où l'on voit éclore chaque jour de
nouvelles républiques, telles que la Finlande et
l'Ukraine, pour ne citer que celles-là. Telle, enfin, la
Turquie, formée d'Ottomans, d'Hellènes, de Bul-
gares, de Serbes, de Roumains, d'Albanais, mélange
de religions, de langues et de races qui secouèrent
le joug de la Porte en 1912 et firent celte guerre
des Balkans, qu'on pourrait appeler « guerre des
nationalités», puisqu'il s'est agi d'arraclier à la
domination du Sultan des territoires et des popula-
tions pour les souder, au nom du principe des
nationalités, à leur patrie d'origine. Sources perpé-
tuelles de discordes, guêpiers ou prennent naissance
les conflits et les guerres, objets de convoitises des
grands Etats environnants, ces petites nations ne
fieuvent connaître ni l'indépendance, à cause de
enrs territoires trop restreints, ni la paix dans une
réunion sous un gouvernement ou un chef com-
muns, à cause des haines et des amljitions qui les
divisent; chacune d'elles vise à l'hégémonie dans
les Balkans. Aussi l'adoption du principe des natio-
nalités comme base du droit international, c'est-à-dire
comme seul moyen capable d'aplanir les contesta-
tions entre les Eftals et de faciliter le développement
pacifique des peuples, se heurte-t-elle— à supposer
que ce principe soit scientifiquement exact — à des
dirficuUés d'application presque insurmontables, qui
le transforment très souvent en germes de révolles,
alors que les théoriciens voudraient voir en lui la
cause génératrice de toute paix.
Le principe des nationalités doit être étudié sous
deux aspects différents : dans la forme intrinsèque,
en ce sens qu'il peut servir de base à la constitu-
tion et à l'organisation des Etats et, en la forme
extrinsèque, dans les rapports des Etals entre eux.
Mais il importe de dégager d'abord les règles
qui, dans l'histoire, ont été jusqu'ici la base des
relations internationales et de la constitution des
Etats. Nous allons voir ceux-ci se former par la
conquête, se grouper dans le sens le plus favorable
à leurs aspirations et, surtout, aux ambitions de leurs
gouvernants, puis, une fois bien établis, veiller avec
un soin jaloux à ce qu'aucune organisation nouvelle
ne vienne paralyser leur développement économique
et nuire à leurs intérêts et à leurs ambitions.
Les relations inlei-nationales dans Vkisloire. —
Dans l'antiquité, les races — facteur essentiel de la
nationalité — vivaient dans l'isolement. Lespeuples
ne songeaientqu'à l'asservissement des peuples voi-
sins. Le sentiment national trouvait, au contraire,
son expressioh dans la communauté d'origine, de
langues et de religion. Hors de cette communauté,
les peuples ne voyaient qne des ennemis à com-
battre. Telle fut la politique de Rome et de la
Grèce. Rome traita sans cesse avec la dernière
rigueur les peuples qui osèrent lutter pour défendre
leur indépendance. De même, pour les Hellènes,
tout ce qui n'était pas grec était considéré par eux
comme des « barbares ».
Avecle christianisme, apparut peu à peu, à^a chute
de l'empire romain, à travers les querelles et les luttes
des seigneurs féodaux, un autre facteur capable de
grouper les nationalités : les peuples chrétiens s'uni-
rent contre les infidèles et, notamment, contre l'isla-
misme, qui voulait établir sa suprématie sur le monde.
Ce furent les croisades et la grande lutte entre
l'Occiden t et l'Oiient, que séparaient diamétralement
la religion et les mœurs. Puis survint le schisme
d'Orient et, plus tard, la Réforme, événement d'une
portée immense, qui divisa la chrétienté en deux
camps ennemis et engendra des guerres sanglantes.
L'équilibre européen. — La période monarchique
fit apparaître un troisième facteur de l'organisation
des Etats : la question politique à laquelle, par la
suite, s'ajoutèrent, comme éléments de cohésion ou
de division, à l'intérieur comme à l'extérieur, les
questions sociale, économique et agraire. Fondé
sur les ruines du système féodal, l'Etat cherche
constamment à s'afl'ermir et à s'agrandir par de.»
conquêtes et par des traités. L'ambition des autres
H' 133. Mars 1918.
Etala sert, d'ailleurs, de contrepoids à ses propres
ambitions et constitue une sorte d'équilibre conti-
nental. Mais, vis-à-vis des grandes puissances, les
Etats secondaires se trouvent placés dans une posi-
tion de dépendance et de vassalité. Les guerres
naissent de l'immixtion de ces puissances dans les
affaires intérieures des petits Etats, que les rois veu-
lent plus ou moins annexer à leur couronne. Les
traités de Westplialie (1648), d'Ulrecht (1713), d'Aix-
la-i:iiapelle (1748) aboutissent à des partages, des
agrandissements et des remaniements de territoires,
inspirés par une idée d'équilibre des Etats, toujours
instable et continuellement remis en question. On dis-
posait alors, avec le plus complet arbitraire, du sort
des peuples. La République helvétique et les Pays-
Bas, les 3o5 Etats composant l'empire germanique
furent reconnus indépendants par le traité de West-
pbalie. L'électeur de brandebourg se fi t roi de Prusse
en 1701 et, quarante et un ans plus tard, la Silésie
devenait prussienne par droit de conquête. En 1772,
pour la preinirre fois, l'Autriche, la Prusse et la
Russie se partageaient la Pologne.
Bouleversé par les guerres et les conquêtes de la
Révolution et du Premier Empire, l'équilibre euro-
péen reparut avec les traités de Vienne (1815), qui
fondèrent la Confédération germanique, unirent la
Belgique k la Hollande, achevèrent le partage de la
Pologne et doimèrent naissance à la Sainte-Al-
liance, au sein de laquelle, après le traité d'Aix-la-
Chapelle (1818), la France entra pour former la
penlarchie; les cinq grandes puissances : France,
Angleterre, Autriche, Prusse et Russie, jouèrent
alors le rôle de cour régulatrice de l'Europe, de
gardiens protecteurs veillant sur la tranquillité des
peuples et s'ingérant dans les affaires intérieures
des Etats indépendants, lorsqu'à leur jugement la
situation de ces affaires pouvait constituer un dan-
ger pour la paix de l'Europe. Cet équilibre, basé
sur l'interventionnisme, devait fatalement amener
des conflits, en présence de l'aspiration des peuples
vers la liberté politique.
On sait que c'est à ce principe de l'équilibre eu-
ropéen, basé sur l'immixtion des grandes puissances
dans les affaires intérieures des Etats indépendants,
que s'opposa, en 1.S23, la célèbre doctrine de Monroe,
Î résident des Etats-Unis, déclaration par laquelle
'Amérique affirmait sa volonté de ne tolérer au-
cune ingérence de l'Europe dans ses affaires.
La penlarchie n'empêcha pas le réveil des natio-
nalités. Elle favorisa même tout ce qui pouvait divi-
ser les puissances secondaires, mais se montra hos-
tile aux remaniements susceptibles de constituer de
plus grands Etats, dont l'influence eût porté atteinte
à la suprématie de la Sainte-Alliance et nui à l'équi-
valence des forces entre ses membres. C'est sous
l'éjfide de la pentarcliie que la Grèce se sépara de la
Turquie et la Belgique de la Hollande (1831).
Leprincipe des nationalilés sous te Second Em-
pire. — L'avènement de Napoléon III suspendit
pour un temps cette politique arbitraire, qui laissait
si peu de place au droit des peuples de disposer
librement d'eux-mêmes. L'empereur fit du principe
des nationalités la règle directrice de sa politique
extérieure. C'est sous l'influence de ces nouvelles
tendances que l'Ilalie put réunir en un seul royaume
tous les peiits Etats de la péninsule et secouer le
long de l'Autriche; la Sanlaigue, le Piémont, la
Lombardie, la Vénétie, la Toscane, Parme, Mo-
dène, Naples, les Romagnes, la Sicile, les Etats
pontificaux se rattachèrent pour former enfin l'unité
italienne. C'estégalerneiitpar l'application dumême
principe que la Prusse a mis fin à la Confédération
germanique et, victorieuse à Sadowa, constitua
cette Confédération de l'Allemagne du Nord, qui se
transforma, après la guerre de 1870, en empire
d'Allemagne, sous le sceptre du roi de Prusse.
La conséquence des événements de 1870 fut de
nous ramener bien vile au principe de l'équilibre
européen, basé, cette fois, sur le jeu des alliances,
menace perpétuelle pour la paix, qui a conduit, par
cela même, à cette politique des armements à ou-
trance à laquelle on doit la guerre actuelle.
La question d'Orient. — C'est, avec la politique
coloniale, la question d'Orient C(ui a été, depuis
l'Année terrible, l'axe de la politique extérieure.
L'Europe entière a les yeux tournés de ce côté.
Toutes les puissances ont une politique orientale, et
l'Allemagne, qui a fait alliance avec l'Autriche, la
pousse vers l'Orient pour en faire le champion de
ses propres ambitions économiques; la Russie, qui
a des vues sur Constantinople et veut s'assurer la
liberté des Détroits, contrecarre cette influence et
s'alliera plus tard dans ce but avec la France. L'An-
gleterre regarde surtout du côté delEsyple; l'Italie
aussi a une poIitiq\ie balkanique, et elle adhère, en
1882, à la Triple- Alliance, à laquelle s'opposera,
pour faire équilibre, la Triple-Entente, lorsque se-
ront aplanis tous les différends coloniaux qui sépa-
raient la France de l'Angleterre. L'idée nationale
3 ni pousse les peuples à conquérir leur indépen-
ance n'en fait pas moins son chemin, parallèlement
avec la polilique de conquête et des suprématies
des grands Etats. Le Monténégro, la Roumanie, la
Serbie naissent à la vie autonome et doivent leur
LAROUSSE MENSUEL
existence, en tant qu'Etats, aux conflits incessants
qui déchirent l'empire des Balkans; la Bulgarie
n'est plus rattachée à la Turquie que par un lien
politique bien faible, qu'elle va rompre en 1908 ;
cependant, la Russie met la main sur la Bessarabie,
acquisition qui va la metlre pour longtemps en déli-
catesse avec la Roumanie; l'Angleterre se fait céder
l'île de Chypre (1878), qui la met en mesure de
commander l'entrée du canal de Suez; l'Autriche
étend son influence sur la Bosnie et l'Herzégovine,
qu'elle annexe d'un trait de plume en 1908. Ainsi
se continue le démembrement de la Turquie d'Eu-
rope, auquel le protocole du Congrès de Berlin, du
13 juillet 1x78, avait porté un coup fatal.
Les massacres d'Arménie, en 1894, l'agitation
crétoi.«e, la guerre gréco-turque de 1897 fournissent
aux puissances européennes de nouvelles occasions
d'intervenir en Orient; la Crète
est constituée en Etat indé-
pendant. Onze ans plus tard,
elle proclame son annexion à
la Grèce, cependant qu'une
révolution éclate en Turquie
et substitue au régime absolu
du Sultan le régime constitu-
tiouneldes Jeunes-Turcs. En-
fin, en 1912, toutes les puis-
sances balkaniques s'unissent
contre la Turquieetlui livrent
une guerre, qui aboutit à un
nouveau démembrement de
l'empire ottoman. Mais, au mo-
ment du partagedes territoires
conqurs, les puissances euro-
péennes interviennentencore,
moins pour tenter de mettre
d'accord les vainqueurs, qui,
du reste, en viennent aux
mains, comme la Bulgarie et
la Serbie, que pour maintenir
dans les Balkans un équilibre
nécessaire. De cette interven-
tion est née cette principauté
d'Albanie, destinée surtout à
conserver à la Triple-Alliance
la suprématie de l'Adriatique,
sur laquelle la Serbie et la
Bulgarie veulent en vain avoir
des débouchés.
Telle était, ^ la veille de la
guerre de 1914, la situation
extérieure en Europe, situa-
tion que compliquaient encore
les frottements de la poli-
tique coloniale des grandes
puissances et, notamment,
l'installation de la France au
Maroc. A vrai dire, le système
né du traité de Wc'^tphalie et
connu sous le nom d'n équilibre
européen » n'était pluspossible
comme facteur de la paix gé-
nérale. Rendu instable par des
conflits incessants, il a été
définitivement emporté par la
grande tourmente de 1914, au
cours de laquelle on voit de
plus en plus s'affirmer le droit
des peuples à disposer d'eux-
mêmes sans avoir à subir l'in-
gérence "une sorte de pouvoir
supérieur aux Etals, d'unecom-
munaulécosmopolitefaisanlpasserses intérêts avant
ceux de ces peuples et procédant à des cessions de
territoires, accessions, démembrements, constitu-
tions ou partages arbitraires d'Etats, suivant les
nécessités de l'équilibre à maintenir.
Telle est la conclusion qui se dégage de ce rapide
exposé. D'une part, le système d'équilibre politique
qui a constitué, jusqu'à la guerre, la base de la
société des nations ne peut plus se suffire à lui-même;
disons le mot : il a fait faillite. D autre part, le
principe des nationalités, tel que Napoléon 111 l'a
appliqué, a notamment ahonti à la constitution d'un
Etat énorme, l'empire d'Allemagne, dont les ambi-
tions monstrueuses ont été pour l'tiurope une me-
nace perpétuelle. Quelles seront, à l'issue de cette
guerre, les bases de la nouvelle société des nations?
Il ne parait pas douteux que le droit international
jouera, dans l'avenir, le plus grand rôle dans les
rapports aes puissances entre elles et que nous
verrons se substituer aux alliances et aux coalitions
la solidarité des nations devant le Droit.
En tous les cas, il est à remarquer qu'en dépit de
la politique de compression des aspirations nationa-
les, qui fut celle de V « équilibre européen », de nom-
breuses nations, au cours du xix« siècle, ont pu se
constituer en Etats indépendants et opposer le fait
accompli aux combinaisons de la politique interna-
tionale. D'autres peuples, moins favorisés, ont vai-
nement secoué leur joug, sans pouvoir le briser.
A quels instincts, à cruelles lois obéissent ces natio-
nalités? C'est ce qui sera étudié dans un second
article. {A suivre.) — Maorio* Dotu.
403
poroscopie n. f. (de pore et du gr. skopein,
examiner!. Etude des traces laissées par les pore»
des glanaes sudoripares entre les crêtes papillaireg
dans les empreintes dactyloscopiques.
— Encyci.. La dactyloscopie, depuis les travaux de
Francis Gallon, a été utilisée parles services d'idenlité
judiciairededilférents pays, et l'on sait le rôle qu'elle
joue en France dans l'établissement des fiches an-
thropométriques, imaginées par Alphonse BertiUon
(v. Lar. Mens., 1. 1'', p. 1 48). Edmond Locard, auteur
de travaux estimés sur différentes questions de crimi-
nologie, a imaginé decompléter parla poroscopie les
renseignements fournis par les empreintes dactylo-
scopiques. En général, l'empreinte de dactyloscopie,
jointe aux autres renseignements de la fiche anthro-
pométrique, suffit parfaitement à l'identification d'un
individu. Mais les empreintes laissées par les mal-
Samuel Bernai'd, lableau d'Hyacinthe Rigaud.
faiteuis sur les objets qu'ils ont touchés n'ont pas
toujours la même étendue que celle de la fiche an-
thropométrique; de là un examen minutieux pour
leur identification, mais celle-ci est cependant tou-
jours possible. Il a paru, néanmoins, à E. Locard que
l'cvamen des pores pourrait ajouter à la certitude.
D'après ses observations, la situation et le nombre
des pores restent invariables pour un même indi-
vidu (cette a firmalion ne renverse rien, puisque
les crêtes sont immuables et qu'elles sont le résultat
de la juxtaposition des pores). De plus, la forme, les
dimensions, le nombre et la situation varient d'un
homme à un autre, de sorte que l'on peut tirer de
l'examen de leurs traces de précieux indices, dans
le cas d'une empreinte dactyloscopiqne paraissant
insuffisante. Ces traces des orifices sudoripares ne
sont pas appréciables à l'œil nu; mais un agran-
dissement pliolographique en permet l'analyse mi-
nutieuse, quant au nombre, à la forme, à la situa-
tion, aux dimensions. — B. SiimiaD.
poroscopique adj. Qui concerne la poros-
copie : Etude, examen pohoscopioue.
Samuel Bernard et de ses enfants
(HisToiRK de), par E. de Clermont-Tonnerre. —
Si Samuel Bernard vivait de nos jours, on dirait
sans douie qu'il est un nouveau riche, car il ne dut sa
fortune qu'à lui-même et aux circonstances militaires
dont il fut habile à profiter, et il l'édifia avec une
rapidité extrême. Il sut, d'ailleurs, en jouir pleine-
ment, et il ne fut pas de ces bonshommes Poirier
qui s'elfarenl de la prodigalité de leurs enfants ou
406
de leur gendre. Il savait dépenser, et il avait du
goût. Le travail considérable qu'il fournissait dans
la conduite de ses affaires ne rempècliait point de
goùler aux plaisirs de la vie. Mais, sur l'un et l'autre
points, il avait de la méthode. Aurait-il vécu jusqu'à
plus de quatre-vingts ans, s'il avait commis des excès
de travail ou de fête ? M"* E. de Clermont-Tonnerre
fait défiler devant nous, un peu rapidement peut-
être, la vie de ce grand financier, et son récit, assez
familier sans doute, n'est pas dépourvu d'agrément.
Samuel Bernard appartenait à une famille jadis
venue d'Amsterdam et dont l'origine hébraïque
demeure incertaine ; il était fils de ce Samuel Ber-
nard dont la vogue, comme miniaturiste et comme
graveur, fut considérable au xvii= siècle et qui, peintre
du roi et professeur à l'Académie royale, abjura le
protestantisme pour ne pas perdre ses postes ofliciels.
ba mère était Madeleine Le Queux, fille d'Abraham
Le Queux, tailleur et valet de chambre de la reine
Marguerite. De ses nombeux frères et sœurs, dont
Porte de l'hôtel de Samuel Bernard (Pans, rue du baC;.
l'existence devait être médiocre et parfois beso-
gneuse, il s'occupa avec soin. Son frère Gabriel lui
écrivait un jour :
Il y a bien des gens dans ce pays qui voudraient bien
avoir des frères comme j'en ai un, qui leur fournissent en
général tout ce qu'ils auraient besoin. Je ne vois pas qu'il
y ait au monde un frère semblable à vous, ni qu'il y en
puisse venir par la suite des temps.
Il était né à Paris le 28 novembre 1651, et il avait
vécu son enfance et sa jeunesse au milieu d'artistes
amis de son père, dont l'inlluence s'exerça heureu-
sement sur son goût ; mais son caractère pratique ne
se laissa pas détourner de la fortune par des scru-
pules artistiques. 11 y a temps pour tout, et, avant
de se complaire dans la contemplation des belles
choses, il est nécessaire d'acquérir l'argent qui vous
en permettra la possession.
A vingt-cinq ans, Samuel Bernard est reçu àlacor-
poration des marchands drapiers et s'enrichit dans le
commerce de dentelles et de joaillerie. Il tient bou-
tique rue Bourg-l'Abbé, sur l'emplacement du boule-
vard Sébaslopol actuel, et c'est dans ce quartier même
qu'il cherche femme. Il épousa en 1681 Madeleine
Glergeau, fille de la meilleure faiseuse de mouches
de la rue Saint-Denis, femme simple et modeste,
qui ne troublera jamais sa tranquillité et lui donnera
des enfants. Comme avait fait son père, il abjura le
protestantisme en 1685, ce qui ne l'empêcha point
de souffrir des dragonnades, mais ce qui lui permit
de réclamer avec ténacité des dommages-intérêts.
Bientôt, le commerce parut insuffisant à son acti-
vité. Il fit de la banque et fonda un établissement
de crédit. Ses spéculations furent heureuses. Le suc-
LAROUSSE MENSUEL
ces arriva rapidement. Dès 1697, Dangeau le signale
comme « le plus grand banquier de l'Europe ».
Le roi trouve à sa banque tous les fonds néces-
saires aux guerres qu'il conduit, et on peut dire que
tout le poids des guerres repose sur lui. En même
temps qu'il spécule, il est véritablement le ministre
occulte des affaires étrangères et des finances, pen-
dant les vingt dernières années du règne de
Louis XIV. C'est ainsi que, pendant la seule année
1706, il avance 2 millions par mois pour l'armée au
Trésor royal. Mais le Trésor le rembourse rarement,
malgré ses réclamations et ses plaintes.
Si, en périssant (écrit-il avec clairvoyance), je soutenais
les affaires do l'Etat, cela diminuerait mon désespoir; mais
il est facile de prévoir que, dès le moment que je manque-
rai à payer, mon malheur accablera une infinité d'autres et
causera immédiatement plus do quarante banqueroutes
dans le royaume, qui achèveront d'absorber le peu de res-
sources qui restaient à l'Etat et à quelques particuliers.
Il refuse de nouvelles avances; et, pour l'y déci-
der, il faut que le roi intervienne de sa
personne. Saint-Simon conte la scène dans
ses Mémoires; elle est divertissante :
Le Roi (écrit-il) coupa plaisamment la bourse
à Samuel Bernard. A Marly, par nn hasard sa-
vamment préparé, Louis XIV rencontre soudain
Dosmarets et le banquier. Le Roi dit à Desma-
rets qu'il était bien aise de le voir avec M. Ber-
nard, puis, tout à coup, se mit à dire à ce dernier:
"Vous êtes bien homme à n'avoir jamais vu Marly;
venez le voir à ma promenade, je vous rendrai
après à Dosmarets. » Bernard suivit et, pendant
i]u'elle dura, le Roi ne parla qu'à Berglieyeck et
à lui, et autant à lui qu à l'autre, les menant par-
tout et leur montrant tout également, 'avec les
f^râces qu'il savait si bien employer quand il avait
dessein de combler... Bernard en fut la dupe : il
rentra de la promenade du Roi chez Desmarets,
tellement enchanté que, d'abord, il lui dit qu'il
aimait mieux risquer sa ruine que de laisserdans
l'embarras un prince qui venait de le combler,
et il se mit à faire des éloges avec enthousiasme.
Dosmarets eu prohta sur-le-champ et en tira
beaucoup plus qu'il ne s'était proposé.
Mais la corde finit par rompre; et la
banqueroute à laquelle Samuel Bernard
fut acculé en 1709, sur la place de Lyon,
fut, en réalité, la banqueroute du Trésor
royal. Le banquier fut, d'ailleurs, assez
prompt à se remettre en selle. Dès 1712,
nous le voyons fournir des fonds à Char-
les XI 1, roi de Suède et, à la mort de
Louis XIV, il envoie une dizaine de mil-
lions au Trésor. Law, pourtant, le maintient
à l'écart. 11 reparaît pour réparer les dé-
sordres du système, et ce sont de nouvelles
avances pour les troupes. Jusqu'au dernier
jour de sa vie, qui ne devait venir qu'en
1739, il garde sa puissance de travail ;
jusqu'au dernier jour, le public n'a confiance
qu'en lui.
La fortune ne vient pas h. tout le monde.
Si elle suivit Samuel Bernard, c'est qu'il
alla au-devant d'elle; il la persuaila, la
contraignit même. Son esprit judicieux
discernait le chemin qu'il fallait prendre.
Lorsqu'il avait disciu-né, il savait acquérir;
lorsqu'il avait aci|uis, il savait garder;
non, certes, qu'il fût avare, mais il n'était
pas prodigue ou, plutôt, ses dépenses
étaient toujours intelligentes. En même
temps que la passion du faste, il avait la
conscience de sa dignité et de son mérite.
Un homme comme lui avait un rang à tenir. Le
pouvoir royal ne lui avait pas ménagé les faveurs.
Le roi l'avait anobli en 1699 ; mais admirons les
termes qui accompagnaient les lettres royales:
Sans quo, pour ce, il soit tenu do cesser son commerce,
ce que nous lui défendons pour l'utilité que nous et nos
sujets pouvons continuer d'en retirer.
En 1702, il était chevalier de l'ordre de Saint-
Michel et secrétaire du roi en 1706. Installé luxueuse-
ment rue Nolre-Dame-desVictoires, à Paris, les pro-
priétés qu'il possédait en province n'étaient pas
moins belles que l'hôtel qu'ilhabitait. La seigneurie
de Coubert, dans la Brie, lui avait coûté un million
de livres et devait être érigée en comté en 1725. En
1728, il achetait le château et le marquisat de Méry.
La vie qu'il menait était à la fois familiale et
luxueuse. Toute la belle sociélé se réunissait chez
lui. Le cardinal de Rohan, M™" de Moiitbazon,
M. d'Aumont, le comte de Villeroi, le comte de
Verdun s'y rencontraient; mais le coi-ps avait plus
de joie à ces réceptions que l'esprit. La table était
particulièrement brillante. Elle coûtait, dit-on, au
banquier 150.000 livres par an.
Au milieu de ces nobles visiteurs, Samuel Bernard
gardait grand air. Le voici, tel que nous le décrit
Mme de Tallard et tel, d'ailleurs, que le peignit Itigaud :
Au-dessus d'une assez bello figure, il avait une per-
ruque immense et, sur sa grande taille, un habit ou plulôt
une cs])èce de pourpoint de velours noir, veste et doublure
de satm cramoisi, brodé en or, et une grande frange à
crépines d'or au lias de sa veste; que sais-jo ? une cravate
de dentelles, des bas blancs brodés en or et roulés sur
les genoux ; entm, dos souliers carrés, avec la pièce rouge.
N' 133. Mars 1918.
L'alliance d'un tel homme devait être recherchée.
Les prétendants à la main de ses enfants ne man-
quèrent point, et ce fut l'occasion de fêtes fameuses,
qui firent sensation en ces derniers temps où, pour-
tant, elles n'étaient pas rares. On parla longtemps du
mariage de sa petite-fille, Anne-Gabrielle de Hieux,
avec le marquis de Mirepoix, qui fut célébré en 1733,
et du mariage de sa fille avec François-Mathieu
Mole, comte de Champlâtreux, célébré la même
année. Le peintre et l'architecte du roi, Servandoni,
avait lui-même organisé la fête.
Bien qu'il ne se livrât point à de grands excès,
Samuel Bernard ne restait pas insensible aux grâces
féminines ; et, alors qu'il avait déjà soixante-neuf ans,
on le vit, en 1720, se remarier avec Pauline de Saint-
Chamans, qui n'avait pas plus de vingt-cinq ans et
dont il devait avoir une fille l'année suivante.
Il ne cessa point, pour cela, de se rendre chaque
jour, comme il en avait coutume depuis plu» de
vingt ans, chez M"» de Fontaine, qu'il avait magni-
fiquement installée à Passy.
Marie-Armande Carton, comédienne, était deve-
nue, en 1702, M™» de Fontaine par son mariage
avec un ancien commissaire de la marine et des ga-
lères de France. Amie du grand financier, elle lui
avait donné trois filles et lui avait gardé une fidélité
admirable. Aussi la chérissait-il et ne manciuait-il
jamais de la voir à des heures quotidiennes, habile,
d'ailleurs, à établir un équilibre parfait entre ses
deux intérieurs. Passy était un séjour charmant.
Les 22 hectares du parc y étaient distribués en jar-
dins que l'on avait taillés à la manière de Le Nôtre.
Coypel avait décoré le château. Les Vénus et les
Amours fleurissaient partout. Samuel Bernard n'y
avait pas dépensé moins de 300.000 livres, équiva-
lant à 1.200.000 francs de notre monnaie actuelle.
Quand il mourut, le 18 janvierl739, sa fortune était
évaluée à 60 millions. Il avait passé ses derniers
moments à inventorier ses biens et à les répartir.
Un de ses derniers gestes, l'envoi de 10.000 écus
d'or à son médecin, avait scandalisé tout le monde.
Il ne semble pas que ses enfants aient su profiter
de l'énorme fortune qu'il leur laissait. Vivant, il
n'avait cessé de les aider et de les guider. Son appui
leur manqua, quand il fut mort. Des trois filles qu'il
avait eues de M™» Fontaine, l'une, Louise-Marie-
Madeleine, épousa un receveur des tailles à Château-
roux. M. Dupin, par l'influence de son beau-frère,
devint fermier général, et M"" Dupin tint salon fré-
quenté, jusqu'au jour oii les dettes de son fils l'obli-
gèrent à fermer sa maison. L'autre, Marie-Louise,
après avoir épousé Paneau d'Arty, directeur général
des Aides, à Paris, consacra sa vie au prince de
Conti. La troisième, enlin, Françoise-Thérèse, après
avoir épousé Nicolas Vallet, seigneur de La Touche,
se fit enlever par un Anglais.
Quant à ses fils, ils ne gardèrent pas son nom, et
il eut la faiblesse de les y encourager. Samuel-Jac-
ques prit le titre de comte de Coubert et passa sa
vie à se ruiner. Sa banqueroute, en 1756, fit perdre
8.000 livres à Voltaire, qui criait comme un dialde.
Pourtant, les titres honorifiques ne lui manquaient
pas : maître des requêtes, surintendant de la maison
de la reine, intendant et commandeur de l'ordre
militaire et royal de Saint-Louis. L'hôtel qu'il avait
arrangé au 46 de la rue du Bac était l'un des plus
beaux de Paris. Un des salons en était fameux.
Ce salon ovale était une merveille. Il s'ouvrait par trois
hautes fenêtres sur un balcon excellemment ouvragé. Sa
forme elliptique, sa plantation de biais, lui donnaient un
abord d'une élégance et d'une majesté incomparables. La
cheminée monumentale était en brèche de couleur, ornée
aux angles de cariatides on bronze doré, rappelant, par
la puissance du style et le gras du travail, les pins belles
œuvres de Caffieri. Des panneaux en l»ois sculpté et doré
encadraient des glaces aux mille reflets et rejoignaient
en courbes gracieuses et puissantes, tout à la fois, les
corniches du plafond, sculptées on haut-relief et ornées
de figures magistrales, qui encadraient des peintures de
Van 1,00, de Restout, de Dumont, de Natoiro, représen-
tant l'Europe, l'Asie, l'Afrique et l'Amérique.
On saitque les boiseries ontété achetées en 1887
par le baron Edmond de Rothschild, qui les trans-
porta faubourg Saint-Honoré.
Gabriel-Bernard, dit de Rieux, épousa Suzanne-
Marie-Henriette de Boulainvillicrs. Quoique pré-
sident de la deuxième chambre des Comptes, il
mena une vie extravagante. Non moins extrava-
gante fut la vie de sou fils, qui, par son mariage,
gagna le titre de marquis deBoulainvilliers et doiil
les reblions avec Gagliostro et la comtesse de Va-
lois sont fameuses.
Il semble que le sort, après avoir comblé un
homme, prenne sa revanche sur ses descendants.
Ternes sont les visages des héritiers de Samuel
Bernard. Au-dessus d'eux, s'élève en haut-relief la
figure du financier. — Jacques bompud.
Tilsit (France et Russie soits le Premier
Empire. — La question de Pologne, ISOS-ISOU),
par E. Driault. — E. Drianlt, en poursuivant ses
études d'histoire diplomatique sur Napoléon et
l'Europe, se trouve avoir à exposer aujourd'hui le»
idées de rÊmpereur sur une des plus graves ques-
tions que la grande guerre a soulevées el qu'elle
«• 133. Mars 1918-
devra régler : celle de Pologne. Son livre, de ce
fait, acquiert un caractère de circonslance qui en
double l'intérêt.
La question d'Orient aloujours eu, dans les vues
de Napoléon, une place prépondérante. On sait
comment il envisageait la campagne d'Egypte, la
première étape sur la route de l'Inde; comment
favenir de Gonstantlnople commanda sa politique
à l'égard de la Russie. Or, tout autant que l'Orient
lurc, la Pologne suscita son attention; elle fut, on
peut le dire, la pomme de discorde entre Alexandre
et l'empereur des Français, comme elle resta, d'ail-
leurs, durant toutlexix' siècle, entre Nicolas l" et
Louis-Philippe, entre Alexandre 11 et Napoléon III,
l'obstacle principal à un rapprochement intime entre
les deux pays.
La France de l'ancien régime avait constitué ce
que E. Driault appelle sa« barrière de l'Est» parune
alliance permanente avec la Turquie d'abord, puis
avec la Suède, enfin avec la Pologne. Chacun de
ces Etals avait tour & tour joué un rôle dérivatif
utile dans les guerres soutenues par nos rois contre
rAllemai-'ne et la Maison d'Autriche, à une époque
où la Russie, encore tout asiatique, ne comptait
pas. Mais nous n'avions pas su soutenir ces alliés,
dont la puissance avait été s'afTaiblissant sous le
règne néfasle de Louis XV. La Pologne était morte
de la crise révolutionnaire française.
Dix ans après le dernier partage, au lendemain
d'Iéna, il semlilait que l'heure de la revanche allait
sonner pour les Polonais. Deux des copartageants
étaient écrasés; Napoléon se préparait à courir sus
à l'autre. De Paris, le 23 octobre 1806, d'Hauterive,
chef de la division politique au ministère des
affaires étrangères, adressait à Talleyrand des
n considérations sur l'utilité du rétablissement de
la Pologne comme suite de la bataille d'Iéna »,
et il envisageait une Pologne s'élendant de la
Baltique à la mer Noire. Le 3 novembre, des
Proclamations étaient lancées dans la partie de
ancien royaume devenu prussien, appelant Ips
Polonais à l'indépendance, et l'enlhousiasme était
général de Posen h 'Varsovie. Davout et Murât,
qui formaient l'avant-garde de la Grande Armée
et qui, tous deux, escomptaient un bénéfice per-
sonnel d'une résurrection de la Pologne, prépa-
raient les voies à l'Empereur; l'entrée de Napo-
léon à Varsovie fut triomphale ; il déclara que
les Polonais commençaient à se montrer « sous
des couleurs intéressantes ». Pourtant, il demeu-
rait hésitant et même méfiant : la Pologne, à ses
yeux, était resiée essentiellement anarchique; il
doutait de la fidélité des magnats qui venaient lui
demander des garanties avant de lui offrir leurs
services ; surtout, il tenait à se garder les mains
libres, ignorant encore la façon dont il pourrait
traiter avec Alexandre.
Il refusa donc de prendre un engagement précis
vis-à-vis des Polonais, écartant Kosciuszko, qui,
LAROUSSE MENSUEL
407
Entrevue de Napoléon !•' et du tsar Alexandre !«' à Tilsit f25 jttin 1807).
et l'obtint, après une première entrevue qu'il eut avec son vainqueur, sur un radeau construit au miiieil du NiémisD, en présence des
armées. Un traité d'alliance fut si^né entre les deux empereurs.
Vaincu à Friedland (]4 juin 1807), le tsar demanda la paix
deux
d'ailleurs, n'avait pas confiance et exigeait des
promesses, difficiles à réaliser, sur la constitution
libérale du futur gouvernement et l'étendue du
nouveau royaume, et l'Empereur osait même écrire :
« Ils ne sont plus une nation. »
Les Polonais sentirent la méfiance impériale,
comprirent qu'ils étaient un instrument dans les
mains de l'Empereur et, eux aussi, restèrent sur la
réserve. Le choix que Napoléon fit d'abord de
Talleyrand comme son représentant à Varsovie ne
fut pas pour augmenter leur confiance.
L hiver fut long et pénible, Eylau une demi-vic-
toire sans portée : Napoléon offrit la paix à Fré-
Napoléon l" recevant ta reine Louise de Prusse à TUsit, tableau de Oosse (Musée de Versailles». — Après léna, Auerstttdt, E;Ibu
rt Friedland, fut signi le traité de Tllstt (9 Juillet 1807), traité humiliant pour la Prusse, qui fut réduite à quatre provinces: Poméranic,
Rrandcbourg. VieiflO'Prusae et Silésie; les autres provinces étaient fondues en deux i^tats : le royaume de westphalie. donné au prince
Jérôme, ot le grand-ducbè de Varsovie, donné au roi de Saxe. lA Hussie ne perdait rien, et elle était même secrètement autorisée à
■'agrandir aux dépens de la Suéde et de la Turquie. (Le tableau ci-deseus représente les souverains au moment d'aller signer le célèbre
traité : Napoléon donne la main à la reine Louise ; derrière eux, se trouve le tsar et, à la gauche do la reine, se tient le roi de Prusse
Frédéric-Guillaume. Sur le haut du perron, que vont gravir les souverains, on voit 'ralleyrand )
déric-Guillaume, qui la refusa; il lui fallait l'aller
conquérir en Russie; il s'y prépara, laissant der-
rière lui une Pologne inquiète, durant qu'à Bar-
tenstein, Alexandre, discutant avec le roi de Prusse,
s'attribuait par avance la couronne des Jagellons.
E. Driault, dont le récit suit pas à pas et confirme
le plus souvent le magistral développement d'Al-
bert Sorel dans le 7» volume de l'Europe et la Ré-
volution française, montre dans quelle fâcheuse
posilion se trouvait alors Napoléon : « Vous avez
fait une sollise de ne pas m'altaquer après la ba-
taille d'EyIau, dira-t-il plus tard au baron de Vin-
cent, ministre d'Autriche, j'étais dans un fier em-
barras I i> La nécessité de ménager l'Autriche
jusqu'à Friedland élait donc, pour lui, une raison de
plus de taire ses intentions sur la Pologne, au cas
qu'il en eiit d'arrêtées.
Entre temps, la France, dans la personne de Sé-
bastiani, remporlait à Gonstantlnople une vicloire
signalée : le sultan, qui avait, quelques semaines
plus tôt, déclaré la guerre à la Russie sous la pres-
sante instigation de Napoléon, voyait, le 20 février,
une escadre anglaise mouillée devant sa capitale,
toute prête à la canonner s'il n'abandonnait pas son
nouvel allié. L'ambassadeur de France fit montre
d'une telle énergie, menaçant de tout le courroux de
l'Empereur prêt à fondre avec les armées impériales
sur la pénin-ule balkanique, que le gouvernement
ottoman mettait précipitamment Constanlinople en
état de défense, si bien que, le 3 mars, l'amiral Duck-
worth repassait les détroits « honteux et confus ».
Le 4 mai suivant, à Finkenstein, Napoléon signait
un traité d'alliance avec la Perse et pi-éci-^ait le
plan d'une diversion contre la Hussie et, tout à la
fois, contre l'Angleterre.
Le 24 mai, Dantzig tombe, après un siège de six
mois; la Prusse est définitivement anéantie; l'Au-
triche, devant tous ces succès, donne des gages cer-
tains de fidélité. .N'apoléon tient le sort des Russes
dans sa main; il les écrase, le 14 juin, à Friedland;
les Persans se préparent à passer le Caucase, les
Turcs, le Danube; la Pologne croit plus fermement
Qu'avant l'heure de la résurrection venue; l'empire
Alexandre vacille : à la stupéfaction du monde.
Napoléon, par un de ces revirements subits comme
il en a eu plusieurs au cours de son règne — et tous
funestes — tend sa main au tsar, qui s'empresse de
la saisir : c'est le coup de théâtre de Tilsil.
Avant même l'entrevue des deux empereurs. Na-
poléon dévoilait ses intenlicins conciliantes à l'en-
voyé russe Lobanof en lui indiquant la Vislule
comme » la limite entre les deux empires. Votre
maître doit dominer d'un côté, moi de l'autre ».
Avec ua pareil programme, la Pologne était d'avance
sacrifiée.
E. Driault commente avec soin les enlreliensoffi-
eiels et officieux de Tilsit; il rectifie plusieurs des
affirmations de Vandal, de Sorel et de plusieurs au-
408
1res de ses devanciers ; il veut établir que Napoléon
ne fut pas dupe des engagements d'Alexandre;
peut-être se montre-t-il un peu partial en quelques-
uns de ses jugements; il avoue, pourtant, en maint
endroit, que, les premiers entreliens de Tilsit
n'ayant point laissé de traces, « le point de départ
nous manque ». Le certain est que le point d'ar-
rivée fut la constitution d'un grand-duché de Var-
sovie, que l'historien russe SchiUler, avec invrai-
semblance, prétind avoir été l'œuvre première
d'Alexandre, quoique cette création fût, au contraire,
le premier point de friction entre les deux alliés.
Les Polonais furent cruellement déçus : qu'était
ce grand duché aux limites restreintes, à côté de la
Pologne de 1792, à côté du grand royaume de So-
bieski I Le nom même de " Pologne « demeurait
banni, et l'indépendance en était singulièrement Ira-
gile. Devenue» marche de l'Est »de l'empire français,
ne pouvait-elle pas être quelque jour échangée avec
la Russie contre une compensation sud-orientale?
On a dit que Napoléon avait sacrifié la Pologne à la
paix de l'Europe ; qu'à vouloir faire plus, il eût été
entraîné à une guerre contre la Russie, dont 1812
a montré le danger. Ne serait-il pas plus juste de no-
ter que le génie de l'Empereur, rebelle au sentiment
en politique, n'avait point de tendresse désintéressée
pour les Polonais, qu'il voulait le bonheur de la
Pologne comme celui de l'Italie et de l'Allemagne
dans la proportion oii ces nationalités pouvaient
servir au triomphe du grand empire, son œuvre, et
de la France, sa mère? La Pologne fut moins d'à
moitié restaurée, mais la Russie fut plus d'à moitié
sauvée. Ainsi que l'écrit, en une saisissante image,
E. Driault, « les épées demeurèrent croisées, car
le traité de Tilsit ne fut pas un traité de paix défi-
nitive, mais une étape de la conquête napoléo-
nienne ». L'historien montre les épisodes qui se
succédèrent en cette phase glorieuse jusqu'au len-
demain de la victolre.de "Wagram et comment, eu
1809, la question de Pologne se dressait plus an-
goissante qu'au lendemain de Tilsit, demeurant
toujours la pièce maîtresse de l'échiquier européen.
Que de réflexions sur l'Europe de 191 8 ne fait pas naî-
tre la lecture d'un livrecomme celui-ci I— Pierre rain.
Triompliatrlce (la), pièce en trois actes,
en prose, de M"« Marie Lenéru, représentée pour la
première fois à la Comédie-Française le 19 jan-
vier 1918. — L'action est placée dans le décor
(le même pour les trois actes) d'un riche cabinet
de travail orné de tapisseries, tableaux, objets
d'art; un perron de chêne précède une plate-forme,
<iui supporte le piano et des lampadaires. Nous
sommes chez M'^" Claude Bersier, femme de lettres
■de premier ordre, une célébrité, une gloire, décorée
de la Légion d'honneur, titulaire du prix Nobel. Au
lever du rideau, elle est seule avec une pelile jeune
fille, M""" Haller, qui est venue lui soumettre un
manuscrit. Elle lui parle avec bienveillance et
douceur, elle l'encourage, lui prédit des qualités et
du succès. Elle reçoit des écrivains, des amis, des
•disciples, le folliculaire Blémont,le critique Flahaut :
tous l'admirent et l'encensent. Alors, arrive le mari ;
car M"" Bersier a un mari, qui gagne péniblement
■de minces appointements, tandis que sa femme
touche des sommes considérables pour ses ouvrages
et soutient à elle seule le luxe delà maison. M. Henri
Bersier fait la pileuse figure des époux de femmes
célèbres. 11 n'est même pas un père très soucieux
de son enfant. Car les Bersier ont une flUe, Denise.
Sa mère voudrait la marier avec le jeune critique
■qui fréquente son salon, M. Flahaut. La jeune fille
a écrit un roman : sa mère prie le critique de le
lire avec sa fille pour le retoucher. Elle espère ainsi
les rapprocher l'un de l'autre.
Enfin, M""^ Bersier, outre un mari et une fille, a
un amant : c'est Sorrèze, le plus grand écrivain
français. Leur liaison date déjà de quatre années.
Nous le voyons arriver, et il nous semble, dès
l'abord, que son amour paraît voilé par une ar-
rière-pensée qui ne s'affirme pas encore.
Le second acte nous apprend d.3ux choses : la
tristesse de Denise et celle de Sorrèze.
Denise espérait épouser Flahaut. Et voilà qu'elle
éprouve, ici encore, le même désagrément qui la fit
soufi'rir quand elle s'avisa d'aimer un jeune poète,
familier de la maison, Fréville. Elle s'était éprise
de lui : mais il ne fit nulle attention à elle, et l'objet
•de son culte fut M"" Claude Bersier, la mère. Il se
tua pour elle. Et voici que Flahaut, non plus, ne remar-
■que mêmepas la fille. Celle qu'il aime, c'est la more.
Celle-ci attire tout à elle: les boMimages, les succès,
les sentiments, l'amour. Sa pauvre enfant est dé-
solée de la perspective qui s'offre à elle. Tous les
Il cm n: es de valeur et d'esprit intéressant n'auront
■de regards que pour la grande romancière. Le lot
réservé à la fille sera quel(|ue imbécile, indigne de
remarquer la femme glorieuse ou d'être remarqué
■par elle. Denise est une sacridée consciente; elle
sait qu'elle ne comptera jamais, que sa mère fera
toujours le vide en tirant à elle les cœurs et les
intelligences, et sa douleur en est poignante. La
gloire sème ici le malheur. Le mari est un pauvre
être efTacé et humilié. La fille est une victime.
LAROUSSE MENSUEL
La série des affiictions n'est pas close. M""" Claude
Bersier a un roman, qui parait le même jour que le
nouveau livre de Sorrèze.
Le roman de la femme illustre est un triomphe.
Le livre du grand homme est très discuté et même
éreinté, dans une revue, par le critique Flahaut.
Sorrèze ressent une amère douleur de cette diffé-
rence de trai temen t. Son ar ri our-propre tue son amour.
La jalousie professionnelle l'emporte sur toute
autre considération. Un instant, il se console
quand M™* Bersier lui apprend que Flahaut est
amoureux d'elle. Il lui plaît de penser que la sévé-
rité du critique n'a pas le désintéressement de la
justice et est dictée par des causes d'ordre étranger
à la littérature. Mais l'envie l'a mordu.
On peut humilier un ami (dit-il à sa partenaire), non
un amant.
C'est la rupture.
Denise se retire chez sa grand'mère, dégoiltée de
celte maison, où la gloire a tout flélri, comme un
brasier trop ardent.
La femme célèbre demeure seule, sans ami, sans
fille, près d'un mari vulgaire, qui ne la comprend ni
ne l'admire, et même sans goiit de travail, car pour
qui travaillera-t-elle? Pour elle-même? Elle ne
s'intéresse plus, et les autres lui sont indifférents.
Quand, à la fin de la pièce, revient la petite
Mil" Haller, la débutante qu'elle avait si bien reçue
d'abord, elle lui tient un langage bien différent;
non que la valeur de celte jeune intelligence se
soit modifiée, mais ce sont les circonstances el
l'état d'ame de Claude Bersier qui né sont plus les
mômes. Elle décourage sa jeune élève, lui persuade
avec colère qu'elle n'a et n'aura aucune qualité ni
aucune valeur, lui conseille de faire ce qu'elle
voudra, sauf de la liltérature. Et elle demeure avec
Flahaut, qui prend déjà de l'empire sur elle et dont
on peut prévoir que, sansdoute, il est l'héritier pré-
somptif de Sorrèze.
Ce drame de haute tenue, d'observation perspi-
cace et aiguë, illustre la pensée que M™» de Slaël
écrivit dans son ouvrage touffu De l'Allemagne :
Pour la femme, la gloire n'est que le deuil éclatant
du bontieur.
Les caractères de M""» Bersier et de Sorrèze sont
étudiés avec une pénétration avisée. A vrai dire, la
mentalité spéciale et les circonstances qui peuvent
entourer la vie d'une femme de lettres ne dégagent
pas un intérêt d'ordre assez général et assez large-
ment humain pour forcer l'attention du grand
public. Une telle femme demeure un cas d'excep-
tion, un exemplaire rare; elle peut fournir un inté-
ressant et curieux cas d'étude. Elle n'est pas un bon
sujet dramatique.
M"" Marie Lenéru, l'auteur des Affranchies, est
une belle intelligence et une fine analyste. Le style
a une force concentrée, qui est la marque des œu-
vres réfiéchies. 11 résume en formules sobres, pré-
cises, des idées riches et justes sur ce sujet si fécond
de la gloire féminine.
Pourquoi Claude Bersier n'a-t-elle pas nos sym-
pathies ? Peut-être parce qu'elle a la prétention d'al-
lier la vie d'artiste à la vie de famille. Epouse indif-
férente, mère négligenle, elle nous choque quand
elle met sa fille, pour s'excuser de ses conquêtes,
au fait des orages de sa vie sentimentale et quand
elle installe l'amant dans sa vie avec un cynisme
inconscient de ses devoirs. Nous plaignons la jeune
fille; c'est une circonstance qui ne peut avoir que de
fâcheuses conséquences pour la mère. — Léo CLiRETiE.
Les principaux rôles ont été cr^és par MM""* Bartet
(Claude Barsipr), Yvonne Ducos (.1/"' Haller), M"* Bretty
ICoralie), M"" Guintinl {Denise) et MM. Raphaël Duflos
[Sorrèse), J. Fenoux [Henri Bersiei'), G. Le Roy [Flahaut],
M. Varny [un journaliste), Dérivai [Blémont.)
typho-diptitérie n. f. Méd. Association de la
diphtérie à la fièvre typhoïde, dans laquelle la diphté-
rie prend un caractère particulièrement grave.
— Encycl. L'association de la diphtérie et de la
fièvre typhoide a été observée, il y a longtemps, par
Louis, Peter, Mackenzie et d'aulres auleurs, mais
elle s'est montrée particulièrement fréquente, depuis
la guerre, sons l'influence, semble-t-il, des condi-
tions d'hospitalisation des soldats malades, et elle
a fait l'objet des recherches et communications de
Méry, Jolirain, Rathery, Marcel Labbé, L. Martin.
La typho-diphlérie est éminemment épidémique:
elle apparaît de préférence dans les salles où l'on a
groupé de nombreux cas de typhoïdes. Il suffit qu'un
des malades arrive avec une typhoide et une
diphtérie en incubation, pour que, bientôt, beaucoup
d'autres malades soient atteints. Il est à remarquer,
d'ailleurs, que celte complication grave est naturelle-
ment plus fréquente dans les hôpitaux où l'on reçoit
simullanément des diphtériques et des tvphii|ues.
Deux cas sont ici à considérer : la diptiterie éclate
à la période d'élat de la fièvre typho'i'de, ou bien chez
des convalescents de celle-ci. Dans ce dernier cas,
la diphtérie, tout en présentant une gravité particu-
lière, qui lient sans doute à l'afTaiblissement causé
parTinlection éberthienne, n'en conserve pas moins
ses caractères essentiels et peut être prise dès le
IV T33. Mars 1B1B.
début, parce que le malade se plaint de sa gorge et
que le diagnostic est ainsi faisable d'emblée. H n'en
est plus de même quand la diphtérie apparaît au cours
même de la période d'état de la dothiénentérie.
Quand celle circonstance se réalise, en efi'et, le
malade, assoupi ou délirant, n'attire que rarement
l'attention du médecin sur la gêne et la douleur qu'il
éprouve à la gorge; en outre, l'engorgemi nt des
ganglions sous-maxillaires manque assez souvent;
enfin, les signes gutturaux ne sont pas toujours ceux
qu'il est habitué à reconnaî Ire : la fausse membrane,
au lieu d'être lisse, luisante et d'un blanc nacré, est
grisâtre, irrégulière et rappelle plutôt l'exsudat des
angines à streptocoques; sa localisation habituelle
est non pas l'amygdale, mais la luelte, les piliers et
le voile du palais, et il ne semble pas y avoir de rap-
port bien établi entre l'étendue cfe la lésion diph-
térique et la gravité de l'état. En tout cas, ce qu'il
faut noter, c'est que la fausse membrane, dans la
typho-diphtérie, croît très vile et peut envahir rapi-
dement l'isthme du gosier, entraînant la mort, en
dépit de la sérothérapie.
Du reste, dans la typho-diphtérie, tous les phé-
nomènes généraux sont aggravés; la température se
maintient très élevée ou s'élève encore, le cœur flé-
chît, le pouls devient rapide et défaillant; la stupeur
et le délire s'accentuent, les urines sont rares et très
albumineuses, ou supprimées; les extrémités se re-
froidissent (Marcel Labbé).
Pour expliquer celle aggravation, étant donné le
peu d'importance que présente parfois en apparence
la lésion locale, il faut, évidemment, invoquer la haute
nocivité des toxines diphtériques, mais celte noci-
vité est-elle relative ou absolue, c'est-à-dire tient-
elle à ce que l'organisme, déjà épuisé par la lutte,
contre l'infection éberthienne, n'est plus en élat de
résister convenablement à l'inloxiciilion dipthérique,
ou bien à ce que l'association du microbe de la
typhoïde (Ebertli) et de celui de la diplilérie (Lœf-
flei) augmente notablement la virulence de ce der-
nier? La question n'est pas encore définitivement
résolue.
Quoi qu'il en soit, le pronostic de la typho-diph-
térie est toujours très sombre.Avant la sérothérapie,-
on comptait 80 à 90 décès pour 100 malades ; depuis,
on en compte environ 25 à 50. Tantôt, la mort est
rapide en cas de diphtérie laryngo-trachéale ou
trachéo-bronchique ; tantôt, la mort est plus lente
et peut même survenir après la guérison apparente
de la lésion, sons rinfiuence de la sérothérapie : elle
semble due alors, surtout, d'après la statistique de
Rathery, à des accidents cardiaques ou cardio-bul-
baires ou méningés.
Celle extrême gravité souligne l'importance du
diagnostic précoce et d'une prophylaxie soigneuse.
Le diagnostic clinique étant difficile à faire, il faut
avoir recours au diagnostic bactériologique, aussi
simple, mais un peu plus long que pour la diphtérie
ordinaire, en raison des badigeonnages de la gorge
pratiqués souvent chez les typhiques. Et ce diagnos-
tic doit être établi systématiquement chrz tous les
malades des salles où il y a des cas de typho-diplitérie.
Comme moyen prophylactique, Méry el Martin
préconisent les injections préventives de sérum an-
tidiphtérique à tous les malades des salles contami-
nées et même à tous les entrants et, bien entendu,
l'isolement des diphtériques et de tous les cas sus-
pects. Rathery pense que l'examen de la gorge de
tous les entrants et l'isolement de tous les malades
de la salle, dès qu'ils présentent un point douteux,
suffisent pour arrêter une épidémie. Mais on peut
faire observer que l'isolement et, par conséquent, la
mise en observation retarde, au cas où la diphtérie
se trouve réellement en cause, l'emploi du sérum
spécifique, lequel est d'autant plus actif qu'il est
plus précocement injecté et n'offre chez les typhi-
ques, même non diphtériques, aucun danger parti-
culier. Pour ces raisons, il convient de donner la
préférence aux injections préventives systématiques,
sans négliger aucune des autres précautions néces-
saires: examen, isolement, etc.
Le traitement de la typho-diphtérie consiste à in-
jecter, dès que le diagnostic est posé, 60 à 100 cen-
timètres cubes de sérum antidiphtérique le premier
jour et à continuer les injections, en diminuant pro-
gressivement les doses, pendant huit à dix jours
(Martin). Pour prévenir les accidents surrénaux,
Rathery prescrit en outre XXX à L gouttes de la
solution d'adrénaline à 1 p. 1.000. Cette médica-
tion particulière n'empêche pas de continuer le
Iraitement de la fièvre typhoïde en période d'état;
d'ailleurs, les bains, les applications froides sur l'ab-
domen et la région précordiale, les injections
d'huile camphrée, etc., ont également leur utilité
contre les complications de la diphtérie.
La convalescence peut être longue ; il faut redou-
ter, comme on l'a vu, les accidents cardiaques,
même après la guérison des lésions diphtériques. Il
faut également surveiller les convalescents, parce
qu'ils restent souvent, et pendant un certain temps
parfois, des porteurs de germes. — c J. Laumokh».
Paris. — Imprimerie Larousse (Moreau, Auir*, Gillon et C»),
n, me Montparnasse. — Le gérnnl ■ L. Orosi.kt.
La Prairie. (Les Bétes bovines.)
N" 134. — Avril 1918
Académie des beaux-arts. Election de 1
Georges Gardet. — Le 8 décembre 1917, l'Acadé-
mie des beaux-arls a procédé à l'élection d'un
membre dans la section de sculpture, en remplace-
ment de René de Saint-Marceaux, décédé. Le
nombre des volants était de 32. Six tours de scrutin
ont été nécessaires, et les voix se sont ainsi répar-
ties : Gardet 5, 8, 13, i5, 16, 21 ; Dampt 6, 8, 8, 8,
9, 7; LefebvreS, 4, 4, 3, 2, 1; J. Boucher 3,4, 3, 3,
1, 0 ; E. Dubois 4, 3, 0, 0, 0, 1 ; Hugues 4, 2, 1, 0,
0, 0 : Cariés 2,0,0,0,0,0; Sicard 2,3,2,3,3,2;
Peynot 1, 0, 0, 0, 0, 0; Labatut 0, 0, 1, 0, 0. 0.
Georges Gardet est proclamé élu. (V. p. 415.)
Académie française. Election et récep-
tion de Henri Bergson. — Le 12 février 1914, Henri
Bergson fut élu k l'Académie française, en rempla-
cement d'Emile Ollivier, décédé. 11 n'y eut qu'un
seul tour de scrutin. Sur 31 votants, 19 voix «lièrent
à Henri Bergson, professeur de philosophie au
Collège de France, 9 à Charles de Pomairols, poète,
et il y eut 3 bulletins blancs. Bergson fut proclamé
élu. La guerre ayant éclaté quelques mois plus tard,
l'Académie suspendit ses réceptions. Elle les a
reprises en 1917 et a reçu Bergson le 24 janvier 1918.
(V. p. 411.)
Le nouvel académicien avait à prononcer l'éloge
d'un homme d'Etat qui n'a pas été seulement criti-
qué par les partis, mais haï par l'opinion publique.
Pierre de La Gorce, élu à l'Académie le même jour
que Bergson et reçu il y a quelques mois, s'est
montré sévère pour Emile Ollivier dans son Histoire
du Second Empire. On se demandait avec curiosité
quelle serait l'attitude de Bergson, psychologue
profond et dialecticien ingénieux, mais dont les
travaux — du moins jusqu'à la guerre actuelle —
étaient restés étrangers à l'histoire et à la politique.
Or, c'est une apologie qu'il a écrite, apologie sans
réserves, éloquente et même courageuse, car elle
a provoqué des colères.
Le ton général du discours est ferme et vibrant,
sauf au début, où l'élu reconnaissant explique avec
une grâce subtile pourquoi son indignité s'est mon-
trée si audacieuse :
Cest qu'une prétention peut ne pas s'apparaître comme
excessive, tant que l'indiscrétion de la demande est tem-
pérée par l'indécision du résultat. Mais, dès qu'elle a bé-
nétîcié de votre indulgence, elle se questionne sur sa légi-
timité,etledouiequi portait sur l'enetreâue vers la cause.
Mais l'attention du récipiendaire est sollicitée par
un plus haut objet. Il doit « apporter sa pierre, si
mal taillée soit-elle, au monument » gue l'Académie
élève depuis trois siècles k la gloire des lettres
françaises. Il essayera donc de •> poser sur le sable
mouvant du témoignage humain » la reconstruction
du caractère, l'histoire d'Emile Ollivier, « homme
politique qui ne voulut être d'aucun parti et que
tous les partis eurent intérêt àdénigrer », lui ■< qui
n'a jamais su haïr ni mentir ». Amis et adversaires
de 1 Empire se sont accordés k lui faire porter la
LAnOUSSE KENSUEt. — IV.
responsabilité d'une catastrophe « que la folle poli-
tique de 1866 avait préparée, que l'aveugle impru-
dence des partis contribua ensuite à rendre iné-
vitable » :
« Fatalité *, tel est le mot qui résonnait à notre oreille
pendant que nous considérions l'homme et que nous réca-
Fitulions son histoire. «Fatalité», la réalisation éphémère,
écroulement soudain d'un des plus beaux rêves politiques
qu'on eût faits depuis la Révolution. « Fatalité », le con-
cours de circonstances qui porta à la tribune, poury pousser
le cri de guerre, lo seul peut-être de nos hommes d'Etat qui
eût toujours voulu la paix. « Fatalité », le ricochet mortel
d'un mot inoifensif, du mot léger qui écrase, du mot qui,
semblable à la particule solide tombant dans une solution
sursaturée, avait instantanément cristallisé contre lui
tout ce que dix-huit années d'Empire soulevèrent de res-
sentiments, de haines et de colères.
Et, cependant, des fées bienfaisantes s'étaient pen-
chées sur le berceau d'Emile Ollivier et l'avaient
chargé de leurs présents : sens musical et poé-
tique, goût du
beau sous toutes
ses formes, con-
naissance du
cœur humain, ta-
lentdhislorienet
de romancier,
passion pour
l'idéal et pour la
justice. Mais un
de ces dons ré-
sume tous les au-
tres: l'éloquence;
une éloquence si
simple et si pure,
âu'on se deman-
era d'elle, comme
devant l'architec-
ture d'un temple
grec, de quoi elle
peut bien être
faite. Une élo-
quence, pourtant.
si riche et si pleine, que l'analyse y découvrira, uue à une,
les qualités et connaissances qui font le juriste, le mora-
liste, l'historien, le poète et même le musicien, comme le
prisme fait apercevoir les couleurs de l'arc-en-ciel dans
un rayon do lumière blanche.
Bergson rappelle l'œuvre écrite d'Emile Ollivier,
savante et multiple : les dix-sept volumes de l'Em-
pire libéral, le " gracieux roman » de Marie-Mag-
deleine, les « jolies éludes « sur Michel-Ange, un
gros traité de droit ecclésiastique, un ■ ouvrage
capital » sur le Concile du 'Vatican, le a fameux
mémoire » sur le 19 janvier, etc. 11 aime surtout
les portraits encadrés dans l'Empire libéral. L'art
d'Emile Ollivier lui rappelle tantôt Sainte-Beuve et
tantôt Saint-Simon.
Cet « écrivain de race ■• était en même temps une
haute conscience, qui voyait tout sous l'aspect de
la justice absolue et du jugement de Dieu. Ame
religieuse, spiritualiate sans être catholique, nour-
Emile OUivier.
rie de Pascal, de Bossuet et de timitalion, « ivre
d'éternité », Emile Ollivier fut presque toujours
isolé sur les sommets. « Il était à lui-même son
public, son parti, son école, son Eglise ». Son élo-
quence et son élévation morale avaient prise sur
les hommes, mais sans les gagner de façon durable,
parce qu'il lui répugnait de les retenir par l'intérêt :
Il était l'artiste qui voudrait tout droit sculpter son idéal
dans le marbre, sans passer par l'mtermédiaire de la
glaise où l'on se salit les mains. Mais le marbre est dur à
qui dédaigna la glaise... Là est peut-être le secret de la
fatalité qui a pesé sur des existences dignes d'admira-
tion. Ce que nous appelons de ce nom n'est souvent que
la revanche des forces naturelles sur la volonté humaine,
quand l'esprit a trop contraint la matière ou prétendu se
passer d'elle. Orphée entraînait les fleuves, les arbres et
les rochers au son de sa lyre ; mais les Ménades le mirent
en pièces.
Tel fut le destin d'Emile Ollivier en 1848, pen-
dant ses courtes fonctions de commissaire général
des Bouches-du-Khône et du 'Var. Tel il fut pen-
dant les treize dernières années du Second Empire.
Au début, l'enchantement et l'enthousiasme univer-
sel; puis la mauvaise fortune, la disgr&ce et la
conjuration de la haine.
Bergson s'est demandé ce que valait la conception
de r « Empire libéral ». Une seule et même aspi-
ration persiste, d'après lui daas l'histoire intérieure
de la France à travers le xix« siècle : le but cons-
lant est d'organiser le régime démocratique. Mais
la réforme de la société exige une sécurité com-
plète dans les relations avec les puissances étran-
gères, comme aussi des garanties elllcaces contre
l'anarchie au dedans. En acceptant Napoléon III, la
France a voulu se protéger eontre les ennemis du
dehors sans courir le risque de convulsions intes-
tines. Elle croyait avoir un gouvernement fort.
•Mais elle ne renonçait nullement à se donner plus
de justice et plus de liberté. Malheureusement,
l'enripereur ne sut pas « conserver dans ses rapports
avec l'étranger le sérieux, le sens des réalités et le
souci du bien public qu'il apporta incontestable-
ment à l'administration du pays ». Le républicain
Emile Ollivier avait horreur' de la révolution. Il
crut que l'auteur du coup d'Etat, après son absolu-
tion par le peuple, accorderait l'essentiel de ce que
réclamaient les républicains. Il vint donc k l'Em-
fiire; mais, en le voulant « libéral », il eut contre
ui ceux qui servaient le régime, sans désarmer
ceux qui le combattaient, et il ne fut bien compris
que par le duc de Morny et par l'empereur lui-
même. « A vrai dire, le régime auquel allaient ses
préférences était à mi-chemin entre l'Empire et la
République • : il eût voulu l'élection directe, par
le peuple, d'un chef de l'Etat investi de pouvoirs
considérables, la responsabilité individuelle, et non
pas collective, des ministres devant la Chambre, la
suppression des partis définitivement constitués et
l'institution du « référendum ».
La seconde partie du discours de Bergson est une
belle étude d'histoire diplomatique. Il y recherche
IQ
410
les causes, lointaines ou immédiates, de la guerre
de 1870. L'incainalion du principe de la force dans
la Prusse et de l'esprit prussien en Bismarck, le
<• génie du mal », qui façonna l'âme allemande à
son image et la voua au culte de la matière et de la
violence; l'erreur de Napoléon 111 en 1866, quand il
laissa battre l'Autriche; celle du Corps législatil,
repoussant le projet d'organisation militaire du ma-
réchal Niel; la menace de la candidature Holien-
zollern au trône d'Espagne ; le rôle du roi de Prusse,
que l'on juge souvent avec trop d'indulgence, mais
«lue Bergson compare à un mari complaisant; les
démarches d'Emile Ollivier pour dénouer pacifi-
quement la crise, et leurs résultats d'abord favora-
bles; les nouvelles instructions données à notre
ambassadeur à Berlin, à l'insu d'Ollivicr, par l'em-
pereur et son ministre des affaires étrangères, de
Gramont; la falsification de la dépêche d'Ems et
l'insulte à la France qui en ressort; enfin, la décla-
ration de guerre devenue obligatoire: voilà les points
principaux de cet exposé brillant, que soutient une
critique rigoureuse. La conclusion de l'orateur est
formelle : Emile Ollivier n'a commis aucune faute,
et il ne pouvait agir autrement qu'il ne l'a fait.
Détachons le passage où est replacé dans son
cadre le mot tant reproché au ministre :
Après avoir dit, au début do son discours ; « Nous
nous décidons à cotte gueiTo, l'âme désolée », il s'écria
pour conclure : « Do ce jour commence, pour mes col-
lègues et pour moi, une grande responsabilité; nous
l'acceptons d'un cœur léger. » Comme la gaucho inter-
rompait bruyamment : « Oui, d'un cœur légtr; et n'équi-
voquez pas sur cette parole, et no croyez pas que je
veuille dire avec joie ; ]e vous ai dit moi-même mon cha-
grin. Je veux dire d'un cœur que le remords n'alourdit
pas, d'un cœur contiant. » (Hélas! on devait bien vite
oublier 1' «âme désolée», tandis qu'on retiendrait, dé-
tourné de son sens, le « cœur léger ».)
La France meurtrie et mutilée a longtemps maudit
le nom d'Emile Ollivier, devenu» symbolique •> du
régime odieux, oévocateur des désastres » par les-
quels l'Empire a pris fin. C'est que l'opinion a
longtemps ignoré les origines profondes de celte
guerre. Nous savons, aujourd'hui, qu'elle est la suite
de celle de 1866 et qu'elle se continue depuis 1914 :
<i Toute l'histoire de l'Europe, depuis l'apparition
de Bismarck, est le déroulement d'une seule grande
phrase, à laquelle nos soldats vont mettre le point
final.» Les sociétés libres ne verront plus un peuple
parasite et servile tourner contre elles leurs propres
inventions. Après la suprême révolte du principe de
la force contre celui du droit, le droit se consoli-
dera en force.
Emile Ollivier ne se plaignit jamais. Des amis
fidèles lui restèrent, surtout à l'Académie; il se re-
tira dans sa propriété de le Moutte, aux environs de
Saint-Tropez, et travailla, secondé, dans le déclin
de ses forces et l'alTaiblissement de sa vue, par
l'admirable activité de M™" Ollivier, dont Bergson
trace un délicieux portrait. Ses dernières pensées
furent un acte de loi dans une victoire réparatrice. 11 fit
graver sur son tombeau, que battent les flots de la
Méditerranée : Ma;/na quies in mafina spe (« un
grand repos dans une grande espérance »). Bergson
commente cette épitaphe dans une éloquente apos-
trophe qui termine son discours:
... Ecoute : un murmure d'admiration court le long de
la terre. Mais regarde : pour saluer un peuple, les peuples
nobles se lèvent. Victima aux deux plaies saignantes, la
France servit jadis à démasquer les puissances d'op-
pression et de haine. Redressée dans un sublime effort,
elle a brisé l'élan du démon et sauvé le monde. Elle sera
toujours le droit. Elle est devenue aussi la force. Par le
souffle divin qui l'anime, elle est vie et résurrection.
Sors de ton repos, pour voir ce qui passe ton espérance 1
La réponse de René Doumic est aimable, spiri-
tuelleet anecdotique. Le directeurde la Hevue des
Deux Mondes félicite d'abord le nouvel élu d'avoir
débuté par une « bonne action » envers la mémoire
d'Emile Ollivier, et il s'associe au jugement porté
par Bergson sur la guerre de 1870 et sur le conflit
actuel. Après cetexorde grave, l'enjouement appa-
raît quand il rappelle sa première rencontre, au
lycée Condorcel, en 1875, avec son futur collègue
à l'Académie. Il y a là un agréable portrait du
lycéen « déjà célèbre » :
Je revois le frêle adolescent que vous étiez alors : une
taille élancée, allongée, un peu vacillante, un charme
délicat de blond, car d'épais cheveux blonds, tirant un
peu sur le roux, se partageaient alors sur votre front on
masses soigneusement symétriques. Le front, c'était ce
qui frappait on vous: un front largo, bombé, et (jue je
qualifierais presque d'« énorme » en lo comparant au bas
nu visage, affiné et menu. Sous l'arcade do ce vaste front,
des yeux un peu étonnés, avec ce regard qu'on remarque
aux'nemmesde pensée méditative et qui ne trompe pas;
ce regard voilé, retiré, replié et tourné vers le dedans-
Beaucoup de sérieux accompagné de beaucoup de bonne
grâce, une gravité souriante, une simplicité qui n'était
pas cherchée, une modestie qui n'était pas affectée, et de
si bonnes manières!... De toute votre personne se déga-
geait une séduction singulière : c'était un charme discret
et même un peu secret... Est-ce une illusion V II me
semble, monsieur, que vous n'avez pas extrêmement
changé et que le portrait est encore recounaissable, et
qu'à quelques détails près, qui sont l'œuvre inévitable du
temps, on retrouve le Bergson d'autrefois dans le Berg-
son d'aujourd'hui.
René Doumic.
LAROUSSE MEiNSUEL
Doumic évoque le souvenir de leurs anciens pro-
fesseurs ; il salue en passant les anciennes études
classiques, dont il espère encore la restauration, et
célèbre les succès scolaires de cet écolier-prodige,
lauréat du Concours général en sciences et en let-
tres. Il le suit à l'Ecole normale supérieure, dans
son poste d'élève-bibliothécaire, et nous apprend
que l'auteur spi-
rilualiste de Ma-
tière et Mémoire
penchait alors,
comme toute sa
firomotion , vers
e matérialisme.
Plus tard, de-
venu professeur
de philosophie à
Clermout-Fer-
rand, Bergson
subit une crise
de pensée. Parti
des Premiers
principes de
HerbertSpencer,
il aboutit, par
une critique ori-
ginale de l'idée
de temps, à l'af-
firmation de la
liberté qui conclut sa thèse de doctorat. Ici. Doumic
essaye sinon de définir la philosophie de Bergson,
du moins de traduire l'impression qu'elle produit
sur celui qui l'aborde pour la première fois :
Un de vos meilleurs commentateurs, M. Edouard Le
Roy, la compare à une soudaine révélation ; le voile in-
terposé entre le réel et nous tombe comme par enchante-
ment : des profondeurs de lumière jusqu'alors insoupçon-
nées se découvrent. « Tout ce que l'on pensait déjà con-
naître en est renouvelé, rajeuni, comme par une clarté
du matin ». (Le Roy.) Ce voile étendu entre le réel et
n«is, il a été tissé par l'expérience accumulée pendant
des mdlénaires, par le contact avec la matière, par les
exigences de la vie sociale, par les habitudes du langage...
C'est tout cela qu'il faut d'après vous écarter, pour aper-
cevoir, par un effort d'intuition directe, la réalité telle
qu'elle nous est donnée immédiatement. Cette réalité, il
faut nous la représenter non pas sous une forme fixe,
dans un contour précis, mais comme un mouvement con-
tinuel, un perpétuel changement, un écoulement ininter-
rompu, un flux, un jaillissement qui jamais ne s'arrête...
Celte réalité « mouvante, fuyanle, impalpable »,
ne saurait s'exprimer par des mots. » On ne peut
que la sugg:érer, par des images qui sont elles-
mêmes de vivants symboles ». Le style de Bergson
est donc émaillé de mélaphores, et sa manière est
caractérisée par « le mélange de la rigueur scienti-
fique avec la puissance d'évoc.ition poétique ».
Quant à sa doctrine, elle fut une « libération »,
d'où son succès auprès des lecteurs, des auditeurs
et des auditrices :
On a donné bien des raisons de ce beau succès ; l'agré-
ment de vos déductions subtiles et l'attrait de votre pa-
role fluide, et cette saveur que trouvent les délicats à un
plaisir difficile, et jusqu'au charme de votre personne. Et,
certes, il y a un peu de tout cela dans le prestige que
vous exercez, mais un peu seulement ; la vraie raison est
tout autre, plus profonde et plus simple : pour attirer si
violemment les âmes, il ne suffit pas do la chaîne d'or
d'une parole séduisante, il faut ce souffle de nouveauté
qui soulève pour un temps le voile du mystère et apporte
à l'humanité inquiète le rafraîchissement des grandes
espérances.
Doumic raconte l'amusante histoire — qu'il se
garde bien d'authentiquer — de deux Américaines
qui firent le voyage de Paris tout exprès pour
<i aller en Bergson ». Mal renseignées, elles arri-
vèrent au mois d'août et durent se contenter de
voir la salle où avaient résonné les paroles du
maître. Une autre anecdote, plus certaine et moins
frivole — une conversation où Bergson, peu de
temps avant la guerre, affirma à Edmond Rostand
sa foi en l'avenir de la France — nous ramène à
Emile Ollivier, dont Doumic, à son tour, loue le
patriotisme, la noble résignation et la puissante
éloquence. II le montre aux séances académiques,
<i anéantissant » ses contradicteurs sous son argu-
mentation redoutable. Il nous transporte dans son
salon de la rue Desbordes- Valmore, au milieu d'un
cercle de princesses, d'hommes de lettres et d'ar-
tistes, puis dans la résidence d'été de Sainl-Ger-
vais. Cl simple chaletde pâtre », qui réjouissait les
goiils de r " ascète campagnard ». En terminant,
Doumic affirme, comme Bergson, que les vœux
dOlIivier se réalisent. La France s'est réveillée et
relevée. Elle a traversé de dures épreuves. D'autres,
sansdoute,lui sont encore réservées. «Les mortsde
Biizenval et de Ghanipigny, comme ceux de l'Aisne
et de la Marne, del'Yser et de Verdun », lui ordon-
nent de mener la lutte jusqu'à la mise hors de
combat de son éternelle ennemie. — Maurice esoch.
A.viotl sanitaire. On désigne ainsi un aéro-
plane aménagé pour servir au transport des blessés
entre le front de combat et l'ambulance chirurgicale.
Les premiers qui eurent l'idée d'utiliser l'avion au
point de vue sanitaire pensèrent d'abord à l'employer
pour rechercher les blessés sur le champ de bataille
«• 134. A¥ril 1918.
et n'envisageaient le transport de ces mêmes bles-
sés que comme une utilisation secondaire et peut-
être un peu utopique, ou tout au moins prématurée
de l'aéroplane. Parmi ces précurseurs, il faut citer
en première ligne le D^ de Mooy, médecin général
de f'arinée hollandaise, qui émit l'idée en 1910. Deux
ans après, le D' Duchaussoy, professeur agrégé à la
Faculté de Paris et secrétaire général de l'Associa-
tion des dames françaises, reprenait cette concep-
tion et faisait nommer, par cette association, une
commission spéciale, dont le rapport était adressé
au ministère de la guerre et au Congrès internatio-
nal de la (Jroix-Rouge de Washington. Cependant,
le regretté D^ Reymond, mort pilote d'avion au dé-
1)11 1 de la guerre, faisait des expériences concluan-
tes aux grandes manœuvres de 1912, qui démon-
traient les grands services que l'aéroplane pouvait
rendre pour trouver, sur les champs de bataille
démesurés d'aujourd'hui, les blessés que des obsta-
cles naturels ou autres : pans de mur, bouquets
d'arbres, mouvements de terrain, etc., cacheraient
aux yeux de ceux qui marchent au niveau du sol.
Déjà, le 21 octobre 1912, Ch.-L. Julliot, membre du
comité de contentieux de la Ligue nationale
aérienne, saisissait celte Société de la question des
avions sanitaires et étudiait les problèmes d'ordre
juridique qui s'y rattachent. Ajoutons que le Ca-
ducée a publié sur ce sujet deux articles : l'un de
Perret (18 mai 1913^, l'autre de Eybert (2 novem-
bre 1912) et qu'à l'Exposition de la locomotion aé-
rienne de la même année figurait une réduction
d'avion transporteur de blessés, due à M. Ribes.
Les réalisations véritables datent de la présente
guerre. Les premières n'ont pas été, à vi ai dire,
organisées à l'avance. Elles se produisirent aux
heures tragiques de la retraite de l'année serbe
vers la mer, en 1915. Lorsque cette armée quitta
Prizrend, elle abandonnait derrière elle des blessés
et des malades graves, qui ne pouvaient suivre la
retraite et qui étaient menacés de tomber entre les
mains des poursuivants. C'est alors que plusieurs
aviateurs français : Dangelzer, Paulhan, 'Tbirouin,
Cornemont, Pété, Béret, décidèrent d'utiliser les
avions, en médiocre état, qu'ils possédaient, pour
sauver le plus grand nombre possible de ces infor-
tunés. Us réussirent à les transporter ainsi de
Prizrend à 'Vallona, à Saint-.Ie»n de Médua, à
Alessio, etc. Cette expérience, à l'impromptu, démon-
trait la possibilité de se servir de l'aéroplane comme
moyen de transport. 11 restait à agencer spéciale-
ment des avions dans ce but.
_ Le premier avion sanitaire qui soit entré régu-
lièrement en service, et qui est encore seul de son
espèce, a été équipé, essayé et utilisé par le D^ Cb as-
saing, médecin-major aux armées et député du
Puy-de-Dôme. L'armée italienne espère inaugurer
prochainement un service de transport par les airs
entre le front et Milan, ou les autres grands centres
hospitaliers.
L'avion sanitaire du Dr Chassaîng, dont le pilote
est 'Vigneron, est d'un modèle déjà ailc-ien. C'est
un biplan AR à moteur de 180 HP. On a supprimé
un certain nombre d'apparaux inutiles dans sa
nouvelle destination, et on a fait subir à son fuse-
lage une transformation qui est l'essentiel de cette
nouveauté. Le fuselage aménagé de la sorte cons-
titue une cellule close, s'ouvrant exclusivement par
le haut, chaufl'ée par le passage du tuyau d'échap-
pement et où sont déposés deux brancards légers,
situés l'un au-dessus de l'autre comme des cou-
chettes de paquebot. Une sorte de couvercle, en se
rabattant, clôt cette cellule quand les blessés sont
en place. Ils sont attachés sur leurs brancards,
solidement fixés eux-mêmes aux parois, afin d'éviter
loutmouvementbrusque et toutdéplacement. Lespa-
roissont percées de petites ouvertures, que ferment
des vitres de mica. L'adaptation spéciale de l'avion
sanitaire est indiquée par deux grandes croix rouges
peintes à la face inférieure des ailes et destinées à
lui éviter, dans la mesure où ce signe est aujour-
d'hui respecté, les atteintes du feu de l'ennemi.
Les médecins et les journalistes qui furent les
premiers passagers volontaires de cet aéroplane
déclarent qu'après une courte période de trépida-
tion très supportable, on y ressent une grande im-
pression de calme, qui porte facilement au sommeil,
d'autant plus que le bruit du moteur, assourdis-
sant au début, s'apaise dès que l'appareil est en
l'air, dans un ronronnement non désagréable. Au-
cune impression de froid ni de vent n'est ressentie
dans la cellule. L'immobilité du transporté est abso-
lue, et l'atterrissage lui-même ne provoque qu'une
sorte de frottement râpeux, sans cahot, qui ne
communique aux brancards et h leurs occupants
aucune secousse. Le choc provoqué par cet atter-
rissage est beaucoup plus faible que celui que l'on
ressent dans une automobile passant sur une ornière
ou un caniveau (Dr J. Fiolle).
Les deux grands avantages de l'avion sanitaire
sont, à n'en pas douter, la vitesse de transport qu'il
permet et l'absence de tout heurt pouvant nuire
aux blessés.
La vitesse est un appoint de tout premier ordre,
quand il s'agit de blessés graves. 11 est indispen-
N' 134. Avril 19J8
sable, en effet, de les amener le plus rapidement
possible à l'ambulance chirurgicale, où leur plaie
sera de^sinfeciée suivant les conditions admises
aujourd hui. Or, celte désinfeclion, qui comporte
l'ablation des projectiles et des corps étrangers, la
Qxation des os fracturés, l'excision des tissus à vi-
talité compromise, etc., et que l'on reconnaît à
l'heure actuelle être la condition première d'une
guérison rapide et complète, ne peut être effectuée
que dans des centres chirurgicaux bien installés et
situés en général à bonne distance de la ligne de
combat. Or, si, pour l'aire vingt kilomètres, distance
moyenne k parcourir, l'automobile sanitaire, étant
donné l'état des routes et leur encombrement par
les services de l'avant, met environ une heure et
demie, l'avion sanitaire, même de vitesse médiocre
comme celui que nous avons décrit (lOU à 120 kil. à
l'heure), parcourra le même espace en on quart
d'heure au maximum.
L'absence de cahots est non moins importante.
Elle permet, en effet, de transporter sans péril pour
eux des blessés très graves (choc, atteintes de l'ab-
domen ou du thorax, fractures compliquées), pour
lesquels tout cabot est à la fois nn danger d aggra-
vation et une occasion de souffrance. L'état des
routes du front, dont nous venons de parler, im-
plique, pour les transports en automobile, la possi-
bilité de heurts fréquents et intenses.
On prévoit que l'avion sanitaire, qui est en ser-
vice, en ce moment, dans un secteur et dont les
essais ont eu lieu antérieurement devant les mem-
bres des commissions de l'armée et de l'hygiène
publique du Parlement, en présence du sous-secré-
taire d'Etat du Service de santé, sera d'une grande
utilité au cours des hostilités actuelles. Mais,
surtout, on peut penser qu'il sera précieux dans
les régions dépourvues de bonnes routes et de
moyens de communication pratiques (colonies).
Sans doute, aussi, pourra-t-on, comme l'a proposé
le D' Fiolle, l'utiliser en temps de paix pour trans-
porter promptement les blessés de la campagne au
lentre chirurgical urbain le plus proche. Kn atten-
dant les résultats que l'on peut prévoir dans ces
directions dllférentes, cette première réalisation
devait être signalée. — D' Henri Bouqut.
benthanila n. m. ou benthamie (bin)
n. f. Genre de cornacées, originaires du Népaul et
de l'archipel japonais.
— Encyci.. Ce genre comprend deux espèces : le
benthaviia Japonica, peu connu dans les jardin?
d'Europe, et le benlliamia fragifera (benthamie
porte-fraise), ainsi nommé pour la forme de ses
l'niils, et qui peut croître en plein air dans le sud-
Benthaniia ; a, fleur.
ouest de l'Angleterre, ainsi qu'en Irlande, où il
s est acclimaté, tandis que, sous la latitude de Paris,
il réclame la température de l'orangerie.
La benthamie çorte-fraise est un arbre de la taille
du pommier, à feuilles ovales oblongues, accunii
nées, blanchâtres en dessous, rippelaiit de très près
celles du cornouiller; ses fleurs, assez petites, sont
d'un blanc jaunâtre ou verdâlre, réunies en télé et
entourées dfe quatre bractées blanches jaunâtres ou
violacées, formant un involucre pétaloide. Les fruits,
drupacés, sont des masses charnues de couleur oran-
gée, ressemblant à de grosses fraises; mais, quoi
qu'en disent les Asiatiques, leur goût est moins appré-
ciable que leur aspect n'est engageant. — J. i» cuao».
*Bergson (//enn'-Louis), philosophe français,
né à Paris le 18 octobre 1859. 11 suivit, de 186x
il 1878, les cours du lycée Coudorcet, tout en appar-
tenant & l'institution Springer. Il remporta d'écla-
tants succès au concours général : en rhétorique
(1875), le 1"'' prix de discours latin, le 1"' accessit
de version grecque, le t' prix de géométrie et le
t" prix d'anglais ; en philosophie (1876), le 1<" prix
LAROUSSE MENSUEL
de dissertation française et le l"' prix de mathé-
matiques; en malliématiques élémentaires (1877i, le
l'f prix de malliématiques : sa copie fut reproduite,
l'année suivante, dans les « Annales de maihéma-
liques » de Brisse et Gerono. Egalement remarquable
en sciences et en lettres, il hésita quelque temps
dans son choix, puis se décida pour les lettres, au
grand scandale de son prol'essenr de mathématiques,
Desboves. Il fut reçu, en 1878, au concours de
l'Ecole normale supérieure, dans la promotion dont
le M cacique » fut Jaurès et qui comprenait, en
outre : Diebl, Jeauroy, Plister, All'jed Baudrillart,
Monceaux, Paul Desjardins, etc. Classé troisième
par ses compositions, Henri Bergson, « d'origine
polonaise », fut admis à titre d'élranger et, pour
ce motif, inscrit
àlafin de laliste.
Il opta pour la
nationalité fran-
çaise les novem-
bre 1880, après
avoir atteint sa
majorité, et de-
vint ainsi élève
à titre définitif. Il
obtint le deuxiè-
me rang au con-
cours d'agréga-
tion de philoso-
phie de 1881 (le
1" était Lesba-
zeilles, le 3" Jau-
rès,le4''Belot).Il
fut envoyé, com-
me professeur de
flhilosophie, au Ilemi Her^son.
ycée d'.\nger3,
où il rei^ta deux ans (1881-1883). Il passa de là au
lycée de Clermont-Ferrand (1883-1888)et fut chargé,
en même temps, de conférencos à la Faculté des
lettres. En 1S8S, il fut appelé à Paris, au collège
HoUin, et soutint, en 1889, ses thèses de doctorat
es lettres. Transféré, la même année, au lycée
Henri-IV, il y resta jusqu'en 1897. Il prononça le
discours d'usage à la distribution des prix du
concours général, le 30 juillet 1895, et prit pour
thème « le bon sens et les études classiques >>.
Maître dé conférences de philosophie à l'Ecole nor-
male supérieure, de 1897 à 1900, il fut nommé au
Collège de France après la mort de Charles Lè-
vêque, dans la chaire de philosophie grecque et
latine (1900). Il y étudia la philosophie de Plotin.
Lorsque Gabriel de Tarde mourut (1904), Bergson
lui succéda dans la chaire de philosophie moderne
du Collège de France et eut un auditoire enthou-
siaste. Depuis le mois de décembre 1914, il se fait
suppléer par Edouard Le Boy. — Il a remplacé
Félix Ravaisson dans la section de philosophie de
l'Académie des sciences morales et politiques (1901 )
et a été élu à l'Académie française, au fauteuil
d'Emile 01livier,lel2févrierl914. Sa réception, par
BenéDoumic, aeu Iieule2ijanvier19l8(v.p. 409). —
Pendant la guerre actuelle, il a servi efiicacement
la cause de la France dans ses missions à l'étranger,
en Espagne et surtout aux Etats-Unis.
Sa thèse latine : Qiiid Aristotetes de loco senseril
(Paris, 1889) est une étude sur le concept d'espace
dans Àrislote. Sa thèse française : Essai sur les
données immédiates de la conscience contient l'idée
fondamentale de toute son œuvre. Après avoir dé-
montré que l'intensité des états psychologiques
n'est pas susceptible de mesure et ruiné par là tine
pseudo-science, la psi/clto-physique, il analyse
l'idée de durée, s'applique à distinguer le temps
véritable, psi/cholnr/ique, de sa traduction en es-
pace, qui e.st le temps mathématique. La durée
vraie, étoffe de notre « moi », est une création
continue. Cç déterminisme, nécessaire à la science,
n'a de prise que sur les choses « faites », ordonnées
dans l'espace. Le devenir de la conscience, la mo-
bilité hétérogène et qualitative qui constitue nos
états intimes, offre le caractère de la liberté. Il
s'en faut, cependant, que tous nos actes .«oient éga-
lement libres. Les nécessités de la vie pratique et
lé goût du moindre effort nous réduisent souvent à
l'état d'automates conscients. Seuls, sont libres les
actes qui émanent de notre moi profond, qui expri-
ment notre personnalité entière. Le problème de
la liberté est né d'un malentendu : « Il a son ori-
gine dans l'illusion par laquelle on confond suc-
cession et simultanéité, durée et étendue, qualité
et quantité ».
La préparation de Matière et Mémoire, essai sur
les relations du corps à l'esprit (1896), exigea de
Bergson des recherches scientifiques considérables.
Dans son Essai, il s'était attaché aux états profonds
du « moi ■>. Il voulut ensuite, à la lumière de la physio-
logie cl (le la patliolo^iie actuelles, déterminer les
rapports du physique et du moral. Il dut se res-
treindre au problème de la mémoire, limita encore
sou sujet à la mémoire du son des mots, et mit
cinq ans à dépouiller la littérature de l'aphasie.
<• J'arrivai, écrit-il, à cette conclusion qu'il doity avoi r
entre le fait psychologique et son substrat cérébral
4U
une relation qui ne répond à aucun des concept»
tout faits que la philosophie met à notre service ».
La mémoire n a pas besoin d'explication. « Le
passé se conserve de lui-même, autumaliquement ».
Le cerveau n'est pas un réceptacle de souvenirs.
Son rôle est, au contraire, d'éliminer de la cons-
cience toute la partie du passé qui n'est pas utile à
l'action présente. Suivant un mot de Ravaisson
repris par Bergson, « la matérialité met en nous
l'oubli ». Tout le livre tend à prouver l'indépen-
dance de l'esprit à l'égard de la matière : « L'esprit
emprunte à la matière des perceptions d'où il tire
sa nourriture et les lui rend sous forme de mouve-
ment, où il a imprimé sa liberté. »
Derns l'Evolution créatrice [1901], Bergson expose
une théorie de la vie, fondée sur un évoïnlionnisme
nouveau. La vie dépasse les points de vue, égale-
ment étroits, du mécanisme et de la flnalilé. Elle ne
se déroule ni suivant des lois nécessaires, ni confor-
mément à un plan préétabli. Comme la conscience,
elle est durée, mobililé, hétérogénéité qualitative,
création continue, liberté. L'.;venir est imprévisible.
Le principe de l'évolution est i« élan vital ». L'in-
telligence, née de la vie, ne saurait suffire à l'expli-
quer. Cependant, en adjoignant à l'intelligence, qui
triomphe clans l'étude de la matière, les ressources
prolondes de l'instinct, on peut avoir l'in/ui/ioM de
la réalité absolue.
L'aimable petit livre intitulé le litre, essai sur la
signification du comique d'.iOO), a une valeur à la
fois litlèraire et philosophique. L'auteur y déter-
miné et classe avec une grande finesse les princi-
pales u catégories » comiques et dégage certaines
lois. On y trouve des remarques suggestives sur les
différences entre la tragédie et la comédie, et sur
l'art, qui a pour objet d'écarter les symboles prati-
quement utiles pour nous mettre face à face avec
la réalité. Quant au comique lui-même, il apparaît
quand la spontanéité vivante cède le pas à 1 auto-
matisme.
La Perception du changement Oxford, 1911),
rédaction de deux conférences faites à l'université
d'Oxford les 26 et 27 mai 1911, contient quelques-
unes des pages les plus lumineuses de Bergson et
pourrait servir d'introduction à l'étude de sa philo-
sophie. Il a également fait œuvre de vulgarisation
dans l'A>neet le Corps, conférence de « Foi et 'Vie»,
reproduite dans te Matérialisme actuel (1913). —
Il est d'autres pages de Bergson, publiées par des
périodiques, qu'il serait agréable et commode de
posséder réunies en volume. Tels sont les articles
suivants, dans la << Revue de métaphysique et de
morale » : Introduction à la mélapliysi^ue (jan-
vier 1903), le Paralogisme pst/clio-pliystologique
(novembre 1904), l'Intuition phi losopfiique {novem-
bre 1911); dans le « Bulletin de la Société française
de philosophie » : le Parallélisme psycho- physio-
logique (2 mai 1901) et la lettre insérée dans le nu-
méro du 26 février 1903; dans la « Revue philoso-
phique » : l'E/fnrt intellectuel (janvier 1902), le
iiouvenir du présent et la Fausse Ueconnaissance
(décembre 1908); dans le « Bulletin de l'iuslilut
psychologique international » : le Rêve (mai 1901);
dans le « Journal des Débats » : Vérité et Réalité
(25 avril 1911); etc. Mentionnons aussi sa Note sur
les origines psychologiques de notm croyance à la
loi de causalité {« Bibliothèque du Congrès interna-
tional de philosophie de 1900 », t. I"), la Sotice
sur la vie et les œuvres de Félix Ravaisson-Mot-
lien (1904), le discours prononcé à l'.^cadémie des
sciences morales, le 12 décembre 1914, sur le carac-
tère mécanique de l'esprit allemand, le tableau de
la Philosophie française (1916), à l'occasion de
l'Exposition de San-Francisco, et rappelons que son
premier livre fut un bon recueil scolaire d'Extraits
de Lucrèce (1884).
Le point de départ de la philosophie bergsonienne
est une conception originale de la durée véritable,
opposée au temps homogène, qui se confond avec
l'espace. C'est pour la commodité de la scieuce et
des relations sociales que l'on mesure le temps
d'après le déplacement d un mobile sur une portion
(l'espace. Mais la courbe décrite par la pointe de
l'aiguille d'une horloge n'est pas plus du temps que
la montée ou la descente delà colonne de mercure
dans un thermomètre n'est une sensation de chaud
ou de froid. Au contraire, des expressions comme
« le temps me dure », ou « le temps m'a paru
court » expriment la conscience de la durée vraie,
qui est qualité et non quantité, mobilité incessante.
et non arrêt à des points fixes. En ramenant le
temps à l'espace, la mobilité à l'immobile, la pen-
sée philosophique s'est engagée dans des difficultés
inextricables. Ainsi les anciens Kléates furent con-
duits logiquement à nier la possibilité du mouve-
ment. On posa de faux problèmes, qui s'évanouis-
sent aussitôt que l'on veut bien reconnaître, en
consultant l'expérience, que « la réalité est la
mobilité même », « qu'il y a du changement, mais
qu'il n'y a pas de choses qui changent ». Le " moi »
profond est .semblable à une mélodie continue, non
à une combinaison d'éléments atomiques. Pour les
besoins de notre action, nous pratiquons des cou-
pures, et nous marquons des arrêts dans le Oux de
412
la durée : c'esl lii un artifice ulile, non une con-
naissance vraie.
Si, maintenant, on veut grouper les conclusions
générales que Bergson a déduites de sa théorie
de la durée, il faut se reporter à sa lettre au P. de
Tonquédec (Etudes, 20 février 1912) :
Les coDsidératioDS exposées dans moQ Estai »ur tes
données immédiates aboutissent à mettre on lumière le
fait de la liberté; celles de Matière et Mémoire font tou-
cher du doigt, je l'espère, la réalité de l'esprit ; celles de
l'Evolution créatrice présentent la création comme un
fait: de tout cela se dégage nettement l'idée d'un Dieu
créateur et libre, générateur à la fois de la matière et de
ta vie et dont l'etiort de création se continue, du côté de
la vie, par l'évolution des espèces et par la constitution
des personnalités humaines.
On peut y joindre, sur la survivance de l'ame
après la mort, ces lignes de sa conférence de
» Foi et Vie » :
Si, comme nous avons essayé de Je montrer, la vie
mentale déborde la vie cérébrale, si le cerveau se borne
à traduire en mouvements une petite partie de ce (jut se
passe dans la conscience, alors la survivance devient si
probable que l'obligation de la preuve incombera à celui
qui nie, bien plutôt qu'à celui qui affirme.
Sans doute, le bergsonisme n'est pas un sys-
tème complet. Véritable positiviste, Bergson se
garde bien de construire des ensembles à piiori.
Il série les problèmes et ne propose des solutions
particulières qu'après avoir épuisé les données et
appliqué la méthode qui convient. S'il n'a pas encore
traité de la morale, c'est, sans doute, qu'il n'est pas
arrivé, en cette partie de la philosophie, à des ré-
sultats positifs. Mais on peut espérer qu'un Bergson
moraliste nous apparaîtra dans un avenir plus ou
moins prochain. Dès maintenant, on peut le tenir
pour déiste et spiritualiste. Il a des traits communs
avec Boulroux, Ravaisson, Maine de Biran, mais la
théorie de la durée pure n'appartient qu'à lui. C'est
un réaliste, puisqu'il professe, à l'cncontre de Kant,
que nous pouvons atteindre le réel par une intuition.
Ce n'est pas un intellectualiste, puisque l'intelli-
gence ne lui paraît aboutir à une connaissance totale
qu'appliquée au monde matériel. Mais il est étrange
d'en faire un ennemi de la science et de l'intelli-
gence. La science, sous sa forme la plus modeine,
dans ses découvertes les plus récentes, a servi de
base à ses travau.x, et quelques-uns de ses disciples
sont des mathématiciens ou des physiciens. Quant
à l'intelligence, il la déclare nécessaire à l'intuition,
mais non suffisante. Or, c'est par l'intuition, par un
coup de sonde dans la mobilité et la durée, que
Galilée a fondé la mécanique et Leibniz le calcul
infinitésimal. La pensée beigsonienne déborde les
cadres courants de la philosophie; aussi est-elle
difficilement assimilée par les adeptes des systèmes
à formes rigides.
On a, enfin, reproché à Bergson le charme même
de son style et les abondantes métaphores qui lui
servent àévoquerdes idées nouvelles. On feint de le
considérer non comme un philosophe, mais comme
un magicien de la parole, un romantique, un artiste.
11 croit, en eiïet, que l'artiste a une vision directe
et immédiate de la réalité, parce qu'il regarde les
choses d'une manière désintéressée, sans être dominé
par le souci de l'action. Cependant, la connaissance
de l'artiste n'est que partielle, et c'est la réalité com-
plète que le philosophe prétend percevoir. La sym-
pathie et l'instinct lui sont nécessaires, mais il ne
néglige p:is les services de l'intelligence.
Les éludes sur Bers'son et le bergsonisme sont
nombi'euses. Nous citerons seulement: Edouard
Le Roy, une Philosophie nouvelle (1912); René
Gillouin, la Philosopltie d'Henri Ce/-7Son (1911);
Harald HOffding, la Philosophie de Bergson (tra-
duction J. de Coussange, 1916) ; J. Maritain, la
Philosophie bergsoiiienne (1914); Alfred Fouillée,
la Pensée et les Nouvelles Ecoles onti-intelleclua-
listes {\9\0); René Berthelot, un Romantisme uli-
litaire (1913); Julien Benda, le Bergsonisme ou
une philosophie de la mobilité (1912) et Sur le sens
du bergsonisme (1914). Cette liste va des commen-
taires pieux aux attaques violentes, en passant par
les critiques mesurées. Bergson a savouré toutes les
variétés d'hommages. — Maurice enoc».
Berton (Armand), peintre et graveur français,
né à Paris le 16 septembre 1854. 11 est mort dans
cette ville le 29 septembre 1917. Armand Berton fut
élève d'A. Millet et de Cabanel et débuta an Salon des
Artistes français en 1 877, avec des portiaits. 11 envoya
encore aux divers Salons suivants et jusqu'en 1881
désœuvrés de même nature; mais, en 1882, il exposa
ime Eve qui lui valut une troisième médaille, et
c'est avec cette toile qu'il commença officiellement
sa belle série d'études de nus féminins, dans laquelle
il affirma de plus en plus sa personnalité. En 1884,
il exposa /a Fablt moderne assise sur des ruines anti-
ques et, deux ans après, une Vénus, nouvelle variation
sur un sujet qu'il allait fréquemmentreprendre. Son
tableau de Brumaire lui valut, en 1887, une seconde
médaille; il était accompagné d'un portrait de
M°" J. Chntrousse, ca.T l'artiste n'abandonna jamais
cette partie si française de l'étude du visage humain.
En 1892, Armand Berton passa à la Société na-
Armand Berloii
LAROUSSE MENSUEL
tionale des beaux-arts ; il fut nommé sociétaire
à la suite de ses envois : la Grande Sceur et une
Hietise. Suivirent, dès lors : la Toilette (1893), le
Passe-Temps, Pénombre (1894), le Lever (189.ï), l'In-
génue, le Bracelet (1896), le Sourire de Jenny et
le portrait du sculpteur Dampt (1897). Armand Ber-
ton avait débuté
avec une palette
relati vem enl
claire; mais, peu
à peu, l'étude des
formes l'avait
pour lui emporté
sur l'agrément de
tons vifs. Sa gam-
me s'était res-
treinteàdesgris,
desbrunsetquel-
ques roses dis-
crets.Onra,pour
cela, rapproché
souventd'Eugène
Carrière. Cepen-
dant, son coloris
n'arriva jamais à
la monochromie
grave des pein-
turesdeCarriëre;
il necherchapas, non plus, d'unefaçon aussi volon-
taire l'enchaînement des formes, et il se tint tou-
jours plus près de l'immédiate réalité. Sa transfor-
mation resta discrète : elle fut celle d'un homme
enfermé dans son rêve par une surdité relative; elle
ne s'écarta jamais de la vérité. Sur ce thème éternel
de la beauté féminine, il recommença inlassable-
ment à peindre de nouvelles œuvres, et il faut citer
encore parmi elles : Coquetterie, Paresse (1898),
Intermède, Matin, le
Lever (1899), la Leçon
de musique, Après le
bain (1901), le Miroir,
Itêverie (1902), Femme
s' épongeant après le
bain (1903). Cétaienl
là des sujets souvent
traités, par Degas en-
tre autres; mais Ar-
mand Berton n'avait
rien de la misanthro-
fiie de ce maître; bien
oin d'insister sur les
tares de ses modèles,
il cherchait à en met-
tre en évidence le
charme et la grâce.
Sa verve ne connut
pas d'arrêt, et ellecon-
liima à s'affirmer avec
les toiles suivantes :
la Séduction, l'Ingé-
nue (1904), le Bepos
après le bain, Vanité
intime (I90o),la Jeune
Femme au miroir
{1906),laPs)/e/ié(1907),
mie relevant sa che-
velure{\90«), Chez elle
(1909), le Bideaurose,
le Mirage, A huis clos
(1910), la Révélation
(1912), Jouvence, Eté
(1914). Tout cela était
exécuté d'un pinceau
souple, dans une ma-
tière suffisamment
nourrie, maissans lour
deur; par ses qualités
toutes de mesure, de
goût et d'agrément,
Armand Berton se
place à côté de nos
meilleurs peintres
d'aujourd'hui.
Comme le fit de son
côté l'excellent artiste
qu'est François Gui-
guet, Armand Berton,
si épris des formes, se
mit assez tard à la gra-
vure. Mais ses eaux-fortes sont d'une si belle qualité
qu'on ne saurait les oublier. 11 ne commença à en expo-
ser qu'en 1904; depuiscetteépoque,ilnenégligeaguère
d'envoyer chaque année quelques admirables éludes
de femmes. Parmi les plus significatives, il faut rap-
peler: Iza, Aliadnœ, Sous lafeuillée (1910), Beth-
sahée. Femme attachant son soulier. Femme nue
s'essuyant. Femme mettant son bas (1912), Au saut
du lii, l'Espiègle, Hésitation (\9\i). Le graveur, qui
avaitd'abord profité de toutes les ressources que peu-
vent donner les dilTérentes morsures et l'impression,
avait rapidement compris l'intérêt delà simplification
du métier, simplification qui oblige à la pureté du
dessin, à la recherche de la ligne expressive et vrai-
ment chargée de signification; dès ;a Bethsabée, il
/V 134. Avril 101H.
s'était montré en pleine possession de son art, et 1er
planches qu'il a signées depuis cette époque font le
plus grand honneur à notre école. — Triiian lecuee.
•"crude ammoniac n. m. C'est sous ce nom
que l'on désigne le résidu de l'épuration chimique
du gaz d'éclairage, résidu qui est susceptible d'être
utilisé comme engrais.
— Encycl. Le gaz d'éclairage, tel qu'il sort des
cornues, est chargé d'impui-etés dues aux composés
sulfurés et azotés que les houilles renferment en
proportions variables et qui se combinent au cours
de la distillation. 11 est donc nécessaire de l'épurer.
La condensation dans le barillet et les jeux d'orgues
Scrubbers (épuration physique) enlève au gaz la
plus grande partie de son ammoniaque (50 à 60 p. 1 00);
mais elle n'élimine quelOà 15 p. 100 de l'acide suif-
hydrique et très peu des composés cyanogènes;
c'est le rôle de 1 épuration chimique de parfaire
l'opération.
Au procédé à la chaux vive, longtemps employé,
a succédé celui de Laming, qui utilise un mélange
de chaux éteinte, sulfate ferreux et sciure de bois,
disposé sur des claies. En traversant les claies, le
gaz abandonne ce qui lui reste d'ammoniaque, son
acide cyanhydrique et son acide sulfhydrique. Il se
forme des cyanures, des sulfocyanureset des ferro-
cyanures. Au bout de quelque temps, le mélange
perd ses qualités épuratrices, mais il peut être re-
vivifié. Il suffit, pour cela, de l'airoser, puis de l'ex-
poser à l'air libre en renouvelant, par (les pelletages
répétés, les surfaces de contact avec l'atmosphère.
Après cette opération, qui met le soufre eu liberté,
la masse reprend la couleur roiigeàtre de l'oxyde
ferrique. Cependant, la revivification ne peut pas
être renouvelée indéfiniment; c'est le mélange pul-
vérulent irrevivifiable.decouleurnoirâtreou bleuâtre
iDtiinité. tableau d'Armand Berton (médaille d'or à l'Exposition de 1900).
etpossédant l'odeur caractéristiquedes cyanures, sul-
fures et goudron, qui constitue le crude ammoniac.
Aujourd'hui, le procédé Laming a lui-même été
modifié. Dans la plupart des grandes usines à gaz,
on utilise un oxyde de fer naturel (plus économique
et plus actif). Avant l'introduction du gaz à épurer
dans les caisses, on le mélange d'une certaine quan-
tité d'air. L'épuration du gaz et la régénération du
produit épurateuront lieu simultanément: le sulfure
de fer qui tend à prendre naissance se décompose
au fur et à mesure, avec séparation du soufre total :
H2S-fO = HïO-fS;
mais, flnalement encore, le produit épuisé donne du
crude ammoniac.
«• 134. Avril 1918.
Ce crude ammoniac peut cire traité pour la pré-
paration des cyanures; mais, le plus souvent, les
usines à gaz préfèrent s'en débarrasser à bas prix.
Sa richesse en azote — d'ailleurs, très variable, puis-
qu'elle peut osciller entre 3 et 11 p. 100 — rendait
i priori ce produit intéressant pour l'agriculture,
à laquelle il fournit l'azote à un prix réduit; mais son
emploi présente des inconvénients qui en empêchent
la généralisation.
Tout d'abord, le crude ammoniac est toxique pour
les plantes (on a, d'ailleurs, exploité celte propriété
pour utiliser le produit comme désherbant), et son
einploi est, de ce fait, très délicat.
Cette toxicité avait d'abord été attribuée aux
«omposés cyanogènes qu'il renferme ; mais il est
avéré, aujourd'hui, que cette attribution était
fausse, au moins en partie: les ferrocyanures, par
exemple, qui sont insolubles et très stables, ne sau-
raient être incriminés; le soufre a été mis hors
de cause par les expériences qu'a effectuées A. De-
molon ; les sullocyanures présentent une toxicité
plus réelle, mais, cependant, peu exagérée, pour les
jeunes plantes, et il semble bien que le rôle le plus
actif appartient aux goudrons qu'une épuration im-
parfaite a laissés passer. Les expériences aux-
quelles on s'est livré sur le goudronnage des roules
ont montré, d'ailleurs, l'inlluence du goudron sur
les végétaux.
De l'ensemble de nos connaissances actuelles sur
le crude ammoniac il résulte que ce produit très
complexe n'est pas appelé h. rendre à l'agriculture
tous les services qu'elle en attendait, en raison,
d'abord, de la variabilité de ses composants (notam-
nii'at de l'azote), de la difficulté d'assigner à sa
composition une formule invariable, en raison aussi
de sa toxicité pour les jeunes plantes, qui empêche
de le répandre en couverture pour fournir un azote
immédiatement assimilable.
Il est donc prudent pour le cultivateur — lorsqu'il
sera renseigné exactement sur la richesse en azote
d'un crude qu'il se sera procuré k bon marché — de
n'employer cet engrais qu'en l'incorporant au sol,
soit en hiver, si le produit est fortement goudron-
in>ux, soit au printemps en l'épandant avant un la-
bour. — Jean de Cuaon.
Cutie {li) n. f. Geiu'e de l'ordre des passereaux,
lie la famille des cratéropodidés et voisin des
Lilrippe et des iimalia.
— Encyci.. Le bec est assez long et fort, épais à
la base, élevé, comprimé latéralement ; les ailes sont
Je longueur moyenne, les quatrième et cinquième
rémiges étant les plus longues ; la queue est courte.
CuUe du Népaul, mâle et femeUe.
tronquée, et les couvertures supérieures de la queue
sont assez développées pour atteindre l'extrémité
de la queue.
Ce genre renferme deux espèces : la cutie du
Népaul (cutia Nipaiensisj et la cutie du l'érak
{ciitia cervinicrissa), plus récemment découverte
dans la péninsule malaise.
La cutie du Népaul a le sommet de la tête gris
cendré, entouré par une bande noire jusqu'à la ré-
gion auriculaire. Le manteau, le bas du dos et les
suscaudales sont d'un chAlain brillant vif ; les ré-
miges et les couvertures des ailes sont noires, les
premières sont bordées d'un gris bleuté. La queue
est noire. Les parties inférieures sont d'un blanc
plus ou moins pur, strié de noir sur les lianes; les
soies caudales sont Isabelle.
Les femelles sont de couleurs plus pâles ; la bande
qui entoure la tête est brun chocolat, le dos et les sca-
pnlaires sontbrunâlres, avec delargcs taches noires.
Dans les deux sens, le bec est d'un noir ploml)é
et les pattes jaunâtres. La longueur totale est de
17 cent. ; l'aile a 8 cent., 5, la queue 5 cent., 5 et le
bec {culmen) 1 cent., 0.
Cette espèce est répandue dans tout l'Himalaya,
du Népaul k l'Assam et au Manipour. On ne la
LAROUSSE MENSUEL
trouve que vers 2.000 mètres d'altitude. Elle se
tient par petites troupes au sommet des grands
arbres, où elle se nourrit de fruits et d'insectes. La
forme des monts Pérak {cutia cervinicrissa) a la
même taille que la précédente, mais ses ailes sont
un peu plus longues. En oulre, le bas-ventre et
les sous-caudales sont d'un jaune fauve.
Elle a les mêmes mœurs (jue l'espèce de l'Hima-
laya, mais elle se tient moms haut dans les mon-
tagnes. — A. MiNÉOAllx.
Dastre (yl/6eW-Jules-Franck), physiologiste
français, né à Paris le 7 novembre l(j44, mort dans
cette même ville le 22 octobre 1917 à la suite d'un
accident : il avait été renver.-sé par une automobile
militaire quelques jours auparavant sur le quai du
Louvre et, relevé avec une jambe broyée et de
niulliples contusions, il est mort à l'hôpital de la
Charité, où il avait été transporté. Ancien élève
du lycée Charlemagne, Dastre entra à l'Kcole nor-
male supérieure en 1864. Lacaze-Duthiers y était
alors professeur de zoologie; ce fut son premier
niaîlre. Reçu agrégé des sciences physiques en
1867, il resta à l'iicole en qualité d'agrégé-pré-
paraleur, puis, en 1870, lorsque éclata la guerre
franco-allemande, Dastre, qui avait alors com-
mencé ses études de médecine, s'engagea et devinl
aide-major auxiliaire à la l'' division militaire.
En 187:2, Claude Bernard le choisit comme prépa-
rateur, et ce fut sous la direction du grand phy-
siologiste qu'il commença ses premiers travaux
personnels; sa réputation scientifique s'établit ra-
pidement, et il était appelé, en 1876, à la suppléance
de Paul Bert à la Sorbonne, dans la chaire de phy-
siologie générale; la même année, il avait été reçu
docteur es sciences naturelles. En 1879, Dastre était
nommé maitre de conférences d'anatomie com-
parée et de zoologie à l'Ecole normale supérieure
et, enfin, il obtenait, en 1887, la chaire de physio-
logie & la Sorboime; c'était le quatrième titulaire
de cette chaire, qui avait été fondée en 1854 pour
Claude Bernard.
Les travaux de Dastre sont relatifs k la physiolo-
gie, à l'embryologie, à la chimie physiologique et
permettent de le classer parmi les grands physio-
logistes contemporains. 11 a montré (en collabora-
tion avec J.-P. Morat, actuellement professeur de
physiologie à Lyon) l'existence, dans toutes les ré-
gions du système nerveux, de fibres présidant d'une
façon spéciale à la dilatation des vaisseaux san-
guins, et il a étendu le résultat de ses expériences
au rylhme des battements du cœur. C'est durant ses
recherches sur le système nerveux vaso-moteur
qu'il a élé conduit à inaugurer une nouvelle mé-
thode d'anesthésie: en administrant aux animaux
une dose convenable de morphine et d'atropine et
en utilisant aussi des traces de chloroforme, il obte-
nait une anesthésie totale, qui durait plus de douze
heures. Cela permettait, dans les opérations de chi-
rurgie physiologique pratiquées sur les animaux,
de donner à ceux-ci tous les soins antiseptiques, de
façon que l'animal ne ressente, si possible, ni fièvre
ni douleur.
Pendant toute sa vie, Dastre s'est préoccupé des
réserves organiques : il étudia d'abord l'œuf des
oiseaux et les substances qui permettent à l'embryon
de se nourrir, puis la formation des gjraisses et leur
assimilation par l'organisme; en particulier, on lui
doit de remarquables travaux sur le rôle que jouent
les amidons et les glucoses dans les phénomènes de
nutrition, ainsi que sur les fonctions des diverses
glandes digeslives. Claude Bernard avait établi que
le foie possède la fonction d'accumuler le glycogène
comme matière de réserve et de le transformer en
glucose. Dastre et son élève Floresco montrèrent
qu'il lient aussi en réserve le fer nécessaire aux
globules sanguins, qu'il donne naissance à des léci-
thines et à des pigments.
Outre de nombreux mémoires publiés dans les
périodiques scientifiques français et, en particulier,
dans lesn Comptes rendus» de l'Académie des scien-
ces, Dastre a pul)Iié à part : Des lésions des nerfs
et de leurs conséuuences, traduction française d'un
ouvrage anglais du D' S. 'Weir Mitchell; Leçons
sur la chaleur animale, sur les effets de la cka-
leur et sur la fièvre (1875) [leçons faites par Claude
Bernard au Collège de France, recueillies et rédi-
gées par Dastre]; Becherches expérimentales sur
le si/slème nerveux vasii-)noleur avec le professeur
J.-P. Morat de Lyon (1884) [c'est dans cet ouvrage,
extrait, d'ailleurs, des « Archives de physiologie »,
?[u'il a publié sa nouvelle méthode d'anesihésie :
es Anesthéxiques. Phmiologie et applicalions chi-
rurr/irales(ls<M)y, la Cocaïne. Physiologie et appli-
calions chirurgicales (1892) ; Hecherches sur les
matières colorantes du foie et de la bile et sur le
fer hé/iatique {\S,99), avec N. Floresco; Physique
biologique — Osmose — Tonométrie — Cn/o.s-
co/)i'e (1901); la Vie et la Mort (1903), etc. Dans ce
dernier ouvrage, publié dans la « Bibliothèque de
philosophie scientifique », il donne une définition
originale de la vie : C'est ee qu'il y a de commun.
dit-il, à tous les êtres vivants; définition qui a
l'avantage de ne pas s'appuyer sur des hypothèses.
413
H montre aussi, en éliidiant le vieillissement, que
les protozoaires sont immortels à côté de la léthi-
lité des métazoaires et des eellules dilTérenciées. En
définitive, après une réserve formelle concernant
les phénomènes mentaux, il se range à la doctrine
LAROUSSE HKNSUEL.
IV.
Aibtfll Ijttàlie.
de l'énergie. Dastre a aussi collaboré à de nom-
breuses revues seientifiques et littéraires, en parti-
culier à la « Hevue des Deux Mondes » et au « Nou-
veau Larousse illustré ».
Dastre fut un des maîtres les plus estimés de la
Sorbonne; bienveillant et dévoué pour ses élèves,
qui, depuis la création de la Nouvelle Sorbonne,
possédaient un laboratoire de tout premier ordre,
qu'il avait lui-même organisé. Ses travaux lui
avaient valu d'être nommé membre de l'Académie
des sciences, le 28 novembre 1904, dans la section
de médecine et chirurgie; il avait été appelé à
remplacer le physiologiste Marey, qui venait de
mourir. Il élait officier de la Légion d'honneur.
Dastre a été inhumé à Ermont (Seine-et-Oise), où
il habitait. — Gaston Bouchent.
désannexer {za-nèk-sé) v. a. Polit. Restituer
unteiritoire annexé à l'Etat auquel il était rattaché
avant l'annexion : Les gouvernements alliés recon-
naissent la nécessité de désan«exsr l'Alsace-
Lorraine.
désannexion {za-nèk-si-on) n. f. Polit. Res-
titution d'un territoire annexé à l'Etat auquel il
était rattaché avant l'annexion (mot créé par le
ministre belge 'Vandervelde) : Le retour de l'Al-
sace-Lorraine à la France est une désannexion et
non une annexion. CVandervelde.)
Dominos (les), comédie inédite en nn acte et
en vers, de Charles Rivière Dufresny, représentée
pour la première fois sur la scène au théâtre na-
tional de rOdèon, le 19 avril 1917.
La comédie les Dominos ne figure pas dans la
notice que les Dictionnaires Larousse consacrent k
Charles Rivière Dufresny, auteur dramatique, litté-
rateur, né à Paris en 1648, mort en 1724, arrière-
petit-fils de Henri W par son grand-père, fils de la
belle jardinière d'Anel. Cet ouvrage manque à la
liste des comédies de cet auteur : il était perdu et
oublié. Jean 'Vie, professeur au lycée Louis-leGrand,
en a retrouvé le manuscrit dans un dossier de la
Bibliothèque nationale. Le directeur du théâtre
national de l'Odéon, Paul Gavault, l'a aussitôt fait
représenter, et voilà une petite acquisition nouvelle
au crédit de notre histoire théâtrale.
Nous savions que Dufresny avait écrit celte
œuvre; le tilre avait même élé l'objet de diverses
hésitations, et il avait été changé pour le titre :
le Portrait, à cause de la confusion que le mol
dominos crée entre le manteau de bal masqué et le
jeu de ce nom. Le titre le Portrait fut abandonné,
sans doute, parce qu'il élait déjà pris par Beau-
champs pour sa charmante comédie jouée à la
Comédie italienne en 1727.
La scène est à Paris, dans une galerie attenante
k une salle de bal, chez Licidor. Deux vieillards,
Oronte et Géronte, causent de leurs affaires. Oronle
a amené à ce bal son ami Géronte, k cause d'un
billet qu'il a trouvé.
Géronte a un fils : 'Valère: Oronte a une sœur:
Bélise, et deux nièces: Glarice et la sœur aînée de
celle-ci, qui ne parait pas. Ces deux nièces sont pro-
mises, mais ne connaissent pas encore leurs fiancés,
ainsi qu'il se pratiquait au xviii' siècle. Clarice doit
épouser un jeune homme qu'elle n'a jamais vu, un
ami de Valère et qui se nomme Mondor; l'atnée
épousera Valère.
!6*
414
Mais Valère a vu à Rouen Clarice et sa sœur, et c'est
de Clarice qu'il est amoureux, ainsi que l'explique
dans un style aimable celte jeune personne :
Valère, écoutez-moi. Par un commun accord.
Vos parents et les miens ont fixé notre sort.
Ma sœur vous était destinée;
Vous vîntes à Roui^n. L'amour, dans le moment,
En ordonna tout autrement.
Je me rappelle encor cette heureuse journée.
Sur-le-champ, en secret, à mes faibleh appas
Vous donnâtes la préférence.
Co choix contre un époux que je no connais pas
A bientôt dans mon cœur fait pencher la balance.
Je vous aime depuis ce temps.
Pour vous aimer toute ma vie.
Il faudra donc, pour seconder leurs vœux, re-
mercier la sœur aînée et détacher Mondor de
Clarice; or, ceux-ci ne se sont jamais vus.
Valère a reçu un billet l'informant qu'on désire
lui parler au bal, chez Licidor. C'est la tante Bélise
qui a griffonné cette lettre et appelé au bal Valère,
afin de se concerter avec lui au sujet de son amour
secret pour Clarice. Oronte a trouvé celte lellre
tombée de la poche de Valère, et il a amené
avec lui Géronle, pour observer si le jeune homme
n'est pas un débauché qui a mille intrigues. Ils
rencontrent Mondor et lui demandent de taire leur
présence.
Mondor est seul, quand arrive Valère, dont il ne
sait pas qu'il est le rival. Les deux jeunes gens ont
un service à se demander mutuellement : Mondor
voudrait que Valère changeât de domino avec lui
pendant un quart d'heure; sous le masque, on ne le
reconnaîlraplus, et il pourra suivre une intrigue en
cours. Valère, de son côté, demande en échange
à Mondor de le laisser seul un quart d'heure dans
le salon où ils se trouvent. Affaire convenue. Mon-
dor s'en va.
Valère voit venir sa chère Clarice, accompagnée
de la tante Bélise, qui fait la petite folle et veut
danser elle aussi. Elle abrège le duo d'amour entre
Clarice et Valère :
Songez-vous au plaisir que l'on a de danser?
Vous comptez donc en bonne foi
Que je viens pour vous seul? Je viens aussi pour moi.
Clarice révèle à Valère le danger : Oronte doit
conclure dès demain le mariage de sa nièce avec
Mondor. Que faire? Valère, cependant, donne avis à
Clarice que Mondorestau bal, en domino rose, mais
qu'il doit changer un instant de domino avec lui et
qu'elle ne devra pas être dupe de la substitution.
Mondor entend quelques mots de l'entretien et,
aussitôt, il change d'avis: il garde son domino. Cla-
rice, le rencontrant, le prend selon ce qui a élé
convenu pour Valère et se confie à lui. Mondor
apprend ainsi que Clarice a reçu de Valère son
portrait; croyant lui parler, elle le lui rend provi-
soirement, car elle ne sait où le cacher, et sa dé-
couverte gâterait les affaires. Elle le prie en même
temps de faire avancer un carrosse pour partir.
Tandis que Mondoi', amusé, resie seul en maiiianl
ce portrait {il ignore que c'esl celui de sa fiancée),
Oronte le surprend et prend omljrage. Gérorite, qui
a revêlu, lui aussi, un lioniinu rose, reçoil des aveux
de Clarice, qui croil parler à Valère, et ensuile
d'èlranges confidetices de Valère, qui croil parler à
Mondor et ne se doule pas qu'il a son père devarjt
lui ; — son père, dont il raconleles folies de jeunesse.
Géronte se démasque; Valère se croit joué par
Mondor el le provoque en duel. Clarice s'élonrie que
Valère ne se rappelle pas lu sci'ne où elle lui a rendu
son portrait eu lui demandant d'aller quérir un car-
rosse pour la reconduire et où elle a reçu de lui de
tendres oaisers.
Cependant, Mondor, apprenant que Clarice, sa
promise inconnue, court le bal et a une intrigue,
ne vent plus d'elle. Valère avoue ouvertement son
amour pour Clarice : Géronte la lui accorde, Mon-
dor y consent, et tout le monde est satisfait.
Le caractère particulier de cette inlrigue en est
l'extrême complicalion, et cette complexité même
intéresse l'histoire des genres littéraires. Ce n'est
plus seulement, comme dans les comédies espa-
gnoles imitées par Corneille ou Scar on, le dédale
d'actions enchevêtrées et loulfues contre lesquelles
d'Aubignac protesta en imposant à la pratique du
théâtre l'unité d'action selon Arislote : ici, ce sont
des confusions, des surprises, des personnages pris
l'un pour l'autre, des quiproquos, des erreurs co-
miques. Le fils ne sait pas qu'il parle à son père,
ni le fiancé qu'il parle à sa fiancée, ni le inval à son
rival. C'est le premier état d'un genre qui allait
faire, auxix« siècle, la fortune que l'on sait: le vau-
deville à quiproquos, dont Dufresny apparaît comme
le premier précurseur.
Un autre trait à noter est la part d'autobiographie
que l'auteur a mise dans son ouvrage. Dufresny
était une manière de bohème débauché, demeuré
célèbre parce que, ne pou\ant payer sa blanchis-
seuse k qui il devait une forte somme d'argent, il
s'acquittaenl'épousant. La scène où Valère, croyant
parler à Mondor, raconte à Géronte les frasques de
Géronte lui-même, est le récit emprunté par Dufresny
ik sa propre existence.
LAROUSSE MENSUEL
La pièce est écrite en vers libres, d'une jolie
venue. Témoin ce charmant couplet de Clarice, qui
veut fléchir Géronle, le père de Valère :
Ah I monsieur I suspendez vos coups 1
N'accablez pas un fils qui craint de vous déplaire.
Je puis vous l'assurer, mes infidélités,
Kt je connais son cœur sensible.
Lui seraient un coup moins terrible
Que la perte de vos bontés.
Et, pour parler de moi, si vous daignez m'entendre.
L'amour que je ressens est l'amour le plus tendre.
Mais, puisqu'il vous dé|ilaU, vous pouvez m'en punir.
Ne me faites pas l'injustice
De croire que mon cœur cherche à vous désunir.
J'en sens toute l'horreur et veux la prévenir.
Pour commencer le sacrifice.
Je me remets, monsieur, en vos mains pour toujours.
Qu'en un couvent par vos soins retirée.
J'y sois de tout le monde à jamais ig;norée,
Pour pleurer mon malheur et mes tristes amours;
Et, quant à votre fils que j'aime.
Je lui ren-ls .ses serments, je le rends à lui-même.
Il peut à votre gré disposer de son cœur.
Mais, s'il veut quelquefois rappeler ma mémoire.
Je le conjure alors de croire
Qu'il avait fait un choix qui lui faisait honneur
Et que, si l'hyménée avec lui m'eût unie,
S il n'eût fallu qu'aimer pour faire son bonheur,
Je l'eusse aimé toute ma vie.
Lapage est d'un sentiment délicat et d'unelangne
harmonieuse, et son cliaime l'apparente aux meil-
leurs morceaux de nos classiques. Et celte aulre
réplique à Valère, que les diflicullés de la situation
rendent trop distrait pendant le duo d'amour :
Quand d'un sincère amour je vous fais les serments.
Quoi ! Valère, je vous ennuie ?
Ah ! que votre Clarice a d'autres sentiments I
Répétez-moi cent fois (jue votre cœur m'adore.
Je n'interromprai point un si charmant discours
Ou, SI j'en arrête le cours.
C'est pour en demander de plus tendres encor !
Le rôle de Clarice est exquis et d'une tendresse ai-
mable. Le caractère de la folle Bélise est gai. Mondor
a de l'élégance, el Valère est un gentil garçon, droit
et raisonnable. Les deux types de vieillards, Oronte
et (iéronte, sont plaisamment crayonnés.
Par l'ingéniosité, alors nouvelle, de l'intrigue, par
le relief des divers caractères et par la qualité du
style, qui a du nombre et de l'harmonie, celle co-
médie inédite valait la peine que l'Odéon a prise
de la monter avec un luxe aimable de danses
anciennes sous des feuillages piqués de lanternes
discrèles. — Léo Claretie.
Les principaux rôles ont été créés par : MM"*' Corciade
(Clarice). Barsaupe {Bélise), el par MM. Bullier (Oronte),
Duard (Géronte), Kiril ( Valère), Coûtant (Mondor).
extrémisme n. m. Tendance à adopter les
idées extrémistes ou à prendre les décisions
extrêmes : L'extrémisme en politique, en sciences,
en philosophie.
extrémiste adj . et n . Qui propose une doctrine
en la pcissant jusqu'à des limites extrêmes : Des
pragmalistes kxthèmistes. || Favorable aux idées ou
aux opinions extrêmes : Les tendances extrémistes
en poliiique.
Flamme au poing (la), par Henry Malherbe
(Paris, 1917). — L'article 75 du règlement de service
en campagne de l'armée allemande prescrit aux
soldats de rédiger quotidiennement en cours de
route leur journal de guerre. Disciplinés, ils ont
obéi à l'ordre donné et, de ces carnels, on peut voir
la nature dans la fameuse brochure de Joseph Bédier
sur les Crimes allemands d'après des témoignages
allemands, et dans les Carnels de roule, trouvés
sur un grand nombre de soldais, sous-officiers ou
officiers blessés ou prisonniers, recueillis, traduits
el publiés par Jacques de Dampierre.
On sait les exploits qu'ils y content. Le récit de
leurs crimes s'y inscrit. Le menu de leurs soûle-
ries el de leurs ripailles y tient une large place. Et
ces fiches parurent si utiles à rétablissement des
pièces du procès où ils comparaîtront plus tard que
te commandement interdit, dès le débutde 1915, la
tenue de ces feuilles de route.
Les Français emportèrent, eux aussi, mais sponta-
nément, des carnets de guerre. Ce ne fut point pour
y inscrire le nombre des bouteilles de Champagne
qu'ils avaient bues , mais souvent, si on pouvait les
lire, on verrait figurer des développements d'idées,
et ces effusions, ces analyses, ces retours sur soi-
même qui sont le propre de la vie morale. Le carnet
de campagne du lieutenant Henry Malherbe, qu'il
publie aujourd'hui sous le tilre de la Flamme au
poing, et qui vient de recevoir le prix décerné
chaque année par l'académie des Concourt, est bien
de cette sorte.
Dans ces pages pathétiques, on ne trouvera guère
d'événements; on trouvera peu d'épisodes. C'est qu'à
vrai dire, les événements ou les épisodes de cette
guerre sont sans cesse les mêmes. On finit par ne
plus en sentir l'importance. Toujours les mêmes
choses se passent : stationnements prolongés, brus-
ques surprises, attaques et contre-attaques se pour-
suivant pendant quelques jours, puis de nouveaux
stationnements prolongés. Ce ne peut donc être
N' 134. Avril 1918.
que la couleur des jours, la couleur de l'âme qui
peut difi'érencier cette vie. Et, sans doute, celte cou-
leur s'éclaire ou s'assombrit selon les incidents
journaliers. Mais l'essenliel est dans l'âme. Dans
ces noies de guerre, ce qui frappe el ce qui émeut,
c'est beaucoup plus le ton musical qui s'en dégage
que le dessin des spectacles évoqués.
Dans le poste de commandement, où la garde se
prolonge, trois personnages sont venus, qui sont le
Souvenir, l'Amour et la Mort. Et, avec ses trois vi-
siteurs, l'homme qui veille converse. Le Souvenir,
il ne le repousse pas, mais n'esl-ce pas le Souvenir
qui le quitte ?L'homme qui, depuis pins de trois ans,
vit à l'écart du monde, sent sa mémoire devenir
incertaine. Le voisinage de la Mort fait oublier
ceux qui, pourtant, aident à vivre. Leurs visages
deviennent imprécis. Le dessin en subsiste; mais
ils n'ont plus toujours le relief et la profondeur
de la vie. El, pour avoir voulu repousser le Sou-
venir, qui, certains soirs de solitude, eût été trop
douloureux, on ne le retrouve plus lorsque, le
cœur devenu fort, on veut faire revivre des images
lointaines.
Et voici l'Amour; mais, lui aussi, on le repousse.
Il s'agit d'être intact et puissant ; comment pour-
rait-on l'êlre, si l'on ne méprisait pas les trahison»
et même les caresses? Mais ces trahisons, ces ca-
resses sont dans la chair de l'homme. Et quel
désarroi est celui du cœur, quand la passante qu'on
n'a pas retenue ne reste pas!
La Mort est là. Son aspect n'est pas terrible. C'est
une jeune femme sage, palpilante et merveilleuse,
qui sourit comme un ange apitoyé el vigilant, dont
la voix a des fraîcheurs de source. Pourtant, mal-
gré le doux visage, l'homme recule encore. Ce n'est
encore que lorsqu'elle est partie qu'il veut s'aban-
donnera elle. Le Souvenir, l'Arnour et la Mort sans
cesse repousses, sans cesse rappelés et s'imposant
même parfois, ce sont là les trois compagnons du
soldat. Compagnie émouvante, qui donne le ton et
l'accent aux méditations passionnées auxquelles, là-
haut, dans les tranchées, on s'abandonne.
Comme le fer mis au feu perd sa rouille et de-
vient tout étincelant, selon la belle image de
l'Imitation, ainsi, celui qui se donne sans réserve h.
la patrie se dépouille de ses vieux vêlements et se
change en un .homme nouveau. Dans ce caractère
dépouillé et comme schématique, ces hommes, qui
vivent la vie de la guerre, prennent quelque chose
d'élernel. Leur attilude évoque tous lesi temps et
toutes les histoires. Ils sont d'hier, comme ils sont
d'aujourd'hui, comme ils sont déjà de demain ; el
on retrouve dans leurs poses le rythme impertur-
bable des gneiriers des bas-reliefs assyriens.
Le naturel se montre à nu. Chaque individualité
apparaît; et c'est peut-être là ce qu'il y a d'émou-
vanl que de tant de misère naisse tant de grandeur.
Il y a comme une simplification de l'existence, des,
idées qui se rapprochent à la fois des idées pnres,
des idées divines et en même temps des instincts
primilifs.
Voyez ces guetteurs, au haut d'un observatoire :
Toute leur volonté s'est réfugiée dans le regard, dont la
clarté concentrée est dirigée sur l'ennemi comme une
lame et comme un coup de feu. L'instinct de la chasse
est remonté des profondeurs ancestrales. Il s'est perfec-
tionné. Il a acquis une acuité fiévreuse et lancinante.
Tout a cédé devant l'âpre désir d'épier l'adversaire. A
cette vue phosphorescente, à cette ouïe subtile s'ajoute
un sens inconnu et farouche, qui fait qu'on flaire l'ennemi,
qu'on prévoit l'endroit oii il va se poser, qu'on se mord
les poings pour ne pas courir sur lui, sauter à sa gorge
et le terrasser dans une lutte de fauves et qui ne par-
donne pas.
La guerre exaspère les passions, accroît l'intensité
de la vie intérieure. Rien n'est émouvant au front
comme le silence des choses. Seul, est plus émouvant
encorelesilenceoùleshommessetiennenl enfermés.
Ils voudraient abolir dans leur mémoire ces jours
terribles, pour qu'ils ne ressuscitent point pins tard ;
mais ils ne pourraient se résoudre à s'en délivrer.
On craint de se disperser, on se garde à soi-même.
Mais on a un tel désir de vie et d'amitié que l'on
prête des visages et des sentiments aux choses.
On oublie les réalités quotidiennes, et même les êtres
qu'on aime, mais dont le souvenir rendrait vivantes
ces réalités, et on se penche vers les arbres. La na-
ture prend une importance nouvelle. La couleur du
temps donne sa couleur aux spectacles :
La journée était si belle (jue les cadavres eux-mêmes
qu'on n'avait pu encore ramasser semblaient garder une
félicité étrange.
Et aux cantonnements de repos, la musique vient
comliler les désirs des âmes. L'ingénuité revenue
des hommes les accorde à l'harmonie.
Et, pourtant, terribles sont les spectacles. En
quelques mots, Henry Malherbe évoque d'horri-
bles choses, visions journalières :
C'est une pauvre tomt)e ornée d'une croix faite de deux
bâtons... Une première fois, le cadavre a été déterré. On
l'a enseveli de nouveau. Une seconde marmite l'a décou-
vert. Nouvel ensevelissement pieux, par des hommes,
tristes et dévoués.
Mais un troisième obus a encore lancé en l'air l'affreuse
dépouille.
«• 134. Avril 1918.
hcs hoiiiines rappellent à présent : le » clown m. Quand
iino marmite arrive près de la tombe et qu'ils regardent
ia terre et les os voltiger, ils disent sans s'i'mouvoir :
•I Tiens, voilà Gugusso qui sauto encore ! "
Dans les tranchées :
d'un parapet sort un avant-bras desséché, osseux, termine^
par une main aux doigts parcheminés et sqnclettiques.
Les fantassins en ont fait un porte-manteau. On y accroche
tout simplement son casque.
Dans un observatoire d'arlillerie :
les écouteurs collés aux oreilles, le brigadier téléphoniste
transmet les ordres du lieutenant observateur. Les obus
ennemis éclatent près du poste. Mais on est préoccupé
par le tir. L'objectif est passionnant. Un téléplioniste
vient d'être mortellement atteint. 11 rampe, sanglant, jus-
qu'aux pieds du brigadier, dont il entoure les jambes
d'une étreinte farouclie et suprême. El le brigadier télé-
phone toujours, n'entend, ne voit, no sent rien... 11 se
fève, enfin, lorsque le réglage est terminé, et aperçoit
seulement son camarade mort, qui l'encercle de ses bras
suppliauLs et déjà raidis.
A la suite de tels spectacles, quel accent prend
cette simple plirase :
Après plusieurs mois de guerre, seules, les grandes
âmes ne sont pas rassasiées !
Et ne doit-on pas garder le silence, ce silence que
Henry Mallierbe, au nom des combattants, demande :
Qu'on nous regarde passer en silence;... le silence qui
respecte l'âme qu'un rien peut blesser ! — Jacques Bompard.
fluage (de fluer) n. m. Physiq. Curieux phéno-
mène, étudié surtout parTresca et Spring: Lorsqu'on
soumet un métal à une forte pression, plusieurs
milliers d'atmosphères, clans un espace clos ilont
Venveloppe présente seulement un trou, le métal
s'écoule par ce trou, se déformant ainsi comme le
ferait un liquide visqueux sous une faible pi'ession :
c'est le FLUAGB des métaux. (Ch. Mauiain.)
fiué, e (part. pass. du v. fluer, employé avec
le sens passif). Physiq. Qui a subi le phénomène
du fluage, en parlant d'un métal : Les baijueltes
FLUÉES ont donné, avec des baguettes ordinaires
{recuites), des différences de potentiel lorsqu'on
plongeait les deux baguettes dans une solution
d'un sel du métal; on ramène les ba'/uetles fluées
à l'état ordinaire en les recuisant; elles repren-
nent alors la structure cristalline. (Gh. Maurain.)
Fourmis à zaiel (les). Les fourmis à miel
appartiennent à l'espèce dénommée myrmecocystus
melliger et à une autre, très voisine, qui fait partie
du même genre. Ce sont des habitantes du Me.\ique
et de la région centrale et méridionale des Etats unis
d'Amérique (Nouveau-Mexique et Colorado). Comme
les autres formicidés, ces hyménoptères forment
des colonies à population dense, comprenant une
l-'ouriuis à mu;l {nul
iivrivr.' gavant u „• )n,
HMus uf'Ui'ifiri : -/. u:u.' fijuniit ù mu
îl : t\ une purlc-micl iiniirriasant unL*
cli.-xmbre de porlr-micl.
femelle fécondée, reine ou mère de la cilé, des fe-
melles vierges, des mâles, des ouvrières chargées
du ravitaillement et de l'enlretien delà fourmilière,
et enfin des porte-miel. Ces dernières, qui constituent
pour la communauté de véritables magasins, offrent,
en vue de ce rôle biologique très spécial, une
adaptation des plus singulières. Porteuses d'un
énorme abilomen sphérique, de la grosseur d'un
pois, elles présentent un tube digestif distendu au
maximum par un liquide sucré, de couleur ambrée
et de composition analogue à celle du miel des
abeilles, quoique plus fluide et sensiblement plus
aqueux. Ce produit, caractérisé par une saveur aro-
LAHOUSSls MENSUEL
matique particulière, représente, d'après les ana-
lyses de Wetherill, une solution presque pure de
glucose dans l'eau; sa réaction est neutre en au-
tomne et en hiver, mais elle est légèrement acide
en été, par suite, selon Loew, de la présence
d'acide formique.
D'après Mac Cook, qui a étudié la biologie de
ces curieux insectes, leurs fourmilières se signa-
lent à la vue par im simple monticule de sable
d'une quinzaine de
centimètres de dia-
mètre sur cinq à
huit centimètres de
b a ut ; mais elles
comprennent, dans
1 a profondeur d u
sol, plusieurs éta-
ges superposés de
galeries de section
circulaire, de un ii
deux centimètres de
diamètre.
Des puits de com-
munication relient
les étages les uns
aux autres, et un
puits vertical vient
déboucher an som-
met du monticule
sableux par un ori-
fice, gardé, pendant
les jours pluvieux,
par une équipe
d'ouvrières char-
gées de réparer, au
fur et à mesure
qu'elles se produi-
sent, les dégrada-
tions résultant dp>
averses. Une ving-
taine de chambres
de deux à quatre
centimètres de haut
servent de logis aux
porte-miel. Enfin, environ à un mètre de profondeur,
une enceinte circulaire est le domicile de la reine,
occupée à la ponte et constamment entourée el
soignée par une vingtaine d'ouvrières. Les myrmé-
cocystes, de mœurs nocturnes, sont rapidement
tués par le soleil et la chaleur. C'est donc pendant
la nuit que les ouvrières quittent la colonie et s'en
vont faire la collecte du miel, en léchant l'exsudat
sucré qui s'échappe des galles portées par une
espèce particulière de chêne \quercus undulata).
Au retour, elles nourrissent par régurgitation les
mâles, les femelles, les larves, sans oublier les
porte-miel. A cause de leur volumi-
neux abdomen, celles-ci ne quittent pas
les chambres qui leur sont affectées et
y vivent, accrochées aux aspérités des
parois, dans une immobilité presque
absolue. Assidûment soignées par les
ouvrières, elles emmagasinent, pendant
la belle saison, d'importantes réserves
sur lesquelles vivra toute la commu-
nauté aux époques de disette. Les si.\
ci'nis porte-miel d'une colonie ren-
fcrnient au total près de 250 grammes
de miel. Pendant la saison pluvieuse,
les fourmis se pressent autour d'elles
pour lécher avec avidité le liquide sucré
< échappant de leur bouche par minus-
rules gouttelettes, grâce à la contrac-
iion soutenue de leurs muscles abdo-
minaux.
Les fourmis à miel, très estimées
Ml Mexiq\ie, sont vendues, d'après les
observations de L. Diguet, sur les
marchés d'un grand nombre de villes
(le la région centrale. L'abdomen des
porte-miel, séparé de la tète et du
thorax, se consomme cru, comme un
bonbon, et constitue un excellent des-
sert, apprécié sur les meilleures tables.
Parfois, ces insectes, soumis à la cuis-
son, sont conservés sous forme de
véritables confilines. On prépare en-
;i-,)s«i.-; /.. un. corc, à partir d'eux, une boisson fer-
M.uir; ,(, iMiL- menlée, légèrement alcoolique et très
agréal)le. Malgré ces applications gas-
tronomiques, d'ailleurs parfaitement
justifiées, les fourmis à miel ne font pas l'objet d'un
véritable commerce, les quantités récoltées suffisant
tout juste aux besoins locaux et ne pouvant donner
lieu à une exportation. — il. Cakuot.
Gardet (Georges), sculpteur français, né à
Paris le H octobre 1863. Elève d'A. Millet et
de Krémiet, il débuta au Salon de 1883 avec un
bas-relief. Dès ses premiers travaux, il se révéla
comme animalier : en 1884, il exposa un Lion
couché, des bas-reliefs en plâtre et une cire. Tigre
et bison. Un groupe. Tigre et tortue, lui valut
une mention honorable en 1886; l'année suivante.
415
l'artiste obtint une médaille de 3* classe avec un
Drame au désert, qui avait pour sujet la lutte d'une
panthère contre un python. Son marbre de Chiens
danois (1889) lui valut nue médaille de 2' c'asse; le
bronze du Bison et jaguar (1892) fut actiuis par la
Ville de Paris. Les Chiens danois (1894) sont au-
jourd'hui au château de Chantilly; le Combat de
panthères (1896) est au mnsée du Luxembourg.
Désormais, la persormalité du sculplour s'était
Liun et lionne (au chaloau de Vaux le-Yiconite;, yroujie de O. Gardet (médaille d'honneur. !898 .
complètement affirmée. L'œuvre du grand Barye
est trop significative, trop magistrale pour qu'il
soit facile d'échapper à son influence. Cepen-
dant, par une étuile directe de la nature, G. Gar-
det, comme l'avait fait son maître Frémiet, se
créait un domaine particulier. Chez Barye, chez
Frémiet encore, la recherche du style est évi-
dente ; Barye concilie celte recherche avec le
grand caiactère ou, plulôt, c'est du caractère même
du modèle qu'il tire le style. Georges Gardet
demeure plus simplement vérisle ; c'est un exé-
cutant incomparable de morceaux empruntés à la
vie animale. 11 aime à montrer les êtres en action;
voloiiliers, mêine, il choisit le moment du combat
comme sujet de ses groupes, l'ii tel choix force à
l'observation at-
tentive et à la
virtuosité dans
l'oxécution. On
ne saurait r e -
fuser ces quali-
tés au sculpteur
contemporain.
Elles se trou-
vent diins la plu-
part de ses œu-
vres , dans les
Tigres et les
Lions du châ-
teau de Vaux-le -
Vicomte (1898!
[celte dernière
œuvre lit décer-
ner à l'artiste la
inodaille d'hon-
neur], dans les
Lions du pa-
lais royal de Laclven (1900). Un Lion couche',
exposé en 1899, appartient aujourd'hui à la comtesse
U. de Béarn ; un autre Lion assis, exposé l'année
suivante, l'ait partie de la collection G. de Besle-
gui. Des Chiens, qui figuraient au Salon de 1901,
sont maintenant au château de La Boissière; des
Vautours, ainsi qu'une (îazelle et faucon, da-
tés de 1902, ornent l'hôlel \Vatel-Dehaynin ; un
Cerf, daté de liKii. a trouvé place au château de
Châlis. En 1906, G. Gardet e\pose une Panthère
dévorant un agneau ; en l'.tOS, deux groupes de
Cerfs et biches commandés par la Ville de Paris
pour être placés à l'entrée du bois de Boulogne,
près de la porte Dauphine. Viennent ensuite : en
1909, la lionne au guet, bronze à cire perdue;
en 1910, Eléphant et tigre, acquis par l'Elal ;
en 1912, V Hallali du cerf, groupe qui décore
actuellement un bassin du chAtean de Saint-Brice
et l'Aigle mexicaine, cuivre martelé, destiné k sur-
monter la coupole du Palais législatif de Mexico:
en 1913, il expose un Lièvre et un Sanglier. Au
dernier Salon, en 1914, Georges Gardet avait
envoyé un Tigre, bronze à cire perdue, et un
'^ci Gardet
416
marbre de Chieti chinois. L'artiste a été élu
membre de l'Académie des beaux-arls, le 8 dé-
cembre 1917, en remplacement du statuaire René de
Saint-Marceaux. (V. p. 409.)— TriBtan leclèrb.
Q-autier [Lomae -Judilh), femme de lettres
française, née à Paris le 25 août 1846, morte :.
Dmard le 26 décembre 1917. Elle était la fille de
Théophile Gautier et la flUeule de Maxime du Camp-
celle filiation siifOrait déjà à expliquer sa vocation
Ctris et biches (Entrée du bois de Buulugne, porte Daii[ihini-;, i^ruupe de U. (iai'det (1908).
littéraire, si nous ne savions, en outre, en quelle
étroite et constante intimité d'esprit elle vécut avec
son père. Dans les deu.v premiers volumes : le Col-
lier des jours (1902) et le Deuxième Rang du
collier (1903), elle a elle-même évoqué les sou-
venirs de son enfance; et, bien qu'elle n'ait été
guidée que par te pieux désir de fane revivre sous
ses aspects les plus familiers la (iguie du poMe
d'Emaux el Camées, il n'en reste pas moins à glaner
à travers ces jia-
ges d'iiiléres-
sanls détails sur
sa propre foinia-
lion. Nous y
voyons, par ex-
emple, comment
lebonTliéosins-
titiia l'unique
prolesseurde ses
deux (Il 1 e s e l
quelle métliode
originale il appli-
qua dans SCS
fonctions de pé-
dagogue. Per-
suadé qu'il vaut
mieux « savoir
une seule chose
à fond que d'ap-
preudre par cœur
une liste de tou-
tes celles qu'on
ne saura jamais »,il n'abordait que successivement
chatiue matiire d'enseignement, et c'est par l'astro-
nomie qu'il inaugura ses leçons. ..Que durèrent-elles?
Judith ne le dit point; mais il est à croire que,
dans ce milieu un peu bohème, entre une mère
assez nonchalante — Th. Gautier avait épousé la
cantatrice Ernesla Grisi — et un père très fantai-
siste, les enfants devaient être le plus souvent livrés
à eux-mêmes. C'est surtout dans la bibliothèque de
son père que Judith alimenta la curiosité éveillée
de sa jeune intelligence, se passionnant tour à tour
pour Waller Scott, Alexandre Dumas, Victor Hugo,
Balzac, Shakespeare et Edgard Poe. Elle avait aussi
Judith Gautier.
LAROUSSE MENSUEL
le précieux profit de longues causeries avec le poète,
qui, devinant chez sa fille « un sens littéraire très
juste », l'incitait à écrire et combattait ses timidités.
Ne serait-ce point au cours de ces causeries que
Judith puisa ce goût des choses de l'Extrême-Orient,
parmi lesquelles son talent devait plus tard se déve-
lopper et se lixer?On peut, du moins, le supposer.
Théophile Gautier— c'estsa fille elle-même qui nous
1 apprend — s'intéressait vivenientàlanlique civilisa-
tion de l'Empire du Milieu. Il avait lu les travaux
d'Abel Rémusat et les
pièces de théâtre tra-
duites par Bazin. Sa
nouvelle: le Pavillon
«uj'Z'eau avait été ins-
pirée par l'analyse
d'une traduction chi-
noise.
Bientôt, d'ailleurs,
un incident domesti-
que allait préciser les
goûts de la jeune
Judith. Le bon Théo
avait recueilli chez
lui un pauvre diable
de (Chinois, perdu sur
le pavé lie Paris. Avec
Ting-Tun-Ling, ce fut
la Chine qui s'établit
au foyer du poète, et
c'est .ludith qui en su-
bit particulièrement
l'attirance. Elle se mit
aussitôt à l'étude de la
langue chinoise, aidée
de l'orientaliste Cler-
mont-Ganneau,unami
d'enfance et, bientôt,
escorléedu fidèle Ting-
'l'un-Liiig, elle prit
l'habitude de se rendre
quotidiennement à la
Bibliothèque nationale
pour y déchiffrer les
manuscrits chinois.
Elle s'attachait surtout
aux poêles, qu'elle ne
se contentait pas de
traduire, mais à qui
elle cherchait à déro-
ber le secret de leur
inspiration et de leurs
tours. C'est ainsi que
se forma son premier
volume : le Livre de
jade, publié en 1867
sous le pseuilonyme
de Judith Walter.
Dans ce recueil de
poèmes, les uns traduits, les autres inspirés d'ori-
ginaux chinois, se révélait au public fiançais une
forme curieuse de poésie : ce n'était point cet
exotisme un peu conventionnel mis à la mode
par les Parnassiens, mais une note toute nouvelle,
à la fois naïve par le choix des thèmes et la sim-
plicité des sentiments, et savante par la conden-
sation de la pensée aussi bien que par l'imprévu
des images. L'auteur y témoignait d'une rare faculté
d'assimilation, en trouvant pour ses traductions
une prose harmonieuse et d'une grande justesse
de coloris, sans excès. Tel est le vrai mérite de
Judith Gautier. Dans ses poésies personnelles, —
françaises, pourrait-on dire, — telles que les Rites
divins, Au gré du rêve, Pour la vie, elle s'est
montrée une élève docile de son père, comme lui
curieuse de la rime et de la perfection plastique,
mais on ne saurait pousser plus loin l'éloge. Il est
permis, au contraire, de louer sans réserves ses
adaptations chinoises ou japonaises, comme son
Poème de la libellule, traduit du japonais en 1885.
ou ses Poèmes chinois de tous les temps, qu'anime
l'inspiration délicate du voluptueux Li-Taï-Pé.
Peu après le Livre de jade, Judith Gautier, qui
avait été demandée en mariage par un Persan, le
général Moshin-Khan. — ainsi l'Orient la suivait
jusque dans sa vie intime, — épousait Catulle Men-
dès. L'union ne fut sans doute pas très heureuse ;
du moins, elle dura peu. Divorcée d'avec son mari,
Judith reprit, en 1875, son nom de jeune lille, qu'elle
conserva désormais. Au cours de son mariage, elle
avait puhlié, en 1869, sou premier roman: le Dragon
impérial (1869), tableau très altachant des agitations
intérieures de la Chine. Servie par unetonnaissance
profonde des choses de l'Orient, par une vive ima-
gination qui les lui représentait de façon pittoresque
et vivante, par de rares dons de style qui lui per-
mettaient d'allier la facilité à la couleur, Judith
Gautier se plul, dès lors, dans une longue suite de
romans évocaleurs, à promener sa fantaisie i tra-
vers les multiples contrées de l'Asie.
Dans l'Usurpateur (18751, qui obtint les suffrages
de l'Académie française et qui devait reparaître
dix ans plus tard sous le tilre de la Fille du soleil,
elle fit revivre la barbarie grandiose du Japon féo-
«• 734. Avril 1918.
dal, tandis que, dans Princesse d'amour {1900), e\la
nous donna une esquisse de cette étrange révolu-
tion qui fit éclore le Japon nouveau. A l'aide de
vieilles et curieuses traditions persanes, elle re-
constitua dans Is/cender (1886) les prodigieuses
chevauchées d'Alexandre le Grand. De la Perse
passant à l'Inde, elle retraça, dans la Conquête du
paradis, quelques-uns des plus glorieux épisodes
Fleurs d'Orient (1893); le Vieux de la montagne
(18931; Khou-ti'-Alonou (IS9S); le Paravent de soie
et dor (1904); En Chine (1911); l'Inde éblouie
(1912); etc. Si librement que s'y déploie l'imagi-
nation de l'auleur, toutes ces œuvres ne sont point,
cependant, de pures fictions; ce sont de vrais et
bous romans historiques. On pourrait appeler
Judith Gautier le <. Walter Scott de l'Orient ».
Comme l'auteur d'haiihoë, elle possède le don
d'amalgamer intimement l'histoire à l'intrigue ro-
manesque : les deux éléments se complètent et se
fondent heureusement, sans jamais paraître, comme
il arrive souvent, artificiellement superposés. 11 y a
là un art remarquable, où l'érudition se mêle à la
poésie, sans lui rien ôter de sa grâce et, h ce titre,
racadéinie des Concourt fut judicieusement inspirée
en admettant parmi ses membres l'auteur du Dragon
impéria I.
Judith Gautier n'aurait pas été de son siècle, si
elle n'avait abordé aussi le théâtre. Elle ne le fit,
toutefois, que discrètement; sans parler de la Fille
du ciel, drame chinois qu'elle écrivit en collabo-
ration avec Pierre Loti (1911), elle donna, en 1888,
à rOdéon, la Marchande de sourires, sombre drame
japonais. — naturellement, — un peu trop roman-
tique peut-être, mais d'un exotisme agréable par
endroits et qui remporta, du moins, un estimable
succès pour la nouveauté et le pittoresque de la
mise en scène. Elle écrivit également, en 1894, le
livret d'un opéra en un acte: la Sonate du clair
de lune, musique de Benediclus.
Judith Gautier était elle-même très musicienne;
son goût pour la musique, a-t-elle confessé, ne
s'était éveillé qu'assez tard; il n'en fut que plus
vivace. Admiratrice fervente de Wagner, elle fut
une des premières, en France, à soutenir et à prôner
l'auteur de Parsifal. Elle donna même de ce poème
une traduction et, plus tard, consacra le Troisième
Rang du collier (1909) à relater les impressions
d'un séjour à Bayreuth.
Mais c'est surtout par son orientalisme que Judith
Gautier s'est créé dans notre littérature nn rang
incontesté, qu'elle conservera longtemps sans doute.
Héritière du romantisme paternel, elle a su faire
noblement fructifier son héritage en le renouvelant
au contact de la poésie et des belles légendes de
l'Orient mystérieux.
<■ Moi, disait-elle volontiers, j'aurais voulu naître,
vivre et mourir dans un harem, sans sultan, près
d'un grand jardin des Mille el une nuits, plein de
fontaines fraîches
Judith Gantier était chevalier de la Légion
d'honneur depuis 1910.
Parmi ses autres ouvrages, il faut citer «n-
core : Lucienne (1877); les Cruautés de l'amour
(1879); les Peuples étranges (1879); Isoline et
la Fleur serpent {lS8i); Richard Wagner (1882);
la Femme de Putiphar (1884); Iseult (ISSh); Par-
sifal, Poèmes de ta libellule (1885); la Barynia,
drame russe en trois actes, en collaboration avec
Joseph Gayda (1894) ; les Musiques hizan'es à
l'Erposilion (1900); Poésies (1911); le Roman d'un
grand chanteur, Mario de Candia (1911) ; le
Japon (1912); etc. — FéUx gdiramd.
Guerre en 1914-1918 (i.a). [Suite.] —
S'il arrive que, plus tard, quand les incertitudes
journalièics des temps que nous vivons seront ou-
bliées, quelque lecteur curieux parcoure ces chro.
niques mensuelles, il nous rendra, nous l'espérons,
cette justice que, si nous avons pu nous tromper
quelquefois, comme tant d'autres, et avons vu nos
conjectures renversées par des événements inatten-
dus, nous nous sommes efforcé de rendre chaque
mois, aussi exactement que possible el sans nous
laisser entraîner il aucun excès de confiance ou de
découragement, l'impression générale que laissaient
dans les esprits pondérés renchaînenicnt des faits
et les résultats acquis. Après avoir constaté les al-
ternatives dont nous avons dû subir l'influence dé-
primante ou réconfortante, il s'étonnera peut-être que
l'équilibre mental delà nation, au milieu de secousses
aussi violentes et aussi opposées, ait pu si longtemps
conserver sa stabilité. Nous nous abstenons de tijcr
les conséquences philosophiques de ce fait, mais il
est certain que l'opinion publique a supporté avec
une solidité singulière d'être violemment ballottée
par le flux et le rellux de nos inquiétudes. — Le
mois de février en avait apporté un total assez dé-
concertant, et il fallait, à la fin de ce mois, envisa-
ger avec sang-froid une situation que les événe-
ments do l'Europe orientale rendaient de plus en
plus sérieuse. On ne pouvait dire encore que la paix
N* 134. Avril 1918.
séparée avec la Russie fût un fail accompli, puisque
les Allemands reculaient volontairement l'heure de
l'humiliation suprême <le nos alliés. Mais leur inva-
sion facile sur le territoire russe laissait prévoir le
moment où ils seraient les maîtres réels de toute la
frontière occidentale et où les roules de l'.Xsie leur
seraient ouvertes, l-a malheureuse Houmanie se dé-
battait contre l'inévitable et, après avoir réorganisé
son armée, après avoir envahi la Bessaialiio, illc
se voyait dans l'impossibilité maté-
rielle d'utiliser son succès. Elle allait -
Être la victime infortunée de la Bul-
garie et de la Hongrie. LWrménie
était à la veille de retomber sous le
joug turc, et tout le fruit des vic-
toires russes en Asie était perdu. —
La Russie, d'ailleurs, n'était pas ce-
pendant paciliée. l.a guerre civile y
continuait, mais il était possible de
prévoir le moment où le gouverne-
ment bolchevik, cerné par les troupes
allemandes, impuissant et sans ar-
mée, ferai t place à l'on ne savait quoi ,
mais certainement h quelque chose
qui porterait l'empreinte allemande.
Hien de ce qui venait de se passer
— les rodomontades, les violences
de langage, les élonnements et les
naïvetés de Trolsky, de Lénine et
de leurs partisans, l'ignorance mani-
feste de la psychologie du peuple
allemand et des réalités possibles
qui ressortaient de leurs discours
et de leurs actes — ne permettait
d'espérer que le parti qui avait perdu
la Russie pût se ressaisir tout à coup
et organiser enfin un gouvernement.
Par suite, il fallait conclure que
l'Allemagne avait le champ libre et
que, son appétit annexionisle et sa
force incontestable d'expansion s'ap-
fiuyant l'un sur l'autre, elle allait,
e plus tôt possible, se lancer à
travers le vaste champ de colonisation qui s'ouvrait
à elle en Europe et en Asie. Sans doute, on regar-
dait vers l'Extrême-Orient, et l'on parlait beaucoup
des Japonais, sans rien connaître de précis de leurs
intentions, qu'ils réservaient, sans calculer si leur
tardive intervention était capable de maintenir la
Russie et d'arrêter la ruée germanique qui menaçait
l'Asie. 11 y avait
dans tout cela ma-
tière aux plus gra-
ves réflexions.
Certes, à l'ouest
de l'Europe, la si-
tuation était autre.
Les positions des
armées françaises
et anglaises n'a-
vaientpas bougé, et
le (lot montant île
lacoopération amé-
ricaine venait à son
tour battre les re-
tranchements aile
mands. La grandi-
olfensive, dont on
continuait & parler,
ne s'était pas pro-
duite. Bien que
l'imagination des
chroniqueurs mili
taires se fût ave(
ingéniosité exer-
cée sur toutes le>
hypothèses possi -
blés, non sans quel
quedommage,peut-
êlre, pour les nerfs
du public, il pa-
raissait absolument
certain, fln février,
que personne
n'avaitaucune don-
née sûre au sujet
des projets alle-
mands et que, mal-
gré des concentra-
lions importantes
de troupes k l'ar-
rière, le commandement eniionii n'avait fait au-
cun geste qui fût suffisant pour dessiner ses in-
tentions ultérieures. Les quelques actions locales
qui s'étaient produites sur les fronts français et
anglais n'avaient eu aucune portée générale. Il
était seulement hors de doute que les opérations
allemandes étaient liées aux événements intérieurs
et à l'état d'esprit du peuple allemand. L'intérêt
évident de nos ennemis était de retarder le plus
possible leur attaque, mais cela ne leur était loisi-
ble que si le moral allemand se soutenait. On faisait,
en Allemagne, tout le nécessaire pour le soutenir.
Les résultais obtenus du ci^té de la Russie étaient
LAIIOUSSI-: MKNSUEL
copieusement exploités pour fortifier les espérances
et l'orgueil germaniques et prolonger la résistance
physique et morale préiédemiiieul minée par les
privations alimentaires et la durée de la guerre.
Restaità savoir si les avantages politiques ineoules-
lables acquis en puissance du côté de la Russie
et le ravitaillement qu on annonçait poijvaient se
traduire rapidement en réalités tangibles et. si
I un peut dire. comi'slil)les. et si la perspective
I.a inilrailleusc siii' .ivion. .Attitude d.' rMbsiTv.iti-ur TaînAnt f,'ii sur un ennemi aii-dess'-u^ Je [iii
d'une extension du territoire et de l'influence
allemands vers l'Est, par suite la consolidation d'un
pouvoir militaire qui en était la conséquence
naturelle, seraient une compensation suffisante à
l'écroulement certain des espérances de réforme
dans l'organisation sociale. Par suite, l'olTensive,
suivant qu'elle se produiiait ou qu'elle serait ajour-
Navlre marchand anglais torpilla, s'abîmant dann les Ilots.
née, devait être considérée comme la conséquence
de la situation intérieure de l'Allemagne, comme
l'indice de la hâte qu'auraient les Empires centraux
de conclure une paix devenue nécessaire, ou, au
contraire, comme la marque d'une recrudescence de
leur force de résistance et de leur volonté de réali-
ser k l'Ouest des modiflcations de frontières aussi
importantes que celles qu'ils étaient en train d'ac-
quérir à l'est de l'Empire.
Nous attendions de pied ferme les attaques pos-
sibles, et l'on avait la certitude que tout avait été
fait et continuait à l'être chaque jour, tant du côté
anglais que du côté français, pour rendre notre front
m
inexpugnable et accroître nos moyens de défense.
Le moral des troupes, leur couflance dans leurs
chefs étaient d'une solidité inétiranlable, et il
semblait bien que les intrigues qui, tant en An-
gleterre qu'en trance, s'agitaient autour des porte-
feuilles ministériels, que les stériles et déplorables
discu.ssioiis des partis autour des sujets les moins
ilisciilables se limitaient à un cercle restreint et
étaient sans action sur l'état d'esprit des armées. Il
fallait, pourtant, les noter comme
une cause latente de faiblesse et un
ferment de découragement, qui, dans
des circonstances données, pourrait
produire do redoutables efl'els.
Sur deux points seulement, les
mêmes en février qu'en janvier, des
succès militaires avaient été enre-
gistrés. Dans les premiers jours de
lévrier, les Italiens, soutenus par les
troupes franco- aiiKlaises , avaient
chassé les Autrichiens du Monte
Bella et malgré les attaques bar-
baresdes avions sur Venise, Padoue,
Trévise, qui n'étaient que des ma-
nifestations de sauvagerie, il était
avéré que les Autricliiens, réduits
à leurs seules forces, étaient inca-
pables de tirer aucun parti désavan-
tages que les Allemands a valent ac-
quis en octobre.
D'autre part, le 2i février, le gé-
néral Allenby était entré à Jéricho,
élargissant ainsi sa position en
Palestine. Mais, si intéressante que
fût celte avance, quelques espérances
qu'elle put faire naître, on devait
euvi.sagertelle qu'elle était la situa-
tion des Anglais en Palestine et sur--
toiit en Mésopotamie. — En Pales-
tine, appuyés sur la mer et sur
l'Egypte, avec des voies de commu-
nication régulières, bien qu'à débit
restreint, les Anglais pou valent tenir,
sans qu'on dût espérer qu'il leur fut permis d'étendre
largement leurchamp d'action. — En Mésopotamie,
la question seposaitde savoir si, après la défection
I lisse, après l'abandon accompli de Trébizonde et
l'évacuation imminente d'Erzeroum, après la renon-
cialion de leurs alliés à loute action en Perse où
les Allemands fomenlaiciit depuis longtemps une
résistance, il serait
aisé de conserver
Bagdad. Les An-
glais ne s'étaient
engagés dans cette
entreprise très dif-
ficile, dont l'exécu-
tion a vaitexigé une
rare ténacité et la
mise en œuvre dé
ressources en or-
mes, que pour don-
ner la main aux
Busses, qui, par la
Perse, descen-
daient sur Mos-
soul. Or, non seu-
lement il n'y avait
plus d'alliée russe,
mais il y avait une
Perse soutenue par
les Allemands, li-
bres d é s o r m a i s ,
grâce à la paiï
iikranienne, d'agir
comme ils l'enten-
draient et par t0U!$
les moyens, avec
des communica-
tions relativement
plus faciles qne-
celles des Anglais.
Ce n'était pas lit
la moindre consé-^
?|uence de la dé-
eelion russe. La
question de la'
route de l'Eu-
phrate, (fn'on
avait pu croire'
définitivement ré-
solue contre les Allemands, il y a quelques mois,
se posait de nouveau. Les Allemands pouvaient
maintenant l'aborder par un détour, mais singnliè-
rement profitable, celui de la Perse, en attendant
qu'ils puissent l'affronter aussi par la Turquie, et
les Anglais allaient avoir à prendre au sujet de la
Mésopotamie des décisions qui, si elles ne .s'impo-
saient pas immédiatement, ne pouvaient manqoer
d'être prochaines.
Un autre point d'interrogation .se posait au sujet
de Salonique : quelle serait la répercussion, sur
cette partie du front de guerre, de la paix russe et
(te l'imminente patx roumatnip'? Sans itoule. la Grê«b
418
avait mobilisé, mais elle avait eu aussi à réprimer
des émeutes militaires, et nous avons dit, il y a déjà
bien des mois, qu'il élait diflicile d'apprécier exacte-
ment qnel fonds pouvait être fait sur l'armée grecque.
Naurail-on pas, en outre, un jour à se repentir
d'avoir liliéré l'oliige précieux qu'était Constantin
entre nos niuins, et no s'apercevrait-on pas un peu
L.MIOUSSK MENSUEL
bilisalion immédiate. En même temps, dans un ma-
nifeste relentissaut, il proclamait la volonté de la
Russie de repousser les prétentions de l'Allemagne
à l'égard des peuples dont elle détenait les terri-
toires, et il considérait sa déclaration de cessation
(les hoslilités comme un déli jeté par la Révolu-
Lion russe à l'iinporialiMne allcniiinil. Le gesle de
Une vieiUe tranchée britannique en Artois.
(Ceci donne une idée du nombre de sacs à terre nécessaires pour la construction d'une tranctiée.)
tard qu'en lui donnant toute liberté d'action, en
laissant cet instrument docile entre les mains de la
politique allemande, on faisait son jeu et on le
mettait en mesure de venger les humiliations qu'on
lui avait imposées ? Nos lecteurs savent que nous
n'avons jamais approuvé sans réserve la politique
suivie à l'égard de la Grèce depuis bientôt une année.
Nous souhaitons que l'avenir ne nous donne pas
raison.
On le voit, la stagnation militaire qui s'était ma-
nifestée en janvier avait continué en février. Non
seulement rien de décisif ne s'était produit, mais
rien qui pût constituer une indication quelconque
pour l'avenir. On eût dit, au moment môme où les
préparatifs militaires élaient le plus formidables,
que les peuples eussent renoncé à régler leur que-
relle par les armes et se fussent réfugiés dans les
discussions diplomatiques. Plus que jamais, pour-
tant, l'inéluctable nécessité d'une solution militaire
s'imposait, et tout ce qui s'était fait ou dit éloignait
la possibilité d'une entente amiable.
Les événements de Russie avaient amené l'Alle-
magne à manifester sans ambages ses projets d'ex-
tension territoriale ou, plutôt, à léaliser la partie
orientale du programme pangerinaniste. Les confé-
rences de Brest-Lilovsk avaient été repiises le
dernier jour de janvier. Les piemiers jours de
février s'étaient passés à discuter sur l'admission
des délégués de la Rada de Kitf, dont les pouvoii's
et l'autorité élaient contestés par ïrostky. Finale-
ment, les délégués des Empires centraux avaient
reconnu cette Rada comme pouvoir légitime ukra-
nien, contre l'opinion et malgré les réserves des
bolcheviks, qui se prétendaient maîtres de Kief et
de l'Ukraine et qui opposaient, on l'a vu, la Rada
de Karkhof à la Rada de Kief.
A la vérité, il était difficile, à ce moment, de
connaître qui était maître dans l'Ukraine livrée à la
{ilus abominable guerre civile, et ce qui paraissait
e plus certain, c'est que personne n'avait aucun
pouvoir, ni légitime, ni solide. Il semble même que
la Rada de Kief ne fût plus à Kief, mais à Jitomir.
Mais il était de l'iiiléiêt des Allemands de s'attacher
au parti qui paraissait disposé à signer la paix,
convaincus que, le jour où l'opinion russe se trou-
verait en présence (l'un traité de paix en due forme,
signé avec une partie quelconque de la Russie, la
puissance du seul mot de pa/a: entraînerait, à n'im-
porte quel prix, l'adhésion unanime. Ils ne se trom-
paient pas. Le 7 février, ils pouvaient annoncer
que la paix était signée avec l'Ukraine. Le 10,
Trotsky, dans une forme étrange et insolite, décla-
rait que, sans (iiie la Russie voulût signer la paix
aux conditions des Empires centraux, elle considé-
rait la guerre comme terminée et ordonnait la (lémo-
Trotsky a surpris le monde entier. Il était proba-
blement plus habile qu'on ne l'a cru. La paix signée
avec l'Ukraine, il élail impossible au gouvernement
bolchevik de continuer à rester vis-à-vis des Empires
centraux dans une situation qui était encore l'état
de guerre, puisque aucun traité de paix n'était inter-
venu et ne pouvait intervenir si Trotsky et Lénine
N' 134. Avril 1918-
que Trostkji ait pu espérer sérieusement qu'elle s'y
prêterait.
L'armistice signé précédemment entre les Russes
et les Austro-Allemands expirait le 17 février, sous
condition d'une dénonciation préalable sept jours
avant l'expiration. Les Allemands considérèrent
comme une dénonciation la déclaration de Trotsky
du 10 février et, le 18 à midi, ils reprenaient les
hostilités. Trotsky s'étonna, mais, dès le 19, l'éton-
neinent faisait place à la soumission, et les soviets,
épouvantés, déclaraient qu'ils acceptaient les condi-
tions des Empires centraux. Du 19 au 24 février, ce
fut un mélange extraordinaire de forfanterie et de
platitude, d'appels aux armes et de sauve-qui-peut,
de pi'otestations révolutionnaires et d'ahtîications
(levant la force. Cependant, les colonnes allemandes
avantjaient vei's Kovel, Loutsk, Rowno, Minsk; par
ailleurs, elles se dirigeaient vers Jitomir et Kief,
cependant que les Autricliiens qui, d'abord, avaient
déclaré qu'ils ne participeraient pas à l'opération,
lépondaieut à l'appel de l'Ukraine et la débarras-
saient en partie des bolcheviks. Le 24, enfin.Trotsky,
Leuiiie et les soviets renouvelaient en bonne forme
leur soumission et acceptaient les conditions for-
mulées par l'Allemagne. Mais celle-ci ne désarmait
pas encore. Elle ajournait au 4 mars sa réponse
définitive, cependant que ses troupes avançaient,
chassant devant elles le reste des armées russes,
faisant des prisonniers, raflant le matériel, ne ren-
contrant de résistance sérieuse que devant Pskof,
iiù de sanglants combats arrêtèrent un moment ses
troupes d'avant-garde. En même temps, ils s'empa-
raient au Nord de Revel, tandis que les gardes
blanches finlandaises, soutenues par des renforts
allemands, battaient les gardes rouges et achevaient
la déroute des bolcheviks. Pelro;:rad était menacée,
et ou assistait à ce spectacle étrange et lamentable
(l'un gouvernement qui, après avoir accepté toutes
les conditions de l'ennemi et avoir répudié en fait
les idées qui étaient sa raison d'être, essayait de se
révolter en paroles et tentait de ressusciter pour sa
défense le sentiment national et la force militaire,
qu'il avait pris auparavant grand soin d'anéantir
totalement. Au dernier jour de février, il élait im-
possible de prévoir où s'arrêteraient les Allemands.
Il élait permis de penser qu'ils voulaient s'avancer
assez près de Petrograd pour y entier s'ils le ju-
geaient nécessaire et que leur ferme intention était
(le mettre entre l'Allemagne et les doctrines des
bolcheviks une barrière infranchissable.
Trotsky, en effet, ne craignait pas de contredire
par la hardiesse de ses paroles l'humilité de ses
actes. Touten manifeslantson mépris au prolétariat
allemand, qui ne se révoltait pas contre les cou-
quêtes de son gouvernement impérialiste, il conti-
nuait à protester de ses sentiments révolution-
Lancement de futnée protectrice contre les gaz asphyxiants, (Ces fumées nriires et lourdes, par-dessus lesquelles passent
les gaz nocifs plus légers, servent à protéger les trancliées. en cas d'alerte au gaz.)
voulaient rester conséquents avec leurs principes.
Déclarer qu'on ne signerait pas cette paix, qu'on
ne la signerait jamais et que, pourtant, on n'était
plus en guerre, était une conception, certes inat-
tendue, inacceptable pour un peuple qui eût rai-
sonné, mais que Trotsky pouvait espérer faire
accepter à un peuple et à une armée qui, par-des-
sus tout, ne voulaient plus entendre parler de
guerre. Malheureusement pour la Russie, l'Alle-
magne ne se prêta pas au succès de cet ingénieux
artifice, et il est vraiment inadmissible de penser
naires et d'appeler le peuple russe à la défense des
principes bolcheviks. L'Allemagne ne pouvait, on le
devine, ne pas sentir le danger que présentait
cette propagande et, bien que le peuple allemand ne
parût pas s'émouvoir de ces appels ni s'indigner
des conquêtes opérées, elle jugeait plus prudent
d'augmenter la distance qui séparait le prolétariat
allemand et les violences oratoires de Trotsky et
des soviets.
11 importe donc de fixer, aussi exactement qu'il
est possible, la position territoriale des Austro-
«• 134. Avril 1918.
Allemands, en Russie à la fin de février. D'une
part, au Sud, la paixukranienne séparaitde l'ancien
empire des tsars toute la Pelite-ltussie et lui en-
levait en outre toute la région de Cholm, qu'elle
prenait de vive force à l'ancienne Pologne. Par là,
toute la partie la plus fertile de la Russie, la plus
riche, la plus préparée à une organisation méthodi-
que passait sous le contrôle des Empires centraux:
par là, ils atteignaient la rive nord de la mer Noire,
avec Odessa, jusqu'à la Grimée, et
la rive ouest de la mer d'Azof; r —
par là, — et ils le spécifiaient for-
mellement dans le traité, — ils s'ou-
vraient et se réservaient une roule
vers l'Asie. En oulre, ils s'assuraient
des échanges économiques fruc-
tueux et tout l'excédent des céréales
au détriment du reste de la Russie.
\l n'y avait plus à dire, comme on
le fit par ignorance des faits ou par
be.soin d'illusion aux premiers jouis
après la signature de celle paix, que
cet instrument diplomatique était
sans valeur parce que la Rada de
Kiel était sans pouvoir. Très peu
après, la Rada de Karkhof se ral-
liait à cette paix, et il devenait cer-
tain qu'avec l'appui des Autrichiens
l'ordre allait se rétablir très vite en
Ukraine. Une seule question pou-
vait se poser : le bouleversement
de ce pays, les destructions qu'il
avait souffertes, l'insuffisance et le
délabrement des voies ferrées per-
mettraient-ils aux Austro-Alle-
mands d'utiliser des ressources en
vivres, dont l'existence était problé-
matique? Il était impossible d'être
renseigné sur ce point, qui était im-
portant pour nous, nous l'avons dit,
sous le rapport de la résistance pré-
sente, physique et morale de I Al-
lemagne.
Mais, au point de vue de l'avenir,
on ne pouvait douter que l'Ukraine
ne fût appelée à constituer pour
les Austro-Allemands une annexe
de la plus haule importance écono-
mique. Elle avait politiquement une
valeur non moins î;rande, puisqu'elle
mettait au fianc oriental de la Po-
logne, amputée une fois de plus, un
Etat solide, uni, compact, qui se-
rait toujours un voisin mal commode et un rempart
contre des ambitions polonaises quelconc|ues. Au
surplus, la malheureuse Pologne était pour la qua-
trième fois traitée en pays conquis par la Prusse et
l'Autriche. Il n'était plus question que d'une indé-
pendance relalive, d'un petit royaume de Pologne
sans avenir, qui n'avait aucun rapport avec les es-
loirs que les Empires centraux eux-mêmes avaient
ait naître. Sans doute, devant le mécontentement
du groupe polonais et pour éviter une crise minis-
térielle, l'Autriche avait cru devoir amender quel-
que peu la clause de la paix ukranienne relative à
la région de Cholm; elle semblait avoir réservé
l'avenir; mais il était impossible de fonder aucune
sécurité sur de semblables transactions, et il restait
que, sans consulter la Pologne et bien qu'on pré-
tendit lui avoir donné un gouvernement qui la re-
présentât régulièrement, on avait disposé de pays
polonais. Donc, au Sud, l'Allemagne était tranquille.
_ D'autre part, au Nord, la paix dont elle exigeait
l'acceptiition, et dont elle assurait au préalable
l'exécution par les armes, lui procurait l'occupation,
et elle savait pouvoir y compter, la possession soit
politique, soit économique, des provinces Ralliques :
Eslhonie elLivonie, et de laLithuanie. Là encore,
la Pologne perdait tout espoir non seulement d'ac-
céder à la mer, mais de réunir à elle les districts
Polonais de Lithuanie, et Trotsky abaiidoimait à
Allemagne les Lettons, qui avaient constitué le
filus solide noyau de ses défenseurs. Certes, l'AI-
emagne affirmait qu'elle ne garderait ces pavs que
iusqu'au moment où leur Constitution garantirait
leur sécurité sociale et leur ordre politique. Mais
cela voulait dire que, grâce aux gouvernements de
ces pays, entièrement aristocratiques et inféodés
k l'Allemagne, l'empire allemand s'étendrait jus-
qu'aux faubourgs de la capitale russe.
Ajoutons que le projet de traité remettait en
vigueur le traité de commerce russo-allemand de
1904 et organisait dès maintenant l'exportation libre
des minerais. Enfin, au Nord, l'indépendance de la
Finlande, affermie avec l'appui allemand, à la fois
contre la Russie et contre la Suède, mettait le golfe
de Finlande et toute la Baltique orientale sous le
protectorat allemand et doublait, contre Petrograd,
l'emprise constituée déjà par l'occupation des pro-
vinces Baltiques russes.
11 résultait de ce qui précède que la Russie se
trouvait coupée de l'Europe par une suite de petits
Elatsplacés sous l'innuence allemande et qui étaient
à la fois la ligne de défense avancée du germanisme
LAROUSSE MENSUEL
et son front d'attaque économique; elle était rejetée
vers l'Asie, et trois siècles d'eiïorts étaient anéantis.
On peut, en effet, réprouver énergiquement la poli-
tique intérieure et le terrorisme gouvernemental
des tsars; on ne peut pas supprimer leur œuvre
territoriale. Depuis les Ivan, ils avaient fait la
Russie et l'avaient imposée à l'Europe occidentale.
11 ne restait plus rien de ce gigantesque travail.
Trolsky, qui avait un instant, à la fin île janvier.
u
Poste ambulant de télégraphie sans fll,
paru comprendre l'énorme danger de désagréga-
tion qui menaçait la Russie, voyait s'effondrer,
grâce à sa folle politique, l'unité russe. Tout était
à recommencer. Rien ne dit, d'ailleurs, que tout
ne recommencera pas. Il y a dans le peuple russe —
l'histoire la prouvé — une vigueur puissante et
un sentiment réel de sa destinée, mais il y a
aussi desdélaillan-
cescoUectivesdont
l'amplitude peut
amener des calas-
trophes formida-
bles. Nous en
voyons une et,spec-
taleurs attristés,
nous en mesurons
les conséquences.
La Russie, pour se
refaire, n'aura plus
à lutter contre des
paysdepeude poids
etdontlaforceélait
éphémère, comme
la Pologne et la
Suède; il lui faudra
couper un à un les
liens politiques et
énonomiques dans
le-quels l'Allema-
gne va la ligoter.
La responsabilité
de ceux qui ont
amené un grand
paysanne pareille
et si brusque dé-
chéance est im-
mense. On ne peut,
à l'heure présente,
ni la répartir éqni-
lablement, ni peser
ce qui en revient à chacun. Il est pourtant indubi-
table que Lénine, Trostky et leur parti en portent
un poids très lourd et que, quels qu'aient été leurs
mobiles, ils sont les auteurs de l'irréparable dénoue-
ment. Qu'ils aient été, si l'on veut des théoriciens
convaincus, des illuminés, des natfs, c'est pos-
sible. Certains documents, publiés précisément en
février par un journal français, paraissent en tout
cas prouver qu'ils n'ont pas hésita à s'appuyer sur
de 1 argent allemand et que la révolution russe, si
elle a été provoquée par d'autres, a été habilement
419
utilisée par la propagande allemande. Cela ne dis-
culpe personne. U y a là, au contraire, un ensei-
gnement terrible, dont il serait bon de profiter et
qui, malheureusement, ne parait pas avoir été com-
pris par tout le monde.
L'Allemagne, qui ne regarde pas aux moyens et
dont c'est la doctrine philosophique de juger la
moralité des choses à leurs résultats, s'est enor-
gueillie comme il convenait et glorifiée des résul-
tats qu'elle obtenait en Russie. Il serait enfantin de
nier et les avantages qu'ils comportent pour nos
ennemis et les dangers qu'ils entraînent pour l'Eu-
rope. Mais il faut dire aussi que la boune gloire de
l'Allemagne n'en sera grandie ni au point de vue
militaire, ni au point de vue diplomatique. L'Alle-
magne s'est trouvée en présence du néant. D'autres
eussent hésité à profiter d'une telle occasion, ou y
eussent mis des formes. Elle a mordu à pleine mâ-
choire dans le morceau de choix que la fortune
olfrait à son appétit. Ce n'est pas la première fois
que pareille aventure lui arrive. Son prestige moral
n'en est pas relevé.
Les conséquences intérieures allemandes de la si-
tuation sur le front russe ne pouvaient être pressen-
ties à la fin de février. Sans doute, Scheidemann et
Haase avaient, tout en approuvant l'ensemble de la
politique impériale, fait des réserves de forme. Jus-
qu'où allaient-elles au fond? La doctiine socialiste
allemande, le désir de réformes politiques et parle-
mentaires étaient-ils capables de lutter contre le mi-
litarisme et le nationalisme allemands; le refus de la
commission delà Chambreprussienne d'adopter le suf-
frage pari taire et de renoncer au vote plural pouvait-Il
contre-balancerdans les esprits allemands l'immense
vanité et les espérances de prospérité matérielle pro-
voquées par les succès sur la Russie? 11 était très
sage d'en douter, et les discours du chancelier Hert-
ling et du vice-chancelier von Payer étaient des rai-
sons de s'en tenirà ce doute prudent. U eût été tout
à fait prématuré, même après les grèves de janvier,
en présence de l'unanimité allemande au sujet de
l'Alsace-Lorraine, de s'imaginer que même la pro-
pagande bolchevik, très surveillée, d'ailleurs, même
la mise en demeure des socialistes de l'Entente, fus-
sent capables de modifier assez l'opinion publique
allemande au point de contre-balancer linCuence de
nouveau dominante et incontestablement 'maîtresse
de tout, même de l'empereur, de la coterie militaire.
L'Allemagne semblait s'acheminer de moins en
moins vers la démocratie. 11 fallait se rendre à cette
évidence, et la faute, peut-être le crime, de ceux qui
fermaient encore les yeux, était de se refuser à re-
garder en face le danger grandissant d'une Alle-
magne plus unie que jamais, qu'il fallait vaincre et
non pas convaincre.
On ne pouvait poser les mêmes conclusions au
sujet de l'empire austro-hongrois. Depuis le discours
de Czernin, en janvier, le désir de paix et la désor-
ganisation n'y avaient pas diminué d'intensité. On
avait senti, à diverses repri.ses, des divergences
Un central téléphonl<lue » S» métrés sous terre
d'opinion très marquées entre l'Allemagne et son
second. La presse autrichienne avait été dure pour
le pangermanisme, et, pour qui connaît l'asservis-
sement de cette presse, ce ton était caractéristique.
Le Reichsral avait entendu des paroles pénibles
pour les Allemands. La paix ukranienne avait
amené la scission du club polonais; on avait pu
croire que tout gouvernement deviendrait impos-
sible, et la démission de Seidier avait de nouveau
paru nécessaire. En fin de compte, Charles 1" avait
semblé se soumettre. Les négociations avec la Rou-
420
manie, quoique menées très lentement, tendaient h
garantir à la Hongrie des avantages territoriaux
importants. Czernin, bien qu'il ne semblât pas le
souliaiter, allait être contraint d'imposer à la Rou-
manie des conditions très dures, que, d'ailleurs, le
parti germanophile roumain avec Carp, Marf,'hi-
loman, le Moldave Lou-
pou-Kostaki, le Bessara-
bien Stère, avec tous les
ennemis de Bratiano, était
peut-être disposé à accep-
ter, en haine du roi et du
parti de l'Entente. La dé-
mission de Bratiano, la
nomination à la présidence
du conseil du général
Averesco, ne pouvaient
rien changer h la situation
désespérée de cette na-
tion, victime de la guerre.
Mais tout cela était fait
en vue de la Hongrie et
de l'Allemagne. L'Autri-
che restait isolée, divisée,
incapable d'organiser se.s
partis et ses nationalité.s.
L'Entente avait peut-être
espéré, un instant, pou-
voir profiter de cette situa-
tion et amener l'Aulriche
à une paix .séparée. On
ne pouvait dire jusqu'où
avait été poussée cette
tractation, mais il restait
avéré que l'ébranlement de
l'Autriche était profond.
Quelles étaient, sur ce
foint, les intentions de
Allemagne?Tout le passé
des HolienzoUern conduit
à penser que le respect de
l'intégrité autrichienne ne
devait pas être leur pre-
mier souci. La question
d'Autriche devait, une fois
de plus, se poser lors de Avam i :.u.ique. en itaiip.
la paix générale. '''» ifii»>'ig"em.!nt5 |)iéc!ia aur
BÎn traitant avec l'Ukraine
et avec la Russie, l'Allemajine suivait son plan de
paix séparée, précisé par llertiing dans son dis-
cours de janvier, dont nous avons dit, dans une
précédente chronique, ce qu'il fallait penser. A
l'exposé de ce plan le président Wilson avait ré-
pondu, le 2 février, par un message au Congn'^s
américain. Il avait, en
Particulier, insisté sur
impossibilité de paix
particulière, sur la
nécessité de faire ju-
ger le présent conflit
par le tribunal de l'hu-
manité.
La méthode (avait-il dit)
ù laquoUo lo ctiaacelior
allemand voudrait nous
voir recourir est celle du
Congrès do Vienne.
Nous n'en voulons pas,
et nous ne pouvons pas
l'accepter. Ce dont il
s'agit aujourd'hui, c'est
delà paix du monde. Ce
(jue nous recherchons,
c'estlacréationd'un nou-
vel état do choses intor-
aational , fondé sur les
larges principes delà jus-
tice et dudroit universel.
Nous ne voulons pus d'une
paix faite de raccommo-
LAIUJL'SSI'J MENSUEL
jugent toutes les déclarations que les hommes d'Ëtat,
quels qu'ils soient, font sur les lins du conflit qui englobe
tontes les régions du monde "?
Nous ne pouvons pas avoir uni; paix générale eu la
demandant seulement ou par le simple arrangement d'une
conférence de la paix. La paix générale ne peut résulter
d'une série de petits aecr)rds rndividuels entre fjran'ls
A^iuii survolant hi maisoii uù est installt* le posie de ciMiminndcmiMit e
]<]s organisation;! dr l'oniii^aii et In situation en prcniiêi'c ligne. (.\ii pi
Ktals. Tontes les nations ([ui sont engagées dans celle
guerre doivent prendre part au règloment de toutes les
questions.
Les Etats-Unis n'uiit aucun désir d'intervenir dans les
affaires européennes, non plus que d'agir comme arbitre
en Europe des discnssiotis territoi'iales ; ils se refusent à
profiter «le toute faiblesse intérieure ou de tout désordre
envoyant par niessa^'es lesLi «
nii''r plan, tmnpes de renl'orl.)
les quatre points marque
Il est possible que le
comte Hertling ne voie
pas, qu'il ne saisisse pas
cola, l'idée militariste vi-
vant dans sa pensée dans
UD monde mort et disparu.
A-t-il donc, pourtant,
oublié les ré.solutions du
Reichstagdul9juillet,ou
bien encore tient-il déli-
bérément à les ignorer '?
Je neveux pas dire que
la paix du monde déponde
de l'acceptation de telle ou telle série particulière de pro-
positions ou de Ici façon dont elles seront tentées ; je veux
dire seulement que ces problèmes, pour autant qu'ils
soient, touchent et intéressent lo monde entier et qu'à
moins qu'ils ne soient traités dans un esprit de justice
altruiste et impartial et avec un souci du respect des
liens naturels et des aspirations des races, ainsi que do
la sécurité et de la tranquillité des peuples en cause,
aucune paix permanente ne sera atteinte.
Tout ce qui touche à la paix intéresse l'humanité entière,
et rien de réglé par la force militaire n'est réglé, si l'ar-
rangement est mauvais. La question devra être examinée
de nouveau maintenant.
Le comte Hertling ne s'est-il pas rendu compte que
o'était devant la Cour de l'Humanité qu'il parlait ; que
iostes les nations écoutent d'une oreille attentive et
Patrouille italienne, l'ranehiiisanl de ntiit I;t Piave sur un radeau.
pour imposer leurs volontés à un autre peuple. Us sont
tout prêts à reconnaître que les accords qu'ils proposent
ne sont pas les meilleurs ni les plus durables. Ce qu'ils
suggèrent n'est qu'une esquisse provisoire des principes
et de leur application.
La guerre actuelle a eu pour cause profonde lo mépris
des droits des petites nationalités et aussi do ceux des na-
tionalités qui manquaient d'union et de force pour faire res-
pecter leurs droits à choisir leur forme de gouvernoniont
et leurs gouvernants. Les accords qui interviendront
doivent rendre de telles clioses impossibles à l'avenir.
11 fixait ensuite les points essentiels sur lesquels
devait porter la discussion générale de la paix :
1* Chaque partie du règlement final doit s'adapter
étroitement aux conditions imposées par l'équité dans
«• 734. Avril 1918.
chaque cas spécial, sous réserve des dispositions particu-
lières propres à garantir une paix permanente;
2» Il faut que les peuples et les provinces cessent d'être
ballottés entre les gouvernements comme un simple gage
mobilier; il faut en finir aussi avec le jeu, aujourd hui
discrédité, de l'équilibre dos puissances;
:!• Il ne sera fait, dans cette guerre, aucun règlement
territorial qui ne réponde aux
intérêts des populations in-
téressées et qui ne soit uno
simple clause d'arrangement
entre des Etats rivaux;
4" Chaque nationalité verra
ses asjdrations réalisées dans
toute la mesure possible et
do manière à éviter des causes
do discorde et d'antagonisme
d'où résulteraient pour la paix
de l'Europe de nouveaux dan-
gers.
Nous basant sur ces condi-
tions, nous pourrons négocier
mw paix générale. Tant que
nous n'y parviendrons pas,
nous n'aurons d'autre alterna-
tive (|ue d'aller jusqu'au bout.
11 terminait en rappe-
lant le désintéressement
absolu des Etats-Unis.
Ce message, qui fitgrand
bruit, comme il le méri-
tait, compte assurément
parmi les plus belles pages
sorties de la plume du
président Wilson. Il pro-
voque pourtant, à la lu-
mière même des faits ac-
complis en février, une
rétlexion, à savoir que
le président Wilson et
r.\llemagne parlent deux
languesdidércntes et sem-
blen l incapablesde se com-
prendre. Hien ne corro-
bore plus cette opinion
que le discours prononcé
par le comte Hertling au
Ueichstag, le 25 février, en
réponse au message Wil-
son. Hertling affectai!
d'accepterladiscussion sur
s par Wilson, parce qu'il
lui sont un moyen de reprendre contre l'Angleterre
des arguments connus et qu'il pouvait espérer,
d'autre part, faire tourner l'application de ces prin-
cipes au pi'ofit de l'Allemagne. Mais il rejetait toute
intervention d'un tribunal de l'humanité, il aflir-
mait qu'il n'y a pas de
questiond'Aisace-Lor-
raine, il persistait dans
son système de paix
séparée qui lui avait
si bien réi îsi, et il
aggiavait h dissenti-
ment en fait nt ouver-
tement une invite au
gouvernement belge
du Havre pourdesné-
gocialions de paix que
la cauteleuse politique
allemande croyait,
d'ailleurs, avoir ren-
dues plus faciles par
les manifestations de
séparatisme flamin-
gant qu'elle avait elle-
même préparées.
Le discours d'Her-
tling était, d'ailleurs,
une réponse à la foi.»
au message Wilson et
aux décisions de la
Conférence socialiste
interalliée qui s'était
tenue à Londres, les
22 et 23 lévrier. Cette
conférence avait été
précédée de réunions
des socialistes français
à Paris, à propos du
vote des crédits de
guerre et de trois
questions principales :
l'Alsace-Lorraine, la question coloniale, la reprise
des relations internationales. Sur ces divers points,
les solutions adoptées en France n'avaient peut-
être point eu, autant qu'il était désirable, la fer-
meté que l'intérêt national eût exigé. L'acceptation
en principe d'un plébiscite, à propos de l'Alsace-
Lorraine, de quelques conditions qu'elle soit mi-
tigée, reste, on ne peut en disconvenir, une porte
ouverte aux intrigues allemandes et une atténua-
tion du principe de droit. La préoccupation que
certains ont montrée de ménager les intérêts alle-
mands dans la question coloniale, bien qu'elle fût
inspirée d'un grand désir de justice et de paix
future, a paru choquante à beaucoup de FVanç-aFs
CARTE ÉCONOMIQUE DES ÉTATS-UNIS
Supplément au LAROUSSE MENSUEL n- 134. - IV.
16'
422
LAROUSSE MENSUEL
Supplément au N* 134. Avril 1918,
A PARIS, TRAVAUX DR PROTECTION DES MONUMENTS ET DES ŒUVRES d'aRT, CONTRE LES PROJECTILES DES AVIONS ALLEMANDS.
1. Mercenaire à cheval, par Co^sevox, terrasse du Jeu de Paume, au Jardin dos Tuileries; 2. La Danse, par Carpeaux, façade de TOpéra; 3. Les portails de Notre-Dame;
4. Quand même I par Antonin Moroié, au Jardin des Tuileries; 5. La Fontaine de Môdtcis, par J. Debrosse, au Jardin du Luxembourg; 6. Le Départ, par Rude, à l'Arc do
triomphe de l'Etoile ; 7. Le Hhône et la Saône, par Coustou, au Jardin des Tuileries ; 8. Un des Cnevaux de Marly, par Coustou, place de la Concorde, à l'entrée des Champs-Elysées ;
9. L'Arc de triomphe du Carrousel.
«• 134. Avril T9(8.
d'opinions pourtant très liardies, qui estiment qu'à
1 heure présente, le seul pays auquel des Français
peuvent penser est la France, que l'Allemagne ne
songe à ménager ni dans le présent ni dans l'ave-
nir. Enfin, la question internationale reste toujours
intempestive. — A la conl'érence de Londres, les ré-
solutions anglaises de décembre, qui préconisaient
sur les mêmes questions des solutions sensililement
identiiiues, avaient été acceptées par la majorité.
Dés lors, la situation était la suivante : ces résolu-
tions devaient être noliliées aux socialistes des
Kmpires centraux. Quelle serait leur réponse? 11
était douteux quelle put être conforme aux déci-
sions de Londres, puisque, au moins sur la question
d'Alsace-Lorraine, les socialistes allemands ont pris
parti. Or, c'est le fond même du débat. En denors
d'une solution conforme à la justice sur ce point, il
n'y a pas de paix possible pour l'Europe. A quoi, dès
lors, peut servir celle consultation? Si, pourtant,
celle procédure est de nature à éclaircirla situation
socialiste et à dissiper des illusions, on ne pourra
que se féliciter qu'elle ait été employée. Mais l'alti-
tude des socialistes américains, qui croient ne pou-
voir avoir aucune relation avec les ennemis de l'hu-
nianilé, n'esl-elle pas plus franche, plus opportune
et, pour tout dire, plus conforme aux intérêts que
nous défendons? Et, quand on considère l'altitude
de l'Allemagne à l'égard des neutres, — le collage
des navires espagnols, la menace contre la Suède
dans la Baltique, la tardive déclaration de Herlling
au sujet de la neutralité suisse, la perfidie de sa
politique belge et l'héroique courage civique des
magistrats de Bruxelles et de la population belge,
les exigences austro-allemandes à l'égard de la
Roumanie, la perfide conduite de nos ennemis à
l'égard de la Pologne, l'approbation tacite donnée
par tout le peuple allemand ii ces négations du droit,
de la justice et de l'humanité, son acquiescement k la
thèse impérialisle de l'Allemagne n'attaquant, soi-
disant, que pour se défendre, — on se demande
quel espoir on peut conserver d'une révolte morale
d'un parti qui n'a trouvé contre de tels principes et
de tels actes que des protestations verbales de pur
style et, le plus souvent, une collaboration tacite. —
Cl, comme sur tant d'autres questions, il faut mar-
juer les points et attendre.
En Angleterre et en France, la politique inté-
rieure n'avait pas été marquée par moins d'agitation
|ue précédemment. Lloyd George avait été assez
vivement attaqué par Asquilb dune part et, d'autre
part, par les pacilisles à propos de la Conférence
interalliée de Versailles, tenue à la fin de janvier.
L'ordre du jour pacifiste n'avait obtenu qu'une
infime minorité, mais la bataille avait repris à pro-
pos de la démission de sir William Roberlson,
comme chef d'état-major général. Robertson avait
été remplacé par sir Henry W'ilson, qui, lui-même,
avait eu pour successeur au Conseil de guerre inter-
allié le général Rawlinson. Lloyd George était
sorti sans peine de ces attaques, qui prouvèrent que
la question du connnandement unique n'est pas
mûre en Angleterre. — En France, la popularité
de Clemenceau n'avait fait que grandir, sans que,
pour cela, l'hostilité que lui ont manifestée dès les
premiers jours les chefs et le parti socialistes eût
diminué dans le Parlement.
11 semble, décidément, que ce soit une faiblesse du
régime parlementaire d'avoir comme une vie propre,
qui ne correspond pas exactement avec la vie de la
nation. Ce désaccord a, d'ailleurs, très vraisembla-
blement sa cause dans l'insunisance de l'éducation
politique des peuples, principalement du peuple fran-
çais, el dans le caractère particulier, unique, hors
de tout rapport avec la vie normale, du temps pré-
sent. Même en Angleterre, où le régime parlemen-
taire a une antiquité et des mœurs que nous pou-
vons lui envier, les circonstances exceptionnelles
en faussent le jeu.
Il serait fort désirable que tout le monde, élec-
teurs et élus, comprît la nécessité de renoncer aux
antagonismes, aux ambitions, aux haines privées,
IKJur ne songer qu'au salut de l'humanité et au
salut de la France. Tout ce qui se passe autour de
nous en crée la nécessité de plus en plus impé-
rative. Chaque jour, en février, avait manifesté
plus fortement les agissements secrets de l'Alle-
magne, la trahison de trop de gens, la folie ou l'in-
firmité morale de trop d'autres encore. Nous avons
dit plus haut que les inquiétudes extérieures avaient
laissé l'opinion publique très ferme. Ce n'est pas
faute qu'on ait cherché à la troubler & l'inlérieur.
La condamnation à mort de Bolo, l'arrestation
du sénateur Humberl, la découverte de véritables
complots défaitistes à Saint-Etienne, étaient les ma-
nifestations isolées d'un danger général auiiuel nous
ex|)Osenl la hardiesse sans scrupules de l'Allemagne
et, il faut l'avouer, son exploitation implacable de
notre générosité, de notre na'iveté, de notre foi
dans l'humanité, de notre idéalisme impénitent.
Certes, ces vertus natives sont la force de l'esprit
français, et c'est à elles que nous devons d'avoir
résisté au matérialisme germanique. Mais sachons
voir que l'Allemagne a entrepris de s'en servir
contre nous, et n'oublions pas que le plus sérieux
LAROUSSE MENSUEL
danger qui nous menace à l'heure actuelle n'est pas
sur notre front armé, qui, lui, voit son devoir et le
fera, ni dans les succès de nos ennemis en Orient,
graves, nullement décisifs, pourlaut, mais dans le
travail qui se fait mystérieusement à l'arrière, sous
des formes multiples, sur le moral de la nation. Il
dépend de nous que ee travail avorte et se tourne
en résolution vigoureuse. Tout le monde y doit par-
ticiper, sans aucune (lislinclii)n d'opinion poiitique.
423
avec la puissante installation de son laboratoire
cryogène de Leyde. Ce physicien, signalé à l'admi-
ralion du monde entier par rallrihulion du prix
Nobel en 191.1, est parvenu à liquéfier Ihélium en
le comprimant à 100 atmosphères, it la température
de l'hydrogène liquide bouillant sous la pression
très réduite de 6 centimètres, représentant une teui-
péralure égale h — iâH". L'hélium forme un liquide
de densité 0,154 bouillant à 'i^ absolu, ou — iWl:
■ \ ■ [Vdiu oriental, avfc W uuiri'clii
■ m M.ickiMi^i'ii 4-
parce que je ne vois pas bien ce que seiait la vie
de l'humanité le jour où la voix de la France se
tairait. Ce n'est pas l'avis des Allemands. Raison
de plus pour que ce soit le nôtre. Chassons-les
d'abord, et, après justice faite, remettons-les à
leur place, sans plus. Nous nous disputerons après
entre nous, si le cœur nous en dit et si nous n'ai-
mons mieux travailler tous d'accord, en faisant
les sacrifices nécessaires et réciproques, à panser
nos plaies et à préparer l'avenir de notre démo-
cratie. — Julet* Gerbault.
* hélium n. m. — Encycl. Ghim. La préparation
de ce gaz absolument pur, sa recherche récente
dans la nature ont permis de compléter plusieurs
points de sou histoire.
Pour l'obtenir pur, on peut prendre suit les ré-
sidus non liquéfiables dans la préparation de l'air
liquide, soit les gaz dégagés, en chauffant vers 1000"
certains minéraux radio-actifs broyés (la thoriauile,
par exemple). Ces gaz sont successivement privés
d'oxygène par le calcium et d'azote par l'oxyde de
cuivre au rouge; après lavage à l'acide sulfurique,
on les purifie grossièrement par contact avec du
charbon refroidi, à la température de l'air liquide.
Les gaz restants traversent à nouveau une colonne
d'oxyde de cuivre incandescent et, finalement, après
avoir été soumis plusieurs fois à l'action du char-
bon refroidi, l'hélium seul reste pur.
Le charbon nécessaire à cette purification doit
être préparé récemment et bien dégazéifié par
chauffage à 400°; on emploie, de prélérence, le
charbon d'écorcc de noix de coco. Celte substance
dense est cependant très absorbante (1 gr. fixe
jusqu'à 3 à 400 cm' d'air); ce pouvoir absorbant est
encore augmenté par l'application à froid. C'est
ainsi qu'à 0° une partie de charbon relient 2 vo-
lumes d'hélium ou 4 volumes d'hydrogène pour en
retenir 15 et i:i5 à — 185° (air liquide). Ce procédé
d'absorption, imaginé par Dewar, permet une puri-
fication absolue du gaz hélium, celui-ci étant le
moins absorbahlc de tous les gaz connus qui l'ac-
compagnent.
Cet hélium pur est un gaz incolore, de densité
0,17856 (Heuse, 1913); en admettant le poids molé-
culaire de l'oxygène égal à 32, l'hélium mono-ato-
mique, d'après celle mesure expérimentale, aurait
un poids moléculaire de 4,002.
Dewar, en 1«99, après avoir réussi à .solidifier
l'hydrogène, tenta la liquéfaction de l'hélium ; les
résultats obtenus lui firent envisager la possibililé
d'obtenir l'hélium liquide vers — 269». Ce savant
constata que le gaz, reiroidi par l'hydrogène solide
et comprimé à huit atmosphères, cliaugeait d'état;
en réalité, la liquéfaction de quantités appréciables
n'a été réalisée qu'en 1908 par Ksmerlingh Onnes,
tous les ellurts pour arriver à la solidification sont
restés infructueux. Ce résultat est remarquable, non
seulement à cause des nombreuses difficultés vain-
cues, mais par le fait que la température atteinte
est la plus basse réalisée par l'homme jusqu'ici.
I.'bélium existe dans l'atmosphère; d après l'ingé-
nieur Claude, un million de litres d'air contient
5 litres d'hélium ; dans la nature, partout où se
trouvent des substances radioactives, on doit le
rencontrer, sa formation, en partant de la désagré-
gation des atomes de radium, depolonium.d'ionium,
d'uranium, etc., ayant été démontrée (Ramsay el
Soddy); d'après Dewar, un gramme de radium dé-
gage par jour, par suite de sa désintégration, O""', 43
d'hélium.
Dans de nombreuses roches, sa présence a été
fréquemment signalée; la comparaison de la teneur
trouvée à celle des matières radio-aclives coexis-
tantes a même permis aux géologues d'évaluer ap-
proximativement l'âge de certaines formations ter-
restres, âge lantaslique, atteignant souvent plusieurs
millions d'années :
Nodules pliosphatiques du Crag. ... 3:î5.000 ans
Nodules phosphatiques du sablo vert. 3.0S0-OOO —
Hèni.itito reeuuvrant le carbonifère. 141.0U0-00O —
Tlioriauite 2S0.u0O.0OO —
Hoches arcliconncs 700.000.000 —
Moureu, avec divers collaborateurs : Lepape, Bi-
quard, a recherché l'hélium dans les gaz émis du
sol, soit librement {grisou), soit par l'inlermédiaire
des sources {gaz des eauj:). Par une méthode spec-
Iropholoinétrique complétant un procédéd'exlractioB
et de purification dont la technique a été exposée
dans le Larousse Mensuel itl. (t. I", p. 150), d'inté-
ressants résultats ont établi que V/iélium se reji-
coiitre pnrloul, la netteté de son .spectre le caracté-
risant avec la précision de l/3tiO 000« de son volume.
Dans les mines de houille, l'émission journalière
peut atteindre 10 mètres cubes; à Mons, le grisou
en contient 0,3 p. 100, proportion énorme vis-à-vis
de la teneur atmosphérique. Dans les eaux, où
l'hélium est, commedans le grisou, accompagné des
autres gaz rares (néon, argon, krypton, xénon), le»
proportions varient avec les sources. C'est ainsi que,
sur 100 volumes de gaz dégagés, on trouve à Plom-
l>ières (source Vauquelin) 0 v. 206, à la source
Lymbe de Bourhon-Lancy, 1 v. 83, à La Maizières
((;6to-d'Or)5,77. La source la plus riche actuellement
connue est la source Lilhium.à Santenay ((V)te-d'Or),
où la quan'iilé d'hélium atteint 10. Iti. En considérant
le débit de ces fontaines, le dégagement annuel
d'hélium atteint Bm'.Si (source Lithium), 17"'',845
(source Caniot, Sanlenay) et 33"',990 à la source
César de Néris (Allier).
D'où vient ce gaz? Son origine étant nettement
établie comme le résultat de la désintégration des
424
malièies railio-actives, si l'on considf^re le poids
nécessaire pour produire les dégagements observés,
on arrive k des valeurs considérables : la produc-
lion de la source Carnot, de Sanlenay, exi-
gerait, par exemple, la désagrégation du ra-
dium contenu dans 500 millions de tonnes de
minerais d'urane; en outre, la radio-activité
d'iuie source et sa teneur en hélium n'ayant
aucun rapport, on doit déduiro de ces faits
que l'bélium ol)servé ou, au moins, la ma-
jeure partie n'est pas d'origiue récente; il
doit exister préformé au sein de la lene. Cet
hélium fossile proviendrait de désintégrations
antérieures, le gaz s'accumulant ainsi au sein
de la terre; dans celte hypothèse, les quan-
tités de matières ra'lio-aclives nécessaires par
an peuvent se réduire à 150 tonnes de mine-
rais uranilères, ce qui paraît beaucoup plus
vraisemblable.
Il faut remarquer que l'hélium, soit dans le
grisou, soit dans les gaz des eaux, est toujours
accompagné des autres éléments rares de sa
série. Ce fait peut se rapprocher des expé-
riences de Ramsay et de ses élèves, Gollie et
Palterson (1913).
Ces savants auraient, par de nouvelles
transmutations, tians orme l'hydrogène en
hélium; l'hydrogène est polyméïisé par pas-
sage de la décliarK;e électrique dans un
lulîe à vide chargé de traces de ce gaz. Une
légère modiflcaliim : addition d'oxygène don-
nant du néon, addition de soufre de l'argon,
addition de sélénium du liryplon, montre ainsi,
pour ces divers gaz, une commune origine :
Tableau des constantes des gaz rares.
LAROUSSE MENSUEL
intactes les déductions et atténuations de taxe
motivées par la situation de famille du contri-
buable. (Pour tous les détails, notamment dans
N' 134. Avril 1918.
OAZ DIVERS
poi us
inoléculaii-e
POINT
débiiUitioii
POINT
de fusion
Hélium
Néon
Ajgon
Krypton ...
Xénon
Niton
(émanation'.
4
20
39,9
82
128
220
— 26807
— 220U
— 1860
— 15107
— 1090
— 650
îionsolidiflé
— 2.Î0O
— 1880
— 1690
— 140"
— 71»
Les travaux de Moureu mottent en évi-
dence la constance des rapports des divers
gaz entre eux, quel que soit le point de capta-
lion; on peut admettre (77ieoi'je aslroijkysique
de Moureu et Lepape,p. 911) que ces gaz chi-
miquement inertes, ayant pu résister à des
écarts considérables de pression et de tempé-
rature, existaient, ou se sont formés, dans la i.^uitacia. de ruuum. {ScMma du d:si.oMr e,„p:..,i.) - i.'héi,„m
nébuleuse initiale. Là, Us se sont répartis uni- contenu dans le nScipient A e^l comprimiS par la pompe p. c|Ul le refoule
formémenl; mais, par suite de leur inertie, ils ''T*. '« d8f»jccateur ii (mbc refroidi par l'air liquid,), puis par les ser-
.««nf ..««lAc. 1»^ iA.v.«;«„ ;.. lîn-A ..,„»., i i penuns CC dans un épurateur D, contenant du cliarbon refroidi. Le gaz
sont restés les témoins indllrérentS des niul- Jénètre ensuite dans Ic tube 3. plongé dans liiir liquide*; de 3, il circule
tiples bouleversements du globe, conservant '^^^^ nn serpentin traversant le tuhe 2 rempli d'hydrogène liquide bouil-
tnuiours les mêmes rannnrll diri»; les nrnnnr '""'• '"'"'' pa''vni"' <lao» 'e tube central I, où il se détend a travers le
lOUJOUrs_ les mêmes rapports OdllS les propor- robinet T, manœuvre par la ce m. L hélium se llquéne, une partie se
lions qu Ils présentaient au début. vaporise .'t revient «ppclé, par la pompe P'. vers le récipient Z, après avoir
D'après les recherches des chimistes oui se ""■" ' ■'«f'"!""'' l'helium venant de a en passant autour du serpentin I'.
„««» »».... ..Ar. J« «..,!;.. „„(:. :iA ri .ii- Lhydrogène, vaporisé en 2, refroidit en s'échappaiit le serpentin C. Lr
SOnt occupés de radlO-actlVlté, 1 hélium appa- grandeur de. tûtes l a * est grandement exagérée vis à-vis des dimension
rail comme la forme la plus dégradée des
atomes. Ceux-ci, en se désagrégeant, donnent
naissance à des atomes moins lourds, moins com-
plexes avec dégagement d'hélium. — Marcel MouNiii.
Impôt général sur le revenu (Droit
fiscal). — Etat actuel de la LitGisi.ATioN. L'impôt
général sur le revenu, inslitué en Krance par la loi
de finance du 15 juillet 1914, eulré en vigueur le
1" janvier 1916, a été modifié dès sa première
année d'application. (V. le Larousse Mensuel ill.,
1. 111, p. 735, et t. IV, p. 100.)
Une fois de plus, la loi du 31 juillet 1917 (portant
établissement d'impôts cédulaires sur les revenus)
a, par ses articles 49 et 50, touché au mode de
fonctionnement de l'impôt général sur le revenu :
1° elle en a augmenté le taux; — 2» elle a facilité au
contribuable l'évaluation de certains de ses revenus.
Taux de l'impôt. — Le taux de l'impôt général
sur le revenu (qui a été de 2 p. 100 en 1916 et de
10 p. 100 en 1917) est, en verlu de la loi du 31 juil-
let 1917 (art. 49), passé, pour 1918, à 12 fr. 50 p. 100.
D'après ce taux de 12 fr. 50 p. 100, voici quelles
sont, — selon l'importance et les fractions succes-
sives des revenus, — les taxes applicables :
Entre
3.000 et
8.000 francs. .
1,25 p
8.000 et
12.000 francs. .
2,50
18.000 et
16-000 francs. ,
3,75
16.000 et
20.000 Irancs. .
5,00
20.000 et
40.000 francs..
6,25
40.000 ot
60.000 francs..
7,50
60.000 et
80.000 francs..
8,75
80.000 et
100.000 francs..
10,00
100.000 ot
150.000 francs..
11,25
.\a-dessus de 150.000 francs.
18,50
La somme uniformément affranchie de l'impôt
reste fixée & 3.000 francs; d'autre part, subsistent
des autres parties de rinstallatioii.
ces ordres d'idées, v. nos art. désignés plus haut.)
EXKMPLE. — Supposons un contribuable, marié ot ayant
un enfant à sa cliarge.- dont le revenu total est de
18.000 francs. Le montant de l'impôt se détermine de la
façon suivante.
Revenu total : 18.000 francs.
Déductions pour situation de famille. — Comme marié :
2.000 fr. : à cause de l'enfant: 1.000 fr. — Au total:
3.000 francs.
Reste à considérer, pour le calcul de l'impôt : 15.000 fr.
Fraction de i à 3.000 francs, exempte . Oo.OO
Fraction de 3.000 à 8.000 francs,
soit 5.000 francs à 1,25 p. 100 62.50
Fraction do 8.000 à 12.000 francs,
soit 4.000 francs à 2,50 p. 100 100.00
Fraction de 12.000 à 15.000 francs,
soit 3.000 francs à 3,75 p. 100 112.50
Total de l'impôt. . . . 275.00
A retrancher 5 p. 100 pour une personne à
charge, soit 13.75
Montant définitif de l'impôt 261.25
(V. d'ailleurs, — d'après le nouveau taux de
12.50 p. 100, — le tableau synoplique ci-après, por-
tant sur quelques chiiïres de revenus.)
Facilités données auconlrihuahle pourl'évaliia-
liini de certains revenus. — Happelons que, depuis
la loi du 30 décembre 1916, le contribuable est obli-
gatoirement tenu de souscrire, dans les trois pre-
miers mois de chaque année, une déclaration du
chllfre de son revenu total, avec l'indication, par
nature de revenus, des éléments qui le composent
(tels que, en dernier lieu, les a classés et précisés
un décret du 15 décembre 1917).
Montant de l'im
pot dû
CIIIP-I'RE
I.U
par le contribuable
CÊLIHATAIRI.-.
.M A R m
IIEVENU
IMPOSABLE
VEUFOUUIVOKCE
n'ayant
personne
h sa charge
MARIE
sans enfant
avec
trois enfants
à sa charge
rrià»c.
fr. C«nt.
Fr. c»,.t
Fr..,.»
4.000
18,50
» »
,
6.000
37,50
12,50
»
8000
62,50
37,50
»
10.000
112,50
62,50
20
12.000
162,50
112,50
40
15.000
275 »
200 »
90
20.000
512,50
412,50
220
25.000
825 »
700 »
410
30.000
1.137,50
1.102,50
660
50.000
2.512,50
2.362,50
1.710
100000
7.012,50
6.812,50
5.210
150.000
12.637,60
12.112,50
9.660
200.000
18.887,50
18.637,50
14.610
500.000
56.:i87.50
56.137,50
44.610
Or, l'article 50 de la loi du 31 juillet 1917 porte :
l'^n ce qui concerne les revenus soumis à un impôt
spi^cial étalili par voie de rôles, le contribuable a la fa-
culté de les évaluer d'après les règles liïées pour l'as-
siette de cet impôt spécial.
C'est ainsi que, dans la déclaration du chiffre de
son revenu total, le contribuable peut indiquer, au
lieu et place de son revenu réel : pour les propriétés
loncièies bâties et pour celles non bâties, le revenu
.servant de base à la contribution foncière, c'est-à-dire
le revenu net d'après lequel est calculé l'impôt fon-
cier et qui est indiqué sur la feuille d'avertissement
unniiellement délivrée; — pour les benélices indus-
triels et commerciaux, le bénéfice évalué d'après le
chiffre d'affaires, snivantle système prévu pour l'éta-
blissement de l'impôt sur les bénéfices industriels et
commerciaux; — pour les bénéfices de l'exploita-
tion agricole, le bénéfice forfaitaire calculé à raison
de la moitié de la valeur locative des terres exploi-
tées. — Louis André.
Jérusalem, ville de l'Empire ottoman, en
Turquie d'Asie, dans le vilayet ou ancien pacbalik
de Damas, sur le torrent du Cédron; 84,000 habi-
tants. Capitale de l'ancien moutésarriflik ou gouver-
nement de 1" classe et du sandjak de Jérusalem.
(V. le plan au Nouveau Larousse ill.)
C'est sur la plus occidentale des deux lignes de
montagnes parallèles entre lesquelles e.st enserré
l'étroit sillon du Ghor que se dresse Jérusalem. Elle
est assise au seuil du désert, dans l'est de ce plateau
de Juda dont les pentes, escarpées du côté de la
mer Morte, s'étalent et s'avancent au sud vers la
presqu'île du Sina'i. Les pentes de quelques-unes
(les collines nues et brûlées par le soleil dont est
parsemée la surface de ce plateau et les dépressions
qui les séparent les unes des autres, voilà, par une
altitude moyenne de 760 mètres, le site de Jérusa-
lem, qu'entourent et parfois même que dominent
d'autres collines également nues et brûlées par le
soleil (mont des Oliviers, 818 mètres).
Rien de séduisant, par conséquent, dans ce
paysage; mais, comme l'a dit le marquis de Vogué,
une « majesté sévère et pittoresque ». Rien de sé-
duisant non plus dans 1 aspect même de la ville,
<i héritage de la paix », du moins à l'heure présente.
Elle n'a pas seulement, dans l'ensemble, la teinte
grisâtre commune aux montagnes, aux vallées, à la
Judée tout entière; elle a rompu, depuis plus de
trente ans, sa rude ceinture de pierre du xvi« siècle
pour répandre loin vers le nord et vers le nord-
ouest ses faubourgs aux maisons incohérentes sous
leurs toits neufs et leurs tuiles rouges, et le pitto-
resque y a singulièrement perdu. Naguère, a écrit
le marquis de Vogiié, évoquant le souvenir de ses
anciennes visions de Jérusalem, « d'un seul regard
nous embrassions toute la ville, blottie dans l'étroite
enceinte de ses murailles sarrasines, séparée du
monde par l'étendue et le silence des solitudes dé-
sertiques, par l'âpretédes monlagnesenvironnantes,
isolée dans l'espace, comme elle est isolée dans
l'histoire par ses merveilleuses et exceptionnelles
destinées ». Aujourd'hui, c'est tout autre chose;
Jéru'^alem n'a plus guère cet air d'antique dignité,
ce caractère grave et religieux qui convenaient à la
ville sainte de toute la chrétienté.
C'est une ville de 70.000, 84.000 ou même
115,000 habitants suivant différents auteurs, une
ville cosmopolite s'il en fut, dont la population a^
beaucoup augmenté dans ces derniers temps. CVitall
Cuinet lui donnait seulement 51.000 habitants en
1896.) Avec les races variées, avec les croyances
diverses et les rites multiples des individus qui la
composent, cette population n'a rien d'homogène :
Juifs, Arabes, Syriens, Européens de toutes races
et de toutes religions se coudoient sans cesse dans
ce véritable musée des origines du christianisme,
particulièrement à l'époque de grande affluence,
V 734. Avril 1918
pendant les derniers jours du carême. Voilà ce que
monlrenl tous les recensements de la populalion de
Jérusalem. Cuinet, dans son ouvrage sur la Syrie,
la Palestine et la Judée, en cite un qui date de
treille ans et qui donne h la ville, en 18S7, sur nu
tolal de 39.16U indi-
vidus: 7. 960 musul-
. maus, 2.200 catholi-
ques (latins, grecs-
unis, arméniens),
1.400 chrétiens non
unis (grecs ortho-
doxes, arméniens
grégoriens, coptes,
éthiopiens, syriens,
protestants) et 28.000
juifs; en 1905, on y
comptait, parmi les
ieii/ssujetsctlnmans:
8.000 musulmans,
3.000 catholiques,
7.200 chrétiens non
unis et 45.000 juifs,
pour une population
totale d'environ
66.000 âmes; ou lui
donne actuellement
10.000 musulmans,
plus de 4.000 catho-
liques, près de 11.000
chrétiens non unis et
45.000 juifs, en adop-
tant le total leplushas.
Une partie des
étrangers qui vivent
à Jérusalem, comme
aussi ceux qui, de tous
les points de la chré-
tienté, serendentdans
cette ville, y sontsur-
tout attirés ou retenus
par un nioiif pieux :
pour visiter le monde
d'églises, de chapelles et de cryptes dont l'ensemble
conslitue ce que l'on appelle les « Lieux saints ».
Relativement rares sont ceux qui, à côté de
préoccupations religieuses, apportent à Jérusalem
des préoccupations archéologiques et historiques
et qui s'ell'orcent d'y évoquer de manière
très précise les souvenirs d'autrefois.
Ils ont, d'ailleurs, quelque peine à le
faire, car, depuis David jusqu'au début
du XX' siècle, Jérusalem a subi des
déplacements considérables. La ville a,
en elfet, commencé toute petite, peut-
être sous le nom A'Vru-Salim ou Ville
Salem, comme tributaire des pharaons
d'Egypte, sur la colline de l'Ophel, ce
monticule escarpé que la gorge étroite
et profonde du Cédron limite à l'est,
tandis qu'au sud et & l'ouest, il est
borné par le ravin de la Géhenne.
Au nord, une citadelle érigée sur un
rocher assezélroitilominait, avant même
l'époque de David, la ville des Jébu-
séens et la protégeait contre toute atta-
que. De ce berceau piiinitif, noyau de
la ville de David et des rois de Juda,
Jérusalem est peu à peu sortie, d'abord
au temps de Sauimon, puis à celui d'Ezé-
chias et de .Manassé, puis sous les Mac-
chabées, enfin sous Hérode le Grand et
sou: Hérode Agrippa. Prise et saccagée
par Titus en l'an 70 de notre ère, dé-
liTiile plus complètement encore par
Hadiien, qui en aplanit le sol et y
construisit à neuf une ville pa'i'enne,
JEli& Capitolina, Jérusalem connut en-
core des jouis 1res prospères sous les
empereurs cluétiens de Constantinople,
en particulier sons Constantin, Ëudo.xie
et Ju^tinien. Mais, avec le vu» siècle
de l'ère clirétieiiiie, recommencent ses
malheurs; eu moins d un quart de siècle,
elle tombe au pouvoir de trois maîtres
dilférents, à la suite de rudes combats
dontcbacun lui porte un nouveau coup:
le Perse Ghosroés en 61 i, l'empereur
byzantin Héracliiis, vainqueur de Chos-
roès (627), puis, tôt aprés.le calife Omar
(636). Dès lors, les sanglantes querelles
des dynasties musulmanes (Oiiieyades,
Abbas~ides) multiplient les ruines à
Jérusalem, qui est à peu près en sa place
actuelle au temps des croisades, mais
qui, néanmoins, s'étend encore un peu,
d'abord sous ses rois latins (1099-1187),
puis sous baladin. Démantelée enl2l9, la ville ne fut
protégée parde non veaux remparts qu'en l'année 1534,
date où Soliman le Magnifique la dota de l'enceinte
qui subsiste encore aujourd liui. Dès lors et jusqu'à
une époque toute contemporaine, Jérusalem n'a
débordé nulle part celte enceinte; elle ne l'a fait
que très récemment, pour se développer de plus en
LAROUSSE MENSUEL
plus vers le nord-ouest, loin de son berceau jébu-
séen et loin de remplacement qu'elle occupait au dé-
but de l'ère chrétienne. Peut-on s'étonner qu'après
tant de vicissitudes de toutes sortes, de destructions
et lie ipconslniclions successives, de déplacements
Vue (générale de Jénisalem, Cfiupoïe du Saint-Sépulcre (-f-) et les terrasses des couvents.
plusieurs fois renouvelés, la Jérusalem primitive
ait totalement disparu? Des conslructions salomo-
nieniies il ne subsiste plus rien; de l'époque même
du Christ, à peine quelques vestiges; presque tout
date (les époques postérieures et d'un passé que
l*orte de JaA, h Jr .
semble avoir clos, hier seulement, la prise de Jéru-
salem par la colonne anglaise du général Allenby.
Ce passé tout récent, c'est le temps où Jérusalem
était la capitale du moutésarrillik de Qouds-i-Cherif,
détaché depuis 1873 de la juridiction du vilayet de
Syrie. Ce gouvernement de première classe était
divisé en quatre circonscriptions administratives :
425
Jérusalem, JafTa, Gaza et Hébron, ets'étendaitsur une
superficie d'environ 220.000 kilomètres carrés; alors,
le merkezliva de Jérusalem couvrailseulement, quant
à lui, 2.200 kilomètres carrés, peuplés de 127 000 ha-
bitants. Si, depuis quelques années, Jérusalem n'est
plus le clief-lieu d'une
circonscription aussi
considérable, elleétait
du moins, en 1914^ la
capitale d'un sandjak
granddelO.SOOkilom.
carrés, qui comptait
une population de
382.000 babitaiits(soit
une moyenne de 36 au
kilom . carré), mais
elle n'avait rien perdu
de son importance
religieuse, ni même
politique. C'était tou-
jours la capitale de la
Judée, la ville des
« Lieux saints » et, de
ce chef, le théâtre
d'une lutle ardente
entre les nations qui
veulent se servir du
protectorat religieux
comme d'une aime
politique et d'un ins-
trument leur permet-
tant de manifester
leur puissance et^ é-
tendre leur inOuence
dans le Levant.
Naguère , il n'eu
était pas ainsi : sans
conteste, la France
exerçait un véritable
firotectorat sur tous
es catholiques de la
Terre sainte, à
quelque nation qu'ils
appartinssent. Ce protectorat reposait sur deux élé-
ments : l'un historique et l'autre juridique. D'une
part, une tradition constante (la France n'a jamais
cessé de la maintenir, même au temps de la Con-
vention) et des faits dont le plus ancien est l'en-
voi des clefs du Saint-Sépulcre à Char-
lemagne par Haroun-al-Hascbid ; d'autre
part, une série d'actes juridiques plus
ou moins explicites, de traités interna-
tionaux plus ou moins formels, mais
d'une continuité remarquable. Les con-
ventions signées depuis 1535 avec les
sultans de Constantinople — les Capi-
lulalions — sont les premiers de ces
actes internationaux; elles garantissent
la sécurité aux chrétiens qui voyagent
dans l'empire ottoman et particulière-
ment aux pèlerins qui se rendent en Pa-
lestine; aux termes de l'acte de 1604,
elles permettent la visite des Lieux
saints « aux sujets de l'empereur de
France et à ceux des princes ses amis,
alliés et confédérés, sous l'aveu et pro-
tection dudit empereur », et elles pro-
mettent pleine sécurité aux religieux
latins de Jérusalem « pour l'honneur et
amitié d'icelui empereur ». Les Capitu-
lations constituent donc une base dont
on ne saurait nier la valeur; elles assi-
gnent à la France, dans le Levant, une
situation privilégiée qu'ont reconnue et
conlirmée dilférents traités internatio-
naux (Paris, 1856, Berlin, 1878) et que
ces traités ont placée sous la garantie
du droit public européen. Voici ce que
dit expressément un paragraphe de l'ar-
ticle 62 du traité de Berlin, unanime-
ment adopté par les puissances :
Les droits acquis à la France (dans les
Lieu.\ saints et ailleurs) sont expressément
réservés, et il est bien entendu qu'aucune
atteinte ne saurait 6tre portée au itatu guo
dans les Lieux saints.
(Quelque précis que fût ce texte, l'Al-
lemagne ne se tint pas pendant long-
temps pour obligée par lui; à peine un
< nouveau cours » avait-il commencé
ilans l'empire que Guillaume II, débar-
rassé de Bismarck, entreprit de faire
-i-rvir le prolectorat religieux à l'accom-
plissement de ses ambitieux desseins et
de « fonder l'hégémonie allemande sur
le protectorat catholique, de faire de la
clientèle religieuse de l'Eglise romaine
la clientèle commerciale de l'empire germanique ».
(René Pinon.)
En agissant ainsi, Guillaume II se montrait,
comme toujours, imbu de Uealpolitik. Il était loin,
le temps où la France était la plus puissante des
nations catholiques, la seule à montrer son pavillon
dans les mers orientales et à y faire la police! A la
426
fin du xix« sif'cle, alors que chacune des grandes
puissances entretenait en permanence des vaisseaux
dans les eaux du Levant, n'élait-il pas naturel qu'à
une situation nouvelle correspondît un statut nou-
veau? Qu'au protectorat désuet de la France sur
toutes les missions catlioliques de l'Orient se sub-
stituât la nationalisation de ces mêmes missions? A
se refuser, là comme ailleurs, à tenir compte des
I droits historiques que le nouvel empire d'Allemagne
LAUOUSSK MENSUKL
Ainsi échouèrent les efforts du kaiser, comme
aussi ceux des ministres italiens qui, à maintes
reprises, avaient revendiqué sans succès la tutelle
de leurs compatriotes missionnaires. Mais à qui ce
double échec a-lil été dû? Incontestablement au
saint-siège, de qui l.i l'^rance « avait reçu les sujets
à protéger ». El à quelle condition le protectorat
français pouvait-il se mainlenir? A la condition de
remplir les vues énoncées p:ir I.éon XIII dans sa
ne pouvait pas avoir, par suite de sa jeunesse et de
son protestantisme, le kaiser comptait bien (|ue .son
pays trouverait de très grands avantages.
Ce n'est pas ici le lieu de retracer dans sou en-
semble, même à grands traits, la politique orientale
de Guillaume II; il suflira de dire que l'entente cor-
diale nouée entre l'enipereur allemand et le sultan
Abd-ul-Hauiid II, dès le premier voyage du kaiser
à Gonstantinople (novembre 1889), lï'eut pas pour
seul résultat de faire passer aux mains des sujets de
celui-ci la force économique de l'empire ottoman;
cette entente devint très vite un danger pour le pro-
tectorat catholique de la France et pour l'avenir de
notre influence en Orient. Gêné par les clauses de
ce protectorat, Abd-ul-Hamid en avait toujours sou-
hailé la disparition; il aida donc Guillaume H à
ruiner le prestige et les droits de la France. Avec
l'appui des nouveaux Hospitaliers de Saint-Jean-de-
.lérusalem, ressuscites en 1809 par le prince royal
Frédéric de Prusse (le futur empereur Frédéric 111),
lors de son voyage dans la ville sainte; avec le
concours des Templiers allemands, qui ont fondé en
Syrie et en Palestine plusieurs colonies agricoles
très florissantes; avec le concours encore du Pa-
lûstinaverein, Guillaume II s'efforça, même avant
son voyage de 1898 à Jérusalem, de dépouiller la
France de son privilège plusieurs fois séculaire;
mais ses démarches et celles de tous ceux qui agis-
saient d'accord avec lui, à débuter par le sultan,
n'aboutirent à rien. L'empereur ne put pas procla-
mer à Jérusalem son protectorat sur tous les catho-
liques de l'Orient, ni même sur les seuls catholi-
ques allemands.
Le saint-siège s'était, en effet, opposé à ce qu'il
en fût ainsi. Pendant longtemps, il n'avait pas eu au-
tre chose à faire qu'à reconnaître le protectorat fran-
çais sur les callioliques de l'empire ottoman. Il en
avait apprécié les très sérieux avantages pour la
chrétienté comme pour lui-même, et il savait gré à la
France de la constante vigilance avec laquelle ce pays
avait rempli son rôle tutélaire auprès des grands or-
dres internationaux, des clergés et des fidèles indi-
gènes. Aussi, le jour où le protectorat français fui
attaqué, le saint-siège refusa-t-il de faire le jeu de
ses adversaires. 11 le refusa en 1888, au moment où
les journaux ilaliens, inspirés par Crispi, discu-
taient l'interprétation à donner au texte du traité de
Berlin et réclamaient pour la monarchie de Savoie
le droit de protéger les évéques et les missionnai-
res ses sujets; le pape Léon Xlll proclama alors
que « la protection de cette nation (la France), par-
tout où elle est en vigueur, doit èlre religieusement
maintenue ». Dix ans plus lard, à la veille du
voyage du kaiser à Jérusalem, nouvelle déclaration
pontificale, rendant hommage aux « généreuses et
chevaleresques traditions de la France». Léon Xlll
reconnaissait que celle-ci » a en Orient une mission
à part, que la Providence lui a confiée, noble mis-
sion, qui a. été consacrée, non seulement par une
pratique séculaire, mais par des traités internatio-
naux... Le saint-siège (ajoutait le pape) ne veut
'len toucher au glorieux patrimoine que la France
a reçu de ses ancêtres et qu'elle entend sans nul
doute mériter de conserver en se montrant toujours
à la hauteur de sa tâche ».
lettre au cardinal LanKénieux, archevêque de Reims,
dont on vient de lire les passages essentiels. 11
semblait donc que la France dût s'attachera remplir
les vues du saint-siège, car c'était là son intérêt
bien entendu. On sait qu'il n'eu a pas été ainsi. Le
gouvernement fiançais, loin de pratiquer cette po-
litique, s'est attaché de toutes les manières à la
politique contraire. Ilavait naguère penlu, par suite
des transformations politiques de l'E'iiope, la pro-
tection de tous les Latins voyageant dans les pays
du LevanI, celle des commerçants comme celle des
«• 13t. Avril 1918.
à Bethléem — le vieux protectorat, si étendu, de la
France en Orient.
Ce protectorat, c'est un consul général de France
qui l'exerçait à Jérusalem, au début de la Grande
Guerre encore et jusqu'au jour où la Turquie s'est
rangée aux cotés ile l'Allemagire. Il en remplissait
les charges et en conservait les prérogatives avec
un soin jaloux; il trouvait dans le développement
des œuvres françaises et catholiques une compen-
sation aux difficultés et aux soucis que, par ailleurs,
sa charge lui valait souvent de la part de rivaux
désireux de battre en brèche et de réduire, sous le
moindre prétexte religieux ou autre, la situation
éminente du représentant de la France. Alors, en
elTet, que le pavillon du protectorat français ne
llotlail, au début de la seconde moilié du xix" siècle,
que sur deux établissements : les Franciscains de
Terre sainle et le Patriarcat latin de Jérusalem,
de créalion toute récente, dans les premières
années du xx« siècle, toutes les grandes congréga-
tions françaises avaient fondé dans la Ville sainte
des établissements importants, qui faisaient con-
naître et aimer la France, propageaient sa langue,
étendaient son influence morale et préparaient de
leur mieux la résurrection du protectorat tradi-
lionnel sous une forme nouvelle : celle du patronat
des populations catholiques indigènes. Au^si un des
premiers soins des autorités turques, au lendemain
de la déclaration de guerre dn 2 novembre 1914,
a-t-il élé de l'aire partir de Jérusalem, comme de
tous les autres points de l'Empire ottoman où ils
avaient des établissements, tous les prêtres et reli-
gieux français — hommes et femmes — qui s'y
étaient fixés. Dès lors, la Ville sainte fut exclusi-
vement abandonnée aux Turcs et à leurs alliés et
conseillers — pour ne pas dire « maîtres » — les
.MIemaiids; quant aux neutres, leur rôle était abso-
lument elTacé,ou même nul. D'ailleurs, leur nombre
n'a jamais cessé de décroître, par suite de l'entrée
de nouvelles nations dans la Grande Guerre; et
qu'eiisent-ils pu faire, privés de toute sccurilé
comme de toute protection par la suppression des
Capitulations? Dès le 9 septembre 1914, en effet, le
gouvernementiurc avait solennellement annoncé pour
le 1" octobre l'abolition de ce protectorat, dontcer-
tains Allemands désiraientdepuis longtempsla dispa-
rition; tel ce consul général d'.\llem:igne en Egypte,
qui, le ;> mai 1875, faisait la déclaration suivante r
Lo goiivcrnonient allemand, ne reconnaissant à aucnno
puissaiieo un proiectorat exclusif sur les étaljlisseinenis-
l'Ililise lie l:i Dormitiuii de la Vierge, ;i .T.Tusnlem.
religieux et des pèlerins, et avait du se contenter
de la protection des établissements catholiques et,
surtout, de la protection et de la police des Lieux
saints; lui-mêmeya ensuite bénévolementrenoncé,
tout an moins en partie, à la suite des ruptures
diplomalîc|ues avec le saint-siège. A la lin de
l'année 1905, un accord conclu entre la Consulta et
le quai d'Orsay a décidé que désormais « les éta-
blissements religieux qui en feraient spontanément
la demande » pourraient passer sous le protectorat
italien, après examen et entente entre les deux gou-
vernements. Ainsi a été, en fait, réduit à la pro-
tection et à la police des Lieux saiuts — c'est-à-
dire, slrictement parlant, de l'église du Saint-
Sépulcre à Jérusalem et de ré»''ise de la Nativité
calliolif|Ues en Orient, se résurvo tous ses droits sur les
.sujets uu administrés allemands appartenant à uu do ces
établissements.
L'acte du l" octobre 1914 a été la revanche du
traité de Berlin du 13 juillet 1878.
Vaine revanche, et bien éphémère, puisque ni le
Sultan ni les Allemands ne dominent plus aujour-
d'hui à Jérusalem et dans les Lieux saints 1 Us en
ont été chassés à la suite d'une campagne dont
l'entrée du général Allenby dans la capitale de la
Judée marque le glorieux couronnement et dont
il nous reste, maintenant, à raconter brièvement
l'histoire.
Les bords du canal de Suez, qu'il avait d'abord
fallu défendre contre les attaques des Germano-
«• 13*. Avril 1918.
Ottomans (en 1915) marquent le point de départ de
celte campagne, que les Anglais prépari-rent avec
le soin le plus minutieux.
Après avoir construit, dans le désert, un certain
nombre de lignes à voie étroite, destinées à des-
servir des positions établies en avant du canal pour
en proléger les rives contre de nouvelles attaques
ennemies, après avoir construit ici des roules et là
(au long de la côte méditerranéenne) un chemin de
fer à voie normale. les Anglais se trouvèrent en me-
sure d'inditter à l'ennemi de sérieux échecs à Uo-
niani, près de la mer, le 4 août 1915, à El-Arich
(prise le 21 décembre), à Magdeba (23 décembre
1916), à Rafa (9 janvier 1917). L'enlèvement, par
surprise, de celte position soigneusement fortifiée à
la frontière politique de l'Egypte et de la Palestine
permit à nos allié.-* d'entrer dans un pays où, seuls,
jusqu'alors, leurs hydroplanes avaient pénétré pour
en hnriib.irdpr les slalion^ mililairps il Ii'S voies
LAROUSSK MKNSUEL
tandis que, plus au nord, d'autres forces britanni-
ques s'avançaient vers la route de .N'aplouse et reje-
taient au septentrion les troupes de l'Allemand Kress
von Kressenstein, au sud. l'aile gauche du général
Allenby, demeurée devant Hébron, reprenait sa
marclie vers Jérusalem, et la .seconde mâchoire de
la tenaille travaillait à rejoindre la première. Le
5 décembre, c'était chose faite : de tous les côtés,
les quatre grandes routes conduisant à la 'Ville sainte
étaient coupées ; au nord, la route de Naplou^e
(Sicbem), à l'ouest celle de Jaffa, au sud celle d'IIé-
bion, au nord-est celle de Jéricho. Aussi Jérusa-
lem, complètement isolée, capilulait-elle sans avoir
eu à subir le moindre bombardement (9 décembre).
Après que le général Allenby y eut fait, deux jours
plus tard, son entrée oflicielle h pied, enlre les
commandants des deux détachements français et
italien, entouré de petites délégations de toutes les
Iroiipes (jiii avaieni parlicipè k la (Miiu>aL'iie, un
Ix mur de la Lameiiinlion i>ii dc< Pleurs, a J. ru»»li-m. est la partie occidenlair de l'enceinte de l'esplanaile du Temiil.-.
qui pensent y retrnuver les restes mêmes du sancliraire. y viennent, groupés par seetes, pleurer cl |:,-jnir, surtout ;
des sabbats et des télés.
Les .luil's,
iii veille
ferrées jusqu'à lloms. Après avoir nelloyé la pénin-
sule sina'ilique des forces ennemies qui l'oci-u-
paient, sir Arcbibald Miiriay, le général comman-
dant les opérations, seloiirna contre l'armée turque
du sud de la Palestine et la contraignit d'aliandon-
ner sans combat une forte position à ini-route entre
Hafa et la base de Bir-es-Seba, l'antique Bersabée
(6 mars); puis il lui indigea une vraie déroute sur
l'ouadi Ghazzé (26-27 mars) et s'empara, les 17 et
18 avril, des positions avancées de l'ennemi devant
Ghazzé ou Gaza. Mais la méthode de ce général
était liop lente. Ce n'est pas uniquement une guerre
de matériel et de chemins de fer qu'il laut faire en
Orient; on doit également y agir avec vigueur et
rapidité à l'occasion et savoir proiiter de toutes les
conjonctures favorables, tl'est pour ne l'avoir point
fait que sir Arcbiliald Murray fut remplacé par le
général Edmond Allenby.
Celui-ci, après avoir utilisé l'été de 1917 pour
avancer ses voies ferrées et préparer une sérieuse
ollensive, atlaqua l'ennemi, le 31 octobre, entreGaza
et Bir-es-Seba, soit sur un front d'environ 45 kilo-
mètres; il enleva le système de fortes tranchées qui
défendaient le plus oriental de ces deux points.
Faisant ensuite liler son aile droite le long du che-
min de fer stratégique construit par les Turcs entre
Bir-es-Seba et Jérusalem, le général anglais s'avança
dans la direction d'Hébron; maiji il arrêta ses sol-
dats avant d'entrer dans cette ville. Cependant, il
mettait en mouvement son aile gauche, qui s'empa-
rait, le 7 novembre, de l'antique et célèbre cité des
Philistins, avec la cotipéralion de petits contingents
français et italiens et de l'escadre britannique,
ainsi que de navires de guerre français. Traver-
sant alors le désert des Philistins, l'aile mar-
chante de sir Edmond Allenby poursuivit son
mouvement vers le nord ; elle occupa la voie
ferrée de JalTa à .lérusalein entre Ramleh et Jaiïa,
puis ce port lui-même (lti-17 novembre), et elle
s'avança jusque sur les bords du Nahr el-.\ondjeli,
plus septentrional. Alors, se tournant vers l'est, elle
marcha vers Jérusalem, décrivant ainsi autour de
la ville sainte un immense demi-cercle. Bientôt, le»
Anglais parvenaient au pied du plateau de Juda
(18 novembre); ils en gravissaient très vite les
fientes, et ils arrivaient, le 21 novembre, sur des col-
ines leur donnan^.des vues sur Jérusalem, Alors,
statut provisoire a été donné à Jérusalem. Si le
gouverneur mililaiie de la ville est un Anglais, Ro-
nald Storrs, le commissaire français de l'armée de
Palestine, François-George Picot, a repris inimé-
ilialement, dans les cérémonies des Lieux saints, la
place traditionnelle du repré.sentant de la France;
il a même reçu le général Allenby, lorsque celui-ci a
visité les sancluaires de Bethléem. Ainsi se trouve
rétablie et maintenue la situation spéciale de la
France dans les Lieux saints, et cela dans un
esprit d'entente qu'a proclamé Balfour, à la Chambre
des communes, le 13 décembre 1917, quand il a
déclaré que les Alliés << travaillaient dans le plus
complet accord ». — Henri p'roidevaui.
XQ'ationalités (Phincipe des; [Suite.] —
L'Instinct national, ses différents indices : race,
langue, religion, sol. — Crtlir/ues et objections.
(Dr. intern.). On sait quels ont été, dans l'histoire,
tes principes qui ont présidé aux relations iiiterna-
lionales et à la formation des nations. Les préoccu-
pations des grandes puissances européennes étaient
de maintenir l'équilibre en comprimant au besoin
les aspirations de chaque peuple, alin d'empêcher
la suprématie d'un seul.
On peut observer à ce sujet deux tacli(|ues diffé-
rentes visant au même but, soit : de favoriser les
petits Etats, qui servent de barrières contre les
grands, poli tique qui a eu son apogée sous Louis XIV,
soit, au contraire, de donner les Etals faibles en
pâture aux Etats puissants, pour satisfaire leurs
appétits, mais de telle laçon <jne chacun d'eux en
ait sa pari, alin d'empêcher l'agrandissement excessif
d'un seul, « polilic|ue ijui déliuta sous Louis XV.
qui se traduisit par le parlagi' de la Pologne et ne
se préoccupait, en matière d'annexion, ni de l'afli-
nilé des populations, qui élait le critérium de
Henri IV, ni du loiiseiilement des peuples, que
Bossuet déclarait indispensable pour fonder une
possession légitime et durable, ni même des précé-
dents historiques, qui peuvent encore servir de
base k une apparence de justice ». (J. Reinach,
" Revue britannique », 1897. Grandeur et Déca-
dence du système de l'équilibre.)
l.rs {traits des peuples. — Pondes jadis, on
bien aliénés, par la conquête, l'annexion, l'usur-
pation, le partage entre les membres d'une famille
427
régnante ou même entre plusieurs Etats, donnés en
dot aux épouses des rois et en apanage aux princes
du sang, englobés par héritage iians les biens d'une
couronne, constitués enfin — ou rattachés à des Etats
voisins — pour des raisons d'équilibre, quoi d'éton-
nant, s'il arrive qu'au bout d'un certain espace de
temps ces Etats voient surgir de leur sein des ten-
dances séparatistes, des querelles de race, de pro-
fondes divisions politiques? Ce sont les nationa-
lités, accouplées pour des raisons étrangères à celles
tirées uniquement de leurs afiinilés et de leurs in-
térêts, qui se réveillent, éprouvent le besoin de
s'émanciper d'un joug étranger devenu insuppor-
table et alfirment leur existence et leur %'olonté de
ne plus être le jouet des combinaisons diplomatiques.
Celle prétention — légitime — des nalionalilés à
disposer d'elles-mêmes ne s'est peut-être jamais
manifestée dans l'histoire avec autant de force
qu'au cours de la guerre actuelle, où nous voyons
le principe des nationalités se poser catégorique-
ment en face des ambitions des Empires centraax
et des rêves d'hégémonie du pangermanisme.
C'est ainsi qu'à propos du traité de la (juadruplice
avec l'Ukraine, traite qui enlevait à la Pologne le
gouvernement de Cholm, celle-ci a fait entendre des
protestations si vives et si menaçantes que la Qua-
druplire a dû chercher une transaction en obtenant
lie la République ukranienne le remaniement des
clauses territoriales du traité, de façon k tenir
compte, pour la fixation de la frontière, des condi-
tions ethnographiques et des vœux de la populalioD.
Quels sont donc, d'après ce principe des nationa-
lités, qui s'oppose à toute constitution arbitraire
des Etats, les règles immuables, les lois nalurelles,
les seuls signes d'après lesquels une nation peut se
reconnaître et qui doivent servir à sa formation et
à son organisation ?
La race. — Or, le principe des nationalités
trouve dans une communauté de race et de laa-
gage. de religion et d'intérêts économiques, ta base
des Etats nioilernes.
A vrai dire, cette définition, que donne Roquette-
Buisson, correspond mieux à l'idée qu'on se fait de
la nation qu'à celle de l'Etat; car, s'il est vrai que
l'Etat idéal est celui dont tous les membres possé-
deraient la même race, la même langue, la mène
religion et les mêmes intérêts, encore l'ant-il : l» qne
tous ces membres forment une association assec
nombreuse pour être capable de vivre avec ses pro-
pres ressources; 2' que cette association possède m
territoire défini, suffisant pour assurer l'indépen-
dance de la société organisée.
D'autre part, s'il est vrai que l'identité de race est
un des éléments grâce auxquels une patrie peut
reconnaître ses véritables enfants, doit-on prendre
ce terme : race, dans un sens purement subjectif
et, dans ce cas, éliminer de l'Etat tous ceux de se»
membres qui n'ont pas une origine nationale? S'il
en élait ainsi, la théorie des nationalités soulèverait
des problèmes insolubles ; car il n'existe pas en Eu-
rope de race assez pure pour qu'il soit possible de
réunir sur celle base une masse d'hommes sur on
territoire déterminé. Celte théorie conduirait, au sur-
plus, à supposer qu'elle soit applicable, àl'extinclion
des nations; elle s'opposerait, en efi'el, au principe de
la naturalisation inscrit dans tous les codes, etunena-
lion comme la France, dont la population est en dé-
croissance, ne larderait pas à disparaître, surtout si
elle avait à subir de temps en temps des guerres aussi
effroyalilement meurtrières que celle-ci. L'Europe
est composée etbnographiquement d'un mélange de
Gaulois, de Germains, de Latins, de Bretons, de Da-
nois, de Normands, de Slaves, éléments loudiis en-
semble au cours des siècles et qui se sont éparpillés.
La Grande-Bretagne, pays des Galls, a été en-
vahie par les Saxons et les Angles, fractions de la
race germanique, aux v* et vi* siècles. — La
France est également le fruit de l'invasion, de la
conquête, de la lutte prolongée des nations et des
races. Pays des Celtes, des Gaulois, des Kymris,
des Lygures, tour k tour les Romains, les Visi-
golhs, les Burgondes, puis les Franks la conquirent,
sans compter les Normands, venus du Danemark et
de la Scandinavie, qui s'y installèrent aux ix* et
.\" siècles. — L'Espagne est un mélange d'Ibères,
de Celles, de Pélasges, de Visigotlis, de Vandales,
de Maures. — On compte plus de cent peuples en
Russie, se référant aux races slaves, lettones, fin-
noises, germaniques, turtjues, caucasiennes, juives,
mongoles. — La Germanie, qui est devenue l'Alle-
magne, est le fruit d'un mélange de Cimbres, Teu-
tons, Saxons, Alemans, Goths, Vandales, Burgon-
des, etc., — et l'Italie puise ses origines parmi tous
les peuples que les Romains ont conquis, ou qui les
ont envahis : Hernies, Ostrogoths, Lombards. Latins,
Gaulois, etc. Il en est ainsi île toutes les nations.
L'identilé de racé, réclamée par le principe des
nalionalilés comme hase essentielle de l'associalion,
doit donc s'enlendre d'une communauté relatioe
d'origine, d'une fusion d'existences amenée par le
laps des siècles et il'une afUnilë de caractère for-
mant une parenté mentale.
Il faut reconnaître, an surplus, que l'instinct de la
race, lorsqu'il se manifeste, est te facteur le pins
428
puissant de la nationalité. Mais il est intransigeant
et cuiiiliiit à la guerre de races, la plus irréductible
et la plus haineuse.
La langue. — Que faut-il penser de la commu-
nauté de langue? 11 n'est pas douteux que ce soit
un lien très tort entre les hommes et un élément
fécond de rapprochement des membres dune uiême
contrée. La communauté de langage sera souvent
l'indice le plus certain de la communauté d'origine,
et l'unité nationale ne peut eue ol>tenue qu'autant
que tous les habitants du pays parleront la même
langue. Gela est si vrai que, de tout temps, les Etats
ont lutté, au besoin même en posant le principe
d'obligation,pourobtenirque la langue nationale soit
adoptée dans toutes les provinces qui composent le
territoire (ex. : le gouvernement de la République
contre les Bretons, qui parlent la langue armoricaine ;
l'Empire allemand contre les Alsaciens-Lorrains
restés (idèles à la langue française ; l'Angleterre
contre les Irlandais, peuple de langue gaélique).
La dilTérence de langage est k l'origine de tous
les mouvements séparatistes. N'est-ce pas, du reste,
le fonds de la doctrine irrédentiste, au nom de la-
quelle les Italiens encouragent les mouvements de
ce genre et réclament l'annexion de tous les pays
de langue italienne et, notamment, Trieste et le
Trentin'? Et si l'Allemagne, qui occupe presque en
totalité la Belgique, met tout en œuvre, à l'heure
actuelle, pour réaliser la séparation administrative
entre la Belgique wallonne et la Belgique flamande,
c'est parce qu'elle sait que la Flandre est fidèle à sa
langue maternelle.
Mais, si les nations devaient être refondues et
regroupées d'après les affinités de langage, c'est
toute la carte de l'Europe qu'il faudrait refaire, et
la Suisse, par exemple, où l'on parle l'allemand, le
français, l'italien et le rojnan devrait être partagée
entre l'Allemagne, la France et l'Italie; de même,
la Belgique, où l'on parle le français, le flamand,
le wallon, devrait disparaître et faire place à deux
petits Etals distincts : la Flandre et le pays wallon.
C'est bien là ce que souhaite l'Allemagne. Mais les
protestations unanimes du peuple belge, les mani-
festations qui viennent d'avoir lieu à Bruxelles,
Anvers, Gand, etc., contre les « activistes flamin-
gants II, la résistance de la magistrature, de l'édi-
lité, du Parlement devant les intrigues allemandes
prouvent que l'idée de patrie n'est pas indissoluble-
ment liée à la communauté de langage.
Au surplus, d'après le principe des nationalités,
le langage est surtout un réactif qui permet à la
race de se distinguer à première vue.
Encore cela n'a-t-il rien d'absolu; le langage, à la
suited'événements historiques, deconquêtes,depéné-
trationsdiverses, pouvantse répandre comme le fran-
çais, l'anglais, l'allemand, en même temps que la
civilisation, bien au delà des frontières naturelles.
Reconnaissons, pourtant, que la communauté de
langage entraîne nécessairement la communauté
d'intérêts, de mœurs, de coutumes, etc. Elle est, à
vrai dire, l'un des éléments les plus solides du
principe des nationalités et l'un des arguments les
plus troublants de ses partisans : " Partout où il y
a une langue différente, a pu dire Uaoul de La Gras-
serie, il y a nationalité distincte. »
La religion. — Mais d'autres éléments corro-
borent encore ces deux facteurs du principe des
Bationalités : communauté de races et communauté
de langues.
On invoque encore la communauté de religion
comme une des marques distinclives de la nationa-
lité; l'argument a perdu de sa force, parce qu'avec
le temps la persécution religieuse a fait place à plus
de tolérance et de liberté. Pourtant, il est incon-
testable que la religion est liée, par plus d'un côté,
à la race et à la langue ; elle joue, au surplus, au
point de vue national, un rôle indéniable, en ce sens
qu'elle influe directement sur les mœurs et conserve
les traditions de ses adeptes. Elle rejaillit jusque
sur le costume, sur les arts, sur la littérature, sur
la vie domestique.
La catholique Irlande, tombée, depuis le xii" siècle,
au pouvoir de l'Angleterre, et qui n'a pas cessé,
dès lors, de réclamer son indépendance, a long-
temps fait de la question religieuse une des bases
essentielles de son mouvement séparatiste, jusqu'au
bill d'émancipation des catholiques obtenu par
O'Connell en 1829.
La religion est encore, chez tous les peuples
d'Orient, un facteur puissant de la nationalité ; elle
est, dans toute l'Afrique. l'Asie Mineure et les Bal-
kans, la marque distinctive des races, et c'est elle
qui met aux prises les Turcs, mahométans, et les
Arméniens, chrétiens.
Pourtant, sans méconnaître le rôle important que
joue la religion dans les groupements sociaux, il
faut bien se garder de faire de la communauté de
religion une loi rigoureuse au point de lui subor-
donner l'unité nationale. Ce serait renouveler l'er-
reur de Louis Xl'V, qui révoqua l'édit de Nantes
en 1685. Là encore, on aboutirait à de cruels mé-
comptes, et l'on verrait se diviser contre eux-mêmes
et se dissoudre des Etats qui demeurent parfaite-
ment nnis, bien qu'ils soient un mélange de races,
LAROUSSK MKiSSUEL
de langues et de religions. Ci tons encore ici l'exemple
de la Co!i fédération helvétique, composée de quatre
nationalités, où l'on parle au moins quatre langues
et où l'on professe deux religions (1.200.000 catho-
liques environ et 1.700.000 protestants).
Le sol. — Chose singulière, la plupart des au-
teurs partisans du principe de nationalités paraissent
négliger un des éléments les plus caractéristiques
de la nationalité : l'élément géographique, le sol,
les frontières naturelles. Encore est-ce là, néces-
sairement, un argument conventionnel, car le fait
d'habiter le même sol n'implique pas la commu-
nauté de race, de langue, de religion. Nous avons
mis tout à l heure en avant la question de naturali-
sation. Elle est ici tout à fait à sa place.
D'après la loi française, il suflit à un élrangerqui
veut se faire naturaliser français de justifier de
dix années consécutives de domicile en France.
Encore existe-t-il des naturalisations privilégiées,
dans bien des cas, et notamment le mariage d'une
étrangère avec un Français, qui emporte la natura-
lisatioEi immédiate.
L Etat qui serait organisé d'après le principe des
nationalités devra-t-il admettre la naluralisation?
Devra-t-il, au contraire, proscrire tous ceux qui
n'auront ni la même race, ni la même langue, ni la
même religion?
Quoi qu'il en soit, il est un fait : la nation qui re-
vendique son indépendance, revendique par cela
même le sol sur lequel, de temps immémorial, elle
a vécu. C'est le sol qui constitue la patrie; là se
trouvent le patrimoine des ancêtres, transmis,
d'héritages en héritages, aux vivants; la cendre
des morts, les souvenirs familiaux, tout ce qui fait
revivre l'histoire de la patrie.
C'est à la possession indépendante de ce sol que
visent les nations asservies, et leur existence sur
ce même sol contribue à rapprocher tous les habi-
tants, par la communauté même dos intérêts qui
naissent des richesses matérielles du sol, de la
configuration des lieux. Ceux-ci ont des frontières
naturelles, à l'intérieur desquelles il semble que les
fieuples aient été créés pour y vivre en communauté,
ibres et indépendants. On ne peut nier que l'argu-
ment tiré du sol ne soit éminemment séduisant ; il
est peut-être, au point de vue du principe des na-
tionalités, le meilleur de tous; c'est pourtant celui
dont on parle le moins. C'est celui que mécon-
naissent, notamment, les partisans du référendum,
dans la question de l'Alsace-Lorraine. On veut
laisser les Alsaciens-Lorrains actuels libres de
choisir l'Etat auquel ils préfèrent être rattachés,
comme si la question n'intéressait qu'eux, et non
pas toute la France, qui revendinne l'Alsace-Lor-
raine par des arguments tirés de l'histoire, du sol
où dorment les ancêtres et des milliers de citoyens
qui ont versé leur sang pour la défense de celte
terre sacrée. Le référendum ne consultera que les
vivants. Pourquoi ne pas écouter la voix du sol?
Ce sont les morts qui parlent.
Critique du principe des nalionalilés. — Tels
sont les principaux « réactifs « grâce auxquels les
nationalités, suivant la doctrine, peuvent se recon-
naître; tels sont, par cela même, les facteurs qui
doivent servir à la reconstitution des Etals selon
les bases du principe des nationalités.
On ne peut nier que cette thèse ne soit des plus
troul)lanles; elle conslitue, théoriquement, la con-
ception la plus rationnelle de la nation. C'est, à
vrai dire, un idéal, mais qui ne peut pas être réalisé
d'une façon absolue et, par conséquent, aboutir à la
paix universelle et à l'union des races, ce qui est
cependant son but. Il est incontestable que la natioji
qui réclame son autonomie sera plus incitée à en-
treprendre son mouvement séparatiste, si elle forme
un tout possédant une religion, une langue, une
race, des traditions, des affinités polili.]ues el sociales
différentes de celles de la nation opprimante.
Mais les objections s'élèvent nomf)reuses, insur-
montables, contre le principe des nationalités.
On lui fait d'abord ce grief : il néglige l'élément
intellectuel de la conscience nationale des peuples
parvenus par l'idée de liberté à une conception très
nette de l'indépendance et de la souveraineté. Le
principe des nationalités est dicté, somme toute,
par les lois de la nature; il ne peut admettre qu'un
peuple, composé d'éléments très différents, en arrive
cependant à l'unité, grâce à son éducation civique,
à son amour du sol, aux droits historiques acquis
par tant d'années de vie en commun. C'est ainsi que
la France, si unie cependant, ne donnerait pas com-
plètement satisfaction aux partisans de ce principe.
On lui reproche aussi de manquer de précision et
de fondement vraiment scientifique, puisqu'il n'y a
rien de définitif dans l'argument tiré de la race,
non plus que dans ceux tirés de la langue, de la
religion et du sol.
On lui reproche encore de conduire, à l'intérieur
des Etals, les peuples à la guerre civile, en faisant
naître parmi les nationalités rattachées à la métro-
pole des espérances dangereuses, ou bien, au con-
traire, en soulevant l'ensemble des citoyens contre
ceux d'entre eux qui ne possèdent ni leur religion,
ni leur conception politique, ni la même origine
«• J34. Avril 1918-
D'où la création, dans le pays, d'un parti natio-
naliste, comme celui qui, chez nous, au moment de
laffaire Dreyfus et dans les années qui suivirent,
mena la lutte contre les éléments sémitiques el
cosmopolites existant en France, en adoptant pour
devise celle d'Edouard Drumunt : « la France aux
Français »; témoin, aussi, la guerre faite aux juifs,
sous l'ancien régime, en Russie.
A l'extérieur, l'application stricte du principe des
nationalités amènerait vite des querelles entre les
Etats. Remettant en question tous les territoires,
toutes les frontières, chaque nationalité reclierche-
rait, à travers les pays voisins, ses frontières natu-
relles et ses nationaux. C'est ainsi que la nation
italienne, qui réclame à l'Aulriclie Trieste et le
Trentin, aurait également des droits sur l'istrie el
sur Fiume, rattachés au gouvernement de Vienne,
sur la Corse, les Alpes maritimes et la Tunisie, qui
appartiennent à la France, surleTessin,qni se trouve
englobé dans les territoires de la Confédération
helvétique, sur Malte, possession anglaise, etc..
Par suite, on arriverait ou bien à la constitution
de très grandes nations, ou bien à une éclosion
multiple de petits Etats, qui, peut-être, vivraient
difficilement seuls. Sans doute, du point de vue
industriel, intellectuel et commercial, ce serait une
grave erreur, ces petites nations n'ayant ni les res-
sources ni l'influence nécessaires pour se lancer
dans la voie du progrès et guider la civilisation.
On pourrait, cepemfanl, concevoir l'application du
principe des nationalités sous la forme commode
de Confédération d'Etats. Mais alors, il se passerait
ce qui est arrivé pour la (Confédération germanique
au sein de laquelle la Prusse, le plus puissant des
Etats de la Confédération, a dominé administrali-
vement tous les autres Etats et, finalement, après
les victoires de Sadowa et de 1870-1871, a fondé
l'empire d'Allemagne, première manifestation du
pangermanisme.
El, comme les races sont toujours portées à
croire à leur supériorité, on verrait bientôt le pan-
germanisme, le panslavisme, le panislamisme, le
bloc des races latines el celui des Anglo-Saxons
chercher tour à tour à dominer le monde, el cela,
au besoin, par les armes. Ainsi nous reloml)erions
sous le régime de la paix armée, menace perpé-
tuelle de conflagration universelle, ruine des Etals.
Dans son livre l'Allemagne après 1S66, E. de La-
velaye écrivait, en 186N: <■ Rien ne menace l'Europe
de luttes plus terribles et plus prolongées que la ques-
tion des nationalités, parce qu'elle met aux prises
des masses énormes d'hommes pour des revendica-
tions el des prétentions souvent inconciliables. •>
Enfin, le principe des nationalités paraît laisser
de côté les droits historiques, qui, cependant, peu-
vent servir de fondement jusqu'à un certain point
à une possession légitime. Ces droits ont bien
quelque valeur. N'oublions pas que c'est au nom
d'un droit historique que la France revendique au-
jourd'hui l'Alsace-Lorraine, qui lui a été enlevi e
en 1871 par les Allemands; n'oublions pas, non plus,
que c'est au nom du principe des nationalités que
ces mêmes Allemands, longtemps avant ls70, rê-
vaient de nous reprendre l'Alsace, " arrachée, di-
saient-ils, à l'Allemagne par la ruse et l'avidité
conquérante des Français ». L'Alsace, partie de
l'ancienne Gaule, avait été rattachée à l'Allemagne
au ix" siècle; le traité de Westphalie l'avait ensuite
donnée à la France en 1648. La Lorraine, attribuée
en 89DàZwenlibold, roi de Germanie, puis disputée
par les maîtres de l'Allemagne et de la France, fut
divisée en deux duchés, que séparait la Moselle.
Le duché de Haute-Lorraine, donné à Gérard
d'Alsace par Henri III, empereur d'Allemagne, passa
aux mains du roi de France en 1032, fut altribué
par le traité de Ryswick, en 1697, à Léopold l"',
empereur d'Allemagne, puis, en 1735, au roi de
Pologne et, enfin, réuni à la France en 1766. Mul-
house se donna librement sous la Révolulion. Les
Allemands de 1S70 prétendaient que l'Alsace était
une terre germanique, par le principe de la langue
et de la race, et ils revendiquaient la Lorraine au
nom de la théorie des frontières naturelles...
Coticlusion. — De ce que le principe des natio-
nalités n'a rien d'absolu el ne peut conduire, par
échelons successifs, à un remaniement de la carte
du monde, il ne faut pas conclure, cependant, à son
rejet. On doit le considérer, au contraire, comme
un principe scientifique supérieur en sincérité, en
valeur et en dignité, à celui de l'équilibre euro-
péen, c'est-à-dire de l'équivalence des forces entre
les grands Etats, principe qui heurtait trop violem-
ment l'idée de nation, idée moderne, née des prin-
cipes de la Révolulion. laquelle a proclamé la sou-
veraineté des peuples. Le principe des nationalités
n'est pas une utopie; il est un idéal que la politique
internationale doit avoir toujours en vue, et aussi la
politique intérieure des Etats, suivant en cela le
firécepte de Condorcet : « La nation doit respecter
es droits des autres nations; elle n'emploiera
jamais ni la force, ni la séduction, pour obliger un
peuple à recevoir ou à conserver des chefs qu'il
voudrait rejeter, à maintenir ses lois s'il voulait les
changer et à les changer s'il voulait les conserver. »
/V« 134. Avril 1918.
Là est la vérité. Au-dessus de tous les principes,
il y a le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
C'est ce qu'ont proclamé tour à tour, dans cette
guerre, le président Wilson et la Révolution russe,
ij'est ce qu'a parfaitement compris, dans la question
irlandaise, Lloyd George, le grand homme d'Etat
britannique, lequel, l'an dernier, invitait les Irlan-
dais à résoudre eux-mêmes le problème qui les
préoccupe en élaborant la structure de la Consti-
tution et du gouvernement qu'ils désirent; — car,
toujours, ce qui provoque, de la part des natio-
nalités, les mouvements séparatistes, c'est l'oppres-
sion dont elles sont victimes. Les Empires cen-
traux, mais surtout l'Allemagne, sont en train de
méconnaître cette vérité primordiale, en liquidant
à leur ra(;on le front oriental de la guerre. Ils se
préparent bien des mécomptes. — Maurice duvài.
Néphrites de guerre (les). Les condi-
tions particulières (vie dans les tranchées, mode
d'alimentation, fatigue, gaz asphyxiants, etc.) d'une
guerre longue et pénible ont déterminé la produc-
tion de troubles rénaux, qui se distinguent, par cer-
tains caractères, des néphrites connues jusqu'ici,
et qu'on a groupés en conséquence sous le nom de
néplxrites de guerre, à délautd'une meilleure appella-
tion qui en exprime bien l'étiologie et l'évolution.
Ces néphriles de guerre se rattachent presque
toutes, par leur allure et leurs symptômes, aux
néphrites aiguës, mais elles peuvent affecter deux
formes un peu différentes.
l» NéjiUrite aiguë de guerre proprement dite. —
Elle a été particulièrement étudiée par P. Ameuille
et Parisot, par J.-W. Mac Leod et par Trémolières
et L. Caussade. Elle s'observe assez fréquemment
chez les soldats du front, ne présentant aucune tare,
aucune infection aiguë ou chronique, capable d'ex-
pliquer rapi)arition de ce trouble. Aucun microbe
pathogène ne peut être invoqué, non plus, pour jus-
tifier son origine, car hémoculture comme urocul-
ture ont toujours été négatives. On en est donc
réduit à incriminer les conditions même d'existence
des troupes au front, sans pouvoir fixer celle dont
l'influence est prédominante. Ni une alimentation
trop exclusivement carnée et dépourvue de légumes
frais, ni le surmenage physique, ni les intoxications
ne peuvent être invoques dans tous les cas.
D'après Trémolières et L. Caussade, les hommes
atteints de cette néphrite de guerre peuvent se par-
tager en deux catégories. La plus nombreuse de
beaucoup (plus de 60 p. 100) renferme les sujets dont
la maladie a eu un début plus ou moins brusque,
avec fièvre, courbature, œdèmes pouvant aller
jusqu'à l'anasarque, albuminurie très élevée, mon-
tant parfois jusqu'à 10 et 13 gr. d'albumine par litre
d'urine, enfin hématuries fréquentes et prolongées.
En général, la crise cède au repos, au régime et au
traitement, mais d'une manière variable. Tantôt — et
c'est le cas notamment pour les hommes atteints bru-
talement — il y a, après une atténuation marquée
de tous les symptômes, une nouvelle crise, poussée
aiguë de néphrite avec hématurie discrète, qui peut
disparaître peu à peu, pour reparaître encore brusque-
ment sans qu'on puisse s'en expliquer les raisons.
Ces malades, d'ailleurs, malgré des soins pro-
longés , montrent des troubles persistants de la
perméabilité rénale, et leur affection évolue assez
souvent vers la néphrite chronique à forme hydropi-
gène (44 p. 100) ou mixte (14 p. 100). Le traitement
est celui des néphriles aiguës : légime lacté et déchlo-
ruré, puis lacto-végétarien : théobromine, calcium,
tanin ; sparléine, dans certains cas;opothérapie ré-
nale; bains chauds; saignée en cas de menace d'uré-
mie,etc. Danslaseconde catégorie, moins nombreuse,
le début de la maladie est moins brusque, plutôt in-
sidieux. L'homme se plaint simplement de mal de
tête, d'asthénie, de douleurs lombaires, sans fièvre
ni œdème apparent, et c'est seulement par l'examen
des urines qu'on découvre une albuminurie plus ou
moins abondante. Chez ces malades, dont les troubles
rénaux disparaissent par le repos et le régime, les
fonctions d'élimination urinaire semblent absolu-
ment satisfaisantes. Il n'y a rétention ni des chloru-
res, ni des déchets azotés, et l'azotémie se maintient
toujours voisine de la normale. Le seul symptôme
de l'affection est donc la présence de l'albumine
dans l'urine, présence momentanée, que rien ne
permet jusqu'à présent d'expliquer, car le froid,
que l'on aurait pu incriminer dans une certaine
mesure, ne paraît pas en cause, puisque celte albu-
minurie se montre plus fréquente en été qu'en hiver.
2» Néphrite é/iidéniique. — Des cas assez nom-
breux d'une néphrite à allure épidémique ont été
constatés sur le front anglo-français, à partir de
1915 surtout. On voit, tout à coup, dans un secteur
ou même une tranchée, un cerlain nombre d'hom-
mes présentant les symptômes d'une néphrite infec-
tieuse ou toxique. Malgré cela, la question d'étio-
logie ne paraît pas encore définitivement tranchée.
On 8 invoqué successivement le refroidissement,
comme pour les albuminuries simples, mais cette
néphrite épidémique se montre plus volontiers pen-
dant les mois chauds; les eaux de boissons conta-
minées, mais les troupes indiennes, qui buvaient
LAROUSSE MKNSUEL
les mêmes eaux, n'en ont présenté aucun cas ; l'in-
toxication par le plomb des boites de conserves,
mais il n'y avait aucun signe de saturnisme; l'abus
des viandes, mais cet abus était commun à toutes
les troupes; l'inloxicalion volontaire par les can-
tharides ou l'acide chromique,etc. Langdon Brown,
qui a étudié de très près cette forme de néphrite de
guerre, se montre partisan d'une origine infectieuse,
peut-être scarlatine fruste, plus probablement in-
fection spécifique, que justifieraient l'extension ra-
pide de la maladie, son début fébrile et son cycle
évolutif. Suivant l'auteur précédent, l'urine contien-
drait, dans certains cas, un organisme ultra-micros-
copique, traversant le filtre Berkefeld, lue à bSoG. et
capable de reproduire l'affection chez les animaux
de laboratoire. Ces constatations, cependant, ne sont
pas encore pleinement confirmées. Il faut, toutefois,
noter que la réaction de Bordet-Gengou (ancien
Wassermann) s'est montrée positive dans 33 p. 100
des cas, ce qui ne prouve pas que le tréponème pâle
(agent de la syphilis) soit nécessairement en jeu.
Considérée comme une infection, cette maladie
aurait une incubation de 6 à 15 jours; pendant la
période d'invasion, on observe de la fièvre, un peu
de bronchite, même des coliques, avec des vomis-
sements; pendant la période d'état, le signe capital,
est l'œdème, constaté dans 97 p. 100 des cas, puis
la dyspnée (76 p. 100), qui apparaît et disparaît
généralement avec l'œdème, dyspnée qu'on ne peut
d'ailleurs imputer ni à l'urémie ni au fléchissement
cardiaque, mais qui semble résulter de l'infiltration
des poumons. Les urines sont ordinairement très
augmentées de volume; elles contiennent des cel-
lules rénales, des cylindres, des leucocytes, du
sang et une quantité variable d'albumine. L'élimi-
nation des chlorures et des déchets azotés est mo-
difiée de telle sorte que l'on peut voir des accidents
urémiques se produire malgré la polyurie. Dans
18 p. 100 des cas, on observe enfin des troubles
rétiniens, et aussi des parotidites et de l'herpès,
ce qui tendrait en effet à faire pencher l'opinion en
faveur d'une origine infectieuse.
Le pronostic de la néphrite épidémique est bénin,
puisque, sur 166 malades, Langdon Brown n'a
compté que 2 décès, soit 1,2 p. 100.
Le traitement est celui des néphrites aiguës : ré-
gime lacté ou mieux encore régime végétarien,
aussi pauvre que possible en matières protéiques ;
régime déchloruré, mais de peu de durée. Revenir
ensuite, dès que l'amélioration se dessine nettement,
au régime mixte ordinaire, mais en ne dépassant
pas 90 à 100 grammes de protéines par jour; éviter
la théobromine, quand il y a néphrite aiguë; admi-
nistrer les diurétiques salins, acétate d'ammoniaque
ou bicarbonate de soude, et employer les bains d'air
chaud qui favorisent nettement la diurèse (le cal-
cium, le tanin, les ventouses lombaires ne semblent
pasd'unegrandeutilité); enfin, ne recourir à lasaignée
qu'en cas de menace d'urémie. — ot j. laumosiek.
Kenaut (Joseph-honis), histologiste et médecin
français, né à La Haye-Descarles (Indre-et-Loire) le
7 décembre 1844, mort à Lyon le 26 décembre 1917.
11 fit ses études médicales" à Tours, puis à Paris,
où il fut nommé interne des hôpitaux en 1869. Pen-
dant la guerre (1870-1871), il remplit les fonctions
de chirurgien adjoint d'une des ambulancis de
l'armée de la Loire. Répétiteur d'hislologie au
Collège de France en 1872, il soutint, en 1874, une
thèse sur l'Etude anatomique et clinique de l'énj-.
sipèle et des
maladies de lu
peau, qui fut mé-
daillée par la Fa-
culté.Chef decli-
nique médicale ,
puischef de labo-
ratoire à l'hôpi-
tal de la Charité
(1875),ilfutnoni-
mé, en 1877, pro-
fesseur d'analo-
mie générale et
d'hislologie à la
Faculté de méde-
cine de Lyon et,
à la suite d'un
concours, méde-
cin des hôpitaux
de cette ville
(1880). Il se con-
sacra désormais
à ces deux fonctions et fit, à ce double litre, l'ins-
truction de nombreuses générations médicales. La
chaire d'histologie de la Faculté de Paris lui fut
offerte lors du décès du professeur Mathias Duval,
mais il préféra rester à Lyon, où son laboratoire et
son service hospitalier attiraient de nombreux tra-
vailleurs. Renant, en effet, était un véritable chef
d'école, et il a contribué de façon remarnuable aux
progrès de l'anatomie microscopique. Il fut, sui-
vant le témoignage du président de l'Académie de
médecine, le professeur Hayem, « un de ceux qui
ont vu le plus de choses ignorées ». Ses travaux ont
D^ Jusci^h lîciiaut.
429
paru presque tous dans le a Dictionnaire encyclopé-
dique des sciences médicales », dans les <■ Archives
de physiologie ■> et dans d'autres revues techniques.
Ils portent sur l'anatomie microscopique de tous
les tissus de l'organisme humain, notamment les
épilbéliums, le tissu conjonctif, le squelette, les
glandes. Il a étudié également l'anatomie patholo-
gique des maladies de la peau et, au point de vue
clinique, les affections anoxémiques, les néphrites
infectieuses, le rhumatisme infectieux, le rétré-
cissement mitral, l'intoxication saturnine, etc. Ses
principaux ouvrages sont : Traité d' histologie pra-
tique, livre fondamental pour l'élude de l'histologie
et qui l'ait autorité dans la science (1888-1889);
Travaux du laboratoire d'anatomie général» et
d'histologie (en collaboration avec le D' Chanteluse,
1882); collaboration au n Traité de thérapeutique •
que dirige le professeur Albert Robin. 11 était direc-
teur de la « Revue générale d'histologie ». Joseph
Renaul était membre associé national de l'Académie
de médecine (1896), membre de la Société de bio-
logie, correspondant de l'Académie des sciences,
chevalier de la Légion d'honneur. Il fut un des
treize savants français que l'empereur du Brésil,
Don Pedro, nomma commandeurs de l'ordre de U
Rose en 1889. — nr h. boqquit.
Rhin (le), par Ernest Babelon (2 vol., Paris,
1917). — Après plusieurs autres écrivams, qui, depuis
la guerre, se sont faits les interprètes d'aspirations
séculaires, Ernest Babelon a composé à son tour
un ouvrage sur le Bhin. Cette étude représente l'ef-
fort le plus considérable fait jusqu'ici pour prouver
la légitimité et la nécessité de certaines revendica-
tions territoriales dont les échos ont bruyamment
retenti à la tribune, ces temps derniers.
Le Rhin est une frontière stratégique indispen-
sable à la France et, en général, aux pays de l'Oc-
cident. Seule, elle peut mettre ceux-ci & l'abri des
attaques et leur permettre de développer en liberté
une féconde civilisation. Telle est la thèse de Babe-
lon. Mais l'auteur se souvient, avec Renan, que les
nécessités stratégiques ne suffisent pas pour former
une nation ni, par conséquent, pour justifier le droit
éventuel de la France ou de la Belgique de s'étendre
effectivementjusqu'auRhin au détriment des groupes
ethniques qui, partie intégrante de l'Allemagne, en
occupent aujourd'hui la rive gauche jusqu'à leurs
actuelles fronlières. Il en est tout autrement si la
nécessité stratégique s'accorde avec l'ethnographie
et avec les aspiralions profondes des habitants.
Le Rhin, dit Babelon, a toujours été la limite de
deux races, de deux civilisations. Depuis l'antiquité
la plus haute, le Rhin nous apparaît comme un
fleuve essentiellement gaulois, dont le nom se
retrouve en toutes les contrées habitées par les
Celles (Keno en Italie, Retios en Irlande). Quand
les Romains pénètrent en Gaule, ils trouvent d'un
bout à l'autre du pays des peuples semblables par
le caractère, les idiomes, les mœurs et s'opposant
franchement aux habitants de l'autre rive du Rhin.
En vain dira-t-on que les Gaulois de Gaule Belgique
sont d'origine germanique, descendants des Kyniris
envahisseurs. Les Belges se sont assimilé rapidement
les mœurs gauloises ; tous les peuples de l'est de
la Gaule (Belgique, Prusse rhénane. Lorraine, Al-
sace, Franche-Comté) sont gaulois et montent — pas
toujours d'un commun accord, il est vrai — la
garde du Rhin. Si les tribus riveraines du grand
fleuve ont un aspect plus rude, plus barbare peut-être
que celles de la Gaule de l'Ouest ou du Midi, c'est
à leur vie de lutte continuelle qu'elles le doivent;
de lutte contre les Germains. Mais leur langue,
leurs coutumes, leur monnaie restent gauloises.
Avec la conquête romaine, le caractère liminal
du Rhin va s'accentuer encore. Rapidement, la
Gaule tout entière sa latinise; dès le i" siècle de
l'ère chrétienne, l'idiome des conquérants est com-
pris, parlé d'un bout à l'autre du pays, et avec lui
s'implante la vie poliiique, sociale et artistique des
Romains. Nulle différence, dès lors, entre l'habitant
de Trêves, de Metz, d'Argentoratum (Strasbourg)
et celui de Paris, Lyon ou Bordeaux; mais l'oppo-
sition la plus complète entre le Gaulois de Gaule
Belgique et le Suève ou le Chérusque des rives de
la Weser ou du Mein. Car le Rhin, plus que jamais,
sépare deux mondes, deux âges de l'humanité : sur
la rive gauche, des campagnes bien cultivées, se-
mées de belles villes de pierre et de marbre, riches
des richesses naturelles d'un pays bien administra
et d'un grand commerce, animées, à l'égal des cités
italiennes, par les controverses littéraires et les
jeux du cirque; sur la rive droite, « seulement des
villages, on plutôt des irroupes de huttes en terre ou en
bois, où séjourne, en attendant la migration toujours
espérée, la famille, c'est-à-dire la femme, les en-
fants et les vieillards; les hommes valides sont i
la maraude, à la chasse ou à la guerre, à la tuerie,
toujours, que clôt la ripaille sanglante ». Ici, peu de
commerce et d'industrie ; une vie économique ré-
duite aux formes les plus élémentaires (on paye
encore en têtes de bétail); nulle vie intellectueUe
ou artistique. Ainsi, « d'un côté du Rhin, le progrès
dans la civilisation; de l'autre côté, des peuples de
430
proie, les monstrueuses nations germaniques »,
comme les appelle toute l'antiquité. Camille Jullian
avait déjà donné de la prospérité de la Gaule ro-
maine la plus vivante peinture. Mais on n'avait pas
encore fait ressortir d'une façon aussi heureuse que
dans ce livre l'étonnant contraste entre la Ger-
manie de Tacite et les peuples romanisés de la rive
gauche du Hliin.
A coup sûr, ceux-ci ont reçu pendant des siècles
l'empreinte latine, qui, au témoignage de Guil-
laume !"■, se marquait encore un peu avant 1870 sur
les habitants de Cologne et de Mayence. De ce fait,
jusqu'ici seulement constaté, K. Babelon donne donc
une lumineuse explication.
Pour subir les mêmes influences civilisatrices
que l'ensemble de la Gaule, les pays rhénans n'en
conservent pas moins leur caractère de marche. Une
partie fort intéressante de l'ouvrage est une étude
de géographie militaire ancienne. Comme, voici
quelques années, Chapot étudia la Frontière de VEu-
phrate, Babelon étudie la frontière rhénane : orga-
nisation parfaite de l'armée (peut-être aurait-il fallu
plus insister encore sur le fait que le recrutement
devient, dès le premier siècle, régional), établisse-
ment de forteresses, formant dans leur ensemble
une sorte de Muraille de Chine protégeant une
route stratégique, établissement d'un glacis sur la
rive droite du fleuve (champs décumales), tels sont
les moyens qui ont permis à l'empire de repousser
pendant deux siècles et plus toutes les attaques.
(N'oublions pas, d'ailleurs, que, pendant le haut em-
pire, la frontière la plus menacée par les tribus ger-
maniques est le Danube) et d'assurer à la Gaule une
tranquillité qu'elle n'avait jamais connue aupara-
vant, qu'elle n'a jamais connue depuis pendant une
si longue période.
Avec le II» siècle de l'ère chrétienne, commence
l'ère de» invasions. Dès lors, la frontière du Rhin
est mainte fois prise par les tribus germaniques. Dès
lors, la Gaule et particulièrement les régions rhé-
nanes perdent cette belle vie large, celle opulence
tranquille dont elles rayonnaient naguère. Metz,
Strasbourg, Trêves sont mainte fois prises et pillées
et, la marche fronliè.re forcée, Paris est bientôt
menacé, succombe bientôt. Pendant trois siècles et
plus, la ruée germanique, que le Rhin n'arrête plus,
submerge les campagnes alsaciennes, lorraines, rhé-
nanes. Mais les pays envahis deviennent-ils germa-
niques? Nullement. Telle est la puissance du génie
latin qu'il assimile rapidement les barbares.
La Gaule de l'Est, soutient Babelon (et cette affir-
mation, heurtant les idées reçues, revêt l'apparence
d'un paradoxe), se distingue à peine de la Gaule de
l'Est ou du Centre.
Sous les carolingiens, la région rhénane devient
le centre de l'empire; non d'un empire germanique
qui englobe la Gaule, comme le proclament les his-
toriens allemands, mais d'un nouvel empire romain,
qui englobe la Germanie. Le Rhin, cependant, s'il
cesse momentanément d'être frontière politique, de-
meure la frontière intellectuelle et morale entre
deux étals d'esprit, deux civilisations. Le Germain
christianisé reste plus barbare que l'Autrasien et le
Neustrien.
Ici encore, on ne peut taxer l'auteur d'exagéra-
tion rétrospective. Un ouvrage paru avant la guerre
(Raynaud : l'Influence française en Allemagne)
avait montré déjà l'incroyable grossièreté des Alle-
mands du X' siècle.
Pour la première fois depuis de longs siècles, les
provinces rhénanes sont, eu 843, séparées du grand
pays auquel la nature les rattache. Au x" siècle, elles
tombent dans la zone d'influence de la Germanie,
dont tout les sépare. Et, depuis lors, c'est de la part
de la France l'ardent désir de rejoindre sa frontière
naturelle en recouvrant les frères séparés; de la part
des « Rhénans » eux-mêmes, les aspirations les plus
ardentes de retour à leur ancienne patrie. D'un mou-
vement très lent, souvent retardé par des conflits
nés de nécessités inéluctables ou d'ambitions diver-
gentes (guerre de Cent ans, guerres d'Italie), mais
dirigé avec persévérance et ténacité, le royaume de
France glisse vers le Rhin) que d'âge en âge de
grands hommes politiques lui montrent comme but
suprême de ses efforts. Les premiers capétiens,
Philippe Auguste, Philippe le Bel veulent tous
« rétablir le royaume comme il était au temps de
Charlemagiie ». Après la. délivrance du royaume de
France par Jeanne la Lorraine, incarnation la plus
haute du patriotisme fran(;ais, Charles Vil envoie
(les troupes vers les Vosges et le Rhin. Alsace et
Lorraine sont, quelques années, pays protégés.
Puis la puissante Bourgogne, qui aspire à devenir
i< royaume de Gaule Belgique », barre à la France
la route de l'Est; et les guerres d'Italie l'en détour-
nent. Mais, disparu le mirage italien, le Rhin s'im-
pose de nouveau aux préoccupations des hommes
d'Etal. En 15S2, au milieu de la joie universelle du
fieuple, Henri 11 occupe Metz, Toul et Verdun, cédées
ibrement par les princes allemands, pour, dit un
article du traité de Chambord qu'il eilt été intéres-
sant de voir citer, « empêcher notre chère patrie...
la Germanie, d'être placée par l'empereur dans une
bestiale et insupportable servitude ». Dès lors, la
LAROUSSE MENSUEL
frontière est sûre; dès lors, est constitué, suivant
l'expression d'un contemporain, « un inexpugnable
rempart pour la Champagne et la Picardie... et un
beau chemin pour enfoncer les pays... au-dessus de
Bruxelles ». Pour les hommes du xvi" siècle comme
pour ceux de l'antiquité, les pays rhénans sont la
couverture stratégique de la France. Leur possession
facilite tour à tour offensive et défensive. Un nou-
veau pas est fait au siècle suivant : l'acquisition de
l'Alsace, préparée par Richelieu, voulue par les
habitants, réalisée par Mazarin (.\lsace proprement
dite) et Louis XIV (Strasbourg). En 1766, c'est la
Lorraine tout entière qui, après plus de huit siècles
de séparation, retourne à la France.
La Révolution française, poursuivant la polilique
traditionnelle des rois, atteint enfin cette frontière
naturelle si âprement poursuivie et, conquérant
Belgique et électorals de la rive gauche du Rhin,
« met enfin la France partout où l'ut la Gaule «.Gomme
les Alsaciens et les Lorrains, les « Rhénans », rap-
prochés de la France par de communes traditions
et une semblable culture (Gœthe n'ètudia-l-il pas ii
Strasbourg!), accueillent avec joie les premiers
Il missionnaires bottés » de la liberté et manifestent
par la suite leur désir de redevenir, de rester fran-
çais. Le 21 mars 1793, « le libre peuple rhénan-alle-
mand » vote sou <i incorporation » à la République
française. Après Gampo-Formio, les quatre dépar-
tements rhénans insistent pour leur incorporation
dèlluitive à la France. Pendant près de vingt ans,
la rive gauche du Rhin et la France (réunies sous
le César de Paris comme sous les Auguste de Rome)
vivent de la même vie. Sous des préfets français
(Jean Bon Sainl-André à Mayence), les départe-
ments rhénan.s adoptent notre code, nos mœurs, nos
institutions. Leurs enfants sont soldats de nos ar-
mées et, comme un nonveauCharlemagne, Napoléon
tient, aux acclamations des» Allemands de France »,
sa cour à Aix-la-Chapelle. Si vivaces sont les sou-
venirs napoléoniens dans la région rhénane que.
vingt ans après la chute de l'Empereur, un Prussien
du Rhin dédie à ses compatriotes un livre de chants
Il pour les vétérans qui servirent dans la Grande
Armée de Napoléon ».
Les défaites de 1814 et 181b nous enlèvent la rive
gauche du Rhin et la Belgique, le traité de Franc-
fort la Lorraine et l'Alsace. Ainsi, le xix" siècle a
fait reculer la France, rouvert le Rhin aux barbares
et compromis l'ieuvre de toute notre histoire. Mais,
depuis 1815,1a France n'a cessé d'aspirer à la reprise
de la rive gauche du Rhin; depuis 1870, à la resti-
tution de l'Âlsace-Lorraine, comme elle avait aspiré
à la reconquête de la Lotharingie depuis le traité
de Verdun.
L'originalité très grande du livre de Babelon (par
ailleurs systématique et qui fait trop bon marché
de l'influeni^e très réelle du germanisme dans les
pays du Rhin) consiste à ne pas séparer la question
d' Alsace-Lorraine de la question rhénane. Ce sont
deux aspects d'un seul et même problème. Et la
solution qu'il donne de ce problème (solution que,
seule, permettra une guerre complètement victo-
rieuse) se devine. Si la France doit récupérer l'Al-
sace-Lorraine, elle doit d'un même effort rejoindre
le Rhin. Une fédération composée des peuples de
France, de Belgique, de Hollande et de " Rhéna-
nie », des garnisons françaises dans les principales
places de la Prusse rhénane devenue, non comme
l'Alsace-Lorraine, partie intégrante du territoire,
mais pays de protectorat, voilà restaurée l'ancienne
Gaule et tenues en respect les nations toujours bar-
bares de la Germanie. Sans demander cette annexion
déguisée de peuples aujourd'hui allemands, beau-
coup de bons esprits conviendraient volontiers avec
E. Babelon qu'une frontière militaire sur le Rhin
constitue la meilleure de ces « garanties » dont ont
tant parlé — sans les définir — les hommes d'Etat
alliés, — I.,éon ADEN80UR.
*SOrgh.o (sorqhum l'ers.) n. m. — Encycl. Dési-
gnant un genre de la classe des graminées, le sorgho
est voisin des amlropogons et de la canne à sucre. Ce
sont de grandes et belles plantes, à chaumes dressés,
robustes, qui atteignent de l™,i)0 à 4 mètres de haut.
Les feuilles sont engainantes, à limbe large et allongé,
dans le genre des feuilles de ma'is. Les fleurs, dispo-
sées en panicules rameuses plus ou moins denses,
sont groupées en épillets unillores, rapprochés par
deux ou par trois. L'un d'eux, sessile est à fleur her-
maphrodite; l'autre ou les deux autres, pédicellés,
sont à fleur mâle ou neutre. Chaque épillet est muni
de deux glumes coriaces, obtuses on pointues au
sommet, k peu près d'égale grandeur. Les glumelles,
membraneuses, ciliées ou couvertes de petits poils
mous, sont inégales dans les fieurs hermaphrodites.
Les élamines sont au nombre de trois. L'ovaire est
sessile, glabre, surmonté de deux styles terminaux, à
stigmatesplumeux. Le caryopse estoblong, comprimé
par le dos et libre dans les glumes et les glumelles.
A maturité, les grains sont enveloppés dans les glu-
mes, qui sont noires, brun rouge plus ou moins foncé
parfois très claires (jaunâtres), purpurines ou grises.
Le sorgho, d'après Candolle, serait originaire de
l'Afrique éqiiatoriale, ofi il a été trouvé dans des
«• 134. Avril 1918.
gisements préhistoriques. 11 aurait été répandu de h
en Egypte, aux Indes et en Chine.
Hérodote signale le sorgho en Babylonie. Pline
dit que, de son temps, on venait d'importer le millet
noir (sorgho) de l'Inde en Italie.
Les Romains connaissaient également la variété
sucrée du sorgho, ainsi que les autres produits de
l'Egypte et de l'Abyssinie. Elle est cultivée depuis
l'antiquité en Egypte, aux Indes et eu Chine.
Le sorgho sucré fut introduit en Europe au xv^siè-
cle les par Génois et les Vénitiens, qui le cultivèrent.
C'est Franklin qui l'importa en Amérique.
En 1850, Montigny le réimporta de nouveau de
Chine en Europe et, en is;j4, Wray rapporta du
Natal plusieurs variétés du sorgho sucréj cultivées
par les Cafres Zoiilous qui les appellent tmphy.
La Société d'acclimatation s'occupa de ces sorghos
d'Afrique et de Chine, à l'époque. Mais ces tenta-
tives co'incidèrent avec le développement considé-
rable de la culture de la betterave à sucre. Celle-ci
s'accommodait des climats du Nord, dont les popula-
tions eu tirèrent le parti que l'on sait. Malgré le^
efforts tentés et les succès obtenus alors, le sorgho
sucré retomba dans l'oubli.
Le genre sorgho comprend plusieurs espèces, dont
quelques-unes très intéressantes. Nous citerons seu-
lement les principales : le sorgho d'Alep, herbe de
Cuba, herbe de l'ara {sorghum halepense Pers.).
Originaire d'Orient, naturalisé dans la région médi-
terranéenne, il mesure de 0"°,50 à l'°,50; ses inflo-
rescences sont peu fournies, ses épillets sont tous
tournés du même côté, ses fleurs sont vertes et vio-
lettes. Ses feuilles, coriaces, ne donnent qu'un mau-
vais fourrage. 11 pousse dans les endroits incultes;
on l'a recommandé pour retenir les berges des ri-
vières. On pourrait s'en servir pour fabriquer de la
pâte h papier.
Sorgho commun {sorghum vulgare Pers.). On
connaît une centaine de variétés du sorgho commun.
D'après G. Capus et D. Bois, on peut les grouper
comme il suit :
1" l'anicule lâche. Caryopse inclus dans les glu-
mes; a) axe principal delapanicule court, rameaux
secondaires longs : var. technicum {sorghoà balais);
b) axe principal allongé : var. saccharalum {sorgho
sucré).
2° Panicule dense. Caryopse inclus dans les glu-
mes; a) panicule dressée : var. vulgare (S. commun);
h) panicule penchée : var. cemmim (S. penché).
Caryopse dépassant les glumes; var. doura {sorgho
douro), S. de Changallar, S. couscou.
Toutes ces variétés font partie de la même espèce.
Le sorgho à balais, millet à balais {sorghum vul-
jare Pers., var. <ec/ini'cum)estcultivédan8 la région
méditerranéenne, dans le midi de la France, régions
d'Orange et de Garpentras, en Algérie, en Italie et
aux Etats-Unis. Ce sont les variétés de Florence et
de Venise qui sont les plus estimées à cause de la
longueur, de la finesse et de la blancheur de la
paille. Sa panicule a des rameaux très longs, rigides,
élastiques, dressés ou infléchis. Son inflorescence,
dépouillée des grains, est employée à la fabrication
des balais en France, en Italie et aux Etats-Unis.
Ses grains, entièrement recouverts par les glumes,
servent à nourrir les volailles.
Sorgho commun {sorghum vulgare Pers.) est
cultivé pour son grain, en Asie et en Afrique où il
est très répandu. Son inflorescence est dressée et
compacte; ses grains, sphériques, sont enveloppés
par les glumes, de couleurs variées.
Sorgho penché ou sorgho blanc, goose neck {cou
d'oie), white Uberiun {liberia blanc, riz ou blé
égyptien. S. vulgare Pers., var. eernuum) res-
semble au sorgho commun; il en diffère par son
inflorescence retombante.
Le haut de la tige (axe de l'inflorescence) est re-
courbé en crosse. Le grain, recouvert par les glu-
mes, est gros, globuleux et blanc.
Le sorgho douro, doura, dari, S. de Changallar,
S. couscou (S. vulgare Pers., var. doura) est cul-
tivé en Chine, en Perse, dans le Turkestan, en
Amérique et en Afrique, son pays d'origine, pour sa
farine. On le cultive dans le midi de la France, en
Italie, aux Etats-Unis, etc., comme fourrage et pour
nourrir les volailles. En Algérie, les indigènes le
cultivent aussi, quand l'année s'annonce pauvre.
Quelques pluies de printemps suffisent pour assurer
une récolte passable sur les coteaux et assez bonne
en plaine. C'est une plante qui résiste à la séche-
resse et sans laquelle certaines régions du Soudan
et du Turkestan seraient inhabitables.
On sème dès le premier printemps il la volée
25 kilogrammes à l'hectare, ou en ligne, ce qui vaut
mieux, 18 kilogrammes à l'hectare. La récolte a lieu
en été. Dans les terres médiocres, on récolte de
1.200 à 1 .800 kilogrammes de grains à l'hectare. Dans
les bonnes terres, avec de l'engrais et de l'arrosage,
on obtient des rendements bien plus élevés.
Le II dra » à grains noirs est le moins estimé; le
Il beckïia » à grains blancs l'est plus. Il faut faire
sécher les grains à fond avant de les conserver;
sans quoi, ils seraient sujets à des altérations.
Au Sénégal, les indigènes préparent avec ces
grains une bière qu'ils nomment n pouh ».
»• 134. Avril 1918.
Le sorgho sucré, gaolian sucré kdtif du Min-
nesota, sorgho des Cafres, imphy, sorghum Bul-
gare (Pers.), var. sacc/iam/«?ïi, comprend plusieurs
variétés du sorfjho commun, qui sont cultivées de
nos jours en Mandchourie, en Chine, au Japon,
aux Philippines, aux Indes, en Arabie, en Abys-
sinie, en Egypte, au Soudan, sur la côte d'Afrique,
en Russie méridionale, au Brésil et aux Etats-Unis,
où elles firent l'objet d'études très importantes. Sa
panicule-type est lâche, diiïuse; ses grains, plus ou
moins arrondis, recouverts par les glumes, sont
noirs, clairs ou blancs.
La moelle de sa tige contient une importante pro-
portion de sucre, propriété qu'il partage avec plu-
sieurs autres variétés du sorgho commun.
Les circonstances actuelles en font une plante très
intéressante, à cause de la multiplicité des produits
qu'on en peut retirer.
Culture. Le sorgho sucré a besoin de soleil. Les
régions méridionales de la France, la Corse, l'Al-
gérie, la Tunisie, le Maroc, l'Italie, lui conviennent.
On pourrait le cultiver avec intérêt, en choisissant
les expositions et les terrains, jusqu'à la Loire. Il lui
faut des terres au moins moyennes. Ce serait une
erreur de le cultiver dans les régions sans pluies
d'été ne pouvant pas être Irriguées. Les terres lé-
gères, profondes et fraîches, contenant du calcaire,
sont favorables. Il vient bien dans les alluvions. Il
faut éviter les terrains salés en excès. Le sol doit
être bien ameubli et bien fumé. Les engrais orga-
niques azotés et phosphatés donnent de bons
résultats (sang, poudrelte, fumiers et engrais
végétaux).
Pour les petites exploitations, on peut semer en
pépinières abritées dès le mois de mars, avant
même, suivant le pays et le régime des pluies. On
peut aussi semer en godets, les plants n'en poussent
que mieux dans la suite. On repique les plants de
20 à 30 centimètres à 50 ou 80 centimètres l'un de
l'autre, en les couchant ou en les buttant.
Pour les exploitations en grand, il faut semer en
ligne en mars-avril deux ou trois grains, en cas de
manque, tous les 60 à 80 centimètres, et donner un
hersage léger ou simplement un coup de rouleau.
Il faut 3 à 4 kilogrammes pir hectare, le grain étant
petit. Un litre pèse 650 grammes. Un kilogramme
contient 45.000 à 47.000 grains.
Le grain lève mal s'il est enterré profondément :
11 doit simplement être légèrement enfoncé de 2 à
3 centimètres seulement. La levée se fait en une
quinzaine de jours, plus ou moins vile, suivant
l'exposition du terrain et l'humidité. Quand les
jeunes plants ont 2o à 30 centimètres, on bine et on
butte. Le buttage a pour but de faire taller les
pieds. Au lieu d'un brin, la touffe en compte 5 ou 6,
ou même plus. Il est bon, si la pluie ne tombe pas,
d'irriguer de temps en temps ou d'arroser dans les
petites exploitations.
Les jeunes plants poussent alors avec vigueur. La
récolte a lieu en septembre-octobre, au moment de
la maturité des grains, qui sont alors d'un beau noir,
chauds et brillants.
C'est là que la plante donne son maximum.
La castration se pratique au moment de la flo-
raison, en enlevant tout simplement les fleurs ou les
panicules.
Produits. Un hectare peut donner jusqu'à 60.000
à 80.000 kilogrammes de tiges. Il est mieux de
compter seulement sur une moyenne plus faible.
Tiges effeuillées. 33.000 Kilogrammes ; jus,
16.500 kilogra.mmes; sucre, 1.300 kilogrammes;
ou alcool, 11 hect. 50; pâte à papier, 3.000 kilo-
grammes; ou bagasse pour l'alimentation du bétail,
13.500 kilogrammes.
Feuilles pour fourrage. 4.500 kilogrammes.
Grains. 4.000 kilogrammes; glumes, 1.120 kilo-
grammes.
Racines et bases des tiges. 5.000 kilogrammes.
Acclimatation en France. Les expériences ten-
tées dans le nord de la France, qui donnent un ren-
dement dans la production du fourrage, ne nous
ont pas donné jusqu'ici des résultats pratiques quant
à la richesse saccharine.
En 1917, nous avons obtenu aux environs de Paris
4 à 5 p. 100 de saccharose du poids total de la tige
effeuillée.
En octobre 1853, Louis Vilmorin avait obtenu à
■Verrières 10,01 et, en novembre de lamême année,
13,08 et 14,06 de sucre p. 100 de jus; l'année
suivante (1854) en octobre 10,14, en novembre 16 de
sucre p. 100 de jus. Ces chiffres avaient été ob-
tenus avec des plants provenant de grains de Chine
importés par Monligny.
Des expériences sont donc à continuer dans la
région parisienne et au nord de la Loire.
Par contre, le rendement en sucre devient cons-
tamment très intéressant dans la région méridio-
nale, où Edouard Heckel a obtenu, en 1912, à Mar-
seille : 10,94 de saccharose, plus 3,53 de sucres
réducteurs, soit 14,47 de sucre p. 100 de jus. Pour
augmenter la richesse saccharine, cet auteur a pro-
posé de pratiquer la castration du sorgho, c est-
à-dire de supprimer ses fleurs. 11 a obtenu, la même
année, à Marseille, 13,70 de saccharose, plus 4,46
LAROUSSE MENSUEL
de sucres réducteurs, soit 18,16 de matières sucrées
p. 100 de jus.
Les inconvénients de la castration sont les sui-
vants : 1° les jus sucrés contiennent de l'amidon,
très gênant pour l'extraction du sucre; a" la plante
ne produit pas de grains. Celte méthode serait pour-
tant à recommander aux agriculteurs qui voudraient
cultiver le sorgho uniquement pour en faire de l'al-
cool. Tous les auteurs parlent de sucres réducteurs ;
nous n'avons pas jusqu'ici constaté leur présence.
Nos résultats ont été obtenus sur des tiges récol-
tées immédiatement avant l'analyse et nous suppo-
sons que ces sucres réducteurs sont dus à la fer-
mentation des tiges coupées.
Ils n'ont aucun inconvénient pour la fabrication
431
Les jus sont déféqués à la chaux, concentrés, écu-
mes, mirés, clarifiés au sang de bœuf, puis reliltres,
concentrés, mis à cristalliser et, flnalement, essorés.
Les mélasses sont traitées à part pour la fabrication
de l'alcool.
La tige, effeuillée, donne 50 à 60 p. 100 de son
poids en jus sucré; soit, pour 33.000 Kilogrammes,
16.500 kilogrammes de jus marquant 9 à 10° Baume
et titrant 10 à 20 p. 100 de sucre, d'où l'on peut
extraire 1.300 kilogrammes de sucre cristallisé ou
11 hect. 50 d'alcool.
Extraction ménagère du sucre. L'avantage de la
culture du sorgho, c'est qu'on peut préparer son
sacre soi-même dans son ménage.
Le sorgho, récolté à la serpe ou à la machine, est
1. Sorgho sur pied {sorghum vutgare) ; 2. Fleur grossie ; 3. .Schéma de la flear ; 4. Doura ; S. Son frait ; 6. Sorgho à tacn ;
7. Ses fruits ; 8. Sorgho penché ; 9. Sorgho à h&lais.
de l'alcool, mais ils sont gênants pour la fabrication
industrielle du sucre.
La canne et la bellerave donnent, d'ailleurs, aussi
des mélasses qui sO[it ultérieurement utilisées en dis-
tillerie, ce qui n'empêche nullement de les exploiter.
Contrôlées par Semichon, d'autres expériences
tentées dans la région du Roussillon et de Narbonne
ont donné des résultats excellents, quant à la ri-
chesse en sucre, avec les variétés collier, colman,
orange, goose, neck hdtif du Minnesota.
Léon Boyer signale qu aux Etats-Unis la variété
colman a dionné 15,9 p. 100 de sucres totaux, dont
1,44 p. 100 de sucres réducteurs, et la variété col-
lier 17,47 p. 100 de sucres totaux avec 1,22 p. 100
de sucres réducteurs.
Extraction industrielle du sucre. L'extraction du
sucre se pratique sur la tige effeuillée et privée de
sa panicule. On peut opérer de deux façons : s^oit à
la manière dont on traite la canne, avec des mou-
lins à trois cylindres horizontaux et des presses
pour extraire le jus, soit, comme aux Etats-Unis,
en divisant toute la plante en cossettes avec des ha-
choirs spéciaux qui laissent tomber la panicule
d'un côté, les cossettes et débris de feuilles de
l'autre.
Une ventilation sépare les débris de feuilles, pen-
dant leur descente. Les cossettes sont finalement
mises dans des paniers à tremper dans l'eau. Le
sucre diffuse. Les cossettes neuves sont mises à
diffuser dans de l'eau déjà chargée de sucre, et elles
finissent de s'épuiser dans de l'eau pure en pissant
dans des solutions de moins en moins concentrées,
effeuillé et divisé en cossettes au hauhe-paille. Or
peut faire sécher ces cossettes rapidement au soleil
en les aérant et les retournant souvent. On les
conserve ainsi facilement pendant plusieurs mois,
ce qui est commode et permet de ne pas traiter
immédiatement toute la production. On peut aussi
vendre ces cossettes sèches, qui, ayant perdu 70 p. 100
d'eau, sont d'un transport facile en sacs. L'incon-
vénient de celte inélliode, c'est que la saccharose
est en partie transformée en sucres incrisUllisables
(glucose et lévulosel.
Au moment de l'emploi, ces cossettes sèches
sont ramollies dans l'eau, puis traitées comme
les cossettes fraîches, c'est-à-dire de la façon
suivante :
Faire bouillir jusqu'à cuisson une certaine <juan-
tité de cossettes avec la moitié de son volume d eau ;
plus ou moins, s'il est nécessaire. Quand la masse
est réduite en pulpe, on la passe dans un linge so-
lide, et on presse fortement. Le jus exprimé est
neutralisé avec une très faible proportion de lait de
chaux (on peut vérifier au tournesol), ou, simplement,
clarifié avec une petite quantité de sang de boeuf,
qui, se coagulant à la chaleur, entraîne les impure-
tés dans les écumes. On peut, dans les mêmes con-
ditions, employer le blanc d'œuf.
Le jus, concentré à 15° au pèse-sirop Baume et
écume, est filtré sur un molleton, puis concentré à
nouveau jusqu'à consistance de sirop et conservé
au frais et au sec dans des vases. Ce sirop remplace
le sucre dans les usages domestiques; il permet de
remonter les moûts de vin trop faibles, de préparer
432
des boissons fermcnlées d'un intérêt d'autant pins
grand que le vin est plus cher. 11 permet également
de fabriquer de l'alcool après dilution et fermenta-
tion et, celte année même, il donnerait la facilité
de préparer des marmelades, des Iruits au sirop cl
#f#l"l-l^'^^-l
Appareil de préparation de sorghos pour la diffusion : A. Knlraiueiir ;
B. Hache-tiges; C. Descente des panicules : i>. Ventilateurs entraîneurs de déljiis
de feuilles; E. Entraîneur diviseur; l-'. l»aniers à diffusion; G. Compartiment des débris
de feuiUes ; H. 'l'as de cossetteB.
serait d'une grande utilité pour la conservation des
fruits. Pour la cuisson et l'évaporation du sirop, on a
tout avantage à se servir d'appareils à grande sur-
face ou d'appareils à vide, qui sont les mêmes que
ceux dont on se sert dans la fabrication du sucre de
canne ou de betterave.
Remoiilage du vin. Quelques viticulteurs du Midi
coupent la lige du sor-
gho en cossettes et les
ajoutent directement à
la vendange. C'est pi'a-
tiquement le seul sou-
venir qui reste des es-
saisd'acclimatalionqni
ont été faits en Fi-ance
enlre 1850 etlSBO.
Vins et cidres de
sorgho. Le jus de sor-
gho ou les cossettes
mêlées au marc de vin
ou de pomme avec
assez d'eau donnent,
après fermentation,
une boisson ayant li"
goiîl de vin ou de ci-
dre.Ces hoissons pour-
raient rendre giaud
service en ce moment.
Alcool. La fermen-
tation alcoolique se fait
soit à partir du sirop
dilué ou il partir du jns
pins ou moins concen-
tré, ou même k partir
des cossettes qu'on
met tremper dans de
l'eau contenant des le-
vures. La fermentation
doit être menée rapi-
dement . Aussitôt la
transformation du su-
cre constatée, on doit
distiller, pour éviter les pertes d'alcool. La distilla-
tion se fait comme celle des autres produits analo-
gues de betleraves ou de cannes.
Dans les grandes installations, il est prudent de
ne pas compter sur plus de .ï litres d'alcool à 9.)"
pour 100 kilogrammes de tiges.
Uésidus de la tige. L'étude inici-ographique île la
LAROUSSE MENSUEL
tige montre des fibres abondantes avec lesquelles
nous avons pn fabriquer en petit un papier solide de
très belle apparence. Le rendement de la lige en
matières cellulosiques est de 10 à 17 p. 100, soil,
pour 33.000 kilogrammes de tiges cnenillées, un
rendement d environ 3 tonnes
de pâte à papier à l'hectare.
Les liges de tous les sorghos
peuvent fournir du papier.
Cette matière, appelée pd/e-sa-
pin mécanique, vaut 135 francs
la tonne. Un hectare produirait
un rendement de 405 francs.
L'exploitation en grand de
cette piite à papier aurai t en plus,
de son abondance, l'avantage
immense de préserver nos fo-
rêts, déjà si éprouvées, d'une
des causes de destruction qui
les menacent.
Si l'on n'exploite cas le résidu
de la tige pour fabriquer du pa-
pier, on peut s'en servir pour
l'alimentation du bétail. Un hec-
tare fournitlS. 500 kilogrammes
de ce résidu, appelé « bagasse ».
On peut aussi extraire des ré-
sidus de la tige des matières
colorantes rouges(raugeBadois)
et jaunes.
Cérosie. La tige exsude à la
maturité une cire qu'on pour-
rait extraire par grattage.
Lescires sontd'un prix élevé;
elles ont un gios emploi dans la
fabrication des produits d'entre-
tien : cirage, encaustique, etc.
Feuilles. Les feuilles consti-
tuent, en France, un excellent
fouirage, quoique les auteurs
signalenten Egypte elauxlndes
des empoisonnements de bes-
tiaux produits par l'ingestion de
tiges jeunes ou mal venues, qui
contiennent ii cetétat ungluco-
side cyanogénique, la « durrhi-
ne». (On sait que des plantes,
toxiques en certains pays, sont
inoU'ensives ailleurs. La digi-
tale, toxique dans les Vosges,
est employée en infusion théi-
forme en Vendée.)
Un hectare de sorgho fournit
4.500 kilogrammes de feuilles et,
quand la récolle est faite de
bonne heure, on peut avoir une deuxième coupe d'un
fourrage excellent.
Ilacines. Elles peuvent être utilisées api-ès lavage
pour faire de l'alcool, ou après lavage et cuisson
pour la nourriture des porcs. Un hectare en fournit
environ 5.000 kilogrammes.
Grains. Les grains qui ne mûrissent pas tous dans
leclimalparisiensontassezaboudanls
dans les régions méridionales pour
donner 2 à 3ii0 grammes par pied.
Ils sont enveloppés dans les glumes,
qui prennentà la maturité une couleur
noire caractéristique. Cent grammes
de grains donnent: grains mondés
72 grammes, glu-
mes 28 grammes.
Certaines variétés
ont des glumes
blanches, purpuri-
nes ou grises; elles
ne nous intéres-
sent pas pour la
teinture.
Les grains sont
comestibles; ils
contiennent une
importante réserve
d'amidon, de ma-
tières azotées et
lîatterle de diffusion : A. Support rotatif; B. Cuves ; C. Paniers ; D. Contrepoids.
de matièies grasses. La farine est bise; elles bon
goût et pourrait êlre parl'ailement mélangée à celle
du blé pour faire dn pain. Le grain pourrait, en tout
cas, servir à l'alimenlation dn béliiil et des volailles,
ainsi qu'à la fabrication des pâtes alimentaires el
de la bière. La bièie de Dolo du Soudan, la tialva
des Cafres, la mérisa des Brésiliens sont des bières
No 734. Avril 1918.
faites avec des grains de sorgho. Un hectare four-
nit 4.000 à 6.000 kilogrammes de semences, soit 40
à 50 hectolitres.
Glumes. Enfin, des glumes de sorgho nous avons
extrait une matière colorante très intéressante, avec
laquelle nous avons teint la laine, la soie, le coton
et les cuirs. Elle donne de très jolies nuances dans
les gris, les saumon, les roses, les lilas, les rouges
el les bruns, suivant qu'on vire avec des sels de
fer, d'aluminium, de chrome, de calcium ou de
cuivie.
Les gris sur cuir sont particulièrement dignes
d'attirer l'attenlion; ils imitent les gris si beaux
obtenus au sanguin (baies de troène).
De plus, ces glumes contiennent une certaine
quantité d'un corps gras, à consistance de cire
ou de suif.
Un hectare fournit 1.120 kilogrammes de glumes,
riches en matières colorantes.
Plantes voisines. On appelle aussi sorgho à épi
hâlif, millet à chandelle, millet perle, une autre
graminée : le boujera {penicillaria spicata Wild)
qui, comme le te/f {poa Ahyssinica Ail), joue un
grand rôle dans l'alimenlation des indigènes en
Afrique.
Le millet [panicum miliaceum L.) est également
alimentaire.
En résumé : Les sorghos sont des plantes très
utiles et, en particulier le sorgho sucré, oublié dans
notre pays, est digne d'attirer l'attention h nouveau.
11 pourrait, dans le Midi, en Corse, en Algérie, en
Tunisie, au Maroc, sans compter l'Italie, produire:
du sucre, de l'alcool, du papier, de la cire, de la
farine, une matière tinctoriale et du fourrage pour
les bestiaux.
La Corse pourrait, sans doute, se suffire àellp-mêmc
en sucre, et on devrait obtenir un rendement intéres-
sant en cultivant cette plante jusqu'àla Loire, dans des
endioits favorables, bien enlendu. — André PiÈniLni.
StrutMolitlie (du lat. slruthio, autruche, et
du gr. lithos, pierre) n. m. Nom d'un oiseau connu
seulement par ses œufs et qui devait avoir une
taille plus grande que celle de l'autruche.
— Encycl. Vers 1857, un paysan trouva h Mali-
no'wka (province et disti-ict de Cherson), à l'est
d'Odessa, sud de la Russie, dans le lit d'un ancien
torrent ou balka, au-dessous d'un bariage, dans
la glaise, un œuf beaucoup plus gi'Os que celui de
l'autruche et qui, comme lui, avait la foi'me d'un
ellipsoïde régulier, car le gros bord ne se recon-
naissait, comme d'habitude quand il y a doute, qu'à
la rudesse, à la rugosité plus grandes de la coquille.
Il était donc plus court et plus arrondi que celui de
l'œpyornis. Les deux diamètres étaient dans le rap-
port del àl,2 ou de 5 à6, tandis que, dans l'aîpyoï-
nis, ce même rapport est de 1 à 1,3 ou 5 à 6,5. Les
deux diamètres de l'ellipsoïde étaient de 18 cenli-
mètres sur 15; le grand pourtour atteignait 52 cen-
timètres et le petit 46. Son volume, de 2 lit. 180,
correspond à celui de 40 à 44 œufs de poule, tandis
que celui de l'autriicbe n'en vaut que 27 à 30 et
celui des aepyornis 148, quelquefois plus, car son
volume peut dépasser 12 lilres. Examinée au mi-
croscope, la surface montra des pores de 75 a
ou 1/13« de millimètre de diamètre, donc beau-
coup plus gios que ceux qu'on voit sur l'œuf d'au-
truche, où ils n'ont que 25 jjl ou 1/40' de millimètre.
De plus, ces ports ne sont pas dans des cryptes
comme dans la coquille de l'œuf des autiuches
dn Cap (sruthio Auslratis) et des Somalis {slruthio
molghdophanes).
La couleur était d'un jaune brun non régulier,
avec des taches plus foncées ou pins claires, el la
coquille était marquée de taches dendri tiques noires,
provenant probalîlement de parasitisme végétal.
Elle pesait 810 grammes. Cet œuf, k part Sa taille,
ressemble donc beaucoup à celui de l'autruche
barbaresque, mais l'épaisseur de la coquille est
plus forte; elle alteint2'>'/n>,6 à S"»/™, 7, tandi.sque,
chez l'antruche-chameau, elle n'est que de a milli-
mètres el chez l'autruche des Somalis de â"/°',lo.
Chez les grands œpyornis de Madagascar, cette
épaisseur va de 3"/", 65 (spécimen du Muséum de
Paris) k l\'"l^,ltQ (spécimen du liritish Muséum de
Londres). l..es coquilles des œufs de l'émou et du
casoar d Australie concordent bien avec celles-ci,
mais de ces genres on ne connaît aucune forme fos-
sile certaine. Le Musée de Pelrograd ayant refusé
d'en faire l'acquisition pour la somme de mille rou-
bles, cet œuf resta chez ses propriétaires et fut
brisé par accident en trente-six morceaux. Réparé
aussi bien que possible, il est maintenant au Musée
d'histoire naturelle de Petrograd.
Le deuxième œuf connu provient de Yao Kuan
Chuang (district de Hsi Ning), à 80 kilomètres sud-
sudouesl de Kalgan, ville située au nord-ouest
de Pékin. Dans cette région, se trouvent des
dépôts remplissant des bassins de lacs salés,
sans issues, formés par des alluvions; car, sur les
montagnes avoisinanles, on trouve des traces de ri-
vages mis à sec. Deux œufs furent découverts dans
ces dépôts pléistocènes, dans un bassin du lœss
«• 134. Avril 1918.
drainé par le Sang-Kan. L'un de ces œufs était
brisé et disparut, tandis que l'autre était acheté par
des missionnaires américains, qui purent vérifier et
authentifier le gisement. De pareil-
les découvertes ont dû être assez
fréquentes, puisque les Chinois ap-
pelleiit ces œufs œufs de dragon.
Cet œuf, actuellement aii Mu-
sée d'aiialomie comparée de Cam-
bridge (Masachussets), a une co-
quille qui pèse 310 grammes. Elle
était d'un brun jaune foncé et in-
crustée de grains de sal)le ferrugi-
neux. Elle présentait de nombreux
pores, comme il y en a dans la co-
quille de l'œuf de l'autruche. On
a signalé tout récemment la dé-
couverte, en Chine, d'un troisième
œuf de celte espèce.
Dans le Sahara algérien, à 30 kilo-
mètres à l'est de Touggourt, on a
trouvé, il y a quelques années, deux
fragments d'œufs, dont l'épaisseur
était de 3 ™/™,8 à 3™/"", 4, par conséquent inter-
médiaire entre celle des oeufs de struthiolithe et
d'œpyornis et qui, par la présence de pores et de
canalicules, se rapprochent des œufs des autru-
ches d'Algérie. L'élude de leur courbure fait suppo-
ser que ces fragments appartiennent à des œufs
ayant des diamètres de 25 et de 19 centimètres.
Aucun oiseau actuel ne peut avoir pondu ces œufs;
par conséquent, à une époque relativement récente.
il a existé dans le Sahara un oiseau plus grand que
l'autruche actuelle et qu'on a nommé psammoi'nis
Rothscliildi Andrews.
Il est intéressant de comparer l'œuf du struthio-
lithe avec les plus gros œufs connus du groupe des
ralites, donc avec les œufs fossiles des îEpyornis
(3 mètres) de Madagascar, des moas ou dinornis
(1 à 3", 5) de la Nouvelle-Zélande, des psammor-
nis du Sahara, ainsi qu'avec ceux des autruches
d'Afrique et des nandous de l'Amérique du Sud.
Nous sommes forcé de laisser de côté la compa-
raison avec l'œuf du diatryma, dont le squelette,
trouvé en 1916 dans le Wyoming, aux Etals-Unis,
mesurait 2™, 15 de hauteur, puisque son œuf n'a pas
encore été découvert, ainsi qu'avec celui, inconnu
aussi, de gasiornis, découvert dans l'argile plas-
tique de Meudon et dans l'éocène inférieur de Reims
et dont la taille était encore plus grande.
Il ne faut pourlant pas croire que la grandeur de
l'œuf est en rapport avec la taille de l'oiseau, puis-
que celui du casoar à casque a 13 cm., 9 sur 8 cm., 9.
tandis que l'aptéryx, qui est beaucoup plus petit, en
pond un qui mesure 12 cm., 8 sur 7 cm., 5.
Nous ajouterons que, dans les Indes, près de la ri-
vière Kani, on a trouvé des restes d'œufs qui, pai l'é-
paisseur de leur coquille (a™/™, 4) et l'arrangement de
leurs pores et canalicules, ont été rapportés & l'autru-
che de Somalie, que, dans le pléistocène des monts
Sivalik, dans l'Inde, on a découvert une espèce
{struthio Asiaticus) très voisine de l'autruche barba-
resque et qu'une autre a été trouvée dans le pliocène
inférieur de l'île SAmos(slitil/iio Karatheodoris).
L'existence d'autruches fossiles dans des régions
aussi séparées que celles que nous avons cilées :
Sahara, sud de la Russie, nord de la Chine, i la fin
des temps tertiaires, est des plus intéressantes pour
préciser les ancêtres, l'origine et la distribution,
dans les temps passés, des autruches confinées ac-
tuellement en Afrique et en Arabie. Malgré l'hiatus
qu'il y a dans la distribution des slruthiolithes
enlre la Russie et le nord de la Chine, on peut ad-
mettre qu'une espèce qui avait la vigueur nécessaire
fiour s'établir à la latitude du nord de la Chine et
a force numérique pour résister dans ces monta-
gnes à de nombreux ennemis et à un climat si rigou-
reux en hiver a dû pouvoir pénétrer loin vers le
nord et suivre les mammifères ayant formé un pont
enlre les régions paléarctiques et néarcliques, en
sorte que l'autruche américaine aurait atteint son
habitat en suivant la roule jalonnée par les autruches
d'Algérie, de Samos, de l'Inde, les strutfiiolithes,
peut-être le diatryma et, enfin, le nandou des caver-
nes du Brésil, puis de la Patagonie.
Si l'on admet des souches multiples pour les ralites,
le problème devient plus compliqué, car les données
paléonlologiques sont encore insuffisantes, comme
pour tous les animaux terrestres. — a. mékéhàoi.
Techniçiue (Enseignement). La réorganisa-
tion de l'enseignement technique, en France, est
une question dont la gravité ne saurait échapper à
tout esprit soucieux de la prospérité de notre pays.
Les nations étrangères, alliées ou ennemies, n'at-
tendent pas la fin des hostilités pour améliorer cet
important facteur de leur force économique et so-
ciale, et il y aurait, de la part de nos pouvoirs publics,
une imprévoyance coupable s'ils négligeaient de
s'en occuper dès maintenant.
Si pénible que soit cette constatation, il faut re-
connaître que l'enseignemeiil technique, lel qu'il
est donné actuellemenl en France, est manife:ile-
ment insuffisant.
LAROUSSE MENSUEL
Certes, l'enseignement de nos écoles spéciales h
tous les degrés, le caractère utilitaire de leurs pro-
grammes ne sont en rien inférieurs à ceux des
UIAMÊTBP.8
CAPACITÉ
POIDS
uncfntiuictrei
en lilres
de la coquille
^pyornis maximum Geoff
35,1 X24.5
11,036
1'k,702
34x22,5
9,012
Psammomis Rothsehildi. .
. . |.rui)l'
S5XI»
plus do 4 lit.
Moa ou Dinornii sp
2-,J>:n,8
4,180
Struthiolitkus Cltersoncnsis
llraudl..
18X15
2,075
Ol'B,S10
(type de Cliersou)
Struthiolithiis Chertonensis
Brandt. .
18X14,75
1,897
O'^SIO
(Spécimen de Cliine)
Autroclie d'Algérie
16,4X13,4
1,424
0'«,3I1
13,5X9,45
0,570
0l'«,080
autres nations. Les élèves de noire Ecole centrale
des arls et manufactures, de nos Ecoles d'arts et
métiers, de nos Ecoles nationales professionnelles,
rivalisent avantageusement avec les jeunes gens
433
nationales professionnelles, deux Ecoles spéciale.')
d'horlogerie et quinze Ecoles professionnelles delà
Ville de Paris, enfin les Ecoles pratiques de com-
merce et d'industrie.
1* VEcole centrale det art$ et manuftuluret, fondée
en 1820. a pour but de former des ingénieurs Door tons les
genres d'industries. On y admet chaque année 250 élèves
environ, à la suite d'un concours des plus sénenx. La du-
rée des études y est de trois ans. Les élèves qui en sor-
tent avec le diplôme d'ing*'nienr des arts et manufactures
sont ooiverseliemeut appréciés, en France et à l'étranger.
(;e sont eux qui donnent an pays l'état-major de notre
armée industrielle.
t* Les Eeolet tupérieuret de commerce assurent aux
jeunes gens fos connaissances professionnelles nécessaires
À la direction des affaires de banque, de commerce et
d'industrie.
Fondées et entretenues généralement par les chambres
de commerce, elles sont reconnues parl'ktat, qui accorde
aux éfèves, à la fin de leurs études, un diptôme leur faci-
litant l'entrée dans les grandes maisons de commerce et
de banque.
Il en existe trois à Paris : l'Ecole des hautes études
commerciales, l'Ecole supérieure de commerce et l'Ins-
titut commercial. La durée des études est de deux ans
dans les deux premières et de trois ans dans la dernière.
On trouve également des Ecoles supérieures de com-
merce  Alger, Bordeaux, Dijon, Le Havre, Lille, Lyon,
Marseille, Montpellier, Nancy, Nantes, Rouen et Toulouse.
L'Ecole des hautes études a, en outre, un cours spécial
Œufs : 1. D'œpyornis; 2. De struthiolithe; 3. D'autruche ; 4. De nandou; 5. De casoar à casque; 6. D'iptéryx; 7. De poule; 8, De
troglodyte miguoD. (Tous ces œufs sont réduits au Uers de leur grandeur nattiretle.)
des établissements similaires k l'étranger ; mais à
combien peu d'élus est réservé cet enseignement spé-
cial 1 Le nombre en est infime, si on le compare aux
besoins de noire industrie et de notre commerce.
C'est donc une crise de quantité, plutôt qu'une
crise de qualité qu'il s'agit de conjurer.
Quels sont, en elTet, à l'heure actuelle, les établis-
sements scolaires chargés de répandre en France
l'enseignement technique, industriel et commercial?
Au sommet, l'Ecole centrale des arts et manufac-
tures; puis les Ecoles supérieures de commerce, les
six Ecoles nationales d'arts et métiers, quatre Ecoles
I>our la préparation aux carrières diplomatiques et con-
sulaires.
t>es Iraurses de voyage, d'une valeur de t.oooà 4.000 francs,
sont accordées, après concours, aux élèves diplAmés dans
certaines conditions.
3* Les Ecoles nationales d'arts et métiers ont pour bnt
do former des ingénieurs, des chefs d'ateliers et des in-
dustriels versés dans la pratique des arts mécaniques.
Elles ouvent également I entrée aux chemins do fer. au
corps des mécaniciens de la flotte, etc. De vastes ateliers
d'ajustage, de fonderie, de forge, de menuiserie et mo-
dems permettent aux élèves d'acquérir, outre une solide
instruction théorique, des connaissances pratiques très
étendues.
434
Ces écoles, au nombre de six, fonctionnent à Aiz, An-
gers, Châlons, Cluuy, Lille et Paria. On admet chaque
année cent élèves dans chacune d'elles. Les candidats
doivent être âgés de quinze à dix-sept ans. La durée dos
études y est de trois années, au bout desquelles les élèves
ayant satisfait aux examens de sortie reçoivent le di-
plôme officiel d'ingénieur dos arts et métiers. De même
que les élèves de 1 Ecole centrale, ceux des Ecoles d'arts
et métiers jouissent d'une réputation méritée et sont très
recherchés dans l'industrie,
40 Quatre Ecoles nationales professionnelles sont éta-
blies à Armentières, Nantes, Vierzon et Voiron. C'étaient,
à l'origine, des écoles primaires supérieures ; aujour-
d'hui, elles donnent, outre une instruction générale très
complète, un enseignement spécial très apprécié, et les
élèves qui en sortent trouvent dans l'industrie un débou-
ché facile.
Elles préparent également au cours d'admission aux
Ecoles des arts et métiers. La durée des études y est de
quatre ans, réduite à trois ans pour les élèves qui entrent
à ces écoles.
On y est admis par voie de concours.
Bien que de création récente, puisque la première,
fondée à vierzon, date de 1886, ces écoles ont déjà rendu
à l'industrie do précieux services.
Les Ecole nationales d'horlogerie de Cluses et Besançon
forment l'utile complément des quatre écoles nationales
professionnelles.
Enfin, la Ville de Paris entretient quinze écoles muni-
cipales professionnelles — sept pour les garçons et huit
pour les jeunes filles — où 1 on reçoit un enseignement
technique spécial, approprié aux divers besoins du com-
merce et de l'industrie.
50 Les Ecoles pratiques de commerce et d'industrie ont
f)Our but de rendre par une éducation professionnelle
es jeunes gens des deux sexes immédiaiement utilisables,
soit comme ouvriers à l'atelier pour les carrières de l'in-
dustrie, soit comme employés au comptoir pour les
affaires commerciales.
On y est admis dès l'âge de douze ans, & la suite d'un
concours, s'il y a plus de candidats que de places dispo-
nibles. Les études y durent ordinairement trois ans.
Nota. — Il convient d'ajouter à ces différentes écoles
quatre ou cinq cents cours privés, organisés par les mu-
nicipalités, par les syndicats professionnels et qui don-
nent l'enseignement technique, généralement postscolaire,
à un assez grand nombre d'élèves. Ces cours sont égale-
ment sous le contrôle du ministère du commerce.
Antérieurement k 1900, le ministère du commerce
n'avait sous sa direction que l'Ecole centrale des
arts et manufactures, les Ecoles nationales d'arts et
métiers et les Ecoles supérieures de commerce.
Les écoles nationales prolessionneiles et un cer-
tain nombre d'écoles primaires supérieures, où l'on
donnait l'enseignement technique, étaient placées
sous la double autorité du ministère de l'instruction
publique et du ministère du commei'ce. De cette
dualité de direction pouvaient résulter des différences
de vues de nature à causer quelque pi'éjudice au bon
fonctionnement des écoles.
En 1900, les quatre écoles nationales profession-
nelles furent mises sous l'autorité unique du minis-
tère du commerce et, peu k peu, des écoles pri-
maires supérieures qui appartenaient au ministère
de l'instruction publique furent transformées en
écoles de commerce et de l'industrie, relevant du
ministère du commerce. Des écoles nouvelles fu-
rent créées sous ce titre, ce qui en porte le nombre
à quatre-vingt-dix environ.
Il faut bien convenir que le ministère de l'ins-
truction publique, à qui semblerait revenir, logique-
ment, la direction de tous les établissements sco-
laires, ne s'était pas assez efforcé d'adapter aux exi-
gences modernes l'enseignement industriel et com-
mercial, alors qu'il en était chargé, et que la solli-
citude universitaire était plutôt acquise aux élèves
désireux de faire leurs études classiques qu'aux
jeunes gens se destinant aux carrières industrielles
et commerciales. Que n'a-t-on donné satisfaction à
ces derniers et persévéré dans la voie qu'avait
indiquée, à la fin du second Empire, l'éminent mi-
nistre de l'instruction publique, Victor Duruy, en
ouvrant des lycées d'enseignement secondaire spé-
cial, comme il en avait été créé à Monl-de-Marsan
et à Pontivy! L'idée inquiéta-t-elle certains esprits
ennemis des innovations? Toujours est-il qu'elle
fut trop vite abandonnée. Il est également juste de
reconnaître que le ministère du commerce, étant
donné ses moyens limités d'action, a apporte dans
l'organisation de ses écoles, dans la composilien des
progi'ammes, une compétence, une méthode, une
connaissance des besoins actuels auxquelles on aurait
pu ne pas s'attendre de la part d'une administration
un peu novice dans les questions scolaires.
La situation actuelle, quoi qu'il en soit, reste mal
définie. On peut eonstater, en effet, que, si cer-
taines écoles pratiques, comme celles de Rouen, du
Havre, de Saint-Etienne et autres se sont adaptées
résolument à la nouvelle orientation de l'enseigne-
ment, d'autres établissements, récemment transfor-
més, continuent à s'écarter manifestement de leur
but. D'autre part, l'enseignement technique est
donné dans un grand nombre d'écoles primaires
supérieures, voire dans certains établissements
d'enseignement secondaire, lycées et collèges.
Il est urgent d'assigner à chaque établissement,
dans la réorganisation projetée, le rôle qui lui est
firopre,et la solution de cette question, dont dépend
a prospérité de nos écoles, doit appeler l'attention
la plus sérieuse des pouvoirs publics.
LAROUSSE MENSUEL
Si nous examinons, maintenant, la situation ac-
tuelle de l'enseignement technique à l'étranger, si
nous le comparons avec le nôtre, il nous sera pé-
nible de constater que la plupart des nations nous
ont largement devancés dans la voie du progrès.
Dans certains pays, comme l'Allemagne, l'Au-
triche-Hongrie, la buisse, le Danemark, la Nor-
vège, l'enseignement technique a été rendu obliga-
toire et, malgré la préparation qu'ils ont reçue
dans des écoles spéciales, des cours de perfection-
nement sont ia>posés aux jeunes gens de moins de
dix-huit ans employés dans l'induslrie et le com-
merce, à moins qu'ils ne soient pourvus d'un certi-
ficat qui les en dispense.
D'autres nations : la Belgique, par exemple, l'An-
gleterre et les Etals-Unis, sans imposer l'obligation,
donnentaux jeunes gens les facilités les plus grandes
pour perfectionner leur instruction professionnelle.
L'espace nous manque pour étudier l'organisa-
tion de l'enseignement technique dans chacun de ces
pays. Contentons-nous de citer quelques chilTres, qui
mettront en parallèle notre situation et celle de la
nation dont nous avons le plus à redouter la con-
currence économique, l'Allemagne.
Nos voisins d'outre-Hhin donnent l'enseignement
technique supérieur k 18.000 élèves, alors que nos
écoles supérieures le donnent à 5.000 environ. L'en-
seignement moyen, celui de nos écoles d'arts et
métiers et écoles similaires, s'adresse à 2.000 élè-
ves, alors qu'il s'adresse à 50.000 en Allemagne.
60.000 élèves reçoivent l'enseignement technique
élémentaire dans nos écoles pratiques de commerce
et d'industrie contre 350.000 chez nos voisins.
Ainsi, plus de 400.000 jeunes gens bénéficient, en
Allemagne, d'un enseignement réservé en France à
moins de 70.000 privilégiés. Celte disproportion
n'est-elle pas inquiétante, même si l'on tient compte
de la différence de population des deux pays, res-
pectivement de 40 millions d'habitants pour la
France et de 70 millions pour l'Allemagne?
La comparaison avec les autres nations ne nous
est guère plus favorable.
En résumé, la pénurie de nos écoles, l'insuffisance
de nos moyens d'enseignement font que, sur
100.000 jeunes Français qui entrent dans l'indus-
trie et le commerce, 90.000 n'ont reçu aucune pré-
paration spéciale et ont tout à apprendre, alors
qu'ils devraient n'avoir qu'à étendre des connais-
sances déjà acquises et à les approprier à la car-
rière qu'ils ont choisie.
Constater le mal, en étudier et en approfondir
l'origine et les causes, c'est connaître le remède
qui le fera disparaître.
Le Parlement s'occupe avec une sollicitude que
l'on ne saurait trop louer, mais, malheureusement,
avec sa lenteur habituelle, de la réorganisation de
notre enseignement technique. Le sénateur de l'Ar-
dèche, Astier, rapporteur au Sénat de la loi rela-
tive à cette question, à qui nous avons emprunté
«(uelques-uns des chiffres cités, a fait voter par la
haute Assemblée un projet des plus documentés,
étudié avec la compétence et le soin qu'il apporte en
toutes choses.
11 suffit de le suivre dans la voie qu'il indique
pour assurer le succès de la réforme proposée et
pour nous préparer une jeune armée industrielle et
commerciale qui assurera la prospérité économique
du pays.
Nous voulons espérer que le cri d'alarme du séna-
teur Astier sera entendu et que, dans un avenir pro-
chain, après la victoire définitive de nos vaillantes
armées, nous pourrons retourner contre nos enne-
mis et donner à la France le mot d'ordre adressé à
l'Allemagne par le kronprinz Frédéric, dès le len-
demain du traité de Francfort : Nous avons vaincu
sur les champs de bataille de la guerrt, 7ious vain-
crons maintenant sur les champs de bataille du
commerce et de l'industrie. — Eug. Lptit.
typhO-bacillose n. f. Méd. Forme clinique
de la tuberculose miliaire aiguë, ayant l'allure d'une
fièvre typhoïde, mais dont les symptômes généraux
sont plus importants que ne semble le comporter la
lésion tuberculeuse (Landouzy).
— Encyci.. C'est à Landouzy que revient le mérite
d'avoir isolé cette forme clinique de la tuberculose,
qui prête à confusion et à méprise et demande, à
cause de cela, à être connue et étudiée avec soin.
Les signco cliniques sont un peu confus : ils rap-
pellent nettement ceux de la fièvre typho'ide; au dé-
but, fatigue, malaises, céphalée, quelquefois vo-
missements; la diarrhée est exceptionnelle; les
saignements de nez et l'angine manquent. A la pé-
riode d'état, ce qui frappe, c'est l'aspect typhique;
cependant, malgré la prostration et l'apathie, la luci-
dité persiste ; néanmoins, tout semble indiquer qu'on
se trouve en présence d'une dothiénentérie franche.
Il y a, pourtant, quelques différences. Le rythme du
cœur est relativement plus accéléré que dans celle-
ci, eu égard à la température, laquelle peut atteindre
parfois 40», mais se tient généralement entre 38»
et 39". Le type de la courbe thermique est bien
celui d'une fièvre continue, avec de grandes oscil-
lations quotidiennes allant jusqu'à 2» et, dans quel-
«• 134. Avril »8I8.
ques cas, une température malutinale plus élevée
que celle du soir, mais, à la fin de la maladie, au
heu de descendre au-dessous de 37°, elle peut rester
pendant longtemps au-dessus de la normale, entre
37» et 38», avec, d'ailleurs, de temps à autre, de
brusques ascensions, jusqu'à 39°. Jusque-là, les pou-
mons semblent indemnes, et il n'y a que très rare-
ment du catarrhe bronchique; mais, au moment on
la température commence à fléchir, on dépiste
l'existence d'un petit foyer tuberculeux, sous forme
d'épanchement pleural peu important, lequel, d'ail-
leurs, est éphémère et guérit avec la lypho-bacil-
lose. Notons, enfin — et ce point est essentiel pour un
diagnostic ordinairement peu commode — qu'il n'y
a jamais de taches rosées lenticulaires et que les
réactions sérologiques propres à la fièvre typhoïde :
agglutination, diazo-réaction, hémoculture même,
sont franchement négatives.
Mais ce n'est là, à vrai dire, que la première
étape de la typho-bacillose. En réalité, la guérison
n'est qu'apparente souvent; la convalescence est très
courte, l'apyrexie incomplète, peu franche, l'embon-
point ne se produit pas, ou demeure insigniSant.
Puis, au bout de quelques semaines, de quelques
mois, éclate une manifestation tuberculeuse à évo-
lution typique, au poumon, à la plèvre, aux mé-
ninges, au péritoine, etc. Parfois, cependant, la gué-
rison parait complète et définilive; ce n'est souvent
qu'une trêve, plus ou moins longue, au bout de la-
quelle apparaît une nouvelle typho-bacillose, suivie,
cette fois, d'acciden ts tuberculeux graves. Ainsi donc,
l'une des principales caractéristiques de cette ma-
ladie est de présenter une évolution à deux étapes,
séparées par une accalmie plus ou moins longue : la
première de typho-bacillose proprement dite, la
seconde de tuberculose notoire. A la première, la
lésion tuberculeuse existe déjà, qui se manifeste
par la réaction pleurale signalée plus haut, mais très
peu importante, puisque, à l'autopsie seulement,
on peut déceler la présence de quelques petites gra-
nulations jeunes au sommet de l'un ou l'autre
poumon (Landouzy), alors que jamais on n'y dé-
couvre, dans les viscères ou ailleurs, les lésions
symptomatiques de la fièvre typho'ide.
Dès lors, on peut et on doit se demander comment
des lésions tuberculeuses aussi discrètes sont capa-
bles, puisque seule incontestablement la tubercu-
lose est ici en jeu, de déclancherdes accidents aussi
sérieux que ceux que l'on constate dans la typho-
bacillose. Landouzy voyait une certaine analogie
entre la typho-bacillose et la tuberculose produite
chez le lapin par le bacille tuberculeux des oiseaux.
Gongerot, en employant des bacilles tuberculeux
humains homogénéisés, obtient, chez le lapin, la
formation de granulations et l'apparition de certains
symptômes rappelant ceux de la typho-bacillose.
Mais ces expériences, si intéressantes qu'elles
soient, ne nous éclairent en aucune manière; on
est donc obligé de faire appel à des hypothèses :
anaphylaxie pour Gougerot, toxi-infection pour
Landouzy. Evidemment, c'est à la haute nocivité
des toxines tuberculeuses qu'il faut, sans doute,
attribuer les accidents si graves d'aspect de la
typho-bacillose, maisdans quelles circonstances ces
toxines acquièrent-elles une si haute nocivité et
pourquoi donnent-elles lieu à des symptômes typhi-
qnes et non aux symptômes classiques de la tuber-
culose aiguë, c'est ce que nous ignorons encore.
Tout au plus pourrait-on, avec Bard, établir quelque
analogie entre la granulie migratrice qu'il a décrite
et la maladie de Landouzy, ou encore entre celle-ci
et la tuberculose à forme polyséreuse de F. Bezan-
çon. Mais l'assimilation est, dans tous les cas,
incomplète, et il faut reconnaître que la typho-
bacillose constitue une modalité clinique à part et
bien individualisée.
Notons, pour terminer cet exposé, que la typho-
bacillose n est pas nécessairement la première ma-
nifestation de l'infection tuberculeuse, puisque Lan-
douzy a pu en observer des cas chez des individus
porteurs d'anciens foyers caséeux crétacés; enfin,
sa durée varie entre quelques semaines et quel-
ques mois, et, si elle guérit généralement, son pro-
nostic n'en reste pas moins sombre, en raison de la
menace prochaine de tuberculose déclarée qu'elle
comporte ordinairement.
Il n'y a pas de traitement particulier de la typho-
bacillose; la médication reste symptomatique des
divers accidents typhiques et, par conséquent, ana-
logue à celle qu'on emploie contre la dothiénen-
térie. On insistera, cependant, un peu moins sur
les antipyrétiques, redevenus à la mode dans la
fièvre typhoïde, la température dépassant assez ra-
rement 39», mais on pourra recourir aux grands
bains, à cause de leur action tonique et diurétique,
à la condition qu'ils soient administrés de préfé-
rence suivant fa méthode de Bouchard. En re-
vanche, on instituera aussitôt que possible le traite-
ment antituberculeux, qui, seul, peut parer aux
accidents ultérieurs ou, tout au moins, en atténuer
la gravité. — Df J. Laumonier.
Fana. — Imprimerie Larousse (Moreau, Auge, Gitloo et C'«},
17, rue MoDtparnasie. — Le gérant : L. Qiloilkt.
La Ba«se-Cour. (/.a Volaille.)
N* 135. — Mai 1918
Allemagne. La guerre de 1914 et les res-
ponsabilités. — Avec une mauvaise foi incompa-
rable, les gouvernants de l'Allemagne, à commencer
par le kaiser, continuent d'allirmer sur l'honneur
et de prendre Dieu à témoin qu'ils n'ont tiré l'épée
que pour se défendre. Ceux que le pangermanisme
se proposait de dévorer doi vent plus que j amais oppo-
ser aux mensonges et aux faux serments d'un ennemi
sans scrupules la force probante des documents.
La culpabilité des Empires centraux est évidente
aussi bifu dans le conflit austro-serbe, consécutif à
l'attentat de Serajevo, que dans leurs négociations
avec la Russie, la France et l'Angleterre.
Le prétexte. L'ullenlat de Serajevo et le conflit
austro-serbe. — Le 28 juin 1914, l'archiduc héritier
d'Autriche-Hongrie François-Ferdinand et la prin-
cesse de Hohenberg, son épouse morganatique, furent
assassinés & Serajevo, capitale de la Bosnie. (V. t. II!,
P. 216.) Ce crime abominable affecta profondément
empereur Guil-
laume , qui , ac-
compagné du
grand-amiral von
Tirpitzeldu chef
dugrandétal-ma-
jor, avait eu, ré-
cemment,uneen-
trevne avec l'ar-
chiducauchàteau
de Konopischt,
en Bohème.
La question
serbe se posait
de nouveau de-
vant l'Europe.
Lorsque la ré-
volution de 1908
rendit les Jeunes-
Turcs maîtres du
pouvoir et mit lin
à la domination
hamidienne,
François-Joseph estima que les circonstances lui
permettaient d'annexer impunément la Bosnie et
l'Herzégovine, sur lesquelles il n'avait qu'un droit
d'occupation, et le kaiser Guillaume H déclara qu'il
soutiendrait son <• brillant second ", même par les
armes. La Russie ne crat pas devoir assumer la
responsabilité d'une guerre générale : s'inclinant
devant la volonté de l'Allemagne, elle n'insista pas
pour obtenir la réunion d'une Conférence, et elle
conseilla à la Serbie de s'incliner également.
Le 31 mars 1909, le gouvernement de Belgrade
signa la Déclaration suivante, qui lui lut présentée
par l'Angleterre et par laquelle il reconnaissait le
fait accompli :
I.a Serbie reconnaît qu'elle n'a pas été atteinte dans
ses firoits par le fait accompli créé en Bosnie-Herzétrovine
et qu'elle se conformera, par conséquent, à telle décision
que les puissances prendront par rapport à l'article ih du
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
François-Joieph I*',
empereur d' Autriche-Hongrie.
traité de Berlin. Se rendant aux conseils des grandes
puissances, la Serbie s'engîige, dès à présent, à abandon-
ner l'attitude de protestation et d'opposition qu'elle a
observée à l'égard de l'annexion depuis l'automne dernier,
et elle s'engage, en outre, à changer le cours de sa poli-
tique actuelle envers l'Auiriche-Hongrie pour vivre désor-
mais avec cette dernière sur le pied d'un bon voisinage.
L'annexion de la Bosnie et de l'Herzégovine, vio-
lation flagrante du droit public européen par les
empires germa-
niques, condam-
nait brutalement
les revendica-
tions historiques
et l'idéal de la
nation serbe; elle
constituait un
échec pénible
pour la Russie,
protectrice des
nationalités sla-
ves, et même
pour la politique
d'équilibre de la
Triple -Entente,
puisqu'elle mar-
quait une victoire
du germanisme
sur le slavisme
dans les Balkans,
spécialementune
victoire des Ma-
gyars sur les Serbes. L'Autriche-Hongrie s'accom-
modait mal de l'existence d'une Serbie émancipée
de S8' tutelle, prospère, capable d'un idéal, tournée
vers Saint-Pétersbourg. Kn suggérant la création
d'une Albanie indépendante, en refusant à la Serbie
une libre sortie sur l'Adrialique, elle avait montré
ses vrais sentiments à l'égard d'un petit Etat qui
gènail seul la .. marche vers l'Est» (le Orang nach
Osten): car le gouvernement ottoman était à la dé-
votion de l'Allemagne, et des souverains de marque
germanique régnaient i Bucarest, à Sofla, à Athènes.
L'Autriche était si bien résolue à renverser cet obsta-
cle qu'elle demanda à l'Italie, au mois d'aoùl 1913,
de collaboi'er avec elle à l'œuvre de destruction
Le gouvernemeni de Belgrade réprouva de la ma-
nière la plus énergique l'attentat de Serajevo : les
ministres du vieil empereur François-Joseph préten-
dirent, pourtant, voir dans le crime du 28 juin, com-
mis par un Slave de sujétion autrichienne, le résultat
d'un complot fomenté en Serbie même, avec la
complicité de personnages officiels. Diplomates et
militaires furent d'avis de recourir à l'emploi de la
force; mais, tandis que le comte Berchtold était par-
tisan d'une opération localisée, l'état-major accep-
tait l'idée d'une conflagration générale avant que la
Russie et la France eussent achevé leur organisa-
tion militaire. Les uns et les autres pensaient, au
surplus, que le tsar s'inclinerait en 1914, comme il
Le comte Berchtold.
président du conseil austro-hongrois.
s'était incliné en 1908, bien que le ministre russe
des affaires étrangères, Sazonov, eût déclaré à l'am-
bassadeur d'Autriche à Saint-Pétersbourg que l'as-
sassinat de l'archiduc ne devait pas servir de prétexte
à une intervention armée en Serbie (6 juillet).
Le jeudi 23 juillet, dans la soirée, le gouverne-
ment serbe reçut une « Note » autrichienne lui po-
sant les conditions les plus humiliantes et lui accor-
dant, pour s'y soumettre, un délai de quarante-huit
heures, expirant le samedi Î5 juillet, à 6 heures
du soir. Accusé de tolérer, ou de favoriser, des in-
trigues révolutionnaires ayant pour but de détacher
de la monarchie dualiste ses sujets serbo-croates,
il devait les désavouer solennellement et accepter,
sous le contrôle de "Vienne, une série de mesures
propres à assurer le châtiment des coupables, aussi
bien qu'à prévenir le retour de nouveaux attentats;
un II bureau de sûreté » austro-hongrois, installé à
Belgrade, « collaborerait avec la police et l'autorité
administrative
serbes ».
Cetultimatum,
que lambassa-
deurdeFrançois-
Josephà Londres
qualifiaithypocri-
temenl de •■ de-
mandederéponse
avec limitation
de temps •■, était
à la fois humi-
liant et inaccep-
table. Aussi, le
prince Alexan-
dre, l'égent de
Serbie, supplia-
t-il le tsar de ve-
nir ft son aide,
acceptant par
avance toutes les
conditions que
Nicolas II lui indiquerait comme compatibles avec
la souveraineté de l'Etal eî réprouvant le plus sin-
cèrement du monde un crime auquel son gouver-
nement était étranger : car la Serbie, épui.-ée par
les deux guerres balkaniques, avait trop grand
besoin de repos pour envenimer des rapports déjà
difficiles avec ses voisins.
Les gouvernement.- étrangers n'eurent communi-
cation que le 24 juillet de la • note ultiinalive ■
austro-hongroise, dont le ton insolite et raide les
impressionna défavorablement. Pendant que Sazo-
nov faisait demander à Vienne une prolongation du
délai si court imparli au cabinet de Belgrade, a Paris,
l'ambassadeur allemand, baron de Schcen, se ren-
dait au quai d'Orsay pour taire ressortir, au moven
d'une note verbale, les ■• conséquences incalcu-
lables >• qu'entraînerait, par suite du jeu des al-
liances, toute tentative d'immixtion dans une • affaire
à régler exclusivement entre l'Autriche-Hongrie et
17
Alexandre,
prinoe-régent de Serbie.
Pachitrh,
président du conseil serbe.
436
la Serbie ». Cette singulière déclaration, de caiac-
lère nettement comminatoire, était formulée juste
pendant l'absence du président de la République et
du ministre des affaires étrangères, René Viviani :
tous deux avaient même quitté Saint-Pétersbourg
et se trouvaient déjà en mer lorsque la noie
autrichienne avait élé remise à Belgrade. Après
avoir tenté de nous intimider, le baron de Schœn
nous pria d'intervenir à Saint-Pétersbourg, en
dehors de la
chancellerie im-
périale, mais
d'accord avec
elle, Il dans un
sentimentdesoli-
darilé pacifique i>
(26 juillet). L'Al-
lemagne aurait
ainsi compromis
la France aux
yeux de notre
alliée et provo-
qué peut-être la
dislocation de la
Triple - Entente.
C'est ce qu'elle
voulait sans dou-
te, puisque, en
s'inlerposant en-
tre le cabinet de
■Vienneetlesgou-
vernements atta-
chés à la paix, elle mettait en opposition les deux
groupements d'allianceseuropoennes. 11 est, du reste,
infiniment probable qu'elle connaissait le se is de
l'ultimatum austro-hongrois et tout à fait certain
qu'elle avait, dès ce moment, envisagé les consé-
quences de son attitude.
Du fond du cœur (lit-on dans la préface du Livre blanc
allemand de 19U), nous avons pu dire à notre allié que
nous étions d'accord avec lui sur la manière d'envisager
la situation et d'assurer que toute action qu'il considérait
comme nécessaire pour mettre un terme au mouvement
dirigé en Serbie contre l'existence de la monarchie au-
rait notre approbation. En agissant ainsi, nous avions
Farfaitoment conscience qu'une démarche belliqueuse de
Autriche-Hongrie contre la Serbie pouvait faire entrer
la Russie dans l'arène et, conformément à nos devoirs
d'alliés, nous entraîner nous-mêmes dans une guerre
Nous avons donc laissé à l'Autriche les mains entière-
ment libres pour agir contre la Serbie.
Cependant, le président du conseil serbe, docile
aux conseils de la Russie, de l'Angleterre et de la
France, se résignait à donner, dans les délais, une
réponse dont se lût contenté tout gouvernement
non résolu depuis longtemps à en venir aux armes.
Non seulement il condamnait le crime de Serajevo,
mais encore, sans accepter le lonctionnement à Bel-
grade d'un organisme étranger, il allait jusqu'à
admettre « toute collaboration qui répondrait aux
principes du droit international et à la procédure
criminelle, ainsi qu'aux relations de bon voisinage ».
S'il demandait des précisions quant à l'intervention
directe des fonctionnaires austro-hongrois dans les
enquêtes judiciaires en territoire serbe, il s'enga-
geait à communiquer à ces fonctionnaires les résul-
tats de l'instruction. Enfin,:! proposait de soumettre
à l'appréciation du tribunal de La Haye, ou à celle
des grandes puissances, les divergences de vue qui
pourraient s élever relativement à l'exécution des
mesui-es à prendre par la Serbie. Un quart d'heure
après avoir reçu cet acte de soumission presque
complète à des
exigences aussi
excessives dans
le fond que bru-
tales dans la for-
me, le ministre
d'Autriche-Hon-
grie informa le
président du
conseil serbe,
Pacliitch, qu'il
quitterait Bel-
grade le soir
même avec le
fersonnel de la
égation. Simul-
tanément, le
comte Berchlold
notifiait au mi-
nistre de Serbie
à 'Vienne la rup-
ture des relations
diplomatiques avant d'avoir eu le temps matériel de
connaître la réponse faite à rullimalum.
Le conflit austro-russe. — Dès le début, l'Alle-
magne prit le parti de l'Autriche-Hongrie. Elle se
trouva donc en conflit avec la Russie, et ce conflit
entre Germains et Slaves prit, en se développant,
un caractère européen.
A en croire les diplomates de Berlin et de
■Vienne, les Serbes, avec l'appui de la Russie,
menaçaient l'existence même de la monarchie da-
nubienne, et le tsar ne recherchait rien de moins
Le tsar Nicuia^ il.
LAROUSSE MENSUEL
que la reconstitution sous son patronage de la Ligue
balkanique, dirigée non plus contre la Turquie,
mais contre l'Autriche, au grand dommage des
populations germaniques de l'Europe centrale.
En réalité, Nicolas II ne poursuivait nullement
le triomphe du panslavisme. 11 prétendait seulement
au maintien du s/a/uçMO balkanique, tel que l'avaient
fixé les dernières conventions internationales et,
d'ailleurs, les engagements pris en 1909 par la
Serbie avaient été donnés non pas à l'Autriche,
mais aux grandes puissances. Il ne pouvait donc
rester indifférent au sort du petit Etat slave, et
son ministre des affaires étrangères, Sazonov,
avait demandé que l'ultimatum fût soumis à dis-
cussion, que, par suite, le délai fixé bénéficiât d'une
prorogation.
D'après la chancellerie austro-hongroise, les inci-
dentsconsécutifs
à l'attentat du
28 juin concer-
naient uni que-
ment les cabinets
de Vienne et de
Belgrade: ils de-
vaient donc être
localisés, réglés
en dehors d'une
tierce interven-
tion. Or, la ques-
tion serbe avait
une portée inter-
nationale : l'Au-
triche maîtresse
de la Serbie, c'é-
tait Berlin direc-
tement relié à
Sofia et à Cons-
tanlinople ; c'é-
tait la question sazonov, ministre des affaires étrangères
d'Orient résolue ^^ Kussie.
au profit desEm-
pii-es centrau x ; c'étaitl'assu jetlissement de l'Europe.
Le secrétaire d'Etat allemand von Jagow, en
affirmant que les intérêts autrichiens se heurtaient
sans cesse à l'hostilité ou à la mauvaise volonté de
l'Entente, oubliait ou feignait d'oublier les faits les
plus significatifs. L'Autriche avait obtenu, après les
deux récentes guerres balkaniques, les satisfactions
auxquelles elle prétendait : création de l'Albanie,
acceptation du souverain désigné par elle, abandon
de Sculari par le Monténégi'o, renonciation par la
Serbie à un débouché sur l'Adriatique. Ayant énu-
méré ces résultats devant les Délégations, le 20 no-
vembre 1913, le comte Berchtold concluait :
Nous avons exécuté la partie essentielle do notre pro-
gramme et sauvegardé la paix de notre monarchie.
L'Autriche avait, en effet, proclamé qu'elle consi-
dérait son extension leiriloriale comme achevée par
l'acquisition de la Bosnie-Herzégovine et qu'elle
admettaitcomme
logique l'évolu-
tion des Etalsbal-
kaniques d'après
la situation créée
par leurs vic-
toires.
Guillaume II
aurait certaine-
ment obtenu de
François-Joseph
soit une prolon-
gation de délai,
soit un sursis aux
mesuresd'exécu-
tion, conformé-
menlau désir du
tsar ; mais il
sobstina k en-
visager séparé-
ment le conflit
austro-serbeetle
conflit austro-russe, si intimement liés qu'ils n'en
faisaient qu'un. A l'abri de cette distinction, l'Alle-
magne se tint en dehors de toute action vraiment
efficace. Elle refusa, notamment, de s'associer à la
proposition formulée le 26 par sir Edward Grey,
chef duForeign Office, qui lui demanda de coopérer
à une action médiatrice ou modératrice de l'Alle-
magne, de la France, de la Grande-Bretagne et de
rilulie, s'exerçant simultanément à 'Vienne et à
Saint-Pétersbourg. Les ambassadeurs des quatre
puissances se réuniraient en conférence à Londres
et, tant qu'elles délibéreraient, l'Autriche et la Ser-
bie s'abstiendraient de toute opération militaire. La
France et ritalieadhérèientàlaproposition anglaise,
acceptée d'avance par la Russie : le comte Berchtold
la rejeta (27 juillet), comme il rejeta toute transac-
tion sur la base de la note serbe (28 juillet).
Refusant aussi bien d'entrer en conversation avec
les puissances que de régler le conflit austioserbe
par un débat direct entre 'Vienne et Saint-Péters-
bourg, comme le suggérait Sazonov, e comte
Berchtold déclara brusquement la guerre à la
Guillaume II, empereur d'Allemagne.
Von Betbmann-Hollweg. chancelier
de l'Empire allemand.
«• 135. Mai 1918.
Serbie par un télégramme au président Pachitch
(28 juillet). A titre de précaution et uniquement
parce qu'il était porté atteinte au statut balkanique
de 1913, la Russie mobilisa les troupes échelonnées
le long de la frontière austro-hongroise, ayant bien
soin d'aviser l'Allemagne que cette mesure n'élait
à aucun degré dirigée contre elle.
Le conflit germano-russe. — Autant la Russie et
les puissances désireuses de conserver la paix se
montraient d'a-
vance favorables
à toutes les sug-
gestions transac-
tionnelles,autant
l'Allemagne ac-
centuait son in-
transigeance à
mesure que la
situation s'aggra-
vait. Elle n'avait
fait aucun effort
pour faciliter la
reprise des rela-
tions entre l'Au-
triche et la Ser-
bie sous le pa-
tronage moral de
l'F^urope; elle
s'était abstenue
de favoriser la
proposition an-
glaise de média-
tion à quatre et d'appuyer la proposition russe de
pourparlers directs; elle n'accusa même pas récep-
tion de la proposition française d'instituer à Berlin
une commission internationale, chargée de contrôler
l'exécution des promesses faites par la Serbie.
Bien plus, l'ambassadeur allemand à Saint-Péters-
bourg, comte de Pourtalès, avait, dès le 26 juillet,
fait au gouvernement russe cette déclaration me-
naçante :
Les mesures préparatoires de la Russie nous forceront
à prendre des mesures analogues, consistant en la mobi-
lisation de notre armée. Mais la mobilisation signilio la
guerre.
Le but d'une pareille manœuvre était de pousser
l'adversaire à prendre des dispositions dont on
tirerait motif pour se prétendre attaqué.
La journée du 29 fut décisive dans l'évolution de
la crise. La Russie n'avait encore décidé que des
mesures préparatoires à la mobilisation dans les
circonscriptions militaires de Kiev, Odessa, Kazan
et Moscou, sans préjudice de dispositions secrètes
prises à 'Varsovie, 'Vilna et Saint-Pétersbourg, pour
parer à toute éventualité; car l'Allemagne soutenait
sans réserve les exigences de son alliée et poussait
activement ses préparatifs militaires. Entre midi et
1 heure, Sazonov informa l'ambassadeur allemand
que la Russie s'était décidée à mobiliser conlre
l'Autriche seulement et que l'oukase serait publié
l'après-midi ; mais l'ambassadeur objecta que la
mobilisation russe entraînerait automatiquement la
mobilisation allemande.
A 3 heures, l'attaché militaire allemand, von Egge-
ling, rencontra le général Janouchkiévilch. Le
chef de l'état-major russe lui aurait affirmé sur
l'honneur, contrairement à la vérité, que le tsar
n'avait pas encore donné l'ordre de la mobilisaliun :
en réalité, Janouchkiévilch affirma à Eggeling, sur
sa parole de sol-
dat, que l'ordre
de mobilisation
n'avait pas en-
core été signé
par le tsar et,
comme l'attaché
militaire soute-
nait le contraire,
il lui proposa une
dénégation écrite
que son interlo-
cuteur refusa.
C'est cela, a écrit
ultéri eurement
l'ancienchof d'état-
major, qui me per-
suada que l'Alle-
magne voulait la
guerre et ne cher-
chait qu'un simple
prétexte. J'en fis
immédiatement
fiart à Soukhora-
Inov. La mobilisa-
tion sur la frontière allemande n'eut lieu que le 31 juillet.
A supposer, d'ailleurs, que le général ait eu dans
sa poche un ordre dont la publication dépendait de
la suite des événements, en quoi cette mesure de
prévoyance amplement justifiée aurait-elle contribué
à influencer les décisions de l'Allemagne qui l'igno-
rait? Le chancelier Micbaelis, dans une interview
accordée au directeur de l'agence Wolff (sept. 1H17),
invoqua à la décharge de l'Allemagne le témoignage
de Janouchkiévilch et (il, en outre, à son interlocu-
teur des déclarations dont l'une au moins est telle-
Raymond Polncaré,
président de la République française.
Reaé ViTÎani, préBtdent
du conseil des ministres français.
N' 135. Mai 1918
menl absurde qu'on est stupéfait de voir un hoiume
d'Etat imaginer des arguments aussi misérables :
Je a'ai pas besoin de rappeler les relations de Soukhom-
ItDovavec legroupechauviiiiste français do MM. Poincaré
et consorts. On sait que l'élection de M. Poincaré a eu
lieu sous l'égide d'une guerre agressive franco-russe
contre r.XUemagne, et qu à cette époque Souklioiulinov
fut envoyé à Paris alla de placer M. Poincaré à la tète
de la Republique française.
A 7 heures du soir, le comte de Pourtalès eut
une seconde entrevue avec Sazonov et lui commu-
niqua un télégramme du chancelier impérial alle-
mand, von Bethmann-IIoUweg, ainsi conçu :
Veuillez indiquer de nouveau àM.Sazonof, très sérieuse-
ment, qu'un nouveau développement des mesures russes
de mobilisation nous obligerait à mobiliser. Et il ne serait
plus guère possible, alors, d'éviter la guerre européenne.
Il ajouta qu'il s'agissait d'un « avertissement
amical », non d'une menace; mais un avertisse-
ment qui mettait la Russie dans la nécessité de
laisserl'Aulriche
libre de poursui-
vre ses opéra-
tions en Serbie,
souspeine d'avoir
alîaire à l'Alle-
magne : un tel
avertissement
équivalait à une
sommation bru-
tale.
Aussitôt après
le départ de Pour-
talès,letsaravisa
Sa/.onov qu'il ve-
nait de recevoir
du kaiser un té-
légramme du ton
le plus conci-
liant. Sazonov
mit alors son sou-
verain au cou-
rant de son en-
tre vue avec l'ambassadeur, et Nicolas, justement ému,
autorisa son ministre des alTaires étrangères à
consulter le ministre de la guerre et le chef d'état-
major : le résultat de la délibération futqu'il conve-
nait de prendre à temps les mesures nécessaires
pour prévenir une agression allemande.
Le tsar approuva les dispositions projetées ;
mais, vers 10 heures du soir, il téléphona au mi-
nistre de la guerre de sui'seoir à la mobilisation
générale. A)[anl reçu un second télégramme du
kaiser, il s illusionna sur les intentions de son
correspondant et proposa de soumettre au tribunal
de La Haye tout le dilTérend austro-sei-be : son télé-
gramme demeura sans réponse et ne fut pas inséré
dans le Livre blanc.
La guerre générale est, dès ce jour, inévitable.
Le gouvernement de Berlin la veut, et c'est en
vain que sir Edward Grey tâche à empêcher les
hostilités de gagner de proche en proclie. Il pro-
pose l'ouverture de négociations directes entre
Vienne et Saint-
Pétersbourg;
puis, se l'avisant,
il abandonne
cette suggestion
pour proposer
unesolution tran-
sactionnelle: une
fois|maitressesde
Belgrade et de
quelques autres
localités, les for-
cesaulrichieniies
suspendraient
leur marche en
avant pour don-
ner aux puissan-
ces le temps de
s'interposer. Or,
Sazonov, encore
ignorant de l'ini-
tiative britanni-
que, proposait de
son côté à l'agrément de la chancellerie impériale
une formule conciliatrice :
Si l'Autriche, reconnaissant que son conflit avec la Serbie
a assumé le caractère d'une question d'intérêt européen,
se déclare prèle à éliminer de son ultimatum les clauses
qui portent atteinte à la souveraineté do la Serbie, la
Russie s'engage à cesser toutes mesures militaires.
Le 30 juillet, le gouvernement allemand fit savoir
au gouvernement britannique qu'il transmettait sa
proposition à l'Autriche, et sir Edward Grey, en
saisissant la Russie de sa suggestion, l'avertit que
la Wilhelmstrasse paraissait disposée à agir sur le
Ballplalz. La France s'empressa d'insister auprès de
son alliée et, malgré l'émotion produite par le bom-
bardement de Belgrade, Sazonov consentit à modi-
fler comme suit sa première rédaction :
Si l'Autriche consent à arrêter la marche de ses armées
anr le territoire serbe et si, reconnaissant que le conflit
Jules Cambon,
ambassadeur de France è, Berlin.
Comte de Pourtalès, ambassadeur
d'Allemagne & Saint-Pâtersbourg.
LAROUSSE MENSUEL
austro-serbe a assumé le caractère d'une question d'in-
térêt européen, elle admet que les grandes puissances
examinent la satisfaction que la Serbie pourrait accorder
au gouvernement d'.\utricne-Hongrie sans laisser norter
atteinte à ses droits d'Etat souverain et à son indépen-
dance, — la Russie s'engage & conserver sou attitude
ezpectante.
L'Angleterre et la France acceptèrent ce texte, et
l'Autriche y adhéra. Le comte Berchtold se déclara
prêt à discuter le fond de l'ultimatum du 23 juillet
et, les pourpar-
lers ayant repris
d'autre part entre
les chancelleries
russe et austro-
hongroise, on put
espérer que la di-
plomatie ferait
aboutir, à Lon-
di-es, l'ellort de
ces négociations
directes. A la vé-
rité, le comte
Berchtold ne don-
nait son adhésion
que sous certai-
n,es réserves,
mais il n'en fai-
sait pas inoins
une concession si
imprévue qu'on
en fut surpris.
Etait-il de bonne
loi et commençait-il à entrevoir les conséquences de
sa politique'? Ktait-il d'accord avec von Bethmann-
Hollweg pour endormir opportunément les défiances
de l'Europe? Ane tenir compte que des apparences,
on constatait un lléchissement des exigences austro-
hongroises, mais le cabinet de Berlin se montrait
de plus en plus intransigeant.
Cette intransigeance est établie non seulement
par la déclaration du secrétaire d'Etat von Jagow,
qui, de sa propre autorité, jugea inacceptable la
formule Sazonov, mais encore par l'incident de la
« dépêche manquante ». Guillaume II affirma, dans
la suite, que, le soir du 30 juillet, il avait reçu, en
même temps que la proposition britannique, une
dépêche autrichienne, conçue précisément dans le
même sens, et qu'il s'était empressé de transmettre
à Vienne la dépêche brilanni(|ue, à Londres la
dépêche autrichienne. Malheureusement, le Foreign
Office ne lut jamais touché par cette communica-
tion, soit que le kaiser n'ait pas dit la vérité, soit
que la dépêche ait été interceptée par quelqu'un de
son entourage.
La situation devenait si grave que, le 31 juillet,
René "Viviani, président du conseil français, crut
devoir mander k nos représentants à l'étranger :
L'Allemagne, qui, depuis le commencement du conflit,
tout en protestant sans cesse auprès de chacune des puis-
sances de ses intentions pacifiques, a ("ait échouer en fait,
par son attitude ou dilatoire ou négative, toutes les tenta-
tives d'accord et n'a pas cessé d'encourager par son am-
bassadeur l'intransigeance de Vienne; les préparatifs mi-
litaires allemands commencés dès le 25 juillet et poursuivis
sans arrêt depuis; l'opposition immédiate de l'Allemagne
à la formule russe, déclarée inacceptable pour l'Autriche
avant même d'avoir consulté cette puissance ; enfin, tontes
les impressions mêmes de Berlin imposent la conviction
que l'Allemagne a poursuivi l'humiliation de la Kussie, la
désagrégation de la Triple-Entente et, si ces résultats ne
pouvaient être obtenus, la guerre.
Cette conviction était malheureusement fondée.
Depuis plusieurs jours, l'Allemagne se préparait à
faire passer son
armée du pied il.
paix au pied ■
guerre. Déjà, a
la faveur des in-
cidents qui trou-
blaient 1 Europe,
elle avait, les
mois précédents,
massé des trou-
pes dans la ré-
gion desservie
par les lignes
strate giquea
aboutissant à la
Belgique et au
Luxembourg. Le
21 juillet, elle
lança les avis
préliminaires de
mobilisation; le
33, elle rappela
les officiers qui
étaient en congé en Suisse; le ;5, au matin,
avant l'expiration du délai assigné & la Serbie, elle
consigna les garnisons d'Alsace-Lorraine et mit
en élat d'armement les ouvrages voisins de noire
frontière; le 26, elle prescrivit les mesures préli-
minaires de la concentration des chemins de fer,
en même temps que les journaux de Budapest pu-
bliaient trente-trois décrets relatifs à la mobilisation
Baron de Schœn,
ambassadeur d'Allemagne à Paris.
437
austro-hongroise; le 27 et le 28, elle procéda à l'oc-
cupation militaire des gares et à des réquisitions,
plaça ses troupes de couverture, commença l'appel
des réservistes; le 29, le territoire français fut violé
en deux points et, le soir, à S h. 30, un conseil de
guerre extraordinaire fut icnu à Potsdam, sous la
présidence du kaiser; le 30, à 1 heure de l'après-
midi, une édition spéciale du Lokal Anzeiner, de
Berlin, annonça la mobilisation générale de l'armée
allemande. Von Jagow lit saisir le numéro du jour-
nal et téléphona aux ambassadeurs que la nouvelle
était inexacte, mais l'effet cherché était produit :
à 2 heures de l'après-midi, Sazonov, reçu par le tsar
au palais de Peterhov, lui exposa que la chancel-
lerie allemande rejetait systématiquement toutes
les combinaisons proposées en vue du maintien de
la paix, et Nicolas autorisa alors la mobilisation
générale, dont l'ordre fut affiché le lendemain matin,
31 juillet. L'ambassadeur des Etats-Unis à Berlin,
James W. Gérard, d'accord avec l'ambassadeur de
France, Jules Cambon, et le ministre de Belgique,
baron Beyens, avait, la veille, sous sa pi-opre res-
ponsabilité, adressé au chancelier von Bethmann-
HoUweg la lettre suivante :
Excellence,
Mon pays no peut-il rien faire, ne puis-je rien faire pour
empêcher cette horrible guerre ? Je suis convaincu que le
président de la République américaine approuverait tout
acte que Je ferais dans l'intérêt de la paiz.
Toujours vôtre.
Cette proposition resta sans réponse, et la situa-
tion empira, le 31, du fait que Guillaume proclama,
conformément à l'article 68 de la constitution de
l'Empire, le kriegsgefahrzusland (élat de danger
de guerre), qui permet la proclamation de l'état de
siège, la suspension de certains services, la ferme-
ture de la frontière. Dans le livret militaire alle-
mand, les mots kriegszustand et mobilmachung
(mobilisation) étaient imprimés côte à côte ; le ser-
vice compétent devait biffer l'un ou l'autre, mais
avec ordre aux réservistes d'avoir à se présenter dès
la proclamation
linkriegszusiand
si ce mot n'avait
Pas été rayé :
Allemagne pou-
vait donc appeler
ses réserves sans
ordonner la mo-
bilisation. Aussi-
tôt que fut con-
nue la décision
suprême qu'avait
prisele tsar après
des tergiversa-
tions et des hési-
tations qui l'ho-
norent, des ins-
tructions furent
envoyées au
comte de Pour-
talès, qui, à mi-
nuit, vint signi-
fier k Sazonov
que la mobilisation générale allemande serait dé-
crétée si, dans un délai de quarante-huit heures,
expirant le 1" août à midi, la Russie n'arrêtait pas
tous ses préparatifs, aussi bien sur la frontière alle-
mande que sur la frontière austro-hongroise.
Deux heures après l'expiration du délai fixé par
l'ultimatum, Nicolas télégraphia à Guillaume :
Je conçois que tu sois obligé de mobiliser; mais je vou-
drais avoir de toi la même garantie que je t'ai donnée, à
savoir que ces mesures ne signifient pas la guerre et que
nous poursuivrons nos négociations pour le t>ieii de nos
deux pays et la paix générale, si chère à nos cœurs. Notre
longue amitié éprouvée doit, avec l'aide de Dieu, réussir
à empêcher une elTusion de sang. Je t'en prie d'une ma-
nière instante, et j'attends en pleine conflance une réponse
de toi.
A un appel si franc, si sincère, Guillaume II
répondit sèchement par un non possximus :
Une réponse immédiate, claire et non équivoque, de ton
gouvernement est le seul moyen de conjurer une calamité
infinie. Jusqu'à ce ()Uo je reçoive cette réponse, il m'est
impossible, à mon vif regret, d'aborder le sujet de ton
télégramme.
Déjà, le 31 juillet, sir Edward Grey avait télé-
graphié à l'ambassadeur d'Angleterre à Berlin, après
la reprise des conversations directes entre l'Au-
triche et la flussie :
J'ai dit à l'ambassadeur d'Allemagne ce matin que, si
l'Allemagne faisait une proposition raisonnable qui mon-
trerait clairement que 1 Allemagne et l'Autriche s'effor-
çaient de préserver la paix européenne et si la Russie et
la France étaient assez déraisonnables pour la repousser,
je la soutiendrais à Saint-Péterstiourg et à Paris, et je vais
jusqu'à dire que. si la Russie et la France ne l'acceptaient
pas, le gouvernement de Sa Majesté se désiotéresserait
des conséquences; mais, autrement, j'ai dit k l'aiabassa-
deur d'Allemagne que, si la France se trouvait eotraluée,
nous serions engagés.
Ce jour-là, comme le jour où le tsar s'adressa à lui
avec confiance, l'empereur allemand pouvait sauver
la paix du monde. {A suivre.) — Albert litost.
Edward Gr^j;,
ministre des affaires étrangères
de Grande-Bretagne et Irlande.
438
Aviation (Epreuves d'aptitude à l'). Les
circulaires ministérielles exigent, de tout candidat à
l'aviation militaire, un certain nombre de qualités
physiques qui ont paru indispensables pour ceux qui
veulent entrer dans celte arme. Le pilote d'aviation
est, en effet, exposé à un grand nombre d'influences
défavorables, qui peuvent compromettre sa santé, sa
vie et le rendre incapable de mener à bien les mis-
sions qui lui sont confiées. Parmi ces influences, il
suffira de citer les différences de pression atmos-
phérique qu'il est amené à supporter et qui se pro-
indice dei réactions Tiiuellet
psyohomotrieei, au moyen du cbronographe
le d'Ârsonval.
duisent, circonstance aggravante, dans un temps
très court, étant donné la rapidité avec laquelle,
aujourd'hui, l'aéroplane doit monter et descendre.
On noiera aussi les fatigues souvent considérables
qu'il endure, lalutte contre les éléments et, enfin, les
émotions violentes que lui procurent les raids de
reconnaissance ou de bombardement et, surtout, le
combat aérien, dans lequel il lui faut disposer, entre
autres conditions de victoire, d'un sang-froid à
toute épreuve, d'organes des sens parfait£ment nor-
maux, etc.
11 est donc indiqué de faire subir à tout candidat
au poste de pilote des épreuves de divers ordres.
Les unes porteront sur son acuité visuelle, sur la
vision des couleurs, sur l'étendue du champ binocu-
laire, sur l'acuité auditive, sur l'intégrité de l'oreille
et de l'appareil d'équilibration. Ces épreuves ne
présentent aucune particularité qui soit digne de
description.
Un second groupe d'épreuves portera sur l'inté-
grité de ses appareils cardiaque et pulmonaire. Un
examen détaillé de ces organes est nécessaire, qui
sera constitué non seulement par une auscultation
soigneuse, mais encore par la prise de tracés mon-
trant si ces fonctions s'accomplissent chez lui de
façon normale. Ces épreuves ne s'écartent pas non
plus des examens médicaux habituels.
Le troisième groupe d'épreuves, sur lequel nous
voudrions nous étendre quelque peu, concerne les
réactions psychomotrices du candidat et son degré
d'émotivité. <i Le principal péril, a dit le professeur
Charles Richet, est dans la psychologie même de
l'aviateur. Avant tout, il doit garder le calme, la
maîtrise de soi, ne pas exagérer ses réflexes, savoir
les utiliser avec rapidité, conscience de ses mouve-
ments ».
C'est à la fin de 1915 aue les docteurs Camus,
agrégé de la Faculté de médecine de Paris, et
Nepper, chef de laboratoire de physiologie patholo-
gique au Collège de France, ont établi le programme
de ces épreuves et que le dernier nommé a com-
mencé à l'appliquer à tous les jeunes gens désireux
d'entrer dans l'aviation.
Ce programme est double : il comprend, d'une
fart, l'examen des réactions psychomotrices; de
autre, la recherche de l'émotivité.
Indice des réactions psychomotrices. — La
technique de cet examen est la suivante : une réac-
tion psychomotrice étant constituée par le temps
qui s'écoule entre une impression simple, de com-
position et d'énergie connues jusqu'à l'acconiplisse-
ment du mouvement volontaire qu'elle doit déter-
miner, il faut reconnaître si ce temps est normal ou
anormal chez les sujets examinés.
Pour cela, l'instrument principal est un chrono-
graphe de d'Arsonval, constitué par un cadran dont
une aiguille fait le tour en une seconde et qui est
divisé en cent parties. Un contact électrique, tenu
par le candidat, lui permettra d'arrêter la course
de l'aiguille aussitôt qu'il aura perçu une impres-
sion donnièe. Le chronographe indiquera la position
de l'aiguille au moment où l'impn'ssion a été
déclanchée, et l'aiguille arrêtée donnera le moment
où la volonté de l'examiné aura accompli le geste
demandé. La différence entre ces deux moments
indiquera, en centièmes de seconde, l'indice de
réaction psychomotrice.
Supposons, par exemple, que l'on veuille mesurer
la rapidité de réaction visuelle d'un candidat. L'exa-
LAROUSSE MENSUEL
minateur tient en mains un contact analogue à celui
C[ue tient l'examiné. Ce contact lui permet de mettre
1 aiguille en marche. Il ordonne au candidat d'inter-
rompre, par pression, cette marche de l'aiguille aus-
sitôt qu'il la verra commencer. Entre l'instant où
l'aiguille est mise en marche et celui où elle s'arrête,
il s'écoule un temps qui est l'indice de réaction
visuelle. De même, pour juger la réaction auditive,
on ordonnera au candidat d'arrêter l'aiguille du
chronographe dès qu'il aura perçu le bruit d'un coup
de revolver tiré derrière lui; pour apprécier la réac-
tion tactile, il devra faire le même
geste aussitôt qu'il aura perçu le
contact convenu. On établit ainsi,
par une dizaine d'épreuves impo-
sées successivement, une moyenne
pour chacune de ces réactions.
L'indice d'un homme normal est,
pour les réactions visuelles, de
19 centièmes de seconde, pour les
auditives de 14 et pour les tactiles
de 14 également.
Pour qu'un candidat soit admis,
il faut que son indice ne s'écarte
pas de l'indice normal de plus d'un
centième de seconde pour chacune
de ces réactions.
Un aviateur célèbre, mort ré-
cemment en combat aérien et qui
comptait de nombreuses victoires
à son actif, présentait les indices
de réaction suivants: 17,9 pour
les visuelles, 13,6 pour les tactiles,
13,3 pour les auditives. Cette rapi-
dité est tout à fait exceptionnelle.
D'autre part, les intoxications (alcool, morphine)
modifient ces temps de réaction. Il en est de même
des maladies, des grandes tensions nerveuses, de
la fatigue, etc. Par contre, chez un sujet donné, elles
restent immuables d'un jour à l'autre, quelles que
soient les dispositions qu'il accuse.
Graphique d'émolivilé. — « 11 ne suffit pas, dit
Nepper, qu'un sujet réagisse rapidement sur les im-
pressions reçues; il faut encore qu'une émotion impré-
vue n'exerce sur lui qu'une influence aussi faible et
aussi courte que possible». Pour se rendre compte du
degré d'émotivité d'un candidat, on lui fait porter un
pneumographe, qui inscrit sur un cylindre enfumé
son tracé respiratoire ; un trembleur tenu dans sa
main indiquera le tracé graphique du tremblement;
enfin, les variations vasomotrices seront rendues
sensibles par le pléthismographe de Haillon et
Comte. C'est d'après les tracés obtenus dans ces trois
ordres de fonction, d'après leur comparaison à un
type normal, qu'on jugera si le sujet est apte ou non
Recherche de l'émotivité, au moyen d'un pneumographe, d'un trembleur et du plé-
thismographe de HalUon et Comte. (L'émotion est en général provoquée par un coup
de revolver tiré derrière le candidat.)
àdevenir un pilote. L'émotion peut ê Ire provoquée
de façons très difi'érentes. En général, elle résulte
d'un coup de revolver tiré derrière le candidat.
La plupart du temps, les renseignements donnés
par les deux ordres d'épreuves concordent et mar-
client parallèlement. Les candidats à réactions
psychomotrices bonnes montrent des phénomènes
d'émotivité très peu accentués. Chez un certain
nombre de sujets, on trouve, au contraire, une dis-
sociation qui montre, le plus souvent, des réactions
psychomolrices défectueuses et une émotivité nor-
male ou même inexistanie. Nepper, n'ayant trouvé
ce genre de dissociation que chez des sujets soit
trépanés, soit commotionnés, soit atteints de frac-
ture du crâne ou d'asthénie grave, considère que
<i cette apparente impavidité » doit avoir pour cause
un trouble fonctionnel ou une lésion organique des
voies de conduction de l'excitant émotif vers les
centres. La dissociation inverse est très rare, et il
est difficile d'en donner, actuellement, une explica-
tion satisfaisante — O' Henri bouqmt.
W 135. Ma/ 1618.
Berryer (les Idées de), par Louis Marchand.
— Charles Maurras, dans une courte préface, nous
présente l'auteur, qui, originaire du Poitou et jeune
encore, est tombé le 27 septembre 1914 devant
Thuisy. 11 avait, à la veille des hostilités, terminé
le présent travail, qu'il avait conçu comme une
simple thèse de doctorat formant « une profonde
étude d'histoire intellectuelle qui doit sauver le
nom du jeune héros poitevin ». L'appréciation, pour
partiale qu'elle soit, n'en est pas moins juste ;
car, en dehors de la discussion et du mérite des
idées du grand orateur légitimiste, leur seul exposé
est une des études psychologico-politiques les
mieux conduites de ces dernières années. 11 est
toujours difficile de retracer, d'analyser les idées
d'un orateur ou d'un homme politique, sans écrire
le livre d'histoire proprement dit, sans exposer la
carrière du héros qu'on s'est choisi, sans décrire le
milieu dans lequel il a vécu. Louis Marchand a ré-
sisté à la tentation de iracer un portrait en pied de
Berryer. Il renvoie, pour l'ensemble de la vie poli-
tique et judiciaire de Berryer, aux œuvres de Charles
de Lacombe et du Père Lecanuet et entre de plain-
pied dans son sujet : dans une première partie, il
étudie les principes généraux de Berryer sur l'Etat
et la souveraineté ; dans une seconde, la légitimité
du principe monarchique; dans une troisième, les
libertés ; dans une quatrième, le système représen-
tatif; dans une cinquième, l'organisation pratique
des pouvoirs dans la monarchie représentative. Et,
dans chacune de ces six cents pages, c'est Berryer
seul qui est en cause; l'auteur ne se distrait à aucune
comparaison, ne s'abandonne à aucune diversion ;
jamais sujet ne fut plus strictement limité, dans sa
conception et dans son exécution : peut-être eût-il
gagné, en certains points, à être légèrement élargi.
L'individualisme dressé en doctrine philosophique
et sociale par Rousseau, consacré par les Droits de
l'homme, a nettement dominé le mouvement des
esprits au xix» siècle; il inspire encore toute noire
législation. Louis Marchand oppose à cette thèse
celle de 1' » ordre social naturel », proclamant que
l'état de société est la condition même de l'existence
de l'espèce humaine. Berryer, à la suite de Joseph
de Maistre et de Bonald et en réaction avec l'esprit
de son temps, s'érige comme un défenseur des droits
de la société, qui est une fin en soi. La société est
à elle-même son propre but. L'individu doit être
suljordonné au groupe, à l'espèce dont on ne le con-
çoit pas séparé et, dans sa pensée, il le place tou-
jours au centre de sa vie réelle, au centre de sa
vie domestique, provinciale, municipale, profession-
nelle, où il se déploie tout entier en pleine posses-
sion de sa valeur. Et, selon la tradition conserva-
trice, il pose comme bases essentielles de la vie en
société : la religion, la famille, la
propriété. Rares étaient ceux qui,
durant la carrière de Berryer, atta-
quaient le caractère sacré de la
famille : l'orateur, qui était d'ail-
leurs loin de toute tendance despo-
tique et qui, ainsi que le montre
plus loin son commentateur, fut un
grand libéral, tout en voulant conser-
ver intacts les droits de la famille,
en se prononçant nettement contre
le divorce, admettait enire le père
et les enfants une intimité se tra-
duisant, par exemple, par le tutoie-
ment et permettant une libre dis-
cussion d'idées: nombreuses furent
les circonstances où il se trouva,
dans le domaine politique, en dé-
saccord avec son père.
Il défend le droit de propriété
individuelle, mais il revendique le
droit de propriété collective pour
des corporations ou des syndicats,
ayant sur ce point des idées très
différentes de celles de son parti et
de son temps ; idées qu'il eut l'occa-
sion de défendre avec chaleur dans
plusieurs plaidoyers prononcés pour
la défense des syndicats, de typographes et de
charpentiers notamment. Enfin, Berryer, tout en
n'étant pas catholique pratiquant (avanll857), était,
d'esprit et de doctrine, prof^ondément religieux. II
proclama eji diverses circonstances qu'il fallait unir
les antiques libertés de l'Eglise et les nouvelles
libertés de l'Etat; mais son hostilité pour le despo-
tisme l'écartait de la doctrine de la religion d'Etat.
N'en doutez pas. Messieurs (s'écriaif-il à ta Chainl)re le
4 mai 1845), la révocation de l'édit de Nantes est une
conséquence de cette fusion du pouvoir civil avec le pou-
voir religieux, de 1.1 consécration de la croyance religieuse
dans une loi de l'Etat. Il a fallu être exclusif le jour où ta
puissance civile a voulu être en même tenij)S puissance
religieuse.
Et il était obligé de conclure sur ce point en
faveur du système adopté en 1830.
Berryer n'a jamais été un théoricien politique à
la manière deRoyer CoUardoude de Bonald. C'est
ce qui cause l'embarras de Louis Marchand pour
dresser son système politique ou social. Berryer
N' 135. Mai 1918.
est légitimiste, parce qu'il voit dans le principe
héréditaire une des bases de l'ordre social; mais il
repousse la théorie du droit divin :
Iln'yaqu'unotabiissemont divin ; c'est la vie do l'homme
on société (écrit-it en 1851 [njuillet ), mais la forme sous
laquelle toile ou telle société se conduit, cette l'orme est
une institution humaine. Dieu n'est pas venu dire à un
tel : • Tu seras roi. »
Berryer repousse également la thèse de la sou-
veraineté populaire, quoiqu'il ait revendiqué, en
diverses circonstances, la consécration populaire
comme se trouvant à l'origine de la « Restauration » ;
Je ne connais pas, je n'admets pas le principe de la
souveraineté du peuple. Je ne comprends pas même l'ac-
tion régulière et vraie de cette souveraineté,
prononce-t-il le 30 août 1842; mais, alors, quel est k
ses yeux le fondementjuridiquedu pouvoir légitime"?
Louis Marchand cile plusieurs textes où Berryer
s'est efforcé de le définir :
C'est dans la longue vie d'un peuple que se consacrent
les principes immuables de sa constitution,
dit-il en 1831 et, vingt ans plus tard, il paraphrase la
mime idée :
Quand un principe a été protecteur, quand il a été bon
pour un grand peuple, quand ce peuple s'est magnifique-
ment développé sous sa loi, c'est un devoir de faire res-
pecter et de ne pas laisser mettre en discussion... ce
principe conquérant sauveur.
La formule est vague ; elle revient k dire qu'un
pouvoir acquiert sa légitimité de sa durée ; mais le
principe de la souveraineté populaire réalisé par
Pierre-Antoine Berryer ^tableau de Henry Scheffer).
la Révolution avait été conçu depuis l'origine des
sociétés, et tout pouvoir a toujours, à son point de
départ, l'assentiment formel ou tacite de la nation :
la monarchie capétienne, usurpatrice dans la per-
sonne de Hugues Capel, devient léfrilime dès que
les Français se rallient autour d'elle. Berryer le
sent bien; mais, par haine pour l'usurpation orléa-
niste, il proclame :
1^ France est une république de fait par les principes
qui ont triomphé dans son sein depuis quarante ans
(7 janvier 1834).
Cette République, qu'il comprendrait ailleurs, il
ne l'admet pas en France, oii l'action de la mul-
titude tumultueuse et l'absence de toute hiérarchie
la rendent inviable à ses yeux. Il s'en accommo-
derait, pourtant, plutôt que de la tyrannie impériale,
qu'il a flétrie en maintes circonstances :
J'étais bien impérialiste à dix-huit ans... Oh, la gloire
de l'Empire..; mais j'ai vu, j'étudiais alors comme vous
... J'ai étudié pendant dix-huit mois les procès-verbaux de
l'Assemblée constituante. J'ai commencé & comprendre;
j'ai senti le despotisme, et il a gâté la gloire pour moi...
Et puis, j'ai vu l'infidélité de la victoire ; j'ai vu l'étranger
amené par nos revers jusqu'ici... Faire reposer la des-
tinée d'un peuple sur la teto d'un homme, c'est le plus
grand de tous les crimes.
Une pareille condamnation, c'est un cri vibrant
de libéralisme; c'est la reconnaissance du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes. En dépit de lui-
même, Berryer reste un grand libéral; toute la
LAROUSSE MENSUEL
suite du livre de Louis Marchand le prouve : pas
une liberté politique, économique, sociale qu'il n ait
revendiquée et défendue. S'il a persisté durant
toute sa carrière à défendre la monarchie légilime,
telle que Louis XVIll l'avait instituée par la Charte,
c'est qu'il y voyait le principe d'un régime libéral
octroyé de son plein gré par le seul détenteur de la
souveraineté : le roi. Celui-ci, dans le gouvernement
constitutionnel qu'il préconise, conserve un pouvoir
personnel qui « se traduit par l'exercice de son auto-
rité ». El, cependant, par une contradiction qui n'est
pas unique dans la carrière del'orateurpolitique, —
en dépit des affirmations de Louis Marchand, — Ber-
ryer défend le principe de la responsabilité minis-
térielle; tout acte royal est contresigné par un mi-
nistre qui en endosse la responsabilité : ce sont
donc, déclare-l-il au lendemain de la révolution
de 1830, les ministres seuls qui sont responsables
des Ordonnances; c'est un non-sens juridique et
politique d'avoir fait remonter cette responsabilité à
Charles X; rétablissez celui-ci sur le trône, et vous
pourrez condanmer ses ministres. Quel cas fait-il
donc, en cette circonstance, du pouvoir personnel,
qui s'était, cependant, si clairement manifesté? Et
quelle condamnation plus explicite de l'action soli-
daire du roi et de ses ministres que cette déclaration
faite à la tribune le 17 janvier 1837 :
J'étais profondément convaincu, alors, que le pouvoir
royal, tel qu'il était constitué on France sur un principe
transmis de siècle en siècle..., ne devait pas, comme un
gouvernement nouveau, se montrer jaloux, inquiet, ombra-
geux; qu'il pouvait ne pas disputer ce que le pays était eu
droit de réclamer dans la situation nouvelle où il était placé.
Et ces réclamations légitimes, c'est le droit de
contrôle du Parlement sur la gestion financière et
sur le travail législatif; c'est la représentation des
intérêts sur la base la plus large; c'est l'extension
du suffrage, bien au delà des capacités réclamées
en 1848, jusqu'au peuple, à l'universalité quasi to-
tale, mais après une solide organisation.
Ces principes, très pioches de ceu.v défendus par
Lamartine, Berryer et l'auteur du Génie du chris-
tianisme eussent pu les faire adopter par la mo-
narchie de Juillet, s'ils avaient consenti à recon-
naître le fait accompli, pour sauver, avec le principe
iTionarchique, la liberté et l'ordre public. Qu'on se
représente ce qu'auraient pu être Berryer et Cha-
teaubriand — et Latnartine aussi — autour de Louis-
Philippe, si celui-ci, repoussant la couronne que lui
tendait I^a Fayette, avait accepté la régence que lui
offrait Charles X et adapté la monarchie aux néces-
sités du siècle, rénovant la France que Berryer décla-
rait divisée en deux grands pi'incipes : l'un qui lui
vient de son ancien gouvernement de quatorze siè-
cles, l'autre de sa grande Révolution. — Pierre Rai».
catoptrophobe adj. et n. Névropathe atteint
de caloplrophobie.
— Encycl. Le calopirophohe est un homme qui
redoute non le miroir lui-même, mais la propriélé
qu'il a de refléter sa propre image. 11 se place,
dans les pièces où un miroir existe, de façon à
ne pas voir son reflet. S'il ne peut se placer de la
sorte, il évite de regarder dans la direction de la
glace. Chez lui, il n'y a pas de miroirs en vue.
Obligé de s'en servir pour sa toilette, il les choisit
aussi petits que possible et incapables de le refléter
en entier; aussitôt qu'il s'en est servi, il les cache,
afln de ne les plus voir. Cette phobie a été observée
presque exclusivement chez des névropathes dys-
peptiques, qui avaient, en peu de temps, considé-
rablement maigri.
catoptrophoble (du gr. calopiron, miroir,
et pliohns, crainte) n. f. Peur du miroir. (Phéno-
mène ol)servé chez certains névropathes, et indivi-
dualisé par A. Martiri.)
chalcopliase [kal-ko-fa-ze — du gr. klialkos,
cuivre, et pft((.9is, apparence) n. m. Genre d'oiseau du
groupe des gallinacés et de la famille des phasianidés.
— Enoycl. Ce magnifique oiseau, aux brillantes
couleurs, n'a pas la longue huppe des lophophores,
pas plus que leur activité et leur élégance; car son
corps épais, lourd, ses membres courts, sa tête
grosse pour sa taille, lui donnent un aspect peu
gracieux, qui dlfi'èrede celui des autres gibiers.
On n'en connaît qu'une espèce : le chalcophase
ou faisan bronzé, appelé aussi monaul de Sclater
[chalcophasis Sclaleri), dans laquelle les deux sexes
ont des colorations très différentes.
Le mâle a la tête couverte de plumes frisées, d'un
vert mélallique; l'occiput, les joues, la poitrine et
les parties inférieures du corps sont d'un noir pro-
fond, velouté ; la nuque est d'un rouge devenant
jaune orangé sur les bas côtés; le dos et les ailes
sont d'un vert métallique, ayant des reflets bleus
et pourprés ; les épaules sont rouge bronzé ; les
rémiges primaires sont brun noir, le croupion
est blanc avec des lignes foncées le long de l'axe
des plumes, les couvertures supérieures de la queue
sont blanches et la queue est châtain foncé, large-
ment bordée de blanc à l'extrémité, qui est très ar-
rondie. L'espace nu à la face et autour des veux est
bleu, avec des points noirs. Les membres et Tes pieds
sont bruns, le bec d'une couleur cornée verditre.
439
La femelle est très dilTérente et beaucoup plus
terne. Elle a la tête et la nuque d'un brun foncé, le
croupion et les couvertures de la queue d'un blanc
ocreux pâle, moucheté de brun foncé. La queue,
d'un beau noir brillant, est marquée de cinq ou six
Chalcophase de Sclater.
barres transversales blanchâtres ; le menton est
blanc ; la poitrine, l'abdomen et les cuisses sont
d'un brun foncé moucheté d'ocre.
La longueur totale du mâle est de 65 centimètres,
son aile a 27 centimètres de long, sa queue 20 cen-
timètres et le tarse 7 à 8 centimètres.
Cette espèce est la plus riche en couleur parmi les
phasianidés. Elle n'est connue que par quelques
spécimens venant des collines Mishmi, d'Assam
supérieur, à l'est et au sud-est de Sadiya, au nord-
est de l'Assam. Le type de l'espèce a vécu au jardin
zoologique de Londres. En plus de sa marche lourde,
inélégante, il s'est montré triste; il mangeai', des
feuilles de laitue et de choux, ainsi que du riz et du
maïs. On ne sait pas si, en liberté, sa nourriture
est semblable à celle des lophophores, qui vivent de
racines succulentes, qu'ils arrachent au moyen de
leur bec rohusle. Les lophophores sont farouches;
ils ont un vol assez puissant et une chair très déli-
cate. Il est probable qu'il en est de même des
chalcophases. — a. ménéoiui.
Ceburau, comédie en vers libres, en quatre
actes et un prologue, par Sacha Guitry, représentée
fiour la première fois sur le théâtre du Vaudeville
e 8 février 1918. — Le prologue est une reconsti-
tution pittoiesque de la façade du théâtre des Fu-
nambules en 1818, quand le célèbre mime Deburau
(1796-1846) attirait au boulevard du Temple une
foule enthousiaste et les hommages dithyrambiques
des meilleurs esprits : Théophile Gautier, Jules
Janin, Gérard de Nerval, George Sand, Théodore
de Banville. C'était l'ancien « théâtre des Chiens
savants ■>, voisin du théâtre de « M^'Saqui » et du
(I Petit Lazary ». Le décor nous montre la façade
portant l'écrileau, le guichet de la vendeuse des
billets, les musiciens de l'extérieur, la foule en
costumes de l'époque se précipitant au spectacle.
On entend le boniment du pitre, qui tient la grosse
caisse et qui fait l'exposilion en vantant les triom-
phes de son patron et en échangeant quelques mots
avec un habitué.
Au premier acte, la toile se lève sur l'intérieur du
théâtre. Au fond, la scène. A droite et à gauche,
les loges. Au milieu, les chaises du parterre. Au
premier plan, une barrière, le long de laquelle sont
quelques tables de café pour les consommateurs,
près de l'entrée.
La salle est comble : grisettes, soldats, ouvriers,
étudiants en costumes d'alors, font un ensemble
intéressant comme la réalisation d'une estampe an-
cienne. La toile découvre sur le théâtre du fond le
tiécor où Deburau va jouer sa célèbre pantomime,
Mai-ckand d'hahils : il tue, pour le voler, un mar-
chand fripier, mais le fantôme le poursuit, le corps
traversé d'une épée dont il finit par percer l'assassin
en l'appuyant contre lui pour une valse infernale. La
véritaole pantomime est beaucoup plus étendue et
variée : elle a été réduite ici & l'état d'épisode. Le
succès de Deburau est considérable; il est acclamé,
rappelé; puis la foule se retire et s'écoule dans un
défilé divertissant, qui semble un fragment d'his-
toire du costume. Le théâtre se vide. La troupe
des artistes : Robillard, Clément, Laurent, Justine,
M""" Rebard, Clara, commentent le succès et la
recette; le directeur, Bertrand, est enchanté et aug-
mente Deburau en portant ses appointements à
3^ francs par semaine. Jules Janin a fait sur lui un
feuilleton dans les « Débats >> : on nous le lit. Un
reporter vient interviewer l'artisle, qui prend cette
occasion adroite de nous mettre au fait de toute sa
vie : sa naissance en Bohême, ses exercices dans le
cirque paternel, sa misère et ses succès de mime.
440
LAROUSSE MENSUEL
-Muteur lu;;;.^;^ a„ i.OûO chevaux, actionnaot une soufilauLc .
• tourneauz.
Ils lui valent des succès d'un autre ordre. Une
spectatrice lui fait des avances. II la repousse. Mais
une autre entre : c'est Marie Duplessis (1816-1846),
celle qui sera Marguerite Gautier, la Dame aux
Camélias, l'iiéroïne du drame où Dumas fils a conté
la passion d'Armand Duval. Deburau subit aussitôt
son ctiarme et la suit.
Le deuxième acte se passe chez la Duplessis.
Deburau est follement épris d'elle, mais celle-ci a
déjà épuisé son caprice et s'ennuie. L'arrivée d'une
tireuse de cartes met fin au duo d'amour. A peine
Deburau est-il sorti qu'arrive le nouveau vain-
queur du cœur de Marie, Armand Duval. Le pauvre
mime revient à l'improviste, juste à temps pour voir
son rival dans les bras de son aimée. 11 s'enfuit.
Le troisième acte se passe plusieurs années plus
tard. Deburau pense toujours à Marie. Il est vieilli,
maussade, malade, jaloux de son fils qui se sent
attiré vers la pantomime. Marie vient lui faire une
visite de chanté et lui amène un médecin. Celui-ci
lui recommande et lui ordonne de la distraction, de
l'occupation : il devrait recommencer à jouer, car
l'oisiveté le tue. Deburau renaît à celte idée. Le
jour même, il jouera Pierrot.
Et voici l'acte IV, même décor qu'à l'acte II,
mais combien différente est la foule I Elle siffle,
hurle, conspue, et le directeur, Bertrand, grogne :
« 11 est trop vieux I » La recelte baisse; il ne veut
plus de cette épave. Deburau sera remplacé par
un autre mime, qui a aussi laissé un nom dans l'his-
toire de la pantomime, Legrand.
Le pauvre vieux se lamente de voir son nom re-
tiré de l'affiche. Eh bienl non, ce nom ne dispa-
raîtra pas; il restera en face du nom de Pierrot;
on lui ajoutera seulement un C, et Pierrot sera
Charles Deburau, le fils Deburau, qui perpétuera
la gloire paternelle. Séance tenante, pour la repré-
sentation du soir, le père grime lui-même le jeune
homme, l'enfariné, lui colle le serre-tête surla cheve-
lure, l'habille de blanc, et voilà Pierrot redwivus ;
il lui donne les conseils de son art et de son e.xpé-
rience, il lui fait répéter son rôle. A présent, Charles
est prêt, et la toile du théâtre des Funambules se
lève au moment où celle du Vaudeville descend.
Cet ouvrage présente un double intérêt. D'abord
un intérêt documentaire de reconstitution ingénieu-
sement présentée par le décor et les personnages.
Nous retrouvons le Deburau enfariné des vieilles
images, le petit théâtre et ses accessoiristes, la mar-
chande de coco, la vogue de la pantomime dont
Champfleury a dit l'épopée, et cette Marie Duplessis
« au chaste ovale, aux beaux yeux noirs ombragés
de longues franges, aux sourcils d'un arc pur »
(Théophile Gautier), qui disait que « le mensonge
blanchit les dents ». Deburau, homme privé, est
assez peu connu pour que l'auteur ait pu lui forger
un caractère à sa guise : il a laissé de côté l'épisode
fameux de l'ouvrier tué par le mime dans la rue
d'un coup de canne plombée.
L'intérêt littéraire n'est pas moindre. Le rôle de
Deburau, le seul qui soit poussé et étudié, parmi
les autres qui sont des comparses, nous donne la
psychologie d'un être bon, tendre, vaniteux, fieretja-
foux de son talent d'artiste. Ce portrait est tracé d'une
main adroite, qui sait fouiller les replis de l'âme.
La pièce est écrite en vers libres d'une prosodie
un peu vagabonde, mais claire et simple. Le défaut
est qu'elle est un monologue, car les répliques et les
partenaires n'ont guère d'importance. Des scènes
sont jolies : scène de la rivalité des artistes au pre-
mier acte, scène de la lecture de l'article du
Journal des Débats; l'interview du reporter est un
agréable récit, d'un sentiment touchant. Le duo du
mime et de Marie, les confidences de Marie à
M™'Rabouin,la tireuse de cartes, sur son état d'âme
de grisetle philanthropique, le chagrin de l'artiste
vieillissant, la transmission des pouvoirs à son fils
sont des pages pleines d'agrément, qu'on voudra
relire. — l*ïo claretie.
Les principaux rôles ont été créés par : M"" 'Yvonne
Printemps (Marie Duplessis), Rosine Manuel [Aï"' Ba-
bouin), Alys Détende, Kavrel. Félyano; et par MM. Saclia
Guitry {Deburau), Gatipaux (/e bonimenteur), Candé (Ber-
trand), Baron (ils, Barrai, Hieronymus (Charles Deburau),
de Garcio (ArmaiirfZ)wtitt/).
Electricité. Application de l'électricité à
LA MÉTALLURGIE. — C'est Un fait inéluctable que l'em-
ploi de l'électricité comme source de force motrice
Temps en secondes.
Fig. 2. — Diagramme des charges d un latiiinoir à deux cylindres pour fabrication
des tâles.
Fig. 3.
' Diagramme des charges d'un laminoir à trois cylindres pour fabrication
des rails d'acier.
se répand de plus en plus dans les diverses branches
de l'industrie mjndiale. Nous avons envisagé, dans
un précèdent article, ses principales applications à
l'industrie minière; nous dirons aujourd'hui quel-
ques mots des secours qu'elle apporte à l'industrie
métallurgique. Ces secours sont de deux sortes :
1° L'énergie électrique peut être utilisée direc-
tement pour la production du métal au four élec-
trique, grâce à son action calorifique et réductive
«• 135- Ma/ 1918.
sur les dilTérents minerais traités : c'est l'éleclro-
mélalluigie, ou production des métaux par l'électri-
cité; c'est en particulier l'électrosidérurgie ou pro-
duction du fer et de l'acier au four électrique. Nous
renvoyons le lecteur, pour l'étude de cette partie
de la question, aux traités spéciaux et aux articles
déjà parus ici même. (V., au Nouveau Larousse
ill., ÉLECTROMÉTALLURGIE, ÉLECTROSIDÉRURGIE, elC.)
Nous rappellerons seulement qu'en dehors du four
électrique proprement dit, l'électricité peut aussi
être utilisée comme agent moteur auxiliaire de la
production des métaux, lorsque ceu.\-ci sont obtenus
par des moyens purement calorifiques et chimiques.
C'est ainsi que les hauts fourneaux qui produisent la
fonte de fer ont tout intérêt à se servir de l'énergie
électrique pour leurs services annexes : appareils de
transport et de manutention des matériaux, souf-
fleries, etc. Les gaz de hauts fourneaux, sous-pro-
duits de la fabrication de la fonte, sont, dansée but,
brûlés dans des moteurs à combustion spéciaux,
actionnant les dynamos qui assurent l'alimentation
de ces difl'érents services par l'intermédiaire de mo-
teurs électriques de puissance et de vitesse conve-
nables. La force moti-ice ainsi obtenue est particu-
lièrement économique, puisque le combustible ne
coûte rien. La figure 1 montre un moteur électrique
à courant triphasé de 1.100 chevaux, actionnant une
soufflerie de hauts fourneaux installée à Hayauge
(bassin de Briey). La pompe à piston conduite par
ce moteur refoule l'air dans un vaste réservoir en
tôle, alimentant les tuyères d'insufflation.
2° L'énergie électrique peut être employée
comme agent moteur pour le traitement des mé-
taux bruts et leur façonnage en plaques, barres,
lingots, etc. C'est de ces applications mécaniques
particulières de l'électricité que nous parlerons plus
spécialement.
L'une des plus importantes consiste dans la com-
mande des trains de laminoirs. Elle est caracté-
risée, comme pour les machines d'extraction, et plus
encore que pour ces dernières, par des fluctuations
rapides et considérables de puissance, résultant de
la nature même du travail efl'ectué. Chaque passe
exige, en effet, une puissance plus ou moins grande
appliquée pendant un temps variable, mais toujours
assez court : les premières sont généralement très
rapides (1 seconde environ), mais exigent une
grande puissance instantanée; puis, au fur et à me-
sure que le métal s'allonge en passant entre les
cylindres, la durée de la passe croît proportionnel-
lement : en même temps, la puissance instantanée
diminue, de telle sorte que le travail ou puissance
absorbée reste sensiblement constant.
La figure 2 montre les variations de charge d'un
laminoir simple à 2 cylindres
pour la fabrication des tôles
d'acier. Les pointes de charge
sont séparées par des inter-
valles pendant lesquels la
fiuissance du moteur n'est uti-
isée qu'à faire tourner les cy-
lindres à vide. En augmen-
tant le nombre des cylindres
(trains doubles, triples, etc.),
on multiplie le nombre des
Fasses en les rapprochant, et
on obtient ainsi, par chevau-
chement des pointes, des cour-
bes de charge plus régulières,
analogues, parexemple, à celle
de la ligure 3, qui se rapporte
à un train triple pour la fabri-
cation des barres d'acier.
Bien entendu, le moteur
électrique qui actionne le train
de laminoirs doit être large-
ment capable de fournir la
puissance moyenne deman-
dée. Il doit, de plus, pouvoir
supporter, sans variation de
vitesse trop grande, les à-coups
de puissance correspondant
aux pointes de charge. Prati-
quement, les variations de vi-
tesse ne doivent pas dépasser
de 5 à 15 p. 100 de la vitesse
normale, suivant l'utilisation
du train et l'allure de la pro-
duction, et aussi suivant le
genre de moteur employé (les
moteurs asynchrones à cou-
rant alternatif, qui sont le
plus généralement utilisés,
n'admettent, pour rester dans
les limites d'un fonctionne-
ment satisfaisant, que des variations de vitesses ou
glissements inférieurs à 10 à 15 p. 100 de la vitesse
normale). Celte circonstance exige l'emploi de
volants régulateurs de vitesse pouvant emmagasi-
ner une grande quantité d'énergie lors du fonction-
nement à vide et la restituer au moment des pointes.
Pour cela, deux conditions sont nécessaires :
1° Le volant doit avoir un grand moment
d'inertie, c'est-à-dire une masse considérable et un
»• >35. Mai 1918.
grand diamètre comme l'indique la formule : mo-
ment d'inertie = masse X carré du diamètre;
i" II doit tourner k une grande vitesse. On sait,
en elîet , que l'énergie emmagasinée par un
volant est égale à la moitié du produit de la masse
par le carré de la vitesse périphérique. 11 s'en-
suit qu'une baisse de vitesse de 10 à 15 p. 100
libère de 20 à 30 p. 100 de cette énergie. C'est cette
quantité d'énergie libérée qui doit être suffisante
pour al)Sorber les pointes de charge, et le volaul
doit êtie calculé en conséquence. Il n'est pas rare
que le poids de ces volants dépasse 20 tonnes et
leur vitesse périphérique 30 mètres par seconde, ce
qui correspond à une énergie emmagasinée de
900.000 kilogrammèlres, soit environ 200.000 kilo-
grammètres disponibles, capables de développer une
puissance de 260 chevaux pendant 10 secondes.
La ligure 4 montre un train de laminoirs de la
Compagnie des Forges et Aciéries de la marine à
Homécourt, actionné par un moteur asynchrone k
courant triphasé de 2.000-4.000 chevaux, avec vo-
lant de 90 tonnes. La vitesse est variable de 70 à
95 tours par minute. Ce groupe a été construit par
la Société .\lsacieime de construction mécanique,
dans ses ateliers de Belfort.
.Notons que l'emploi d'un volant lourd est avanta-
geux, non seulement au point de vue de la régula-
LAROUSSE MENSUEL
de mouvements munis de contrepoids {fig. 6). La
puissance nécessaire est moins grande que pour les
rouleaux transporteurs et surtout plus uiiiforme, la
rotation se faisant toujours dans le même sens.
Les pièces façonnées par les laminoirs en forme
de blooms, bar-
res de tôles, sont
ensuite décou-
fiées à chaud à . .
ongueur conve- , 9
nable, à l'aide de
puissantes cisail-
les mues par mo-
teur électrique,
avec l'intermé-
441
miné la première session régulière du 63« Congrès
élu avec Wilson en novembre 1912), session que les
j'i-percussions de la guerre européenne prolongèrent
f.irt avant dans l'été de 1914. Au dehors, 'Wilson
avait réussi à éviter une guerre ivec le Mexique.
diaire, pour
plus forts mo-
dèles, de la com-
mande liydrauli-
{ O ) Cy'''"lpe moteur
QQQc^
les Moleur
Rouleaux avant
Fig. 5.
Rouleaux arrière
- Schéma de la commande d'un laminoir simple à rouleaux entralneuri.
Moteur
que. Ici, comme pour le laminoir, l'effort à fournir
est très variable et intermittent : il varie avec la
nature du métal, la section des barres, leur tempé-
rature, la fréquence des coupes, etc. Bien entendu,
ces cisailles doivent comporter un volant convena-
blement calculé pour fournir l'appoint de puissance
nécessaire au moment de la coupe, le moteur
n'étant prévu que pour la puissance moyenne. On
Fig. 4. — Moteur de laminoir à courant triphasé : puissance, 2.0uO-4.(KK) chevaux; vitesse, 7û-9o t. p. m.
rite de la vitesse, mais aussi au point de vue du
rendement du moleur électrique, les pertes dans
les enroulements (effet Joule) étant alors moins
considérables en régime variable, ce qui compense
largement l'augmentation des pertes mécaniques
dues à la présence du volant.
D'une faijOn générale, on peut dire que l'adjonc-
tion d'un volant est intéressante toutes les fois que
les pointes de charge dépassent le double de la
puissance moyenne à fournir, car les frais d'achat
et d'installutiôn du volant sont alors compensés
par la diminution du prix et de l'encombrement du
moteur, qui n'a plus à fournir que la puissance
moyenne et peut êlre établi en conséquence.
La plupart des installations de laminoirs compor-
tent, en outre, un système de rouleaux entraîneurs
liermetlant le transport du lingot de chaque côté du
cylindre ou blooming {fig. 5). Les uns. appelés rou-
leaux avant, poussent le lingot vers les cylindres;
les autres, nommés rouleau.v aii'ière, recueillent ce
lingot >i sa sortie du blooming, puis, grâce à une
inversion de leur sens de rotation, le renvoient en
arrière pour une seconde passe (entre temps, le
blooming a changé également son sens de rotation^,
et ainsi de suite, chaque passe exigeant un change-
ment de sens de tout l'ensemble des rouleaux mo-
teurs. La puissance demandée par ces installations
est assez considérable, étant donné le grand nombre
de démarrages et l'inertie qu'il faut vaincre pour
chacun d'eux : le poids des lingots atteint couram-
ment plusieurs tonnes et, parfois, plusieurs dizaines
de tonnes (plaques de blindage, arbres, etc.).
Aussi reinplace-t-on souvent les laminoirs à
blooming réversible, dans lesquels le cylindre mo-
teur change de sens \ chaque passe, par des trains
de trois cylindres dit trios, dans lesquels, seul, le
cylindre central est moteur et tourne toujours dans
le même sens avec une vitesse uniforme : les dif-
férentes passes se font alors en présentant le lingot
alternativement au-dessus et au-dessous de ce cy-
lindre moteur. Dès lors, les rouleaux entraîneurs
ne sont plus nécessaires, et on les remplace par
des tabliers élévateurs, permettant de présenter la
pièce au niveau convenable pour chaque passe. Ces
tabliers sont actionnés par un moteur électrique
au moyen d'un réducteur de vitesse et de renvois
LAn0U3SE UENSUEL. — IV.
m.
Lingot
.>mm,„/,m/,//„f/,„A
0
0
0
a construit des cisailles pouvant sectionner des
blooms de 40 X ^0 centimètres de section, à raison
de six coupes par minute. La puissance coiTespon-
dante du moteur est de 300 chevaux.
En dehois de ces applications à la grosse mé-
tallurgie, l'électricité s'emploie universellement en
pclite métallui'gie et dans la construction méca-
nique et la chaudron-
nerie , tant pour le
chauffage des fours
d'affinage et de dosage
des inelaux et alliages
que pour l'eiitraîne-
ment des machines-
outils : marteaux,
pi-esses à forger et à
emboutir, machines ii
raboter, à fraiser, à
nieuler, tours, perceu-
ses, riveuses, jets de
sable, ventilateurs.etc,
sans compter les appa-
reils de transport et de
manutention : grues,
portiques, ponts rou-
lants, palans, monte-
charges, locomoteurs.
Nous ne citons ici que pour mémoire tous ces appa-
reils, qui sont plutôt du domaine de la mécanique
et de la chaudronnerie que de la métallurgie propre-
ment dite. — Jacques Dauibn.
États-'CJnis. Politique. Êleclions de novem-
bre 1 91. i pour le 6i' Congrès. — Le 3 novembre 1914,
les Etals-Unis eurent à élire une nouvelle Chambre
des représentants (e'i" Congrès) et, par voie indi-
recte, 32 membres du Sénat. WoodrowWilson. démo-
crate, gouverneur du New-Jersey, élu président de
l'Union en novembre 1912 (v. Lar. Mens. ill.. l. 111,
p. 42i), s'était révélé, depuis son arrivée à la Maison
HIanche, le 4 mars 1913, un chef singulièrement
habile et résolu du parti démocrate, troupe politique
que les événements passés n'avaient point montrée
aisément maniable. Le tarif douanier fut abaissé, le
système bancaire réformé. D'heureuses mesures, dis-
posant de l'épineuse question des trusts, avaient ter-
Comment, dès lors, expliquer le verdict peu favo-
rable que portèrent les électeurs américains sur l'ad-
ministration, en novembre 1914'? En effet, le grand
lOlal de New- York, celui de la Pensyhanie, le
Connecticut, même le New-Jersey (l'Etat de 'Wilson)
passèrent alors aux républicains. Le sud et l'ouest
de l'Union restaient fidèles aux démocrates. Mais
les résultais d'ensemble des élections amenaient
•l'importants changements dans la composition de
la législature et marquaient un recul sensible de
l'opinion à l'égard du président. Les majorités dé-
mocrates étaient réduites de 150 suffrages à 20 dans
la Chambre et de 17 à 10 au Sénat. 'Wilson ne pou-
vait disposer du 64' Congrès comme il avait fait
du 63". Des raisons économiques, surtout, avaient
causé ce revirement. La guerre faisait rage eu
Kurope depuis le mois d'août. Dans l'esl des Etats-
Unis, l'élite de la population en voulait quelque
peu au président d'alîecter, au sujet des origines de
cette guerre, une réserve si froide qu'elle semblait
confiner à une trop sereine indifférence. Klle esti-
mait, en outre, bien déconcertante l'allure que le
secrétaire d'Etat, Bi7an. avait imprimée à la poli-
tique extérieure de l'Union. L'opinion générale
admettait la nécessité, l'opportunité, tout au moins,
pour les Etats-Unis, de demeurer neutres dans le
conflit, mais elle réclamait une neutralité moins
strictement impartiale, plus conforme aux traditions
libérales du peuple américain. Les partisans de
l'ancien président Roosevelt, qui ne composaient
dans le pays qu'une petite minorité, mais une mi-
norité très active, aux opinions très arrêtées, même
ardentes, accusaient Wilson de déshonorer le pays
en demeurant systématiquement aveugle aux atten-
tats commis par l'.-Mlemagne contre la foi des trai-
tés et le droit international.
D'autre part, pendant les premiers mois de la
guerre, un grand malaise économique régna aux
Etats-Unis. La paralysie du commerce, des entraves
aux exportations accumulaient contre l'adminis-
tration les motifs d'impopularité. La réduction des
taxes douanières, volée en 1913 et immédiatement
appliquée, entraînait une diminution des recettes
publiques, qu'il avait fallu combler par l'établisse-
ment d'un impôt sur le revenu et le vole de tonte
une série d'autios impositions qui ne pouvaient être
Cylindre supérieur
Cylindre moteur
cm.
Ao iXç) IXo
Tablier
■>m»»»»i„!i!»»mm
Moteur t
Fig. 6. -
Contrepoids
Schéma de la commande d'un laminoir triple à tablier* élèTaienr*.
que froidement accueillies. Pour si sérieuses que
fussent les raisons permettant aux Américains de
se considérer comme à l'abri des périls et des
complications du reste du monde, la guerre les
avait touchés au point de vue financier et commer-
cial. Il avait fallu fermer la Bourse et autoriser
de larges émissions de billets dés banques natio-
nales [emergencx) currency).
Toutefois, au moment même où les élections
pour le 6'i« Congrès eurent lieu (novembre 1914),
ta situation économique commençait à se transfor-
mer de la façon la plus heureuse, sous l'influence
des énormes demandes d'armes, de munitions, de
matériel de guerre et de denrées de toute nalnre
pour les nations engagées dans la Inlte contre
l'.MIemagne. Le développement de ce trafic allait
en peu de mois devenir pour les Etats-Unis l'occa-
sion d'un mouvement mou! de prospérité. Les
.\méricains eurent, dès lors, la vision dune eipan-
17»
Woodrow WilBon,
président des Etats-Unis.
4 12
sion exlraoï'tlinaire de leur commerce extérieur, do
New-York devenant le centre financier du inonde.
Le 8 décembre, à l'ouverture de la dernière ses-
sion du 63' Congrès, Wilson lut en personne son
message annuel aux deux Ciiambres. 11 y dévelop-
pait les raisons qui lui paraissaient devoir déter-
miner les Etats-Unis à persévérer dans le maintien
d'une scrupuleuse neutralité. Il parut même, au
début de 1915, vouloir engager, non sans quelque
àpreté, une discussion avec l'Angleterre à propos
des droits commerciaux des neutres sur mer et
de ce qui lui paraissait constituer un intoléra-
ble abus du droit de visite. (V. Lar. Mens. ilL,
t. III, p. 416.) Il n'alla pas plus loin dans cette
voie et ne poussa pas au tragique ses réclamations.
Bientôt après,
même, d'autres
questions liti-
gieuses surve-
nues entre l'Alle-
magne et les
Etals-Uni s :
contrebande de
guerre, neutra-
lité de pavillon,
fournitures de
denrées et d'ar-
mes aux belligé-
rants le firent
sortirdela « pa.s-
sivité i> qui lui
avait été repro-
chée. On le vit
dès lors incliner,
malgré les résis-
tances deBryan,
dont il dut finale-
ment se séparer,
vers une attitude résolument bienveillante envers
les Alliés. C'est que les Allemands établis en Amé-
rique, et les Américains de race allemande, nom-
breux et très remuants, avaient engagé, au cœur
du pays, sous la direction de l'ambassadeur même
d'Allemagne à Washington, une campagne des
plus violentes, en vue de brouiller les Etats-Unis
et la Grande-Bretagne^t que les procédés de pro-
pagande auxquels, dans leur cynique mépris de
toutes les règles de droiture internationale, les
instigateurs de celte campagne ne craignaient pas
de recourir commençaient à révolter les cons-
ciences dans la population entière de l'Union.
La propagande allemande aux Etats-Unis. —
Le comte Beriistor(î, lorsque la guerre éclata, vil-
légiaturait en Bavière. Il reçut l'ordre de retourner
en hâte aux Etats-Unis et d'y assumer le rôle de gé-
néralissime des forces morales, financières et politi-
ques, mobilisées en ce pays pour une attaque brus-
quée contre le sentimentaméricain qu'il fallait à tout
prix capturer. Il arriva à New- York avec un état-ma-
jor comprenant :
le Dr Bernliard
Dernburg, ex-se-
crétaire des colo-
nies allemandes,
celui qu'on appe-
lait à Berlin « le
membre améri-
cain du cabinet
de l'empereur
Guillaume II », à
caused'un séjour
qu'il avait fait
jadis dans le
quartier de la
Bourse et des
banques à New-
York ; le capi-
taine Boy-Ed,de
la marine impé-
riale allemande,
néd'unpireotto-
man, chef de la
division des
« renseignements» à l'.Amirauté impériale, sous les
ordres du grand amiral Tirpitz; le comte von Sies-
torpfr, hobereau prussien, qui avaitdelargesrelations
sociales aux Etats-Unis; James Speyer, directeur, à
New- York, d'une banque dont la maison mère était
i Francfort, instigateur de la création de la chaire
Théodore Boosevelt à l'université de Berlin et, par
réciprocité, de la création d'une chaire de l'empereur
Guillaume II à l'université Golumbia à New- York.
Sous l'action de Bernstorff, l'ambassade alle-
mande à Washington fut rapidement transl'ormée
en une agence extraordinaire et plénipotentiaire
de publicité politique allemande aux f^tats-Unis.
La propagande organisée par cette agence se fit
de plus en plus tenace et brutale, harcelant l'opinion
par d'incessants appels pour démontrer contre l'évi-
dence que l'Allemagne, en 1914, avait été attaquée,
contrainte à la guerre par des peuples envieux de
sa richesse, de son industrie, de son activité, de
sa puissance de travail, de sa haute culture, supé-
rieure à toutes les autres cultures du inonde.
Le colonel Théoilore Roosevelt,
ancien président des Etats-Unis.
LAROUSSE MENSUEL
Brochures, articles de journaux, circulaires, lettres
individuelles, déclarations collectives, intrigues
dans les centres ouvriers, rien ne fut épargné
pour violenter le jugement des citoyens américains.
Contre ces elforls si persévérants, auxquels des
sommes énormes étaient affectées par le gouver-
nement impérial, s'élevèrent des voix éloquentes
pour llétrir les procédés de l'Allemagne et ses
sophismes : Butler, le président de l'université
Golumbia; Charles W. Eliot, ancien président de
l'université Harvard; Jordan, président de l'uni-
versité Stanford, en Californie; Cburch, président
de l'Institut Carnegie, à Pittsburg.
Les Américains, même les plus indifférents aux
affaires de l'ancien monde, les plus ignorants de
la géographie européenne, même ceux qui, ayant
appris que les armées allemandes avaient manqué
Paris, demandaient si, au moins, elles occupaient
Marseille, ne purent admettre comme justifiée, à
quelque point de vue que ce fût, la façon dont les
Allemands conduisaient la guerre. Une Allemagne
nouvelle, inconnue, se révélait à leurs yeux. A la
place de celle qu'ils avaient jusqu'alors imaginée:
adonnée aux œuvres de paix, s'enricbissant par le
travail, l'industrie et la science, fière de sa place
dans le monde des lettres, de la philosophie, de la
poésie, de tous les arts, s'en dressait une autre,
fléau de l'humanité, hérissée de canons lourds, de
mitrailleuses, d'engins explosifs, accumulés durant
une longue série d'années pour mieux assurer
l'anéantissement, par le 1er et par le feu, des plus
belles œuvres humaines.
Wilson suivait patiemment, avec une attention
aiguë, cette évolution lente, mais non interrompue,
de l'opinion des masses américaines à l'égard de la
guerre mondiale et des personnages qui la menaient.
Il y travailla lui-même sans cesse par la multiplicité
de ses messages au Congrès et de ses appels aux
nations belligérantes. Ce ne fut pas l'œuvre d'un
jour, à cause du concours que donnaient à la pro-
pagande de Bernstorff et de ses associés les dix
millions d'Allemands et d'Américains de race alle-
mande qui, aux Etats-Unis, constituent un des élé-
ments de population les plus avancés dans l'indus-
trie et dans l'intellectualisme.
En fait, on ne cessa pas, en 1915 et 1916, de sou-
haiter ardemment aux Etats-Unis, par humanité
comme par considération pour d'immenses intérêts
menacés, le rétablissement de la paix en Europe.
C'est ce sentiment si naturel que les gouverne-
ments des Empires centraux exploitèrent avec une
habile ténacité qu'aucun insuccès ne rebutait. Si,
pourtant, cette propagande ne put, à la fin, atteindre
l'objet qu elle visait, ce fut à cause du caractère de
plus en plus odieux des actes par lesquels se mani-
festait avec une incroyable effronterie la brutalité
allemande.
La controverse diplomatique sur la « Lusila-
nia ». — Un sous-marin allemand torpilla, le 7 mai
1915, le paquebot anglais Lusitania, l'un des deux
plus récents bateaux monstri s de la ligne Cunard.
Les victimes se comptèrent par centaines. Parmi
les passagers qui périrent, se trouvaient de nom-
breux Américains, beaucoup de femmes et d'en-
fants. Ce fut une horrible tragédie; les cris de ces
innocentes victimes ne crssèrent plus de retentir
aux oreilles et dans le cœur des Américains les
plus réfractaires à l'idée de guerre. CV. Lar.Mens.ill.,
t. 111, p. 453.)
Wilson réfléchit longuement, puis écrivit à
l'adresse des auteurs du crime une protestation très
développée, se terminant par la demande que le,
torpillage fût déclaré « illégal » par le gouverne-
ment impérial et devînt, de la part de ce gouver-
nement, l'objet d'un désaveu. Ce fut le point de
départ d'une longue lutte diplomatique, poursuivie
pendant plus de dix mois à coups de notes et de mes-
sages. La réponse allemande à la protestation de
Wilson se fit attendre. Elle ne contenait que de
vagues généralités et de subtiles arguties. Au début
de juillet, eut lieu le torpillage, près de la côte de
Cornouailles, du paquebot Armenian, de la ligne
Leyland. Treize membres de l'équipage, dont plu-
sieurs Américains, furent tués par les obus. Le
bâtiment portait, dit le gouvernement impérial, de
la contrebande de guerre. Bryan se contenta de
celte explication. Il quitta, d ailleurs, le 8 juin,
le cabinet, et ce départ fortifia plutôt qu'il n'afTailjlil
la posilion du président devant son parti comme
devant la mtionat larqe. Bryan (v. t. III, p. 116-i26)
fut remplacé par Lansing comme secrétaire d'Etat.
En août, le paquebot Arabie, de la While Star
Line, qui transportait en Amérique plusieurs cen-
taines de passagers et avait à bord vingt-six Améri-
cains, fut torpillé sur le littoral sud de l'Irlande. Une
note récente de Wilson avait justement déclaré que
la répétition de pareils actes, s'ils affectaient des
citoyens de l'Union, serait considérée par le gou-
vernement des Etats-Unis comme délibérément ino-
micale. Cette fois, le comte BernstorlT remit au pré-
sident une note conciliante, portant à la fois sur le
cas de la Lusitania et sur celui de l'Arabie. Les
concessions faites étaient plus spécieuses que sub-
stantielles; mais elles permirent à Wilson d'espérer
N- 135. Ma/ I9J8
qu'en maintenant avec une certaine énergie de
parole son point de vue, il amènerait le gouverne-
ment de Berlin à céder plus sérieusement dans la
forme et dans le fond. Il était clair qu'un avertis-
sement tant de fois répété ne pourrait toujours res-
ter dépourvu de sanction. Pour l'instant, il suffisait
que la note remise le 2 septembre, par Bernslorir,
dit : « Les navires qui portent des passagers ne
seront jjIus coulés sans avertissement préalable, ni
mise en sûreté des personnes, pourvu que ces na-
vires ne tentent ni d'échapper ni de résister. »
L'Allemagne semblait céder. Mais, quatre jours
plus tard, le 6 septembre, on apprenait en Amérique
le torpillage de VUesperian, de la ligne AUan du
Canada, en route de Liverpool à Montréal, sans
avertissement préalable. Un Américain, faisant par-
tie de l'équipage, avait été tué. Il fut allégué par
Bernstorff que le commandant du sous-marin n'avait
pu recevoir encore de l'amirauté allemande les nou-
veaux ordres.
Entre temps, avaient été publiés aux Etats-Unis
des documents saisis par les autorités judiciaires
et révélant comme une certitude ce que l'on soup-
çonnait déjà : que l'Allemagne employait des mil-
lions, non plus seulement dans une campagne de
mensonges et de corruption ifes consciences, mais
pour des interventions actives dans les grèves el
pour la destruction d'usines sur tout le territoire
des Etats-Unis.
La situation était donc, en septembre 1915, très
tendue déjà entre f'Allemagne et les Etats-Unis.
C'est alors que le gouvernement de Washington
demanda à Vienne le rappel de l'ambassadeur aus-
tro-hongrois, Dr Dumba, dont certains agissemenls
étaient devenus trop impudents. Pour l'opinion pu-
blique, ce personnage n'était qu'une marionnette,
dont le comte Bernstorll faisait mouvoir les fils.
Le représentant
de l'Allemagne
continuait de fo-
menter des grè-
ves et de délivrer
de faux passe-
ports, multipliait
les attentats con-
tre des propriétés
américaines, pu-
bliques ou pri-
vées.Dernburget
Dumba avaient
pu être congé-
diés. Bernstorfî
donnait à enten-
dre que, si on vou-
lait lui appliquer
le même traite-
ment, c'était la
rupture à bref dé-
lai entre l'Allemagne et l'Amérique. Une lelle me-
nace, pensail-il, était suffisante pour terroriser le
gouvernement des Etals-Unis.
L'hiver de 1915-1916. — Le 64= Congrès, élu en
novembre 1914 et qui ouvrit sa première session
régulière le 7 décembre 1915, comptait 56 démo-
crates et 39 républicains dans le Sénat, l'Ai démo-
crates et 194 républicains dans la Cliambre des
représentants. Ces majorités, déjà modestes, s'effri-
tèrent encore pendant la seconde année de la
législature.
Wilson donna lecture aux deux Chambres réu-
nies, à l'ouverture de la session, d'un message où
étaient dénoncés, en termes fort énergiques, le<
complots ourdis contre la sécurité nationale, sur le
territoire même des Etats-Unis, par des Germano-
Américains :
Il est. je rougis de l'avouer (dit-il), des citoyens amé-
ricains, nés sur un autre sol, mais auxquels nos géné-
reuses lois de naturalisation ont pleinement conféré
toutes tes fibertés en Amérique, qui ont versé le poison
et la trahison dans les artères mômes de notre vie natio-
nale, cherchant à détruire nos industries dès qu'ils
croyaient que cette destruction pouvait servir leurs pro-
jets de vengeance...
Au nom de l'honneur du pays, Wilson demandait
au Congrès des armes lui permettant d'éliminer de
la nation des éléments qu! « la discréditent el l'em-
poisonnent ». Dans le même message et dans le
rapport du secrétaire du Trésor, le gouvernement
de Washington recommandait au Congrès d'aug-
menter de 750 millions de francs le prochain budget
de la défense nalionale.
Un nouveau complot fut découvert le 19 dé-
cembre, ayant pour but la destruction du canal de
Welland, qui relie le lac Rrié à l'i Mitariu. Il s'agis-
sait de supprimer le trafic par eau entre les grands
lacs et l'.Mlantique. L'organisateur du projet était
un agent de la compagnie allemande de navigation
Hamburg-America.
Comme une sorte de sanction destinée à renforcer
la signification menaçante des déclaralioiis faites
par Wilson dans son message, le département d'Etal
demanda à Berlin le rappel des attachés allemands
Boy-Ed et von Papen, « à cause de leurs actes mili-
taires et civils ». Toute autre explication fut refusée
R. Lansing, «ecrétaire d'Etat.
N' 135. Mai 1918.
h Uernstorff. Lesecrélaire d'Etat, Lansing, poursuivit
en même temps une enquête sur les agissements
de l'Allemagne au Mexique.
La controverse se prolongeait depuis huit mois
sur le torpillage de la Lusitania, et nombre d'Améri-
cains considéraient comme une véritable humilia-
tion nationale cette interminable tractation entre
Washington et Berlin. Le recueil, déjà considérable,
des protestations des Etats-Unis contre les violations
du droit international maritime se grossit encore
d'un mémoire adressé à l'Antriche-llongrie, au
sujet de la desiruclion de VAiico7ia, survenue le
8 novembre, prés des côtes de Sicile.
Wilson, dont la préoccupation constante était de
saisir toutes les manifestations de l'opinion publique,
fit, au début de 1916, une tournée oratoire dans plu-
sieurs Etats.
11 faut (dit-il à Cloveland [Ohio]) que je tienne les Etats-
Unis hors de la guerre et que, cependant, je défende l'hon-
neur de la nation. Un temps peut venir où il sera impos-
sible de coucilier ces deiu devoirs.
La tournée eut un plein succès. Elle affermit la
conviction du président qu'il trouverait dans le
Congrès une majoriié en faveur de la préparation
militaire des Etats-Unis.
L'Allemagne annonça, en janvier 1916, son inten-
tion de poursuivre la guerre sous-marine avec plus
de vigueur que jamais. Le sous-secrétaire d'Etat,
Zimmermann, dit, le 5 février, que l'Allemagne ne
pouvait pas faire de concession! supplémentaires :
En aucun cas, elle ne peut reconnaître Villégalité des
méthodes de guerre sous-marine dans la zone de guerre.
Ije gouvernement des Etats-Unis émet des prétentions
nouvelles, auxuuelles l'Allemagne ne peut donner satis-
faction. Nous ne pouvons nous laisser arracher des mains
l'arme des sous-marins. .Si les Etats-Unis veulent laisser
les choses aller à une rupture. l'Allemagne no pourra rien
faire de plus pour éviter ce résultat.
Telle était, di.t mois après le torpillage delà Lust-
lania, la réponse si longtemps différée à la de-
mande de 'Wilson que l'acte fût reconnu illégal et
fût désavoué.
Le comte Bernstorff remit, cependant, au secré-
taire d'Etat, Lansing, le 12 février, une note qui
donnait salisfaclion dans une certaine mesure aux
demandes américaines. Mais les concessions offertes
étaient subordonnées au succi's des efforts que fe-
raient les Etals-Unis pour amener l'Angleterre à
renoncer, en lout
ou en partie, à
son système de
blocus. Le cabi-
netde Berlin s'at-
tachait, d'ail-
leurs, à élablir
qu'on n'en voulait
suriiierqu'au.x ba-
teaux marchands
armés (armed
f'reighl shijix],
transportant des
munitions ou des
approvisionne-
ments pour les
Alliés. En consé-
quence,toutnavi-
re marchand ar-
me serait, à par-
tir du 1" m:irs,
coulé sans aver-
tissement. Les ressortissants américains n'avaient
qu'à s'abstenir de prendre passage, pour traverser
l'Océan, sur des bateaux de cette catégorie. Tout
conflit diplomalique futur serait ainsi prévenu.
Wilson n'était point disposé à accepter un tel
compromis, qui n'eût été qu'une capitulation. II le
prouva par les termes vigoureux d'une lettre qu'il
adressa au président Stone de la commission des
affaires extérieures au Sénat et par le langage non
moins énergique qu'il tint au cercle des iournalisles
de Washington, le Gridiron-Glub. Il déclarait ne
pouvoir renoncer au droit, pour les Américains, de
voyager sur des navires de belligérants et, pourtant,
de'n'clre pas torpillés.
Le courage (di-il) se tient à l'écart des petites combi-
naisons et complications. II attend l'occasion solennelle
où une épéo f1aml)oie comme si la lumière céleste se reflé-
tait sur sa lame.
L'a/fatre du Sussex. « Modus Vivendi » entre
l'AUetnaf/tie et les Etats-Unis. — Deux bills étaient
à ce moment en discussion au Congrès, présenlés
l'un par Thomas P. Gore, démocrate de l'Etat
d'Okliihoma, le second par Mondell, représentant
du Wyoming à la Chambre. Les deux bills étaient
une miinifeslation pacilisle. Ils dem.indaient que des
passeports fussent refusés aux citoyens américains
qui voudraient s'embarquer sur clés navires des
belligérants. La proposition avait, naturellement,
l'appui de l'ancien secrétaire d'Etat, Bryan. Malgré
les efforts des Germano-Américains, il ne se trouva
au Sénat que 14 voix sur 82 votants pour la motion
Gore. Ainsi était approuvée l'altitude de Wilson.
résolu à sacrifier même la paix au maintien intégral
des droits des citoyens américains (4 mars 1916).
James W. Gérard,
ambassadeur des Btais-Unis k Berlin.
Le juge C. E Hughes,
candidat à la présidence des Etats-Unis
LAROUSSE MENSUEL
Il Pointdepaix sans honneur! », Wilson avait par-
tout constaté celle pensée dans son enquête à tra-
vers les Etats, et le Sénat l'exprimait à son tour
avec une netteté excluant toute équivoque.
Aussi l'émotion fut-elle pi'ofonde à Washington
lorsque y parvint la nouvelle du torpillage du pa-
quebot français le Sussex, le 24 mars 1916, dans la
traversée des cô-
tes d'.\ngloten'e
à Dieppe. Des
Américains
avaient pris pas-
sage à bord du
paquebot. Quel-
ques-uns péri-
rent. L'Allema-
gne fournit des
explications qui
ne satisfirent
point le prési-
dent. Wilson ,
après plusieurs
joursderéflexion,
lut, le 20 avril, un
message, mûre-
ment délibéré,
où, après avoir
rappelélestoipil-
lages de la Lnsi-
lania, de l'Ara
l>ic, d'autres ba-
teaux encore et enfin du Sussex, il conslatait que des
centaines de vies américaines avaient été sacrifiées:
Le gouvernement américain a tenu compte, autant qu'il
était possible, des circonstances extraordinaires ; il a
accepté les explications et assurances successivement
données. Il espérait contre tout espoir. Mais le point
(conclut-il) où les faits sont suscepiibles d'une seule inter-
prétation est atteint. L'Allemagne savait que la guerre
sous-marine est incompatible avec les principes d'huma-
nité. La seule solution, si le gouvernement de Berlin ne
s'amende pas, sera la rupture de nos relations diploma-
tiques avec ce gouvernement. Nous avons te devoir de
prendre position. J'ai donc pris position.
La même déclaration fut notifiée à l'Allemagne
dans une communication remise le même jour au
gouvernement impérial, à Berlin, par l'ambassadeur
des Etats-Unis, Gérard.
Une très vive agitation régna dans tout le pays
après la séance du Congrès. Le New-York Herald
invita la population à se tenir solidement derrière
le président, « le pays se trouvant à deux doigts de
la guerre ».
L'-\llemagne comprit la gravité de la situation
et céda. Elle s'engageait, dans une note remise
le 4 mai au département d'Etat à Washington, à
renoncer à ses méthodes de guerre sous-marine :
Le gouvernement do Berlin fait savoir à celui des Etats-
Unis que les forces navales allemandes ont reçu l'ordre,
conformément aux principes généraux du droit interna-
tional, de ne pas couler les navires de commerce sans
avertissement ni sans donner la possibilité de sauver les
hommes de l'équipage et les passagers, à condition qu'ils
ne s'enfuient pas et n'opposent point de résistance.
L'engagement était formel, mais accompagné
d'une condition résolutoire :
Le gouvernement allemand s'attend à ce que les nou-
veaux ordres donnés à ses forces navales suppriment tous
les empêchements au travail commun proposé par la note
du 23 juillet 1915 en vue de rétablir encore pendant la
guerre ta liberté des mers. Si les démarches du gouver-
nement américain ne devaient pas aboutir au résultat
voulu, à savoir de faire respecter les lois de l'humanité
par toutes les nations belligérantes, le gouvernement alle-
mand se trouverait placé devant une situation nouvelle,
en présence de laiiueile il se réserve pleine et entière li-
berté de décision.
Wilson prit acte de l'engagement positif impliqué
dans la note allemande, mais déclara qu'il n'accep-
tait pas la condition résolutoire, la tenant pour
nulle. Le gouvernement impérial n'insista pas. La
situation demeurait obscure. On ne pouvait dire
que le litige fût résolu, chacune des deux parties
restant sur ses positions. Mais la posture de 'Wilson
était avantageuse en ce point qu'il avait eu, au
moins provisoirement, le dernier mot.
L'élection présidentielle de 1916. Le 65' Congrès.
— La solution donnée à l'affaire de li Lusitania, si
peu définitive qu'elle parût, devait avoir une
sérieuse infiuence sur le résultat de l'élection prési-
dentielle à laquelle les Etats-Unis allaient procéder
en 1916 pour décider qui succéderait à Wilson. Les
concessions auxquelles avait dû se résigner le gou-
vernement allemandavaient, sans aucun doute, accru
les chances de réélection du président en exercice.
La convention nationale du parti républicain se
réunit le 7 juin k Chicago. Parmi les aspirants à la
candidature officielle du parti, Elihu Root (v. t. 111,
p. 77), ancien sous-secrétaire d'Etat, et le juge
C. E. Hughes, ancien gouverneur du New-'York,
étaient au premier rang. Taft n'était point candidat.
Contre Roosevell, dont ni Koot ni Hughes n'avaient
la popularité, se dressait le préjugé américain qui
n'admet pas un troisième terme présidentiel. L'ex-
président républicain fut repoussé avec une telle
443
netteté, lors du premier scrutin de la convention,
qu'il dut promptement retirer la menace, faite sous
le coup du dépit, de poser une candidature progres-
sisle. La leçon de i 912 avait porté. (V. Lar. ileiis. Ht.,
t. III, p. 115.) Au deuxième tour de scrutin, Hughes
eut 328 voix; Root en eut 98, Kairbanks 88, Roose-
vell 81. Hughes, juge de la Cour suprême des Etats-
Unis, charge dont il s'était démis avant la réunion
de la convention, était désigné pour la candidature
républicaine à la présidence.
La convention nationale du parti démocrate se
réunit le 14 juin à Saint-Louis (Missouri). Le pré-
sident Wilson était grand favori. Il ne craignit pas
de présenter ce même jour le spectacle singulier
du premier magistrat de l'Union prenant, comme
simple citoyen, la tête d'un imposant cortège civique
pour manifester en faveur de la préparation mili-
taire des Etats-Unis.
Il y a en ce pays 'dit. il à la foule) quelque* personnes,
nées à l'étranger, qui menacent les partis politiques amé-
ricains d'une espèce de chantage politique au bénéfice
d'un gouvernement étranger. Ceci doit cesser.
Dans les dernières heures du 14 juin, Woodrow
Wilson, pour la présidence de l'Union, et Th. H.
Marshall, de l'Indiana, pour la vice-présidence,
furent renommés par acclamation candidats du
parti. Un discours au sénateur James fit sensation
dans le débat qui précéda cette décision:
Woodrow Wilson, sans rendre orphelin un seul enfant,
sans rendre veuve une seule mère américaine, sans tirer un
seul coup de canon, sans verser une seule goutte de sang,
a su arracher à la plus puissante force mijitaire qui ait ja-
mais dominé sur un champ de bataille l'acquiescement aux
demandes américaines, le respect des droits américains.
Ces paroles déchaînèrent une scène d'enthou-
siasme délirant, sur le mode yankee. Acclamations,
processions, musiques, drapeaux, chants : « Ame-
rica », « Star-Spangled Éanner », ■• Three Cheers for
Wilson », " Dixie », « Battle Cry o Freedom ».
Dans la campagne électorale qui se poursuivit au
cours du second semestre de 1916, les Germano-
Américains reprochèrent surtout à Wilson d'avoir
laissé les Etats-Unis se transformer en une im-
mense usine de matériel de guerre et de munitions
pour les Alliés et les banquiers de Ne'w-York prêter
dessonimes énormes aux ennemisde l'Allemagne. Ils
témoignèrent, en conséquence, un gi-and zèle pour
Hughes, bien
qu'il ne fût nul-
lement certain
que r « américa-
nisme » de ce
candidat fût plus
favorable à leur
cause que la poli-
tique expectimte
de Wilson. Au
point de vue éco-
nomique, ladiffé-
rence entre les
deux partis por-
tait toujours sur
la question doua-
nière, que les
événements fai-
saient,d'iiilleurs,
passer à l'arrière-
plan.Desdeuxcô-
lés on manifes-
tait le désir que
le gouvernement
ne se laissât pas entraîner dans une guerre avec le
Mexique. Des deux côtés on demandait que la posi-
tion des Etats-Unis dans le conflit mondial fût déter-
minée par le principe que le pays ne se résignerait
pas à une « paix sans honneur ».
En novembre, eut lieu l'élection du président et
du vice-président, en même temps que la formation
du 65' Congrès. Wilson fut élu à une faible
majorité. Les démocrates dominaient encore, mais
de peu de voix, dans les deux Chambres de la
nouvelle législature.
La guerre sous-marine. Entrée des Etats-Unis
dans la lutte mondiale. — Le premier acte d'inter-
vention plus active dans la guerre du président
réélu fut la note du 18 décembre 1916, par laquelle
il invita les belligérants à lui faire connaître leurs
buts de guerre. De Berlin, on se contenta de ré-
pondre que des propositions de paix avaient été
faites, auxquelles les Alliés avaient jugé bon de ne
donner aucune suite. La réponse des puissances al-
liées arriva à Washington au début de janvier 1917.
Les buts de guerre de l'Entente y étaient claire-
ment énoncés, présentant le développement de la
formule de Lloyd George : « restitutions, répara-
tions, garanties ».
En pos.session de ces documents, Wilson exposa
devant le (Ingres, le 22 janvier 1917, sa politique.
La doctrine de Monroe devenant applicable au
monde entier : liberté laissée & chaque peuple de
choisir sa propre voie vers son développement, sans
entrave ni motestation ; un règlement de conciliation
pour les intérêts immédiats entre tons les belligé-
rants; après la guerre, une « Association univer-
Le géoi^ral Pen hinr, commandant
les troupes américaines en F»nce.
àf;'J«!*^
1 \
444
selle des nations » pour le maintien des grandes
routes maritimes en pleine sûreté et afin qu'une
nouvelle conflagration ne soit plus possible.
A ce beau morceau de philosophie politique et
humanitaire l'Alleinagne répondit par la déclaration
de von Bethmann-Hollweg, du 31 janvier, qu'après
examen de la situation créée par les noies de l'En-
tente, legouvernement impérial avait décidé la reprise
de la guerre sous-marine à outrance. Guillaume II
flétrissait, à la même heure, dans un télégramme au
gouverneur de Brandebourg, les honteux desseins
de ses ennemis, exhalant son indignation du " rejet
méprisant qu'ils avaient fait de son offre de paix ».
Ainsi, l'Allemagne dénonçait brutalement, sans
négociation préalable, le modus vivendi qu'avaient
établi les promesses, — il est vrai si souvent vio-
lées depuis, — faites en mai 1916, par le gouver-
nement impérial, après la tragédie du Sussex, de
ne plus torpiller sans avertissement les navires de
commerce et d'assurer le sauvetage des équipages
et des passagers.
La note par laquelle fut intimée au président
Wilson la reprise de la guerre sous-marine impla-
cable constituait, dans ses termes, une provocation
outrageante pour la dignité de la nation américaine,
dictant des lois à la navigation de ce grand pays,
menaçant directement la vie de ses citoyens.
"Wilson, ramené violemment des hautes régions
de spéculation idéale sur le terrain pratique des
faits, devait opter entre ces deux partis : s'incliner,
incliner le drapeau étoile des Etats-Unis devant
rAlkmaL'-ne, nu se résnndre h hi guerre. Les deux
aimées qu'il ve-
nait de vivre au
i , milieu de ques-
tions si angois-
santes l'avaient
préparé à ce di-
iciiime. 11 n'eut
pas, cette fois,
d'hésitation. Fort
■ le sa réélection,
il prit sans tar-
der toutes ses
responsabilités.
C'était une bien
grave décision de
lancer dans la
guerre cette na-
tion de cent mil-
lions d'hommes,
qui s'était tou-
jours flattée de
rester en dehors
et au-dessus des
complications du reste du inonde. 11 l'adopta réso-
lument. Le 3 février, il se présentait devant le
Congrès pour lui déclarer qu'il rompait les relations
diplomatiques entre l'Allemagne et les Etats-Unis.
Je pense (dit-il) que vous serez d'accord avec moi, qu'en
présence d'une notification qui, à l'improviste, sans un
avis préalable quelconque, retire l'assurance solennelle
donnée on mai 1916, le gouvernement des Etats-Unis n'a
ilus d'autre alternative compatible avec la dignité et
.'honneur de la nation que de recourir à la décision que,
par sa note du 8 avril 1916, il annonvait devoir prendre le
cas échéant.
Le Congrès accueillit cette déclaration comme
raboullssement forcé d'une longue patience, dont
rien ne pouvait plus justifier la continuation. Le
Sénat donna un vole approbatif par 78 voix contre 5.
Le comte Bernstorfl recul ses passeports. Gérard
demanda les siens à Berlin.
Le président fit immédiatement voter une loi sur
l'espionnage, commença des préparatifs militaires,
demanda au Congrès, le 26 février, l'autorisation
d'armer les navires marchands, sollicita des crédits.
C'était le régime de la neutralité armée. Les Ger-
mano-Américains redoublèrent d'efforts avec les
pacifistes pour entraver l'aclion du chef de l'Etat.
Mais rien ne put arrêter le courant déchaîné.
Le 4 mars, Wilson inaugura sa seconde prési-
dence par le discours traditionnel au Gapitole, puis
convoqua en session extraordinaire, pour le 2 avril,
le 65= Congrès élu avec lui en novembre 1916.
Coup sur coup, furent annoncés les torpillages de
l'Algonquin, de la Vigilantia, de V Illinois, du Cily
of ilemphis, oh périrent des Américains. Le 2 avril,
Wilson mit le Congrès en demeure de se prononcer :
Nous voici donc forcés d'accepter la bataille avec l'en-
nemi naturel de la liberté et, pour ce faire, nous emploie-
rons la force enlière de la nation, nous sacrifierons notre
vie, notre fortune, tout ce que nous possédons, à un tel
devoir, avec la fierté de savoir qu'enfin le jour est arrivé
où l'Amérique peut donner son sang pour les mômes prin-
cipes d'où elle est née, ainsi que pour le bonheur et la
paix dont elle a pu jouir.
La proposition de guerre fut votée le 4 avril par
le Sénat (82 voix contre 6) et le 6 par la Chambre
des représentants (373 voix contre 50).
Pendant tout le mois, se succédèrent des votes
approuvant l'exécution des diverses parties du pro-
gramme de guerre : appui financier aux alliés, em-
prunts, fournitures d'armes et de matériel de guerre,
levée d'une armée de 500.000 hommes.
Herbert C. Hoover,
administrateur des vivres
t
LAROUSSE MENSUEL
Le Congrès vota le service militaire obligatoire
à la fin d'avril par 81 voix contre 8 au Sénat, par
387 voix contre 24 à la Chambre des représentants.
L'union de l'Amérique du Nord et de l'Europe
démocratique contre le militarisme des Empires
centraux était consommée. La portée morale de
l'é vénemen t occupa surtout, dans les premiers temps,
l'attention du monde, quelle que pût être, dans la
suite, la collaboration eflective des Etats-Unis à la
guerre européenne. Celte collaboration, 1res éner-
giquement organisée pendant l'été et l'automne,
était en pleine réalisation à la lin de li(17.
Mesures de guerre en 1917. — La conscription
donna dix millions d'hommes inscrits. Il fut décidé
d'en envoyer sur le théâtre des hostilités un million,
exercés d abord aux Etats-Unis, puis équipés avec
tout le matériel nécessaire et l'artillerie répondant
à l'importance de l'efTeclif, ce million d'hommes
devant être rendu surplace, au front Irançais, avant
l'été de 1918. Toutes les ressources de 1 Union en
chantiers de constructions navales furent mises en
œuvre pour préparer la flotte qui devrait, malgré
les sous-marins, transporter en Europe la grande
armée américaine.
Le premier budget de guerre s'éleva à 17 milliards
de francs. Avant la fin de décembre, le Congrès
avait déjà voté des crédits pour 115 milliards de
francs, dont 35 affectés à des prêts aux Alliés.
Le 15 juin, journée du drapeau (FlagDay), Wilson
prononça un discours à Washington :
Pour nous (dit-il), il n'y avait qu'un choix possible, et ce
choix est fait. Malheur à celui ou à ceux qui cbercbent à
se mettre en travers de notre route, en ce jour de résolu-
lien suprême.
Deux jours avant ce discours, Paris avait fait une
réception enthousiaste au général Pershing, com-
mandant en chef des troupes américaines en France,
dont le premier contingent était sur le point de
débarquer. C'était la réponse à l'accueil si chaleu-
reusement sympathique fait par toute la population
des Elals-Unis aux deux envoyés français, le maré-
chal .loffre et 'Viviani.
L'armée américaine, en voie de formation depuis
avril 1917, a des effectifs composés d'éléments diffé-
rents amalgamés : armée régulière, garde nationale
ou milice, transférée du service local des Etats au
service fédéral, troupes de la conscription.
Le territoire des Etats-Unis a été divisé en
seize régions, dans chacune desquelles un camp
d'instruction réunit 2.500 élèves officiers.
D'après une déclaration du ministre de la guerre,
Baker, du 11 janvier 1918, l'armée américaine
comptait, le l^r avril 1917, tant eu volontaires qu'en
hommes de la milice des Etals et de la réserve,
9.524 officiers et 202.000 hommes. Les chiffi-es, fin
décembre 1917, étaient : IIO.OOO officiers et 1.428.000
soldats. A la même date, le personnel de l'aviation
s'élevait à 3.900 officiers et 82.000 hommes.
Forcée de songer à une éventualité longtemps
jugée invraisemblable et devenue tout à coup me-
naçante,la nation américaine s'étaitdécidée,enl916,
sur la suggestion instante de son président, à
prendre toutes les mesures propres à accroître
sensiblement ses forces militaires et navales. Un
organisme spécial avait étéci-éé dès le 29 août 1916 :
le II oonseil de défense nationale », composé de
cinq des ministres, chargé de l'étude des ressources
économiques de la nation et de leur meilleure
utilisation en cas de guerre. Ce conseil fut assisté
d'un II Comité consultatif », comprenant sept repré-
sentants des classes agricoles, industrielles et ou-
vrières, dont la tâche serait de mettre à la dispo-
sition du Conseil de défense leurs connaissances
pratiques et de le tenir en rapports constants avec
la vie active du pays.
L'organisation lut complétée, en juillet 1917, par
la création du n Comité des industries de guerre »,
composé d'industriels et de commerçants, et d'une
Il Commission centrale des achats», formée de trois
membres de ce dernier Comité.
Aussitôt que les Etats-Unis furent en guerre, en
avril 1917, il fallut songer à une restriclion générale
de la consommation.
La situation est si dangereuse (dit le grand industriel
Ogden Amour) quo je crois nécessaire le contrôle par l'Etat
de la production et des prix des céréales. Ce sont là des
mesures radicales, mais les circonstances sont telles que,
seuls, des remèdes radicaux nous permettront d'y faire face.
Un comité .' pécial pour les subsistances, formé
dès avril, avait pour président Herbert G. Hoover,
(|ui avait dirigé avec une très heureuse habileté la
Commission américaine de secours en Belgique. Le
Congrès vota, le 10 août, la loi « pour réglementer
le contrôle des moyens de subsistance », donnant au
président les pouvoirs les plus étendus, tant pour
l'approvisionnement que pour une répartition équi-
table, sur la production et la vente des produits
alimentaires.
L'exécution de la loi fut confiée par le président
à Hoover, qui décida aussitôt l'achat de la totalité
de la récolte de blé et la réglementation de la fa-
brication et de la vente de la farine. Les prix de
base minimum adoptés, en vue d'encourager la
Newton D. Baker,
ministre de la guerre.
N' J35. Ma/ I9J8.
culture des céréales, furent: 2 dollars 20 cents le
boisseau pour 1917 et 2 dollars pour 1918.
Une loi du 10 août réglementa la production et
la venle du charbon, du pétrole et du gaz naturel.
Le docteur Henry A. Garfield fut nommé adminis-
trateur des combustibles. Il fixa aussitôt les prix
du charbon bitumineux et de l'anthracite à lamine
à un niveau inférieur de 50 p. loo aux prix alors
pratiqués.
Une des questions les plus importantes à résoudre
était celle des transports maritimes. Encore à la
veille de la guerre, les Etats-Unis ne disposaient
que d'un très faible tonnage affecté à la navigation
transatlantique. Ils s'étaient, cependant, préoccupés,
dès 1915, de participer aux bénéfices que ces trans-
ports permet-
taient aux Etats
neutres de réali-
ser. La produc-
tion de baleaux
s'accrut rapide-
ment. Un orga-
nisme spécial,
le II Shipping
Board », fut créé
par une loi du
7septembrel916,
pour faire cons-
truire ou acheter
des navires ca-
pables d'être uti-
lisés par la ma-
rine de guerre.
Les plus larges
crédits furent
ouverts à ce
conseil. Celui-ci,
en mai 1917, créai'" l'mergencyFleet Corporation »
et en confia la direction au général Gœlhals, célèbre
par son œuvre au canal de Panama. L'adoption
d'un programme fut retardée par un conflit entre le
Shipping Board, partisan de navires en bois, et le
général, qui préférait les navires en acier. Le pré-
sident écarta les deux autorilés en conflit; leur»
successeurs adoptèrent le type du navire en acier.
Fin 1917, la marine mai'chande américaine dispo-
sait déjà de 2.900.000 tonneaux, dont 7l)«.000 de
navires allemands et auliichiens, retenus depuis la
guerre dans les porls américains et saisis.
Des contrats ont été passés pour un programme
dont la réalisation assurerait pour la navigation
miirilime un tonnage de 11 millions de tonnes. Les
chantiers de construction occupent 200.000 ouvriers
et en réclamaient encore 250.000 à la fin de 1917.
Le gouvernement avait déclaré, en 1916, qu'il
n'était pas disposé à payer les prix exorbitants al teints
sous l'influence des répercussions de la guerre. Le
Congrès lui donna le droit de réquisition, la faculté
de payer pour ses achats « un prix raisonnable »,
que lui-même fixerait. Une entente intervint avec
les représentants des grandes sociétés industrielles ;
elle porta tout d'abord sur le cuivre et l'acier. En
juillet 1917, il fnt décidé que les prix fixés par le
gouvernement seraient également applicables au
public et aux Alliés. Les prix de base établis en exé-
cution de cette politique, en septembre 1917, pour
les principaux produits métallurgiques, étaient inl'é-
rieurs de 40 à 70 p. 100 aux prix courants & celle
époque.
Ainsi fut organisée au point de vue économique
la guerre entreprise par les Etats-Unis. Le gouver-
nement s'allacha à conserver un contact étroit avec
le monde des affaires et à confier l'application de
sa politique à des industriels et à des commerçants
de réputation bien établie dans les milieux où leur
carrière s'était développée.
Le II Conseil de défense nationale », dont il a été
fait mention ci-dessus, constitué dès le mois d'août
1916, fnt muni, par de nouveaux arrangements
adoptés en novembre 1917, de pleins pouvoirs dans
tontes les questions touchant à la guerre, dans
tordre militaire, commercial et financier, sous
l'autorilé du président Wilson, qui, en fait, a pré-
sidé le plus grand nombre des réunions de ce comité
suprême de la guerre. Faisaient partie du « Conseil
de défense nationale », à la fin de 1917 : Lansing,
secrétaire d'Etal; Baker, ministre de la guerre;
Daniels, marine; Lane, intérieur ; Houston, agri-
culture ; Hedfield, commerce ; Wilson, travail ;
Mac Adoo, finances (v. p. 368); Harley, directeur
du II Shipping Board » ; Hoover, administrateur des
vivres; Gai'fleld, directeur du combustible; Willard,
industries de guerre.
Hoover, l'administrateur des vivres, ou contrôleur
de l'alimentation, reçut, le 28 novembre 1917, pleins
pouvoirs pour l'achat, la réquisition et la régle-
mentation des vivres, non seulement en ce qui
concerne la population civile et les Alliés, mais
encore en ce qui regarde l'armée et la maiine. 11
devenait ainsi le régulateur national du ravitail-
lement.
Depuis le 16 février 1918, le commerce entier des
Etats-Unis a été placé sous le contrôle du i, Comité
lie guerre du commerce ». H fallut, en effet, à partir
«• 135. Mai 1918-
de celle date, une licence de ce comilépour toutes
les imporlatioLis et exportations à destination et en
provenance de tous les pays.
Aussitôt après le vote de la guerre par le Congrès,
le président Wilson requit les compagnies de
chemins de fer d'organiser leur exploitation, non
plus au point de vue de leurs propres intérêts, mais
pour assurer la plus grande rapidité possible des
transports. Un conseil de guerre d^s chemins de
fer {Hailways War ISoard) lut constitué à cet effet,
composé de cinq de» présidents des principales
compagnies et siégeant à Washington, avec des
sous-comités sur divers points du territoire. Dans
les derniers jours de 1917, Wilson lit un pas de
plus dans la voie de l'étatisme : il décréta la main-
mise complète et directe du gouvernement (ayant
reçu du Con^^rès, pour ce faire, toules autorisations)
sur la totalité des lignes américaines de chemins
de fer et sur leur exploitation.
ha « paix stable et juste ». — Le 65« Congrès,
élu en novembre 1916 avec Wilson, avait été
convoqué en session extraordinaire dès avril 1917,
au début de la seconde présidence du chef du parti
démocrate, avec la mission de statuer sur la
3ueslion, devenued'une absolue urgence, de l'entrée
es Etats-Unis dans la guerre mondiale. Le Congrès
siégea pendant six mois consécutifs jusqu'au 8 oc-
tobre. La session, toute remplie des votes de me-
suresd'une importance exceptionnelle, s'était ainsi
firolongéependautcentquatre-vingtsjours. L'hisloire
égislalived'aucun pays, dit le message du président
en décembre 1917, à l'uuverlure de la première
session, régulière du 65« Congrès, ne peut fournir
un exemple de
filus importantes
ois, adoptées en
un si court es-
pace de temp^.
Le 9 janvier
1918, le prési-
dent 'Wilson lut
au Congrès un
message conte-
nant une nou-
velle déclaration
sur les buis de
guerre des Etats-
Unis et de leurs
alliés, program-
me défini d'une
paix mondiale,
énonçant et pré-
cisant les stipu-
lations et condi-
tionsessentielles,
au nombre de quatorze, de celte paix, telle que la
concevait le représentant de la grande démocratie
américaine :
1^ Suppression de la diplomatie secrète, des accords
ioternatioDaux privés ;
2" Liberté des mers en temps de paix et en temps de
^erre, sauf le cas do fermeture résultant d'accords
lateroationaux;
3* Suppression des barrières économiques; conditions
commerciales égales pour toutes les nations associées en
vue du maintien de la paix;
4" Réduction des armements nationaux à la limite des
nécessités de la sécurité intérieure;
5« Arrangement impartial des difticultés coloniales;
6' Evacuation de tous les territoires russes : attitude
bienveillante des autres nations pour la Russie, libre de
choisir son gouvernement;
7" Evacuation de la Belgique et restauration de ce pays
dans sa souveraineté, acte de réparation nécessaire pour
rétablir la contiance des nations dans les lois axant les
relations entre elles;
8° Evacuation des territoires frani^ais envahis; répara-
tion du tort fait par la Prusse à la France en 1871 en ce
qui concerne l'Alsace-Lorraine ;
9* Réajustement des frontières italiennes suivant les
lignes des nationalités ;
10* Développement autonome des peuples de 1 .Autriche-
Hongrie ;
11' Restitution de leurs territoires à la Roumanie, à la
Serbie, au Monténégro; un accès à la mer donué à la
Serbie ;
12» Souveraineté conservée au présent empire ottoman;
autonomie des nationalités vivant sous le régime de cet
empire;
13» Formation d'un Etat polonais, comprenant les ter-
ritoires habités par des nations incontestablement polo-
naises, avec accès libre & la mer; indépendance complète
de ces populations;
14" Formation d'une Société générale des nations, avec
garanties réciproques d'indépendance politique et terri-
toriale de tous les petits Etais.
Les Elals-Unis, dit Wilson en conclusion, conti-
nueront la lutte jusqu'à ce que ces arrangements
et parles soient devenus une réalité, lesdits arran-
gements et pactes pouvant seuls supprimer les
motifs de guerre et assurer une « paix stable et
juste ». AllgUKle MOIRBAC.
•Q-auch.er (Philippe-Charles-Bmes/), médecin
français, né à Champleniy (Nièvre) le Î6 juillet
185i, mort à Paris le 2.t janvier 1918. Avant de
devenir le spécialiste renommé qu'il fut en matière
de syphilis et de dermatologie, il l'ut un excellent
clinicien et un thérapeute fort distingué. Il tenait, en
Jos. Daniels,
miaistre de la marine.
Dr Erneit Qaucher.
LAROUSSE MENSUEL
effet, que « le spécialiste doit être spécialiste par
surcroît», c'est-à-dire ne choisir un chapitre particu-
lierdela médecine qu'après les avoir tous approfon-
dis. Elève de la Faculté de Paris, il devint interne
des hôpitaux de cette ville en 1877, chef de clinique
médicale en 1882. Ses principaux ma'Ires furent
Potairi, Bouchard, HiUairet, Landouzy, Bucquoy et
Kournier. HiUai-
ret et Kournier
sont, dans cette
liste, les deux
seuls dermatolo-
gistesspécialisés.
En 1886, il était
nommé médecin
des hôpitaux et,
en 189i, profes-
seur agrégé. Sa
carrière hospita-
lière se passa
presque unique-
ment à Saint-
.\ntoine et à
Saint-Louis. En-
fin, en 1902, il
était appelé à
remplacerAIfred
Fournier, qui pre-
nait sa retraite,
comme professeur de clinique des maladies cuta-
nées et syphilitiques. En 1910, l'Académie de mé-
decine l'élisait au nombre de ses membres. Il était
officier de la Légion d'honneur depuis 1916.
Le professeur Gaucher était volontiers d'un abord
bourru et de manières brusques. 11 aimait à pren-
dre le contre-pied d'idées couramment acceptées et
à discuter passionnément les opinions qu'il soute-
nait. Ce n'en fut pas moins un excellent homme,
auquel personne ne put tenir rigueur des âpres
discussions qu'il soutenait ou provoquait. Lui-
même, ayant considérablement contribué aux pro-
grès de la science médicale, ne pouvait soutenir
que paradoxalement, ainsi qu'il se plaisait à le
l'aire, que la réalité du progrès est discutable. II
n'en était pas moins assez réfractaire aux nou-
veautés, et l'on peut rappeler qu'il fut un des der-
niers à dénier toute valeur particulière à l'arséno-
benzol (606 dans le traitement de la syphilis. Dans
ces dernières années, il voulut étendre le champ
d'action de celte dernière de façon inadmissible en
soutenant, notamment, que l'appendicite chronique
en dérivait de façon quasi absolue. Il faut se sou-
venir, d'autre part, qu'il combattit la syphilis en
tant que maladie sociale de toute son autorité, avec
la conscience de la gravité du fléau, et que plusieurs
des mesures adoptées pour la combattre ont été
préconisées par lui. Il jeta, à propos de la lèpre, un
cri d'alarme qui souleva, à l'Académie de méde-
cine, une longue discussion. 11 estimait que la
li'pre fait, à l'heure actuelle, de dangereux progrès
et qu'elle menace de prendre une extension des
plus gi'andes.
Gaucher prit, il y a quelques années, la prési-
dence de l'Association générale des médecins de
France, et son activité y rendit au corps médical
français, si éprouvé par les événements actuels, de
très signalés services, notamment par la création,
qui fut en grande partie son œuvre, de la Caisse
d'assistance médicale de guerre. Au début des hos-
tilités, il tint à reprendre du service dans l'armée
et fut nommé, en qualité de médecin principal de
seconde classe, médecin chef de l'hôpital Saint-
Martin, à Paris.
Son service funèbre fut célébré dans la chapelle
de cet hôpital militaire; l'inhumation s'est faite au
cimetière Montmartre.
Les principaux ouvrages du professeur Gaucher
sont : Traité théorique et pratique des maladies
de la peau (en collaboration avec HiUairet, 18*<5),
Traité des maladies de la peau (dernière édition,
1916), Précisde syphiliijraphie (1^01), Etudes sur la
Palhogènie du mal de liright, sur la Thérapeutique
des maladies du rein, sur le Traitement de la
diphtérie, la Syphilis et, notamment, la Syphilis
héréditaire. — • t>' H. bouquet.
Guerre en 1914-1918 (la). [Suf/e.] —
Le mois de mars 1918 a vu, jour pour jour, se déve-
lopper en toute liberté la conquête de l'Europe
orientale par l'.Vllemagne, conquête facile et sans
gloire, réalisée par la menace, la spoliation et le
mensonge; conquête, pourtant, d'une exceptionnelle
gravité au point de vue de l'avenir du monde. Le
même mois s'est terminé dans l'horreur d'une ba-
taille gigantesque, plus formidable qu'aucune de
celles qui ont ensanglanté l'Europe depuis auatre
ans et telle que l'hisloire n'en offre pas d'exemple. Au
moment ou nous écrivions celle chronique, le sort de
l'humanité se jouait sur la Somme et sur l'Oise. Il
ne s'agissait de rieu moins que de décider si la civi-
lisation contmiierail sa marche, douloureuse mais
régulière, sur la roule du progrès moral, vers le
droit, la justice. la bonté et l'amour, ou si elle se-
rait entraînée violemment sur les voie» de la force.
445
de l'injustice et de la haine. Le monde entier vivait
dans l'angoisse, et jamais l'histoire la plus réaliste
ne pourra exprimer les souffrances physiques et
morales que l'orgueil insatiable d'une seule race a
pu imposer à la collectivité humaine. Auprès de la
fiartie qui se jouait là, les événements de Hussie, si
amenlables et qui pesaient si lourdement sur nous,
apparaissaient presque négligeables. Toulle monde
sentait, en effet, que rien de délinitif ne serait fait à
l'Orient de l'Europe, tant que les comptes ne se-
raient pas réglés à l'Occident, et, quelque fâcheux
qu'il fût que l'Allemagne eût pu prendre position à
1 Est, sans que personne fût en mesure de l'en
empêcher, il restait évident que, seul, un grand
succès militaire sur l'Entente la mettrait à même
de tirer librement parti des avantages que la tra-
hison russe lui avait fournis. Ceux qui, en France
ou en Angleterre, avaient conservé jusqu'alors
une illusion sur la possibilité d'une paix qui ne se-
rait pas sanglante, devaient, à moins d'un aveu-
glement maladif ou d'une complicité criminelle,
reconnaître pour vrai ce que nous n'avons cessé
d'écrire depuis plusieurs mois : à sa voir que, seules,
les armes pouvaient nous apporter une solution.
Mais au prix de quels deuils et de quelles douleurs
ne fallait-il pas l'acheter !
Le mois de mars presque tout entier s'était passé
dans l'attente de l'offensive allemande et sans qu'on
pùl déterminer exactement si elle aurait lieu, ou si
elle serait indéfiniment ajournée. Il apparaissait,
maintenant, que le commandement allemand n'avait
jamais cessé d'y penser et que cette suprême tenta-
tive, préparée avec un soin minutieux, que r.\lle-
magne ne pouvait risquer qu'avec le maximum de
ses forces, était indispensable. La paix générale,
si désirée par tous, était devenue pour l'Allemagne
une nécessité. Elle n'avait aucun intérêts prolonger
Types de ijombes et de loriiiUes employées par le» a\-ioD8 itn*
les bumbardements : une de 16, UD« de 80 ; deux de 90, deux
de 155 ; une de SM.
la guerre; elle en avait un considérable à s'assurer
les moyens de profiler des conquêtes faites. Si elle
avait voulu ne rieu engager sur le front occidental
avant d'être absolument sûre que rien ne la trouble-
rait plus du côté du front oriental, elle n'en sentait
pas moins que toute action économique sérieuse lui
était interdite du côté russe, tant que sa frontière
de l'Ouest serait sous le coup de la menace effrayante
que constituaient les armées de l'Entente. Quand
on y rélléchit après coup, à la lueur des événements
accomplis, on s'aperçoit que l'offensive allemande
s'est faite au moment même que le éommandement
allemand s'était fixé, et on ne peut s'empêcher de
se demander si l'intérêt de l'Entente n'eill pas été,
au lieu de laisser à l'ennemi le loisir de préparer
toules set forces et de lancer ce poids énorme sur
446
nos lignes, de le devancer dans le moment où il
n'étail pas encore entièrement prêt et où une offen-
sive décidée aurait pu le surprendre en pleins pré-
paratifs. L'avenir seul peut résoudre ce problème,
oiseux à l'iieure présente; il est impossible, pourtant,
de ne pas le poser. L'héroïsme que nous avons dé-
pensé dans cette guerre inexpiable eùl-il été moin-
dre si nous ne nous étions pas, partout et toujours,
laissé gouverner par l'ennemi et si nous n'avions
Mise en place d'uDe torpille à ailettes sur avioo.
réservé notre confiance a ceux-là seuls qui enten-
daient suivre la méthode défensive? Tous les succès
des Allemands sont venus de leur hardiesse dans
l'altaque.
Pendant tout le mois de mars, depuis le front
belge jusqu'à Verdun, l'ennemi avait marqué des
attaques locales, qui étaient autant de sondages.
Seule, la partie sud-est du fi'onl, vers la Lorraine
et l'Alsace, avait été à peu près tianquille. Ces atta-
ques, dont quelques-unes avaient été chaudes,
avaient, dans l'ensemble, été partout repoussées et,
là où elles avaient un instant réussi, avaient été
aussitôt compensées par des contre-attaques heu-
reuses. La ligne franco-anglaise était intacte, et
on pouvait espérer qu'elle le resterait. Mais, le
21 mars, les Allemands se jetaient, en masses
compactes et après un bombardement relalive-
mt-nt court, sur le front anglais, de la Sensée à
l'Oise. On constatait très vite i|ue leur plan était,
d'une part, de briser la charnière de l'Oise qui for-
mait le lien entre les fronts français et anglais
el de s'ouvrir, par Noyon, une route vers Paris;
d'autre part, de rompre l'elTûrl anglais au centre de
la ligne de nos alliés, vers Amiens, pour couper en
deux l'armée anglaise, menacer Paris par un autre
côté et nous priver de nos communications avec
l'Angleterre. Les troupes anglaises avaient, le pre-
mier jour, légèrement fléchi, et ce recul était, a-t-on
dit. prévu. Mais le fléchissement était devenu tel
qu'en quelques jours elles perdaient toute l'avance
que nous avait assurée la victoire de la Somme.
Bapaume, Ham, Nesles, Péronne, Albert étaient
réoccupées par les Allemands; Noyon était mena-
cée. Dès le 23, les troupes françaises étaientobligées
de venir à la rescousse pour défendre la ligne de
l'Oise, puis pour relever les troupes anglaises entre
Amiens et Noyon. Sans doute, à ce moment, rien
n'était perdu. Les Allemands avaient réalisé une
avance très sérieuse, très pénible pour nous parce
qu'elle nous reprenait des pays précédemment re-
conquis sur eux, mais qui ne constituait, en somme,
qu'un de ces mouvements plus ou moins violents de
flux et de reflux qui ont été, depuis la Marne, toute
l'histoire de la guerre. Ils avaient obtenu ce résultat
par un effet de masse presque irrésistible. La ques-
tion était de savoir au juste quelles pertes ils avaient
subies et quelles réserves ils avaient engagées. Au
point de vue des pertes, tout en faisant la part des
exagérations de la presse, mais si l'on tient compte,
d'autre part, de la méthode d'iittaque des Allemands
el de leur insouciance du sang versé, ainsi que de
la violence de la riposte anglaise, elles devaient
être fort lourdes, sans toutefois aller jusqu'à com-
promettre la puissance ultérieure de l'effort com-
mencé. Au point de vue des réserves, tout le monde
s'accordait à reconnaître que, dès le second jour,
elles avaient été fortement engagées et, le 27. on
parlait même de divisions autrichiennes et bulgares,
dont, jusqu'alors, il n'avait été fait aucune mention.
Du côté de l'Entente, à la même date et bien que
les Anglais eussent à enregistrer, tant en prison-
niers qu'en canons, des chiffres assez onéreux, il
LAROUSSE MENSL'LL
ne semblait pas que les pertes eussent dépassé ce
que l'on pouvait attendre dans une pareille lutte.
Quant aux réserves, on affirmait qu'elles n'avaient
pas été engagées et, de partout où l'on pouvait les
appeler sans créer des faiblesses dangereuses, on
faisait affluer les renforts. On devait donc espérer
que l'équilibre du nombre, qui avait été évidem-
ment rompu pendant les six premiers jours au
profit des Allemands, allait se trouver à peu près
rétabli. — Les Al-
lemands avaient, à
leur ord inaire,
exalté leur succès
dans leurs Commu-
ni(|ués. Ils avaient,
avec leur absence
totale de mesure
el de psychologie,
comparé le recul
anglais à la déroute
italienne et, déjà,
ils annonçaient la
paix. Aveu caracté-
ristique, qui mon-
tre mieux que tout
le reste à quel
point, à leurs yeux,
cette attaque d'une
violence inouïe re-
présentait l'effort
suprême; et il faut
bien reconnaître
lue leur calcul
lait juste et que,
pour eux, attendre
la venue à pied-
d'œuvre de l'ap-
point américain,
que cerla ns affec-
taient de considé-
rer comme chimé-
rique, mais que
leurs hommes d'Etat et leurs chefs militaires ne
pouvaient négliger, eût été une faute impardonnable.
— Les journées qui s'étaient écoulées du 26 au
31 mars avaient vu se dérouler l'attaque allemande
avec une ampleur et une obstination incontestables,
soutenues malgré des pertes effroyables dont il est
impossible de douter. Mais, après le premier flotte-
ment, les Anglais s'étaient complètement ressaisis,
et les troupes françaises étaient entrées en ligne
de plus en plus activement. De tous côtés, les ren-
forts avaient été déversés sur le front, et à l'atlaque
massive des Allemands noua avions opposé des
ripostes sanglantes. L'avance allemande, que déjà
nos ennemis escomptaient irrésistible, avait du s'ar-
rêter et, par endroits, rétrograder. La bataille faisait
rage au moment où nous écrivions cette chronique.
Elle s'étendait jusqu'à Arras. De plus en plus s'af-
tirmait la direction générale vers Amiens, considéré
comme nœud central de la ligne Paris-Boulogne-
Calais, par suite comme le point à conquérir pour
être maître de tout le nord de la France jusqu'à la
mer. La grandeur du péril avait imposé la solution
de certaines questions, que le particularisme britan-
nique n'avaitpas jusqu'alors voulu résoudre. D'accord
avecle maréchal Haig et avec le général Pélain, le
commandementsuprème pour ladurée de la bataille
en cours avait été confié au général Foch. Tous mar-
chaient d'accord. Le général Pershing avait mis les
troupes américaines à la disposition du gouvernement
français et, de partout, toutes les forces matérielles
el morales des Alliés convergeaient vers cette ligne
infernale, où des millions d'hommes se sacrifiaient
stoïquement pour défendre l'idéal de l'humanité.
A côté de cette lutte de géants, il n'y avait eu,
en mars, rien d'appréciable à noter. — Rien sur le
front italien, où l'hiver rendait encore impossible
toute opération utile el où les Autrichiens ne mon-
li-aient aucune velléité de tenter quoi que ce soit. —
Rien sur le front de .Macédoine, bien qu'on eût pu
ci'aindre de ce côté une attaque de Macliensen. A
la vérité, elle avait été impossible tant que la ques-
tion roumaine n'était pas définitivement réglée;
même après ce règlement, on devait examiner si
l'Allemagne avait intérêt à s'imposer un surcroit
de diflioullés avec la question de Saloniqne et si
elle pouvait attendre un appui quelconque de ses
alliés bult;ares, satisfaits et peu enclins à se batti'e
pour les auties. — Rien sur le front de Palestine,
où les Anglais ne pouvaient, nous l'avons dit, que
se maintenir en attendant les événements; — enfin,
en Mésopotamie, quelques pelites opérations heu-
reuses, qui montraient que nos alliésétaient maiti'es
de leurs mouvements et capables de rafles intéres-
santes. — Sans doute, du côté russe, on avait à
noter l'avance continue des Allemands, malgré la
paix, leur intervention en Finlande, leur entrée à
Odessa après une marche à travers la Roumanie
humiliée. .Mais c'élaienl à peine là des faits de
guerre, el il fallait l'outrecuidance germanique pour
s'enorgueillir de tels succès. De même, on ne pou-
vait compter pour des opérations militaires les raids
aériens sur Lendres el sur Paris, non plus que le
N' 135. nr.ai 1918.
bombardement de Paris, les 23, 24, 25, 28, 29 mais
et jours suivants, par un canon colossal, porlant à
120 kilométies. On devait y voir, d'une part, la
suite des manifestations de barbarie où se complaît
le militarisme prussien, un accès de furor teulo-
nicus et un article de plus à inscrire au compte des
assassinats de femmes et d'enfants qui pèse sur le
nom allemand; d'autre part, une de ces conceptions
mégalomanes qui sont l'un des traits du caractèie
prussien. A toutes les époques de l'histoire des
Hohenzellern, on trouve un gros canon, comme si
le génie de cette race, à laquelle les Allemands
sacrifient leur honneur, ne pouvait s'affirmer que
sous la forme d'un agent de destruction et de
mort. L'abominable dépêche de félicitations adressée
par Guillaume II à Krupp von Bohlen, au sujet du
canon-monslre, est un document écrasant à joindre
au dossier criminel de l'empereur et de la Prusse.
Sur mer, le 20 mars, une escadrille anglo-fran-
çaise avait rejoint, en vue de Dunkerque, des tor-
pilleurs allemands qui bombardaient, sansdommage,
d'ailleurs, la côte française. Plusieurs bateaux alle-
mands avaient été coulés, ce qui n'empêcha pas
les Communiqués allemands de déclarer que tous
étaient rentrés à bon port.
Quant à l'aviation, les services rendus par elle, tant
du côté anglais que du côté français, s'étaient de plus
en plus affirmés, et il semblait que la supériorité sur
l'aviation allemande, en dépit des faciles incursions
des gothas, se marquait de plus en plus. Pendant la
bataille qui se livrait, l'activité de nos aviateurs fran-
çais et anglais avait été incessante sur le front avancé
et sur l'arrière. Le bombardement el l'attaque à la
mitraille des réserves ennemies avaient causé aux
Allemands de grandes perles el un Irouble sensible.
Certes, beaucoup avaient payé de leur vie leur cou-
rage el souvent leur folle témérité. Mais ceux qui
étaient morts n'étaient pas morts pour rien, et, quelle
que fût l'issue de la bataille, on pouvait dire que per-
sonne n'avait sacrifié sa vie plus consciemment el plus
glorieusement que les aviateurs français el anglais.
Nous l'avons dit, à côté de ce qui se passait en
France aux derniers jours de mars et de l'imiior-
tance de l'enjeu engagé, tout ce qu'on avaitem-egistré
dans les premières semaines du mois semblait s'ef-
facer et perdre tout intérêt. Il ne fallait pas, cepen-
dant, céder à cette illusion el oublier que ce qui se
I
cavalier anglais et son chfval, munis d'un utasque protecteur
contre les gaz asjihyxiaDls.
déroulait sur notre sol, aux portes mêmes de Paris
n'arrivait que par la faute de la Russie et que, si le
noble sang français, le noble sang bi'ifannique cou-
laient à fiols pour défendre la civilisation humaine,
c'est qu'il s'était trouvé une bande de fripons, de
traîtres et d'illuminés pour entraîner et exploiter
l'ignorance et l'inconsistance des masses populaires
russes. Il est donc nécessaire de suivre le détail
sommaire de l'histoire russe, en mars, autant, nous
le répétons encore une fois, qu'il est possible de
le faire avec les renseignements (|ui ne nous par-
viennent— on l'oubliait beaucoup trop — que par des
sources allemandes el avec un maquillage allemand.
Les derniers jours de février avaient été m.irqués
par la capitulation russe devant la menace allemande.
Le 2S février, les négociations avaient repris à Rresl-
Litovsk. Le 2 mars, la délégation russe faisait con-
naître à Petrograd que « les délibérations sur le
traité de paix étaient parfaitement inutiles » el que,
pour éviter pire, el « par suite du refus des Alle-
mands d'arrêter leurs actions militaires jusqu'à la
signature de la paix, elle avait résolu de signer le
Irailé sans prendre en considération rc qu'il conte-
«• J35. Mai 1918.
nait ». La délégation ajoutait qu'elle considérait
<c de son devoir de dire toute la vérité à ce sujet
aux ouvriers et aux paysans de la Russie et de toute
la terre, les laissant juges de toutes les conséquen-
ces de cet acte ».
De cette déclaration il ressortait que la signa-
ture du traité avait été imposée par l'intimidation à
lies gens qui se savaient eux-mêmes hors d'état de
résister. Le 3 mars, le traité de Brest-Litovsli était
signé. Ce traité enlevait à la Hussie l'Estlionie, la
Livonie, la Courlande, la Liliiuanie et la Pologne;
en outre, Ardakan, Kars et Batoum, et il la forçait
à évacuer tout ce que ses troupes occupaient en
Anatolie, par conséquent toute l'Arnifuie; le gou-
vernement russe s'engageait à faire évacuer immé-
tement par les gardes rouges tous les territoires
abandounés à l'ouest, à cesser toute hostilité contre
la Finlande et l'Lliraineet à reconnaître le traité des
Empires centraux avec la République ul<ranienne;
il renonçait à toute immixtion dans la constitution
future des pays détachés de la Russie, dont l'Aulri-
che-Hongrie et l'Allemagne déclaraient, sans plus
préciser, « qu'elles avaient l'intention de régler le
sort futur d'accord avec la population » ; le blocus
de la mer Blanche était maintenu; l'Eslhonie et la
Livonie devaient être occupées par l'Allemagne
jusqu'à ce que « l'ordre constitutionnel fût établi » ;
un accord particulier devait intervenir au sujet des
îles d'.\land entre l'Allemagne, la Russie, la Fin-
lande et la Suf'de, et on pourrait appeler aux négo-
ciations les autres pays riverains de la Baltique ; on
renonçait de part et d'autre à toute indemnité de
guerre, on se rendait les prisonniers de guerre, et
on s'en référait, pour les questions économiques, à
des traités particuliers.
Ce traité, qui laissait dans l'imprécision des
points très importants, comme la définition exacte
des frontières avec l'Ukraine, qui, nous l'avons déjà
marqué le mois dernier, élevait une barrière d'Etals
sur le caractère desquels on n'était pas fixé, entre la
Russie et l'Europe, fut approuvé par le gouverne-
ment de Peirograd et ratifié, le 17 mars, par le Con-
grès des soviets, réuni à Moscou. Celte assemblée,
malgré de vives protestations et quoiqu'elle décla-
rât celte paix « pénible, forcée et déshonorante »,
tout en entourant son acceptation de phrases creuses
sur la révolution ouvrière et le prolétariat socia-
liste, s'inclina devant le fait accompli qu'il lui élail
imposible de modifier, et elle scella la déchéance
russe.
Nous n'avions aucun moyen de savoir avec certi-
tude ce qui se passa au Congrès des soviets de Mos-
cou, qui combattit, qui soutint le traité. Outre que
nous ne possédions aucun renseignement sur la valeur
repiésenlalive de ce Congrès et sur le mode électo-
ral qui ré'.;la le choix des députés, nous ignorions, en
outre, quels partis lecomposaient et quelle était leur
puissance morale respective. Quant aux hommes qui
avaient été les artisans de celte situation désespé-
Lei microphones qui servent â prévenir de t'&rrivee des tfotb&s.
réeel qui avaient entraîné la EUissie dans ce formi-
dable bond en arrière, Lénine et Trotsky, on les
avait représentés : Lénine comme conseillant la paix
k tout prix, Trotsky comme l'acceptant à regret, et
cette information cadrait bien avec l'altitude que cet
LAROUSSE MKNSUEL
agitateur louche, mais avisé, avait prise depuis sa dé-
claration de paix à Brest-Litovsk. Ce qu'on nous ra-
conta par la suite ne s'écartait pas de la même ligne
de conduite. Trotsky, abandonnant les fonctions de
commissaire aux Affaires étrangères,
aurait pris celles de commissaire à la ■
Guerre. Ktabli à Petrograd, alors que
Lénine et le gouvernement bolchevik
restaient à Moscou, il se serait pose en
partisan d'une résistance éventuelle ù ,
l'Allemagne; pour le présent, il aurait
réclamé la réorganisation de l'armée
et même fait appel, à cet eflet, aux i
missions militaires françaises restées
en Russie ou évacuées de Roumanie.
Qu'y avait-il d'exact dans ces informa-
tions, même et si elles répondaient à la
réalité des faits, que signifiait cette i
volte-lace de Trotsky? (Juels desseins j
cachait-elle? Elait-elle sincère, ou n'é-
tait-elle qu'un piège tendu aux Alliés,
une feinte grossière pour justifier l'in-
tervention allemande qui continuait, tant
en Russie qu'en Finlande et en Ukraine?
Etail-ce là un réveil de conscience ou,
simplement, les mouvements désordon- * .
nés d'un esprit mal équilibré et d'une
ambition inquiète qui cherchait le plus !
sur moyen de se satisfaire? On devait
poser toutes ces queslions. qui venaient
tout naturellement à l'esprit. Nous ne
croyons pas que personne fût en étal
d'y répondre à la fin de mars, et il se
peut qu'un long temps s'écoule avant
qu'on soit fixé sur ce point d'histoire.
La prudence, ou plutôt la défiance, dont
nous avons si souvent noté la néces-
sité, continuait à s'imposer à l'Entente.
Elle devait constater que la paix russo-
austro-allemande était, dans tonte la
force du terme, une paix séparée — di-
sons tout: unepaix hostile— qui ne tenait
aucun compte ni des engagements anté-
rieurs de la Russie, ni des sacrifices
fails par ses alliés et qui laissait, à l'Est
et à 1 Ouest, le champ libre aux Empires
centraux. Les Allemands, en elTet, ne
s'arrêtaient pas dans leurs opérations de
nettoyage des gardes rouges, qui était
une justification commode de leur in-
tervention. Ils se présentaient comme ,_^_^ m.
restaurateurs de la sécurité et de
l'ordre et, peu à peu, sous prétexte de
police, ils s'inslallaient. On ne pouvait
prévoir comment la Russie parviendrait à se dé-
gager d'une emprise militaire qui, chaque jour, se
resserrait et que les convulsions du bolchevisme,
malgré quelques succès locaux, la reprise d'Odessa,
par exemple, étaient hors d'état d'arrêter.
Pendant le même temps, la malheu-
- reuse Roumanie s'efforçait de prolon-
ger la discussion d'une paix qu'elle ne
pouvait éviter et dont elle essayait de
diminuer les exigences. L'armistice
avait été, de délai en délai, prorogé
jusqu'au 22 mars. Le cabinet Avaresco
avait été remplacé par le cabinet Mar-
ghiloman et, finalement, la paix avait
été acceptée en principe, quoiqu'on ne
sût pas exactement, au 31 mars, si
elle était effectivement signée. Nous
n'en connaissions que le plan géné-
ral. La Roumanie perdait à l'Ouest et
au Nord les passes des Carpathes. Sa
frontière était donc livrée à ('Autriche-
Hongrie, qui pourrait dorénavant en-
trer à son gré sur le territoire roumain.
Elle perdait la Dobrondja, que lui pre-
naient les Bulgares, bien que la popu-
lation y fût en majeure partie roumaine.
Elle se trouvait ainsi privée de tout
accès facile à la mer. Les compensa-
lions, en tout cas très insuffisantes par
rapporl à ses perles, qu'on avait pro-
mis d'abord de lui accorder en Bessara-
bie, restaient dans l'ombre. Mais, en
outre — et l'importance de cette clause
élait écrasante — pour une durée, et
quel que fût son terme écrit et apparent
qui, forcément, était destinée, en fait,
sinon en droit, à se prolonger sans délai ,
r.\llemagne s'octrovait le monopole du
blé et celui du pétrole roumains. Notre
alliée se trouvait, par suite, enchaî-
née économiquement à l'Allemagne et,
s'il n'était pas certain que le résultat
de cet esclavage dût être immédiate-
ment utile à celle-ci, il marquait sans
aucun doute, pour elle, le commence-
ment d'une immense opération commerciale, indus-
trielle et financière et, pour la Roumanie, la certi-
tude de sa ruine. Personne ne pouvait envisager
sans un trouble douloureux ce résultat de l'inter-
vention roumaine dans la guerre générale. Quel-
447
ques modifications que la suite des événements fût
de nature & inlroduire dans les conséquences du
coup de force de l'Allemagne, il y avait, dans le
traité signé à Bukarest, un fait dont il faudrait tenir
'1
CauoD de 'I la » belge pointé contre avions.
compte et qu'on ne pouvait effacer. Comment en
étail-on arrivé là? Quelles fautes tactiques avaient
été commises dans la conduite de la guerre rou-
maine? Avait-il été sage de se lancer à la conquête
de la Transylvanie, plutôt que de chercher à écraser
les Bulgares? Quelle avait été, dès le début, peut-
être même avant l'adhésion de la Roumanie à
l'Entente, l'étendue de la trahison latente ou orga-
nisée de la Russie à l'égard de la Roumanie? 11
sera sans doute assez aisé de répondre à ces ques-
tions, quand les langues pourront se délier. Il était,
au moment de In catastrophe, parfaitement oiseux
d'épiloguer sur des hypothèses.
Assurément, quand on considérait l'étendue et la
valeurdes résultats obtenus par l'Allemagne, il était
nécessaire de se dire qu'ils étaient, pour le moment
du moins, grevés d'une incontestable précarité et
essentiellement sujets à revision. On ne pouvait,
cependant, pas nier, à moins d'un optimisme sans
prévoyance, qu'il y eût position prise et gage acquis.
La Russie élait diminuée de plus de 1 million d'hec-
tares et de 60 millions d'habitants, et les contrées
qu'on lui enlevait étaient les plus riches el les plus
civilisées. Dans ces Etals nouveaux constitués par
les traités de Brest-Lilovsk et quel que fût la forme
politique qui leur serait donnée, même en les sup-
posant dotés d'une véritable indépendance, il élait
impossible que le voisinage géographique, les néces-
sités économiques d'organismes naissants, le besoin
de se senlir défendus contre les revendications cer-
taines de la Russie, n'amenassent pas les gouver-
nements nouveaux à s'appuyer sur l'Allemagne, leur
voisine. Par là, l'Empire allemand s'assurait un
champ d'expansion immédiatement exploitable el
d'un rendement prodigieux. Le monopole des pé-
troles lui conférait une prédominance économique
inconlestable, et le rêve de laMilleleuropa parais-
sait réalisé. Même victorieuse et à moins d'une
victoire écrasante, l'Entente ne serait-elle pas forcée
de tenircompte des faits accomplis et d'entrerdans
la voie des transactions? Il n'est pas douteux que
l'Allemagne n'eût fait ce calcul.
Au surplus, la position de l'Entente élail parti-
culièrement difficile en Russie el très compliquée.
L'Allemagne agit par la force, an nom du principe
de l'ordre monarchique et de la puissance militaire :
rien de plus aisé à comprendre et à pratiquer. L'En-
tente agit au nom du droit, de la justice sociale, de
la liberté des peuples et des gouvernements démo-
cratiques : rien de plus noble, de plus humain, mais
448
aussi de plus difficile à définir, à limiter, à réaliser.
Ces principes éternels du progrès peuvent conduire —
la Révolution russe le prouve assez — à la confusion,
k l'anarchie, à une véritable tyrannie et à la ruine
totale. L'Entente n'avait pu parvenir à fixer sa poli-
tique à l'égard du gouvernement russe. Le départ
de Moscou de ses représentants diplomatiques, leur
odyssée en Finlande, leur retour en Russie, leur
installation à Vologda, — ailleurs, la duperie de son
intervention amicale en Finlande et en Ukraine, —
marquent les étapes de sa bien naturelle hésitation.
"•vir
LAROUSSE MENSUEL
moment de l'histoire, l'action conquérante de l'Al-
lemagne, pas même aux temps de l'envahissement
de la Silésie ou des partages de la Pologne, ne fut
si ouvertement destructrice de toute indépendance,
si implacablement ennemie de tous les droits qui
sont la dignité de l'homme et des nations civili-
sées? » — Ces deux déclarations, si opposées de ton
et d'inspiration, ne disaient rien qui ne fût connu.
IVIais, à mesure que nous avançons dans le drame
et malgré l'hypocrisie verbale dont les porte-paroli'
officiels de l'Allemagne essayent encore de couvrir
-•W-i-'WiS.-K-i'
GUsseur en mer pour la chasse aux sous-marins.
On a, dans la presse, vitupéré ces fluctuations. La
critique est aisée. Bien habile qui eût mieux fait.
L'Entente, en dépit de toutes les violations de la
foi jurée, a eu ia générosité de conserver sa sym-
pathie aux aspirations démocratiques de la Russie,
et le président Wilson l'avait dit très clairement
dans le télégramme qu'il avait adressé, le 11 mars,
au peuple russe. Mais elle ne peut pas ne pas cons-
tater que l'usage que la Russie a fait de sa liberté a
mis en péril la liberlé du monde entier. Toutes les
difficultés viennent de cette contradiction. Ces diffi-
cultés, la violence allemande ne les connaît pas.
L'histoire, qui s'incline volontiers devant la force et
les résultats, devra pourtant reconnaître que, dans
cette lutte titanesque qui se déroule entre le Bien
et le Mal, tous les obstacles se sont accumulés sur
la route vers le Bien; elle ne constatera là, il faut
le dire, hélas! rien de nouveau.
La politique allemande devenait, d'ailleurs,
de plus en plus claire, et il fallait vraiment, nous
l'avons déjà dit, un aveuglement très équivoque
pour se reifuser à voir où en veulent venir, nous ne
disons pas seulementle gouvernement impérial etle
parti militariste prussien, mais le peuple allemand
tout entier. Les documents lus à la Sorbonne le
l" mars par le ministre Pichon et, en particulier,
l'exigence qu'émettait l'Allemagne, à la veille de la
guerre, de se faire livrer Tout et Verdun comme
gages de notre neutralité, ne laissent plus aucun
doute sur la volonté qu'elle a eue de provoquer la
guerre. D'autre part, il est aujourd'hui prouvé par
le mémoire du prince Liknowsky, ancien ambas-
sadeur d'.\llemagne à Londres, et par celui du
D'' Muehlen, l'un des directeurs de la maison
Krnpp, publiés au cours du mois de mars, que la
guerre a bien été préparée et voulue par Guil-
laume n, qui se savait d'accord avec les tendances
de l'Allemagne tout entière. L'esprit qui guida
l'empereur, à cette date d'août 1914, n'a pas changé,
et c'est avec les mêmes hypocrisies, avec le même
art de rejeter sur les autres ses propres crimes que
la mise en scène de l'approbation des traités de
paix a été réglée au Reichstag. Dans le discours
qu'il prononça, dans celte Assemblée, le 18 mars, le
chancelier Hertling avait présenté sous la forme la
plus doucereuse la paix de Brest-Litovsk. A l'en-
tendre, il eût semblé que la liberté des peuples était
garantie de la façon la plus sûre et la plus loyale. Il
avaitterminéeninvoqtiantDieu, — leDieu allemand,
— en chargeant de la responsabilité de la guerre les
ennemis de l'Allemagne, qui voulaient, disait-il, sa
o destruction »; il avait alfiriné sa confiance « dans
le peuple inébranlable ». La majorité du Reichstag,
sauf quelques abstentions, l'avait approuvé. Le
même .jour, les représentants de l'Entente, réunis à
Londres, avaient, en termes hautement énergiques,
protesté contre la paix de Brest-Litovsk. « Ces sortes
de paix, avaient-ils dit, nous ne les connaissons
pas; nous ne pouvons pas les connaître, puisque
nous nous proposons, à force d'héroïsme et d'endu-
rance, d'en finir avec une politique de spoliation,
pour faire place à un régime de paix durable par le
Droit organisé. » « A quoi bon — ajoutaient-ils —
s'arrêter aux paroles allemandes, quand, en aucun
leurs desseins, il est nécessaire d'affirmer l'opposi-
tion des principes. L'Entente combat, nous l'avons
dit plus haut, pour un principe qui, pour n'être pas
tout à fait nouveau, n'a jamais reçu, dans le temps
passé, que des applications fragmentaires et incer-
taines. Elle veut que chaque peuple soit maître de
ses destins et que les relations entre les peuples
assistent au camouflage d'une grosse pièce d'artillerie.
soient réglées par le Droit. L'histoire du monde
noiisapprendque.jusqu'ici, elles ont été uniquement,
à très peu d'exceptions près, réglées d'après la vo-
lonté des souverains et des peuples de s'agrandir aux
dépens d'autrui ; les grandes époques de l'histoire
sont marquées par des hégémonies successives, qui
varient par l'étendue de leur action, mais dont les
moyens sont identiques. L'Allemagne, résorbée dans
la Prusse, reste fidèle à cette formule, qu'elle a, depuis
quatre siècles, appliquée avec un plein succès. Elle
vient, par la paix de Brest-Litovsk, de l'utiliser
sans restriction contre la Russie et la Roumanie.
Elle la tient en réserve pour régler la situation de
la Baltique et imposer à la Suède, au Danemark et
à la Norvège la solution la plus favorable à ses inté-
N' 135. Mai 1918
rets maritimes et commerciaux. Elle entend bien
l'appliquer aussi à la Pologne et aux petits Etats.voi-
sins, voire à l'Autriche, et elle y accommodera sans
peine l'autre formule, celle qui réserve aux peuples
la libre disposition d'eux-mêmes : il ne s'agit que
de lui faire dire ce qu'on veut qu'elle dise et de
définir, comme il est utile, les mots « ^leuple » et
Il liberté i>. En un mot, l'Allemagne, à la fin de mars,
se voyait en train de réaliser son rêve d'hégémonie
pangermaniste. Quoi qu'en pensent nos rêveurs et
nos fous, quoi que puissent dire les minoritaires
allemands, dontlinfluence ne pèse pas lourd devant
le battage quotidien des victoires réelles ou ima-
ginaires dont on étourdit l'orgueil du populaire
allemand, les pangermanistes étaient alors les seuls
maîtres de l'Allemagne, et aucun scrupule d'huma-
nité, aucune lueur de sagesse, ne pouvait plus arrêter
leur débordement.
L'offensive sur le front occidental apparaissait,
d'une façon lumineuse, comme la contre-partie bien
équilibrée des gains réalisés à l'Est. Par la paix de
Brest-Litovsk, l'Empire allemand se trouvait de ce
côté garanti contre tout danger par la destruction
de la Russie et assuré d'un développement écono-
mique indéfini. Il fallait, maintenant, par l'écrase-
ment de l'armée anglaise, réaliser la conquête des
Flandres, atteindre le pas de Calais, se donner une
dernière raison d'asservir la Belgique et annuler
par la menace perpétuelle d'Anvers, de Dunkerque
et de Calais, la puissance anglaise; subsidiairement,
s'assurer la possession de Briey et de Longwy,
régler à jamais la question d'Alsace-Lorraine et
obliger la France à des rectifications de frontière
qui annuleraient en elle toute possibilité de revan-
che; enfin, ceci mis hors de contestation, organiser
l'Afrique au mieux des intérêts allemands et voir en-
suite à régler ses comptes avec l'Amérique et le Japon.
C'était pour empêcher cela que se livrait d'Arras à
Noyonla plus terrible bataille qu'ait vue l'humanité.
Du moins, ne pouviiit-on plus avoir l'ombre d'un
doute sur les intentions de l'Allemagne. La gran-
deur du péril et la portée de la lutte apparaissaient
à tous.
Est-ce à dire que, mis à part le risque d'un échec
que nous nous efforçons avec une incomparable
énergie de lui infliger aussi lourd que possible,
celle entreprise fût dépourvue d'aléa et que même
une victoire dût mettre l'Allemagne
eu état de réaliser sans encombre
son liyperbolique ambition ? Bien des
questions très graves se poseraient
encore pour elle : et celle de la rèsis-
liirice navale de l'.^ngleterre ; et celle
de l'obstination américaine, déchaînée
et clairvoyante ; et celle des armées
françaises encore debout; et celle du
Japon, dont l'Entente semble avoir es-
compté à tort, comme nous l'avons
loujoui'3 cru, l'intervention armée en
Russie, mais qui combat l'Allemagne
en Extrême-Orient activement et par
d'autres armes; et aussi toutes les
questions intérieures qui troublent l'.M-
lemagne, qui troublent bien davantage
l'Autriche-Hongrie; sans compter la
question financière, dont personne ne
parle, mais qui pourrait bien être une
des raisons capitales qui poussent l'Al-
lemagne à précipiter une conclusion
qu'on ne peut plus atten<lre ; sans
compter, enfin, et l'alTaiblissement cer-
lain que les privations font peser sur
\:\ vie allemande et la diminution de
■1 populalion adulte mâle, qu'aggrave
liaque jour la dépense féroce de vies
luniaines que le commandement alle-
mand sacrifie sans compter.
Tout cela devait être porté au bilan
de l'Allemagne, à la charge de son
passif et être envisagé sans trouble par
le chroniqueur, qui, sans chercher à
prophéliser, voulait envisager l'avenir
dans toute son étendue. Les hégémo-
lies qui se sont réalisées dans le passé
n'ont, le plus souvent, rencontré de-
vant elles que des obstacles fragiles
et dont les apparences brillantes ca-
chaient la faiblesse. L'Allemagne ne
peut donner une forme concrète au pan-
germanisme que si elle vient à bout d'une coalition
immense, parfaitement conscienle du rôle histo-
rique qui lui incombe et en pleine possession de
tous ses moyens défensifs. C'est ce qui devait, au
dernier jour" de mars et malgré l'angoisse qui nous
étreignait, maintenir et fortifier notre espérance.
Comme les mois précédents, on avait eu à cons-
tater en mars, chez les neutres, le contre-coup mé-
diat ou immédiat des événements delà guerre. On
avait été particulièrement préoccupé de ce qui
s'était passé en Espagne, où l'activité des juntes
militaires, un moment apaisée, s'était de nouveau
révélée à la suite des manœuvres suspectes du mi-
nistre de la guerre, La Cierva. Une grève des
employés des postes et télégraphes avait corn-
«• 135. Mai 1918.
:f;
WOEVRE ET BASSIN DE BKIEY
449
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'Lo(6y-s- Mcsi-.r-
430
LAROUSSI- MENSUEL
N' 735. Mai Ti/IS.
Halte d'un convoi britannique, dans les plaines de Mésopotamie.
pliqué la situation, et on avait pu craindre de se
trouver en présence d'une atteinte aux formes
parlementaires, au moment même oii les élections
venaient d'amener une Chambre sur les tendances
de laquelle on était mal fixé. Le 20 mars, le cabinet
Garcia Piieto avait donné sa démission; le 21,
Maura avait été appelé par le roi et, le 22, il avait
pu mener à bien la Ibrmation d'un cabinet de coali-
tion, où étaient entrés les anciens présidents du
conseil Dato, Garcia Prieto et Uomanoiiès, et qui
avait été bien accueilli par le Parlement. Les grèves
s'étaient apaisées, et on pouvait espérer que Maura
rendrait enfin à l'Espagne quoique tranquillité.
Mais on sentait qu'indépendamment des menées
allemandes indubitables, un trouble plus profond
agitait l'Espagne. La France avait suivi tous ces
événements avec la sympathie cordiale que lui
inspire le noble pays d'Espagne, dont les destinées
tiennent aux siennes de si près.
Plus étroitement liées k la guerre étaient
les afl'aires de Hollande. Ce pays, qui ne peut se
nourrir seul, avait dû demantier à l'Entente le blé
qui lui manquait. Les Etats-Unis n'avaient consenti
à l'accorder qu'à la condition que les Pays-Bas
mettraient à la disposition de l'Entente, moyennant
une large indemnité, tout le tonnage, soit environ
600.000 tonnes, qui se trouvait dans les ports alliés.
Par voie de conséquence, la Hollande vit se dresser
devant elle les menaces de l'Allemagne, qui pré-
tendait considérer comme une violation de la neu-
tralilé la vente du tonnage hollandais à l'Entente.
Cependant, devant la nécessité alimentaire et après
d'assez longs pourparlers où ils essayèrent d'ob-
tenir de l'Entente des conditions qu'elle ne pouvait
accepter, les Pays-Bas signèrent l'accord à la fin
de mars.
Ailleurs, en Suisse, en Danemark, en Suède, en
Norvège, le poids de la guerre devenait de plus en
plus difficile à porter. L'avenir que ménageaient à ces
Etats libres, qui ont tout sacrifié pour rester neutres,
l'extension de l'Allemagne vers l'Est et la concen-
tration des forces économiques dans ses mains, était
envisagé par eux avec une vive appréhension et,
malgré la propagande germanophile qui s'exerçait
chez eux, on sentait que leurs vœux allaient vers le
succès libérateur de l'Entente. L'Allemagne triom-
phait et se glorifiait; elle se vantait de se faire des
amis des peuples qu'elle avait vaincus. Les plus clair-
voyants de ses publicistes mesuraient, non sans re-
gret, l'étendue de haine qui s'élargissait autour d'elle.
On le voit, en résumé : rien de définitif n'avait été
fait en mars, et même la paix orientale dont l'Allema-
gne tirai tgloire ne pouvait être considérée que comme
un état, sujet à revision, de la question posée par la
guerre générale. Un efi"ort sans précédent était fait
par elle. Au 31 mars, il n'avait pas donné ce qu'elle
s'était promis, et le succès rapide qu'elle escomptait
n'était pas venu. Les peuples de l'Entente suppor-
pr--
Une ambulance britannique, sur le front de .Mésopotamie.
talent le choc avec énergie et confiance. En Angle-
terre, tous les ressorts se tendaient vers la résistance.
11 simblait que l'Italie se fût tout à fait reprise,
et elle était d'accord sur tous les points avec ses
alliés. Les Etals-Unis déversaient continuellement
sur la France le flot ininterrompu de leurs troupes
et de leur ravitaillement. Le Japon se préparait soi-
gneusement pour opposer, à son heure, à l'invasion
économique allemande la barrière tju on attendait
qu'il élevât. Le Portugal se donnait une nouvelle
constitution. La France, enfin, serrait les rangs.
Le mois de mars, commencé par l'émouvante
cérémonie de la Sorbonne en l'honneur de l'Alsace-
Lorraine, à l'anniversaire de la protestation de ses
députés contre l'annexion de 1871, avait vu se dé-
rouler des événements d'une modalité trop connue,
comme l'interpellation du 8 mars, qui valut au cabi-
net Clemenceau une majorité de 400 voix contre 75
à propos de sa politique générale; comme les pro-
cès de trahison, le rejet du pourvoi Bolo. Il avait
été tragiquement troublé par les raids sur Paris, sur
Gompiègne, sur Châlons-sur-.Marne, par le bombar-
dement de Paris et l'impie catastrophe du vendredi
saint. 11 se terminait dans une attente frémissante,
mais de plein sang-froid, et le peuple français sui-
vait jour par jour les péripéties de la bataille où ses
enfants versaient leur sang pour la liberté et pour
la paix. La gravité de Iheure semblait avoir sus-
pendu pour un instant les querelles des partis. Les
douzièmes provisoires avaient été volés par tous, et
l'appel de la classe 1919 n'avait trouvé comme oppo-
sants que quelques insensés, que rien ne peut guérir.
La France était reconnaissante à Clemenceau de
donner l'exemple dune infatigable énergie et d'une
foi inébranlable. Elle songeait à ses morts, mais
elle refoulait ses larmes. Le salut de la patrie était
le suprême devoir. — Jules Gerbal-lt.
Irlande {Histoire politique : le Home [iule;
les Sinn Feiners ; etc.). Les Allemands, singuliers
défenseurs du droit des peuples, ont fait à plusieurs
reprises, à la tribune et dans leur presse, allusion
aux « nationalités opprimées par les Alliés ». De ces
prétendues nationalités opprimées, l'Irlande est celle
dont la situation leur a permis de tirer les plus
spécieux arguments et de fonder les plus grands
espoirs, comme les moins justifiés.
L'Irlande a bien été, autrefois, une nationalité, si,
par « nationalité », on entend un groupe humain ren-
fermé dans des limites naturelles, de race à peu
près homogène
etvivantpendant
de longs siècles
d'une vie com-
mune et des mê-
mes traditions.
Dès l'époque où
elle apparaît dans
l'histoire, laverie
Erin a son indi-
vidualité nette-
ment marquée.
Isolée à l'extré-
mité du monde
occidental, dans
l'océan des bru-
mes, la lointaine
Hibernieéchapiia
aux légionnaires
romains. Seules,
parmi les Celtes,
les tribus irlan-
daises se conservèrent jusqu'au xii" siècle de l'ère
chrétienne pures de tout mélange. Seul, peut-être,
aujourd'hui, l'Irlandais fait levivre le Celte tel que
le connurent les Romains : rêveur, inconstant et
mobile, passionné pour les belles paroles et les
beaux coups d'épée, d'une témérité aveugle dans la
bataille, mais dont l'énergie se détend aux revers.
Longtemps, l'Irlande conserve une individualité
très marquée; une intense activité religieuseybouil-
loime, qui lait les grands hérésiarques et les grands
réformateurs : les Pelage elles Colomban. Moines
irlandais au vi^ siècle, savants irlandais au viii=etau
ixs siècle, contriliuèrent noblement au développe-
ment des lumières et au refoulement de la barliarie.
Si avancée intellectuellement, l'Irlande est, politi-
quement, dans l'enfance. Livrée aux luttes conti-
nuelles de tribus et de clans, impuissante à former
un Etat, Pologne d'Occident, elle est destinée à être
conquise par sa voisine de l'Est, unifiée sous le
sceptre des Plantagenels. Avec l'expédition de
Henri II (11 70), commencent les misères de l'Irlande,
dont la suite lamentable remplit le moyen âge, les
temps modernes et contemporains. Dès lexiv"=siècle,
les rois d'Angleterre considèrent l'Irlande comme
lune des parties de leur domaine. Mais l'Irlande
est vaincue, non soumise, et l'histoire de ses rela-
tions avec l'ile voisine est celle d'aspirations mal-
heureuses à l'indépendance; tentatives isolées, ja-
mais unanimes, aboutissant à des révoltes rudement
comprimées.
A partir du xvi« siècle, l'Angleterre officiellement
protestante, l'Irlande restée catholique, les haines
Daniel O'Connell.
N' 135. Mai 1918.
nationales s'avivent des haines religieuses. Dans
l'Anglais, l'Irlandais hait non seulement l'oppres-
seur, mais l'hérétique, et l'Anglais haii surtout le
papiste dans le rebelle irlandais. Au xvii» siècle, en
lace de l'Angleterre libérale, se dresse l'Irlande
conservatrice, en qui tous les partis de réaction
trouveront toujours le plus sur appui. Partisans
de Charles II sous Cromwell, indéfectibles sou-
tiens de.s Stuarts sous la dynastie de Hanovre, tel
est, dans la politique intérieure anglaise, le rôle
des Irlandais. Sortis vainqueurs de toutes les luttes,
les gouvernements au pouvoir trouvent plus qu'un
prétexte : une raison d'opprimer l'Irlande, toujours
prête à favoriser l'immixtion des étrangers dans les
affaires intérieures du pays.
Les massacres ordonnés à plusieurs reprises
sont un moyen inefficace de répression. Bien
plus habile est la méthode inventée au xvi" siècle
par les Tudors. reprise et amplifiée par Cromwell
et Guillaume d Orange : diviser l'Irlande contre
elle-même en établissant dans ce pays catiio-
lique des protestants, et les protestants les plus
fanatiques, les presbytériens : les luttes constantes
des deux partis seront une nouvelle cause de fai-
blesse pour l'Irlande, une garantie nouvelle pour
r.\ngleterre, assurée désormais que l'unanimité ne
saurait se faire contre elle en cas de révolte. Et,
dès 1580, Elisabeth, la grande révolte des Desmond
réprimée, établit des colons Plus lard, Jacques I"'
établit dans la province nord-est de l'Irlande,
l'Ulster, des Ecossais presbytériens par villages en-
tiers. Ces Ecossais forment, dans les comtés d'An-
Irim et de Down, toute la population. Cromwell fait
plus : il essaye d'arracher aux indigènes les trois
comtés d'Ulster, de Leinster et de Munster et de
refouler toute la
population indi-
gène dans le Con-
naught. CEuvre
chimérique, mal-
gré la volonté
toute-puissante
du Prolecteur.
C'est dans l'Uls-
ter .Keulenient
que les envahis-
seurs réussissent
à former un
groupe compact,
fortifié en 1691.
sous Guillaume
d'Orange. par une
nouvellenplanta-
tioii ». Dès lois,
il y a deux Irlan-
des : l'Irlande du
Nord-E.^t, l'Ulster, anglo-écossaise et protestante, les
trois comtés du Sud-Ouest, catholiques et celtiques.
.\uciine fusion ne se fera jamais entre elles deux.
D'aulre part, l'Irlande sera comme décapitée par
la spoliation de ses chefs : les biens des princi-
pales familles expropriées sont contiés à des « land-
iords » anglais et à l'Eglise anglicane. Les Irlandais
de race sont réduits à l'état de plèbe misér'aLlc. Ces
mesures sont décisives. L'Irlande, muscles et nerfs
coupés, ne se relève un instant à l'appel de l'étran-
ger que pour retomber plus lourdement sur sa
couche de misère. Tous les débarquements français
en Irlande tentés au cours du xviu* siècle et jusqu'à
l'épopée du paladin révolutionnaire, le général Hum-
bert, sont voués à l'insuccès. L'Angleterre tient
solidement l'Irlande : l'Acte d'union (1800) consacre
cette mainmise. Mais, au début du xix« siècle, l'Ir-
lande est bien un peuple de parias, opprimés dans
leur conscience religieuse et nationale comme dans
leurs intérêts matériels les plus immédiats. Ques-
tion religieuse, question agraire, question politique,
voilà les problèmes que pose au gouvernement
britannique la situation de l'Irlande et devant les-
quels vont se débattre les hommes d'Etat anglais.
A la lin.du xix= siècle, seule, la question religieuse
est résolue. Les campagnes d'O'Connell ont amené
l'abrofjation du bill du 'Test, restitué aux catholiques
irlandais, comme aux catholiques anglais, leurs
droits de citoyens. Mais, malgré les campagnes de
Parnell, le successeur le plus écoulé d'O'Connell,
véritable « roi sans couronne », pour ramener au
droit commun son pays, malgré les eiïorts de Glads-
tone, bien résolu, pour le bon renom de son pays,
d'effacer de l'histoire d'Angleterre toute trace de
l'ancienne injustice, la siluation économique de
l'Irlande resté critique. Une partie seulement des
paysans irlandais ont pu bénéficier de la faculté à
eux donnée par le Land-.\cl de 1870 de racheter les
terres des landlords. Ceux-ci, malgré les inviles du
gouvernemeiil, malgré le moven terroriste du boy-
collage inventé par les Irlandais, se refusent obsti-
nément à vendre leurs domaines. La majorité des
paysans irlandais est encore un peuple de serfs ou,
du moins, se considère comme telle. Le mécontente-
ment est profond. La question politique est plus
brûlante encore : depuis un demi-siècle déjà, les
Irlandais réclament la rupture de l'Acte d'union et
l'établissement du gouvernement national, le Home
Chailps Stewart Parnell
LAROUSSE MENSUEL
Rule. Celte idée, Parnell l'a défendue dix ans avec
habileté, persévérance el une froide passion. Glads-
tone, avec cet amour de la justice qui s'alliait si bien
chez lui au souci des intérêts britanniques el au
sentiment des nécessités politiques du présent el de
l'avenir, a voulu de toutes ses forces. donner satis-
faction aux aspirations jugées par lui légitimes des
Irlandais, fermer la plaie toujours ouverte au flanc
de l'Angleterre.
Par deux fois, en 1886, après la mort du grand
leader irlandais et, en 1894, avec Parnell, il a pro-
4Si
eux se forme, sous la direction de lord Dunraven.
un tiers parti favorable à la réconciliation entre les
deux Irlaiides. Au programme de ce parti figure la
vente de la plus grande partie des terres des land-
lords et, dans une certaine mesure, l'autonomie de
l'Irlande. Un Corps irlandais (Irish Body), compote :
l» des pairs et députés d'Irlande; 2° d'un conseil
financier formé par les notables, présenterait au
Parlement des propositions sur les affaires irlan-
daises. Bien que quelques hommes d'Etat de pre-
mier plan (Winston Churchill, Lloyd George,
Les troupes anglaises, venues pour réprimer les révoltes, traversent Dublin.
posé au Parlement anglais le Home Rule bill et, par
deux fois, le Parlement l'a rejeté; aux lords obsti-
nément conservateurs se sont unis les députés des
communes unionistes, le parti impérialiste naissant
alors, qui, groupé autour de Chamberlain, refuse de
relâcher, si peu soit-il, le lien qui unit les différentes
parties de l'empire anglais. Et, le pouvoir revenu aux
conservateurs, le projet semble abandonné.
A l'époque de la guerre du Transvaal (1899-1902)
et pendant les années qui vont suivre, l'Irlande
reste toujours, à l'horizon politique de l'Angleterre,
le nuage gros de tempêtes. Hostile à l'Angleterre
et divisée elle-même en deux régions, deux groupes
sociaux férocement ennemis, perpétuellement trou-
blée par des émeutes et des attentats terrestres, l'île
sœur est la principale, la seule cause de faiblesse du
Hoyaume-Uni.
Les premières années du xx* siècle, années déci-
sives de la politique britannique, ont vu un nouvel
essai du règlement de la question irlandaise. C'est
an cours de la guerre du Transvaal, pourtant fort
mal accueillie en Irlande, que s'affirmèrent les dis-
positions favorables du gouvernement anglais. En
1900, la reine "Victoria, touchée par la bravoure dé-
ployée dans le Sud-.^nicain parles régiments irlan-
dais, fait célébrer à Londres la fête de sainl Patrick
et fait à Dublin une visite, où elle est accueillie
avec enthousiasme.
Ces dispositions réciproquement favorables de la
reine et des Irlandais fuient le prélude d'importants
événements. A celte époque, la Ligue irlandaise
unie, principal moyen d'action des nationalistes
irlandais, poursuit, .sous la direction de John H"d-
luond, son président (v. p. 459), assisté d'O'Brien
et de Dillon, tous anciens parnellistes, brouillés
après la mort du mailie, puis réconciliés, une ac-
tive campagne pour l'acquisition des terres par les
paysans irlandais et l'établissement du Home llule.
11 s'agit de forcer les landlords anglais à vendre
leurs terres, et l'agitation est vive en Irlande. 81 na-
tionalistes siègent dans le Parlement.
Mais, d'une pari, les dispositions du gouvernement
anglais sont favorables : Balfour est remplacé à
Dublin comme sous-secrétaire d'Etat parWyndham,
plus favorable aux aspirations irlandaises.
D'aulre pari, une grande partie des landlords a
dès maintenant compris que, dans leur intérêt réel,
sinon apparent, el pour la sécurité de l'empire, ils
doivent faire des concessions aux Irlandais. Parmi |
Asquith) soient favorables i un tel projet, il ne peut
se réaliser encore, la majeure partie des liommes
politiques anglais restant hostiles. El Wyndham,
considéré comme trop faible vis-à-vis des Irlandais,
doit démissionner. Du moins, pendant son admi-
nistration, a-t-il pu mettre en vigueur une partie
du programme ju tiers parti. Le Land Purcliase
Act de 1903. sans rendre obligatoire la vente
des terres, la facilite : lo en avançant au paysan
le prix de la terre dont il désire se rendre pro-
priétaire ; i" en donnant aux landlords qui con-
sentent à se des-
saisir de leur do-
maine une prime
de 12 p. 100 ;
3° en permettant
l'achat diiect de
grands domaine.*
par l'Etat, qui les
rétrocédera en-
suite auxpaysans.
ijCttefoispaysans
el lanillords ont
profilélargeinent
des facilités qui
leur on 1 été don-
nées pour lavenle
el lâchai, et il
semble bien que
le Land Pur-
c/tnse Act et son .■«•illUm Smith O'Brien.
application de
plus en plus étendue amèneront (dans des conditions
onéreuses pour les finances d'Etat et le paysan lui-
même qui achète trop cher la terre), mais sans
à-coups et sans violences, le règlement définitif de
la question agraire.
La constitution du cabinet libéral Campbell
Banrierniann (décembre 1904) marque pour la cause
de l'Irlande un nouveau progrès. Le cabinet libéral
inscrit à son programme l'établissement du Home
Rule par étapes successives. El il propose, en \9M,
l'élahlissement d'un Conseil de l'Irlande (IrisK
Coiincil'i de 107 membres (sï nommés par le peuple,
25 par le gouvernement) qui surveillerait l'admi-
nistration irlandaise el pourrait prendre toute dis-
position concernant l'Irlande, le lord lieutenant
anglais conservant, d'ailleurs, toujours nn droit de
veto. C'est celle dernière disposition qui, une fois
452
connue du leader irlandais Redmond d'abord favo-
rable, l'amène à repousser le bill au nom des natio-
nalistes et de l'Irlande tout entière.
Loin de prendre prétexte de cet accueil pour
suivre désormais une politique de compression à
l'égard de l'Irlande, les libéiaux, avec un souci de la
justice et une persévérance qui les montrent dignes
successeurs de Gladstone, comprennenllinsuffisance
de leur dernier projet et la nécessité d'aborder une
fois de plus — et franchement — l'obstacle où
s'est heurté Gladstone, de faire aboutir, enfin, le
projet de Home liule. Tel est, en 1910, l'avis des
leaders libéraux, Asquith, Edward Grey, Lloyd
George. Dès celte date, le Home Rule figure au
programme du cabinet Asquith sous la forme sui-
vante : « Un Par-
lement irlandais,
avecpouvoirexé-
cutif responsable
envers lui, mais
à cette condition
imposée par
Gladstone que le
Parlement impé-
rial conserve une
suprématie indé-
fectible. » John
Hedmondaccepte
ce programme,
qui donne satis-
faction aux natio-
nalistes irlandais
(saufau parti des
Sinn Feiners, qai
John Diiion. rêve une sépara-
tion complète
d'avec l'Angleterre), et les quatre-vingts voix irlan-
daises se réunissent au groupe libéral pour en-
trainer la Chambre des communes à voter (11 avril
1912) le projet de Home Rule bill présenté par le
premier ministre.
Le Home Rule bill, qui accorde enfin à l'Irlande
celle autonomie depuis si longtemps désirée et pour
laquelle elle a tant soulTert, pose tout d'abord en
principe que « le pouvoir et autorité suprêmes du
Parlement du Royaume-Uni restent identiques et
intacts (unaffected and undimitnshecl) pour toute
personne, matière et chose dans les domaines de Sa
Majesté », nonobstant le présent ;bill et quelles que
puissent être les modifications ultérieurement ap-
portéesàlaConstitution irlandaise. Celtesatislaction
préalable accordée à l'amour-propre anglais et au
souci très légitime de maintenirl'unité de l'empire,
une assez large autonomie — sinon complète —
est de fait accordée à l'Irlande. Le gouvernement
de r « île sœur » comprend un pouvoir législatif
et un pouvoir exécutif. Le pouvoir législatif est
le Parlement, formé d'une Chambre des com-
munes et d'un Sénat. La première se compose de
164 membres, élus dans les mêmes conditions que
les « commoners » anglais ; le second de 40 mem-
bres, nommés pour la première législature par le
gouvernement anglais, à partir de la législature
suivante par le gouvernement irlandais.
Le roi d'Angleterre, investi toujours de la pleine
souveraineté sur l'Irlande comme sur les autres
parties de l'empire, délègue le pouvoir exécutif au
lord lieutenant d'Irlande. Celui-ci, qui, désormais
(et c'est là une des innovations les plus impor-
tantes du bill), peut être choisi parmi les catholi-
ques et non plus seulement, comme sous le régime
précédemment en vigueur, parmi les protestants,
délègue, à son tour, le pouvoir à des ministres,
responsables aevant le Parlement. — Le gouver-
nement irlandais traitera toutes les affaires concer-
nant uniquement l'Irlande sans mettre en jeu l'en-
semble de l'empire, et ses affaires échapperont
désormais à la compétence du Parlement de Lon-
dres. Si l'on se place au point de vue purement
politique, l'Irlande bénéficie donc d'une assez large
autonomie. Il n'en est pas tout à fait de même en
ce qui concerne l'organisation judiciaire et finan-
cière, prévues également par le bill.
Pour la justice, le bill transfère l'ancienne juri-
diction d'appel, exercée par la Chambre des lords,
& un comitéjudiciaire (comité judiciaire du conseil
privé), mais cette juridiction nouvelle doit toujours
juger d'après le common law (loi commune à tous
les habitants du Royaume-Uni), non d'après la loi
irlandaise.
Quant au système financier, l'obligation (imposée
par la situation déficitaire du budget irlandais et
par les circonstances politiques) de partager re-
cettes et dépenses entre le gouvernement impérial
et le gouvernement irlandais le rend d'apparence
assez compliquée. Le Parlement impérial conserve
à sa charge les pensions, les avances aux paysans
pour achat des terres, les frais de perception des
impôts. Il perçoit tous les revenus de l'Irlande,
sauf ceux des postes. Comme ces derniers revenus
ne suffiraient, cependant, pas à subvenir aux dépen-
ses de l'Irlande, le gouvernement impérial donne
à l'Irlande ime gratification, la somtyie réservée.
Celle-ci, jointe aux revenus des postes, forme le
LAROUSSE MENSUEL
budget irlandais, qui doit subvenir à toutes les dé-
penses, sauf celles prises à sa charge par le gouver-
nement impérial. — Les impôts sont votés pour
l'Irlande, comme pour l'ensemble de l'empire, par
le Parlement impérial. Mais le Parlement irlandais
conserve le droit : 1° de faire des emprunts, gagés
par les ressources de l'Irlande; 2° d'établir de nou-
veaux impôts; 3° d'augmenter ou de diminuer les
impôts existants. Les plus-values ou moins-values
résultant des opérations financières ainsi faites sont
au bénéfice où à la charge du budget irlandais. Le
Home Rule bill a donc prévu, et cela jusque dans
leurs détails, presque toutes les éventualités.
La question la plus délicate était celle des repré-
sentants irlandais au Parlement de Londres. Il fal-
lait laisser l'Irlande prendre part à la discussion des
affaires d'empire, tout en empêchant ses députés
d'être des arbitres des partis et les maîtres de la poli-
tique anglaise. Problème difficile, dont Asquith
a proposé et trouvé la solution élégante : maintenir
au Parlement la représentation irlandaise en la
ramenant à 42 (au lieu de 80) députés.
Les théoriciens du droit constitutionnel ont lon-
guement discuté quelle forme politique prenait, par
l'application du /fome flu/e, le Royaume-Uni. Monar-
chie dualiste, à la manière de l'Autriche-Hongrie?
Etat fédératif, comme les Etats-Unis? Ni l'un, ni
l'autre, l'Irlande n'étant pas, même dans ses affaires
intérieures, pleinement souveraine et restant unie
& l'empire, par le roi et le Parlement, d'un lien
très fort.
Mais, comme l'a fort bien jugé un historien fran-
çais, le Home Rule de 1912 est un compromis bien
plus habile que ceux de Gladstone entre les << de-
mandes de l'Irlande et les concessions auxquelles
pouvait consentir l'Angleterre »... En l'accordant,
en rendant sa liberté à l'Irlande, « l'Angleterre,
s'inclinant devant la justice et non devant la force,
a remporté sur elle-même une victoire sans larmes ».
Un tel acte, qui avait su rallier au Parlement une
majorité imposante, était de nature à rallier égale-
ment l'opinion anglaise et irlandaise, à l'exception
seule des Sinn Feiners, résolument séparatistes, et
La poUce ferme le magasin à poudre de KeUy, d'où les rebelles
commandaient le pout O'Connell et le collège de la Trinité.
des unionistes exaltés (Anglais et Irlandais), qui ne
voulaient admettre aucun relâchement du lien rivant
l'une à l'autre les deux parties du Royaume-Uni.
C'est de ce parti unioniste que sont venues les dif-
ficultés. Dans leur opposition au gouvernement, les
unionistes ont été fortifiés, encouragés par le secours
qu'ils ont trouvé dans l'Irlande elle-même où, sur
la question du Home Rule, fut bien loin de se faire
l'unanimité. En 1912, en effet, comme un siècle au-
paravant, il y a toujours deux Irlandes, étrangères,
ennemies, séparées par un mur infranchissable :géo-
graphiquemeut, l'Irlande de l'Ulster et celle des trois
comtés du Sud-Ouest; politiquement, l'Irlande des
dirigoanls,protestanls,celledes dirigés, catholiques.
« L'Irlande est un pays catholique, avec une
forte minorité protestante d'origine étrangère, de-
venue dominatrice par la force et demeurée par ses
intérêts mêmes l'adversaire de la majorité ». Sur les
4.300.000 habitants que le recensement de 1911 attri-
bue à l'Irlande, on compte, en effet, 3.238.000 catho-
liques et environ 1.100.000 protestants. Ceux-ci ne
sont guère plus de 200.000 dans le Munster, le
Edward Carson.
N' 135. Mai 79J8.
Leinsler et Connaught, où vivent 3.200.000 habitants
(proportion de protestants -.un seizième), llsformenl,
au contraire, un groupe compact de 787. 000 âmes
dans l'Ulster, peuplé de 1.073.000 habitants (propor-
tion : /mit dixièmes).
En Irlande, et dans l'Ulster en particulier, les
haines religieuses se sontconservées vivaces comme
au temps d'Elisabeth et de Cromwell. Catholiques
et protestants rivalisent — à en juger par leurs porte-
parole — de fanatisme violent et borné. « Rome,
déclaraient alors les protestants, hait le proteslan-
tisnie dune haine aussi mortelle qu'à l'époque des
Stuarts ». Et, d'autre part, tout ce qui a la moindre
apparence de catholicisme, de « papisme », répugne
aux protestants : No popery (pas de papisme), tel
fut, pendant des
siècles, le cri de
ralliement de ces
protestants de
l'Ulster, qui s'in-
titulent fièrement
oranr/istes, en
souvenir du
grand roi protes-
tant. Les oran-
gi stes se sont
considérés tou-
jours en face de
l'Irlande papiste
comme les senti-
nelles avancées
du protestan-
tisme et de l'An-
gleterre. Ils ne
peuvent conce-
voir l'idée d'une
société quelconque avec les papistes : entre eux,
rien de commun, si ce n'est une haine mutuelle.
Le vote du Home Rule bill par la Chambre des
communes a donc produit, chez les orangistes, une
véritableconsternation. Si le bill est appliqué, l'Ulster
perd la situation exceptionnelle dont il est si fier.
L'Ulster devient une province comme les autres,
sans droits ni privilèges particuliers. Les maîtres
d'hier sont ramenés au même niveau que leurs
sujets. Mieux : ils risquent d'être les esclaves de
demain.
Les protestants irlandais ne forment-ils pas une
minorité que, seuls, les liens intimes — désormais
tranchés — qui l'unissaient à l'Angleterre, garan-
tissaient de la haine catholique? « Home rule, Rome
rule » (gouvernement national, gouvernement clé-
rical), tel est le titre d'un pamphlet où s'exprimaient
— très exagérées, d'ailleurs — les craintes des pro-
testants. « Le pays tout entier, dit-il, est tenu dans
une ignorance moyenâgeuse par les prêtres;... don-
ner le Home Rule à l'Irlande serait conférer le
pouvoir civil au clergé catholique, par conséquent
placer les protestants à la merci des catholiques ».
El, sous le « gouvernement du Vatican », l'Ulster
craint la ruine et la persécution.
Son porle-parole est sir Edward Carson, pro-
testant irlandais, qui, rentré dans l'administration
sous Baifour, puis nommé sollicitor gênerai d'Ir-
lande, député enfin et membre du conseil privé,
jouît d'une réputation de compétence justifiée en
tout ce qui regarde les affaires de l'île, est très
écoulé à Belfast et dans tout l'Ulster, et, comme
John Redmond représente l'Irlande catholique, re-
pi'ésente quasi officiellement l'Irlande protestante.
Dès la fin de 1912, Edward Carson interpelle As-
quith sur le Home Rule bill et demande au ministre
de vouloir bien accepter un amendement excluant
rUlsler de l'Irlande autonome : le Ho7ne Rule s'ap-
pliquerait seulrment aux trois provinces du Sud;
l'Ulster resterait dans les mêmes conditions que par
le passé, rattaché à l'Angleterre. Solution simple
du problème, mais solution fausse, parce que trop
simple. L'UlsIer est prolestant en majorité, non
exclusivement prolestant. Dans trois des sept comtés
de l'Ulster, les catholiques forment une minorité
assez forte. Comment, dès lors, exclure ceux-ci des
bénéfices du Home Rule i///, dont jouiront les autres
catholiques irlandais? Telle est la thèse soutenue
par Redmond et les nationalistes irlandais pour re-
pousser toute modification au Home Rule. Cette
thèse est également celle du gouvernement, dont les
nationalistes sont alors l'appui et qui a besoin d'eux
pour sa majorité. Asquith se déclare décidé à appli-
quer intégralement la loi.
En 1913, Edward Carson et les orangistes font de
nouvelles tentatives pour amener le «Premier» à re-
venir sur sa décision. « C'est, déclare en mai 1913
le leader unioniste, notre droit imprescriptible de
demeurer citoyens du Parlement impérial, qui justifie
et nous donne le droit moral de faire tout ce qui
sera jugé nécessaire et même d'employer la force ».
Le 12 juillet, au grand meeting orangisle de Belfast,
où se pressent (disent les unionistes) plus de cin-
quante mille assistants, Carson déclare que les ha-
bitants de l'Ulster emploieront, pour être exclus
du Home Rule. <• tous les moyens légaux » et que,
plutôt que d'entretenir un Parlement hibernien, ils
sont résolus, d'un commun accord, à refuser le paye-
«• 135. Ma/ 1918.
ment de l'impôt. Bien que le gouvernement feigne
de lie pas prendre au sérieux cette menace, on peut
craindre des troubles graves.
La seule solution possible, de l'avis des modérés
anglais et irlandais, c'est la réunion d'une conférence
pour décider de l'applicalion du Home Rule à toutes
les parties du Royaume-Uni : Irlande, pays de Galles,
Ecosse. Cette politique semble avoir l'appui du ca-
binet, qui volt dans son application le moyen de « dé-
congestionner i>, en lui enlevant le souci des affaires
locales, le Parlement impérial. Mais les conservateurs
sont violemment hostiles : leurs chefs, lord Lans-
downe, Bonar Law, soutiennent à Londres la politi-
que de menaces et de violences appliquée en Irlande
par Edward Garson et lord Londonderry. Ils mènent
campagne pour la dissolution de la Chambre des
communes et l'appel au pays. Mais, répond le cabi-
net Asqullh, le pays s'est déjà prononcé sur celle
question par l'organe de ses représentants. Et 'Wins-
ton Churchill déclare répudier l'appel aux électeurs.
En septembre 1913, Edward Garson annonce la
constitution d'un gouvernement provisoire dans l'Uls-
ler : une autorité centrale, sorte de Parlement de
76 membres, un conseil exécutif piésidé par Garson
lui-même, des commissions administrative, mili-
taire, financière composeraient le nouveau gouverne-
ment. Est-ce, dès lors, la scission? Non; car, dit lord
Garson, ce gouvernement n'entrerait en vigueur
que lors du vole définitif de la loi par la Chambre
des lords. D'ailleurs, dit une proclamation rédigée
par Edward Garson, « Il n'y a pas d« plus loyaux
sujets de Sa Majesté que nous. Nous nous levons,
non pour nous séparer, mais pour conserver dans
l'empire la place dont nous sommes si fiers ». Dans
les derniers mois de 1913, un compromis semble
pouvoir s'établir, des négociations officieuses ont
lieu enlre Asqullh et Edward Grey, représentant
le gouvernement, Bonar Law et lord Lansdowne,
chefs de l'opposilion. On envisage la possibilité de
donnera l'Ulster, suivant l'expression de lord Grey,
une sorte de Home Rule dans le Home liule. Et,
répondant à sir Edward Carson, .\squlth affirme à
nouveau que le Honte Rule ne signifie ni la sépa-
ration définitive de l'Irlande et de l'Angleterre, ni
l'asservissement des protestants irlandais.
Aux premiers mois de 1914, cependant, les rela-
tions sont de nouveau tendues enlre les orangisles
et le gouvernement. Exécutant les promesses de
lord Grey, Asquilh propose (mars 1914) d'appliquer
la loi du Home Rule avec le correctif suivant : la
population de l'Ulster sera, par voie de référendum,
consultée pour savoir si elle désire, pour son compte
parllculier, l'autonomie, c'est-à-dire la séparation
d'avec le reste de l'Irlande.
Mais les nationalistes irlandais protestent au
nom de leurs coreligionnaires, les catholiques de
l'Ulster. El, quant aux orangisles, leur leader n'ose
promettre qu'ils s'Inclineronl devant le résultat du
LAROUSSE MENSUEL
formé d'enthousiastes régiments de volontaires, qui,
armés, équipés, entraînés aux manœuvres, défilent
au son du God save Ihe king dans les rues de
Belfast. Et l'on parle couramment, dans les journaux
britanniques, de la formidable armée (de 50.000 hom-
mes, disent les uns, de 100.000, enchérissent les
autres) qui marche sous la couleur orange et, en
453
traîne dans la polllique intérieure du Royaume-Uni
bien des complications. Les ouvriers sont surpris et
indignés lorsqu'ils comparent la rigueur avec laquelle
est puni qui prêche chez eux l'action directe et l'in-
dulgence dont le gouvernement fait preuve devant
les appels à la révolte lancés par les leaders orangis-
les. Les trade-unions sont violemment hostiles : celte
Coiflinei de campagne servaui du ual'c chaud aux troupes, dans les rues de Dublin.
référendum. L'attitude esl singulière et démontre
que les orangisles vraiment intransigeants ne sont
qu'une bruyante minorité.
Celle minorité est assez iinportanle, cepeudant, et
assez active pour tenir le Royaume-Uni sous la me-
nace de troubles graves. Depuis deux ans, les pro-
testants de l'Ulsler, fanatisés, ont, pour détendre
une liberté religieuse qu'ils veulent croire menacée.
Le Liberty Hall, à Dublin, endommagé par le feu des n;i\ ii
vue de combats sans doute proches, a constitué
pour les futures veuves de la guerre et les orphe-
lins, victimes de la cause orangisle, un fonds de
réserve de 25 millions. Exagération, dictée par l'or-
gueil des uns, la crainte des autres. Les 700.000 pro-
testants de l'Ulster n'ont pu mobiliser 100.000 hom-
mes, ni même sans doute 50.000. Le gouvernement
s'inquiète, cependant. Il a Interdit, en décembre 1913,
l'importation des armes de guerre en Irlande et
annonce son Inten-
tion de réprimer
tous les troubles
parlaforce.Enavril
1914, la menace
d'insurrection pa-
raît plus grave que
jamais:lesorangis-
tes ont décidé pour
le 24 la révolution
générale et débar-
qué à Larne (pelit
port situé au nord
deBelfasl)70.000Cu-
sils et des milliers
de cartouches.
Est-ce la guerre
civile? Non, car les
chefs des deux par-
tis opposés, Red-
mond et Garson,
prêchent le calme à
leurs troupes su-
rexcitées; car le
gouvernement a
prudemmenldécla-
ré qu'il n'emploie-
rait la force que
dans le cas d'une
rébellion ouverte;
car l'opinion publi-
que,danssagrande
majorité, est favo-
rableau//oOTefl«/e,
auquel se conver-
llssenl même des
prolestantsdel' Uls-
ter. On peut donc
considérer avec quelques écrivains anglais contem-
porains que l'importance du soulèvement orangisle
est très exagérée, qu'il s'agit d'un simple bluff, des-
tiné à entraîner le rejet du Home Rule, mais que
les orangisles, pas plus que le gouvernement, ne
désirent jeter leur pays dans la guerre civile.
Au printemps de 1914, la siliialion reste grave,
cependaiil : la menace de révolte de l'Ulsler en-
.jin rrdiu.-nent rapidement le quartier général oee révoltés.
hostilité s'est manifestée dès 1913 par des grèves
de plusieurs corporations. Un parti syndicalisie ré-
volutionnaire se forme dans les grandes vilks.
L'agitation a gagné l'armée; quant à la menace
de révolte, le cabinet a répandu par une menace de
répression, nombre de soldats et d'officiers protes-
tants ont manifesté nettement leur intention de ne
pas lever les armes contre leurs coreligionnaires.
Au camp de Durragh, en Irlande, cent officiers
donnent à la fois leur démission. Les chefs eux-
mêmes semblent de cœur avec leurs soldats. Le
général Gough envoie un ultimatum à l'Artny Council
et se retire; le maréchal French, chef d'élat-major
général, se démet de ses fonctions. Son départ en-
traîne celui du colonel Seely. ministre de la guerre
(avril 1914), remplacé au War Office par le pré-
sident du conseil lui-même. Cette dernière mesure
indique la résolution bien établie du gouvernement
de ne céder devant aucune menace. Slais l'opinion
publique s'inquiète. L'Angleterre esl-elle donc mûre
pour le régime des pronunciamienlos? « Le gou-
vernement libéral, se demande une importante re-
vue, ayant délrult l'obstacle des lords, va-l-ll se
heurter à la barrière de la résistance militaire? »
L'importance de ragltatlon militaire est, soutien-
nent les oplimistes, très exagérée : simple bluff,
comme l'agitation orangisle.
Sans doute, ces optimistes volent juste : les évé-
nements le montreront. Mais, vue de l'extérieur,
l'.\ngleterre offre, pour l'Inquiétude de ses amis
et la joie de ses ennemis, un spectacle peu rassu-
rant : une province en révolte et blenlôt théâtre
d'une guerre civile, la vie économique sous le coup
de grèves imminentes, l'armée peu sûre, le gouver-
nement impopulaire. Comment, rongé d'un tel
cancer, l'empire pourrait-il poursuivre une poli-
tique extérieure ferme, soutenir une guerre?
Déjà, à la fin du xviu* siècle, les ennemis de
l'Angleterre, considérant parmi tant d'autres causes
apparentes de faiblesse « les mouvements convulsifs
de l'Irlande », prophétisaient sa ruine.
Ainsi raisonnèrent, en 1914, les politiques alle-
mands.
Les troubles d'Irlande enlrèrent pour la plus
grande part dans la sous-estimation de la puissance
britannique et furent, par là même, une des causes
déterminantes de la guerre, les Allemands croyant
pouvoir braver impunément une puissance chargée
déjà d'une guerre civile.
« SI quelque puissance étrangère menaçait l'Etat,
a dit, en parlant de l'Anglelerre, Montesquieu, seul
perspicace, les petits intérêts céderaient aux plus
grands. Tout se réunirait en faveur de la puissance
exécutrice ». Ce jugement s'applique exactement à
l'Angleterre d'août 1914. La guerre déclarée, l'union
4S4
sacrée s'est faite d'elle-même, les affilations de
loiile nalure se sont comme par enchantement apai-
sées et, à la grande surprise des Allemands, l'Ir-
lande même a semblé momenlanément s'assoupir.
Tandis que le général Goufîh et le maréchal Krench,
opposants de la veille, mènent à la gloire la « mé-
prisahle petite armée », Bonar Law et sir Edward
Carson sont devenus membres du cabinet Asqiiilli.
Les deux leaders irlandais, John Redmond et Carson
lui-même, ont employé toute leur inllueiice aupii's
de leurs compatriotes pour faire d'eux des volon-
taires britanniques. El, de fait, « les nationalistes
irlandais, aussi bien que les orangistes de l'Ulster,
collaborent franchement à l'effort militaire britan-
nique ». Les II volontaires » de l'Ulster furent les
premiers à offrir leurs fusils pour la grande cause.
Et, quant aux catholiques, c'est par milliers que se
comptent ceux d'entre eux qui, à l'appel de John
Redmond, se sont enrôlés sons la bannière britan-
nique, par centaines ceux qui, chantant la marche
fameuse de Tipemnj (Tiperary est une localité
Examen des passeports des passants sur un pont de la LitTey, À Dublin.
d'Irlande) sont glorieusement tombés dans les
plaines du nord de la France.
Mais les Allemands avaient escompté un soulève-
ment de l'Irlande et, déçus au.x premiers mois de la
guerre, ils ont, par la suite, essayé de faire de leurs
désirs une réalité. Préparer la révolte dernîle verte »
est, en 1915, une de leurs grandes pensées. N'ayant
plus à compter sur les orangistes, ils se tournent
vers les nationalistes in transigeants, les SmiiFeiHecç,
que le Home Ruie même n'avait pas salisl'aits, et
organisent cliez eux une active propagande. Au.\
prisonniers anglais originaires d'Irlande (comme à
certains prisonniers musulmans) l'Allemagne pro-
pose un traitement de faveur, — à condition qu'ils
servent ses desseins. L'un des buts de la guerre
est, leur dit-elle, la libération complète de l'Irlande
et l'établissement d'une République irlandaise. Un
irlandais germanophile, Roger Casement, fut appelé
en Allemagne, entra en relations avec le sou»-se-
crétaire d'iïtat Zimmermann et fut chargé de re-
cruter parmi les prisonniers de guerre une « légion
irlandaise », qui combattrait sous les drapeaux
allemands. Là encore, la diplomatie allemande subit
un échec grave; quelques-uns à peine, parmi les
prisonniers, écoulèrent Casement.
L'idée des enrôlements irlandais dut être aban-
donnée. Mais Gasementse fit fort, en compensation,
de soulever l'Irlande pour le compte des Allemands.
C'est au début de 1916 que le grand projet dut être
exécuté. Le but apparent, d'ailleurs, est sensible-
ment différent du but réel de la manœuvre. Les
Allemands espèrent-ils vraiment détacher l'Irlande
de l'Angleterre ? Non, sans doute, s'il faut en croire
le témoignage des neutres lilen renseignés. Près
de deux ans de guerre où l'Angleterre a trouvé à
ses côtés l'Irlande fidèle et l'expérience de toute
l'histoire leur montreraient la vanité d'une telle ten-
tative. Il s'agit, avant tout, d'une diversion militaire
et politique. Diversion militaire, qui, dans la répres-
sion d'un soulèvement, immobilisera 200.000 hom-
mes. Diversion politique: les Irlandais d'Amérique,
sympathisant dans la lutte future avec leurs com-
patriotes, entretiendraient l'agitation aux Etats-Unis
et troubleraient sérieusement la politique du prési-
LAROussE mensui:l
dentWilson, qui. au lendemain des torpillages du
Sussex et de la Lusitania, vient de lancer son ulti-
matum sur la guerre sous-marine.
L'offensive irlandaise sera « de grand style » et
faite, comme toujours, pour frapper les esprits de son
appareil théâtral. Tandis que les Sinn Feiners de
Dublin se rendront maîtres de la capitale irlan-
daise et que Roger Casement, débarquant en Irlande,
leur amènera des armes, puis leur recrutera des
partisans, la flolle allemande se lancera à l'attaque
des côtes anglaises, et une escadrille de zeppelins
couvrira d'une pluie d'acier Londres et les comtés
du Sud. Il s'agit, d'ailleurs, répétons-le encore, d'une
diversion et non d'une entreprise où l'Allemagne
— tendue alors du cùlé de 'Verdun — engagerait de
grandes forces.
Les diverses parties du plan allemand ont toutes été
exécutées avec un égal insuccès. Le jeudi 20 avril,
un navire auxiliaire allemand, déguisé en navire de
commerce neutre, amenait en vue de la côte sud-
oupst d'Irlande Roger Casement, accompagné de
quelques prison-
niers de guerre ir-
landais,qui avaient
consenti à le sui-
vre, et une cargai-
son d'armes et de
munitions. Un ca-
not devait effectuer
le transbordement
des hommes et des
armes et les dépo-
ser à Tbaler-Bay,
point tout à fait dé-
sert de cette côte.
Amarré, en ellèt,
à Thaler-Bay, le
canot et sa cargai-
son suspecte y fu-
rent découverts et
la côte surveillée;
Casement et deux
de ses complices
arrêtés. L'amirau-
té, avisée, prévint
les croiseurs an-
glais, qui reconnu-
rent sous son dégui-
sement le vaisseau
allemand et le cou-
lèrent facilement.
— Trois jours après
(lundi 24 avril), le
matin, c'est un raid
naval allemand sur
la côte est de l'An-
gleterre, raid ter-
miné par une ba-
taille où la flotte
anglaise a l'avan-
tage, et l'expédition de cinq zeppelins, dont l'un
réussit à survoler Londres. Dans l'intervalle, s'est
passé l'acte essentiel delà pièce: le lundi matin,
éclate à Dublin une tentative d'insurrection menée
par les Sinn Feiners. Ceux-ci, constituant une
petite armée, occupent la principale artère de la
ville et, semparant du bureau central des postes
qui y est situé, coupent toutes les communications
télégraphiques et téléphoniques avec le reste du
pays. Quelques-uns d'entre eux apposent des affiches
proclamant la République irlandaise. Les forces de
police et la garnison sont un instant débordées, et les
rebelles restent maîtres de Dulilin jusqu'à 7 heures
du soir. Mais, dans la journée, des forces impor-
tantes arrivent du camp de Curragh. Après une assez
pénible bataille de rues et un violent bombardement,
l'émeute est rc|)rimée et, le mardi 25, le secrétaire
d'Etat pour l'Irlande, Birrell, peut donner l'assurance
que II l'autorité est pleinement maîtresse de la si-
tuation ». Les jours suivants et pendant la première
quinzaine de mai, le gouvernement doit procéder
encore à de très nombreuses arrestations et exécu-
tions martiales. .A l'issue des procès qui s'ensuivent,
Casement et quinze de ses complices payent de leur
vie la tentative de rébellion. Rébellion toute factice
et que les journaux anglais ont eu bien raison de
qualilier d' « opéra bouffe ». En dehors de Dulilin,
les Siiin Feiners n'ont pu trouver un appui sérieux
en Irlande. La rapidité avec laquelle l'ordre est
rétabli la montré.
Parmi les anciens partis irlandais d'opposi-
tion, la révolte n'a rencontré non plus aucune
sympathie. Les nationalistes, avec John Redmond,
ont saisi cette nouvelle preuve d'affirmer un loya-
lisme auquel les journaux britanniques ont à l'envi
rendu hommage. Quelques centaines de morts et de
blessés dé part et d'autre, l'affirmation plus écla-
tante de la consistance du Royaume-Uni à l'heure
et dans les circonstances mêmes où ses ennemis
comptaient démontrer sa fragilité, tel est le bilan
de cette entreprise, l'un des échecs les plus notoires
de la diplomatie secrète de l'Allemagne.
En 1917, ont retenti encore des échos affaiblis de
la vieille querelle : une collision peu sérieuse entre
«• 135. Mai 1918
Sinn Feiners et agents de police (mars), quel-
ques drapeaux républicains arborés (mai), d'assez
vives discussions aux Communes entre LIovd George
et John Redmond. L'influence grandissante prise
par les intransigeants irlandais inquiète l'opinion
britannique, et la mort de John Rrdmoud rend
celte iii(|uiétudft plus poignante. Mais les Sinn
Feiners sont toujours en minorité, et la mort de
Redmond semble laisser la direction politique à
DiUon, plus violent, mais loyaliste encore. Tout
cela ne saurait rien changer à un fait acquis dé-
sormais : la fidélité de plus en plus énergiquement
affirmée des Irlandais.
A l'heure présente, il entre dans les projets du
premier ministre d'appliquer enfin à l'Irlande le
Home Bule, modifié soit par l'exclusion définitive
de l'Ulster, soit dans le sens indiqué par une con-
vention irlandaise où les catholiques et les protes-
tants, les nationalistes et les orangistes et les Sitm
Feiners eux-mêmes seraient représentés.
Ainsi sera réparée une longue injustice; ainsi
seront restitués les droits des petites nations, non
par l'aide hypocrite de l'Allemagne, mais sans elle
et contre elle. — Léon abensour.
Jusserand (Jules-Jean), diplomate français,
né à Lyon le 18 février 1855, licencié en droit,
docteur es lettres, auteur de plusieurs ouvr.iges en
langue anglaise, qu'il connaît et parle aussi bien
que sa langue maternelle. On lui doit, notamment,
une Histoire littéraire du peuple angliiis, qui est
considérée chez nos voisins comme la plus complète
et la plus documentée de toutes celles qui ont été
publiées chez eux sur le même sujet. Ils regardent
comme des études de premier ordre les pages écrites
parJulesJusserand sur Shakespeare cl sur Charles II.
De tels titres à l'estime des lettrés n'étaient pas né-
cessaires pour imprimer à sa carrière diplomatique
l'éclat qui la caractérise; mais, assurément, ils n'y
ont pas nui : ils lui ontpermisdesecréer,en dehors
de ses mérites professionnels, une place éminente
dans le pays où il représente actuellement la France
et de s'y faire des amis.
Il est entré dans cette carrière en 1876, à l'âge de
vingt et un ans, après avoir passé brillamment dis
e.xamens d'admission. Au seuil de la vie à laquelle
il se vouait, il se faisait déjà remarquer par les
notes que lui décernèrent les examinateurs. 11
accomplit son stage à l'administration centrale du
ministère des affaires élrangères, direction des
consulats ; il est ensuite envoyé à Londres comme
attachéàl'ambassade française, puis rappelé à Paris
et, en 1880, allaché à la Résidence générale à Tunis,
avec le litre de secrétaire. En 1887, nous le trou-
vons de nouveau à Londres, mais, cette fois, comme
conseiller. Trois ans plus tard, il passera à Conslan-
tinople avec le même grade; il est ensuite nommé
ministre à Copenhague et, comme coiironnement de
cette première partie de sa carrière, où se sont affir-
més ses mérites, il est désigné, en 1902, pour aller
occuper à Washington les hautes fonctions d'am-
bassadeur de France.
Les événements auxquels il a été mêlé dans ce
poste, comme ceux qui s'y étaient déroulés avant
qu'il y arrivât, démontrent qu'aux Etals-Unis les
illustres souvenirs de la guerre de l'Indépendance
ne furent jamais oubliés. De tout temps, ils avaient
assuré au représentant de la France l'accueil le plus
favorable. Mais cela ne rendait pas sa lâche moins
diflicultueuse. La rigueur de la législation douanière
appliquée dans la libre Amérique, surtout en ce qui
regarde les industries de luxe, engendrait à tout
instant des difficultés d'ordre diplomatique, dont la
solution exigeait, chez les négociateurs, tact, bon
vouloir et patience. Ces conditions ne firent jamais
défaut à Jules Jusserand, dans les nombreuses cir-
constances où il eut à défendre les intérêts de notre
pays sous les présidences de Roosevolt, de Taft et
de Wilson, le président actuel.
Il est vrai que, pour ses débuts aux Etats-Unis,
notre ambassadeur avait la bonne fortune de con-
quérir l'amitié de Hoosevelt, ce qui fut la consé-
quence de ses goûts passionnés pour les exercices
sportifs, goûts partagés par le président. On nous
permettra de répéter ici ce que nous avons dit
ailleurs à ce sujet : « L'inlimité entre les deux
personnages se crée et se fortifie à la faveur de cette
communauté de goûts qui les rapprochait souvent
tantôt à la chasse, tantôt au tennis, tantôt, enfin,
dans des excursions pédestres à longue dislance. »
La réputation de l'ambassadeur de France à cet
égard a défrayé maintes fois les récils et les com-
mentaires des journaux et des salons ; elle a même
donné lieu à des relations plus ou moins fantaisistes,
que lui-même a mises au point dans une lettre qu'il
écrivait récemment à nn ami et dont il nous paraît
opportun de publier un extrait :
Il n'est pas tout à fait exact que j'aie traversé tout
habillé une rivière en compagnie de Roosevelt torsiiu'il
était présiitent ; mais il est parfaitement vrai que j'ai passé
avec lui le Potomac à la nage. Notre itinéraire nous ra-
menait, toutefois, sur la rive d'où nous étions partis : nous
avions fait la double traversée après avoir laissé nos vête-
ments sur la rive du départ. C'était une espèce de règle
dans ces expéditions de ne jamais se servir d'une route
N° 135. Mai 1918.
ou d'un pont ot flans quelques cas, — mais je n'ai jamais
eu l'occasion do le faire, — on a passé en effet la rivièrn
à la nage tout habilles. Nous savions si bien d'avance que
n'importe quoi pouvait se produire que nous mettions
toujours nos vêtements les plus atVreux et avions soin do
laisser à la maison toute montre ou objet pouvant so
delérioi er.
Dans une de ces natations tout vôtus, l'un des membres
de notre petit groupe s'est trouvé avoir gardé par dis-
traction sa montre, ot il cria comme il entrait dans l'eau ;
« — t^ue vais-je en faire? ■ La réponse fut : « — Mettez-la
dans votre bouche. » C'est ainsi, en cfTet, qu'il passa la
rivière.
Un hiver, nous passâmes dans une île du Potoraac,
non à la nage, mais dans une mauvaise barque fêlée, où
nous avions les pieds dans l'eau. Le président s'amusa à
prendre la pose de son plus illustre prédécesseur et, in-
troduisant une variante dans la pointure et passant son
bras autour de mon cou, s'écria : « 'Washington et Ro-
chambeau passant le Delaware ! » Tout cela est bien loin,
et pas plus le successeur de Gérard de Rayneval que celui
de Washington n'ont aujourd'hui ni de temps ni de pensée
pour do telles excursions.
Afin de donner tout son prix à ce piquant récit,
il convient de rappeler qu'aussi vijïoureux de corps
3u'il l'est d'intelligence, notre ambassadeur est petit
e taille et d'apparence grêle, c'est-à-dire tout le
contraire du président Roosevelt.
Nous voilà bien loin des soucis diplomatiques
auxquels il semble qu'un ambassadeur doit être
habiliiellement livré; mais, dans un pays tel que les
Elals-Unis, des détails analogues à ceux que nous
venons de reproduire, loin d'amoindrir son autorité,
contribuent à l'accroître, et l'intimité qui s'était créée
ainsi entre le
président et son
ami le diplomate
n'a pu qu'être
utile aux intérêts
dontcelui-ciétait
l'oigane. La si-
tuation menaça
de se modifier
lorsque Roose-
velt q u i 1 1 a la
présidence.
Jules Jusserand
pouvait craindre
d'être mal vu par
Taft,quelesélec-
teurs venaient de
porter au pou-
voir, mais sa
loyauté, sa bonne
grâce détournè-
rent le danger en
lui assurant dès le premier jour, la haute estime du
nouveau président et du personnel qui entrait en
fonctions avec lui. Ni de sa part, ni de celle de Wil-
son, qui lui succéda, cette estime n'a fait défaut à
notre ambassadeur; elle lui facilita la tâche impor-
tante qu'il avait à remplir et que les événements de-
vaient rendre un jour plus délicate et plus épineuse.
Pour en mesurer l'étendue, il faut se rappeler ce
qu'était la situation aux Etats-Unis, à l'approche de
la guerre actuelle. Quelles que fussent ses sympa-
Ihies pour la France au moment où l'on commen-
çait à prévoir le conflit, le gouvernement américain
était obligé de ne rien faire qui fût de nature à
altérer les bons rapports qu'il entretenait avec le
cabinet de Berlin et de compter avec le sentiment
de ses nationaux importés d'Allemagne, qui, bien
que naturalisés, se considéraient toujours comme
citoyens allemands et comme tenus à d'impérieux
devoirs envers leur pays d'origine. A l'atlilude qu'ils
ont prise dés le début du conflit, on a pu voir à quel
degré, en devenant citoyens des Elats-Unis, ils sont
restés teutons et combien, de ce chef, devenait diffi-
cile, pour le cabinet deWasbingloii, la pratique de
la neutialilé à laquelle il était résolu. Celte neutra-
lité, Wilson entendait l'exercer loyalement; à plu-
sieurs reprises, ses propos révélateurs, des hésita-
tions à travers lesquelles son opinion se formait,
purent faire craindre aux peuples de l'Entente, im-
patients de le voir se prononcer, qu'elle ne s'exerçât
au profit de l'Allemagne. Celte crainte n'était pas
fondée et, ce qui le prouve, c'est qu'au même mo-
ment, le germanisme, exaspéré et déçu, commençait
à reprocher aux Etals-Unis de ne pas entrer dans
ses vues et de ne pas faire son jeu. Mais c'est là,
justement, ce à quoi le président Wilson se refusait,
sans prendre souci de i'animosité, à peine dissimu-
lée sous la correction des formes, dont l'ambassa-
deur de Berlin se faisait l'organe auprès de lui.
Les mulliples incidents qui caractérisent celle si-
tuation sont trop proches de nous et surtout trop
connus pour qu'il y ait lieu à les énumérer ici. Ils
se multiplient et deviennen t de plus en plus décisifs,
au moment où le président Wilson, parvenu au
terme de ses pouvoirs, va être soumis à la réélec-
tion. Les démarches de l'ambassadeur d'Allemagne
se font de plus en plus pressantes, de plus en plus
menaçantes. Ce diplomate, plus agité que prudent,
dresse en face de Wilson l'image d'un rival qui le
remplacera, si lui-même ne se décide pas à favoriser
la politique de Berlin. On peut suivre ainsi, étape
par étape, à la lumière des documents officiels, la
-lulef Jusserand.
LAROUSSE MENSUEL
roule par laquelle, après sa victoire électorale, le
président réélu est arrivé à cette conviction que l'in-
térêt de son pays exigeait qu'il se rangeât à côté des
défenseurs du Droit, de la Justice et de la Liberté.
Jules Jusserand n'avait jamais perdu confiance,
et ses collègues de l'Entente, pas plus que lui, dans
les sentiments de droiture et d'honneur de l'illusli'e
chef du gouvernement américain et dans la grati-
tude du grand peuple devenu aujourd'hui noire
allié. Mais il considérait à l'égal d'un devoir de ne
se livrer à aucune démarche qui aurait pu êlre
interprélée comme une tentative d'immixtion dans
les affaires nationales du pays; il comprenait, d'une
part, que les Américains s'en seraient peut-être
offensés. D'autre part, il était personnellement
convaincu que l'amilié d'un grand peuple ne doit
pas être conquise par effraction et que, dans les
circonstances tragiques qui se déroulaient sous ses
yeux, mieux valait laisser parler les événements et
leurs conséquences se produire. Les événements
ont parlé, et nous voyons aujourd'hui à quels heu-
reux résultats ils ont aliouli.
On peut alléguer, il est vrai, que les partisans du
germanisme, aux Etats-Unis, sous la direclion à
peine dissimulée de l'ambassadeur Bern.>tofr, du
fameux docteur Dernburg et d'autres personnages,
âmes damnées de Guillaume i\, se sont chargés,
par leurs entreprises souterraines découvertes à
temps, par leurs provocalioiis impudentes, d'attiser
contre eux l'opinion américaine, qui, en principe,
était en grande partie favorable au maintien d'une
loyale neulralilé. Ilsontjustifié,par des manœuvres
abominables, par des actes révélateurs de leur au-
dace et de leur barbarie, le mouvement de révolte
qui a mis debout, pour la défense nationale, les
peuples des Elals-Unis et autorisé le président
Wilson d'abord à rompre les relations diploma-
tiques et, ensuite, à déclarer la guerre. Ils ont été
amenés ainsi, au rebours de leurs intentions, à se-
conder efi'ectivement les efforts des Alliés pour la
consolidation de la liberté mondiale, menacée par
l'hégémonie allemande, et pour le triomphe de
l'éternelle justice. Lorsque, au mois de mai 1917.
une mission française, dont la présence du maréchal
JofTre relevait 1 éclat, alla cimenter aux Elats-Unis
l'alliance qui venait de se conclure sous la pression
des événements, Jules Jusserand pouvait se dire
que ce dénouement élait en partie le résultat de la
prudence et de l'habileté qu'il avait déployées pour
la défense des intérêts de son pays.
Dès ce moment, les queslions litigieuses nées de
la législation douanière ou des observations que le
souci de sa neutralité avait à plusieurs reprises dic-
tées au président Wilson disparaissent comme par
enchantement; et, s'il y eut encore entre les deux
gouvernements des entretiens d'ordre diplomatiqiie,
soit au sujet du Mexique, soit au sujet d'Haïti, ils
eurent lieu en toute amitié, avec le désir réciproque
dune entente complète sur tous les points.
Au reste, avant même que ces décisions fussent
entrées dans le domaine des faits accomplis, les
secours généreux apportés à laFrance parles Etats-
Unis les laissaient prévoir. Les témoignages de l'in-
lervenlion bienveillante du peuple américain exis-
tent à Paris dans les comptes rendus du Comité
central qui s'élait formé pour venir en aide à la
France: c'est par millions, en argent ou en nature,
que les secours envoyés à Paris par les descendants
de Washington se sont répandus dans nos hôpi-
taux et dans nos œuvres de bienfaisance. Ils y sont
versés encore aujourd'hui, et la France recueille
sous toutes ses formes les preuves de la gratitude
de la grande République d'oulre-mer envers ceux
qui l'aidèrent jadis à se constiluer.
Au cours de la grande tragédie à laquelle nous
assistons, les devoirs de l'ambassadeur de France
s'étaient multipliés au delà de toutes les prévisions,
et les questions à résoudre étaient devenues de plus
en plus impérieuses, non seulement dans l'ordre
diplomatique, mais aussi dans l'ordre économique
et militaire. C'est de celle situation qu'est sortie la
nomination d'un haut commissaire français, accré-
dité auprès du gouvernement de la Maison Blanche.
Les pouvoirs confiés à André Tardieu, à l'habilelé
duquel on ne saurait trop rendre hommage, loin de
nuire au prestige de notre ambassadeur, ontcontribué
à mettre en belle lumière le dévouement elle savoir-
faire avec lesquels la diplomatie française, dans la
personne de Jules Jusserand, a rempli aux Etats-
Unis tout son devoir et répondu aux espérances que
nous avions fondées sur elle. — Ernest Dàulet.
liothrix ou léiotlirix (Irikss) n. m. Genre
de passereaux, de la famille des timéliidés.
— Encycl. Ce genre, voisin des mésies et des
cuties, est caractérisé par une queue très échancrée.
par des rectrices fortement déjetées vers l'extérieur ;
le bec est court, à peu près de la moitié de la lon-
gueur de la lêle, avec un culmen incurvé. La queue
est comme tronquée à l'extrémité, et les couver-
tures supérieures sont presque aussi longues que
les rectrices.
Ce genre ne renferme que deux espèces très voisi-
nes : la forme liothrix callipyge{liothrix caltipysa).
455
qu'on trouve dans l'Himalaya jusqu'à 2.5fl0 mètres
de hauteur, de Simla à l'Assam, dans l'Arakan et
dans l'Indochine, tandis que la forme de la Chine
(nord-ouest et Selchuen) est le liothrix jaune
[liothrix luteus], désigné jadis par Scopoli sou»
le nom de viésange de AanÂcin. Les marchands
d'oiseaux confondent ces deux formes en les dési-
gnant, on ne sait pourquoi, sous le nom de rossi-
gnols du Japon. La dernière forme diffère de la
première par une queue plus fortement échancrée,
des rectrices externes plus allongées et la couleur
Liothrix : a. Liothrix luteus ou mésange de Nankin
(rossignol du Japon;; 6. Liothrix callipjrga.
générale des parties supérieures, qui est d'un vert
plus bleuté que sur la forme de l'Himalaya. La
mésange de Nankin a les parties supérieures d'un
vert olive, le front et le vertex teintés de jaune
et les longues rectrices terminées par une pointe
blanche. Les deux rectrices médianes et les vexilles
externes des autres sont noires, tandis que les
vexilles internes sont brunes; les rémiges primaires
sont bordées de jaime à la base et de cramoisi à
l'extrémité, ce qui forme sur l'aile un miroir de deux
couleurs; les secondaires sont noires, avec une tache
jaune orangé à la base de la vexille exlerne de cha-
cune d'elles; les tertiaires sont d'un verlolive, lavé de
roux; les lores sont jaune orangé; le cercle autour
des yeux est jauue, la région auriculaire est d'un
gris argenté. U existe une fine mousiacbe d'un gris
foncé ; le menton et la gorge sont d'un beau jaune
tournant à l'orangé, à la poitrine inférieure. Le mi-
lieu de la poilrine et de l'abdomen, la région anale
et les sous-caudales sont jaunes, les flancs sont gris.
La seule différence que la femelle présente avec
le mâle, c'est que la bordure cramoisie des pri-
maires est remplacée par du jaune orangé. Le bec
e~t rouge corail à la pointe, noir à la base; les pattes
sont d'un jaune brunâtre et l'iris brun.
Ces jolies petites créatures, dont la longueur to-
tale n'est que delà centimètres, y compris la queue,
qui atteint 6 centimètres, vivent en sociétés de cinq
à six individus dans les taillis épais, au voisinage
des clairières. Elles se nourrissent de fruits et d'in-
sectes. On entend souvent leur caquetage, mais,
comme elles sont craintives, elles sont difficiles à
observer. Les Chinois les gardent souvent en cage,
à cause de la beauté de leurs couleurs et de la viva-
cité de leurs mouvements. Le nid, formé de feuilles
sèches et de mousses, placé à une faible hauteur
(lu sol, ne renferme que trois œufs, d'un verl pâle
tacheté de noir ou de brun et ayant 21 millimètres
sur 16 millimètres. — A. MisÉoiox.
musicotliérapie (du lat. musica, musique,
et du gr. therapeuein, soigner) ou mélothé-
rapie (du gr. melos, vers chanté, et thera/ieuein,
soigner) n. f. Méthode de traitement de certaines
maladies par la musique et les sons rythmés.
— Encycl. Tous les moyens physiques divers
dont nous faisons l'essai aujourd'hui en thérapeu-
tique comme des applications nouvelles de la science
ont été, en réalité, employés empiriquement depuis
la plus haute antiquité. C'est ainsi que, sans nous
attarder aux légendes d'Orphée et d'.\mphion, il con-
vient de rappeler que Celse conseillait déjà l'usage
de la musique contre l'agitation des aliénés, Galien
contre la mélancolie etTliéophrasIe contre les dou-
leurs de la sciatique et de la goutte. Pendant tout le
moyen âge, de nombreuses applications de cet agent
ont été faites à la cure des maladies les plus dillé-
rentes, et Fétis, dans son livre sur les Curiosités
historiques de ta musique (1830), en a rapporté les
cas les plus frappants. Ce n'est guère, cependant,
3u'à la fin du xvin' siècle et au commencement
u XIX* qu'on a commencé, à cet égard, des re-
cherchi s vraiment précises.
456
En 1758, Roger, médecin de Monlpellier, constate
que, plusieurs fois, la musique a guéri des (lèvres
intermittentes, avec délire et insomnie, qui avaient
résisté aux remèdes alors connus. Dodart, de l'Aca-
démie des sciences, rapporte des faits analogues, et
les mémoires du temps, notamment ceux de Guétry,
sont remplis d'observations relatives non seule-
ment à la sensibilité particulière de certaines per-
sonnes à la musique, mais encore à l'efTet de celle-
ci sur les maladies nerveuses, les vapeurs, la fièvre,
la goutte, la douleur en général et les états de
dépression et d'agitation. Rostan, Récamier, Ali-
bert, Corvisart eurent à plusieurs reprises l'occasion
de vérifier les bons résultats de cette métiiode. Ce-
pendant, c'est Esquirol qui, le premier, tenta û'en
systématiser l'étude. Naturellement, ses investiga-
tions portèrent sur les aliénés; mais, comme il le
reconnaît dans son traité des maladies mentales, les
efTels ne furent pas ceux qu'il attendait. « J'en ai
essayé (de la musique), dit-il, de toutes les manières
et dans les circonstances les plus favorables, avec
succès. Quelquefois, elle a irrité jusqu'à provoquer
la fureur; souvent, elle a paru distraire, mais je ne
peux pas dire qu'elle ait contribué à guérir ». En
somme, la musique lui parait un adjuvant capable
d apporter quelque soulagement, quelque distrac-
tion à la douleur physique et morale, et c'est à
cette conclusion que semblent s'en tenir encore au-
jourd'hui les musicothérapeutes.
Mais, dans l'application de la méthode, ils ont,
cependant, introduit de grands perfectionnements.
R. Legge, qui, en 1«94, s'est particulièrement occupé
de la question, insiste sur la nécessité première de
tàter, pour ainsi dire, la susceptibilité du patient
et d'approprier e.\actement l'instrument musical, le
rythme, etc., au cas considéré et, par conséquent,
aux réactions qu'ils vont déclencher chez le névro-
pathe ou le psychopathe. Quelques années plus tard,
en 1899, le D"' Gordon de Acosta, s'étant inspiré
de ses conseils, donna le résultat de ses longues et
patientes recherches.
D'après son expérience, le violon combat la mé-
lancolie et l'hypocondrie, la contrebasse les atonies
nerveuses et musculaires, la harpe l'hystérie, le haut-
bois le déséquilibre physique et mental, la trompe le
délire de la persécution, le cor anglais la colère, le
trombone la surdité; le tambour convient àtoutesles
affections nerveuses, principalementà celles qui ont
leur source dans la moelle osseuse. Quant au piano,
il serait un instrument particulièrement dangereux à
cause de l'énervement qu'il produit à la long'ie et par-
fois même très rapidement. Une telle spécification ins-
trumentale a de quoi surprendre; il est juste, d'ail-
leurs, de reconnaître que les musicothérapeutes ne
l'acceptent généralement pas, sauf, peut-être, en ce
qui concerne le piano auquel bon nombre de méde-
cins allemands ont voué une véritable haine.
Un point sur lequel les médecins sont en bien
meilleur accord est celui de l'inlluence du rythme
et du ton. On connaît l'action calmante et hypno-
gène des airs monotones et lents chez les enfants
et même chez beaucoup de grandes personnes, et
l'action excitante, au contraire, des marches et des
chants guerriers. Bestchinsky déclare avoir guéri
une fillette de terreurs nocturnes en faisant jouer,
le soir, le n" 2 des Valses brillantes du Chopin. Cet
effetsédalif ou excitant, de même quel'émoti vite par-
ticulière dontcertains opéras sont, abstraction faite
du livret, la cause évidente (ceux de Wagner no-
tamment), est certainement sous la dépendance
des modificalionsphysioloifiques et, par contre-coup,
de la sensibilité et des passions, que la musique
est capable de déterminer. Ces modifications ont
été étudiées par Ferrand (1895), par Binet et Cour-
tier (1897) et par Destouches (1902). Les seules que
l'on ait pu constater avec une précision relative in-
téressent la circulation, la respiration et les sécré-
tions. Dans certains cas, le rythme cardiaque et la
respiration s'accélèrent, la tension artérielle s'élève
légèrement, et on peut voir apparaître les larmes, la
salivation, le besoin de miction. Mais on peut et
on doit se demander si ces modifications sont di-
rectes, ou bien résultent secondairement des émo-
tions que la musique provoque. Si l'on remarque
que certains individus semblent tout à fait réfrac-
taires aux influences musicales, on est porté à ad-
mettre que l'action physiologique est de seconde
main et que, seuls, les musiciens, amateurs ou pro-
fessionnels, sont capables delà ressentir, mais seu-
lement comme une conséquence de l'état émotionnel
provoqué. Il est notoire, cependant, que des animaux
d'un rang zoologique moins élevé que les mammi-
fères sont sensibles à la musique — à une certaine
musique tout au moins, et nous ne parlons pas ici
des oiseaux chanteurs — ce qui tendrai ta prouver que
l'action physiologique est bien à la base de l'action
émotionnelle. Les recherches récentes do la psycho-
logie expérimentale amènent, du reste, à une
conclusion conforme, puisqu'elles démontrent que
l'émotion, les sentiments violents ont à leur source
un certain état de déséquilibre nerveux, dont la
persistance peut ultérieurement se constituer en
obsessions et en passions, ce qui explique que
les musiciens, et tout particulièrement les grands
LAROUSSE MENSUEL
musiciens, soient presque tous des névropathes no-
toires. Pour être sensible aux iniluences musicales,
il faudrait donc une disposition spéciale, parfois
héréditaire, du tempérament.
En résumé, l'action thérapeutique de la musique
est loin d'être définitivement fixée, et son étude n'en
paraît encore qu'à ses premiers débuts. Les seules
constatations que l'on doive retenir, c'est que, su! vaut
le rythme et le ton, la musique peut être sédative
ou excitante et trouver ainsi un emploi précieux
chez les neurasihéniques et les psychopathes à titre
d adjuvant du traitement classique. Encore convient-
il d'adapter le motif et l'instrument à chaque cas.
-Mais celte indication générale elle-même ne semble
pas rigoureusement absolue, en ce sens que, si cer-
taines personnes sont presque complètement réfrac-
laires à la musique, d'autres y sont excessivement
sensibles, chez lesquelles tel air, comme l'a signalé
Binet, peut provoquer une véritable crise passion-
nelle. Enlln, il faut remarquerque ces manifestalions
trouvent dans les foules leur expression lapins mar-
quée, parce qu'il s'agit là de masses d'hommes livrés
aux impulsions élémentaires. L'air entraînant des
Marseillaises soulève l'enlhousiasme des peuples,
tandis que les chants religieux apaisent et endorment
les âmes des croyants. De la foule à l'individu, du
sauvage au civilisé, cette double indication reste, en
général, exacte. Aussi ne faut-il accorder qu'une
confiance médiocre à l'ancienne formule que « la
musique adoucit les moeurs ». Les Allemands, qui
ont, pourtant, le sens musical, nous en fournissent
la preuve — D' j. làomonie».
Myre de Vilers (Charles-Marie Le), ad-
ministrateur et homme politique français, né à
Vendôme le 17 février 1833, mort à Paris le
9 mars 1918. Après avoir fait ses études au lycée de
Caeu, il fut admis en 1849 à l'Ecole navale, d'où il
sortit aspirant en 1851. Enseigne de vaisseau en
1855, il donna sa démission en 1861, pour entrer
dans l'administration préfectorale. Nommé sous-
préfet de Joigny
en 1863, puis de
lîergeracen1867,
il était prél'etd'Al-
ger depuis 1869
lorsque éclata la
guerre avec l'Al-
lemagne,enl870.
11 reprit alors du
service dans la
marine et, com-
me lieutenant de
vaisseau, il rem-
plit les fonctions
d'officier d'or-
donnance de
l'amiralcomman-
dant en chef les
marins pendant
le siège de Paris.
Chevalier de la
Légion d'honneur depuis 1859, ses services lui va-
lurent d'être promu officier le 26 janvier 1871; il fut
licencié au mois de février suivant. Etant rentré en-
suite dansl'administralioncivile, ilfut nommé préfet
de la Haute-Vienne en 1873, puis, en 1875, il fut
appelé en Algérie à la demande du général Chanzy,
alors gouverneur général, pour y remplir les fonc-
tions de directeur des affaires civiles et financières.
Mais l'ancien officier de marine qu'était Le Myre
de Vilers devait bientôt aborder une carrière admi-
nistrative nouvelle aux colonies, et il devint le pre-
mier gouverneur civil de laCochinchine, remplaçant
dans ces fonctions le contre-amiral Lafont. Le ré-
gime militaire avait été conservé en Cochinchine
aussi longtemps que les nécessités l'avaient exigé;
mais, le régime civil paraissant désormais possible,
un décret du 13 mail 879 chargea Le Myre de Vilers
de son organisation; le 7 juillet suivant, ce haut
fonctionnaire prenait à Saïgon la direction des af-
faires. Les instructions données au nouveau gouver-
neur étaient inspirées de la doctrine envisageant
comme nécessaire une assimilation progressive des
populations indigènes; mais cette doctrine était
d'une application difficile chez un peuple aux insli-
lutions séculaires et ayant sa civilisation propre, si
distincte de la nôtre. Tout en admettant comme base
de ses réformes le principe politique qui lui était
assigné. Le Myre de Vilers, doué d'un remarquable
esprit d'observation et d'une grande rectitude de
jugement, sut corriger ce qui, dans les instructions
reçues, pou vait entraîner de fâcheuses conséquences,
et il fit maintenir ceux des éléEuents de l'organisa-
tion primitive de la société annamite qu'il pouvait
être utile de respecter. Mais, à la suite d'un confiit
qui s'était produit avec un liant fouctiormaire admi-
nistratif, il fut rappelé en France en janvier 1883 el
mis à la retraite au mois de mai suivant, pour infir-
mités contractées au cours de son service.
Cette retraite se trouvait être anticipée pour un
homme d'un tempérament actif comme l'était Le
Myre de Vilers. Le 9 mars 1886, sous le ministère
de Freycinet, il fut appelé aux fonctions de résident
Le Myre de Vilers,
«• 135 Mai 1918.
général de Madagascar. Débarqué à Tamatave en
avril 1886, il prit officiellement possession de son
poste le 10 mai suivant. A ce moment, le traité du
17 décembre 1885 venait de placer le peuple mal-
gache sous notre protectorat, et des difficultés nou-
velles furent suscilées par sa mise en vigueur. Grâce
à sa rare fermeté et à sa compétence dans les ques-
tions coloniales, le résident général s'acquitta au
mieux de sa tâche, mais la situation était devenue
telle qu'il résolut de demander son rappel.
Mis en disponibilité en 1889, Le Myre de Vilers
posa sa candidature au siège de député de la Cochin-
chine et, dans cette colonie où 1 on avait gardé le
souvenir de ses hautes qualités, il fut élu à une forte
majorilé ; il fut réélu le 20 août 1893. Cette même an-
née, au mois de juillet, il avait été envoyé en nussion
extraordinaire à Bangkok, où il négocia et signa le
traité du l'"' octobre 1893 avec le Siam.
L'année suivante. Le Myre de Vilers fut de nou-
veau envoyé à Madagascar comme ministre plé-
nipotentiaire, avec mission d'essayer d'obtenir 1 ob-
servation du traité de 1885. La situation était
devenue très grave, et le résident général Larrouy
avait reçu des lettres de menace du premier mi-
nistre, Rainildiarivony, qui pouvaient faire envi-
sager la nécessité pour nos nationaux d'évacuer
.Madagascar. Le Myre de Vilers arriva à Tanana-
rive, le 18 octobre, porteur d'un ultimatum. Celui-ci
ayant été remis, le ministre malgache proposa une
nouvelle convention, dont les clauses étaient inac-
ceptables. Le 27 octobre 1894, le drapeau de la rési-
dence générale fut amené, et les colons français se
retirèrent sur Tamatave; Le Myre de Vilers, le der-
nier parti, les rejoignit en roule. Après l'occupation
de Tamatave par nos troupes, il regagna la métro-
pole, sa mission étant terminée. 11 fut nommé am-
bassadeur honoraire en 1895; depuis 1888, il était
grand officier de la Légion d'honneur.
Le Myre de Vilers remplit son mandat de député
jusqu'en 1898 et, à cette date, il renonça volonlaire-
ment à la vie politique. Mais, bien que n'exerçant
plus aucune fonction publique, il n'en conliima pas
moins à mener une vie tris active, apportant un
concours très dévoué à diverses sociétés savantes
et ne cessant de s'intéresser à toutes les grandes
questions vitales pour le pays et, en particulier, au
mouvement colonial.
Il collabora aux travaux de l'Alliance française
et rendit de signalés services à la Société de géogra-
phie de Paris, dont il fut président de 1906 à 1908,
après avoir présidé le bureau de la Commission
centrale en 1903.
Depuis le début des hostililés. Le Myre de Vilers
s'était consacré avec une patriotique ardeur à diverses
œuvres d'assistance aux blessés et aux victimes de la
guerre. 11 a publié dans des revues diverses un cer-
tain nombre d'articles louchant à des questions co-
loniales et aussi nn ouvrage : les Jnsliliitions civiles
de la Cochinchine, iS79-l/ISi (Paris, 1908), dans
lequel il expose ses vues sur l'administralion de
cette colonie. — Gustave Regelsperoer.
nsegélie n. f. ou naegelia n. m. Genre de
gesnéracées, originaires du Mexique et de l'Amé-
rique austi'ale.
— Encycl. Ce genre, dont on connaît cinq ou six
espèces voisines des achimènes, avec lesquels ou les
a souvent con-
fondues, sont
des plantes à ra-
cines rhizoma-
leuses, rampan-
tes, émettant
des propagules
écailleux;latige
est souvent sim-
ple; les feuilles
opposées , lon-
guement pétio-
lées, sont gla-
bres, mottes,
souvent cordi-
formes ; les
Heurs, 1res élé-
gantes, sont
rouges ou blanc
jaunâtre; par-
fois, comme
dans le nsef/elia
fulgidabicolor,
elles sont mi-
partie vermillon et mi-partie blanc marbré. D'autres
fois, elles sont d'un beau rouge à l'extérieur, tandis
que l'intérieur est jaune et blanc, semé d'une infinité
(le points rouges; elles sont groupées en grappes ter-
minales; mais, dans les nombreux hybrides obtenus
par les horticulteurs, les tiges sont ramifiées et les
Heurs dispersées séparément sur les rameaux. Ces
fieurs ont un calice à tube turbiné, adné, à lobes
courts et étroits, presque égaux ; une corolle à lube
dilaté à partir de la base et s'épanouissant au som-
met en un grarieux pavillon.
Les principales esp(' ces sont: nienelia amahilis,
cinnabarina, gerolliana, zebrina, etc. — J- n» CBio«.
I
Nœgelia fulglda.
Dr Jean-Joseph Peyrot.
«• 135. Ma; 1918-
œcophobe adj. et n. Qui est atteint d'œco-
pUobie : t'ŒcopHOBE a horreur de son habitat.
œcopliobie (du gr. oikos, maison, elphobos,
crainte) n. f. Nom donné à la répulsion dont
3uelques névropathes sont pris pour leur propre
emeure. (On dit aussi, de façon moins correcte,
DOMÛPHOBIE.)
— Encycl. Les psychiatres qui ont étudié celte
variété de nerveux y font entrer les personnes qui
changent de domicile à tout inslanl, celles qui
passent tout leur temps dans différents hôlels, etc.
Les plus caractérisés des œcophobes sont, d'une
part, les sujets qui vont coucher & l'hôtel pendant
que leur fairiille les attend ou, et surtout, les véri-
tables vagabonds. — D' J. Montor*.
Peyrot (Jean-Joseph), chirurgien et homme
politique français, né à Périgueux le 19 novembre
1843, mort à Paris le 11 novembre 1917. 11 fut
successivement interne des hôpitaux, prosecteur à
la Faculté de médecine de Paris, chirurgien des
hôpitaux de celte ville, et fut nommé professeur
agrégé en 1880, avec une thèse qui resta longtemps
classique , sur
l'Intervention
chirurgie a le
dans i obstrue-
lion intestinale.
Il ne quitta guère
son service de
l'hôpilal Lariboi-
sière, service très
suivi, où il donna
de nombreuses
preuves de son
grand sens clini-
que et de son ha-
bileté opératoire.
L'Académie de
médecine l'ac-
cueillit parmi ses
membres, en
1898. On a de
lui, outre sa thè-
se, un volume
consacré aux maladies du cou, de la poitrine et de
l'abdomen dans le Précis de pathologie chirurgicale
(dit o des quatre agrégés »), qui fut un des livres
fondamentaux des étudiants de 1885 à 1900. Il était
commandeur de la Légion d'honneur. Peyrot entra
dans la vie politique en 1903 comme sénateur de la
Dordogne, en remplacement du professeur Pozzi.
Réélu en 1912, il se consacra surtout, au Sénat, aux
questions d'hygiène et, spécialement, d'hygiène mi-
litaire. — Dr Maurice Gillk.
♦présure n. f. — Encycl. Mode d'action des
présures animales et végétales. La coagulation de la
caséine du lait sous l'action des présures est l'un
des problèmes les plus curieux de la chimie biolo-
gique et, malgré les travaux de savants de grande
valeur, comme Richard Peters, Duclaux, Ghodat,
Javillier, Gerber, etc.. il est encore assez mal connu.
Présure animale. — La présure est sécrétée par
les glandes gastriques des jeunes mammifères non
sevrés; elle apparaît aussi dans l'estomac des
adultesquand on introduit
le lait dans leur alimenta-
tion. La présure solidifie la
caséine en une masse onc-
tueuse, très différen ted' as-
pect de la masse grume-
leuse quedonnent les aci-
des aucontactdulait. Son
principe actif est une en-
zyme,la cAî/jnosi'ne ou lab,
qui se trouve toujours mé-
langée dans l'estomac à
deux autres ferments: la
pepsine et la trypsine ou
caséase, chargés de la di-
gestion du lait. La présure
est employée en froma-
gerie.
Nettoyage des caillet-
tes. — Les caillettes des
veaux, des agneaux ou des
chevreaux sont mises en
état à l'abattoir même ou
chez les boyaudiers. Elles
sont grattées pour les dé-
barrasser du lait caillé ; on
les ficelle à une extrémité,
on les gonfle d'air, et ou
lestait sécher. Au bout de
quelques jours, elles sont dégonflées, mises en pa-
quets de douze et livrées aux usines, qui en retirent
la présure. Quelques-unes sont vendues aux froma-
gers tenant à préparer eux-mêmes leur présure.
Préparation industrielle. — L'industrie de la
présure, très développée au Danemark, a pris en
France, depuis quinze ans, une grande importance.
La matière première indigène étant insuffisante,
nos fabricants recevaient avant la guerre des cail-
OrAigette vulgaire ; a, fleur.
LAROUSSE MENSUEL
lettes sèches d'un grand nombre de pays, y compris
l'Exlréme-Orient, et exportaient leurs produits dans
le monde entier.
Les caillettes, découpées en minces lanières, sont
mises à macérer dans de l'eau salée, portée à lu
température de 35°. Un litre de cette eau reçoit
Chardonnette ou artichaut laurage : a, fleur ; b, fruit.
50 grammes de sel et 60 grammes de caillette. Après
cinq jours de contact, on filtre soigneusement. Le
liquide ainsi obtenu est la présure normale, dont le
pouvoir coagulant égale 10.000. Pour assui'er sa
conservation, la plupart des fabricants y ajoutent
4 p. 100 d'acide borique. D'autres obtiennent le
même résultat avec un peu de glycérine oud'alcool;
d'autres, enfin, ajoutent frau-
duleusement de l'acide chlo-
rbydrique, qui augmente le
pouvoircoagulant, mais donne
un caillé difficile à travailler.
En évaporant la présure
liquide ou en la précipitant
par l'alcool, on obtient de la
présure solide, vendue en pas-
tilles dont le pouvoir coagu-
lant est, à poids égal, 30 à
40 fols supérieur à celui de la
présure liquide.
Détermination du pouvoir
coagulant. — Les présures
mises en vente portent l'indi-
cation de leur pouvoir coagu-
lant. La présure normale est
celle dont 1 volume assure la
coagulation totale, en 40 mi-
nutes, de 10.000 volumes de
lait maintenu au baln-marle
à la température de 35° ou,
encore, celle dont 1 volume
assure dans les mêmes condi-
tions de température la coagu-
lation totalede 10.000 volumes
de lait en 4 minutes, soit
240 secondes.
Si une présure, toujours à
35°,coagulel0.000foisson vo-
lume de lait en 160 secondes,
son pouvoir coagulant est égal
^ T^X 10.000 = 15.000.
160
Pratiquement, on opère ain-
si : On verse 1 centimètre
cube de la présure à essayer,
diluée 10 lois avec de l'eau
distillée, dans 100 centimètres cubes de lait main-
tenu à 35°. On note le temps nécessaire pour obtenir
la coagulation totale. La puissance est obtenue en
multipliant 10.000 par une fraction dont le numéra-
teur est 240 et le dénominateur, le nombre de se-
condes nécessaires pour la coagulation complète.
Propriétés de la présure animale. — Il y a cer-
tainement de légères ditférences dans la composi-
tion des présures provenant <respèces diverses, ce
qui explique pourquoi, par exemple, le lait de brebis
ne coagule bien que par la présure d'agneau; mais
elles sont assez peu importantes pour être négligées.
La présure animale coagule facilement le lait cru
et difficilement le lait bouilli. Elle n'agit qu'entre
20» et 60», la température optimum étant 40°, 5, c'est-
à-dire qu'elle détermine la coagulation la plus ra-
pide. L action coagulante est accélérée par les acides,
Oaillet Trai ou caillo-lait ; a, fleur grossie.
457
par les sels neutres de calcium et de baryum, re-
tardée par les bases et les sels neutres de potassium
et de sodium, par la dilution avec de l'eau distillée.
La coagulation de la caséine est toujours totale,
quelle que soit la dose de présure employée, mais
sa durée est d'autant plus fongue que la dose du
fermentestplus falbleet la température plus basse.
C'est ce qu'exprime la loi de Segelcke-Storck : « Le
produit de la masse du ferment par le temps néces-
saire & la coagulation totale du lait emprésuré est
un nombre constant. »
Les fromages blancs, & consommer tout de suite,
s'obtiennent avec du lait à basse température (18» k
20») et avec une quantité de présuie calculée pour
obtenir la coagulation complète en 20 à 24 heures;
le caillé acquiei't ainsi une grande onctuosilé. Les
fromages fermentes à pâte molle (Brie, Camembert)
exigent une coagulation durant de 1 à 3 heures, la
température du lait variant de 28° à 32°. Ceux à
pdte ferme (Hollande, Parmesan) demandent une
coagulation rapide (15 à 60 minutes), la température
du lait variant de 34» à 40».
Présures végétales. — Les travaux de Gei'ber ont
montié que presque tous les végétaux contiennent
un suc présurant, qui abonde surtout dans les or-
ganes verts (jeunes liges, bourgeons, feuilles), dans
la fleur (surtout le style), les jeunes fruits et les
graines. Il faut signaler comme particulièrement
i-iches en présure : la chardonnetle, le galllet jaune,
le figuier commun, la grassetle, le papayer, \ewita-
nia coagula7}s de l'Inde, le mûrier à papier, puis
l'ivraie enivrante, la luzerne, le lupin, leseupborbes,
la garance, etc.
Propriétés des présures végétales. — Beaucoup
de leurs propriétés sont identiques à celles de la
présure animale, mais elles agissent surtout aux
températures élevées. La température optimum est
d'environ 75»; elle peut atteindre 80» pour la pré-
sure du papayer, 85° pour celle du pastel et même
90° pour celle du figuier. Ces présures n'agissent
guère sur le lait au-dessous de 20°; cependant, celle
du papayer peul coaguler le lait, même à 0°.
La coagulation est toujours accélérée par l'aug-
mentation de la dose de présure, par l'élévation de
la température (jusqu'à l'optimum spécial à chaque
espèce), par l'augmentation du taux de minéralisa-
tion ou de la teneur en acides. Les bases retardent
ou empêchent l'action des pré-
sures végétales.
Ces ferments peuvent,
d'après Gerber, être répartis
en deux groupes : 1° les pré-
sures de lait bouilli, les plus
nombreuses, qui coagulent
plus facilement le lait bouilli
que le lait cru (figuier, pas-
tel, etc.); 2» les présures de
lait cru, qui ont la propriété
inverse; tels sont la chardon-
nette et le mûrier à papier.
Préparation des présures
végétales. — Plusieurs procé-
dés permettent d'obtenir les
sucs présurants des plantes.
La méthode de Javillier four-
nit des sucs exempts de mi-
crobes : on écrase la plante
et on la presse, le suc extrait
est saturé de chloroforme,
placé dans un flacon plein et
bouché, maintenu en lieu obs-
cur pendant 24 heures; on
filtre au papier, on neutralise
par la soude, et on stérilise
par filtratlon à travers la bou-
gie poreuse.
La méthode de Chodat
consiste plus simplement à
faire macérer pendant 24 i
48 heures les parties actives
des plantes découpées en
menus morceaux, dans de
l'eau salée à 7 p. lOû de
sel, additionnée de quelques
gouttes d'essence de mou-
tarde. Enfin, on peut se bor-
ner à précipiter par l'alcool
le suc des plantes présurantes.
Dans la pratique, on se borne à employer la
plante fraîche. lien résulte que ('utilisation n'en est
possible que pendant quelques mois chaque année :
au printemps, pour les bourgeons présurants; en
été, pour les fleurs présurantes, etc. C'est une infé-
riorité sur les présures animales.
Mode d'emploi des présures végétales. — Ces
ferments sont employés depuis les temps les plus
reculés pour préparer le lait caillé et les fromages :
Homère en parle dans VIliade.
Dans l'ouest et le centre de la France, il est fait
usage des fleurs de l'artichaut sauvage ou chardon-
nette {cijnara cardunculus), qui ressemble à un
gros chardon atteignant plus de un mètre de haut.
Deux ou trois pieds de cette plante, qui croit dans
les lieux incultes, sont souvent cultivés dans le jar-
458
din en vue de la préparation des caiUebolles. Une
pincée de fleurs, enfermée dans un nuuet de mous-
seline, est mise dans le lait chauffé. A la tempéra-
ture de 65 degrés, la coagulation est très rapide.
Le gaillel vrai ou caille-lait {galium verum) est
une rubiacée, très commune dans nos prés. Cette
lierbe vivace, haute de 0 m. 50, a des feuilles ver-
licillées par 6 à 12. Ses fleurs, petites et nombreuses,
d'un jaune franc, à la douce odeur de miel, appa-
raissent de juin en septembre. Les sommités fleu-
ries du gaillet sont employées dans l'ouest de l'An-
gleterre pour la préparation des cailleboltes. Mélan-
gées à de la présure de veau, on les utilise aussi
dans la fabrication du fromage de Ghester, qu'elles
colorent, de plus, en jaune.
Aux îles Baléares, les paysans, très friands de
lait caillé, le préparent de la manière suivante :
Us l'ont bouillir le lait et, pendant qu'il est encore
très chaud, ils le brassent au moyen d'une jeune
branche de figuier fendue en croix. Presque aussi-
tôt, le lait se prend en une masse homogène, qui
est dégustée tout de suite k la cuiller. On peut rem-
placer les branches fraîches du figuier par une solu-
tion présurante obtenue avec de jeunes rameaux
macérés dans de l'eau salée. Cette solution agit ra-
pidement, sur le lait cru aussi bien que sur le lait
bouilli, aux températures voisines de 70 degrés.
En Laponie et dans les villages des Alpes ita-
liennes, on prépare le caillé avec les feuilles de la
grassette vulgaire (pinguicula vulgaris). Cette pe-
tite herbe vivace habite les tourbières et les endroits
humides de l'extrême Nord et des régions monta-
gneuses. Au centre de sa rosette foliaire s'élèvent,
de mai en août, des hampes florales de 8 à 15 cen-
timètres. La fleur, pourvue d'un éperon, est bleue,
violette, rose ou blanche.
Au Japon, on uiilise les feuilles d'un arbre très
répandu, le mûrier à papier (hroussonetia papyri-
fera) ; dans les régions chaudes, le suc du papayer
(carica papcn/a), etc.
Les graines du puneeria ou witania coagulons,
solanée de l'Inde, sont très riches en présure.
Mises h macérer dans de l'eau salée, additionnée
de 4 p. 100 d'alcool, elles donnent une solution se
conservant bien et dont l'activité égale presque
celle de la présure animale. — F. faideau.
Pupilles de la nation (les). Hist. et dr.
Qui a droit au litre de pupille de la nation.
Organes de l'institution nouvelle. Mesures juridi-
ques de protection des pupilles. Leur placement. —
I. Généralités. — Les pupilles de la nation, ce
sont les enfants mineurs privés par la guerre de
leur soutien naturel et devenus les enfants adoptil's
de la patrie.
Ils ont été institués par la loi du 27 juillet 1917,
dont l'origine est double : une proposition de loi du
22 avril 1915, déposée par le sénateur Léon Bour-
geois et 45 de se? collègues; un projet gouverne-
mental, intervenu deux mois après, le 17 juin 1915.
Léon Bourgeois expliquait en ces termes son
initiative :
Il n'est que trop évident que la guerre multiplie autour de
nous les deuils et les ruines : mais, parmi ses victimes, au-
cunes ne peuvent nous être plus sacrées que les orptielins...
Dès les premiers jours do la mobilisation, des sociétés
se sont constituées pour recueillir des orphelins; des fa-
milles se sont offertes pour les adopter. Mais, si l'initiative
privée nous offre des bonnes volontés, que personne n'a le
droit de supprimer, ou même de découi'ager, c'est à la na-
tion tout entière qu'incombent le devoir et l'honneur d'é-
lever ceux dont les parents sont tombés pour la défense...
Et le rapporteur devant le Sénat, Perchot, affir-
mait :
Le projet n'est pas une œuvre de parti. Il ne s'inspire
d'autre passion que celle du devoir à accomplir, équitable-
ment et largement à l'égard des enfants des soldats de
la France, tombés au champ d'honneur, et des victimes
civiles de la guerre. Il n'a pour but ([ue de mettre sous la
tutelle maternelle de la [latrie les enfants de nos héros.
Le principe de la loi du 27 juillet 1917, — très
élargi au cours de l'élaboration parlementaire, —
se trouve ainsi formulé dans l'article 1" :
La France adopte les orphelins dont le père, la mère ou
le soutien de famille a péri, au cours de la guerre de 1914,
victime militaire ou civile de l'ennemi.
Sont assimilés aux orphelins les enfants nés ou conçus
avant la fin des hostilités, dont le père, la mère ou le sou-
tien de famille sont dans l'incapacité de gagner leur vie
par le travail, à raison de blessures reçues ou de maladies
contractées ou agravées par suite de la guerre.
Les enfants ainsi adoptés ont droit à la protection, au
soutien matériel et moral de l'Etat pour leur éducation,
dans les conditions et limites prévues par la présente loi,
et ce jusqu'à l'accomplissement de leur majorité.
Lorsque le père ou le soutien du pupille est mort
ou réduit à l'incapacité totale de gagner sa vie, la
nation assume la charge, partielle ou totale, de
l'entretien matériel et de l'éducation nécessaire
au développement normal du pupille, en cas d'insuf-
fisance de ressources de la famille.
Lorsque le père ou le soutien du pupille subit
une réduction partielle de sa capacité de travail, la
nation supplée à celle réduction, en cas d'insuffi-
sance de ressources de la famille, dans la mesure
nécessaire au développement normal du pupille.
LAROUSSE MENSUEL
La loi du 27 juillet 1917 doit, selon les prévisions
actuelles, régler le sort de plus d'un million d'enfants.
Elle. ne contient pas en elle les ressources finan-
cières de son application; or, cette application,
subordonnée à l'importance de notre avoir budgé-
taire, coûtera fort cher.
Un décret du 15 novembre 1917 a, sur de nom-
breux points de détail, précisé les conditions de fonc-
tionnement de la loi du 27 juillet 1917. (Au même
objet se rattache une circulaire ministérielle du
7 janvier 1918.)
II. Qui a droit au titre de pupille de la na-
tion? — Précisons bien, tout d'abord, qu'en règle
générale, ont droit à ce titre :
1* Les orphelins dont le père, la mère ou le soutien a
péri, au cours de la guerre actuelle, victime (militaire ou
civile) de l'ennemi ; — 2" Les enfants (nés ou conçus avant
la fin des hostilités) dont le père, la mère ou le soutien,
est dans l'incapacité de gaenor leur vie par le travail, à
raison et par suite des faits de la guerre, soit de blessures,
soit de maladie ou d'aggravation de maladie.
La reconnaissance du droit au titre de « pupille
de la nation « doit être requise du tribunal civil,
soit par le père, la mère ou le représentant légal de
l'enfant, soit par le procureur de la République.
En la chambre du conseil, le tribunal, — après
s'être procuré les renseignements convenables et
avoir convoqué (par lettre recommandée) le repré-
sentant lé^al de l'enfant, — vérifie si cet enfant
réunit les conditions nécessaires pour être dit
Il pupille de la nation ».
Au cas où le tribunal estime nécessairede faire pro-
céder à une expertise médicale, pour lui permettre
d'apprécier le caractère permanent de l'invalidité de
la victime du fait de la guerre, ou le degré de cette
invalidité, il désigne à cet effet un médecin expert.
Après avoir entendu le ministère public et sans
aucune forme de procédure, le tribunal ou, s'il y a
eu appel, la cour prononce, sans énoncer de motifs,
en ces termes:
La nation adopte (ou n'a pas adopté) le mineur X...
Au bout d'un mois après le prononcé de la dé-
cision du tribunal, si celle-ci n'a pas été frappée
d'appel, ou dans le mois qui suit l'arrêt de la cour,
mention de l'adoption, si elle a été prononcée, est
faite, à la requête du ministère public, en marge
de l'acte de naissance de l'enfant.
Et il ne pourra être délivré d'expédition de cet
acte de naissance, sans qu'y soit portée la mention
de l'adoption.
III. Organismes destinés à assurer la protec-
tion DES pupili.es de lanation. — Au sommet, un
Il office national des pupilles de la nation », —
établissement public rattaché au ministère de l'ins-
truction publique et administré par un conseil su-
périeur, — représente la direction centrale. Au-
dessous, au chef-lieu de chaque déparlement,
d'autres établissements publics, dits « offices dépar-
tementaux », et, d'autre part, dans chaque canton,
des II sections cantonales ».
Tels sont les organes de l'institution nouvelle, qui,
les uns et les autres, groupent, dans la pensée de
la loi, tous ceux dont l'action peut être utile pour
la protection et l'éducation de l'eiifanl.
Les fonctionsy sont, en principe, partout gratuites.
Nous allons indiquer les traits caractéristiques
de chacun des organismes, au point de vue de sa
constitution et de son rôle particulier.
Office national. — L'office national a les attri-
butions suivantes :
1" Prendre ou provoquer toute mesure d'ordre général,
jugée nécessaire ou opportune en faveur des pupilles de
la nation ;
2° Répartir entre les oftices départementaux les sub-
ventions de l'Etat ou le produit des fondations, dons ou
legs à lui faits sans affectation spéciale;
3" Donner son avis : sur les règles générales applicables
à la gestion financière des biens, meubles et immeubles,
des ressources de toute nature des offices départenien-
aux: — sur les conditions générales suivant lesquelles des
subventions pourront être accordées par les offices dé-
partementaux, dans la limite de leurs ressources, aux
parents, aux tuteurs, aux établissements publics ou privés,
aux associations, aux particuliers gardiens de pupilles ;
— sur les conditions générales auxquelles devront satis-
faire les associations ou groupes philanthropiques ou pro-
fessionnels, les fondations ou les particuliers, pour rece-
voir, par l'intermédiaire des offices, la trarde des pupilles ;
4° Statuer sur les recours formés contre les décisions
prises par les offices départementaux;
5«» Diriger et coordonner l'action des offices départe-
mentaux en vue de l'exécution de la loi du 2" juillet 1917.
L'olfice national, administré par le conseil supé-
rieur de l'office et présidé pur le ministre de l'ins-
truction publique, est composé de 89 membres, — les
uns membres de droit, les autres membres élus, —
représentants de la nation, des conseils généraux et
municipaux, des grands corps de l'Etat et des grou-
pements sociaux, dont 12 délégués, de l'un et l'autre
sexe, des associations philanthropiques ou profes-
sionnelles exerçant le patronage des orphelins de
la guerre.
L'office national doit s'adjoindre (jusqu'à concur-
rence du qiuirt de ses membres élus) des femmes
s'étant signalées parleur dé vouement aux œuvres pro-
tectrices de l'enfance ou des orphelins de la guerre.
/V* J35. Mai JSrS.
Le conseil supérieur se réunit au moins une fois
tous les six mois. Dans l'intervalle de ses réunions,
il est représenté par une section permanente, prise
dans son sein, — qui doit comprendre au moins
trois femmes.
Offices départementaux. — Les offices départe-
mentaux sont, de par l'importance même de leur
rôle, la base essentielle de l'œuvre créée. Ils cons-
tituent, d'ailleurs, une heureuse tentative de décen-
tralisation. Et, grâce à eux, chaque département
conservera ses pupilles : de celte façon, l'on évitera
d'arracher l'enfant à son milieu, à sa région, de
l'exiler loin du lieu de sa naissance, loin des parents
qui lui restent et des amis de sa famille.
Les attributions des offices départementaux sont
les suivantes :
1» Veiller â l'observation, au profit des pupilles de la
nation, des lois protectrices de l'enfauce. des règles du
Code civil en matière de tutelle, ainsi que des mesures de
protection instituées par la loi du 27 juillet 1917;
2° Pourvoir au placement (dans les familles ou fonda-
tions, dans les établissements publics et privés d'éduca-
uon) des pupilles dont la tutelle ou la garde provisoire
est confiée à ses membres, ainsi que de ceux dont les pa-
rents ou tuteurs sollicitent son intervention à cet effet ;
3» Accorder des subventions (dans la limite de leurs
disnonibilités financières) en vue de faciliter lentretien,
l'éducation et le développement normal des pupilles dont
le père, la mère, le tuteur ou le soutien manquerait des
ressources nécessaires à cet effet ;
4» Veiller à ce que les associations philanthropiques ou
professionnelles, les établissements privés ou les parti-
culiers ayant obtenu, par l'intermédiaire des offices dé-
partementaux, la garde des pupilles de la nation, ne
s'écartent pas des conditions générales imposées,
5» Créer des sections cantonales dont les membres
seront, dans chaque commune, les délégués de l'office
départemental.
Le préfet est président de droit de l'office dépar-
temental. L'office comprend des membres de droit
et des membres élus, — représentants locaux (con-
seillers généraux), représentants de l'Etat (hauts
fonctionnaires du département), représentants des
groupements sociaux (dont deux élus par les éta-
blissements de bienfaisance privés et neuf autres
par les membres des associations philanthropiques
ou professionnelles exerçant le patronage des orphe-
lins de la guerre).
L'office départemental nomme une section per-
manente, dont les membres sont pris dans son sein,
— un tiers étant représenté par des femmes.
Les recours formés devant l'olfice national (dans
les formes et délais fixés par le décret du 15 no-
vembre 1917) contre les décisions de l'office dépar-
temental ne sont pas suspensifs.
Les ressources de chaque ofQce départemental
comprennent :
1» Les subventions qui pourraient lui être accordées
par le département ou les communes, par des personnes
ou des associations privées;
2" l.e produit des dons et legs faits directement à l'office
départemental, et dont il aura la libre disposition en ca-
pital et intérêts;
3° La quote-part qui lui sera attribuée par le conseil
supérieur, sur les crédits alloués par le Parlement aux
pupilles de la nation, de même que sur le produit des dons
et legs faits à l'office central des pupilles de la nation,
sans affectation à un office départemental déterminé.
Pour le déparlement de la Seine et la ville de
Paris, il existe un office spécial dit « office des pu-
pilles de la nation du département de la Seine et
de la ville de Paris », dont l'organisation a été ré-
glée par le décret du 15 novembre 1917 (art. 54
à 62, 86 et 87).
Sections cantonales. — L'office départemental
choisit dans chaque canton, k raison d'un au moins
par commune, des correspondants (parmi les élus
cantonaux, les délégués cantonaux, les maires, les
instituteurs, les institutrices, les particuliers de l'un
ou l'autre sexe offrant toutes garanties de moralité
et de compétence), et ces correspondants forment la
section cantonale.
La section cantonale choisit son président; elle
désigne une commission permanente (qui comprend
un tiers de femmes) et en détermine le fonctionne-
ment et les pouvoirs. Les sections cantonales ont
les attributions suivantes :
1" Seconder l'action de l'office départemental et assurer
son contrôle sur les pupilles en résidence dans les
communes ;
20 Veiller à ce que tous les enfants des victimes mili-
taires ou civiles de la guerre bénéficient des avantages
de la loi du 27 juillet 1917;
3" Faciliter les relations entre l'office départemental et
les particuliers, associations ou groupements, qui auront
en garde des pupilles do la nation;
4" Présenter éventuellement à l'agrément de l'office
départemental des personnes de confiance, de l'un ou
l'autre sexe, susceptibles do faire partie dos conseils do
famille ou de remplir les fonctions de conseiller de tutelle.
A Paris, correspondent aux sections cantonales
des sections d'arrondissement, qui ont leur siège
k la mairie de l'arrondissement.
l'y. Mesures JURiuiQUES DE protection en faveur
DES piPiLLES DE LA NATION. — Conseil de famille
obligatoire. — Dans les situations ordinaires, il n'y a
guère lieu, en fait, à la convocation d'un conseil de
famille pour un orphelin mineur que lorsque celui-ci
a un patrimoine qu'il importe de sauvegarder.
H» îc(5. Ma/ 7ii;8.
Dans la situation faisant l'objet de la loi du
27 juillet 1917, le jupe de paix est tenu, selon les
tenues formels de cette loi, de convoquer d'office
le conseil de famille.
S'il y a lieu, le juge de paix, pour compléter le
conseil de famille du pupille de la nation, fait
appel : aux membres de l'oflice départemental et
des sections cantonales; ensuite, à toutes autres
personnes agréées par l'office départemental.
Oryaiiisation de la tutelle. — Selon les circons-
tances, le conseil de famille peut décider que la
tutelle sera confiée à l'oftlce départemental. Celui-ci
la délègue ensuite, sous son contrôle, soit à un de ses
membres, soil à toute autre personne, de l'un ou
l'autre sexe, agréée par lui.
En ce cas, la manutention des deniers et la ges-
tion des biens du pupille sont conllées au trésorier-
payeur général. Les fonds sont placés aux caisses
d'épargne ou en rentes sur l'Etat.
Patronage par l'office départemental. — L'of-
fice départemental a, dans le département, le patro-
nage des orphelins de la guerre.
11 veille à ce que les fonds alloués par l'Etat et
l'office soient bien employés à l'entretien et à l'édu-
cation du pupille ou mis en réserve à son profit.
Il veille, d'autre part, à l'observation des lois sur
l'enseignement obligatoire, — tout en respectant,
quant au choix des moyens d'enseignement, la liberté
des parents ou tuteurs et, le cas échéant, la volonté
testamentaire du père.
Il requiert la convocation du conseil de famille
pour statuer sur toute mesure de nature à protéger
ta personne et les intérêts de l'enfant, s'il estime
que les intérêts moraux ou matérielsde l'enfant sont
compromis par la négligence ou la fautedes tuteurs.
Conseiller de tutelle. — A la première réunion
du conseil de famille, le juge de paix invite le con-
seil à délibérer sur l'utilité d'un conseiller de tutelle
pour seconder l'action morale du tuteur sur l'or-
phelin et proléger celui-ci dans la vie.
La désignation du conseiller de tutelle est faite
par l'office départemental ; et, ainsi, le conseiller de
tutelle est, dans chaque village, auprès des familles,
l'agent départemental.
Le conseiller de tutelle propose à l'office départe-
mental toutes mesures qu'il juge utiles dans l'in-
térêt de l'enfant.
V. Placement des pupilles de la nation. —
Conditions de ce placement. — Les pupilles de la
nation sont confiés, par l'intermédiaire de l'olfice
départemental, soit à des établissenienls publics,
soit à des fondations, associations ou groupements
présentant toutes les garanties nécessaires.
Le décret du 15 novembre 1917 a fixé les condi-
tions auxquelles doivent sallsfaije les particuliers,
fondations, associations, groupements demandant à
recevoir des pupilles.
Aux particuliers et aux fondations, associations,
groupements dont l'action est limitée h un seul dé-
partement, l'autorisation est accordée par arrêté du
préfet, sur l'avis de l'olfice départemental. Quant aux
établissements dont l'action s'étend à plusieurs dé-
parlements, l'autorisation est accordée par arrêté
du ministre de l'instruction publique, après avis du
conseil supérieur de l'office national.
Tout refus ou reirait d'agrément doit être motivé.
Mais le reirait d'agrément ne peut être prononcé
qu'après avis du conseil supérieur de l'office natio-
nal, par arrêté du ministre de l'inslniclion publique.
Les arrêtés portant refus ou retrait d'agrément
peuvent être attaqués par voie de recours devant le
conseil d'Etat (réuni en assemblée publique et sta-
tuant au contentieux).
Tutelle officieuse possible. — Lorsque l'enfant a
été confié, pendant trois ans, à un particulier, à titre
gratuit, ce dernier (même s'il est âgé de moins de
.50 ans et l'enfant de plus de 15 ans) peut devenir le
luteurofficieux de l'enfant, — sous la condition absolue
qu'il oblienne le consentement du conseil de famille.
V I. Dispositions diverses. — Bourse* ;ejemf<!ons
de /rais d'cltides et de pension. — En vue de faci-
liter l'instruction des pupilles dans les établisse-
ments nationaux, ont été prévues des conditions
spéciales pour l'octroi des bourses et exonérations.
En ce qui concerne les lycées, collèges, cours
secondaires et écoles primaires supérieures de gar-
çons et de filles, les pupilles de i». nation (jusqu'à
la fin de l'année scolaire qui suivra celle pendant
laquelle les hostilités se termineront (bénéficieront
du régime créé par le décret du 8 décembre 1914,
d'après lequel, à litre exceptionnel, les exemptions
de trais d'études et de pension peuvent être accor-
dées, en dehors des conditions ordinaires, à des
enfants dont le père, le tuteur ou le soutien aura
été victime de la guerre.
Exemption de frais pour tous actes ou pièces
concernant les pu/iilles de la nation. — Tous les
actes ou pièces ayant exclusivement pour objet la
protection des pupilles de la nation bénéficient des
immunités fiscales suivantes :
I» Ils sonl ilispens^^s du timbre; — 2* lia sont enregis-
Irôs gratis (s'ils doivent être sonmis à la formalité do
l'enregistrement) ; — 3" Us ne peuvent donner lieu i
d'antres Irais qu'à une rémanération aux divers grefÂers.
LAROUSSE MENSUEL
Etendue d'application de la loi du 27 juillet 1917.
— Le bénéfice de celle loi est étendu aiix enfants
des protégés et sujets français, ainsi qu'aux enfants
d'étrangers ayant contracté dans les armées de la
France un engagement pour la durée de la guerre.
Toutefois, les dispositions concernant l'organi-
sation de la tutelle ne doivent leur être appliquées
que dans les limites oiï elles sont compatibles avec
leur statut personnel. — Louii anoké.
quartzei*ie {kou-ar-tse-rt) n. f. Usine où l'on
travaille le quartz, dans le but, notamment, d'en
obtenir par fusion, étirage et soufflage, des ustensiles
susceptibles de diverses applications.
— Encycl. Bien qu'il existe aujourd'hui plusieurs
quarizeries en France (usine Billon-Daguerre, So-
ciété de l'ultra-violet, etc.), les premiers établisse-
ments de ce genre furent installés k l'étranger (en
Angleterre et en Allemagne; et, cependant, comme le
rappelait naguèie encore Daniel Berlhelot, l'origine
de l'industrie du quartz est essentiellement française.
Dès 1840, en effet, Gandin obtenait, au moyen du
chalumeau oxhydrique à gaz préalablement chauffé,
des lentilles de quartz et des objets soufMés. Après
lui, on travailla le quartz en fils étirés, et c'est sous
cette forme de quartz filé que le physicien anglais
Boys fit entrer cette substance dans les suspensions
des balances de torsion; les fils employés ainsi
étaient d'une finesse extrême. Vers 1900, Dufour,
au laboratoire de l'Ecole normale supérieure, fil ser-
vir les fils de quartz (forme la plus facile à obtenir)
à la confection de tubes. Il imagina d'enrouler en
hélice un certain nombre de fils les uns sur les
autres, toutes les spires se touchant; puis, par
chauffage au chalumeau, de provoquer la fusion et
la soudure des fils. Le soufflage permettait ensuite
de produire des récipients de forme variée.
La pièce la plus importante obtenue par le pro-
cédé Dufour fut pendant longtemps un thermomèlre
à gaz, avec réservoir de 300 ce, que conserve, au
pavillon deBreteuil, le Bureau des poids et mesures
et qui avait été réalisé par le professeur Chappnis ;
mais, actuellement, le procédé de Dufcir, indus-
trialisé, permet d'obtenir des pièces beaucoup plus
volumineuses, mais la fabrication des ustensiles de
quartz est toujours basée sur l'enroulement en
spiiale et la fusion des fils.
Les quarizeries amènent d'abord le quartz à une
certaine température dans des creusets en carbo-
rundum ou en graphite, puis on procède sous la
flamme du chalumeau à l'étirage en baguettes de
diamètre régulier et uniforme. Ce sont ces baguetles
que l'on tourne en spirale et que l'on chauffe pour
obtenir les tubes servant il la fabrication des lampes
à vapeurs de mercure ou, par soufflage, & la con-
fection de récipients plus ou moins volumineux.
Pendant que, sous l'aclion de la flamme produite
fiar le chalumeau, les baguettes de quartz se ramol-
issent et se soudent, on en efl'ectue le lissage au
moyen d'une spatule d'iridium ,qui aplanit les aspé-
rités et donne au tube homogénéité et transparence.
11 faut ajouter que les quarizeries travaillent
aussi la silice en masses agglomérées par fusion
sous pression. — J. Auvermer.
ramé, ée part. pass. Propulsé comme par une
rame : Le vol ramé peut être considéré comme une
combinaison du vol ornithoptère et du vol plané.
(La plus grande partie des ailes reste immobile
comme dans le vol plané et fait cerf-volant, mais
l'extrémité rame d'un mouvement régulier et alter-
natif. Le vol ramé parait être le vol des grands
oiseaux migrateurs, et en particulier des canards
sauvages.) [Painlevé et Borel.]
X^edmond (7o/i»-Edward), homme politique
anglais, né à Waterford (Irlande) en 1851, mort
à Londres le 7 mars 1918. Appartenant à une
vieille famille irlandaise, John Redmond fit ses
éludes au Trinity Collège de Dublin, pépinière de
presque tous les hoinmes qui ont marqué au
XIX' siècle dans l'histoire irlandaise. Après de so-
lides éludes dans cet établissement, il se fait ins-
crire au barreau et, à Londres, où il exerce, il fait
partie — chose rare pour un Irlandais, remarquent
les Anglais — de la « gentry» de la capitale. Homme
du monde parfail, élégant, de belle prestance, d'une
physionomie ouverte et sympathique où brille l'in-
lelligence, où rayonne la Donlé, sportsman et dan-
seur accompli, ses qualités physiques et ses belles
manières concourent, avec son intelligence et sa
culture, pour en faire une des personnalités les plus
en vue dans les salons.
Mais la politique l'attire. Celte convaincu, patriote
irland;;is, il rêve de consacrer ses forces à la libéra-
lion de l'Irlande : et la gloire de Parnell, le « roi sans
couronne », léblouit. Elu en 1881 par la circonscrip-
tion de New Ross membre de cette Chambre des
communes où sa voix résonnera pendant trente-sept
années, il prend tout de suite une place marquante
parmi les nationalistes irlandais. Avec O'Brien et
Dillon, il fait parlie de cette pléiade que Parnell
anime de sa froide énergie el, en des banquets cé-
lèbres, & Londres, réconforte de son ardente parole.
Dès 1882, l'occasion lui eit offerte de jouer un rôle
John Redmond.
459
important. L'application défectueuse du Land Ad
de 1881 et tes exploits de la Land League irlandaise
ont amené Gladstone & prendre, contre le leader
irlandais, des mesures de rigueur. Parnell a été em-
prisonné à Kilmanbaim. L'agitation devient telle
alors à Dublin que, pour éviter la guerre ci vile, Glads-
tone se décide à traiter avec son prisonnier. De ce
traité de Kilmanhaim, célèbre dans l'histoire poli-
tique de l'.^ngleterre, l'un des articles est le suivant :
Joiin Redmond doil déposer un projet de loi com-
plétant, dans un sens favorable aux paysans irlan-
dais, le Land Ad de l'année précédente. Le gouver-
nement soutiendra ce projet. C'est donc sous l'égide
de Parnell que Redmond a fait son premier grand
acte d'homme poliliijue et de nationaliste irlandais.
Aussi conserve-t-il toujours pour Charles Parnell
l'enthousiasme des premières années. Nulle ja-
lousie mesquine chez lui, nul souci prépondérant,
comme chez Dillon ou O'Brien, de l'intérêt person-
nel; mais toute l'aflection chaleureuse d'un disciple
pour l'initiateur.
Lorsque, en 1889, Parnell est, au.x yeux des politi-
ciens anglais, déconsidéré par sa liaison rendue pu-
blique avec mis-
tress O'Shea,
femme d'un de
ses collègues ir-
landais, et le pro-
cès en divorce
?;ui en résulte,
a plupart des
députés Irlan-
dais, à la suite
d'O'Brien et de
Dillon, l'aban-
donnent. Red-
mond reste fidèle
et, seul, parmi
les députés mar-
quants du parti,
conserve sa con-
fiance au grand
chef. Après la
mort de Parnell,
Redmond persiste dans sa pieuse attitude et, tandis
que la majorilé des Irlandais est « antiparnelliste »,
conserve la direction d'un petit groupe de « par-
nellistes ».
La scission persistejusqu'en 1900. A celte époque,
les deux partis se rapprochent et — suprême hom-
mage à Parnell — font confiance à John Redmond.
Dès lors, celui-ci sera, comme son maître, le chef
incontesté des nationalistes irlandais. Tout de suite,
il donne à son parti une direction nouvelle. Rompant
l'alliance établie depuis la chute de Parnell avec
les libéraux gladstoniens, il refait du groupe irlan-
dais, ramené à sa tactique d'opposition parlemen-
taire, l'arbitre entre les partis anglais. En 1907, il
voyage en Amérique, visite les communautés irlan-
daises dont il se fait applaudir et fortifie la cause
de l'adhésion des millions de frères d'outre-océan.
Ramener l'Irlande au droit commun en effaçant
pour elle tout vestige des anciennes servitudes
agraires elen rendant l'aisance au pavsan, permettre
à l'Irlande de se développer suivanl ses traditions
nationales en lui faisant attribuer une très large
auionomie, mais maintenir l'Irlande comme parlie
intégrante d'un empire sans l'appui duquel elle
tomberait au rang d'une insignifiante nation, telle
est la politique de Redmond, patriote anglais et
irlandais, « nationaliste et impérialiste », dont la
firesse officielle anglaise a, à maintes reprises, affirmé
e loyalisme britannique. Un tel but commande ses
moyens, qui ne peuvent êlre ceux de violence, mais
ceux de conciliation. Répugnant, comme Parnell, i
l'action directe, répudiant le parli des Sinn Feiners
comme son maître a repoussé toute alliance avec
les Fenians, il attend tout de l'action parlementaire.
C'est, en effet, l'action persistante de John Red-
mond, son aulorifé sur ses compatriotes et son
ascendant sur le Parlement qui ont eu la part la
plus grande dans les modifications heureuses appor-
tées par l'Angleterre du xx» siècle dans le statut
irlandais. Fidèle à la politique qu'il s'est tracée,
Redmond prête son appui aux lois de relèvement
économique, soutient les projets de Borne Kule bilt
lorsqu'ils lui paraissent assurer h sa patrie une suf-
fisante autonomie, les combat lorsque l'apparenle
autonomie lui semble le masque d'un asservisse-
ment persistant. C'est ainsi qii il combat le projet
d'un Iriscli Council de Campbell Bannermann en
1907, mais se rallie, en 1912, au projet Asqnith.
Champion indéfectible de l'unité irlandaise, il re-
pousse de toutes ses forces l'idée d'une séparation
entre l'UlsIer el les trois autres comtés, qui per-
meltrait au flome Rule de ne loucher que l'Ir-
lande catholique. Mais, au plus fort de la lutta entre
nationalistes el unionistes, il conserve une maiti ise
de soi, une fidélité affectueuse et raisonnée i l'An- •
glelerre qui lui permettent de jouer le rôle d'un conci-
liateur. Il refuse aux violents, les Sinn Feiners, toute
influence sur son action politique et exhorte les Irlan-
dais au loyalisme et au calme. Il n'est pas toujours
compris des Anglais, ni des Irlandais euz-mêmei.
460
Les exaltés lui reprochent sa modération, Taccu-
sent de trahir, en pactisant avec l'Angleterre, les in-
térêts irlandais. Il persiste, cependant, dans son atti-
tude et l'accentue encore la guerre déclarée. D'un
commun accord avec Garson et sans renoncer à
obtenir l'aiïranchissement de l'Irlande, il décide de
sd.cr\6eT lyiomentanément les aspirations irlandaises
au salut de la Grande-Bretagne et du monde. En
septembre 1914, il adresse à l'Irlande un appel au.\
armes « contre l'intolérable despotisme militaire de
l'Allemagne ».
Ses efforts pour former une armée irlandaise ont
été considérables et, seule, avouent les journaux
anglais , la routine bureaucratique l'a empêché
d'obtenir des succès complets. « Impérialiste »,
Redmond reste irlandais et, pour bien marquer qu'il
se considère toujours comme de l'opposition, refuse
le portefeuille qu'on lui offre dans le ministère de
coalition, en janvier 1913. Puis, en 1916, il repousse
hautement la tentalive de rébellion fomentée par
Gasement et joint ses efforts à ceu.x du gouvernement
pour amener en « l'île Verte >• l'apaisement. En 1917
et au début de 1918, il se consacre tout entier au.x
travaux de la Convention irlandaise, sur les avis de
laquelle on donnera son statut définitif à l'Irlande.
Du début à la (in de sa carrière, Redmond a suivi la
même politique, irlandaise et britannique à la fois.
Avoir su résoudre un si difficile problème lui a valu
l'estime, l'afreclion même de ses adversaires, comme
de ses amis. Leshommesd'Etatanglaisont déploréla
mort du grand leader, qui, à l'heure où les éléments
violents semblent reprendre l'avantage en Irlande,
pouvait jouer à la tête de sa petite patrie le rôle le
plus éminent. « Sa mort est, a dit Lloyd George, un
irréparable malheur pour l'Angleterre ». La persis-
tance de sa politique pourra seule empêcher cette
parole d'être prophétique. — Léon Abessoue.
Renault {Jea.n-Louis), jurisconsulte français,
né à Autun le 21 mai 1843, mort à Barbizon le
8 février 1918. Après avoir fait ses études secon-
daires au collège de sa ville natale, où il remporta
les plus brillants succès, il conquit de haute lutte
ses grades universitaires à la Faculté de Dijon. Il
suivit ensuite les cours de la Faculté de droit de
Paris, dont il fut un des meilleurs élèves. Lauréat
de cette Faculté en 1864, il fut reçu docteur le
1.5 janvier 1868, avec une thèse 1res remarquée sur
la coltalio en droit romain et le rapport en droit
français. Le droit l'avait séduit. Il décida donc de
devenir professeur. L'année où il soutenait sa thèse
de doctorat, un concours s'ouvrait à Paris pour la
nomination de huit agrégés près les Facultés de
droit. Il s'y présenta. Le jury, à l'unanimité, lui
donna la première place. Son avenir était désormais
tracé. Le 31 mai 186S, il était attaché comme agrégé
à la Faculté de droit de Dijon où, pendant cinq
années, il professa successivement les cours de
droit romain et de droit commercial. Au mois de
juin 1873, il fut nommé à la Faculté de Paris. Après
avoir suppléé durant quelques mois Léveillé dans
son cours de droit criminel, il fut, en 1874, chargé
temporairement du cours de droit des gens de
Gharles Giraud; installé définitivement dans ce
cours en octobre 1881, il en devint, deux mois plus
tard, titulaire de la chaire. C'est le droit internatio-
nal qu'il ne devait plus cesser d'enseigner jusqu'à la
fin de sa vie. 11 l'enseigna, d'ailleurs, non seulement à
la Faculté de droit, mais encore dans d'autres écoles.
Après la guerre de 1870, un groupe d'hommes,
à la tête desquels élait Emile Boiitmy, avaient
décidé de créer à Paris une école libre d'enseigne-
ment supérieur, destinée à former des hommes
politiques, des diplomates, des administrateurs, des
financiers. Boutmy offrit, en 1874, à Louis Renault
le cours de droit international résultant des traités.
Celui-ci accepta avec empressement la proposition
qui lui était faite, et c'est avec un dévouement
absolu que, jusqu'à sa mort, il y donna l'enseigne-
ment du droit des gens.
En 1883 et en 1903, Renault devint, d'autre
Fart, professeur à l'Ecole supérieure de guerre et à
Ecole supérieure de la marine, pour y faire aux
officiers de l'armée de terre et à ceux de l'armée
navale des conférences sur le droit de la guerre
continentale et sur le droit muritime inlernational.
Louis Renault élait n professeur dans l'âme » : c'est
l'expression dont il se servait pour se définir lui-
même. Il en avait au plus haut degré les qualités. Sa
parole était nette et précise, sa métliode logique et
rigoureuse. Dédaigneux de la phraséologie, il abor-
dait franchement les problèmes qu'il avait à tran-
cher, et il leur donnait toujours la solution la plus
juste et la plus pratique. Ses leçons étaient des
modèles de clarté et d'exactitude. D'une mémoire
prodigieuse, il n'Ignorait aucun des faits et des
précédents des questions qu'il examinait.
L'œuvre qu'il accomplit comme professeur à la
Faculté de droit fut considérable. Si, pendant seize
ans, de 1874 à 1890, il ne donna qu'un cours général
sur les principes du droit des gens, il eut, à partir
de 1890, à faire, en deuxième et en troisième année,
un double cours de droit international public, dont
l'un — celui de troisième année — devait porter
Louis Renault.
LAROUSSE MENSUEL
sur une matière spéciale et, dès lors, avoir chaque
année un objet différent. C'était un travail des plus
durs. Aussi ses forces n'y purent-elles bientôt plus
suffire. Il dut, en 1895, abandonner son cours général,
ne gardant plus que le cours spécial de droit des
gens, devenu, depuis la création du doctorat es
sciences politiques, un cours de doctorat. Et alors,
pendant vingt-trois ans, il traita dansce cours les ma-
tières les plus diverses, les choisissant de préférence
parmi celles qui présentaient un intérêt d'actualité.
Louis Renault ne se contentait pas, d'ailleurs, de
remplir, si largement que ce fût, ses obligations
professionnelles. Persuadé qu'un lien étroit doit
exister entre les étudiants et leur maître pour que
l'enseignement de celui-ci soit vraiment profitable,
il s'évertua toujours à devenir le conseiller et l'ami
de ses élèves. Il les recevait à la Faculté après son
cours ou chez lui, dans son cabinet de travail, le
samedi, jourqu'il
leur avait ré-
servé. Que de
bonnes volontés
et de ta tonne-
ments parvint-il
ainsi à encoura-
ger et à guider 1
Aimé autant
qu'appriécié des
étudiants, son au-
torité était grande
auprès d'eux. Ses
cours, particuliè-
rement goûtés,
avaient un nom-
breux auditoire,
et ce n'était pas
uniquement des
étudiants qui les
fréquentaient.
On vit souvent y
assister et y prendre des notes des professeurs
étrangers de droit international, de passage à Paris.
Ce fait, à lui seul, montre de quelle réputation ils
jouissaient hors de France.
L'enseignement de Louis Renault exerça une in-
fluence unique sur le développement du droit inter-
national. Avant lui, la science du droit des gens
n'était pour ainsi dire pas étudiée en France. C'est
seulement à laFaculté de Paris qu'il existait, depuis
1829, une chaire de droit inlernational rétribuée par
l'Etat; dans les autres Facultés, quand ce droit
était exceptionnellement enseigné, ce n'était jiimais
que d'une manière insuffisante et intermittente,
grâce aux subsides des villes. Ce ne fut qu'en 1889
que le droit inlernational public fut introduit dans
toutes le Facultés de France, et on peut affirmer
qu'une des principales raisons de celle introduction
fut le succès qu'avait eu, à Paris, le cours de droit
des gens professé par Louis Renault.
L'action de ce cours se traduisit aussi par le
nombre des thèses de doctorat qu'il suscita. Avant
l'arrivée de Renault à laFaculté de Paris, il n'y
avait guère de tlièses dont le sujet portât sur une
matière de droit international. Ces thèses n'apparu-
rent qu'entre 1874 et 1882, alors que Louis Renault
faisait, comme agrégé, le cours général de droit des
gens. Elles devinrent légion après 1882, lorsque,
nommé professeur, il put être admis aies présider :
de 1882 à 1917, on ne compte pas moins de deux cent
quinze thèses de droit international dont L. Renault
a été le président, et parmi elles beaucoup ont été
des ouvrages qui font autorité. Enfin, c'estdu fait de
son enseignement, qui avait donné l'essor au droit
des gens, et grâce aux élèves qu'il forma, que peu à
peu apparurent en France des traités d'ensemble con-
cernant le droit international : il n'y avait eu, jusqu'à
lui, que le vieil ouvrage de Gérard de Rayneval, da-
tant de 1803, sur les « Institutions du droit de la na-
ture et des gens »; en 1877 fut publié le •< Précis du
droit des gens » de Funck-Brentano et Sorel et, à
partir de 1885, virent le jour successivement les trai-
tés de Pradier-Fodéré, de Despagnel, de Chrétien,
de Bry, de Piedelièvre, de Bonfils, de Mérignhac.
Ainsi, par le travail de Louis Renault, il existait
désormais une Ecole française de droit des gens.
Louis Renault ne se contenta pas d'instruire par
la parole, il instruisit encore parle livre. Son œuvre
écrite, quoique un peu dispersée, a été également
considérable.
Le plus important de ses ouvrages ne fut pas, tou-
tefois, consacré au droit international. C'est sur le
droit commercial qu'il porta. Louis Renault, en
effet, faisait paraître, en 1884, en collaboration avec
son collègue et ami Charles Lyon-Caen, un l'récis
de droit commercial en deux gros volumes, qui fut
bientôt couronné par l'Académie des sciences mo-
rales et politiques (prix Wolowski). Et cet ouvrage
se transl^orma presque immédiatement, d'une part,
en un Manuel à l'usage des étudiants et, d'autre
part, en un Traité approfondi en huit volumes, des-
tiné à la fois aux hommes de science et aux prati-
ciens.Mais, dans ces livres sur le droit commercial,
— et c'est ce qui en faisait l'originalité, — une place
plus ou moins grande élait réservée au droit inter-
«• 735. Ma/ 79)8.
national privé : les auteurs étudiaient, à propos de
chaque matière, les conflits de lois auxquels celles-ci
pouvaieuL donner lieu.
C'est par de nombreux articles, la plupart insérés
dans des revues spéciales, que se manifesta l'acti-
vité de Louis Renault dans le domaine du droit des
gens. Il fut, notamment, un actif collaborateur de la
" Revue critique de législation etdejurisprudence »,
du " Journal du droit inlernational privé », de la
i> Nouvelle Revue historique de droit français et
étranger », de la « Revue de droit international et
de législation comparée », du n Bulletin » et des
« Annales de la Société de législation comparée »,
de la « Revue générale de droit inlernational
public », des <• Annales des sciences politiques »,
du journal » la Loi », de la « Revue politique et
littéraire », de la <■ Revue pénitentiaire ».
En dehors de ces articles, imprimés dans les re-
vues, L. Renault lit encore paraître plusieurs bro-
chures sur des sujets iiiiportanls du droit inlerna-
tional. En 1879, il donnait une //i<)'c/duc/!onà/'e7«(/e
ilu droit inlernational, qui, rapidement épuisée,
lonstiluait une utile contribution à l'élude des prin-
cipes de celte science. En 19U3, il publia une étude
approfondie sur les Conventions de La Haye (7**6
et 1902) sur le Droit inlernational privé et, en
1908-1909, un Recueil des textes des conférences
de la Paix de iS99 et 1901 tl de la Déclaration na-
vale de Londres. Il éditait encore, en 1912, une bro-
chure sur les Progrès récents du droit des riens.
.Mais L. Renault qui, comme il le déclarait lui-même,
n'aimait pas à «se confiner dans le domaine de ladoc-
Irine pure » et avait « le goût des faits », s'était attelé
d'autre part à une œuvre de longue haleine. En 1905,
en collaboration avec le baron Descamps et avec le
concours de Paul Fauchille et Jules Basdevant, il
commença la publication d'un Recueil inlernatio-
nal des traités du xx" siècle et d'un Recueilinter-
national des traités du xix« siècle, qui donnèrent,
avec leur traduction française, les textes originaux
des conventions internationales et des sentences
arbitrales. De 1884 jusqu'en 1900, c'est-à-dire pen-
dant sept années, Louis Renault avait dirigé les
Il Archives diplomatiques », recueil de textes et
d'informations intéressant le droit international.
Presque à la veille de sa mort, en 1917, parut la der-
nière de ses œuvres. Et celle-ci, ultime témoignage
rendu au respect du droit, qui avait été la pa.'^sion
de sa vie, portail, pour les flétrir, sur les Premières
Violations du droit des gens cotnmises par l'A lle-
mat/tie dans la guerre de 1914, c'est-à-dire sur la
Violation par les troupes alle?nandes des territoires
du Luxembourg et de la Belgique. Cette brochure
inaugurait les publications d'un comité qu'il avait
créé avec les professeurs français de droit inlerna-
tional <( pour la défense du droit inlernational ».
Des travaux aussi considérables devaient, néces-
sairement, appeler sur Louis Renault l'attention du
monde scientifique.
L'Institut de droit international, dont le but est
de favoriser le progrès du droit international, se
l'attacha en 1875 en qualité d'associé et, sept ans
plus tard, en 1882, il lui décerna le litre de membre.
L. Renault joua dans ce corps savant un rôle de
tout premier plan. 11 assista à de nombreuses ses-
sions de rinslitut et fut l'auteur et le rapporteur de
projets importants. C'est lui, notamment, qui, en
1879, fit mettre à l'élude et rapporta la question de
la protection en temps de paix et en temps de guerre
des câbles télégraphiques sous-marins : ses idées
devaient servir de base à la convention que les
Etals signèrent en cette matière le 14 mars 1884.
Vice-président de l'Institut en 1886, Louis Renault
en devint président en 1894; il fut à diverses re-
prises membre de son conseil.
Une autre compagnie savante s'empressa d'ad-
mettre également L. Renault dans son sein. L'Ins-
titut de France, (Académie des sciences morales et
politiques) le nomma, en 1901, sans discussion, au
fauteuil d'un autre maître du droit des gens, Arthur
Desiardins. El, dans cette assemblée, qu'il présida
en 1912, il déploya la plus grande activité. En 1904,
en 1906, en 1908, en 1914, il y fit, en effet, d'intéres-
santes communications sur de grandes questions
internationales.
Comme l'Europe, l'Amérique reconnut aussi le
grand savant qu'était L. Renault. Au moment même
où il venait de se fonder, en 1916, l'inslitut amé-
ricain de droit inlernational le mit au nombre de ses
membres correspondants.
Si Louis Renault fut un professeur éminent et
un grand savant, il fut encore un excellent diplo-
mate. Non seulement il enseigna et apprécia le
droit inlernational, mais il travailla à le créer. C'est
à l'affectueuse intervention d'un ministre des alTaire>
étrangères, qui élait en même temps un juriscon-
sulte, qu'il dut de pouvoir ainsi participer directe-
ment à la pratique des affaires inlernationales.
Alexandre Ribot, au mois d'août 1890, instituait, en
effet, au ministère des affaires étrangères, la fonction
de jurisconsulte-conseil, et il y nommait aussitôt
Louis Renault. Celui-ci s'acquitta avec un rare bon-
heur de la charge qui lui était confiée. Il reçut, en
1903, le titre de minisire plénipotentiaire honoraire.
N' 135 Mai 1918-
Un conseiller aassi écoulé devait Bvair sa place
au sein des conférences diplomatiques. ElTeclive-
ment, il ne se tint pas une conférence, depuis 1890,
sans que Louis Benault y participât. Et la part
qu'il prit à ces réunions fut toujours prépondérante.
Il ne se contenta pas de se mêler de la manière la
plus active et la plus utile aux discussions des com-
missions; il en lut souvent nommé président ou
rapporteur. Travailleur infatigable, il lui arriva
même, parfois, de cumuler les deux fonctions, bien
que sa qualité de président dût le dispenser de la
charge de rapporteur. Les conférences inlernalio-
nales auxquelles il assisia furent celles de Paris en
1896 et de Berlin en 1908 pour la protection des
œuvres littéraires et artistiques; celles de La Haye
de 1893, de 189^, de 1S96, de 1900, de 1904 sur le
droit international privé; celles de La Haye, dites
«conférences delà Paix », de 1899 et de 1907; celles
de Paris, de 1902 et de 1910, pour la répression de la
traite des blanches; celle de Genève, de 1906, sur la
revision des principes de la convention de Genève ;
celle de Londres, de 1908-1909, sur la réglementation
de la guerre maritime; celle de Paris, de 1910, sur
la navigation aérienne, dont il fut même le président ;
celle de Paris de 1910, relative à la répression des pu-
blications obscènes; celle de La Haye, de 1910, pour
la réglementation uniforme de la lettre de change ;
celle de La Haye, de 1912, sur l'unification du droit
en matière de change, de billet à ordre et de chèque.
Avant d'avoir été nommé jurisconsulte du ministère
des affaires étrangères, il avait été déjà délégué par
la France, en 1885 et en 1886, aux conférences de
Berne, relatives à la protection des droits des auteurs
d'œuvres littéraires et artistiques et, en 1883 comme
en 1886, aux conférences tenues ii Paris pour la
protection des câbles sous-marins. La connaissance
toute particulière qu'il avait de ce dernier sujet,
puisqu'il l'avait traité en maître à l'Institut de droit
international, l'avait, naturellement, désignéau choix
du gouvernement français. Ce fut principalement
aux conférences de la Paix de 1899 et de 1907, à
la conférence de 1906 pour la revision de la con-
vention de Genève et à la conférence navale de
Londres de 1908-1909 que le jurisconsulte du minis-
tère joua un rôle hors de pair.
Le gouvernement français n'hésitajamais à confier
àL. Benault la solution des difficultés les plus graves,
d'où pouvait sorlir le maintien ou la rupture des re-
lations pacifiques. C'est ainsi qu'en 1908 et en 1913 il
l'envoya à Berlin pour préparer un compromis entre
la France et l'.'Vllemagne dans l'afTaire des déser-
teurs de Casablanca et pour trancher les questions
se rattachant au régime minier applicable au Maroc.
En sa qualité de jurisconsulte-diplomate, Louis
Renault eut encore, dans certaines circonstances,
un autre rôle à remplir : il ne fut plus simplement
un négociateur, il fut un juge. La conférence de la
Paix de 1899 avait organisé ce qu'on a appelé im-
proprement la « Cour permanente d'arbitra^je ». Le
16 novembre 1900, la France désigna Louis Renault
(celtedésignationfutrenouveléelel6novembrel912)
comme l'un des juges de cette Cour ou, plus exacte-
ment, comme l'un des arbitres que les Etats ont le
droit de choisir pour le règlement de leurs litiges.
Ceux-ci usèrent à maintes reprises, à son profit, d'une
semblable faculté. Le 22 mai 1905, Louis Renault,
nommé arbitre par les gouvernements d'.\llemagne,
de France et de Grande-Bretagne, tranchait, avec
Motono et Gram, le différend qui s'était élevé entre
eux et le gouvernement japonais au sujet des baux
perpétuels au Japon. Le 22 mai 1909, choisi comme
arbitre par la France, il résolut, avec Fry, Fusi-
nato, Kriege et de HammarskjOld, les questions de
fait et de droit qu'avaient soulevées les événements
intervenus à Casablanca, le 25 septembre 1908, entre
des sujets de la France et de l'Allemagne. Le 24 fé-
vrier 1911, désigné comme arbitre par le gouverne-
ment français, il jugea, avec Beernaert, de Désart,
Gram et de Savornin-Lohman, l'alTaire soulevée
entre la France et la Grande-Bretagne par l'arres-
tation et la réintégration à bord du paquebot Morea,
le 8 juillet 1910, à Marseille, du sujet britannique
Savarkar, évadé de ce bâtiment où il était détenu.
Le 3 mai 1912, choisi comme arbitre avec Fusinato
et Manuel Alvarez Calderon. et présidant le tribunal
arbitral, il trancha un différend né entre l'Italie et
le Pérou, & propos d'une affaire Canevaro, mettant
en jeu, notamment, de graves questions de nationa-
lité. Enfin, le 6 mai 1913. investi de la qualité d'ar-
bitre par la France et l'Italie, il solutionna, avec
Fusinato, Kriege, de Tanbe et de HammarskjOld,
les difficultés résultant dans les rapports des deux
pays de la capture et de la saisie, par les autorités
italiennes, des vapeurs postaux français Carlhage
et Manouba. Sur les quinze arbitrages qui avaient
été soumis depuis sa fondation à la cour perma-
nente d'arbitrage, huit furent ainsi déférés par les
Etats au jugement de Louis Renault. Un choix aussi
fréquent de sa personnalité témoignait de la haute
estime en laquelle la tenait le monde international.
La satisfaction du devoir accompli était, pour
Louis Renault, la plus belle récompense du bien
qu'il pouvait faire. Aussi ne demanda-t-il jamais de
compensation aux incomparables services qu'il ren-
LAROUSSE MENSUEL
dait dans l'enseignement, dans la science ou dam la
diplomatie. Il était d'une grande modestie et d'une
admirable simplicité. Mais, s'il ne sollicita pas les
honneurs, ceux-ci vinrent naturellement à lui. Ayant
reçu, le 5 janvier 1881, la modeste distinction des
palmes d'olficier d'Académie, il fut successivement
nommé par le gouvernement français officier de
l'instruction publique, chevalier, officier et com-
mandeur de la Légion d'honneur. Le gouvernement
l'attacha, d'autre part, aux plus importantes des
commissions permanentes de ses ministères. Louis
Henault fut, le 24 novembre 1906, désigné par la
Faculté de droit de Paris pour la représenter au
conseil de l'Université. Et, en 1893, puis en 1901, la
dernière fois comme président, il fit partie du jury
des concours d'agrégation en droit. Les gouverne-
ments étrangers, eux aussi, surent reconnaître les
mérites de Louis Renault. II n'est pour ainsi dire
point d'Etat qui ne lui ait décerné ses ordres les
plus élevés. La science étrangère eut, de même,
conscience des devoirs qu'elle avait envers lui. Le
9 février 1909, l'université anglaise d'Oxford lui con-
féra le grade de docteur honoris causa; sa rivale,
l'université de Cambridge, lui avait fait un sem-
blable honneur en 1895 (Louis Renault, qu'un deuil
de famille empêcha d'aller à Cambridge, ne put être
effectivement reçu docteur de l'Université), et, en
1913, l'université néerlandaise de Groningue le
reçut également docteur en droit honoris causa.
Tous ces honneurs, si grands qu'ils fussent,
n'étaient rien, cependant, auprès de celui qui lui fut
accordé en 1907. Cette année, le prix Nobel de la
Paix était, en effet, attribué à Louis Renault par le
Storthing norvégien. C'était le triomphe suprême,
la consécration définitive des services qu'il avait
rendus sous ses divers aspects de professeur, de
savant, de diplomate. Le choix que le Parlement
de Norvège avait fait ainsi du grand jurisconsulte
français était d'autant plus honorable pour celui qui
en était le bénéficiaire que, pour la première fois,
il portait sur un « jurisconsulte » et sur un juris-
eonsulle qui n'était pas un « pacifiste » mais sim-
plement un « pacifique ». Ce n'était donc pas la paix
à tout prix, qui souvent mène à la guerre, mais le
droit fortifié, qui conduit à la paix, qui, en la personne
de Louis Renault, se trouvait alors récompensé.
Quelles qu'aient été les satisfactions que lui
donnèrent les distinctions honorifiques dont il fut
comblé à la fin de sa vie, Louis Renault n'éprouva
pas de joie plus grande que celle qu'il ressentit, le
10 mars 1907, lorsqu'un groupe d'amis et d'anciens
élèves vint, dans une fête de famille, lui offrir son
portrait gravé par Chaplain, « en témoignage de
ses services rendus à l'enseignement et à la pratique
du droit international ». II en a, d'ailleurs, fait lui-
même l'aveu : « Soyez sûrs, dit-il à ceux qui lui re-
mirent la plaquette de Chaplain, que vous m'avez
causé une grande joie, la plus grande qu'il m'ait
été donné de goûter au cours de ma carrière scien-
tifique. » (Discours de Renault le 10 mars 1907.)
C'est un contentement pareil que lui procura sa
nomination, en 1916, en pleine guerre, à la prési-
dence de la Société française de secours aux bles-
sés militaires et du Comité central de la Croix-
Rouge française. La dignité qui lui était confé-
rée en récompense de sa magistrale participation
à la convention de Genève du 6 juillet 1906 n'allait-
elle pas lui permettre de se rendre par de nou-
veaux moyens utile à sa patrie?
L'amour passionné de la France, le culte du
droit, le dévouement à ses amis et à ses élèves,
tels furent, en définitive, les sentiments qui domi-
nèrent toute la vie de Louis Renault. La guerre,
avec ses conséquences douloureuses : l'invasion, les
deuils, les violations cyniques du droit des gens,
l'afi'ecta dès lors profondément. Il ne désespérait,
cependant, pas de la justice : la force n'est jamais
qu'éphémère, le droit seul est éternel. Mais, sans
qu'il s'en aperçût, sa robuste constitution peu à peu
s'altéra. Et la mort est venue brusquement, enle-
vant en quelques heures à la France l'homme qui
lui aurait été si nécessaire au jour et au lendemain
de la paix et au droit international celui qui, par
son expérience, son savoir et sa prudence, aurait
été, plus qu'aucun autre, k même d'aider à sa recons-
truction. — Paul Fàucbilli.
skeptoplylaxie (du gr. skeplos, foudre, et
phulaxis, protection), n. f. Nom donné par Lambert,
Aurel et Brouin, à la tachyphylaxie (v. ce mot,
p. 462) ou immunisation rapide.
Sons graves et doux (les), par Joseph
de Joannis-Pagan, Paris, 1918 (prix Jacques Nor-
mand). — Ce n'est qu'un mince recueil de vers, un
volume de moins de deux cents pages et, par le
tragique vouloir du destin, c'est en même temps
toute une œuvre, définitivement close. L'auteur
mettait la dernière main à la préparation de son
livre, quand la guerre fit de ce poète un soldat,
l'emporta vers les plaines de Lorraine et l'y coucha
brutalement, le 20 septembre 1914. Il n'avait en-
core que vingt-neuf ans. Certes, beaucoup de jeunes
et prometteuses énergies furent ainsi fauchées au
cours de ces trois années, mais le regret est plus
461
douloureux quand on se troave en face de réalisa-
tions déjà puissantes et d'un talent dont, par cela
même qu'il avait donné, on était endroit d'attendre
beaucoup. C'est l'impression qui se dégage de la
lecture de cet ensemble de poèmes, où s'affirme
une personnalité poétique très délicate et très pure.
Dans leur rapport à la Société des gens de lettres
pour l'attribution à ce volume du prix J. Normand,
Ed. Haraucourt et Ch. Le Gofflc ont écrit : « C'est
l'aube d'un Sully-Prudhomme peut-être, ou d'un
Samain. » Ce rapport est très juste : de Joannis
s'apparente étroitement à ces deux maîtres, en de-
meurant cependant original. Moins désenchanté et
moins amer que le poète des Solitudes, il n'en a
retenu que la mélancolie altière et grave, le goût
de l'isolement, où lame se replie et se recueille;
moins subtil que le poêle du Jardin de l'Infanle,
s'il ne raffine pas comme lui sur des sensations té-
nues et rares, il l'égale en sensibilité et possède, à
un même degré, cet art de « peindre d'un vers
fluide et léger les choses de l'esprit ». Comme l'un
et l'autre, enfin, il a une grande richesse de vie in-
térieure, qui déborde sur les spectacles du dehors et
s'y alimente en même temps.
Au seuil même du livre, le poète nous confia la
nature intime de son inspiration; il dit :
Si ma voix est basse et plaintive.
C'est que les vents insoucieux....
Autour de moi, dans leurs folies,
Ont tendu comme un voile noir
Les brumes des mélancolies.
C'est bien, en effet, la mélancolie qui fait le fond
de son tempérament; non point la mélancolie des
âmes ambitieuses qui, ne jugeant pas le monde à
leur mesure, se désolent ou se révoltent. De Joan-
nis n'a rien de cet orgueil romantique; il n'élend
pas non plus sa mélancolie jusqu'à cette désespérance
qui assombrit les Premières Médilations de Lamar-
tine, ni au pessimisme définitif d'un 'Vigny; sans
doute, il souffre intérieurement de la succession
morne et vide de
Ces jours qui n'ont rien mis en lui: ni deuil, ni fête,
Qui passent sans laisser l'ombre d'un souvenir,
mais sa tristesse a des racines plus intimes ; c'est le
tour naturel d'une âme méditative, qui, répugnant
aux exubérances faciles de la jeunesse, considère la
vie avec des yeux graves et, devant l'inconnu des
lendemains, balance
De l'ennui do la crainte à la peur de l'espoir.
N'y aurait-il point là comme une secrète prescience
de la douloureuse brièveté de son destin? Aussi,
dédaigneux de la foule et du bruit des villes.
Je te quitte, ô cité, sans qu'un repret émeuve
Mon cœur par ton prestige autrefois attiré.
Il se tourne vers la solitude, qu'il invoque
Vierge muette avec ta robe de silence....
Morne désert insondable et fécond.
Où fleurit, volontaire et droite, la pensée
Et il invoque aussi les regrets :
Regretta, chers compagnons des longues solitudes.
Société du cœur, frères du souvenir,...
Vous qui, nous consolant bien souvent de vous-mêmes.
Etes encore un peu de ce qui n'est plus rien.
Le souvenir, le passé, voilà les coins secrets où
son âme aime à se recueillir :
Je berce un souvenir comme un enfant qui souffre...
Mais cet isolement attristé oii se complaît le
poète ne le rend nullement égoïste; comme le dou-
loureux 'Vigny, il « aime la majesté des souffrances
humaines » et l'exprime dans un très beau sonnet:
J'ignore. 6 voyageur, le destin qui te mène:
Un gouffre est entre nous, large et nous séparant
Autant que si les dieux, d'un limon ditférent
Avaient pétri nos cœurs dans notre chair humaine.
Je n'ai point éprouvé ta tendresse ou ta haine.
Ni partagé ton sort, fier ou triste, humble ou craod;
Et mon âme, à la tienne obscure, ne comprend
Ni tes désirs aimés, ni ta chimère vaine.
Comme hier et demain, soyons doue étrangers :
Mais dans ces seuls regards en passant échangés.
J'ai bien vu qu'une larme a voilé ta prunelle;
Et le même nuage assombrissait nos fronts.
Ah ! si tu soutfres, viens, nous nous reconnaîtrons ;
Bis-moi ton mal; voici ma douleur fraternelle.
Chez ce cœur prompt à s'émouvoir, l'amour ne
saurait être simplement
La douce illusion qui revêt d'un lambeau
De son long voile clair l'inanité des choses.
En vain le poète en espère l'apaisement, comme il
le marque en cette pièce, où cliante l'exquise déli-
catesse d'un Samain :
Vois comme le jour meurt avec calme; on dirait
Qu'une fleur de douceur natt de cette agonie
Et que la nuit nous prend, vaste et pare harmonie.
Ayant du grand oubli découvert le secret.
Le soir est là qui tombe, et le ciel semble prêt
A refaire sur nous cette trêve infinie
En qui toute ferveur se fond et communie
Devant le couchant grave où le jour disparaît.
Souviens-toi que c'est l'heure où, cessant ses alarmes,
1,0 monde en s'apaisant va déposer les armes
Et perdre le souci de ses tristes combats ;
Va, tonte cruauté s'endort et semble vaine,
A cette heure où la nuit nous conseille tout ha«
D'Ctre climents comme elle en notre amour sans hais*.
462
Malgré tout, ses joies s'allèrent de craintes, d'an-
goisses :
J'ai peur de renconter demain ce clair visage
Dont mon âme naguère a tant voulu rêver ;
La cendre qu'on remue est un obscur présage,
Et revoir n'est pas retrouver.
Et la souffrance vient, inévitable, exhalée, sans
fracas, en une plainte discrète :
J ocris pour toi ces vers sur la pierre où la mousse
Déjà, le long des jours, tisse son manteau lent,
Tandis que se répand l'ombre qui to fut douce
Et que le passé chante en mon cœur vigilant.
J'ai bien lonf,'temps cherché ton image et ta trace
Dans les sentiers du parc, hélas I où tu manquais ;
Toute la majesté pâlit sur la terrasse.
Les dieux ont avec toi déserté les bosquets.
Mon souvenir plaintif a vieilli d'une année;
Je fais ce vteu, pourtant, qu'on ces lieux ramenée.
Un jour, par ta tristesse ou le vent des hasards.
Tu saches, retrouvant ici les anciens charmes.
Découvrir sous la mousse olferte à tes regards
Ces vers que j'ai gravés et, sous les mots, les larmes.
Dans la dernière partie du recueil, le poète se
montre sous un jour nouveau; sans doute, il n'a
rien perdu de sa gravité un peu triste, mais ses
accents se teintent d'une douceur recueillie. Près
d'une compagne sûre, il a trouvé l'apaisement, et
il goûte désormais le prix des joies intimes et pai-
sibles. C'est la maison qui.
Quand le soir tombant couvre la ville.
Comme une conscience en paix, belle et tranquille.
Se recueille et sourit, sourde aux bruits du dehors.
C'est le premier feu dans la maison nouvelle, oti
se consacre l'âme dh foyer.
Dans la douce chaleur dont s'emplit la demeure
Nous resterons, pensifs, écoutant sonner l'heure.
Et mon rêve apaisé s'en ira tour à tour.
Le long du soir pieux qui baignera notre âme.
De tes yeux éclairés du reflet de la flamme
Au foyer rayonnant et couleur de l'amour.
Ce sont les souvenirs communs évoqués sous la
lampe, qui,
Battant de leurs ailes tremblantes
L'air chargé de mystère où nous les respirons,
Semblent, d'un vol éteint aux courbes indolentes.
Comme de larges fleurs descendre sur nos fronts.
Et ce sont aussi les courses dans les bois,
A l'heure où le silence et la sérénité
Appellent les parfums de l'herbe et de la terre,
tandis que le soleil déclinant
Ramène lentement comme un réseau de feu
Sa chevelure d'or accrochée aux grands chênes.
On le voit, de Joannis est loin d'être insensible
aux spectacles de la nature; il les recherche, au
contraire, et les observe, non pour eux-mêmes,
toutefois, mais afin d'y découvrir d'intimes concor-
dances avec ses pensées et ses états d'âme. Ainsi
subjectivées, ses descriptions sont pleines de charme
et savent en même temps souligner les moindres
nuances des clioses. Voici, par exemple, comme il
dépeint un Soir clans Végtise :
Entends les derniers bruits s'éteindre dans l'église
Où l'on a fermé l'orgje et soufflé les flambeaux,
Alors que la prière, éparse, par lambeau.x.
Sur des vapetirs d'encens flotte encore, indécise.
Et vois, comme c'est l'heure où le jour agonise.
Le couchant do la ro.se adoucit les émaux.
Et l'ombre qui s'étend allonge les tombeaux
Dont un brouillard naissant baigne la pierre grise.
Yj'amen d'une oraison qui paraît s'oublier.
L'écho d'un dernier pas contournant le pilier,
Puis c'est toute la nuit dans le vaste silence.
Il ne reste plus rien, aux flancs du vaisseau noir.
Que la lampe fidèle et qu'un souffle balance
D'un mouvement léger do timide encensoir.
Tout le recueil abonde en tableaux de ce genre.
d'un coloris délicat et enveloppé, aux grâces de
pastel, éloigné, cependant, de loute mièvrerie.
Vraie nature de poète, & qui il n'a manqué que
de vivre pour donner toute sa mesure, Joseph
de Joannis, dans la brièveté de son effort, a su,
néanmoins, marquer sa place parmi les nobles
ouvriers du verbe. Dans la pièce qui clôt le volume,
hymne fervent â la Beauté, il s'écrie :
Heureux qui t'a connue et sentie une fois ;
Heureux qui, traversant l'art et la vie obscure,
A pu saisir ton âme et ton profil divin
Dans le son qui s'envole ou le marbre qui dure,
Dans un rythme profond, dans un regard humain.
Dans une heure d'amour, d'ivresse et de lumière ;
Cette heure-là, pour lui, n'est pas venue en vain.
On ne peut s'empêcher, en lisant ces vers, d'en
fiouligner l'étroit rapport avec le destin de celui
qui les a écrits. Sa carrière ne fut que d'une heure,
«n effet, mais cette heure n'a pas été vaine, et ce
poète tombé en soldat joint à la gloire d'un héroïque
sacrifice le mérite d une tâche harmonieusement
remplie. — Féiu ooirànd._
tachyphylaxie [ta-ki-fi-la-ksi — du gr. ta-
A/jws, vite, et7J/4uiaa;i.ç, protection) n.f. Immunisation
obtenue presque instantanément, au bout de quel-
ques minutes, par 1 injection d'une dose hypoloxique
d'extrait d'un organe quelconque, contre des doses
ordinairement mortelles de ce même extrait (Glay).
— Encycl. La tachyphylaxie n'est pas de très
longue durée; elle peut s'obtenir par injection intra-
Teineuse, — c'est le procédé le plus ordinaire et le
LAROUSSE MENSUEL
plus rapide, — et aussi par l'injection inlrapérilo-
néale et intraméningée. Il est à remarquer que les
phénomènes de tachyphylaxie peuvent être provo-
qués, pour Uii extrait d'organe donné, avec l'extrait
d'un autre organe. C'est ce que Ghampy et Glay
appellent tac/ii/plirj/axie croisée. Si la dose toxique
d extrait injecté après l'injection tachyphylactisante
est hyperloxique, il peut arriver, cependant, que
l'animal ne résiste pas: l'immunisation rapide n'est
pas assez solide, elle sujet meurt comme s'il n'avait
pas été tacbyphylactisé. — D' j. Montoré.
tréponème {treponema pallidum] n. m.
Nom donné à l'agent causal de la syphilis.
— Encycl. Le tréponème a été découvert, en 1905,
par Schaudinn et Hoffmann ; mais, depuis longtemps,
on était à sa recherche, et il a été probablement en-
trevu par Bordet et Gengou. C'est un protozoaire,
désigné d'abord sous le nom de spirochœte pallida,
à cause de sa faible réfringence et de sa colorabilité
peu marquée, et appelé maintenant, d'une manière
plus correcte, treponema pallidum; il se présenle
ordinairement sous la forme d'un filament cylindrique
de 6 k 15 u. de longueur, de 1/2 [j. de largeur, décri-
vant des spires régulières et serrées (6 à 20), dé-
pourvu de membrane ondulante, mais terminé, à ses
deuxextrémités, par un flagellum extrêmement ténu ;
enfin, il est mobile par rotation autour de son axe
longitudinal et se déplace en avant et en arrière.
Mais, pour qu'il y ait contamination, il faut qu'il
pénètre dans l'organisme, soit à travers une effrac-
tion de la peau et des muqueuses (syphilis acquise;,
soit directement par l'intermédiaire des géniteurs
(syphilis héréditaire ou congénitale).
'Nous sommes encore mal renseignés sur ses pro-
priétés biochimiques et sa physiologie. Nous savons,
cependant, que ses toxines (exotoxine et endotoxine)
sont douées de toxicité et donnent lieu à la forma-
tion d'anticorps, sur l'existence desquels sont fon-
dées les réactions de Bordet-Gengou (Wassermann),
de Hecht-Weimberg, de Jacobsthal, de Noguchi
(réaction cutanée à la luétine) ; cependant, la consti-
tution chimique des toxines du tréponème reste in-
connue, d'autant qu'elles semblent agir également
par leur rythme physique (colloïdal) que par leurs
affinités chimiques. Ces protozoaires ne se color iit
lien qu'au giemsa, mais s'imprègnent aussi assez
facilement de sels d'argent. Très peu résisti.nts in
vitro, ils sont tués par la chaleur (au delà de .'iOoC.),
par les rayons ultra-violets, les fortes décharges
électriques et par un grand nombre d'agents chi-
miques : les alcalis, les hypochlorites, l'acide pi-
crique et l'acide chromique, le nitrate d'argent,
l'iode, le mercure, l'arsenic, etc. La dessiccation ne
paraît que diminuer leur vitalité et leur virulence,
kn revanche, ils paraissent beaucoup plus résistants
in vivo, dans les lésions qu'ils déterminent; du
moins, ils y acquièrent la propriété d'adaptation à
certains agents parasitotropes, comme le mercure
et l'arsenic, et produisent, quand ces médicaments
sont administrés à doses trop faibles, des races par-
ticulières, douées de résistance et désormais presque
insensibles au traitement hydrargyrique ou arseni-
cal. Pourtant, les essais de culture, tentés par Leva-
diti, Schereschewsky, Miihlens, Hoffmann, etc..
Tréponème coloré par le giemsa (très grossi).
enfin par Noguchi, qui parait avoir obtenu une cul-
ture pure dans un milieu spécial, tendi-nl à montrer
que le tréponème est soumis à des conditions d'exis-
tence assez étroites. Peut-être, ces dernières ne s'ap-
pliquent-elles qu'à certaines formes de tréponèmes
pâles particulièrement fragiles, tandis que d'autres,
mal connues, seraient beaucoup plus résistantes.
En effet, suivant l'ancienneté de la maladie, le
siège et la nature de la lésion, on observe quelque-
fois de grandes différences dans la morphologie du
tréponème. Depuis quelques années, déjà, on avait
distingué une forme trapue et une forme mince, que
Krzysztalo'wicz et Siedlecki rattachaient â des
causes reproductrices; la forme bifide d'un de leurs
prolongements avait fait penser à une division lon-
gitudinale ; enfin, on avait aussi observé, dans de
vieilles lésions torpides, des grains plus réfringents,
affectant l'allure de spores. Ces constatations et la
comparaison qui s'impose avec les autres maladies
à protozoaires, comme la maladie du sommeil et la
malaria, — en raison de l'analogie des cycles évo-
lutifs et de la sensibilité de leurs agents patho-
gènes à presque les mêmes médicaments, — a sug-
géré à Mac Donagh une hypothèse intéressante,
parce qu'elle rend compte des' périodes de latence et
d'activité de la syphilis, de ses retours imprévus et
de ses récidives lointaines. D'après cet auteur, le
«• 135. Mai 1918.
tréponème de Schaudinn serait le microgamète
d'un sporozoaire, le leucocitozoon syphililidis. Cliez
les sporozoaires, tels que Irypanosonies et plas-
modies, il y a génération alternante, la sporogonie
faisant suite à la schizogonie et s'accomplissant
dans un hôte intermédiaire, mouche ou moustique.
Dans la syphilis, il n'en est pas ainsi : le leucoci-
tozoon décrit toute son évolution dans un seul hôte.
Au début du cycle, le sporozoïte apparaît sous la
forme d'un petit corps arrondi, fréquent, dit-on,
dans le chancre, et logé de préférence dans un mo-
nonucléaire, à l'intérieur duquel il se multiplie
Îiar bipartitions successives, jusqu'à ce que le
eucocyte dégénère et meure.
A ce moment, la paroi du leucocyte se rompt et
met en liberté, dans le milieu intérieur de l'hôte, le
résultat des bipartitions ou mérozo'ites. Ces méro-
zo'ites se développent ultérieurement sous deux
"" ^.■') W'\-' J
•wSf»,'--. uy<' • '. ^
■r^g^:^^ fW0 -^^ . i ■■-'■■ ■■■•
Ji^s)>. #9»,
Coupe de foie hérédosypbilitique.
formes : l'une, petite ou microgamétocyte, s'accole
h un leucocyte (mononucléaire) et donne naissance
à des filaments mobiles ou spirales, les microga-
mètes, ou tréponèmes; l'autre, plus grosse, ou ma-
crogamélocyte, vit libre, mais passive, acquiert les
dimensions d'un globule rouge et devient ainsi un
macrogaiiiète; le microgamèle (tréponème) et le
macrogamète se joignent et se fusionnent et for-
ment un nouvel organisme ayant la signification
d'un œuf fécondé; le cytoplasnia de celui-ci se con-
tracte et se segmente, et la cellule devient un spo-
rocyste rempli de sporozoites qui, finalement, par
la rupture de la paroi, sont mis eu liberté, et le cy-
cle recommence. Mac Donagh déclare avoir observé
non seulement des sporozoites dans les lésions pri-
maires, mais aussi des macrogamètes et des sporo-
cystes dans les ganglions; ces observations ont été
en partie confirmées par Ross.
Cette ingénieuse hypothèse, que nous ne pouvions
négliger do faire connaître, mais contre laquelle
semble s'élever le résultat de certaines cultures,
demande évidemment à être étudiée de très près;
car, si elle se vérifie, on en pourra, sans doute, tirer
des indications précieuses pour la thérapeutique.
Mac Donagh croit, en effet, que les macrogamètes et
les sporocystes sontnaturellementrésistants au mer-
cure et aux diversarsenicsorganiques, arsénobenzols
ou autres, ce qui expliquerait les poussées syphiliti-
ques successives, malgré l'intensité du traitement du
début, quand ce traitement n'a pas ensuite élé repris
et continué d'une manière méthodique. Celte résis-
tance constatée demande, évidemment, que l'on
cherche de nouveaux agents cbimiothérapiques,
capables d'agir sur ces formes, comme le mercure
et l'arsenic agissent sur le tréponème. Il est bien
certain, d'ailleurs, autant que l'observation clinique
peut nous l'apprendre, qu à l'égard de la syphilis,
la thérapeutique ne semble pas encore avoir dit le
dernier mot. — n^ J. laumonier.
Ultimatif, ive adj. Qui a le caractère de
l'ultimatum : Ton ultimatif. Note ultimative.
usiner v. a. Fabriquer dans une usine : Usiner
un obus. Le contrôle des métaux est particulière-
ment nécessaire pour que les sui-ins et les grosses
Berthas de l'Allemagne ne soient pas à nouveau
USINÉS en vuedu massacre général. (G. Berthoulat.)
USineur, euse adj. et n. Se dit d'un ouvrier,
d'une ouvrière qui travaillent dans une usine : Les
USINEURS, îesUSINEUSESd'oAuS. ['nOUDÏ-ier USINEUR.
Paris. — Imprimerie Larousse (Morcau. Auge, Gillon et C1«J,
17, rue Montparnasse. — Le gérant : L. Oroslet.
La Route. (Oies et Dindons.)
H" 136. ^ Juin 1918
Echell
^land (ÎLES ou archipel d'), pelit archipel de
la mer Baltique, dépendance de la Finlande.
Les skûrs d'Aland s'élèvent au-dessus de la sur-
face des flols dans la partie septentrionale de la mer
Baltique, entre les rivages suédois de la péninsule
Scandinave et les nombreuses îles, les rochers et les
bancs qui bordent les côtes de la Finlande. Elles
sont les sommets d'un plateau sous-marin qui unit
la Suf'de à la Finlande, et elles marquent, un peu au N.
du 60" degré de latitude, l'extrémité méridionale du
golfe de Botnie, celui-ci communiquant avec la mer
Baltique proprement dite, à l'E. et à l'O. de l'ar-
chipel d'Aland, par les détroits de Sliiflet et d'Aland.
Enire ces détroits larges, respectivement, jusqu'au
continent voisin, l'un — celui
de Slfiflel ou Slora SItiflet —
de 80 à 150 kilomètres selon
les points, l'autre — la mer
d'Aland ou Alandshaf — de
40 à 43 kilomètres, s'égrè-
nent les îles et les îlols du
groupe d'Aland. On en compte
environ 300, indépendamment
d'écueils et de récifs innom-
brables, si rapprochés les uns
des autres que la mer paraît
divisée en une multitude de
Felils lacs, dont on ne voit ni
enirée ni la sortie. II y a là
un vérilal)le dédale d'îles et
de dangers, parcouru par une
foule de chenaux, dont les
plus importants sont le Delet
fjord et le KOkar fjOrd, qui
se succèdent du N. au S. et
qui forment un long chenal
traversant la partie orientale
de l'archipel.
La Baltique est le plus sou-
vent très dure dans ces para-
ges, du moins en hiver. Tant
que les détroits ne sont point
gelés — et la mer d'Aland ne
l'est presque jamais, car sa largeur n'est pas réduite,
comme celle du Stora Skiflet, par des îles prolon-
geant parfois le continent très loin dans la mer —
ce ne sont guère que champs de glace ou champs
de violente tempôle, aux vagues d'une extrême
dureté. Au contraire, pendant les courtes semaines
de l'été, peu de contrées sont plus séduisantes.
Sous une lumière solaire infiniment douce, voici
une eau calme et d'une admirable limpidité; voici
des paysages très variés et dont, parfois, vers le soir,
la variété s'accroît encore, grâce & des mirages
trompeurs. « On voit surgir au loin (a dit un témoin
oculaire) tantôt de joyeuses villas avec leurs vertes
prairies, leurs frais ombrages, tantôt des châleaux
féodaux avec leurs ponts-levis, leurs tours, leurs
bastions..., tantôt des villes entières, des villes que
vous connaissez, des villes aussi que vous ne con-
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
naissez pas et que vous ne connaîlrez jamais. Puis
un léger souffle fait frissonner l'atmosphère et, sou-
dain, lout s'évanouit ».
Du milieu de ces eaux si variées d'aspect, si fa-
rouches parfois et parfois aussi si séduisantes sur-
gissent les <i milliers d'îles » de l'archipel d'Aland.
■Terres pleines de contrastes, elles aussi, simples
pointes minuscules et dénudées pour la plupart,
mais dont quatre-vingts sont plus grandes et mon-
trent quelque végétation; terres dont un granit rou-
geâtre forme le plus souvent la base et dont le sol,
argileux et mouvant d'ordinaire, est parfois mêlé
d'une terre glaise très épaisse; terres presque tou-
jours désertes, mais dont les plus étendues et les
Les iles ou archipel d'Aland.
plus susceptibles d'être mises en valeur (on en
estime la superficie à 1.426 kilomètres carrés) sont
peuplées d'environ 19.000 habitants.
De ces îles relativement considérables et dont
les rivages sont souvent très découpés par des fjords,
Eckerô, FOgIO, Lumparland, 'WardO, Kumlinge,
Sotlunga, et enfin HelsO dans le petit groupe des
KOkar sont les plus importantes après la terre môme
d'Aland, autour de lac|uelle toutes sont groupées à
plus ou moins grande distance. Mais elles sont
toutes très inférieures h l'ile d'Aland.
Avec ses 640 kilomètres carrés — soit un peu plus
de la moitié de la superficie totale de l'archipel — et
ses 10.000 habitants — soit un peu plus de 1« moitié
de l'ensemble de la population — celte île mérite bii'n
son nom de Fasla Atand ou « continent d'Aland <>.
Des golfes nombreux et profonds, parfois même de
véritables fjords, en entaillent etmêmeen déchiquet-
tent les côtes; des collines arrondies, hautes de 100
à 150 mètres, accidentent la surface de l'île, dont le
sous-sol rocheux est recouvert dans l'Est d'une couche
d'argile, dans l'Ouest d'une mince épaisseur de terre
végétale. Des bois noirs — sapins du Nord, pins, bou-
leaux, noisetiers, mélèzes, trembles — couronnent
ces collines, au pied desquelles s'étendent ici des
prairies naturelles où paissent des troupeaux de race
bovine et ovine, ainsi que des chevaux du pays, et
là des champs d'orge, de seigle, de sarrasin et des
cultures maraîchères soigneusement entretenues par
les habitants du « continent d'Aland ».
Ceux-ci et ceux de toutes les autres terres habi-
tées — les Alandais — sont
presque exclusivement d'ori-
gine suédoise. Ils parlent le
suédois pur à peu près par-
tout, sauf dans l'est de la
partie méridionale de Fasla
Aland et dans les îles FOglÔ
et KOkar; cependant, plus on
s'approche de la Finlande,
plus la langue vulgaire s'é-
maille de mots finnois. Sous
un climat tantôt torride et
tantôt glacé, presque jamais
tempéré, les Alandais s'adon-
nent — on vient de le dire —
à la culture d'un sol naturel-
lement peu fertile et à l'éle-
vage du Détail; ils n'obtiennent
des céréales qu'en quantités
insuffisantes, mais se procu-
rent des légumes en abon-
dance et fabriquent avec le lait
produit par leurs troupeaux
du beurre et des fromages
qu'ils exportent, ainsi que du
bœuf salé. Pour ajouter à ces
ressources, les Alandais re-
courent à la chasse — car le
gibier pullule dans leurs skars
— et davantage encore à la pêche. Très poisson-
neuses, en elTet, sont les mers qui entourent l'ar-
chipel; on y chasse les oiseaux de mer et les
phoques; on y pèche le hareng (dont les .Man-
dais recueillent jusqu'à 6.000 tonnes par an) et
la perche; de là le nom finnois de l'archipel, Ahve-
nammaa (ou paf/s des perches).
Administrativement, les îles d'.\land forment un
des dix districts ou bailliages delà province finlan-
daise d'.\bo-BjOrncborg; elles sont, au point de vue
religieux, partagées en huit paroisses, de quelques-
unes desquelles dépendent des chapelles et qui, tou-
tes, relèvent du diocèse luthérien d'Abc. Point de
villesdanslessk;»rsd'.\land,maisde simples villages,
des hameaux ou des haliitalions isolées. Même auprès
des meilleurs monillages, on ne trouve pas d'a^gloiné-
ratioDS importantes: Mariehamn, par exemple, dans
18
464
la baie Svibyvick, dont le port, petit, mais abrité de
tous les vents, était naguère une des stations princi-
pales de la marine russe, Mariehamn ne compte pas
même un millier d'habitants. 11 y en a infiniment moins
à Kastelhulm,un vieux château fort ruiné; seule, na-
guère, la célèbre forteresse de Bomarsund, ou Skar-
pans, sur la rade très siirede Bomarsund, possédait,
fjrâce à sa garnison, une population plusconsidérahle.
Telle est, ou plutôt telle était, il y a peu de temps
encore, la situation des skiirs d'Aland; comment
elle s'est modifiée et comment, aujourd'hui, elle est
à certains égards très précaire, voilà ce qu'il con-
vient d'exposer maintenant, après avoir jeté un coup
d'oeil rapide sur le passé de l'archipel.
Aen croire les vieux chroniqueurs, les îles d'Aland
auraient lormé un Elatindépendant durant les temps
anciens, alors que les pays riverains de la mer Bal-
tique étaient encore pa'iens. Dès le xiv" siècle, dans
tous les cas, elles étaient considérées par les rois
de Suède comme un apanage féodal dont ils don-
naient l'investiture à leur gré; elles faisaient partie
du diocèse d'Abo et relevaient de la cour judiciaire
de Finlande; leurs gouverneurs résidaient d'ordi-
naire dans l'important château fortdilnKastelholm»,
bâti dans Fasta Aland sur un promontoire de la côte
septentrionale du Bomarsund. Placé entre les deux
nations longtemps ennemies de la Russie et de la
Suède, l'arcliipel alandais a subi le contre-coup de
presque toutes leurs luttes, comme aussi celui des
guerres intestines de la Suède elle-même. Dès la fin
du xvi" siècle, au temps du roi Sigismond, Finlan-
dais et Suédois s'y battirent sur terre et sur mer
(1507); dévasté par les Russes de Pierre le Grand
d'abord en 1710, puis en 1714, il passa à difi'érenles
reprises, durant le cours du xviu" siècle, aux mains
des Russes, pour revenir ensuite sous l'hégémonie
suédoise, jusqu'au jour où, en mars 1809, les Russes
s'emparèrent des îles d'Aland, qu'ils gardèrent un
peu plus tard en vertu du traité du 17 septembre 1809
(paix de Frederiksham).
Dès lors, pendant près d'un demi-siècle, l'archipel
n'a pas d'histoire. Les Russes, conscients de l'im-
portance stratégique du o continent d'Aland » et
voyant en lui la clef de la mer Baltique, veulent s'y
établir solidement; ils y entreprennent des travaux
considérables à l'entrée septentrionale de la magni-
fique baie de Bomarsund, y construisent une forte-
resse importantedominantledétroitparlequel débou-
chent d'ordinaire les vaisseaux venus de la Baltique'
et fortifient la petite île de Presto, située entre les
deux terres, plus étendues, d'Aland et de WardO.
Commencés dès les premières années du règne de
Nicolas l'^'; vers 1830, les travaux n'étaient pas en-
core achevés en 1854, lorsque, pendant la guerre de
Grimée, les alliés débarquèrent aux îles d'Aland et
s'emparèrent de Bomarsund, le 16 août. Lors de la
conclusion de la paix de Paris, une convention spé-
ciale, en date du 30 mars 1856, stipula expressément
que, désormais, « les îles d'Aland ne seront pas for-
tifiées et qu'il n'y sera maintenu ni créé aucun éta-
blissement militaire ou naval ». Bomarsund lut
donc démantelée, en vertu de cette convention, qui
fut annexée à l'Acte général du Congrès de l^aris
du 30 mars 1856, pour avoir (dit l'article 33) « même
force et valeur que si elle en faisait partie ».
Depuis lors, il ne fut plus question des sk.'lrs
d'Aland jusqu'au début de la Grande Guerre.
Plusieurs fois, au contraire, à partir de ce mo-
ment et dès l'annéelOl'i, la question d'Alaml a été
soulevée; de bonne heure, on a prêté à l' Allemagne
l'intention d'occuper cet archipel, afin de dominer
ainsi toute la mer Balti(]ue. C'est seulement en mars
1918 que ce projet a été réalisé, à la suite d'évé-
nements dont voici un bref résumé.
On sait quelles ont été les conséquences de la
révolution russe de mars 1917 : en quelques mois,
toute l'œuvre des « tsars rassemblenrs de la terre
russe » fut anéantie. La Finlande, soumise comme
la Pologne à un régime de très dure oppression,
s'empressa de se proclamer autonome. Mais la po-
pulation finlandaise ne tarda pas à se trouver divisée
en lUanea, soutenant le gou\ «ornement régulier du
pavs, et en Rour/es ou révolutionnaires, et aux que-
relles existant entre ces deux partis aux îles d'.Mand
s'ajoutèrentcelles quecausaitia présence de soldats
russes ne s'entendant ni avec les uns, ni avec les
autres. De là, pour la population des skftrs d'Aland,
— celle-ci ne possédait qu'une cinquantaine de fusils
et ne pouvait pas se défendre, par conséquent —
de là de vives appréhensions: elle craignait à bon
droit des pillages et des massacres. Dans de telles
conditions, le gouvernement suédois résolut d'in-
tervenir en faveur d'une population presque exclu-
sivement d'origine suédoise; il envoya donc aux
îles d'Aland un petit corps expéditionnaire, chargé
d'assurer la protection des habitants et d'obtenir
l'évacuation simultanée des gardes blancs finlandais
et des troupes russes, sans préjuger en aucune ma-
nière le statut futur de l'archipel. Contrôle, surveil-
lance, défense de la population contre toute vio-
lence éventuelle, tel était le rôle des Suédois.
Leui intervention mécontenta les Finlandais. Les
nationalistes protestèrent contre l'occupation de
l'archipel d'Aland, et le gouvernement blanc ou
LAROUSSE MENSUEL'
antirévolutionnaire sollicita aussitôt l'appui de l'Al-
lemagne. Celle-ci avait été officiellement avertie des
projets de la Suède, dont le ministre des affaires
étrangères avait exprimé l'espoir que le gouverne-
ment impérial ne gênerait en rien l'occupation des
îles d'Aland par les Suédois ; elle n'hésita, cependant,
pas à intervenir. Alléguant la nécessité d'utiliser
l'archipel comme étape militaire pour les troupes
allemandes qui combattraient les Rouges finlandais,
elle débarqua des forces dans l'île d'Aland dès le
2 mars, sans même avoir négocié à ce sujet le
moindre accord avec la Suède; force fut donc au
gouvernement de Stockholm de rappeler les 500 sol-
dats qu'il avait envoyés dans l'archipel.
Le gouvernement blanc a alors proclamé les îles
d'Aland province de la République finlandaise, et il
a signé avec l'Empire allemand un traité stipulant
que les fortifications élevées sur les skârs devraient
disparaître aussitôt que possilde, qu'il y aurait ab-
sence permanente de fortifications sur ces îles et
que leur situation militaire et navale serait réglée
par un accord particulier. Cet article du traité ger-
mano-finlandais duGmars 1918 reproduit exactement
l'article 6 du traité germano-russe de Brest-Litovsk
du 3 mars précédent.
Ainsi est réglé le sort de l'archipel d'Aland, sans
que les Alandais, désireux d'être réunis à la Suède,
aient été consultés. Ceux-ci ont demandé à être en-
tendus lors des conférences finales de paix et ont
exprimé le désir que le statut de leur patrie fût déter-
miné par un vote public. Le soviet de Vasa ne
semble nullement disposé à répondre favorablement
à cette demande. « Le gouvernement finlandais
(a-t-il déclaré) garantit aux Alandais leur sécurité,
mais les avertit qu'aucun acte contraire à l'inlégrilé
de la Finlande ne sera toléré ». Puisse un prochain
avenir permettre aux Alliés victorieux de donner
satisfaction au vœu d'une petite nationalité opprimée
et intéressante à plus d'un titre! — Henri Feoidevaoi.
Allemagne [suite). — Les déclarations de
guerre. — En avisant le président du conseil fran-
(;ais de la proclamation en Allemagne de 1' « état de
danger de guerre « (31 juillet), le baron de Schœn lui
fit savoir que la Russie avait été mise en demeure
de démobiliser et lui demanda quelle serait, si les
hostili tés éclataient, l'altitude de la France, ajoutant
qu'il viendrait prendre la réponse du gouvernement
le lendemain samedi, à 1 heure de l'après-midi.
On sut, beaucoup plus tard (1918), que les ins-
truclious de von Bethmann-Hollweg au baron de
Schœn se ter-
minaient par
une onlrageanle
sommation : si,
contre toute vrai-
semblance, notre
gouvernement
déclarait rester
neutre, l'ambas-
sadeur exigerait
comme garantie
l'occupation des
forteresses de
Tout et de Ver-
dun jusqu'à la fin
des hostilités
avec la Russie.
Mais Viviani
ayant répondu
que « la France
s'inspirerait de
ses intérêts », le
baron de Schœn
n'eut pas à lui poser une condition inacceptable et
dont le rejet aurait fatalement déclenché la guerre.
Lorsque, le lendemain matin, le b:u'on de Schœn
revint au quai d'Orsay, il ne renouvela pas sa ques-
tion, se bornant à dire de lui-même que l'attitude
de la France n'était pas douteuse. Ce même jour,
l'raoût, Guillaume 11 télégraphiait au roi George V :
... Si la France oH're sa neutralité, qui sera alors garan-
tie par la tlotto ot l'uriiK^e anglaises, jo m'abstiendrai
d'atta(|U('r la Franco et j'emploierai mes troupes ailleurs.
Je souliaite que la France ne montre aucune nervosité.
Les trou|ies. sur ma frontière, sont en ce moment arrê-
tées par ordres t<''légraptiifjnes et téiéplioninnes, dans
leur marche en avant au delà de la frontiôre française.
L'Allemagne demandait donc à l'Angleterre de
nous immobiliser, ce qui lui eût permis de iliri^'er
toutes ses forces contre la Russie.
Le président Poincaré ne pouvait attendre davan-
tage pour signer le décret de mobilisation générale,
dont l'avis, connu un peu avant 4 h. 1/2, le l'^aoùt,
fut accueilli avec une gravité calme. Dans une pro-
clamation à la nation française, il déclarait que la mo-
bilisation apparaissait comme le •< meilleur moyen
d'assurer la paix dans l'honneur » et qu'à l'abri des
précautions nécessaires, le gouvernement continue-
rait ses efforts diplomatiques. Pour prévenir tout inci-
dent de frontière, ordre fut donné à nos troupes de
couverture de se retirer à dix kilomètres en arrière.
Pendant ce temps, sir Edward Grey télégraphiait
à l'ambassadeur britannique, sir George Buchanan,
George V, roi de Grande-Bretagne
et d'Irlande.
Sir George Buchanan, ambassadeur
d'Angleterre à Saint-Pétersbourg.
(V 136. Juin 1918.
de demander audience au tsar pour lui remettre un
message par leiiuel le roi George priait Nicolas II
de laisser la porte ouverte aux négociations; mais,
dans l'intervalle, l'.\llemagne avait déclaré la guerre
à la Russie (l'r août, à 7 h. du soir).
Cette déclaration (dit le tsar) était absolument inat-
tendue, car j'avais donné à 1 empereur Guillanme les
assurances les plus catégoriques que mes troupes n'avan-
ceraient pas tant que les négociations se poursuivraient
en vue d'une médiation.
Le dimanche 2 août, des forces allemandes fran-
chirent noire frontière en trois points dîllérenls et
envahirent le
grand-duché de
Luxembourg. Le
soir, le ministre
d'Allemagne à
Bruxelles som-
ma le roi Albert
de souffrir le pas-
sage de l'armée
du kaiser, sous
le prétexte ima-
ginaire que la
neutralité belge
était menacée.
Simultanément,
les agressions se
multipliaient en
territoire fran-
çais; des coups
de fusil étaient
tirés sur nos sol-
dats el nos doua-
niers; un avion
lançait des bombes sur Lunéville. Enfin, le 3 août,
le baron de Schœn, qui, la veille, avaitarpenléla rue
de Lille, à Paris, comme pour chercher un incident,
déclara à notre gouvernement que l'Empire allemand
se considérait comme en état de guerre avec nous et
de notre fait, alléguant que nos aviateurs avaient sur-
volé la Belgique, jeté des bombes près de 'Wesel,
dans la région de rEilIel,sur la voie ferrée, près de
Karlsruheet près de Nuremberg: allégations dont la
fausseté fut reconnue parles Allemands eux-mêmes.
Le gouvernement français, devant celle preuve
éclatante de mauvaise foi, ne put que notifier aux
gouvernemenls étrangers l'existence de l'état de
guerre entre la France et l'Allemagne, du fait de
cette dernière puissance, à partir du 3 août, 6 h. 40
du soir. 11 se déclarait résolu à ol)server, sous ré-
serve de réciprocité, les principes du droit des
gens et les conventions internationales concernant
les hostilités sur terre et sur mer.
L'ambassadeur de François-Joseph à Paris, le
comte Szecsen, y demeura plusieurs jours après
l'ouverture des hostilités.
Le 10 août, notre ministre des affaires étrangères
lui fit enfin savoir que notre ambassadeur à Vienne
avait été rappelé, et il demanda ses passeports. Le
surlendemain, la
Francedéclarala
guerre à l'Autri-
che-Hongrie par
l'intermédiaire
de sir Edward
Grey, qui, en re-
mettant la décla-
ration à l'ambas-
sadeur de Fran-
çois-Joseph à
Londres, ajouta
que la Grande-
Bretagne s'y as-
sociait (12 août).
Le grand-état
major allemand
avait formé le
dessein de nous
écraser par une
attaque brus-
quée, puis de sur-
prendre la Russie en plein travail de mobilisation.
La réussite de ce plan supposait une première vio-
lation du droit des gens, devant la(|uelle nos ennemis
n'hésitèrent p;,s une seconde: pour gagner du temps,
en évitant l'obstacle lorrain, les forces impériales en-
vahiraient la France par le grand-duché de Luxem-
boui'g et la Belgique, dont la neutralité était respec-
tivement garantie par les traités du 11 mai 1867 et
du 19 avril 1839, au bas desquels figurait la signa-
ture de la Prusse. Orgueilleux, jusqu'à l'aveugle-
ment, de la puissance militaire de l'Empire, le gou-
vernement de Berlin était convaincu que les neutres
s'inclineraient devant le fait accompli ; mais il comp-
tait sans l'Angleterre.
La France se trouvait impliquée dans le conflit
austro-serbe par l'elfet des engagements positifs qui
la liaient à la Russie. La Grande-Bretagne n'était
pas partie à l'alliance franco-russe, et les vues que
son gouvernement avait échangées avec le nôlie,
en noveinl)rel912, laissaient entière sa liberté d'ac-
tion. Elle n'avait pas en Serbie d'intérêts directs;
elle répugnait même à intervenir dans une querelle
Albert I«s roi de» Belges.
Comte Nicolas Czecsen. ambassadeur
d'Autricbe-Uocgrie à Paris.
«• 136. Juin 1918.
Iialkanique, et elle n'élail pas assez alUrée vers la
Russie pour prendre position dans une lutte de su-
prématie entre les Teutons et les Slaves. Toutefois,
elle ne pourrait demeurer indilTérenle si l'hégémo-
nie de l'iiurope venait à être mise en question ;
si, en particulier, il était porté atteinte à la souve-
raineté de la Belgique, où l'immifîration avait pris
des proportions inquiétantes : à Anvers et dans la
région, on comptait, en l!)I'i, environ 100. UÛO Alle-
mands. Depuis le xiv» siècle, l'Angleterre avait été
immuablement iid(le à la morne conception :
l'existence entro
la mer du Nonl
et les puissance-.
centrales d'Etals
indépendants loi-
mant comme son
boulevard conli-
nenlal. La ques-
tion de la neu-
tralité belgeétait,
aujourd'hui en-
core, un facteur
dominant de sa
politique
Le chancelier
von Bethmann-
Hollweg crut,
pourtant, que le
gouvernement
britanniqiien'au-
rait aucun scru-
pule à négocier
une convention
de neutralité générale, à notre insu et & notre détri-
ment. L'Allemagne s'engagerait à respecler l'inté-
grité de la France métropolitaine, mais elle annexerait
nosposse.ssions d'ouLre-mer et, quant à la Belgique,
sa neutralité serait rétablie après la guerre, si elle
s'abstenait de toute résistance (29 juillet). Le se-
crétaire d'Etat au Foreign Office, sir Edward Grey,
ne se prêta pas un seul instant à des marchandages
qui tendaient à faire de la France « un satellite de
la politique allemande », k des combinaisons qui
.. souilleraient à jamais l'honneur l)ritannique »,
tout en compromettant ses intérêts (30 juillet).
Dans l'après-midi du 1" août, des soldats alle-
mands franchirent la frontière luxembourgeoise,
occupèrent la gare des Trois-Vierges et arrachèrent
les rails sur une longueur de 150 mètres. Le len-
demain, 2 aoiit, entre 1 heure et 2 heures du
matin, les premières forces impériales passèrent
la Moselle à Wasserbillig; vers 5 heures, elles
se présentèrent aux portes de la capitale du grand-
duché, bientôt suivies d'un train blindé, puis de
troupes arrivant par les routes du Nord et de l'Est.
Le gouvernement impérial ayant déclaré aux auto-
rités grand -du-
cales que l'armée
française était
«en marche»
sur Luxembourg,
le premier mi-
nistre, Eyschen,
s'éleva contre
cette affirmation
mensongère et
protesta contre
l'invasion d'un
territoire neutre;
mais il ne pouvait
opposer aux Alle-
mands qu'une
compagnie de
300 hommes.
Sir Edward
Grey avait, le
M juillet, de-
mandé séparé-
ment aux cabi-
nets de Paris et de Berlin, en prévision d'une
guerre européenne, leurs intentions au regard de
la Belgique. Le gouvernement français s'était em-
pressé de renouveler les assurances formelles qu'il
avait constamment données à ce sujet, mais le
gouvernement allemand s'était refusé à prendre
aucun engagement, sous le prétexte que toute ré-
ponse aurait, en cas île guerre, l'inconvénient de
divulguer une partie du plan de l'état-major. Le
même jour, 31 juillet, le président Poincaré avait
adressé à George V une lettre autographe, pour lui
signaler l'accélération des préparatifs ennemis le
long de notre frontière et lui exprimer la convic-
tion, unanime en France, que le maintien de la paix
dépendait « du langage et de la conduite du gou-
vernement britannique ». Les usages constitution-
nels ne permettaient pas au roi George d'agir indé-
pendamment de ses ministres, et il ne put que
promettre au président leur collaboration loyale
avec notre ambassadeur. Or, sir Edward Grey es-
tima qu'il avait contracté envers la France une
obligation morale le jour où, consécutivement k
l'écliange de vues de novembre 1912, nous avions
concentré toute notre (lotte dans la Méditerranée :
Paul Cambon,
ambassadeur de France à Londres.
Davignon, ministre
des affaires étrangères de Belgique.
LAROUSSE MENSUEL
c'est pourquoi, le 2 août, il déclara à notre ambas-
.sadeur, d'accord avec ses collègues, que la Hotte
britannique nous donnerait son entière protection
si notre littoral du Nord et de l'Ouest était attaqué, ou
notre commerce maritime menacé par l'Allemagne.
La chancellerie impériale, dont l'audace et la
mauvaise foi continuaient de se promettre l'impu-
nité, n'hésita pas k violer la neutralité belge, comme
elle avait violé la neutralité luxembourgeoise. Le
dimanche 2 août, à 7 heures du soir, le ministre
du kaiser à Bruxelles, Below-Saleske, remit au
ministre des aU'aires étrangères, Davignon, une note
par laquelle le gouvernement de Berlin, alléguant
la nécessité impérieuse de prévenir une attaque
française par la Belgique, invitait le roi Albert à
autoriser le passage des troupes allemandes sur son
territoire. En retour de sa « neutralité amicale »,la
Belgique recouvrerait, k la paix, son intégrité terri-
toriale et sa pleine indépendance ; mais, si elle entra-
vait la marche en avant des forces germaniques, elle
serait considérée en ennemie et traitée comme telle.
A cette inso-
lente sommation 1 m» ■» ,^gc T
le conseil des mi-
nistres, siégeant
de nuit sous la
présidence du
roi, délibéra de
répondre par un
refus formel :
La Belgique a
toujours été lidèle
à SCS obligations
in ternationaies:
elle a accompli ses
devoirs dans un
esprit de locale im-
partialité ; elle n'a
négligé aucun ef-
fort pour maintenir
ou faire respecter
sa neutralité.
L'atteinte à son
indépendance dont
la menace le gou-
verneraent alle-
mand constituerait une flagrante violation du droit des
gens. Aucun intérêt stratégique ne justifie la violation
du droit.
Le gouvernement belge, en acceptant les propositions
qui lui sont notifiées sacrifierait l'honneur de la nation,
en môme temps qu'il trahirait ses devoirs vis-à-vis de
l'Europe.
Conscient du rôle que la Belgique joue depuis plus de
quatre-vingts ans dans la civilisation du monde, il se re-
fuse a croire que l'indépendance de la Belgique ne puisse
être conservée qu'au prix de la violation de sa neutralité.
Si cet espoir était déçu, le gouvernement belge est fer-
mement décidé à repousser par tous les moyens en soii
pouvoir toute atteinte à son droit.
A la suite d'un nouveau conseil des ministres,
tenu dans la matinée du 3 août, il fut décidé que
les puissances garantes seraient sollicitées d'agir,
mais par la voie diplomatique, le gouvernement
belge tenant essentiellement à ne provoquer aucune
intervention militaire étrangère, tant que le terri-
toire national serait respecté. On espérait enoore, à
Bruxelles, que l'Allemagne renoncerait à briser
matériellement la résistance belge, qu'elle n'avait
pas prévue, et ne commettrait pas un acte gros de
conséquences morales, politiques et militaires. Mais,
le 4, dès 6 heures du matin, le gouvernement du
roi Albert fut avisé que l'Allemagne exécuterait,
« au besoin par la force des armes, les mesures de
sécurité qu'elle jugeait indispensables vis-à-vis des
menées françaises», et cette notitication équivalait
k une déclaration de guerre. Deux heures plus tard,
les troupes impériales passaient la frontière belge au
village de Gemmenicb, non loin d'Aix-la-Chapelle, et,
aussilôtque le terriloire belge eut été violé, le mi-
nistre d'Allemagne à Bruxelles reçut ses passeports.
T/Autriche-Hongrie ne déclara la guerre à la
Belgique que le 28 août, bien que l'artillerie autri-
chienne eût participé à l'attaque des forts deNamur
le 24 et le 25.
Devant les Chambres réunies, aux acclamations
des représentants et de l'assistance, le roi Albert
déclara « qu'un pays qui se défend s'impose au
respect de tous », et les applaudissements redou-
blèrent lorsque le premier ministre, de Broqueville,
s'écria d'une voix assurée : « Nous pouvons être
vaincus... ; soumis, jamaisi »
C'est seulement lorsque le territoire national eut
été violé que le roi Albert, invoquant le traité de
1839, pria l'Anglelerre, la France et la Russie de
l'aider, en leur qu.ililé de puissances garanles, à
repousser une agression particulièrement odieuse
(4 août).
Pour tout le monde, exception faite des hommes
d'Etat de Berlin, la décision de l'Angleterre n'était
pas douteuse. Cette puissance prendrait certainement
les armes, non seulement parce qu'il y allait pour
elle d" <> un intérêt vital », mais encore en empê-
chant une pelile nation d'être victime d'un abus de
la force, parce qu'elle avait il exécuter une obligation
de droit et d'honneur. Auysi l'Allemagne fit-elle en
pure perte un effort paur obtenir la neutralité
Vun Jagow, ministre
i afTaireH êtrang«>re8 d'Allemagne.
46S
britannique, promettant de n'annexer après la
guerre aucune pa> lie du territoire belge, o.sant attri-
buer encore k l'état-major français des intentions
malhonnêtes à l'heure même où elle manquait à de
solennels engagements, affirmant que nos troupes
avaient l'ordre de se diriger sur la Meuse par Givet.
L'Allemagne (télégrapliiait le ministre von Jagow,
secrétaire d'Ktai des affaires étrangères, au prince Lich-
nowsky, ambassadeur du kaiser â Londres) se trouve
donc contrainte à
nepastenirconipte
de la neutralité
belge : c'est pour
elle UDO question
de vie ou de mon
d'empêcher la mar-
che en avant de
l'armée française.
Dans l'après-
midi du 4 août,
l'ambassadeur
bri tannique k
Berlin, sir E.
Goscheii,se ren-
dit chez von Ja-
gow et lui de-
manda si le
gou vernement
impérial s'abs-
tiendrait de vio-
ler la neutralité
de la Belgique :
le ministre lui
répondit que les forces allemandes avaient déjà
franchi la frontière le matin même.
Herr von Jagow (mandait l'ambassadeur à sir Edwiird
Grey) chercha de nouveau à expliquer les raisons qui
avaient obligé le gouvernement impérial à prendre cette
mesTire, à savoir qu'il leur {sic) fallait pénétrer en France
par la voie la plus rapide et la plus facile, de manière
à prendre une bonne avance dans leurs opérations et à
s'efforcer de frapper quelque coup décisif le plus tôt pos-
sible. C'était pour l'Allemagne une question de vie ou de
mort ; car, si elle avait pris la route plus au sud, elle
n'aurait pu, vu le manque de chemins et la force des
forteresses, espérer passer sans rencontrer une résistance
formidable, iniplnjuant une grosse perte de temps. Cette
perte de temps aurait été autant de gagné parles Russes
pour amener leurs troupes sur la frontière allemande.
Agir avec rapidité était le maître atout de l'Allemagne ;
celui de la Russie était d'avoir d'inépuisables ressources
en soldats... II était maintenant impossible au gouver-
nement allemand de faire un pas en arrière.
Au cours d'une seconde visite, l'ambassadeur,
qui avait reçu un nouveau télégramme de sir Edward
Grey, informa son interlocuteur que, si le gouver-
nement impérial ne pouvait donner, le soir même
avant minuit, « l'assurance de ne pas pousser
plus loin sa vio-
lation de la fron-
tière belge et
d'arrêter sa mar-
che», le gouver-
nement britanni-
que n prendrait
toutes les me-
sures en son pou-
voir pour main-
tenir la neutra-
lité de la Belgi-
que et l'observa-
tion d'un traité
dont l'Allema-
gne, autant que
lui-même, était
signataire». 'Von
Jagow Cl exprima
son vif regret de
voir s'écrouler
toute sa politique
et celle du chan-
celier, qui avait consisté à devenir amis avec la
Grande-Bretagne et ensuite, par elle, à se rappro-
cher de la France ».
L'ambassadeur se présenta ensuite chez le chan-
celier, o Très agité », von Betbmann-HoUweg com-
mença tout de suite, en anglais, une harangue qui
dura environ vingt minutes.
Il dit (manda sir E. Ooschon à son mioistro) que la
mesure prise par le gouvernement de -Sa Maj-^sié ,*ri-
tannique était terrible au dernier point: rien que pour
un mot — neutralitét un mol dont, en temps do guerre, on
n'avait si souvent tenu aucun compte — rien que pour un
bout de papier (acrap o( paper), la Grande-Brotaeno
allait faire la guerre à une nation do la mémo famille,
qui ne demandait pas mieux quo d'être son amie Co
que nous avions fait était inconcevable ; c'était frapper
par derrière un iiommo au moment où il défendait sa vie
contre deux assaillants. 11 tenait la Grande-Bretagne
responsable de tous les terribles événements qui pourront
se produire. Je protestai avec force contre cette déclara-
tion, et je dis qu'autant quo lui-même ot herr von Jagow
avaient voulu me faire comprendre que, pour des raisons
stratégiques, c'était pour 1 Allemagne une affaire de vie
ou de mort d'avancer à travers la Relgique et de violer
la neutralité bel);e, autant je voulais lui faire comprendre
à son tour que c était, pour ainsi dire, une alTaire de • vie
ou de mort • pour l'honneur de la Grande-Bretagne de
tenir son engagement solennel. Cet engagement était de
Prince Lichnowsky,
ambassadeur d'Allemagne à Londres.
466
faire, en cas d'attaque, son possible pour défendre la
neutralité do la BeI<^i<(uo. Si ce pacte solennel n'avait
pas été tenu, quelle foi aurait-on pu ajouter, à l'avenir,
aux engagements pris par la Grande-Brelagniî ? Le chan-
celier reprit : a Mais à quel prix ce pacte aura-t-il été
tenu ? Le gouvernement britannique y a-t-il songé ?» Je
lui donnai à entendre aussi clairement que possible que
la crainte des conséquences ne pouvait guère être consi-
dérée comme une excuse pour la rupture d'engagements
solennels.
Le même jour, von Belhmann-HoUweg prononça
au Reichstag un discours qui mit en pleine lumière
la responsabilité du gouvernement impérial :
Nous nous trouvons en état de légitime défense, et la
nécessité ne connaît pas de loi.
Nos troupes ont occupé Luxembourg et, peut-être, déjà
pénétré en Belgique. Cela est en contradiction avec les
prescriptions du droit des gens. La Franco a, il est vrai,
déclaré à Bruxelles qu'elle était résolue à respecter la
neutralité de la Belgique aussi longtemps que l'adver-
saire la respecterait. Mais nous savions que la France se
tenait prête à envahir la Belgique. I^a France pouvait
attendre. Nous, pas. Une attaque française sur notre flanc
dans la région du Rhin inférieur aurait pu devenir fatale.
C'est ainsi que nous avons été forcés de passer outre aux
protestations justifiées des gouvernements luxembour-
geois et belge. L'illégalité — je parle franchement —
l'illégalité que nous commettons ainsi, nous chercherons
à la réparer, dès (jne notre but militaire sera atteint.
A celui qui esc menacé au point où nous le sommes et
qui lutte pour son bien suprême il n'est permis que de
songer au moyen de se dégager.
L'Allemagne ayant rejeté les propositions du
gouvernement britannique, celui-ci lui déclara que
l'état de guerre existait entre les deux pays à partir
du 4 août, 11 heures du soir.
Von Belhmann-HoUweg tenta, après coup, de justi-
fierlegouvernemeiitimpérial en donnant comme prou-
vée l'existence d'un plan de coopération anglo-belge
dans l'éventualité d'une guerre franco-allemande ;
ainsi, la neutralité de la Belgique aurait été violée
déjà par l'Angle-
terre lorsque
l'Allemagne la
viola à son tour.
Même dans celle
hypothèse, la res-
ponsabilité du
gouvernement
impérialneserait
nullement déga-
gée, puisqu'il ne
connaissait pas,
au mois d'août
1914, les préten-
duesconventions
qu'il invoqua ul-
térieurom r n t
pour sa défense.
Ni en 1 900, ni en
1912, il n'y eut
entre le chef de
l'état-majorbelge
et l'attaché mili-
taire britannique à Bruxelles autre chose que des
conversations, sans portée officielle, motivées par les
préparatifs militai les de l'Allemagne près de la l'i'on-
lière et par la crainte, malheureusement fondée,
d'une violation des traités par les années du kaiser.
Le général von Bernhardi prétendit, de son côté,
établir que notre plan de concentration et la pré-
sence à notre aile gauche de nos forces principales
démuniraient notre résolution arrêtée de violer la
neutralité belge, de concert avec la Grande-Bre-
tagne. Le gouvernement français n'eut pas de peine
à réfuter la thèse allemande en exposant que la
totalité de nos armées était orientée uniquement
vers l'Allemagne, que les variantes de notre plan
de concentration furent précisément motivées par
l'invasion de la Belgique, que la concentration des
forces anglaises s'effectua du 14 au 21 août eu
arrière de Maubeuge, que les ordres du gouverne-
ment français entre le 30 juillet et le 5 août démon-
trent à l'évidence sa résolution de respecter le tei'-
ritoire neutre. D'autre part, si l'on considère les
positions de concentralion assignées, le 31 juillel,
aux six divisions de l'armée belge, on constate que
le dispositif adopté avait pour but, conformément à
l'esprit des trailés de 1839, de faire face à toiile in-
vasion, d'où qu'elle vînt : de France, d'Angleterre
ou d'Allemagne.
En vérité, les hommes d'Etat et les généraux de
Guillaume II avaient bien prémédité leur crime,
convaincus que l'Angleterre, par faiblesse, assiste-
rait sans mot dire à l'humiliation de la Belgique,
muette d'épouvante, et c'est dans un inlérél pure-
ment stratégique que l'acte de 1839 fut consiiléiè
comme un « chiffon de papier ». Bismarck, avant
von Belbmanu-Hollweg, avait dit :
L'observation des traités entre les grands Etats n'est
que conditionnelle, dès que la lutte pour la vie la mot à
I épreuve. Il n'est pas de grande nation qui consente
jamais à sacritier son existence à la fol des trailés, si
elle est mise en demeure de choisir.
Le 9 août, après la chute de Liège, le cabinet de
Berlin crut que le gouvernement belge renoncerait
à une lutte inégale. Ayant vainement sollicité l'en-
Sir Edward Goschen,
ambassadeur d'Angleterre à Berlin.
Baron de Wangentieim, ambassadeur
d'Allemagne à Constantinople.
LAROUSSE MENSUEL
tremise du ministre des Etats-Unis à Bruxelles, il
s'adressa au gouvernement des Pays-Bas, à la de-
mande duquel le ministre de Belgique à La Haye
consentit à transmettre les propositions allemandes :
la perspective des « horreurs ultérieures de la
guerre » fut impuissante à obscurcir chez le roi Al-
bert et chez ses ministres le sentiment de l'honneur.
Chaque jour, de nouveaux témoignages viennent
aggraver les responsabilités de nos ennemis. Tel
est celui du
Dr Muehlon,
ancien direc-
teur des usines
Krupp, qui,de la
houchemêmedes
personnalités les
plus qualiliécs,
connut les des-
seins agrcssils
du grand état-
major; tels sont
ceux de l'ambas-
sadeur des Etats-
Unis à Gonstan-
tinople et de
l'ambassadeur
d'Allemagne à
Londres.
Trois semai-
nes après l'ou-
verture des hos-
tilités, l'ambas-
sadeur allemand à Constantinople, baron de 'Wan-
genheim, confia à son collègue des Etats-Unis,
Henry Morgenlhau, que la guerre avait été déci-
dée au commencement de juillet, dans une réu-
nion présidée par le kaiser, et qu'il y fut appelé
pour faire un rapport sur la situation de la Turquie.
11 assista donc à la délibération, avec le chef d'état-
major de Mollke, le grand-amiral von Tirpilz, des
industriels, des directeurs de chemins de fer, des
financiers. Tous répondirent qu'ils étaient prêts, à
l'exception des financiers, qui demandèrent quinze
jours de répit pour vendre leurs titres et régler leurs
prêts à l'élranger. A l'issue de la conférence, le kai-
ser se renditdireclement abord de son yacht pour faire
son habituelle croisière en Norvège, et le chan-
celier partit en villégiature, suivi par le corps di-
plomatique, qui ne se doutait de rien. La même
méthode « soporifique » fut employée k 'Vienne et,
quand se produisit la catastrophe, l'ambassadeur de
Russie était en congé.
Le prince Lichnowsky prit possession de l'am-
bassade allemande à Londres en novembre 1912.
11 condamnait la politique de la chancellerie impé-
riale en Orient, comme opposée au principe des na-
tionalités balkaniques, et il regrellail que son pays
subordonnât ses intérêts à ceux de ses alliés sans
aucun profit; car, d'après lui, l'Allemagne n'avait
besoin ni de l'Italie ni même de l'Autriche, qu'elle
avait le moyen de tenir en respect pour peu qu'elle
s'entendît avec la Russie. Partisan d'un accord anglo-
allemand analogue à l'accord colonial anglo-français
de 1904 et d'où il espérait voir sortir un « rapproche-
ment des deux groupes », il ne fut pas approuvé par
son gouvernement, qui s'achemina fatalementvers la
guerre. En 1916, retiré dans sa résidence d'été, il écri-
vit, sous le titre : Ma mission à Londres, 19I2-191A,
un mémoire dont les conclusions sont un réquisitoire
accablant pour le kaiser et pour ses conseillers :
1. — Nous avons encouragé lo comte Berchtold à atta-
quer la Serbie, bien qu'il n y eût pas d'intérêt allemand
on jeu et bien que nous dussions savoir que c'était courir
le risque d'une guerre universelle {que nous ayons connu,
ou non, le texte de l'utimatum, la question n'a aucune im-
portance).
2. — Dans la période du 23 au 30 juillet 1914, alors que
M. Sazonof affirmait énorgiquement qu'il ne pourrait to-
lérer une agression dirigée contre la .Serbie, nous avons
refusé la proposition anglaise de médiation, bien que la
Serbie, sous la pression de la Russie et de l'Angleterre,
eût accepté presque en entier l'ultimatum autrichien, bien
(lu'il fût facile d arriver à un accord sur les deux points
en litige et bien que le comte Berchtold fût prêt à se
déclarer satisfait de la réponse serbe.
3. — Le 30 juillet, alors que le comte Berchtold voulait
changer d'attitude et sans que l'Autriche fût attaquée,
nous avons, à propos de la mobilisation pure et simple de
l'armée russe, envoyé un ultimatum à Petrograd et, le
31 juillet, nous avons déclaré la guerre à la Russie, bien
(|ue le tsar eût donné sa parole qu'il ne ferait pas avancer
un seul homme tant que les jiourparlers se poursui-
vraient: nous avons ainsi réduit à néant, délibérément,
tonte chance de règlement pacifique du conflit.
En présence de ces faits incontestables, il n'est pas
étonnant qu'en dehors de l'Allemagne, le monde civilisé
tout entier nous impute, à nous seuls, la responsabilité
de la guerre universelle.
Faut-il s'étonner (jue nos ennemis déclarent qu'ils ne
veulent pas s'arrêter avant l'anéantissement du système
qui constitue pour nos voisins un danger permanent?
lOn agissant autrement, n'anraient-ils pas à craindre d'être
obligés, dans quelques années, de reiirendre les armes
et de voir de nouveau leurs provinces envahies, leurs
villes et leurs villages anéantis? L'événement n'a-t-il pas
donné raison à ceux qui. prévoyant l'avenir, disaient que
le peuple allemand est dominé par l'esprit des Treitschke
et des Hernhardi, suivant ie<(uel la guerre est par elle-
mémo un but, et non pas un mal détestable i que les sei-
N- 13e. Juin 1918.
gneurs reodaux, les Junkers, les hommes do la caste mili-
taire, nous gouvernent: que notre idéal, • nos valeurs »
sont fixés par cette caste militaire, et non par les hon-
nêtes gcnsqui n'appartiennent pas à l'armée : que l'amour
du duel qui anime notre jeunesse universitaire subsiste
aussi chez les hommes chargés de diriger les destinées
du peuple allemand ? Les affaires de Saverne et les débals
parlementaires qu'elles provoquèrent n'avaient-ils pas
montré aux étrangers le peu que pèsent chez nous les
libertés civiles et les droits civils, quand ils ont contre
eux la puissance des militaires?
Le militarisme, qui ne devrait être qu'une école pour le
peuple et un instrument pour la politique, fait, au con-
traire, de la politiquel'instrumentdes militaires. Le régime
« patriarcal » du pouvoir absolu d'une royauté militaire
permet une politique que ne tolérerait pas une démocratie
soustraite à l'influence des soldats et des Junkers.
Voilà ce que pensent nos ennemis, et ils sont obligés
de penser ainsi lorsqu'ils voient que, malgré la transfor-
mation de l'Allemagne par l'industrie capitaliste et par
rorg:anisation socialiste, les vivants, suivant l'expression
do Nietzsche, continuent à être gouvernés par les morts.
Le but de guerre le plus élevé de nos ennemis, la dé-
mocratisation de l'Allemagne, se réalisera !
L'exposé qui précède, s'ajoulant à ce que l'on sait
des convoitises pangermanistes (p. 245), nous paraît
établir irréfutablement la culpabilité des Empires
centraux. Les dénégations et les mensonges sont im-
puissants contre les faits; la thèse allemande de la
défensive n'est qu'une imposture. — Albert lefort.
baxnbuslcole (ban-bu-zi-kol' — du lat. bam-
busa, bambou, et colère, habiter) n. f. Genre d'oi-
seaux du groupe des gallinacés et de la famille des
phasianidés.
— Encycl. Ce genre comprend trois espèces de
perdrix des bambous, ainsi nommées à cause de
leur préférence pour les bambouseraies. Elles rap-
pellent les arboricoles et les gallopcrdrix. Les tarses
sont longs et portent des éperons chez le mâle, par-
fois aussi chez la femelle. La queue est composée
de 14 rectrices élagées, car la paire de rectrices ex-
ternes n'est que deux tiers des médianes. L'aile
est arrondie comme chez les faisans: la première
rémige primaire est beaucoup plus courte que la
dixième, laquelle est égale à la seconde ou un peu
plus courte. La cinquième est la plus longue. Les
sexes sont semblables.
La bambusicole à voix sonore ou « de Formose »
(bambusicota sonorivox) a la têle d'un brun de
rouille, chaque plume étant marquée nettement de
brun pâle; la gorge est châlain foncé et limitée en
bas par une large bande, qui est giise comme les
lores, les oreilles et la nuque, où les plumes sont
bordées légèrement de brun noirâtre. Le dos et le
croupion sont de couleur olive, chaque plume fine-
ment marquée de brun noir avec des taches plus ou
moins larges, châtaines, qu'on retrouve sur les
plumes scapulaires et les couvertures des ailes;
celles-ci portent, en outre, près de la pointe, une
petite tache blanche. Les rémiges primaires sont
brun noir et marquées de roux châtain. Les deux
rectrices mé-
dianes sont^
vermiculées
debrun,d'isa-
belle et de
noir, tandis
que les autres
sont brun fon-
cé. L'abdo-
men est d'un
roux cannelle
brillant. On
voit de larges
taches châtain
vif sur les
plumes des
flancs et sur celles qui bordent la bande pectorale
grise. Les cuisses sont brun cannelle.
Le bec est d'un gris plombé, mais la pointe de la
mandibule supérieure est blanc jaunâtre; les mem-
bres sont d'un brun olive foncé.
La longueur totale est de O^.ÎB; l'aile pliée a
0"',13 et la queue 0"',09.
Ces perdrix des bambous se trouvent dans les
collines de l'île de Formose, où elles représentent
la bambusicole thoracique du continent. Elles y
vivent isolées, jamais en compagnie, et se tiennent
presque toujours sur le sol, où elles cherchent du
grain, bien qu'elles soient d'excellents percheurs.
11 est difficile de les faire levei-. La nuil, elles se
cachent sous les herbes ou les feuilles des bambous.
Les deux sexes émettent le même cri bruyant, qui
s'entend & une gi'ande distance. Ces oiseaux sont
très querelleurs et très batailleurs. Leur nid est
placé dans une dépression du sol, sous une feuille.
La femelle y pond de 7 à 12 œufs et même plus,
qui ressemblent aux œufs de la perdrix grise. Leurs
dimensions sont 0°',03o sur O^.iiiS.
Le jour, on entend souvent leur cri d'appel. Les
oiseleurs chinois en profitent pour placer une cage
avec un appelant qui répond. L'oiseau sauvage se
précipite brusquement dans la cage et se trouve
pris. Ces oiseaux sont vendus au marché, car les
Chinois sont très amateurs de leur cri désagréable,
qu'ils font entendre continuellement.
Bambusicole.
M* )3â. Juin 1918.
Les bambusicoles tboraciques [bambusicola tliora-
cica) ont le front gris, ainsi que les sourcils; le vertex
et la nuque sont brun olivâtre. Leur dos est brun
olivâtre, marqué de brun marron et de points blancs.
Les sus-caudales, à la face supérieure de la queue,
sont vermiculées de brun roux et de brun noirâtre.
Le menton et la gorge sont d'un roux ferrugineux.
Une large bande grise s'étend en travers de la poi-
trine. L'abdomen est rouge, plus fauve en arrière,
et les flancs sont marqués de grandes tacbes blanc
noirâtre. Les rémiges sont brunes, lisérées de roux.
Cette bambusicole se trouve dans toute la Cbine
méridionale, depuis le Fockien jusqu'au Setchuen et
au Cbensi méridional. Elle vit eu couples sur les
collines couvertes de buissons et de taillis ou dans
les bambouseraies. Elle se tient souvent perchée.
Son cri consiste en une longue série de notes per-
çantes et diffère complètement du cri de nos perdrix.
La bambusicole du Yunnan [bambusicola fytckii)
diffère de la précédente par ses joues et ses oreilles
qui sont grises, et de celle de Kormose par un trait
sourciller gris. Les plumes des flancs elles couver-
tures iuiérieures de la queue portent de larges taches
noires, cordiformes et sublerminales. Le bec est
brun, l'iris noisette et les membres gris; l'éperon du
mâle est très poi iitu ; celui de la femelle est mousse.
La longueur totale est de 0°»,31 ; l'aile pliée a O^.lo ;
la queue 0™,11. La femelle est un peu plus petite.
Cet oiseau habite l'Annam, la région du Brabma-
poutra, la Birmanie et le Yunnan. U est craintif et
peureux; il se tient dans les forêts, la jungle et les
liantes herbes. Son cri, fort et peu agréable, diffère
complètement de celui des espèces du genre arbori-
cole, mais ses habiludes sont les mêmes. La saison
des amours tombe en mai et en juin. Ses œufs ne
sont pas encore connus. — a. M^.-iioiux.
Saratier (Albert-Ernest-Augustin), général
français, né à Bell'ort le 11 juillet 1864, mort le
17 octobre 1917, dans une tranchée de première
ligne, aux environs de Reims. Il n'a pas été atteint
par des projectiles ennemis, mais il a été terrassé
par une embolie, qui a amené sa mort presque aus-
sitôt; il n'en est pas moins tombeau champ d'hon-
neur, ayant succombé, face à l'ennemi, en accom-
plissant avec bravoure son devoir de grand chef.
Le général Baratier, qui s'est signalé durant la
guerre actuelle par d'éminenls et glorieux services,
avait eu auparavant une brillante carrière africaine,
et le rôle important qu'il avait rempli comme explo-
rateur avait déjà valu à son nom une haute notoriété.
Fils de l'intendant général Aristide-Emile-Ana-
tole Baralier, né à Orange et mort à Paris (1834-
1918), qui avait fait la campagne du Tonkin en
1884-1885, Albert Baratier était entré à Saint-Cyr
en 1883 et en était sorti dans la cavalerie. Affecté
au l*' régiment de chasseurs d'Afrique, il fut
nommé lieulenant en 1889 et capitaine en 1895.
Après avoir servi en Algérie, il fut détaché aux
spahis soudanais. Il prit part, alors, aux campagnes
dirigées contre Samory et d'abord à celle conduite
en 1891-1892 par le lieutenant-colonel Humbert, au
cours de laquelle la colonne, après être parvenue
de Kankan à Bi:;sandougou, occupa Saùankoro et
Kérouané, qui étaient- deux des places fortes de
l'almany.puis Toukoro. Il se signala par sa remar-
quable conduite dans les opérations qui eurent lieu
entre Kankan et Bissandougou, au combat livré
auprès du marigot de Sombéka et à l'attaque de la
position de Diamanko, que défendait Samory en
personne. Ayant été cité deux fois k l'ordre du
jour, le lieulenant Baratier fut fait chevalier de la
Légion d'honneur, en décembre 1892. Il lut ensuite
attaché à la colonne envoyée vers Kong, en 1894-
189.5, sous le commandement du colonel Monteil.
Là, il lit la connaissance du capitaine Marchand, se
lia avec lui, et son compagnon d'armes, qui avait su
apprécier son esprit réfléchi, son énergie et sa
bravoure, devait bientôt le joindre à lui dans l'hé-
roïque expédition qu'il allait mener du Congo au Nil.
Ce fut en juin 1896 que s'embarqua pour le Congo
la mission Marchand, dont plusieurs des membres
ont glorieusement combattu, avec le grade de gé-
néral, dans la Grande Guerre actuelle : Marchand
lui-même, Mangin, Largeau, tombé au champ
d'honneur, et enfin Baratier. Ce dernier a joué un
rôle brillant dans les opérations de la mission.
Faisant partie du groupe chargé d'étudier l'hy-
drograpbie du M'Bomou et de reconnaître le cours
■upérieur de ce fleuve, le capitaine Baratier, parti
le 1" juin 1897 de Baguessé avec trois petites piro-
gues, arriva, le 3 août, à Méré, point où le Bokou,
affluent du M'Bomou, cesse d'être navigable; on se
trouvait là à 70 kilomètres de Tamboura, qui est
dans le bassin du Nil, et à 3.330 kilomètres de
Brazzaville. L'extrémité navigable des eaux congo-
laises étant connue, il fallait déterminer le point
de départ de la navigabilité des eaux du bassin du
Nil, afin d'établir une voie de jonction entre les
deux points. Le capitaine Marchand, s'étant chargé
lui-même de ce soin, laissa pendant ce temps le
commandement provisoire au capitaine Baralier.
Au début de l'année 1898, le chef de la mission
envoya ses officiers dans diverses directions sUn de
Générai Baratier.
LAROUSSE MENSUEL
reconnaître le pays et d'étudier la meilleure route à
suivre pour atteindre le Nil. Le capitaine Baratier fut
chargé d'explorer lebasSoueh elle Bahr-el-Gliazal,
avec l'ialerprète Landeroin. Partis le 12 janvier
dans un seul boat, les deux membres de la mission,
qu'accompagnaient vingt tirailleurs et huit pagayeurs,
parvinrent au but qui leur était assigné, mais ce fut
au prix d'elTorls intrépides et de très dures fatigues.
Le trajet exigeant plus de temps qu'on n'avait pu le
prévoir, les vivres manquèrent et, sur la route, les
Dinkas refusaient d'en vendre. Lâchasse n'avait pu
suppléer à celte insuffisance, et les voyageurs durent
im moment manger des racines d'herbes. Il leur fallut
triompher de difficultés sans nombre pour se frayer
une voie à travers les immenses marécages du Balir-
el-Ghazal, où ils étaient sans cesse arrêléspar des bar-
rages d'herbes
et de roseaux ;
c'e.st dans de pa-
reils sites qu ils
devaient passer
leursnuils.Enfln,
le 24 février, les
courageux explo-
rateurs avaient
pu, duSoueh, pas-
ser dans leBahr-
el-Ghazal, que
cette rivière
atteint devant
Meschra-er-Hek ;
de là ils pou.ssè-
rent jusqu'au lac
No, d'oùleBahr-
el-Ghazal se jette
dans le Nil. Tan-
dis qu'il opérait
son retour, le ca-
pitaine Baralier
rencontra, le 13 mars, une pirogue montée par des
Dinkas, qui lui lancèrent une lettre du lieutenant
Largeau, faisant savoir qu'il s'était égaré au milieu
d'un immense marais; le capitaine Baratier fut assez
heureux pour pouvoir rejoindre, le lendemain, son
camarade et le sauver du danger.
Ainsi, le capitaine Baralier avait, grâce à celle
reconnaissance opérée par lui dans les plus pénibles
conditions, tracé à la mission Marchand la route
qu'elle devait suivre pour passer du bassin du Congo
dans celui du Nil et atteindre Fachoda ; il avait
donc, par son énergie et son endurance, apporté à
rexpédltion un très précieux concours. Sa belle
conduite lui valut, en 1899, avec une citation à
l'ordre général de l'armée, la rosette d'officier de la
Légion d'honneur et les galons de chef d'escadron.
Depuis son retour en France, le dévoué compa-
gnon de Marchand a contribué à faire connaître
par ses travaux les pays traversés par la mission et
à mettre en relief toute l'importance de l'œuvre
accomplie par elle.
C'esl lui, d'abord, qui a dressé et dessiné, d'après
les travaux topographiqiies et astronomiques de la
mission et d'après les itinéraires des officiers du
Haut-Oubangui et des anciens voyageurs, une carte
publiée sous les auspices de la Société de géographie
de Paris (1903, 4 feuilles en couleur à 1/1.000.000',
2 cartons à 1/500.000' et à 1/10.000').
Ecrivain de talent, A. Baratier, qui était colonel
depuis 1911, a aussi, dans plusieurs ouvrages et
articles très attachants par l'animation du récit, par
le charme des descriplions et par l'esprit patrio-
tique, traduit ses impressions sur l'Afrique et conté
les faits saillants de la grande mission à laquelle il
avait pris part. Dans un petit volume paru en 1910 :
A travers l'Afrique, il a réuni quelques épisodes
de sa longue carrière africaine au Soudan, à la Côte
d'Ivoire, au Congo, et il y a donné une large place
à la mission du Bahr-el-Ghazal. Il a développé plus
amplement le sujet dans un autre livre, publié sous
le même tilre en 1912 et, la même année, il écrivait
aussi les Epopées africaines. On doit également au
colonel Baralier une suite d'articles parus dans la
Il Revue des Deux Mondes » (15 mai, l" et 15 juin
1914), qui ont fourni la matière d'un volume nou-
veau : Au Congo. Souvenirs de la mission Mar-
chand (1914). Nous y trouvons un récit de la période
de début de la mission, et nous y voyons combien
fut pénible la traversée du vieux Congo. Ces pages
vibrantes, qui nou< conduisent jusqu'à Brazzaville
seulement, devaient recevoir une suite; la mort du
vaillant défenseur de la patrie est venue arrêter la
publication de celle épopée coloniale.
Commandant le 14° régiment de chasseurs à cheval
à Dôle au moment de la guerre, le colonel Baratier
fut dirigé vers l'Alsace; il y entra l'un des premiers
à la tête de ses escadrons et pénétra dans Mulhouse.
Le corps de cavalerie auquel il appartenait ayant
été rappelé en France, il prit part ensuite à la ba-
taille de la Marne, et les hautes qualités militaires
dont il y fit preuve lui valurent, le 10 septembre 1914,
en pleine action, d'être nommé général de brigade;
à ce litre, il fut placé à la tête de la 8* division de
cavalerie. Quand un certain nombre de divisions de
cette arme furent supprimées, il reçut le comman-
467
dément d'une division d'infanterie; celle-ci prit
part vaillamment aux opérations d'Alsace, en 1915.
Nommé ensuite général de division à titre tempo-
raire, il avait étépromu à tilre définitif le 18 mai 1917.
Le général Baralier ayant été surpris par la mort
au moment où il faisait une tournée d'inspection en
plein front, à peu de distance des lignes ennemies,
ses restes furent ramenés au petit village de Gueux,
dans la Marne, où il fut enterré dans le cimetière
militaire, au milieu de ses soldats, conformément
à la volonté qu'il avait toujours exprimée. Parmi ceux
3ui rendirent hommage à sa mémoire, figura le mé-
ecin principal lOmilv, qui avait fait partie, lui aussi,
de la mission Marchand et qui salua sa dépouille
uu nom de leur ancien chef. — Oiuiave KasiLaruoia.
Bolo (l'Affaire) [les Grakdb Pnocfeg de la
guerre]. Le 4 féviier 1918, sous la présidence
du colonel 'Voyer, se sont engagés devant le
3* conseil de guerre de Paris (siégeant exception-
nellement dans la salle ordinaire de la Cour d'as-
sises de la Seine) les débats de l'afl'aire Bolo, l'une
des plus retentissantes parmi les afl'aires dites
<i Crimes contre la défense nationale », dont, au
même moment, l'instruction se poursuivait encore.
Bolo (Paul-Marie), détenu, était déféré aux juges
militaires en même temps que Porchère (Darius^,
également détenu, et l'Italien Cavallini (Pfailippo),
absent et conlumax.
L'accusation comprenait deux séries de faits : l» in-
telligences avec l'Allemagne, entretenues en 1915,
en Suisse et à Paris, par Bolo et par Cavallini, avec
la complicité de Porchère; — 2° intelligences avec
la même puissance, entretenues, l'année suivante,
aux Etats unis d'Amérique et à Paris, par Bolo.
Bolo était un aventurier, dont l'existence fut
extraordinairement cahotée.
Né à Marseille en 1867, petit-fils de notaire, fils
d'un employé de contentieux, il débuta dans la vie
comme dentiste. Bientôt, il se lança dans trois opé-
rations successives ; une affaire de denrées colo-
niales, un commerce de langoustes, l'exploitation
d'un parc et d'un restaurant. Il y ruina son associé,
nn nommé Panon, lui enleva sa femme et gagna
l'Espagne, où, à 'Valence, réduit à la misère, il
s'employa dans une brasserie.
En 1892, Bolo était à Paris. Il y acquit un cabi-
net d'afTaires. Deux ans après, sur la plainte d'une
dame Miége, — sa femme de ménage, qu'il avait
détroussée de son livret de caisse d'épargne, — le
tribunal correctionnel de la Seine prononçait contre
lui (par défaut) une condamnation à la prison, pour
abus de confiance.
Bolo venait alors de se marier dans la république
Argentine, àBuenos-Ayres.lIavait épousé, — sous le
nom de « Bolo de Grangeneuve », — une chanteuse,
Henriette Soumaille, qu'il avait connue à Bordeaux
et qui faisait maintenant partie du casino de Buenos-
Ayres. Tous les soirs, Bolo passait toucher à la
caisse de l'établissement les' vingt piastres par repré-
sentation que, lui-même, il avait fait attribuer à sa
femme. On ne lui connaissait pas d'autre occupation.
A Valparaiso, un jour, Bolo fut arrêté pour avoir
détourné une boucle en brillants, au préjudice d'une
propriétaire d'hôtel. Afin d'obtenir sa libération, sa
femme dut déposer, comme caution, tout ce qu'elle
possédait. Le mari l'en récompensa eu l'abandonnant.
On ne retrouve trace de Bolo qu'en 1902, à Lyon.
Il y représentait la marque de Champagne Binet et
l'absinthe oxygénée Cusenier.
Brusquement, en 1904, à Paris, une occasion de
fortune inouïe s'ofl'rit à Bolo, grâce à la rencontre
d'une dame Muller, veuve d'un riche négociant en
vins de Bordeaux. Bolo obtint de la veuve une
procuration générale pour s'occuper de ses affaires,
et il constata qu'elle tenait de la succession de son
mari : un capital immédiatement réalisable de
2.500.000 francs environ; 1.825 actions des établis-
sements Richard et Muller, correspondant à un
capital de 547.500 francs; un usufruit qui, annuel-
lement, représentait à peu près 47.000 francs.
Bien volontiers, Bolo se fit bigame : le 15 mai 1905,
il épousait la veuve Muller.
Le voilà riche, et Bolo se met à brasser les affaires
les plus variées : création de banques d'Etat, dans
les républiques sud-américaines; trust des éme-
raudes; fondation de la Croix-Blanche suisse; créa-
tion de la Confédération générale agricole.
Son train de vie était devenu fastueux, d'un luxe
tapageur. Dans son garage, trois autos; dans ses
écuries, sept chevaux. Tant à Paris, dans son appar-
tement du 17 rue de Phaisbourg, qu'à Biarritz, en
sa villa 'Velleda, il tenait table ouverte de nabab.
Autour de lui s'empressaient des parlementaires,
des hommes du monde, de nonil>reiises et impor-
tantes personnalités, parmi lesquelles un magistr.it,
victime de sa confiance aveugle, le premier prési-
dent de la Cour de Paris, Monier, et un ancien
président du conseil des minisires, Joseph Caillaux.
Fort habilement, Bolo s'en était fait l'ami : toutes
ces hautes personnalités lui étaient une caution.
De belle mine, de rare élégance, avec son art du
boniment et ses allures félines, l'aventurier, en une
ascension vertigineuse, avait atteint le faite.
468
U vivait sur le pied de 300.000 francs de revenu;
or, à la veille de la guerre, Bolo, à Biarritz, disait k
une actrice, Marie Lafargue, de l'Opéra-Comique :
« Je suis ruiné, je n'ai plus que 80.000 francs de
rente I »
Bolo se vantait : la vérité, — nettement démon-
trée au cours du procès, notamment par l'expert-
complable Doyen, — c'est que des portes considé-
rables et ses dépenses excessives avaient peu h. peu,
depuis 1905, mené Bolo à la débâcle financière. II
se trouvait, en dénnilive, presque exclusivement ré-
duit aux 47.000 francs de revenu conslitué par l'usu-
fruit de sa lemme.
Et c'est ainsi que, pour rétablir sa fortune, Bolo
— homme d'argent, sans scrupules, entièrement
dominé par la vénalité — se mêla à la basse in-
trigue allemande. C'est le moment où l'Alle-
magne, pour favoriser l'offensive contre notre résis-
tance morale, que, sournoisement, elle commençait
à déchaîner, semblait résolue à de gros sacrifices
linanciers.
Vers l'été de 1914, Bolo était entré en relations
avec Youssouf Saddick-paclia, ministre de la liste
civile d'Abbas-Hilmi, alors khédive d Egypte, puis
avec Abbas-Hilmi, l'opulent personnage.
Bolo, immédiatement, était devenu l'agent finan-
cier du souverain et, en juillet 1914, son seul repré-
sentant pour l'Europe, avec le mandat formel de
traiter la question du renouvellement de la conces-
sion du canal de Suez. Abbas-Hilmi avait conféré
à Bolo le titre de « pacha ».
Dans les deL'niers jours de ce tragique mois de
juillet, Abbas-Hilmi se rendit k Conslantinople, où,
peu après, le rejoignit son ministre Saddick. Quel-
ques mois plus tard, le 16 décembre, Abbas-Hilmi,
à la suite de difficultés avec les Turcs, quitta Cons-
lantinople, et, — au moment même où le gouverne-
ment britannique proclamait sa déchéance comme
khédive d'Egypte, — il alla s'installer à 'Vienne pour
plusieurs mois. A Vienne, le souverain déchu, de-
venu l'irréconciliable adversaire de l'Angleterre et
de la France, avait des entrevues nombreuses avec
l'ambassadeur d'Allemagne, von Tchirsky. Et, à par-
tir de juillet 1915, Abbas-Hilmi s'installa en Suisse,
en très actif et très dévoué agent de l'Allemagne.
De décembre 1914 à octobre 1915, pendant les
séjours de l'ex-khédive h Vienne et en Suisse, Bolo
alla trois fois en Italie et six fois en Suisse, se ren-
contrant, k chacun de ses voyages, avec Abbas-Hilmi
ou avec l'un de ses représentants, alors que, pen-
dant la même période, une correspondance, rédigée
en termes de convention, s'échangeait entre Abbas-
Hilmi, celui qu'il avait fait pacha et un autre aven-
turier, Cavallini, ancien député italien, qui, en 1898,
avait eu de très graves démêlés avec la justice de
son pays.
A Genève, en février 1915, Bolo proposa l'acqui-
sition d'un grand nombre de journaux français et,
au besoin, la création, chez nous, de nouveaux jour-
naux, dans le but d'agir sur l'opinion publique en
un sens favorable à l'Allemagne : Saddick partit
pour Berlin.
Von Jagow, ministre des afi'aires étrangères alle-
mand, approuva l'idée et promit dix millions, à rai-
son d'un million par mois. Mais Bolo fit porter, par
Saddick, celte réponse à von Jagow : les deux pre-
miers versements devaient être au moins de deux
millions, si l'on voulait obtenir un résullat sérieux.
Dès son retour de Berlin, Saddick télégraphia à
Cavallini qu'il était « entièrement satisfait ».
Le 26 mais 1915, Abbas-Hilmi recevait de l'Alle-
magne, par la voie de la « Deutsche Bank », en trois
chèques, une somme totale de 2 millions de marks
et, quelques jours après, le 1<"' avril, partie de cette
somme (1 million au moins) était, k Paris, par
Cavallini, après retrait fait au Crédit lyonnais, re-
mise aux mains de Bolo.
La deuxième mensualité de 2 millions, que von
Jagow avait promise, parvint à l'ancien souverain
d'Egypte le 30 avril, en trois nouveaux chèques
identiques.
L'emploi de ces deux autres millions n'a pu être
complètement déterminé, et il a été impossible de
savoir si Bolo en avait eu sa part, la part qu'il
convoitait.
En tout cas, Bolo avait déjà engagé du Mesnil,
directeur du Rappel, k reprendre la publication de
ce journal, qui ne paraissait plus depuis la guerre;
et,le 17 avril 1915, il avait souscrit pour 1.500 actions
nouvelles (à 100 francs) sur 3.000 qui venaient d'être
créées.
Quelques jours après, en mai 1915, Sylvain, vice-
président du conseil d'administration du Figaro,
était indirectement sollicité, par Cavallini et Sad-
dick, qui, k n'importe quel prix, voulaient acheter
au moins 500 actions de son journal.
Porchère, un ancien principal clerc d'avoué, en
dernier lieu expert piès le tribunal de la Seine,
avait, dès mars 1915, servi d'intermédiaire pour
une importante partie de la correspondance mysté-
rieuse entre Bolo, Cavallini et Saddick. En outre,
par deux fois, en juillet et en octobre 1915, Bolo
confia k Porchère des missions en Suisse con-
cernant le khédive déchu.
LAROUSSE MENSUEL
Quoi qu'il en soit, l'Allemagne n'en avait pas
pour son argent : la mainmise sur un certain nom-
lire d'actions du Hup/'Cl et une tentative d'achat
d'actions du Figaro, c était peu pour quatre millions
de marks. Mais c'est à Abbas-Hilmi que nos enne-
mis demandèrent des comptes. Et, audacieusement,
Bolo, qui demeurait insoupçonné par l'Allemagne,
se lança par une autre voie, en dehors de l'ex-
khédive, en dehors de son entourage et selon de
nouveaux plans, dans une autre aventure de plus
vaste ampleur : apporter aux puissances centrales
l'un des quotidiens de France les plus répandus :
le Journal.
Le Journal était alors dirigé par le sénateur
Charles Humbert, vice-président de la commission
de l'armée au Sénat, signataire d'ardents articles
sur ce thème patriotique : « des canons I... des
munitions!... »
Charles Humbert venait d'acquérir le Journal
grice à de louches commanditaires et associés,
Desouches et Lenoir : ils paraissaient avoir reçu
de l'Allemagne les fonds qu'ils avaient fournis.
Charles Humbert cherchait à se débarrasser de
Desouches et de Lenoir en acquérant la majorité
des aclions qu'ils détenaient; miiis, dans sa recher-
che des fortes sommes d'argent qui lui étaient pour
cela nécessaires, il allait, grâce aux manœuvres de
Bolo, devenir une seconde fois le commandité de
l'Allemagne, qui tenait à ce que le Journal ne lui
échappât point.
A deux reprises, en août et en décembre 1915,
Bolo fit à Charles Humbert des ouvertures en vue
d'un placement de fonds dans le Journal. Ses offres
ne furent agréées qu'en janvier 1916.
Le 30 janvier 1916, un contrat d'association en
participation intervenait à propos du Journal entre
Charles Humbert et Bolo, aux ternies duquel ce der-
nier devait apporter une somme de 5.500.000 francs,
dont un million à verser avant le 25 février suivant.
Il s'agissait, dès lors, pour Bolo, d'obtenir les
fonds qui lui permettraient l'exécution de ses obli-
gations, sans parler de ceux représentant le prix de
ses services.
Le 21 février 1916, Bolo débarqua en Amérique,
k New- York, muni de son contrat avec Charles
Humbert.
Toutde suite, il vit un financier allemand, Pavens-
tedt, directeur de la banque locale « Amsinck et C" ».
11 insistait sur l'urgente nécessité
de s'acquitter de son engagement
envers Charles Humbert; il parlait
de son intention d'acheter d autres
journaux. « Pour la paix rapide »,
disait-il, il lui fallait dix millions.
Mis au courant par Pavenstedt,
le comte BernstorfT, ambassadeur
d'Allemagne à 'Washinff ton, trouva
l'allaire intéressante. Dis les jour-
nées suivantes, il entrait à ce sujet en
correspondance, par câblogrammes,
avec son chef, von Jagow, k Berlin.
Et le résultat fut des plus prompts.
Neuf millions de marks furent ver-
sés en six fois, du 1 3 mars au 1 ='' avril
1916, d'ordre de la « Deutsche Bank »
de Berlin, à la banque « Amsink » ;
mais ils ne firent quepasser par cette
dernière : ils s'en allèrent, le même
jour, à la «Royal Bank of Canada»,
— conformément aux instructions
mêmes que Bolo avait données par
une lettre en date du 6 mars, et de
là à la Banque Morgan, d'où, après
versement d'un million au crédit de
Charles Humbert, Bolo les fit trans-
férer en France, à sa disposition.
L'enquête menée en Amérique, en
1917, par l'attorney général de l'Etat
de New-York, les câblogrammes
entre von Jagow et Beinslorff inter-
ceptés par le gouvernement améri-
cain, le mouvement des fonds cor-
respondants constaté dans les ban-
ques ont permis de reconstituer, en
quelque sorte heure par heure,
toutes les phases de l'opération cri-
minelle conclue en Amérique par
Bolo avec le gouvernement allemand. Charles Hum-
bert a reçu de Bolo l'intégralité des 5.500.000 francs
convenus ; mais, du surplus des millions, qu'a fait
Bolo •?
U parais bien certain qu'il a gardé pour lui une
part des millions de l'ennemi : aussi bien de ceux
qu'il a reçus par l'Amérique que de ceux qui avaient
passé par la Suisse.
Peu importe : Bolo n'en a pas moins, par ses trac-
tations avec l'Allemagne, commis par deux fois le
crime de trahison. El il a si bien symbolisé la propa-
gande du pacifisme que le grand homme d'Etat an-
glais Lloyd George a appliqué le nom de boloïsme
aux campagnes de suggestions déprimantes.
Le procès Bolo a occupé dix audiences.
A tous les chefs d'accusation Bolo opposait des
dénégations.
/V- 136. Juin 197S
A propos de l'affaire de Suisse, il a reconnu que
Cavallini lui avait apporté à Paris, le 1"'' avril 1915,
un million, mais tout en affirmant que c'était le rem-
boursement d'un prêt qu'il avait fait à Abbas-lliliiii.
A propos de l'affaire d'Amérique, il a soutenu que,
s'il avait touché de l'argent provenant de la banque
Amsink, c'est qu'il y avait en dépôt sa forlune,
venue, depuis 191 i, de banques d'Anvers et de Ham-
bourg. Et il qualifiait de faux les câblogrammes pro-
duits : c'était là, selon lui, une abominable machi-
nation, que, pour le perdre, avait Iramce l'Alle-
magne, celle-ci redoutant en lui l'un des plus vail-
lants champions de la cause française.
Contre les faits, contre les documents, Bolo pro-
testa avec de grands gestes, mais toujours sans un
mot de révolte sincère. D'un bout k l'autre des
débats, pendant le lent défilé des témoins, il demeura
prétentieux, plein de suffisance et d'inconscience.
Cependant, il parut ressentir quelque émotion, lors-
que, en une déposition-plaidoyer, son frère, Mb'' Bolo,
protonotaire apostolique, prédicateur mondain des
plus goûtés, vint — très grand, très droit, très pâle,
— faire tenacement face à l'accusation.
A la fin, se dressa au siège du ministère public,
— âpre, convaincu, éloquent, — le commissaire du
gouvernement, André Mornet, avocat général près
la Cour de Paris, mobilisé comme lieutenant. « C'est
sans hésitation, c'est de toute mon âme, c'est de tout
mon amour pour la patrie que je vous demande
contre Bolo l'implacable châtiment! » s'écria-t-il en
sa vibrante péroraison, que saluèrent des applaudis-
sements de l'auditoire.
M« Albert Salle, membre du conseil de l'ordre
des avocats, avait été commis d'office pour la dé-
l'ense. Ardemment, consciencieusement, en une
magistrale argumentation de grand avocat, il tenta
de sauver Bolo.
Le 14 février, le conseil de guerre affirmait, à
l'unanimité sur toutes les questions, la culpabilité
de Bolo et celle de Cavallini, et, à l'unanimité, il
condamnait Bolo et Cavallini à la peine de mort.
Quant à Porchère, pour lequel l'accusation s'était
réduite, au cours des débats, à de simples « faits
de commerce avec l'ennemi », il était frappé de
trois ans d'emprisonnement.
L'exécution de Bolo avait été fixée au 8 avril,
lorsque, la veille, le condamné annonça qu'il avait
à faire à la justice des déclarations intéressant des
Darkon : a, sbirimain Netzoumi; b. maru ncriina: r, kcdi8&un«.
informations en cours. Sursis à l'exécution fut
ordonné.
Quelques jours après, le 16 avril, le dossier des
enquêtes et des opérations déterminées par les dé-
clarations de Bolo, régulièrement recueillies, élait
clos et transmis au gouvernement mililaire de Paris.
Celui-ci prescrivit que la justice suivit son cours.
Dès le lendemain 17, au polygone de Vincennes,
Bolo élait fusillé. — M» Laurent.
daïkon (mot japonais) n. m. Espèce de cruci-
fère, appartenant au genre radis {raphanus), im-
portée d Orient et qui est à la fois une plante pota-
gère et une plante fourragère.
— Encycl. Le daïkon ou radis du Japon fut in-
troduit en Europe en 1881 : mais les essais de culture
qu'on en fit n'eurent pas grand retentissement. En
«• 136 Juin 1918.
1906, li. de Notter en préconisa la culture comme
plante & la fois fourragi're et polaBéie. Les racines
peuvent être consommées crues \k la manière des
radis) ou cuites (connue les navets); les feuilles
sont bien acceptées par le gros el le menu bétail
iJes diverses variétés de daïkoii {ra/)lianun salivtts)
celles dénommées shirimain Netzuumi, maru ne-
rima, kedissune, seraient, d'après Bois, des plus pro-
ductives.
On sème en juiUel-aoflt en rayons espacés de
60 à 80 centimètres; les graines sont recouvertes
d'un centimètre de terre, et la germination a lieu
quatre ou cinq jours après. La récolte se fait à
l'aulomne (novembre).
Les racines de da'ikon atteignent des proportions
énormes, et il en est dont le poids dépasse 10 kilo-
grammes. Au Japon, on estime surtout les variétés
qui fournissent les racines les plus volumineuses.
Depuis l'antiquité la plus reculée, les da'ikons ont
teim une large place dans l'alimentation du peuple
japonais, qui consacre à leur culture de vastes sur-
faces. Ces cultures sont des cultures dérobées et
succèdent à une céréale (blé, riz), à une légumi-
neuse (pois, fève), au chanvre, etc. D'ailleurs, la
plante ne réclame pas plus de soins culturaux que
le navel; toute terre à blé lui convient; il faut, ce-
pendant, éviter les sols lourds et compacts.
Dans les contrées où le froid n'est jamais très
grand, les racines peuvent être arrachées lors de
leur utilisation; mais, dans les régions à climat ri-
goureux, on procède à l'arrachage aussitôt après les
premières gelées blanches, et l'on mettes racines
en silos ou en cave fraîche. Un triage a mis de
côté pour la consommation familiale les plus grosses
racines, tandis que les petits daikons seront donnés
aux animaux. Les feuilles elles-mêmes de la plante
peuvent constituer un excellent fourrage, dont les
lapins se montrent friands. — J. de CuioN.
* Durklieim (David-Emi/e), sociologue fran-
çais, né à Kpinal (Vosges) le 15 avril 1858. — Il est
mort à Paris le 15 novembre 1917. E. Dnrkheim fut
élève du collège de sa ville natale, puis du lycée
Louis-le-Grand (Paris), entra à l'Ecole normale su-
périeure avec le numéro 11 (le premier était Doumic
et le deuxième Pierre Janet), et fut reçu septième,
en 1882, au concours d'agrégation de philosophie. H
passa peu de temps dans l'enseignement secondaire,
professa la philosophie successivement aux lycées de
Sens, de Saint-Quentin et de Troyes, et prit ensuite,
pendant l'année scolaire 1885-1S86, un congé qu'il
passa mi-partie à Paris, mi-parlie en Allemagne. A
la suite de son voyage, il publia dans la « Revue
philosophique » des articles remarqués, qui lui va-
lurent d'être chargé d'un cours de science sociale
et de pédagogie à la faculté des lettres de Bordeaux
(1887). Ce l'ut le premier cours de sociologie ouvert
dans l'Université de France. 11 soutint ses thèses de
doctorat es lettres à Paris, en 1893, et fut nommé
firofesseur tilulaire à Bordeaux, en 1896. Le 24 juil-
el 1902, il fut appelé à la Sorbonne comme chargé
du cours de science de l'éducation. Ferdinand
Buisson, qu'il suppléait, fut admis à l'honorariat le
17 janvier 1906, et Durkheim devint professeur en
titre de science de l'éducation le 27 juillet 1906. 11
enseignait parallèlement la sociologie et la péda-
gogie, deux sciences étroitement liées, l'éducation
ayant ■■ justement pour objet de faire l'être social ».
Il a professé aussi à l'Ecole des hautes études
sociales, fait partie du conseil de l'université de
Paris et du comité consultatif de l'enseignement
supérieur.
Son premier article de la « Revue philosophique »,
tes Eludes récentes de sciences sociales (1886),
contient déjà quelques-unes de ses idées essen-
tielles. 11 y réfute la sociologie de Spencer et est
amené à établir sa fameuse opposition entre l'indi-
viduel et le social. En prenant jusqu'ici pour point
de départ la psychologie individuelle, la sociologie
a fait fausse route. Il est temps de l'édifier sur une
base plus objective et d'en faire une véritable
science. — Dans les trois articles de 1887 ayant
pour titre la Science positive de la morale en Âlle-
mngne, il définit la morale « la science des mœurs ».
Elle n'c'it donc pas une « chose en soi », et n'est pas
justiciable de la dialectique. « Il y a autant de mo-
rales que de types sociaux ». Nous devons respecter
la morale actuelle, produit d'une adaptation sécu-
laire à nos besoins. Mais il viendra, sans doute, un
jour où la science de la morale sera assez avancée
pour que la théorie puisse régler la pratique.
A Bordeaux, Durkheim prit pour sujet de son
premier cours « la division du travail social ». De là
devait sortir sa thèse de doctorat. En 1888-1889, il
étudia la famille, et sa leçon d'ouverture. Introduc-
tion à la lociologie de la famille, fut publiée dans
les « Annales de la faculté des lettres de Bordeaux »
(1889). Il s'y efforce de classer scicntiliquement les
types familiaux, en prenant pour base la constitution
juridique de la famille et, plus spécialement, le
droit successoral.
Sa thèse laiine de doctorat, Quid Secondatns
voliticm scientix instiluend:R conluleril (« Ce qu'a
fait Montesquieu pour fonder la science politique,
UIROUSSE UëNSUEL. — IV.
Emile Durkheim.
LAROUSSE MENSUEL
Bordeaux, 1892 »), nous présenie en Montesquieu
l'ancêtre de la sociologie. Durkheim le loue d'avoir
étudié les faits politiques comme des « choses », el
d'avoir replacé l'homme dans la nature. — La thèse
française, I)e la division du travail social, étude
sur l'organisatiiin des sociétés supérieures (Paris,
1893), est un énorme volume de plus de 400 pages.
L'auteur s'est demandé : « Comment se fait-il que,
tout en devenant plus autonome, l'individu dépende
plus étroitement de la société'? Comment peut-il
être tout à la fois plus personnel et plus solidaire? »
Et voici sa réponse :
Il nous a paru que ce qui résolvait cette appareoto an-
tinomie, c'est une transformation de la solidarité sociale,
duo au développement toujours plus considérable de la
division du travail... Les natures mdividuelles, en se spé-
cialisant, deviennent plus complexes et, par cela même,
sont soustraites en partie à l'action collective et aux
iniluences licrèditaires qui ne peuvent guère s'exercer
que sur les choses simples et générales.
Ce travail considérable est un essai de morale
sociale d'après des principes tout nouveaux. La
moralité a pourcritérium la désapprobation sociale.
Un crime est ce qui froisse les sentiments forts,
définis, qui se trouvent chez tous les individus nor-
maux de la société considérée. Ce n'est point du
tout ce qui constitue un danger social. La peine est
la vengeance de
la société. L'hé-
roïsme, le dé-
vouement ne sont
pas moraux. Ils
sont un luxe et
relèvent du do-
maine de l'art. La
division du tra-
vail est morale,
«car les besoins
d'ordre, d'har-
monie, de solida-
rité sociale pas-
sent générale-
ment pour être
moraux ». Le di-
lettantisme indi-
vidualiste est au
contraire immo-
ral,puisqu'illend
à ruiner la soli-
darité sociale. Un moyen efficace d'augmenter la
cohésion sociale et, par conséquent, d'élever la mo-
ralité, est de favoriser les groupements profession-
nels. Cette dernière idée, d'ordre pratique, a été
développée par Durkheim dans la préface qu'il a
mise en tête de la seconde édition de sa thèse (1902).
Ces vues originales et audacieuses scandalisèrent
tout d'abord la plupart des philosophes universi-
taires. Durkheim affirma sa doctrine et répondit
aux objections dans une série d'articles de la n Re-
vue philosophique », en 1894, réunis en volume
vers la fin de la même année, sous le litre : Régies
de la méthode sociologique. Il y définit ses postu-
lats avec force et clarté : Les faits sociaux sont des
i( choses » et doivent être traités comme des
0 choses » pour devenir objets de science. Ils sont
extérieurs et hétérogènes aux individus : <i La syn-
thèse sui generis, qui constitue toute société, dé-
gage des phénomènes nouveaux, différents de ceux
qui se passent dans les consciences solitaires. »
(Cf. l'article : Représentations individuelles et re-
présentations collectives, dans la « Revue de mé-
taphysique et de morale », année 1898.) Ce sont.des
K manières d'être ou de penser, reconnaissables à
cette particularité qu'elles sont susceptibles d'exer-
cer sur les consciences particulières une influence
coercitive ». On doit renoncer à expliquer les faits
sociaux par la psychologie et substituer la science
des II choses « aux spéculations arbitraires sur des
idées in.lividuelles. Si l'on appelle institutions
II tontes les croyances et tous les modes de conduite
institués par la collectivité », on peut définir la so-
ciologie : Il la science des institutions, de leur ge-
nèse et de leur fonctionnement. »
La sociologie, ainsi comprise, fut critiquée par
Tarde dans la « Revue philosophique » (1895). La
théorie, qui fait du social une sorte d'entité étran-
gère et supérieure à l'individuel, lui paraissait un
retour à la scolastique. Durkheim lui répliqua avec
vivacité dans la même revue. (V. aussi ce qu il dit de
Tarde dans la n Revue bleue» des 19 et 26 mai 1900.)
Une autre réponse fut la publication, en 1897, d'un
gros livre de 462 pages, le Suicide, étude de socio-
logie, sorti d'un cours professé à Bordeaux, où les
principes el la méthode propres à l'auteur sont
appliqués à un phénomène social particulièrement
intéressant. Durkheim y soumet à une interpréta-
tion critique les statistiques concernant la mort
volontaire. Aucune cause individuelle (imitation,
hérédité, alcoolisme, folie, etc.), aucun facteur cos-
mique (latitude, climat, saison, etc.) ne peut expli-
quer la constance des chiffres. Le suicide a une
cause sociale : plus rare dans les sociétés fortement
intégrées, il se multiplie dans celles où l'individua-
lisme domine, où l'adaptation au milieu est insufii-
469
samment réalisée. Il présente un taux inquiétant k
l'époque actuelle. Notre état social manque donc de
cohésion. Concluons, encore une fois, qu'il faut fa-
voriser les groupements corporatifs.
En 1897, parut le premier volume de « l'Année
sociologique », recueil périodique de comptes ren-
dus des ouvrages récents relatifs aux sciences so-
ciales. Durkheim, directeur de la publication, s'y
était réservé l'analyse des ouvrages concernant le
droit familial et matrimonial, Te droit criminel,
les faits moraux, religieux et logiques. Les deux
premières années contiennent, en outre, des
études originales, dont les suivantes sont signées
de Durkheim : la Prohibition de l'inceste el ses
origines (ludl); Deux lois de l'évolution pénale
(1900); Sur le totémisme {\90l) ; De quelques /or-
mes primitives de classi/icalion : contribution à
l'étude des représentations collectives, en collabo-
ration avec Mauss (1902); Sur /'or^anisa/ion ma-
trimoniule des sociétés australiennes (1904).
Les autres rédacteurs de « l'Année sociologique »
étaient Meillel, Mauss, Hubert, Bougie. I.apie, Hu-
velin, Lévy, etc. Le travail sur les origines de l'in-
ceste est remarquablement ingénieux : Dans les
sociétés primitives, pratiquant le totémisme, le sang
de la femme est tabou pour les hommes de sa tribu.
Elle ne peut donc s'unir qu'à un homme d'une autre
tribu. D'où l'institution de Vexogamie et la sépara-
tion absolue entre la vie familiale, qui impose des
devoirs, et la vie passionnelle, autorisée seulement
en dehors de la famille. De là aussi
ce mystère dont, à tort ou à raison, nous aimons à en-
tourer la femme, cet inconnu que chaquo sexe est pour
l'autre, et qui fait peut-être le charme principal de leur
commerce, cette curiosité très spéciale qui est un des
plus puissants stimulants de la brigue amoureuse, toute
sorte d'idées et d usages qui sont devenus un des délas-
sements de l'existence...
Les premières recherches de Durkheim avaient
porté sur les institutions juridiques; les dernières
ont eu pour objets des faits religieux et ont abouti
à son dernier grand ouvrage : les Formes élémen-
taires de la vie religieuse : le système totémique en
Australie (1912). Il croit que les faits sociaux pri-
mitifs ont un caractère religieux, que la morale el
le droit dérivent de la religion et que les formes
les plus hautes des religions modernes sont issues
du totémisme.
Ses communications à la Société française de
philosophie {« Bulletin » d'avril et mai 1906 : la
Déternùnalion du /'ait moral; de mai 1908 : la Mo-
rale positive, examen de quelques difficultés; de
juillet 1909 : l'Efficacité des doctrines morales),
ainsi que les discussions qui les ont accompagnées,
ne peuvent être passées sous silence. Détachons-en
ces deux phrases sur la morale et la religion :
S'il existe une morale, un système de devoirs et d'obli-
gations, il faut que la société soit une personne morale
qualitativement distincte des personnes individuelles
qu'elle comprend et de la synthèse desquelles elle résulte.
Je ne vois dans la divinité que la société transfigurée
et pensée symboliquement.
11 faut signaler aussi sa conception dogmatique
de l'histoire, contraire au crilicisme sceptique de
son collègue Seignobos (« Bulletin de la Société
française de philosophie », juin 1908 : l'Inconnu el
l'Inconscient en histoire). — Dans l'article de la
Il Revue de métaphysique et de morale » intitulé
Sociologie religieuse et théorie de la connaissance
(1909), il se fait fort d'expliquer par des causes so-
ciales la genèse des catégorie qui dominent notre
pensée et d'échapper ainsi aux difficultés du ratio-
nalisme comme de l'empirisme. — Il a montré, dans
la n Revue bleue » des 19 et 26 mai 1909, l'origine
française de la sociologie. — Citons, enfin, Socio-
logie et scietices sociales (De la méthode dans la
philosophie des sciences, 1910), et la Sociologie [la
Sciettce française, 1915).
D'abord froidement accueillie, la doctrine de
Durkheim compte aujourd'hui des partisans et
des adversaires également passionnés. On loue
généralement son accent convaincu et l'ampleur
oratoire de son style. Un de ses principaux disci-
ples est Lévy-Bruhl, qui a succédé à Boutroux dans
la chaii-e d'histoire de la philosophie moderne à la
Sorbonne.
La guerre actuelle l'a douloureusement frappé en
la personne de son flis, disparu en 1915 pendant la
retraite de Serbie. Il a étudié l'origine du conflit en
collaboration avec son collègue l'historien E. Denis :
Qui a voulu la guerre? Les Origines de la guerre,
d'apr'es les documents diplomatiques (1915). 11 con-
clut à la culpabilité de l'Allemagne et à la complicité
de l'Autriche. — Maurice Enocb.
eutbanasle (na-tt — du gr. eu, bien, et iha-
natos, mort) n. f. Mort sans souffrances.
— Encycl. L'euthanasie peut êire naturelle. Elle
peut également être provoquée dans le but de faire
cesser les souffrances d'un malade. C'est de ce der-
nier point de vue seul que nous nous occuperons.
L'euthanasie provoquée se trouve à la base de
certaines coutumes que Ion relève soit chez des peu-
ples de l'antiquité, soit chez des peuplades actuelles
18*
470
peu civilisées. La coutume Spartiate de jeter dans
l'Eurotas les enfants maladifs ou mal conformés
s'y rattache en quelque manière. Valère Maxime
raconte qu'à Marseille, il existe un endroit où l'on
conserve un breuvage empoisonné à la disposition
de ceux qui, après avoir justifié leur dessein devant
le sénat de la ville, désirent mourir tranquillement,
s'estimant, par exemple, trop malheureux en cette
vie. On aurait bu, d"après Strabon, un mélange ana-
logue dans l'île de Gos, en semblable circonstance.
Toutes ces histoires paraissent un peu sujettes k
caution. D'autre part, il n'est pas douteux que, chez
les Fuégiens, dans certaines tribus d'Esquimaux ou
de Polynésiens, chez quelques autres peuples infé-
rieurs encore, on supprime volontiers les vieillards
devenu impotents, mais il y a probablement à cette
coutume des raisons beaucoup plus économiques
que sentimentales.
L'euthanasie a trouvé bon nombre de défenseurs,
qui sont surtout, comme le fait justement remar-
quer Sicard, des littérateurs ou des utopistes. Mé-
diocre est le nombre de médecins qui se rangent à
cette façon de voir. 11 faut, d'ailleurs, faire deux
classes dans ces partisans de la mort sans souf-
france. Les uns la préconisent pour tous ceux à qui
la vie est à charge et sont, par conséquent, de façon
plus ou moins déguisée, les apôtres du suicide, car
il est difficile d'admettre que, si un malade n'est pas
impuissant, il confie à d'autres le soin de faire cesser
sa vie et ses douleurs, lorsqu'il le peut faire lui-
même. La seconde façon d'envisager le problème
est la plus récente. Elle consiste à dire que l'agonie
est une épouvantable torture, qu'il sied d'éviter à
tous ceux qui sont reconnus incurables. Faire cesser
les douleurs de cette radicale façon est un geste
d'humanité, que quelques-uns voudraient même
obligatoire. Thomas Morus et Bacon sont, dans les
siècles précédents, les grands avocats de cette cause.
On dit que Cabanis et Antoine Petit, sur la de-
mande de Mirabeau mourant, lui administrèrent de
l'opium jusqu'à ce qu'il eût cessé de vivre. De nos
jours, on cite surtout, dans le camp des euthana-
sistes, Billon (1820), Lionnel Tollemache (1873), le
Dr Gregory et enfin Maurice Maeterlinck. Celui-ci
souhaite, dans son beau livre de la Mort, qu'un jour
vienne où le médecin cessera de considérer comme
son devoir « de mener aussi loin que possible les
convulsions les plus atroces de l'agonie la plus dé-
sespérée ». Il déclare appeler de ses vœux l'époque
« où ce préjugé nous paraîtra barbare » et <i où la
science se retournera contre son erreur et n'hési-
tera plus à raccourcir nos disgrâces ».
Jusqu'ici, nous n'en sommes qu'aux paroles, mais
les actes n'ont pas manqué de suivre « Depuis
dix ans, dit Sicard, cinq projets de loi ont été sou-
mis à la législature de l'ancien et du nouveau
monde, demandant le droit légal à l'euthanasie ».
Citons, notamment, un projet de loi présenté au
Parlement saxon en 1903 et repoussé ; en 1906, un
bill accepté en première lecture par la législalure
de l'Ohio, et un autre à la législature de l'Iowa, tous
deux combattus auParlement de New-Yorlt ; en 1912,
un projet de loi présenté au Parlement de 'Washing-
ton. Parmi les faits individuels, nous mentionnerons
la mort par chloroforme, demandée et obtenue par
une quakeresse de Floride, la demande en autori-
sation d'euthanasie déposée devant les juges de
New-York par Sarah Harris, le meurtre, par son
mari, d'une femme atteinte de douleurs atroces.
Le dernier fait est d'hier : il concerne un médecin
de Chicago, qui aurait fait empoisonner par sa mère
un enfant qu'il avait déclaré absolument incurable
et prédestiné à une vie de souflrances.
Les médecins de Chicago ont désavoué leur con-
frère. Cela ne nous surprend pas; car, abstraction
faire de quelques noms que nous avons prononcés,
le corps médical s'est toujours posé en adversaire
de cette dangereuse théorie. On peut déjà citer, à
cet égard, l'exemple d'Ambroise Paré, protestant
contre les soldats qui achevaient leurs camarades
grièvement blessés, ou celui de Desgenettes, refusant
d'obéir au Piemier Consul, lequel lui ordonnait
d'achever par l'opium à haute dose les soldats qui
avaient contracté la peste en Egypte. De nos jours,
ce sont encore des médecins qui ont le plus vive-
ment combattu les théoriciens de l'euthanasie.
Nous citerons, notamment, un petitlivre du D"' Guer-
monprez sur V« assassinat médical », une thèse du
D' Sicard (de Marseille) et un article de la « Presse
médicale» (19 février 1913} en réponse au passage
cité de Maeterlinck.
Les arguments des adversaires de l'euthanasie
sont de plusieurs ordres. Nous passerons sur ceux
qui relèvent de la philosophie, et nous nous atta-
cherons surtout au côté scientifique delà discussion.
En premier lieu, il faudrait, disent-ils, savoir
exactement ce qu'est l'agonie, Si l'on n'entend
par ce mot que les derniers instants du malade,
ceux où toute conscience est abolie chez lui, il
est bien inutile d'intervenir, puisqu'il ne saurait
y avoir de souffrance sans conscience. Si l'on
donne au mot agonie un sens plus étendu, nous
ne pouvons plus être sûrs que la mort est inévi-
table. Nous le sommes . encore moins si nous
LAROUSSE MENSUEL
consentons à appliquer l'euthanasie à tous les
malades dont les souffrances seules nous parais-
sent incurables, même lorsque leur vie n'est pas
absolument en danger.
En effet, la science, à l'heure actuelle, n'est pas
en état de poser des diagnostics, ni, à plus forte
raison, d'émettre des pronostics qui soient certai-
nement infaillibles. Les cas sont fréquents de ma-
lades irrévocablement condamnés et qui ne sont
pas morts. Les erreurs de diagnostic ne sont pas
rares, par exemple, dans le cancer, une des
maladies réputées les plus impitoyables. Nous
connaissons depuis quelques années des tumeurs
inflammatoires prises pour des cancers, en ayant la
symptomatologie et qui ont bel et bien guéri. Les
" rescapés » de la médecine ne se comptent pas.
Nous ne pouvons donc tabler sur rien d'absolu qui
nous dise dans quels cas l'euthanasie ne serait
sûrement pas un meurtre scientifique.
D'autre part, nous ignorons, en admettant que
le diagnostic soit irrépréhensible, si, entre le mo-
ment où nous décidons notre acte et l'heure où le
malade mourrait sans intervention, on ne décou-
vrira pas une méthode thérapeutique susceptible
de le guérir ou, du moins, de le laisser vivre sans
souffrances. Savons-nous quelles seront les res-
sources curatives de demain ? 11 est telles souf-
«0 136, Juin 1918.
Finances de la guerre. {Quatrième an-
née.) France. — Pendant le temps que dura la
présence de Ribot au ministère des finances, des
crédits provisoires furent régulièrement demandés
tous les trois mois au Parlement pour le trimestre
suivant. Les crédits couvraient toutes les dépenses,
tant pour la guerre que pour les services civils.
KIotz, successeur de Ribot, rompit avec cette tra-
dition et fit adopter par les Chambres une nouvelle
méthode. Un budget fut institué, comprenant les
dépenses ordinaires que le pays aurait à supporter en
période normale et devant faire l'objet d'un vote pour
l'année entière. Les autres dépenses furent englobées
dans des évaluations provisoires, pourlesquelles des
crédits continueraient à être demandés tous les trois
mois. En résumé, un budget annuel pour les dé-
penses civiles permanentes et quatre demandes par
an de douzièmes provisoires pour les dépenses de
guerre, tel est le système que KIotz a fait adopter
par nos Chambres, dans les premiers mois de 1918.
Le système présente cet avant-age qu'il fait res-
sortir avec une clarté saisissante, brutale, les consé-
quences financières pour le pays du terrible conflit où
il se trouve engagé et l'importance de l'effort qu'il lui
faut donner pour faire honneur à ces conséquences.
Pour le second trimestre de 1918, les crédits pro-
visoires demandés et votés se sont élevés à 10 mil-
En France, dans la cour d'Honneur des Invalides, à Paris ; les souscriptions à remprunt reçues dans la nacelle d'un zeppelin.
frances épouvanlables de la syphilis tertiaire qui
ont été singuliirement atténuées par les derniers
médicaments de la série arsenicale. On a parlé
des tortures ressenties par certains infortunés qui
sont, par suite d'une alteinte de la moelle, para-
lysés de la partie inférieure du corps. On peut
objecter qu'on a récemment suturé une moelle
coupée par un projectile et que cette audacieuse
opération a paru réussir pendant quelques jours ;
qui nous dit que la prochaine tentative ne sera
pas suivie d'un succès complet?
Reste l'argument que font valoir les médecins, à
rencontre du désir exprimé par tous les partisans
de l'euthanasie provoquée, que ce soient eux qui
soient chargés de la procurer. Ils se refusent à sortir
du triple devoir qui a été leur règle de tout temps :
guérir quelquefois, soulager souvent, consoler tou-
jours. Pourquoi, disent-ils, ne pas s'adresser aux
proches du malade, à ceux qui sont le plus atteints
par ces souffrances que l'on veut voir cesser ? Les
médecins ne détiennent pas des secrets tellement
exclusifs que nul autre qu'eux ne les puisse mettre
en oeuvre. Nous sommes là, déclarent-ils, pour
combattre la mort, non pour en hâter la venue.
C'est, au fond, le mot de Desgenettes : « Mon
devoir, à moi, c'est de conserver. »
En résumé, si l'on peut admettre, au point de vue
philosophique et humanitaire, que l'euthanasie soit
acceptable, ce ne pourrait être que dans des cas
extrêmement restreints, et ceux-ci sont impossibles
à fixer dans l'éfat actuel de la médecine. Les progrès
de cette dernière auront plutôt comme résultat de la
rendre inutile que de la légitimer. L'acte même ne
pourrait être admissible que le jour où le diagnostic
de la science serait reconnu infaillible. Nous n'en
sommes pas encore là. — D' Henri Boudoet.
liards 260 millions, soit 800 millions de plus que
pour le premier trimestre. Ce chiffre de plus de
10 milliards représente les dépenses pendant trois
mois pour les objets suivants : entrelien de plu-
sieurs millions d'hommes sous les drapeaux, solde,
alimentation, vêtements, etc.; fabrication du maté-
riel de guerre, service de santé, marine de guerre,
allocations aux familles des mobilisés, secours aux
réfugiés, réparation des dommages, relèvement du
taux de l'indemnité de combat, etc.
Le premier budget régulier qui ait été présenté
depuis la guerre au Parlement a donc été voté le
4 avril 1918 au Palais-Bourbon. Le total des crédits
pour dépenses permanentes en 1918 (les seules qui
y soient comprises) s'élève à 8.366 millions, dont
5.24'i millions pour le service de la dette publique,
1.980 millions pour les services généraux des minis-
tères et 1.049 millions pour les frais de régie et
de perception.
Le service de la dette publique absorbe, à lui
seul, à peu près 63 p. 100 (presque les deux tiers)
du total des dépenses. Le renchérissement du coût
de la vie a, naturellement, exercé son influence fâ-
cheuse sur le budget de 1918. 11 ne semble pas que
cette cause d'accroissement des dépenses ait encore
atteint le maximum de son action.
Pour faire face à ces dépenses permanentes, de-
venues énormes, par des ressources également per-
manentes, c'est-à-dire par le produit de la taxation,
on a superposé les régimes fiscaux les plus différents;
par exemple, l'impôt personnel sur le revenu (avec
des taux rapidement croissants) aux centimes dépar-
tementaux et communaux, qui subsistent sur des
«principaux «auxquels l'Etat, pour sa part, a renoncé.
KIotz a défini comme suit 1 étendue des sacrifices
dès maintenant exigés des contribuables. En dehors
/V 136. Juin 1918.
des anciens impôts existants, ils auront à payer un
ensemble de coutiibutious nouvelles ou accrues
s'èlevant à 1.800 millions, dont 1 milliard (succes-
sions, donations, timbres pour les payements, etc.),
k provenir de mesures votées dans la loi du 31 dé-
cembre 1917, une centaine de millions, que donnera
le relèvement du prix des tabacs, voté le 17 janvier
1918, et 700 millions à provenir de mesures votées
par la Chambre dans la loi de llnances.
Ces rendements s'entendent pour 1918. En temps
normal, les ressources de la première catégorie
donneront 1.400 millions, celles de la seconde
170 millions, celles de la troisième 987 millions;
ensemble, 2.537 millions. Tel est le montant, non
compris la contribution sur les bénélices de
guerre, que le budget de 1918 léguera, comme
surcroît de contributions permanentes, aux budgets
des exercices à venir.
Les dépenses totales de la France depuis le début
de la guerre jusqu'au 1" janvier 1918 ont donné
lieu à des votes successifs de crédits, dont voici le
tableau récapitulatif :
Cinq derniers mois de 19U. . . . Fr. 6.589 millions.
Exercice 1915 22.805 —
— I91C... 32.923 —
— 1917 40.368 —
Il a été fait face à ces dépenses par les ressources
suivantes :
Emprunts A long terme 5 p. 100 1915 et 1916. et
t p. 100 1917 Fr. 33 milliards.
Bons el obligations de la Défense na-
tionale 20 milliards.
Avances de la Banque à l'Etat U —
Bons négociés en Angleterre 8 —
Emprunts aux Etats-Unis 6 —
Le total des crédits votés est de 102 milliards,
celui des ressources créées de 80 milliards. L'écart
provient du fait que, d'une part, sur les 102 mil-
liards de crédits, 10 sont afférents aux dépenses du
premier tiimestre de 1918 qui ne sont pas en ques-
tion ici et que, de l'autre, une douzaine de mil-
liards sont afférents à des dépenses engagées jusqu'à
fin 1917, mais non encore soldées à celte date.
Dans le premier triij)e3tre de 1918, des versements
sesont effectués sur l'emprunt 191 'i; les souscrip-
tions aux bons de la Délcnse nationale se sont con-
tinuées; de nouvelles avances ont été faites par la
Banque de France, des sommes nouvelles ont été
mises, par les Etats-Unis, à la disposition du Tré-
sor français.
L'emprunt en rentes françaises i p. 100, émis
en novembre 1917, a produit un capital nominal
de l'i.588 millions. C'est la somme que le Trésor
aurait effectivement encaissée si le taux d'émission
avait été le pair, soit 100 p. 100. Mais ce taux ayant
été de 68 p. 100, le rendement effectif de l'emprunt
n'a été que de 68 p. loO de l'i.388 millions, c'est-
ii-dire 9.9iO millions, exigeant pour le service d'in-
térêt une annuité de 590 millions.
Au cours du premier trimestre de 1918, les Cham-
bres ont voté, sur la demande du gouvernement, un
relèvement temporaire des tarifs sur les grands ré-
seaux des Compagnies de chemins de fer et sur
celui de l'Etat, jusqu'à concurrence d'une limite
dépassant de 25 p. 100 au plus les maxima inscrits
dans les cahiers des charges. Ce relèvement, malgré
l'importance du taux adopté, ne comblera, d'ailleurs,
qu'une faible partie du déficit considérable causé
parles événemenls, notamment par le relèvement
des salaires et par la hausse du combustible el
de toutes les matières, dans l'exploitation de nos
chemins de fer.
AxGLETERRK. — 'Voici quelles ont été les sommes
fournies au Trésor britannique, depuis le début de
la guerre, par tous les modes d'emprunt, y compris
les avances obtenues et les émissions effectuées aux
Etats-Unis :
MUlions
de francs.
Du 1" août 19U au 31 mars 1915 10.325
Année fiscale avril 1915 au 31 mars 1916. . 29.500
Année iiscale 1916-1917 41.000
Année fiscale 19n-19is 50.000
Total au 31 mars 1918 131.325
Ce total comprend toutes les sortes de dettes con-
tractées depuis la guerre, consolidées ou flottantes.
Pour représenter la totalité des engagements du
gouvernement britannique, il conviendrait, d'une
part, d'ajouter au montant ci-dessus celui de l'an-
cienne dette, antérieure & la guerre, de l'autre, de
déduire du total ainsi obtenu le montant des
avances faites par le Trésor britannique aux Domi-
nions et aux nations alliées, et qui devront être
remboursées.
Les 131 milliards de francs obtenus, depuis
le début de la guerre, par voie d'emprunt, ont cou-
vert non la totalité, mais la plus grande partie des
dépenses de la Grande-Bretagne. Le solde a été
couvert par le produit de la taxation ancienne et
nouvelle.
La taxation a tourni, en 1917, au Trésor britan-
nique une recette de 17 milliards de francs (contre
11 milliards en 1916, et environ. 5 milliards avant
LAROUSSE MENSUEL
la guerre). Les principales sources de revenu ont
donné : les douanes et l'accise, 3 milliards; les taxes
sur le revenu (income tax et superlax), 5 milliards
500 millions ; l'impôt sur les bénélices de guerre,
5.300 millions.
D'après le chancelier de l'Echiquier, Bonar Law,
la dette totale de l'Angleterre s'est élevée, fln
mars 1918 (clôture de l'année fiscale), à 150 milliards
de francs. Contractée au taux moyen de 4 3/4 p. 100,
elle exigera, comme charge d'intérêt, une annuité
de 7.200 millions de francs, soit une fois et demie
le budget total d'avant-guerre.
Au commencement de 1917, un gros emprunt
avait été émis en Angleterre, le troisième à long
terme depuis le début de la guerre. L'inlérêt était
de 5 p. luu, contre 4 1/2 p. 100 stipulé pour le pré-
cédent emprunt. Le résultat fut l'apport d'un capital
de 24 milliards de francs, en chiffre rond, obtenu
par une campagne de publicité très étendue, ayant
pour objet à la fois de pousser l'emprunt et d'encou-
rager le pays k l'économie.
Le résultat fut de réduire d'une façon sensible le
montant de la dette flottante de l'Angleterre. Après
la clôture de l'émission, il fut fait, en conséquence,
peu d'efforts pour attirer une quantité considérable
d'argentfrais.Ilfallait,
pensait-on, laisser ^'
écouler un certain
temps pour permettre
une nouvelle accumu-
lation de capitaux dis-
ponibles.
Il fut bien créé, en
avril 1917, un nouveau
type de bons 5 p. 100
de l'Echiquier, mais
ces titres ne pouvaient
être employés k leur
valeur au pair pour
être convertis en obli-
gations des futurs em-
prun Is de guerre,
avantage qui avait été
concédé aux émissions
précédentes de bous de
l'Echiquier. De plus,
étant offerts au pair,
ils ne pouvaient tenter
très vivement, parleur
rendement de 5 p. 100,
des capitalistes aux-
quels il était loisible
d'acheter su !■ le marché
des titres de l'emprunt
de guerre 5 p. 100 au-
dessous de 93.
L'obligation nou-
velle 5 p. 100 de l'Echi-
quier n'eut donc qu'un
succès d'estime.
D'avril k septembre
1917, il n'en l'ut vendu
que pour un peu plus
de 2 milliards de
francs, soit une
moyenne d'environ
130 millions de francs
par semaine.
Les besoins furent
couverts, pour une par-
tie plus ou moins im-
portante, par diverses
autres ressources de trésorerie: ventes de <• certi-
ficats d'économies de guerre », avances faites à
l'Angleterre par les Etals-Unis, ventes de traites
du Trésor, avances des « 'Voies et Moyens ».
Or, les dépenses ne cessaient de s'élever. Dans le
troisième trimestre de 1917, elles dépassèrent de
7.30 millions k 1 milliard de francs par semaine
l'ensemble des recettes. Il arriva donc que la detle
flottante, à la fin de ce trimestre, s'élevait à 30 mil-
liards de francs. A la même époque, la vente des
obligations 5 p. 100 de l'Echiquier, qui avait si peu
réussi, fut suspendue.
Les hommes qui avaient la responsabilité des
finances britanniques comprenaient combien il était
important que la detle flottante ne subit pas une
nouvelle augmentation. Il fallait découvrir une
forme d'emprunt qui pût être soutenue avec énergie
par toutes les classes de la population. Il n'était pas
possible de prévoir combien de temps la guerre
durerait encore.
D'avril k octobre 1917, la dépense moyenne quo-
tidienne s'éleva k 165 millions de francs. Dans le
second semestre de l'exercice fiscal clos le 31 mars
1918, la moyenne ne s'écarta guère du même chif-
fre, correspondant k une dépense totale, pour l'exer-
cice 1917-1918, de 55 k60 milliards de francs. Il était
k prévoir que le mouvement naturel d'accroissement
de la dépense porterait k 70 milliards de francs au
moins le total nécessaire pour l'exercice commencé
le 1«' avril 1918, si la guerre ne se terminait pas
avant le 31 mars 1919.
Pour la couverture de ces énormei dépenses, la
471
taxation peut fournir actuellement, soit pour 1917-
1918, environ 17 milliards et au moins autant pour
1918-1919. Il restait donc k emprunter 4U milliards
pour la première de ces deux années et 50 k 53 mil-
liards pour la seconde.
L'emprunt du début de 1917, en 5 p. 100, ayant
fourni 24 milliards et les autres formes d'emprunt
une dizaine de milliards en plus jusqu'en octobre, il
restait k demander k l'emprunt, du l«r octobre 1917
au 31 mars 1919, une somme globale de 56 k 60 mil-
liards, soit, pour cette période de dix-huit mois, en-
viron 3 milliards par mois, ces emprunts venant,
bien entendu, en plus des sommes qui pourraient
être obtenues de la taxation actuelle ou de nou-
veaux impôts.
Ces ressources nouvelles, si importantes, si éle-
vées, k demander k l'emprunt, le chancelier de
l'Echiquier a pensé qu'il pourrait les obtenir par
l'offre au public britannique d'une obligation nou-
velle k court terme dénommée National War Bond,
plutôt que par rémission d'un emprunt de consoli-
dation k long terme.
Les National War Bondi (obligations nationales
de guerre) sont de quatre types distincts. La vente
continue en a été commencée en octobre 1917.
En Angleterre. A Trafalgar-Square, k Londres : un tank transformé en bureau pour reMToIr
les souscriptions à l'emprunt.
Après six semaines, le 15 novembre, voici quelle
était la situation : le Trésor, pendant cette période,
s'était procuré 2.300 millions par des avances des
Etats-Unis et 2 milliards par des ventes de National
War Bonds; d'autres moyens de trésorerie lui
avaient fourni 1.450 millions, portant le total de la
dette flottante k 31 milliards.
Pendant tout l'hiver de 1917-1918, une vigou-
reuse campagne fut menée dans le pays en vue
de faire comprendre aux populations l'énormité
des dépenses exigées par la conduite de la guerre
et la nécessité de consacrer toutes les économies,
tous les fonds disponibles k la souscription aux
War Bonds.
A la fin de la première quinzaine de mars 1918,
le total des souscriptions k ces titres, recueillies
depuis le début de l'émission en octobre 1917, s'éle-
vait k 14 milliards de francs, soit une moyenne de
640 millions de francs par semaine pendant les seize
semaines de la période considérée.
Un des traits originaux de la propagande pour
le placement des War Bonds a été la <■ semaine
des hommes d'affaires •>, au début de mars 1918,
pour l'organisation de laquelle une somme énorme
d'efforts fut dépensée k Londres et dans toutes
les autres grandes villes du royaume. Les orga-
nisateurs eurent recours aux procédés les plus
propres k agir sur l'imagination de la foule, notam-
ment k la transformation des tanks, si populaires
après la bataille de Cambrai, en bureaux de vente
des obligations.
Le résultat de ce gigantesque effort de réclame et
472
de propagande a été la souscription, en sept jours,
aux Ward Bonds, piour 3.500 millions de francs,
dont 1.350 millions immédiatement versés.
Pendant toute la semaine, les journaux anglais
ont été remplis des détails de la campagne. Le tank
de Trafalgar Square eut surtout un succès énorme.
On cite également les tombolas organisées par les
magasins de nouveautés et la déclaration que le
montant intégral des receltes de ces magasins du-
rant la II semaine » serait consacré à la souscription.
11 a été dépensé en Angleterre, du i" août 1914
au 9 mars 1918, une somme totale de 157 milliards
de francs, dont 43 milliards ont été fournis par la
taxation et 114 par l'emprunt.
Sur les 114 milliards loiirnis par l'emprunt, 36 mil-
liards 0[it été concédés comme avances ou prêts aux
Dominions et aux nations alliées et devront être
remboursés.
La dette contractée pendant la guerre se ramè-
nerait alors à 78 milliards, et la dette totale nette
(avec l'adjonction de la délie davant-guerre, 16mil-
liards) serait, au 9 mars 1918, de 94 milliards.
D'après 1' <■ Economist » de Londres, les finances
de guerre de la Grande-Hretagne souffrent de trois
maux : l'indation, le gaspillage non contrôlé des
dépenses publiques, l'insuffisance de la taxation. Une
commission spéciale (selecl committee) fut chargée
LAROUSSE MENSUEL
autorisa le secrétaire du Trésor, Mac Adoo, à
émettre des obligations d'un emprunt de guerre à
long terme, à concurrence de 25 milliards de francs,
avec un taux maximum d'intérêt de 3 1/2 p. 100.
Un premier » emprunt de la Liberté « fut émis
en mai, pour 10 milliards de francs, à 3 1/2 p. 100.
Le public souscrivit un peu plus de 15 milliards. Les
oblif,'ations nouvelles avaient été émises exemptes
de l'impôt sur le revenu, ce qui fut une cause, au
moins partielle, du succès de l'émission. Les grosses
souiicriptions furent réduites de 75 p. 100 en
moyenne.
En septembre 1917, une autre loi du Congrès,
modifiant les dispositions de celle d'avril, autorisa
le secrétaire du Trésor à émetlre des obligations au
taux de 4 p. 100, à concurrence de 3H milliards de
francs. Les titres nouveaux étaient soumis aux taxes
sur les successions et sur les bénéfices de guerre,
mais non k l'impôt sur le revenu.
Le second «emprunt de la Liberté» fut émis, dans
ces conditions, en octobre 1917, à 4 p. lOO, pour un
montant de 15 milliards de francs, le secrétaire
du Trésor déclarant qu'il accepterait 50 p. 100
du montant des souscriptions qui excéderaient
le chiffre fixé pour l'émission. II fut souscrit 23 mil-
liards environ, dont le secrétaire du Trésor
garda 19 milliards, conformément à sa déclaration.
Aux Etats-Unis, dans les rues de New-York, un tank nii^-lais tr uisii
d.'i ol.li,;ations.
d'une enquête sur les dépenses nationales, et ses rap-
ports ont été l'objet d un débat à la Chambre des
communes, à la fin de janvier 1918. Nombre d'ora-
teurs ont critiqné les errements de l'administration
des finances. Quelques-uns ont appelé l'attention sur
l'extravagante expansion des currency notes, dont
l'émission, sans cesse grossissanle, a dépassé depuis
longtemps la proportion de la demande légitime en
monnaiedivisionnaire et atteignait, àla fin del'exer-
cice fiscal 1917-1918, plus de 5 milliards de francs.
Etats-Unis. — Pendant le premier trimestre qui
suivit l'entrée des Etals-Unis dans la guerre, les
dépenses où le Trésor fédéral dut s'engager en pré-
paratifs s'élevorentà environ 10 milliardsde francs,
soit une somme supérieure au montant total de la
dette publique exislant avant le vote du Congrès
(6 avril 1917), qui décida la participation de l'Union
à la lutte mondiale. En juillet, les dépenses quoti-
diennes atteignaient déjà une moyenne de 125 mil-
lions de francs.
D'autre paît, les Etals-Unis ouvrirent dès avril 1917
aux Alliés : Grande-Bretagne, France, Russie, Ita-
lie, Belgique et Serbie, des crédits pouvant s'élever
à 2 milliards et demi de francs par mois, soit
15 milliards pour les premiers six mois, à prélever
sur un ensemble de ressources de 35 milliards dont
le Congrès avait autorisé la création sous diverses
formes d'emprunt, (V. Larousse Mensuel Illustré,
novembre 1917, p. 283.) Les 15 milliards avancés
aux Alliés représentaient à peu près la valeur des
acquisitions de matériel de guerre, de munitions,
de vivres et de matières premières, effectuées par
les nations alliées dans cette première période de
six mois.
Le gouvernement des Etats-Unis eut, naturelle-
ment, à emprunter, dès le début de sa participation
à la guerre. Par une loi du 24 avril 1917, le Congrès
Le 15 novembre, les deux tiers de l'emprunt
étaient entièrement versés.
Dans l'intervalle des deux opérations et dans la
période comprise entre octobre 1917 et avril 1918,
le secrétaire du Trésor pourvut aux exigences crois-
santes de la préparation à la guerre effective par
des émissions répétées de bons du Trésor à court
terme, destinés à servir de payement pour les sous-
criptions à tout nouvel emprunt de guerre.
Le troisième « emprunt de la Liberté » a été lancé
le 6avrill918,]ouranniversairede l'entrée des Etats-
Unis dans la lutte mondiale. Le fonds offert est un
4 1/2 p. 100, remboursable en cinq ans et dans le-
quel peuvent être convertis au pair tous les titres
des deux emprunts précédents de la Liberté.
En mars 1918, le Trésor, aux Etats-Unis, avait
continué d'émettre des certificats de dette 41/2 p. 100
(certificales of indebtedness), conveHibles en titres
de l'empi-unt en préparation pour avril (troisième
Il emprunt de la Liberté »).
Les bons du Trésor émis jusqu'alors étaient au
taux de 4 p. 100. L'intérêt a été porté à 4 1/2 p. 100,
parce que le secrétaire des finances voulait placer
de ces biins pour 15 milliards de francs avant l'em-
prunt. Quelques semaines auparavant, le secrétaire,
Mac Adoo, avait demandé à toutes les banques des
Etats-Unis de consacrer cliaque semaine au moins
1 p. 100 de leurs ressources à la souscription aux
bons du Trésor.
Les avances concédées par le gouvernement fédé-
ral aux Alliés s'élevaient, à la fin de décembre 1917,
à 21 milliards de francs, dont 10 milliards & la
Grande-Bretagne et 6.500 millions & la France.
Les dépenses totales des Etats-Unis ont été d'en-
viron 5 milliards de francs par mois dans le premier
trimestre de 1918, moyenne correspondant à un total
de 60 milliards pour une année.
N' 136. Juin 19111.
Les Etats-Unis ont produit 422 millions de francs
d'or en 1918, contre 462 millions en 1916 et 505 mil-
lions en 1913. Les cliifi'res, pour la période de 1908
à 191'i, avaient varié de 441 à 498 millions de francs
annuellement.
En 1914, il avait été exporté des Etats-Unis
825 millions de francs d'or de plus qu'il n'en avait
été importé.
L'excédent des importations a été de 2.100 mil-
lions en 1915, de 2.650 millions en 1916, de 830 mil-
lions en 1917 ; ensemble, 5.600 millions.
Déduction faite des 825 millions d'excédent d'ex-
portations en 1914, il reste un excédent total net
d'importations d'or de 4.775 millions pour les quatre
dernières années.
La production d'or aux Etats-Unis ayant été, dans
la même période, de 1.862 millions de francs, le
stock d'or total aux Etats-Unis s'est accru en quatre
années de 6.637 millions.
Depuis son entrée dans la guerre, l'Union a dû
exporter de l'or. D'autre part, ses alliés, k qui elle
consent d'importantes avances, ne sont plus obligés
de régler leurs achats par l'envoi, pour partie, de
métal jaune. De là le chilfre moindre de l'excédent
d'importation de l'or pour 1917.
Malgré cette diminution d'importation d'or en
1917, la réserve d'or des Etats-Unis dépasse actuel-
lement 15 milliards de francs, ce qui est la plus
formidable accumulation de numéraire et de lingots
du métal jaune qui ait jamais été constituée dans
aucun pays.
Un bilt a été présenté au Gongrèsle4 février1918
à l'instigalion du secrétaire du Trésor, Mac Adoo,
portant création d'une sociélé financière de guerre
IWar Finance Corporation) au capital de 2.500 mil-
lions de francs, dirigée par un conseil de cinq mim-
bres, dont le secrétaire du Trésor. Celte institution
aurait le contrôle de toute les émissions partiru-
lières de titres, viendrait en aide, dans des cir-
constances déterminées, à diverses catégories de
banques et sociétés financières et donnerait au
gouvernement son assistance dans toutes les entre-
prises intéressant la défense nationale. Le nouvel
Institut aurait le droit d'émettre, k concurrence de
20 milliards de francs, des bons à court terme.
Allemagne. — Lorsque le gouvernement alle-
mand se décida à la gmire, la Reichsbank dut
fournir les premiers fonds néce.'^saires par des
émissions de billets efi'ectuées dans les limites
légales. Comme ces limites devaient être rapide-
ment atteintes, une loi passée en août 1914 édicta
la création de bons du Trésor impérial, contre remise
desquels la Reichsbank émettrait des billets. La loi
était conçue de telle sorte que la Banque impériale
d'Allemagne se trouva investie du pouvoir de
fournir au gouvernement toutes les quantités de
billets qui pourraient être requises. A côté de la
Reichsbank furent créées les Banques ou Caisses de
prêts autorisées à effectuer des prêts au moyen de
billets émis contre des garanties de toute espèce.
La quantité totale de papier émise en Allemagne
sous toutes ces formes paraît avoir atteint 20 mil-
liards de marks (21) milliards de francs) au milieu
du premier semestre de 1918.
Les sept emprunts de guerre ce l'Allemagne, dont
le dernier remonte à septembre-octobre 1917, ont
produit au total 92 milliards de francs. Un huitième
emprunt a été émis en mars-avril 1818, portant le
total, un peu avant la fin de la quatrième année de
la guerre, à 108 milliards de francs.
Depuis le début des hostilités, deux emprunts, à
terme plus ou moins éloigné, sont ainsi émis régu-
lièrement chaque année, l'un en mars, l'autre en
septembre. Il est, en effet, pourvu aux dépenses de
la guerre par des venles permanentes de bons du
Trésor et d'autres procédés de trésorerie. Tous les
six mois, les engajrements à court terme ainsi
contractés sont consolidés par un emprunt à longue
échéance.
A mesure que la dette impériale grossit — elle
s'élevait en avril 1918 à environ 124 milliards de
marks (155 milliards de francs) — il faut trouver
les moyens d'en assurer le service régulier par les
produits de la taxation. Aussi le Reichstag a-t-il été
saisi, en avril, d'importantes propositions de nou-
veaux impôts.
Le budget publié pour 1918 — dont le Worwœrts
dit dédaigneusement qu'il ne constitue qu'une ridi-
cule fiction, où un grand nombre de recettes, à pro-
venir soi-disant des douanes ou de divers impôts
indirects, n'existent que sur le papier — montre
que la somme nécessaire au payement des intérêts
de la dette impériale allemande s'est élevée de
3.561 millions de marks en avril 1917 à 5 907 mil-
lions en avril 1918, soit une augmentation de
2.3i6 millions de marks, ou près de la moitié
du budget entier des dépenses permanentes et noi--
males de l'empire.
Il s'agit, ici, du budget de paix, qui serait établi
dans le cas oii la guerre cesserait à bref délai.
Quant aux dépenses générales actuelles (y compris
celles de la guerre), elles s'élèvent, pour l'Allemagne,
d'après le ministre des finances, comte de Rœdern,
à 130 ou 140 millions de francs par jour, ce qui
«• 136. Juin 1918.
LAROUSSE MENSUEL
473
Lettres ornées, dessinées par Eugène Grasset, pour l'alpbabet du Larousse pour Tous. (Spécimens des dessins réduits de moitié.)
représente en chiffre rond de 48 à 50 milliards de
francs pour une année.
L'Allemagne n'a pas à faire face aux seules dé-
penses qui lui incombent à elle-même pour la
guerre. Il lui faut aider l'Autriche-IIongrie et
« financer » la collaboration de ses alliées, la Bul-
garie et la Turquie. Le concours pécuniaire qu'elle
aurait donné à ces deux pays s'élèverait déjà, en
avril 1918, à 9 milliards de marks.
Les renseignements font défaut sur les dépenses
de guerre à la charge des Etats confédérés de
l'empire. Elles doivent être lourdes, les Etals ayant
fortement augmenté les impôts sur le revenu et sur
la fortune. De même, les communes doivent être très
chargées, ayant dû souscrire aux emprunts de l'em-
pire avec des fonds destinés aux travaux d'édililé.
AuTRicHK-HoNGRiE. — En décembre 1917, la dette
de l'Aulricbe s'élevait à 50 milliards de couronnes
(y compris le produit du septième emprunt de guerre
autrichien qui a donné 6 milliards, y compris égale-
ment le montant des avances de la Banque austro-
hongroise) ; la dette de la Hongrie (y compris les
mêmes éléments que pour l'Autriche, ainsi que des
avances de banques allemandes et hollandaises)
était de 24 milliards de couronnes.
C'est pour r.\utriche-Hongrie un total de 74 mil-
liards de couronnes, s'élevant même à 94 milliards,
si l'on y ajoute la dette d'avant-guerre.
En général, les souscripteurs aux sept emprunts
d'Autriche et aux sept de Hongrie ont eu la possi-
bilité de choisir entre des titres à cinq, dix ou
quinze années d'échéance, et de la rente, ou perpé-
tuelle ou à long terme. Les taux d'intérêt du sep-
tième emprunt ont été, en Autriche, de 5 1/2 p. 100,
en Hongrie, de 5 1/2 et 6 p. 100.
La Banque de l'Autriche-Hongrie avait suspendu,
depuis le début de la guerre, la publication de ses
bilans. Une telle politique ne pouvait que susciter
les hypothèses les plus pessimistes sur la situation
de l'établissement. Le bruit courut, par exemple, avec
persistance que l'encaisse or de la Banque avait
complètement disparu. L'établissement se décida,
en décembre 1917 seulement, à publier un résumé
de son bilan, afin de montrer que la situation n'était
pas désastreuse au point que le prétendaient les
rumeurs publiques.
La vérité est que ces rumeurs avaient à peine exa-
géré. L'encaisse or, qui était, en 1913, de 1.240 mil-
lions de couronnes et de 1.193 millions en 1914, a
été ramenée k 684 millions en 1915 et n'était plus,
fin 1917, que de 285 millions.
La circulation des billets a passé de 2.493 millions
de couronnes en 1913 a 5.137 en 1914, puis 7.162
en 1915. Elle a atteint 10.888 millions fin 1916 et
18.439 millions fin 1917. La couverture en or des
billets n'est plus que de moins de 2 p. 100.
Les avances de la banque à l'Etat d'Autriche ont
atteint, fin 1917, le chiffre de 9.540 millions de cou-
ronnes, les avances à l'Etat de Hongrie celui de
4.158 millions, soit un total, pour l'ensemble de la mo-
narchie, de 13.698 millions de couronnes. — a. Moniio.
Q-rasset (Butène-Samuel), artiste décorateur,
né à Lausanne le 25 mai 1844, naturalisé français,
mort à Sceaux le 23 octobre 1917. Sa famille fit de
lui un architecte, et c'est en cette qualité qu'il vécut
dans sa ville natale depuis la lin de ses études jus-
qu'en 1871. Il entreprit alors un voyage en Egypte
et, au retour, se fixa à Paris. Plus, peut-être, que la
construction, l'ornementation le séduisait. Il com-
mença par des dessins pour étoffes d'ameublement,
tout en poursuivant ses études picturales. C'était
l'époque où les décorateurs anglais et les maîtres
Eugène Grasset.
d'Extrême-Orient commençaient à être appréciés
en France : ils trouvèrent en lui un admirateur. Le
caractère décoratif des gravures sur bois japonaises,
la pureté de la ligne, la réduction des couleurs à
quelques éléments simples devaient, naturellement,
plaire à Eugène Grasset. D'autre part, il se sentait
le désir de créer en France un mouvement analogue
à celui qu'avaient créé en Angleterre les William
Morris et les Walter Crâne; il voulait non seule-
ment embellir
des étoffes et des
papiers, mais en-
core aider à la
rénovation tie
nos intérieurs. Il
eut ainsi occa-
sion de décorer le
cabaret du Chat
Noir,notamment
la cheminée, et
de donner des
modèles de tout
un mobilier com-
mandé par le
photograveur et
collectionneur
Charles Gillot.
Mais c'est sur-
tout comme dé-
corateur du livre
que Grasset de-
vait trouver l'emploi de ses dons. Dès 1878, il
avait illustré le Petit Nab; de 1881 à 1883, il com-
posa ses illustrations en couleurs de l'Histoire des
quatre fils Aymon, qui fut imprimée par Gillot et
est aujourd'hui fort recherchée des bibliophiles.
Néanmoins, le succès n'avait pas été immédiat :
l'artiste rompait avec l'illustration habituelle aban-
donnée aux mains de praticiens habiles, certes,
mais dépourvus de l'intelligence des nécessites
typographiques. Les continuateurs des maîtres de
1840 étaient tombés dans l'imitation des procédés
photographiques. Grasset fut lun des premiers à
réagir : il comprit qu'à côté du caractère d'im-
primerie, il est nécessaire d'user d'une ornemen-
tation où le noir et le blanc dominent, d'où
soient bannis les nuances trop délicates et les
gris trop légers du bois au burin. Tout en admi-
rant les interprètes des Johannot et de Gustave
Doré, Grasset croyait bon de remonter plus haut
dans la tradition, et il cherchait ses modèles dans
les bois anciens.
La largeur du trait lui permit de passer aisément
du format du livre à celui de l'arflche et, là encore,
il prit une place fort importante : les affiches de
la Librairie romantique, de la Place Clichy, du
Cavalier Miserey, des Fêtes de Paris, de Jeanne
d'Arc sont parmi les plus célèbres. Toute surface à
décorer est pour lui prétexte excellent : pour l'église
Saint-Etienne de Briare, il commence, en 1893, des
mosaïques; en même temps, il compose sur la Vie
de Jeanne d'Arc une série de cartons qu'il envoie
au concours ouvert en vue de l'installation de ver-
rières à la cathédrale d'Orléans. Malgré l'approba-
tion du public et de la presse, le jury ne retient pas
son envoi. Opendant, la notoriété est acquise dé-
sormais à l'artiste, et il reçoit diverses commandes
de vitraux : Saint Hubert pour Lyon (1874), cartons
pour Aix en Provence et pour SaintLÔ (1895),
Sainte Madeleine pour Troyes (1896), la Musique,
le l'rinl-mps, l'Automne pour Chàlons-sur-Marne.
Qu'il s'agisse, d'ailleurs, de vitrail ou d'affiche, la
technique varie peu : le trait imprimé ici devient là
sertissure de plomb ; les couleurs continueront à
être employées par teintes plateset, seule, la matière
transparente du verre leur donnera plus d'intensité.
Dans cette série, Grasset se montre encore le dis-
ciple des maîtres d'autrefois et, par certains côtés,
il fait songer au grand artiste bàlois, à llolbein le
Jeune, décorateur.
Le succès des estampes murales de Grasset avait
fait naître toute une catégorie de collectionneurs
d'affiches : ce fut un peu pour eux que l'imprimerie
Malherbe fit pai-aitre une série d'estampes en cou-
leurs.Cependaut, l'artiste, revenu au livre, illustrait
le Procurateur de Judée et créait, en 1897, pour le
fondeur Peignot, un nouveau caractère d'imprimerie
gras et fort lisible, aujourd'hui très employé; de
nombreux ornements typographiques et des lettres
ornées suivirent. Parallèlement, Grasset composait
des frontispices et des fers de reliure comme ceux
du Nouveau Larousse illustré, comme la marque
de la Maison Larousse, la Semeuse, avec la devise:
o Je sème d tout vent. » Pour le Larousse pour
NOUVEAU '"*" '"
LAROUSSE
ILLUSTRÉ
OI-RECTEOW:
CLAUSE AUCÉ
LIBRAIRIE LAROUSSE PARIS
Fac-similé de la couverture des fascicules du A'our«aii !.ar<nuM
illustré, réduite presque au quart. (Dessin d'Eugène Grasset.)
Tous, il exécuta une suite alph abétique ; une série des
Mois servit au Larousse Mensuel; cela faisait suite
aux fers donnés pour la couverture de divers ou-
vrages : la Terre, l'Histoire de France, la France
illusti-ëe, la Mer, l'Histoire contemporaine. Eugène
Grasset avait publié en recueil la Plante et ses
applications ornementales. Bordures, fermnnerie
moderne; dans sa Méthode de composition orne-
mentale, parue en 1905, il a résumé le fruit de ses
recherches, expliqué comment on utilise le point et
les lignes, comment on couvre harmonieusement
une page; c'est là qu'on trouvera l'essentiel de son
art, qui fut avant tout celui d'un décorateur de
surfaces. — Tristan LscLiRl.
Le vice-amiral Grivel.
474
Grivel (Mémoires du vice-xmih\l baron).
Révolution- liMPi RE (Paris, 1914). — Depuis la pu-
blication des Mémoires de Marcellin Marbot, il a
paru un grand nombre de Mémoires, de Souvenirs,
de lettres, correspondances et relations diverses,
d'itinéraires, de cahiers ou de carnets écrits par des
militaires de tous grades et de toutes les armes,
qui servirent dans les armées révolutionnaires ou
impériales et prirent la plume après avoir tenu
vaillamment l'épée, le sabre, le lusil ou le pistolet.
On peut critiquer à bon droit quelques-unes de ces
œuvres, où l'ima-
gina t io n , trop
souvent, joue un
grand rôle et le
dispute à la réa-
lité ; mais la plu-
partd'entreelles,
assez inégales,
d'ailleurs, consti-
tuent une série
de témoignages
in léressan ta ,
agréables à lire
et utiles à con-
sulter. C'est dans
cette collection,
qui forme déjà
unebibliotliéque,
que viennent au-
jourd'hui se ran-
ger, à côté des
Souvetiirs du
préfet maritime Bonnefoux, les Mémoires du vice-
amiral baron Grivel, dont Eugène Lomier avait repro-
duit, enl905, plusieurs pages curieuses dans son îi/s-
toire du bataillon des marins de la garde impériale.
Cet amiral est un compatriote du général Marbot,
mais ses récits sont incomparablement plus dignes
de foi que ceux du brave cavalier. Né à Brive en
1778, Jean Grivel était l'aîné de huit enfants et reçut
une solide instruction chez les Doctrinaires de sa
ville natale. Les événements lui firent adopter une
autre carric'>re que celle du barreau, à laquelle on le
destinait. Son père, avocat en Parlement, élu en 1793
commandant d'un bataillon des volontaires de la
Corrèze, emmena avec lui ses trois jeunes fils, qui
prirent part aux opérations de l'armée des Pyré-
nées-Orientales. L'entrain de nos troupes pour dé-
fendre la patrie aux frontières était vraiment magni-
fique, et Jean Grivel incline à penser qu'il n'y a eu
dans l'histoire rien de si grand ni de si digne de
servir d'exemple à l'avenir. D'abord sergent de ca-
nonniers et de chasseurs, puis commis de bureau à
Paris, il passa dans la marine comme officier. Il
avait eu occasion de lire les aventures des Flibus-
tiers, et les exploits de ces bamlits héroïques lui
avaient donné le goût de la mer et des voyages.
Ayant débuté grimpereuu, il se perfectionna dans
son métier au cours de croisières en Orient. Promu
lieutenant de vaisseau, il servit, à partir de 1803,
comme capitaine de compagnie dans le bataillon
des matelots de la garde consulaire, puis impériale,
où il resta plus de dix ans.
Pendant un séjour au Havre, il assista à un dîner
d'apparat, à la (in duquel le colonel Soulès, l'un des
héros de Mirengo, plus brave que formé aux belles
manières de société, proposait un toast en ces
termes :
Nous allons porter uno santé qui nous est bien chère,
c'est celle du grocral commaudant de place, du général...
Et, comme la mémoire du nom lui manquait tout
à coup, il se tourna giavement vers son convive et
demanda à très haute voix :
Votre nom, n.. de D... ?
Des rires fous, conte Grivel, auraient accueilli cette
singulière apostrophe en toute autre occasion, mais
on avait alors un si grand respect pour les hauts
grades que nul n'éclata et que les espiègles, dont il
y avait bon nombre, se contentèrent de cacher leur
hilarité dans leur serviette.
Son arrivée à Boulogne coïncida avec la distri-
bution solennelle des décorations de la Légion
d'Iionneur. De l'armée rassemblée dans ce camp, la
plus belle et la meilleure qu'on eût vue en France,
il fait un éloge qui mérite d'être cité. Porté par un
marin sur l'armée de terre, ce jugement n'en oITre
qu'une valeur plus grande :
On dira ce qu'on voudra do cotte époque, mais il est
impossible que ceux qui ont été témoins des faits et pestes
de nos soldats ne les aient pas admirés. Leur dévouement
à la patrio, à l'honneur français, à l'Iiomme qui pour eux
personnifiait toutes ces choses, était pur de convoitise et
d'égoïsme. Ils étaient décidés à se sacrifier dans l'occasion
pour ces nobles sentiments. Des milliers de sous-officiers
d'alors avaient des figures aussi imposantes quo celles des
colonels d'aujourd'hui ; ces figures s'étaient bronzées au
feu des batailles, et il leur en restait quelque chose, même
lorsqu'elles étaient au repos. C'était bien le calme de la
force dans son héroïque simplicité. Rien n'égalait la
beauté de ces régiments, si ce n est leur valeur, et, quoique
j'aie longtemps fréquenté nos armées depuis, je n ai rien
vu d'égal à ces soldats de Boulogne, qui servaient pour
servît et comme s'ils n'envisageaient pas d'autre honneur
que celui-là. Jamais je ne parviendrai à exprimer toute
LAROUSSE MENSUEL
l'admiration qu'ils m'inspirèrent... S'il y avait encore l'an-
cienne rivalité des soldats du Rhin avec ceux de l'Italie,
cette rivalité se tournait eu émulation et devait enfanter
des prodiges.
A 'Vienne, Grivel fut témoin des hommages sin-
cères dont les Aulrichiens entouraient le vainqueur
d'Austerlitz, si digne et si réservé dans son triom-
phe. Aucun "Viennois de sa connaissance ne pro-
nonçait, assure-t-il, le nom de Napoléon sans l'ac-
compagner d'épithètes aussi flatteuses que méritées.
Chargé d'une reconnaissance dans l'Adriatique,
il rencontra, à Venise, Chateaubriand, « ce petit
homme destiné à devenir un personnage historique ».
H accomplit ensuite une mission & Dantzig. Un peu
plus tard, il vit àTilsit Napoléon et Alexandre : les
deux empereurs faisaient des coquetteries pour se
céder réciproquementladroite;le premier déployait
une prestigieuse adresse, lé second tenait son
rang sans difficulté. Le roi de Prusse, lui, avait
l'air accablé.
Dès l'année suivante, nous trouvons Grivel à
l'autre extrémité de l'Europe, en pleine Castille. 11
est témoin de l'insurrection de Madrid, le 2 mai, et
concourt à la défense de l'hôpital français, menacé
par les émeutiers. A Andujar, il entend la conver-
sation du capitaine Boniface et d'un mendiant espa-
gnol, qu'il nous a rapportée :
« Vous habitez un beau pays, déclare l'ofrîcier fran-
çais. — Oui, le pays est fertile, répond son interlocuteur,
on vit sans trop do travail. — Oh! vous n'aimez guère le
travail, vous autres Espagnols. — C'est selon. Nous n'ai-
mons pas à travailler pour les autres, et nous entendons
être maîtres chez nous. — Bueno! mais, quant à présent,
c'est nous qui le sommes. — Vous êtes maîtres de la
terre que vous avez sous la semelle de vos bottes, vous
n'êtes pas maîtres de l'Espagne. — Comment! nous som-
mes à Madrid, à Valiadolid, à Tolède! — Oui, oui, mais
nous vous en chasserons avec l'aido do Dieu. — Pourtant,
N' 136. Juin 1918.
Le maréchal Soult le complimente pour cette éva-
sion extraordinaire :
« Bah ! (s'exclame simplement le courageux officier),
ce n'est qu un tour de matelots. »
Ce tour servit, comme on l'a dit, d'exemple et de
boussole h de nombreuses évasions. Un beau soir,
les prisonniers de la VieiUe-CusUlle coupèrent les
câbles du ponton, qui vint échouer à la côte et res-
titua plus de huit cents hommes à nos drapeaux.
A quelijue temps de là, un autre ponton, l'Arr/o-
naute, imita cet acte de témérité et rendit à leur
patrie un nombre égal de captifs. Grivel contribua
à ces sauvetages et, bientôt, reprenant son ancienne
vie, il lui sembla que sa prison n'avait été qu'un
cauchemar. Il prit part au siège de Cadix et au
mémorable combat de Sainte-Marie, puis revint en
France (septembre 1812), ayant renoncé aux illusions
du jeune âge, cependant prêt à tout entreprendre.
Promu capitaine de frégate pendant la campagne
de Saxe, après la bataille de Luizen, il gagna à
Reims le grade de capitaine de vaisseau pendant la
campagne de France, « si glorieuse pour nous, mal-
gré le désastre final ». Il rentra dans la marine en
Quittant l'armée de terre et commanda à Marseille
urant les Cent-Jours.
Le dernier chapitie de ses Mémoires s'arrête à la
Seconde Restauration. Grivel, cependant, conti-
nuera, longtemps encore, une carrière brillante. Il
commandera la station du Levant, dirigera nos
forces navales au Brésil, deviendra préfet mari-
time à Rochefort, puis à Brest, vice-amiral, grand-
croix de la Légion d'honneur et membre du conseil
de l'ordre, député, p;iir et sénateur. 11 mourra en
1869, doyen des amiraux. Ses Mémoires, quoique
inachevés, seront lus avec intérêt, comme l'his-
toire de ses impressions et sensations plutôt que
ËTasiou des prisonnierB français du ponton espagnol la Vieille-Castitle (22 février 1810).
voilà un an que nous sommes en Espagne, et vous ne
nous avez pas encore chassés ». Le mendiant haussa les
épaules et grommela à part lui : « Ces Français sont sin-
guliers. Celui-ci parle dun an! Nous avons mis plusieurs
siècles à chasser les Maures. »
Les marins de la garde furent fait prisonniers
à Baylen avec les divisions Dupont et Vedel :
15.000 Français déposaient les armes, bien qu'il n'y
en efit que la moitié de compromis ! Les défilés de
la Sierra Morena devenaient les Fourches Caudines.
Grivel fut conduit à bord du ponton li Vieille-
Castille, affecté spécialement aux officiers dans la
baie de Cadix. C'était une prison fiottante, où la vie
n'était pas insupportable, dit-il, mais qu'il endurait
avec impatience. Bientôt il ne songea plus qu'à s'en
évader pour rejoindre nos troupes sur le littoral :
Nous avions du temps de reste pour mûrir nos plans
d'évasion, et nos colloques étaient sans fin sur ce chapitre.
Il s'agissait d'une véritable partie de barres à jouer; seu-
lement, il ne fallait pas se laisser prendre.
Enfin, le 22 février ISIO, les conjurés sautent à
la gorge des Espagnols et réussissent & enlever
une chaloupe qui approvisionne d'eau le ponton.
Grivel prend place au gouvernail, l'aspirant Du-
moustier lait sauter la boucle d'amarre, et nos
trente téméraires, hissant et bordant la voile, pro-
fitent du vent d'est pour venir débarquer sur la plage
andalouse, après une traversée pleine d'anxiété et
de périls renaissants, malgré la fusillade de la garde
et la poursuite des bâtiments qui mitraillent les fu-
gitifs. Une heure plus tard, ils débarquent au nord
du port Sainte-Catherine, où les accueillent quatre
hommes et un caporal du 24" de ligne. Grivel, tout
mouillé d'eau de mer, alors écrit à son père :
Je sors de sous les balles, et je suis libre I
comme celle des événements ; ils permettent de
connaître, suivant l'expression de leur préfacier,
Lacoui-Gayet, une âme qui fut toujours loyale et
bien française. — Joseph Durieoi.
Guerre en 1914-1918 (la). [Suite.] —
Le mois d'avril n'avait pas di.'^sipé les brumes que
le mois de mars avait étendues sur l'avenir de la
guerre. Au point de vue militaire comme au point
de vue diplomatique, la pesante incertitude des
mois précédents subsistait sans allégement. Peut-
être, même, pouvait-on dire, si l'on y réfléchissait
froidement, que l'horizon diplomatique élail plus
obscur que jamais. Tout, d'ailleurs, était lié étroite-
ment, et il eijt suffi d'une éclaircie militaire, d'un
léger recul de nos ennemis, pour que, par voie de
conséquence, une détente se produisit dans les opé-
rations diplomatiques qui étaient menées de front
avec l'effort des armes. Mais cette éclaircie ne
s'était pas produite, et nous devions enregistrer, à la
fin du mois, une continuité lente dans l'avance alle-
mande, qui perpétuait notre malaise moral. Non pas
qu'il n'y eût à cette constatation pénible une contre-
partie et qu'on n'eût la satisfaction de penser que
la lenteur même de cette avance était un échec
pour nos adversaires, une fatigue constante, une
usure de leurs espérances mégalomanes, une déper-
dition de leurs forces. La lutle était, en somme,
égale, en dépit de certaines apparences, 'l'outefois,
lorsque nous songions que notre sol ravagé en était
l'unique tliéâlre, quand nous dénombrions nos vil-
lages anéantis, nos terres bouleversées, nos forêts
ruinées, nos villes incendiées, nos mines menacées,
nos populations errantes sur les routes et exilées
loin de leurs foyers saccagés, nous ne pouvions ne
«• 136. Juin 1918.
pas ressentir une angoisse de plus en plus doulou-
reuse; et. quelle que fût noti-e fierté de sentir la
défense de la civilisation conliée à notre dévoue-
ment, à notre abnégation et à noire courage, l'éten-
due de nos pertes matérielles et morales et nos
risques croissants nous apparaissaient, sans dimi-
nuer en rien la valeur de l'elfort de nos alliés,
comme un sacrifice sans proportion avec ceux qu'ils
consentaient. La France se dressait, en fait, en face
de la Germanie, comme le seul champion capable
d'arrêter et de faire reculer les Barbares. Elle
grandissait chaque jour dans le respect des peuples.
Mais elle souffrait cruellement, et, si elle portait sa
souffrance la tète haute, si elle était décidée à ne se
laisser abattre par rien, elle avait le droit et le de-
voir de réclamer des autres un appui proportionné
à leurs moyens et à leurs intérêts. On doit déclarer
que, chez nos alliés, cette conviction était faite
aussi. L'Angleterre et les Etats-Unis s'élevaient
chaque jour davantage à la hauteur du danger couru.
La bataille commencée le 21 mars n'avait eu,
malgré ses accalmies, aucun instant de répit. Si, à
certains moments du mois, qu'on peut marquer,
vers le 5 avril du côté de Montdidier, vers le 11
du côté de Bailleul, vers le 24 du côté de 'Villers-
Bretonneux, vers le 26 du côté d"ypres, il y avait
eu des poussées plus violentes et plus massives,
chaque jour d'avril avait eu sa part d'effort et d'at-
tente. Le plan général de l'attaque n'avait pas
changé, et les tâtonnements apparents de l'ennemi
n'avaient eu d'autre but que d'essayer, sans succès,
de nous abuser. Le but des Allemands restait avant
tout de séparer l'année anglaise de l'armée fran-
çaise et de l'écraser. Telle avait été la raison de
l'extension de la bataille vers le nord, dans la
direction d'Ypres, ce qui avait amené la perte d'Ar-
menlières,et delà ruée contre les monts de Flandre,
qui, aux derniers jours du mois, nous avait con-
O'aints d'abandonner le mont Kemniel. D'autre part,
Amiens demeurait l'objectif de nos ennemis, et leur
obstination sur Villers-Bretonneux et Hangard-en-
Santerre marquait leur volonté de se rendre maîtres
de la ligne de la Somme. Les gains qu'ils avaient réa-
lisés avaient été très lents, nous l'avons dit, et leur
avaient coulé trè» cher; ils avaient dû, très pénible-
ment, faire avancer leurs réserves et leur artillerie
lourde sur des routes battues par l'aviation franco-
anglaise et nos canons à grande dislance. Ils y
avaient, très certainement, usé des forces considé-
rables. Sans rien préjuger de l'avenir, il était arrivé
là aux Allemands, comme partout, de rencontrer,
après le premier succès, des difficultés qu'ils
n avaient pas entièrement prévues et qui avaient
sinon annulé, du moins beaucoup atténué la vic-
toire dont ils se leurjaieut. Là, comme au début
de la guerre, comme à Verdun, mais dans un ordre
de grandeur bien supérieur, ils avaient cru atteindre
du premier coup le but qu'ils s'étaient fixé ; ils
l'avaient manqué et, si nous devions reconnaître que
l'affaire était beaucoup mieux conduite par Luden-
dorf que par von Kluck et par le kronprinz, on
avait le droit d'espérer que notre résistance serait
à proportion de l'attaque, qui, finalement, serait
brisée de la même manière.
Les .Mliés avaient, d'ailleurs, tout fait pour opposer
nne résistance invincilde. Au milieu du mois d'avril,
l'unité de commandement avait été, en litre comme
en fait, concentrée entre les mains du général Foch.
L'Angleterre avait réparé toutes ses pertes en
matériel, et elle avait amené sur le terrain des
troupes fraîches très importantes. L'apport des
Etats-Unis arrivait avec une parfaite régularité, et
l'amalgame des contingents américains avec les
réginients français donnait les résultats les plus
heureux. D'ailleurs, on pouvait se demander si de
plus en plus on ne tendait pas à une fusion com-
plète des elfectifs et si l'on ne se trouvait pas enfin
en présence, non plus d'armées de nationalités
diverses unies par une communauté de but et
pourtant individualisées, mais devant une armée
alliée unique, comballant d'un même élan et sans
à-coups, sous l'inspiration d'une seule pensée, pour
le salut commun.
Le général Foch avait, semblait-il, soigneuse-
ment évité les pièges qu'on lui avait tendus et dont
le plus dangereux était de le tromper par des
attaques accessoires, afin de l'amener à engager pré-
maturément ses réserves. Il les avait tenues à l'ar-
rière, prêtes à les porter au bon moment sur le
point nécessaire, et elles étaient immenses. Notre
artillerie était égale, sinon supérieure, à celle de
l'ennemi et notre slock de munitions inépuisable.
Le moral des troupes continuait à faire ladmiralion
du pays et de nos alliés. Il y avait, chez les chefs
comme chez les soldats, une fermeté d'àme qui au-
torisait tous les espoirs. Les reculs que l'on avait
acceptés et qui avaient eu pour but évident de
mén.iger le sang de nos soldiits, tout en fatiguant
Ins Allemands, ne compromettaient pas l'avenir et,
s'ils étaient un peu durs pour notre amour-propre et
fiour nos nerfs tendus, ils avaient leur sens. D'ail-
eurs, ces reculs avaient été suivis, comme devant
Hangard, comme au Locre, par de» retours victo-
rieux, qui étaient tombés sur rennemi comme des
LAROUSSE MENSUEL
■^
Le gênerai Foch, coDimaudant rn chel' les armées alliées
en l'rance (Phoi. Melcy).
coups de massue. Aussi bien, cette inlerminable ba-
taille n'avait pas donné jusqu'ici ce que le couiman-
dement allemand en avait escompté. H avait réclamé
du peuple allemand un efi'ort qu'il avait annoncé
comme devant être court et décisif. Il avait promis
que la paix suivrait la victoire. La victoire était tou-
jours attendue, et il ne suffisait pas des Communiqués
pour la donner. Sans doute, on devait compter avec
l'inépuisable patience et la docililé sans bornes du
475
des romans si ridicules, qu'on pouvait douter que
la population d'outre-Hbin y ajoutât foi. Il n'y avait
certainement là qu'un grossier moyen de soutenir
une opinion publique peu éclairée, et — on doit ajou-
ter — peu respectée par une presse aussi asservie
rjue ses lecteurs eux-mêmes. De même que nous
pouvions conclure, le mois dernier, que l'olTensive
allemande ne s'était produite que parce qu'elle était
indispensable au point de vue de la politique inté-
rieure allemande, de même nous étions fondés à
penser que la prolongation indéfinie de la lutte de-
vait à la longue, en l'absence de toute décision
éclatante, mener le moral allemand à une déception
dissolvante. Cette pensée était de celles qui nous
permettaient, à nous aussi, de supporter cette lon-
t,'ue attente et toutes les conséquences qu'elle en-
traînait pour nous sous tant de formes pénibles. —
A la fin d'avril, il importait de constater que notre
ligne n'avait eu que des fléchissements locaux, re-
grettables, certes, mais qui n'auraient été vraiment
inquiétants que s'ils s'étaient produits coup sur
coup, par surprise et sans résistance sérieuse. Payé»
au prix qu'y mettaient les Allemands, ils avaient
pour seule conséquence de nous faire gagner du
temps et d'obliger l'ennemi à des sacrifices exces-
sifs. On devait donc, à ce moment, regarder l'avenir
avec sérieux, mais sans trouble.
On n'aurait rien eu à dire des autres théâtres de
la guerre : ni en Italie, où aucun fait militaire ne
valait la peine d'être signalé, ni à Saloiiique, où il
fallait noter seulement les indices d'un réveil de
l'armée grecque, ni en Palestine et en Mésopotamie,
où les Anglais maintenaient en les élargissant leurs
positions, si la marine anglaise n'avait accompli
(levant Zeebrugge et Ostende un de ces faits d'armes
extraordinaires qui symbolisent le sang-froid et l'in-
domptable énergie d'un peuple. Le 23 avril, une
fiottille anglaise, aménagée avec soin et soutenue
par quelques bateaux français, avait réussi à débar-
quer sur le môle de Zeebrugge une petite troupe
décidée à tout. Pendant que ces héros soutenaient
un combat terrible contre les défenseurs allemands,
de vieux croiseurs, chargés d'explosifs et de ci-
ment, étaient introduits dans le canal donnant accès
au port; leurs équipages les faisaient sauter et par-
venaient à obstruer le canal. CV. la carte p. 380.)
En même temps, un sous-marin d'un ancien mo-
dèle, poussé contre le môle, faisait explosion et
pratiquait dans l'ouvrage une trouée importante. Ce
qui restait des équipages était recueilli dans des
canots et regagnait sa base. L'opération si bien
réussie à Zeebrugge n'obtenait pas le même succès
à Ostende, mais le résultat, dans l'ensemble, était
très satisfaisant, quoi qu'en aient pu dire les Commu-
Evaouation d'un village devant la menace ennemie.
peuple allemand. Il paraissait, toutefois, qu'on pra-
lic|uait sur lui, à haute pression, ce dont notre
presse n'a pas su toujours s'abstenir à l'égard du
fieuple français, et qu'on a vulgairement, mais assez
leureuseinenl, dénommé le « bourrage de crâne ».
A propos du bombardement intermittent de Paris,
dont les résultais, quelque brutaux et douloureux
3u'ils aient pu être, reslaient infimes jusqu'à la lin
'avril, les journaux allemands avaient publié sur
la vie matérielle, politique et morale de la capitale
niques allemands. Cette action vigoureuse indiquait
que la marine anglaise comprenait enfin l'impor-
tance de l'offensive et combien il était nécessaire de
ne pas laisser à l'ennemi, mime sur mer, l'initiative
de l'attaque. On avait démontré que le relancer dans
ses ports était une entreprise possible. L'histoire
navale anglaise s'était enrichie, le 23 avril, d'une
gloire nouvelle.
L'effort gigantesque tenté par les Allemands, en
vue de briser l'uiitë militaire des Alliés, avait été
476
doublé, en avril, d'une tentative diplomatique, qui
ne manquait pas d'habileté et qui avait pour but de
mettre les peuples de l'Alliance en défiance les
uns contre les autres. Le 2 avril, le ministre des
affaires étrangères de la monarchie austro-hongroise,
Observateurs anglais sur un arbre.
le comte Czernin, recevant la municipalité de
Vienne, avait commenté le deruier discours du pré-
sident 'Wilson et avait cherché à dissiper les doutes
que cette intervention oratoire avait fait naître sur
les dispositions vraisemblables de l'Autriche à fa-
voriser des négociations de paix. Puis il avait attesté
Dieu que l'Entente seule s'opposait k la fin des
hostilités, et il avait ajouté, en manière de preuve,
cette phrase ciractéristique : « Clemenceau, quelque
temps avant le commencement de l'offensive sur le
front occidental, me fit demander si j'étais prêt à
entrer en négociations et sur quelles bases. Je ré-
pondis immédiatement, d'accord avec Berlin, que
j'étais prêt à ces négociations, que je ne voyais
aucun obstacle à la paix avec la France, si ce
n'étaient les aspirations françaises relatives à l'Al-
sace-Lorraine. On répondit de Paris qu'il n'était
pas possible de négocier sur cette base. » Clemen-
ceau, mis en présence de cette affirmation, avait,
sans phrases, dès le premier moment, répondu que
le comte Czernin «en avait menli ». Puis, le ministre
austro-hongrois ayant publié une Note explicative,
d'où il ressortait que des conversations avaient, en
effet, élé engagées en Suisse, à Fribourg, entre le
comte Nicolas Révélera et un officier français, Cle-
menceau répondit par une autre Note, où il était
précisé qu'en effet ces conversations avaient été
engagées, sous le ministère précédent, à la demande
de l'Aulriche, entre le comte Revetera et le com-
mandant Armand, du 2' bureau de l'état-major ;
que le gouvernement français ne les avait laissé
continuer que pour se renseigner sur les intentions
de l'Autriche ; que, d'ailleurs, cette démarche de
l'Autriche en vue de la pai.x n'était que la suite
d'autres sollicitations présentées par elle k Rome,
à Washington et à Londres, et enfin à Paris, et
qui émanaient « d'un personnage d'un rang fort
au-dessus » de celui du comte Revetera. A celte
Note le comte Czernin crut devoir répondre de
nouveau pour affirmer que c'était Clemenceau qui
avait fait échouer les négociations de paix engagées
LAROUSSE MENSUEL
à Fribourg. A quoi Clemenceau, dans une Note
d'une écrasante précision, riposta en faisant con-
naître que le gouvernement français possédait dans
ses archives une lettre où l'empereur Charles l""' se
déclarait prêt à appuyer «les jusles revendications
de la France sur
l'Alsace-Lorraine».
Sur quoi, l'empe-
reur Charles ayant
écrit et publié une
lettre à l'empereur
Guillaume, où il
repoussait cette as-
sertion avec indi-
gnation, Clemen-
ceau livra à la
publicité la lettre
authentique de
Charles I", d'où
était tirée la cita-
lion en question.
{V. la lettre dans le
« Bulletin de la
guerre» du no 135.)
Cette lettre, adres-
sée au prince Sixte
de Bourbon, frère
de l'impératrice
Zita, officier dans
l'armée belge et
décoré de la croix
de guerre fran-
çaise, avait pour
objet de charger ce
prince d'une dé-
marche auprès de
Poincaré en vue
de la paix et expri-
mait à l'égard de
la France les sen-
timents les plus
bienveillants, no-
tamment au sujet
de l'Alsace-Lor-
raine. La phrase
relaliveaux"justes
revendications »
de la France y figu-
rait bien. Le comte
Czernin était pris
en flagrant délit
de mensonge ou
d'ignorance, et les
désirs pacifiquesdu
jeune empereur
d'Autriche étaient
dévoilés sans con-
testation possible.
Les essais de dé-
menti qui furent,
en effet, esquissés
n'aboutirent qu'à
prouver l'authenti-
cité de la lettre de Charles I"' et placèrent le comte
Czernin dans une situation si fausse que, le 15 avril,
il donnait sa démission. Il était presque aussitôt
remplacé par le ba-
ron Burian, créa-
ture du comte
Tisza. Quelques
jours après, le ca-
binet "VVeckerlé
donnait sa démis-
sion à Budapest.
Ce grave inci-
dent, qui rendait
publique la dé-
marche très impor-
tante de r empe-
reur d'Autriche en
faveur de la paix,
qui le plaçait par
suite dans une po-
sition délicate vis-
à-vis de l'Allema-
gne et coupait
court pour l'avenir
à toute velléité du
même genre, a été
jugé dès l'aboid
très diversement.
Les commissions
des Affaires exté-
rieures de laCham-
bre et du Sénat
avaient été, par
Clemenceau lui-
même, saisies des
documents origi-
naux, et elles en avaient discuté. L'opinion publique,
en France et surtout en Autriche-Hongrie et en Alle-
magne, avait été fortement émue de ces révélations.
— Au premier abord, on avait été surpris de la nou-
veauté de la méthode adoptée par le premier ministre
«• 738. Juin 1918-
français. Le ton même des Notesparoùil avait répondu
au comte Czernin avaitparu se rapprocher un peu trop
de celui de la polémique de presse. Puis, on s'était
demandé si, en livrant à la publicité une lettre
privée, on ne rendait pas impraticable pour l'avenir
toute démarche officieuse et toute initiative indivi-
duelle et spontanée, mais utile. On avait considéré
même qu'il y avait peut-être quelque imprudence à
décourager la bonne volonté de 1 empereur d'Au-
triche en faveur de la paix et à supprimer brutale-
ment des possibilités de conversation, dont, à un
moment donné, la valeur pouvait n'être pas négli-
geable. En effet, si l'on rapprochait des avances faites
par Charles I"' d'autres démarches, dont on n'a ja-
mais parlé qu'à mots couverts, mais que bien des
gens connaissent, et qui avaient pour but, avant le
dernier hiver, de nous tàter sur la question de la
paix, on arrivait à cette conviction qu'à une cer-
taine époque, il y a eu certainement chez nos enne-
mis un désir de paix, qui, peut-être, eût pu être
exploité plus qu'on ne la fait. — Sans méconnaître
qu'il y eut dans les considérations qui précèdent
une critique sérieuse du geste du premier ministre
français, il était sage de le soumettre à un examen
plus serré. Qu'avait voulu, en somme, le comte
Czernin en mettant au complê de Clemenceau l'ini-
tiative de négociations de paix séparée, sinon le dis-
qualifier aux yeux des gouvernements alliés et four-
nir à la minorité défaitiste et pacili.ste que son énergie
tenait en bride une occasion d'agitation et un point
d'appui? Ilyavaitlà uneoffensivepacifistequ'ilfallait
démasquer, et on ne le pouvait qu'en faisant con-
naître fe double jeu ou les opinions successives de
Czernin et de l'empereur Charles. Les protesta-
tions de fidélité de ce dirnier à l'égard de l'Alle-
magne et ses démentis indignés appelaient la
preuve qu'à une date certaine le jeune empereur
avait songé plus àluiqu'àsonimpérieuse alliée. En
outre, à lire en ses termes mêmes la lettre au prince
Sixte, il y apparaissait sur bien des points une
incertitude et une obscurité qui ne permettaient
guère de prendre ce document comme base d'une
négociation utile. Enfin, par ce molu proprio,
l'empereur Charles engageait-il l'Allemagne ou
l'Autriche seule, et était-il en mesure de donner
une suite concrète à sa démarche '? Rien ne per-
mettait de l'affirmer. A tout prendre, il était fort
vraisejnblable que la démarche de l'empereur
Charles avait répondu à une situation particulière
de l'Autriche et à des tendances persoimellcs qu'en-
tretenait sans doute l'impératrice Zita. Celte situa-
tion avait peut-être été exploitée par l'Allemagne,
qui, incertaine à cet instant sur les événements
russes, avait été bien aise de faire tàter le terrain
de la paix par son alliée, moins compromise qu'elle-
même. Dans le même temps, l'initiative de Benoît XV
semblait répondre au même désir. Qu'y avait-il de
sérieux dans tout cela? L'Autriche et le pape
étaient-ils assez forts pour imposer à l'Allemagne
la paix juste, définitive, que le monde attend ? Rien
n'est moins probable, et le gouvernement français
d'alors (31 mars 1917) en avait ainsi jugé.
On comprend, du reste, tout ce que ces discus-
sions avaient d'oiseux, de dangereux même, au
moment où elles se produisaient, en pleine offen-
sive militaire, alors que nous avions un impérieux
Batterie de fusils-mitrailleurs contre avions.
besoin d'union, de concorde et de calme. L'opinion
populaire avait été peu frappée, d'ailleurs, de ces
disputes de textes et de ces discussions de respon-
sabilité rétrospective. Elle pensait à des choses plus
^sves. On devait souhaiter que les partis parle-
N' 136. Juin 1918.
MONTDIDIER ET SES ENVIRONS
477
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478
LAROnSSK MKNSURL
N' 136. Juin 1918.
A la poinio (lu jiiiir. lis ^nz .■isphyxianfs pTivahissant les tranchées.
Canon dissimulé dans les
Arrivée des reufurts français gur le front de Flandre. Sur la route encombrée de voilures diverses.
mentaires, qui avaient un instant suspendu les tra-
vaux du Parlement, éclairés par quelques jours de
contact avec les réalités de la vie, renonceraient à
tirer de l'incident des conséquences gouvernemen-
tales intérieures, qui ne pouvaient qu'aider nos
ennemis et nous diminuer aux yeux de nos alliés,
lesquels avaient connu la politique de notre gou-
vernement et l'avaient approuvée.
Un seul fait ressortait de cette affaire, clair et
indéniable : l'étroite sujétion où l'Allemagne tenait
l'Autriche. La démission de Czernin avait eu pour
résultat le retour de Burian. Or, ce seul fait rame-
nait, en fait, au pouvoir le comte Tisza et, déj4, on
annonçait qu'en Hongrie on allait voir, sous son
inspiration, un remaniement du ministère Weckerlé.
I3ien plus, il semblait que des intrigues étaient me-
nées à Vienne contre la famille de l'impératrice et,
peut-être, contre l'empereur Cliarles lui-même, qu'on
cherchait à intimider. La solution autrichienne de
la question polonaise était abandonnée. Le germa-
nisme et l'autoritarisme s'affirmaient en Autriche et
en Hongrie. Saurions-nous profiter de cet état de
choses? Sortirions-nous, enfin, de nos hésilalions
extraordinaires à l'égard des Tchèques et des Yougo-
slaves, ou laisserions-nous à l'Allemagne, très sou-
cieuse de se fortifier elle-même, fût-ce aux dépens
de son second, le mérite d'apporter aux nationalités
opprimées de la double monarchie la reconnais-
sance apparente de leurs droits? lin un mot, renou-
vellerions-nous l'erreur où, pour complaire à la
Russie déjà près de nous trahir, nous étions tombés
il l'égard de la Pologne? Il y avait là, pour nos
hommes d'Etat, un terrain d'activité plus fécond
que les intri,i;ues de couloir et, pour les gouverne-
ments alliés, plusieurs fautes à ne pas commettre.
La parfaite ignorance où la plupart des Français se
plaisent en ces matières et leur incapacité à guider
leurs propres chefs en de telles questions étaient
im des plus gros sujets d'inquiétude que l'on pût
avoir alors.
En effet, et bien que nos informations relatives à
la Russie fussent restées très vagnis et souvent
très suspectes, ce qui se passait dans l'ancien empire
des tsars nous montrait l'Allemagne s'organisanl
au mieux de ses ijilérêts. Si l'on faisait le bilan de
la question russe à la fin d'avril, on constatait que
la situation que nous exposions le mois dernier
non seulement ne s'était pas modifiée dans le sens
de la libération de la Russie, mais s'était, au con-
traire, singulièrement aggravée au profit de l'Alle-
magne. Au Nord, la Finlande élait passée sinon
sous l'aulorité, du moins sous le proteclorat de nos
ennemis. C'est avec l'appui des troupes allemandes
que les gardes blanches avaient triomphé des gardes
rouges et du bolchevisme. l'elrograd, menacée de
près, n'était plus la capitale de la Russie. La « fenêtre
sur l'Occident», ouverte par Pierre le Grand, était
à la veille d'être murée, l^ar suite, la position de la
Suède et du Danemark, devant la puissance baltique
de l'Allemagne, devenait tout à fait précaire. A
l'Ouest, l'Esthoiiie, la Livonie, la Courlande, si elles
n'étaient pas encore rattachées à l'Allemagne,
étaient nettement dans sa dépendance et sous son
protectorat, qu'on leur avait fait solliciter.
Le sort de la Pologne dépendait de la Prusse
seule, qui se disposait à rectifier sa frontière orien-
lale par des annexions de territoire polonais. Le
gouvernement polonais ne pouvait rien s:ins le bon
vouloir de Berlin. — La république de l'Ukraine se
séparait de plus en plus, elle aussi, des bolcheviks,
pour se rapprocher des partis bourgeois. On la
poussait, sous couleur de se faire protéger, à une
véiitable sujétion militaire et économique, et la
façon impérieuse dont elle élait traitée soulevait, en
Autriche même, des protestations caractéristiques.
— Tout à fait au Sud, on pouvait prévoir qu'Odessa
serait bientôt aux mains des troupes allemandes;
Séhastopol était menacée et, avec elle, la flotte rusîe
et toute la mer Noire. La bonne volonté de l'Alle-
magne à l'égard de la séparation de la Crimée, que
convoitaient les Turcs, était si évidente que le gou-
vernement de Moscou se croyait obligé de signaler
des tendances qui allaient directement contre l'unilé
delaRussie. — AuSud-Est,larépul)Iiqiie du Caucase
luttait comme elle pouvait contre les Turcs, qui lui
prenaient Batoum. — Les Cosaques du Don repré-
sentaient la seule force mililaire qui subsistât en
Russie. Mais ils étaient trop divisés pour aboutir. —
Restait au Centre, dans la Grande-Russie, la répu-
blique des soviets, sous l'autocratie de laquelle le
peuple russe, qui n'avait fait que changer de maîtres,
se courbait comme naguère sous l'autocratie isariste.
L'oeuvre socialedes soviets s'était bornée au morcel-
lement de la propriété par le partage des terres, si
l'on peut appeler ainsi une opération où chacun avait
pris ce qu'il avait voulu. Mais aucune organisation
n'étayait le nouvel état de choses, qui, privé d'ar-
mée, était guetté par l'anarchie. L'AllemaRue, atlen-
tive à ce mouvement, attendait le moment de s'im-
poser, et son envoyé à Moscou, le comte MIrbacb,
avait, devant l'inaction de l'Entente, beau jeu pour
préparer une mainmise politique et économique.
Sans doute, à diverses reprises, le gouvernement
de Lénine et de Trotsky avait envoyé à l'Allemagne
/V »3e. Juin 1918.
des Notes destinées à la rappeler au respect du
traité de Brest-Litovsk et, simultanément, on avait
parlé de la réorganisation de l'armée; mais l'Alle-
magne avait répondu à ces Not«s avec une hauteur
menaçante. Les bruits lancés aux dernières heures
d'avril d'une restauiation du tsarisme étaient certai-
nement une nouvelle offensive allemande contre la
Russie. —On ignorait ce qui se passait au juste en
Sibérie, mais l'Allemagne avait signilié au gouver-
nement de Moscou qu'il eùl à mettre un terme à
l'organisation maximaliste des prisonniers alle-
mands, mesure prophylactique contre la propaga-
tion, en Allemagne, des pratiques de la discipline
bolcheviste. Sur le Pacifique, à Vladivostok, les
Japonais avaient opéré une timide et locale inter-
vention. Quelles intentions cachait-elle? Jusqu'où
firélendaient-ils aller? De quel poids serait cette
ointaine apparition sur le débordement allemand?
Il était sage d'être très réservé sur ce point, mais
on pouvait craindre que les Japonais n'arrivassent
bien tard sur des positions déjà entamées.
Quant à la Roumanie, il était impossible desavoir
avec certitude où en était son traité avec les
Empires centraux, pas plus que l'annexion de la
Bessarabie, et les bruits de déchéance du roi in-
diquaient assez quelle pourrait être l'attitude de
l'Allemagne à l'égard de notre malheureuse alliée.
Nous avons déjà appelé, le mois dernier, l'attention
de nos lecteurs sur cette situation. L'Allemagne orga-
nisait l'Orient de l'Europe. Elle préparait sa domi-
nation sur les Slaves. Contenue pendant deux siècles
par la Russie, elle s'apprêtait à reprendre la marche
vers l'Est. N'était-ce pas pour l'Entente l'heure de
proclamer ses intentions à l'égard des Slaves d'Au-
triche, et, à l'égard même de la Russie désemparée,
qui cherchait sa voie et où il était vraiment impos-
sible que le sentiment national n'éclatât pas quel-
que jour devant l'évidence de la ruine prochaine,
ne coQvenait-il pas d'adopter une politique qui
permit aux restes encore groupés de ce grand peu-
ple de prendre conscience de leur propre existence
et de leur force latente? On pouvait craindre, si l'on
ne se hâtait, de laisser à l'Allemagne le champ libre.
Nous avons dit souvent que l'avenir du monde dans
la lutte présente était attaché au sort de l'Orient. Les
événements qui s'y passent depuis quatre mois nous
confirment, malheureusement, dans cette opinion.
Le président Wilson, dans un discours prononcé
à Baltimore, à l'occasion de l'anniversaire de l'en-
trée de l'Amérique dans la guerre, avait marqué
très fortement, comme il l'a fait pour tant d'autres
idées, le point de vue que nous énonçons. Après
avoir exposé les raisons qu'avait eues l'Amérique
de prendre sa part de cette guerre et montré com-
ment l'Allemagne avait avoué non seulement par
la bouche de ses hommes de guerre, mais aussi, à
Brest-Litovsk, par celle de ses hommes d'Etat,
qu'elle recherchait « non la justice, mais la pré-
dominance et la libre exécution de sa piopre vo-
LAROUSSE MENSUEL
479
anlbi^io^ et do coostruire
sur eux cet empire de la
domination et de la force
sur lecjuel ils s'imaginent
pouvoir ëlover alors l'em-
pire du ^ain e( de la su-
pré m a t i e commerciale,
empire aussi hostile aux
deux Amtîricjues qu à l'Ku^
rope, qu'il intimidera, em-
pire qui dominera eu der-
nier heu la Perse, l'Inde
et les peuples de l'Ex-
trême-Orient. Dans un tel
f>rogramme, nos idéals,
es idéais de justice» d'hu-
manité,de liberté, lo prin-
cipe de la libre disposition
d'elles-mêmes des nations
sur lesquels tout lemonde
moderne insiste ne peu-
vent jouer aucun rôle.
Ils sont rejetés confor-
mément à leur idéal do
pouvoir, en raison du
principe que le fort doit
gouverner le faible, que
le commerce doit suivre
le pavillon, que cela plaise
ou non à ceux auxquels
il est ravi, que les peuples
du monde doivent être
soumis à la tutelle sei-
gneuriale de ceux qui ont
le pouvoir de la leur im-
poser.
Ce programme une fois
exécuté, l'Amérique et
tous ceax qui se soucient
de se tenir à ses côtés,
ou l'osent, ont dû s'armer
et se préparer à contes
ter la maîtrise du monde,
maîtrise dans laquelle les
droits de tous, liommes
et femmes, de tous ceux
qui sont faibles, doivent
pour le moment être fou-
lés au pieds, dédaignés
et où la lutie qui a duré
f)endant des siècles pour
a liberté et le droit re-
tourne à ses débuts.
Toutes ces choses pour
lesquelles l'Amérique a
vécu, qu'elle a aimées,
pour lesquelles elle
a grandi afin de les dé-
fendre et les amener à
une réalisation glorieuse,
seraient tombées en rui-
nes lamentables, et les
portes de la miséricorde
se seraient une fois de
plus impitoyablement fer-
mées sur 1 humanité '
Observateurs en ballon captjf, i I he ^p/iere.)
Interrogatoire d'un prisonnier allemand. [Section photographique de Varmée.
lonlé» , il avait d(';veloppé en ces termes les inten-
tions de nos ennemis et l'avenir qu'ils réservaient à
l'Europe et à l'Amérique :
Leur but (disait-il) est sans aucun ilouto do soumettre
tons les peuples slaves, toutes les nations libres et ambi-
tieuses de la péninsule des Ualkans, tous les pays que la
Turquie a dominés ot tyranoisés, à leur volonté et à leur
-hose est absurde, impossible
et, cependant, n est-ce pas celle que tout le cours de l'action
des armées allemandes a manifestée partout où elles se
sont portées? Je no désire ,pas, même dans ce moment,
montrer de la désillusion
en jugeant âprement,
d'une façon non équitable.
Je juge seulement ce que
les armées allemandes out
accompli avec un zèle im-
pitoyable partout, dans
toute région loyale où
elles ont pénétré.
Que devons-nous faire,
alors? Pour moi, je suis
toujoursprêt, même main-
tenant, à discuter, à tout
moment, une paix équita-
ble, juste et honnête, qui
soit proposée sincère-
ment; une paix dans la-
quelle le fort et le faible
partageront le même sort.
Mais la réponse, quaiidj'aï
proposé une telle paix, est
venue des commandunts
allemands en Russie, etje
no puis me méprendre sur
la signification de la ré-
pouse. J'accepte le défi,
je sais que vous l'acceptez.
Tout le monde saura que
vous l'acceptez.
Et il terminait ainsi :
L'Allemagne a dit une
fois d(^ plus que la force,
la force seule, devra déci-
der si la justice et la paix
régneront chez les hom-
mes, siledroit, comme l'A-
mérique le conçoit, ou la
prédominance, comme elle
la conçoit, décidera des
destinées de l'hunianité.
Iln'ya, parconséijucnt,
) pour "nous qu'une seule
réponse possible : c'est la
force, la force just|u'à l'extrême, sans restriction ni
limite, la force équitable triomphante, qui fera du droit
la loi du monde et renversera daus la poussière toute
domination égoïste.
Sans doute — et personne n'en doute plus — la
force seule peut amener l'Allemagne à renoncer à
son rêve d'hégémonie. Mais on peut aider la force
elle-même et, sur les terrains où cela est possible,
combattre nos ennemis par des armes analogues à
celles dont ils se servent eux-mêmes. L'expérienee
nous enseigne que nous avons trop souvent, sur ce
point, péché par omission, par faiblesse ou par con-
descendance. Ce temps-là est passé. Le Congrès des
nationalités qui s'était tenu à Home en avril avait
permis d'écarter certaines difficultés qui semblaient
subsister entre l'Italie et les Yougo-Slaves. C'était
là un très beureuxrésuUat. 11 était à soubaiter qu'il
fût poussé beaucoup plus loin.
L Allemagne, d'ailleurs, ne se bornait pas à s'ins-
taller dans l'orient de l'Europe vaincu par sa pro-
pre faiblesse; il ne lui suffisait pas de uire planer
sur les Etats Scandinaves la perspective d'un régime
peu souhaitable de domination économique; elle
menaçait indirectement la Suisse et direclemenl la
Hollande. Elle étendait en Suisse ses entreprises
industrielles, et elle y favorisait de son mieux un
mouvement socialiste révolutionnaire, dont les ten-
dances se rapprochaient de fort près du maxlma-
lisme. Des menaces de grève générale à propos du
renchérissement des denrées et, notamment, du lait
inquiétaient tous ceux qui voient dans la Confédé-
ration suisse un modèle de démocratie perfectible
assurémeut, mais déjà digne d'être cité comme mo-
dèle. L'Allemagne préparait sa mainmise écono-
mique sur la Suisse. Nous aurions souhaité pouvoir
dire que nous leur tenions tète sur ce terrain.
En Hollande, la question était plus aiguë encore.
A la suite de l'accord entre la Hollande et l'Enlenle
au sujet du fret, l'Allemagne avait repris ses
exïE^ences au sujet du transit, par la voie des canaux
hollandais, du sable et du gravier rhénans, que l'An-
gleterre considérait avec raison comme contrebande
de guerre, puisqu'ils servaient à construire des for-
tifications et à rétablir les roules en Belgique et
dans le nord de la France, Elle y joignait des de-
mandes tendant à l'utilisation des chemins de fer
du Limhourg. La Hollande, placée entre l'Entente
et l'Allemagne, s'inquiétait justement du ton des
communications allemandes, et on pouvait se deman-
der si nos ennemis ne chercheraient pas. par la
Hollande, une solution favorable du problème de
l'Esraut. Etant donné que leur but essentiel était
d'abattre l'Angleterre, hésiteraient-ils à brouiller un
Îieu plus le jeu en essayant d'y faire entrer de force
es Pays-Bas et, le cas échéant, comment les Pays-
Bas pourraient-ils défendre efficacement leur neu-
tralité? Celte question, que le gouvernement et le
peuple liollandais considéraient cemme très grave,
était de celles qui devaient, k la (in d'avril, nous
préoccuper le plus sérieusement.
Enfin, nous devions nous arrêter aussi sur la
grave question de la conscription militaire en
Irlande. A la suite de la poussée allemande de la
fin de mars et du recul de l'armée anglaise, le gou-
vernemeiit anglais avait proposé au Parlement une
nouvelle loi militaire, qui étendait l'obligation du
service jusqu'à cin-
quante ans et, dans
certains cas, jusqu'à
cinquante -cinq ans.
Celle loi devait être
appliquée à l'Irlande,
qui, jusqu'alors, avait
été tenue en dehors
du service militaire
obligatoire. La loi fut
votée malgré l'oppo-
sition des députés ir-
landais, mais elle sou-
leva en Irlande un
mouvement de pro-
testation et de résis-
tance unanimes, où
l'on vit unis les Sinn
Feiners, les nationa-
listes et le clergé. On
ne pouvait se dissi-
muler la gravité de la
situation. Pourtant, il
fallait tenir compte
de ce fait que la Con-
vention irlandaise,
réunie pour étudier
l'application du Home
Rule promis h l'Ir-
lande en 1914, si elle
s'était montiéedivisée
sur certains points,
avait, pourtant, fait
l'accord sur beaucoup
d'autres. Elle avait
admis le gouverne-
ment de l'Irlande par
un Parlement local,
mais, en même temps,
elle avait défini la su-
zeraineté anglaise et
les oljjets sur les-
quels elle s'exerce-
rait. Elle avait prévu Aspnc. dmie basu am
pour l'Ulslcr une part
oien définie dans le
gouvernement national. Il restait au gouvernement,
s'il voulait vaincre la résistance de l'Irlande, à réa-
liser le Home liule et, particulièrement, à vaincre
l'opposition de l'UIster à l'organisation de l'auto-
nomie irlandaise. La tâche était difficile; on pouvait
penser qu'elle ne dépassait pas les forces de Lloyd
George.
En France, nous le répétons, car on ne saurait
trop le dire, on attendait les événements avec pa-
tience. On savait que la lutte serait dure et longue.
On supportait les restrictions alimentaires, sans
conviction, parce qu'elles dénotaient trop souvent
une incapacité gouvernementale, mais comme un
moyen d'en finir et, de plus en plus, on prenait en
horreur les procédés de guerre d'un peuple qui ne
recule devant aucune ruine et aucune abomination.
La confiance en Clemenceau restait entière, et les
conseils généraux, réunis, l'avaient en grande majo-
rité constaté. Les procès en cours continuaient lente-
ment. Seul, Bolo, après avoir, en annonçant des ré-
vélations, retardé l'heure du châliment, avait payé
sa dette à Vincennes. (V. p. 467.) L'attention publi-
que étail, en somme, blasée sur ces questions. Elle
était ailleurs, sur le front, où nos soldats se bat-
taient avec une énergie indomptable. En présence
du danger, on avait senti étroitement l'union de
tous les cœurs. La France vivait les heures les plus
terribles de celte guerre. — Jules QiiLBiui.T.
Houille bleue. Captalion de la puissance
des var/iies et des marées. — Continuant la série
des expressions métaphoriques, dénommant, de pit-
toresque façon, les diverses manifestations d'énergie
naturelle : houille blanche des glaciers, houille
verle des cours d'eau, que l'homme s'efi'orce de dis-
cipliner pour les adapter à son service, on désigne
sous le nom de houille bleue l'énergie de la mer.
Capter même une faible partie de cette fantas-
tique puissance séduit plus d'un chercheur; mais,
hélas ! rien de bien réel n'est sorti jusqu'ici des
nombreux brevets ou projets publiés sur celle pas-
sionnante question ; aucune application pratique
importante n'est venue sanctionner ces travaux.
Cependant, au moment où, de tous côtés, les
hommes, contraints par leur activité industrielle
même, cherchent à se procurer la force motrice
nécessaire, la captalion de cette houille bleue,
LAROUSSE MENSUEL
si puissante qu'aucune autre énergie terrestre ne
peut lui être comparée, serait du plus haut intérêt.
La solution de ce problème entraînerait, sans nul
doute, une véritable révolution industrielle.
Dans celle étude, nous nous proposons de fixer les
données de la question, d'en montrer diverses solu-
tions d'après quelques projets et de déduire les consé-
quences de celte nouvelle adaptation de l'énergie.
Mouvements de lamer. — La masse des eaux cons-
tituant les mers esl en continuelle agitation. On peut
toutefois reconnaître que quelques-uns de ses mou-
ticaine on France. Onvriors militaires nègres quittant, après le travail, les immenses doclis
construits par le génie américain.
vements ont une allure rythmique, tandis que d'au-
tres sont de simples déplacements d'eau selon un
trajet déterminé; ceux-ci constituent les courants
marins, dont nous n'avons pas ici à nous occuper.
Tout différents sont les mouvements rythmiques;
ils sont de deux sortes, selon leur répétition à des
intervalles plus ou moins rapprochés : soit qu'ils
affectent une
allure ondu-
1 a t oi r e à
courte pé-
riode for-
manlla/tou/e
cl les values,
soitqui',ram-
plitude de
l'intervalle
atleign ant
plusieurs
heures, le
phénomène
bien connu
des marées
se produise.
La houle
est la mani-
festation d'un
ébranlement ondulatoire ; c'esll'application à la mer
du fait constaté en lançant une pierre dans l'eau; au-
tour de ce point d'ébranlement, il se forme une série
de cercles concentriques, qui paraissent s'en éloi-
gner. En réalité, les molécules d'eau no subissent
aucun déplacement latéral, elles oscillent dans le
plan vertical en suivant une courbe feiinée, sorte
d'ellipse très allongée ; nn me uvement d'allure
ondulatoire a pris naissance, et nous assistons à sa
propagation.
Sur mer, par temps calme, quel que soit l'ébranle-
ment produit même à une distance considérable
du point considéré, la surface des eaux présente
ces alternatives de soulèvement et de dépression :
c'est le phénomène de la houle. Si le vent causé
par le frottement de l'air & la surface du globe vient
à s'élever, la houle se modifie, la courbe sinusoïdale
se creuse, ses points élevés se forment en crête,
mais, bientôt, manquant de soutien, cette crête
s'écroule en laissant échapper l'air qu'elle empri-
Fîpr. 1. — Brevet W.iftson : Lps barques A
trausmettont leur mouvpment de va-et-vient
pur une roue d'encliquetage à l'arbre M.
N' 136. Juin 1918.
sonne dans sa chute : la vague a pris naissance.
Celte fois, l'eau se déplaçant, poussée par le vent,
la vague atteint souvent une vitesse considérable.
La surface des eaux peut être bouleversée par un
premier système de vagues, mais celles-ci, en se
heurtant contre une côte, par exemple, engendrent
de nouvelles vagues réfléchies, dont la période et
l'amplitude peuvent difi'érer des premières; elles
entrent en conflit, soit qu'elles ajoutent leurs efforts,
soit qu'elles les contrarient et les annulent. Ce
conflit ou interférence d'ondes crée une surface
cahoteuselrès pénible
pour le navigateur;
le clapotis si désa-
gréable aux marins
est une manifestation
de l'interférence d'on-
des. Il se produit dans
les baies où la ré-
flexion des ondes sur
les côtes est aisée.
Enfin, si le vent de-
vient violent, les va-
gues atteignent une
violence à laquelle
rien ne résiste, la
hauteur peut dépasser
16 mètres et la vitesse
de déplacement 42 ki-
lomètres à l'heure ;
une vague de cent
mètres de longueur
surdix mètres de hau-
teur représente une
énergie de 2.000 clie-
vaux-vapeur par mè-
tre courant. On com-
prend les effets des-
tructeurs d'une telle
masse d'eau frappant
les falaises plusieurs
fois par minute, avec
une pression de
30 tonnes par mètre
carré; un coup de
vent d'ouest lançant
les vagues à l'assaut
de nos côles dépense
un travail conlinu de
cent millions de che-
vaux-vapeur.
Le mouvement de
la marée est, au con-
traire, très régulier
— sur nos côtes, par
exemple, à douze
heures vingt-cinq mi-
nutes d'intervalle et à des temps variables selon les
locali tés ell'époque de l'année, les flots s'élèvent(^ux
ou flot) jusqu'à une certaine hauteur atteignant leur
point culminant — mer haute — en six lieures en-
viron; ils s'y maintiennent quelques minutes pour
entreprendre un mouvement de retrait {reflux ou
jusant) les ramenant à leur point de départ, en un
temps voisin de celui de la montée; après quelques
minutes de stabilisation, le mouvement recom-
mence et se poursuit ainsi périodiquement.
Les marées sont en relation directe avec l'attrac-
tion des astres (lune et soleil) sur la mer; cette
attraction détermine l'oscillation de la masse liquide
Fig. 2. — Système à Hottants (Berretti). nisposition seht^ma-
tique : A, flottant faisant tourner la roup M par liiitermciliaire
de leviers L, de ci-émaillères C et de la roue dt-ntee R.
du globe avec formation d'ondes; celles-ci peuvent
combiner leurs efforts et donner naissance aux
fortes intumescences constatées. La vitesse de dépla-
cement de l'onde de marée est proportionnelle à la
largeur et à la profondeur de l'océan ; elle varie
avec les obstacles rencontrés sur la roule : îles,
hauts-fonds, conlinenls qui dévient le flot. Sans en-
treprendre l'étude des perlui-bations et leur expli-
cation théorique, ilsuffit, ici, de remarquer que,
diins les mers ouvertes, l'amplitude de la marée ne
dépasse pas 1 mètre, taudis que, dans les golfes,
passages étroits où diverses ondes de marée peu-
vent interférer et ajouter leurs efl'orls, elle peut
arriver à 14-15 mètres {baie du Mont-Saint-Michel).
Fig. 3. — Système FuBcnot
tranumettant par tes poutres P leur mouvement
& l'arbre M, par l'interméiliaire du cliquet et des
roues à roobet C.
«■ 136. Juin 1918-
La vitesse de montée dépend de la dislance à la-
quelle la mer s'est retirée; dans la l)aie citée, le
Ilot, à l'époque des hautes marées, s'y précipite à
la vitesse d'un cheval au galop.
Ue la description des mouvements marins il ré-
sulte deux catégories de procédés de caplation :
1" ceux utilisant l'oscillation de la houle et des va-
gues; 2° ceux employautle mouvemeutdes marées.
I. Utilisation de la houle et des vagues. —
L'utilisation de la vague a l'avantage de fournir
une puissance permanente; elle se heurte, toutefois,
à un certain nombre de
diflicultés, dont la prin-
cipale est le pouvoir
destructeur de la mer;
telle installation parfaite
par houle calme s'est
vue disloquée, détruite
en un instant, un jour de
tempête; d'où la néces-
sité, dans tous ces pro-
jets, de concevoir des
appareils d'une solidité
extraordinaire.
Le plus souvent, l'os-
cillation de la houle est
utilisée par l'intermé-
diaire de flotteurs;
ceux-ci, soulevés par le
Ilot, tombent sous
l'inlluencede leur poids,
la chute actionnant un
axe de transmission.
Le flotteur peut être
un bateau solidement
ancré et capable de se
déplacer dans le seul
sens vertical, des pieux
l'immobilisant latérale-
ment; ce bateau est soit
soutenu par une corde
engagée sur une poulie
faisant tourner celle-ci,
lors de ses mouvements
d'oscillation {brevet
Watlson [fig. \]), soit
muni à ses extrémités de
leviers articulés et de
crémaillères agissant sur
une roue denti-e (h;/dro-
moleur Berreitï) Uig. 2].
Dans le but d'éviter
de faire soulever par le
flotteur le poids d'un mé-
canisme quelconque, ce
qui peut, par les résis-
tances causées, annihiler les forces à capter, Fuse-
not (fig. 3) emploie une série de flotteurs cylin-
driques, libres de s'élever verticalement, leurs
mouvements étant transmis par des poutrelles équi-
librées, portant des cliquets, à une roue à rochet,
chacune des oscillations entraînant le déplacement
d'une dent de cette roue.
Le D'' Legrand, dont nous signalons plus loin
un intéressant projet de captalion, propose, pour
l'utilisation de la vague, un flotteur particulier,
sorte de grosse bouée glissant sur un axe vertical,
mobile autour d'un point de suspension placé à sa
partie supérieure; le tout constituant une sorte de
balancier de pendule, dont la bouée serait la masse
pesante. Le jeu de la bouée soulevée par le flot et
déplacée par la vafîue entraîne l'oscillation du
balancier. Un dispositif transmet ce mouvement à
un moteur peumalique. Ce système, très robuste,
conviendrait parfaitement aux installations côtières
et rendrait les plus grands services aux agricul-
teurs et industriels du littoral. Soit qu'on lui donne
degrandesdiinensions, soitquel'onconjuguel'aclion
de plusieurs appareils, le pneumatique à ba'.ancier
permet d'obtenir, sur un même point, pour la pro-
duction d'énergie électrique, une force motrice
considérable.
Outre le flotteur, d'autres procédés peuvent être
appliqués à la captation de la force de la houle; à
Nice, par exemple, l'observation de la vague montre
que l'oscillation de la mer représente une moyenne
de dix ondes par minute, lançant l'eau à l'attaque
de la grève avec une vitesse de 7"", 50 par seconde
en moyenne. Ces vagues gravissent en rampe une
hauteur de 1 à 3 mètres, sous une épaisseur de
lame de l™, 60 en moyenne. Ces observations avaient
suggéré à un oflicier, A. Maurel, de créer des
postes de captation établis de la façon suivante :
Dans ces postes, la vague, en déferlant, pénétrait
dans un chenal maçonné, pour aboutir à une
chambre close, dont le plancher portail des tur-
bines; l'eau entrée dans celte chambre ne pouvait
retourner à la mer, par un canal de fuite, qu'en
traversant ces machines (fig. 4). Dans cette disposi-
tion, avec des arrivées de 12 mètres de largeur, en
utilisant une nappe de 2 mètres au-dessus du niveau
des basses eaux, on aurait la possibilité d'établir,
avec 8 turbines, des postes de 5.000 chevaux-vapeur,
fonctionnant jour et nuit.
LAROUSSE MENSUEL
La variation de la pression de l'air contenu dans
un espace clos où la mer pénétre, base de divers
procédés d'utilisation des marées, comme nous le
verrons plus loin, peut recevoir une application dans
l'utilisation de la vague. Une installation ainsi con-
çue fonctionne prés de Hoyan : l'inventeur, Bou-
chaud-Praceiq, utilise comme élément générateur
une vaste chambre à air formée d'un puits et d'une
galerie perpendiculaire en relation avec la mer;
l'eau, pénétrant librement dans la galerie, comprime
ou détend l'air contenu dans l'espace libre de la
, notteurs libres.
chambre ; cet air, comprimé on détendu selon l'oscil-
lation de la vague, agit sur les aubes d'une sorte
de turbine aérienne, disposée pour tourner dans le
même sens, quel que soit le sens, de l'appel d'air.
11. Utilisation ue la marée. — Le phénomène
des marées étant régulier et l'énergie de la mer,
considérée dans ce cas, n'étant pas émise avec la
violence des ondes de la vague, il en résulte que
l'utilisation des marées est théoriquement plus aisée
que celle de la vague.
Les divers systèmes employés peuvent se classer
en deux groupes :
1" Systèmes utilisant des bassms ouverts, remplis
Fig. 4. — Projet Maurel (usine utilisant la force vive des
vagues). A, Turbines; B, Porte-écluse d'arrivée ; C, Porte-
écluse,, canal de fuite; D, Appareil d'utiiisation ; cd. Axe
de force motrice.
481
vénient de ne travailler qu'à des intervalles Jrré
guliers, tantôt de jour, tantôt de nuit, conditions
d'irrégularité absolument incompatibles avec une
industrie un peu iniporlante; aussi, tous les perfec-
tionnements ont été recherchés en vue de la cons-
truction d'appareils continus et réguliers.
Le 12 mai 1890, Decœur, ingénieur des ponts et
chaussées, proposait à l'Académie des sciences, dans
les aménagements de l'estuaiie de la Seine, la ci'éa-
tion de vastes bassins pour la captation conlinue de
la force des marées. Cet ingénieur considérait deux
bassins consécutifs : l'un se remplissant b marée
monlanle, l'autre restant vide; l'eau emmagasinée
pouvait, par suite, passer du premier bassin dans le
second à travers des ouvertures disposées dans le
mur mitoyen et contenant des turbines, l'eau accu-
mulée dans le second bassin étant ensuite rejetée
à la mer lors de la marée descendante.
Si les bassins sont assez spacieux, on peut main-
tenir entre eux une difl'érence de niveau suffisante
pour le fonctionnement régulier des turbines, pen-
dant un temps au moins égal aux périodes de rem-
plissage. C< tte idée a été reprise, dans un brevet
récent, par un Américain, Gustafson. Cet inventeur,
dont nous reproduisons la disposition (fig. 5), déter-
mine les arrivées et les départs d'eau de ses bassins au
moyen de portes de retenue installées dans les
digues séparant les bassins de la mer; ces portes
s'ouvrent en dedans pour l'alimentation, en dehors
pour l'évacuation; elles sont construites pour se
fermer par leur propre poids, lorsque les conditions
de pression sont égales sur leurs faces opposées.
Dans ces systèmes, un des bassins est un accu-
mulateur d'eau, l'autre servant seulement à évacuer
l'eau issue des turbines ; on peut en envisager
l'emploi autrement et faire fonctionner les turbines
alternativement par chacun des bassins, ces appa-
reils hydrauliques étant, cette fois, disposés dans
la digue de séparation avec la mer.
Le premier bassin supposé plein se vide à marée
descendante en actionnant les turbines jusqu'au
moment où son niveau atteint presque celui de la
mer; le second bassin, à cet instant, intervient et
aide à franchir ce point mort; plusieurs façons de
conduire les appareils ont été publiées.
Diamant, de Melbourne, réalise la constance du
fonctionnement en établissant deux bassins égaux,
A et B, ayant accès sur la mer par un petit bassin
mitoyen E, les turbines étant disposées en tif dans
les parois de celui-ci (fig. 6).
Supposons la mer haute à la cote -4- 12 mètres par
exemple, A étant rempli; lors du reflux, l'eau de
ce réservoir est retenue jusqu'à ce que la mer
atteigne la cote -(- 9 ; à ce moment, on la laisse
s'écouler à la nier, en passant par les turbines avec
une chute de (12 — 9) ou 3 mètres; ce déversement
se poursuivra en le réglant pour conserver en A de
l'eau jusqu'à la cote -j- 4 dans le temps nécessaire
à la marée pour devenir basse (cote 0) et remonter
à -f 3. Il est, alors, évident que la difl'érence de ni-
veau n'est plus suffisante pour alimenter les turbines.
E entre alors en fonction; ce bassin était vide, la
mer étant à -j- 3. Les turbines, traversées par l'eau
de remplissage, vont fonctionner sous une chute de
ou vidés selon le jeu des marées et employant l'eau
comme agent moteur pour actionner les roues ou
les turbines;
2° Systèmes utilisant des bassins clos, dans les-
quels l'agent moteur est Vtiir comprimé ou raréfié
selon les mouvements du flot.
Systèmes à bassins ouverts. — Ceux-ci sont les
plus nombreux; ils comportent même, pour quel-
ques-uns, des installations réelles. Dans sa forme la
plus simple, le système comprend un bassin se rem-
plissant à marée haute pour laisser effectuer sa vi-
dange à mer descendante, l'eau emmagasinée se
déversant dans un appareil hydraulique quelconque
(roue, turbine, etc.); tel est le moulin à marée, dont
on trouve quelques types sur nos cotes bretonnes.
Ainsi conçu, le moulin ne donne qu'une solu-
tion très incomplète de la question; son avantage
est d'Être peu coûteux, mais il offre le grave incon-
3 mètres ; l'opération se poursuit en la réglant de
façon à remplir B jusqu'à la cote-|- 8, dans Te temps
nécessaire au flot, pour atteindre -|- 12 et redes-
cendre à -|- 9. La difl'érence des cotes n'étant plus
alors suffisante. A, qui s'est rempli dans l'inter-
valle, reprend son office et recommence le cycle.
Ce même mode d'utilisation peut s'employer pen-
dant le remplissage de A et la vidange de B, «oit
que l'on emploie un autre jeu de turbines, soit que
l'on dispose en conséquence les arrivées d'eau ; on
double ainsi la puissance de l'installation. Toutefois,
la bonne marche des appareils exige que la hauteur
de chute se maintienne constante. On y parvient en
faisant mouvoir la turbine dans le plan vertical, en
l'installant sur le plateau d'une presse hydraulique,
en relation avec la hauteur du flot.
L'inventeur bien connu, R. Esnault-Pellerie, dans
ses brevets, utilise également, pour franchir le point
48â
mort de la marée, un système de deux bassins, dont
le fonctionnement est indiqné par le graphique ci-
contre (firj. 7). Chaque réservoir travaille soit par
remplissafje, soit par déversement, tant que la dif-
férence de niveau avec la mer est suffisante; par
LAROUSSK MENSUEL
grandes hauteurs; disposition, par exemple, pré-
sentée par le pas de Calais et la Manche.
Dans un projet grandiose et bien digne de l'im-
porlance de la puissance à capter, l'auteur constitue
ses bassins par de vastes espaces marins qu'il en-
digue de murs enbélonarmé; dans le
pas de Calais, un des bassins serait
formé entre deux digues barrant le
détroit, de Calais à Ramsgate au
nord, et du cap d'Alprecht, près de
Boulogne, au Ùungeness, sur la côle
anglaise au sud ; l'autre étant l'es-
tuaire de la Tamise endigué de Mar-
gale au Orfordness (fig. 8).
Les bas-fonds, nombreux dans ces
régions, servant d'assises h la digue,
celle-ci, pour éviter l'élévation des
marées et l'inondation des oorts voi-
sins, serait construite de façon à être
submergée aux grandes marées; une
superstructure supporterait les voies
ferrées, les usines électriques, etc.,
que l'on pourrait y installer; les tur-
bines placées dans un canal aménagé
le long de la digue recevraient l'eau,
tantôt venant de la mer, tantôt venant
du bassin ; des portes spéciales régle-
raient ces admissions; enfin, des
écluses permettraient la libre circu-
lation des navires.
Pour accroître encore la puissance
»• 130. Juin 1918.
lions génératrices; — la turbine actionnant des al-
ternateurs se prêtant merveilleusement aux trans-
ports de force à dislance.
Outre la nécessité de construire les digues en
toute solidité et de protéger les appareils contre les
Fig. 6. — Disposition des bassins (système Diamant) : A, B, tuisBioB ;
E, bassin en cuiitacl avec la uier ; t, t', turbines.
violents coups de mer, la réalisation des bassins
entraîne l'établissement de divers systèmes d'obtu-
ralion des ouvertures (vannes, écluses, clapets,
portes, etc.); plusieurs conililions, jusqu'ici mal
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FIg. B. — Bassin (disposition Gustafson) : A, mur garni des portes d'entrée ; B, alimentation des turbines T;
C. mur garni des portes de sortie à marée basse.
Fig. 7 — Projet Esnnult-Pelterie : M, courbe des niveaux de la mer. 1. Travail du
premier bassin, t. Travail du s'T'jnd bassin. (A tout instant, la différence des niveaux
[bassin et mer] représente la tiautcur de cbutesous laquelle travaille la turbine.)
exemple, de a en h, le premier bassin se vide ;
de c en d, l'appareil est actionné par le second ré-
servoir; de e en f, le premier bassin recommence
son travail en se remplissant; puis, de jr en h, le
cycle est achevé par l'autre bassin achevant de se
remplir; — le cycle se poursuit ainsi à nouveau, le
second réservoir n'agissant qu'en auxiliaire du pre-
captéc — car la marée du détroit n'est qu'une onde
conséquente des marées de l'océan, perturbée
par les sinuosités du continent français au point
de subir une sorte de retournement dans le sens
de sa propa{,'ation, en venant sens est-ouest dans
le pas de Calais et, par suite, une atténuation
de puissance — l'inventeur propose de régulariser
Orfordnesa \i/
y J . MER BU ex
Fig. 8. — Proiet Esnault-Pelterie : aménagement du pas de Calais et de la Mancbe en vue de la captation de la force des marées.
(Les llecheB indiquent le sens des marées. Les espaces hachurés représentent les bassins de captation.)
mier. De celle façon, les turbines reçoivent toujours
assez d'eau pour une marche régulière; un dispo-
sitif fait varier leur vitesse de rotation en fonction
de la vitesse d'écoulement de l'eau.
Esnault-Pelterie propose d'appliquer ce système
dans les bras de mer, longs et étroits, d'orienta-
tion E.-O., là où les marées atteignent les plus
la propagation de l'onde en supprimant l'action
des golfes.
La baie de la Seine (de Barfieur au cap .^nlifer),
le golfe de Saint-Malo (du cap de La flague à l'em-
bouchure du Trieux) seraient barrés de digues et
délimités en deux parties constituant de nouveaux
systèmes de bassins, créant ainsi de puissantes sta-
remplies, étant nécessaires : élanchéité, solidité,
fonctionnement rapide et aisé, etc., il semble que,
sur ce point, le champ reste libre à la sagacité des
chercheurs.
Quelle puissance peut-on espérer capter par les
bassins? D'après le ?■■ A. Berget, chaque kilomètre
carré découpé à la surface de la mer correspond à
20.000 chevaux-vapeur; la seule baie du Mont-Saint-
Miclu'l, où, aux équinoxes, le Ilot dépasse 14 mètres,
fournirait de quoi alimenter le quart de l'induslrie
française. Praticiuement, dans ses travaux, Decoeur
estimait, pour les maiées de la Manche, obtenir à
l'axe de fa turbine une force minimum de 300 che-
vaux par kilomètre carré de bassin; force alteignant
600 chevaux pour des marées de S^i-iO d'amplitude,
la dépense étant évaluée à 1.000 francs le cheval
installé (digues, machines, etc., tout compris). Plu-
sieurs installations existent sur la côle américaine,
à Mamaroneck; le rendement d'un bassin de 13 hec-
tares sous O^iGO de chute est de 35 chevaux par
turbine.
Si/sièmes à réservoir clos. — Dans ces systèmes,
l'agent moteur est l'air refoulé ou dilaté par le jeu
de la marée pénétrant dans une cavité close.
La compression de l'air entraîne quelques com-
plications de construction ; les réservoirs devant
résister à la pression, déjà très coûteux à établir dans
de petites dimensions, deviennent rapidement d'un
prix inabordable, lorsque leur volume augmente; au
contraire, l'air raréfié présente quelques avantages.
Dans une récente publication : la Houille bleue,
le D' Max Legrand décrit un procédé ingénieux
qu'il a imaginé, basé sur ce principe. Son poste
comprend une citerne close, bien maçonnée, en
communication avec la mer {fy. 9); celle-ci, en s'é-
levant, remplit la citerne, en chasse l'air contenu à
travers une soupape. L'effet inverse se produit à mer
descendante : l'eau, en s'écoulanl, détermine au-des-
sus d'elle une différence de pression el,par suite, par
une tubulure en communication avec l'extérieur, un
appel d'air.
Cet appel d'air est utilisé par l'auteur pour ac-
tionner un moteur spécial, sorte de roue métallique
équilibrée, portant à sa circonférence un certain
nombre de dents. La roue tournant, la crête de ces
dents frôle à frottement doux la gorge d'une mon-
ture dans laquelle elles s'encastrent exactement.
L'aspiration se faisant dans cette pièce, la pression
de 1 air agit sur les dents pour déterminer la rota-
tion de la roue. Ce moteur bydropneumatique peut
Fig. 9. — Moteur hydro-
pneumatique du D' M. Lcgrand.
A, citerne; B, communication
avec la mei-; T. trou d'iiomme;
S, soupaiie; FF', conduite d'air ;
P, moteur hydropneumatiquo
(supposé CD coupe).
N- 136. Juin 1918.
développer 0.83 HP pour une baisse d'eau de 2 cm.
par minute dans une cileriie de 10 mètres carrés de
surl'ace, en supposant une rotation d'un tour par
seconde et une surface de dents de 10 cm. carr.
Tel est le principe de l'installation; mis en exécu-
tion, ce genre d'ap-
pareil conviendrait
en mille points du
littoral pour amé-
nager des moulins,
des élévateurs
d'eau, etc.
— Applications
de la houille bleue.
En admettant, par-
mi les procédés
connus, une appli-
cation sur les côtes
françaises, repré-
sentant 3.300 kilo-
mètres (îles com-
prises) de dévelop-
pement, nous pour-
rions espérercapler
desmillions deche-
vaux-vapeur à un
prix de revient
ex Iraordinairement
faible.
Cette immense
puissance motrice
sera capable de mo-
difier l'tl'conomie
industrielle de notre pays, les usines abandonnant
le voisinage des mines pour se cantonner dans
les régions de force motrice : région alpestre
pour la houille blanche, région cAtière pour la
houille bleue; mais, ici, avec toutes les facilités
possibles pour le transport des matières premières
ou des produits manufacturés.
Il est de toute évidence qu'une des premières
adaplationsde cette énergie marine serait son trans-
port à distance par l'intermédiaire de courant élec-
trique; en outre, nous aurions à
proximité l'inépuisable source
chimique constituée par la mer
et la possibilité, par suite, d'en
extraire ou de préparer un certain
nombre de produits primordiaux :
le chlore et ses dérivés, les sels
de sodium, etc. L'électrolyse de
l'eau de mer fournit, à bon mar-
ché, un excellent désinfectant ;
l'eau de mer électrolysée, c'est-
k-dire chargée de quelques quan-
tités d'hydiochlorile, élevée dans
des réservoirs à distance, peut
servir au netloyage des villes et
les débarrasser de tous germes
nocifs. Cette circonstance serait
particulièrement bien accueillie
dans beaucoup de villes du litto-
ral, où, parfois, l'eau douce man-
que et ne peut servir aux travaux
de voirie.
Au point de vue général, la
captation des forces naturelles ne
peut qu'être avantageuse; c'est,
grâce à elle, la réalisation de
grands travaux intéressant la
France entière : canal interocéa-
nien joignant la Méditerranée à
l'Océan, navigable aux gros na-
vires; creusement de l'étang de
Berre ; Paris port de mer; la
création d'un réseau général de
distribution de force, etc., pour
ne ciler que quelques questions,
parmi les nombreuses qui sont
destinées à rendre notre patrie
plus forte et plus riche. De plus,
au lendemain de la guerre, si
quelques-uns de ces projets sont
installés avec l'ampleur voulue,
en rapport avec le but poursuivi,
c'est la résolution de la crise de
force motrice qui nous guette, —
comme le faisait remarquer dans
l'organe de la Ligue maritime,
le pf Berget : l'océan est une
source d'énergie ; cette énergie
naturelle n'attend qu'un peu d'énert,'ie humaine
fiour être féconde. En manquerons -nous encore
ongtemps ? — M. Molinié.
impact [in-pakf — du lat. impactus, heurté
contre) n. m. Balist. Endroit oii est tombé, où a
frappé un projectile : Après le bombardement, on
a relevé les impacts. || Points d'impact, points de
chute d'obus, de bombes, de projectiles quelconques.
itinérant, e [ran — de itinéraire) adj. Qui a
rapport aux ilinéi-aires; qui s'occupe des itiné-
raires; qui organise les déplacements : Commission
ITIMÉRANTE,
LAROUSSE MENSUEL
Le Duo (Arthur- Jacques), sculpteur français,
né à Torigni-sur-Vire le 27 mars ls48, mort à An-
tibes le 20 février 1918. C'est une intéressante figure
que celle de cet artiste, amené à la politique par
1 amour de sa terre natale. Le Duc était un artiste
provincial, dans toute l'acception que ce mot com-
porte de noblesse, ou, si l'on préfère, un sculpteur
régionalisle, puisque le mot est h la mode. Les
soixante-dix années de sa vie furent remplies par
l'amour et le culte de sa patrie normande, cellule
"XN AuJessus
du niveau des
hautes mers
inséparable, dans son esprit, de sa plus grande pa-
trie, la France. II était issu d'une vieille famille
normande, et il avait fait ses études au lycée, puis
à la faculté de Caen. Un goût précoce pour la cam-
pagne, la chasse et te cheval, se mua, vers l'âge
d'homme, en une vocation irrésistible pour l'art. Sa
firemière œuvre fut un hommage aux traditions :
e tombeau de sa grand'raère, qui fut médaillé au
Salon. Etant venu à Paris, peu après la guerre
de 1870, il voulut développer son goût pour la repré-
Un compagnon de bu Ouetclin à Cocbercl, B. (joyer de Matignon, œuvre de A.-J.
sentation des animaux; il connut Barye, qui s'inté-
ressa à lui et dont il fut élève.
C'est à cette époque de sa vie qu'il faut rattacher
l'exécution, notamment, de groupe : Centaure et
Bacchante, qui se trouve aujourd'hui dans la cour
du musée de Caen ; de la Horde de cerfs, au jardin
du Luxembourg, îi Paris. Mais il ne voulut pas se
spécialiser dans la sculpture naturaliste et brutale qui
était à la mode alors. Son sens de la terre et de la
tradition l'engagea dans une autre voie : il se fit
l'historien monumental des souvenirs de sa province.
Pour commémorer l'elTort des mobiles de Nor-
mandie et perpétuer le souvenir de l'armée de la
483
Loire (1870),dontil avait faitparlle,ilréalisa,àBayeux
et à Caen, deux monuments importants : le groupe
des Enfants du Calvados et celui des Mobiles de
liiiyeux. Dans ce dernier, l'on voit un jeune Fran-
çais saisissant d'un geste le fusil qui échappe des
mains d'un soldat mortellement blessé, pour conti-
nuer la lutte après lui. Arthur Le Duc attachait un
sei:s symbolique
à cette oeuvre,
car il avait es-
sayé de faire pas-
ser dans le mar-
bre toute son
ardeur patrioti-
que. C'est à cette
veine d'illustra-
tion régionale
que nous devons
encore une œu-
vre charmante :
la Laitière nor-
viande, qui est
à Saint-Lô. Une
vieille est figurée
dansson costume
rustique, caraco
collant, jupon Arttiur Le Duc.
court et bonnet
de coton, portant sur l'épaule, maintenue par une
longue ceinture de cuir passant sur la tête, le
curieux pot au lait que connaissent tous ceux qui
ont voyagé en Normandie. C'est aussi à ce sens de la
tradition provinciale qu'il faut rattacher d'une part
le monument de Formigny, d'autre part les figures
célèbres du connétable de Hicliemond à Vannes,
à.' Alain Charlier à Bayeux, et cette belle statue
équestre exposée au Salon de 1914 : un Compa-
gnon de Du Ouesclin. Dans cette série d'œuvres,
il avait pour but d'exalter les gloires locales qui
ont contribué au rayonnement de la France.
A Formigny, entre Isigny et Bayeux, il avait
commémoré la victoire du 18 avril 1450, qui rendit
la Normandie à la France. Le connétable de Riche
mond, qu'il avait déjà représenté
à Vannes, y est figuré, tenant la
main du comte de Clerinont,
au-dessus de l'écusson de la
France, tandis que la Victoire
les domine, apportant les palmes
et les couronnes.
L'artiste fit un grand nombre
de bustes, statuettes et plaquettes;
notamment, celle qui célèbre le
millénaire de la Normandie. On
lui doit aussi un Horace Vernet à
cheval prenant un croquis, et une
fontaine dans le parc de Monte-
Carlo. {W.Lar. Mens., t. II, p. 890.)
Sa vie, au milieu de la campa-
gne et des paysans — car il habi-
tait à Asnières, près de Bayeux —
l'avait intéressé aux besoins des
habitants de son petit pays, et
il songea aux améliorations qu'un
homme instruit et qui aime la
terre peut réaliser à l'aide du
mandat électoral. Nommé conseil-
ler municipal, puis maire de son
pays en 1894, il accepta, le 31 juil-
let 1904, de représenter le canton
d'Isigny au conseil général du
Calvados. 11 montra une compé-
tence particulière dans les ques-
tions touchant les ports disigny
et de Grancamp, dans les ques-
tions agricoles, dans les ques-
tions d'élevage. Il trouvait dans
son cœur d'artiste une éloquence
prime-sautière, une dialectique
précise, incisive. On se souvient,
dans sa province, d'une campagne
judicieuse qu'il mena contre les
chemins de fer du Calvados.
Arthur Le Duc est mort sur la
Côte d'Azur. Il était chevalierdela
Légion d'honneur depuis 1906 et
officier de l'instruction publique.
Sa carrière est un bel exemple
de ce que peut faire un artiste qui
LeOuc(i9i2J' consent à vivre loin de la fièvre
urbaine et loin de l'écœurante et
factice préparation du « Salon ». Son œuvre, abon-
dante et diverse, a un sens, un but, une direction.
C'était un artiste probe, sincère, loyal, pour qui l'art
n'est pas un métier. — Jean-aabriei l^buoiki.
Passion d'Ajrmelle Louanais (la),
par (;b. Géniaux (Paris 1918). [Grand prix du roman,
décerné par l'Académie française]. — Non seulement
il est malaisé de résumer l'intrigue de ce roman,
tant elle est ténue; mais, à en indiquer même eu
deux mots le sujet, on risquerait de trahir grossiè-
rement la pensée de l'auteur. Une paroissienne qui
s'éprend de son pasteur et qui voue toute a* vie k
484
cet amour insensé, voilà, n'est-il pas vrai, un sujet
foncièrement déplaisant. El, cependant, sur celte
donnée scabreuse, Cli. Géniaux a écrit un roman
d'amour d'une élévation et d'une pureté de senti-
ments très nobles, en même temps que d'un intérêt
profondément tragique.
L'action se passe en Bretagne, aux environs de
1830. Cette double circonstance de lieu et de temps
permet à l'auteur d'étendre à ses deux héros celte
mélancolie naturelle et grise qui, en Bretagne,
émane des choses mêmes, et de teinter leurs carac-
tères d'un roiiianlisme discret. L'un et l'aulre souf-
frent obscurément de ce mal « du siècle », si com-
munément répandu k celle date.
Donc, dans la paisible ville de Vannes, vivait
d'une existence indépendante, et pourtant désen-
chantée, Armelle Louanais, tille d'un ancien conseil-
ler au présidial. Orpheline de sa mère dès sa nais-
sance, élevée pur son père dans les idées des
philosophes du siècle précédent, Armelle professait
k l'égard de la religion une indifîérence presque
hostile, qui l'empêchait de chercher dans le secours
de la foi une consolation à sa disgrâce physique. A
l'âge de dix-huit ans, en elfet, alors qu'elle avait
déjà a goûté aux ivresses de plaiie, de conquérir
et de dédaigner », la petite vérole l'avait odieuse-
ment déligurée, elles taches de son visage,» comme
produites par une volée de plomb, avaient éloigné
d'elle les hommes qui, l'admirant, eussent pu l'ai-
mer». Plus réellement morte au monde qu'une re-
ligieuse, elle s'était confinée dans un isolement
orgueilleux, mais son âme ardente et riche soulfrait
de cet isolement même et du vide d'une existence
qu'aucun idéal ne venait embellir. Bientôt, la mort
de son père devait, aggravant la solitude de la jeune
fille, accroître son désarroi moral. C'est alors que le
hasard d'une prédication, oii la curiosité l'avait con-
duite, mit Armelle en présence de celui qui allait
transformer sa destinée, le prêtre Nicolas Helléan.
Allons-nous assister à l'aventure vulgaire d'une
jeune fille senlimenlale, séduite par les grâces d'une
éloquence fleurie et tombant amoureuse d'un prédi-
cateur à la voix prenante et aux gestes harmonieux?
Nullement; le drame de passion qui s'ouvre ainsi
est autrement élevé. Ce que nous savons du carac-
tère de l'héroïne nous assurait déjà contre tout
risque de banalité; ce que l'auteur va nous appren-
dre de son héros achèvera de dissiper nos doutes.
Sur les origines et la naissance de Nicolas
Helléan, Géniaux a placé un mystère, qu'il a main-
tenu jusqu'au bout; et ceci est très ingénieux et
pique notre curiosité. Tout au plus laisse-t-il en-
tendre que cet enfant, sevré dès le berceau de toute
tendresse familiale et confié aux soins moroses
d'un vieil intendant, était le fruit d'une faute et
devait être « issu d'nn sang illustre et d'une gloire
plébéienne ». Et c'est là qu'apparaît la nuance ro-
mantique : comme l'Antony de Dumas, Helléan
portera toute sa vie le poids d'une obscure fatalité;
mille instincts s'éveilleront en lui, où il sentira
l'effet d'hérédités secrètes, tandis que l'ignorance
de ses origines réelles marquera son cœur d'une
indélébile tristesse. Le sentiment de sa déchéance
originelle, comme chez Armelle celui de sa disgrâce
physique, incline l'âme d'Helléan vers la solitude
et y développe un orgueil identique. Adolescent, il
répugne à se joindre aux camarades de son âge, il
tourne son esprit vers l'ambition, seule porte par
laquelle il se puisse évader. Mais sur lui veille une
sollicitude mystérieuse et jalouse, qui sournoisement
brise toutes ses velléités d'agir et de s'élever.
C'est ainsi qu'il est peu à peu acheminé vers l'état
ecclésiastique, non sans révolte d'abord. Pour l'y
décider, i! faut qu'aux enveloppantes exhortations
de son évèque se joigne la persuasion chaleureuse
(le Lamennais. Et ici. Géniaux a très heureusement
évoqué la figure d'apôtre de L'auteur de l'Essai sur
l'indi/féience ; nous le voyons dans son monastère
de La Chênaie, entouré de ses disciples, élaborant
avec eux ses rêves de régénération religieuse et
sociale. Cet épisode, adroitement amalgamé au
roman, en précise la couleur. Gagné par la lyrique
bonté de Lamennais et sa foi enthousiaste, Nicolas
se résout enfin au sacrifice définitif.
L'amour sur les cimes comme il l'avait jadis rêvé lui
restait inrerdit.... Après la prodigieuse épopée impériale,
le règne de la gloire semblait clos. De quelque côté qu'il
se tournât, aucune issue à son ambition d'être utile, de
servir. Il ne pouvait lui échapper davantage que M»' de
La Motte-Broons, ferme exécuteur de volontés secrètes,
l'écraserait de sa puissante main, s'il le jugeait nécessaire
aux intérêts dont il s'était constitué le représentant. Il
ne restait donc à Nicolas que d'en appeler à Dieu de cotte
injustice et, dans un mouvement passionné de son cœur,
il offrit pour toujours son âme au consolateur ineffable.
Tel est le personnage qui, dés la première ren-
contre, étonne Armelle, malgré son indilTérence
hostile. Chez ce prêtre étrange, tantôt mesuré et
réticent, tantôt imposant à son auditoire sa force
de domination, elle pressent un mystère; derrière
le calme de son front, elle lit l'ardeur secrète de sa
pensée. Un obscur intérêt naît en elle pour ce mi-
nistre d'une religion qu'elle ignore et dédaigne et
parce qu'elle devine dans cette âme de prêtre des
énergies supérieures, peut-être parce qu'elle y est
LAROUSSE MENSUEL
poussée par de mystérieuses affinités, elle, l'orgueil-
leuse Armelle, va s'agenouiller au confessionnal;
elle avoue à Helléan le dénuement de son coeur, son
appétit du néant et aussi son aspiration vers quel-
que chose qui l'empêcherait de mourir dans la haine
de tout; elle lui marque son désir de trouver une
personne attentive à lui indiquer les raisons nobles
de vivre... Ainsi s'établit entre ces deux êtres une
intimité spirituelle, que rien désormais n'affaiblira.
Maïs, tandis qu'elle garde chez Helléan un carac-
tère purement sacerdotal, celle intimité prend bien
vite, dans l'âme passionnée d'Armelle, un tour sen-
timental. Et c'est ici que l'analyse a peine à traduire
des nuances si délicates, que l'auteur se contente
d'ailleurs de suggérer, sans y insister jamais. On
devine seulement que, pour Armelle, l'homme qui
l'a ramenée à Dieu reste inséparable de ce Dieu :
elle les confond l'un et l'autre dans le même sen-
timent, et sa foi s'élève sur on ne sait quel fonds
d'amour idéalisé. C'est un sentiment de ce genre
que dut jadis éprouver sainte Claire d'Assise à
l'égard de saint François, et le rappel de ces deux
pures figures mystiques caractérise mieux que les
incertiludes d'une analyse ce que Géniaux a voulu
peindre dans son roman.
D'ailleurs, Helléan n'est-il pas lui-même un saint,
par son esprit de sacrifice et son constant renon-
cement ? Inquiet de la vogue du prédicateur,
alarmé peut-être de son intimité avec une pénitente
de marque, l'évêque de Vannes envoie brusquement
Helléan dans un petit village perdu, au Guerno,
<i qui sert à l'ordinaire de lieu de détention pour
les prêtres coupables ». L'humiliation est grande
pour Nicolas et aussi sa douleur, car c'est le sacri-
fice de son apostolat, de sa gloire rêvée, peut-être
aussi de son bonheur terrestre. Il se soumet, pour-
tant, et part, résigné, pour sa misérable résidence.
Il ne me reste qu'un droit (songe-t-il) : protester contre
ce monde injuste en m'etforçant de dépasser mon devoir.
Et telle sera désormais sa maxime. Quand, un
peu plus lard, Armelle, incapable de supporter celle
séparation, vietidra à son tour s'établir au Guerno,
Nicolas la recevra sans trouble.
— Pourquoi venez-vous ici 7 (lui demandera-t-îl seu-
lement),
— Parce que sans vous je risquais de perdre Dieu. La
fragilité de ma foi m'effraye. J'ai besoin d'être guidée, et
c'est votre devoir de prêtre do no pas m'abandonner.
A cet aveu, Nicolas baissa la tète, jusqu'à ce que son
menton touchât sou rabat, et parut l'oublier... Après un
silence terrilîant, Nicolas promena son regard sur le
cimetière, qui n'avait presque plusdesignifiration funèbre
sous les pervenches et les bourraches azurées recouvrant
de leurs âeurs les fosses, et une pitié inânie amollit sa
volonté. M"« Louanais n'était-elle pas aussi abandonnée
qu'il pouvait l'être lui-même? Davantage même, puis-
qu'une brume lui dissimulait encore parfois la lumière éter-
nollo. Cependant, il eut le courage de la fixer avec un morne
regard, et il la quii:ta lorsqu'il la vit jirête à pleurer...
Dès lors, va se poursuivre, éinaillée de petites
joies et grevée de lourdes tristesses, la vie parallèle
de ces deux êtres voués à un commun exil : Armelle,
lour à tour heureuse d'être près d'Helléan et tor-
turée par la froideur volontairement distante du
prêtre, qui parfois l'irrite ou la révolte; Nicolas,
enfoncé chaque jour davantage dans son silencieux
sacrifice, se vouant aux soins obscurs et ingrats de
sa charge, s'interdisant même les joies légitimes
et pures d'une intimité dont le charme eût peuplé
l'isolement de sa vie terrestre. Et les années passent
ainsi, lentes et mornes, et c'est seulement à son lit
de mort que Nicolas Helléan consent à recevoir
Armelle. Il l'accueille avec une douceur tendre et,
au seuil de l'agonie, laisse échapper enfin l'aveu,
spiritualisé par la mort et la foi :
— O mon amie, sachez-le, personne autant que vous ne
m'attachait à cette existence. Pourquoi vous désoler ? Vous
savez quelles restrictions j'avais été obligé d'apporter à
nos relations. Moi disparu corporellement, presque rien
n'est changé à ce point de vue humain daus votre vie ;
seulement, quelque chose de radieux devient une réalité.
Comprenez-moi: bientôt, jo pourrai être davantage à vous,
et jo vous défendrai contre ce que vous semblez redouter.
On voudrait pouvoir citer ce récit de la mort
d'Helléan, empli d'un dramatique intense, aussi bien
que le détail des dernières années d'.\rmclle, vouées
au souvenir douloureux de son grand amour défunt.
Dans toutes ces pages, l'auteur atteint à une grande
puissance d'efi'et tragique, mais sans aucune violence
et avec une extrême sobriété de moyens.
Cette sobriété est, d'ailleurs, la caractéristique de
l'art de Géniaux, et c'est, avec la constante noblesse
de la pensée et la délicatesse des analyses à peine
indiquées, le principal mérite de ce roman. Il serait
injuste de ne pas signaler aussi le charme des des-
criptions, dont la précision verbale enferme une
grande force évocatrice, et qui créent autour du
récit une atmosphère enveloppante, faisant participer
l'âme même des choses aux péripéties de ce drame
intime, à la fois humble et grand. — F. GutRiNo.
perdicule (du lat. perdix, perdrix, et du dimin.
cule) n. f. Genre d'oiseaux du groupe des passereaux
et de la famille des phasianidés ou faisans.
— Encycl. Ce genre est spécial à la péninsule
iadochinoise et comprend deux espèces, qui rap-
Perdicule asiatique.
N' 136. Juin 1918.
pellent la caille par leur taille, mais se rapprochent
plutôt des perdrix par leur structure et leurs mœurs.
Les femelles sont très dilférentes des mâles. Les
deux espèces présentent des variations de plum.ige
si nombreuses que, dans une série, il y a toujours
des individus qu'on ne peut qu'avec doute rapporter
à l'une ou à l'autre espèce. Le bec est couil, fort,
avec culinen très convexe. Chez le mâle, le tarse
est armé d'un éperon mousse.
La perdicule asiatique {perdtcula Asiatica) s'ap-
pelle encore caillerousse-gorge, caille de la jungle.
Chez le mâle, les parties supérieures sont brun
tacheté, avec la calotte plus brune, mais bordée
de noirâtre. Le dos, le croupion et les couvertures
supérieuresde la queue sont d une couleur terreuse,
marquée de barres noires, transversales, étroites;
les scapulaires, les rémiges tertiaires, les couver-
tures alaires sont tachetées de noir, avec une bande
brun clair.
Les autres
réiuigessont
brun foncé,
avec des ta-,
ches claires
surlavexille
externe ; la
queue est
brune, avec
des bandes
transversa-
les chamois,
bordées de noir; le front, les sourcils, les joues,
le menton et la gorge sont d'un roux châtain.
Au-dessus des sourcils, se trouve un trait blanc
jaunâtre, tacheté de roux. La poitrine et l'abdomen
sont bien marqués de barres transversales noires et
blanches, qui sont un peu plus larges à l'arrière.
La femelle a la tête et la poitrine comme le
mâle; les parties supérieures sont plus uniformes,
les parties inférieures à partir de la poitrine sont
d'un roux foncé uniforme.
Le bec est noir, l'iris noisette et les pattes
orangé. Sa longueur totale atteint 17 cent., 5.
Cette espèce se rencontre dans la péninsule de
l'Inde, dans les régions bien boisées, depuis l'Hima-
laya jusqu'au cap Comorin, dans le Cachemire, le
Bengale inférieur et aussi le nord de l'ile deCeylan.
Cet oiseau est un habitant des forêts, des colli-
nes, des ravins, des fourrés. On le trouve par com-
pagnies de 6 à 8 ou IS individus au plus. S'il
y a un danger, ces perdicules se lèvent toutes
bruyamment et, après un vol très court, elles vont
se cacher dans la jungle. Leur nourriture consiste
en graines d'herbe et en insectes. Elles font fré-
quemment entendre leurs gazouillements. La sai.son
des amours dure de septembre à février. I a femelle
dépose 5 à 7 œufs blancs jaunâtres dans un nid
d'herbe, placé sur le sol, ordinairement sous un
buisson ou sous une toulTe d'herbe.
La perdicule argoondah {'lerdicula argoonda)
est de taille un peu plus grande que la précédente.
La gorge est d'un rouge brique foncé, les rectrices
et les rémiges sont barrées. Les barres noires et
blanches de la poitrine et de l'abdomen sont plus
larges que sur la perdicule asiatique. La femelle
et les jeunes sont presque identiques à ceux de
cette espèce. La perdicule argoondah se trouve
dans l'Inde, mais pas à Ceylan. Elle se tient dans
les régions plus sèches et plus ouvertes que la pré-
cédente. Elle évite les collines, les forêts à végéta-
tion dense. Elle se trouve parfois dans les terres
sablonneuses, où il y a des rochers ou des petits
buissons. Son nid et ses œufs sont idenliques à
ceux de la perdicule asiatique. — A. Mfeio»ux.
Ping-Sin, drame lyrique en deux actes et
trois tableaux de Louis Gallet, musique de Henri
Maréchal; représenté pour la première fois à
rOpéra-Comique le 25 janvier 1918.
Ce fut une disgrâce particulièrement cruelle pour
Ping-Siti que de subir quelqu'une de ces « chinoi-
series » qui condamnent les lauréats de l'Institut à
trouver un théâtre hospitalier seulement après un
quart de siècle, voire un demi-siècle révolus. Cet
opuscule, dont l'exotisme un peu conventionnel
n est, au fond, qu'un prétexte à varier les décors
habituels, revient, à tous égards, de loin.
Le lettré Kam-Si, un sage, un solitaire qui fuit
le commerce des hommes, a, jadis, recueilli un en-
fant, Yao, déposé sur le seuil de sa porte et dont il
ignore l'origine. Il l'a élevé aux côtés de sa nièce,
la charmante Ping-Sin et songe à les unir. Mais'
les temps sont troublés. Les théories révolution-
naires du philosophe Tchang, dont Yao est un dis-
ciple, et qui a payé de sa vie l'audace de sa doc-
trine, ont porté leurs fruits. La révolution gronde,
et le prêtre Siang fait part à Kam-Si, son ami, de
ses inquiétudes au sujet de Yao. Or, à peine la
cérémonie du mariage de Ping-Sin et de 'Yao est-
elle achevée qu'une troupe armée cnvaliit la de-
meure de Kam-Si. Yao, qui n'est autre que le fils
de Tchang, doit être décapité. 11 lui est accordé
une heure pour se préparer à mourir. Vao a entendu
l'arrêt qui le condamne et cherche à dissimuler à
^• 136. Juin 1918. •
Ping-Sin son angoisse. Soudain — tel, dans f/ernant,
le cor de Buy Gomez — un gong mystérieux reten-
tit. Yao, sous prétexte de s'infoiiiier, s'absente
quelques instants. Ping-Sin, secrètement anxieuse,
veut aller à sa recherche, mais elle se heurte à un
soldat qui lui montre la sentence écrite sur la porte.
A peine a-t-elle une courte défaillance. Elle veut
sauver Yao, et, quand celui-ci revient, elle lui fait
buire un narcotique, substitue ses vêlements aux
siens et se livre aux bourreaux.
Cependant, Yao revit, dans un songe fiévreux, les
épisodes de son mariage; il se voit arrêté, conduit
au supplice et, devant lui, surgit un mandarin le
sabre levé. Mais Kam-Si, qui avait été retenu pri-
sonnier, accourt avec ses serviteurs. Yao s'éveille.
Une lettre laissée par Ping-Sin lui apprend le dé-
vouenienlsublimede la jeune femme, et il va s'élan-
cer à son secours quand le canon tonne. Les révolu-
tionnaires victorieux ont délivré Ping-Sin, qui vient
se jeter, triomphante, dans les bras de son époux.
La musique, qui demeure le langage le plus gé-
néral qui soit, peut, sans trop de dommage, négli-
ger parfois les rallinemenls de la couleur locale.
De celle-ci Maréchal ne s'est donc pas soucié. Tout
au plus, la recherche de certaines cadences, de quel-
ques rythmes menus et précieux par quoi nous nous
représentons la musique des Célestes, quelques so-
norités tintinnabulantes, peuvent-elles avertir l'au-
diteur qu'il va se « dépayser ». Les idées et la
forme sont foncièrement classiques, d'un classi-
cisme un peu désuet. Du moins, après tant d'années,
ce n'est pas au compositeur qu'il faut s'en prendre.
Ping-Sin, en naissant, n'avait peuL-êlre rien apporté
de nouveau; mais on n'y trouve rien que de fin,
d'adroit et de délicat. Nulle vulgarité; le style en
est sinon pénétrant, du moins expressif, l'art ingé-
nieux et élégant, la technique sûre; les chœurs sont
habilement traités. C'est ainsi qu'on noiera, dans la
scène du mariage, le chœur de femmes •.Ah! Ping-
Sin, construit sur une mesure à sept temps, et
l'épithalame qui la termine. On remarquera sur-
tout, à côté des procédés et des coupes tradition-
nels, la tendance, très conscienle et très volontaire,
vers le développement thématique et le commen-
taire orchestral. Ping-Sin, femme d'un réforma-
teur, s'est senti pousser de bonne heure des am-
bilions polyphoniques. Mais elle les tempfre par
l'agrément dune modestie qui montre qu'elle sait
ce qu'elle veut el qu'il n'est pas besoin de la re-
mettre en sa place. — Paul Loc»kd.
Les principaux rôles ont été créés par : M"' 'Vaultier
{Pinji-Sin) ; MM. de Creus ( J'oo), Bellet {Kam-Si), Vieuille
(Sittity), Féraud de Saint^Pol (le Mandarin d'armes).
Piranesl (Giovanni Baltista), par Henri Fo-
cillon. Le nom de ce célèbre graveur italien n'a,
cerles, jamais connu l'oubli, car son œuvre est inti-
mement lié h la représentation des monuments de
l'ancienne Rome. La faveur dont il jouit s'esl cepen-
dant accrue du
jour où le goût ^-
des ama leurs
s'est porté sur
l'eau-forte origi-
nale qu'il traita
en virtuose, et
celui des collec-
tionneurs sur le
style Empire,
dont il a été le
premier à pré-
senter les élé-
ments. Ceci dit,
on connaissai t
mieux l'œuvre
que l'artisle et
son milieu.
C'est à com-
bler cette lacune
ques'eslemployé
Henri FociUon,
qui, fils du graveur réputé, joint à une minutieuse
méthode d'universitaire une connaissance particu-
lière de la technique de la gravure.
L'ouvrage débute par d'excellentes pages sur la
vie à'Venise, durant la première moitié du xvm» siè-
cle. Puis, l'artiste entre en scène. Et, tout de suile, un
document précis fixe enfin la date de sa naissance :
Giovanni Baltista Piranesi est né à Venise, sur la
paroisse San Moïse, le 4 octobre 1720. Son père,
Angelo, était tailleur de pierre et connu sous le
sobriquet de l'Orbo celega (le » Moineau borgne »),
parce que borgne et d'humeur fantasque; sa mère,
Laura, était sœur de Matleo Lucchesi, architecte
considéré, chez lequel entra plus lard Giovanni
Baltista. Mais, de caractère difficile tous deux, ils se
brouillèrent, el l'élève acheva son éducation, pour la
perspective notamment, chez Carlo Zucchi. L'archi-
tecle Scalfarotlo et son condisciple Temanza, dont
la culture était grande, eurent sur lui une heureuse
influence. Mais cela expliquerait encore insuffisam-
ment sa considérable science de meltcur en scène,
si l'on ne savait que, durant son premier séjour à
Rome, où il arriva en 1740, il travailla chez les
O. B. Piraoed.
LAROUSSE MENSUEL
frères 'Valeriani, les célèbres peintres de décors,
tandis qu'au cours d'un retour àVenise, où il comp-
tai t utiliser ses talents d'archilecle, il avait fréquenté
l'atelier de cet autre magicien, Tiepolo. C'est à la
suile de telles initiations que sa vision s'élargit jus-
qu'à transfigurer les monuments qu'il « devait animer
el peupler de ses propres songes ». Pour ce qui est
delà gravure, son maître fut Giuseppe Vasi, l'auteur
de tant de vues romaines. Mais, si l'on compare
les productions de cel artiste froid & celles produites
après d'assez courts tâlonnemenls par Piranesi. la
différence est telle que
l'élève prend physio-
nomie d'autodidacte.
Le premier recueil
lancé par Giovanni
Baltista parut en 1743,
sous le titre de Prima
parle di architelture
e prospetlive.
Si l'originalité de
technique de Piranesi
n'apparaît pas encore
dans celte suite, ses
facultés Imaginatives,
elles, se révèlent dans
des pièces comme la
Caméra sepolcrale et,
surtout, la Carcereos-
cura, dont le succès
s'affirma tel que, de
cette planche, fut tiré
presque littéralement
le décor du 4" acte de
l'opéra de Dardanus.
Deux années suffi-
sent à Piranesi pour
transformer sa ma-
nière, aboutir à ce
faire libre, ardent, co-
loré, si nécessaire à
l'expression intégrale
de sa vision. C'est en
1745, en effet, que pa
raîtle recueil des Car-
ceri, ces angoissantes
évocations de grandes
voûtes encombrées de
chaînes et d'instru-
ments de supplicedonl
l'esprit ne peut oublier
ni la grandeur ni l'hor-
reur Piranesi est vrai
ment, ici, « le poète de
ses propres songes ».
Dès lors, les recueils
vont se succéder, sug-
gestifs, passionnés,
théâtraux, avec l'arti-
fice de premiers plans
constitués par desclia-
pileaux, des corniche-i
écroulées, des végé-
tations parasites enca-
drant les motifs prin-
cipaux toujours archi-
tecturaux,eux, etexpri-
més avec une grande
intelligence des maté-
riaux employés. Avec noire graveur, observe H. Fo-
ciUon, « un monument n'est pas un simple décpr,
un système de proportions sans plus, l'équation des
modules et des enlre-colonnemenls. Il repose sur des
assises el sur des fondations. La formule de son
harmonie décorative est en fonction de la manière
dont il a été construit. Ses murailles ne sont pas
seulement une surface, mais un volume ». Le pre-
mier recueil de Piranesi portail l'adresse de Paglia-
rini, marcliand libraire et imprimeur, les Carceri,
les Anlichita romane et les recueils suivants paru-
rent chez un Français établi à Rome, Jean Bou-
chard, plus lard associé à un autre compatriote.
Gravier. Ce n'est qu'en 1760, date à laquelle il
s'établit à la Trinité-des-Monls, que Piranesi devint
son propre éditeur. Auparavant, son atelier était
installé sur le Corso, vis-à-vis du palais Mancini,
occupé par l'académie de France. El ce voisinage
explique la continuité de rapports qui s'établit entre
le graveur et les pensionnaires, notamment 'Vien,
Vernet, Pajon, Doyen, Subleyras, les architectes
Adam et Paris, surtout Hubert Robert. C'est celui-
ci qui provoqua celle réponse de Piranesi dont les
notations préparatoires étaient plus que sommaires:
n Le dessin n est pas sur mon papier, j'en conviens,
mais il est tout entier dans ma lête, et vous le
verrez par la planche. »
On ne saurait énumérer ici les séries menées i
bien par Piranesi. Quand il mourut, dans les pre-
miers jours de novembre 1778, son œuvre atleignait
tout près d'un millier de numéros, 986 selon le
catalogue raisonné joinl au présent ouvrage. Il
s'éli'ndait à la représentation de monuments ro-
mains, toscans, campaniens, comportait des caprices
el inventions d'architecture et d'ornements, des
485
études décoratives, notamment cette série de che-
minées, de meubles, qui constituent son apport dans
ce qui personnifiera, quelques années après, le style
Empire. Enfin, il y avait encore une part importante
pour l'archéologie. Mais ici, son rôle est secon-
daire. Alors qu'il savait si bien décomposer les élé-
ments d'une construction, discerner le caractère des
matériaux et la logique de leur ordonnance, ses
conjectures arrhénlogiques ont une base fragile : la
Grèce est sacrifiée à Rome, ses productions contes-
tées au piiilitde l'Ktrui il-. Cependant, ilse passionna
Tombeau dit «de Nt'ron », d'après Giovanni B.ittista Piranesi.
pour les découvertes d'Herculanum et comprit la
grande beauté des temples de Pœslum. Comme ar-
chitecte, on doit à Piranesi la restauration el la dé-
coration de Sainte-Mariedu-Prieuré, surl'Avenlin,
où il fut enterré.
La vaste entreprise qu'il «vait constituée fut conti-
nuée par ses fils el plus particulièrement par Fran-
cesco, qui héritait non seulement de son adresse de
pointe, mais de ses goûts et de ses facultés d'orga-
nisaleur. D'après les dessins laissés par son père,
les siens propres, il donna des suites dont l'impor-
tance est considérable. Ardent jacobin, il dul, en
1798, lors de la reprise de Rome par les Anglais el
les Napolitains, transporter sa clialcographie à Paris,
où il bénéficia de la protection de Napoléon, qui lui
confia d'importantes missions.
Après sa mort, survenue le 27 janvier 1810, la
maison Firmin-Didot, qui avait acquis le fonds
piranésien, l'exploita jusqu'en 1839.
A celte date, sur l'ordre de Grégoire X'VI, les
cuivres des Piranesi furent rachetées el réunies à la
chalcographie Camérale. — Charles Sàu.mb».
*soJa ou sova n. m. Genre de légumineuses
papilionacées. (V. l'article soya au Larottsse Men-
suel, t. \", page 111).
— Encycl. Rappelons en quelques mots que le
soja ou so;/a {soja kispida) est une légumineuse
cultivée depuis un temps immémorial en Extrême-
Orient. Son fruit est une gousse velue, renfermant
d'ordinaire trois petites graines rondes, que l'on
appelle aussi fèves de soja.
Il en existe de nombreuses variétés, donl trois
principales, caractérisées parla couleur des graines
(jaunes, vertes ou noires). On ne connaît pas la
486
plante & l'état sauvage, mais, d'après Candolle, elle
serait originaire de la riÏKion comprise entre la
Gocliincliine, le sud du Japon et Java.
Noua avons indiqué l'emploi qu'en font les Chi-
nois; les Japonais, les habitants de l'Inde, de
l'Indochine, dea Philippines, l'utilisent de sem-
blable manière.
Itié, dans un article publié au Bulletin du Jardin
colonial, a donné les noms vernaculaires de cette
plante, et il nous paraît intéressant d'en reproduire
les principaux : en Chine, yeou teou (pois oléagi-
neux), ta teou (grand pois), sou; au Japon, marne,
daizu; en Annam, ddu nauh; au Tonliin, ddu
tuong ; au Cambodge, san dek sieng; aux Indes,
patanijokra; au Bengale, ram kurlhi, gari, kalai;
à Ceylan, bhatman; en Angleterre, soy beau; en
Allemagne, sojabohn; en France, soja, soia, soy a,
pois oléagineux de Chine, pois chinois, haricot
oléagineux ; en Hollande, soiaboon; en Italie, soia.
Depuis la publication des lignes auxquelles nous
renvoyons ci-desaus, la consommation du soja a fait
a : a, fleurs ; b, fruits.
de très grands progrès en Europe; mais, à l'inverse
des régions d'où celle plante a été importée et qui
lui accordent une si large place dans l'alimentation
humaine, les pays occidentaux l'ont, jusqu'ici, uti-
lisée principalement dans l'alimentation du bétail.
Les premiers essais de culture du soja en Europe,
où l'avaient l'ait connaître depuis nombre d'années
les récits des voyageurs (Kaempferer l'a étudié au
Japon dès 1690), remontent à la fin du xvui= siècle.
11 a été introduit en Angleterre en 1790; mais, de-
puis 1779, notre Muséum d'bisLoire naturelle le
cultive : en 1848, le soja fait son apparition en
Italie. A plusieurs reprises (1855, 1868, 1874, 1878),
■ des essais de culture sont tentés en France, la plu-
part sur les indications de la Société nationale
d'acclimatation, qui lit distribuer aux agriculteurs
les graines qu'elle recevait d'Extrême-Orient. En
1880, on trouve des semences de soja dans le com-
merce. Mais tous ces essais, entrepris la plupart du
temps avec des graines non sélectionnées (trop tar-
dives en général), demeurèrent isolés. A l'heure
actuelle, encore, les espaces consacrés à la culture
du soja n'occupent qu'une superficie modeste, bien
(|ue la variété soja d'Elampes soit assez précoce
pour mûrir ses graines sous notre climat et fournir
une abondante récolte.
Le soja, d'ailleurs assez peu difficile sur l'état
physique du sol, vient bien en France dans les terres
argilo-siliceuses ou argilo-calcaires; il est tris
résistant à la sécheresse. Ses exigences chimiques
enlèvent au sol une assez forte proportion d'élé-
ments nutritifs, qu'il faut restituer surtout par
l'apport d'engrais phosphatés et potassiques. D'au-
tre part, le soja enrichit le sol en azote et, à ce
titre, il peut servir à le préparer pour une autre
culture (tHl)ac, maïs, orge. etc.). L'époque des semis
varie suivant que l'on cultive la plante pour sa
graine ou comme fourrage. En France, l'époque la
plus convenable est (in avril-commencement juin ; on
sème soit à la volée, soit en lignes, soit en poquets.
Les cultivateurs de soja ont entrepris de livrer
au commerce de l'alimentaLion humaine des pro-
duits divers, intéressants au triple point de vue phy-
siologique, économique et gastronomique. Au point
de vue physiologique, les légumineuses sont plus
riches en azote que les autres végétaux et que la
viande; elles contiennent des hydrates de carbone
en quantité élevée (50 à 60 p. 100); elles sont ri-
ches en matières minérales et, de toutes, le soja est
le plus riche en azote et matières minérales et peut
ainsi jouer un rôle important dans les régimes spé-
ciaux. (On a, notamment, recommandé le pain de
LAROUSSE MENSUEL
soja aux diabétiques.) Au point de vue économi-
que, le soja est la plante qui fournit les éléments
nutritifs au meilleur marché. Enfin, au point de vue
gastronomique, la diversité des préparations culi-
naires peut flatter le goût du consommateur.
Au reste, voici le tableau que donne Li-'Yu-Ying
dea produits alimentaires fournis par le soja :
I. Lait de soja et dérivés : Lait normal ; lait concentré :
lait en poudre ; lait fermenté ; caséo-suja'i'ne (fromage do
soja) ; caséine de soja.
II. Farine do soja et dérivés : Farine do soja; pain de
soja; pain complet; gâteaux, biscottes.
m. Huile de soja.
ly. Soja comme légume (graines qui se consomment a
la façon dos pois et haricots, et jeunes pousses que Ton
mange en salade simplement blanchies, ou cuites comme
les iégumes).
V. Produits condimentaires à base do soja fermenté
(sauce de soja ou schoyou),
VI. Produits de confiserie (confiture de soja).
VU. Soja comme succédané du café.
VIII. Ferments lactiques de soja.
Mais tous ces produits, dont les peuples d'Extrême-
Orient sont friands, demeurent peu appréciés des
Européens, et les préparations culinaires à base de
soja sont encore considérées par beaucoup comme
des curiosités gastronomiques
II n'eu va pas de même au point de vue industriel.
La graine de soja contient une huile (15 à 22 p. 100)
mi-siccative, formée surtout de palmitates et de
stéarates, et que l'on emploie dans la fabrication
des savons. On a récemment essayé, en Allemagne,
de l'utiliser à la prépai'ation des succédanés du
caoutchouc, et rien ne s'oppose à ce que l'on lire de
la caséine de soja une matière plastique analogue
à la galalithe. Ces graines, e.\j)édiées de Chine (où
la culture du soja a pris une importance considé-
rable depuis l'interdiction de produire l'opium) et
du Japon, donnent lieu à un mouvement considé-
rable (l'Angleterre a elle seule en importait plus
de 500.000 tonnes en 1912). Soit par pression, soit
h l'aide de dissolvants, on en retire l'huile, et les
tourteaux résiduaires sont vendus pour l'alimen-
tation du bétail.
Ce sontces tourteaux qui, depuis quelques années,
ont fait l'objet d'expériences comparatives (en An-
gleterre, Allemagne, Suède, Danemai-k, France,
Hollande) au sujet de leur valeur alimentaire, de
leur digestibililé, de leur intluence sur la production
lactée et le beurre. Il ressort des études métho-
diques auxquelles se sont livrés les éleveurs, ainsi
que les laboratoires agricoles, dans les pays cités
plus haut, que les tourteaux de soja (riches en pro-
téines) sont un excellent aliment pour le bétail et
qu'il convient de leur accorder une grande place à
côté des tourteaux de coton décortiqué et d'ara-
chides.
Ce que l'on nomme poudre de soja provient des
graines épuisées par les procédés chimiques; elle
est un peu plus riche en matières azotées que les
tourteaux provenant des presses.
Ajoutons, pour terminer, que le soja est déjà
très cultivé comme plante fourragère aux Etats-
Unis et qu'il vaut (vert ou sec) le trèfle jet la
luzerne. — ■ Jean de Cdagn.
SufiPrage féminin. Origines. — L'immen-
sité de la tâche accomplie depuis quatre années
bientôt par les femmes de tous les pays, la valeur
hautement reconnue au travail
de l'intelligence et des bras
féminins — véritable révéla-
tion pour bien des esprits —
ont ramené l'attention univer-
selle sur l'un des problèmes
les plus passionnément discu-
tés avant 1914 et dont la guerre
semblait devoir écarter pour
longtemps la solution : le pro-
blème du suffrage féminin.
Si, dans l'opinion commime,
le féminisme est une création
des temps nouveaux, une étude
suffisamment attentive de ses
origines le fait apparaître, à
l'égal du socialisme, comme
l'une de ces questions qui,
sous des formes différentes,
se posent à chaque toui-nant
de l'histoire, toujours reprises
parce qu'elles sont une réac-
tion inévitable de l'individu
contre la société, jamais résolues parce qu'elles font
surgir mille conflits où se heurtent les intérêts ri-
vaux et dressent en obstacle infranchissable la
muraille des traditions et des préjugés.
Pourvoir toutes les femmes du bulletin de
vote sera un progrès, sans doute, mais non pas
une innovation. Le féminisme, comme le socia-
lisme, a été réalisé déjà et, dans les sociétés
primitives, l'un et l'autre se trouvent, non cris-
tallisés comme application logique d'un système
cohérent, mais à l'état difl'us, comme vestige des
époques oubliées, non dans les esprits, mais dans
les faits.
olympe de Goupes,
d'après une miDiature attribuée À Ingres p6re.
AI" 73S. Juin >9I8.
Les investigations dans la préhistoire et les obser-
vations recueillies chez les peuples encore sauvages
permettent, aujourd'hui, de se représenter le ma-
triarcat comme la forme initiale des sociétés et des
gouvernements. Les premiers habitants de la Chal-
dée (avant l'invasion sémitique^ les (;rétois de l'épo-
que minoènne, les Lyciens, les Etrusques, les Ibères,
les anciens Slaves le pratiquèrent sans doute... Des
traces de cette antique institution subsistent aujour-
d'hui chez les aborigènes de l'Inde, au Tibet, en
Polynésie, en Colombie britannique et dans quel-
ques tribus africaines. Nulle légende n'est dans le
temps et dans l'espace plus universellement répan-
due que celle des amazones, et l'histoire vraie vient
bien souvent étayer la légende. L'antique Scythie,
l'Amérique précolombienne, les premiers Etats sla-
ves, l'Ouest et le Centre africains nous montrent des
femmes, reines ou simples guerrières, qui lancent et
dirigent leurs peuples dans les combats. Matriarcal,
régiments d'amazones, l'importance de nature di-
verse, acquise, gardée par les femmes dans certaines
sociétés expliquent, en dehors de toute considé-
ration théorique, la capacité politique à elles recon-
nues dans les civilisations primitives. Aucune théo-
rie, aucun système politique, mais un état de l'ait,
accepté partons sans discussion et qui tend à dispa-
raître à mesure que les sociétés se perfectionnent,
évoluant vers le pati'iarcal et vers une division du
travail qui ne laisse aux femmes que les travaux
jugés moins nobles et inférieurs.
Dès lors, le féminisme existe, au moins en germe,
et l'antiquité en montrerait plus d'un exemple. Mais,
si, sous la république et l'empire romains, les
femmes s'émancipent de la tutelle maritale ou pa-
ternelle et acquièrent les droits civils, elles n'ob-
tiennent jamais de droits politiques. La féodalité,
au contraire, n pour la première fois dans l'hi.sloire
du monde consacré officiellement la capacité poli-
tique des femmes, d'abord reconnue par les mœurs.
Dans quelles conditions s'exerce cette capacité 7
La femme du moyen âge n'a aucun droit comme
femme, mais comme détentrice de fiel', comme
femme noble, comme citoyenne d'une commune.
Détentrice de fief, la châtelaine lève des armées,
rend la justice, bat la monnaie, conclut des traités,
prête et reçoit l'hommage, dirige ses vassaux et
assiste son suzerain. Tout comme le seigneur féodal,
dont les droits et les devoirs sont identiques, elle se
comporte en vraie souveraine, sans que sa qualité
de femme afl'aiblisse en rien sa souveraineté. Femme
noble, elle est soumise aux obligations féodales,
siège aux états provinciaux, vote pour les élections
aux états généraux, peut porter le titre de « pair de
France >> et, comme telle, jouer un rôle à la céré-
monie du sacre des rois. Citoyenne d'une ville de
commune, enfin, elle prend part, comme les citoyens,
aux élections des magistrats. « Pour tous et pour
toutes, dit la charte de Beaumont en Argonne ».
Tous ces droits sont tombés en désuétude avec la
décadence du régime féodal.
Mais, en 1789, quelques souvenirs subsistent de
la capacité politique des femmes, parmi bien d'autres
traces du régime féodal.
Des femmes encore portent le titre de « seigneur •>
ou de « seigneuresse » et, comme telles, possèdent
les droits de justice et perçoivent les droits féodaux.
Si, depuis longtemps, elles ne siègent plus aux
états provinciaux, si elles n'ont pas, pour les élec-
tionsaux états généraux, le droit
de sufl'rage direct, du moins,
celles qui appartiennent aux
deux ordres privilégiés pour-
ront-elles faire entendre, à 'Ver-
sailles, un écho, si afl'aiblisoit-il,
de leurs voix. Le règlement royal
du 84 janvier 1789, qui étalîlit
pour toute la France la procé-
dure des états généraux, truite
de la représentation féminine :
« Tous les corps et commu-
nauté ecclésiastiques des deux
sexes, dit le règlement, ainsi
quelescommunaiilésde filles...
pourront être représentés... par
un député ou procureur fondé,
prisdansl'ordre ecclésiastique...
Les femmes possédant divisé-
ment, les filles et les veuves
possédant fiefs, pourrontse faire
représenter par des procureurs
prisdans l'ordre de la noblesse. »
Ainsi la femme partage, à la fin de l'ancien ré-
gime, la diversité des conditions masculines. Quel-
ques femmes bénéficient de privilèges et — voilà le
point à retenir — l'exercice de ces privilèges n'est
nullement incompatible avec le sexe féminin. La
collectivité des femmes n'a aucun droit. Et, d'autre
part, l'opinion publique est, dans son ensemble, hostile
à toute ingérence des femmes dans la politique.
i7S9-19ii. — Aussi les assemblées révolution-
naires, si elles reconnaissent implicitement l'égalité
des sexes (art. l'"' de la Déclaration des droits de
l'Iiomme), n'accordent-elles l'exercice du droit de suf-
frage qu'aux seuls représentants du sexe masculin. Les
Mrs. Patikhurst.
N' >3S. Juin 1918.
femmes sont bien des citoyennes (et on les pare
avec galanterie et elles se parent avec oreueil de ce
litre nouveau), mais elles restent ciVoi/ennes passives.
Faire d'elles des citoyennes actives, tel est le
but que se propose la pléiade des féministes de la
première heure, éclairée par le lumineux génie de
Gondorcet, menée h l'action par Olympe de Uouges,
Glaire Lacombe, Etla d'Aelders. Gondorcet fait pour
la "-éalisation de l'égalité politique des sexes de
savants et chaleureux plaidoyers ; Olympe de Gouges
oppose à la Déclaration des droits de l'homme sa
Déclaration des droits de la femme; au Palais-
Royal, devant un public toujours sympathique, par-
fois enthousiaste, Etla d'Aelders développe ses idées
sur le rôle des
femmes dans la
nouvelle société.
Clubs féminins,
bataillons d'ama-
zones, salons po-
liliques, la Révo-
lution a vu se
manifester l'acli-
vité féminine
sous toutes ses
formes . Bouil-
lonnement in-
tense et tôt apai-
sé. Les gouver-
nements qui se
sont succédé jus-
qu'au 18-Brnmai-
re maintiennent
immuable la li-
gne de conduite
tracée par les
Constituants : tenir la femme à l'écart de la vie
politique. Dès 1794, les clubs de femmes sont fer-
més et leur rétablissement interdit.
Avec eux, les bataillons d'amazones disparaissent,
puis les revendications féministes s'apaisent et, le
Î8-Brumaire venu, rien ne subsiste de toute l'agi-
tation passée...; rien que des germes pour l'avenir.
Le règne de Louis-Philippe, en effet, et la
deuxième République ont vu le féminisme français
renaître de ses cendres et, en relations plus étroites
avec les idées sociales et les nécessités économiques
du temps, prendre sa place et sa signincation dans
l'histoire morale et politique du peuple français.
La philosophie saiut-simonienne a placé parmi ses
principes fondamentaux l'égalité des sexes. Foii-
rler, Gabel, Enfantin, développent sous des formes
diverses ce principe dans tous leurs écrits. De
1830 à 1848, les journaux et revues féministes se
multiplient. Le roman féministe prend naissance,
et George Sand en répand les thèses par la France
et le monde entier.
L'année 1848 se marque par de nouveaux essais
de réalisation. De nouveau, desclubs de femmes s'or-
ganisent. Des journaux politiques féminins récla-
ment l'affranchissement des femmes. Aux élections
législatives de 1849, une femme, Jeanne Deroin,
mine une campagne électorale, et la hardiesse de
cette tentative suscite des discussions passionnées.
Une fois encore, l'agitation politique des femmes
s'évanouit avec la liberté. Le second Empire, triom-
fihe de la femme, apothéose de la Parisienne, laisse
e « sexe faible » heureux de son esclavage doré, et
la troisième République, malgré une agitation fémi-
niste intense, donne bien aux femmes l'accès aux
carrières libérales, mais tient fermée la porte des
conseils et du Parlement.
Pendant les années où le féminisme s'éclipse en
France, il triomphe, au contraire, à l'étranger, où,
parmi tant d'autres idées françaises, celle de l'éman-
cipation des femmes est accueillie avec faveur. En
Anç/leterre, après Mary Woolstonecraft, qui, en
1790 déjà, a demandé l'émancipation des femmes,
Slnarl Mill mène, par la plume et la parole, cette
même campagne, à laquelle l'universelle autorité
du philosophe donne une importance particulière.
Dès 1860, devenu député de Westminster, il pré-
sentait à la Ghambre des communes une pétition
(appuyée de 1 .499 signatures féminines) pour l'afiran-
chisseinent politique des femmes du Royaume-Uni.
La proposition de loi qu'il présente alors est rejetée.
Mais, tandis qu'il se console en démontrant l'ab-
surdité de l'assujettissement des femmes, John
Bright la reprend pour son comple, légèrement
modifiée, d'ailleurs, la défend avec éloquence et la
fait triompher. La loi d'août 1869 pourvoit les
femmes, dans les mêmes conditions que les hom-
mes, du suffrage municipal.
Voilà la première pierre du vieil édifice ébranlée ;
voilà, posée, la première assise de la cité future. Et,
dès lors, d'un mouvement lent etcontinu,les femmes
s'avancent vers l'affranchissement total. En 1870, la
femme anglaise est éleclrice et éligible aux Schools
Boards (conseils scolaires), en 1875, électrice aux
Boards of Guardian (conseils de l'Assistance pu-
blique), en 1888, électrice aux conseils des bourgs
et des comtés, en 1894, éligible aux conseils de pa-
roisses et aux Doarils of Guardian, en 1907, éligi-
ble aux conseils des bourgs et de comté. Dans l'in-
LAROUSSE MENSUEL
tervalle, le vote municipal a été donné aux femmes
d'Ecosse (1881), et la minuscule île de Man, terre
autonome, a généreusement accordé le vote parle-
mentaire à ses quelques milliers de citoyennes.
Progrès immenses, progrès insuffisants, cepen-
dant, aux yeux des Anglaises, impatientes d'obtenir
l'égalité complète. Pas une année ne s'écoule, entre
la première victoire et la Grande Guerre, où les
citoyennes du Royaume-Uni ne réclament l'électoral
et l'égibilitéau Parlement; pas une où elles ne trou-
vent un bomme politique disposé à porter devant le
487
blique européenne la noblesse de leur cause et le
sérieux de leurs revendications. Injustice, mais en
partie méritée. Si la femme doit apporter quelque
chose de nouveau dans la vie politique, n'estrce pas
par la solution conciliante des conflits? Et ne se
met-elle pas en contradiction avec soi-même lors-
qu'elle emploie la violence pour faire reconnaître
ses droits?
Un grand nombre de femmes, en tout cas, s'inté-
ressent aux luttes politiques, et ce n'est pas moins
de 600.000 Anglaises qui, en 1914, sont affiliées aux
L& propagande des luffragettei fur la Tamise.
Parlement même leurs revendications. « Depuis
1865, il s'est rencontré chaque année un ou plusieurs
députés pour déposer k la Ghambre des communes
des résolutions en faveur du suffrage féminin.
Vingt-trois de ces résolutions ont été prises en con-
sidération et discutées, mais aucune n'a pu parcourir
la dernière étape de la carrière parlementaire »
En 1870, en 1884, en 1910, en 1913, les projets de
loi pour l'électoral des femmes semblent très près
de triompher. Les hommes politiques au pouvoir
ont, chaque fois, promis leur appui. Ghaque fois, ils
se sont, au dernier moment, récusés et ont laissé
tomber— fait
tomber — laréso-
lution. Pourquoi
les ministres,
même libéraux ,
lesGladstone,les
Asquith , sem-
blent-ils effrayés
devant la réali-
sation de leurs
propres idées ?
Le problème est
complexe. Il
semble qu'entre
autres raisons de
leurhésitation,la
principale soit la
peur d'un saut
dans l'inconnu.
Pour qui sera la
masse énorme
des nouvelles ci-
toyennes? A quel parti porlera-t-elle son appui ?
Aux conservateurs? Au Labour Party?... Dans le
doute, les ministres s'abstiennent d'une dangereuse
expérience.
Le suffrage parlementaire apparaît donc aux
femmes anglaises — à celles qui s'en soucient —
comme la coupe de Tenlale, toujours offerte, tou-
jours éloignée avant qu'on ait pu goilter sa liqueur.
Et elles s'exaspèrent à ce jeu imprudent. Si les
unes, formant, sous l'égide de la sage et vénérable
mistiess Pauret, la Kational Union of Women's
Suffrage Societies, s'en tiennent à l'action parle-
mentaire, la Woman's Social atul Politic Union,
dirigée par mislress Paukhurst et sa fille, miss
Christabel, considère que les méthodes pacifiques
ont fait faillite et préconise l'action directe. Ce sont
les adeptes de miss Paukhurst \essu/fragelles, qui
— prises à tort chez nous pour les représentantes
de tout le féminisme anglais — avaient, par leurs
manifestations tumultueuses, leur politique d'obs-
truction dans les réunions électorales, leurs invec-
tives aux ministres et les aventures héroTcomiques
de certaines d'entre elles, masqué à l'opinion pu-
Misi Chriitabel Paokhiirit.
différentes sociétés féministes. A leur léle et & côté
de mislress et miss Paukhurst, il faut citer la géné-
rale Drummond, mislress Patherick Lawrence, mis-
lress Truke, etc.
Pendant que l'Angleterre s'arrête à mi-chemin
des réformes, certaines de ses colonies, pays neufs,
les réalisent pleinement. Ainsi en est-il de l'Aus-
tralie et de la Nouvelle-Zélande où, de 1867 (Nou-
velle-Galles du Sud) à 1886 (Nouvelle-Zélande), les
femmes reçoivent le suffrage municipal; où, de 1893
(Nouvelle-Zélande) à 1907 (Etat de Victoria), elles
sont pourvues du suffrage parlementaire; où, en 190*,
elles ont obtenu électoral et éligibilité au Parlement
fédéral australien. Peu de traditions, peu de pré-
jugés dans ces nouvelles démocraties. La résistance
a été faible, le triomphe rapide.
Au Canac/a, au contraire,pays éminemment tradi-
tionaliste et conservateur, lafemme a reçu seulement,
de 1874 à 1914, le droit de vole municipal. Encore
s'agit-il d'un suffrage censitaire et non universel.
Dans les pays Scandinaves, « il n'y a pas eu, comme
en Angleterre, de transformation brusque, qui, pour
établir la démo-
cratie masculine,
ait privé du
même coup la
femme des droits
politiques ». Les
premières con-
quêtes du fémi-
nisme s'appuient
sur la tradition,
les droits nou-
La géniralc Drummond.
veaux acquis par
les femmes n'é-
tant que le dé-
veloppement des
privilèges tradi-
tionnels. Les
femmes proprié-
taires avaientde-
puis longtemps,
en S«é(/e, une in-
fluence politique
dans les conseils
locaux, lorsque la
loi de 1862 accorda le vote municipal à toutes colles
qui payaient au moins700 francsd'impôt. Depuis 1909,
touleslcs femmes pavant un impôt quelconque ont, en
matière municipale, l'élcctorat et l'éligibilité. Mais la
tradition, favorable à l'activité de la femme dans sa
paroisse, répugne à l'entrée des femmes dans le
Parlement. Tous les efforts des féministes suédoises
pour en forcer l'entrée ont été vains jusqu'alors.
Il en fut de même en Danemark, où les femmes,
électrices municipales en 1908, n'obtinrent qu'en
1915 le droit de vote parlementaire.
Mrs. Patherick Lawrence.
488
La Finlande et la Norvège sont d'esprit plus di^-
mocratique; aussi ont-elles pu réaliser le féminisme
facilement et pleinement. En Norvège, les femmes
sont électrices et éligibles aux assemblées munici-
pales (1901) et an Storthing (1909). En Finlande, oii
les femmes ont, avec les hommes, lutté contre la
russification voulue par les tsais, elles ont obtenu
les mêmes droits politique.-:, c'est-à-dire l'application
pure et simple du suffrage universel. Ici, l'égalité
est absolue en théorie et en pratique : dans les an-
nées qui précèdent la guerre, vingt-cinq à trente
femmes siègent pendant chaque session de la Diète.
Aux Etats-Utiis, comme en Europe, le contraste
est marqué entre les pays traditioniialistes et les
pays novalpuT-o.
Dans les pays de
l'est de l'Union
américaine, an-
ciens centres de
peuplement où
l'influence intel-
lectuelle de l'Ku-
rope est grande,
le féminisme pi.
litique(sinoii
économique et
intellectuel) n'a
remporlé que de
demi-succès :
suffrage dans les
conseils scolaires
(dans dix-sept
Etats), suffrage
en malicre lis-
cale (dans trois
Etats, dont celui
de New-York). Mais auc-.:ne place pour les femmes
aux assemblées municipales ni au Parlement.
Au Far-West, au contraire, où le peuple est neuf
comme le sol, on a fait bon accueil aux idées nou-
velles. A la suite du Wyoming (1869), le Colorado
(1893), l'Ulah (1894), l'idaho (1896), le "Washington
(1910), la Californie (1911), l'Arizona, le Kansas et
rOrégon (1912), le Nevada et le Montana (1914) ont
accordé aux femmes tous les droits politiques pré-
cédemment conférés aux hommes. L'Indiana et l'IUi-
nois leur ont conféré le suffrage présidentiel.
Les pays germaniques sont, en matière de suf-
frage féminin, moins avancés que les pays Scandi-
naves ou anglo-saxons : en Allemaçine, si aucune
constitution d'empire n'accorde de droits aux femmes,
elles conservent (avec des modalités variant suivant
les Etats et dans chaque Etat suivant les provinces)
des vestiges de droits communaux ou féodaux. Ainsi
en est-il en Saxe, Prusse, Bavière et dans les petits
Etals thuringiens, où elles exercent — mais par pro-
curation seulement — le vote municipal.
Cette même forme de vole par procuration a été
adoptée en Russie pour les conseils municipaux
(1>S64) et pour les élections h. la Douma (l90.ï).
Dispositions analogues dans les pays bigarrés de
V Autriche-Hongrie, où les femmes propriétaires de
biens-fonds onlconservé longtemps des vestiges de
leur ancienne importance féodale : en Bohême, en
Moravie, les femmes propriétaires votent pour les
conseils municipaux, en Bohême pour la Diète, en
Bosnie pour le Parlement. Jusqu'en 1848, les no-
bles hongroises étaient représentées au Parlement
comme les Françaises aux élats généraux, par leur
fondé de pouvoir. Jusqu'en 1907, les femmes pro-
priétaires et commerçantes ont pu, par le même pro-
cédé, prendre part aux élections pour le Reichsrat
autrichien. Les Constitulions modernes ont en ces
pays, comme la Constitution de 1789 dans le nôtre,
aboli la franchise électorale féminine avec les autres
vestiges des temps féodaux, et toutes les femmes
revendiquent dès lors ce qui fut seulement le privi-
lèges de quelques-unes.
191i-191S. — La guerre de 1914 a fait faire au
suffrage féminin d'immenses progrès, et ces progrès
sontaisémentexplicables. D'une part, les féministes,
qui, aux premiers mois de la guerre, avaient, dans
tous pays, immolé leurs revendications à Vunion
sacrée, ont, conscienles de leur valeur sociale nou-
velle, repris, quoique avec discrétion, leurs cam-
pagnes; et, d'autre part, l'opinion publique — dont
les leaders ont reconnu les éclatants sertices rendus
par les femmes — a suivi, celle fois, ces campagnes
avec intérêt. C'est donc en plein accord avec l'opinion
publique que, dans divers pays, les gouvernants ont
déposé des projets de loi aboutissant à une exten-
sion nouvelle du suffrage féminin.
En Anr/leterre, les discussions, un an interrom-
pues, ont repris en 1915, et leur allure a montré
qu'une étape décisive était franchie. Seuls, les réac-
tionnaires les plus obstinément fermés aux idées
nouvelles se sont élevés contre l'affrancliissement
politique des Anglaises. Mais socialistes, libéraux
et conservateurs ont, d'un commun accord, demandé
cet affranchissement comme une récompense pour
les éclatants services rendus par les femmes à
l'usine, aux champs, dans les bureaux, sur le front
même, comme une preuve de conûance en leur in-
telligence et en leur maîtrise de soi. Times, Daily
LAROUSSE MENSUEL
Mail, Standard ont montré, par le document et
l'image, célébré en de dithyrambiques articles la
<i grande valeur de l'aide de la femme anglaise ».
Pendant la session parlementaire 1916-1917,un mi-
nistre, lord Monlagu, déclare que toute extension nou-
velle du suffrage doit s'appliquer aux femmes, «qui ont
servi comme nos soldats et nos marins ». Grey, Lloyd
George, Asquith émettentavecplusou moinsde force
les mêmesidées. Encouragées, les suffragettes repren-
nent leur campagne. Et celles-ci aboutissent, en no-
vembre 1917, au projet suivant : la franchise électo-
rale est conférée k toute femme âgée de trente ans, à
condition qu'elle soit mariée àun électeur, qu'elle |>o.s-
sède déjà le vole municipal, ou qu'elle soit pourvue
d'un litre universitaire. Voté à une grande majorité
aux Communes, ce projet essuie, à la Ghamlne des
lords, les attaques passionnées des conservateurs.
Mais ceux-ci ne peuvent ni le repousser, ni même en
retarder l'application en le soumettant à un reléren-
dum. Et le projet devient loi, donnant la plénitude
des droits politiques à G millions d'Anglaises.
La Russie chaotique de la Itévolulion s'esl ren-
contrée sur ce point avec l'Angleterre ti'adilion-
naliste et conservatrice : rannéel917 a vu la femme
russe totalement éinancipée. Celle émancipation,
elle l'a obtenue, pour ainsi dire, sans la chercher.
Peu de féministes, pas de suffragettes dans l'em-
pire des tsars, maisd'ardentes adeptes du nihilisme,
voulant la rénovation hilale de leur pays — mieux :
du monde — d'où devra logiquement sortir leur
propre affranchissement. L'apostol.it féminin a con-
tribué pour sa part — pour une très liirge part —
à délivrer le pays de l'autocratie. Et le gouverne-
ment provisoire, après avoir couvert de fleurs les
héro'ines et martyres de la liberté, se prononce pour
l'établissement du suffrage pleinement universel.
Tous les partis, modérés ou extrêmes, le prince
Lvof et Lénine, Rodzianko et Tcheidze se sont
mis d'accord sur ce point. Les femmes ont obtenu
pour la future Constituante l'électorat et l'éli-
gibilité. Elles ont siégé à l'éphémère assemblée
(17févrierl9l8),etc'est.unefemme,M'"":Spiridovna.
que les maximalistes voulaient élever au fauteuil
présidentiel. Le rôle des femmes dans la Révolution
russe a d'ailleurs été très grand. Elles se montrent
de vraies citoyennes non seulement en participant
aux réunions et meetings, mais en protestant avec
courage contre la dissolution de l'assemblée, la
dictature maximaliste et la rupture des alliances
consacrées (janvier 1918), surtout contre la mutila-
tion de leur patrie et la honteuse paix de l'anarchie.
Aux Etats-Unis, les femmes ont, bien avant l'in-
tervention de leur pays, consacré leur activité à
adoucir pour les
belligérants, les
Alliéssurtout,les
maux de la guer-
re. Elles ont con-
tribué à organi-
sermilitairement
leur pays et en
ont été récom-
pensées. L'In-
diana, Le Michi'
gan, rOhio, ont
pendant la guerre
pourvu les fem-
mes du suffrage
municipal et pré-
sidentiel. En no-
vembre 1917, le
féminisme a con-
quis enfin l'Etat
de New-York, Mr.. Tiuke.
l'Etat le plus
pea/>/édei'i/ni'on,forteressejusquelàdela résistance.
C'est trois millions d'électrices nouvelles qui décide-
ront désormais de quelques-unes des affaires les plus
importantes du nouveau continent. Pour la première
fois, en 1917. une femme députée a siégé au Congrès.
Au Canada, les femmes ont acquis de 1914 à 1917
la franchise électorale en Colombie. Alberta, Sas-
kalchewan, Manitoba et Ontario.
Dans un autre des pays belligérants, la Hongrie,
les suffragisles ont fait preuve, pendant la guerre,
d'une intense activité. Elles ont obtenu déjà un suf-
frage censitaire (droit de vote accordé aux femmes
propriétaires et à toutes celles qui gagnent leur vie
d'une façon indépendante), et le cabinet Weckerlé,
formé le 17 juin 1917, s'est montré favorable à une
extension nouvelle du suffrage féminin.
Des pays non belligérants ont été, à leur tour,
emportés par le même courant irrésistible : en
Danemark, les femmes ont été consultées, comme
les hommes, sur la cession aux Etats-Unis des
Antilles danoises; en Holkmde, les femmes sont
devenues (1917) éligibles au Parlement, sans avoir
dans cette assemblée le droit de vote. Le Storthing
norvégien a vu, comme le Congrès des Etats-Unis,
la première femme députée.
Leur tour du monde accompli, les idées françaises
sont revenues enfin en leur patrie. Depuis 1916 au
moins, un courant d'opinion très net se dessine, en
notre pays, en faveur d'une réalisation progressive
N' 138. Juin 1918.
du suffrage féminin. Les économistes constalenl
que la France naiwait pu tenir sans l'aide des
femmes. Les hommes d Etat les plus éminents, les
ministres chargés des pins importants déparlements :
Clémentel, lierriot, Thomas, Barlhou, leur ont
publiquement rendu de solennels hommages.
fin 1906 et 1911, les propositions Dusausoy et
Buisson, tendant à donner aux femmes le suffrage
municipal, avaient été repoussées. L'opinion pu-
[ FORCI
EEDINC
Couverture du journal the Su/fraget, à Londres. (En tête, on lit :
Forriblf feedillf|\^i\imentaUon forcée], allusion aux tortures endu-
rées par certaiues siiiTryjjeUes. qui. arrélees. emprisonnées «t
■■ taisant la grève de la laim -, étaient nourries de furce ptir des
infirmières chargées de leur ingérer les aliments au moyen d'un
tube eu cauuleliouc.)
blique s'en désintéressait Plusieurs propositions
analogues ont été faites depuis la guerre et, cette
fois, ont retenu l'attention. En 1916, c'est la propo-
sition RouUeaux-Dugage, accordant à la femme imlé-
pendante (fille majeure ou veu\e) le suflrage direct,
à la femme mariée une \oix ajoutée à celle de son
mari. En 1917, c'est la pioposition Flandin, tendant
;i donner à toutes les lenimes l'éleclorat et l'éligi-
bilité aux conseils municipaux, aux conseils d'ar-
rondissement et aux coii-seils généraux. Cette pro-
position doit être incessamment discutée. Devenue
loi, elle marquerait une grande étape, la deuxième
depuis 1848, vers le suffrage pleinement universel.
Réalisation d'une de ces idées françaises (l'éga-
lité foncière de tous les êtres raisonnables) dont
nos philosophes du xviiio siècle ont projeté sur le
monde la fulgurante clarté, le suffrage féminin n'est
pas plus contestable en son principe que le suffrage
universel masculin. Pour l'application, elle aura des
conséquences d'une amplitude dont une expérience
trop courte et trop restreinte ne peut encore donner
l'idée. Mais l'exemple des villes anglaises et sué-
doises, des Elats de l'ouest de l'Union américaine,
de la Finlande, de l'Auslralie et de la Nouvelle-
Zélande, où les illettrés disparaissent, où l'enfance
arriérée, dévoyée, est éclairée, moralement relevée,
où les œuvres d'assistance se développent, où l'al-
coolisme recule, nous montie dans quelle direclion
les citoyennes nouvelles feront porter leur effort.
La lutte contre la maladie, l'ignorance et la mi-
sère, la volonté de réalisation du mieux-être, un
monde éclairé et purifié, pacifié peut-être, voilà
ce que de la collaboration des, femmes aux affaiies
publiques on pourrait attendre sans trop d'illu-
sions. — Léon Adensour.
Tanret (Charles), chimiste français, né à Join-
ville (Haute-Marne) le 10 août 1847, mort à Paris
le 29 juillet 1917. Après avoir fait un slage chez un
ph;u-macien de sa ville natale, Tanret vint, en ISliS,
suivre les cours de l'Ecole de pliarmacie de Paris;
ses études furent interrompues, en 1870, par la
guerre franco-allemande, à laquelle il prit part en
qualité d'engagé volonlaij-e, dans un batiiillon de
chasseurs à pied. En 1872, il terminait ses études
pharmaceutiques par une thèse sur l'albumine, dans
laquelle il indiquaitun nouveau réactifde cette sub-
stance : Viodomercurate de potassium en milieu
acétique; ce réactif, employé couramment aujour-
d'hui, est connu sous le nom de réactif de Tanret.
Tanret alla s'installer à Troyes, où il ouvrit une
pharmacie; mais il avait acquis à Paris la passion des
recherches scientifiques, et il leur consacra tous ses
loisirs. Il étudia l'oxydation de l'hydrate de chloral,
puis, en 1875, il découvrit dans l'ergot de seigle un
Ciiiicles Tmirel.
«• 136 Juin 1918.
alcaloïile iieltemeiil défini, Vergolinine, dont on
a utilisé depuis, en thérapeutique, les importantes
propriétés hémostatiques. Ce ne fut pas le seul Ira-
vailqu'il fit sur l'ergot de seigle; il devait encore,
par la suite, en retirer de nouveaux composés : en
1889, il en extrayait ï'ergostérine, qui, par l'ensem-
ble de ses propriétés, se rapproche beaucoup de la
cholestérine, mais qui en dilfère par sa composition;
puis, en 1908, il en isolait la fongistérine; enfin, en
1909, Vergothionéine. Tous ces corps se différen-
cient, d'ailleurs, très nettement de l'erpotinine.
Le complet succès qu'avait obtenu Tanret dans
la préparation de l'ergotinine l'avait définitivement
engagé dans la recherche des principes immédiats
et, en 1K78, il retirait del'écorce du grenadier qua-
tre alcaloïdes différents, dont les sulfates sont cris-
tallisables : la pelletiérine, Visopelleliérine, la mé-
thyl/ielletiérine et la pseudopelleliérine. Les deux
premiers, qui sont des ténifuges efficaces, sont sou-
vent employés aujourd'hui en thérapeutique; les
deux autres sont inactifs. A la suite de ces travaux,
l'Académie des
sciences lui dé-
cernait le prix
Bertier, et Tan-
ret quittait la
province, en
1879, pour ren-
trer à Paris où,
en 1880, il pre-
nait de nouveau
ladirection d'une
pharmacie. Ce
fut à cette épo-
que qu'il retira
du valdivia un
nouveau compo-
.çé, la valdivine;
puis, en 1882, il
isolait le prin-
cipe actif du mu-
guet, la conval-
lamarine, gluco-
side qu'il obtenait par le traitement des eaux-mères
de la conviillariue. En 1885, il découvrait un autre
glucoside, la vincétoxine, qu'il extrayait de la solu-
tion hydro-alcoolique des racines d'asclépiade. Ses
recherches sur l'écorce d'oranges amères lui per-
mettaient, en 1 886, d'obtenir de nouveaux principes :
les acides hespérique et auranliamarique et des
glucosides : lésohespéridine et Vaurantiamarine.
Ce dernier possède la même composition que l'hes-
péridine. En 1894, il indiquait un nouveau gluco-
side cristallisé : la picéine, qu'il retirait du sapin
épicéa, puis un nouveau glucose, la lévogtucosane.
La recherche des principes immédiats ne suffisait
pas à absorber l'activité de Tanret et, à côté de ces
travaux spéciaux, il fit d'autres recherches, dont
les principales sont relatives aux matières sucrées.
Déjà, en 1877, dans un travail avec Villiers, il
avait indiqué un nouveau procédé, très commode,
pour préparer l'inosite à partir des feuilles de noyer,
puis, en 18S9, il relirait de l'écorce de quebracho un
éther métliylique particulier, la québrachite, d'oii,
fiar déméthylalion, il obtenait une inosite particu-
ière inactive. Avec Maquenne (1890), il obtint Vino-
sile racémique ; ce fut le premier sucre racémique
connu. La clécouverte de trois penlacélines du glu-
cose et l'étude qu'il en fit le conduisirent à étudier
les modifications moléculaires du glucose lui-même ;
il a découvert et préparé à l'état cristallisé le glu-
cose X et aussi une modification nouvelle, le glucosey.
11 a montré, en outre, comment on peut passer de
l'une à l'autre des modifications isomériques de ce
composé et comment le glucose ordinaire ou (5 est
une combinaison définie des deux autres. Ce fut à
la suite de ces travaux qu'il publia, en 1896, son tra-
vail sur la multirotation des sucres réducteurs.
En 1891, il retirait de la farine de seigle un prin-
cipe nouveau : la lévosine, qui a la même composi-
tion que la dextrine. En 1893, il montrait que l'inu-
line, que l'on retirait du dahlia et d'autres plantes
et que l'on considérait comme un corps simple, est
presque toujours associée à deux isomères, lesquels
en diffèrent par leurs propriétés physiques : la
pteudo-inuline et Yinulénine. De plus, il retirait
également du topinambour d'autres hydrates de
carbone, en particulier Vhélianthénine.
Il découvrit en 1899, avec son fils Georges, le
rhamninotriose, sucre qu'ils retiraient de la xan-
thorhamnine et qui, par réduction, donne la rham-
ninite et, par oxydation, l'acide rhamnénotrionique .
De la manne, en 19U2, il retire deux nouveaux su-
cres : le mannéotétrose et le mannénolriose.
En 1903, il montra que le slachyose, sucre que l'on
relire des crosnes du Japon, était identique au man-
néotétrose qu'il avait découvert l'année précédente.
Citons encore ses travaux sur la pluralité des
amidons et les amyloses.
On lui doit également de nombreuses recherches
relatives aux produits pharmaceutiques. Ses travaux
sur les sels doubles de caféine ont permis d'utiliser
cette base en thérapeutique : il a montré qu'elle est
soluble. Ce sont ses sels doubles, solubles dans l'eau,
1. Thrips du pois; 2. Thrips du poireau.
LAROUSSE MENSUEL
que l'on administre aux malades par injections. En
récompense de ses travaux, l'Académie des sciences
lui avait décerné, en 1895, le prix Jecker.
Tanret fut un laborieux et un modeste, qui n'oc-
cupa jamais aucune fonction officielle; pourtant,
en 1897, il fut nommé président de la Société chi-
mique de France. On lui doit plus de 100 mémoires
insérés dans les « Comptes rendus de l'Académie
des sciences », le « Bulletin de la Société chimique
de France » et autres périodiques scientifiques
français. — G. Bodcueht.
♦tUrips n. m. — Encycl. Enlom. Le genre
thrips comprend plusieurs espèces, dont quelques-
unes causent d'énormes dégâts dans les jardins
potagers. C'est ainsi, notamment, que le thrips du
poireau et le thrips du pois ont pu parfois réduire
de 50 p. 100 des récoltes qui s'annonçaient mer-
veilleuses.
Ce groupe de thysanoptères est jusqu'ici assez
mal connu, en France du moins, et cela tient, sans
doute, à l'exiguïté de leur taille, qui leur permet de
passer souvent inaperçus. Au reste, leurs dégâts,
qu'on a main-
tes fois cons-
tatés, étaient
attribués dans
la plupart des
cas à des causes
étrangères; les
cultivateurs in-
criminaient le
ver (désignant
ainsi les larves
deVIiylémyeoa
mouche grise) ,
alors que le
principal agent
du dégât est le
thrips.
Cependant,
si les thrips
étaient peu
connus chez
nous,ilsavaient
déjà à l'étran-
ger fait l'objet
de nombreuses
observations. L'entomologiste Westwood signa-
lait, en 1880, les dégâts occasionnés par un thrips
qu'il appelle thrips pisivora, sur des cultures de
pois de la banlieue d'Oxford; en 1899, Trybom
donne des détails précieux sur une invasion
analogue constatée aux environs de Stockholm;
depuis 1905, CoUinge, Theobald, Williams, en An-
gleterre, étudient le même ravageur, dont l'appella-
tion scientifique la plus répandue est frankliniella
robusla (Uzel).
En ce qui concerne le thrips du poireau, il a été
étudié et décrit pour la première fois en 1888 par
Lindeman, de Moscou, comme un ennemi des plan-
tations de tabac, d'où le nom de thrips tabaca,
qu'il lui donne dans sa monographie des thysa-
noptères. En dépit d'Uzel, qui décrit à son tour cette
espèce sous le nom de thrips communis, l'appella-
tion de thrips tabaca est consacrée par la plupart
des classifications entomologiques, bien que le tabac
ne soit pas, cependant, la seule plante attaquée par
l'insecte qui nous occupe. On a signalé ses dégâts
sur les oignons en 1872 aux Elats-Unis (et les en-
tomologistes américains le nomment onion thrips]
et, tout récemment (1913), en France, dans les cul-
tures de pois.
Ces deux espèces : thrips du poireau et thrips du
pois font actuellement l'objet d'études très suivies
de la part des stations entomologiques, et A.VuilIel,
de la station entomologique de Paris, a résumé les
connaissances que l'on possède à l'heure actuelle
sur cette question, qui revêt une importance consi-
dérable au point de vue phytopathologique.
1. Thrips du poireau. Le thrips ta/iaca est ré-
pandu sur tout le globe. En France, on a signalé sa
présence dans de nombreux départements (Alpes-
Maritimes, Bonches-du-Rhône, Loir-et-Cher, Maine-
et-Loire, Seine, Seine-et-Oise, Oise, Aisne, 'Tarn-et-
Garonne, Gers, etc.).
Il mesure environ un quart de millimètre de lon-
gueur, et sa couleur est jaunâtre clair, varié de jaune
foncé. La tète est plus large que longue, le prolho-
rax est aussi long que la tête, et sa partie supérieure
(pronotum) présente des stries transversales et des
épines, plus longues et plus fortes sur les bords. On
rencontre l'insecte aux difi'érents. stades de son dé-
veloppement (insecte parfait, larve, nymphe) sur
les plantes les plus diverses, mais, notamment, sur
les tiliacées et les solanacées. Sur le poireau, il se
loge dans les replis des tiges et des feuilles, où ses
larves pullulent, déterminant un épuisement ithrip-
sose) de la plante, dont les feuilles se décolorent,
se dessèchent, et qui reste souffreteuse et malingre.
Les cultures de poireaux sont, en général, envahies
par les insectes qui ont hiverné sur d'autres végé-
taux, principalement les herbes qui croissent spon-
tanément en bordure des champs et qu'il importe
l
489
de détruire chaque année, si l'on veut éviter le
foyer d'invasion. Les insecticides habituels sont
efilcaces contre le thrips; malheureusement, en rai-
son de son exiguïté et de la profondeur de ses ca-
chettes, l'insecte est difficile à atteindre.
11. Thrips du pois. La présence du thrips des
pois {frankliniella robusta) a été constatée pour
la première fois dans le Loiret en 1913. Trois semis
successifs de pois échouèrent, et c'est sur les plantes
du second que l'on trouva, vers la fin d'avril, des
colonies innombrables de thrips. (Décoloration et
déformation des feuilles, des pousses et des rares
fruits, dépérissement de la plante.)
Ce thrips mesure à peu près 1 millimètre et demi
de longueur; il est de couleur brun foncé; sa larve
est jaune, avec les deux derniers segments de
l'abdomen brun foncé.
Son mode d'évolution est analogue à celui de
son congénère, décrit plus haut, et les mêmes trai-
tements insecticides peuvent lui être appliqués
(poudre de pyrèthre en suspension dans de I eau
savonneuse). Là encore, il faut soigneusement dé-
truire les plantes spontanées qui sont susceptibles
d'offrir un asile aux différentes générations du
thrips et, surtout, à la forme hibernante; ne pas uti-
liser une nouvelle fois les rames qui ont servi à des
pois attaqués, brûler les fanes provenant d'une
planche infestée; éviter de semer deux fois de suite
dans le même terrain, qu'il faut chauler après un
labour profond. Cependant, le service de phytopa-
thologie qui, depuis sa fondation, a rendu déjà des
services signalés, étudie le parasitage du thrips
par un chalcidien entomophage (thipoctenus brui),
ui serait susceptible de devenir un auxiliaire utile
e l'agriculture. — P. monnot.
Treizième CbEiise (la), pièce en trois actes,
de Bayard Weiler; adaptation en français de Hans-
wick, deWaltvne, G. Dorziat; représentée au théâtre
Réjane le 18 décembre 1917.
Bavard Weiler est un dramaturge américain,
dont les ouvrages ont obtenu des succès assez écla-
tants pour que plusieurs déjà aient été apportés en
France. 'Voici le sujet de celle pièce :
Les trois actes se passent dans le même décor,
un salon de nos jours, chez M. et M""" Crosby. Au
lever du rideau, le fils de la maison, Will Crosby,
est seul avec la demoiselle de compagnie de sa
mère, M"« Hélène O'Neil, et il l'embrasse. Il lui
promet le mariage. Celle-ci objecte qu'elle est pau-
vre. Mais la mère. M"" Crosby, et le père, Roscol
Crosby, qui arrivent successivement, déclarent
qu'ils sont ravis, enchantés de M'" O'Neil et qu'elle
sera leur bru. Ils sont approuvés par une douzaine
d'invités, jeunes couples et jeunes ménages qui ont
dîné là. Seul, M. Edward Wales fait ses réserves
et demande vingt-quatre heures avant de donner
son assentiment à celle union. Qu'y a-t-il? Que veut-
il? Que reproche-t-il à cette jeune fille?
Miss Hélène O'Neil est la fille d'une pauvre
femme qui s'est toujours effacée et qui lui a fait
donner une éducation brillante, afin d'en faire une
demoiselle. Celle-ci voit sa mère rarement, et elle
ignore de quoi elle vit.
M. Roscol Crosby et son ami Edward Wales ont
combiné pour l'apres-dîner un divertissement.
Il va venir une vieille sorcière, Rosalie Lagrange
(c'est la mère d'Hélène), qui fait en ville des séances
de spiritisme. La voici; une drôle de petite vieille,
qui provoque des phénomènes et en dévoile aussitôt
tous les trucs : elle a à son soulier une semelle de
bois pour frapper les coups de l'esprit, elle soulève
une table avec des fils de fer. Elle ne connaît per-
sonne dans celte maison, où elle ignorait que sa
fille Hélène fiit placée. Elle est stupéfaite et comme
gênée de la rencontrer là, et, aussitôt elle désire s'en
aller. Mais on insiste pour qu'elle demeure. Elle y
consent. La séance commence ; on fait l'obscurité.
L'interrogatoire est mené par Edward Wales. Un
de ses bons amis, Spencer Lee, a été assassiné l'an
passé dans des conditions mystérieuses. On n'a pas
retrouvé trace de l'assassin. On sait seulement que,
trois heures avant le crime, une femme est venue
et a pris le Ihé. Wales ordonne à l'esprit de dire le
nom de l'assassin. L'esprit hésite et, sans doute, va-
t-il répondre, quand, à ce moment, Edward Wales
tombe assassiné, frappé d'un coup de couteau dans
le dos. On note qu'il y avait douze assistants autour
de lui : il était assis sur la treizième chaise, signe
de malheur.
Le second acte se passe quelques instants après
ce crime. Le policier Hum Dononue arrive. Toutes
les issues sont gardées. Tous les assistants sont
fouillés. Nul n'a pu sortir ni se cacher. Et, cepen-
dant, il est impossible de retrouver le couteau du
meurtrier.
Au cours de l'enquête, les présomptions se préci-
sent dans l'esprit du détective. Edward Wales
savait le nom de la femme qui avait fait visite à
son ami avant l'assassinat : c'était Hélène O'Neil.
D'ailleurs, les empreintes digitales relevées sur la
tasse à thé étaient les siennes. Il la soupçonnait
d'avoir accompli le crime. La séance de spiritisme
était truquée et convenue. Rosalie Lagrange avait
490
pour mission de faire simplement répondre à l'es-
prit, quand on lui demanderait le nom de l'assassin
de Spencer Lee : « Hélène 1 » — Wales comptait
alors sur la surprise et le trouble de la jeune fille
pour la Iraliir. Mais Rosalie Lagrange, ne sachant
pas qu'Hélène O'Neil était dans la maison, avait été
troublée à sa vue; il devait y avoir complicité entre
ces deux femmes, puisque la pythonisse n'avait
pas dit le nom « Hélène » qu'elle avait à dire : elle
a voulu sauver une Hélène dont la présence dans
cette maison lui était inconnue. Il y a parmi les
dames présentes une autre femme de ce nom, Hé-
lène Trent, qui sera soupçonnée aussi. D'ailleurs, la
jeune O'Neil avoue qu'elle a été, en effet, chez Spen-
cer Lee : elle avait nié, car elle ne voulait pas com-
promettre la fille de la maison, Hélène Trent, ma-
riée depuis. Hélène était allée reprendre des lettres
d'amour de l'autre : de là son silence. Des charges
pèsent sur elle. Pendant la séance de spiritisme,
Hélène O'Neil était assise à côté de Wales : elle a
pu le frapper, comme elle a frappé l'autre. Mais le
couteau? Où est le couteau? On sait à présent qu'Hé-
lène est la fille de la sorcière. Pendant la reconsti-
tution de la séance spirile, Rosalie Lagrange a es-
sayé de changer les places, pour que sa fille ne fût
pas la voisine de 'Wales. Ledétective s'en aperçoit :
c'est une charge de plus. I-.a mère défend son en-
fant avec des accents chaleureux.
La situation se dénoue au troisième acte. On n'a
toujours pas retrouvé le couteau. Rosalie Lagrange,
qui n'est ni spirite, ni médium, ni sorcière, mais
qui sait combien l'esprit humain est faible, imagine
d'agir par les nerfs sur celte bande de muets. 11 est
évident que l'assassin est l'un d'entre eux. Il faut
le démasquer. On refait une séance spirite, et l'es-
Frit de Wales est évoqué. Tous sont troul)lés par
émotion et la surexcitation des heures qu'ils vien-
nent de passer près du cadavre de 'Wales et au
milieu des inquiétudes de l'instruction. Le vrai cou-
pable ne résiste pas à l'épreuve que tente l'intelli-
gente Rosalie Lagrange. KUe fait parler l'esprit du
mort. L'assassin, c'est l'un des invités auquel per-
sonne n'avait fait attention, Philippe Mason. Il a
tué Spencer Lee parce que cet homme lui enleva sa
femme. Et, à présent, il croit reconnaître dans la voix
de la Lagrange la voix même de Wales. Un coup
de vent ouvre la porte du fond : il croit voir entrer
le cadavre de Wales, qu'il a assassiné pour empê-
cher l'esprit de nommer l'auteur du premier crime.
Le coup de vent fait se balancer au plafond un cou-
teau que personne n'avait remarqué : l'assassin avait,
dans l'obscurité, après avoir tué Wales, lancé son
poignard en l'air, et celui-ci était demeuré fiché et
caché au plafond. Le vent le fait tomber sur la
table, devant le détective. Tout se découvre ainsi
par hasard ; les esprits et les sciences occultes n'y
sont pour rien. L'assassin est arrêté. Will épouse
Hélène, qui gardera sa mère près d'elle.
La iS' Chaise est un plaidoyer contre le spiri-
tisme, dont la portée est réduite à la mesure de
l'autosuggestion. Les phénomènes spirites provo-
qués par Rosalie Lagrange sont truqués, et elle en
donne elle-même l'explication rationnelle. Si Phi-
lippe Mason avoue son crime, les esprits n'y sont
pour rien; il agit sous l'inlluence de l'énervement
produit par plusieurs séances spirites et par l'effet de
la séquestration sous le toit où repose le cadavre de sa
victime. L'esprit a été incapable de montrer au mé-
dium le poignard planté au plafond. La conclusion
de l'auteur est que le spiritisme agit par le trouble
mental que le mystère, l'obscurité, l'énervement
peuvent produire sur un cerveau inquiet et une âme
bourrelée de terreur et de remords. Les sorciers
sont d'intelligents exploiteurs des nerfs. C'est aussi
la thèse de Monsieur Beverley, pièce anglaise de
Walter Hackett.
Le couteau qui demeure durant deux actes fiché
dans le plafond, sous nos yeux, sans qu'aucun des
personnages l'aperçoive, est une invention inspirée
par le conte d'Edgard Poe : la Lettre volée, où la
police fouille toute une maison, soulève les tables
du plancher, crève les coussins et les fauteuils, sans
apercevoir la lettre cherchée, qui est simplement
épinglée au mur, près de la glace; au-dessus de la
cheminée.
La pièce est habilement construite. Le premier
acte produit de l'effet. Tout l'artifice est celui des
drames policiers, qui consiste à lancer l'esprit sur
plusieurs pistes fausses, où il se prend, et qu'il
lui faut abandonner quand la vérité se fait jour. A
vrai dire, ce genre produit plus d'effet sur l'âme
encore jeune des Américains que sur l'esprit averti
du public français. — L*o Cueetie.
Les principaux rôlos ont été cr*és par : M"" Réiana
{Rosalie Lagrange), M"' Monna Delza {Hélène O'Neil),
M»' Marguerite' Caron {M"' Croshxf): MM. Tarride {Hum
Donohue), Armand Bernard {Will Crosby), Max Barbier
{^Edward Wales), Marnay {Itoscol Crosby), G. Lisle
{Philippe Mason).
vitamines (du lat. vita, vie, et de aminé)
n. f. pi. Groupe de substances considérées comme
indispensables à la nutrition normale des animaux
et de l'homme, différentes des principes alimentai-
res ordinaires (albumino'ides, corps gras, hydrates
LAROUSSE MENSUEL
de carbone, matières minérales), et que les animaux
sont dans la nécessité d'emprunter entièrement aux
aliments organiques dont ils se nourrissent. — Une
Vn'AMINE.
— EiNCYCL. Historique. Il y a longtemps que
l'on attribue certaines maladies, le scorbut entre au-
tres, à l'insuffisance ou à l'absence de quelques prin-
cipes alimentaires. Sur la nature même de ces princi-
pes, d'ailleurs variables en apparence suivant le cas,
nous restions très mal renseignés, quand de récentes
recherches, relatives à une maladie singulière des
pays riziphages, le béribéri, sont venues nous éclai-
rer, du moins sur certains points. Et, dès maintenant,
par suite, on commence à s'apercevoir que la nutri-
tion a d'autres exigences que celles que nous a fait
coimaître le calcul des calories de la ration.
En 1897, Eijkmann montra que le béribéri s'ob-
serve chez les individus dont la nourriture est com-
posée de riz ayant subi l'opération du polissage, opé-
ration au cours de laquelle le grain est débarrassé
de sa pellicule argentée superficielle. Les sujets
qui consomment du riz ayant conservé sa pellicule,
ou paddi, ne sont, au contraire, jamais atteints de
béribéri. Des expériences soigneuses faites sur des
pigeons vérifièrent bientôt cette étiologie; les oi-
seaux qui consommaient du paddi n'éprouvaient
aucun trouble; d'autres, nourris avec du riz poli,
présentaient rapidement des accidents comparables
à ceux du béribéri; les derniers, enfin, après avoir
manifesté les accidents résultant de l'ingestion du
riz poli, étaient guéris très vile, quand on ajoutait
à la ration de riz poli les parties enlevées par le
polissage. D'où la conclusion formulée par Gryns
en 1900 que la pellicule superficielle argentée du riz
contient une substance indispensable à la régularité
de certains échanges et que, par conséquent, le béri-
béri est une maladie de la nutrition, due à l'absence,
dans les aliments utilisés, de cette substance ré-
gularisatrice.
— Nature et répartition des vitamines. Il restait
à isoler cette substance et à en déterminer la nature.
C'est à cette tâche que, depuis 1911, se sont consa-
crés divers auteurs, et en particulier Casimir Fimck.
Ce dernier, à l'aide de procédés longs et compli-
qués, dont il est impossible de fournir ici le détail,
a réussi à extraire de la balle du paddi une base
pyrimidique, cristallisable, fondant à + 233° C. et
ayant pour formule chimique brute : C"H*''N'0'.
Ce corps, non saturé comme on le voit, très instable,
sensible aux influences les plus diverses (tempéra-
ture élevée, alcalins, oxydants, etc.), reçut le nom
de vitamine, en raison d'une part de sa parenté
chimique avec des acides aminés et, d'autre part,
du rôle biologique important qu'il semble appelé à
jouer. A la dose de quelques milligrammes, il guérit
les accidents du béribéri expérimental. Un extrait,
contenant la vitamine de C. Funck, a été employé,
à l'hôpital de Manille, par 'Vedder et Williams,
avec des résultats également satisfaisants chez des
individus atteints de béribéri.
La vitamine de Casimir Punck n'existe pas que
dans la balle du paddi; on la rencontre aussi dans la
levure de bière, dans les céréales et dans un grand
nombre de tissus et d'organes animaux, les œufs et
autres produits génitaux, le système nerveux, le
foie, le rein, les muscles, etc., ce qui laisse supposer
qu'il y en a plusieurs sortes. Elle parait associée,
mais non combinée, aux phosphalides, comme l'a-
cide thyminique, la lécithine et, peut-être, d'autres
lipoïdes; en outre, au cours de sa préparation, elle
est accompagnée, presque jnsqu'à la fin, par l'allan-
toïne (diuréide glyoxylique), dont les propriétés
sont d'ailleurs voisines des siennes, puisque, admi-
nistrée dans le béril)éri expérimental, elle diminue
notablement l'intensité des accidents. Or, l'allan-
to'ine, produit d'oxydation de l'acide urique, est
considérée, suivant Lambling, comme le terme final
de l'évolution métabolique des substances puriques,
du moins chez le chien et le lapin. Mais il n'en
est probablement pas de même chez l'homme, dont
les urines renferment toujours très peu d'allanloïne
(l/50« du poids de l'acide urique urinaire) et qui
semble incapable de faire de l'allanloine en partant
de l'acide urique. Par suite, si l'allanto'ine joue,
— ce que nous ignorons encore, — un rôle méta-
bolique important dans l'organisme humain, ce rôle
ne peut être rempli que lorsqu'elle lui est fournie
en nature, c'est-à-dire dans les aliments. II est per-
mis d'admettre, d'après les constatations auxquelles
conduit l'élude du béribéri, qu'il en est de même
pour les vitamines et que celles-ci doivent êlre,
elles aussi, constamment et uniquement emprun-
tées aux aliments.
D'après ce qui précède, il apparaît que les vita-
mines sont apparentées aux dérivés des nucléopro-
téides, aux bases puriques et pyrimidiques, allau-
toïne, hydantoi'ne, xanthine et paraxanlhine, et
représentent des éléments constitutifs nécessaires de
la matière nucléaire, dont on connaît la fonction
capitale dans tous les phénomènes de la vie et de
la reproduction cellulaire. Le rôle des vitamines,
dans le métabolisme général, et en parliculier dans
celui des neurones périphériques (lésés dans le
béribéri), est vraisemblablement d'une haute impor-
«• 136. Juin 1918.
I tance, mais le mécanisme par lequel elles agissent
nous demeure — encore — inconnu. Néanmoins,
Casimir Funck a émis à ce propos une hypothèse in-
téressante et suivant laquelle l'animal ou l'homme,
privé de vitamines alimentaires et impuissant à les fa-
briquer synthétiquement, est obligé de les emprun-
ter, au fur et à mesure des besoins, aux tissus qui
en contiennent, d'abord aux muscles, puis aux nerfs,
d'où dérivent les accidents graves qui caractérisent
le béribéri. Mais toutes les espèces ne réagissent
pas de la même manière et dans le même temps à
la privation de vitamines, ni les individus à celle
des diverses sortes de vitamines. De là des moda-
lités morbides également différenles, parmi les-
quelles Casimir Funck croit pouvoir faire figurer,
en outre du béribéri, bien entendu, le scorbut, la
maladie de Barlow, la pellagre, certaines formes
de rachitisme, etc.
— Conséquences physiologiques. De la décou-
verte des vitamines et de l'appréciation de leur
rôle dans la nulrilion générale découlent d'impor-
tantes conséquences au point de vue de la physio-
logie pratique de l'alimentiition.
A rencontre de ce qu'avaient soutenu Boussain-
gault, J.-B. Dumas et Ghevreiil, qui pensaient que
les aliments, pour être vraiment utilisables, devaient
être <( vitalisés », on avait presque universelle-
ment admis, dans ces derniers temps, principale-
ment sous l'infiuence des idées de Hubner, qu'il
suffisait, pour pourvoir aux besoins nutritifs d'un
individu donne, de lui fournir, sous n'importe
quelle forme, la somme des calories répondant h
ses dépenses énergétiques; la valeur plastique des
aliments était négligée à ce point que l'on ne se
préoccupait plus que secondairement de l'apport
variable des dilTérentes catégories de protéides
(globulines, nucléo-albumines, etc.) et des matières
minérales fixables dans les tissus, ainsi que le
montrent, au surplus, les formules de rations ali-
mentaires insérées dans les traités de diététique
les plus classiques. De là l'abus récent d'alimenis
artificiels, soit purs, comme la saccharose, l'alcool,
la gélatine, soit composés de tontes pièces à l'aide
de substances inertes, comme les laits artificiels,
le somatose, le plasmon, etc., et, par suite, l'appa-
rition de troubles métaboliques variés et inattendus,
se manifestant plutôt dans l'ordre des maladies
générales de la nutrition (scorbut infantile, rachi-
tisme, arthritisme, etc.) que dans celui des affec-
tions gastro-intestinales franches.
Depuis que l'on connaît les vitamines, on se rend
compte de l'origine de ces accidents. 11 ne suffit pas
de fournir au sujet un certain nombre de calories
et une certaine quantité d'azote; il faut encore que
les matières dynamophores et plastiques soient dans
un état d'organisation et de complexité, sans lequel
elles cessent de répondre à certaines nécessités du
métabolisme. Il semble bien, en efi'et, que, d'après
les observations de Carton d'une part et de Rénon
de l'autre, si 100 gr. de saccharose et 100 gr. de fa-
rine de blé représentent une même valeur énergé-
tique brute, ils ont une valeur nutritive différente,
la farine de blé renfermant des vitamines (en outre
du gluten) que le sucre de canne ne contient pas.
A fortiori en est-il de même en ce qui concerne
l'azote plastique. Les polypeptides diffère.nt beau-
coup suivant les acides aminés qui entrent dans
leur composition; l'élastine de bœuf contient plus
du quart de son poids de glycocoUe, tandis que
l'ovalbumine n'en renferme pas; la gliadine du blé
est pauvre en serine, mais riche en acide gluta-
mique, et la gélatine, dépourvue de tryptophanc, se
montre abondante en arginine, etc. Et, cependant,
la présence de certains amino-acides dans les ali-
ments d'une espèce paraît indispensable, non pas
au titre propre d'aliments azotés, mais, comme le
dit Schaifi'er, parce qu'ils constituent des noyaux
autour desquels s'édifient des groupements molécu-
laires jouant, dans l'organisme, un rôle analogue à
celui de l'adrénaline, par exemple. Le défaut, dans
les aliments consommés, d'un de ces noyaux serait
donc capable d'entraîner des conséquences compa-
rables à celles de l'insuffisance surrénale, quand ce
susdit noyau est de ceux que l'organisme ne sait
pas synthétiquement construire. Et — l'expérience
le prouve — les vitamines appartiennent à cette der-
nière catégorie de corps.
On peut conclure, en résumé, que les règles qui,
depuis une trentaine d'années, nous guidaient dans
l'organisation des rations alimentaires, demandent
maintenant à être modifiées et que, pour les établir
correctement, il convient de tenir compte désor-
mais d'un certain nombre de nouveaux fadeurs,
parmi lesquels prend place la présence des vita-
mines. Cette modification, dont l'urgence ne peut
plus nous échapper, entraînera le retour à une ali-
mentation moins savante, moins artificielle, dans
laquelle le calcul des calories, sans êlre complète-
ment négligé, passera au second plan et cédera
le pas aux aliments directement fournis par la
nature. — n^ J. Laomonier.
Paris. — Imprimerie I.AROussK (Moreau, Auge, Gillon et C'*J,
17, rue Montparnasse. — Le gérant : L. G&oslbt.
Le Ruisseau. {Chevreuils.)
N" 137.
Juillet 1918
Abris souterrains (Hygiène des). La
barbarie allemande, en inaugurant les boinbariie-
uients aéi"iens de villes situées loin du front de
combat et exclusivement habitées par une popula-
tion civile composée surtout de personnes âj^ées,
de femmes et d'enfants, a forcé ces derniers à
chercher sous terre, dans les caves, les anciennes
carrières, les tunnels des chemins de fer métropo-
litains, un abri contre les engins meurtriers. Pour
temporaire et intermittente que soit cette vie sou-
terraine, elle nécessite, si l'on veut qu'elle ne
devienne pas pour ceux qui y ont recours une
source de maux nouveaux, l'observation de cer-
taines lois d'hygiène, d'autant plus nécessaire que
ces endroits ne sont nullement prévus pour que l'on
y séjourne. Cette hygiène doit considérer d'une
part les lieux mêmes ainsi utilisés et, de l'autre, les
persoimes qui se voient dans l'obligation de leur
demander la sécurité.
HYGii:NE GÉNÉRALE. — Le premier danger de la
plupart de ces abris, et notamment des caves, dont
nous nous occuperons spécialement, est l'insufli-
sance de l'aération. Cette insuffisance résulle de
leur exiguïté, de l'étroitesse des soupiraux, de la
disposition même des lieux et de leur situation
sous terre. Elle devient d'autant plus grande que
plus de personnes y sont réunies et que leur séjour
est plus prolongé. Or, loin de parer à ce danger,
l'administration l'a exagéré en prescrivant la ferme-
ture des soupiraux, qui permettent au moins l'accès
d'une petite quantité d'air. La mesure était dictée
par le double souci d'éviter la pénétration, par les
ouvertures de ces soupiraux, de fragments de pro-
iectiles et l'introduction des gaz asphyxiants que
l'on supposait — que l'on suppose encore — pou-
voir être déversés par des obus spéciaux. Il seml)le
improbable que des fragments de bombes puissent
suivre cette voie, les éclats en étant en général pro-
jetés en hauteur ou, tout au moins, sous un certain
angle à ouverture supérieure et non horizontale-
ment, ni, à plus forte raison, en direction descen-
dante. D'ailleurs, la plupart des fermetures effec-
tuées seraient, à cet égard, parfaitement illusoires.
Quant aux gaz asphyxiants, il parait difficile d'en
projeter une assez grande quantité, du moins dans
une ville importante, pour que co procédé inhu-
main soit efficace. Ce n'est que dans les localités
soumises & un bombardement incessant, recevant
chaque jour des centaines, sinon des milliers de
bombes, que la méthode pourrait donner les résul-
tats détestables que nos ennemis en espéreraient.
Par contre, la fermeture des soupiraux a des incon-
vénients immédialj et tangibles. Elle interdit abso-
lument l'accès de l'air et rend les souterrains de
Plus en plus humides et malsains. On doit donc, si
on considère la question du point de vue hygié-
nique, laisser les soupiraux tels quels, avec leurs
grilles ou leurs plaques perforées. Il est souliaital)!e
que, là où l'on a édifié de vérilables maçonneries,
celles-ci soient percées d'ouvertures suffisantes et
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
que l'occlusion par couches minces de plâtre soit
complètement abandonnée. Le mieux, si l'on veut
tout concilier, sérail, sans doute, de préparer des
fermetures amovibles, qui pourraient être appli-
quées extérieurement ou intérieurement au moment
des alertes. En attendant, )e mode de protection le
moins sujet h caution, au moins contre les éclats
<!(' projectiles, est constitué par des sacs de sable
maintenus contre les soupiraux, mais à une cerlaine
dislance, afin de laisser se faire en une cerlaine
mesure l'écliauf-'e entre l'air extérieur et l'atmos-
phère du souterrain.
Cette question de l'air respirable est liée, d'autre
pari, au nombre de personnes admises dans chaque
aljri. Il semble qu'en général ce nombre ait été
calculé trop largement et en ne tenant compte que
de la superficie des caves. La nécessité de trouver
des abris pour tout le monde est la cause de cette
erreur, car il eut fallu faire entrer en ligne de
compte le cubage de l'air que chaque cave contient.
Dans les alerles qui durent un certain laps de
lemps, deux, trois ou môme quatre heures, c'est la
donnée peut-être la plus importante, d'autant plus
que les modes d'éclairage, lampes, bougies, etc.,
concourent à rendre difficilement respirable un air
déjà suffisamment vicié par la respiration des per-
sonnes présentes. Quatre mètres cubes d'air par
personne ont paru à la Société de médecine publique
un minimum qu'il est indispensable de respecter.
L'alerte terminée, l'abri vidé, il ne suffit pas d'en
refermer la porte en altendant son utilisation ulté-
rieure. 11 faut, an contraire, l'aérer le plus grande-
nient possible et remplacer, autant nue l'on peut,
l'air vicié par de l'air neuf. Pour cela, toutes les
ouvertures doivent être tenues béantes pendant un
certain temps, et l'on déterminera des courants d'air
par tous les moyens. Dans les abris publics, l'ins-
tallation de ventilateurs ne serait pas inutile. Il se-
rait de même bon de procéder, à intervalles plus ou
moins rapprochés, à la désinfection de ces souter-
rains, d'autant qu'il a pu parfaitement y séjourner
des malades ou des porteurs de germes morbides.
L'isolement de ces sujets dangereux est difficile
dans les caves: il est impossible dans les grands
abris qui reçoivent un très grand nombre de réfu-
giés. Il sied donc de se mcltre à l'abri des conta-
gions ultérieures par des nettoyages, des lessiva_ges
ou même par des badigeonnages et des lavages au
lait de chaux.
Il serait également de bonne prudence de ne pas
utiliser (la Société de médecine publique l'a de-
mandé) comme abris les caves aes immeubles où
fonctionnent encore les vieilles méthodes d'évacua-
tion des excréta, fosses ou tinettes. Ces systèmes
sont susceptibles de créer dans le sol des infiltra-
tions dangereuses; seul, le « tout-à-l'égout » donne,
à cet égard, la sécurité complète,
La question des conduites de gaz d'éclairage qui
peuvent circuler dans les caves et les abris est
également à considérer. Pour éviter tout danger de
ce fait, la fermeture des compteurs extérieurs des
maisons parait indispensable. Mallieureusement, elle
se heurte à cet obstacle que des locataires peuvent
avoir laissé allumés des fourneaux ou des becs qui,
éteints par le tour de clef général, laisseraient, lors
de la réouverture, le gaz non comburé se répandre
dans les appartements. Les alerles n'ayant eu lieu,
jusqu'ici, qu'à une heure avancée de la soirée, sinon
la nuit, ce danger parait minime au regard de celui
que représenterait l'invasion du gaz d'éclairage dans
une cave forcément très mal ventilée et où se pres-
sent de nombreuses personnes.
Divers problèmes, en apparence secondaires,
peuvent encore attirer l'attention. C'est ainsi que,
dans les grands abris publics, il serait utile de dis-
poser, comme cela a été fait dans certaines stations
du Mélropolitain de Londres, des water-closcts par-
ticulièrement bien agencés au point de vue de l'hy-
giène. Ceci entraîne, au surplus, la création d'un
service de surveillance spécial. Mais ce service
pourrait être à plusieurs fins, car il n'est pas excep-
tionnel que, dans les atmosphères rapidement sur-
chaufi'ées et malodorantes de ces abris, l'émotion
aidant, certaines personnes se trouvent mal. Une
équipe sanitaire destinée à s'occuper de ces ques-
tions multiples serait donc à pré voir si les bombarde-
ments venaient à continuer et surtout & s'intensifier.
Hygiène particulière. — Celle-ri a pour base la
nécessité de se préserver des maladies que peuvent
faire naître le froid et l'humidité qui régnent en
permanence dans les caves. A cet égard, les abris
comme ceux du Métropolitain sont beaucoup moins
sujets à caution.
Le danger réside moins, en réalité, dans le degré
thermométrique bas des caves que dans la difTé-
rence de température entre cette cave et l'endroit
dont on sort quand on y descend. Ce danger re-
double, lorsque l'on quille son lit pour gagner le
sous-sol. Il en résulte encore que la descente à la
cave est, de ce point de vue, plus dangereuse en
été qu'en hiver et qu'elle nécessile alors de grandes
précautions. Celles-ci ne pourront être prises de
façon complète que si l'alerte est donnée précoce-
ment, afin qu'on ait tout le temps de faire cette
toilette spéciale. Les personnes prudentes devront
donc, bravant les moqueries, disposer en un endroit
lise les vêtements qu'elles endosseront si l'alerte
sonne. Ces vêtements devront être en laine de pré-
férence et très chauds. Il est surtout indispensable
d'entretenir la chaleur des extrémités, pieds et tête.
Les bas de laine montants, les chaussons fourrés,
les casquettes ou bonnets épais, les cbàles, les four-
rures doivent faire partie de cet équipement. Pour
éviter le froid aux pieds, générateur d'affections
broncho-pulmonaires, il est bon de disposer à
l'avance, dans les caves, de vieux tapis, des pail-
lassons ou, simplement, des planches, qui éviteront
le contact des pieds avec le sol humide.
Toutes ces précautions prennent une importance
coDsidérable lorsqu'il s'agit de vieillards ou d'en-
19
492
fanls, c'est-à-dire de sujets dont l'appareil respira-
toire est particulièrement sensible, ou dont la cir-
culation est défectueuse.
Les docteurs Neller et Triboulet ont communiqué
à la Société médicale des hôpitaux de Paris une
liste de 21 nourrissons soignés dans la cièche de
l'hôpital Trousseau pour pneumonies ou bionclio-
pneumonies contractées dans les caves et sur les-
quels 7 sont morls. Les enfants doivent donc élre
très chaudement vêtus et d'autant plus chaudement
qu'ils sont plus jeunes.
Enfin, en remontant des abris, il sera d'une très
bonne hygiène de procéder à des ablutions, notam-
ment de la figure et, spécialement, des yeux et des
fosses nasales. Quelques gorgées d'une infusion
prises en gargarisme seront également une excel-
lente mesure.
Ces précautions pourront paraître exagérées i
quelques-uns; elles sont cependant indispensables,
si l'on ne veut pas que se vérifie le dire de certains,
qui, pour expliquer qu'ils restent chez eux, décla-
rent que les pneumonies et les contagions tueront
plus de monde que les bombes d'aéroplanes. Cela
ne sera vrai que si l'on ne consent pas à obser-
ver une hygiène en réalité peu compliquée et qui
est faite simplement des enseignements du bon
sens. — Dr Henri Bouquet.
.A-cadémie des sciences morales et
politiques. — Election de iMcien Lévy-liruhl.
Le 22 décemlire 1917, l'Académie des sciences
morales et poliliques a procédé à l'élection d'un
membre titulaire de la section de philosophie, en
remplacement de 'Viclor Delbos, décédé. Les can-
didats en présence étaient, par ordre alphabétique :
Lucien Lévy-Bruhl, professeur d'histoire de la
philosophie moderne à la Sorboime ; Gaston Milhaud,
professeur d'histoire de la philosophie dans ses
rapports avecles sciences, également à la Sorhonne ;
Frédéric Paulhan, correspondant de l'.'^cadémie;
François Picavet, secrétaire général du Collège ilo
France etchargé d'un cours complémentaire de phi-
losophie à la Sorhonne; l'abbé Serlillanges, profes-
seur de philosophie à l'Institut catholique de Paris.
Le nombre des votants était de 29. Cinq tours de
scrutin furent nécessaires. Les candidats obtinrent
successivement: Lévy-Hnilil 12, 12, 12, 12, 15;
Milhaud 0, 0, 0, 0, 0; Paulhan 1, 0, 0, 0, 0; Pica-
vet 8, 8, 8, 9, 6; Sertillanges 8, 9, 9, S, 8.
Lucien Lévy-Bruhl est proclamé élu. (V. p. 510.)
alipliatique (du gr. aleiphar, alos, graisse)
adj. Chim. Gras. Qui a rapport aux matières grasses :
La catégorie des corps gras a reçu en chimie le nom
desérie aliphatique. ||Substantiv.: Un aliphatique.
allopôle (du gr. allas, antre, ci àe pâle) adj. et
n. m. Se. nal. Se dit des formes dont les pôles sont
différents. (Tels sont les fleurs régulières des phané-
rogames, les aslérjes, méduses, coraux, etc.) : L'œuf
d'oiseau est ai.lopôle. La stauraxonie (v. p. 516)
ALLOPÔLE est représentée par les pyramides, qui
jouent un grand rôle dans la conformation des
corps organiques.
Anton. : Isopôle. CV. p. 510.)
Seau jardin de France (Au), évocation
dramali(iue et lyrique en un acte et deux tableaux,
poème de Guillotde Saix, musique de Francis (iasa-
desus; représentée pour la première fois à l'Opéra-
Comique le 25 janvier 1918. — Cet ouvrage, « qui
porte la date du 17 septembre 1917 », est dédié au
<■ grand Français Georges Clemenceau », qui n'était
pas encore président du conseil, et il nous annonce
une victoire éclatante. Il semble avoir le don de
prophétie; le symbole en est translucide.
Les circonstances permettaient d'évoquer, yluieau
jardin de France, une vision florentine. C'est le
Printemps, de Sandro Botticelli, que le décor fait
revivre. La fantaisie du poète l'a peuplé de person-
nages surnuméraires : dieux, déesses (Silvanus,
Flora, Pomona, Primavera, Mars Gravidus), muses,
nymphes ou femmes-fieui's. La nature y est ardente,
voluptueuse, épanouie. Ce ne sont que parfums,
lumières, caresses. Mais, soudain, Mars Gravidus
bondit, sinistre et sanguinaire. Les lauriers et les
roses sont ravagés; Verlinnnns, qui préside aux
saisons, expire aux côtés de Primavera, mortelle-
ment blessée, et, parmi les lamenlations des muses,
un cortège funèbre s'avance, tandis que la cruauté
de Mars savoure la joie de son crime : la vie vain-
cra pourtant. Dans la lueur d'une aurore, la Gloire
apparaît, tout renaît, s'anime, chaule. Primavera
est rendue à l'amour de Verlumnus, et les Grâces
les enferment de nouveau dans leurs rondes agiles.
L'illustration musicale de ce tableau vivant déve-
loppe essentiellement trois thèmes : l'un original,
ce semble, frais et charmant, dont le début rappelle
assez curieusement un des motifs du Petrouchka,
de Stravinsky, tout en gardant une saveur très fran-
çaise ; les deux autres : Il court, il court, le furet,
et Les lauriers sont coupés, chers aux mémoires
enfantines. L'auteur les a triturés, malaxés, com-
binés au gré des péripéties, selon les lois d'un
contrepoint souple et varié, poussé jusqu'à ce « con-
trepoint d'accords » — dernier cri — qui juxtapose
LAROUSSE MENSUliL
ou superpose non plus de simples notes, mais des
groupes harmoniques, et dont le Sacre du Prin-
temps, du même Stravinsky, demeure le plus frap-
pant exemple. C'est à peu près, avec moins de dis-
crétion, le principe des jeux de mutation de l'orgue
que nos pères n'ignoraient pas. On retrouve, ^u beau
jardin de France, cette fermeté dans le dessin,
cette vigueur rythmique, cet éclat sonore, celte
franchise un peu rude, à la manière d'un Bruneau,
par exemple, que les œuvres antérieures de Casa-
desus, notamment Cachaprès, avaient manifestées.
Ce sont là des qualités très françaises, si ce ne sont
pas toutes les qualités françaises, et la musique ne
se montre pas infidèle au tilre. — Paul Locaed.
I.es principaux rôles ont été créés : pour le chant, par
M"'» Bourguignon {Pomona), Colette Chabry (Flora),
M. Parmentier (Silvanux); pour la mimique et la danse,
par M"'» Cleo de Mérode (Primavera), Madge Derny (Ze-
phirus Gloria), M. Robert Quinault (Mara Gravidus),
Gerlys { Vertumnus).
Bouvier (le), tableau de René Ménard, ex-
posé en 1918 au Salon de la Société nationale des
Leaux-arls (v. p. 504). Le tilre choisi pour l'œuvre
moderne est aussi celui d'une eau-forle célèbre de
Claude Lorrain. L'artiste contemporain se souvient,
du reste, volontiers du maître français du xvii» siè-
cle. II en aime les belles ordonnances et la compo-
sition grave et simple. Un bel arbre se détachant
sur un fond d'eau, de collines, le ciel lumineux,
quelques silhouettes d'animaux et de personnages
formant sur l'herbe sombre des taches heureuses,
tel est le sujet fréquemment traité par Lorrain, fré-
quemment repris par René Ménard. C'est encore le
cas, celle fois. La ressemblance, cependant, s'arrête
à peu près là. Sansdoule, Ménard est préoccupé de la
lumière, mais non point à la manière de Claude Lor-
rain. Les fines en veloppesde celui-ci, les dégradations
délicates de valeurs, l'hariuonie dorée dont il baigne
toutes choses sont remplacées par des efi'ets plus im-
médiats, plus aisément lisibles. Le soleil qui éclaire
son moderne Bouvier traverse assez brutalement les
nuages, trace dans l'eau une grande traînée écla-
tante. L'exécution, elle aussi, est celle d'un homme
de notre temps. Elle comporte des empâtements,
des touches rapidement posées, mais non sans souci
d'une matière souple et moelleuse. — Tr. Leclère.
Cabestan (Au), lableaude Charles Meissonier,
exposé en 1918 au Salon de la Société des artistes
français. ("V. p. 50:1.) Les bons peintres de bateaux
sont rares. II faut une parfaite connaissance des
conslruclions et des gréeinenls pour les traduire
avec vérité. Ch. Meissonier semble posséder celte
qualité. Elle ne suffit, cependant, pas. A représenter
des cordages, des mâts, des chaînes, des treuils, on
risque de paraître peu maître de l'ensemble. Il
faudrait pouvoir donner à ces éléments minces,
menus, croisés dans tous les sens un rythme au
point de vue des lignes, une harmonie au point
de vue des tons. La plupart des peintres modernes
ont échoué dans cette entreprise, soit qu'ils se
soient trop attachés au détail — et c'est un peu le cas
actuel, il faut l'avouer — soit qu'ils aient esquivé la
difficullé en noyant les objets dans des brumes arti-
ficielles plus ou moins épaisses. Néanmoins, si nous
sommes loin, ici, des vieux Van den'Velde et même
simplement des Mesdag, il est juste de reconnaître
le talent incontestable de l'auteur. — Tr. Leclére.
centraxone (de centre, et de axe) adj. et
n. m. Se. nat. Se dit des formes qui ont pour milieu
naturel une ligne droite (axe).
centraxonie n. f. Se. nat. Caractère propre
aux formes cenlraxones.
centrosolenia (sin, lé) n. m. ou centro-
solénie [san) n. f. Genre de gesnériacées, origi-
Centrofolenia ; a, coupe de la fleur.
«• 737. Juillet 1918.
naires du Brésil, oii elles se rencontrent princi-
palement dans les forêts amazoniennes.
— Encycl. Le genre centrosolenia ne comprend
que deux espèces : centrosolenia glabra et centro-
solenia picta. C'est la seconde qui est la plusorne-
menlale. Elle possède, en efl'et, un fort beau feuil-
lage, constitué par de grandes feuilles veloutées,
bigarrées de vert pâle, sur un fond vert sombre. Ses
fleurs, roses et blanches, à lobes simplement cré-
nelés, au lieu d'être découpés en franges, sont grou-
pées en faisceaux à l'aisselle des feuilles. La cen-
trosolénie bigarrée (centrosolenia picta) est une
plante herbacée, à tiges charnues et basses, décom-
bantes et traçantes. On la cultive en serre chaude,
sur terre de bruyère mêlée de sable, et on la dis-
pose très près du vitrage; elle réclame de fréquents
arrosages. Elle se multiplie facilement par bou-
tures. — Jean DE Chaon.
Clieniin du marais (le), tableau de Félix
Planquelte, exposé en 1918 au Salon de la Société
des artistes fiançais. (V. p. 505.) Depuis Troyon, il
y a eu peu de peintres de la race bovine. Les beaux
exemples de Potier sont difficiles à suivie; ceux de
Troyon aussi et mêms ceux de Rosa Bonheur, qui
nous a montré des vaches bien lustrées. Félix Plan-
quetle n'a pas craint d'essayer de traiter ce sujet
assez ingrat, et il a réussi dans sa tâche. Il connaît
bien les animaux qu'il représente. Le dessin des
formes est exact dans tous ses détails; l'allure de
son troupeau rentrant le long de la rivière véridique.
Aux recherches de ses prédécesseurs il ajoute une
recherche plus moderne, celle de la lumière. Dans
son Chemin du marais, le soleil du soir vient dorer
les blancs des pelages, et le rapport qu'établit le
peintre entre ces blancs rosés et les blancs bleutés
de l'ombre paraît fort juste. — Tr. Leclér».
clirysoplilegme (du gr. /chnisos, d'or, et
phlegma, feu) n. m. Genre d'oiseaux du groupe des
picidés.
— Encycl. Ce genre ne se dislingue des pics
que par sa longue huppe soyeuse; il comprend
huit espèces, qui vivent dans les provinces hima-
layennes, la
Birmanie, la
Cochincbinp,le
sud de la Chine
et les îles de
rinsulinde.
I>'une des plus
jolies espèces
est le chryso-
phlegme à nu-
que jaune(c/(ry-
sophlegma fla-
vinucha). La
tête est d'un
vert olive, lavé
de roux sur le
front; l'occiput
et la nuque
portent de lon-
gues plumes
soyeuses d'un
jaune brillant
(jaune de cad-
mium) et dont
la longueur di-
minue vers le
bas.Cetle huppe
est érectile.
Toutes 'les parties supérieures, les couvertures
alaires, les vexilles externes des secondaires sont
d'un beau vert, tandis que les primaires et les
vexilles internes des secondaires sont d'un châtain
vif, coupé de larges bandes noires, mais l'extré-
mité, sur une assez grande longueur, est d'un noir
pur. La queue est noire, le menton est d'un jaune
pâle citrin ; les plumes de la gorge sont d'un noir
olive à la pointe et d'un blanc soyeux à la base, ce
qui lui donne un aspect moucheté. Toutes les par-
ties inférieures sont gris olivâtre.
Le bec est bleuâtre, mais blanchâtre à la pointe;
l'iris est cramoisi foncé, les pattes bleuâtres.
Ce beau pic atteint une longueur totale de 0",325;
son culmen a 0"',045, son aile 0",16 et sa queue 0'",12.
La femelle ne diffère du mâle que par la cou-
leur de son menton, qui est moucheté de noir
et de roux.
Cet oiseau vit au sud de l'Himalaya jusqu'au
Ténassérim. II se nourrit d'insectes, et il creuse
des cavités dans le tronc des arbres pour y chercher
un supplément de nourriture. Du reste, toutes ses
habitudes, ainsi que celles des autres espèces, res-
semblent beaucoup à celles du pivert d'Europe.
Parmi les autres espèces, Java en possède deux
{chrysophlegma miniala et mentale); la Cochin-
chîne, le chrysophlegme de Pierre (ch. Pieifei),
dont la huppe est d'un jaune beaucoup moins vif
que sur le chrysophlegme à nuque jaune. Le chry-
sophlegme de Wray habite la péninsule malaise,
dans les monts Pérak. A Sumatra, se trouve le
chrysophlegme à moustaches (ckrysophlegma mys-
tacale). — a. ménéoaui.
Cbrysophlegma aaTînucha.
«• 137. Juillet 1918
Diplomatie de O-uillauine II (la) de-
puis son avènement jusqu'à la déclaration de
guerre de l'Angleterre (ISSS-A août 1914], par
Kinile Laloy (Paris 1917). — C'est une opinion
cominuiiéint^nl répandue que, pendant tout le début
de son règne et inôuie jusqu'en 1911, l'empereur
Uuillauine II pratiqua une politique pacinqueet ne
chercha que la paix. Ce ne serait qu'en 1912 que,
sous la piession sans cesse plus forte de l'opinion
pangernianisle, il se serait soumis aux suggestions
du pacti militaire, dont le chef était son lils même,
et se serait décidé à la guerre.
Contre cette opinion Emile Laloy s'élève avec
lorce, et reprenant Guillaume II à l'origine de sa
vie publique, le suivant dans les dilTérenles mani-
festations qui marquèrent son gouvernement, le
conduisant enfin à l'invasion de la Belffique, il en-
treprend de prouver que ce dernier acte est l'abou-
tissement depuis longtemps prévu et cherché de la
politique impériale. Véritable réquisitoire, nourri
de faits et de passion, qui, s'il n'est pas pleine-
ment concluant, éclaire du moins d'une lumière
nouvelle certains gestes qui pouvaient paraître
contradictoires.
Dans la guerre actuelle, la responsabilité de l'em-
pereur est directe et, sinon unique, du moins pré-
pondérante. En jetant ses troupes sur la Belgique,
la France et la Russie, il n'a pas obéi à la somma-
tion de ses sujets ou d'une fausse élite parmi ses
sujets; il a cédé seulement au désir de toute sa vie,
qui était de gagner des batailles et d'agrandir ses
Etats. Aucune sincérité ne peut être reconnue à
toutes ces déclarations, où, maintes fois, il étala
ses sentiments pacilistes. La meilleure preuve n'en
est-elle point dans le soin qu'il mit sans cesse à
fortifier en Allemagne le parti de la guerre? Les
subventions impériales ont toujours été réservées
au.Y journaux approuvant la politique des arme-
ments et préconisant une action vigoureuse à
rétranger;et lesjournaux des partis de droite se sont
toujours montrés unanimes sur la conduite à tenir
dans la politique extérieure. Le seul dissentiment
qui se soit produit entre Guillaume et les panger-
manistes est une question d'opportunité; seule, la
crainte d'une défaite, on même simplement d'une
partie nulle arrêta l'empereur, pendant longtemps,
sur le chemin qu'il voulait suivre. Mais, durant ces
vingt-cinq années, où les circonstances le contrai-
gnaient à l'inaction, il donna tous ses soins à son
armée el à sa marine.
Passionné de gloire et d'une intelligence assez
forte, Guillaume II avait su profiter des leçons que
lui avaient donné Bismarck et Waldersee; el il en
avait retiré une compétence particulière en diplo-
matie el en art militaire. Une certaine dureté
naturelle, enfin, et un égoîsme que l'on retrouve
assez généralement chez les rois effaçaient à ses
yeux tout ce qu'une guerre peut avoir d'horrible.
Mais ilsavait aussi le secret qu'il lui fallait garder
surses intentions s'il voulait réussir. « Nous autres,
rois, disait-il un jour, nous ne pouvons pas nous
faire des amis, nous ne faisons que des dupes ».
Ce n'est donc pas sur ses paroles, comme on l'a
fait presque toujours, qu'il faut le juger, mais
seulement sur ses actes et sur ceux de ses ministres.
Ces derniers — Hohenlohe l'a révélé — ne faisaient
jamais rien sans l'avoir consulté.
Le 8 février 18»8, à la suite de diverses manifes-
tations auxquelles il s'était livré, Guillaume, alors
kronprinz, déclarait :
On m'impute des rêves de gloire et des convoitises qui
ne sont réalisables (}ue par la guerre. Dieu me garde
d'une folie aussi crimiuoUe! Je repousse de telles accu-
sations avec indignation.
II n'est point douteux, pourtant, qu'il était à ce
moment à la tète du parti militaire et qu'il pous-
sait à la guerre. Gomment, monté sur le trône,
aurait-il changé brusquement de caractère et, prince
des con)bats, serait-il devenu empereur de la paix?
Dès qu'il fut au pouvoir, il prépara sa guerre;
mais il voulut choisir, pour la faire, le moment
opportun, qui mettrait toutes les chances de son côté.
Dès les premiers jours, la politique qu'il allait
suivre se dessina. Il s'agissait de diviser les divers
peuples européens, pour mieux venir à bout de
chacun d'eux. Il voulait attaquer la France, mais il
voulait être sûr de la coopération de l'Autriche
contre la Russie, si cette dernière prenait les armes
en notre faveur. Il fallait donc, avant tout, n'éveiller
à aucun prix la méfiance des Autrichiens et les
attacher à l'Allemagne par des liens étroits.
En 1891, la situation diplomatique de l'empire
était excellente. La Triple-Alliance avait été renou-
velée, el les relations de l'Angleterre avec les dif-
férentes puissances qui la formaient étaient d'une
cordialité extrême. La situation militaire était égale-
ment bonne. L'occasion parut bonne à Guillaume II,
qui essaya d'en profiter.
Rendant visite & sa grand'mère, la reine Victoria,
il lui montra combien pesaient sur l'Allemagne ses
efforts militaires, la peine qu'avaient ses alliés à
supporter de semblables efforts, les proportinns ter-
ribles que prenait le socialisme, la puissance à la-
quelle parvenait la France; et il acheva en démon-
LAROUSSE MENSUEL
Irant la nécessité d'une guerre franco-allemande.
Le plus tard que l'on pouvait attendre était le prin-
temps de 189i.
La reine, effrayée de semblables dispositions, pré-
vint, sur le conseil de lord Salisbury, le tsar
Alexandre III, qui convia à Cronstadt la fiotte fran-
çaise. Celle-ci fut également invitée à Portsmouth,
ou la reine elle-même la passa en revue. Guillaume
dut se replier. Il changea alors de méthode. Il com-
mença à se tourner vers la Turquie, dont l'aide
contre la Russie pouvait être considérable ; puis il
s'appliqua à opposer sans cesse la France et la
Russie à l'Angleterre.
De nombreuses amabilités faites à la France et à
la Russie furent destinées à faire croire à l'Angle-
terre qu'une alliance pourrait se nouer contre elle
entre les trois nations. Guillaume II savait, en effet,
iju'il ne pouvait compter sur l'Autriche el l'Italie,
dont les relations avec la (jrande-Bretagne demeu-
raient excellentes. En même temps, il poussa la
France et la Russie dans des enlrepri.ses extra-euro-
péennes, où elles devaient trouver mainte occasion
de brouille avec l'Angleterre. C'est, en 1895, l'inter-
vention en faveur des républiques sud-africaines
et la Triple-Alliance allemande-russe-française en
faveur de la Chine contre le Japon. En 1896, afin
de protéger indirectement le président Kriiger, le
gouvernement allemand suggère à la Russie d'atta-
quer Constanlinople, afin que l'Angleterre laisse les
Boers pour défendre les Détroits.
En 1899, Guillaume change de face, et il cherche
à utiliser la guerre du Transvaal pour se rapprocher
des Anglais. Dix ans plus tard, dans l'interview fa-
meuse qu'il donna au Daily Telegraph en 1908,
l'empereur devait conter ce qu'il avait fait à ce
moment : la révélation au gouvernement britanni-
que de soi-disant propositions franco-russes pour
faire pression sur l'Angleterre en faveur des Boers
et l'envoi à la reine d'un plan d'opérations mili-
taires qu'il avait établi lui-même contre les en-
nemis de l'Angleterre. On se souvient du scandale
causé par cette interview, des démentis des gouver-
nements de Paris et de Saint-Pétersbourg, du dé-
saveu du prince de Bûlow.
En même temps, la flotte allemande grandissait,
et une propagande germanique intense commençait
en Amérique. Ceux que l'on devait appeler les Ger-
mano-Américains s organisaient en secret, sous
l'impulsion de Berlin, sous prétexte de travailler au
développement des bonnes relations politiques et
commerciales des deux pays A l'égard des Améri-
cains propres, toutes les formes de séduction étaient
mises en œuvre. Le but poursuivi par l'empereur
était double : il voulait exercer une pression sur
les autorités américaines pour les empêcher de
s'opposer à ses entreprises, ou les exciter à s'y
joindre, el il voulait leur faire prendre une alti-
tude aussi peu accommodante que possible à l'égard
des entreprises des puissances ennemies ou ri-
vales de l'Allemagne, de façon à créer des com-
plications à ces puissances. L'Angleterre était prin-
cipalement visée.
Ainsi, le jeu joué par l'empereur d'Allemagne
était toujours double. On put en voir un nouvel
exemple dans la guerre hispano-américaine, où il
s'efforça de persuader aux puissances européennes
de s'unir pour défendre l'Espagne, tout en étant
décidé à ne pas marcher soi-même el à faire re-
tomber sur les autres, surtout sur l'Angleterre, la
colère américaine. Là encore, il échoua.
Il se retourna alors vers les Russes, qu'il encou-
ragea à s'engager dans l'aventure mandchourienne,
en travaillant sous main à une alliance anglo-japo-
naise destinée à les arrêter. Le 30 janvier 1902, celte
alliance fut conclue, mais l'Allemagne, qui devait
en faire partie, en fut exclue.
Guillaume II dut finir par reconnaître qu'il n'ob-
tiendrait pas l'acquiescement de l'Angleterre à l'écra-
sement de la France et qu'il fallait attendre, par
suite, que cette puissance, ou la France, ou la
Russie, eussent des démêlés qui les paralysent.
Pendant la guerre russo-japonaise, il essaya de
jeler contre la Russie la Turquie el la Roumanie.
L'Autriche l'en empêcha.
Cependant, Edouard VII, qui connaissait trop son
neveu d'Allemagne pour ne pas savoir ce qu'il y
avait à en craindre, opérait le rapprochement franco-
anglais. On se souvient du rôle qu'il prit dès son
avènement; de ses voyages en Europe, dont le pre-
mier fut au Portugal en 1903, où il déclara que « le
maintien intangible des colonies des deux pays était
l'objet de ses vœux les plus cher? et de ses efforts ».
Or, c'était le moment où l'Allemagne manœuvrait
pour amener l'Angleterre à partager avec elle les
colonies portugaises. Guillaume II put se rendre
compte des intentions d'Edouard VII.
Ce furent ensuite les accords franco-anglais, la
réception de Loubet à Rome, événements imprévus,
qui ne firent qu'accroître l'irritation de l'empereur.
Il voulut une revanche. Le Maroc devait la lui
fournir. Il suffit de rappeler le débarquement à
Tanger, la campagne violente menée contre Del-
cassé, les négociations conduites directement avec
Rouvier, sans passer par le quai d'Orsay. L'Angle-
493
terre promit son concours k la France et se déclara
prête h signer, dans le plus brei délai, un accord mi-
lilaire. Celle offre fut connue à Berlin le lendemain
du jour où elle avait été faite. Le prince Henckel
de Donersmarck. envoyé k Paris par le gouverne-
ment allemand, vit Rouvier et exigea le rejet des
offres anglaises et le départ de Oelcassé. Il obtint
satisfaction. Cela ne sul'UI point à l'Allemagne. Elle
voulut aussi Algésiras, qui, d'ailleurs, ne fut pas
un succès pour elle. L'Autriche, seule, fc la confé-
rence, l'avait secondée.
Cependant, les relations de la Grande-Bretagne
avec l'Autriche, avec l'Italie, avec l'Espagne de-
meuraient amicales. Un rapprochement anglo-russe
s'effectuait. Le seul but d'Edouard VII était de reti-
rer h Guillaume II toutes les occasions de guerre
qu'il cherchait. Mais celui-ci manifestait chaque
jour, par ses actes, la haine qu'il avait pour la paix.
II le montra, notamment, au moment de la réunion
de la conférence internationale de la paix, qui avait
été convoquée pour la seconde lois pour la mi-
juin 1907. La Grande-Bretagne, les Etats-Unis et
l'Espagne devaient y proposer la limilalion des
armements maritimes. L'Allemagne annonça qu'elle
refusait de prendre part à cette discussion.
Pour l'exécution de son plan, Guillaume II avait
besoin de l'apiMii total de l'Autriche. Or, François-
Ferdinand, héritier de l'empire, s'était toujours
montré d'une réserve extrême à son égard. Il en-
treprit de le séduire el ne se lassa point de lui faire
des avances. L'archiduc avait amené au pouvoir,
en 1906, le comte d'Aerenthal avec un programme
précis : mieux soutenir la dignité de l'Autriche
vis-à-vis de l'Allemagne et de l'Italie, réduire à rien
l'influence de la Russie et de l'Angleterre dans les
Balkans. Il ne put empêcher le rapprochement
anglo-russe; mais, en 1908, la Bosnie était annexée
à l'Autriche. On se rappelle la crise née de celte
annexion, les négociations auxquelles elle donna
lieu. L'accord allait se produre par le consente-
ment unanime à la réunion d'une conférence pro-
posée par l'Italie, lorsque, brutalement et brusque-
ment, le 22 mars 1909, un ultimatum allemand fut
envoyé k la Rus.sie. La Russie céda
Guillaume II espérait ainsi s'altaci:er plus étroite-
ment l'Autriche et, notamment, l'archiduc et sa
femme, la princesse de Hohenberg, qu'il entoure
de prévenances. Il comptait sur lui pour lui four-
nir, un jour ou l'autre, l'occasion de la guerre qu'il
cherchait. II avait, désormais, la certitude que, si
l'Allemagne attaquait la France, l'Autriche attaque-
rait la Russie.
Il ne s'agissait plus que d'obtenir la neutralité de
l'Angleterre, au moins pendant la première période
de la guerre. C'est l'époque des voyages en Angle-
terre, des amabilités à l'égard du gouvernement
libéral, d'ailleurs éminemment pacifique, des sou-
rires au peuple anglais. Tout en accélérant la réa-
lisation du programme naval, il s'efforçail d'amener
l'Angleterre à ne pas s'en inquiéter el à ne pas
augmenter sa (lotte en proportion. De Bethmann-
Holweg, qui avait remplacé, en juillel 1909, leprince
de Biilow, entreprenait à ce sujet des négociations
avec le gouvernement britannique.
La question maiocaine restait, pourtant, k l'ordre
du jour. En septembre 1908, s'était produit i'incident
des déserteurs de Casablanca. En janvier 1909. avait
été signé l'accord franco-allemand. En juillel 1911,
le Panlher arrivait à Agadir. L'intervention de
l'Angleterre était décisive, et de longues négocia-
lions aboutirent au traité du 4 novembre. Entre
temps, l'Italie avait débarqué à Tripoli, el la guerre
avait éclaté avec la Turquie. François- Ferdinand
voulait en profiter pour envahir l'Italie. Il en fut
empêché par d'Aerenthal.
L'année suivante, la guerre balkanique éclatait.
L'Allemagne trouvait le moment défavoraljle pour
intervenir. Elle ne pouvait espérer aucune diversion
heureuse de la Turquie ou des puissances balkani-
ques, aucune aide de l'Italie. Mais, bientôt, un senti-
ment hostile à la Russie se développa chez les
Bulgares. Les incidents du Mnnouba el du Car-
thage avaient refroidi les relations ilalo-françaises.
Il est vraisemblable que ce fut en novembre 1912
que Guillaume el l'archiduc décidèrent délinilive-
ment la guerre. Il n'y avait plus qu'à la préparer
activement, jusqu'au moment où elle pourrait être
déclenchée. Les augmentations militaires com-
mencent. En août 1913, l'Aulricbe communique à
ses alliés son intention d'attaquer la Serbie.
L'Italie refuse de l'aider; l'Allemagne, qui prévoit
et espère une amélioration considérable de sa si-
tuation militaire el diplomatique, préfère attendre
encore un peu.
Des négociations, par l'entremise de lord Hal-
dane, étaient entreprises par l'Allemagne avec l'An-
gleterre pour obtenir sa neulralilé, si l'Autriche
attaquait la Russie, ou l'Italie la France. Le gou-
vernement britannique refusa, mais lit des proposi-
tions de « vacances navales ». Tout le monde,
d'ailleurs, était d'accord en Angleterre pour main-
tenir la paix.
A l'égard de la France, la plaie marocaine était
chaque jour envenimée et, en novembre 1913, les
494
Êremières suggestions étaient faites au roi des
lelges. Enfin, le 27 mars el le 12 juin 1914, avaient
lieu les dernières entrevues de Guillaume et de
l'archiduc.
L'assassinat de François-Ferdinand parut d'abord
à Guillaume comme l'échec de sa combinaison. 11
allait, au contraire, eu fournir l'occasion. On a déjà
conté trop souvent les événements de juillet 1914
pour que nous fassions de nouveau leur récit. Deux
ou trois points importent seuls ici : les préparatifs
militaires commencés en Allemagne dès les pre-
miers jours de juillet, l'interveiilion directe de
l'empereur, qui est tenu au courant de tout ce qui
se passe à "Vienne, à l'insu de Jag-ow et de Zimmer-
mann, sa duplicité visible, au cours même delà crise,
et rendue évidente par .ses téléyrammesau tsar, enfin
sa déclaration de guerre à la Hussie, au moment
même où l'Autriche allait se montrer conciliante.
De tous ces faits Emile Laloy conrlut à la res-
ponsabililé directe de Guillaume II. Bien des faits
qui se sont proiluils depuis trois ans, l'altitude de
l'empereur au cours de la guejre viennent à l'appui
de sa tlièse. Il est dillicile, pourtant, de conclure
dénnitivement, dès aujourd'hui. II manque encore
des éléments du procès, que l'histoire instruira un
jour, — Jacques Boupard.
Sms. La candioature Hohenzollern et la
DÉPÊCHE d'Ems. — On ne flétrira jamais assez les
pratiques malhonnêtes qui, le tout temps, ont fait
partie intégrante de la poli tique germano-prussienne.
A l'origine de la guerre de 1914, on relève à la
charge de l'Alleniagiie une violation de territoire
qui a permis aux bandes armées du kaiser de se
ruer sur la France ; à l'origine de la guerre de 1S70,
on trouve un faux, dont la confection et l'usage
sont imputables au chancelier du roi Guillaume.
C'est l'histoire de cette manœuvre criminelle qu'on
se propose de retracer brièvement.
La candiilalure Hohenzollern. — Au mois de
juin 1868, une révolution avait précipité du tiône
d'Espagne la reine Isabelle, mais les Gorlès avaient
maintenu la forme monarchique, et le maréchal
Prim, président du conseil, ministre de la guerre,
offrit la couronne au prince Léopold de Hohenzol-
lern-Sigmaringen. Suggérée bien avant la chute
d'Isabelle par le baron von Wertlier, ambassadeur
de Prusse à Mfidri<l, la candidature d'un prince
prussien appa-
T rente à la famille
royale portu-
gaise fut reprise
par don Eusebio
Salazar y INlaza-
redo, député aux
(^.ort'S, partisan
(le l'union ibé-
rique. Favorable
à la politique
))riissienne, le
chef du gouver-
nement espagnol
envoya Salazar à
Berlin, muni de
lettres pour le roi
Guillaume, pour
Bismarck etpour
le prince Léopold
Le prince dp nahenzollern,
candidat au troue d'Espagne (1870).
(février 1870).
Sur le rapr
rapport de
son chancelier, le
roi donna son assentiment à la candidature de son
cousin; mais celui-ci déclina d'abord la proposition
(16 mars) et ne linit par l'acceiiter, le 9 juin, que
sur les instances de Bismarck.
Napoléon III, hostile à la domination aes Hohen-
zollern au delii du Mein, rêvait de leur opposer la
coalition de la France, de l'Italie et de l'Autriche.
Bismarck, étranger aux premières démarches de
Prim et de Salazar, se rallia sans réserve à la can-
didature du prince Léopold, lorsqu'il jugea qu'il
pourrait l'exploiter pour le succès de son grand
dessein, à savoir la réalisation de l'unité allemande
sous l'hégémonie de la Prusse.
L'opinion française s'émut, à juste titre, d'un
choix qui aurait pjur conséquence d'établir sur
l'autre versant des Pyrénées une dynastie apparentée
à la maison royale de Prusse. Mais, si nous avions
le droit d'être inquiets, nous avions le devoir de res-
ter calmes, et notre ininTstre des allai res étrangères,
le duc de Gramont, plus présomptueux que clair-
voyant, eut le tort de chercher dans le règlement
de l'affaire espagnole une revanche de Sadowa.
Le conseil des ministres se réunit le 5 juillet: le
maréchal Le Bœuf, sans aller jusqu'à dire que la
marche sur Berlin .serait « une promenade mili-
taire », ''éclara que l'armée pouvait « sans crainte »
alTronter l'ennemi. La question des alliances fut
ensuite envisagée, et l'on arrêta le texte de la dé-
claration qui serait lue le lenilemain au Corps légis-
latif par le miriistre des affaires étrangères, en ré-
ponse à une interpellation du député Cochery :
Le respect dos droits d'un peuple voisin (déclara le duc
do Gramont) n'oblige pas la France à sotiifrir qu'une
Giiillaiime T«f.
roi de l'russe (1870).
LAROUSSE MENSUEL
puissance étrangère, en plaçant un de ses princes sur le
trône de Cliarlos-Quint, puisse déranger l'équilibre actuel
des forces en Europe et mettre en péril ses intérêts et
son honneur.
Et il termina par cette phrase belliqueuse, qui
produisit dans toute l'Europe une émotion pénible:
Nous comptons à la fois sur la sagesse du peuple alle-
mand et sur l'amitié du peuple espagnol.
S'il en était autrement, c'est-ù-diro si le peuple alle-
mand n'était pas sage et le peuple espagnol pas amical,
forts de votre appui et de celui de la nation, nous saurions
remplir notre devoir sans hésitation et sans faiblesse.
En même temps que noti-e gouvernement saisis-
sait de l'incident les grandes puissances, le comte
Benedelli, ambassadeur de Franceà Berlin, recevait
l'ordre d'agir di-
l'cctement sur le
l'ii de Prusse,
alors h Ems. Le
y juillet, il fut
reçu par Guil-
laume, qui l'ac-
cueillit courtoi-
sement et le
gaida même à
dîner, mais re-
fusa de donner
au prince Léo-
pold l'ordre de
renoncei' à la cou-
ronned'Espagne.
Dans cette af-
faire,c'estcomnie
chef de famille
qu'il avait eu à
se prononcer;
c'est & ce titre
qu il venait d'é-
crire à ses cou-
sins, et, s'il ne pouvait donc déférer au désir qu'on
lui exprimait, il reprendi'ait la conversation aussitôt
qu'une réponse lui serait parvenue.
Le duc de Gi'amont s'imagina que le roi de
Prusse voulait gagner du temps et envoya de nou-
velles instructions à notre ambassadeur, qui, le 11,
eut une nouvelle audience du souverain. On appi'it
bii'utôt de Siginarlugen que le prince Léopold,
cédant à un ordre formel de son pèi-e, avait remis
sa renonciation à l'amiral Palo de Bernahé, porteur
de la lettre qui lui avait offert le trône.
La demande de rjaranlies. — L'incident était
clos à la salisfaction de la Fi-ance; mais, au Palais-
Bourbon et à la cour, le parti de la guerre voyait
dans la victoire un moyen d'enrayer la politique
libéi'ale que l'impératrice jugeait dangereuse pour
la dynastie et de relever au dehors le prestige de
laFrance, compromis depuis la défaite de l'Autriche.
Le roi de Prusse avait donné « son approbation
entière et sans réserve au désistement du prince de
llobenzollern ». Au lieu de se contenter de celle
communication, le duc de Gramont voulut exiger
pour l'avenir des garanties. Dans l'après-midi
du 12, il déclara à l'ambassadeur espagnol, OIpzaga,
que le désistement du prince Léopold ne faisait que
compliquer la situation. 11 eut ensuite avec l'ambas-
sadeur prussien, Werther, une entrevue, au coui-s
de laquelle il lui remit une « note » qui servirait
de base à une lettre de Guillaume l" à Napoléon 111
et ainsi conçue :
En autorisant le prince Léopold à accepter la couronne
d'ICspagne, le roi no croyait pas porter atteinte aux inté-
rêts ni à la dignité de la nation franraiso. Sa Majesté
s'associe à la renonciation du prince do Hohenzollern et
exprime son désir que toute cause do mésintelligence dis-
faraisse désormais entre son gouvernement et celui de
empereur.
Gramont se rend alors à Saint-Cloud, ofi l'entou-
rage de l'empereur a déjà cherché à lui démontrer
que le pays ne sera pas satisfait de la solution inter-
venue. L'impératrice s'est éci-iée : « C'est une honte I
L'Empire va tomber en quenouille I », et le général
Bourbaki a dit, décrochant son épée et l'étendant
sur le billard : « S'il en est ainsi, désormais je re-
fuse de servir. » A 7 heures du soir, Napoléon,
tout à fait ébranlé, autorise le ministre des affaires
étrangères à télégraphier à Bcnedetti que le roi
Guillaume devait s'associer à la renonciation du
prince Léopold et donner l'assurance qu'il n'autori-
serait pas de nouveau sa candidature.
C'était une maladresse, l'aile pour nous aliéner
les sympathies de l'Europe. Loi'd Lyons, au nom du
gouvernement britannique, avait tout fait pour nous
en détourner, et le tsar, informé par notre ambas-
sadeur, qui lui parlait de l'amoiir-propre de la
France : « Et l'amour-propre des auti'es, qu'en
failcs-vous? », répondit-il, sur un ton courroucé, au
général Fleury.
Le 13 juillet, au matin, le roi Guillaume rencon-
tra sur le Brunnen-Pi-omenade l'ambassadeur de
France, à qui il avait, de bonne heure, fait porter un
jourralcontenant la renonciation du prince Léopold.
Abordant Benedetti, qui lui fit part de ses instruc-
tions, il refusa de les prendre en considération.
Je n'ai (ajouta-t-il) aucun dessein caclié, et cette affaire
m'a donné de trop grandes préoccupations pour ne pas
sance du
1 s'en
N'137 . Juillet 1918.
désirer qu'elle soit déHnitivement écartée. Cependant,
vous pouvez répéter à l'empereur, votre souverain, ce quo
je vous al'tirme ici. Je connais mes cousins, le prince
Antoine de llolienzollern et son fils ; ils sont d'honnêtes
gens et, s'ils ont retiré la candidature qu'ils avaient
acceptée, ils n'ont, certes, pas agi avec l'arrière-ponséo
de la reproduire plus tard.
Et, comme Benedctli revenait à la charité, le roi
lui dit sur un Ion plus froid :
Monsieur l'ambassadeur, je viens de vous donner ma
réponse, et, comme je n'ai rien à ajouter, pcrmottoz quo
je me retire.
Danrj l'api-ès-midi, ayant pris connaiss,
rapport Werllier et de la note (irauioiil
monti-a fort offensé :
La prétention de Bonodetli d'aujourd'hui n'est pas
restée isolée (écrivaii-il à la reine Augusta); Werther
mande à l'instant son premier entretien avec Gramont-
Ollivier, au cours duquel ils ont dit i/isissimii verùa : le
retrait do la candidature llohenzollern est, on somme,
accessoire; la dissimulation des pourparlers est uno
offense à l'empereur et à la France. C'est le point capital.
Cette otfense doit être réitarée, et cela par une lettre do
moi à l'empereur Napoléon
A-t-on jamais vu pareille insolence? Ainsi, il me faudrait
apparaître en coupable repentant dans cette affaire, que
je n'ai nullement soulevée, mise en train ni conduite, mais
bien Prim; et lui, on le laisse tout à fait en dehors I II est
fâcheux quo Wertlier n'ait pas immédiatement, sur uno
pareille prétention, nuitté la place et renvoyé ses interlo-
cuteurs au ministre Bismarck.
■Vers 1 heure de l'après-midi, le roi reçut du
prince Antoine
la confirmation
écrite de la re-
nonciation ilu
prince Léopold.
11 chargea l'aide
de camp de ser-
vice, le lieute-
nant -colonel
Kadziwill, d'en
aviser Benedelti
et de lui dire que
" Sa Majesté con-
sidérait, par cela
même, celle af-
faire comme ter-
minée ». L'am-
bassadeur dé-
clara à l'aide de
camp que, depuis
son entretien
avec le roi sur le
Briinnen-Prome-
nade, il avait été
touché par une
dépêche du duc de Gramont, lui prescrivant de de-
mander une nouvelle audience au soiivei-ain pour
le prier de nouveau d'appi'ouver la renonciation et
fournir l'assui-ance que la même candidatui-e ne
serait plus posée dans l'avenir. A cela Guillaume
(Il répondi'e par son aide de camp qu'il « approuvait
la renonciation du prince Léopold dans le même
esprit et dans le même sens qu'il l'avait fait à l'égard
de l'acceptation de sa candidature»; quant aux
garanties qu'on
lui demandait, il
ne pouvait que
se référer à sa
conversation du
malin.
Benedetti ayant
mainlenu sa de-
mande d'audien-
ce, Badziwill l'e-
vint une troi-
sième fois, vei-s
cinqheureselde-
mie, auprès de
l'ambassadeur,
pourlnirépondre
« que Sa Majesté
était obligée de
refuser catégori-
quement de s'en-
gager dans une
nouvelle discus-
sion au sujet du
second point —
engagements 3t assuiances pour l'avenir; — que ce
qu'il avait dit le matin était son dernier mot dans
celle affaire et que le comte pouvait s'en tenir abso-
lument à ses paroles ».
La dépêche d'Ems. — Celte réponse était accep-
table, mais Bismarck voulait la guerre, et, pour la
faire éclater, il ne recula pas devant une odieuse
machination. Revenu de 'Varzin à Berlin le 12 juil-
let, il recul, le lendemain, du conseiller Abeken une
dépêche déposée à Ems à 3 h. 40 et parvenue à
Berlin à 6 h. 8 :
Sa Mai 3Sté le roi m'écrit : « Benedetti m'a abordé à la pro-
menade pour me demander d'une manière finalement très
pressante de l'autoriser à télégraptiier quo je m'engageais
pour toujours à ne jamais plus donner mon approbation,
si les Hohenzollern posaient de nouveau leur candidature
Le comte de Bismarck, ministre
des atraires étrangères de Prusse 1870).
Napoléon III (1870).
N» 137. Juillet 1918-
J'ai refusé d'un ton assez sérieux à la fin de noire conversa-
tion, parce qu'on ne doit pas, et yu'on no peut pas, pn'iidro
de pareils engagements à tout jamais. Je lui dis naturel-
lement que je n'avais encore rien reçu et qu'il pouvait
se rendre compte facilement, puisqu'il avait été informe
avant moi, des nouvelles de Paris ot de Madrid, que...
Les mots suivants furent transmis incorrecle-
menty mais le sens général de la phrase est celui-ci :
... il pouvait so rendre compte facilement... que mon
gouvernement était de nouveau hors de cause.
Sa Majesté a reçu à l'instant mémo une lettre du prince,
c'est-à-dire du vieux prince de Holienzollorn. Comme
Sa Majesté avait dit à Ronedotti qu'KIlo attendait dos
nouvelles du prince, le roi a décidé, sur la proposition du
comte Eulonboiirg et do moi et en considération de
l'opinion exprimée plus haut, de ne plus recevoir Bono-
delti ot de lui faire dire par son aide de camp : u Que
Sa Majesté avait reçu du comte Bismarck la confirmation
de la nouvelle que Benedetti avait déjà reçue do Paris ot
que Sa Majesté n'avait plus rien à dire à l'ambassadeur. "
Sa Majesté s'en re-
met à Votre Excel-
lence (c'esl-à-dire au
chancelier de la Con-
f-'-dération , au comte
liismarck] pour déci-
der si la nouvelle ré-
clamation do Benedetti
et le refusqui lui a été
opposé doivent être
communiqucsànos re-
présentants à l'étran-
yor et à la presse.
I,a paixn'étailpas
encore irrémédia-
blement compro-
mise. Napoléon III,
moins belliqueux
que. son entourage,
se montra même
animé de disposi-
tions conciliantes ,
au conseil des mi-
nistres tenu posté-
rieurement à l'en-
voi des inslruclions
concernant la de-
mande de g-aranties.
De son côté, le roi
de Prusse, partant
le 14 pour Berlin,
autorisa Benedelli à
venir le saluer à la
gare d'Ems et lui
déclara que, « si les
négoci allons de-
vaient être poursui-
vies, elles le se-
raient par son gou-
vernement ». Enfin,
les cabinets de
Londres et tie
Saint- Pétersbourg
Agissaient dans un
sens modêraleur.
C'est alors que se produisit l'incident de la dé-
pêclie d'Ems. Nous en avons une version authen-
tique, due à Bismarck lui-même, et que nous a
conservée le publicisle Hermann Hofmann, reçu à
Friedrichsiuhe par le chancelier disgracié :
Moltko et Roon se trouvaient à table chez moi, lorsque
est arrivée la célèbre dépêche d'Abeken, relative aux évé-
nements d'Ems.
J'ai lu tout haut
la dépêche aux
deux généraux et,
aussitôt, ces deux
vieux a buveurs do
sang » ont laissé
tomber sur la nap-
pe couteau et four-
chette, avec des
mines navrées. La
perspective de né-
gociations pa-
cifiques avec ta
France leur avait,
d'oml)lée , coupé
l'appétit. Alors, je
leur ai demandé à
tons les deux si
vraiment leur ar-
mée était prête et
s'ils en étaient as-
sez sftrs pour que
no us puissions
compter absolu-
ment sur une dé-
faite do la Fran'-o.
l.'un et l'autre m'ont répondu « oui », de la façon la plus
t'ormetlo. Sur quoi je suis allé m'assooir avec la dé-
pêche d'Abeken devant un petit guéridon, dans un coin
(le la salle à manger, et puis, sans supprimer ni changer
un seul mot de la dépêche, j'en ai arrangé le contenu de
manière à lui donner la forme sous laquelle, ensuite, l'a
f^ubliéo toute la presse européenne. Kt quand, après cola,
I'ai lu ma rédaction nouvelle aux deux généraux, sur-
e-cliamp, ceux-ci, tout rayonnants de plaisir, ont repris
leur fourchetto et leur coureau. si bien que le repas inter-
rompu s'est poursuivi et achevé le plus agréablement du
monde. Voilà comment, gr&co à moi, la chamade s'est
■changée en fanfare.
LAROUSSE MUNSUEl.. — IV.
LAROUSSE MENSUEL
Libre de garder le secret sur l'incident ou de le
rendre public, Bismarck, bien résolu à lirer l'épée,
rappela de Paris l'ambassadeur von Werthern, sous
le prétexte qu'il avait transmis une proposition ou-
trageante pour son maître, et télégraphia aux re-
présentants de l'Allemagne du Nord à l'étranger la
dépêche d'Ems, mais altérée : il supprima le pas-
sage oii Benedetti insistait pour être de nouveau
reçu par le roi de Prusse et celui où Guillaume,
rel'usant de s'engager à tout jamais, faisait remar-
quer que son gouvernement était hors de cause; il
ne conserva de l'original que 100 mots sur 232; il
en dénatura malhonnêtement la fln, qui fut télégra-
phiée dans les termes suivants :
Quand la nouvello do la renonciation du princo héritier
do HohonzoMorn eut été communiquée ofncioHemonl au
gouvernement impérial français par lo gouvernement
espagnol, l'ambassadeur français demanda encore à
495
mande humilianto, la dépéclio fit croire aux Français ciua
leur représentant avait été brusqué par ootreroi. Tous les
i>a<lauds du lioulevard étaient d'avis qu'on ne pouvait sup-
porlor cela. Lo cri de : « A Berlin ! à Berlin : > fut pousM
par les braillards de la foule. Il était là, l'effet cherché
Kl l'effet était le même ici (pie là-bas. Le roi, qui, cédant
ù mes pressantor instances, avait interrompu sa cure à
i:ms et était retourné à Berlin, fut tout surpris par la joio
bruyante que le peuple fai!>ait éclater partout sur son
passage. II ne comprenait pas encore ce qui s'était passé.
Lcnthousiasmo indescriptible qui éclatait à Berlin avec
fureur saisit et ébranla profondement notre vieux maître.
Ses yeux s'immectùrent. Il reconnut que c'était vraiment
une guerre nationale, une guerre populaire, que le peuple
demandait cl qu'il lui fallait.
En somme, il.n'y avait eu, dans cette laborieuse
négociation diplomatique, ni offenseur, ni offensé.
Mais la dépêche falsifiée donnait à l'atlilude du roi
un caractère injurieux, que ne venait pas atténuer
la relation exacte
ili' la journée du 13;
■ ar, entre la de-
mande d'audience
présentée le matin
par Benedetti et la
réponse finale du
souverain, il y avait
eu échange de vues
par l'intermédiaire
de l'aide de camp de
service, etl'on igno-
rait que, le 15, Guil-
laume s'était encore
cniretenu avec no-
tre ambassadeur .
li ismarck voulait
faire croire aux
Allemands qu'ils
avaient été insultés
dans la personne du
roi de Prusse el
aux Français 'qu'ils
avaient été offensés
dans la pcr.soiine de
leur représentant.
(;eux-ci, se considé-
rant comme outra-
gés, prendraient
l'initiative et la res-
ponsabilité de la
rupture; ceu.\-là,se
tenant pour offensés
cl attaqués, se ser-
reraient autour du
rqiie
bloc
contre l'agres-
Ï-Cur. — Albert Lefort.
vieux monar
pour faire
Duc de Gramont, miniitre
dci alTaircs étrangère» de Kraoce (187UJ.
Vue générale d'Ems ou Bad-Ems, ville d'Allemagne (Prusse. Tirovinee de Hesse-Nassau^ ; ri.»O0 habitants. Sur la Lahn, affluent droit du Rhin.
Sources minérales bicartionat<;es sûdiqiics.
S. M., à Ems, do l'autoriser à télégraphier ù l'ans qu'KHe
s'engageait pour tout l'avenir à ne plus donner son
consentement, si les Holienzollern devaient revenir à
leur candidature. Là-dessus , S. M . a refusé de recevoir de
nouveau l'ambassadeur français el lui a fait dire par
l'aide de camp de service gu'Elle n'avait plus l'ien à lui
communiquer.
Bismarck s'est vanté, le 20 novemore 1892, parlant
au coi-respondant de la Neue fre'ie Presse deVienne,
d'avoir délibérément piovoqué la guerre; il a ra-
conté avec un cynisme déconcertant la joie qu'il
éprouva el qu'éprouvèrent ses deux convives en
apprenant que leur manœuvre rendait d'ores et
déjà la guerre inévitable :
Je relus attentivement la dépêche, je pris mon crayon
et je rayai délibérément tout le passage où il était dit 'que
Benedetti avait de-
mandé une nou-
velle audience, etc.
Je ne laissai sub-
sister que la tête
et la queue. Main-
tenant, la dépêche
avait un tout autre
air. Je la lus à
'Moltke et à Roon
dans la nouvelle
rédaction que je
lui avais ainsi don-
née. Ils s'écrièrent
tous les deux :
« Magnitiquo ! Cel<i
va produire son
ell'et !,» Nous ronli-
nnàmcs à mander
avec le meilleur ap-
pétit. J'ordonnai
immédiatement de
fnire envoyer le
plus rapidement
possible, par le bu-
reau des télégra-
phes, la dépêche à tous les journaux et à toutes les mis-
sion.s. Kt nous étions encore réunis que d^à nous rece-
vions les renseignements désirés sur l'etlet que la dé-
pêche avait produit à Paris. Klle y avait éclate comme
uno bombe. Alors qu'on avait adressé a uotre roi une dc-
Le comte benedetti,
ambassadeur de France s Berlin (1870).
£;nocll (Henri-
Paul-.Waun'ce}, pro-
fesseur etlittéraleur
français, né àVesoul
le 27 septembre 1872, mort à Paris le 7 avril 1918.
Maurice Enoch ne passa en Franclie-Coiiité que les
tout premiers jours de son enfance et n'eut jamais
l'occasion, depuis lors, de revenir au pays natal.
Très jeune, il dut se fixer à Orléans, où, auprès de
son grand-père maternel, l'un de ces médecins
lettrés, humanistes comme la bourgeoisie française
en a tant pioduil, il commença ses études secon-
daires. Une influence décisive fut exercée alors sur
sa formation in-
tellectu elle :
avant mêinelafin
de ses éludes se-
condaires, il était
très décidé à se
consacrer aux
belles-lettres, qui
attiraient cet es-
prit fin, ouvert
et ami de l'élé-
gance. Sa philo-
sophie terminée.
il quitta le lycée
d'Orléans et vini
suivre i Paris les
cours de la classé
de rhétorique su-
périeure au lycée
l.ouis-le- Grand
;1890). L'année
suivante, il passa
sur les bancs de la Faculté des lettres; c'est dans les
aiiiphitliéàtres où professaient alors des maîtres
comme l'aguet et Brunot que sa vocation se précisa.
La littérature, la philologie l'attiraient, et Mau-
rice Enoch se présenta successivement à la licence,
puis à l'agrégalion des lettres, où il fut reçu eu I,S9ti.
Envoyé comme professeur de seconde au lycée de
Brest, il voyait s'ouvrir devant lui une facile car-
rière. Mais le grand travailleur qu'était Maurice
Enoch ne considérait pas encore ses éludes comme
terminées. U désirait se pénétrer intimement de
19»
Maurice £<tocb.
496
l'esprit et des méthodes de la philologie — qui
venait de faire alors tant de progrès — et se consa-
crer entièrement à l'élude de cette science, qui,
aride pour tant d'autres, le passionnait.
Kn 1897, il ahanilonne sa cliai re pour entrer i\ la fon-
dation Thiers, où il reste jusqu'en 1900. A cette date,
il est nommé professeur de première au lycée de
llochefort, (luitle cette ville pour Le flavre (1904) où
il reste deux ans et (1906) est nommé professeur de
première supérieure à Lille, poste de clioi.x, puisqu'il
s'agit d'une des classes les plus importantes d'un de
nos plus grands lycées : il faut, chez une quaran-
taine de jeunes gens, développer l'amour de l'ensei-
gnement et le culte des belles-lettres, former leur
sens critique et leur goût. Maurice Enocli y réussit à
merveille: ses étudiants de Lille apprécient non seu-
lement son érudition, mais l'intelligence qui la met
en valeur, louverture d'esprit, l'animation et la
bcmne humeur de leur maître et, pour tout résumer
d'un mol, le caractère vivant de son enseignement.
Nommé à Paris en 1913, il passa successivement
par les lycées Lakanal et Condorcet avant d'occu-
per, au lycée Voltaire, les chaires de troisième, puis
de seconde, de 1914 à 191.S. Il fut, dans cet établis-
sement, un professeur remarqué. « 11 se distingua,
dit un de ses chefs, par cet ensemble de qualités
qui consacrent le vrai professeur et qui... se résu-
ment d'un mot : la conscience professionnelle... (il
était en effet tout conscience), se consacra à sa
tâche religieusement et mérita, parla, l'estime des
familles, l'alfectlon de ses élèves et la couliauce de
ses chefs ». Sérieux et posé, mais cordial et amène,
d'esprit ouvert et d'un caractère serviable et obli-
geant, tel purent l'apprécier ses élèves, qui, en
elfet, se plaisaient dans une classe d'où toute ari-
dité pédautesque était absente, ses collègues et ses
chefs. A celle bonne humeur, à celle cordialité
jamais démenties Euocli avait d'autant plus de
mérite que sa vie ne fut pas exempte de tristesse :
deuils qui l'atteignirent dans ses affections, souf-
france d'une douloureuse maladie qui devait l'em-
porter. Le stoïcisme, au témoignage d'un de ceux
qui l'assistèrent à ses derniers moments, c'était là
le ressort caché de son âme et de son esprit.
Quelque conscience et quelque ardeur qu'il mit à
sa tâche professionnelle, celle-ci ne pouvait suffire
à absorber toute son activité. 11 continua de s'a-
donner aux études littéraires et philologiques, aux-
3uelles, depuis sa jeunesse, il s'était attaché. 11 fut un
es rédacteurs les plus assidus du Nouveau Larousse
illustré et, depuis plus de onze ans, il collaborait
au Larousse Mensuel. Dans ses notices biogra-
phiques, dans ses comptes rendus littéraires, dans
ses mises au point des plus récentes acquisitions
de la science philologique, on a pu apprécier sa
conscience scrupuleuse, sa clarlé parfaite, l'habi-
leté élcganio avec laquelle il savait vulgariser sa
vaste érudition. Un travail plus considérable le sol-
licitait : le remaniement et la mise au courant du
Dictionnaire analogique de la langue française;
tâche entreprise avec ardeur, continuée avec un
zèle persévérant et qu'il n'eut, malheureusement,
pas le temps de terminer. — i^oa abensoue.
Ferdinand I'"', tsar de Bulgarie, par
Ernest IJaudet. — Après avoir, en deux vigoureuses
diatribes, stigmatisé comme ils le méritaient les
deux principaux auteurs de la guerre : Guillaume H
et François-Joseph (v. p. 167), Ernest Daudet aborde
la série des «complices »par Ferdinand de Bulgarie.
Complice, celui-ci l'est au premier chef, plus que les
.lounes-Turcsqul
l'ont précédé
dans l'arène, plus
(|iie Constantin,
i|ui scpréparait à
l'y suivre. On ne
peut, en effet, ar-
■jnev qu'il ait été
nitraîné par son
t;()uvernement,
iiioinsencorepar
son peuple ; la
trahison bulgare
l'st l'œuvre pro-
pre de Ferdinand
lie Cobourg.
Sansdoute,pré-
tciidra-t-il que,
souverain indé-
prndant.iln'étail
lié par aucun trai-
té à la France,
à l'Angleterre ou
à la Russie;
comment nier,
cependant, que c'est à ces (rois puissances et, notam-
ment, à celle dernière, que la Bulgarie doit la vie?
C'est ce qu'lCrnest Daudet rappelle au début de son
livre : au lendemain de la guerre de 1877, qui avait
mené la Russie victorieuse jusqu'aux portes de Cous-
tanlinaple, le gouvernement de Saint-Pétersbourg
avait exigé, par le traité de Sau-Stefano. la création
d'une grande Bulgarie, s'étendant du Danube à la
,Marie-Cli^mentinc.
princesse d'Orléass (1817-10071.
FerdÎDand I«r, tsar des Bulgares.
LAROUSSE MENSUEL
mer Egée, de la mer Noire au 'Vardar. Et qui donc
s'était opposé à la constitution de ce grand État bal-
kanique, sinon l'Allemagne et l'Autriche, qui exi-
gèrent la revision du traité au Congrès de Berlin?
De celle assemblée.présidée par Bismarck, sortit une
petite Bulgarie, vassale de la Porte, doublée d'une
Roumélie orientale, administrée par des fonction-
naires turcs et, pour préciser sa victoire diplomatique,
le groupe austro-allemand « occupa » la Bosnie et
l'Herzégovine au nom de l'empereur d'Autriche.
Quelques semaines plus tard, l'Assemblée consti-
tuante bulgare élisait, à Tirnovo, le prince Alexandre
de Battenberg comme souverain de la nouvelle
principauté. D'origine allemande (la Prusse et l'Au-
triche n'auraient point toléré un prince d'origine
russe), le nouvel élu, âgé d'à peine vingt-deux ans,
s'empressa, avant d'accepter la couronne, d'aller
solliciter l'avis de celui que tous les Bulgares appe-
laient le <■ tsar libérateur», Alexandre 11. Celui-ci lui
répondit : « Ac-
cepte ; » et c'est
fortdecettesorle
d'autoris ation
que le prince
Alexandre se ren-
dit à Sofia.
La situation
était diflicilo; il
n'avait ni l'expé-
rience ni l'habi-
lelé suffisantes
p(jur la dominer.
Pcul-être n(^
Irouva-l-il pas à
Saint-Péters-
bourg l'appui sur
lequel il pouvait
compter; les rap-
ports entre les
deux cours s'en-
venimèrent, au
point que le prince Alexandre abdiqua au bout de
sept ans de règne (7 seplembre 1886).
Sa succession n'était pour tenter qu'un prince
aventureux. Les représentants du dictateur Stain-
boulof le cherchèrent plus de six mois; ils le trou-
vèrent à 'Vienne, dans la personne du prince Ferdi-
nand de Saxe-Cobourg et Gotha, alors simple
lieutenant de réserve dans la cavalerie autrichienne,
âgé de vingt-six ans; il parcourait le monde en
désœuvré. Sa mère, la princesse Clémentine, était,
on le sait, la fille du roi Louis-Philippe; elle
avait l'ambition de lui voir jouer un rôle dans le
inonde, sous sa tutelle personnelle; ne l'appelait-ou
pas dans certains milieux, sans qu'elle s'en froissât :
Il Clémentine de Médicis I »
Elle fit donc une campagne rapide, ardenle, à
■Vienne et dans les diverses sphères diplomatiques;
l'accueil ne fut pas favorable; elle décida son fils à
passer outre, à mettre l'Europe en présence du fait
accompli : Ferdinand retint le conseil et le mit sou-
vent en pratique. 11 faut avouer qu'il réussit le plus
généralement. Le 7 juillet 1887, Ferdinand élait élu
par le Sobrauié prince de Bulgarie.
Huit ans durant, Ferdinand, apprenant son mé-
tier de roi, s'efi'aça derrière son premier ministre,
Stamboulof ; il supportait mal celte tyrannie, mais il
sentait son trône trop peu solide pour risquer une
guerre civile. La Russie continuait à lui tenir ri-
gueur; il avait, pourtant, fait maintes démarches
pour se rapprocher d'Alexandre III; il avait essayé
de trouver une épouse à Londres, à Vienne et à
Munich; il avait été éconduil et avait fait, en 1893,
dans la personne de la princesse Marie-Louise de
Bourbon-Parme, un choix heureux. La naissance
d'un fils affermit son trône et, son origine catho-
lique étant un des principaux griefs que la Russie
avait contre lui, il pensa à faire entrer son héritier,
Boris, dans le giron de l'Eglise orthodoxe. S'étant,
entre temps, débarrassé de Stamboulof par un de
ces meurtres politiques fréquents en Orient (15 juil-
let 1895), il entreprit avec le gouvernement de Saint-
Pétersbourg toute une négociation, dont le pivot élait
la conversion de Boris. 11 trouva le tsar plus conci-
liant que ne l'eût été son père ; il passa outre à l'op-
position de sa femme, à celle du pape Léon XIII, qui
le menaça d'excommunication et mit peu après cette
menace à exécution et, le 14 février 1896, le prince
Boris recevait le baptême orthodoxe et les onctions
du saint chrême, apporté de Moscou par les repré-
sentants de l'empereur. « Paris vaut bien une messe » ,
avait dit Henri IV, l'aïeul de Ferdinand.
Rentré en grâce auprès du gouvernement russe,
le prince de Bulgarie ne sut pas longtemps y rester:
dévoré d'ambilion, supportant mal les conseils que
les ministres de Sainl-Pètersl)ourg donnaient, peut-
être trop impérativement, aux gouvernements bal-
kaniques, qu'ils considéraient comme les obligés de
la Russie, Ferdinand rêvait d'émanciper définitive-
ment les Balkans de toute tutelle européenne et,
pour cela, d'en fédérer les Etals. C'est peut-être la
plus belle page de son règne, et c'eût été la garantie
de la paix européenne, s'il eût vraiment travaillé à
la réalisation de ce rêve dans un esprit de concorde
N- 137 Juillet 1918.
et d'équilibre balkanique et non, comme lui re-
proche avec raison Ernest Daudet, pour un but
strictement dynastique et égo'isle.
Après avoir saisi le moment propice, au lende-
main de la proclamation par François-Joseph de
1 annexion de la Bosnie-Herzégovine, pour rompre
ses anciens liens de vassalité vis-k-vis du sultan,
Ferdinand se proclama tsar des Bulgares (6 oclo-
bre 1908). Dès lors, il porta tous ses efforts sur la
réalisation de son projet d'union balkanique, malgré
l'hostilité plus ou moins déguisée du gouvernement
de Nicolas 11. Enfin, ayant trouvé en Venizelos le
partenaire digne de lui", c'est-à-dire ambitieux, lui
aussi, d'achever l'unilé de son pays, le tsar Fer-
dinand, profitant des embarras de la Turquie,
alors en guerre avec l'Italie, concluait, au début
de 1912, l'alliance balkani(iue, qui triomphait, à la
lin de la même année, on sait de quelle brillanle
façon. L'Europe fut étonnée, prise au dépourvu
par la rapiil.té de ses victoires ; elle craignit
ranéanlissement de la Turquie, à laquelle elle
n'était pas préparée ; elle redouta de voir la Bul-
garie devenir la maîlresse des Balkans. L'Alle-
magne et l'Autriche refusèrent de voir une grande
Serbie se constituer au sud du Danube et s'étendre
jusqu'à l'Adriatique : à la Conférence de Londres,
l'Autriche proposa la création d'une Albanie auto-
nome; la Triple-Enlenle eut le tort d'y consentir;
de celte concession devait découler tout le mal. La
Serbie, se voyant fermer l'accès de l'Adriatique, ré-
clama un accès à la mer Egée, dcmaiulant ainsi à
son alliée bulgare la revisiim des tr.iités secrets
qui avaient par avance attribué à chacun les dé-
|)ouilles turques; la Bulgarie refusa el, Iraîliense-
ment, avec un raffineiiient d'hypocrisie qui déc(;lait
bien la manière de Ferdinand, attaqua la Serbie :
c'en était fait de l'alliance balkanique, pour la plus
grande joie de l'Autriche. A vouloir braver le
destin, le tsar des Bulgares s'attira la défaite irré-
médiable; peu s'en fallut que son trône n'y sombrât;
l'Allemagne, qui avait en secret encouragé sa félo-
nie, ne fit pas un geste pour le protéger; c'est à la
Russie, à la France, à l'Angleterre que Ferdinand
fit appel; les puissances de la Triple-Entente sau-
vèrent une fois de plus la patrie bulgare, non, sans
iloule, sans commettre quelque erreur psycholo-
gique; — E. iJaiidet le dit à demi-mot. Deux ans
plus lard, au cours de la grande lutte européenne, le
tsar Ferdinand devait acquitter sa délie de reconnais-
sance en s'efforçant de les poignarder dans le dos...
Tels sont les faits qu'Ernest Diindet, avec sa
connaissance approfondie des milieux diph mati-
(lues, a rciracés eu ce volume. Nombreux sont les
points qu'il éclaire grâce aux renseigneiiienls par-
ticuliers qu'il a puisés à bonne source : la trahison
du petit-fils de Louis-Philippe envers la France est,
pour de nombreux Français, nue des plus cruelles
désillusions de cette guerre; mais, oulre que la re-
connaissance n'est pas une vertu royale, le carac-
tère personnel de ce Coliourg, beaucoup plus alle-
mand que français, si bien dessiné par l'iiislorien,
suffit à expliquer une duplicité qui n'est pas rare
en politique el que certaines maladresses du gou-
vernement de Nicolas II, notamnienl, ont contribué
à développer. — l'iene Rais.
Forces Uydro- électriques de la
France (lks). La durée imprévue de la guerre
mondiale allumée par l'Allemagneen 1914 oblige de
plus en plus les nations belligérantes à mettre en œu-
vre les sources d'énergie que la nature a mises & leur
disposition. De la bonne utilisation de ces ressources,
dont les principales son lie charbon, le ferell énergie
hydraulique, dépend, en partie, l'issue de la lutte.
L'Allemagne l'avait prévu; aussi, dès le début de
la campagne, s'assura-t-elle la possession du fer et
du charbon en s'einparant des riches bassins mi-
niers de Lorraine et du Nord, enlevant ainsi à la
France 60 p. 100 de sa production de charbon et
80 p. 100 de son fer.
Une mainmise semblable sur nos forces hydrau-
liques était heureusement impossible; l'Allemagne
la croyait, d'ailleurs, inutile, la guerre devant être
courte et profitable pour elle. Néanmoins, elle
n'avait pas négligé ce côlé du problème et avait
su, dès 1914, utiliser le tiers environ de la puissance
hydraulique disponible sur sou sol, alors que la
France, beaucoup plus favorisée à ce point de vue,
avait à peine aménagé le dixième de ses ressources
en houille blanche.
Depuis celte date, sous l'aiguillon d'une impé-
rieuse nécessité, les industriels français se tiuir-
nèrent de nouveau vers cet immense réservoir
d'énergie, si négligé jusqu'alors. Les usines quel-
que temps abandonnées furent remises en marche,
les travaux en cours furent repris et poussés avec
loulela diligence compatible avec lescirconstancps,
très difficiles: rareté des capitaux el de la main-
d'œuvre, hausse des matières premières indispen-
sables, difficultés des transports, etc Les pouvoirs
publics, rompant avec la tradition, facilitèrent, d'ail-
leurs, ce mouvement en consentant des avances de
fonds et des facililés de transport el de main-
d'œuvre aux industriels et aux sociétés intéressés à
W 137. Juillet 1918.
LAllOLSSli MENSUEL
497
FORCES HYDRO-ELECTRIQUES
de la France en 1918
Légende
A 9 Aluminium. ( ^\ Usine dff distribution pour tous
¥ ^Ferrosal/iaffes V-/ usaffes : lumière, force, traction.
C Carbure de cale % Traction des chemins de fer .
Z Produits azotés © Tlectrochimie et dectrometallwffie
( \ En construction ou en projet.
les Chiffi-es indiquent les milliers de chevaux, installés .
la reprise et à l'extension des productions indispen-
sables à la défense nationale. Si bien qu acluellement,
après quatre années de guerre, la plupart de» inslalla-
tionsqiil él.iientenconstruclioiieniai'i sonlenpleiiie
exploitation, tandis que d'anties ont élé créées de
toutes pit'-ces. l,a puissance installée, qui était d'envi-
ron 8O0.000 chevaux, atteint, au début do 1918, un
million et demi, correspondant à une puissance
moyenne aména!,'ée d'environ 1 million de chevaux.
Ce résultat, cerle.s merveilleux dans les circons-
tances actuelles, est, pourtant, loin de réaliser l'uti-
lisation complète de la puissance hydraulique di'
notre pays, qui s'élève en moyenne à 9 millions de
chevaux d'après les évaluations les plu.s anlorisées
et ne desrond, en tout cas, jamais au-dessous de
4 millions 1/2 au moment de l'étiage.
Pour avoir une idée de l'intérêt qui s'attache à
l'utilisation de ces forces presque inépuisables, il
suffit de remarquer qu'une puissance d'uu cheval,
développée pendant une année par une machine i
vapeur moderne, consouinie environ 8.000 kilogr.
de charbon, coûtant environ 200 francs avant la
guerre et le triple au moins en 1918. L'aménage-
ment d'un million de chevaux hydraulii|ues corres-
pond donc, dès maintenant, à une économie annuelle
d'au moins 600 millions de francs. Si le projet de
transport des forces motrices du liljône à Paris,
projet étudié et complètement mis au point depuis
une dizaine d'années, avait élé réalisé avant la
guerre, comme il aurait dû l'être, l'économie qui en
serait résiillée pour la région parisienne seulement
aurait dépassé 60 millions par an.
11 convient, d'ailleurs, d'ajouter ii celte énorme
économie l'accroissement de richesse qui en résulte,
tant pour les localités elles industries desservies,
que pour l'Etat lui-même. Max du liois estime que,
par te simple jeu des conlril)utions et impôts aux-
quels sont assuiclties de telles installations, l'Elat
s'attribue en fait de 3, .5 à 4 p. 100 de leur capital
social. Il en ré.>*nlle qu'im cheval hydraulique amé-
nagé auifmente de 5liO francs la fortune de l'Etat.
Le million de chevaux actuellement utilisés cor-
rcepond donc, certainement, à un accroissement
total de richesse de plus d'un milliard de francs.
Au point de vue géographique, les forces hydro-
éleclriques de la France se réparlissent ainsi, très
approximativement (les chiffres indiquent les mil-
liei's de clinvaux :
i.ocALiri'r,
l'tiiss. i!
(Ad
ispoiiiJA-
Cl).
l'uiss.
,iniL-;)r. :iV
en 1913.
i:ii
njnslruc-
Iton.
-VIpos scplcnlrio-
iialos (Savoie el
iJauphiaé)
A! pos méridionaîrs
1 IM'ovcnco et lii-
loral)
Pyrénées
Massif contrai.
Jura, Vosges, .
Totaux
1.000
1.300
1.400
900
2.000
2.G00
2.800
1.800
o:io
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100
100
200
150
100
150
4.000
'J.200
1.000
600
En ce qui concerne les capitaux engagés dans
les diverses industries de la houille blanche, nous
indiquerons seulement qu'ils se moulaient, en juil-
let 1914, à environ 230 millions de francs pour
les distributions de force et lumière et il 150 mil-
lions pour les installations électiochimiques et élec-
Irouiélallurgiques, soit un total d'environ 400 mil-
lions. Ce chilTie s'est beaucoup accru pendant la
guerre, par suite des augmentations de capital et
de la création de nouvelles sociétés. Il dépassait
1.200 millions au !<"■ janvier 1918.
Parmi les sociétés les plus imporlanles, nous tievons
citer : 1" Pour les distributions de force et lumière :
L'Energie Klectriquo du littoral métiiterpanéon :
capit. 38.uoo.ooo.
La Société des Forces motrices du Rhône :
capit. 30.000.000.
L'Knergio Electrique du ^d-O^f st ; capit. 30.000.000.
La Compagnie Klcctriqûo de la Loire et du Centre :
capit. iS.000.000.
La Société générale de Force ot Lumière ;
capit, 18.000.000.
2" Pour les installations métallurgiques et chi-
miques ;
La Compagnie des Produits chimiques d'Alais et de la
Camargue : capit. 40.000.000.
La Société Electrométallurgique française :
capit. t5.000.000.
La Société d'Electrochimie : capit. lO.ooo.ouo.
La Compagnie des Forges et Aciéries Paul Girod :
capit. 15.000.000.
A la veille de la guerre, l'ensemble des sociétés
cxploilanles disposait d'environ 10.000 kilomètres
de lignes électriques. L'ensemble des
inslallalions (usines centrales et ré-
seaux de distribution) avait coûté plus
de 300 millions de francs. Le juix de
revient du kilowatt installé variait
de 1.000 à 2.000 francs pourles usines
de plaine et de 500 à 1.000 francs
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pour les usines de monla^ne, (jui nécessitent des
travaux d'aincnagemenl moins importants. Le prix
de revient du liilowaltiieure produit à l'usine oscillait
entre 1 et 5 centimes (exceptionnellement 0 cent. 8).
Parmi les nombreux li'avaux entrepris ou ter-
minés pendant la guerre, nous citerons, d'après
Pavvlowslù {Annuaire de la houille blanche fran-
çaise), les usines sui-
vantes, qui sont les
principales:
i" Dans les Alpes:
l'usine du 'Val de
Fier, près de Seysel
(en achèvement), ins-
tallée par la Société
hydro-électrique de
Lyon, pour l'alimen-
tation de cette ville
(25.000 ch.); l'usine
de Beaumont-Mon-
leux, sur la basse
Isère, installée par la
Société marine Ho-
mécourt(30.000ch.);
l'usine de Fond-de-
France, utilisant la
force motrice des
lacs des Sept-Laux
(chaîne de Belle-
donne), installée par
la Société de Force et
Lumière(10.000cb.);
l'usine d'Arvillard,
sur le Bons (Isère),
installée par la So-
ciété du Bens(14.00()
cil.); l'usine duPonl-
de-Ghaix, sur le
Drac, installée par
la Société Drac-Ho-
manche (10.000 cb.);
l'usine d'Allemont,
surrEau-d'Olle(chai-
ne de Belledonne),
installée par la So-
ciété d'Eau -d'OUe,
pour la production
de i'alumininm
(-20.000 cil.); l'usine d'Avrieux, sur l'Arc, ins-
tallée par la Société de Chauny et Saint-Go-
baiu (20.000 ch.) ; les usines du Poët et de Château-
Arnoux (15 et 25.000 ch.), sur la Durance, installée
par la Société d'Alais et de la Camargue; l'usine
de Fontan, sur la Roya (15.000 ch.) et du Largue,
sur la Durance (9.000 ch.), installées par l'Energie
du littoral méditerranéen;
2° Dans les Pi/rénées : l'usine de Licq-Alhéry,
sur la Nive, installée par les Chemins de fer bas-
ques (9.000 ch.); l'usine de Sonlom, sur le Gave
de Pau, installée par la Compagnie des chemins de
fer du Midi (12.000 ch.); l'usine d'Escouloubre, sur
l'Aude (9.000 ch.) et d'Olette, sur la Têt (6.000 ch.),
en construction;
3° Dans le massif rt: ni ml : l'usine île l'.Xnce,
installée par l'Energie électrique du Centre et de la
Loire pour la région de Saint-Etienne (14.000 ch.);
l'usine de Brommat, sur la Truyère, inslallée par le
groupe Giros et Louchenr (35.000 ch.): l'usine de
Siiint-Victor, sur le Tarn (20.000 ch.), installée par
l'Energie électrique de la Sorgue et du Tarn, et
l'usine de la Parayrie, sur l'Agoùt (22.000 ch.), ins-
tallée par la Société des Forces motrices de l'Agoût.
Toutes ces stations nouvelles, auxquelles il faut
en ajouter d'antres moins imporlanles, représentent
une puissance installée d'environ 700.000 chevaux,
dont plus de la moitié fonctionnaient à la lin de 1916,
le reste devant, vraisemblablement, être mis en ser-
vice en 1918. Nous obtenons ainsi, en 1918, le
chiffre de 1.500.000 chevaux installés, annoncé plus
haut, qui peut se décomposer approximativement
de la manière suivante :
Distribution de lumière et force motrice. . 750.000 ch.
Eleotrométallurgie (fer, acier, ferres, alu-
'miniiim, etc) 450.000
Eloctrochiniie (carbures, produits ctUorés
at azotés, etc.) 200,000
Papeteries et industries textiles 60.000
Traction des chemins de fer 40.000
Ces chilfres, joints à ceux donnés plus haut, re-
présentent, giutant qu'il est possible de l'établir au
moyen des données les plus récentes, l'état des
forces hydro-électriques de la France en 1918.
Ils sont, d'ailleurs, sujets à des variations cons-
tantes, par suite des cliangemenls fréquemment
apportés dans l'utilisation des installations suivant
les besoins du moment et, aussi, par suite de la
création d'usines nouvelles. Indiquons à ce propos
que, d'après les statistiques du ministère de Vagri-
' culture, les installations nouvelles concédées depuis
la guerre représentaient, à la fin de 1916, un total
de plus d'un million de chevaux.
En ce qui concerne la production des usines mé-
tallurgiques et chimiques, des chiffres précis sont
très difficiles à obtenir, dans les circonstances
LAROUSSE MENSUEL
actuelles. Néanmoins, nous pouvons donner les
renseignements suivants, empruntés principale-
ment à VAnnuaire de la honille blanche fran-
çaise (1917) et au Journal de la houille blanche :
La fabrication synthétique de la fonte au loin-
électrique, en partant du minerai (procédé inconmi
en France avant la guerre), a été entreprise par
'usine de Livel, qui possède un four de S. 000 che-
vaux, consommant 600 kwh. par tonne fabriquée, ce
qui met le prix de revient à 60 francs la tonne
environ. D'autres fours électriques (système Keller)
fabriquent la fonte synthélique en partant des rib-
blons, tournures et déchets de fer et d'acier. Cette
industrie se développe beaucoup actuellement.
Celle du fer électrolytique, en partant de solutions
des sels ferriques, a été entreprise par la Société le Fer
et les établis-
sements Bou-
chayeretVial-
let, de Gre-
noble, qui
fabriquent des
tubes sans
soudure par-
faitement ho-
mogènes et
plus résistants
que l'acier
étiré, et aussi
des tôles par-
ticulièrement
intéressantes
par leurs pro-
priétés ma-
gnétiques. La
dépense est
d'environ
100 francs par
tonne.
En ce qui
concerne les
aciers spé-
cianxouferros
(alliages de
fer et de me-
ta ux rares,
pendant les 20 tiernières années, tels que : Sili-
cium, chrome,
manganèse, tungstène, molybdène, titane, vana-
dium), la production, qui était de 20.000 tonnes
en 1913, a plus que triplé depuis cette date. Les
principales usines sont celles du Giffre, d'Ugines,
de Livet, d'Allevard, de Rioupéroux, de Bozel
et de la Praz, dans les Alpes; celle d'Auzat dans
les Pyrénées, et celles de Saint-Juéi-y (Tarn), de
Saint-Chamond, Firminy et Rive-de-Uier dans le
Massif central.
L'aluminium, dont la production, à la veille de la
guerre, était d'environ 18.000 tonnes, continue à
être fabriqué à Ghedde, à la Plomhière et dans les
usines de la vallée de l'Arc : Pontamafrey, Saint-
Jean, Galypso, la Praz, la Saussaz, ainsi qu'à l'Ar-
gentière, sur la Durance. Toutefois, certaines usines
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Développement des forces hydro-électriques
de la Fi-anr — > ■ . .- -
fi' 137. Juillet 191b.
d'aluminium ont été transformées depuis la guerre,
pour la fabrication de produits plus indispensables
à la défense nationale.
Le cuivre électrique s'obtient h Livet et à Ugines,
par traitement des minerais sulfureux. Le zinc est
fabriqué à Epierre (Savoie) par le procédé Côte et
Pierron, en par lantdn minerai. 'ans grillage préalable,
ce qui permet d'uti-
liser les blendespaii-
vres sur place, sans
autre matière pre-
mière qu'un peu de
charbon et de chaux.
Des essais sont faits
d'autre part pour ob-
tenir le nickel par
'■lectrolyse des mi-
nerais néo-calédo-
niens.
Les métaux rares
(sodium, magné-
sium, calcium, etc.)
sont fabriqués aux
Clavaux et à Bozel
principalement. Le
calcium sert à l'afli-
nage de l'acier et
aussi à la fabrication
(le l'hydrogène. Le
sodium, employé
comme réducteur en
sidérurgie, s'obtient
au four électrique en
partant du sel marin.
Le magnésium, très
léger, combiné à
l'alnmininm, sert h
l'aéionaulique. Le
chrome, le tungstène
et le manganèse sont
produits à Saint-
Jeoire (Giffre), le
silicium à Rioupé-
roux et Bozel, le
silicomanganèse à
Ugines et à Livet.
La production du
carbure de calcium
était, avant la guerre, d'environ /lO.OOO tonnes,
livrées par les usines du Giffre, de Bellegarde,
de Livet, Notre-Dame de-Briançon, Plan-du-
Yar, etc.
Les produits azotés (acide nitrique, nitrates et
nitrures) sont fabriqués à La Rocbe-de-Rame el,
depuis la guerre, dans la vallée de l'Arc, à Saint-
Jean-de-Maurienne et Galypso.
Les produits chlorés (chlorates, hypochlorites,
tétrachlorure de carbone, etc.) sont produits à Bel-
legarde, à la Hageat, Prémont, Hioupéi'oux, etc.
Enfin, quelques usines fabriquent le soufre, le
phosphore, la céruse, le carbornndum, la soude
caustique, le ferrocyanure de potassium, etc.
La papeterie et l'industrie du bois emploient en-
viron 30.000 chevaux dans les Alpes à Annecy,
Pontcharra, Lancey, Modane, etc. Les industries
textiles en consomment 20.000 à Peyrehorade,
Oloron, Lavenalet, Castres, etc.
En ce qui concerne l'électriPication des chemins
de fer, la houille blanche française pourrait aisé-
ment fournir l'énergie nécessaire pour réduire de
moitié la consommation de charbon des locomo-
tives, qui s'élève à 8 millions de tonnes par an. Ce-
pendant, les installations de ce genre sont très peu
nombreuses en France. On ne peut citer que les
lignes du Fayet à Vallorcine (chemins de fer
du P.-L.-M.), de Saint-Georges-de-Coir.miers à la
Mure (chemins de fer de l'Etat), de Lourdes à
Pierrefitte et de Perpignan à Puyeerda aux chemins
de fer du Midi. Cette dernière Compagnie poursuit
l'électrification de ses lignes de Pau k Mnntréjeau
('i2 kilom.), de Pau à Eaux-Bonnes (54 kilom.), de
Luchon à Mor;tréjeau (3.") kilom.), alimentées par
les usines de Soulom et d'Egct (en construction);
la ligne de Foix à Puyeerda (81 kilom.) sera ali-
mentée par les stations de Pontpédrouze et la
Cassagne.
Enfin, les tramways des Basses-Pyrénées utili-
sent les usines de Banca et LicqAlhéry sur la Nive
et ceux de la Haute-Vienne l'usine a'Eymoutiers
sur la Vierme.
11 Y »• de ce côté, un débouché presque illimité
ponrl'utilisalion des forces hydrauliques etd'autant
plus intéressant que les lignes de transport de force
nécessaires à l'alimentation des voies ferrées peu-
vent également servir à distribuer l'éclairage et la
force motrice dans les localités qu'elles traversent
et au voisinage desquelles elles passent. l< suffit,
pour cela, de quelques postes de transformation ju-
dicieusement placés, alimentant les réseaux locaux
à basse tension. Le bénéfice qui résultera de cette
diffusion de l'énergie sera immense : dans le do-
maine industriel, elle favorisera la décentralisation
et aillera à la renaissance des industries locales, trop
souvent abandonnées au profit de la grande indus-
«• T37. Juillet 1918.
trie; elle arrêtera l'exode désastreux des campagnes
vers les villes en permellanl à l'ouvrier d'exercerson
métier à domicile, d'une façon plus indépeiidanle et
rémunératrice. Dans le domaine agricole, elle sup-
pléera au manque de main-d'œuvre inévitable en fai-
sant adopter partout le nioleur électrique, soit pour
le labourage des terres, pratiqué à l'étranger depuis
longlemps et, en France, depuis la guerre, avec
les meilleurs résultats, soit pour les travaux de la
ferme : hallages, pompages, conduite des machines
agricoles de toule sorte, des pétrins, des séchoirs,
des écrémeuses, des machines à glace et à froid, etc.
L'ouvrier et l'agriculteur seront ainsi retenus à la
terre; ils vivront, par suite, plus sainement, tant au
point de vue physique qu'au point de vue moral,
et aussi plus économiquement. La dilTusion de la
bouille blanche sera ainsi, dans un avenir prochain,
non seulement une source d'économie et de richesse
nationale, mais encore un remède efficace à la dé-
sertion des campagnes et à la vie chère et, par suile,
un grand bienfait économique et social. — J. damien.
Q-rand-Père, pièce en trois actes, par Lucien
Guitry, représentée pour la première fois à la Porte-
Saiut-Martin le 10décembrel917. — Ledécor repré-
sente un salon en rotonde, dont les baies donnent
sur un parc, aux environs de Tours, de nos jours.
La maison, de style Louis XIV, appartient au vieux
Degrons et est habitée par son gendre, Carlier,
M"" Cartier, sa femme, M"= Geneviève Carlier,
leur fille. Quand le rideau se lève, on entend une
voix de femme à la cantonade : c'est M™' Car-
tier, qui est déjà
dans l'automobile et
qui attend sa fille
Geneviève. Elle dit
au domestique Vic-
tor d'aller dire à ma-
demoiselle de se
dépêcher. Victor en-
tre en scène et
reste immobile, ne
voulant pas se don-
ner la fatigue de
monter au second.
Au bout d'un instant,
il quille le salon et
crie dans le jardin :
— Mademoiselle a dit
qu'elle est prête et
qu'elle descend tout de
suite.
Mademoiselle ne
descendant toujours
pas. M™' Cartier
quitte la voilure et vient au salon, ofi elle entre en
même temps que Geneviève, qui a son chapeau sur
la têle, mais qui déclare que les visites l'ennuient.
La mère renonce à sortir; ces dames resteront chez
elles. Victor, en causant avec la femme de charge,
Annetle,nous a présenté Geneviève comme une en-
fant gâtée, mal élevée et qui se farde.
Arrive Hubert Lacroix, le fils d'un vieil ami de
la maison. Resté seul avec Geneviève, il répond à
ses questions. Geneviève le prévient qu'on veut les
marier et lui demande :
— M'aimez-voua ? — Non. — Moi non plus ; moi, j'aime
le capitaine Boutard.
Entrent alors deux messieurs, dont l'un, monté en
motocyciclle, a failli causer un accident à l'automo-
bile de l'autre. Le cycliste est le capitaine Boutard.
L'autre est M. Carlier, père de Geneviève, impri-
meur. 11 nous renseigne aussitôt sur sa nature vul-
gaire. 11 se moque d'un confrère qui avait rêvé de
fonder en France un musée de l'imprimerie, compa-
rable & la maison Plantin d'Anvers, avec vieilles
estampes, belles éditions, un La Rochefoucauld en
in-folio. Il n'a cure de ces fadaises. Pour lui, il fait
le livre à treize sous et gagne beaucoup d'argent.
Il ne connaît pas un mot de lil'.érature, ne sait pas
qui est saint Augustin et croit que Saint-Simon esl
un autre saint : ce qu'il sait, c'est que ses éditions
à treize sous de saint Augustin et de Saint-Simon
lui rapportent des sommes superl)es tous les ans. 11
n'édite que des écrivains tombés dans le domaine
public, afin de ne pas payer de droits d'auteur. C'est
un homme pratique. La maison qu'il liahile appar-
tient il son beau-père, M. Degrons, avec qui il est en
mauvais termes. Degi'ons habite, à quelque distance
de là, une bicoque qui appartient à Cartier. 11 est on
ce moment en Bretagne. 11 vient parfois se pro-
mener sous les vieux arbres de son parc, mais tou-
jours quand les Carlier ne sont pas là.
Ce soirlà, les Cartier vont dîner à Croix-Robert,
chez un riche .\méricain, don l Carlier dit: «Je ne sais
pas son nom; je l'appelle: cher ami. » Un oncle, évè-
que, marié autrefois ol qui a une fille, vient en visile
avant son départ pour Rome, où il restera six mois.
Carlier apprend une nouvelle qui le fâche : le frère
de sa femme, François Degrons, un joueur que la
famille a jadis chassé de son sein, est à Tours avec
une jeune femme. Il vient, sans doute, demander de
l'argent. M"°« Cartier est d'avis que son mari reçoive
LAROUSSE MENSUEL
et expédie vile son frère avec quelques billets de
mille francs, pour s'en défaire. C'est un garnement
adonné au jeu et à l'éther.
On annonce François ; Cartier le reçoit. Le malheu-
reux, hâve, pauvrement vêtu, est ému en revoyant
la maison où il a passé sa jeunesse. Il a un mouve-
ment de révolte en pensant à la façon dont on l'a
traité, spolié. Mais il s'apaise, car il a quelque chose
à demander. 11 va s'expatrier, il part pour l'Amé-
rique. 11 a amené avec lui une jeune femme. C'est
sa fille. Il prie Cartier de la prendre chez lui. Celui-
ci bondit d'abord et refuse. Puis il accepte. Comme
le billet de passage de François est une modeste
feuille d'émigranl, il lui donne mille francs. Puis il
appelle sa femme et, après des adieux qui manquent
d'expansion, François part.
Les Carlier quillenl la maison pour aller à leur
diner américain. La fille de François, Hélène De-
grons, est confiée à la femme de charge, qui l'instal-
lera dans la chambre des ruines, — où la toile de
Jouy représente des ruines.
Hélène reste seule.
Elle voit entrer un vieillard, bâton à la main, pipe
aux dents. Il ne sait qui elle esl ; elle ne sait qui il
est, mais elle lui esl aussitôt sympathique. Ils cau-
sent; le vieux fait apporter de quoi manger. Elle
voudrait savoir qui est ce vieillard, qui a l'air un
peu chez lui, et qu'un vieux domestique tutoie. Il
ne répond pas. Mais il ne tarde pas à apprendre que
c'est la fille de François, — sa petite-liUe. Son pre-
mier mouvement esl de s'en aller. Puis il revient
sur ses pas et, montrant par la fenêtre sa petite
LcB troupes américaines défilant puur la première lu
, à Londres, devant le
maison, il lui dit que, si elle a un chagrin, elle aille
le trouver là. Puis il s'éloigne.
— Qui est-ce? demaniio Ilclcne à la femme de charge.
— t''ost M. Degrons père.
Hélène apprend ainsi que ce bon vieillard avec
qui elle a diiié est .sou grand-père.
Le second acte a le même décor et se place
huit mois plus lard. La joie règne dans la maison,
égayée par Geneviève et Hélène, de.enues bonnes
amies, Boutard el Hubert. Tous jouent au tennis.
Le grand-père Degrons vient les voir en évitant
de rencontrer les Carlier. Il annonce son dépait
pour Bordeau.\, <iù il va cherclier son fils Etienne
el sa petite-tille Louise, qui est infirmière au Ma-
roc cl dont la belle cimduite lui a valu d'être déco-
rée de la Légion d'honneur. Le vieux domestique
Baudoin prévient le père llegrons que les Car-
tier veulent se débarrasser d'Hélène et l'enfer-
mer dans un couvent, à Tours. Boulart cause avec
Hubert et lui apprend qu'Hélène est follement
amoureuse de lui, Hubert Lacroix. L'ainie-l-il
aussi? Non Alors, il faut qu'il disparaisse, car il
rendrait Hélène trop malheureuse. Hubert simule
un appel téléphonique et prétexte la maladie d'un
oncle pour se sauver. Mais, tout en faisant ses
adieux à Hélène, il s'aperçoit qu'il l'aime; il le lui
dit, el il l'embrasse. .M"" Cartier les surprend. Elle
a toujours voulu marier Hubert avec Geneviève.
Cet incident précipile sa décision. Elle va emmener,
séance teiianle, Hélène à Tours. Des dames en visile,
pecques provinciales, attisent sa rancœur par leurs
propos perfides, contre lesquels Hubert prend éner-
giquenient la défense de la jeune fille martyre : car
les Cartier ont été très durs avec elle. Elle s'élait
déjà sauvée une fois chez son grand-père; mais, là,
elle ne voyait plus Hubert : elle a préféré revenir
subir les avanies, mais ne pas être privée de l'élu de
son cœur. Au moment où M"" Cartier va emmener
Hélène pour aller la séquestrer, grand-père parait
et déclare qu'il prend sa petite-fille chez lui. Il a
avec Carlier une scène violente, où il lui dit son
fait; il le méprise, il le tient pour un misérable.
— C'est à crever do rire (dit Cartier).
— Crevez, répond lo bcaupèro.
Le gendre se venge en lui montrant l'acle de
naissance d'Hélène ou'il a fait prendre à la mairie
du pelit village où elle esl née, el qui porte : « père
et mère inconnus. » Hélène n'est de rien à la famille.
499.
Au troisième acte, nous sommes chez le père
Degrons, où Hélène s'est réfugiée et où elle a trouvé
sa tante Louise, l'infirmière décorée du Maroc, qui
fut jadis fiancée à François Degrons, le père de la
jeune réfugiée. La fiancée et la jeune fille de l'exilé
somment le vieux père Degrons de leur dire pour
quelle raison François a été chassé de la famille.
A-l-il commis une action infamante? Est-il un vo-
leur? Le vieux Degrons leur raconte ce qui s'est
passé. A un moment où la maison d'imprimerie De-
grons n'était pas Morissanteet avait une échéance de
400.000 francs, François, qui était joueur, a abusé
de la raison sociale pour signer 150.000 francs de
traites, le 15 juin 1894, il y a vingt ans: ce qui donne
à celle pièce la date exa(ie de juin 1914. Pour celte
faute grave, François a été exécuté. Mais le père
Degrons pense souvent à son fils, et il aime encore
en lui le souvenir de l'alTeclion 'ju'il lui portait.
Hélène est satisfaite, et elle fait celle réflexion :
— A présont. Jo no dirai pas : « Ce n'est que cela? •'
mais : « C'est cola ! » ,
On est sans nouvelles de François. La mère dO;
Hubert Lacroix a refusé son consentement au-
mariage de son fils avec Hélène, une bâtarde sansj
état civil. Il ne resle au fiancé que de faire des
sommations ou de se marier à Londres. !
Et voici François qui revient d'Amérique. II es^
accueilli avec tendresse par son ex-fiancée, Louise,
U qui il apprend qu'Hélène n'est pas sa fille. C'est
une petite abandonnée. Leur ancien amour tenait}
ils se marieront, et ils adoptent l'enfant, qui va pou-t
voir épouser Hubert.
Geneviève épousa
BoularL Tout rentré
dans l'ordre et finit
pour le mieux.
Telle est celte crvi
médie. Elle est loin
de présenter le ca-
ractère ordinaire des
ouvragesdramatiques
composés par des co-
médiens, qui sont au
fait de tous les pro-
cédés du métier et
qui les appliquent.
."Sous avons, ici, une
comédie mal faite el,
cependant,émouvante
et intéressante par
l'accent de sincérité
et de loyale et probe
-(- "'t I.i r.inc Mary X émotloU. DisOUS tout
de suite les défauts.
On lance le spectaleiir sur trop de pistes, aus-
sitôt abandonnées. Geneviève nous est présentée,
dès la première scène, comme une enfant gâtée,
capricieuse, qui se farde. Nous croyons (Qu'elle va
mener ses parents à la baguette et mal s accorder
avec la gentille Hélène. Or, elle n'a plus de rôle,
et elle fait bon ménage avec sa cousine, à laquelle
elle abandonne héroïquement un million et demi
de sa fortune.
On nous explique fort que Cartier habite une
maison appartenant à Degrons, et réciproquement;
il ne sortira rien de celle situation mobilière.
On nous montre un évêqiie pittoresque; il dispa-
raît, et on n'en parle plus. L'exil de François et la
sévérité de son ostracisme, sa pauvreté, son châti-
ment pour 150.000 francs, dans une grosse maison
de commerce, voilà bien du bruit pour peu de chose.
Tiuand il revient du Chili, est-il riche? Va-t-il rem-
bourser? Motus ! ... Le premier acte est trop long, trop
chargé, parce que l'exposition est trop minutieuse,
trop encombrée de détails, qui ne serviront pas.
Telles sont les observations que suggère le spec-
tacle; elles n'en diminuent pas relTel. Le style esl
facile, coulanl, souvent spirituel. Les sentiments y
ont de la noblesse, de l'élévation. — U'o Claretie.
Les principaux rôles ont 6\é créés par : M"*» Jeanne
Désoles i/Irlene Itetironx); Marrcllo I.end«r(J/"» Cartier :
Andrée Pascal {Geneviève Cartier) : M"* Gahrieile Dorziat
i Louise /tegrous); MM. Lucien Guitry {te père Degrons];
Pierre Renoir ( François Degrons) ; Jo'tfre (Cartier) ; Louis
(.iautier (Hubert Lacroix); Houssel (lioutart); Duquesne
(févéquo}.
O-uerre en 1914-1918 (i.a). [S«i/e.] —
Lorsque, à la lin du mois d'avril, dansnotre dernière
chronique, nous écrivions que la France vivait les
heures les plus terribles de celle guerre, nous espé-
rions, nous l'avouons, que des événements pro-
chains allégeraient le poids de nos inquiétudes. Eu
dépit de la gravité de la situation, les affirmations
quotidiennes et, plus encore, les sous-cnlendus par
où le gouvernement faisait passer dans la presse et
dans le public le sentiment de sa constante vigi-
lance el de son incessanle activilé nous permettaient
d'attendre avec une confiance inébranlée l'atlaquo
inévitable de nos ennemis: el nous étions en droit
de compter que, lorsqu'elle se produirait et où
qu'elle se produisit, nous verrions la solidité de
notre préparation militaire et la prévoyance de nos
généraux s'affirmer par une résistance,'difllcile sans
500
doute, mais énergique, infranchissable et, finale-
ment, victorieuse. Lorsque, le mois de mai écoulé,
après les somlires journées qui l'ont terminé, nous
avons arrêté nos regards sur la situation militaire
ot politique de notre France, nous avons été obligé
<le constater que nos espoirs avaient été trompés,
que l'horizon, loin de s'éclaircir, se couvrait d'épais
nuages, qu'après bientôt quatre années, après toutes
les leçons d'uni; coûteuse et sanglante expérionfe.
LAROUSSE MENSUEL
l'afflux de ses réserves et, au moment de la bataille,
démoraliser ses troupes en action par l'interven-
tion incessante de forces insnrmonlables. — De plus,
tout ce qui avait été écrit dans la presse sous une
inspiration évidente nous prouvait que l'on suivait
avec une attention soutenue lous les indices capa-
bles de révéler la pensée de l'ennemi; "et, tout en
conduisant l'opinion publique vers la certitude que
la grandi' reprise ()ITensi\e ne pouvait se produire
Cavalerie française montant aux lignes.
nous nous trouvions dans une position aussi grave
qu'au mois d'août et de septembre 1914 et que la
bataille de la Marne, que nous pensions gagnée de-
puis lors, allait être engagée de nouveau. Nous nous
serions reproché, à la date critique où nous écri-
vions ceci dans l'angoisse, d'émettre un jugement
quelconque et de chercher à peser, dans la nuit
qui nous entourait, les responsabilités de cette ca-
tastrophe. Si nous les avions connues, nous nous
serions gardé de les dire. Un seul sentiment devait
nous dominer tous et nous dominait : faire sans
restriction tout reffort nécessaire pour sauver la
patrie. Mais il sul'lisait de jeter les yeux sur le
passé des derniers mois et le présent des der-
niers jours pour qu'apparussent les doutes cruels
que les événements les plus récents faisaient
lever dans nos esprits. Nous avons toujours cher-
ché, ici, à dégager la vérité et, quand nous nous
sommes trompé, comme les auties, c'est que, pas
plus qu'eux, nous ne possédions la vision de l'au-
delà. Mais nous croyons n'avoir jamais rien caché
de ce qu'on pouvait uire, et nous avons toujours dit,
même à mots couverts, ce qu'il fallait laisser en-
tendre. La situation militaire et diplomatique, au
31 mai, était de la dernière gravité, et chaque heure
pouvait l'aggraver encore. Cette conclusion, si dé-
solante fût-elle, s'imposait.
Au commencement de mai, la situation militaire
paraissait momentanément stabilisée ou, plutôt, on
semblait pouvoir compter que, partout, les tentatives
partielles des Allemands, en attendant la Vuée mas-
sive, seraient arrêtées ou compensées. En fait, tout
ce qui s'élait passé pendant ce mois confirmait cette
bonne opinion. Que ce fût du côté de Villers-Bre-
tonneux et de l'Avre, ou au pied du mont Kem-
mel, sar le front nord ou du côté de Grivesnes et
d'Hailles, pendant plus de trois semaines, on avait
fait tête à l'Invasion, on avait brisé son attaque, on
avait remporté des succès locaux, fait des prison-
niers. D'autre part, des témoignages multiples per-
mettaient de penser que l'artillerie franco-anglaise
avait aci|uis, en nomlire et surtout en précision,
une supériorité effective sur l'artillerie ennemie.
Enfin, et surtout, nous étions fondés à croire que
l'avialion alliée dominait sans conteste l'avialion
allemande. La continuité des victoires aériennes, le
nombre des appaieils allemands journellement dé-
truits, la sûreté et les résultats des bombardeineuls
par avions nous donnaient une confiance solide.
Avec un pareil inslrumenl d'action, on devail.
semblait-il, non seulement être renseigné avec une
précision minutieuse sur les mouvements de l'en-
nemi, sur ;es concentrations, sur ses positions de
liatteries; non seulement on devait, grâce aux pho-
tographies aériennes, lire dans ses projets et suivre
l'exécution de son plan, mais on pouvait rendre
impossibles ses communications, son ravitaillement.
que sur la Somme ou dans le Nord, et pas ailleurs,
on devait induire de tout ce qui s'imprimait chaque
jour dans les journaux de toutes nuances que nous
étions parés à toute éventualité et que, quel que fût
le périmètre dans lequel se produisît l'attaque, nos
réserves considérables, massées en un point central
et facile à dégager, se porteraient en quelques
«• 137. Juillet 1918.
quaient de Reims k Soissons, le long de l'Aisne et
de la'Vesle, avec des forces écrasantes, amenées très
secrètement et très rapidement de l'arrière. Ils trou-
vaient devant eux un front français insuffisamment
garni, tenu par des troupes qui ne s'attendaient pas
à èire attaquées et qui, malgré une défense héroïque
contre un ennemi dix fois supérieur en nombre,
étaient obligées ou de se rendre dans l'impos-
sibilité de résister, ou de céder le terrain. Peut-être,
des erreurs de tactique et de commandement, com-
mises de notre côté, venaient-elles encore favoriser
la marche des Allemands. Presque avant qu'on eût
le temps de comprendre une surprise si évidente
qu'on fut obligé de l'avouer officieusement dès le
second jour, l'ennemi avait enlevé le Chemin des
Dames, notre grand succès de 1917, franchi l'Aisne,
puis la Vesie, et, opérant une énorme pression à la
hauteur de Kisines, il forçait notre ligne à s'in-
curver dans la direction de l'Ourcq et de la Marne.
Il atteignait l'Ourcq à Fère-en-Tardenois, descen-
dait jusqu'à Oulchy-te-CliiUeaii,puis, à l'Esl, jusqu'à
la Marne, et menaçait la ligne Villers-Cotterels-
Château-Thierry. C'est là, seulement, que la lente
arrivée de nos réserves essayait d'arrêter sa marche
en avant. Au l^"" juin, une bataille formidable se
livrait sur tout ce front, dont les points extrêmes
étaient Reims et Soissons et qui bombiiit de plus en
plus dans la direction de Paris, entre l'Aisne à Sois-
sons et la Marne vers Dormans, en coupani l'Ourcq
à l'est de ■Villers-Coilerels. A Heinis, que nous
avions conservée, et Soissons, que nous avions
perdue, mais dont nous occupions les portes, l'effort
allemand continuait à se briser encore contienne
résistance dont il était certain que les détails dé-
passent en abnégation patriotique et en courage
suihumain tout ce que l'histoire a connu jusqu'ici.
Sur le reste du front, calme presque complet. Sans
(loule, le 27, les Allemands avaient, en Flandre,
lancé une attaque assez vigoureuse, que nous avions
repoussée, mais qui avait obtenu le résultat qu'ils
cherchaient, à savoir de forlifier le commandement
français dans son idée sur le plan allemand et de
l'engager à persister dans la croyance que l'attaque
principale se faisait au Nord et la diversion sur
l'Aisne, alors que c'était le contraire. Cette opinion
avaiteu pour résultat regrettable de relarder la mise
en route des réserves, de laisser le champ libre à
l'adversaire, de lui permettre une marche très rapide
et sans péril, qui, si elle eût continué, l'eût mené
en quatre jours aux portes de Paris, et d'obliger les
contingents qui gardaient la ligne de Champagne à
une résistance supérieure aux forces humaines. Con-
séquence beaucoup plus grave : les Allemands nous
enlevaient la ligne du chemin de fer de Soissons à
Suliiala se teiitiaut sur le front et croisaul des villageuis q
dans des voitures
heures là où l'effort de nos troupes de première
ligne aurait d'abord contenu l'ennemi.
Personne n'avait réiléchi que la persistance et
l'unanimité des déclarations multipliées relativement
au point probable delà poussée allemande éclairaient
singulièrement l'ennemi sur la pensée intime de nos
chefs militaires et lui permettaient, avec la concor-
dance de ses propres informations et de son espion-
nage, d'agir à coup sûr. C'est ce qu'il n'avait pas
manqué de faire.
Le 27 mai, alors qu'on attendait de jour en jour la
grande bataille ou dans la direction d'.Vmiens ou
dans la direction de Calais, les Allemands atla-
li se réfugient ik l'arrière eu euipurtaitl leurs objets précieux
ou des brouettes,
Reims et coupaient sur vingt kilomètres la ligne de
Paris à Nancy, alors qu'eu.x-inémes disposaient de
lignes intérieures très bien organisées pour la con-
centration de leurs forces. Ainsi, au 31 mai 1918,
non seulement nous avions perdu tout ce que nos
ollensives nous avaient fait gagner en Champagne,
mais une région considérable où les Allemands
n'avaient jamais paru; cimime nous l'avons dit
déjà, il fallait, une seconde fois, livrer la bataille de
la Marne. Non plus contre l'armée de von Kluck,
partie follement en avant, sans moyens de commu-
nication, très en l'air, insuffisante en nombre et qui
n'échappa à une destruction totale que grâce à l'insuf-
N' 137 Juillet 1918.
NOYONNAIS ET VERMANDOIS
501
E02
fisance parallèle de nos moyens, mais devant des
masses admirablement organisées, supérieures en
nombre et pourvues d'un matériel abondant et per-
fectionné. Nous ne pouvions plus qu'espérer en une
vigoureuse et rapide réaction et nous demander
comment nous en étions venus lii.
Nous écrivions ceci le !»'■ juin, et nous ne faisions
(jue résumer tout ce qui avait élé imprimé dans les
journaux depuis un mois. A cette heure, aucune
LAROUSSE MENSUEL
résultats totaux moindres, par suite de l'activité des
constructions navales anglaises et américaines. 11
était peu aisé de connaître l'étal réel de la question
et l'opinion allemande surce point. Cependant, sans
qu'il y eût lieu de prononcer le mot de fnillite de la
guerre sous-marine, qui est gros si on le compare
aux faits contrôlés et qui a une allure définitive fort
imprudente, il était évident que ce moyen de lutte,
dont les Allemands avaient attendu une rapide so-
Fabrication dea fils de fer barbelés derrière les premières lignes.
responsabilité ne pouvait être fi.\ée, ni même recher-
chée. On pouvait, pourtant, et on devait se poser
quelques questions qui s'imposaient. Comment avait-
on pu renouveler l'éternelle faute de l'imprévision
qui nous a valu Charleroi et Verdun et se tromper
surlcsprojetsderennemi aupointde négligertoutle
front de Gliampasne, laissant ainsi ou vertes les routes
de l'Aisne, de l'Uurcq et de la Marne, c'est-à-dire
les routes de Paris, capitale et cœur de la France?
Les troupes qui défendaient, en trop petit nombre,
ce front de première importance étaient-elles pour-
vues de matériel nécessaire, notamment de toutes
les escadrilles aériennes indispensables à leur pro-
tection? Gomment avait-on pu hésiter à faire affluer
les réserves sur un front de 80 liilomèlres si sé-
rieusenient compromis? Nous le saurons plus tard,
Il est h peine besoin de dire que les opérations
militaires sur les autres théâtres delà guerre avaient
été insignifiantes. Quand un effort gigantesque est
fait sur le point le plus important, il est naturel que
tout le reste passe à l'arrière-plan. En Italie, aux
derniers jours de mai, nos alliés, qui, d'ailleurs,
nous l'avons dit, avaient fourni leur contingent à
la résistance sur le front français, avaient infligé
aux Autrichiens, au Tonale et sur la basse Piave,
d'assez sérieux échecs. A diverses reprises, on avait
annoncé une attaque autrichienne sur l'Italie. Rien
n'était moins vraisemblable pour le mome;it. Au
reste, nos alliés, complètement remis en forme,
pouvaient, à eux seuls, résister à un nouvel effort
autrichien. On devait, cependant, sedemandersi, en
cas d'une attaque dirigée par les Allemands sous
l'empire des accords nouveaux qui liaient l'Autriche
à l'Allemagne, la situation de l'Italie ne risquerait
pas de devenir périlleuse. — A Salonique, 1 armée
grecque réorganisée avait pris sa part -le quelques
attaques heureuses. — Nous savions très peu ce qui
se passait en Orient. Il semblait, pourtant, se dégager
des informations connues que les Turcs, dont les
ambitions coïncidaient avec les desseins de l'Alle-
magne, se préparaient à une campagne contre les
Anglais en Perse. On devait donc penser que, si ce
plan se réalisait, la situation des An^'lais sur le
Tigre et l'Euphrate deviendrait malaisée. Sans
doute, l'échéance pouvait être encore assez lointaine.
Mais l'importance des questions orienlales est telle,
dans le conflit actuel, qu'on ne saurait chercher à
voir trop clair dans le jeu de l'ennemi et, d'autre
part, tout ce qui se passera ou se tramera dans cette
partie du monde, qui intéresse si fortement l'Empire
britannique, est de nature à influer d'une manière
prépondérante sur la politiquedeguerredenos alliés.
Dans le domaine maritime, la guerre sous-ma-
rine, sans diminuer d'activité, avait été plus diffici-
lement menée par les Allemands. Elle a causé des
lution de la guerre, ne leur avait pas donné ce qu'ils
en a valent espéré et avait seulement satisfait l'instinct
de destruction qui est une des caractéristiques du
tempérament germanique. Sans doute, on continuait
à enregistrer des torpilla.^'es qui venaient tempérer
les affirmations grandiloquentes de la presse sur
notre maîtrise de la mer; mais, au total, les trans-
ports américains se faisaient avec un minimum de
pertes et, dans la Méditerranée, le trafic était assure
d'une sécurité relative, que des mesures de protection
mieux étudiées auraient, sans doute, pu accroître.
Dans les mers franco-anglaises et sur le litloral
belge, les Anglais exerçaient une étroite surveil-
lance. Ils avaient, en outre, continué leur audacieuse
attaque sur Zeebruprge et Ostende et achevé leur
entreprise. Le Vindiclive, qui s'était couvert de
gloire lors du raid d'avril, était, le 10 mai, entré
dans le port d'Oslende. Son équipage, avec un ex-
traordinaire sang-froid, sous un feu infernal, l'avait
coulé dans le canal et avait pu se retirer sans pertes
considérables. Par cette opération, l'obstruction de
Zeebrugge et d'Ostende était achevée, et les Alle-
mands perdaient pour un temps une base sous-
marine de première importance. Par là, non seule-
ment le trafic allié et neutre de la Manche, du pas
de Calais et de la mer du Nord se trouvait facilité,
mais le péril d'un débarquement allemand, qui ne
cesse de hanter l'imagination britannique et qui
retient sur le territoire de la Grande-Bretagne des
contingents peut-être excessifs, était écarté : résul-
tat doublement heureux, dont il est désirable que
nous ressentions les efVels.
Nous ne pouvons terminer cet exposé rapide de
la situation militaire sans parler des raids d'avions
sur Londres et sur Paris et du bombardement de la
capitale française. Les gothas avaient survolé Lon-
dres. Ils avaient plusieurs fois survolé Paris. Ces
entreprises n'étaient pas d'ordre militaire. Elles
rentraient dans la catégorie des destructions accom-
plies avec une intention de terreur et de démorali-
sation. Elles étaient incontestablement gênantes.
Elles faisaient du mal. Elles n'atteignaient aucun
but pratique et laissaient le moral intact. Elles
amenaient, surtout de la part des Anglais, de justes
représailles, qui, elles aussi, manquaient souvent de
résultat militaire, mais qui avaient amené les villes
rhénanes, très éprouvées, à se plaindre auprès du
gouvernement allemand des dommages causés. Des
pétitions avaient même réclamé des négociations
en vue de faire cesser ce régime de terreur. Le
gouvernement impérial, instigateur de tant d'hor-
reurs, déclarait hypocritement attendre l'initiative
de l'Entente, qui n'avait nulle idée de la prendre.
Cependant, l'archevêque de Cologne, cardinal Hart-
mann, certainement avec l'assentiment de la chan-
N' 137. Juilllet 191S.
cellerie impériale, avait prié le pape d'intervenir
pour que la procession de la Fête-Dieu, le 30 mai,
ne fût pas troulilée à Cologne. L'Angleterre, solli-
citée par Benoît XV, qui venait de recevoir solen-
nellement le prince de Galles, avait promis de
s'abstenir de toute attaque aérienne ce joiir-là. Elle
avait tenu sa promesse. Il y a là un épisode assu-
rément secondaire, mais qui doit être noté, surtout
quand on songe à rimpnissance pontificale devant
1rs abominations allemandes en Belgique et en
France. 11 prend, d'ailleurs, une signification parti-
culière quand on se rappelle que, le 30 mai au
soir, un obus allemand, tiré sur Paris, a précisément
démoli le reposoir d'une procession dans une église
de Paris. 11 est inutile d'insister sur l'inconscience
morale des Allemands. Elle avait, pourtant, élé sin-
gulièrement illustrée par l'incident du 30 mai. —
(JiKint au bombardement journalier à grande dis-
tance, le peuple de Paris le supportait avec calme.
11 ne pouvait, pourtant, ne pas se préoccuper des
conséquences possibles d'une diminulion de dis-
tance entre le front allemand et la région parisienne.
L'Allemagne, qui avait passé le mois de mai à
préparer son offensive militaire sur le front fran-
çais, n'avait pas perdu son temps dans le domaine
diplomatique. Elfe avait, par des mesures diverses,
mais parfaitement coordonnées, commencé à tirer
avec une méthode sûre de la paix de Brest-Litovsk
tout ce qu'elle pouvait donner.
Nous avons, le mois dernier, marqué avec le plus
de précision possible l'importance de l'exploitation
économique de l'ancien empire russe, que les Empires
centraux, etplusspécialementl'Allemagne, ont entre-
prise à leur profit. Bien que certains organes français
s'eiïorcentaveccouragederetenirsur cette question
capitale l'attention du public, nous craignons fort
qu'on n'en comprenne pas encore assez l'importance
présente et future. Certes, on compte toujours que
ces arrangements orientaux deviendront caducs par
une paix générale, dont on escomple avantageuse-
ment les résultats, et c'est là, assurément, un élé-
ment c.inital delà solution définitive. Il n'en est pas
moins d une réalité actuelle que ces arrangements
existent, que l'Allemagne en profite, qu'elle peut
même, si la paix tarde, arriver à leur donner, en les
appuyant sur des intérêts matériels locaux, une valeur
concrète et durable, avec laquelle, qu'on le veuille
ou non, il faudra peut-être compter. L'Allemagne
s'occupe, avant tout, de son intérêt propre, mais elle
y emploie les formules mêmes d'autonomie au nom
desquelles l'Entente combat pour le droit des peu-
ples, et, si elle les détourne de leur idéal, elle en
retient le bénéfice pratique et palpable. C'est en
fonction de ce principe qu'il faut jugerce qui s'était
passé en Ukraine, au cours du mois de mai.
L'Ukraine, comme toute la Russie, prétendait avoir
résolu la question sociale par le partage des terres
et l'expropriation violente de tous les grands pro-
priétaires. Jusqu'à quel point cette mesure théori-
que avait abouti à une exécution pratique, nous
l'ignorons, et il paraît vraisemblaljle que le partage
n'avait peut-être pas été opéré aussi réellement que
les décrets des Soviets et des Radas nous l'ont laissé
croire. Mais il est arrivé à ces lois agraires ce que
l'histoire nous apprend qu'il est toujours advenu en
Au calme, dans la tranchée.
EXPOSITION
Organisée sous le patronage de la Ville de Paris au profit des Œuvres de Guerre de la Société des artistes français
et de la Société nationale des beaux-arts au Petit-Palais des Champs-Elysées.
PORTRAITS DE FAMILLE, tabli-au d'Edgar Tie-^as. (V. p. 514). — Phot. Durand-Ruel.
Ce tableau, point par l'artiste en 18C7, a été acquis par 1 Etat, pour le Musée du Louvre.
PORTRAITS SUR LA PLAGE, la.lcaii ilo Ocirnnry (.Société ciatjonaie des beaux-uriaj. ^\' . p. il*., — l'I.oi. Vii<«voo«.
Supplément au Larous«« mansuel Illustré n' 137. — IV. |9**
804
EXPOSITION AU PETIT-PALAIS, EN 1918
Su:iplén;ent au m 737. Juillet 1918.
(
LE BOUVIER, tableau do Reué Ménard (Société iiuiionalo dos braux-arts). [V. p. 492 ] — Pbot. Vizzavoiia,
MATINÉE D'AUTOMNE, tablrau d'Albert-Gabriel Ki^olot {Société des artistes français). [V. p. 512. J - Plmt. Viz/avona.
Supplément au n' 137. Juîllot 1918. EXPOSITION AU PETIT-PALAIS, EN 1918
/
SOS
AU CABESTAN, taliloau do Charles Mcissouiisr ^Société nationale des beaux-artsV [V. p. 492.] — PUut. Vizzavona.
« «
LE CHEMIN DU MARAIS, taljJnau do Félix riaiii|unito (Sociétd dos artisti-« frauçais). IV p. 4ïs.j — Pliot. Vi»av»na.
806
EXPOSITION AU PETIT-PALAIS, EN 1918
Suoplément au n' 137. Juillet 1S18.
LINGERIE (Hospice de Beaune), tableau de Joseph Dail (Sociéié des artistes français). [V. p. 510.] — Phot. Vizzavuua.
^^_:^^iE^e^i>âid
QANS LE NORD; PRISONNIERS CIVILS, tableau do JeanLouii Forain (Société nationale des beaux-arts). [V. p. 515.] — Tbot, Vizzavona.
«• 137. Juillet 1918
semlilalile circonsliince : on change assez aisément
la forme du gouveriiement politique d'un pays, on
n'en inodilie que très leulemenl les formes sociales
et.siirloiit, le mode de répartition, de possession et de
culture des lerres. Le passage brusque delà grande
propriété à la division de la piopriété, de la grande
culture à la petite, n'est possible que dans les pays
Chargement d'un tubfi lance-torpilles à bord d'un navire allemand.
OÙ ceux qui cultivent la lj^rre se sont déjà élevés h
nn degré supérieur d'initiative, d'instruction pra-
tique et de prévoyance et où, par suite, la loi nou-
velle ne lait que changer en droit un lait préexis-
tant. C'est ce qui s'est produit en France. L'étal
social russe n'a rien à voir avec cela, et il serait
bon qu'on ne se payât pas de mois.
En Ukraine, comme en Russie, la brusque diffu-
sion de la propriété terrienne a mis la culture entre
les mains de paysans, qui n'ont pas les moyens de
lui faire donner son maximum de produit. Si l'on
ajonte à cela l'imporlance des intéréls compromis
par les mesures violentes, l'insécurité du pays, les
troubles politiques, la guerre, on comprend très
vite que les Empires centraux aient éprouvé, en
présence des médiocres résultats que donnait la
paix ukranienne au point de vue alimenlaire, une
déception et une inquiélude qu'ils ont avouées pu-
bliquement et que l'Alleinagne ne pouvait laisser
subsister. 11 fallait, à tout prix, rétablir en Ukraine
l'ordre matériil, sans lequel aucune agriculture n'est
possible. L'AUeuiaguo n'a pas hésilé. Dès le début
de mai, le général von Eichhorn, d'accord avec le
ministre allemand von Muuim, prenant texte de la
disparition du banquier Dobry, sans doute arrêté
par une organisation secrèle, lil envahir la Hada
par un détachement allemand, en prononça la dis-
.solulion, mit eu éial d'arrestation les membres les
nlus ardents du gouvernement, dont le minisire de
la guerre, et insialla comme dictateur et hctman le
vieux Skoropadsky. En même temps, on rendait leurs
lerres aux grands propriétaires qui les détenaient
encore. On a beaucoup épilogue sur ce coup d'Etat.
On a dit, dans la presse, qu'il rencontrait de vives
résistances. Hien n'est plus probable. Mais toutes
les vraisemblances sont pour que ces résistances,
que l'Allemagne ne supportera pas, s'atténuent assez
vite devant l'ordre renaissant. Un pays ne vit pas
longtemps dans le désordre. C'est un fait histo-
rique. Eu dépit de tout, il va vers qui lui apporte la
possibilité du travail tranquille et de la vie sans
crainte. Il y a lîi un fait dont nous ne tenons pas
assez compte, <lan3 nos calculs hypothétiques. Il se
répète en Finlande. Tandis qu'en Ukraine les Alle-
mands organisaient la culture nourricière, tandis
que, dans le bassin du Donetz, ils préparaient l'or-
LAUOUSSE MENSUEL
ganisation industrielle, par la Finlande ils s'assu-
raient les communications vers la côlc mourmane
et l'avance dans la Russie septentrionale; et il
n'était pas douleux que la majorité de la population
et les grandes forces sociales étaient avec eux.
Que se passait-il pendant ce temps en Russie?
Nous l'ignorions totalement, il faut le dire et tenir
fiour pur bavardage
es nouvelles inculié-
rentes, tout au plus
capables d'obscurcir
encore la question,
que nous lisions tous
les jours dans la
f tresse. Où en était
egoiivernementbol-
chevik? Quel était
lélat intérieur du
nays? Quelles étaient
le* relations réelles
(lu gouvernement de
Lénine et Trolsky
avec l'Allemagne ?
Nous doutons que
quiconque en ftit ins-
Iruil, mais il était de
la plus glande vrai-
semblance que l'Alle-
magne ne perdait pas
son temps et que,
seule, sans concur-
rent, elle s'installait.
Fallait-il aller jus-
qu'à craindre qu'elle
ne recrutât contre
l'Entente des sol-
dats? 11 élait inutile
(li^ discn ter, pour
l'heure présente.
crtte hypothèse, qu'il
ne faut pourtant pas
ccaiier comme ab-
surde. Il sul'lisait do
-e dire que la Russie
ii-onomi(|ne était 11-
1 rée à l'Allemagne.
Muel contrepoids
etaitpossibleet com-
ment intervenir pour
entraver celle in-
lluence cerlainemenl
grandissante? On ne
pouvait le concevoir
que sons la forme
d'une intervenlion
japonaise, sans que la
modalité de celle-ci
apparût clairemenl.
Or, ce qui élait en question, n'était pas la modalité,
c'était l'intervention elle-même. Sans doute, le Japon
avait signé avec la Chine, pour la sauvegarde de leurs
ilroils communs en Mandchourie, une alliance mili-
taire qui donnait à l'empire du Soleil-Levant, en dépit
507
président des Etats-Unis de se faire une opinion
raisunnée ni sur la question de droit ab-olu. ni sur
la position exacte de l'intérêt américain dans l'ancien
empire moscovite. Tout restait donc en susi>ens, et
l'Allemagne agissait.
Elle s'était, en même temps, assuré en Roumanie
des privilèges industriels et politiques de la plus
haute importance, et l'on pouvait se demander ce qui
restait à la Roumanie do sou indépendance.
Le traité de liucarest, conclu le 6 mai, désarmait
en tait la Roumanie et livrait tout son matériel de
guerre à l'Allemagne. La Roumanie rendait à la
Bulgarie les territoires nue lui avait donnes le traite
de Bucarest de 101S. Elle remettait aux puissances
centrales la Dobroudja, mais on lui gaiantissait une
route commerciale vers la mer Noire par Cernavoda
et Constanza. Elle recliliait la frontière austro-rou-
maine aux Porte.s-de-Fer et dans les cols des Car-
palhes. Elle maintenait la Commission internatio-
nale du Danube en la limitant aux puissances riverai-
nes du Danube, qui avaient, en outre, le droit d'avoir
aux bouches du fleuve deux stationnaires, avec
faculté de remonter jusqu'à Brada. Elle instaurait
en Roumanie l'égalité des religions, avec le droit
pour chacune de construire des églises et d'établir
des écoles. D'autre part, la Roumanie était laissée
libre d'annexer la Bessaiabie, ce qu'elle avait fait
avec l'assentiment du peuple bessarabien. Enlin, les
laits prouvent que la dynastie, dont les destinées
avaient paru un moment douteuses, était déiiniti-
voment aiïermie sur le trône roumain. La Rouma-
nie rentrait donc, sans résistance possible, dans
l'alliance germanique et, si l'on se sonvieiitde l'accord
relatif à l'exploitaliDn et h la vente du pétrole, on
constate qu'économiquement sa dépendance élait
complète. Nous ne pouvions qu'enregistrer avec
tristesse un résultat où noire responsabilité est si
gravement engagée.
Enfin, les dilTérends soulevés entre la Bulgarie et
la Turquie, à propos de la Dobroudja et de la ban-
lieue dAndrinople, avaient été aplanis lors d'un
voyage de Charles I" à Sofia et à Constantinople. Il
semblait, par suite, que la question balkanique fût
réglée momentanément dans le sens allemand.
Dans le même temps, encore, l'enlreviie des deux
empereurs, le 12 mai, donnait à l'union militaire des
deux Empiresceniraux unecohésion et une durée plus
grandes qu'elle n'avait eu jusqu'alors, et, bien que
nous ignorions jusqu'où allait celte extension et si
elle s'étendait à une union commerciale et financière
intimes, il est certain, du moins, que l'acte d'aban-
don signé par l'empereur Charles an lendemain de
l'alfaire Czernin élait une victoire pour l'Allemagne.
Ainsi se préparait peu à peu la formation de la
Mitteleuropa, dont l'idée avait paru un moment
abandonnée, alors que la Russie élait niaîlresse de
la Galicie et que la Roumanie envahissait la Tran-
sylvanie. Elait-ce à dire (|ne la Mittellenropa fût
cïéée ? Elail-ce à dire de plus que, fùt-elle créée,
elle fût viable et que l'idée dune Pangermanie iso-
lée, se suffisant à elle-même, soit autre chose qu'un
rêve de l'orgueil allemand?
Il n'y avait pas, alors, à discuter la question, et il
Ciimp de travailleur* eliinoit sur le front. — Le* cui«in«*
de très sincères protestalions de désintéressement,
une influence prépondérante, inévitable, d'ailleurs,
dans l'état où se ti'ouve la Chine. Mais, malgré toul,
le Japon restait inactifet très réservé. Il élait évident
que cette attente, très troublante pour tous, tenait à
l'incertitude où l'on reslait sur les intentions des
ICIats-Unis et sur l'atlilude du président NVilson &
l'égard de la Russie. Les déclarations antérieures et
les renseignements conlradicloires qui lui venaient
de Russie semblaient n'avoir pas permis encore au
fallait se dire tout de suite que le poids formidable
des Etats-Unis, sans compter l'empire britannique
et la richesse française, étaient, en tout état de
cause, des éléments capables non seulement de
contrebalancer le groupementdel'l'urope moyenne,
mais de lui rendre la vie impossible. Il suffisait,
pour l'heure, de constater que l'.Mleniagne prenait
partout dans l'Europe orientale des positions solides
et que, par suile, l'intérêt de l'Entente, quels que
fussent ses moyens propres de résistance et de vie,
508
élait de tout faire pour contrecarrer celle tranquille
mainmise. Or, on ne pouvait agir que par la Russie,
et nous ne faisions rien en Russie. Il était grand
temps d'y pourvoir.
On devait, d'autre part, noter que, pour le moment,
l'Autriche n'apportait à l'Allemagne aucime aide
pratique. Elle mourait de faim, son armée avait plus
LAROUSSE MENSUEL
se faire sur les intentions dominatrices de la ma-
jorité des Allemands, ni sur la solidité du railita-
ri.sme prussien. Ce qui se passait sur notre front
n'était pas fait pour diminuer sa puissance.
L'Angleterre n'avait pas avance le règlement du
Home Ilule irlandais. La nomination du maréchal
Krench aux fonctions de vice-roi avait marqué l'in-
TravaiUcui's chinois employés à l'arriére de notre front. (lis cliangeut de campement en transportant leurs bagages
k la mode chinoise.)
d'une fois donné sa mesure; les peuples autrichiens
désiraient la paix; par-dessus tout, le trouble inté-
rieur était grave et profond. Le ministre Seidler,
obéissant aux suggestions germaniques, avait pré-
paie une division administrative nouvelle de la
Bohême, où les éléments Ichèques étaient sacrifiés,
et cette réforiue avait été le prétexte, à Prague, de
manifestations nettement anti-allemandes.
On devait, pourtant, se demander quelle en était
la portée exacte, et il paraissait qu'on s'était un peu
pressé, chez nous, d'y voir un élément de désagré-
.^ation de l'Etat autrichien, alors quelles n'étaient,
sans doute, que l'explosion d'un mécontentement
qui tendait il obtenir un traitement intérieur plus
équitable. Nous avons dit déjà que nous n'avions
pas fait assez pour les Tclièques. L'heure n'était-
elle pas passée, et étions-nous, niaiiilenaul, en me-
sure de réaliser quelque chose d'utile pour un
peuple qui méritait tant notre appui et qui aurait pu
devenir, à notre profit, au sein de la monarchie
autrichienne transformée, un élément pondérateur
de la minorité allemande soutenue par Berlin? Qui
sait si, à ce poiutde vue encore, il avait été sage de
décourager le jeune empereur d'Autriche? Ques-
tions difficiles à résoudre, mais pénibles h poser,
parce qu'elles font éclater, encore une fois, la fai-
blesse de notre politii|iie extérieure.
L'Allemagne avait donné une nouvelle preuve de
la manière brutale dont elle userait en matière éco-
nomique, dans ses négociations avec la Suisse, à
propos de la fourniture du charbon et du fer. Elle
avait émis la prétention de ne livrer son charbon
qu'à la condition d'en surveiller l'emploi, ce qui im-
plii|uait une interdiction absolue pour les usines
iielvétiques de travailler pour l'Entente. La Suisse
avait vivement protesté, mais elle eût peut-être été
obligée de céder, si l'Entente n'avait offert une four-
niture de 83.000 tonnes de charbon par mois. Ce bon
procédé, qui a touché profondément la Suisse, avait
eu pourrésiillat de rendre l'Allemagne moins intran-
sigeante et, finalement, l'accord germano-suisse avait
été signé dans des conditions acceptables. Mais ce
seul fait éclaire d'un jour particulier les prétentions
de l'Allemagne, qui menace tantquellenesentpasune
résistance possible. C'est, de même, grâce à l'Entente
et au bon vouloir des Etats-Unis que la Suisse avait
pu assurer son ravitaillement en blé. — Il suffit,
pour comprendre la beauté du geste, de se rappeler
comment l'Allemagne contraignit la Hollande, dans
la question du gravier, à consentir à ses exigences.
On ne devait pas se leurrer sur les dispositions
de nos ennemis. Deux courants semblaient se par-
tager l'opinion publique allemande. L'un, représenté
par Erzberger d'un côlé et par Scheidemann de
l'autre, paraissait combattre le principe des an-
nexions et dérivait de la déclaration de paix for-
mulée par le Reichstag en juillet dernier. L'autre
entraînait les pangernianisles aux conceptions les
plus folles et aux ambitions les moins réalisables.
11 y avait lieu de se demander si l'un et l'autre
n'étaient pas inspirés par le gouvernement, qui se
réservait, suivant les circonstances, de se servir de
l'un ou de l'autre. Mais il n'y avait pas d'illusion à
tention d'agir vigoureusement contre les tentatives
de désordre. Le 18 mai, on apprenait qu'un complot
avait été ourdi par les Sinn Eeiners avec la com-
plicité de l'Allemagne et que tous les chefs du parti
avaient été arrêtes : mesure de précaution, avait-il
paru, plutôt que de répression, puisque aucune action
judiciaire n'avaitsuivi. Le gouvernements'étaitborné
à publier en partie les preuves du complot. La ques-
N' 137. Juillet 1918.
tenues, l'espoir de voir l'afflux américain compenser
la trahison russe et la supériorité numérique de
l'Alleinagne étaient pour nous une raison très forte
de tenir ferme en préparant des jours meilleurs. Le
président Wilson, investi de pleins pouvoirs, ten-
dait tous les ressorts de la Ration vers le but qu'il
s'était fixé. Les travaillistes, venus en France et en
Angleterre, avaient, dans leurs colloques avec les
socialistes anglais et français, maniué leur volonté
arrêtée de ne pas entrer en rapports avec les socia-
listes allemands, tant que ceux-ci n'auraient pas
rompu avec le militarisme prussien. La présence
des Etats-Unis dans l'Entente élait, d'ailleurs, pour
nous une garantie inappréciable. A voir nos alliés
aussi francs, aussi ardents et aussi généreux dans
leur concours, on pouvait espérer qu'en toute
occasion leur appui matériel et moral nous serait
acquis, et, dans les circonstances tragiques que
nous traversions, cette conviction apaisait nos
inquiétudes et éclaircissait l'avenir.
La France avait passé le mois de mai dans l'at-
tente. Elle avait vu se dérouler, non sans dégoût, le
procès Duval. Elle avait subi avec étonnement et
réprobation les grèves qui avaient éclaté dans les
usines d'aviation de Paris, sans soiipi;onner peut-
être leur cause exacte et leur sens preris. Elle espé-
rait que l'offensive allemanile, quand elle se produi-
rait, serait soutenue de pied ferme. Elle avait été
surprise douloureusement par les échecs des pre-
miers jours. Elle restait ferine dans ses espérances
et dans son idéal. Elle méritait qu'on ne négligeât
rien pour la défendre. Elle ne pouvait n'être
pas violemment émue et troublée profomlément
par les événements. Malgré tout, elle attendait
l'heure de la justice et avait foi dans ses destinées
éternelles. — jnies Geheault.
Iiallucinose n. f. Symptôme morbide carac-
térisé par des hallucinations multiples, sans siumes
concomitants, sans démence ni délire systématisé.
(Ces hallucinations peuvent être conscientes ou
inconscientes.)
Heure des taubes (l'), tableau d'Albert
Guillaume, exposé eu 1918 à la Société nationale des
beaux-arts (Petit-Palais). 11 fut un temps, à Paris,
où, sur les 6 heures du soir, on voyait passer
dans le ciel limpide de gros oiseaux noirs, aux
ailes recourbées; parfois, une bombe s'en échap-
pait, éventranl un coin de chaussée, défonçant un
Atipeet d'un purt d'une base américaine en France. (Des Itilométres de docks et magasins ont été construits
par les Américains, pour les besoins de leur armeu en France.)
tion irlandaise restait entière et très obscure, et il
n'apparaissait pas que les partis irlandais eux-mêmes
eussenlbien fixé leur attitude et leur ligne de conduite.
H y avait là un grave problème. Par ailleurs, le cabi-
netavaitété vivenfient attaqué à lasuite de révélations
du général sir Maurice àpi-opos du chiffre des elfectifs
en France, qu'il déclarait falsifié et grossi. L'afiaire
était venue au Parlement, qui avait donné une bonne
majorité à Lloyd George, et sir Maurice avait été
mis à la retraite. L'Angleterre, cependant, conlinunit
à affirmer sa volonté de continuer la guerre jusqu'à
la ruine de l'ambition allemande.
Les Etats-Unis montraient la même ardeur et la
même foi. Leurs troupes combattaient bravement
aux côtés des nôtres. Leur armée s'accroissait
chaque jour, et la certitude que toutes les promesses
qui nous avaient été faites seraient rigoureusement
pan de devanture; mais le public parisien, plus
amusé qu'effrayé, n'en continuait pas moins à suivre
des yeux les évolutions du monstrueux pigeon.
Ainsi, concui'rençant l'heure de l'apéritif, s'était
instituée l'/ieuve des taubes. C'est cet aspect de
la physionomie parisienne, aux premiers mois de
la guerre, que A. Guillaume a fixé dans une toile
spirituelle et d'un agréable coloris. Sur les Champs-
Elysées, au voisinage du Palais de Glace, quelques
badauds, le nez en l'air, cherchent à découvrir
l'avion signalé. Une jeune femme écarquille ses
yeux derrière un face-à-maiu; son mari, un bonnêle
bourgeois, renverse curieusement la tête, et tous
deux suivent dans l'air la direction qu'indique du
doigt un homme du peuple, à la barbe broussail-
leuse, vrai philosophe du ti'ottoir, pour qui toute
nouveauté, même dangereuse, est prétexte à flânerie
«• 137. Juillet 1918.
et h bons mois. Il y a dans celle physionomie une
expression à la fois béale et amusée, d'une irré-
sistible drôlerie. — F. Ouieâbd.
illuslonnisine {zi-o-nissm') n. m. Tendance
h se faire drs illusipns. Croyance fondée sur une
illusion : Tant que les Hindous r/arderont /'ii.i.u-
i'ioriKiSME à hase bouddhiste ousliintoïste, ils seront
pournous des r'waux redoul alites. || Aride produire
l'illusion : /,'illusio.nnisme des prestidigitateurs.
imagette {jèf — deimaf/e)n. f. Petite image :
Tableaux à imagiîttes du moi/en âge. (Renan.)
Impérialisme économique allemand (l')
[Mitteleuropa] (Paris, i;)18). — L'intérêt de cet ou-
vrage (rédigé par A. Licliteid)erg('r, donl on connaît
la compétence sur tout ce (|ui touche à l'évolution
sociale et polilique de l'Allemagne moderne, et
Paul Petit, est double. Il nous exposedos faits el des
Ihcories, faits et théories sur lesquels il se f.mt ins-
truire, sous peine de ne rien comprendre à l'histoire
de la guerre pré -
pente et à l'organi-
salion — présiMite-
mcnt en germe —
du monde futur. Il
nous fait réfléchir
sur ces faits el ces
lliéories et, par le
seul exposé des uns
el des autres, nous
donne discrète-
ment, mais avec
une nellelé catégo-
rique, les plus utiles
lei;ons.
Qu'est-ce qui'
celle Mitleifuru/ju,
dont parlent depuis
Irois ans tous les
journaux?
Voilii ce que, dés
l'abord, nous expli-
que celexcellentou-
vrage. La Mitteleu-
ropa, c'est la réali-
sation d'un panger-
manisme transposé
dans le domaine
économique. Qu"
plaise à quelques
exaltés de la lignée
intellectuelle des
Houston Chamber-
lain et des Tauneu-
berg de promettre à
la race germanique
la conquête du
monde et que le
parti militaire s'en-
thousiasme pour
cette chimère, peu
nous importe, en
somme : il s'agil
d'aspirations folles
et irréalisables.
iMais nous devons
tenir compte de
plans longuemenl L'Heure des laubei
mûris par les hom-
mes d'affaires et les polilicieiis, dont la réalisation
amènerai tla.soudureéconomiquedespriucipauxKlals
de 1 Europeceutrale, la constitution d'un» frontcom-
mercial unique », où l'Allemagne, après la guerre
encore, mènerait la bataille contre les Alliés. Com-
ment, dès avant la guerre, les Allemands ont-ils été
amenés à concevoir celle il/i</e(euro/)a? L'origine de
leur conception est, de toute évidence, l'impérialisme
anglais, c'est-à-dire la tendance manifestée depuis
Chamberlain, chez les hommes d'Etat britanniques,
de grouper la métropole et toutes ses colonies en une
fédération se suflisanl presque à elle-même et se dé-
fendant contre la concurrence étrangère par un pro-
tectionnisme élargi. Dans cet aspect de l'impérialisme
britannique des Allemands ont cru apercevoir non
une parlicularilé de la politique anglaise, mais une
tendance du monde nouveau : la tendance à l'au/ar-
chie économique. Le monde, disent les économistes
allemands, tend à se partager en quatre ou cinq
groupements principaux, qui, dans un avenir plus
ou moins rapproché, pourront, s'ils le veulent, s'iso-
ler les uns des autres et, se suffisant à eux-mêmes,
supprimer toute importation, toute exportation.
L'un de ces groupements est déjà conslitué :
l'empire britannique; le groupement « yankee »,
prolongé par l'Amérique du Sud, le suivra de près.
Un peu plus tard, se formeront un groupement
slave, puis un groupement sino-japonais. Les Etats
F lus petits (t'rance, Allemagne, Autriche, Espagne,
lalie, pays ball<ani<iues) devront ou se joindre à
l'un des grands groupements déjà existants, qui les
absorbera fatalement, ou essayer de former, eux
aussi, des groupements pour lesquels sera possible
r « autarchie économique ". Si l'Allemagne veut
LAROUSSE MENSUEL
subsister comme grande puissance industrielle et
commerciale, il est nécessaire qu'elle s'unisse à
r.\utriche-Hongrie, dont les ressources agricoles el
industrielles sont complémentaires des siennes
propres :1a Hongrie produit un excédent de céréales,
l'Autriche est grande productrice de bétail, exploite
de vastes forêts, el ses mines fournissent de la
bouille, du fer, du plomb, du cuivre et du mercure
en quantités appréciables. Par la réunion écono-
mique de l'Autriche et de l'Allemagne, voilà —
disent les Allemands — la puissance productrice de
chacim des deux pays sensiblement augmentée. Mais
l'Austro-Allemagne n'est pas, à elle seule, la Mittel-
europa : elle n'en est que le noyau, autour duquel
viendront s'agglomérer, par couches concentriques,
d'autres Etats. Quels seront ces Etats'? D'abord, les
Elals-frontières : Danemark, Hollande, Belgique,
Luxembourg, Suisse, Koumanie, Serbie. Même
ainsi consliluée, cependant, la Mitteleuropa ne sau-
l'iiit se suflire : il lui manquera encore — el en
quantités considérables — certains produits de pre-
tableau d'Albert OuiMaume. (Société nationale des beaiix-ai-ts.) — Ptiot. Vizzavona.
mière nécessité. Le déficit le plus grave serait celui
du minerai de fer. Il ne sera possible de combler ce
déficit qu'en augmentant la production métallur-
gique de l'Allemagne et de la .Mitteleuropa future
de toute la production métallurgique du bassin fran-
çais de Briey, qui, ces dernières années, s'est avéré
comme lun des plus riches du monde. C'est donc
avec juste raison que certains économistes ont pu
appeler celle guerre la « guerre du fer ». Encore
insuflisanls pour parer à un blocus éventuel, les
produits agricoles de la MiUeieuropa trouveraient
leur complément dans les pays balkaniques el en
Pologne. L'espoir secret de r.Mlemagne est donc,
en allirant à elle de gré ou de force tous les Etats
voisins (dontpartieseraitannexée, partie accepterait
une union économique) de constituer un bloc de
nations capable de soulenir, le cas échéant, la lutle
contre le groupn économique anglais et améi'icaiii.
Mais l'autarchie économique, si elle n'est que
le prétexte, n'est pas la seule raison d'être de
la Mitteleuropa, construction & la fois défensive
et offensive. La Mitteleuropa doit favoriser l'expan-
sion mondiale de l'Allemagne. Celle-ci « aspire
à la réalisation de l'Europe centrale, qui lui assu-
rera une sphère d'influence économique où elle
espère trouver des compensations à la perte...
de certains marchés. Mais elle n'envisage pas un
seul instant l'abandon d'une politique mondiale. Elle
sait que l'Europe centrale elle-même n'est pas assez
vasle pour donner salisfaction à son besoin d'expan-
sion industrielle et commerciale. 11 est donc certain
qu'elle cherchera i.on pas seulement à assurer son
indépendance économique, mais aussi à sauvegarder
le développement de ses exportations ».
509
Pour cela, l'Allemagne compte avant toat sur la
supériorité de son industiie.
En quelques pages courtes, mais très ramassées,
et où se trouve la matière de plusieurs volumes,
Lichtenberger el Pelil nous expo-sent — avec une
impartialité absolue, puisqu'ils laissent la parole
aux Allemands eux-mêmes — les raisons de celte
supériorité. En première ligne, les panégyristes de
l'Allemagne impériale mellent naturellement l'orga-
nisation : organisation (|ui a eu pour effet de faire
cesser l'anlagonisine entre palrons et ouvriers, tare
congénitale du svslème capilaliste, de subsliluer à
la concurrence ilfimilée un régime de concurrence
limitée et de marier enfin la science à l'industrie.
i> Ainsi s'est constitué un vasle organisme où tout
se tient, où chaque individu a sa place marquée;...
machinisme le plus efficace, le plus précis, le plus
robuste qui soit ».
V intensification el la concentration du travail
dérivent de ces directives générales. «Les industries
allemandes ont poussé jusqu'aux dernières limites
la recherche de
l'abaissement du
prix de revient en
fabrication inten-
sive. » Elles y sont
parvenues, et par
des moyens techni-
ques et par des
groupements d'inté-
rêts réunissant en
une société unique
" tous les éléments
qui coopèrent à la
pioduclion depuis
I acquisition de la
matière première
jusqu'à l'élaboration
du produit fini ». Les
produits industriels
allemands ont pu
être ainsi livrés
en quantité assez
considérable pour
inonder tous les
maichés.
Pour éviter l'avi-
lissement des prix
qui résulterait fata-
lement de celte sur-
produclion, les in-
dustriels d'une
même spécialité se
groupent en une as-
sociation qui prend
le nom de cartel et
lise un prix de vente
minimum sur le
marché intérieur...
L'excédent que ce
marché ne peut
absorber est im-
porté à un prix infé-
rieur au prix lixé
fiar le cartel sur
e marché intérieur.
G'eslle dumping,...
« qui a pour résultat
de diminuer ou
d'annuler la protec-
tion douanière ». Grâce à ces procédés très divers,
l'Allemagne a pu, « au lieu de fabriquer de la came-
lolte à bon marché,... produire des marchandises de
qualité égale ou supérieure à celle de ses concur-
rents ». Les grandes banques commerciales, locales
ou transocéaniques, la facilité d adaplalion des fabri-
cants et des négociants, l'élablissemenl de nationaux
dans tous les pays, leperfeclionnement des grandes
compagnies de navigation, l'outillage des ports, tels
sont les moyens qui ont fait de l'industrie allemande
la base d'une formidable puissance commerciale.
La réalisation de la MiUeieuropa doit donc per-
mettre — économiquement du moins — la réalisalion
du rêve mondial. Mais l'Allemagne pourra-t-elle
même aboutir à lier d'une façon solide et durable
les intérêts de l'Autriche aux siens propres?
Celle union a ses partisans, et ils sont nombreux:
II Elle plait aux partisans d'une grande Allemagne,...
aux pangermanisles,... aux démocrates, qui y voient
la possibilité de constiluer un Etal supra-national, où
s'atténueraient les antagonismes nationaux, aux so-
cialisles, majoritaires qui tiennent l'Europe centrale
pour un acheniiiienient vers l'inlernalinnalisme. »
Mais elle est combattue par les particularisles prus-
siens, qui craignent de voir, dans une trop grande
Allemagne, les caractères spécifiquement prussiens
de l'empire s'atténuer; par les Hongrois, qui, avant
la guerre, aspiraient à isoler économiquement les
Mionarch iescisleithane et Iransleilliane : par les soria-
lisles minorilaires. hostiles de parti pris à celle ma-
nifeslalion du capitalisme; enfin, par un grand nom-
bre d'hommes d'affaires anlrichicns, efl'ravés de celle
alliance redoutable où l'.Mlemagne, tihAaire d'une
part léonine, absorbera l'industrie de ses alliés.
SIO
Les événemenls récents sembleraient montrer
que, d'une part, la Hongrie n'est pas si di libérément
lioslile à un rapprocliemriit avec l'Allemagne; que,
d'autre part, les forces de résistance, en Antriclie
même, sont plus grandes peut-être que ne pensent
A. Liclitenbcrger et P. Petit, pour qui, en Alle-
magne comme en Autriche-Hongrie, l'Europe cen-
trale appai'ait comme le but de guerre esseiiliel.
Uésislances possibles de l'Autriche mises h part,
ce but de guerre est réalisable, quelle que soit
l'issue de la lutte (à condition encore que n'y met-
tent pas obstacle les clauses d'un futur traité), et
l'on peut croire que l'Allemagne, qui y trouverait
les plus grands avantages, l'era tout son possible
pour l'atteindre. De quelle façon? Pour une union
économique des deux Empires centraux, plusieurs
modalités peuventêtre envisagées : 1" Vunion doua-
nière complète, zoUverein austro -hongrois-alle-
mand (desavantageuse pour l'industrie autrichienne,
elle n'est soutenue que par une minorité); 2<>Vunion
douanière par/telle : « l'Europe centrale forme, au
point de vue douanier, un domaine protégé par un
tarif unique )>;des lignes de douane intérieures sont
maintenues, la protection assurée à certains arti-
cles; mais on achélera en commun les produits ali-
mentaires, et les principales industries des deux
pays seraient réunies en d'immenses cartels; 3° des
tarifs préférentiels accordant un traitement de fa-
veur aux produits originaires de l'un et l'autre pays.
Ce serait une simple extension de la clause com-
mune dans les traités de connnerce de la » nation
la plus lavorisée ». Mais l'Autriche et l'Allemagne
l'interpréteraient plus lihéralementpourleur voisine
que pour les étrangers. Cette solution aurait l'avan-
tage d'éviter l'isolemeutécononiiqueqiie — « même
à deux, même à quatre avec la Bulgarie et la Tur-
quie, l'Allemagne redoute par-dessus tout », en
enlevant aux ennemis des Empires centraux tout
fuétexlede représailles. Elle se continuerait, d'ail-
eurs, fort bien avec la précédente. Des accords
privés iulerviendraleut enire industriels allemands
et austro-hongrois pour l'achat des matières pre-
mii'res et la vente des produits fahri(iuéis. Ainsi, à
la raison sociale Allemagne, dont chaque commer-
çant allemand se considère déjà comme un « chef
(1 de rayon », serait substituée la firme plus va«te :
Allenwfine-.Uilriche-llonr/rie. Contre cette union
é<'onomi(|ue habilement voilée, il est clair que les
Alliés, même complètement vainqueurs, seraient
désarmés.
Comment pourront-ils parer et riposter? Si l'on
consiilère chacun d'eux en particulier, sa position
est assez précaire en face d'une Austro-Allemagne
économiquement unifiée.
La France, qui vend à l'Allemagne des objets de
luxe (imités aujourd'hui à 'Vienne et à Munich) et
3ui lui achète pour près de 200 millions de fer et
e machinea, pour près de 164 millions de charbon,
pour des dizaines de millions d'instruments de pré-
cision, d'horlogerie, de jouets, de produits chi-
miques et pharmaceutiques, que ses usines sont pour
l'instant hors d'état de fabrinuer, se trouverait par-
ticulièrement défavorisée. Il en serait de même,
disent les Allemands, de l'Angleterre, qui, pour son
industrie de « finissage •>, a besoin des produits
demi-ouvrés, que l'Allemagne fourniten grande quan-
tité. Et, quani àl'llalie, l'Autriche et l'Allemagne lui
prennent pour un quart de son exportation.
o Tout change, si l'on considère non plus des
Etals isolés, mais l'Entente, surtout une Entente
comprenant les Etats-Unis ». Si les Alliés conti-
nuaient contre l'Allemagne la guerre commerciale,
ils pourraient rationner leurs ennemis en matières
premières et en produits alimentaljes, gêner leur
ravitaillement, tarir leur industrie. La seule recons-
titution des stocks nécessaires à l'industrie consti-
tuera après la guerre, pour l'Allemagne financière-
ment très affaiblie, le plus grave des problèmes.
Seule, la victoire complète — qui lui échappe —
pourrait lui permettre de traverser les années
douloureuses de l'après-guerre. Comme sa puissance
militaire, comme son prestige moral, la puissance
économique de l'Allemagne serait gravement at-
teinte par la délaite, par le maintien même du
stalu quo.
Par quelles conclusions A. Lichlenberger et
P. Petit terminent-ils cet excellent livre, la mise au
point la meilleure et la plus complète des questions
multiples que soulève le mot ; Milleleuroiia? Tout
d'abord, que l'.Mlemagne doit chercher à remporter,
particulièrement à l'Ouest, une victoirequi lui assure
la « paix du fer » et qu'elle ne renoncera que tota-
lement vaincue à ses projets annexionnistes. Mais,
même une victoire militaire complète, même l'élé-
vation d'une barrière douanière & notre frontière
de l'Est ne sauraient nous mettre à l'abri de la
concurrence allemande. Tant que l'organisation
industrielle de l'Allemagne sera supérieure à la
nôtre — et elle l'est sur l)ien des points — les pro-
duits français auront à redouler la concurrence
ouverte, ou dissimulée, des produits allemands.
Empruntons à nos ennemis leurs mélhodes :
division du travail, concentration, esprit novateur,
en les adaptant k notre caractère national. A cette
Lucien Lévy-Bruhl.
LAROUSSt; MENSUEL
seule condition, la France profitera de sa victoire
et pourra réparer, par une splendide renaissance,
les maux d'une guerre dévastatrice. — Léon abessour.
isopôle (du gr. isos, égal, et de pôle) adj. et
n. m. ^c. nat. Se dit des fornu^s dont les pôles sont
semblables (spliéroides, lentilles biconvexes, ellip-
so'idesjctc): La si aura. rouie (v.p.SKi) isopoi.e .se re-
iroui'e vkez beaucoup de dialomres et de desmidiées.
Anton. : Allopôle, CV. p. 492.)
♦Xjévy-Brulil (Lucien), philosophe français,
né à Paris le 10 avril lSo7. Après avoir fait ses
études au lycée Cliarlemagne, il entra à l'Ecole
normale supérieure, en 187B, le second d'une pro-
motion qui comprenait Salomon Heinach {i"),
Lauson.Maicel Dubois, Marcou, Albert (;ahen,etc.
Il fut reçu premier agrégé de philosophie, en 1879,
et nommé aussitôt au lycée de Poitiers, qu'il aban-
donna, vers la lin de IBsl, pour celui d'Amiens. 11
soutint ses thèses de doclorat es lettres en 1884 et
fut appelé, l'année suivante, à remplacer Burdeau
dans l'une des chaires de philosopliie du lycée
Louis-le-Grand (Paris). Il fut, en même temps, pro-
fesseur à l'Ecole libre des sciences politiques, où il
étudia l'histoire des idées dans 1 Allemagne mo-
derne. 11 devint, en 18fl5, maitre de conférences
suppléant à l'Ecole normale supérieure et passa de
là en Sorhonne, également connue maître de confé-
rences (20 janvier 1899). 11 eut, quelques mois plus
tard, la direction
des conférences
de philosophie.
Le30juilletl902,
il l'ut chargé d'un
cours d'histoire
(le la philosophie
moderne : il
suppléait Emile
iioutroux, qui ve-
nait de prendre
la direction de la
rondaliouTliiers.
Illutnommépro-
fesseur adjoin t
assimilé aux titu-
laires, le 27 dé-
cemlire 1904. En-
lin, après la re-
traite de Bou-
troux, il fut titu-
larisé dans la chaire d'histoire de la philosophie
moderne, le V^ janvier 190S. L'Académie des
sciences morales et politiques l'a élu memlu'e ordi-
naire de la section de philosophie, le 22 décembre 1917,
en remplacement de Victor Dell)os. (V. p. 492.)
Sa thèse latine est un exposé de la doctrine reli-
gieuse de Sénèque : Quid de Deo Seiieca sensevit
(1S8'i). La thèse française [l'Idée de responsabilité)
est d'inspiration kantienne. L'auleur soumet à une
critique destructive les éléments de la responsabi-
lité : sanction, mérite et liberté. Puis il restaure la
notion qu'il semble avoir ruinée, en invoquant les
postulais de la raison pratique. La responsabilité,
ainsi reconstiluée sur la foi de l'impératif catégo-
rique, n'a qu'une valeur symboli(|ue. 11 convient de
noter la distinction établie par Lévy-Bruhl entre
l'homme empirique, tel que nous le connaissons en
nous et hors de nous, et l'homme moral, tel que
nous le sentons parfois au plus profond de nous-
mêmes. Le premier donne prise à la science; l'autre
apparlient plutôt au domaine de la croyance. En
dépit de ses allures kantiennes, Lévy-Brulil semble
déjà s'acheminer vers une morale scientifique,
expression des lois sociales. Selon lui, la justice
humaine doit rester étrangère aux spéculations mo-
rales. Sa tâche est de défendre la société, et le droit
de punir n'a pas plus besoin d'êlre légitimé que le
droit de vivre. — K'A llemar/iie depuis Leibniz: Essai
sur le développement de la conscience natiotiale
en Allemar/ne (1^90) est un li'avail historique de
grande valeur. et singulièrement artuel aujourd'hui.
La période étudiée par l'auteur va de 1700 à 18i8.
Il y distingue li-ois étapes : Pendant le xvni" siècle,
l'idée d'unité nationale tend à s'elTacer. Mais les
littérateiM's et philosophes allemands lullent contre
l'inlluence étrangère et dégagent les éléments ori-
ginaux de l'esprit national. Ils relèvent ainsi ce
qu'avait laissé lon]ber l'indifTérence polilique. Du-
rant les quinze premières années du xix° siècle, le
Saint-Empire a disparu, l'Allemagne a été envahie,
la Prusse vaincue. Alors, « le sentiment national
prend corps et se condense dans l'idée de la patrie
allemande ». Enfin, après 181!), on se persuade que,
pour devenir vraiment la patrie conmjime,
r.\llomapno devra être non seulement, iino nation, mais
un l'jtat puissant, redoutable et redouté, capable <to ]tro-
téger efhcacement ses intérêts ot de revendiquer en
Europe le rang qui lui est dfi. Ainsi se prép.nro la substi-
tution d'un onipiro allemand jn-otestant au Saint-Kiupire
rotnain germaiii(pie, disparu dans les premières années de
ce siècle. Kn ce sens, c'est bien une .\Ilomagne nouvelle.
La Philosophie de Jacobi (1894) explique com-
ment le philosophe allemand Jacobi (1743-1819) a
N' 137. Juillet 1918.
essayé d'établir l'impuissance métaphysique de la
raison et de « saisir la vérité absolue dans les don-
nées immédiates du cœtu' ». (;ette élude pénétrante
est précédée d'une importante préface oii Lévy-
Bruhl fait la critique des philosophies du senti-
ment. — La Philo.Hophie d'Anyuste Comte (1900)
est aussi l'œuvre d'un historien' profond. Celte in-
terprétation du « comtisme » a rélégué dans l'ombre
toutes les précédentes. Lévy-Bruhl compare l'ccuvre
de Comte, pour son originalité et sa fécondité, à
celle de Descartes, h salue en lui le créatetir de la
science sociale, le penseur hardi qui a « transformé
la science en philosophie », et il reconnaît en Dur-
kheim un « véritable héritier d'Auguste Comte ». —
Dans la Morale et la Science des mœurs (1903), il
a subi l'inlluence de Durkheim : l'auteur le déclare
expressément. On peut supposer atissi qu'un com-
merce prolongé avec la pensée d'Auguste Comte a
pu inspirer ou fortifier sa concepti(m nouvelle de
la morale. 11 est même possible d'en découvrir le
germe dans sa thèse de doclorat. Les idées essen-
tielles sont les suivantes : H n'y a pas, et il ne peut
pas y avoir, de morale théorique. Les diverses mo-
rales théoriqties ne sont que les systématisations,
plus ou moins heureuses, des pratiques morales
existantes. La recherche scientifique consiste, non
à « fonder » la morale, mais à analyser la réa-
lité morale donnée (v. Larousse Mensuel, t. Il,
p. 33:i). — Le dernier livre de Lévy-Bruhl, les
Fondions mentales dans les sociétés inférieures
(1909), est une application de cette métliode de
morale scienlilique. Il fait partie des « Travaux
de l'Année sociologique ». (V. Larousse Mensuel,
t. II, p. 299.)
Lévy-Bruhl a publié des Lettres inédites de John
Stuart Miil à Auguste Comte (1889), avec les ré-
ponses de Comte et une introduction, et le Traité
de l'enchaînement des idées fondamenlales dans
les sciences et daris l'histoire, d' A. Couruo\.{\9li). —
Citons aussi : la Théorie de l'Etat dans Hegel (1889);
Quelques mois sur la querelle de Hume et de Rous-
seau (1912); Quelques jiagessur Jean Jaurès (1916);
ta Conflagration européenne. Ses causes écono-
miques et politiques (1915 : article de la revue
Il Scienlia »). — Il a collaboré à la n Revtie des
Deux Mondes », à la o Revue de métaphysique et
de morale » et h la « Revue philosopliique », dont il
est devenu le directeur depuis la mort de Théodule
liihot (décembre 1911)). Parmi les articles qu'il a
dontiés à celte revtie, il faut mentionner: le Mou-
vement contemjiorain dans la philosophie fran-
çaise (1899); Histoire de la philosophie moderne
en France (l902); la Morale et la Scienre des
ntœurs. Itéponse à quelques critiques (1906); Pré-
face à David i/î(me(1912), etc. Enfin, il acollaboré
à l'ouvrage intitulé : De la méthode dans les scien-
ces (1908).
Dans ses leçons des lycées, comme dans ses cours
de Sorbouiie, dans ses travaux d'histoire de la phi-
losophie et de morale sociologique, Lévy-Bruhl a
toujours fait pretive d'tine parfaite objectivité quand
il analysait les doctrines les plus dill'érentes de ses
propres conceptions. Il manie une langue précise,
souple, Itiminetise et élégante, qui met à l'aise le
lecteur. — Max Salbris.
Lixiaerie, tableau de Joseph Bail, exposé en
1918 à la Société des artistes français (v. p. 506),
L'auleur de ce tableau ne cherche pas à surprendre
par des effels nouveaux : il s'en tient à une manière
très traditionnelle et, cependant, il est ai.sémeul rc-
connaissable. Volontiers, il prend pour modèles des
religieuses, et il installe fréquemment son chevalet
à l'hospice de Beatme. L'artiste est très soucieux de
l'atmosphère et des effets lumineux. Il est remar-
quable qtie, doué d'tine main très experte, ayant dès
ses débuts donné des preuves d'une grande virtuo-
sité, Joseph Bail ait su résister à la tentalion d'être
seulement un virtuose. Au contraire, d'année en
année, il a recherché les qtialités profondes d'un vé-
ritable peintre; d'oeuvre en œuvre, il se montre plus
sensible atix valeurs. Cette fois, rien ne fait tache
dans l'ensemble; toute chose est à sa place : les
fleurs à contre-jour, la gravure contre le mur, le
Cliri.st au-dessus de la porte. Bien entendu, il y a
une porte ouverte. Là encore, le sentiment exact
des valeurs s'affirme. On admire, enfin, que l'artiste
ne se soit pas laissé entamer par les modes de son
temps. H est resté franchctnetit le continuateur de
quelques maîtres d'autrefois, heureuscmentchoisis;
son dessin s'est fait de plus en pitis simple, son exé-
culion de plus en plus belle, mais avec discrétion.
Peut-être, est-il moins heureux «omme coloriste. 11
ne définit pas toujours avec une foice suffisante les
tons lumineux, moins encore les tous sombres. En
un mot, son effet est obtenu plus par des oppositions
devaletirs qtie par des oppositions de couleurs. Potir
tout dire, ses blancs sont parfois un peu trop blancs;
ses ombres sont trop celles d'tin tableau vieilli. Le
principe colorant de totit cela pourrait être mieux
accusé. Qlnoi qu'il eu soit, l'œuvre de Bail retiendra
les amateurs indépendants d.s engouements con-
temporains, et la probité de l'artiste mérite d'être
hautement louée. — Tr. LEci.fcRE.
«• 137. Juillet 1918.
Silaigres (Hèoimk des). 11 ne faut pas con-
fondre la maigreur avec l'ainaifrissemcul. Delui-ci
est souvent, presque toujours, passager, mais il
peut aboutir aussi, suivant la nature des causes
qui interviennent, & la niaigrenr, qui répond à un
état permanent. L'amaigrissement, par conséquent,
est secondaire; il est I ellet d'un grand nombre de
maladies, parmi lesquelles il convient de citer le
surmenage et la misère physiologique, les grossesses
répétées, les troubles dyspeptiques et intestinaux —
beaucoup plus souvent en cause qu'on ne le croit
— l'entérite muco-menibraneuse, l'appendicite
chronique, les états nerveux, les préoccupations mo-
rales, les idées fixes, l'hystérie, l'aliénation mentale,
le diabète, la lithiase, les alTections hépatiques, etc.
et, enlin, toute la série des affections aiguës et chro-
niques, depuis la fièvre typhoïde jusqu'à la tubercu-
lose, en passant par le cancer. Dans la plupart des
alfeclioiis aiguës, l'amaigiissement est pari ois con-
sidérable, mais de courle durée, et, aussitôt que la
guérison est acquise, l'embonpoint revient à son de-
gré antérieur et même au delà. Dans les maladies
chroniques, souvent, il n'en est pas ainsi : l'amai-
grissement s'étatilit progressivement d'une manière
permanente, avec des variations de poiils parfois
notables cependant, et les sujets deviennent des
maigres. Mais celte maigreur acquise est la consé-
quence de la maladie causale et, par conséquent,
c'est le traitement de cette cause qui importe avant
tout pour taire disparaître l'amaigrissemeut. Le ré-
gime alimentaire lui-même, variable suivant les
cas, n'intervient que d'une manière indirecte sur le
rétablis-icment du poius, ou, en d autres termes, est
dépourvu d'aclion curative réelle et agit principale-
ment pour réparer les pertes tissulaires imputables
à la maladie. C'est pourquoi nous n'avons rien à dire,
ici, de la diététique nécessaire à chaque cas.
11 faut, cependant, mentionner encore certains
amaigrissements continus, permanents, dus surtout
à des troubles du tube digestif (estomac, intestin,
appendice, foie) et à des troubles nerveux (neuras-
thénie et psychaslhénie, névrose d'angoisse et hypo-
condrie, anorexie nerveuse), parce que ces amai-
grissemenls attirent beaucoup plus que les autres
iattenliondu patient etde sou entourage, les troubles
morbides divers, qui sont à leur origine, perdant
une partie de leur importance par le fait même de
leur chronicité. Un typbique ne s'étonne pas de sou
grand amaigrissement; il n'en est pas de mèmed'un
dyspeptique, qui ne souffre pas encore notablement
de son estomac. En une telle occurrence, ce sont,
comme on peut le prévoir, les femmes qui se préoc-
cupent surtout de la diminution de rondeur de leurs
formes et qui viennent, en conséquence, consulter
le médecin pour qu'il les fasse engraisser. Mais, ici
encore, le régime alimeulaire reste en grande partie
subordonné à la maladie en cause, et c'est pourquoi,
en ce qui le concerne, nous croyons devoir renvoyer
aux articles spéciaux qui traitent de ces maladies.
Ayant ainsi éliminé les amaigrissements et les
maigreurs secondaires, nous arrivons enfin à la mai-
greur vraie, qui est constitutionnelle et héréditaire;
elle s'observe, dans certaines familles, de père en
fils, peut aussi apparaître spontanément dans une
fauiifle normale, et sa caraeléristique est, malheu-
reusement, son extraordinaire ténacité : d'où l'inté-
rêt qu'il y a à connaître le résultat pratique des di-
vers régimes appliqués à cet état.
La maigreur constitutionnelle, qui fait le déses-
poir de tant de personnes, de femmes surtout, n'ap-
fiaraîtpas chez le nouveau-né, mais seulement après
e sevrage. A ce moment d'ordinaire, les parents
s'en préoccupent et coiisullent un médecin, qui
constate que les organes demeurent sains. On laisse
donc les choses en l'état jusqu'au moment de la for-
mation chez les jeunes fille ; à c<'lte période, la mai-
greur étant fort disgracieuse, on s'efforce de nouveau
d'y remédier, par les moyens les plus variés et sou-
vent les plus étranges: herbes merveilleuses autant
qu'inconnues, formules bizarres, etc., sans parler
des injections de paraffine dans les creux sous-cla-
viculaires, procédé qui peut ne pas être sans danger,
surtout quand il s'agit de restauration de la gorge.
Naturellement, ces remèdes échouent ou ne fournis-
sent qu'une amélioration très passagère et, parfois,
déplaisante.
C'est qu'en effet, contre cette maigreur, qu'Albert
Mathieu désignait sous le nom de « maigreur par
assimilation insuffisante primitive >i,nous sommes en
réalité assez mal armés, parce que nous ne connais-
sons pas suin^amment le mécanisme de cet élat spé-
cial, fiertains remèdes, comme les arsenicaux(liqueur
de Fowler, arséniate de soude, cacoilylates),^ont été
préconisés maintes fois, sans conduire à des résul-
tats bien constants. Le repo<, l'hydrolhérapie froide
(laquelle est loin d'être toujours bien supportée)
apportent quelquefois une amélioration passagère,
mais peuvent compliquer sérieusement l'existence
de certains maigres, obligés de gagner leur vie. La
psychothérapie n'a guère plus de succès, sauf, peut-
être, chez les jeunes filles et les jeunes femmes, dont
la disgrâce physique aboutit parfois à la constitulion
d'une idée (ixe. La cause essentielle de la maiirreur
constitutionnelle et héréditaire étant un trouble de
LAROUSSE MENSUEL
la nutrition générale, c'est donc au régime avant
tout qu il faut emprunter les éléments essentiels de
la cure.
Une remarque s'impose tout d'abord. Ce qui ca-
raclérise celte maigreur, c'est moins encore l'absence
à peu près complète de réserves adipeuses que la
diminution des masses musculaires normales. S'il
convientdonc de restituer, dans une certainemesure,
le tissu adipeux, il laut aussi favoriser la fixation
d'albumine dans ses tissus, et l'on n'y peut arriver
que par la mise en jeu méthodique, régulière, mais
non exagérée, du fonctionnement, c'est-à-dire d'un
certain exercice général, déterminé dans chaque cas
et qui ne doit jamais atteindre la faligue, ce qui irait
tout à fait contre le but qu'on se propose.
Le massage léger, une niaiche lente conviennent
à beaucoup de maigres, qui prennent du poids à la
suite, après être restés stationnaires par la cure de
repos. Or, les régimes de reconstitution et d'en-
graissement prescrits le plus souvent visent surtout,
par leur composition même, à faire de la graisse,
d'autant que souvent on conseille en même temps
la slabulalion, qui réduit au minimum les possibi-
lités d'assimilation fonctionnelle et, par conséquent,
d'augmentation de la masse vivante. Les échecs de
cette méthode, si fréquents, semblent provenir en
partie de ce fait que les maigres constitulioimels brû-
lent intensément les aliments gras et hydrocarbonés
et même l'alcool et ne tirent pas bénéfice de la ri-
chesse de leur ration en aliments de cette sorte. Il
en résulte que, pour ces malades, l'alimentation qui
convient le mieux est un régime mixie, avec une lé-
gère augmentation de l'albumine (1 gr. 50 à 2 gr. par
liilogr. du poids, suivant le travail accompli) et une
proportion notable de substances capables, comme
la gélatine, d'en épargner la destruction et d'en fa-
voriser ainsi la fixation. La graisse et les hydrates
de carbone seront en proportions normales, et tous
les aliments resteront permis, même l'alcool, sous
forme de vin principalement, mais on sera prudent
et parcimonieux en ce qui regarde le café et le thé.
Bien enlcLidu, ce régime et les mesures d'hygiène
qui s'y associent : massage, marche, hydrothérapie
(l'alitement ne pourra être avantageusement con-
seillé que dans des cas exceptionnels), devront être
surveillés de très près, afin qu'il y ait tolérance par-
faite de tous les organes et, surtout, de l'appareil
digestif, du l'oie et des reins. Bon nombre de vrais
maigres ont été très sensiblement améliorés par cette
méthode, dont l'efi'et est lent, mais qui permet,
presque à coup siir, de gagner quelques centaines
de grammes chaque mois.
Notons, cependant, que certains maigres sont vo-
races, d'autres anorectiques; pour ces deux caté-
gories, le régime ne saurait avoir la même ampleur;
il doit être théoriquement plus abondant pour les
premiers que pour les seconds. Dans la pratique,
pourtant, on se trouve quelquefois bien de restrein-
dre la ration des boulimiques, parce qu'en atté-
nuant ainsi certaines insuflisances digestives, on
favorise une meilleure élaboration alimentaire et,
par suite, l'absorption et l'assimilation. On a éga-
lement avantage à multiplier les repas, sans jamais
dépasser, néanmoins, la ration alimentaire voulue;
de même, en dehors des cas de diarrhée, d'enté-
rite, etc., il ne faut pas craindre de donner un peu
de volume aux aliments (légumes verts, salades,
fruits). L'usage de mets trop concentrés, très nour-
rissants sous une faible masse, n'est pas favorable
à la motricité intestinale et entraîne fatalement la
constipation et son cortège d'inconvénients, lesquels
vont presque tous à rencontre de la cure d'engrais-
sement que l'on poursuit. — c J. LAnMomiR.
Marcère (Emile-Louis-Gustave des Hayes de),
homme politique français, né à Domfront (Orne)
le 16 mars 1828. Il est mort à Messei (Orne) le
26 avril 1918. — Ses grades conquis à la facullé
de droit de Caen, de Marcère entra dans la ma-
gistrature; il fut d'abord attaché au ministère de
la justice (I8'i8), puis nommé, en 1863, substitut à
Soissons. Après avoir occupé divers postes, il alla
siéger à Douai, en 1866, comme conseiller à la Cour.
C'était l'époque où le courant des idées libérales
commençait à se répandre dans le pays. De Marcère
fut un des premiers à les adopter, et il les exposa
dans une brochure intitulée la Politique d'un pro-
vincial, où il développait courageusement les doc-
trines de déceutialisalion et de liberté les plus
opposées à l'Kinpire.
Cette publication, qui avait attiré sur lui l'atten-
tion des adversaires du régime, lui valut d'être
envoyé, en 1871, à l'Assemblée nationale par le
département du Nord. Porté d'abord sur la liste
républicaine, puis frappé d'ostracisme par quelques
exaltés qui le trouvaient Irop modéré, il avait élé
inscrit sur la liste conservatrice, qui obtint finale-
ment la majorité. Il arrivait donc à l'Assemblée
nationale, déterminé à soutenir une politique de
réformes nécessaires, mais sans abandonner les
traditions nationales ni rompre entièrement avec le
passé. C'est sur cette double base qu'il constitua le
groupe dit du <■ centre gauche», dont il de vin lie vice-
président. Le groupement des partis à l'Assemblée
E.-L,.-a. do Marcère.
511
était assez confus et, àlexceptlondesparlisextrêmes,
monarchistes et radicaux, qui seuls avaient un pio-
gramme bien défini, mais sans autorité pour l'im-
poser, l'orientation de l'ensemble était assez mal
définie. Après la trag que issue de l'aventure impé-
riale, tous sentaient le besoin d'instituer un régime
nouveau; mais, sans parler de ceux qui souhaitaient
un retour aux formes du passé, beaucoup, parmi les
autres, gardaient de l'expérience de 1848 une cer-
taine méfiance à l'égard de ia République. Les
hommes du centre gauche, quedirigcaildeMarcère,
triomphèrent le» premiers de ces hésitations. Us
avaient, sur leurs collègues, cet avantage de se
trouver en conformité d'idées avec l'homme qui pré-
sidait alors aux (destinées du pays; fidèles partisans
de Thiers, ils opposaient donc aux doctrines elaux
spéculations des autres partis une politique de réa-
lisation. Ils furent ainsi amenés à l'idée de la
République nécessaire et s'appliquèrent à l'imposer.
Aussi, de Marcère, après la chute de Thiers, pour-
suivit-il sa politique : il combattit les tendances
monarchistes du
gouvernement
du 24-.Mai, parti-
culièrement à
l'occasion d'un
beau discours
qu'il prononça
sur les libertés
municipales, oùil
reprenait, contre
leducdeBroglie,
les idées de sa
brochuredel866.
Mis ainsi en ve-
dette, il fut natu-
rellement appelé
à la commission
des 30, chargés
d'élaborer les
lois constitution-
nelles de 1875, et
il a lui-même conté comment son parti, grâce à une
obstination résolue, en reprenant le lendemain les
amendements repoussés la veille, parvint à enlever
le vote de ces lois qui établissaient définitivement
la troisième République.
Elu député du Nord pour la 2« circonscription
d'Avesnes, de Marcère entra bientôt dans les conseils
du gouvernement. Lorsque Dufaure prit le pouvoir,
le 9 mars 1876, il fut choisi comme collaborateur de
Ricard, à l'intérieur, avec le til;'e de sous-secrO-
taire d'Etat,
Peu après, la mort de Ricard lui faisait attribuer
le portefeuille de l'intérieur (15 mai 1886). Ministre,
il pratiqua, sans excès, mais sans fainlesse, une
administration toute républicaine, apportant dans
le personnel départemental et municipal les modi-
fications nécessaires, parfois même à l'enconlre
des préférences du maréchal-président. Celle alti-
tude lui valut, de la part des monarchistes, de nom-
breuses attaques. Remplacé, en décembre 1876, par
Jules Simon, qui, avec la présidence du conseil,
avait assumé le portefeuille de l'intérieur, de Mar-
cère demeura auprès du nouveau ministre, en qua-
lité de sous-secrétaire d'Etat.
Après le coup d'Etat du 16 mai 1877, de Marcère
refusa de souscrire à la politique réactionnaire de
Mac-Mahon et du duc de Broglie; il fit partie du
groupe des 363, devint directeur du comité des
gauches, et fut réélu, le 14 octobre, dans sa circons-
cription. Dufaure ayant repris le pouvoir, de Mar-
cère fut de nouveau appelé dans le cabinet comme
ministre de l'intérieur (13 déc. 1877-mars 1879)
et il garda quelque temps encore les mêmes fonc-
tions dans le cabinet Waddington, qui succéda à
Dufaure ; mais il dut s'en démettre, à la suite d'une
violente attaque de Clemenceau. Réélu député en
1881, de Marcère fut choisi (I882)comme rapporteur
de l'importante loi municipale de 1884, qu'il avait
déjà préparée dans son passage au ministère. Il ne
put, cependant, en soutenir le vote devant la Cham-
bre : en 1883, en effet, le Sénat l'avait désigné pour
remplacer, comme sénateur inamovible, Gaulthier
de Rumilly.
Le passage de de Marcère au Luxembourg mil
fin an rdle de premier plan auquel les circonstances
l'avaient porté précédemment. Il n'en continua pas
moins à défendre ses idées, à la fois républicaines
et traditionalistes. Président du centre gauche, il
avait fait sienne la fameuse formule exprimée par
'l'hiers dans un de ses messages à l'Assemblée
nationale : « La République sera conservatrice, ou
elle ne sera pas. « En dépit du temps et de la mar-
che des idées, de Marcère demeura toujours fidèle
à cet idéal. L'idée républicaine et la forme conser-
vatrice restaient pour lui insrparables, rlil ne cessa
de dépenser son activité politique à combattre tout
ce qui lui semblait menacer l'une ou l'autre. Sin-
cère républicain, il lutta avec énergie contre le
boulangisme et participa, somme membre de la
commission sénatoriale d'instruction, à la mise en
accusation du général devant la Haute Cour. Kidèle
traditionaliste, il donna un des premiers son
adhésion à la Ligue de la Paliie française, dont il de-
vint président en llios. Catholique convaincu, enfin,
il prit part, avec une ardcur(iue la vieillessenavait
point affaililie, à toutes les discussions soulevées par
les questions religieuses, notamment à propos de
l'enseignement cougréganiste (juinlDO'i) etde laloi
de séparation (novemhreiuoô). Cefurent à peu près
les dernières manileslalions de son aciivité parle-
mentaire. Bien qu'il ne cessât de paraître au Luxem-
bourg, dont il suivait les séances avec une louable
assiduité, il demeurait en deliors des luttes politi-
ques, que lui interdisait, d'ailleurs, son grand âge.
Cette demi-retraite, cependant, ne fut pointoisive.
Il l'occupa à réunir ses souvenirs et publia succes-
sivement une Histoire de l'Assemblée nationale,
en 2 volumes (1904-1907) et une Histoire de la Ké-
publique de 1ST6 à 1879, en 2 volumes également
(1908). Dans ces ouvrages, de Rlarcère se révèle
comme nn hislorien averti, scrupuleux et adroit.
Son récit, exempt de toute passion, mais animé,
néanmoins, par la force des convictions, se déroule
agréablement, nourri défaits précis, émaillé d'anec-
dotes, enrichi de réflexions judicieuses. Nulle in-
LAROUSSE MENSUEL
de Corbeil. Derrière un premier plan boisé, où s'en-
lèvent des arbres aux ranmres un pou dégarnies déjà,
s'étend lo miroir d'une eau tranquille que limitent
des masses de verdure à demi voilées de brumes.
Le soleil, déjà haut, occupe le fond du tableau,
noyant le ciel dans un rayonnement d'or pâle et
ourlant les contours des arbres d une lumière fri-
sante, qui pose sur l'écorce sombre de clairs reflets.
Une biume d'un mauve bleuté s'élève sur l'eau et
enveloppe les niasses du fond, dont l'imprécision
contraste avec le dessin, très poussé, des groupes
d'arbies du premier plan. Répudiant les conventions
faciles, qui veulent que les paysages d'automne
soient uniformément roux, l'artiste a traité son
tableau dans des tonalités vertes, qui s'harmonisent
heureusement avec le mauve des brumes et l'or pâle
du oiel, pour former un ensemble très lumineux et
d'une grande sérénité d'impiession. — F. Guirand.
Meute au repos, tableau de .T. -H. Géliberl.
exposé au Salon de la Société des artistes français
au Petit-Palais de la Ville de Paris, en mai 1918.
L'artiste récemment disparu (v. t. III, p. 779), au-
Mcute au repos, tableau de J.-li. LjeliljLrt. ^auciélu dra ai L.aLes Hantais.) — Phot. \l.;zavona.
tenlion d'apologie personnelle ne vient le fausser,
ouïe ralentir. Souvent, d'ailleurs, le politique s'ef-
face devant l'artiste, soit pour peindre un tableau
d'ensemble, par exemple l'aspect de l'Assemblée
nationale ii Bordeaux, soit pour fixer au passage
une figure : lels portraits de 'i'biers, de Grévy, de
Dufaure, sont de la bonne facture et témoignent
d'ime vive acuité d'analyse, en même lemps que
d"[me grande délicatesse de touche. Des qualités
analogues se retrouvent dans ses autres ouviages,
entre lesquels il convientde citer la llépiihlique et
les Conservateurs (\i~\), le Carilinaldelioîiiiechnse
et la Sociélé contemporaine (inal), la Constitution
lie /ir5 (1888), lintrelieiis et Soiirenirs polilirjues
(1894); et il ne faut pas omettre, non plus, ses arti-
cles du « Soir », dont il fut longlemps le directeur.
De Marcore s'intitulait Ini-inènie un « représen-
tant de l'ancienne France catholique, libérale, fidèle
aux traditions du passé ». C'est vraiseinl}lablement
sous cet aspect que l'histoire fixera ses traits. Qu'il
ait pu un jour l'aire figure de répnl)licain avancé
n'est pas sans causer aujourd'hui quelque surprise.
H eu l'ut ainsi, cependant; mais, par sa longue car-
rière, de Marcère, plus que tout autre, s'est trouvé
somuis à cette loi presque fatale, qui veut qu'en
politique quiconque s'arrête soit bien tôt dépassé. Du
moins, cette longue carrière lui a valu de demeurer
le dernier des sénateurs inamovibles; avec sa per-
sonne, c'est une institution qui s'éteint. — F. OumiNii
Matinée d'automne, tableau d'Albert-Ga-
briel Higo ot, exposéen 1918 à la Société des artistes
français. (V. p. 504.) — Elève de Pelouze, Higolot a
gardé de son maître le souci du dessin correct, du
paysage solidement établi et consciencieusement
Irai té. Il y ajoute des qualités très personnellesd'iuter-
prélalion et une grande délicatesse de coloris. Ces
caractères s'attestent dans la toile qu'il expose au Pelil-
Palais. Sous le titre de Matinée d'automne, l'artiste
nous présente un coin des marais d'Essonnes, près
leur de cette toile, n'eut jamais de grandes préten-
tions; il sut reconnaîtra les limites de sou talent et
se cantonna dans l'étude des animaux, qu'il traitait
avec beaucoup d'adresse. Ici, les chiens courants,
chiens blancs tachés de feu et parfois de noir, sont
groupés autour du poteau ofi pendent d'un côté le
sanglier abattu la veille et, de l'autre, une veste bleue
de piquenr. Jules Gélibert connaissait bien ses mo-
dèles; il en traduisait avec aisance les mouvements,
les gestes, voire les expressions — Tr. Lecleue.
Mosny (Ernest), médecin français, né le
4 janvier 1861 à La Fère (.Msne), décédé à Paris
le 25 avril 1918. Il fut successivement interne des
hôpitaux (1886),
moniteur de pa-
thologie expéri-
mentale à la Fa-
culté de Paris
(1889), docteur
en médecine
(1891), auditeur
au conseil d'hy-
giène, dont il
devait être mem-
bre titulaire un
peu plus tai'il ,
médecin des hô-
pitaux (1897). Il
fut élu membre
de l'Académie
de médecine
dans la sec-
tion d'hygiène,
en 1909. 11 était vice-président de la Société de
médecine publique et de génie sanitaire.
Elève de Bronardel, le D' Mosny se consacra tout
particulièrement aux grandes questions d'hygiène
etd'épidémiologie, ce qui ne l'empêcha point d'être
un praticien de très haute valeur et de marquer son
D' Ernest Mosny.
N' 137. Juillet 1918.
passage dans plusieurs chapitres de clinique et
d'anatomie pathologique. A de nombreuses reprises,
il fut envoyé en mission, en province et à l'étran-
ger, pour é'iudier l'étiologie et la marche des épi-
démies, notamment du choléra et de la fièvre
typho'ide. On lui est redevable de notions précises
pour la Inlle contre ces fléaux. Parmi les questions
d'hygiène publique ou privée qu'il a particulièrement
étudiées, il faut citer la tuberculose, l'hygiène du tra-
vail, le saturnisme, l'hygiène scolaire 11 a consigné
le résultat de ses recherches dans un nombre consi-
dérable de méiiioiies et d'articles publiés par diffé-
renles revues, parmi lesquelles il convient de citer
les « Annales d'hygiène publique et de médecine
légale » et les <■ Archives de médecine expérimen-
tale ». Il collabora à plusieurs traites de médecine et
dirigea le « Traité d'hygiène », qui est l'ouvrage li;
plus notable que nous possédions sur les questions
qui lui étaient particulièrement familières.
Comme homme privé, Mosny était doué d'un
caractère très gai, très serviable et d'un abord vé-
ritablement affable. 11 fut l'un des premiers à signa-
ler à la Société de médecine publique la nécessité
d'assurer la reéducation des mutilés de guerre et
prit l'initiative des premières mesures qui comptent
dans cette voie. Il était chevalier de la Légion
d'honneur. — Dr Maurice CilLlE.
Navires-liôpitaux (i.i:s Destructions
;ik). Les destructions de nav ires-liopilanx sont
certainement au nombre des attentats les plus 2'é-
voltants que l'Allemagne ait commis au cours de la
(irande Guerre. Ces crimes, que rien n'e.\cuse et
que condamnent â la fois la conscience des hommes
et les principes du droit international, ont été
lierpétrés avec cette volonté froide et cette obsti-
nation dans la faute qui caractérisent les Allemands
et qui fout que ni les protestations indignées des
peuples ni les rappels des gouvernements au respect
di's conventions violées ne sauraient leur faire ahiin-
donner îe point de vue qu'ils ont résolu d'adopter.
Ces conventions, personne ne les ignore. Elles
sont basées sur un principe d'humanité : la vie des
blessés, des malades et des prisonniers doit être
respectée. Au surplus, puisqu'il est interdit, dans la
guerre continentale, de tirer sur un hôpital, un
convoi de blessés, une formation sanitaire, puisque
le personnel de ces formations doit être respecté,
pourquoi n'en serait-il pas de même, dans la guerre
maritime, pour les navires-hôpitaux et les bàlimenls
hospitalieis, qui no sont, à tout prendre, que des
formations sanilaires navales?
Les conventions de Genève et de La Haye. — Le
régime acluel des bâtiments hospitaliers est celui
de la convention X de La Haye du 18 octobre 1907
<■ pour l'adaptation à la guerre maritime de la
Convention de Genève ». Ce régime trouve son
origine dans la première Convention de Genève du
20 octobre 18(i8, <(ue les puissances n'ont, d'ailleurs,
jamais ratifiée, et qui neutralisait le personnel
religieux, médical et hospitalier de tout navire cap-
turé, ainsi que les navires de la Croix-Ronge avec
leur personnel, tout en laissant soumis aux lois de
la guerre les bâliments-bôpitanx des Etals belligé-
rants. La question l'ut reprise par l'Institut de droit
international, qui l'avait mise à l'étude, à sa session
de Copenhague, en 1897. Mais c'est la conférence
de la paix de 1899 qui a établi le premier statul,
officiellement reconnu par les puissances signataires,
des navires hospitaliers et de leur personnel. Une
convention en 14 articles fut signée le 29 juillet 1899.
qui proclamait l'obligalion, pour les belligérants, de
respecter les navires-hôpitaux et les bâtiments
hospitaliers, interdisant ainsi de les capturer et de
les détruire. La convention permettait, du reste, aux
navires ennemis, en vertu du droit de visite, de
laire tomber en leur pouvoir les naufragés, blessés
ou malades se trouvant à bord.
La X" convention signée à La Haye, à la seconde
conférence de la paix, n'a fait que confirmer et
améliorer l'acte de 1899.
Il faut distinguer : 1" les bâtiments-hôpitaux
militaires et les bâtiments hospitaliers. Les premiers
sont des navires coustiuits et aménagés par les
KMfi spécialement el uniquement en vue déporter
secours aux blessés, malades et naufragés et dont
les noms auront été communiqués, tout au moins
avant leur mise en usage, aux puissances belligé-
rantes. Ces bâtiments doivent être respectés et ne
peuvent être CBDturés pendant la durée des hosti-
lités (arl. 1").
Les bâtiments hospitaliers dilTèrent des premiers
en ce qu'ils sont équipés en tolalilé ou en partie
aux frais des particuliers ou des sociétés de secours
ofticiellement reconnues, des pays neutres ou belli-
gérants. Ils sont également respectés et eiempls île
ca/ilure, à la condition, toutefois, que la puissance
belligérante h laquelle ils viennent en aide leur ait
donné une commission officielle et ait notifié leurs
noms à l'ennemi, avant leur mise en usage ; à la
condition encore, s'il s'agit de bâtiments équipés
par des particuliers ou des sociétés des pays neu-
tres, que leur propre gouvernement leur ail donné
son assentiment.
n- 137. Juillet 1918.
Tel est le piivilège des bâtiments hospitaliers.
Pour en jouir, ils doivent porter secours aux bles-
sés, malades et naufragés des belligérants, sans
distinction de nationalité; — n'être utilisés pour
aucun but militaire; — ne pas gêner les mouve-
ments des combattaiits; se soumettre au droit de
contrôle et de visite des belligérants qui peuvent
refuser leur concours, leur enjoindre de s'éloigner,
leur imposer une direction déterminée et mettre
à bord un commissaire, même les détenir si la gra-
vité des circonstances l'exige.
Signes dislinclifs. — Les bâtiments-Uôpitaux
militaires se reconnaissent à leur peinture exté-
rieure blanche, avec une bande horizontale verte
d'un mètre et demi de largeur. Cette bande sera
rouge pour les bâtiments hospitaliers. Les uns et
les autres doivent
liisser, avec leur pa-
villon national, le
pavillon blanc à
croix rouge, prévu
par la convention de
Genève. Les bâti-
ments ho>pitaliers
ressortissant à un
Etat neutre arbo-
rent, en outre, au
grand mât le pavil-
lon national du bel-
ligérant sons la di-
rei'tion duquel ils
sont placés.
La nuit, pour
s'assurer le respect
auquel ils D'ut droit,
ils doivent rendre
suffisamment appa-
rentes les marques
qui les caractéri-
sent. Kn pralique,
ils sont entourés
d'une rampe lumi-
neuse, comportant
une croix rouge,
également éclairée.
Il est évident que
la protection dont
ilsbéiiéficientcesse,
s'ils en usent pour
commettre des
actes nuisibles à
l'enueini. Du reste,
ils peuvent avoir à
bord une installa-
lion radiotéléjjraphique. Leur personnel peut être
armé, pour le maintien de l'ordre et la défense des
blessés et des malades. Ce personnel, religieux,
médical ethospitalier, est inviolable; il ne peutêtre
fait prisonnier de guerre, tandis que les malades,
naufrus'és et blessés recueillis à bord peuvent être
capturés (art. \t).
Tel est, en résumé, le statut actuel des bâtiments
hospitaliers. Il ne leur confère, on le voit, aucun
droit exorbitant. Il est humain, tout simplement;
il ne contient aucune clause dont, à l'usage, le ca-
ractère excessif ou l'impraticabilité puissent être
démontrés.
Au contraire, cette convention impose aux bâti-
ments hospitaliers de sévères obligations concer-
nant, on vient de le voir, leur utilisation, leurs
signes distinctifs de jour et de nuit et leur soumis-
sion au droit de visite, à la capture des blessés,
naufragés ou malades, se trouvant à bord et aux
injonctions du belligérant qui les rencontre et peut
ou les détourner de leur route, ou même les retenir,
en cas de nécessité grave, ce qui leur doime ainsi
toutes facilités de contrôle et toute garantie.
Or, l'Allemagne a violé cette convention, signée
par elle comme par toutes les puissances belligé-
rantes; inventant des prétextes mensongers, elle a
torpillé et détruit un grand nombre de navires-
hôpitaux, et nous allons voir qu'à la suite de ces
crimes, un nouvel accord étant intervenu, grâce à
la généreuse méiliation du roi d'Espagne, pour que
les navires-hôpitaux ne soient plus attaqués, les
sous-niarins allemands ont également violé cet ac-
coid, comme s'il était impossilile à nos ennemis de
résister à leurs instincts barbares et de demeurer
fidèles il la parole doimée.
Une liste des torpillaf/es desnavires-hôpitaux, —
En fait, depuis le début de la guerre, au moins dix
bàliinents-hôpitaux ont été attaqués, détruits on
endommagés, ou bien ont sauté sur des mines
allemandes.
Le premier en date est le l'orlugal, navire-hôpi-
tal franco-russe, coulé par un sous-marin allemand
le 30 mars 1916, noTi loin des côtes de l'.'Vnalolie;
ll.'i personnes ont péri. Le Portugal, navire fran-
çais des Messageries maritimes, se trouvait dans la
mer Noire, au moment de l'ouverture des hostilités.
A la suite d'une entente avec la Russie, il avait été
transformé en bàtiment-hôpilal, transformation re-
connue et acceptée par le gouvernement turc. Tor-
pillé en plein jour, il portait les insignes et les
LAROUSSE MENSUEL
pavillons réglementaires. Par une note en date du
2 avril, adressée aux neutres, et par leur intermé-
diaire, aux belligérants ennemis, le gouvernement
russe protesta contre cet inqualinable attentat, que
rien ne pouvait excuser, le Portugal n'ayant &
bord ni troupes, ni matériel de guerre.
L'année suivante, un mémorandum du gouverne-
ment, allemand en date du 29 janvier 1917, pré-
textant d'abus commis par les navires-hôpitaux,
annonça la décision de l'Allemagne de n'en plus
tolérer la navigation dans les mers qu'elle a déclarées
zones de guerre et, notamment, en ce qui concerne
la Manche, dans la zone comprise entre une ligne
allant du cap Flamborough à Terschelling et une
ligne allant d'Ouessant à Land's End. Il suffit de
consulter la carte pour constater que, par suite de
f513
Puis, après celte série de coups vraiment préci-
pités, les attaques cessèrent brusquement, pour ne
plus reprendre qu'au commencement de 1918 où.
successivement, furent torpillés et coulés dans le
canal de Uristol, le Uewa, navire-hôpital anglais,
le 4 janvier, et le Glenarl-Caslle, également an-
glais, le 26février. Quelques jours après, le 10 mars,
le vaisseau -hôpital britannique Guildford-Cast le
était torpillé sans succès, à l'entrée de ce même
canal de Urislol alors qu'il avait tous ses feux dis-
tinctifs allumés.
Que s'était-il passé entre le 26 mai 1917 et le
4 janvier 1918? Nous allons voir plus loin que, du-
rant ce laps de temps, la médiation du roi d'Es-
pagne avait abouti, après de laborieuses négocia-
tions, à un accord, ou plutôt à une promesse de la
partdel'AIlemagne,
promesse qui
violée comme
Navire-hôpital avec escorte.
cette interdiction, contre laquelle la Grande-Bre-
tagne protesta par un communiqué officiel du l^r fé-
vrier, toute la Manche et les eaux occidentales de
la mer du Nord se trouvaient arbitrairement défen-
dues aux bàtiments-hôpitau.ï.
L'.MIemagne se dicte h elle-même son droit.
Forte de sa note du 29 janvier, elle se crut autori-
sée par cela même à entreprendre contre les navires
hospitaliers la campagne de destruction qu'elle mé-
ditait, résolue qu'elle était « à abolir les restric-
tions qu'elle s'était imposées jusqu'ici dans l'emploi
de ses moyens de combat sur mer ». (Réponse de
Zimmermann, sous-secrétaire d'Etat aux Affaires
étrangères, le 31 janvier 1917, auMessage du 22 jan-
vier du président Wilson au Sénat américain.)
De fait, les conséquences de cette détermination
ne se firent pas attendre. Dans la nuit du 20 au
21 mars, le vaisseau-hôpital anglais Asturias, navi-
guant avec tous les fenx de navigation et tous les
signes distinguant spécialement la Croix-Houge,
brillamment illuminé, fut torpillé sans avertisse-
ment; c'était la seconde attaque dont ce navire était
l'objet. Il y eut 43 morts, 39 blessés.
Quelques joursaprès, dans lanuitdu 30 au 31 mars,
un second vaisseau-hôpital, le Gloucester-Castle,
était également torpillé et coulé dans la Manche. Il
n'y eut heureusement pas de vie times. Le Gloucester-
Castle n'en était pas moins le sixième navire-hôpital
torpillé ou détruit par des mines sous-marines depuis
le commencement de la guerre, entraînant la mort
de 247 personnes. La liste, hélas I n'était pas close.
En cltet, le 10 avril, le Salpa, navire-hôpital bri-
tannique, coulait dans la Manche, ayant heurté une
mine allemande : 52 morts.
Dans la soirée du 17 avril, deux nouveaux crimes
étaient commis presque simultanément : le Lanfranc
et le Doiiegal, vaisseaux-hôpitaux, dont la perle
causa 78 victimes. Il est vrai que, pour ces deux
torpillages, I' .amirauté allemande pouvait, jusqu'à
un certain point, arguer de sa bonne foi; ces na-
vires, en etîet, ne portaient aucune des marques
extérieures des bâtiments- hôpitaux, l'Angleterre
ayant préféré renoncer i cette garantie, puisque les
sous-marins ennemis n'en tenaient aucun compte et
s'en servaient, an contraire, comme d'une cible pour
atteindre plus sûrement les transports de blessés.
Le 2l> mai 1917, opérant cette fois dans la Médi-
terranée, un sons-marin ennemi torpillait sans aver-
tissement à deux reprises et coulait le navire-hôpi-
tal britannique Dover-Castle.
fut
les
autres, puisque, no-
nobstant cet enga-
gement, lesattaques
continuent contre
les navires hôpitaux.
Les prétextes de
l'Allemagne. — Le
gouvernement de
Berlin se base, pour
légilimer sa campa-
gne de destruction
systématiquecontre
les bâtiments hospi-
taliers, sur la Con-
vention de La Haye
de 1907, qui prescrit
que ces bâtiments
ne doivent être uti-
lisés pour aucun but
mil! laire et qui per-
met à l'ennemi qui
les rencontre de
leur imposer une di-
rection déterminée.
La thèse allemande
est celle-ci : Les
navires-h ôpitaux
français et britan-
niques sont souvent
utilisés pour le
transport des muni-
tions et des trou-
pes; d'autre part,
l'Allemagne a établi
une zone dange-
reuse, à l'inlérieur de laquelle elle a interdit aux
navires-hôpitaux de se trouver. Par conséquent,
l'ennemi ayant violé la Convention de La Haye en
utilisant ces bâtiments dans un but militaire et en
persistant à leur faire prendre une roule interdite,
les sous-marins allemands sont on droit de les
couler. Telle est l'argumentation de l'.'Mlemagne ;
elle repose sur un mensonge et sur une fausse
interprétation de la Convention de La Haye.
Ce mensonge, le gouvernement de Berlin n'a pas
cessé de le soutenir, en invoquant au besoin des
témoignages dont la mauvaise foi est évidente.
Le 25 janvier 1917, il adressa aux Elals-Unis et à
l'Espagne, pour être transmis aux gouvernements
anglais et français, un mémorandum annonçant
qu il avait des preuves concluantes qu'en dilTérentes
circonstances, les navires-hôpitaux ennemis avaient
été utilisés pour le transport des munitions et des
troupes, ou de toute autre manière contraire à la
Convention de La Haye. Ces preuves concluantes.
l'Allemagne ne les apportait, d'ailleurs, point. Son
alfirmation ne devait-elle pas suffire?
Mais, devant les protestations de l'amiranté bri-
tannique et de la France, l'Allemagne chercha des
témoignages. Et elle répandit dans la presse la décla-
ration sous serment d'un chanteur autrichien, Albert
Messany, qui, interné à Malte lorsque la guerre
éclata, revint en Angleterre, en novembre 1916.
pour cause de maladie, à bord du navire-hôpital
anglais le Britannic. où, selon le dire du témoin, se
seraient trouvés 2.500 soldats anglais valides.
A ce témoignage unique se bornaient les preuves
eonclnantes que l'Allemagne disait avoir; c'était, on
en conviendra, une accusation un peu maigre, que
rendaient suspecte la personnalité équivoque et la
nationalité même du témoin qui, du reste, ne riposta
pas au démenti formel de l'amirauté britannique.
Six mois plus tard, le 23 juillet, r.\llemagne pro-
duisit un autre témoignage. Un radiolélégrammede
Nauen prétendait qu'un soldat allemand, revenu de
France, avait coustalé à Calais, à plusieurs reprises,
l'emploi de navires-hôpitaux comme transports de
troupes. Le gouvernement français s'inscrivit im-
médiatement en faux contre celle assertion menson-
gère. (Note du 25juillet 1917)
En réalité, ces prétextes allemands n'étaient pas
sérieux. Si l'.^llemagne avait réellement sou|)çonnë
les .\lliés d'abuser des privilèges accordés aux vais-
seaux-hôpilaux, la Convenlion X de La Haye (art. 4)
lui offrait un excellent moyen de contrôle, sans avoir
514
besoin de recourir à de vai,'iii>s el tardifs témoigna-
ges ramassés on ne sait coniineiil et qu'un tribunal
ordinaire ne voudrait même pas retenir, pour une
affaire de droit commun.
Dans son communiqué officiel du lor février 1917,
répondant au mémorandum allemand du i9 janvier,
la Grande-Bretagne rappelait en ces termes au gou-
vernement de Berlin quels étaient ses droits vis-
à-vis des navires-hôpilaux :
Le gouvernement 1>ritanni(|ue dément hautement que
les navires-hôpitaux aient ëié employés au transport de
munitions ou de troupes, ou de toute autre manière con-
traire à la Convention de La Maye. D'après cotte Conven-
tion, les belligérants ont le droit do visiter les navires-
hôpitaux et, par suite, le gouvernement allemand a un
excellent moj^ea de contrôle, en cas de soupçon, moyen
qu'il n'a jamais utilisé.
L'Allemagne avait non seulement un droit de
contrôle, mais encore un droit de capture; elle
pouvait mettre un commissaire à bord du navire-
hôpital contrôlé et le faire conduire, au cas où ce
navire aurait abusé de son privilège, dans le port
qu'elle aurait désigné. Pourquoi n'a-l-elle jamais
voulu se soumettre à celte règle, dont l'observance
seule pouvait donner du poids à ses accusations'?
Elle a toujours gardé le silence sur ce point. Sans
doute, était-elle fixée d'avance sur le peu de valeur
du prétexte dont elle s'autorisait pour détruire sans
discernement tous les navires belligérants ou neu-
tres, commerciaux ou hospitaliers, à la rencontre
desquels elle lançait sans scrupule des sous-marins.
Quant au second prétexte invoqué pur le gouver-
nement de Berlin, il constitue incontestablement un
abus de droit. L'article 4 de la Convention X de La
Haye de 1907 permet à l'ennemi qui rencontre un
navire-hôpital de lui imposer, s'il y a lieu, une
direction déterminée. L'Allemagne s'est, sans doute,
autorisée de ce texte en rédigeant sa note du 29 jan-
vier 1917, dans laquelle elle donnait une fois pour
toutes avis qu'elle coulerait les navires-hôpitaux
dans la zone où elle « ne veut pas plus longtemps
tolérer leur navigation .sur les roules militaires pour
les forces combattant en France et en Belgique», et
elle a délimité cette zone par une ligne allant du
cap Flamborough et Terschelling dans la mer du
Nord, et une ligne allant d'Uue.ssant à Land s Knd,
c'est-à-dire à la limite occidentale de la Manche
Fermant ainsi la Manche tout entière aux navires-
hôpitaux, elle obligeait, par cela mfime, les blessés
à être rapatriés en Angleterre par l'Océan , leur faisan t
faire un immense détour, alors qu il est tout simple-
ment humain de ramener les malades cl les blessés
par les voies les plus courtes el les plus rapides.
Mais, en interdisant de la sorte, une lois pour
toutes, aux navires-hôpilaux de traverser la Manche,
en les obligeant, par une prescription générale, à
se détourner de leur ciiemin. l'Allemagne a vio!é la
Convention de La Haye, dans son espril el dans sa
lettre. Celle-ci permet seulement à l'ennemi qui
rencontre un vaiseau hospitalier de lui imposer,
dans l'intérêt du secret des opérations navales, une
direction déterminée; il en est ainsi, du reste, en
matière de blocus, lorsqu'un navire marchand tente
de pénétrer dans la zone bloquée : les forces qui
maintiennent le blocus doivent l'avertir qu'il ait à
se détourner de son chemin. On ne peut, par une
prescription générale, suppléer à cet avertissement,
qui doit être renouvelé dans chaque cas particulier.
Mais un naviie-hôpilal jouit de l'immunité, préci-
sément parce qu'il est appelé à traverser les zones
de guerre. Lui interdire de les traverser, n'est-ce
pas méconnaître le privilège dont il bénéficie de
par les conventions? Celles-ci ont simplement voulu,
dans certains cas graves, tout à fait exceptionnels,
permettre auxbelligéi-ants d'éloigner, dans l'intérêt
de leurs opérations et pour que leur tir ne se trouve
Eas entravé, les navires-hôpitaux de la zone de
alaille. On ne peut aller du particulier au général
et faire d'une exception une réglementation perma-
nente. Ainsi la note allemande du 29 janvier 1917
constitue bien im acte exorbitant, contre lequel on
ne prolestera jamais assez haut
Le cas de /'uOphelia». — Signalons, enfin, un troi-
sième prétexte dont l'Allemagne s'est autorisée pour
justifier ses destructions systématiques de navires-
hôpitaux. Elle a envové aux neutres, le 29 avril, une
note officielle, rappelant le cas du navire-hôpital
allemand Ophclm, comme exemple d une procéduie
illicite de la Grande-Bretagne à l'égard des bâti-
ments hospilaliers. Ij'Ophelia avait éle, en effet,
arrêtée en octobre 191 i par im .sous-marin britan-
nique et déférée au tribunal des prises de Londres,
puis au conseil privé, qui, l'un el l'aiilre, l'avaient
déclaré de bonne prise. Mais le cas de VOphelia est
tout dirrérent. Ce navire avait été saisi, au moment
où il cherchiiil des survivants, parce qu'il était
soupçonné d'abuser des privilèges accordés aux
navires-hôpilaux. De fait, l'instruction de l'affaire
a démontré qu'il n'était ni construit ni approprié
pour l'objet spécial de porter aide el secours aux bles-
sés. Au contraire, il était approprié et employé
comme sémaphore militaire de l'ennemi. Il a donc
été condamné, en vertu il'une procédure régulière,
conformément aux règles de la Convention de La
LAROUSSE MENSUEL
Haye, qui prescrivent que les navires-bôpilauj; « doi-
vent être construits et aménagés spécialement et
uniquement en vue de porter secours aux blessés,
malades et naufragés ». Le troisième prétexte alle-
mand, pour justifier les attaques contre les navires-
bôpitaux, est donc aussi mauvais que les deux autres.
Froteslations et représailles des Alliés. — La
France et l'Angleterre n'ont pas cessé de protester en
termes catégoriques el clairs contre ces crimes alle-
mands el les accusations qui leur servaient d'excuses.
Mentionnons la protestation anglaise du 1" février
1917, les notes franco-britanniques du 24 avril 1917,
le démenti français du 25 juillet 1917, la protestation
du Comité iuternational de la Croix-Rouge, etc.
En même temps, la France et la Grande-Bretagne
annoncèrent des représailles. La note oficielle du
24 avril du gouvernement français faisait savoir que
nous embarquerions sur les navires-hôpilaux des
prisonnieis allemands. L'Angleterre noliliade même
que ces bateaux transporteraient une certaine pro-
portion de blessés allemands, qui partageraient ainsi
les risques du voyage.
En effet, nous finies monter à bord de nos navires-
hôpilaux de la Médileiranée des officiers allemands.
La Grande-Bretagne eu fit autant; elle envoya même.
en avril 1917, des avions sur Fribourg-en-Brisgau,
en représailles des navires-hôpitaux coulés par les
sous-ujarins allemands. Le gouvernement allemand
répondit par l'envoi, dans les localités exposées au
tir des armées, d'un grand nombre de prisonniers
français. Mais, en fait, les attaques contre les ba-
teaux hospitaliers cessèrent.
La médiation du roi d'Espagne aboutit à un ac-
cord. — C'est alors que le roi Alphonse XIU offrit
sa médiation. Elle aboutit tout de suite à une pro-
position allemande. Un radiotélégramme du gou-
vernement de Berlin, daté de fin mai 1917, annon-
çait que l'Allemagne respecterait à l'avenir les
navires-hôpitaux naviguant dans les zones mariti-
mes interdites par sa déclaration du 31 janvier 1917;
mais ce retour aux règles du di-oit international était
subordonné, parTemiemi, aux conditions suivantes,
concernant la navigation dans la Méditerranée :
La sortie libre de la Grèce .sera ouverte aux navires-
hôpitaux. Mais ils devront toucher au port de Katamata
(l'éloponèse) et marcher, entre l\alaniata et (iibraltar, à
une vitesse détorniinèo, laquelle sera connnnniijuée au
gouvernement allemand. Le nom des navires-hôpitaux,
l'époiiue do leur arrivée et de leur départ à Kalamala et
à Gibraltar seront aniioncés, dans chaijuecas particulier,
au moins six semaines à l'avance. Pour clia(jue voyage,
un représentant du gouvernement neutre chargé des
intérêts do l'Allemagne, dans le pays dont le navire [lorte
le pavillon, fera une déclaration expresse, attestant que
le navire n'a à bord que des blessés, des malades et le
personnel sanitaire et ne transporte pas d'autres objets
que ceux destines aux soins des malades.
Ces conditions humiliantes étaient inacceptables,
d'autant plus qu'elles pouvaient avoir pour consé-
quence de donner une indication à l'ennemi sur
les opérations militaires, la fréquence des voyages
des navires-hôpitaux étant en relation directe de
cause à effet avec la recrudescence de cesopéiations.
L'Allemagne dut se résigner à réduire ses pré-
tentions; elle proposa de cesser ses torpillages, à la
condition que les navires-hôpitaux auraient à bord
des officiers espagnols, qui garanlirontque le bateau
ne transporte que des blessés et du personnel
sanitaire. (Vêtait, en somme, faire exercer par un
neutre le contrôle que l'article 4 de la Convention de
La Haye lui permet, cependant, d'exercer elle-même.
Il n'y avait donc, dans cette proposition, aucune
aggravation de ladite Convention.
Le 17 aofil 1917, l'Angleterre et la France don-
naient leur adhésion à cette proposition, leur but
étant, au prix d'un sacrifice d'amour-propie, de
mettre à labri des attaques par les sous-marins les
navires-hôpilaux qui transportent les blessés de
guerre. Par suite, le mod«s!)e'î;e7!(/t' suivant fuladoplé:
A partir du 10 septembre, les forces navales allemandes
respecteront les navires-hôpitaux en Méditemmêe, qui
n'auront plus a être escortés par des navires armés.
S. M. le roi d Espagne a consenti à mettre à bord des dé-
légués qui constateront que les navires-hôpitaux sont
exactement utilisés aux fins qui leur sont propres et (|ni
garantiront, par leur pi'ésence. la parfaite exécution des
règles de la Convention de La Haye.
A partir do cette même date, les officiers allemands
prisonniers de guerre seront débarques du navire-hôpilal
sur lequel ils étaient. De son côté, le gouverueuient alle-
mand fera évacuer simultanément tes prisonniers français
de toutes les localités dans lesquelles ils avaient été en-
voyés en représailles.
Quatre jours après la conclusion de cet accord,
une délégation d'officiers de la marine espagnole
arriva à Toulon. Conforniément audit accord, ils
furent embarqués sur les navires-hôpilaux et les
officiels allemands débar(|ués.
Tout était pour le mieux, et l'on pouvait espérer
ne pins avoir à entendre parler d'attaques contre les
Ijateaux qui rapatrient les malades et les blessés de
guerre, mission essentielleinent pacifique, lorsque,
brusquemenl,du 4 janvier au 10 mars de celte année,
on apprit, presque coup sur coup, les torpillages du
Rewa, du Glenart-Castle et du Guitd/'onl-CaslIe,
crimes accomplis en deliors même de la zone interdite.
Ceci prouve qu'avec l'incorrigible Allemagne, les
«• 737. Juillet 1918.
compromis, les engagements, les accords, les con-
ventions, ne sont décidément que des «chiffons de
papier». Le président Wilson a raison lorsqu'il dé-
clare qu'on ne peut se lier à la signature du gou-
vernement de Berlin.
On peut croire, au contraire, à la valeur des enga-
gements de l'Entente. C'est ainsi que, le I"'' juin
dernier, le minislredes affaires étrangères d'Espagne
à Madrid a publié la note oflicielle suivante :
L'enquête faite par le gouvernement lui permet d'affir-
mer que les t>àtinients anglais, français et italiens ayant
la condition de navires-hôpitaux, à bord desquels so trou-
vent des délégués espagnols, agissent avec une parfaite
correction et sont destinés exclusivement au transport
des blessés et malades. — Maurice Duval.
Portraits de famille, tableau d'Edgar
Degas, exposé en 1918, auPetil-Palais des Champs-
Elysées. (V. p. 503.) — L'Etat s'est rendu récem-
ment acquéreur de cette toile de Degas, pour la
somme de 400.000 francs. On a beaucoup épilogue
déjà sur cette acquisition et sur le prix dont elle
a été payée. Certains ont déploré que l'Etat ait
attendu, pour acheter les œuvres du maître, que
les cours en soient devenus si élevés. 11 est
hors de doute qu'en ces dernières années, il s'est
exercé sur les Degas une énorme spéculation.
Méconnu pendant près d'un demi-siècle, cet artiste
est devenu soudain l'objet d'un engouement qui
touche désormais à la frénésie. A sa dernière vente,
ses moindres croquis, ses moindres esquisses ont été
âprement disputés. Pour combien de soi-disant
amateurs l'intérêt d'un tableau ne réside-l-il pas
essentiellement dans la signature, et n'y a-l-il pas,
au fond de tout cela, une bonne paît de snobisme,
adroitement exploité par d'Iiabilen commerçants? Il
serait oiseux, d'ailleurs, de récriminer; en matière
d'art, les cours sont régis par les llucluations du
goiit et, plus encore, par les caprices de la mode. Le
mérite d'une œuvre doit donc être examiné indé-
pendamment de sa valeur marchande. La méconnais-
sance de cette règle de critique inclinerait, en ce qui
touche le « Portraits de famille » de Degas, à une
excessive admiralionou à une trop grande sévérité.
Exécuté à Florence en 1867, ce tableau appar-
tient à la période de jeunesse de l'artiste, lorsque,
fortementinnuencé par les maîtres du Quattrocento,
il acheminait son art vers un réalisme très accusé.
Ce réalisme se marque d'abord dans le groupement
des personnages, qui sont le comte Bellelli, oncle
de Degas, sa femme el ses deux fillettes. Enfoncé
dans un fauteuil, les pieds à la cheminée el le dos
au public, le père tourne la tête à gauche el pré-
sente son visage de profil; au centre de la toile,
posée sur le bord d'une chaise, une des fillettes,
un poing sur la hanche, regarde vers la droite;
près d'elle se tiennent debout la mère, posée de
trois quarts, el l'autre fillette, vue de face. Cette
disposition donne à chaque visage une attitude
différente et graduée, depuis le profil du père jus-
qu'à la face de la fillette de gauche. Il est fâcheux,
seulement, que les personnages féminins aient» tenu
la pose » avec trop de raideur : la mère notamment,
regarde dans le vague, et ses yeux, de ce fait, man-
quent d'expression. (jC défaut, il est vrai, est atténué
par l'adresse avec laquelle l'artiste a Irailé le décor :
les tentures, les meubles. la cheminée, dont la
glace refiète le reste de la pièce, gardent assez
d'importance pour créer autour des personnages
une atmosphère d'intimité et île vérité.
Selon la manière de Degas à cette époque, la
peinture, très légère, couvre à peine la toile : sur la
tapisserie d'un gris bleu délicat, se détachent la
mère, vêtue de noir, et les deux fillettes, qui por-
tent sur leur robe, également noire, un lablier
blanc, très riche en reflets. Cette intentionnelle
sobriété de couleurs donne à l'ensemble une tonalité
un peu froide, mais concourt à accroître l'impres-
sion de recueillement familial et de placidité bour-
geoise qui se dégage de la scène. Degas a évidem-
ment obéi à un parti pris de simplicité, où la vérité
domine, peut-être même aux dépens de l'agrément.
Mais Degas n'a jamais cherché à faire de la pein-
ture agréable; il lui sullLsait d'être vrai et d'attester
un métier habile et sûr. f^'est ce qu'il a obtenu dans
ce tableau, qui, en dépit d'un peu de raideur et de
sécheresse, n'eu est pas moins une œuvre solide
et constilue, à ce titre, un très intéressant docu-
ment. F. GUIRANU.
Portraits sur la plage, peinture de Gu-
mery, envoyée à l'Exposition de la Société nationale
des beaux-arts au Petit-Palais, en 1918. (V. p. 503.)
Il s'agit là d'une scène à de nombreux personnages
très adroitement groupés. Trois hommes presque au
centre forment le motif principal; de chaque côté,
des femmes, des enfants occupent la scène, devant
un fond de mer grise et verte, surmonlée d'un ciel
gris et bleu. 11 n'y a là, dans celle pochade, que
des tons délicats, gris de lonles nuances, blancs el
roses; mais les notes chantantes prennent sur le
fond discret un accent particulier. Ajoutons que
les personnages sont silhouettés et brossés avec
une crânerie, une justesse et une aisance remar-
quables. — Tr. Leci Èai.
N' 137. Juillet 1918.
Frisonniers civils, peinture de J.-L. Fo-
rain, exposée en 1918 au Petit-Palais des Champs-
Elysées. (V. p. 506.) L'artiste a, celle fois, abandonné
les seines de cour d'assises, dans lesquelles il
se montrait le continualeur de Uaumier, conti-
nuateur à per.sonnalité foitement maniuée, assez
voisine, par le tempérament, de celle de Deî,'as.
Dans une rue de petite ville du Nord, quelques
prisonniers civils attendent, sacs el paquets à
terre. Les hommes sont debout; une femme em-
brasse sa filleile ; un couple, au second plan, se lient
<lans une attitude de douleur et de tendresse; une
autre femme, à gauche, s'écroule à terre. Dans la
rue, à droite, deux soldats ennemis ricanent.
Celte scène imaginaire a tout l'accent de la plus
vive réalité, lille est brossée largement, à (,'ran(ls
coups, d;ins une gamme sobre de gris et de noirs,
sans aucun rehaut de couleur fleurie. Elle évoiiue
une des situations les plus pénibles de notre temps,
el il est bon qu'un artiste très expressif comme
Forain en ait fixé le souvenir. — Tr. leclère.
Prononciation française (Traité pra-
tique de), par Maurice (Jrammont (Paris, 1916,
in-18). — Ce nouveau livre sur leii sons el le rythme
du français est l'œuvre d'un linguiste familier avec
les idiomes les plus divers, d'un phonéticien qui a
manié les appareils inscripleurs de la voi.x, enfin
d'un mélricien qui a étudié avec beaucoup de péné-
tration le mouvement el l'harmonie de notre langue
poétique. Sou manuel de prononciation se dislingue
donc par une connaissance précise de l'évolution
du franc^aiset des tendances qu'elle révèle, par une
description rigoureusement exacte des phonèmes
el par de curieuses observations sur l'allure et les
inflexions de la phrase française. C'est un traité
« pratique », car il contient de nombreux exercices
de lecture et s'adresse surtout, suivant l'auteur,
" aux étrangers et aux provinciaux qui veulent se
perfectionner dan* la bonne prononciaiion française,
ou se renseigner sur elle ». Mais il sera goûté de tous
ceux, Parisiens ou non, qui apprécient l'emploi
d'une méthode vraiment scientilique dans les tra-
vaux sur la prononciaiion. Au reste, il ne dispensera
pas de consulter les ouvrages antérieurs, car il est
loin de constituer un répertoire complet des mots
ou des formes dont l'articulation est sujetle h des
incertitudes ou à des erreurs. Par exemple, on y
chercherait vainement la prononciaiion du mot oôms,
dont on connaît trois variétés : deux bonnes {ohu et
obuze), et une mauvaise {obusse).
En tète du livre, Gnnnmont a défini les caractères
généraux de la prononciation française : netlelé et
élégance. Les voyelles françaises sont bien tim-
brées, même quand elles ne portent pas l'accent
tonique : le français ne connaît pas les voyelles in-
décises. Les consonnes sont émises avec énergie;
la différence entre les sourdes et les sonores est
fortement accusée. La plupart des phonèmes sont
articulés dans la partie antérieure de la bouche, « ce
qui les fait mieux porter ». Le travail d'articulation
est intense, mais peu apparent. Les muscles sont
violemment tendus, mais l'effort est surtout inté-
rieur. Les lèvres ne font que s'enlr'ouvrir, les joues
restent presque immobiles, la figure ne grimace
point: «Tout cela conlribue à la suprême élégance
de la diction française. »
Au contraire, les Allemands se livrent à un « jeu
des lèvres et des joues extraordinaire », el ils con-
fondent les consonnes sourdes avec les sonores.
Les Anglais ne tendent pas assez leurs muscles
phonateurs; aussi leurs voyelles accentuées ne
sont-elles pas tenues et leurs voyelles atones ont-
elles un timbre douteux. Leurs consonnes linales
sont incomplètes el peu distinctes. Les Slaves man-
quent également de netteté dans l'émission des
voyelles inaccentuées.
L'auteur a divisé son livre en deux parties : I. Les
phonèmes isolés. — 11. Le mot et la phrase. 11
ne saurait être ici qucsiion de le suivre dans tous
ses développements. On relèvera seulement les
opinions, délinitions, lois et théories les plus ori-
ginales, ou les moins connues du public lettré.
Notons d'abord le phénomène de V hnrmoniaation
vocalic/ue : « Les voyelles contenues dans deux syl-
labes consécutives ont une tendance à s'assimiler
au point de vue du timbre, la première prenant le
même timbre que la seconde. » Ainsi, le participe
fiasse du verbe être a son premier e fermé, comme
e second ; ëlé; mais l'imparfait du même verbe
iélais) se prononce ètè (avec e ouvert en dépit de
l'accent aigu), à cause de l'eouvert (aï) delaseconde
syllabe : l'atone s'est assimilée à la tonique qui la
suit. — En ce qui concerne Va, il est à remar(|uer
que Graminont appelle fermé l'a de patte, et ouvert
celui de pâle. La voyelle du premier mot est brève
et ouverte d'après Halzfeld-Darmesteler, moyenne
suivant Rousselot. L'a de pâte est long et fermé
d'après HaUfeld-Darmesteter, fermé selon Rousselol.
La divergence est curieuse. Grammont affirme que
l'ouverture buccale est d'environ 10 millimètres
entre les incisives pour l'a de pâte, et seulement
de 7 millimètres, approximativement, pour celui dff
patte. Une observation de Rousselol parait concilier
LAROUSSE MENSUEL
les contradictions : « L'ouverture des lèvres est tou-
jours moins gi'ande car rapport à la capacité buc-
cale pour à [de pâte] que pour a [de patte], »
Grammont, se fondant sur l'histoire de la phoné-
tique française, est peu favorable à la prononcia-
tion des groupes de consonnes, des consonnes
doubles et des consonnes finales. Ce sont, fort sou-
vent, des reslitutions artificielles, dues à l'influence
de l'écriture et du maître d'école, lui-même esclave
de l'écriture. On est, cependant, obligé d'admettre
comme légitimes des articulations même peu harmo-
nieuses, lorsqu'un usage les a consacrées. Gram-
mont maintient la prononciation de cheptel sans p
(citè-tètj, d'arsenic et de ci-ic sans c, de joug sans r/,
de transit sans / final. 11 est choqué par grammaire
et terrible articulés avec un double m. et un double r.
D'ailleurs, une consonne dite «redoublée» n'est pas
une consonne émise deux fois de suite. C'est sim-
plement une consonne unique prolongée : l'im-
plosion {mouvement de fermeture ou de resserre-
ment) y est séparée de l'explosion (rupture de l'oc-
clusion totale ou partielle) par une période de tenue
plus ou moins longue. En proscrivant le double m
de gramrnaire, on veut interdire de séparer par
une tenue les deux temps de l'articulation de cet m.
Le pronom il donne lieu à la règle suivante : au
singulier, devant une consonne ou une pause de la
VOIX, il laisse tonil)er son l, qu'il conserve seule-
ment devant une voyelle : i(l) vient; vienl-i{l); il y
va. Au pluriel, ils se prononce iz devant voyelle
(izo}il=:ils OH/) et i devant consonne (i{ls) parlent).
Le débit oratoire et la diction des vers ne tombent
pas sous le coup de celte loi, déjà vieille de plus
de deux siècles, qui ne vaut que pour la conversa-
tion courante, même des gens les plus cultivés.
On pourrait relever quelques indications contes-
tables. Ainsi, Grammont transcrit aumônier avec un
n mouillé: ômoné. En réalité, il s'agit ici non d'un
S, mais d un n suivi de i consonne : ômonyé ou
ômôni/é. — Dans plusieurs cas, l'auteur signale deux
prononciations entre lesquelles l'usage hésite. Il
explique, en effet, dans son introduction que la pro-
nonciation dite parisienne n'est nullement homo-
gène : « Ce que l'on peut et ce que l'on doit ensei-
gner sous ce nom n'est qu'une moyenne. »
La seconde partie est la plus personnelle et paraî-
tra la plus neuve à un grand nombre de lecteurs.
Grammont commence par définir la syllabe et le mot,
et montre que la séparation des syllabes est absolu-
ment indépendante de la séparation grammaticale
des mots. Les illettrés n'ont que des idées assez va-
gues sur l'individualité des mots. De là des coupures
et des soudures étranges dans les écrits de gens
d'instruction tout à l'ail nidimentaire : la drese de
ton nami =: l'adresse de ton ami. De là, aussi, celte
curieuse formation populaire : zieuter (jeter les [z]
yeux sur quelqu'un). Le sujet parlant a conscience
de l'unité phonétique de la syllabe ; il distingue mal
les unités logiques et grammaticales que forment
les mots.
Le chapitre sur l'e caduc (e muet) est l'un des plus
importants et des plus originaux. L'auteur y a re-
pris, en les corrigeant et en les complétant, les
idées qu'il avait exposées déjà, il y a une quinzaine
d'années, au cours de son étude sur le patois de la
Franche-Montagne (Mémoires de la Société de
linguistique de Paris, t. VIIIK Notre e muet, que
tantôt l'on articule et tantôt l'on néglige, offre de
graves difficultés aux étrangers et à certains pro-
vinciaux. Personne ne le fai t entendre constamment
dans le langage ordinaire. Les acteurs les plus esti-
més le suppriment souvent, à tort, dans la décla-
mation poétique, et faussent ainsi les vers de Corneille
onde Victor Hugo. Certains poètes novateurs, comme
Paul Fort, l'écartent parfois de la mesure, mais au
gré de leur fantaisie. Grammont a essayé d'établir
exactement les conditions dans lesquelles cet e
tombe ou sonne comme un ce (eu). 11 a découvert la
loi des trois conson/ies : e caduc se prononce seu-
lement lorsqu'il est nécessaire pour éviter la ren-
contre de trois consonnes. Son maintien ou sa
chute dépend essentiellement de ce qui le précède :
1° quand il n'est séparé de la voyelle qui précède
que par une seule consonne, il tombe toujours : la
p{e)tite; 2» quand il estsoparéde la voyelle qui pré-
cède par deux consonnes, il se prononce toujours :uh
os de poulet. Ces deux règles, suivant Grammonl,
sont absolues quand il s'agit des consonnes occlusives
(p, I, k; b, d, g) et de l'intérieur de la phrase. En
position initiale ou finale, les phénomènes sont
assez différents. La sonanleretia spirantesdonnent
lieu à des traitements spéciaux. Il y a des «groupes
figés », comme je ne..., dont le première sonne tou-
jours : on ne dit pas j(e) ne. quel que soit l'entou-
rage phonétique. Ilexisle, enfin, quelques mots récal-
citrants, tels : ressemeler, redevenir. ensevelir, éche-
velé. Le linguiste s'est efforcé de débrouiller le lacis
des faits, en apparence inextricable. Il a obtenu des
résultats intéressants. 11 ajoute avec raison que le
nombre des e prononcés augmente à mesure que le
ton se ralentit ou s'élève, jusqu'à ce qu'une pronon-
ciation emphatique les fasse entendre tous.
La série des chapitres suivants est dominée par
une théorie de l'accent tonique qui va à rencontre
515
de certaines opinions courantes et, d'ailleurs, erro-
nées. Une phrase se compose d'un certain nombre
de mots ou groupes de mots terminés par une syl-
labe plus intense. Le retour, à intervalles plus ou
moins réguliers, de ces syllabes intenses (accen-
tuées) constitue le rythme de la phrase. L'accent
tonique n'appartient pas au mot, mais au groupe,
et un mot donné le porte ou ne le porte pas, selon
la place qu'il occupe dans le groupe et le rôle qu'il
v joue. Les liaisons de consonnes finales oui lieu i
l'intérieur d'un groupe rylhmique, mais non d'un
groupe au suivant : les petils-[z]en/'a7il s) \ étaienl-
assi(s) I au pied d'un-[n]arbre. La liaison d'un
groupe à un autre groupe ne se fait gu'en disant
des vers. Dans la conversation ordinaire, on tend
de plus en plus à supprimer les liaisons. Les hiatus
qui en résultent ne sont pas désagréables à l'oreille,
car, dans le français actuel, il n'y a pas de « cas-
sure « entre deux voyelles consécutives : le passage
est insensible de l'une à l'autre et comporte une
modulation de timbre el de hauteur qui rend la
liaison « infiniment plus douce ».
A côté de 1 accent tonique, existe l'accent oratoire,
nommé par Grammont accent d'insistance, « ino-
piné, brusque, violent», el non pas « attendu, régu-
lier, normal » comme l'accent rylhmique. Uesliué
à meltre en relief le mot qui le porte, il est surtout
caractérisé par l'allongement de l'élément conso-
nautique de la syllabe que frappe cet accent supplé-
mentaire.
Les groupes rythmiques d'une phrase française
s'ordonnent en deux séries : la série montante et la
série descendante. La première est celle qui « an-
nonce quelque chose et suscite une attente »;« la
partie descendante est celle qui satisfait l'attente et
conclut la phrase ». La voix s'élève, sans heurts ni
sauts, mais sans progression continue, en « ondu-
lant », pendant la montée. Enlre les deux parties, il
y a une véritable chute de la voix. La descente est
« ondulée », comme la montée. La reprise du souffle
se fait généralement après chaque phrase, quelque-
fois entre les deux parties, ou même entre deux élé-
ments rythmiques, lorsque la phrase est longue.
Elle ne doit pas intervenir dans l'intérieur d'un
élément.
Il y a eui~ylhmie quand l'agencement des groupes
rythmiques amène des efi'ets de parallélisme ou de
contraste en rapport avec les idées exprimées.
Grammont analyse finement la structure des phrases
dans le célèbre exorde de l'Oraison funèbre d'Hen-
riette de France. Bossuel y procède par opposi-
tions-symétriques, Au contraire, l'étude des plus
belles pages de Michelet relève un emploi fréquent
d'un rythme discordant, d'effets obtenus par rupture
d'équilibre.
La rythmique de la prose n'avait pas encore été
exposée avec celte précision séduisante, dans un
ouvrage élémentaire. Ce petit volume est écrit avec
simplicité, sans terminologie ésotérique, sans éta-
lage de science. L'auteur s'est même interdit toute
discussion. On peut espérer qu'il se réserve pour un
ouvrage beaucoup plus considérable, où l'histoire
de notre phonétique, la justilication des méthodes
et la critique des théories recevront les développe-
ments qu'elles méritent. — Maurice ekoc».
Rhin français pendant la Révo-
lution et l'Empire (le), par P. Sagnac,
Paris, 1917. — « Coniniont les Français occupèrent
et organisèrent-ils le pays rhénan? quels sentiments
trouvèrent-ils chez les populations? quelles facilités
ou (juels obstacles rencontrèrent-ils? par quelles vi-
cissitudes passèrent d'abord leurs propres concep-
tions? comment finirent-ils par réunir le pays à la
France et dans quelle mesure parvinrent-ils & se
l'assimiler? miel fut, en un mot, le résultat de la
rencontre de l'esprit germanique et de l'esprit fran-
çais sur le sol rhénan ? autant de questions fort
complexes et délicates, qu'aucun historien n'a exa-
minées largement », el que Philippe Sagnac expose
dans le présent ouvrage très ulileinenl, après de très
consciencieuses recherches dans les archives el les
bibliothèques : la remarquable bibliographie qui ter-
mine le volume montre que l'auteur n'a négligé
aucune des sources qu'il pouvait atteindre en un
moment où, malheureusement, l'accès de celles des
pays rhénans n'est pas possible.
La Franco n'a englobé la rive gauche du Rhin
sous son empire que pendant un peu moins de
vingt ans; l'œuvre qu'elle y a accomplie n'en est
pas moins si considérable que le peuple qui en bé-
néficia en conserve le souvenir depuis un siècle;
est-ce à dire, pour cela, qu'ilfutentièrement assimilé
à son éphémère patrie? On ne peut le prétendre; la
méthode était bonne, mais le temps manqua.
De la Lauter à Clèves, le pays rhénan situé enlre
le fleuve, la France el les Pays-Bas autrichiens,
comprenait, en 1789, quatre-vingt-dix-sept Etats.
Seul, le duché de Clèves appartenait au roi de
Prusse et était, d'ailleurs, gouverné par lui avec
des ménagements particuliers; les autres princes
souverains avaient sur le Rhin leur principal éta-
blissement : ces princes étaient laïques ou ecclé-
siastiques. Le plus influent des premiers était l'élec-
516
leur palatin qui résidait sur la rive droite, h. Hei-
delberg, au milieu d'une cour bruyante et dissolue,
et dont le gouvernement persécuteur et tracassier
suscitait de nombreuses critiques; il possédait, en
outre, le duclié de Juliers, et des membres de sa
famille régnaient sur plusieurs principautés voi-
sines, notamment sur le duché des Deux-Ponls.
Parmi les seconds, on comptait les archevêques
électeurs de Trêves, de Mayence, de Cologne, ap-
parentés aux maisons souveraines de l'Allemagne.
Mais, h côté de ces potentats et dans l'inlérieur
même de leurs Etals, survivaient du régime féodal
de nombreux princes, de nombreuses abbayes, qui
ne relevaient que de l'empereur et conservaient
jalousement le privilège d'immédiateté (en fait, de
souveraineté).
Les sujets de ces princes, généralement satisfaits
de leur sort, ont conservé des tendances nettement
particularistes : leur patrie, c'est leur souverain, leur
duché, leur ville libre; c'est tout au plus l'en-
semble de la région rhénane ; ce n'est certaine-
ment pas l'Allemagne. Profondément catholiques,
les Rhénans ne commencent à s'émouvoir de la se-
cousse produite par la Révolution française qu'au-
tant qu elle trouble leur foi et, surtout, leur tran-
LÂROUSSE MENSUEL
du Palalinat et aboutit au dépôt de nombreuses
adresses communales en faveurde la réunion du pays
à la France. Le 17 mars 1793, la Convention rhéno-
germanique se réunit à Mayence; elle représente
« l'étendue du pays de Landau à Bingen »; le len-
demain de sa réunion, elle proclame son indépen-
dance ; trois jours après, elle décide à l'unani-
mité que le peuple rhéno-germanique libre veut
l'incorporation à la République française et le lui
demande. Tel est le premier article de la Charte
qui, vingt ans durant, attacha, on voit par quels
liens solides, le peuple rhénan à la France. Après
les revers qui suivirent la trahison de Dumouriez
et entraînèi-ent l'évacuation de la rive gauche du
Rhin par les Français, de juin 1793 à juin 1794, les
Rhénaux, émus des violences commises par leurs
anciens maîtres, ivres de leurs victoires provisoires,
se prononcèrent avec plus de vigueur que la pre-
mière fois pour la réunion à la France ; nos troupes
étaient acclamées à leur retour à Aix-la-Chapelle,
à Bonn, dans toute l'étendue de l'ancien électoral
de Cologne, du duché de Clèves, du Palalinat. Des
commissaires locaux administraient, sous la sur-
veillance des autorités militaires et des représen-
tants de la Convention; sans doute, il y eiit quelques
Septembre 1914 (Après la bataille de la Marne), tableau de Daniel Ridway Kuij^kt
(Société dea artistes français). — Phot. Vizzavona.
quillité. Leurs princes, au contraire, possesseurs
pour la plupart d'importants domaines dans le
royaume, notamment en AlsaceJ s'inquiètent dès le
4 août 1789 de la tournure que prennent les événe-
ments; ils adressent à la diète de Ratisbonne leurs
réclamations contre les décrets qui portent atteinte
à leurs privilèges ; les émigrés les encouragent :
la guerre s'en suit; les rois l'ont voulue, les peuples
la soutiennent : la France est envahie; le 20 sep-
tembre 1792, c'est Valiïiy; un mois plus tard, les
soldats de la Révolution entrent à Mayence ! Huit
inois durant, ils s'y maintiennent et s'emparent du
Palalinat : est-ce dans leur esprit une conquête? Il
n'y parait pas : les princes ont voulu combattre leur
émancipation; ils se vens-enl en émancipant leurs
sujets, et ceux-ci les accueillent à bras ouverts.
L'élite intellectuelle de Mayence fonde le club
des « alliés allemands de la liberté etde l'égalité ».
George Forsler en est l'àme ; le 15 novembre, il
n'hésite pas à proclamer :
Le Khin, ce grand fleuve navigable, est la frontière
naturelle d'une grande république qui ne désire pas faire
de conquêtes, inais accueille les nations qui consentent
à se réunir à elle. La France ne pourra pas abandonner
Mayence, si Mayence se donne à elle.
Quatre jours après, le 19 novembre, la Convention
répondait à l'appel de Mayence en votant ce décret :
La Convention nationale déclare qu'elle accordera fra-
ternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer
leur liberté.
Une active propagande, menée par les Rhénans
eux-mêmes, se développe dans l'hiver au travers
inévitables froissements, nés de l'état de guerre, de
la nécessité onéreuse de faire vivre l'armée sur
le pays.
(Cependant, la paix de Bâle, signée avec la Prusse
le 5 avril 1795, n'impliquait pas, par cette puissance,
la reconnaissance des conquêtes françaises :
Les troupes do la République frai «.'aise {disait le traité)
continueront d'occuper la partie des Etais du roi de
Prusse située sur la rive gaucbedu Rhin. Tout arrange-
ment définitif à l'épard de ces provinces sera renvoyé
jusqu'à la pacification géuérale entre la France et lEm-
pire germanique.
Pareille incertitude du lendemain n'était pas pour
faciliter la nouvelle organisation du pays, ni pour
encourager les habitants à se rallier à un ordre de
choses qu'ils pouvaient craindre provisoire; le Di-
rectoire n'était, d'ailleurs, rien moins que fixé dans
sadoctrinepolitique : tantôt ilprélendait exercerdans
laRhénanieune autorité souveraine, organisant deux
directions générales à Aix-la-Cliapelle et Coblence
et signant avec la Prusse, le "Wurtemberg, Bade,
la Hesse-Cassel, des traités secrets (août 1796), aux
termes desquels ces puissances abandonnaient,
moyennant compensations ultérieures, toute pré-
tention sur la rive gauche du Rhin; tantôt, sous
l'instigation de Carnot et de Barthélémy, il envisa-
geait la création d'une république Cisrhénane et
créait une <■ commission intermédiaire », siégeant i
Bonn et composée uniquement de Rhénans, sous la
présidence du colonel Shée; il rétablissait les an-
ciennes régences locales, et Hoche, qui avait été, le
Î4 février 1797, chargé d'administrer « les pays
«• 137. Juillet 1918.
d'entre Meuse et Rhin et d'entre Rhin et Moselle »,
s'efTorçait d'entretenir avec les autorités ainsi cons-
tituées les meilleurs rapports; il y parvenait,
d'ailleurs, facilement, les Rhénans continuant, en
grande majorité, à désirer leur réunion définitive à
la France.
Il fallut, cependant, attendre le traité de Lunéville
pour en arriver à cette solution : le 9 mars 1801,
le Corps législatif décréta :
Les départements de la Hoër, de la Sarre, du Rhin et
Moselle et du Mont-Tonoerr© font partie intégrante du
territoire français.
Telle est la longue étape qui, delaprise de Mayence,
aboutit à l'incorporation des pays rhénans à la Ré-
publique. P. Sagnac en a montré la marche sinueuse,
insistant sur le sentiment toujours favorable des
habitants. Dans une seconde partie, plus brève, l'his-
torien retrace l'organisation générale des nouveaux
départements, insistant sur la part qu'y prennent
les administration» locales, faisant l'éloge de plu-
sieurs des préfets que Napoléon place à ces postes
délicats : Lezay-Marnesia à Coblence, surtout Jean
Bon Saint-André à Mayence.
Prolitant de la situation qui leur est faite, ces
nouveaux départements s'enrichissent rapidement :
la Roër devient le département le plus industriel
de l'Europe; la vente des biens appartenant aux
anciens princes souverains double les revenus de
la terre; malgré le blocus continental, qui empêche
les marchandises anglaises de remonter le ltbin,le
fleuve n'en est pas moins la grande artère com-
merciale qui, de la Suisse à la Hollande, féconde
les pays qu'il traverse, tous soumis à la domination
française, depuis la création du royaume de Wesl-
phalie et de la confédération du Rliin.
Avec sa méthode, son énergie habituelles. Napo-
léon travailla à pénétrer plus complètement les
Rhénans de l'esprit français; le grand obstacle à
une fusion complète était la langue. Il ne l'aborda
pas de front, tolérant, malgré la règle édictée, que
la plupart des écoles enseignassent en allemand ;
il exigeait qu'il y eût partout des leçons de langue
française, mais celles-ci n'avaient pas toujours lieu :
pour la substitution d'un parler à un autre, il fallait
surtout compter sur le temps, et le temps manqua.
P. Sagnac relève une grave lacune dans l'organisa-
tion de l'enseignement sur les bords du Rhin : le
pays qui, sous l'ancien régime, avait connu de bril-
lantes universités, ne fut doté par l'empire d'aucune
école supérieure, autre qu'une école de droit à
Coblence ; aussi les étudiants les mieux doués pas-
sèrent-ils le Rhin, pour suivre les cours des univer-
sités allemandes.
Napoléon parcourut, à diverses reprises, les dépar-
tements rhénans; il y fut toujours reçu avec un
grand enthousiasme, prenant soin, d'ailleurs, de
flatter le particularisme local, trop naturel pour qu'il
s'en étonnât.
Toute la nouvelle génération, celle qui avait eu
vingt ans depuis 1792, était française de cœur autant
que de fait, quand, en 1S14, la débâcle survint. Jus-
qu'au bout, elle fournit à la France les contingents
militaires demandés. Les dernières levées ne furent
pas plus difficiles dans les départements rhénans
que dans le centre de l'empire, au contraire. Mais,
quand, au 1'' janvier 1814, l'armée de Blucher eut
passé le fleuve, les Rhénans se sentirent aussitôt
placés sous le joug des Prussiens, qui devaient leur
faire payer cher leurs sentiments français.
Les récents articles de Julien Rovère, parus dans
la « Revue des Deux Mondes » en octobre et no-
vembre 1917, sous le titre « la Rive gauche du Rhin
de 1815 à 1870 », décrivent la « Résistance à la
conquête prussienne » et constituent un intéressant
épilogue au livre si instructif et si réconfortant de
P. Sagnac. — Pierre Rain.
Septeiabre 1 9 1 4 (Après la bataille de
LA Marne), tableau de Daniel Ridway Knight,
exposé en 1918 au Salon de la Société des artistes
français. La guerre actuelle a peu inspiré les pein-
tres. Son aspect tragique et sombre ne permet plus
les belles ordonnances des Van der Meulen, les
chevauchées chères à Jacques Courtois et aux
Parrocel. On l'évoque, surtout, par les scènes de
l'arrière. Ridway Knight en a imaginé une assez
significative : un vieux paysan et sa femme sont
penchés sur une carte, lin garçon tient un journal.
Une jeune femme est assise près d'un berceau. La
table de vieux chêne, les objets posés sur le man-
teau de la cheminée : lanterne, chandelier, pot à lait,
confèrent à l'ensemble une certaine intimité. Ce
thème pourrait, sans doute, s'appliquer à bien des
heures de la guerre, mais il prend un sens particu-
lier dès qu'on lit le titre du tableau. — T. L.
stauraxone (du gr. slauros, croix, et de axe)
adj. et n. m. Se. nat. Se dit des formes centraxones
(v. p. 492) dont l'axe central est coupé à angle
droit par des axes secondaires : La coupe transver-
sale à l'axe principal est polygonale chez les
STAURAXONES.
Stauraxonie n. f. Se. nat. Caractère propre
aux formes stauraxones.
n
«• 137. Juillet 1918.
Steenstraete , un deuxième chapitre de
l'histoire des fusiliers marins, par Ch. Le GofOc.
(V. Dixmude, t. 111, p. 504). « Dans lenfer des
Flandres, si Dixmude fut le cercle de feu, Steens-
traete fui le cercle de boue. » Ces mots résument
avec une précision qui se passe de commentaire
l'histoire de la brigade des fusiliers marins durant
la période qui s'étend du 10 novembre 191'i au
15 janvier 1915. Période triste, d'épuisement lent,
mêlée de combats sans issue, où les poitrines hé-
roïques se heurtent vainement à l'obstacle d'une
organisation défensive nouvelle et insoupçonnée.
Conserver Dixmude ei^t entraîné des sacrifices
hors de proportion avec l'importance du résultat.
L'utilité même en était douteuse. La guerre chan-
geait de caractère. De part et d'autre, on commen-
ait à se terrer. Dixmude n'était plus qu'un saillant.
)n l'évacua. Ce ({ui importait désormais, c'était d'y
conlenirl'ennemi. L'artillerie, qui avait manqué de
munitions pour défendre ia ville, en eut pour pro-
téger la retraite. L'enfer de Dixmude était main-
tenant pourladversaire, comme en témoigne le cu-
rieux récit saisi sur un oflicier allemand et publié
en appendice. Nos lignes, d'ailleurs, ne valaient
guère mieux. L'ébranlement causé par la canonnade
était tel qu'on aurait pu se croire en mer. « Je
titubais », écrit un témoin. C'est au milieu de cette
tourmente qu'il fallut évacuer les blessés. Les com-
bats, du reste, ne chômaientpas. L'inondation avait
laissé devant la ville une brèche d'environ deux
cents mètres. Chaque nuit, sapeurs et pontonniers
s'efforçaient de préparer le passage aux troupes alle-
mandes. Chaque jour, notre artillerie défaisait l'ou-
vrage de la nuit. Sans trêve, on escarmouchait.
Enfin, le 16 novembre, arriva l'ordre de la relève.
Elle se fit, sous la pluie et les balles.
Après bien des tribulations, la brigade parvint
enfin au cantonnement, où elle trouva moyen de se
redresser pour être passée en revue par le général
d'Urbal. Il n'était que temps. Brûlés de fièvre, de
manquede sommeil et, il faut bien le dire, d'alcool,
les hommes devenaient inquiétants. Peu à peu, le
repos fera son œuvre. Le verbe deviendra moins
saccadé, les yeux moins brillants, les joues moins
creuses.
Huit jours, cependant, étaient h. peine écoulés
qu'un ordre parvint qui réclamait la brigade, quel-
que part, sur le front. Tant s'en fallait qu'elle fut
tout entière en état de repartir. On rassemble tout
ce qui était disponible et, en automobiles — car, si les
fusiliers pouvaient se battre, ils n'ëlaientpointencore
capables de marcher — on les dirigea sur Loo et le
pont de l'Yser, menacé, croyait-on. Fausse alerte!
A part quelques fractions, la brigade reste canton-
née, empilée plutôt, à Loo, qui regorge de troupes.
Du moins, ce n'est ni la boue ni le feu, et, vaille que
vaille, Jean Goui 11 se refait,... et s'ennuie. Pas bien
longtemps, car ce court repos prend fin le 5 décem-
bre. A cette date, le front du Nord s'étend de Nieu-
portàZennebeke.oii commence le front l)ritannique.
La situation générale se dessine ainsi : de Nieuport
au pont Knocke, la rive gauche de l'Yser, sauf
quelques points occupés par les Allemands, est
garde par les troupes françaises et belges, la bri-
gade ayant à Nieuport le bataillon de Jonquières
et, provisoirement, devant Dixmude, les bataillons
Conti et Mauros; du pont de Knocke à la passerelle
sud de Steenstraete, notre front suit le canal de
l'Yser à Ypres, avec la 38' division et la 42', à la-
quelle seront adjoints provisoirement les fusiliers
marins; de la passerelle sud de Steenstraete à Zen-
nebecke, le 20" corps monte la garde.
Entre le secteur de Steentraete et celui de Lan-
gemark, les attaques allemandes agissent « à la
manière d'un coin » et avancent un peu, « malgré la
splendide furia des zouaves de la brigade maro-
caine ». L'ennemi demeure finalement maître du
fameux bois tri;ingulaire, près de Ht'tsas, mais sa
ligne subit de dangereuses oscillations. Il n'obtien-
dra pas de succès marqué avant la surprise des
gaz asphyxiants, le 22 avril. Encore ne mettra-t-il
pas largement à profit ce succès passager.
Quant à la brigade, son nouveau front s'étendait
de la Maison du passeur, située à quelques cen-
taines de mètres au nord du pont de Steenstraete.
Réduite à un régiment, .on lui demandait de faire
la besogne de deux régiments et un bataillon.
"C'est chic, mais c'est dur », écrivait le comman-
dant Geynet. Relèves presque impossibles! Bientôt,
il est vrai, arrivaient les bataillcms Manroset Conti,
mais on en profitera pour étendre le front. Et quel
secteur I Du reste, on en pourrait dire autant de
toute cette région des Flandres, en hiver. Pour
gagner la tranchée, la colonne n'avance que pré-
cédée d'éclaireurs, munis de longues perches, qui
sondent le terrain. Ce ne sont que ruisseaux dé-
bordés, waterwangs, dont on ne trouve plus les
ponceaux. Et la tranchée, c'est le cloaque.
Sur la gauche « avec un entrain endiablé » les
joyeux viennentde reprendre la Maison du passeur.
Le paysage ne diffère guère de celui de Dixmude.
C'est toujoars parmi les écharpes de brouillards marins,
l'immense et bas.se plaine flamande décrite dans les com-
muniqués, le même damier interminable de prairies, de
LAROUSSE MENSUEL
betteravières et d'emblavuros, quadrillé de petites baies
et de t blancs d'eau •, qui gênent la vuo de I artillerie, la
même tangue grasse et ensAtre, tassée entre les mêmes
routes droites et surplombantes, les mêmes clocliers élan-
cés ou trapus, au bonc des mômes colonnades do peupliers
crispant leurs arceaux au vent du large.
Secteur relativement calme, pour le moment du
moins, mais où l'imprudence incoercible des Jean
Gouin ne laisse pas que de faire des victimes. Vie
de misère, épuisante dans sa monotonie, à laquelle
les hommes préféreraient, sans hésiter, la bataille et
ses risques.
Elle vint avec l'offensive de décembre. D'une
<• défensive active », observée pendant les journées
du 14, du 15 et du 16, la brigade reçut l'ordre de
passer à l'aclion. Il s'agissait d'une opération de
grande envergure,
combinée entre le groupement Hély d'Oissel et le
20* corps, le premier en direction du carrefour de
Bixshoote, le second vers le bois triangulaire et le ca-
l>&ret Korteker. 1^ brigade devait attaquer dans la direc-
tion de Steenstraete avec une compagnie cycliste, une
batterie à cheval et 1.50O hommes de la u* division d'in-
fanterie. Quelle que fût la tournure des événements, le
front de l'Yser devait rester inviolable.
L'altaqueseproduisitle 17; journée glorieuse,mai3
dont une insuffisante préparation d'artillerie devait
ne faire qu'un demi-succès, puisque, tandis que la
droite progressait franchement, que le centre
échouait à moitié, la gauche, empêtrée dans les
réseaux de fil de fer, se faisait bravement décimer,
mais sans pouvoir avancer. On conquit quelque
terrain, on le garda, mais il fallut s'arrêter. Journée
utile, puisqu'elle avait, en somme, fourni la diversion
que l'on demandait. Mais à quel prixl Les effectifs
de la brigade en sortaient singulièrement réduits.
A ces hommes affaiblis par la souffrance et souvent
la maladie, privés de la majeure partie de leurs
cadres, inquiétés par un espionnage local aussi
dangereux qu'insaisissable, à qui l'approche seule
de l'attaque semblait rendre l'enthousiasme et l'en-
durance de naguère, on allait demander un dernier
effort. L'offensive devait reprendre, au matin du 22,
avec les mêmes objectifs que précédemment, c'est-
à-dire, pour la brigade, la grande tranchée alle-
mande située à 500 mètres environ de Steenstraete.
Trente-six heures d'attente dans la boue avaient
rompu les hommes de fatigue. En dépit des fusées
éclairantes, ils gagnèrent leurs postes de combat.
A l'heure dite, la préparation d'artillerie se dé-
clencha comme la première fois ; à peine endom-
magea-t-elle les abords de la grande redoute 1 Soit
qu'il eût échappé aux regards de nos aviateurs, soit
qu'il fCit tout récent, on ignorait encore le puissant
système qui la prolongeait jusqu'à Bixshoote. Les
officiers, tout en gardant une contenance assurée,
ne conservèrent bientôt aucune illusion. Ils avaient
espéré tourner la grande redoute, et voici qu'elle
était continue. L'assaut fut donné « avec l:i folie du
désespoir ». Au feu terrible de leurs mitrailleuses
les Allemands joignirent la perfidie : sur le parapet,
des bérets apparurent. On crut que des nôtres
s'étaient infiltrés dans les tranchées. Ërreurl Une
voix, dit-on, s'éleva : •< N'approchez pas, les gars,
nous sommes prisonniers. » En effet, bientôt, des
casques à pointe se montrèrent derrière les bérets.
Quand l'amiral donna l'ordre de revenir en arrière,
l'héroïque brigade n'était plus qu'un squelette. Son
généreux sacrifice n'avait servi qu'à révéler la for-
midable organisation de la ligne allemande.
Huit jours après, ses débris étaient ramenés à
l'arrière. De 12.000 hommes, à peine en deirieu-
rait-il 4.000! Le président de la République tint à
honneur de les passer en revue. 11 leur fit la remise
du drapeau, qu'en récompense de sa belle conduite
on avait décidé de confier à la brigade des fusiliers
marins. Sous l'ombre de ses plis, reformée, com-
plétée encore une fois, elle devait courir à de nou-
veaux exploits.
Si la période de Steenstraete n'a pas au même
degré le caractère épique de celle de Dixmude, elle
ne lui est pas inférieure par la qualité morale. Deux
traits ressortent enti-e beaucoup d'autres : le main-
tien de l'esprit guerrier et combatif dans cette
troupe écrasée des fatigues d'un hivernage épui-
sant, plus déprimant que les plus terribles luttes.
« Ils recommenceraient un nouveau Dixmude plutôt
qu'un nouveau Steenstraele », écrivait un héros des
deux périodes. Puis la confiance de ces marins dans
leursofficiers, dont le tact et le dévouement trouvent
le moyen de concilier ces deux conditions de la
confiance, en apparence contradictoires : une disci-
pline exacte et l'esprit paternel. Par la nature des
choses, l'officier de marine vit, à l'ordinaire, en un
contact plus étroit oue l'officier de terre avec ses
hommes; il partage les mêmes réclusions, le même
éloignement des siens, les mêmes risques quoti-
diens de la mer; souvent, il est fils du même terroir.
Une sorte de familiarité qui ne compromet pas les
distances nécessaires s'établit vite entre l'officier
de marine et ses hommes. Aussi conçoit-on que,
dans ce milieu plus encore qu'ailleurs, le moral des
seconds soient à l'étiage de celui du premier. On
ne saurait trop admirer ni trop louer l'abnégation.
517
l'endurance, la belle humeur de ces officiers de ma-
rine, de ces médecins, de ces aumôniers au milieu
des plus déprimantes épreuves et, il faut l'ajouter,
l'élévation morale dont témoignent les carnets et
les lettres dont Le Goffic nous prodigue à pleine
mains les feuillets. Certes, ils n'en ont pas le mono-
pole, mais on peut dire sans exagération, et sans
froisser personne, que nos officiers de marine déta-
chés à la guerre de terre ont donné la plus haute
idée du corps auquel ils appartiennent.
« Heureux les fusiliers marins I ils ont trouvé
leur poète I » disait, non sans une nuance de mélan-
colie, un officier supérieur de l'armée de terre.
Et, certes, sans cette guerre, qui a fait surgir toutes
les forces vives et trop cachées de la France, com-
bien mériteraient, comme les fusiliers marins, de
trouver leur poète ! Us auront, du moins, leurs histo-
riens. Quelle de nos provinces ne tiendrait à hon-
neur de retracer par la plume de ses plus habiles
écrivains les services et les exploits de ses en-
fants? C'est une delte qui sera pavée, on en peut
être assuré. El, de plus d'un de ces fivres on pourra
dire ce qu'écrivait le général Lyautey du Steens-
traele, de Le Goffic, que « chaque page en est une
leçon ». — André BAnDaitUKT.
83rpIiéotld.e (du gr. «u/)Aeon, étable à porcs, et
oiis, idos, outarde) n. f. Genre d'oiseaux du groupe
des échasaiers et de la famille des otidés ou
outardes.
— Encycl. Ce genre indien renferme des oiseaux
de taille moyenne, sans collerette, mais avec un bec
long et des pattes longues, plus que dans les autres
g:enres vivant dans l'Inde. Une grande partie des
tibias est nue; les tarses entiers sont nus avec des
squames. Le caractère principal de ce genre, c'est
que le mâle, dans la saison des amours, prend un
plumage spécial, avec la tête, la nuque et les parties
inférieures d'un noir foncé, tandis que les ailes sont
en grande partie blanches. A cet état, il y a une
différence considérable entre le mâle et la femelle
de ce genre, qui ne comprend qu'une espèce, la
sypbéotide oreillarde {sypheotis Indica).
Le plumage de noces comporte, en effet, deux
touffes de plumes longues, spatulées, recourbées
vers le haut et portées de chaque côté de la tête ;
les plumes de la poitrine intérieure et du devant du
cou sont peu allongées. Les joues son t sans vibrisses;
les plumes sont un peu plus longues à la nuque,
mais non à l'occiput.
C'est la disposition de ces plumes ornementales
qui différencie ce genre des Jjenres similaires
vivant au Bengale; en outre, les rémiges primaires
sont échancrées sur la vexille interne et atténuées
près de l'extrémité. Ce caractère est plus accentué
dans la syphéotide oreillarde que dans l'outarde
bengalaise. Les femelles sont un peu plus grandes
que les mâles; elles ne changent pas de couleur à
la mue du printemps. One forme africaine voisine
[lissotis) présente des colorations identiques.
Le mâle de la syphéotide oreillarde, dans la sai-
son des amours, est superbe, avec ses couleurs et
ses trois ou quatre plumes spatulées, placées de
chaque côté de la tète et qui atteignent 0°',10 de
longueur. Ces plumes sont parfaites en juillet et en
août. La tête, la nuque, les parties inférieures et
les cuisses sont noires, sauf le menton qui est blanc.
Le cou porte une bande blanche. Le dos, les rémiges
tertiaires sont noirs, avec des taches blanches en V:
beaucoup de couvertures sont blanches. Les pre-
mières rémiges et les pointes des grandes secon-
daires sont noires; les rémiges primaires sont aussi
pointues que des épingles. Le croupion et les cou-
vertures supérieures de la queue sont noirs, mais
finement mouchetés de blanc. La queue est pAle,
blanchâtre et piquetée de noir vers la pointe; mais,
vers la base, les rectrices ont une couleur chamois,
avec des barres noires, .^près la saison des amours,
le mâle mue et prend le plumage delà femelle, avec
plus ou moins de blanc à l'épaule.
Le bec est foncé en dessus; le bord de la mandi-
bule supérieure et toute l'inférieure sont jaunâtres,
l'iris est jaune pâle, plus foncé chez le mâle; les
membres sont jaune blanchâtre foncé.
La femelle est si différente du mâle, en été, qu'on
l'avait décrite sous un nom spécial ; mais, en plumage
d'hiver, le mâle et la femelle sont semblables. La
tête est noire, striée de chamois; la nuque est fine-
ment vermiculée de brun et de noir; les côtés de la
tète et le cou sont chamois, avec des taches noires
très nettes. Les parties supérieures sont d'un brun
vermiculé, la queue brunâtre avec des barres noires,
le menton est blanc ainsi que la gorge; la poitrine
inférieure, l'abdomen, les couvertures inférieures
de la queue sont d'un brun brunâtre. Le jeune niàle
ressemble d'abord & la femelle, pour prendre peu à
peu le plumage de l'adulte.
Le mâle a Oi*,4S, tandis que lafemelle, qui est un
peu plus grande, atteint 0i°,50.
L'aire d'habitat de celte espèce est très étendue.
Elle comprend l'Inde k peu près tout entière, de
l'Himalaya au cap Comorin. Elle y porte le nom de
likh, tandis qu'en anglais on l'appelle florican ou
florikin. C'est un résident permanent, car, en hiver.
Iil8
elle se tient surtout au sud du district du Godaverr,
etellenichedan3leDeccan,Iesprovinces centrales, le
sud du Sinlikli. On la liouve aussi dans le Bélout-
cliislan, le Népaul, le Bengale (à l'est de la baie), la
côte de Malabar, l'Arrakan; mais elle n'a jamais été
rencontrée dans l'ile de Ceylan.
La syphéoUde oreillarde vit isolée ou par paires
dans les hautes herbes : c'est l'abri qu'elle préfère.
Pourtant, on la trouve parfois dans les cbamps cul-
tivés. Elle se tient dans les plaines et les contrées
ouvertes ; elle est très rare daus lus pays accidentés.
Sa nourriture, comme celle des autres outardes,
consiste en graines et en pplils animaux : insectes
Syphéotide orpiUarde.
(sauterelles, mylabres, carabes), myriapodes, petits
lézards. Son vol est rapide, et elle a alors une cer-
taine ressemblance avec un canard .
Les outardes s'apparient et nichent dans l'herbe,
et leur présence est alors décelée par le mâle, qui
saute au-dessus de l'herbe avec un cri particulier,
sorte de grognement rappehnt le croassement du
corbeau. La saison des amours dure du mois d'août
au mois de novembre; la femelle pond trois à quatre
œuls dans une dépression du sol, d'où son nom de
Il perdrix d'berbe », qu'on lui donne parfois. Ses
œufs, qui vont du vert olive clair au brun olive,
sont tiquetés, et ils mesurent 0"',û45 sur 0™,004.
La chair de ces oiseaux est la plus estimée de
tous les gibiers à plumes. Aussi le nombre en a-l-il
été très réduit par lacliasse indigne qu'on leur fait,
même pendant les amours. — a. ménédaux.
tliermotliéraple n. f. (diigr. thei-mos, cha-
leur, et Iheiopeia, traitement). Méthode thérapeu-
tique qui utilise la chaleur. (La thermothérapie fait
partie du complexus thérapeutique connu sous le
non général de pliysiolhérapie.)
— Encvcl. La thermothérapie est de date fort
ancienne. Les médecins de l'antiquité connais-
saient et préconisaient les étuves à hiiute tempé-
rature, employaient les sachets de sable et de cendre
chaulTés et même d'autres corps traités de la même
manière. C'était surtout la chaleur solaire qu'ils
emmagasinaient ainsi. Les bains de vapeur et d'air
chaud faisaient, et font encore, partie des bains
turcs et russes. On trouve, dans l'histoire de la
médecine, à desdates plus ou moins éloijfnées l'une
de l'autre, des thérapeutes qui déplorent l'abandon
de ces méthodes et s'efforcent de les remettre en
honneur. Mais c'est surtout au xix«et au xx« siècle
que la thermothérapie s'affirme une méthode effi-
cace, les procédés d'obtention de la chaleur étant
devenus plus pratiques et plus divers, les indica-
tions en ayant été mieux établies et l'action mieux
étudiée.
Bon nombre de ces procédés visent à utiliser non
seulement la chaleur elle-même, mais encore des
qualités accessoires et étrangères à elle. C'est ainsi
que la douche chaude réunit les effets de la percus-
sion à ceux de la température, que le bain chaud
agit de plusieurs façons. On range, d'ailleurs, à
l'ordinaire, ces dernières applications thérapeuti-
ques sous le titre de l'hydrothérapie. Nous n'en
dirons donc que quelques mots. La douche chaude
e.st donnée en général courte; elle est tonique et
utilisée contre les phénomènes douloureux, notam-
ment d'origine rhumatismale ou névralgique. Le
bain chaud, c'est-à-dire donné à une température
supérieure à 37 degrés, est tonique comme la douche,
quand il ne dure que quelques minutes; dans le
ras contraire, il est sédatif et même fatigant. On a
coutume, afin d'éviter un retentissement sur la cir-
culation cérébrale, de lui adjoindre des affusions
d'eau froide sur la tète. Une méthode très employée
LAROUSSE MEiNSUliL
en hydrothérapie et connue dans les bains orien-
taux consiste à faire alterner brusquement l'eau
très chaude et l'eau très froide. On semble surtout,
par ce moyen, accroître l'action de l'eau froide en
augmentant la différence de température subie par
le corps.
Les effets des hautes chaleurs sur l'organisme
sont, actuellement encore, incomplètement connus.
On admet, en général, qu'une double action est
déterminée. La première est une augmentation
très nette de la circulation péripliérique, une vaso-
dilatation dont on trouve le témoignage dans la
rougeur cutanée. De là, une activation de la circu-
lation en général. Cette activation est si évidente
que la tbermothérapie généralisée est contre-indi-
quée chez les sujets atteints de maladies du cœur,
car elle peut déterminer chez eux des accidents
sérieux. D'autre part, l'application de la chaleur
détermine une abondante sudation, générale ou
locale, suivant le mode d'emploi de cet agent. La
sudation ainsi provoquée a comme grand avantage
de permettre une suppléance au moins momen-
tanée de certains émonctoires mis pathologiqne-
ment en état de déficience, et principalement des
reins. Cette double action a pour résultat final une
expulsion accrue des produits toxiques élalrarés au
cours des combustions organiques. On conroitdonc
que la Ihermolhérapie soit surtout indiquée cliez
les obèses, à qui elle fait perdre une quantité appré-
ciable de leur poids, chez les goutteux, les rhuma-
tisants, tous les malades, en un mot, qui ont été
rangés par Bouchard dans les i< ralentis de la nutri-
tion u.Elle l'est d'autant plus que sa mise en oeuvre
locale détermine une sédation très marquée des
phénomènes douloureux, notamment de ceux qui
sont sous la dépendance de manifestations articu-
laires, musculaires ou névralgiques. Enlin, en por-
tant très haut la température obtenue par certains
procédés, on parvient à obtenir une désinfection
chirurgicale énergique de certains foyers infectieux.
Ce procédé, qui a été utilisé avec grand succès daus
le traitement de certaines complications des bles-
sures de guerre, se rapproche, en somme, de la
cautérisation, qui n'est, à vrai dire, que de la
thermothérapie très énergique. Il s'en distingue par
l'absence de feu ou de flamme et a été rangé dans
l'aérothermothérapie.
Au point de vue des modes d'application de la
chaleur, il faut, croyons-nous, distinguerla thermo-
thérapie généralisée et la thermothérapie localisée.
Thermotkérapie (/énéralisée. — Elle peut être
sèche ou humide, la première étant de beaucoup
firéférable, parce qu'elle provoque plus facilement
a production de la sueur et permet, en conséquence;
de supporler des températures beaucoup plus éle-
vées. Le bain de vapi'ur ne dépasse pas, en général,
60 degrés et, à cette température, beaucoup de sujets
ne le supportent encore qu'avec dil'liculté.
La thermothéiapie sèche peut, au contraire, même
dans cet emploi généralisé, utiliser une chaleur
beaucoup plus grande. Elle consiste en bains d'air
chaud ou en bains de lumière. Les bains d'air chaud
se donnent dans des boîtes en bois hermétiquement
closes, fabriquées de façon à laisser dépasser la
tête, que l'on soustrait ainsi à l'action de la chaleur.
On a même fait des boites disposées de façon à ne
donner que des demi-bains, laissant dépasser, par
exemple, toute la partie du corps située au-dessus
de la ceinture. La chaleur est obtenue, dans ces
boites, à l'aide de radiateursou, encore, de modes de
chauffage plus sommaires et inférieurs. La tempé-
rature réalisée peut atteindre 70 à 90 degrés. Cer-
tains dispositifs permettent d'appliquer cette mé-
thode à des malades alités, les draps étroitement
bordés et relevés par un cerceau remplissant alors
l'office de boîte close et l'air chaud étant envoyé
par l'intermédiaire d'une tuyauterie plus ou moins
primitive.
Les bains de lumière ne sont devenus possibles
que lorsqu'on a eu à sa disposition des sources
lumineuses électriques. On les donne dans des boîtes
é^'alement closes, dontles parois sont plus ou moins
tapissées de lampes électriques, soit de lampes à
incandescence ordinaires, soit de lampes d'un mo-
dèle spécial (lampes Dowsing). On accroît l'effet de
ces sources électriques en disposant derrière elles
des réflecteurs en glace ou en métal. On obtient
ainsi, disent quelques-uns, une association de la
thermothérapie et de la photothérapie, pouvant di-
versifier les effets de celte dernière en faisant va-
rier la couleur des radiations. La température, à l'in-
térieur de ces appareils, peut atteindre 100 dégrés, et
la sécheresse de l'air permet de la supporter sans
inconvénients.
La thermothérapie sèche doit comprendre encore
les bains de boue et les bains de salile. Les pre-
miers sont dormes dans certains établissements
construits auprès de sources thermales (Saint-
Amand, Dax, Barbotan, etc.). Ces boues vépéto-
minérales donnent une température qui n'excède
pas 50 degrés. Le bain de sable, pris sur des plages
particulièrement favorables, comme Berck, dans le
sable échaulTé par les rayons du soleil, agit égale-
ment par sa température. Il est, d'ailleurs, bon de
«• 137. Juillet 1918.
faire remarquer que les rayons solaires utilisés par
l'héliothérapie (v. ce mot) doivent une partie de
leurs effets à la chaleur qu'ils font agir sur. le
patient.
Thermolhérapie localisée. — Les mêmes disposi-
tifs : bains de lumière, bains d'air chaud, bains de
boue en application, peuvent être utilisées pour la
thermothérapie locale, dontles indications relèvent
surtout, nous l'avons dit, des douleurs et gonfle-
ments articulaires, des névralgies et des atteintes
rhumatismales des muscles. Les sacs de sable et de
cendre dont nous avons parlé réalisaient déjà, quoi-
que de façon moindre, cette thérapeutique. Depuis
lors, un grand nombre d'appareils spéciaux ont été
imaginés, dans lesquels on est parvenu à obtenir des
températures extrêmement élevées. Quelques-uns se
sont servis de fours chauffés avec des briques
cliaudes, d'autres ont utilisé l'électricité, et le ther-
mophore de Cerruli, compresse légère parcourue
par des fils métalliques où passait un courant élec-
trique, est un des appareils les plus originiiux. On a,
de même, imaginé des appareils où le courail d'air
passait sur une spirale de platine portée au rouge.
La plupart du temps, les appareils destinés à
réaliser cette Ihermothérapie consistent en des
boites dont la forme est adaptée à celle des ré-
gions à traiter et faites de matières mauvaises
conductrices de la chaleur. Celle-ci est obtenue soit
dans l'appareil lui-même à l'aide de dispositifs
électriques et, notamment, de lampes, soit en de-
hors, h l'aide d'un foyer alimenté électriquement
ou à l'alcool. C'est ainsi qu'on applique le traite-
ment thermique aux membres, ceux-ci étant placés
dans ces appareils, enveloppés de linges et de façon
qu'ils ne touchent pas les parois. Quand il s'agit
de traiter des régions difficiles à enfermer de la
sorte, comme le dos, la poitrine, etc., on utilise
des appareils où l'air, chauffé électriquement ou
autrement, est projeté au dehors par un tuyau, réa-
lisant ainsi la douche d'air chaud. Il existe même
des appareils portatifs, permettant d'appliquer cette
thérapeutique à domicile.
Dans la douche d'air chaud, de même que dans
les différents appareils que nous avons mention-
nés, on obtient des températures véritablement
très hautes et que permettent seulement de sup-
porter la sécheresse de cet air et la production
sudorale intense qui fait isolant à la surface de la
peau. On utilise couramment, ainsi, des températures
de 150 à 200 degrés. L'effet produit sur les lésions
articulaires, les myalgies et les névralgies est, dans
bon nombre de cas, extrêmement remarquable.
Certains auteurs ont réalisé ces applications lo-
cales très chaudes à l'aide de mélanges cireux, com-
prenant de la paraffine et, souvent, de la colophane
ou de la gutta-percha. Ces mélanges, liquéfiés au
bain-marie, sont appliqués au pinceau sur la région
à traiter, à la température de 70 à 80 degrés, sans
que cette application soit en quelque façon doulou-
reuse, grâce, sans doute, àlélalsphéroïdalque prend
immédiatement la sueur. Cette sorte de traitement
est à double effet. Ces mélanges, en se solidifiant,
constituent un pansement absolument occlusif, qui
fait échapper à l'action de l'air les surfaces ulcérées
et, notamment, les pertes de substance causées par
les brûlures. Ces plaies et d'autres encore guéris-
sent très rapidement sous ces applications, et les
cicatrices qui se forment restent souples et non
rétractiles. On a utilisé également ce pansement
contre certaines plaies de guerre étendues et préa-
lablement stérilisées. D'autre part, on réalise ainsi
une thermotbérapie locale, dont la grande qualité
est de conserver très longtemps la chaleur. On a
donc pratiqué ces pansements en entremêlant les
couches de matières plastiques avec des couches
légères de coton, dans les arthrites et généralement
dans tous les cas où la thermothérapie locale était
indiquée.
L'aérothermothérapie h très hautes températures
avait déjà été réalisée par certains chirurgiens, qui
soignaient des ulcérations en les soumettant au
rayonnement du fer rouge ou du thermocautère sans
application directe ou en les plaçant à proximité
d'une autre source de chaleur très vive. Dans la
guerre actuelle, c'est surtout Quénu qui a appliqué
ce mode de traitement à des plaies profondément
infectées, et il le pratiqua dans bon nombre de cas
où il assislait à la naissance de la gangrène gazeuse,
ou en craignait la venue. Il se servait, pour cela, de
l'appareil à air chaud obtenu électriquement (appa-
reil de Gaiffe) et projetait sur la plaie largement
débridée un courant d'air à 500, 600 et même
800 degrés. Il a déclaré que ce mode de traitement,
qui ne peut, bien entendu, être pratiqué que sous
anesthésie générale, avait évité l'amputation à pres-
que tous les patients à qui il l'avait appliqué. Rever-
chon, 'Vignat et Vaucher ont substitué l'oxygène à
l'air chaud, dans les mêmes conditions. Ces prati-
ques semblent devoir céder le pas aux procédés de
stérilisation des plaies par les bypocbloritesf Vincent,
Carrel), actuellement en usage. — 1>' uenn bouqubt.
Parti. — Imprimerie Larousse (Moreau, Aur4, GiUoD et O*),
n, rue Montparnaiifl. — Le gérant : L. Oroilbi.
L'Etanâ. (Oiseaux d'eau.)
H" 138. -^ Août 1918
Académie des sciences. — Election de
Gabriel Kœnigs. Le 18 mars 1918, l'Académie des
sciences a procédé, par la voie du scrutin, à l'élec-
tion d'un membre de la section de mécanique, en
remplacement de H. Léauté, décédé. Au premier tour
de scrutin, le nombre de votants étant de 47, Gabriel
Kœnigs, professeur à la Sorbonne et au Collège de
France, obtint 34 suffrages, Jean Resal, professeur
du cours de mécanique à l'Ecole des ponts et chaus-
sées 12 et Augustin Mesnager, professeur du cours
de matériaux de construction à l'Ecole des ponts
et chaussées 1. Gabriel Kœnigs, ayant réuni la ma-
jorité des suffrages, a été proclamé élu. (V. p. 534.)
Algues (Utiusatiom alimentaire des). —
Les algues, qui existent dans nos mers en quantité
pratiquement infinie, ne servent, chez nous, qu'à la
préparation de l'iode et comme engrais. Or, elles
contiennent des substances qui pourraient aider
singulièrement à résoudre le probU'me aujourd'hui
si pressant de l'alimentation et, notamment, de celle
des animaux, si l'on ne consentait pas à les intro-
duire dans la nourriture humaine, ce qui se fait,
cependant, depuis longtemps, dans un certain nombre
de pays. La section technique du ministère de la
guerre a demandé, l'an dernier, !i la Société de pa-
thologie comparée de vouloir bien prêter son con-
cours aux recherches qui pourraient être faites à
cet égard. Oliviero a rédigé, au nom de la Société,
un rapport qui a été discuté en plusieurs séances.
D'autre part, l'intendant général Adrian a fait ssr
ce sujet, à l'Académie des sciences, une communi-
cation d'un intérêt pratique immédiat. Laconclusion
de ces travaux est nettement favorable à l'utilisation
alimentaire des végétaux marins.
Des ouvrages comme ceux de Dupiney de Vore-
pierre, de Bory de Saint-Vincent, de Desmoires et
d'autres auteurs nous montrent que, comme nous
le disions plus haut, différents peuples utilisent déjà
les algues dans un but alimentaire : le fucus vesi-
culosus nourrit à lui seul chevaux, bœufs et mou-
tons dans certaines îles d'Ecosse ; le fucus serratus
alimente le gros bétail en Norvège ; d autre part,
on sait que les peuples d'Extrême-Orient mangent
quelques snrgansum, que Valaria escutata, la dur-
villea ulilis, la laminaria potalorum sont em-
ployées pour la nourriture des indigènes en Irlande,
en Ecosse, aux îles Féroé, au Danemark. Lacamp
a rappelé que, sur le littoral européen, on fait des
celées avec la padina pavonin, la gigarlina mamil-
losa, le fucus crispus, des salades avec l'uva luc-
tuca et la porpliyra laciniala, qu'en Bretagne, les
«crèmes de Larinor » sont confectionnées avec le
fucus crispus. On voit donc que les leçons de
l'expérience nous enseigneraient déjà à être plus
prévoyants que nous ne l'avons été jusqu'ici.
L'analyse confirme ces données en montrant que
les algues contiennent des substances mncilagi-
neuses hydrocarl)onées et azotées tout à fait pro-
pres à l'usa's'e alimentaire. Parmi elles, il faut citer
LAROUSSE MENSUEL. — TV,
une gélose, que les Japonais ont extraite sous le nom
à'agar-agar et qui est employée d'une part pour les
usages de laboratoire, d'autre part, au point de vue
thérapeutique, comme laxatif mécanique. Avec cette
gélose, on peut faire, en l'aromatisant avec des corps
chimiques, des confitures artificielles. Les algues
contiennent encore de l'algine, qui est un corps azoté
et que Chinois et Japonais exploitent comme sub-
stance alimentaire sous le nom de kombu (Gloëss).
Du travail de Oliviero extrayons les renseignements
suivants : l'algine se prépare en lixiviant les lami-
naires par de l'eau acidulée en présence d'un oxydant :
100 grammes de laminaires de fond donnent 15 gram-
mes de substances sèches, qui fournissent 8 grammes
d'algine. Or, 100 grammes d'algine brute renferment
83 grammes de substance hydrocarbonée, 13 grammes
de cellulose digestible et 4 grammes d'azote. D'autre
part, Adrian donne le tableau comparatif suivant de
composition entre les laminaires traitées et l'avoine :
Laminairef, Avoine.
Eau 14.40 12.55
Cellulose 11.50 8.43
Hydrates do carbone 52.90 60.80
Matières azotées 17.30 9.10
Matières miuoralos 3.90 3.10
On voit que les différences de composition entre
les deux sortes de substances, marine et terrestre,
ne sont pas grandes et qu'elles sont parfois à l'avan-
tage de la première.
L'expérimentation est venue confirmer ce que
nous apprenaient les anciens usages et l'analyse cni-
mique. Adrian, en effet, a pris deux lots comprenant
chacun vingt chevaux. 11 a nourri le premier lot avec
les rations habituelles de fourrage et d'avoine. 11 a
nourri le second en remplaçant cette avoine par des
laminaires, poids pour poids. Deux mois après, les
chevaux nourris suivant les règles oi dinalres avaient
augmenté leur poids de 2 kilogrammes; les animaux
du second lot avaient gagné 13 kilogrammes. Il y a
mieux. Il fit la même expérience avec deux lots de
chevaux malades (lymphangite épizootiqne), et les
chevaux nourris avec des laminaires guérirent, tan-
dis que ceux qui avaient continué à rester nourris
avec de l'avoine demeurèrent malades. Il est pro-
bable que c'est l'iode resté dans ces laminaires qui
produisit cet effet thérapeutique (Lapicque et Le-
gendre), mais il faut retenir que les laminaires
purent remplacer, chez tous cescnevaux, avec avan-
tage, l'avoine qu'on leur supprimait.
Il n'est pas jusqu'à la question économique qui
ne nous engage à marcher dans la voie que nous
avons indiquée. II. Renault, en effet, estime que
la récolte des algues et leur préparation sont si fa-
ciles que le prix de revient de ces végétaux serait
de 20 francs la tonne. Les algues qui seraient les
plus favorables à un emploi alimentaire, dans nos
régions, seraient celles de grand fond, surtout re-
présentées par les laminaires (laminaria digitata),
qu'il faudrait récoller par des moyens plus modernes
et plus expéditifs que ceux qui sont communément
employés pour les algues de rive ou les algues flot-
tantes. Il n'est p.is inutile de rappeler que les Japo-
nais procèdentméthodiquement à la coupe des algues
de fond, que les Russes font de même dans la mer
Noire, que les Américains procèdent également de
la sorte et, enfin, qu'avant la guerre, une société
austro-allemande de Bohême venait, dit Oliviero,
jusque dans la baie de Saint-Brieuc couper le goémon
de fond, l'expédiait à son usine et nous vendait en-
suite l'algine pour la préparation des apprêts néces-
saires à l'industrie textile, sous le nom de norgine.
Quant aux méthodes à employer pour procéder k
cette utilisation des algues dans la nourriture du
bétail, voici les renseignements que nous fournit
Henri Renault. Après la récolte, il faut procéder au
décoquillage, puis sécher sur place, sur l'herbe ou
sur les rochers, le fanage se faisant comme pour les
fourrages habituels. Si le séchage devait se faire en
hiver, l'air chaud serait nécessaire. On peut, alors,
soit présenter au bétail les algues séchées, soumises'
à l'action d'un déchiqueteur et pressées en balles, soit
broyées et réduites à l'aspect du son ou des feuilles
hachées. Le moment le plus propice pour la récolte
et la fenaison est la saison chaude, que l'on doit
considérer comme commençant vers le 15 avril.
De toutes ces études il résulte que l'emploi des
algues, tout au moins dans l'alimentation du bétail,
est on ne peut plus souhaitable. L'état actuel de nos
cultures rend, en effet, nécessaire l'emploi d'un suc-
cédané des divers fourrages, qui menacent de nous
manquer ou, du moins, d'être insuffisants. Pour noire
cavalerie comme pour notre cheptel, il faut espérer
que, sans tarder, les conclusions unanimes des sa-
vants que nous venons de citer aboutiront à une
solution pratique du problème. — D' Henri Bouquet.
Astier (Placide-Alexandre), pharmacien et
homme politique français, né à Aubignas (Ardèche)
le 23 février 1856, mort à Paris le 6 mars 1918. Fils
de cultivateurs, n'ayant reçu, à l'âge de douze ans,
qu'une instruction primaire, il continua ses éludes
grâce à son désir d'apprendre et au dévouement
de l'instituteur communal, entra comme apprenti
chez un pharmacien de Montélimar, de là alla à.
Saint-Omer, puis à Paris, où il commença ses
études de pharmacie, passa son baccalauréat es
sciences, fut nommé interne des hdpitaux et obtint
le diplôme de pharmacien de l" classe en 1882.
En celte qualité, il fonda une officine à Paris et
fabriqua de nombreuses spécialités pharmaceuti-
ques appréciées.
11 débuta dans la vie politique en 1898 et échoua
aux élections législatives à Paris contre Marmotlan.
Elu conseiller municipal du XVI« arrondissement
et conseiller général de la Seine en 1896, il était,
deux ans après, vice-président du conseil muni-
cipal. Là, il obtint la création d'une commission
qui résolut la question des universités et décida la
création de chaires magistrales entretenues par la
20
FL-Alcx. Asticr.
520
Yille de Paris & la Faculté de médecine. Lors du
renouvellement législatif de 1898, il fut élu député
de la 2* circonscription de Privas et fut réélu
en 1902, 1906 et 1910. Il entra au Sénat en octo-
bre 1910, à la suite d'une élection partielle dans
l'Ardèche, et fut réélu le 7 janvier 1912. A la
Chambre, il se signala surtout par ses rapports
sur l'enseignement technique (il a écrit sur ce sujet
un volume en collaboration avec Curninal, comme
lui conseiller gé-
néral de l'Ardè-
che),surlemono-
pole de l'alcool,
sur l'exercice de
lapbarmacie.elc.
Au Sénat, il fut
élu secrétaire de
la haute Assem-
blée etchargédu
rapport du bud-
get des chemins
do fer de l'Etal.
La guerre venue,
ilseconsacraaux
améliorations k
apporter dans le
service de Santé,
en sa qualité de
rapporteur du
budget de cette
administration
devant la commission des finances du Sénat. En
janvier 1918, le président du conseil, Clemenceau,
lui confia le poste de commissaire général de la ré-
éducation des mutilés. C'est à lui que l'on doit en
grande partie la fondation de l'Office des pro-
duits chimiques et pharmaceutiques (v. Larousse
mensuel, t. IV, p. 102). Il était maire d'Aubignas
et président du conseil général de l'Ardèche,
directeur de la France de Bordeaux et du Sud-
Ouest et fondateur d'une revue technique : te Monde
médical. — I" Maurici^ Gii.i.E.
*1>©0 n. m. Arg. Tomber sur un bec de gaz, Ren-
contrer un obstacle, une difficulté. || Se trouver
bec d'ombrelte. Etre déçu, embarrassé ; Je crois
qu'ils sont allés un peu fort avec leurs munitions,
en premier, et que, maintenant, ils se trouvent
BEC d'ombrelle.
Belglg^ue (Dans l'exthème), par Joergen-
sen (Paris, 1918). — Avec ce noiivoau livre, qui
est comme une suite à sa Cloche Roland, Joer-
gensen continue à comballre le bon combat. Pour-
quoi il a donné à sa prose, comme magniliques
riropylées, le chant superbe de Josue Carducci célé-
brant la victoire de la Ligue lombarde sur Frédéric
Barberousse à Legnano, il nous l'explique. C'est,
dit-il, qu'il a voulu montrer que la guerre que l'on
fait maintenant est celle que l'on a toujours faite :
la guerre abominable entre la dévastation et la vie,
entre la mortel la lumière. Et celte explication est
tout un programme. Depuis que la Cloche Roland
a été publiée, nous dit-il encore, on lui a souvent
demandé (qui, onl Peut-être ces n détrousseurs de
cadavres » justement démasqués par P. H. Loyson,
<iui, à défaut de cadavres, s'efforcent de tirer à soi
les vivants), on lui a souvent demandé s'il ne se
repentait pas d'avoir écrit quelque chose d'aussi
absolu sur l'.Mlemagne, s'il ne i-egrettait pas le cha-
pitre sur la Germanie. Eh bien, non ! Le neutre qui,
avant la guerre, ne faisait pas mystère de ses amitiés
allemandes, ne regrette rien. 11 confirme et, conlir-
iner,pourle libre choix d'un neutre, c'est aggraver.
• On s'est ému aussi — quelques-unes de ses lec-
trices sans doute — de sa comparaison entre l'Al-
lemagne et la femme. 11 s'explique. Ce n'est pas
qu'il méconnaisse les vertus propres de la femme.
Par principe féminin, il entend « ce que toute
vraie femme sent dans les profondeurs de sa nature,
la puissance qu'il faut dominer à tout prix et qui,
pour rien au monde, ne doit prendre le dessus , et
que l'Allemagne ne domine pas, devons-nous com-
prendre. L'Allemagne prélend dominer le monde.
Or, le peuple allemand a souvent essayé de do-
miner. « Rome a pu dominer. La France a pu do-
miner. L'Espagne a pu dominer. La Hollande a pu
dominer ». L'Allemagne, non, et il le montre. A
Milan, au temps de Barberousse, comme en Bel-
gique, comme en France, l'Allemand s'est abrité
derrière des femmes, des enfants ;
La méthode est la mfimf, parce que dix-huit siècles
n'ont changé ni la cpuautV', ni la lâcheté allemande. Mais
le cruel et le lâche pont ôtre un tyran, il ne peut dominer.
La grande erreur des Allemands, erreur — ajou-
terons-nous, qui s'affirme cliaque jour dans les
discours du kaiser comme dans les écrits des publi-
cistes et parfois jusque dans les propos des prison-
niers de guerre — c'est de se croire désignés pour
être le peuple qui doit dominer. Et le monde, dont
le sort était en jeu, a dû prendre parti.
Comme par le bâton de Moïse, les oanx se sont sépa-
rées. Nietzsche voulait partager lo monde en maîtres et
en esclaves;.., maintenant, la guerre, de sa main ensan-
LAROUSSE MENSUEL
glantée, partage l'humanité en deux camps d'un autre
genre. D'un côté, ceux qui croient que Dieu est le maître,
que l'homme et le droit sont des valeurs réelles pour les-
quelles, quand il le faut, on doit mourir, et, de l'autre
côté, ceux qui soutiennent avec les sophistes que l'homme
est la mesure de tout, que nous sommes les maîtres de la
loi, et non que la loi est au-dessus de nous.
Ainsi, guerre entre deux conceptions du monde :
d'une part, transcendenlalisme aristotélicien etchré-
tien, panthéisme de l'autre. Un Dieu qui «i devient»
conception, qui €i endort les forces morales ». Un
Dieu « qui est », qui « conserve toujours ses vieilles
idées sur la façon dont il faut se conduire», ce Dieu-
là « est très importun et, pour les Allemands, il n'y
a rien à faire avec lui ». Profondeur et humour,
l'une des caractéristiques de Joergensen. On voit
si le courageux écrivain songe à renier son premier
livre. Non content de s'en tenir aux faits, qui déjà
parlent assez, il insiste, et avec quelle vigueur, sur
les principes, d'où découlent les faits, ce que l'on
oulilie trop.
C'est en quelque sorte à une excursion d'Italie
jusqu'à La Panne, que nous entraine Joergensen, en
ces chapitres que relie une pensée plus qu'une or-
donnance suivie. Excursion à travers 1 espace, à
travers les livres un peu, aussi, et la mémoire de nos
grands disparus : Péguy, Psichari et miss Cawell,
voire Jeanne d'Arc. Ah! les belles pages, où, à l'unis-
son de ces grands cœurs, bat le cœur du noble
champion du droit, des éternels principes de l'hu-
manité foulés aux pieds, de l'ami de la France, du
grand chrétien I
De Rome, où il a vu (c'était avant la grande
épreuve) trop de beaux embusqués, respiré trop de
fleurs, subi trop de musique frivole, il passe en
France. Mais, dès la zone de guerre, en Italie, l'im-
pression se modifie. Avec la France, c'est le con-
traste. Avec Paris, surtout: Paris, que n'ont jamais
compris les Allemands et que comprend si bien cet
étranger; Paris, dont il admire la tenue grave,
simple, digne, tout au labeur et aux œuvres secou-
rables. Au Havre, il retrouve ses amis belges, les
Carton de Wiart, et la femine héroïque dont s'ho-
nore ce nom lui conte avec humour et modestie
la pénible odyssée de sou procès et de ses pri-
sons. Avec elle, il visite des colonies de pauvres
petits enfants belges, séparés de leurs familles, de
réfugiés. Dans un ouvroir, M^'de Wiart demande:
<i Que celles de vous qui n'ont perdu personne se
lèvent! » Et deux se lèvent; deux sur cent vingt-
six. Ailleurs, dans une classe : Au tableau noir est
écrit ce thème saisissant de devoir : Le loup et
l'Agneau. « I. D'abord, on décrira le calme et la paix
qui régnent dans le pâturage. Les brebis, les
agneaux, le berger, le cliien du berger. II. Là-des-
sus, arrive le loup. Ses paroles trompeuses. La con-
fiance et l'imprévoyance. 111. Quelle leçon peut-on
tirer de cola? » Le jour tombe. Dans un coin du
jardin, il y a une remise. On y installe une chapelle.
Les yeux du visiteur se portent sur le grand cruci-
fix de bois déjà suspendu conlre le mur, et cette
vue lui inspire la plus pathétique méditation :
Soudain, je suis frappé par la pensée do toutcequi s'est
fait à travers les siècles et tout ce qui se fait encore au
nom de ce crucifié. Toutes les plaies qui ont été guéries,
toutes les sou.irances qui ont été soulagées, tous les altérés
(jui ont été désaltérés, tous les léfireux qui ont été soignés,
tous les j)etits enfants qui ont été ramassés sur le chemin
et dont on a conservé la vie ! Tout le bonheur que la foi en
Lui a répandu, toute la lumière qu'il a versée dans les
ténèbres de notre ignorance, toute la paix qu'il a répandue
dans le cœur tourmenté des hommes! « Est-ce qu'un mau-
vais arbre peut porter de bons fruits? » a-t-il Lui-même
domandc. I.'arbro de la croix a porté de bons fruits depuis
près de deux mille ans; c'est un arbre de vie.
Autant, plus que bien d'autres, il voit tout ce que
la raison humaine peut objecter contre la foi à un
Dieu crucifié. Tout le réalisme de ses simples ancê-
tres, marins positifs, lui remonte au cerveau. Mais
il y a des nuits où il faut se diriger par les étoiles;
— et, si c'est l'étoile de Bethléem qui apparaît? H y a
des tempêtes près d'une côte sous le vent où l'on
est content de pouvoir nietlie son bâtiment en sûreté
derrière un rocner; — et, si c'est précisément le roc
de saint Pierre? Et l'étoile est réellmnent une étoile
et un phare fixe, non pas un feu follet ni une torche.
Et, derrière le roc, il y a un port profond et à l'abri,
où l'on peut réparer les avaries de son bâtiment.
Ce sont là des réalités qu'un marin sait apprécier,
et aussi un fils de marin. C'est ainsi que, directe-
ment et personnellement, on a la preuve que le
christianisme est, en vérité, l'arbre de la vie.
L'autre arbre, l'arbre de la négalion et de l'incré-
dulité, ne porte que des fruits de mort... Celui qui
croit, accomplit les œuvres de l'amour. Et on finit
par voir que toute personne qui accomplit les œu-
vres de l'amour a conservé, d'une manière ou d'une
autre, sa foi dans le crucifié. Ainsi, il est certain que,
dans cette guerre, « l'idéal de Ihomme-Dieu sur la
croix et celui du surhomme sur les cimes glacées
de légoïsme se trouvent en face l'un de l'autre ».
Enfin, l'automobile l'entraine vers le lambeau de
terre libre qui a fourni son nom au livre.
Terre sacrée, dernier refuge d'un cœur que rien
n'abat. On traverse la zone dévastée.
Voici La Panne et, après une pause, la visite au
«• J38. Août 1918
front : Fumes, autour de laquelle la vie continue,
une école, avec 325 enfants, beaucoup de familles,
demeurées, que secourent de leur mieux de coura-
geuses Anglaises, d'autres petites cités sons le ca-
non, la seconde ligne de fils de fer et de tranchée.s.
On échange des propos avec les officiers belges.
Il Combien de temps durera cette guerre? demande
l'un des visiteurs. — Jusqu'à ce que la dernière
obole soit payée », répond-on.
Enfin, le retour et les adieux à La Panne.
Ecrivez (dit à Joergensen une héroïque infirmière,
M"" Belpaire) que vous avez vu une Belgique oui non
seulement est la terre martyre, mais qui est aussi la terre
héroïque... Maintenant, il faut que l'on parle de la Belgique
héroïque. Et nous avons soutfert le martyre comme nous
poursuivons le combat pour la même cause, parce que
nous croyons (ce qui, pour les Allemands, est la plus ridi-
cule lies Illusions, la pins incompréhensible des bêtises)
que l'honueur et lo droit sont des réalités éternelles, qui
valent que l'on soutfre et que l'on meure pour elles...
Et, dernière vision : le Roi.
Il s'avance, le Roi-héros, grand, mince, blond, ses yeux
bleus derrière son lorgnon, portant l'uniforme gris'brun
de l'armée belge. A son côté, marche l'aîné de ses fils. Ils
font leur visite du matin à l'ambulance.
Et le célèbre dessin de Bernard Partridge revient
à lamémoire de Joergensen, et l'émouvant dialogue
entre l'orgueilleux Kaiser et le Roi :
« Qu'as-tu gagné avec ton idéalisme? Ton royaume est
ravagé; tes villes sont en ruine; ton peuple est en capti-
vité ou en exil ; toi-même, tu es un roi sans royaume. Tu
as tout perdu ! — Non, pas tout. Pas mon âme ! »
Au tournant de la route, le voyageur se re-
tourne et voit trois femmes qui marchent sur le
chemin qui conduit vers la chapelle; « deux femmes
en noir et une en bleu et blanc... La Belgique qui
prie et qui travaille, la Belgique qui n'abandonne
pas le combat, la Belgique qui a sauvé son
âme... H. Atliiri^ IlAllDRn.I.ART.
benthogène (du gr. benlhos, fond de la mer et
genndn, engendrer) adj. Géol. Se dit des sédiments
provenant de récifs édifiés par des animaux vivants
en colonie (zoantbaires, hydrozoaires, bryozoaires)
ou par des algues calcaires, et aussi des sédiments
résultant de l'accumulation sur place des débris non
charriés d'animaux ou de végétaux benthoniques.
bentbonique (du gr. benthos, fond de la mev)
adj. Qui appartient au fond de la mer : les êtres
bentlioni'jues sont fixés ou libres.
3uts de guerre. Huis de guerre de la
France et de ses alliés. — Voilà quatre ans que le
monde entier est désolé par la guerre. Pourquoi,
tout en désirant la fin d'un atroce conflit, les enne-
mis de l'Allemagne refusent-ils de déposer les
armes? Quelle a été, depuis le commencement
des hostilités, l'évolution de leurs « buis de guerre ».
et en quoi ceux-ci sont-ils incompatibles avec la
paix allemande ?
Tout d'abord, le kaiser seul eut des buts de
guerre, et c'est précisément pour les atteindre qu'il
osa, avec la complicité de l'Autriche-Hongrie,
prendre l'initiative d'un conflit armé, qu'il croyait
devoir être de courte durée. Ce que convoitait 1 Al-
lemagne, c'était la dominalion politique et écono-
mique de l'univers, la rupture de l'équilibre général
à son profit exclusif et au détriment de la liberté
des peuples, la réorganisation du vieux monde
selon la conception prussienne : ainsi le voulait la
Providence, qui, pour l'accomplissement de cette
mission sociale, avait précisément élu la race ger-
manique et la maison royale des Hohenzollern. Et,
pour mettre toutes les chances de son côté, le gou-
vernement de Berlin n'avait pas hésité à violer la
neutralité de la Belgique, convaincu qu'il s'assure-
rait ainsi, en Occident, une victoire brusquée : après
quoi, il se retournerait vers l'Est, où il avait acquis
à ses intérêts et, par suite, rapproché contre les
Russes deux peuples qui s'étaient voué une haine
farouche : les Bulgares, émancipés du joug ottoman
par la bienveillance des tsars, et les Turcs, ennemis
traditionnels de toutes les nationaliléa balkaniques.
Prises au dépourvu, ni la France, ni la Russie
n'avaient formé, isolément ou d'accord, de projets
de conquêtes. Leur alliance tendait au maintien de
la paix par la politique d'équilibre :même renforcée
par r II entente » britannique et les accords médi-
terranéens, elle n'avait rien d'agressif. Ce ne fut
pas davantage pour exécuter un plan préétabli, mais
pour obliger l'Allemagne à observer une convention
internationale, portant sa signature, que le gouver-
nement du roi George V se dressa contre le gou-
vernement de l'empereur Guillaume II.
L'Entente n'avait donc aucun but de guerre lors-
qu'on l'obligea à tirer l'épée, et même, par la Décla-
ration de Londres (4 septemlire 1914), chacun des
trois gouvernements : britannique, français et russe
s'engagea uniquement, dans les termes les plus gé-
néraux, tant à ne pas conclure de paix séparée qu'à
ne pas poser des conditions sans accord préalable
avec ses autres alliés. Lorsque le gouvernement fran-
çais laissa Bordeaux, devenu provisoirement le siège
lies pouvoirs publics, pour se réinstaller à Paris, il
s'empressa de donner au pacte de Londres une con-
«• J38. AoOt 1918
sécration solennelle dans la communication qu'il
lit, le 22 décembre 1914, aux Chamlires législatives :
Fidèle à la signataro qu'elle a attachée au traité du 4 sep-
tembre dernier et où cKo a eo^agé son honneur, c'est-à-
dire sa vie, la France, d'accord avec ses alliés, n'abaissera
SOS armes qu'après avoir vengé le droit outragé, soudé
pour toujours à la Patrie française les provinces qui lui
furent ravies par la force, restauré l'héroïque Belgique dans
la plénitude de sa vie matérielle et de son indépendance
politique, brisé le railitarisnio prussien, afin de pouvoir
reconstruire sur la justice une Europe eniin régénérée.
Reprendre à l'Allemagne les terrrloires alsaciens-
lorrains annexés par la force, restituer à la IJels-ique
son indépendance politique et sa richesse, détruire le
mililarisme prussien, tirer vengeance des iniquités
commises par un ennemi sans scrupules, tels furent
les premiers buts de guerre formulés par l'Entento
et auxquels s'ajoutait, bien qu'il n'en fi'it pas explici-
tement question, le devoir non moins impérieux
de libérer la Serbie comme l'Alsace-Lorraine.
Obligés à une lutte sans merci, les gouvernements
de l'Entente estimèrent, à la réflexion, qu'ils avaient
Von Bethin&nn-Holl u-e^, chancelier de rempire d'AUrma£rne,
à la tribune du Iteiclistag (I'.tl5).
le droit de prendre leurs sûretés contre des agres-
sions nouvelles et de se réserver des avantages par-
ticuliers en compensation des immenses sacrifices
qu'on leur imposait. Ils échangèrent donc leurs
vues sur la possession de Constautinople et des Dé-
troits, sur le partage de l'Asie ottomane, sur la
question de la rive gauche du Rhin. D'autre part,
1 Italie et la Roumanie, quand elles prirent position
contre les Impériaux, formulèrent leurs aspirations
et les firent agréer par l'Entente.
L'examen des buts de guerre des Alliés se confond,
dans une certaine mesure, avec l'élude des déclara-
tions échangées de tribune à tribune, de gouverne-
uient à gouvernement, à partir du jour où l'.Mlema-
gne proposa à l'Entente, qui se garda bien de tomber
clans le piège, l'ouverture de négociations vouées à
un échec dangereux pour les interlocuteurs du kai-
ser. Ces conversations indirectes entre belligérants
ne furent pas, en effet, sans influence snr les objec-
tifs que les puissances de l'Entente s'étaient tout
d'abord proposés. La révolution russe et l'inter-
vention américaine eurent, à ce point de vue, une
importance décisive.
L'offre de paix allemande (12 décembre 1916).
La noie américaine aux belligérants (1S dé-
cembre 1916). Les réponses de l'Entenle. —
Nonobstant sa carte de guerre, l'Allemagne était
dans la situation d'une place assiégée, sans commu-
nications maritimes avec le reste du monde. Après
Verdun, elle recliei-cha, par les manœuvres diplo-
matiques, la décision que ses armées n'avaient pas
obtenue, et, au lendemain des défaites roumaines,
elle priiposa à l'Entente d'ouvrir des négociations de
paix. D'ordre du kaiser, le chancelier von Bethmann-
UoUweg transmit officiellement des propositions en
ce sens, par l'entremise de la Suisse, de l'Espagne
et des Etats-Unis, chargés des intérêts allemands
dans les pays neutres (12 décembre 1916). Remise le
matin aux ambassadeurs de ces puissances à Berlin,
communiquée au saint-siège avec des considéra-
tions sur les horreurs de la guerre, la note fut lue
au Reichstag, dans l'après-midi. I,es gouvernements
austro-hongrois, ottoman et bulgare suivirent une
procédure analogue.
Ces mf mes hommes, qui, après avoir déchaîné
systématiquement les hostilités, s'étaient déshonorés
p8rleurbarbarie,afl'ec talent, main tenant, de déplorer
LAROUSSE MENSUEL
Te péril couru par la civilisation. A les entendre,
ils avaient été contraints de prendre les armes pour
défendre leur oxislence et leur avenir; mais, siirs,
aujourd'hui, de la victoire finale, ils étaient tout
prêts, au lieu d'abuser de leur force indestrjctible,
à discuter des conditions de paix qu'ils affirmaient
raisonnables, mais qu'ils évitaient bien de formuler.
Le gouvernement impérial, en renouvelant ses
déclarations mensongères sur la responsabilité du
conflit, trompait le peuple allemand pour lui faire
accepter de nouveaux siicrilices; car il ne pouvait
encore se targuer
d'aucune victoire dé-
cisive, et la crise éco-
nomique allait s'ag-
gravanl. Il voulait
aussi donner le
change aux neutres
et, dans le cas oij ses
offres seraient reje-
tées, légitimera
leurs yeux un redou-
blcmcnlde violences.
Il espérait, enfin,
éprouver la solidité
du pacte de Londres.
Le document va-
gue et déclamatoire
en bas duquel von
Bethmann-llollweg
apposa sa signature
reçut l'accueil qu'il
méritait. En France,
le président du con-
seil Aristide Briand,
dénonça la manœu-
vre hypocrite tentée
pour <i empoisonner »
le pays, n pour disso-
cier les Alliés, pour
troubler les cons-
ciences et faire chan-
celerlemoraldespeu-
ples » (Chambre,
13 décembre 1916h
il démasqua l'acte de
ruse, mais aussi le
geste de faiblesse
d'un souverain trop
orgueilleux pour
demander la paix,
s'ilsesenlaitde force
à l'imposer, (Sénat,
19 décembre 1916) ;
et le Sénat affirma
solennellement « que
la France ne peut
faire la paix avec
un ennemi qui oc-
cupe son territoire "
(23 décembre 1916).
En Angleterre, en
Italie, en Russie, les
gouvernements ne
cachèrent pas leurs
sentiments de dé-
fiance. €1 Au moment où l'.Mlemagne se pro-
clame victorieuse, déclarait Lloyd George, entrer
sur son invitation dans une conférence sans connaî-
tre les propositions quelle y fera, ce serait passer
notre tête dans un nœud coulant dont l'Allemagne
tiendrait l'extrémité libre » (Ohambre des communes,
19 décembre 1916).
Aux Etats-Unis, les délégués élus le 7 novembre
1916 avaient désigné 'Wilson pour exercer les pou-
voirs présidentiels pendant une nouvelle période de
quatre ans, à partir du 4 mars 1917. Le concurrent
du candidat démocrale, Hughes, grand-juge à la
Cour suprême, était patronné par l'ancien président
Roosevelt, partisan de l'intervention immédiate: il
obtint seulement 243 voix contre 288, données à
Wilson. L'Ouest et le moyen Ouest savaient gré à
cet homme d'Elat d'avoir jusqu'à présent main-
tenu la neutralité de l'Union.
Cependant, la guerre sous-marine et les intrigues
allemandes aux Etals-Unis avaien'i tendu outre
mesure les rapports de la grande République démo-
cratique et de 1 Empire allemand.
■Wilson, dont la patience était réfléchie, mais non
irrésolue, tenait à mettre tous les torts du côté de
ses contradicteurs. Quand il connut les offres de
négociation faites par l'Allemagne à l'Entente, il
jugea venue l'heure d'adresser aux belligérants une
noie qu'il élaboi'ait depuis quelque temps déjà
(18 décembre 1916). Au nom de l'humanité et des
intérêts des neutres, il priait les gouvernements en
lutte défaire connaître respectivement leurs « buts
de guerre », et il leur suggérait l'idée de fonder
une « Ligue des nations » pour prévenir le retour
de calamités aussi déplorables. Dans son désir de
paraître rigoureusement impartial, il gardait le
silence sur les origines de la guerre. Il n'établissait
pas entre les agresseurs et les victimes une distinc-
tion qui était pourtant à la base du conflit et devait
r2i
déterminer la solution à intervenir. Il ne distinguait
pas, non plus, parlant des intérêts des neutres,
entre les conséquences propres de la guerre et les
dommages résultant de la violation du droit.
A quelques jours d'intervalle, les gouvernement?
de l'Entente répondirent aux propositions de paix
allemandes (30 décembre 1916) et ii la note améri-
caine (10 janvier 1917).
Le 30 décembre, le président du conseil français,
Aristide Briand, remit à l'amba.ssadeur des EtaLs-
Unis, au nom des gouvernements coalisés « pour la
Lloyd Gcurge, ministre île la guerre britannique, veau à l'ari:
président du conseil (I9ltt).
confère avec Aristide Briand.
défense de la liberté des peuples «(Belgique, France,
Grande-Bretagne, Italie, Japon, Monténégro, Por-
tugal, Roumanie, Russie, Serbie), une réponse col-
lective aux offres du kaiser. Les puissances alliées
rejetaient l'accusation d'avoir déchaîné la guerre,
contestaient que les Empires centraux fussent
victorieux et déclaraient que la paix ne pouvait
êlre fondée sur la parole de l'Allemagne, (font les
offres imprécises témoignaient d'une «méconnais-
sance systématique de la lutte dans le passé, dans
le présent et dans l'avenir » : l'Allemagne, en effet, se
gardait bien de reconnaître — et cette omission
viciait dans leur base ses « prétendues proposi-
tions >> — qu'elle avait déchaîné le conflit avec la
complicité de l'.^utriche et violé la neutralilé belge,
garantie par elle; elle ne tenait pas compte de la
force de ses adversaires, en invoquant une carte de
guerre purement européenne et, par conséquent,
incomplète; elle voulait imposer une paix germa-
nique, à la faveur de laquelle elle se déroberait aux
sanctions légitimes. Or, proclamaient les Alliés,
il n'y a pas de paix possible tant que ne seront pas assu-
rées la réparation des droits et aes libertés violés, la
reconnaissance du principe des nationalités et de la libre
existence des petits Ktats, tant que n'est pas certain nu
règlement de nature à supprimer déflnitivemeut les causes
qui, depuis si longtemps, ont menacé les nations et adon-
ner les seules garanties efâcaccs potu* la sécurité du monde.
A cette note, dont la dernière partie était consa-
crée aux revendications belges, l'empereur allemand
et l'empereur d'Autriche donnèrent une réponse
vague. Ils affirmèrent « devant Dieu et devant les
hommes » qu'ils avaient été obligés à tirer l'épée
pour défendre l'existence même de leurs sujets, et
ils alléguèrent pour leur défense la politique an-
glaise d' « encerclement », la politique française de
« revanche », les prétentions russes sur Coustan-
tinople. (Notes allemande et austro-hongroise du
322
10 janvier 1917.) Cela revenait à dire qu'ils avaient
déclaré une guerre préventive, ce dont ils s'étaient
toujours défendus.
La réponse collective des Alliés à la note améri-
caine, datée du 10 janvier 1917, fut remise le len-
demain à William Sharp, ambassadeur des Etats-
Unis à Paris.
Tenant rour historiquement démontrée la culpa-
bilité de 1 Allemagne et de l' Autriche-Hongrie, les
gouvernements de l'Entente s'élevaient a de la
manière la plus amicale, mais la plus nelte, contre
l'assimilation établie dans la noie américaine entre
les deux groupes de belligérants ». Les puissances
centrales ayant conduit au mépris du droit des gens
la guerre de conquête qu'elles avaient déchaînée,
il ne pouvait être question de constiluer une Ligue
pour maintenir la paix et la justice dans le monde
tant que les coupables n'auraient pas fourni « les ré-
parations, restitutions et garanties légitimes ». Quant
à leurs « buts de guerre », les Alliés n'éprouvaient
aucun scrupule à les rendre de nouveau publics :
Ces buts de guerre ne seront exposés, dans le détail, avec
toutes les compensatioaset indemnités équitables pour les
dommages subis, qu'à l'heure des négociations. Mais le
monde civilisé sait qu'ils impliquent, do toute nécessité et
en première ligne, la restauration de la Belgique, do la
Sernie, du Monténégro, et les dédommagements qui leur
sont dus; l'évacuation des territoires envahis en France,
en Russie, en Roumanie, avec de justes réparations; la
réorganisation de l'Europe, garantie par un régime stable
ot fondée aussi bien sur le respect des nationalités et sur
le droit à la pleine sécurité et à la liberté de développe-
ment économique, que possèdent tous les peuples, petits
et grands, que sur des conventions territoriales et des rè-
glements internationaux propres à garantir les frontières
terrestres et maritimes contre des attaques injustifiées;
la restitution des provinces ou territoires autrefois arra-
chés aux Alliés par la force ou contre le vœu des popula-
tions ; la libération des Italiens, dos Slaves, des Roumains
et des Tchéco-Slovaques de la domination étrangère ; l'af-
franchissement des populations soumises à la sanglante
tyrannie des Turcs; le rejet hors d'Europe de l'empiro
ottoman, décidément étranger à la civilisation occidentale.
Les intentions de S. M. l'empereur de Russie à l'égard
de la Pologne ont été clairement indiquées par la procla-
mation qu il vient d'adresser à ses armées.
Il va sans dire que, si les Alliés veulent soustraire l'Eu-
rope aux convoitises brutales du militarisme prussien, il
n'a jamais été dans leur dessein de poursuivre, comme on
l'a prétondu, l'extermination des peuples allemands et leur
disparition politique. Ce qu'ils veulent, avant tout, c'est
assurer la paix sur les principes de liberté et de justice, sur
la fidélité inviolable aux obligations internationales, dont
u'a cessé de s'inspirer lo gouvernement des Etats-Unis.
Le président du conseil remit ensuite & l'ambas-
sadeur des Etats-Unis une note par laquelle le gou-
vernement belge, marquant son enlière adhésion à
la réponse commune des Alliés, remerciait le gou-
vernement américain de sa générosité envers la
population belge et de sa sympathie pour un pays
obligé h la guerre par la violation de sa neutralité.
Cette audience avait un caractère véritablement
symbolique, puisque le chef du cabinet français
incarnait en ce moment solennel les sentiments so-
lidaires de dix Etats. Un seul témoin y assistait :
le baron Beyens, ministre des affaires étrangères
de la malheureuse Belgique.
La réponse collective des Alliés fut communi-
quée & la Confédération helvétique et aux Etats
Scandinaves, qui, par des notes en date respective-
ment du 22 et du 29 décembre 1916, s'étaient asso-
ciés à la démarche du président des Etats-Unis.
Le messafte américain du Si janvier i917. Les
idées du président Wilson, — Les gouvernements de
l'Entente avaient indiqué avec précision leurs con-
ditions de paix : l'Allemagne et l'Autriche se bor-
nèrent à proposer la réunion, dans une ville neutre,
de délégués des Etats belligérants et k approuver
l'idée d'une Ligue des nations (27 décembre 1916).
Poursuivant son action pacifiste, le président Wil-
son donna lecture au Sénat, le 22 janvier 1917, d'un
message sur l'établissement de la paix future et le
droit des Etats-Unis de participer à un acte qui
devrait non seulement servir les intérêts généraux
des nations belligérantes, mais encore donner satis-
faction à l'humanité tout enlière. La paix & interve-
nir serait donc une paix sans victoire. Acceptée par
le vaincu « dans l'humiliation », elle laisserait des
ressentiments qui la rendraient précaire. Pour être
durable, elle devra reposer sur l'égalité des nations,
grandes ou petites, puissantes ou faibles, et qui ont
les mêmes droits à se développer normalement;
elle devra aussi, et surtout, reconnaître ce principe
fondamental o que les gouvernements reçoivent
tous leurs justes pouvoirs du consentement des
peuples gouvernés et qu'il n'existe nulle part aucun
droit qui permette de transférer les peuples d'un
maître à un autre maître, comme s'ils étaient une
propriété ». L'indépendance politique et religieuse
des peuples — condition de la stabilité générale —
aura pour complément la liberté économique, le
libre accès aux routes commerciales des continents
et la libre pratique des routes maritimes, sur les-
quelles chaque nation devra être assurée d'un débou-
ché direct, soit au moyen de cessions territoriales,
soit au moyen de servitudes de passage. Le pro-
blème de la liberté des mers est en relation étroite
avec celui de la limitation des armements sur mer
LAROUSSE MENSUEL
et, par conséquent, avec celui de la limitation des
armements sur terre : l'armée et la marine seront
« simplement les auxiliaires de l'ordre, et non plus
les instruments de l'agression et de la violence ».
Que les diverses nations fassent donc delà doctrine
de Monroë une « doctrine mondiale » ; que chaque
peuple soit libre de déterminer lui-même sa poli-
tique et de choisir sa voie, sans être exposé à des
interventions ou à des pressions étrangères; que
les gouvernements o évitent l'enchevêtrement des
alliances qui pourraient les entraîner à des rivalités
de pouvoir, les envelopper dans un filet d'intrigues
et de compétitions égo'istes et, par des influences
venues de l'extérieur, les détourner de leurs propres
intérêts » ; que la paix s'accompagne, enfin, de l'ins-
titution bien définie d'une force collective capable
de garantir la permanence de la solution intervenue.
Des hauteurs où il formulait la charte future de la
Société des nations, le président ne perdait-il pas de
vue qu'une paix sans victoire violerait les principes
les plus élémentaires de la justice et de la morale,
en ne tenant aucun compte des responsabililés ori-
ginaires et en laissant impunis des crimes odieux?
La réponse allemande et l'extension de la pira-
terie. Rupture avec les Etats-Unis. — Dans sa
réponse au message du président Wilson (31 jan-
vier 1917), le gouvernement impérial reconnaissait
à toutes les nations le droit de décider de leur sort,
ajoutant ironiquement qu'il verrait avec satisfaction
l'Irlande et les Indes obtenir leur indépendance
politique et que, pour sa part, il exigerait simple-
ment de la Belgique des garanties, sans la priver
de ses droits. Prêt à collaborer « joyeusement » à
toules les œuvres de paix, il se prononçait, lui l'ins-
tigateur de la Triplice, contre les « alliances qui
poussent les peuples à une lutte pour la domina-
tion et les enlacent dans un réseau d'intrigues
égo'istes ». De tout temps, affirmait-il, le principe
de la liberté des mers et du commerce internatio-
nial avait été l'une des règles directrices de sa
politique. Mais, puisque, dans son « appétit de con-
quête », l'Entenle repoussait la main que lui ten-
daient ses adversaires, puisque la Grande-Bretagne,
depuis deux ans et demi, cherchait à affamer l'Alle-
magne, celle-ci n'apporterait désormais aucune res-
triction à la guerre sous-marine, espérant, au surplus,
que les Etats-Unis « déconseilleraient à leurs res-
sortissants et aux navires américains de communi-
quer avec les ports des eaux déclarées prohibées ».
A partir du 1" février, elle emploierait donc la
force pour couler tout navire qui tenterait de s'ap-
procher soit des ports de la Grande-Bretagne ou de
l'Irlande, soit des côtes occidentales de l'Europe,
soit des ports de la Méditerranée surveillés par les
flottes de l'Entente. C'était reprendre les promesses
dont le gouvernement américain avait pris acte au
mois de mai précédent.
Quand l'Allemagne affirmait que le respect des lois
internationales et des scrupules altruistes l'avaient
seuls empêchée de recourir plus tôt à la guerre sous-
marine illimitée, quand elle prétendait avoir la main
forcée par le refus de l'Enlenle de renoncer au blocus
et d'ouvrir des négociations, elle mentait avec son
efi'ronterie ordinaire. Le chancelier von Belhmann-
HoUweg n'avait-il pas déclaré au Reichstag qu'il y
avait lieu, maintenant, de demander une solution vic-
torieuse de la guerre par l'emploi des submersibles
dont le nombre s'était considérablement accru? En
réalité, l'Allemagne voulait terroriser à la fois ses
ennemis elles neutres. Elle proclamait illégalement
un blocus qu'elle savait ne pouvoir être efteclif, et
elle s'arrogeait le droit de couler les bâtiments de
commerce des non-belligérants, dans l'espoir de
contraindre rapidement l'Angleterre, affamée, à dé-
poser les armes. L'amiral von Tiipilz, partisan de
cette guerre barbare, l'emportait sur le chance-
lier, à la grande satisfaction des nationaux-libéraux,
des conservateurs et du centre calholique. Mais la
réponse américaine ne se fit pas attendre : ce fut
d'abord la rupture des relations diplomatiques, puis
la a résolution de guerre », que 'Wilson avait fait
prévoir en inaugurant au Capitule sa seconde prési-
dence (5 mars). [V. p. 443.1
Gravement outragés sur les mers, les Etats-Unis
avaient dû s'armer sans sortir de la neutralité ; mais
il étaità prévoir qu'ils seraient entraînés par les cir-
constances à prendre part plus directement à la
guerre. Ilsnesontplus,faisaîtremarquerle président
en annonçant la rupture des relations diplomatiques,
« une sorte de province détachée de l'univers » :
trente mois d'événements tragiques et de tourments
avaient fait des Américains « des citoyens du
monde », qui ne pouvaient demeurer étrangers au
règlement de la paix future, fondée sur l'égalité
réelle des nations, le droit des peuples à choisir
leurs gouvernements, la condamnation de la po-
litique d'intervention, la liberté des mers et la
limitation des armements. Peuple composite et
cosmopolite, ayant dans les veines du sang de
toutes les nations en guerre, les citoyens améri-
cains devaient, sur ces principes, consolider leur
unité pour assurer la glorification de la liberté, de
la justice et du droit.
Germanophiles et pacifistes étaient de moins en
«• 738. Août 1918.
moins nombreux, la conscience américaine s'étant
enfin révoltée et la révolution russe ayant emporté
les scrupules de ceux à qui répugnait une union
intime de la démocratie américaine avec le tsar.
Le 2 avril 1917, dans un message au Congrès, le
président développa les raisons pour lesquelles les
Etats-Unis devaient accepter la guerre, qui fut dé-
clarée quelques jours après. La dernière grande
puissance demeurée neutre adhérait à la cause des
Alliés, et la cause des Alliés, celait celle de la c:-
vilisation menacée. Le peuple le plus pacifique du
monde symbolisait, à cette heure, la conscience uni-
verselle; car il entrait volontairement dans une
lutte terrible pour défendre les droits de l'humanité
et de la démoci'atie contre une odieuse tentative d'as-
servissement universel; il prenait les armes pour
assurer la disparition des gouvernements autocrates
qui mettent en péril la paix et la liberté perce qu'ils
sont soutenus par des forces organisées dont ils ont
lo contrôle exclusif; il s'imposait des sacrifices et
des épreuves pour faire triompher partout le prin-
cipe proclamé par la Déclaration d'indépendance
du 4 juillet 1776 :
Tous les hommes sont égaux. Ils ont reçu du Créateur
des droits inaliénables et, pour se garantir la jouissance
de CCS droits, ils ont établi parmi eux dos gouvernements
dont la juste autorité ne peut émaner que des gouvernés.
Essentiellement pacifiste, le président Wilson ne
s'était résigné à la décision suprême qu'après s'être
mis d'accord avec sa conscience de juriste et de
puritain. Son message fut affiché dans toutes les
communes de France, lu el commenté à nos écoliers
et à nos soldats.
V Autriche et la paix. La lettre de l'empereur
C/iarles (mars 1917). — Au printemps de 1917 se
place une curieuse tentalive pacifiste. Elle émanait
de l'empereur d'Autriche, Charles I»'', qui écrivait à
son beau-frère, le prince Sixte de Bourbon, pour
le prier de « transmettre secrètement et inofficiel-
lement » au président de la République des vues
générales sur la paix.
Après avoir rendu hommage à 1' « admirable Dra-
voure traditionnelle » de notre armée et à 1' « esprit
de sacrifice de tout le peuple français », l'empereur
continuait en ces termes :
Aussi m'est-il particulièrement agréable de voir que,
bien que momentanément adversaires, aucune véritable
divergence de vues ou d'aspirations ne sépare mon em-
pire de la France et que je suis en droit do pouvoir espé-
rer que mes vives sympathies pour la France, jointes à
celles qui régnent dans toute l» monarchie, éviteront à
tout jamais le retour d'un état de guerre pour lequel au-
cune responsabilité ne peut m'inromber. A cet i ffct et
pour manifester d'une façon précise la réalité de ces sen-
timents, je te prie do transmettre secrètement ot inoffi-
cioliement à M. Poincaré, président de la Réiiublique
française, que j'appuierai par tous les moyens et en
usant de touto mon influence personnelle auprès de mes
alliés les justes revendications françaises relatives à
l'Alsace-l.orrainc.
Quant à la Belgique, elle doit ôtre rétablie entièrement
dans sa souveraineté, en gardant l'ensemble de ses pos-
sessions africaines, sans préjudice des dédommagements
qu'elle pourra recevoir pour les pertes qu'elle a suUies.
Quant h la Serbie, elle sera rétablie dans sa souveraineté
et, en gage de notre bonne volonté, nous sommes disposés
à lui assurer un accès équitable et naturel à la mer Adria-
tique, ainsi que de larges concessions économiques. De
son côté. l'Autriche-Hongrie demande comme condition
Frimordiale et absolue que le royaume de Serbie cesse à
avenir toute relation et qu'il supprime toute société ou
groupement dont lo but politique tend vers une désagré-
gation de la monarchie, en particulier la Narodna Obrana ;
qu'il empêche loyalement et par tous les moyens en son
pouvoir toute sorte d'agitation politique soit en Serbie,
soit en dehors de ses frontières, dans co sens, et qu'il
en donne l'assurance sous la garantie des puissances de
l'Entente.
En terminant, l'empereur demandait an prince
Sixte de lui exposer, après avoir rempli sa mission,
l'opinion de la France et de l'Angleterre, « à l'effet
de préparer un terrain d'entente sur la base duquel
des pourparlers officiels pourraient être engagés et
aboutir ii la salisfaction de tous ». CV. notre Bulle-
tin de la guerre du n" 135.)
Cette lettre fut communiquée, le 31 mars 1917, par
le prince Sixte, au président Poincaré, en présence
de Jules Cambon, secrétaire général du ministère
des affaires étrangères, délégué par le ministre.
Copie du document fut transmise au président du
conseil avec l'autorisation du prince, qui s'en en-
tretint, d'ailleurs, avec Ribot et fut reçu une seconde
fois par le chef de l'Etat.
Les Alliés examinèrent la proposition de l'empe-
reur à la conférence de Saint-Jean-de-Maurlenne
(19 avril 1917) : à l'unanimité, ils furent d'avis que,
dans îes circonstances, des conversations tentiant
à la signature d'une paix séparée avec Vienne eus-
sent présenté des dangers particuliers et risqué
d'affaiblir l'étroite union des puissances de l'Entente.
Il n'était plus queslion de cet incident, lorsque
le chancelier comte Czernin eut la maladresse de
dire (avril 1918) que l'initiative des offres de paix
était venue de la France. Une polémique s'en sui-
vit. Pour rétablir la vérité, noire gouvernement
décida de publier la lettre impériale, el, comme le
souverain, dans un télégramme k Guillaume II,
«• 138. Août 1918.
niail sa lettre de l'année précédente, le président
du conseil, Georges Clemenceau, dédaignant les pré-
cautions oratoires, donna à la presse un commu-
niqué, dont le ton énergique stupéfia les traditiona-
listes du protocole :
Il y a des consciences pourries.
Dans l'impossibilité de trouver un moyen de sauver la
face, l'empereur Charles tombe en des balbutiements
d'honinio confondu.
Le voilA réduit & accuser son beau-frère de faux, en
fabriquant lie sa propre main un texte de mensonge!
Tcllo (jue nous l'avons citée, la lettre de l'empereur
Cliarles a été montrée par le prince Sixte lui-même & des
chefs d'Etat.
D'ailleurs, deux amis du prince peuvent en attester
l'authon^icité, en particulier celui qui l'a reçue du prince
pour la copier.
La Icllre impériale, dont l'aullienticité n'est pas
douteuse, avait été écrite au mois de mars 1917.
Alors, la révolution russe venait d'éclater, et le gou-
vernement provisoire se prononçait pour une vi-
goureuse offensive; sur le front occidental, les
Alliés pouvaient être fiers des résultais delà grande
bataille de la Somme; en Asie, Bagdad venait de
tomber au pouvoir des troupes britanniques. A l'iii-
l.e président Wilsun haranguant la fuule devant le cajiitole de Wasliiii^ton ildl7). [L'Iliiutratinn.]
térieur de la double monarchie, la situation écono-
mique empirait : des émeutes, sinon des révoltes,
étaient il craindre. Depuis, la Kussie s'était effon-
drée, et l'Italie avait été battue à Caporetlo : l'em-
pereur Cbarles n'avait plus d'inquiétudes. Avait-il
été de bonne foi au printemps de 1917? Avait-il
voulu sincèrement, sous l'influence de l'impératrice
Zita, « mettre un terme aux soullrnnces de tant de
millionsd'lioinmes» etrétablir la paix dans ses Etats
par la pratique loyale du fédéralisme, en d'autres
termes, secouer la tutelle de l'Allemagne au dehors
«omme au dedans? C'est le sentiment de certains
fiuhlicistes. D'autres, au contraire, ne croient pas k
a bonne foi de l'Autriche ; ils se rappellent que,
lorsque Metternicb, déchirant le traité qui liait son
pays à la France, eut passé à la coalition (1813), il
envoya à Paris le comte de Saint-Aignan pour nous
offrir secrètement les limites naturelles « du côté du
Hhin». Il ne voulait que diviser l'opinion, et on peut
se demander si, en nous dépéchant le prince Sixte,
l'empereur Charles n'a pas tenté de diviserles Alliés.
Dans cette hypothèse, le comte Czernin aurait voulu
suggérer aux puissances del'Enlente — spécialement
à l'Italie, dont on ne meationiiait pas les fins par-
ticulières — qu'elles se battaient uniquement pour
nuns faire restituer l'Alsace-Lorraine.
LAROUSSE MENSUEL
La première révolution russe et les buts de
guerre (mars 1917). — La révolution qui, au mois
de mars 1917, emporta le tsarisme, ne modifia pas
tout d'abord les relations de la Russie avec ses
alliés, et le gouvernement provisoire se montra
fermement disposé à continuer énergiquemenl la
lutte contre les Empires centraux, mais il revisa les
buts de guerre formulés par le régime déchu. Dans
sa déclaration du 19 mars 1917, le second ministère
Lvov s'affirma partisan d'une paix excluant « la
domination d'un peuple sur l'autre », la mainmise
sur les biens des autres nations, la conquête de
territoires étrangers, enfin d' « une paix sans an-
nexions ni indemnités, sur la base du droit des
peuples de disposer d'eux-mêmes ». Par celte for-
mule, la démocratie russe se rapprochait de la
démocratie américaine et renonçait, notamment,
aux visées séculaires des tsars sur Constantinople.
Mais il y avait des révolutionnaires qui deman-
daient la cessation immédiate des hostilités, lis ou-
bliaient que la France était entrée en guerre pour
les aider à repousser la menace allemande, qu'une
alliance régulièrement contractée lie les peuples
comme les gouvernements, que le retour de l'Alsace-
Lorraine à la France était
une restitution et non une
conquête, que le triom-
phe du militarisme prus-
sien porterait un coup ter-
rible à la démocratie.
La note pontificale du
1" août 1917. — Dès le
début de son pontificat,
Benoît XV avait déploré
les horreurs de la guerre
et discrètement exhorté
les belligérants à se ré-
concilier, sans, toutefois,
sortir d'une impartialité
absolue, « comme il con-
vient, disait-il, à celui qui
est le père commun et
qui aime tous ses enfants
d'une égale affection ». II
s'était abstenu de protes-
ter contre l'invasion du
Luxembourg et de la Bel-
gique, les atrocités alle-
mandes, les excès de la
guerre sous-marine. Dans
sa note aux chefs des
peuples belligérants, datée
du 1" août 1917, il pro-
posa des solutions tant
pour mettre fin aux hos-
tilités que pour asseoir la
paix sur des fondements
durables.
« A la force matérielle
des armes serait substi-
tuée la force morale du
droit », garantie par le dé-
sarmement général, par la
réduction desarmées, char-
gées désormais seulement
du maintien de l'ordre pu-
blic, et par une Société
des nations, fondée sur
l'acceptation du principe
de l'arbitrage. Lalibertéet
la communauté des mers,
en éliminant les causes de
conflit, ouvriraient pour
tous des sources de pros-
périté et de progrès. Les
erritoiresoccupés, y com-
pris les colonies alleman-
des, seraient évacués et
restitués réciproquement; la Belgique recouvrerait
« sa pleine indépendance politique, militaire et éco-
nomique»; l'Allemagne et la France, l'Autriche et
l'Italie examineraient les « questions territoriales »
qui les divisent « en tenant compte dans une mesure
juste et possible des aspirations des peuples et, à
l'occasion, en faisant coordonner les intérêts parti-
culiers avec le bien général de la grande société
humaine » ; le sort des Etats balkaniques, de l'Armé-
nie, de la Pologne, serait fixé dans le même esprit.
Quant aux dommages à réparer et aux frais de guerre,
on poserait comme principe général une condona-
zione (donation ou remise en commun), c'est-à-dire
que les belligérants se feraient remise entière et
réciproque des pertes résultant des hostilités.
Le président 'Wilson objecta (27 août 1917) que
la réalisation du piogramme pontifical était liée au
rétablissement préalable du statu quo anle :
L'objet de cette guerre est de délivrer les peuples libres
de l'univers de la menace et de la puissance etTectivo
d'une vaste organisation militaire aux mains d'un gouver-
nement irresponsable, qui, ayant secrètement formé lo
plan de dominer le monde, a poursuivi l'exécution do co
plan sans respecter ni les obligations sacrées des traités,
ni les usages depuis longtemps établis et les principes
depuis longtemps reconnus des rapports iniernationauz
et da l'hoonoar; qui a choi*> *"" heure pour la guerre;
523
qui a porté son coup brutalement et soudainement ; qui
ne s'est arrêté devant aucune barrière de la loi ou de la
pitié; qui a submergé tout un continent sous des flots do
sang, non du sang des soldats seulement, mais aussi du
sang de femmes et d'enfants innocents et de pauvres gens
sans défense et qui, aujourd'hui, reste debout, arrêté dans
son élan, mais pas encore vaincu; l'ennemi des quatre
cinquièmes du monde. Co pouvoir, ce n'est pas le peuple
allemand ; c'est le maître impitoyable du peu])le allemaiHi.
Traiter avec un tel gouvernement suivant les sug-
gestions du saint-siège, ce serait lui permettre de ré-
cupérer ses forces et de persister dans sa politique;
ce serait rendre nécessaire une coalition permanente
contrel'autocratie irresponsable des Hohenzollern. Le
gouvernement américain ne désire pas de représail-
les : il veut une paix fondée sur les droits des peuples,
puissants ou faibles, y compris le peuple allemand,
s'il accepte l'égalité au lieu de rechercher la prédomi-
nance, s il se porte garant de la parole de son gouver-
nement, auquel il est impossible de faire confiance.
Du c6lé de l'Entente, la note pontificale reçut un
accueil déférent, mais réservé, parce qu'elle passait
sous silence les origines du conflit, plaçait sur le même
plan tous les belligérants, faisait supporter aux inno-
cents comme aux coupables la charge des dommages
matériels, ne prévoyait pas le châtiment des crimes
commis sur des populations inoffensives et paraissait
n'attacher qu'une portée territoriale àlaqueslion d'Al-
sace-Lorraine ou à celle de 1' « Italia irredenta ». Les
Alliés firent savoir au Vatican, par l'intermédiaire
Georpes Clemenceau, rrésiilent du rons,.il,
dans lii'n cabinet de travail (1918).
de l'Angleterre, qu'ils n'auraient rien à dire tant
que l'intime pensée des Impériaux ne leur serait pas
connue. Sent, le roi Albert 1" remit sous les yeux
de Benoît XV les revendications de la Belgique.
Au contraire, les Empires centraux, voyant dans
l'intervention pontificale un précieux appui pour
leur action, y répondirent avec empressement par
des banalités, ne soufflant mot de leurs conditions
de paix, maisrevendiquant la substitution delà force
morale du droit à la puissance matérielle des armées,
adhérant au principe du désarmement et de l'arbi-
trage obligatoire, réclamant la liberté de la haute
mer, se déclarant disposés (dans une note verbale
additionnelle) à libérer la Belgique sous des réserves
incompatibles avec l'indépendance de ce pays.
Ni l'hypocrite réponse de Guillaume II, ni celle de
Charles I" — de ton plus onctueux, mais identique
dans sa substance — ni les notes mensongères de
MahometV et de Ferdinand l<'f,exterminateurssyslé-
matiques des Arméniens, des Grecs et des Serbes,
ne méritaient qu'on s'y arrêtât. Ces quatre coupables,
s'adressant au saint-père, osaient prolester qu'ils
n'avaient fait la guerre que pour se défendre contre
une injuste agression. (.-1 suivre.) — Albert Liroar.
Cliavannes (Edouard), orientaliste français,
né à Lyon le 5 octobre 1865. Il est mort à Paris
le i9 janvier 1918. Fils d'un ingénieur des ponts
et chaussées, Edouard Chavannes était le second
d'une famille de dix enfants; il passa sa jeunesse,
partie à Lyon où il fit ses études au lycée,
partie à Lausanne où résidait sa graiid'mère.
Une fois bachelier, il vint à Paris et entra en rhé-
torique supérieure & Louis-le-Grand, pour y prépa-
rer le concours de l'Ecole normale suiiérieure. Ad-
mis à l'Ecole en 1885, il s'orienta vers la philoso-
phie et fut reçu à son agrégation en 18S8. Pendant
qu'il était encore à la rue d'Ulm, le directeur de
1 Ecole, G. Perrol, réunit un jour sesnormaliens et
leur représenta l'intérêt qu'il y aurait, au lieu de
se confiner perpétuellement dans l'anliquilé clas-
sique, il explorer, au point de vue phUologique,
IiMoi;r.rd Cliavannes,
32 i
t Exlrême-Orient. Il y avait là un champ d'études
vaste, à peine délricné et susceptible d'ouvrir, à
qui s'y engagerait, des perspectives de carrière ra-
pide et brillante. Comme il serait à souhaiter que
de semblables appels fussent souvent renouvelés à
notre jeunesse studieuse! Sans amoindrir aucune-
ment le r61e des éludes classiques, qui doivent
constituer le fond immuable de notre culture, n'y
aurait-il pas profil, et pour la science et pour ceux
qui s'y adonnent, à faire entendre aux jeunes gens
qu'il y eut de par le monde d'autres peuples que
les Grecs cl les Latins, qu'il y eut d'autres civilisa-
tions, sinon aussi riches, du moins aussi curieuses,
et dont la connaissance ne serait pas d'un médiocre
appoint pour enrichir le savoir humain? E. Cha-
vannes était d'un esprit vif et décidé; peut-être
obéissait-il obscurément à ce goût de 1 aventure
lointaine qui est
une des caracté-
ristiques du lem-
pirament lyon-
nais; touj ours
est-il qu'au len-
demain de celte
réunion, il de-
mandait l'autori-
sation de suivre
les cours de chi-
nois à l'Ecole des
langues orienta-
les et, quelques
mois à peine
après avoir passé
son agrégation
de philosophie, il
obtenait à l'Ecole
des langues
orientales vivan-
tes son diplôme
poi:.- la langue chinoise (décembre 1888). Un mgis
plus lard, en janvier 1889, chargé d'une mission de
l'Instruction publiciue, il partait pour Pékin, en qua-
lité d'altaché d'ami)assade à la légation de France.
■ Pendant ce premier séjour en Chine, il publia
une élude sur le Calendrier des Yn, donna une
traduction du Traité sur les sacrifices Fong et
Clian de Se-Ma-T'sien (1890) et surtout rassembla,
au cours d'un voyage dans la province de Chan-
Toung, les matériaux de son importantouvragesur
la Sculpture sur pierre en Cliine, publié en 18!)3.
lOnlre temps, il était rentré en France et avait passé
le concours des Affaires étrangères, qui lui eût ou-
vert, à l'occasion, l'accès de la carrière diploma-
lique (1891). 11 se souciait peu, en eflet, d'aller
occuper au lycée de Lorient la chaire de philoso-
pfiie qui lui avait été attribuée; il portait en lui des
ambitions plus hautes et se ménageai tune entrée dans
la diplomatie, au cas où il n'eût trouvé dans l'Uni-
versité un emploi judicieux et total de ses facultés.
Il n'avait pas encore renoncé, cependant, à ses
études philosophiques. En celte même année 1891 , il
publia il, en effet, a veo Ch . Andler, une traduction des
l'remiers principes de métaphysique de Kant, précé-
ilée d'une introduction sur la philosophie kantienne
de la nature. Mais, décidément, l'archéologie et l'his-
toire l'attiraient plus que la philosophie et, surtout,
la Chine l'avait conquis. Il y était reparti à la fin
de 1891 et y poursuivait ses travaux, lorsque la
mort du marquis d'Hervey de Saiut-Denys ayant
laissé vacante la chaire de langues et littératures
chinoises et tarlares mandchoues au Collège de
France, Ed. Chavannes, par un vole unanime, fut
appelé pour l'occuper (avril 1893). Il n'avait alors
que vingt-huit ans.
Etabli dans une chaire magistrale à un âge où
beaucoup sont encore des élèves, Chavannes, par
l'étendue de son savoir, la sûreté de ses méthodes,
la netteté de sa parole et, surtout, la vasle compré-
hension de son intelligence, se montra à la hauteur
d'une lâche particulièrement difficile. L'état des
études chinoises, en effet, encore rudimentaire,
ne permettait point au savant la spécialisation. II
lui fallait être tout à la fois linguiste, littérateur,
historien, archéologue, philosophe. Chavannes as-
suma toutes ces charges avec une remarquable
aisance. A la traduction des textes il ajouta la
critique et le commentaire; il étendit son enseigne-
ment à l'épigraphie, à l'histoire, à la géographie, à
l'art, à la philosophie; grâce à la souplesse de son
esprit et à la ténacité de son labeur, le champ des
études chinoises, dont il avait été l'instaurateur, se
trouva considérablement accru.
Le cercle de ses travaux s'était élargi, en même
temps que celui de son enseignement. Il s'était
d'abord proposé pour objectif l'histoire encore peu
connue de la Chine et avait entrepris dans ce but
la traduction des importants Mémoires historiques
de Se-Ma-T sien, dont le premier volume parut en
1895; quatre autres suivirent depuis. Il s'intéressa
aussi aux curieuses relations de voyage des pèlerins
bouddhistes, qui ont maintenu la liaison entre la
(Aine et l'Inde, et précisa les notions géographiques
eoncernant l'Asie orientale, en traduisant les rela-
tions de I-T'sing et de Tcheou-Chan. Au même
LAROUSSE MENSUEL
ordre de travaux se rattachent ses précieux Docu-
ments sur les Tou-Kioue ( Turcs) occidentaux, impri-
més à Saint-Pétersbourg en 1903. Pour contrôler rt
affermir ses études historiques, qui forment l'axe
de sa carrière scientifique, il s'attacha à déchiffrer
les documents épigraphiques (les Inscriptions des
T'sin [1893], l'Inscription de Kiu-Yong-Koan[lS9&],
Inscriptions et pièces de chancellerie chinoises
de l'époque mongole [1905]), étendant ses investi-
gations au Turkestan et & Tlnde même {les Inscrip-
tions chinoises de Bodh-Gayd [1896], Dix inscrip-
tions chinoises de l'Asie centrale [1902]) ; il ne
négligea pas non plus l'histoire des religions, à quoi
le préparaient ses éludes philosophiques {le Dieu
du sol dans l'ancienne religion chinoise [1901], le
Nestorianisme et l'Inscription de Kara-Balgassoun
[1897]), et rechercha même des renseignements sur
l'esprit et les mœurs de la Chine dans la litléralure
populaire des Fables et des Contes (Cinq cents
contes et apologues extraits du Tripilaka chinois
[1910-19111, Fables et contes de l'Inde). Mais c'est
surtout à l'art qu'il consacra la part la plus grande
de son activité. Déjà, son livre sur la Sculpture sur
pierre en Chine au temps des deux dynasties Ilan
(1893) nous avait révélé, datant des doux premiers
siècles de notre ère, une école d'art, aux tendances
profondément originales, indépendante de toule
religion, mais dont le développement s'était trouvé
entravé par le manque d'invention des artistes et
leur respect trop servile de la tradition. En 1907,
Chavannes entreprit dans la Chine du Nord une
importante mission, au cours de laquelle il visita,
photographia ou estampa les plus intéressants mo-
numents dos provinces septentrionales et de la
Mandchourie. 11 en rapporta les éléments d'un tra-
vail considérable, qui fit l'objel de deux gros volumes
et d'un recueil de 488 planches (1913-1915). Dans le
premier volume, il complétait sa précédenle étude
sur lasculplure à l'époque des Han; dans le second,
il étudiait la sculpture bouddhique, qui, soumise
aux puissantes inspirations venues de l'Inde, orienta
l'art chinois vers des voies nouvelles. Par son am-
pleur et son importance, ce travail restera l'oeuvre
capitale d'Ed. Chavannes.
Tant de travaux avaient de bonne heure attiré
sur GhavannesTattontion dumonde savant. Membre
de la Société asiatique depuis 1888, il en devint par
la suite le vice-président. En 1903, l'Académie des
inscriptions et belles-lettres l'élut membre titulaire,
et il fut appelé en 1914 à présider cette compagnie.
En 1908, il avait été nommé directeur d'éludés pour
les religions d'Extrême-Orient à l'Ecole pratique
des hautes études; en 1914, membre du conseil de
perfectionnement de l'Ecole des langues orientales;
il était depuis 1906 chevalier de la Légion d'hon-
neur. Sa réputation n'était pas moins grande à
l'étranger : tour à tour il avait été élu membre de la
North China branche of the Royal Asiatic Society
(1906), membre d'honneur de la Société finno-on-
grienne d'Helsingfors (1908), membre correspon-
dant de l'Académie des sciences de Petrograd
(1913), membre d'honneur de la Société asiatique
royale de Grande-Brclagne et d'Irlande (1916).
Tous ces titres montrent en quelle singulière
estime Chavannes était tenu dans les milieux scien-
tifiques. Cette estime, d'ailleurs, il s'appliqua à la
justifier par une production que la mort seule ar-
rêta prématurémenl. Le « Bulletin de l'Ecole fran-
çaise d'Extrême-Orient «, la « Revue de l'histoire
des religions », les « Annales du musée Guimet »,
le « Journal asiatique » et surtoutle « Toung-Pao » ,
revue qu'il dirigeait avec H. Cordier, témoignent
de l'infatigable activité et de la richesse de talents
de ce maitre incontesté de la sinologie contempo-
raine, qui se doublait, pour tous ceux qui l'ont
connu, d'un homme affable, d'une simplicité dis-
tinguée, scrupuleusement droit et, sous une appa-
rence un peu froide, foncièrement bon. — F. Guirikd.
Clozel (Fratifois-Joseph), explorateur et admi-
nistrateur colonial français, né à Annonay (Ardèche)
le 29 mars 1860, mort à Rabat (Maroc) le 10 mai 191s.
Le gouverneurgénéral Clozel fui au nombre de ceux
qui figureront dans noire histoire coloniale comme
ayant apporté la plus active et la plus brillante con-
tribution au développement de nos colonies do
l'Afrique occidentale; toute son existence fut con-
sacrée & cette œuvre. D'un esprit judicieux etd'uno
haute intelligence, il se montra un administrateur
supérieur, et il s'y était trouvé admirablement pré-
paré par les missions qu'il avait remplies dans des
pays nouveaux encore et par les études approfondies
qu'il leur avait consacrées.
De bonne heure, François Clozel s'était intéressé
à l'Afrique, et la meilleure preuve en est donnée par
les travaux auxquels il se livrait; par exemple, par
sa Bibliographie des ouvrages relatifs à la Sé7té-
gambie et au Soudan occidental, parue dans la
" Revue de géographie » (1891), bibliographie qui
ne compte pas moins de 1.155 numéros. 11 était
secrélaire-internrète altacliè à la propriété indigène
en Algérie, parlant l'arabe, quand, en 1891, il fut
adjoint à la mission Maistre, mission qui avait éli
envoyée par le Comité de l'Afrique française, afin de
François Clozel.
W 138. Août 1918
conduire des renforts à la mission Dybowski, en
roule vers le Tchad par l'Oubangui, pour reprendre
la tenlative de Crampel. Ayant laissé la France le
10 janvier 1892, la mission dont faisait partie Fran-
çois Clozel pénétra dans la région méridionale du
Saguirmi et opéra son retour par le Bénoué et le
Niger. Le chef de la mission, Maislre, avait eu par-
ticulièrement à se louer des services de son colla-
borateur. Clozel publia un récit de ce voyage :
la Mission Maistre, du Congo au Niger par le
Bagkirmi, dans le « Journal des Voyages » (1893 .
Nommé administrateur colonial en novembre 1893,
Clozel partait, le 10 décembre, pour le Congo, pour
essayer de nouveau de pénétrer jusqu'au lac Tchad.
Mais, à la suite de la convention du 15 mars 1894,
qui cédait à l'Allemagne une grande partie des rives
méridionales du Tchad, il résolut de rejoindre sim-
plement de Brazza sur la haute Sangha et de s'en-
tendre avec lui sur le but du voyage. Celui-ci lui
donna pour mission d'aller fonder un poste sur la
haute Mambéré, qui est l'une des branches origi-
nelles de la Sangha, et de reconnaître ensuite, dans
la direction du nord-est, les régions inexplorées jus-
qu'à la rencontre d'un cours d'eau navigable appar-
tenant au réseau
fluvial du lac
Tchad. Etanlpar-
venu à Tendira,
sur la Mambéré,
il y fonda un
poste, puis gagna
le Bail, apparte-
nant égalemciil
au bassin c!
Congo, et le i
monla jusqn'iiu
Bakourou. De ce
point, franchis-
sant la ligne de
faite qui sépare
le bassin duCon-
go de celui du
Tchad, il attei-
gnit, le 16 dé-
cembre, les rives
duWom, affluent
du Logone, ce dernier étant le principal affinent du
Chari, qui se jette dans le Tchad; la navigabilité du
Wom ayant été reconnue, Clozel avait, dans sa
mission,' ouvert une voie nouvelle de pénétration
du Congo français vers le lac Tchad. Après avoir
passé un traité avec le chef de la région, Clozel re-
vint à Tendira, suivant les instructions qu'il avait
reçues, ayant rapporté de cette exploration 550 ki-
lomètres d'itinéraires nouveaux, dont 400 eu pays
inexploré, ainsi que de nombreuses observations
géographiques et scientifiques.
Clozel donna une relation de son exploration :
De la Sangha à la Whom, dans le « Tour du
monde » (1896) et communiqua de nombreuses no-
tices aux divers organes géographiques. La Société
de géographie de Paris lui décerna, en 1896, le
prix Léon Dewez.
Envoyé comme administrateur à la Côte d'Ivoire
en 1896, il fut mis à la tète du cercle de l'Indenié,
créé cette même année et qui, bordant la Gold
Coast, occupe une partie du bassin du Comoé.
L'œuvre de pénétration dans celte région, commen-
cée par le capitaine Binger, fut achevée par l'admi-
nistrateur Clozel. 11 fonda, en 1897, un poste avancé
à Assikasso, mais il eut à réprimer, en 1898, des
troubles assez graves. Des bandes venues du terri-
toire anglais ayant assiégé ce poste, Clozel, étant
accouru avec des troupes de miliciens pour le déga-
ger, eut à soutenir, le 9 mai, un combat très inégal,
dans lequel il fut blessé. L'administrateur et ses
miliciens avaient pu, loulefois, contenir les indigènes
envahisseurs jusqu'à l'arrivée de renforts, qui pu-
rent porter un coup décisif. En fondant le poste
d'Assikasso, Clozel avait ouvert 430 kilomètres de
pistes à travers la forêt vierge qui couvre tout le pays.
11 devint ensuite secrétaire général du gouverne-
ment de la Côte d'Ivoire, puis lieutenant-gouver-
neur en 1903. Du jour où if avait mis le pied dans
la Côte d'Ivoire, Clozel s'était consacré avec la plus
louable ardeur à travailler au développement éco-
nomique de la colonie à la tête de laquelle il était
désormais placé. En 1899, il écrivait, dans le « Bul-
letin du comité de l'Afrique française », une impor-
tante notice, qui mettait en valeur notre possession :
la Situation économique de la Côte d'Ivoire. Tra-
vailleur et érudit, il publiait aussi sur la colonie
des travaux divers d'histoire et d'ethnographie;
entre autres, dans le « Bulletin de la Société de
géographie » (1899) : la Côte d'Ivoire; nolice histo-
rique. Puis, en 1902, parut, en collaboration avco
R. Villamur, son important ouvrage : les Coutumes
indigènes de la Côte d'Ivoire, recueil où, pour la
première fois, avaient été réunies les coutumes
locales de la colonie, jusqu'alors à peu près igno-
rées, en vue de les respecter dans l'organisation de
la justice indigène.
En 1904, le gouverneur Clozel lit une longue tour-
née dans l'intérieur de la colonie, dont le butprin-
N' 138- Août 1918
cipal élait de visiter la région du Baoulé et le cercle
de Kong, qui venaient d'èlre remis à l'autorilù ci-
vile; il fit encore une autre grande loun)i''e en 1905.
Son ouvrage : Dix ans à la Cole d'Ivoire, paru en
1906, qui contient une série de réci's et d'études
diverses.dontun certain nombre avaient été anlériéu-
renieiit publiés par lui, montre bien qu'elle fut la
conlinnilé trts elTicace de l'action qu'il exerça à la
Côte d'Ivoire dans ses fonctions successive3.Knl90>i,
il fut appelé au gouvernement du Haut-Sénégal-
Niger, où il remplaça William Ponty, nommé gou-
verneur général de l'Afrique Occidentale française.
François Clozel prit, le lu mai, le commandement
de la colonie et, le 25 mai, tous les services furent
transférés de K:iyes à liamal<o, sur les ri ves du Niger,
qui devenait désormais le chef-lieu du Haut-Séné-
gal-Niger. Dés le mois suivant, le nouveau gouver-
neur faisait une lonrnée d'inspection par Koulil<oro,
Ségou, Mopli et Sofara jusqu'à Dienné. De janvier
à mai 1909, il fit une nouvelle grande tournée, celle-
ci dans le Territoire mililaireet laboucledu Niger.
Embarqué sur un vapeur de la flottille du Niger, il
remonta le fleuve jusqu'à Ansongo, après s'êlre
arrêté à Toml)ouctou, Bamba et Gao; monté sur un
chaland à Ansongo, à cause des nombreu.x rapides
qui barrent le fleuve, il gagna Say, d'où, prenant la
voie de terre, il traversa tout le Mossi pour revenir
LAROUSSE MENSUEL
le Maroc et les autres possessions africaines. II
venait d'être chargé par le gouvernement de la
Uépublique d'une mission auprès du protectorat
cliérifien qui se référait au même objet et il se trou-
vait à Rabat depuis un mois, quand il fut saisi
subitement par la mort, au moment où il poursuivait
son œuvre africaine. — Gu»i»ve RECELspEKoBit.
Diplomate d'il y a cent ans (Un);
Frédéric de Geiilz (176'i-ls.'}2), par Adrien Robinet
deCléry (Paris, 1917). Singulière fut la destinée de
Frédéric de fientz, qui, de son temps, exerça une in-
fluence considérable, laquelle, au congrès de 'Vienne
de Iglii, tint un rôle de premier plan et qui, pour-
tant, laissa une répulalion détestable. Parce qu'il
fut le bras droit de Metternich et qu'il l'aida, dans
les vingt dernières années de sa vie, à poursuivre
une politique de réaction, la bourgeoisie libérale
l'abhorra. Et,sansdoute,sa vieprivée donna maintes
fois prise à la critique. Le goût passionné qu'il avait
pour les plaisirs plus d'une fois le rendit vénal. Il
y avait lieu, pourtant, de tenir compte de sa vie pu-
blique autant que de sa vie privée. Et Hebbel, en
1S57, tenta sa rébabilitalion. Adrien Robinet de
Cléry nous montre aujourd'hui que le personnage
n'était pas seulement méprisable, qu'il méritait
d'être étudié, que bien des reproches qui lui ont été
' rneur, à Koulouba (liaut-Sùacgal-Nigcr;, habite par clozel.
à Bamako. En septembre 1910, il visita toute la
région montagnense comprise entre Douenlza et
Bandiagaia, où venait de se produire une révolte
des Habés et, par les judicieuses mesures qu'il sut
prendre, il ramena définilivement le calme dans la
contrée. Toules ces inspections permeltaient au
gouverneur Clozel de faire une étude approfondie
du pays et avaient la plus heureuse influence sur
son ailminislratiou. C'est ainsi, encore, qu'il fit, en
décembre 1913 et janvier 1914, une utile lournée
dans le cercle de Onalala, où des défaites avaient
été infligées à d'importants rezzous venus du Sud
mariicain.
Lorsque, le 13juinl91.ï, mounit à Dakar le gou-
verneur général de l'Afrique Occidentale française,
William Ponty, ce fut Clozel qui fut délégué dans
les mêmes fonctions, et il était cerlainenient l'ad-
ministraleur le mieux préparé et le plus apte à assu-
mer celte tâche. Il a su, pendant ces moments
difficiles, diriger notre colonie avec autant de pru-
dence que d'aulorilé et, grâce à sa vigilante admi-
nistration, il l'a maintenue dans un état général
aussi satisfaisant que l'on pouvait le désirer et a
continué à assurer les recrutements indigènes. 11 a
poursuivi, à l'égard des indigènes, une politique de
tutelle bienveillante, qui avait été celle de Ponty, et
il s'est toujours appliqué à mettre en œuvre tout ce
«lui pouvait aider au relèvement physique et moral
Jes peuples qu'il gouvernait. Toutes ses mesures
étaient fondées sur une solide connaissance de nos
colonies, dont, avec raison, il jugeait nécessaire
d'approfondir l'étude. De même que dans le Haut-
Sénégal-Niger, il avait pris des dispositions pour
faire entreprendre des travaux fournissant d'utiles
renseignements pour assurer la bonne administra-
lion de la colonie et ses progrès économiques. Clozel
fut de ceux qui contribuèrent le plus au développe-
ment de notre empire Ouesl-.\fricain. Il laissa Dakar
en juin 1917, étant remplacé dans ses fonctions par
J. Van Vollenhoven, nommé, par un décret du
8 mai, gouverneur général de l'Afrique Occidentale
française.
Clozel était venu une première fois au Maroc, en
191C, à l'épomie de la foire de Fez, pour étudier, de
concert avec le général Lyauley, les mesures propres
à rapprocher, politiquement et économiquement,
LAROUSSE MLNSUEL. — IV.
adressés n'ont point toujours des fondements bien
sûrs. 11 laisse de côté l'homme privé. Il ne consi-
dère que le philosophe et le politique et, par une
analyse, parfois pleine de finesse, de ses idées, il
nous le fait mieux mieux comprendre que par le
récit de telle ou telle anecdote scandaleuse. Le
livre est plein et riche d'enseignement. On peut y
trouver une bonne leçon de politique.
Frédéric de Gentz, qui devait mourir à Weinhaus,
près devienne, en 1832, était néà Breslau enl764.
1-^ludiant à Kùnigsberg et élève de Kaiit, petit fonc-
tionnaire prussien à Berlin, écrivain politique au
service de l'Aulriebe, confident, enfin, de Melterjiich,
ce serait une injustice de ne voir en lui, comme on la
fait trop souvent, que le cynisme, l'indolence et la
corruption qu'il affectait dans ses dernières années.
Il est plus intéressant de suivre le développement de
ses idées jusqu'au lendemain du congrès de Vienne.
11 fut fidèle jusqu'à la fin de sa vie à son système
politique, système rationaliste. Par là, il y'a lieu
d'insister sur les différentes influences qu il reçut
dans sa jeunesse.
Fils d'une prolestante française et protestant lui-
même, Gentz attacha toujours une grande impor-
tance à la Réforme, et ja nais le moindre élément
mystique ne troubla sa pensée rationaliste. Jeune
homme, il subit l'influence des idées et de la ) bit j-
sophie de son temps : les rationalistes français,
notamment Montesquieu, et les pliilosopbes popu-
laires allemands. II fut nourri des préceptes de
y Aufkli'irung . J.'Auf/cIdrnng, c'était une direction
générale de l'esprit humain ; c'était l'émaucination
des individus de la tutelle autoritaire de l'Eglise et
de l'Etat, un effort de la raison pour ne recourir
qu'à elle-même et pour agir résolument sans se
laisser diririger par autrui : théorie de progrès, qui
reçut son expression la plus complète dans l'ouvrage
d'isaac Iselin : Veher die Geschclnle der Menschkeit,
théorie d'un perfectionnement indéfini de l'huma-
nité, dont l'idéal était plus ou moins réalisé par
l'Europe du xviii" siècle. Gentz manifesta ses sym-
pathies pour la philosophie de l'histoire rationaliste
dans pres(|He tous ses ouvrages, soit expressément,
soit implicitement, par les jugements qu'il porta sur
les différentes périodes historiques.
Enfin, Kant agit également sur lui. De 1783 à
52o
1785, il avait suivi les cours du philosophe ; il cor-
rigea même les épreuves de la Critique du juge-
ment, et il fut sensible à sa philosophie du droit, à
sa philosophie de l'histoire, qui n'était, d'ailleurs,
que la conflrraation de VAufklûrung et, aussi, à sa
morale.
Le premier article que publie Gentz, en avril 1791 ,
sur l'origine et les principes supérieurs du droit, est
un mélange de Rousseau et de Kant; mais, tout
aussi bien au point de vue conception générale
qu'au point de vue habitudes d'esprit, au point de
vue pratique qu'au point de vue théorie, Gentz ap-
paraît nettement rationaliste.
D'ailleurs, toutes ses sympathies, bien qu'elles ne
soient point très franchement exjirimées, en raison,
sans doute, du risque qu'il y aurait eu à le faire,
sont pour la Révolution française.
Ce qu'il aime avant tout, dans laBévoIution, c'est
une application des théories du Contrat social;
mais il n'est point douteux que le souvenir de Mon-
tesquieu, encore plus que celui de Rousseau, agit à
ce moment sur le développement de sa pensée. 11
rêve détendre le mouvement hors des frontières de
France, et en Allemagne même.
Pourtant, cette foi révolutionnaire ne dure point.
Une évolution singulièrement marquée apparaît
soudain dans sa pensée. Frédéric de Geniz devient
et va rester nettement et passionnément antirévolu-
tionnaire. Comment se produisit cette évolution, et
sous quelles influences Tes idées de Gentz se modi-
fièrent-elles? II n'est point aisé de le savoir avec
précision. A vrai dire, les éléments de ses nouvelles
convictions sont multiples, et Adrien Robinet de
Cléry en trace une analyse qui ne manque pas de
finesse et qui semble être assez probante.
Les idées que Gentz avait exprimées jusqu'à ce
moment, il les avait adoptées en tant que philo-
sophe, c'est-à-dire en tant qu'homme politique théo-
rique. Mais il n'était point seulement philosophe ;
il était aussi fonctionnaire prussien et, comme
tel, il ne pouvait rester indifférent à la réalité des
choses. Contre la théorie se dressa la pratique II
constata le mal provoqué par un mouvement dont
il attendait tant de bienfaits, et il s'en détourna.
Mais, peut-être, le simple spectacle des événements
n'eûl-il pas suffi à déterminer en lui un changement
aussi profond, si ce spectacle ne lui avait pas été
commenté. On ne saurait passer sous silence l'in-
fluence très certaine exercée sur sa pensée par Garve
et Humboldt, par Burke et Necker.
Christian Garve, ami de la famille Gentz, était en
communication d idées constantes avec le jeune
homme. Or, il n'était point rationaliste et n'assignait
qu'un but à la politique : l'augmentation du bien-être
général, qui devait avoir comme conséquence l'aug-
mentation de la moralité. 11 avait un souci de l'ex-
périence et de la réalitéqui manquait précisément à
Geutz et, en le lui communiquant, il fit naître en
lui les premiers doutes.
Pour Humboldt, bien qu'il fût à peu près de son
âge, Gentz manifeste une sorte de culte. Aussi était-
il particulièrement disposé à recevoir .son empreinte.
Huiiiboldl lui enseigna à regarder le monde avec
quelque scepticisme et à ne se laisser duper ni par
les idées, ni par les mots.
Mais, à côté de ces infiuences directes, Gentz re-
çoit l'action de ses propres lectures et, au premier
)lan, du pamphlet de Burke, qu'il traduisit, et du
ivre de Necker su rie pou voir exécutif. L'expérience
des grandes affaires politiques de Burke, la situa-
tion de Necker, sa vie publique, n'étaient pas, d'ail-
leurs, étrangères à l'influence que leurs ouvrages
pouvaient exercer sur un homme comme Gentz.
Quoi qu'il en soit, Gentz entreprend contre la Révo-
lution une lutte acharnée, qui va durer une dizaine
d'années, et où l'un trouve le principe de toules les
polémiques qu'il conduira par la suite.
Gentz ne s occupa, d'abord, que de politique inté-
rieure, s'atlachant, d'ailleurs, uniquement à la France,
qui était bien le seul pays, à ce moment, où la poli-
tique intérieure fût digne d'attention. Mais chacun
de ses écrits est un écrit de combat, dont le seul
but est de faire l'opinion en Allemagne. Plus qu'his-
torien, il est polémiste, et il.€ssaye de provoquer
une réaction antirévolutionnaire dans l'Europe cen-
trale. Bien que sa besogne de fonctionnaire lui
soit fastidieuse, elle lui est utile pour l'expérience
([u'elle lui donne des affaires publiqiies. Mais ses
polémiques sont son principal souci, il traduit, no-
tamment, le pamphlet de Mallet du Pan : Considé-
rations sur la nature de la Itévolulion de la
France et sur les causes qui en prolongent ta
durée, dont on connaît la particulière violence.
Puis il s'apaise et, avec calme, expose ses idées sur
les avantages et les inconvénienû des divers sys-
tèmes politiques.
Tout en maintenant son respect pour le droit
théorique, il s'occupe de plus en plus du droit po-
sitif. Droit, morale, sagesse, telles sont les trois
bases d'une bonne politique. Encore morale et droit
se confondent-ils bientôt. Toutes les relations po-
litiques reposent sur l'idée d'équilibre, qui se réa-
lise par la séparation des pouvoirs. Celte concep-
tion de l'équilibre qui détermine l'admiration ne
20»
fi
526
Genlzpour la conslilulion anglaise, et son antipa-
thie pour la révolullon française est à la base de
toutes ses idées et le demeurera encore après 1815.
C'est encore l'équilibre qu'il s'agirade maintenir, &
ce moment, entre le principe de conservation et le
principe de progrès. Et c'est dans celle conception
qu'il faut voir l'unité morale des idées politiques
de Gentz.
Il avait d'abord manifesté peu d'intérêt pour la
politique étrangère et, peut-être, en faut-il voir la
raison dans son cosmopolitisme. Il avait également
horreur de la guerre.
Or, en 1800, 11 opère un changement de front.
Après avoir voulu pendant longtemps la neutralité
de l'Europe, il soutient soudain, au point de vue de
la politique extérieure de la Prusse, un système
tout opposé. Pourquoi ce revirement, d'autant plus
que ce n'est qu'au moment où, en Europe, tout sem-
blait être à la paix que Gentz aflirnie que la guerre
contre la révolution était une nécessité? 11 semble
que ce sont les événements eux-mêmes qui lui ont
donné une conviction nouvelle et, notamment, les
empiétements territoriaux successifs de la Révolu-
tion. C'est pourquoi il s'efforce de démontrer que,
quelles qu'en soient les apparences, la guerre contre
la France a été uniquement défensive. La France
ne troublait-elle pas l'équilibre général? C'est tou-
jours le même principe de l'équilibre qui apparaît
à la base de ses idées politiques. C'est lui encore
qui le conduira dans la lutte qu'il va poursuivre
contre la domination napoléonienne, et il est bon
de rappeler que ce principe est dans Kant.
Il convient de s'arrêter sur la rériitalion du livre
d'Hauterive, que Gentz jugea nécessaire d'écrire.
Hauterive, revenu d'Amérique avec Talleyrand et
recommandé par lui à Bonaparte, avait été chargé
?ar le Premier Consul de rédiger son ouvrage De
état de la France à la fin de l'an VIII, pour ga-
gner l'opinion européenne à la cause française. Le
livre avait eu un gros succès. Gentz i. l'état de la
France à la fin de l'an 'VllI opposa l'état de l'Eu-
rope à la (in du xwm" siècle. Le point de départ
théorique des deux publicistes était, d'ailleurs, le
même. L'un et l'autre reconnaissaient la nécessité
d'établir un droit public et, comme il serait insuf-
fisant, la nécessité de mettre la force au service du
droit. Mais, dèsqu'il s'agitdejugerlesévénements,
les divergences sont complètes.
D'Hauterive, après avoir voulu prouver qu'il n'y
avait pas d'équilibre stable avant 1789, essayait
d'établir que le meilleur moyen d'assurer l'unité
était un système fédératif sous une suprématie in-
contestée; autrement dit, l'asservissement de l'Eu-
rope. Gentz, contre ce système fédératif, préconi-
sait l'équilibre européen. 11 mit au point ses idées
dans ses Fragments pour l'histoire de l'équilibre
européen, en 1805, oii il formula ses quatre prin-
cipes d« réquilil)re :
1" Si le concert européen doit se maintenir, au-
cun membre ne doit devenir si puissant que la
réunion des autres ne puisse le vaincre;
2° Si le système de l'iOurope ne doit pas être ex-
posé à de grands dangers, chaque membre doit
pouvoir être vaincu, non seulement par la réunion
de tous les autres, mais par la majorité;
3° Afin d'éviterdes guerres continuelles, la crainte
d'une résistance commune doit être suffisante pour
retenir chaque membre;
4° Si un Etat européen cherche à arriver à la
prépondérance ou yarrive vraiment par des moyens
illégaux, les autres doivent entrer en hostilités ou-
vertes avec lui ; et, s'il le fait par des moyens lé-
gaux, ils doivent employer tous les moyenslégaux
à leur disposition pour contrecarrer ses'projels.
La pensée politicjue de Gentz atteint là son apo-
gée. Il ne fera plus que l'appliqiier.
Ses études nouvelles, son ambition l'avaient dé-
terminé, en 1802, à quitter l'Allemagne pour l'Au-
triche. 11 devient un personnage. 11 est reçu parles
princes et les souverains. Conscient de sa propre
valeur, il essaye, par son action sur les hommes,
de réaliser ses idées. Mais ce n'est plus par la
plume, c'est par la parole qu'il agit dans les salons
de la plus haute aristocratie autrichienne. Voulant
agir sur la politique étrangère de la monarchie,
qui, à ce moment, est tournée vers la paix, il fait
mémo de l'opposition et entre en rapports avec
Louis XVIII. Dans son Mémoire h l'archidnc Jean,
il prêche l'union de la Prusse et de l'Autriche et,
quand les défaites viennent, il maintient les cou-
rages chancelants. 11 s'adapte à toutes les situations
ot, on 1811, il devient le bras droit de Metternich.
Sa nouvelle situation modifiera certainement ses
idées, et l'esprit du fonctionnarisme autrichien
agira sur sa conduite, mais ses principes demeu-
Tcronlles mêmes. 11 faut noter, pourtant, l'évolution
apparente de son sentiment national. D'abord, uni-
quement cosmopolite, il parlait, disait-il, " non seu-
lement en Allemand, non seulement en Européen,
mais aussi en Français ». Soudain, vers 1803, il
s'exprima en patriote allemand. Mais cette idée
nationale, malgré tout, ne resta pour lui qu'une
idée auxiliaire, toujours subordonnée au principe
de l'équilibre européen. Aussi, est-ce à tort qu'on
LAROUSSE MENSUEL
l'accusa de trahison plus tard, quand il se détacha,
sous l'infiuence de Metternich, de la cause natio-
nale allemande.
De publiciste européen international, Gentz de-
vient Autrichien. Le système nouveau auquel il
s'est rallié est : se méfier des idées préconçues et
se plier aux circonstances. Les circonstances, d'ail-
leurs, il les juge à un point de vue autrichien. Mais
il ne renie point les grands principes politiques
qui ont de tout temps dirigé son activité. Secrétaire
du Congrès de Vienne, ayant gagné une souplesse
d'esprit extrême, il peut les appliquer. On lui a
reproché sa sympathie pour la politique extérieure
de la Restauralion, et if est vrai qu'il fut l'agent de
Talleyrand; mais, en cela même, il ne faisait que
suivre sa politique d'équilibre contre les ambitions
excessives de la Prusse et de la Russie. Ce n'est
pas lui qui a changé ; ce sont les circonstances qui
se sont modifiées.
Quand l'équilibre fut établi, il ne chercha
qu'une chose, comme Metternich : maintenir cet
équilibre; et il faut voir encore là la raison de la
politique de réaction qu'il soutiendra jusqu'à la fin
de sa vie. — ■ Jacques Bompard.
lÈlectricité. Applications db l'élbctricité
AUX iNUL'STuiES Mi'cANiguES. — Daus des articles
antérieurs (v. « Larousse Mensuel », p. 389, 440),
nous avons traité sommairenientdes applications de
l'électricité aux industries minière etmétallurgique.
Nous parlerons aujourd'hui de son emploi dans les
industries purement mécaniques, emploi qui n'a
ocbevaux
40 60
Puissance Fournie
Fig. 1. — Consommation spi^cifiqiie comparée d'un moteur à vapeur
(le 80 clievaux et d'un niulcur électrique de même piiissauc,--.
cessé de se développer depuis une vingtaine d'an-
nées et, particulièrement, depuis la guerre.
Ces applications se résument, en somme, dans
l'emploi du moteur électrique pour la commande
des diverses machines-outils destinées au travail
des métaux, des bois et, en général, de tous les ma-
tériaux utilisés dans l'industrie mécanique.
Le principal avantage de l'emploi du moteur élec-
/V* f38. Août 1978.
pliquéeset pourtant nécessaires, si l'on veut action-
ner plusieurs machines à l'aide d'un seul moteur,
qu'il soit à vapeur, à gaz ou hydraulique.
Enfin, la commande individuelle a l'avantage
énorme de permettre de ne consommer que la puis-
sance dont on a réellement besoin. Les machine»
qui ne travaillent pas restent immobilisées, celles
qui travaillent ne consomment qua la puissance
qui leur est nécessaire. 11 n'en est pas de même
quand plusieurs machines sont toutes commandée»
par le même moteur : dans ce cas, quand une par-
lie seulement des machines est en service, le mo-
teur marche à charge réduite, c'est-à-dire dans des
conditions de consommation et de rendement tout
à fait désastreuses. On sait, en efi'et, qu'un moteur
à vapeur ou à gaz consomme d'autant plus de com-
bustible par cheval produit que la puissance qu'on
lui demande est plus faible par rapport à sa puis-
sance normale {/if/. 1).
Le moteur électrique, au contraire, absorbe à peu
de chose près le même nombre de kilowatts par
kw. fourni, quelle que soit sa charge : en d'autres
termes, son rendement est à peu près constant dans
les limites ordinaires d'utilisation, c'esl-à-dire du
quart de charge à la pleine charge. La figure 1
montre qu'un molenr à vapeur consommant 1 kg. 1
de charbon par cheval fourni à pleine charge en
exigerait 2 kg. 4 à quart de charge, tandis qu'un
moteur électrique de même puissance absorbant
1 kw. 1 par kw. fourni ne consommerait quel kw. 2
à quart de charge. De sorte qu'en supposant que le
prix du kilogramme de ch.irbon soit le même que
celui du kilowattheure, le moteur à vapeur,
(|ui dépenserait à pleine charge autant que le
moleur électrique, dépenserait le double au
quart de charge.
On a donc intérêt à employer le moleur
électrique toutes les fois que la puissance
àfournir est très vtiriable et, surtout, lorsque
la charge habiluplle de l'inslallation est no-
tablement inlérii'ure à la charge maximum.
Or, ceci est le cas de tous les aleliers em-
ployant plusieurs machines-outils, à cause
des condilions variables du travail, des
temps d'arrêt et des immobilisations iné-
vitables, etc., de sorte qu'en pratique le
coefficient d'utilisation de l'Installalion (rap-
port de la puissiiiue moyenne ulilisée à la
puissance maximum) est toujours faible
(0,2 à 0,6 environ). Mais, d'ailleurs, la com-
mande individuelle permet d'éviter tout
gaspillage d'énergie.
Le tableau comparatif suivant permet
d'évaluer l'économie ainsi réalisée dans le
cas d'un atelier de construction mécanique
comportant 12 machines-outils de 5 che-
vaux cliacune, marchant avec un coefficient
d'utilisation de 0,33. En admetlant que la
puissance perthie dans les transmissions
mécaniques est de 20 chevaux (soit 1/4 de la puis-
sance du moteur primaire), le moteur i vapeur
devrait pouvoir fournir 12 X 5 -f- 20 = 80 che-
vaux. Ce moleur peut Aire remplacé soit par un
moteur éleclrique de même puissance avec irans-
mi.-isions mécaniques, soit par 12 moteurs de
5 chevaux commandant directement chaque ma-
chine-oulil. On a alors les résultats suivants :
NATURE DE LA COMM.iNUE
MOTEURS KNPLOYÉS
l'uissaDce moyoïine domandce : GO x o.yj ^ . . . .
Puissance perdue dans les transmissions.
Puissance fournie par le moteur
Régime de charge des moteurs
Consommation par cheval-lieure fourni _,
Consommation horaire
Prix unitaire
Dépense horaire en francs'
Dépense annuelle (3.000 heures) .
Economie réalisée par rapport au moteur à v;jpeni-
COUUANDE PAR TRANSMISSION MÉCANIQUE
1 moteur à vapeur
de 80 chevaux.
20 chev.
20
20 4- 20 = 40
demi-charge
2 kil. charbon
80 kil.
0,16
12,80
38,400
0
COUHANbB
INDIVIDURLLB
o,ao
4,92
14,760
61 0/0
trique réside, ici, dans la possibilité de réaliser la
commande individuelle qui consiste à pourvoir cha-
que machine, même de très faible puissance, d'un
moteur indépendant. Cela est aisé, grâce à la faci-
lité avec laquelle l'énergie électrique peut se divi-
ser et se canaliser en rtunifications innombrables, à
l'aide de fils conducteurs peu encombrants, légers
et peu coi'iteux. — Ptir suite de cette disposition,
les moteurs peuvent être calculés exactement pour
le service particulier auquel ils sont affeclés : ils
peuvent ainsi travailler dans les meilleures condi-
tions de puissance et de remletnent.
De plus, la coinmaïule étant directe, on écono-
mise non senlemenlles frais d'installation des trans-
missions mécaniques jiis(|H'alors indispensables,
mais encore, et surtout, l'énergie considérable dé-
pensée en pure perte dans ces transmissions com-
l.e cliiin-e de 2 kilogrammes de charbon pnr che-
val-heure fourni à demi-charge est souvent dépassé
par les moteurs de faible puissmce et de type an-
cien. 11 serait, par contre, un peu exagéré pour des
moteurs puissants et de type moderne. Le prix du
charbon indiqué (160 francs la tonne) est le prix de
base actuel (1918). Celui de 0 fr. 50 pour le kwh.
est un maximum; il est souvent moiiié et jusqu'à
cinq fois moindre. L'économie, est alors, plus consi-
dérable encore. En complant le kwh. à 0 fr. 30, on
voit que le remplacement de la machine à vapeur
par un moteur élcclri'|iie procurerait une économie
de 21 p. 100. Cette économie atteindrait 61 p. 100
par l'adoption de la comniimle individuelle. Le bé-
néfice annuel serait voisin de 24.000 francs. Or, si
l'on considère que le prixd'un moteur électrique de
cinq chevaux peut varier de 1.500 à 2.500 francs, sui-
N' 138. Août 1918.
vant les constructeurs et suivant la nature du cou-
rant qui doit l'alimenter, on voit que la dépense
engagée pour la commande individuelle des ma-
cliines serait couverte au bout de la première année
d'exploitation.
A ces considérations sur la consommation des
moteurs s'en ajoutent d'autres qui, bien que secon-
daires, ont également leur importance.
C'est d'abord l'i'conomie de temps qui
résulte de l'adoption de la commande indi-
viduelle. La mise en marche de chaque
moteur étant pour ainsi dire instantanée,
on évite les manœuvres assez longues,
coftteui-es et souvent dangereuses, néces-
sitées par la commande mécanique, ainsi
3ue les visites et réparations fréquentes
es courroies, poulies, arbres de transmis-
sion, paliers, etc. Ces réparations en-
traînent des frais importants, tant en
main-d'œuvre qu'en matières premières et
en temps perdu. Dans l'exemple cité plus
haut, on peut évaluer ce temps à trente
minutes par jour pour chacun des douze
ouvriers conduisant les machines, soit,
par an, 1.800 heures, représentant une dé-
pense supplémentaire d'environ 2.000 fr.
C'est ensuite la sécurité du travail assurée
d'une manière plus constante, puisqu'un
accident su.'venu à l'un des moteurs n'em-
pêche pas les autres de fonctionner, tandis
qu'avec la commande par groupes, une
avarie du moteur arn'le la marche de
toute l'installation, à moins qu'on ne con-
sente à faire la grosse dépense d'un moteur
de secours. C'est, enfin, une meilleure uti-
lisation de l'espace disponible, puisque,
chaque machine portant son moteur, il n'y a plus
& prévoir une salle spéciale pour le moteur. On
peut, alors, disposer chaque machine au gré des
conditions de commodilé du travail, d'éclairage, etc.,
sans être gêné par la question des transmissions.
On peut, de ce fait, améliorer considérablement
le rendement productif de l'usine.
Quant à la question des frais d'établissement, il
estjuste de reconnaître qu'ils sont, en général, un peu
plus élevés avec la commande individuelle, par suite
de l'emploi de moteurs moins puissants et, par suite,
relativement plus coûteux. Mais cette différence est
vite comblée par l'économie de combustible ou de
courant, comme nous l'avons indiqué plus haut.
D'ailleurs, la puissance de cinq chevaux adoptée
dans l'exemple précité ne convient, en réalité, qu'à
LAROUSSK MENSUEL
des machines faisant un travail particulièrement
dur (raboteuses, grands tours rapides, etc.). En
pratique, la plupart des machines-outils usuelles
n'exigent qu'une puissance de un à cinq chevaux.
Cette puissance peut, d'ailleurs, se déduire approxi-
mativement du poids de matière enlevé par l'outil.
Disons, pour fixer lea idées, qu'un cheval est néces-
Course totale de l'outil
J^ig- 2. — Diagramme de puissaoce d'une raboteuse de S cberaux
saire pour enlever soit de 0,3 à 1 kilogramme de
bois par minute, suivant les cas, soit de 300 k 400
grammes de cuivre pur ou de fonte, soit 200 à 300
grammes de fer ou d'acier doux, soit, encore, 100
à 150 grammes de bronze ou d'acier dur.
On est, d'ailleurs, souvent amené à prévoir des
moteurs plus puissants que ne l'exigerait le travail
produit. Cela arrive surtout lorsque les organes
mobiles des machines présentent une grande inertie,
comme dans les raboteuses par exemple, soit que
l'outil se déplace avec son chariot, soit qu'au con-
traire la pièce à usiner se meuve avec la table sur
laquelle elle est fixée, par rapporta l'outil maintenu
immobile. 11 se produit, alors, au moment du chan-
gement de marche (retour de la pièce ou de l'outil
après chaque passe), un appel de courant dû à
l'inertie des masses dont il faut brusquement chan-
ger le sens de la translation. Le diagramme de la
figure 2 montre ces variations de puissance dans le
cas d'une raboteuse à chariot mobile. Le moteur doit,
alors, avoir une capacité de surcharge considérable,
si l'on ne veut pas compliquer la machine par l'ad-
jonction d'un volant. En principe, les surcharges ne
devraient jamais dépasser de plus de 50 p. 100 la
puissance normale, sous peine de compromettre la
duréede fonctionnement du moteur. On atténue, d'ail-
leurs, la violence des à-coups tant par des dispositifs
électriques (compoundage, pôles auxiliaires, etc.)
que par des moyens mécaniques, en intercalant
I''ig. 3. — Perceufte acUouuée par un mol«ur électrique de 2 chevaux.
- Per<!eu!)e à main, À changement de vitosso
(t/4de clieval, trous de 15 mm.).
par exemple entre le moteur et l'outil une liaison
élastique (manchon d'accouplement à ressorts ou à
tampons de caoutchouc, arbres flexibles, etc.).
Il serait impossible d'étudier ici en détail les
diverses applications du moteur électrique. Nous
ne pouvons qu'en énumérer quelques-unes, en lais-
sant, d'ailleurs, de côté celles qui ont trait à la ma-
nutention et à la traction proprement dite et qui
méritent un chapitre spécial.
Dans l'industrie du bois, le moteur actionne princi-
palement des scies circulaires ou à ruban, qui débi-
lenlles planches et les madriers! puissance du moteur:
un à deux chevauxl, des raboteuses qui préparent
jusqu'à 2.000 lames de parquet à l'heure (puissance :
deux chevaux), des tours à bois d'un demi-cheval,
pour la fabrication des manches d'outils, des bâtons
de chaises, pipes et objets d'ébénisterie, etc.
Pour le travail des métaux, on emploie des
perceuses actionnées soit indirectement parcourroie
et démultiplication, comme le montre la ligure 3,
soit par l'intermédiaire d'un train d'engrenages à
deux ou trois vitesses, comme dans les perceuses
527
portatives (fig. 4 et 4 bù); les premières exigent
des puissances variables depuis 0,2 cheval pour les
petites sensitives, jusqu'à 5 chevaux pour les grandes
verticales et 8 à 10 chevaux pour les radiales
(voir la formule donnée plus haut). Les secondes
renferment des moteurs de 0,2 à 1 kwb., complè-
tement étanches et portatifs; elles permettent de
pratiquer des forages dans toutes les directions
dans des pièces difficilement transportables, telles
que charpentes métalliques, grosses pièces de ma-
chines, plaques de blindage des navires, etc. Leur
poids est d environ 25 kg. par kw. Elles sont sou-
vent à adhérence magnétique. Le moteur électrique
actionne aussi des tours dont la puissance peut
varier de 2 chevaux pour un tour parallèle de
300 millimètres de hauteur de pointes à 10 che-
vaux pour un tour del.OOO millimètres, et de 5 che-
vaux pour un tour vertical de 1 mètre, à 20 chevaux
pour un tour de 6 à g mètres ; des raboteuses à un
ou plusieurs outils, dont la puissance peut atteindre
50 chevaux suiMnt le poids de métal enlevé, des
fraiseuses et mortaiseuses (puissances usuelles :
5 à 20 chevaux); des riveuses dont l'outil est mis en
mouvement
par succion
électroma-
gnétique,
comme l'ar-
mature d'un
électro-ai-
mant, et qui
peuvent frap-
per 300 coups
à la minute;
enfin, les
meules de
toute sorte,
soit pour l'af-
fûtage des ou-
tils, soit pour
la rectifica-
tion et le po-
lissage des
pièces déta-
chées. Nous
ne ferons que
signaler les
applications
mécaniques
du moteur
électrique
aux autres
industries.
Elles sont, d'ailleui's, extrêmement nombreuses et
varices : l'industrie de l'alimentation l'emploie à la
commande des machines à broyer les graines, à
faire les pâtes, les biscuits, le chocolat, les dragées
et la confiserie, à celle des machines à torréfier et à
moudre le café, à éplucher les pommes de terre, à
hacher les viandes et les légumes, à aiguiser les cou-
teauxet, surtout, àlacominandedesmenlesàcéréales
et des pétrins mécaniques (^(7. 5), dontlesprincipaux
avantages sont la rapidité et la régularité du travail,
la propieté parfaite, l'économie de main-d'œuvre et
la modicité de la dépense d'énergie. L'industrie du
vêtement s'en sert pour actionner les machines
à coudre et à tailler les étoffes (0,1 à 0,2 cheval), les
métiers à velours et à rubans (0,2 à 0,5 cheval), les
doubleuses et bobineuses, les enrouleuses et les
métiers à tisser (0,5 & 1 cheval), les machines à
laver le linge (1 a 3 chevaux), etc. Celle des cuirs
et des chaus.sures emploie des fraiseuses, des ma-
chines à coudre, des brosseuses et tisseuses action-
nées par des moteurs de 0,1 à 2 chevaux.
La papeterie moderne ne se sert plus que du mo-
teur électrique, tant pour la commande de ses
presses à papier que pour le séchage, le découpage,
le pliage, la fabrication des enveloppes, la commande
des pressesd'imprimerie, les machines à timbrer, etc.
Signalons, enfin, la commande des machines k
glace, des ventilateurs aspirants ou refoulants (net-
toyage par le vide, machines souffiantes de toute
sorte), les compresseurs d'air pour le service des
distributions d'air comprimé, soit fixes, soit mobiles
ifreinage des trains et véhicules), et les groupes
motopompes centrifuges à grande vitesse, dans
lesquels la pompe, multicellulaire pour les hautes
pressions, est actionnée directement par l'arbre du
moteur, et qui atteignent des rendements de 50 à
70 p. 100 suivant la puissance. La possibilité de leur
mise en marche instantanée et leur débit considé-
rable ont fait adopter ces groupes pour la commande
des pompes à incendie et des pompes d'exhaure à
bord des navires et dans les mines. — JacquM Diin«.\-.
fournier (lat. fmiiarias) n. m. Genre d'oiseaux
passereaux de l'Amérique du Sud, communs à l'est
des Andes boliviennes et rangés dans la fainille des
dendrocolaptinés (v. FouitNiER,au Nouv. Larousse).
— Encycl. Leur nom de fournier vient du nid
d'argile que construisent ces oiseaux, qui rappelle
un four de campagne ; aussi sont-ils appelés Joaô
de Barra (Jean de glaise) et Iloniero (boulanger) au
Brésil et dans la république Argentine; Casera
Pig. i Ai>. — Perceuse k main, montée sur
un socle à plateau mobUe.
;i28
LAROUSSK MRNSUEl
- Ptjti-iii méi'aniqiip, actiimné par un moteur électrique de 8 chevaux.
(fabricant de cases) à Saiila-Fé. Ocen liinl en an-
glais et Lelimhiins en allemand. Ils ne sont jias
pins gros qu'un (Hourueaii, et leurs paltes sont plutôt
laibles. Leur corps est rou.\, plus pâle en dessous;
le bec est long et arqué et paraît peu approprié i
la conslruclion d'un tel nid.
Cet oiseau, très familier, aime la socirlé de
l'homme. Il hiibile au voisinage des maisons,
des cultures, des roules, dans les endroits dé-
couverts, les campos, les savanes et les pampas.
Ses niils, placés à une hauleur qui va de r",50 à
6 mètres, sont toujours sur des branches horizon-
tales ou légèrement inclinées, n'ayant pas plus de
4 à 5 centimètres de diamètre. Parfois, on en voit
sur le faite des toits, sur les corniches, les croix
d'église, lis sont totijours respeclés, car on aime le
fournierpoiir son chant sonore, agréable, à gammes
chromatiques, et on est totijours amusé par sa dé-
marche vive et saiitillanle. Ces nids ont la forme
d'une motle de terre plus ou moins arrondie, avec
un orifice latéral; ils pèsent de 3 k A kilogrammes.
Leur longueur va de de 2fi k 28 centimètres, leur
hauteur, au milieu, atteint 20 centimètres et
l'épaisseur totale Iti centimètres. Les parois ont en
moyenne tine épaisseur de 3 centimètres. Celle-ci
est "plus faible au voisinage du trou de vol, où elle
l'ournîcr et smu nitl.
n'est que de 2 c. 5. Le trou de vol est ovale, pres-
que demi-circulaire ; il a ,'5 à 6 centimètres de long
et 7 centimètres de haut. Sa position est déterminée
par les conditions e.xlérieures : lumière, vents domi-
nants. Lorsque le dôme est achevé, l'animal attache
aux bords une cloison de 1 centimètre et demi d'é-
paisseur, qu'il prolonge perpendiculairement à la
liranihe d appui jusqu'à la paroi opposée et qui
s'appuie sur la base, mais elle laisse en haut un
orifice ovale, qui permet de pénétrer dans le deuxième
compartiment. Le couloir n'a que 3 centimètres de
largeur, tandis que la chambre en a 12 ou 13. C'est
IJi que l'oiseau établit son vrai nid, formé de chaumes
et d'herbes sèches bien enchevêtrées. En septembre
ou octobre, la femelle y pond deux à quatre œufs pres-
quesphériques,d'un blancpeu brillantelayant27mit-
limèlres sur 2L Ces nids, si confortables, sont con-
voités par d'autres oiseaux, qui en chassent les
légitimes propriétaires, pour y déposer leurs œul's.
Ce sont: un troupiale [molothrus), un perroquet
[psillacnla), deux hirondelles [procne tapera et
lachjjcineta).
Il est intéressant de constater que l'animal sait
donner à son nid la forme presque spliériqtie, qui
est la plus résistante, et placer latéralement une
entrée facilement défendable, puisqu'il est abrité à
l'intérieur, quandilest surses œufs, contre lesaulres
oiseaux et surtout contre les sarigues. Celte entrée
est, de plus,
inaccessible à la -
main de l'Iioiii- '*•
me. On trouve
parfois des nids
suspendus au-
dessous de la
branche, donc
placés en sens
inverse.
Pourfabriquer
cette petite mer-
veille, le mâle et
lafemelletravail-
lentensemble.Ils
façonnent des
boulettes avec
l'argile emprun-
tée aux chemins
piétines par b~
bœufs. Ces bou-
lettes, de la gros- section d'un nitl tle fuuriiier.
seur d'une petite
noix, sont plus ou moins mélangées de détritus et
de bouse de vache et sont transportées, par l'oi-
seau, sur la branche choisie. Elles sont étalées et
appliquées latéralement sur la branche, d'aboril
aux extrémités, puis au milieu; grâce au pétris-
sage avec le bec et les pattes, la fane extrême prend
une conncxllé régulière; il est impossible d'y re-
connaître les diverses boulettes. C'est le haut qui
se ferme le premier. Pendant la journée, l'animal
doit interrompre son travail pour laisser aux bou-
lettes le temps de durcir en séchant. On dit que le
fournier peut, en deux jours, construire son édifice,
si énorme par rapport à sa taille. Les habitants
disent que c'est un oiseau très chrétien, car il ne
construit son nid que'pendant les jours ouvriers, et
il aurait la piété de pratiquer le repos dominical
d'après les règles de l'Eglise. — A. ménéoaux.
Gérard (.I.-W.) [IVIÉMoinKS de l'ambassadeur].
— Au début de l'élé de 1913, .L-'W. Gérard, juu'e
il la Cour supérieure de New- York, était nommé,
par le président Wilson, ambassadeur des Etats-
Unis à Berlin; la nouvelle l'en surprit comme il
était en ronle pour une croisière sur Vlmperalov.
11 revint à Washington et, le 9 septembre, s'embar-
quait pour l'Allemagne, après avoir reçu les instruc-
tions de son gouvernement.
«• J38. Août 1918.
Sa mission devait durer trois ans et quatre mois,
jusqu'au 3 février 1917, date à laquelle le président
Wilson signitla au gouvernement allemand la rup-
ture des relations diploiiialiques.
De retour dans sou pays, lambassadéur Gérard
crut qu'il n'avait pas de plus impérieux devoir (|ue
d'éclairer ses concitoyens sur la véritable mentalité
de leur adversaire en les faisant profiter de l'expé-
rience que ses trois ans d'ambassade féconds en
incidents de toute sorte lui avaient permis d'ac-
ipiérir :
J'estime que notre peuple doit Hre renseigné. L'Amé-
ricain, qui a routumo do visiter rAllen];ipne pendant
la saison d'été ou de passer un mois à Hamliourg,
acquiert fort peu de connaissances sur la véritable Allo-
niagiie et siirles personnages qui la gouvernent. J'expose
certains aspects et je rapporte certains faits de cette
.\llemagne dans le pi-ésent livre, non seulement pour
(jue mes lecteurs puissent saisir la signification réelle
des événements qui se sont déroulés pendant ces trois
dernières années, mais pour qu'ils puissent se rendre
compte des éventualités appelées à se produire dans nos
i'a])i»orts futurs avec ce pays.
Quand on songe que l'ambassadeur des Elals-
t'nis était à son poste neuf mois avant la guerre,
(piil a assisté dans la capitale de l'Empire à toutes
les péripéties qui ont précédé, accompagné ou suivi
reclosion du gigantesque conflit, qu'il a été chargé
de la défense des intérêts anglais et que, de ce
fait, il s'occupa avec un soin particulier du sort
hiinentable des prisonniers sujets de la Grandc-
Hielagne; que, pendant triante mois, il fut le porte-
parole du président Wilson auprès de la Wilhelm-
strasse, pour exiger du gouvernement impérial le
respect des conventions inlernationales, pour pro-
lester contre leurs trop nombreuses violations, tout
en cherchant à maintenir la neutralité américaine,
coinine aussi l'honneur du drapeau étoile; quand
on sait avi^c quelle perspicacité et quelle indépen-
dance d'esprit le diplomate examine la mentalité
du peuple allemand et de ses dirigeants dans ses
iliverses manifestations, on devine qiiel peut être
linlérêt de ces mémoires, écrits dès le printemps
de 1917 en Améri(|ue, malgré toute la discrétion
(|ue l'ambassadeur peut avoir mise au récit de tout
ce qui est proprement diplomatique et doit encore
rester secret parmi les faits auxquels il a été mêlé.
L'empire allemand, tel que l'ont constitué les
vainqueurs de 1S70, est essentiellement basé sur la
force bi'ulale et, comme tel, son gouvernement se
Iroiive tout entier dans les mains des militaires.
Telle est la première réilexion de l'ambassadeur
américain, comme de tout observateur attentif. Or,
au printemps de 191'i, ce régime militariste se
trouve en butte ii des attaques nombreuses : les unes
sourdes, -r- ce sont les plus fréquentes, — quelques
autres ouvertes; la poussée démocratique se traduit
par des élections, où les socialistes sont en progrès
constants; l'alTaire de Saveriie constitue un symp-
tôme de sentiments antimilitaristes, tn's grave par
le retentissement qu'elle a dans tout le pays.
Dans cette Allemagne, où le moindre sous-lieu-
tenant a le pas sur un président de cour d'appel, la
protestation générale qui s'élève contre la gros-
sièreté de conduite et de langage du lieutenant
von Forstner, et qui a sou écho jusqu'au Reichslag,
où le chancelier est mis en minorité, doit singu-
lièrement émouvoir rempereur et son entourage.
En même temps que W. Gérard, Jules Canibon,
l'éininent ambassndenr de France, notait l'évolution
du kaiser, qui, naguère, hostileà toute éventualité de
guerre, laisse comprendre peu à peu qu'il est gagné
aux idées de sa maison militaire et que, jaloux de
la popularité de son fils dans l'armée, il est prêt à
saisir l'occasion quand il la croira possible.
On sait, par ailleurs, que le kronprinz n'aspire
qu'au joiiroù il pourra faire montre des qualités mili-
taires qu'il s'imagine posséder : faisant visitera une
.\méricaiiie — qui rapporte l'anerdote à J.-W. Gé-
rard — sa collection napoléonienne, le kronprinz,
dans l'hiver de 1913-19U,luidéclarait «que la guerre
pouvait être profitalile, ou ne pas l'être, mais qu'elle
aurait lieu à son avènement au trône — si elle ne
s'était déjà produite — «e serait-ce que pour la
drôlerie (le la chose ». Mot effroyable, quasi néro-
nien, qui doit être à jamais accolé à la figure
hideuse du colonel des hussards dé la mort!
W. Gérard est à Kiel, aux côtés de l'empereur,
du prince Henri de Prusse, du prince de Monaco,
des principales personnalités du monde sportif,
quand survient la nouvelle de l'assassiiialde l'archi-
duc François-Ferdinand à Serajevo. Pour criminel
que soit l'attentat, il ne paraît pas, à Kiel plus
qu'ailleurs, devoir engendrer des conséquences par-
ticulièrement graves. Pourtant, à dater de ce jour,
l'empereur se dérobe, s'embarque sur son yacht pour
les mers du Nord, cependant que, selon la coutume
à pareille époque, les diplomates accrédités k la
cour parlent en vacances; l'ultimatum autrichien
les ramène précipitamment à Rerlin; le chancelier,
le ministre von Jagow sont invisibles ou muets. Le
I'"' aoiit, l'empereur signe l'ordre de mobilisation
â 7 heures du soir; du balcon de son palais, Guil-
laume Il proclame <■ qu'il ne connaît plus aucun
parti », entraînant ainsi dans son sillage toute la
JV* 138- Août 1918-
social-démocralie qui ne dit mot, ivre de cette ardeur
guerrière et de celte liaine germaine, « entretenue,
cultivée en Allemugne comme une passion nuble ».
El le peuple de Berlin vocifère coiilre tous les
étranger» qui s'apprêtent à quitter la ville, contre
les Français, contre les Russes, contre les Anglais,
insulte leurs ambassadeurs, dont il entoure les voi-
tures. Avec peine, J.-W. Gérard s'elTorce defaci-
liter les départs, de secourir les infortunes subites,
et c'est une mission providentielle qui s'ouvre pour
lui, et qu'il accepte, et qu'il remplit, avec une ardeur
et une générosité tout américaines, trois ans durant.
Dans un long chapitre consacré aux prisonniers,
il expose avoc une parfaite siniplicilé lesdiflicultés
de cette tâche, dont il s'acquitte avec d'autant plus
de zèle qu'il sent plus de mauvaise volonté du côté
allemand ; de toutes les infractions du droit des
gens qu'il vient dénoncera la Wilhemstrasse, le
chancelier et le ministre se désintéressent, ren-
voyantaux autorités militaires, qui, si elles répon-
dent, font comprendre que, contre un ennemi, aucun
droit ne prévaut. Et il faut, en diverses circonstan-
ces particulièrement graves, que l'ambassadeur me-
naee de faire justice lui-même — k l'américaine —
pour obtenir satisfaction.
Avec une égale énergie, l'ambassadeur Gérard
devait défendre les droits des neutres chaque jour
violés et, plus particulièrement, les droits des Amé-
ricains. Au fur et à mesure que l'Allemagne iuten-
silia — au mépris de toutes les conventions de La
Haye — la guerre sous-marine, l'ambassadeur des
KtatsUnis, exécutant, d'ailleurs, les prescriptions
de son gouvernement, intervenait plus vigoureuse-
ment à Berlin. Mais, sous des arlilices de procé-
dure, à travers des arguments dilatoires, il sentait
que la réponse de l'Allemagne serait constamment
négative.
En vain se rend-il à Charleville, au quartier
général de l'empereur (les quel<|ues pages de son
récit sur son séjour en notre France occupée ne
se peuvent lire sans poi.;nante émotion); en vain
von Bethman-HoUweg feint-il de s'incliner devant
ses arguments; en vain le kaiser ti'moigue-t-il de
son désir de satisfaire le président 'Wilson; le parti
de la lutte à onivauce, qui prédit la ruiiie de l'An-
gleterre avant trois mois, l'emporte, malgré la chute
de von Tirpilz.
Deux ans durant, le président 'Wilson s'est efforcé
d'éviter la "-upture : ce juriste éminent professe que
la guerre jst l'argument suprême qu'il ne faut
utiliser que lorsque tous les autres ont échtjué; il
rêve d'être, lui représentant des Etats-Unis, le mé-
diateur de la vieille Europe et, inlassablement, après
l'attentat de la « Lusitania », comme après celui du
<i Sussex » et de vingt autres, alors que l'ambassa-
deur Gérard croit la rupture inévitable, le président
Wilson cherche le terrain d'entente. L'Allemand,
une fois de plus mauvais psychologue, se persuade
que l'Amérique refusera de courir les risques de la
Haerrercent mille Allemands, aux Etats-Unis, l'en
empêcheraient, ose pjédire le ministre Zimmer-
man. Combien d'entre eux sont venus s'enrôler sous
nos drapeaux? réplique Gérard.
Aussi, quand, le 31 janvier 1917, le gouvernement
allemand signifiait aux Etats-Unis la rupture des
précédents accords et l'inauguration de la guerre
sous-marine intensive, se persuadait-il que le pré-
sident Wilson s'inclinerait devant celle formelle
violation des trailés I Le 3 février, le président, an-
nonçant au Congiès la rupture des relations diplo-
matiaues avec l'Allemagne, arrachait aux conseil-
lers au kaiser leurs injurieuses illusions.
Ecrivant ce livre au printemps de 1917, \V. Gé-
rard ne cachait pas à ses concitoyens l'ampleur que
Is lutte devait avoir pour eux : if eslimait que l'Al-
lemagne avait encore 9 millions d'hommes sous les
armes, que le blocus, si serré fùl-il, ne réussirait
pas i l'affamer, que le joug de l'autocratie militaire
était si lourd que le peuple ne saurait le secouer, et
il concluait que la paix ne pourrait être obtenue
que par la victoire « et q\ie l'entrée en lutte d'un
grand peuple comme le peuple américain ne com-
porte aucune signilicatiou, h moins qi.e ce peuple
n'arrive à disposer d'une armée puissante ».
J. W. Gérard peut constater aujourd'hui avec
fierté que son appel a été entendu. — Pierre Riiti.
Ouerre en 1914r-1918 (la). [Suite.] —
Le mois de juin, dont nous allons essayer de noter
fidèlement les événements caractérisliques, apparaît
comme une période d'attenle, coupée de quelques
tentatives brusques et violentes pour provoi|uer une
solution que lont le monde sentait très dillicile &
obtenir par quelque moyen que ce fût. Ni dans
l'ordre militaire, ni dans 1 ordre diplomatique, aucun
fait n'avait été concluant. Le mois fini, à peu de
chose prés, chacun coucliait sur ses positions, et,
comme on savait mal et peu ce qui se passait der-
rière les lignes, il n'était pas possible de préciser le
diagnostic de l'avenir. Les troupes de l'Entente —
Français, Anglais, Américains, Italiens — avaient
en France sensiblement maintenu et en divers
points, heureusement élargi leurs positions, et le
recul menaçant de la lin de mai, en dépit d'ef-
LAROUSSE MENSUEL
forts très puissants de l'ennemi, avait été arrêté
assez tôt, et assez loin de Paris, pour que la si-
tuation, tout en restant grave et grosse de péril
possible, n'eût plus tout k fait la même acuité qui
avait rendu si tragiques les derniers jours du mois
précédent. D'autre
part, en llalie, la pous-
sée tentée par les Au-
trichiens, au milieu du
mois, pour rompre les
lignes de nos alliés et
déborder jusqu'à la
plaine et la mer, vers
Vicence et Venise,
n'avait donné aucun
résultat. L'entreprise
avait tourné à la con-
fusion de l'Autriche et,
par suile, avait gène
l'Allemagne; et si, au
30 juin, on ne pouvait
dire encore que les Ita-
liens avaient tiré de la
retraite autrichienne
toullepartiqu'onende
vait espérer, du moins
le seul fait que leurs
positions restaient in-
tactes et que l'ennemi
avait lui-même procla-
mé son impuissance
étailpour l'Enten'.e un
succès solide. Par ail-
leurs, sans qu'on eût
besoin d'en forcer le
sens et d'enfler leurs
conséquences possi-
bles, il était avéré par
les faits que la monar-
chie austro-hongroise
souffrait de troubles
profonds, économi-
ques et politiques, qui
avaient leur origine
dans une détresse ali-
mentaire que personne
ne niait et dans des
difficultésconslitution-
nelles aiguës, qui pou-
vaient brusquement
prendre une gravité
mortelle. Il apparais-
saitaussi quel opinion
allemande, malgré sa
docilité, se divisait de
plus en plus sur la
question de la guerre oau» n .iiiui ur ... ^..v..., ,u.
et de la paix, et il
était permis de penser que les contradictions rele-
vées dans les discours officiels destinés à faire
connaître au monde la pensée officielle des di-
rigeants impériaux n'avaient d'autre but que de
sonder les esprits et de laisser aux destinées ger-
maniques le choix entre des voies opposées.
Du côté de l'Entente, l'action de plus en plus
329
précise des Etals-Unis, la collaboration intense
qu'ils fournissaient à leurs alliés d'Europe, l'apport
continu de leurs troupes qui équilibrait chaque jour
les forces en présence, la fusion de plus en plus
étroite des esprits qui s'opérait entre Français et
ii.ii.i i.r.u.i...ii4i.v. i-,v.i.:uation (les i-ays envahis, ij'he Spiiere.}
Américains était un symptôme très rassurant pour
qui savait l'apprécier à sa juste valeur et lui attri-
buer sa complète signincation. Il est prob.ible que
les Allemands en avaient le sentiment. Nous pou-
vions donc, à la fin juin, nous montrer moins in-
quiets qu'à la fin de mai. Cette atléii nation par-
tielle de nos soucis était due, il faut bien le dire.
ht repos dani les abru d'une trancbte.
330
au courage inépuisalile de tous nos soldats, à l'hé-
roïsme stoïque de beaucoup d'entre eux. Celles, on
avait eu raison de magnifier les succès remportés
sur notre sol par les contingents américains, italiens,
anglais, mais avait-on dit assez que le mur iné-
branlable qui avait arrêté l'ennemi était avant tout un
mur français et que, partout où les enlants de France
n'avaient pas été placés dans des conditions d'infé-
riorité matérielle ou stratégique qu'aucune énergie
n'aurait pu surmonter, l'ennemi s'élait brisé contre
leur résistance et avait cruellement payé ses essais
LAROUSSE MENSUEL
patience et avec espoir restait le mol d'ordre que
nous avons si souvent répété ici.
Pendant que nous tenions ferme avec nos alliés
contre le flot germanique, les Italiens couraient, eux
aussi, un très grave danger. L'empire austro-hongrois
n'a pas paru pressé d'envoyer ses divisions sur le
Iront français. Lorsqu'il avait, en avril, fait profes-
sion publique de fulélité à l'Allemagne, après que la
publication de sa lettre au prince Slxle avait jeté
quelques doutes sur sa loyauté, Charles I'"' avait
piilendu spécifier que l'Autriche intervenait « avec
Le kaiser et le kroopriDz passent une revue de leurs troupes. (Photographie trouvée sur un prisounier aUetiiand.)
infructueu.x? La France avait été sauvée une fois
de plus par elle-même et, peut-être, par la force
mystérieuse de la loi historique qui ne permet pas
que la France disparaisse.
Lorsque les historiens futurs suivront sur la carte
les fluctuations du front français pendant cette
guerre, il s'étonneront, certainement, qu'à la fin de
mai et au cours du mois de juin 1918, les Alle-
mands n'aient pas obtenu une rapide solution
militaire et enlevé Paris de vive foice. Les condi-
tions réelles de notre retraite du 27 mai, que nous
sommes réduits à reconstituer en silence et qu'ils
jugeront pièces en mains, ne diminueront pas leur
étonnement; quand ils énumèreront les tentatives
allemandes en juin, la poussée du début de ce mois
.surGh4leau-Thierry,Villers-GotleretsetCompiègne,
l'attaque du 9 et des jours suivants entre Montdi-
dier et Noyon sur un front de 35 kilomètres, l'atta-
que violente et infructueuse du 18 sur Reims et
qu'ils compareront les moyens mis en œuvre aux
résultats tactiques obtenus, ils ne pourront certai-
nement ne pas admirer la puissance de notre résis-
tance et la supériorité du facteur inoral sur le fac-
teur numérique.
11 est indubitable que ce mois, passé dans une
défensive qui, par instants, est devenue active,
avait coûté cher il notre adversaire et que, s'il lui
laissait le loisir de préparer autre chose, qu'on atten-
dait sans pouvoir déterminer où cela se présenterait,
nous avait aussi donné le temps de nous remet-
tre du trouble causé par le premier choc et de
rétablir, tant par l'apport américain que par un
appel pins copieux de troupes anglaises, l'équilibre
des eiïeclifs. De plus, à l'arrière immédiat du front,
le gouvernement avait pris des mesures de précau-
tion. Le rappel de Salonique du général Guillaumat,
qui avait fait naguère ses preuves à Verdun, et sa
nomination au gouvernement du camp retranché de
Paris en remplacemenldugénéralDubail indiquaient
que toutes les pensées de nos dirigeants se concen-
traient sur la défense de la capitale. Si bien qu'à
la fin de juin, malgré la proximité de l'ennemi,
malgré la menace d'une ruée toujours probable,
malgré les raids de gothas et l'attente d'un réveil
hargneux des bertlias, malgré — pourquoi le taire —
une certaine anxiété causée par les articles incon-
sidérés de la presse au sujet de l'évacuation de
Paris, la situation militaire et morale était sensi-
blement meilleure, et le front était, jusqu'à un cer-
tain point, suivant l'expression consacrée, « stabi-
lisé ». Pour combien de temps? Ou l'ennemi atta-
querait-il? Serait-ce, de nouveau, dans la direction
de Paris, ou dans celle d'Amiens, ou dans celle de
Boulogne, Calais et Dunkerque? Où chercherait-il
la victoire dont il atlend une paix dont il a besoin?
Questions troublantes et oiseuses, sur lesquelles
chacun espérait que notre commandement était au
moins approximativement renseigné. Attendre avec
ses canons ». Il se réservait, sans doute, de frapper
un coup en Italie. Le succès de Caporetto avait
préparé les voies, et on pouvait espérer du côté au-
trichien qu'une offensive bien menée et massive
reprendrait les choses au point où les avaient arrê-
tées, il y a quelques mois, la brusque réaction ita-
lienne et l'intervention des troupes françaises.
La perspective de déborder sur les plaines ita-
liennes était séduisante, et les généraux autrichiens,
plagiaires ridicules de 13onaparte, n'ont pas manqué
de faire luire aux yeux de leurs soldats les perspec-
tives de ravitaillement et de butin que leur offrait
un grand succès, nécessaire et escompté. Le résultat
n'avait pas répondu aux espérances cyniquement
affichées de l'état-major autrichien. Le général Bo-
roevic, avec 55 divisions, avait, le 15 juin, attaqué
sur un front de 150 kilomètres, depuis le plateau
d'Asiago jusqu'à la mer, dans la direction de Tré-
vise, Vicence et Venise. La pression avait été for-
midable. Etablis sur le plateau de Montello, les
Autrichiens avaient passé la Piave, qui n'oiïiait pas
une barrière sérieuse à cette date, et les routes leur
semblaient ouvertes. Mais il paraît cerlain que la
situation de Caporetto ait été ici retournée. Alors
qu'à Caporetto les assaillants avaient trouvé devant
eux un adversaire travaillé par une propagande dé-
faitiste intense, démoralisé et incapable d'une résis-
tance sérieuse, en juin, il est possible que le com-
mandement italien ait été très bien renseigné sur les
projets de l'ennemi et que toutes les troupes autri-
chiennes, d'ailleurs mal entraînées à la suite de
privations alimentaires notoires, n'aient pas été pé-
nétrées d'un égal loyalisme à l'égard de la monar-
chie de Charles I". Quoi qu'il en soit, l'armée ita-
lienne, bien dans la main de son chef, le général
Diaz, opposa d'abord une résistance énergique à
l'attaque autrichienne, qui ne put réaliser que des
progrès insulTisanIs. Puis, après quelques jours
pendant lesquels il devint évident que l'ofl'eusive
autrichienne, n'ayant pas réussi du premier coup,
n'irait pas loin, les Italiens, favorisés par une crue
de la Piave, qui menaça de couper les Autrichiens
de tout ravitaillement, attaquèrent vigoureusement
à leur tour, et les contingents ennemis qui étaient
sur la rive droite du fleuve durent repasser sur la
rive gauche, avec la hâte et lespertes que comporte
une pareille opération sous le feu de l'ennemi. Elle
leur coula 12.000 prisonniers, avoués par eux, un
matériel considérable, sans compter un nombre de
morts, de blessés et de malades que le minisire
Wekerlé à la Chambre hongroise reconnut offi-
ciellement s'élever au chilfre de cent mille. Ce
succès, dont il est juste de proclamer l'importance
locale et générale, avait pour résultat immédiat
de libérer la plaine italienne et Venise de tout
danger d'invasion. Il avait aussi ce résultat mo-
ral inappréciable- de rendre entièrement à nos
amis italiens toute la confiance qu'ils peuvent
N' 138. Août 1018.
avoir en eux-mêmes et que Caporetto avait un mo-
ment ébranlée.
Ceci posé, la victoire de la Piave, telle quelle,
ébraulait-elle irrémédiablement la force militaire au-
trichienne? On est bien obligé de n'être pas sur ce
point tout à fait affirmatif. L'affaire de la Piave était
pour l'Autriche un échec très grave, elle n'était pas
un désastre final. Elle ne le fut devenue que si les
Italiens, poussant leur succès, profitaient du dé-
sordre momentané que la retraite imposait au com-
mandement autrichien, pour exploiter celle circons-
tance favorable et pousser l'ennemi vers les hautes
vallées où sa retraite eût pu se changer en déroule
irréparable. Les Italiens le pouvaient-ils? H était
encore un peu tôt pour conclure sur ce sujet délicat.
L'offensive italienne n'était qu'à son début et se
heurtait à de sérieuses difficultés. Il est probable
que la crue de la
Piave, qui fut un
péril immense
pour les Autri-
chiens, devint
sauvegarde pour
tout ce qui put
franchirlefieuve.
Sur la rive gau-
che, les restes
des unités échap-
pées à l'attaque
italienne trou-
vaient la protec-
tiondepuissantes
positionsetd'une
très forte artille-
rie.Ons'explique
que les Italiens
aient hésité un
instant avant
lie s'élancer en
avant. On devait
espérer que leur marche ne serait pas longtemps
arrêtée. Il eût été déplorable qu'on laissât échap-
per une pareille occasion d'exploiter son succès.
Il n'est guère douteux que l'histoire ne prouve
combien, dans cette guerre, nous avons péché pat
timidité, par routine, par oubli de nos traditions
militaires. On a proclamé, à satiété, que celui qui
attaque gagne toujours du terrain et, par suite, affai-
blit l'adversaire, et nous avons tropsouventcherché
dans cette consolation à priori l'excusa de nos dé-
boires. Nous n'avons guère mis en pratique pour
notre compte ce principe, dont nous laissions les
autres profiter. Et, pourtant, c'est à l'olfensive que
nous devons la Marne, la Somme et le dégagement
de Verdun. Quand on aura dit tout ce qu'on sait
sur l'ofi'ensîve de 1917 en Champagne, on s'aper-
cevra, sans doute, qu'elle n'a échoué que pour avoir
été arrêtée avant de s'être développée, et, si l'on ob-
jecte l'échec de l'ofTensive roumaine, il faut non
seulement se demander si elle fut faite où il fallait,
mais se souvenir qu'il a tenu à une trahison locale
et à l'inertie de la Russie qu'elle ne devînt devant
Bucarest un désastre allemand. L'Allemagne n'a
Le général von Boroevic, commandant
en ciiel' des troupes austro-hongroises.
2. f:iuMat d'infanterie de maainc uméncaine et son équipement.
A New- York, grande manifeatation organisée par la Croix-Rouge.
Plus de 75.000 personnes y ont pris part. A leur tête marchait le président Wilson jusqu'à la tribune ou il resta debout pendant plusieurs heures,
pendaat que l'immense l'oule détllait devant lui.
N' >3d. Août 1918.
partiellement réussi que par l'ofTensive et si jamais
ses offensives n'ont pleinement atteint leur but, elles
ont rapporté à nos ennemi des profits certains et
des gages immcnsps.
Dans l'afTaire itulienne, du moins, les Autrichiens
n'avaient rien gagné,
et si, nous le répé-
tons, leurécbec n'im-
pliquait pas une di-
minution tellede leur
force militaire que
ritaliepùtêtredéfini-
tivement tranquille
pour l'avenir, il
n'était pas douteux
3ue, d'une part, leur
ëfaile les obligeait
à se tenir sur la ré-
serve et que, d'autre
part, la répercussion
intérieure de cette
déception pouvait
être fort dange-
reuse. Il donnait, en
outre, la mesure de
l'effort que les chefs
militaires autri-
chiens peuvent de-
mander à leur ar-
mée. Si l'on ajoute
celte constatation à
celles qui ont été
faites au cours de
la guerre , sur le
front russe, on doit
conclure que le coef-
ficient de valeur de
l'armée autrichienne
livrée à elle-même
ne permet pas aux
Allemands de la con-
sidérer comme ap-
point sérieux dans
un cas grave.
Rien à dire sur
aucun des autres
fronts; ni en Asie, ni
en Europe. Le rem-
placement du géné-
ral Guillaumat par
le général Franchet
d'Esperey k Salonique ne relevait peut-être pas
uniquement, en ce qui concerne les opérations dans
les Balkans, de considérations militaires. De ce
côté, d'ailleurs, il fallait tenir compte, dans la me-
sure qui convenait, de la mobilisation de l'armée
grecque, de son ins-
truction et de son -
commandement par
une mission fran-
çaise. 11 ne semblait
pas, au surplus, que
les intentions de la
Bulgarie, alors assez
maussade, fussent à
ce moment belli-
queuses.
Sur mer, on n'au-
rait rien à noter si
les Allemands n'a-
vaient paru vouloir,
avec dessous-marins
à grand rayon d'ac-
tion, opérer sur les
côtes américaines.
A part quel(iues tor-
pillages qui restent
au nombre des acci-
dents prévus dans
toutes manœuvres
navales, qu'elles soit
faites par la marine
de guerre ou par la
marine de com-
merce, celle menace
pouvait être considé-
rée comme non ave-
nue. Elle n'avait eu
pour effet que de for-
lilier la résolution
.iméricaine et de ren-
<lre plus intense le
t lansit e nlre les Etats
Unis et la France.
La judicieuse orga-
nisation des convois
américains permettait l'arrivée en Europe de contin-
gents véritablement formidables et, & la fin de juin,
on pouvait prononcer le chiffre de 900.000, qui mar-
quait alors la quotité de la contribution humaine que
la république des Etats-Unis apportait & la défense
des idées du droit et de justice pour lesquelles nous
combattons. 11 fallait y ajouter tout le matériel que
comporte un pareil déploiement de forces, et chaque
LAROUSSE MENSUEL
journousrecevionsde cette supputation croissante un
nouveau réconfort. Parcontre.encoulant.au large de
l'Irlande, un navire-hôpital canadien, la marineUlle-
mande avait ajouté à ses crimes une atrocité de plus.
Les Allemands avaient continué, interrompu, puis
repris leurs raids sur Paris. Les dégâts causés ne
balançaient vraiment pas pour eux l'odieux durable
et irrémédiable que la guerre aérienne fait peser
sur eux. La population parisienne prenait son parti
de descendre à la cave. On enregistrait pourtant
1,0 ouirauA amériMin TaOM, toriant do port do Now-Tork ponr aller prendre part an conflit.
des imprudences un peu fanfaronnes qui coûtaient
encore la vie à trop de gens utiles. Le gaspillage
des vies humaines était plus que jamais une faute
grave. Notre aviation et Vavialion anglaise avaient
continué a manifester une grande activité militaire.
11 fallait noter, enfin, l'organisation définitive, en
France, de régimenis polonais auxquels le président
Poincai'é avait solennellement remis leurs dra-
531
peaux. Certes, il n'y avait là qu'un geste, mais ce
geste avait un sens. On pouvait même estimer que
le geste était tardif et que la reconnaissance con-
crète d'une Pologne reconstituée aurait dà se pro-
duire plus tôt. Nous V reviendrons.
En résumé, à la fin
du mois de juin, sur
le front français, si-
tuation militaire
marquée par l'arrêt
momentané de l'of-
fensiveennemie, par
de nombreuses con-
tre-attaques effec-
tuées avec succès par
nos troupes, par une
tendance vers l'équi-
libre des effectifs
réciproques ; mais,
situation toujours
sérieuse, tendue,
l'ennemi étant trop
proche de Paris et
de la mer; par suite,
nécessité d'une
extrême vigilance ,
d'une union parfaite,
d'une grande clarté
de vues et d'une dé-
cisionénergique; sur
le front italien, un
grave échec autri-
chien, précurseur
vraisemblable d'une
période de calme, tel
était le bilan mili-
taire qui exigeait, de
la part des gouver-
nements de l'Entente
et de ses généraux,
une attention de tous
les instants et entraî-
nait pour eux l'obli-
gation de ne laisser
échapper aucun
symptôme capable de
nous éclairer sur les
Projets militaires de
ennemi et de nous
éviter toute surprise,
fâcheuse.
Plus que jamais, d'autre part, pour qui réfléchis-
sait et se souvenait de tout le passé de cette guerre,
il paraissait indispensable que les hommes d'Etat
de l'Entente tentassent de pénétrer les événements
intérieurs, qui, chez nos ennemis, étaient de nature
à nous renseigner
• sur l'étatde l'opinion
publique et sur les
solutions qu'un tra-
vail interne pouvait
préparer. Plus que
jamais, il eût été dé-
sirable que tous les
citoyens eussent les
yeux grands ouverts
sur ces questions,
difficiles sans doute,
mais vitales, et fus-
sent en mesure de
jugersainement,8anâ
passion comme sans
aveuglement, où se
trouve l'intérêt na-
tional. La partie qui
se joue et qui. selon
toute vraisemblance,
s'achève, est d'une
gravité écrasante
pour la France et
pour le monde. Il ap-
partient à la France
de peser la valeur de
chaque carte et de
n'en négliger au-
cune. Or, il eût im-
porté extrêmement
de débrouiller le jeu
des puissances cen-
trales au cours du
mois de juin.
Et, d'abord, il était
nécessaire de con-
naître exactement la
position de l'Autri-
che. Nous avons dit,
le mois dernier, que l'Autriche mourait de faim. Rien
n'était changé, &ce sujet, à la fin de juin, et la situa-
tion n'avait fait qu'empirer. L'Autriche avait donné
carte blanche à l'Allemiigne en Ukraine, à condition
d'être ravitaillée. L'Allemagne avait tenté de s'in-
féoder l'Ukraine, mais r.\utriehe n'avait pas, pour
cela, été ravitaillée. L'.\llemagne n'avait pas tenu
ses engagements et avait contesté en avoir pris. Les
Alexandre Weckerlé, président du conseil
des ministres d'Autriche-Honfrvie.
:]32
3.000 wagons qui devaient être livrés chaque jour,
et dont 2.000 étaient réservés & la population civile,
n'arrivaient pas. Les réclamations n'avaient abouti
qu'à la promesse d'une légère livraison laite à titre
d'avance. Dans ces conditions, la ration de pain tom-
bait de 180 à 90 grammes. La diminution et la mau-
vaise qualité des rations de pojnines de terre, l'in-
suffisance des rations de graisse, de farine, de
viande, d'œuls amenaient dans la population ouvrière
de Vienne un étal de dépression et de révolte qui se
traduisait par des grèves et des émeutes. Le Comité
• des ouvriers,
qu'on voit pour
la première l'ois
apparaître en
Aulrirlie comme
une autorité qui
aledioitd'élever
la voix, avait volé
une résolution
tendant à la paix
immédiate etàla
réalisation de la
Société des na-
tions, et le Con-
grès socialiste
avait, le l^'juin,
averti le gouver-
nement des con-
séquences « que
provoquerait iné
vitablement, au
sein des masses
excitées, la con-
viction que les puissances centrales entendent conti-
nuer les hostilités pour des buts de guerre impé-
rialistes ». Cet état de fermentation politique et
sociale avait eu pour résultat la double démis-
sion du cabinet Seidler, en Autriche, du cabinet
"Weckerlé, en Hongrie. Cette démission n'arran-
geait rien, et Charles 1", évidemment impuissant
à trouver d'autres ministres, loyal d'ailleurs et ne
voulant pas user de l'article 14 de la Constitution,
qui avait si souvent permis de gouverner .«ans
Parlement, maintenait le cabinet Seidler et convo-
quait le Reiscbrat pour la mi-juillet. Mais tout cela
était précaire, et il restait hors de doute que l'em-
pire austro-hongrois était profondément ébranlé.
Qu'on ajoute à cela la question tchèque, la
question polonaise, la question yougo-slave, et on
aura une esquisse brutale des difficultés inextri-
cables au milieu desquelles se débattait le jeune
empereur. Quel parti pouvions-nous en tirer et,
même après l'éclat diplomatique du mois d'août,
quelle politique pouvions-nous tenter à l'égard de
l'Autriche? Quelle était la position exacte de l'Au-
triche à l'égard de l'empire allemand ? Lui élail-
eMe définitivement asservie, comme on l'avait cru
le mois précédent, ou ne cherchait-elle qu'une occa-
sion sérieuse de se libérer d'une tutelle qui la per-
dait? Question plus importante encore : quelle était
la politique du président "Wilson à l'égard de l'Au-
triche? Kntendait-il la jeter de plus en plus dans
les bras de l'Allemagne, ou bien croyait-il préférable
de la réserver comme un contrepoids à l'Allemagne?
Il suffisait de poser de telles questions pour en
apprécier l'élendue et comprendre de quel poids
leur solution pouvait être pour l'avenir de i Eu-
rope. Il était, en cfîet, très simple de négliger
l'Autriche et d'affirmer son impuissance dans la
conduite du conflit. Il était plus sage de ne re-
Fousser aucun des moyens qui pouvaient gêner
Allemagne dans ses rêves de pangermanisme.
Or, était-il certain que l'Allemagne fut unanime
dans ses visées et dans ses buts de guerre pauger-
manistes? Certes, rien ne nous est plus difficile que
de dégager la vérité sur l'opinion allemaïuie. L'in-
formation est très difficile. La pre>^se soutient pres-
que toujours des thèses, et elle cherche, dans un
sens ou dans l'autre, à créer des courants et à
imposer des solutions éventuelles. On avait beau-
coup parlé, en Allemagne, au cours du mois de juin,
et, des discours prononcés, il ressortait que des
tendances très opposées se partageaient les diri-
geants militaires, politiques et industriels. Chro-
nologiquement, on avait entendu, le 9 juin, au
Reichslag, le discours violent et haineux de Fehren-
bach, élu président. — Ouaviiitvuensuite la réunion
du 13 juin, qui groupa à Hambourg 171 députés,
dont 57 socialistes ; les attaques solides de deux
grands négociants, Witlhœft et Huldermann, «contre
le régime de contrainte économique imposé par
Berlin », le caractéristique discours de Bœllin,
directeur de la Hambourg-Amerika, qui déclara
qu'on ne pouvait pas « réclamer la liberté des mers
et mettre des verrous h la porte de l'Kurope cen-
trale prouvèrent qu'il n'y avait pas unanimité dans
le monde industriel sur la question de l'organisa-
tion économique prévue pour la paix. — Puis ce
fut, le 15 juin, au grand quartier général, devant
HindenburgetLudendorf, à l'occasion du trentième
anniversaire de son règne, un de ces discours
tapageurs, sans mesure et maladroils, dont Guil-
laume 11 nous a donné tant de variantes.
LAROUSSE MENSUEL
Lo peuple allemand (disait !e kaiser) ne vit pas claire-
ment, quand la guerre éclata, quelle signification oUo
aura4|;. Je le savais très exactcmont. Aussi la première
explosion d'enthousiasme ne put pas m'aveugler, ni ap-
porter do cliangcment à mes projets et à mes calculs. Jo
savais très bien de quoi il s'agissait, car !a partici^iation
de l'Angleterre signifiait la guerre mondiale. Qu on le
veuille ou non, il ne s'agissait pas d'une campagne stra-
tégique, mais d'une lutte entre conceptions du monde ;
ou bien la conception prussienne allemande, germanique,
du droit, de la liberté, do l'honneur, do la morale doit
continuer àôtre respoctco, ou bien la conception anglaise
doit triompher, ccst-à-dire que tout doit se ramener à
l'adoration do l'argent et que les peuples de la terre doi-
vent travailler comme des esclaves pour la race des
maîtres des Auglo-îSaxons, qui les tiendra souc le joug...
La victoire de la conception allemande du monde, voilà
ce qui est en jeu.
La presse allemande avait accueilli très diver-
sement cette manifestation mégalomane, et les
socialistes avaient relevé sans bonne grâce cette
déclaration pangennanique que rien ne -voilait
et qui reléguait parmi fes ar^-'uments inutiles la
vieille théorie de la position défensive de l'Allema-
gne qui, jusqu'ici, avait servi à grouper tous les
partis dans la lulle contre l'Entente, soi-disant
agressive et responsable de la guerre. - Enfin, le
N* 138. Août 1918
1
des opinions, un accord fondamental, on s'explique
bien les divergences par les difficultés que les
hommes clairvoyants ne manquaient certainement
pas de dégager clairement.
Nous avons dit, le mois dernier, la politique de
l'Allemagne à l'égard de la Russie démembrée, poli-
tique de violence et de violation du traité de Brest-
Litovsk, qui s'était encore accentuée en juin. On ne
voyait pas bien les résultats concrets de cette poli-
tique. 11 ne semblait pas qu'en Ukraine le gouver-
nement de Skoroporsky fût assis trèssolideinent. On
y annonçait des troubles intérieurs, des tendances
au rapprochement avec la Russie, une recrudes-
cence de l'ingérence alleniamle. Rien ne se con-
cluait encore en Finlande, ni en Esthonie et Livonie,
au sujet de l'établissement de gouvernements mo-
narchiques. En Pologne, le gouvernement s'orga-
nisait avec des tendances apparentes diverses en ce
qui concerne la collaboration avec l'Allemagne.
Mais la question de la royauté polonaise et de la
politique à suivre à l'égard du soi-disant Etat polo-
nais était toujours en suspens. Il apparaissait seu-
lement qu'il existait un Etat polonais et, cela seul,
pouvait devenir une menace. En Russie, bien que
notre ignorance de ce qui s'y passait dépassât tout
iiiiiiea cL jcaiieb iilles françaises, employées par le service aii.ei iLaiti <x piniMii e ci brosser des toUes ou nattes de..vi.. a^i .
au camuullage du t'root. (Ces toUes ou nattes sont peintes suivant les teintes ou apparences des terrains à camouller.)
24 et le 2.Ï juin, le Reichslag avait entendu successi-
vement le ministre Kiihimann affirmer que l'action
militaire seule n'amènerait pas la paix, que la di-
plomatie aurait le dernier mot, que l'Allemagne
ne réclamait que ses frontières historiques, des
colonies et la liberté des mers, que, d'ailleurs, elle
réservait sa décision à l'égard de la Belgique; puis,
le même Kiihimann, sur les aigres observations
du comte Westarp, avait rétracté ces paroles im-
prudentes et fait amende honoi-able au militarisme,
et le chancelier Hertling avait appuyé lourdement
la rétractation de son ministre. Quelle conclusion
devait-on tirer de toute cette éloquence.'
Ceci, à noire sens : que l'Allemagne, même en se
persuadant de la victoire et en affirmant qu'elle est
la maîtresse du monde, tâtonne et cherche une so-
lution qu'elle ne trouve pas. D'une part, le parti
militaire, avec Ludeiidorf et la majorité du Parle-
ment, ne respecte que la force et attend du succès
des armes la domination du monde. D'autre
part, les grands industriels qui comptent bien,
cependant, profiter du succès, aperçoivent avec
crainte le régime dn sabre que l'on promet au
commerce et à l'industiie et comprennent avec
Kiihimann qu'après avoir eu tout le monde contre
soi, on ne le conquiert pas indusiriellement par le
caporalisme. Enfin, la minorité socialiste, que des
événements intérieurs peuvent transformer en majo-
rité, conçoit de justes appréhensions pour les libertés
populaii-es elles droits électoraux qu'elle espèiecon-
quérir, et dont le triomphe du mililarismeetdes jun-
kers prussiens ne pourrait s'accommoder. Il n'est
pas impossible que le discours de Kiihimann n'ait
été qu'un moyen de tàter l'opinion et, peut-être
même, d'amadouerl'Enlen le par des formules vagues
et qu'il n'y ait eu, en tout cela, qu'une mise en scène à
laquelle le ministre des affaires étrangères a pu se
prêter d'autant plus aisément qne les idées qu'il
soutenait étaient les siennes. Mais, même en ad-
mettant qu'en somme il y ait eu, sous cette diversité
ce qu'on aurait pu croire possible, s'il était permis
d'inférer que le gouvernement bolchevik de Lénine
et de Trotsky touchait à sa (in, car nous n'en savions
rien du tout, il était évident qu'il avait des difficultés
de plus en plus sérieuses.
L'émiettement russe, favorisé par l'Allemagne, la
sécession antibolcheviste de la Sibérie sous l'in-
fluence des Tchéco-Slovaqnes, certainement soutenus
parle Japon et peut-être par l'Amérique, le désordre
intérieur, la détresse financière, la famine étaient,
pour le pouvoir maximaliste qui s'appuyait sur \'.\l-
lemagne, autant de raisons d'affaiblisse'ment. Com-
ment l'Allemagne pouvait-elle sérieusement « pro-
fiter » d'un pays aussi désorganisé et à l'égard
duquel il n'est pas silr qu'elle eiit elle-même une
autre politique que celle de l'exploitation à outrance?
Et n'y avait-il pas, pour elle, dans ce commence-
ment de déception, un motif de souhaiter quelque
bon accord, qui permît une organisation sérieuse?
Ajoutons la situation des Balkans. Quoi qu'eût affirmé
Kiihimann, le riglement de la question de la Do-
broudja n'avait donné aucime satisfaction à la Bul-
garie ; son différend avec la Turquie régénérée par
la dissolution russe, redevenue ambitieuse et ou-
verte à toutes les espérances pantourai.iennos qui
s'agitaient dans l'.Vsie centrale, était toujours pen-
dant, et le refus de lui promettre Salonique avait
laissé à Ferdinand de Bulgarie un ressentiment
non dissimulé. La Bulgarie se considérait comme
une seconde fois lésée. La chute de Radoslavof
ne pouvait être, pour l'Allemagne, un événement
satislaisaut, pas plus que l'avènement du minis-
tre Malinof, qui n'avait jamais été partisan de la
guerre. En somme, la Bulgarie boudait. Ajoutons
ce que nous avons (lit plus haut au sujet delà situa-
tion grave de l'Aulricbe. Considérons enfin — et il
y a là un côté de la question qui a pour nous une
portée capitale — que, comme nous l'avons déjà
dit, l'intervention de plus en plus nette de l'Amé-
rique dans les affaires européennes, si elle est pour
^• 138. Août 1918.
ENTRE L'AISNE ET LA. MARNE
333
534
nous, alliés des Etats-Unis, une garantie de premier
ordre, est, par contre, pour les Empires centraux et
en particulier pour l'Allemagne, une menace qui
n'est pas négligeable, ni au point de vue militaire,
ni, surtout, au point de vue économique. Le président
Wilson est bien près de grouper autour des Etals-
Unis les deux Amériques, y compris le Mexique,
intérieur d'ua Iratu sanitaire anicncaiii.
auquel il avait, au cours du mois de juin, tendu la
main. Ni Hindenburg ne pouvait ne pas se préoc-
cuper de l'apport militaire américain, ni, et encore
davantage, Kiililmaiin, Ballin et l'industrie exporta-
trice de produits fabriqués etimporlalricede matières
premières indispensables n'étaient assez imprudents
pour ne pas supputer le ri sque couru par le commerce
allemand devant la Société des nations américaines,
liée avec la Société des grandes nations européennes
de l'Entente. Parla, le parlimilitariste et le parti indus-
triel se rejoignaient, mais le danger restait le même.
On voit par ce qui précède que la situation alle-
mande, pour puissante qu'elle fût, était très loin d'être
solideet encore moins définitive. 11 y avait làponr nous,
en dehors de notre foice militaire, qui restait très
grande, quoi qu'en pûldire l'agence Wolff, des raisons
d'espérer, dont nous a vionsle droit et le de voirde faire
état. Mais, nous le répétons, il nous fallait veiller et
ne rien perdre des avantages possibles. Nous deman-
dions plus haut si nous avions une politique avec l'Au-
triche. Nous avons demandé souvent aussi, et nous
nous le demandions encore fin juin, si nous avions
une politique avec la Russie. Chose difficile, nous en
convenons sans peine, mais chose nécessaire, si nous
voulons aider ce grand peuple désemparé et si nous
entendons qu'il ne se tourne pas contre nous. Or,
nous devons avouer que nous ne connaissions alors
aucun fait qui nous permît de penser que nous avions,
à l'égard de la Russie en général et de ses diiïérentes
fractions en particulier, un plan d'action raisonné et
arrêté. L'Allemagne a cru trouver sa formule à l'é-
gard de la Russie dans l'émiettenientde la monarchie
rus:je. Ne devons-nous pas, plutôt, la chercher dans
la reconstitution de l'unité russe sous un gouverne-
ment démocratique, qui réunirait toutes les fractions
de l'ancien empire? 11 n'était pas douteux que ce fût
dans ce sens que le président 'Wilson entendait
marcher, et il était fort possible que les hésitations
du Japon, dont on avait beaucoup parlé en juin,
vinssent précisément de la difficulté que soulevait
l'impossibilité matérielle de s'entendre, en Russie,
avec un gouvernement qui ne fût pas aux mains des
Allemands. Beaucoup de l>"ran(;ais attendaient avec
impatience l'intervention japonaise. Quelles en se-
raient la portée et la forme? Sur ce point encore, et
(|ui n'était pas des moindres, il était impossible de
dire quelle était notre politique, et l'incohérence de
la presse ne fournissait à ce sujet aucune indication.
LAROUSSE MENSUEL
Il était bon de poser toutes ces questions et de
montrer combien de problèmes s'imposent à l'atten-
tion des gouvernements de l'Entente. Du moins, en
ce qui concerne la Pologne et les Tchéco-Slovaques,
ceux-ci avaient-ils, le 6 juin, publié une déclaration
formelle, où ils reconnaissaient que la « création
d'un Etat polonais uni et indépendant avec libre ac-
cès à la mer constitue une des con-
ditions d'une paix solide et juste
etd'un régime de droit en Europe »,
et celte déclaration, si tardive
qu'elle fût, venait tout de même à
son heure, au moment où arrivaient
d'Amérique les légions polonaises
et où s'organisait en Pologne, nous
venons de le dire, un gouvernement
polonais. De même, et lo même jour,
les gouvernements alliés s'étaient
associés à la déclaration de sym-
pathie de Lansing à l'égard des
Tchéco Slovaques. Maiscombiende
choses notre diplomatie, si elle vou-
lait être à la hauteur des circons-
tances, avait encore à faire pour que
ces déclarations verbales prissent
un sens réel I
Eu terminant cet article — où
nous eussions, si cela était possible
en ce temps de censure, insisté sur
bien des points que nous n'avons
fait qu'indiquer de très loin —
nous devons noter encore quelques
, faits très caractéristiques. En An-
I gleterre, c'était le calme relatif
dans lequel s'agitait la question ir-
landaise.donl la solution, d'ailleurs,
n'apparaissait ni prochaine, ni fa-
cile. C'étaientensui te lesdiscussions
soulevées tant en Angleterre qu'en
France au sein du parli travailliste et
du parli socialiste, les dériaralions
i de la Confédération générale du tra-
' vail, la scission des AO du parli
socialisteunilié àlasnitede la visite
des travaillistes américains, la réap-
parition de Kerensky en Angleterre,
les discussions relatives au passe-
port du socialiste Troëlstra. Il y
avait, il faut le dire, au fond de
toulcela, une certaine confusion, la
marque de l'antinomie qui existe, k
une époque comme la nôtre, entre
l'idée nationale et les devoirs im-
périeux qu'elle impose et l'inler-
nationalisme, qui apparaît à beau-
coup, quand il revêt certaines for-
mes, comme une manière de trahison. Mais, d'une
façon générale, on sentait, pourtant, dans ces
discussions, l'efTort pour collaborer aussi utilement
que possible, mais sans que les questions de per-
N' 138. Août 1918.
séance de la Chambre, le 4 juin, en dépit du vote
3u
ui la termina, n'avait montré ni les représentants
pays ni le gouvernement en pleine possession
de leurs moyens. Par moments, les meilleurs
citoyens pouvaient se demander, non sans raison,
si, en vérité, la France était, en une heure si criti-
que, assez gouvernée. De plus, les restrictions, sans
imposer aucune privation vraiment diflicile à sup-
porter, imposaient à nos larges habitudes de bien-
être et de bien-vivre des limites qui troublaient
la vie normale. Enfin, on sentait peser sur soi une
constante inquiétude et la crainte d'un inconnu mal
défini que mille racontars, colportés et accrus, pré-
sentaient sous des apparences périlleuses pour la
santé morale et pour les nerl'sde fa nation. Pourtant,
la sanlé morale et les nerfs de la nation tenaient
bon. On pouvait même être sûr qu'ils tiendraient
tant qu'il faudrait et qu'ils seraient dignes de ceux
qui, à l'avant, mettaient, à chaque minute, leur vie
au service de la patrie. On ne demandait que deux
choses : connaître toujours la vérité, et être sûr que
chacun veillait à son poste. — Jules Oerbault.
irrédimé, ée adj. (composé de in privatif et
du participe passé de rédimer « racheter »). Hist.
Se dit d'un territoire qui n'a pas encore été racheté
de la domination étrangère : L'Autriche a voulu
empêcher l'a/franchissement de l' hellénisme irré-
dimé. (Irrédimé est l'équivalent français de l'italien
irredenlo.)
Kœnigs (Paul-Xavier-GaAriei), mathémati-
cien français, né à Toulouse (Haute-Garonne) le
17 janvier 1838. Après avoir suivi les cours de ma-
thématiques spéciales du lycée Saint-Louis, il entra
à l'Ecole normale supérieure en 1879, et il y restait,
en 1882, après les trois années réglementaires d'é-
tudes, en qualité d'agrégé-préparateur. Ce fut cette
même année qu'il passait sa thèse de doctorat
es sciences mathématiques avec un remarquable
travail Hur les propriétés infinitésimales de l'es-
pace réglé. En 1883, Kœnigs était nommé chargé
de cours dans la chaire de mécanique de la Faculté
des sciences de Besançon, puis, en 188.ï, dans la
chaire d'analyse de la Faculté des sciences de Tou-
louse et, enfin, en 1886, il revenait à Paris comme
chargé de cours de mathématiques k la Sorbonne,
en même temps que maître de conférences à l'Ecole
normale supérieure; il conserva ce dernier poste
jusqu'en 1897. La personnalité de Kœnigs s'affirmait
de plus en plus et, l'année suivante (1887), il était
nommé professeur suppléant au Collège de France.
En 1895, il devenait professeur adjoint à la Faculté
des sciences et suppléait Boussinesq dans la chaire
de mécanique; enfin, enjanvier 1897, il était nommé
professeur de mécanique physique et expérimen-
tale; il a conservé celle chaire jusqu'à aujourd'hui.
G. Kœnigs est aussi répétiteur de l'Ecole polytech-
nique depuis 1897.
Les travaux de G. Kœnigs se rapportent à la géo-
métrie infinitésimale et à la mécanique, en particu-
Postes avancés camouflés italiens, sur les rives de la Piave.
sonne fussent tout à fait exclues, à la défense et à
la victoire des droits sacrés des peuples, pour les-
quelles la France pacifique a pris les armes.
Enfin — et c'est par là qu'il faut conclure — on
devait admirer le calme de la France et de Paris.
Au milieu des informations les mieux faites pour
troubler les esprits et avec la sensation que cer-
taines d'entre elles avaient un caractère au moins
officieux, le peuple français avait gardé sa confiance
et son sang-froid. Il y avait eu, certes, du mérite. La
lier à la cinématique générale. Parmi les nombreux
mémoires qu'il a publiés dans les « Comptes rendus »
de l'Académie des sciences et autres périodiques
scientifiques, citons, d'abord, ceux qui concernent
ses travaux généraux de mécanique: Sur la déter-
mination générale du volume engendré par un
contour fermé, gauche ou plan, dans un mouve-
ment quelconque (1889) [la solution qu'il donne de
cette question n'est pas moins simple que celle que
l'on attribue à Guldin, et elle est plus générale] ;
/V 738. Aoat19l8.
Applicalion des invarianls intégraux à la réduc-
tion au type canonique d'un système quelconque
d' équations di/férentieltes, etc.
En cinémalirjue générale, il y a lieu de mentionner
tout d'abord son mémoire Sur deux appareils nou-
veaux de mécanique ; l'un (planigraphe) qui permet,
au moyen dnn système articulé, la description d'une
zone plane, l'autre (kerpolliodograplie) au moyen
duquel on peut réaliser rigoureusement le mouve-
ment à la Poinsot; dans le même ordre d'idées, il
a établi d'une façon rigoureuse que toute surface
algébrique peut être décrite par le moyen d'un
si/stéme articulé, théorème analogue à celui de
Ivempe pour les courbes planes, et il a indiqué la
construction d'un appareil qui permettrait d'at-
teindre le but proposé; il a été plus loin encore et
montré que toute condition algébrique imposée au
mouvement d'un corps est réalisable par le moyen
d'un système articulé et établi un compas homogra-
phique réalisant par articulations l'homographie
plane générale. G. Koenigs a aussi publié de nom-
breuses notes sur la théorie générale des machines,
et on lui doit une théorie nouvelle des mécanismes
dont les bases ont été indiquées par lui-même dans
l'opuscule Introduction à une théorie nouvelle des
mécanismes (Paris, 1905). Le mémoire qu'il a pré-
senté à l'Académie des sciences en 1910, Sur le
mouvement relatif le plus général de deux corps
solides, marque un progrés décisif sur cette impor-
tante question. Il fut inséré dans le Recueil des
savants étrangers, et G. Darboux, dans le rapport
qu'il en fit à l'Académie des sciences, constatait
que G. Kœnigs donnait, par ce beau travail, « de
nouvelles et éclatantes preuves de ce sens profond
des choses de la mécanique qui caractérise tous ses
travaux ». Citons encore ses mémoires Sur les
profils superficiels conjuifués; Sur la construction
des centres de
courbure et des
plans princi-
paux de l'enve-
loppe d'une sur-
face solidaire
d'un cylindre qui
roule sans glis-
ser sur un autre
et aussi Sur les
mouvements
doublement dé-
composables et
sur les surfaces
qui sont le lien
de deux familles
de courbes éga-
les, etc. En ther-
modynamique,
iiousindiquerons
SCS notes Sur le
cycle de Joule et
sur une nouvelle
formule exprimant la puissance indiquée d'un
moteur à quatre temps en fonction d'éléments
expérimentaux, etc.
G. Kœnigs n'est pas seulement un remarquable
théoricien. Lorsqu'il prit possession de la chaire de
physique expérimentale, à la Sorbonne, il voulut
qu k côté des hautes spéculations mathématiques
qui forment la base de son enseignement, ses élèves
pussent également se perfectionner dans le domaine
des applications pratiques; il demanda, à cet elîet,
la création d'un laboratoire de mécanique. Ce ne
fut pas sans peine qu'il l'obtint, et on peut dire que
c'est grâce à sa ténacité que ce laboratoire réclamé
avec insistance depuis 1897 fut enfin inauguré au
mois de mars 191i. Ajoutons que, depuis août 1914,
ce laboratoire, sous la haute direction de Koenigs, a
contribué d'une façon efficace & l'œuvre de défense
aalionale.
En 1888, l'Académie des sciences lui décernait le
prix Jérôme Ponli, puis, en 1892, le prix Bordin :
<laus le sujet de concours, il s'agissait de détermi-
ner les formes d'éléments linéaires pour lesquelles
les équations des lignes géodésiques possèdent une
ou plusieurs intégrales quadratiques distinctes.
Dans l'analyse du mémoire qu'avait fourni Krenigs,
le rapporteur faisait ressortir « le remarquable ta-
lent d'un géomètre qui a su employer avec un égal
succès les méthodes de la géométrie moderne et
celles de la théorie des fonctions ». En 1913, il ob-
tenait le prix Poncelet, pour l'ensemble de ses tra-
vaux en géométrie et en mécanique, enfin, en 1901,
le prix Petit d'Ormoy.
La Société mathématique de France l'a choisi
comme président en 1897 et, depuis 1914, il est éga-
lement président de la Société française de naviga-
tion aérienne. Le 18 mars 1918, il a été élu mem-
bre de l'Académie des sciences (v. p. 519) pour
la section de mécaniaue, en remplacement de
H. Léauté. Il est chevalier de la Légion d'honneur
depuis 1898.
Outre les nombreux mémoires qui lui sont dus
et dont nous n'avons cité que les principaux,
G. Kœnigs a publié à part : Leçons de l'agrégation
classique dé mathématiques. Développements nou-
G;ibrtel Kœnigs.
LAROUSSE MENSUEL
veaux sur la géométrie (Paris, 1891); la Géométrie
réglée et ses applications. [Coordonnées ; Système
linéaire ; Propriétés infinitésimales du premier
ordre] (Paris, 1895); Leçons de cinématique, pro-
fessées à la Sorbonne, avec des notes de G. Dar-
boux et de E. et F. Cosserat ; Cinématique théorique
(Paris, 1897); Introduction à une théorie nouvelle
des mécan'ismes (Paris, 1903), etc. — o. Boucarat.
lépinie (de Lépine, n. d'un pharmacien de la
marine française) n. f. Genre dapocynacées, renfer-
mant une seule espèce, découverte dans les mon-
tagnes de Talli.
— Encycl. La lépinie (lepinia Ta'itensis) décrite
par Decaine est un arbre curieux de 8 & 10 mètres
de hauteur, à feuilles alternes, oblongues, briève-
ment acuminées, accompagnées de sortes de stipules
qui rappellent les feuilles des loganiacées. Le carac-
Lépinic.
tère le plus remarquable de la lépinie réside dans la
structure de l'ovaire : cet organe, de forme conique,
d'abord indivis, se partage inl'érieurement et peu
après la chute de la corolle en trois ou quatre
branches filiformes, qui s'allongent graduellement,
de manière à porter beaucoup au-dessus du calice
les loges qui restent soudées par la base persistante
du style. Celte singulière disposition ne se montre
pas dans la fleur, et l'ovaire, au moment de l'épanouis-
sement de la corolle, paraît être entier; c'est à peine
si l'on distingue à sa surface trois ou quatre côtes,
auxquelles correspondent les loges. — J. de Chaoh.
Maçon {Louis), écrivain suisse, né à Lancy,
près de Genève, le 4 décembre 1836. 11 est mort à
Paris le 4 avril 1918. Suisse par sa naissance, Louis
Maçon était le fils du commandant et le neveu du
colonel Maçon, qui servirent, l'un et l'autre, dans
la garde impériale de Napoléon 1'=''. Son père fut
gouverneur militaire de Saragosse, pendant l'occu-
pation française.
Louis Maçon Ht ses premières études au collège,
puis au gymnase de Genève. En 1854, il partit pour
l'Allemagne, suivit les cours des universités de Hei-
delberg, Leipzig et Munich et vint ensuite à Paris
pour y parfaire sa formation intellectuelle.
Rentré en Suisse, Maçon fonda, avec Benjamin
Dufernex, une revue illustrée, « la Suisse ». Cor-
respondant du « Temps », il collabora à plusieurs
organes politiques de Genève, Lausanne et Neu-
châlel; il fut un des principaux rédacteurs de
(1 l'Europe », de la « Revue savoisienne » et de la
Cl Revue internationale ».
En 1865, Louis Maçon se rendit & Paris. Il y fit
la connaissance de Vermorel, avec lequel il fonda,
en 1867, un journal d'ardente opposition au régime
impérial, « le Courrier français ». Cet organe, qui
mena des campagnes retentissantes, fut créé avec
un capital initial de cent mille francs, dont le cau-
tionnement exigé par la loi absorba la moitié.
Pourtant, « le Courrier français » atteignit un tirage
presque égal à celui du <i Siècle », du « Figaro »,
de «la Liberté» et, en dépit des amendes répétées
que le gouvernement lui infligea, ne disparut qu'en
1868. Aussi, Emile de Girardin a-l-il pu dire que
Louis Maçon, en administrant un quotidien qui dis-
posait de si faibles ressources, n avait accompli un
véritable tour de force ».
Maçon fonda, successivement, « le Courrier de
Paris », « le Citoyen », avec Pascal Duprat, et
« la Question ». II lança, en 1871, la « Correspon-
dance helvétique », qu'il lit paraître jusqu'à sa mort.
Alors que l'Assemblée nationale siégeait à Bor-
deaux, il jeta dans cette ville, avec Crawford, cor-
respondant parisien du •■ Daily News », les bases du
syndical de la presse étrangère, qui devait prendre
une grande extension. Louis Maçon en fut successi-
Louis .Maçon.
535
vement le secrétaire et le vice-président. Il en fut élu
président en 1895 par l'unanimité de ses collègues.
En 1889, pendant l'Exposition universelle, il
fonda, avec Jean Macé, la « Ligue internationale
de l'enseignement », dont il devint le secrétaire gé-
néral. Camille Flammarion en était le président.
Louis Maçon avait hérité de son ascendance pa-
ternelle un amour passionné de la France, qui, joint
à la droiture de son caractère, devait l'amener à
prolester hautement contre l'agression allemande.
Dès les premiers jours de la guerre, au lendemain
de la violation de la Belgique, tandis que son ami
Henri Fazy faisait entendre à Genève la réproba-
tion d'une conscience indignée, il publia, sous le
titre : « Contre les Vandales », un courageux article,
3ui fut reproduit par un grand nombre de journaux
'Europe et d'Amérique. Maçon s'était intéressé
naguère, aux côlés de Frédéric Passy, de Gaston
Moch, de Michel Revon, d'Edmond Thiaudière,
à toutes les tentatives en faveur du maintien de la
paix. Mais, devant les volontés de conquête qui
animaient les dirigeants de l'Allemagne, il comprit
que, seule une entente préventive pourrait sauver
l'indépendance des petits peuples et, dès l'année
1911, il préconisa cette entente des Etats neatres
d'Europe, « en
face d'un péril
commun ». La
guerre venue, il
reprit cette con-
ception et créa,
en 1915, avec des
hommes tels que
Venizelos, Fili-
pesco, Take Jo-
nesko et Ruy
15arbosa, la « Li-
gue des pays
neutres pour la
défense du droit
des gens et des
conventions in-
ternationales ».
l'héodore Roo-
.sevelt en fut le
président d'hon-
neur, avant l'in-
tervention des
Etats-Unis. Par
des campagnes de presse, par des tracts, par des
brochures, par des conférences, celte Ligue ne cessa
de dénoncer au monde le péril allemand et fit en-
tendre d'énergiques protestations contre les crimes
des Empires centraux. Louis Maçon, avec une gé-
néreuse énergie que l'âge n'affaiblissait pas, voua i
cette œuvre de justice les dernières années d'une
vie tout entière consacrée au bien.
Louis Maçon apublié un roman apprécié : les Deux
Mansardes, et deux recueils de nouvelles : Noémie
et Voyage autour de mes poches. — Carios LiERoKo».
Maladies par carence. —Weill et Mou-
riquand désignent sous ce nom les maladies déter-
minées par l'insuffisance ou l'absence dans les ali-
ments usuels et, par suite, dans l'organisme, de
certains principes essentiels ou vilamines\\. ce mot,
p. 410), dont l'homme est incapable de réaliser la
synthèse et qu'il doit, par conséquent, recevoir tout
formés de l'extérieur.
— Encycl. .\u nombre des maladies par carence
(du lat. carere, manquer), il faut d'abord mentionner
le béribéri, maladie spéciale aux populations rizipha-
ges et qui, même là, ne s'observe que parmi les
gens qui consomment le riz poli (c'est-à-dire débar-
rassé de sa pellicule argentée extérieure); ceux
qui usent du riz paddi, ayant conservé sa pellicule,
n'en sont jamais atteints. Cette circonstance avait
déjà attiré l'attention d'Eijkmann en 1897, mais
c'est Fuuk, en 1911, qui l'expliqua, par la décou-
verte d'une vitamine existant seulement dans la
pellicule que rejette le polissage du riz alimentaire.
On sait que le béribéri se manifeste principalement
par des accidents nerveux, périphériques et céré-
belleux ; or, ces accidents s'amendent rapidement
et disparaissent quand on administre aux béribéri-
ques quelques milligrammes de la rizanime de
Funk, soit du riz paddi au lieu du riz poli, ainsi que
Wedder et Williams l'ont pu constater à l'hôpital
de Manille. Au Japon, oii le béribéri est assez fré-
quent, on a recommandé l'usage du riz paddi aux
personnes qui vivent presque exclusivement de cet
aliment, et il semble que, depuis celle prescription,
la maladie soit en décroissance marqnée.
E. Weill et Moariquand, qui ont vérifié expéri-
mentalement avec grand soin les idées de Funk, re-
latives au rôle des vitamines, ont étudié d'une ma-
nière spéciale les maladies par carence (l'expression
est d'eux) chez les enfants et, notamment, la mala-
die de Barlow ou scorbut infantile. Bien que rela-
tivement rare, celle maladie se rencontre quelque-
fois chez les nourrissons, à la suite d'un allaiiemenl
trop prolongé au moyen de laits industriels, mater-
nisés ou homogénéises, tandis qu'elle ne parait cau-
sée que tout à fait exceptionnellement — et encore la
536
constatation reste douteuse — par les laits sim-
plement pasteurisés ou stéi'ilisés tout frakhement.
Weill et Mouriquand ont établi, de plus, que les
accidents du scorbut infantile peuvent être égale-
ment provoqués par l'iisag-e des farines bautement
raflinèes, puriliées et stérilisées, coinnie on en trou-
vait beaucoup avant la guerre dans le commerce.
Les troubles qui se montrent dans ce dernier cas
sont plus complexes que ceux de la maladie de
Barlow; car, si l'on peut y démêler des signes
scorbutiques ou préscorbutiques, on y constate aussi
des symptômes jusqu'ici rattacliés au rachitisme,
faute d'une meilleure interprétation, comme le re-
tard dans la marcbe chez le jeune enfant, ou l'im-
possibilité de marclier apris une période initiale de
marcbe normale. Wnis ces accidents, comme l'a
noté Comby, sont toujours tardifs, c'est-à-dire qu'ils
exigent, pour se proiluire, de six à dix mois d'une
alimentation lacto-farineuse carencée, ce qui laisse
supposer qu'il existe, dans l'organisme du nou-
veau-né, une sorte de réserve de vitamine antiscor-
butique, s'épuisant à la longue quand elle n'est pas
reconstituée par des aliments convenables, non ca-
rences, tels que le lait fiais, les jus de fruits frais, etc.
Il est à remarquer, enfin, que les troubles de carence
peuvent être constatés chez l'enfant nourri au sein.
C'est qu'alors le lait est privé de ses vitamines
normales, par suite de l'état de carence plus ou
moins manifeste dans lequel se trouve la nourrice
elle-même. De telles constatations ont, naturelle-
ment, été faites surtout dans les pays à béribéri, et
elles avaient conduit certains auteurs h penser que
la transmission de la maladie de la nourrice au
nourrisson démontre l'origine infectieuse du béri-
béri. Pour le moment, celte ori!;ine ne parait pas
soutenable à Weill et Mouriquand, puisque, la
transmission des troubles de la nourrice au nour-
risson expliquée comme on l'a vu ci-dessus, il
n'existe aucune preuve connue jusqu'ici de la nature
infectieuse de la maladie. Bien plus, l'action Ihcra-
peulique efficace et constante, ainsi que A. Gour-
îade vient de le signaler de nouveau, des aliments
riches en vitamines, et seulement de ceux-ci à
l'exclusion de tout remède, prouve bien qu'il s'agit
uniquement de troubles nutritifs par carence.
Chez 1 adulte, en dehors du béribéri, dont il a été
déjà parlé, et du scorbut vrai, scorbut des navi-
galeurs, maladie bien connue, caractérisée essen-
tiellement par des altérations buccales (ulcérations
des gencives, déchaussement des dents, qui rendent
la mastication très diflicile) et des signes hémorra-
giques (ecchymoses, purpura, uict'res scorbutiques,
œdèmes ronges et bosses sanguines) et que l'on
soigne efficacement par les jus de fruits et les ali-
ments frais, les manifestations des maladies par
carence sont encore assez mal connues, en tout cas
complexes et diffuses ; elles devraient être, d'ai Heurs,
peu fréquentes, en raison de la grande variété que
nous introduisons normalement dans notre alimen-
tation. 11 convient, cependant, de rappeler que Punk
rattachait la pellar/re à ce groupe de maladies ;
mais cette assimilation semble aujourd'hui bien dif-
ficile à admettre; par ses symptômes, elle se rat-
tache, en effet, nettement à une intoxication, et on
voit d'ailleurs des personnes être atteintes de pel-
lagre pour avoir mangé une ou deux fois de la
polenta ou d'autres préparalious culinaires à base
de maïs (v. pellagre, p. 240).
Pourtant, divers troubles, dont l'origine nous
échappe, doivent attirer l'attention. Faut-il attribuer
à l'alnis des mets conservés (dont les procédés de
préparation détruisent en grande partie, sinon tota-
lement, les vitamines et qui sont d'autant plus com-
plètement dépourvus de ces dernières que leur pré-
paration est de date plus ancienne, comme l'ont
montré Weill et Mouriquand), certains accidents
bizarres, constatés parfois chez les soldats du front
occidental et qui ont disparu aussitôt que ces sol-
dats, ramenés à l'arrière, ont été nourris avec des
aliments frais? Quelques formes rares des néphriles
de guerre (v. p. 429), dans lesquelles aucun élé-
ment infectieux n'a pu êlre découvert, qui ont une
évolution spéciale et ressortissent à un traitement
presque uniquement diététique, ne peuvent-elles pas
reconnaître une origine analogue à celle du scorbut?
C'est bien possible, mais aucune preuve certaine
n'en a été encore fournie. Sur un dernier point,
enfin, très important, nous ne possédons guère plus
de précision, mais seulement des indications très
incomplètes. Il s'agit des maladies de la nutrition
(lu groupe de l'arthritisme. En présence de l'insuffi-
sance des anciennes théories pathogéniques, les tra-
vaux les plus récents tentent d'incriminer main-
tenant, pour expliquer l'unicogénèse des goutteux
et des litliiasiques rénaux, une insuffisance de cer-
taines sécrétions endocriniennes, mal fixées d'ail-
leurs. Gomme, d'une part, les sécrétions endocri-
niennes sont aujourd'hui à peu près toutes connues,
au moins dans leurs effets, et que, d'autre part, les
vitamines représentent, d'après le rôle métaliolique
qui leur a été reconnu, des éléments indispensables
à la formation et à l'évolution normale des nucléo-
protéides (d'où dérive l'acide urique), il est possible
d'imaginer que les troubles nricémiques dépendent
LAROUSSE MENSUEL
de la carence peut-être alimentaire, plutôt constitu-
tionnelle d'un principe de l'ordre des vitamines. Ce
n'est là qu'une hypothèse nouvelle, qu'on entrevoit
plutôt qu'on ne la formule. Elle ouvre, en tout cas,
un nouveau champ aux expériences et aux obser-
vations. Dr J. LAUMONIEa.
mélitococcie (kok-si — du lat. Melila, Malte,
et coccus, bactérie arrondie) n. f. G'estactuellemenl
le terme le plus souvent utilisé pour désigner la
fièvre de Malte (v. Larousse Mensuel, 1911).
Némésis, roman de Paul Bourget (Paris, 1918).
— Sans renoncer à ses habitudes d'observation
psvchologique et à ses tendances de moraliste, —
celles-ci, même, se sont accrues, — Bourget se plaît
parfois à présenter au lecteur des drames rapides,
aux péripéties brusquées, qui se dénouent presque
aussitôt engagés; ou, pour mieux dire, il fait choix
d'une action depuis longtemps en cours, la prend
au point extrême de son développement, et se borne
à en décrire les dernières phases. Par là, sa manière
acquiert quelque chose de classique et rappel. e celle
de Hacine, dont les tragédies ne sont, elles aussi,
que des dénouements. Gomme chez Hacine, égale-
ment, les éléments du drame sont d'ordre moral :
ce sont des conflits de sentiments ou de passions,
dont le jeu naturel engendre toutes les péripéties.
Mais il y a plus : fidèle à cette préoccupation qu'il a
définie lui-même autrefois et qui tend à « apporter
quelque preuve à l'appui ou à l'encontre des grandes
doctrines qui, servant de direciions aux individus
et aux sociétés, les aiguillent, si elles sont exacles,
vers la santé, si elles sont inexactes, vers la déca-
di nce 11, liourget est conduit à prolonger ses per-
sonnages au delà des limites de la simple indivi-
dualité et à leur conférer une valeur de symbole ;
dans le drame qui se joue sous nos yeux, ce sont
moins des individus que des idées qui se heurtent.
Ainsi une intention philosophique se marque der-
rière l'intrigue romanesque, la dirige et la soutient.
Bourget s'est proposé, cette fois, de démontrer
que tout se paye ici-bas, que le fait humain est
régi par la loi divine et que celle-ci éclaire et achève
celui-là. C'est un peu ce que nous nommons la
Providence. Ainsi entendue, l'idée ne serait peut-
être pas très neuve. Bourget la rajeunit par un
rappel des croyances antiques. Les Grecs, en efl'et,
pénétrés de celte pensée que tout excès — dans le
bien comme dans le mal — est funeste à l'homme,
avaient imaginé une divinité expressément com-
mise au soin de réprimer tout écart chez les mor-
tels, de les contenir dans le lot assigné à chacun :
cette divinité était la Némésis, déesse de la mesure,
des moyennes. On la représentait « une de ses
mains levée devant la bouche pour ordonner à
l'homme le silence dans la joie et dans la douleur,
l'autre main présentant la coudée, naïf syml)ole de
la mesure imposée à toute énergie, à toute des-
tinée ». Bien que notre notion de la divinilé se soit
transformée et que nous nous soyons élevés à
l'idée d'un Dieu parfaitement bon, incapable, par
conséquent, de jalousie ou de rancune, la pensée
de l'antique Némésis subsiste encore obscurément
au fond de certains esprits ; si nous n'en sommes
plus au temps où un Polycrate, efi'rayé de son excès
de bonheur, jetait dans la mer un anneau de prix
afin de désarmer la jalousie des dieux, où un Au-
guste, maître du monde, s'astreignait, pour le même
motif, à mendier un jour par an, il est encore bien
des gens enclins à inlerpréler les événements d'ici-
bas suivant la loi mystérieuse du partage et de la
mesure. En vain, le christianisme a-t-il banni la
Némésis avec les autres ficlions du paganisme ; elle
n'en continue pas moins à projeter son ombre redou-
table dans les Ames et sur les choses humaines.
Aussi, est-ce sans anachronisme que Bourget a pu
reprendre cet ancien mythe, qu'il avait jadis étudié
avec son maître, l'helléniste Tournier; il l'a fort
adroitement amalgamé à la trame de son roman,
conférant à son récit une certaine grandeur tra-
gique, où passe même quelque chose de l'effroi re-
ligieux qui animait les drames antiques. .
Le capitaine Gourtin appartient à cette race de
soldats qui considèrent leur métier comme un sacer-
doce. Il a entretenu naguère une liaison avec la du-
chesse de Uoannez, jeune veuve cosmopolite, affran-
chie de tous préjurés, <i déconcertant et iiieflicace
mélange de races ctde pays, decond if ions et d'idées 11.
Comment cette blasée et ce primitif ont-ils pu un
instant s'accorder? C'est là une de ces contradictions
auxquelles se complaît l'amour ou, plutôt, comme
l'explique l'auleur, la jeune duchesse, qui, depuis
la déception d'une union mal assortie, avait refréné
fous les élans de sa sensibilité, pour s'enfermer
dans un dilettanlisme de façade, pour être « la pas-
sante de toutes les théories comme de toutes les im-
pressions », avait senti s'éveiller en elle une femme
nouvelle, en face de la passion si sincère que lui
offrait l'officier. Elle s'y était livrée to't entière;
mais elle exigeait une exacte réciprocité. Aussi,
quand l'officier lui avait annoncé son départ pour
l'Afrique, où l'appelait son service, s'était-elle indi-
gnée, exigeant qu'il restât auprès d'elle, qu'il donnât
au besoin sa démission; Gourtin, aussi respectueux
N' 138. Août 1918.
des servitudes de l'état militaire que fier de ses
grandeurs, avait refusé. La rujdure s'était produite.
Le livre s'ouvre deux ans après ces événements.
La duchesse de Hoannez est allée cacher son ressen-
timeni dans un magnifique domaine des environs de
Sienne, où, revenue à son ancien genre de vie, elle
mène l'existence fastueuse d'une grande dame de la
Renaissance. Son dilettantisme, qui se plaît à ce jeu,
a groupé autour d'elle une société hétéroclite, où
se coudoient un médecin russe, un peintre allemand,
un lord anglais marié à nue Américaine et un ora-
torien, le pi re Desiiiargerets, savant archéologue.
Elle a même attaché à sa personne un nain, Bella-
gamba, dont elle s'amuse comme d'un bibelot rare.
C'est là que Gourtin vient la rejoindre; non qu'il soit
attiré par un reste de passion; son amour — du
moins il le croit — , est bien mort; mais il veut avoir
avec la duchesse une dernière explication. Peu de
temps après sou départ, il avait re(;u d'elle un billet
laconique, lui annonçant une maternité prochaine;
en vain avait-il demandé des précisions : depuis
deux ans, « il se heurtait, se déchirait à cette énigme
afi'reuse pour un homme de cœur : Suis-je père? »
Et c'est de cette énigme qu'il venait chercher la clef.
Naturellement, la duchesse ne la lui livre pas tout
de suite. Caprice, coquetterie ou vengeance, elle dil-
èresa réponse, obligeant ainsi lejeuue officier à pro-
longer son séjour. Espère-t-elle le reconquérir, ou
cherche-t-elle seulement la satisfaction de plier à sa
volonté cet homme, qui lui a autrefois résis;é? Ils
demeurent donc en face l'un de l'autre comme deux
adversaires hostiles; mais une circonstance fortuite
va les éclairer sur leurs sentiments l'éels.
Le P. Uesmargerets poursuit des fouilles pour
rechercher une antique statue de Némésis — atten-
tion au symbole I ■ — qu'il a de sérieuses raisons de
croire enfouie en quel(|ue coin du domaine. Ses
efibrls vont aboutir : déjà, il a mis à jour la nécm-
role étrusque où doit se trouver Ja statue, et voici
a fosse où, sans doute, elle repose. Il se propose
d'exhumer, le lendemain, sa trouvaille, en présence
de la duchesse et de ses hôtes; mais, pendant la nuit,
des voleurs dérobent la statue. On s'élance sur leurs
traces, on les rejoint. Près d'être saisis, ils tirent
leurs revolvers : Gourtin est louché, peu gravement,
certes, mais assez pour que la duchesse défaille
d'émotion et avoue à l'officier « d'un accent sau-
vage, tant il y frémissait d'amour affolé : — Ahl je
ne savais pas combien je vous aime ». Et, une fois
de plus, l'amour triomphe de l'orgueil. Mais l'en-
fant?... Il n'y a jamais eu d'enfant; ce n'était qu'une
feinte pour faire revenir l'infiiièle. Courtin, qui ne
demande qu'à croire, ne pousse pas plus loin son
enquête; cédant, lui aussi, à son amour, il épousera
la duchesse, dont il ne suspecte point la sincérité.
Et, pourtant, celle-ci a menli, et, devant la confiance
de rofficier, elle a houle de son mensonge. Mais
comment lui confesser, désormais, que l'enfant a
existé, que, dans une heure de dépit et par esprit
de vengeance, elle s'en est criminellement dèliar-
rassée, avec le concours du médecin russe? Non
qu'elle rougisse d'un acte que son « amoralisme «
refuse de considérer comme un crime; mais com-
ment l'officier acceptera-t-il cet aveu? Devra-t-elle
donc renoncer encore à cet amour, où elle a mis tout
son bonheur? Car, dans la droiture foncière de sa
nature, elle répugne à épouser Courtin en laissant
subsister entre eux l'ombre d'un mensonge. Cette
torture morale est le premier indice du cliâtiment
qui s'annonce, La statue de Némésis, en effet, arra-
chée aux mains des voleurs, a été apportée au châ-
teau; elle se dresse, maintenant, au pied de l'escalier
d'honneur, et nous devinons qu'avec elle, c'est la
colère divine qui s'est établie dans cette demeure.
Elle ne va pas tarder à frapper. Peut-être, le dénoue-
ment eût-il gagné à être amené par le simple conflit
des sentiments entre les personnages piincipanx;
mais Bourget tenait à justifier son idée de l'inter-
vention divine et à la présenter de façon sensible.
Il a donc préféré recourir à un Deus ex machina
et terminer son drame par une tragédie brutale.
L'instrument de la Némésis, ce sera le nain
Bellagamba. Ce cynique boiifi'on se double d'un
anarchiste. Par surcroit, il aime la duchesse d'une
passion insensée et féroce; il ne lui a pas fallu
longtemps pour surprendre l'amour qui unit Courtin
et M"' de Hoannez. Sa jalousie s'est exaspérée.
Il va trouver le médecin russe, lequel est nihiliste
et partage son temps à soigner des malades pauvres
et à confectionner des boml)es redoutables à l'usage
des capitalistes. Bellagamba se fait révéler par lui
le secret de la duchesse et dérobe dans le labora-
toire du médecin un engin amorcé. De retour au
château, il dépose sur la table de Gonrlin un billet
dénonçant le crime de M""» de Hoannez et se posie
derrière la statue de Némésis — toujours le sym-
bole ! — pour savourer sa perfidie. A la lecture du
billet, Courtin se rend chez la duchesse, l'accable
de sa colère et s'enfuit, désespéré, hors du château.
Bellagamba, qui a vu l'officier entrer dans les
apparlemeiils de M™' de Roannez, estime venue
l'heure de la vengeance ; il court chercher sa
bombe... Peu après, une terrible explosion renverse
toute l'aile du château anéantissant la duchesse.
N- 138. Août 1918-
If criminel Bellagramba, el, la Némésii salisfalle,
(jouilin deineiirera vivant, avec le deuil de son
amour et le remords d'un cjimo dont il a été malgré
lui le complice. Ainsi chacun aura reçu son partage.
l>ouduit a\ec adresse et de laçon alerte, ce roman
est d'mie lL,'clure attrayante. Pourtant, si l'on en re-
tranche tout ce que l'auteur y ajoule de remarques,
lie raisonnements, de dissertations — en elles-
mêmes, d'ailleurs, intéressantes — il se réduit aux
proportions d'un roman-feuilleton banal et violent.
On prend plaisir, il est vrai, à suivre le détail des
louilles du P. Uesmargerets, à écouter ses déve-
loppements sur le mythe de Némésis; mais cet in-
térêt pour un éi)isode accessoire, n'est-ce pas, préci-
sément, une critique à rencontre du sujet principal,
qui, à lui seul peut-être, ne suflirait pas il nous atta-
cher? Cela Lient, sembic-t-il, à un défaut de conception
dans les personnages. Certes, le caractère deiM"" de
Uoannez est intéressant et logiquement conduit; cette
grande dame, trop riche et trop heureuse, vouée par
ses hérédités compliquées h une sorte d'anarchisme
intellectuel et moral, est une figure curieuse et
vraie. Celle de Courtiu, au contraire, est indécise.
Ij'auteur veut nous le présenter comme un héros
du devoir, comme un caraclère plein de noblesse ;
mais son attilude à l'égard de la duchesse nous le
fait juger tout difTéremment et, quand il accable la
malheureuse de ses reproches, il ne nous semble
pas qu'il ait le droit de se montrer, lui, si sévère.
Il a beau seflorcer de nous faire croire qu'il s'est
trouvé pris entre deux devoirs, il ne parvient pas
à nous convaincre, car nous estimons que ces de-
voirs étaient conciliables et que le soldat ne devait
pas nuire en lui h l'honnéle homme. Aussi ses
tiiades paraissent vides, et ses reproches sonnent
faux. Gomme conséquence, il arrive que c'est à la
duchesse, malgré ses aberrations, que vont nos sym-
pathies. Maisalors, la loidu partage, laNémésis?...
11 faut craindre d'offenser une si redoutable déesse,
mais, décidément, notre simple Providence, miséri-
cordieu.-e et bonne, vaut mieux. — F. Glirado.
Pozzi (Samuel-Jean), chirurgien français, né à
Bergerac (Dordogne) en 18'i6, mort à Paris le
li jum 1918, assassiné dans son cabinet par un
ancien opéré, atteint du délire de persécution.
La carrii're de Pozzi fut rapide et brillante. Ex-
terne des hôpitaux de Paris en 18C6, interne en 18G8
(médaille d'or en 1872), docteur en 1873 (thèse cou-
ronnée parla Faeulté), il fut nommé agrégé en 187')
et chirurgien des hôpitaux en 1877. Pozzi n'est
devenu le spé-
cialiste réputé de
gyn écologie
qu'il fut qu'après
avoir exercé la
chirurgie géné-
lale avec le plus
grand succès.
Dès 1876, il fit le
voyage d'Kdim-
bourg pour aller
s'initier, chez le
célèbre Lister, ou
pansement anli-
septique, aboutis-
sement pratique
des théories pas-
leuriennes. 11 re-
vint adepte con-
vaincu de l'anti-
sepsie, qu'il con-
tribua, avec
Lucas-Cliampionniére, Terrier, Bouilly, Nicaise, à
introduire en France. Ce rôle de vulgarisateur des
innovations intéressantes, nous le lui voyous conti-
nuer plus tard lorsqu il contribua à faire connaî-
tre chez nous les travaux d'Alexis Carrel sur les
trausplantallons de tissus et d'organes et, au cours
de la guerre, le procédé de désinfection des plaies
imaginé par ce dernier. D'autre part, il fut, en chi-
rurgie, un novateur audacieux. Il aborda l'un des
premiers la chirurgie de l'abdomen et prati<|ua la
gastro-entérotoniie, qui passait pour une opération
téméraire et qu'il était le premier à exécuter en
France. On pourrait citer en ce genre plusieurs itd-
tiatives hardies: suture de la vessie après taille sus-
pubienne, cholédocotomie, suture du tissu hépatique
après exlraction d'un kyste hydatique, etc.
Mais il est hors de doulo que son nom restera
surlout attaché à son œuvre gynécologique. Au
point de vue clinique, elle s'est faite tout entière
dans son beau service de l'hôpital Broca, qu'il tint
non seulement à aménager suivant toutes les règles
de la chirurgie moderne, mais encore à rendre
attrayant pour ses malades, en faisant orner les
salles de peintures murales dues à des artistes
amis, comme Clairin et Bellery-Desfontaines. Il y
enseigna longtemps comme agrégé, jusqu'au jour
où, grâce à ses eiïoits, on créa, en ludl, nue chaire
de clinique gynécologique îi la Facullé de médecine,
chaire entretenue par la 'Ville de Paris et dont il fut
le premier titulaire. D'innombrables étudiants el
médecins, français et étrangers, ont fait leur inslnic-
D' S.-J. Po2ji.
LAROUSSE MENSUEL
lion spéciale dans ce service de l'Iiôpilal Uroca, on
ils étaient attirés & la lois par la science du maître,
par son accueil et par son talent de parole. Tous les
chapitres de la gynécologie doivent il Pozzi quelque
p[!rlectionnemciit ou quelque nouveauté. II inventa
plusieurs techniques opéraloires, en améliora d'au-
tres, imagina des interventions comme la slomato-
plastie, etc. II fut surtout un apôtre convaincu de la
gynécologie conservatrice, réagit conlje l'ablation
systématique de l'utérus et des ovaires, contre 'a-
veugle liystérectoniie vaginale, s'occupa tout spécia-
lement des opérations réparatrices des mutilations
congénitales ou acquises.
Au début de la guerre, Pozzi, qui était engagé
volontaire de 1870, reprit du service malgré son âge
et, en qualité de médecin principal, assuma le soin
de diverses salles de blessés, à l'hôpilal de la rue
Lhomond et à celui de l'hôtel Asloria. C'est dans ce
dernier hôpital que fut tentée, par son élève, le
D'' Th. de Martel, la suture des perforations intes-
tinales que lui avaient causées les balles de son
assassin. Il avait demandé il être inhumé dans son
uniforme militaire.
Les travaux de Pozzi sont très nombreux. Au
début de sa carrière, il écrivit, guidé par son maître
Broca, des mémoires d'anthropologie {Sur le poitls
(lu cerveau suivant les races et les individus, 1878;
Sur le cerveau de l'homme et des primates, 1880),
puis des études de chirurgie générale et, enlin, il
s'adonna uniquement à la gynécologie. Ses études
sur cette partie de la chirurgie sont extrêmement
nombreuses. Elles se condensent toutes dans son
Traité de pi/iiécologie clinique et opératoire, livre
classique qui a connu, depuis 1890, quatre éditions
françaises, et a été traduit en allemand, en anglais,
en espagnol, en italien, en russe et en arabe. Il
contribua, en outre, à l'expansion des idées fran-
çaises par de nombreux voyages i l'étranger et par
la part prise à la créalion du Congrès de chirurgie.
Depuis le début de la guerre, les communications
qu'il fit aux sociétés savantes dont il faisait partie
portèrent exclusivement sur la chirurgie d'armée.
Membre de l'Académie de médecine depuis 1896,
président désigné pour 1919, grand officier de la
Légion d'honneur, sénateur de la Dordo,L;ne de 1897
à 1902, litnlaire de nombreux ordres étrangers et
membre de nombreuses académies hors de France,
chirurgien consullant couru, opéraleur réputé,
Pozzi fut une ligure parisienne des plus connues et
des plus sympathiques. De nature très artiste, il
habitait un appartement dont plusieurs pièces
donnaienll'idée d'un musée et où il avait notamment
réuni une collection réputée de terres cuites de
Tanagra. L'homme était grand, élégant, très affable,
et rest;iit jeune malgré les années, notamment par
son inlassable activité.
Ses obsèques ont eu lieu, le mardi 18 juin, à
l'église réformée de l'avenue de la Grande-Armée,
à Paris. L'inhumalion a eu lieu dans sa ville natale,
à Bergerac. — D' Maurice Oille.
Roux (Jules-Gharles-Tliéodore), homme d'af-
faires et homme politique français, né à Marseille
le 14 novembre ISil, mort à Paris le 27 février 191 8.
.Iules-Charles lioux appartient à une très ancienne
famille marseillaise, (jrand commerçant et imlus-
triel, propriétaire d'une imporlanlo savonnerie. Houx
voulut mettre son fils en état de diriger après lui ses
affaires avec la plus large compétence. La forma-
lion classique la meilleure — à en juger par le
style de ses discours et de ses écrits et le dilcttan-
lisme qu'il montra en toutes cbises — lui- fut
assurée par ses études secondaires. Celles-ci ter-
minées, il passe aux études spéciales théoriques et
pratiques : étudiant il la Faculté des sciences, il
l'ait, dès l'âge de vingt-lrois ans, des recherches ap-
préciées et spécialistes sur la savonnerie et les
corps gras. Et, ayant pris en main les afTaires, il
est assez apprécié du comujerce marseillais pour
être envoyé, conune délégué de la chambre de com-
merce marseillaise, à l'inauguration du canal de
Suez. Sans doute, cette brillante cérémonie, où tant
de personnalités européennes se rencontraient, où,
par la brèche l'aile dans le vieux conliuent, s'ou-
vraient à 1 Occident tout entierles perspectives d'un
si vaste avenir, fit-elle sur le jeune commerçant
marseillais la plus vive impression. Elle dut influer
sur sa vie tout entière ; depuis lors, l'une de ses
préoccupalions essentielles et jamais démenties fut
le développement de lu marine de la France et do
son commerce d'exportation. — Et, plus de trente ans
après (1901), il publie sur « l'isthme et le canal de
Suez >) une magistrale étude. Juge au tribunal de
commerce en 1873, il déploie, pendant les six années
où il occupe celle fonction, une activité très grande,
amplifiée encore lorsque 1880) il est nommé membre
de la chambre de commerce, où il siège jusqu'en
1888. Entre temps, il est élu conseiller municipal
1887). Pendant toute celte période, il joue, dans
l'histoire municipale de Marseille, >in rôle considé-
rable. Défenseur de la liberté du commerce, il réussit
à faire .abolir les droits d'accise sur les huiles et les
savons, entrave des plus gênantes pour les affaires
marseillaises. Plus lard, c'est la lutte contre les
Cliarlcs Houx.
537
monopoles : « Du travail libre sur les quais libres »'
telle est la formule qu'il veut l'aire et l'ail triompher-
— Bien que bourgeois, disons même « grand bour-
geois II, pour rendre un des traits de sa physionomie,
Charles Houx est un libéral : il se préoccupe vive-
ment de l'amélioration du sort des masses ouvrières
cl, tant comme conseiller municipal que comme
membre du conseil des directeurs de caisses d'épar-
gne, exerce une action assez efficace en cette ma-
tière. « L'argent du peuple doit, dit-il, servir à amé-
liorer le sort du peuple ». El il fait utiliser une
partie des fonds des caisses d'épargne pour cons-
truire des maisons ouvrières, neuves el saines. Il
contribue pour beaucoup, aussi, il la lutte contre
l'insalubrité. Convaincu également de l'utilité des
œuvres d'éducation colleclives, il ciée de nom-
breuses sociétés : musicales, littéraires, géogra-
phiques. Quelques mois, il a abandonné Marseille,
pour aller visiter les travaux du canal de Panama,
œuvre française
alors inachevée,
mais en la néces-
sité de laquelle il
a foi, et pi'ofitc
de son voyage
pour visiter les
Antilles et plu-
sieurs pays du
nouveau monde.
En 1889, person-
nalité marseil-
laise appréciée
de ses conci-
toyens pour les
services rendus
au commerce et
il l'industrie ré-
gionaux et M un
patriotisme local
(|ui confine au
chauvinisme», il
est candidat républicain et libre-échangiste de la
3' circonscription de Marseille. 11 est élu au scru-
tin de ballottage et réélu en 1.S93 au premier tour.
Les neuf années qu'il passe à la Chambre sont
des plus actives. Commerçant et industriel consi-
dérable, administrateur du canal de Suez, de la
Compagnie des viessageries tnarilimes et de la
Compagnie transatlantique, son expérience aussi
étendue qu'approfondie, sa compétence sur la plu-
part des questions de fabrication, d'échanges, de
transports, de marine, de colonisation, de finances
même, jointes à une grosse fortune, son talent de
parole lui assurent au Parlement la plus grande
influence. Ses principaux discours portent sur les
raisins secs, les beurres, les vins, les sucres. Il est,
en outre, rapporteur des budgets du commerce et
des colonies.
Les principaux objets de tous ces travaux? «Dé-
fendre Marseille et la liberté commerciale également
chère il son cœur », c< signaler l'importance d'une
fiotlepuissante qui permît à la France de gagner les
frets qu'elle abandonne si volontiers à l'étranger et
de porter son pavillon dans toutes les parties du
monde », obtenir, dans l'intérêt de Marseille et dans
l'intérêt français, les modifications qui permettent à
noire système navigable, si bien disposé parla na-
ture, de fournir son plein rendement. C'est à lui
que revient l'honneur d'avoir fait voter le projet de
loi portant établissement du canal de Marseille au
Rhône et longuement combattu pour sa réalisation.
En 1898, Charles Houx quitte la scène politique.
C'est pour être plus que jamais homme d'action.
Innombrables sont, dès lors, les entreprises dont il
assume responsabilité et direction. Déjà vice-prési-
dent de la Société du canal de Suez (1896), il de-
vient président de la Compagnie Praissinet et du
Comité central des armateurs de Provence (1899),
président de la Cotnpar/nie générale transatlantique
et de la Société des chantiers et ateliers de Saint-
Nazaire (1904); enfin, président du Comité central
des armateurs de France. C'est dire que, dans l'en-
semble comme dans le détail, son action s'étend
sur toute la marine de commerce de la France. Il
administre encore des Sociétés industrielles, des
établissements de crédit {Comptoir d'Escompte) el
Laml-Banli d'Egypte, des entreprises de transport
(P.-L.-M. et Nord-Sud). Il préside, enlin, l'Union
coloniale et la Société générale du Maroc. Extraor-
dinaire diversité d'occupations, mais nulle disper-
sion d'efforts. Pour l'esprit synthétique de Charles
Houx, ces affaires multiples forment les branches
d'un seul faisceau, qu'il étreint d'une main vigou-
reuse ; la puissance mondiale de la France que,
Colbert l'inspirant, sans doute, il voit assurée par
la liaison intime de la marine de commerce d'ex-
portation, des affaii-es étrangères et de l'industrie.
Dans chacun des domaines où se déploie son
immense activité, son œuvre est vaste, et l'exposé
de celle œuvre nécessiterait une monographie.
Vice-président de la Compagnie de Suez, il ob-
tient de « successives détaxes du droit de passage »
et fait entreprendre des travaux d'élargissement et
d'approfondissement du canal.
538
Armateur, n il n'hésite pas à engager la lulle
contre les sociétés étrangères », en dotant la Com-
pagnie transatlantique de gros vaisseaux ciipables de
soutenir la concurrence contre les navires anglais
et allemands. De grosses unités transatlantiques,
comme la France, La Fayetle, Chicago, Rocham-
beau, sont, sous sa direction, mises en chantier.
De nouveaux paquebots sont créés pour le service
Marseille- Algérie. En 1914, ces navires purent
fournir à la marine de guerre croiseurs auxiliaires
et transports-hôpitaux. Quand, pour obtenir uiie
répartition du tonnage permettant la distribution
de toutes les denrées de première nécessité, le gou-
vernement dut employer la réquisition, le prési-
dent du Comité des armateurs facilita celte mesure
et, par une lettre pleine ae noblesse et de patrio-
tisme, l'un de ses derniers actes de citoyen mit
toute sa flotte à la disposition du commissaire de
la marine marchande. Voilà des actes; mais les pa-
roles, parfois, valent des actes. Charles Houx, qui,
dès 1898, a consacré un ouvrage à Notre marine
marcliande, pour en signaler les insuffisances et
la situation déplorable en face de l'étranger, qui,
les années suivantes, a essayé, pour sa part, de la
rénover, se rend compte, en 1917, qu'il est encore
loin du but, que la question se pose, impérieuse,
pendant la guerre et se posera après la victoire
même plus impérieuse encore. Et, dans trois articles
remarqués de la « Uevue des Deux Mondes », réunis
bientôt en volume, il attire l'attention sur le Péril
de noire marine wiarc/iancie ; développement des
constructions navales, qui permettra « de récu-
pérer... les pertes faites par les sous-marins », re-
maniement de la législation « pour ouvrir large-
ment le fret de nos bâtiments aux indigènes de
nos possessions coloniales », établissement d'un
technicien à côté de l'homme politique, à la tête du
département de la marine marchande, cessation de
l'hostilité surannée du «Parlement contre l'arme-
ment », centralisation et stabilité, voilà ce qui assu-
rera le développement de notre marine marchande.
H insisteparticulièrement sur l'aménagement des
ports. Nous devons suivre les féconds exemples que
nous donne l'étranger, mettre nos grands ports en
état d'accueillir à toute heure de marée les grands
paquebots, leur permettre, par le développement iii-
lensif d'artères terrestres et fluviales, la distribu-
tion des marchandises dans le pays fout entier,
leur donner une réelle autonomie en chargeant les
représentants du commerce et de l'industrie locaux
de leur administration, établir, enfin, dans chaque
port, une « zone franche », où, pour le plus grand
bénéfice de notre commerce extérieur et de notre
commerce de transit, seraient reçus en franchise
tous les produits étrangers. Le livre de Ch. Roux a
eu dans le pays le retentissement le plus grand et
n'a pas peu contribué à créer un état d'esprit favo-
rable aux réformes nécessaires. La question des
zones franches a été discutée en 1917, au Parle-
ment, et semble en voie d'être résolue suivant les
idées du grand armateur.
Non moins considérable est l'œuvre accomplie
par le président de l'f/nioH coloniale : à l'Exposition
de 1900, il organise la section coloniale et utilise
de la façon la plus heureuse, la plus pittoresque, les
jardins du Trocadéro, pour en faire une petite ville
exotique, active et bigarrée, dont le premier aspect
seul donne une haute idée des ressources de la
Plus grande France. Il prépare ainsi l'Exposition
coloniale de Marseille, plus vaste encore et plus
complète, où la puissance coloniale de la France,
exposée au point même d'où partent toutes les voies
qui mènent à nos possessions extérieures, où abou-
trssent toutes leurs richesses, doit, dans son cadre
naturel, apparaître plus brillamment aux yeux du
monde. Il contribue pour une large part à l'établis-
sement des notices et tableaux statistiques dressés à
cette occasion. Par ses soins est installée à l'Exposi-
tion une section d'art orientaliste et d'art provençal.
Artiste, en effet, et surtout amateur éclairé, aussi
amoureux des beautés de sa province natale que
désireux d'en développer la prospérité matérielle,
Charles Roux a accompli — se reposant ainsi des
affaires — une œuvre régionaliste, qui témoigne, dit
un de ses compatriotes, d'une souplesse d'esprit
très rare depuis la Renaissance. Membre de l'Aca-
démie des beaux-arts de Marseille, membre de
l'Académie d'Aix, président de l'Académie de Vau-
cluse eu remplacement de Mistral, «majorât» des
félibres, c'est-à-dire chargé d'animer et de déve-
lopper encore la .renaissance provençale, « il fut
un des plus grands propagateurs de l'idée mistra-
lienne ». Une Provence riche, porte ouverte sur les
pays du soleil, mais une Provence sauvegardant
jalousement les souvenirs d'un passé délicat et glo-
rieux et les faisant miroiter aux yeux de la France
et du monde, tel est le rêve de Charles Roux. Et, suc-
cessivement, il fait défiler sous nos yeux, dans leur
parure monumentale. Air, Nimes, Fréjus, Aigues-
mortes, Arles et Saint-Gilles, la Camargue, toutes
les villes, tous les pays de l'antique Provincia.
Avec Mistral, il ressuscite un poétique et savou-
reux folk-lore en évoquant les Légendes de Pro-
vence et en faisant défiler sous nos yeux, en un
LAROUSSE MENSUEL
volume richement illustré, le Costume proven-
çal, 11 projetait une œuvre plus vaste, une Icono-
graphie du costume provençal, des troubadours de
Mistral, qu'il n'eut pas le temps d'achever.
Son régionalisme fut ainsi des mieux compris,
puisqu'il sut y mêler harmonieusement le senti-
ment des nécessités de l'heure présente et le culte
des gloires du passé, le souci des intérêts de la Pro-
vence et celui de la prospérité de la France.... et de
la Plus grande France. — Léon Aihnsour.
Russie (Ethnographik de la). Les événements
qui se sont produits en Russie depuis quelques
mois ont mis en pleine lumière la diversité des élé-
ments ethniques dont se compose la population de
ce pays; ils ont montré combien de races différentes
existent sur cet immense territoire et combien peu
ces races sont effectivement fondues les unes dans
les autres. Sous l'autorité d'un tsar autocrate, et
même d'un souverain ayant renoncé à l'autocratie,
pour prendre, tout au moins jusqu'à un certain point,
les allures d'un monarque constitutionnel, l'em-
pire russe pouvait produire quelque illusion; il n'en
a plus fait aucune, à partir du jour où la révolution
a substitué une forme nouvelle à l'antique forme
gouvernementale : aussitôt a disparu l'apparente
homogénéité que les tsars, n rassembleurs de la
terre russe », avaient su donner à leur empire, et
l'anarchie s'est établie dans le pays à la place d'une
monarchie plus oa moins despotique. On a donc vu se
produire de tous les côtés des revendications popu-
fV* 138. Août 1918.
très, aborigènes ou colons, étaient disséminés sur
les immenses territoires de la Sibérie et du Tur-
kestan russe. Si intéressant puisse-t-il être de re-
chercher comment ces derniers sont distribués à
l'est de la Caspienne et de l'Oural, il l'est plus
encore, en présence des faits qui viennent de se
produire et des problèmes que ces faits soulèvent,
de déterminer avec quelque précision les races aux-
quelles appartiennent les habitants de la Russie
d'Europe et les pays où prédomine chacune d'elles.
C'est donc de la seule Russie d'Europe qu'il sera
question ici.
1. Les Slaves : les trois groupes russes. — En
très grande majorilé, les habitants du ci-devant
empire russe sont des Slaves, mais des Slaves de
deux groupes distincts. On constate, en effet, dans
la race slave, comme dans la race latine et la race
germanique, l'existence d'un certain nombre de peu-
ples apparentés les uns aux autres, mais ayantcbacun
son individualité et sa langue propres. A en croire le
savant Tchèque Lubor Niederle, les groupes slaves
seraient au nombre de sept : le russe, le polonais,
le lusacien, le tchèque, le slovène, le serbo-croate,
enfin le bulgare. CS'est par les représentants des
deux premiers de ces groupes qu'est surtout peuplée
la Russie d'Europe.
Encore ne l'est-elle pas également par l'un et par
l'autre, car le groupe russe est de beaucoup le plus
considérable, et il possède sur le groupe polonais
une supériorité numérique écrasante. C'est bien ce
qu'a mis en pleine lumière le recensement exécuté
1
FaaiiUi- de Laj.ons — Vhol. tfOi-itlé de Céo'jraj'hie.
laires, des ambitions particularistes, des prétentions
à l'indépendance et à l'aulonomie. Multiples sont
les causes de cette anarchie : d'ordre politique, d'or-
dre économique, d'ordre social, sans aucun doute,
mais aussi d'ordre ethnique. C'est ce que permet do
constater très vite une revue des difi'érentes popu-
lations qui contribuaient, hier encore, chacune pour
sa part, à la formation de l'empire russe.
Si nombreux sont les peuples habitant le terri-
toire de ce ci-devant empire que les géographios
même les plus élémentaires en signalent la multi-
plicité. Elles ne peuvent, bien entendu, en nommer
que les plus considérables; mais on aurait tort d'en
conclure que ceux-ci seuls sont importants. D'au-
tres, pour être relativement faibles, n'en jouent pas
moins, grâce à leur développement intellecluel. à
leur fortune, aux traditions, un très grand rôle, par-
fois même un rôle prépondérant dans les provinces
où vivent leurs représentants. On ne saurait donc les
traiter en quantités négligeables; on doit en connaî-
tre l'existence et l'importance réelle, ne serait-ce
que pour en ramener les exigences à de justes pro-
portions. Voilà, précisément, ce pourquoi a été ré-
digée cette courte étude.
Au milieu de l'année 1914, lorsque commença la
Grande Guerre, l'empire russe s'étendait sur une su-
perficie de plus de 21.740.000 kilomètres carrés. De-
puis l'océan Glacial arctique jusqu'à la mer Noire,
à l'Ararat, à la Caspienne, aux Pâmirs, aux monts
Allai et Sayan, au fleuve Amour, — depuis les ri-
vages de la Baltique et les frontières de l'Allemagne,
de l'Aulriche-Hongrie et de la Roumanie jusqu'au
détroit de Bering et aux flots de l'Océan pacifique,
tout obéissait aux ordres partis de Saint-Péters-
bourg, qui ne portait pas encore son nom actuel do
Petrograd; près de 178.400.000 âmes reconnais-
saient le tsar pour leur souverain.
De ces 178.400.000 individus, 157.275.000 peu-
plaient la Russie d'Europe et la Caucasie; les au-
en 1897 par tout l'empire; autrement dit, la première
opération statistique vraiment digne de ce nom qui
ait été menée à bien en Russie. Nous n'expliquerons
pas ici comment a été préparé et effectué ce recen-
sement. iJu moins, endoit-on retenirles conclusions
essentielles, et c'en est une, c'en est même la plus
importante que celle-ci : en chiffres ronds, on comp-
tait, dans la Russie d'Europe et en Caucasie, à la
date du 9 février 1897, jour du recensement, 84 mil-
lions et demi de Russes, contre seulement 8 millions
de Polonais.
11 serait très intéressant de montrer, autant du
moins que la chose est possible, de quels éléments
a été formé le peuple russe et comment, aux temps
de la domination tartare, ce peuple s'est constitué
et développé. Il suffira do dire, ici, que les Russes
n'ont pas été les premiers habitants des terri-
toires qu'ils occupent aujourd'hui. Ces territoires,
et d'autres encore, où ils ont été remplacés par de
nouveaux venus, ont été colonisés par eux à partir
du xii« siècle, plus ou moins rapidement et avec
plus ou moins de succès. Sous l'action d'envahis-
seurs dont ils ont subi la pression, comme les peu-
ples de l'est de l'Europe avaient, au v« siècle de
notre ère, subi la poussée hunnique, sous celle des
Tartares en particulier, les Slaves que sont les
Russes ont peu à peu occupe les pays où ils sont
actuellement installés; leurs anciennes unités de
tribus se sont, d'autre part, aux temps de la domi-
nation l.trlare, fondues en trois grands groupes dif-
lorents au point de vue de la langue, à celui de la
vie intérieure et parfois aussi de la vie politique.
Ces trois groupes sont ceux des Grands-Russes
ou Grands-Russiens, des Petits-Russes el des Russes
Blancs. Us occupent respectivement la Grande-Rus-
sie, la Petite-Russie et la Russie Blanche. Malgré
lem-s divisions, ils n'ont pas cessé, jusqu'à ces der-
niers temps, de former autant de branches d'une
même nation, avec une même religion, des langues
N' 138. .loût 1918.
très voisines et des liens politiques très étroits. Si,
sons l'impulsion de puissances étrangères ayant tout
intérftàles séparer les unes des autres pour régner
sur elles toutes, les trois branches dont l'ensemble
formait hier encore le peuple russe ont divorcé les
unes d'avec les aulres, leur parenté n'en est pas moins
indiscutable... Toutefois, ces diirèrents groupes n'ont
jamais été réunis en une seule masse compacte; au
milieu de populations allogi'nes, ils forment, ou
LAROUSSE MENSUEL
du Caucase et de la Caspienne, au delà des points
où s'arrête la masse des populations russes vers le
sud- 6 st. Gagry sur la mer Noire, Pialigorsk et Sla-
vropol, les vallées moyennes du Don et du Volga,
voilà, à grands traits, les limites de l'aire d'habitat
des Russes de ce côlé; toutefois, l'emprise ethnique
de CCS Slaves se marque plus loin encore, grâce aux
colonies russes des bords du Terek, du cours inférieur
et du delta du Volga, enlin des rives du fleuve Oural.
roilpe df S.Tni'>y,'ik*s d'-s environs d'.Vikhaii^el. — PhoL !^ociétc ii^Gèografihie.
plutôt ils formaient, un ensemble plus ou moins ho-
mogène de gioupes coloniaux, parfois complètement
isolés, dont la partie do beaucoup la plus considé-
rable se trouve dans l'Europe orientale et déborde
quelque peu, du côté de l'ouest, les frontières de
1 empire ausiro-liongrois.
11 n'est pas sans intérêt de déterminer, avec
quelque précision, les limites du territoire occupé
par l'ensemble de ces trois groupes. Si l'on ne tient
pas coniple des groupes allogènes, finnois surtout,
«lui vivent au nord-ouest de l'empire russe, on peut
les tracer ainsi. Elles coïncident d'abord avec les
frontières de la Norvège et de la Finlande ; puis,
entre les deux lacs Onega et Ladoga, la ligne de
démarcation gagne le Svir, qu'elle suit jusqu'à son
emboucliure dans le Ladoga, dont elle contourne
les rivages mèridionau.ic jusqu'à la frontière tinlan-
daise. Ka adoptant le tracé de celle-ci, elle gagne le
fond du golfe de Finlande et l'embouchure de la
Neva; puis, par les rivages méridionaux du grand
golfe, elle atteint l'embouchure de la Narova, dont
elle remonte ensuite le cours jusqu'aux lacs Péipous
el de Pskov. Un peu à 10. de la ville de Pskov, la
frontière ethnique continue droit au S. jusque vers
les sources de la Velikaia ; puis elle modille son
allure, jusqu'alors assez simple. Désormais, c'est une
ligne sinueuse, orientée dans l'ensemble du nord-
est au sud-ouest, qui traverse la Duna à Dvinsk
— le ci-devant Dunabourg — la Vilia à Vitna et le
Niémen au nord de Grodno. Avant même d'avoir
atteint Biélostock aux sources de la Narev, la limite
occidentale des pays russes reprend une direction
générale nord-sud et la conserve jusqu'au nord de
.laroslav ; elle suit alors le San et atteint Sanok,
d'où elle pousse sa pointe exlrême dans l'ouest jus-
qu'au Poprad. Immédiatement après, la frontière
recule très vile vers l'est, en courant un peu au sud
(les Karpathes septentrionales et en englobant dans
le domaine de la race russe les sources de l'Ung et
de la Tisza ou Tlieiss; elle franchit ensuite à nou-
veau les Karpathes, traverse le Sereth et le Pruth,
en aval de leurs sources, gagne le Dniester au-
ilessous de Kbotin et suit ce fleuve pendant tout un
temps. En aval de Soroki, elle repart vers l'est,
franchit le Boug el atteint son affluent, l'ingoul,
qu'elle longe jusqu'à Nikolalev et au limau du
Dnieper, laissant dans l'Ouest, en Bessarabie et dans
la partie occidentale du gouvernement de Khersou,
d'importantes colonies russes. On en trouve égale-
ment un peu plus dans l'Est, en Crimée et sur les
rivages septentrionaux de la mer d'Azov, entre la
.Molotchnaïa, la Voltchia et le Kalmious, le fleuve
de Marioupol; on en rencontre aussi dans les pays
Sur l'imniense superficie dont on connaît mainle-
nanl les frontières dans leurs lignes principales,
cliacun des trois groupes grand-russe, petit-russe et
biélorusse a son domaine particulier. Au S.-O.
entre le San, le Pripet et le Dnieper, puis, par delà
ce fleuve et le Donelz, jusqu'aux
rives du Don moyen (en aval de
Voronèje) et jusqu'à l'eniboucliure
du Don au fond de la mer d'Azov;
enfin, par delà cette mer elle-même
et le Kouban, jusqu'à Touapse, sur
la mer Noire, c'est le peuple des
Petits-Russes, fort de 22 millions
d'àmes en chiffres ronds. — Au nord
des Petits-Russes, dans les pays
arrosés par le Dnieper supérieur
et par son éventail d'affluents en
amont de Kiev (Pripet, etc.), depuis
Grodno jusqu'à Smolensk, autour ►
de Minsk, de Mohilevetde Vitebsk, ►
voici les Blancs-Uussiens ou Biélo- ^
russes, au nombre de 5.880.000, donc ►.
très inférieurs comme cbiflrealcurs ►
parents du Sud. Bien plus considè- ►
rable encore que celui des Petits- ►
Russes est le total des Grands- ^
Russes ; au nord des Biélorusses ►
jusqu'à la mer Glaciale, à l'est des k
deux groupes frères, les Grands- ^
Russes occupent d'immenses es- ^
Faces dans le Centre, le Nord et
Est de la contrée; ils y sont au
nombre do plus de 57.700.000, qui
poussent d'importantes colonies par
delà la Caspienne jusqu'en Asie
centrale et par delà les monts Ou-
rals, eu SilJèrie, jusqu'aux rivages
du grand Océan pacilique.
Bien entendu, chacun de ces grou-
pes ethniques possède, en mémo
temps que sa langue spéciale, _
des coutumes particulières. Entre
Grands-Russes, Petits -Russes el
Busses -Blancs, on constate des
dilTèreuces dans l'aspecl physique, dans le caractère,
dans la vie domestique, et aussi dans les traditions
historiques. On en constate également à l'intérieur
de chaque groupe. Cette ab.sence d'unité s'explique
facilement, si l'on songe au nombre des tribus qui
oui contribué à le former, à toutes ces peuplades
que l'on croyait hier disparues et qui émergent ino-
pinément aujourd'hui, aux croisements qui se sont
produits entre les populations russes el les popula-
339
lions voisines d'autres races. Pai-tout, on rencontre
des nuances dialeclales el des noms locaux de tri-
bus; moins, toutefois, chez les Grands-Russes que
chez les Petits-Russes el les Biélorusses. C'est que,
malgré l'immensité du territoire occupé par les
Grands-Russes, les relations sont toujours demeu-
rées faciles entre leurs différentes fractions, grâce à
la platitude du sol; de là, chez eux, des différences
de type el de langage beaucoup moins accentuées
que dans les autres groupes russes.
II. Lks Slaves : les l'olonais. — Les Russes ne
sont pas la seule fraclion de la race slave dont les
géographes conslalcnt la présence sur le territoire
de la Russie d'Europe. A côlé des Slaves orientaux, on
y trouve également un certain nombre de Slaves occi-
dentaux, faisant partie du gjoiipe polonais. Rien que
de naturel à ce qu'il en soit ainsi ; le royaume de Po-
logne n'a-l-il pas été — comme chacun sait — délruil
durant les trente dernières années du xvni« siècle
par les Etats limitrophes : Russie, Autriche el Prusse,
(|ui s'en sont, lors des trois partages successils de
1772, 1703 et 1795, distribué les différents territoi-
res"? Etablis de temps immémorial dans la même
région (entre l'Oder, les Karpathes et la mer Bal-
tique), les Polonais ne se sont guère éloignés^ de
leur pays d'oriwine; ils occupent toujours, à l'ex-
trême est de l'Europe centrale, un carré irrégulier,
dont le col de Jablunkow et la ville silésienne du
même nom dans les Karpathes, Ujscie, surlaNetze,
Suwalki, auv frontières russes de la Àlasurie el la
galicienne Sanok, sur le San, marquent les quatre
points-limites. La majeure partie des territoires
drainés par la Vislule el par ses affluents, comme
aussi des pays arrosés par la Wartha el par la
Nelze, voilà donc le domaine de la race polonaise,
ou plutôt du groupe polon is de la race slave.
Nous avons déjà dit naguère (dans le Larousse
mensuel de février 1915, p. 355-359) comment les
populations de ce groupe sont actuellement répar-
ties entre les trois empires d .\llemagne, d'Autriche
et de Russie; nous n'y reviendrons pas, et nous
n'indiquerons pas, non plus, la limite orientale
du domaine de la langue polonaise. Il suffira de
rappeler, ici, qu'elle conTme aux domaines lithuanien
el russe proprement dits et d'ajouter que les Polo-
nais sont surtout nombreux en Russie; 6.755.00i>
d'outre eux vivent encore sur les territoires de l'an-
cien royaume de Pologne soumis jusqu'à l'année
dernière aux tsars de Russie, el ils y forment près
des 72 centièmes — exactement 71,85 p. 100 — de
la population totale. D'autres Polonais, au nombre
de 1.110.000, sont disséminés dans les pays plus
orientaux du ci-devanl empire, dans une partie des
provinces Baltique» et dans le bassin du Dnieper
jusqu'à Vitebsk, Mohilev et Kiev, et dans les pays
arrosés par le cours supérieur du Sereth et du
Partant grands-ru«tieiu.
Pruth. On trouve également quelques Polonais (un
peu plus de 25.000) dans la Caucasie, où des colo-
nies de celte nationalité oui été fondées à l'est de
.'Novorossiisk el aux alentours de Vladikavkaz, île
Tiflis, de Kars, etc.
Taudis que les Russes sont presque tous de religion
grecque orthodoxe, les Polonais sont en très grande
majorilé calboliques, quelle que soit la fraclion du
groupe à laquelle ils appartiennent. C'est là une
540
différence capitale, et que Lubor Niederle a mise en
pleine lumicie quand il a écrit : « Polonais est syno-
nyme de catlioliqne ; » c'est, en même temps, un des
points qui ont contribué le plus à différencier les
Slaves que sont les Polonais de ces autres Slaves
que sont les Russes.
A l'origine, on ne voyait sur la Vistule et sur le
Dnieper que des Slaves pratiquant le même paga-
nisme, ayant les mêmes traditions et parlant pres-
tjue la même langue; c'est ce dont témoignent
1 affinité des deux idiomes russe et polonais et la
succession des dialectes qui leur servent d intermé-
diaires. La conquête de ces Slaves par deux races
d'hommes différentes, l'adoption de deux relinious
rivales; l'inlluence de deux civilisations opposées,
Paysans pctits-russiens.
la grecque et la latine, celle de Byzance et celle de
Home, en même temps que de deux littératures et
de deux alphabets, tout cela combiné (Alfred Ram-
baud l'a naguère très fortement mis en lumière) a
t'ait de frères de race des fières et des nationalités
ennemies. « Le Slave façonné par les Léchites,
conquis à l'Eglise romaine et aux influences occi-
dentales, est devenu le Polonais; le Slave façonné
par les Varègues, conquis à l'Eglise grecque et aux
influences byzantines, est devenu le Russe. »
III. Les 'Lithuamens. — Immédiatement au
nord du domaine des peuples slaves : Russes et
Polonais, sinsèrant entre lui et la mer Baltique
jusqu au golfe de Riga sur les deux rives du
Niémen et de la Vilia, connne aussi sur celles de
la Duiia moyenne, voici un peuple que l'on ne peut
pas qualifier de slave, mais qui est, cependant, plus
qu'aucun antre, rapproché des Slaves : le peuple
letto-lithuanien. C'est une race aryenne, que celte
race aujourd'hui, très réduite au double point de
vue numérique et territorial, et une race distincte
de celles qui l'entourent de toutes parts et qui se
sont étendues à son déiriment; ses différents dia-
lectes sont les plus voisins du sanscrit.
Ici encore, et moins peut-être que chez les
Russes et chez les Pcjlonais, on ne trouve pas fusion
des différentes fractions de la race; pas de bloc
compact et cohérent, mais de petites unités, très
vivantes, très particularistes aussi. Sur le haut
Niémen et dans la vallée de la 'Villa, ce sont les
Lithuaniens proprement dits, qui ont été pendant
longtemps rattachés au royaume de Pologne, mais
qui ont gardé leur individualité propre et ne se
confondent nidleniont avec les Russes et les Polo-
nais vivant en moins griind nombre sur leur terri-
toire; sur le bas Niémen et plus au nord, voici les
Jmoudes et, sur les bords de la Windau et de la
Diina, les Lettes ou Lettons. L'ensemble de ces
peuples de religionschrétiennes très variées (catho-
lique, luthérienne, grecque orlhoiloxe) constitue
dans la Russie d'Kurope et au Caucase un total de
près de 3.100.000 individus, sur les traits particu-
liers desquels nous aurons bientôt l'occasion de
revenir, en étudiant avec quelque détail la question
des provinces Baltiques.
IV. Les Oirai.o-Ai.ta'ioues : les Finlandais. —
Et de même en scra-t-il pour les Finlandais, dont le
domaine ethnii|ne fait suite k celui des Letlo-
Lithuaniens dans la partie septentrionale du golfe
de Higa, sur les cotes du golfe de Finlande et sur
le littoral oriental du golfe de Botnie, d'où il s'étend
jusqu'aux eaux de la mer Blanche et de l'océan
Glacial arctique.
Très différente des races slave et lelto-lilhua-
nienne est la race finnoise On n'est plus, ici, en
présence d'Aryas, mais bien d'un peuple ouralo-
alla'rque, dont les représentants ont vraisemblable-
ment été naguère les premiers occupants de la terre
russe ou, du moins, ceux qu'ont trouvés sur le sol
du pays l'invasion turco-tarlare du xui« siècle et la
LAROUSSE MENSUEL
colonisation russe. C'est, en effet, aux dépens des
populations finnoises que les Russes ont étendu
leur empire ethnique à l'intérieur delà contrée, sur
les territoires drainés par les grands fleuves qui
aboutissent à la mer Baltique et à la Caspienne:
mais ils ne les ont pas anéanties partout; ils les ont
simplement séparées les unes des autres et parta-
gées en deux groupes, si bien qu'on trouve acluol-
lenient des populalions finnoises massées au nord-
ouest et dans l'est du territoire russe d'Europe.
C'est au Nord-Ouest que les Finnois sont le plus
nombreux, dans la Finlande proprement dite et
dans les pays qui lui succèdent immédiatement au
nord (Lapons de la presqu'île de Kola) et à l'est,
jusqu'aux rivages méridionaux du golfe d'Onega (sur
la mer Blanclie), jusqu'aux sources de la Vodia et
du Vyg, au lac Onega et au Svir. On trouve même
encore des représentants de la race finnoise, mais
en moins grand nombre, au sud du lac Onega et
du Svir, entre le lac Blanc (Belo Ozero)etlaMologa,
dans le pays marécageux arrosé par les sources de
la Souda. On en trouve davantage au sud de la Neva
et du golfe de Finlande, àl'estduPéipousou lac des
Tchondcs et entre ce lac et les eaux de la Baltique,
c'est-à-dire en Esthonie et dans le norddelaLivonie.
Au sud-sud-est de la Finlande, quelques îlots
sporadiques de Finnois (sur les rives de la Tvertsa
et de la Molona supérieure; aux sources de la
Duna, etc.) évoquent le souvenir de temps très
anciens, oii les Finnois étaient les seuls habitants
de toute la contrée; ils constituent en quelque ma-
nière les piles d'un pont écroulé entre le groupe
finnois du nord-ouest et celui de l'est de la Russie.
( )e second groupe, qui s'étend juscpiau fleuve Oural
et déborde même sur l'Asie jusqu'au Tobol, est
>urtout important sur les deux rives du Volga,
depuis Saratov jusqu'aux sources de la Soura et
jusqu'à l'dka, ainsi que dans le bassin de la Kama.
Erzes ou Zyrianes des bassins de la Mezen et de la
Petchora, 'Votiaks de la basse Kama, Tchérémisses
du Volga, Finnois mêlés aux Tchouvaches de la
basse Soura, voilà les principales populations de
ce groupe, comme les Mordvines ou Mordves du
bassin du Volga et les Karéliens du gouverne-
ment de Perm sont les restes d'anciennes populations
finnoises intermédiaires de ce même groupe et du
groupe baltique dont il a été question tout à l'heure.
L'ensemble des populations finnoises de la Russie
d'Europe représente un total de^.,ï00.000 individus;
on peut lui rattacher les quelques Samoyètles(moins
de 4.000) qui vivent épars à l'extrême nord de la
conirée, entre la mer Bhmche et la baie de Kara.
Rien de plus curieux que ces vieux peuples, chez
qui tout demeure encore archaïque : le coslume, les
mœurs et I es
superstitions, la
langue, exacte-
ment comme le
type lui-même.
«Malgré troissiè-
cles de missions
chrétiennes
(a écrit Alfred
Rambaud dans
son Histoire de
la linssie), ces
populations, au
cieur de la Rus-
sie actuelle, sur
la grande artère
du Volga, ne
sontpascomplè-
tement conver-
ties au christia-
nisme ".llyaen-
core, par exem-
ple, des districts
pa'iens cliez les
Tchouvaches,
chez les Tchéré-
misses, chez
d'autres peuples
finnois du plein Centre de la Russie, officiellement
chrétiens, mais demeurés en fait attachés à leurs
vieilles divinités, à leurs Thora bienfaisants et à
leurs mall'iiisants Keremet.
V. LEsOuiiAi.o-Ai.rA'iQuEs: les Turco-Tartares. —
Comme les Finnois, les Tu)co-Tartares fontpartie du
groupe ouralo-al laïque; mais l'arrivée de ces frères
de race des Finnois, dans les vastes plaines de la
Hussie d'Europe, est bien postérieure à celle de leurs
congénères et même à celle des Slaves. C'est (nous
avons îu déjà l'occasion de l'indiquer) au début du
xuP siècle que les Turco-Tartares pénétrèrent dans
la contrée, après les Petchénègues, les Ouzes, les
Polovlses ou Kumanes. Alors, tandis que le célèbre
Gengis-Khan conquiert la Boukharie, deux de ses
lieutenants contournent les rivages méridionaux de
la Caspienne, soumettent la Géorgie et le Caucase et
entrent dans les steppes qui bordent le littoral nord
de la mer Noire. Victorieux en 1224, ils ravagent et
dépeuplent la plus grande partie de la Russie méri-
dionale, depuis la Kalka jusqu'à Kiev, et même jus-
qu'à laVolynie, la Galicie et la Transylvanie.
Roumain de Podolie.
«• 138- Août 1918.
Si, depuis lors, les Turco-Tartares ont été re-
foulés d'une bonne partie des pays qu'ils avaient
occupés à l'époque et si les Russes ont reconquis
sur eux, par la colonisation, nombre de leriiloires
perdus au xiu» siècle, néanmoins, leurs descendants
sont toujours établis dans certains cantons de la
Hussie d'I*;urope et du Caucase : Tartares de Kazan,
de la Crimée et du Caucase, Bachkirs, Tchouvaches,
Kirghiz, Turcs Osmanlis, etc.
Un coup d œil jeté Gur une carte ethnique un peu
détaillée montre que les Tnrco-Tartares ne se sont
guère maintenus dans les régions de l'Ouest; c'est
surtout dans l'Est qu'ils sont établis, au long de
l'Oural et de la mer Caspienne, jusqu'à la frontière
persane. Ils sont surtout nombreux dans les pays
arrosés par la Kama et par le Volga moyen, depuis
Oul'a jusqu'à Kazan et au nord du cours inférieur
du Volga, enfin, au nord de la Koura caucasienne.
Mais, non contents de constituer une partie plus
ou moins forti; de la population jusqu'aux abords
orientaux de Vialka et de Nijni-Novgorod et à l'ouest
de Riazan, les Turco-Tartares atteignent les côtes
septentrionales de la mer Noire par delà les sources
(lu Manytch et du Kouban ; ils forment aussi une
bonne partie de la population de la Crimée et se re-
trouvent plus à l'ouest encore, en Bessarabie, au
sud de Kichinev, entre le Dniester, le Danube et
le Pont-Euxin des anciens.
Le recensement de 1S97 donne, pour les pays de
la Russie d'Europe et du Caucase, un total de
6.506.000 Turco-Tartares. Le chiffre de ces Ouralo-
Juif de Podolie, récitant ses prières.
Altaïques ou Alta'iens est bien supérieur à celui des
Finnois; — près du double. La plupart d'entre eux
sont musulniaus, et c est là un élément de disso-
ciation dont les Allemands n'ont pas négligé de se
servir pour leur œuvre de destruction de l'empire
des tsars; les revendications récemment formulées
par certaines populations musulmanes du sud de la
Hussie en fournissent des preuves manifestes.
VI. Les Ouralo-Altaïques : les Kalmouks. —
D'autres populations ouralo-altaïques se rencontrent
encore sur le territoire de la Hussie d'Europe. C'est
le cas, en particulier, pour les Kalmouks, auxquels
on donne parfois le nom de « Mongols occiden-
taux ». Entre le Volga et le Don, soit au long du
littoral ouest de la mer Caspienne depuis le delta
du Volga jusqu'à l'embouchure de la Kouma, soit
sur les bords du Manytch et de son affluent le Sal,
leurs différents oulous ou clans (Kochotes, Tor-
gotes, etc.) forment un petit ensemble de 190.000 in-
dividus environ (exactement 190.648), nomades
adonnés à l'élevage du bétail, ou pêcheurs apparte-
nant à la secte bouddhique-lamalte des « Bonnets
jaunes ».
Vil. Les populations d'importanck secon-
daire. — Russes et Polonais de race slave, Lettes
et Lithuaniens proches parents des Slaves, Finnois,
Turco-Tartares et Kalmouks de raceouralo-alta'ique,
voilà donc les principaux groupes qui contribuent
chacun pour sa part, mais de façon numériquement
très inégale, à la constitution du peuple russe et à
la mise en valeur des territoires de la Hussie d'Eu-
rope. C'est là le fond ethnique de la contrée. Sur
les couches plus ou moins épaisses et plus ou moins
anciennes qui le constituent, apparaissent d'autres
W 138. Août 1918.
ETHNOGRAPHIE DE LA RUSSIE
r,ii
l
542
groupements, assez peu considérables d'ordinaire,
mais dont on ne saurait manquer de tenir compte
quand on veut se faire une idée exacte de la diver-
sité des races de la Russie.
l» Les Juifs. — Le plus important de beaucoup
est celui des Juifs. Ces Sémites, dont le nombre
total dépassait 5 millions en 1897 (plus de 5.022.000),
se rencontrent partout, ou presque partout, dans la
contrée, mais on les trouve cependant en beaucoup
plus grand nombre dans des pays nettement déter-
minés, c'est-à-dire dans l'Ouest, depuis le fond du
golfe de Riga et les rivages de la Baltique jusqu'aux
côtes nord-occidentales de la mer d'Azov et de la
mer Noire. Ils forment de véritables masses com-
pactes dans les pays peuplés de Lithuaniens, de
Blancs-Russiens, de Petits-Russiens et de Polo-
nais; en Pologne, avec un total de 1.267.000 âmes,
ils constituent
13,48 pour 100
de l'ensemble de
la population.
D'ordinaire,
les Juifs russes
ne parlent pas
l'hébreu, mais
une sorte de
jargon, composé
surtout de mots
allemands cor-
rompus; s'ils
sont demeurés
peufldèlesàleur
langue, ils sont,
fiarcontre,abso-
ument attachés
à leur religion.
Ils vivent fort
peu dans les
campagnes,
mais de préfé-
rence dans les
villes et les
bourgs, où ils
constituent par-
fois plus de la
moitié de la po-
pulation (58,8 p.
100 delà popula-
'*"'■'''"'• tionurbainedans
legouvernement
de Minsk; 57,7 p. 100 dans celui de Grodno; 53,8
p. 100 dans celui de Siedlce ; 50,8 p. 100 en Volynie).
On sait quelles haines les Juifs ont, à différentes re-
prises, soulevées contre eux par leur esprit d'ordre,
d'économie, de pré voyance, par la manière, aussi, dont
L
Kirghizes russes.
ces commerçants etcesusuriersexploitentles paysans
slaves, qui ne savent ni calculer, ni prévoir.
2» Les Allemands. — Beaucoup moins nombreux
que les Juifs, mais beaucoup plus dangereux pour
les différentes populations de la Russie sont les
Allemands. Ces quelque 1.776.000 représentants de
la race germanique ne se rencontrent pas seulement
dans les pays limitrophes du Dcutsches Reich (en
Polo;;ne, enLithuanie), ni dans les provinces Bal-
tiques naguère con<|uise3 et dévastées beaucoup
plus qu'évangélisées et colonisées par les chevaliers
^orte-GlaiveetTeutoniques; ils sont disséminés par
LAROUSSE MENSUEL
toute la contrée. Mais ils n'y habitent pas seulement
les villes, comme le font surtout les Juifs. Depuis la
frontière autrichienne jusqu'au Dnieper, dans les
campagnes (ju'arrosent le Styr, l'Ouj et le Teterev,
en Bessarabie et dans les provinces fertiles qui bor-
dent les côtes nord-occidentales de la mer Noire et
de la mer d'Azov, Crimée comprise, ils forment des
groupes compacts et des colonies agricoles très flo-
rissantes. Et de même font-ils encore dans certaines
parties des terres noires, sur les bords du Donetz,
du Don et du Volga (depuis Samara jusqu'à Tsaritsin
et même en aval) et, par delà, jusqu'aux hauteurs
ouraliennes et jusqu'à l'Obchtchii Syrt, enfin sur les
deux versants du Caucase : ici dans les steppes du
Kouban et du Térek, là sur les bords de la Koura
et dans la région pétrolifère de Bakou.
Pour d'autres raisons que les Juifs, grâce à leurs
indéniables qualités, à leur intelligence, à leur foi
dans les destinées de leur patrie d'origine, grâce
aussi, à leur situation de fortune et à leur solidarité,
les Allemands exercent partout en Russie une très
grande influence. Voilà plus de deux siècles qu'il en
est ainsi, d'une manière presque continue. On sait
comment les Allemands ont naguère tiré profit de
cette situation, pour le plus grand bénéfice personnel
de chacun d'eux individuellement d'abord, pour le
plus grand bénéfice de l'empire allemand ensuite; et
on sait comment ils en profitent aujourd'hui. Par-
tout, même dans les provinces Baltiques, où les
Il barons baltes » ne sont qu'une infime minorité,
mais détiennent d'énormes étendues de terres, les
Allemands entendent être les maî-
tres, asservir les autres nationalités
et asseoir leur domination sur des
populations beaucoup plus nom-
breuses, mais moins énergiques et
qui, loin d'être organisées, sont
divisées les unes contre les autres.
Dans l'idée des pionniers de la race
allemande, comme dans celle des
pangermanistes, les pays situés à
l'est du Deutsches Reicb ne doivent
être, s'ils ne le sont pas encore,
que des territoires de colonisation
allemande. C'est à la réalisation
de cet ambitieux programme que
tend la rapide désagrégation de
l'empire des tsars à laquelle nous
assistons aujourd'hui.
3" Les Roumains. — Tandis que
les Allemands sont disséminés par
toutes ou presque toutes les parties
de la Russie d'Europe et du Cau-
case, les Roumains ou Moldo- Va-
laques sont, au contraire, concentrés
dans des districts peu nombreux et
parfaitement délimités. 1.120. 000 de
ces représentants de la race latine,
et même un peu davantage, vivent
dans le sud de la Russie, particu-
lièrement en Bessarabie. Ils consti-
tuent dans ce pays, entre le Danube,
lePruth et le Dniester, un groupe
de quelque 921.000 âmes, repré-
sentant, dans les environs de Kichi-
nev, plus de la moitié de la popu-
lation totale. Ainsi s'explique-l-on
le désir ardent de la Bessarabie
— du moins des parties déta-
chées de la Roumanie en 1878
— de redevenir unies au royaume de Roumanie,
On trouve d'autres Moldo-Valaques, mais en
beaucoup moins grand nombre, sur la rive gauche
du Dniester, jusqu'au Pruth et jusqu'à l'Ingoulels,
dans certains districts de la Podolie, ainsi que des
gouvernements de Kherson, d'Iékatérinoslav et de
Tauride. Insignifiantes sont les colonies moldo-
valaques de la Pologne et du Caucase.
4° Les Arméniens. — Comme les Moldo-Valaques,
les Arméniens, qui sont, eux aussi, des Indo-Euro-
péens, sont presque exclusivement établis dans les
parties méridionales de l'empire; on y compte plus
de 1.168.000 individus de cette nationalité. Us sont
très nombreux dans la Transcaucasie, beaucoup
moins nombreux déjà dans la Ciscaucasie, moins
nombreux encore dans la province des Cosaques du
Don, en Tauride, en Bessarabie et dans le gouver-
nement d'Astrakhan.
5" Les peuples du Caucase. ^ Grâce à leur relief
compliqué, aux obstacles de toute nature qu'ils oppo-
sent aux envahisseurs et à leurs difficultés d'accès,
les massifs montagneux ont constitué de tout temps
les derniers refuges des populations désireuses de
sauvegarder leur individualité et de maintenir leur
indépendance. Gomme les Pyrénées et les Alpes et
plus encore qu'elles, le Caucase a été un asile sîlr
dans les profondes vallées duquel des peuples nom-
breux et divers se sont retirés devant les flots de
migrations qui menaçaient de 1rs submerger.
Ce n'est pas ici le lieu d'énuniércr ces différents
peuples, tels que les font connaître les patients tra-
vaux de savants ethnographes. On en compte de
trente à quarante, habitant uniquement les vallées
et les pentes de la Caucasie, qui peuvent être réunis
«0 J38. Août 1918.
en quatre groupes distincts : Tcherkesses ou Circas-
siens et Lesghis-Tchelchênes au nord de l'arête
montagneuse; KarthvélisouKarthvéliens, ou encore
Géorgiens, au sud; Ossètes iraniens sur les deux
versants, au cœur de la chaîne.
En totalisant les nombres de ces différents
groupes (parmi lesquels les Géorgiens méritent une
mention spéciale, car ces 1.350.000 Caucasiens sont
les seuls à posséder une écriture et une littérature
particulières), on arrive, pour les peuples du Cau-
case, à un chiffre de 2.616.000 individus, qui ne sont
pas, bien entendu, les seuls habitants de la contrée.
Là comme partout, en effet, les populations des ré-
gions limitrophes débordent sur le pavs : Russes et
Tnrco-Tartares en Ciscaucasie et en l'ranscaucasie
à la fois, Kalmouks sur le versant nord, Arméniens,
Kurdes, etc., sur le versant méridional. Des Alle-
mands, des Polonais, des Grecs, des Tsiganes, des
Iraniens ajoutent encore à la variété d'une popula-
tion qui, même réduile à ses éléments intrinsèques,
compterait déjà parmi les plus variées du globe.
VIII. Le morcellement de l'empihe russe et
l'ethnoghapuie. — On connaît, maintenant, les dif-
férentes races qui ont contribué, chacune pour une
part notable, au peuplement de la Russie d'Europe.
Que d'autres encore, si l'on voulait être complet, il
conviendrait d'y ajouter I Nombre de tribus parties
des steppes asiatiques, ou encore de populations
voisines de l'empire russe, oni, à un moment ou à
un autre, traversé son territoire ou empiété sur
lui, et n'ont pas manqué d'y laisser quelques repré-
I
Vieux oosaquo et sa femme. — Phot. Société de Géographie,
sentants; tels les Tchèques, particulièrement en
Volynie (50.400 individus); tels encore les Bul,;;ares,
dont plus de 100.000 habitent la Bessarabie et plus
de 41.000 la Tauride; tels, également, les Grecs (près
de 187.000), établis tout au long des rivages russes
de la mer Noire, les Persans, etc. Plus grande encore
apparaît ainsi la diversité des races dont l'ensemble
constituait, au l'^janvierigt'i. un total approximatif,
Finlande comprise, de 157.275.000 âmes, et non plus
seulementdellS millions d'habitants comme enl897.
Or, une telle diversité de races est un danger,
surtout dans un pays aussi étendu que l'empire
russe et où l'unification est encore loin d'être faite.
C'est qu'en efi'et les tsars, qui ont mérité le glorieux
surnom de « rassembleurs de la terre russe», n'ont
pas eu naguère les moyens de réaliser celle unifi-
cation; ils ont même contribué à en retarder l'exé-
cution en introduisant sur leur territoire différents
éléments étrangers, en recourant aux Allemands,
en particulier, pour coloniser une partie de leur
empire, et les tsars du xix» siècle n'ont pas su
mener à bien une œuvre qui s'imposait à eux comme
indispensable et qui devait compléter et confirmer
la lâche accomplie par leurs prédécesseurs.
En présence des revendications et des conflits de
nationalités qui se sont produits en Russie depuis
l'effondrement du tsarisme, les uns préparés depuis
longtemps par la conduite oppressive et maladroite
des autocrates russes, les autres déterminés par la'
politique allemande de ces dernières années, on est
en droit de se demander s'il sera jamais possible de
reprendre l'œuvre de reconstruction et d'unification
de la contrée. Dans tous les cas, on ne saurait s'élon-
ner du morcellement actuel de l'empire des tsars;
tl' 133. Août 1918.
divisée elle-même en groupes particuliers ayant cha-
cun ses aspirations spéciales, la masse slave ne peut
pas assurer la durée d'une œuvre très considérable,
qui ue saurait se maintenir sans un long et sérieux
elTort de consolidation et de fusion. — n. FaoïDEViui.
séismiquement adv. En ce qui concerne les
tremblements de terre : Les aires conlinentales an-
ciennes et sxisaïQVEyiE^iT stables. (C" de Montessus
de Balloie.)
séismogénique (composé du gr. seismos,
tremblement de terre, et du suSf.génique, qui pro-
duit) adj. Qui cause des tremblements de terre : Les
influences sÉtsMO'iÉNiQUES du Soleil et de la Lune
sont journellement encore énoncées.
séismomètre {composé du gr. seismos, trem-
blement de terre, et melron, mesure) n. m. Géol.
Instrument destiné à mesurer l'intensité des trem-
blements de terre : Pratiquement, /essÉiSMOMÈTRES
et les SÉISMOGRAPHES ne différent en rien.
Séismoscope (composé du gr. seismos, trem-
blement de terre, et skoph, j'observe) n. m. Instru-
ment propre à déceler un tremblement de terre :
Tout ce que peut produire un tremblement de terre
est matière à séismoscope.
sélectionner v. a. Faire une sélection : sé-
lectionner n'est pas le synonyme exact de choisir;
il éveille l'idée d un choix rationnel et scientifique,
doit le caprice est exclu. (Albert Dauzat.)
sélectionnisme (rad. sélection) n. m. Biol.
Doctrine biologique qui admet la sélection natu-
relle: Le sélectionnisme de Darwin.
sélectionniste adj. et n. m. Biol. Qui a
rapport au sélecliounisme; qui professe le sélection-
nisme : La théorie sélectionniste de Darwin. Les
arguments des séi.egtionnistes.
Soir au front (un), pièce en trois actes, par
Henry Kislemaeckers, représentée pour la première
fois au théâtre de la Porte-Saint-Martin le 25 fé-
vrier 1918. — Le décor, qui sera le même pour les
trois actes, est pittoresque. C'est la grand'salle du
château de Sauliécourt (Somme), que nos soldats
ont repris aux Allemands et qui se trouve h présent
dans un petit saillant assez exposé. Le toit a été
crevé par un obus. Les étages supérieurs sont dé-
molis. Les services' et le poste de secours sont
installés dans les sous-sols. Des planches ont rem-
placé la porte de chêne. Des murs en décombres
apparaissent par delà. Tout a été pillé. Il ne reste
plus qu'un guéridon. Tout cela est constamment
animé par les péripéties de la vie du secteur; appels
téléphoniques, va-et-vient d'ofliciers et de télégra-
phistes, arrivée de la camionnette, ordres, tenue des
registres, débarquement des munitions et des ren-
forts. Le poste est commandé par le lieutenant
René Siredon. Il a avec lui son sous-lieutenant, Tbeu-
ret, et quelques types bien français de poilus, qui
résistent, en maugréant et en chantant, aux tristesses
de la guerre : le maréchal des logis Lagarde, qui
fume sa pipe en pensant à son étude de notaire, le
conducteur Pigeon, le cuistot Couluron, qui peste
contre sa volage épouse, le brigadier téléphoniste
Brochier, qui découvre un fil allemand branché sur
nos fils, ce qui permet de dérouter l'ennemi avec de
faux renseignements. Qui a branché ce fil? Où est
l'espion? Nous le saurons dans un instant.
Une visite inatlendue arrive : une dame jeune,
jolie, élégante, i\l™= Marie-Anne Huiler, la châte-
laine de céans. Elle vient visiter son domaine et
voir dans quel état la guerre l'a mis. Elle demande
le lieutenant Siredon. Elle le connaît.
Pendant la retraite de Charleroi, étant infirmière,
elle l'a ramassé sur le champ de bataille; il avait
une jambe cassée. Elle l'a traîné jusqu'à son poste
de secours, qui a été envahi par les Boches. Ceux-ci
l'ont saisie pour la fusiller, parce qu'elle a soigné et
fait évader des blessés français. Le même peloton
va exécuter M"' Haller et Siredon tout sanglant.
Une riposte française leur a sauvé la vie. L'infir-
mière a reçu la croix de la Légion d'honneur.
Siredon a conçu pour elle un violent amour et lui
a écrit des lettres brûlantes. Il est ravi et ému de la
revoir. Elle est veuve, son mari a disparu, tné dans
une affaire. La scène de la rencontre avec Siredon
-est traitée avec tact et discrétion. Elle demande :
— Au fait, ce bras?
— Comme les civils... II tient.
— Et ta jambe ?
— 0ht presque nouvel
— A la bonne heure ! Et qu'êtes-vous devenu?
— Pas grand'clioso!... Ne pouvant plus monter ache-
vai... Mais je vous lai écrit?
— Oui.
— Inapte aussi à l'infanterie, j'ai demandé mon passage
-à l'aviation.
A présent, il est dans l'automobile. Quant à elle,
elle a continué de servir comme infirmière :
— A mon passage, les hommes devaient rectifier la
position et porter les armes. « Tout était un pou bien
solennel b 1
Et elle s'est consacrée à son fils. Il demande :
— Marianne, pourquoi n'avez-vous plus répondu & mes
.lettres 7
LAROUSSE MENSUEL
— Parce que... Vous ne le devinez pas un peu?..,
— N'étaieut-ellos pas inspirées narle respect le plus...
— Ardent, ne cherctiez pas.
— C'étaient des actes do foi.
— Dans le langage courant, cela s'appelle des lettres
d'amour.
Et, s'exaltant, Siredon parle de la patrie :
... Pour celui-ci, la patrie, c'est un bout de champ
dont ses mains ont pris la couleur. Pour cet autre, c'est
un peu do ciel vu tous les jours par une même fenêtre.
Pour d'autres, une grand'rue... des visages familiers...
le son d'une cloche... une maison... des lumières, des
gestes intelligibles comme la parole... Pour de plus sen-
sibles, une douceur particulière, un bonheur de vivre qui
n'est pas ailleurs, et dos idées qui ont, elles aussi, une
forme vivante : défense des faibles, droit, liberté, justice,
des idées puissantes et tendres, forgées par les martyrs.
Pour moi, Marianne, la patrie, c'est vous I
Marianne refuse cet amour. Elle se dévoue toute
à la mémoire de son mari et à son fils. Mais, sou-
dain, plus cordiale, elle se raconte. Son père a fait
fortune après avoir été un laborieux : c'est un acci-
dent du travail. Il a acheté le château, et il a marié
sa fille à un Allemand naturalisé, qui s'est fait tuer
pour la Fiance,
Elle est venue recueillir quelques reliques du
défunt. Elle ouvre une armoire, elle y prend une
valise. Quel est son étonnement d'y trouver un uni-
forme allemand! Siredon trouve dans la poche les
papiers d'un capitaine de uhlans. Ainsi, le mari dis-
paru n'est pas mort. C'était un espion allemand, qui
a fait annoncer son décès pour rejoindre les lignes
ennemies. Marie-Anne s'évanouit.
Le second acte reprend les choses dix minutes
plus tard. Marianne repose dans la chambre voisine.
Enlre un officier d'état-major, en tournée d'inspec-
tion. Il demande des renseignements.
11 a l'air cassant et violent. Tandis que le lieute-
nant Siredon répond, Marianne enlre et reconnaît
le capitaine français : c'est son mari. Elle demeure
un instant seule avec lui et lui dit son dégoût.
Mais il la brave, il proclame son dévouement à son
empereur, et il sait qu'elle va le laisser s'échapper;
car, si elle le livrait, ce serait pour lui la mort, le
scandale, la honte pins tard pour son fils et le re-
mords pour la mère d'avoir elle-même mis le père
au mnr pour le faire fusiller.
Marianne n'ose pas ce meurtre. Elle va tâcher d'ob-
tenir la vie de cet espion, que Siredon fait garder
à vue, avec ordre de tirer s'il fait mine de fuir.
La scène entre le mari et la femme a un pathé-
tique douloureux et violent. L'auteur a laissé au
Boche une certaine grandeur dans le dévouement à
sa patrie et le sacrifice.
Le troisième acte commence quelques minutes
plus tard. On voit que, dans ce drame, le temps
fictif correspond au temps réel.
Marianne a trouvé le moyen de châtier l'espion
sans le tuer. Il y a dans la valise son uniforme alle-
mand; que Siredon permette au captif de le revêtir.
Il ne sera pas fusillé comme un espion découvert
sous un déguisement, mais interné comme prison-
nier de guerre.
Siredon repousse d'abord cette suggestion, qui a
un air de complicité indigne pour un oflicier fran-
çais. Mais comment résister aux supplications de
celte femme, qu'il aime et qui lui a avoué son amour
devant son mari même? Ivre de celte joie, il ne se
connaît plus, il ne voit plus le devoir qu'à travers
un brouillard. Il ouvre la porte de la chambre où
le captif est retenu, et il lui jette sa valise.
Marianne part en lui donnant rendez-vous pour
le lendemain dans un hôlel d'Amiens.
Mais Siredon a conscience qu'il a commis une
faute grave, un manquement au service, une lâ-
cheté. Il va l'expier. L'attaque va commencer : il
s'exposera et se fera tuer. Il dit ses dernières vo-
lontés à son sous-lieutenant avant de partir.
A peine a-t-il disparu que Marianne revient. Elle
a vu les premiers préparatifs de l'attaque, et elle a
dît au chauffeur de retourner à Sauliécourt, où elle
fera au poste de secours son devoir d'infirmière.
Elle déclare que sa place est là : au fond, elle ne
veut pas s'éloigner de son aimé.
A ce moment, son mari, revêtu de son uniforme
allemand, sort de la chambre où il était enfermé ;
il ne sera pas dit qu'officier, il s'est rendu. II saisit
un bâton pour assommer le planton. Celui-ci tire :
Heller tournoie et tombe mort.
Cette fois, Marianne est veuve, et Siredon, qui
entre à cette minute, reçoit dans ses bras l'héroïque
infirmière.
Ce drame est émouvant et contient plusieurs
gfrandes scènes d'une haute valeur, qui ne sont pas
indignes de l'auleur de la Flambée : les scènes
enlre Marianne et Siredon, quand l'un lui dit son
amour, quand l'autre implore la vie du père de son
enfant; la scène enlre le lieutenant Siredon elle
faux capitaine démasqué ; la scène enlre le mari et
la femme; la mort de l'espion.
Le sujet est traité avec concision, dans un temps
bref, qui crée des difficultés dont l'auteur n'a pas
toujours eu raison. Pour laisser en scène les per-
sonnages en tête à tête au moment où ils ont des
choses importantes à se dire, il faut un va-et-vient,
543
une série d'entrées et de sorties, qui, pour être in-
génieuses, n'en créent pas moins dans ce poste une
agitation un peu conventionnelle.
Mais, surtout, le postulat qui est le ressort du
drame est trop romanesque pour la vraisemblance :
la rencontre dans ce château du mari, de la femme,
de l'amant exige une rare complaisance du hasard,
et le mari fut bien négligent de laisser chez lui un
uniforme allemand bourré de papiers militaires qui
dénoncent son identité, de même qu'il fut légjy de
revêtir un uniforme de capitaine français, qui porte
des fautes dans les insignes.
Ce qu'il y a de compliqué et d'un peu tiré dans le
sujet lui-même se fait oublier par la nerveuse et
éloquente qualité du style, par l'art adroit qui pré-
side au développement des grandes scènes, par le
tableau pittoresque et bien observé de la vie des
poilus au front,
L'Allemand en cause n'est ni ridicule ni grotes-
que; il a même de la bravoure, de la logique. Il
expose avec une brutale netteté le point de vue
allemand. Son rôle est habilement composé; la
simple vérité a suffi à le rendre odieux.
Un Soir au front comptera parmi les intéressants
ouvrages dramatiques de la guerre. — hto Clàrhie.
Les principaux rôles furent ainsi distribués : M"' Ma-
deleine Lély {Marianne Haller); MM. Brûlé (A'irerfon) :
Gauthier (Theuret); Joffro (Couturon); Pierre Renoir
(Gérard Bélier).
Standardisation (de l'angl. standard, éta-
lon, type, modèle) n. f. Unificalion, en technique
industiielle, des éléments de construction (formes
et dimensions), des méthodes de réception et, en
un mot, de tout ce qui peut faciliter et simplifier
les travaux, en vue d'accroître économiquement la
production.
— Encycl. Les progrès incessants de la cons-
truction mécanique ont montré, particulièrement,
que, pour produire en quantité des machines avec
un prix de revient peu élevé, il convenait de choisir
judicieusement quelques types et de les reproduire,
sans modilication, à des milliers d'exemplaires.
Dans l'usine, les ouvriers spécialisés à un même
travail parviennent à élaborer des pièces sem-
blables avec une très grande rapidité; ces pièces
sont également groupées et montées en machines,
aussi aisément, par d'autres spécialisés. La fabrica-
tion, ainsi comprise, est dite en série : c'est la seule
qui soit compatil)le avec une production in'ense;
or, elle est facilitée par l'unification des principaux
éléments de la fabrication, des méthodes d'essais,
des types de matériel, etc.
Cette unificalion, désignée sous le néologisme de
standardisation industrielle, peut, surtout si elle
est adoptée universellement et employée obligatoi-
rement, rendre les plus grands services.
Presque toutes les industries peuvent améliorer
leur rendement par une standardisation raisonnée;
l'unificalion s'appliquant, aussi bien, à la détermi-
nation des formes et des dimensions des éléments
(lers profilés, vis, boulons, tôles, tuyaux, etc.), des
machines (turbines, machines électriques), à la fixa-
tion des règles et des spécifications des essais de
réceptions (analyses chimiques, essais mécaniques,
qu'à l'unincation des mesures fcalibres, fils, jauges,
étalons, elc).
Il est évident que, toutes ces spécifications uni-
fiées, il en résultera une grande simplification du
travail; mais, en outre, la standardisation a pour
avantage de faciliter les approvisionnements, de
diminuer les stocks par l'élimination des objets de
mesures inusitées et, par suite, peu employés. Elle
réduit également l'outillage aux seules machines
nécessaires; c'est ainsi que l'unification des fers
profilés (fers en T, en U, elc.) permet aux forges
de ne conserver qu'un nombre restreint de cylindres
lamineurs.
Le seul inconvénient d'une unificalion à outrance
serait de paralyser tout essor industriel et de limiter
le progrès économique; il convient de rester pru-
demment au-dessous de celle limite.
C'est pourquoi les divers pays industriels ont
créé plusieurs institutions en vue d'élaborer les
régies nécessaires; dès 1891, en France, la Société
d'encouragement pour l'industrie nationale a pour-
suivi l'élude de l'unificalion des filetages de vis;
l'Angleterre, par la fondation de l'Engineering
Standard Commîltee, émanation de ses principales
sociétés d'ingénieurs, en 1901, établissait l'unifica-
tion d'un grand nombre d'objets, depuis des vis, des
tubes, jusqu'à des locomotives. Il en fut de même
aux Etats-lJnis. Récemment (juin 1918), un décret
institue en France, près du Comité des arts et ma-
nufactures, une commission permanente de standar-
disation, avec la mission bien définie d'étudier l'uni-
fication des éléments de machines, donnant satis-
faction aux vœux àa dernier Congrès du génie
civil (Paris, 1918).
La slandarisalion, développée ainsi dans chaque
Etat, ne peut prendre l'importance nécessaire pour
être vraiment efficace que par une entente inter-
nationale ; ce sera l'œuvre de demain. Elle entraî-
nera, nécessairement, dans le monde entier, l'em-
544
ploi des mêmes étalons démesure. Le problème est
des plus étendus; c'est, en réalité, la création d'un
code de la construction et de la fabrication, code
qu'il s'agira de faire ensuite adopter, aussi bien
par les métallurgistes et les constructeurs que par
Poinçonnage des obus après la vérillcation.
leurs clientèles (administrations etparticulieis). La
solution rapide en serait désirable pour renforcer
la production industrielle, dans le giand effort
qu'elle aura à soutenir lors de la prochaine période
d'après-guerre. — M. Molinié.
Travail industriel des femmes (i.e)
[hygiène sociale]. Le travail industriel des femmes
pose un problème d'hygiène sociale qui date déjà
de loin, mais que les événements actuels ont rendu
plus aigu. Uu jour où la femme a dû, poussée. par
l'appât de gains élevés et par la rarélaclion du tra-
vail à domicile, quitter sou foyer pour travailler au
dehors, est apparu le grand danger que de semblables
pratiques faisaient courir à la race. Le travail de la
femme en usine l'expose, en etfet, tout d'abord à
lies périls personnels qui peuvent compromettre
gravement pour elle la fonction de reproduction et,
de plus, il accroît considéralilement les abandons
tl'eni'ants ou, tout au moins, la proportion des allai-
tements «rtiticiels, qui constituent le l'acteur le plus
important de la mortalité infantile. La guerre a
notablement augmenté ces dangers en encourageant
le travail féminin. La fabrication du matériel de
guerre prit rapidement une extension telle (|ue la
main-d'œuvre masculine disponible, même avec le
rappel de bon nombre d'ouvriers mobilisés, ne put
suflire à la besogne. Les femmes durent donc sup-
pléer à cette insuflisance. Elles le lirent d'autant plus
volontiers que les salaires qui leur étaient offerts
étaient, et sont, fort élevés. Or, il est à craindre
que les habitudes prises ne survivent à celte période
d'hostilités. Les femmes, qui auront trouvé dans le
travail industriel des ressources qu'elles ne connais-
saient pas jusqu'alors et une manière de liliorté qui
apparaît à bon nombre d'entre elles comme une
précieuse acquisition, seront tentées de ne pas re-
prendre leur place de ménagères. Elles le seront
d'autant plus que la main-d'œuvre, du fait de l'ac-
croissement de certaines industries, du fait aussi du
grand nombre de disparus et de celui des blessés
devenus inaptes à une tâche tant soit peu rude, sera
de nouveau insuflisante. Il n'est malheureusement
pas à espérer que l'on puisse remonter ce courant,
et il est indispensable de considérer, pour l'heure
présente comme pour l'avenir, les précautions à
prendre pour limiter autant que possible le mal que
ces innovations peuvent causer aux générations
futures.
Les dangers personnels que court la femme du
fait d'un travail industriel, qui doit être considéré
souvent comme peu fait pour elle, la regardent de
façon presque exclusive. Si elle surmène un orga-
nisme trop faible pour ce genre de labeur et si elle
PU souffre, elle n'a qu'à reprendre les professions
LAROUSSE MENSUEL
moins pénibles, où elle excellait jadis et où elle fait,
actuellement, défaut. II est difficile, sinon impos-
sible, de poser à cet égard des règles d'hygiène
qu'elle doive observer. Les femmes, en effet, sont
loin d'êtreconstruites toutes sur un modèle in variable.
Les unes sont robustes et résistantes,
-f-SlSS2 '^^ autres faibles et facilement épui-
■f»^^^^î^ sées. Il y a 1& toute une échelle de vi-
^^ - .. ;•. gueurs, à laquelledesconseils stricts ne
sauraient invariablement s'appliquer.
D'ailleurs, l'intérêt des employeurs
venant, en cette matière, doubler celui
de la travailleuse, les femmes trop
chélives ou trop fragiles pour le la-
heur industriel seront vites éliminées.
lie chapitre d'hygiène personnelle ne
|)eut donc être écrit à l'heure ac-
luelle. Il découle, au demeurant, en
une certaine mesure, des règles que
nous allons examiner maintenant et
qui considèrent la femme en état de
grossesse et la femme mère d'enfants
en bas âge. Ce sont, en effet, les or-
ganes de la reproduction qui risquent
le plus d'être atteints par le travail trop
rude que la femme aurait entrepris.
Le premier document de valeur
que nous possédions sur les inconvé-
nients du travail industriel chez la
femme enceinte est un rapport du
Dr Pinard, publié à la fin de 1916. Ce
document nous montrait que, de 191 i
a 1915, la moiti-natalité des enfants
avait augmenté, de même que le
nombre des enfants mis en nourrice,
la mortalité des femmes en couche,
la proportion des enfants abandonnés.
On comprend, sans qu'il soit besoin
d'y insister, l'influence, sur ces sta-
tistiques, du travail féminin. Les pré-
cautions prises au début de la guerre,
les œuvres fondées pour secourir les
mères et les enfants, l'attribution
des allocations aux femmes de mo-
bilisés, la sollicitude de l'Assis -
timce publique, l'aide qui lui était
apportée par des fondations comme
l'Office central d'assistance mater-
nelle et infantile avaient amené,
en 1914, cette situation paradoxale que, les hostilités
commencées, toutes les statistiques concernant les
femmes et les enfants étaient devenues meilleures.
L'année 191;'), malgré que ces œuvres publiques ou
privées aient redoublé d'activité, de-
vait, du fait <ine le travail féminin
s'était considérablement intensifié,
amener un fléchissement notable de
cette situation. Ce résultat regret-
table est dû à ce que, pour ne pas
abandonner un travail rémunérateur,
les femmes eurent de moins en moins
recours aux fondations qui surveil-
laient leurs derniers mois de gros-
sesse. Il est dû encore à ce que les
mères, toujours pour continuer à tra-
vailler,abandonnèrent volonliers leurs
enfants, les mirent en nouirice ou, eu
tout cas, ne les allaitèrent plus. Or,
nous n'avoni pas besoin de r(!vi nir sur
celte vérité cent fois démoulree que
l'allaitement maternel est la grande
sauvegarde du uouveau-né. Conten-
ions-nous de citer les cliill'res dé-
monstratifs que donnent toutes les
statistiques édiliées sur ce sujet : les
enfants nourris au sein succombent,
dans leur première annci', dans la
proportion de 2 pour l.iioo environ;
ce chillre monte à B.ï pour 1.000 chez
lesenlanls allaités arlificiellenienl.
Il y avait donc lieu, pour parer
aux dangers que couraient les enfants
dune part et, de l'autre, les femmes,
non seulement pendant leur grossesse,
mais encore une fois celle-ci menée
à bien (car la fatigue pendant la pé-
riode puerpérale se paye facilement
par des inlirmilés ultérieures), de ré-
glementer ce travail industriel de la
femme, de donner tout au moins à
celle-ci une sorte de « charte » qui pré-
tendît à limiter les méfaits de cette
tâche nouvelle, qu'elle n'a que trop de
tendance à accepter. De là est née la
création d'une Commission spéciale
du travail féminin, rattachée au minis-
tère des munitions, de là, surtout, est
venue la discussion que l'Académie de
médecine a abordée et menée à bien
l'année dernière. Danscette discussion, deux courants
se lirent jour. Les uns voulaient que tout travail dans
les usines de guerre fût interdit aux femmes en-
ceintes et nourrices, à charge, par les pouvoirs pu-
blics, de subvenir largement aux besoins de celles-ci.
If 133. Août 1B18.
Les autres, tenant compte des nécessités impérieuses
de l'heure et craignant que, si la grossesse était un
empêchement total au travail, elle ne devînt une
chose redoutée et qu'elle se raréllâl (sans compter
que le nombre des avortements s'en pouvait trouver
accru), opinaient pour une solution plus immédiate-
ment pratique. Ce sont ces derniers qui l'ont em-
porté, et voici les conclusions votées par l'Académie :
1» Les femmes oiiceiiues et les mères nourrices occu-
pées dans les usines et, plus particulièrement, dans les.
usines de guerre ne doivent 6tre affectée.'; qu'à des
emplois exigeant un effort modéré dans la forme et dans
la durée. Tout genre d'occupation exposant au trauma-
tisme lent ou brusque, pouvant entraîner la fatigue, uu
sommeil insuffisant, doit leur être interdit : le système de
la demi-journée, avec le maximum de six heures, doit leur
être prélerablement appliqué. Elledoivcnt être atTranciiies
du travail do nuit. Elles seront exclues de tout emploi
qui, par son caractère nocif, toxique, antihygiénique,
serait de nature à risquer de porter atteinte à'ieur santé
et, par là, de compromettre la grossesse ou l'allaitement.
2» Le repos facultatif, pour la durée aporoximativo
des quatre semaines précodant l'accouchement, prévu par
la loi du 17 juin 1913, sera rendu obligatoire pour les
ouvrières dos usines de guerre.
3° Uos consultations d'hygiène féminine et infantile,
dirigées par des docteurs on médecine, seront mi.sea à la
disposition des ouvrières, en vue de leur fournir les con-
seils et les renseignements appropriés. J.o médecin
chargé du service aura la faculté d'indiquer la nécessité
d'une mutation d'emploi, la modération ou même l'inter-
diction du travail à toute femme enceinte ou nourrice,
lorsqu'il estimera que son maintien & l'usine peut compro-
mettre sa santé ou la vio lie l'enfant. Pour assurer aux
femmes travaillant dans les usines et, plus particuliè-
l'oment, dans les usines de guerre, les bénéfices do l'hy-
giène spéciale que leur sexe exige, un agent féminin, inter-
médiaire entre les cadres masculins des ateliers et
1 ouvrière, est indispensable. La super-intendante d'usine,
qui remplit ce rôle dans l'industrie anglaise, doit avoir
son équivalent dans l'industrie française.
4" Dans le but de favoriser rallaiiemont maternel, des
mesures seront imposées dans les usines et, plus particuliè-
romont, dans les usines de guerre, pour permettre aux
nières d'allaiter leur enfant, dans des conditions hygié-
niques rigoureuses, au cours de leur période do travail.
Bans le même objet, des primes seront accordées aux
mères travaillant dans les usines et qui accompliront leurs
devoirs de nourrices.
5" La femme enceinte et la nourrice, obligées par leur état
de changer d'emploi, de réduire ou de cesser leur travail,
recevront une indemnité compensant la diminutionou la
suppression de leur salaire. Les dépenses résultant de la dis-
position ci-dessus seront a.ssnrées par un organisme de pré-
voyance et d'assurance, sous la responsabilité de l'Ktat,
6" En outre des chambres d'allaitement, l'administration
devra provoquer la création de garderies d'enfants partout
où la nécessité en apparaîtra.
On peut remarquer que ces conclusions ont vist^
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Au travail dans les usines.
partout les usines en général et non pas seulement
les usines deguerre,qui sont, pourtant, mentionnées
de façon particulière. Ce sont elles, en effet, qui
ont nécessité l'urgence de pareilles mesures, mais
l'Académie a compris que le danger, comme nous le
N' 138. Août 1918.
disions plus haut, ne cesserait pas avec les hostilités
j'L que, demain, il serait tout aussi menaçant qu'au-
jourd'hui. Ces sages mesures doivent donc être
<-onsidérée3 comme constituant le minimum de ce
que l'on doit exiger à l'égard du travail industriel
féminin. Il s'agit là non seulement, comme le disent
d'une façon à notre avis un peu étroite, les consi-
dérants qui précodent ces conclusions, de parer il un
.^rave péril de dépopulalion, mais d'assurer & loule
femme qui désire travailler et retirer de son labeur
U'S avantages qu'elle y peut trouver de mener à
liien sa grossesse et l'élevage de son enfant. On
doit considérer qu'étant femme et mère, elle a droit
à toute la sollicilude d'une société au bien-être de
laquelle elle contribue par son labeur.
Ces mesures, préconisées par r.\cadémle de mé-
decine et, à côté d'elle, avec quelques variantes, par
(les médecins, des hygiénistes et des sociologues en
grand nombre, ont été appliquées, pour la plus
grande part, dans beaucoup d'usines travaillant
pour la défense nationale, l.a création de chambres
d'allaitement, connues également sous le nom de
pouponnières d'usines, a été réalisée sur une grande
l'chelle, mais de façon peut-être encore insuffisante.
Il est à espérer que, petit à petit, tous ces conseils
seront suivis et que ces mesures de protection
seront, s'il le faut, imposées aux employeurs. Uiie
loi, en date du 6 août 1917, a déjà rendu obligatoire
la création de chambres d'allaitement dans toute
u«ine employant plus de cent femmes âgées de plus
de 15 ans et établi l'obligation, pour tout employeur,
de consentir aux mères allaitant leur enfant un
repos supplémentaire d'une heure, divisé en deux
périodes d'une demi-heure chacune. Ainsi pour-
ra-t-on parer dans une certaine mesure au danger
que le travail industriel fait courir à la femme, à la
inére et à l'enfant. Il n'en restera pas moins que
ces habitudes nouvelles risquent de détruire, au
moins en grande partie, le foyer familial. 11 y a là
tout un côté moral du problème, qui a une impor-
tance considéralile, mais que nous ne pouvons nous
permettre de traiter dans un article qui a viséàparler
uniquement d'hygiène sociale. — c Uenri Bouquet.
urociS8e(du gr. oura, queue, et kissa ou Aitla,
pie) n. f. Genre d'oiseaux du groupe des passereaux
et de la famille des corvidés ou corbeaux.
— Encycl. Ce genre renferme quelques espèces
de pies à brillant plumage, qui habitent l'Inde et la
tihine, donc la région orientale. Elles dilîèrent des
vraies pies parce qu'elles ont les narines couvertes
de quelques plumes soyeuses et non de vibrisses
raldes et situées près de la base du bec. Elles ont
loutes une longue queue, un bec jaune ou rouge,
jamais noir. Les deux sexes des diverses espèces
sont si semblables en taille et en coloration qu'il est
impossible de les différencier par les caractères
extérieurs; il faut l'examen anatomique.
Ces pies bleues asiatiques fréquentent les districts
forestiers, qu'elles animent par leur présence et leurs
cris. Elles nese trouventpas aussi fréquemmentprès
«les villages que la pie commune. Chez toutes les
espèces, le corps et la queue sont placés à peu près
horizontalement pendant le vol. Celui-ci se fait par
des mouvements des ailes, secs et courts. Elles
mangent sur le sol, surtout des insectes. Elles dif-
fi'rent encore des pies communes parce qu'elles ne
conslruisent pas un dôme au-dessus de leur nid.
Pour le reste, leurs habitudes sont les mêmes que
celles de la pie d'Europe.
Ce genre remarquable renferme les plus beaux
des corvidés, ornés des plus riches couleurs qui
contrastent avec le vert des feuilles. On y distingue
cinq espèces.
L urocisse & bec rouge ou de la Chine {urocissa
eryllirorliyncha), que ButTon appelait la sankia de
la Chine, a le front noir, ainsi que la couronne, où
les plumes sont terminées par une pointe d'un blanc
hleulé; les joues, les côtés du cou, la gorge et la
poitrine sont noirs; l'occiput et la nuque sont d'un
lilas très pâle, plus ou moins bleuté, formant sur le
cou une large et longue plaque; toutes les parties
supérieures sont d'un bleu pourpré; les épaules et
les vexilles externes des rémiges primaires et se-
condaires sont d'un beau bleu, tandis que les vexilles
internes sont noir brun ; les rémiges primaires sont,
en outre, marquées de rouge vineux vers le milieu
du bord externe et d'une tache oblongue blanche à
la pointe; les rectrices médianes sont bleues, avec
la pointe blanche, les latérales sont bleues à la base
't d'un blanc crème à la pointe, les deux couleurs
••tant séparées par une large bande noire, qui dimi-
nue en allant de l'axe vers les bords. En outre, entre
le bleu et le noir, il y a une tache triangulaire sur
la vexille interne. Toutes les parties inférieures
.sont d'un blanc crème, plus ou moins nuancé de gris
violet sur les côtés et de roussàtre sur la ligne mé-
diane. Le bec et les pieds sont orangés. La lon-
gueur totale est de 0"°,63, la queue a 0">,i5 et les
lectrices centrales dépassent les externes de 0"',S2,
le bec a O^.OJB.
Ce magnifique oiseau se trouve en toute saison
dans les nombreuses forêts de la Chine, surtout
dans le Sud, jamais dans les villes comme la pie
LAnOUSSli MKNSUliL
545
UUUsatloa de la tn^iin-d œuvre féminine pour le tourna^ des obus.
Un alclier de tours pour obus.
PemnMt «mployAei daoi une usine pour la tebrieatlon dea fUtètt.
S46
vulgaire. Il vole sur les arbres peu élevés et se
noui rit de fruits et d'insectes. Sa voix est forte et
agréable. Son nid rappelle celui du geai, mais ses
cinq œufs ont la forme et la couleur de ceux de la
pie ; ils sont plus petits.
Sur l'urocisse à Dec jaune {urocissa fîavirostris),
la tête, les joues et la poitrine sont noires, la nuque
blanc bleuté et les pointes des plumes de la cou-
ronne marquées de blanc; le dos, les scapulaires,
le croupion et les couvertures suscaudales sont d'un
cendré pourpré, les dernières étant bordées de noir;
les couvertures des ailes, les vexilles externes des
rémiges primaires et secondaires et toutes les ter-
tiaires sont bleu pourpré; toutes les rémiges ont la
pointe blanche; la queue est d'un bleu azuré, avec
une longue pointe blanche, et toutes les reclrices,
sauf la paire médiane, portent une bande noire suh-
terminale. Le plumage inférieur, depuis la poitrine
jusqu'à l'arrière, est blanchâtre, teinté de pourpré.
Le bec est jaune de cire; l'iris, chez le mâle, est
jaune brillant, les pieds sont d'un jaune orangé vif.
La longueur totale est de 0°',65, la queue a 0™,45,
l'aile pliée o°',185 et le bec on>,037.
Celte espèce habite les contreforts de l'Himalaya,
sur les élévations de 2.000 à 2.300 mètres, dans le
Népaul, le Sikkiin et le Cachemire. Elle niche d'avril
UrocisMB (pies bleues): 1. Ftaviro8tri$ ; 2. OccipitalU ; 3. Cmrulea-
à août; le nid est fait de ramilles et de racines et
généralement placé sur les chênes, h 10 mètres et
au-dessus. La femelle pond quatre œufs ordinaire-
ment, rappelant ceux de la pie commune et qui
ont 0",032 et flm.Oîî.
L'urocisse occipitale {urocissa occipitalis) ou à
grand bec a la tête, les joues, la gorge et la poitrine
d'un beau noir, mais, sur la nuque, se trouve une
grosse tache blanche; la plupart des plumes du
vertex ont la pointe blanche; les parties supérieures
sont bleu brunâtre, les couvertures des ailes sont
plus brillantes; les vexilles externes des rémiges
primaires et secondaires sont d'un beau bleu, mais
ces dernières ont la pointe blanche, tandis que les
rémiges primaires sont bordées extérieurement de
blanc vers le milieu. Toute la face inférieure du
corps est d'un blanc teinté de pourpré, les couver-
tures supérieures de la queue sont bleues à la base,
elles deviennent ensuite bleu blanchâtre, puis se
terminent par une pointe noire. Les colorations de
la queue sont les mêmes que dansles autres espèces.
Le bec et les pieds sont orangés et l'iris brun.
La longueur totale atteint 0"',70, dont 0™, 48 pour
la queue; l'aile pliée a 0'°,20.
Cette belle espèce a une aire de dispersion extrê-
mement vaste dans l'Himalaya, la Birmanie, le
Siam, l'Araccan jusqu'au Ténassérim. C'est un ré-
sident permanent des forêts sèches des plaines de
la Birmanie, qu'elle préfère aux forêts humides des
collines, comme aussi de la jungle. Elle vit par
petites troupes de cinq à six individus et niche de
mars k juillet suivant les localités.
Son nid est formé extérieurement de rameaux
lâchement entrelacés, et il est garni intérieurement
de petites racines ; il est placé sur les arbres à trois
ou quatre mètres au-dessus du sol. La femelle y
pond trois à cinq œufs, qui sont semblables à ceux
de la pie rustique et qui mesurent 0"',026 à0"',032.
Ces oiseaux cherchent leur nourriture sur le sol.
L'urocisse bleue {urocissa cserulea) de l'île For-
mose est d'une couleur générale bleu azuré, foncé
en dessus et en dessous ; la tête, le menton et la
LAROUSSE MENSUEL
gorge sont noirs; la queue est bleue comme les
ailes; les reclrices médianes sont très longues et
ont une longue pointe blanche, tandis que les laté-
rales, plus foncées, ont une pointe blanche plus
courte, mais précédée d'une large bande noire.
Le bec et les pieds sont d'un rouge minium bril-
lant. La longueur totale est de 0"','6b, dont 0",30
pour la queue. Le bec a 0"',0'i5.
Ces belles pies bleues sont cantonnées dans les
parties boisées de l'intérieur de l'ile de Formose.
Elles sont peureuses et s'enfuient à la moindre ap-
parence de danger, sur l'arbre le plus voisin, d'où
elles avertissent leurs congénères par un cri spécial.
Pendant le vol, le corps et la queue sont toujours
placés à peu près horizontalement. Leur vol se fait
par des mouvements courts et brefs des ailes. Leur
nourriture consiste surtout en figues sauvages, en
baies et en insectes (mélolonthidés).
L'urocisse de Whitehead {urocissa Whiteheadi)
est spéciale à l'île Hainan. ■ — A. ménégàui.
Vertige mondial (Quelques aspects du),
par Pierre Loti (Paris, 1917, in-16). — Ce livre est
encore un recueil, comme le précédent du même
auteur, mais les pages nouvellement recueillies
olIVent plus de variété que celles de la Hyène
enragée (v. Larousse mensuel, t. III, p. 896), consa-
crées exclusivement à la guerre. Sans doute, la
pensée de la lutte atroce est encore ici dominante,
mais plusieurs morceaux ont été écrits avant le
mois de juillet 1914. Quelques-uns d'entre eux ont
peut-être subi des retouches. D'autres sont restés
tout à fait en dehors du m vertige mondial »; tel le
chapitre voluptueux et coloré sur les Ouled-Na'il,
Frêlresses d'amour à l'entrée du Sahara; telle aussi
agréable description de la grotte de Sore, au pays
basque. — Les impressions sur New- York, « en-
trevu par un Oriental très vieux jeu » ont un intérêt
plus actuel. Loti a fait le voyage d'Amérique pour
suivre les répétitions et assisïer à la première d'une
pi('ce chinoise, écrite en collaboration avec Judith
Gautier. L'aspect de New- York l'a d'abord surpris
et gêné : ses notes débutent sur le ton satirique.
Les « gratte-ciel » isolés, qu'il appelle de's « mai-
sons-asperges », lui ont paru disgracieux, ainsi que
les réclames lumineuses et clignotantes représentant
des hommes, des animaux ou des produits recom-
mandés : « Trop de choses en l'air, vraiment, trop
de ferrailles, trop d'écritures zigzaguant sur les
nuages. » Il a été assourdi par les deux métropo-
litains, aérien et souterrain : « C'est la ville de la
trépidation et de la vitesse. »
Cependant, il n'a pas tardé à s'habituer. Les
« gratte-ciel », non plus isolés, mais alignés pour
former l'avenue appelée River-Side, ne lui semblent
pas dépourvus de majesté. Il s'acclimate, sans tou-
tefois pénétrer l'âme de l'Amérique, comme il a
fait celle de l'Orient. La derniire impression qu'il
nous livre peut avoir été influencée par des événe-
ments récents : « Tandis que la Germanie a le ver-
tige homicide et féroce, on peut assurément dire
que l'Amérique l'a amusant et aimable. »
La seconde patrie de Loti, c'est l'Orient :
Cher Orient, qui demain aura cesser d'exister et qui
était pourtant le dernier refuge de ceux qui souhaitent
encore vivre dans le silence, la méditation, peut-être la
prière, sans entendre les sifflets des machines, les réso-
nances des ferrailles, ni les discours subversifs et ineptes,
arrosés d'alcool.
Les crimes de ceux qui terrorisent aujourd'hui
Constantinople ne peuvent le détacher de celte
Turquie qu'il a tant aimée. Il nous parle avec sym-
pathie du prince Yoiizouf-Yzeddin, héritier pré-
somptif du trône, « assassiné par eux», et reproduit
une conférence sur la femme turque, faite en
mars 1914, qui est comme une suite des Désen-
chantées. C'est une causerie tour à tour enjouée,
émue, dramatique — histoiie des deux Sultanes —
et même malicieuse, quand il établit une compa-
raison entre le costume discret et harmonieux des
Orientales et les toilettes affolanles et bigarréesdes
Parisiennes. Les coiffures que surmontent les dé-
pouilles d'aigrettes et d'oiseaux de Paradis le font
songer aux Sioux parés pour la danse du scalpe.
Si les "Turcs — les Turcs non germanisés — sont
les amis de Loti, les mslelots sont un peu ses en-
fants, les vrais matelots, « germes au vent de la
mer, éclos dans les villages de nos côtes ». Il a
prononcé une allocution devant les fusiliers marins
de Dixmude, à la Comédie-Française. Il leur a con-
seillé de ne pas trop sacrifier au banal modernisme,
de conserver leurs rêves, leur enfantillage et même
leur turbulence et de repousser l'ennemi dégra-
dant, l'alcool.
Et voici les sensations et tableaux de guerre :
d'abord des notes prises en juillet 1914, à l'époque
où les pensées inquiètes essayaient encore de se
convaincre qu'un conflit européen était trop mons-
trueux pour cire vraisemblable. Il y a là un curieux
rappel de visions enfantines, qui se fondent avec les
angoisses du moment. Puis, c'est le Chant du Dé-
part, le 2 aoilt, à Hochefort, ville natale de Loti. —
Lormont {Georges) est la touchante histoire d'un
soldat aveugle à qui son infirmière a pu longtemps
W 138. Août 191H.
cacher la nature de son mal. Terrible est la révé-
lation, suivie de révolte et de détresse. — Alsace
nous promène en territoire reconquis. — Nous vi-
sitons le « front » dans un Secteur tranquille, dans
Simple gentillesse entre voisins, et dans II pleut
sur l'enfer de la Somme. Ce sont des tableaux es-
tompés et mélancoliques, dont la vérité évocatrice
émeut étrangement l'imagination du lecteur. —
Mentionnons aussi les Fetnmes françaises pendant
la guerre, l'Adieu de Paris au général Gallieni, et
la visite (en juillet 1909) de 1' « anglophobe » Loti
à la reine Alexandra d'Angleterre.
Mais la partie la plus neuve et la plus singulière
du livre est, sans doute, le premier chapitre, qui
sert d'introduction et s'intilulc /ar/ije. L'auteur,
peu enclin d'ordinaire à dogmatiser, y esquisse
une sorte do système philosophique : \\n aperçu de
cosmogonie y aboutit à une morale et à une méta-
physique. Les lois effarantes de la gravitation,
l'existence nécessaire du vide, la genèse de notre
soleil, l'infini de l'espace et celui du temps sont des
conceptions qui donnent le vertige. La paléonto-
logie nous montre dans la formation des animaux
et des plantes des tâtonnements et des essais qui
laissent supposer quelque indécision dans le plan
de la création. Le créateur du monde matériel
semble presque avoir manqué de compétence.
Quant à l'humanité, surgie depuis quelque deux
cent mille ans, elle est maintenant déséquilibrée
par la Connaissance. La Science lui sert à détruire.
L'homme n'édifie plus de cathédrales. Nous avons
aujourd'hui
le honteux et imbécile obus allemand, qui passe au tra-
vers, et les gerbes d'écume dos explosions sous-marines,
et le cauchemar do ces grandes caricatures d'oiseaux en
acier qui, au-dessus de nos têtes, promènent la mort.
Un vent de laideur et de crime soafne en tempête sar le
monde.
L'Industrie, développée à outrance par l'Alle-
magne, est la négation de l'Art. L'Usine étiole
l'homme, qui cherche dans l'alcool l'oubli de sa
misère. La suppression de l'humanité, « ou tout au
moins son départ pour ailleurs », paraît désirable et
peut-être proche : la Terre « aurait si bien pu de-
meurer déserte et ne pas promener dans 1 espace
tant d'âmes désespérées et de corps sanglants » !
Mais, en attendant que s'accomplisse cette pro-
phétie, il faut s'efi'orcer d'acquérir la paix de l'âme.
L'hypothèse matérialiste nous pousserait « tout
droit au suicide et au crime». Mais elle estfansse.
Des expériences scientifiques ont prouvé que la
matière organique n'est pas divisible à l'infini. Il y
a une limite à la petitesse des êtres. Au-dessous de
cette limite, tout le pouvoir delà Nature créatrice,
« que l'on supposait souverain et innombrable, est
en défaut » :
Alors, si nous prenons pour exemple ces demi-êtres si
spéciaux, déjà tout juste appréciables au microscope,
dont la communion, au dire de la science, suffit à assurer
la continuité dos races et en particulier de la race hu-
maine, il faudrait, bien entendu, avec la thèse purement
matérialiste, que chacun de ces atomes-là contint, en plus
des germes de toutes les hérédités physiques avec leurs
plus menus détails, ceux encore de toutes les hérédités
morales, le caractère, l'intelligence, le génie, la tendre
pitié. Or, matérietiement, il n'y a pas place en eux pour
la millième partie do tout cela, — à moins de tomber à des
dimensions bien au-dessous de celle que la nature exige
pour en tirer quoi que ce soit. Il est donc à tout prix néces-
saire que ces atomes, qui incontestablement reproduisent
tout un monde de vices ou de transcendantes qualités,
aient été traversés, imprégnés, ennoblis, pourrait-on dire,
par un rayon échappant à toute mesure de poids ou de
grandeur, autrement dit par un rayon immatériel...
L'immatériel existe donc. L'abnégation, le sacri-
fice, l'amour, la charité ne sont pas de simples par-
celles de la matière solaire. Nos personnes ne se
réduisent pas à des corps, <■ petites enveloppes d'un,
jour ». L'âme est réelle, et la croyance au divin est
fondée. Sans doute, les religions sont trop encom-
brées « de dogmes puérilement précis et d'images
orientales»; mais n'abandonnons pas «l'Espérance
qui nous attend peut-être encore derrière ces ri-
deaux de vénérables nuages... ».
Pierre Loti ne prétend pas nous donner ces mé-
ditations pour des pensées profondes. Il se dit un.
•1 simple »; il déclare ses raisonnements simplistes ou.
même puérils, ses conclusions frêles, « plus intui-
tives que déduites ». Disons, seulement, que c'est
une philosophie consolante, émanant d'un « moi »
pitoyable à la soufi'rance humaine. Ce « moi» fait
le charme et assure l'unité de toute l'œuvre de Loti.
Il prétend, dans son Vertige, avoir manqué sa vie :
Je n'étais pas né pour m'éparpiller sur toute la terre,
m'asseoir au foyer do tous les peuples, me prosterner dans
les mosquées ao l'Islam, mais pour rester, plus ignorant
encore que je ne suis, dans ma province natale, dans mon
ile dOléron...
Heureux éparpillement, qui nous a valu un exo-
tisme nouveau. Le « moi » s'étale aussi dans les
paysages de Chateaubriand, tristes et somptueux.
Ceux de Loti ont des teintes plus doucee, et la mé-
lancolie s'y féconde en pitié. — Jean Debuse.
Paris. — Imprimerie I.ARoussa (Moreau, Auge, Gillon et C'«),
17, r>je Monliiarnaase. — Lt garant : L. Groslet.
Les Chaumes. (/Moutons.)
N' 139. — Septembre 1918
Académie des sciences morales et
politiques. — Election de Charles Lijim-Caen,
comme secrélaire pernéluet. Le 12 janvier _1!)1S,
rAc:iiJoinie des sciences morales a procéoé à l'élec-
tion d'un secrétaire perpétuel, en remplacement de
Mené Stourm, décédé. Au deuxième tour de scrutin,
(Charles Lyon-(;aen, professeur et ancien doyen de
la Kacullé de droit de Paris, a été élu par 21 voix
sur 23 volants. Henri Welscliinger et Charles Be-
noist ont obtenu cliacun 1 voix. Au premier tour,
les voix s'étaient réparties ainsi : Lyon-Gaen 12,
Welscliinger 6, Benoist 4. CV. p. 565.)
Alcoolisme pendant la guerre (La
LUTTE CONTRE l' ). Hist. et Dr. — I. GÉNÉ-
iiAi.iTÉs. — Au déllut de la guerre de 1914, la
France comptait, dans son enscmlile, un débit de
boissons pour 30 adulles. Mais — fait plus effrayant
encore! — la proportion s'élevait à un dél)it pour
22 adulles dans la Seine-Inférieure, un dfbil pour
15 adulles dans le Nord, un débit pour 11 adultes
dans l'Hure.
Depuis le début des hostilités, de vaillants publi-
cistes, agissant sans relâche sur l'opinion publique,
ont dressé de formidables actes d'accusation contre
« le roi alcool ».
En 1917, un congrès antialcoolique s'est tenu à
Lyon, qui reunissait des délégués de sept dépar-
lements (.\in, Allier, Haute-Savoie, Iscre, Loire,
Uhône, Savoie), et qui a voté les vœux les plus
précis : suppression du privilège des bouilleurs de
cru; réduction du nombre des débils de boissons;
spécialisation des débils d'alcool, alin qu'aucun autre
commerce ne soit annexé à celui de la vente de
l'alcool ; pendant la guerre, l'alcool réservé aux be-
soins de la défense nalionale, avec interdiction de
toute consommation de boissons alcooII(|ues.
De telles manifestations se sont d'autant plus im-
posées que, k certaines heures de la défen.se contre
l'ennemi, l'ivresse publique a pris des formes parti-
culièrement audacieuses, et que, le poison moral
s'infillrant grâce au poison matériel, les propa-
gandes contre la patrie se sont alors, parfois,
instituées.
Les pouvoirs publics, émus de tant de scandales
et de si gros périls, sonl, peu à peu, résolument
entrés dans la voie de la lutte contre l'alcoolisme.
Ils n'avaient, d'ailleurs, jamais perdu de vue que la
consommation abusive de l'alcool peut avoir sur la
santé des troupes et, finalement, sur leur valeur mili-
taire, une action des plus néfastes.
A l'heure actuelle, les moyens de lutte adoptés se
répartissent ainsi : 1° mesures concernant l'ensemble
de la population; — 2° mesures spéciales à la zone
des armées ; — .S» mesures spéciales aux établisse-
ments industriels cl commerciaux.
II. Mesures aJNiiERNANT 1,'ensemble ue la popu-
lation. — Arrêtés préfeclorauv visant les spiri-
tueux. — Dés le 26 août 1911, le préfet de l'Lure,
puis, i son exemple, beaucoup de préfets —dont le
préfet de police, le 24 novembre 1915, pour Paris et
le déparlement de la Seine, — ont pris des arrêtés
interdisant dans tous les cafés, cabarets, estaminets
et autres débits de boissons la vente au détail des
spiritueux : 1" le matin, jusqu'à 11 heures; — 2° en
ce qui concerne les femmes et les mineurs au-des-
sous de dix-huit ans, pendant toute la durée d'ou-
verture de ces établissements.
Environ deux ans après, eu juin 1917, le ministre
de l'intérieur (après délibéralion conforme du con-
seil des ministres) a adressé aux préfets une circu-
laire les invitant à réglemenler plus étroitement la
vente au détail des spiritueux à consommer sur
place ou à emporter. Des spiritueux à consommer
sur place, la vente au détail doit être interdite :
1° en ce qui concerne les femmes et les mineurs
au-dessous de dix-huit ans, pondant toute la durée
de l'ouverture des cafés, cabarets, estaminets et
autres débils de boissons; — 2° en ce qui concerne
tous autres consommateurs, pendant la même durée,
à l'exception des heures correspondant aux deux
repas principaux. Quant aux spiritueux à emporter,
la vente au détail doit également être interdite, du
moins en quantité (de même espèce) inférieure à
deux litres ou à deux bouteilles de 90 centilitres
chacune.
Un arrêté du préfet de police Hudelo, pris sous
la date du 28 juin 1917, immédiatement mis en vi-
gueur à Paris et dans la Seine, s'est strictement
inspiré de la circulaire ministérielle.
Aux termes de cet arrêté, l'autorisation excep-
tionnelle de consommation sur place pendant les
heures qui correspondent aux deux repas princi-
paux est ainsi fixée : de 12 heures à 14 heures; le
soir, de 19 h. 30 à 21 h. 30.
D'après le même arrêté, ne sont pas compris
dans les interdictions, c'est-à-dire ne sonl pas con-
sidérés comme spiritueux : 1° le vin, la bière, le
cidre, le poiré, l'hydromel ; — 2° pourvu qu'ils ne
titrent pas plus de 18 degrés, les vins de liqueur et
d'imitation, ainsi que les vins aromatisés préparés
sans addition, macération, ni distillation de sub-
stances contenant des essences; — 3° pourvu qu'elles
ne titrent pas plus de 23 degrés, les liqueurs sucrées
préparées avec des fruits frais.
Loi du 16 mars 1915, visant l'absinthe et les
liqueurs similaires. — La loi du 16 mars 1915 a
f l'appé d'une interdiction générale et absolue la fabri-
cation, la vente en gros et au détail, ainsi que la cir-
culation de l'absinthe et des liqueurs similaires.
Cette loi est due à l'initiative prise devant la
Chambre des députés, le 7 juillet 1914, par M.Henri
Schmidt.
La mesure était depuis longtemps réclamée par
l'opinion publique et les corps savants. Il a fallu
<|ue la France traversât la crise qui l'étreint depuis
I agression alleniarule, pour qu'on parvint à briser
toutes les résistances aux(|uelle3 on se heurtait
chaque lois que le Parlement était saisi de propo-
sitions tendant i interdire la fabrication et ta vente
ULBOUSSi: MKNâUI-X.
IV.
de l'absinthe. Cependant, d'année en année, il était
possible de constater l'aggravation des effets perni-
cieux qu'amenait l'usage de l'absinthe, la plus
alcoolisée de toutes les boissons, et poison dange-
reux. — Voir dans le Larousse Mensuel, t. III, p. 413,
l'article <c Alcoolisme ».
Les « liqueurs similaires » dont, au même titre
que l'absinthe, la loi du 16 mars 1915 a prononcé
l'inlerdiclion, sont les liqueurs « visées par l'arti-
cle 15 de la loi du 30 janvier 1907 et l'article 17 de
la loi du 26 décembre 1908 », c'est-à-dire les liqueurs
dont la composition permet l'assimilation à l'absin-
the, telles que (d'après la jurisprudence des com-
missaires-experts) « les oxygénées, le sypur et le
sucranis ».
La loi du 16 mars 1915 est applicable à l'Algérie
et aux colonies.
Les contraventions à ses dispositions sont pu-
nies : 1" de la fermeture de l'établissement; — 2° à
la requête de l'administration des contributions
indirectes, des peines fiscales prévues à l'article 1"
de la loi du 28 février 1872 et à l'article 19 de la
loi du 30 janvier 1907.
Loi du 16 novembre 1915, visant l'ouverture de
nouveaux débils de boissons. — Une loi du 16 no-
vembre 1915 — qu'avait précédée dans le même but
un décret du 7 janvier 1915 — a réglementé, par
toute une série de dispositions minutieuses et sé-
vères, l'ouverture de nouveaux débits de boissons,
de toute nature.
Celte loi a abrogé les dispositions de la loi du
27 juillet 18S0 (à l'exception de l'article 1" et de
larlicle 9) sur les cafés, cabarets et débits de
boissons.
Elle a, en outre, assuré • sur tout le territoire de
la France et des colonies », l'exercice d'un droit
d'action civile, relativement aux faits contraires à
ses prescriptions, aux « syndicats formés, confor-
mément à la loi du 21 mars 1884, pour la défense
des inléréls généraux du coijimerce des boissons »
et aussi aux « associations constituées pour la lutte
contre l'alcoolisme, ayant obtenu la reconnaissance
d'utilité publique ».
Loi du SO juin 1916 (article 4), visant timpôt
sur l'alcool et les conditions des distillations. —
Une loi du 30 juin 1916 a, par son ariicle 4, édicté
un ensemble de dispositions — applicables jusqu'à
la fin de l'année de la cessation des hostilités, — en
ce qui concerne les points suivants : 1° droit
général de consommation sur l'alcool, porté à
400 francs l'hectolitre; 2° réglementation nouvelle
de la distillation des vins, cidres, poirés, marcs,
lies et fruits.
A signaler ces quelques détails : en principe, les
quantités d'alcool propre à la consommation dé
bouche, provenant de matières autres que celles que
nous venons d'énuiiiérer,sont réservées à l'Etat, qui
ne peut les rétrocéder que pour des usages indus-
triels et médicaux; — les bouilleurs de cru sonl, en
principe, soumis à l'impôt ; mais tout exploitant de
21
548
terrains plantés en vignes ou en arbres froitiers,
qui établit la preuve qu'il a distillé ou l'ait distiller
partie de ses récoltes du l«r janvier 1910 au!" jan-
vier 1916, a droit, sur sa distillation nnuelle,à une
allocation en franchise de dix litres d'alcool pur.
Loi du i" octobre 1911 Hur la répression de
l'ivresse publique et sur la police des débits de
boissons (abrogative de celle de 187S). — Grâce à
l'initiative prise par le gouvernement le 11 juillet
1914, est intervenue la loi du l"'" octobre 1917, qui,
abrogeant la loi du 23 janvier 1873 sur l'ivresse
publique, constitue la refonte d'ensemble de ses
prévisions et pénalités, dans le sens de leur ren-
forcement.
La loi du 1"' octobre 1917 est applicable à l'Al-
gérie et aux colonies.
Voici les traits caractéristiques de la réforme :
La loi de 1873 réprimait l'ivresse à la condition
qu'elle soit publique et manifeste, la frappant de
peines d'une sévérité croissante selon qu'elle tend
& devenir habituelle. De plus, elle considérait que,
dans certains cas, le débitant de boissons favorise
ou provoque l'ivresse, et, par conséquent, doit être
atteint par les rigueurs de la loi.
Tel était l'objet des sept premiers articles de la
loi de 1873, — ses articles essentiels.
La loi du 1" oclol)re 1917 a maintenu, dans la
généralité de leur lexle. ces divers articles, sous la
seule réserve de quelques modifications : ainsi, la
répétition de la contravention d ivresse, oit qu'elle
s'accompiis.çff, constitue l'étal légal de récidive; —
i la quiitricine condamnation pour ivresse, il y a
non seulement privation des droits civiques, mais
aussi déchéance possil)le, à l'égard des enfants et
descendants, de la puissance paternelleet des droits
éniimérés à l'article premier de la loi du 2') juillet
1SS9 sur la piolection des enfants maltraités ou
moralement abandonnés; — interdiction est faite
aux cafetiers, cabaretiers et autres débitants de ser-
vir des spiritueux et liqueurs alcooliques aux mi-
neurs âgés de moins de dix-huit ans accomplis, et,
de même, par assimilation, à des malades hospita-
lisés dans un asile d'aliénés ou dans une colonie
familiale. :
D'autre pari, fidMe à son but de prévenir l'ivresse i
publique et de combattre l'alcoolisme, le législa-
teur de 1917 a recouru, comme moyens qu'il jugeait
efficaces, à des dispositions nouvelles, de portée
très différentes, dont (nous allons le voir) l'une
retire aux dettes envers les débitants de boissons
la sanction d'une action civile, tandis que telle
autre pose tout le problème de la prostitution.
Il est interdit de vendre au détail à crédl, soit
au verre, soit en bouteille, des spiritueux et liqueurs
alcooliques, à consommer sur place ou à emporter.
L'action en paiement de boissons vendues en in-
fraction ne sera pas recevable.
11 est interdit de vendre, même au comptant et
pour emporter, des spiritueux et liqueurs alcooli-
ques à des mineurs âgés de moins de dix-huit ans.
Il est interdit d'employer, dans les débits de
boissons à consommer sur place, des femmes de
moins de dix-huit ans, à l'exception de celles ap-
partenant à la famille du débitant.
Tous cafetiers, cabaretiers, tenanciers de cafés-
concerts, et autres débitants de boissons à consom-
mer sur place, qui (en employant ou en recevant
habituellement des femmes cle débauche ou des
individus de mœurs spéciales, pour se livrer à la
f)rostitution dans leurs établissemenls, ou dans les
ocaux y attenant) auront excité ou favorisé la dé-
bauche, seront condamnés à un emprisonnement
de six jours à six mois et à une amende de 50 francs
à 500 francs. — Ces peines pourront être portées au
double, si les femmes de débauche ou les individus
de mœurs spéciales appartiennent îi la famille du
délinquant. — Les coupables seront déchus pendant
cinq ans de leurs droits politiques. — La fermeture
du débit sera ordonnée par le jugement.
Toutes les condamnations à l'emprisonnement
d'un mois au moins, pour une infraction quelconque
aux dispositions de la loi du 1" octobre 1917. en-
traînent, de plein droit, pour ceux contre lesquels
elles sont prononcées, l'interdiction d'exploiter un
débit de boissons. — Cette incapacité cessera :
l» en cas de réhabilitation ; 2° après cinq ans, à
compter du jour où les condamnations seront de-
venues définitives, si, pendant ces cinq ans, les
condamnés n'ont encouru aucune peine correction-
nelle d'emprisonnement.
111. Mesures spéciales a la zone des armées.
— Arrêtés pris par les généraux commandant les
armées. — D'aoilt 1914 à mars 1915, une série d'ar-
rêtés ont été pris dans les diverses armées, h. l'elTet
de mettre un terme à certains excès dus à l'alcool.
Finalement, le 23 mars 1915 (d'accord avec le
conseil des ministres), le général commandant en
chef Joffie a signé un arrêté réglementant de façon
uniforme la vente, la consommation et la circula-
tion de l'alcool dans la zone des armées (zone de
l'avant et zone des étapes) :
La vente aux militaires de tuus grades, et l'achat par
ceux-ci, de l'alcool et des boissons alcoolisées (absinthe,
bitter, vcrmoul, apéritifs, vins de liqueur, eaux-de-vic
LAROUSSE MENSUEL
et tous autres liquides alcoolisés et non dénommés) Sont
interdits tant chez les débitants et tous autres commer-
çants que chez les habitants.
Dans l'intérêt de la discipline et de 1 hygiène des troupes,
la consommation de l'alcool et des buissous alcoolisées
est limitée aux rations qui leur seraient distribuées régle-
mentairement.
En dehors de ces distributions, il est défendu aux mili-
taires d'accepter, même à titre gratuit, aucune quantité
des boissons susTisées, eti] est interdit de leuren procurer.
Mais, le 23 septembre 1915 et le 21 juillet 1916,
la cour de cassation, ii l'occasion de poursuites
exercées contre des civils devant les tribunaux de
simple police de Belfort et de Seiilis, prononça
que les prescriptions de l'autorité militaire relatives
à la circulation de l'alcool excédaient les limites de
ses iittiibutions : que, par suite, elles n'étaient pas
légales et ne pouvaient, en conséquence, être revê-
tues d une sanction pénale.
Loi du 19 février 1917. — Puisque, au point de
vue que nous venons de noter, la législation appa-
raissait insuffisante, il importait, dans l'intérêt supé-
rieur (le la défense nationale, de la modifier.
De là, sur l'initiative du gouvernement, l'inter-
vention de la loi du 19 février 1917.
Cette loi considère comme faits punissables pen-
dant les hostilités: fies infractions aux arrêtés
pris par les généraux commandant les armées, pour
interdire, dans les zones déterminées par le général
commandant en chef, la circulation et la vente de
l'alcool et des spiritueux ; — 2° les infractions aux
dispositions prises par l'autorité militaire pour in-
terdire la cession à titre gratuit de l'alcool ou des
spiritueux à des militaires.
Les sanctions établies sont les suivantes : la peine
de simple police prononcée par l'article 471. g 15, du
code pénal, c'est-à-dire une amende de 1 à 5 francs
— 2" suivant les circonstances, et en cumul, les pé-
nalités encourues pour infraction aux législations
fiscales et de police applicables à la matière : par
exemple, pour transport d'alcool sans qu'il y ail eu
délivrance par la régie du titre de circulation.
Dans la loi du 19 février 1917, il n'est ^as ques-
tion de l'interdiction de la vente au détail de .'alcool :
mention spéciale de cette interdiction était inutile,
la cour de cassation n'ayant point contesté, ni en
1915 ni en 1916, dans les arrêts que nous avons
signalés, ((ne l'interdiction dont s'agit pouvait faire
l'objet d un arrêté de l'aulorilé militaire.
IV. Mesures spéciales aux établissements
INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX. — But de 1(1 loi du
6 mars 1917. — Le livre II du code du travail et de
la prévoyance sociale (tel qu'il a été modifié par la
loi du 31 décembre 1912) renferme des dispositions
destinées à proléger les ouvriers au point de vue
de l'hyi^iène, à l'intérieur des établissemenls dans
lesquels ils sont occupés.
Un décret du 29 mars 1914 — coinplctaiil un dé-
cret du 10 juillet 1913 — prescrivait des mesures à
prendre contre les dangers de l'alcoolisme, en les
étendant à tous les établissements industriels et
commerciaux assujettis au code du travail, en les
imposant non seulement aux ouvriers, mais encore
anx tiers autorisés à débiter des boissons, et k l'em-
ployeur lui-même.
Mais ce décret était difficile à appliquer, et les
sanctions étaient insuffisantes. Aussi, en novem-
bre 1916, le gouvernement présentait-il un projet
dont l'exposé des motifs disait :
Au moment où il est plus que jamais nécessaire de pro-
téger contre l'alcoolisme, générateur de chômage et
d'accidents, noirs population ouvrière, notamment celle
qui est employée dans les établissements travaillant
pour la défense nationale, il a paru nécessaire de remé-
dier aux inconvénients constatés.
Ce projet a abouti à la loi du 6 mars 1917, qui
a pris place dans le livre II du code du travail
(article 66, B, et article 173).
Infractions prévues. — La loi du 6 mars 1917
considère comme constituant des infractions pénales:
1» L'introduction, la distribution ou la consom-
mation dans les établissements soumis au code du
travail, des boissons alcooliques;
2° Le fait, de la part de tout chef d'établissement,
directeur, gérant, préposé, contremaître, chef de
chantier et, en général de la part de toute personne
ayant autorité sur les ouvriers et employés, de
laisser inlioduire, distribuer ou consommer les
boissons alcooliques en question;
3° Le fait, de la part des mêmes personnes, de
laisser entrer ou séjourner, dans les mêmes établis-
sements, des personnes en état d'ivresse (ouvriers
ou non)
Boissons interdites. — Ce sont toutes les bois-
sons alcooliques autres que le vin, la bière, le
poiré, les hydromels non additionnés d'alcool.
Etablissements visés. — Les établissements visés
far la loi du 6 mars 1917 sont ceux spécifiés par
article 65 du livre II du code du travail, c'est-
à-dire, notamment, les manufaclures, fabriqties,
usines, chantiers, ateliers, laboratoires, cuisines,
caves et chaix, magasins, boutiques, bureaux, en-
treprises de chargement et de déchargement,
théâtres, cirques et autres établissements de spec-
tacles, ainsi que leurs dépendances quelconques.
^• »38. Septembre 18J8.
Pénalités applicables. — Les pénalités applicables
sont celles que détermine l'article 173 du livre II
du code du travail, et qui sont prononcées par le
tribunal de simple police : amendes de 5 à 15 francs.
L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a
de contraventions distinctes constatées par le pro-
cès-verbal, sans cependant que le chiffre total des
amendes puisse excéder 200 francs.
Régime des boissons non additionnées d'alcool.
— Un décret du 23 octobre 1917 a édicté pour les
établissements industriels et commerciaux soumis
au code du travail :
Un règlement intérieur limitera les quantités de vin,
de bière, de cidre, de poiré, d'hvdromsl non additionnés
d'alcool, qui pourront être introduites, et déterminera les
lieures et conditions auxquelles la consommatioa en sera
autorisée. — Louis Andr*.
AJlments.'tion rectale. — L'alimentation
par laven.ents, et par conséquent pa- voie rectale,
peut être commandée par diverses anomalies dans
le fonctionnement des voies digestives iiabituelles.
Parmi ces indications, il faut mettre en première
ligne les obstacles siégeant sur tout le parcours du
tube digestif, et noluniment entre la bouche et le
début de l'intestin. Ces obstacles des voies naturelles
peuvent être soit des délabrement» comme en pro-
voquent parfois les blessures de guerre, soit des
brides cicatricielles, soit des rétrécissements d'autre
nature (spécial.'mcnt de l'œsophage), soit des tu-
meurs. En second lien, on use de ce mode d'alimen-
tation lorsque l'ostoniac est intolérant pour toute
nourriture, et que les vomissements suivent toute
espèce de lenlative d'alimentation normale. Enfin,
on peut êlre obligé d'agir de la sorte lorsque l'on
veut assurer, dans certaines maladies (ulcère, can-
cer), le repos absolu de l'estomac. Dans ces diffé-
lents cas, donc, on introduit la nourriture dans
l'organisme par l'extrémité inférieure de l'intestin.
Il est bien évident que le but atteint ne se peut
comparer à celui auquel aboutit l'alimentation buc-
cale. Les aliments ne peuvent être digérés par la
muqueuse rectale, dont la structure ne la prédispose
nullement à cette tâche. Il leur manque l'aclion
chimique et mécanique de l'estomac, celle des sucs
digestifs, pancréatiques, intestinaux, celle de la bile .
Ce sont là des difllcultés auxquelles on remédie,
tout au moins en partie, en nourrissant, dans ces
cas, les malades avec des substances assimilables
telles quelles, ou déjà en partie digérées artificielle-
ment. 'Nous reviendrons dans un instant sur les
particularités de cette assimilation rectale. Mais
nous pouvons dès maintenant déclarer que la valeur
alimentaire de ces lavements est très inférieure à
celle de la nourriture administrée par les voies ha-
bituelles. Quelques médecins dénient même à peu
firès toute sorte d'action à celte alimentation par
avemenls, tandis que d'aulreslaconsidèrentcomme
extrêmement utile et, dans quelques cas, suffisante
pour entretenir la vie pendant un temps très appré-
ciable. De fait, les exemples de celle utilité sont
nombreux, et l'on peut citer à cet égard les fails
rapportés par Manquât, qui nourrit un malade de
celte façon pendant deux mois; de Catillon et sur-
tout de Daremberg, qui soutinrent suffisamment les
forces de leurs malades pendant des périodes res-
pectives de huit et quatorze mois.
Leslavements alimentaires se donnent au nombre
de deux à qtialre par jour. Le grand obstacle à leur
multiplication, qui parerait au déficit nutritif indé-
niable, est dans l'irritation qu'ils déterminent sou-
vent sur la muqueuse du rectum, et dans la gêne
que la technique indispensable inflige au malade.
Tout lavement alimentaire doit être précédé, une
heure auparavant environ, d'un lavement évacua-
teur destiné à assurer la conservation de celui qui
sera donné dans un but nutritif. Celui-ci est admi-
nistré au malade couché, dont le bassin est légère-
ment surélevé. Le li(|uide alimentaire est contenu
dans un récipient quelconque, terminé par un tube
de caoutchouc auquel on adapte une canule de même
matière, légèrement résisltmle, de calibre suffisant,
et qui est introduite dans l'intestin sur un parcours
de dix centimètres environ. Le liquide alimentaire
doit s'écouler très lentement. Quelque temps de
repos aulit est indispensable après l'administration.
L'action nutritive de ces lavements est facilitée
par ce fait que le liquide, dans quelques cas heu-
reux, peut franchir tout le gros intestin et pénétrer
dans l'intestin grêle après avoir traversé la valvule
de Bauhin ou « barrière des apothicaires » ; elle
l'est encore par cette particularité qu'une partie
des sucs aigestifs sécrétés par le duodénum arrive
dans le rectum mê.-ne (M. Labbé). Enfin, on a tenté
d'accroître celte valeur nutritive du lavement en
administrantune alimentation rectale continue, c'est-
à-dire en diminuant encore la rapidité d'adminis-
tration du lavement, qui n'accède plus à l'intestin
que goutte h goutte, grâce à un dispositif spécial.
Cette innovation, en principe ingénieuse, puisqu'elle
permet d'administrer des lavements de plusieurs
litres, alors que les plus cotirants ne se composant
guère que de 500 à 300 grammes de liquide, exa-
gère, par contre, i«s incouvéuienta énoncés plus
/V* 139. Septembre 1918.
haut, etnotainmeutrirritation de l'intestin etiagéue
à laquelle sont soumis les malades.
Les notions qui doivent guider le médecin dans
la prescription des formules de lavements alimen-
taires sont les suivantes, d'après M. Labbé : absorp-
tion très faible des matières azotées; absorption
f;iible de la graisse, qui doit être émulsionnée; ab-
sorption notable des hydrates de carbone ; absorp-
tion facile de l'alcool. Les matières azotées devront
être données à un état de digestion aussi avancé
que possible. Il y aura intérêt à agir de même à
l'égard des hydrates de carbone. Pour la première
classe d'aliments, on choisira les peptones; pour la
seconde, la dextrine et les sucres. Les uns et les
autres sont, en solution concentrée, irritants pour
la muqueuse inteslinale.
De ces différentes notions dérivent les formules
habituelles des lavements alimentaires. Voici les
plus courantes :
I* Jaune d'œaf, 1 ; laudanum de S^denham, V goattei;
peptono sèche, 2 cuillers à soupe ; lait, 1 verre.
2" Lait, 250 grammes: jaunes d'œufs, 2; sel de cuisine,
1 pincée ; vin rouge, 1 cuiller à bouche.
3" Dissoudre 20 grammes de dextrine dans 100 centi-
mètres cubes d'eau, ajouter 10 grammes de pentone sèche
dissous dans 100 centimètres cubes d'eau, émulsionner
avec 2 jaunes d'œufs ; ajouter 1 grammo de sel, 2 gram-
mes de bicarbonate de soude, et V gouttes de laudanum.
(Le laudanum est adjoint à ces formules afm d'assurer
l'immobilité de l'iatestiu et la non évacuation dulavemeut.)
Ajoutons qu'on a tenté d'une part d'utiliser des
aliments à un état de digestion encore plus avancé,
c'est-à-dire à l'état d'acides aminés et, de l'autre,
d'assurer l'alimentation rectale à l'aide de supposi-
toires à lapeplone.Le premier de ces procédés n'est
pas entré dans la pratique. Le second semble ne
donner que des résultats insuffisants. — D'U.Bouoost.
*boniarée n. f. ou bomarsea n. m. Sous-
genre d'alslrœmérie (amaryllidacées).
— Encycl. Le genre bomarée avait été créé pour
distinguer les alstroemères à tige volubile de celles
qui ont le faciès tout à fait dressé (alslrœmena
psittacina, peregrina, ilookeri, et autres); mais
cette place ne
lui a pas été
maintenue
dans les classi-
fications. Quoi
qu'il en soit, les
alstrœmùresdu
sous-gcnre bo-
marée sont de
jolies plantes
ornementales
qui demandent
fort peu de
soin pour
fournir une flo-
raison abon-
dante, durable,
portée par des
tigelles volu-
biles très gra-
cieuses.
Parmi les as-
sez nombreuses
espèces de ce
80us-genre(une
cinquantaine),
celle que décou-
vrirent dans lesAndesHumboldtetBonpIandetque
le voyageur Pearce introduisit à l'état vivanten Eu-
rope (alslrœineria CalUasi ou bomarœa Caldasiana)
est d'une culture très facile en serre tempérée ou
même froide. On tient les plantes en caisses pro-
fondes, remplies d'un mélange de terreau (un quart)
et de gravats, décombres. Ces caisses passent 1 hi-
ver daiis l'orangerie, mais à la fin de mai on peut
les sortir à l'air. On les dispose auprès de treillages
ou à la base d'arbres dénudés que les tigelles volu-
biles entrelacent à la manière des chèvrefeuilles.
La floraison (ombelles multiflores d'une jolie cou-
leur jaune ponctuée d'orange) dure jusqu'à l'au-
tomne. — Jean db Chao».
Sonnet ftouge (l'Affaire du). [Les Grands
Procès de la guerre.] — Le 29 avril 1918 se
sont ouverts à Paris, devant le 3' conseil de guerre,
les débats de l'alTaire dite du Bonnet Rouge.
Sept accusés ayant à répondre — soit comme au-
teurs, soit comme complices — de crimes particu-
lièrement graves envers la défense nationale, ou
simplement du délit de commerce avec l'ennemi :
Duval (Emile-Joseph) ; d'autre part, ses collabora-
teurs du journal le Bonnet Rouge, Marion (Ferdi-
nand-Emile-Louis), Joucla (Paul-Pascall, Landau
(Jacques), Goldschild (Jean) dit Goldsky; enfin,
l'imprimeur Vercasson (Jean-Pierre), un ami de
Duval, et Leymarie (Jean-Léonardl, ancien chef de
cabinet de Malvy au ministère de 1 intérieur, ancien
directeur de la Sûreté générale.
Ils étaient tous détenus, à l'exception de 'Vercas-
son et de Leymarie.
Le directeur du Bonnet Rouge, Vigo (Eugène-
Bonaventure) dit Miguel Almereyda, mis en cause
Bomarsea Caldasiana.
LAROUSSE MENSUEL
dès ledébutdea poursuites, était décédé subitement,
à l'infirmerie de la prison de Fresnes, le 14 août
1917, peu après son arrestation. Mais sur tout le
procès n'a cessé de planer l'énigmatique figure de
ce louche libertaire, familier d'hommes politiques
et de ministres, six fois condanmé, jouisseur for-
cené, capable des pires besognes, qui, au début de
la guerre, était (selon l'appréciation formulée au
cours des débats, par le commissaire du gouverne-
ment) un « vrai préfet de police officieux ».
Les faits incriminés se sont accomplis de mai 1915
à mai 1917.
Dégagée de ses éléments accessoires de commerce
avec l'ennemi, l'affaiie du Bonnet Rouge est appa-
rue, au fur et à mesure que se succédaient les
séances du conseil de guerre, comme le premier et
le plus sérieux essai de campagne de presse auquel
on se soit livré dans le but d'obscurcir la cons-
cience française et de la préparer à l'idée d'un com-
promis susceptible de hâter la fin de la guerre.
I. Les accusés et le rôle de chacun dans les
FAITS. — Duval. — Le grand premier rôle devant le
conseil de guerre appartenait à Duval, — ancien
courtier électoral, ex-employé de l'Assistance pu-
blique. C'était un homme d'affaires de haute cul-
ture, un mégalomane au caractère aigri.
Les fréquents et mystérieux voyages en Suisse de
Duval — dont les élroites attaches avec le Bonnet
itou^e étaient conimes — avaient depuis longtemps
attiré l'attention desaulorilés administratives, lors-
que, le 15 mai 1917, en gare de Bellegarde, comme
il rentrait de Suisse en France, le service de sur-
veillance militaire le trouva nanti d'un chèque de
150.837 fr. 70, souscrit par la Banque fédérale suisse,
payable à Paris par la Banque suisse et française.
Duval allégua : " Le montant de ce chèque est le
reliquat d'un dépôt de 500.000 francs que j'ai effec-
tué, le 29 mai 1914, à Genève, chez une dame
Amherd, propriétaire de l'Hôtel International; et
ces 500.000 francs provenaient d'une société suisse,
la San-Stefano, ayant pour objet l'exploitation de
stations balnéaires dans la région de Constanti-
nople : ils se rattachaient à la réalisation de la part
des actionnaires français que, en mai 1914, à Gons-
tantinople, j'ai eu à effectuer pour le compte de la
San-Stefano ».
Ces déclarations parurent suspectes. La commis-
sion militaire de Bellegarde saisit le chèque et l'en-
voya à Paris, où les premiers renseignements re-
cueillis rendirent tout à fait invraisemblables les
dires de Duval.
Duval menait à Paris, dans un logement au loyer
annuel de mille francs, une vie des plus modestes.
Sa femme était surveillante à l'hôpital Lariboisière.
Son père était hospitalisé à la fondation Lenoir-
Jusserand.
D'autre part, la Société de San-Stefano, fondée en
grande partie par des Allemands, était, depuis un
certain temps, passée presque entièrement aux
mains d'un banquierallemand, Marx, de Mannheim,
— établi k Beine depuis la guerre.
Néanmoins, le 27 mai 1917 — douze jours après
sa saisie, — le chèque était restitué à Duval
Deux mois plus tard, le 25 juillet 1917, une in-
formation judiciaire était ouverte contre lui, du chef
de commerce avec l'ennemi.
Dès son premier interrogatoire à l'instruction,
Duval reconnaissait que les 500.000 francs mis par
lui en dépôt chez la dame .\mherd, à Genève, il les
avait touchés (dans les premiers mois de 1914) du
banquier Marx, à titre de commission pour le zèle qu'il
avait apporté dans la liquidation de la San-Stefario ;
que, lorsque, en 1916, il était entré au Bonnet Rouge,
il avait mis dans ce journal une somme d'environ
200.000 francs, prélevée sur les 500.000 francs en
question.
Bientôt, il était acquis que rien, dans les opéra-
tions de la San-Stefano, n'était de nature à justifier,
pas plus en 1914 qu'à une date postérieure, la re-
mise par Marx à l'inculpé d'une importante commis-
sion, à plus forte raison d'un cadeau princier; que,
du reste, c'est en pleine guerre, ou plutôt en juin
1915, que Duval avait perçu les 500.000 francs sur
la caisse du banquier de Mannheim, — dont, de-
fuis le début des hostilités, il n'avait cessé d'être
agent.
Ces 500.000 francs, au surplus, ne représentaient
qu'une partie des sommes touchées de Marx par
Duval, au cours de la guerre : c'est une somme
d'un million environ, exactement de 998.717 fr. 80,
qui est passée des mains de Marx en celles de
Duval. Sur ce million, Duval, par des chèques émis
de la Suisse, a fait rentrer lui-même en France (de
mars 1916 à mai 1917) 527.979 fr. 80, et Vercasson
a, de même façon, fait rentrer, pour le compte de
Du val (en cinq fois, de septembre 1916 à févrierl917),
un total de 470.738 francs.
Depuis la guerre, d'ailleurs, Duval avait fait en
Suisse treize voyages, à partir du 9 mai 1915 jus-
qu'au 15 mai 1917 : dans quel but? — Surtout pour
y voir Marx. Or, le service des renseignements du
ministère de la guerre français savait que, à Berne,
les fonctions du banquier Marx consistaient k « faire
les opérations dans lesquelles lalégationd'Allemagne
549
ne voulait pas qne sa main apparût, c'est-à-dire les
paiements des subventions et subsides aux agents >.
En Suisse, Duval ne se rencontrait pas seulement
avec Marx : 11 a eu, en sa compagnie, des entre-
tiens avec d'autres personnalités d'outre-Rhin, dont
le prince d Isenburg.
À la suite de ces entreliens, et sous leur inspira-
lion directe, Duval avait, en 1915, rédigé trois
mémoires, qui « constituent, affirmait l'accusation,
le document le mieux fait, le plus habile et le plus
impressionnant qu'on ait jamais écrit à l'appui de
la thèse de l'Allemagne invincible ». — El, a Paris
— en faisant, notamment, remettre son travail, par
Marion, au service des renseignements généraux
de la prélecture de police, — Duval, très perfide-
ment, en avait ménagé la communication aux mi-
lieux officiels français.
En même temps, il se préparait à agir sur l'opi-
nion : au Bonnet Rouge, il allait s'ingénier, par
l'emploi de l'argent de Marx comme par sa plume,
à attaquer « notre front moral ».
Le Bonnet Rouge avait été fonde en 1913, avec
I Almereyda comme directeur et rédacteur en chef.
Le but avoué du nouveau journal était de travailler
à un rapprochement franco-allemand. En 1914, lors
des poursuites contre M"" Joseph Caillaux, pour
l'assassinat de Calmette, le Bonnet Rouge prit vio-
lemment parti pour l'accusée, sur versement d'une
somme de 40.000 francs par Joseph Caillaux. Puis,
la guerre survenue, Almereyda reçut, pendant un
certain temps, du ministre Malvy, des subventions
importantes.
Dès le premier semestre de 1915, une tendance
fâcheuse, au point de vue de la défense nationale,
paraît se manifester dans la rédaction du Bonnet
Rouge. Mais c'est surtout à partir de mai 1916 que
s'y accentue la campagne germanophile; et peu à
peu le défaitisme avéré du Bonnet Bouge s'étale
quotidiennement au grand jour, sans ménagement
ni vergogne : le Bonnet Bouge était, en réalité, l'édi-
tion parisienne de la « Gazette des Ardennes • , organe
de l'état-major allemand.
Or, c'est précisément en 1916 (le 30 avril) que
Duval devient administrateur du Bonnet Bouge ;
c'est en 1916 qu'on trouve la trace des premiers
virements de fondsconsidérables elfectuéspar Duval,
deSuisseen France; c'est, enfin, en 1916, queDuval
commence à subvenlioimer le Bonnet Rouge.
Parallèlement, Duval a donné de l'argent à toutes
les feuilles qui, vers le printemps de 1917, se pré-
paraient à pousser à l'ombre du Bonnet Rouge, k se
développer comme autant de rameaux d'un même
arbre : les Natiotis, de Goldsl<y, à qui il a remis
?lus de 30.000 francs; — Autour de l'Ecole, de
oucla, à qui il a remis 10.000 francs; — la Tranchée
républicaine, de Goldsky et de Landau, à qui il
paraît avoir remis une autre somme de 10.000 francs.
Au Bonnet Rouge, Duval était non seulement
administrateur et bailleur de fonds, mais aussi
rédacteur. Il y écrivait, sous le pseudonyme « Mon-
sieur Badin », des articles où sur tous nos espoir»
et tous nos enthousiasmes il a jelé le froid de son
persiflage.
Quels ont été, dans l'ensemble des faits incrimi-
nés, les mobiles de Duval? — Moins, semble-t-il,
un désir de lucre que le désir de devenir dans la
presse un personnage.
Marion. — Individu taré, condamné deux fois
pour escroquerie, et une fois, en 1900, pour déser-
tion. De longue date, l'ami de Duval.
En mai 1915, Marion est allé avec Duval en
Suisse, où, à Bâie, Duval et lui se sont rencontrés
avec Marx. Marion était manifestement au courant
de toutes les tractations qui se sont i)oursuivies
entre Duval et Marx, spécialement quant à une
campagne de presse à organiser en France en faveur
de l'Allemagne. D'ailleurs, c'est Marion qui, en
1915, a remis au chef du service des renseignements
généraux à la préfecture de police un exemplaire
des trois perfides mémoires de Duval.
Marion, administrateur du Bonnet Rouge — qu'il
avait commandité, — a, en 1916, fait entrer Duval
à ce journal.
Au Ciiurs de cette même année 1916, Marion s'est,
à quelques jours d'intervalle, rendu, à deux reprises,
en Espagne, eu compagnie d'Almereyda. Or, immé-
diatement avant l'un de ces voyages, Marion avait,
au Bonnet Rouge, fait copier, en trois ou quatre
exemplaires, par une dactylographe. M"» Lewis,
des lettres et documents, en faisant à l'employée
cette recommandation : « 11 faut absolument que
j'aie votre travail aujourd'hui, car je dois l'emporter
avec moi ». Il s'agissait de renseignements confi-
dentiels, de très haute importance, relatifs à la situa-
tion de notre armée d'O 'ient, émanant directement
de l'état-major du général Sarrail. Marion les te-
nait d'Almereyda. — Voir Ualhieu-Paix-SéailUt
(l'Affaire), p. 566.
Ces pièces ont-elles été communiquées à des
agents de l'ennemi? — L'instruction n'en a pas
rapporté la preuve. L'accusation, toutefois, rete-
nait comme répréheosible par lui-même le fait
d'avoir, en vue de les faire dactylographier, livré à
M»* Lewii d« t«U documanti .
■ Goldschild dit Goldsky. — Appartenant à la
classe 1910, Goldsky avait été, en juillet 1916, versé
à la 20« section des secrétaires d'élat-major, sur
l'intervention du ministre Malvy, pour être affeclé
k son cabinet; puis, il avait été placé en sursis
d'appel, à la demande d'Almereyda.
Golilsky était secrétaire général à la rédaction du
Bonnet Houge. Sous la signature n Général N... »,
il y a écrit un grand nombre d'articles entièrement
conformes aux tendances qui ont, en 1916 et 1917,
caractérisé le Bonnet Rouge.
Goldsky, de plus, collaborait au journal France-
Télégramme, que publiait Marion ; aux Nations,
qui, nous le savons, étaient subventionnées par
Duval ; comme rédacteur en chef, à la Tranchée
républicaine, que nous avons vu prendre également
part aux largesses de Duval; — toutes feuilles qui
(selon les expressions employées par Goldsky, en
1917) étaient « pour le Bonnet Rouge ce que soni
les torpilleurs d'escadre pour les cuirassés ».
Or, Goldsky — • alors qu'il profitait, en tant que
journaliste, des subsides de Duval — connaissait
les relations suspectes que Duval entretenait avec
Marx : un incident survenu en septembre 1916, que
nous allons iniliquer plus loin, à propos du cas de
Landau, nes.iuiait à cet égard laisser aucim doute.
Landau. — Naturalisé en 1902. Se disant jour-
naliste. Passait pour n'être, en réalité, qu'un pro-
fessionnel du chantage.
Du commencement de 1916 jusqu'en 1917, Landau
a été rédacteur au Bonnet Rouge. En même temps,
il dirigeait ï Agence Primo, et fondait la Tranchée
républicaine.
Landau, moins que tout autre, ne pouvait ignorer
les rapports de Marx avec Duval, m se méprendre
sur leur nature. En effet — d'après les déclarations
faites par Marion à l'instruction, — en septembre
1916, un après-midi. Landau était arrivé au Bonnet
Rouge, comme un lou, pâle, la voix haletante, annon-
çant l'arrestation imminente de toute la rédaction
du journal. 11 se disait envoyé par Joseph Caillaux,
et celui-ci voulait savoir ce qu'élait « ce Duval qui
rencontrait en Suisse Marx, de Mannneim ».
Or, postérieurement à septembre 1916, Landau
s'est occupé de faire obtenir à Duval un passeport,
pour aller, en mai 1917, voir Marx, en Suisse; a
fait des démarches en vue de la restitution du
chèque saisi peu après sur Duval, à Bellogarde; a
continué sa collaboration au Bonnet Rouge; a pris
la direction de feuilles manifestement issues du
Bonnet Rouge, telles que l'Agence Primo et la
Tranchée républicaine, dans la caisse de laquelle
nous avons vu tomber 10.000 francs, — précisément
au lendemain de la restitution du chèque Duval.
Joucta. — Triste hère et piètre journaliste, Joucla
tenait, depuis 1916, au Bonnet Rouge, un rôle de
reporter infime.
En février 1917, il fit un voyage à Barcelone,
chargé d'une mission spéciale par Duval, qui, à cet
effet, lui avait remis 300 francs. Il s'agissait d'en-
trer en relations avec la Vérité, journal qui, ré-
digé en français, venait de se fonder à Barcelone,
et y était l'organe des agents allemands.
A Barcelone, Joucla, avant de se rendre à la
Vérité, passa par le consulat général allemand.
Il y laissa sa carte de rédacteur au Bo?inet Rouge,
y eut un entretien avec un représentant qualifié de
l'ennemi.
De retour à Paris, Joucla eut avec Duval une
explication orageuse. Cependant, il a ultérieurement
accepté de Duval — avec la subvention de 10.000
francs que nous avons signalée — la situation de
rédacteur en chef d'.lu/ouc de l'Ecole, — journal
qui, d'ailleurs, n'a pas eu le temps de paraître.
A la veille de l'arrestation d'Almereyda, Joucla
se proposait de retourner à Barcelone. Il devait,
avant son départ, avoir une entrevue avec le di-
recteur du Bonnet Rouge.
Vercnsson. — Nous avons déjà exposé que, de
septembre 1916 à février 1917, 'Vercasson a rapporté
de Suisse, en cinq fois, pour le compte de Duval,
une somme totale de 470.738 francs.
D'où Vercasson avait-il retiré cet argent? Est-ce
d'une banque, ou bien de chez M"" Amherd ? —
Le point est resté mystérieux. Vercasson a prétendu
qu'il avait effectué ses retraits à l'Hôtel Interna-
tional, remettant, en échange, à M"» Amherd, des
reçus préparés par Duval. Mais des invraisemblances
sont apparues : par exemple, les dates de ces reçus
ne concordent pas avec les dates des voyages en
Suisse de Vercasson.
Quoi qu'il en soit, avaient paru des plus criti-
quables les conditions dans lesquelles, en pleine
guerre, Vercisson s'était chargé de servir d'inter-
médiaire entre Duval et ses mystérieux déposi-
taires de Suisse.
Leymarie, Landau et Goldsky. — En septembre
1916, Duval, en raison de ses singuliers voyages en
Suisse, avait été l'objet, par ordre du ministère de
l'intérieur, d'une interdiction de délivrance de tout
passeport : à la préfecture de police, dans les ser-
vices chargés d'accorder les passeports, une « fiche
d'opposition » se trouvait, en conséquence, établie
ku nom de Duval.
LAROUSSF MENSUEL
A l'effet de faire lever l'interdiction pesant sur
lui, Duval, en avril 1917, se faisait présenter, par
Landau et Goldsky, à Leymarie, alors directeur du
cabinet de Malvy. Diivul exposa qu'il était liqui-
dateur de la San-Stefano, oî étaient engagés des
capitaux français et aussi, disait-il, « six millions
d'intérêts allemands » : un passeport lui était né-
cessaire pour aller en Suisse liquider cette société.
Leymarie téléphona à la préfecture de police qu'il
ne voyait pas d'inconvéni'iits à ce que le passeport
fût délivré. Et, le 7 m;.i, Ij passeport était effecti-
vement remis à Duval.
Pour la restitution du chèque saisi à Bellegarde,
Goldsky et Landau sont intervenus — notamment
au ministère de l'intérieur, — par des démarches
réitérées; et, dans ces circonstances, I^eymarie a
encouru une nouvelle responsabilité : sur l'avis de
Leymarie qu'il n'y avait rien dans l'affaire du chèque,
qu'il fallait rendre ce chèque, la restitution en a
été opérée à Du-jI par le bureau compétent du
ministère de la guerre, le 2' bureau.
II. Les dicbats et les sanctions. — L'affaire du
Bonnet Rouge a occupé quinze séances du 3« conseil
de guerre.
Le colonel Voyer présidait. Le lieutenant André
Mornet remplissait les fonctions de commissaire du
gouvernement.
Au banc de la défense : M" Magnan, pour Duval;
M" Gonii;he,poui' Marion; M» Lœwell, pour Goldsky ;
M' Bacri, pour Landau; M" Anlony Aubin, pour
Joucla; M" Paul GuiUain, pour Leymarie; M" José
Téry, pour Vercasson.
Le nombre des témoins cités était de 130.
Dans son interrogatoire, Duval — un peu chauve,
un peu bedonnant, les joues molles, de physionomie
cauleleuse — se répandit en arguties verbeuses.
Marion se montra plein de bonhomie, soutenant :
» J ai été tout simplement l'ami complaisant de
Duval, et de tous l'instrument naïf ». Joucla, Goldsky
et Landau protestèrent, à l'unisson, de leur patrio-
lisnie. Vercasson, les larmes aux yeux, alfirma sa
bonne foi, sa pure bonté d'àme envers Duval Quant
à Leymarie — qui, à beaucoup, paraissait n'avoir
fait que se conformer aux directions de son ministre
Malvy, — ilpriU'entière responsal)ilité de ses actes,
disant, d'un ton résigné : « J'ai commis une erreur...
J'ai payé de ma démission ».
Et les témoins défilèrent. Au nombre des dépo-
sitions saillantes, celles de Jacques Lehideux et de
Paul Hoppenot, officiers à l'état-major de l'armée,
qui exposèrent que, depuis longtemps — notam-
ment en mai 1917, — les services de la préfecture
de police étaient fixés sur le compte des hommes
du Bonnet Rouge, sur la nature des relations de
Duval avec Marx, sur le rapport étroit qui existait
entre les libéralités de cet Allemand et les cam-
pagnes de « Monsieur Badin ».
Le lieutenant Mornet requit contre Duval la peine
Il des traîtres de marque », la peine de mort, et des
condamnations sévères envers ses coaccusés. Il
termina son émouvant et vigoureux exposé des faits
par ce cri patriotique :
Il faut à nos soldats l'assurance que leurs sacrifices
n'auront pas été consentis en vain ; que, pendant f|u'ils
combattent, des infâmes ne les poignarderont pas dans lo
dos. C'est pour eux que je demande justice !
Les plaidoiries furent interrompues par une dé-
position tardive, réclamée par la défense : celle de
Joseph Caillaux, détenu à la Santé, mis en cause
à propos de l'incidentde septembre 1916, au Bonnet
Rouge. Joseph Caillaux affirma n'avoir jamais parlé
à Landau du banquier allemand Marx.
Lel5mail918,leconseildeguerre— unanimedans
ses réponses sur la culpabilité des accusés, unanime
dans son vote sur l'application des peines — con-
damnait Duval à la peine de mort, Marion à dix ans
de travaux forcés et cinq ans d'interdiction de sé-
jour, Joucla h. cinq ans de travaux forcés. Landau
à huit ans de travaux forcés et cinq ans d'interdic-
tion de séjour, Goldsky à huit ans de travaux forcés,
k la dégradation militaire et à cinq ans d'inlerdic
tion de séjour, Leymarie à deux ans de prison et
1.000 francs d'amende, Vercasson à deux ans de
prison, avec sursis, et 5.000 francs d'amende.
Deux mois après, le 17 juillet, Duval était fusillé
à Vincennes. — M» Laurent.
Suts de guerre (Suite). Ruts de guerre de
la France et de ses allies. — Les négociations de
Brest-Lilovsk [décembre 1917). Relus de l'En-
tente, d'y participer. Déclarations des gouverne-
ments sur les buts de guerre. Les maximalistes
russes s'étant emparés du pouvoir dans les journées
des 6 et 7 novembre 1917, le congrès général des
soviets adopta une résolution tendant à la propo-
sition officielle d'un armistice sur tous les fronts
et de négociations d<j paix excluant toute contribu-
tion de guerre et toute annexion. Le 15 décembre,
les plénipotentiaires de l'Allemagne et de ses alliés
signèrent à Bresl-I.itovsk (Lithuanie) avec les re-
présentants des commissaires du peuple un armis-
tice général, et les délibérations commencèrent.
Invités à y prendre part, les gouvernements de
I l'Entente ne devaient pas en répondant à cette
N* 139. Septembre )9t8.
sommation faire le jeu de l'Allemaïnc, mais les
Alliés prolilèrent de l'occasion qui s'offrait à eux,
pour s expliquer une lois de plus sur les principes
directeurs de leur politique extérieure.
Ce fut d'abord notre ministre des affaires étran-
gères, S. Pichon, qui précisa nos buts de guerre à
la tribune de la Chambre, le 27 décembre 1917 :
Vaincre d'abord, dit-il, parce que c'est la condition né-
cessaire de salut pour notre pays; mais vaincre pourquoi?
pour conquérir ? pour opprimer ? pour dominer ? Non
pas ! Pour assurer au monde une paix de justice et de
fraternité.
Et cette paix comportait la libération des terri-
toires occupés, la juste réparation des dommages,
des garanties résultant d accords d'organisation
générale. Elle excluait toute idée d'asservissement
des populations étrangères.
Déjii, le 19 septembre précédent, Alexandre Ribot
avait fait de la restitution de l'Alsace-Lorraine la
préface nécessaire de la paix du droit, demandé
o la réparation des destructions scélérates », et pour
l'avenir des garanties données non par le gouver-
nement actuel de l'Allemagne, mais par le peuple
allemand lui-même.
Ce fut ensuite un discours de Lloyd George aux
délégués des Trade-Unions (5 janvier 1918), déve-
loppant et complétant celui qu'il avait récemment
Stephen Pichon, ministre Jcs affaire» étraiit;ér«>s,
dans son cabinet de travail.
prononcé il la (;bambre des communes (20 décem-
bre 1917). Il répéta que les Allies ne faisaient pas
une guerre de conquêtes, qu ils ne voulaient pas
détruire la nation allemande, ni démembrer l'Alle-
magne, ni continuer indéfiniment la guerre écono-
mique; mais les Alliés metlaieiit à la cessation des
hosiilités des conditions irréductibles, à savoir :res-
taination dans leur pleine indépendance de la Bel-
gique, de la Serbie, du Monténégro; l'évacuation
de tous les territoires occupés par les armées impé-
riales; la restitution à la France de l'Alsace-Lor-
raine; la satisfaction des aspirations nationales de
l'Italie et de la Rouni:inie; 1' « autonomie démocra-
tique réelle » des nationalités allogènes de la mo-
nar-hie austro-hongroise; l'indépendance de l'Ar-
ménie, de l'Arabie, de la Syrie, de la Palestine, de
laMésopotamie; l'internationalisation des Détroits;
le règlement, par le traité de paix, du sort des colo-
nies allemandes, compte tenu des mœurs et intérêts
de leurs habitants indigènes. Pas d'indemnité de
guerre, mais seulement réparation des dommages
causés dans les territoires envahis. Et le « Pre-
mier » concluait :
Nous comliattons pour une paix durable, et estimons
que trois conditions doivent être remplies avant d'obtenir
une paix permanente ;
1» l.a sainteté des traités doit être rétablie ;
2° Le règlement territorial doit intervenir sur la base
du droit des nations de décider de leur propre sort, ou sur
le consentement des gouvernés ;
3' Nous devons chercher à créer quelque organisation
internationale qui permette de diminuer le fardeau des
armements et diminuer les chances de guerre.
A ces conditions, l'empire britannique acceptera la paix
de grand cœur.
Ce fut enfin le président "Wilson qui, le 8 jan-
vier 1918, formula devant le Congrès, en quatorze
points, les conditions auxquelles pourrait être et
devrait être consentie la paix mondiale :
!• Des conventions de paix ouvertes, ouvertement con-
clues et anrès lesquelles il n'y aura d'accords interna-
tionaux privés d'aucune sorte ; mais la diplomatie agira
toujours franchement et publiquement ;
/V* 139^ Septembre 1918.
s* Liberté absolue de la navigation sur les mers, en
dehors des eaux torritorialos, aussi bien en t«mps do paix
(|u'en temps de guerre, sauf pour les mors qui pourraient
être formô(îs on totalité ou en partie par une action intor-
nationato en vue do l'exécution d'accords intoruationaiix;
3" Suppression en tant qu'il sera possible de toutes les
barrières économiques, ot établissement de conditions
commerciales égales entre toutes les nations consentant
a la paix et s'associant pour la maintenir ;
4" Garanties convenables données et prises que les ar-
mements nationaux seront réduits au dernier point com-
patible avec la sécurité du pays ;
5» Un libre arrangement — d'un esprit large et absolu-
ment impartial — de toutes les revendicatious coloniales,
basé sur l'observation stricte du principe que, dans la
fixation do toutes les questions de souveraineté, les inté-
rêts des populations intéressées devront avoir un poids
égal à celui des demandes équitables du gouvernement
dont la base doit inre déterminée ;
6" Evacuation do tous les territoires russes, et règlement
do toutes les questions concernant la Russie, tendant à
assurer la meilleure et la plus libre coopération des autres
nations pour donner à ce pays une occasion de déterminer
sans entraves ni embarras l'indépendance do son propre
<léveloppomcnt politique et de sa politique nationale ;
pour lui assurer un sincère accueil dans la Société des
nations libres sous des institutions de son propre choix, et
plus qu un accueil : toute aide dont elle aurait besoin et
qu'elle désirerait. Le traitement accordé à la Russie par
ses nations sœurs, pendant les mois à venir, sera la pierre
de touche de leur bonne volonté ou de leur compréhension
de ses besoins, abstraction faite de leurs propres intérêts
ot de leur intelligente et désintéressée sympathie ;
70 Belgique. Le monde entier sera d'accord qu'elle doit
être évacuée et restaurée sans aucune tentative de limiter
la souveraineté dont elle jouit de concert avec les autres
nations libres. Aucun autre acte ne servira autant que
celui-ci à rétablir la confiance parmi les nations, dans les
lois qu'elles ont établies et tïxées elles-mêmes pour régir
leurs relations entre elles. Sans cet acte salutaire, toute la
structure et la validité de toutes les lois iuternatiouales
seront à jamais arfaiblies;
8*» Tout le territoire français devra être libéré, et les
régions envahies devront être restaurées; le tort fait à la
France par la Prusse eu 1871 en ce qui concerne l'Alsace-
Lorraine, qui a troublé la paix du monde pendant près do
cinquante ans, devra être réparé afin que la paix puisse
une l'ois de plus être assurée dans l'intérêt do tous ;
9*" Le réajustement des frontières de l'Italie devra être
efTectué suivant les bases dos nationalités clairement
reconnaissables ;
10" Aux peuples de l'Autriche-Hongrie dont nous dési-
rons voir la place sauvegardée et assurée parmi les nations,
on devra donner lo plus largement les moyens de déve-
lopper leur autonomie ;
11" La Roumanie, la Serbie et le Monténégro devront
être évacués, et les territoires occupés devront étro res-
titués ; à la Serbie, on devra accorder un libre et sûr accès
à la mer, et les relations entre les divers Etats balka-
niques devront être fixées amicalement sur les conseils
des puissances et suivant les lignes établies historique-
ment. Des garanties internationales d'indépendance poli-
tique, économique et d'intégrité territoriale seront fournies
à ces Etats ;
12" Une souveraineté sûre sera assurée aux parties
turques de l'empire ottoman actuel, mais les antres natio-
nalités qui se trouvent en co moment sous la domination
turque devront être assurées d'une sécurité indubitable
d'existence et d'une occasion exempte d'obstacles de se
développer d'une façon autonome, et les Dardanelles de-
vront être ouvertes d'une façon permanente en consti-
tuant un passage libre pour les navires et le commerce de
toutes les nations, suivant des garanties internationales ;
13" Un Etat polonais indépendant devra être établi. Il
devra comprendre les territoires habités par des popula-
tions incontestablement polonaises auxquelles on devra
assurer un libre et sûr accès à la mer ot dont l'indépen-
dance politique et économi({ue ainsi que l'intégrité terri-
toriale devront être garanties par un accord international ;
U" Une Association générale des nations devra être
formée d'après des conventions spéciales, dans le but de
fourn ir des garantie8«iutuelles d'indépendance politique et
d'intégrité territoriate aux grands comme aux petits Etats.
Dans ce manifeste, le président Wilson s'adres-
sait aux peuples encore plus qu'aux gouvernements,
et les exposés de principes faisaient place aux
conclusions pratiques. Généralement d'accord avec
le « Premier » anglais, il s'en séparait en ce qui
concerne : la Roumanie, dont il ne demandait que
la restauration sans se préoccuper de ses aspira-
tions nationales; la Pologne, pour laquelle il reven-
diquait un accès à la mer; la Russie, à laquelle il
tendait la main pour l'aider à se relever et à se déga-
ger de l'oppression germanique, tandis que, d'après
LÏoyd George, il appartenait à ce pays de se sauver
lui-môme. Le Président respectait l'intégrité territo-
riale de TAutriche-Hongrie, ne demandant pour les
nationalités sujettes que le développement de leur
autonomie, et maintenait la souverainetéde l'empire
ottoman, sous réserve de garanties de sécurité don-
nées aux populations chrétiennes, et de la liberté
des Détroits. Partisan d'une égale Justice pour tous
les peuples, il refusait à l'Allemagne une « place
dominante », mais non une place égale à celle des
autres nations; il lui reconnaissait le droit de
conserver ses institutions, mais il tenait à savoir,
quand elle s'adressait aux Alliés, si ses « porte-
parole » exprimaient la pensée de la majorité du
Reichslaç, ou celle du parti militaire. II ne préco-
nisait ni le boycottage économique ou maritime, ni
l'écrasement financier de ses ennemis. C'est une
paix morale qu'il voulait pour le monde, une paix
politique, militaire et économique, pxcluant les
pièges et les traités secrets, ne comportant aucune
réparation pénale, garantie parla Société des nations.
LAROUSSE MENSUEli
Le 54 janvier 1918, le chancelier de l'empire
Allemand, comte Hertiing, et le ministre commun
des affaires étrangères d'Autriche-Hongrie, comte
Czernin, répondirent au discours de Lloyd George
et au message de Wilson, le premier devant la
commission plénière du Reichstag, le second de-
vant la commission des affaires extérieures de la
Délégation.
Le comte Hertlîng se rencontra k peu près avec
le président des Elats-Unis là seulement où le gou-
vernement impérial croyait n'avoir rien à perdre :
abolition de la diplomatie secrète, disparition des
barrières économiques, limitation des armements,
liberté des mers (complétée par la suppression des
pointsd' appui fortifiés. commeGibraUar,Malte,Aden,
531
Wilson à ouvrir des négociations particulières,
comme il le suggérait. Les deux empires étaient
indissolublement liés, et, après la divulgation de
la lettre de l'empereur Charles, Vienne ne fut
plus que l'annexe servjle de Berlin. Les puii^
sauces de l'Entente n'eurent donc aucun scrupule à
soutenir sans réserves les revendications des natio-
nalités opprimées par les Austro-Hongrois, à de-
mander non plus seulement rautononiie de ces
peuples, mais leur complète libération.
Guillaume II et Wilson. Les principes en lutte.
Le discours de Mouni-Vern on {4 juillet i9iS). —
D'ailleurs, la nécessité d'abattre le militarisme
prussien s'imposa aux ennemis des Hohenzollern
avec une force nouvelle pendant la grande offensive
p
Ml
m
k
t
4
1
sU'-- de (iiande-Hrelagne et ci Ii-lainie, prouonce un discours à Wexham.
Hong-Kong, îles Falkland), fédénilion des peuples
conçue dans un esprit général de conipU-le équité.
Mais les négociations de Bresl-Lilovsk prouvaient
assezcominentles plénipotenliaireo du kaiser enten-
daient la publicité des négociations et l'indépendance
des peuples. L'Allemagne voulait traiter séparément
avec chacun de ses ennemis, et réserver pour les
délibérations d'un congrès général quelques points
particuliers, par exemple rinternationalisalion des
points d'appui fortifiés. Le rapt de nos provinces
en 1871 était qualifié de désannexion; et jamais le
« pays d'empire » ne serait restitué, sous aucun
prétexte, la question d'Alsace-Lorraine étant inexis-
tante au point de vue allemand. 11 n'était pas ques-
tion d'incorporer la Belgique ni les départements
français envahis, mais toute discussion sur l'éva-
cuation des pays occupés serait écartée tant que
l'Entente n'aurait pas reconnu sans réserve l'inté-
grité territoriale de la Quadruplice.
Ainsi, la Belgique et le nord de la France • (il
n'était fait aucune allusion à nos départements de
l'Est) constituaient un gage entre les mains de
l'Allemagne, et, de plus, leur libération ne serait
pas l'objet des délibérations du congrès de la paix,
mais d'arrangements particuliers entre les puis-
sances intéressées. Les aspirations des nationaliti's
assujetties à la domination étrangère étaient impli-
citement rejetées par la proclamation de l'intangi-
bilité des frontières allemande, autrichienne, bulgare
et ottomane. L'Allemagne abandonnait d'ailleurs à
l'Autriche le riglement de ses différends avec l'Italie,
la Serbie, le Monténégro, la Roumanie. L'Entente
n'aurait pas à intervenir dans les alTaires russe et
polonaise, ayant refusé de participer aux négocia-
lions de Brest-Litovsk, et la Pologne ayant été
libérée du régime tsariste par les empires cen-
traux 1 L'Allemagne avait dans les Etats occiden-
taux de l'ancienne Russie des intérêts spéciaux, et
sa politique en Courlande comme en Lithuanie était
en relation étroite avec sa politique en Pologne.
En somme, le comte Hertling proposait la con-
clusion d'une paix complètement allemande, et
maintenait toutes les exigences de l'état-niajor. De
son côté, le comte Czernin se montrait tout aussi
irréductible dans sa volonté de conserver intégra-
lement le domaine austro-hongrois d'avant-guerre;
il se solidarisait entièrement avec son collègue sur
les questions de territoires et de frontières; s'il
parlait sur un ton moins définitif, au lendemain
d'une grève à tendances pacifistes, il ne faisait
aucune concession qui pût déterminer l'Entente à
accepter une conférence générale, et le président
allemande du printemps de 1918. Le 15 juin, le
trentième anniversaire de l'avènement de Guil-
laume Il fut célébré au grand quartier général par
un banquet, et, au toast que lui porta le feld-maré-
chal Hindenburg, le kaiserréponditpar un discours
d'une importance capitale. Passant sous silence la
civilisation latine, considérée sans doute comme
déchue, il prononça textuellement ces paroles :
Le peuple allemand ne vit pas clairement, quand la
guerre éclata, quelle signification elle aurait. Je le savais
très exactement, Aussi^ la première explosion d'enthou-
siasme ne put pas m'aveugler ni apporter de changement à
mes projets et à mes calculs. Je savais très bien de quoi il
s'agissait, car la participation de l'Angleterre signiûait la
guerre mondiale. Qu'on le veuille ou non^ il ne s'agissait
pas d'une campagne stratégique, mais d'une lutte entre
deux conceptions du monde : ou bien la conception prus-
sienne, allemande, germanique du droit, de la liberté, de
l'honneur, de lamorale^ doit continuer à être respectée, ou
bien la conception anglnise doit triompher, c'est-à-dire
que tout doit se ramener à l'adoration de l'argent et que
les peuples de la terre devront travailler comme des
esclaves pour la race de maîtres des Anglo-Saxons qui
les tient sous le joug.
Ces deux conceptions luttent Vune contre l'autre. Il faut
absolument que l'une d'etlts soit vaincue ; et cela ne se
fait pas en quelques jours, eo quelques semaines, ni même
en une année.
Cela m'apparaissait très clairement, et je remercie le ciel
3u'il Vi>usait mis, vous, et vous mou cher général (Luden-
ortf), comme conseillers à mes côtés, et que le peuple et
l'arnK'o allemande — l'armée et le peuple sont une seule
et même chose — vous regardent avec reconnaissani-e.
Je n'ai pas besoin de dire pourquoi nous comt)attons ;
cliacun le sait, l'ennemi lui-même l'avoue ; c'est pourquoi
nous aurons la victoire.
La victoire de la conception allemande du monde : voilà
ce qui est en jeu.
A cet orgueilleux défi, qui était en même temps
dans la bouche du kaiser l'aveu d'une prémédita-
tion jusque-là hypocritement niée, le président
Wilson répondit, le jour anniversaire de 1 indépen-
dance américaine, de ce manoir de Mount-Vernon
où résida "Wasbington et où reposent les restes du
grand homme.
Le discours du 4 juillet 1918 fut une noble pa-
raphrase de la Déclaration de 1776, un nouveau
Sermon sur la montagne, un acte de foi dans l'ave-
nir de la démocratie aux prises avec les puissances
d'oppression et de conquêtes.
Les fondateurs de 1 Union américaine n'avaient
fias de buts particuliers : ils ne songeaient qu'à
ibérer leurs concitoyens des servitudes de classes,
de l'autorité de gouvernants qu'ils n'avaient pas
choisis, de la tyrannie des intérêts personnels.
551
Et nous (disait le Président), nom continuons leur
t&che, nous prenons leur BU i 10, n'est-ce pas? Nous vou-
lons ce qu'ils voulaient. Tous ici, en ÂmériquOi nous
croyons que notre participation à la guerre actuelle n'est
que le fruit do ce (qu'ils ont planiô.
Notre cas ne diffère du leur qu'en ceci i nous avons
rinestimable privilège d'agir de concert avec des hommes
de toutes les nations ; grâce à quoi seront assurées non
seulement les libertés oerAmôriquo, mais aussi les liber-
tés des autres peuples. Nous sommes heureux de penser
qu'il nous est permis do faire ce qu'ils auraient fait, s'ils
avaient été à notre place
Ainsi le passé et lo présent sont engagés dans un corps
à corps mortel, et les peuples du monde sont voués à la
destruction. Entre les deux parties, à cette lutte il ne
peut y avoir qu'une issue. Le règlement doit être définitif.
11 ne peut comporter aucun compromis. Aucune solution
indécise ne serait supportable, m concevable.
Destruclion ou, tout au moins, réduction à une
virtuelle impuissance de tout pouvoir qui puisse
arbitrairement troubler la paix gémirtile ; — règle-
ment des questions de territoire ctde souveraineté,
des accords économiques et des relalions politii|ues
sur la base de la libre acceptation des peuples inté-
ressés; — observation parles nations des principes
d'honneur et de mulnel respect du droit qui régis-
sent les citoyens pris individuellement; — établis-
sement d'une Société des nations : tels sont les buts
pour lesquels les Alliés combattent et qui se ra-
mènent à un seul, « le règne de la loi basé sur le
conseniement des gouvernés et soutenu par l'opi-
nion organisée de l'humanité ».
Je puis m'imaginerquo l'atmosphère de ce lieu renforce
ces principes d'une faveur p.irticiilière. C'est ici, en effet,
que se sont levées les forces que ta grande nation contre
latjueile elles étaient dirigées a l'origine regardait comme
une révolte contre sou autorité légitime, mais qui, elle l'a
reconnu depuis longtemps, marquaient un pas en avant
vers la libération de son propre peuple tout autant que
vers la libération du peuple des Et;its-Unis. Kt je puis,
ici, à cette heure, parler hèrement, et avec un espoir cou-
dant, de la propagation de cette révolte, de cette libéra-
ration, à la vaste scène du monde elle-même. Les maîtres
aveugles de la Prusse ont fait surgir ces forces à leur
cour. Ces forces, ils les connaissaient mal, ignorant qu'une
fois qu'elles ont pris leur essor elles ne peuvent jamais
être écrasées de nouveau sur la terre, car elles recèlent
en elles une inspiration et un but qui sont immortels et
participent à la nature même du triomphe.
— Après avoir exposé les déclarations des gou-
vernements sur leurs buts de guerre, il nous reste
à mettre en relief les concluîions qui s'en dégagent
quant aux questions essentielles dont le traité de
paix aura à assurer le règlement.
Au point de vue économique, les délibérations
des plénipotentiaires porteront sur la liberté de na-
vigation en dehors des eaux territoriales, l'égalité
du régime commercial entre nations, l'attribution
et peut-être le statut légal des colonies : les solu-
tions qui interviendront et qu'il serait téméraire de
préjuger mettront nos ennemis dans l'impossibilité
non de vivre et de se développer, mais de nuire et
de dominer par des moyens illicites. Au point de
vue politique, tous les Alliés sont d'ores et déjà
résolus à proscrire les négocialions secrètes et les
accords particuliers, à détruire 'e militarisme prus-
sien, à donner pour base aux règlements territo-
riaux le consentement des gouvernés, à réduire les
armements, à instaurer la Société des nations. Cer-
tains de ces bnts de guerre, ou plus exactement de
ces buts de paix, appellent des considérations et
des précisions.
La destruction du militarisme prussien. — L'ob-
jectif commun k tous les gouvernements ligués
contre l'Alleinasne, celui qu'il falliiit absolument
atteindre pour parvenir à fonder une paix durable,
c'était la destruction du militarisme prussien et
d'une forme d'Etat qui tend à étouffer tout ce qu'elle
ne réussit pas à absorber. La Prusse, après avoir
intoxiqué toute la race germanique, menaçait l'in-
dépendance et la tranquillité de l'Europe : elle devait
être mise dans l'impossibilité de continuer sa be-
sogne malsaine.
Le langage tenu par Guillaume II, à l'occasion du
trentième anniversaire de son avènement, a diclé
une fois de plus leur devoir aux hommes qui ne
veulent pas vivre d'une vie abjecte et déshonorante
sous le despotisme d'un homme que l'orgueil a
rendu fou. Il jnstille celui du président Wilson,
lorsqu'il faisait appel à la coopération de tous pour
11 la libération de l'âme du monde », ou encore lors-
qu'il insistait sur la nécessité d'anéantir cette com-
binaison menaçante d'intrigue et de force, celte
« chose sans conscience ni honneur » qu'est la puis-
sance germanique, ou enfin lorsque, le 4 juilletl918,
à l'occasion de l'independence Day, il répondait
au défi du kaiser que » le passé et le présent étaient
engagés dans un corps à corps mortel », que l'af-
franchissement du monde était en jeu, et tjue rien
désormais « n'écraserait les forces émancipatrices
qu'ont fait surgir les mailres aveugles de la Prusse».
L'écrasement du militarisme n'impliquait pas la
destruclion des nations ennemies. Le gouverne-
ment britannique, ainsi que le disait Lloyd George
(Chambre des communes, 5 janvier 1918), n'a jamais
« visé à rompre l'unité des peuples germaniques,
ou à démembrer leur Etat ou leur pays », ni à leur
LAROUSSE MENSUEL
imposer l'abrogation de leur constitutiou anachro-
nique. Et le président Wilson a maintes fois donné
les mêmes assurances, notamment le 8 janvierl918.
Le peuple américain n'est « nullement jaloux de la
grandeur de l'Allemagne ; mais dans la société
moderne, cette puissance ne doit pas s'arroger une
situation dominante », toutes les nations ayant les
mêmes droits.
L'Alsace-Lorratne. — La thèse allemande sur
l'Alsace-Lorraine a été exposée en dernier lieu le
24 janvier 1918, & la tribune du Reichstag, par le
chancelier de l'empire :
L'Alsace-Lorraine, a dit le comte Hertling, se compose
en majeure partie de territoires purement allemands, qui
avaient été arrachés à l'empire allemand par des an-
nexions brutales et des violations du droit poursuivies
pendant des siècles, jusqu'à ce que la Révolution de 1789
vint engloutir le dernier reste. Ils devinrent alors provin-
ces françaises. Lorsque, en 1870, nous avons redemandé
les parties de ce pays qui nous avaient été criminellement
arrachées, ce n'était pas une coni|uête d'un territoire
étranger, mais vraiment et à proprement parler ce qu'on
appelle aujourd'hui une désannexion. Cette désannexion
fut aussi expressément reconnue avec une grande majo-
rité de voix par l'Assemblée nationale française, la re-
présentation constitutionnelle du peuple français.
Ces assertions ne résistent pas à l'examen : l'his-
toire diplomatique ne saurait les admettre. Ce sont
bien des territoires français que l'Allemagne, ou
Le comte Hertling, ohanoelier d'Allemagne (1917).
plutôt la Prusse a pris de force en 1871 ; ce sont
bien des populations françaises de cœur et de volonté
qu'elle a brutalement asservies, sans considérer
que l'Alsace ne faisait pas partie au xvu' siècle
d'une Allemagne unifiée; qu'elle s'était peu àpeu,
librement, en dehors de toute pression administra-
tive ou militaire, fondue dans notre nation; que la
Révolution avait achevé de la franciser. Elle
fut donc, en 1871, arrachée à une patrie avec la-
quelle elle faisait corps. Les raisons historiques
mises en avant par la Prusse, aussi bien que celles
qu'elle lire de la communauté ethnique ou linguis-
tique, ne sont en réalité que des prétextes; la vérité,
c'est que les politiques et les écrivains d'outre-Rhin
ne cessent de réclamer la possession de Strasbourg,
de revendiquer l'Alsace et même la Lorraine ; c'est
aussi que la Prusse avait besoin d'une guerre pour
réaliser à son profit l'unité allemande. Le 26 octo-
bre 1870, le roi de Prusse adressa une lettre & l'im-
pératrice Eugénie, qui est la meilleure réfutation
de la thèse du comte Hertling :
Après avoir fait d'immenses sacrifices pour sa défense,
écrivait Guillaume, l'Allemagne veut être assurée que la
prochaine guerre la trouvera mieux préparée à repousser
l'agression sur laquelle nous pouvons compter aussitôt
que la Franco aura réparé ses forces et gagné des alliés.
C'est cette triste considération setile et non te dt^sir d'agran-
dir une patrie dont le territoire est assez grand, qui me
force à insister sur des cessi'ins de territoires, qut n'ont
d'autre but que de reculer le point de départ des armées
françaises quit à Tavenir, viendront nous attaquer.
Le roi de Prusse lui-même déclare donc que l'an-
nexion de l'AIpace-Lorraine n'est pas motivée par
le désir de récupérer des terres allemandes, mais
par le souci de prendre des garanties contre une
agression française.
L'Assemblée nationale de Bordeaux a, il est vrai,
subi les conditions du vainqueur; mais les popula-
tions arrachées à la France n'oat Jamais été consul-
N* 139. Septambre 1918-
tées. La protestation portée à la tribune de lAssem-
blée française au nom des députés du Haut-Rhin,
du Bas-Rhin, de la Meurthe et de la Moselle, re-
nouvelée trois ans plus tard au Reichstag, conserve
toute sa force : les Alsaciens-Lorrains ne sont pas
liés par un contrat auquel manque leur consen-
tement.
L'acte de dépossession violente consommé en 1871
devait rendre impossible le rétablissement d'une
paix sincère entre la France et l'Allemagne, et les
pays annexés sont demeurés réfraclaires à tontes les
tentatives de germanisation. Ils résisli'rent d'abord
par l'émigration; puis, même au prix du service
militaire dans l'armée allemande, les Alsaciens dé-
cidèrent de rester sur le sol natal pour y défendre
leurs traditions et leur culture, qu'ils doivent surtout
à l'esprit français. Grftce à cette opiniâtreté singuliè-
rement touchante, l'Alsace, même dotée d'une
constitution qui modifia son état légal (1911), resta,
selon l'expression de Maurice Barrés, la » marche »
qui protégea contre les attaques du germanisme la
civilisation latine : elle fut occupée, brutalisée,
bâillonnée, mais jamais conquise, au sens noble du
mot. Et ainsi s'est vérifiée celte affirmation d'un
mémoire communiqué aux conférences de La Haye
(1709) par le baron de Schmetlau, ministre du roi
de Prusse à Paris :
11 est notoire que les habitants de l'Alsace sont plus
Français que les Parisiens, et que le roi de France est si
sûr de leur affection à son service et à sa gloire, qu'il
leur ordonne de se fournir de fusils, dopées, de halle-
bardes, de pistolets, de poudre et de plomb, loute.s les
fois que le bruit court que les Allemands ont dessein de
passer le Rhin, et qu'ils courent en foule sur les bords de
ce fleuve pour en empêcher ou du moins en disputer le
passage à la nation germanique, au péril évident de leurs
propres vies, comme s'ils allaient au triomphe
Si l'on séparait les Alsaciens du roi de France qu'ils
adorent, on ne pourrait lui ôter les cœurs d'autre manière
que par une chaîne de deux cents ans.
" L'Alsace-Lorraine, disait le socialiste Albert
Thomas, c'est le symbole du droit violé. » Aussi, la
restitution de nos provinces n'est-elle pas une
simple question territoriale : elle est encore une
question morale d'un caractère universel, au même
titre que la libération des Italiens, des Roumains
et des Slaves assujettis à la domination austro-
hongroise.
Nous sommes de ceux qui pensent que la « désan-
nexion » de l'Alsace-Lorraine devra êlre pure et
simple : un plébiscile, qui aurait l'inconvénient de
sanctionner après coup la violation d'un droit im-
prescriptible, serait pratiquement inutile, les immi-
grés allemands n'ayant pas & délibérer sur le sort
d'un pays qu'ils occupent injustement.
Lai'ive gauche du Hhin. — Les gouvernements de
Paris et de Petrograd se reconnurent mnluellement
le droit de rectifier leur frontière respective du côté
de l'Allemagne, et ainsi se posa pour la France la
question de la rive gauche du Rhin.
La diplomatie de l'Ancien régime s'était constam
ment efforcée de rendre à la France ses limites
primitives, celles de l'ancienne Gaule, et sa concep-
tion fut enfin réalisée en 1795 par la Révolulion, à
qui les traités de Bâie reconnurent la possession de
la rive gauche du Rhin. D'après la théorie exposée
par Carnot le 14 février 1793, au nom du comité
diplomatique de la Convention, les annexions de
territoires devaient être ou formellement consenties
par les populations intéressées, ou commandées par
« la sûreté générale de la République ». Les habi-
tants des pays annexés (départements du Mont-
Tonnerre, de la Sarre, de Hhin-et-Moselle, de la
Roër) lurent donc appelés, en l'an VI, à ralitier
l'œuvre des diplomates. Les Irailés del815 cédèrent
aux Pays-Bas Philippeville et Marienhourg, k l'Alle-
magne Sarrelouis et Landau, et la Prusse, installée
sur la rive gauche du Rhin, fleuve celtique par le
nom et français par l'histoire, ne songea plus qu'à
s'étendre vers l'ouest.
Ce ne fut pas l'amliition, mais le souci du lende-
main, qui conseilla à notre gouvernement de prendre
des garanties contre un voisin mallionnête. c< Stras-
bourg et Metz, disait Bismarck, sont les clefs de
notre maison. » Non, ce sont les clefs de la nôtre!
Sur le terrain des droits historiques, que notre
ennemi choisit volontiers lorsqu'il y a son intérêt,
nous sommes beaucoup plus solidement établis que
la Prusse. L'Alsace et la Lorraine, qui nous appar-
tiennent régulièrement, sont les défenses avancées
de noire capitale, et, sans invoquer le système des
<i frontières naturelles », qui, pas plus que le <• sys-
tème des nationalités », ne peut fournir un principe
absolu de droit international, notre gouvernement
s'arrêta à une solution qui fit l'objet d'un échange
de lettres entre les cabinets de Paris et de Petro-
grad (février 1917), à la suite d'une mission confiée
au ministre Gaston Doumcrgue. Dans la séance de
la Chambre des députés du 31 juillet 1917, Alexandre
Rihot fit ressortir la portée de cette négociation :
M. Boumergue (dit-il), à la suite de ses conversations avec
le tsar, a demandé et obtenu de M. Briand l'autorisation de
prendre acte de la promesse du tsar d'appuyer notre re-
vendication de l'Alsace-Lorraine et de nous laisser libres de
chercher des garsotiet contre nae noaveUe agresaiea non
«• 139. Septembre 1918.
LAItUUSSh; MliNSUKL
353
i'resuiciu W i
V. Miiu Auuu
(Finance*}.
{Attouey gén:ralj.
{Mar.ne,. {Agi-icuUure). {Sect-ttairt d'Elal). {'i'ravaiit.
Le président >Vilson i^t ses ministres.
{ijuerrt).
{f^slesi.
I I K. Lane W. Reddeld.
{Jjitiritur). (C'owinwrceJ.
]ias en annexant à la Franco les territoires de la rive gau-
che du Rhin, mais en faisant, au besoin, de ces territoires
un Etat autonome qui nous protégerait, ainsi que la Bel-
gique, d'une invasion d'outre-Rhin. Nous n'avons jamais
songé & faire ce qu'a fait en 1871 M. do Bismarck.
Ces divers projeta furent abandonnés lorsque les
révolutiunnaiies russes, niailres du pouvoir, eurent
l'orinulé des principes de paix exclusifs de toute an-
nexion. Le gouvernement britannique ne leur avait
d'ailleurs donné aucun enconrasement (déclaration
deBalfour à la Chambre des communes, 16 mai 191 8).
La Belgique. — L'injustice coniniise par l'Alle-
magne au début des hostilités fut aggravée par des
pratiques qui ruinèrent le pays, par la destruction
systématique de villes et de villages, par l'empri-
sonnement, l'assassinat ou la déportation de ses
habitanls. Ayant occupé la Belgique comme des
voleurs, les Allemands s'y comportèrent comme des
bandits, tout en invoquant les règles du droit des
Kens sur l'adminislration des territoires placés sous
l'autorité de l'armée ennemie.
Lorsque le roi Albert ne trouva plus dans son
royaume, presque complètement envahi, les condi-
tions indispensables à l'exercice de son autorité, il
resta à la tête de ses troupes, pendant que son gou-
vernement s'établissait à Sainte-Adresse, près du
Havre (1.1 octobre 1914). C'est là que les ministres de
Fiance, de Grande-Bretagne et de Russie vinrent,
le 16 lévrier 1916, donner lecture, au ministre belge
des afiaires étrangères, de la Déclaration suivante :
Les puissances alliées et garâmes déclarent que, le
moment venu, le gouvernement belge sera «ppelé à par-
ticiper aux négociations de p;iix, et Qu'elles ne mettront
pas fin aux hosiilités sans que la Belgique soit rétablie
dans son indépendance politique et économique, et lar^'e-
nient indemnisée dos dommages qu'elle a subis. Elles jirê-
toront leur aide à la Belgique pour assurer son relèvemoût
commercial et financier.
Les puissances (idMeg à leurs obligations interna-
tionales avaient considéré comme un devoir — la
guerre paraissant devoir se prolonger longtemps
encore — de renouveler solennellement leurs enga-
gements envers un peuple héroïquement respec-
tueux de sa signature, de l'assurer qu'elles lui don-
neraient jusqu'au jour des réparations légitimes
leur dévouement et leur appui.
Le bourreau le plus éminent de la Belgique oc-
cupée fut son premier gouverneur général, le général
von Bissing. Ce personnage invitait les sujets du
roi Albert à lui prêter leur concours dans l'intérêt
même de leur patrie. En réalité, il préparait et
souhaitait l'annexion du malheureux pays qu'il op-
primait, allant jusqu'à conseiller 1' " exproprialion »
des réfractaires, « pour empêcher qu'on en arrivât
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
en Belgique à une situation analogue à celle qui
s'était créée en Alsace-Lorraine ». Le fond de sa
pensée nous est parfaitement connu par son « tes-
tament politique », mémoire posthume écrit à la fin
de 1916, et adressé à un député prussien. Pour Bis-
sing, la Belgique est un « territoire d'offensive » et
une o position d'avanl-garde », qui menace <■ la liberté
d'opération de l'aile droite allemande ». 11 est donc
essentiel de la soustraire à l'influence de la France
et de r.\ngleterre, dont elle pourrait augmenter la
puissance combative et la capacité de résistance.
Albert I", i-mi ■, i , ,_ . ,.!■;..:; ...m.
par sa production industrielle. Aussi, l'empire verra-
t-il sa frontière prolongée jusqu'à la côte, au grand
avantage de ses inlérôts maritimes, et la Belgique
Eerdra-t-elle son indépendance économique aussi
len que son indépendance militaire.
Les conceptions de von Bissing ne sont pas restées
dans le domaine de la théorie. N'osant pas annexer,
pendant la guerre, la population du pays qu'ils ex-
ploitent sans vergogne, ils ont imaginé de la diviser,
en opposant les Flamands aux Wallons, en créant à
Gand une université purement flamande, en réali-
sant la séparation administrative des deux régions.
Ils ont bien trouvé quelquescentainesde traîtres pour
les aider et pour composer le « Conseil des Flan-
dres », mais ils n'ont abouti qu'à réaliser l'unité
morale du pays, qu'à soulever les protestations
indignées des députés et des sénateurs flamands et
wallons, des administrations communales et des
corps judiciaires; la magistrature n'hésita pas à
requérir courageusement l'application des lois con-
tre les membres du « Conseil des Flandres », cou-
pables d'avoir favorisé les desseins de l'ennemi et
le démembrement de la patrie. Mais l'Allemagne
est fertile en ressources malpropres : elle semble
avoir arlificiellement provoqué un mouvement wal-
lon pour exciter les susceptibilités flamandes.
Cette machination n'a pas été plus efficace que
l'autre. Tous les Belges se sont serrés autour de
leur gouvernement, dont les buts de guerre sont
les suivants: intégrité du territoire métropolitain
et colonial; indépendance politique, économique et
militaire, sans condition ni restriction; répara-
tions pour les dommages causés ; garanties contre
le renouvellement de l'agression de 1914.
Le gouvernement impérial avait complété sa ré-
ponse à la note pontificale par une communication
verbale sur la Belgique : il aurait consenti au réta-
blissement de l'indépendance de cet Etat, et même
contribué au paiement des compensations qui lui
étaient dues & raison des dommages causés par la
guerre ; mais la Belgique devrait garantir que
toute menace comme celle qui a assailli l'Alle-
magne en i9li sera exclue (sic), conserver la sé-
paration administrative entre les Flandres et la
Wallonie, laisser à l'Allemagne le droit de déve-
lopper librement ses entreprises économiques dans
tout le pays, et surtout à Anvers. Les Belges
étaient représentés, dans ce document, comme les
agresseurs, et il était affirmé que la scission ima-
ginée par des occupants de mauvaise foi corres-
pondait au désir de la majorité de la population.
Albert I'' répondant, le 24 décembre 1917, à 1»
note pontificale, repoussa toute paix qui n'assurerait
pas à son royaume des réparations équitables, la
sécurité, et des garanties pour l'avenir :
L'intégrité du territoire belge — métropolitain et colo-
nial, — l'inâuence politique, économique et niititairo sans
condition ni rostriction, les réparations pour le dommage
subi, dos garanties contre le rcnouvollement de l'agression
de 1914, telles reatent les conditions indispensables d'une
paix juste, en ce qui concerne la Belgique. Tout règle-
ment qui los roéconnattrait ébranlerait les fondementa
mémos du droit, puisqu'il serait désormais acouis que
dans le domaine international la violation du droit
crée un titre à son auteur, et peut devenir la source d'un
prolit. (.A «uivr«.) — Albert Luokt.
21*
554
Cératias (du grec keras, keratos, corne)
n. m. Genre de poisson osseux du groupe des
acanthoptérygiens pédicules et de la famille des
ceraliidés.
— Encycl. Ce genre a la tête et le corps oblongs,
comprimés latéralement, portant des nageoires épi-
neuses. La bouclie est terminale, moyenne, s'ou-
vrant presque verticalement. Les dents, sur les
maxillaires, sont de grosseur moyenne, coniques;
elles n'existent pas sur le vomer et sur les palatins.
Les branchies sont au nnmljre de deux paires et
demie, avec des ouïes étroites placées vers le bas.
f^
Cetatias Ilolb&Ui.
Sur le dos deux épines, l'antérieure étant beaucoup
plus longue que la postérieure et un peu renllée vers
l'extrémité. La nageoire pectorale est tris courte,
large, avec un assez grand nombre de rayons; la
dorsale et l'anale sont courtes, tandis que la cau-
dale arrondie est formée par des rayons nombreux
et longs.
Le cératias d'HolbOlI {cératias UolbSlli) est un
poisson très remarqualile, connu seulement par trois
spécimens d'environ 70 centimètres, péchés dans
les régions abyssales du sud du Groenland et de la
Nouvelle-Ecosse. Il est probable qu il vit aussi sur
le grand plateau de l'Atlantique. Ce poisson est
tout entier noir. Son œil est très petit. La Hdgeoire
dorsale porte 1 -f- 1 -f- 4 rayons, la pectorale 19,
l'anale 4, et la caudale 8. — a. MénfoAcx.
Duchesne (Jacques- Charles - René - Achille),
général français, né à Sens le 3 mars 1837, mort au
château de Pennery (Loiret) le 27 avril 191 8. — Sorti
de l'école de Saint-Cyr en 1857 et nommé sous-
lieutenant d'infanterie, il prit part à la bataille de
Soiférinoen 1859 et, ayant élé blessé, fut nommé
chevalier de la Légion d'honnenr. Il était capitaine
depuis 1864 quand, en 1870, éclata la guerre avec
l'Allemagne; il fit partie de la division commandée
)ar le général de Laveaucoupet, qui eut à subir des
uttes sanglantes devant Forbach, et il fut fait pri-
sonnier après la capitulation de Metz.
Après la guerre franco-allemande, la carrière mi-
litaire du capitaine Duchesne devait surtout se con-
tinuer dans l'Afrique du Nord et aux colonies. 11 fut,
en effet, successivement adjudant-major au t" ba-
taillon d'infanterie légère d'Afrique, chef de bataillon
au 2° zouaves en 1874, et lieutenant-colonel de la
légion étrangère en 1881. Sous ce dernier titre, il
fut chargé de conduire l'une des colonnes dirigées
contre le marabout Bou-Amama qui avait pro-
voqué une révolte des tribus nomades dans le Sud-
Oranais.
En 1883, Duchesne fut envoyé au Tonkin, et il
commanda les deux bataillons de la légion étran-
gère adjoints à la brigade Négrier. Il se signala par
son intrépidité à l'affaire de Bac-Ninh, le 12 mars
1884, et, ayant enlevé les ouvrages avancés de la
ville, il pénétra le premier dans la place à la suite
des Chinois qu'il poursuivait. Le 12 avril, il parti-
cipait à la prise de Hong-Hoa. Promu colonel en
septembre de la même année, il continua à prendre
part aux opérations du corps expéditionnaire; il di-
rigea, en novembre, une petite colonne envoyée
d'ilano'i, qui réussit à chasser les Pavillons noirs
des rives de la rivière Claire, et qui put dégager et
ravitailler la place de Tuyen-Quan dont la garnison
commandée par le chef de bataillon Dominé tenait
tête depuis trois mois à plus de 15.000 Chinois.
Le colonel Duchesne allait rentrer en France
pour prendre un repos dont il avait besoin, quand
l'amiral Courbet, qui connaissait toutes ses qualités
militaires et son intrépidité, demanda qu'il lui fût
attaché, et fit de lui un précieux auxiliaire en lui
confiant le commandement des troupes de débar-
quement de Formose. Après être resté enfermé pen-
dant trois mois, de janvier à mars 1885, à Ke-l^ung,
au nord de l'ile, à cause des pluies incessantes qui
eurent lieu, il put enfin prendre l'offensive contre
les Chinois, et se conduisit avec éclat dans les com-
bats qui eurent Heu, du 4 au 8 mars, autour de cette
ville. Il soutint la lutte jusqu'à la signature des
préliminaires de paix, laquelle fut définitivement
conclue le 4 avril. Les brillants services du colonel
Duchesne lui valurent la croix de commandeur de
la Légion d'honneur, le 20 mars.
Rentré en France la même année, le colonel Du-
chesne resta à la tête du 110° régiment d'infanterie
& Dunkerque, jusqu'à sa nomination au grade de
général de brigade en 1888. Promu général de divi-
sion en 1893, il fut mis à la tête de la 16" division
LAROUSSE MENSUEL
d'infanterie à Bourges; il commanda ensuite celle
de Belfort, et c'est alors qu'il fut désigné, en dé-
cembre 1894, pour prendre le commaademont de
l'expédition envoyée à Madagascar, et qui amena la
soumission définitive de la grande île.
Le général Duchesne put, dès le début des pré-
paratifs, présider à tous les détails d'organisation
du corps expéditionnaire, qui devait comprendre
15.000 hommes sans compter les porleurs. L'avant-
garde, commandée par le général Metzinger, dé-
barqua à Majunga le 1" mars 1895, et le général
Duchesne y arriva lui-même le 6 mai avec le reste
de l'expédition. Toutes les dispositions nécessaires
ayant été prises, il put parvenir, le 9 juin, devant
Mevatanana, position très forte, considérée comme
inexpugnable. Surpris par la vigueur d'une attaque
bien préparée, les Hovas durent se retirer en
abandonnant un matériel considérable. Le 20 et
le 21, le général leur infligea deux défaites si
complètes et si meurtrières que, d'une seule marche,
ils reculèrent jusqu'à Andriba, qui est à plus de
80 kilomètres au sud de Mevatanana. Après la
prise des fortes positions d'Andriba par le général
Voyron, le 22 août, le général en chef envoya en
avant une colonne légère qui, s'étant mise en
marche le 14 septembre, rompitavec une admirable
vigueur les obstacles (lui se dressaient sur sa route,
et, le 30, arriva sous Tananarive, après avoir re-
foulé l'armée hova de tontes ses positions. La
reine de Madagascar capitula après un court bom-
bardement de la capitale, et le général Metzinger
put y entrer le même jour.
Le général en chef Duchesne y fil, le lendemain
1" octobre 1895, son entrée solennelle, et obligta
la reine Ranavalo à signer le traité qui plaçait
son royaume
sous le protecto-
rat de la France.
Ainsi cet émi-
nentofficieravait
su, grâce à ses
énergiquesef-
forts, à sa pré-
voyance et à ses
planshabilement
conçus, conduiie
en quelques mois
sestroupesàcinq
cents kilomètres
de leur base d'o-
pération,dans un
pays sans routes
et d'un rude cli-
mat, malgré les
difficultés du ra-
vitaillement, et
en ayant à vain-
cre de vigoureuses résistances. Cet éclatant succès
donne au général Duchesne une haute place dans
l'histoire coloniale de la France.
Le général Duchesne organisa tout de suitel'admi-
nistration locale, et il dut envoyer diverses colonnes
pour arrêter des révoltes et rétablir l'ordre. Enfin,
la roule de Tamatave, par laquelle devait arriver
bientôt le résident général Laroche, étant libre, la
mission du général Duchesne était achevée, et il
quitta Tananarive le 17 janvier 1896. Dans son
Rapport sur l'expédition de Madagascar, le géné-
ral Duchesne a donné un excellent exposé, très
précis, de tous les faits de guerre qui ont abouti à
noire établissement définitif dans l'île, et le volume
renferme aussi tous les documents militaires, di-
plomatiques et politiques qui sont de nature à
éclairer l'histoire de cette expédition.
Atteint par la limite d'âge en 1902, le général
Duchesne, alors membre du conseil supérieur delà
guerre, avait été maintenu en activité sans limite
d'âge, par un décret en date du 28 février 1902. 11
était grand-croix de la Légion d'honneur depuis
1901. Gustave RBOELSPERaER..
Encépliallte létliarglque. — C'est le
nom d'une maladie peut-être nouvelle, peut-être
seulement méconnue jusqu'à ces dernières années,
et sur laquelle Netter vient d'attirer l'attention de
la Société médicale des hôpitaux, puis de l'Acadé-
mie de médecine. Il est possible qu'on puisse lui
rapporter les cas signalés à Tubingue en 1712 et
auxquels on avait donné le nom de « maladie du
sommeil» {fichiafkranlilteit). Il est plus certain qu'il
faut l'identifier avec la « nona » qui régna un peu
partout au printemps de 1890, et notamment en
Italie et dans les Balkans. Enfin ce sont bien des
cas d'encoplialile lélhargique qui ont été ob>ervés
l'an dernier à Vienne. Le travail de Netter est
fondé principalement sur une épidémie parisienne,
mais la même maladie est certainement aussi ré-
pandue en Angleterre (Londres, Manchester, Shef-
field, etc.). Les cas venus à la connaissance de
Netter sont actuellement de 71, dont 34 français et
37 anglais.
Les deux signes caractéristiques de l'encéphalite
léthargique sont le sommeil et les paralysies ocu-
laires. Avant que le sommeil ne s'installe, on
Général Duchesne.
«• 139. Septembre 1918-
observe généralement du mal de tête et des vomis-
sements, puis un sentiment de grande fatigue. La
somnolence apparaît alors. Au début, elle est assez
légère pour que le malade puisse répondre aux
questions qu'on lui pose, exécuter les mouvements
qui lui sont prescrits, et même marcher. Mais, peu
à peu, le sommeil devient de plus en plus profond,
le sujet s'alimente très irrégulièrement, à grands
intervalles, et enfin il se produit un véritable coma,
entrecoupé souvent de paroles, d'agitation, de
convulsions.
La paralysie des muscles de l'œil se manifeste
par l'immobilité complète des globes oculaires, du
strabisme, de la chute de la paupière supérieure.
Parfois la pupille présente une insensibilité com-
plète à la lumière, et une accommodation nulle. Ces
symptômes paralytiques peuvent d'ailleurs s'étendre
au delà des muscles de l'œil, gagner le voile du
palais, la langue, le larynx, etc. II se produit par-
fois, simultanément, du tremblement des membres
supérieurs ou inférieurs, de l'incoordination motrice,
et même des contractures.
La maladie est grave. La mortalité, telle qu'elle
résulte des statistiques actuelles, dépasse 50 p. 100
des cas. Sa durée est ordinairement longue, et se
compte par semaines et par mois. Dans quelques
circonstances rares, elle évolue cependant en quel-
ques jours. Comme complications, on peut noter
des escarres sacrées. Mais lorsque le malade gué-
rit, c'est de façon complète et sans st-quelles.
Nous ne savons pas grand'chose de la nature
même de cette maladie. Elle paraît due à un mi-
crobe qui suivrait la voie sanguine et donnerait
naissance à des lésions d'encéphalite interstitielle
diffuse. Cette affection présente un certain nombre
de points de ressemblance avec diverses maladies
déjà classées, mais dont de sérieuses dilîérences la
séparent. C'est ainsi qu'elle ressemble en quelque
manière à la méningite, dont beaucoup de symptô-
mes font cependant chez elle défaut, et notamment
les altérations du liquide céphalo-rachidien; de
même la somnolence seule l'apparente telle avec la
maladie du sommeil des nègres, causée par le ii;/-
panosoma Gambiense, qui ne saurait être incriminé
ici ; elle n'est pas plus, comme on ponrraitle croire,
une forme de la poliomyélite (V. Larousse Mennuel,
t. II, p. 214) qui sévit à d'autres périodes de l'année,
frappe de préférence les enfants, allère le liquide
céphalo-rachidien, etest beaucoup moins grave; de
même ne saurait-on la confondre, comme on l'a
fait en Angleterre, avec le botulisme, qui frappe
jlusienrs commensaux d'un même repas, donne de
a dilatation de la pupille, de la sécheresse de la
bouche, de la con.stipation opiniâtre, etc., et permet
d'isoler le bacillus botulinus, absent dans l'encé-
phalite. Celle-ci reste donc une maladie infectieuse,
épidémique et autonome, dont l'agent responsable
est encore à déterminer.
Le traitement, jusqu'ici, a consisté dans l'admi-
nistration d'urotropine. Netter pense qu'il y aura
grand inlérêt à soigner les malades atteints d'encé-
phalile léthargique par l'injection de sérum prove-
nant de sujets guéris. — D' Henri Bouquet.
fièvre de 'Volliynie n. f. Maladie décrite
peut-être sous un autre nom, au débutde la guerre,
fiar des médi>cins anglais, mais connue surtout par
es études des médecins allemands. Elle a été obser-
vée de façon à peu près exclu.sive parmi les troupes
des empires centraux, notamment sur leur frontorien-
tal ("Volbyiiie et Pologne), puis, plus tard, sur les
fronts franco-ani;Iais et italien. || S\ n. fiIîvrk pério-
dique, FIÈVRE DES CINQ JOLRB, FIÈVRE TIBIALGIQUE.
— Encycl. Cette maladie infectieuse et épidé-
mique semble transmise par les parasites cutanés,
malgré que quelques auteurs aient estimé que la
contagion pouvait s'effectuer par les urines. Plu-
sieurs niicroorganismes, protozoaires ou microbes,
ont été signalés comme en élant les agents, mais
rien de net n'est encore résulté des études faites à
cet égard.
La symptomalologie est mieux connue. La fièvre
de Volliynie est caractérisée par des accès fébriles
qui durent chacun entre vingt-quatre et quarante-
huit heures et sont séparés l'un de l'autre par des
périodes d'apyrexie de cinq jours en moyenne. On
a vu, néanmoins, des accès durer jusqu'à soixante
heures, et l'intervalle entre deux accès consécutifs
être de quatre ou de sept jours.
L'accès, précédé parfois de symptômes vagues,
tels que mal de tête, malaise généralisé, inappé-
tence, débute par un frisson qui saisit, le plus sou-
vent, l'homme en pleine santé. Ce frisson terminé,
la fièvre s'installe. La température monte pins len-
tement que dans le paludisme, jusi|n'àson maximum
qui oscille entre 38° et 40». Cet acmé se maintient
quelques heures à peine, puis survient une sueur
très abondante, et la descente se fait par sauts. Le
malade reste sans fièvre pendant quatre ou cinq
jours, et l'acci s se renouvelle. Les derniers accès
sont généralement moins forts que les premiers.
La fièvre est accompagnée, de façon constante,
dans sa montée et sa décroissance, par l'apparition
et l'évolution presque symétrique de douleurs vives,
t
Pierre Foncin.
W* 139. Septembre 1918.
lui alisées dans les deux jambes, à la face interne
(tibialgie). On ignore quel tissu est exactement le
siège de ces souUiances. On note seulement qu'il y
a une sensibilité à peu pri-s constante des masses
musculaires du mollet. Quelques accfes frustes sont
conslilués exclusivement par cette tibialgie. Comme
autres signes, on ne peut guère mentionner que
l'augmentation fréquente de volume du foie et de la
rate, et l'apparition d'une production abondante de
globules blancs dans le sang.
L'évolution conipli le de la maladie comporte
habiluellement de sept à huit accè». Dans certains
cas, la fièvre s'installe de façon continue (forme
typhoïde). Dans quelques oliservations, on note jus-
qu'à douze ou quatorze accès.
La maladie guérit spoiilaiiémenl dans la totalité
des cas. On n'a guère signalé de complications que
du côté des reins. Le traitement, symptomatique,
a consisté dans l'administration des antipyrétiques
ordinaires et, dans quelques cas, du novarséno-
benzol. L'action de ces médicaments s'est montrée
très irrégulière, — D' Maurice Gillb.
Foncin(Piej^e- François-Charles), géographe et
universitaire français, né à Limoges le 2 mai 1841,
mort à Paris le 16 décembre 1916. — Fils d'un admi-
nistrateur universitaire (son père était censeur des
éludes au lycée de Limoges lors de sa naissance),
il dut changer plusieurs fois de lycée au cours de ses
études. Il fit ses classes supérieures à Amiens, puis
vint à Paris faire
une seconde rhé-
torique et prépa-
rer l'Ecole nor-
male supérieure.
11 fut alors élève
ducollège Sainte-
Barbe, et suivit
les coursdu lycée
Louis-le-Grand .
Admis à l'Ecole
normale en 1860,
il conquit trois
ans plus tard le
titre d'agrégé
d'histoire, et pro-
fessa successive-
ment aux lycées
de Garcassonne,
Troyes, Mont-
de-Marsan,eten-
fin de Bordeaux
(1869-1876). Il passa ses thèses de doctorat en 1876;
il étudiait dans sa thèse laline le Pagus Carcasson-
nensis (la région de Garcassonne au moyen âge). Sa
thèse française était intitulée : Essai sur le minis-
tère de Turgol. Il fut alors nommé professeur de
géographie à la Faculté des lettres de Bordeaux.
Le 15 avril 1879, il fut nommé recteur de l'Aca-
démie de Douai. Le 17 novembre 1881, il fut appelé
par Paul Bert, ministre de l'instruction publique
dans le cabinet Gambetta, & la direction de l'ensei-
gnement secondaire, en remplacement d* Zevort.
Il quitta ce poste au moment de la chute de son
ministre, et devint alors inspecteur général de l'en-
seignement secondaire (9 février 188i). Il conserva
ces fonctions jusqu'à sa retraite. Il fut en outre, du-
rant plusieurs années, président du jury de l'agré-
gation d'histoire.
La longue carrière de Pierre Foncin a été labo-
rieuse et féconde. Au sortir de l'Ecole normale, il
se fit rapidement connaître par des conférences
politiques, historiques et géographiques, et par un
petit livre à l'usage des classes primaires : Textes
et récits d'histoire de France (Paris, 1872; in-18),
qui fut condamné par Mgr Preppel, évêque d'An-
gers, interdit sous le ministère de 'Wallon, auto-
risé de nouveau sous le ministère de Bardoux. Il
entreprit ensuite la réforme de l'enseignement géo-
graphique en France. La géographie n'était trop sou-
vent qu'une nomenclature aride. Il la vivifia en
montrant quel en était lintérêt politique, écono-
mique, historique et humain. Il composa une série
de livres gradués qui eurent un grand succès :
Géographie préparatoire, à l'usage des petits en-
fants (Paris, 1877; in-4''); la Première année de
géographie. Cartes, textes, devoirs (1874); la
Deuxième année de géographie, à l'usage des élèves
de l'enseignement primaire supérieur (1880); la
Troisième année de géographie, à l'usage des can-
didats aux divers baccalauréats (18S5); Géograpliie
générale (1887): Géographie historique {\8liii); Géo-
graphie de la France (1891) ; Géographie générale
du monde (1892); Lectures géographiques illus-
trées (190.3). — Dans d'autres publications, il a
filaidé en faveur d'une décentralisation fondée sur
es divisions naturelles du sol de la France, et pré-
conisé l'expansion coloniale : l'Afrique australe
d'après les voyages récents (1869); les Pays de
France. Projet de fédéralisme admitiistratifiXSVS] ;
Régions et Pays (Toulouse, 1903) ; les Maures et
l'Ésterel (Paris, 1910); les Explorateurs (1911). Il
est l'auteur de la monographie du département des
Landes, publiée dans la collection Joanne (1868) et
LAROUSSE MENSUEL
d'un Guide à la cité de Carcassonne (Toulouse, 19021.
Son nom restera attaché à la fondation de r« Al-
liance française pour la propagation de la langue fran-
çaise aux colonies et à l'étranger» (21 juillet 1883).
Ses premiers collaborateurs furent Paul Bert, Paul
Gambou, Jusserand, l'abbé Charmetlant, elc. Foncin
fut le secrétaire général de l'Alliance, et en dirigea le
Bulletin. Il fut nommé plus tard président d'honneur
à vie. Il a écrit en vue de cette œuvre : V Alliance
française et l'enseignement de la langue nationale
en 'Tunisie et en Algérie (1884); la Langue fran-
çaise dans le monde(àroccasionderExposition uni-
verselle de 19U0), etc. — Il a encouragé les sociétés
de géographie provinciales, telles que celle de Bor-
deaux, et il a fondé l'Union géographique du Nord
en 1880. Il a pris une part active à l'organisation
de l'Ecole coloniale, dont il a présidé le conseil
d'admiuislration. Mentionnons enlin sa collabora-
tion à plusieurs revues, auxquelles il a donné de
nombreux arlicles sur l'Algérie et la Tunisie, et son
rapport au Congrès colonial national de 1S90. Les
services qu'il avait rendus à l'Université et à la France
lui avaient mérité la croix de commandeur de la
Légion d'honneur. — J-M. Deusle.
Grand-Couronné (Le). — Ensemble de
hauteurs et de plateaux du département de Meurthe-
et-Moselle, situés sur la rive droite de la Moselle
et de la Meurthe, à l'est de Nancy.
Quand on étudie la carte de France au 80.000' et
qu'on y cherche aux alentours de Nancy le nom de
Grand-Couronné, on est très surpris de ne le ren-
coulrer nulle part. Sauf peut-être pour les tacticiens
de l'Est, cette dénomination est, en effet, nouvelle;
elle date de quelques années à peine, car les géo-
graphes l'ignoraient encore au début de 1914, et il a
fallu la guerre aeluelle pour répandre dans le grand
public et pour populariser la connaissance du Grand-
Couronné.
I. On sai . ce qu'est, pour un ingénieur militaire,
un it couronné ». C'est l'ensemble des positions dé-
fensives et des travaux établis en avant d'une place
pour la couvrir et pour a mettre à l'abri d'une
attaque brusquée. « Ouvrage à couronne — écrit le
rédacteur militaire de la célèbre Encyclopédie du
xviii' siècle, — c'est, dansia lorliflcation, un ouvrage
composé de deux fronts, c'est-à-dire d'un bastion
entre deux courtines, et de deux demi-bastions, qui
avance dans la campagne et qui est joint à la place
par deux longs côtés appelés ses ailes ou ses bran-
ches. » Ainsi se trouve dessinée autour de la ville
une sorte de couronne ou de demi-couronne.
■Voilà précisément ce que constituent autour de
Nancy un certain nombre de hauteurs et de posi-
tions naturelles assez importantes. Jetons, en effet,
les yeux sur une carte à grande échelle : nous voyons
immédiatement apparaître au nord -ouest et au
nord-est de Nancy une sorte d'amande dont les deux
écailles sont séparées par le sillon de la Meurthe
d'abord, puis de la Moselle. Sur la rive gauche de
la Meurthe, c'est, au sud de la Moselle, l'épais massif
de la forêt de Haye, que précèdent au nord de la Mo-
selle les hauteurs de la forêt de l'Avant-Garde, au
nom significatil ; plus à l'est, sur la rive droite de
la Moselle, c'est une série de hauteurs et de plateaux
escarpés qui commencent un peu au sud de Pont-
à-Mousson et qui se continuent au delà de l'Amance
jusque vers le confluent du Sanon avec la Meurthe.
A celte seconde série d'accidents naturels, et à elle
seule, s'applique le nom de Grand-Couronné.
Nom doublement justifié, au point de vue géo-
graphique comme au point de vue militaire. Au
point de vue géographique, en effet, la carte et mieux
encore l'examen même des lieux, pour l'observateur
monté dans une « saucisse », montrent en avant de
Nancy l'existence d'une sorte de fer à cheval démi-
nences et de plateaux abrupts dont les deux extré-
mités s'appuient : au N.-O. sur la Moselle à la hau-
teur de Loisy, et au S.-E. sur la Meurthe vers
Dombasîc. Il y a là un front d'une cinquantaine de
kilomètres, orienté du N.-N.-O. au S.-E. et traversé
à angle droit par la grande route de Nancy à Châ-
teau-Salins, qui constitue au point de vue militaire
la position principale d'un grand champ de bataille
délimité par la Moselle, la Meurthe, le Sanon et la
Seille. Au N., à l'E. et au S.-E., le Grand-Couronné
défend la capitale de la Lorraine contre les attaques
des envahisseurs venus des pays rhénans. Tel est
précisément le rôle qu'il a joué entre le 22 août et
le 12 septembre 1914.
Avant de retracer à grands traits l'histoire de ces
glorieuses batailles devant et pour Nancy, il importe
d'étudier de manière plus délaillée la géographie du
Grand-Couronné, d'énumérer les hauteurs et les
filaleaux qui le composent, de montrer quelles val-
ées le traversent et Vartioiilent. Ainsi sera facilitée
l'intelligence des événenunts dont ces « petits monts
de Nancy » (comme les a nommés Arclouin-Uuniazet)
ont été le théâtre au début de la Grande Guerre;
ainsi apparaîtra dans tout son éclat l'habileté du
général qui a su tirer le plus heureux parti des
atouts mis par la nature entre ses mains.
II. Une zone de terrains secondaires à auréoles
jurassiques et crétacées entoure ï l'E. (chacun l'a i
553
appris au cours de ses études) la zone de terrains
tertiaires en forme de plateau qui constitue le centre
du « bassin parisien ». Des falaises ou des corni-
ches semi-circulaires et plus ou moins parallèles, de
plus en plus développées en étendue et aussi de plus
en plus élevées i mesure qu'on s'éloigne du centre,
dessinentdansla Basse-Bourgogne et en Champagne
les limites des différentes couches jurassiques et
crétacées qui enveloppent ainsi la plaine tertiaire
de l'Ile-de-France. Les plus orientaux des anneaux
ainsi tracés empiètent sur le sol de la Lorraine
jusqu'à la Meuse et même jusqu'à la Moselle; sur
les bords de ces deux cours d'eau se dressent en
effet, dans la Lorraine oolilhique, des terrains qui
s'inclinent doucement vers l'O., et qui tombent au
contraire vers l'E. en corniches escarpées : ce sont
les eûtes LoiTaines: côtes de Meuse et eûtes de Mo-
selle, auxquelles font suite, jusque sur la rive droite
de la Moselle, quelques autres côtes encore naguère
détachées par l'érosion du vieux plateau uolithique.
C'est que, glissant sur le plan qui s'incline du S.-E.
au N.-O., la Moselle et ses afiinents ont entamé la
circonvallalion extrême du bassin parisien; ils se
sont frayé vers Toul un passage qui, jadis, a con-
duit jusqu'à la Meuse leurs eaux et leurs galets gra-
nitiques ou gréseux. Comme la forêt de Haye, le
Grand-Couronné fait partie de la dernière et de la
plus orientale de ces corniches ou (comme on dit
parfois) de ces cuestas, des Côtes ou Hauts de Mo-
selle. II constitue la muraille qui borne l'horizon de
Nancy du côté du N.-E. et qui interpose son écran
boisé entre la Lorraine lia>ique et le fond de la
cuvette où se blottit la vieille cité ducale, sur les
bords de la Meurthe, au pied de la forêt de Haye.
C'est avec l'abrupte coll;ne de Sainte-Geneviève,
située aux lisières méridionales de la forêt de Facq,
que commence la suite des hauteurs et des plateaux
dont l'ensemble con-lilue le Grand-Couronné. Sans
doute les Gôles de Muselle se continuent-elles plus
au nord, au long de la rive droite de la Moselle,
par delà la frontière française, jusqu'aux environs
immédiats de Metz; mais la roche féodale de
Mousson, la pointe de Xon, la côte de Faye et le
piton de Sainl-Blaise qui domine Jouy-aux-Arches
sont nettement isolés du Grand-Couronné par la
dépression forestière de Facq, qui arrive jusqu'à la
Moselle. C'est ce que constate l'observateur placé
sur la colline de Sainte-Geneviève, au pied du si-
gnal trigunométrique ou de la statue érigée au point
culminant (391 m). Il voit le terrain se dérober à
ses pieds de près de 400 mètres jusqu'à moins de
200. Droit au N., c'est la sinueuse vallée de la
Seille jusqu'à Metz, nettement visible à l'horizon;
dans l'E., voici la plaine liasique, avec ses formes
molles ridant la surface du plaleau lorrain, ses ri-
vières, ses bois et ses forêts, ses champs, ses villa-
ges. Dans l'O., au bas des pentes couvertes de hou-
blonnières et de vignes, c'est le sillon de la Moselle
et l'abrupt des côtes qui dominent Is rive gauche
de cette rivière...
Quel contraste avec le paysage qui se déroule
immédiatement au S. et au S.-E. 1 De ce côté, « ce
ne sont que hauteurs et vallons, pentes et contre-
pentes, sommets qui se commandent les uns les
autres, ravins ridant la plaine, ou s'enfonçant au
creux des bois ».
A peine l'éperon oriental de la colline Sainte-
Geneviève expire-t-il sur le plateau-socle, que le
terrain se relève à 344 mètres à la colline de Ser-
rières, à 375 mètres an mont Toulon, au-dessus de
400 mètres au mont Saint-Jean (407 mètres) que
dépasse encore de 10 mètres, presque droit dans
le S., le point culminant de l'éminence d'où sort
la Natagne; puis vient (par delà le promontoire de
la Rochetle, haut de 406 mètres) le Grand-Mont
d'Amance (410 mètres). C'est ici le centre du Grand-
Couronné en même temps que son avancée extrême
vers l'E. : une colline, ou mieux une croupe abrupte,
dominant de 100 à 140 mètres la forêt de Cham-
penoux étalée dans la plaine en croissant aux cornes
tournées du côté du levant. Plus au sud, en retrait
par rapport au mont d'Amance, dont le sépare une
dépression sur laquelle il faudra revenir, le Pain
de Sucre, qui atteint seulement 356 mi très, et les
hauteurs de Pulnoy, inférieures de 40 mètres encore,
accidentent, bossuent la surface du plateau, qui
semble s'abaisser de plus en plus. Avant de finir
brusquement, il se relève, toutefois, jusqu'à 320 mè-
tres au signal du Raiiibêtant, qui domine Dombasie,
le confluent du Sanon et de la Meurthe, et la longue
traînée des maisons de Varangéville.
Ceite ligne de hauteurs abruptes, dont la vue ne
manque pas de frapper le voyageur arrivant de
Lunéville et venant de traverser la plaine lorraine,
marque le faite du Grand-Couronné du côté de l'E.
A l'O., la délimitation n'est pas moins nette : c'est
la vallée de la Meurthe, continuée au N. par celle
de la Moselle, qui encadre ce relief aux pentes
rapides, aux sommets boisés, à l'escalade auquel
montent, depuis le fond de la vasque formée pMr la
Meurthe jusqu'au point où s'est développée la ville
de Nancy, les maisons de Tomblaine, d'Essey, de
Saint-Max et de Malzéville.
Un tel relief — ce qui a été dit plus haut permet
556
de le deviner — n'est nullement d-^pourvu d'articu-
lations. Plusieurs cours d'eau le traversent, affluents
de la Meurthe, puis de la Moselle. C'est d'abord la
Pissotte ou Rouanne, dont le nom singulier montre
le peu d'importance, un petit ruisseau de 15 kilo-
mètres et demi, coulant au fond de la rigole qui
sépare la selle du Hambêtant d'avec le socle dominé
par les éminences de Pulnoy. Puis vient le Gre-
millon, né au revers septentrional des mêmes hau-
teurs de Pulnoy et aboutissant au pont d'Essey,
dont la grande route de Nancy à Cbâteau-Salins et
Vie remonte d'abord la courte vallée. Plus au nord,
l'Amezule, issue de la partie méridionale de la
forêt de Champenoux et longue de 20 kilomètres,
sépare le Pain de Sucre et le plateau de Malzéville
LAROUSSE MENSUEL
Mais, d'ordinaire, ces passages ne sont facilement
accessibles qu'aux gens partis du réduit inlérieur,
de la forteresse dont le Grand-Couronné constitue
le système défensif du côté du N.-E. et de l'E. Aux
obstacles que présentent à l'assaillant les pentes
plus ou moins roides des points culminants et des
plateaux qui les épaulent, ajoutez encore un
ensemble remarquable de bois et de forêts : bois
des Creux, de Saint-Phlin, de Pulnoy, etc., jadis
moins clairsemés qu'aujourd'hui, àl'ouestde laPis-
sotte-Rouanne; boisde l'Hôpilal etdeFlavemontau
sud et à l'est du plateau de Malzéville au sol aride
et chauve; bois de Faulx, bois Rumont, bois du
Chapitre, auxquels répondent, dans l'ouestdes sillons
d'argent de la Meurlhe et de la Moselle, les forêts
Echellei
2 3 4 skilom.
Canaux,
Chemins de 1er
Le Grand-Couronné de Nancy. (Le trait hachuré, aUant de Loisy-sur-Moselle au Signal du Rambêtant, indique le front oriental
du Graud-Couronné.)
du mont d'Amance et du plateau boisé de Faulx.
La Mauchère, encore plus au nord, coule sur 10 ki-
lomètres environ, de Montenoy jusqu'à Custines,
entre les deux plateaux de Faulx et du Chapi-
tre, au fond d'un vrai ravin, moins long mais
plus étroit que celui, plus septentrional, de la Na-
lagne. Ce dernier cours d'eau, né au flanc méri-
dional du mont Saint-Jean, isole pendant 15 kilo-
mètres le Chapitre des hauteurs de Saint-Jean, de
Toulon et de Sainte-Geneviève.
Ainsi se trouve plus ou moins nettement coupé
en différents tronçons l'ensemble des hauteurs du
Grand-Couronné. Des routes, dont quelques-unes
existaient déjà au xviii" siècle, des voies ferrées
ont profité de ces dépressions, de ces brèches, pour
franchir plus aisément les obstacles qui, au N.-E.,
séparent Nancy de ses environs et mettent ainsi la
capitale de la Lorraine en communication avec
Nomény, Delme, Château-Salins, Vie, Dieuze et
bien d'autres bourgs et villages moins consi-
dérables, épars dans le pays lorrain de par deçà.
de Haye et de l'Avant-Gai-de, prolongées encore
vers le N. jusqu'au delà de Pont-à-Mousson, par
celles de Piivenelle et du bois Le Prêtre. Rois et
forêts sont souvent — on peut s'en rendre compte
sur des cartes détaillées — reliés les uns aux auti-es
par des fourasses, autrement dit par des ceintures
d'arbrisseaux revêches qui masquent aussi parfois
— sur le plateau de Malzéville en particulier — des
espaces dénudés. EnCm, jusque dans la plaine fie l'E.,
d'autres bois complètent et allongent des contre-
forts plus ou moins rapides, chauvesle plus souvent,
maisboisès par places, du Grand-Couronné: furet de
Facq, bois de Hi-onze, bois de la Fourasse, forêt de
Champenotix et annexes, forêt Saint-Paul, etc..
Il y a là des lignes de bois qui complètent heureu-
sement les lignes de hauteurs; c'est un ensemble
vraiment remarquable au point de vue géographique,
un reste de forêls plus grandes encore, et qui cou-
vraient autrefois toute la surface de la contrée.
Beaucoup moins que sur quantité d'autres points,
l'homme a modifié, dans ce canton, l'aspect naturel
M.
IV 739. Septembre I9I8.
des lieux. Peu d'agglomérations, et simplement
blotties, d'ordinaire, dans ces étroites et riantes
vallées qui entaillent le Grand-Couronné, ou sur les
•entes qui dévalent vers la Meurlhe et vers la
'oselle. Seul — comme, plus au noid, Mousson sur
sa colline ardue — le village de Sainte-Geneviève
(321 hab.), fièrement établi sur la butte du même
nom, fait exception à la règle. Il en va tout autre-
mentdescentreslesplus proches : Loisy-sur-Moselle
(259h.),Bezaumonl(195bab.),Landremont(221hab.).
Sivry, Belleau, Ville-au-Val se cachent — le nom
de ce dernier village l'indique — dans la vallée de la
Natagne. Voilà aussi ce que font plus au sud Leyr
(729 hab.), Montenoy, Faulx-Saint-Pierre et Malle-
loy dans celle de la 'Nlauchère ; Laneuvelotte, Dom-
martin-sous-Aniance (145 hab.), Agincourt et Lay
(1.269 hab.), dans celle de l'Amezule et de ses
affluents; Essey-lès-Nancy (1.240 hab.) dans celle
du Gremillon; Autreville (254 hab.), Tomblaine
(1.414 hab.), puis Art-sur-Meurthe et Varangéville
(2. 746 hab.). Telles sont les agglomérations humaines
groupées sur les bords des deux rivières qui déli-
mitent à l'O. et au S. le relief du Grand-Couronné.
Sur les pentes de ce même relief se sont établis
tout près des sommets ou à flanc de coteau Bouxières-
aux-Dames (1.234 hab.), Eulmont (570 hab.);
Bouxières-aux-Chênes et Écuelle à la périphérie du
Bois-de-Faulx; Amance (414 hab.) et Laitre-sous-
Amance (319 hab.) aux rebords méridionaux de la
Montagne d'Amance, Dommartemont au revers sud
du plateau de Malzéville. D'autres villages : Pulnoy
(98 hab.), Saulxures-lès-Nancy, Cercueil, Lenon-
court, etc., parsèment plus au sud la surface du pla-
teau, entre le Gremillon et cette Pissotte-Rouanne
au sud-est de laquelle se redresse le dos d'âne du
Rambêtant, « l'Acropole sud du Grand-Couronné »
(Hanotaux).
Tous ces villages sont bien moins importants que
les bourgs industriels de la vallée de la Meurlhe;
ils renferment d'ordinaire une faible population de
cultivateurs, dedentellières et de brodeuses, contras-
tant et comme nombre et comme habitudes avec
les ouvriers des faubourgs de Nancy, avec les sali-
niers de Varangéville et de Dombasle. Là, c'est la
vie des villes, le travail des ateliers et des usines de
toute espèce; ici, l'on fait produire à la terre arable
tout ce qu'elle peut rendre, on soigne des arbres
fruitiers, on cultive la vigne et le houblon; si l'on
empiète (dans les parties les plus méridionales,
comme dans l'E., entre le pied des talus du Grand-
Couronné et la Seille) sur les étendues sylvestres,
du moins respecte-t-on les bois et les forêts des
plateaux.
111. Delà, comme aussi de la configuration même
du sol, l'importance militaire du Grand-Couronné.
Ces larges croupes aux pentes nues, boisées à leur
seul sommet, qui s'étendent au nord du Sanon et de
la Meurthe, puis ces monts isolés qui se dressent
plus au septentrion jusqu'à 150 mètres au-dessus
des eaux des petits affluents de la Meurthe et de
la Moselle, comme au-dessus de ces rivières elles-
mêmes et du fossé étroit et sinueux de la Seille,
ce sont déjà des défenses naturelles, et qui sem-
blent, suivant une heureuse expression d'Ardouin-
Dumazet, « appeler des forteresses à leur som-
met ». Mais combien les forêts, et les bois, et les
rideaux de fourasses ajoutent encore à leur valeur
défensive I Ces lignes de hauteurs et de bois ofl'i'enl
aux trois armes, en particulier à l'infanterie et à
l'artillerie, les conditions les plus favorables. Il
y a donc là, en définitive, la position principale
d'un grand champ de bataille, entre la Seille, la
Moselle, la Meurthe et le Sanon. De quelque côté
que vienne l'attaque allemande, du N., de l'E. ou
du S.-E., elle se heurte, après avoir franchi la
Seille, à cet obstacle naturel, vrai rempart domi-
nant la plaine de ses quartiers en amphithéâtre,
puissant bastion créé par les érosions qui ont ba-
layé le plateau lorrain sur chacun des pics, des
crêtes ou des croupes duquel les promoteurs de la
transformation île Nancy en camp retranché avaient
rêvé, naguère, de placer des forts et des redoutes.
Pourquoi ce projet n'a-t-il pas été réalisé? Pour-
quoi la question de Nancy camp retranché et place
forte, après avoirétésiminutieusemenlétudiéeet si
ardemment discutée — pendant trente ans, — est-elle
demeurée uniquement théorique? « En dehors du
débat techni(|ue sur l'opportunité et la possibilité
de fortifier Nancy, il y eut certainement (a écrit le
général Malleterre) intimidation par l'adversaire
campé en face, sur la place d'armes d'où il pré-
parait son futur guet-apens. La fortification de
Nancy eût été dénoncée comme un acte hostile et
menaçant. » La capitale de la Lorraine demeura
donc ville ouverte, et l'étal-major français ne lira
pas du Grand-Couronné tout le parti qu'il eût pu
et que d'aucuns eussent voulu en tirer. On ne créa
autour de Nancy aucune fortification permanente;
on se borna à ne donner à ses défenses naturelles
de l'E. qu'une organisation défensive de cani-
Sagne. Mais on étudia du moins le terrain jusque
ans ses moindres détails ; non seulement les
troupes du 20" corps — qui y séjournaient et ui'i-
nœuvraient en permanence, — mais tous les corpi»
«• T39. Septembre 1918
de l'Est et tous les officiers brevetés d'état-major
en connaissaient les recoins. Il y avait donc là, en
depil des Allemands, o composée par la nature,
ami^nagée et achevée par la volonté et le travail des
hommes, couvée depuis de longues années par les
presciences locales et les prévisions sagaces des
chefs les plus expérimentés » (Hanotaux), une dé-
fense de toute première valeur. Les Allemands s'en
sont aperçus, à leurs dépens, dès les premières
semaines de la Grande Guerre.
IV. C'est après les défaites de Sarrebourg et de
Morhange (20 août 1914), que le Grand-Couronné a
commencé de jouer un rôle militaire. Tandis que
la 11» des armées françaises, celle dont le général
de Casteinau était le chef, se repliait de Morhange
sur ses premières positions de couverture, des
corps allemands sortis de Melz attaquèrent les deux
divisions de réserve qui occupaient le Grand-
Couronné sur sa face nord, depuis la Moselle
jusqu'à la Seille, et prirent et incendièrent Nomény.
Mais ils ne purent rien faire de plus, les troupes
de réserve que commandait le général Léon Durand
ayant tenu où elles étaient, et ayant ainsi permis à
la }l' armée d'opérer sa retraite jusque sur la rive
gauche de la Meurthe, en pivotant sur le Grand-
Couronné.
Mais ce n'était là qu'un prélude; bien plus im-
portant a été le rôle de cet ensemble de hauteurs
et de plateaux au cours des journées suivantes.
Alors, pour encercler les armées françaises, et les
prendre entre les deux mâchoires d'une gigan-
tesque tenaille, les Allemands entreprirent de se
frayer par la force un passage à travers la Lor-
raine et la Champagne, par la trouée de Charmes,
Mirecourt et Neulchâteau, dans la direction de
Troyes, tandis que, du côté de l'O., l'armée de von
Kluck, laissant Paris sur sa droite, presserait sa
marche vers la même ville. On sait ce qu il advint
de la tentative de von Kluck; avant son échec
complet sur la Marne, l'aile gauche allemande,
commandée par le prince héritier de Bavière, avait
déjà été arrêtée en Lorraine par la victoire de la
trouée de Charmes (2o-:2o août 1914).
Ce n'est pas ici le lieu de raconter l'ensemble de
cette bataille. Elle a été livrée (on le sait) simulta-
nément sur la Morlagiie, qui conflue avec la Meurthe
en aval de Luiiéville, à Saiïais-Belchamps entre
Meurthe et Moselle, et au Grand-Couronné entre
Meurthe et Seille. Non contentes d'arrêter l'ennemi
dans sa marche en a\ ant, les troupes françaises de
la II" armée, combinant leurs ell'orts avec ceux de
la I" armée (général Dubail), reprennent alors l'of-
fensive, font plier l'ennemi devant elles en lui inlli-
geant des pertes considérables, et regagnent une
grande partie du terrain perdu depuis le 20 août...
Si elle ne fut pas désastreuse pour les Allemands,
comme Casteinau avait pu un instant l'espérer, la
bataille de la trouée de Charmes constitua néan-
moins pour eux un grave échec, et le Grand-Cou-
ronné y joua son rôle, un rôle considérable
C'est à l'abri des travaux soigneusement préparés
depuis 1913, grâce au général Joffre, sur cet en-
semble de « petits monls » — le « nid du 20^^ corps i>,
a écrit l'historien de la bataille de la liouée de
Charmes, Gabriel Hanotaux, — que la II' armée se
reforme et reprend haleine, tandis que des troupes
en grande partie de réserve tiennent solidement les
secteurs mont Sainte-Geneviève-Jeaiidelaincourt,
mont d'Amaiice-La Rochette, et du Rambêtant, et y
résistent à des attaques de l'ennemi. De ces hau-
teurs encore, pendant que les Allemands s'engagent
dans la direction de la trouée de Charmes et dans
la souricière que leur a tendue Casteinau, sont par-
ties de remarquables offensives. Des attaques de
flanc et presque de queue amènent alors dès le
24 août ces troupes françaises jusqu'à Champenoux,
à Réméréville et à Goiirbesseaux. Les jours suivants
(25 et 26 août), tandis que l'ennemi se hâte vers
le S.-O., les soldats que dédaigne le kronprinz de
Bavière descendent davantage dans la plaine; ils
battent l'Allemand, ils s'avancent jusqu'aux li-
sières est de la forêt de Champenoux, aux allées
majestueuses et solitaires, et de la forêt Saint-Puul.
Korce est à l'envahisseur vaincu de rester sur la
défensive en face du Grand-Couronné et de ses
abords, de ces forêts qui sont déjà, en avant de la
forteresse elle-même, autant de véritables et solides
redoutes établies au loin dans la plaine que par-
court paresseusement la Seille aux eaux glauques
et immobiles.
Si, dans la bataille de la trouée de Charmes, les
troupes allemandes ont lutté sur un très vaste front,
elles ont, au cours des semaines suivantes, porté
leur effort sur ce seul Grand-Couronné, dont leurs
stratèges avaient, de manière douloureuse, appris
à connaître l'importance capitale. Alors s'est livrée
une série de combats que les historiens militaires
appellent dès maintenant « la bataille de Nancy »,
parce qu'elle a eu lieu en avant et à l'est de Nancy,
mais qui a eu pour théâtre, en réalité, les abords et
les pentes du Grand-Couronné.
Tandis qu'un certain nombre des corps de Lor-
raine avaient été ramenés à l'O. pour prendre part
i la bataille de la Marne, les autres étaient de-
I.AROUSSE MENSUEL
meures surplace avec mission d'arrêter les armées
allemandes déjà victorieusement combattues par
eux ; ils devaient empêcher ces armées de se porter
au delà de la Moselle. Chacun sait, d'ensemble, que
ces corps ont rempli leur rôle à merveille; mais
une indication aussi sommaire ne saurait suffire à
cette place. Une fois encore, il convient de pénétrer
un peu dans le détail, et de montrer quel solide
point d'appui le Grand-Couronné a fourni à nos
héro'iques soldats.
C'est d'abord vers la Meuse, entre Toul et 'Verdun,
à Saint-Mihiel, que les Allemands partis de Metz
voulaient forcer le passage; mais bientôt, en pré-
sence du refus de Joffre de livrer bataille sur la
Somme, ils ohliquèrent vers le S., dans la direction
de Pont-à-Mousson et du mont Sainte-Geneviève,
c'est-à-dire vers l'extrémité septentrionale du Grand-
Couronné, tandis qu'avaient lieu, dès les 27 et
28 août, de longues et violentes actions prépara-
toires d'artillerie dans l'est de Nancy : 400 grosses
pièces, sorties de l'arsenal de Melz, et posiées sur
Le gcoéral de Curiêi-es de Casteinau.
les hauteurs de la Seille, furent mises en action
contre le Grand-Couronné, et le bombardèrent de
la manière la plus intense.
Incapables de répondre avec efficacité à des
pièces de très longue portée, les défenseurs surent
du moins réduire au minimum, grâce à des retran-
chements et à d'ingénieux abris de toute sorte,
l'effet des batteries de siège ennemies. Ainsi purent-
ils tenir sur tout le front qu'ils occupaient, et si bien
tenir que les Allemands, le jour où ils voulurent
s'emparer des n petits monts » de Nancy, trouvèrent
à qui parler.
Dès le 2 septembre, ils avaient tenté une surprise
sur ces avant-postes français d'Erbéviller et de
Regnéville, à la lisière orientale de la forêt de
Champenoux, d'où ils avaient été chassés quelques
jours auparavant. Mais la bataille ne s'engagea réel-
lement que le surlendemain ; alors (4 septembre), à
l'extrême nord, le général von Stranz s'empare sans
coup férir de Pont-à-Mousson et du piton de Mous-
son, que nos soldats ont abandonnés par ordre.
Du feu de son artillerie, il bat les positions fran-
çaises de Sainte-Geneviève et de Loisy-sur-Moselle,
et, lot après (le 6 au soir), il entreprend d'enlever
de vive force le mont Sainle-Geneviève, considéré
par nombre de militaires comme la clef du Grand-
Couronné. Mais le terrain, particulièrement la vallée
de la Moselle devant Loisy et son cimelière, et les
pentes de la colline elle-même, avait été très bien
organisé; il était tendu de fils de fer barbelés, et
couvert d'obstacles de toute nature. Derrière ces
lignes défensives, les territoriaux du 314' (comman-
dant de Montleberl) tinrent héroïquement. Pendant
la nuit du 6 au 7 septembre et la journée du 7, les
Allemands multiplièrent en vain les attaques; ils ne
gagnèrent pas un pouce de terrain, et éprouvèrent
les pertes les plus cruelles. « Sur un seul point,
proche de Sainte-Geneviève, dans la vallée, les
Krançais trouvèrent 4.000 cadavres allemands; et
les Allemands appliquèrent à ce lieu sinistre le nom
de Trou de la mort. »
Cependant, inquiet des progrès réalisés par l'en-
nemi sur les hauteurs du bois de Cuite, au nord de
Dieulouard — d'où Loisy et Sainte-Geneviève
peuvent être canonnés à revers, — le commandement
français fait dire au commandant de Montlebert de
se replier; celui-ci refuse, et continue de combattre :
557
il n'obéira qu'à un ordre écrit. Mais lorsque, devant
cet ordre, il- s'incline et abandonne à regret la
colline hardiment taillée qu'il a si glorieusement
défendue, les Allemands ont été chassés des hau-
teurs de Cuite sur la rive gauche de la Moselle, et
ils ont renoncé à enlever, sur la rive droite, la
butte à la conquête de laquelle ils étaient parlis na-
guère, tambours et fifres en tête. Au nord au Grand-
Couronné, l'ennemi se trouve complètement arrêté.
Tandis que ces événements se passent autour
de l'éperon septentrional, le centre du Grand.
Couronné subit les attaques les plus violentes. L&
se trouve une autre clef de l'ensemble de ces hau-
teurs, le mont d'.\mance, aux pentes fort roides,
donl les deux sommets — le Grand-Mont (410 m.)
au N.-E. et le Petit-Mont (370 m.) à 10. — sont
séparés par un col où s'est logé le village d'Amance.
Epaulé dans l'O. par le sylvestre plateau de Faulx,
défendu à l'E. par la forêt de Champenoux que
l'Amezule sépare en deux parties à peu près égales
avant de devenir le fossé protégeant au S. les escar-
pements du mont d'Amance, ce point culminant du
Grand-Couronné et ses alentours depuis La Rochette
jusqu'à Velaines-sous-Amance (à l'ouesl de la forêt
Sainl-Paul) subissent de la part des batteries
lourdes placées sur la rive allemande de la Seille
un bombardement formidable et continu (du 4
au 12 septembre). C'est à la faveur de ce bombar-
dement que les fantassins d'outre-Rhin ont tenté de
pénétrer dans la forêt de Cham|>enoux, pour monter
ensuite à l'assaut du mont d'Amance.
Force fut à la défense d'évacuer Erbéviller dès le
5 septembre. Mais lorsque, le 6 au soir, l'ennemi
entreprend la conquête de la forêt de Champenoux,
il se heurte à une résistance acharnée. Une série d'at-
taques, données par des masses de SO.OOO hommes
à la fois sous les yeux de l'empereur allemand,
ont des fortunes très diverses; la forêt est prise et
reprise ; les villages et les fermes des alentours,
incendiés, passent de main en main. Le 7, une
masse de 10 bataillons allemands, soutenue par
14 batteries, dont 8 d'artillerie lourde, pénètre dans
la partie seplenlrionale de la forêt de Champenoux
et arrive, après quatre heures de combats corps
à corps avec les 206' et 212" de réserve, à la lisière
occidentale, au pied de l'éperon du Grand-Mont
d'Amance; mais elle ne peul en déboucher.
De même en est-il plus au sud quelques jours
plus tard, lors d'une attaque partie d'Einville et qui
ne peut déboucher du bois de Crévic.
Contenu le 7 et le 8 septembre, l'ennemi est re-
poussé à partir du 10, rejeté peu à peu des lisières
ouest jusqu'au centre de la forêt d'Amance. Deux
jours plus lard, il s'avoue vaincu. Sous la protection
de son artillerie, qui n'a cessé de tonner et de vomir
un orage de feu et de fer, il évacue les terrains péni-
blement conquis, et se replie jusque sur les bords de
la Seille, gardant à peine quelques villages à l'ouest
de la frontière française. Le kaiser, qui avait, au
milieu de ses cuirassiers blancs, assisté le 6 à la
balaiUt depuis les hauteurs voisines de la Seille,
dans la région d'Eply, dut alors quitter Metz la
rage au cœur : il n'avait pu faire dans la capitale
de la Lorraine l'entrée triomphale qu'il rêvait I
V. Pendant que le général de Casteinau arrêtait et
battait ainsi les troupes allemandes à l'est de Nancy,
le général Joffre les arrêtait et les battait de son
côté sur la Marne, grâce à son génie militaire, grâce
aussi à l'admirable résistance opposée à l'ennemi
par les I" et 11' corps en avant de la trouée de
Charmes et du Grand-Couronné. Le rôle de celui-ci
a donc été, au début de la lutte encore en cours, un
rôle de la plus grande importance : il suffit, pour
s'en rendre compte, de se rappeler les deux mots
authentiques dans lesquels se résume tout entière
sa magnifique histoire. « Nous tiendrons », répon-
dait, le 23 août, le général Léon Durand à Casteinau
qui l'adjurait de ne pas faiblir sous la ruée. « Vous
avez sauvé la France », disait, un peu plus tard, dans
un ordre du jour célèbre, le général Joffre au même
général de Casteinau en le félicitant de sa victoire
devant Nancy, et de l'héroïque résistance du Grand-
Couronné. — Henri Froidivàux.
Guerre en 191-1-1918 (la). [Suite.]
— A la fin de juillet, on respirait plus librement
qu'aux mois de mai et juin, et si de très graves
questions restaient à résoudre, si la menace mili-
taire allemande subsistait sur notre sol, on n'en
était plus à redouter les conséquences foudroyantes
d'une avance imprévue. Plus d'air circulait autour
de nous, et l'horizon de fer qui pouvait chaque jour
se rapprocher de Paris reculait vers l'est dans un
crépuscule de victoire. Le charme était rompu. Les
On nommait les chefs vigilants qui avaient déjoué
les desseins de l'ennemi, et s'étaient trouvés à la
hauteur de l'héroïsme de leurs soldais. La confiance
était redevenue une réalité vivante. Pour la se-
conde fois, on avait pu célébrer la Marne. D'autre
part, on se rendait compte que la situation se
retournait «t que, en dépit des périphrases des
338
communiqués allemands, malgré la crédulité inson-
dable du peuple germanique, le haut comman-
dement allemand ne pourrait indéOniment changer
en victoires des défaites coûteuses, et cacher toujours
sous des affirmations grandiloquentes l'échec de
combinaisons jusqu'alors acceptées comme infail-
libles. On pouvait espérer que le moral de l'ennemi
en serait atteint. Ce que nos adversaires avaient
nommé « l'offensive de la paix «, se trouvait hrus-
Soldat amAricain sonnant lacloclM' p
des ga£ asphyxiariiK.
quement arrêté jiar notre réaction inattendue, et
tout, pour les Allemands, était à recommencer.
Que si l'on regardait k l'intérieur des empires
centraux, on apercevait en Allemagne et en Au-
triche des raisons de trouble que la victoire es-
comptée eût dissipées, que l'échec devait forlilier;
et la politique extérieure de l'Allemagne en Russie
n'était pas si assurée, que les gouvernements de
Berlin et de Vienne pussent y trouver une compcn-
LAROUSSE MENSUEL
Quand on récapitule les événements militaires de
juillet, on s'aperçoit que, pendant toute la première
quinzaine du mois, les troupes alliées sur le front
français n'avaient cessé, dans des actions de détail,
de détenir la supériorité sur l'ennemi. Le 2 juillet,
la prise de Vaux par les
Américains, et celle de
Saint-Pierre-Aigle par les
Français; le 3, l'avance au
nord-ouest de Moulin-sous-
Touvent; le 7 et le 9, nos
succès aux abords de la
forêt de Retz; le 9, les
attaques heureuses à An-
theuil, dans la région de
Montdidier, et à Longponl,
dans celle de l'Aisne; le 12,
la prise de Castel, avaient
montré que, tout le long
du front, nos troupes, tou-
jours en éveil, harcelaient
l'ennemi, élargissaient
leurs positions, faisaient
des prisonniers, et se ma-
nifestaient décidées à une
résistance opiniâtre. L'opi-
nion publique avait trouvé
dans ces avantages locaux
un réconfort et des motifs
d'espérance qu avaient en-
core fortifiés les manifesta-
tions enthousiastes au mi-
lieu desquelles on avail
célébré, à Paris et dans
toute la France, le 4 juillet,
la fête de l'Indépendancf
américaine, et, le 14 juillet,
la fête de la liberté fran-
çaise, symbole de la liberlé
humaine. Cependant, pour
qui considérait la position
militaire allemande, une
lourde inquiétude snbsis-
lait. L'ennemi occupait la
rive nord de la Marne entre Château-Thierry et Dor-
mans. 11 serrait Reims de très près. Il s'interposait
entre nos armées de l'ouest et celles de l'est, il
pesait sur nos communications avec Nancy et les
Vosges, ilmenaçaittoujours Paris, et prétendait, par
un bombardement intermittent, odieux, ridicule et
sansportéemilitaire ni morale, nepaslaisseroublier
sa présence prochaine et sa ruée imminente. Enfin,
peut-on le dire, des faits trop récents avaient laissé
dans les esprits les moins avertis une certaine anxiété
de l'avenir, qu'on souhaitait exagérée, et qui pourtant
étreignait tous les cœurs. Aussi, tout Paris vit-ilavec
une émotion inexprimable s'allumer à l'horizon de
l'est, dans la nuit du 14 au 15 juillet, la flamme d'un
ouragan d'artillerie dont le roulement ininterrompu
N' 139. Septembre 1918.
qui ressort à la fois des faits acquis et des renseigne-
ments tirés de leur presse, avait un double objectif :
franchir la Marne d'abord, et s'établir largement au
sud de la rivière dans la direction de Montmirail.
Cette opération leur permettait, à la fois, de mena-
I
Le dni[<i
SentineUe américaine, munie du masque, montant In gai'de au milieu des gaz.
sation aux inquiétudes que des faits nouveaux de-
vaient susciter. Ni la présence concrète et prouvée
par la victoire, d'une énorme armée américaine sur
le front français ne pouvait plus être niée ou méses-
timée, ni les projets de plus en plus nets d'inter-
vention japonaise en Sibérie ne pouvaient plus être
négligés. Kn mettant les choses au mieux, les Alle-
mands, qui se croyaient sûrs du succès militaire et
par là du succès diplomaliqne, ne pouvaient plus se
dissimuler que l'équilibre des chances devenait ins-
talile â leur détriment, et que la balance recom-
mençait à pencher de notre côté.
tint, jusqu'au matin, toute la population en éveil.
Personne ne douta que ce ne fût le signal de l'offen-
sive engagée pour la troisième fois; mais combien
filus poignante eût été l'émotion, si l'on avait su dès
ors, comme on le sut le lendemain, que c'étaient le
tonnerre et les éclairs des canons français, qui trou-
blaient cette nuit d'été.
Les Allemands, en effet, avaient déclenché sur le
front de la Marne d'une part, sur le front de Reims
d'autre part une offensive formidable, minutieuse-
ment préparée et réglée â la minute, qui s'étendait de
Château-'Thierry à la Main-de-Massiaes. Leur plan.
cer les voies ferrées qui remplaçaient pour nous la
ligne de Paris à Nancy déjà occupée par eux entre
Château-Thierry et Dormans, et d'organiser une
position imprenable qui les eût couverts à l'est,
loi'squ'après le succès de cette opération ils au-
raient repris la marche sur Piiris. Puis, prendre
Reims et ensuite Cbâlons-sur-Mame, isoler ainsi
tout le groupe de nos armées de l'est, qui eût été
désormais très isolé, et par suite rendre l'opération
sur Paris facile et sûre. L'avance avait été prévue
heure par heure, et Chàlons-sur-Marne devait être
occupé le second jour. — Le plan avait été en partie
exécuté. La Marne avait été franchie, et l'invasion
s'était étendue dans la boucle du Surmelin. Mais les
années Dégoutte et Berthelot avaient opposé une ré-
sistance sur laquelle l'ennemi n'avait pas compté, et
son effort, dès le second jour, avait été brisé à la fois
au sud et à l'est, vers Montmirail et vei-s Epernay.
Les troupes allemandes avaient dû s'entasser sur
un espace très resti'eint, où elles avaient énormé-
ment souffert sous notre feu et nos contre-attaques,
avec un ravitaillement des plus pénibles. — Mais,
tandis que sur la Ma:ne nos ennemis pouvaient
encore enregistrer un certain succès qui, convcna-
l)lement amplifié, suffisait à alimenter le mensonge
de la victoire, sur le Iront de Reims, de Sillery à la
Main-de-Massiges, ils avaient échoué du premier
coup, et dans des conditions terribles pour eux. Le
,;,'énêral Gouraud, qui avait mission d'arrêter l'atta-
que sur ce front, admirablement renseigné sur les
projets de l'adversaire, avait évacué sa première
ligne en laissant seulement en avant de petits pos-
tes, garnis de petites garnisons à toute épreuve, et
dont le rtîlc était de donner le change à l'ennemi
tout en retardant son avance. 11 avait ainsi attiré
les Allemands où il voulait les prendre, et les avait
surpris et arrêtés net par une canonnade iri-ésisti-
ble. Tous les témoignages s'accordent pour affirmer
l'énormité des perles de l'ennemi. Quant i son
échec, il était complet et irréparable. Dans la se-
conde quinzaine de juillet, le retour offensif de
l'armée Gouraud avait peu à peu rétabli la ligne
telle qu'elle était lorsqu'il l'avait volontairement
abandonnée pour quelques jours. — La résistance
héroïque du front de Reims, la cohésion parfaite
de nos armées, l'union intime des chefs et des
soldats, la dépense surhumaine d'énergie qui a
été faite là avec un succès complet, resteront
dans l'histoire de la guerre comme un des en-
sembles les plus émouvants de dévouement et
d'endurance que l'on ait encore vus. De plus, et
ceci doit être dit, radmiral)le travail d'informa-
tion qui a permis de connaître les desseins de
l'ennemi, de le prévenir montre en main et de
le battre à point fixe, est pour celui qui l'a dirigé
une preuve inoubliable de science mililaire. Si
nous avons craint un instant que nos plus f,lo-
rieuses traditions fussent oubliées, la résistance
du front de Reims nous a montré d'une façon écla-
tante que la méthode n'était pas perdue. Notre
JV* 139. Septembre 1818.
reconnaissance s'attache & ceux qui nous ont donné
celle joie et cette espérance.
Ain»i, après deux jours d'offensive, non seulement
il était certain que tout danger était écarté, mais on
attendait autre cliose. On l'eut dès le 18. L'armée
Maugin, entre
l'Aisne et la Marne,
sur un front de
45 kilomèties, atta-
quait de flanc l'ar-
mée allemande. Les
Allemands n'avaient
certainement pas
méconnu que leur
position de flanc
droit n'était pas sans
danger, mais ils
n'avaient pas cru pos-
sible une diversion
française, et, con-
vaincus que toutes
nos réserves étaient
engagées sur leur
ligne d'attaque, ils
s'étaient crus en sû-
reté de ce côté .
L'attaque de l'armée
Mangin, faite sans
préparation d'artil-
lerie, avec un élan
irrésistible, fut pour
eux une surprise
complète, qui nous
procura en deux
jours un gain consi-
dérable de terrain,
20.000 prisonniers et
400 canons. Le résul-
tat de cette puissante
diversion ne se fit
pas attendre. Le 20,
les Allemands repas-
saient la Marne, non
sans des pertes considérables; le 21, nous repre-
nions Château-Thierry; le 25 et le 26, Oulchy-
la-Ville et Oulchy-le-Ghâteau ; le 29, Fére-en-Tarde-
nois. Le 27, l'ennemi, pressé de front et sur ses
deux flancs, commençait son repli vers le nord,
dégageait enlière-
mentla rive droite j _^_
de la Marne, et
s'acheminait lente-
ment vers la Vesle.
Cependant, le 23,
une opération heu-
reuse au nord de
Montdidier lui
avait prouvé que
sur tous les fronts
nous entendions le
harceler, et que sa
position de Sois-
sons devenait très
instable. Il s'y ac-
crochait. Soissons
était le point de
jonction, l'angle
extrême de ses
fronts de Picardie
et de Flandre et
de son front de
Champagne. Il lui
fallait à tout prix
garder intacte et
solide cette char-
nière, sous peine
d'être obligé à une
retraite générale.
La bataille conti-
nuait. Le total des
prisonniers faits
par nous dans la
seconde quinzaine
de juillet s'élevait
à 33.400.
Le résultat de la
troisième offensive
était donc, pour les
Allemands, il la fin
de juillet, désas-
treux. Si l'on se
remémorait les
événements des
quatre derniers
mois, si durs pour
nous, on constatait que notre succès de juillet, s'il
ne rétablissait pas notre situation dans l'état où elle
était au début de mars, compromettait tout le profit
obtenu par les Allemands. Notamment, il mettait
en question toute leur avance du 27 mai au début
de juin, et dans des conditions de rapidité qui mon-
traient notre supériorité militaire. A ce succès tous
les Alliés avaient contribué: Français, Américains,
Italiens, Anglais, Tchéco-Slovaques avaient, dans
LAROUSSE MENSUEL
une confraternité d'énergie sans précédent, tendu
leur volonté morale et leurs forces physiques vers
le but commun. Il y avait dans cette victoire de
r «armée de France », comme on disait jadis, un
sens profond qui ne pouvait échapper à nos ennemis.
Le 58» régiment d'infanterie coloniale dédiant à Paris, dans les Champs-Elysées, le 4 juillet (Independence Day).
Ils s'étaient donné beaucoup de mal pour masquer
leur déconvenue elles conséquences de leur échec.
Leurs communiqués truqués avaient changé en
victoire stratégique et repli voulu leurs insuccès
les plus incontestables, et cela nous avait été une
Les troupes françaises passant sur la place dv la Concorde, le li juillet, jour de la Fête nationale.
preuve supplémentaire de notre victoire. Nous de-
vions attendre avec confiance la suite des événe-
ments, sans nous forger l'espoir d'uneimmédiate et
finale décision, mais en estimant à leur valeur réelle
et certainement durable des résultats que nous
n'attendions pas aussi étendus.
Le mois de juillet, qui nous avait été si heureux,
l'avait été aussi & nos alliés italiens. Du 1" au 6,
ils avaient continué à pousser très vivement les
559
Autrichiens sur la basse Piave, et Onalement les
avaient rejetés sur la rive gauche. L'arrêt de l'of-
fensive autrichienne avait été total, et très vraisem-
blablement définitif. Sans doute on avait parlé, aux
premiers jours de juillet, d'une mainmise complète
de l'Allemagne sur
l'armée autrichien-
ne, et la disgrâce
des généraux autri-
cbiensdevait, disait-
on, être suivie de la
nomination d'un gé-
néralissime alle-
mand sur le front
italien. Rien n'avait
confirmé ces infor-
mations, et il était
trop évident qu'elles
avaient eu leur
source dans la cer-
titude que les Alle-
mands s étaient faite
d'une victoire écla-
tante sur le front
occidental. Cette vic-
toire n'était pas ve-
nue. Ellelibéraitcer-
tainement le front
italien de toute me-
nace, et nos alliés
avaient pu, en toute
sécurité pour leur
patrie, apporter leur
valeur comme un ap-
point solide à notre
Êropre résistance. —
lien plus, ilsavaient,
sur un aulre théâlie,
pris l'offensive, et la
retraite des Autri-
chiens en Albanie
avait marqué plus
fortement la dé-
chéance militaire de l'empire austro-hongrois, en
même temps qu'elle fortifiait la position italienne &
l'est de l'Adrialique.
Enfin, sans que l'on fût fixé exactement sur
l'étendue comme sur les résultats des luttes civiles
qui se déroulaient
en Russie, il était
certainque l'armée
tchéco -slovaque
avait poussé son
avance jusqu'au
Volga, qu'elle te-
nait à lafois Kazan
àl'ouestetlrkoutsk
à l'est, qu'elle était
maîtresse d'Oren-
bourgetd'Ekateri-
nenbourg, qu'elle
oiTi-ait par suite aux
Japonais un point
d'appui solidepour
le moment ou ils
interviendraient.
Et cette interven-
tion avait été an-
noncée déjà comme
effective.
Le bilan du mois
dejuilletétaitdonc
tout à fait satisfai-
sant. Après avoir
descenduune pente
dangereuse, l'En-
tente remontait ra-
pidement vers le
plateau, et ses suc-
cès.coinme il arrive
toujours, lui don-
naient un nouvel
élan. Quel effet,
par contre, produi-
saient-ils sur le
peuple allemand ?
On lui avait for-
mellement promis,
pour l'automne, la
décision victorieu-
se sur le frontocci-
dental, et la paix,
la paix allemande,
pleine d'honneur et
de profit. Il était
permis de penser que la décision victorieuss
s'éloignait. Comment le peuple allemand envisa-
gerait-il la perspective d'un nouvel hiver, et une
désillusion aussi complète? Commentsupporterail-il,
outre la crise alimentaire qui ne s'atténuait pas, la
crise du vêtement, celle du change, celle des ma-
tières premières? Et l'accès féroce de pangerma-
nisme qui semblait avoir saisi tout ce peuple depuis
trois mois, à la suite des résultais militaires de
560
I.AROUSSK MENSUEL
Troupes britanniques (hi2hlanders) défilant à Paris, le !i juillet.
Troupes amùricaiacs défilant à Paris, le 14 juillet.
Troupes italiennes dcAlant à Paris avenue du lioisj, le 14 Juillet,
«• 139. Septembre 1918.
mars et de mai, continuerait-il avec la même inten-
sité devant des réalités contraires? Nous dirons
franchement qu'il était très difficile d'être fixé à ce
sujet. Le peuple allemand nous a contraints à penser
qu'il n'y a aucune mesure à son aveuglement,
ni à sa docilité, ni h son incompréhension de la
vérité, ni à son ambition. Ce sont chez lui de vieux
défauts, que la guerre n'a pas atténués. Ceux qui
comptent qu'il s'en guérira se montrent d'une
naïveté pénible, pour employer un terme modéré,
et chaque jour les orateurs les plus autorisés de
tous les partis, Scheidemann en tête, leur admi-
nistraient la preuve que l'union restait complète
entre le gouvernement impérial et les sujets de
l'empereur. Y avait-il là une façade, et rien
derrière, et des surprises nous étaient-elles réser-
vées en cette matière ? Nous avions l'impression,
que nous avons toujours eue, qu'il faudrait des
secousses plus fortes, plus prochaines, un ébranle-
ment de confiance plus sensible à tous, pour ouvrir
les yeux au peuple allemand, pour l'amener à com-
prendre qu'il a été trompé et qu'il s'est fait le
complice volontaire et responsable du plus grand
crime qui ait été commis contre l'humanité. Nous
devions regarder, suivre de près et attendre.
Nous avions repris conscience de notre puissance.
Gela nous suffisait. Et à voir chaque jour s'affirmer
à nos côtés la force, la confiance, la sincérité amé-
liciiines, nous sentions que peu à peu nous nous
acheminions, par des routes cruelles et obscures
mais qui s'éclairaient chaque jour, vers une grande
époque de paix humaine et de justice, que les Alle-
mands ne sauraient empêcher de naître.
En attendant, par tous les moyens à sa portée, le
gouvernement allemand avait tâché, pendant le
mois de juillet, à se donner les apparences du maî-
tre de l'heure, en mesuio de dicter ses conditions,
et à exploiter tous les événements de la politique
extérieure, principalement en Russie. ■ — Les mani-
festations les plus caractéristiques de l'état d'e.sprit
de l'Allemagne avaient été, le 5 juillet, la retraite
du secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, Kiihl-
mann ; le discours du chancelier Hertling, le
11 juillet, et la réponse des socialistes des empires
centraux au mémorandum qui leur avait été adressé
par le Congrès socialiste de Londres, il y avait
plusieurs mois. — La retraite du ministre Kiilil-
mann avait été la conséquence du discours qu'il
avait prononcé au Reichslag à la fin de juin, et dont
nous avons parlé en son temps, et la revanche du
parti militaireet pangermaniste. On se rappelle que
kiihlmann avait osé dire que, pour la conclusion de
la guerre, la décision ne pouvait venir des aimes
seules, mais aussi de l'action diplomatique. Il l'avait
dit certainement avec la permission de l'empeieur,
et aussi parce que c'était son opinion peisonnclle.
Kiihlmann, qui est lui aussi un bon Allemand, très
peu enclin aux attendrissements et aux concessions
comme certains le croiraient volontiers en France,
n'a pas partagé l'erreur des militaires sur l'utilité
de la guerre. Il a cru que l'hégémonie allemande
pouvait s'oblenir par la paix; à l'heure où il par-
lait, fin juin, il estimait certainement que le moment
était venu de procéder aux réalisations possibles, et
de reprendre le travail d'expansion de l'Allemagne
par les moyens pacifiques les plus favorables à
l'empire. Ce qui s'élait passé depuis le 16 juillet
n'était certes pas de nature à le faire changer d'avis.
Mais au moment où Kiihlmann avait prononcé
son fameux discours, toute l'Allemagne attendait la
victoire promise par liindenburg et Ludeiidortf, et
les doutes émis par le ministre au sujet de l'effica-
cité de la vicloire avaient paru une atteinte au pres-
tige militaire de l'Alleiiiagne. Il est probable que,
de ce jour, Kuhlmann était condamné. Après quel-
ques hésitations dont nous ne connaissons pas le
détail, il s'était retiré. Sa démission avait été
acceptée. 11 attendra dans la coulisse. L'amiral von
Hintze, ministre d'Allemagne à Christiania, l'avait
remplacé. Le nouveau ministre a un passé qui le
fait considérer comme un homme hardi, sans scru-
pules; il a été employé depuis le début de la guerre
h des besognes louches, où il ne fallait pas regarder
aux moyens. Sa nomination présageait des coups de
boutoir, et des machinations dénuées de vergogne.
On devait le considérer comme un adeple de la
manière forte. — On put croire un instant que le
chancelier Herlling suivrait Kiihlmann, et passerait
la main. Mais le chancelier Hertling est une per-
sonnalité moins précise que Kiihlmann, et le grand
état-major a en lui un auxiliaire plus souple. Il
l'avait prouvé. Le discours qu'il prononça, le 11 juil-
let, devant une commission du Heichstag, peut être
considéré comme un des exemplaires les plus com-
plets de la duplicité allemande, et devrait servir
d'avertissement à ceux qui croient encore à la bonne
foi germanique. Parlant de la Belgique, Hertling
avait déclaré que l'occupation et la possession ac-
tuelle de ce pays signifiait seulement que l'Alle-
magne le tenait « en gage » pour les négociations
futures. Le sens du mot gage, avait-il ajouté, im-
plique par lui-même que l'objet dont il s'agit ne
sera pas gardé si les négociations aboutissent à un
résultat favorable. Nous n'avons pas l'intention de
I
«• 139. Septembre 1918.
conserver la Belgique sous n'importe quelle forme. »
Si l'on compare ces déclarations à celles que for-
mulaient tous les jours les pangermanistes au sujet
(le la nécessité pour l'Allemagne de garder la Bel-
gique, si l'on se souvient d'autre part que l'Alle-
magne a tout fait pour ruiner méthodiquement l'in-
dustrie belge, pour dissocier l'unité belge en orga-
nisant un gouverne-
ment et ime agita-
tion flamingants, en
martyrisant et en
affamant la popula-
tion du pays, on se
demanderas! l'Alle-
magne ne l'ait au-
jourd'hui si bon
marché de ce mal-
heureux Elat que
parce qu'elle l'a ré-
dui t à néant et
qu'elle compte l'ex-
ploiter sans courir
les risques d'une
annexion. De plus,
comment oublier
(|ue ce prétendu
« gage » a été volé
à ma:n aimée, au
mépris de tous les
tiaités, et qu'au-
join'd'hui c'est le
produit même de ce
vol que le chance
lier prétend consti-
tu er en objet
d'échange ! Jamais
aussi irnpudeiiiuu'nt
ne s'est étalée la
théorie de la force,
et jamais n'est ap-
parue plus nette-
ment la nécessité
(le lois qui obligent
la société humaine,
et qui la garantis-
sent contre le brigandage organisé. Hertling était
donc un chancelier selon le cœur de létal-major
allemand. — Qunnt à la réponse au Mémorandum
de Londres, après de longsmoisellearrivait à point,
par un hasard vraimentcurieux, au moment oùTofren-
sive devait être victorieuse et oii le parti socialiste
français allait une fois de plus se réunir. La manière
même dont les
questions avaient
été posées per-
mettait d'ailleurs
aux socialistes des
empires centraux
de se rallier aux
grands principes,
et de les retourner
en même temps
contre l'Entente.
Mais Scheide-
mann avait pris
soin de déclarer
(lue la question
d'Alsace- Lorraine
était une ([ueslion
allemande, et de la
sorte toute adhé-
sion des socialis-
tes centraux à des
principes géné-
raux quelconques
devenait menson-
gère. Mais le gou-
vernement alle-
mand avait vu
tout le parti qu'il
pouvait tirer, pour
embarrasser et di-
viser les socialis-
tes de l'Entente,
d'une prétendue
conformité entre
les vues du parti
socialiste alle-
mand et austro-
hongrois et celles
qui avaient été
fixées par la Con-
férence de Lon-
dres. Il était fâ-
cheux que tout le monde, et en particulier le parti
socialiste français, ne vit pas clair dans celte manœu-
vre. Il eiit été sage de se souvenir du mot de Bismarck
après son entretien à Donchery avec Napoléon lll :
« Figurez-vous qu'il croyait à notre générosité ».
Du côté de la Russie, il s'avérait de plus en plus
3ue le gouvernement bolcheviste était aux ordres
e r.\llemagne. Le 6 juin, l'ambassadeur allemauil
à Moscou, comte Mirbach, avait été assassiné chez
lui, en plein jour. Sur l'ordre de l'Allemagne, le
LAROUSSE MENSUEL
gouvernement de Lénine et Trot-sky avait fait exé-
cuter plusieurs centaines de socialistes révolution-
naires. Les procédés de répression maximaliste se
rapprochaient singulièrement de ceux de l'Ancien
régime. Quelle était au surplus la situation exacte
du gouvernement des soviets à Moscou et en Russie ?
La nomination d'Helfferich à la place de Mirbach
Une escadrille d'arioas en plein vol. (Elle forme le triangle, comme les grands oiseaux migrateurs.
allait-elle marquer le début d'une ère de révolution
germanique violente, et suffirait-elle à fortifier
Lénine et ses amis? La même obscurité que nous
avons déjà signalée continuait à nous cacher les
événements intérieurs russes.
Il semblait cependant possible de faire quelques
observations qui paraissaient se rapprocher de la
Pont léger Jeté par les troupes frantaises sur une rivière canalisée. Les fantassins défllent à la suite les uns des autres, sur le tablier volant
qui repose sur des cylindres métalliques.
vérité. Nous avons déjà dit que les Allemands
étaient apparus à beaucoup de Russes comme les
prolecteurs de l'ordre, et c'est à celte conviction
qu'il faut attribuer leurs succès en Finlande et en
Ukraine. Il semblait même que, récemment, le
parti cadet eût fait une tentative, qui finalement
avait échoué, pour s'entendre avec les Allemands,
et s'appuyer sur eux. Mais il était d'autre part
vraisemblable, si les renseignements sur ce sujet
étaient exacts, que la désillusion était venue sur
561
les intentions des Allemands, et qu'en Ukraine fcn
particulier on en avait assez. On avait dit, puis
démenti, que pour parer au mouvement violent de
révolte qui se manifestait chez les paysans du nou-
vel Elat, les Allemands s'étaient privés du con-
cours de l'ataman Skroropadsky, et allaient le
remplacer par un archiduc autrichien. Mais, que ce
bruit fût vrai ou
faux, l'assassinat du
feld - maréchal
Eichhorn, le maître
allemanddel' Ukrai-
ne, en pleine rue,
venu après l'assas-
sinat de Mirbach,
prouvait assez clai-
rement que la réac-
tion contre l'Alle-
magne ne reculerait
devant aucun
moyen. Dans le
reste de la Russie,
il apparaissait net-
tement crue la haine
de l'Allemagne
coïncidait avec la
haine dugrouverne-
ment bolchevik, et
qu'une forte oppo-
sition se groupait
tant autour du parti
cadet que du parti
M-ialiste révolu-
innaire. Tous les
renseignements
parvenus aux der-
nières heures du
mois de juillet affir-
maient le profond
désarroi du gouver-
nement bolchevik,
ta terreur que lui
inspiraient les
Tchèco - Slovaques
de plus en plusme-
niiçants. Les proclamations de Lénine, de Trolsky,
l'appel aux armes, à la levée en masse n'étaient que
des mots impuissants.
En Sibérie, bien qu'en fait on y comptât trois
gouvernements, tous trois étaient d'accord contre
les bolcheviks, et aux dernières nouvelles on pou-
vait croire qu'une fusion allait se faire autour
du gouvernement
d'Omsk.
Un fait précis et
grave tendait à
prouver qu'il se for-
mait enfin en Rus-
sie un noyau de ré-
sistance aux bol-
cheviks et un cen-
tre de réunion de
toutes les parties
du malheureux
empire disloqué .
Nous avons mar-
qué souvent notre
hésitation au sujet
de l'intervention
japonaise. L'inter-
vention japonaise
n'attendait en fait
que le bon vou-
loir du président
■Wilson, et le
président Wilson
ne voulait agir
qu'en conformité
des vœux du
peuple russe. Or,
on avait annoncé
presque ofDcielle-
ment que l'inter-
vention japonaise
était décidée.
C'était donc que le
président Wilson,
se trouvant enfin
en face d'une opi-
nion russe défi-
nie, avait accepté
le concours japo-
nais. Cette conclu-
sion s'imposait.
Une autre raison avait dû sans doute peser sur la
décision du président de la république américaine.
Les Allemands avaient en Russie deux objectifs
immédiats : s'emparer du chemin de fer trans-
sibérien d'une pari, et de la côte mourmane d'autre
part, pour fermer la Russie à la fois au Japon et
aux Etats-Unis par la Sibérie, et à l'Entente par la
mer Glaciale. Le chemin de fer transsibérien était
entre les mains de l'armée tchéco-slovaque, qui
combattait contre les bolcheviks. Il fallait donc
St)2
que l'Enlenle aidât cette armée h conserver cette
route de première importance. Seul le Japon pou-
vait, sur ce point, représenter l'Entente. Quant à
la côle mourniane, les Alliés y avaient débarqué
des troupes, el s'étaipiit emparés du chemin de fer
de Kola. Le gouvernement bolchevik avait aussitôt
ordonné de s'opposer à cette prise de possession ;
mais il n'avait d'autre arme que des proclamations.
Il y avait là nn ensemble de faits qui, réunis, ten-
daient à marquer enfin, de la part de l'Entente, un
commencement de politique raisonuée à l'égard de
la Russie. C'est la première fois depuis des mois que
nous pouvions faire cette heureuse constatation.
Cependant que se déroulaient les multiples et
confus événementsdont nous avons essayé d'extraire
quelque clarté, le malheureux Nicolas II, sous pré-
texte d'un complot contre-révolutionnaire, était
fusillé sans jugement, sur l'ordre du soviet d'Eka-
terinenbourgdans l'Oural, le 16 juillet, et le gouver-
nement de Sloscou, qui n'avait pas voulu prendre
la responsaljilité de l'acte, le couvrait de son appro-
bation. Ainsi disparaissait un souverain qui fut
beaucoup trop faible, mais qui nous fut loyal. Chargé
detoutes les fautesd'un régime qu'il s'étaitcru obligé
en conscience de défendre et de contmirer, et dont
son éducation le rendait incapable de comprendre
l'injustice et le danger; prisonnier d'un système de
gouvernement et d'une tourbe de fonctionnaires
qui lui rendait toute réforme impossible et qui lui
laissait porter le poids des haines qui s'accumu-
laient, Nicolas II a pourtant représenté longtemps
pour nous une sauvegarde et un espoir. Nous devons
nous dire que si nous avons été trompés ce n'e^t
pas par lui, et qu'au surplus un peu plus de rlair-
vovance nous eût permis de percer à ,jour la
failjlesse fondamentale de notre allié russe. Il a
péri obscurément, s.iiis même cette solennité et
ce respect qui avaient accompagné jusqu'au bout
Charles I'"'et l/ouis XVI. Son (ils, disait-on, malade,
était mort faute de soins, quelques jours après
l'exécution de son père. De ce crime inutile, quelque
chose sortirait-il pour la Rus^ie?
L'action allemande en Russie paraissait donc
être à la veille de rencontrer groupées des opposi-
tions jusqu'alors diffuses et par suite inopérantes.
La paix de Brest-Litovsk, ofi les empires centraux
avaient cru trouver la solution de la guerre et qu'ils
brandissaient hors de tout propos comme un titre
de gloire et une assurance pour l'avenir, n'avait
fait que dévoiler la rapacité de la politique alle-
mande. L'Allemagne n'avait pu profiter assez vite
de ses avantages pour les réaliser avant le réveil
des consciences. Le moment arrivait où lui faudrait
défendre le bien mal acquis. Elle n'avait pour cela
à compter sur personne. La Bulgarie et la Turquie
continuaient à entretenir des rapports défiants et
sans aménité ; et nous
n'avons pas besoin de
dire que la mort du
Sultan était un évé-
nement de trop peu
d'importance pour
modifier en quoi que
ce soit cette situation.
L'Autriche se débat-
tait dans des difficul-
tés intérieures crois-
santes. Le ministère
Seidier, incapable
d'amener le club po-
lonais à voler le bud-
get , filt-ce pour six
mois, avait dû se
retirer, et le cabinet
Hussarek,qui le rem-
plaçait, ne pouvait
être qu'un e.vpédient
soutenu par une in-
fime majorité.
La question de la
reconslilution de la
monarchie restait po-
sée. Ni le problème
polonais, si com-
plexe, ni le problème
tchèque, compliqué
par une réforme ad-
ministrative à ten-
dance allem ande,
n'étaient résolus, ni
près (le l'être. Une
seule idée semblait
rallier tout le monde,
à l'exception de la mi-
LAROUSSE MENSUEL
L'Entente, on doit le dire, n'avait jamais paru si
fortement constituée. La collaboration des Etats-
Unis agissait comme un ciment, et la foi sincère
qui les animait, comme leur intelligence nette des
l)uts de guerre et des moyens de les atteindre avait
Le géDi^ral Gouiaii.l.
certainement donné à la direction de la guerre plus
de fermeté et de précision.
Le 4 juillet, à Mount-Vernon,le président "Wilson
avait, une fois de plus, marqué pour quelles fins
morales on combattait:
Voici, avait-il dit, quels sont les buts pour lesquels les
peuples associés du moDde combattent, et qui doivent
La Cité de Carcassonne. tableau de Jean-Baptiste-Antoîne QuiUemet (1911).
norité allemande. Finir une guerre dont l'on ne pouvait
plus rien tirer, mettre fin aux souffrances publiques.
Se soustraire au joug allemand était en outre pour
beaucoup une nécessité vitale. Mais ni l'un ni l'autre
n'était facile. L'Autriche devenait pour l'Allemagne
une alliée dont il n'y avait rien à espérer, et dont les
exigences alimentaires pouvaient devenir gênantes.
II y avait en tout cela pour l'Entente des motifs
très féconds de réflexion utile, et, si l'on savait s'en
servir, des moyens d'action peut-être très puissants.
être acceptés de leurs ennemis avant que la paix puisse à
nouveau réerner :
1" La dustruction de tout pouvoir arbitraire, en quelque
lieu que ce soit, qui puisse, isolément, secrètement et de
par sa seule volonté troubler la paix du monde ; si ce pou-
voir ne peut être détruit actuellement, le réduire au moins
à une virtuelle impuissance;
2» Le règlement de toute question concernant soit les
territoires, soit la souveraineté nationale, soit les accords
économiques ou les relations politiques, sur la base de ta
libre acceptation do ce ri'glemcnt par le peuple immédia-
N' 139 Septembre 191à-
tement intéressé et non sur la base de l'intérêt matériel
ou de l'avantage de toute autre nation ou de tout autre
peuple qui pourrait désirer un règlement durèrent en vue
de sa propre intluence extérieure ou de son hégémonie ;
3« Le consentement de toutes les nations à se laisser
guider, dans leur conduite à l'égard les unes des autres,
f>ar les mêmes principes d'honneur et de respect pour la
oi commune do la société civilisée, qui régissent les
citoyens pris individuellement de tous les Etats modernes
dans leurs rapports réciproques, de telle sorte que toutes les
promesses et toutes les conventions soient religieusement
observées, qu'aucun complot ni aucune conspiration par-
ticulière ne soient tramés, qu'aucun préjudice ne soit impu-
nément causé daus un but égoïste, et qu'une confiance
mutuelle, établie sur le noble fondement d'un respect
mutuel du droit, soit instaurée;
4'» L'établissement d'une organisation de la paix, qui
donnera la certitude que le pouvoir combiné des nations
libres empêchera tout empiétement sur le droit, et qui
contribuera à assurer davantage le respect de la paix et
do la justice par l'établissement d'un véritable tribiuial
de l'opinion dont les décisions devront être acceptées par
toutes les nations et qui sanctionnera toute modification
internationale sur laquelle les peuples directement inté-
ressés ne pourraient se mettre d'accord amicalement.
Ces grands buts peuvent être résumés on une seule
phrase : Ce gue nous poursuivons, c'est le rèf/tie de la toi
basé sur le consentement des gouvernés et soutenu par l'opi-
nion organisée de iliumanité. Ces grands buts ne peuvent
être atteints par des discussions et des tentatives.
D'autre part, le chef du parti travailliste, Gom-
pers, avait fait appel à la clairvoyance des ouvriers
pour permettre, dans le même sens, l'heureuse
conclusion de la guerre. De pareils documents
contenaient, comme nous l'avons dit plusieurs fois,
un enseignement dont il eût été désirable que beau-
coup eussent profité. On devait espérer que, dans la
solution de toules les questions que soulève le
conflit effrayant qui bouleverse le monde entier, le
point de vue américain, inspiré du bien général de
l'humanité, lenjporterail sur les conceptions vieillies
des partis, sur les calculs des intérêts privés, et sur
les illusions dangereuses des illuminés.
Il était besoin de se réfugier dans cette espérance
en voyant se dérouler chez nous les audiences à la
fois décevantes et déprimantes du procès Malvy.
Nous tenons ici à rester éloigné de toute passion
politi(|ue. Nous devons pourtant dire que le défilé
lies défaillances et des erreurs qui constituent le fond
même de cette afîaire attristante n'eût pas élé pour
fortifier notre résistance morale, si le spectacle admi-
rable de ce qui se passait au front n'eût jeté un voile
glorieux sur ces compromissions pénibles. De même
les résolutions du Congrès socialiste, le vole de la
motion minoritaire, pleine de tristes sous-entendus,
l'aveuglement internalionali.ste de certains chefs du
parti, la faiblesse coupable des autres, la prédomi-
nance des doctrinaires et des calculateurs intéressés
dans les décisions déplorables dont quelques-uns fai-
saient peserla respon-
sabilité sur la classe
ouvrière tout entière,
étaient une occasion
de réflexions graves
et nullement négli-
geables; et cela, au
moment même où,
dans une manifesta-
tion méprisante de
ton el d'inspiration,
le gouvernement alle-
mand, à l'occasion du
cinquième anniver-
saire de la guerre,
faisait signifier aux
socialistes de l'En-
tente, par ses socia-
listes bien disciplinés.
Allemands avan t tout,
qu'il ne fallait pas
compter sur eux pour
une révolution, et que
le sort du socialisme
allemand était lié au
sort économique de
l'empire.
Heureusement l'His-
toire, qu'on ignore
dans les partis, nous
apprend qu'au-dessus
des partis il y a la
France, être réel ,
pensant, raisonnable,
qui a toujours élimi-
né les ferments de
folie el de trahison.
C'était vers celle
France, c'est-à-dire du côté du front, qu'il fallait por-
ter ses regards. Tous les cœurs français battaient à
l'unisson de ceux de nos soldats, el si des larmes se
mêlaient, hélas ! à nos applaudissements, le sentiment
de l'œuvre humaine qui s'accomplissait par l'elTort
de nos fils, par les sacrifices de nos alliés, dominait
tous les dégoûts. On voyait la France libératrice
s'élever au-dessus de toutes les bassesses; el on
savait d'avance que l'Histoire ne se souviendrait que
de sa grandeur morale. L'espérance était dans les
/V 138. Septembre 1918.
FRONT DE FLANDRE
5fi3
564
cœurs; on se sentait la force désormais de tout
supporter, pour faire (inir l'injustice et la violence,
en dépit de ceux qui s'accrocliaient aux illusions fatales
et aux accointances criminelles. — Jules OEBOiniT.
Q-uillemet (Jean-Baptiste-^n/oine), peintre
français, né à Chantilly le 30 juin 1842, mort à
St-Pardoux-Mareuil le 26 mal 191N. Elève d'Oudinot,
il avait reçu les conseils de Corot et deDaul)igny. Puis
il avait subi l'influence de Courbet et de J fjupré.
Il essaya d'abord d'associer une facture grasse à la
fraîcheur du peintre des bords de l'Oise; c'est la
caractéristique de sa première période, dans laquelle
on peut noter : Mer basse à Villei ville (1872), Vieux
Monaco (1873), Bercy en décembre (1874) (Musée
du Luxembourg], Vxie de Villerville {^Slii), Falaises
de Dieppe (1877), Plage de VillersllS79), Plage de
Saint-Waast (1881), Morsalines (1882). Antoine
Guillemet avait
obtenu une mé-
daille de 2' classe
en 1874, avec sa
vue de Bercy au-
jourd'hui au mu-
sée du Luxem-
bourg. Peu à peu
il avait renoncé
aux empâte-
nients ; sa fac-
ture s'était faite
pluslé^i're; sous
l'influence géné-
rale de l'impres-
sionnisme, sa pa-
lette s'était pru-
demment éciair-
cie. Cette nou-
velle période est
marquée par des
toiles comme
les Carrières
(1893), le Pont Marie (189'i), le Quai llenri-IV
(1895), Barfleur (1896), Paris vu des hauteurs de
Belleville (\9,91), Au plateau de Châlillon {\»98),
Bords du Loing à Moret (1899), Novembre à Moret
(1901), la Seine au pont Marie (1902), Donjon de
Moret (1904), Coucher de soleil à Moret (1905).
Ses toiles révèlent un esprit mesuré, qui ne
méconnaît pas les tentatives nouvelles mais qui
se garde d'abandonner l'acquit reçu de ses pré-
décesseurs immédiats. Ces qualités d'équilibre et
une grande bienveillance de caractère valurent à
l'homme une situation enviable dans le monde
Antoine Guillemet.
LAROUSSE MENSUEL
même il figurait au Salon du Petit-Palais avec une
Vue (le Saint-Pardoux et une Route de la mer à
Saiiil-Waast. Antoine Guillemet était commandeur
de la Légion d'honneur depuis 1896. — Ph. Mercier.
Kérak ou Karak, ou le XCrak de la
Pierre du Désert, ville de l'empire ottoman,
en Turquie d'Asie, dans le vilayet de Damas, à la
lisière du désert qui s'étend entre la mer Morte et l'Eu-
pbrate ; de 8.000 à 20 000 habitants, selon les auteurs.
«• 139. Septembre 1918.
garnison turque en cet endroit. Encore que mal
cultivé, le pays avoisinant est fertile; s'il faut y intro-
duire des fruits, le blé prospèie, par contre, sur la
terre rouge des plateaux du Moab, aussi loin du
moins que le sol est régulièrement arrosé par les
pluies, et l'on en exporte même un peu par la mer
Morte, sur les bords de laquelle sont soignés la
canne à sucre et l'indigo. Dans les endroits les
plus secs, des acacias, isolés ou en bouquets, four-
nissent une excellente gomme arabique. Enfin,
^
4 ■-* ^'9
Château de Kérak, vu du sud-ouest. — Phot. du R. P. Savignac.
C'est à une quinzaine de kilomètres dans l'est de
la mer Morte que se dresse la vieille ville de Kérak
ou Karak. Elle est établie, par 1.000 mètres d'alti-
tude, sur une colline dont le sommet aplani cons-
titue un plateau mesurant 800 mètres sur 400. Ce
plateau est presque complètement isolé dos hauteurs
voisines par le lit très encaissé de l'oued Kéiak, qui
va se jeter dans la mer Morte, et par des ravins
secondaires. Dans ses masures arabes plus ou moins
chancelantes, parmi lesquelles ne subsiste aucun
Front méridional du château de Kt-rak, avec ses glacis et le réservoir extérieur. — Phot. du H. V. Savignac.
artistique : pendant longtemps, il fut le conseiller
discret du sous-secrétariat des beaux-arts.Versl908,
Antoine Guillemet commença à travailler à Kquihen,
et c'est de là qu'il rapporta : la Vallée d'Equihen
(1909), les Roches d'Equihen (1910), les Dunes
d'Equihen (1912), la Route de mer (1913]. Entre
temps, il exposa la Cité de Carcassonne et la Plage
de Piliers (1911). Il n'avait pas cependant aban-
donné Moret, qu'il peignit encore à 1 automne; son
dernier envoi au Salon de 1914 comprenait un
Lever de lune et les Moulins de Moret; cette année
vestige d'architecture civile datant de l'antiquité ou
du moyen âge, vit une population dont il est très
difficile de fixer exactement le chiffre, à laquelle
s'ajoute une garnison turque d'un millier d'hommes
environ. Naguère simple chef-lieu de caza, cette lo-
calité est devenue le chef-lieu du sandjak de Ma'ân,
au détriment de la ville du même nom située loin
dans le sud et réduite à son tour au rang de chef-
lieu de caza.
De multiples raisons expliquent l'importance ad-
ministrative de Kérak, comme aussi le séjour d'une
grâce à des cultures assez florissantes de plantes
légumineuses, l'élevage a pu prendre un certain
développement. De là l'intérêt de Kérak comme
centre agricole. Toutefois, la valeur stratégique
de celte localité est beaucoup plus grande en-
core : elle surveille, dans l'est de la mer Morle,
la voie ferrée du Hedjaz, qui passe à quelque dis-
tance (une trentaine de kilomèlres plus à l'est), et
elle commande tout le pays environnant. Comme
poste d'observation et comme point de départ de
razzias, son importance est égale; quelle surveil-
lance on peut de là exercer sur les environs! « Aux
coulées abruptes, aux gorges sauvages déchirant le
sol dans le voisinage de la ville, succèdent — a
écrit le comte Jean de Kergorlay dans ses Sites dé-
laissés d'Urient — les étendues immenses du désert
sans bornes, se réveillant dans les mauves, s'en-
dormant dans les roses des soirs. 'Vers le nord-
ouest, c'est la mer Aspbaltite, d'un bleu de tur-
quoise infiniment doux pendant les premières
heures du jour, avant que le soleil, ayant écliauCTé sa
surface, n'ait fait se dégager la brume opaque qui
la recouvre dans l'après-midi. Puis, sur l'autre rive
du long ruban bleu de la mer encaissée, les arides
montagnes de Judée, dépouillées de toute végéta-
tion, s'élèvent rouges, roussies... Et enfin, là-bas,
voici Jéricho, le mont des Oliviers masquant en
partie la Ville Sainte. » Ainsi le Krak de la Pierre
du Désert commande au loin la surface du plateau
de Moab.
Il le commandait déjà au moyen âge, alors
qu'une importante route de caravanes passait au
pied de sa colline, reliant Damas au port sina'itique
d'Akaba. Comment, auti'ement, expliquer la pré-
sence de ces vestiges d'imposantes foilifications,
qui font de Kérak une localité si intéressante pour
l'archéologue ? D'une enceinte garnie de toui's
subsistent encore des restes considérables, aux
deux points par où le plateau de la Pierre du
Désert communique avec la contrée qui l'envi-
ronne : au N.-O., un large fossé et la « tour de Bi-
bars »; au S.-O., complètement isolé, et séparé de la
ville elle-même par un fossé profond de 30 mèti-es,
un château rectangulaire, véritable réduit de la
défense, avec des salles d'un beau slyle gothique,
une vaste chapelle, desmagasins, des cilernes d'une
gi-ande capacité... On accède à la ville par deux
entrées, véritables tunnels creusés dans le roc, et
soigneusement entretenus depuis le moment où ils
ont été percés.
Ces entrées datent-elles simplement du moyen
âge, ou, comme on le prétend, d'une lointaine anti-
quité? Son importance militaire a, dans tous les
cas, valu à la colline de Kérak une très longue his-
toire, qui remonte à l'époque juive. Alors le château
de Kir-Moab — tel élait le nom ancien de la Pierre
du Désert — passait pour un des plus forts de la
contrée; c'était la capitale de ce royaume de Moab
qui fut tantôt tributaire des Hébreux et tantôt ré-
volté contre eux, et qui atteignit son apogée au
temps de Mésa. Ce roitelet, contemporain du roi
I
/V 139- Septembre 1918-
de Juda Josaphat, fut assiégé par lui et par ses
alliés dans Kérak, el, pour sauver la ville, n'Iiésita
pas à immoler sur les remparts son propre fils, au
dieu national Ghamos. Un peu plus tard, c'est à
Characa que Judas Macchabée défit un certain nom-
bre de ses ennemis.
Ainsi s'affirme, dès l'époque antérieure à l'ère
chrétienne, l'importance stratégique du •■ Mur de
Moab », du « Mur de briques cuites » de la Bible.
Aux temps, déjà moins éloignés de nous, de la
domination ro-
maine, Kérak est
un poste considé-
rable au long de la
route légionnaire
qui se dirige de-
puis Pélra, la capi- !
taie de la province ,
d'Arabie, vers __ji<*'ï'^^ - 'ïifj
Bosra et la Syrie,
et dont d'impor- ^_ ^ ^
tants vestiges sub- EV, ," '13^''- -.T
sistent encore par- SSr"'--'' ^'~ .J^™
tiellemenl aux
alentours de 1 a
1" Pierre du Dé-
sert ". Sa pri'sence
sur la c urieuse
carle-mosa'ique de
Madaba, qui date
du VI» siècle de
notre ère, prouve
qu'elle a continué
de jouer un rôle
sous les empereurs
byzantins: l'active
navigation prati-
quée alors sur la
mer Morte fut sans
doute à cette époque une caise de prospérité pour la
capitale de l'antique Moab.
Toutefois, c'est au temps des croisades que le
Krali de la Pierre du Désert a pris incontestable
ment le plus grand essor. Ceinte des solides rem-
parts et défendue par le formidable château dont
on voit encore aujourd'hui les ruines, celte ville
est alors la capitale de ta seigneurie du Krak ou de
Monl-Réal, de la « terre d'OuIlre-Jourdain », du
l)0ulevard des chrétiens du côté de l'Arabie et de
l'Egypte. 11 y aurait beaucoup à dire sur cette
LAROUSSE MENSUEL
ment estimé; les produits des arbres fruitiers, des
oliviers et des figuiers dont « cette terre entor estoit
tôle coverte que si sembloit forest », — tout cela
venait enrichir son possesseur, et fortifiait son in-
dépendance à l'égard d'un suzerain pourtant tout
proche.
C'est à l'époque du roi Foulque (1131-1144). que
le premier titulaire de ce grand fief, Payen le Bou-
teiller, sire de Montréal, commença la construction
de la forteresse de Kérak. Achevée après 1150, par
Plan de Kérak ou Karak.
grande seigneurie, la plus Importante du royaume
latin de Jérusalem: comme l'a écrit l'auteur qui a
spécialement étudié la géographie des principautés
franques de Syrie, E.-G. Rey, sa posilion sur la
rive orientale de la mer Morte en faisait la clef de
toutes les routes militaires et commerciales condui-
sant d'Egypte en Syrie et en Arabie. Aussi, vers le
début de la seconde moitié du xn« siècle, la « terre
d'Oultre-Jourdain » était-elle devenue une sorte de
petit état dans l'Etat chrétien de Jérusalem. Etat
riche, état prospère, car les taxes payées par les
nombreuses caravanes musulmanes traversant la
contrée, les multiples et précieux produits naturels
de la région — le o sucre de Kérak », particulière-
Extrémité sud de la fortere&»e de Kérak, vue extérieure, sur les terrasses.
Maurice, neveu et successeur de Payen leBouteiller,
soit après huit ou dix ans de travail, le Krak de la
Pierre du Désert (qu'il ne faut pas confondre avec
le Krak des Chevaliers ni avec le Krak de Montréal)
devint, en même temps que le siège de l'archevêque
latin de Rabbah, la
résidence des dilTé-
reiits seigneurs
d'Oultre-Jourdain,
dont le plus célèbre
est le dernier, Renaud
(le Châtillon. On con-
naît l'histoire mouve-
mentée de ce compa-
gnon de croisade de
notre roi Louis VU ;
on sait comment son
second mariage (avec
Stéphanie ou Elien-
nette, fille de Phi-
lippe de Milly) en fit
le maître de la principauté d'Oultre-Jourdain.
Alors Karak devient le point de départ de che-
vauchées ininterrompues et de conquêtes telles que
celle du port d'A'ilat ou Ela, au fond du golfe
d'Akaba, d'oii les vaisseaux de Renaud de Châtillon
se lancent sur la mer Rouge el menacent les <i villes
saintes » de La Mecque et de Médine; de Karak
encore partent, contre les caravanes de pèlerins
en marche vers La Mecque, des razzias que n'ai-
rèlent point les trêves signées entre le roi de Jé-
rusalem et le sultan Saladin; la propre sœur de
ce dernier est enlevée au cours d une de ces raz-
zias, et enfermée dans Karak. Mais un peu plus
lard, Renaud de Châtillon est fait prisonnier et tué
par Saladin (bataille d'Hitlin, 4 juillet 1187), et
le sultan s'empare tôt après, gràre à la famine,
de la puissante forteresse où il avait jadis servi
comme esclave, et dont il n'avait jamais pu se
rendre maître par la force.
A partir de ce moment, Kérak tombe dans l'oubli.
Elle n'en sort qu'une fois, après de longs siècles :
en 1840, au temps oii, pendant sa campagne de
Syrie, Ibrahim-pacha bomt)arde le vieux château
de Renaud de Châtillon, jusqu'alors admirablement
conservé. Seuls, depuis cette date jusqu'en 1918, de
rares voyageurs et archéologues se sont occupés du
Krak delà Pierre du Désert, devenu une vraie car-
rière de pierres pour les habitants delà ville. Alors,
quelques semaines après la conquête de Jérusalem
(9 décembre 1917) et de la Palestine méridionale
par les troupes britanniques du général .Mlenby,
les escarmouches et les altaques dirigées contre la
voie ferrée du Hedjaz par les bandes bédouines du
calife de La Mecque ont trouvé leur couronnement,
le 7 avril 1918, dans la prise d'une localité dont les
fortifications ruinées attestent encore le rôle joué
en Syrie, en plein cœur du moyen âge, par des
croisés venus de France. — Henri FaoïoBvinx.
lipote (du gr. lipos. graisse), n. m. Nom géné-
rique d'un cétacé de rivière de la famille des iniidés.
— Encycl. Le crâne a une structure générale
qui rappelle celui des l'nio de l'Amazone; les mâ-
choires sont recourbées vers le haut, les dents sont
565
uniformes, au nombre d'environ 130; la couronne
est comprimée latéralement, et elle rappelle celle
des dents mëdiales des inia et celle des schizo-
delphis du miocène nord-américain (Maryland).
Ce qui le distingue du plalaniste du Gang:e, c'est
sa nageoire dorsale grande et triangulaire. Ce
genre n'est représenté que par une espèce, le
lipote vexillifère ou porte-bannière {lipoles vexilli-
fer], qui a 2 mètres et demi de long, une coloration
d'un bleu gris pâle en dessus, et blanche en
dessous. Son crâne atteint 0<»,50, et les narines sont
placées très en arrière ; les yeux sont très petits,
de même que les oreilles; les évenls ont une forme
rectangulaire, et sont divisés en deux par une cloi-
son sur une profondeur de 2 à 3 centimètres.
Le nombre des dents est plus grand et plus fixe que
chez itiia Geo/froyensis où il varie de 100 à 132.
Le nombre des vertèbres est de 45.
Cette espèce n'est pas la sotalie de Chine; elle
est d'autant plus intéressante, que c'est la quatrième
espèce d'un petit groupe presque éteint et qui avait
une vaste distribution géographique dans le miocène
el le pliocène.
Cet animal ne vit que dans le lac Tung-Ting,
situé à plus de 1.000 kilomètres en amont du fleuve
Yangtsé. Les indigènes lui donnent le nom de
peli ch'i qui signifie « bannière blanche », parce que la
nageoire dorsale apparaît très proéminente quand
l'animal vient à la surface pour respirer. L'appari-
tion soudaine d'une théorie de ces dauphins blan-
châtres ressemblant à un petit bateau, est très
curieuse. Ils ne se trouvent en abondance qu'à
l'embouchure du lac Tung-Ting. On les voit faci-
lement, quand les eaux sont basses, par troupes de 3
ou de 4, parfois de 10 à 12, qui cherchent des pois-
sons dans la vase, et probablement des crevettes,
comme les platanistes du Gange. Si on les blesse,
ils poussent des cris rappelant ceux du veau. En
été, le niveau de l'eau étant de 16 mètres plus
élevé, à cause de l'apport fait par de nombreux
torrents, les lipotes disparaissent. Les Chinois
disent qu'à la fin du printemps, quand les eaux sont
fortes , ces animaux se rendent dans les petites
rivières pour y élever leurs petits. — a. Misiaaci.
Lipotes veiillifer.
Lyon-Caen (Charles-Léon), professeur el
juriste français, né à Paris le 25 décembre 1843.
Très jeune, Charles-Léon Lyon-Caenful attiré vers
les études juridiques non comme tant d'autres
pour avoir un titre permettant le choix de n'importe
quelle carrière, mais parce que ces études sérieuses
l'intéressaient pour elles-mêmes, et qu'il était avide
d'en pénétrer la méthode et l'esprit. Licencié en
droit en 1864, il met seulement trois ans à franchir
les deux grandes étapes que doit parcourir celui qui
se destine à professer à la Faculté. De 1864 à 1866,
il prépare sa thèse de doctoral. Elle est consacrée
à deux de ces questions de droit familial qui le
solliciteront plusieurs lois encore dans sa carrière
d'écrivain : De l'action familial erciscundse en
di-oit romain, Des partages d'ascendants en droit
fraitfais.
L'année suivante, il se présente, au bout d'un an
de préparation, au terrible concours d'agrégation
des facultés de droit, qui exige d'habitude de longues
études, une grande maturité,... et des échecs préli-
minaires. Il est reçu du premier coup, el avec le
numéro 1. Aussi à vingt-quatre ans est-il professeur
à la Faculté de Nancy où il enseigne le droit romain
(1867-1870), puis le code civil (1870-1872). Pendant
ces années et les suivantes, il s'attache à l'élude du
droit industriel international. Successivement, il
étudie la Condition légale des sociétés étrangères
en France, le Congrès des brevets d'invention tenu
à Vienne, la Condition légale des sociétés étran-
gères en France et en Autriche. II traduit le Code
d'itislruciion criminelle autiichien, el compose un
Tableau des lois commerciales des principauxEtats
de l'Furope, ouvrage très apprécie à l'étranger, et
traduit en anglais et en espagnol. Depuis 1872, il
est professeur à la Faculté de droit de Paris où il
occupe la chaire de législation industrielle (1877),
Fuis celle de droit romain (I8S11, tout en faisant à
Ecole libre des sciences poliiiques un coui-s de
législation maritime el commerciale comparée. Ce
sont, d'ailleurs, surtout les questions relatives à la
législation civile ou économique étrangère, fort
instructives pour qui veut avoir sur la philosophie
du droit une vue un peu haute, qui sollicitent
LyoD'Ca«n.
56G
son atteiiUon. Traduction du Code de commerce
allemand (18S1), Elude sur la nalionalilé des
sociétés par actions, Etude sur le divorce en
Autriche (1882), Eludes de droit international
privé maritime, la Loi anglaise sur la faillite (1888),
tels sont ses plus importants travaux.
Ajoutons-y les recherclies sur la législation de la
propriété littéraire et artistique, question très dis-
culée à la fin du xix« siècle et résolue par bien
des lois particulières et des accords internationaux.
Lyon-Caen les met au point dans son Recueit de
lois françaises et étrangères sur la propriété litté-
raire et artistique (1889-1x90-1896). Ces divers tra-
vaux le désit'nent à l'allention de l'Académie des
sciences morales et politiques, qui le reçoit parmi
ses membres en 1803.
Tout en développant alors son enseignement (il
devient professeur de droit commercial maritime
et de législation comparée à la Faculté de droit), il
étend son action
hors de sa chai-
re. Connu en
France et à
l'étranger, cor-
respondant de
plusieurs acadé-
mies de France
et de l'étranger
(Toulouse, 1883;
Padoue, 1896;
Bruxelles, 1910),
sonautoritépres-
que universelle
sur les questions
de piopriété ar-
tistique ouindus-
trielle est mise
plusieurs fois au
service du pays.
11 représente le
gouvernement
français à Paris: Convention internationale relative
à la protection de la propriété industrielle (1883),
Conférence pour la protection des œuvres de litté^
rature et d'art (1896); à Anvers et à Bruxelles: Con-
grès international de droit commercial, Conférence
diplomatique pour la conclusion de conventions in-
ternationales relatives à l'abordage et à l'assistance
maritime (1885,1888,1915); enlin, à La Haye, où il
est rapporteur du projet de convention pour l'unifi-
calion du droit en matière de lettres de change et
de billets à ordre (1910 et 1912). Pour d'autres ser-
vices encore, l'Etat français fait appel à sa compé-
tence. Il est, pour la section des sciences écono-
miques et soiiales, membre du comité des travaux
historiques du ministère de l'instruction publique,
membre du comité consultatif de contentieux
des ministères des colonies et de la marine, pré-
sident ou rap|)orteur des commissions exlrapar-
lementaires légilérant sur les assurances et les so-
ciétés (1902) et la revision du code de commerce
(1915), membre du comité de législation au minis-
tère de la justice. Il est apparu comme l'une des in-
carnations de la science juridique française, et,
comme tel, a été élevé à de hautes dignités : doyen
de la Faculté de droit (1906-1910), président de
l'Académie des sciences morales et politiques (1905)
enfin, en remplacement de René Stourm, secrétaire
perpétuel CV. p. 5'i7). Malgré ces occupations absor-
bantes, ses ouvrages ont été nombreux ces dernières
années {Traité eï Manuel de droit commercial), et
la guerre lui suggère plusieurs études {Nationalité
des sociétés. Conséquences de la prorogation des
échéances dans les rapports des porlew'S avec les
endosseurs des pays étrangers) parues dans diverses
revues d'études juridiques. Il vient d'être nomnié
président du comité consultatif du contentieux du
ministère des linances. — Léon Abeksoue..
Mathleu-F»alx-Séailles (l'Affaire). [Les
Grands Procics de la ouerre.] — Le 22 mai 1918
commençaient à Paris, devant le 2' conseil de
guerre, les débats de l'affaire du capitaine Mathieu
(Léon-Paul-Isidore) et du sergent Paix (Cliarles-
Jules-Octave) dit Paix-Séailles, accusés l'un et
l'autre de divulgation de documents secrets concer-
nant notre armée d'Orient.
Cette affaire a été jugée à huis clos; mais l'objet
et les détails principaux de l'accusation étaient de
notoriété publique, surtout depuis que, quelques
jours auparaviuit, s'étaient déroulées les séances
du procès du Bonnet Rouge. — Voir Bonnet Rouge
{V Affaire du], p. 549.
Le 8 août 1917, au cours d'une perquisition dans
les locaux du journal le llonjiet Rouge, avaient été
saisis, dans le coffre-fort de son directeur Vigodit
Miguel Almereyda, des documents confidentiels
intéressant la défense nationale. Bientôt la preuve
fut acquise que ces pièces avaient été communiquées
k Almereyda par Paix-Séailles.
Paix-Séailles, publiciste, et l'.t le commanditaire
du Bonnet Rouge pnur une somme de 70.000 francs.
C'est à la 20" section de secrétaires d'élat-major et
de recrutement, qu'il a été affecté pendant la guerre.
LAROUSSE MENSUEL
D'autre part, il fut établi que Paix-Séailles tenait
les documents de l'un de ses ainis, le capitaine
Mathieu, alors chef du 2' bureau de l'état-major de
l'armée d'Orient.
Les pièces trouvées en la possession d' Almereyda
comportaient deux séries distinctes :
■I" série. — ■ Cinq lettres adressées, du 3 mai au
17 juin 1916, à Paix-Séailles par le capitaine
Matliieu, contenant des renseignements sur les
effectifs, les moyens d'action, l'organisation du
commandement, 1 état matériel el mi-ial de l'armée
d'Orient, — renseignements tirés desplans, écrits et
/V I3tf. Septembre 1911s.
transmis à un malfaiteur dangereux, condamné de droit
commun (Almereyda), que des débats récents ont montré
véritable ctief d'une bande organisée, en pleine guerre,
pour se livrer à des attentats répétés contre la patrie, —
ces documents dépassent en gravité tout ce qu'on peut
concevoir.
Ils cuntiennent, en effet, dos renseignements alors
ultra-secrets sur la situation de nos armées, l'imponance
de nos effectifs, nos plans et nos moyens d'action mili-
taires : en un mot, l'ensemble de nos opérations de guerre
sur une partie importante de notre front.
En môme temps, ces documents renferment des appré-
ciations sur les armées alliées, dos renseigneniunts d'ordre
diplomatique, qui constituent non seulemeut nos secrets
Le Souper de Beaucaire, dessin de Jean-Paul Laurens. — Le capitaine Bonaparte, envoyé par le général Carteaux à Beaucalre pour
réduire les insurgés, soupa, lo 29 millet 1793, dans une auberge avec des négociants de Montpellier, de Nimes et de Marseille. C'était à
l'époque de la foir.>. Vei-s la fin du repas, il s'enirasrea, entre le jeune militaire et les négociants, une discussion politique sur la situa-
tion de la France ; les convives avaient chacun une opinion différente, qu'ils soutenaient avec chaleur. Quelques jours après, le capitaine
Bonaparte consii^na dans une brochure : le iyoufter de lieaucaire, la conversation qu'il avait eue dans cette ville, et l'état des opinions dans
le Midi. Cet écrit, émanant d'un si jeune homme (il avait 24 ansi. est remarquable par la sagacité des vues militaires et politiques, et par la
lucidité du raisonnement ; il est d un bout à l'autre plein de modération et de bon sens ; et tout ce que, à cette date, l'éloquent convive
concevait de succès pour la cause républicaine qu'il avait embrassée, et qui semblait si compromise aux yeux des insurgés, se réalisa
de point en point. Le Souper de Bfnucaire fut imprimé aux frais du trésor national : c'était, en effet, une publication utile à répandre
pour l'apaisement des esprits, et l'on ne doit pas être surpris que les délégués de la Convention l'aient compris de cette manière. Ainsi,
Bonaparte défemlait alors la grande cause patriotique non seulement de Tépée, mais de la plume: eyise et catamo.
documents secrets intéressant la défense nationale ;
ê' série. — Copié d'un télégramme du 12 juin 1916,
adressé par le grand quartier général du généralis-
sime Joffre au général commandant en chef l'armée
d'Orient, le général Sarrail; — • copie d'un télé-
gramme du 14 juin 1916, adressé au général Sarrail
fiar le ministre de France à Athènes; — copie d'une
ettre datée du 14 juin 1916, adressée par le général
Sarrail à Nouîens, alors président de la commission
de l'armée à la Chambre des députés.
Dès le début de l'instruction — suivie contre eux
par le capilaine rapporteur Mangin-Bocquet, — le
capilaine Malhieu et le sergent Paix-Séailles n'a-
vaient cessé de protester de leur patriotisme, de la
pureté de leurs intentions :
En mai-juin 1916 (disaient-ils) il y a eu dans la presse
française une tendance à déplorer l'inaction de l'arinoe du
général bc-rrail, à proclamer même son inutilité. C'est pour
répondre à cette campagne et justifier l'armée d'Orient
des reproches qui lui étaient adressés; c'est dans notre
désir de voir renforcer l'expédition do Salonique et notre
résolution d'ôtre utiles au général Sarrail et à ses soldats,
que nous fûmes amenés à la divulgation dont on nous
fait griof.
Devant le conseil de guerre, le capitaine Mathieu
— appartenant au l<" balaillon de tirailleurs indo-
chinois — a comparu en grand uniforme, la Légion
d'honneur et la Croix de guerre sur la poitrine. Il a
pris place, arec le sergent Paix-Séailles, au banc
des accusés libres.
Le colonel Go'omiès présidait. Le commandant
Albert Montel occupait le siège du ministère public.
Les défenseurs étaient M" Hild pour le capitaine
Mathieu, M' Edmond Bloch pour Paix-Séailles.
Dès l'ouverture des débats, le général Messimy,
notre ministre de la guerre du début des hostili-
tés, avait, par lettre, témoigné qu'il avait toujours
considéré Paix-Séailles comme « un parfait honnête
homme et un bon Français «, n'ayant jamais eu, de-
puis le début de la guerre, « qu'une pensée : la vic-
toire de nos armes ».
Le commandant Montel réclama le huis clos en
ces termes :
Les documents qui ont été livrés par le capitaine Ma-
thieu, remis par lui au sergent Paix-Séailles, qui les a
a nous, ce qtii serait déjà suffisant, mais encore les se-
crets de nos vaillants alliés, secrets, par conséquent, qui
ne sont pas les nôtres.
Enfin l'instruction a fait ressortir — et les débats qui
vont s'ouvrir devant vous établiront de même — des diver-
gences iirofondes d'appréciation, tant sur les opérations
elles-mêmes que sur les conséquences militaires de leur
divulgation, entre le général en chef de l'armée d'Orient
et l'un des générau.^ sous ses ordres. 'Vous les entendrez
l'un et l'autre.
Le général en sous-ordre ainsi visé était, semble-
t-il, le général Cordonnier, qui exerçait le com-
mandement du corps expéditionnaire français. Le
général Sarrail et le général Cordonnier passaient
pour être en désaccord sur le caractère répréheu-
sible et sur la portée des faits imputés au capitaine
Mathieu et au sergent Paix-Séailles.
C'est k l'nnaniniité des voix, que le conseil de
guerre ordonna le huis clos.
Au cours des cinq séances que, portes rigou-
reusement fermées, occupa le procès, furent enten-
dus, entre autres témoins, le général Sarrail, le
général Cordonnier, Léon Daudet, Gustave Hervé;
Aristide Briand et Paul Painlevé, anciens prési-
dents du conseil des ministres; Maurice Viollette,
ancien ministre du ravitaillement, et le profes-
seur Aulard.
Le conseil de guerre rendit son jugement le
27 mai. En ce qui concerne la preinii re série des
documents divulgués, il déclarait les deux accusés
non coupables; mais, à l'occasion de la deuxième
série de ces documents, le capitaine Malhieu était
condamné à trois mois d'emprisonnement, atec
sursis, et le sergent Paix-Séailles à un an d'empri-
sonnement, également avec sursis. — M» Laurent.
Napoléon journaliste, par Antonin Pt';-
rivier (Paris, 1918). — 11 est peut-être plus d'iictiialite
qu'on ne pourrait le croiie, ce livre sur Napoléon
journaliste, car, à vrai dire, aulant que les talents
de publiciste de l'Emiiereur.on y trouve la politique
qu'il suivit à l'égard de la presse, et les directives
qu'il donnait aux journaux en temps de guerre.
Cette politique, ces directives ne nous détourneront
pas de la vie présente.
i
I
AI' 139 Septembre 1918.
II y a sans doute quelque excès à prétendre
qu'Austerlilz et léna seront dépassés dans l'avenir
par certaines pages de Napoléon; on ne peut pas ne
point reconnaître pourtant qu'en même temps qu'un
grand capitaine, l'Empereur fut un grand écrivain.
Comment s'en étonner?
Il y a dans le grand liomme d'action (dît Thîers) la prin-
cipale chose f]ui fait grandement écrire, la pensée ; et il y
a aussi ce qui fait écrire avec sublimité, l'àme.
La pensée, et l'âme, on les retrouve dans les moin-
dres notes de Napoléon. II avait le sens de l'aetua-
lilé, de ce qu'il fallait dire, et de ce qu'il ne fallait
pas dire; et, quand il tenait la plume, il la tenait
avec vigueur.
II y a plusieurs manières d'être ioumaliste. II y a
celui qui dirige et inspire un journal, il y a celui
qui écrit. Napoléon fut journaliste de toutes les fa-
çons. Il fut directeur, rédacteur, reporter. Antonin
Péri vier nous le présente dans ses diverses altitudes,
et le portrait qu'il nous donne de son impérial con-
frère est plein de vie. Napoléon fut journaliste à ce
fioint, qu'il voulut détruire toute concurrence, et êlre
e seul journalisle de son temps. Ce n'est pas ici le
moinspiquant de l'histoire.
La Révolution avait donné toute liberté à la
presse. Elle en abusa, et Napoléon en usa de bonne
heure, puisque nous le voyons, dès 1793, distribuer
lui-même aux ofliciers, sous-officiers et soldats, un
pamplilet qu'il vient de faire imprimer: te Souper
de Beaucaire
Trois ans plus tard, en 1796, général en chef
victorieux, conscient de sa propre valeur, il songe
tout de suite à créer un journal qui lui permettra de
communiquer directement avec l'opinion publique.
En attendant cette création, et pour tenir la place
du journal inexistant encore, il écrit au Directoire
de longues lettres publiques, qu'il fait imprimer, et
distribue ensuite par milliers dans les régiments.
Dans ces lettres ofi il répund à la presse qui l'atta-
que, il se fait véritablement journaliste, et déploie
la même fougue que sur le terrain mililaire :
Je ne puis pas (écrit-il) être insensible aux outrages, aux
calomnies que quatre-vingts journaux répandent tous les
jours et à toute occasion.
Il fonde enfin un journal : le Courrier de l'Armée
d'Italie, ou le Patriote français à Milan par une
société de républicains. Le rédacteur en chef, Jul-
lien de Paris,
écrit sous l'inspi-
ration directe el
même sur les
noies de Bona-
parte. Celui-ci ne
s'enconlenlepas.
Quelques semai-
nes plus lard, il
crée un second
journal au titre
hardi: ta France
vue de l'Armée
d'Italie, journal
depolitique.dad
minislralioneide
littérature fran-
çaise el étran-
gère.Regnaultilf
Saint-Jean-d An-
gely en est le n-
dacleur en chef.
Bonaparte tire de
ces journaux une
immense publi-
cité personnelle ;
il en use pour
attaquer violem-
ment la presse de
Paris et les roya-
listes. Pendant
la campagne
d'Egypte, il fait
paraître le Cour-
rier d'Egypte, et
la Décade égyp-
tienne. Mais
l'absence de nou-
velles d'Europe
enlevait tout in-
térêt à ces pério-
diques.
ApartirdeBru-
maire, Bonaparte journaliste c'est surtout Bona-
parte supprimant les journaux. La liberté de la
presse n existe plus. L'arrêlé du 17 janvier 1800
ne laisse vivre que tieize journaux ; et encore,
ceux qui subsistent ne le peuvent que dans la ser-
vitude de la police. Tout article contre la Cons-
titution, contre les armées, contre les gouver-
nements étrangers, amis ou alliés de la France,
amènerait une suppression immédiate. Il faut d'ail-
leurs reconnaître que 1p. liberté de la pres-se avait
abouti à tant d'excès pendant la Bévolulion, que
ces mesures extrêmes furent accueillies sans sur-
prise et sans murmure par l'opinion publique.
BoDai'arte, l'reoiier uuiiâul, par lsal>uy
(Musée de Versailles).
. LAROUSSE MENSUEL
Les saisies, les suppressions, les censures, les
avertissements, les réprimandes, les emprisonne-
ments même se succèdent; el des journaux qui sub-
sistent le Premier consul se sert pour une énorme
publicité personnelle.
II donne d'ailleurs surtout son attention aux
journaux anglais et allemands, qu'on lui traduit
chaque matin. 11 est sensible à leurs altaqi-es. Pour
y répondre, il s'empare du Moniteur. C était un
journal datant de 1789, et appartenant à Panckouke,
puis à son gendre Agasse. Maret, le secrétaire
d'Etat, le transforma en journal officiel.
Deux parties le composèrent, l'une officielle,
contenant les actes du gouvernement, l'autre
émanant directement du cabinet de Bona-
parte. Tous les soirs, les épreuves en étaient
soumises au minisire d'Elat
Par là, le Premier consul communiquait
directement avec l'op'nion publique. Les
numéros les plus importants du journal
étaient distribués gratuitement dans toute
l'Europe. Plus tard à Sainte-Hélène, Napo-
léon relisant le Moniteur dira :
Il n'est pas une phrase que j'aie à en faire
effacer. Au contraire, il demeurera infaillible-
ment ma justilication, toutes les fois que je
pourrai en avoir besoin.
A vrai dire, ainsi que nous l'avons déjà
signalé, le Moniteur est d'abord un organe
de publicité pour Bonaparte :
Un souvei-ain, a-t-il dit, doit toujours confis-
quer la publicité à son profit.
Mais bientôt il prend un caractère presque
exclusivement politique; touchant parfois
aux événements de l'intérieur, mais le plus
souvent s'appliquant aux questions étran-
gères, notamment aux affaires anglaises.
Le Premier consul suivait attentivement la
presse anglaise. Il avait commencé par lan-
cer des appels à la paix. Aucun écho n'y
avait répondu; et au contraire les journaux
britanniques avaient dirigé contre lui de
violentes attaques. 11 répliqua avec la même
violence. Les Anglais se plaignirent de ses
articles, à cause de leur caractère officiel;
il répondit que les journaux anglais eux
aussi devaient être considérés comme offi-
ciels, puisqu'ils n'étaient pas poursuivis.
Quoi qu'il en soit, ces polémiques créaient
entre Londres et Paris un état d'irascibilité
et de haine, qui rendait très difficile toute
conciliation; et la signature des prélimi-
naires de paix ne changea rien à la situa-
tion. Pourtant, après la paix d'Amiens,
Bonaparte lança de nouveaux appels à l'en-
tente cordiale. Ses appels demeurèrent sans
succès. Il ouvrit alors de nouvelles cam-
pagnes contre le gouvernement anglais, et,
ce qui dcait être parliculièrement sensible
aux Anglais, contre le crédit de l'Angleterre.
Le Moniteur devient de plus en plus belli-
queux, et l'on y sent s'exaspérer la colère du
Premier consul.
Lie Moniteur ne lui suffisait pas, d'ailleurs, pour
exprimer toute sa pensée. Ne voulant pas user du
journal officiel, pour traiter de ses affaires person-
nelles, il créa le Bulletin de Paris, journal biheb-
domadaire rédigé tout entier dans son cabinet, qui
ne dura pas. Et pour répondre à I'" Ambigu » de
Peltier, qui ne cessait à Londres de l'injurier de la
plus basse manière, en même temps qu'il le faisait
poursuivre devant les tribunaux anglais, il fit im-
primer l'Argus, soi-disant organe des républicains
anglais en France.
Si rigoureux que filt le régime imposé à la presse,
sous le Consulat, il le fut davantage encore sous
l'Empire. Jamais il n'y eut moins de liberté d'écrire,
qu'en ce temps : seul, l'Empereurparle ; oudu moins,
seul, il veut parler; et si sa participation directe au
Moniteur est moins fréquente que sous le Consulat,
pas un article ne parait qu'il ne l'éludie, le critique
et le juge. De quelque point de l'Europe qu'il se
trouve, il envoie ses instructions; et sa correspon-
dance est remplie d'observations politiques, litté-
raires, philosophiques sur la composition de son
journal.
J'entends (écrit-il en 1805), que les joumaux servent
le gouvernement, et non contre.
II faudrait citer tous les numéros du Moniteur,
les suivre jour à jour pour connaître la pensée quo-
tidienne du maître. Perivier en donne des extraits
abondants; et son livre par là même en est plus
précieux. Si absolu que semble à cette époque le
silence de la presse, si docile que soit le Moniteur,
ce qui frappe pourtant c'est le mécontentement
presque constant de l'Empereur, l'irritation que lui
cau.-^e la publication de tel ou tel article, de telle
ou telle nouvelle.
Chaque jour, une nouvelle interdiction est faite aux
journaux qui subsistent. Défense de parler du luxe
et des dépenses de la cour. Défense de parlerd'assas-
sinats et de meurtres, car de pareils récits font
567
croire que tout est sens dessus dessous dans le
royaume. Défense de donner des renseignements
militaires. Défense de parler des prêtres, des ser-
mons et de la religion :
N'est- il pas ridicule et contraire aux choses saintes de
tes voir compromises dans des feuilles qui contiennent
tant d'inutilités et de choses fausses ?
Ordre est donné que le nom des jésuites ne soit
jamais prononcé, et que tout ce qui pourrait amener
à parler de cette Société soit évité dans les journaux.
Napoléon 1*', gravé par Stapleaux, sous la direction de David.
Défense de publier aucune nouvelle relative è des
choses faites par l'Empereur, et tirées soil des jour-
naux étiangers, soit des correspondances étrangères.
II supprime plusieurs journaux ecclésiastiques,
sous prétexte de la diversité de leurs opinions en
matière religieuse; et il les réunit en un seul jour-
nal : le Journal des Curés. De Milan, il nomme un
censeur spécial au « Journal des Débats » , qui doilêtre
payé par les propriétaires du journal lui-même, et
qui doit s'exercer sur la politique et sur la partie
littéraire, qui pourrait être faite dans un mauvais
espi'it politique. De Scboenbrunn, le 24 juillet 1809,
il envoie l'ordre d'arrêter un rédacteur de la
<i Gazette de France », pour avoir mis dans son jour-
nal plusieurs articles de Berlin, dont le but est de
mettre en doute l'alliance de la France et de la Russie.
Enfin, la censure est si rigoureuse, les interdic-
tions sont si nombreuses, que dans le Moniteur
lui-même on ne trouve bientôt plus rien à lire, et le
rédacteur en chef de ce journal officiel en est réduit,
pour remplir ses colonnes, à imprimer des articles
de médecine.
C est là, si l'on peut dire, la partie négative du
journalisme de Napoléon. Mais il y a une partie
positive. L'Empereur lui-même donne des sujets
d'articles; et il n'en donne pas seulement le thème,
il fournit les arguments à développer : articles de
politique étrangère, — c'est ainsi qu'en 1806 il mène
une campagne contre la Prusse, comme il a fait
autrefois contre l'Angleterre; articles de polémique
personnelle, — c'est ainsi qu'il donne des noies
contre la princesse Dolgorouki.quise livre, àRome,
à des bavardages inutiles et inconvenants; — articles
littéraires aussi, — c'est ainsi que, le H février 1806,
il inspire directement, dans le « Journal des Dé-
bats », un article contre Tacite.
Et s'il s'arrête i des points particuliers comme
ceux-ci, il donne aussi des directives générales.
C'est du camp d'Osterode, qu'il envoie à Champa-
Kny,en 1807, le plan d'un bon journal, dont la cri-
tique rot éclairée, bien inlenlionnée, impartiale et
dépouillée de cette brutalité injurieuse qui caracté-
368
rise les discussions des journaux existants, et qui
est si contraire aux véritables mœurs de la nation.
Et en 1814, par les instructions qu'il donne, il fait
véritablement participer à la délense nationale les
feuilles publiques, qui sont lues, il ne l'oublie pas,
par les ennemis.
Il donne un vivant tableau de ce que doit être la
presse en temps de guerre :
Au lieu des bêtises dont on remplit chaque jour les
petits journaux (écrit-il à Savary), pourquoi n'avez-vous
pas des commissaires qui parcourent les pays d'où nous
avons chassé les ennemis, et recueillent les détails des
crimes qu'ils y ont commis ? Il n'y aurait rien de plus fort
pour animer les esprits, que le récit de ces détails. Dans
ce moment, il nous faut des choses réelles et sérieuoes,
et non pas de l'esprit en prose et en vers. Les cheveux
me dressent sur la tête, des crimes commis par les
ennemis
Et de Troyes, le 24 février, il écrivait encore :
11 est nécessaire que les journaux de Paris soient dans
le sens des craintes de l'ennemi. Les journaux ne sont
pas l'histoire, pas plus que les bulletins ne sont l'histoire.
On doit toujours faire croire à son ennemi qu'où a des
forces immenses.
Ces instructions s'adressaient à sa police ; car si
Napoléon ménageait peu les journaux, il ne cessait
de harceler sa police pour les maladresses qu'elle
commettait à l'égard de la presse. Et pourtant, mal-
gré toutes ses plaintes, il faut croire que cette presse
lui rendait des services, puisque ses adversaires
voulurent l'imiter. Metternich conçut l'idée d'op-
poser au Moniteur de l'Empire le « iVIoniteur « de
la Coalition :
C'est (disait-il) uo fait nouveau dans l'histoire, que celui
d'un souverain qui s'entretient directement et fréquem-
ment avec le public. Napoléon a inauguré cette méthode,
et il en a tiré de grands avantages.
Et le 5 décembre 1805, le ministre autrichien
adressa aux puissances alliées un mémoire : Idée
pour la fondation d'un journal sous la protection
et avec la collaboration des puissances alliées. Il
ne put faire réussir ses idées; mais l'on doit re-
marquer que le plan de journal qu'il établissait
ressemblait étrangement h. celui qu'avait réalisé
Napoléon.
On pourrait encore, avec l'aide de Périvier, pas-
ser en revue le personnel des journalistes au temps
de Napoléon : journalistes indépendants, si l'on
peut dire, et journalistes fonctionnaires. On pour-
rait présenter Koucbé et Savary tn liberté. Car ce
n'est pas seulement Napoléon journaliste que l'on
voit dans le livre abondant et curieux de Périvier,
mais bien toute l'histoire de la presse, pendant plus
de vingt ans ; et ce n'est pas là, sans doute, un des
moindres intérêts de l'ouvrage. — Jacques bompaed.
nova (fém. de l'adj. lat. novus, nouveau) n. f.
Nom générique donné à toute étoile qui, augmen-
tant brusquement d'éclat, semble surgir des profon-
deurs de la voiite céleste. PI. Des novx. \\ Syu. de
ÉTOILE NOUVELLE, ÉTOILE TEMPORAmE.
— Encygl. Le 8 juin 1918, plusieurs astronomes
signalaient l'apparition d'une étoile nouvelle enlre
la constellation de l'Aigle et celle d'Ophiucus, près
%.. . • *Véga
J-
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270^^:--v;
•
Position dans le ciel, de la nouvelle étoile {Nova).
de 8 Serpent. Elle apparaissait déjà comme une
étoile de première grandeur, son éclat augmenta
encore pendant quelques jours, puis commença à
diminuer. L'élude de son spectre montra que celui-
ci durerait peu de ceux des novœ antérieurement
observées; enfin, cet astre a été identifié 3.\^c une
étoile déjà cataloguée mais qui, jusque-là, était
de 8" grandeur.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on observe des
étoiles nouvelles : Ihisloire de l'astronomie nous
transmet un grand nombre d'apparitions remontant
aux temps les plus reculés. La plus céltlire de
toutes est ta Pèlerine, dite encore étoile de Tycho-
LAROUSSE MENSUEL
Brabé, parce qu'elle fut observée par cet astronome.
Elle lui apparut le 11 novembre 1572, dans i.i cons-
tellation de Gassiopée; en quelques instants, elle
avait acquis un éclat comparable à celui de Sirius ;
cet éclat augmenta encore, elle devint même visible
en plein jour. Au bout d'un mois elle commença à
décroître, tout en conservant une position invariable
par rapport aux étoiles voisines. Enlin, en mars 1574
elle avait complètement disparu; la Pèlerine étant
apparue quelques mois après la Saint-Baiihélemy,
la croyance populaire ne manqua pas de l'associer
aux massacres qui eurent lieu à cette époque; de
mime celle de 1609 fut associée à 1 assassinat de
Henri W, qui eut lieu un an plus tard. C'est d'ailleurs
à la suite d'une apparition semblable (125 avant
l'ère chrétienne) que Hipparqiie eut l'idée de faire
son calalogue d'étoiles. On cite encore, parmi les
étoiles temporaires, celle qui apparut en l'an 389;
elle était voisine de a Aigle, et son éclat pondant
quelques semaines fut comparable à celui de Vénus.
Plus près de nous, citons l'étoile apparue en 1868
dans la Couronne boréale, qui élait primitivement
de 10» grandeur, et qui arriva à la 2= pour revenir,
au bout de six semaines, à son état primitif; une
nova parue en 1892 dans la constellation du Cocher,
arriva à la 4» grandeur puis disparut presque com-
plètement, pour revenir à la !)« grandeur six mois
après et décroître ensuite ; elle a aujourd'hui l'as-
pect d'une petite nébuleuse.
Si des novae apparaissent assez fréquemment,
leur éclat maximum dépasse rarement la 6« gran-
deur, et depuis 1572 on n'en avait pas observé
d'aussi brillante que la nouvelle étoile apparue
le 8 juin dernier. Ce ne sont pas là des astres nou-
veaux ; certains, comme le dernier, ont pu être
identifiés avec des étoiles déjà observées et catalo-
guées; d'autres, au contraire, n'ont pu l'être, ce qui
prouve simplement que leur éclat primitif était trop
faible pour nous permettre de le faire. Toutes ces
étoiles nouvelles apparaissent en général dans le
voisinage de la voie lactée, ou encore dans la voie
lactée elle-même.
Pendant la période d'éclat croissant elles don-
nent, à la speetroscopie, les mêmes raies que les
protubérances solaires ; puis, dans la période dé-
croissante, leurs spectres se rapprochent de plus en
plus de ceux des nébuleuses planétaires, c'est-à-dire
du type d'étoiles Wolf et Hayet, toutes situées dans
la voie lactée et dans les nuées de Magellan et qui,
probalilemenl, ne sont que les vestiges très alfaiblis
de nuvse.
L'apparition des novse a donné lieu à un certain
nombre d'hypotlièses : est-ce une collision, un frô-
lement de deux astres, provoquant un accroissement
considérable d'activité? L'étoile est-elle elle-même
le siège d'un cataclysme interne, explosions provo-
quées par des gaz ? Disons tout de suite que les dif-
férentes hypothèses proposées ne résolvent pas com-
plètement le problème, et espérons que la nouvelle
étoile, dont l'observation est relativement facile pour
nos astronomes puis(|u'elle passe au méridien vers
le milieu de la _ nuit, permettra d'apporter à la
théorie quelques àoniiées précises, et de nous mieux
fixer sur les causes de ces intéres-
sants phénomènes. — G. Boucuent.
Olmet (Georges), écrivain fran-
çais, né à Paris le 3 avril 1848. — Il est
mort dans la même ville le 5 mai 1918.
Quand il eut achevé ses études au lycée
Bonaparte — aujourd'hui Condorcet, —
son père, qui était architecte, voulut
l'aiffuiller vers cette profession, mais
le futur écrivain n'avait pour les arts
du compas que des aptitudes médiocres ;
le prre ne s'obstina point, et engagea
son fils à faire son droit. Docilement,
G. Ohnet aborda les études juridiques :
pas plus que le compas, le barreau
ne convenait aux aspirations du jeune
homme, possédé du mal d'écrire. Après
la guerre de 1870, il quitta donc la
robe et se lança dans le journalisme.
Il entra d'abord au « Pays », que diri-
geait Paul de Gassagnac, puis il passa
au « Constitutionnel i>, où il rédigea
tout à la l'ois le bulletin politique et le
feuilleton théâtral. A la première de
ces besognes, il apportait des qualités
de bon sens qui lui faisaient juger sai-
nement choses et gens ; mais la seconde
l'attirait davantage, car elle répondait à ses goûts
véritables, el il y pouvait exercer ce sens profond du
théâtre, qui coiislilue sa principale caractéristique.
Le nombre et la vogue de ses romans peuvent, il
il est vrai, faire illusion ; pourtant, quiconque étu-
die de près G. Olinet découvre constamment der-
rière le romancier l'auteur dramatique : c'est ce
dernier qui, en réalité, conduit le récit, invente et
organise les péripéties, compose les caractères. Le
romancier n'est là que pour tenir la plume ; et
c'est précisément dans la juxtaposition de cette dou-
ble individualité qu'il faut chercher, outre les rai-
sons du succès de G. Ohnet auprès du grand public,
Oeorges Ohnet.
«• 139. Septembre 1918.
l'explication de ses qualités et de ses défauts. Il
est à remarquer d'ailleurs que lorsque Ohnet se
décida à écrire, c'est vers le théâtre qu'il se porta
d'abord. Sa première œuvre est un drame, Jlegina
Sa7-pi, composé en collaboration avec Denayrouze
et représenté au Théâtre historique en 1875. L année
suivante, il fit jouer à Bruxelles une opérette. Aux
avant-postes, dont Joseph Michel avait écrit la
musique. En 1877, il donnait au Gymnase Marthe,
qui obtint un honorable succès. Engagé dans la car-
rière dramatique, Olinct s'y fiJt sans doute maintenu
si un incident ne l'avait aiguillé d'un autre côté, il
avait écrit un nouveau drame, Serge Panine ; mais
en vain le soumit-il à tous les directeurs de théâtre,
aucun cette fois ne l'accepta. Ohnet ne se décou-
ragea point ; il transforma sa pièce en roman :
Serge Panine parut en 1881. Ce fut un succès:
l'Académie fran-
çaise couronna
l'ouvrage, les
éditions se mul-
tiplièrent; pres-
que involontai-
rement, Olinet
devint brusque-
ment le roman-
cier à la mode.
H n'eut garde de
négliger la chan-
ce qui s'offrait à
lui ; averti des
goiits du public,
il exploita abon-
dammciil la veine
qu'il avait décou-
verte, et, d'année
en année, avec
une régularité
qui se maintint
pendant plus de trente-cinq ans, se succédèrenl, sous
la dénomination générale des « Batailles de la "Vie »,
les livres aux litres fameux : le Maître de forges
(1882), la Comtesse Sarafi (1883), lise Fleuron
(1884), la Grunde Matniére (1885), les Dames de
Croix-Mort (1886), Noir et Rose (1887), le Docteur
Rameau (1888), Volonté (1888), etc. La production
totale du romancier dépasse 40 volumes.
Enhardi par son prodigieux succès, Ohnet revint
à ses ambitions dramatiques et porta à la .-.cène quel-
ques-uns de ses romans les plus célèbres : Serge
Panine et le Maître de forges furent joués en 1884,
la Comtesse Sarah en 1887, la Grande Marnière
en 1888. Ohnet retrouva au théâtre la faveur qu'il
avait rencontrée en librairie : d'après ses propres
déclarations dans une lettre àAurélien Scholi, Serge
Panine lui rapporta 200.000 Irancs, et le Maitre de
forges plus de 500.000 francs.
Une part de son succès est due au moment où il
apparut. C'était l'époque où le naturalisme exagérait
ses outrances, et blessait le goût général par un éta-
lage complaisant et grossier des laideurs physiques
et morales. Le public de 1882 lisait Zola mais ne
l'approuvait point. Aussi fut-il charmé de découvrir
en G. Ohnet un auteur pénétré d'idéalisme, qui ani-
mait ses personnages de sentiments généreux, et
dont les récits se dénouaient agréablement par le
triomphe des bons et la punition des méchants.
A cet idéalisme se joignait un romanesque qui flat-
tait les goûts de la niasse bourgeoise : ces romans
se déroulaient dans des milieux de richesse et de
luxe, décrits avec une complaisance un peu naïve;
ils étaient peuplés d'amazones élégantes, de gen-
tilshommes séduisants, d'industriels de bon ton ;
l'auteur ne manquait pas de souligner la suprême
distinction de ses personnages. Avec lui, donc, nul
risque de s'encanailler comme avec l'auteur de
Pot-Bouille. En outre, et c'est là peut-être la plus
profonde raison de son .succès, Ohnet s'était voué à
la glorification de la bourgeoisie : le sympathique
ingénieur était son héros favori; à l'aristocrate,
jouisseur et sans scrupules, il opposait le jeune
bourgeois, intelligent, laborieux, fus de ses œuvres,
qui, grâce à la noble élévation de ses senlimenls,
finissait par s'imposer et triomphait des préjugés de
la naissance et du nom. Tout cela n'était peut-être
pas très original. Le sujet du Maître de forges ne
se retrouve-t-il pas dans Mademoiselle de la Sei-
gli'ere, et Octave Feuillet n'avait-il pas donné dans
Monsieur de Camors le prototvpe de Serge Pa-
nine l Par bien des côtés aussi, la Comtesse Sarali
rappelle le Sphinx du même Feuillet, comme la
Grande Marnière fait songer au Maitre Guérin de
Emile Augier. Mais le public ne voyait pas si loin :
les personnages que le romancier faisait agir devant
lui, l'intéressaient; il n'en demandait pas davantage.
De fait, pendant quelques années, Ohnet jouit
d'un prestige incontesté. A la fin, la persistance d'un
succès disproportionné — il faut le reconnaître —
aux mérites de l'écrivain indisposa certains cri-
tiques, et leur mauvaise humeur se traduisit par de
violentes attaques. Jules Lemaitre donna le signal
dans un article fameux, où il disséqua férocement
l'œuvre d'Ohnet, et montra avec une impitoyable
virtuosité tout ce qu'il y avait de faux dans ses in-
N' 13S. Septembre I9I8.
veiitions, de convenu dans ses caractères, de pré-
tenlieusement banal dans son style. Un peu plus
lard, à propos de la Comtesse Sarali, Lemaltre re-
nouvela son attaque :
Ta es banal, bana!, banal (criait-il à sa victime) ; la plus
fado convetuion s'étale dans tes récits... Tu ne reçois du
spociacle de la vie et do tout l'univers sensible aucune
impression directe et personnelle. Il n'y a pas une trou-
vaille de mots dans les milliers do pages que tu as péni-
blement 'Darbouiliées.
A la suite de Lemaître, toute la critique se rua
contre le malheureux Ohnet. Anatole France décla-
rait ne « savoir rien de plus désobligeant que ses
conceptions, ni de plus disgracieux que son style » ;
et il ajoutait :
Ohnet est détestable avec égalité et plénitude : il donne
ridée d'un genre de perfection. Il a sa puissance, sa vertu
et sa magie : tout ce qu'il touche devient aussitôt triste-
ment vulgaire et ridiculement prétentieux.
Avec moins d'âpreté, Faguet se montrait aussi
sévère. L' « éreinlement » d'Ohnet devint d'ailleurs
pour la critique une sorte de lieu commun; tandis
que tant d'écrivains, qui ne valaient pas mieux, bé-
néliciaient d'une large indulgence, le malheureux
auteur du Maître de forges, choisi comme bouc
émissaire, était l'objet de toutes les rigueurs.
11 les subissait du reste avec une patience rési-
gnée et une indilîérence — au moins extérieure —
vraiment remarquable. Après avoir fait dire une
fois pourtoutes par son éditeur qu'il ne lisait jamais
ce qu'on écrivait sur son compte, il continua paisi-
blement sa tâche. Vivant volontiers dans sa rési-
dence d'Emérainville, où il se délassait de ses tra-
vaux par les innocentes joies de la pêche à la ligne,
cet honnête ouvrier de lettres donnait régulièrement
chaque année un, quelquefois deux romans nou-
veaux. S'il ne retrouva plus sa vogue du début, il
connut encore d'honorables succès avec Nemrod
e<C'e(I894), la Dame en gris (1895), le Curé de
Faoièri's ;1897), pour ne citer que quelques titres.
Au théâtre, il donna encore Dernier amour (1890),
le Colonel Boquebrune (1898), les Ronges et les
Blancs (1901). Dans ces dernières années, ayant
épuisé les « Batailles de la Vie », il commença une
nouvelle série, « La Légende et l'Histoire », à
laquelle appartiennent la Serre de l'Aigle, Pour
tuer Bonaparte, le Partisan, l'înfin, depuis la guerre
il avait entrepris, sous le titre de Journal d'un
Bourgeois de Paris, la publication périodique d'une
sorte de mémorial, oii il commentait les événe-
ments en cours. Il y travaillait encore, quand la
mort le surprit. Chevalier de la Légion d'honneur
depuis 1883, il avait été élu en 1902 président de la
Société des gens de lettres.
Honnête homme, écrivain laborieux et probe,
Georges Ohnet, malgré le discrédit officiel qui le
frappait, conserva jusqu'au bout des lecteurs fidèles,
et le tirage de ses derniers volumes montre que sa
popularité survécut aux attaques dont il avait été
l'oljjet. Celles-ci d'ailleurs, il faut bien l'avouer,
n'allaient point sans exagération ni injustice.
Sans doute, n'y a-t-il pas chez Onnet beaucoup
d'originalité; sa psychologie manque de profondeur,
et son style est trop uniformément plat. Mais on
ne peut lui contester, outre une louable honnêteté
d'intentions, une réelle habileté dans l'art de pré-
senter et de conduire un récit. Ses plus violents
détracteurs étaient obligés de reconnaître que « ses
pièces étaient bien faites » (Lemaître), qu'il avait
« un certain instinct de l'arrangement et du mouve-
ment dramatique; que ses fins d'acte notamment
ont de la netteté et de la précision » (Faguet). Ses
drames, en effet, se déroulent avec beaucoup de lo-
gique : nulle scène épisodique ou forcée; tout dérive
naturellement de la situation primitive, et les coups
de théâtre, intelligemment conçus, sont toujours
tdroitement amenés. Homme de théâtre avant tout,
Ohnet a porté dans ses livres les mêmes procédés.
Ses romans sont des pièces de théâtre : autour du
dialogue, l'auteur s'est contenté de grouper quelques
r"escriptions et analyses qui donnent à l'ensemble
; apparence d'un roman; mais tout y est conçu et
[féjà agencé pour la scène. Gela explique la simpli-
rité et la netteté avec lesquelles ses sujets sont
exposés etdéveloppés; cela explique aussi la psycho-
logie sommaire des personnages, qui a été si vive-
ment critiquée. Mais Ohnet n'a jamais prétendu
Cî-éer des types; il s'est borné à prendre des types
traditionnels de la comédie ou du drame, et a les
placer dans des situations mouvementées et ingé-
nieuses. Ainsi délimité, il ne semble pas que son
effort ait été stérile.
I Si un engouement exagéré a un moment porté
Ohnet plus haut qu'il ne convenait, si l'on a voulu
voir dans ses romans plus qu'il n'avait entendu y
mettre, il serait également injuste de le dénigrer
outre mesure. La portée de son œuvre ne dépasse
point celle du théâtre de Scribe, mais ne lui est pas
inférieure; et si l'on veut assigner à Ohnet une
place équitable, c'est à la suite de Scribe et de
Feuillet qu'il convient de le ranger.
Outre les ouvrages mentionnés au cours de cet
article, il convient de citer encore : tAme de Pierre,
Dette de haine, le Lendemain des amours, le
Edouard Petit.
LAROUSSE MENSUEL
Droit de tenfanl, les Vieillei, rancunes, la Fille du
député, l'Inutile richesse, Boi de Paris, Au fond
du gouffre. Gens de la noce, la Ténébreuse, le
Brasseur d'a/faires, la Marche à l'amour, le Che-
min de la gloire, la Conquérante, V Amour com-
mande, l'Aventure de Baymond d'Haulel, Cœurs
eti deuil. Crépuscule, la Dixième muse, le Mar-
chand de poison, Mariage américain, le Revenant,
la Route rouge. — FéUx aoiRino.
Petit (Edouard), pédagogue et historien fran-
çais, ne à Marseille le 17 mars 1858, mort à Per-
pignan le 19 février 1917. Il fit ses études au lycée
de sa ville natale, entra comme élève-maître au
collège Hollin (Paris) et obtint une bourse de licence
à la Faculté des lettres d'Aix. Reçu licencié, il re-
tourna à Rollin comme professeur délégué (1881-
1883), puis enseigna aux lycées de Laval et de
Nlraes. En 1886, il passa avec succès le concours de
l'agrégation de l'enseignement spécial, puis obtint
le grade de docteur es lettres à la Faculté d'Aix.
Nommé à Paris,
il fut professeur
au lycée Janson-
de-Saillyde 1886
à 1899. L'intérêt
qu'il portait aux
questions d'en-
seignement po-
pulaire engagè-
rent Léon Bour-
geois, minisire
de l'instruction
publique, à le
charger d'une
mission. A partir
de 1894, il rédi-
gea chaque an-
née, sur l'éduca-
tion populaire, un
rapport publié
au «Journal Offi-
ciel ». En 1900, il fut nommé inspecteur général
de l'instruction publique pour l'enseignement pri-
maire, et c'est pendant une tournée d'inspection
qu'il fut frappe par la mort. Il était vice-président
de la Ligue française de l'Enseignement, de la
Société nationale des Conférences populaires, de
l'Union nationale des mutualités scolaires.
Il a beaucoup écrit, beaucoup parlé, et surtout
beaucoup agi. Parmi ses écrits, les uns sont des-
tinés aux classes : Lectures tirées d'auteurs mo-
dernes (Paris, 1887);itfocceaua; choisis, du moyen
âge au XVtU" siècle (1891); la Composition /'(•ari-
pnîse aua: ej;a»!ens( 1 892). Cesdeuxderniers ouvrages
furent écrits avec la collaboration de Lhomme; Be-
cueil de morceaux choisis des prosateurs du XIX' siè-
cle (1892). Les livres scolaires d'Edouard Petit
sont destinés à l'enseignement secondaire moderne
et à l'enseignement des jeunes filles. — On lui doit
des ouvrages d'histoire, travaux originaux ou petits
volumes de vulgarisation. Il faut d'abord citer ses
thèses de doctorat : André Doria : Un amiral
condottiere au XVl' siècle (1887) et De Tuchinorum
rebellione in vicaria Nemausensi; puis les études
irt'tulées : Etienne Marcel, ou la Bourgeoisie pa-
risienne au XIV' siècle (1883); François Dupleix
(1883); Sully (1885); Francis Garnier, sa vie, ses
voyages, ses œuvres, d'après une correspondance
inédite (1885) ; le Tong-Kin (1887) ; François Mignet
(1889)- Eugène Pellelan, sa vie, son œuvre, d'après
des documents inédits (1912). 11 a traduit libre-
ment de l'italien le livre de David Levi : Michel-
Ange, l'homme, l'artiste, le citoyen {iHSi). — Mais
la partie la plus importante de son œuvre est rela-
tive à l'école primaire et aux œuvres post-scolaires :
Alentour de l'école. Les parents, les maîtres et les
élèves (préface par Jules Simon, 1890); l'Ecole mo-
derne (avec une préface d'Eugène Manuel, 1891);
de l'Ecole au régiment (1895); Autour de l'éduca-
tion populaire (1893); Chez les étudiants popu-
laires (1898), ouvrage couronné par l'Académie
française; l'Ecole de demain (1902); Jean Lavenir
(1904), en collaboration avec G. Lamy, à la fois
livre scolaire et ouvrage de propagande mutua-
liste; Jean Macéet la ligue française de l'enseigne-
ment (1904); la Vie scolaire (1907); Autour de
l'éducation populaire, avec préface de R. Poincaré
(1908); la Commune et la mutualité scolaire (1909) ;
de l'Ecole à la Cité. Etudes sur l'éducation popu-
laire (1910); enfin De l'Ecole à la Guerre (1916), où
l'auteur célèbre l'héroïsme des instituteurs, le dé-
vouement des institutrices, et montre comment la
jeunesse des écoles a collaboré efficacement aux
œuvres de guerre. Edouard Petit avait un grand
talent de journaliste, et il a donné des articles
innombrables à la « Revue p<^dagogique », au
c< Journal des Instituteurs », au <i Volume », etc. Sa
phrase est facile et lumineuse, souvent spirituelle
ou éloquente.
Sa parole avait les mêmes qualités, et produisait
une impression profonde. Ses élèves des lycées l'ont
aimée. Elle a charmé et ému les auditeurs de ses
multiples conférences. La foi vibrante de cet apôtre
569
de rinstmction populaire se communiquait m£me
aux indifférents et aux sceptiques. Les résultats de
ses efforts passionnés ont été remarquables : en 1894,
le nombre des cours d'adultes, jadis instituas par
Victor Duruy, n'était guère que de 7.000. Après
une première campagne d'Edouard Petit, il était
doublé (1896). En 1914, il y en avait 54.000. Ledé-
veloppement des mutualités, des amicales et des
patronages fut encore plus remarquable. Edouard
Petit aurait voulu réorganiser l'enseignement post-
scolaire en plaçant à la base le principe de l'obli-
gation, et il a tracé en 1910 un plan qui servira sans
doute à l'élaboration du projet définitif.
Il fut naturellement attaqué ou raillé par les
adversaires de l'école laïque. Mais personne n'a pu
reprocher à Edouard Petit des violences de polé-
mique. Toujours courtois, toujours disposé à bien
accueillir une critique, d'où qu'elle vint, il a pro-
fessé des croyances républicaines et démocratiques
complètement libres d'esprit sectaire. — J.-m. dilisu.
Poissons comestibles. Caractères à
connaître pour éviter d'être trompe dans leur
achat. — Les poissons constituent un aliment de
grande importance, qui se mange frais, salé, fumé,
saur ou salé-fumé, mariné ou conservé dans l'huile
en boîtes closes. Les qualités alimentaires durèrent
avec le mode de conservation, avec l'origine suivant
qu'il s'agit de poissons de mer ou d'eau douce, avec
l'époque de l'année.
D'une manière générale, la chair de la plupart
des poissons est blanche et presque aussi bien
pourvue en matières azotées que la viande de bou-
cherie; son usage n'est contre-indiqué que dans les
cas degonite, d'eczéma, d'affections des reins ou du
foie. La quantité de corps gras contenue dans celle
chair permet de partager les poissons, au point de
vue alimentaire, en deux classes : 1° les poissons
maigres, de digeslion facile et auxquels convient
la friture; 2" les poissons g''as, lourds, indigestes,
qui doivent être mangés rAtis ou bouillis.
Dans le choix et l'achat d'un poisson pour la
table, il est nécessaire, si l'on ne veut pas être
t-ompé : 1" de connaître les signes indiquant la
fraîcheur; 2° de savoir distinguer dans chaque
groupe les espèces à chair de qualité supérieure, des
espèces voisines de moindre valeur alimentaire et
commerciale.
Fraîcheur — La fraîcheur d'un poisson se re-
connaît aux caractères suivants : 1° Odeur franche
de marée : les ouïes, la bouche, la face ventrale,
successivement senties, ne doivent laisser dégager
aucune odeur suspecte, ni ammoniacale, ni vaseuse;
i'>Ecaitles brillantes s'enlevant facilement à l'ongle :
plus le poisson est frais, mieux il s'écaille. Une
marchande qui arrose ses poissons ou les humecte
avec une éponge humide pour rendre les écailles
momentanément brillantes indique la mauvaise
qualité de sa marchandise; 3° Œil clair, brillant,
plein, non enfoncé dans l'orbite : une couche de
glycérine appliquée au pinceau peut rendre l'œil
brillant, mais le laisse rétracté; 4° Ouïes rouge écar-
late vif, aperçues en soulevant l'ope-cule les recou-
vant : des ouïes pâles indiquent l'état avancé; des
caillots sanguins prouvent l'addition de sang de
lapin; un doigt passé sur les lamelles ne doit pas
revenir coloré; retiré rose ou l'ouge, il indique le
trucage du marchand : teinture des ouïes au car-
min ou à l'éosine, ou même au sang de lapin ;
5" Chair ferme se reconnaissant à la pression entre
deux doigts. Une marchande qui présente le poisson
allongé sur sa main tendue et son bras annonce, en
réalité, qu'il est mou et avancé; autrement, elle le
saisirait par les ouïes et le tendrait horizontalement
pour montrer la rigidité de son corps et sa fraîcheur.
Enfin, lorsqu'on achète du poisson en tranches, il
est bon de pouvoir constater ces caractères, ce oui
exige que la tète de l'animal soit encore adbérei'te.
DÉTERMINATION. — La fraichcur reconnue, il faut
s'as'urer que le marchand ne cherche pas à vous
tromper sur la nature de l'espèce. N'acceptez pas
une cardine pour une sole, un grondin |)our un
rouget, un mulet pour un bar, etc. Voici les carac-
tères distinctifs des principaux poissons vendus sur
les marchés, et pouvant prêter à confusion avec des
espèces de prix et de qualité inférieurs :
Alose. — L'alose commune est un poisson marin
migrateur qui remonte les rivières en mars et avril
f)our frayer; il atteint de 30 à 70 centimètres de
ongueur. Malgré la présence de nombreuses arêtes,
sa chair est délicate de mars à la mi-mai, lors de la
montée en rivière ; elle est sèche et de mauvais goût
à toute autre époque.
Une confusion est possible avec le hareng ou
l'alose feinte ou finie.
L'alose commune se dislingue facilement du
hareng par sa mâchoire supérieure échancrée et la
tache noire allongée qu'elle porte derrière les ouïes.
La finte présente derrière les ouïes 4 à 7 taches
noires disposées en ligne horizontale, et non une
seule ; de plus, elle porte sur les mâchoires quel-
ques petites dents qui manquent chex l'alose
Anchois. — Ce petit poisson se pêche en grande
quantité dans l'Océan et la Méditerranée : il res-
570
semble beaucoup au hareng et se mange frais, en
friture, mais surtout en conserve, mariné ou salé.
Les pêcheurs le di^capilont pres(|ue toujours, sous
le prétexte injustilié qu'il a du (iel dans la tète.
Cette opération lacilite la vente de la mele/le sprat
comme anchois. Le sprat s'en distingue cependant
par une crête ventrale en dents de scie, que l'on sont
au doigt.
Anguille. — Ce poisson, au corps allongé, serpen-
tiforme, couvert d un enduit visqueux tris glissant,
babite toutes les eaux : marines, saumâtres, douces,
courantes ou sta-
gnantes. A Paris,
l'anguille commune,
qu'elle provienne de
l'eau douce ou de la
mer, est vendue sous
le nom i' anguille de
Seine po.u' la distin-
guer du congre, qui
est nommé anguille
de mer. Le congre
atteint une taill e
considérable, il est
plus pâle que l'an-
guille, sa nageoire
dorsale commence à
la hauteur des na-
geoires pectorales ;
chi'Z l'anguille, au
milieu du dos. Sa
chair est fade et sans
linesse.
Bai'. — Le bar, dit
loup , 1 G u b i n e , se
trouve sur toutes nos
côtes, et remonte
souvent les rivières;
c'est un poisson très
estimé. Son dos est
gris de plomb, pâlis-
sant aux lianes, pas-
■sant au blanc d'ar-
gent sur le ventre;
la lame cornée re-
couvrant les ouïes
porte deux épines.
En raison de son
prix élevé, les mar-
chands cherchent à
établir la confusion:
I" Avec le muge
ou m u I e t , m e u i 1 ,
excellent aussi, mais
de prix intérieur; le
nuige a la bouche
plus petite, les écail-
les plus grandes ; la
dorsale antérieure moins allongée et moins épi-
neuse ; la lèvre supérieure, échancrée au milieu, re-
çoit un tubercule de la mâchoire inférieure ; 2"> avec
le maigre, mais ce dernier a la dorsale postérieure
beaucoup plus longue que chez le bar; 3° avec Vom-
brine, que l'on reconnaît à son dos plus arqué, à sa
seconde dorsale plus allongée, au barbillon que
porte sa mâchoire inférieure, et à ses bandes brunes.
Carpe. — Poisson d'eau douce bien connu, dont
la chair est très appréciée. Son corps est aplati, ses
lèvres épaisses; sa bouche, assez petite, porte un
barbillon bien développé de chaque côté de la mâ-
choire supérieure; la couleur est assez variable avec
les eaux ; en général, le dos est brunâtre, les flancs
■jaune doré, et le ventre jaunâtre. N'acceptez pas :
1» à la place d'une carpe adulte uncarassin, dont
le dos est plus élevé, presque bossu, et dont la hou
che est sans barbillons; 2" à la place de carpillons,
des bouvières, très semblables d'aspect, mais sans
barbillons.
Daurade. — Cet excellent poisson se pêche dans
la Méditerranée et le golfe de Gascogne; il est
assez rare dans la Manche; sa tête est forte, ses
écailles grandes, son dos mince, d'un bleu foncé ;
les lianes sont d'un jaune argenté, et le ventre blanc :
la nageoire dorsale est brunâtre, avec unj bande
brune longitudinale. Plusieurs variétés, dites dau-
rades rouges, ont une *eint3 rosée ou rouge. Les
marchands cherchent souvent à vendre comme dau-
rades des poissons de formes analogues, mais de
prix et de qualité inférieurs. — Le tableau ci-contre
permet d'éviter cette confusion.
Eperlan. — Ce petit poisson babite l'Atlantique,
et remonte les fleuves pouv y pondre, en mars-avril,
jusqu'à la limite où la marée se fait sentir. Son
corps est allongé, son dos presque droit, son mu-
seau mince, sa queue très l:)urchue; la teinte gé-
nérale est vert clair ou bleuâire, l'aspect est nacré;
le corps est presque transparent, surtout le crâne.
Le faux éperlan est le prêtre, dont la chair est
aussi très appréciée comme aliment. Il diffère de
l'éperlau par ses deux nageoires dorsales bien sé-
parées. Sous le nom d'éperlan de Seine, les mar-
chands, h Paris, vendent l'ablette s/jirlin; cette
dernière a la queue moins fourchue, le corps moins
allongé, une seule nageoire dorsale et non deux.
LAROUSSE MENSUEL
Lotte. — Ce délicat poisson, commun dans les
lacs de Savoie, est plus rare dans nos rivières; son
corps est allongé, cylindri(|ue, visqueux et h petites
écailles; sa coloration col jaunâtre, avec marbrures
foncées; il porte deux nageoires dorsales, dont la
postérieure très longue, et un barbillon sous le
menlon. La chair, blanche, grasse et très fine, con-
tient peu d'arêtes. La lotte atteint 60 centimètres
de long, et se débite souvent en tranches. A Paris,
on vend presque toujours sous le nom de lotte la
baudroie ou marache, poisson de mer à chair beau-
Céphaloptère ou Haie cornue.
Myliobatu ou Ruie aigle.
coup moins fine. La baudroie n'a aucune ressem-
blance avec la lotte, mais sa queue seule parait
sur les marchés, toujours dépouillée de sa peau
molle et flasque', et découpée en tranches. Pour ne
pas être trompé, il est nécessaire de n'acheter
qu'après avoir vu la lotte entière.
Maquereau. — On vend quelquefois comme ma-
quereau le saurel ou cliinchard, dit encore maque-
reau bdlard, à chair médiocre, huileuse. Le saurel
/V* 139. Septembre 1918.
indiqués déjà dans cette revue même CV. Larousse
Mensuel, t. II, p. 777).
Raies. — Ces poissons cartilagineux atteignent
1 à 2 mètres de long; leur corps aplati forme un
losange; ils ont une large face ventrale portant la
bouche et cinq paires d'ou'ies et une large face dor-
sale avec les yeux. Les nageoires pectorales ou
ailes, supportées par de longs rayons cartilagineux,
sont énormes et constituent, avec le foie, la seule
partie comeslible.
On vend plusieurs espèces de raies, dont la chair
n'a pas la même va-
leur. La raie bouclée
est la meilleure; sa
peau est garnie de
boutons osseux dont
chacun se termine
en épine recourbée ;
ces productions se
nommen t Aouc/es.La
raie hianrhe et la
raie balis ont une
chair nujins Une. On
vend même parfois
comme raies des
poissons appartenant
à des genres voisins
et très inférieurs
comme aliment : la
raie cornue, la raie
aigle, Xapasienague;
l'aiguillon barbelé,
dont est armée à sa
base la queue de ces
poissons, a été coupé
p:ir les marchands,
mais la section en
est visible pour toute
personne avertie.
Les nageoires pecto-
rales de Vange de
mer ou bourgeois,
vendues au détail
comme celles de la
raie, sont assez diffi-
ciles à distinguer de
ces dernières: la
chair en est d'ail-
leurs assez agréable.
(V. figuresciconlre.)
Rascasse ■ — La
scorpène brune ou
rascasse possède une
grosse tête bossuée,
garnie d'épines; son
aspect bizarre lui a
fait donner les noms
de crapaud ou diable
de mer. Sa teinte est grisâtre, marquée de noir; sa
chair, un peu coriace, est un des éléments indispen-
sables de la bouillabaisse. A Paris, où la rascasse
parvient diflicilement fiaîche, ou vend parfois aux
amateurs de ce mets : 1" la scorpène truie ou ras-
casse rouge, beaucoup plus grosse; 2" le chabois-
seau ou co//e smrpion, a-^sez semblable d'aspect à
la vraie rascasse; 3° le grondin sebaste et le gron-
din perlon, dit rouget hirondelle, corbeau de mer.
Raie pastenûgue.
1 ■
KOMS
TEINTK
Œil.
CARACTÈRES DIVERS
QUEUE
DES POISSONS
GtM.RAI E
Daurade vraie
Grise.
Vssez grand
Bande doréo enlro les yeux.
Gris-verl.
Rousseau ou Gros-yoïix.
Gris rosé.
Très grand.
Tache noiro à l'épaule.
Jaune rosé
Assez grand
Assez grand
.\ssez grand
10 à 12 raies jauno d'or en long sur les flancs.
Rayureslongitudin-iles et taclio noire prèsde la queue
Bandes verticales rougeâtres sur les flancs.
Brunùtre.
Pagel commun
Rouge.
Rouge.
Dénié à gros yeux. . . .
Rose hortensia.
Très grand.
Dorsale ot ventrale rosées.
Rose.
Denté ordinaire
Rose hortensia.
Grand.
Dorsale avec taches bleues, venirales jaunes.
Rose.
difl'ère du maquereau, dont il a la forme générale,
par ses couleurs moins vives, plus claires, par la
tache noire que porte la plaque cornée de ses ouïes
et par une rangée latérale d'écaillés épineuses don-
nant au toucher l'impression d'une râpe.
Merlan. — Le merlan se pèche touti; l'année dans
la Manche et dans l'Océan ; c'est un poisson voisin
(les morues, mais sans barliillon à la lèvre infé-
rieure. N'acceptez pas, comme merlan: 1" le liexi
ou merlan jaune, de teinte plus jaune, à chair moins
estimée; i" l'aiglefin encore jeune. Ce dernier pos-
sède un barbillon et, sur chaque flanc, une tache
noire un peu en arrière de la tête.
Poissons plats ou pleuronectidés — Les caractè-
res permettant de reconnaître les différents poissons
plats vendus sur les marchés ont été longuement
Rouget. — Le vrai rouget est le mulle barbet, il
se pèche sur tontes nos côtes; il a de grandes
écailles, le dos ronge, les flancs et le ventre rose
argenté sans bandes longitudinales, la tête l'orVe, la
bouche petite avec deux longs barbillons à la mâ-
choire inférieure. La chair est blanche et grasse, très
fine. Ne vous laissez pas vendre comme rouget :
1» le mulle surmulet ou bnrbarin qui se distingue
du précédent par la présence sur les flancs de trois
à six bandes longitudinales d'un jaune doré; 2» le
grondin rouge, d'une valeur deux à trois fois plus
faible. Ce poisson, de la famille des triglidés, diffère
beaucoup du vrai rouget par son aspect : son corps
est beaucoup plus gros en avant qu'en arrière, sa
grosse tête est armée d'épines et couverte de pla-
ques osseuses; les trois rayons antérieurs des na-
N' 139. Septembre 1918.
LAROrSBE MENSL'EL
LES POISSONS COMESTIBLES
C'arac(«re< à connaître pour éviter d'itre trompé dant leur achat.
I. Alose commune. — 8. Hareog. — 3. Bar ou I.oup ou Loubioe. — 4. Maigre. — 1. Orobrioe. — 6. Muge ou Mulei ou Meuil. — ". Carpe. — 8. Carusia. — ». Bouvière.
10. Daurade. — 11. l'agel. — 18. Oblade. — 13. Deotâ. — M. Kperlan. — 15. Ablette ipirlin. — 16. Prêtre ou Faux Eperlan. — 17. Lotte. — 13. Baudroie ou Maracbe. — l». Merlan.
80. Lieu ou Merlan jaune. — 81. Aipletin.— 2». Rouget ou Mulle barbet. — 83. Mullo surmulet ou narbarin. — 24. Grondin rouge. — 25 Sardioe. — 8*. Anchois. — S". Sprat.
28. Saurel ou Chincliard ou Maquereau b&iard.
geoli'es pectorales sont détachés de ces dernières,
et se meuvent cuiiiine des doigts.
Sardine. — Ce petit poisson, à chair très déli-
cate, se pèche sur nos côtes atlantiques et méditer-
ranéennes. La sardine se mange fraîche sous le nom
de sans-sel, ou salée sous le nom de royan, ou sur-
tout frile à l'huile et mise en boîtes. Les conserves
à bas prix renferment parfois d'autres poissons que
la sardine, notamment du sprat, de fanchois, du
saiirel ou du fretin de hareng. On reconnaîtra la
fraude par l'examen des caractères suivants : chez
la sardine, la nageoire dorsale est insérée en avant
de la base des nageoires abdominales; chez le ha-
reng, un peu moins en avant; chez le sprat, au
même niveau; chez l'anchois, en arrière; chez le
saurel ou chinchaid, la dorsale, séparée en deux
parties, occupe presque toute la ligue du dos. Le
hareng et le sprat ont une crête rugueuse ventrale,
réduite à la région postérieure cliez le premier,
beaucoup plus longue chez le second : on la sent
très bien en faisant glisser le doigt d'arrière en
avant; cette crête n'existe pas chez les trois aulres
poissons. Enlin, la peau du dos, lisse et bleuâtre
chez la sardine, est bnmàlre et chagrinée chez le
hareng, bleu verdâtre chez le sprat, grisâtre chez le
saurel. La suppression de la tête lors de la mise en
boîtes facilite ces substitutions frauduleuses. Ajou-
tons qu'en hiver certains marchands vendent du
sprat pour de la royan.
Thon. — Il existe deux espèces principales de ce
gros poisson : 1° le Ihon commun, à. teinte bleue,
plus ou moins foncée sur le dos, grisâtre sur les
flancs et le ventre, avec de nombreuses taches d'un
blanc argenté ; 2° le thon blanc ou germoti, plus
petit, aux très longues nageoires pectorales. Ce der-
nier est le thon des mai'cliés de Paris ; il est très
estimé pour la finesse de sa chair ferme, d'un rouge
vif, rappelant celle du bœuf. Le thon se débite par
tranches. Certains marchands, peu scrupuleux, ven-
dent comme thon des tranches découpées de certains
squales, comme la grande roussette ou chien de mer,
la lamie ou touille, etc. Mais la teinte de celte chair
est beaucoup plus pâle que celle du thon; son odeur
est ammoniacale, et un peu musquée; enfin, la peau
enveloppante est dépourvue d'écaillés. — F. Faidou.
Potash. and Perlmutter, comédie amé-
ricaine en 3 actes, par Moutague Glass et Charles
Klein, adaptation française de John N. Raphaël,
jouée aux Boulfes-Parisiens, h Paris, le 17 avril
1916. — Le 2)iemier acte se passe dans le bureau
des patrons de la maison de confections en gros
Potash and Porimuller, — une vieille maison, aux
murs effrités, aux meubles désuets; au fond, une
grande soupente sert d'atelier à un coupeur; le
confortable moderne est complètement aljsent.
Les deux patrons sont Potash, Irlandais brave
homme, tatillon, susceptible, querelleur, bon cœur,
et son associé Perinmtici-, inoins arriéré, plus osé,
aussi fin malois. Ils oui besoin d'un dessinateur, celui
de la maison étant parti. Une dessinatrice leur est
amenée par un homme d'aflaires, Feldman Mayer,
dont le type est campé avec art: c'est le redoulable
trafiquant qui lait argent de tout et à qui tout appa-
raît sous la forme d'une commission à toucher. Il
fournit à la maison Potash and Perimuller une
dessinatrice, une Parisienne, M"" Blanche PersillonI
C'est une commission detant, lejourmème, et ensuite
de tant pour cent. Il s'est mis en tête de faire dé-
ménager ces négociants, de leur faire changer leur
vieille masure contre une belle installation moderne
dans la V"! Avenue, qui est la rue de la Paix de New-
York. Les associés refusent. Ce n'est point là le
compte de PeUlman Mayer, qui toucherait une forte
commission sur le loyer. Au titre de représentant
avocat-conseil de la Fédération syndicale des Tra-
vailleurs, il va dans les ateliers, s'abouche avec les
contremaîtres, démontre aux ouvriers qu'ils tra-
vaillent dans des conditions antiréglementaires d'hy-
giène : et séance tenante la grève est déclarée.
Comme seul Mayer peut l'enrayer, Potash et Perl-
mutter crdent, et acceptent le bail de la V° Avenue.
C'est là un des épisodes qui remplissent le pre-
mier acte. Il y en a deux autres. Mayer n'a pas
réussi à placer sa dessinatrice. Mais celle-ci est
restée pour bavarder avec le comptable, un Russe,
lîoris Andersen, qu'elle connaît. Pendant qu'elle
cause, un acheteur de Chicago se fait montrer des
modèles nouveaux, qu'un défilé de mannequins
exhibe avec agrément. Les modèles plaisent peu.
M"» Blanche Persillon, par habitude profession-
nelle, a'-rête un mannequin, chiffonne la robe, dé-
coud ici, épingle là, ajoute une ceinture dont la
note vive réveille la teinte neutre du costume : et
voilà une rol)e, tout à l'heure quelconque, qui prend
aussitôt le chic dont les Parisiennes ont le secret.
lOmerveilléspar le miracle, les associés s'attachent
cette artiste au prix qu'elle voudra.
Celle-ci accepte, et est heureuse de retrouver, dans
la maison, Boris Andersen. C'est un jeune compo-
•'ileur russe, qu'elle a connu à Paris. Il est exilé,
se trouvant compromis par les apparences dans
une affaire politique à Petrograd. Les associés
l'ont recueilli sur sa bonne mine, et cet artiste s'est
LAROUSSE MENSUEL
résigné pour vivre h. copier des factures et des
bordereaux. Son repos n'est pas de longue durée : la
police de New- York vient l'arrêter, et l'emmène
malgré ses protestations d'innocence.
Au deuxième acte, la maison Potash et Perimutter
est installée dans le luxueux immeuble de la V« Ave-
nue. M"« Blanche Persillon est la fée de la maison
qu'elle oricnlo vers le succès par son goût pari-
sien et ses brillantes relations de jolie femme. Ses
patrons l'aiment beaucoup, surtout Perimutter. Ce-
pendant, tous sont anxieux sur le sort de Boris
Andersen pour qui Blanche a oblenu la protection
et la caution du milliardaire RosipolT. Celui-ci va
venir. Les associés l'attendent avec émoi. Ils pren-
nent pour lui un vulgaire courtier qu'ils accablent
de prévenances, puis d'injures quand leur erreur
leur apparaît. La péripétie de l'acle est amenée par
l'otasn qui, sous ses manières bourrues, a un excel-
lent cœur. Il a aventuré pour Boris une caution de
cent mille francs, et dès que Boris est libre il le fait
évader secrètement et l'envoie au Canada.
Au dernier acte, l'affaire se complique. Le courtier
Mayer, dont on a refusé les services trop criiment
intéressés, se venge en dénonçant Potash comme
complice de la fuite de Boris.
Des pièces en retard sont arrivées. Si Boris ne
se présente pas avant 3 heures au tribunal, Potash
sera incarcéré, sa caution perdue, la maison de
commerce ruinée. Aucune de ces sombres éventua-
lités ne se réalise. Boris a su par les journaux dans
quel embarras se trouve Polash. Il renonce au
Canada, etil accourt. Son innocence éclate. Rosipoff
paiera le dommage. Potash retrouve son argent.
Mme Potash, qui était devenue jalouse de Blanche
Persillon, se rassure en la voyant épouserPerlmutter,
et renonce au poker qui lui avait fait faire des dettes
hurlantes. La maison repart vers des destinéesclaires
et brillantes.
Cette pièce a pour nous un pittoresque attrait
d'exotisme, comme un tableau des mœurs commer-
ciales de New- York. Elle |irésente l'honnête senti-
mentalité qui caractérise tout le théâtre anglo-saxon.
La mère sans danger y conduira sa fille. La question
syndicale ouvrière y est présentée avec une netteté
édifiante, et le type de Feldman Mayer est repré-
sentatif des mœurs du pays où la business envahit
jusqu'aux couloirs du Parlement. C'est un petit ta-
bleau de mœurs qui a sa saveur et sa signification
particulière, comme une page d'impressions de
voyage. — L*o claretie.
l.es principaux rôles ont été interprétés par : M"' Made-
leine Cartier {Blanche Persillon) ; MM. Max Dearly [Abel
Potash); Arquillière (Perimutter); Darcey (J'tÙman
Mayer) ; Dorian [Boris Andersen).
Révolution de Juillet 1 830 et l'Eu-
rope (la), par le vicomte de Guichen (Paris,
1918). — Utilisant les documents des archives du
quai d'Orsay et des diverses ambassades françaises,
documents qu'il connaît d'autant mieux qu'il appar-
tint lui-même pendant de longues années à la
carrière diplomatique, le vicomte de Guichen donne
sur la politique extérieure de la France en 1830 un
gros ouvrage rempli de faits, bien construit, qui
précise et met au point des
questions de çrande importance.
Résumant dans sa première
partie l'œuvre diplomati(|ue de
Charles X, l'auteur montre le
tort que causa â la France la
révolution de 1830 ; puis, il
expose les difficultés qu'eut à
vaincre la monarchie de Juillet
pour obtenir de l'Kurope sa
reconnaissance, pour asseoir son
autorité et faire respecter la
France et les principes qu'elle
défendait.
En appelant le prince de Poli-
gnac à la direction des alTaires,
le roi Charles X ne pouvait se
dissimuler qu'il provoquait l'opi-
nion publique Trançaise dans son
immense majorité. Ce faisant, il
prétendait montrer qu'un gou-
vernement sûr de soi. audacieux
et ferme, pouvait rendre au trône
légitime la force et le prestige
qui devaient le faire respecter.
Étrange illusion, que ne partagea
aucun des diplomates étrangers
accrédité auprès de lui, aucun des souverains qui se
préoccupaientdu sort de la France, moins pour celle-ci
que pour eux-mêmes. <■ Il est désolant de voir le roi
liétruisant pour rien tout le fruit de quinze années de
paix », écrivait an grand-duc Constantin le tsar Ni-
colas I"', peu suspectpourtant de tendances libérales.
Quoique avant quitté l'ambassade de Londres pour
prendre la direction des afi'aires, le prince de Poli-
gnac, dès le début de son ministère, orienta sa poli-
tique vers un rapprochemeni intime avec la Russie.
A la diplomatie anglaise, qui se développait d'ac-
cord avec celle d'Autriche, notamment dans la ques-
tion d'Orient, s'opposait depuis quelques mois une
IV* f39 Septembre 1918-
politique plus entreprenante : celle du tsar Nicolas,
qu'appuyait la chancellerie prussienne ; Polignac,
tant sur la question des limites à donner au nouveau
royaume de Grèce que sur le choix du prince chargé
de le gouverner, se range du côté de la Russie dans
le but évident de satisfaire le Isar Nicolas en même
Prince de Polignac.
Cbarleii X, roi de France, par Ingret. (Musée ilu Louvre.)
temps que le roi de Puisse; en regard de cet appui
qui lui coûtait peu, il espérait des concessions essen-
tielles à l'avenir de la France. Ces concessions,
Polignac les exposait au duc de Mortemart, notre
ambassadeur en Russie, dans la dépêche du 4 sep-
tembre 1829, qui fut pour de nombreux historiens
l'objet de commentaires passionnés.
La France, en compensation du partage de l'em-
pire ottoman, qu'elle acceptait et qui agrandissait la
Russie des provinces moldo-valaques et de terri-
toires importants a fixer en Asie, demandait le par-
tage du royaume hollando-belge dont elle revendi-
quait la partie située en deçà de
la Meuse et du Rhin, en aban-
donnant le reste, c'est-à-dire
toute la Hollande, à la Prusse:
elle reprenait en Alsace ses
frontières de 1814, ne craignant
pas d'agrandir la Prusse de la
Saxe, dont elle transportait le
roi dans le Palatinat, et érigeait
Constantinople en un état indé-
pendant sous la souveraineté du
roi de Hollande. L'Autricherece-
vait pour sa part la Serbie, la
Bosnie et l'Herzégovine; l'Angle-
terre, les colonies hollandaises.
Tel est, dans ses grandes li-
gnes, le fameux plan Polignac.
auquel le vicomte de Guichen ne
semble pas, avec raison, attacher
grande importance, puisqu'il
n'étudie point la question de
savoir s'il est l'œuvre person-
nelle du premier ministre, s'il
fut au contraire étudié par le
roi, discuté et approuvé en son
cimseil; puisqu'il ne nous dit
point davantage l'accueil qui y
fut fait à Petrograd, ni même si le duc de Mortemart
se hasarda à le soumettre à l'empereur de Russie.
11 n'en reste pas moins qu'à la veille de sa chute
Charles X marchait diplomatiquementd'accord avec
Nicolas I"'', et qu'il reçut de celui-ci un appui formel
qui lui permit, dans l'afi'aire d'Alger, de passer
outre aux protestations de l'Angleterre.
L'avènement de Louis-Philippe allait remettre en
Question toute la diplomatie française. La Sainte-
Alliance, que les Bourbons avaient réussi à briser,
se reconstituait, aussitôt reçues les nouvelles de
Paris, devant le danger qui menaçait tous les
trônes légitimes. On sait que la révolution de Juil-
N' 139. Septembre 1918-
let, qui suivit de quelques jours les premiers soulè-
vements de Belgique, eut son retentissement, en
quelques semaines, à travers toute l'Iîurope cen-
trale. Nicolas I*' n'allendit pas les premiers pro-
dromes des mouvements polonais, pour prendre
nettement position contre Louis-Fliilippe; en vain
Pozzo di Borgo, son ambassadeur à Paiis, qui, de-
puis 1815, avait prévu le remplacement de la branche
aînée par la cadette, priait-il son souverain d'at-
tendre Louis-Philippe à l'œuvre; en vain celui-ci
déclarait-il au corps diplomatique qu'il n'acceptait
la couronne
que pour éviter
l'avènement de
la démagogie;
en vain cons-
tituait-il un
gouvernement
qui se pronon-
çait énei gique-
ment pour le
maintien de la
paix et le res-
poct des trai-
tés, Nicolas I"
interpellait à
Pétersbourg le
baron de Bour-
going, allir-
mant qu'il ni-
reconnaîtrai t
jamais pareil
état de choses,
leqnelétailune
menace pour
tous les pou-
voirs établis; rappelait les Russes séjournant en
France, et adressait aux cours de Vienne, de Londres
et de Berlin un mémoire dans lequel il recommandait
une action concertée entre les quatre gouvernements,
concert toujours dil'flcile à former et qui ne joue
vraiment d accord qu'à l'heure du danger. Or Louis-
Philippe eut la sagesse, que beaucoup de Français
ne lui pardonnèrent pas, de ne pas provoquer celte
sainte-alliance, qu'il sentait aux aguets; de se
Nicolas l", empereur de Russie.
Louif-Philippe, roi des Français, par Wioterhaltep
(Musée de Versailles).
tourner vers Londres, pour y chercher un appui
qu'il savait ne pouvoir trouver ni à Vienne ni à
Berlin, moins encore à Salnl-Pélersbourg.
Gomment pourtant il eut à faire face à d'inces-
santes dil'llcultés dont le développement de la révo-
lution belge, l'insurreclionpolonaiseet les révoltes
italiennes furent les plus graves, c'est ce que le
vicomte de Guichen prouve surabondamment, par
la citation de nombreux textes diplomatiques.
On sait l'activité que déploya à Londres le prince
de Talleyrand, qui considéra la reconnaissance
déflnitive de Louis-Philippe et le règlement de
l'indépendance et de la neutralité belges comme le
LAROUSSE MENSUEL
couronnement de sa carrière; mais ce qu'on con-
naît moins, c'est l'œuvre personnelle du roi dans
toutes ces négociations, c est la lutte quotidienne
qu'il eut h soutenir contre son entourage politique,
contre une presse décnaînée, contre des adversai-
res de droite et de gauche déjà unis pour criti-
quer tour à tour sa pusillanimité ou son impru-
dence, c'est l'habileté avec laquelle il savait jouer
des uns et des au'res, c'est surtout la connaissance
si approfondie qu'il avait dà l'Europe et de ses di-
rigeants, connaissance d'autant plus remarquable
qu'il avait toujours été tenu soigneusement à l'écart
des affaires par ses cousins.
Le vicomte de Guichen, après avoir reconnu que
« la monarchie de Juillet a marqué dans l'histoire
de France une place très honoraole », conclut ce-
pendant en demandant que ses lecteurs « se pénè-
trent du mal que causent à un pays les révo-
lutions »; aucune révolution eut-elle pourtant de
moini funestes effets sur la situation internationale
de la France? Le rapprochement de la France
avec la Russie i. la veille de 1830 était-il plus sé-
rieux, pouvait-il être plus fécond en résultats que
l'alliance anglaise conclue dès 1831, et le prestige
de Casimir Perler, au lendemain de l'expédition
d'Ancône, n'était-il pas aussi solidement assis que
celui de Polignac à la veille de l'expédition d'Alger?
Il peut sembler qu'il l'était daviinlage, si l'on se
rappelle les sombres pronostics émis en 1829 par
le Isar Nicolas l«^ — pierre lum.
Saint François Xavier, par André
Bellessort. — Voici l'une des études littéraires et
hisloriques les plus intéi-essantes, les plus neuves
aussi, qui aient paru depuis longtemps. Avec un
talent consommé, un charme infini, André Belles-
sort brosse une fresque éclalanle où se déroulent
tous les épisodes de la vie de l'apôtre parmi les
rochers sauvages du pays basque et les rues étroites
de la montagne Sainte-Geneviève, sous le ciel
éclatant de Gcylan, dans les forêts vierges des iles
Moluques, au milieu des splendeurs délicates de la
cour des daïmios japonais. Bellessort a mis au
service du biographe — disons mieux, au service de
son béros — sa science d'historien, son expérience
de voyageur. L'une et l'autre lui permettent de ser-
tir la pierre précieuse — la gloire du saint — d'une
monture finement ouvragée. C'est la connaissance
non sswlement du personnage, mais du milieu,
qu'exige pour être vivante une biographie. L'auteur
les posséda l'une et l'autre, pleinement.
Saint Fiançois Xavier ou plutôt François de
Xavier est né au début du xvi» siècle (l.ï06), l'une
des époques les plus fertiles en grands hommes. Il
cippariienl à une famille de gentilshommes campa-
gnards navarrais, pauvres, pieux, braves, et enti-
chés de leur petite noblesse. Après les premières
années d'une vie difficile, où déjà sans doute s'en-
durcit son corps aux privations, il se diiige plein
d'ambitions vers l'Université de Paris, tremplin,
espère-l-il, pour bondir aux hautes charges laïques,
mais où sa vocation d'apôli-e se décidera.
Quelles pages, jolies et vivantes, sont consacrées
à l'Université de Paris, avec ses sombres collèges
grouillant dévie. où enseigne une pléiade de maîtres
de génie, où relenlil l'écho des grandes disputes
littéraires et théologiques, où Ignace de Loyola
coudoie Calvin I
On sait quels furent à l'Université parisienne les
débuts très humbles de la Société de Jésus; la bio-
graphie de saint François nous donne à ce sujet
maint détail intéressant. La défiance qu'éveille
Loyola, écolier quadiagénaire, chez de jeunes étu-
diants, chez François de Xavier particulièrement;
la patience, l'ardeur qu'il sait déployer pour conqué-
rir l'âme du jeune Navarrais qui longtemps se re-
fuse, sont finement analysées.
Au bout de quafre ans d'efforts incessants, Loyola
a séduit, converti le jeune condisciple dont l'or-
gueil, l'amliilion sont tournés désormais vers des
lins divines. François de Xavier fait partie du petit
cercle qui, agrandi jusqu'à élreindre le monde, de-
viendra la Compagnie de Jésus. Les voici tous en
marche vers Home, comme ces pèlerins des temps
passés, dont ils ont avec tonte la science du temps
présent la foi ancestrale. « lis cheminaient l'âme
neureuse, sous la pluie, sous la neige, sous la bise
desmontagnes», s'arrèlant parfois pour conlroverser
avec les hérétiques, particulièrement avec les doc-
teurs allemands, dont est rendue de façon bien
amusante la physionomie. — Kn Italie, François de
Xavier mène la rude vie du frère prêcheur, nouvelle
école d'endurance et d'humilité. Il faut mendier sur
les chemins, prêcher dans une langue peu familière,
essuyer les quolibets des badauds, et, dans les hôpi-
taux) soigner les plus rebutantes des plaies.
En 1533, la bénédiction de Paul II! consacre la
nouvelleCompagnie, et, deux ans api'ès.un benreux
hasard donne au jeune père jésuite le rôle tant désiré
d'apôtre des mondes nouveaux.
A la suite de François de Xavier, nous nous pro-
menons dans Lisbonne, « reine des épices et cour-
tière des pays fabuleux », croisant dans ses rues
montantes et sur les bords du Tage « princes cyn-
573
glialais, rois hindous, prélats nègres, gens de toute
couleur et de tous plumages ». Avec lui, nous nous
embarquons sur le Sanliago, qui, par le cap des
Tempêtes, Mozambique et ïile fabuleuse de Soko-
tora, le mène après un an de pénible voyage à Goa,
capitale de l'Inde et de tout l'empire asiatique por-
tugais. Etrange ville, avec ses cinquante églises et
ses marchés d'esclaves et ses cohues grouillantes
fendues par les vainqueurs superbes, dorés, argentés,
chatoyant de pierres précieuses, des étriers de leur
cheval à la pointe de leur parasol. Etrange ville,
dont l'apôtre, préoccupé de guérir lésâmes, n'aper-
çoit pas plus le pittoresque qu'il n'a, sur les routes
de France et d'Italie, et dans Venise même, apprécié
le charme de la nature ou la splendeur des monu-
ments. Goa n'est pour lui que la porte d'entrée de
ce monde inconnu, de cet empire des ténèbres où
végètent les Ames païennes qu'il s'agit d'amener h
la lumière du Christ. A Goa, cependant, se révèlent
pour la première fois ses dons d'apôtre et de direc-
teur : par une habileté profonde, une grâce insi-
nuante, un charme rayonnant, il ramène au bien les
plus endurcis; mais son passage est rapide, il s'en
va bientôt évangéliser les pêcheurs de perles du cap
Comorin; parmi cette population pauvre, douce et
naïve, saint François Xavier est, malgré la dureté
et les fatigues de sa vie errante, tout heureux d'en-
seigner enfin les infidèles. On ne peut imaginer
quelles difficultés matérielles et morales il doit
vaincre pour expliquer en leur langue aux Hindous
la théologie chrétienne, trop peu merveilleuse à leur
gré et qui exige de trop dures pratiques, une Inlle
perpétuelle conire la chair, qui répugne au tempéra-
ment passif des Orientaux. Et, cependant, il réussit :
aimé, admiré de toute la tribu des Paravers, il est
célèbre bientôt dans l'intérieur même de l'Inde, el.
appelé par le rajah du pays, il parcourt en prêchant
les villages du Travancore.
De cette région il convertit en un mois dix mille
indigènes. Conversion éphémère, soit; mais celle
des Paravers fut durable, et voilà, à défaut de tout
autre, le miracle de la vie de saint François,
Le miracle, non, mais le premier des miracles,
car des miracles de cette nature saint François va,
dans des conditions plus difficiles, les renouveler.
La conversion de l'Iiide n'est pour lui qu'une
étape. Possédé du désir de semer les germes de
la vraie foi en toutes les terres nouvelles, et sans
doute aussi de l'aflrait de l'inconnu — car, comme
le note Iris finement Bellesort, l'explorateur chez
François Xavier se mêle curieusement au saint
et parfois l'entraîne, — il fait voile en 1545 vers
Malacca, autre centre de la puissance portugaise,
Goa extrême-oriental, d'où, après un court séjour,
il part à la conquête spirituelle des îles Moluques.
Pays tout à fait sauvage que celui-là, et, hors les
fortins portugais des côtes, vierge jusqu'ici de toute
emprise européenne.
A pied, « traversant rivières, marais, ravins, se
frayant un chemin dans les fourrés de broussailles
épineuses où des nuées de moustiques le harce-
laient», il parcourt le pays des farouches « coupeurs
de tèles ». Et ceux-ci mêmes se laissent toucher par
la grâce, par sa grâce. « Il les appelait tendrement,
comme un oiseleur: une porte s'entie-bàillait. On
distinguait debout, ai-mé d'une lance, un homme nu;
dernère lui, une femme efi'arouchée et des enfants
aux yeux ronds... Le Père les prenait, les embras-
sait, et leur faisait autant de caiesses qu'un père
à ses propres enfants. C'est peut-être dans celle
altitude, au milieu de ces peuplades dont les pieds
louchent les "plus bas échelons de l'humanité,
que François a laissé la plus émouvante image
(le lui-même. »
A Malacca où il retourne en 1548, une aventure
extraordinaire l'attend. Pendant qu'il officie à une
messe de mariage, deux hommes entrent dans
l'église, et s'airêlent près du seuil; l'un est un Por-
tugais; l'aulie II porte dos vêtements sombres, et un
sabre; sa main fine serre le manche d'un éventail ».
C'est un insulaire du pays étrange de Zipangu,
Eldorado extrême-oriental. Le Japonais, chassé de
chez lui à la suite d'une aventure romanesque, et
attiré par le renom de l'apôtre, ne demande qu'à se
convertir. François, ébloui, voit surgir
Du fond de l'océan des étoiles nouvelles,
et, ayantfaitbaptiseràGoal'exlraordinaire catéchu-
mène, il se lance à la conquête du Japon. Cet épisode
de la vie de saint François est pour Bellessort l'occa-
sion de nous décrire le Japon du xvi« siècle, descrip-
tion neuve, vivante, historiquement exacte, et qui
vautpar elle-même. Dans cepays où la pauvretédes
pêcheurs de Kiu-Siu fait avec le rarfinemenlartistique
des palais des daVmios un élonnantconlraste, mais où
le peuple entier est doux, poli, comprébensif, raison-
nable, ami des nouveaulésétrangères, saint François
trouve quelques-uns des plus grands succès de sa
carrière d'a|>ôtre. Il reste un an à Kagoshima où il
convertit une centaine de personnes; puis, après
une nouvelle traversée, atteint l'une des plus bril-
lantes villes du Nippon, Vamaguchi. Le voici à la
cour du dalmioYoshilaka, vrai prince de la Renais-
sance, fastueux, ratllné, intelligent, assez intelligent
574
LAROUSSE MENSUEL
Saint François Xaviei- ressuscitant des murts. dessin de Rubens, d'après Léunard de Vinci, (Musée du Louvi-e.)
même pour supporter que l'apôlre le rappelle avec
rudesse à la vertu... Dans cette ville légère, aucun
succès... François, par les chemins neigeux « pieds
.>iaignants, jambes endées », mais poussé par l'espoir
de convertir le roi du Japon, court vers Kiolo...
Hélas I pas de roi, et une ville en ruine. Il lui faut
revenir à Yamaguchi ; il a rélléchi, pendant les loi-
sirs de son dur voyage : les Japonais sont un peuple
de chevaliers, d'hidalgos, sensibles à la fierté de
l'attitude, au chatoiement des étoffes soyeuses. Et,
coup de théâtre, le pauvre mendiant reparait « vêtu
d un bel accoutrement de soie », précédé de pré-
sents somptueux, ambassadeur magnifique du roi de
Portugal. Dès lors, son prestige est établi : bonzes,
chevaliers, gens du peuple se pressent dans sa maison.
Parmi ces gens intelligents, dialecticiens subtils,
les succès de saint Fran(;ois Xavier sont difficiles,
mais durables. Une petite chrétienté fidèle, affec-
tueuse, se forme à Yamaguchi. François l'abandonne
pour courir en Chine de nouvelles aventures, mais
elle gardera pieusement son souvenir.
De la petite graine spirituelle qu'il a semée naîtra
un arbre immense dont, au siècle suivant, l'ombre
couvrira une moitié du Japon, et qu'il faudra toute
la force des grands chogouns du xvii» siècle pour
déraciner. Pour la Chine, nouvelle Terre promise.
Il la contemple de loin, pressé déjà par la mort,
lomine Moïse la terre de Chanaan. Ses successeurs
y pénétreront, et conquerront les giandes villes et
la cour de Pékin. — Il expire le 2 décembre 1552,
dans une étroite cabane sur un rivage aride.
André BellessorI, qui no prétend aijporlcr sur saint
François aucun fait nouveau, présente cependant
des faits conims, de la façon la plus nouvelle. II illu-
mine les gestes de son héros d'une grande lumière,
" cette lumière intellectuelle pleine d'amour » dont
parle Dante. Car ce héros lui est sytopalhique.
N' 139. Septembre 1918.
bien qu'il ne se dissimule pas les fai-
blesses humaines qui jettent des ombres
légèies sur l'auréole du saint. Et il sera
symi)alhique à tous les lecteurs du beau
Il vie de BellessorI, qui admireront en lui,
selon leurs croyances et leur état d'esprit,
le plus grand apôtre des teinps modernes,
le plus hardi des e.xploiateurs du mondes
nouveaux, celui qui, avançant de trois
siècles l'histoire, laillil réunir les civilisa-
tions de l'Europe et de l'Extrême-Orient; et
à lous, il apparaîtra comme l'une des plus
nobles iiicarnalions de la volonté spirituelle
de l'homme, doininalrice de son corps et de
sa matière. — Léon abensour.
surclasser v. a. En terme de sport.
Triompher d'im adversaire en montrant une
incoiilestablc supériorilé de classe sur lui :
Utie équipe peut être haltue par manque
d'enlrainement sans être nécessairement
suRcr.AssicE.
surécartement n. m. Chem. de f.
Ecartemcnt des rails, supérieur ii l'écarle-
menl normal : Ov donnait un. a.9sez fort
suhkcautkmknt» Irr voie dans les courbes;
aujourd liui ce pi:récari kment est /'aible,
parfois même nul. (L.-Pierre Guédon.)
tendériser v. a. Chem. de f. Trans-
former une loiomolive à tender séparé en
une machine-tender : Les locojnolivi-s à
trois et quatre essieux couplés, àadliérence
totale, de construction un peu ancienne,
TENUÉRiï^ÉES po7ir la Circonstance, sont
aussi utilisées comme macliines de gare.
vivie (de iri-wi, nom qu'on donne à cet
oiseau dans le Népauli n. f. Genre d'oiseau
de l'ordre des grimpeurs et de la famille des
picidés ou pics.
— Encycl. Le bec est plus court que la
tête, il est comprimé, droit, conique et
pointu. Les narines sont cachées par des
plumes denses et des vibrisses noires. Les
ailes atteignent le milieu de la queue, la cin-
quième rémige primaire est la plus longue.
La queue est ari'oiidie, et lormèe de douze
rectrices fle.\ibles dont les si.x méilianes
sont égales, et les six externes inégales. Ces
oiseaux ont une langue et des pieds de pic.
Ce genre, voisin des petits pics qu'on
appelle jiicumnus, ne compi-end qu'une
espèce, la vivie innomince {vivia innomi-
nat ), cai'aclérisée par le dos, le croupion
et les scapulaires d'une couleur olive (loiée.
Les couvertures supérieures de la queue sont
d'un blanc jaunAtre avec une bordure olive.
Le front est de couleur olive. Le sin-
cîpul est noir, bordé de rouge oi-ange.
L'occiptit et le cou sont olives. De chaque
côté des joues et du cou l'on trouve deux
bandes blanc jaunâtre, l'inféiieui-e allant
jusqu'aux lares. Les ailes sont foncées, la
queue brun foncé, formée de douze rec-
tric's presque égales, à bout arrondi. La
vexille interne des médianes est blanche,
les autres plumes sont marquées d'une
large bande oblique blanche près de la
E ointe. Le menlon et la gorge sont blancs,
1 poitrine et l'abdomen jaune pâle, toutes
les plumes étant marquées de larges taches
noires. La femelle est identique au mâle,
sauf que la couronne est olive.
Le bec et les pâlies sont d'im noir plombé, l'iris
est brim. La longueur totale atteint à peine 10 cen-
timètres, la queue 3 cm 5, l'aile 6 centimètres, et le
bec, à partir de la commissure, 1 cm 2.
Ce pygmée des pics se renconti-e dans l'Hima-
laya, l'Assam, la Birmanie, ainsi que dans la
péninsule malaise et à Sumalra. Il est rare dans
l(^s collines basses du sud de l'Inde. 11 se tient dans
les fourrés, dans les broussailles, sur les arbres
morts dans les endroils marécageux, ailleurs sur
les arbres, les bambous. On assure que ce picule
ne grimpe pas, mais qu'il se perche. Ce qui est
certain, c'est qu'il se perche plus que les vrais
pics. 11 se nourrit de divei's insectes, mais sur-
tout des œufs et des larves des scolylidés, qu'il
trouve sous les écorces. Pendant la mauvaise saison,
il aime h s'unir aux bandes de petits insectivores,
et à parcourir les taillis et les fourrés. Donc, sous
ce rapport, il diffère notablement des autres oiseaux
de sa famille.
Ce pic mignon pond en avril et mai, et se fabrique
une cavité comme le pivert, soit dans le tronc, les
grosses branches des arbres, soit dans les bambous.
Ses trois œufs sont ovales, blancs et tiès brillants;
ils mesurent 1 cm 5 sur 1 cm 2. 11 ne faut pas con-
fondre ce pic avec la vivie de (Jhine {rivia Chinensis)
qui en diffère parce qu'elle a la calotte, l'occiput et
la nuque d'une couleur rousse. — A. Mî.vioAux.
l'arifl. — Imprimerie Larousse (Moreau. AugA, GiUon et O*),
17, rue Montparnaise. — Le gérant : L. Qroslet.
La Forêt. (Cerfs et Biches.)
W 140.
Octobre 1918
A-cadémie des sciences. — Election de
Louis Favé. Le 22 avril 1918, l'Académie des
sciences a procédé, par la voie du scrutin, à l'élec-
tion d'un membre de la section de géographie et de
navigation, en remplacement du général Bassot,
décédé. Au premier tour de scrutin, le nombre des
volants étant de 43, Louis Favé, ingénieur en chef du
service hydrographique de la marine, obtient 21 sui-
frages; l'amiral V. Arago 9; l'amiral E. Perrin 8 et
A. Angot, directeur du bureau central météorolo-
gique 5. Au second tour de scrutin, le nombre des
votants étant le même, Louis Favé a obtenu 31 suf-
frages; il a été proclamé élu (v. p. 586). Les au-
tres suffrages ont été répartis de la façon suivante :
8 à F. Arago, 3 à E. Perrin et 1 à A. Angot.
Accaparement et spéculation illi-
cite. — Hist. et dr. pén. Système répressif du
Code pénal. — Système répressif institué en 1916.
— Régime particulier à nos colonies. 1. Généra-
UTKS. — Notre Code pénal de 1810 a prévu, dans
ses articles 419 et 420, le délit d'accaparement.
(V., dans le Nouveau Larousse illustré, h l'art.
ACCAPAREMENT.)
Un délit nouveau, celui de « spéculation illicite »,
— différent du délit d'accaparement — a été créé
par la loi du 20 avril 1916.
Les daux délits se sont juxtaposés, mais nous
verrons que chacun a ses conditions propres, bien
distinctes.
Notons, tout d'abord, un point commun . en ma-
tière d'accaparement, comme en matière de spécu-
lation illicite, une loi du 10 mars 1918 a étendu les
pouvoirs des magistrats instructeurs par une addi-
tion à l'article 464 du Code d'instruction criminelle,
qui leur permet de continuer hors de leur ressort
toutes visites et perquisitions nécessaires.
II. Accaparement. — Ce que réprime l'article 419
du Gode pénal, ce sont les moyens frauduleux mis
en œuvre, dans une intention de bénéBce illégitime,
pour fausser le prix des marchandises.
Pour qu'existe ce délit, il faut :
1» Que se soit produite soit une hausse, soit une
baisse des prix au-dessus, ou au-dessous, des prix
qu'aurait déterminés la concurrence naturelle et
libre du commerce ;
2' Que celte hausse ou cette baisse soit le résultat
de voies ou moyens frauduleux quelconques, tels
que : n faits faux ou calomnieux semés a dessein
dans le public », — « suroffres faites aux prix que
demandaient les vendeurs eux-mêmes », — « réu-
nion ou coalition entre les principaux détenteurs
d'une même marchandise ou denrée, tendant à ne
pas la vendre, ou à ne la vendre qu'il un certain
prix » ;
3» Que la hausse ou la baisse ait été opérée soit
sur des papiers ou effets publics, soit sur des den-
rées ou marchandises.
La jurisprudence a, dë8l841, fait application de l'ar-
ticle 419 aux bouchers d'une commune qui avaient
convenu de ne pas continuer l'approvisionnement
de viande de bouclierie, tant que le prix fixé par
l'autorité municipale n'aurait pas été élevé.
En toute hypothèse, il faut, nécessairement, que
la hausse ou la baisse ait eu lieu : c'est ce résultat
qui est puni, parce que, seul, il donne la mesure de
la gravité des manœuvres employées pour l'obtenir.
La simple tentative du délit n'est pas incriminée.
Les faits que définit l'article 419 sont frappés
d'une double peine obligatoire : emprisonnement
d'un mois à un au; amende de 500 à 10.000 francs.
L'interdiction de séjour peut, en outre, être pro-
noncée, pour une durée de deux ans au moins et de
cinq ans au plus.
Lci délit devient plus grrave et les peines s'élèvent
dans le cas spécial visé par l'article 420 : si les ma-
nœuvres frauduleuses ont été pratiquées sur «grains,
grenailles, farines, substances farineuses, pain, vin
ou toute autre boisson » ; la peine d'emprisonne-
ment est de deux mois à deux ans, l'amende de
1.000 francs à 20.000 francs, l'interdiction de séjour
de cinq à dix ans.
Le législateur de 1810 a, avec raison, attaché une
plus grande importance aux manœuvres touchant
aux cours de denrées qui constituent des subs-
tances alimentaires de première nécessité et dont
le prix peut exercer une influence directe sur la
tranquillité publique.
m. Spéculation illicite. — Afin d'assurer pen-
dant la guerre actuelle l'approvisionnement dans
des conditions autant que possible normales, il
était nécessaire de réprimer avec une rigueur par-
ticulière les spéculations ayant pour effet le ren-
chérissement des denrées. Aussi la loi du 20 avril
1916 (dont l'objet spécial est la taxation des denrées
et substances) a-t-elle, par son article 10, créé le
délit de spéculation illicite : celui-ci, adapté à la
situation présente, permet d'atteindre plus facile-
ment que sous le seul régime du Code pénal les
spéculateurs et accapareurs.
Ce délit est un délit de circonstance : le texte qui
le prévoit est, suivant le sort même de la loi du
20 avril 1916, limité à la durée des hostilités et aux
trois mois qui suivront leur cessation.
Le délit institué est imputable à « tous ceux qui
— soit personnellement, soit en tant que chargés,
à un titre quelconque, de la direction ou de l'admi-
nistration de toute société ou association — même
sans emploi de moyens frauduleux, ma'.s dans un
but de spéculnlion illicite, auront opéré ou tenté
d'opérer la hausse du prix des denrées ou marchan-
dises au-dessus des cours qu'aurait déterminés la
concurrence naturelle et libre du commerce ».
Au Sénat, pendant les travaux préparatoires,
Maurice Colin expliquait :
On n'aura qu'à comparer lo prix demandé avec le prix
de revient et à rectierchor quel serait le prix qui résul-
terait de la concurrence naturetlement libre du commerce.
Cette simple comparaison permettra, presque toujours,
de dire s'il y a eu spéculation illicite.
Toutefois, pour que le délit apparaisse, est indis-
pensable le o but de spéculation illicite ». Or, que
îaut-il entendre par là? — L'article 10 de la loi du
20 avril 1916 précise, de façon formelle et limita-
tive, qu'en l'espèce constitue le but de spécula-
tion illicite le but qui n'est pas justifié soit « par
les besoins des approvisionnements », soit par « de
légitimes prévisions industrielles et commerciales ».
Ainsi donc, en définitive, il y a délit de spécula-
lion illicite, en dehors de toute manœuvre fraudu-
leuse, dès que, même par les agissements d'une
personne isolée, est constatée une hausse factice
des marchandises, ou bien simplement une tenta-
tive de hausse factice des marchandises, sans qu'il
soi l nécessaire qu'il y ai t dissimulation ou détention
de ces marchandises, par le seul fait que la hausse
ou tentative de hausse s'est manifestée et en dehors
même de toute taxation des marchandises en cause.
Dans l'organisation de ce système répressif spé-
cial, le législateur a été dominé par cette idée, —
précisons-le bien également : compléter les dis-
positions, trop restrictives pour le temps de guerre,
de l'article 419 du Code pénal; établir des pres-
criptions plus larges, de nature à permettre de
poser un terme aux agissements de ceux qui
veulent profiter des difficultés de l'heure présente
pour s'enrichir aux dépens d'autrui, tout en rédui-
sant les acheteurs peu aisés & l'impossibilité de se
procurer les marchandises indispensables.
Dans l'exposé des motifs de la loi du 20 avril 1916,
on lit :
La hausse générale tient, pour une large mesure, A des
causes artincielles, à des manœuvres blâmables : spécu-
lations, ententes, accaparements, réalisation de béncûccs
exagérés, qui faussent les cours réels sur les marchés et
chez les revendeurs. Les denrées de première nécessité
ont ainsi souvent atteint des prix excessifs, qui ne corres-
l>ondent plus aux prix courants cliez les producteurs et qui
pèsent lourdement sur la partie la plus intéressante de la
])opulation, notamment dans les a^^^Ioméralions urbaines
et les centres industriels. Certains intermédiaires ont réa-
lisé des fortunes scandaleuses en prélevant des bénéfices
excessifs, que rien ne saurait iustilier... Certains détail-
lants protitcnt de la hausse de la valeur des denrées pour
imposer à leurs clients une augmentation de prix hors de
proportion avec celle qu'ils ont eux-mêmes subie.
D'autre part, devant la Chambre, le 12 juillet 1917,
le député Edouard Ignace indiquait en ces termes le
sens et la portée des mesures de répression inau-
gurées en 1916 :
Les professionnels d'occasion, les intermédiaires dont
nous voulons faire cesser les pratiques intolérables, les non-
patentés eux-mêmes, sont, au même titre que les commer-
çants, justiciables de l'article 10 de la loi du 20 avril 1916,
puisque, pour tous, il sera démontré qu'en achetant du
charbon, par exemple, et en le revendant i un prix hors
de proportion avec le prix normal, ils ont opéré la hausse
dans un but de spéculation illicite...
Ajoutons que l'article 10 de la loi du 20 avril 1916
n'est cas applicable seulement au commerçant qui
revend des produits par lui achetés, mais aussi au
producteur qui livre directement au consommateur.
LAHOUSSR MENSIIFL.
22
576
Le texte nouveau emprunte sa sanction aux arti-
cles it9 et 420 du code pénal, mais avec certaines
dilTérences : dans les cas ordinaires, il y a empri-
sonnement d'un mois à un an, amende de 500
à 10.000 francs, interdiction de séjour facultative
de deux i, cinq ans; — si la bausse a été opérée ou
tentée sur certaines denrées ou substances spécia-
lement déterminées (« blé, farines, viande, sucre,
café, huile et esscuces de pétrole, pommes de terre,
lait, margarine, graisses alimentaires, huiles comes-
tibles, légumes secs, engrais commerciaux, sulfate
de cuivre, soufre et, aux armées, dans les zones de
l'avant et des étapes, boissons destinées aux mili-
taires ou aux civils «), il y a lieu à un emprisonne-
ment de deux mois a deux ans et à une amende
de 1.000 à 20.000 francs.
Dans tous les cas prévus, l'article 463 du Code pé-
nal sur les circonstances atténuantes est applicable.
IV. Régime particulier à nos colonies. — En
août 1914, les gouverneurs généraux et les gouver-
neurs de nos colonies ont été autorisés :
1» A prendre les mesures nécessaires en vue de
prévenir l'accaparement des denrées de première
nécessité, indispensables à l'alimentation;
2° A fixer le prix minimum auquel ces denrées
pourraient être vendues.
Par suite des circonstances, il y avait lieu de
craindre une hausse exagérée des denrées envi-
sagées, et il était de toute nécessité de prévenir les
abus de nalure à compromettre les conditions de
l'alimentation de nos possessions coloniales.
A raison de l'urgence, c'est par décret que furent
édictées toutes mesures utiles.
Ce décret, portant la date du 14 août 1914, a été
ratifié par une loi du 25 décembre 1916.
D'autre part, la loi du 20 avril 1916 (notamment
son article 10, en ses prévisions du délit de spécu-
lation illicite) est, d'après son texte même, appli-
cable à l'Algérie et aux colonies. — Louis anuriS.
Annales du Théâtre et de la Mu-
sique (les), par Edin. Stuullig (Paris, 1918). —
Ce volume, le 41" de la série, est consacré à l'année
1916. On y voit tout d'abord comment les théâtres
se sont, assez heureuseuientdansl'ensemble, adaptés
aux coiulitions nouvelles qui leur étaient faites par
la guerre. La guerre I S'en douterait-on, vraiment, à
lire rénumération de toutes ces représentations qui,
sur la plupart des scènes, se sont succédé avec la
profusion et la régularité du temps de paix?
Seul, rOi)ora dut restreindre son aclivité; pendant
les quatre premiers mois, on n'y donna que des ma-
tinées, en mai, l'Opéra ouvrit ses portes le soir, une
fois par semaine; les soirées ne reprirent réguliè-
rement qu'en novembre. Môme en ce cadre réduit,
les représentations demeurèrent intéressantes, grâce
à l'ingénieuse variété des programmes; il faut par-
ticulièrement louer l'originalité des « concerts ly-
riques », qui fournirent prétexte à d'heureuses re-
constitutions anciennes : les Virluosi de Mazarin.
une Fêle chez La Poupliniére, le lloman d'Estelle
furent ainsi l'occasion de quelques heures de mu-
sique et de danse, consacrées soit aux vieux maîtres
de l'opéri italien, les Monte verdi, les Rossi, les
Cavalli, soit aux musiciens du xyiii" siècle, Rameau,
Gluck, Duni, Pergolèse, soit aux compositeurs de
la première inoilié du xix« siècle, Clierubini, He-
rold Rellini, Auber. Stoullig résume ainsi l'activité
de ce théâtre, le 28 mai, à la clôture de la saison
d'hiver : « Malgré les difficultés spéciales résultant
de la mobilisation, plus de 20 actes de l'ancien ré-
pertoire et 21 actes de pièces iioiivellesont été joués
C'est là un chiffre éloquent, si l'on se souvient qu'en
temps normal l'usage était de monter annuellement
7 actes »
La statistique n'est pas moins éloquente pour les
ai'.tres scènes subventionnées, où les représentations,
d'ailleurs, ont été régulières : pourlaComéilie-Kran-
çaise, 112 pièces, formant un tolal de 1.756 actes
représentés; pour l'Odéon, 6'i pièces et 1.222 actes;
pour rOpéra-Goinique, 31 pièces et 877 actes. A pro-
pos de ce dernier théâtre, une note nous apprend
que l'Opéra-Comique assure pendant la guerre la
vie matérielle de l.'iOO personnes et que, sans tenir
compte des dons volontaires, 200.000 francs oni; été
versés en droits des pauvres. Ce serait assez pour
justifier, auprès de quelques esprits chagrins, le
maintien de l'activité théâtrale pendant la guerre.
De fait, en 1916, tous les théâtres de Paris ont
rouvert leurs portes : au plus, peut-on signaler l'éla-
hlissemeut d'un cinéma au Vaudeville — un signe
des temps 1 — et l'orientation nouvelle donnée à cer-
taines scènes : Variétés, Renaissance, Gaîté, par des
directions intérimaires.
Quant à la valeur des œuvres représentées, il faut
avouer que le niveau n'en est pas très élevé. Si la
Comédie Française s'honore d'avoir mis à son ré-
pertoire la Firjuranle, de F. de Curel, et surtout
Padmirable Course du flambeau, de P. Hervieu, si
quelques théâtres, comme la Porte-Saint-Marlin,
ont_ gardé le souci de la tenue littéraire, ailleurs, on
assiste surtout au triomphe du vaudeville. On joue
ded vaudevilles partout : non seulement au Palais-
Royal, à Gluny et à Déjazet, mais à la Renaissance,
• LAROUSSE MENSUEL
à la Gaîté, à l'Ambigu; près de 50 vaudevilles ou
comédies bouffes furent ainsi représentés; et ce
nombre serait presque doublé, si l'on y ajoutait la
quarantaine de comédies ou autres pièces gaies qui
furent également données. Tandis que l'opéra chôme
en partie, l'opérette se donne libre carrière et s'ins-
crit en ranghouoral)le avec 25 œuvres. Enfin, les re-
vues, jusque-là à peu près confinées aux music-halls
et aux théâtres d'à-colé, débordent sur toutes les
scènes: on en voit aux Variétés, au Palais-Royal, au
théâtre Antoine, à l'.Mhénée, au Châtelet; au total,
rien que dans les théâtres proprement dits, 15 revues
détaillent plaisamment l'actualité. Ainsi, dans l'en-
semble, le théâtre de 1916 est un théâtregai, un théâ-
tre pour permissionnaires, qui y viennent chercher,
loin des dangers et des fatigues, les saines joies du
rire; c'est, pourrait-on dire, un théâtre de «détente».
Parmi les multiples reprises, quelques nouveautés
se font jour, une quarantaine environ. La moitié au
moins s'inspirent de la guerre, ou s'y rattachent
indirectement; c'est, par exemple, dans le genre
gai : la Charrette anglaise, la Classe 36, l'Ecole
du piston, un acte savoureux de Tristan Bernard,
Madame et son Filleul, qui triompha au Palais-
Gordon Beniiett, tableau peint par Henri Gervcx {t903, dans la
h Beaulieu-sur-Mer, près de Nice.
Royal. Dans le genre sérieux, allant de l'émotion
délicate au drame sombre : l'Humble Offrande,
d'A. Rivoire, V Amazone, ie Henry Bataille, le Ven-
geur, la Frontière, 19l'4-1937. Ces trois dernières
pièces montrent tout le danger qu'il y aui'alt pour
le théâtre à cherchei ses sujets dans les événements
en cours : il sombrerait vite dans le banal mélo-
drame; seule, l'Amazone, qui se tient sur le terrain
psychologique, niérile d'être retenue. Parmi les
pièces étrangères à la guerre, il sutllt de signaler
deux comédies anglaises, adroites, mais un peu pué-
riles • Momie et l'olash et Perlmiltler, deux aima-
bles fantaisies de Sacha Guitry : Faisons un rêce
et Jean de La Fontaine, un drame intéressant de
G. RivoUet, Jérusalem, et une ingénieuse adaptation
de P. Frondaie, le Crime de Sylceslre Bonnard. En
somme, peud'œuvres à retenir, et aucune, semble-t-il,
qui doive faire date dans l'hisloire de l'art drama-
tique. Il est vrai que les conditions aciuelles sont
peu favorables; en sera-t-il autrement demain?
C'est à cette question que Henry Bataille essaye
de répondre, dans une longue et substantielle pré-
face. 11 soutient cette thèse, d'apparence paradoxale,
qu'il n'y aura pas d'après-guerre; « Le remous gi-
gantesque, dit-il, mettra un temps incalculable à
s'apaiser. Les armes déposées, les traités conclus,
mais c'est uniquement le premier acte de la guerre
qui viendra de se terminer... Que sortira-t-il de ces
N' UO. Octobre 1918.
fusions de races, de ces groupements d'humanités,
de ces vastes contrats internationaux qui ne peuvent
manquer de succéder aupiemier acie?» H. Bataille
se refuse à le pronostiquer; il prévoit seulement
une ère très longue de bouleversements, de heurts,
de conflits d'idéaux, d'elîorts de « volontés nou-
velles broyant les apathies retardataires ». Et il n'a
peut-être point tort. Quant au théâtre, « ce serait,
dit-il, une erreur de croire qu'il se réveillera tout èi
coup illuminé par l'auréole en feu de la guerre;.,
il se modifiera gravement, lentement; ce sera,
comme toujours, le témoin sensible et l'historien du
cœur; mais du champ, du recul lui sera nécessaire
pour faire œuvre durable ». S'il est vrai que « rien
ne s'oublie comme la guerre », les événements ac-
tuels n'auront donc qu'une faible répercussion sur
les destinées du théâtre. Mais Bataille entrevoit un
autre danger plus immédiat : une modification de
la mentalité française sous l'action des influences
étrangères et, pour dire le mot, une américanisa-
tion possible de notre génie latin. Ce sera aux
artistes de conjurer ce péril en demeurant français
et respectueux du génie des patries. Et, pour
maintenir dans leur intégrité les patries intel-
lectuelles, il suffit « d'un grand res-
■r-^ pcct de l'art et de ses lois, dune pro-
bité résolue jusque dans l'accomplis-
sement de la moindre œuvrette, d'une
volonté vigoureuse de ne pas déchoir
et de ne jamais se dégrader». Tout cela
l'evient à dire que le théâtre de demain
sera ce qu'en feront les auteurs drama-
tiques; à eux, donc, d'en soutenir no-
blement les destinées. — Ftux Guieand.
Bennett (James Gordon), jour-
naliste américain, né h New-York le
tO mai 1841. 11 est mort à Beaulieu-sur-
Mer, près de Nice, le 14 mai 1918. Fils
de James Gordon Bennett (1795-1872)'
qui, Anglais émigré en Amérique,
londe, à peu près à la même date
([u'en France Emile de Girardin, le
journal à bon marché (1S35) et le
journal d'affaires (le New York Herald
lut le premier quotidien à publier la
cote de la Bourse), James Gordon
Bennett, après avoir pris part dans la
marine nordiste k la guerre de Séces-
sion, où il gagna le titre de Commo-
dore, fut associé de bonne heure aux
allaires paternelles. DèslSCO, il est ad-
ministrateur du journal dont, en 1872, il
deviendra propriétaire. Mais, dès 1866,
son rôle dans l'organisation et le lan-
cement du journal est prépondérant.
Ses idées sur le rôle et les moyens
d'un grand quotidien sont, très ampli-
fiées, encore celles de son père, dont la
formule était : « des nouvelles et un
damné tapage à leur sujet! »
Pour James Gordon Bennett, le jour-
nal est semblable, sans doute, au phare
immense de la Liberté new-yorkaise,
dardant ses rayons étincelants sur le
monde. Le journal est un phare in-
tellectuel. Il a la plus haute mission
inslniclive et éducative.
Faire connaître aux masses tous les
aspects de la vie moderne et, par l'ap-
pui qu'il prêle aux idées neuves, les
aider mieux à se réaliser, ce rôle, c'est
son journal, le New York Herald, qui
doit le remplir. « Personne, dit-il fière-
ment à Slanley, n'a assez d'argent pour
acheter le Herald, ^ion père en a fait
un grand journal. Je veux l'agrandir encore. Je veux
que ce soit un news paper dans toute la force du
terme. Je veux lui faire publier tout ce qui, à n'im-
porte quel titre, peut intéresser le monde, et cela à
n'importe quel prix ». Telle est, au début de sa car-
rière, la proiession de foi de James Gordon Bcnnell.
Bien qu'il fonde, l'année suivante (1868), un nouveau
journal, le New York Evening Telegramm, le New
York Herald reste son organe préféré, et c'est pour
ce journal qu'il réserve ses idées les plus hardies.
Sa première initiative est grandiose : faire recher-
cher, au fond de l'Afrique, Livingslone, qui est parti
pour découvrir les sources du Nil au cenire du conti-
nent mystérieux et, depuis trois ans, n'a pas reparu.
Alors que tous le tiennent pour mort, Gordon
Bennett le croit vivant et confie à Stnnley, reporter
déjiâ connu, la mission périlleuse de le retrouver.
Stanley nous racoule lui-même son entrevue avec
Gordon Bennett Junior de la façon la plus vivante.
Mandé télégraphiquemeiit à Paris <■ pour affaire im
portante », Stanley accourt de Madrid et débarque,
à 3 heures du matin, chez Gordon Bennett, et, tout de
suite, avec une précision anglo-saxonne, les deux
interlocuteurs vont droit au but :
G. B. — Où pensez-vous qne soit Livingstone?
St. — Je n'en sais vraiment rien, monsieur.
G. B. — Croyez-vous (ju'il soit mort?
St. — Possib'le que oui, possible que non!
1
villa yamouna,
«• 140. Octobre 1918.
G. B. — Moi, je ponse qu'il est vivant, qu'on peut lo
retrouver, et je vous envoie à sa recherche.
St. — Mais c'est aller au centre de l'Afrique. Est-ce là
ce que vous entendez?
G. B. — J'entends que vous partiez et le retrouviez
nhnporle oà il soit. Faites comme bon vous semblera,
mais retrouvez Livingstono.
Et il Irace à Stanley le plan grandio.se qui con-
vient à sa fastueuse, mais réalisatrice imagination.
Stanley assistera à l'inauguration du canal de
Suez, puis visitera la haute Egypte, dont il com-
posera, chemin faisant, un n guide pratique ». Par
.lérusalem et Conslaiilinople, observant ici les
fouilles, là notant l'état de l'atmosphère politique, il
rejoindra « les champs de bataille de la Crimée, le
(>aucase et la mer Caspienne, d'où une e.vpédition
russe doit partir pour Khiva; il redescendra sur
l'Inde, en se renseignant « sur le futur chemin de
fer de la vallée de l'Euphrate », et, de Bombay,
il cinglera sur Zanzibar, porte de l'Afrique mys-
térieuse. — Alors, à la grâce de Dieu ! « Partez à
la recherche de Livingstone, et cherchez-le jus-
qu'à ce que vous l'ayez trouvé ». Et, lesté d'un
bonsoir, d'un sliake hand et d'un premier chèque
de 1.000 livres sterling, Stanley sc lance, sans
plus hésiter, dans la surprenante aventure. Ce
bref dialogue fait le plus grand honneur au di-
recteur tt au reporter, conquistadores de l'idée,
comme d'autres le furent de l'or ou de la foi. On
sait à quels résultats splendides aboutit le voyage
de Stanley.
Depuis lors, nul événement important ne s'accom-
plit dans le monde sans que Gordon Bennett n'en
veuille, à n'importe quel prix, son journal le
premier informé. Installé soit dans le petit building
de New-York, perdu au milieu des gratte-ciel
d'Herald Square, soit à la filiale parisienne, que,
pour sceller d'un lien solide l'amitié franco-améri-
caine, il a installée avenue de l'Opéra, il se tient en
relations constantes avec le monde entier, sondant
l'horizon politique avec un regard d'une étonnante
acuité, pour y discerner les prodromes des grands
événements.
En 1873, il envoie Mr. Mac Galan avec l'expédition
russe qui va prendre Khiva.
En 1879, api'ès en avoir lancé l'idée, aidé par
le gouvernement américain, il subventionne une
grande expédition polaire, œuvre qui, scientifique
et sportive à la fois, l'intéresse particulièrement. Le
lieutenant Georges de Long est chargé d'aller, sur
la Jeannette, à la recherche du pôle nord. On
cormaît le sort de cette expédition célèbre.
Partie du Havre, elle traverse l'Atlantique, double
l'Amérique et fait escale à San Francisco. De là,
elle se dirige sur le détroit de Bering, qu'elle tra-
verse, et s'engage dans l'ocf-an Arctique. On sait
que, prise par les glaces avant d'avoir atteint son
but, la Jeannette dut être abandonnée par son
commamlant, qui périt, comme tant d'autres, dans 1
les solitudes polaires. Mais l'expédition ne fut pas
infructueuse. La Jeannette était arrivée, par le
fameux passage du nord-est, en vue de la côte
sibérienne, et la débâcle la dériva, glorieuse épave,
jusqu'au voisinage du Groenland. La dprive de la
Jeannette permit l'expédition de Nansen, qui eut
lieu, plus heureuse, douze ans plus tard.
Dans la préparation de la guerre hispano-améri-
caine, le rôle de Gordon Bennett dépasse de beau-
coup celui d'un simple directeur de journal : au
début de la révolte de Cuba, l'Espagne conteste la
gravité de cette révolte, où elle prévoit, sans doute,
l'intervention de la grande république. Gordon Ben-
nett envoie dans l'ile un de ses reporters, un An-
glais, James O'Kelly, futur membre de la Chambre
des communes, qui, dans ses articles du New York
Ilfrald, fait éclater aux yeux du monde l'évidence
de la rébellion.
Toujours, pour être renseigné sur les événements,
il puise aux meilleures sources : « Dans la guerre
sino-japonaise, raconte-t-il, je suis tris bien ren-
seigné, ayant eu pour correspondants l'amiral chi-
nois et l'amiral japonais. » Et, pour arriver bon pre-
mier dans la course aux nouvelles, il déploie la
plus merveilleuse perspicacité. N'envoie-t-il pas,
en 1910, un reporter en Cliine, avec mission d^en-
voyer des articles sur la « Vie mondaine à Pékin » I
Idée baroque, articles ternes, pensent alors ses
collaborateurs. Mais, quelques mois après, la révo-
lution éclate, révolution que Gordon Bennett a
prévue et sur laquelle il se trouve, avant tous ses
confrères, copieusement renseigné.
Si intéressante, si curieuse que soit la carrière
journalistique de Gordon Bennett — carrière mer-
veille'isement remplie et pour laquelle il eut vrai-
ment la vocation, car il fut, comme en leur temps
Carrel et Girardin, un vrai journaliste et non,
comme tant de ses confrères modernes, un homme
d'aiïaires ou un politicien, usant du levier puissant
d'un journal pour des fins étrangères au journa-
lisme ~ celte carrière n'a pas suffi à absorber toute
son activité.
Homme d'affaires & ses heures, il s'associe (1883)
avec John Maekay, self mode man, que la chance
et le travail ont transformé de jeune émigrant
LAROUSSE MENSUEL
en multimillionnaire par l'établissement du câble
transatlantique, l'une des plus puissantes compa-
gnies du monde. Et, vingt-cinq ans plus tard, il
n'hésite pas, cependant, à faire campagne pour la
télégraphie sans fil, qui, vulgarisée, doit rendre
inutile le cable transatlantique. — D'autres en-
treprises industrielles le tentent, de celles qui,
comme le câble transatlantique ou la T. S. F.,
rapprochant la pensée, doivent rapprocher les
hommes. Il offre — vainement, d'ailleurs — à la
France d'assumer l'entreprise si désirable du canal
des deux mers. Il soutient l'idée du tunnel sous
la Manche ; toutes œuvres grandioses que, pour
le bien de la France et de r.-\nglelerre, l'avenir
doit voir se réaliser. Mais il fut l'adversaire du
canal de Panama.
Dans le domaine des sports, comme dans celui de
la science, Bennett est un adepte de toutes les idées
nouvelles.
Il fonde des associations de polo, de yachting,
decoaching; la bicyclette, l'automobile sont encou-
ragées par l'institution de coupes somptueuses.
L'aviation, enfin, l'intéresse et il la subventionne
largement, mais comme le plus passionnant de ces
sports dont il pratique lui-même la plupart.
Les journaux américains, enfin, payent à Gordon
Bennett un large tribut de louanges pour son sens
artistique et son goût pour toutes les manifestations
de l'intelligence.
Depuis la guerre de 1914, le rôle mondial de
James Gordon Bennett est devenu plus grand
encore : élevé àVersailles, nourri dans l'admiration
des gloires françaises (il conserva un véritable culte
pour Napoléon), James Gordon Bennett considéra
toujours la France com.ne sa seconde patrie; il
résiaa, plus qu'à New- York, à Nice ou à Paris, et
se servit du New York Herald parisien, où il en-
rôla quelques-uns des plus grands représentants
de la pensée française (Forain, Prévost, P' Robin,
Bourget, Rochel'ort), pour lier de liens toujours plus
nombreux et plus solides la France et l'Amérique.
En aoijt 1914, il fut de ceux qui, aux jours les
plus sombres de l'avance allemande sur Paris, ne
désespérèrent pas du salut de la capitale. N'eut-il
pas le geste élégant de s'y marier, en septem-
bre 1914 ? Pour la victoire des Alliés, en laquelle il
avait non la foi, mais la conliance raisonnée de
riiomme qui a appris depuis cinquante ans à peser
les grands événements du monde, il s'est dépensé
et il a su dépenser sans compter. 11 a mené dans
son pays, en faveur de l'Entente, la plus active
campagne, et il n'est pas malséant de dire qu'en
soutenant l'Entente, c'est, comme tant de ses com-
patriotes, la France surtout qu'il voulut soutenir.
Boycotté par les germanophiles, le New York lierait
devient l'organe de tous les partisans de l'Entente
aux Etats-Unis, l'instrument le plus actif de leur
triomphe. Ceux qui l'ont lu de 1914 à 1917 se
souviennent avec reconnaissance que, journal neu-
tre, il dénonça aussi hardiment les menées de
l'Allemagne, manifesta aussi chaudement sa sym-
pathie pour la cause juste qu'aucun journal allié.
La guerre déclarée à l'Allemagne (un peu grâ;e
à lui), Gordon Bennett a employé toute son in-
fluence à obtenir l'unité de direction et de com-
mandement chez les Alliés; politique qui, remarque
le Herald, a triomphé avec l'élévation de Foch au
commandement suprême des Anglo-Français et la
soumission volontaire du général Pershing au gé-
néralissime interallié. Autre tâche : combattre les
forces obscures qui travaillent encore pour l'Alle-
magne, repousser le défaitisme, tendre vers la
guerre toutes les forces du pays.
Le testament de Gordon Bennett, léguant la plus
grande partie de son immense fortune à tous les
confrrres auxquels il désire assurer une retraite
insoucieuse, est un hommage suprême au métier
qu'il a honoré. — Léon Abensoue.
bonhomme n. m. Arg. milit. Soldat récemment
arri vé sur le front. (Syn . de bleu.) Soldat en général
(dans ces deux sens, fait au pluriel bon'hommes] :
Il conte des embuscades terribles oii il y aràit
plus d'obus que de bon'hommes. (René Benjamin.)
Sounaire (Erasme), accoucheur français, né
au Mans le 29 mars 1838, mort à Neauphle (Seine-et-
Oise) le 8 juillet 1918. Fils d'un professeur, il fit
ses études médicales à la Faculté de Paris, fut suc-
cessivement externe des hôpitaux (1878), interne
(1880), chef de clinique (1888), accoucheur des
hôpitaux (1889), professeur agrégé (1895). Elève du
professeur Tarnier, dont il fut un des disciples les
plus émiuents, il consacra sa thèse de doctorat à
l'opération de la hasiotripsie et y étudia l'instru-
mentation imaginée par son maître. 11 dirigea pen-
dant quelques années (1912-1915) un service annexe
de gynécologie à l'Hôtel-Dieu, puis le service des
femmes enceintes de l'asile Michelet, fut chef de
service hospitalier à l'hépital Tenon, h l'hôpital
Lariboisière et, enfin, nommé accoucheur et profes-
seur en chef de la Maternité de Paris, dont une
salle portera désormais son nom. Il laisse de nom-
breux écrits, parus surtout dans les journaux médi-
caux et les revues spéciales et dont le plus impor-
Dr Erasme Bonnaire.
577
tant est, sans doute, le chapitre des Vieialiont pel-
viennes, qu'il écrivit pour le « Traité d'obstétriqne »
dirigé par Tarnier et Budin. Il est l'inveoteur d'un
procédé manuel
d'accouchement
forcé, qui rend de
grands services
dans certaines
dysiocies. II s'est
surtout consacré
à la Maternité,
et avec une heu-
reuse constance,
à la réforme de
l'enseignement
donné aux sages-
femmes et au dé-
veloppement de
la puériculture.
Ancien président
de la Société
d'obstétrique,
délégué au con-
seil supérieur de
l'Assistance pu-
blique de Paris, Bonnaire était chevalier de la
Légion d'honneur. Il a succombé aux suites d'une
intoxication par les gaz asphyxiants, contractée au
cours d'une inspection des pouponnières d'usines
de guerre. — J» Maurice GiLLB.
Buts de guerre {Sude). Les aspirations ita-
liennes. — Les hostilités duraient depuis deux ans
lorsque l'Italie, qui avait déjà rompu avec l'Au-
triche, déclara la guerre à l'empire allemand. Elle
intervenait librement, pour contribuer au triomphe
général du droit et, en même temps, pour réaliser
ses aspirations particulières.
Ebranlé dans ses fondements par les accords
méditerranéens, le pacte qui liait l'Italie aux puis-
sances centrales fut décidément ruiné par la po-
litique de l'Autriche dans les Balkans et par la
question de l'Adriatique. François-Joseph avait dû
abandonner la Lombardie et laVénétie; mais il
possédait encore le Trentin et, de ce fait, l'Italie
se trouvait privée de sa frontière naturelle et stra-
tégique. En outre, alors qu'il n'existe aucune base
navale entre 'Venise et Brindisi, la côte autrichienne
de l'Adriatique est éminemment favorable au com-
merce maritime et très importante au point de vue
militaire avec Pola, Sebenico, Cattaro, l'archipel
dalmate. Il y allait de l'avenir de l'Italie de ne pas
admettre que l'Adriatique devînt un lac ennemi, ni
que l'équilibre balkanique fût romju à l'avanlage
des Magyars et des Germains. Héritière de la répu-
blique de 'Venise, jadis maîtresse de 1' « autre rive »
jusqu'à Cattaro, elle y était encore influente, sauf
dans le sud de la Dalmatie.
Deux thèses étaient en présence. Les modérés,
prêts à transiger avec les Yougo-Slaves, revendi-
quaient seulement la Vénétie Julienne, cest-à-dire
le Frioul oriental, Triesle, l'islrie et les lies du
Quarnero, Fiurue (800 kilom'-tres carrés et I million
d'habitants, dont 400.000 Italiens); les « impéria-
listes » prétendaient annexer aussi la Dalmatie, les
îles dalmales et une partie du territoire albanais.
Les uns et les aulres voyaient, dans l'absorption de
la Serbie par l'Autriche, un obstacle insurmontable
à l'expansion économique de l'Italie vers l'Orient.
Par l'article 7 du traité triplicien, l'Autriche et
l'Italie s'étaient interdit de modifier le statu quo
dans les Balkans sans s'être mises d'accord au préa-
lablesurdes compensations territoriales réciproques,
même en cas d'occupation temporaire. Le Ballplatz
avait invoqué cette clause, pendant l'expédition tri-
politaine, pour s'opposer aux opérations navales
projetées contre les ports de la Turquie d'Europe; le
Quirinal l'invoqua à son tour lorsque l'Autriche,
sans même aviserson alliée, préluda, par l'ultimatum
du 23 juillet 1914, à l'exécution d'un programme qui
comportait la ruine de la Serbie, l'isolement du Mon-
ténégro, l'asservissement de la Roumanie et, par
suite, l'abaissement politique et économique de
l'Italie dans les Balkans. S'étant vainement associé
aux tentatives de l'.^nglcterre et de la France pour
préserver l'Europe d'un conllit sans précédent, il
déclara sa neutralité dès le 3 août 1914, les hostili-
tés provoquées par l'Autriche et les complications
qui pouvaient en résulter étant en contradiclion
avec le caractère purement défensif de la Triple-
Alliance.
Au mois d'octobre 1914, le ministère Salandra-
Sonnino envoya à Vallona quelques compagnies de
débarquement. Espérant conjurer une rupture
qu'elle sentait imminente entre ses deux alliées,
l'Allemagne dépêcha à Rome le prince de Biilow
en qualité d'ambassadeur extraordinaire et Qt ac-
cepter par le Ballplatz le principe d'une compensa-
tion territoriale. D'épineuses négociationss'ouvrirent
en décembre et se poursuivirent jusqu'en avril. En
échange de la neutralité bienveillante de l'Italie et
d'une entière liberté d'action dans les Balkans, l'Au-
triche consentit à reconnaître les intérêts spéciaux
de l'Italie & Vallona et à céder, après la cessalioa
578
des hoslililés, une zone de territoire dans le Tren-
tin. Les coiilre-proposilions de Sonnino n'ayant pas
été agréées par le cliancelier baron Burian et les
pourparlers traînant en longueur, l'ambassadeur de
Victor-Emmanuel III à Vienne reçut l'ordre de
dénoncer le traité triplicien (3 mai 1916). Les in-
trigues de l'ancien ministre Giolitti, pour seconder
le prince de Biilow et obtenir la reprise des négo-
ciations, ne réussirent qu'à soulever les colères
populaires contre l'ingérence abusive de l'Alle-
magne dans les affaires miUonalesde l'Italie. Main-
tenu au pouvoir par un puissant mouvement d'opi-
nion, fort de l'assentiment du roi et du Parlement,
Salandra obtint des représentants du pays » pleins
pouvoirs pour la guerre », qui fut officiellement
déclarée à l'Autriche le 23 mai.
Le kaiser était tenu contracluellement d'interve-
nir en faveur de l'Autriche : il se contenta de rap-
Entrevue de Guillaume II et de Charles l" à la gare du Nord de Vienne, le 12 février 1917,
peler son ambassadeur à Rome. Mais l'Italie évolua
vers la guerre avec une irrésistible logique. Elle
adhéra au pacte de Londres et rendit publique
son adhésion; elle déclara la guerre aux Turcs
(20 août 1915), puis aux Bulgares; elle participa à
la Conférence économique de Paris, qui décida de
bloquer plus étroitement les puissances centrales.
A l'alliée qui lui échappait le gouvernement de
Berlin fit une guerre perfide, secondant l'effort
autrichien sur terre et sur mer, mullipliant les pro-
cédés vexnloires à l'égard des sujets italiens restés
en Allemagne. Le Quirinal riposta par la mise sous
séquestre de la propriété allemande dans la pénin-
sule, par la dénonciation du traité de commerce
de 1904, par l'envoi de contingents à Salonique;
enfin, le 27 août 1916, il mit le fait d'accord avec
le droit en notifiant à l'Allemagne que l'ère des
hostilités était ouverte (27 août 1916).
En proclamant sa neutralité, l'Italie nous avait
permis de mobiliser, sans nous préoccuper de la
défense des Alpes : en participant à la lutte, elle
retenait800.000 hommes surla frontière autrichienne
et allégeait d'autant la lourde tâche des Alliés. A
son point de vue particulier, elle revenait à la tra-
dition nationale, qui lui interdisait tout compromis
avec les oppresseurs de Trente et de Trieste; elle
se débarrassait de l'emprise intellectuelle, écono-
mique et financière, de la Germanie; elle servait la
cause du droit, qui avait reçu de l'ancienne Rome
sa plus magnifique expression.
Les buts de guerre de l'Italie se trouvaient consi-
gnés dans un ménaorandum présenté, pour appro-
LAROUSSE MENSUEL
bation, par le marquis Imperiali, ambassadeur du
roi Victor-Emmanuel 111 en Angleterre, à sir Edward
Grey, ministre britannique des affaires étrangères,
à notre ambassadeur Paul Cambon et à l'ambassa-
deur russe comte Benckendorf. C'est ce document
qui est connu sous le nom de « traité secret du
26 avril 1915 » et dont voici les principales disposi-
tions :
En vertu du futur traité do paix, l'Italie recevrait :
1» I.e Trentm, dont le Tyrol méridional jusqu'à sa fron-
tière naturelle et géographique, le Brenner; la ville do
Trieste et ses environs, les provinces do Gorizia et de
Gradisca; toute l'Istrie jusqu'au yuarnero, y compris
Volosca et les îles istrionnes de (Jherso et de Lussin
ainsi que les îles plus petites de Plaonik, d'Unia, de Ca-
nidoli, do Palazzuola, de S. Pietro Norovio, d'Asinello et
de Gruica, avec les îlois du voisinage ;
2» La province de Dalmatie, les vallées dont les rivières
se jettent dans la mer près de Sapenico, toutes les îles
situées au nord et à
l'ouest du littoral,
dont certaines par-
ties seraient neutra-
lisées et d'autres
laissées à la Croa-
tie, à la Serbie ou au
Monténégro ;
3» Vallona et l'île
de Sasseno;
4° Les ilea du Do-
décanèse;
5" En cas de dé-
membrement de l'em-
pire ottoman, une
part égale à celles
de la France et de
l'Angleterre dans la
Méditerranée (acqui-
sitions territoriales
ou zones d'influence) ;
e" Des compensa-
tions en Afrifiue, no-
tamment en Ery-
thrée, dans le pays
des Somalis, en Li-
bye, si les colonies
des puissances al-
liées recevaient une
extension en Afrique
aux dépens de l'Al-
lemagne.
Dans l'hypothôso
où serait formé en
Albanie un petit Etat
autonome et neutra-
lisé, l'Italie, maî-
tresse du Trentin, de
ristrie et du golfe
de Vallona, no s'op-
poserait pas à la ré-
partition des districts
septentrionaux et mé-
ridionaux de l'Alba-
nie entre le Monté-
négro, la Serbie et
la Grèce.
L'Italie, comme
nous allons le voir,
eut la sagesse de
reviser ses buts de
f^ -^*^* guerre en tant
.«Et-».-..* , qu'ils s'opposaient
aux revendications
des nationalités
opprimées de l'Au-
Iriche-Hongrie.
Les aspirations
des Slaves W Au-
triche-Hongrie
{Tchèques, Slovaques, Yougo-Slaves). — La monar-
chie austro-hongroise n'est pas un de ces Etats
homogènes dont les habitants, ayant des traditions
communes, tendent à un commun avenir. Elle porte
en ellv, le germe de s-a décomposition, parce qu'elle
est incapable d'arriver à l'unité politique, parce que
les sujels de l'empereur-roi ne peuvent, ni ne veu-
lent se constituer en corps de nation.
A ne considérer que leur puissance, on pourrait
croire que les Allemands et les Magyars y béné-
ficient de la prépondérance numérique; mais, pour
une population de 48 millions d'àiiies, on couiple
seulement 12 millions d'Allemands et 10.950.000
Magyars, à côté de 6.450.000 Tchèques, 2 millions
de Slovaques, 3.700.000 Seiho-Croales, 5 millions
de Polonais, 4 millions de Ruthènes, 770.000 Ita-
liens, 3.230.000 Roumains. 11 y a, de plus, en Bosnie-
Herzégovine, 2 millions de Serbo-Croates.
Le régime dualiste a partagé entre Allemands et
Hongrois la souveraineté politique et réduit h néant
les aspirations des autres nationalités; mais ce contrat
léonin ne pouvait pas ne pas soulever les protesta-
tions des races sacrifiées : Yougo-Slaves, Tchèques
et Slovaques, Polonais, Roumains, Italiens.
On comprend sous la dénomination de Yougo-
slaves (Slaves du Sud) les Serbes, les Croates et 1rs
Slovènes. Opprimées par les Allemands et par les
Magyars, les populations serbes de la Bosnie-Her-
zégovine et de la Hongrie, les Croates et les Slo-
vènes, demandent leur union avec la Serbie et le
Monténégro dans un Etat indépendant. Ils se refu-
sent, à moins d'y être matériellement forcés, à subir
«• 140. Octobre 1918.
plus longtemps l'arbitraire d'une dynastie qui n'a
jamais tenu les obligations qu'elle avait contractées
en 1527 et en 1712 vis-à-vis du royaume trinilaire
de Croalie-Slavouie-Dalniatie; ils reprochent aux
Habsbourg d'avoir aboli les privilèges concédés au
peuple serbe de l'empire pour son dévouement dans
la lutte contre les Turcs, les droits de la voivodie
serbe sanctionnés en 1848 et même l'autonomie de
l'Eglise serbe orthodoxe; ils ne pardonnent pas à
François-Joseph d'avoir laissé les Hongrois arracher
Fiuine à la Croatie et proclamé, en 1908, l'annexion
de la Bosnie-Herzégovine, abus de confiance qui
devint l'une des causes de la guerre de 1914; ils
constatent, enfin, que les Yougo-Slaves, coupés en
deux tronçons par la Conslitution dualiste de 1868,
ont été livrés à l'hégémonie des Allemands et des
Magyars, instruments du pangermanisme.
A l'approche du couronnement de l'empereur
Charles l""-, les Yougo-Slaves formulèrent leurs griefs
et leurs vœux dans une déclaration datée de Paris,
18 décembre 1916, et rédigée par le Comité yougo-
slave, présidé par le docteur Trumbitcli, chef du
parti national croate à la Diète de Dalmatie et ancien
député de Zara au Reichsrat. Plus importante, en-
core, fut la déclaration de Corl'ou, signée, le ««juil-
let 1917, par le président Pachitch, chef du gouver-
nement serbe, et le comité Trumhitch, représentant
les Yougoslaves d'Autriche-Hongrie, des deux
Amériques et des Dominions britanniques. Serbes,
Croates et Slovènes, dit en substance ce document,
ne constituent qu'un seul peuple, « le même par le
sang, parlalangue, par le sentiment de son u.iité».
Le nouvel Etat, monarchie constitutionnelle, démo-
cratique et parlementaire, sous la dynastie des
Karageorgevilch, comprendra tout le territoire sur
lequel la « nalion aux trois noms vit en masses
compactes et sans discontinuité ». Celle-ci refuse,
dans la plénitude de sa conscience, toute solution
partiellede son émancipation et de son unification,
tout démembrement ou incorporation à un autre
Etat « sans le consentement du peuple lui-même »,
mailre de ses destinées. Le « comité monlènégrin »
de Paris, présidé par Radovitch, ayant donné son
adhésion à la déclaration de Corfou, le « royaume
des Serbes, des Croates et des Slovènes » aurait
environ 12 millions de citoyens.
Il manquait à ces résolutions,pour qu'elles fussent
efficaces, l'adhésion de l'Italie.
Au mois de janvier 1918, il se fonda à Rome un
comité, au nom duquel le député Andréa Torre se
mit d'accord avec les représentants des nationalités
opprimées de l'Autricbe-Hongrie. Ces pourparlers
furent la préface d'une conférence qui siégea à
Rome du 7 au 10 avril et d'où sortirent des délibé-
rations relatives soit à un accord général entre les
nationalités sujettes, soit aux bases d'un accord
italo-yougo-slave.
^ I. Accord général entre les nationalités opprimées de
l'Aittrictie- Hongrie.
Les représentants des nationalités soumises entière-
ment ou en partie à la domination de l'Autricho-Hongrie :
Italiens, Polonais, Roumains, Tchéco-Slovaques et Yougo-
slaves se sont mis d'accord dans l'aftirmation des prin-
cipes suivants pour une action commune :
1° Chacun de ces peuples proclame son droit à consti-
tuer son unité d'Etat national ou à la compléter pour
atteindre sa pleine indépendance politique etéconomique;
2* Chacun de ces peuples reconnaît dans la monarchie
austro-hongroise rinsirument de la domination germanique
et l'obstacle fondamental à la réalisation de ses aspira-
tions et de ses droits;
3» Le Congrès reconnaît, en conséquence, la nécessité
d'une lutte commune contre les oppresseurs communs jus-
qu'à ce que chacun de ces peuples ait atteint sa libération
totale, son unité nationale complète et sa liberté politique.
II. Bases d'un accord italo-yougo-slave.
Les représentants du peuple italien et du peuple you-
go-slave conviennent en particulier de ce qui suit :
4» Quant aux rapports entre la nation italienne et la
nation des Serbes, Croates et Slovènes, connus aussi
sous le nom de «nation yougo-slave», les représentants des
deux peuples reconnaissent que l'unité et l'indépendance
de la nation yougoslave sont d'un intérêt vital pour l'Italie,
de môme que l'achèvement de l'unité italienne est d'un
intérêt vital pour la nation y ougo-slave. Les représentants
des deux peuples s'engagent donc à apporter tous leurs
efforts, durant la guerre et au moment de la paix, pour
que ce but des deux nations soit intégralement atteint;
6» Ils déclarent que la libération de la mer Adriatique
et sa défense contre tout ennemi présent et futur sont
d'un intérêt vital pour les deux peuples;
^6" Ils s'engagent à régler à ramiable, également dnns
l'intérêt des bonnes et sincères relations futures entre les
deux peuples, les questions territoriales pondantes surla
base du principe des nationalités et du droit des peuples
à disposer do leurs propres destinées, et cela de façon à
ne pas porter préjudice aux intérêts vitaux des deux
nations, qui seront définis au moment de la paix ;
6" Aux noyaux de l'un des peuples qui devraient se
trouver inclus dans les frontières de l'autre sera reconnu
et garanti le droit de voir respecter leur langue, leur
culture et leurs intérêts moraux et économiques.
Les Polonais s'associèrent à ces délibérations eu
y ajoutant une déclaration spéciale, motivée par les
termes mêmes d'un problème qui n'intéresse pas
seulement l'Autriche-Hongrie, mais aussi l'Alle-
magne et la Russie.
A l'issue de la Conférence, les délégations qui y
avaient participé furent reçues par le président du
conseil, Orlando, et il fut publiquement établi que
N- 140. Octobre 1B18-
LAROUSSE MENSUEL
579
.' t
Le rêve db Guillaume II. En juin 1918, l'empereur, devant Soissons, fixe du doigt, sur la carte, l'endroit où il doit écraser l'armée française. (En face du kaiser, Bindenburg ; à sa droite, regardant avec
les lorgnettes, Ludendorf; tout & fait à la droite du tableau, et debout, le kronprinz. [Composition du peintre officiel du kaiser, Félix Schwormstadt, publiée par VlUustrirte Zeitung du l*r août.]
les aspirations des nationalités slaves ne rencon-
Ireraient plus l'opposition du Quirinal.
Le traité secret de 1915, qui avait lié le règlement
de l'équilibre adriatique à la question de l'Albanie,
faisait de la célèbre théorie des « glacis >> une appli-
cation étendue, non seulement en Albanie, mais en
Dalmatie, en Croatie, en Islrie, en Slovénie, et les
intérêts des nationalités qui aspiraient à l'indépen-
dance se trouvaient directement lésés; or, c'était
peut-être par les territoires des peuples opprimés
qu'il eût été possible de trouver le point faible de
l'Autriche. On comprit, à Rome, que la destruction
de l'iiégémonie austro-hongroise dans l'Adriatique
n'était pas inconciliable avec les garanties d'indé-
pendance dues aux peuples yougo-slaves ; qu'une
grande Serbie barrerait la route à la poussée germa-
nique vers l'Orient; que les intérêts militaires et
économiques de l'Italie seraient aussi bien et mieux
sauvegardés par des conventions avec le nouvel
Etat que par des empiétements territoriaux. Le
président Orlando expliqua que le traité de Londres
avait été dirigé contre une Autriche hostile, mais
qu'il allait être modifié dans celles de ses dispo-
sitions qui intéressaient le futur Etat yougo-slave,
ainsi que l'Italie.
Entre tous les peuples assujettis, les Tchèques se
signalèrent par une opposition tenace et parfois
heureuse, que légitimaient à la fois le principe des
nationalités et le droit historique. Lorsque, en effet, la
Hohlôrne fut, en 13-26, réunie aux Etals autrichiens,
Ferdinand I", avec qui les Tchèques entendaient
contracter une union purement personnelle, jura
de respecter les franchises nationales de ses nou-
veaux sujets. Ces eiigat,'ements solennels ne furent
jamais tenus : si l'empereur François-Joseph cei-
f;nit la couronne de saint Etienne, les Magyars ne
ui permirent pas de ceindre, an Hradscbin de
Prague, la couronne de saint Wenceslas.
En voyant le jeune empereur Charles s'abandon-
ner de plus en plus i l'Allemagne et resserrer les
liens qui l'unissaient aux Bulgares et aux Turcs, les
■rchèques revendiquèrent ouvertement, avec véhé-
mence, le droit de disposer de leur sort. Des
Tchéco-Slovaijues, qui avaientcombaltu dans l'armée
austro-hongroise et été conduits en Sibérie comme
prisonniers des Russes, servirent la cause des Alliés
en gardant le transsibérien contre les entreprises
des Allemands et des bolcheviks (1918). Leurs
LAROUSSE UBNBUEL. — IV.
congénères d'Amérique, très nombreux, soutinrent
leurs revendications avec un absolu dévouement.
I';nfin, une armée tchéco-slovaque fut constituée en
France pour combattre sous ses propres couleurs,
et, en lui remettant son drapeau, non loin du front
^'Alsace (l'"' juillet 1918), le président Poincaré
rappela les plus récentes affirmations que les Slaves
avaient fait entendre au sein même de l'Autriche :
le 30 mai 1917, les députés tchèques au Reichsrath,
en leur nom et au nom des Slovaques de Hongrie,
proclament la résolution de se réunir en un Etat
indépendant; le 6 janvier 1918, cette résolution est
confirmée à Prague dans une assemblée tenue par
les mêmes députés et par les représentants des
Diètes de Bohême, de Moravie et de Silésie; le
13 avril, dans leur capitale historique, les Tchèqiies
font, avec les Slovaques et les Yougo-Slaves, le
serment de secouer la domination étrangère; les 16
et 17 mai, toujours à Prague et à l'occasion des
fêtes jubilaires du théâtre national tchèque, les
diverses nationalités assujetties revendiquent leurs
droits aux accents de la Marseillaise et, dans le
même temps, les députés tchèques et yougo-slaves.
au Reichsrath, protestent publiquement contre le
projet d'instituer en Bohême des chefs de district
allemands, contre le projet de séparer les pays
Slovènes des autres Yougo-Slaves, contre la magya-
risation du littoral adriatique.
Le président de la République rappelait aussi que,
le 8 décembre 1870, tandis que la France luttait
Il dans le lourd silence de l'Europe », seule, la Diète
de Bohême ne craignit pas d'exprimer son senti-
ment indigné sur l'incorporation, déjà projetée, de
l'Alsace-Lorraine :
Si l'AlIemagDo arrachait à la France une partie do son
territoire, dont les habitants se sentent Français et
veulent rester tels, elle commettrait un attentat contre
la liljerté des peuples et mettrait la force à la place du
droit... Le peuple tchèque est un petit peuple, mais son
âme n'est pas petite.
Les Tchèques ne veulent plus entendre parler
d'une Bohême autonome dans une Autriche fédéra-
liste : ils prétendent désormais à leur complète in-
dépendance, et, comme les Slovaques de Hongrie
sont résolus k s'unir à eux, il se formera ainsi un
Etat qui, avec l'Etat yougo-slave, fera vraiment
contrepoids à l'omnipotence germano-magyare.
L'émancipation des Tchèques, des Slovaques et
des Slaves du Sud suppose la dissociation de l'Etat
austro-hongrois. Parmi les politiques et les publi-
cistes, les uns estiment qu'il ne faut pas détruire la
double monarchie, mais, au contraire, l'opposer à
l'Allemagne après l'avoir fortifiée par une Consti-
tution dans laquelle les nationalités se dévelop-
peraient librement. Les autres considèrent que, pour
isoler l'Allemagne, il faut l'entourer d'Etats indé-
pendants et, par suite, disloquer l'Autriche. Entre
ces deux systèmes, l'Entente choisit d'abord le pre-
mier; mais elle l'abandonna en 1918, lorsqu'elle eut
perdu toute confiance dans la loyauté de l'empereur
Charles, et la conférence que les Alliés tinrent à
Versailles, après le déclenchement de la grande
offensive allemande, jugea nécessaire de proclamer
ses sentiments pour les Slaves. L'ambassadeur des
Etats-Unis à Paris avait communiqué au « comité
Trumbitch » une dépêche du secrétaire d'Etat Lan-
sing, publiée le 29 mai 1918 et attestant que les aspira-
tions nationales desTchéco-Slovaques et des Yougo-
slaves avaient « la vive sympathie » du gouverne-
ment de Washington. Les présidents du conseil de
France, de Grande-Bretagne et d'Italie firent les
deux déclarations suivantes, datées de 'Versailles,
le 3 juin :
Pologne. — La création d'un Etat polonais uni et indé-
pendant, avec libre accès à la mer, constitue une des con-
ditions d'une paùc solide et juste et d'un régime de droit
en Europe.
Tchéco-Slovaques et Yougo-Slaves. — Les gonveme-
mcnts allies ont pris note, avec satisfaction, de la décla-
railon faite par le secrétaire d'Etat des Etats-Unis et
désirent s'y associer en exprimant leur plus vive sym-
pathie pour les as]>lrations nationales dos peuples theco-
slovaques et yougo-slaves vers la liberté.
Et, comme les gouvernements allemand et autri-
chien s'efforçaient de donner & la dépêche améri-
caine une interprétation erronée. I.ansing la com-
pléta en annonçant que, pour les Etats-Unis, « toutes
les souches de race slave devaient être totalement
libérées du joug austro-allemand ». En même temps,
la France, à l'occasion de la remise des drapeaux à
l'armée tchéco-slave, constituée sur notre front, re-
connaissait publiquement et officiellement le conseil
national tchèque comme <• l'organe suprême de ses
intérêts généraux et la première assise du futur
gouvernement. » Le gouvernement britannique pu-
blia une déclaration dans le mime sens (août 1918).
22»
580
La Pologne. — La reconstitution de la Pologne
s'impose avec d'autant plus de force que ce mal-
heureux pays, iniquement démembré, a souffert
mille fois le martyre. En Russie, après l'insurrection
de 1863, les tsars persécutèrent impitoyablement les
vaincus, résolus à leur faire perdre toute indivi-
dualité, à les absorber dans la masse de la natio-
nalité russe. En Prusse, les sujets polonais des
HohenzoUern ne furent pas mieux traités que ceux
des Romanov : ils furent victimes d'une politique
oppressive, comportant l'expropriation au profil des
colonies allemandes, la proscription de la langue,
la prussillcation par l'école. C'est seulement en
Autriche que les Polonais furent l'objet de ména-
gements qui les inclinèrent à accepter le régime
dualiste et à s'accommoder, en attendant mieux, de
la politique de conciliation pratiquée à leur endroit
par l'empereur-roi. (Sur les origines de la question
polonaise et les conflits de nationalité en Russie,
en Prusse et en Autriche, \. Larousse Mensuel ill.,
t. III, p. 357.)
Dès son avènement (1894), le tsar Nicolas II ex-
prima la volonté d'améliorer les conditions de la
Pologne; mais ses bienveillantes intentions rencon-
trèrent une opposition qui le condamna à l'impuis-
sance et au-dessus de laquelle il se plaça dès que
les circonstances le lui permirent. Le 15 août 1914,
une proclamation du grand-duc Nicolas, généra-
lissime des armées du tsar, annonça aux populations
polonaises que l'heure avait sonné de leur « résur-
rection » et de leur « réconciliation fraternelle avec
la grande Russie » ; sons la souveraineté du tsar, la
Pologne serait « libre dans sa religion, dans sa lan-
gue et dans son autorité». El, sur les murs des villes
de Galicie occupées par les forces russes, le gouver-
nement de Pelrograd fit afficher un « appel aux
Polonais », promettant la réunion en une nation auto-
nome de toutes les parties de l'ancien Elat démembré.
Deux ans plus tard, les Allemands, maîtres de
Varsovie depuis le 6 août 1915, proclamèrent l'indé-
pendance « des régions polonaises arrachées à la
domination russe » et se mirent d'accord avec l'Au-
triche pour créer dans ces régions un Etat auto-
nome sous forme de monarchie héréditaire consti-
tutionnelle » (5 nov. 1916J. Le gouvernement de
Berlin n'ayant rien voulu changer à la condilion de
la Posnanie, le gouvernement de Vienne refusa
radjonction de la Galicie au nouveau royaume, mais
LAROUSSE MENSUEL
reconnut à cette province, dans la mesure « compa-
tible avec son appartenance à l'ensemble de l'Etat »,
le droit de régler « ses propres aspirations en vue
du bien-être national et économique de la popu-
lation galicienne ».
En attendant l'instauration d'un roi de Pologne,
l'Allemagne institua à Varsovie un conseil de ré-
gence et un ministère, se gardant bien de définir les
limites d'un pays où elle ne songeait pour le présent
qu'à recruter de nouveaux soldats et où elle pro-
jetait, pour l'avenir, d'asseoir inébranlablement sa
toute-puissance. L'actedu5 novembre 1916 apparais-
sait comme une entreprise de germanisation et, à la
fois, comme la sanction des anciens Irai lés départage.
La Russie s'éleva ofliciellement contre
la politique polonaise des Empires cen-
traux, et les agonis diplomatiques de la
France, de la Grande-Bretagne, de l'Ita-
lie remirent aux neutres une protesta-
tion d'ordre juridique : l'occupation mi-
litaire ne transfère ni la souveraineté,
ni, par conséquent, le droit de disposer
du lerriloire occupé, et la prétention de
lever une armée sur ce territoire viole
le règlement annexé à la convention IV
de La Haye (1907), ratifiée parles deux
empereurs. Le président du conseil
français, Briand, et le premier ministre
britannique, Asquith, adressèrent, d'au-
tre part, au président du conseil russe,
Sturmer, un télégramme par lequel ils
déclaraient « se solidariser entière-
ment avec les vues dont le gouver-
nement impérial entendait assurer la
réalisation au bénéfice du noble peuple
polonais ». Les deux grandes puis-
sances libérales de l'Europe se por-
taient garantes des engagements pris
par le Isar.
Survint la révolution russe. L'un
des premiers soins du gouvernement
provisoire fut d'afi'ranchir la Pologne,
et ce fut l'objet de la proclamation
du 30 mars 1917 :
Le peuple russe, qui a secoué le joug,
reconnaît également pour le peuple frater-
nel polonais toute la plénitude de droits
détÎDis par sa propre volonté. Fidèle à
l'accord avec les Alliés, fidèle au plan
commun de lutte contre le germanisme
militant, le gouvernement provisoire con-
sidère la crcation d'un Etat polonais indé-
pendant, fort de tous les territoires dont la
majorité de la population constitue le peuple
polonais, comme un gage sûr de paix du-
rable dans la future Europe rénovée.
Attaché à la Russie par une union mili-
taire libre, l'Etat polonais sera un rempart
solide contre la pression des puissances
centrales sur les nations slaves. Le peuple
l'olonais, libéré et unidé, déterminera fui-
mème son régime gouvernemental en expri-
mant sa volonté par une Assemblée consti-
tuante convoquée dans la capitale séculaire
de la Pologne. Par une vie commune, le
peuple polonais recevra ainsi une garantie
solide de son existence, civique et nationale.
L'Assemblée constituante russe devra
consolider définitivement la nouvelle union
fraternelle et donner son consentement aux
modifications de territoire de l'Etat russe,
indispensables, pour la formation de la
**""* Pologne libre, de tontes ses trois parties
cruellement séparées.
Ce n'était plus l'autonomie, mais l'indépendance,
et la Pologne elle-même fixerait son statut par ses
délégués à l'Assemblée constituante. L'acte géné-
reux et habile du gouvernement provisoire s'oppo-
sait à la manœuvre hypocrite des Empires centraux,
qui, n'ayant pu s'entendre sur le sort des teiriloires
conquis, les avaient divisés en deux régions admi-
nistratives : l'une sous l'autorité d'un gouverneur
allemand résidant à Varsovie, l'autre sous l'autorité
d'un gouverneur autrichien résidant à Lublin. Le
12 septembre 1917, les deux empereurs, chacun de
son côté, octroyèrent à ces régions, qualifiées de
nroyaume», un simulacre de Constitution, en atten-
dant l'élection d'un souverain et la réunion d'une
Assemblée nationale, mais tout pouvoir véritable
restait aux « puissances d'occupation ».
L'hypocrisie austro-germanique se manifesta plus
formellement encore lorsque les Empires centraux
signèrent la paix du 9 février 191? avec l'Ukraine:
une fraction importante du territoire polonais, dans
la province de Lublin, fut attribuée à un Etat qui
n'existait pas encore, et celte maladressedéloyale pro-
voqua l'irritation de tous les Polonais, sans en excep-
ter ceux de Galicie, ainsi rapprochés des Tchèques
et des Yougo-Slaves, sans en excepter même les
régents installés par l'Allemagne à 'Varsovie.
Comme on l'a vu, les Polonais s'associèrent aux
résolutions générales de la conférence de Rome
(avril 1918), mais en y ajoutant une déclaration spé-
ciale, où ils dénonçaient le gouvernement de Berlin
comme leur principal ennemi, dont l'intérêt était
d'empêcher l'unificalion d'un Etat capable de s'op-
poser à la domination germanique sur toute l'Eu-
rope orientale.
«• 140. Octobre 1918.
Le président 'Wilson souhaitait, dans son discours
du 8 janvier 1918, voir réunis tous les territoires
habités par des populations incontestablement po-
lonaises, avec libre accès à la mer, l'indépendance
politique et économique de l'Etat polonais étant
garantie par des conventions internationales. Cette
lormule fut précisément adoptée par les gouver-
nements français, brilannique et italien, dans leur
Déclaration du 3 juin 1918.
La reconstitution d'une « Pologne libre dans
ses frontières ethnographiques » ne serait pas seu-
lement un acte de justice et de réparation. Elle au-
rait ce résultat inappréciable d'opposer au germa-
nisme une barrière d'autant plus forte qu'elle aurait
four conséquence la restitution de territoires dont
annexion avait été déterminante dans le déve-
loppement de la puissance prussienne.
L'institution, par l'Allemagne, à Varsovie, d'un
conseil d'Elat, élu par les Diètes provinciales et les
conseils municipaux des grandes villes, mais com-
plété par les désignations directes du conseil de
Régence (juin 1918), ne présentait aucune garantie.
Mais, dans le même temps, le président de la Répu-
blique française remit à l'armée polonaise consti-
tuée sur le front français les drapeaux oiterts à cette
armée par les villes de Paris, Verdun, Nancy et
Belfort, et cette manifestation avait une réelle'im-
portance; elle signifiait que, seule, la victoire des
Alliés ferait de la Pologne un Elat indépendant,
cohérent, assez fort pour faire contrepoids, comme
naguère, au germanisme.
Les aspirations roumaines. — La Roumanie est
un Elat remarquablementhomogène de 7.250.000 ha-
bitants et qui compte, hors de ses frontières, d'im-
portantes colonies. Sans parler des individus dissé-
minés dans toute la péninsule balkanique, la nation
roumaine vil en groupes compacts dans la Bessa-
rabie, la Bukovine autrichienne et surtout la Hon-
grie : en Transylvanie, berceau de sa renaissance
intellectuelle, dans le banal de Temesvar, elle l'orme
respectivement 55 p. 100, 37 p. 100 et 60 p. 100 de
la population.
LaRoumanie, brisant les liensqui, de par la volonté
personnelle du roi Carol,ratlachaientdepuis 1883 aux
Empires centraux, entra en ligne, le 27 août 1916, «à
côté de ceux qui pouvaient lui assurer la réalisation
de son unité nationale». Elle se proposait, en effet, de
libérer ses frères de race ; mais, en même temps, elle
afi'ranchissait la civilisation essentiellement latine
qu'elle représentait, aux confins de l'Orient et de
l'Europe, de l'influence grandissante des Allemands.
A la Moldavie, la Valachie et la Dobroudja. qui
constituaient l'Elat roumain, elle ajouterait la Tran-
sylvanie, le banal de Temesvar, la Bukovine, et le
roi Ferdinand régnerait sur 12 millions de sujets
(Convention de Bucarest du 17 août 1916).
Il n'y a pas lieu de rappeler, ici, la suite des évé-
nements qui obligèrent la Roumanie, écrasée par
la trahison des généraux tsarisles, la défection des
bolcheviks et la malveillance cruelle de l'Ukraine,
à une capitulation douloureuse. Le front roumain
étant enclavé dans le front russe, les troupes du
roi Ferdinand durent suspendre les hostilités (dé-
cembre 1917), et l'infortuné souverain eut dé-
sormais à se défendre contre les violences des
soldats maximalistes stationnés en Moldavie. Les
mesures de simple précaution et les représailles
que dut prendre le gouvernement de Jassy furent
qualifiées de onnes par les commissaires du peuple,
qui, après avoir arrêté le ministre roumain à Pelro-
grad — décision dont les missions diplomatiques
alliées obtinrent, d'ailleurs, le retrait immédiat —
décrétèrent l'expulsion de tous les représentants du
roi Ferdinand, se saisirent de l'or déposé à Moscou
sous la garantie du gouvernement russe et mirent
hors la loi le général Tcherbatchev, commandant
suprême du front roumain (janvier 1918). Puis le
maréchal allemand Mackensen somma le gouver-
nement du roi Ferdinand d'ouvrir des négociations
de paix, dans un délai de cinq jours (6 février).
Parle traité de Bucarest (7 mai 1918), la Rouma-
nie dut abandonner toute la Dobroudja : le Nord
aux quatre puissances avec lesquelles elle était en
guerre et qui exerceraient sur celle région un con-
dominium provisoire; le Sud à la Bulgarie, qui
reprenait ainsi les territoires à elle échus par appli-
cation du traité de Bucarest de 1913. Elle dut ac-
cepter, en outre, une rectificalion de frontières au
profit de l'Aulriche-Hongrie.
La Bessarabie, dont la population est en majorité
roumaine, avait été attribuée, par le traité de Berlin,
à la Russie (1878), tandis que la Roumanie rece-
vait, à titre de compensation, la Dobroudja, au
grand mécontentement des Bulgares. Le traité de
1918 reprenait aux Roumains la Dobroudja et leur
rendait la Bessarabie, qui avait été rattachée i. la
Moldavie jusqu'en 1812.
Malgré celte concession, la paix dite « d'amitié
allemande » consacrait l'asservissement politique
de la Roumanie par la limitation de ses effectifs
militaires, l'obligation d'introduire dans ses codes
des modifications relatives à la naturalisation, au
droit d'association, à la liberté de la presse, l'in-
terdiction de poursuivre les citoyens coupables de
«» 140. Octobre 1B18.
désertion ou de trahison pendant la guerre, toutes
dispositions incompatibles avec le principe de la
souveraineté des Etats. Elle consacrait aussi son
asservissement militaire en lui faisant perdre toute
la chaîne des Carpathes et son asservissement éco-
nomique par la désannexion de la Dobroudja, la
mainmise des Austro-Hongrois sur la navigation du
Danube, l'accaparement des pétroles, le contrôle
de la production des céréales. La Roumanie était
amputée de 26.000 liilomètres carrés, peuplés de
600.000 âmes, tant par la rétrocession de la Do-
broudja que par l'abandon de régions l'orestières en
Hongrie. Et, pourtant, les protocoles des séances
où furent discutées les conditions de la paix spéci-
fient que le traité à intervenir ne comportera ni
annexions ni indemnités!
La Houmanie, impuissante, était humiliée et
abaissée seloji la formule bismarckienne de 186S :
La Roumanie doit devenir la Belgique du sud-est de
l'Karope; elle doit entretenir des relations aussi bonnes
que possible avec tous ses voisins et attendre avec pa-
tience que les fruits mûrs do Tarbre européen tombent
d'eux-m^mes dans son tablier. Il lui est interdit de cueil-
lir elle-môme ces fruits, surtout s'ils ne sont pas mûrs.
Elle doit être en aussi bons rapports avec une puissance
qu'avec l'autre et, à la dernière heure, si tout s'écroule,
elle devra s'associer à celle des puissances dont la vic-
toire paraîtra certaine.
Mais les ministres de France, de Grande-Bre-
tagne, d'Italie et des Etals-Unis, en accusant
réception au ministre des affaires étrangères de
Houmanie de la lettre qui leur notifiait la conclu-
sion de la paix, déclarèrent maintenir tons leurs
engagements et considérer « comme nulles et non
avenues toutes les stipi]lations de celte paix qui se-
raient contraires aux principes dont la violation a
conlrainirEntenteà prendre les armes, ainsi qu'aux
droits et aux intérêts » des quatre puissances.
(14 mai 1918.)
L'Empire oitoman. Dans les premiers mois de
1915, le gouvernement de Petrograd conclut avec
l'Angleterre et la France un accord auquel adhéra
l'Italie et qui reconnaissait définitivement les pré-
tentions des tsars sur Gonstanlinople et les détroits.
La Hiissie, qui s'engageait à assurer au pavillon
roumain la liberté de navigation, communiquerait
librement avec la Méditerranée et barrerait la roule
du chemin de fer de Bagdad. Ultérieurement, une
convention spéciale anglo-franco-russe (1" fé-
vrier 1917) posa les hases d'un partage de l'Asie
ottomane, comportant des acquisitions territoriales,
la délimilalion de sphères d'influence particulières
à chacune des puissances contractantes et le statut
de l'Arabie indépendante.
Ces arrangements supposaient le démembrement
de l'empire turc, et, le 10 janvier 1917, le président
du conseil français, Aristide Briand, dans la réponse
qu'il nt, au nom des Alliés, aux offres de paix alle-
mande, présentait comme résolu « le rejet hors
d'Europe de l'Empire ottoman, décidément étranger
à la civilisation occidentale ».
La défection russe et l'intervention américaine
modifièrent les buis de guerre des Alliés en ce qtii
concerne l'Empire ottoman. Les Alliés convinrent
de respecter sa souveraineté dans les pays habités
par des Turcs, avec Gonstanlinople pour capitale,
mais d'internationaliser les détroits et de remanier,
conformément aux principes du droit public nou-
veau, la carte de l'Asie ottomane : spécialement,
l'Arménie devra recouvrer son entière indépen-
dance et êlre arrachée à un joug sanguinaire, que le
traité de Brest-Lilovsk a encore rendu plus lourd.
La Société des nations. Parmi les garanties que
les Alliés se proposent de prendre contre un retour
offensif du militarisme à la prussienne, l'instaura-
tion d'une « Société des nations » a été présentée
comme devant être particulièrement efficace.
Il sera absolument nécessaire (disait le président Wil-
son) qu'une force soit créée garantissant la permanence
de la solution intervenue, une force tellement supérieure
à celle de toute nation engagée dans une alliance jusqu'ici
formée ou projetée que pas une nation, pas une combi-
naison probable de nations ne puisse l'alfronter ou lui
résister.
Il s'agit donc d'instituer un système fédératif qui
grouperait dans une action solidaire tous les peuples
partisans de l'indépendance des nations, grandes
ou petites, de leur libre et pacifique développement,
et qui opposerait les principes du droit public mo-
derne aux règles surannées du droit f'éoiial prusso-
allemand. Le jour où elle a violé la neutralité de la
Belgique, l'Allemagne, selon l'expression du député
Léinery, « a créé la Société des nations, comme le
banditisme a créé la police et la justice ».
Le 17 mai 1915, fut fondée aux Etats-Unis une
Ligue de la paix par la force {League to en force
veace). Elargissant l'idée qui avait présidé à celte
fondation, le président Wilson arriva peu à peu h
celle d'une société auverle à toutes les nations vivant
sous le régime démocratique, formant une société
des peuples, non des gouvernements, fermée aux
pouvoirs autocratiques, qui sont incapables de de-
meurer constamment fidèles aux conventions de
paix. Avant de constituer ce « tribunal de l'opi-
nion », il faudra rendre k l'indépendance les natio-
LAROUSSE MENSUEL
nalités opprimées; car la paix devra avoir l'appro-
bation de l'humanité sans tenir compte des objectifs
immédiats des nations engagées dans le conflit. El
« ce qui intéresse l'humanité, c'est la liberté de vivre,
non lescombinaisonsd'équilibre entre les puissances,
non les contrats d'égolsmt et de compromis ».
Se plaçant à un point de vue plus immédiatement
pratique, Lloyd George envisagea les conséquences
du militarisme sur la situation générale. Le fardeau
écrasant des arme-
ments, le dévelup ^^■HonHCT
pement du service HE^^r^^
militaire obliga-
toire, le gaspillage
de richesses et de
forces que com-
porte la prépara- ^
tion de la guerre W
apparaissaient au
premier ministre
britannique comme
« autant de taches
dont notre civilisa-
tion doit rougir »;
il faut donc, con-
cluait-il, o faire un
grand effort» pour
établir un orga-
nisme qui rempla-
cerait la violence
dans le règlement
des conflits inter-
nalionaux.
En France, le
gouvernement
nomma, le 22 juil-
let 1917, une com-
mission chargée
d'étudier, sous la
présidence de
Léon Bourgeois ,
les conditions dans
lesquelles pourrait
être constituée la Société des nations. La com-
mission précisa que l'organisme dont elle avait
à préparer le fonctionnement n'avait pas pour
objet l'établissement d'un Etal politique interna-
tional supérieur aux autres Etats, empiétant sur
leur souveraineté, mais uniquement le maintien de
la paix par la substitution du droit à la force dans le
règlement des différends internationaux. G'est une
formule mesurée, modeste, par cela même pratique.
La Société des nations s'opposant aux gou-
vernements autocratiques, qui disposent capricieu-
sement d'une force organisée en dehors de la
volonté populaire, les Allemands en seront logique-
ment et nécessairement exclus, tant qu'ils n'auront
pas modifié sinon leur organisalion politique (c'est
leur affaire), du moins l'esprit de leurs institutions:
autrement les peuples associés risqueraient de se
donner un maître. — Albert Lecort.
Collignon {L6on-Maxime), archéologue et
universitaire français, né à Verdun (Meuse) le
9 novembre 1849, mort à Paris le 15 octobre 1917.
Ses études secondaires se firent au lycée de Metz,
puis au lycée Louis-le-Grand (Paris). Admis
à l'Ecole normale supérieure (section des lettres)
en 1868, avec le numéro 6, il eut pour camarades
de promotion Gustave Bloch, Brochard, Richepin,
Charles Bayet, Bizos, etc. La guerre franco-alle-
mande interrompit sa préparation au concours
d'agrégation. Il fit la campagne de 1870. Agrégé
des lettres (classé second) en 1872, il fut nommé,
le 9 octobre de la même année, « chargé de cours
de rhétorique au lycée de Chambéry ». 11 était en
même temps professeur de littérature française à
l'école préparatoire à l'enseignement supérieur des
sciences et des lettres de cette ville. Un an plus
tard (1" octobre 1873), il fut reçu au concours de
l'école d'Athènes et fit d'abord son apprentissage à
Rome. En compagnie de l'abbé Duchesne, il fit, au
printemps de 1876, un long voyage d'exploration
archéologique en Asie Mineure. Il traversa les
contrées qui furent autrefois la Pariiphylie, la Pi-
sidie et la Gilicie, visita les villes de Bouldour,
Ermének et Tarse. Il explora aussi Tégée, dans le
Péloponèse, et ouvrit ainsi la voie à des décou-
vertes épigraphiques. A son retour en France, il
fut chargé du cours d'antiquités grecques et lati-
nes à la faculté des lettres de Bordeaux (3 octo-
bre 1876). Il fut le premier occupant de celte chaire,
dont il devint titulaire en 1879. Il soutint ses thèses
de doctorat es lettres en 1877. La Sorbonne l'ac-
cueillit le 8 novembre 1883, lorsque Georges Perrot
se fil suppléer dans la chaire d'archéologie de la
faculté des lettres. Le 25 janvier 1892, il devint pro-
fesseur adjoint assimilé aux titulaires, et, le 26 dé-
cembrel900, professeur d'archéologie en litre. L'Aca-
démie des inscriptions et belles-leltres l'avait élu
membre titulaire en 1894, pour remplacer l'archéo-
logue William Henry Watldington. Il présida cette
Académie en 1905. Il fut également président de la
Société nationale des antiquaires de France (1900).
581
vice-président du Conseil des musées nationaux, il
prit une part importante à l'enricbissemenl des
collections du Louvre. 11 était docteur, honoris
causa, de l'Université d'Oxford, correspondant de
l'Académie des sciences de Petrograd et membre
de plusieurs autres sociétés .savantes de l'étranger.
Sa thèse française : Essai sur Us monuments
grecs et romains relatifs à Psyché (1877) est une
étude historique de monuments figurés allant du
Le rui Fcr(lîn<ind de Itoumanic et son flis Charles (Carol).
Il" siècle avant Jésus-Christ au vi« siècle de notre
ère. L'examen des statues, pierres gravées, bas-
reliefs funèbres, représentations chrétiennes, a per-
mis & Collignon de suivre l'évolution du mythe :
d'abord allégorie gracieuse fondée sur un jeu de
mots {psuklié désignant, en grec, à la fois l'âme et
une sorte de papillon de nuit); puis .symbole philoso-
phique et religieux où les Romains attachèrent des
espérances consolalrices ; enfin, dans le christianisme
naissant, langage
imagé, quidégui-
sait aux yeux des
pa'iens les dog-
mes de la loi
nouvelle. — La
thèse lati ne :
Quid de collegiis
epiteborum apud
Graecos, excepta
Atticaex tilulis
epigrap h icis
commen t ari
liceat (Ce qu'il
faut penser, d'a-
près les textes
épigraphiques,
des collèges
éphébiques chez
les Grecs, l'At-
tique exceptée )
est une contri-
bution intéressante à l'étude d'une institution assez
mal connue à cette époque.
Parmi les autres publications de Collignon, on
peut relever, dans l'ordre chronologique : Catalogue
des vases peints du musée de la Société archéolo-
gique d'Athènes {ISIS); Manuel d'archéologie grec-
que (1881, relondu et mis au courant en 1907).
excellent ouvrage de vulgarisation, dont le succès
fut considérable; Mythologie figurée de la Grèce
(1883), autre bon manuel, silr et agréable; Carac-
tères généraux de l'archaïsme grec (1885) ;
Phidias (1886), plaquette adressée aux gens du
monde désireux de connaître le plus grand des
statuaires grecs, celui qui, « seul, a possédé le secret
de cette majestueuse simplicité, de celte grâce
puissante el flère, de celte noblesse divine qui don-
nent aux statues du Parthénon leur beauté radieuse
et leur éternelle jeunesse » ; Histoire de la céra-
mique grecaue (1888), œuvre posthume d'Olivier
Rayct, laissée inachevée par la mort prématurée de
l'auteur, terminée, mise au point et publiée par
Collignon ; Une belle coupe du Louvre (1889); His-
toire de la sculpture grecque (S vol. 1892-1896),
ouvrage capital, qui a fait oublier, même en Alle-
magne, le livre classique d'(.)verbeck et qui a été
traduit en allemand (Stra.sbourg, 1895-1898) ; le
Style décoratif à Rome. Les Stucs du musée des
Thermes (1897) ; la Polychromie dans la sculp-
ture grecque (1898) ; Notes d'un voyage en Asie
Mineure (1898), récit d'une visite aux fouilles de
Maxime Collignon.
582
Pergame; Perdante. Restauralion et description
des monuments de l'Acropole (1900). La restaura-
tioQ est de l'architecte Emmanuel Pontremoli, an-
cien pensionnaire de l'Ecole de Rome. CoUiénon
a résumé l'iiistoire de Pergame, décrit et classé
les monuments de l'art somptueux et colossal qui
plaisait aux Attales, souverains de ce « Versailles
asiatique » : Catalogue des vases peints du musée
national d'Athènes (1902), en collaboration avec
Louis Couve; Lysippe. Etude critique (1904);
Scopas et Praxitèle. La Sculpture grecque au
IV' siècle jusqu'au temps d'Alexand7-e{i901); Tête
d'Eros en marbre de la collection d'ilarcourt
(1907); une Sculpture d'Egine, tête d'Athéna en
marbre (1907); le Parthénon (1909 et suiv.), repro-
duction des monuments avec une notice de CoUi-
gnon; les Statues funéraires dans l'art grec (1911);
la Statuette d'Auxerre [musée du Louvre] (1913);
le Parthénon. L'Histoire, l'architecture et la
sculpture (1914), travail magistral; l'Archéologie
classique (1915), etc. — 11 a donné de noml)reux
articles à des périodiques : « Revue des Deux
Mondes », « Revue des études grecques », « Re-
vue archéologique », « Gazette des bL>aux-arts »,
« Journal des savants », etc. Il a collaboré aux
o Mémoires » de la Société des antiquaires et à
ceux de l'Académie des inscriptions. Depuis quel-
ques années, il était chargé, avec de Lasteyrie, de
la publication des Mo7iuments et Mémoires de la
Fondation Piot,
CoUignon n'était pas seulement un érudit, mais
aussi un artiste. Il dessinait et faisait de jolies
aquarelles. Son style n'est pas dépourvu de grâce.
S'il n'a pas fait de découvertes retentissantes, ni
construit d'ambitieuses théories, on lui doit de
bons livres, solides, bien ordonnés, élégants, qui
ont fait mieux connaître et admirer plus justement
l'art antique. — Jean debuse.
Électricité. (Son emploi en agriculture.)
Le sol de la France traverse, depuis le début de la
guerre et en particulier depuis ces deux dernières
années, une crise de production, dont les causes
sont multiples.
A lin vasion des riches contrées agricoles du Nord-
Est viennent s'ajouter deux causes principales, dont
Fig. J. — Treuil électrique Fillet, à bêche d'ancrage.
la première est, certainement, le manque de main-
d'œuvre provoqué par la moliilisalion de presque
tous les paysans en âge de porter les armes et par
la réquisition des bêtes de trait pour les besoins des
armées, et dont la seconde réside dans les procédés
de culture employés, qui, par suite de la routine et de
l'ignorance, sont restés, jusqu'à ces derniers temps,
à l'écart des grands progrés réalisés dans d'autres
pays. Il résulte de cet ensemble de causes que non
seulement la superficie des terres cultivées a dimi-
nué progressivement, mais encore que le rendement
à l'hectare, qui s'est amélioré presque partout grâce
aux nouveaux procédés de culture, abaissé en France
de façon appréciable dans ces dernières années.
Prenons pour exemple la production nationale du
blé : elle a passé de 81 millions de quintaux en 1913
à 76 millions en 1914, 60 millions en 1915 et 58 mil-
lions seulement en 1916, de sorte que, actuellement,
le déficit atteint 30 millions de quintaux, qu'il faut
combler par l'importation et qui, au prix de 60 francs
le quintal, représentent, avec les frais de transport,
une dépense de 2 milliards de francs, qu'il nous faut
payer chaque année à l'étranger pour notre blé
seulement.
Cette situation est tout simplement désastreuse,
et tous les esprits informés reconnaissent mainte-
nant la nécessité d'accroître le rendement de notre
sol par tous les moyens. Des projets de lois ont vu
LAROUSSE MENSUEL
le jour, et des comités se sont formés au sein des
deux Chambres françaises pour favoriser le déve-
loppement de la motoculture, qui apparaît à beau-
coup comme l'un des moyens le plus eflicaces de
remédier à l'état de choses actuel. Le projet déposé
par Grosnier (v. Jounxal officiel du 23 déc. 1916)
prévoit la création de 120 batteries de 10 tracteurs;
la dépense engagée atteindrait 30 millions de francs,
dont 13 pouf l'achat des tracleurs en Amérique, le
reste pour les remoi-ques, le fret, l'amortissement et
l'entretien. Les appareils seraient loués, puis reven-
dus parl'Etat auxagricuUeurs,quipayeraientde50à
60 francs par hectare labouré. L'auteur estime que
chaque tracteur pourrait labourer 300 hectares par an
et en moissonner 500. Tous ces chiffres sont discu-
tables et, d'ailleurs, l'emploi des tracteurs, très dé-
veloppé en Amérique, en raison de la superficie très
étendue des régions cultivables, serait plus restreint
en France, à cause de l'exiguïté des parcelles dans
la plupart des régions. C'est pourquoi les tracteurs,
malgré les services incontestables qu'ils sont appe-
lés à rendre dans des cas spéciaux, ne constituent
pas un remède unique et général au problème de
l'amélioration de la production agricole française.
11 nous faut donc chercher, à côté de ces engins
qui nécessitent une iinporlante mise de fonds et
consomment des combustibles, pétrole et charbon,
de plus en plus rares et coûteux, d'autres moyens
pratiques et rapides de remplacer, dans tous les cas
possibles, la main-d'œuvre agricole qui nous fait
défaut. Ces moyens nous seront donnés et le seront
de plus en plus, si nous savons nous en servir par
l'emploi de l'électricité, soit sous forme d'applica-
tions du moteur électrique, soit, direclement, par
son action physicochimique sur les végétaux (c est
l'électroculture proprement dite). Nous allons expo-
ser brièvement l'état actuel et l'avenir de ces diver-
ses applications,
I. Applications électromécaniques. — lin ce qui
concerne les applications du moteur électrique aux
travaux agricoles, il est logique, comme l'a fait Le-
cler, dont les recherches sur la question font auto-
rité, de diviser ceux-ci en travaux d'extérieur de
ferme ou travaux de culture proprement dits, qui se
rapportent à la préparation des récoltes, et travaux
d'intérieur, qui comprennent le traitement des ré-
coltes sous toutes ses
_ ^^.„_. formes et la nourriture
; des animaux.
i 1° Travaux exté-
rieurs de ferme, — Ils
comprennent la prépa-
ration du sol et 1 épan-
dage des engrais, le
labourage et les se-
mailles. Parmi ces tra-
vaux, les pi'emiers,
ainsi que les semailles,
qui demandent une dé-
pense d'énergie relati-
vement faible, se font
généralement àlamain
ou à l'aide de machines
simples, traînées par
des attelages. Par
contre, le labourage,
qui est le plus néces-
saire, est aussi celui
qui exige la plus
grande quantité d'é-
nergie ; c'est donc lui
qu'il faut surtout cher-
cher à améliorer. Les
nombreux essais de
labourage mécanique
tentés ces dernières
années répondent à ce besoin, lequel ne fera que
s'accentuer en France, avec la crise de main-
d'œuvre qui se fera certainement sentir longtemps
après la guerre encore. Depuis le début de celle-ci,
les essais de culture mécanique ont été nombreux et
concluants, et la question a fait d'énormes progrès,
puisque les agriculteurs commencent enfin I se lais-
ser convaincre. Il convient, d'ailleurs, de mettre
les choses au point et de ne demander à la culture
mécanique, c'est-à-dire aux tracteurs agricoles, que
ce qu'ils peuvent donner.
Or, toute la question du labourage se ramène, en
pratique, au remorquage d'une charrue h un ou
plusieurs socs, cet instrument étant, d'ailleurs (au
moins les charrues modernes), arrivé à un degré de
perfection tel que son rendement propre pourrait
difficilement être amélioré. Commentfournir l'effort
de traction nécessaire à ce remorquage de la char-
rue? Et, d'abord, quelle est la grandeur de cet effort?
Il dépend évidemment de la natiu'e du sol, de la
profondeur et de la largeur du sillon. En pratique,
il est, lorsque la profondeur n'atteint pas 30 centi-
mètres, proportionnel au produit de ces deux di-
mensions, c'est-à-dire à la section de labour : on
compte généralement de 35 à 50 kilogrammes par
décimètre carré pour les terres légères et de 50 à
70 kilogrammes pour les terres fortes.
Il reste h déterminer la profondeur du sillon et la
N' 140 Octobre 1918.
vitesse d'avancement de la charrue. En pratique, la
profondeur de labour est de 15 centimètres environ
pour les céréales et les cultures maraîchères et ne
dépasse pas 30 centimètres pour les cultures pro-
fondes comme celle de la betterave. D'autre part,
l'expérience indique que la vitesse d'avancement la
plus favorable est comprise entre 1 mètre et 1",50
par seconde. Il est facile, dans ce» conditions, de
calculer la puissance nécessaire au labour : il suffit
de mullipliei l'effort de traction calculé comme
nous l'avons dit par la vitesse d'avancement. On
trouve ainsi qu'une puissance effective de 100 che-
vaux environ serait nécessaire pour labourer en
une heure 1 hectare de terres légères; il en fau-
drait 150 pour des terres fortes.
Cetie puissance peut être fournie à la charrue soit
Far des tracteurs utilisés comme remorqueurs, soit à
aide de câbles enroulés sur des treuils moteurs fixes.
Le premier système a, sur le second, le grave désa-
vantage de gaspiller en pure perte une énorme quan-
tité d'énergie, par suite de Ih di fficulté qu'ont les trac-
teurs, quelle que soit, d'ailleurs, la largeur de leurs
roues (le système Caterpillar diminue cette difficulté
sans la supprimer), à progresser sur un sol aussi mou
et inégal que celui des champs : une bonne moitié de
l'énergie produite est ainsi dépensée, sans remède
possible, à écraser le sol, et n'est pas transmise à la
charrue. De plus, l'effort de traction croissant très
rapidement, dès que la profondeiu- du sillon dépasse
un certain chiffre, on est vite arrêté, avec les trac-
teurs, par le peu d'adhérence des roues sur le sol,
et l'on ne peut, en pratique, dépasser une profondeur
de labour de 30 centimètres. Ce sont là deux incon-
vénients graves des tracteurs : le système de labou-
rage par treuils y remédie complètement. C'est ici
que 1 électricité vient affirmer sa supériorité, pour
la compréhension de laquelle l'exposé succinct que
nous venons de faire de la question et de sa solution
par tracleurs était indispensable.
Les premiers essais de labourage électrique ont
été faits en 1S79 à Sermaize (Seine-et-Oise), à l'aide
de deux treuils remorquant par câble une charrue
basculante à six socs. Depuis cette date, les essais
se sont multipliés dans divers pays, soit à 1 aide de
charrues automotrices, dont le "moteur était ali-
menté par des accumulateurs (ce système, lourd,
encombrant et fragile n'a pas survécu), soit à l'aide
de treuils.
L'installation du labourage par treuils peut se
faire de diverses manières ; mais, de tonte façon, le
treuil doit être monté sur une voiture pour pouvoir
être amené facilement à pied-d'œuvre. La voiture-
treuil se compose d'un solide châssis supporté par
quatre larges roues métalliques de 1™,20 à 2 mètres
de diamètre et de 30 à 50 centimètres de largeur de
jantes, avec ou sans entretoises transversales pour
faciliter l'avancement en terrain meuble. Elle com-
porte parfois une bêche d'ancrage, constituée par
une longue plaque de tôle longitudinale, qu'on en-
fonce en terre à l'aide de crémaillères, afin d'éviter
tout glissement du chariot sons l'influence de l'effort
de traction latéral développé par le treuil sur le
câble. Le treuil est actionné par engrenages, par
un moteur éleclrii|iie de 50 à 80 chevaux, à couple
puissant. L'effort développé sur le câble est généra-
lement voisin de 4.000 kilogrammes à la vitesse
normale d'avancement; il peut dépasser 6.000 et
même 10.000 kilogrammes, au calage. Deux tam-
bours d'eni'oulement permettent d'emmagasiner de
400 à 600 mètres de câble d'acier de 10 à 12 mil-
limètres de diamètre; cette longueur est largement
suffisante dans la pratique, et il n'y a pas intérêt à
l'augmenter à cause de la friction du câble sur le
sol, qu'il y a lieu d'éviter le plus possible. Bien
entendu, le moteur du treuil sert également à l'avan-
cement du chariot à l'aide d'une transmission ou
d'un câble de halage spécial. Le chariot complet
ainsi constitué pèse de 10 à 12 tonnes. Ce poids peut
être réduit à 4 tonnes par l'emploi de la bêche
d'ancrage (treuil Fillet, fig. 1). La charrue, fixée
solidement au câble en un point convenable, est
toujours à bascule et à plusieurs socs (trois dans
chaque sens, le plus souvent).
Le labourage peut se faire soit h l'aide de deux
treuils placés de chaque côté du champ et grâce
auxquels on tire alternativement sur l'un ou l'autre
brin du câble, soit à l'aide d'un seul treuil : dans
ce cas, on installe à l'autre bout du champ un cha-
riot d'ancrage {fig. 2), doivt les roues sont munies
de couronnes en tôle, formant bêche d'ancrage et
portant une poupée de renvoi pour le câble. La
voiture-treuil comporte alors deux tambours, qu'on
actionne alternativement dans les deux sens, afin
de provoquer le va-et-vient de la charrue, qui bas-
cule aulomatiquement. Ce dernier système est de
beaucoup plus économique que l'autre, puisqu'il ne
comporte qu'un treuil, mais son rendement est
moindre, et il est préférable d'employer deux treuils
pour les labourages profonds et dans des sols durs
(landes à défricher, etc.). La figure 3 doime un
schéma des deux systèmes.
Le moteur électrique du treuil ne peut être ali-
menté qu'à une tension voisine de 500 volts. Une
tension inférieure conduirait & des sections trop
IV* 740. Octobre 1918.
fortes pour les flis conducteurs d'amenée du courant
et, d'autre part, une tension supérieure serait dan-
gereuse pour le personnel. Par suite de celte cir-
constance, la voiture-treuil ne peut guère s'éloigner
à plus de 1 kilomètre de la station génératrice du
courant. Si l'on ne dispose pas de lignes électriques
de distribution à la tension voulue, on a recours
soit à un groupe électrogène approprié, mais rela-
tivement coûteux, soit, de préférence, k des postes
de transformation automobiles, ou même à traction
animale. Ce sont des voitures renfermant un trans-
formateur abaisseur de tension, avec l'appareillage
nécessaire pour se brancher sur n'importe quelle
ligne aérienne de distribution desservant la région,
quelle que soit, d'ailleurs, la tension de celte ligne.
Le branchement est toujours un peu délicat, en rai-
son du danger des hautes tension^ généralement
usitées, mais celte solution est la seule vraiment
économique et pratique pourl'alimenlalion des voi-
tures-treuils, lorsque, bien entendu, la ligne de dis-
tribution n'est pas trop éloignée du domaine à
exploiter.
Il nous reste à examiner la question du prix de
revient du labourage électrique. Sans entrer dans
des calculs qui seraient intéressants, mais un peu
longs, nous adopterons les chilTres indiqués tout ré-
cemment par Delamarre, qui, pour une exploitation
de 350 hectares, évalue à 100.000 francs environ
(prix d'avaiil-guerre) la dépense à engager pour les
deux voitures-lreuils, les charrues, les lignes à
établir, le poste de transformation et les acces-
soires. A l'intérêt et à l'amortissement de ce capital
correspond une charge annuelle de 10.000 francs,
il laquelle on peut ajouter 5.000 francs pour l'entre-
tien. Les frais fixes s'élèvent ainsi à 15.000 francs,
soit 43 francs par hectare. Le courant électrique,
compté à 0 fr. 20 le kwh. et k raison de 70 kwh.
par hectare labouré, correspond k une dépense an-
nuelle de 15 francs par hectare. Il faut ajouter
B francs par hectare pour le salaire des ouvriers.
Au total, la dépense à l'hectare ressort & 63 francs
par an. Pour une exploitation plus étendue, cette
dépense, qui se compose, pour les deux tiers, de
frais d'inslallalion peu variables, s'abaisserait en-
core, surtout si les treuils étaient employés il des
travaux accessoires supplémentaires: sarclage,
hersage, etc. Mais, dès maintenant, elle est déjà
plus faible que celle qu'exige le labourage par
tracteurs: celui-ci atteint, en effet, au moins
80 francs à l'hectare, non compris le combustible,
qui doit être fourni par l'exploitant et qui est
souvent introuvable.
Si, maintenant, nous comparons le labourage
électrique au labour par attelages de chevaux ou de
rnn
[H
gr
ii
Voiture I
1H~W
Fig. i. — Cbai-iul ddQcrage pour ie labourage électrique par treuU.
bœufs, presque uniquement usité en France, il
semble, à première vue et si l'on néglige le résul-
tat obtenu, que ce dernier est de beaucoup plus
économique. Mais, en réalité, les deux méthodes
ne sont nullement comparables, carie travail effec-
tué n'est pas du tout le môme. Le labourage élec-
trique permet, en effet, d'atteindre facilement des
profondeurs de 30, 40 et même BO centimètres,
inconnues jusqu'alors, et le résultat de celte pra-
tique se traduit par une augmentation considérable
du rendement à l'hectare (25 à 35 p. 100 en moyenne
pour le labourage à 30 centimètres de profondeur,
davantage encore pour desprofondeursplus grandes).
Il y a là, pour l'agriculteur, une source de profils
nouveaux, qui conlre-balancent cerlainement, dans
une grande mesure, si môme ils ne la dopassent, la
différence en faveur du labourage par tniction ani-
male. El, d'ailleurs, la question principale n'est pas
là : elle est dans l'intensification de la production
nationale.
LAROUSSE MENSUEL
Il n'en reste pas moins vrai que le labourage élec-
trique est surtout inléressant pour les exploitations
un peu importantes (200 hectares au moins) et le
devient d'autant plus que le domaine est plus étendu.
Etant donné qu en France les domaiues de cette
étendue sont les moins nombreux, il conviendrait
de favoriser par tous les moyens les ententes entre
fermiers et les coopératives agricoles, en vue de
l'achat et de l'usa^re en commun du matériel néces-
saire. Il faut, d'ailleurs, ajouter cette condition que
l'énergie électrique ne soit pas trop éloignée et
puisse être livrée à des prix assez bas
par les sociétés de distribution (20 cen-
times par kwh. au maximum). Ces
deux conditions essentielles ne deman-
deraient, pour être réalisées, qu'une en-
tente permanente entre les agriculteurs
et les secteurs électriques, qui auraient,
les uns et les autres, le plus grand
intérêt à étudier de près la question et
à la réaliser promplement, l'iulérôt
national se confondant, ici, avec leurs
intérôls particuliers. C'est, d'ailleurs,
des secteurs vendeurs d'énergie que
doit logiquement venir l'initiative en
celle matière. Certains l'ont déjà com-
pris : nous citerons comme exemple
celui de l'Omnium français d'électricité,
qui est parvenu, en pleine guerre et
en pleine zone des armées, k créer une
coopérative de labourage électrique
dans la région de Meaux et à y donner,
en 1916 et en 1917, des démonstra-
tions publiques de grande envergure
qui ont fait au nouveau mode de culture un grand
nombre de partisans et grâce auxquelles on peut
dire que la question est dès maintenant résolue
avec un plein succès.
2° Travaux intérieurs de ferme. — Bien que ces
travaux exigent, en général, une puissance moins
considérable que le labourage, ils se prêtent admi-
rablement, par leur nature et parleur diversité, à
l'application du moteur électrique, et ils sont, grâce
à lui, susceptibles d'un développement presque
illimité.
Les machines agricoles peuvent toutes, en gé-
néral, être actionnées facilement et économique-
ment par des moteurs électriques. Pour le bat-
tage des céréales, par exemple, il convient parti-
culièrement bien en raison de la régularité de
la charge qui permet au moteur de travailler
toujours à plein rendement. Les batteuses usuelles
absorbent, en effet, à peine plus d'énergie en
charge qu'à vide, par suite de la grande inertie
des masses en mouve-
.^ ment (batteur) et de
leur vitesse considé-
rable. Les batteurs
tournent, en effet, à
des vitesses de 800 à
1.000 V"'. tout i f»''
convenables pour l'ac-
couplement direct à
l'arbre d'un moteur
électrique de la puis-
sance nécessaire : 5 à
8 chevaux. Cette cons-
tance de la puissance
a deux avantages prin-
cipaux : 1» elle four-
nit un meilleur travail
que par l'emploi des
locomobiles à vapeur,
dont le fonctionne-
ment est toujours assez
délicat et capricieux;
2° il est possible de
n'employer, pour l'ali-
mentation du moteur,
qu'une centrale très
faible, un petit groupe
électrogène, par
exemple, qui servira
également, quand la
batterie sera arrêtée, à 1 alimentation de tous les
autres moteurs de la ferme. Ajoutons à cela que le
battage éleclrique ne présente aucun danger et
qu'il n'y a pas à redouter, avec lui, les accidents
nombreux dus aux transmissions par courroie ou
aux incendies qui sont le fait des locomobiles à
vapeur.
En ce qui concerne la nourriture du bétail, cha-
cun sait l'intérêt qu'il y a à diviser les aliments le
?ilus possible, de façon à rendre la digestion plus
acile. A cet effet, l'on emploie une série d'instru-
ments variés : concasseurs, broyeurs, hache-pailles,
coupe-racines, etc., qui, tous, sauf peul-être les
derniers, exigent une puissance mécanique trop
grande pour pouvoir être mus k bras. Le moteur
électrique peut s'y adapter très facilement, soit
direclement, soit par l'intermédiaire d'une courroie
ou d'un engrenage. On évite ainsi des pertes de
temps et des fatigues inutiles, et la consommation
du courant est, d'ailleurs, très faible, la puissance
583
nécessaire dépassant rarement S chevaux. De plut,
les matières peuvent être ainsi plus finement
divisées, les graines surtout, et, par suite, mieux
assimilées par les animaux. Sans décrire ici ces
différentes machines (v. au Nouv. Lar. ill.)
nous ne ferons qu'indiquer (c'est, du reste, fi
côté pratique de la question) les puissances né
cessaires et les consommations par rapport au poids
de matières traitées. Elles sont évidemment très
variables.
'Voici, néanmoins, quelques chiffres, extraits des
Câble
Charrue
r~ifl
18'Avec 2 voitures treuils
IH-J]
Voiture 2
_. Poupée dé renvoi
'il 2?Avec une voiture a double treuil ir Hi
(/oiture treuil et chariot de renvoi Chariot d'ancrage
Fig. 3. — Schéma d'une iDBtallation de labourage électrique par treuils.
travaux de Lecler et généralement adoptés dans
les avant-projets d'inslallations agricoles :
DÉSIGNATION
DES MACHINES
Mues électriquement
PUISSANCE
en
CHEVAUX
WATTHEURES
Consommés
rar 100 kUojîr.
de maUèn-s
travaiUées
Moulin à blé
1
ÎOOO
2000
1000
Petit aplatisseurd'avoioe.
0,5 à I
Batteuse perfectionnée. . .
5à8
1000 à 500
Petite batteuse
îàl
500 à 400
(orge .
Concasseur à meule /avoine
800
1 à 2
600
(maïs .
400
Grand aplati sseurd'avoine.
1 à3
300
Broyeur d'ajoncs
0,3 àl
400
Broyeur de tourteaux. . . .
0,5
200
„ . ... 8 millimèt".
Hache-paille , .„. ,
" 15 miUiraèt".
1
400
300
Elévateur de paille par ven-
1 à3
0,5
300
250
Ecrémousc
Coupe-racines
0,3 à 1
30 à 20
On voit que, pour l'alimentation de toutes ces
machines, une puissance maximum de 5 à 8 chevaux
est largement suffisante. Si l'on produit soi-même
l'énergie au moyen d'un groupe électrogène, on
pourra toujours s'arranger pour maintenir une
charge convenable afin de marcher dans de bonnes
conditions de rendement : par exemple, il sera fa-
cile d'actionner à la fois trois ou quatre appareils
de 0,5 à 9 chevaux, de façon à maintenir une charge
voisine de la normale. Un même nioleurpeut, d'ail-
leurs, à l'aide d'une courroie mobile, commander
successivement ou simultanément plusieurs ma-
chines : broyeurs, presses à fruits et à fourrage,
scies circulaires, treuils pour monter les fourrages
aux étages supérieurs, pompes à purin ou à irriga-
tion, refoulant 12 mètres cubes k l'heure à la hauteur
de 4 mètres et consommant moins d'un cheval.
(Cette dernière application est particulièrement in-
téressante pour les domaines privés de cours d'eau;
elle a, d'ailleurs, été résolue également par moteur
à vent, accouplé ou non à une génératrice de cou-
rant continu avec batterie d'accumulateurs.)
Le genre de courant qui convient le mieux pour
l'alimentation des moteurs agricoles est le courant
alternatif triphasé, à la fréquence de 85 ou 50 pé-
riodes par seconde. Les transformateurs, quand on
en emploie, doivent avoir de faibles pertes à vide,
afin de ne pas gaspiller de l'énergie iniililement
lorsque la charge est faible, et posséder une grande
capacité de surcharge pour parer aux à-coups assez
fréquents (avec les broyeurs surloutl. Il en est de
môme des moteurs, t^ui'doivent êlre calculés large-
ment : leur tension d alimentation la plus favorable
est de 210 volls entre fils extrêmes (entre phases), ce
qui donne, entre chaque fil (phase) et le fil neutre la
tension de lïO volts généralement adoptée pour
l'éclairage. Ces moteurs sont d'un maniement très
simple et ne comportent, jusque vers 5 chevaux,
d'autre dispositif de démarrage qu'un simple inter-
rupteur. Les réseaux de lignes électriques, loin
d'attirer la fondre sur les récolles, constituent, au
584
contraire, le fait est reconnu, une protection efficace
contre ses dangers. Somme toute, bien que le mo-
teur électrique soit encore, dans certains cas, con-
currencé par le moteur à pétrole, on peut dire
qu'actuellement l'iiésitalion n'est plus permise, dès
que l'on a à sa disposition l'énergie électrique né-
cessaire à bon compte. Le moteur électrique a, en
effet, sur son rival des avantages certains d'éco-
nomie, de sécurité, de facilité de mise en route et
d'entretien, qui en font le moteur agricole de l'avenir.
SI, maintenant, l'on cherche à rapporter à la su-
perficie du sol à cultiver la puissance électrique
nécessaire à une exploitation agricole donnée, on
trouve des chiffres assez différents suivant la nature
du sol, les habitudes des agriculteurs, les besoins
1.5
a;
\
\\
'orct
.umi
motr
ère
ice
/
\
\
\
/
/
V
X
-._
\
/
•
--"
.—
février
Mars
Avril
Mai
Juin
Juillet
Août
Septemb
Octobre
Novemb
Deceml
T'ig, 4 — Consommation mensuelle en kilowattheures, pat" hectare,
d'une grande exploitation de 2â0 bectai'es.
des cultures et du bétail. Néanmoins, on admet gé-
néralement, avec Lecler, que, pour les réglons de
petite culture, une vingtaine de kilowatts par hec-
tare et par an sont nécessaires, tandis que, pour la
grande culture, une douzaine seulement suffiraient,
dont deux pour la lumière et dix pour la force. (Cer-
tains auteurs allemands trouvent ces chiffres insuf-
fisants, et il est bien difficile de donner des préci-
sions tenant compte de toutes les circonstances.) La
dépense est, d'ailleurs, très variable suivant les sai-
sons {fy. /i) et suivant les habitudes locales. C'est
ainsi que, dans certaines régions, les battages se font
immédiatement après la récolte, c'est-à-dire en
août, alors que, dans d'autres, ils se font pendant les
mois d'hiver, le soir, à temps perdu, lorsque les tra-
vaux manquent à l'extérieur. (C'est le cas de la fig. 4 .)
Il y a là des habitudes déplorables au point de vue
de la bonne marche des usines électriques, qui ont
intérêt à avoir une charge aussi constante que pos-
sible. Elles pourraient, d'ailleurs, y remédier en con-
sentant aux agriculteurs des tarifs plus favorables
aux heures de moindre charge (nuit ou milieu du
jour) ou pendant les mois d'été.
La question du tarif à appliquer est, d'ailleurs,
complexe. Le tarif au kilowattheure consommé
pousse l'agriculteur à une économie préjudiciable
aux deux parties; le tarif au cheval installé le pousse
à choisir des moteurs trop faibles et empêche l'ex-
tension de l'installation. 11 semble que le meilleur
système consisterait à établir un régime forfaitaire,
ayant pour base la superficie de la propriété, ou bien
encore le nombre de têtes de bétail. Ce système a
donné, aux essais, de bons résultats, mais il n'est
applicable qu'à la force motrice, la consommation
inutile de force n'étant pas à craindre, du culti-
vateur en général, et de l'agriculteur français en
particulier. Pour l'éclairage, il est préférable de
conserver la tarification au compteur, qui a fait ses
preuves et qui évite tout gaspillage. Les tarifs pour-
raient, en outre, varier suivant les heures -ou les
saisons, comme nous l'avons dit. Quoi qu'il en soit,
l'énergie électrique est actuellement produite dans
de. conditions telles de bon marché, soit dans les
centrales à vapeur, soit, surtout, grâce à la houille
blanche, qu'il est dès maintenant possible de la dis-
tribuer à Don compte pour le plus grand profit de
l'agriculture française, qui a tant besoin d'être re-
levée et développée, si nous voulons revenir à une
juste appréciation du prix de la vie
(V. dans un prochain article la suite de notre sujet :
Vélectroculture proprement dite). — Jacques PAtain.
LAROUSSE MENSUEL
Exotisme américain dans l'œuvre
de Cliateaubriand (l'), par Gilbert Thinard
(Paris, 1918). — Ce n'est point seulement d'aujour-
d'hui que l'Amérique esta la mode en France. Elle
le fut déjà par le passé et, sans revenir sur la parti-
cipation française aux luttes pour l'indépendance, il
est curieux, en ce moment, de noter le goûtque nous
eûmes toujours pour les choses d'outre-mer. "Voici
un livre d'aclualilé, bien que les faits qu'il étudie
soient déjà vieux de plus de cent ans et que les
coutumes qu'il nous présente paraissent plus an-
ciennes encore.
Son auteur est professeur à l'Université de Cali-
fornie; il est, par cela même, l'un de ceux auxquels
on doit le rapprochement franco-américain. Les
échanges de professeurs et d'élèves, déjà commen-
cés avant la guerre, se multiplieront, il faut l'espé-
rer, après la lin des hostilités. Si, un jour, la Société
des nations doit s'organiser, nul n'y aidera davan-
tage que ces jeunes maîtres, qui vont dans les Uni-
versités étrangères porter la parole de France et
dans les Universités françaises faire connaître l'âme
étrangère. Précieuse, à plus d'un titre, est cette
collaboration internationale. L'ouvrage de Gilbert
Chinard nous en fournit un nouveau témoignage,
car il est vraisemblable que le
livre serait autre, et moins
riche de renseignements, s'il
avait été écrit par un Fran-
çais qui n'eût jamais quitté
la France.
On connaît les discussions
qui se sont élevées, il y a
quelques années, sur la réalité
sinon du voyage de Chateau-
briand en Amérique, du moins
de l'itinéraire qu il avait suivi
au cours de ce voyage. En
réalité, si, sur des points de
détail, la vérité a été faite, la
question, dans son ensemble,
n'a jamais été résolue.
Chateaubriand dès son en-
fance, sous l'influence des
êtres qui l'entouraient, des
lieux au milieu desquels il
vivait, eut un goût singulier
pour l'isolement. Les pages
fameuses des Mémoires d'ou-
Ire-lomhe sont às.na toutes les
mémoires :
Mon esprit se remplissait
d'idées vagues sur la société, sur
SOS biens, sur ses maux'. Je no
saisquello tristef-se me gagnait...
Au milieu de cette rêverie, si le
vent m'apportait Je son du ca-
non, d'un vaisseau qui mettait
à la voile, je tressaillais, et dos
larmes mo mouillaient les yeux.
Et, si un marin dévoilait
devant lui le secret des tem-
pêtes, il écoutait, il regardait,
sans dire une parole, « mais,
la nuit suivante, écril-il, je
n'avais plusde sommeil, je la
passais à livrer en imagina-
lion des combats ou à décou-
vrir des terres inconnues ».
Carie goût de l'Isolement ne
se suffit pas à lui-même, mais il
s'accompagne toujours du dé-
sir passionné de remplir la
solitude, qu'on a pourtant cherchée, par des aven-
tures imaginaires.
II n'était point, d'ailleurs, jusqu'aux lectures qu'il
fit, lectures pieuses, comme celle des Lettres édi-
fiantes et des relations des Pères jésuites ou lectures
philosophiques, comme celle de l'Histoire philoso-
phique des deux Indes qui ne devaient le pousser
plus avant dans la voie où, naturellement, il s'était
engagé.
11 faut noter, d'ailleurs, que, bientôt, ce fut, plutôt
que par mélancolie, par désir de gloire et d'action,
par enthousiasme, qu'il s'exalta vers les pays loin-
tains. Tant d'ardeur est en lui que, si ses rêves ne
se réalisent point à l'Instantmême où ils l'émeuvent,
il s'en détourne par dégoût et lassitude déjà. Ainsi,
il abandonne un voyage aux Indes, projeté, mais qui
tarde trop au gré de ses désirs; et il faudra, à Paris,
les conversations de M. de Maleshtrbes pour de
nouveau l'incliner vers les voyages et lui donner
l'idée d'embarquer pour l'Amérique du Nord. Mais
ce n'est point en poète qu'il prétend voyager. Ce ne
sont point les mœurs des Indiens qu'il se propose
d'étudier et, plus que des images, ce sont des faits
scientifiques qu'il va chercher. La gloire qu'il en-
tend retirer de son exploration n'est pas une gloire
littéraire. 11 veut attacher son nom à une grande
découverte géographique, et c'est comme savant
qu'il quitte Paris, en janvier 1791. Il avait alors
vingt-deux ans.
Le Soini-Pierre, sur lequel il s'embarque à Saint-
Malo, mit à la voile le 8 avril, et le récit que Cha-
teaubriand a laissé de sa traversée, si on le com-
If 140. Octobre 1918.
pare aux relations de ses compagnons de voyage,
est exact.
A l'annonce de l'Amérique, le nouveau voyageur
ne fut pas loin de se croire un nouveau Christophe
Colomb et sentit surgir en lui toute la fierté des
premiers explorateurs. Mais ces sentiments ne fu-
rent point seuls à le troubler, et la variété des
paysages, la nouveauté des odeurs, la vivacité des
couleurs, l'abondance de la végétation dépassaient
son attente et confirmaient ses illusions.
Le Saint-Pierre était arrivé à Baltimore le 10 juil-
let. Chateaubriand devait se rembarquer pour l'Eu-
rope le 10 décembre de la même année. Ce sont
donc cinq mois qu'il passe en Amérique. Que fit-il
pendant ces cinq mois? Il arriva le 13 juillet à Phi-
ladelphie, et l'accueil qu'il y reçut lui fit entrevoir
que le but scientifique de son voyage était manqué.
Mais, s'il ne devait pas trouver le monde polaire qu'il
cherchait, il rencontra du moins une nouvelle muse.
New-York, Boston, Albany sont ses premières
étapes. D'Albany, il va droit devant lui, au ha-
sard, pour le plaisir de se sentir seul, dans le
désert; il traverse le Mohawk, campe sur le bord
du lac des Onondagas, arrive à Niagara par les
territoires nouvellement défrichés de la Geneseh
Chateaubriand, tableau de Girodet, portrait offert par Mm* Récamicr au musée de Saint-Malo.
Ligne à ligne, on peut contrôler le voyageur par
un de ses successeurs, et il ne semble pas douteux
que ce voyage au Niagara soit bien réel. On peut
en suivre chez Gilbert Chinard la démonstration
concluante. Mais la suite du voyage est plus difficile
à vérifier. Chateaubriand a-t-il vu de ses yeux les
paysages du Mississipi qu'il a peints dans ses œuvres,
ou les a-t-ll reconstitués à I aide de ses prédéces-
seurs, ou les a-t-il fait jaillir de son imagination?
C'est là la question.
Il est évident qu'en quelques semaines il n'a pas
pu parcourir l'Ontario, l'Erié et le lac Supérieur.
Joseph Bédier a clairement démontré que la plupart
des passages concern-ant la Floride sont empruntés
à la Description de la Floride de John Bartram.
En admettant même que Chateaubriand ait suivi un
itinéraire plus court, si l'on compare son texte à
celui de voyageurs contemporains, si l'on détermine
quel était l'état du pays qu'il a prétendu traverser,
les moyens de communication qu'il pouvait avoir &
sa disposition, il semble matériellement impossible
qu'il ait suivi cet itinéraire jusqu'au bout. Ce qui
est exact, c'est qu'après avoir vu le Niagara, il lui
restait deux mois avant de se rembarquer pour l'Eu-
rope; deux mois, pendant lesquels il a certainement
voyagé. Où? Il n est point possible de le savoir au
juste aujourd'hui; mais, ce que nous savons, c'est
qu'il rapporta en France, de ce voyage, sinon des
idées politiques très nettes, du moins des paysages
et des sensations, paysages et sensations authen-
tiques. Le jeune homme qui, en décembre 1791, fai-
sait voile vers la France, n'était pas le même que
N' 140. Octobre 1918.
celui C|iii, six mois auparavant, faisait voile vers
l'Amérique. Il n'avait point perdu, pourtant, ses
illusions :
Toutes mes illusions étaient vivantes (éarira-t-il plus
tard); rien n'était épuisé en moi; l'énergie même de mon
existence avait doublé par mes courses. J'étais tourmenté
de la muse.
C'est cette muse qui est nouvelle. Elle lui tint
compagnie aux veillées des bivouacs de l'année du
Hhin. Peu à peu, soit par la méditation, soit par
les récits qu'il faisait de ses souvenirs de voyage, il
donna forme à ses rôves et corps k ses héroïnes.
Ces rêves allaient se préciser encore dans les sept
ans d'exil passés en Angleterre, et le visage, les
attitudes, les sentiments de Charlotte Ives, la fille du
ministre protestant de ce petit village du comté de
SulTolkoù Chateaubriand s'était engagé comme pro-
fesseur de français, allaientdonner la vie aux images
qui s'efforçaient à vivre en lui. C'est sans doute là,
k Bungay, que se dessina le caractère de René et
3 ne prit naissance le thème principal des Natchez,
'Atala, de tiené, des Martijrs, du Dernier des
Abencérages, le thème du départ, qui est devenu
le thème essentiel des romans exotiques. Et, en
même temps, la misère de la vie oii était réduit le
poète lui donnait la nostalgie des grandes solitudes,
où l'homme vit heureux et libre. Ce fut, sans doute,
en ces jours qu'Alala prit forme. Sans doute, Chac-
tas et Atala n'étaient pas d'une espèce inconnue en
France. L'exotisme américain avait été à la mode
aussi bien au xviiio siècle qu'au xvu", et les histoires
d'amour d'un Européen avec une sauvagesse avaient
été souvent contées. Dans le temps même de la
Révolution, des œuvres analogues avaient été pu-
bliées, et il n'est point douteux que Chateaubriand
tira parti de ces œuvres : ainsi le conte d'Azakia et
Celario, paru dans le numéro de mai 1798 de la
« Bibliothèque britannique de Genève », et que l'on
a voulu même atlriliuer à Chateaubriand; ainsi
Odérahi, histoire américaine conlenant une pein-
ture fiilelle des kabilans de l'intérieur de l'Amé-
rique septentrionale, que l'on pourrait croire une
contrefaçon éhontée d' Atala, tant sont grandes les
analogies, si l'on ne savait, de façon certaine, qu'elle
a été publiée en 1798. Bans Odérahi, on voit, pour
la première fois, ce qui est l'élément principal de
l'exotisme sentimental dans les romans de Chateau-
briand, c'est-à-dire « la lutte, dans le cœur d'un
homme, de sentiments que rien ne peut arriver à
concilier : amour de l'indépendance, de la vie libre
et insouciante des peuples primitifs et regrets de
son existence antérieure de civilisé ».
C'est dans Cliarlevoix, dans l'Histoire et descrip-
tion générale de la Nouvelle-France, parue à Paris
en 1744, que Chateaubriand trouva le sujet des Nat-
chez; mais Charlevoix ne fut pas son seul modèle.
Dumont de Montigny, Le Page du Pralz, Bossu
avaient publié des relations des mêmes faits. Cha-
teaubriand les suivit de fort près et respecta, dans
l'ensemble, la vérité historique. Sans doute, trop de
LAROUSSE MENSUEL
souvenirsdesépo-
pées classiques
viennent donner
au poème quelque
chose de factice
et de convention-
nel. Mais on a, par
la suite, singuliè-
rementexagéréce
qu'il pouvait y
avoir de factice.
11 suffit de compa-
rer le texte du
poète au récit des
annalistes de la
Louisiane pour se
rendre compte
que l'auteur des
Natchez a essayé
de faire revivre
une nation dispa-
rue et a tenté une
véritablereconsli-
tution historique.
Sa documenta-
tion, dit Gilbert
Chinard, est aussi
consciencieuse
que celle deFlau-
liert écrivant Sa-
lammbô. Bien des
faits et détails, en
effet, que l'on croit
homériques, sont,
en réalité, très in-
diens. Et les
témoignages des
spécialistes, si
l'on prend la peine
de s'y reporter,
justifient toujours
le poète.
11 en est de
même des carac-
tères. Si, sans
doute, Chactas
connaît trop bien
la philosophie du
xviii" siècle, il
n'en reste pas
moins que l'en-
semble des carac-
tères secondaires
est aussi vrai
qu'on peut le dé-
sirer.
René, le civi-
lisé qui veut renoncer à la civilisation, Céluta,
Mila, les petites épouses de la Louisiane du
XV III» siècle, sont des types généraux et vrais, qui
S85
Fun^rullei d' Atala. tableau do Qirodst (IK08, Loutre).
Le P6re Aubry et Chactai vont dépoaer dans la fosse qu'ils ont creusée le corps de la belle Indienne, dont les mains Jointe* sur
U poitrine retiennent un cruclllx. Chactas, assis sur une pierre. les pieds dans la fosse, tient embrassés les genoux d' Atala. La tête de
la jeune lllle repose $»r toe bras do rerœite, qui la soutient de l'autre cote. On lit sur un rocher cette InscrlpUon empruntée au Livre de
Job I « J'ai passe comme la fleur ; J'ai desséché comme l'herbe des champs, m
Cataracte du Niajrara. — Le Niagara est un tronçnn du fleuve Saint-Laurent, qui. entre les lacs Erié et
Ontario, sépare les Etats-Unis du Canada. Large de oOO à plus de 3.000 mètres, il arrive par des rapides a son
saut de i7 mètres, divisé par l'ile de la Chèvre en une cataracte canadienne et une cataracte américaine. l4
masse d'eau, qui s'abîme avec un bruit de tonnerre, plonge dans une gorge entre parois droite* de 60 mètre*
de hauteur, où ta rivière, profonde de plus de 50 mètres, ondule violemment ou se brise en éuormea tour-
billons, puis s'apaise en tournoyant dans W fameux Whirpool ou Remous.
inlroduisenl dans la littérature française un senti-
ment nouveau. René ne change point d'abord de
caractère; mais, lorsqu'il s'abandonne à de nou-
velles sensations, à de nouvelles idées, il n'y trouve
point l'appui qu'il pensait y rencontrer. Ses illu-
sions de jour en jour disparaissent. Dans la soli-
tude, c'est lui-même qu'il retrouve, avec ses amer-
tumes et ses tristesses. Un seul fait lui apparaît,
c'est qu'il ne peut pas s'adapter à l'état de nature,
pas plus qu'il ne peut, désormais, s'accommoder de
la vie civilisée. Mais, en face de René, il faut voir
Céluta, et devant l'âme compliquée, sans élans,
maladive d'un civilisé, l'âme simple, enfantine et
douce d'une sauvagesse. A côté de la douleur de
celui qui part, il y a le déchirement de celle qui
reste. Et, avant même la tragique séparation, il y a
le conflit entre l'amour de la sauvagesse et les
habitudes de sa race. Et tout cela fait de Céluta une
femme vivante, et une femme de son pays. 11 en est
de même de Mila.
Une dernière étape était à franchir : l'état de
nature et la civilisation se rencontrant dans un seul
être humain. C'est Atala, fille d'une Indienne chré-
tienne et de l'Espagnol Lopcz.
La couleur locale, da.as Atala, est une des choses
que l'on a reprochées le plus à Chateaubriand. Les
ours qui s'enivrent de raisins, les serpents verts,
les hérons bleus, les flamants roses, les perroquets
k tête verte ont semblé sortir de l'imagination du
poète. Gilbert Chinard, en citant les voyageurs
contemporains, a montré avec quel soin Cnateau-
briand s'était renseigné et l'exactitude de la plupart
de ses notations. L'auteur de René n'a pas vu peut-
être tout ce qu'il décrit, mais il n'a rien avancé
qu'il ne l'ait lu dans des ouvrages dignes de foi. Et
ce n'est point seulement dans ses ''escriptions gran-
dioses, mais encore dans les touches légères, dans
les détails les plus menus dont est semé son poème
qu'il est impossible de le reprendre. Ce ne sont pas
seulement ses paysages qui sont exacts, mais aussi
la vie quotidienne des véritables Indiens il laquelle
il nous fait assister, leurs coutumes et leurs usages.
On n'y trouvera pas un trait qui ne soit vt>rifl&ble
chez les voyageurs qui, au commencement da
xix» siècle, faisaient encore autorité.
Et cette démonstration n'est, sans doute, pas le
moindre intérêt du livre de Gilbert Chinard, qui
S86
en nous faisant mieux connaître Chateaubriand,
nous découvre des lumières nouvelles sur l'Amé-
rique. — Jacques BoHPAKD.
Favé (Louis), ingénieur-liydrograplie français,
né à Paris le 18 juillet 1853. Ancien élève de l'Ecole
polyleclinique, oil il entrait en 1873, Louis Favé en
sortit dans le corps des ingénieurs-hydrographes de
la marine. La première mission Hydrographique
qui lui fut confiée, en 1876, eut pour oljjet le relevé
de la baie de Saint-Jean-de-Luz et des abords de La
Pochelle; le travail fut exécuté sous la direction de
Bouquet de La Grye.
Depuis celte date et pendant plus de vingt ans,
d'abord comme membre, puis comme directeur de
missions hydrographiques, il effectua de nombreux
levés, et le nombre de caries et de plans qui lui
sont dus est considérable : il contribua aux levés
de la rade de Brest (1S77), de l'estuaire de la Somme
et de ses abords (1878), des abords de Dunkerque
(1879), de l'estuaire de la Seine (1880), de l'embou-
cburedelaPenzé
à Saint-Pol-de-
Léon (1883), des
côtes de la Corse
(1884 et 1883).
Envoyé, en 1S81,
sur l'aviso }'(ir-
seval, pour faire
des relevés en
Extrême-Orient,
il s'y trouvait
encore en 1882,
lorsque les Pa-
villons Noirs en-
vahirent le Ton-
kin; l'aviso Par-
seval reprit son
rôle militaire, et
Louis Favé fut
attaché à l'état-
Louia Favé. major du com-
mandant Ri-
vière; il fit de nombreuses reconnaissances sur le
neuve Rouge, à peine exploré à cette époque, et
poussa jusqu'aux premiers rapides.
En 1886 il effectuait le levé de la barre del'Adour
et du lleuve jusqu'à Bayonne; en 1887 et 1888,
celui de la côte nord-ouest de Madagascar; en 1893,
le levé des abords de la digue de Cherbourg. Enlin,
en 1895 et 1896, à bord de l'avi.so Chimère, il diri-
gea la revision de la côte sud de France, depuis la
fronlière d'Espagne jusqu'à l'est de la rade d'Hyères ;
Louis Favé se chargea lui-même de la triangulation
entre La Giotatet Saint-Tropez
On lui doit aussi l'établissement de bases de
vitesse à Toulon (1886, 1899 et 1904), au Havre (1897)
et à Bizerte (1904).
En dehors de ces nombreux levés hydrographiques,
Louis Favé s'occupa tout particulièrement de la
détermination du point. En 1887, il inventait un
instrument {pointeur de statio7is) susceptible de
pointer rapidement, sur une carte, une station déter-
minée par deux segments capables d'angles qui
sont connus; la même année, dans le levé qu'il fit
des côtes de Madagascar, il employa un nouveau
procédé de calcul des points déterminés par des
segments capables; en 1892, en collaboration avec
Rollet de l'isle, il a donné un procédé graphique
très simple pour la détermination du point, l'abaque
correspondant donne une approximation d'une mi-
nute d'arc et peut être utilisé pour les problèmes
courants de la navigation et la résolution des trian-
gles sphériques. 11 s'est également occupé de la
détermination du point en ballon. 11 a inventé, à cet
effet, plusieurs dispositions spéciales d'appareils per-
mettant de rendre possible et rapide la mesure de
hauteurs d'astres ; ces appareils sont munis d'un sys-
tème très efficace d'amortisseur barbelé, que Louis
Favé avait imaginé en 1904 et déià utilisé pour
les boussoles de topographie et les compas de ma-
rine; il a aussi indiqué une méthode graphique
permettant, avec deux mesures de hauteur, de
déterminer la position du ballon et, depuis le début
de la guerre, il a encore perfeclionné cette méthode
et inventé un quadrant à niveau sphérique, destiné
à la mesure des hauteurs d'astres. On lui doit éga-
lement un procédé spécial pour le repérage par le
son des pièces ennemies.
Louis Favé s'occupa aussi du phénomène des
marées; il a inventé un marégraphe plonqeur,
destiné à enregistrer les marées sur les côtes et
au large. On comprend tout l'intérêt pratique
qui se rapporte au relief sous-marin, à proximité
des côtes, et aussi l'intérêt purement scientifique
que présente l'étude de la marée en pleine mer,
puisque ce phénomène se trouve intimement lié
aux grands problèmes de la mécanique céleste.
Le marégraphe plongeur fonctionne au fond de
l'eau et enregistre les variations de pression d'où
l'on déduit les variations de niveau de la surface.
Il a aussi apporté certains perfectionnements à
quelques instruments employés couramment pour
les levés hydrographiques : il a amélioré le rappor-
LAROUSSE MENSUEL
leur à alidades en y effectuant l'inversion dulimbe
(188i-) ; lis intéressantes modifications qu'il a appor-
tées ai théodolite, en 1909, permettent de faire des
lectures en des points diamétralement opposés du
limbe, sans avoir à se déplacer; il contribua égale-
ment au perfectionnement de Vaslrolabe à prisme
et il a indiqué, pour les sondages, un nouveau dis-
positif qui est employé couramment aujourd'hui.
Louis Favé, qui avait été atteint par la limite
d'âge du grade d'ingénieur en chef de l^i: classe en
1915, fut rappelé à l'activité en 1916 et attaché au
Service géographique de l'armée.
Lauréat de l'Académie des sciences en 1890, la
Société de géographie lui avait décerné, on 1912, le
prix Jules Girard pour ses études sur les marées;
le 22 avril 1918, il fut élu membre de 1' .académie
des sciences (v. ACAni^MiE, p. 575) dans la section de
géographie et navigation, en remplacement du
général Bassot. 11 est officier de la Légion d'hon-
neur depuis 1898.
Il a publié un certain nombre de Mémoires dans
les « Comptes rendus » de l'Académie des sciences,
les n Annales hydrographiques », etc. — o. Bouchknï.
Q-raSset (Joseph), médecin français, né à Mont-
pellier en 1849, mortdanscette ville le 7 juillet 191 8. 11
comptait parmi ses ascendants vingt-cinq médecins,
au nombre desquels Boissier de Sauvages, surnommé
le « médecin de l'amour». Après avoir été interne
en 1871 et chef de clinique en 1873, 11 fut nommé,
à Montpellier, professeur agrégé à vingt-six ans, à la
suite d'un concoursparliculijrement brillant. Six ans
plus tard, on lui confiait, dans cette faculté, la chaire
de thérapeutique, qu'il quittait en 1886 pour devenir
professeur de clinique médicale. Il élait officier de
la Légion d'honneur, lauréat (prix Broquette-Gouin
de 10.000 fr.) et membre associé national de l'Aca-
démie de médecine (1 898). Il fut président d'honneur
du Congrès international de Moscou en 1897, prési-
dent du Congrès français de médecine en 1899 et
présidetlt du Congrès des médecins neurologistes et
aliénistes en 1906.
Professeur très éloquent et qui exerçait une grande
attraction sur ses auditeurs, Grasset laisse une œuvre
écrite extrêmement considérable. Il y faut d'abord
distinguer les travaux traitant des maladies ner-
veuses, car il fut, en cette partie de la médecine, un
maître universellement reconnu. Les principaux
sont ; Des localisations dans les maladies céré-
brales (1878); Leçons sur les maladies du système
nerveux (1876-1878), devenues plus tard, avec la
collaboration de Rauzier, le Traité pratique des
maladies du système nerveux; Diagnostic des ma-
ladies de la moelle (1899); Anatomie clinique des
centres nerveux (1900); Maladies de l'orientation
et de l'équilibre. De ces travaux on peut rappro-
cher ceux qui traitent de la psychologie normale
et pathologique : les Deux Psychismes; Demi-fous
et demi-respon-
sables, ouvrage
où i I soutient,
comme il le fit
dans maint ar-
ticle et mainte
conférence et
avec des argu-
ments purement
physiologiques,
l'idée de la res-
ponsabilité atté-
nuée de certains
criminels et la
nécessité d'inter-
ner ces véritables
malades dans des
asiles spéciaux ;
Hypnotisme et
suggestion; VOc-
cultisme, etc. En
second lieu il
faut placer les ouvrages de médecine générale et, sur-
tout, le trèsimportantî'raî/ec/epA?/siopa^/io/o.9tec^"-
niqtie où, étudiant en détail toute les acquisitions les
plus récentesdelamédecine,ilexpose sa théorie de la
maladie, voulant voir en elle non l'œuvre des agents
nocifs et de leur action sur l'organisme, mais la
résultante de la résistance de ce dernier et de sa
réaction à l'endroit d'ennemis venus du dehors. Puis,
après avoir signalé quelques volumes consacrés
aux questions intéressant l'exercice de la médecine :
Principes fondamentaux de déontologie médicale;
Idées médicales et idées paramédicales et médico-
sociales; le Milieu médical et les questions médico-
sociales, il faudra mettre à part les livres où il ex-
pose les idées philosophiques qui lui étaient chères.
Dans ces ouvrages {Introduction physiologique à
l'étude de la philosophie; les Limites de la biologie;
la Biologie humaine; la Science et la Philosophie),
Grasset se montre le représentant le plus qualifié, à
notre époque, du vilalisme, qui anime depuis des
siècles l'enseignement de l'école de Montpellier et
dont le protagoniste le plus célèbre est, sans doute,
Barthez. Ses conceptions philosophiques peuvent se
ramener aux principes suivants : il y a dans la vie
Dr Joseph Grasset.
W 140. Octobre 1918.
autre chose que des phénomènes physicochimiques
la psychologie est en dehors de la biologie; le psy-
chisme de l'homme est d'autre nature que celui des
animaux; la biologie « huniaine » ainsi comprise
peut seule être la base de la morale, que celle-ci
soit individuelle, interindividuelle ou même inter-
nationale. Les convictions religieuses et politiques
de l'auteur étaient à la fois la source et la consé-
quence de sa philosophie, et il ne les dissimulait pas.
Les idées de Gra.sset furent souvent comhaltu«s.
On peut citer, notammment, à ce propos, sa polé-
mique avec Gilbert Ballet sur la responsabilité atté-
nuée, ses discussions avec Le Dantec sur les limites
de la biologie. 11 les soutenait avec une grande vi-
gueuret une indèniableaulorilé.Onpeut, cepi^ndant,
estimer que, tout au moins, ses conceptions philoso-
phiques ne semblent nullement découler de ses tra-
vaux physiologiques et pathologiques et qu'elles
constituent une catégorie de pensées où la part de
l'hypothèse pure est considérable. On peut ainsi
voir en Grasset d'une part un médecin de tout pre-
mier plan, digne d'être compté parmi les maîlres
de la neuropathologie moderne et dont la valeur
n'est contestée par personne et, de l'autre, un philo-
sophe dont les idées sont discutables, comme toutes
celles qui s'appuient plus sur le sentiment et le
raisonnement que sur des faits précis. 11 discutait
CCS conclusions philosophiques, comme ses idées
médicales, avec une annuité et une courtoisie
incontestables. Ce fut, en résumé, un infatigable tra-
vailleur, un professeur éminent et un noble esprit,
et il honora grandement l'école de Montpellier et la
médecine contemporaine. — D' Henri bodquet.
greffe n. f. — Encycl. Chir. Le chapitre
thérapeutique de la greffe animale et surtout hu-
maine s'est considérablement compliqué depuis les
premières applications du procédé, qui se limi-
taient à des portions très réduiles de tissu. Au-
jourd'hui, il faut envisager, en dehors des greffes
de peau, dermo-épidermiques, qui ont été lon-
gtemps les seules connues, des greifes d'autres
tissus, des greffes vasculaires, des greffes ou
transplantations d'organes. Ces mots n'ont pas be-
soin de définition. Il est seulement nécessaire de
savoir que les greffes se distinguent des auloplasties
(v. AUTOPr.ABTiE, au Nouv. Lar. ill.) en ce que le
lambeau qui constitue ces dernières reste reiié
par un pédicule plus ou moins important, et
pendant un temps variable, au tissu dont il provient,
tandis que, dans la greffe, le greffon est complète-
ment détaché avant d'être iransplantéet, dès l'abord,
libre de toute connexion. Les greffes nécessitent
donc la résistance des tissus utilisés à la privation
de toute circulation.
1» Grefj'es tissulaires. — Les plus connues de
toutes et les plus couramment employées sont les
greffes de peau ou greffes épidermiques et dermo-
épidermiques. Leur promoteur est Revcrdin (de
Genève), et la méthode qu'il inventa pour les prati-
quer est encore une des plus couramment mises en
œuvre. Elle consiste \> prélever, à l'aide d'une lan-
cette ou de tout autre instrument coupant, de très
petits lambeaux sur un point quelconque du corps.
Ces lambeaux, qui, en principe, ne sont composés
que d'épiderme, sont placés ensuite sur la plaie,
bien nettoyée, rendue exsangue et pourvue, naturel-
lement ou thérapeutiquement, de bourgeons vivaces.
Plusieurs auteurs considèrent comme indispensable
d'abraser les parties superficielles de celte plaie
avant d'y déposer le greffons. Ceux-ci sont placés
de telle façon qu'ils laissent entre eux des parties
non recouvertes et, ainsi isolés, ils constituent
autant de centres de réparation, dont l'accroissement
progressif parvient, en général assez rapidement,
à combler toute la perte de substance. Dans les
greffes franchement dermo-épidermiques, obtenues
par le procédé d'Ollier-Thieisch, on détache, au
contraire, d'une partie du corps, des lambeaux plus
importants, intéressant à la fois l'épiderme et les
couches les plus superficielles du derme et que l'on
transporte sur la plaie, où on les dispose de façon
qu'elle en soit entièrement recouverte. Ce prélè-
vement est effectué, en général, à l'aide d'un rasoir,
sur la face antérieure de la cuisse, dont la peau est
au préalable fortonient tendue. Il est fort doulou-
reux, et l'application des lambeaux est très délicate.
— On peut, en outre, signaler des greffes dites cuta-
nées, qui intéresseraient dans leurs lambeaux toute
l'épaisseur de la peau, mais qui sont fort peu em-
ployées. — Les greffes dermo-épidermiques sont
utilisées pour activer la cicalrisation trop lente de
certaines plaies ou la diriger de façon que la cica-
trice dèfmitive ne soit ni vicieuse, ni rétractiie Les
brûlures étendues, les ulcères de grande dimension
forment, en définitive, leur principale indication.
On a utilisé, pour des fins analogues, des greffes
pratiquées à l'aide de bien d'autres tissus. La greffe
osseuse sert à combler des pertes de substance sur-
venues sur certains os. La greffon ainsi employé
semble moins agir par lui-même comme pièce de
remplacement qu'en provoquant la formation de
tissu osseux nouveau. Aussi est-il surtout efficace
lorsqu'on le greffe muni de son périoste et à l'état
1
SuppWmenf an n' 140. Octobre 1918.
FRONT ITALIKN
587
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
588
LAROUSSE MENSUEL
Supplément au «• 740. Octobre 1918.
\
Soldat» britanniques Becourant les habitants d'uo village de Picardie, qu'ils vienneat de reprendre aux Aileuiands. {ilaiania, ï'Ae Sfthere.)
Grand navire de cmiiif iic an;:Ifiis;, cliai;.-":- de vivres. [U rst muni de sortes de mâts courts, qui snnt <-u lOnlité de-; jalans, «ervant au chargement, au dt^charpe-nent dcB marchandin^a
et aux manœuvres du bord. U est convoya!, à travers la xone dangereuse, par un croiseur, un hydravion et autres engins spéciaux.] (Drawn by Harry Rodmell, The Sphert.)
N' 140. Octobre 1918-
vivant. La greffe articulaire vise à remplacer les
articulations déflcientes, surtout lorsque, après une
résection, il s'établit une ankylose supprimant les
mouvements du membre. Elle a été surtout étudiée
en France par Judet, qui a montré qu'elle n'avait de
chances de réussir que si l'on employait comme
greffon des cartilages articulaires entourés de leur
gaine synoviale et formant un organisme vivant
ainsi de sa vie propre. Elle a été utilisée chez
l'homme avec des succès divers.
11 faut encore mentionner les greffes qui ne s'adres-
sent pas exclusivement au tissu auquelest emprunté
le grelTon. C'est ainsi que les greffes adipeuses, ten-
dineuses et aponévrotiques, sont employées pour
combler des pertes de substance pathologique ou
opératoire, pour réparer les solulions de continuité
considérables de certaines parois viscérales ou parié-
tales. Elles ulilisent, à cet effet, soitdes portions de
tissu graisseux, soit des fragments de tendons et d'a-
ponévroses, le tout facile à prélever chez l'homme.
2» Greffes vasculaires. — Les greffes de ce genre
sont dérivées des sutures de parois de vaisseaux,
réalisées par plusieurs chirurgiens, mais poussées à
leur actuel degré de perfection grâce aux travaux
de chirurgie expérimeulale de Garrel au Rockfeller
Inslitule de New-York. Les greffons prélevés sous
forme de l'raguienls de vaisseaux servent à rempla-
cer d'autres parties vasculaires détruites, comme
dans les extirpations de tumeurs importantes, ou
mises pathologiquement en état d'infériorité fonc-
tionnelle ou anaîomique, comme dans les anévrys-
mes. C'est là une chirurgie à la fois audacieuse et
fort délicate. On utilise de préférence, lorsque la
chose est possible, des tissus semblables, c'est-à-
dire un greffon artériel pour remplacer une portion
d'artère et un greffon veineux pour remplacer une
portion de veine. Mais le prélèvement dun greffon
artériel est chose fort difficile à réaliser dans l'es-
pèce humaine. Carrel a montré qu'on pouvait par-
faitement remplacer une portion d'artère par un
fragment de veine et que ce greffon prenait, par la
suite de son fonctionnement, le caractère artériel.
Cette chirurgie de remplacement, d'abord tentée
sur l'animal, l'a été ensuite chez l'homme avec un
plein succès.
Ses principaux éléments consistent dans la suture
minutieuse des fragments vasculaires aboutés et
dans un certain nombre de précautions destinées
à empêcher la coagulation du sang ou son écou-
lement trop considérable. Lorsqu'on agit sur de
gros vaisseaux, il faut encore connaître de façon
parfaite le temps pendant lequel la circulation peut
être, sans inconvénient grave, interrompue dans le
territoire irrigué par ces vaisseaux. Les sutures et
les greffes vasculaires ont seules permis d'aborder
l'étude des greffes et des transplantations d'organes.
3<'Greff'es d'orijane. — Jnsqu'àcequeces progrès
techniques fussent réalisés, on neréussissaitguèreles
greffes d'organes, souvent tentées. Le greffon, qu'il
s'agitde glande thyroïde ou d'ovaire, n'avait qu'une
vie transitoire et tendait régulièrement vers la
mortification ou l'absorption par le tissu conjonctif
environnant. Au contraire, en prenant comme
greffon des parties plus considérables d'organes ou
des organes entiers munis de leurs connexions
vasculaires et susceptibles de retrouver la circula-
tion momentanément interrompue, par suture de
ces vaisseaux à ceux de l'organisme récepteur, on
aboutit à des résultais beaucoup plus encourageants.
La glande thyroïde et l'ovaire avaient été greffés,
avec les méthodes anciennes, dans le but de réali-
ser, par voie chirurgicale, une sorte d'opothérapie
(v. ce mot au Larousse Mens, ill., t. Il, p. 466) de rem-
placement. Grâce aux sutures vasculaires, on réus-
sit des transplantations beaucoup plus importantes.
C estainsi que Carrel, par exemple, parvint, moyen-
nant quelques conditions que nous allons envisager,
à obtenir des transplantations de rein, de rate ou
d'intestin. Les tentatives faites pour remplacerainsi
des membres entiers ont eu un sort beaucoup moins
régulier.
Les transplantations d'organes suivent la règle
générale des greffes, qui veut que celles-ci réussis-
sent de façon parfaite lorsqu'on utilise des greffons
piis sur l'individu lui-même (autogreffes); elles
réussissent encore pour certaines variétés tout au
moins, telles que les greffes cutanées, lorsque le
treffon est pris sur un animal de même espèce
homogreffes) ; elles échouent, au contraire, pour
ainsi dire constamment, lorsque le donneur de
greffon est d'une espèce différente de celle du récep-
teui (hétérogreffe). Les transplantations d'organes,
de rein par exemple, ne sont suivies de succès que
lorsqu'elles réalisent la première de ces conditions
(autogreffe). Déjà les homogreffes, après une période
qui laisse croire au succès, aboutissent souvent
à un échec. Les dernières recherches faites à ce
sujet semblent devoir faire admettre que les homo-
greffes sont possibles à la condition que le donneur
et le récepteur soient de très proches parents. Les
conditions exactes de cette réussite et sa possibilité
même sont encore à l'étude.
Les greffes, de quelque nature qu'elles soient,
volent s'ouvrir devant elles un nouveau champ
LAROUSSE MENSUEL
d'action par la conservation deia tissus hors des
organisme^, à l'état de vie latente ou ralentie, sui-
vant la technique de Carrel. Celui-ci a démontré la
possibilité de conserver vivants des tissus et même
des organes pendant un temps fort appréciable dans
certains liquides physiologiques, ou dans des solu-
tions artificielles analogues à ceux-ci. Déjà il a pu,
à l'Institut Hockfeller, conserver ainsi des surfaces
considérables de lambeaux cutanés qu'il a adressés,
en Amérique, à des chirurgiens éloignés. De même
est-il parvenu à greffer avec succès des fragments
de vaisseaux conservés de la même manière. Un
autre progrès a été la réalisation de la culture des
tissus ainsi conservés cette fois à l'état de vie
active. Il est à penser que ces réalisations pourront
prendre prochainement un développement pratique
plus considérable encore et que la chirurgie répa-
ratrice par les greffes y trouvera une importante et
bienfaisante généralisation. — D' iienri bouquit.
Guerre en 1914-1918 (la). [Suite.]
Le mois d'août 1918 marque une date dans l'his-
toire de la guerre mondiale; non seulement parce
que, aux premiers jours de ce mois, s'est levée,
dans une illumination de victoire, la cinquième
année de cette lutte formidable, mais parce qu'on
y a perçu nettement la sensation nouvelle d'un plan
défini, accepté, régulièrement exécuté et, en même
temps, celle d'un ébranlement indubitable de l'ad-
versaire. Précédemment, lorsque, une première fois,
nous avions reconquis, sur la Somme et sur l'Aisne,
les territoires que les batailles du mois d'août nous
ont rendus de nouveau, nous avions éprouvé la
joie intense de la victoire et conçu de secrètes
espérances; et l'histoire rendra pleine justice à
ceux qui nous ont procuré, en 1916 et en 1917, après
les angoisses de Verdun, le sentiment de la libéra-
lion commencée. Mais nous n'avions pas eu, alors,
la preuve incontestable de l'unité de vues et d'exé-
cution, ni celle continuité et cet ensemble qui, en
août 1918, ont forcé l'ennemi à combattre sans
trêve, à reculer toujours, à redouter sur tous les
points la menace d'une attaque irrésistible. Nous
devons cette nouveauté à l'unité du commandement.
-»-^ ,^,4a ■
589
avaient failli réussir. Alors étaient intervenus l'élé-
ment nouveau du commandement unique et aussi
les forces obscures de la Justice et du Droit. La
retraite allemande de 1914 avait recommencé, plus
grave, puisqu'elle intervenait après quatre ans de
Aviateur aiuéricaiti prenant d^'s pli^^lographies.
Avant d'entreprendre tout nmuvenienl d'olTensive, oa prend def
vues photographiques du terrain occupé par l'eanemi.
guerre et que deux facteurs alors imprévus s'ajou-
taient aux ressources des Alliés : l'intervention amé
ricaine, d'une part, l'organisation de l'Angleterre,
d'autre part. Le résultat, que nous enregistrons ici.
était un recul progressif, relativement rapide si on
Soldats britanniques garnie,..;..: d. ;.... ..^ i. . „.\, „. .„
que les gouvernements précédents ont vainement
tenté de réaliser, que le gouvernement de Clemen-
ceau a eu l'heureuse fortune, sous le coup d'une
nécessité impérieuse, d'imposer et de maintenir.
Par là, après les jours douloureux de mai et de
juin, nous avons connu le réveil du 18 juillet, et,
depuis lors, nous n'avons cessé d'affermir les rai-
sons de notre confiance. Il y a, dans cette compa-
raison, pour qui réfléchit sans passion et avec le
seul souci de la justice, un fondement solide à une
espérance durable. A la fin d'août, si l'on faisait la
somme des résultats obtenus, on ne pouvait pas ne
pas aboutir à cette conclusion que nous étions
entrés dans une phase de la lulte entièrement nou-
velle et qui, selon toute apparence, préparait une
décision finale. Après la bataille de la Somme de
1917, les Allemands s'étaient retirés derrière la
ligne llindenburg. Ils étaient repartis de là, fin
mars 1918, non seulement pour reprendre le terrain
qu'ils avaient perdu, mais pour recommencer la
ruée en masse sur Paris, manquée en 1914. Ils
^'■.j.i:^.. ... u,v.^... u .... ^ 1. pour arrêter l'ennemi.
le mesure à l'àpreté de la résistance allemande, dont
on ne pouvait dire s'il serait un désastre, mais qui
était certainement une défaite. — Nous ne pensons
pas qu'il eût été sage, à ce moment, d'aller plus loin
et de faire des pronostics plus avantageux. La pru-
dence commandait d'attenilre les faits à venir Tant
que notre avance n'aurait pas atteint l'ancienne ligne
de départ de l'ennemi et que nous n'aurions pas vu
comment celte ligne se comporterait sous nos atta-
ques, il importait de réserver notre jugement sur
l'ampleur des résullats. Nous n'avions pas, alors, de
notions assez précises sur l'état moral de l'Alle-
magne, sur la position respective des partis, sur la
situation réelle de la politique allemantle en Russie,
sur les causes de faiblesse ou de ruine qu'elle pouvait
contenir, pour nous prononcer. L'armée allemande,
bien qu'affaiblie cerlninement par des pertes non
douteuses, restait forte. Jusqu'à quel point restait-
elle confiante? Comment l'opinion publique sup-
portait-elle un recul accompli dans des conditions
jusqu'alors inconnues?QuelIes étaient les ressources
390
LAROUSSE MENSUEL
(V« 140. Octobre 191tS.
Prisonniers allemands capturés par les troupes britanniques au nord de la Somme.
réelles de résistance matérielle de nos ennemis en
présence de noire faculté à peu près illimitée de
renouvellement? Quel effet concret produisait la
révélation brusque de la valeur militaire de l'inter-
vention américaine, jusqu'alors dédaignée et méses-
timée par le gouvernement allemand et par sa
presse? Il était, certes, très encourageant de pouvoir
se poser de semblables questions, qu'il y a quelques
mois nous n'eussions pas cru possibles. 11 eiit été
imprudent de donner des réponses catégoriques. Si
l'on pouvait enregistrer des symptômes, il fallait
se souvenir que, de-
puis quatre ans, nous
avons, par notre cré-
dulité, éprouvé bien
des déceptions et
qu'au moment où
nous pouvions pas-
ser à notre actif une
somme de profits ac-
quis, capable de nous
permetlred' attendre,
ilétailnécessaire d'a-
voir dans le succès
la même patience que
nous avions eue dans
lesjours sombres.
Nous ne saurions,
F as plus que nous ne
avons fait jusqu'ici,
suivre dans le détail
les opérations mili-
tairesdumoisd'aoïit.
Ce détail, d'ailleurs,
nous écbappait en-
core. Nous avions
uniquement la sen-
sation d'une excel-
lente préparation
chez les chefs, d'un
courage sans égal,
d'une endurance et
d'un élan devant
lesquels tout éloge
reste inférieur à la
réalité chez les sol-
dats. Le reste sera
connu plus lard et,
peut-être, la routine
de notre éducation
permettra-t-elle de
substituer à la froi-
deur lointaine des
faits illustres de la
Grèce et de Home
la poignante réalité
de l'héroïsme de nos
enfants. Nous notons
les résultats acquis.
A la fin de juillet, les Allemands étaient en retrai te
vers la Vesle, et l'armée Mangin les poussait de-
vant Soissons. Le 2 août, nous rentrions dans cette
ville et, le 4, les Américains reprenaient Fismes.
Nous louchions donc à l'Aisne et à la Vesle. Sur le
front de Reims, toutes nos positions étaient réta-
blies. De ce côté, la menace vers Paris par la Marne
n'existait plus. Restait la menace par l'Oise et par
la Somme. C'est sur ce front qu'avait porté tout
l'effort du mois d'août, et cet effort avait abouti,
par une poussée continue, à un plein succès.
La coopération de l'armée Mangin dans la partie
sud de ce vaste secteur, des armées Debeney et
Humbert dans la partie nord, de l'armée britanni-
que, notamment avec le général Bing, plus au nord
encore, avait peu à peu repoussé les Allemands au
delà deMontdidier,pris le 9, de Ribécourt, pris le 11,
du plateau de Thiescourt, le 15, de Lassigny, le 21,
de Bray-sur-Somme et de Thiepval, le 24, de Roye,
le 27, de Ghaulnes et Nesle, le 27, de Bapaume et
Noyon, le 30. Le 31, Péroime était encerclée, par
suite de l'occupation du mont Saint-Quentin. Le
même jour, les Allemands, incapables de résister
aux Anglais, évacuaient le saillant de la Lys. Les
Anglais s'établissaient sur le mont Kemmel, et Ypres
était largement dégagée. Par suite, à la fin du mois,
d'une part, Péronne et Combles étaient serrées
de très près, d'autre part, une lutte très âpre se
poussait autour de Soissons, que les Allemands dé-
Soldats du génie américain construisant, sur la Marne, un pont monté sur chevalets, au cours de l'offensive (Juillet)
qui a repoussé les Allemands Jusqu'à la Vesle.
fendaient avec acharnement. Le front reculait au
large d'Amiens et de Compiègne, définitivement li-
bérées. La route de Paris était fermée à l'invasion.
11 en était de même de celle de Dunkerque, grâce à
l'armée anglaise. La question, pour les Allemands,
était maintenant de savoir s'ils pourraient arrêter
l'avance constante des Alliés et, s'ils le pouvaient,
sur quelle ligne? 11 n'est besoin d'aucun commen-
taire pour faire ressortir l'importance de pareils ré-
sultats. Le bâton de maréchal de France décerné au
général Foch et la médaille militaire au général
Pétain étaient, à la fois, une récompense bien méritée
accordée à des chefs victorieux et des certificats
publics de la victoire des Alliés. Une autre preuve
était tirée du nombre des prisonniers faits aux Alle-
mands, qu'on ne pouvait guère évaluer à moins
de 120.000 depuis le 8 juillet et de la quantité
non encore dénombrée, mais énorme, inespérée,
de canons, de munitions et de matériel pris en six
semaines.
Si l'on analyse les éléments de cette victoire, on
dégage avant tout, on ne le répétera jamais trop,
l'influence capitale de l'unité de commandement, qui
a tendu simultanément tous les ressorts vers un but
unique, qui a supprimé les actions isolées et sans
lendemain. — On doit noter ensuite l'intensité de la
production du matériel de guerre, qui a permis de
concentrer là où il était nécessaire des masses d'ar-
tilleiiede tous calibres ; circonstance capitale, dont
on comprend l'im-
portance, si l'on re-
garde sur une carte
le terrain de retraite
de l'armée alleman-
de. On constate alors
que partout, par suite
du débordement des
ailes, nos ennemis
se. sont trouvés en-
fermés dans des sor-
tes de poches, dont
les dimensions rela-
tivement restreintes
ont permis la cou ver-
gence de nos tirs
d'artillerie. La con-
séquence de cette
circonstance a été de
rendre le séjour sur
ces terrains on ne
peut plus inconfor-
table et de provo-
quer parmi les trou-
pes ennemies des
pertes élevées. — 11
est, de plus, évident
que notre tactique
d'attaque a surpris
l'adversaire. Cette
tactique a varié avec
les époques. Le pi-
lonnage d'artillerie
pendant trois ou
quatre fois vingt-
quatre heures a don-
né des résultats in-
contestables. On lui
a pourtant préféré la
préparation d'artille-
rie de quelques heu-
res seulement, ou de
quelques quarts
d'heure. Puis on lui
a substitué les feux de
barrage mobile, der-
rière lesquels avance
l'infanterie, enfin, et
c'est le système utilisé par le général Mangin, on
a surpris l'ennemi par l'attaque de l'infanterie
accompagnée de tanks légers, soutenue en avant
par les barrages de l'artillerie, combinés avec
d'autres barrages sur l'arrière de l'ennemi. Ce
dernier dispositif a eu son plein succès, et les
Allemands eux-mêmes ont dû le reconnaître. L'ac-
tion des tanks légers a été, dans les affaires d'août,
évidemment décisive. On avait d'abord conçu le
tank dans le genre massif, comme un instrument
d'écrasement et de nivellement, et l'imagination
d'un Welle a pu concevoir pour l'avenir le tank
formidable, énorme dreadnought de terre, devant
lequel aucune force humaine, aucune fortification ne
pourrait tenir. Sans qu'on ait aucunement renoncé
à cette conception, l'expérience actuelle semble prou-
ver l'avantage du tank léger, facilement mobile,
facilement réparable, coûtant moins cher, et capable
N' 140. Octobre 1918
LAROUSSE MENSUEL
591
PriflOQniers allemands c;i.
sur le champ de bataille de porter sa mitraille par-
tout où il est utile. Les Allemands se vantaient,
après coup, d'avoir trouvé un moyen de le com-
battre et de réduire son action. En attendant, ses
effets avaient été irrésistibles. — Enfin, h côté de l'élé-
ment matériel, il faut faire entrer en ligne de compte
l'élément bumain. C'est d'abord, nous le répétons,
parce que jamais notre reconnaissance ne s'affir-
mera suffisamment, la valeur inépuisable du soldat,
qui avait supporté la mauvaise fortune, que la bonne
éleclrisait, que le succès portait en avant, qui avait
confiance dans ses
chefs et qui, plus
que personne, su-
bissait l'influence
salutaire, foili-
fiante,de l'unité du
commandement.
Non point qu'il
faille diminuer les
qualités de l'adver-
saire. Les Alle-
mands ont montré,
dans cette phase
de la lutte, une té-
nacité à laquelle
on doit rendre
hommage. Mais les
sentiments qui ani-
ment les soldats
alliés et avant tout
le soldat français,
qui combat pour
I indépendance de
sa patrie attaquée
et de l'humanité
outragée, sont d'un
autre ordre que ce-
lui du soldat alle-
mand, qui,endépit
de toute la phra-
séologie impériale,
necombatquepour
une dynastie ; et
les qualités d'ini-
tiative de notre
race, non moins
que les nécessités
de la guerre ac-
tuelle, qui fontd'un
simple caporal un
véritable chef res-
ponsable, inter-
viennent dans la
victoire comme un
facteur de premier
ordre. On a beau-
coup plaisanté de
ce que nos poilus,
dans le langage
ahréviatif de ce temps-ci, ont appelé : le système D-
II n'en reste pas moins que l'esprit débrouillard du
soldat français, quand il est soutenu par une orga-
nisation solide, peut faire et fait des merveilles. 11
n'y a pas un cbef digne de ce nom qui en doute et
qui n'utilise cette qualité sans prix. — C'est ensuite
la valeur du commandement. L'heure n'est pas aux
panégyriques, encore moins aux apothéoses. Mais
on doit reconnaître que le maréchal Foch, dont les
marais de Saint-Gond, Ypres et l'Yser avaient
permis d'apprécier la valeur de décision, a montré
dans cette revanche victorieuse des qualité.* de
clairvoyance et d'énergie et une science militaire
devant laquelle les Allemands se sont inclinés. Au
mois d'août, il est d'une évidence indiscutable que
l'initiative tactique a été entre les mains du com-
mandement supérieur des Alliés. Les Allemands se
sont consolés en écrivant que Foch avait imité les
méthodes allemandes, qu'en somme nous n'appli-
quions que les principes de Ludendorf et d'Hin-
denburg. Peu nous importe. Nous nous résignons
aisément à n'être commandés que par des élèves,
si ces élèves battent leurs maîtres.
En dernier lieu, dans ce détail de l'élément hu-
main de notre succès d'août, c'est un devoir de
marquer la place de nos alliés américains. Nous
devons aux Anglais d'avoir pu résister à la poussée
des premières années. Ils ont été pour nous le ferme
Infanterie américaine revenant du front de la Marne, après avoir combattu dans un secteur à Test de Château-Thierry, où elle a repoussé
les soldats du kaiser. (On la forme en convois pour gagner un camp de repos.)
soutien de la première heure. Ils restent, atout ins-
tant, sur mer comme sur terre, les alliés au sens froid,
à la volonté inébranlable, au courage tenace, qui,
àl'heure où nous écrivions, étendaient vers le Nord et
la Belgique la menace victorieuse de notre offensive.
Nous n'oublierons jamais le service qu'ils nous ont
rendu. Nous devons aux Italiens, outre une diver-
sion de première utilité, la rupture de la Triple-
Alliance, la désagrégation de l'.\utriche, la sensation
incomparable de la famille latine reconstituée. Mais
les .\méricains nous ont apporté l'aide numérique
indispensable au moment de la défaillance de la
Russie, l'appui économique dont nous ne pouvions
nous passer, l'étendue de vues politiques qui font
du président Wilson un des l)ommes qui comp-
tent dans les destinées de l'humanité et en outre,
une valeur militaire que nous ne soupçonnions pas
et que les Allemands niaient avec une naïve eiïron-
terie. Ils se sont révélés soldats de premier ordre,
ne craignant rien, camarades d'une rare fran-
chise et d'une cordialité spontanée, disciples d'une
bonne volonle inépuisable, reconnaissantleur inex-
périence, passionnés pour apprendre, prompts à
comprendre et à s'assimiler; avec cela, organisateurs
pratiques, qui ont su accommoder à notre vieille
routine et i notre réglementation traditionnalisle
leurs méthodes de libre expansion et leurs procédés
expédilifs de peuple neuf. Entre les Américains et
les Français s'est
formée, au froni,
une confraternité
qui est faite de re-
connaissance , de
sympathie, d'admi-
ration et de con-
fiance. Il est jusie
de noter à quel
point la présence
des Américains à
nos côtés a con-
tribué matérielle-
ment et morale-
ment à fortifier
notre foi dans le
succès, à redresser
ce qui pouvait
chanceler, à nous
donner l'impres-
sion pénétrante
d'un secours so-
lide, inépuisable et
sincère.
A la vérité, les
Allemands s'é-
taient assez mal
accommodés de cet
ensemble de cir-
constances que
nous venons d'énu-
mérer. Ils avaient
eu recours, pour
expliquer leur re-
Iraite continue, à
des périphrases. Ils
avaient parlé de
Il bataille victo-
rieuse d'arrière-
garde », de « repli
calculé », de «nou-
velles positions »,
que les Alliés n'en-
tamaient jamais
parce qu'elles
changeaient tou-
jours. Il y a eu
là, de leur part, des
précautions ver-
bales faciles à comprendre, qui sont loin de la
sobre précision de leurs communiqués d'antan et
dont le but était de soulenir 1 opinion publique.
Le laconisme de certains de ces documents a été
Four nous le plus instructif dos aveux. Nous ignorons
effet qu'ils ont produit sur le public allemand. Quel-
ques voix se sont élevées pour glisserquelque frag-
ment de vérité. 11 est à penser qu'elles n'ont pas parlé
sans ordre, et il n'est pas possible d'admettre que
quelque chose ait pu s'imprimer dans la presse alle-
mande, sans une arrière-pensée politique du gou-
vernement. Nous restons convaincus que même
certains articles du Vorwterts et d'antres, en appa-
rence fort indépendants, faisaient leur partie dans
l'orchestre germanique et ne tendaient qu'il nous en-
dormir ou à préparer, sans y paraître, quelque offen-
sive pacifique. ÙeuIsclilanJ ùber ailes. 'resle le mot
592
d'ordre. Il parait, pourtant, impossible que les évé ■
nemenls militaires de juillet et d'août n'aient pas,
avec quelques précautions qu'on les ait présentés,
frappé l'opinion allemande. De là à supposer dans
l'édillce allemand une crevasse capable d'en ébran-
lerla solidité et de faire pressentir une catastrophe,
il y a encore quelque distance. Guillaume II, dans
Le général Mangin.
ses rescrits au peuple et aux armées de terre et de
mer à propos de l'anniversaire de la guerre, n*a pas
manqué d'affirmer l'attitude défensive de l'Allema-
gne, le succès de la guerre sous-marine et sa con-
fiance dans la victoire; de même le roi de Bavière;
de même le ministre autrichien Hussarek; de même
le ministre allemand von Hintze; les pangerma-
nistes continuaient à réclamer Longwy et le bassin
de Briey; les socialistes à proclamer que la question
d'Alsace-Lorraine était une question purement alle-
mande et, de mèche avec le socialiste hollandais
Troelstra, à préparer une Société des nations dans
le mode allemand. Il y avait en tout cela plus que des
attitudes de commande : on suivait encore, avec la
vitesse acquise, la ligne tracée aux jours de vic-
toire. L'attilude, cependant, comportait des modali-
tés et des nuances; elle se conformait lentement k
la gravité de la silualion,que personne, pas môme le
kaiser, ne songeait plus àdissinmler.
11 n'y avait rien à dire des autres fronts de la
guerre. 11 est aisé de comprendre que les affaires
occidentales retenaient toutes les forces des belli-
gérants. On avait été très sobre d'informations sur
les opérations du front italien, où les Autrichiens
se tenaient fort tranquilles. 11 semblait, d'ailleurs,
que l'efîort des Allemands, de ce coté, tendît plutôt
à encadrer les meilleurs éléments de l'armée austro-
hongroise pour les utiliser sur le front occidental,
et il y avait là, sur l'élaslicité compromise du recru-
tement allemand, une indication négative qui avait
son importance.
Quant aux fronts mourman et sibérien et aux
opérations japonaises sur ce dernier point, nous
dirons plus loin ce que nous en savions ou, plutôt,
que nous n'en savions presque rien. Rien à noter,
non plus, sur mer, sauf le torpillage, en Méditerra-
née, de quelques-uns de nos transports. Par contre,
la traversée de l'Atlantique par 1./|00.000 hommes
de troupes américaines, accompagnées d'un matériel
énorme, continuait à s'accomplir sans encombre.
La tentative d'un sous-marin allemand pour lancer
des gaz asphyxiants sur un port américain et terro-
riser les côtes des Etats-Unis n'avait fait qu'irriter
l'opinion de nos Alliés. Quand Guillaume II écrivait
k sa marine : « Malgré les efforts rèimis des plus
grandes puissances maritimes, les sous-marins mè-
nent le combat opiniâtrement, certains du succès »,
ou il énonçait un mensonge politique, ou il faisait
preuve d'une volonté, opiniâtre elle aussi, de ne
pas voir clair. Les quelques torpillages retentis-
sants qu'on pouvait inscrire à l'actif des sous-marins,
et qui n'étaient féconds qu'en destructions de vies
humaines innocentes, ne pouvaient être mis en ba-
LAROUSSE MENSUEL
lance des résultats obtenus par les Américains pour
les transports sur mer et, surtout, de l'augmentation
croissante du tonnage allié.
Kn résumé, les Alliés, à la fin d'août, possédaient
très nettement l'initiative militaire. Les Allemands
étaient en train de perdre en France tout ce que
leur avaient donné leurs offensives successives de
fin mars à la mi-juillet, et ce recul leur coûtait
très cher. Sans grossir les événements, déjà suffi-
samment importants par eux-mêmes, il était permis,
en toute sagesse, d'augurer favorablement de l'ave-
nir et d'escompter des conséquences heureuses
pour le monde entier.
L'Allemagne trouvait-elle, par ailleurs, à l'incer-
titude qui pesait sur l'avenir de son entreprise eu
Occident une compensation qui assurât, en Orient,
l'équibre des résultats? On pouvait, sans crainte de
se tromper, répondre négativement à cette ques-
tion. Si rAllemagiie,ducôté de l'Orient — Autriche,
Balkans ou Russie — eût acquis quelque avantage
solide, ou simplement quelque profit apparent, elle
n'eût pas manqué d'en faire état bruyamment et
d'exploiter au profit du moral de son peuple un
succès, si mince fùt-il. 11 n'en était rien, et jamais
la politique orientale n'avait été plongée dans une
obscurité plus profonde.
Nous doutons que qui que ce soit eût des clartés
précises sur ce qui s'était passé en Russie pendant
le mois d'août. Les journaux avaient, à la vérité,
annoncé chaque jour la chute imminente du gouver-
nement bolchevik, la fuite de Lenineet deTrotzki et
leur remplacement par un autre gouvernement, que
personne, d'ailleurs, nepouvaitdéfinir. Mais ces in-
formations n'avaient pas été confi rmées, et, si quelque
chose se préparait alors en Russie, nous estimons
que personne n'était renseigné à ce sujet. Différents
faits, pourtant, étaient certains. Un attentat avait été
dirigé contre Lénine, qui avait été blessé. 11 n'était
pas douteux qu'Helfl'erich, nommé aml)assadeur à
Moscou après l'assassinat du comte Mirbach, et ne
se sentant pas, probablement, en sûreté devant les
menaces très nettes et la froide résolution du parti
social-révolutionnaire, opposé aux maximalistes,
avaitquittéla capitale russe presque aussitôt après y
être arrivé. On avait, d'autre part, appris que legou-
vernement bolchevik avait fait arrêter divers consuls
de l'Entente et ne les avait relâchés que sur l'inter-
vention énergique de la Suède et des Etats-Unis,
représentés à Moscou par le consul Poole. Quant
aux ambassadeurs alliés, ils avaient réussi à gagner
la côte mourniane. Sur ce point, des détachements
alliés avaient été débarqués et, à Arkhangel, l'au-
torité du gouvernement bolchevik n'était plus recon-
nue. Par suite, les communications de la Russie avec
l'Entente élaient assurées par le nord. — A l'autre
extrémité du territoire russe, k Vladivostock, même
N' 140. Octobre 1918.
tion effective des troupes japonaises, dont on igno-
rait l'effectif, sur l'Oussouri, en accord avec les
Tchéco-Slovaques elles contingents européens. On
annonçait, le 31 août, un succès sérieux des armes
alliées en ce point.
Tout cela était bien peu de chose, certes, et il
n'était possible à aucun écrivain respectueux de ses
lecteurs et de lui-même de tirer de ces renseigne-
ments confus une indication raisonnable sur la
marche future des événements. Mais, si tout cela
était obscur pour nous, il semblait bien que les
Allemands n y devaient pas voir beaucoup plus
clair. Toutefois, l'intérêt qu'ils avaient à ne pas
perdre leur influence sur la Russie, en attendant
qu'ils pussent l'organiser, était tel qu'on avait le
droit de supposer qu'ils ne restaient pas inactifs. On
devait donc souhaiter ardemmentque l'intervention
de l'Entente en Russie s'affirmât. C'était le seul
moyen de grouper les intérêts matériels et moraux
lésés par la terreur et la tyrannie bolcheviks et de
leur fournir les moyens de rendre la Russie à elle-
même. Il s'agissait, en effet, uniquement pour l'En-
tente — et c'est ce point de vue qu'a toujours en-
visagé le président Wilson — de mettre la Russie
en état de se reprendre et de secouer la mainmise
allemande imposée, avec la complicité de Lénine
et Trotzki, par les traités de Brest-Litovsk. Mais il
fallait atteindre ce résultat. Rien ne prouvait qu'on
y fût parvenu.
Sur les conséquences pratiques qu'avait eues en
Ukraine l'assassinat du gouverneur Kichhorn ,
nous n'étions pas plus renseignés. La question de
la désignation d'un roi de Finlande ne paraissait
pas avoir fait un pas, non plus que celle de la
forme de gouvernement que se donnerait la
Lithuanie, et pas davantage celle des frontières
mêmes de la Lithuanie. Il était seulement très évi-
dent que l'Allemagne cherchait à faire prévaloir
des solutions allemandes, que les barons baltes
souhaitaient l'établissement de la domination alle-
mande sur la Baltique et que le gouvernement
bolchevik, en se désintéressant des affaires balti-
ques, laissait le champ libre aux ambitions, aux
intrigues et à la force allemandes. C'est ce qui se
manifestait surtout pour les afi'aires de l'Esthonie
et de la Livonie, dont le sort était tout à fait incer-
tain et qui risquaient de devenir le jouet de l'Alle-
magne.
Quant à la question polonaise, étroitemen ■ mêlée à
la question lithuanienne et à la question ukranienne,
elle restait en suspens et faisait l'objet, entre l'Alle-
magne et l'Aulriche, de négociations évidemment
laborieuses. Il était peu probable que les deux puis-
sances centrales arrivassent à se mettre d'accord
sur l'étendue â donner au royaume de Pologne, sur
la réunion de la Galicie au nouvel Etat, sur l'accès
Pont volant sur la Marne, construit par le génie américain, qui s'est servi de nombreux bateaux pris aux Allemands en retraite.
(Le tablier du pont est catnoutlc avec des branches d'arbre.)
confusion et même obscurité. Aux dernières nou-
velles d'août, il semblait que les délégués des puis-
sances de l'Entente eussentreconnulegouvernement
des zemstvos, puis celui du général Horvat. On
ignorait quelle était la situation exacte des Tchéco-
slovaques sur le Transsibérien et si les troupes des
soviets avaient pu, comme le prétendaient certaines
dépêches, peut-être entièrement fausses, inlei'i'ompre
la circulation, entre l'Est et l'Ouest, en faisant sau-
ter un tunnel. Quant à l'intervention japonaise, le
seul fait acquis était l'accord du Japon et delà Chine
pour défendre la frontière mandchoue et l'interven-
k la mer sans lequel la Pologne ne serait rien, sur
le tracé de la frontière du côté allemand. Bien
entendu, la question du duché de Posen ne se posait
pas. Il s'agissait de faire une petite Pologne, dont
certains Polonais se seraient peut-être contentés,
mais qui ne serait qu'une dérision et un élément
supplémentaire de trouble à l'oi'ient de l'Europe.
L'entrevue que les deux empereurs avaient eue, au
milieu d'août, au grand quartier général allemand,
avait-elle porté sur ces sujets difficiles? Rien n'était
plus vraisemblable, mais le Communiqué très vague
qui avait été publié k la suite de cette visite n'avait
«• 140- Octobre 1918.
fourni aucune indication, sinon celle que l'on pou-
vait tirer de son imprécision même.
Quant à l'Autriche elle-même, sa situation ne
s'améliorait pas. L'idée d'une réorganisation de la
monarcliie dans le sens fédératif n'avait été acceptée
ni par les Autrichiens allemands, ni par la Hongrie.
La situation politique du ministère Hussarek pa-
raissait très précaire. On avait même lancé le bruit
de la retraite du comte Burian. En fait, l'absence
de renseignements précis, que nous avons déjà
signalée souvent en ce qui concerne les affaires au-
trichiennes, était de plus en plus sensible, et chacun
était libre d'interpréter à son gré ce silence de l'in-
formation. Le plus sage était de ne pas l'interpréter
du tout. On pouvait être certain que l'Autriche se
débattait au milieu de grosses diflicultés intérieures,
parmi lesquelles la moindre n'était pas la difficulté
alimentaire. Cela ne l'empochait pas de souhaiter
en Pologne une couronne de plus, qu'elle fût portée
par l'empereur Charles lui-même ou par quelqu'un
des siens; et ce seul fait suffisait à marquer que
l'Autriche, dans Ile cataclysme qui risque de l'em-
porter, continuait à suivre ses traditions d'agran-
dissement disparate et à jouer le rôle dangereux de
tampon entre l'occident et l'orient de l'Europe.
Dans ce mois où tant de mystères avaient caché
ce qui se faisait chez nos ennemis, rien, peut-être,
n'avait été plus énigmatique que ce qui se passaitdans
les Ball<an3. Que devenait, que pensait la Turquie?
A qui était l'influence? Qui était maître des direc-
tions politiques? Quel éiait le rôle présent d'Enver-
pacha? Que signifiait l'envoi à Berlin de Talaat-bey ?
Que devenait, que pensait la Bulgarie? Quelles trac-
tations s'agilaientenlre ces Etals et avec leurs alliés
cenlrau.x? Ferdinand de Bulgarie était-il malade et
suppléé auprès des empereurs par son fils Boris,
ou sain de corps et d'esprit et absent par calcul? il
fallait laissir à de plus habiles la réponse à ces ques-
tions. Pourtant, il était certain que Guillaume H
avait visité Ferdinand à Nauheim, que le tsar de
Bulgarie était l'objet de politesses de la part de la
Saxe et de la Bavière et que ces deux Etats, à la
grande colère de la presse pangermaniste, lui délé-
guaient des ambassadeurs. Ferdinand n'apparaissait
nullement dans la posture d'un souverain défaillant,
mais plutôt dans l'attitude, qui lui était plus fami-
lière, d'un joueur madré, qui mise sur plusieurs
cartes. En tout cas, pendant le mois d'aoiit, la parti-
cipation effective à la guerre de la Turquie et de la
LAROUSSE MENSUEL
toujours cherchés, qu'elle s'est crue en mesure de réa-
liser, qu'elle n'a certainement pas renoncé & conqué-
rir. Nous nedevions pas douter que les gouvernements
alliés ne fussent très avertis du danger qui pouvait
menacer l'Europe à l'est et de l'erreur qu'ils corn-
593
elle déclarait, maintenant, qu'elle luttait pour
l'exi.stence, en ce sens que sa propre politique et
SCS appétits effrénés pourraient bien avoir sérieu-
sement compromis son relèvement économique.
Les économistes allemands les plus éclairés et les
En ItaUe. Une batterie d'obusiers britanDiques, sur
qu'un orage vieut de
mettraient en ne surveillant pas le silence même de
la diplomatie allemande à ce sujet. Ils avaient, d'ail-
leurs, parfaitement le droit et même le devoir de ne
pas mettre le public au courant de ce qu'ils pou-
vaient faire à ce sujet. Ce que nous en disions n'a-
vait d'autre objet que d'empêcher l'opinion de nos
lecteurs de s'endormir sur ces questions un peu
le Tront de la Piave, traveriant une route de mootagne,
transformer eu torrent.
Le gros canon aUcmand qui bombardait Amiens, capturé par les Canadiens de la i'
et exposé au Champ-de-Mars, & Paris.
rmée britannique
Bulgarie avait été aussi peu apparente que pos-
sible, et on avait le droit de penser que ces deux
alliés de l'Allemagne lui apportaient plus de souci
que de satisfaction.
Quel profit l'Allemagne avait-elle à tirer de tout
cela? On le voit mal, et beaucoup de points d'inter-
rogation, inquiétants ou troublants, se dressaient
devant ses gouvernants. Ne doutons pas, pourtant,
qu'elle n'y fût très attentive et que les difficultés ne
fussent pas pour la rebuter. Nous ne devons pas, sous
prétexte que nous battons les Allemands sur notre
sol, nous désintéresser de l'Orient. Plus l'.Mlemagne
sentira sa décision lui échapper à l'Occident, plus elle
t&cbera de trouver en Orient les avantages qu'elle y a
ardues, nous lu reconnaissons, mais de si grande
conséquence.
La conclusion de ce court exposé est qu'à la fin
d'août, l'Allemagne ne pouvait compter sur rien de
certain du côté de l'Orient et que, si elle y travaillait
certainement sans bi'uit, ce travail n'avait rien pro-
duit d'effectif. C'était là, pour nous, un résultat. Plus
que jamais l'Allemagne avait besoin de la paix. Son
présent et son avenir en dépendaient. Elle mentait
elfrontément quand elle prétendait avoir, dès août
1914, fait une guerre défensive. Elle se rapprochait
de la vérité — si la marche des événements con-
tinuait, et le monde entier l'espérait, dans le même
sens qu'au cours du mois d'août 1918 — quand
économistes neutres les plus impartiaux sont d'ac-
cord pour penser que l'Allemagne nepeutse refaire
rapidement au point de vue économique que dans
la mesure où elle pourra se procurer les matières
premières qui lui manquent. Or, sans parler des
obstacles économiques que l'Entente et en particu-
lier les Etats-Unis peuvent metti-e à ce ravitaille-
ment industriel, pour châtier l'Allemagne de ses
crimes voulus et de ses destructions calculées, ou
pour venir à bout de son obstination, il suffit
que l'empire britannique devienne protectionniste,
ce qui placerait l'Allemagne, isolée, dans une po-
sition économique intenable. La Conférence éco-
nomique qui s était tenue à Londres, au début
d'août, entre les délégués des Dominions et le dis-
cours que Lloyd George y avait prononcé avaient
montré que, dans celte sorte de Société des nations
que forment les différentes partie^ de l'empire bri-
tannique, on était bien près de s'entendre pour éta-
blir des tarifs différentiels, qui constitueraient un
véritable protectionnisme à l'encontre des nations
non affiliées. 11 suffit que les puissances de l'Entente
coordonnent leurs tarifs avec ceux de r.\ngleterre
pour que le marché des matières premières soit
fermé à l'.-Mlemagne, ou ne lui soit ouvert qu'à des
conditions onéreuses. Soyons sûrs que ce danger
n'échappe pas à nos ennemis et que c'est là, pour
eux, une raison de pins de s'orienter vers la Russie.
Mais ne manquons pas d'apprécier à sa grande va-
leur cet élément de succès, que l'avenir réserve à
l'Entente. La guerre qui se poursuit depuis quatre ans
est une guerre économique. Les armes économiques
Y mettront fin, au moins autant que les batailles. Les
Etats-Unis en sont bien persuadés, et l'Allemagne
n'en doute pas.
Aussi bien, certains de ses publicisles s'aperce-
vaient du péril que lui faisait courir son isolement
et de la nécessité de se montrer un peu plus aima-
ble avec les neutres. Il était un peu tai'd, et ce qui
se passait avec l'Espagne ne paraissait pas présager
sur ce point un changement d'attitude. Les torpil-
lages incessants de navires espagnols a%'aient causé
à la marine hispanique un tort très grave. Le mi-
nistère espagnol, dans une Note nette et digne,
avait annoncé au gouvernement allemand qu'il se
payerait sur le tonnage allemand présent dans les
ports espagnols d'une quantité égale au tonnage
espagnol torpillé. On attendait la réponse alle-
mande, quand on apprit qu'un nouveau torpillage,
celui du Carasa, venait de se produire. Puis,
pendant qu'on attendait les résultats de l'enquête
faite par le consul espagnol de CardiCT sur cet acte
de piraterie, on recevait la nouvelle que l'Arit-
mendi, de Bilbao, chargé de charbons pour l'Es-
pagne, était torpillé sur les c6tes d'Irlande. Il n'y
avait pas lieu de s'étonner d'un procédé d'intimi-
dation qui est tout à fait dans la manière brutale de
l'.Mlcmagne. Au surplus, depuis le début de la
guerre, elle avait agi en Espagne comme chez elle,
et l'ambassadeur allemand, prince de Ratibor,
n'avait rien épargné pour compromettre l'Espagne
vis-à-vis de fEnteute. Nos votsins, qui sont aussi
594
nos amis, justement désireux de garder la neutra-
lité, avaient opposé à ces agissements une grande
patience, mise à l'épreuve par bien des incidents.
Il semblait que le peu de ménagement gardé par
l'Allemagne eût piqué au vif l'amour-propre espa-
gnol; il y i.vait à suivre avec un vif intérêt les
péripéties de cette afTaire délicate, qui pouvait avoir
des suites générales de haute importance et qui, en
tout cas, en ce qui concerne l'I'jspagne, avait, tant
au point de vue politique intérieur qu'au point de
vue du commerce maritime, un caractère de gravité
exceptionnel. Elle prouvait, du moins, une fois de
filus, ce que serait la vie des peuples faibles, si l'Al-
emagne triomphait et quel sort misérable son hégé-
monie réservait au monde.
Les Alliés s'employaient pour éviter celte déplo-
rable extrémité. La France, théâtre de la lutte,
supportait stoïquement et, depuis nos victoires, avec
joie, les conséquences de sa situation géograpiiique.
Elle voyait chaque jour l'Amérique lui apporter une
aide plus active et plus efficace. Sur son sol. Amé-
ricains, Anglais, Australiens, Canadiens, Néo-Zélan-
dais, Italiens, Portugais, Polonais, Tchéco-Slaves
mêlaient leurs armes et leur sang pour la défense
de l'humanité. Elle accueillait avec une vive sympa-
thie le voyage du travailliste américain Gompers,
venu pour exposer aux socialistes de l'Entente les
points de vue économiques et sociaux, si larges et
hI humains, des travailleurs américains. Paris,
bombardé à nouveau par les berthas, acceptait avec
le même calme celte nouvelle et absurde manifes-
tation du génie barbare de la Germanie. On avait
pleine confiance. A l'intérieur et au front, le gou-
vernement de Clemenceau semblait incarner la
résistance à l'invasion, l'union pour la patrie, l'es-
poir de la délivi-ance. La condamnation de l'ancien
ministre Malvy, par la Haute Cour, à cinq ans de
bannissement pour forfaiture, avait été accueillie
avec un calme parfait par la presque unanimité de
la nation, de plus en plus indifTcrente, en somme,
aux intrigues politiques, uniquement passionnée
pour les questions vitales. On était étonné de voir
certains partis, certains.hommes protester contre un
jugement rendu régulièrement et devant lequel
tout le monde avait le devoir de s'incliner. En fait,
l'opinion publique souhaitait la fin de ces scandales.
Elle estimait qu'on accordait à certains noms une
importance excessive et que, seuls, comptaient le
salut de la pairie, l'intégrité du sol français, l'ave-
nir économique du pays. A cela tout le monde
aspirait à travailler franchement, ouvertement, sans
arrière-pensée d'intérêt personnel. On voulait que
la France, à l'intérieur comme à l'extérieur, eijt
une politique, mais on avait assez des bavards, des
corrompus et des politiciens. Si nous l'avons déjà
dit, nous le répétons. — Jules Geebault-
icérye n. f. ou icerya n. m. Nom générique
d'une cochenille du groupe des hémiptères homo-
plères.
— Encycl. On sait que les cochenilles ou coccidés,
ou gallinsecles, connus aussi vulgairement sous le
nom (le/)ou.)-c/eip/«/i /es, sont de dangereux insectes,
dont le corps est recouvert d'une carapace et qui.
Larve d'Icerya PurchasI, au premier stade (très prossle). —
oisième stade larvaire d'icerya Purchasi (très grossi). —
3. M&Ie d'icerya Purchasi (très grossi).
i ,
S. Troisième
LAROUSSE MENSUEL
Immobiles sur une branche, implantent leur rostre
dans les tissus ei sucent sans relâche la sève. Leur
bouclier les rend très difficiles à détruire.
L'icérye de Purchas (icerya Purchasi) est une
redoutable cochenille, d'origine australienne, qui
fut introduite fortuitement en Calilornie en 1868 et
y anéantit de vastes cultures de citronniers et
d'orangers. Depuis, elle n'a cessé d'étendre son aire
d'habitat. Vers 1890, on la signale au Cap, en 1896,
le long des rives du Tage;
à la fin de 1900, à Porlici,
pré» de Naples et, enfin, plus
récemment, elle a été signa-
lée sur le pourtour médi-
terranéen , en Syrie , en
Egypte, dans l'arcliipel
grec, en Dalmatie et en
Sicile.
C'est probablement en
1910 qu'elle a été importée
fiar un lot de plantes ita-
iennes dans une propriété
du cap Ferrât, près de Nice.
Sa présence ne fut signalée
qu'en 1912, alors que ses
dégâts étaient déjà impor-
tants, car elle atteignait les
orangers, les mandariniers,
les citronniers, les rosiers,
les mimosas et même les
plantes sauvages comme les
romarins, les lierres, les
sparliers, les smilax, les
pins d'Alep.
Malgré les mesures éner-
giques prises en vue de
l'extinction de l'épiphytie:
taille très sévère des arbres
atteints, récolle de tous les
rameaux contaminés, puis
incinération sur place des
parties coupées, deslrnc-
lion par flambage, à l'aide
d'une lampe à souder, des
femelles ovigères, pulvéri-
sation aux poly sulfures
(2 à 4 p. 100), rien n'y fit.
A la fin de 1912, l'icerya
existait un peu partout dans
le voisinage de la propriété
contaminée la première.
Lorsqu'une plante est pa-
rasitée par les icéryes, celles-ci s'y trouvent en
telle abondance que les femelles sont pressées les
unes contre les autres en formant un revêtement
fu'esque continu. Pendant le 1"' et le 2» stade
arvaire, les icérves sont rangées en séries longitu-
dinales le long des nervures des feuilles. La cire
blanche ou jaune qui les recouvre les fait facilement
reconnaître. A un stade plus avancé, les cochenilles
gagnent les rameaux et, à l'état adulle, elles se loca-
lisent sur les grosses branches, on elles attirent
l'attention par les grands sacs cireux cannelés,
blancs, qu'elles sécrètent en arrière de leur corps
pour y pondre leurs œufs.
Les mâles adultes manquent souvent : ce sont des
insectes à deux ailes; ils passent inaperçus à cause
de leur petite taille et parce qu'ils se dissimulent
dans les fissures des écorces. La multiplication de
ces dangereux parasites se fait par parlliénogénèse
d'une façon à peu près illimitée, car le mâle paraît
n'avoir que peu d'importance.
Femelle adulte. — Le corps de la femelle est
semi-circulaire dans sa région antérieure et s'élargit
en arrière; elle a 4 millimèlres etpeut en atteindre 10
avec le sac ovigère. Le corps est d'un rouge mi-
nium vif, marbré de brun. La face supérieure est
marquée de sillons recouverts d'une sécrétion ci-
reuse et blanche. Les pattes et les antennes sont
noires ou brunes, et visibles seulement si l'on exa-
mine l'animal par la face ventrale. Les antennes
ont onze articles de longueur décroissante. Les té-
guments sont pourvus de nombreux pores glandu-
laires, garnis de touffes de poils courts et formant
une bordure autour du corps, qui porte en outre
de longs filaments radiés, comparables à du verre
pilé. A cet état, elle sécrète son coussinet blanc,
qui est creux et reçoit les œufs. Avant d'arriver à
cet état adulte, la femelle passe par trois stades lar-
vaires successifs :
1° Au sortir de l'œuf, la larve est d'une teinte
rouge vif; elle est aplatie, ovalaire, et ses antennes
n'ont que six articles. Le revêtement cireux, blanc
ou jaune pâle, se forme très tôt;
2° Après la première mue, la larve entre dans le
deuxième slade, caractérisé par des pattes plus
courtes et plus épaisses, avec des poils plus nom-
breux, disposés par touffes. La couleur rouge uni-
forme est marquée par la sécrétion cireuse;
3° Une deuxième mue fait passer l'icérye au troi-
sième stade. Le corps est largement ovalaire, et les
antennes ont neuf articles; les poils, plus abondants,
ont des orifices glandulaires marginaux, laissant
émerger une baguette fragile comme du verre.
Rameau infesté d'icéryes
adultes.
N' 140. Octobre 1918.
Mâle. — Les mâles semblent n'apparaître que de
temps à autre, sous l'inHuence de conditions parti-
culières. Cet insecte a 3 millimètres de long et une
largeur de 7™™, 5 quand les deux ailes sont dé-
ployées. Les antennes ont dixarlicles, portant cha-
cun deux verticilles de soie. Il a une couleur rouge
orangé, avec les ailes enfumées. L'abdomen se ter-
mine par deux tubercules porlant des poils allongés.
11 passe par trois stades larvaires; la troisième larve
se cache dans les fissures des écorces pour efiecluer
sa nymphose
Le nombre des générations est de trois dans le
cours d'une année, et la vie d'un individu depuis
sa sortie de l'œuf dure de trois à six mois, suivant
les circonstances.
h'icerya Purchasi est doué d'une fécondité re-
marquable. Chaque femelle pond de 500 à 600 œufs
dans le sac ovigère : leur nombre peut monter à 1.000,
lorsque les insectes sont peu nombi'eux et que la
sève est abondante. Les œufs, orangés, éclosent en
quelques jours en été. Par conséquent, une femelle
introduite dans un jardin où rien ne doit détruire
sa descendance aura, au bout de trois générations,
produit 125 millions d'individus. Si l'on évalue à
25 millièmescarrés la surfaceoccupée par une femelle
et son sac ovigère, au bout d'un an, la descen-
dance de quatre femelles occuperait une surface
de 12.500 m. c, soit 1 liect. 25 ares. On se rend
donc compte de la rapidité d'envahissement du
parasite.
Les cochenilles sont très peu mobiles; elles se
déplacent pendant quelques jours, puis restent fixées
le reste de leur vie. Les icéryes peuvent se déplacer
jusqu'à l'âge adulte, et les larves peuvent parcourir
5 centimètres à la minute, ce qui leur donne un
pouvoir de dispersion assez grand et leur permet
de passer d'un arbre à un autre.
En outre, le vent peut les disséminer à de grandes
distances. L'homme elles animaux, en les véhicu-
lant d'une place à une autre, créent de nouvelles
taches d'inl'ection. Le pouvoir de locomotion de la
femelle cesse à partir du moment où elle commence
à sécréter son sac ovigère. Les icerya sécrètent en
abondance un liquide sucré ou miellat, qui se ré-
pand sur les rameaux et sur les feuilles et sert de
substratum à la fumagine.
Trailemenls. — Au début d'une invasion, les in-
secticides peuvent être employés avec quelque effi-
cacité, mais, leur action étant toujours temporaire,
les pulvérisations doivent être fréquentes, ce qui
rend le traitement onéreux. On peut employer les
émulsions de pétrole et de goudron, la nicotine, les
polysulfures, les savons de résine; au Portugal, on
s'est servi du sulfure de carbone à la dose de 3 à
4 p. 100, émulsionné dans une solution de savon
potassique à 1,5 p. 100. 11 est bien entendu que les
pulvérisations doivent être faites pendant les pé-
riodes de grande éclosion des larves.
Ces traitements n'avaient pas plus réussi aux
Etals-Unis qu'ils ne réussirent ailleurs. Alors, le
directeur de la division d'entomologie du départe-
ment de l'agriculture des Etats-Unis songea à uti-
liser contre l'icerya ses ennemis naturels dans son
pays d'origine. Puisque, en Australie, cette coche-
nille était sans grande importance économique et
peu nuisible, il y avait lieu de supposer qu'elle était
tenue en échec par des ennemis. En 1888, un
agent du service fut donc envoyé en Australie et
en rapportait de nombi-eux parasites, parmi lesquels
il y avait une petite coccinelle, appelée novius car-
dinalis, dont les individus se multiplièrent si bien
qu'on put, en six mois, distribuer aux horticulteurs
dix mille spécimens de cette utile espèce. Une
année et demie après, la région était débarrassée
d'icéryes. C'était un magnifique succès.
Quand le service de phylopathologie français eut
connaissance de la présence de l'icérye au cap
Ferrât, il s'ingénia a se procurer l'ennemi, pour
ainsi dire personnel, de Vicerya, \e novius cardi-
nalis. On en reçut du laboratoire dePortici, du mi-
nistère du Portugal etde Californie. Ces individus,
élevés dans des cages, permirent bientôt de juguler
l'épiphytie. En sorte que, maintenant, s'il existe
encore des icerya, leur multiplication ne peut dépas-
ser une certaine limite, puisqu'elle est arrêtée par
celle du novius. (V. ce mot, p. 599). — a. MtaÉoAm.
Interrupteurs crépuscTilaires et au-
tres DISPOSITIFS F0^'CTI0^■NANT SOUS l'action de
LA LUMIÈRE. On donne le nom d'interrupteurs
crépusculaires à des dispositifs qui provoquent au-
tomatiquement l'ouverture ou la fermeture d'un
circuit électrique au lever du jour et réalisent la
manœuvre inverse lorsque la nuit est arrivée. Plus
généralement et dans le môme ordre d'idées, on a
pu concevoir des dispositifs, électriques ou non,
qui entrent en fonctionnement sous l'influence de
variations de lumière et qui provoquent le déclan-
chement d'un mécanisme destiné à assurer une
manœuvre quelconque.
La principale application de dispositifs de ce
genre se rencontre dans la commande du fonction-
nement d'appareils d'éclairage. Dans certaines de
ces installations, il est, en effet, primordial d'user
I
1V< r40. Octobre 1918.
d'un dispositif qui provoque l'éclairage artificiel aux
seules périodes où cet éclairage est nécessaire, soit
en agissant sur un circuit comprenant des lampes
électriques, soit en déterminant l'ouverture d'une
soupape ou d'un robinet, s'il s'agit de lampes ali-
mentées par une canalisation de gaz.
11 en est ainsi dans le cas de l'éclairage public,
l'automalicité du système ayant le précieux avantage
de supprimer tuute intervention humaine et de faire
Fig. 1. ÙUposilif à pile thermo^lectrigue pour l'allumage et
Vextinction des appareils d'éclairage par l'ejfet de la lumière ou
de ta ch lieur : a, rangées circulaires d'éléments de piles thermo-
électriques ; b, enveloppe en verre ; j, corps emmagasinant de la
chaleur ; c, base renfermant l'appareil d'allumage ; e, arrivée de
gaz; /, conduite de gaz aboutissant à un brûleur; d, armature
dont le poids est compensé par un ressort i. (Cette armature est
attirée par rëlectro-aimant g et vient obturer l'oritlce h, inter-
ceptant ainsi l'arrivée de gaz au brûleur.)
survenir l'éclairage artificiel au moment même où
l'éclairage naturel se maniieste comme insulfisarit.
Les dispositifs décrits ici trouvent également leur
place dans les installations de signaux maritimes lu-
mineux non gardés. Ces signaux sont, pour la plu-
Fig. 2. Dispositif agissant sous l'action de la lumière par di[fé-
rencr de dilatations ; 1. grosse tii'e polie; 2. fil noirci; 3 oti, blocs
maintenant la tige 1 et le ni 2 de même lnn:.'ucur. (Sous l'influence
de la lumière, le fll 2 ayant une capacité calorifique faible et LHant
noirci se dilatera beaucoup plus que la tige 1. 11 prendra une cer-
taine flèche, que l'on pourra utiliser pour commander une sou-
pape 5, Intercalée dans une canalisation C.)
part, éclairés au gaz et doivent brûler nuit et jour ;
de là une dépense considéralile de comljustible, qui
peut être notablement réduite si l'on interrompt
automatiquement l'illumination du signal dès l'ap-
parition un jour, ou dès que la clarté est suffisante
pour que le si.^'nal soit vi.sible indépendamment de
son foyer lumineux propre.
Un premier système pour la réalisation d'un in-
terrupteur crépusculaire consiste dans l'emploi d'un
radiomètre de Crookes. On connaît ces petits appa-
reils, qui comportent un tourniquet léger form^ de
LAROUSSE MENSUEL
plaquettes d'aluminium, noircies toutes du même
côté et polies de l'autre. Ce tourniquet est monté sur
un pivot, et le tout est enfermé dans une ampoule pri-
vée d'air. En exposant le radiomètre à la lumière, on
détermine la rotation du tourniquet. Ce mouvement,
qui s'effectue dans la direction allant de la face polie
à la face noircie de chaque ailette, est dil à la faible
dilférence de température existant entre les faces.
On peut utiliser la force centrifuge développée
par la rotation de ce moulinet pour fermer un circuit
électrique et réaliser ainsi un interrupteur crépus-
culaire. 11 suffit de relier au moulinet, par l'inler-
médiaire d'un petit régulateur centrifuge à manchon,
un anneau conducteur très léger, qui viendra s'in-
sérer entre deux conducteurs soudés dans l'ampoule
lorsque, la quantité de lumière reçue par l'appareil
élant suffisante, le moulinet se mettra à tourner à
vitesse convenable pour établir ce contact.
Un autre système d'interrupteur crépusculaire uti-
lise des couples thermo-électriques. Si l'on expose à
la lumière une des soudures réunissant les élé-
ments métalliques disposés en circuit fermé, il se
produira un courant électrique; plusieurs couples
de ce genre en série constituent une pile du type
qui est utilisé pour étudier les radiations calorifiques
du spectre solaire. Il est à remarquer que la force
électromotrice d'une pile ainsi constituée sera pour
ainsi dire constante, quelle que soit la saison, car
il est vérifié que, dans d'assez larges limites de tem-
pérature, la difi'érence du potentiel ne dépend que
de la différence de température entre les soudures
et non des températures absolues de ces soudures.
Un dispositif pourTallutnage et l'extinction alter-
native d'appareils d'éclairage par l'action diminuée
Ftg. 3. Dispositif base sur ta dilatation des liquiae^ : 7, réservoir
supéiieur h surface extérieure polie; T, réservoir inférieur À sur-
face extérieure noircie. (Les deux membranes 8 et 8' fermant ces
réservoirs sont réunies par un système de leviers 9, 10 et II);
12, membrane munie d'une pointe constituant le fond du réticr-
voir T. (lx>rsque le liquide se dilate, la pointe agit sur le levier IJ.
qui ferme la valve 14.)
ou augmentée d'une source de lumière sur une pile
thermo-électrique est représenté sur la figure 1,
accompagnée d'une légende explicative. Dans cette
forme d'exécution, le courant fourni par la pile agit
sur un électro-aimant, qui attire une armature cont-
mandant directement l'ouverture ou la fermeture
d'une valve d'admission de gaz. Cette commande
pourrait être également faite par l'intermédiaire
d'un relais.
Au lieu d'une pile thermo-électrique, on a songé
aussi à employer une pile photochimique. On con-
naît, en effet, depuis longtemps, l'existence de réac-
tions qui sont provoquées ou favorisées par la lumière
et sont accompagnées de phénomènes éleclrochimi-
qiies ayant pour résultat de donner naissance à un
certain potentiel. On peut obtenir une force éleclro-
motrice en plongeant dans certaines solutions deux
électrodes, dont l'une est éclairée et l'autre maintenue
dans l'obscurité. Mais cette propriété n'est intéres-
sante pour le but envisagé que si le phénomène est
réversible : il faut que, dans l'obscurité, la solution
considérée reprenne intégralement sou état primitif.
C'est le cas de la solution hydratée de chlorure fer-
reux et de chlorure mercurique, dont l'exposition à
la lumière provoque la transformation en chlorure
ferrique et chlorure mercureux; cette réaction étant
d'autre part réversible, soit très lentement par repos
dans l'obscurité, soit rapidement par utilisation des
charges électriques. Enfaisantdébilerunepilephoto-
chimique constituée comme ilestexpliqué ci-dessus,
la réaction contraire se produit à une grande vitesse,
indépendamment de la température.
Un autre système d'interrupteurs crépusculaires
est basé sur la propriété suivante : un corps exposé
à la lumière absorbe des quantités de chaleur diffé-
rentes, suivant que sa surface est polie ou noircie.
Sous ces deux états, il prendra donc des tempéra-
595
tures différentes; les faibles déplacements obtenus
par différence de dilatation peuvent être utilisés sur
des dispositifs convenables et servir, après amplifi-
cation, s'il est néces.saire, à commander un interrup-
teur, une valve ou un relais. •
Pour qu'un dispositif de ce genre fonctionne con-
venablement en tout temps, il y a lieu, évidemment,
de compenser l'effet produit par les différences de
températures de chaque saison. Cette compensation
est automatique dans l'appareil rcprc.sentë schéma-
tiquement figure 2 et qui comprend une lige de gros
diamètre polie et nn fil métallique noirci, fixés tous
deux entre deux blocs. Les deux tiges prendront des
températures différentes en raison de la différence
de leurs capacités calorifiques. L'allongement du fil,
rffiffli
\/
Fig. *. Interrupteur crépusculaire fonctionnant par le sélénium :
1 et 2, barres collectrices reliées à la conduite principale 3 ;
4, conducteur reliant les barres 1 et 2 aux bobines 6 d'un aimant
en fer à cheval 5 ; 8, languette fixée en 9 et dont 1 autre extrémité
s'appuie contre le bras lU d'un levier de contact à deux bras c, d,
sous rinflucnce d'un ressort en spirale 11 ; e, f, contacts: h, )t,
électros de contact; L, interrupteur de lumière; t, le, électro-
aimants qui font fonctionner alternaUvement Tinterrupteur L
dans un sens ou dans un autre; S, cellule de sélénium iolercalée
dans le circuit 4; 'W, résistance de compensation protégeant l'élé-
ment de sélénium contre une charge de courant trop forte, lorsque
la clarté du jour augmente.
plus considérable, lui fera affecter la forme d'une
chaînette, et la flèche ainsi déterminée pourra être
utilisée pour la commande d'un organe avec ou
sans levier amplificateur.
Une autre disposition, basée sur le même principe,
est représentée figure 3. Lorsque le liquide contenu
dans les vases se dilate ou se contracte sous l'effet
des variations de températures des saisons, la mem-
brane supérieure du vase inférieur s'élève ou
s'abaisse, commandée qu'elle est par celle du vase
supérieur, de sorte que la pointe ne se déplacera
que sous l'influence de la différence des dilatations
du liquide ducs à la seule action de la lumière sur
les parois noircie ou polie des deux vases.
Restent les systèmes d'interrupteurs crépuscu-
laires basés sur 1 emploi du sélénium. Ce métalloïde
possède, comme on sait, la curieuse propriété ue
varier de conductibilité électrique suivant la quan-
tité de lumière qu'il reçoit. Celte particularité a,
d'ailleurs, été utilisée pour la réalisalion d'appareils
de téléphotographie, oui donnent des résultats très
remarquables; on l'a également employée pour des
596
expériences de télévision, dont les dispositifsne sont
pas encore entrés dans le domaine de la pratique.
Dans les premiers inlerrupleurs crépusculaires
au sélénium qui ont été imaginés, un courant pas-
sant à travers une cellule de sélénium excitait, au
moyen d'un électro-aimant polarisé, une membrane,
dont les vibrations pins ou moins faibles étaient
transmises à un dispositif de contact, qui fermait
alternativement des circuits dans le but de mettre
en action d'autres relais de commutation. Lorsque la
cellule de sélénium était fortement éclairée, il pas-
sait plus de courant dans les bobines magnétiques,
la membrane était attirée davantage; les contacts
étaient fermés plus longtemps ou plus fortement, et
les différents relais entraient en action
La figure 4 représente une disposition perfec-
tionnée d'interrupteur automatique de lumière ac-
tionné par les crépuscules; elle a l'avantage de
permettre, sans risque de détériorer les éléments
de sélénium, l'emploi de courants assez forts, ce
qui évite la complication de plusieurs relais élagés.
De plus, l'appareil est plus sensible et n'exige pas,
pour fonctionner, des différences de lumière relati-
vement grandes.
La légende inscrite au-dessous de la figure fera
comprendre la disposition et le fonctionnement de
cet interrupteur. Les vibrations delà languette sont
plus courtes ou plus longues, suivant que l'élément
de sélénium laisse passer un courant plus ou moins
intense. Si les déviations diminuent, le contact clfse
ferme sous l'influence du ressort en spirale et le
courant, s'établissant parl'éleclroide l'interrupteur,
aura pour effet de l'aclionner dans le sens de la mise
en circuit. Lorsque les déviations de la languette
sont plus fortes, le contact s'établit en ce, ce qui dé-
termine l'excitation de l'électro k de l'interrupteur
et fait fonctionner ce dernier dans le sens de la
mise hors de circuit. — g. lainel et c. dubosc.
Lemercier de Neuville (Louis), litté-
rateur et auteur dramatique français, né à Laval le
2 juillet 1830, mort à Nice le 14 juin 1918. Fils d'un
employé des postes, modèle du fonctionnaire cons-
ciencieux et exempt d'ambition, Lemercier de
Neuville scandalisa de bonne heure le milieu de
paisibles bourgeois où le sort l'avait fait nailre par
l'étalage indiscret de ses goûts littéraires. Au col-
lège de Laval, où il passa quelques années, il suit
d'une oreille fort distraite les levons des bons Pères
et écoute chanter déjà les voix intérieures. «Atteint
de métromauie », nous dit-il lui-même, il remplit
son pupitre de vers inspirés par une muse précoce.
Chaque soir, les bons Pères jettent ces vers au panier
et, chaque matin, il recommence. Ces exercices quo-
tidiens portent leurs fruits : à l'âge de quinze ans, il
reçoit des encouragements de l'académicien Boulay
Patey; à dix-sept ans, une épîlre flatteuse de Victor
Hugo, qui loue en ses vers « la grâce et la sincérité
de la jeunesse »; à dix-huit ans, des éloges de
Béranger, qui, dans sa petite maison d'Auteuil,
reçoit cordialement le poète inconnu. La révolution
de Février 1848 éclate. Lemercier de Neuville, alors
candidat malheureux au baccalauréat, essaye d'y
être premier rôle, mais doit se contenter de l'em-
ploi plus modeste de figurant. — La politique ni le
goût des beaux vers ne nourrissant leur homme, il
faut chercher une situation. Lemercier de Neuville
sera, comme son père, employé des postes, métier
peu fait pour un Imaginatif et poui un indépendant.
Un an de stage dans l'administration le décourage,
et le voilà courant le monde, à la recherche d'une
position sociale. Agent d'affaires à Paris, puis se-
crétaire de théâtre à Rouen, puis comédien à Pont-
Audemer et à Honfleur, il ne subit, quelques années
durant, que des déboires. N'importe I la Chimère
l'entraîne vers des pays merveilleux, et sa muse, si
elle ne l'enrichit, le reconforte. De retour à Rouen,
il peut faire chanter sur une scène de la ville quel-
ques couplets. Ce succès l'encourage, et le voilà
qui, plein d'espoir, se met en roule pour Paris
où, pendant dix ans environ, il mènera la vie de
bohème selon Murger. La vie de bohème : pau-
vreté bravement consentie, privations, souffrances
d'amour-propre, déceptions, mais aussi passion du
beau, foi na'ive en son talent et en son étoile, en-
thousiasme ardent, entrain et jeunesse! Pour Vil-
liers de L'Isle-Adam, pour Glatisny, pour Aurélien
SchoU, Nadar, Théodore de Banville, Gambetta,
Tony Revillon, Desnoyers et tant d'autres, qui se
feront plus tard une réputation — éternelle ou pro-
visoire — dans le théâtre, la chronique parisienne
ou la politique, la vie est belle, malgré les mé-
comptes. Lemercier de Neuville fait partie de leur
cénacle, qui tient ses assises dans les cafés du bou-
levard et dans un petit restaurant de Montmartre,
et il laisse sur eux, dans ses mémoires, les plus
piquants souvenirs.
En 1855, il rédige un petit journal autographié :
la Muselière, dont il est lui-même l'illustrateur;
mais, au douzième numéro, il est condamné à un
mois de prison pour publication de dessins non
autorisés. 11 collabore alors à l'Indépendance dra-
matique, puis devient rédacteur en chef de l'Exem-
ple, revue morale.
Lemercier de Neuville.
LAROUSSE MENSUEL
Après quelques années assez difficiles, où il est
obligé d'accepter, pour vivre, toutes sortes de tra-
vaux plus ou moins littéraires, la bonne volonté,
l'activité, le talent et, surtout, l'extraordinaire faci-
lité de Lemercier de Neuville trouvent enfin leur
récompense. En 1856, le directeur de l'Ambigu,
ayant besoin d'un à-propos pour une représentation
de gala donnée à l'occasion du baptême du prince
impérial, s'adressa au jeune auteur, qui, en un jour,
mit sur pied une scène très réussie. Remercié par
l'empereur et avantageusement connu dès lors, il
put faire représenter à l'Ambigu un vaudeville : Re-
cette pour marier ses filles (1857), puis fonder, avec
Tony Revillon et de Parville, un journal : « les Nou-
velles de Paris », et faire paraître plusieurs romans
de littérature et d'histoire anecdotique : les Femmes
de Murger {186'i), les Courtisanes célèbres (186'i).
Sa réjiutation littéraire s'affirme, et les grands jour-
naux l'accueillent : le voici chroniqueur au « Gau-
lois », au Nain Jaune », au « Monde illustré », à la
Il Vie parisienne », au « Figaro » de Villemessant.
En 1861, le tout-
puissant direc-
teur du journal
« le Figaro » lui
confie — consé-
cralion éclatante
pour un chroni-
queur parisien —
la revue de fin
d'année, où doit
<lèfiler, en des
:illitudes fantai-
sistes , le tout
Paris littéraire,
artistique, poli-
tique et mon-
dain. Succès !
mais insuffisant
aux regards de
Villemessant,
car la verve de
Lemercier de
Neuville manque de férocité, et la revue de 1861
ne rapporte « ni procès, ni duel » !
C'est en 1863, seulement, que Lemercier de Neu-
ville trouve sa voie, et par l'effet d'un curieux
hasard. Un jour, il a, pour amuser son petit garçon
malade, découpé les silhouettes de ses amis et fait
jouer un guignol parisien. L'invention, connue de
son entourage, paraît amusante, originale : on lui
conseille de la présenter à une soirée mondaine.
Dans une réunion donnée par le photographe Carjat,
réunion où figure, de Gambetta à Carrier-Belleuse,
de Métra à de Lesseps, le tout Paris de 1S63, appa-
raissent pour la première fois les « pupazzi », cari-
catures vivantes des célébrités du jour, doués d'une
verve amusante, moqueuse parfois, à peine n rosse »,
mais jamais cruelle. Le succès est très grand : dès
lors, Lemercier de Neuville a trouvé enfin une car-
rière, celle de « montreur de marionnettes », qui lui
assurera gloire et fortune. A Paris, les organisa-
teurs de soirées mondaines se disputent Lemercier
qui, dans les plus célèbres salons, joue de char-
mantes comédies et, surtout, des revues où appa-
raissent — chansonnés avec l'esprit de fronde bien
français — les événements de la politique. Chez
Gustave Doré, chez Yéron, directeur du Chari-
vari, où il donne une représentation au lendemain
du procès Baudin, son succès, considérable, est
l'une des formes de l'opposition contre le régime
impérial déclinant. Cependant, il joue chez l'empe-
reur lui-même et dans divers grands tliéâtres. —
Après 1870, sa réputation, bien que l'actualité poli-
tique n'en soit plus la base, ne cesse de grandir.
Les petites comédies enfantines, les scénarios, tou-
jours d'une fantaisie légère et charmante sur les-
quels il improvise, sont représentés pendant trente
années durant dans les principales villes de pro-
vince et de l'étranger. Les tournées de Lemercier
de Neuville le conduisent à Lyon, à Marseille et
Bordeaux où, homme du Nord, il sait éblouir des
feux roulants de son espri t les Méridionaux ; à Bade,
où il joue devant M™" Ratazzi, cousine de l'empe-
reur, et Egerie de Ponsard ; à Strasbourg où, séjour-
nant à deux reprises après la guerre, il s'émeut
avec un patriotisme sincère et sans déclamation
sur le sort de l'Alsace captive ; à Monte-Carlo, où il
joue devant un parterre de princes. — Métier facile
en apparence, mais fatigant et exigeant une extra-
ordinaire souplesse que celui de montreur de ma-
rionnettes 1
Le spectateur que j'essaye d'amuser (dit Lemercier dans
ses souvenirs) ne se doute pas que pour lui j ai dft me faire
acteur, chanteur, danseur, imitateur, peintre, décorateur,
sculpteur, cartonnier, perruquier, chapelier, tailleur, ma-
chiniste, mécanicien.
Vers 1900, Lemercier de Neuville cesse de pré-
senter lui-même ses marionnettes et dirige les plai-
sirs enfantins au cercle de Monte-Carlo. En même
temps, il revient au journalisme et à la littérature,
rédige le « Journal de Monte-Carlo », publie plu-
sieurs volumes, contes ou romans : Contes abraca-
dabrants (1882); les Coulisses de VAmour (1885);
W 140. Octobre 1918.
Amvé par les femmes (1886); des caricatures, la
théorie du théâtre des pupazzi et, enfin (1911), les
délicieux Souvenirs d'un ynontreur de marionnettes,
pleins d'anecdotes charmantes sur li jeunesse litté-
raire du second Empire.
Aux œuvres déjà citées de Lemercier de Neuville
ajoutons : Petite pluie abat grand vent, proverbe
en un acte (1853) ; Postiches critiques des poètes con-
temporains (1856); la Comète ou la Fin du monde,
vaudeville en un acte (1857); la Nuit brune, opérette
en un acte (1857); le Sabot de Noël, comédie en
deux actes, avec couplets (1858): Angéline ou le
Voyage aux royaumes de la parure, de la gour-
mandise et du travail, moralité-féerie en trois
actes, avec couplets (1858); le Guide des fumeurs,
avec Cochinat (1859) ; la Mort de César, comédie en
un acte mêlée de couplets, pour pensionnats de de-
moiselles (1862); les Tourniquets, revue de l'an-
née 1861, en trois actes et douze tableaux (1862);
Physiologie des coiffeurs (1862) ; Mémoires de Cj'oc-
kets, stiivis de la recette pour dompter les lions
par un lion dompté (1863); les Amours d'une por-
tière (1863); Appelez-moi sergent, opérette (1865);
les Pupazzi, avec dessins de l'auteur (1x66) ; Paris-
Pantin (1868) ; le Rosier de Madeleine (1870) ; Après
l'orage, comédie en un acte et en vers (1871); le
Mandat impératif, pièce en un acte et en vers (1873);
Congédies du château (1880); les Trente-six métiers
de Becdanlo (18»o) ; Tout-Paris, revue de l'an-
née 1886 (1887) ; etc. Enfin, une série de biographies :
les Figures du temps (1861); le Général Roche-
brune (1863); le Général Langiewictz (1863).
Ecrivain de second plan, qu'une production abon-
dante et hâtive, une facilité funeste ont empêché
de créer un chef-d'œuvre, Lemercier de Neu-
ville est, par cela même, très représentatif d'une
époque et d'une tournure d'esprit. 11 évoque ces
années de la « Vie parisienne », où le centre in-
tellectuel du monde semblait fixé entre Tortoni,
Montmartre et l'Ambigu, où rayonnaient sur le
monde la gloire de l'esprit parisien et le prestige
du « Boulevard ». — J.-m. delisle
Mackau (Anne-Frédéric-Armand, baron de),
homme politique français, né à Paris le 29 no-
vembre 1832, mort dans sa propriété deVinier, près
de Vimoutiers(Orne) le 5 mai 1918. Il appartenait à
une vieille famille d'origine irlandaise, qui était
venue, dans le courant du xvii« siècle, s'établir
dans la Flandre espagnole et avait passé de là en
Alsace. Les de Mackau, créés barons en 1698 par
l'empereur Léopold et inscrits à la matricule de la
noblesse immédiate de la Basse-Alsace, tinrent un
rôle important dans l'administration de ce pays et
occupèrent pendant trois générations la charge de
stettmeister de la ville de Strasbourg. Le père du
baron de Mackau, entré dans la marine, s'éleva
jusqu'au grade d'amiral; il fut également ministre
de la marine sous Louis-Philippe, reçut de lui la
pairie et siégea au Sénat après 1852. 11 dirigea son
fils vers l'administration. En 1853, le baron de
Mackau entra comme auditeur au conseil d'Etat,
fut ensuite attaché au ministère de l'intérieur et
devint membre du conseil du sceau de l'empire.
Après ces années de préparation, il se tourna vers la
politique active et se présenta, en 1866, dans l'Orne,
comme candidat officiel. 11 fut élu, le 21 janvier, au
Corps législatif et réélu, en 1869, contre le ducd'Au-
diffret-Pasquier. Il siégea à la droite de l'Assemblée
et y soutint constamment la politique impériale.
L'effrondement du régime auquel il avait attaché sa
fortune le tint pendant quelques années éloigné de
la scène politique. 11 y reparut en 1876, en se por-
tant candidat aux élections législatives dans l'ar-
rondissement d'Argentan. Fidèle aux principes et
aux affections de sa jeunesse, il se présentait sous
l'étiquette bonapartiste. « N'attendez pas de moi,
disait-il, une profession de foi ou un programme ;
mon passé doit servir de l'un et de l'autre; j'entends
y rester fidèle, sans renier aucune des sympathies
que vous me connaissez ». Il fut élu sans concur-
rent par près de 16.000 voix. Ses électeurs lui gar-
dèrent dès lors leur confiance et, à chaque renou-
vellement de la Chambre, il fut constamment réélu
avec d'importantes majorités. Il conserva donc son
mandat pendant quarante-deux ans, et il l'exerça
avec une haute dignité.
Dès son entrée au Parlement, il s'était imposé
par la noblesse de son caractère, l'élévation de sa
conscience et la fermeté de ses principes. Il appor-
tait à défendre ceux-ci une énergie comliative, qui
fit bientôt de lui un des leaders de la droite. C'est
en cette qualité qu'il participa aux principaux évé-
nements dont fut marquée la vie parlementaire
pendant les vingt premières années de fa République.
Après avoir soutenu le gouvernement du 16-Mai, il
passa dans l'opposition et se signala d'abord par sa
vive campagne contre les projets de lois de J. Ferry
sur renseignement(ls79). Sons le titre de : le Projet
de loi Ferry devant les conseils généraux, il réunit
dans une brochure les vœux émis par les conseils
généraux dans la session de 1879 et montra que,
malgré l'opposition préfectorale, un grand nombre
d'entre eux s'étaient montrés hostiles au projet.
«• 140. Octobre 1918.
Celui-ci fut volé, néanmoins, maia de Mackau ne
désarma pas et, à l'occasion de la discussion du
budget, il prononça, le 4 décembre 1883, un discours
où, sans violence de mots, mais avec une documen-
tation précise et en laissant volontairement de côté
la question religieuse pour se maintenir strictement
sur le terrain pédagogique et financier, il faisait une
sévère critique de l'organisation nouvelle de l'en-
seignement.
En 1883, à l'approche des élections, les divers
partis conservateurs, mettant à profit les dissensions
qui, dans le clan républicain, opposaient opportu-
nistes et radicaux, se concertèrent pour une action
commune. De Mackau prit la tête de ce mouvement
et fut l'un des 76 signataires du manifeste des
droites. On sait comment celte manfeuvre faillit
réussir et que c'est seulement l'accoid tardif des
radicaux et des opportunistes, survenu entre les
deux tours de scrutin, qui assura à la nouvelle
Chambre une majorité républicaine. Le rôle impor-
tant que de Mackau avait joué dans la campagne
électorale lui valut d'être porté à la présidence de
l'Union conservatrice, puis de l'Union des droites.
C'est à ce litre qu'au lendemain de la chute du
ministère Goblet (mai 1887), de Mackau inlervint
auprès du président de la République, pour ré-
clamer une j)olitique religieuse moins défavorable
au clergé. Celte démarche, qui sortait des habi-
tudes parlementaires, émut assez vivement, à cette
époque, le monde politique; peut-être ne fut-elle pas
sans influence sur l'orientation nouvelle du minis-
tère Bouvier, qui, abandonnant la politique de
concentration, s'entendit avec la droite contre les ra-
dicaux et inaugura la politique dite « d'apaisement ».
Peu après, survint l'aventure boulaiigiste. De Mac-
kau, qui voyait dans les projets révisionnistes et
plébiscitaires du général et de ses partisans la pos-
sibilitédun chan-
gement de régi-
me et du triom-
phe de la cause
bonapartiste, se
déclarapubliqiie-
ment en faveur
de Boulanger. Il
soutint active-
ment la campa-
gnedecelui qu'il
proclamait « un
guide sûr, pour
parcouiirlesclie-
minsque la Pro-
vidence prendra
pour nous con-
duire vers l'ave-
nir nouveau que
chacun pres-
sent ». Il ne pou- Baron de Mackau.
vait plus claire-
ment faire entendre les secrets espoirs qu'il fondait
sur le chef du « parti national ». Mais, dans sa
confiance, il se préparait une profonde déception.
L'échec du boulaugisme démontra l'impuissance des
partis réactionnaires contre le régime républicain.
De Mackaule comprit et ne s'obstina point. En 1892,
cédant aux suggestions de la fameuse Kncycliquede
Léon XIII, il se rallia franchement àla Bépublique;
et il ne se borna pas k s'affilier au « parti consti-
tutionnel » ou des « ralliés », qui s'était organisé
le 3 mars, mais, le 9 octobre 1892, il prononça à
Carronges, dans l'Orne, un discours, où il recon-
naissait que la grande majorité du pays voulait la
République et où il faisait appel aux républicains pour
pratiquer de concert une sincère politique d'apaLse-
ment. Sans rien abandonner de ses convictions et
de ses préférences, il montrait par là un sens judi-
cieux des réalités politiques.
C'est cette qualité qu'il affirma, lorsque, de par son
privilège de doyen d'âge, il fut amené à prononcer
aux ouvertu-es de sessions le discours d'usage.
Toutes ses allocutions sont empreintes de l'esprit
le plus élevé; avec l'autorité que lui conférait sa
longue expérience parlementaire et qu'il tenait aussi
de Ta dignité de sa personne, il faisait entendre à
ses collègues de judicieux avis. Aucun ne fut écouté
avec plus de recueillement gue celui qu'il adressa
du haut de la tribune, le 12 janvier 191.5 :
Une seule pensée nous anime (proclamait-il avec uno
éner!;ie patriotique que l'âge n'affaiblissait point): repous-
ser l'agression longuement préparée. Un seul cri repond
i notre pensée commune : Salut à la France éteroellement
jeune I Salut à tous ceux qui ont versé leur sans? et donné
leiir vie pour la défense de la patrie, de la civilisation et
du droit, à tous ces héros anonymes dont l'histoire n'en-
registrera pas les noms et dont les exploits ignorés sont
le prix do la victoire ! Quant à nous, continuons do donner
à ceux qui luttent le spectacle de notre unanimité.
Ce patriotique appel, qui retentit au terme d'une
longue carrirre, en constitue, peut-on dire, la digne
conclusion. Il aide à préciser les derniers traits de
celte (Igure de parlementaire, qui maintint dans nos
Assemblées, où il semblait parfois un homme d'un
autre âge, les hantes traditions du parlementarisme
et qui s'imposa à l'estime et au respect même de ses
adversaires, parce que, au-dessus des préférences de
LAnOUSSE MENSUEL
partis, il plaça toujours l'amour de ;a France et le i
senlimcnt du devoir envers la patrie. Le baron
de Mackau était chevalier de la Légion d'honneur;
il avait épousé, en 1858, la petite-fille du maréchal
Maison. — FéUx ouiràsd.
Mal-^ry (l'Affaire). — Les grands procès db
LA GUERRE. — Malvy (Jean), député du Lot, a fait
partie du gouvernement, comme ministre de l'inté-
rieur, depuis le début de la guerre jusqu'au 31 août
1917. Il était, en outre, en dernier lieu, membre du
Comilé de puerre.
I. La gknkse db l'affaire. — Les accusations de
Georges Clemenceau. — Devant le Sénat, le 22 juil-
let 1917, le sénateur Georges Clemenceau relevait
contre Malvy une série de faits qu'il considérait
comme des complaisances du ministre vis-à-vis des
défaitistes, des fauteurs de grèves et des étrangers
cherchant à démoraliser la France. 11 lui repiochait,
notamment, ses relations étroites avec Vigo, dit
AlmereijUu. {\, Larousse Mensuel ill., p. 549, l'Af-
faire DU Bonnet liouge)
C'est surtout au point de vue politique que Cle-
menceau formulait ses criliques, et il concluait en
refusant sa conliance au ministre de l'intérieur.
Ce n'est pas (précisait-il) à cause de considérations
spéciales pour sa personne, mais à cau.se d'une expé-
rience de deux ans, dans laquelle il s'est montré — met-
tons tout au mieux — trop insuffisant au point de vue de
la surveillance des étrangers et de la tolérance des entre-
prises d'une bande d'auiipatriotes qui ont mis la Franco
en danger...
J'accuse M. Malvy d'avoir trahi les intérêts de la France.
Le ministre de l'intérieur répondit en expliquant
que tous les actes qu'on lui reprochait comme des
défaillances n'étaient que l'applicalion de sa poli-
tique : celle-ci, qui avait toujours élé la même,
avait pour but de maintenir l'union sacrée dans
le pays.
Tout en réprouvant inergiquement les menées
criminelles flétries par Clemenceau, le Sénat — à
l'appel du président du conseil Ribot, demandant à
tous les sénateurs de s'unir sur le terrain patrio-
tique — vota (à l'unanimité de 248 volants) un
ordre du jour de confiance, qui visait, entre autres
mesures urgentes, « la répression de la propagande
criminelle dirigée contre la discipline et la sécurité
du pays ».
L'a.Sa.\re An Bonnet Itouge avait éclaté et, lorsque,
le 14 août, survint la mort d'Almereyda, la malveil-
lance fit courir sur le ministère Malvy mille bruits,
qui prenaient corps dans la presse, surtout dans le
journal l'Action française, dirigé par Léon Daudet.
Le 31 août 1917, Malvy donnait sa démission de
minisire.
Les accusations de Léon Daudet. —Alors, des ac-
cusations visant des faits nettement criminels, évo-
quant non plus des responsabililés politiques, mais
des responsabilités pénales, furent articulées à la
charge de Malvy, dans une lettre que Léon Daudet
adressait au président de la République.
A la séance de la Chambre des députés du 4 oc-
tobre 1917, Malvy demandait à interpeller le gou-
vernement sur les mesures qu'il comptait prendre
« pour assurer l'œuvre de la justice dans le calme
et la sérénité nécessaires à la Défense nationale ».
Dès le début de celle interpellation, Paul Paiu-
levé, devenu président du conseil, fut amené — sur
la demande même de Malvy — à donner connais-
sance à la Chambre de la lettre de Léon Daudet au
président de la République.
De cette lettre, voici les passages principaux :
M. Malvy, ex-ministre de l'intérieur, est un traître. Il
a trahi la Défense nationale depuis trois ans...
Les preuves de cette trahison surabondent. Il serait
trop long de vous les exposer. Sachez seulement que
M. Malvy a fait renseigner exactement l'Allemagne sur
tous nos projets militaires et diplomatiques...
C'est ainsi que le haut commandement allemand a connu,
point par point. — pour ne citer qu'un exemple, — le projet
â'attaijue du Chemin des Dames, dés que M. Malvy fut
admis au Comité de guerre, aux applaudissements du
Bonnet Houge.
Sachez aussi que des documents d'une authenticité indis-
cutable montrent la main de M. Malvy et de la Sûreté
générale dans les mutineries militaires et dans les tragi-
ques événements du mois do juin 1917...
A ces accusations formelles Malvy répondit par
des dénégations indignées.
L'interpellalion se termina par le vote d'un ordre
du jour paraissant laisser au gouvernement le soin
de faire, par les procédés qu'il croirait utiles et
légaux, la lumière sur les accusations produites.
Le communiqué du gouvernement. — Quelques
jours après, le 16 octobre, l'ordre du jour de la
Chambre était suivi d'une note offlcielle aux jour-
naux, ainsi conçue :
Le président du conseil, ministre de la guerre, a commu-
niqué au conseil les résultats de l'enquête à laquelle il a
procédé, au lendemain de la séance de la Chambre du
4 octobre, sur les accusations de trahison portées contre
M. Malvy, ancien ministre, membre du Comilé de guerre.
Le gouvernement a constaté que l'enquête démontre
que toutes ces accusations, visant soit des communications
à l'ennemi de documents militaires ou diplomatiques, soit
des participations à des désordres militaires, ne reposent
sur aucun fondement.
397
Le gouvernement est résolu, ainsi qu'il la solenoellc-
ment proclamé dans sa déclaration, i, ne pas empiéter ou
laisser empiéter sur les rttribotions de lautorité judi-
ciaire, qui poursuivra son oeuvre jusqu au bout avec une
indépendance absolue; mais il a considéré comme son
devoir de faire justice, dans l'intérêt de U paix intérieure
et du moral de la nation, d'accusations dont la fausseiA
est démontrée et qu'il livre au jugement de Ia conscience
publique.
Le même jour, 16 octobre, la Chambre des dé-
putés fut saisie de l'incident par une interpellation
de Jules Delahaye.
Le président du conseil demanda le renvoi de
l'interpellation à la suite de l'ordre du jour, en in-
diquant qu'il n'avait rien à ajouter & la déclaration
qui avait paru le matin dans les journaux.
Et, pour répondre au reproche qui lui était fait
d'avoir, par ce communiqué, pris parti dans une
instruction en cours, Paul Painlevé déclarait qu'il
avait reçu Léon Daudet dans son cabinet; qu'il lui
avait fait observer que, lorsqu'on avait à formuler
des accusations que l'on croyait fondées, on devait
recourir aux voies ordinaires de la justice; que
Léon Daudet, avec une grande véhémence, avait
aflirmé sa conviction de tout ce qu'il avait écrit
dans sa lettre au président de la République. Paul
Painlevé concluait en ces termes :
C'est parce que ces questions ont été abordées par
M. Léon Daudet, en dehors des affaires en cours, que j'ai
pu faire connaître, dans le communiqué de ce matin, l'opi-
nion du gouvernement tout entier.
Mise en accusation par la Chambre des députés.
— Une déclaration du gouvernement, en pareille
matière, n'était nullement une décision s'imposanli
tous comme une décision de justice. Aussi Malvy
estima-t-il qu'il ne pouvait s'en tenir là, et il cher-
cha des juges. Il songeait an Sénat, c'est-à-dire à
la Cour de justice prévue par l'article 12 de la loi
constitutionnelle du 16 juillet 1875, en ce qui con-
cerne les crimes commis par les ministres dans
l'exercice de leurs fondions.
Et c'est ainsi que, le 22 novembre, il déposa lui-
même à la Chambre des députés une proposition de
résolution demandant la nomination d'une commis-
sion de 33 membres, avec mission d examiner s'il
y avait lieu de le mettre en accusation, pour crimes
commis dans l'exercice de ses fonctions de ministre
de l'intérieur.
Celte commission — après des Incidents mul-
tiples — décida de s'en tenir, sans instruction
préalable, sans aucune vérificalion, aux accusations
formulées contre Malvy et à ses dénégations; elle
proposa à la Chambre de les transmettre telles
quelles au Sénat, en laissait le soin à celui-ci de les
contrôler.
La Chambre adopta les conclusions de sa com-
mission. Et, par une résolution votée à la séance
du 28 novembre, — par 612 voix contre 2 — elle
releva contre Malvy, ministre de l'intérieur, sous
la réserve de ses protestations, la double incul-
pation :
1" D'avoir, de 1914 à 1917, sur le territoire de la
République et dans l'exercice de ses fonctions de
ministre de l'intérieur, renseigné l'ennemi surtous
nos projets militaires et diplomatiques, spéciale-
ment sur le projet d'attaque du Chemin des Dames;
2" D'avoir, dans les mêmes circonstances de
temps et de lieu et dans ses fonctions de ministre
de l'intérieur, favorisé l'ennemi en provoquant ou
excitant les mutineries militaires.
Et, « vu les articles 77 à 81 du Code pénal », la
Chambre ordonna la mise en accusalion de Malvy
et son renvoi devant le Sénat, « pour y être jugé ».
II. Devant le Sénat. — La particulari té du procès
était peut-être sans précédent : il s'agissait d'un
inculpé volontaire, qui, s étant mis, en fait, lui-
même en accusation, allait comparaître devant les
juges qu'il avait spontanément sollicités.
Une loi du 5 janvier 1918 établit la procédure
pour l'exercice du droit de haute justice que le
Sénat tenait de la Constitution et dont il n'avait
jamais eu l'occasion d'user.
Et, comme conséquence immédiate, fut constitué,
parmi les membres inamovibles de la Cour de cas-
sation, le parquet de la Cour de justice : Mérillon
procureur général; Lombard et Sénac, avocats gé^
néraux.
Malvy avait choisi comme avocats M» Bourdillon,
ancien bâtonnier, et M« Paul Guillain.
La Cour de justice a été tenue au palais du
Luxembourg, en la salle des séances du Sénat, sous
la présidence d'Antonin Dubost.
Information préalable. — Le 28 janvier 1918, k lt
seconde audience de la Cour de justice, le procu-
reur généra Mérillon et M« Bourdillon se trouvè-
rent d'accord pour demander qu'il fût procédé, par
une commission spéciale, à une information aurles
faits de l'inculpation.
La Cour prescrivit cette information préalable,
et elle fut immédiatement commencée, sous la pré-
sidence de Monis, par la commission d'instruction
constituée.
Les préliminaires des débats. — Les débals pu-
blic» se sont ouverU, le 16 juillet 1918, par la lecture
598
(lu rapport rédigé, au nom de la commission d'ins-
truction, par Pérès, sénateur de l'Arièye.
Ce rapport peut se résumer ainsi :
Preuve n'a été faite devant la commission d'aucun des
deux chefs d'inculpation relevés par la Chambre des
députés.
Mais la commission a soumis à ses vérifications tous
les actes, ovciiements et circonstances avant pu être de
nature à exciter ou provoquer les mutineries militaires.
Ainsi, il a été établi que ces mutineries avaient été le
fait d'organisations dôlaitistes suscitées parrAllcmagno;
que ces organisations avaient été dénoncées au ministère
de l'intérieur par le grand quartier général de l'armée ;
que le ministre de l'intérieur n'a rien fait pour les mettre
hors d'état de nuire. Et c'est à ce point que — l'accusa-
tion primitive se trouvant transformée — se délimite au-
jourd'hui le terrain du débat.
D'étranges pratiques ont été, pendant trois années do
guerre, en honneur au ministère de l'intérieur et à la
Préfecture db police. La police et l'administration pro-
diguaient, jiourobéirà leurchef, toutes les complaisances,
toutes les indulgences et, trop souvent, leur compliciti'
même aux principaux meneurs dusyndicclisme, aux pires
perturbateurs anarchistes, aux propagandistes du défai-
tisme, aux prédicateurs de la trahison, à la bande Almo-
royda,aux agents, conscients ou inconscients, de l'ennemi.
Kt Malvy tolérait tout, permettait tout, couvrait tout.
Brusquement, dans les conclusions du rapport,
l'ombre de Joseph Caillaux surgissait :
Il y aurait à rechercher s'il n'y a pas eu une pensée
directrice dans tout cela...
Finalement, Pérès posait celte question :
Les actes que, en examinant toute la gestion de M. Malvy
de 1914 à 1917, votre commission d'instruction a dégagés
à îa charge de l'ancien ministre pré.sentent-ils le carac-
tère d'une complioUô criminelle ?...
A quoi, en un réquisitoire oral, Mérillon ré-
pondit :
Après examen de tous les faits établis (ceux énumérés
par M. Pérès), il nous est permis de déclarer que ne peut
être mise en doute la complicité de M. Malvy dans la
trahison par laquelle l'existence même du pays a été
menacée.
La loi prévoit plusieurs formes de complicité. Dans
notre cas, celle (\ne nous constatons, c'est la complicité
par aide et assistance, visée au § 3 de l'article 60 du
Code pénal.
M. Malvy pourra peut-être discuter les conditions dans
lesquelles il a prêté aux criminels aide et assistance;
nous ne supposons pas qu'il puisse avoir la prétention de
soutenir qu'il n'a pas eu connaissance de leurs agisse-
ments criminels.
Admirablement placé pour savoir ce qui se passait,
ayant même pour premier devoir de s'en rendre compte,
il a eu devant les yeux, nettement précisés et déterminés,
le but et la portée des actes qui lui étaient constamment
révélés : propagande dans la presse; propagande dans
les usines; tentatives de démoralisation au front, parmi
les soldats, et même les officiers ; un ardent apostolat
à l'intérieur contre l'armée, en faveur d'une paix à tout
prix.
Tout le inonde l'eût-il ignoré que le ministre seul ne
pourrait soutenir qu'il n'en a pas eu connaissance.
Mais il y a plus : l'information démontre qu'il a été
prévenu par ses fonctionnaires, par ses services, et qu'il
n'a pas voulu tenir compte des utiles indications qui lui
étaient données. *
A propos da mobile qui avait inspiré la conduite
de Malvy, le procureur général — par une très
évidente allusion à Joseph Caillaux — indiquait ,
M. Malvy avait été imposé au ministère de l'intérieur,
pour seconder les vues d'une volonté supérieure à la
sienne. Il entendait, dans tous ses actes, soutenir les ten-
dances du maître, qui voulait gouverner et diriger le
pays en dehors du gouvernement régulier.
Il voulait, en outre, s'assurer, dans certains partis, une
clientèle pour l'avenir.
Kt, s'il se faisait, en agissant ainsi, l'illusion qu'il ne
trahissait pas directement son pays — ce que nous n'avons
pas prétendu — il n'en apportait pas moins à la trahison
un concours qui constituait, et ne pouvait pas ne pas
-constituer, une con^Ucité consciente par aide et assis-
tance.
Ecartant tout autre grief, le procureur général
requit qu'il plût à la Cour ;
Déclarer M. Malvy coupable de s'être rendu complice
du crime prévu et puni par l'article 77 du Code pénal (in-
telligences avec l'ennemi), en aidant ou assistant avec
connaissance l'auteur ou les auteurs de ce crime dans les
faits qui l'ont préparé ou facilité, ou dans ceux qu" l'ont
consommé.
Les débats, — Dans son interrogatoire, l'accusé
<îiscuta, pas à pas, chacun des laits évoqués; mais
sa défense, en somme, revint toujours k ce même
argument :
Jamais je n'ai agi, dans ma gestion ministérielle, qu'en
parfait accord avec la politique générale des ministères
auxquels j avais l'honneur d appartenir. Les présidents
du conseil de ces divers ministères viendront vous l'at-
tester.
K* les actes que l'on me reproche comme des complai-
sances coupables envers des meneurs défaitistes ou
anarchistes ne sont que la manifestation du désir d'assu-
rer l'union de tous les Français, pour la défense de la
patrie commune I...
Le premier témoin entendu, ce fut Léon Daudet.
Il n'apportait rien d'imprévu. 11 évoqua les tristes
suppôts de la politique allemande en France pen-
dant la guerre, notamment Landau, Golsky, Joucla,
Duval. Derrière chacun d'eux, infailliblement, il
distinguait trois personnages, toujours les mêmes :
LAROUSSK MENSUEL
n Almereyda, l'homme de main ; Malvy, le protec-
teur; Joseph Caillaux, le patron 1 »,
Pour la plupart, les fonctionnaires de la Sûreté
générale et de la Préfecture de police appelés à la
barre de la Cour de justice accabb-rent de démeu-
Lis formels l'accusé, démontrant ses complaisances
sans limite envers toute la tourbe des agents de
démoralisation, établissant ce qu'avait été dans ses
détails l'action de l'ex-ministre de l'intérieur
De la prison de la Santé lut amené l'ancien col-
laborateur de Malvy, l'un des condamnés de l'af-
faire du Bonnet Honge, Celui-ci déclara :
Je n'ai jamais traité seul une question importante. Je
n'ai pas pris une mesure qui n'ait été approuvée par le
ministre.
Malvy s'écria :
Oui ! Hors l'affaire du chèque Duval — que je n'ai pas
connue — tous les actes de M. Leymarie ont été accom-
plis d'accord avec moi. Il avait ma confiance; je la lui
garde 1
Toute une série de dépositions se groupèrent au-
tour de deux faits : la protection accordée aux étran-
gers suspects, à ceux qu'on a appelés les « Hoches
de l'intérieur »; — au minislt-re de la guerre, sur
l'ingérence plus ou moins directe de Malvy, la sup-
pression du 2* bureau (bureau des renseignements
et du contre-espionnage), qui aurait été causée (par-
tiellement, tout au moins) par l'ardeur que le 2*= bu-
reau mettait à dénoncer ces suspects.
Cependant, Malvy continuait à défendre avec
énergie ce qu'il nommait sa « politique ». Il affir-
mait, déplus en plus nettement, que cette politique
avait été connue et approuvée par les autres mi-
nistres.
Viviani, Briand et Ribot, qui s'étaient succédé à
la présidence du conseil pendant que Malvy était
ministre de l'intérieur, vinrent, à tour de rôle, expo-
ser la politique générale de leur cabinet respectif,
qui avait été une politique de confiance vis-à-vis de
la classe ouvrière. Et, en faveur de Malvy, ils sou-
tinrent, tous trois, avec des nuances, la même thèse.
Viviani expliqua ;
Nous avons tout connu, tout approuvé de la gestion de
notre collègue , aujourd'hui accusé. Ainsi donc, c'est
notre procès que fait 1 accusation, — le procès de notre
intelligence, ou bien celui de notre conscience.
Quant à Briand et à Ribot, ils certifièrent que le
ministre Malvy s'était toujours, dans ses instruc-
tions, dans ses circulaires, dans ses actes, conformé
aux directives arrêtées par les cabinets dont il fai-
sait partie.
A la thèse des présidents du conseil le procureur
général Mérillon répliqua :
C'est précisément la discrimination que j'établis entre
la politique générale des divers ministères et les actes
personnels de M, Malvy qui sert de base à mes réqui-
sitions.
Son réquisitoire, le haut magistrat le commença
pendant la seizième audience, le 2 août.
Mérillon, — prenant les faits un à un, rejetant
tout ce qui ne lui paraissait pas irréfutablement dé-
montré ou d'une culpabilité indiscutable, — soute-
nait, en sa froide méthode ;
Par négligence, par camaraderie, par faiblesse, par
« aide et assistance », le ministre Malvy est, au sens de
l'article 60 du Code pénal, devenu le complice d'hommes
qui, eux, tombaient, pour intelligences avec l'ennemi,
sous le coup de l'article 77, — ainsi qu'il y a chose jugée
pour Duval et ses acolytes du Bonnet B<'Vf/é.
Il y a des faits très nets d'aide et d'assistance.
A part les actes personnels de M. Malvy, il y a ceux
commis, sous sa responsabilité, par Leymarie et autres.
Au ministère de l'intérieur, M, Malvy était le représen-
tant d'un parti, dont M. Caillaux était le chef. Les actes
de M. Malvy avaient pour effet do servir M. Caillaux.
Politique de bienveillance envers la classe ouvrière !...
Certes, les présidents du conseil ont bien fait do la vou-
loir; mais ce n'est point leur politique qu'a suivie
M. Âlalvy, Quelle distance entre le principe et l'applica-
tion I La politique d'indulgence n'a jamais pu avoir pour
objet de laisser le crime s'établir dans ce pays.
Si MM. Viviani, Briand, Ritiot avaient eu à suivre
leur politique au ministère de l'intérieur, jamais ils n'au-
raient admis qu'un Almereyda, qu'un Sébastien Fauro se
substituent au véritable pouvoir.
Vous avez devant vous un ministre qui n'a pas rempli
son devoir. Va-t-il sortir absous de vos délibérations?...
NoD- Vous le condamnerez.
Pour la défense de Malvy, l'argumentation du
bâtonnier Bourdillon fut ingénieuse et solide,— en
une forme savante et sobre.
L'avocat dit, en sa péroraison :
Je demeure stupéfait lorsque je me rappelle le point do
départ de cette affaire et celui où nous sommes arrivés.
Plus de trahison. Il n'est plus question que de négligence,
de manque de surveillance, de complicité par incurie. II
no subsiste plus qu'une accusation découronnée, reposant
sur des bases par trop fragiles.
On peut reprocher à M. Malvy des fautes ; mais ce n'est
pas pour réprimer des erreurs que votre haute juridiction
a été instituée.
Après M« Bourdillon, l'accusé présenta une courte
défense, réclamant un arrêt sans équivoque :
Ou je suis complice de traître, et alors pas de pitié I
— Ou je suis innocent, et vous no pouvez pas mo désho-
norer.
N* 140. Octobre 1918.
Question stibsidiaire de forfaiture, La condam-
nation.— Le 5 août, les débats étant terminés, la Cour
de justice entama son délibéré, dans le buis clos de
la chambre du conseil.
Tout d'abord, la Cour proclama — en invoquant
Torigine constitutionnelle de sa juridiction spéciale
— sa souveraineté absolue : quant à la procédure et
i la compétence; quant à la qualification des faits;
quant au clioix et à la graduation de la pénalité,
^ans tenir compte des prescriptions de nos lois
répressives.
Et, comme première application au principe de
sa souveraineté, elle décida qu'il y avait lieu d exa-
miner — par voie de question subsidiaire — si
Malvy ne se serait pas rendu coupable d'un tout
autre crime que ceux envisagés jusque-là : celui de
forfaiture.
L'audience publique fut reprise.
Le procureur général estima que la Cour pouvait
parfaitement, en fait et en droit, déclarer l'accusé
coupable de forfaiture et lui appliquer la peine que
l'article 176 du Code pénal prévoit pour ce crime :
la dégradation civique.
Dans sa réponse, M® Bourdillon saisit la Cour de
conclusions tendant à faire entendre des témoins
sur le point spécial de forfaiture qui brusquement
surgissait.
Après un nouveau délibéré à huis clos, la Cour
de justice, le 6 août, rendit sa décision.
Elle rejetait comme inutiles et mal fondées les
conclusions de l'accusé en ce qui concerne l'audition
de nouveaux témoins.
Elle déclarait Malvy non coupable, tant comme
auteur principal que comme complice, du crime
d'intelligences avec l'ennemi.
Au contraire, elle le déclarait « coupable d'avoir,
dans ses fonctions de ministre de nntérieur, de
1914 à 1917, méconnu, violé et trahi les devoirs de
sa charge dans des conditions le constituant en état
de forfaiture »,
A l'appui de cette affirmation de culpabilité étaient
énoncés les motifs suivants :
Attendu qu'il est constant pour la Cour qu'un plan a été
concerté sur le territoire de la République, dès la fin
de 1914, pour ruiner la défense du pays, en portant atteinte
à la force morale de la nation et à l'esprit de discipline de
l'armée ; que cette propagande criminelle s'est exercée
notamment par la création de journaux, par la diffusion
de tracts, par des discours et des conférences;
Attendu que Malvy n'a pas ignoré l'existence de cotte
criminelle entreprise, dont tous les témoins entendus ont
signalé la gravité et qui a été la cause principale des
mutineries militaires de mai et juin 1917;
Mais, attendu qu'au lieu d'opposer à cette propagande
l'action la plus énergique, l'accusé a accordé des subven-
tions à un journal (le Bonnet lîouge), dont les principaux
rédacteurs ont été condamnés pour intelligences avec
l'ennemi, en vertu de décisions passées en force de chose
jugée ; qu'il a facilité par des faveurs et des complaisances
abusives les agissements criminels d'Almereyda. de Duval
et de Sébastien Faure; qu'il a entravé la surveillance des
tractations auxquelles se livrait, par l'intermédiaire de ia
femme Duverger, l'espion Lipsclier; qu'il s'est refusé à
empêcher la propagande antipatriotique de l'anarchiste
Vandamme, dit Mauricius; qu'il s'est refusé à autoriser
dans les imprimeries clandestines, où elle pouvait être uti-
lement pratiquée, la saisie de tracts excitant les militaires
à la désobéissance envers leurs chefs et à la trahison
envers la patrie;
Attendu qu'en vertu des instructions générales qu'il
avait données, l'action des lois pénales a été suspendue
ou empêchée au profit d'anarchistes notoires, recherchés
pour délits de droit commun; qu'enfin, l'accusé a détruit
tout ou partie d'un dossier contenant les charges relevées
contre Sébastien Faure, dossier qui lui avait été commu-
niqué à raison de ses fonctions;
Attendu que Malvy prétend vainement, pour sa défense,
qu'il n'a fait qu'exécuter les instructions et la politique des
gouvernements dont il faisait partie; que cette politique,
tendant à l'union sacrée de tous les Français devant 1 en-
nemi, ne saurait être en cause devant la Cour de justice ;
que l'accusation reproche ajuste titre à l'accusé d'avoir
poursuivi une politique personnelle d'abandon et de fai-
blesse, qui laissait s'accroître chaque jour un danger dont
il ne pouvait méconnaître la gravité, alors que la doctrine
des gouvernements dont il faisait partie consistait à appli-
quer la loi pénale à tous les criminels, quels qu'ils fussent ;
Attendu que Malvy soutient encore en vain qu'il était
obligé d'agir comme il l'a fait, sous peine de provoquer
des crises et des soulèvements plus dangereux encore
pour le pays que la propagande qu'il laissait s'exercer;
Attendu, en etîet, que cette défense no saurait justifier
les actes rcproclics à l'accusé; qu'elle est démentie par
l'élan patri:>tiquo de la presque unanimité des ouvriers
français et qu'elle a le tort grave de les supposer capa-
bles do se solidariser avec des repris de justice et des
hommes tares, qu'ils auraient chassés do leurs groupes
s'ils avaient connu leur action et leurs dessoins...
Quant h la condamnation, la voici : cinq années
de bannissement, — avec dispense de la dégradation
civique et aussi de l'interdiction de séjour, une fois
la peine exécutée.
Immédiatement, une question fut agitée par la
presse et l'opinion : le bannissement étant une peine
infamante, privative par elle-même des droits civils
et politi(|uos, Malvy peut-il, bien que dispensé de la
dégradation civiqne, conserver son mandat de dé-
puté? — Ce mandat, la Cour de justice n'a-t-elle
pas, implicitement, entendu le révoquer?
Quatre jours après, le 10 août, le proscrit quittait
Paris pour l'Espagne.
/»• 140. Octobre 1918.
Avaiit son départ, il avait adressé aa président
de la Chambre des députés une lettre, où iiafrirmait
que son mandat de député, « il le gardait, avec la
plénitude de ses droils »; que « seul, l'obstacle
matéi'iel de l'exil » l'empêcherait de l'exercer. De
cette lettre, un autre passage est à noter :
Désireax, à l'heare grave où se joue le sort de mon
pa^s, d'éviter qu'il soit distrait do son effort par aacuae
agitation, j'obéis à l'arrêt (jui me frappe.
Je quitte la France, mais on criant bien haut que je
n'accepte pas, que je n'accepterai jamais cet arrêt poli-
tique, qui frappe une politique. — M» LioacnT.
novlus {uss) n. m. Nom générique d'un insecte
coléoptère du groupe des coccinellidés.
— Encycl. li'espt'ce la plus connue est le novius
cardinal (novius cardinalis). Celle coccinelle, ori-
ginaire d'Australie, est l'agent le plus efficace
que nous ayons à notre disposition pour com-
battre Vicerual'urchasi. ("V. ioéryb, p. 594.) Comme
tous les coléoptères, au cours de son évolution, elle
aiïecte trois formes dilTérentes : la larve, le nymphe
et l'iinafço ou insecte parfait, h'insecle parfait est
long des à 4 millimètres, de forme ovale, bombé du
côté dorsal, aplati du côté ventral, avec de petites
antennes à huit articles. 11 est d'un rouge sanguin
et marqué de taches noires, deux sur chaque élytre,
et une au bord interne. La tête est noire; le pro-
tborax présenle à sa base une bordure noire.
La larve, parvenue à sa taille complète, mesure
6 millimètres de long; elle est formée de onze seg-
ments apparents en plus de la tête; elle est de
couleur fauve ou brunâtre, avec des tubercules
noirs sur les segments du corps. Outre ses trois
paires de pattes arliculées, qui se trouvent sur les
trois premiers segments, celle larve est pourvue
sur son dernier anneau d'un pseudopode rétractile,
dont l'animal se sert pour se fixer au support sur
lequel il se déplace. La partie postérieure est re-
courbée en dessous du corps.
Après l'éclosion, la larve subitdesmues, puis, se
fixant par son extrémité postérieure, elle se sus-
pend, la tête en bas, pour se transformer en
■"^m^
1. NoTius adulte; 2. Larve de novius ; 3. Icerya adulte, avec œufs
de novius sur le tac ovi^ère ; 4. Nymphe de no\ ius sur une feuille.
(/nseci» et larves très grossis.j
nymphe. Celle-ci, d'un brun rouge, marqué de noir,
reste partiellement enveloppée par la dernière dé-
pouille de la larve.
La femelle, fécondée aussitôt après sa métamor-
phose, est plusieurs semaines pendant lesquelles elle
pond lâOàaoOœufs, d'un rouge plusfranc elplusfoncé
que ceux de l'icérye de Purchas. Ils sont aussi plus
petits et plus étroits et sont déposés sur les sacs ovi-
gères des icerya, parfois sur les insectes eux-mêmes
ou sur les rameaux voisins. Les œufs mettent
cinq à six jours pour éclore, et les jeunes larves
s'enfoncent tout desuile dans les sacsovigères pour
dévorer des oeufs des icéryes. Plus tard, lorsqu'elles
sont plus fortes, elles s'attaquent à l'insecte lui-
même, h tous les stades de son développement.
Ayant atteiii t sa croissance au bout de trois semaines,
la larve efTeclue sa nymphose, qui dure une semaine.
L'adulte se nourrit aussi d'icéryes; mais il peul
subsister assez longtemps en l'absence de ces co-
chenilles, et il arrive à dévorer ses propres œufs,
lorsque les vivres deviennent rares.
Le nombre des générations est de six par an,
soit le double de celles de Vicerya. Le nombre des
œufs pondus et la descendance produite pour un
seul couple en un an est donc de 6'i trillions d'indi-
vidus. Si l'on ajoute à ce fait que le novius n'a pas
d'ennemis dans le pays où il a été importé, on com-
LAROUSSE MENSUEL
prendra pourquoi il peut facilement enrayer la
pullulation de t icerya l'urchasi.
Son succès fut prodigieux partout où il fut intro-
duit: en Californie, au Portugal, dans la colonie du
Gap et dans les Alpes-Maritimes. Au cap Ferrât,
l'élevage se nt d'abord dans un garde-manger, dont
les parois métalliques furent doublées d'une mousse-
line fine pour empêcher la fuite des jeunes larves,
puis dans une rage k parois de verre, avec une seule
ouverture à la paroi supérieure. Une grande enve-
loppe de tulle permettait de faire toutes les mani-
pulations à l'air libre, sans que les imagos pussent
prendre leur vol.
On mettait à leur disposition, pour leur nourri-
ture, dans la cage, des rameaux chargés d'icéryes.
Ensuite, quand le nombre des novius (ul assez grand,
on tenta une colonisation en plein air, en attachant
sur un arbre envahi une boite en carton contenant
les novius. Dans ces conditions, on est sûr du suc-
cès. Les divers pays contaminés ont, d'ailleurs, la
précaution d'avoir en réserve dans des inseclaria
un assez grand nombre d'individus, adulles et
larves, pour parer à tout danger, si un nouveau-
foyer d'infeclion se déclarait. — A. Ménioioi.
Pile à dépolarisation par l'air (Nou-
velle). On sait que, dans les piles, le dégagement
d'hydrogène au pôle positif tend à donner naissance
k une force éleclromotrice de polarisation, qui a
pour effet d'affaiblir le courant. Depuis longtemps,
on s'est efforcé d'atténuer ce grave inconvénient par
des moyens divers, en recourant notamment à des
substances riches
en oxygène, sus- -*^
ceptibles d'être ré-
duites par l'hydro-
gène naissant, soit
en dissolution, soit
à l'état solide.
Parmi les piles
de ce genre, la pile
au sel ammoniac à
dépolarisant cons-
titué par du bio-
xyde de manga-
nèse est à peu près
la seule employée
aujourd'hui dans
les diverses indus-
tries où la pile
trouve son applica-
tion. Le bioxyde
de manganèse ou
pyrolusite natu-
relle nécessaire à
la constitution de
ces piles doit être
d'une assez grande
pureté, mais c'est
une substance de-
venue extrême-
ment rare depuis
la guerre, car elle
provenait en gran-
de partie d'Alle-
magne.
Féry s'est de-
mandé s'il ne se-
raitpas possible de
remédier à cet état de choses en utilisant pratique-
ment comme dépolarisant l'oxygène de l'air, qui a
l'immense avantage d'être un dépolarisant indéfini,
gratuit et d'action constante. 11 s'est rendu compte
que les tentatives faites anlcrieurementpour utiliser
ce moyen n'avaient pas été couronnées de succès
parce que l'électrode négative employée affectait une
disposilion verticale occupant le liquide de l'élément
dans toute sa hauteur, d'où absorption de l'oxygène
dissous par le zinc, métal tn's oxydable, formation
de sels grimpants, diminution de la surface active
de l'électrode, usure locale considérable.
L'invention de Féry consisle à disposer le zinc
sous forme d'électrode horizontale occupant le fond
de l'élément.
La figure ci-dessus donne le schéma d'un élément
de pile de ce genre; la légende permettra d'en
comprendre la disposilion et le fonctionnement.
Un essai comparatif, fait dans une compagnie de
chemins de fer français sur 4 piles au manganèse
et 4 piles Féry, a donné les résultais suivants :
en 7 mois de débit continu en tension sur une résis-
tance de 700 ohms, les piles au manganèse ont
usé 2 crayons de zinc de 150 grammes chacun, alors
3ue les nouveaux éléments n'ont usé qu'une lame
e zinc de 120 grammes.
Pratiquement, on oblient avec les piles Féry au
minimum 90 ampères-heure avec 100 grammes de
sel ammoniac, la concentration étant de 12 p. 100 ;
le modèle qui donne ce rendement ne pèse que
2 k. 1; c'est un des générateurs d'électricité dont
la capacité massique est le plus grande.
Cette invenlion l'ait le plus grand honneur au savant
à qui l'on doit déjà tant de travaux remarquables en
physique et en électricité. — a. laiml et c. Duboic.
A, vase de verre. — B, électrode posi-
tive en charbon à grande surface, en
forme de tube percé de rangée» vertica-
les de trous. — C, électrode négative
constituce par une plaque de zinc carrée,
disposée horizontalement. — D, fll de
cuivre soutiéàrc.ectrodeC et isolé dans
sa parlie ascendante. — E, croisillon iso-
lant entre les 2 électrodes. — F, bouchon
annulaire centrant le charbon dans le
col du vase (un autre bouchon peut fer-
mer la partie supérieure de Télectrode
en charbon piur empêcher une évapo-
ration trop rapide).
599
Sétarcbe n. m. Nom d'an genre de poissons
du groupe des téléostéens acanlhoptérygiens et de
la famille des triglidés ou grondins.
— Encycl. Dans ce genre, très voisin des sé-
basteset des scorpènes ou rascasses, la tête et le corps
sont comprimés, le ventre est sans épines, le préoper-
cule est armé, et le corps est couvert d'écaillés cycloï-
des. Les dents sont fines et fixées sur les mâchoires,
le vomer et les palatins. Pas de v ssie natatoire.
Le sétarcbe de Gunther [setarche Gunlheri) a
une couleur d'un rouge rosé uniforme, mouchetée
finement de noir; la tête est grosse, elle porte deux
Sétarcbe de Gunther,
longues épines dirigées vers l'arrière; le mnseau
est arrondi et tronqué, l'opercule est écailleux, avec
deux crêtes se terminant par deux longues épines;
le bord libre de l'opercule porte cinq épines diri-
gées vers l'arrière.
Le maxillaire inférieur est un peu plus long que
le supérieur. Les nageoires dorsales sont allon-
gées; les anales sont courtes; les pectorales sont
larges et très longues; les ventrales sont insérées
en avant, et la caudale est tronquée.
La longueur totale est de 0™,225. Ce curieux
poisson a été péché pour la première fois au large
de Madère. — A. ménéoaox.
Stourm (Fortunat-Benrf), économiste et profes-
seur français, né à Paris le 13 septembre 1837, mort
dans cette ville le 27 décembre 1917. Fils d'un haut
fonctionnaire du second empire, le directeur géné-
ral des postes Stourm, qui siégea au Sénat, René
Stourm, son instruction secondaire terminée, trouve
sa voie. Très jeune, il est intéressé par les questions
financières et les étudie pratiquement avant d'en
faire la théorie. Sa nomination au poste d'adjoint k
l'Inspection générale des finances est le début d'une
carrière administrative relativement courte, mais
fort bien remplie. Inspecteur des finances en 1863,
il sait acquérir tout jeune encore une assez grande
compétence pour pouvoir occuper, de 1867 à 1870,
les lourdes fonctions de chef de cabinet du ministre
des finances.
En 1874, il devient administrateur des contri-
butions indirectes et conserve pendant cinq années
ce poste. Lorsque, en 1879, il est mis en disponibilité,
son esprit s'est milri, ses connaissances théoriques
se sont précisées, ses conceplions modifiées parfois
au contact des réalilés pialiques, et les postes qu'il a
successivement occupés dans la direclion et l'admi-
nistration des finances françaises lui ont donné sur
presque toutes les parties de notre système finan-
cier une compétence quasi universelle. Mais il n'est
pas seulement un praticien habile, un empirique in-
telligent. Des finances françaises il s'est assimilé
non la pratique seulement, mais l'esprit et les mé-
thodes : il se les représente avec leurs qualités et
leurs défauts, leurs lacunes, leurs insuffisances, mais,
telles quelles, comme l'un des aspects de nos insti-
tutions nationales, fonction de toute la vie de la
France, manifestation de son génie. Celte pensée
profonde explique le côté traditionalisle de ses con-
ceplions; professeur, théoricien, René Stourm ne
sera pas plus révolutionnaire, moins respectueux
des traditions qu'il ne le fut dans sa carrière d'admi-
nistrateur. Mais son traditionalisme ne sera pas
aveugle, ni irraisonné; c'est sur la pratique des
affaires et une expérience personnelle ou historique
innombrable qu'il l'appuiera.
En 1879, en effet, la carrière administrative fer-
mée, s'ouvre pour lui la carrière, où tant de succès
l'attendent, de l'historien et du professeur.
Successivement paraissent : l'Orr/anisation du
système financier, les Finances de l'ancien régime
et de la Révolution, te Budget, les Systèmes géné-
raux d'impôts, Bonapiirle et la Restauration ^nan-
ci'ere, les Monopoles fiscaux, la Bibliographie des
finances de la France, les Finances du Consulat,
le Trésor de guen-e, la Notice sur Léon Say, Paul
Leroy-Beaulieu.
Oiivragcs historiques, éludes critiques, mises au
point des questions les plus épineuses, tous ses
livres sont, malgré l'austérité du sujet, bien accueil-
lis du public. Certains d'entre eu.x (le Budget, qui
eut sept éditions, les Systèmes généraux d'impôts)
furent de véritables succès de librairie. Les Finances
de l'ancien régime et de la Révolution lui valent le
prix Thérouanne.
Déjà très connu dos spécialistes, Stourm est
nommé professeur à l'Ecole des sciences politiques
et va répandre ses idées par l'enseignement. I.à
encore, sa carrière est facile, heureuse : financier
René Stourm.
600
technicien, mais nourri de belles-lettres, et s'étant
assimilé une vaste science liislorique, non seulement
spécialisée à son objet, mais générale, il évite sans
ellort recueil où tombent trop de spécialistes,
l'étroitesse et l'aridité.
A le lire, à l'entendre, on se rappelle qu'il a fait
partie du cénacle oii ae réunissaient Taine, Gaston
Paris, Albert Sorel. « Son exposition, nous dit un
de ses élèves, est claire, vivante, nourrie de faits et
de réalités, sans jamais tomber dans la séclieresse,
relevée souvent par des comparaisons fines, qui
dérident son auditoire ». Ses ouvrages sont écrits
dans une belle
langue française,
et c'est ce qui,
avec la parfaite
lucidité de l'ex-
posé, assure leur
succès. C'est le
professeur, au-
tant que l'histo-
licn, que l'Aca-
démie des scien-
ces morales et
politiquesappelle
dans son sein
pour remplacer
Léon Say (1896).
Sou activité est
tri'S grande dans
celle compagnie,
qui le nomme, en
1913, secrétaire
perpétuel. Ti'a-
vailleur infatiga-
ble, môme à un
âge très avancé, il contiime jusqu'aux derniers jours
les recherches qui réellement le passionnent et,
frappé cruellement par la guerre, cherche encore
un apaisement dans le travail.
René Stourm a exercé sur de nombreuses géné-
rations d'élèves une grande induence. Quelles sont
les principales idées que, dans ses cours et ses
écrits, il a défendues? Tout d'abord, le respect dû,
d'après lui, au système financier de la France, impar-
fait comme toute œuvre humaine, mais qui a fait
ses preuves. Cette forme lufiniment délicate du
patriotisme inspire visiblement tous ses écrits.
Ce système financier, formé par une expérience
séculaire, il faut l'adapter peu à peu à notre temps,
mais sans heurts et en évitant des innovations per-
turbatrices. Le système qu'il faut maintenir, c'est
celui qui, avec de multiples impôts directs et indi-
rects (ceux-là constituant la plus sûre réserve en
temps de crise, mais ceux-ci pouvant plus facile-
ment s'accroître dans les années normales), équilibre
le budget. Stourm est résolument adversaire et de
l'impôt unique, impôt sur le revenu ou sur le ca-
pital, et de l'impôt progressif, et des impôts sur les
successions, tous d'inspiration socialiste et agents
prétendus du nivellement des fortunes; et de l'im-
pôt sur le luxe, qui, productif au début, tarit rapide-
ment sa source, ne donne en fin de compte qu'un
revenu faible (83 millions en France en 1913 sur un
revenu de 4 milliards) et, de surcroît, se heurte à
des difficultés presque insurmontables d'application ;
et des impôts sur les objets de première nécessité,
qui rendent aux classes pauvres la vie insuppor-
table et appauvrissent tout le pays.
L'impôt doit se borner à son rôle de « pourvoyeur
des budgets ». Prétend-il être niveleur des for-
tunes, moralisateur, protecteur, il devient entre les
mains du législateur l'instrument d'une odieuse
tyrannie, que condamnerait h lui seul un résultat
contraire au but poursuivi. Des impôts non sur le re-
venu, mais sur les marques extérieures du revenu,
des impôts qui favorisent les transactions commer-
ciales et ne frappent pas trop lourdement U
transmission de la richesse acquise, des impôts
B modérés, proportionnels, avec dégrèvement des
objets de première nécessité », tels, en un mot, que
sous les divers régimes politiques, la France les a
toujours connus, doiventconlinuerd'êlre en vigueur.
Ces conceptions n'ont, bien entendu, toute leur va-
leur que pour les budgets normaux, c'est-à dire
ceux du temps de paix. — Léon abensour.
Survivances françaises dans l'Al-
lemagne napoléonienne depuis 1815
(les), par Julien Rovère. — P. Sagnac, dans un
excellent ouvrage récemment analysé ici même
<v. Rhin françms, p. 515), avait étudié la façon
dont la rive gauclie du Rhin s'était donnée à la
France pendant la Révolution et comment, pendant
vingt ans, elle s'était francisée. Julien Rovère, dans
le présent ouvrage, complète l'étude de P. Sagnac
en montrant comment, pendant un demi-siècle et
plus, le souvenir de la France est resté vivace dans
ces pays de vieille race gauloise, comment le regret
de fa patrie lointaine recouvrée et si vite perdue
s'est perpétué au cours de deux générations.
Les coalisés de 1813 s'étaient rués sur la France
en affectant de vouloir la délivrer d'un joug, celui
de Napoléon; en pénétrant dans les provinces rhé-
LAROUSSE MENSUEL
nanes, ils trouvèrent, cependant, une organisation
politique et administrative si différente de celle
<]u'avaient sous l'ancien régime les électorals de
Trêves ou de Cologne, les villes de Mayence ou de
Coblence, qu'ils se gardèrent bien d'y toucher avant
que le sort de la guerrt ne fût dénnitivement réglé.
On sait combien, étant posé le principe du re-
tour de la France aux anciennes limites, si placi-
dement accepté par les Bourbons, puisqu'il rendait
d Louis XVUl la l''rance de Louis XVl, fut dilficile
à régler la question de l'atlribulion des dépouilles
et combien fut funeste la décision, approuvée par
Talleyrand, de l'attribution de la plus grande partie
des provinces rhénanes à la Prusse; de ce néfaste
voisinage sont nées toutes les diflicultés franco-
prussiennes qui ont abouti à la guerre de 1870 et à
celle de 1914.
La Prusse, cependant, ne parut se charger qu'à
contre-coeur du gouvernement des provinces rtié-
nanes, s'étendant de Bingen jusqu'à Emmerich :
<c La coûteuse et difficile défense des acquisitions
que la Prusse va faire aux bords du Rliiu constitue
■pour elle un véritable préjudice », écrivait Har-
denberg le 8 février 1814; le ministre n'ajoutait
pas, mais savait, que les Rhénans ne feraient rien
pour l'aider dans cette défense : ils frémirent à
l'idée d'être incorporés à celte Prusse protestante et
militaire, vers laquelle ne les portait aucun senti-
ment. L'hostilité des habitants du Palalinat pour la
Bavière, des Mayençais pour la Hesse, des citoyens
de Birkenfeld pour l'Oldenbourg fut moindre, mais
cependant indéniable.
Ces trois Etats se gardèrent de heurter de front
le sentiment de leurs nouveaux sujets : l'usage du
code Napoléon, l'organisation municipale, sauf de
légers détails, l'usage même de la langue française
lurent d'abord maintenus; mais cette dernière tolé-
rance, sans être aussitôt rapportée, fut combattue et
considérée comme nulle par les principaux fonc-
tionnaires.
Frédéric-Guillaume III fit semblables promesses,
qu'il s'empressa de ne point tenir. 11 divisa en
5 cercles et 69 arrondissements les 26.337 kilomètres
carrés que le traité de 'Vienne lui avait octroyés
au delà du Rhin, peuplés de 1.845.600 habitants.
Les chefs-lieux devaient en être Coblence, Dussel-
dorf, Cologne, Aix-la-Chapelle et Trêves; mais, de
ces cinq villes, il s'abstint d'en élever une au rang
de capitale de la province; s'il fit de Cologne la
métropole ecclésiastique et le siège de la cour
d'appel, il plaça à Coblence, sous la direction d'un
ober-president, l'adminislratiou civile centrale, tan-
dis qu'à Dusseldorf et à Bonn on groupa les diffé-
rentes facultés.
Pour germaniser ces provinces très peu ger-
maines, et encore moins prussiennes, les gouver-
nants de Berlin encouragèrent l'émigration, vers
ces nouvelles conquêLes, de leurs sujets les plus
entreprenants, fortement encadrés de ces feldwebel,
armature si caractéristique de leur armée et de
leur race : ainsi firent-ils, cinquante ans plus tard,
en Alsace-Lorraine. Les Rliénans accueillirent très
mal les nouveaux venus, qui apportaient, avec des
manières d'être désagréables découlant de leur
orgueil naturel, un élément de concurrence com-
merciale très préjudiciable à leurs intérêts. Aussi,
dès le mois d'août 1816, à Coblence, le conseiller
Schwertz notait-il en ces termes à Hardenberg, son
maître, les sentiments de ses administrés : « il n'y
a plus ici une seule personne qui ne remercierait
Dieu à deux genoux si les Français redevenaient
maîtres du pays. » Et Gentz, parcourant le pays
dans le même temps, notait que les Prussiens
étaient universellement haïs. Il est vrai qu'il ne les
aimait guère.
Goerres, qui, en 1797, avait contribué à la fon-
dation de l'éphémère république cisrhénane, qui
l'année suivante avait prêché la réunion à la France,
mais qui, sous l'Empire, avait changé de camp, re-
venu dans son pays comme fonctionnaire prussien
(directeur général de l'enseignement), présenta,
en 1818, au chancelier Hardenberg les requêtes de
ses concitoyens, réclamant notamment l'appointe-
ment des deux clergés, l'amélioration de l'ensei-
gnement primaire, l'adoucissement de la conscription
prussienne, la protection de l'industrie et du com-
merce. Hardenberg s'en était allé sans rien pro-
mettre; la manière forte « à la prussienne » n'avait
fait que se développer, et les Rhénans répliquaient
en insultant les soldats de Frédéric-Guillaume;
comme les punitions n'allaient pas du train que
souhaitait Berlin, des lois nouvelles étaient édictées
et la code Napoléon mis de côté (6 mars 1821). Or
le codt édicté par l'Empereur était une des conquêtes
les plus chères à l'esprit démocratique, égalitaire,
des Rhénans, qui se sentaient, sous le joug prussien,
reportés au régime féodal des électeurs ecclésias-
tiques, moins le catholicisme.
Car la Prusse proteslanle entreprit, dès les pre-
miers jours de sa domination sur le Rhin, un Kul-
lurkampf dont le développement ne lui fut rien
moins que favorable : « 11 n'y a aucune exagération
à prétendre, écrit J. Rovère, que, sur la rive gauche
du Rhin, l'idée française et le catholicisme ont été
N" KO. Octobre 1918
en connexion étroite ». L'idée française fut en con-
nexion également étroite avec le culte de Napoléon
et les principes libéraux. Le nom de l'Empereur
restait inscrit sur la plupart des institutions dont
bénéficiaient les Rhénans; ils avaient participé à sa
gloire et à la prospéritéde l'Empire; l'absolutisme
de son gouvernement avait été moins pesant qu'ail-
leurs dans ces départements frontières, qu'il tenait
à gagner à la patrie française; de sorte que le libé-
ralisme et le bonapartisme pouvaient s'associer
dans la pensée de ceux qui regrettaient le régime
français.
^ En 1830, puis en 1848, les Rhénans croient que
l'heure du retour à la France va soimer; ils for-
ment des associations où se groupent les Deulscli-
frunzdsen (les Français d'Allemagne), pour répon-
dre au premier appel des républicains; cependant,
les dominations prussienne et bavaroise sont trop
bien assises pour qu'un mouvement send)lable à
celui qui soulève la Belgique et les provinces ita-
liennes puisse éclalor; d'ailleurs, la France de
Louis-Philippe et celle de Lamartine ne sont point
en état d'allronter l'Europe pour reconquérir la
frontière du Rhin. Les Français du Rhin sont ver-
tement tancés par la réaction, qui, en 1849, donne
'à la Prusse, au lendemain d'Olmutz, une sorte du
prépolence en Allemagne.
Mais l'avènement de Napoléon III, ses victoires
de Crimée, raniment leur espoir; nul doute pour
eux qu'après avoir reconquis la Savoie, émancipé
l'Italie, Ihéritier du grand Empereur ne coiilraigne
la Prusse à évacuer la rive gauche du Rhin; et
c'est, en même temps qu'une lutte contre l'absolu-
tisme de Bismarck au Landtag, un frémissement
d'impatience dans l'attente de l'événement. Les
voyages de Napoléon III, en 1837, dans le Pala-
tinat, à Stuttgart, à Carisruhe, sont presque triom-
phaux; les princes de l'Allemagne du Sud, comme
aux jours de 1809, se groupent derrière l'empereur
pour résister aux tendances dominatrices de la
Prusse, et les peuples suivent le mouvement.
Même accueil en 1860.
Mais, bientôt après, s'ouvre pour l'Allemagne na-
poléoniennerèredesdéceptionsdéfinilives : enl864,
l'Autriche et la Prusse, al liées, écrasent le Danemark,
sans que Napoléon 111 fasse mine d'intervenir : les
Etats du Sud sont atlerrés de celte réserve; Beust,
ministre de Saxe, implore l'intervention française,
qui, même en 1866, ne se produit pas. C'en est fait
de l'indépendance des petits Etats de l'Allemagne;
Napoléon III vient de gâter irrémédiablement la
plus belle situation diplomatique que la France ait
connue depuis cinquante ans! En vain négocie-t-il
avec Bismarck cette cession de la rive gauche du
Rhin que, quelques années plus lot, il pouvait exiger;
en vain les « Deutchl'ranzOsen » réclament-ils leur
réincorporation dans l'Empire; en vain le grand-
duc de Hesse demande-l-il, par l'inlermédiaire du
général Ducrot, l'appui de Napoléon ; l'heure de la
France est passée I
Le 20 juillet 1870, la Prusse entraîne à contre-
cœur tonle la Conlédéralion du Nord dans son sil-
lage, et les Etals du Sud, sur lesquels Napoléon 111
comptait encore six semaines plus tôt, se rangent
du côté de celui qui a su paraître provoqué, tout en
étant provocateur ! Le grand-duc de Hesse avait
averti le général Ducrot :
Que l'empereur fasse en sorte, le jour où il voudra com-
mencer la guerre, de pouvoir passer immédiatement sur
la rive droite du Rhin et de prendre résolument l'offen-
sive : le plus léger succès déterminera tous les Etats do
l'Allemagne du Sud à niarclier avec vous. Si, au contraire,
vous hésitez, si vous laissez à la Prusse l'avantage do
l'offensive, soyez en sûr, vous 6tes perdus, car nous serons
tous obliges de marcher avec ta Prusse ot, une fois enga-
gés, nous ne pourrons plus nous arrêter; silors, vous suc-
comberez fatalement sous le nombre.
Trop juste prévision, qui se réalisa de point en
point.
Tout ceci ne veut, certes, point dire que l'Alle-
magne du Sud, dans son ensemble, fût sympathique
à la France, que, même, tous les Rhénans aspiras-
sent à lanationalilé française; mais il y avait, ici et
là, un même sentiment particularisle latent, qui cher-
chait les occasions de se manifester, et une môme
crainte de la Prusse. Le souvenir de la domination
française survécut, en outre, dans de nombreux mi-
lieux, notamment parmi les survivants de la Grande
Armée, et il se trouva des prisonniers français qui,
en 1870, eurent la consolation de trouver chez leurs
vainqueurs des bustes de Napoléon, des croix de la
Légion d'honneur épinglées sur les vêlements de
quelques vétérans et d'enlendre l'un d'eux, évoquant
le souvenir du grand Empereur, dire : « C'était le
bon temps! » Les survivances françaises qu'avec
tant de soin et un si grand souci de l'exaclitude
historique Julien Rovère a relevées en Allemagne,
en deçà et au delà du Rhin, nos défaites de 1870
les ont presque effacées; nos succès de demain
pourraient bien en ranimer le souvenir et faire
renaître les anciens parlicnlarismes. <■ La patrie de
l'Allemand, c'est la victoire I » — Picno rain.
Paris. — Imprimerie Larousse fMoreau, Aui;é, Gillon et C'«),
17, rue Montparnasse. — Le gérant : L. Groslit.
J.a Grève. {Macreuses, Goéltinds, Mouettes et Dauphins)
N° 141.
Novembre 1918
A-Ciers spéciaux (les). Les seuls aciers
couramment employés, jadis, élaieiit consUlués par
les combinaisons du fer avec une proportion de
carbone comprise entre 0.6 et 1,5 p. 100, combi-
naisons soiiilléiis de petites quantités de divers
éléments (soufre, phosphore, métaux étrangers,
etc.). Or, ces qualités d'aciers ne répondent pas k
tous les besoins de l'industrie ; en effet, on constate,
avec l'augmentation de la teneur en carbone, un
accroissement de résistance, mais, malheureuse-
ment, aussi, une e.xagération de la fragilité :
Types
Travail
Limite
Résistance
de rupture
éluslique
—
parce
p«r mine
par mmc
cier extra-doux
0 kilog.
20 kilog.
35 à 45 kilo
cier demi-dur.
5 à 6
40 —
50 à 65 —
Acier extra-dur. . moins do 1 55 à 60 95 à 100
Pour remédier h ces inconvénients, divers mé-
tallurgistes, remarquant l'intluence souvent favo-
rable d'éléments étrangers au métal, eurent l'idée
d'en incorporer sciemment des doses connues et
d'étudier les nouvelles qualités acquises. C'est ainsi
que furent créés les aciers au nicliel, au chrome, au
tungstène, etc., constituant toute une série de com-
binaisons désignées sous le nom d'aciers spéciaux.
En général, l'introduction de ces éléments, judi-
cieusement choisis, donne une grande dureté, tout
en conservant une forte résistance à la rupture;
l'acier à 3 p. 100 de nicliel, par exemple, de dureté
égale à celle de l'acier dur au carbone, exige un
travail de rupture de 18 kilogr. ; à sécurité égale,
c'est la possibilité de diminuer les dimensions et le
poids des pièces, fait particulièrement intéressant
pour la construction automobile. De plus, certaines
catégories présentent des propriétés mécaniques et
physiques toutes spéciales (absence de dilatation,
de magnétisme, etc.); d'autres acquièrent la qualité
de durcir par simple chauffage, ou de conserver
leur dureté, malgré un grand échaulfement, etc.
Historique. — La première introduction de mé-
taux étrangers fut réalisée, en 1859, en Angleterre,
par Mushet, avec le tungstène. Jusqu'en 1878, la
question fit peu de progrès; à ce moment, apparu-
rent les aciers chromés de Jacob Holtzer. Ce fut un
épisode de la lutte entre le boulet et la cuirasse;
les métallurgistes, devant la nécessité de résoudre
les problèmes posés par l'artillerie et la marine,
successivement lancèrent l'acier au nickel (Le Creu-
set, 1890), l'acier au manganèse (Hadfield), l'acier
nickel-chrome (Saint-Chaniond, 1892), découvertes
complétées par celle des procédés de durcissement,
soit par cémentation (Harvey, 1893, Krupp), soit
par traitements thermiques appropriés.
La recherche des aciers résistants n'avait pa<
pour seul butdes applications militaires; l'industrie
3u métal pouroulils se développait en France. Les
premiers aciers au vanadium furent, dès 1896, pré-
parés industriellement par les aciéries de Fir-
miny, tandis que d'autres aciéries produisaient des
aciers au tungstène, au molybdène, etc.; enfin, la
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
plus belle découverte, fieuron de cet ensemble de
travaux remarquables, fut celle des aciers dils à
coupe rapi'rfe, deWbite et Taylor; ces aciers, par le
grand rendement qu'ils permettaient, ont révolu-
tionné l'industrie de la construction mécanique.
Classification. — La classification des aciers
spéciaux est établie d'après le nombre d'éléments
introduits en faisant abstraction des corps peu
importants considérés comme impuretés, bien que
ceux-ci, même à l'état de traces, puissent avoir une
influence souvent considérable. Quant à la dose à
Arrachage d'un creuset.
laquelle un élément doit être considéré comme
modifiant suffisamment le métal pour en constituer
un acier spécial, elle varie d'un élément à l'autre :
pour beaucoup, elle est voisine de 1 p. 100; pour
quelques-uns, elle est plus faible et descend, par
exemple, pour le vanadium, à moins de 0,25 p. 100.
1* Acier* tfinaires : Aciers au carbone ordinaires (fer
et carbone).
2* Aciers ternaires : Combinaisons d'un acier binaire
avec un élément [fer-cartmne-métai incorporé)
Aciers au nickel, aciers au chrome, aciers an
manganèse, aciers au tungstène, aciers au molyb-
dène, aciers au vanadium, aciers au silicium, etc.
3" Acier* quaternaires : Combinaisons d'un acier binaire
avec deux éléments [fer -carbone -deux mètaiu
incorpurèt).
Aciers nickel-ciironie.
Aciers cUrome-tungsiènc, etc.
Préparation. — L'incorporation de l'élément favo-
rable dans l'acier peut se pratiquer de plusieurs
façons; en général, ce corps est employé soit pur,
soit, le plus souvent, en alliages riches avec le fer
[feiro-tunr/slène, /'erro-chrome, etc.), aussi exempts
de carbone et d'impuretés que possible.
Le travail peut s'efTectuer dans les appareils en
usage pour lélaboralion de l'acier ordinaire (fours
Martin-Siemens, fours électriques, cornues Bes-
semer, etc.), à condition, toutefois, de pratiquer
l'incorporation au moment même de la coulée
Pour les produits fins, spécialement destinés !t la
préparation des outils et préparés en petites quaji-
tités, on emploie avec avantage le creuset soit
d'argile plombaginée, soit de magnésie, pour éviter
toute carburation inopportune. Le cbaullage a lieu
au coke ou, mieux, à l'aide des gaz ou des huiles
lourdes, avec lesquels il est aisé de régler l'atmo-
sphère du creuset.
1° Aciers binaires. Nous rappellerons, pour la
compréhension des propriétés des aciers spéciaux,
<iue tout acier binaire chauffé présente, durant son
refroidissement, deux dégagements de chaleur
anormaux : l'un, brusque, à 855"' C, l'autre, pro-
gressif, entre 700 et 740" C. A ces points corres-
pondent des états moléculaires différents.
Au-dessous de 740", le fer est & l'étal a, magné-
tique, ne dissolvant presque pas le carbone; au-
dessus de 855", il est sous forme f, non magnétique,
dissolvant du carbone; entre ces deux écarts de
température, on avait admis un fer 6. 11 est prouvé,
aujourd'hui, que ce fer serait constitué par une dis-
solution de fer y dans le fer a.
Dans l'acier, le carbone est soit dissous, soit
déposé en carbone pur (graphite, voire diamant),
soit en carbure CFe' (cémenlile), constituant, selon
les cas, le carbone de trempe ou le carbone de recuit.
Durant le refroidissement, le point de transforma-
tion des carbones est caractérisé par une élévation
de température dite de recalescence.
On constate que plus le métal est carburé, plus
les points de transformation du fer se rapprochent
jusqu'à se confondre avec ce point de recalescence;
le carbone agit comme retardateur ces transforma-
tions moléculaires. Or, dans les aciers spéciaux
que nous étudierons plus loin, l'élément étranger
agit précisf ment comme accélérateur ou retardateur
des transformations du fer et du carbone, suivant
que son volume atomique est supérieur, ou inférieur,
à celui du fer.
C'est ainsi que ie nickel de volume atomique 6,7,
inférieur à celui du fer (7,î), abaisse les points de
transformation. Ceux-ci tombent à 500° avec 7 p. 100
de nickel; ils sont à 0° pour 24,5 p. 100. C«mine lei
propriétés des produits obtenus se modifient selon
23
602
l'état a ou Y du fer, ou celui du carbone, on peut
en conclure que les aciers spéciaux auront la struc-
ture des aciers binaires, en considérant un décalage
dans l'action des températures.
Un exemple fera comprendre cette action : l'acier
au carbone ne prend la structure de l'acier trempé
qu'après chauffage à900»C., température supérieure
1800 ri
Creuset retiré d'un fuur avaul la coulcc.
à celle du point de transformation; cette structure
sera, naturellement, celle de l'acier à 24,5 p. 100 de
nickel, pour lequel le point de recalescence est à
zéro. Ce dernier métal est, en effet, insensible au
refroidissement brusque de la trempe.
L'examen micrograpbique permet de déceler la
structure de l'acier. On y remarque les constituants
homogènes : ferrite ou fer a, graphite, cémenlite,
un agrégat de cémenlite et de ferrite à 0,9 p. 100 de
carbone : la perlite ; des constituants de structure :
la martensite (solution solide de carbone dans le
LAROUSSE MENSUEL
2" Aciers ternaires a). Aciers au nickel. Au
point de vue des applications, les aciers au nickel
peuvent se ranger en trois catégories :
faibles teneurs de 1 à 6 p. 100 génoralomont à stractare
perlitique,
moyennes teneurs : 10-12 p. 100 à structure martensique,
hautes teneurs : 22 à 30 p. 100 à structure de Ter -j.
Les métaux à faible teneur présentent une
grande supériorité sur les aciers au carbone de
même résistance, ayant une plus haute limite élas-
tique et un plus grand allongement; trempés, puis
recuits, ils acquièrent une ré-
sistance plus élevée, en pre-
nant, en outre, une texture
nerveuse analogue à celle du
fer, ce qui diminue la fragi-
lité au choc et donne un métal
offrant une grande sécurité.
Jusqu'à 2 p. 100, on les em-
ploie soit recuits, soit trem-
pés pour les travaux où il est
nécessaire d'avoir un bon mê-
lai doux (tôlesd^emboutissage,
rivets, etc.); de 2,5 à 6 p. 100,
sans traitementlbermique, ces
aciers conviennent comme
tôles profilées, mais, en opé-
rant une trempe à l'huile
à 900° suivie d'un recuit de
525° à 650°, les qualités phy-
siques s'améliorent; la texture
à nerf apparaît, tandis que
croît la résistance jusqu'à
80 kil. Ainsi traités, les aciers
au nickel conviennent pour
les pièces soumises aux vi-
brations (arbres de dynamos,
tiges de piston, éléments de
canons, etc.).
Aux teneurs moyennes
(10-12 p. 100), les aciers au
nickel prennent la trempe par
simple refroidissement à l'air;
toutes les fois qu'ils ont été
chauffés à 600°, la résistance atteint Jusqu'à 200 kil.
Celte dureté extraordinaire les rendant absolument
inattaquables aux outils, il faut, pour parvenir à les
travailler, malléabiliser le métal en le réchauffant
entre 475° et 575° (point de la recalescence); la
résistance se conserve cependant à 90 kil. avec
un allongement de 12 p. 100. Ces qualités s'em-
ploient pour la construction des pièces résistantes
(tôles rigides, clavettes, rivets).
Dans les combinaisons à haute teneur de nickel,
Af* 141. Novembre 1918.
rie, de sucrerie), leur résistance à l'oxydation et à
l'influence des produits chimiques les rendant pré-
cieux pour ces usages.
Au delà de 30 p. 100, on réalise des alliages
doués de propriétés physiques remarquables. Parmi
ceux-ci, il convient de citer : le métal invar
(Ni 36, C 0.3 p. 100), dont la dilatation est pratique-
ment nulle, ce qui permet son emploi comme fils
pour signaux, étalons de mesure, etc.; la plalinite
(Ni 46 p. 100), possédant la même dilatation que le
verre, utilisée, de ce fait, dans la construction de la
5.9
Aciers hypoeutectiques' Aciers hypereutectiques
600
0) wo
200
-200-
Carbone
Dépôt \de la perlite
'( Eutectique p/'/'/^f et Cémenlite)
\
Aciers j recuits
Martensite'
Martensite instable
stable
+-
::=L
0,2 Cif 0,6 0,8 I
••4"
1,2
1.4
1.6
-H 1
1.8 2 %
Propriétés physiques de divers types d'aciers spéciaux
Fer
Aciers carbone
Aciers nicicel.
Acier manganèse., , .
Aciers chromés
Aciers tungstène. ...
Aciers molybdène. , .
Aciers vanadium. . . . .
Acier silicium ,
Acier aluminium.. . . .
Nickel, cltrome
Nicicel, cltrome et man-
ganèse
Nickel vanadium . , . .
COMPOSITION
C = 0.1 p. 100
C = 0.5 p. 100
C = 0.9 p. 100
C = 0.1 Ni 2 p. 100.. .
C = 0.8 Ni 2 p. 100.. .
Ni 2 (Creuset)
Ni 5 (Creuset) mi-dur.
C O.I Ni 12
C 0.3 Ni 2r>
Ni 30 (Creuset)
Mn 0.2 p. 100
Mn 12
C 0.3 Cr 1.2 p. 100. ...'..
c 1.1 Cr 4 p. 100
C 0.05 \V O.G Mn 0.2 Si 0.3.
c 2 W 7.8 Mn 0.2 Si 0.1. . .
c 0.3 Mo 0.45
c 0.8 Mo 2
c 0.8 Va 0.25
c 0.85 Va 10.25
c 0.13 VaO.6
c 0.45 Si 1.15 Mn 0.;
I
G 0.3 Al 2.2 p. 100
jNi 2.5 Cr 0.6 (Creuset). . .
jNi 7Cr 0.4 c 0.35 Mn 3.. .
c 0.2 Ni 12 Va 0.2 p. 100.
c 0.2 Ni 12 Va 1.0 p. 100.
32
40
65
100
36
89
40
55.70
60
72
96
54.5
58
56
B8.7
103
90
62
125
80.85
130
103
130
143
88.5
62.5
53
"7-80
UO-135
49
44
70
85
100-105
130-180
128
155
32
28
18
5
29.5
45.5
26
34
40
55
61.5
28.5
22
20
30
77
35
37.5
124
60
90
44
31 .5
41
45
65
80-85
100-140
OBSERVATIONS
23
15.5
28
30.15
18
15
3.5
32.5
35
40
22
12.5
35
7
7,5
H
7
0
6
12
40
8-15
S
23
35
14
12
12-10
12-14
R, résistance à la rupture
on kilog. par "'"'^.
I., limite d'élasticité,
.\, allongement p. 100.
Recuit à OOO'C.
Trempé à goO'C. à l'eau.
Recuit à 900"C.
Trempé 85a''C., revenu 600«C.
Recuit.
Trempé 900»C.
Forge naturel.
Trempé à l'huile.
Trempé à l'eau OSO^C.
Non trempé.
Recuit.
Trempé à l'huile, revenu
à 550.
Choc de rupture 3 kilog.
Choc de rupture 0 kilof;.
Choc de rupture 20 kilog.
Naturel.
Trempé eau et recuit.
Non recuit.
Recuit,
Recuit,
Trempé 850»C., recuit 550°C.
Blindage non cémenté.
Blindage cémenté et durci.
fera) caractérisant les aciers trempés,. l'aus/eni/e
(solution de carbone dans le fer y) dans les qualités
très carburées, tendant à se décomposer en perlite et
martensite; Vosmondile, la troostile et la sorbile,
états intermédiaires entre la perlite et la martensite,
produits par le recuit des pièces trempées.
Les aciers spéciaux présentent également ces cons-
tituants et, en plus, divers carbures correspondant
au métal incorporé.
la structure indiquant la présence de fer Y, l'acier
possède, par suite, des qualités particulières, de 22
à 23 p. 100; la trempe provoque plutôt un adoucis-
sement. Au point de vue des facilités de travail,
seuls, les types peu carbures sont utilisés; naturel-
lement ductiles et malléables, ils se travaillent
aisément et conviennent pour les emboutissages
devant aller au feu (tubes de chaudières) ou pour
des pièces peu attaquables (tuyauteries de distille-
schéma de la cûnslilutiuu des aciers au carbone.
lampe électrique; les alliages élinars, dont l'élasti-
cité reste constante avec la température, d'où leur
utilisation pour la préparation des spiraux de chro-
nomètres, etc.
Enfin, l'action du froid, si préjudiciable à beau-
coup d'aciers dont elle augmente la fragilité, se
montre sans influence sur l'alliage à 58 p. 100; cet
alliage est employé pour établir certaines pièces de
machines frigorifiques.
b) Aciers ati chrome. — Le chrome est l'agent
par excellence de la dureté; ses alliages avec l'acier
se classent d'après leur teneur croissante en chrome,
en aciers perlitiques, martensiliques et carbures.
Pratiquement, on doit rester dans les types perli-
tiques, seuls capables de se laisser travailler; ces
aciers prennent un grand accroissement de dureté
par la cémentation ou carburation réalisée en chauf-
fant l'acier au contact de matières charbonnées.
La dose de chrome la plus favorable ne dépasse
pas 2,5 p. 100 ; en général, le chrome est souvent
associé au nickel, pour combattre la fragilité. Les
aciers au chrome sont utilisés pour confectionner
d'excellents outils durs et tenaces : outils de tours,
poinçons, limes, etc. (aciers Holtzer), pour cons-
tituer après trempe des projectiles de rupture dans
la marine, les plaques de cuirassement peu épais,
les cuvettes et billes de roulement.
Le type pour obus présente la composition sui-
vante (carbone 0,6 à 0,8, chrome 1,5 à 2 p. 100).
c) Aciers au manganèse. — Le manganèse agit
un peu comme le nickel en abaissant les points de
transformation de façon rapide; jusqu'à 2 p. 100, il
améliore sensiblement la résistance; mais, dans les
nuances un peu carburées, la martensite se formant
aisément, le métal devient fragile. Ce fait a entravé
la vulgarisation de son emploi.
On utilise un acier à 5 p. 100 de manganèse peu
carburé pour faire des dents d'engrenages et, au
Creusot, une combinaison à 12 p. 100 non magné-
tique, capable de résister à l'usure d'une façon ex-
ceptionnelle. Cet alliage, réfractaire à froid aux
outils, peut se travailler à chaud; on l'utilise après
une trempe énergique, qui diminue sa résistance,
mais augmente son allongement. On en fait des tôles
de coffres-forts, despièces pour concasseurs, des rails
pour les points de circulation intensive, etc. Les
aciers au manganèse, si difficiles à usiner, s'emploient
beaucoup moulées en utilisant les pièces brutes de
coulée, les surfaces simplement étant dressées
à la meule (pièces de voies de chemin de fer, roues
de bennes, plaques de blindage).
d) Aciers au tungstène. — Le tungstène ren-
conlré dans la plupart des aciers de Uanias fut em-
ployé industriellement, vers 1855, par l'Autricbien
Koeller, pour préparer des outils d'une résistance
extraordinaire ; l'étude de cet acier fut reprise en
France par les officiers Caron et Le Guen pour des
travaux d'artillerie; elle montra rinfiuence heureuse
de l'incorporation du tungstène. Depuis, on en pré-
pare usuellement des outils (carbone 0,8, tungs-
«• 141. Novembre 7918
lène 2,5 p. 100), des ressorts, des aimants perma-
nents; néanmoins, cet élément, amenant un peu de
fragilité, s'utilise surtout associé à d'autres sub-
stances qui remédient à ce défaut (voir Aciers qua-
ternaires).
e) Aciers au molybdène. — Le molybdène agit
comme le tungstène, mais à plus faible dose; mal-
heureusement, cette substance est assez coûteuse,
ce qui restreint ses applications; à la teneur de
3à4 p. 100, elle donne un excellent métal pour pré-
parer les aimants.
f) Aciers au vanadium. — L'action du vanadium
était connue depuis longtemps; divers fers réputés
devaient précisément leurs qualités à des traces de
ce métal, mais les premiers essais industriels datent
de 1896 (Firminy). Ils furent poursuivis en vue de
prépai-er des aciers pour outils.
Les aciers vanadiés sont très difficiles à réussir,
par suite de la formation néfaste de carbure de va-
nadium pouvant rendre le métal peu homogène et
fragile; de bons résultats ne purent s'obtenir qu'en
employant pour préparer l'alliage du ferro-vanadium
absolument privé de toute trace de carbone. Celte
formation de carbure limite également les emplois
des aciers aux seules teneurs inférieures à 0,6 p. 100
de vanadium et peu carburées; ces aciers se trem-
pent à l'air et acquièrent des qualités de résistance
extraordinaire aux chocs et à l'usure. C'est surtout
aux Etats-Unis que l'acier vanadié a la plus grande
vo^ue; on n'estime pas à moins de 200 tonnes le
vanadium qu'on y uLilise.
g) Aciers au silicium. — Le silicium, si perni-
cieux dans les aciers lorsqu'il atteint plus de 7 p. 100
en les rendant durs, fragiles, impossibles à usiner,
feut, cependant, donner quelques bons alliages en
employant en faible dose. Ce mélallo'ide joue le
même rôle que le carbone, auquel il tend à se subs-
tituer, formant un métal plus dur avec l'avantage
d'un faible prix de revient, comparativement aux
alliages similaires de nickel ou de chrome.
Les combinaisons à 2,5 p. 100 de silicium an
plus se préparent au four Martin acide avec des
fontes ordinaires, auxquelles on ajoute, après décar-
buration, du ferro-silicium. Cet alliage, contenant
jusqu'à 90 p. 100 de silicium, s'élabore au four élec-
trique. Les aciers au silicium, doués de grande ré-
sistance, convieiment pour la fabrication des res-
sorts, des rails; ils possèdent, en outre, des qualités
magnétiques (basse hystérésis) qui les font appré-
cier pour la confection des tôles de dynamos.
h) Aciers à l'alutidnium. — L'aluminium se com-
bine au fer, sans avoir une grande inlluence sur les
qualités physiques; par contre, il permet, en ren-
dant la masse plus fluide, de couler des pièces sans
soufflures. Comme le précédent acier, l'acier-alu-
minium convient pour la construction électrique.
On a expérimenté et étudié l'induence de neau-
coup d'autres substances : le titane rendant l'acier
dur et peu oxydable, l'uranium et le zirconium pré-
conisés par les Allemands, le cuivre, le bore, le
cobalt, etc. Les mélaux obtenus peuvent présenter
quelques particularités, mais leur usage industriel
ne s'est pas répandu.
3° AciERSQUATERNAiRES. En général, dans l'incor-
poration des éléments, chacun d'eux apporte ses pro-
priétés particulières, avec une influence proportion-
nelle à un coefflcientd'action variable, certains étant
actifs à l'état de traces ( vanadium ) ; d'autres exigent,
au contraire, une proportion notable (nickel). Il en
ré!;ulle, grâce à ces additions, la possibililé pour le
métallurgiste de combiner ses aciers afin de répon-
dre aux diverses demandes de l'industrie.
a) Aciers quaternaires au nickel. — Les aciers
au nickel conservent ici ton le leur importance : en les
alliant au manganèse, on peut diminuer la proportion
de nickel et produire des aciers durs plus écono-
miquement; avec le chrome, on prépare des pro-
duits d'une dureté remarquable, présentant un grand
intérêt pour la fabrication des plaques de blindage.
Après avoir été successivement de fer, de métal
compound (acier soudé sur un somrriicr de fer), puis
d'acier au carbone, les blindages ne présentaient
pas les qualités nécessaires de résistance ; l'acier,
notamment, trop fragile, sefendait souventsous l'in-
fluence d'un seul projectile. Un grand progrès fut
réalisé par l'emploi de l'acier au nickel ; la résistance
à la perforation augmentait de 20 p. 100, sans fragi-
lité, ce qui assurait toute sécurité. Ce progrès était,
peu après, amélioré par le durcissement de la surface
d'impact par la cémentation (llarwey,lS93), puis per-
fectionné encore par Krupp, en employant l'acier
nickel-chrome et la cémentation gazeuse. Des résul-
tats semblables, d'après les travaux de Charpy, ont
étéobtennsen France en supprimant la cémentalion.
Dans les aciers nickel-chrome, le nickel donne
la résistance au choc et le chrome la grande dureté.
Dans les teneurs assez basses, la structure est sur-
tout perlitiipie; la cémentation, en augmentant le
carbone, permet, grâce au chrome, la transformation
en martensite particulièrement dure.
La composition type (carbone 0,3, manganèse
0,35, nickel 2.5, chrome 0,6 p. 100) se prépare au
four Martin avec des ferspuddlésetdos fontes pures,
auxquels sont incorporés du ferro-nickel et du ferro-
LAROUSSE MENSUEL
chrome. Aprèscoulée,leslingot3 laminés à 1.200" C.
sont, après gabaritage, trempés à l'eau vers 850 à
900° G.; l'opération se termine par un recuit à
600- 700» C. et refroidissement à l'air; elle convient
pour les blindages inférieurs à 100 millimètres
dépaisseur.
Four les grosses pièces, le métal est cémenté,
c'est-à-dire qu'après le laminage, opéré comme ci-
dessus, on soumet les pièces, sur une seule face, à
une carburation, ce qui permet de leur faire prendre
une trempe énergique et une très grande dureté.
Cette cémentation se pratique en chauffant au voisi-
nage de 1.100° C. les pièces en contact avec des
matières carburées {charbon, cyanures, carbonate,
anhydride carbonique) durant plusieurs jours (15
à 30). L'opération est suivie d'un recuit à 900» G.;
après refroidissement, la plaque est rectifiée sur
gabarit, chaull'ée à 8.S0OC. et trempée à l'eau.
L'acier Kriipp (carbone 0,3, chrome 1,8, nickel
3,8 p. 100) subit un travail un peu diflérent. Après
cémentation, la plaque reçoit une trempe dans la-
603
6) Aciers quaternaires chrome et tungstène. —
Nous rencontrons ici, dans un autre ordre d'appli-
cations,lescombinaisonsquaternaireschrome-tungs-
tène, très connues aujourd'hui sous le nom A'acier
pour outils à coupe rapide ou simplement acier
rapide.
L'outil d'acier au carbone est caractérisé pour
obtenir une grande dureté, par une forte proportion
de carbone; on ne peut l'utiliser qu'après trempe et
recuit. Or, si, durant le travail, il s'échauCTe, ses pro-
priétés de résistance disparaissent, les tranchants
s'émoussenl; les alliages chrome-tungstène ont, au
contraire, laprécieuse qualité de conserver leur du-
reté et, par suite, leur tranchant, à une température
élevée, môme au rouge.
Ces phénomènes s'expliquent de la façon sui-
vante : en chauffant l'acier, on détermine une solu-
tion solide de carbone dans le fer (martensite).
Cette solution stable à haute température ne peut
se conserver, dans les aciers binaires, qu'en provo-
quant un brusque refroidissement par trempage. Or,
Fours électriques J. Uii'ol, à acier de JU luaiies, aux aciéries U'Ugiue ^Savoie;.
quelle on cherche à donner une grande différence
de dureté aux deux faces; pour y parvenir, connais-
sant le point de transformation du métal, une face
est chaull'ée au delà de cette température, tandis que
l'autre est maintenue au-dessous. Ainsi chauffée et
trempée, la plaque présente une réelle résistance à
la fragilité; une telle plaque, de 0™,b0 d'épaisseur,
n'est pas traversée par un coup direct d'un obus de
343"»/m, tiré de 6.000 mètres.
Un progrès récent a été la suppression de la longue
cémentation par l'emploi direct d'acier nickel-
chrome riche en carbone (carbone 0,6 à 0,8, chrome
3 à 4, nickel 3), qu'un traitement thermique conve-
nable suflit à durcir, par simple trempe à l'air, la
surface avant, tandis qu'il donne la texture fibreuse
à la face arrière; le chauffage des faces étant, comme
ci-dessus, diirérenliel et maintenu dans les limites
des points de transformation.
Les aciers nickel-chrome conviennent également
pour établir les boucliers pare-balles, le métal em-
ployé offrant une résistance de 50 kilogrammes après
recuit de forge, atteignant 130-140 kilogrammes
après trempe et revenu à 750° G.; un tel écran peut
arrêter, à 150 mètres, sous 4 millimètres d'épais-
seur, une balle de fusil Lebel.
Le vanadium au-dessous de 0,5 p. 100 améliore
encore les qualités de ces aciers en augmentant la
limite d'élasticité, d'où l'emploi pour la construction
des bielles, arbres, essieux, sujets à de grands efforts.
A plus haute teneur, les combinaisons nickel-
chrome acquièrent un beau poli, une réelle inoxy-
dabilité et une grande résistance à l'action des acides;
elles peuvent servir de succédanés au platine dans
Quelques applications (pointes de stylographes, lames
e couteaux, etc.); le métal Baros' est dans ce cas.
si, par suite de la composition de l'acier, la solution
ne se réalise que par un chauffage à très haute
température, on remarque qu'elle a une tendance
à se maintenir, même si le refroidissement est lent
{treynpe à l'air). Enfin, si la limite de conservation
de la solution solide est très élevée, comme cela a
lieu dans les aciers rapides, en restant dans les con-
ditions d'utilisation au-dessous de cette limite de
température, l'acier conserve toule sa dureté.
Ces aciers se fabriquent au creuset avco des fers
de Suède de première qualité, du tungstène ou du
chrome, ou leurs ferros purs. Les meilleurs ont une
composition d'environ : carbone, moins de 0,5;
chrome, 1,5 à 6,5; manganèse, 0,1 à 1,9; tungstène,
7 à 18 p. 100. On ne peut les usiner, pour les trans-
former en outils, qu'après recuit à 800°C. et refroi-
dissement lent à l'abri de l'air; on les forge à 900° C.
La trempe a lieu au rouge blanc (1.200° C.) et le
refroidissement dans l'air. L'affûtage se fait à la
m?nle.
Montés sur tour, comme foret ou crochet, on peut
échauffer ces aciers sans inconvénient; il en résulte
la possibililé d'augmenter la vitesse des macbines-
oulils et d'accroître le rendement jusqu'à le doubler.
Telles sont, dans leurs grandes lignes, les proprié-
tés principales des aciers spéciaux; leurfabricalion,
leurs emplois dérivent de l'étude des transforma-
tions moléculaires des constituants de l'acier, tant
sous l'influence des éléments incorporés que de
l'acliou de la lenipéralure. Ces questions n'ont pu
faire de progrés qu'à la suite des études scienlitlqnes
de l'acier.
Les nombreuses applications que nous avons in-
diquées, depuis les outils qui servent à préiwrer
l'immense matériel industriel jusqu'aux blindages.
604
obus, canons, elc, montrent que les aciers, et sur-
tout les aciers spéciaux, jouent un rôle prépondérant
dans la guerre actuelle. De ce fait, leur consomma-
lion a considérablement augmenlé; les besoins de
la défense, les nécessités industrielles ont conduit
h extraire de plus en plus le chrome, le manganèse,
-le nickel, le tungstène, etc., nécessaires. Nous ne
citerons, comme indication de cette course à la pro-
duction que la véritable lièvre du tungstène, analo-
LAROUSSE MENSUEL
Allemands, il se retira !t Genève et y poursuivit
ses travaux. Un remarquable mémoire le fit connaîlre
au monde savant en 1872 et, deux ans plus lard,
il vint se fixer à Paris. Il fut bientôt une autorité
parmi les orientalistes et collabora activement à la
o Revue critique », au a Journal des savants », au
ri Journal asiatique », à la « Revue de l'hiskiire des
religions » et, plus tard, au « Bulletin de l'école
française d'Extrême-Orient ». 11 fut accueilli par
Micro'.'raphie.s diverses (J. Holtzer). — 1. Acier très doux (lerrite en clair, perlite en sombre) Ci = SOO 1>. —3. Acier Iiypoeutcctique
rinoins de 0,9 p. 100 de C] (ferrite en clair, perlite en sombre). — 3. Acier eutectique (perlite presque pure). — 4. Acier hypereut'-c-
tique trempé (martcnsite) G = 160 D. — 5. Acier au nickel (12 p. 100) brut (niartensite). — 6. Acier amagnétique au nickel brut
(austénite et réseau de troostite).
gue à celle des placers d'or. Des villes nouvelles se
créèrent, en Californie, sur l'emplacement des gise-
ments; dans la première partie de 1916, il fut extrait
des Etats-Unis pour 55 millions de francs eu mine-
rais; la consommation y atteint une proportion
telle qu'elle correspond à l'élaboration de 11.000 à
12.000 tonnes d'acier à coupe rapide 1
Nous sommes, maintenant, loin des difficultés du
début où, enl9i5, l'acier pour outils valait 40 francs
Prix des ferro-alliages {juin t91S)
la lonno
Ferro-chrome . . . 60 p. 100 Cr 8àl0 p. ino C 1.936fr.
— ... 60 p. 100 Cr 4 à 8 p. 100 C 2.200 »
Forro-molybdène. 70 p. 100 oo.ooo »
Kerro-silicium. . . 50 p. loO 695 »
Korro-titane. ... 40 p. 100 10.000 »
Ferro-tungstène. 80 p. lùO 30.000 »
Forro-vanadium. 50 p. 100 exempt de carbone. 54.000 »
le kilogramme; aujourd'hui, tons les gisements des
métaux utiles sont sous le contrôle des Alliés, et
Isur production répond à tous les besoins; du côté
ennemi, par suite du manque ou de la rarelé de ces
éléments., la préparation des aciers, nécessaires & la
résolution de certaines questions, doit y être sou-
vent laborieuse. — M. Mounié.
alerter v. a. Donner l'alerte, l'alarme, avertir
qu'il y a danger : Alerter des troupes.
BartU (Marie-Etienne--4!i.9Hs(e3 , indianiste
français, né à Schiltigheiin, près de Strasbourg, le
22 mars 1834, mort à Paris le 16 avril 1916. Il
lit ses études au lycée de Strasbourg, où il eut
pour maîtres Constant Martha et Jules Zeller et
s'orienta d'abord vers les sciences : il voulait en-
trer à l'Ecole polytechnique. Une surdité précoce
vint inopinément changer sa vocation : il revint
aux études liltéraires; il s'y était montré brillant
élève et suivit les cours de la l'^aculté de Stra.s-
bonrg, où il fut auditeur de Paul Janet, Colin,
Delcasso et Bergmann. Reçu licencié es lettres, il
enseigna la rhétorique et la philosophie au collège
commn.ial de Bouxwiller (1859-1864). Le hasard de
ses lectuies, dominées par une très large curiosité,
le conduisit à s'occuper de la langue et de la litté-
rature de l'Inde ancienne. Bientôt, profitant d'une
situation de fortune relativement aisée, il «tonna sa
démission de professeur, pour s'adonner tout entier
aux études qui l'avaient séduit et se fixa à Stras-
bourg, dont la riche bibliolhèque lui fournissait
les instruments de travail nécessaire. Il participa,
comme franc-tireur, à la guerre de 1.S70. Lorsque
la Faculté alsacienne fut devenue la proie des
l'Académie des inscriptions et belles-lettres, la pre-
mière fois qu'il s'y présenta, en 1893.
11 n'a écrit aucun livre proprement dit. Presque
tout ce qu'il a publié a d'abord pris la forme d'ar-
ticles; mais plusieurs de ces articles, tirés à part,
sont de petits volumes. Le plus important : les
Relioions de l'Inde (Paris, 1879) a paru dans
1' Il Encyclopédie des sciences religieuses » de
Lichtenberger. Il obtint un succès considérable, fui
traduit en anglais par le Ré v.J.Wood (Londres, 1882)
et en ruf.se par
le prince Trou-
betskoï. Le Bul-
letin des reli-
gions de l'Inde,
que Barth don-
nait périodique-
ment à la II lievue
de l'histoire des
religions », à par-
tir de 1880, for-
me une collec-
tion imposante.
Citons encoie de
lui : Annus. —
Legérondif'sans-
crilentvd(l>il',);
V Inscription
sanscrite de Han
C/ie;/(1883);/»s-
criptions sans-
crites du Cam-
bodge (1885); Ilermann Jacobi. L'âge du Rig-Veda
{lH9'i); llerman Oldenberg. Lnreligion du [tig-Veda
[WJti); Deux citapiires du Hiiura puriinii(\H96); Jo-
seph Dalilmann. Le Makdblidrata,é l'opée et livre de
droit (1897) ; le l'elerin cliinois l-lsing...(\ 898), elc.
La plume érudile de liarth était en môme temps
élégante cl humoristique. C'était un esprit de cul-
ture étendue et variée, un homme sympathique et
bon. Depuis la guerre ai-luelle ,il espérait revoir son
Alsace et son université de Strasbourg, libellées du
joug prussien. Son rêve no s'est pas réalisé de son
vivant. L'.\cadémie des inscriptions, présidée par
Maurice Croiset, a décidé que le nom de Barlh
serait gravé sur les murs de la Faculté strasbour-
geoise, au lendemain de la victoire. — J.M. Delisle.
Cabale (la). Le mot cabale a pour étymo-
logie le verbe hébreu quebel, raconter d'après la
tradilion. La cabale est donc l'inlerprétalion pro-
phétique des textes bibliqres, telle que les m-abbis»
se la sont transmise d'âge en âge Son origine est
hébraïque et exclusivement religieuse. Toutefois,
les écoles ésotériques diverses l'ont non seulement
Auguste Barth.
ir 141. Novembre 1918
étudiée, mais encore adaptée aux enseignements
qu'elles professaient. Actuellement, elle constitue
un corps de doctrine extrêmement touflu, dans lequel
les formules magiques, astrologiques et alchimiques,
voisinent avec des exégèses de textes sacrés.
La cabale pure est littérale et numérique. Litté-
rale, parce qu'avant de rechercher les prophéties
contenues dans le texte biblique, les commentateurs
ont vu dans chacune des lettres de l'alphabet un
symbole également prophétique, dont ils se sont
efforcés de trouver la signification. Numérique,
fiarce que les nombres ont donné lieu à des spécu-
alions de même nature. En remarquant que le sens
exact du substantif mystique est initiation (du gr.
;xuEti), j'initie), on peut dire que la cabale est la
mystique des lettres et des nombres.
Les sources de ce livre mystérieux sont vraisem-
blablement contemporaines de l'époque pharaonique.
Pendant la longue captivilé du peuple d'Israël sur
la 11 terre de servitude », les prêlies juifs eurent de
fréquentes relations avec les mages égyptiens et,
particulièrement, avec les /liéroj/y/j/tt/es, c'est-à-dire
avec les initiés connaissant le secret des mots rituels
gravés sur les monuments funéraires et sur les
longs papyrus du Livre des Morts.
C'est alorsqu'ils conçurentpourla «parole écrite »
une vénération qui persiste encore aujourd'hui chez
tous les peuples d'Orient. Les pays soumis & l'in-
fiuence musulmane, par exemple, considèrent l'écri-
ture hiératique comme une émanation direcle de
Dieu.Aussiportent-ilsdesamuleltesprotectrices, uni-
quement faites de transcriptions des versets du Coran.
Le texte de la cabale est tiré du Zepher Jelsirah
et surtout du Zepher haZoharou. Livre delà Splen-
deur. L'antiquité de ces œuvres est peu contestable,
bien qu'elles n'aient été connues des profanes que
dans le courant du xiv= siècle. Mais l^nr intégrité
d'origine a élé modifiée pat les nombreuses interpo-
lations introiluites dans leurs textes par les rabliis
cliargés de les expliquer. Le Zo/tar fut divulgué par
Mo'ise de Léon en 1309 et imprimé pour la première
fois à Mantoue en 1559. Son manuscrit fut un des
quatre acquis à grand prix par Pic de La Mirandole
en 1488. 11 n'est pas douleuv que les israéliles con-
naissaient ce livre occulte bien avant celte époque.
Us en attribuaient la composilion à Habbi Siméon
ben-Jochaï, et des commentateurs ont établi que ses
chapitres les plus iniporlants, tel celui des Idras,
existaient par écrit dès le iii« siècle avant J.-C.
D'autre part, les premiers docteurs de l'Eglise chré-
tienne connaissaient les principes de ce qiie nous
appelons la cabale et en faisaient usage. Nous en
trouvons la preuve dans l'Apocalypse, écrite avant
le ii<^ siècle de notre ère, puisque Théophile d'An-
tioche, Terlullien, Origène et d'autres encore font
de fréquentes allusions au texte de la Révélation
(ï-jroxaXuTTTvî, révélation). Or cette œuvre étrange
n'est qu'une suite de symiioles ressortissant à la
cabale des lettres, ainsi qu'à celle des nombres.
Au verset 13 du chapitre XXll, le 'Verbe, parlant
par la voix de l'Ange, dit à Jean :
'Eycô d'j.( xh A xat th û, âp/i] xa^ téXoç,
6 TtptÔTOç xal b es/aToç.
(Je suis l'Alpha et l'Oméga, le Principe et la Fin, le
Premier et le Dernier.)
Cette phrase exprime nettement le but visé par la
cabale des lettres. Pour nous, humains, le piincipe,
c'est-à-dire la lettre a, est au commencement du
monde. (In principio creavit Deus cselum et terrant,
dit la'Vulgate.) La Fin, le Dernier, sont représen-
tés par 0), dernière lettre de l'alphabet grec. Donc,
tous les événements, depuis le premier jour de la
création jusqu'à celui du cataclysme final, sont
compris entre ces deux leltres. Donc, encore, cha-
cun des caractères de l'alphabet marque une série
d'événements.
Quant à la cabale numérique, l'écrivain de Path-
mos eu fait usage d'un bout à l'autre de sa prophé-
tie. La dernière phrase du chapitje XIU, entre
autres, est un thème de discussions constantes entre
les exégètcs qui veulent voir dans l'Apocalypse l'an-
nonce de faits non encore accomplis : « C'est ici la
sagesse. Que celui qui a de l'intelligence compte le
nombre de la Bête, car c'est aussi le nombre d'un
homme, et ce nombre est 666. »
La mystique de la cabale littérale est basée sur le
Tetragrammaton(ie/ro. quatre; ^raminaion, lettre),
qui représente écrit le _,
nom divin qu'il était in- mh ^ ■■■ ^
lerdit de prononcer sous I 1 1
peinede mort. Ces quatre ' "
lettres sont ainsi figU- Le nomde/eAoroAi (Tetraitrtm-
Apq . maton) écrit sang rintroduction do
^*^^s • ^ voyelles par points masaorétiques.
On prononce aujour-
d'hui : Je-ha-v-ah, quelquefois J-fia-v-eh et, plus
couramment, mais incorrectement, Jéovah
(Rappelons que le sens de la lecture des langues
orientales est de la droite vers la gauche, direction
du mouvement apparent du soleil.)
Pour ne pas avoir à prononcer le nom redoutable,
les Hébreux lui substituaient d'autres expression»
}
ri« 141. Novembre 1918.
telles que Elohim, Adonal. La première phrase de
la Genèse esl : Be reschitk bârd ELOIIIM et ha
shamaïm v'eth ha arelz, que la Vulj:ate traduit
ainsi : Inprincipio creavil Deus csetum el leiram.
Le livre de l'Exode contient à lui seul soixante-
douze manières de désigner le Créateur. Après les
mois Elohim et Adonaï, celui qui comportait l'ex-
pression la plus forte était Eheia, signifiant : divine
essence, mot qui est souvent comparé au (ov (tb ov
ou 6 a)v) de Platon, traduit par : celui qui est
(latin : esse, être). IVIoIse s'appliquait à invoquer
Dieu en employant les symboles de l'objet de sa
prière :
Esch, dispensateur du feu. — Na, maître des élé-
ments déchaînés. — Ameth, vérité et fidélité, etc.
Tous ces termes sont sujets aux interprétations
cabalistiques, suivant les choses qu'ils représentent
et suivant les lettres qui les composent.
Pour donner au lecteur une idée des conceptions
prophétiques basées sur les lettres, nous reprodui-
sons l'analyse du Tetragrammaton telle qu'elle figui'e
dans le Zohar :
M Le Jod représente Dieu le Père et le Créateur ».
Rabbi Yossé a dit : « Je suis le Seigneur, et c'est
moi qui hâterai ces merveilles quand le temps sera
venu » (venu : beethé). Or, ce mot, be-el-hé, vem
Cornélius Agrippa (gravure du xvi» siècle).
dire : au temps du Hé. Le temps du Hé esl celui de
la résurrection de la Communauté d'Israël, car nous
savons, dit encore Rablii Yossé, que la Communauté
restera ensevelie (c'est-à-dire : en exil, en persécu-
tion) jusqu'au retour du second Hé.
Pourquoi cet exil, véritable ensevelissement?
« Parce que le Hé s'est séparé du Vav (le Vav,
c'est la parole de Dieu qu'Israël n'a plus écoutée). Et
le Verbe s'est tu, ainsi que le dit le Psalmisle : a Je
(1 me suis tu, et j'ai gardé longtemps le silence. »
L'interprétation estcomplétéeparun travail chro-
nologique d'après la mystique des nombres. Le jour
dn Hé se trouvera dans le cinquième inillénaire. Le
sixirme millénaire sera le temps du Vav. La réu-
nion du Vnv et du second Hé (triomphe et retour
de la Communauté) s'effectuera à la fin de ce sixième
millénaire.
L'interprétation cabalistique chrétienne du Tetra-
grammaton est plus simple. Les trois lettres Jod,
Hé, Vav représentent les trois personnages de la
Trinité. Le second Hé est encore le Fils ou Verbe,
niais le Verbe incarné, le Fils fait homme.
Les deux conceptions présentent d'étroites analo-
gies et se rapportent au même temps messianique.
.Vlais l'une le situe dans l'avenir, alors que la se-
conde le place dans le passe, à vingt siècles der-
rière nous.
Les alchimistes ont appliqué les procédés symbo-
liques de la cabale à la composition de leurs for-
mules et à la désignation des éléments de leurs
préparations secrètes. C'est ainsi que, d'après cer-
tains hermétistes, le mot azote aurait été créé pour
exprimer le principe et l'aboutissement, le com-
mencement et l'achèvement de l'œuvre; en lespèce,
du Grand CEuvre. Nous avons dit déjà que l'azote
des distillations alchimiques (v. p. 325) n'a aucun
rapport avec le gaz antivital que nous appelons de
ce nom (du gr. a priv. et zôon, être animé). C'était,
au contraire, le fermentatif nécessaire à la production
de la vie dans le métal en coction. Aussi les occul-
tistes du moyen âge auraient-ils eu recours, pour le
représenter, à un véritable pastiche de la parole sa-
crée : « Je suis l'alpha et l'oméga. »
AZfia
LAROUSSE MENSUEL
A et Z sont les lettres extrêmes de l'alphabet
latin, oméga la dernière de l'alphabet grec, et
thav également la dernière de l'alphabet hébreu.
L'assemblage de ces
quatre caractères donne :
dont l'assonance « azote »
s'interprète : élément né-
cessaire à l'achèvement
de ce qui a été commencé. L'emploi des trois lan-
gues symboliserait les trois mondes : divin, intel-
lectuel, naturel; — les trois règnes : animal, vé-
gétal, minéral, ainsi que les trois phases de la
transmutation. Il n'y a qu'un seul commencement :
une seule lettre pour le représenter. Mais il y a
trois degrés de perfection de la pierre philosophale:
Z, premier état, — oméga, deuxième degré, — thav,
pierre philosophale absolue, transmutant en or pur
une quantité de métal en fusion mille fois supé-
rieure à son propre poids.
Au xv= siècle, les initiés des écoles ésotériqucs
employaient les symboles cabalistiques pour en-
tourer d'un mystère impénétrable les opérations
magiques auxquelles ils se livraient : incantations,
évocations, envoûtements, etc. Pour composer leurs
grimoii-es, ils se servaient de textes hébreux, grecs
et latins, écrits selon des conventions spéciales, qui
les rendaient à peu près illisibles. Cornélius Agrippa,
dans son troisième livre de philosophie, révèle une
de ces clefs, qui est assez ingénieuse. Les caractères
de l'alphabet hébreusontau
nombre de 22, mais il existe
ciiiqletlressupplémentaires,
utilisées à la tin des mots.
Ces 27 signes sont répartis
en neuf cases, non pas sui-
vantlasuccession deslettres,
mais bien suivant le classe-
ment spécial qui les affecte
aux trois mondes : divin,
— intellectuel, — naturel.
La disposition est celle-ci :
En séparant les cases, on obtient les neuf signes :
LUJEDDr
Clef cabalistique.
Les lettres étant placées par trois dans chacune des
cases, un point désignera celle qui occupe la pre-
mière place (de la droite à la gauche), deux points
la deuxième et trois points la dernière. Donc, une
lettre quelconque peut être figurée par le dessin de
sa case, surmonté _
du nombre depoints ^ W !• *^ * ,K^
indiquant sa place. 1 |^| _-J ^ J
Ainsi, le mot , . , ,^
ci-conlre: M ichael,^'^'^ ^""^^ "'■'^^ "^'^^'^
s'écrira caba-
listiquement
figure i
quant que
première let- Hichaêt écrit en signes cabalistiques.
Ire du mot
(lecture de droite à gauche) est la 2" lettre de la case 4,
donc un mem, la deuxième est celle du second rang
dans la case 1, donc un iod, la 3' un caph, etc.
Pour la confection des sceaux et des talismans,
les verticales étaient confondues deux à deux, alin
de réduire les di-
mensions de l'ins-
cription. Le sceau
de Michaël deve-
nait alors : s<.eau simpuas de Michaél.
D'autres signes
étaient en usage. Les horoscopes étaient rédigés
en écriture dite « céleste », parce que chacun de
ses caractères était la représentation d'une des mille
figuresgéo-
3
2
1
6
5
4
9
8
7
U I I U "
me la I I I 1 I I .
métriques
qu'on peut
lire dans le
ciel étoile :
2
4
guim«l
O— — O
Ces ins- a'eph beth
criptions,
faites sur parchemin vierge ou sur des plaques de
"létal, mêlées aux symboles planétaires du moment
(car les infiuences astrales ne sont jamais omises),
composaient des ensembles hétérogènes de lecture
à peu près impossible pour qui n'avait pas reçu
l'initiation supérieure.
Mais la cabale n'était pas seulement écrite, elle
était aussi verbale, c'est-à-dire que certaines for-
mules et certains mots, prononcés dans les condi-
tions rituelles, pouvaient faire dévier le cours des
événements, conjurer la fatalité néfaste et guérir
des maladies.
Ainsi, le très curieux cérémonial de l'envoûte-
ment, que nous aurons probablement à étudier, com-
portait non seulement des malédictions sur par-
chemin, mais encore toute une série de paroles
émises aux heures propices dans les directions indi-
quées par le rituel. La puissance des mots magiques
605
fut admise par les philosophes de l'antiquité. Sans
remonter jusqu'à Médée, qui, par troi» paroles, apai-
sait l'océan en furie, on affirme que récole pytha-
goricienne obtenait des cures de maladies mortelles
par l'emploi de formules connues d'elle seule. Plus
prés de nous encore, au xvi° siècle, des médecins
prescrivaient très sérieusement à leurs malades
atteints de lièvre (juartaine de prononcer un certain
nombre de fois la tormule : abracadabra. 11 est vrai
que, d'après Cornélius Agrippa, le remède produi- '
sait son plein effet lorsque le patient en portait au-
tour du cou l'inscription sur parchemin et suivant
une disposition descendante, symbole de la gué-
rison progressive qu'on voulait obtenir.
La cabale des nombres est plus abordable que
celle des lettres, parce qu'elle ne nécessite pas abso-
lument la connaissance de l'hébreu, ni même celle
du grec.
En outre, elle comporte de nombreuses spécula-
tions de nature arithmétique, accessibles à tout le
monde. Elle était pratiquée par tous les anciens
peuples de l'Orient. Les temples égyptiens, les hy-
pogées, les livres bibliques, témoignent du respect
religieux que l'ordonnancement el le mystère des
nombres inspiraient non seulement aux adeptes,
mais encore à toutes les classes populaires.
De même que des alchimistes comme Basile
Valentin, Raymond Lulle, Paracelse, les deux Car-
dan, furent aussi des savants auxquels la chimie
est redevable de ses premières acquisitions, de
même les premiers cabalistes furent aussi des ma-
thématiciens dont les noms figurent en bonne place
dans les annales de la science. La table de Pytha-
gore, telle que nous l'employons aujourd'hui, était
certainement considérée, au temps où elle fut conçue,
comme un tableau cabalistique. Un des disciples de
Pythagore, Oscellus de Lucanie, nous révèle en
ces termes un des dogmes de la fameuse école :
« L'harmonie est en tout et partout, dans les nom-
bres et dans les manifestations visibles de la puis-
sance créatrice. Elle préside aux destinées du monde,
et son auteur ne peut être que Dieu. » (Fragments
recueillis par Stobée, moine compi-
j lateur grec du iv« s.) — La même
école célébrait 1 unité du plan créateur.
I En conséquence, l'homme, en tenant
* ' compte de l'unité el de la continuilé
de l'œuvre créatrice, pourra prévoir
le retour des elfels dus à des causes
sinon connues, du moins entourées de circons-
tances classées et comptées. Les comparaisons et
les analogies s'imposent à l'esprit attentif el se
traduisent presque toujours par un nombre. Toute
étude aboutit à un calcul ou à une énumération : le
naturaliste se livre à des mesures parfois compli-
quées, lorsqu'il décrit un végétal; l'anatomiste et le
médecin ont recours à des chiffres pour noter leurs
observations; l'historien collige des dates; le philo-
sophe lui-même s'efforce de dénombrerles tendances
et les variations de l'âme humaine.
C'est précisément l'ignorance des causes qui (il
attribuer aux nombres des influences dont la source
demeuraitmystérieuse. L'antiquité n'admettaitguère
le hasard, qui est une conception moderne assez mal
définie et souvent inacceptable. En dépit du progrès,
combien comptons-nous encore aujourd'hui de cas
de causalités non résolues, et combien de théories
ne sont que provisoires!
La première opération cabalistique fut, vraisem-
blablement, une sorte de classification des influences
bonnes et mauvaises, à laquelle s'ajoutèrent, par la
suite, des conceptions d'ordre religieux et philoso-
phique. Aussi le symbolisme des nombres est-il
complexe et difficile à résumer. Une courte analyse
des considérations émises sur les quatre premiers
en donnera une idée.
Un, départ de la numération, esl le Principe.
Paracelse remarque que nous connaissons le pre-
mier nombre, mais que notre esprit ne saurait
concevoir le dernier, qui, pourtant, n'est que l'unité
répétée à l'infini. Pythsgore enseignait que tout
procède de la monade créatrice. Dans le monde
divin, i/n représente Dieu, auteur unique de toutes
choses. Dans le plan terrestre, «n symbolise la viri-
lité, la force mâle capable d'engendrer.
A proprement parler, ce n'est pas un nombre : il
n'est ni divisible, ni décomposable. C'est l'élément
primordial, sans lequel aucun autre nombre ne serait
concevable. Son analogue géométrique est le point,
qui n'a pas de dimensions et qui est, lui aussi, le gé-
nérateur de toute longueur, de toute surface et de
tout volume.
Deux ou Binaire. — Celui-là esl un nombre, ré-
pétition mauvaise de l'unité. Deux est maléfique,
parce qu'il est le signe sensible de l'antagonisme :
le Bien et le Mal, — la Nuit et la Lumière. — C'est
aunsi un symbole d'impureté. C'est lorsqu'ils furent
au nombre de deux que les premiers habitants de
la Terre commirent le péché de désobéissance. Au
second jour de la création. Dieu ne constata pas que
son œuvre était bonne comme il l'avait fait au jour
un et comme il le fit à la fin des quatre autres. C'est
3 n'en effet il régnait encore, à l'expiration de celle
euxième phase, une confusion et un désordre eu
606
opposition diamétrale avec l'esprit d'harmonie par-
faite qui est celui du Créateur. Il fallut qu'une unité
s'ajoutât aux deux premières, pour que l'ordre fût
établi, k la lin du troisième jour :
« Congregentur aquiB, quœ sub caelo sunt, in
locum unum... Et vidit Deus quod esset bonum. » —
Cette réprobation du Binaire existe dans toutes les
philosophies. Pylhagore appelait le Deux la « Duade
indéterminée » (Auaç aopi(jTOv). Alphésibée, procé-
dant au cérémonial de l'enchantement (Virgile, égl.
VIII), fait remarquer que ses opérations n'auront
de résultats favorables qu'autant qu'elles seront en
nombre impair. Saint Thomas lui-même affirme,
après Aristote, que l'homme est enfermé dans la
dualité.
Le Binaire est donc souvent 1 emblème du mal et
de la concupiscence. Mais il implique aussi l'idée
de science à son aurore. C'est avec le S que naît la
notion de longueur : deux points déterminent une
droite. Nombre de la première dimension.
Le Trois ou Ternaire est, au contraire, un nombre
sacré. Les exemples de triades sont nombreux dans
les trois mondes; aussi en trouve-t-on la représen-
tation figurée par le triangle dans toutes les doc-
trines d'origine orientale. Il symbolise la perfection,
l'achèvement et l'harmonie : I œuvre de la troisième
époque de la création. C'est la victoire de l'unité
sur le Binaire, du Bien contre le Mal, la domina-
tion du mâle sur la femelle. La conjonction des
deux principes et des deux sexes n'est justiliée que
par la procréation. L'homme et la femme ne com-
posent une famille que lorsque l'enfant est veimles
compléter. Géométriquement, trois points non en
lignedroitc déterminent un triangle: premièie notion
de surface, apparition de la deuxième dimension.
Le Quatre ou Quaternaire : premier carré parfait.
II est quelquefois l'emblème de la perlection ma-
térielle.
Dans certains cas, il exprime le triomphe du
mal : 2^. Mais, avec lui, naît la première idée de
volume (tétraèdre), donc: solidité, résistance et
conlirmation de la matérialité exprimée par la puis-
sance lieux. Dans la cal)ale judaïque, l'interprétation
du Quaternaire est variable. Quatre est, en elfet, le
nombre des caractères nécessaires à l'écriture du
Tetragrammalon. Il peut engendrer le bien si
l'homme observe la Loi imposée par celui qu'il ne
faut pas nommer. Il engendrera le mal, lorsque la
créature transgressera les ordres du Créateur. La
double influence est indiquée par cette constatation :
deux, multiplié par lui-même, engendre quatre.
Deux, ajouté à lui-même, donne le même résultat.
L'histoire de la Genèse confirme encore les influen-
ces mauvaises dont est susceptible le Quaternaire
obtenu par addition du S avec lui-même :
Adam et Eve : premier péché.
Ca'in et Abel : premier crime, qui fut commis
lorsque les enfants des deux premiers hommes
furent au nomore de deux et lorsque les habitants
de la Terre furent au nombre de quatre.
Le .symbole des dix premiers nombres a été établi
par des raisonnements de ce genre. Pour étudier
cabalistiquement un nombre quelconque, il faut
donc, en premier lieu, le ramener à l'un de ceux
compris dans la première dizaine. On obtient ce
résultai grâce aux règles d'une arithmétique spéciale,
qui permettent d'écrire des égalités de cette forme :
1918 = 1 -f9 -1-1-1-8 = 19 = 14-9 = 10
avec :10 = 1 -t-o = 1.
La sommation des chiffres alioulil, dans ce cas,
au dé7iaire (10) et aussi à l'unité. L'interpiétation
divinatoire, réduite à ses éléments les plus simples,
serait alors :
10 ou Dénaire : On retrouve dans ce nombre
quelques-unes des propriétés de l'unifé, à laquelle
il ramène, 0 n'étant pas un nombre. Il termine par
son rang, une série complète, la Décade. D'où :
lin-clôture. Dans les arcanes du Tarot, la dixième
lame représente la réincarnation — la vie nou-
velle — le recommencement.
Le système d'égalilès cabalistiques suivant con-
firme cette interprétation:
, , S 1918 = l-f-9=10
^"^ ( l-t-2-f 3-|-'. = 10.
La première ésalité signifie : fin ; — la 2° admet la
même interpélation, puisque la sommation conduit
au même nombre. Mais la 2« égalité du système (a)
fournit la solution complémentaire: achèvement de
ce qui fut commencé et continué au cours des nom-
bres successifs : 1, 2, 3, 4.
Nous retrouvons, d'ailleurs, le symbole de l'achè-
vement dans les derniers chillres : 8 et 4, des pre-
miers membres des égalités :
8 = 4-1-4 I Achèvement — solidité confirmée —
4 \ sommet (tétraèdre).
Un autre exemple donnera une idée plus complète
des spéculations cabalistiques. Le fronton de la mai-
son deNicolas Flamel, rue de Montmorency, à Paris,
porte, gravé dans la pierre, le nombre 1407, qui in-
dique probablement la date de la construction de
l'immeuble. La personnalité de Flamel fut si mar-
LAROUSSE MENSUEL
quée qu'il a encore, à l'heure présente, des détrac-
teurs et des défensem-s passionnés. Mais, si ses
connaissances alchimiques sont doulenses, il n'en
est pas de même de sa science cabalisiique, qui
était réelle, ainsi qu'en font foi ses o Explications
sur les hiéroglyplies des arcades du Charnier des
Innocents >>. Or, Flamel affirmait que tous les événe-
ments de sa \ ie avaient été régis par les nombres
sacrés : 5 et 7, ainsi que par leurproduit, 2/. Il disait
aussi qu'il devait son initiation à un manuscrit sur
écorces d'arbre, composé de 21 feuilles et remon-
tant aux temps bibliques. D'après les cabalisles
modernes, le nombre ^407 aurait été choisi pour
afiirmer aux générations suivantes l'influence du 3,
du 7 et du 21 sur la destinée du propriétaire de la
maison. Voici quelques calculs tendant à l'admi-
nistration de cette preuve:
1407 = 1 -f4 4-7 = 12 = 1-1-2 = 3
ou, en considérant les deux nombres séparés par le 0 :
14-f 7 = 21 = 3X7.
En faisant abstraction du zéro, le nombre res-
tant est:
147 = 21X7.
En renversant l'ordre de ses chiffres :
741 = 720-1-21.
Or ~W et SI présentent les particularités sui-
vantes :
720 = 1 X 2 X 3 X 4 X 5 X 6
2l=l-f2-|-3-f4-t-!i-)-6.
D'autre part : 720 = 7 -|- 2 = 9 = 3*
21 =3X7.
Les deux racines 5 et 7 apparaissent donc dans
toutes les opérations. En les rapprochant, elles for-
ment le nombre 37, qui jouit également d'une pro-
priété remarquable. Lorsqu'on a fait le produit par
3 ou par un multiple de 3, le résultat obtenu, s'il
n'est composé que de 3 chiffres, est formé du même
chiffre répété 3 fois :
Ex. : 37X6 = 222, 37 X 15 = .'JBS, etc.
Enfin, 1i07 présente une particularité analogue à
celle que Gicéron a signalée pour le nombre 56,
dans le Songe de Scipion :
56 = 7X 8: succession des chiffres 5, 6, 7, 8.
De même : 1407 = 234,5X6 (succession de 2, 3,
4, 5, 6).
C'est donc, à tout le moins, un nombre remar-
quable. Il prête k de nombreuses déductions, que
nous ne pouvons citer ici, car les ressources de la
cabale sont presque infinies. Son arithmétique com-
prend des définitions qu'on chercherait en vain
dans les traités classiques de numération. Telle est
celle du triangle cabalistique d'un nombre: c'est la
somme de tous les nombres qui le précèdent, en le
compienant dans ce total. Exemple : triangle
de6 = l-f2-f3-t-4-f5-f-6 = 21. L'arithmétique
— la vraie — permet d'obtenir ce résultat par une
opération plus rapide, sm-tout lorsque le nombre est
grand. Le triangle, tel que nous l'avons défini, est,
en effet, égal au demi-produit du nombre par celui
6x7
qui le suit: Tr. de 6 = • = 21.
2
Autre propriété du triangle : la somme des
triangles de deux nombres successifs est égale au
carré du plus grand : Tr. 6 -j- Tr. 7 = 49 := 7'
Ainsi donc, à l'origine, la cabale était étroitement
liée à rarithméli(|up, comme l'astrologie à l'astro-
nomie, comme l'alchimie à la chimie; en un mot,
comme tout ésotérisme à la science réelle.
Peut-on dire que cette affinité n'existe plus? La
notion des probabilités, dans la pratique ordinaire de
lavie, estune spécu'.alion hasardruseet décevante...
Les joueurs de roulette le cOListateat à leurs dépens.
Mise en lormule, elle donne des résullats de li-
mites constantes. Une de ses applications est aujour-
d'hui d'une actualité brûlante. C'est celle qui conduit
aux lois delà dispersion du tir. La théorie des
probabilités composées, établie par Bernoulli,
s'énonce ainsi : « Lorsqu'un événement E se produit
n fois en un nombre N d'épreuves, le rapport —a
pour limite la probabilité de l'événement lorsque N
augmente indéfiniment. »
C'est grâce à ce théorème, qui semble n'être une
vérité que dans le voisinage de l'infini, qu'on est
arrivée définir la probabilité d'un écart dans un tir
comportantun grand nombre d'épreuves et mêmcde
fixer le nombre de chances d'atteindre le but visé.
Dans un autre ordre d'idées, c'est à tort que
Pascal est quelquefois cité comme l'inventeur du
placement des 36 premiers numéros de la roulette,
afin dei'épartir également les chances de leur sortie.
Pascal a bien étudié une roulette, mais ce n'est pas
celle des joueurs. II s'agit, en réalité, de la courbe
dite « cyclolde », décrite par un point d'une roue
tournant sur un plan. On a également attribué à
d'Alembert nue théorie raisonnùe permetlant d'ob-
lenirun gain fixé d'avance en misant sur les chances
simples — pair ou impair, rouge ou noir, etc. — |
fV* 741. Novembre 1918.
de la roulette. La méthode est connue sous le nom
de martingale ou montante de d'Alembert. II est
bien certain que le célèbre encyclopédiste n'avait en
vue que 1'» établissement dune loi mathématique
vérifiée par un nombre infini d'épreuves ». Et, sur
ces données exclusivement théoriques, s'établit toute
une cabale spéciale, entachée d'un fétichisme décon-
certant : la cabale des joueurs.
Encore qu'elle révèle les étals psychologiques les
plus curieux, nous ne l'étudierons pas. Remarquons,
toutefois, que la croyance aux nombres bénéfiques
ou maléfiques n'est pas abolie en notre siècle de
progrès. On cite des exemples devenus populaires :
tel auteur dramatique compte le nombre de lettres
entrant dans le titre de ses pièces, tel autre le
nombre des personnages de la distribution.
Certains cas d'influence fatidique et persistante ont
mênie été relevés dans les pages de notre histoire.
Pierre de L'Estoile, contemporain de la Ligue et de
Henri IV, bibliophile érudit et sceptique, énumère
dans son Jouinal les dates les plus marquantes delà
vie du Béarnais et constate l'influence du nombre
1i. Cl Heuri IV, dit-il, est né un 1i décembre, 1i siè-
cles, 4 décades et U ans après J.-C. Il mourut un
U mai. Son nom compte i4 lettres (Henri de Na-
varre). Il gagne la bataille d'Ivry un 14 mars. Le
Dauphin fut baptisé un U août. RavaiUac fut exé-
cuté 14 jours après la mort de sa victime, et 1610
est un multiple de 14 ».
La maison des Bourbons semble, d'ailleurs, avoir
subi cette influence. Louis XIII tint les étals
généraux en 1614, à l'ige de 14 ans, et mourut le
U mai 1643 ( i-f. 6 + 4 -f 3 = 14). Louis XVI convo-
qua les états généraux la ^4« année de son règne. La
restauration des Bourbons fut effectuée en ISIi
(l-f-8-M-t-4=14).
Ijn autre nombre se répète fréquemment dans la
vie de Louis XVI, c'est le i^ : le gala nuptial du roi
à Paris fut fêté un 21, de même que la célébration
k l'Hôtel de Ville de la naissance du Dauphin. Arres-
tation à Varennes : 2/ juin. Mort du roi: S^ janvier.
La cabale des nombres est l'objet d'une applica-
tion directe et populaire dans la carlomancie, ou
prédiction de l'avenir, par le moyen des cartes à
jouer. Nous étudierons prochainement (aux mots
TAROT, caiitomancie) la technique de ces pratiques
divinatoires, aussi répandues de nos jours qu'elles
l'étaient aux siècles passés.
Ce rapide aperçu de la doctrine cabalistique et des
pratiques divinatoires qui en dérivent nous conduit
à des conclusions déjà formulées. Depuis le jour où
il s'est appliqué « à réfléchir sur sa destinée », selon
l'expression de Renan, l'homme a toujours tenté de
s'évader des réalités de la vie. Non coulent d'être le
maître des trois règnes terrestres, il s'efforce de
pénétrer dans l'inaccessible domaine de l'avenir et
de l'inlini. La sagesse, qui est i/iie sous toutes les
latitudes, le met pouitaut en garde contre ce désir
décevant. Inschallah! (Comme Allah voudra!) di-
sent les Arabes. Su/ficit diei malitia sua (A chaque
jour suffit sa peine), enseigne le dogme évangé-
lique. Ce sont là des préceptes que noire philoso-
phie a condensés dans une formule, banale peut-
être, mais ennoblissante, car elle exprime l'idée
du devoir soumis à la volonté : <■ Fais ce que dois,
advienne que pourra. » — Henri DEcaiSBootiK.
Cliine (Ma mission en), par Auguste Gérard,
ambassadeur de France. — Auguste Gérard a exercé,
de 1894 à 1897, les fonctions d'ambassadeur à Pékin.
U a séjourné dans la capitale mandchoue pendant
la période critique de l'îiisloire du grand empire
exlrême-oriental, celle où, parlabrèche que le Japon
a percée dans l'antique muraille, la Chine aperçoit,
éblouie, dans son éclat et dans sa force, la civilisation
des barbares d'Occident; où, le premier éloiinemenl,
le premier efl'roi passés, elle se décide franchement
à s'assimiler cette civilisation ignorée, méprisée;
où, à la suite du Japon, elle entre, par la politique,
l'industrie, la diplomatie, dans la grande société
des Etats qui règlent aujourd'hui le sort du monde.
Diplomate habile, observateur sagace, sinologue
à l'occasion, A. Gérard a su brosser un tableau 1res
large — sinon très coloré — des événements aux-
quels il a été mêlé. Son livre est non seulement le
journal d'un diplomate, mais une page de la grande
histoire. L'auteur ne se contente pas d'exposer clai-
rement les événements auxquels — spectateur ou
acteur — il assiste; il en fait saisir la genèse et le
développement futur.
La pièce qui se joue de 1894 à 1897 sur le théâtre
chinois est des plus intéressantes : ses péripéties
sont multiples et compliquées. En 1894, c'est la
guerre sino-japonaise et la victoire foudroyante du
Japon; en 1895, l'intervention des puissances euro-
péennes, qui, gardiennes de l'intégrité de la Chine,
s'efforcent de limiter les conséquences de cette vic-
toire, et les laborieuses négociations du traité de
Simonosaki. Celte même année, il faut liquider en-
fin la situation créée par l'occupation française du
Tonkin et la guerre franco-chinoise qu'a terminée
le traité de Tien-Tsin. C'est, en efl'et, dix ans seu-
lement après la conclusion de ce traité que la déli-
mitation de la frontière sino-tonkinoise a pu donner
«• 141. Novembre Ibra.
lieu à des accords précis, où toute l'intelligence,
toute la ténacité de notre ambassadeur ont été né-
cessaires pour faire valoir nos droits.
En même temps, se posent la question de l'em-
prunt coiitraclc par la Clilne auprès des puissances
./iropéeniies pour le payement de l'indemnité de
guerre exigée par le Japon et celle, bien plus im-
portante, du passage du Transsibérien à travers la
Mandchourie. En 1896, c'est la Chine qui vient à
l'Europe. Ambassadeur extraordinaire du gouver-
nement impérial, Li-lIung-Tchang l'ait la tournée
des capitales d'Occident, de Petrograd à New-Yorl(,
en passant par Berlin, Bruxelles, Paris et Londres,
et rapporte de ce voyage des accords économiques
féconds et des « directives » politiques nouvelles.
Pendant ce voyage et au retour de l'ambassadeur,
des négociations se poursuivent entre la Chine,
d'one part, la France, la Belgique et la Russie de
l'autre, pour l'établissement de voies ferrées sur le
territoire chinois; puis viennent la conclusion de la
convention anglo-chinoise relative à la frontière de
Birmanie et les intrigues allemandes pour l'établisse-
ment d'une base navale sur les côtes chinoises. Les
derniers mois oii Auguste Gérard exerce ses fonc-
tions diplomati<|ues (1897) sont marqués par l'éta-
blissement de la Banque russo-chinoise, le règle-
ment des affaires relatives aux missions religieuses
et le développement des idées réformistes dans les
milieux lettrés.
Ces faits, qui non seulement se succèdent, mais
s'enchainentavec un ordre dont les divers chapitres
de Ma »nisst«ii en Chine font admirablement saisir
la logique, A. Gérard les présente avec une clarté
parfaite. Le diplomate et l'historien liront avec
fruit le détail de leur exposé. Sans suivre pas à pas
A. Gérard dans cet exposé, contentons-nous de voir
quelles sont les grandes idées qui s'en dégagent.
La guerre sino-japonaise est, avec la conquête
mongole et l'invasion mandchoue, l'un des événe-
ments décisifs de l'histoire chinoise. Jusqu'à cette
guerre, la Chine est restée, saufàl'époquedes grands
klians du Gathay, un monde fermé, semblable à la
Rome des em-
pereurs; elle se
considère comme
l'ensemble du
monde civilisé,
les Blats voisins:
Inde, Japon, Rus-
sie, pays d'Eu-
ropeélanthal)ilé3
par ses vassaux
ou des barbares
rebelles, dont ne
sauraient l'inté-
resser la vie quo-
tidienne ni les
obscurs démêlés.
L'empereur est,
en théorie, un
être divin, tout-
puissant et inac-
cessilde, qui dis-
tribue des ordres
à toute la terre et
n'admet personne à traiter aveclui d'égal à égal. Et,
bien que le prestige de l'empire et de la dynastie ait
subi déjà de rudes atteintes, toute la Chine oflicielle
continue à n'apercevoir que le dieu — irréel comme
un rêve d'opium — dont elle s'hallucine. Les victoires
du Japon fonte vanouir toute cette fantasmagorie. Sou-
dain réveilléepar le fracas ducanonjaponaisqui tonne
en Mandchourie, la Chine, à la lueur des batailles,
s'aperçoit telle qu'elle est : faible, isolée, à la merci
d'une attaque des voisins de l'iist, ces « 'Wo-Yen »
méprisés, qui s'avèrent plus redoutables que leurs
antiques suzerains. Pour se garantir des attaques
du Japon, il faut se retourner vers les puissances
occidentales, obtenir leur concours diplomatique,
militaire au besoin, et, comme a fait le vainqueur,
emprunter à leur civilisation de nouvelles armes.
Deux grands hommes d'Etat, les plus remarquables,
de l'avis de A. Gérard, qu'ait trouvés la Chine
déclinante, le comprennent : le prince Kong, rap-
Îielé au ministère des alfaires étrangères en 1894, et
e vice-roi du Tche-Li, Li-llung-Tchang. Le splen-
dide isolement de la Chine n'est plus de mise; il
faut lier partie avec les groupes de puissances qui
— le ministre et le vice-roi ont le mérite de le voir
clairement — contrôlent non seulement l'Europe,
mais l'Asie et sont maîtresses des destinées de
l'empire. L'habileté suprême de Li-Hung-Tchang et
du prince Kong est de l'aire comprendre à trois des
grandes puissances européennes : la France, la
Russie et l'Allemagne, qu'elles sont solidaires de la
Chine et ne peuvent laisser rompre, au profit du
Japon, l'équilibre extrême-oriental.
Grâce à leur concours, la Chine se tire sans
dommages irréparables d'une situation critique : le
Japon, se contentant de Formose et de l'indépen-
dance de la Corée, renonce à la Mandchourie et à
Port-Arthur. — Passé le danger, le gouvernement
chinois retomberait volontiers dans sa dédaigneuse
apathie. Le prince Kong et Li-Hong-Tchang, d'une
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
Auguste Gérard.
LAROUSSE MENSUEL
main ferme, maintiennent la barre dans la bonne
direction. Non seulement la Chine se rapproche de
l'Europe, mais elle choisit, parmi les groupements
des Etals européens, celui auquel elle jomdi'a sa
destinée. En 1896, l'Angleterre est isolée, et la
Triplice ne compte pas en Extrême-Orient. C'est à
la combinaison franco-russe que la Chine se rallie.
La France et la Russie, voisines du Céleste-Empire
sur d'immenses étendues, ont pour préoccupation
dominante l'intégrité chinoise et l'équilibre orien-
tal. La période qui s'étend de la guerre sino-japo-
naise à l'insurrection des Bo.rers est une péHode
d'influence franco-russe. Non seulement c'est
avec les ministres de France et de Russie, A. Gé-
rard et le comte Gassini, que le Tsong-Li-"Ya-Men
« entretient les plus conliantes relations », mais,
pendant le séjour de Li-Hung-Tchang à Petrograd,
un traité secret d'alliance défensive et offensive e.-l
conclu entre les gouvernements russe et chinois :
les deux pays se garantissent mutuellement leurs
fiossessions; la Russie peut éventuellement utiliser
es mouillages des côtes de Chine et, pour amener
rapidement des troupes sur le Pacifique, faire pas-
ser une partie de la ligne transsibérienne sur le
territoire chinois. — Ce traité devait avoir pom-
l'avenir les plus intéressants développements et
permettre, en particulier, pendant la présente guerre,
l'utilisation du territoire chinois par les Alliés et
le Japon, remplaçant la Russie défaillante. — Par
suite de l'entrée de la Chine dans l'alliance franco-
russe, ce furent la France et la Russie qui recueil-
lirent de la transformation de la Chine, alors ébau-
chée, les premiers et les plus précieux avantages.
La France obtient un règlement avantageux des
questions relatives à la frontière siiio-tonkinoise.
11 Non seulement est préservée la sécurité de nos
possessions indochinoises », mais l'Indochine
est 11 la voie la plus directe et la plus courte de
pénétration vers le sud et l'ouest du grand em-
pire ». La France acquiert ainsi une situation
privilégiée; elle sait l'exploiler en obtenant du
gouvernement chinois le prolongement des che-
mins de fer tonkinois dans les provinces méridio-
nales de la Chine. C'est sous les auspices de
A. Gérard que sonl conclus les premiers accords
relatifs à l'établissement du chemin de fer du "Yun-
nan. Avant toutes les autres puissances européennes,
la France réussissait à ouvrir aux voies ferrées le
territoire chinois. » La signature du contrat du
5 juillet 1896 est une date dans l'histoire de l'ou-
verture de la Chine et une date exclusivement
fr.inçaise ». L'année suivante, la France remporte,
grâce à l'habileté de ses représentants et à l'appui
de Li-Hnng-Tchang, une véritable victoire diplo-
matique sur les puissances concurrentes : elle ob-
tient de participer, avec la Belgique, à la construc-
tion de la voie ferrée Pékin-Har-Kéou (dite Kin-Han),
ligne de plus de 1.100 kilomètres, depuis plusieurs
années en exploitation. A la France encore de
reconstruire l'arsenal de Fou-Tchéou, détruit par
elle dans la précédente guerre franco-chinoise.
Un peu plus tard, enfin (Gérard appelé à un autre
poste, mais ses elforls portant leurs fruits), la
Banque de l'Indocliine devient une organisation
chargée de représenter la puissance financière
française sur le marché chinois.
Pour la Russie, elle obtient la concession du
Transmandchourien et de ses embranchements
et l'installation solennelle, à Pékin, du siège social
de la Banque russo-chinoise. Plus encore que l'in-
fluence française, c'est, au point de vue politique
du moins, l'influence russe qui est prépondérante.
La politique chinoise est liée d'une alliance intime
à celle d'une grande puissance d'Occident. Fait
capital, dit avec raison A. Gérard, puisque, àcetle
date seulement (dans les temps modernes), « la
Chine fut amenée à prendre place dans la politique
générale du monde, à y figurer comme un facteur,
à courir les chances et les risques du jen de l'uni-
vers ». L'ambassade en Europe de Li-Hung-Tchang,
11 ambassadeur vraiment génial », qui inaugure cette
politique, peut être, à cet égard, « comparée au
voyage de Pierre le Grand ». On peut souscrire à
cette appréciation.
Aucune puissance, aucun groupement de puis-
sances ne sont capables, en ces années fécondes, de
faire contrepoids au groupe franco-russe, dont le
prestige et l'influence sont incontestés. L'Anglelerre
travaille isolément et, d'ailleurs, non sans résultats,
à s'assurer la voie de pénétration birmane: quant k
l'Allemagne, qui s'est cependant associée au service
rendu par les puissances à l'empire chinois, elle man-
que, elle, totalement de prestige et d'autorité en
Extrême-Orient. « Malgré ses victoires de 1866 et
de 1870, elle ne faisait pas à Pékin figure de grande
Fuissance ». « Elle n'en éprouvai t donc que davantage
ardent désir de remédier à celte infériorité et de
s'assurer en Chine la possession d'une base politi-
que et territoriale d'où elle agirait et rayonnerait
comme l'Angleterre, la France, la Russie, les Etats-
Unis ». Elle cherche, en conséquence, à la fois, à
entraver l'action des puissances prépondérantes et
à assurer elle-même son action. Toujours la France
et la Russie trouvent, derrière le gouvernement
Li-Hung-Tchang.
607
chinois, dans les résistances qu'il est amené parfois,
pour des questions diplomatiques, bancaires, ferro-
viaires, à leur opposer, le gouvernement de Berlin-
Celui-ci, d'autre part, harcèle le Tsong-li-Ya-men
de demandes incessantes pour l'obtention d'une base
navale sur les côtes chmoises : demande_person-
nelle de Guillaume H auprès de Li-Hung-Tcfaang,
mission du baron de Hcyking, chargé de faire com-
prendre aux autres pays que l'Allemagne n n'est
f>as à son rang » en Chine, demandes du même am-
)assadeur auprès du gouvernement chinois : ainsi
se manifeste pen-
dant trois ans la
ténacité inlassa-
ble du gouver-
nement de Ber-
lin, bien plus
préoccupéencore
de trouver un dé-
bouché pour son
commercequede
se mettre sur le
même pied que
ses rivaux. Grâce
à la borme en-
tente des grandes
puissances enire
elles et avec la
Chine, cette po-
litique ne perte
aucun fruit. C'est
pourquoi, leUno-
vembre 1897,
des navires allemands, prétextant la vengeance à
tirer de l'assassinat de deux missionnaires, appa-
raissent devant Kiao-Tchéou, point depuis long-
temps choisi par les fourriers de l'occupation ; la
démonstration navale est le prélude du traité par
lequel la Chine cède à l'Allemagne, pour 99 ans,
11 Kiao-Tchéou et 50 kilomètres autour de la baie »
et lui accorde, en outre, des concessions de mines et
de chemins de fer. L'équilibre ainsi rompu par le
gantelet de fer de l'Allemagne, brutalement jeté
dans la balance, les autres puissances doivent,
comme malgré elles, s'assurer à leur tour des ga-
ranties équivalentes: 'Wei-Haï-Weïà l'Angleterre,
Port-Arthur à la Russie, Kouang-Tchèou à la
France. C'est la cu.'ée. A la politique d'entente entre
la Chine et les puissances, politique de pénétration
Eacifique établie sur une confiance mutuelle, succède
I politique de conquête, fondée sur le mépris des
peuples désarmés, politique qui est non f& seule
cause, mais l'une des causes essentielles du mou-
vement xénophobe et aboutit, en 1900, au soulève-
ment des Boxers. <• Déçue dans sa confiance et
blessée dans sa foi, dit fort bien A. Gérard, la Chine
fut de nouveau jetée dans les incertitudes, les périls,
les oraf,'es et, finalement, vouée à la catastrophe.
C'est l'Allemagne qui ici comme ailleurs, et dans la
plus redoutable des crises que le monde ait connues,
porte laresponsabilité et la peine de la politique de
félonie, de trahison et d'âpre cupidité qui, sous
toutes les latitudes, n'a cessé d'être la sienne ».
Le châtiment, s'est fait attendre, mais est venu,
éclatant ; c'est, réconciliées, unies contre l'Al-
lemagne, tontes les puissances jadis rivales en
Extrême-Orient (la France, l'Angleterre, la Russie,
les Etats-Unis, le Japon et, bientôt, la Chine elle-
même). En novembre 1914, l'Allemagne perd Kiao-
Tchéou, dont la conquête a été la cause de toutes les
crises extrême-orientales. En 1917, la République
chinoise lui déclare la guerre : c'est la fin de l'in-
fluence allemande, du prestige allemand en Extrême-
Orient, construction imposante, mais dépourvue
de solides fondations. Et c'est, conclut A- Gérard,
la promesse de l'entrée du pays de Confucius dans
celte Société des nations, où trouveraient leur appli-
cation quelques-uns des préceptes du Sage.
Toutes les réformes que la Chine pourra réaliser
par la suite, toutes celles qu'elle a réalisées déjà,
sont, comme les variations de sa position diploma-
tique sur l'échiquier mondial, en germe dans la
courte, mais féconde période, qui s'étend de la guerre
sino-japonaise à l'insurrection des Boxers. L'avant-
dernier chapitre du livre le démontre : rien de plus
intéressant que celte psychologie de l'esprit chinois
se transformant au contact des nouvelles idées eu-
ropéennes et japonaises ; rien de plus curieux que
la préoccupation des lettrés de fortifier la nation
chinoise par les armes occidentales, sans abandonner
les traditions de l'antique sagesse. Nulle part mieux
nue dans ces pages, larges et compréhensives,
A. Gérard n'a fait œuvre d'historien.
La lecture d'un tel livre est faite pour rendre con-
fiance en la diplomatie française, qu'il est un peu
facile de critiquer en bloc, sans étudier dans le détail
son action et ses résultats. — Lion Aumoan.
Conorès de "Vienne (les Dkfsous du),
d'après les documents originaux des Archives du
ministère impérial et royal de l'intérieur à Vienne
publiés par le commandant M. -H. Weil. — ■> Lt Pa-
norama de VEurope, tel est le nom qu'on donne à
cette réunion k 'Vienne », écrivait, le 20 seplem-
23*
I-'rançois II.
608
bre 1814, un des correspondants du baron Hager,
chef de la police secrète de l'empereur François 11.
Le mot est exact et imagé : le Gonsfrès «le Vienne,
qui clôt l'ère de la Révolution et de l'Empire, ouvre
celle de la Sainte-Alliance. Nulle assemblée aussi
nombreuse n'eut à traiter d'aussi multiples ques-
tions, à résoudre d'aussi délicatsproblémes. Et, quand
on songe au Congrès de demain, qui clora la guerre
' actuelle, c'est vers le Congrès de Vienne que l'es-
prit, naturellement, se reporle.
Non, certes, que la diplomatique réunion qui se
prolongea neuf mois durant soit pour les souve-
rains et les diplomates d'aujourd'nui un modèle à
suivre. Les interminables discussions qui se succé-
dèrent depuis le commencement de l'été et retar-
dèrent l'ouverture du Congrès, puis en troublèrent
l'ordonnance, au point que les plus graves questions
ne furent résolues qu'au dernier jour, sous la pres-
sion des événements (le retour de l'ile d'Elbe), suffi-
sent à prouver
qu'en dépit des
prétentions des
grands direc-
teurs de ce Con-
grès, aucun prin-
cipe généreux ,
aucune règle
politique ne de-
vaient dicter leur
conduite ou ins-
pirer leurs ré-
solutions. Aussi
assista-ton à cet
étrange spectacle
d'alliés de la
veille se jalou-
sant et se prépa-
rant cliaque jour
h s'entre-décbi-
rer, spectacle qui
n'est pas spécial
à Vienne, mais qui, en quelque lieu qu'il se donne,
est toujours la preuve d'un manque desprit de suite
et de rectitude politique.
Durant d'aussi longues conférences, il était na-
turel que se nouassentd'innombrables intrigues, tant
politiques que mondaines, et que le gouvernement
autrichien, et particulièrement l'empereur, aient
voulu en être instruits jusque dans les plus petits
détails. La police secrète de l'Autriche est une des
plus anciennes de l'Europe et aussi une des plus
perfeclioriuées; elle fut habituée à ne ménager per-
sonne, à porter son enquête indiscrète jusque sur
les marches du trône, jusque sur la personne du
souverain. Car, si l'empereur a sa police, les minis-
tres ont souvent la leur, qui surveille élroiteinent
les dires de leur mailre, pour être au fait de tous
les complots qui pourraient se tramer contre leur
existence ministérielle.
A la veille du Congrès de Vienne, l'empereur
François donna donc au baron Hager, « président
du ministère de la police et de la censure » de-
' puis 1812, les instruclions les plus pressantes pour
la surveillance de tous les étrangers qui allaient
envahir la capitale, enjoignant à ce dernier de lui
transmettre, avec son rapport quotidien, tous les
renseignements les plus minimes et les plus incer-
tains, comme les plus sûrs. Et, comme on savait dans
l'entourage de l'empereur que celui-ci afTeclionnait
particulièrement les nouvelles d'ordre privé, les ren-
seignements sur la vie quotidienne de ses sujets ou
de ses botes, et de préférence sur leurs amours, on
conçoit que les papiers de la police secrète consa-
crés à ce genre d'observalion soient nombreux , d'au-
tant plus nombreux que la vie mondaine de Vienne,
en 1814 et en 1815, est plus ouverlemenl dépravée.
Pour bien remplir leur mission, les collaborateurs
devaient pouvoir s'introduire à toute heure dans
tous les milieux arislocraliques et politiques et,
mieux encore, en être; aussi Hager rechercha-t-il
et obtint-il le concours de nombreux officiers et
notables, de diplomates effacés, habiles dans l'art
de s'introduire dans les groupes, d'écouter, de pro-
voquer les confidences, de savoir inspirer confiance.
Ce sont les rapports de tous ces espions — il faut
bien appeler les gens comme ils le méritent —
qu'avant la guerre, le commandant Weil eut la
rare fortune de pouvoir dépouiller au ministère de
la police viennoise, et ce sont les plus intéressants
d'entre eux qu'il publie, dans deux gros volumes de
800 pages chacun. 11 n'a pas la prétention de don-
ner de l'in extenso, il lui aurait fallu dix fois plus
de pages, et les répétitions auraient pu devenir fas-
tidieuses; il a fait un tri soigneux de chacun de
ces papiers. Les uns, rapports détaillés à l'allure
politique, les autres, simples chilîons de papier,
signalant telle ou telle visite mystérieuse ou sim-
plement clandestine de tel confident chez tel sou-
verain, de tel prince chez quelque jolie femme.
De tous les personnages cités dans ces rapports,
le commandant "Weil s'est efforcé de retrouver la
trace et de retracer un bref curricuhim vilas, et ou
se rendra compte du travail fourni par ces recher-
ches ardues, quand on saura que la table analytique
LAROUSSE MENSUEL
de chacun de ces volumes compte 40 pages! Grâce
à ce formidable labeur, le lecteur ou le travailleur
français peut compléter de très utile façon les
connaissances qu'il peut déjà avoir sur le plus
célèbre des congrès. (Ajoutons, pour être exact, que
le Df Fournier a déjà publié en allemand un cer-
tain nombre de pièces citées ici, dans son livre :
Die Gelieimpolizei auf dem Wiener Kongress.)
Ou sait que les trois principales questions en
litige, au mois de juillet 1814, étaient celles de
Pologne, de Saxe et de Naples. Les deux premières
étaient latentes depuis l'année précédente : le tsar
Alexandre, en i-econquérant la Pologne, en 1813,
avait juré qu'il la conserverait sous son sceptre,
ajoutant déjà qu'il l'érigerait en royaume auto-
nome; le roi de Saxe, en restant, lui dernier des
princes allemands, lidèle à Napoléon, semblait,
d'autre part, avoir consommé la ruine de son
royaume, que les généraux prussiens avaient en-
vahi bien avant Leipzig et gouverné avec leur cou-
tumiëre rudesse. Faire renoncer Alexandre ]'^ à la
grande Pologne qu'il rêvait de reconstituer, con-
traindreFrédéric-GuillaumelllàévacuerlaSaxequil
occupait et ne lui en laissant qu'une minime partie,
tel devait être le principal effort des représentants
des autres puissances conviées à Vienne. Or, comme
le disait fort bien Lowenhielm, minisire de Suède
à Vienne, dans une lettre interceptée, « le comte de
Nesselrode pour la Hussie, le baron de Ilumboldt
pour la Prusse ont déclaré qu'ils ne comptaient pas
soumettre leurs arrangements au jugement d'une
assemblée quelconque, ni celle du conseil prépara-
toire, ni celle du Congrès en général. La dilférencc
des opinions vient de ce que les plénipotentiaires
français entendent le mot « Congrès >> dans son accep-
tion ordinaire et que les ministres des autres puis-
sances ne veulent pas s'en tenir à celte notion
connue ».
On ne saurait mieux dire. Aussi, six mois durant,
discuta-l-on dans les légations, dans les ministères,
miiis plus encore dans les antichambres, dans les
salons et dans les boudoirs féminins, sur les deux
grandes questions. Alexandre jurait qu'on ne lui
arracherait pas des mains la i^ologne, et, quand
Talleyrand lui parlait du droit, il montrait son
épée suspendue à son côté.
De tous les souverains réunis à Vienne, l'empe-
reur Alexandre était certainement le plus en vue, le
rilus redouté du cabinet autrichien et de François 11
ui-même; conséquemment, le plus étroitement sur-
veillé. Pas un de ses mouvements, pas une de ses
démarches qui ne fussent épiés; lui seul donnait plus
de mal à toute la police du baron Hager que les
autres membres du Congrès, car il parlait beaucoup,
se promenait souvent, voyait de nombreux diplo-
mates et fréquentait assidûment de jolies femmes.
« Il aime pour tous », disait une chanson. On plai-
gnait l'impératrice délaissée, et on la disait « bien
autrement courtoise et aimable que l'empereur ■>,
dont les Viennois raillaient la « dansomanie ».
Sur le seul chapitre des amours d'Alexandre,
nombreuses sont les notes recueillies; il a plusieurs
maîtresses, on lui en prête beaucoup d'autres ; un
perfide ne le dit-il pas « follement épris de l'impé-
ratrice d'Autriche ».
La favorite en titre. M"» Belhmann, n'est pas k
Vienne au mo-
ment où s'ouvre
le Congrès; plu-
sieurs s'offrent à
la remplacer; les
deux plus auda-
cieuses sont la
princesse Bagra-
tionetladuchesse
de Sagan. La pre-
mière l'emporte
sur la seconde,
qui a déjà con-
quis les faveurs
de Me tlernich.
Alexandre, « qui
aime les sens,
mais à qui il faut
aussi l'esprit »,
préfère la veuve
de son ancien
général, et tout
Vienne se passionne pour la rivalité de V Andromède
russe et de la Cléopâlre courlandaise. Le hasard ou
quelque dieu malin n'a-t-il pas fait loger dans le
même palais Païen, 57, Schcnkenslrasse, les deux
rivales, de sorte que les policiers, qui veillent sou-
vent une partie de la nuit, font, du même coup,
double surveillance I
Des conseillers d'Alexandre il en est dont les
Autrichiens se méfient particulièrement : les Suisses
et les Polonais. « J'ai le bonheur d'avoir chez moi
trois grandes têtes, disait le prince de Ligne, mais
trois têtes bien dangereuses et bien méchantes :
Laharpe, Talleyrand, Jomini ». Laharpe est le pré-
cepteur républicain d'Alexandre, dont nous avons
montré ailleurs l'innuence constante sur son élève.
Il 11 présente tous ses compatriotes à l'empereur, dit
Le Uar Alexandre !«'.
Le roi Frédéric-GuUlauQie 111.
«• J4J. Novembre 1918.
encore le prince de Ligne, les protège, et il sera
bien difficile de se défaire d'eux ». Or, les Suisses
disent ouvertement qu' « ils craignent l'Autriche».
Jomini passe, à ce moment, pour un des inspira-
teurs d'Alexandre; il l'a accompagné et conseillé
durant toutes les dernières campagnes; à Vienne, il
travaille ouvertement pour la Pologne; aussi les
agents de la police se sont-ils procuré des intelli-
gences à son domicile; mais il emporte toutes les
clefs de ses tiroirs, et il a fait changer les serrures.
Aussitôt, d'ailleurs. lespoliciersprennent l'empreinte
des nouvelles serrures; mais le maître du logis, ma-
lade, sort peu : « On fouillera ses tiroirs et ses car-
tons, dès qu'il sera dehors. »
Voilà de l'espionnage qui frise de près le cam-
briolage; Jomini n'en est, certes pas, la seule vic-
time : chaque diplomate se sent surveillé et prend
des précautions, souvent vaines. Gomment se garer,
notamment, d'un personnel indispensable plus ou
moins indiqué habilement par les afiidés de la po-
lice? « Adam Czarloriski est arrivé, écrit, le 3 oc-
tobre, l'agent Schmidt à Hager; on va s'elforcer de
lui procurer un homme de confiance, grâce auquel
on sera bien renseigné sur son compte n.CarCzar-
toi'iski est redouté par l'Autriche comme Polonais
et comme un des plus snciens, un des plus libéraux
conseillers du tsar: son influence, longtemps réduite
à rien, rede-
vient prépondé-
rante à Vienne,
et il est des mau-
vaises langues
pour dire qu'il
travaille ponrlui-
niême. Alexandre
lui donnera la
i'ologne, « tout
I omme elle fut
attribuée dans le
I' inps à Ponia-
l.iwski»(?). [Les
policiers ne sont
pas toujours très
I xactement ins-
truits du passé.]
U n'est pasjus-
(|u'au Strashour-
geoisAnstettque
les Autrichiens
ne redoutent parce qu'il travaille fréquemment avec
le tsar. On le sait mal disposé pour l'Autriche;
simple question d'amour-propre, croit-on, car, en
1810, le comte de Wurmsor l'avait gagné à sa cause;
mais ses bons offices d'alors valaient la croix de
commandeur de 1 ordre de Saint-Etienne, que l'empe-
reur François a négligé de lui décerner.
Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume joue àVienne
un rôle moins en vue que son allié d'iéna, mais les
succès de son armée, durant la dernière campagne,
le ton arrogant de plusieurs do ses représentants,
le mouvement des Allemands ambitieux qui déjà
gravite autour de la Prusse, rendent à ce royaume
morcelé par Napoléon et à ses porte-parole une
autorité considérable. Presque tous les agents de la
police ménagent la Prusse, et les renseignements
qu'ils recueillent sur les Prussiens sont rarement
défavorables. Cependant, la Prusse a lié partie avec
la Russie dans la grave question Saxe-Pologne, et
le gouvernement de l'empereur François, qui sait
qu'il a à compter avec elle, cherche en même temps
à la ménager ouvertement, — et à la combattre. II
ne lui permettra pas de conserver la Saxe, encore
que lé vacillant Metlernich ait, sur ce point, grand
besoin de l'intransigeance de Talleyrand, qu'il pousse
habilement de l'avant, pour l'occurrence, et peut-être
ne voit-il pas l'intérêt qu'il aurait à faire restituer
à son maître la couronne de l'empire d'Allemagne,
déposée dix ans plus tôt. L'occasion est unique, et
la question est plusieurs fois agitée au cours de
ces six mois d'intrigues; que ne fut-elle résolue!
<i L'Allemagne, j'en ai l'intime conviction, écrivait
M"»* Humboldt dans une lettre interceptée par la
police, marchera avec le temps vers son unification,
et qui voudra s'y opposer s'y brisera. L'Autriche
ne tardera pas à -layer la dette de son bas égo'isme...
Tous les regardi; allemands sont tournés vers la
Prusse, et tous les cœurs allemands sont pour la
Prusse. Les gouvernements seuls sont contre nous,
et c'est la preuve de la frayeur que nous inspirons ».
Et la princesse Radziwill, dans une lettre égale-
ment interceptée, écrivait à son mari : « Nous rece-
vons au liliin de belles pittoresques provinces, qui
sont sans doute une belle acquisition, et, si le royaume
que nous recevons au Rhin touchait à l'ancien, je
crois que nous ne pourrions plus désirer de troquer
avec tout autre empire. » Que dans ces « piitores-
ques provinces » on soit « fort mécontent des Prus-
siens, et qu'on y ait de grandes sympathies pour la
France », ainsi qu'un rapport de police le coidirme,
peu importe; c'est l'esprit de conquête qui guide
celle Allemagne, et non point, certes, le moindre
esprit de justice !
Peu de chose dans ces nombreux rapports sur les
Anglais; ni le prince-régent ni aucun prince de la
N' 147. Novembre 1918.
LAROIISSR MENSUKL
609
Congres de Vienne (1SU-IBI5). Séance des plénipotentiaires des tiuil puissances signataires du traité de Paris. — Tableau de Jean-Baptiste Isabey.
Les principaux représentants des huit puissances étaient : 1. Talleyrand (i''ra)ice] ; 2. Lord Castlereagh {A ngteteri-e): 3. Melternich (Autriche) ; 4. Prince de Rasumowski [Hutrie)i
5. l'rince de Uardenberg (Prusse); 6. Pierre-Gomez Labrador {Espagne); 7. Comte de Palmella {Portugal); 8. Comte de Lowenhielm {Suide).
Tamille royale n'a cru devoir se rendre à Vienne, où
le gouvernement britannique est représenté par
lord Gasllereagh, que Melternich ménage, car il croit
pouvoir compter sur son appui en toute occasion.
Ses collègues, ses secrétaires et lui se tiennent
volontiers à l'écart des fêtes où leurs femmes ne
savent pas briller. Leur rigorisme les empêche
d'assister, un dimanche, à un concert donné par
l'académie musicale de Beethoven 1 Voici qui tran-
che avec les mœurs alor.s régnantes à Vienne, où le
principal minisire de S. M. apostolique conduit le
bal avec une légèreté et une insouciance au moins
apparentes qui scandalisent bien des gens.
Melternich n'est guère ménagé au cours de ces
bulletins, qui, ne l'oublions pas, passent tous sur le
bureau de l'empereur, et nombreuses sont les allu-
sions aux cabales qui sont formées contre lui. Les
plus acharnés sont, naturellement, les Russes. Il y a
entre Alexandre et le ministre de l'empereur Fran-
çois une rivalité, puis une hostilité qui risque, h
certains moments, de déchaîner une guerre entre
les deux puissances. Au.ssi, dès le mois de novembre,
un des meilleurs limiers du baron Hager relate-t-il
le bruit qui court : Melternich va être remplacé par
Stadion. Les Prussiens épousent, naturellenienl, la
querelle des Russes, et le baron de Liiiden déclare
hautement : « Le Congrès est une mauvaise pièce,
dont l'auteur e.st sifflé. »
Les représentants de Louis XVIII ne sont pas
moins hostiles àlex-ainant de la reine Caroline de
Naples. Un des articles des revendications du roi
légitime est le renversement de Murât. Or, le plus
ferme soutien du roi Joacuim est le minisire autri-
chien, qui, en sus du traité secret signé dès 1815, et
3ui le lie, doit au mari compensation et à la maîtresse
élaissée recomialssance. Talleyrand, qui n'ignore
rien de la chronique scandaleuse de sou temps et
qui sait combien les femmes obtiennent, désespère
de vaincre ia résistance autrichienne, tant que met-
lernich dirigera la politique de la monarchie. Ne
dit-on pas, d'ailleurs, àVienne, que Mellernich défend
le souverain de lîle d'Ellie contre des menaces
d'exil lointain ; n'a-t-on pas noté que, le 9 octobre, il
a donné un diner dont « la table était gainie par un
service aux armes de Bonaparte, que celui-ci donna
au prince au prix de l'holocauste de la nouvelle
Iphigénie » ! Et, quelques mois plus tard, la princesse
Bagration ne répète-t-elle pas un singulier propos
de .'Autrichien : « Avouez, lui disait la maîtresse
d'Alexandre, qu'il vous a moins coûté d'abattre
Napoléon qu'il n'en coilte à présent à vous arranger
sur ses dépouilles. — Et c'est pour cela que j'ai
voulu le conserver, répondit Mellernich. Voilà la
clef de ma politique. Je prévoyais tout cela, et j'ai
voulu pour cela le diminuer, mais le garder » Ce
sont de ces mots que l'ancien chambellan impérial
ne laisse pas tomber; contre Napoléon, sa rancune
est tenace. Sa situation, au reste, lui en fait une
nécessité.
On sait avec quelle habileté Talleyrand sut se
ménager une place au Congrès. Quand il y arrivait,
le 23 septembre, sa situation nélait rien moins
que facile: chacun le regardait avec quelque mé-
pris, et par la faute de son passé, et parce qu'il
représentait une France vaincue, que les vainqueurs
avaient résolu d'exclure de leurs délibérations.
« Il y a vingt ans que je vous soupçonne », lui disait
crûment le prince de Ligne, qui ne ménageait pas
ses mots. Or, deux mois plus tard, la comtesse de
Rechberg pouvait écrire : n La France s'exprime
avec l'énergie du temps de Napoléon. » Saisissant
l'occasion que lui offrait la dispute austro-russe, il
inlervenait en tiers, déployant le drapeau de la lé-
gitimité et défendant les droits de la Saxe. On
!)eul discuter la ijucstion de savoir si, dans l'intérêt
lien compris de la France, il n'eût pas mieux fait
d'adhérer au projet prussien, qui érigeait en royaume
pour la dynastie saxonne les provinies rhénanes;
peiit-êlre quelques arguments sonnants et trébu-
chants l'aidèrenl-ils à se prononcer en faveur de la
thèse autrichienne et saxonne : on trouve dans tout
le cours de ce peu édifiant Congrès de nombreuses
circonstances où la question d'argent joue un rôle
aussi considérable et scandaleux que l'inOuence
féminine.
Poursuivre la chute de Murât, conserver son
Irône au roi de Saxe ne sont nue les deux premiers
articles du programme tie Talleyrand; il en est un
autre, qui consiste à surveiller tous les membres de
la famille du monstre et à les empèchei de refaire
leur fortune. Le prince Eugène, « ce polisson », pour
lequel Alexandre témoigne la plus grande affection,
avec lequel il se promène souvent seul, au grand
scandale des policiers autrichiens, ne doit con-
server aucun patrimoine en Italie; la France s'y
oppose. De même s'oppose-t-elle à ce que l'ei-im-
péralrice, o la nouvelle Iphigénie », obtienne pour
elle et son fils la principauté de Parme. Marie-
Louise ne passe, évidemment, pas inaperçue à
Vienne, et ses actes sontétroilementsiirveillés; on
la soupçonne, au début du moins, de conserver des
relations suivies avec l'île d'Elbe. Puis on remar-
que la fréquence des visites — peut-être deux ou
trois — que lui rend le roi de Prusse et, aussitôt,
les langues de courir; en novembre, on croit à
l'imminence de la rupture du mariage en cour de
Rome, et on annonce le prochain départ du génèrit
KoUer pour l'île d'Elbe : « 11 vent, dit un rapport,,
décider Napoléon à consentir à l'annulation de son
mariage avec Marie-Louise, que le pape est dis-
posé à prononcer; cela fait, le roi de Prusse épou-
serait Marie-Louise. »
Celle-ci ne nourrit pas d'aussi hautes ambitions;
si elle est décidée à ne pas renouer avec Napoléon,
elle n'aspire qu'à sa liberté, dans la douce société
du comte de Neipperg.
Aussi son émotion est-elle vive quand, le 8 mars,.
on apprend à Vienne que l'ex-empereur a quitté
l'île d'Elbe: » Tous sont furieux contre les Anglais,
auxquels la garde était confiée et qui sont impar-
donnables d'axoir été si négligenls», tel est le pre-
mier sentiment auquel succède aussitôt la résolu-
tion de courir sus au fugitif. Talleyrand n'est pas
le moins ardent à requérir la mise hors la loi de
son ancien maître. Déjà, il a senti la main de celui-ci
s'appesantir sur lui. Il est, cepemlant, quelques per-
sonnes à Vienne pour prendre la défense de Bona
parte. Alexandre s'en indigne et les qualifie tout
net de « scélérates ». <• Sans Napoléon, avait dit,
quelques semaines plus loi, "Aulrjcliien Seilern,
Alexandre ne laissera jamais te monde en repos ».
Les gouvernements représentés à Vienne n'en
décidèrent pas moins à "unanimité de reprendre la
lutte jusqu à l'écrasement de leur ancien domina-
teur, dont l'apparilion inattendue hâta leur réconci-
liation et précipita la solution des dernières diffi-
ciillés pendantes. Mais, malgré les efforts de
Talleyrand, ils s'abstinrent de se lier pour assurer
le triomphe de la maison de Bourbon. Alexandre,
très froissé de ce qu'il appelait l'n ingratitude ■> de
Louis XVIII, ne dissimulait même pas que la cbut«
610
de celui-ci était à ses yeux irrémédiable, Ilardeii-
<herg, envoyant de nouvelles instructions au comte
Ijle Goitz, lui signalait le danger qu'il y avait à
■*, s'expliquer d'une manière trop précise » sur le
irtésir où les puissances pouvaient être de restaurer
litre Bourbons : « Nous ne pouvons nous cacher que
Joules les opinions sont loin de se réunir en leur
faveur », et le tsar, dès le 28 avril, aurait, au dire
d'un agent autrichien, suggéré que, « si on ne pou-
vait induire les Français à vivre sous la domination
des Bourbons, on pourrait leur donner un roi-sol-
dat, et qu'alors on ne pouvait mieux choisir que
l'archiduc Charles, qui, étant de la maison de Lor-
raine, pourrait plaire aux Français ». Suggestion
plus bizarre encore que celle de l'année précédente
en faveur de Bernadotte!
D'autres, en plus grand nombre, songeaient au
duc d'Orléans; déjà, au mois de février, le Prussien
Grole avait écrit de Paris que le duc était générale-
ment aimé, qu'on disait assez volontiers qu'il serait
le successeur du roi; que le duc n'avait certaine-
ment pas « l'intention de déposséder l'héritier
légitime du trône, mais qu'il est des cas où on
se laisse faire une douce violence ». Cette douce
violence, au dire de Dalberg, le duc d'Orléans
n'avaitqu'à se la laisser faire à la veille ou 20 mars :
« S'il avait voulu se laisser conduire à Melun,
il était roi, et Bonaparte ne vivrait plus, c'est un
fait. » Peut-être est-ce un fait moins certain que
Dalberg ne veut le faire accroire, du moins au mo-
ment où il le dit.
Le 9 juin, on signait l'acte final du Congrès, mais,
déjà, depuis le 25 mai, l'empereur Alexandre, le roi
de Prusse étaient partis chacun pour son quartier
général ; le surlendemain, l'empereur d'Autriche
avait, lui aussi, quitté sa capitale, laissant les diplo-
mates parafer les derniers actes.
L'attention était ailleurs : selon que Napoléon
serait vainqueur ou vaincu dans les plaines lla-
Uiandes, le Congrès de Vienne passerait, aux yeux
de la postérité, pour une vaine et coûteuse comédie,
ou o innnortaliserait le règne de l'empereur Fran-
çois » et le II génie » de Metternich. — Pierre RiiN.
Debldour ( Elie-Louis-Marie-Marc-Antoine,
dit Aiitonin), professeur et historien français, né le
31 janvier 1847 àNontron(Dordogne),mortàI^arisle
21 février 1917. 11 lit ses études secondaires au lycée
de Périgueux, puis au lycée Charlemagne, à Paris,
comme élève de l'institution Massin, et entra à l'Ecole
normale supérieure en 1866. Il fut le camarade do
promotion de Liard, Habier, Couat, Gartault, etc.
De 1868 à 1870, il fut chargé de cours d'histoire au
lycée de Périgueux. Au moment de la guerre franco-
allemande, il contracta un engagement volontaire et
fit partie de l'armée de Paris. En 1871, il fut attaché
au cabinet du ministre de l'intérieur. Il retourna
ensuite en province enseigner l'histoire aux lycées
de Saint-Omer, Mont-de-Marsan et Angers (1868-
1878). Dans celte dernière ville, il occupa en même
temps la chaire de géographie physique et politique
à l'école préparatoire à l'enseignement supérieur
des sciences et des lettres. Entre temps, il se fit re-
cevoir agrégé d'histoire (1873) et soutint ses thèses
de doctorat es lettres (1877). 11 quitta l'enseigne-
ment secondaire et alla à Nancy (1878) enseigner à
la Faculté des lettres d'abord la géographie, puis
l'histoire (1880). 11 fut doyen de la Faculté de 1886
à 1890. Un décret du 22 octobre 1890 le rendit à
l'enseignement secondaire, dans les fonctions d'ins-
pecteur général. Cependant, il ne renonçait point
complètement à l'enseignement supérieur et, en
1894-1895, il professa un cours libre à la Scrbonne
sur les rapports de l'Eglise et de l'Etat en France.
Enfin, le 14 septembre 1906, il fut nommé à la Fa-
culté des lettres de Paris, dans la chaire, nouvelle-
ment créée, d'histoire du christianisme dans les
temps modernes. 11 fut membre du jury d'agréga-
tion d'histoire de 1891 à 1895 et président de ce
même jnry de 1903 et 1904. Il faisait partie d'un
grand nombre de sociétés savantes, notamment de
la Société d'histoire de la Révolution et de la Société
de l'histoire de la Révolution de 1848. Il apparte-
nait à la commission des archives diplomatiques et
à celle des documents économiques sur la Révo-
lution. 11 s'était volontiers occupé de politique et
avait rédigé un programme pour les élections légis-
latives de 1885 (imprimé à Nontron, 1885). 11 appar-
tint au conseil municipal de Nancy de 1888 à 1890.
— Quelque temps avant sa mort, il avait eu la
douleur de perdre à la guerre un fils de quarante-
deux ans, professeur d'histoire au lycée de Rouen.
La thèse française d'.\ntonin Debidour, intitulée:
la Fronde angevine, tableau de la vie municipale
au XVII^ siècle (Paris, 1877), fut unanimement ap-
préciée et couronnée par l'Académie française.
L'auleur y montre le caractère très particulier de
la Fronde h Angers : elle y fut une forme de la lutte
entre la haute bourgeoisie et le reste de la popula-
tion pour la possession des charges municipales.
A Paris, les parlementaires furent frondeurs; à
Angers, les magistrats combattirent la Fronde. Le
résultat fut, pour la ville d'Angers, la perte de ses
privilèges et une diminution de prospérité. — La
Antooia Debidour.
LAROUSSE MENSUEL
thèse latine : De Theodora, Justiniani A ugusti uxore
(Théodora, femme de Justinien Augusie), est un
essai de réhabilitation de la célèbre impératrice.
Debidour estime que les imputations contenues
dans l'Ilisloiie secréle attribuée à Procope man-
quent de fondement et que 'l'héodora a « bien usé
du pouvoir et de la vie ». La démonstration est ha-
bile, mais n'a cependant pas dissipé toutes les obscu-
rités. L'auteur publia son livre en français en 1885
(l'Impératrice Théodora, étude critique), à l'occa-
sion de la pièce de Victorien Sai-dou.
Les trois grands ouvrages de Debidour sont :
d'abord son Histoire diplomatique de l'Europe,
depuis l'ouverture du Congres de Vienne jusqu'à la
clôture du Congrès de Berlin (1891, 2 vol. in-8°) ;
ensuite, son Histoire des rapports de l'Eglise et de
l'Etat en France de 1~S9 à 1S10 (1898, i'n-8»), que
continuent les deux volumes sur l'Eglise catholique
et l'Etat sous la troisième liépubhque (1906-1909).
Ces livres, prodigieusement riches en faits, sont
clairement ordonnés, exactement informés et agréa-
bles à lire. Il n'est pas sans intérêt, aujourd hui, de
détacher de \' Histoire diplomatique qiielques-unes
des lignes consacrées à Guillaume 11. Debidour le
définit, en 1891,
un « empereur
jeune, hautain,
épris de gloire
militaire, imbu
au plus haut de-
gré des préjugés
et des haines
germaniques». Il
rappelle « son
attitude à l'égard
(le la Belgique et
dclaSnisse,rfoîi/
il a semblé par-
fois disposé à
mécoyinaître lu
neutralité». Ga-
briel Monod dé-
clara, dans la
Il Revue histori-
que » , que ce
jugement était
d'une sévérité exagérée! — Quant aux travaux de
Debidour sur les relations entre l'Eglise et l'Etat,
ils sont dominés parle double principe de la libené
des cultes et de la souveraineté de l'Etat. L'auteur
désapprouve donc la Constitution civile du clergé
et le Concordat, et applaudit à la séparation.
Parmi ses autres œuvres, il faut citer : Précis de
l'histoire de l'Anjou jusqu'à la révolution de 1789
(1878, in-18); Histoire de Duguesclin (1880, in-16),
bon livre de vulgarisation; le Général Bigarré, aide
de camp de Joseph Bonaparte (1880, in-8°), inté-
ressante biographie d'une figure origi-
nale de soldat bon enfant, brave et
coureur d'aventures; Etudes critiques
sur la Révolution, l'Empire et la pé-
riode contemporaine (1886, in-18);
les Chroniqueurs: Villehardouin,Join-
ville, Froissard, Commines (1888-1890,
in-8°); le Général Grangeret, gouver-
neur de Longwy (Nancy, 1888, in-8°);
le Général Fabvier (Paris, 1904, in-8''),
portrait vigoureux d'un soldat lorrain,
défenseur des idées libérales, qui feut
une part considéralile dans l'émancipa-
tion de la Grèce: Recueil des Actes du
Directoire exécutif {3 vol. parus, 1910-
1913, gr. in-8°); etc. Il a collaboré au
Il Nouveau Larousse Illustré ». H a
écrit pour les classes une Histoire de l'anti-
quité (1904, in-12) et, en collaboration avec Aulard,
des Notions d'histoire générale et une Histoire de
France (1902, in-16), inspirées du point de vue dé-
mocratique et laïque.
Anlonin Debidour a fait de l'histoire militante
avec une bonne foi absolue. Il mettait au service
de ses convictions une érudition énorme et une
verve pittoresque. Ses titres de chapitres sont quel-
quefois plaisants ou goguenards. Certains lui ont
reproché de prendre trop volontiers l'allure d'un
pamphlétaire on d'un journaliste. Mais le fond de
son œuvre est solide et la forme attrayante. Dans
ses fonctions d'administrateur universitaire, il a fait
preuve dune haute conscience et d'une impartialité
conforme à son idéal. — Jean deblise.
lÈlectroculture (l'). Par éleclroculture, il
faut entendre non pas l'application de l'électricité
aux engins de culture mécaniques (voir à ce sujet
notre précédent article sur l'emploi de l'électricité
en agriculture [v. p. 582]), mais bien un procédé de
culture spécial, utilisant l'action directe de l'électri-
ciié pour activer la germination et la croissance des
végétaux et augmenter le rendement des récoltes.
Dans ce but, l'électricité peut être employée, soit sous
forme d'énergie lumineuse, soit sous lorme de cou-
rants électriques à haute ou basse tension. Au point
de vue historique, nous nous sommes inspiré des
recherches de Jean Escard et de Bousquet.
«• 141. Novembre 1918.
1" Emploi de la lumière électrique. L'idée d'uti-
liser la lumière électrique pour activer la végéta-
tion est généralement attribuée à Hervé-Mangon,
qui, en 1861, observa la formation de la chloro-
phylle sous i'iniluence de la lumière artificielle.
Prieux, en 1869, constata que l'assimilation de
l'acide carbonique de l'air par les plantes se faisait
aussi bien sous l'action de cette lumière que sous
celle de la lumière solaire. L'apparition de l'arc
électrique à grande intensité permit de multiplier
les expériences, et Siemens, en 1880, observa que ga
lumière aidait considérablement la formation de la
chlorophylle et pouvait, à ce point de vue, rempla-
cer celle du jour, à condition, toutefois, que lare
soit enfermé à l'intérieur d'un globe de verre assez
épais pour arrêter les rayons de courte longueur
d'onde (violets et ultra violets), don traction corrosive
sur les tissus vivants est maintenant bien connue.
Les expériences de Deherain et Maquenne sont
tout à fait concluantes à ce sujet : des plantes expo-
sées à la lumière directe d'nn arc puissant furent
grillées en peu de temps, la chlorophylle fut détruite
dans toutes les parties éclairées et subsista dans les
autres. La môme expérience, faite avec une lampe
recouverte d'un globe de verre épais, prouva, au
contraire, le développement delà chlorophylle sous
l'influence des rayons de grande longueur d'onde
(verts, jaunes et rouges). Cette influence de la lon-
gueur d'onde des rayons incidents a été démontrée
depuis à maintes reprises; on a reconnu que les
ondes les plus longues (rayons infrarouges, rouges
et jaunes) qui correspondent au spectre d'absorption
de la chlorophylle sont celles qui activent le plus la
croissance des plantes; les ondes courtes, au con-
traire (rayons violets et ultraviolets), détruisent la
chlorophylle et arrêtent la croissance d'autant plus
rapidement qu'elles sont plus courtes et, par suite,
plus pénétrantes : les plus courtes peuvent même,
en traversant l'enveloppe de la graine, arrêter la
germination.
Bouvier a montré, par des expériences répétées,
l'accroissement considérable de la chlorophylle sous
l'influence continue de la lumière électriuue : elle
envahit complètement les cellules superficielles et
se forme même à l'intérieur des tissus. En même
temps, la structure se simplifie et tend à se rappro-
cher de celle des plantes marines. Mais ce dernier
phénomène ne se produit plus si la lumière artifi-
cielle, au lieu d'être appliquée continuellement, est
alternée avec celle du jour: alors, l'accélération de
croissance consécutive au développement de la
chlorophylle subsiste seule. On sait, en effet, que la
chlorophylle est l'agent d'assimilation des plantes,
comme le sang est celui des animaux ; à une plus
grande abondance de celle-ci correspond donc une
assimilation plus active : la plante se suralimente
et se développe dans des proportions anormales.
Les plus récentes applications de ce genre de for-
ceries, faites avec quelque envergure, ont donné
des résultats très encourageants. Le rendement en
poids des récoltes a pu être augmenté dans les pro-
portions moyennes suivantes : pommes de terre,
50 p. 100; betteraves, 30 à 40 p. 100, avec nn grand
accroissement de la teneur en sucre; céréales, 20 à
40 p. 100; fruits, 30 à 45 p. 100. Malgré ces excel-
lents résultats, il est douteux que ce mode de cul-
ture soit rémunérateur dans la plupart des cas, en
l'aison du prix élevé des installations nécessaires et,
surtout, de la grande dépense d'énergie électrique
qu'il occasionne. Il est, d'ailleurs, concurrencé sé-
rieusement par le second mode de culture par l'élec-
tricité, qui utilise les courants directs ou induits,
et dont nous allons parler.
2° Electrisation directe des plantes. Avant l'in-
vention des machines électriques à courants alter-
natifs, on ne connaissait, comme générateurs de
courants, que les piles dont la puissance et les appli-
cations étaient forcément restreintes. Pourtant, dès
1 84 6, Sheppard tenta de sou mettre au courant continu
qu'elles fournissent des graines de diverses plantes
placées dans un récipient contenant de la terre
humide. Le courant était amené par deux électrodes
métalliques, plongeant dans la terre aux deux extrémi-
tés du vase et reliées aux bornes d'une pile P (fig. 1).
Les plantes à racines ainsi traitées donnèrent un
rendement sensiblement supérieur à la normale,
sauf au voisinage des électrodes, par suite de l'ac-
N' 141. Novembre 1918.
lion du métal sur la terre humide; l'emploi d'élec-
trodes en cliai-bou permit d'éviter cet inconvénient.
Toutefois, ces expériences ne furent reprises qu'en
1882 par Armand Gautier, qui employait également
des piles; les plantes furent seméesdans des pots
disposés en série, l'intensité du courant étant main-
tenue constante et égale dans tous. D'autres pois,
non parcourus par le courant, servaient de témoins.
La croissance des plantes électrisées fut en moyenne
deux fois plus rapide que celle des autres. Par
conlre, des expériences faites plus récemment par
KOwessi n'ont pas donné de résultats bien probants :
on a même observé, dans certains cas, un effet
relardateur sur la germination et la croissance. Ce
fait a été expliqué depuis par Lazergues, qui a
montré que le courant continu produit par les piles
ne favorise la végétation que si son intensité est
assez faible. Lorsque la limite optimum estdépassée,
l'influence du courant devient de plus en plus nui-
sible, jusqu'à arrêter même la germination.
Concurremment avec les courants continus, on
essaya les courants induits ou interrompus. Les
premières expériences dans cette voie sont dues à
l'agronome russe Spechnow, qui, en 1889, se servit
d'un tube de verre T, contenant des graines avec de
la terre humide et fermé aux deux bouts par des
plaques de cuivre P et P' {/îg. 2), reliées aux bornes
d'une bobine d'induction B, alimentée par une pile A .
11 observa que les graines ainsi électrisées germaient
en moyenne deux fois plus vite que d'autres graines
placées dans les mêmes conditions, mais non élec-
trisées. Kinney, en 1897, fit des essais analogues et
répétés sur un grand nombre de graines d'espèces
diirérentesel dans des conditions variables. Il trouva
que le temps nécessaire à la germination était di-
minué d'environ 30 p. 100 et que l'effet du courant
était surtout sensible au début. La vitesse d'accrois-
sement des tiges était augmentée d'environ 20 p. 100.
Ces divers procédés n'ont, en somme, donné que
des résultats assez médiocres au point de vue éco-
nomique, étant donné la dépense d'énergie et les
frais d'installalion élevés qu'ils exigeraient pour
être appliqués sur une assez vaste échelle. C'est
pourquoi les recherches se sont surtout aiguillées,
depuis quelques années, vers l'utilisation des dé-
charges électriques à haute tension et de l'électricité
atmosphérique.
Les premières expériences employant les courants
induits à haute tension sont dues au Suédois Lems-
trôm, qui, lors de ses voyages au Spitzbeig, avait
remarqué l'influence excitatr'ce des aurores boréales
sur la végétation. Ce physicien tendit au-dessus
d'une parcelle de champ un réseau de fils de fer de
5 millimètres de diamètre, disposés parallèlement
avec un intervalle de 1"|,2.5. Le réseau ainsi formé,
soigneusement isolé du sol par ses supports, éliiil
relié à un transformateur à haute tension, dont
l'autre pôle élait mis à la terre à l'aide de piqiiels
de fer. La différence de potentiel entre le réseau et
le sol atteignait 80.000 et 100. 000 volts pour une dis-
tance de 4 à S mètres
{fig. 3). Lemstrôm avait
aménagé quatre par-
celles : le réseau de la
première élait éleclrisé
positivement, celui de la
seconde négativement,
celui de la troisième
tantôt positivement, tan-
tôt négativement (Cou-
rant alternatif), enfin, la
quatrième n'était pas
électrisée. La première
parcelle donna le meil-
leur rendement, les deux suivantes donnèrent des
résultats moins bons, mais supérieurs encore d'en-
viron 10 p. 100 à la parcelle témoin. C'est donc le
traitement par réseaux électrisés positivement qui
donneles meilleurs résultats. Les expériences pour-
suivies par Lemstrûm, de 1898 à 1901, ont donné des
excédents de récoltes variables suivant les cultures :
ils furent, en 1900, de 17 p. 100 pour les pommes de
terre, 33 p. 100 pour les fèves, 42 p. 100 pour les
betteraves sucrières, 55 p. 100 pour les pois, 88 p. 100
pour les fraises, 92 p. 100 pour les carottes. Pour
les céréales, il obtint les plus-values suivantes :
blé 20 à 25 p. 100, orge 26 p. 100, avoine, 28 p. 100,
seigle 32 p. 100.
Des expériences subséquentes, faites par Neu-
mann en Angleterre, k l'aide d'une machine statique
alimentant un réseau placé à 40 centimètres seule-
ment du sol et muni de pointes destinées k favo-
riser l'écoulement de l'éleclricité, ont donné pour
les récoltes des excès en poids atteignant les chif-
fres suivants : concombres 17 p. 100, fraises 30
à 35 p. 100, betteraves 33 p. 100, blé, 29 à 39 p. 100.
— Il faut citer aussi les expériences de Spechnew,
au Jardin botanique de Kew, k l'aide d'un réseau
aérien électrisé positivement. La surproduction
s'éleva à 28 p. 100 pour le seigle, 50 p. 100 pour le
blé, 62 p. 100 pour l'avoine. La maturation fut très
accélérée, et les micro-organismes presque tous dé-
truits, de sorte qu'au lieu de 40 p. 100 de pommes
de terre malades, on n'en trouva que 5 p. 100.
LAHOUSSK MENSUEL
Les essais continuèrent avec succès en Angle-
terre, depuis 1900, sous la direction de sir Olivier
Lodge et du professeur Prieslley, secondé par le
Board of Agriculture. ICnfin, en 1915, Blackman et
Joigenson mirent au point une installation modèle,
qui fonctionne depuis cette époque dans la ferme de
miss Uudgeon, àDunifries (licosse). Elle comporte
une bobine d'induction pouvant donner 90.000 volts
au secondaire; cette bobine alimente un réseau
aérien par l'in-
termédiaire
d'un éclateur à
boules et de
soupapes Lod-
ge destinées à
ne laisser pas-
.ser que le cou-
rantpositif.Les
parcelles élec-
trisées en 1915
et 1916 avaient
80 mètres sur
50 mètres ; le
réseau était
constitué par
21 fils de petit
diamètre, dis-
tants de 4 mè-
tres et placésàune hauteur variable de 1", 80 à 2°", 10,
au-dessus du sol. On y sema de l'avoine le 27 mars,
ainsi que dans les parcelles voisines, qui servaient
de témoins. L'avoine germa le 13 avril, et on com-
mença l'electrisation le lendemain. La partie élec-
trisée fut, dès le début, plus verte et plus fournie
que les voisines. On observa ensuite les hauteurs
de tiges suivantes :
IS juin 3:i juin 3 jutUet
Partie électr-séo . . .
— non éiectrist^o.
On continua le traitement jusqu'au 17 août. A cette
époque, des pluies violtnles couchèrent les tiges
électrisées, dont les grains étaient beaucoup plus
lourds que les autres. Maigre ce contr emps, on
récolta le 28 août, et on observa les poids suivants
à l'hectare :
Grain. Paille.
611
Angleterre, oil l'on fabrique des postes mobiles com-
prenant tout le matériel nécessaire au traitement
de surfaces de 4 à 6 hectares. Le constructeur fait
lui-même l'installation et en surveille le fonction-
nement. On peut employer comme générateur de
courant un transformateur-élévateur de tension,
que l'on branche sur un réseau quelconque à cou-
rant alternatif; mais il faut alors redresserle courant
soit à l'aide d'un tube de Lodge, globe de verre
Fis- 3.
r>8 cent.
40 cent.
13 cent.
56 cent.
101 cent.
63 cent.
2.940 kilog.
5.530 kilog.
Parcelles lunioins. . . 1.980 kilog.
— électrisées. 2.960 kilog.
La plus-value était donc de 50 p. 100 sur le grain
et 88 p. 101) sur la paille pour la parcelle élec-
trisée. La durée totale d'éleclrisation ayant élé de
8'i8 heures et la puissance consommée au primaire
de la bobine étant de 150 watts (3 ampères sous
50 volts), la dépense, au tarif de 20 centimes le
kilowatt, ressortait à 60 francs par hectare. Or, aux
prix alors eu vigueur dans la région (grain 24 fr.,
paille 67 fr.), le bénéfice brut atteignait 404 francs
à l'hectare. 11 restait donc un béuélice de 344 francs
à l'hectare, permettant de couvrir largement les
- Schéma d'une Installation d'éleclrisation agricole par courants à haute tension : A, champ d'essAis ;
n, réseau a haute tension; C, rylOnes; D, Isolateurs; E, poste générateur; F, prise de terre.
dans lequel on fait le vide à 1 ou 2 millimètres de
mercure et contenant 2 électrodes de surfaces très
inégales, soit à l'aide d'un kénotron, tube à vide
dans lequel l'électrode négative est une spirale
portée au rouge et projetant des ions qui ne lais-
sent passer le courant que dans le sens voulu. Si
l'on ne dispose pas de courant alternatif, on peut
employer une bobine d'induction avec interrupteur
à mercure, mais ce procédé n'est applicable qu'à
des installations de faible puissance et, par suite,
de peu d'envergure.
On peut aussi — et l'idée n'est pas nouvelle,
puisqu'elle remonte aux observations de l'abbé Ber-
Iholon de Saint-Lazare (1750) — chercher à utiliser
directement l'électricité atmosphérique, c'est-à-dire
la différence de potentiel variable, mais permanente,
qui existe entre les couches d'air placées à des ni-
veaux différents. On obtient ainsi une installation
simplifiée, et l'énergie nécessaire est fournie gratui-
tpiTient, quoique d'une façon peu régulière. C'est
sur ce principe qu'est basé le géomagnétifére des
frères Paulin, qui n'est qu'un paratonnerre à aigret-
tes, supporté par un mât isolant, dont le fil conduc-
teur est relié à d'autres fils disposés dans le sol où
l'électricité almosphérique vient ainsi se répandre.
(V. GÉOMAGNÉTiFÈnE, t. III, p. 69.) Cet appareil a
donné d'excellents résultats : les accroissements de
récolte ont varié de 30 à 60 p. 100 pour les différentes
cultures traitées ; de plus, la maturité se fait beau-
coup plus vite, ce qui permet, dans certains cas, de
faire plusieurs récoltes successives.
Knfin, cet appareil, en écoulant au sol l'électricité
atmosphérique, évite les décharges violentes de
la foudre et prévient la formation des orages de
grêle, si préjudiciables aux récoltes. On a, d'ailleurs,
établi de nombreux appareils basés sur le même
lu'incipe : de simples tiges de fer plantées vertica-
lement dans le sol, jusqu'à la prolondeur extrême
des racines des plantes, protègent et activent la
végétation dans un rayon égal à leur hauteur, sur-
tout si leur surface est rendue conductrice par cui-
vrage ou galvanisation. Ce moyen, très simple, a été
appliqué, en premier lieu par Lagrange, à Bruxelles,
en 1912; il a permis d'oblenir une augmentation
de 100 p. 100 sur le rendement des pommes de terre.
De l'avis unanime des expérimentateurs, l'effet des
décharges électriques sur les plantes est d'activer
à la fois la production de la chlorophylle et la fixa-
tion de lazote dans le sol, de sorte que l'électricité
agit, en somme, comme un rayon de soleil arti-
ficiel. 11 y a lieu, par suite, de "proportionner l'in-
tensité et la fréquence des décharges aux conditions
atmosphériques et de les arrêter même lorsque
le temps est très sec et le soleil ardent. Les meil-
leurs moments pour la décharge sont les heures du
lever et du coucher du soleil. Par temps couvert,
une durée moyenne de 4 à 5 heures d'électrisation
est, en général, suffisante chaque jour.
L'effet des décharges étant d'activer l'assimilation
des plantes, celles-ci doivent être copieusement
arrosées et fumées; dans un terrain sec et pauvre,
le bénéfice de l'électrocullure serait peu sensible et
parfois même négatif. Il est également inutile
d'eleclrifier par grand vent, car celui-ci transporte
les molécules d'air éleclrisées, dont l'action échappe
alors au terrain d'expériences pour se reporter sur
les terres voisines. Il y a lieu aussi de propor-
tionner la tension électrique entre les fils et le sol
à leur distance respective : celle tension devra être
comprise entre 10.000 et 20.000 volts par mèlre.
La fréquence du courant devra être aussi basse que
possible, leshaules fréquences ayant un effet moins
sensible : celle de 25 périodes par secondes convient
très bien. Enfln, on aura soin de diminuer progres-
sivement la tension, au fur et à mesure delà crois-
sance des cultures.
frais d'inslallation. Ce bénéfice augmente, d'ailleurs,
avec le prix des récoltes, qui, on le sait, n'a pas
tendance à diminuer.
Il est, du reste, certain que la méthode peut en-
core être perfectionnée, la dépense d'énergie consi-
dérablement réduite et le rendement agricole accru.
Ces expériences se poursuivent en Angleterre et
donnent des résultats de plus en plus intéressants.
En 1917, on a obtenu par cette méthode des plus-
values de 25 à 50 p. 100 sur les carottes, tomates,
betteraves et pommes de terre, et de 50 à 80 p. 100
sur les fraises et les concombres On a observé,
d'ailleurs, que les parcelles électrisées l'année pré-
cédente donnaient, l'année suivante, sans nouveau
trailement, un rendement supérieur de 20 à
30 p. 100. Cet effet résiduel s'explique si l'on admet
que l'action de l'électricité est de favoriser la fixa-
tion de l'azote atmosphérique dans le sol et de dé-
tiuire, en même temps, les bactéries et les petits
animaux nuisibles (insectes, vers, etc., qui s'y trou-
vent. Celle Iheorie explique aussi les résultats mé-
diocres obtenus avec les légumineuses, qui fixent
directement l'azole de l'air. On a reitiarqué, néan-
moins, que ces plantes profitent de l'effet résiduel
signalé plus haut : le trèfle et la luzerne, par exem-
ple, se comportent à merveille dans un terrain préa-
lablement électrisé.
Les appareils électriques employés en électrociu-
lure ont été, depuis quelques années surtout, l'otijet
des études des constructeurs, particulièrement en
L.-L. Klolz, ministre des finances
612
Telles sont, ft l'heure actuelle, les données cer-
taines les plus récentes concernant celte science nou-
velle, qui n'en est encore qu'à ses débuts, mais dont
les résultats pratiques, déjà tangibles, peuvent de-
venir, dans les circonstances actuelles et futures, la
source d'importantes ricliesses. — Jacques Diuien.
Épipliytie (Comité consultatif d'). V. phy-
TOPATHOLOGIE (p. 624).
Finances de la guerre. {Début de la
cinquième année.) — A la fin de la quatrième
année de la guerre, les frais de celte lutte gigan-
tesque, dontrtiistoire n'offre aucun précédent, s'éle-
vaient déjà, pour l'ensemble des nations qui s'y
sont engagées, k beaucoup plus de 500 milliards de
francs. Les gouvernements étaient endettés dans
une proportion que l'imagination la plus déver-
gondée n'eût osé entrevoir; mais, dans chacun des
pays, tandis qu'une partie de la population subis.-ait
des misères ou des privations sans nombre, une
autre s'enrichissait sans mesure, au point qu'à côté
du prolétariat élevé à l'aisance par la hausse for-
midalile des salaires, de l'ancienne 'bourgeoisie
frappée directement par tous les maux de la guerre,
des autres catégories plus restreintes de citoyens
plus ou moins
favorisées par la
^^■Ihi-^ fortune, s'était
^^P^^^^V formée etne ces-
^W^ y sait de croître en
^v y,.j^, importance une
^v •E^^ g^ classe nouvelle,
celle des « nou-
veaux riches «.
Uu fait brutal
ressort de celte
orgie de gaspil-
lage des deniers
publics, que re-
nrésente, dans
chacun des
grands pays, le
chapitre des dé-
penses de la
guerre, c'est que,
les Etats s'élant
endettés de quel-
?;ue trois & quatre cents milliards, de substantielles
brtunes nouvelles ont été partout édifiées, repré-
sentées par celte masse de créances sur les Etats,
qui n'existaient pas avant 1914.
Une partie notable du montant des sommes qu'ils
devront consacrer au service de ces dettes sera,
sans doute, récupérée par les Etats, sous le couvert
de la taxation, qui, en France, en Angleterre, en
Allemagne, aux Etats-Unis, a déjà été portée au
double, au i.riple, au quadruple (même au delà) de
ce qu'elle était avant la guerre. L'énorme dette
contractée par les gouvernements s'éteindra ainsi
peu & peu avec une facilité relative, qui démentira
les pronostics de ruine générale si abondamment
formulés dans les deux premières années de lu lutte.
France. — Voici que l'automne ramène une nou-
velle série de grandes opérations d'emprunt. L'Al-
lemagne, ayant auopté le système des appels
semestriels (mars et septembre') à l'épargne de ses
populations, émet son neuvième emprunt, dont elle
attend une quinzaine de milliards de francs. L'An-
gleterre, ayani réussi à placer pour 25 milliards de
ses War Bonds, bons nationaux de guerre à dix
années d'échéance, s'abstient, celte année, de tout
Appel au public pour un emprunt de consolidation.
Les Etats-Unis ont lancé, depuis avril 1917, trois
emprunts « de la Liberté » et en réalisent un qua-
trième en septeiribre-octobrel9l8, dontils attendent
un nouvel appoint de ressources de guerre de
30 milliards de francs. Notre pays, enfin, qui chaque
année fait un appel à l'épargne pour la consolida-
tion d'une dette flottante en formation continuelle
par les honsde la Défense nationale, émet, en octobre-
novembre 1918, un quatrième emprunt national en
rente perpétuelle, qiiele ministre des finances, Klotz,
a très heureusement dénommé 1' « Emprunt de la
Libération », l'opération d'où vont provenir les res-
sources nécessaires à la « libération du territoire ».
L'emprunt émis en 1917 avait été offert au public
en un fonds de 4 P. 100 au taux de 68 fr. 60 par
4 francs de rente. Le succès en a été considérable
auprès du public, puisque celui-ci, par ses achats,
l'a porté à son prix actuel de 71 fr. 65. Aussi le taux
d'émission de l'emprunt de 1918, lancé dans des
conditions bien plus favorables que celles dont avait
élé entourée l'opération de l'année précédente, a-t-il
été fixé à 70 fr. 80, et déjà, dans tout le pays, dans
la seconde quinzaine de septembre, les capitalistes
prenaient-ils leurs dispositions poui apporter à la
défense nationale, sous la forme de leurs sonscrip-
tions, une contribution plus importante que lors des
firécédents emprunts. Le ministre n'a fixé aucune
imite à l'én.ission. Le public souscrira jusqu'à
l'extrémité de ses moyens, assuré d'obtenir la tota-
lité de ses demandes. Le Trésor prendra tout ce
qui lui aura été offert, en espèces, en bons du Tré-
sor, en bons et obligations de la Défense nationale,
LAROUSSE MENSUEL
en coupons de 191 8 des rentes précédemment émises,
eu coupons des fonds russes à échéance de l'année
en cours.
La rente 4 p. 100, qui sera remise au prix de
70 fr. 80 par 4 francs de rente, contre des verse-
ments constitués comme il vient d'èlre dit, rappor-
tera, à ce taux d'émission, un revenu de 5fr. 65 p. 100,
exempt de tous impôts, non remboursable ou con-
vertible pendant une période de vingt-cinq ans,
remboursable à toute époque au delà de ce délai,
au pair, c'est-à-dire avec une prime de 28 francs par
litre de 4 francs de rente. Il n'y a pas de doute que,
pour un Français, une telle rente ne soit le plus
beau placement du monde, en même temps qu'il en
est le plus patriotique.
Les conditions générales dans lesquelles se trouve
la France en cet automne de 1918 ne permettaient
pas seulement un taux d'émission plus élevé qu'il y
a une année Elles sont telles que l'opération est
assurée du plus grand succès. Au point de vue mi-
litaire, les espérances au.xquelles l'àme française
s'était tenue attachée avec une si persévérante, une
si vaillante ténacité, se sont transformées en certi-
tudes. La victoire, complète, intégrale, telle que la
voulaient Clemenceau, Lloyd George, Wilson, Or-
lando, avec eux tous les patriotes de Fiance, d'An-
gleterre, des Etats-Unis et d'Italie, est en vue, à
portée, pour ainsi dire, des mains des Alliés. Nous
sommes vainqueurs sur la Scarpe, la Somme, l'Oise,
l'Aisne, en Champagne, en Argonne, sur les Hauls-
de-Meuse, dans les Balk.ins, sur le Vardar, en ter-
ritoire bulgare, en Palestine, en Mésopotamie. Un
des Etats satellites des deux Empires centraux a
déjà demandé la paix.
D'autre part, fait qui paraîtrait à peine croyable,
si un examen un peu attentif n'en démontrait ra-
pidement l'exactitude, la situation financière de
notre pays est meilleure, actuellement, qu'elle ne l'a
été depuis le début de la guerre.
Cette amélioration, signalée d'abord par le mi-
nistre Klotz, dans l'exposé des motifs de son projet
de loi d'emprunt et dans son discours à la Chambre,
a été ensuite mise en un vif relief par le rapporteur
de la commission du budget, Marin, dans son com-
mentaire des propositions ministérielles. Les points
sur lesquels se sont manifestées ces tendances plus
favorables sont, notamment : la diminution sen-
sible de la proportion de nos emprunts extérieurs ;
la réduction des prélèvements opérés par le Trésor
à la Banque de France à titre d'avances pour les
besoins généraux de l'Etat, une modification sen-
sible en notre faveur sur tous les marchés de
change, un réveil d'activité et de fermeté sur le
marché de nos rentes.
Les crédits que le Trésor a dii, cette année, négo-
cier à l'étranger s'élèvent seulement à 6.100 mil-
lions de francs pour huit mois, ce qui correspondrait
à 9.150 millions
pour l'année en-
tière, contre plus
de 13 milliards
en 1917. On
conslate par ces
chiffres le résul-
tat évident des
elîorts accomplis
pour discipliner
nos importations
et pour limiter
l'accroissement
de notre dette
exiérieure. Nous
avions, d'autre
part, eu 1917, dii
faire appel pres-
que exclusive-
ment à nos al-
liés, tandis que
le Trésor ne
leur a demandé, en 1918, que 5.200 millions pour
huit mois, ce qui correspond à 7 milliards et demi
pour une année entière, contre 12 milliards l'an
passé. Nous avons, par contre, obtenu près de
800 millions chez les neutres en huit mois, soit,
environ, quatre fois plus qu'en 1917.
A celte politique plus autonome a correspondu
un relèvement général du cours du franc. Le marché
des changes s'est trouvé piét ainsi — observation
très juste du rapporteur Marin — à traduire immé-
diatement sur la cote le sentiment de confiance
créé par nos succès militaires. Relevons donc que,
depuis le milieu de l'été, toutes les devises neutres
ont marqué un fléchissement qui, sur les princi-
pales d'entre elles, a atteint 20 p. 100. Notre change
sur l'Angleterre et les Etats-Unis s'est également
amélioré, et nous payons notablement moins cher
3u'il y a quelques mois les livres sterling et les
ollars.
Le public, en possession de larges disponibilités,
par suite des énormes et constants déboursés du
Trésor, s'est à la fois porté sur les bons de la Dé-
fense nationale et sur les rentes. C'est ainsi que
le 4 0/0, émis l'année dernière, a été porté à trois
points environ au-dessus de son cours d'émission.
Louis Marin,
député de Meurtliti-et-Moselle.
Andi'é Tardieu, commissaire générni
de guerre français aux Etats Unis.
N' 141. Novembre 1918.
L'ancienne renie 3 0/0 a également monté de plu-
sieurs unités, et le 5 0/0 de 1913 et de 1916 a été,
lui aussi, quoique son cours soit plus voisin du
pair, fort recherché.
Il est difficile d'apprécier l'importance du volume
de transactions au(|iiei ont été dus, sur un marché
aussi étroit que celui du comptant, de tels change-
ments de cours, mais on peut se faire une idée
concrète du développement des disponibilités en
notant que le montant des bons et obligations de la
Défense et des
bons oi'dinaires,
souscrits par le
public et en cir-
culation (in sep-
tembre 1918,
s'élevait à 28 mil-
liards de francs.
Les appels du
Trésor à la Ban-
que de France
avaient été ex-
ceptionnellement
flendus pendant
les premiers
mois de 1918,
conséquence des
lifficultés parti-
culières du prin-
temps. A la suite
d'arrangements
passésaveclatré-
soreriedesEtats-
Unis concernant l'approvisionnement de l'armée
américaine sur notre territoire, non seulement le
ministre des finances, pendant une période de neuf
semaines, du 11 juillet au 12 septembre, n'a rien
demandé à la Banque, mais il a pu encore accroître
le compte courant du Trésor de 178 millions, alors
que, pendant les neuf semaines antérieures, du
10 mai au 11 juillet, il avait dû demander à la
Banque les moyens de combler un découvert de
près de ti'ois milliards de francs. Un tel renverse-
ment dans la situation financière mérite d'autant
plus d'être signalé qu'il coïncide naturellement
avec celui qui s'est opéré, au même moment, dans
la situation militaii-e.
Du début de la guerre jusquau 31 août dernier,
le Trésor s'est procuré au moyen d'emprunts à long
ternie ou d'avances à court terme une somme totale
de 105 milliards de fiancs, indépendante de celle
qu'ont produite les ressources budgétaires.
Le montant qu'il s'est procuré par ces emprunts
et avances chez nous-mêmes a été de 78.734 millions,
e t celui qu'il a obtenu d'emprunts et avances à l'élran-
ger a été de 25.679 millions.
En France, le Trésor a obtenu, par des emprunts
en rente perpétuelle, 32.187 millions, par des bons
de la Défense nationale, 26.482.000 francs, par des
avances de la Banque de France et de la Banque
de l'Algérie, 19.415 millions, par des obligations de
la Défense (solde existant fin août 191 8) ;679millions.
enfin un milliard par diverses menues ressources.
Le gouvernement a surtout emprunté, en ce qui
concerne l'extérieur, à l'Angleterre et aux Etats-
Unis, 12.553 millions au premier de ces deux Etats
et 11.887 millions au second, ensemble 24 milliards
et demi de francs. 11 a emprunté à divers pays
neutres et au Japon des sommes relativement mi-
nimes, s'élevanl à 1.200.000 francs.
Les douzièmes provisoires pour les dépenses de
guerre pendant le quatrième trimestre de 1918 ont
été votés à la fin de septembre. Ils s'élèvent à
12.165 millions de francs. Avec les 33.190 millions
de crédits antérieurement votés pour les trois pre-
miers trimestres et les 8 millions de francs du bud-
get des services civils pour Vannée entière voté en
avril dernier, les prévisions totales de dépenses
de toutes sortes pour l'année 1918 se chiffrent par
53.355 millions de francs. Depuis le 1" aoilt 1914
jusqu'à la fin de décembre 1918, la France aura
dépensé 161 milliards de francs.
Angi.etf.rre. — En Angleterre, le budget de 1919
devras'éleveràl8milliards de francs en chiffre rond
et, dans ce total, le service d'intérêt et d'amortis-
sement de la dette publique figurera pour 7 1/2 à
8 milliards, alors que le dernier budget total bri-
tannique avant la guerre était à peine de 5 mil-
liards. Oui aurait osé, a dit récemment un membre
de la Chambre des lords, qui fait autorité en matière
financière, lord lnchcape,exprimer,il y a quatre ans,
l'opinion que le contribuable anglais supporterait
en pleine guerre, avec la calamité de la lutte sous-
marine et la charge écrasante de la levée et de
l'équipement de plusieurs millions d'hommes, un
budget présentant plus de 15 milliards de francs à
tirer de la taxation directe ou indirecte? Ce qui
aurait paru, il y a si peu de temps, absurde et im-
possible, s'est cependant réalisé. Et c'est ainsi que
trouveront également leur solution tant d'antres
graves problèmes impliqués dans l'organisation for-
midable de l'après-guerre.
Etats-Unis. — Les dépenses de guerre des
Etats-Unis depuis avril 1917 sont évaluées à 78 mil-
N- 141. ^ovembl■e 1918.
liards de francs, dont 20 h 25 milliards en 1917 et
le solde du i"' janvier à la lin d'août 1918. La
moyenne quotidienne de la dépense a été de
96 millions de francs pendant les noiif derniers
mois de 1917 et de 210 millions pendant les huit
premiers de 1918. Celte moyenne est, acluellement,
de 260 millions de francs.
Une nouvelle campafrnfe, du caractère le plus
intensif, a élé ouverte le 28 septembre aux Etals-
Unis pour le qua-
LAROUSSE MENSUEL
de la contrée, au pied de superbes montagnes volca-
niques dominant d'une très grande altitude le socle
qui les supporte. Une barranca étroite et profonde
isole partiellement, des plateaux des environs, le
terrain sur lequel est bâtie la ville de Guatemala.
Gravissons les pentes du Gerro del Carmen et, de
ce belvédère, jetons un coup d'oeil sur la cupilale,
qui s'étend tout entière à nos pieds, au milieu d'une
campagne trop dénudée. Guatemala s'y présente à
^f^^â:p-^^,^,f
=^^*:
aftp^fejS < ' < 1 '.or fvlaS
»•.-,
~-K^.
25
WF5 RHnRNnRM tWRftiiàKk,^ -.
trième « emprunt d^
la Liberté ». Quel-
ques-unes des inani-
l'estations auxquelles
elle adonné lieusonl
bien dans la ma-
nière américaine Ira-
<litiounelle. Lors du
précédent emprunt,
un délaciiement de
•centchasseurs alpins
français avait par-
couru les territoires
de l'intérieur et po-
pularisé sur les rives
de rOhio, comme
dans les plaines du
Texas, l'uniforme de
nos « diables bleus».
Le même rôle est
joué, dans la cam-
pagne actuelle, par
un détachement de
nos légionnaires,
sous le commande-
ment d'un capilaine
mutilé, officier de la
Légion d'honneur.
Cet appel à des sen-
timents d'idéalisme
pur dans les ré-
gions du Far "West
américain ne sera pas vain; les organisateurs de
la campagne, parmi lesquels a été invité à prendre
rang notre commissaire général de guerre aux
Etats-Unis, André Tardieu, en attendent avec rai-
son l'alflux de centaines de millions de dollars aux
registres de souscription à l'emprunt.
C'est à noire commissaire, André Tardieu, que
nous empruntons les brèves, mais significatives,
données suivantes, sur l'effort financier américain :
Le dernier budget d'avant-guerre ne s'élevait qu'à 5 mil-
liards de francs; les crédits votés pour l'exercice en cours
dépassent 120 milliards. Les dépenses quotidiennes de
guerre montent à 260 millions. En l'es-
pace d'une année, trois emprunts (en
3 1/2 p. 100, 4 p. 100 et 4 1/2 p. 100)
ont produit 55 milliards de francs, et le
chiure des demandes avait dépassé
65 milliards. Le nombre des souscrip-
teurs au troisième emprunt a été de
17 millions.
Le 22 septembre a été voté par
acclamation à la Chambre des re-
présentants de Washington, à l'una-
nimité de 305 voix, le projet de loi
par lequel le montant des impôts k
lever aux Etats-Unis pour une an-
née est porté à 40 milliards de
francs :
C'est la meilleure réponse, s'est écrié,
avant le vote, le représentant Long-
worth, gendre du colonel Koosevelt, que
lo Conférés américain pût faire au mes-
sage fallacieux de paix autrichienne.
Allemagne. — Que devient, au
milieu des événements d'août et de
septembre, le neuvième emprunt de
guerre de l'Allemagne? Les ar-
mées des Empires centraux subis-
sent des défaites qui retentissent
douloureusement chez ces peuples,
enfiévrés jusqu'alors du sentiment
de leur invincibilité. Mais la ma-
chine financière allemande est bien
montée. Elle rendra quelques mil-
liards, cette fois encore, la dernière
peut-être. Eu attendant, le change
devient de plus en plus mauvais
pour le mark et la couronne, moins
pourdes causes relevant de l'économie généraleque
sous l'influence du l'acteur moral. Les neutres croient
de- moins en moins à la possibilité de la victoire
finale pour la Quadruplice. A vrai dire, ils n'y croient
sans doute plus du tout. — A. Moireau.
Q-uatémala, ville de l'Amérique centrale,
capitale de la république de Guatemala, entre les
sources d'un affinent du rio Motagua, tributaire de
l'océan Atlantique; 80.000 habitants.
C'est en plein cœur de la partie du Centre-Amé-
rique la plus rapprochée du Mexique qu'est établie
la capitale actuelle du Guatemala. Elle s'élève par
1.500 mètres environ au-dessus de la mer, sur les
Altos, c'esl-&-dlre sur les hauts plateaux de l'intérieur
Vue générale de la Tille de Guatemala.
l'observateur, comme les cités nouvelles de l'Amé-
rique, sous l'aspect d'une ville tirée au cordeau,
dont les avenues et les rues, plus ou moins larges,
plus ou moins animées selon les heures de la jour-
née et se coupant à angle droit, sont bordées de
maisons basses, toutes semblables, aux grandes fe-
nêtres grillagées de fer. Dominant ces maisons et
émergeantdu milieu d'elles, d'innombrables églises,
massifs monuments aux murailles peintes en bleu,
en rose ou en orange, érigées aux temps déjà loin-
tains de la domination espagnole. Au centre de la
ville, la plaza, la place d'Armes, ornée d'un parc
0 10 20 kilom.
Emplacements successifs de la Tille de Guatemala.
contenant une belle statue de Christophe Colomb et
délimitée par quelques-uns des monuments publics
les plus importants du Guatemala : la Cathédrale et
le Palais épiscopal, le Palais national, le Palais mu-
nicipal et ces arcades du Portai del Gomercio qui
abritent les principaux magasins de nouveautés de
la capitale. A l'horizon, enfin, détachant leur forme
régulière sur un fond uniformément bleu, les trois
volcans de Agua, de Fuégo et de Pacaya, aux pentes
complètement boisées, élèvent leurs cimes depuis
les environs de .1.000 jusque vers 4.250 mètres.
Tel est l'aspect de la capitale du Guatemala, que
protègent les deux forts de San .José et de Mata-
mores; l'excellence et la salubrité de son climat,
l'abondance de ses eaux courantes en rendent le
613
séjour très agréable. Le chiffre relativement consi-
dérable de ses habitants (80.000 environ) en fait,
d'autre part, une des cités les plus populeuses du
Centre-Amérique, même quand on ne tient pas
compte des nombreux villages suburbains d'où In-
diens et Ladinos apportent chaque matin à la capi-
tale le froment, les légumes et les fruits des Altos.
Des créoles ou Ladinos (qui sont, en fait, en grande
majorité des métis) et des Indiens de race plus ou
moins pure, voilà le
fond de la population
de la ville de Guate-
mala, chef- lieu de
département, en mê-
me temps que capi-
tale officielle effec-
tive de la république
du même nom
(113.030 kilomètres
carrés de superficie ;
1.842.000 hab.).
Importante au
point de vue admi-
nistratif, importante
au point de vue in-
tellectuel, car elle
contient l'Univer-
sité, l'Ecole poly-
lechnique , l'École
normale, les musées
et le théâtre de la
république, la ville
de Guatemala pré-
sente aussi une cer-
taine activité écono-
mique , très infé-
ripure toutefois à
celle des ports gua-
témaliens de la côte
du Pacifique. La fa-
brication de poteries,
d'ouvrages en bois,
de selles de cuir et d'étoffes communeslisséesavec les
laines des troupeaux qui paissent sur les Altos, voilà
les principaux produits de l'industrie locale. Une par-
tie de ces produits s'écoule, soit par toute la répu-
blique, grâce aux routes et aux pistes qui parlent de
la ville de Guatemala, soit au dehors, grâce aux voies
ferrées du Central Railroad (chemin de fer central)
qui aboutissent aux ports d'exportation de San José
{120 kilom.) et de Cbamperico (251 kilom.) sur le
Pacifique; c'est au contraire par Puerto Barrios, au
fond du golfe du Honduras et par le « chemin de
fer du Guatemala » (Guatemala Railroad) que les
marchandises d'Europe gagnent la
capitale du pays, sise à 314 kilo-
mètres du rivage le plus proche de
l'océan Atlantique.
■Voilà ce qu'est, ou plutôt ce
qu'était encore, dans les dernières
semaines de l'année 1917, la ville
de Guatemala. Aujourd'hui, son as-
pect est tout autre, depuis la série
de tremblements de terre qui, à la
fin de décembre dernier et au mois
de janvier suivant, ont ravagé, bou-
leversé et même totalement détruit
la capitale de cette république cen-
tre-américaine.
Ce n'est pas la première fois que
cette ville a élé désolée par des
convulsions naturelles. Différents
cataclysmes, en effet, l'ont déjà
obligée à changer de place. En
avait-il été ainsi aune époque relati-
vement lointaine, dès les temps pré-
colombiens, et doit-on attribuer à
des catastrophes de cette nature la
naissance des anciennes capitales de
la contrée : Iiimché, la Santiago du
conquistador Alvarado, et Tecpan-
Guatémala, le « Palais communal de
Guatemala », la ville des Indiens
Cachiquels, située à 60 kilomètres,
dans le nord-ouest de Guatemala la
Nueva? Dans tous les cas, Pedro de
Alvarado fonda, en 1524, l'année
même où il soumit la contrée, la
ville d'Almolonga, « la Fontaine »,
en un site ravissant, auprès d'une source d'eau pure
jaillissant dans un vaste bassin. Mais le conquista-
dor n'avait pas tenu compte de la proximité du vol-
can de Agua. non plus que d'une activité souterraine
attestée par la présence de plusieurs fontaines ther-
males, sulfureuses et autres, aux environs de la
nouvelle ville. Dès 1541, un vrai déluge d'eau, des-
cendu des flancs du volcan, vint noyer la cité déjà
prospère et contraignit ses habitants à chercher
plus loin quelque site plus sûr.
Ceux-ci crurent trouver ce site un peu plus bas,
dans un cirque de montagnes, à l'extrémité de la
splendide vallée de Guacalate, que dominent, à l'est,
le volcan de Agua et, à l'ouest, le volcan de Fuego.
Ils y transportèrent donc leurs pénates et y fondé-
614
ren et y érigèrent, dans un cadre permanent de ver-
dure, sur le rio Pensalivo, Santiago de los Gaballeros
la Anligua Gualeiiiala. Mais cette ville pittoresque
ce centre de la production de la cochenille, fut com-
plètemen détruite deux siècles plus lard par un
tremhleincnl de terre Kn 17V3, plus de 9.000 per-
Cathùdrale de Guatemala, après le ti-eoiblement de terr
sonnes périrent sous les débris des maisons et,
seules, les murailles de quelques édifices publics —
de la cathédrale entre autres — restèrent debout.
Force fut donc de s'éloigner encore et de transpor-
ter ailleurs la capitale de la capitainerie générale du
Guatemala; à Ciudad Vieja et à la ville qu'on n'ap-
pelle plus maintenant que du nom de la Anligua,
M l'Ancienne ■>, succéda, dès lors, GuatemalalaNueva,
construite, à partir de 1776, à 30 kilomètres dans l'est-
nord-estdu site de Santiago de los Gaballeros. Mais
— une triste expérience vient, hélas! de le prouver
— là même, on n'est pas à l'abri de ces convul-
sions séismiques, que l'on croyait naguère en étroite
corrélation avec les manifestations volcaniques.
Le 17 novembre 1917, des secousses successives
ébranlèrent le département d'Amatitlan, un de ceux
qui sont immédiatement conligus au département
même dont la capitale est le chef-lieu; mais la ville
de Guatemala n'en souffrit pas. Elle souffrit, au con-
traire, tout particulièrement des séisnies qui se
produisirent à la fin du mois de décembre de la
même année et pendant tout le mois suivant et qui
dévastèrent le département de Guatemala, ainsi
qu'une partie des circonscriptions voisines d'Ama-
titlan et de Sacatepequez. La première série de ces
secousses commença le 25 décembre et se poursui-
vit jusqu'au 29; elle jeta à terre les édifices d'utilité
Ïiublique : la poste, la gare, le théâtre Colon, les
égalions étrangères et nombre de maisons parti-
culières dans la capitale et dans les bourgs avoisi-
nants, causant 2.000 morts et laissant plusieurs
milliers de personnes sans abri. Une seconde série
ne tarda pas à suivre; elle débuta dans la nuit du
3 janvier 1918 et poussa très loin l'œuvre de des-
truction de Guatemala la Nueva. Alors disparurent
tous les monuments intéressants datant du xviii" siè-
cle, tous les titres de noblesse dont s'enorgueillis-
sait la jeune capitale; en raison de l'insécurité
qu'offrait le sol, les maisons furent évacuées, et ses
habitants durent camper dans les jardins publics et
dans les champs des environs; administrations offi-
cielles et banques ou entreprises privées durent
s'installer sous des tentes ou dans des baraquements.
Sur dix maisons, en effet, une seule pouvait être
utilement réparée; les neuf autres étaient à recons-
truire 1 Ces pauvres restes mêmes d'une florissanle
cité ne tardèrent pas à disparaître. Le 24 janvier
se produisit, en effet, dans une zone très étendue,
un nouveau mouvement séismique, plus violent
encore que les précédents; il acheva la destruction
de Guatemala la Nueva et renversa en même temps
les ruines de la Antigua, où, à 30 kilomètres dans
l'ouest-sud-ouest, dans le bourg subsistant autour
des vestiges de l'ancienne capitale, s'étaient réfu-
giés de nombreux sinistrés... Une fois de plus, les
œuvres de secours guatémaltèques trouvèrent à
LAROUSSE MENSUEL
exercer leur action charitable; il en fut de même
pour la Croix-Rouge américaine, qui, dès le début
de celte longue et multiple série de cataclysmes,
avait envoyé au Guatemala des navires chargés de
denrées, de vêtements et de dèsinfeclants.
Rôle efficace, sans aucun doute, et dont on ne
saurait trop louer non seulement le
désintéressement, mais aussi et surtout
l'utilité; rôle secondaire, toutefois, et
qui ne saurait être autre. Quel doit être,
au con^rai^e, dans les destinées futures
de Guatemala, le rôle du gouverne-
ment? Il doit cherclier h prévenir le
|)lus et le mieux possible le retour de
catastrophes analogues à celles qui ont
déjà si souvent assombri l'histoire de
la malheureuse capitale de la répu-
blique centre-américaine. Comment ob-
tenir un tel résultat? Non pas, certes,
en reconstruisant une ville nouvelle là.
où se dressèrent successivement la
Antigua et la Nueva; mais en transpor-
tant et en édifiant ailleurs la capitale du
Guatemala, dans un canton stable et
que n'ébranlent pas les commotions
séismiques. Graves seront, sans aucun
doute, les conséquences immédiates
d'une telle décision; de là résulteront
iiéces.sairement des modifications im-
portantes dans le réseau des routes,
dans le tracé des chemins de fer pro-
jetés, l'exécution de raccords avec les
lignes existantes. Mais l'ensemble de
la république ne tardera pas à trouver
•mt 1 son bénéfice à la possession d'un centre
a — «1 '""''^ ^'"' "" 'eri'sin solide, où puisse,
# >. — «1 sans aucune crainte ni insécurité, vivre
et se développer désormais la nouvelle
capitale du Guatemala. — Henri froidetaux.
G-uerre en 191-4-1918
(i.a). [Suile.] A la fin du mois d'août
dernier, nous pouvions écrire que les
événemenls accomplis depuis le IS juil-
let permettaient de penser que nous
entrions dans une phase entièrement
i. nouvelle de la lutte qui, depuis quatre
longues années, tient le monde dans l'an-
goisse. 11 n'est pas un jour du mois de septembre qui
n'ait confirmé et fortifié celle opinion. En août, nous
lu llionsencore pour panser lesplaiesquel'avance alle-
mande nous avait faites depuis la (in de mars dernier
et, si l'on pouvait prévoir que, les brèches réparées,
nous entreprendrions de chasser l'envahisseur des
territoires qu'il occupe depuis quatre années, lapru-
H' 141. Novembre 1918.
évaluer au-dessous de la réalité les moyens de leuis
adversaires. Us avaient calculé que toutes nos ré-
serves avaient été engagées et que nous étions à
bout de souffle. Ils continuaient à considérer l'ap-
port américain comme une quantité sinon encore
négligeable, du moins de grandeur inférieure. On
leur a montré partout, dans le Nord, sur l'Oise et
sur r.Msne, sur la Vesle et sur la Meuse, qu'ils se
trompaient du tout au tout et, en dépit de leurs
discours officiels pleins d'une confiance de com-
mande, le seul fait qu'à cha(iue nouvelle attaque le
nombre des prisonniers enlevés du premier coup a
toujours été considérable prouvait k la fois que
l'ennemi avait été surpris et que l'entrain de ses
trou|)es mollissait. — Le mois de septembre 1918
est donc caractérisé avant tout par l'avance victo-
rieuse des armées de l'Entente, et est-il besoin de
redire combien, au cours de ce mois, le bienfait du
commandement unique a éclaté à tous les yeux. —
Mais un autre lait avait prouvé que les Empires
centraux s'inquiétaient de plus en plus de la situa-
tion nouvelle qui leur était faite. On devait voir
dans la manifestation solennelle de l'Autriche en
faveur de la paix et dans les propositions, si nébu-
leuses et inacceptables qu'elles fussent, qu'elle avait
lancées en vue de conversations pour la paix, le
désir et le besoin que la double monarchie éprou-
vait de lUittre fin au conflit. 11 était impossible d'ad-
mettre que l'Allemagne ne fût pas derrière l'Au-
triche et, quoique la manœuvre de diversion que
dissimulait mal l'initiative autrichienne ne fût pas
douteuse, il était sûr que l'Allemagne aussi souhai-
tait ardemment la paix et qu'elle ne cherchait qu'un
moyen de la faire le moins mauvaise possible. —
La demande formelle d'armistice que les Bulgares
avaient présentée devant le danger terrible dont les
menaçaient les victoires de l'armée de Salonique
faisait apparaître nettement dans le bloc des Empires
centraux des fissures profondes et, sans s'avancer
beaucoup, on avait le droit d'augurer, à la fin de sep-
tembre, que la Turquie, elle aussi, ébranlée par la
victoire de Palestine, n'était pas à l'égard de sa
grande amie et proleclrice, l'Allemagne, dans des
sentiments de confiance et de fidélité plus solides
que ceux que manifestait la Bulgarie et que l'Au-
triche esquissait. — Nos raisons d'espérer la vic-
toire s'étaient donc accrues en septembre dans des
proportions qui dépassaient toute prévision et, de
plus en plus, on avait des raisons de penser que
l'heure se rapprochait où un concours heureux de
circonstances nous permettrait d'entrevoir la pos-
sibilité d'une paix de justice. Que tout cela fût
mêté encore à bien des tristesses, que la fureur
barbare de l'ennemi se traduisît par des destruc-
tions systématiques et inoubliables, que des deuils
Ihapcîain britannique, conuuisatil l<: s^'^vlu^• reii^'ieux du dimanche du iiaut d un avion.
dence nous obligeait à rester très réservés dans nos
hypothèses. A la lin de septembre, le plan raisonné et
unique des armées alliées s'était déjà manifesté sur
tous les fronts, sauf sur le front italien, avec une clarté
lumineuse, et il était devenu évident que la grande
bataille delà délivrance était engagée. Elle s'était dé-
veloppée avec une ampleur et un mordant que l'ennemi
n'avait, certes, pas fait entrer dans ses calculs. Les
Allemands ont une tendance, fâcheuse pour eux, à
irréparables apportassent dans bien des familles
leur gloire et leur douleur, rien n'était plus vrai.
Mais les cœurs s'élevaient au-dessus de ces affreuses
réalités ; l'élan de patriotisme et de foi dont la
force irrésistible poussait] nos soldais à la victoire
donnait à tous le courage de supporter les pires
épreuves et d'attendre le moment où, la patrie dé-
livrée, chacun aurait le droit de pleurer ses morts.
Le spectacle que donnait la France était unique
N' 141. Novembre 1918.
dans son histoire. Elle était le champ de bataille
de la civilisation.
Les opéralions militaires du mois de septembre
avaient eu une ampleur que, seule, l'unilé du com-
mandemenl pouvait leur faire prendre. — Sur le
front français, elles s'étaient dt-veloppées depuis
la Belgique jusqu'à la Meuse, et leurs principaux
objectifs avaient été Gamlirai, Saint-Qucniin et le
Chemin des Dames, l'Argonne et la Woëvre.
Les Anglais, (lamiués au nord par les Belges, au
sud par les Français, les armées Debeney, Huni-
bert, Mangin, Degoulte, l'armée Berlhelot, l'armée
Gouraud, l'armée américaine, tel avait été l'ordre
de bataille. Le détail, nous l'avons dit souvent,
n'est pas possilile à fixer dès maintenant. Ce qui
importait, c'était de constater les résultats. Du colé
de la Somme et de l'Aisne, on avait successivement
repris Péronne, Ham, Ghauny, Tergnier, i;oucy-le-
Ghàteau, Coucy-la-Ville. Puis, chronologiquemeni,
les positions de Quéant, d'ilavrinconrt, de Gou-
zeaucourl, du Moulin de Lall'aux, d'Allemant, de
Vailly, de la Malmaison, étaient tombées au pou-
voir "des Anglais et des Français. Enlin, aux der-
niers jours du mois, l'attaque combinée des Belges,
des Français et des Anglais avait fait une bn'che
importante dans les positions allemandes des Flan-
dres, que nos ennemis croyaient impénétrables. Au
30 septembre, on se battait dans les rues de Cam-
brai, la pression autour de Sainl-Quenlin se resser-
rait d'heure en heure, le Chemin des Dames était
pris en travers, et il ne paraissait pas possible que
les Allemands pussent s'y maintenir. L'hypothise
d'un recul sensible pouvait être admise; l'énergie
que les Allemands mettaient dans leur résistance,
la violence de leurs contre-atlaqnes infructueuses
et coûteuses indiquaient qu'ils voulaient gagner du
temps pour préparer leur ligne de retraite et qu'ils
essayaient de nous affaiblir avant de céder; cepen-
dant, ils reculaient, et leur position en bien des
points devenait très périlleuse. La constalation de
leur résistance désespérée fait comprendre quelle
admiration nous devions avoir pour les soldats
français, anglais, néo-zélandais, canadiens, améri-
cains, belges, etc., qui avaient obtenu ces résultais.
Il n'est pas douteux que, sur plusieurs points, la fa-
meuse ligne Hindenburg avait été percée, et nos
ennemis ne pouvaient se faire aucune illusion sur
le sort qui lui était réservé. De tous côtés, les me-
naces d'encerclement, les attaques de flanc s'étaient
multipliées. Nous avions pour nous la valeur, que
LAROUSSE MENSUEL
et à Pont-à-Mousson, une emprise très menaçante.
La pointe extrême de celle avancée était Saint-
Mihiel. Lors des attaques contre 'Verdun, les Alle-
mands avaient eu pour but d'agrandir leur emprise
de ce côlé, de façon à déborder toute la Lorraine.
Brusquement, on apprenait, le 12 septend)re. one le
saillant de Saiiil-^liliicl n'exislail pins. Des Epar-
conduite par le général Gouraud et te major général
Cameron, de la Suippe à Verdun, réussissait comme
la première. La position de. Monifaucon était reprise,
la ligne française remontait en Argon ne dans la
direction de Orandpré et nous rendait encore une
dizaine de kilomètres en profondeur; 18.000 pri-
sonniers restaient entre les mains dea vainqueurs.
Sur le front de Picardie : les tanks et l'infanterie britannique allant au combat.
ges au nord de Pont-à-Mousson, les Allemands
étaient littéralement balayés et laissaient aux mains
des Américains 15.000 prisonniers et 100 canons.
La sensation de soulagement qu'éprouva la France
à ce moment fut inexprimable. Du même coup, on
se rapprochait de Metz, et c'est sans étonnement
qu'on appril des .Allemands eux-mêmes, qui préfé-
nous avions toujours eue; nous avions en plus le
nombre, qui, après la défection russe, nous avait
brusquement manqué et que les Américains nous
avaient rendu.
Pendant que cette poussée lente et continue se
soutenait de la Flandre à l'Oise, l'armée américaine
avait brusquement réalisé, le 2 septembre, un coup
de surprise, dont le résultat matériel et moral avait
été immense. Depuis le début de la guerre, les Alle-
mands avaient, malgré tous nos efforts, gardé &
lest de la Meuse un saillant considérable, qui cons-
tituait, depuis Les Eparges jusqu'au bois Le Prêtre
rèrent avouer pour essayer d'amoindrir l'effet de
celte nouvelle, que la vieille cité lorraine était
bombardée. On ne devait, à cette heure, tirer au-
cune conséquence immédiate, et il est à remarquer
que les communiqués américains n'ont pas utilisé,
pour s'en faire gloire, celle circonstance, pourlaul
symptomatique. Mais un pareil aveu de la part des
Allemands démontrait tout de même qu'il y avait
quelque chose de cbanpé et que l'axe de direction
de la guerre se dé|ilaçail. D'ailleurs, moins de
qninze jours après la reprise du saillant de Sainl-
Mihiel, une attaque combinée franco-américaine,
L'histoire, qui ne retient guère, & distance, que
les faits concrets, notera les rapides étapes de la
libération de notre territoire. Elle aura plus de peine
à enregistrer avec netlelé l'élat d'esprit du peuple
français devant ce retour de la victoire, auquel il
avait toujours cru, mais qu'à certaines heures de
trouble il avait vue, non sans angoisse, s'éloigner.
Elle pourra difficilement fixer les sentiments d'ad-
miration et de reconnaissance que la France a
éprouvés pour ses défenseurs. C'est, pourtant, là ce
qui restera d'essentiel de cette époque sans pareille.
11 est à croiie que ces souffrances communes et ces
victoires, acceptées et remportées en dehorsde toute
idée de conquête militaire, auront fait pour la fusion
des peuples et leur mutuelle compréhension plus
qu'un siècle de paix n'avait pu réaliser. Les Alle-
mands n'ont pas compris que la brutalité de leur
ambition et le matérialisme barbare de leur culture
auraient pour résultat de cristalliser autour d'un
idéal d'humanilé frateri elle tous les peuples aux-
quels la démocratie a donné la conscience desdevoirs
que leur impose le libre go ivernement deux-mêmes.
Ne recueillons-nous pas, aujourd'hui, le fruit admi-
rable de la lointaine semence que Lafayetle et ses
compagnons ont jetée sur le sol américain?
Si l'importance des résultais obtenus sur le front
occidental était immense à la fois par la reprise
effective de territoires que l'ennemi exploitait contre
nous et par les perspectives qu'ils nous ouvraient,
ce qui se passait en Orient, tant en Palestine qu'en
Macédoine, pouvait avoir des conséquences incal-
culables. Dans la dernière semaine d'août, le Vor-
wœrls, examinant la situation de la Turquie à un
moment où son attitude n'était pas sans donner
quelques inquiéludes, indiquait à la Porte qu'en
récompense de l'aide que lui donnait r.\llem;igne,
son devoir était « d'exercer son initialive politique,
non pas tant au Caucase et en Perse septentrionale
que sur la pointe menacée de la Mésopotamie et de
la Syrie ». Les Anglais ont pris à tài-he de fournir
à la "Turquie l'occasion de montrer ce qu'elle pou-
vait faire en Syrie.
Le général Allenby. reprenant la campagne victo-
rieuse qui lui avait déjà donné le sud de la Pales-
line eljérusalem, refoulait vers le nord, à partir
du 20 septembre, l'armée ottomane, s'emparait de
toute la vallée du Jourdain jusqu'au lac de Tibé-
riade, prenait Naplouse, Nazareth, Calffa et Saint-
Jean d'Acre, 50.000 prisonniers et S60 canons.
L'armée turque de Palestine était, en fait, suppri-
mée. Damas était menacée, et la collaboration des
tribus arabes rendait tout à fait précaire la domina-
tion turque en Syrie. Ce succès, auquel avaient
pris part des troupes françaises, mettait à néant
toule velléité d'atlaque ullcrieure de la Tiirquie et
consolidait la position des Anglais en Mésopotamie
et aux frontières de la Perse. Pour l'.MIemagne,
survenant après le refroidissement que son différend
avec la Bulgarie avait mis enire la Turquie et les
fimpires centraux, cette débâcle ruinait tous ses
frojets de domination en Asie occidentale. Déjà.
616
plusieurs fois, nous avons dit combien il était im-
portant pour l'Kurope que l'AUemapne ne pût réali-
ser son projet de voie commerciale de Hambourg-
au golfe Persique par Bagdad, avec ratlachement
aux grands ports de l'Asie méditerranéenne. La
Au cours d'uD combat naval, un aéroplane anglais h <1eux placctt tomba à la mer. Les
aviateui-8 d'un bydroplane vint*ent à bon secoure el recueillirent les deux naufragés; mais
leur appareil, endommage lui aussi, ne put pas reprendre son vol. II y avait trois pigeons à
bord, et tous les ^ours on en lâcha un. Les deus premiers ne furent jamais retrouvés. Le
troisième atteignit la côte, mais tomba épuisé. On le retrouva le lendemain et, le messase
lu, on alla chercher les naufragés, (jui étaient restés cinq jours et cinq nuits en mer. Le
brave pigeon fut empaill<; et conservé parles aviateurs sauvés-
prise de cette ville par les Anglais, l'échec de la
tentative lurco-alleinande sur l'Egypte, avaient déjà
rendu celte réalisation problématique. Mais la chute
de la Roumanie, les traités de lirest-Litovsk, le dé-
sordre russe, l'agitation persane, les pointes pous-
sées par les Turcs vers Bakou avaient pu donner
un nouvel aliment aux espérances allemandes el
faire craindre que la situation acquise par les
Anglais en Mésopotamie et en Palestine ne risquât
d'être compromise. Les victoires du général AUeiiby
rendaient ces craintes vaines. Elles démontraient à
la fois la faiblesse de l'Empire ottoman et l'incapa-
cité où sont les Allemands de lui venir en aide. 11
y avait là une réaction réciproque de l'Occident sur
l'Orient, dont la conséquence la plus claire était de
mettre les Turcs hors de cause et de soustraire
l'Asie Mineure à l'influence germanique. Uès lors,
le traité signé en 1916 entre la France et l'Angle-
terre, pour l'adininislration de la Syrie, prenait une
réalité tangible, qui faisait ressortir la sagesse pré-
voyante de ceux qui l'ont négocié pour la France et
en même temps le danger de la politique au jour le
jour qui a failli en compromettre le bénéfice. Lais-
sons à l'histoire le soin de rendre plus amplement
à chacun ce qui lui revient.
Au moment oii celte avance foudroyante d'AUenby
introduisait dans cette guerre un élément imprévu,
sur le front de Salonique, dont nous avions, les
mois précédents, noté l'immobilité un peu rebu-
tante, se passaient des événements non moins ra-
pides et non moins importants. Du côté de Salo-
nique, aussi, après la paix qui contraignait la Rou-
manie à se retirer de la lutte, on avait pu craindre
que les Allemands, désireux d'achever leur prise de
possession de la péninsule balkanique, ne tentassent
contre nos positions un peu en l'air, il faut le dire,
quelque grosse opération qui aurait pu mettre en
péril les armées et la politique de l'Eu lente. Sur ce
point, encore, les Allemands ont eu le tort ou d'être
mal renseignés, ou de mésestimer les forces de leurs
adversaires. Ils ont cru la question de la Serbie
réglée. Ils l'ont dit publiquement, el ils ont affirmé
ainsi que de ce côté on n'avait aucune inquiétude
à concevoir. Leur triomphe leur paraissait cerlain,
et si, tout de même, un cerlain malaise était né,
depuis deux mois, de l'altilude énigmalique du tsar
Ferdinand, de la chute de Marghiloman et des sen-
timents du peuple bulgare, la diplomatie allemande
LAROUSSE MENSUEL
comptait bien venir à bout de ces difficultés secon-
daires. Au moment même où elle s'en vantail, une
triple attaque des troupes franco-serbes dans la
vallée de la Cerna, des troupes ilaliennes du côté
de Monaslir et des troupes anglo-grecques du côté
du lac Doiran, sous le com-
mandement du général Fran-
rhet d'Esperey, remettait tout
en question. En moins de
douze jours, le front de Ma-
cédoine, qui élail limité par
une ligne allant de Monaslir
à la rive méridionale du lac
Doiran, était largement dé-
bordé ; la vallée de la Cerna
était conquise tout entière, le
■Vardar était atteint au défilé
de Demir-Kapou ; Guevgueli
à l'est, Prilep, le massif de
Baburnaa, Vêles, Islip, puis,
sur le territoire bulgare ,
Stroumilza, étaient conquis,
el Uskub était serré de si près
qu'on pouvait considérer cette
ville comme prise. Un grand
nombre de prisonniers, de
canons, un matériel énorme
tombaient aux mains des
Alliés. La poussée avait été
irrésistible, et les Bulgares
bouscu.és, fuyant en déroule
dans un pays difficile, harce-
lés impitoyablement par la
cavalerie serbe et la cavale-
rie française, divisés sans
doule aussi à l'intérieur, las
d'une guerre qui était très
loin de leur avoir donné ce
qu'ils en attendaient, avaient
demandé un armistice pour
négocier la paix.
Le général Franche t d'Es-
perey avait refusé l'armistice,
mais accepté de recevoir pour
les écouter des négociateurs
dûment accrédités. On en
était là au 30 septembre. L'an-
nonce de la démarche bul-
gare avait provoqué partout
une vive curiosité. Elle avait
profondément agité Vienne et
Berlin. Le ministre allemand
von llinlze, dans un discours
tendancieux, évidemment des-
tiné à rassurer l'opinion alle-
mande.avaitessayé d'insinuer
que la demande d'armistice ne répondait pas aux
vœux du peuple bulgare et que, d'ailleurs, l'Allenia-
gne et l'Autriche allaient envoyer de bonnes troupes
au secours de leurs alliés mal en point. 11 n'était pas
vraisemblable que von Hintze fût assez bien rensei-
«• 141. Novembre 1918
temps nécessaire pour permettre aux Allemands
d'arriver et mettre le gouvernement allemand
en présence d'une mise en demeure brutale et d'un
véritable chantage. Le résultat de la campagne de
Macédoine restait acquis. L'armée serbe, une fois
de plus reconstituée, avait montré ce que sa valeur,
bien appuyée, pouvait faire, et il y avait de bonnes
raisons d'espérer que sa victoire cl celle des armées
de l'Entente ne serait pas vaine. Par suite, on
voyait déjà la Serbie reconsliluée et les vues de
l'Autriche sur Salonique définitivement anéanties.
L'effort militaire des Alliés sur tous les fronts
avait donc été uniforme, symétrique, ordonné. Une
seule pensée
dirigeait tout.
Les résultats
étaient im-
menses. On
pouvait, on de-
vait bien augu-
rer de la suite
d'événements
que l'on sentait
conduits et
prévus.
Ce n'est pas
qu'il n'y eût de-
vant nous en-
core un incon-
nu redoutable.
Nous avions
affaire à un en-
nemi puissant,
tortueux et ca-
pable de tout,
auquel le sen-
timent de sa si-
tuation critique pouvait inspirer les pires résolu-
tions. 11 faisait tête militairement. Ilessayail, si nous
pouvons dire, de nous tourner diplomatiquement.
L'événement diplomatique le plus curieux avait
été la Note autrichienne sur la paix. Le 15 septem-
bre, le gouvernement de Vienne avait adressé à
tous les gouvernements neutres et, par leur inter-
médiaire, à tous les belligérants, une longue Note,
dans laquelle, après avoir exposé l'historique de ce
que les Empires centraux appellent leurs «proposi-
tions de paix depuis 1916 », il déclarait que l'idée de
paix par la victoire devait être abandonnée, que
les buts de guerre des belligérants avaient varié,
que les buts extrêmes avaient été abandonnés par
tous, qu'on était d'accord sur les grands principes,
mais qu'il élail nécessaire de se mettre d'accord aussi
sur leur application; que les discours n'y pouvaient
aboutir; qu'au contraire, une conversation pouvait
permettre d'arriver à une entente. En conséquence,
l'Autriche proposait à tous les belligérants « d'en-
voyer prochainemenl dans un pays neutre, après
s'être accordés sur la date el l'endroit, des délé-
gués pour entamer une conversation d'un carac-
tère confidentiel ei non olitigatoire sur les prin-
Le général anglais Allenby.
1. Roi George V ; 2. Maréchal Focb ;
3. Maréchal Douglas Haig; 4. Général Pétain ;
7. Général Rawlinson.
6. Général Fayolle; 6. Général Debeney;
gné pour avancer de pareilles assertions, au moins
en ce qui concernait les Bulgares; il ne l'était pas
davantage que l'Allemagne fut en état de fournir à
la Bulgarie un secours militaire capable de rele-
ver le courage des Bulgares et d'arrêter l'élan des
Alliés. Nous n'en devions pas moins nous tenir sur
nos gardes el nous demander si la demande de Fer-
dinand, qui n'est avec personne en reste de dupli-
cité, n'avait pas un double objet : nous endormir le
cipes fondamentaux d'une paix à conclure. — Ces
délégués (ajoutait-on) auraient pour mandat de
communiquer réciproq^iement les vues de leurs
gouvernements qunt aux principes sttsdils el de
se renseigner muluellemenl, avec toute liberté et
franchise, sur tous les points qui demanderaient
à être précisés ». Il était formellement spécifié que
ces conversations n'arrêteraient pas les hostilités. —
11 est cerlain qu'en prenant une initiative aussi
N' 741. Novembre 1918.
L'ALBANIE
617
I
(ilH
LAROUSSE MENSUEL
Petit tracteur traînant un grand avion de bombardement.
Un nid de lii.v.^..., ^^^^ i..vi^Li.^'^^ •
La rue principale d'Âmieas (rue des Trois-Caillouz), aprâs les bombardements par les canons allemands & longue portée.
/V" 747. Novembre 737».
grave, l'Autriche était d'accord avec l'Allemagne,
comme elle le fut, en 1914, sur l'ultimalnm à la
Serbie. La visite qu'avait faiie, peu auparavant, von
Ilinlze à Vienne ne pouvait avoir d'autre objet.
Considérée ainsi comme une démarche commune,
la Note ne pouvait avoir pour but que de suipren-
dre l'opinion publique, d'appuyer, parmi les enne-
mis de l'Allemagne, les idées pacilistes professées
pardes minorités, mais qui, fortiliéespar une mani-
festation précise, pouvaient se développer et con-
quérir des adhérents. Ses auteurs comptaient assu-
rément aussi sur une lassitude générale, qu'ils
mesuraient à celle de leurs peuples. Ils voulaient
montrer à tous la paix possible, pour laisser la res-
ponsabilité de la guerre à ceux qui reluseraient
d'écouter des o(Ti-es conciliantes et généreuses.
Mais il n'est pas indifférent que celte Note ait
été présentée par l'Autriche, qni a certainement agi
là comme porte-parole de la Quadruple-Alliance, en
même temps qu'elle trouvait une occasion de plus
d'exprimer ses piopres et ardents désirs de paix. II
y a là un épisode intéressant dans l'histoire si cu-
rieuse de 1 Autriche depuis l'avènement de Char-
les I=r, et il n'est pas impossible que, par un étrange
compromis de conscience, l'Autriche se soit faite le
docile instrument d'une perfidie germanique, tout
en espérant secrètement qu'on retiendrait sa propre
sincérité. 11 liu a fallu, pourlant, une na'ivetéun peu
forte pour imaginer que son factum verbeux et
diffus pourrait conduire, au moment où il était
écrit et avec la totale imprécision des propositions
qu'il coulenail, à une entente quelconque. Le carac-
tère des avances secrètes qui étaient faites au même
moment à la Belgique et qui ne tendaient qu'à
l'amener à un acte de trahison misérahle et absurde
à l'égard de l'Entente, sans lui assurer aucune ga-
rantie ni intérieure, ni extérieure, ni économique,
ni politique, manifestait assez dans quel sens l'Al-
lemagne entendait pousser les conveisations. Tout
bien considéré, on ne peut douter qu'il n'y ait eu
avant tout dans la tentative de l'Autriche, quels
qu'aient été ses sentiments personnels, un essai de
di version in liraement lié avec les déboires militaires
de l'Allemagne.
Le réponse des Alliés à la Note autrichienne avait
été immédiate et sans rélicences. Lansing avait
déclaré que les ICtats-Unis s'en tenaient aux décla-
rations antérieures du président 'W'ilson : Ball'our
avait décliné avec hauteur toute discussion; Cle-
menceau, dans un admirable discours à la tribune
du Sénat, avait marqué avec sa forte originalité la
situation précise des helligérants, les responsabi-
lités de l'Allemagne et la volonté de l'Entente d'en
finir une bonne l'ois. Les dirigeants allemands avaient
feint un désappointement irrité, particulièrement
an sujet des déclarations de Clemenceau, et une
adhésion entière aux principes du présidentWilson.
Celui-ci n'avait pas été conquis par cette appa-
rente soumission et, dans un discours prononcé à
New- York, le 27 septembre, il avait déclaré l'im-
possibilité où il était de croire à la parole de gou-
vernements qui avaient conduit la Russie à la des-
truction. II avait ajouté qu'il devait compléter le
programme politique qu'il avait précédemment
e.xposé, et il l'avait fait dans les termes suivants :
1* La justice impartiale que nous voulons no devra pas
faire do dirt'èrence entre ceux envers lesquels nous vou-
lons être justes et ceux envers qui nous ne voulons pas
être injustes. Elle devra 6tre une justice ne connaissant
]ins do favoritisme, mais seulement les droits égaux des
différents i)eu|)les;
2» Aucun intérêt individuel ou spécial d'une nation quel-
conque ou d'un groupe quelconque do nations no pourra
inspirer une partie de l'arrangement qui ne correspondrait
pas à l'cnsomblo désintérêts do tous;
3" Il ne saurait y avoir place pour des accords particu-
liers ni dos grotipoments d'alliances ou des ententes dans
le cadre général de la famille commune de la Ligue des
nations;
4" Kt, plus particulièrement, il ne saurait y avoir place
pour aucune combinaison économique d'intérêt particulier
dans le cadre de la Ligue, et l'on ne pourra envisager au-
cune clause de boycottage économique ou d'exclusion, sauf
sous la forme d'une pénalité économique ou do l'exclusion
des marcbés mondiaux que la Ligue des nations aura le
droit do décréter comme sanction disciplinaire;
5° Tous les accords et traités internationaux devront
ôtro portés à la connaissance du monde entier.
La Note autrichienne n'avait donc provoqué au-
cune détente; elle avail, au contraire, resserré les
liens qui formaient l'Entente, et les événements
militaires qui s'étaient passés depuis sa publication,
la défection de plus en plus probable de la Bulgarie,
le trouble intérieur de r.\utriche, la situation de la
Turquie et surtout les victoires de l'Entente l'avaient
rendue enlièrement inopérante. 11 ne semble même
pas que l'Allemagne en ait tiré aucun avantage
politique intérieur. On avait beaucoup parlé, en
Allemagne, au cours de septembre, et on avait eu
des paro'es imprudentes. Ilertling, lorsqu'il avait
déclaré, à propos de la réforme électorale en Prusse,
qu'il s'agissait du sort de la couronne et de la
dynastie, Guillaume II, à Essen, lorsqu'il avaitfait
appel aux ouvriers et au Dieu allemand, en oubliant
de parler précisément de la réforme électorale,
Hertling, von Hintze, von Payer, lorsqu'ils avaient
«• 141- Novembre 1918.
essayé de rassurer l'opinion devant le Parlement et
de promettre encore une décision victorieuse, ne
semblaient pas avoir trouvé les paroles nécessaires.
L'Allemagne, qui souffrait déjà de bien des choses,
souffrait encore, à ce moment, d'une crise de gou-
vernement.
Le chancelier Herlling était fort discuté; les
.socialistes s'agitaient pour entrer au ministore et
prétendaient imposer des conditions qui fai.<aient
reculer les défenseurs de l'absolutisme impérial et
de la Constitution; la réforme électorale n'aboutis-
sait pas, et les conservateurs germains continuaient
leur opposition à toute réforme qui eût atteint leurs
privilèges. L'Allemagne était travaillée par des
besoins divers, mais il était visible — et nous de-
vions prêter une attention avertie à ces tendancps —
que l'effort apparent tenté pour y introduire le gou-
vernement parlementaire n'avait pour but que de
présenter au monde une démocratisation super-
licielle, qui eût changé la lettre de la Constitution,
mais qui en eiît maintenu l'esprit. Il résultait de
tout cela une grande agitation des esprits. La situa-
tion économique était loin de s'améliorer. L'ébran-
lement que nous signalions le mois dernier se pro-
pageait sans aucun doute. On ne pouvait dire que la
confiance eiit abandonné le peuple allemand; mais
il était à un moment critique. Il dépendait de nous
d'aggraver celle situation.
La paix de l'est de l'Kurope était au nombre des
gains sûrs et indiscutables que les ministres alle-
mands et l'empereur supputaient dans leurs dis-
cours. La paix de Biesl-Litovsk et ses bienfaits
étaient un thème souvent exploité, et l'hypothèse
d'une revision possible de cet acte de brigandage
diplomatique était repoussée avec dédain. Rien,
pourtant, n'était moins assuré que cette paix. Sans
compter ce qui se passait dans les Balkans, qui
pouvait remettre en question tout ce qu'on avail
escompté du côlé de la Roumanie, ni en Finlande,
ni en Livonie, ni en Eslhonie, ni en Lithuanie, ni
en Pologne, on n'avait abouti à quoi que ce soil qui
préparât une solution déllnilive. En Pologne, en
particulier, l'Autriche et laPru-se, qui avaient des
intérêts opposés, étaient incapables de se mettre
d'accord
Quant à la Russie, l'obscurité qui entourait sa
vie intérieure ne se dissipait pas. L'attentat contre
Lénine, dont on n'avait jamais connu les consé-
quences exactes pour le dictateur moscovite, avail
déchaîné des représailles sanguinaires, qui ne pa-
raissaient pas avoir changé l'étal d'esprit des adver-
saires du gouvernement bolchevik. On n'était fixé
LAROUSSE MENSUEL
parlait de faux Nicolas qui entraînaient les foules
à leur suite. L'Allemagne n'avait encore rien tiré
de ce chaos, et elle n'était peut-êlre pas en mesure
d'en tirer quelque chose, trop occupée à l'Ouest
pour pouvoir consacrer à 1 organisation de la Russie
le temps et les forces nécessaires, trop peu siire
aussi de son alliée nouvelle pour pouvoir retirer
des régions de l'Est
des troupes qui lui
eussent été très utiles
ailleurs. La paix de
Brest-Lilovsk était
pour l'Allemagne un
très beau programme,
tout à fuit dans ses
tendances et dans sa
tradition. Ce n'était
qu'un programme, et
toutes les déclarations
olficielles n'en pou-
vaient faire une réalité.
Le conflit de l'Alle-
magne avec l'Espagne
n'avait pas reçu de
solution, mais il était
évident que l'Allema-
gne voulait gagner du
temps et voir venir les
événements. Ceux qui
se produisaient sur no-
tre front n'élaient pas
faits pour rendre l'Es-
pagne, qui était si net-
tement dans son droit,
plus accommodante.
Nos lecteurs ne nous
ont jamais vu nous
abandonner à des es-
pérances exagérées et
intempestives . Pour-
tant, nous devons dire
ici qu'au dernier jour
de septembre, toutes les espérances étaient permi-
ses, et l'intensité de l'attaque, à la fois militaire et
diplomalique, que subissait l'Allemagne était telle,
les conditions générales et particulières se présen-
taient si favorables, qu'on sentait que la solution se
rapprochait de nous et que les nuages accumulés à
l'horizon allaient peu à peu se dissiper.
Tout subissait celle influence. Le Congrès socia-
liste interallié de Londres avait abouti à des dé-
clarations fort claires contre tout essai de concilia-
619
s'étonnait presque de voir, dans la vie parlemen-
taire, la politique, qui sentait bien qu'elle n'avait
pas pour elle la faveur publique, rejetée au
dernier plan, faire trêve de paroles oiseuses et
de bourdonnements équivoques. L'attente était
toujours anxieuse ; elle ne connaissait plus l'an-
goisse, elle se préparait i la joie. — Juiea Qiobault-
'N
Signaleur américain, caché dam un tas de gerbes, env.jyani p ir vm
h l'uniLé d'infanterie qui se trouve à l'arriére.
,cii-ur acs aitjiiaux
urs améi-ic^iiis, dans un village >létruU ijar les Allemands à l'est de Saint-Mitiiel.
ni sur le gouvernement du Nord, qui semblait avoir
passé par une crise militaire, ni sur le gouverne-
ment sibérien, qui prétendait à devenir le gouver-
nement de toute la Russie, ni sur la position mi-
lilaire des Tchéco-Slovaques, ni, surtout, sur l'état
intérieur de la Russie. Il était tout à fait vraisem-
blable que le désordre y était extrême, l'insécurité
totale et l'anarchie absolue. Les opinions les plus
contradictoires s'y heurtaient certainement. Aucun
parti n'était assez fort pour s'imposer aux autres,
et la masse amorphe du peuple attendait une di-
rection. L'assassinat de Nicolas H et de son fils,
celui, très probable, de l'impératrice et de ses filles
n'avait pas tué l'idée monarchique et, déjà, dans le
pays des faux Démétrius et de Pougatcheff, on
tion hypocrite et instable, comme à toute pensée
de discussion prématurée ou de complicité, même
involontaire, avec l'ennemi. L'inUuence de Gompers
y avait été considérable. — En Angleterre, un essai
de grève des chemins de fer du pays de Galles avait
échoué devant l'attitude énergique du gouverne-
ment. Chacun sentait qu'à l'heure décisive où l'on
était, aucune hésitation n'était possible.
En France, jamais, peut-être, l'union dans la
nation n'avait été plus complète. Tout était tendu
vers le succès. On voyait avec un étonnement
ému l'énorme afflux de la contribution humaine
de l'Amérique couler des ports vers le front
comme un fleuve toujours grossi. Tout se tai-
sait sous le bruit du canon de la victoire, et on
Jaugeage des navires de commerce
(i.e). ActuelTemenl, le mot « tonne » revient à
chaque instant dans les nouvelles concernant et les
destructions de navires causées par les sous-marins
allemands et les constructions qu'Américains et
Anglais se hâtent fébrilement d'effectuer pour rem-
placer les navires perdus ; seulement, le mot « tonne »
est toujours suivi d'un qualificatif, soit « brute »,
soil ti nette » ou encore d'expressions « de portée
en lourd » ou même d'autres qui éveillent la curio-
sité du public, mais dont on ne lui donne pas la signi-
fication. Qu'est le jaugeage des navires'? Si l'on en
cherche la définition dans les livres administratifs,
on y trouve : « constatation de la capacité officielle
du navii-e au point de vue des taxes fiscales dont il
peut être frappé ». Puis il est ajoulé que cette opé-
ration est faite par la douane, qui applique pour
cela les procédés de jaugeage anglais et que la
tonne ou tonneau de jauge est le volume de 100 pieds
cubes anglais ou de 2 '"''83.
Il faut ajouter à celle définition que le tonneau ou
lonne de jauge est le même en Angleterre, en
Amérique, en Espagne, en Autriche, en Allemagne,
en Danemark, dans les Pays-Bas, en Suède, en
Norvège, en Italie. Eu définitive, c'est la jauge
adoptée par tontes les nations maritimes impor-
tantes et, chez toutes, on la calcule d'après une
même méthode, la méthode anglaise Moorson, dont
l'application donne les résultats les plus exacts.
Lorsque, pour la jauge, on envisage la capacité
totale du navire en unités cubiques de 2"' 83, la
jauge est diie Jauge (ou tonnage) brute, et, si l'on
déduit de la jauge brute les espaces occupés par le
logement de l'équipage, la machine et les soutes à
charbon, on a la jauge nette {net ou register
tonnage).
Cette méthode de jauge, adoptée par les princi-
pales marines, présente certainement des avantages
très appréciables, mais elle est loin de répondre à
toutes les nécessités des transports des marchan-
dises. La tonne brute ou nette est une unité de
capacité; elle représente un volume et non un poids
et, cependant, ce qui est d'un intérêt primordial,
c'est de considérer le poids de la cargaison. Le
navire flottant sur l'eau ne peut recevoir de poids
que jusqu'au point où sa flottabilité serait compro-
mise et où il risquerait de couler. Lorsqu'un navire
complètement terminé et muni de tous ses appa-
reils de navigation, mais vide ou lège, comme on
dit en marine, est sur l'eati, sa partie inférieure, qui
est immergée et qu'on appelle carène, occupe la
place d'une quantité d'eau dont le poids est celui
de tout le navire. Cette quantité d'eau est ce qu'on
appelle le déplacement, qui s'exprime en tonneaux
de I.OOO kilogrammes (le mol tonneau est employé
officiellement dans les documents de la marine
militaire quand il s'agit du déplacement). Si l'on
ajoute du poids an navire en y introduisant des
marchandises, il s'enfoncera davantage, déplaçant
une plus grande quantité d'eau. Le poids de l'eau
déplacée sera identique à celui des marchandises et
s'accroîtra parallèlement à celui des matières mises
620
à bord jusqu'à ce que le navire soit amené au
niveau d'immersion, qu'il ne peut dépasser sans
danger.
On voit que, si l'on traçait une ligne suivant la
surface de l'eau sur les flancs du navire lorsqu'il
est vide et une autre ligne suivant l'affleurement
de l'eau lorsqu'il est plein, on délimiterait une
tranche dont le déplacement représenterait le poids
des marchandises qu'il pourrait recevoir. La diffé-
rence du poids de l'eau déplacée enlre le navire
étant vide et le navire étant plein est le poids qu'il
jpeut porter comme cargaison. Ce poids, avons-nous
dit, est exprimé en tonneaux métriques de 1.000 ki-
Uogrammes (en Angleterre, l'unilé-poids de char-
gement est de 1.015 kilogr.). Ce poids est dit en
France tonnage de port ou de portée en lourd, ou
exposant de charge, et en Angleterre ou aux Etats-
Unis dead-weight. Nombre de compagnies d'assu-
rances maritimes exigent que la limite extrême à
laquelle le navire peut s'enfoncer dans l'eau par
suite de sa charge soit indiquée par une ligne tracée
sur ses flancs.
Nous venons de donner des explications sur les
expressions les plus usitées et les plus connues, du
moins du public, en matière de tonnage des na-
vires; mais il en est d'autres que les usages com-
merciaux ont amenées et qui facilitent les transac-
tions. En première ligne, nous trouvons le tonneau
à'encombrement ou tonneau de mer, qui est au vo-
lume disponible du navire ce que le tonneau de
portée en lourd est au déplacement disponible.
Chaque marchandise a son poids, qui est rarement
celui de l'eau; quand les marchandises sont plus
lourdes que celte dernière, comme les métaux, elles
occupent moins de place que l'eau déplacée; si elles
sont plus légères, elles ont, au contraire, un volume
plus considérable, qu'il faut trouver à bord du na-
vire, car marchandises lourdes ou marchandises de
peu de poids, toutes doivent être transportées, et il
faut que le fret soit aussi rémunérateur dans un cas
que dans l'autre. Il semblerait que le tonneau d'en-
combrement doit correspondre au tonneau-poids et
que tout navire de 100 tonnes de portée en lourd
doit donner un volume utilisable pour y placer
des marchandises de 100 mètres cubes, ou récipro-
quement; il n'en est pas ainsi, et le mode de calcul
comporte certainement quelque peu d'arbitraire. On
a adopté, en France, comme tonneau d'encom'ore-
ment le volume de l"°4'i. C'est un tonneau conven-
tionnel, qui est loin de présenter l'exaclilude du
tonneau-poids, car les formes du navire, les amé-
nagements intérieurs, les dispositions prises pour
l'arrimage des marchandises feront, dans bien dos
cas, varier le rapport du volume utilisable au poids
disponible.
Nous avons adoplé la tonne de jauge anglaise,
mais il n'y a pas réciprocité en ce qui concerne
notre tonneau d'encombrement; en Angleterre, où
le tonneau-poids est de 1.01.Ï kilogrammes, c'est-à-
dire plus lourd que le tonneau français, le tonneau
d'encombrement n'est que de l""!!!.
Enfin, les transactions commerciales ont fait
établir le tonneau à' affrètement, spécial en quelque
sorte aux marchandises lé^èies. Pour les marchan-
dises lourdes, dont la densité est plus grande que
celle de l'eau, il ne peut y avoir de difficulté : le
tonneau d'affrétementcorrespond, naturellement, au
tonneau-poids, mais, pour les marchandises légères,
il n'en est pas ainsi. Pour ces dernières, le tonneau
est le poids que pèse 1"°44 de la marchandise à
embarquer, poids d'ailleurs corrigé dans bien des
cas, en raison soit desdiflicullés de l'arrimage, soit
de toule aulre cause. Pour certaines marchandises,
il y a des évaluations différentes de leur poids, sui-
vant qu'elles sont en caisses ou en vrac.
Par exemple, pour le café en grenier, dont le
mètre cube pèse 600 kilogrammes, le tonneau d'afl'ré-
tement est de 1.000 kilogrammes, ce qui représente
un cube de 1™ii6; pour le café en sacs, il est de
900 kilogrammes et, pour le café en fûts, de 800.
Dans d'autres cas, le toimeaii d'affrétemput est en
nombre, même à la pièce. C'est donc une mesure
toule conventionnelle, fixée par les usages commer-
ciaux pour telle ou telle marchandise.
On reconnaîtra que tout cela semble fort compli-
qué et, cependant, cela l'est moins qu'il ne parait;
résumons d'un mot la nature des différents tonneaux :
Tonneau de jauge, mesure officielle et fiscale de
S^SS, admise par tous les grands pays maritimes;
Tonneau-poi'(/s ou de portée en lourd ou dead-
we!i7//i, charge de marchandises de 1.000 kilogr. en
France, de 1.015 kilogr. en Angleterre;
Tonneau d'encombrement, volume de 1°"44 en
.France et de 1 "°13 en Angleterre ;
Tonneau d'affrètement, poids attribué par les
usages commerciaux à une marchandise légère
pour le volume d'un tonneau d'encombrement, ou
pour un nombre d'objets, ou même pour un objet.
Pour les deux premiers tonneaux ou tonnes, la
règle est nelte et ne présente aucun point douleux;
pour le troisième, si les chiffres adoplés peuvent
présenter certain côté arbitraire, ils n en sont pas
moins fixes; quant au quatrième, c'est la convention
des parties, c'est-à-dire convention entre le chargeur
Lépidogramme,
LAROUSSE MENSUEL
et l'armateur, qui en a fait l'évaluation et en a con-
sacré l'usage.
Le point faible réside en ce que le rapport entre
les diverses sortes de tonnes ne puisse être stricte-
ment établi. — A. RoossEAu.
lépidogramme (du gr. lepis, idos, écaille, et
gramma, lettre) n. m. Genre d oiseaux de l'ordre
des grimpeurs et de la famille des cuculidés ou
coucous.
— Encycl. Ce genre est caractérisé par un bec
gros, comprimé latéralement, à culmen convexe et
à narines complètement cachées par les pluriies du
front. Les ailes, courtes sont arrondies, la cin-
quième et la sixième rémiges sont les plus longues.
La queue est longue, élagée. 11 y a un espace nu
autour des yeux.
Ce genre ne renferme qu'une espèce : le lépido-
gramme de Cuming [lepidogramma Cumingi), qui
a été distraite du genre dasylophe, en sorte que
celui-ci ne reste qu'avec une seule espèce, le dasy-
lophe du Malcoha à sourcils rouges {dasylopkus
superciliosus).
Le lépidogramme de Cuming est un bel oiseau.
La couleur générale est noirûtre en dessus, avec
une teinte brillante verte, qui tourne au pourpré sur
les ailes. Les
rectrices
sont aussi
légèrement
teintées de
pourpre et
marquées de
blanc à l'ex-
trémité. Les
joues et les
côtés de la
tête sont
d'un beau
gris, qui passe
au blanc vers
le bas. Les
côtés du cou
et le haut du
dos sont
d'un cbâfain
chaud, vif;
toutes les
plumes du
milieu de la
tête (de la base du bec àla nuque),
ainsi que celles de la gorge, ont
une pointe élargie d'une couleur
noire d'acier brillante, tandis que
la partie sublerminale est blanche.
Ce caractère permet de reconnaître facilement cet
oiseau, car, seuls, les toucans d'Amérique et les
becs-ouverts (anas/omuà tamelligerus) de l'Afrique
portent des formations semblables.
La poitrine est d'un châtain terne, passant à
l'orangé au pourtour de la gorge, qui est blanche,
et forme ainsi un demi-cercle orangé.
Les côtés du corps, le ventre, les cuisses et les
couvertures inférieures de la queue sont d'un brun
noir, ayant un reflet vert foncé sur le côté externe
des couvertures des cuisses. Les couvertures infé-
rieures des ailes sont d'un châtain vif, comme la
poitrine. Les rémiges sont noires.
Le bec est d'un jaune corné, les narines sont en-
tièrement couvertes de plumes, l'iris est rouj^e et
les passes grises.
Sa longueur totale est de 0",42, le bec a 0™,04,
la queue 0",24, l'aile 0°',15 et les tarses O'°,0i.
Ce bel et rare oiseau est spécial à l'arrliipel des
Philippines comme le dasylophe à sourcils ranges
et n'a été trouvé, jusqu'à maintenant, que dani l'île
de Luçon et à Marinduque, petite île entre les
grandes terres de Mindoro et de Luçon.
Il vit au milieu des forêts, est sédentaire à Ijuçon
et y niche, car on en a obtenu des poussins, qui sont
d'un brun foncé rougeàtre. — a. ménéoàdx.
Marchand d'estampes (i.e), pièce en
3 actes, en prose, de Georges de Porto-Riche, repré-
sentée pour la première fois au théâtre del'.Mhénée
le 5 décembre 1917. — Le décor reproduit la bou-
tique d'un marchand d'estampes à Paris, sur les
quais de la Seine, de nos jours. Par la devanture,
on aperçoit Noire-Dame. Des estampes sont accro-
chées au mur, et des carions garnissent des cheva-
lets. C'est le magasin de Daniel Auberlin et de
Mme Fanny Auberlin, sa jeune femme. Ils ont une
employée, Clarisse. Le mari a été au front. Il fut
blessé àCarcncy. Il est en convalescence, mal guéri.
La balle n'a pu être exlraile. Au lever du rideau, il
est seul; il relit une letfre, qu'il cache quand sa
femme enlre. Il est bizarre, fantasque. Sa femme
attribue à sa blessure et à son état de santé ses
brusques sautes d'humeur. Tantôt, il est exalté,
joyeux, expansif; l'instant d'après, il est tacilurne,
apathique, affaissé. Fanny lui prodigue les soins de
la tendresse la plus vigilante. C'est un trésor, que
celle jeune personne active, qui mène la maison à
elle seule, car son mari n'est plus capable d'aucune
attention. Les achats qu'il fait & l'faôlel Drouot sont
N' 141. Novembre 1918.
déplorables. Il ne peut demeurer en place. A tout
instant, il prend son chien n Misère », et le voilà
dehors sous des prétextes divers. Cependant, la vie
de la boutique est animée par le va-et-vient des
gens qui entrent et sortent : clients, commis, le fac-
teur, M. Brichaud, un courtier qui va aller en
Espagne raflerquelques pièces intéressantes, ^l. Ma-
zolier, un riclie connaisseur qui fait de gros achats.
Il regarde avec Fanny une estampe d'après Fra-
gonard : une scène de femme trahie par l'homme
aimé, et il lui révèle toute l'amère tristesse de ce
sujet, qu'elle ne voit pas avec tant d'amertume et
qui lui semble tout simplement galant. Elle changera
d'avis. Le facteur apporte le courrier : le catalogue
d'une vente aiinoncée en province, une lettre de
l'ami de Clarisse, l'employée. Tout en devisant avec
sa femme et en lisant des vers, Daniel s'énerve,
s'assombrit, s'exaspère. Fanny, étonnée, le regarde
et, soudain, les yeux pleins de larmes, elle a compris.
Lagilalion de son mari ne provient pas de sa bles-
sure : il est amoureux, il aime ailleurs. Soudain,
désolé que son épouse ait découvert son secret,
Daniel se précipite sur son revolver. Fanny, terrifiée,
fait taire sa douleur et lui jure qu'elle est assez
forte pour n'avoir pas de chagrin : il est libre, et
elle n'en parlera plus jamais. Avec une na'iveté
morbide, Daniel explique sa passion. Il ne peut
nommer la personne, mais nous apprendrons dans
le cours de la pièce, bribe par bribe, toule celte la-
mentable histoire. C'est la femme d'un libraire
voisin, M>n<î Orfega. On ne la voit pas dans la
pièce. Elle n'offre aucun intérêt par elle-même;
aussi son hisloire reste-t-elle estompée dans un
vague lointain. Tout ce qui ressort des monologues
de Daniel, c'est qu'il l'a rencontrée plusieurs fois.
Elle est jolie, elle est sage, elle est mariée, et elle
aime son mari. Elle n'a fait nulle attention à ce
voisin, qui se meurt d'amour pour elle sans le lui
dire. « Elle ne m'aime pas, elle ne me connaît pas,
dit Daniel, au premier acte, je n'exisle pas pour elle,
elle est sans curiosité. J'ai résisté tant que j'ai pu ».
Mais, peu à peu, dans l'état nerveux et faible de sa
convalescence oisive et ennuyée, le mal a fait des
progrès, car c'est devenu un mal, un amour diabo-
lique, tenace, cérébral, falal, une souffrance, une
obsession, une maladie, et M""' Orlega figure dans
le drame uniquement à l'état de ferment qui active
la dilution du poison dans les veines de cet in-
toxiqué de l'amour. Et puis c'est aussi l'amour à la
Musset, l'amour romantique, éperdu, implacable,
l'amour de Cœlio, de Forlimio, discret, mais terrible
et mortel. Aussi Daniel a-l-il sans cesse en mains
un volume devers, un Musse^, un Verlaine, des
poètes anglais : Shakespeare, Olhello, car il aime, et
il est jaloux, — jaloux du bonheur du mari.
Au premier acte, il en est là. Il dit à sa femme,
qui devine tout : « Ellenel'a paspris grand'cbose! »
— n Elle m'a pris ton cœur », répond-elle. Mais
elle aura du courage et de l'abnégation. Elle se ré-
signe, elle se sacrifie au repos et à la santé de l'in-
fidèle. <i Sois libre », lui dit-elle. Alors, le mari,
impiloyable, redouble les confidences amoureuses,
et sa femme se raidit. Il lui reproche de ne déjà
plus tenir sa promesse : « Tu n'as déjà plus de
pitié I » — <i .Je serai la même », promet-elle avec
fermeté. Et elle l'écoute lui parler de cette femme,
qui, sans le savoir, fait son martyre. « Je la maudis
presque I » dit il. — « Presquel » répond l'épouse
en écho douloureux.
Le second acte se passe dans le même décor,
quinze jours après. Daniel relit les poètes et les
livres où sont peintes des amours mallieureuses et
douloureuses : Musset, l'Artésienne, qui entretien-
nent son martyre.
Il sort. L'employée Clarisse reçoit la visite d'un
rescapé des régions envahies, qui a souffert avec
elle les horreurs de l'invasion à Raime, près de
■Valenciennes. Très enfiévrée par ces affreux sou-
venirs, elle les repasse dans sa mémoire, tandis que
Fanny, qui vient de rentrer, est tout à sa douleur
jalouse. C'est un troublant duo, où Clarisse dit les
horreurs de là-has, les Prussiens lisant en ricanant
le Rhin allemand de Musset, violant les filles, sac-
cageant les maisons,^ et à côté, Fanny, indifférente
à cette tragédie, pleurant sur les blessures de son
coeur en lambeaux : ce sont les deux calvaires.
Fanny a trop présumé de ses forces. Elle ne peut
pas, comme elle a promis, donner son mari à une
rivale. Les crocs de la jalousie la torturent. Elle
épie, elle veut savoir.
Les amours d'un de ses clients, Jacquemond, avec
une danseuse de l'Opéra l'intéressent parce qu'elle
les entend l'un après l'autre s'expliquer sur les
souffrances de l'amour dédaigné et de la jalousie.
Tandis que Jacquemond fouille dans les carions pour
trouver le portrait de PaulineViardot, Daniel, aussi,
écoute et se plaît au tableau que ce client fait de
son amour refusé, de son état d'âme d'alors, qui est
celui de Daniel aujourd'hui.
Un antre client, Mazotier, vient faire des em-
pleltes, et Fanny regarde avec lui les vieilles es-
tampes; entre antres, celle d'après Fragonard, qu'elle
trouvait galante à l'acte précédent et où elle sent
aujourd'hui la tristesse poignante de la femme ja-
«• J4I. Novembre 1918.
louse qui souffre. Aussi refuse-l-elle de la vendre :
elle la garde sous ses yeux. Elle l'ail deux conliden-
ces à ce vieux client; elle dit son bonheur ren-
versé, son ménage détruit, son mari pris ailleurs et
la promesse qu'elle a faite de se taire.
Son agilation est extrême ; aussi grande que celle
de son mari, qui ne fait qu'aller et venir dans l'espoir
de croiser sa Dulcinée. Elle tâche de le raisonner,
de le reprendre. « Attends que je guérisse I » dit-il.
Le mot est juste. C'est un microbe qui le travaille.
Nous apprenons, d'ailleurs, que les choses ne sont
guère avancées. En sortant avec Jacquemond, il a
croisé sa belle; elle était au bras de son mari. Elle
n'a même pas regardé Daniel. La petite danseuse
de Jacquemond entre pour regarder des gravures.
Elle raconte qu'elle connaît les Ortega : elle sort
de chez eux, elle a assisté à une scène touchante.
Ortega apportait des fleurs à sa femme pour sa fête,
la .sainte Marianne. Marianne! Daniel ne savait
même pas son nom. Et il sort vite pour aller, lui
aussi, lui acheter des fleurs. Fanny, restée seule, a
tout compris. Elle crie sa douleur, sa jalousie, elle
maltraite même le pauvre chien « Misère »; puis,
aussitôt, elle se reprend, l'embrasse, en lui disant :
« La nature t'a fait muet, afin que tu restes fidèle I »
Le troisième acte se passe trois mois plus tard. Il
n'y a plus de neige sur les contreforts de Notre-
Dame, et les arbres sont en fleurs. Les amours de
Daniel et de la Ortega ont fait du chemin. Ce furent
d'abord des lettres poste restante, assez indiffé-
rentes. Mais, aujourd'hui, M""= Ortega a donné
rendez-vous à Daniel à 8 heures du soir : ils doi-
vent partir ensemble. Son mari s'en doute-t-il?
Eprouve-t-il les mêmes angoisses que Fanny, qui
devine tout? On ne nous le dit pas. Le côlé Ortega
reste dans l'ombre. Toute la lumière est projetée
sur le cœur douloureux de Fanny. Elle comprend,
elle interprète mille indices; elle sait, quand Daniel
devient joyeux ou triste, qu'il a eu, ou non, une en-
trevue avec Vautre. Et, aujourd'hui, il prétexte cette
vente en province : il veut partir, partir seul, sans
emmener sa femme; il a passé chez le notaire pour
régler la situation en cas de malheur. C'est clair :
il enlève la rivale! Fanny rappelle le départ, en
août 1914, quand Daniel et elle se rendirent à la
gare : comme c'était différent I 11 n'y avait pas ce
relent d'amertume. <> C'est qu'alors tu faisais ton
devoir mieux qu'ici ! » lui dit-elle.
Elle voudrait le retenir : pourquoi partir? il est
encore malade. L'argent? le courtier Brichaud.qui
revient d'Espagne, leur apporte le résultat d'une
opération avantageuse ; ils n'ont pas un besoin
immédiat d'argent. Fanny est exaspérée. Elle fait
une scène violente à son employée. Enfin, voilà
Pour la dernière fois Fanny et Daniel seuls vis-à-vis
un de l'autre. Le soir est tombé. Fanny arrache le
voile de duplicité dont se couvre le mari indigne.
« Tu pars avec cette femme ! » Soit. Pour combien
de temps? Pour toujours! Alors, la malheureuse,
affolée, trouve dans son cœur des accents profonds
qui remueraient un barbare. Elle rappelle le départ
pour le front; il en est revenu, cependant; Fanny
n'a pas perdu son mari et, ce que les Prussiens
n'ont pas fait, une femme va le faire! Daniel ne
peut résister à cette tendresse touchante. U appelle
sa femme dans ses liras : « Viens! Cache-moi ce
fantôme! » Fanny défaille de joie. Et, déjà, c'est fini.
L'idée (ixe a repris Daniel. Il sait qu'Eile l'attend
en voiture au coin de la rue. Il va la rejoindre.
Mais, alors, Fanny, qu'un baiser vient de restituer
dans ses droits d'épouse, se révolte et barre la
porte. Daniel ne voit plus qu'une issue pour lui : se
tuer. Mais le perdre ainsi, c'est pire que tout !
Mieux vaudrait encore l'adultère! Tous deux s'exal-
tent dans l'exaspération de leurs nerfs. Daniel ne
peut renoncer à son rêve ni continuer à martyriser
sa femme; Fanny sent que de toutes façons son
mari est perdu pour elle, soit qu'il meure, soit qu'il
disparaisse avec sa maîtresse.
D'un commun accord, ils mourront ensemble et,
dans un élan d'exaltation folle, ils traversent la rue
en courant, escaladent le parapet et disparaissent
dans le fleuve.
Cet ouvrage ne répond pas aux conventions en
usage sur la scène, si l'on s'attache aux péripéties,
événements, entrées et sorties des personnages,
faits et intrigues. C'est un drame des âmes, et il est
traité par un virtuose. Ce que rêvait Racine avec
Bérénice a été tenté ici avec succès : « faire quel-
que cho.se avec rien. » Tout se passe dans deux
cœurs meurtris; nous les voyons comme à travers
un miroir, impressionnés et changeants sous l'in-
fluence des passions : jalousie, amour. Daniel est un
malheureux, un désarçonné de la vie, un aboulique,
une loque happée par la roue rapide du char de
l'amour. Fanny est une amoureuse d'âme stoïqne,
orgueilleuse, ferme, que la jalousie tendue amollit
dans son vœu de résistance. L'étude de ces deux
caractères a été fouillée par l'anteur avec une
perspicacité pénétrante, déliée et avisée.
Le drame mental est rattaché à la réalité par le
tableau varié et animé de l'existence d'un ménage
dans un magasin d'estampes sur les quais, par les
allées et venues des fournisseurs, garçons, facteurs,
Maxime Maiili-a.
LAIIOIJSSE MKiNSUEL
clients. Les estampes elles-mêmes et les livres an-
ciens provenant des magasins voisins du libraire
Ortega sont le prétexte de plusieurs conversations
ou dissertations d ordre eslhélique, qui ont une sa-
veur délicieuse et qui réjouissent les connaisseurs,
les amateurs cl les lettrés.
L'œuvre, dans son ensemble, est de belle allure,
de haute tenue littéraire, de précieuse valeur. L'au-
teur a dédaigné les moyens communs d'intrigue et
d'intérêt scénique. Les délicats ont pleinement goûté
ce fin régal. C'est l'essentiel. — Wo Cueetie.
Les principaux rôles ont été créés par : M"*" Mado-
loine Leiy {Faimy Aubertin), Cécile Guyon {Clarisse),
Alice Beylot {M"' Eslivent); M.M. Harry Baur {Daniel
Aubertin), André Duhosc (Jacquetnont), Armand Bour
{^Mazolier), Ëullier {/Iric/mud).
Maufra (.Vaxime-Emile-Louis), peintre fran-
çais, né à Nantes le 17 mai 1861, mort à Poncé
(Sarthe) le 27 mai 1918. Il reçut dans sa ville natale
les conseils du peintre Charles Le Roux et fit, à
vingt et un ans, un voyage en Angleterre qui eut
une influence
décisive sur la
vocation du
jeune artiste.
Les paysages de
Gainsborough ,
ConstableetTur-
ner l'émurent vi-
vement. Il dé-
buta au Salon de
1886 avec des
Bateaux de pê-
che à la Hante-
Ile, aujourd'hui
au musée de
Cholet, et en-
vova successive-
ment à l'Exposi-
tion annuelle de
la Société des Ar-
tistes françaisdes
vuesdeBretagne:
Marée montante (1887), la Loire à Nantes (1888),
Bateaux chargés de foin montant la Loire avec le
/Zoi(1889), le Quai de Pont-Aven (1891). Cesi k Pont-
Aven que M aufra avait rencontré Gauguin ; déjà porté
par sa nature et par les maîtres anglais à recher-
cher l'éclat du coloris, il le fut plus encore peut-
être parce voisinage. En 1892, il passa à la Société
nationale des beaux-arls avec la Neige à l'ont-
Aven et y montra en 1898 la Route du moulin à
Batz, en 1899 le
Retour dépêche et,
enl907,les/îoc/iers
rouges. Sa manière
s'étaitviteaffirmée.
U essayait d'allier
à l'exécution des
impressionnistes le
souci de la compo-
sition. Maufracom-
prenait, en effet, ai-
sément ce qu'un
paysage peut avoir
de synthétique et,
dans de nombreux
dessins prestement
exécutés, il a donné
la preuve de son
art de découvrir et
de mettre en évi-
dence les lignes
principales d'un
sujet. Ces dons, il
les appliqua non
seulement à ses
paysages de Bre-
tagne, mais aussi
à des vues rappor-
tées d'Ecosse vers
1896, puis du Dau-
phiné. Son coloris
est lourd, et sa ma-
nière manque de
distinction, maison
ne peut refusera sa
production certaines qualités de force et d'équilibre.
Son tableau : la Pointe du-Raz par grosse mer(\%^l)
était au musée de Reims, et le musée du Luxembourg
conserve la Rue descendante à Locronan, qui avait
figuré au Salon d'automne en 1906. Maxime Maufra
a aussi signé une quarantaine de croquis à l' eau-
forte d'une exécution vigoureuse. — Tristan leclér».
Nationalisme suédois et la Querre
(lb), par Lucien Maury (Paris, 1918). — il y eut bien
des surprises au cours de la guerre actuelle; mais, sans
doute, pour beaucoup d'entre nous, l'une des moin-
dres ne fut pas l'attitude de la Suède, dès le mois
d'août 1914, à l'égard de la France et de ses alliés.
Comment un pays, où nous avions eu coutume de
trouver de vives sympathies, dès le début des bos-
621
tililés, se montra non seulement indiiïérent àtoutes
les violations du droit, mais encore passionné admi-
rateur de nos ennemis, il y a lieu de l'examiner. Et
cette étude sera d'autant plus précieuse, si nous y
trouvons matière à enseignement. Nul mieux que
Lucien Maury ne pouvait la conduire .i bien. On
sait sa compétence dans les questions Scandinaves,
et l'on se souvient des sympathies qu'il manifesta
toujours pour la Suède Personne ue peut metlre en
doute son impar-
r.
■'^>
\
1
Gustave- V, roi de Suède.
lialité. Certes, i
a du lui être pé-
nible de détailler
et de préciser
toutes les défail-
lancesdu gouver-
nement suédois;
mais, pour cela
même, nous de-
vons lui donner
notre confiance,
lorsqu'il nous an-
nonce un avenir
meilleur. Nous
devons accepter
les enseigne-
ments de son ex-
périeiice, lors-
que, à côté des
faiblessessuédoi-
ses, il nous dé-
voile nos propres fautes. Nulle part mieux qu'en
Suède, on ne saisit le travail d'avanl-guerre de l'Al-
lemagne, et, si ce travail aboutit à de tels résultats,
c'est que nous n'étions pas là pour l'interrompre ou
même l'arrêter. U nous faudra demain être là, si
nous ne voulons pas que le sang ail élé versé pen-
dant des mois et des années inutilement.
Un des traits distinctifs du caractère suédois est
l'imagination. Le peuple suédois célèbre le culte
de ses héros, mais c'est au point d'oublier son his-
toire. Le rêve le condui. plus que la réalité, et
l'histoire ainsi conçue devient une école de roman-
tisme. On était porté à l'oublier, si l'on considérait
l'activité administrative, industrielle, commerciale
de la Suède au cours de ces dernières années. Mais
l'Allemagne s'en souvint.
La séparation de la Suède et de la Norvège en
1905, qui à tous les points de vue devrait être égale-
ment bienfaisante pour l'un et pour l'autre pays,
avait créé en Suède une sorte de rancœur. On s'en
prit à la Russie et, sur une suggestion venue de
Berlin, pour se consoler de la Norvège perdue, on i
Le port de Soulpbar à bcUe-llc-eD-Mcr, tableau de Maufra (1009}.
se tourna vers la Finlande. La naine de la Russie
s'accrut dans la proportion où grandissait l'influence
allemande, sans que l'on voulût se souvenir qu'au
cours de l'histoire suédoise, l'Allemagne avait tou-
jours été pour la Suède un ennemi plus dangereux
que la Russie. Au début du xx« siècle, le peuple
suédois ignorait la Ru.ssie ; à la veille de la guerre,
le péril russe était un dogme à Stockholm.
Il n'est point de moyen que l'Allemagne n'ait mis
en œuvre pour arriver à ce résultat. Svcn Hedin,
vulgarisateur adroit, qui, par ses tournées charlata-
nesques, avait acquis une certaine notoriété en Eu-
rope, fut d'abord son porte-parole. En 1912, il lança
son premier .4t'eWKsemeii/, qui fut tiré à des centai-
nes de milliers d'exemplaires. Une campagne de
conférences suivit. Le second Avertissement, publié
622
quelques mois seulement avant la guerre en 1914,
fut tiré à un million d'exemplaires. Le programme
s'énonçait clairement : coopération militaire avec
l'Allemagne, ou neulralilé assez menaçante pour
inquiéter et, dans une certaine mesure, paralvser la
Russie. On ne prenait même pas soin de dissimuler
la théorie de la guerre préventive.
Le spectacle de la Finlande brutalisée à ce mo-
ment par les fonctionnaires russes fournissait, d'ail-
leurs, au nationalisme suédois un surcroît d'argu-
mentation politique et sentimentale. La presse alle-
mande traduisait, commentait, excitait.
Cependant, le ton ofliciel ne se laissait pas émou-
voir par cette propagande et, le 23 juillet 1912,
s'étaient rencontrés dans l'archipel finlandais Nico-
las II et Gustave V, d'accord, dit un communiqué,
pour ic éviter toute combinaison politique paraissant
faire croire à une déliance mutuelle ».
La propagande redoubla. Sven Hedin s'adressait
h la foule. Un universitaire, un journaliste, non sans
talent, Rudolf Kjellen, s'adressa à un public plus
restreint. Il rassembla les différentes parties de son
enseignement en un gros volume : les Grandes /"«(S-
«anee^, uniquement inspiré par l'influenceallemande,
uniquement documenté par la science allemande,
cours de politique allemande et pangermaniste, dont
il ne faut pas se dissimuler l'inlluence et où il faut
voir l'annonce et la préparation de l'activisme. Et, au-
près de Rudolf Kjellen, on put voir bientôt un maître
authentique de la Suède, Harald Hjiirne, une de»
intelligences les plus originales et les plus sédui-
santes de la Scandmavie. Ayant touché à l'histoire
de tous les pays d'Europe, sans avoir jamais su accor-
der ses tendances pour resterlui-mème champion de
la paix et de la neutralité, ayant longtemps résisté à
l'invasion du préjugé allemand, Hjîline s'humilia
devantla vérité allemande, favorisa l'influence alle-
mande dans un but de politique intérieure.
C'est qu'à vrai dire, la situation politique, & l'in-
térieur, est assez agitée. Les surprenants progrès
de l'industrie ont
fait naitrelepro-
blèmesocialiste;
et, siUrantingjde
1896 à 1902, fut
le seul représen-
tant du socialis-
me au Riksdag,
en 1905, il y a
déjà treize socia-
listes à la deuxiè-
me Chambre, et
il y en a quatre-
vingt-sept à la lin
de 1914. Le so-
cialismeentraîne
le parti libéral
et forme ainsi
une gauche con-
sidérable. Pour
se défendre, la
droite attaque
avec vivacité. C'est à partir de 1911 que la lutte pour
le pouvoir politique prend ce caractère d'acharne-
ment qu'on n'avait jamais vu, et c'est sur la ques-
tion de la défense nationale, dont la droite veut se
donner le monopole, que la bataille se livre. La
droite tout entière s'appuie sur l'Allemagne. D'ail-
leurs, la reine est badoise, et les relations entre les
deux cours de Berlin et de Stockholm sont intimes.
Les élections de 1911 ont mis au pouvoir un ca-
binet de gauche, le cabinet Staaff. Staaff a toutes les
qualités d'un chef. Il a fondé, en 1882, une société
d'études, Verdandi, qui fut le centre du mouvement
libéral et qui est encore aujourd'hui un foyer d'idées
avancées. Il ne lui manqua qu'un peu de souplesse.
Il fut violemment attaqué. L'Allemagne employa
toutes les armes pour l'abattre; mais on n'en vint a
bout, le 6 février 1914, que par des moyens révolu-
tionnaires. Ce fut ce qu'on appela la marche des
paysans. Trente mille paysans furent amenés à
Stockholm et défdèrent devant le roi et la reine, en-
tourés de toute la cour. Le roi, à la suite de cette
manifestation, ayant revendiqué le droit de s'adres-
ser directement au peuple, Slaaff démissionna; et,
au mépris des lois constitutionnelles, ladroite reprit
le pouvoir avec Hammarskjûld, qui allait le garder
jusqu'au 30 mars 1917
Jurisconsulte éminent, mais fermé à toute réalité
contemporaine, celui-ci allait se montrer d'une intran-
sigeance continue contre le Parlement, d'une étroi-
lesse singulière dans sa politique économique et
d'un manque de souplesse absolu dans les questions
extérieures. La guerre ayant éclaté, les positions des
deux partis s'affirmèrent. La gauche, d'abord sous
la direction de Staaff, puis, à la mort de ce der-
nier, en octobre 1905, sous la direction de Branting,
représentant la grande majorité de la nation, de-
manda une neutralité franche, conforme à toutes
les traditions suédoises. La droite prit officiellement
parti pour une neutralité extérieure; mais il n'est
point d'indulgence qu'elle ne témoignât, il n'est
point d'aide qu'elle ne donnât à tous les partisans
de l'Allemagne, à tous les chercheurs d'aventures.
Sven Iledin, explorateur et homme
poUtique suéiluis.
LAROUSSE MENSUEL
Ces chercheurs d'aventures, ils étaient nombreux ;
et c'étaient les nationalistes, et surtout les plus
francs d'entre eux, ceux que l'on nomme les acti-
vistes. Rien n'est plus singulier quece nalionalisme
suédois, dont l'unique but, semble-t-il, est de déna-
tionaliser la Suède. Mouvement d'idées, dit-on, plus
que mouvement politique, qui a utilisé, en les dé-
lormant,pourles
mettre au service
du pangermanis-
me, les idées de
Maurras et de
Barrés, le prag-
matisme et le
l)ergsonisme.
Les nationalistes
suédoisont, d'ail-
leurs, bien vu
comme le pro-
blème se posait.
11 s'agit de « res-
taurer la notion
de la solidarité
des générations,
qui, seule, peut
stimuleretsoule-
nir une forte vie
nationale, resti-
tuer à la Suède
r. II. Branting, ministre des finances
Ue Sncde (l'jn).
le sentiment de son unité dans le temps comme
dans l'espace, rassembler, concilier, réconcilier les
traits épars de la physionomie de son peuple ».
Mais il ne suffisait pas de poser le problème, il
fallait trouver la solution, et c'est ce que n'a pas
fait l'activisme. Au contraire, il a aggravé la
situation; car, incapable de trouver dans l'histoire
une tradition politique et militaire, impuissant à
définir une doctrine nationale, il a demandé à
l'Allemagne sa tradition et sa doctrine, n'hésitant
pas à dénaturer et même à falsifier la véritable
histoire suédoise. Le nationalisme suédois fut pro-
prement antinational; et, s'il n'a éveillé aucun écho
profond dans les masses, il n'a pas été sans in-
fluence. La droite ne l'a jamais désavoué; et, si
l'activisme n'a pas obtenu l'alliance effective avec
l'Allemagne qu'il réclamait, il a contribué du moins
à un rapprochement suédo-allemand, qui rendit de
singuliers services à nos adversaires. Le programme
activiste, il se résume dans cette phrase : la Suède
sauvée par un courageux ralliement à l'Allemagne,
que l'on pouvait mettre en épigraphe au volume non
signe paru en juin 1915 : la Politique étrangère
de la Suède à la lumière de la guerre mondiale.
Et ce courageux ralliement à l'Allemagne, victime
d'une conspiration du panslavisme et de l'impé-
rialisme anglais, devait assurer la sécurité de ;la
Suède par le règlement de la question finlandaise
et par son hégémonie sur toute la Scandinavie.
Et le plus remarquable, c'est que le gouvernement
au pouvoir de 191 4 à 1917, oubliant toutes les néces-
sités, tontes les obligations, tous les devoirs de la po-
litique tradition-
nelle suédoise,
est sensible à de
telles doctrines
et innove dange-
reusement. Les
activistes sont
introduits dans
les conseils de
l'Etat, et la
presse de droite
excite continû-
ment à la guerre.
Le soulèvement
finlandais, enfin
est préparé avec
une vivacité telle
que l'Allemagne
en est gênée. Et,
pourtant, les acti-
vistes ne peuvent
se faire illusion
sur le doublejeu
que joue l'Allemagne. La peur d'une paix russo-
allemande à leur dépens est leur cauchemar.
La Suède ne peut se maintenir, au point de vue
économique, politique et moral, qu'avec un triple
équilibre : équilibre européen, équilibre baltique,
équilibre Scandinave. Sous le ministère de Ham-
marskjold, elle a constamment cherché à rompre
cei équilibre. L'Allemagne l'y poussait; car le plan
de Berlin était de faire de la Baltique un lac alle-
mand interdit à la Russie : « La môme nécessité
politique qui nous entraine au sud-est, par les Bal-
kans et les Dardanelles, jusqu'en Asie Mineure et
en Mésopotamie, nous pousse au nord, par les pro-
vinces baltiques et la Finlande, jusqu'à la mer
Blanche et aux rives de l'océan Glacial. » C'est le
prolongement de la Mitteleuropa. Et la Suède ne
s'apercevait pas que la Baltique, lac allemand, se-
rait aussinéfaste pour elle que la Baltique, lac russe.
Lorsque la guerre éclata, en août 1914, une décla-
ration spontanée fut faite à Stockholm par les
L. de Uammarskjc^td, ministre d'Etat
de Suède (I9U).
N' 141. Kovembre 1918.
ministres de l'Entente, informant le gouvernement
suédois que les trois puissances respecteraient l'in-
tégrité de la Suède, si elle se déclarait neutre. L'Al-
lemagne somma la Suède d'intervenir. Ce n'est
qu'après la déclaration de neutralité formulée par
le gouvernement suédois que le gouvernement de
Berlin se résigna à en prendre acte, sans, d'ailleurs,
s'engager lui-même. Et il prit soin que la neutra-
lité suédoise lui fût aussi utile qu'aurait pu lui être
une intervention suédoise. Le ministère Hammarsk-
jûld lui facilita la besogne.
Délégation d'une minorité, le ministère manquait
d'autorité. Cabinet de neutralité, il représentait au
pouvoir un parti qui ne voulait pas de la neutralité.
Enfin, comme neutre, Hiinimarskjôld entendait ne
pas s'apercevoirde laguerre, qui, àses yeux, n'exis-
tait pas.Par suile, il multiplie les causes de conflit;
il couvre les fortunes scandaleuses qui s'élèvent; il
ne voit pas les organisations allemandes qui, de
Stockholm même, dirigent et éclairent la guerre
.sous-marine; il préfère condamner son pays à la
faim sans pouvoir aider les Allemands, plnlôt que
s'interdire de ravitailler l'Allemagne ; et, lorsque, en
octobre 1917, à la suite des élections et du scandale
des dépêches américaines, il est obligé de quitter le
pouvoir, on peut dire que, sous son ministère de
neutralité, la Suède a rendu plus de services peut-
être à l'/^llcmagne qu'elle n'aurait fait par une in-
tervention militaire. La Suède a été, pour l'Alle-
magne, une porte de sortie sur l'univers, en même
temps quelle fermait l'Occident à la Russie, qu'elle
fermait la Bal-
tique et y assu-
rait la sécurité
des transports
allemands. La
Suède, enfin, a
ravitaillé l'Alle-
magne au détri-
ment de sa pro-
pre population.
Et pourtant il
faut admirer que
le peuple suédois
ne se soit pas
laissé entraîner
davantageparles
folies de ses gou-
vernants. Les
partis de gauche
ont résisté, et
Branting, malgré
les adversaires
violents que l'Al-
lemagne a su lui susciter dans son propre parti, est
aujourd'hui le représentant le plus complet de l'esprit
national en Suède. Sa loyauté n'est mise en doute par
personne. Le gouvernement est obligé de compter
avec lui. La cour même le consulte secrètement.
La question est claire. Il faut choisir entre l'abso-
lutisme et la souveraineté populaire, entre les doc-
trines germaniques et les doctrines d'Occident. Le
peuple suédois a choisi. Dans le ministère Eden,
qui a pris le pouvoir en octobre 1917, trois socia-
listes ont accompagné Branting. La lutte n'est pour-
tant pas terminée. Les difficultés intérieures sont
énormes, les difficultés extérieures ne sont pas
moins considérables, par suile de l'isolement où
s'est placée la Suède. La droite n'a pas désarmé,
mais on peut prévoir son évolution; et la royauté
subira, elle aussi, les transformations nécessaires
que partout ailleurs elle a dû accepter. Le prince
licritier, on lésait, incline au plus large libéralisme,
et sa femme est anglaise.
L'essentiel, pour la Suède, c'est de se débarras-
ser du joug qu'a fait peser sur elle l'Allemagne.
Elle ne recouvrera son équilibre et ne sauvera sa
nationalité qu'à ce prix et, pour cela, il faut comp-
ter sur le peuple lui-même. Ceux qu'on a appelés
la «génération intellectuelle de 90 »,les Ileidenstam,
Selma LagerlOf, Per Hallstrom, Karfeldt, ont été
incapables d'éduquer l'esprit suédois, parce qu'ils
n'ont cultivé que l'imagination. La jeune génération
s'évade du romantisme, se plonge dans la réalité.
Ce sont les Ossiannîlsson, les Ludvig NordstrOm,
les Gustav Hellstrôm. On peut compter sur eux.
Déjà, dans les universités, jusqu'ici inexpugnables,
le socialisme a ses entrées, et la philosophie reprend
ses droits. Le ministère Eden aprouvépardes actes
qu'il voulait être neutre. C'est sur des actes, et non
sur des paroles, que nousjugerons le peuple suédois.
Mais nous pouvons l'aider. Nous avons été très
aimés en Suède; si nous avons cessé de l'être au-
tant qu'autrefois, ce fut par suite de notre absence,
autant que par suite de la présence assidue de
l'Allemagne. Soyons désormais présents.
Dans une Société des nations, il doit y avoirplace
pour une Scandinavie libre et forte. Pour que nous
puissions coopérer utilement à sa constitution, il
nous faut avoir une connaissance profonde de l'âme
suédoise. Lucien Maury nous aide grandement à
acquérir celte connaissance. Voilà pourquoi son
livre, en même temps qu'une étude historique pré-
cieuse, est une bonne action. — Jacque» bohpud.
Karl A. Staaff. ministre d'Etat
de Suéde (I9U).
N' 141. Novembre 1918.
Paysages littéraires par Gabriel Paure
(2vol., Paris, iai7-1918). — GabnelFaui'earhumeur
voyageuse, ce qui est assez commun à notre (époque,
mais, ce qui est plus rare, il sait voyager. S'il cède
parfois h un simple caprice, s'il lui arrive, par
exemple, de partir pour l'Espagne, par unique désir
de« fuir Paris et de voir naître le printemps ailleurs
qu'au bois de Boulogne ou au Lu.xembourg », le
plus souvent, il est guidé dans ses déplacements par
une intention précise et neuve : vérilier un point
d'histoire, contrôler une assertion d'écrivain, re-
trouver dans la permanence d'un paysage la trace
d'une impression fugitive éprouvée jadis par quel-
que poète, interroger le silence des arbres ou des
pierres et en dégager de lointaines évocations, tel
est le but qu'il assigne à ses voyages, et tel est aussi
le genre de plaisir auquel il nous convie à sa suite
dans ses deux volumes de Paijuafjes littéraires.
Le procédé, certes, ne va pas sans risques. On
pourrait craindre que le voyageur, trop préoccupé de
.ses lectures ou trop averli par elles, ne néglige de
regarder par lui-même : l'érudition en voyage est
un bagage parfois incommode; l'excès des souve-
nirs livresques gêne la vision quand il ne l'obscurcit
pas totalement, et c'est en général une fâcheuse
méthode de ne contempler un paysage qu'avec le
secours des yeux de ceux qui nous y ont précédés.
Mais Faure a des yeux à lui : il sait voir et décrire.
Profondément épris de la nature, sensible à toutes
ses formes et à ses différents aspects, il en goûte la
majesté ou la douceur avec une émotion toujours
renouvelée. S'agil-il de décrire le charme de la
montagne, il retrouve sans effort les accents mêmes
de J.-.(. Rousseau et cet enthousiasme qui animait
le philosophe genevois dans ses courses à travers
les montagnes du Valais. Faut-il rendre la sauvage
grandeur du pays de Tristan, Faure saura trouver
des expres-ions colorcts et pittoresques pour pein-
dre la somptuosité d'un coucher de soleil sur la baie
de Douarnencz, comme il saura traduire ailleurs,
avec UEie singulière richesse de vision, la féerie
d'un matin de printemps aux rives du lac de Côme.
Aussi peut-on le suivre sans crainte : c'est un guide
agréable et sur, dont la mémoire est peuplée de sou-
venirs et d'anecdotes ; mais c'est également un poète
au sentiment personnel et délicat, qui ne conte ce
qu'il sait qu'après avoir décrit ce qui l'a ému.
A qui ne rechercherait que l'agrément des des-
criptions et la sincérité des émotions en face des
spectacles de la nature les deux volumes de Faure
oITriraieiit donc un régal suffisant. M-is, comme le
titre nous en avertit, ce sont moins des impressions
personnelles que des études littéraires qui nous sont
ici présentées. L'auteur réalise une forme de criti-
que assez neuve et particulièrement suggestive, qui
porte sur des points très divers.
Un premier mérite de ces volumes, en effet, réside
dans la grande variété des sujets. Non que l'auteur
nous promène en des pays multiples : à part une brève
excursion en Bretagne et une pointe rapide vers
l'Espagne, c'csfsur tout à travers le Dauphiné, son pays
natal, et dans l'Italie du Nord, sa terre d'élection,
qu'il choisit ses paysages. Mais, même ainsi limité,
le cadre fournit une matière assez abondante.
Le Dauphiné, c'est le Vallon de Lamartine, c'est
Balzac et son Médecin de campar)tie,c'esl Stendhal
surtout. L'Italie, c'est Sienne, aver toutes ses évo-
cations mystiques; c'est le petit village d'Arquà,
blotti au milieu des collines Euganéennes et or-
gueilleux d'abriter le tombeau de Pétrarque; c'est
Cerlaido, oii mourut Boccace, et ce sont aussi les
écrivains qui, comme Chateaubriand et George
Sand, ont écrit sur l'Italie tant de pages fameuses.
Sur ces dilTérents sujets, Faure apporte des nota-
tions précises ou des suggestions intéressantes.
Comme il le dit très justement) « toujours nous
émeuvent les lieux où vécut un écrivain célèbre,
surtout lorsqu'ils servirent à façonner sa sensibi-
lité »; et c'est ce genre d'émotion qu'il nous fait
partager en nous conduisant soit au pays de Sten-
dhal, à Grenoble et à Claix, ou le romancier passa
son enfance et puisa ses premières impressions, soit
au village d'Arquà, qui conserve encore intacte,
dans la familiarité d'un décor que rien n'a modifié,
la maison où Pétrarque vécut ses dernières années,
soit à la bourgade de Certaido, qui surplombe de
ses murs et de ses maisons de briques rouges la
fertile et verdoyante vallée de l'Eisa et dont les
rues étroites n'ont point changé depuis le temps où
Boccace y promenait ses derniers pas, soit encore à
travers l'admirable Sienne, chère aux cœurs de tous
ceux qui y ont passé, ou au couvent de Monte Oli-
veto, dont le Sodomaégay^ l'austérité par les grâces
païennes de ses fresques. Tous ces pèlerinages four-
nissent à Faure l'occasion de pages pittoresques,
dont le ton rappelle son intéressant<> série des
Heures d'Italie.
Mais il ne s'en tient pas là. Convaincu avec rai-
.son que « nul entretien avec un écrivain ne se fait
Fins intime qu'en ces promenades aux lieux qui
inspirèrent », il s'est plu à aller vérifier surplace
certains points de détail : la promenade qu'il a faite
au « Vallon » de Lamartine, dans la petite con be
.de PuPetières, près du ûraud-Lemps, nous aide à
LAROUSSE MENSUEL
préciser et à compléter notre compréhension du
fameux poème. Nous goûtons mieux également le
Médecin de campagne de Balzac, après que Faure
nous a conduits à Voreppe, dans la maison du doc-
teur Rome, qui fut l'original du docteur Benassis.
Cette même étude permet à l'auteur de corriger la
sévérité des jugements communément portés sur
Balzac paysagiste et de montrer que, si 1 aLteur de
la C''médie Uumaine fut parfois trahi dans ses des-
criptions par l'insuffisance de l'expression, il n'en
avait pas moins un sentiment très profond de la
nature.
Au cours de ces enquêtes, Faure est parfois
amené à des conclusions amusantes : ayant eu, par
exemple, la fantaisie de suivie George Sand àBas-
sano et de refaire après elle ce voyage du Tyrol,
qu'elle raconte dans ses Lettres d'un voyageur, il
arrive à celle constatation que les « crêtes de ro-
chers »,les «cimes neigeuses », les « éternelles soli-
tudes » où G. Sand « s'attendait à voir le boa dé-
rouler ses anneaux sur les ronces desséchées »,
n'ont existé que dans la terrible imagination de la
romancière et que ce fabuleux voyage « se borna
à une course de deux jours à travers des collines
semées de vignes, sur les contreforts de montagnes
dont le plus haut sommet n'atteint pas 1.800 mè-
tres ». Mais Faure est sans méchanceté, et, comme
les descriptions de George Sand lui paraissent
e.xquises, comme il goûte son étonnante fraîcheur
d'impression devant la nature, il ne lui tient pas ri-
gueur de ses imaginations.
Il marque moinsd'indulgence pour Chateaubriand,
à qui il consacre dans chacun de ses deux volumes
une longue étude : la première porte sur « les six
voyages de Chateaubriand en Italie », la seconde
est intitulée « Chateaubriand et la Montagne. » A
propos des Voyages en Italie, Faure souligne les va-
riations d'impressions de Chateaubriand sur Veiàsc,
qu il déclare en 1806 « une ville contre nature » et
qu'il célèbre, au contraire, avec enthousiasme en
1832 : c'est qu'entre temps Byron avait passé, et
après lui Venise était devenue à la mode. Au fond,
Faure en veut un peu à Chateaubriand de s'être tou-
jours placé au centre de ses tableaux, et même il
« doute qu'il ait beaucoup goûté la nature pour elle-
même ». Ce doute est exagéré, et Faure trahit sa se-
crète rancune contre l'auteur des Marh/rs, à qui il
en veut surtout d'avoir mcdit de la montagne. De
fait, si Chateaubriand a pleinement senti et admira-
blement traduit le charme de la mer et des larges
espaces, il reste insensible aux séductions des ci-
mes : il leconfessaitlui-mème: « J'ai beau, disait-il,
me battre les flancs pour arriver à une exaltation
alpine des écrivains de montagne, j'y perds ma
peine. » Faure ne lui pardonne pas; néanmoins, en
dépit de ce léger parti pris, les deux études sur
Chateaubriand, minutieusement faites, se lisent avec
beaucoup d'intérêt.
11 en est de même des autres et, au terme de ces
excursions, accomplies sans fatigue, on se retrouve la
vision pfiupléed'imagespiltoresquesetl'esprit enrichi
de connaissances nouvelles. C'est le double mérite de
ces Paij.iages littéraires, qui témoignent chez leur
auteur non seulement d'une érudition judicieuse et
solide, mais encore d'une émotion personnelle très
vive, portée parfois jusqu'au lyrisme. — F. Guieand.
Peladan (Joseph, dit Joséphin), écrivain
français, né à Lyon le 28 mars 1859, mort à Neuilly-
sur-Seinele 27 juin 1918. Son père, écrivain nimois,
catholique et royaliste, éleva ses deux enfants
dans une atmosphère ardente d'art et de mysti-
cisme. Cela délerminachez le premier une vocation
pour la médecine et la magie et chez Joséphin, une
orientation vers les études d'art et la littérature.
Mis en pension chez les jésuites, il fit des éludes
un peu à sa guise, lisant beaucoup, surtout des
auteurs grecs; il s'éprit là d'un culte passiumiépour
la Renaissance italienne, culte qu'il professa jusqu'à
sa mort. Après un pèlerinage en Italie, il vint à
Paris en 1882, avec l'intention de se mêler active-
ment h la vie littéraire. Il débuta, sur le conseil
d'Arsène Houssaye, par une élude sur l'Histoire et
la Légende de Marion rfe /.orme, q ni semblai t de voir
le placer au rang des chercheurs du documentvécu,
alors en vogue. Mais toute son éducation et ses
tendances personnelles l'éloignaient du naturalisme.
Des affinités de talent et des relations familiales le
rapprochèrent de Barbey d'Aurevilly, qui fut réel-
lement son parrain littéraire. Lorsque parut le Vice
supre'me (1884), le Connétable des Lettresen écrivit
la préface et signala le livre par un article dans
« le Gonslitntionnel ». Le Vice suprême, pour l'nu-
teur, c'est la corruption de l'Idée : « Le matéria-
lisme public est un attentat aux mœurs, car l'Idée
fait des plaies plus profondes que le fer », et il pose
ce dilemme : ou bien il va se produire un miracle,
ou bien c'en est fait de la race latine. C'est déjà
une des faces de la doctrine peladane qui se for-
mule, la croyance (qui lui est commune avec toute
sa génération) à la Décadence. L'Ethopée, vaste
cycle de dix-neuf romans, développe ce thème.
Les principaux romans de cette série sont: le V^ice
suprême (UU); Curieuse (1885); l'Inilialion senti-
623
mentale (IH86) , A cœur perdu [i»8''); /«/ar (1888);
la Victoire du mari (1889); Cœur en peitie (1890);
l'Androgyne (1891); le Gynandre (1892); le Pan-
thée (1891): le Dernier bourbon (1895) ; Finis
Lalinorum (1899); Mndeslie et Vanité; Peregrine
et Peregrin ; le Nimbe noir. L'Elhopée de la
décadence latine est une vaste exposition des
opinions littéraires, artistiques et mystiques de
Peladan. Aussi y trouve-t-oo moins une intrigue
attachante, des qualités de style que des idées
curieuses, des pensées fortes et originales. Sans
s'attacher au caractère trop évidennueiit sensuel
de certains développements, transpositions un peu
apparentes d'expériences personnelles et influences
dérivées du naturalisme, il estsufflsant de critiquer
VKlhopéedii seul point de vue de la forme, qui n'est
pas toujours à la hauteur de la pensée
Peladan fit un des plus grands curieux d'idées du
XIX" siècle Unissant. Vers 1886, ayant fait la con-
naissance de Papus et de Stanislas de Guata, il
s'efforça avec eux de ressusciter les sciences oubliées
de l'occultisme et de la magie. Léon Bloy affirme,
sans que nous ayons les moyens de contrôler son
dire, que c'est lui qui suggéra à Peladan que son
nom pouvait être une déformation provençale de
celui de Baladan, dernier roi d'Assyrie. Ce rappro-
chement fut-il pris au sérieux par Joséphin ? il est
diflicile de le dire, mais il correspondait trop bien
à son désir de jouer un rôle et à son besoin
des démonstrations éclatantes pour qu'il le laissât
échapper. 11 signa désormais des manifestes sons
le nom de Sâr Merodack J Peladan, qui paru-
rent au o Figaro » et se composa un vêlement qui
lit pendant longtemps la joie des écholiers et
des faiseurs de nvues. Il commençait alors à pu-
blier celle curieuse série d'ouvrages qu'il intitula :
Amphithéâtre des sciences mortes, dont le premier
volume : Comment on devient mage, parut en 1891.
Dans celui-ci apparaîtla seconde facede la doctrine
Peladane, la direction mystique : « Le Vice suprême,
déclarait l'auteur, a égaré quelques jeunes gens.
C'est la cause de ce livre de direction », et en ter-
minant il ajoutait : « J'.ittendrai l'accueil qui sera
fait à ce premier discours. S'il trouve un véritable
écho, je m'ingage à traiter toute la matière dans
l'ordre le plus profitable. S'il rencontre l'indilTé-
rence, je me tairai comme mage, reportant mon
souci vers l'art, qui me donne tant de joie. » Pour
comprendre la vogue énorme qui accueillit Peladan
à cette éi)oque dans les milieux artistiques, il faut
se souvenir que Camille LemonnieretHuysmans y
repré.seutaientla
première timide
réaction contre
le naturalisme,
ce qu'on appelait
alors VEsthé-
tisme, attitude
imitée des préra-
phaélilesanglais,
dont Peladan fut
désormais le
porte -étendard.
11 ne faut pas se
méprendre, d'ail-
leurs, sur le ma-
gisme proposé
parl'auteur.'oLa
magie, c'est l'art
de la subiimisa-
tion de l'hom-
me », et il a tout
uniauementpour
dessein de restaurer chez son disciple le souci de
la beauté de l'àme : « Je suis un professeur de co-
quetterie morale », dira-t-il. L'clévation du but
poursuivi ne peut être disculée, comme on le voit,
mais la méthode prèle à la critique. Il la définit : une
<i méthode d'orgueil » ; il conseille de « restreindre
la vie fonctionnelle, d'annuler la vie civique » ; c'est
de l'individualisme sans limites.
Comment on devient mage fut suivi de cinq
autres traités sur Veslliétiane (\%Vi<) [Comment on
devient artiste]; Véroliqiie (1892) (Comment on de-
vientfée]; lapo/i'<igHe(lS95) [le Livre du sceptre];
la mystiqae (1898)jrOcculte Catholique]; la méta-
physique (1901) (Traité des antinomies]. Mais le
« Sâr agit alors bien moins par le côlé sérieux de son
œuvre que par les manifestations dont il allait deve-
nir l'ànie et le chef. A celle époque, il fonda l'ordre
artistique et littéraire de la Rose-j-Croix, où se
mêlaient les éléments les plus étranges : souvenirs
wagnériens, catholicisme sincère, horreur de la
franc-maçonnerie et du judaïsme, réminiscences
kaldéennes (car la Rose-f-Croix était le grade le
plus élevé de la hiérarchie des anciens mages). Pe-
ladan, sâr, mage et chef d'école, trouva alors des
concours dévoués, qui lui permirent de réaliser des
fêles d'art du plus haut intérèl. Les Salons idéalistes
de la Rosc-fCroix eurent lieu de 1898 à 1898 et
révélèrent plusieurs artistes de valeur. C'est aux
soirées de la Rose-(-Croix que Peladan fil jouer ces
œuvres dramatiques où il tentait, non sans succès,
de ressusciter la tragédie et même de recréer des
Joséphin l'elaiiaii.
624
drames antiques perdus (le Fils des étoiles, Ba-
bulone, la Promélhéide, le Prince de Byzunce,
Œdipe et le Sphi/nx, Orphée, le Mystère du Graal,
la Naissance d'Èros). Célèbre et désormais consi-
,déré, Josèphin Peladau voulut renoncer aux ou-
, trances qui avaient aidé & sa notoriété, mais le pu-
'. blic ne lui en laissa pas le droit; il demeura le « Sàr «
pour tout le monde. Alors, cet homme de talent et
de goût crut que le parti le plus sage était de se
faire oublier au profit de son œuvre. 11 se retira
parmi ses livres; on ne le vit plus qu'aux expositions
de tableaux, dont il rendait compte ces dernières
années dans la « Revue hebdomadaire ».
Ici, il convient de parler d'une troisième face de
l'œuvre peladane, celle qui lui fait le plus d'honneur,
son œuvre esthétique : elle se compose de quelque
trente-cinq volumes, réunis par lui sous le titre gé-
néral : la Décadence esthétique. 11 s'y montre épris
de la Renaissance païenne et sensuelle, mais sur-
tout dans ses beaux génies, Léonard de Vinci, no-
tamment, dont il a étudié la Philosophie, traduit et
annolé les Traités de la figure humaine et du
paysage. {L'Art ochlocral ique [1888] réunit des
études sur les Salons de 1882 à 1887.)
■Wagner était un des seuls esprits modernes qu'il
estimait s'apparenter aux génies de la Renaissance.
11 lui consacra une étude, après un voyage à Bay-
reulh en 1888. Il faut citer aussi dans celte série une
Réponse à Tolstoï {IS9H), une Kéfutation esthétique
de Taine (1906) et une Introduction à l'esthétique
qui le montrent parfaitement documenté sur l'ait
de toutes les écoles, avec des aperçus nouveaux et
des jugements sains.
Des voyages faits en Orient lui donnèrent l'occa-
sion de condenser son érudition et ses idées sur
l'antiquité. Il le tenta dans une série d'ouvrages
dont il rêvait de faire une histoire des idées et des
formes. (La Terre du Sphynx, la Terre du Christ,
la Terre d'Orphée.)
Le plus cai'actéristique de ceux-ci est la Terre du
Sphynx (1898). L'auteur s'y juge d'une façon admi-
rahlemeiit lucide. 11 entend le Sphynx lui dire :
" Tu as agité des bannières, et, on a vu des oripeaux;
tu as cru rénover les plus bf aux rites, et l'on a vu
l'aire des mascarades... On ne fait pas la vie avec des
reliques; au lieu de montrer le passé comme le poil
de la vérité, il fallaitdeviiier l'avenir, le formuler. «
Mais l'avenir qu'il a négligé sera certainement
moins dur à Peladan que Peladan lui-même. Il eût
sans doute mérité une destinée plus brillante que
la sienne, mais il n'en demeure pas moins un peu
le prophète qu'il rêvait d'être; sans être un grand
penseur, il fut un homme qui pensa beaucoup, et il a
agité bien des problèmes, que l'avenir tentera de ré-
soudre ; notamment, les rapports de l'art avec la mo-
rale et la religion. (//v4>-/irfeaiîs/e e^mys/iq'Me [1894]).
Le chrétien, en Peladan, montre, en elfet, la qua-
trième face de ce talent divers et non la moins cu-
rieuse. La série de V Amphithéah'e des sciences
tnortes est précédée de cet élenctique : « Je crois et
je proclame que l'Eglise catholique est la vérité. Je
fuis profession d'en être le fils. Je suis prêt à brûler
mon œuvre de mes propres mains, si Pierre l'infail-
lible la jugeait mauvaise ou intempestive. »
Il fut catholique à la façon d'un homme de la
Renaissance; sa religion est oiitrancière; elle est in-
ternationale et n'admet aucune hiérarchie. Il donne
au sujet de l'élection du pape des instructions aux
cardinaux (1898); il rédige une supplique au souve-
rain pontife pour le décider à approuver le divorce
(1904). Mais, au fond, il fut moins relisieux, peut-
être, que désireux, comme certains individualistes
en senlent parfois le besoin, de trouver une puis-
sance capable de pardonner et d'oublier les erreurs
qui sont inévitables à l'homme qui cherche sans
autre guide que sa bonne volonté, oubli et pardon
que les hommes entre eux ne peuvent et ne savent
pas se donner. — Jean-Oabriel Lemoine.
'* phytopathologle n. f. — Encycl. L'agro-
nomie .s'est, jusqu'il ces dernières années, préoc-
cupée surtout de la fertilité du sol, et tous les efforts
des agronomes pour assurer le maximum des ren-
dements ont porté sur l'emploi judicieux des en-
grais, sur les rotations d'assolements, en un mot sur
les moyens les plus propres à restituer à la terre ce
que les récoltes lui enlèvent.
On peut dire qu'à l'heure actuelle, tous les pro-
grès possibles ont été faits dans cette voie et que
les pratiques culturales ont atteint le plus haut degré
de perfection. Il faut, cependant, constater que le ré-
sultat espéré n'est pas complètement atteint.
Quelle que soit, en effet, la perfection des mé-
thodes agronomiques, les produits du sol ne sont
pas intégralement notre propriété : car nous de-
vons les partager avec les innombrables parasites
contre lesquels nous n'avons pu jusqu'ici victorieu-
sement lutter. Ce que nous récoltons, c'est, en
somme, ce que ces parasites nous laissent.
Toutes les cultures, on le sait, sont exposées aux
insectes, microbes, cryptogames de toute sorte, qui
en vivent et souvent compromettent, s'ils ne l'anéan-
tissent pas entièrement, une récolte que le cultiva-
teur était en droit de recueillir sans partage.
LAROUSSE MENSUEL
Il e.st incontestable que la culture d'une même
plante sur de vastes espaces (comme en France la
vigne), si elle présente des avantages économiques,
a favorisé singulièrement la propagation des épi-
phyties ; dans une assez large mesure même, con-
tribué au développement de nouvelles maladies et
à l'éclosion de parasites nouveaux. Cependant, les
ennemis indigènes n'ont jamais été aussi nuisibles
que les parasites exotiques, transportés d'un pays
à l'autre à la faveur des échanges commerciaux, et
qui ont trouvé, souvent loin de leur pays d'origine,
des territoires éminemment favorables à leur déve-
loppement; le phylloxéra est un des plus saisissants
exemples qu'on en puisse citer. C'est contre ces en-
nemis du dehors qu'il faut protéger les cultures
indigènes, car, en effet, dès qu'ils se sont acclima-
tés dans un pays nouveau, les parasites s'y multi-
plient avec d'autant plus de facilité qu'en général
les ennemis naturels qui les eussent tenus en échec
n'y sont point parvenus avec eux. La part prélevée
par les divers ennemis des plantes est formidable.
On a pu évaluer à 3 milliards de francs la perte
que subit annuellement l'agriculture (en France
seulement) du fait des parasites. Les chiffres recueil-
lis à ce sujet par P. Noël, directeur du laboratoire
d'entomologie agricole de la Seine-Inférieure, sont
particulièrement éloquents. On cultive en France,
dit-il, 330 plantes utiles, au maximum, se répartis-
saut ainsi : 16 arbres fruitiers, 28 plantes potagères,
38 plantes fourragères et céréales, 14 arbres fores-
tiers, 34 arbres ou arbustes d'ornement, 117 plantes
d'ornement et 85 plantes médicinales ou indus-
trielles. Ces végétaux sont attaqués par environ
6.000 espèces d'insectes, dont certaines visitent
d'ailleurs plusieurs plantes, et par environ 2.000
maladies cryptogamiques ou microbiennes; de sorte
que les ennemis des plantes sont, au total, au nom-
bre de 8.000, dont beaucoup passent en général
inaperçus, soit en raison de leur petitesse, soit en
raison du caractère insidieux de leur envahissement.
Comme les épidémies ou les épizooties, les grandes
invasions parasitaires, les épiphyties redoutables ont
occasionné de vrais désastres, dont les effets ont
profondément éprouvé les populations. L'importance
des dommages a provoqué tout un ensemble de me-
sures qui, hélas I n'ont d'ailleurs pas toujours été
efficaces : mesures prophylactiques pour prévenir
le retour du fléau, enrayer son expansion, limiter
ses effets, et mesures administratives pour venir en
aide (sous diversesformes)auxpopulations sinistrées.
Mais, à côté de ces désastres retentissants, on a
quelque peu oublié les dégâts isolés — considé-
rables, pourtant, eux aussi — que provoquent les
ravageurs éparpillés, agissant par places et de ma-
nière moins apparente. On s'était, bien à tort,
habitué à considérer comme une rançon inéluc-
table la dime que prélèvent de-ci de-làles parasites
et les ravages qu'occasionnent insidieusement des
maladies à évolution encore mal connue.
C'est précisément pour reconquérir la part que se
taillent les parasites que l'agronomie met en œuvre
aujourd'hui de nouvelles méthodes. De même qu'il
ne suffirait pas, pour assurer à l'homme ou à l'ani-
mal une croissance normale, de lui fournir une ali-
mentation rationnelle, mais encore qu'il faut les
préserver l'un et l'autre contre les maladies dont ils
sont menacés, de même on constate aujourd'hui
qu'il ne suffit pas de fournir à laplante tous les élé-
ments indispensables à l'élaboration de ses tissus,
mais qu\\ convient aussi de lui assurer une protec-
tion elficace contre les ennemis et les maladies qui
la guettent.
C'est donc de cette préoccupation qu'est née la
phytopathologie, science que l'on peut dire nou-
velle, bien qu'il y ait eu de tout tempa des maladies
à combattre chez les plantes. Si des savants des
xvii« et xvni' siècles, comme Réaumur, de Can-
dolle, etc., ont jeté les premières bases de cette
science, elle se confondit au débui, avec la bota-
nique et la zoologie, et il faut arriver jusqu'à nos
jours pour la voir s'ériger peu à peu en science
autonome, caractérisée par une technique spéciale,
des méthodes particnlièns, constituant un corps de
doctrine. C'est, d'ailleurs, le long enchaînement des
découvertes qu'a enregistrées la science à la fin du
xix« siècle et au commencement du xx« qui a
permis à la pathologie végétale d'instaurer ses mé-
thodes nouvelles.
L'exemple donné par les Etats-Unis, oti fonctionne
la plus puissante organisation phytopathologique, a
été suivi par les grandes nations, qui ont compris
tout l'intérêt que présente cette question.
En France, la phytopathologie s'est développée,
grâce aux efforts d'Eugène 'Tisserand, d'Edouard
Prillieux, d'Eugène Roux, de Paul Marchai. Un
décret du 19 février 1912 a institué un Comité consul-
tatif des épiphyties.
Ce Comité est chargé d'étudier les questions re-
latives aux insectes, cryptogames et autres para-
sites nuisibles à l'agriculture qui lui sont soumises
p:ir le ministre, et spécialement en ce qui concerne
les procédés à employer et les mesures à prendre
pourpréveniretcombattrelesépiphyties, c'est-k-dire
toutes les maladies des plantes d'ordre parasitaire.
N' 141. Novembre 1918.
La loi du 21 juin 1898 permet au ministre de
l'agriculture de prescrire aux préfets de prendre
des arrêtés permanents ou temporaires pour arrêter
ou prévenir les dommages causés à l'agriculture
par les insectes, les cryptogames ou autres végé-
ta'ix nuisibles, lorsque ces dommages prennent ou
peuvent prendre un caractère envahissant ou cala-
miteux (art. 76 à 80). En outre, celte même loi
permet au ministre de l'agriculture de provoquer la
signature de décrets ayant pour objet d'interdire
l'entrée en France des végétaux, fleurs, feuilles,
terres, composts et objets quelconques susceptibles
de servir à l'introduction d'animaux, de larves, de
plantes et de cryptogames reconnus dangereux
(art. 81) et aussi de prendre des arrêtés en vue de
réglementer les conditions sous lesquelles peuvent
entrer et circuler en France les végétaux, fleurs,
feuilles, terres, composts et objets soupçonnés dan-
gereux et provenant de pays étrangers ou des parties
du territoire français déjà envaliies, et auxquels ne
s'appliquent pas les décrets d'interdiction (art. 82).
Quelques modifications pourraient être utilement
apportées à cette législation. C'est ainsi qu'il y aurait
lieu de comprendre les rongeurs (rats, souris, cam-
pagnols) parmi les parasiles dont l'article 76 de la
loi de 1898 prescrit la destruction. La Chambre est
saisie de deux propositions de loi dans ce sens.
Sur l'avis du comitédes épiphyties, des subventions
peuvent être accordées aux établissements scienti-
fiques poursuivant des recherches analogues à celles
du service et dépendant de communes, de départe-
ments ou d'administrations de l'Etat, ou à des sa-
vants pour poursuivre leurs travaux intéressant les
épiphyties. L'action de ce service s'étend donc h
tout le territoire, et les Annales du service des
épiphyties, qui en sont l'organe, publient les tra-
vaux et recherches du personnel scientifique de ce
service, les rapports sur les missions d'études, des
articles d'ensemble et de m ise au point sur les divers
problèmes de phytopathologie.
Des services analogues fonctionnent dans la plu-
part des pays; mais, pour protéger efficacement les
plantes contre leurs parasites, il est apparu qu'une
action commune devait être engagée, qu'une coopé-
ration internationale dans la lutte devait être entre-
prise. Sur l'initiative du gouvernement français,
d'accord avec le gouvernement royal italien, une
conférence internationale de phytopathologie s'est
réunie à Rome (24 févr.-4 mars 1914), sous les aus-
pices de l'Institut international d'agricullure. 30 Etals
s'y étaient fait représenter : Allemagne, Autriche-
Hongrie, Belgique, Chili, Chine, Gosta-Rica, Dane-
mark, république Dominicaine, Espagne, France,
Grande-Bretagne, Grèce, Guatemala, Irlande, Italie,
Japon, Luxembourg, principauté de Monaco, Pays-
Bas, Roumanie, Russie, Serbie, Suède, Suisse, Tur-
quie, en y comprenant certains pays de protectorat
et colonies, comme l'Algérie, la Tunisie, le Maroc,
le Canada et les Indes anglaises.
La France y était représentée par Develle, séna-
teur, ancien ministre des affaires étrangères et de
l'agriculture; de Billy, conseiller de l'ambassade de
France près le gouvernement italien ; Louis Dop,
vice-président de l'Institut international d'agricul-
ture; Mangin, membre de l'Institut, professeur au
Muséum d'histoire naturelle; Bouvier, membre de
l'Institut, professeur au Muséum d'histoire naturelle ;
Marchai, membre de rinstitul, directeur de la sta-
tion entomologique de Paris ; Schribaux, directeur
de la station d'essais de semences de Paris, et Foëx,
directeur adjoint de la station de pathologie végé-
tale de Paris.
Cette conférence a arrêté, le 4 mars, les termes
d'une convention par laquelle les Etats contrac-
tants s'engagent à prendre les mesures législatives
et administratives nécessaires en vue d'assurer une
action commune contre l'introduction et l'extension
des ennemis des végétaux (surveillance efficace des
pépinicres, jardins, serres et autres étalilisseinenls
livrant au commerce des plantes vivantes [plants,
boutures, greffes, oignons à fieurs et fleurs coupées] ;
inspection des envols et délivrance des certificats
phytopathologiqiies; conslatationde l'apparition des
maladies des plantes et dos animaux nuisibles, ainsi
que l'indication des localités infectées; moyens de
lutter contre les maladies des plantes et de ks pré-
venir; réglementation du transport et de l'emballage
des plantes; création, dans chaque Etat, d'un service
gouvernemental de phyptopalhologie, etc.).
C'est l'Insliliit international d'agriculture qui
est le centre officiel de toutes les questions se réfé-
rant aux ennemis des végétaux et qui recueillera
les renseignements de tout genre des services de
phytopathologie.
Ces Etats s'engagent, en outre, à n'admettre à
l'importation les plantes susvisécs que si elles sont
accompagnées du certificat phylopalhologique déli-
vré par les agents officiels compétents du pays
exportateur.
Pour répondre à la convention internationale de
Rome et afin que le comité des épiphyties fût à
même de se prononcer en connaissance de cause
sur les problèmes multiples et délicats qui lui sont
soumis, il importait d'organiser pratiquement des
flc 141. Novembre 1918.
stations où doivent se poursuivre les études et les
recherches scientiOques agricoles.
A cet e(Tel, le décret du 11 mai 1915 créa au
Ministère de l'agriculture sous le nom de Service
dts éplphyties un service des maladies des plantes
comprenant :
l» Les stat'ons d'études des maladies des plantes;
a» L'inspection phylopathologique de la produc-
tion agricole;
3° Le contrôle à l'imporlation des semences four-
ragères [en vue d'empêcher l'introduction de la
cuscute].
Les cadres du personnel sont ainsi fixés :
4 inspecteurs, 10 directeurs, 4 sous-directeurs ou
chefs de travaux, 4 préparateurs et 3 garçons de
laboratoire.
Les inspecteurs se recrutent parmi les directeurs
de stations, ou bien parmi les inspecteurs de la
viticulture, les délégués du phylloxéra et les agents
techniques détachés à l'administration centrale.
Les directeurs, sous-directeurs et chefs des tra-
vaux sont nommés au concours. 11 en est de même
des préparateurs, mais parmi les anciens élèves de
rinstilut national agronomique et des écoles natio-
nales d'agriculture.
L'avancement a lieu d'une classe à l'autre, au
choix (2 ans) ou à l'ancienneté (3 ans).
En outre, des correspondants près le service des
épiphylies ont été institués par arrêté du ministre
de l'agriculture en date du 25 juin 1916, comme
l'ont fait les Etats-Unis, l'Italie, les Pays-Bas, la
Russie , l'Allemagne et l'Aulriche-Hongiie. La
mission de ces correspondants consiste à informer
le service des épiphyties de l'apparition des parasites
dans leur région respective, à lui fournir les pre-
miers renseignements sur leur extension, sur leurs
dégâts et à lui adresser des matériaux d'études. Ces
correspondants sont choisis parmi les agriculteurs
et les personnes de bonne volonté s'inléressanl à
l'agricuUnre.
Leur concours est gratuit. Ils sont groupés par
circonscription d'inspection phylopathologique. Par
leurs rapports mensuels, l'inspecteur est toujours
au courant de la situation sanitaire des cultures de
sa région et peut alors donner en temps opportun
des instructions pour la lutte.
On étudie aussi la possibilité de la création
d^associés qui seraient choisis parmi les savants
spécialistes pouvant rendre des services scientifiques
au service des épiphylies.
Les diverses stations existantes groupées par ce
décret sont : les stations d'entomologie de Paris,
de Beaune, de Montpellier, de Bordeaux et deBlois;
les stations de pathologie végétale de Paris, Cadil-
lac et Antibes; la station d'essais de semences; la
station de recherches vilicoles et le laboratoire des
fermentations. Les deux stations séricicoles de
Draguignan et d'AIais et l'inspeclion des grainages
des vers à soie sont rattachées à ce service. 11 en
sera de même des stations d'apiculture dont la
création est à l'étude pour les recherches sur les
maladies des abeilles.
Le service d'inspection phylopathologique, orga-
nisé en France par le décret du 5 février 1915, ré-
pond aux exigences des réglementations des pays
énumérés plus haut et de la convention internatio-
nale phylopathologique de Rome du 4 mars 1914.
Le personnel comprend : un inspecteur principal
chef du service, un inspecteur principal adjomt, des
inspecteurs, des inspecteurs adjoints et des contrô-
leurs. (V.Larousse il/ens.iZi., t. Il, p. 411.) La France
est divisée, chaque année, en un certain nombre de
circonscriptionsd'inspection phylopathologique, cha-
cune avec deux inspecteurs, un enlomologiste et
un cryptogamisle. L'un d'eux est le chef et comme
tel chargé de la délivrance des certificats phylopa-
Ihologiqnes. Les visites des cultures s'effectuent
aux époc^es où la présence des parasites dans les
plantations est le plus facilement décelable, notam-
ment au commencement de l'élé et ae l'automne.
En vue de la délivrance de c6vti?icsXs santé-origine,
les visites se feront pendant la période culturale.
La visite des produits doit se faire quand les pro-
duits sont emmagasinés ou au moment où ceux-ci
doivent être emballés. Un registre esi déposé dans
chaque établissement contrôlé pour y consigner la
date, l'objet des visites et les observations.
Les exportateurs ont la faculté de demander le
contrôle du service d'inspection phylopathologique
en se conformant à l'article 8 du déi:iet du 5 fé-
vrier 1915. Ils adressent au ministère de l'agricul-
ture, avant le i" avril, une demande sur papier
timbré, qui doit être renouvelée chaque année dans
le même délai et conforme à l'un des trois modèles
officiels, qui sont établis : 1° pour produits de pépi-
nières autres que les plants de vigne; 2" pour pro-
duits agricoles d'orisfine végétale (grains, semences,
pépins etnoyauxd'arbresfrui tiers, tubercules, racines,
oignons, bulbes, etc.); 3° pour les plants de vigne.
Les visites donnent lieu à la délivrance des certi-
ficats phylopathologiques variables suivant les pro-
duits exportés elles pays, et qui ne sont admis dans
les pays étrangers qu accompagnés de la facture
consulaire.
LAROUSSE MENSUEL
Le gouvernement argentin exige que les envois
de pommes de terre importées sur son territoire
soient accompagnés d'un cerlificat spécial dénommé
Certificat « santé-origine » attestant que les cul-
tures dont proviennent les tubercules sont exemptes
des parasites suivants : chrysophlyctis endobiotica
(gale noire), rhizoclonia solani, heterodera radici-
cola, phytophtora infestans, lila solanelta.
Le nombre des établissements horticoles ou vili-
coles inscrits au contrôle de l'Etat et inspectés
en 1905 a été de 245, répartis entre 103 proprié-
taires. En outre, les 15 exportateurs de pommes de
terre ont été visités en vue de la délivrance du cer-
tificat pour la république Argentine. L'Etat fait
d'abord face à toutes les dépenses, puis, à la fin de
chaque exercice, il répartit les sommes à payer
entre les divers établissements contrôlés propor-
tionnellement à la valeur de leurs exportations.
Quelle qje soit la vigilance des inspecteurs, leurs
certificats ne peuvent offrir une garantie absolue.
Aussi certains pays exigent-ils des certificats de fu-
migation. Dans ce cas, c'est par l'acide cyanhydri-
que qu'on doit opérer. Pour avoir encore plus de
garantie, souvent c'est à l'arrivée que l'Etat import»-
teur effectue la fumigation, aux frais des intéressés.
Celte désinfection des plantes cultivées prend
chaque jour plus d'importance, et elle est pleine-
ment justifiée, car il est peu de pays qui n'aient pas
été éprouvés pa»" des parasites d'importation étran-
gère. Nous devons aux Etats-Unis le phylloxéra et
le puceron lanigère; à l'Italie l'eudémis delà vigne;
à l'Australie, Vicerya Purchasi. Les Etats-Unis ont
reçu d'Europe la cécidomyie destructive du blé, le
charançon de la luzerne, deux papillons, le spon-
gieux et le bombyx cul-brun, etc.
Tableau montrant l'état de la réglementation internationale
visant l'importation des produits de pépinières et des
produits agricoles d'origine végétale, au ê3 février t9fS.
Produits devant être accompagnés d'un certificat
pliytopathologique.
Argentine : Plantes vivantes, boutures, bulbes, tubercules,
racines, fruits, semences. (Décrets des 23 août 1902,
29 mai 1913 et 20 oct. 1913.)
Australie : Plantes vivantes, semences, pommes de terre.
(Proclamation du 17 mars 1911.)
Brésit : Plantes vivantes, boutures, fruits, tubercules,
semences. (Décret du 10 mars 1915.)
Le Cap : Plantes vivantes. (Nurserey Inspection and Qua-
rantine Act n" 29, 1905.)
Ctiili : Plantes vivantes et produits agricoles d'origine
végétale. (Conférence du 10 mai 1913, des Etats Sud-
Américains.)
Egypte : Plantes vivantes, boutures, bulbes, tubercules,
racines. (Loi du il mars 1913.) Le certificat peut dis-
penser de la fumigation. ,
Espagne : Plants de vignes. (Décret du 22 sept. 1913.)
Etats-Unis : Produits de pépinière et autres plantes ou
produits végétaux, noyaux et semences d'arbres frui-
tiers ou arbustes d'ornement. (Plant Quarantine Act
du 30 août 1912.) L'importation des pins, des citrus et
de toutes les espèces et variétés de groseilliers à
grappes et groseilliers épineux est rigoureusement
interdite.
Ile Maurice : Plantes vivantes, boutures, racines, tuber-
cules. (Proclamation n" 81 du 9 août 1913.)
indo- Britannique [Empire] : Pommes do terre. (Notifica-
tion du 19 mars 1914.)
7Von)èye:Plantsdegroseilliers.(Ordonnancedul2fév.l9U.)
Nouvelle-Zélande : Plantes vivantes. (Ordre du 20 fév. 1908.)
L'importation des plants de vigne est formellement
prohibée.
Pérou : Plantes vivantes et produits agricoles d'origine
végétale. (Confé-ence du 10 mai 1913, des Etats Sud-
Américains.)
Etats du Sad-Afnque ; Pommes de terre. (Agricultural
Pests Act. 191 l.j
Uruguay : Plantes vivantes et parties de plantes vivantes.
(Loi du 21 oct. 1911.)
Algérie : Plants de vignes. (Arrêtés du 11 fév. et du
21 août 1914.)
Végétaux à l'état ligneux, palmiers racines ou non,
ainsi que leurs débris frais en provenance des Alpes-
Maritimes, Var, Bouclios-du-Rhône, Gard, Hérault,
Aude, Pyrénées -Orientales et Corso. (Décret du
18 avril 1914.) Le certificat dispense do la désinfection.
En présence des échanges internationaux, toujours
de plus en plus nombreux, grâce à la rapidité et à
la facilité des communications, le service des épi-
phyties répond à une nécessité absolue pour mettre
notre agriculture à l'abri des parasites d'origine
étrangère. Il présente un grand intérêt pratique et
scientifique et fait honneur à la direction du minis-
tère de l'agriculture qui l'a instituée. — A. méséoadi.
plisrtopatliologlste n. m. Savant qui
s'occupe de phytopathologie.
Russie et la gueire (la). — Russie et
l'Europe (la), par G. Alexinsky. Paris, 1915-
1917. — L'ancien député à la Douma Grégoire
Alexinsky est un des écrivains russes qui, dans
ces dernières années, nous ont donné sur son pays
les vues les plus complètes et les plus exactes. Lès
événements de mars 1917 ont, en effet, réalisé plu-
sieurs de ses prévisions et de ses vœux.
Déjà, en 1912, sous co titre : la Bussie moderne,
Alexinsky avait publié un ouvrage qui, après un
rapide aperça sur le développement historique de
la Russie, sur le milieu, les races, l'Etat, résumait
625
admirablement la situation de l'empire tant au
point de vue politique, qu'économique ou littéraire.
Il avait expliqué 1 organisme gouvernemental, dé-
crit la puissance de la bureaucratie et raconté ses
luttes avec les tendances nouvelles qui avaient
triomphé lors de la révolution de 1905 : il avait
même abordé le problème religieux, montré sa
gravité, son acuité, ses rapports étroits avec les
luttes politiques; il avait, enfin, en un résumé suc-
cinct, donné une idée très claire et complète des
diverses tendances qui se partagent la litlératuie
russe, montrant notamment le rôle prépondérant
qu'y jouent les préoccupations sociales.
Dans son récent volume : la Hussie et VEurope,
il revient sur le même sujet dans un esprit peut-
être un peu différent, s'appliquant surtout, ainsi
3ue l'indique son litre, à déterminer la part exacte
es influences européennes sur le développement
politique, économique, littéraire de l'empire.
L'élément étranger se trouve à l'origine de l'his-
toire russe, commence-t-il par établir dans sa pre-
mière partie : <i Les liens matériels entre la Russie
et l'Europe. » C'est d'aboid l'inllueiice Scandinave,
puis la grecque ou byzantine ; c'est, un peu plus tartl,
l'invasion des trafiquants des villes hanséatiques,
le début de cette mainmise du commerce allemand
sur la Russie, qui amènera peu à peu dans les pro-
vinces nord-ouest de l'empire une population mixte,
rébarbative à la russification, mais active, influente,
accapareuse, dont le rôle ira se développant au
filus grand préjudice de la vieille Russie dans tous
es rouages de l'organisme officiel.
Quel est, aux yeux d'un démocrate comme
Alexinsky, le bénéfice retiré par le peuple de la ré-
forme fondamentale de Pierre le Grand? On a l'ha-
bitude de dater de ce règne l'européanisalion de la
Russie ; G. Alexinsky ne ratifie pas ce jugement sim-
pliste; tout le début de son livre prouve, en effet,
qu'avant l'avènement des Romanov, la Russie n'était
pas cet Elat asiatique, fermé au commerce et à la
pénétration européenne, qu'on a coutume de dire.
Sans doute, le règne de Pierre marque le point de
dépari d'une européanisation systématique; mais le
tsar très profondément russe qu'est le fils d'Alexis
ne prétend acquérir de l'Occident que les moyens
d'enrichir son peuple, de développer son goût, ses
connaissances, son industrie ou son commerce; il
tient nettement à l'écart ceux qui voudraient trans-
former la nature même de l'Etat ; il s'oppose à ce
que l'étranger prenne en Russie la place prépondé-
rante que ses successeurs, les Anne, les Elisabeth,
les Catherine autorisent, au contraire, ou favorisent,
au grand détriment de la population autochtone.
Du point de vue russe, les règnes des tsarines du
xviii"! siècle, si brillants par certains côiés, appa-
raissent comme nettement préjudiciables aux intérêts
généraux de la population. Les scandaleuses faveurs
accordées aux immigrants leur permettent, surtout
après l'ukase de 1763, de fonder de véritables co-
lonies étrangères, exemples d'impôt, exemptes du
service militaire, ayant leurs juridictions propres,
leur autonomie presque entière : c'est, proprement,
l'intronisation d'un Elat dans l'Etat; et pour quel
profit I Catherine croit peut-être enrichir son em-
pire; elle enrichit surtout les Allemands, qui vien-
nent le peupler; la bourgeoisie russe et à fortiori le
peuple tombent sous le joug étranger; et c'est, dans
le gouvernement même, l'influence étrangère qui
devient prédominante; une lutte s'y engage et s'y
poursuivra durant plus d'un siècle entre les ten-
dances germaniques, anglaises ou françaises : l'es-
prit proprement russe y fera trop souvent défaut.
Cependant, le large souffle venu d'Europe ne
manqua pas d'émanciper les esprits et de faire naître
les espoirs : la Russie colonisée et européanisée
devait peu à peu sentir le poids du joug et s'agiter
pour le secouer. Le tsar aurait pu, et dû, être son
allié dans cette lutte : Alexandre l*"" eut, à certaines
heures, la claire vision de son devoir, mais ne fut
jamais capable de réaliser ses trop vagues désirs.
Alexandre II fut, on le sait, combattu dans son
propre entourage, qui trouva une aide inattendue
parmi les nihilistes; le premier pas vers le régime
constitutionnel fut, par le fait de l'attentat du
13 mars 1881, relardé de vingt-cinq ans. Nicolas II,
cet autre Louis XVI, dont la destinée et le carac-
tère rappellent si exactement le souvenir de l'époux
de Marie-.\ntoinette, pacifiste, humanitaire et libé-
ral, ne put pas plus instaurer en son empire un
régime constitutionnel qu'en Europe le rêve de
l'ahbé de Saint-Pierre!...
On retrouve parmi les écrivains russes le même
effort occidental que parmi les commerçants et les
bureaucrates; mais, vivant plus que ceux-ci au mi-
lieu du peuple, ils se russifient davantage, et plus
vite : si un Pouchkine est d'origine abyssine et si
Lermontov a du sang écossais, si Grégorowilch est
fils d'une émigrée française et Andrew d'une po-
lonaise, si beaucoup d'autres sont nés en deçà de la
Vistule et de l'Oder, tous s'imprègnent, dès leurs
premières œuvres, de la pensée nationale, y plient
des idées d'origine occidentale et leur aonnent
une tournure slave. Depuis Yvan Kbvorostinine,
qu' Alexinsky qualifie de premier Zapadnik russe,
626
(motqui signifie champion de l'occidenlalisme),)n&-
quà Uosloïevski.tous les littérateurs, romanciers ou
sociologues, ont reflété les tendances occidentales :
Krijanili, au xvn» siècle, qu'on représente comme
le preirier slavophile, quoique, lui aussi, soit d'ori-
gine étrangère, donne déjà l'Occident comme mo-
dèle & ses contemporains et, blâmant le despotisme
byzantin, vante le libéralisme des royaumes de
Franco ou d'Kspagne, tout comme, deux siècles
filus tard, Bielinsliy, disciple de Fichte et de Schel-
ing, Baliounine, admirateur et ami de Marx, don-
nent la pliilosophie allemande en exemple k leurs
lecteurs ou à leurs adeptes.
De tout ceci il ne faut pas conclure, dit Alexinsky,
que la Russie n'a pas une Ame et une pensée pro-
pres, mais que la culture occidentale est utile k son
évolution, ce que Dosloievsky traduisait dans cette
formule : « Nous, Russes, avons deux patries :
notre Russie et l'Europe. «
« Quelle était la situation de la Russie à la veille
de la guerre? Peut-on dire que cette guerre ait été
voulue par le peuple russe, ou par son gouverne-
ment, ou par tous les deux? Comment fut-elle ac-
cueillie pur la société et par les masses populaires
en Russie? Quelle attitude prirent en face du con-
flit mondial les diverses nationalités et les partis
politiques de notre pays? Pourquoi quelques-uns
des révolutionnaires et des socialistes russes éprou-
vent-ils une étrange peur que la Russie soit victo-
rieuse et même espèrent-ils qu'elle ait le dessous?
De quelle façon les gouvernements des pays menant
la guerre contre la Russie tâchèrent-ils d'exploiter
à leur profit la haine des révolutionnaires russes
pour le tsarisme?... Quelles perspectives s'ouvrent
à la Russie après la fin de la puerre ? Qu'est-ce que
l'Europe peut trouver en Russie et la Russie en Eu-
rope, après l'écrasement du militarisme prussien qui
les menace toutesdeux?» Telles sont les nombreuses
et suggestives questions auxquelles l'ancien député
de Petrogiad s'efforçait de répondre, ily a quelques
mois à peine, dans son livre: la Russie et la Guerre.
Ses réponses sont d'autant plus intéressantes qu'elles
émanent d'un homme dont les amis ont été avec
Kerensky au pouvoir et qui se trouvait ainsi être
leur interprète en France, alors qu'eux-mêmes gar-
daient le silence en Russie. La Russie était, il y a
trois ans, essentiellement pacifique, et personne, pas
plus conservateurs que libéraux, ne désirait une lutte
à laquelle chacun sentait, pourtant, que l'empire serait
tôt ou tard acculé. La situation économique était
prospère; de nombreuses usines s'étaient créées de-
puis 1905; les relations commerciales étaient parti-
culièrement intenses avec l'Allemagne. Le traité de
1904 avait singulièrement favorisé les inljrôls alle-
mands, qui, en dix ans, avaient plus que doublé (im-
portation allemande de Russie en l'JOl : 187 millions
de roubles; en 1909 : 3S7 millions; exportation alle-
mande en Russie en 1901 : 217 millions ; en 1909 :
363 millions); aussi le renouvellement du traité qui
devait avoir lieu en 191a était-il, à la veille de la
guerre, fort discuté à Saint-Pétersbourg. Grâce à la
brillante situation économique et malgré de lourds
emprunts, la situation financière était bonne; l'ar-
mée était en voie de développement assez lent, mais
réel : déjà, cependant, on pouvait voir dans cette
sphère la lutte des deux tendances : celle qui pous-
sait au reiifoicement de la puissance russe, celle
qui, au contraire, voulait éviter la guerre à tout prix.
On trouvait des défenseurs de cette dernière
thèse, comme aujourd'hui, dans les deux camps
extrêmes de la politique russe.
La grande musse de la population, la Douma, le
tsar voulaient que l'empire pu! se défendre contre
une agression ennemie, et rien d'autre; quand
l'agression se produisit, le gouvernement travailla
sans ariière-pensée à ralliei autour de lui le pays
toutentier; l'extrême gauche lui refusa sa confiance,
ce qui fut par'out jugé avec sévérité : Alexinsky
plaide les circonstances atténuantes, sans nous con-
vaincre entièrement : les faits d'aujourd'hui pour-
raient lui donner raison, si, au lieu de s'appuyer sur
des arguments de politique intérieure (refus d'am-
nistie, méconnaissance de la Constitution, etc.), les
députés travaillistes avaient ouvertement exprimé
leur crainte de voir le gouvernement d'extrême
droite pactiser avec l'ennemi ; ce faisant, ils auraient,
sans doute, devancé les événements, mais auraient,
jusqu'à un certain point, justifié leur conduite. Au
reste, il n'y eut qu'un peti^ gronpe dissident qui per-
sévéra dans sa conduite antinationale, allant jusqu'à
souhaiter la défaite russe, comme disait Lénine,
pour avo'r plus tôt raison du tsarisme. Tcehkeidze
disait, an contraire: « Nous devons défendre l'arbre
petit et faible de notre civilisation contre le danger
qui le menace. »
Kropotkine se refusait à envisager les conséquen-
ces de la victoire allemande, « tant elles seraient
affreuses »; et le fondateur respecté du parti social-
démocrate, Plfikhanov, écrivait du fond de son exil :
« Il n'est parmi nous que le parti extrême de la réac-
tion qui puisse raisonnablement souhaiter le triom-
phe de l'Allemagne; il mettrait en échec le progrès
de l'Europe occidentale et assoirait définitivement,
où à peu près, le despotisme russe. ■>
LAROUSSE MENSUEL
Si donc la grande majorité des partis démocrati-
ques s'était ralliée à la guerre, elle n'en conservait
pas moins ses idées spéciales sur la paix. Alexinsky
était leur fidèle interprèle — des récentes déclara-
tions officielles en sont la preuve — en refusant des
conquêtes qu'il déclarait dangereuses. En renonçant
à la Galicie, en acceptant sans réticence la consti-
tution d'un Etat polonais indépendant et libre, en
abandonnant toute visée sur Constantinople, la nou-
velle Russie manifestait sa sagesse et proclamait à
son tour son respect pour les principes qui doivent
être la base de la paix future; elle savait qu'elle y
trouverait un bénéfice matériel et moral assez im-
portant : la guerre aurait mis fin à l'invasion paci-
fique germanique, qui progressait si rapidement de-
puis un quart de siècle qu'elle devenait un véritable
danger de mort pour la race (aussi bien en Russie
qu'en France) ; elle aurait décuplé sa puissance
industrielle et, parlant, sa fortune ; elle aurait sur-
tout, suivant le vœu de Grégoire A'exinsky, mis à
nu les trahisons d'un parti qui, dans son propre
intérêt, conspirait contre le pays, et permis de réa-
liser la révolution nationale, qui, d'un bond, plaçait
la Russie au rang de ces Etals occidentaux, objets
de son admiration et de son affection, de ces démo-
craties souveraines, qui, elles aussi, auront éprouvé
leurs forces dans le creuset d'un même héroïsme et
d'une .nêiue souffrance. Mais cette nouvelle Russie
patriote, dont nons saluions l'avènement au prin-
temps de 1917, s'est montrée incapable de réaliser
son rêve; et elle ne paraît aujourd'hui avoir secoué
le joug de l'autocratie que pour devenir la proie de
l'anarchie et de l'ennemi. — Pierre r*in.
Signaux sonores sous-marins. —
Commu7iicalions par ondes sonores sous-marines.
— Le navire serait certainement le moyen le plus
économique de transportde matériel, si les dangers
de la navigation n'existaient pas et s'il ne fallait pas
se mettre en garde contre eux, ce qui coûte très
cher. Pour n'en citer qu'un exemple : à la suite du
désastre du Titanic, tous les grands navires à pas-
sagers doivent avoir une double coque, l'une enclo-
sant l'autre.
La navigation est devenue, cependant, moins péril-
leuse, malgré les grandes vitesses réalisées, grâce
à des phares plus nombreux, à des cartes meilleures,
aux compas et sondeurs Thomson et à la T. S. F.,
qui permet d'avertir les navires des perturbations
atmosphériques. Mais on n'avait
pas encore trouvé d'antidoto
contre le danger le plus redou-
table de tous, o la brume ».
Qui de nous, à l'entrée de la
Manche, du détroit de Gibraltar,
de l'entrée du Yang-Tsé, par
exemple, n'a pas éprouvé une
impression de malaise angois-
sant en entendant mugir les sons
lugubres des sifflets etdes sirènes
des navires voisins?
Malgré les vitesses réduites
que les règlements internatio-
naux prescrivent de prendre, on
est exposé à tout instant à voir
surgir sous ses yeux une masse
confuse qui peut vous envoyer
par le fond en quelques minutes,
en dépit de tous les comparti-
mentages et de toutes les cloi-
sons étanches.
De nombreuses expériences
ont démontré que l'on ne pouvait
jamais compter sur les signaux
aériens pour indiquer la direc-
tion dans laquelle se trouve le
navire qui les a émis.
Il existe, en effet, dans l'atmo-
sphère des zones de densités
différentes qui les réfléchissent Fig.j.— cloche sous-
ou les réfractent, des zones de marine, mue par reiec-
silence, s'étendant parfois de "'""pos'rsTrre ""'
quelques centaines de mètres à
8 ou 9 kilomètres, qu'ils ne traversent pas ; enfin,
quand le veut est fort, ils sont déviés de leur
direction primitive.
Mundy, de Boston, fut le premier Américain
qui eut l'idée d'utiliser l'élément liquide pour la
transmission des signaux. Ce procédé présentait les
avantages suivants :Ies transmissions sous-marines
sont exemptes des dangereuses zones de silence de
l'atmosphère; dans l'eau, les signaux se propagent
beaucoup plus loin; le son n'est pas dévié de sa
roule pendant les coups de vent, ni affecté par les
perturbations atmosphériques comme le sont les
oniles émises par la T. S. F.
Beaucoup d'hommes éminents, Mundy, 'Wood,
Fay, 'William et d'autres se sont attelés à la
besogne et, finalement, ont résolu le problème.
Après avoir dépensé plus de 5 millions de francs
sans aucun profit, pour la seule question des com-
munications entre sous-marins, après des essais
prolongés, des bouées de brume à cloche, dont le
nattant est mis en branle à l'aide de réservoirs d'air
«• 141. Novembre ISIâ.
comprimé ou par le mouvement même de la mer,
ont été mouillées près des dangers isolés, dans le
voisinage des phares, on a fixé sur le fond des
cloches sous-marines, fonctionnant électriquement:
enfin, on les a suspendues le long de la coque des
bateaux-feux. Toutes sont agencées de telle ma-
nière que le nombre de coups frappés par les bat-
tants et l'intervalle des coups peuvent être différen-
ciés de telle façon que chaque poste signale lui-même
son identité au navire qui les entend.
D'autre part, les bâtiments ont été d'abord pour-
vus de microphones étanches suspendus à l'avant,
le long du bord, en dessous de la flottaison ; mais
l'expérience a démontré qu'il était préférable de les
loger sur le navire môme, dans une petite caisse
remplie d'eau, dont
la coque formait un
côté. Cette disposi-
tion a pour résultat
de les isoler des
bruits confus de la
machine, des hélices,
de la mer. Ces mi-
crophones sont donc
installés de chaque
côté de la coque et
reliés électrique-
ment à un indicateur
placé sur la passe-
relle, dans la cham-
bre de navigation, et
qui est muni de cha-
que bord d'un écou-
teur téléphonique et
d'une sonnerie.
Quand une des son-
neries, celle de bâ-
bord (gauche), par
exemple, vibre, le
capitaine ou l'officier
de quartporte l'écou-
teur correspondant à
son oreille et recon-
naît par le nombre
et l'intervalle des
coups de quelle sta-
tion ils proviennent.
11 fait ensuite venir
doucementl'avant du
navire vers la gau-
che, jusqu'à ce que
la sonnerie du mi-
crophone de tribord (droite) se mette en branle,
et il arrête le mouvement quand il entend, dans
les deux écouteurs, les coups de battant avec
une égale intensité de son. En se servant de son
compas, il sait alors qu'il se trouve placé sur telle
direction par rapport à un phare, à un bateau-feu
ou à un danger isolé, suivant le cas, ce qui constitue
pour un capitaine un renseignement précieux. Les
sous-marins et les bâtiments ont été, de leur côté,
d'abord pourvus d'appareils frappeurs, produisant
des sons analogues à ceux d'un marteau sur une
enclume et qu'ils utilisent, par l'intermédiaire de
leurs microphones, pour se signaler mutuellement
la direction qu'ils suivaient ou échanger des signaux
de convention.
Avant d'en arriver à l'appareil Fessenden, qui
résout pratiquement le problème des communica-
tions sonores avec les postes d émission à terre ou
de naviic à navire, il nous reste à parler d'une mé-
thode imaginée par r.\nt;lais Joly, pour déterminer
la distance d'un navire à une source sonore à l'aide
des signaux sous-marins, aériens ou hertziens.
A la température de 10", la vitesse du son dans
l'air atmosphérique est d'environ 340 mèlres à la
seconde; cette vitesse augmente de O^.eîô pour
chaque degré d'accroissement de la température; à
flo, sUe est donc égale h 330™, 9 ; dans l'eau à 8°, elle
atteint 1.435 mètres à la seconde ; quant à la vitesse
de la lumière, elle est, dans le vide, de 300.000 kilo-
mètres par seconde et considérée comme instantanée
pour les distances moyennes. Joly, dans ses cal-
culs, a pris 330 mètres pour l'air et 1.400 mètres
pour l'eau.
Suposons qu'une cloche sous-marine mue électri-
quement et une sirène soient mises simultanément
en marche; un navire placé à une distance d'un
mille marin (1.852 mètres) percevra le son de la
cloche 4», 3 avant celui de la sirène, le premier met-
1 85'» 1 S82
tant =: l=,3àlesparcourir,le second =;S',6.
1.400 ' *" 330
Réciproquement, si le bâtiment entend à 4',3 d'in-
tervalle un premier coup de cloche et ensuite le
son d'ime sirt-ne, il sera à 1.838 mètres du point
d'émission.
A 8 milles (9 kilom. 260), l'intervalle serait de
21 ',5. En général, on donne un coup de cloche
toutes les secondes avec un silence de 30 secondes
de temp.î à autre; l'observateur du navire compte
les cou|)S jusqu'à ce qu'il ait entendu le signal aérien;
une erreur d'une demi-seconde correspond i>
215 mètres.
Vîg. 2. — Cloche sous-marine instal-
lée sur un bateau-feu h 7",50 au-dessus
de la surface.
«• 141 Novembre 1918.
Le retard d'un signal aérien sur un signal hert-
zien est de 3',6 par mille ; celui d'un son de cloche
sur un signal hertzien de 1»,3 pour la même distance.
Les inventeurs américains continuèrent leurs
recherches. Le but h atteindre était de trouver un
appareil produisant des ondes sonores sous-marines
pouvant être utilisées avec des clefs télégraphiques
ou téléphoniques, de manière à permettre aux postes
et aux navires d'échanger des conversations entre
eux. En plus, si l'on ar-
rivait à émettre des
sons suffisamme.il
puissants pour être
recueillis à 40 ou
50 kilomètres, il se-
rait possible de créer
au large des côtes « un
mur sonore » d'aver-
tissement pour les bâ-
timents qui pourraient
ainsi déterminer leur
position, en établissant
sur le rivage une ligne
de stations espacées
entre elles de moins de
50 l<ilomètres.
Pour réaliser ce pro-
gramme, il y avait des
obstacles difficiles à
surmonter; le plus sé-
rieux était constitué
par le l'ait que l'eau
est presque incompres-
sible; en plus, comme
le son est produit par
une vague de compres-
sion circulant dans le
milieu où il est trans-
mis, l'appareil devait
avoir une très grande
puissance; enfin, pour comprimer l'eau, il fallait
mettre en mouvement un ol)jet matériel ayant la
résistance indispensable pour supporter l'effort et,
par suite, de dimensions considérables.
L'appareil doit partir du repos, atteindre sa vi-
tesse maximum et revenir au repos dans la millième
partie d'une seconde, si l'on veut arrivera produire
une note musicale facilement reconnaissable, ayant
500 vibrations environ par seconde.
Une dernière difficulté provenait de ce que, pour
télégraphier à la vitesse habituelle de vingt mois
LAROUSSE MENSUEL
arrête la marche d'un appareil magnéto-électrique
3ui, i. l'aide d'un cylindre de cuivre qu'il anime
'un mouvement très rapide de va-et-vient, fait vi-
brer un diaphragme auquel il est attelé et qui est
encastré dans une ouverture pratiquée dans la paroi
du navire.
Ce diaphragme comprime l'eau dans des mouve-
ments vibratoires et envoie des ondes sonores
à travers l'élément liquide à un diaphragme iden-
tique placé sur l'autre navire et
le fait vibrer à l'unisson.
Far un phénomène de réversi-
bilité bien connu, qui se produit
quand un corps métallique se dé-
place dans un milieu électro-ma-
gnétique, le diaphragme du second
navire, par l'intermédiaire du cy-
lindre de cuivre auquel il est lié,
fait reproduire & son appareil ma-
Fig, 4. — Coupe verticale de l'oscillateur Fessenden.
par minute avec le Morse, où les lettres sont repré-
sentées par des traits et par des points, le temps ac-
cordé pour faire un point était excessivement limité.
Gomme le mot se compose de cinq lettres en
moyenne et qu'une lettre correspond en durée à
sept points, pour télégraphier à raison de vingt
mots par minute, il faut employer un générateur
d'ondes sonores qui permettent d'effectuer sept
cents points à la minute, ou un point en un peu
moins d'un dixième de seconde.
Or, pour que le bruit puisse être facilement dis-
tingué des bruits perturbateurs du bord ou de la
mer et également d'autres notes musicales, chaque
point demande au moins dix oscillalions.
Quel que soit le dispositif employé, il doit fournir
au moins cent ondes à la seconde pour télégraphier
k une vitesse normale et plusieurs milliers de vibra-
tions pour transmettre la parole à travers l'eau.
Le professeur Fessenden, avec son oscillateur, dont
la description se trouve dans le bulletin du « Smi-
thsonian Institution », a résolu le problème, et
plus de 2.000 navires utilisent cet appareil à l'heure
actuelle.
Avant d'entrer dans les détails de sa construction,
nous allons en indiquer les principales lignes de
fonctionnement.
Prenons deux navires pourvus, par exemple, d'un
télégraphe Morse complet transmetteur et récepteur
et d'un oscillateur Fessenden. Quand le télégra-
phiste du premier bâtiment lance ou coupe alterna-
tivement par le transmetteur le courant dans son
circuit pour faire les points et les traits qui repré-
sentent les lettres, ce courant met en mouvement ou
Fig. 3. — Navires commuDiquaut & raide de signaux sonores sous-marina.
gnéto-électrique les mêmes phases d'arrêt ou de
mouvement que celui du navire transmetteur et, à
l'aide de circuits électriques appropriés, les traits
et les points lancés par le premier navire sont ins-
crits sur la bande réceptrice du Morse du second et
traduits en langue vulgaire.
L'oscillateur se compose de deux parties distinctes :
l'une fixe, la deuxièn^e mobile Ifig. 4 et 5) La par-
tie fixe est constituée par un électro-aimant circu-
laire en fer doux B, ayant des pôles nord et sud
sectionnés en deux parties pour pouvoir mettre en
place la bobine d'excitation G, et pir le noyau cen-
tral D solidaire de B sur lequel sont enroulés à sa
partie supérieure et à sa partie inférieure des bobi-
nages de direction opposées, de manière que les
courants induits qu'ils vont faire naître dans l'oscil-
lateur soient de même signe.
Cet oscillateur, représenté par le cylindre en
cuivre A, occupe l'espace annulaire existant entre
l'électro-aimant ei le noyau central.
Le tube en cuivre est maintenu entre deux dis-
ques circulaires liés rigidement entre eux par la
tige en acier T; l'extrémité de cette tige prolongée
est elle-même reliée à un diaphragme en acier de
2™, 05 d'épaisseur, encastré dans une ouverture
ûe la muraille du navire, ou placé contre sa paroi
intérieure avec interposition d'une couche liquide,
eau ou huile, sous pression.
Par suite de cette disposition, la tige T commu-
nique intégralement au diaphragme tous les mouve-
meiitsdu cylindre de cuivre. Quand l'électro-aimant
est excité par la bobine G, il se produit un courant
continu qui crée un flux de force intense passant
dans l'espace vide situé enlre le noyau central et le
disque supérieur, traversant le noyau central et
revenant à la partie supérieure de l'électro-aimant,
Flg. B, ■
Projection horisontale de la partie supérieure
de l'oscillatour Fessenden.
627
après avoir circulé dans l'espace annulaire existant
entrelaparlieinférieuredunoyau elle seconddisque.
Si on lance un courant alternatif dans les enrou-
lements du noyau central, le cylindre mobile en
cuivre agit comme un court circuit secondaire
dans lequel est induit le même nombre d'ampères
que dans les enroulements qui forment le circuit pri-
maire; ce nombre d'ampères est d'environ 10.000;
?[uant au flux de force, on peut compter qu'il ren-
erme 15.000 lignes de force par centimètre carré
de la section de l'électro-aimant. Par suite des
répulsions des électricités de mêmes signes et des
attractions désignes contraires qui se produisent, le
tube en cuivre est attiré ou repoussé en avant et en
arrière mille fois par seconde avec une force équi-
valant à deux tonnes et communique ses mouve>-
ments à la plaque vibrante qui constitue le diar
phragme.
L'émission des signaux s'effectue au moyen d'un
commutateur ordinaire, intercalé dans le circuit de
l'instrument.
l'our une fréquence de 500 périodes par seconde,
l'oscillateur développe une puissance mécanique de
35 kilowatts, soit 3.560 kilogrammètres (ou la force
nécessaire pour soulever à la hauteur de 1 mètre
un poids de 3.650 kilogrammes), dont plus de 90 p. 100
sont communiqués à l'élément liquide. L'appareil
est construit pour
donner une note mu-
sicale de 500 à 505 vi-
bralions, c'est-à-dire
approximativement
l ut de la gamme
normale (512 vibra-
tions). Pour 500 vi-
brations, la longueur (3
d'onde est de 1°',32
environ ; il est inté-
ressant de la com-
parer à celles qui
sont émises par les
appareils T. S. F. de
la Société Telefun-
ken, qui, sur les nou-
veaux zeppelins,
émettent par écla-
27,
33
28
Flg 6. — Installation complète d'un cir-
cuit télégraphique et téléphonique d'un
oscillateur Fessenden.
36
leurs des ondes de 300 a 1.700 mè-
tres de longueur, avec des an-
tennes de 120 mètres de long sus-
pendues en dessous du dirigeable. La figure ci-
dessus représente, d'après le «Scientific American »,
le dessin schématique d'un réseau complet télégra-
phique ou téléphonique d'un oscillateur Fessenden.
Dans l'appareil (voir 12 en haut de la figuie 6), le
diaphragme est encastré dans la coque; au bas de
la même figure (voir 36), il est placé contre la paroi
même du navire avec interposition d'une couche
de liquide sous pression.
Quand le commutateur 13 est abaissé & fauche,
ainsi que la clef 16, ce qui amène sa branche infé-
rieure en contact avec 15, source du courant alter-
natif des enroulements du noyau central, le courant
se rend à l'oscillateur 12, dont le diaphragme se met
à vibrer et à propager des ondes acoustiques. La
clef 16 peut être employée pour télégraphier comme
un manipulateur de télégraphie ordinaire.
Quand le commutateur 13 est levé à droite, l'os-
cillateur 12 est en communication avec la batterie 38
et le régulateur 14, qui peut être un transmetteur au
charbon dans lequel on fait passer de forts courants ;
les communications téléphoniques se font par son
intermédiaire.
L'appareil est relié au circuit de réception quand
13 est abaissé et 17 levé en le faisant pi voler à gauche.
Dans cette position, quand les vagues de son ve-
nant d'une autre slaiion ou d'un autre navire sont
projetée contre la muraille 11 et, par suite, sur le
diaphragme 12, elles le font vibrer à l'unisson, et
son déplacement dans le milieu magnétique engendre
dans les enroulements du noyau central des cou-
rants qui actionnent les récepteurs en séries 27
et 28, et retournent par le conducteur 33.
Au lieu du manipulateur, on pourrait utiliser les
circuits ordinaires du téléphone des lignes terrestres.
Le Fessenden permet de télégraphier et même de
téléphoner, car des essais probants ont été effectués
à plus de i.UOO mètres, ce qui est déjà un grand
point acquis ; donc, des navires en brume pourront
échanger des conversations, et un divisionnaire de
soiis-mar'ns pourra communiquer avec ses unités
sans qu'elles aient à remonter à la surface.
Pour donner une note audible dans le récepteur
téléphonique, il sutflt que ses vibrations aient une
628
amplitime de 1,5 millionièmes de millimèlre. On
comprend que cela soit possible, malgré l'épaisseur
de 2'='",5 du diapliragme en acier de l'oscillaleur.
Les cloches sous-marines, comme propagatrices
de sons, les émettent dans toutes les directions, mais
ne sont pas bien appropriées aux signaux de l'appa-
reil Morse.
Le Fessenden est beaucoup plus énergique, mais
ses zones d'émission sont limilées, ainsi que ses
zones de réception. Gomme disent les Anglais, il
est « directive ».
On a essayé de diriger a distance des torpilles
avec les puissantes ondes sous-marines de l'oscilla-
teur, ce qui n'était, d'ailleurs, pas une idée nouvelle,
mais aucun résultai tangible n'a été obtenu.
L'appareil a été également utilisé pour déterminer
X& profondeur de la mer et déceler la présence des
Y\e. 7, — Le cutter des douanes Miami, près d'une banquise semblable à celle sur
laquelle sVst perdu le Titanic, (l-e Fessenden a permis d'obtenir un écho avertisseur à
4 kilomètres et demi de distance.)
glaces qui, en temps de brume et la nuit, constituent
un danger redoutable pour la navigation inter-
océanique.
Voici comment la commission, embarquée sur le
Miami, navire des douanes américaines, a procédé
aux expériences.
A l'aide d'un transmetteur, on a mis en mouve-
ment le diaphragme, dont les ondes sonores sont
allées frapper le fond, ont été réfléchies et sont re-
venues le faire vibrer, l'oscillateur ayant été stoppé
immédiatement après la mise en marche et instan-
tanément relié avec un récepteur téléphonique. _
Les vagues de son ayant été lancées perpendicu-
lairement à la surface et le fond étant de 33 mètres,
le temps enregistré sur un compteur & arrêt, pour
les 66 mètres du double parcours, a été d'un vingt-
cinquième de seconde, chiffre qui, à raison de
1.400 mètres de propagation de son par seconde,
correspond bien à celte profondeur.
Le même procédé fut employé pour déceler la
présence d'une banquise voisine mesurant 135 mètres
de long et 40 mètres de hauteur et dont les dimen-
sions avaient été calculées à l'aide d'un sextant et
du télémètre Barr and stroud. On entendit d'abord
l'écho du fond et, ensuite, celui de la muraille de la
banquise.
Pour être certain que le deuxième écho ne prove-
nait pas du fond, on fit varier de 100 à 4.230 mètres
(2 milles 1/2) la distance du Miami à la banquise.
I^e temps écoulé entre la mise en marche de l'os-
cillateur et la réception de l'écho du fond au télé-
phone resta à peu près constant, mais l'intervalle de
temps entre l'émission du signal et le retour de
l'écho de la banquise varia en raison de la dislance
à laquelle se trouvait le Minmi de l'iceberg, mesu-
rée à l'aide du Barr and stroud, dont l'exactitude est
presque parfaite, puisque, à 15.000 mètres, il n'a pas
plus de 30 mètres d'erreur.
L'oscillateur a déjà permis d'échanger des signaux
& plus de 50 kilomètres avec un navire stoppé, k
plus de 40 sur un vapeur en marche, et à téléphoner
il petite dislance.
Il est certain que la puissance d'émission et les
moyens de transmission de l'appareil ont déjà été
améliorés; c'est, très vraisemblablement, l'un de ceux
qui permettront peut-être de déceler l'approche et
la position d'un sous-marin en marche dans les en-
virons d'un autre navire.
Le problème n'est pas simple à résoudre, parce
qu'il faudrait arriver à distinguer clairement le bruit
des hélices des submersibles de ceux de beaucoup
d'autres sons. — C'A. Poioloub.
Stoullig' (François-Joseph-Erfmonrf), critique
dramatique français, né à Paris le 7 décembre 1845.
— 11 est mort à Nice le IS.inillet 1918. Fils d'univer-
sitaire (son père était professeur au lycée Louis-
le-Grand), c'est dans cet établissement qu il fit ses
études et, h. leur terme, il entra dans les services
de la 'Ville de Paris. Le hasard le plaça dans le
même bureau que Philippe Gille, l'auteur drama-
tique, le futur Masque de-Fer du « Figaro », le
libretlis te des Charbonniers, de Manon et de Lakmé.
Celui-ci, qui avaitpris en amitié son jeune collègue,
l'engagea vivement à écrire; Stoullig envoya alors
quelques chroniques à 1' « Echo d'Oran », puis
rédigea, sous le titre de Semaine parisienne, un
feuilleton hebdomadaire pour 1' « Impartial du Loi-
ret». C'était un début; peu après, il entra à 1' «Elec-
teur», qiie venait de fonder, avec Jules Favre,
Ernest Picard. Celui-ci, devenu, après le 4 sep-
LAROUSSE'MENSUEL
tembre 1870, membre du Gouvernement provisoire,
présenta Stoullig à Itanipont, le directeur des Postes,
qui en fil son secrétaire particulier; en celle qua-
lité, Stoullig participa, lors du siège de Paris, à
l'organisation du service postal par ballons et pi-
geons voyageurs. Il devint ensuite sous-chef de
l)ureau aux Postes et Télégraphes, suivit quelque
temps Cochery aux Finances, rentra aux Postes et
termina sa carrière administrative en 1906, comme
chef de bureau à la Caisse nationale d'épargne. Il
avait été créé chevalier de la Légion d'honneur
en 1902.
Il avait poursuivi parallèlement sa carrière de
publiciste. Depuis le temps où Pli. Gille lui sou-
mettait, dans leur bureau commun, ses pièces nou-
velles, Stoullig avilit conçu pour les choses du
théàlre un goût très vif. Abandonnant la chronique,
il se tourna donc vers la critique dramatique. 11
tint pendant trente ans cette rubrique au « Natio-
nal », où il avait succédé à Théodore de Banville.
11 l'occupa également au « Télégraphe », au « Monde
artiste », à <> l'Art et la Mode », au « Courrier
d'Etat » Il collabora d'autre part à plusieurs jour-
naux, tels que 1' « Evénement »,
la « Tribune », le « Gaulois », la
« Revue illustrée », etc. En 1886,
il fonda et dirigea la « Revue d'art
dramatique », très appréciée dans
le monde des lettres. Mais son
œuvre principale, à laquelle son
nom demeurera attaché, c'est la
longue série des Annales du théâtre
et de la musique.
que Stoullig eut, avec Ed. Noël,
C'est en 1875
alors secrétaire général de l'Opéra-Comique, l'idée
de cette publication. Les deux critiques poursuivi-
rent leur œuvre commune jusqu'en 1895; à cette
date, Noël cessa sa collaboration, et Stoullig assuma
dès lors toutes les charges de l'entreprise. 11 n'en
continua pas moins à faire paraître régulièrement
un volume chaque année; la guerre même ne l'in-
terrompit point, à peine le relarda-l-elle; il fallut
la mort pour suspendre cette tâche si consciencieu-
sement remplie; avant de succomber, Stoullig eut
encore la satisfaction de voir paraître son 41" volume.
L'objet des Annales est de présenter année par
année une vue d'ensemble de l'activité dramatique
et musicale sur les diverses scènes. Ce ne sont pas,
cependant, de
simples slalisti-
ques sèches et
dérharnées, à la
façon d'un alma-
nach. Audénom-
brement des re-
présentations, à
la mention des
spectacles don-
nés sur chaque
scène et de leurs
divers interprè-
tes,s'ajoutentdes
analyses des œu-
vres nouvelles et
jusqu'à la rela-
tion des menus
incidents qui
constituent la vie
d'unthéàtre.C'est
doncunesortede
précis de l'histoire du thé.îlre pemlant l'année,
avec toutes les qualités d'exactitude, de clarté,
d'agrément et de juste équilibre dans les jugements
qu'on exige d'un travail historique. « Tous les ren-
seignements que peuvent souhaiter sur le théâtre
un moraliste, un historien, un amateur ou un simple
homme du monde, s'y trouvent dans un bel ordre ;
et, après avoir lu ce livre, on peut se lendre un
compte exact du progrès de l'art dramatique dans
l'année qui vient de s'écouler ou des défaillances
qu'il a subies. Ce sont là d excellents mémoires
pour l'avenir ». Tel est le jugement que formulait
Sarcey à l'apparition de l'ouvrage : ses prévisions
n'ont pas été démenties. En outre, grâce au crédit
dont Stoullig jouissait dans le monde dramatique,
chaque volume s'ouvre par quelques pages d'un des
maîtres de la critique ou du théâtre : tour à tour
Sarcey, Sardou, Zola, Gounod, J. Claretie, Larrou-
met,J.Lemaître,Brunptière,Fagiiet.Meilhac,P.Her-
vieu.M.Donnay, A. Capus, pour n'en citer que quel-
ques-uns, ont donné, sous forme de préface, soit
d'aimables fantaisies, soit d'intéressantes étuddj.
Extrêmement modeste, Stoullig, dont la compé-
tence en matière de théàlre était unanimement re-
connue, aurait pu facilement acquérir dans le monde
de la critique une place de premier rang; il refusa
tous les honneurs, se contentant du titre d'archiviste
de lAssocialion de la critique dramatique et musi-
cale etdelacharge de secrétaire général de l'CEuvre
des Trente ans de Ihéâtre.
Cette modestie ne saurait, cependant, faire oublier
les réels mérites de Stoullig. Non seulement il s'est
acquis des droits à la reconnaissance de tous ceux
qu'intéresse l'histoire du théâtre, par le précieux
Edmond Stoullig,
N- 74J. Novembre 1918
instrument de travail dont il les a dotés, mais en-
core, obstinément voué pendant plus de quarante
ans à la tâche qu'il s'était assignée, il lègue un bel
exemple de ténacité dans le labeur et de continuité
dans l'effort. — F. Guirand.
Tarentaise (race de la), race tflrentaise ou
larine, variété de bovidés issus de la race des
Alpes et qui tire son nom de la Tarentaise (arron-
dissement de Mouliers, et plus spécialement canton
de Bourg-Saint-Maurice [Savoie]), elle a été long-
temps désignée sous le nom de riice savoyarde.
Son aire d'expansion est aujourd'hui assez étendue;
on trouve, en effet, le bétail de race tarentaise dans
presqi:e toutes les régions du sud-est de la France.
Le herd-book du bétail tarenlai." établi en 1888 a
exercé une très heureuse iniluence sur l'amélioration
de cette race, dont les caractères sont aujourd'hui
Vache tarentaise.
très bien fixés : robe de couleur froment, un peu
plus foncée chez le mâle, sur lequel la teinte géné-
rale se renforce, à la hauteur de l'épaule, en gagnant
les parties inférieures du corps, puis le cou et les
joues, mais sans pousser, cependant, au noir. Chez
tous les sujets purs, le tour des yeux, l'extrémité
des cornes, le sabot, la couronne, le bas du fanon,
le bout de la queue, l'anus, sont noirs plus ou moins
mêlé de poils gris aux parties velues; le niàle a
l'extrémité du scrotum et la femelle les parties
génitales externes également noires. On considère
les taches blanches ou brunes, les étoiles au front,
des pinceaux de poils blancs dans la queue comme
des caractères de bâtardise.
L'ossature est forte; le corps tout entier ramassé,
les jambes courtes, les jarrets larges et droits, la
côte ronde, le ventre assez gros, l'encolure courte;
le fanon, garni de poils riiides, est détaché et légè-
rement descendu; la tête, courte, oflre un front
large, des oreilles velues, un nez droit, des cornes
bien posées, blanchâtres et fines à leur base, noires
à ï'extrémilé; l'œil est grand et doux; la peau est
différente, suivant le régime imposé aux bêtes : dure
au toucher, garnie de poils longs et touffus chez les
individus qui descendent de l'alpage, elle est, au
contraire, souple après un séjour prolongé dans la
plaine. La taille atteint 1", 30 à 1°',40 au garrot.
Les bovidés de la race tarenlaise sont des ani-
maux rustiques et vigoureux et qui conviennent
bien à ces régions au climat très divers; les bœufs
sont courageux au travail et, vers la sixième année,
donnent à la boucherie une viande de bonne qua-
lité; lorsque l'engraissement a lieu complètement
à l'alpage (jeunes bœufs), le poids vif atteint 500 ki-
logrammes en moyenne; mais, par l'alUrnance de
l'alpage et de l'engraissement rationnel par les fari-
neux (ponture), il atteint jusqu'à 700 kilogrammes,
avec rendement net en viande de 56 à 58 p. 100. Les
vaches ont des aplitudfs laitières au-dessus de la
moyenne; dociles, faciles à traire, leur rendement
annuel moyen en lait est de I.SOO à 1.900 litres
pour une durée de lactation de 250 jours environ ;
mais les vaches bien nourries peuvent louniir
2.500 litres répartis sur 330 jours. La teneur de ce
lait en caséine le rend essenliellement propre à la
fabrication des fromages, aussi l'exlension de la
race est-elle due en grande partie k cette (jualitè.
qu'exploitent aujourd'hui de nombreuses fruitières.
Les génisses sont fécondées vers l'.îge de quatorze
ou quinze mois, quand elles redescendent de l'alpage,
c'est-à-dire vers la fin de septembre; les taureaux
commencent la monte à douze ou quatorze mois et
sont conservés jusqu'à trois ans, rarement plus;
les jeunes bouvillons, castrés dès les premières se-
maines de leur naissance, sont sevrés à trois ou
quatre mois, les jeunes génisses un peu plus tôt.
Vers l'ûge de dix-huit mois à deux ans, les jeunes
bœufs sont dressés au travail.
Dans la plaine, les animatis sont maintenus en
stabulalion de décembre jusqu'à la mi-juin; à cette
époque, le bétail est envoyé aux alpages (quatre
mois dans la région élevée et quatre mois dans la
région moyenne) ; en pays de montagne, bœufs et
vaches passent la majeure partie de leur existence
en plein air, même la nuit. — Jean dk Cbaom.
Paris. — Imprimerie Larousse (Mcreau. Aupé. Gillon et C'«J,
17, rue Montparnasse, — Le gérant : L, Groslet.
La Nei£e. (Les Loups.)
N' 142.
Décembre 1918
Académie des sciences. — Election du
générai Bourgeois. Le 18 juia 1917, l'Académie
des sciences a procédé, par la voie du scrutin, à
l'éleclion d'un membre de la Section de géographie
et navigation, en remplacement de M. Hatt, décédé.
Au premier tour de scrutin, le nombre des votants
étant de 47, Robert Bourgeois obtient 33 suffrages.
Ayant réuni la majorité absolue des suffrages,
R. Bourgeois a été proclamé élu par le président.
(V. ci-apix-s.;
aplodontie [tî] n. f. (du gr. aploos, simple,
et odous, ontos, dent). Nom d'un genre de rongeurs,
de la famille des castoridcs.
— Encycl. Les aplodonties, appelées vulgaire-
ment castors de montagne, sont des rongeurs re-
marquables de l'ouest de l'Amérique du Nord, qui
ont mérité le nom de castors-écureuils par leur
genre de vie, car elles sont moitié castors, moitié
écureuils. Leur nom scientifique provient de la
simplicité de structure que présentent leurs mo-
laires, qui sont sans racines, ce qui les éloigne de
tous les autres rongeurs. De même, la petitesse
extraordinaire des premières prémolaires aux maxil-
laires supérieurs les sépare des vrais castors, qui
ont vingt dents, tandis qu'eux en ont vingt-deux.
Ces animaux ont la taille d'un gros chat ; leur
extérieur est lourd et massif, leur tête est courte
et tronquée, avec un crâne plat et large; leur tronc
est cylindrique, assez gros, et leur queue, qui est
noire, forme un moignon très court. Leur pelage
est châtain, ou brun roux en dessus et gris plombé
en dessous; les pieds et les oreilles sont blanchâtres.
L'espèce la plus commune {aplodoniia rufa) vit
dans l'Etat de Washington, sur les bords de la
rivière Golombia.
On distingue cinq à six autres formes, dont on fait
parfois des espèces, qui vivent dans la Colombie
britannique, dans l'Oregon, dans la Californie, sur-
tout dans la chaîne côtière, dans les montagnes des
Cascades et la Sierra-Nevada et, dans cette dernière,
ces animaux sont abondants dans la haute vallée du
Merced, affluent du San Joaquin, et surtout dans la
vallée 'Yosémite, si pittoresque et qui a été élevée
au rang de parc national à cause de sa beauté et de
sa végétation luxuriante (aplodontia Califomica).
Comme les castors et les spermophiles, les aplo-
donties semblent avoir des habitudes sociales et
former des colonies plus ou moins nombreuses dans
les localités favorables. Un fait curieux à signaler,
c'est l'absence de voix, laquelle se retrouve toujours
chez des animaux sociables. Ceux-ci ne sont pas aqua-
tiques, mais ils aiment le voisinage de l'eau, et leurs
terriers sont établis là où le sol est assez profond,
pas trop humide, sur le flanc des collines, tandis
que les entrées, situées près des clairières, sont
cachées au milieu des broussailles, des fougères, de
certaines éricacées, comme le gaultheria shallon.
Ces terriers, dont le diamètre atteint 20 à 22 cen-
timètres, sont en réseau à 10 centimètres environ
de la surface; sur un espace de 160 mètres de long
et 30 de large, on a pu compter plus de cent en-
trées. Les nids, faits de feuilles sèches, surtout de
feuilles de fougères et de berce, sont établis dans
des chambres plus vastes, ayant 30 à 35 centimètres
de diamètre. C'est là que la femelle, en juin, dépose
les ;inq à six petits de la première portée, qui peu-
vent sortir dès leur naissance. Il n'y a que deux
portées par an. Souvent, à côté du terrier, l'animal
met en réserve des feuilles, des tiges soigneusement
tassées et maintenues par des pelotes de terre. En
hiver, les terriers situés près des ruisseaux établis-
sent une circulation d'eau. Les terriers situés loin
des eaux ne sont souvent habités que pendant la
saison des pluies.
On voit rarement les aplodonties le jour, mais
elles sortent de bonne heure le soir, pour chercher
leur nourriture, et elles restent toute la nuit dehors.
Malgré cela, comme elles sont lentes et maladroites.
Aplodontie
elles s'aventurent rarement loin de leur habitation.
Leur nourriture se compose des broussailles et des
jeunes arbres qui sont près du terrier; elles ont
une préférence pour les tiges charnues. Elles affec-
tionnent les fougères, les racines, les ronces, les
airelles, les rhododendrons. Pour manger, l'animal
s'assied sur sa queue, le dos courbé, les pattes pos-
térieures étendues en avant, tandis que les pattes
antérieures saisissent en serrant avec le premier
doigt la branche, la racine ou la feuille dont il veut
se nourrir. Il ne ronge que d'un côté, pas tout au-
tour, comme le castor ordinaire. 11 est probable
que, pendant l'hiver, il ne s'endort pas comme la
marmotte. Même dans les parties les plus froides
de son habitat, à 3.000 ou 4.000 mètres de hauteur,
on en a vu qui couraient sur la neige. Tous ses sens
sont obtus, sauf l'odorat, mais il possède de grosses
glandes lacrymales, car, lorsqu'il souffre, il verse
d'abondantes larmes blanchâtres et gluantes.
Un animal aussi iiiolTensif a pour ennemis tous
les carnassiers : belettes (arctogale), mouffettes
[mephilis'j, visons {lutreola vison), raton {procyon),
renard gris, blaireau carcajou {taxidea Americana),
chat sauvage, martre de Pennant. II partage ses
LAROUSSE MENSUEL.
IV.
terriers avec les grands ducs, les lapins, les sper-
mophiles, les écureuils rouges.
Sa façon de courir rappelle celle de l'ours, et les
enfants peuvent le capturer à la course. On dit
qu'il court aussi bien en arrière qu'en avant. Malgré
les quelques dommages qu'il fait aux champs et aux
vignes, on peut le considérer comme n'ayant au-
cune importance économique. On le capture en pla-
çant des trappes à l'entrée de ses tunnels. Les In-
diens se servaient de trappes à bascule ; mais, comme
la Compagnie d'Hudson n'a jamais accepté sa peau
comme fourrure, l'existence de ces espices ne peut
être menacée, d'autant plus que, sur le marché, leurs
peaux n'ont qu'une fuible valeur, pri.x insuffisant pour
motiver des chasses. Les aplodonties vivent assez
bien en captivité, et elles acceptent les herbes, le-
fruits, le céleri, les carottes, les navets, les pommes
de terre, les choux, les laitues. — A. MtHioiDx.
Bourgeois (Joseph-EmiIe-iîo6er<), général et
savant français, né à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-
Rûin) en 1857. Après être passé par l'Ecole poly-
technique et l'Ecole d'application de Fontainebleau,
d'oii il sortit second, il (ît partie ct)mme lieutenant
d'artillerie du corps expéditionnaire de Tunisie.
Entré à l'Ecole de guerre en 1884, il fut nommé
capitaine en 1886 et appelé au Service géographi-
que de l'armée, alors dirigée par le colonel, puis gé-
néral Perrier. 11 prit part jusqu'en 1893 aux opéra-
tions géodésiques et astronomiques effectuées par
ce service tant en France qu'en Afrique et fut
nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1894.
Envoyé à Madagascar comme chef du Service
géographique à l'état-major du corps expédition-
naire, il assistait à la prise d'Andriba, au combat
de Tsinaiaoudry, faisait partie de la colonne légère
et participait à la prise de Tananarive, le 30 septem-
bre 1895. Il fut délégué par le commandant en chef
comme membre de la commission de délimitation
de Diego-Suarez. On lui doit la carte de l'Ile, du
canal de Mozambique à l'océan Indien. Il rentra en
France en 1896, comme chef d'escadron, au Service
géographique de l'armée.
Après avoir accompli sa période de commande-
ment au 7" régiment d'artillerie, il revient au Ser-
vice géographique comme chef de la section de
géodésie et d'astronomie, en remplacement du colo-
nel Bassot, nommé directeur de ce service.
En 1901, il fut placé à la tête de la mission char-
gée, à la demande de l'Académie des sciences, de
mesurer à nouveau l'arc de l'équatcur ; il séjourna
pendant un an ou deux dans la Cordillère des Andes
et, sa mission terminée, il rentra en France pour
reprendre au Service géograpbioue les fonctions de
chef de la section de géodésie et d'astronomie.
La Société de géographie de Paris lui décerna sa
grande médaille d'or. Il avait été nommé membre
correspondant du Bureau des longitudes en 1901.
Promu lieutenant-colonel et maintenu au Service
géographique, il y créa et professa un cours d» g*o-
24
630
désie et d'astronomie de position; enseignement qui
rend les plus grands services et est suivi non seu-
lement par les ol'liciei-s du Service géographique,
mais encore par des officiers des troupes coloniales
et des explorateurs qui viennent y acquérir les con-
naissances techniques nécessaires à l'accomplisse-
ment de leur mission.
En 1908, il était nommé à la chaire de géodésie et
d'astronomie & l'Ecole polytechnique, en remplace-
ment de Henri Poincaré.
Promu colonel en 1909, il était appelé à la direc-
tiou du Service géographique de l'armée en septem-
bre 1911, en remplacement du général Berlhaut
Général de brigade en 1912, la mobilisation
de 1914 le trouvait à la tête du Service géographique
de l'armée. Les
circonstances lui
fournirent alors
l'occasion de
donner toute la
mesure de sa
haute intelli-
gence , de ses
capacités d'orga-
nisateur et de ses
qualités de réa-
lisateur en lui
permettant d'ar-
river à doter nos
armées en opé-
ration non seule-
ment de tous les
plans et caries in-
dispensables aux
troupes et aux
états-majors,
mais aussi du
matérielconsidé-
la conduite des tirs de
Général Bourgeois.
rable nécessaire, tant à
l'artillerie qu'au repérage des batteries de l'en
nemi et à la détermination de toutes ses organisa-
tions offensives et défensives. On lui doit, en outre,
la création des Groupes des canevas de tir, des
Sections d'observation terrestres aux armées et de
repérage par le son.
Promu général de division en février 1915, il fit un
court séjour (juin à aoiit 191.ï) à la direction de l'ar-
tillerie, tout en conservant la direction du Servico
géographique, qu'il reprit ensuite exclusivement
L'Institut de France ne pouvait manquer de cou-
ronner une aussi brillante carrière scientifique et, le
18 juin 1917, l'Académie des sciences l'appelait à la
succession de Hatt, dans la section de géographie
et de navigation. (V. p. 629.)
Au milieu de 1918, il fut placé de nouveau à la
tête de la direction de l'artillerie au ministère de la
guerre (artillerie, service automobilo, artillerie d'as-
saut), tout en conservant la direction supérieure du
Service géographique de l'armée.
En raison de ces multiples fonctions et des ser-
vices continuellement rendus h la défense nationale,
il fut cité à l'ordre de l'armée et élevé, le 14 juil-
let 1918, à la dignité de grand officier de la Légion
d'honneur.
Le général Bourgeois est membre et ancien pré-
sident de la commission centrale de la Société de
géographie de Paris, vice-président de la Société
astronomique de France, membre du conseil et
ancien président de la Société française de physi-
que. — Ch. Puxioo.
Brugère (Henri-Joseph), général français, né
le 27 juin 1841 à Uzerches (Gorrèze), mort au Lau-
taret le l" septembre 1918. Entré à l'Ecole poly-
technique en 1859, Joseph Brugère en sortit sous-
lieutenant (1861) et suivit pendant deux ans les cours
de l'école d'application d'artillerie de Metz. Lieu-
tenant d'artillerie en 1863, il venait d'être nommé
capitaine lorsque éclata la guerre franco-allemande.
11 fit partie du groupe d'armées de Lorraine, par-
tagea avec elles la gloire malheureuse des grandes
batailles livrées sons Metz, le siège de la capitale
lorraine, et la captivité. 11 avait été promu, pendant
la campagne, chef d'escadron. 11 réussit avant la fin
de la guerre à s'évader et put reprendre pour les
dernières batailles sa place de combat. La guerre
terminée, il se consacra pour sa part à l'œuvre de
revanche et de réparation. Artilleur, il avait cons-
taté l'immense supériorité de l'artillerie allemande
sur notre artillerie. Il se proposa de développer
tout un mouvement d'études ayant pour but de dé-
terminer l'emploi et le rôle de l'artillerie dans les
principales batailles des temps modernes et d'en
tirer des règles pour l'avenir. Il donna lui-même un
exemple de ces études en faisant paraître (1877) : la
Tactique de l'artillerie pendant la guerre de 1SS6.
« La lactique, dit-il dans la préface de cette étude,
est une science, non un art ». C'est par l'obser-
vation et l'expérience qu'elle doit, comme les autres
sciences, se développer. Ce sont les exemples histo-
riques qui fournissent observations et expérience;
leur éluae apportera à la consti tution de cette science
les plus précieux matériaux. Il étudie donc, très en
détail, le râle des artilleries prussienne, italienne.
Le général Brugère.
LAROUSSE MENSUEL
autrichienne, sur les principaux théâtres d'opéra-
tions pendant les principales batailles de la guerre
austro-allemande. Les Prussiens, démontre-t-il,ont
dû tous leurs succès à leur infanterie, l' « artillerie
Erussienne n'ayant joué qu'un rôle presque nul ».
es chefs de l'armée prussienne, sans se laisser
éblouir par la victoire, ont, après lS6fi, conscien-
cieusement tra-
vaillé à la réfor-
me de leur artil-
lerie. Et l'artille-
rie prussienne .
devenue en 1870
la meilleure du
monde, a gran-
dementcontribué
dans la guerre
franco -alleman-
de au succès des
batailles. La
Fiance doit, ter-
mi n e I e chef
d'escadron Bru-
gère, suivre
l'exemple de ses
ennemis. Nul en
1X70, le rôle de
son artillerie se-
ra immense dans
la guerre future. Parole tardivement réalisée, mais
prophétique I La Tactique de l'artillerie eut du suc-
cès et devint rapidement un ouvrage classique.
Lieutenant-colonel en 1879, colonel en 1881,
Brugère commanda avec ce grade l'artillerie du
corps expéditionnaire de Tunisie. En 1884, il fut
envoyé au Tonkin, où il prit part avec ses batteries
aux combats de Lang-Son et de Bac-Lé. Général
de brigade en 1887, il fut nommé divisionnaire
en 1890. Attaché à la maison militaire du président
Carnot, il put rapidement parvenir aux grades
suprêmes de la hiérarchie : chef de la maison
militaire du président, puis secrétaire général
de la présidence, il fut gouverneur de Paris
de 1899 à 1904, vice-président du conseil supé-
rieur de la guerre, et enfin généralissime des
armées françaises (1904).
Passé au cadre de réserve depuis, âgé de soixante-
treize ans en 1914, le général Brugère tint cependant
à reprendre du service actif et demanda un com-
mandement au front. Un groupe de divisions terri-
toriales lui fut confié, qui, en septembre 1914, con-
tribua à arrêter la poussée allemande entre Amiens
et Béthune. Outre sa Tactique de l'artillerie, le
général Brugère laisse des éludes sur le rôle de ses
batteries d'artillerie dans les campagnes de Tunisie
et du Tonkin. — Léon Abemsour.
Chartreuse de Parme (la), pièce en cinq
actes, un prologue et neuf tableaux, d après le roman
de Stendhal, par Paul Ginisty, représentée pour la
première fois au théâtre national de l'Odéon le
4 octoliit, 1918.
Voici comment le roman la Chartreuse de
Parme a passé sur la scène. La pièce commence
par un prologue. C'est dans une grange, la nuit de
ta bataille de'Waterloo. Un jeune homme de Parme,
Fabrice delDongo, émerveillé par la gloire de Napo-
léon, est venu d'Italie seul, sans papiers, se mêler
à la bataille de Waterloo. On sait que, dans l'œuvre
de Stendhal, toute cette équipée militaire de Fabrice,
qui commence le roman, est célèbre et est consi-
dérée comme le chef-d'œuvre de l'auteur. 11 était
matériellement malaisé de la transporter au théâtre.
Nous voyons Fabrice blessé, couché sur la paille.
Les événements auxquels il a été mêlé sont rap-
pelés par ses compagnons, un brig-adier et un ca-
valier, par le caporal Aubry et par la cantinière qui
s'est intéressée à ce jeune blanc-bec. On voit aussi
la jeune Aniken, que Fabrice a émue et qui lui
fournit des vêtements civils afin qu'il puisse rega-
gner l'Italie sans être inquiété. Toules les péri-
péties du roman ont dû être abrégées.
Tableau I. Une galerie intérieure du cloître de la
Chartreuse de Parme. Des mercanlis, des camelots,
des touristes grouillent; un cicérone explique aux
étrangers ce que nous avons besoin de savoir. Nous
sommes à Parme, sous le règne du prince-duc de
Parme, petit-neveu de Louis XI'V ; le prince se rend
à la chapelle avec sa cour, composée de son minis-
tre le comte Mosca, son préfet de police Rassi, ses
généraux et aides de camp, Fontana, Conlarini, le
gardien de la forteresse, Fabio Conti, et les dames
de la cour. Permi celles-ci, la belle duchesse Gina
Sansevcrina-Taxis est la maîtresse du comte Mosca ;
elle est aimée par le prince, et elle aime d'une ten-
dresse moitié maternelle moitié amoureuse son jeune
neveu, Fabrice del Dongo. Celui-ci est amoureux de
la fille du général gardien de la forteresse, Clelia
Conti. La comtesse Balbi a ses vues sur le prince,
et son ambition s'alarme des assiduités de celui-ci
près de la duchesse, qu'elle dessert par ses insi-
nuations auprès du comte Mosca. La marquise Ra-
versi la déteste aussi, cordialement. La duchesse,
ayant obtenu du prince une faveur qu'il avait refusée
«• 142. Décembre 1918.
aux plus hautes sollicitations, s'assure ainsi de son
ascendant, qu'elle met tout au service de son amour
pour Fabrice. La comtesse Balbi aiguise la jalousie
de Mosca.
Cependant, paraissent deux hommes du peuple.
L'un d'eux, Giletti, a juré la mort de Fabrice, qui
lui a volé sa maîtresse, Marietta. Il prépare un
guet-apens pour se venger et attire Fabrice dans
une ruelle écartée, tandis que défile le cortège au
son des orgues, au sortir de la chapelle, béni par
larchevêque de San Giovita.
Au tableau 11, nous sommes chez la duchesse de
Sanseverina-Taxis. Elle s'entretient avec l'abbé
Blanès, brave vieux curé, qui passe sa vie dans sou
elocber à observer les astres. 11 fut le précepteur
de Fabrice. Il a lu dans le ciel de mauvais pré-
sages pour ce dernier. 11 est inquiet. Il y a de
quoi. Fabrice est allé au guet-apens de Giletti
et, en se défendant, il a tué celui-ci. Les enne-
mis de la duchesse, le policier Rassi, la comtesse
Raversi vont se venger d'elle en faisant frapper ie
jeune meurtrier par un jugement capital. La du-
■ hesse est alToiée, et Mosca se rend compte qu'elle
I aime. Mais lui-même n'est plus tout jeune, et il se
résigne b. l'inévitable. Pour complaire â son amre,
il facilite la fuite de son jeune rival
Tableau III. Nous voici dans le cabinet du prince.
La scène qui s'y passe respecte à peu près le texte
du roman, dont elle est un des morceaux les mieux
réussis et les plus célèbres.
La soirée est avancée déjà. Le prince règle quel-
ques petits détails d'étiquette, quand le général
Fontana annonce la duchesse, qui sollicite une
audience. Le prince, dans sa fatuité, croit à un
rendez-vous d'amour et se bichonne en imposant
d'abord un quart d'heure d'attente à l'altière du-
chesse, qui le domine sans obédience. Mais la voici :
elle veut la grâce de Fabrice et l'exil de la mar-
quise Raversi, son implacable ennemie. Le prince
escompte déjà la récompense qu'il se promet et
consent à tout. La duchesse est fine mouche; elle a
l'air de promettre, sans s'engager, et, une fois la
grâce signée, elle se retire avec une révérence et
un sourire moqueur. Le prince, furieux d'avoir été
joué, appelle son policier Rassi, révoque ses ordres
et, fort de l'exemple de son aïeul Louis XIV, qui
savait, dit-il, ne pas tenir ses promesses, il fait
jeter Fabrice à la forteresse.
Tableau IV. Le cachot de Fabrice. Ici est résumé
tout le récit de sa captivité et de ses amours à dis-
tance avec Clélia, qu'il aperçoit de sa lucarne,
tandis qu'elle donne des graines aux oiseaux de
sa volière. Ils se voient de loin, se font des si-
gnaux, et l'amour fait oublier au captif sa captivité.
Son geôlier Barbone l'agace, il le gifle. Et il se
jette sur le menuisier qui a reçu l'ordre de mas-
quer la fenêtre avec un volet de bois. Sa pri-
son lui est chère, puisqu'il voit Clélia de loin. Il
s'y plaît.
Tableau V. Nous voici dans la chambre d(^
Clélia Conti, la fille du général Fabio Conli, gar-
dien de la forteresse. C'est de là que la jeune fllle
correspond avec le captif, dont elle senlretient
tendrement avec sa chambrière Térésa. Survient
son père, qui lui annonce une fâcheuse nouvelle :
il est pauvre, et un fort riche parti s'offre pour
sa fille. Elle est demandée en mariage par le
marquis de Crescenzi. Il faut qu'elle l'épouse.
Clélia, ainsi troublée dans son amour encore im-
précis, mais profond, voit avec stupeur entrer chez
elle la duchesse Sanseverina. Elle vient la supplier
de l'aider à faire évader Fabrice. Elle a corres-
pondu avec lui par des signaux lumineux. Elle a
corrompu le geôlier. Elh- a fait parvenir à Fabrice^
une lime et une corde. Mais il faut se hâter, car
tout un parti politique, pour se venger de la du-
chesse dans ses affections, veut la mort du captif.
A ce moment même, la suivante accourt pour ra-
conter qu'elle a vu le geôlier Barbone, celui que
Fabrice a giflé, verser une poudre suspecte sur les
aliments destinés au jeune homme. La duchesse a
surpris le sentiment tendre qui unit Clélia et son
neveu. Elle se rend compte qu'ils communiquent
par les fenêtres. Elle supplie Clélia, puisqu'elle en
a la facilité, d'aller avertir Fabrice de rejeter tous
les mets qu'on lui présentera, de le ravitailler au-
trement et de favoriser son évasion.
La jeune fille ne peut oublier que le gardien des
prisons est son père et que ce sera le trahir que
d'obéir à la duchesse. Mais, d'autre part, l'amour
que, inconsciemment encore, elle ressent pour ce
jeune homme, lui fait oublier le devoir et laisse
parler l'inclination. Elle ira voir le prisonnier.
Le sixième tableau nous ramène dans le cachot
de Fabrice. Le geôlier y introduit Clélia. L'n tendre
duo d'amour met l'éclair de sa flamme ardeiile dans
ces murs sombres. La jeune fille avoue à Fabrire
qu'elle répond à ses feux : elle laide à s'évader. A
ce moment, le geôlier lui apprend que son père a
été ramené chez lui. pris d'une syncope. « Déjà le
châtiment! » dit Clélia. Et elle jure par la Madone
que ses yeux ne reverront plus Fabrice jamais.
Tableau Vil. Une élégante terrasse d'une villa
donnant sur le lac de Locarno.
N' 142. Décembre 1918-
La duchesse est heureuse; elle vit là avec Fabrice
évadé. Elle fait revivre les tendres souvenirs des
années passées. Mais Fabrice demeure indiirérent
et froid. Son cœur el son esprit sont ailleurs. 11
ne pense qu'à Clélia, dont il Irace sur son album
l'image répétée dans le décor des tours de la forte-
resse. La tendresse de la duchesse est avivée par le
spectacle d'un couple amoureux de paysans. Fabrice
n'y prend pas altenlion. II n'y peut tenir : il quille
la duchesse et se sauve, pour aller relrouver celle
qu'il aime. La duchesse, désolée, reçoit sans plaisir
les consolations de son vieil amant Mosca.
Tableau 'Vlll. Fabrice esl devenu prêtre, el ses
sermons font courir les foules, lant ils ont d'élo-
quence et de fougue. Clélia a accepté le mari que
son pi-re désirait pour elle. Elle est devenue mar-
quise Grescpiizi. Elle vit dans la retraite, triste tl
distante. Fabrice n'a cessé de l'aimer, de le lui
écrire, de le faire comprendre par le ton lyrique de
son éloquence. Clélia est malade, elle se sent mou-
rir. Elle ne résiste plus à l'envie de dire à Fabrice
qu'elle n'a jamais aimé que lui et qu'elle l'adore.
Pour tenir le serment qu'elle a fait à la Vierge,
elle ne le verra qu'à travers une épaisse voilelle el
la nuit. Fabrice se donne tout à cet amour, el il
absout un pauvre curé de campagne qui a péché,
lui aussi, par les femmes.
Au neuviime et dernier tableau, Clélia est morte.
I.a duchesse Gina Sanseverina désespère de jamais
atlendrir Fabrice et se réfugie près de Mosca. Fa-
brice entre en religion. La scène de ce dènouemeni
se passe dans la cour de la (Ihartreuse, qui voit à la
fois l'avènement du nouveau prince, l'aulre élanl
mort, le triomphe politique de Mosca et le collège
des moines qui conduit Fabrice au repos du cloilre
Cet ouvrage est écrit dans un style simple, sou-
ple el clair, qui leproduit, là où il se peut, le texle
lie Stendahl. Il parlicipe à l'inconvénient des piècis
de théâlre tirées de romans, surtout quand le mé-
rile esseuliel du roman est dans l'analyse psycho-
logique et la descriplion. 11 ne reste guère que le
scénario. Celui-ci est fort habilement agencé par un
auteur qui connaît à merveille son modèle; il a su
composer un drame animé, où le lecteur se plail à
retrouver les épisodes qui l'avaient charmé dans le
volume. Ils n'y sont pas tous, mais ils sont assez
nombieux pour composer une intrigue riche et
conduite avec netleté, méthode et logique.
Les caractères sont respectés. Si quelques traits
paraissent plus appuyés sur la scène, comme les
ridicules du prince ou la chaleur sentimentale de
Gina, la faute en est à l'oplique théâtrale. En tout
cas, l'ouvrage est d'un slendahlien qui aie culte et
le respect de son inaitre. — Léo Claretie.
Les principaux rôles ont été créés par : M"»» Briey {du-
chesse Gina Saiiseveriiia\, Nivelte {Clt^tia Conti), Suzanne
Aubry {comtesse linlbi) : MM. Vargas {comte Mosca), Coste
{/tassi), Vautliicr [tjénérat Fabio Conti), Maxudian {abbé
Btanès), llasti {priace). Coûtant {Fabrice del ùongo).
Cidre (le), sa vente et son débit. — I. La
présenlatiiin commerciale du cidre. Les cidres
présentés sur le marché sont de nature et de com-
position bien variables; ils peuvent se classer en
deux grandes catégories : 1° les cidres qu'on peut
qualifier de « naturels »; 2° les cidres ayant subi
une préparation spéciale.
l» Les cidres qu on peut qualifier de « naturels »
sont obtenus par simple ferjnenlation du moût de
pomme, pratiquée rationnellement pour obtenir des
produits de bonne qualité.
Dans ce groupe, nous rencontrerons de grandes
variations de richesse alcoolique et de saveur :
cidres doux, cidres secs, cidres fruités, etc. On les
iivre à la clientèle, soit à l'état de cidres nouveaux,
soit à l'état de cidres fermentes, ou encore à l'état
de cidres vieux.
Le consommateur des grandes villes demande
une boisson saine, agréable, rafraîchissante, ayant
de la qualité. Il donne la préférence aux produits à
saveur douce, très légèrement gazeux, qui flattent le
palais etdésaltèrent facilement, comme la limonade.
Celte clientèle spéciale réclame encore des cidres
de qualité constante, à des prix uniformes et régu-
liers. Comme le simple producteur et l'industriel
cidrier ne peuvent éviter les fluctuations résullaul
de l'abondance ou de la pénurie des récoltes, il leur
faudra sattaclier à en limiter les conséquences sur
les variations de qualité et de production dos cidres.
Toutefois, ils devront, au moment de s'engager dans
celle voie, respecter les gualités propres à chaque
crii, toujours bien appréciées des gourmets, el qui
font la renommée des marques les plus cotée».
Nous inspirant des paroles de iJuclaux eu laiterie,
nous ilirops : Il ne peut y avoir que des cidres, mais
non un citl:'e de type unique pour toutes les régions.
Par ses incontestables qualités hygiéniques, nutri-
tives et médicales depuis longtemps reconnues, le
cidre devrait llgurer au rang des boissons qui occu-
pent une place de faveur dans l'échelle commer-
ciale. Mais sa fabrication a été jusqu'ici défectueuse,
et il n'a pu élre apprécié à son véritable mérite.
Nous devons attendre beaucoup, pour l'améliora-
tioD de la productloD du cidre, du développement
LAROUSSE MENSUEL
de la cidrerie industrielle et de l'aménagement
scientifique d'usines pourvues d'un matériel de fa-
brication et de conservation perfectionné^ avec des
caves modèles, comme celle représentée sur la
figure 1 (caves de la compagnie Cimenl-Verre).
2» Les cidres ayant subi une préparation spé-
ciale se subdivisent à leur tour en plusieurs groupes :
a) Cidres mousseux champagnisés, fabriqués sui-
vant la méthode champenoise;
b) Cidres mousseux gazéifiés artificiellement ,^o\it
l'exportation el la consommation des villes. Ils doi-
1331
de <0 centimes senlemeni. An point de vue légal,
il faul considérer que la misé en vente de» cidre»
contenant plus de 200 milligrammes d'acide sulfu-
reux par litre, à l'état libre ou combiné, esl interdite.
c) Par l'emploi de la saccharose, que l'on ajoute
sous forme de sirop, au moyen d'un doseur auto-
matique de préférence.
m. De la pression gazeuse intérieure des cidres
et de l'emploi du gaz carboni(^ue, ou gazéification
artificielle, dans la fabrication el le débit de»
cidres. L'emploi de la gazéilicalion en cidrerie est
Fig, 1. — Care de grande cidrerie Industrielle. Cuve* de la compagnie Ciment- Verre en béton armé, recouvert de carreaux pn verre.
vent être obtenus très économiquement, afin de lut-
ter contre la concurrence étrangère el celle des
autres boissons.
Ceux qu'on destine à l'exportation ne sont accep-
tés par la clientèle que s'ils sont absolument lim-
pides el secs de goût, ce qui nécessite l'utilisation
de fruits acides, l'emploi du collage et du filtrage
des moûts el la pratique de la fermentation par
levures sélectionnées, très vigoureuses.
Ces cidres pourront être vendus au bock, comme
certains vins mousseux, dans les centres urbains,
et en bouteilles champenoises, pour remplacer les
cidres ordinaires en bouteilles, qui sont de qualité
très inégale.
c) Vins de pommes, analogues aux apfelvein al-
lemands el destinés à l'exportation. Ils sont fabri-
qués comme les vins mousseux, au moyen de
levures de vins blancs très vigoureuses et gazéifiés
artificiellement.
II. Les cidres doux et l'édulcoration des cidres.
L'obtention du cidre a l'élat doux, tel qu'on le
consomme dans les grandes villes, esl presque im-
possible par des moyens naturels. Malgré les pré-
cautions prises pour entraver la fermentation, elle
amène au bout d'un temps variable la disparition com-
plète du sucre. Nous nous expliquons ainsi que cer-
tainsenlrcposilaires et commerçants aient eurecours,
pour donner satisfaction à leur clientèle, au sucrage
ou édulcoration des cidres, pratique d'ailleurs très
ancienne, qu'on utilise aussi dans les régions de
production, dans les années do récolle déficitaire
La législation a de son côté reconnu le principe
d'édulcoration des cidres. Le règlement ù'adminis-
tralion publique du 28 juillet 1908, pour l'application
de la loi du 1" août 1905 sur la répression des
fraudes, a fixé les conditions dans lesquelles elle
pouvait être pratiquée.
L'édulcoration des cidres peut se faire de diffé-
rentes manières :
a) Par l'emploi du jus de pommes concentré, La
législation française assimile le jus de pommes à la
glucose, de sorte que son emploi pour l'édulcora-
tion des cidres a été rendu impossible.
b) Par l'emploi du moût de pommes sulfite, qui
«e prépare facilement au moyen de l'appareil suffi-
doseur, tel que celui de la figure 2 (sulfidoseur Pic-
tel). Le moût doit être désullité avant son emploi.
C'est une pratique très avantageuse, car l'on ob-
tient de celle façon du sucre de pomme à prix très
réduit. D'après WarcoIIier, la tonne de pommes à
30 francs donnerait le kilogramme de sucre au prix
rendu nécessaire par la fabrication de» cidres pé-
tillants destinés à la consommation urbaine et pour
l'obtenlion des cidres mousseux. On doit distinguer
[si gazéification naturelle et la gazéification artifi-
cielle. Lapremière se fait par fermentation dusucre
contenu naturellement dans le moût el de celui
qu'on a pu y ajouter; la deuxième par introduction
de gaz carbonique dans le liquide.
La gazéification artificielle donne des produits
absolument iiiotfensiis pour la santé; c'est une opé-
ration parfaitement licite et qui n'a pas besoin
d'être déclarée, mais la loi a édicté certaines règles
pour éviter toute confusion sur l'origine des produits.
Détermination de la quantiléde gaz carbonique
qui doit élre contenue dans un cidre. Dans toute
boisson lermen-
tée ayant cer-
taine teneur en
gaz carbonique,
il se manifesir
une force inli-
rieure, qui dé-
termine une
poussée sur les
parois du réci-
pient dans le-
quel elle esl
contenue et pro-
voque la forma-
tion de mousse
dès qu'on ouv: -
ce récipien
Cette pousser
c'est ta pression
gazeuse inté-
rieure du liqui-
de, qui repri-'
senleiaforceej:-
P"!)?'"* 5" *„"/ Pig. 2. - S„lfUri-d«eur Plctet. pour r»-
qu II ren/erme. corporation de U solution normale «ulru-
La masse ga- reuse «u cidre,
zeuse emprison-
née dans la boisson obéit aux lois ordinaires qui
régissent l'éqiiilibre des gai.
Appelons 'V le volume total du gaz produit on
introduit dans le liquide, évalué à la température el
à la pression ordinaires; ce gaz se comprime au fur
el à mesure de sa production pondant la fermenta-
lion, puisque le volume de la bouteille ou du réci-
pient dans leauel il esl contenu reste sensiblement
consUnt pendant ce temps. Il en résulte une aug-
632
mentation de pression, qui se produit k l'inverse de
la loi de Mariotte et qu on peut traduire par la for-
mule suivante :
P _V'
p/- V
Attribuons aux lettres les valeurs ci-après :
P' = pression atmosphérique ; V = volume du gaz
évalué sous la pression atmosphérique ; V := volume
du gaz contenu dans la bouteille ou le récipient de
fermentation ; P := pression intérieure du gaz dans
le récipient ou la bouteille.
La valeur de P pour une bouteille d'un litre sera :
P'xV y XI
l'- V " 1 " '
ce qui revient à dire que la pression gazeuse in-
térieure d'un cidre, logé en vase clos et de conte-
nance égale à l'unité, est à chaque instant égale
au volume du gaz produit par la fermentation,
mais évalué sous la pression atmosphérique et à la
température du moment.
La pression intérieure sera évaluée en détermi-
nant la quantité de gaz carbonique qui peut être
produite au cours de la fermentation par le sucre
contenu dans le liquide.
Disons tout de suite, pour éviter les confusions
possibles, que nous baserons nos calculs sur la trans-
LAROUSSE MENSUEL
pour obtenir une pression déterminée dans la bou-
teille; on devra faire l'opération inverse à celle qui
a été adoptée précédemment.
On sait qu'un litre de gaz carbonique est produit
par 3 gr. 917 de sucre cristallisable (saccharose), ou
4 gr 123 de sucre inscristallisable (glucose et lé-
vulose).
Ainsi, pour obtenir une pression de 5 atmosphères
avec un liquide ayant 1.000 pour coefficient de solu-
bilité pratique, il faudra prendre un cidre conte-
nant au moment de la mise en bouteille :
3 gr. 917X5 = 19 gr. 58, soit, en chiffre rond,
20 grammes de sucre cristallisable par litre. Avec
un pouvoir d'absorption de 950, nous prendrions
un cidre contenant 0,950 X S X 3,917 = 18 gr. 60 de
sucre cristallisable par litre.
Notons que, pour les vins blancs, le coefficient de
solubilité pratique varie entre 950 et 1.000, d'après
les recherches de Salleron.
Avec les vins de Champagne, pour avoir une
mousse dite « marchande », il faut produire dans
chaque bouteille 5 atmosphères de pression envi-
ron, à 10° de température et au plus grand dévelop-
pement de la mousse, ce qui correspond à une
teneur de 20 grammes de sucre cristallisable par
litre de vin dans la cuve de dosage.
Le tableau suivant nous donne les pressions in-
NATURE DES CIDRES
À FABRIQUER.
DENSITÉS
des ordres
au moment
de la mise
en bouteilles
Poids
de
sucre par litre
TlTRB
correspondant
en alcool
Pression intérieure oazeuze
II
D'après L
II
echai'tier
Minimum
Maximum
o 3
il
Coefficient
de
solubilité
l.OtiO
Coefflcient
de
solubilité
1.050
g "i
rp
s s
13.038
10.332
7.628
5.166
g -
8 2
12.242
9.701
7.160
4.850
Cidres très mousseux et très doux.
1.025àl.020
1.020 1.015
1.015 1.010
I.OIO 1.005
42
31
21
10
53
42
31
21
2.5
1.9
1.3
0.60
3.2
2.5
1.9
1.3
10.332
7.626
S. 166
2.460
9.701
7.160
4.850
2.309
Cidres légèrement mousseux. . . .
Cidres pétillants
formation du sucre évalué en sucre cristallisable
(saccharose).
100 grammes de sucre cristallisable donnent
51 gr. 11 d'alcool pur et 48 gr. 87 d'acide carbonique.
On sait, d'autre part, qu'un litre de gaz carbo-
nique à la température de 10° pèse 1 gr. 915 ; il en
résulte qu'un gramme de sucre cristallisable doit
donner 0i,247 d'acide carbonique (chiffre théorique),
mais pratiquement donne 0',246.
Un cidre contenant 21 grammes de sucre évalué
en sucre cristallisable par litre donnera
21 X 0,246 = 6', 166
de gaz par fermentation alcoolique totale, ce qui
devrait représenter une pression de 6 atmosphè-
res 166 dans une bouteille de 1 litre.
La pression intérieure ainsi évaluée ne serait pas
exacte. Elle se trouve, en effet, modifiée par les solu-
bilités respectives du gaz dans l'eau et dans l'alcool.
Le volume occupé par le gaz augmente lorsque
son coefficient moyen de solubilité vis-à-vis du
liquide est inférieur à l'unité ; il diminue s'il lui est
supérieur. La pression varie dans le même sens
que les volumes.
En se reportant aux tables de Carius et Bunsen,
on peut trouver les solubilités de l'acide carbonique
dans l'eau et dans l'alcool à diverses températures.
Supposons un cidre à 5° d'alcool (contenant
5 p. 100 d'alcool en volume), nous pouvons établir
de la façon suivante son pouvoir dissolvant total
vis-à-vis du gaz carbonique ;
1" Pour l'eau 0,950x 1.184 = il,l?48
«• Pour l'alcool 0,050x3.514=0', 1757
11,3005
Avec un cidre ayant une richesse en sucre de
21 grammes par litre, comme celui que nous avons
pris en exemple, la pression dans la bouteille de
I litre sera de :
61.166
= 41,735.
1,3005-1-15 '
(Le nombre 15 représente le volume de l'espace resté
libre daos la bouteille, entre le liquide et le bouchon.)
Nous obtenons ainsi un nombre théorique, mais le
coefficient moyen de solubilité pratique, ou pouvoir
absorbant réel du liquide, en diffère sensiblement.
II se trouve modifié par le fait que le gaz carbonique
est produit au fur et à mesure de la formation de
l'alcool, ce qui a pour eiîet de changer à chaque
instant la composition du milieu dissolvant
Dans l'évaluation de la pression intérieure ga-
zeuse, il faut aussi tenir compte de l'influence de
la température; la solubilité du gaz diminue au fur
et à mesure de l'accroissement de cette dernière, et
la pression dans la bouteille devient plus forte.
Dans la fabrication des cidres mousseux, on peut
«voir h calculer la quantité de sucre nécessaire
térieures gazeuses obtenues par la mise en bou-
teille des cidres, aux densités communément indi-
quées par les auteurs.
Ce tableau nous montre que les pressions obte-
nues sont manifestement exagérées et, pour que les
bouteilles puissent toujours leur résister, il faudrait
conserver ces cidres à basse température et même
les consommer à l'état doux.
La pratique de la gazéification artificielle et le
débit du cidre. — La gazéification des cidres peut
être faite par les trois catégories d'agents qui inter-
viennent dans le commerce des cidres, à savoir :
le fabricant, l'entrepositaire et le débitant.
a) La gazéification chez le fabricant de cidres.
— On ne peut employer les appareils qui servent
pour la fabrication des eaux gazeuses. Le cidre
y serait détérioré au contact des parties métalliques
des pompes qui assurent la circulation du liquide
et fatigué par l'agitation qui en résulte.
Les appareils donnant actuellement les meilleurs
résultats sont les mêmes que ceux qui servent pour
la gazéification des vins. Ils appartiennent à la caté-
gorie des appareils de saturation à renversement
et ont donné lieu à l'application de deux principes :
1° Un liquide absorbe d'autant plus de gaz que la
pression du gaz se trouvant en contact avec lui est
plus forte ;
2° Un liquide absorbe d'autant plus de gaz que la
division des molécules du liquide en contact avec
ce gaz est plus grande.
La division des molécules doit se faire sans que
le liquide soit battu et brisé. On arrive
à ce résultat par l'emploi d'une vanne et
d'un robinet diviseur, qui permettent le
contact du gaz carbonique avec le li-
quide étendu en nappes très minces, of-
frant ainsi au gaz une très granile surface
de contact, une pénétration facile et très intime,
sans que le liquide soit battu, ni cassé.
L'appareil Bancal et Gérard (fig. 3) remplit ce
but. Le robinet diviseur spécial H, actionné par le
volant V, est relié par un tube métallique rigide au
saturateur S, qui a la forme d'un siphon à eau de
Seltz et se trouve protégé par une armature en
toile métallique forte et à mailles resserrées. La
bouteille remplie du liquide à saturer est placée
en B, au-dessous du robinet R, où elle se trouve
maintenue au moyen d'un bloquet à ressort, muni
d'un levier spécial.
Le gaz carbonique venant d'une bouteille en acier,
munie d'un détendeur, arrive dans le saturateur
par le tube flexible T en caoutchouc ; il passe au
préalable dans le laveur L, contenant de 1 eau pure
ou, mieux, de l'eau alcoolisée, afin de le débarrasser
de ses impuretés.
On règle d'abord le détendeur de la bouteille
à gaz carbonique à la pression de saturation que
»• 142. Décembre 1916.
l'on a adoptée. Celle-ci doit se maintenir entre 3
et 5 atmosphères pour le cidre, mais, pour le vin, on
peut aller jusqu'à 6 et 7 atmosphères.
L'ensemble du système formé par le robinet, le sa-
turateur et la bouteille de cidre, est fixé sur un pla-
teau, lequel peut pivoter autourde 1 axe de rotation O,
ce qui permet le renversement complet de l'appareil.
Voici la marche de l'appareil : le détendeur étant
réglé, ouvrir le robinet d'échappement du gaz car-
bonique T. Ce gaz se répand dans le saturateur S
et, en chasse l'air, dès qu'on ouvre la vanne v.
L'échappement d'air ne se fait qu'une fois au
début de l'opération. On met ensuite en place la bou-
teille contenant le cidre à gazéifier; puis on ouvre
1e vanne v à plein et, très légèrement, le robinet
qui se trouve en r, lequel laisse s'échapper l'air
contenu dans le col de la bouteille, et on le referme.
Renverser maintenant l'appareil en le faisant
fiivoter autour de l'axe 0. Dans cette position, le
iquide passe de la bouteille dans le saturateur, en
prenant contact avec le gaz au passage, et il se
sature par adhérence, grâce à la division qui résulte
de la disposition spéciale du robinet, en même
temps que du brassage provoqué par le mouvement
du liquide. Ce transvasement terminé, on replace
l'appareil dans sa position première; le cidre revient
dans la bouteille, ce qui donne saturation double.
Fermer alors la vanne v et desserrer légèrement
le robinet ?•; l'excédent de gaz carbonique dans la
bouteille peut s'échapper sans produire de choc.
On n'a plus, maintenant, qu'à retirer la bouteille
en appuyant sur le levier solidaire du bloquet à
ressort, a bouclier et à museler.
La saturation étant complète, il n'y a pas d'échap-
pement de gaz par effervescence, pendant qu'on
porte la bouteille sous la boucheuse.
Une installation complète pour la gazéification
des cidres comprend les appareils suivants, décrits
liquide
Bloquet a
ressort
Levier il
r ^=r-(ohg)
Fig. 3. — Schéma de l'appa-
reil Bancal et Gérard.
dans l'ordre ofi ils
sont appelés à servir:
1° Un appareil dou-
ble à gazéifier en bou-
IciZ/e* (système Bancal
et Gérard, fig. 4) ;
^oVu tourniquet sar
lequel on met les bou-
teilles gazéifiées pour
empêcher l'échappe-
ment du gaz avant de
les boucher. Chaque
bouteille est placée
sous un bloquet à res-
sort, qui comprime le
goulot sur un col de
caoutchouc donnant une fermeture hermétique.
Comme les bloquets sont montés sur un plateau
tournant, l'opérateur n'a qu'à mettre le plateau en
mouvement pour passer successivement les diffé-
rentes bouteilles à son compagnon de travail. Le
tourniquet doit toujours être employé à cause des
avantages qu'il représente au point de vue de la
propreté et de la rapidité du travail;
3" Une machine à boucher au mouton. Le ma-
niement de cette machine est facile et rapide; on
a vu, en Champagne, des ouvriers boucher chacun
dans leur journée jusqu'à 5.000 bouteilles.
4° Une machine à museler et à agrafer. Ces
deux opérations, faites à la main, demanderaient
beaucoup de temps, alors qu'avec la machine spé-
ciale on peut aller très vite.
Pour le service d'une installation, telle que celle
que nous venons de passer en revue, il faut compter
deux ouvriers, et l'on peut obtenir une production
de 700 à 800 bouteilles de cidre gszéifié par jour,
«• 142. Décembre 1918.
prêtes à èlre emballées. On peut aménager plusieurs
installations semblables disposées en batteries dans
une même pièce, c'est-à-dire parallèlement les unes
aux autres. Dans certains établissements, on en
place jusqu'à 8 ou 10 dans la même salle.
Pour obtenir une gazéification dans de bonnes
conditions, il faut souvent pratiquer le refroidisse-
ment préalable du cidre. L'incorporation du gaz
peut se faire à partir de 10 degrés, mais il vaut mieux
y procéder à très basse température {+ 1° ou + 2°).
Il est facile d'obtenir un refroidissement relatif en
plaçant les tonneaux quelque temps avant l'opéra-
tion dans une cave très fraîche, mais il est bien
préférable de pratiquer le refroidissement artificiel.
Les cidres exposés à se troubler à la suite de la
gazéification doivent être collés ou filtrés anpara-
4
y.t
Arrivée
duCÔT^
Appareil double à gazéifier, système Baocal et Gérard.
vanl, pour éliminer les matières albuminoldes qui
sont la cause du trouble.
La gazéification jusqu'à 3 et 4 atmosphères peut
se pratiquer en foudres de brasserie. Elle devrait
alors se faire naturellement, c'est-à-dire par addi-
tion d'un sirop de sucre, ou d'un moût de pommes
non fermenté. Il y aurait lieu de munir les foudres
de bondes de sûreté, pour en éviter l'éclatement.
Le cidre obtenu de cette façon pourrait être livré
en tonneaux à pression comme la bière, et son débit
se ferait au moyen des mêmes appareils.
Si cette pratique était adoptée, elle faciliterait et
augmenterait beaucoup la consommation du cidre
dans les grandes villes, en fournissant à la clien-
tèle la boisson de qualité qu'elle réclame
b) La gazéification chez l'entrepositaire. Elle se
fait comme chez le fabricant de cidre.
c) La gazéification chez te débitant Pour le débi-
tant, le meilleur moyen de pratiquer la gazéification
du cidre consiste à employer le tirage direct au
tonneau et sous pression de gaz carbonique, comme
on le fait pour la bière La figure n° 5 nous donne
le schéma de l'installation nécessaire pour cette opé-
ration. Le cidre est placé dans un tonneau à pres-
sion, lequel est disposé verticalement. A la place du
robinet de vidange, on adapte un tube plongeur,
qui descend jusqu'au fond du tonneau et se trouve
entouré dans le naut par un manchon, où l'on fait
arriver le gaz carbonique venant d'une bouteille en
acier, soit d'un appareil spécial appelé producteur.
A l'extrémité du tube plongeur, on adapte une ti-
reuse isobarométrique, qui permet d'exécuter le rem-
plissage des bouteilles sans formation de mousse.
Entre la tonneau et la tireuse, on intercale sou-
vent un filtre, pour débarrasser le liquide de ses
impuretés.
Le principe de la tireuse isobarométrique consiste
à établir dans la bouteille fermée hermétiquement
une pression d'air égale k celle du réservoir conte-
nant le cidre à soutirer.
Elle se compose de deux parties principales : la
lanterne et le tube de soutirage. La lanterne, ainsi
LAROUSSE MENSUEL
nommée parce qu'elle permet de voir le mouve-
ment du liquide, est formée par un cylindre en
verre fermé à ses extrémités par deux disques en
bronze. Le disque du haut porte un trou central,
<|ui s'ouvre et se ferme automatiquement pendant
1 opération, et un autre sur le côté, qui commu-
nique par un tube avec l'intérieur de la bouteille à
remplir et livre passage à l'air comprimé {fig. 5).
Le disque du bas porte également deux trous :
l'un, placé au milieu, se trouve en communication
avec la conduite d'amenée du liquide; l'autre, placé
sur le côté, conduit le li(^uide dans la bouteille.
Les deux tuyaux aboutissant au tube de soutirage
viennent se fixer sur un robinet & deux voies, dit
robinet isobarométrique. L'intérieur de la lanterne
possède un flotteur traversé par une tige métal-
lique, dont les extrémités
coniques viennent fermer
tantôt le trou supérieur,
tantôt le trou inférieur,
suivant la position de ce
fiolteur.
Le tube de remplis-
sage {fig.6) porte un pro-
longement immergé dans
la bouteille, et le mouve-
ment du liquide est com-
mandé par le robinet iso-
barométrique, qui établit
ainsi la communication
avec le sommet de la
lanterne et le robinet
d'écoulement. La bou-
teille est appliquée contre
le tube de remplissage
par l'intermédiaire d'un
ressort ou d'une pédale
à contrepoids, et elle vient
presser sur un joint en
caoutchouc, qui assure
uneconnexion absolument
hermétique.
Le fonctionnement de
la tireuse isobarométrique
est facile à comprendre,
surtout si l'on se reporte
aux deux croquis précé-
dents. Quand on ouvre
le robinet isobarométri-
que, le liquide monte
dans la lanterne, soulève
le Hotleur, qui vient ob-
turer le trou central ser-
vant à l'échappement de
l'air. Cet air se com-
prime et, lorsque la pres-
sion est égale à celle du
liquide soutiré, ce der-
nier s'écoule dans la bou-
teille, en chasse un égal
volume de gaz, lequel
s'en va à l'extérieur en
passant par le trou central de la lanterne. Celui-ci
s'ouvre, en effet, pendant l'écoulement du liquide
par suite de la descente du flotteur, qui vient aussi
fermer le trou central inférieur d'arrivée
Lorsque la lanterne est vide, le môme mouve-
ment recommence. II s'établit un état d'équilibre du
633
pareil précédent que parce qu'on a mis un simple
robinet à l'extrémilé du tube plongeur, au lieu d'y
avoir adapté une tireuse isobarométrique.
Cet appareil est d'une réelle simplicité, mais
il n'est pas toujours à recommander, car il est
préférable de ne pas monlrer au consommateur
la façon dont se prépare la boisson qui lui est
offerte.
On pourrait encore utiliser, pour le débit du cidre,
le système de tirage à la pression avec tonneau en
cave, que l'on emploie si couramment pour la bière
dans les cafés.
On éviterait que les parties métalliques entrant
en contact avec le cidre ne soient attaquées par son
acidité en employant les alliages métalliques uti-
lisés en vinaigrerie.
L'alliage utilisé pour la fabrication des robinets
présente la composition suivante : aluminium 7 par-
ties, étain 93 parties. L'alliage de Richardson et
Motte, lequel sert à revêtir les parties métalliques,
qui doivent se trouver en contact avec les liquides
acides, est formé de : étain 4 parties 534, nickel
0 partie 283, fer 0 partie 198.
ÏV. Bouteilles et bouchages employés dans la
préparation des cidres mousseux. — Les bouteilles
employées
Robinet
(~~~-^;_jfîi isobarométrique
dans la fabri-
cation du cidre
mousseux doi-
vent être sou-
mises au préa-
lable à y épreu-
ve de la résis-
tance, en vue
de reconnaître
si elles sontca-
pablesdesubir,
sans se rom-
pre, la pression
intérieure ga-
zeuse du li-
quide qu'elles
devront conte-
nir.Disons,àti-
tre d'exemple,
qu'en Cham-
pagne, toutes
les bouteilles
Arrivée Ll
du cidre "N
Retour de
l'air de la
bouteille
aoutchouc
^Bouteille
Fig. 6. — Tube de remplissage
de la tireuse isobarométrique.
sont essayées
sous 10 atmo-
sphères de
pression, ce qui représente le double de ce qu'elles
auront à supporter.
Leurs dimensions sont très variables, mais on
emploie le plus souvent les bouteilles champenoises.
Dans la fabrication des cidres mousseux, il faut
encore n'employer que des bouchons de choix. On
doit les ébouillanter, ce qui a pour effet de faire
disparaître leur goût de liège et d'assurer leur com-
plète étanchéité.
Les bouchons, pour résister à la poussée inté-
rieure du cidre, doivent être munis d'une ligature.
La ligature la plus pratique est connue sous le nom
de muselet. C'est une sorte de capsufe en fil de fer,
qui se pose sur le bouchon, lequel a élé préalable-
ment recouvert d'une plaquette de métal portant la
marque du fabricant.
La pose des bouchons et des muselets se fait au
Robinet
d'ectiappement
d'air i-•/fl^
Conduite de sortie duga;
tSCJJ
.•*.' n II
oc
' Tube de
remplissage
Tonneau
à cidre
— * -y ::z-j^-.:' Bouteille
Conduite d'amenée
du cidre
Schéma d'installation p<^ur le tirage du eidre au moyen
de la tireuse isobarométrique.
flotleur, qui permet simultanément le départ de l'air
et l'arrivée du cidre sous pression dans la bou-
teille, où il rencontre une pression suffisante pour
éviter la production de mousse et toute déperdition
de gaz carbonique.
Quand la bouteille est remplie, le liquide dépasse
l'extrémité du tube; l'air, ne pouvant plus passer
dans la lanterne, se comprime, et l'écoulement s'ar-
rête de lui-même. On ferme le robinet, on retire la
bouteille, et l'on bouche.
Le dispositif d'installation représenté sur la figure 7
permet le tirage au verre du cidre mousseux ve-
nant directement du tonneau. II ne diffère de l'ap-
LAROUSSE UENBUEL. — IV.
moyen de machines spéciales; il en est de même de
l'étiquetage.
Pour les cidres destinés à être vendus au bock, il
est presque indispensable d'employer le bouchage
mécanique, si l'on veut obtenir une fabrication ra-
pide et économique. On se sert, pour les poser, de
Doucheuses au moteur.
Conclusion. — Telles sont les différentes amé-
liorations qu'il faudrait apporter à la présentation
commerciale, k la vente et au débit du cidre pour
lui donner la vogue qu'il mérite comme boisson
hygiénique. Espérons que les intéressés s'applique-
ront k les réaliser. Elles méritent toute leur atten-
24»
634
tion et la prospérité de nos régions ciilricoles en
dépend l'arlement. Tant qu'on ne donnera pas h. la
clientèle la boisson qu'elle réclame, la consomma-
fig. 1. — Dispositif d'installation pour le tirage au verre du cidre mousseux
Tenant directetueot du tonneau.
tion du cidre ne pourra atteindre son plein déve-
loppement dans les villes, comme nous devons le
souhaiter. — François-Louis MicnoN.
Congrès d'Aix-la-Cliapelle (lb) [sep-
tembre-octobre ISIS). La réunion diplomalic|ue
qui rassembla, il y a cent ans, autour du toinlieau
de Gharlemagne les représentants des cinq grandes
puissances de l'Europe est une de celles qui exer-
cèrent sur la vie politique française rinllueiice la
plus directe et qui symljolisent le plus exactement
les tendances de la Sainte-Alliance vers ce qu'on
est convenu d'appeler aujourd'hui la « Société des
nations » ; son centenaire a donc un double titre à
retenir notre attention.
Le traité de Paris du 20 novembre 1815 avait
décidé qu'une armée d'occupation, comprenant des
troupes anglaises, aiitricliieunes,
prussiennes et russes, tiendrait
garnison en France — daiis le
Nord, dans TKat et dans Paris
même, durant cinq années et
jusqu'au payement intégral de
l'indemnité de guerrede700 mil-
lions imposée à la France. Ces
troupes devaient être au nombre
de 150.000 hommes, dont un
cinquième devait appartenir aux
puissances secondaires de la
coalition : Danois, Bavai'ois,
Saxons , Wurlemburgeois et
Hanovriens.
Cependant, dès le mois d'avril
1817, l'armée d'occupation était
réduite de 30.000 hommes et, le
26 avril 1818, une convention
était signée, « à l'elTet d'opérer
l'extinction totale des dettes
contractées par la France »
Pareil règlement permettait
d'envisager la libération du
territoire; déjà, l'empereur
Alexandre l"', qui s'était en
miiinte circonstance montré fa-
vorable à la France et qui était d'autant plus ras-
suré sur la politique intérieure du gouverncmentque
le duc de Riclielieu en était le chef, avait manil'eslé
l'intention de provoquer la réunion d'un congrès
où la situation de la France serait examinée. Il
entendait, d'ailleurs, que le dirrctoire européen,
constitué par les quatre grandes puissances aux-
quelles la France pourrait ultérieurement être
adjointe, discutât mainte aulre quesiion qu'il ju-
geait d'un intérêt commun il toute l'Europe : les
difficultés pendantes entre l'Espagne et le Portugal,
entre 1 Espagne et ses colonies d'Amérique, entre
la Bavière et le grand-duché de Bade, entre la
Suède et le Danemark, la navi^'ation des fleuves
internationaux, la répression de la traite par les
pirates barbaresques. Dans son esprit, en clfet, les
grandes puissances avaient sur l'Europe et le monde
Le duc de itictii-lieu.
LAROUSSE MENSUEL
un droit ou, mieux, un devoir de protection et de
tutelle, qui impliquait pour elles l'obligation de
régler comme un tribunal suprême les litiges qui
pouvaient survenir entre les uns et les
autres : c'était essentiellement, il y a
cent ans, dans l'intention du tsar idéo-
logue, le principe de « la société des na-
tions », si en faveur aujourd'hui. Mais le
malheur voulut qu'Alexandre l"' fût seul
à le défendre. Metlernich, son rival d'in-
lluence, tenait à conserver une alliance
limitée entre les quatre grandes puis-
sances qui avaient assuré la chute de
Napoléon et l'écrasement de la France;
il acceptait que la France y fût admise,
mais sous la réserve du maintien du
casus fœderis relatif aux menaces que
cette l'rance pourrait faire courir à la
pnix générale; — étrange contradiction I
II spéciliait, surtout, que les cinq cours
ne devaient point chercher « à étendre
l'action de leur concert sur des intérêts
particuliers à d'autres cours ». Le gou-
vernement anglais, alors rigoureusement
attaché au principe de non-intervention,
répugnait ouvertement aux pi'éteutions
du tsar, aussi bien que le roi de Prusse,
qui ne pouvaiten concevoirlagrandeur.
Aussi Alexandre 1" eut-il soin, dans
sa correspondance oflicielle, de limiter
strictement l'objet des futures confé-
rences à l'examen de la situation delà
France et de l'éventualité du retrait de
l'armée d'occupation. Pour calmer même
toute susceptibilité, il fut convenu que
le programme de cette conférence serait
(i.xé par les ambassadeurs des quatre
puissances, chargés à Paris de surveiller
l'exécution du traité de 1815 : la circu-
laire du 27 mai 1818 spécilia donc que
les signataires du traité du 20 novembre
étaientconvenus de se réunir à l'automne
i< pour, confoimément à l'article 5 du-
dit traité, prendre en considération, de concert avec
S. M. T. G., l'élat intérieur de la France el, d'après
cet antécédent, décider si l'occupation militaire des
provinces frontières de ce royaume peut cesser, ou
bien si elle doit être continuée ».
Au reste, cet objet seul intéressait la France, dont
l'attention se porta tout entière sur les conférences
annoncées. On en discuta le lieu pendant quelques
semaines; on parla tour à lourde Bàle,de Carisruhe;
on se décida pour Aix-la-Ohapelle, qui, par le récent
traité, avait été attribuée au roi de Prusse, en
même temps que la plus grande partie des terri-
toires de la rive gauche du Hliin.
De l'ait, ce fut Fiédéric-Guillaume qui fit les hon-
neurs de la réception ; arrivé dans sa bonne ville
le 26 septembre, il alla, le surlendemain, au-devant
de ses hôtes impériaux, de l'empereur Franc;ois, qui
fit son entrée solennelle à midi,
du tsar Alexandre, qui n'arriva
qu'à la nuit tombée à la lueur
des flambeaux, au milieu de l'en-
thousiasme de la population. Là,
comme trois ans plus tôtà Vienne,
l'empereurde Russie, à la figure
avenante, au regard clair, à la
taille bien prise, recueillait les
plus flatteuses acclamations. Un
récent discours, prononcé à la
Diète de Pologne, achevait, d'ail-
leurs, de donner à l'empereur une
apparence de souverain libéral
et constitutionnel. Les peuples
des provinces rhénanes, placés
depuis trois ans sous le joug
prussien, espéraient trouver en
lui un prolecteur; dans cetespoir
ils se trompaient lourdement.
Le 30 septembre el le l«''octobre,
se tinrent les séances prélimi-
naires, qui eurent lieu la pre-
mière chez le prince de Harden-
berg, représentant de la Prusse,
la seconde chez le prince deMet-
ternich, représentant de l'Aulri-
che. On y constata sans peine que l'accord était fait
sur l'objet principal des conférences: lord Gastlereagh
et le duc de Wellington, les comtes Nesseli'ode et
(«ipo d'Islria, représentants de l'Angleterre et de la
riussie, reconnurent avec les plénipotentiaires d'Au-
triche et de Prusse que « leurs souverains admet-
taient le principe de l'évacuation du territoire fran-
çais à la fin de la troisième année de l'occupation ».
Ils le signifièrent solennellement, dans leur réunion
du 2 octobre, au duc de Richelieu, qui rcprésenlait
au congrès le roi de France et qui avait reçu pour
mission essenlielle d'obtenir ce résultat : si quelques
ultra-royalistes avaient, au printemps précédent,
suscité un complot (la conspiration dile « du bord de
l'eau »), s'ils avaient énoncé leurs craintes dans « la
note secrète » rédigée par'Vilrolles pour prouver au
gouvernement du roi et aux souverains alliés le
Le comte de Mctternich.
N' 142. Décembre 1918.
danger que pouvait causer au trône légitime l'éva-
cuation du territoire français par les troupes étran-
gères, ils n'avaient trouvé d'aulre appui, hoi's de
France, dans leur criminelle entreprise, qu'en la
personne du roi Ferdinand Vil d'Espagne, qui avait
argué de son titre de Bourbon et de cousin de
Louis XVllI pour réclamer le maintien de l'occu-
pation. Mais cette opinion, qu'il avait exprimée par
écrit aux souverains alliés, il se trouvait bien em-
pêché de la soutenir à Aix-la-Chapelle, puisque,
seuls, les représentants des cours signataires du
traité de Chaumont de 1814 y étaient réunis.
Le 9 octobre, le duc de Richelieu signait donc, de
concert avec les plénipotentiaires d'Autriche, de
Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, une con-
vention portant en son article V « que les troupes
composant l'armée d'occupation seraient retirées du
territoire de France le 30 novembre, ou plus tôt si
faire se peut » ; les articles suivants concernaient le
mode d'évacuation; l'article 4 fixait à 265 millions
la somme à payer pour compléter l'exécution du
traité du 20 novembre 1815.
Ainsi la France recouvrait-elle sa complète indé-
pendance. Le duc de Richelieu, lequel, depuis trois
ans, avait dirigé avec un tact et une énergie égale-
ment remarquables les difi'érentes négociations qui
découlaient de l'exécution du traité de Paris, avait
bien mérité le
litre de « lib'-
rateur du terri-
toire », qu'on de
vait donner, un
demi-siècle pluïJ
tard, à Adolphe
Thiers. Le roi.
en lui envoyiint
la plaque du
Saint-Esprit, lui
exprimait des re-
merciements qui
étaient d'autant
plus précieux
que, venantde ce
prince, ilsétaient
plus rares.
Mais quelle
place faire à ia
France réhabili-
tée au milieu de
l'aréopagedesna-
tions qui prétendaient constituer le directoire de
l'Europe? La quadruple alliance qui unissait les
vainqueurs de Napoléon leur paraissait d'autant plus
nécessaire à conserver qu'elle constituait, aux yeux
des souverains, la garantie morale de l'ordre en Eu-
rope et en France : « la garantie matérielle, qui était
l'occupation de la France, disparaissant, il faut ren-
forcer la garantie morale », disait un mémoire russe.
Mais proclamer le renouvellement d'une alliance
conclue contre la France, à l'heure oii on rendait à ce
pays sa pleine indépendance, constituait une contra-
diction qu'avait fait remarquer Richelieu : il s'agissait
donc d'admettre la France dans le directoire euro-
péen, pouvoir exécutif de cette embryonnaire So-
ciélé des nations, et de mainlenircDutre les dangers
de trouble qu'on supposait toujours pouvoir émaner
d'elle les précautions nécessaires. Dans ce but, le
pacte de Chaumont fut renouvelé, sans que ce renou-
vellement lit l'objet d'un acte public ; mais, en même
temps, le l^' novembre, les représentants des quatre
grandes puissances invitèrent, par une note solen-
nelle, le ministre du roi de France à prendre part
à leurs travaux. La raison de cette rentrée en
grâce était explicitement exposée : « L'état intérieur
de la France ayant été, depuis longtemps, le sujet
des méditations suivies des cabinets..., les augustes
souverains ont reconnu avec satisfaction que
l'ordre de choses, heureusement établi en France
par la restauration de la monarchie légitime et
constitutionnelle et le succès qui a couronné jus-
qu'ici les soins paternels de S. M. T. C, juslilient
pleinement l'espoir d'un affermissement progressif
de cet ordre de choses, si essentiel pour le repos et
la prospérité de la France et si étroitement lié à
tous les grands intérêts de l'Europe. » Et c'est
grâce à cet ordre de choses si heureusement établi,
grâce, aussi, à la rigoureuse exécution des engage-
ments stipulés, que les représentants des augustes
souverains invitaient le duc de Richelieu « à pren-
dre part à leurs délibérations présentes et futures,
consacrées au maintien de la paix, des traités sur
lesquels elle repose, des rapports et des droits mu-
tuels établis ou confirmés par ces traités, reconnus
par toutes les puissances européennes ».
Ce conseil directeur, ainsi constitué, proclama, le
15 novembre suivant, sa raison d'être et les prin-
cipes qui devaient guider sa conduite, notamment
celui d' «union intime qui a présidé jusqu'ici aux
rapports de ces puissances et à leurs intérêts com-
muns, union devenue plus forte et indissoluble par
les liens de fraternité chrétienne que les souverains
ont formés entre eux ». Or, « cette union est d'au-
tant plus réelle et durable qu'elle ne tient à aucun
intérêt isolé, k aucune combinaison momentanée,
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Le général duc de NW-llingloii-
«• J42. Décembre J9I8.
ne peut avoir pour objet que le maintien de la paix
générale, fondé sur le respect religieux pour les
engagements consignés dans les traités et pour la
totalité des droits qui en dérivent ».
Tous les problèmes intéressant les membres de
cette société d'Etats devaient, en conséquence, être
éiudiés et résolus dans des réunions particulières
par les représentants de chacune des cinq puissan-
ces, et même, « dans le cas où ces réunions auraient
pour objet .les affaires spécialenienl liées aux inté-
rêts des antres Etals de 1 Europe, elles n'auront lieu
qu'à la suite d'une invitation formelle de la part de
ceux de ces Etats que lesdites affaires concerne-
raient et sous la réserve expresse de leurs droits
d'y participer directement ou par leurs plénipo-
tentiaires ».
En vertu de cettedernière proclamation, qui annon-
çait ouvertement la prétention d'évocation des pro-
blèmes intéressant d'autres puissances que les cinq
signalaîres du protocole, proclamation qui constitue
l'essence même de la Sainte-Alliance et contient
en germe le prin-
cipe d'interven-
tion, les ques-
lionsqui faisaient
depuis plusieurs
mois l'objet des
négociations, ou
tout au moins
d'échanges de
vues entre les
différents cabi-
nets, ne purent
faire l'objet d'un
examen officiel :
on n'évoqua à
Aix-la-Chapelle
ni les affaires
d'Allemagne (qui
devaient faire ul-
térieur ement
l'objet des confé-
rences de Garls-
bad), ni les questions relatives à un conflit suédo-
danois et à un conflit hispano-portugais, ces dernières
se rattachant au soulèvement des colonies espagnoles
et aux rapports entre Madrid et ses colons révoltés.
Problème particulièrement ardu que ce dernier, que
l'empereur Alexandre aurait aimé à étudier et tran-
cher souverainement avec ses alliés, mais qu'en dépit
" des liens de fraternité chrétienne » qui l'unissaient
au roi d'Angleterre ou à l'empereur d'Autriche, il
envisageait de façon très particulière.
Le congrès d'Aix-la-Chapelle, qui fut le premier
de la Sainle-Aliiance et qui en délinit la nature, est,
on le voit, particulièrement curieux à évoquer dans
les temps actuels : combien suggestifs sont plu-
sieurs des textes que nous avons cités et quels rap-
prochements ne peut-on pas faire entre certains
personnages, certains principes, certaines situations
d'il y a cent ans et d'aujourd'hui I Ne relrouve-t-on
pas aisément, chez quelques-uns de nos chefs d'Etat
contemporains, des idées qui furent chères à Alexan-
dre et à Metternich, et, si les bases mêmes de l'ordre
social et international ne sont plus à nos yeux les
mêmes qu'au début de la Restauration, la même ten-
dance à un gouvernement central des Etats ne renaît-
elle pas aujourd'hui plus ordonnée, plus précise,
mais telle, au fond, qu'elle était apparue nécessaire
au lendemain des guerres de l'Empire? — Keire Rain.
Damas (le Dimaschq es-Schayn des Arabes, le
Dammésèq des flébreux), ville asiatique de l'Em-
pire ottoman, capitale de la Syrie; de 230.000 à
300.000 habitants. (Damasquins.) Entre les derniers
contreforts del'Anti-Liban et la lisière de l'extrême
pointe des déserts d'Arabie, vers le nord-ouest (dé-
sert du Krâ], se développe une vaste plaine, qui
compte parmi les plus riches et les plus fécondes
du globe. C'est au cœur de cette plaine, ouverte à
l'est et an sud-est sur le désert, mais fermée au
nord et à l'ouest par les pentes rougeltres et dénu-
dées de l'Anti-Liban, qu'est située la ville de Damas.
Elle est assise par 700 mètres d'altitude sur les
deux rives du nahr Baradâ, une rivière fraîche,
pure et abondanle, alimentée par les sources de la
montagne, qui, depuis son entrée en plaine au dé-
bouché des gorges du djebel Saléhieh et jusqu'à sa
perte dans des lacs ou lagunes, répand partout la
fertililé. Grâce à elle et à ses nombreux canaux
d'irrigation, la plaine de Damas, que le nahr Baradâ
traverse d'ouest en est, mérite le nom de Dammé-
sèq (la demeure de l'arrosage), que lui ont donné
les Hébreux, et celui à'el-Glioûtah (le terrain en-
caissé la vallée bien arrosée) que lui donnent les
Arabes; grâce à elle, la campagne avoisinanl Damas
prend cet aspect riant et enchanteur qui lui a valu,
de la part des Arabes, les noms d' « Image du para-
dis » et de <i Jardin parfnmé ». Ainsi s'explique le
pouvoir particulièrement évocateur du nom de
Damas pour ceux qui l'entendent; il symbolise pour
nous la splendeur mystérieuse et un peu irréelle
de l'Orient arabe dans les régions voisines de la
Méditerranée. La beauté de ses mosquées, le charme
LAROUSSE MENSUEL
et la fraîcheur des jardins qui l'entourent en font,
pour nos imaginations occidentales, une ville de
rêve, une véritable ville des « Mille et une nuits ».
De fait, le voyageur qui arrive de Beyrouth par
le faubourg d'es-Salehieh et qui voit Damas en-
touré de sa verdoyante banlieue éprouve une im-
pression enchanteresse. La ville s'étend à ses pieds
du nord au sud, sur plus de cinq lieues: elle est là,
entourée de ses vieux remparts crénelés, flanqués
de grosses tours carrées, les uns et les autres ornés
de ces mosa'iques de grands blocs de marbre — noirs
et jaunes surtout
— qui ont fait
comparer, par un
poète arabe, l'en-
ceinte de Damas
& « une ceinture
de velours parse-
mée de topazes ».
Du milieu d'un la-
byrinthe dejardins
et de vergers, de
ruisseaux et de pa-
lais, émerge une
véritable forêt de
sveltes minarets de
toutes formes. Au-
tour de la cité elle-
même, de nom-
breux faubourgs,
véritables villes
par leur impor-
tance : au nord,
es-Salehieh, domi-
nant des pentes du
djebel Quasioun l;i
plaine de Damas,
bien déchu d'une
antique splendeur
qu'attestentencore
des mosquées et
des écoles déla-
brées; au sud,
el-Me'idan, dont la porte méridionale est la « porte
de Dieu »(lBaouâbet Allah), parce que par elle entrent
et sortent les pèlerins de La Mecque.
Quand, après avoir longuement admiré ce magni-
fique panorama, le voyageur pénètre dans la ville,
grande est sa déception. Des rues sales, tortueuses,
bordées de maisons sans apparence, délabrées, cons-
truites le plus souvent d'un grossier mélange de
terre et de pierrailles. Comme ces rues sont recou-
vertes de nattes ou de toits en planches, on croirait
circuler dans une ville souterraine. Point de grandes
places, d'autre part, ni de vastes promenades comme
à Stamboul ou au Caire.
Damas a, pourtant, des monuments remarquables.
Parfois, derrière des murs misérables et sans jour
sur les voies publiques, se cachent des habitations
élégantes, où l'imagination des architectes a déployé
ses plus gracieuses fantaisies. Ailleurs, voici des ba-
zars aux longues galeries d'arcades de style arabe.
Partout, on rencontre de nobles vestiges de gran-
dioses monuments grecs, romains ou byzantins, des
restes d'anciennes enceintes, etc.; partout, aussi,
éclate l'incurie de l'administration ottomane. Mos-
quées et medressés comptent parmi les plus beaux
spécimens de l'art arabe, mais beaucoup de ces
monuments tombent en ruine et, des 240 mosquées
que compte Damas, un tiers à peine est encore
fréquenté par les musulmans. A signaleraujourd'hui
des fontaines publiques monumentales, au nombre
de 850j dont quelques-unes comptent parmi les
chefs-d'œuvre de l'ornementation orientale.
Parmi les monuments religieux dont s'enor-
gueillit Damas, il est juste de citer la vieille cathé-
drale de Sainte-Marie aux Grecs, dont Edrisi van-
tait déjà la beauté au xn« siècle. Plus récente est la
gracieuse mosquée, ornée de précieuses faïences,
qui contient le tombeau de l'illastre sultan Saladin.
Toutefois, celte mosquée s'efface devant la « Grande
Mosquée », celle des Omeyades, qui est sans doute
le monument le plus beau de la capitale de la Syrie
et qui a succédé à deux autres temples antérieurs :
l'un, pa'ien, dédié au dieu Rimmon, la « foudre »,
le Jupiter du lieu; le second, chrétien, placé sous
le vocable de saint Jean.
On ne saurait s'étonner de l'antiquité, de l'impor-
tance ni du nombre des monuments que possède
Damas, si l'on songe que cette ville est une des plus
vieilles du globe. Sa situation sur la roule des cara-
vanes l'a toujours rendue florissante et riche ; tou-
jours elle fut la première ville de la Syrie. Elle
aurait été fondée, au dire de l'historien Josèphe,
par im petit-fils de Sem, et de curieuses légendes se
répètent à Damas à ce propos. L'une d'elles place
sur une montagne voisine de la ville la création
d'Adam et d'Eve, le meurtre commis par Gain, bref,
les plus anciens événements de l'histoire du monde.
Ce ne sont là que des traditions; mais voici de l'his-
toire véritable. On sait, par les inscriptions que
portent les pylônes de Karnak, que Timsqu ou
Dimasqu fut "conquise par le pharaon égyptien
Thoutmès III, et les tablettes de Tell Amarna ran-
635
gent Damasca parmi les villes vassales de l'Egypte
dès le XIV" siècle avant notre ère. Ce fut pendant
de longs siècles le sort de Damas d'être disputée
par les Egyptiens aux Assyriens; parfois, aussi, la
ville fut indépendante et entretint avec les rois juifs
des relations souvent peu cordiales. Elle suit plus
tard le sort de la Syrie, fait partie de l'empire des
Perses, puis de celui des Séleucides et tombe sous
le vasseîage romain, après sa prise par Pompée
en 64. Elle garde, néanmoins, jusqu'au règne de
Trajan, sa dynastie ghassanide. Quelques années
A Damas : L:i Grande Derviclierie et la rivière Baradâ.
après que les Arabes l'ont soustraite à la domination
byzantine (633), voici que commence pour Damas
l'époque des splendeurs. Alors, Moaviah, maître du
califat, y transporte le siège de sa dynastie en 661,
et, sous l'influence des anciennes traditions impé-
riales romano-byzantines, l'islam se transforme :
d'électif, le califat devient héréditaire; à l'organi-
sation ru'limentaire, à la simplicité des premiers
jours succèdi ni une bureaucralie compliquée et un
l Ile rue de Uaiuas.
faste extraordinaire. L'architecture arabe apparaît
et revêt sa forme définitive; sciences, art, philo-
sophie, prennent leur essor au contact de la civili-
sation grecque. Damas est — on l'a dit avec
bonheur — la pierre angulaire de l'islam et sa pre-
mière éducatrice.
Cette ville n'est, cependant, demeurée que pendanV
un siècle la capitale de l'islam ; dès 750, les Abhas-
sides l'ont détrônée au bénéfice de Bagdad, mais le
développement de la cité n'en a pas été entravé
et, quand les Francs échouèrent sous ses murs,
en 1148, Damas demeurait toujours un centre artis-
tique et scientifique de premier ordre, avec son
observatoire du djebel Quasioun (altitude : 1300 m.)
636
contrefort de l'Anti-Liban. Mais les pillages des
Talars, qui prirent la ville (en 1300 et en 1401),
lui ravirent pour un temps sa prospérité, la catas-
Irophe de 1401 surtout, de l'année où Tamerlan —
el Ouiisk, Cl la bêle féroce », comme l'appellent les
Damasi|uins — ravagea l'antique cilé et en massacra
toute la population. Peu à peu, néanmoms, la ville
LAROUSSE MENSUEL
La ville des Omeyades fut alors le foyer d'une série
d'industries d'art et de luxe ; les artistes de Mossoul,
chassés des bords du Tigre par les Mongols, se
transportèrent alors à Damas, « la bien gardée » ; ils
y créèrent l'industrie des cuivres travaillés, avec
des incrustations d'or et décorés de rosettes et de
groupes d'oiseaux. On connaît aussi les verres ouvrés
Vue générale de Damas et de la mosquée des Omeyades (au fond, à gauche, l'Anti-LibanJ.
se releva de ses ruines; elle passa en 1550 de la
domination des Mamelouks d'Kgypte sous celle des
Turcs Ottomans, qui l'ont gardée depuis lors jusqu'en
l'année 1918, et elle devint une des principales
cités de llimpire.
Elle était pour l'importance, avant la guerre
actuelle, la deuxième ville de l'Empire ottoman et
venait immédiatement après Conslantinople. Sa
population rapidement accrue comptait, avec les
faubourgs, environ 300.000 habitants (Daynasquins),
chiffre considérable, si l'on pense que la population
rurale de l'oasis de Damas, pourtant si fertile, ne
dépassait pas naguère 70.000 âmes, l'rès peu homo-
gène, au double point de vue des races el surtout
des religions, était cette population, dont les nom-
breuses confessions se coudoient sans trop de heurts,
en dépit du mauvais caractère que la tradition
attribue aux Damasquins, en dépit aussi des sou-
venirs laissés par les massacres de 1S60, préludes
des célèbres « massacres du Liban » et d'une inter-
vention française. Les musulmans formaient les
quatre cinquièmes du total (plus de 250.000 âmes);
ils possèdent à Damas de nombreuses écoles de dif-
férents degrés, dont cinq medressés. On évalue à une
dizaine de mille le nombre des Israélites. Les chré-
tiens, auxquels Damas rappelle la conversion el les
premières prédications de saint Paul, forment plus
d'un dixième de la population; ils sont grecs-ortho-
doxes pour une moitié, catholiques de divers rites
(grecs-unis, syriens, maronites, arméniens, latins,
chakléens) pour l'autre. Nombreux sont les repré-
sentants d'ordres religieux d'hommes et de femmes
dans une ville où l'on monire encore la maison
d'Ananie, celle de saint Jude, où demeura saint
Paul, et la tour d'où l'apôtre des Gentils descendit
pour échapper à ses ennemis, dans une ville où —
à en croire une tradition musulmane — la tête de
saint Jean l'Evangéliste se trouverait sous une
dalle de la grande mosquée, l'ancienne basilique
chrétienne de Mar Johanna.
Pour être très nombreux et de fort grand intérêt,
les souvenirs historiques et archéologiques sont
loin de contribuer seuls à la réputation dont jouit
Damas. A d'autres égards encore, c'est une ville
considérable. Au point de vue administratif, elle est
le chef-lieu d'un vilayet très étendu, celui de Damas
ou de Syrie (95.000 kilom. carr., 891.500 hab., soit
9 hab. par kilom. carr.), le quartier général d'un
corps d'armée, la résidence de deux évêques, l'un
grec-catholique et l'autre grec non-uni. C'est donc au-
jourd'hui, comme depuis de longs siècles, la capitale
politique de la Syrie. D'autre part, c'est un centre
économique de grande importance.
Celte importance écîonomique, Damas l'a toujours
eue, mais jamais autant qu' aux xi«,xii'= et xiii" siècles.
de Damas, dont noire roi Charles V possédait plu-
sieurs spécimens ; ces armes, ces lames, surtout,
que l'on désignait en Orient sous le seul nom de
damas (tant l'acier sorti des fabriques de la ville
était excellent), et ces tissus de soie, ces clamas
encore que l'on fabriquait dès les vii= et vm" siècles
concurremment avec les étoffes de soie et de bourre
de soie, avec les magnifiques brocarts qui éga-
laient (au rapport d'Edrisi) les plus belles produc-
tions d'Ispaban el de Nisapour. La dévastation de
la ville par Tamerlan (Timour Lenk) mit fin à
cette floraison artistique ; seules, quelques familles
d'émailleurs et d'armuriers furent épargnées, mais
pour être emmenées par le vainqueur à Samar-
kand ou dans le Khorassan. Damas perdit donc ses
fabriques d'armes et de céramiques, toutes ses in-
dustries d'art; du moins, demeura-t-elle un grand
centre commercial.
Au moyen âge, déjà, c'était un centre très impor-
tant à cet égard; vers ses foires se dirigeaient des
caravanes venues de l'Extrême-Orient, de l'Inde ou
delà Perse; de là partaient les marchandises ouvrées
à Damas même, qui gagnaient l'Occiilent par les
ports de Tripoli, de Beyrouth ou de Se'ide. Aussi
trouve-t-on, dès le xv" siècle, des Italiens établis à
Damas pour y commercer; les Français y sont assez
nombreux, aux xvi<= et xvii° siècles, pour que le gou-
vernement place à leur tête un consul. Et, cependant,
les industries d'art ont été frappées à mort; les
seules productions remarquables sorties alors des
ateliers de la ville sont ces plats recherchés pour
leur décor floral si gracieux etsi varié, où « la tulipe,
l'œillet, l'hyacinthe sauvage voisinent avec la rose
épanouie et la pivoine, dont la longue tige (lexible
se plie avec une grâce singulière ». (Migeon.)
Bien pâles sont, aujourd'hui, les reflets de l'an-
cienne activité industrielle de Damas. Les armes
n'ont aucune valeur; on travaille encore — fort peu
— le bronze ou le cuir ; on fabrique quelques étoffes
de soie ou brochées d'or et des toiles blanches au
tissu serré, destinées aux Arabes. Quant à l'orfèvre-
rie, elle est aux mains des chrétiens; mais une
visite au bazar des orfèvres — dont chacun travaille
dans un petit atelier à côté de sa vitrine — montre
l'exactitude du proverbe arabe d'après lequel « l'art
naquit en Egypte, grandit à Alep et vint mourir à
Damas ». Néanmoins, l'activité commerciale est
demeurée fort grande. Si ses kans, magnifiques en-
trepôts du commerce de gros tombent en ruine, —
celui d'Asad-Pacha, par exemple, — ses bazars sont
fort nombreux et présentent un spectacle très pit-
toresque : bazardes Grecs, bazar des soieries, bazar
des libraires, dont les boutiques, jadis si florissantes,
servent maintenant pour la plupart d'échoppes de
savetiers... Tout compte fait, le chiffre d'affaires de
/Vo 142. Décembre 1918.
Damas atteignait, avant la guerre, une moyenne
annuelle de 40 millions de francs.
Le commerce le plus actif était celui des grains de
ces campagnes avoisinantes, limitées par des mon-
tagnes et des collines dont on a peine, en dépit de
l'extrême pureté et de la transparence de l'air, à dis-
tinguer au loin les lignes. Damas est le grand marché
de ces grains; sur ses places, parcourues par des
foules aux groupes serrés, aux costumes de soie aux
teintes vives, aux armes étincelantes, s'étalent aussi
les plus beaux fruits de l'Orient, et de ses magasins
partent, dans toutes les directions, ces fruits, pro-
duits des vastes et délicieux jardins de la plaine da-
masquine, et des confiseries comme cette pâte d'abri-
cots séchés qui est une spécialité de la « perle de
l'Orient ». Voilà pour les exportations; les importa-
tions consistaient surtout en matières premières (soie
brute, coton), en étoffes et en denrées coloniales.
C'est surtout parle port florissant de Beyrouth que
ces marchandises étrangères gagnaient Damas ;
elles y accédaient soit par une roule construite en
1860, soit par une ligue ferrée longue de 147 kilo-
mètres sur laquelle nous reviendrons en parlant de
Beyrouth. Damas même est reliée, d'autre part, à la
Coelé-Syrie et aux chemins de fer d'Anatolie et de
Bagdad par la voie ferrée Rayak-Alep, construite,
comme le rail Beyrouth-Damas, par la Société (fran-
çaise) des chemins de fer Damas-Hauran et prolon-
gement. Elle est la tête de ligne du chemin de fer
(français également) qui gagne Mézérîb à 100 kilo-
mitres dans le Sud, et de celui du Hedjaz, qui la
met en relations avec l'Arabie et, par son embran-
chement Déraa-CailTa, avec la Palestine. Malgré
tous ces grands travaux, le beau temps de prospé-
rité économique de Damas est sans doute passé ; la
<i perle de l'Orient » ne reverra probablement plus
ces caravanes de 2.000 chameaux qui, jadis, lui
apportaient de Bagdad les produits orientaux, sur-
tout les châles de Perse ou la noix de galle, et qui
en remportaient en échange les marcliandises de
l'Occident; la ligne de Bagdad détournera, sans
doute, tout ce trafic vers Alexandretle, au détriment
de Damas.
Quoi qu'il en soit, l'important nœud de commu-
nications qu'est cette ville a fait jouer, au cours de
la Grande Guerre, un rôle assez considérable à la
capitale de la Syrie. Ce fut une des bases des expé-
ditions turco-allemandes contre le canal de Suez
et, pendant longtemps (d'une manière intermittente
et précaire, il est vrai), Damas resta en relations
avec les divisions turques cernées de Médine. En
1916, son élite intellectuelle, favorable à l'Entente
— à la France surtout chez les chrétiens, et au
A Damas : Place du Sérail et colonne de La Mecque.
mouvement pan-arabe chez les musulmans — fut
cruellement décimée; plus d'un notable damasquin
périt au gibet d'Alep.
La prise de Damas a été le couronnement de la
conquête de la Palestine et de la débâcle des trois
armées turques de Syrie (la 4", la 7° et la 8"), pla-
cées sous le commandement du général allemand
Liman von Sanders. Le 18 septembre 1918, les
troupes anglo-françaises du général Allenby, qui
s'étaient précédemment emparées de Jérusalem,
atlaquèrent sur tout le front entre la Méditerranée,
Ràfat et le Jourdain, avec l'appui d'unités navales
alliées du côté de la mer et de troupes du roi du
Hedjaz à l'est du Jounlain. Elles brisèrent partout
la résistance des armées turques, les mirent en
complète déroule et les chassèrent l'épée dans les
reins loin dans le Nord, en anéantissant deux d'entre
«• 142. Décembre 1918.
elles, la 7« et la 8'. La prise de CaifTa et de Saint-
Jean d'Acre sur la côte, celle de Naplouse, de Naza-
reth, de Tibériade sur les plateaux, celle d'es-Salt,
de Màan et de Déraa à l'est du Jourdain ayant rapi-
dement achevé la libération de la Palestine, les
Alliés poursuivirent leur marche victorieuse en
Syrie, le long des rivages de la Méditerranée et sur
tout le front. Le 30 septembre au soir, l'infanterie
montée australienne, venant de Déraa le long de la
voie ferrée du Hedjaz, entrait dans Damas, où péné-
traient, le lendemain, les Anglais et les troupes du
chérif Hussein {l" octobre). La ville a été presque
aussitôt évacuée par les troupes, et l'administration
en a été laissée aux autorités locales.
Il n'y a pas de doute que la prise de la métropole
syrienne, même si elle ne présageait pas la conquête
totale de la Coelé-Syrie, déjà bien entamée par la
prise ultérieure de Horns, n'en serait pas moins d'un
grand efTort moral auprès des populations arabes.
Cet événement est susceptible de donner plus de
vigueur encore à ce pan-aral)isme que les Alliés
opposent avec succès au pan-touranisrae germano-
turc — Henri Froidevaox.
densivolumètre (du lat. densus, dense, de
volume, et du gr. melron, mesure) n. m. Appareil
destiné à mesurer la densité d'un corps solide par
la détermination préalable de son volume.
— Encycl. Le procédé le plus simple et le plus
rapide pour déterminer la densité d'un solide est
de mesurer son volume au moyen d'une éprouvelte
graduée, contenant de l'eau jusqu'à un niveau déter-
miné. La dilîérence de niveau, avant et après l'inlro-
ducliondelasub-
stance, mesure
le volume de
cette dernière,
elle quotientde
son poids (en
grammes) par le
nombre expri-
mant ce volume
(en centimètres
cubes) donne sa
densité.
Cetteméthode
est suffisam-
ment exacte
lorsque les
échantillons à
mesurer ont un
certain volume
ouunestructiue
allongée (cris-
taux) ou défor-
mable (pou-
dres). En elfel,
le dépliicemenl
du liquide dans
l'éprouvette est
toujours assez
important par
rapport au vo-
lume de l'échan-
tillon introduit
et à la gradua-
tion. Il n'en est
plus de même
lorsque l'échan-
tillon est de
forme irrégu-
lière ou de pe-
tite dimension
(inférieure, par
exemple, àl cen-
timètre cube) ;
dans le premier
cas, on est, en effet, obligé d'utiliser une éprouvette
de fort diamètre, et les déplacements verticaux du
liquide sont alors très peu sensibles, donc difficiles
& apprécier; dans le second cas, la précision n'existe
plus, le volume d'eau déplacé étant très faible.
Il y a donc intérêt à étendre le plus possible en
hauteur la quantité de liquide déplacé par l'immer-
sion de l'échantillon et qui mesure son volume;
en le recevant dans un tube calibré de grande lon-
gueur et de faible section, on obtient des résultats
très satisfaisants, vu leur précision.
Le densivolumèlre à niveau, imaginé par Jean
Escard, remplit ce but. Il comprend un globe de
verre A, surmonté d'un tube gradué t d'une conte-
nance de 10 centimètres cubes et divisé en ving-
tièmes de centimètre cube. Ce globe A possède, sur
le côté, une ouverture fermée par un bouchon a,
soigneusement rodé; c'est par cette ouverture qu'on
introduit les échantillons dont on veut déterminer
le volume. A sa partie inférieure, il est muni d'un
prolongement relié par un tube de caoutchouc k un
second récipient à entonnoir B, d'une contenance
supérieure à celle de A. Un curseur circulaire m,
mobile à frottement dur le long de s, sert d'égali-
seur de niveau de l'eau contenue dans le système
de vases communicants constitué par t et s. L'appa-
reil fonctionne de la façon suivante :
DeDsivolumètre à niTeau.
LAROUSSE MENSUEL
On introduit d abord de l'eau dans les tubes t els
au moyen du récipient à entonnoir B, de façon que
le zéro de la graduation du tube t coïncide avec le
niveau supérieur du liquide dans ce tube. On dé-
filace le récipient B et le curseur m de manière que
a limite supérieure de celui-ci coïncide également
avec le niveau du liquide contenu dans le tule s.
On élève ensuite le tube t de manière à chasser
l'eau du globe A et à pouvoir ainsi y introduire
l'échantillon à mesurer après avoir supprimé le
bouchon a. On remet celui-ci en place, et on fait
remonter le liquide dans le globe A, pour que le
niveau dans le tube s revienne, en m, à sa position
initiale. Naturellement, une certaine quantité d'eau
monte dans le tube t. La lecture, faite sur l'échelle
graduée, de la hauteur à laquelle il s'arrête dans ce
tube, donne, avec une grande précision, le volume
du corps introduit en A.
Il n'y a pas lieu de s'inquiéter, pendant cette
opération, de l'usure du bouchon a après une plus
ou moins longue durée de service de l'appareil ; elle
est nulle entre les deux phases d'une même mesure
et, de même que dans le pycnomètre classique, l'ex-
périence démontre que le' bouchon occupe exacte-
ment la même position avant et après l'introduction
de l'échantillon en A. L'usure qui neut en résul-
ter à la longue est, du reste, sans inconvénient
pratique, le point de départ (zéro) de la graduation
du tube t étant au-dessus de À et celle-ci demeurant
ainsi invariable. — Georges Mortbekteako.
Francfort (Traité de), [10 mai 1871]. L'AUe-
maijne a, de ses propres mains, déchiré en 1914 le
traité qu'elle nous avait imposé en 1871 et auquel
elle comptait substituer le contrat léonin qui eût
consacré notre déchéance. Au moment où nos armes
le rayent du droit public européen, il est intéressant
d'en exposer les clauses essentielles.
Préliminaires de paix. — C'est le 26 février 1871
que furent signés les préliminaires de Versailles
entre Thiors et
Jules Favrepour
la France, d'une
part, et d'autre
part le comte de
Bismarck pour
l'empereur d'Al-
lemagne, roi de
Prusse; le comte
Otto de Bray-
Steinburg pour
le roi de Ba-
vière ; le baron
Auguste de
■Waecbterpourle
roi de Wurtem-
berg; Jules JoUy
pour le grand-
duc de Bade.
La France re-
nonçait, en fa-
veur de l'Empire
allemand, h tous Ses droits et titres sur les territoires
situés à l'est de la frontière désignée par la conven-
tion, c'est-à-dire sur l'Alsace et une partie de la
Lorraine (art. l""').
L'articlo 1" déflnissait commo suit la nouvelle fron-
tière : u La ligne de démarcation commence à la frontière
nord-ouest du canton do Cattonom, vers le grand-duché
de Luxembourg, suit, vers lo sud, les frontières occiden-
tales des cantons de Cattenom et Thionville, passe par.le
canton do Briey on longeant les frontières occidentales
des communes de Montois-la-Montaigne et Roncourt,
ainsi que les frontières orientales des communes de
Marie-aux-Chênes, Saint-Ail, Habonville, atteint la fron-
tière du canton de Gorze, qu'elle traverse le long des fron-
tières communales do Vionville, Bouxières et Onville,
suit la frontière sud-ouest do l'arrondissement de Metz,
la frontière occidentale de l'arrondissement de Château-
Salins jusqu'à la commune de Pettoncourt, dont elle em-
brasse les frontières occidentale et méridionale, pour
suivre la crête des montagnes entre la Seille et le Moncel,
Ju8<|u'à la frontière de l'arrondissement de Sarrebourg au
sud de Garde.
La démarcation coïncide ensuite avec la frontière de
cet arrondissement jusqu'à la commune de Tanconville,
dont elle atteint la frontière au nord ; de là, elle suit la
crête des montagnes entre les sources de la Sarre
blanche et de la 'Vezouse jusqu'à la frontière du canton
de Schirmeck, longe la frontière occidentale de ce canton,
embrasse les communes de Saales, Bourg-Bruche, Colroy-
La Hoche, Plaine, Hanrupt, Saulxures et Saint-Blaise-la-
Roche du canton de Saales et co'incide avec la frontière
occidentale des départements du Bas-Rhin et du Haut-
Rhin jusqu'au canton de Belfort, dont elle quitte la fron-
tière méridionale non loin de Vourvenans pour traverser
le canton de Délie, aux limites méridionales des communes
do Bourogne et Froido-Fontaino, et atteindre la frontière
suisse, en longeant lus frontières orientales des com-
munes de Joncnery et Dello
La frontière, telle qu'elle vient d'être décrite, se
trouve marauéo en vert sur deux exemplaires conformes
de la cart-e au territoire formant lo gouvernement général
d'Alsace, publiée à Berlin en septembre 1870, par Ta divi-
sion géographi<(ue et statistique de l'état-major général
et dont un exemplaire sera joint à chacune doa doux
expéditions du présent traité.
Toutefois, le tracé indiqué a subi les modifications
suivantes, de l'accord des deux parties contractantes :
dans l'ancien départemeot do la Moselle, les villages do
Adolphe Thiers.
637
8ainto-Mari»-anx-Chênes, près do Saint-Privat-la-Mon-
tagne, et de Vionville, à l'ouest de Rezonville, seront
cédés à l'Allemagne. Par contre, la ville et les fortifica-
tions de Belfort resteront à la Fraace, avec an rayon qui
sera déterminé ultérieurement.
La France payerait à l'empereur allemand la
somme de cinq milliards de francs. Le payement
du premier milliard aurait lieu dans le courant de
l'année 1871 et le surplus dans un délai de trois
années, à partir de la ratification (art. 2j.
L'évacuation des territoires français occupés par
les troupes alle-
mandes com-
mencerait après
la ratification des
fréliminaiiespar
Assemblée na-
tionale et s'opé-
rerait progressi-
vement au fur et
à mesure des
payements. Les
troupe? françai-
ses se retire-
raient derrière
la Loire, qu'elles
nepourraientdé
passer avant la
signature du
traité depaix dé-
finitif. Etaient
exceptées de Joies Favre.
cette disposition
la garnison de Paris, dontl'effectif ne pourraildepas-
ser quarante mille hommes, et les garnisons indis-
pensables à la sûreté des places fortes (art. 3).
Les négociations pour le traité de paix définitif à
conclure sur la base des préliminaires s'ouvriraient
à Bruxelles, en territoire neutre (art. 7).
Après la conclusion et la ratification du traité
définitif, l'administration des déparlements occupés
par les troupes allemandes serait remise aux auto-
rités françaises; mais ces dernières seraient tenues
de se conformer aux ordres que le commandant
dos troupes allemandes «croirait devoir donner dans
l'intérêt de la sûreté, de l'entretien et de la distri-
bution des troupes ». Dans les déparlements occupés,
la perception des impôts s'opérerait pour le compte
du gouvernement français et par ses soins (art. 8).
Le l'' mars 1871, après six heures de délibéra-
tion, l'Assemblée nationale, par 546 voix contre 107,
toutes républicaines, et 23 abstentions, ratifia les pré-
liminaires.
Les conférences de Bruxelles. — Pour la négo-
ciation du traité de paix définitif, le gouvernement
français désigna le baron Baude, notre ministre
en Belgique, et un membre de l'Assemblée natio-
nale, Eug. de Goulard; l'Allemagne, son ministre à
Bruxelles, de tialan, et son ministre auprès du
saint-siège, le comte d'Arnim, assistés, pour la
forme, de trois représentants des Etats du Sud qui
avaient signé aux préliminaires.
Pendant les conférences tenues h Bruxelles, du
28 mars au 4 mai 1871, les plénipotentiaires alle-
mands se montrèrent animés des intentions les
moins conciliantes, surtout après que l'insurrection
de Paris eut augmenté les embarras du gouverne-
ment français, et les hésitations de nos représen-
tants, peut-être insuffisamment préparés à discuter
avec de pareils
adversaires, per-
mirent à Bis-
marck d'accen-
tuer ses exi-
gences.
Les conféren-
ces de Bruxelles
furent donc rom-
pues le 4 mal,
mais pour être
reprises immé-
diatement à
Francfort-sur-le-
Mein. Là, Bis-
marck se chargea
de soutenir lui-
même les préten-
tions allemandes
et de discuter en
personne avec
nos représen-
tants, Jules Favre et Pouyer-Quertier. Sept jours
suffirent pour la négociation du traité définitif,
auquel servirent de base les préliminaires, modifiés
ou complétés sur divers points.
Le traité de Francfort-sur-le-Mein {10 mai 1S71).
— Le trailé de Francfort fut signé le 10 mai 1871 par
Jules Favre, Pouyer-Quertier et Eug. de Coulard
fiour la France; par Bismarck et d'Arnim pour l'AI-
emagne.Sa période d'exécution ne se termina qu'au
mois de juin 1878, parce que les contraclanls durent
signer des conventions additionnelles sur le paye-
ment de l'indemnité de guerre, les relations écono-
miques, la délimitation de la nouvelle frontière, etc.
Puujfr-(.JuerUer.
638
LAROUSSE MENSUEL
«• 142. Décembre 1918-
C" de Bismarck.
Cessions territoriales. — Le traité ne mention-
nait même pas les clauses des préliminaires rela-
tives aux cessions territoriales et à l'indemnité de
guerre de cinq milliards. Ces deux points étaient
tenus pour si bien acquis qu'il avait paru à la diplo-
matie allemande superflu de les consigner dans
l'instrument définitif, où il n'était question que de
Bellort (art. l").
La cession de
cette place et de
ses fortifications
avait été obte-
nue par Thiers à
la doul)le condi-
tion que les ar-
mées allemandes
entreraient dans
Paris et que
l'Allemagne re-
cevrait une com-
pensation sur la
frontière du
Luxembourg.
Elle nécessitait
une rectification
du tracé primi-
tif, la France
conservant au-
tour de la place
\m Cl rayon » suf-
lisant pour la dé-
fendre. La détermination de ce rayon donna lieu
k des difficultés qui ne furent aplanies qu'au mois
d'octobre.
Les pertes territoriales de la France portaient
sur 1.447./i6fi hectares, 1.694 communes et (d'après
les chiiïres du recensement de 1866) 1.597.228 ha-
bitants.
Le Bas-Rhin complaît 5SS.970 habitants; le Haut-
Rhin, 39:î.7.o3 habitants; les territoires cédés dans
la Moselle, 473.314 habitants; dans la IVIeurthe,
120. 174 habitants; dans les Vosges, 210. 01 7 habitants.
La délimitation de la nouvelle frontière fut
confiée à une commission, dont les travaux, com-
mencés à la fin de mai 1871, ne furent terminés
qu'en avril 1877. (Procès-verbal du 26 avril 1877,
ratifié à Metz le 31 mai suivant.) La commission,
dont la composition ne fut pas constante, se com-
posait, en 1871, pour la France : du général Dou-
trelaine, du colonel Laussedat et du colonel Lagre-
née ; pour IWUemagne : du général de Slrantz, de
l'ingénieur Hauchecorne et de l'assesseur Herzog.
C'est à l'habile énergie du colonel Laussedat que
la France dut les villages de Raon-l'Etape et de
Raon-sur-Plaine, Ignecy et une partie de la com-
mune d'Avricourt.
Le déficit des revenus publics en 1871, par suite
delacessionderAlsace-Lorraine,futde65.312.196fr.;
mais, malgré la baisse de la rente et des valeurs
mobilières, il y eut, par suite de la mortalité, une
plus-value de 41.594.577 francs sur les droits de
mutation.
L'indemnité de cinq milliards. — L'article 7 du
traité fixait les dates et lieux de payement des
acomptes à verser sur les cinq milliards exigés de
la France ; il pré-
cisait la nature
des monnaies et
valeurs qui se-
raient reçues par
les caisses alle-
mandes; il énu-
niérait les dé-
partements qui
devraient être
évacués au fur
et à mesure des
versements. Ces
clauses étaient
rédigéesavecune
minulieoffensan-
te; l'une d'elles,
notamment, sti-
pulait que, jus-
qu'au payement
du troisième de-
mi-milliard, les
départements de l'Oise, de Seine-et-Oise, de Seine-et-
Marne et de la Seine ne seraient évacués que lorsque
le gouvernement allemand aurait jugé « le rétablis-
sement de l'ordre, tant en France que dans Paris,
suffisant pour assurer l'exécution des engagements
contractés par la France ».
Statut des Alsaciens-Lorrains, des Allemands
en France et des Français en Allemagne. — Après
avoir déterminé le statut des Alsaciens-Lorrains
(art. 2), le traité prescrivait la remise au gouverne-
ment allemand des archives administratives des ter-
ritoires cédés et le reversement des deniers déposés
ou consignés an Trésor français par les comptables
publicsd'es mêmes terriloires'(art. 3 et 4). Aux termes
de l'article 2 :
Les sujets français, originaires des territoires cédés,
domiciliés actoellement sur ce territoire, qui eateadroat
C'O Charles d'Arnim.
•**^
Kug. de Goulard.
conserver la nationalité française, jouiront, jusqu'au
1" octolire 1872 et moyennant une déciaralion préalablo
faite à l'autorité compiHento, do la faculté de tran-sportor
leur domicile en France et de s'y fixer, sans que ce droit
puisse ôtro altéré par les lois sur le service militaire,
auquel cas la qualité do citoyen français leur sera main-
tenue. — Ils seront libres de conserver leurs immeubles sur
le territoire réuni à l'Allemagne. — Aucun habitant des
territoires cédés ne pourra être poursuivi, inquiété ou
recberclié, dans sa personne ou dans ses biens, à raison
de ses actes politiques ou militaires pendant la guerre.
En d'autres termes, devenaient Allemands, par
suite de l'annexion, les Alsaciens-Lorrains origi-
naires des terri-
toires cédés qui — '
y étaient actuel-
lement domici-
liés, sauf à opter
four la natioiia-
ité française
avant le fr oc-
tobre 1872. Il
semblait résulter
de là que les
domiciliés non
originaires et les
originaires non
domiciliés con-
serveraient de
plein droit la na-
tionalité françai-
se; mais l'Alle-
magne s'efforça
d'entraver les
options, abusade
la dénationalisation et opéra par des moyens contes-
tables une véritable mainmise sur les personnes.
Cette disposition doit être rapprochée de celle
qui réglait la situation des Allemands expulsés du
territoire français à l'occasion de la guerre :
Tous les Allemands expulsés conserveront la jouissance
pleine et entière de tous les biens qu'ilsont acquis en France.
Ceux des Allemands (pii avaient obtenu l'autorisation
exigée par les lois fran-
çaises pour fixer leur do-
micile en France sont réin-
tégrés dans tous leurs
droits et peuvent, en con-
séquence, établir de nou-
veau leur domicile sur le
territoire français.
Le délai stipulé par tes;
lois françaises pour obte-
nir la naturalisation sera
considéré comme n'étant
pas interrompu par l'état
de guerre pour les per-
sonnes qui profiteront tie la
faculté ci-dessus mention-
née de revenir en France
dans un délai de six mois
après l'écbange des ratifi-
cations de ce traité, et il
sera tenu compte du temps
écoulé entre leur expulsion
et leur retour sur le terri-
toire français, comme s'ils
n'avaient jamais cessé do
résider en France.
Les conditions ci dessus
sont appliquées en par-
faite réciprocité aux sujets
français résidant ou dési-
rant résider en Allemagne
(.art. 12).
De plus, les deux gou-
vernements s'enga-
geaient mutuellement
« h étendre aux sujets
respectifs les mesures
qu'ils pourront juger
utile d'adopter en faveur
de ceux de leurs natio-
naux qui, par suite des
événementsde la guerre,
auraient été mis dans
l'impossibilité d'arriver
en temps utile à la sau-
vegarde ou à la conser-
vation de leurs droits »
(art. 15).
Clauses économiques.
— Les clauses écono-
miques faisaient l'objet
de l'art. 11, ainsi conçu ;
Les traités do commerce
avec les différents Etats de
l'Allemagne ayant été annulés par la guerre, le gouver-
nement français et le gouvernement allemand prendront
pour base de leurs relations commerciales le régime du
traitement réciproque sur le pied de la nation la plus
favorisée.
Sont compris dans cette règle les droits d'entrée et de
sortie, le transit, les formalités douanières, l'admission
et le traitement des sujets des deux nations, ainsi que de
leurs agents.
Toutefois, seront exceptées de la règle susdite les fa-
veurs qu'une des parties contractantes, par des traités do
commerce, a accordées ou accordera à dos Etats autres
que ceux qui suivent : l'Angleterre, la Belgique, les Pays-
Bas, la Suisse, l'Autriche, la Russie.
Les traités de navigation, ainsi quo la convention rela-
tive au service international des chemins do fer <ians ses
rapports avec la douane et la convention pour la garantie
réciproque do la propriété dos œuvres d'esprit et d'art,
seront remis on vigueur.
Néanmoins, le gouvernement français so réserve la
faculté d'établir sur les navires allemands et leurs cargai-
sons des droits do tonnage et de pavillon, sous la réserve
que ces droits ne soient pas plus élevés que ceux qui
grcvcrout les bâtiments et les cargaisons des nations
susmentionnées.
En stipulant pour l'Allemagne, avec réciprocité
pour la France, le traitement de la nation la plus
favorisée, l'Empire se trouvait associé aux béné-
fices de nos traités de commerce aussi longtemps
qu'ils ne seraient pas parvenus cl expiration et,
d'autre part, il ne pouvait être exclu de ceux que
nous conclurions dans l'avenir avec l'Anglelerre,
la Bel.^ique, les Pays-Bas, l'Autriche, la Suisse et
la Russie. La guerre ayant rompu notre traité de
commerce avec la Prusse et le Zollverein, traité
qui devait expirer en 1877, les plénipotentiaires
allemands avaient proposé de le renouveler pour
dix années : les plénipotentiaires français pré-
férèrent sauvegarder l'avenir et réserver au gou-
vernement français la liberté d'établir des tarifs
douaniers.
Le traité fut soumis, le 18 mai, à l'approbation
de l'Assemblée nationale. Le rapporteur de la
commission chargée de l'examiner, le vicomte
de Meaux, fit ressortir que les modifications ap-
portées aux préliminaires étaient désavantageuses
pour la France, mais qu'il ne dépendait pas de
l'Assemblée d'en changer la rédaction. Il n'y
eut de discussion que sur les conditions de la
cession de Belfort, mais cette discussion fut des plus
vives. Thiers dut mouler à la tribune pour dé-
fendre le traité, qui fut enfin ratifié par 333 voix
contre 98.
Dès que la paix fut signée, le gouvernement se
préoccupa de réaliser les ressources nécessaires au
payement de l'inilemnilé de guerre, qui était pro-
ductive d'intérêts et dont l'occupation du territoire
UHE
Carte de la frontière fraiico-allcniande, après la signature du traité de Francfort.
constituait le gage. On sait que Thiers mérita la
reconnaissance nationale en libérant, par anticipa-
tion, les déparlements occupés.
Dans l'intérêt de la paix générale, la France
subit pendant quarante-trois ans, avec une rési-
gnation douloureuse, les obligations que lui avait
imposées un vainqueur incapable de sentiments
généreux. Mais les puissances qui, depuis qua-
tre ans, se sont coalisées contre la barbarie
allemande, ont fait de l'affranchissement de l'Al-
sace-Lorraine l'une des conditions de la « paix du
droit ». — Atbert Lefort.
N' 142. Décembre 1918.
Oailliard (Pierre, dit Pedro), chanteur et ad-
minislrateui- français, né h Toulouse le 1" aoùll8'i8,
mort à Paris le 12 octobre 1918. Il appartenait à une
modeste famille de commerçants. Il montra, dés son
enfance, uti vif penchant pour la musique vocale et
instrumentale. Le tliéâlre l'attira de bonne heure.
Doué d'une voix éclatante de basse chantante, il
commença ses éludes musicales dans sa ville natale
et vint les compléter à Paris, où il fut un des plus
brillants élèves du Conservatoire. Il remporta, au
concours de 1867, dans les classes de Revial, de
Couderc et de Uuvernoy, les trois premiers prix de
chant, d'opéra-comique et d'opéra. Il débuta la
môme année, le 4 décembre, à la salle Pavart
(Opéra-Comique) par le rôle de FalstafT, du Songe
d'une nuit d'été, et continua ses débuts, le 25 mars
1868, dans la Part du diable, puis dans le Chalet.
Le rôle de Malipieri, dans Haijdée, lui valut des
applaudissements chaleureux. Il reprit ensuite don
Belfior du Toréador et chanta ce rôle avec un brio
qui enthousiasma les spectateurs. Le 10 mars 1869,
il créa le comte d'Arlange dans Vert-Vert, d'OlTen-
bach; quoique au second plan, il tira parti d'un rôle
ellacé en chantant avec beaucoup de virtuosité la
romance du premier acte. Il reprit d'une façon bril-
lante Lolhario de Mignon, puis il interpréta, au
mois de septembre, Barbeau de la Petite Fadetle,
de Semet. 11 parut ensuite dans le rôle de Boisjoly
des Rêves d'amour, d'Auber. Ce fut sa dernière
création à lOpéra-Comique.
Gailhard quitta la salle Kavarl, bien résolu d'abor-
der le grand répertoire en province ou à l'étranger,
s'il ne parvenait pas à débuter sur notre grande
scène lyrique. Le directeur de l'Opéra, Ualanzier,
écouta favorablement ses propositions et l'admit
sans hésiter parmi ses pensionnaires. Gailhard dé-
buta avec éclat, en 187i, dans iMéphistophélés, de
h'aust. Puis il chanta, avec un égal succès : Saint-
Bris, des Huguenots; Leporello, de Don Juan ;
ilàns MéphiâtopUéles, Ue Faust.
Gaspard, de l'reischulz, et le roi, de llamlet. Sa
voix chaude et vibrante faisait merveille dans les
passages de force. Nul mieux que lui n'a conduit la
grande scène de la bénédiction des poignards des
Huguenots, ni chanté avec plus d'éclat la chanson
à boire du premier acte du Freiscitutz. Gailhard
créa ensuite, le 15 juillet 1874, Paulus de l'Esclave,
de Membrée, et, le 5 avril 1876, Richard de Jeanne
d'Arc, de Mermet.
Halanzier étant mort en 1878, Gailhard resta à
l'Opéra sous la direction de son successeur, Vau-
corbeil, et conlinua de chanter avec grand suc-
cès. Pendant ses congés d'été de 1878 et 1879.
il alla se faire applaudir à Londres, au Royal
Théâtre italien de Covent-Garden, dans les quatre
meilleurs rôles de son répertoire et, quelquefois,
dans Mefistofele, de Boïlo. Ses créations sur
notre première scène lyrique n'ont rien ajouté à
la réputation du brillant chanteur et de l'habile
comédien, que ce soit l'Esclave de Membrée (187'i),
la Reine Berlhe de 'Vict. Joncières (1878), Françoise
de Rimini, d'Ambroise Thomas (1882), ou Sapho,
de Gounod (1884).
C'est à cetle époque, 1884, que Vaucorbeil mourut
et que Gailhard cessa de jouer: sa carrière drama-
tique n'avait pas duré dix-sept ans. Il venait des'as-
socieravecRitt pour diriger notre Académie nationale
de musique. C'est lui qui fut chargé de la mise en
scène et, en partie, de l'en^'agemenl des artistes.
Au cours d'un voyage en Angleterre, il décida la
Patti & se faire entendre pour la première fois èi
Pedro Oailhard.
LAROUSSE MENSUEL
Paris dans Roméo et Juliette, qu'on répétait déjà
sans elle à l'Opéra (1888)
Pedro Gailhard se retira en 1891, lors de la nomi-
nation d'Eugène Bertrand comme directeur, puis il
devint codirecteur avec celui-ci en 1893 et, enfln, à
la mort de Ber-
trand, il resta
seul à la tète de
la direction de
l'Opéra, où sa
concession futre-
nouveléeenl900.
11 se montra di-
recteur habile et
avisé. Au bout
de sept ans
(1907), il céda la
place à Messager
et à Bronssan.
Gailhard est
l'auteur (le divers
livrets dœuvres
lyriques, notam-
ment de celui du
ballet en deux
actes et trois ta-
bleaux, la Maladella, musique de Paul Vidal
(Opéra, 1893) et du livret du drame lyrique en trois
actes, la Guernica,!ivec Gheusi, musique de Paul
Vidal (Opéra-Comique, 189oj. Il était officier de la
Légion d'honneur. — j.-m. delisle.
grippe (Syn. : influenza et autref. coqueluche,
lac, horion, follette, elc.) n. f. Maladie infectieuse,
contagieuse et épidéminue, caractérisée par la rapi-
dité de sa diffusion, la brusquerie de son début, la
bénignité de ses atteintes simples et la gravité très
grande de ses complications.
- - Encvcl. Netler donne la date de 1173 comme
celle de la première épidémie de grippe qui, d'après
Hirsch, ait donné lieu à une relation détaillée. 11 cite
ensuite comme ayant marqué principalement dans
l'histoire les épidémies de 1323, 1328, 1387, 1404,
1411, 1414, 1427, 1557, 1574, 1580, 1627, 1658, 1675
(décrite par Sydenham et Ettmiiller), 1688, 1693,
1709, 1729, 1732, 1737, 1742, 1757, 1761, 1775, 1780,
1789, 1799, 1803 (éludièe par Laënnec), 1830-1S32,
1833, 1837, 1841, 1847, 1850, 1889-1890. On voit que
ces épidémies se suivent de piès, et encore ne
sont-ce là que les plus importantes. En réalité, la
maladie règne tous les ans, notamment l'hiver, et
est marquée par des cas sporadiques. Sons cer-
taines iniluences, encore assez mal déterminées, elle
revêt la forme épidémique et progresse en général
de l'est à l'onest, avec un centre de départ russe ou
asialique. L'épidémie de 1918 est difficile à étudier
à ce point de vue, en raison du bouleversement
causé par la guerre et qui fausse ies données sur
ce sujet; les belligérants ont, en effet, caché les cas
qui se produisaient dans leurs armées et, d'autre
part, certaines particularilés ont l'ait, de pays nui
servaient à l'échange des prisonniers ou des réhi-
giés, comme la Suisse, des régions frappées à plu-
sieurs reprises. Il semble, cependant, que, parmi les
pays occidentaux, l'Allemagne ait été la première
alteinte. En France, les premiers cas, fort bénins,
ont été sigEialés dès le mois de mai, puis le calme
s'est rétabli et, en septembre, l'épidémie a réapparu
avec une violence extraordinaire. Dans l'intervalle,
presque tous les pays d'Europe étaient contaminés
à leur tour : l'Espagne, l'Italie, l'Angleterre, la
Suisse et l'.MIemagne surtout.
La contagion de la grippe ne semble guère pou-
voir se faire autrement que de grippé à individu
sain rapprochés. Le virus est commuiiiqué du pre-
mier au second par les gouttelettes liquides con-
tenues dans l'air expiré, notamment lors des accès
de toux ou d'élernuement. Il existe, cependant, des
cas de contagion à dislance par des objets trans-
portés ou des personnes saines ayant approché des
grippés, mais ce mode de transmission apparaît
comme fort rare. Le germe de la grippe est consi-
déré, en effet, comme peu résistant, détruit facile-
ment par l'air sec et le soleil et ne vivant guère en
dehors du milieu humain. Les lieux de contagion
les plus dangereux sont donc les chambres de ma-
lades, les hôpitaux, les salles mal aérées et mal
éclairées (théâtres, cinémas, églises) contenant beau-
coup de monde, les voitures de transport en com-
mun et, en résumé, toutes les agglomérations.
On doit admettre présentement que le microbe
de la grippe nous est encore inconnu. Depuis les
premières recherches, qui remontent à 1883, divers
auteurs ont cru l'avoir découvert. On estime, à
l'heure présente, que tous les micro-organismes qui
ont été décrits comme spécifiques de cette affection,
y compris le bacille de F>feiffer, découvert en 1892
et que quelques-uns considèrent, cependant, comme
tel, ne sont que des « microbes de sortie », c'est-
à-dire des hôtes habituels de notre organisme, oui
profitent de l'affaiblissement des défenses naturelles
de l'économie pour exercer leur action pathogène.
Les dernières recherches sur ce sujet sont celles de
Charles Nicolle et Ch. Lebailly, qui, dans un travail
639
communiqué à l'Académie des sciences, en octo-
bre 1918, ont établi que le microbe de la grippe
était un agent flltranl, c'est-à-dire 8u.sceptible de
passer à travers les filtres utilisés en bactériologie
et ne se rencontrant pas dans le sang.
Il est difficile de savoir quelle est la durée de
l'immunité conférée par une atteinte de grippe. Les
uns la considèrent comme à peu près inexistante,
contrairement à ce que nous savons pour toutes les
maladies contagieuses, les autres comme parfaite-
ment établie. Les courageusesexpériences récentes
de Dujarricde La Rivière paraissent confirmer cetle
dernière façon de voir. Elle est encore corroborée
par ce fait d'observation que, dans l'épidémie de
1918, les personnes d'un certain âge sont peu tou-
chées, ce que l'on peut attribuer à une immunité
contractée lors de l'atteinte de 1S90. Ajoutons que,
ainsi que la chose est à remarquer pour presque
toutes les maladies infectieuses, la grippe respecte,
d'une façon générale, les enfants irès jeunes et sur-
tout les nouveau-nés. Il s'ensuit qu'une mère grippée
peut parfaitement continuer à nourrir son enfant,
moyennant la précaution de lui couvrir le visage
d'un mouchoir pendant les tétées. (Bar, Chauffard.)
La grippe non compliquée évolue d'une façon
rapide. Le début en est des plus brusques. L'incu-
bation ne dépasse pas vingt-quatre heures et, sou-
dain, le sujet accuse des douleurs lombaires, de la
courbature généralisée, du malaise, une inappétence
plus ou moins complète et, surtout, de la fièvre. La
température peut ne pas dépasser 38° ou 39°, mais
on voit parfois le thermomètre monter à 40° et
même au-dessus. En même temps, des symptômes
s'accusent, qui portent de préférence sur les voies
respiratoires. Ce sont des éternuements, de l'enchi-
frènement, de l'irritation du larynx et de la trachée,
de la toux. Il s'y joint parfois des nausées, des vo-
missements, des saignements de nez, de la consti-
pation ou de la diarrhée. Enfin, le malade est dans
un état d'abattement extrême, démuni de ses
forces physiques et même morales. Des maux de
tète violents sont souvent signalés, ainsi que de la
pholophobie et des douleurs dans la région de l'œil.
La prédominance de tel ou tel groupe de symp-
tômes a fait décrire couramment une forme pulmo-
naire, une forme intestinale et une forme nerveuse
de la maladie. En réalité, l'infection frappe le plus
souvent les appareils qui sont affaiblis ou sensibles,
mais il est rare que les signes pathologiques venus
des voies aériennes (nez, pharynx, trachée, elc.)
fassent complètement défaut et ne soient pas les pre-
miers en date, en raison de l'habitat du virus chez
la plupart des malades et du mode de transmission,
tel que nous l'avons décrit plus haut.
L'atteinte de grippe franche, limitée à cesformes
simples, est bénigne et rapide dans son évolution
vers la guérison. Il est exceptionnel qu'en dehors
de toute complication, l'atteinte ne soit pas terminée
en cinq à six jours au maximum et, dans beaucoup
de cas, la durée de l'accès ne dépasse pas deux à
trois jours. Même réduite à ces proportions, la
grippe laisse fréquemment après elle un affaiblis-
sement très notable et une prédisposition à contrac-
ter d'autres maladies. On a même dit qu'elle pouvait
donner un coup de fouet à des affections chroniques
préexislanles, ce qui paraît au moins logique.
Ce qui fait la gravite de la grippe, ce sont ses com-
plications, dues, comme nous le disions tout à l'heure,
aux microbes « de sortie ». Parmi ces microbes, le
)lus fréquemment en cause est le pneumocoque. De
à le nombre malheureusement élevé de pneumo-
nies ou de broncho-pneumonies, qui sont observées
au cours des épidémies et qui sont trop souvent
cause de la mort des malades. Le streptocoque, le
pneumobacille, l'entérocoque, d'autres encore, in-
terviennent de la même façon pour provoquer éga-
lement des pneumonies, des pleurésies hémorragi-
ques ou purulentes, l'œdème des poumons, etc. « En
un mot, dit Violle, on rencontrera foules les étapes,
tontes les localisations possibles que peut créer un
microbe virulent affectant de préférence comme lieu
de prolifération l'appareil respiratoire ». D'autres
genres de complication peuvent encore survenir,
qui portent, par exemple, sur les voies digestives.
Quelques-unes de ces complications pulmonaires
sont presque foudroyantes ou, du moins, d'évolution
très rapide. Comme elles s'accompagnent souvent,
en pareil cas, de phénomènes asphyxiqnes, comme
la cyanose, ce sont elles qui donnent naissance aux
faux bruits de peste ou de choléra qui se répan-
dent trop aisément dans le public. S'il était besoin
d'en montrer l'inexaclitude, on se reporterait aux
communications de W'nrtz et Bezançon failes à
l'Académie de médecine, et qui établissent qu'il
s'agit exclusivement d'influenza et qu'aucun cas de
maladie exotique n'a été constaté chez nous, ni chez
nos voisins, mis à part les quelque dix-neuf à vingt
cas de choléra qui sont restés cantonnés à un quar-
tier de Berlin, épidémie minuscide et très rapide-
ment enrayée. Les complications de la grippe appa-
raissent en général vers le déclin de la maladie
elle-même, parfois un peu plus tard, alors que la
température est revenue k la normale et que le ma-
lade entre en convalescence. Il suit de là qu'il est
l
640
périlleux pour un grippé de cesser toute précaution,
dès que la giiérison semble acquise. Quelques jours
complémentaires de soins sont d'autant plus néces-
saires que la plus grande partie des complications
broncho-pulmonaires de l'influenza sont parfaite-
ment contagieuses, ce qui explique la fréquence
des décès parmi les malades soignés dans les salles
d'bôpitaux.
Pour éviter la grippe, il suffit de tenir compte de
son extrême contagiosité et de la façon dont la trans-
mission se fait. Il est donc indispensable de ne pas
se mêler aux foules, d'éviter les salles de spectacle,
de cinémas, de concerts, de réunion, de ne rendre
aucune visite aux malades ou, du moins, de ne le
faire qu'en cas d'urgence et en prenant certaines
précautions.
La principale, recommandée surtout aux méde-
cins et aux personnes qui soignent les grippés, est
de porter devant le nez et la bouche une compresse
composée de cinq couches de tarlatane molle ou,
tout au moins, un mouchoir. Vincent conseille de
compléter le masque en protégeant les yeux, la con-
tagion se faisant assez volontiers par les conjonc-
tives. Il serait même prudent, au moins dans les
établissements hospitaliers, de couvrir la figure des
malades d'un voile transparent, maintenu à dislance
de leur visage, suivant les prescriptions ordonnées
dans la méthode de Milne (v. Larousse Mensuel,
1. 111, p. 601) pour le traitement de la rougeole et de
la scarlatine.
En tout cas, l'isolement des malades atteints de
grippe est une mesure qui doit être appliquée stric-
tement, toutes les fois que cela est praticable. Dans
les hôpitaux, on peut la réaliser à l'aide de cloisons
provisoires séparant les lits et atteignant 1 mètre à
1"",50 de hauteur. Dans les domiciles particuliers,
des paravents ou des linges tendus sur des cordes
rendront le même service. 11 s'agit, en effet, de pro-
téger les personnes bien portantes contre les risques
de contagion par les gouttelettes respiratoires. Les
grippés cracheurs doivent expectorer dans un réci-
pient facilement stérilisable. Leur linge devrait
être plongé dans une solution désinfectante avant
d'être remis aux blanchisseurs.
Au cours de l'épidémie de 1918, un grand nombre
de préfets et de maires ont pris des arrêtés fermant
les salles de spectacle, licenciant les établissements
d'instruction et réduisant au minimum les cérémo-
nies cultuelles. II est indiqué également, pour les
autorités responsables, de supprimer les visites
dans les hôpitaux. On ne doit, d'ailleurs, hospitaliser
les grippés que si leur état est très grave et s'ils ne
peuvent se soigner chez eux, la contagion des com-
plications se faisant plus facilement dans les établis-
sements où beaucoup de malades sont réunis. La
prophylaxie individuelle se trouvera bien, en outre,
de l'usage modéré de pommades ou huiles antisep-
tiques mises dans les fosses nasales (préparations à
l'acide phénique, à l'acide salicylique, à la résor-
cine, etc.) et d'un savonnage fréquent de la face,
des mains et des dents, ainsi que de quelques gar-
garismes. D'une façon générale, l'air et la lumière
sont d'exellents anti-infectieux.
Le traitement de la grippe simple doit être res-
treint au minimum. L'alitement, les tisanes chaudes,
l'alcool en quantité modérée, des médicaments à
faible dose (cryogénine, anlipyrine et surtout quin-
quina ou quinine) en feront tous les frais. On a
vanté contre la grippe la cacodylate de ga'iacol et,
en général, les arsenicaux, qui, en effet, semblent
tout au moins tonifier l'organisme et le mettre en
état de lutter contre l'infection primitive, sinon
contre les infections surajoutées. Il est impossible,
on le comprendra, de parler en détail du traitement
des complications. Etant dorme leur variété et leur
gravité, le traitement doit être laissé au médecin,
qui a seul qualité pour en faire le diagnostic et
pour les soigner avec compétence. Relatons seule-
ment cette donnée récente que, dans les pleurésies
purulentes, l'enipyème a donné des résultats très
médiocres et qu'on se trouve bien, en présence de
celte complication, comme, peut-être, dans la grippe
en général, de nourrir les malades, même en pé-
riode fébrile, afin de relever leur état général, dont
la caractéristique principale est une profonde as-
thénie (Netter). D'autres ont préconisé, chez tout
grippé, l'usage de sérum antipneumococcique ou
antistreplococcique pour prévenir les infections se-
condaires dues à ces micro-organismes. Dans les
hôpitaux où cette méthode prophylactique a pu être
appliquée, les résultats paraissent avoir été satis-
faisants. — D' Henri BouQUlT.
G-uerre en 191-4-1918 (la). [Suite.] —
Le trimestre aoùt-septembre-octobre 1918 comptera
dans l'histoire de la France et du monde. On y a vu
l'écroulement de la coalition formée par les Empires
centraux pour conquérir l'hégémonie universelle; la
rapidité de cette catastrophe a dépassé toutes les
prévisions. Si, à la fin d'octobre, l'Empire allemand,
qui constituait le soutènement de cet édifice méthodi-
quement élevé depuis 1866, restait debout et opposait
encore une résistance militaire énergique, il était,
lui aussi, profondément ébranlé, et le travail inat-
LAROUSSE MENSUEL
tendu de forces jusqu'ici comprimées en elTrilait
brusquement les assises traditionnelles. Il était dif-
ficile de prévoir jusqu'où irait la désagrégation de
cette puissance qu'on avait pu croire indestructible,
ni à quelle construction nouvelle on aboutirait, ni
dans quelle proportion les éléments qui faisaient
la solidité apparente de l'Empire interviendraient
dans la forme inédile qui s'ébauchait péniblement.
Mais on pouvait prédire que, même en faisant état
des résolutions désespérées que peut inspirer à un
peuple la mine brutale d'espérances gigantesques,
l'Empire allemand, dans sa forme de 1871, avait
vécu et que l'Allemagne devait pour longtemps se
résigner à n'être pas la maîtresse du monde. 11 était
évident qu'elle ne renonçait qu'avec douleur à son
rêve de domination extérieure et que, même à l'in-
térieur, les réformes qu'on tentait maladroitement,
sous le coup du danger, sans plan arrêté et sans
franchise, étaient en tel désaccord avec le passé et
l'esprit allemand qu'on avait le droit de présager
pour nos ennemis une longue période de trouble
«• 142. Décembre T»J8.
nous prouve mieux que nous avons ignoré quantité
d'agents actifs de désorganisation qui ont à notre
insu travaillé pour nous chez nos ennemis. Si forts
qu'ils fussent — et il ne servirait à rien de nier cette
force — ils étaientcertainement moins forts et moins
unis entre eux que nous ne les avions crus. Politi-
quement et militairement, ils portaient en eux les
raisons de leur chute prochaine. La désertion de la
Bulgarie, celle de l'Autriche, celle de la Turquie ont
eu des causes probablement plus lointaines que
nous ne l'avons imaginé, et la façade oratoire au
long de laquelle les gouvernements ont fait si long-
temps parade de leurs amitiés inébranlables cachait,
sans aucun doute, bien des misères que nous n'avons
pas soupçonnées. L'Allemagne a tenu la dernière,
soutenue par sa formidable aimature militaire.
Pendant tout le mois d'octobre, pendant que ses
alliés l'abandonnaient les uns après les autres, elle
avait tenu tête avec une énergie remarquable, et
elle était parvenue à maintenir parmi ses troupes
dociles l'illusion de la victoire. Cependant, elle
Grosse pifrce américaine, sur rails, tirant à 30 miUes.
moral et de tâtonnement politique. Plus que jamais,
c'était pour les nations de l'Entente, pour la France
en particulier, une raison de renoncer aux discus-
sions stériles, aux divisions déprimantes, aux que-
relles de parti et de doctrine. Le devoir s'imposait
à tous d'être Français avant tout et de grouper
pour la prospérité et la grandeur de la patrie les
éléments d'intelligence, d'énergie, de patience qui
nous avaient sauvés dans le péril et qui restent, si
l'on sait en user dans la victoire, la garantie d'un
avenir magnifique. Nous sentions la paix pro-
chaine, même si l'on devait l'acheter au prix d'un
dernier et sanglant efi'ort. Il était grand temps de
ne pas nous laisser surprendre par la paix, comme
nous l'avions été par la guerre. 11 fallait nous
convaincre qu'un ordre de choses entièrement nou-
veau allait naître et que les difficultés qu'il pré-
senterait exigeraient de tous le même sang-froid,
la même endurance, la même faculté d'adaptation
qu'avait exigée la résistance contre la force brutale
qui voulait nous anéantir. En un mot, dès ce mo-
ment, il ne devait pas nous suffire de nous laisser
aller à la joie d'un réveil radieux au sortir d'une
nuit de cauchemar; il fallait songer à reprendre
et, au besoin, à nous créer une vie ardente de tra-
vail libre et de lutte pacifique. Il était nécessaire
de nous défendre contre la tentation d'une détente
amollissante. Chaque citoyen avait le devoir de
continuer à lutter pour que notre victoire, achetée
au prix de si multiples et si cruels sacrifices, fût
une victoire féconde et durable. — Les historiens
futurs, qui sauront beaucoup de choses que nous
ne savons pas et qui jugeront notre époque tra-
gique avec l'impartialité que donne le recul du
temps, s'étonneront sans doute moins que nous de
la rapidité avec laquelle les événements se sont
succédé au cours du mois d'octobre. Nous qui
n'avons vu que la série foudroyante de faits essen-
tiels, sans en saisir toutes les raisons efficientes,
nous n'avons pu manquer d'être heureusement sur-
pris de cet enchaînement extraordinaire. Rien ne
avait, par des atermoiements diplomatiques et des
obscurités calculées, cherché à gagner du temps
et à jeter la division parmi ses ennemis. Mais, peu
à peu, elle approchait du terme fatal, et on peut
dire que l'armistice avec la Turquie, qui ouvrait
la mer Noire à l'Entente, avait été pour elle un
coup terrible, probablement fatal, dont elle avait
Pu reculer l'échéance de quelques jours, mais que
inéluctable logique de la défaite rendait inévi-
table. Au 31 octobre, les espérances d'une solution
prochaine de toutes les questions soulevées par la
guei-re grandissaient de jour en jour. 11 fallait avoir
encore la patience et le courage d'accepter l'attente
nécessaire.
L'histoire militaire du mois d'octobre 1918, lors-
qu'elle pourra être écrite dans tous ses détails,
apparaîtra comme la plus merveilleuse épopée qu'ait
connue l'humanité. Nous, les contemporains, à tra-
vers les récits fragmentaires, anecdotkjues et trop
littéraires que nous donnent les journaux, nous ne
pouvons qu'en soupçonner la grandeur, mais nous
sommes impuissants à nous représenter dans son
terrible réalisme la puissance d'effort qu'ont dû
déployer nos soldats pour refouler l'ennemi orga-
nisé, résolu, sûr de vaincre, qu'étaient les troupes
allemandes. Depuis l'incomparable défense de Gou-
raud en Champagne, depuis l'attaque impétueuse de
Mangin sur l'Aisne, qui ont déclanché le recul alle-
mand, les soldats alliés n'ont pas cessé un seul jour
de combattre et d'avancer. Us ont rompu les unes
après les autres les lignes formidables de défense de
l'ennemi ; ils l'ont, sur certains points, comme dans
le nord de la France et en Belgique, convaincu de
l'impossibilité où il était de tenir et de la nécessité
d'une retraite rapide; ailleurs, aux points maîtres
qui commandaient sur tout le front et dont la perle
entraînait une déroute totale, comme Guise et 'Vou-
ziers, ils l'ont obligé à se concentrer dans une ré-
sistance efTrénée, soutenue dans les conditions les
filus pénibles. L'élan de nos troupes, portées par
eur victoire même, a été héroïque, mais leurs fati-
«• 142. Décembre 1918.
gués et leurs souffrances, stoïquement supportées,
sont de celles que rien ne peut payer et qui méri-
tent l'éternel respect de l'histoire. Si l'on se sou-
vient que, pendant longtemps, il a semblé démontré
que les lignes allemandes étaient impossibles à
percer, on s'élonnera de la rapidité de 1 avance des
troupes alliées et de la libération du territoire. An
cours du mois d'octobre, on avait repris, dans le
nord de la France, Saint-Quentin, La Fère, Cam-
brai, Lens, Armentières, Douai, Lille. Roubaix,
Tourcoinff, et on était dans les faubourgs de Valen-
ciennes ; en Belgique, Roulers, Thonrout, Ostende,
Bruges, et on était aux portes de Gand et de Cour-
trai; dans l'est de la France, on avait déjà dégagé
Reims, repris Laon et Vouziers ; on avançait lente-
ment entre l'Oise et la Serre, et on était, aux der-
niers jours du mois, sur le point de prendre Guise.
Autour de 'Vouziers, devant Guise, les Allemands
avaient concentré leurs meilleures troupes et tenaien t
bon, en dépit d'attaques incessantes et de la diffi-
culté croissante de leurs communications avec
l'arrière. Leur résistance était condamnée à un
échec prochain.
Ils résistaient, pourtant, et leurs communiqués ne
cessaient d'annoncer des victoires, soit qu'ils vou-
lussent ainsi essayer vainement nous user, nous
faire le plus de mal possible et ne pas se présenter
aux conférences de la paix en posture de vaincus,
soit qui! y eût là l'efTet naturel d'un entraînement
militaire poussé jusqu'à la perfection, qui main-
tenait parmi les troupes ennemies une cohésion
et une solidarité que la situation chaque jour
plus critique eilt rendues impossibles à une ar-
mée moins pénétrée de discipline et d'esprit mili-
taire. Quoi qu'il en fût, même en admettant que
le repli dût continuer à se faire lentement, l'équi-
libre des forces, en hommes et en matériel, était
certainement rompu au profit de l'Entente. Le
fleuve américain continuait à déverser sur la
France son flot ininterrompu d'hommes, de ca-
nons, de macliines. Alors que l'Allemagne s'iso-
lait de plus en plus et se trouvait chaque jour
plus étroitement enserrée, l'Entente élargissait ses
moyens d'action. La résistance allemande, quelle
que' fût sa durée, devait être limitée par la diminu-
tion croissante de ses moyens, et la fin en pouvait
être très prochaine.
Pendant que, presque quotidiennement, nous
LAROUSSE MENSUEL
sur la rive gauche du Danube inférieur. Aucun évé-
nement ne marque d'une façon plus saisissante
l'anéantissement des projets allemands sur la pé-
ninsule des Balkans et ne fait mieux mesurer
r/'HoriTie distance qui nous sépare de la paix de
641
sans aucun doute en Russie les événements des
Balkans ne manquerait pas d'y être considérable.
Nous y reviendrons plus loin. Ce qui se passait en
Russie ne pouvait, d'ailleurs, avoir aucune consé-
quence sur l'ensenible des événements niililairos.
La place de rilôtel de ville de âaiol-^uentin, api'è$ le di}part des AlleiuauUb.
observateurs américalDS dirigeant le feu de TartiUerie.
avions la joie d'apprendre la délivrance d'une de
nos villes occupées, dont nous ne retrouvions
souvent, hélas I que les ruines fumantes, les armées
alliées, appuyant l'armée serbe, reconquéraient la
Serbie, prenaient Nich et avançaient vers le nord
jusqu'au Danube, que des patrouilles françaises fran-
chissaient àViddin. Pour l'auteur de ces Chro-
niques, aucun événement de cette guerre n'est plus
caractéristique que cette chevauchée de nos soldats
Bucarest. Bien des bruits avaient couru au sujet
des intentions de la Roumanie. Du moment que les
Alliés touchaient au Danube, tout était possible. Et
quelle admirable moralité n'y avait-il pas à tirer
tie "celle conquête de la Serbie par les Serbes, que
celte fuite des envahiseurs
— 1 barbares 1
En même temps, les An-
glais et les contingents fran-
çais qui les accompagnaient
! avaient continué en Syrie leur
! marchevictorieuse. Damas, au
début du mois, Alep, à la fin,
étaient tombées entre leurs
mains: Damas, où jadis Guil-
laume II avait cru sceller son
alliance avec le Prophète ;
i Alep, depuis l'antiquité la plus
recillée le nœud des routes
vers l'Euphrale et, de notre
temps, la station qui com-
mande les voies ferrées vers
l'Asie Mineure et le golfe
Persique. Cette double con-
quête scellait la ruine des
projets allemands sur le che-
min de fer de Bagdad. La
capture de toute l'armée tur-
que de Mésopotamie avait
complété ce succès.
Les Français sur le Danube,
les Anglais à Alep, avaient
une signification à laquelle
les Allemands ne pouvaient
.se tromper. « L'Allemagne a
perdu la partie », avait dit, le
■23 octobre, au Reichslag, le
socialiste Ilaase; « le pro-
j^ramme Héligoland- Bagdad
s'est effondré ». Avec lui s'ef-
fondrait aussi toute la politique
économique allemande . Ce qui
• ùt pu être réalisé presque à
coup sûr par la paix avait été
ruiné par la guerre. Etrange
sujet de réflexion pour les
partisans du militarisme.
Enfin, lesltaliens avaient, à
la fin du mois, repris l'olTen-
sive au moment où l'agitation
intérieure de la monarchie
austro-hongroise pouvait ren-
dre leur attaque plus décisive. Ils n'avaient ren-
contré qu'une résistance médiocre. Ils étaient en
marche pour chasser Tennemi de tout le terri-
toire italien.
Nous savions mal ce qui s'était passé en Russie
du côté d'Arkhangel, et en Sibérie du côté tchéco-
slovaque et japonais. On pouvait dire que, si tout
était sans doute resté stalionnaire sur ces fronts
lointains et obscurs, la répercussion qu'auraient
Une chose apparaissait comme évidente : la défaite
certaine de l'Allemagne. Le seul doute possible
portait sur son étendue. Tous les efforts du gou-
vernement allemand tendaient à la limiter. 11 était
permis d'espérer que nous ne serions ni dupes, ni
faibles.
Parallèlement à la libération victorieuse de notre
territoire s'était développé, en octobre, du côté des
Empires centraux, un effort diplomatique continu
vers la paix. 11 avait été marqué d'une intensité
variable et avait abouti à des résultats plus ou
moins précis, suivant que les gouvernements inté-
ressés avaient eu un bessoin plus ou moins pressant
de la paix, ou avaient cru de leur intérêt de relarder
l'effet de leurs démarches.
Le premier en date de ces événements diploma-
tiques, annonciateurs de la paix générale, avait été
l'armistice conclu au premier jour d'octobre avec la
Bulgarie. Nous n'en connaissions pas encore les
termes, au 31 octobre, mais nous avions pu le
juger déjà à ses efi'ets. Après quelques jours d'hé-
sitation causée par les intrigues allemandes auprès
de certains corps de troupes, il avait eu pour
conséquence la démobilisation bulgare et, résultat
capital, la mainmise de l'Entente sur les chemins de
fer bulgares. Peu de jours après, on avaitappris que
le tsar Ferdinand avait abdiqué et que son fils
Boris III avait pris le pouvoir. La Bulgarie se reti-
rait, par conséquent, de la lutte. Ce seul fait allait
changer la face de la guerre et précipiter les évé-
nements. Il rendait courage à la Roumanie, qui
voyait son ennemie abattue et se rendant à merci.
Il aggravait dans des proportions redoutables la
situation de la Turquie et, dès ce moment, il était
légitime de prévoir que la Porte chercherait elle
aussi à faire sa soumission dans les meilleures
conditions possibles. Le Sultan sentait, en eflTet, le
péril de sa situation, et toute sa politique tendait à
se libérer de la domination des Jeunes-Turcs et
d'Enver-pacha.
Pour la clarté de cet exposé, il importe de dire
tout de suite, quoique le fait n'ait été publié que
le 31 octobre, que les tractation qui furent très
vraisemblablement engagées par la Turquie et qui,
fiour des raisons faciles à deviner, traînèrent tout
e long du mois, aboutirent à un armistice qui
livrait à l'Entente le passage des Dardanelles et
l'entrée de la mer Noire. Or, si l'on rapproche
cette stipulation des autres faits déjà exposés :
maîtrise de l'Entente en Bulgarie jusqu'au Danube
et relèvement de la Roumanie, on aboutira à cette
conclusion que, pouvant opérer à son pré dans la
mer Noire, l'Entente, d'une pari, commandait les
bouches du Danube et arrêtait net toute communi-
calion par eau de l'.MIemagne avec l'Orient ot avec
la Russie, c'est-à-dire tout ravitaillement efficace;
d'autre part, qu'elle allait exercer sur tous les riva-
ges de la mer Noire et particulièrement sur la rive
russe avec Odessa et sur la rive Iranscancasienne,
avec Baloum, une surveillance étroite, qui lui per-
mettait de favoriser en Russie toutes les tentatives
642
possibles conlre l'anarchie bolclievisle. Assurément,
la distance est énorme entre Arkiiangel, Irkoutsk et
Odessa; mais le fait qu'au Sud, comme au Nord,
comme à l'Est, l'Entente avait dès lors le moyen de
soutenir en Russie les éléments qui attendaient
LAROUSSE MENSUEL
événements accomplis et de ceux que l'on peut pré-
voir par suite du maintien de l'entreprise permet de
supputer les conséquences désastreuses qu'aurait
eues son abandon.
Mais la défection bulgare a eu un bien autre ré-
Lea convois & l'an-ière des troupes américaines, en Argonne.
l'heure de restaurer l'unité nallonale compromise
par Lénine avait une importance de premier ordre.
Les documents publiés en Amérique ont prouvé
de la façon la plus chiire que le gouvernement
bolcheviste agissait pour le compte de l'Allemagne
et avec l'appui de l'or allemand; qu'en particulier,
l'attention de Lénine avait été appelée par l'Alle-
magne sur les inquiétudes que lui causait le gou-
vernement du sud de la Russie et sur la nécessité
d'agir contre lui. Par suite, la protection que l'En-
tente pouvait, dès lors, appoiter au gouvernement
du sud de la Russie et, subsidiairement, à celui de
la Sibérie, allait directement contre les intérêts
ullemiinds. Les projets de l'Allemagne sur la Rus-
sie, dont nous avons si souvent signalé ici le dan-
ger, se trouvaient ainsi contrecarrés, dans le moment
même ou tout moyen d'agir en Orient était retiré à
l'Empire allemand. On pouvait donc mesurer la
portée immédiate ou lointaine de la double capitu-
lation bulgare et turque.
Qu'il nous soit permis de revenir un peu en
arrière pour rendre hommage à ceux qui, en voulant
fortement et en maintenant l'expédilion de Saloni-
que, malgré des oppositions sur lesquelles ce n'est
pas l'heure de s'étendre, ont rendu possibles les
résultiits magnifiques que nous venons d'enregis-
trer. Certes , après l'échec de l'expédition des Darda-
nelles, qui aurait pu être au début un acte décisif,
alors que la Turquie n'était pas encore entièrement
sous la main de l'Allemagne et que les fortifications
du Bosphore étaient sans valeur, le débarquement
h. Salonique élait un acte hardi et discutable. On le
lui fit bien voir. Pourtant, le ministre Briand, dès
la première heure, avait vu juste, et on doit hil
savoir gré d'avoir compris que, dans cette guerre,
par où l'Allemagne, en tentant de briser la résis-
tance de l'Occident, visait la domination de toute
l'Asie, c'était en Orient même qu'il fallait chercher
à brouiller les cartes et prendre pied par un coup
d'audace. L'expédition de Salonique a eu des vicis-
situdes diverses, pour des causes multiples que l'ave-
nir dévoilera. On aurait pu, à certaines heures, y
éviter des déboires retentissants. On a pu avoir
pour elle des inquiétudes. Elle n'a jamais été sérieu-
sement compromise; elle a été le point d'appui des
événements grecs qui, finalement, ont tourné pour
nous. Elle est brusquement devenue l'élément capi-
tal de la victoire. 11 est, d'ailleurs, remarquable que
Clemenceau, tout d'abord peu partisan de l'expédi-
tion de Salonique, a été précisément celui qui a eu le
mérite d'en tirer les conséquences les plus heureuses
et qui a su la faire servir à un plan d'ensemble
parfaitement combiné. Si nous avions évacué Salo-
nique, nous aurions perdu la Méditerranée orien-
tale et les Balkans ; l'imporlance immense des
sultat. Elle n'était pas accomplie depuis huit jours
que l'Allemagne etl'Aulriche demandaient un armis-
tice en vue de négocier la paix. Certes, il serait exa-
géré de prétendre que le fait bulgare a été la seule
cause déterminante de la décision austro-allemande.
N» 142. Décembre 1918.
tice bulgare, on apprenait la démission du chance-
lier Hertllng et du ministre des affaires étrangères
von HIntze. Guillaume 11, dans un rescrit encore
gr.indlloquent, mais déjà triste et sans précision,
faisait pressentir des réformes et, notamment, l'in-
tervention plus active du Parlement dans le gou-
vernement. Le 3 octobre, le prince Max de Bade,
dont le nom semblait marquer une orientation libé-
rale, élait nommé chancelier, avec von Payer pour
vice-chancelier; il choisissait un ministère auquel
la présence du socialiste impérialiste Scheidemann
et du catholique
Erzberger.connu
pour ses intri-
gues pacifistes en
Suisse et auprès
du saint -siège,
donnaient un ca-
ractère à la fois
démocratique et
pacifique. Le 5,
une demande
d'armistice gé-
néral sur terre,
sur mer et dans
les airs, était
adressée au pré-
sident "Wilson
par l'Allemagne,
conjointement
avec l'Autriche
et la Turquie.
Les Empires cen-
traux proposaient de prendre pour base des négo-
ciations les quatorze points du message adressé le
8 janvier 1918 par le président 'Wilson au Congrès
américain et les quatre points de son discours du
12 février 1918 : on devait tenir compte également
des déclarations faites par lui le 27 septembre 1918.
Le même jour, Guillaume II annonçait aux armées
de terre et de mer la démarche qui venait d'être
faite. Le ton de son ordre était las et découragé
11 y constatait, en propres termes, 1' « effondrement
du front macédonien ». D'autre part, dans un dis-
cours au Reichstag, Max de Bade exposait .son
programme de réforme électorale et constitution-
nelle, annonçait l'adoucissement de l'état de siège,
lançait incidemment l'annonce de l'autonomie de
l'Alsace-Lorraine et expliquait longuement les rai-
sons de la demande d'armistice.
Il est à peine besoin de rappeler l'émotion poi-
gnante et les grandes espérances que provoqua la
nouvelle de cet aveu inattendu d'Impuissance, arri-
vant après les assurances de lutte sans répit et de
Max de Bade, ehaiicelier d'Allemagne.
Manifestation à Paris, le 20 oclo!ni\ à l'un/isiMH ,1,- ronvcrtiire de la souscription du *• Emprunt de la Défense nationale.
Les troupes dêrilant <I(^ l'Ksplaiiailc des luvalides aux Champs-Elysées.
D'autres facteurs y sont intervenus, — avant tout
nos victoires sur le front français et le sentiment
très net de notre supériorité en effectif humain et
matériel; puis l'état intérieur lamentable de l'Au-
triche et le désarroi profond du gouvernement alle-
mand ; — mais il n'est pas douteux que l'aveu
d'impuissance de la Bulgarie a été l'appoint irrésis-
tible qui a fait pencher la balance vers une capitu-
lation générale.
Dès le l" octobre, en même temps que l'armis-
victoire certaine que le gouvernement allemand
n'avait cessé de jeter aux quatre vents du ciel. A la
réflexion, on comprit, sans doute, qu'en dépit de ses
protestations d'humanité, tous les jours démenties
par les faits les plus criants, l'Allemagne, épuisée
par les dernières .semaines de lutte, obligée de ré-
parer les pertes énormes de son matériel, désem-
parée par l'abandon de la Bulgarie, certaine du
refroidissement rapide de la Turquie à son égard-
inquiète de la situation désespérée de l'Autriche,
N'. 142. Décembre 1918.
LA CHAMPAGNE SEPTENTRIONALE
643
,44
LAROUSSE MENSUEL
Le général Goiiraud décore les étendards el fanions des régiments de la 5* division de cavalerie : b« et 15* chassours ;
9', 16<, 22> et 2y« dragons.
Hongrie, cherchait une occasion de reprendre ses
esprits, de donner quelque satisfaction aux partis
du Reichstag et, surtout, de réparer ses perles et de
rétrécir honorablement le front de bataille occi-
dental, pour reprendre ensuite la lulte sur des posi-
tions fortement préparées.
En dehors de quelques esprits qu'on doit croire
sincères, mais qui firent preuve de peu de clair-
voyance et de préoccupations internationales dépla-
cées, l'opinion publique ne s'y trompa pas, et elle
attendait avec une patience confiante la réponse du
président Wilson. Celle-ci fut connue à Paris le
9 octobre. Elle était brève et comportait seulement
quelques questions embarrassantes, que le président
posait au chancelier allemand. Il l'invitait à faire
savoir si, vraiment, il acceptait les différentes con-
ditions posées dans les messages au Congrès amé-
ricain et si son but, en entamant des discussions,
était seulement de se mettre d'accord sur des détails
pratiques d'exécution. Il déclarait tout armistice
impossible tant que les armées des puissances cen-
trales seraient sur le sol des gouvernements asso-
ciés. Il croyait nécessaire de demander si « le chan-
celier impérial parlait simplement au nom des auto-
rités constituées de l'Empire, qui, jusqu'ici, avaient
conduit la guerre ». Il était diflicile de faire pres-
sentir plus nettement qu'on n'admettrait pas de dis-
cussion avec les mêmes autorités.
Au moment où cette lettre arrivait en Allemagne,
le chancelier Max de Bade était déjà très discuté.
Une lettre qu'il avait écrite le 12 janvier 1918 au
prince de liohenlohe, au sujet d'un discours pacifi-
que et humanitaire qu'il avait lui-même prononcé
le 14 décembre 1917, venait d'être publiée par le
Jovrnal de Genève. Dans cette lettre, Max de Bade,
en un langage où le mysticisme chrétien le plus né-
buleux se mêlait à des déclarations guerrières et
monarchiques parfaitement nettes, tentait de s'expli-
quer sur le sens de son discours et s'avérait comme
un partisan manifeste de la continuationde la guerre
fiour le triomphe de l'hégémonie allemande. Mais
es discussions soulevées par cette lettre et qui
furent probablement tontes de façade ne retardè-
rent pas la réponse allemande à la première Note
Wilson. Le 12 octobre, le chancelier faisait savoir au
président que le gouvernement allemand ne préten-
dait que fixer les détails d'exécution des conditions
posées par les messages au Congrès qui visait la
demande d'armistice. 11 demandait la réunion d'une
commission mixte, qui serait chargée de passer les
accords nécessaires en vue de l'évacuation du terri-
toire de l'Entente.
Il terminait en déclarant que « le gouvernement
aotuel, qui porte la responsabilité de conclure la
paix, a été formé à la suite de négociations et
d'accords avec la grande majorité du Reichstag »;
que, « s'nppuyant dans chacun de ses actes sur la
volonté de cette majorité, le chancelier de l'Empire
parlait au nom du gouvernement et du peuple alle-
mands ». Par une fatalité fâcheuse pour l'Allemagne,
mais qui cadre parfaitement avec l'inconscience bru-
tale de l'esprit allemand, l'envoi de cette réponse
coïncidait avec des torpillages d'une barliarie raffi-
née, opérés par les sous-marins allemands sur les
côtes de l'Angleterre et de l'Irlande, et avec des
dévastations effroyables et méthodiques sur le ter-
ritoire français et belge, au fur et à mesure de la
retraite allemande. Le ton de la réponse du prési-
dent Wilson s'en ressentit.
Dans une deuxième Note, beaucoup plus déve-
loppée que la première et partie de Washington
le 14 octobre, le président prenait acte de l'accepta-
tion de ses conditions par les puissances centrales.
Il repoussait l'idée d'une commission mixte pour le
règlement des clauses de l'armistice et déclarait
que c'étaient là des questions qui devaient « être
laissées aux jugements et aux avis des conseillers
militaires » des Etals-Unis et des gouvernements
alliés. 11 ajoutait, d'une part, que nul arrangement ne
pourrait être accepté s'il ne garantissait le maintien
de la suprématie militaire acquise par les armées
alliées, d'autre part, qu'aucun armistice ne pourrait
être envisagé tant « que les forces armées de l'Al-
lemagne continueront à se livrer aux pratiques
illégales et inhumaines dans lesquelles elles persis-
tent »; — et il visait expressément les torpillages
récents de navires à passagers et les destructions
effrénées commises par les Allemands sur le sol
français. Il rappelait, enfin, que l'un des points visés
par ses Messages était la destruction « de tout pou-
voir arbitraire, où qu'il se trouve, qui peut séparé-
ment, secrètement et par sa seule volonté, troubler
la paix du monde; s'il ne peut être présentement
détruit, le réduire à une virtuelle impuissance »; il
précisait que « le pouvoir qui jusqu'ici a gouverné
la nation allemande, étant de la nature ci-dessus
indiquée, il dépendait de la volonté de la nation
allemande de le changer », et il déclarait qu'il était
indispensable que les gouvernements associés contre
l'Allemagne sachent, sans équivoque possible, à qui
ils avaient affaire. Il terminait en annonçant une
réponse séparée à l'Autriche.
Le 20 octobre, le gouvernement allemand répon-
dait par une Note nouvelle, signée du D''Solf, secré-
taire d'Etat aux affaires étrangères. Tout en s'en
remettant au président Wilson du soin de régler
les conditions de l'armistice, il émettait la préten-
tion que les arrangements destinés à en garantir
l'exécution eussent pour base « le rapport propor-
tionnel des forces actuellement sur le front ». Il
«• r42. Décembre J8J8.
prolestait contre les accusations de barbarie qu'avait
formulées la deuxième Note Wilson et demandait
de faire éclaircir le cas par des commissions neu-
tres. Il annonçait que des ordres avaient été donnés
aux sous-marins pour éviter tout torpillage de na-
vires à passagers. Il exposait longuement les réfor-
mes constitutionnelles qui devaient garantir pour
l'avenir la collaboration de la représentation natio-
nale allemande pour toute décision de guerre et de
paix, et il déclarait que l'offre d'armistice el de
paix émanait d'un gouvernement qui, à « l'abri de
toute influence d'arbitraire des milieux dépourvus
de responsabilité », s'appuyait « sur l'adhésion de
l'écrasaule majorité du peuple allemand ».
Le 23 octobre, le président Wilson répondait
par une troisième Note. 11 y donnait acte des ré-
Ibrmes constitutionnelles annoncées, et il faisait
savoir qu'en conséquence il transmettait la demande
d'armistice aux gouvernements alliés, tout eu mar-
quant que, si les conseillers militaires jugeaient un
armistice possible, l'Allemagne devrait accepter des
conditions telles qu'elles pussent « protéger d'une
manière absolue les intérêts des peuples intéressés
et assurer aux gouvernements associés le pouvoir
sans limites de sauvegarder et d'imposer les détails
de la paix ». Il faisait remarquer que les modifica-
tions apportées à la constitution de l'Empire alle-
mand ne visaient que l'avenir et que « le peuple
allemand n'avait pas le moyen de forcer les auto-
rités militaires de l'Empire à se soumettre à la vo-
lonté populaire »; que le pouvoir du roi de Prusse
restait le même; que le gouvernement des Etats-
Unis ne saurait traiter qu'avec de véritables repré-
sentants du peuple allemand, investis d'une auto-
rité sincèrement constitutionnelle qui fasse d'eux
les véritables représentantsdel'AUemagne; qu'enfin,
s'il devait avoir à traiter avec les maîtres militaires
et les autorités monarchistes de l'Allemagne, il
devrait exiger « non pas des négociations de paix,
mais une capitulation ».
A cette dernière Noie, qui mettait rigoureusement
et durement fin au débat, le D' Soif, au nom du
gouvernement allemand, répondit, le 27 octobre, en
affirmant l'existence d'un gouvernement national et
en déclarant que le gouvernement allemand atten-
dait maintenant la proposition d'un armistice préli-
minaire aune paix juste, « comme elle a été caracté-
risée par le président Wilson dans ses déclarations
publiques ».
Entre la troisième Note Wilson et la réponse
du V>' Soif, s'étaient placés, en Allemagne, plusieurs
faits caractéristiques : le vote de la réforme de l'ar-
ticle de la Constitution impériale relatif au droit de
guerre et de paix ; un grand discours du chancelier ;
un discours où le D' Soif, pour la première fois,
reconnaissait que la question d'Alsace-Lorraine
était une question internationale et où il traitait le
point très important de l'extension de l'Etat polonais
jusqu'à la mer; enfin, la retraite de Ludendorf. Sur
ce dernier événement, nous étions mal renseignés.
Il paraissait, pourtant, qu'un dernier effort avait été
fait par le parti militaire et le parti conservateur
pour reprendre le pouvoir et empêcher la modifica-
tion de la Constitution. Devant le vote du Reichstag,
Ludendorf avait dû se retirer. Sa retraite marquait-
elle la fin du pouvoir militariste? Il était impossible
de le dire dans l'état de nos informations, — non
plus que de savoir quel était le degré de sincérité
de l'-Mlemagge dans sa demande d'armistice et de
paix, ni jusqu'à quel point le peuple allemand com-
I
UNE DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT FRAJ\ÇAIS
(4 OCTOBRE 1918)
Le gouvernement allemand n'a pas cessé de proclamer qrie, si Jamais il venait à être forcé
d'abandonner les territoires français qu'il a occupés, il ne rendrait qu'une terre absolument nue
et ravagée.
Celle sauvage menace a été mise à exécution, à chacun des replis ennemis, avec une férocité
méthodique.
Contraintes aujourd'hui à reculer sans arrêt, les armées allemandes, pour se venger de leurs
défaites conlinues, s'acharnent plus cruellement encore que précédemment contre les vopulations,
contre les villes et contre la terre même.
Rien n'est épargné aux malheureux habitants de nos provinces, arrachés brutalement à leurs
demeures et à leur sol, déportés en masse, poussés comme un troupeau de bétail devant les
armées allemandes en retraite; ils voient derrière eux piller et détruire leurs maisons et leurs
usines, incendier les écoles et les hôpitaux, dynamiter les églises, saccager leurs vergers et toutes
leurs plantations. Enfin, ils trouvent villes et villages minés, les routes semées de machines
infernales à explosion savamment retardée pour produire le meurtre en masse des populations
menues à leurs foyers. Le bombardement vient ajouter à ces forfaits le massacre cynique des
blessés
En présence de ces violations systématiques du droit et de l'humanité, le gouvernement
français a l'impérieux devoir d'adresser un avertissement solennel à l'Allemagne et aux Etats
qui l'assistent dans son œuvre monstrueuse de ravages et de dévastations. Des actes aussi
contraires aux lois internationales et aux principes mêmes de toute civilisation humaine ne
resteront pas impunis.
Le peuple allemand, qui participe à ces forfaits, en supportera les conséquences. Les ardeurs
et les ordonnateurs de ces crimes en seront rendus responsables, moralement, pénalement et
pécuniairement. Vainement ils chercheront à échapper à l'inexorable expiation qui les attend.
Le compte à régler avec eux est ouvert. Il sera soldé.
La France est, dès à présent, en pourparlers avec ses alliés pour toutes les décisions à prendre.
«• 142. Décembre 1918.
prenait la gravité de la situation. L'armée allemande,
il fallait le dire, était encore forte et résistante.
Pour combien de temps? Il était difficile d'en juger
sainement. D'autre part, quel était l'état alimen-
taire de l'Allemagne? Quel était l'état de se.s appro-
visionnements en matières premières nécessaires à
la défense? Quelles étaient les intentions de Guil-
laume 11, desafamilleetdesonentourage?Abdique-
rail-il? Quand et en faveur de qui? Quelle réper-
cussion, enfin, avaient eu sur l'opinion publique la
défection de la Turquie, la demande de paix sépa-
rée de l'Autriche, la révolution de Vienne et celle
de Budapest?
C'étaient là autant de questions sans réponse.
Mais les événements marchaient si vite qu'on
pouvait s'attendre à tous les coups de théâtre. En
attendant, il était sag-e de se délier de la perfidie
allemande et de prendre les garanties les plus dures.
Toute autre conduite eût été une véritable trahison
de nos intérêts les plus justes et de nos droits les plus
sacrés. L'Allemagne succombait. Elle avait cher-
ché et mérité son sort. Au 31 octobre, les représen-
tants alliés, auxquels s'était joint le colonel House,
venu en France pour représenter les Etals-Unis,
délibéraient sur les garanties à réclamer à l'Al-
lemagne. On pouvait compter qu'elles seraient
sévères.
Nous avons dit plus haut que le président Wilson,
dans sa deuxième Note, avait annoncé une réponse
séparée & l'Autriche. L'Autriche l'attendait avec
anxiété. Cependant, l'empereur Charles !•' avait
essayé de parer aux diflicultés intérieures qui ren-
daient sa situation si difficile en annonçant une
réorganisation de la monarchie austro-hongroise
sur la base d'une Confédération entre les différentes
nationalités qui la composent et qui seraient deve-
nues autonomes.
Cet eHort suprême pour sauver le trône des
Habsbourg, qui, venu plus tôt, aurait pu être effi-
cace, n'avait eu d'autre résultat que d'exaspérer les
revendications des diverses nationalités. 11 était
évident que la monarchie entrait en dissolution.
La réponse queWilson fit, le 18 octobre, au gouver-
nement austro-hongrois n'était pas pour arrêter le
désastre. 11 y faisait savoir que, le gouvernement
des Etats-Unis ayant reconnu la qualité de belligé-
rant à l'Etal tcbéco-slovaque et le Conseil national
tchéco-slovaque étant, de fait, un gouvernement ré-
gulier; qu'ayant, d'autre part, reconnu de la façon
la plus complète la justice des aspirations natio-
nales des Yougo-Slaves à la liberté, il ne pouvait
plus se contenter de l'autonomie de ces peuples,
mais qu'eux seuls avaient dorénavant qualité pour
juger comment le gouvernement austro-hongrois
pourra satisfaire « leurs aspirations et leur concep-
LAROUSSE MENSUEL
tinées de l'Empire. Les morceaux mal soudés de la
monarchie tombaient les uns après les autres. Le
vague loyalisme autrichien que nous avons jadis noté
et qui reliaitentreeuxles membres disparates de cet
Empire, tant que vécut François-Joseph, avait dis-
paru avec lui, et les excellentes intentions du jeune
Charles l" n'avaient pas été un lien suffisant pour
645
politique allemande étaient anéantis, et six siècles
de diplomatie autrichienne devenaient caducs.
Une grave question se posait pour l'Enlenle, et
il eût été enfantin de l'éluder : qu'allait devenir
l'Aulriche-Hongrie? La Hongrie, l'Etat tchéco-slo-
vaque, l'Etat yougo-slave, la Galicie, allaient-ils
se séparer définitivement et suivre des destinées
uii^iaise peiiciiaut duiiâ Lumlji'ai a^''*^^ 1<^ dcpui l Ut-i. Aiit
rattacher les uns aux autres les peuples ennemis,
que la longue habileté du vieil empereur avait main-
tenus réunis. Les démissions d'Hussarek, de Wec-
kerlé et de Burian, l'avènement de Jules Andrassy
et de Lammasch étaient impuissants à enrayer la
descente vers l'abîme. Le premier acte de Jules
Andrassy était pour demander au président Wil-
son une paix immédiate et séparée. Paix d'autant
La pa^scrello de Saint-Mihiel avant l'occupatioa française. Tout civil qui la traversait était fusillô.
lion de leurs droits et de leurs destinées comme mem-
bres de la famille des nations ». En fait, un gouver-
nement tchéco-slovaque, dont les principaux mem-
bres étaient le professeur Masaryek, le D' Benes,
le D' Svchrava et le chargé d'aliaires Ousky, sié-
geait à f'aris et, de jour en jour, la scission entre
le gouvernement de Vienne et les représentants des
Tchéco-Slovaques à Paris et à Prague se marquait
plus profondément.
11 est difficile de juger quelle a été l'influence
réelle de la Note Wilson à l'Autriche sur les des-
plus urgente que les Italiens, appuyés de divisions
françaises et anglaises, avaient repris l'offensive sur
la Piave et qu'un désastre militaire énorme était
imminent. Ainsi, le « brillant second >> se lassait
de suivre son tyrannique partenaire. L'alliance
dont Hussarek disait, au début d'octobre, qu'elle
« ferait face inébranlablement dans l'avenir à toutes
les épreuves de la destinée », que Burian affirmait
encore peu après, cette alliance s'écroulait. L'Alle-
magne restait seule devant la formidable coalition
de tous les peuples du monde. Quarante ans de
séparées, peut-être précaires, exposés aux convoi-
tises de l'Allemagne, à la contagion anarchiste de
la Russie, ou allaient-ils se grouper en une Confé-
dération puissante, sous une étiquette impériale ou
républicaine, qui ferait d'eux une des lorces essen-
tielles de l'Europe centrale? Et, dans l'une ou l'autre
hypothèse, qu'allaient devenir les Allemands d'Au-
triche et les Allemands de Bohême? Déjà, on annon-
çait que les groupements allemands réclamaient,
eux aussi, leur indépendance, et que l'Allemagne
cherchait à les attirer à elle. La presse française
était divisée sur cette question. Les uns niaient le
danger et estimaient que les Allemands de la mo-
narchie autrichienne ne souhaitaient pas se rattacher
à l'Empire allemand, — et il est certain que, parleur
esprit, leur éducation, leurs traditions, leur allure,
les Allemands d'Autriche se distinguent totalement
des Prussiens et même des Allemands du Sud. Mais
— et c'était l'opinion opposée — il fallait tout de
même tenir compte des affinités de langue et de race
et, surtout, du désir de l'Allemagne de compenser
par un apport d'une quinzaine de millions d âmes,
à la faveur du principe des nationalités, la perte
imminente de l'Alsace-Lorraine et de la Posnanie,
la perte possible du SIeswig. L'Allemagne grossis-
sait à plaisir, par des informations tendacieuses, les
troubles qui agitaient l'Autriche. Elle espérait en
faire son profil. Une pareille éventualité était grave
et de celles auxquelles on devait réfiéchir.
Ainsi, le mois d'octobre avait vu se dérouler sur les
champs de bataille et à travers les Noies diploma-
tiques une des phases les plus dramatiques de l'his-
toire du monde. La guerre tendait, évidemment, vers
sa fin. Malheureusement, la réorganisation du vieil
édifice européen au milieu d'ambitions nationales
contradictoires et d'aspirations sociales généreuses,
mais confuses, disparates et peut-être irréalisables,
restait une entreprise immense, qui ne pouvait être
menée à bien qu'à force d'habileté, de patience, de
droiture et de justice. Trouverait-on chez tous ces
conditions essentielles de la paix durable dont le
monde avait besoin?
La France attendait, confiante. Elle était peu
émue des discussions doctrinales des partis. Elle
voyait sans passion et presque sans curiosité com-
mencer devant la Haute Cour le procès Caillaui.
Elle s'intéressait médiocrement aux ambitions dé-
çues et aux erreurs mégalomanes de tel ou tel,
aux bouderies hargneuses et maladroites de cer-
tains. Elle admirait et acclamait l'héroïsme de ses
enfants. Elle s'abandonnait aux mains de G. Cle-
menceau, qui lui paraissait incarner le courage et la
bonne humeur de la race et qui semblait aussi lui
garantir que la France marcherait fièrement dans
les véritables voies de sa destinée. Nos soldats, en
présence de ce vieillard qui bravait les balles et les
obus et qui entrait à Vouziers derrière l'infanterie,
646
ne se demandaient pas si c'était bien la place, à
riienre où nous étions, du clief du gouvernement.
Ils ne voyaient que la crânerie du geste; ils sen-
taient là un des leurs; sa présence grandissait à
leurs yeux leur tâche formidable et accroissait leur
foi dans la victoire. — A l'exemple de celui qui la
gouvernait, la France se sentait vivre. Elle fermait
les yeux sur les dil'licultés possibles. Elle croyait
à son avenir. — Jules qerbault.
Larchevêque et ses flls, pièce en trois
actes et en prose, de Lucien Guitry, représentée
pour la première l'ois au théâtre de là Porte-Saint-
Martin le 15 octobre 1918. — Au premier acte, nous
sommes chez un juge d'instruction, dans une petite
ville de province. Un inculpé est introduit; c'est le
jeune Maurice Larchevêque, un des deux fils du
grand industriel Charles Larclievéque, soieries et
cotons, et neveu du vieux graveur Philippe Lar-
chevêque. Il est impliqué dans une fâcheuse affaire.
C'est un indépendiinl, un exallé, un peu viveur et
cerveau briilé. U a fait une partie fine avec son amie
Adrienne Lecouvrcur et ses camarades. 11 a eu une
algaïade avec l'un deux. Un duel fut décidé. Mais
l'adversaire refuse de se battre, si Maurice n'a pas
payé 5.000 francs qu'il doit. ISolre jeune écervelé a
pris subrepticement le collier de perles de son amie,
et on lui en a donné 20.000 francs. Il se bat, blesse
son partenaire et revient à Paris. Dans le train, il
est arrêté. L'amie, ne retrouvant plus son collier et
ignorant que c'est Maurice qui en a disposé, porte
une plainte contre inconnu. Le coupable a été vive-
mentdécouvert. Miiis il ne se laisse pas arrêter sans
résistance ; il blesse le commissaire d'une balle de
son revolver. Son cas est grave et compliqué : vol
et blessure. U a l'air si franc qu'il est sympathique
au juge. Malheureusement, celui-ci est déplacé,
h peine l'instruction commencée.
Le remi laçant arrive. C'est un jeune magistrat
rageur et poseur, furieux du poste qu'il occupe ;
tout l'agace : le confortable précaire de son bureau,
la clochette qui remplace la sonnerie électrique ab-
sente. Il donne à l'instruction un tour de réquisi-
toire sévère. Maurice a pour avocat un ami de sa
famille, qui vient d'être ministre et qui a envoyé à
sa place un secrélaire, Berlin. Celui-ci traite le
juge énervé de puissance à puissance, relève des
irrégularités dans l'instructioneldansladétentionde
sou client, dont il réclame l'élargissement immédiat.
Le juge est forcé de l'accorder au procureur in-
fluencé par les hautes protections du prévenu, par
le retrait de la plainte qu'Adrienne apporte dès
qu'elle connaît son voleur, Celui-ci reçoit les mar-
ques du plus vilinlérêt de son vieil oncle, le graveur,
dont le tempérament artiste est indulgent aux frasques
delà jeimesse, et de sa cousine Simone, qui lui té-
légraphie pour lui offrir de l'argent. Tout s'arrange,
et Maurice, remis en liberté, s'en va dîner avec
Aiirienne.
Le second acte nous transporte dans le salon de
la famille Charles Larchevêque, dont le second fils
est conroitablement embusqué. La guerre a éclaté
en 1914. (Jn est sans nouvelles de Maurice. Celui-ci,
relaxé so'is le chef de vol, a été retenu pour blessure
faite à un agent de l'autorité. Quand l'ordre de la
mobilisation a été affiché, il a bousculé les gendar-
mes, et ila disparu.
Il s'est engagé sous un faux nom dans la Légion
étrangère, et il s'est battu avec un courage et une
intrépidité tels qu'il a recula fourragère, la croix
de guerre et la croix de la Légion d'honneur. Au
bout de deux ans, il revient chez son père, qui ou-
blie ses fredaines et qui est lier de ce flls décoré.
Mais l'entente ne dure guère. Dans les combats,
Maurice a souvent revu, comme en hallucination,
le frais visage de son amie Adrienne.
Sur une cathédrale bombardée, un ange de pierre
souriait, et ce minois souriant lui a paruêtre celui
de son amie. Il veut réparer le tort qu'il lui a fait
en lui volant son collier. Il a décidé de l'épouser,
et il est venu demander à son père d'y consentir.
Celui-ci, bon négociant, bourgeois enfoncé dans
les préjugés de sa caste, bondit d'indignation à cette
proposiliun, qu'approuve son frère l'artiste, Philippe,
hahilué il la vie libre et qui a épousé sa maîtresse.
Une scène éloquente a lieu entre les deux frères,
le négociant criant au scandale, l'artiste plaidant
pour ce soldat héro'ique, qui a risqué tant de fois sa
vie pour sauver le pays et la fortune des bourgeois.
Il a conquis des droits nouveaux, et nous ne devons
plus le juger selon les lois communes. 11 s'est haussé
au-dessus de tout et de tous, et, dans une tirade
chaleureuse, l'oncle défend le bonheur de ces braves
qui risquent leur peau pour la patrie ; et, quand il
donne à son frère lecture des admirables citations
qui ont illustré Maurice, le vieux Charles Larche-
vêque ne trouve plus quoi dire.
Au troisième acte, nous sommes chez l'oncle,
l'artiste graveur Philippe Larchevêque, qui vit là
paisiblement avec son ancienne maîtresse, Madeleine.
Le contraste de cet intérieur paisible avec le salon
de Charles condamne la vie facile et élégante des
bourgeois qui vivent gaiement la guerre : la nièce
de Philippe, Isabelle, la femme de Jacques Larcbe-
LAROUSSE MENSUEL
vôque, a couiinué de mener une existence facile et
brillante, de fréquenter le monde, les salons, les
thés. La vie est plus grave chez Philippe.
La petite cousine Simone Boyer-Morel y vient
souvent. Elle n'a pas perdu de vue Adrienne, dont
l'amant, Maurice, a toute la tendresse de son cœur.
Elle l'amène elle-même chez le graveur, pour l'en-
trevue où Maurice va demander à cette femme de
l'épouser, et Simone en éprouve une grande dou-
leur. Mais tout s'arrange. Quand le père, Charles
Larchevêque, vient dire à son frère qu'il cède, qu'il
reconnaît l'intégrité du droit au bonheur, à n'im-
porte quel prix, pour les héroïques poilus qui ne
marchandent pas leur sang, il apprend que sa con-
cession devient inutile. Adrienne est devenue l'amie
Uégion du Matz.
de ce camarade, avec qui Maurice s'est battu en
duel. Elle l'aime, et elle ne le quittera pas. Elle
n'est plus libre. Sa vie est faite. Maurice découvre
alors le profond amour que lui a voué Simone : il
l'épousera à sa prochaine permission.
Ce drame est d'une généreuse inspiration. C'est
un hymne en l'honneur des combattants.
L'action est simple, bien mise en œuvre et net-
tement présentée. Le style est clair et a parfois du
trait et de l'éclat. La scène capitale est celle où
l'oncle présente le plaidoyer ardent de son neveu
tout rayonnant de gloire.
Les caractères, celui du père âprement fidèle aux
préjugés bourgeois, de l'oncle indulgent, du jeune
homme indompté, brave, loyal, aventureux, mau-
vaise tête, bon et grand cœur, révolté et viveur,
sont tracés avec un relief suffisant et net.
Le titre, qui a l'air d'une facétie anticléricale pour
vaudeville, ne convient nullement à ce drame, et
serait à changer pour l'impression. Au total, de la
simplicité, de l'observation, de la chaleur, de la psy-
chologie, du patriotisme: de tels éléments suffisent
à recommander l'ouvrage. — Wo claretie
Les principaux rôles ont été créés par : M"" Jeanne
Desctos {Advienne Lccouvreur) , Alice Nory {Simone),
Claude Rittor {Madeleine). Leitner-Dnlonde {Isabelle
Jiieques'Larcfievâgue)eiMM, Lucien Guitry {Philippe Lar-
dievêque)^ Louis Gauthier {Maiiriee Larclievêijue), Joli're
I Charles Larchevêque), Bertin {liertin), Praxy {Jacques
Larchevêque),
Matz (la), petite rivière de France, dans le dé-
partement de l'Oise, sous-affluent de la Seine par
l'Oise. Ce n'est à proprement parler qu'un ruisseau,
ce Matz, dont les communiqués ont, au cours de
l'été dernier, répété très fréquemment le nom. Il sort
des prés aux environs de Lassigny, à une altitude
d'environ 70 mètres, à l'endroit qui porte, de la
façon mêmedont le Matz arrive àla lumière, le nom
de « bouillon de Canny ». Comme les autres résur-
gences, il a des eaux relativement abondantes, dès le
moment où il voit le jour ; il coule depuis lors dans
un vallon plus ou moins caractérisé, marécageux
par endroits, d'abord au sud-ouest, puis au sud e'
enfin au sud-est. Canny, tout près du « bouillon » du
même nom; Roye, à la vieille et curieuse église;
Laberlière; Ricquebourg, à qui fait face, sur la rive
droite de la rivière, la Neuville-snr-Ressons; Res-
sons, aujourd'hui chef-lieu d'un canton de l'arron-
dissement de Compiègne, après avoir été autrefois la
capitale d'un petit pays picard, le Ressonlois; Mar-
quèglise, Vendélicourt, Marest, Chevincourt, Méli-
cocq et Machemont, voilà les différentes localités
sur ou près desquelles passe le Malz. Ce soni, des
villages essentiellement agricoles, au nom de quel-
ques-uns desquels est accolé celui du Matz. Celui-ci,
en aval de Machemont, est tout proche de son con-
N' 142. Décembre 1918.
flnent; il n'a plus qu'à traverser le canal latéral à
l'Oise avant de gagner la rive droite de cet affluent
de la Seine et de sy perdre en face de Montmacq et
de la forêt de Coinpicgne.
Quand il rejoint l'Oise, à 9 kilomètres en amont
de Compiègne, le paisible Matz a parcouru plus de
25 kilomètres depuis le moment où, dans un terrain
absolument plat, il a commencé son cours au «bouil-
lon de Caimy »,
C'est donc un très humble cours d'eau, au volume
d'ordinaire peu considérable (300 litres à l'etiage,
550 en temps normal), qui coule tout entier dans
l'arrondissement de Compiègne.
Avant la guerre, le Matz ne retenait guère l'atten-
tion, en dépit du labeur opiniâtre de sa population,
en dépit de ses vieilles églises
(à Canny et à Roye)et de la
motte féodale de Ressons.
U n'en va plus de même au-
jourd'hui, après les luttes épi-
ques qui se sont livrées sur les
bords de cette rivière, aux
mois de iuin et d'août 1918.
En 19Î4, déjà, des combats
acharnés avaient eu lieu entre
leMatzetla DivesouDivette,
plus septentrionale ; sur le
plateau du Plessier et dans le
bois de Thiescourt, le terrain
avait été disputé pied à pied,
en particulier devant cette
ferme Attiche, qui fut prise
et reprise onze fois. Plus
acharnées encore furent les
batailles qui se sont livrées
aux mêmes endroits en 1918.
Alors, l'Allemand, qui avait
été précédemment rejeté par
les Alliés à une certaine dis-
tance dans l'Est, essaya d'ex-
ploiter ses olfensives victo-
rieuses des mois de mars-mai
1918 et de s'ouvrir par l'Oise
une roule vers Paris.
Le 9 juin, le front compris
entre Noyon et Montdidier
fut attaqué par quinze divi-
sions allemandes, qui entre-
prirent d'obliger les Français à évacuer le saillant
de Montdidier, comme ceux-ci avaient dû précé-
demment abandonner le bois de Carlepont et la
forêt d'Onrscamp. Pour obtenir ce résultat, la val-
lée supérieure du Malz constituait une précieuse
voie de pénétration, qui permettait de déborder le
plateau compris entre Divette et Matz et couronné
parle bois de Thiescourt. C'est, en effet, par ce che-
min naturel, entre Lassigny et Orvilleis-Sorel, que
se ruèrent les Allemaiuls. Ils firent fléchir au contre
les troupes qui leur étaient opposées sur le plaleau
de Belléglise et dans le bois de Thiescourt; ils arri-
vèrent jusqu'à Ressons-sur-Matz et purent même,
un moment, passer de la rive gauche sur la rive
droitede la rivière et pénétrer jusque sur le rebord
seplentrinnal des plateaux situés plus au sud, mais
ils ne parvinrent pas à repousser, comme ils se
le proposaient, les Français jusque sur l'Aronde
(11-12 juin). Des hauteurs de la Cioix-Picard et de
Meiicocq, ceux-ci rejetèrent derrière le .\latz leurs
ennemis, qui ne purent plus, dès lors, en franchir
le fossé (13 juin).
Deux mois plus tard, l'aile gauche de la 3" armée
(général Humbert), en liaison avec l'aile droite de
lai"" armée (général Debeney), attaqua les Alle-
mands entre Courcelles-Epayeïle et le Alalz. En dix
jours de durs comliats (10-20 août), elle dégagea
complètement la vallée du Malz et tout le plateau de
Thiescourt, et elle parvint, le 21 août, jusi|u'à la
Divette et jusqu'aux rives de 1 Oise devant Noyon.
Dans la Grande Guerre, le Matz a donc joué un
rôle militaire qui a son importance. Comme l'Yser,
comme tant d antres petits cours d'eau de France,
il doit à l'histoire une renommée que ne lui enssinl
certainement méritée ni son développement géogra-
phique, ni l'humble et persévérant travail de ses
laborieux riverains. — Henri froibevauy.
Napoléon et l'Amérique, par Shalck
de La Faverie. — L'intervention toute-puissante
des Etats-Unis dans la guerre mondiale a suscité
en Europe un vif intérêt pour l'histoire américaine;
et l'on a été amené à rechercher quelles furent,
dans le passé, les actions et réactions mutuelles
de l'Amérique et de l'IOurope, quelle influence, en
particulier, ont exercée sur la république du Non!
les conflits européens. C'est le premier volume de
cette histoire que nous donne aujourd'hui, sous
un titre qui ne répond pas tout à fait à l'ampli-
tude du sujet trailé, ShalcU de La Faverie avec
Napoléon et VAmérique. C'est, en réalité, l'his-
toire de la politique européenne dans l'Amé-
rique du Nord, de 1688 à 1815, qui est l'objet de
cette étude. Ces dates, dit de La Faverie, marquent
le commencement et la fin de « la nouvelle guerre
de Cent ans, qui, pour la suprématie sur les mers et
Lucl2n Bonaparte.
«• 142. Décembre 1918.
sur les mondes nouveaux », a jeté l'une conlre
l'autre les deux principales puissances de l'Europe :
c'est pendant la lutte entre la France et l'An^'le-
terre que rAniéri(iue a formé son individualité na-
tionale, c'est à la laveur de cette lutle qu'elle a con-
quis, puis maintenu son indépendance. Tour à tour
la France et l'Anslelerre lui sont favorables. « Dé-
pendant de l'Angleterre, les Elats Unis luttent contre
la l''raiice; une fois la France écrasée, ils luttent
contre l'Angleterre, avec le secours de celte même
France. Ces alternatives... aboutissent inévitable-
ment à une polili<|ue de bascule, qui, depuis l'inter-
vention de Louis XVI, à travers la Uévolulion fran-
çaise, le Directoire, le Consulat et le premier Empire,
fera osciller les bonimcs d'Etat américains entre une
alliance française et une alliance anglaise ».
Ce sont les phases de cette politique de bascule
que de La Faverie expose dans leur complexe détail.
A l'Angleterre, à ses émigrés puritains de la May
Flower, le peuple américain doit son corps et son
àine : la population anglo-saxonne, dont, au milieu
de tant de races aujourd'hui mêlées, les caractères
essentiels persistent toujours; raltacbement aux
grands principes de liberté religieuse et politique
qui restent chers à tout citoyen des Etats-Unis.
A la fin du xviii» siècle, cependant, les treize colo-
nies américaines différaient très profondément de la
métropole. Le pays est assez vaste pour que chaque
habitant y possède sa terre; une vigoureuse bour-
geoisie rurale s'y
développe, qui
produira le-: arti-
sans de l'indé-
pendance. Nulle
tyrannie d'une
aristocratie d'ar-
gent ou de nais-
sance; la liberté
politique n'est
pas, comme en
Angleterre, un
mol, mais une
réalité. Ce sont
bien les princi-
pes de 1688, qui,
ayant porté leurs
fruilssur la terre
étrangère, se
trouvent, del7fi6
à 1783, en lutte
avec la Consti-
tution anglaise, altérée par la toute-puissance de
l'argent et le système de corruption parlementaire.
Mais ces principes, spécifiquement anglais, sont,
une fcîis développés par nos philosophes, devenus
assez larges pour s'appliquer au genre humain.
Ainsi s'expliquent l'amplilnde et la portée de la
Déclaration des droits de 1774 et son influence sur
la Déclaration de 1789. L'on aimerait à voir traitée
cette intéressante question des rapports intellectuels
entre la France, l'Amérique et l'Angleterre. Mais
de La Faverie passe rapidement...
■Vient la Révolution française : il semble que,
pour elle, la jeune démocratie américaine doive
s'enthousiasmer. Or, les sentiments du peuple amé-
ricain furent, à ce sujet, bien loin d'èlre unanimes.
Deux partis déjà se sont formés : fédéralistes et
républicains ; ceux-ci sincèrement démocrates et
admirateurs de la France, ceux-là aristocrates et
attachés toujours à l'Angleterre. Leurs conceptions
s'opposent à l'extérieur comme à l'intérieur, et leur
lutle, qui, jusqu'à la guerre de Sécession, remplit
l'histoire américaine, se traduira, de 1792 à 1813,
par les constantes fluctuations de la polilique amé-
ricaine à l'égard de la France. JelTerson, républi-
cain, admire la conscience et l'éloquence sévèredes
députés du Tiers..., tout en jugeant que le peuple
français, dans son ensemble, « n'est pas miir pour
la liberté ». Gouverneur Morris, fédéraliste, aper-
çoit surtout les excès révolutionnaires et reste favo-
rable à la royauté.
Pour Washington, « déconcerté par ce qui se
passait en France », pris entre sa reconnaissance
pour le roi et la noblesse française — reconnais-
sance fortillée, d'ailleurs, par ses sentiments d'aris-
tocrate — et la nécessité de maintenir l'inlluence
française, il est " ballotté longtemps entre les deux
tendances ». Mais, en 1793, le représentant de la
Convention, Genêt, se livre à une propagande im-
pudente, « armant des corsaires, ordonnant des re-
crutements ». Washington incline alors vers les
fédéralistes, et la bonne harmonie entre les deux
républiques est rompue. Le mouvement antil'rançais
se développe, encouragé par le président. Seules,
les victoires des soldats de l'an 11 et des armées
directoriales donnent à l'Amérique le désir da re-
prendre des relations amicales. Elles sont renouées
sous le Directoire. Mais, à cette époque même, les
ambitions de la politique française sèment le germe
de nouveaux désaccords.
Pendant toute la période consulaire et impériale,
l'Amérique devra se tenir en garde contre les ambi-
tions françaises, qui, directement ou indirectement,
menacent sa sécurité et ses intérêts, et en même
LAROUSSE MENSUEL
temps contre l'impérialisme de l'Angleterre, qui,
à la faveur de la lutte mondiale, tend à rétablir son
ancienne suprématie — au moins économique —
sur l'Amérique. Difficultés sans nombre, où la jeune
Amérique fit — à ses dépens — l'apprentissage de
la diplomatie.
Dès l'arrivée au pouvoir du président Jefferson,
de deux ans postérieur à l'avènement du Premier
Consul, une question épineuse se pose : la Loui-
siane. En 1763, la France a
dû abandonner celle-ci àl'E.s-
pagne. Napoléon a, au début
de son règne, des ambitions
coloniales : il négocie avec le
gouvernement espagnol la ré-
trocession de la Louisiane et,
finalement, l'obtient. La Loui-
siane doit être, avec Saint-
Domingue, la base de la puis-
sance française au nouveau
continent. Grave sujet d'in-
quiétude pour les Etats-Unis I
« Il n'y a qu'un seul point
sur le globe, écrit Jefferson,
pourtant ami de la France,
dont le possesseur soit notre
ennemi naturel et habituel :
c'est La Nouvelle-Orieans.
C'est par là que les trois hui-
tièmes des produits de noire
terriloire peuvent s'écouler.
En nous fermant celle porte,
l'Espagne fait acte d'hostilité
contre nous. Etablir entre les
Français et les Américains
des rapports aussi irritants,
c'est rendre impossible l'ami-
tié de la France et de l'Amé-
rique. Le jour oii la France
s'emparera de la Louisiane,
elle prononcera la sentence
qui la renfermera pour tou-
jours dans la ligne tracée le
long de ses côtes : elle scel-
lera l'union de deux peuples,
qui, réunis, peuvent être les
mailles exclusifs de l'Océan ;
elle nous contraindra à faire
alliance avec la flotte et la
nalion anglaises. » Ecrites à
l'occasion d'un fait particu-
lier, ces lignes synthétisent
1? politique américaine à son
aurore : ballottée entre la
France et l'.Angleterre, la me-
nace de l'une la rejette vers
l'autre, jusqu'au moment où
une nouvelle fluctuation lui
imprime un mouvement
contraire.
En 1801, o la fermentai ion
est extrême » aux Etats-Unis.
Mais les événementsd'Euiope
permettent d'éviter la rupture.
Bonaparte préparait l'envoi
d'un corps expéditionnaire en Louisiane, lorsque
l'évidence de la fragilité de la paix d'Amiens, l'immi-
nence d'une nouvelle guerre avec l'Angleterre lui
apparurent. Des mesures immédiates s'imposent, si
l'on veut empêcher la grande puissance maritime de
s'emparer de la Louisiane — proie facile — et de
reconsliluerouIre-Océan un immense empire. Sous-
traire la Louisiane aux allaques de l'ennemi ne
pouvait se faire qu'en la cédant aux Etats-Unis. Tel
est l'objet de la convention de 1803, qui, réservant,
cependant, le droit du commerce français en Loui-
siane, cède celle province aux Etats-Unis, pour la
somme de 80 millions.
Le traité fut, de part et d'autre, mal accueilli : en
France, on reprocha au Premier Consul d'aliéner
l'une des parties les plus précieuses du domaine
national. Les inlerprètes de l'opposition furent Lu-
cien et Joseph Bonaparte : entre eux et le Premier
Consul, éclata une scène de famille violente, pitto-
resquement évoquée par de La Faverie d'après les
Mémoires de Lucien. Naturellement, la volonté con-
sulaire l'emporta.
Aux Et^ts-Unis « le président Jefferson et ses
représentants, Liviiigslon et Monroe, furent criti-
qués dans leur empressement patriotique à signer
un traité qu'ils croyaient avantageux, mais qui, pour
être valable, devait avoir lassentimenl du Congrès.
Or, pour ne pas laisser passer une occasion, ces
hommes intelligents et judicieux... n'avaient pas
jugé nécessaire de se munir de cet assentiment ».
Ouesllon de pure forme, d'ailleurs; prétexte sur-
tout, quand est disculée l'affaire devant le Congrès,
à la lutte entre les p.-irtisans de la o petite Amé-
rique » restreinte entre la mer et les Alleghanys et
les partisans de la conquête de l'Ouest. L'histoire
a donné raison aux partisans de la grande Amé-
rique, et le président Wilson témoigne que, « du
moment surtout où elle a tourné le dos à l'Atlan-
tique pour s'enfoncer dans les profondeurs du Far
647
West, l'Amérique, dégagée de tout lien avec l'Eu-
rope, est devenue vraiment un peuple nouveau ».
Les Etats-Unis ne peuvent se consacrer tout de
suite au développement pacifique de leur nouvelle
acquisition. A partir de 1806, les voilà engagés dans
les complications inextricables soulevées par le blo-
cus continental. Le décret de Berlin, aggravé par le
décret de Milan, répondant 1 un el l'autre aux me-
sures restrictives prises précédemment par le cabinet
Naprilc.j
coslume de culODfl des chasseurs de la garde, par Charlel.
de Londres, créent aux neutres, en 1807, la même
situation délicate et dangereuse que le blocus de
l'Allemagne et la guerre sous-marine aujourd'hui.
Pour les uns (Prusse, Suède, Russie), c'est la pri-
vation des produits alimentaires les plus nécessaires
à la vie; pour les autres, pays avant tout maritimes
et commerçants, c'est la cessation du trafic et la
ruine économi-
que. Les Etats-
Unis se trouvent
parmi ces der-
niers, et, pendant
six ans, pèse sur
eux ladouble me-
nace franco -an-
glaise. Un seul
moyen s'offre à
Jefferson d'évi-
ter la catastro-
phe. Tout navire
américain faisant
voile vers l'Eu-
rope s'expose à
èlre saisi par l'un
dos belligérants,
o Dans ces con-
ditions, il est né-
cessaire de met-
tre à l'abri les
cargaisons et les
équipages, en empêchant les vaisseaux de sortir
dos ports des Etals-Unis. Le président fait dé-
créter l'embargo ». Solution simple, il est vrai,
seule solution possible, d'ailleurs, mais combien
dangereuse ! L'application stricte de l'embargo
entraînait une telle diminution des libertés iiulivi-
duelles et des droits de propriété que de longues
guerres n'auraient pas occasionné plus de maux,
tout ce que produisait l'Amérique..., autant de ri-
Thomas Jefferson.
3« président des ËtaU-Unis de 1801 à 1S09.
648
chesses qui s'accumulaient en pure perte, ne pou-
vant être ni aclielées, ni vendues. La faillite et le
chômage augmentaient chaque jour l'armée des mé-
contents et des criminels. On eût dit les atteintes d'un
mal mortel, empoisonnant soudain les sources vives
de la nation. Lambert, qui vit New- York en 1808, la
décrit comme une ville frappée d'inanition ». Jef-
ferson est, dès lors, impopulaire ; on l'accuse de faire
le jeu de Napoléon. Les fédéralistes triomphent. Il
faut se résoudre à lever l'embargo. Madison, suc-
cesseur de Monroe, incline vers l'Angleterre. La
conséquence de ces changements politiques — leur
cause linale, d'ailleurs — est 1r reprise des relations
commerciales de l'Amérique avec l'Europe. Les
vaisseaux américains apparaissent dans les mers du
nord, se livrant dans la Baltique à une contrebande
effrénée, « sous l'œil bien veillant et môme protecteur
de la Suède et de la Russie ». Saisie de vaisseaux
américains dans les eaux danoises et protestation de
Georges Washington, d'après un tableau de John Jenninbull.
l'Empereur auprès du tsar. Quand Alexandre I»"" s'est
décidé à rompre avec la France, il ouvre ses ports
aux vaisseaux américains. Prétexte, d'ailleurs, et
non cause, comme le croit de La Faverie, du conflit
franco-russe.
A peine se dégagc-l-elle de l'étreinte française —
desserrée d'ailleurs par la défaite — que l'Amé-
rique est jetée dans la guerre contre l'Angleterre.
C'est la deuxième guerre d'indépendance, qui dure
de 1812 à 1813. Les victoires y sont partagées et
peu décisives. Mais un résultat négatif est un suc-
cès pour les Etats-Unis, échappant une deuxième fois
il la suprématie européenne et, au moment même où
se termine la grande lutte franco-anglaise, affirmant
en face de l'Europe leur force et leur indépendance.
Les dernières grandes crises de l'Empire, Leipzig,
Arcis-sur-Aube, les (Îent-Joiirs, ont contribué à sau-
ver l'Amérique en détournant vers l'Europe la plus
grande partie des forces anglaises. Et, d'autre part,
l'Amérique a exercé une influence à l'heure suprême
de l'Empire : Napoléon, renseigné, à l'île d'Elbe,
sur la présence des réfriments de Wellington au
delà de l'Océan, juge le moment favorable pour
alTronter à nouveau l'Europe coalisée. Mais la paix
a été signée. Napoléon retrouve en face de lui, dans
les plaines du Brabant, les régiments anglais.
Sans admettre, avec Schalck de La Faverie, que
l'Amérique ait exercé sur la carrière du conqué-
rant une influence décisive — ni, seulement, qu'il ait
cherché en Espagne et en Russie une compensation
au nouveau monde qui lui échappait — on lira
avec intérêt cet ouvrage, où quelques faits et docu-
ments nouveaux sont présentés. — Léoa Auensouk.
LAROUSSE MENSUEL
ITationalités (le Principe des) — Comment
il se pose après quatre années de guerre. Va-t-il
servir à la reconstruction de la vieille Europe^
(Dr. intern.). La théorie du principe des nationa-
lités a été exposée dans le Larousse Mensuel,
(v. pages 404, 427) avec les objections qui lui sont
opposées par la doctrine, dans l'état où elle se
trouvait avant la guerre. D'autre part, le lecteur a
sous les yeux (Larousse Mensuel, n"» 138, 139, 140)
une étude complète des Buts de guerre de la France
et de ses alliés (par Albert Lefort). 11 reste à mon-
trer comment le principe des nationalités (que l'Ita-
lie ne pouvait pas ne pas agiter au moment de son
entrée dans la guerre et même au cours des négo-
ciations qui l'ont précédée et que le prince de Biilow
s'était flatté de mènera bonne fin) s'est imposé peu
h peu, pendant ces quatre années de lutte, comme
le moyen le plus propre à mettre un terme au conflit
sanglant né des rivalités des peuples et des ambi-
tions de leurs gouvernants.
Tel est le but de ce dernier
article, où l'on verra la ques-
tion des nationalilés dominer
de toute sa hauteur les buLs
de guerre particuliers des
f|elligérants, à ce point qu'à
l'heure actuelle, les puissances
les plus opposées à l'adoption
de ce principe sont obligées
de l'admettre et demandent la
paix en son nom, sous la me-
nace d'être emportées dans
le déchaînement des revendi-
cations allogènes qui surgis-
sent mainlfnanlde toute part.
11 faut rappeler brièvement
lesfails. Audébutdelagiierre,
les puissances del'Enleulene
songentqu'àsedéfendrecontre
l'agression des Empires cen-
traux, dont les visées ambi-
tieuses conduisaient h l'ab-
sorption des petites nations et
à la constitution d'un bloc
d'Etats monstrueux, le Mittel-
europa. Redonner à ces na-
tions piétinées par l'envahis-
seur toute leur indépendance
et mettre l'Allemagne dans
l'impossibilité de troubler de
nouveau la paix de l'Europe,
tel fut le premier trait d'union
auquel se souda l'action com-
mune des Alliés.
De l'Autriche il n'était pour
ainsi dire pas question; voire
même, une certaine diploma-
tie nourrissant le dessein de
la détacher de l'Allemagne et
pensant, à la longue, pouvoir
y arriver.
L'entrée en guerre de l'Ita-
lie aux côtés de l'Entente,
avec des revendications bien
déterminées, modifia cet état
de choses, en ce sens que les
Alliés prenaient fait et cause
pour les aspirations de leur
nouvelleassociée, ainsi qu'il ré-
sulte du traité du 26 avril 1915,
dontles disposilionsnoussont
connues (v. Larousse Mensuel, n" 140, p. 578). En
se faisant, par cela même, les champions de l'irré-
dentisme italien, les puissances de l'Entente inscri-
vaient dans leur programme le principe des natio-
nalités cher & Mancini et dont l'Italie a été, en
quelque sorte, le berceau. Pourtant, même à ce
moment précis, on ne savait pas exactement où l'on
allait. Laposition de l'Italie étaitspéciale ; elle n'avait
pas encore déclaré la guerre à l'Allemagne. Elle
semblait donc faire une guerre particulière, dans
un but personnel, à son ennemie propre; une guerre
qui aidait sans doute la cause des Alliés, mais
dont ceux-ci ne s'engageaient à défendre les fins que
pour la récompenser du service rendu. On pouvait
donc croire qu'il ne s'agissait que de bons offices
réciproques. Ce n'était pas, à proprement parler,
l'adhésion commune à une grande cause, idéal de
justice et de droit. Toutefois, l'idée était lancée.
Elle devait faire magnifiquement son chemin, et
c'est le miracle de cette guerre, qu'en durant, loin
d'afl'aiblir les liens des nations associées, loin de
les user, elle les renforçade plus en plus, les purifia,
les sanctifia et fit passer dans l'âme des peuples ce
souffle commun qui les a fait marcher la main dans
la main, à la conquête d'un but véritablement noble,
humain et désintéressé.
Le président 'Wilson a penl-êlre été la cheville
ouvrière de cette union intime des peuples de
l'Entente. On sait comment il est intervenu, le
18 décembre 1916, quelques jours après la première
offre de paix allemande, pour demander aux belli-
gérants de formuler publiquement leurs buts de
I guerre (v. Larousse Mensuel, W 138, p. 521).
«• 142. Décembre 1918.
Les puissances de l'Entente répondirent d'abord
à la proposition de paix de l'Allemagne du 12 dé-
cembre 1916 en remettant à l'ambassadeur des
Etats-Unis une note où elles proclamaient que la
seule paix possible devait notamment assurer « la
reconnaissance du principe des nationalités et de la
libre existence des petits Etats » (v. Larousse Men-
suel, p. 521).
Revenant sur la même idée dans leur réponse à
■Wilson (10 janvier 1917), les Alliés insistèrent
sur la nécessité d'une réorganisation de l'Europe,
« garantie par un régime stable et fondée sur le
respect des nationalités », et ils indiquèrent, comme
faisant partie de leur programme, la libération des
Italiens, des Slaves, des Roumains et des Tchéco-
slovaques de la domination étrangère, l'affranchis-
sement des populations soumises à la sanglante ty-
rannie des Turcs, etc. {\. Larousse Mensuel,^. hii).
C'est alors que le président Wilson, dans son
message au Sénat américain du 22 janvier 1917,
exposa quelles devaient être, selon lui, les condi-
tions de la paix future et proclama l'égalité des
nations, les obligations de leurs gouvernants et
les droits des peuples. Aux gouvernants Wilson
donnait cette sévère leçon qui condamnait tout l'ar-
bitraire du système de l'équilibre européen, sur
lequel la paix du monde avait été si longtemps fon-
dée : n 11 n'existe nulle part aucun droit qui per-
mette de transférer les peuples de potentat à
potentat, comme s'ils étaient une propriété. » Aux
peuples o ayant vécu jusqu'ici sous la domination
de gouvernements attachés à une foi et à des buts
politiques en opposition aux leurs propres » Wil-
son reconnaissait le droit d'exiger « une sauvegarde
inviolable du culte et du développement social et
industriel».
Enfin, le président proposait « qu'aucune nation
ne cherche à imposer sa politique à aucun autre
pays, mais que chaque peuple soit laissé libre de
fixer lui-même sa politique personnelle, de choisir
sa voie propre vers son développement, et cela
sans que rien ne le gêne, ne le muleste ou l'efl'raye
et de façon que l'on voie le petit marcher côte
à côte avec le grand et le puissant ».
Ces idées si élevées, ce langage basé sur la plus
pure doctrine que la vie des hommes en société
puisse inspirer aux philosophes, l'Allemagne se
garda bien do le contrecarrer. Répondant à son tour
à la Note Wilson du 18 décembre 1916, elle faisait
savoir (31 janvier 1917) que les lignes directrices
de ce message concordaient avec les principes et
les vœux auxquels souscrit l'-Allemagne et qu'en
reconnaissance du principe qui proclame le droit de
toutes les nations de décider de leur sort et d'être
traitées également, l'Allemagne se réjouirait sincè-
rement si des peuples comme l'Irlande et l'Inde,
qui ne jouissent pas des bienfaits de l'inilépendauce
politique, recevaient maintenant la liberté «.L'iro-
nie était un peu lourde, d'autant plus que l'Alle-
magne ajoutait qu'elle ne saurait admettre qu'en
reconnaissance du même principe, on accorde les
mêmes droits aux peuples qui vivent sous la do-
mination des Empires centraux. Nos adversaires,
ajoutait-elle, veulent dicter la paix sous l'égide du
principe des nationalités. Cela revient à démembrer
l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Turquie et la
Bulgarie. Aussi, pour répondre à cette soif de con-
quêtes, l'Allemagne proclamait, en guise de conclu-
sion, la guerre sous-marine à outrance.
La distance qui séparait les deux groupes de bel-
ligérants apparaissait ainsi lumineusement au pré-
sident Wilson, qui en a tiré tout aussitôt la seule
conclusion qui s'imposait : les Etats-Unis ont dé-
claré la guerre à l'.Mlemagne. « La menace de la
paix et de la liberté, explique Wilson dans son
message du 3 avril 1917, vient de l'exislonce de
gouvernements autocratiques, appuyés par la force,
qui imposent leur volonté sans tenir compte de la
volonté des peuples Le droit est une chose
fihis précieuse que la paix, et nous combattrons pour
a démocratie, pour assurer à ceux qui sont soumis
à une autorité le droit d'avoir une voix dans la con-
duite de leurs gouvernements, pour les droits et les
libertés des petites nations, pour l'établissement uni-
versel de la justice par une association des nations
libres qui rendront la paix et la sécurité à toutes les
nations et feront le monde lui-même libre enfin I »
L'Allemagne ne persista point, du reste, dans
son attitude insolente, car les événements se char-
gèrent de lui montrer qu'on ne joue pas avec les
peuples comme avec les pions d'un jeu.
A cette époque, au surplus, la Russie avait ac-
compli sa révolution, fait immense, dont les suites
étalent incalculables, et le régime provisoire qui
s'Installa sur les ruines du tsarisme proclama tout
aussitôt la nécessité d'une paix sans annexions ni
indemnités, basée sur le droit des nations de disposer
de leurs destinées. En même temps, les socialistes
russes lançaient l'idée d'une conférence internatio-
nale, dont le siège choisi était Stockholm, conférence
que les gouvernements alliés jugèrent dangereuse,
parce qu'eue pouvait donner aux masses populaires
l'illusion qu'une paix jusle et durable était possible
avant que l'impérialisme d'agression fût détruit.
(»• 142. Décembre 1918-
Devant le flot qui montait, 1 Allemagne ne chercha
plus qu'à adapter aux formules nouvelles les besoins
de sa politique : aussi bien, la situation militaire, à
cette épof'te, en présence de l'éiiuilibre des forces
des deux groupes de belligérants, ne faisait pas
prévoir de solution possible avant longtemps. Ces
préoccupations firent naître au sein des Empires
centraux le dessein de préconiser une paix de conci-
liation et de rejeter sur leurs ennemis la responsa-
bilité de la coiitmuation de la guerre. Le chancelier
de Bethmann-Hollweg tomba, devant l'échec de sa
politique, et son successeur, Michaëlis, se trouva en
présence de la résolution de paix du Reichstag ; il
en accepta les termes, & contre-cœur et non sans
formuler quelques réserves. Cette résolution, votée
le 19 juillet 1917, repoussait tout désir Je conquêtes,
ainsi que toute idée d'accroissement du territoire
opéré par la contrainte. C'était, implicitement et
timidement, l'acceptation de la formule désormais
célèbre de la paix sans annexion; c'était aussi la
reconnaissance du droit des gouvernés de n'être
transférés qu'à bon escient de potentat à potentat.
Les idées du président Wilson faisaient, on le voit,
leur chemin.
Quant à l' Autriche-Hongrie, elle aussi se rendait
compte de la venue des temps nouveaux ; il fallait
compter avec les nntionalilès dont l'efTervescence
croissait, avec les Italiens irrédentistes dont les
victoires de l'armée italienne réveillaient les «spë-
rances, avec les Roumains de Transylvanie qui sen-
taient venir l'heure de l'intervention de la mère
patrie, avec les Tchéco-Slovaques dont l'opposition
était plus tenace que jamais, avec les Yougo-Slaves,
Serbes, Croates et Slovènes que l'envahissement de
la Serbie n'avait point abattus et qui méditaient
une revanche des oppressions subies et des mar-
tyres endurés, cependant qu'avec l'appui de la
France, l'armée serbe se réorganisait à Corfou. Dans
l'espoir d'arriver à concilier les revendications des
nationalités avec les intérêts de la couronne, le suc-
cesseur de François-Joseph, l'empereur Charles I*',
dans son discours du trône du 31 mai 1917, annon-
çait déjà son intention de substituer au dualisme
austro-hongrois une monarchie fédéraliste : « L'épa-
nouissement de la vie constitutionnelle, déclarait-il,
ne peut pas se produire sans une modincation des
bases constitutionnelles et administratives dans
l'Etat et dans les différents royaumes du lays, no-
tamment an Bohême. Vous fixerez bientôt, d accord
avec moi, les premières conditions dans lesquelles
on pourra permettre le libre développement des
nationalités, en maintenant l'unité de l'Etat et en
assurant le fonctionnement de ses attributions. »
C'était une première concession au principe des
nationalités.
Charles 1" d'Autriche (Charles FV pour la Hon-
grie) a passé pour avoir inspiré le document que le
saint-siège envoya, le 14 août 1917, à toutes les
chancelleries; cet appel en faveur de la paix s'ins-
pire, en effet, des intentions de l'empereur d'Au-
triche, en ce sens qu'il recommande aux belligé-
rants, dans une forme très enveloppée, de résoudre
toutes les questions en litige « en tenant compte,
dans une mesure juste et possible, des aspirations
des peuples ». ( V. Larousse Mensuel, n» 138, p. 523.)
Mais, bientôt, des événements considérables se
produisirent, qui mirent à même les Empires cen-
traux de montrer jusqu'à quel point ils étaient de
bonne foi lorsqu'ils faisaient leurs les principes du
président Wilson, les déclarations de la révolution
russe et les suggestions de Benoît XV.
Leur façon de procéder était, du reste, connue.
Déjà, pour la Pologne, dont ils avaient proclamé
l'indépendance (5 nov. 1916) sans lui rendre ses
frontières ethnographiques, les Empires centraux
s'étaient montrés de faux libérateurs en mainte-
nant l'occupation militaire de son territoire et en
l'assujettissant à un régime qu'on ajustement qua-
lifié d'entreprise de germanisation {Larousse Men-
suel, n"> 140, p. 580, col. 1 et 2), puisque tout pouvoir
véritable restait aux mains des puissances d'occu-
pation qui rêvaient de restaurer la monarchie au
profit d'un Habsbourg ou d'un prince allemand, afin
que la Pologne ne soi te pas du cercle des Empi-
res centraux.
Ces méthodes d'annexions déguisées, ou tout au
moins de mise en tutelle de tous les peuples qui
avaient le malheur de tomber sous leur domination
militaire, nous allons voir les Austro-Allemands les
renouveler avec les nationalités de Russie.
Le 8 novembre 1917, les bolcheviks renversent
le gouvernement de Kerensky et annoncent leur
intention de mettre immédiatement fin à la guerre
entre la Russie et les puissances centrales. Le
27 novembre, Lénine et Trotsky envoient des plé-
nipotentiaires au commandant des armées alleman-
des, avec des propositions d'armistice. Le 15 dé-
cembre, le traité d'armistice est signé à Brest-
Litovsk, et les négociations de paix commencent.
L'Allemagne allait donc avoir à résoudre à sa façon
le problème des nationalités et à appliquer le prin-
cipe, reconnu par elle, du droit des peuples de dis-
poser librement de leur sort.
C'est qn'ea effet, avec la proclamation de la répu-
LAROUSSE MENSUEL
blique, la Russie avait été la proie d'un large mouve-
ment de désagrégation. Le 10 décembre, la Finlande
s'était déclarée république autonome, et l'Ukraine
le 18. Puis ce fut le tour de la Grimée, des provinces
du Don; quatre républiques se partagèrent le Cau-
case; enfin, les territoires occupés par les armées
allemandes, Courlande, Livonie, Eslhonie, Lithua-
nie se constituèrent en autant d'Etats distincts,
forts des principes proclamés par la révolution
russe et par les négociateurs bolcheviks envoyés à
Brest-Litovsk, puisque ceux-ci, le 2 décembre 1917,
avaient posé les conditions suivantes :
Paix immédiate — sans annexions, ni indemnités
— Evacuations de territoires occupés — Indépen-
dance politique des peuples qui la perdirent pendant
la guerre — Référendum parmi les groupes natio-
naux ne jouissant pas de leur indépendance avant
la guerre pour leur permettre de se prononcer sur
cette indépendance ou sur le choix de l'Etat auquel
ils voudraient appartenir — Lois spéciales pour les
nationalités enchevêtrées, assurant les droits de la
minorité, l'autonomie nationale de chaque groupe
et, si possible, l'autonomie administrative.
A cette déclaration les puissances centrales, par
l'organe du comte Czernin, alors ministre commun
des affaires étrangères de la double monarchie
austro-hongroise, répondit point par point d'une
façon assez salislaisante pour que les délégués russes
pussent admettre que leurs adversaires étaient à
peu près d'accord avec eux sur les formules géné-
rales qui devaient servir dv base à la paix. Ilr le
crui'ent si bien qu'ils proposèrent une suspension
des pourparlers afin que les puissances de l'En-
tente pussent en prendre connaissance et venir
s'asseoir auprès d'eux à la table des négociations.
Quelques jours après, le 8 janvier 1918, le prési-
dent Wilson publiait son célèbre message sui les
conditions d'une paix durable, en quatorze articles
( V. Larousse Uetisuel, n» 139, p. 550) qui, dans sapen-
sée, était destiné à servir autant d'avertissement aux
négociateurs austro-allemands de Brest-Litovsk que
de préface à l'œuvre de paix qui allait D'accomplir.
On sait ce qu'il en advint. Le traité de Brest-
Litovsk du 9 février 1918 avec l'Ukraine dépouillait
délibérément et arbitrairement la Russie — à qui
l'on contesta le droit d'intervenir aux négociations
— d'un immense territoire et attribuait fc l'Ukraine
notamment le gouvernement de Cholm, enlevé d'un
trait de plume à la Pologne russe, sans qu'on ait
pris soin de la consulter, ni de demander aux an-
nexés leur consentement. C'était, au profit de
l'Ukraine, dont les Empires centraux avaient besoin
pour se ravitailler, la paix de conquête et de vio-
lence, de gouvernants à gouvernants, sans le
moindre souci des aspirations des gouvernés
Le traité de Brest-Litovsk du 3 mars sui van, avec
la Russie était plus hypocrite, car les Empires cen-
traux, en détachant de la métropole la Courlande,
les îles Aland, la Lithuanie, l'Eslhonie et la Livo-
nie, Ardahan, Kars et Batoum, attribués à la Tur-
quie, prétendaient agir au nom du principe des
nationalités et se montraient forts de ce que ces
régions avaient manifesté leur intention d'être
indépendantes. Gomment auraient-elles pu exprimer
librementcette intention, puisqu'elles étaient occu-
pées militairement, les autorités allemandes ayant
refusé de retirer leurs troupes ?
Détacher ces territoires de la Russie démembrée
ne constituait, du reste, pour l'Allemagne, qu'une
partie de l'opération. La seconde partie avait pour
Lut de les faire entrer dans l'orbite de l'Empire
germanique, en se servant des délibérations des
Diètes ou Conseils nationaux dont elle surveillait la
composition et inspirait les décisions. C'est ainsi que
la Lithuanie, la Finlande, la Courlande et même
l'Esthonie et la Livonie sollicitèrent la protection de
l'Allemagne et même une union étroite avec l'Em-
pire, envoyant solennellement à Berlin, chez le
chancelier, des délégations chargées d'offrir au kai-
ser, pour un prince allemand, la couronne de leur
pays. Plus tard, l'union personnelle se serait natu-
rellement transformée en union réelle, et les terri-
toires ainsi assujettis à la puissance germanique se
seraient soudés pour toujours à l'empire fédéral.
Ainsi, le principe des nationalités, accommodé à
la mode allemande, n'était plus qu'un moyen de
conquête, moins brutal et plus sournois que l'an-
nexion sans phrases, mais y conduisant inévitable-
ment. La formule dn Droit des peuples de disposer
d'eux-mêmes était devenue, aux mains de l'Alle-
magne, la procédure nouvelle de l'absorption des
petites nations par les grandes.
La comédie était si visible, si mal jouée que la
France, qui avait été la première à reconnaître la
République finlandaise, dut adresser par la suite
une protestation en règle contre l'élection du prince
Charles de Hesse au trône de Finlande, déclarant
qu'elle n'aurait jamais de rapports diplomatiques
avec la monarchie que la Diète avait été con-
trainte de restaurer au mépris des formes exigées
par la Constitution finlandaise.
Avec la Roumanie, les Empires centraux se con-
duisirent aussi odieusement. Le dur traité signé à
Bucarest le 7 mai 1918 s'inspire des mêmes mé-
649
tbodes de rapine et de domination. Non seulement
il n'y est tenu aucun compte des aspirations natio-
nales de la Roumanie, mais encore de véritables
conditions de capitulation étaient imposées à la
malheureuse puissance, qui cessait de devenir un
Etat balkanique de quelque relief et dont le terri-
toire était morcelé; la perte de la Dobroudja la
séparait de la mer Noire et des rectifications de
frontière lui enlevaient dans les Carpalhcs, au pro-
fit de l'Autriche-Hongrie, toute sécurité pour l'ave-
nir. Enfin, des conventions économiques consa-
craient la mainmise de l'Allemagne sur les richesses
pétrolifères du pays, sur les céréales, etc.
Ainsi la preuve était faite des desseins domina-
teurs des Empires centraux. Cha-iiue fois qu'au
cours de celte guerre ils ont été à même de réaliser
leurs conceptions, ils n'ont eu en vue que des plans
de conquête, de spoliation et d'asservissement.
Gomment veulent-ils qu'on les croie lorsqu'ils affir-
ment, ensuite, qu'ils luttent uniquement pour leur
existence et proposen de négocier la paix en sous-
crivant en termes généraux aux principes posés
par Wilson?
Le résultat fut que l'Entente accentua de plus en
plus sa politique de protection des droits et des
libertés des petites nations opprimées. Renonçant
pour elle-même à des avantages territoriaux, elle
ne songea plus qu'à mettre un terme aux empiéte-
ments de l'ennemi et A rendre les peuples maîtres
d'eux-mêmes et de leurs destinées, en réparant les
injustices et les coups de force du passé.
Nous en arrivons ù la question des nationalités
de l'Autriche-Hongrie. La monarchie danubienne
était, nous l'avons dit, le plus monstrueux produit
de l'équilibre européen. Ct, cependant, la politique
des Alliés, prudente et rationnelle, a été de n'en-
courager les mouvements nationaux qui bouillon-
naient dans l'intérieur de cet empire que lorsqu'il
devenait manifeste que le maintien de ces peuples
dans le cadre de la monarchie serait une source
interminable de conflits dans l'Europe future. L'En-
tente n'a suscité aucun mouvement séparatiste,
contrairement aux effortsde l'Allemagne en Irlande,
en Belgique, en Russie et au Maroc, au cours de
cette guerre; elle a seulement pris sous sr protec-
tion des aspirations nationales ouvertement carac-
térisées comme celles des Polonais, des Tchéco-
slovaques, des 'Yougo-Slaves, desitaliens irrédentes,
des Roumains de Transylvanie. Encore n'a-l-elle
agi qu'avec infiniment de précaution.
11 a fallu, pour que sa décision intervienne, les
sacrifices héroïques faits à la cause commune par
les petites nations, le martyre de la Serbie et des
Yougo-Slaves torturés par I Autriche, la dévastation
de la Pologne et de la Roumanie, les luttes admi-
rables des Tchéco-Slovaques sur les champs de
bataille comme à l'intérieur ; il a fallu aussi con-
vaincre les Italiens, qui considéraient qu'un anta-
gonisme devait fatalement les séparer des Yougo-
Slaves ou Slaves du Sud en raison de la nécessité
d'assurer à la Serbie, une fois reconstituée et
agrandie, un débouché sur l'Adriatique. Le congrès
de Rome du 7 au 10 avril 1918 (v. Larousse Mensuel,
n° 140, p. 579) a mis fin définitivement à cet anta-
gonisme. Il a été, en effet, posé comme principe à
ce congrès des nationalités opprimées de I Autriche-
Hongrie : 1° que les Italiens et les Yougo-Slaves
reconnaissent la nécessité absolue pour eux de
vivre désormais dans une alliance étroite, en raison
même de leurs intérêts communs dans l'Adriatique ;
2° qu'en ce qui concerne les questions territoriales,
partout où, dans la sphère d'influence reconnue à
chaque pays, des minorités de race se trouveront
enclavées dans les majorités, il est entendu que ces
minorités jouiront de tous les droits des majorités,
que leur langue, leur civilisation et leurs coutumes
seront formellement respectées de part et d'autre par
le régime à établir; 3° que la libération de la mer
Adriatique est un intérêt vital pour les deux peuples.
L'accord s'étant établi entre les peuples, il apparte-
nait aux gouvernements de l'Entente de sanctionner
par des déclarations catégoriques ces volontés libre-
ment exprimées des nationalités. Us le firent par
étapes successives.
Le 1" juin 1918, les Etals-Unis expriment au
conseil national des pays tchèques (Bohême, Mo-
ravie, Slovaquie) les sympathies du gouvernement
de Washington pour les aspirations nationales des
Tchéco-Slovaques et des Yougo-Slaves.
Le s juin, la France, la Grande-Bretagne, l'Italie,
au conseil interallié de Versailles, prennent acte
avec satisfaction de cette déclaration et proclament
en même temps que la création d'un Etat polonais
intégral uni et indépendant, avec libre accès à la
mer, constitue une des conditions d'une paix solide
et juste et d'un régime de droit en Europe, procla-
mation qui opposait si heureusemen' le principe
des nationalités à la solution allemande et à la solu-
tion dite austro-polonaise que discutaient, sans pou-
voir s'entendre, les Empires centraux, pour régler,
au mieux de leurs intérêts particuliers, le sort de
l'infortunée Pologne.
Le même jour, une lettre de Balfour, ministre
des affaires étrangères du gouvernement anglais,
650
assure les Tcliéco-Slovaques que la Grande-Bre-
tagne était prête à reconnaître l'armée tchéco-slo-
vaque comme une unité organisée et le conseil na-
tional tchéco-slovaque comme organe suprême du
mouvementt ctiéco-slovaque dans les pays alliés,
avec les mêmes droits politiques que ceux reconnus
au comité national polonais.
Le 29 jnin, Pichon, ministre des affaires étran-
gères du gouvernement français, va plus loin encore
en déclarant au coriseil national tchéco-slovaque que
la République, considérant comme justes et fondées
les revendications de la nation tcnéco-slovaque,
s'appliquerait, le moment venu, aies faire prévaloir,
afin que l'Klat tchéco-slovaque devienne, en union
étroite avec la Polo^'ne et l'Elat yougo-slave, un fac-
teur de paix dans l'Burope reconstituée suivant les
principes de la justice et du droit des nationalités.
Ainsi, la France, qui avait été la première à orga-
niser l'armée polonaise, l'armée tchécoslovaque et
les divisions yougo-slaves, était aussi la première à
proclamer l'indépendance des pays tchéco-slo vaques
et à reconnaître l'existence de leur Etat national.
Le 9 août 1918 la Grande-Bretagne, le 9 septembre
les Etats-Unis et le Japon, le 25 septembre l'Italie
et, le 5 octobre, la IJhine font ofliciellernent une dé-
claration considérant les Tchéco-Slovaques comme
une nation alliée, belligérante, faisant une guerre
régulière aux Kmpires centraux et se disant prête à
entrer formellement en relations avec le conseil
national tchéco-slovaque, reconnu comme un gou-
vernement belligérant, revêtu de l'autorité néces-
saire pour diriger les alîaires militaires et politiques
des Tchéco-Slovaques.
Le 14 octobre 1918, le Conseil national tchéco-
slovaque informe les Alliés de la constitution à Paris
d'un gouvernement provisoire sous la présidence
de .Massarik et, tour à tour, la France et l'Italie
reconnaissent ofliciellement ce gouvernement.
C'est alors qu'intervient la demande d'armistice
et de paix des Empires centraux, faisant suite à la
capitulation de la Bulgarie et précédant de quelques
jours la capitulation de la Turquie. De tels événe-
ments devaient porter à leur maximum l'activité
des nationalités. Leur mouvement prit une telle
ampleur que les puissances de l'Entente auraient-
elles voulu l'arrêter qu'elles ne le pouvaient plus.
C'est ce qu'a parfaitement compris Wilson, dans sa
réponse à la demande de paix du gouvernement de
Vienne (18 octobre 1918). Les Etats-Unis, a-t-il dit
en substance, ayant reconnu l'indépendance des
Tchéco-Slovaques et leur situation de belligérants,
ainsi que les aspirations nationales des Yougo-
slaves, ne sont plus libres d'accepter simplement
une autonomie de ces peuples comme base de paix,
et c'est à eux de dire ce qu'ils attendent du gouver-
nement devienne.
L'empereur Charles avait voulu parer au danger
en publiant coup sur coup deux manifestes ; le
17 octobre, il proclame la transformation de la
double monarchie en un Etat confédéré, danslequel
chaque nationalité formera sur le territoire qu'elle
habite son propre organisme constitutionnel dans
le cadre de la monarchie, et il demande aux natio-
nalités de collaborer à cette reconstitution de
l'Etat. Dans un secondmanifesle, l'empereur accorde
à la Hongrie son autonomie.
Mais les Tchéco-Slovaques et les Yougo-Slaves
refusent solennellement de négocier avec le gou-
vernement impérial au sujet de leur avenir. A
partir de ce moment, les événements se précipi-
tent, et, taudis qu'à Zagreb, capUale de la Croatie,
une assemblée nationale de Serbes, Croates et Slo-
vènes, composée des dépulés de tous les partis
politiques de Croatie, de Bosnie-Herzégovine, de
Dalmatie, d'Istrie, Goritz, Styrie et Carinthie, pro-
clame l'union de tous les territoires habités par les
populations yougo-slaves, à Prague, le conseil na-
tional tchéco-slovaque prend le pouvoir; à Vienne,
les Allemands d'Autriche forment un Etat auto-
nome, cherchant à se détacher de la couronne des
Habsbourg pour se réunir à l'Allemagne; et, à
Budapest, à la suite des journées révolutionnaires
que marqua l'assassinat du comte Tisza, le parti
national triomphe des dernières résistances de la
couronne, avec le comte Karolyi comme président
du conseil. Le gouvernement de Vienne est dé-
bordé ; il capitule sur tous les points ; le comte
Andrassy, ministre des affaires étrangères, notifie
au président Wilson, le 28 octobre, que son gou-
vernement donne son approbation aux idées expri-
mées dans la réponse américaine du 18 sur les
droits des peuples d'Autriche-Hongrie et spéciale-
ment sur les droits des Tchéco-Slovaques et des
Yougo-Slaves; enfin, suprême consécration de la
victoire des nationalités, l'Allemagne elle-même,
l'adversaire résolu de toute politique de démem-
brement, donne l'ordre à son consul à Prague de
reconnaître officiellement, au nom du gouverne-
ment de Berlin, le conseil national tchéco-slovaque.
La victoire des Italiens qui ont hissé leurs dra-
peaux sur les villes irrédentes Trieste et Trente, la
capitulation de l'Autriche, l'entrée des Serbes en
Bosnie, la prise du pouvoir en Galicie par les auto-
rités polonaises qui ont proclamé, d'autre part, à
LAROUSSE MENSUEL
Lublin, la République polonaise, et qui entrepren-
nent de libérer les Polonais de Prusse et de se
dégager complètement de l'emprise allemande;
l'abdication de l'empereur d'Allemagne, suivie de
l'armistice du 11 novembre entre les délégués alle-
mands et le maréchul Foch, qui reconnaît implicite-
ment les droits de la France sur l'Alsace-Lorraine;
la révolution allemande, la proclamation de la répu-
blique en Bavière, puis en Wurtemberg, l'abdication
et la fuite des lois de Bavière, Saxe, Wurtemberg,
des grands-ducs de Hesse, Brunswick, Olden-
bourg, etc., la proclamation du chancelier démis-
sionnaire, le prince Max de Bade, annonçant le
dépôt d'un projet de loi portant fixation immédiate
délections générales en vue dune Assemblée na-
tionale allemande constituante qui déterminera la
Constitulion future du peuple allemand, y compris
les éléments qui pourraient désirer entrer dans le
cadre de l'empire, allusion directe aux Allemands
d'Autriche qui viennent d'adopter la forme républi-
caine et de demander au chancelier allemand à par-
ticiper à l'élection de la Constituante allemande;
enfin, l'abdication de l'empereur Charles l"'"' (11 no-
vembre) et le manifeste par lequel il explique à
ses peuples qu'il se retire pour ne pas s'opposer en
obstacle k leur existence libre; le message des Etats-
Unis aux Roumains, reconnaissant, aussi bien à
l'extérieur que dans les limites du royaume, les
aspirations de ce peuple qui vient de se soulever en
Transylvanie contre les Magyars; tous ces événe-
ments immenses qu'on ne peut qu'énumérer mar-
quent bien, en même ten)ps que 1 écroulement des
Empires centraux qui jugulaient tous les peuples,
la victoire alisoluedu principe des nalionalités, non
seulement eu Europe, mais en Asie Mineure où la
défaite des Turcs est le signal del'alfranchissement
de l'Arménie, de la Syrie et de la Mésopotamie :
c'est ce que constatait la déclaration franco-anglaise
du 9 novembre 1918 : « Le but qu'envisagent la
France et la Grande-Bretagne est l'afi'ranchisse-
ment complet et définitif des peuples si longtemps
opprimés par les Turcs et l'établissement de gou-
vernements nationaux ».
Ainsi, les vieux jours de l'attribution arbitraire des
populations à telle ou telle souveraineté sont passés.
Les cours ou les cabinets sont désormais aux ordres
des nations, comme le constatait lord Robert Cecil,
dans son discours du 22 mai 1918, paroles qui, cinq
mois après, trouvaient leur vérification la plus écla-
tante dans l'abdication en masse des potentats qui
prétendaient régenter le monde et l'éclosion à l'in-
dépendance, à la liberté et & la vérité ethnogra-
phique des Polonais, Hongrois, Tchéco-Slovaques,
Yougo-Slaves, Italiens irrédentes, Alsaciens-Lor-
rains, Syriens, Mésopotamiens, Arméniens, et bien-
tôt des Roumains et de toutes les nationalités
russes attirées dans l'orbite germanique par les
traités de Brest-Litovsk et de Bucarest et rendues
à elles-mêmes par l'armistice du 11 novembre qui
déchire ces odieux traités. Il reste à savoir quel
ordre nouveau et durable sortira de cet effondre-
ment total et définitif du vieil équilibre euro-
péen? <— Maurice DuvAL.
Pierres précieuses (Cahactèbes ms-
TlNCTiFS ESSENTIELS DES). Pour pouvoIr être qualifié
de pierre précieuse, un minéral doit posséder un
certain nombre de propriétés qu'on trouve rare-
ment associées dans un même échantillon et qui
sont les suivantes :
Au point de vue des qualités physiques, il doit
d'abord être transparent et d'une très belle eau,
c'est-à-dire parfaitement limpide. Sa couleur doit
être vive et franclie, donc sans nuances vagues et
indécises. 11 doit, en outre, posséder un grand éclat
ou de beaux jeux de lumière; ces qualités sont
sous la dépendance directe de ses caractères optiques
et, notamment, de sa réfringence et de ce qu'on
appelle, en optique physique, la dispersion. Cette
propriété a pour effet, comme son nom l'indique,
de disperser les divers rayons de la lumière et
d'étaler toutes les couleurs du spectre à la sortie du
minéral : le diamant possède cette propriété à un
très haut point. Enfin, les pierres précieuses sont
naturellement rfuj-es, c'est-à-dire résistent à l'usure
parle frottement; elles conservent ainsi indéfini-
ment leur poli, leur éclat et leurs feux. Le caractère
de la densité (v. densivoliimètre, p. 637) a une
grande importance pour la détermination et la
classification des gemmes, car il est lié étroitement
à leur réfringence. Aussi la plupart des pierres
précieuses sont-elles pesantes par rapport aux
autres minéraux transparents et, surtout, par rap-
port aux imitations.
La place d'un minéral est d'autant plus élevée
dans la hiérarchie des gemmes que ces diverses
qualités, dans un même échantillon, sont plus déve-
loppées et en même temps réunies. Il existe cepen-
dant des pierres estimées, en petit nombre il est
vrai, qui ne sont ni transparentes, ni denses, ni à
grand éclat, ni d'une couleur vive. C'est le ras de
l'opale avec ses reflets irisés, du labrador avec ses
effets chatoyants, de la turquoise dont la délicate
couleur bleu tendre compense l'opacité. La défini-
W 142. Décembre 1018.
tion précédente ne saurait donc être absolue, et on
doit plutôt la regarder comme une loi approchée
supportant quelques exceptions. Aux qualités énon-
cées il faut, du reste, ajouter deux autres facteurs
d'estimation n'ayant aucun caractère scientifique,
mais jouant, cependant, un rôle important dans 1 ap-
préciation commerciale des pierres précieuses : la
rareté tt la mode.
L'abondance plus ou moins grande des gemmes
sur le marché est en rapport si étroit avec leur
prix qu'à certaines époques on en a vu certaines
atteindre presque subitement des cours inaccou-
tumés. Le rubis en lournil un exemple frappant,
car son prix atteint parfois et peut même dépasser
celui du diamant. La dernière « crise du diamant »,
qui date de quelques années, a engendré une si
grande baisse de cette pierre qu'elle a été cause,
pendant plusieurs mois, d'un arrêt complet des
afl'aires.
11 en est de même de la mode, qui peut discrédi-
ter momentanément certaines pierres appréciées et,
inversement, donner à d'autres, peu estimées, une
valeur inattendue. Ainsi, la topaze, après avoir été
très appréciée, est aujourd'hui démodée. Par contre,
grâce à la faveur accordée depuis quelques années
aux bijoux artistiques, certainespierres, dénommées
précisément pierres de fantaisie, sont de plus en
plus recherchées : nombre de belles variétés de
quartz, de jaspe, d'agate, de feldspath sont dans ce
cas; par la diversité de leurs nuances, la variété
d'éclat et de poli dont elles sont susceptibles sous
le doigt du graveur et du lapidaire, elles se prêtent
admirablement à la réalisation de sujets artistiques
de goût parfait. La gravure et la sculpture sur
gemmes (glyptique) en ont fourni, dans ces derniers
temps, de nombreux exemples.
La composition, c'est-à-dire la nature chimique,
ne constitue pas une propriété qualitative des pierres
précieuses, bien qu'elle soit d'un grand secours pour
leur détermination. Aussi rencontret-on des gemmes
de toutes compositions : des corps simples (dia-
mant), des oxydes (améthyste, rubis, saphir), des
phosphates (turquoise) et surtout des silicates (éme-
raude, topaze, rubellite, etc.).
Quant à la couleur, elle n'a aucune valeur pour
la connaissance des pierres précieuses et ne peut,
par conséquent, être d'aucun secours pour leur dé-
termination et l'établissement de leur composition;
elle est due à une sorte de teinture naturelle, liée
généralement à la présence d'impurelés (fréquem-
ment des oxydes) presque toujours iiidosables. Il
convient donc d'insisler sur les deux faits suivants :
quedes pierresde composition différente, c'est-à-dire
de valeur inégale, peuvent avoir la même coloration
et que, inversement, une même espèce peut offrir
des teintes variées. Le premier cas se rencontre
dans certaines variétés de tourmaline (rubellite), de
corindon [saphir rose), de cristal de roche (quartz
rose), de triphane (kunzite), de béryl (bérylrose ou
morganite) qui, toutes, possèdent une coloration
rosée telle que le simple aspect de ces pierres tail-
lées ne permet pas de les différencier. Le second
cas se manifeste d'une façon. extrêmement typique
dans la tourmaline, qui fouinit à peu près toute la
gamme des couleurs. II en existe de parfaitement
incolores, de rouges, et des rouges les plus divers :
sang de pigeon comme les plus belles variétés de
rubis, rouge violacé et passant insensiblement au
rose tendre; certains échantillons sont vert éme-
raude, d'autres bleu saphir; on en rencontre parfois
de bruns, comme le quartz enfumé; il en existe en-
fin de jaune pâle, comme la citrine et de jaune d'or.
On ne doit donc pas dire, contrairement à ce que
beaucoup de personnes affirment, sans se rendre
compte de leur erreur : telle pierre est du rubis
parce qu'elle est rouge, telle autre du saphir parce
qu'elle est bleue, telle autre de l'émeraude p.irce
qu'elle est verte, telle autre, enfin, de la topaze
parce qu'elle est jaune.
Cette affirmation est d'autant plus eiTonée que la
liste des gemmes, loin d'être close, s'accroît de
temps à autre de nouvelles variétés et même d'es-
pèces entièrement nouvelles. C'est le cas de cer-
taines variétés d'orthose, dont A. Lacroix a signalé
la présence à Madagascar à l'état d'échantillons
parfaitement limpides et d'une très belle coloration
jaune d'or. Le grenat spessartine et certains béryls
sont dans le même cas et ne demandent qu'à être
mieux connus pour pouvoir jouir de la faveur du
public et des joailliers à l'égal des plus belles
gemmes.
Depuis quelques années, cependant, les gemmes
naturelles ont à lutter contre les pierres synthé-
tiques, encore appelées gemmes artificielles ou >e-
constituées. L'industrie, précédée des essais de labo-
ratoire, est arrivée à réaliser la synthèse de plusieurs
gemmes (rubis, saphir, etc.) dans des conditions si
économiques que le commerce de la joaillerie s'en
est profondément ressenti. Les pierres synthétiques
ont, en effet, la composition, la dureté,'la couleur
et l'éclat des gemmes naturelles. Ce ne sont donc
pas des imitations Ces dernières ont seulement la
couleur et la transparence des pierres véritables;
constituées pour la plupart par de simples morceaux
I
N' 142. Décembre 1918.
de verre habilement taillés, elles ne supportent pas
l'épreuve du temps, vu qu'elles manquent de dureté;
aussi perdent-elles plus ou moins lapidemeiit leur
brillant et leurs feux; leur fabrication a cependant
atteint un si grand degré de perleclion qu'il est
parfois très difficile de les caractériser à première
vue et que l'intervention de l'expert est nécessaire.
Il est bon de rappeler que, pour éviter la tromperie,
tout acheteur de pierres précieuses, brutes ou mon-
tées, a le droit d'exiger un certilicat précisant la
nature, la qualité, le poids et le prix desdites
pi.M-res. L'article 423 du Code pénal, en ce qui con-
cerne les gemmes, est ainsi conçu :
Quiconque aura trompe l'acheteur sur... la qualité d'une
pierre fausse vendue j-our fine... sera puoi d'un emprison-
nenieoi de trois mois au moins, un an au plus, et d'une
amende qtii ne pourra excéder le <|uart des restiturioiis et
dommages-intérêts, ni être au-dessous de 50 francs; les
objuts du délit ou leur valeur, s'ils appartiennent encore
au vendeur, seront confisqués.
Quant à la valeur collective des gemmes, brutes
ou taillées, montées ou non montées, elle atteint
des chilTies surprenants. Depuis 1S7I, date de la
découverte des gisements diamantifères de l'Afrique
australe, il n'a pas été extrait de ces derniers pour
moins de 3 milliards de francs de diamanls. La
seule ville de New- York possède pour plus de
250 millions de dollars de gemmes taillées. En
Krance, la valeur globale des pierres précieuses
atteint le chiffre formidable de 5 milliards, dont
.'iOO inillious seulement en dépôt chez les commer-
çants et joailliers. On achète encore annuellement,
dans le monde entier, pour 600 millions de diamanls
taillés, soit l'iO millions de francs environ de dia-
mants bruts. — Jean Escakd.
Pomme de terre (Gale noire de la). La
gale noire ou maladie verruqueuse de la poinnie
de terre est caractérisée parla présence de tumeurs
bosselées à la surface des tubercules, au voisinage
des yeux. Au début, on peut percevoir un faible noir-
cissement des yeux; puis on voit apparaître des tu-
meurs de teinte grise, qui deviennent bientôt brunes
et qui atteignent facilement le volume d'une grosse
noix. Diverses tumeurs, en se développant au voisi-
nage les unes des autres, confluent en une masse par-
lois aussi volumineuse que le tubercule lui-même.
Ces veiTues sont toujours fortement bosselées, de
couleur foncée, brune ou verdâlre, au moment de
I expédition des tubercules. Le mot de maladie verru-
queuse couvientdonc mieux que celui de gale noire.
Cette maladie, observée pour la première fois
en 1S96 en Hongrie, a fait son apparition en Angle-
terre vers 1900; en 1902. elle se trouvait en Ecosse,
en Irlande et dans le pays de Galles. En 1908, on
constatait sa présence dans les provinces rhénanes,
en silésie et en Wesiplialie, et, l'année suivante, la
maladie se déclara au Canada où, grâce à des me-
sures radicales, elle n'a pu s'élemlre. En France, elle
n'a pas été signalée jusqu'à maintenant, grâce à l'in-
terdiction delenlréeen l'rancedesluberculesalteinls
de celle maladie par le décret du 19 décembre 1910.
Celle maladie est de nature cryplogamique; elle
est due à un champignon oomycèle, de la famille
des chylridinées, le si/nc/iylritan endobiolicuni.
Le parasile n'a pus de liluments mycéliens comme
les autres
c h am p i -
gnons; mais
lexanien mi-
croscopique
montre qu'il
se présente
sous la for-
me de plas-
modes.depe-
tites masses
protoplasmi-
ques dépour-
vuesdemem-
branes, qni
semultiplient
aux dépens
du prokiplas-
ma même de
la cellule pa-
ras! téo, en
laissant in-
tacts les grains d'amidon. L'excitation produite par le
parasite amène la prolilération des cellules de l'hôte,
ce qni produit les bosselures elles tumeurs signalées.
Lorsque Ihôie ne peut plus multiplier ses cellules
et que le milieu devient défavorable, c'est-à-dire
qu'il ne peut plus fournir au parasite des éléments
nutritifs en quantité suflisante, le parasite condense
son protoplasma en sporanges, qui s'entourent d'une
membrane résistanle et constituent alors des kystes
atteignant sept centièmes de millimètre et sont au
nombre de deux ou trois par cellule. Ils restent
inclus au milieu des cellides de l'hôte et sont mis
en liberté par la putréfaction des tubercules. A ce
moment, les kysles se répandent dans le sol, et leur
enveloppe, se déchirant, laisse échapper un grand
nombre de zoospores à un cil, qui sont k même de
ccutamtncr de nouveaux plants.
l'ommes de terre atteintes de la gale noire.
LAROUSSE MENSUEL
Ces kystes conservent si longtemps leur vitalité
dans le sol que des tubercules plantés dans un champ
où la malailie avait sévi six ans auparavant furent
envahis, alors que d'antres tubercules plantés ail-
leurs restèrent sains. Comme les lidjcrcules et les
stolons, les parties aériennes, tiges et feuilles, peu-
vent être atteintes par le mal.
11 faut bien se rendre compte que les épluchures
jetées au fumier et répandues sur le sol peuvent
introduire la maladie dans un champ; il en est de
même du fumier provenant d'animaux nourris avec
des tubercules malades, car il est prouvé que les
kystes ne sont pas détruits par les sucs digestifs.
Cette maladie a produit des dégâts d'autant plus
importants qu'on n a pas encore de méthode pour la
combattre. Des ciiaulages copieux en automne sur un
terraincnvahi n'ont rien donné; mais, au printemps,
la chaux vive a donné quelques résultats, car il est
probable que, si elle n'agit pas sur les kystes, elle a
une action sur les zoospores, plus sensibles à l'action
des composés chimiques. En Angleteire, des essais
de saupoudrage des tubercules par du soufre n'ont
montré aucune efficacité. Dans tous les pays où la cul-
ture de la pomme de terre présente une grosse im-
portance économique, les gouvernements, devant la
gravité de ''affection, ont pris des mesures de protec-
tion et prohibé l'entrée des tubercules conlaminés.
La moyenne annuelle, dans le monde entier, de
la production des pommes de terre a été, pendant
la période qui va de 1908-1912, de 161 millions de
tonnes. En France, de 1904-1914, le rendement
moyen par hectare n'a été que de 88.40 quintaux,
pendant qu'il s'élevait à 112 en Angleterre, à 135 en
Allemagne et 91 en Autriche. Mais les dernières
statistiques nous apprennent que la production par
hectare en 1914 a été en Fi-ance de 94 quintaux, ce
qui, pour une surface cultivée de 1.500.000 hec-
tares, donne une récolte globale de 141 millions de
quintaux. — D'A. orbis.
Soubies (Albert), homme de lettres et critique
français, né à Paris le 10 mai 1846, mort dans cette
ville le 19 mars 1918. Après avoir terminé d'excel-
lentes études au lycée Lonis-le-Grand, Albert Sou-
bies fit son droit et fut même inscrit comme avocat
stagiaire au barreau de Paris, mais ses goûts per-
sonnels ne le poussaient guère vers la basoche ou
la chicane et, s'il plaida dans sa première jeunesse,
ce ne fut qu'accidentellement; il avait d'autres am-
bitions et, en même temps qu'il apprenait la loi,
il se présentait et était admis au Conservatoire,
où Savard lui enseignait l'harmonie et Bazin lui
dévoilait les subtilités de la composition. Son but
n'était pas de créer, mais de devenir apte à iuger en
toute compétence les oeuvres d'autrui ; aussi, à peine
âgé de vingt ans, en 1866, lui était-il possible d'ex-
poser dans la « Revue indépendante » ses premiers
essais de critique musicale. Cependant, surviennent
1870 et la guerre. Soubies s'engage, part comme
mobile et fait vaillaninient son devoir.
C'est en 1874 qu'il met au i lur le premier volume
de l'.'llmaiiach, des spectacles; ce n était pas une
création, mais la reprise, la continuation d^me pu-
blication interrompue depuis environ soixante ans
et qui, sous le même titre, avait eu bien longtemps
une vogue considérable. Soubies, en ressuscitant cet
ouvrage, lui conserva le format primitif, petit in-12,
et y apporta le soin méticuleux qu'il savait donner
à tout ce qu'il entreprenait, de sorte que les qua-
rante volumes parus forment un des documents les
plus précieux de l'histoire du théâtre durant la lin
du xix» siècle et le début du xx*. Cette coUeclion
est complétée par trois volumes de tables.
Dès 1876, Albert Soubies est chargé de la critique
musicale au journal" le Soir». 11 signe ses articles du
pseudonyme de B. de Lomagne (Beaumont de Lo-
magne), nom d'un chef-lieu de canton de Tarn-et-
Garonne, qu'il fréquentait depuis sa plus tendre en-
fance : très populaire dans la région, il fut, en 1898, un
peu malgré lui, nommé conseiller général et, jusqu'à
ces derniers temps, il remplit les devoirs de sa charge
avec toute la conscience qui lui était coutumière.
La rubrique de critique musicale au n Soir », il la
conserva jusqu'à sa mort, et il est regrettable qu'il
n'ait pas réurd en volumes, pour leur épargner 1 ou-
bli, les études remarquables qu'il a publiées pen-
dant quarante ans sur la production musicale mo-
derne, car on ne peut mettre en doute que Soubies
ait été im des quelques critiques dont les jugements
acquièrent une valeur incontestable par la profonde
érudition et la grande compétence de leur auteur.
L'Almannch des spectacles et la Critique
du soir n'auraient pas suffi à absorber sa grande
activité, et voici, aussi complète que possible, la
liste de ses ouvrages. 11 a publié : en 1885, l'Œu-
vre dramatique de Richard Wagner, en collabora-
tion avec Cil. Malherbe, alors bibliothécaire de
l'Opéra; en 1887, Précis de l'histoire de l'Opéra-
Comique; en 1888, une Première par jour, CRnwt
d'un mtérêl considérable et d'une documentation
formidable; en 1892, encore avec Malherbe, His-
toire de l'O/iéra-t'omique de IS-W à <*87 et Mélanges
sur Richard Wagner; en 1893, Précis de l'ttistoire
de la musique russe; le même année, il entreprend
AUicil Soiibien.
651
l'Histoire de la musique, qui, iusqu'en 1905, nous
fera connaître en quinze volumes I évolution musi-
cale en Allemagne, -!n ilussie, en Portugal, en Hon-
giie, en Bohême, en misse, en Espagne, en Belgi
que, en Hollande, dans les Etats Scandinaves e'
dans les îles Britanniques; la même année, il com-
mence, sous le titre les Grands Théâtres parisiens,
une série qui nous vaut, en 1893, Soixante-sept anj
à l'Opéra-Comique ; en 1894, Soixante-neuf ans <i
l'Opéra; en 1895, la Comédie française depuis
l'époque romantique; en 1899, le Théâtre lyrique:
enfin, en 1915, le
Théâtre italien ;
cescinqonvrages
sont accompa-
gnés de tableaux
numériques et
chronologiques
d'un puissant in-
térêt, dénotant
une patience de
recherche in-
croyable. En
1900, il com-
mence les Mem-
bres de l'Acadé-
mie des beauu-
arts, de 1795 à
1900 (c'est une
œuvre considé -
rable, divisée en
quatre volumes);
en 1903, il nous
donne les Direc-
teurs de t Académie de t'rauce à la villa Médivis;
enfin, en 1912, Documents inédits sur le Faust de
Gounod, en collaboration avec Henri de Curzon.
Il n'avait pas entièrement termine son Histoire des
membres de l'Académie des heaux-arts, mais il a
laissé tous les documents pour la mener à bonne fin.
Depuis quelques années, Albert Soubies était
doyen de r« Association de la criiique dramatique
et musicale », vice-président d'honneur. Il laisse
une bibliothèque musicale considérable, une des
plus importantes qu'ait réunies un particulier.
A cinq reprises différentes, l'Académie française
et l'Académie des beaux-arts avaient couronné ses
travaux : l'Histoire de la musique, l'Histoire de
l'Opéra-Comique, les Grands Théâtres parisiens,
une Première par jour el l'Almunach des specta-
cles avaienl reçu des prix.
11 avait posé sa candidature, comme membre libre
de r.\cadémie des beaux-arts, au fauteuil devenu
vacant par la mort de Louis de Fourcaud. Au scru-
tin qui eut lieu le 9 mars 1918. Soubies obtint
10 voix, venant immédiatement après l'élu, André
Michel, conservateur des Musées nationaux.
On peut résumer la vie d'Albert Soubies en disant
qu'il fut un philanthrope discret, un érudit, un ar-
tiste compétent et modeste. Il était officier de la
Légion d'honneur depuis 1907. — Gcorpes d»cdet.
supplétisme (lissm' — de supplétif) n. m.
Gramm. Se dit d'un phénomène grammaticalqui con-
I siste à employer des racines différentes pour exprimer
I les diverses nuances temporelles d'une raôme action
verbale, lorsque la racine du présent n'a pas une va-
' leur sémantique assez souple : Si la racine exprime
\ le développement d'Orne action, le thème radical est
unprésent, et lu racine ne comporte pas d'aoriste...
Si l'on a besoin d'exprimer l'action pure et simple,
on recourt d'ordinaire à une autre racine, et c'est
pour cela c/ue c'est auprès des racines de ce genre
qu'apparaissent la plupart des cas de supplétisme
connus; mais la fixation du type cupplétif a en
lieu séparément dans chaque langue. (A. Meillet.)
Tllierry (Josep/i-Marie-Philippe), homme
d'Etat et diplomate français, né à IlaKuenau (Bas-
Rhin) le 19 mars 1x57, mort à Saint-Sébastien
(Espagne) le 22 seplembre 1918. .loseph Thierry,
qui vient de mourir en Espagne, où il représentait le
gouvernement français en qualité d'aud>assadeur en
mission extraoïdinaire, était le lils de l'nn des der-
niers maires d'Alsace expulsés par les Allemands le
6 septembre 1871. C'est & la suite d'une émouvante
cérémonie au cimetière de Haguenau que les auto-
rités allemandes avaient intimé à Joseph Thierry
père l'ordre de quitter le pays dans »03 vingt-quatre
heures, sous peine de dix ans de forteresse pour
lui et chacun des siens. Il faut dire qu'il s'était
agi de rendre les honneurs funèbres au dernier
des blessés de Heichshoffen et que le maire de la
petite ville alsacienne avait voulu que les enfant^
des écoles suivissent le cortège en portan t des rubans
tricolores. Lui-même avait prononcé sur la tombe
du combattant français un discours dans lequel il
avait exprimé l'espoir d'un prompt retour de l'.M-
sace à la France. Le vainqueur ne pouvait tolérer
une telle manifestation. J. Thierry père se retiia
donc à Marseille, où ii est mort, il y a quelques se-
maines, après avoir rendu d'éminents services ^. tous
les Alsaciens émigrés.
Son fils aine, Juseuh, ayant fait son droit, se fit ins-
crire au barreau d« Niarseille, où il occupa de bonne
652
heure une place brillante. En 1895, il fut candidat au
conseil municipal sur la liste républicaine l)atlue par
la liste radicale-socialisle. Aux élections législatives
du 22 mai 1898, il fut nommé au second tour, dans
la Ul' circonscription de Marseille, au siège laissé
vacant par Jules-Charles Roux. Arrivé à la Cham-
bre, J.Thierry entra dans le groupe des républicains
progressistes et devint un des chefs incontestés de
ce parti par son labeur, l'étendue de ses connais-
sances et l'autorité de sa parole. Constamment
réélu en 1902,
1906, 1910 et
1914, il aura ap-
partenu consécu-
tivement à cinq
législatures et,
pendanlces vingt
années de parle-
mentarisme, il a
fait partie neuf
fois de la com-
mission du bud-
get, dont il a été
vice-président en
1912; il a été
membre et prési-
dent de la com-
mission des
douanes (1913),
membre du co-
joseph Thierry. mité Consultatif
des assurances
sur la vie et des entreprises de capitalisation (1911
et 1912). Il a été, en outre, membre du conseil supé-
rieur de l'Assistance publique et du comité consultatif
des voies navigables.
L'œuvre législative de Joseph Thierry est consi-
dérable, aussi bien dans le domaine politique, où
son nom se trouve mêlé à toutes les grandes dis-
cussions qui occupèrent la tribune depuis le minis-
tère Waldeck-Rousseau jusqu'à la guerre, que dans
l'ordre éconoiuique et financier, où il s'est acquis
une réputation de spécialiste. On peut dire qu'il a
constamment défendu avec sagacité les intérêts les
filus importants du pays. Faut-il rappeler, notamment,
a part qu'il a prise en 1901 à l'élaboration de la loi
sur la marine marchande, dont il était le rapporteur
général, et son active collaboration en 1909 à la
refonte de notre tarif douanier de 1892, œuvre capi-
tale de défense économique en face des spécialisa-
tions du tarif allemand? En 1912, Thierry a été
rapporteur du budget des Affaires étrangères; mais
il n'est pour ainsi dire pas de question dans laquelle
il ne soit intervenu, comme leader de son parti, et
il n'est que juste de constater que l'honorable député
de Marseille était l'un des membres les plus écoutés
et les plus distingués de l'Assemblée.
Au point de vue politique, Joseph Thierry, nous
l'avons dit, avait appartenu dès le début au groupe
progressiste, qu'il présida depuis 1905 ; il fut égale-
ment président de la Fédération républiciiine, puis,
sentant la nécessité d'un revirement politique et
désireux de fournir au gouvernement une majorité
républicaine sur laquelle il pourrait s'appuyer sans
avoir besoin de faire appel aux fractions d'extrême
gauche, Joseph Thierry fonda, en 1912, le groupe de
l'Union républicaine, dont il devint également le
président et qu'il réussit à faire admettre comme la
fraction la plus modérée de la majorité gouverne-
mentale. Aussi, lorsque, le 22 mars 1913, Bartliou
forma le ministère de Défense nationale, qui devait
voter le service militaire de trois ans, il put faire
appel au concours de Thierry, il qui il confia le por-
tefeuille des Travaux publics. Toute la presse sou-
ligna le fait, car c'était la première fois depuis fort
longtemps qu'un modéré entrait dans les conseils
du gouvernement. Du reste, ceux-là même qui s'en
étonnaient rendaient hommage à la valeur person-
nelle et à la droiture du nouveau ministre. Celui-ci
s'acquitta avec zèle de ses hautes fonctions; il mena
à bonne fin la délicate question de l'Ouenza et celle,
si importante, du canal du Rhône à Marseille. Il
demeura au ministère jusqu''à la démission du ca-
binet Barthon (9 déc. 1913).
Pendant la guerre, sous le ministère 'Viviani,
Joseph Thierry devint titulaire du sous-secrétariat
à la Guerre (Intendance et Ravitaillement), créé le
1" juilletl915,en même temps que le sous-secréta-
riat du service de santé. Il conserva ce portefeuille
sous le ministère Briand, du 29 octobre 1915 jus-
qu'au 14 décembre 1916. Ainsi, J. Thierry fut, en
fait, le premier ministre du ravitaillement en
France. Son œuvre, & ce titre, fut considérable,
car il eut à préparer la voie dans laquelle s'enga-
gèrent ses successeurs. 11 n'appartint pas an minis-
tère Briand transformé du 14 décembrel916, mais,
le 20 mars 1917, Hibot, lorsqu'il constitua son cabi-
net, lui confia le portefeuille des finances, dont il
avait été jusqu'ici le titulaire. Succédant ainsi à
Ribot lui-même, Thierry s'efforça tout aussitôt de
présenter à la Chambre le premier budget de guerre
régulier, et il élabora tout un programme d'impôts
nouveaux, que KIotz put reprendre lorsqu'il lui
transmit son portefeuille, le 13 septembre suivant.
LAROUSSE MENSUEL
11 créa enfin la commission des changes et s'occupa
spécialement de la question du change avec la
Suisse et l'Espagne. Ses initiatives heureuses furent
couronnées de succès, puisqu'il réussit à faire tom-
ber la dépréciation du franc français en Suisse de
31 p. 100 à 14 p. 100. Ajoutons qu'en août 1917, il a
représenté, commeministre des finances, le gouver-
nement français, avec Ribot, Painlevé et Thomas,
à l'importante conférence interalliée de Londres.
Etant donné le caractère purement économique
de nos relations avec l'Espagne durant la guerre,
nul ne pouvait être mieux désigné que lui pour
aller occuper, le 13 octobre 1917, le poste d'ambas-
sadeur à Madrid, eu remplacement de Geoffray.
Joseph Thierry sut, par ses qualités profession-
nelles, son tact, sa connaissance des affaires, se
créer tout de suite une situation très solide auprès
du gouvernement espagnol et qui lui valut l'amitié
personnelle du roi Alphonse XIII. On peut dire
qu'il a rendu, dans l'exercice de ses hautes fonctions,
des services éminents; il a régularisé de la façon la
plus heureuse les relations économiques entre la
France et l'Espagne; c'est grâce à ses efforts que
fut signé l'accord du 7 mars 1918, qui a facilité nos
échanges et nous a procuré les crédits à l'aide des-
quels le gouvernement français a pu poursuivre sa
politique d'achats en Espagne, sans faire baisser le
change ; enfin, il a réorganisé la propagande fran-
çaise dans la péninsule, et l'on n'a pas oublié le
succès de l'Exposition des arts français à Madrid,
qui a servi si heureusement les amitiés françaises
en Espagne. Joseph Thierry a suivi avec un intérêt
tout particulier la crise qui a amené le gouverne-
ment de Madrid à prendre une attitude ferme dans
la question des torpillages et à adresser à l'Alle-
magne la notification du 10 août 1918, relative à la
saisie des navires allemands internés.
La mort est venue trouver notre ambassadeur en
pleine activité de travail. — Aussitôt, le roi d'Es-
pagne a fait parvenir télégraphiquement au pré-
sident de la République française un témoignage
ému de ses regrets et de sa gratitude envers celui
qui avait su accomplir si bien sa tâche délicate; de
plus, Alphonse XIII a signé le décret suivant, en
raison de son caractère aussi amical pour la France
qu'exceptionnellement flatteur pour la mémoire du
haut fonctionnaire qui en était l'objet :
Désirant donner un haut témoignage de la profonde
douleur que m'a causée le décès de Son Excellence,
M. Joseph Thierry, ambassadeur extraordinaire et pléni-
potentiaire de la République française, et témoigner
aussi les sentiments amicaux que je professe pour la
nation qu'il représenta si dignement, je viens décréter,
d'accord avec mon conseil des ministres :
Article unique. — Seront rendus an corps de M. Joseph
Thierry, ambassadeur de la République française, les
honneurs funèbres déterminés par les ordonnances pour
nn capitaine général d'armée décédé en place en exer-
çant un commandement suprême. Le corps sera accom-
pagné par les représentants de mon gouvernement, ainsi
que par les délégations de tous les corps constitués, tant
civils que militaires.
Toute la presse a rendu compte de ces obsèques
officielles, d'un caractère exemplaire dans l'histoire
de la chancellerie. S. A. R. l'infant Fernando, re-
présentant le roi, conduisait le deuil.
Français d'Alsace, ferme palriole, républicain sin-
cère au caractère libéral, Joseph Thierry laissera
le souvenir d'un homme courtois et de bon conseil,
esprit distingué et largement cultivé, qui a loyale-
ment et utilement servi sot: pays dans toutes les
circonstances, •— Maurice Duvai..
"Wolf (C/mc/es-Joseph- Etienne), astronome
français, né à Vorges, près de Laon (Aisne) le 9 no-
vembre 1827, mort à Saint-Servan le 4 juillet 1918.
Issu d'une vieille famille alsacienne. Chai les 'Wolf
vint terminer ses études élémentaires & Paris, au
collège Rollin, puis entra à l'Ecole normale supé-
rieure en 1848. Agrégé des sciences physiques
en 1851, il fut immédiatement nommé professeur
de physique au lycée de Nimes, puis à celui, de
Metz. En 1856, il soutint sa tlièse de doctorat; le
mémoire qu'il présenta : De l'influence de la tem-
pérature sur les phénomènes gui se passent dans
les tubes capillaires, constituait un travail remar-
quable et apportait à l'étude de la capillarité un cer-
tain nombre de lois nouvelles, et des plus impor-
tantes. Il fut alors nommé professeur de physique
à la Faculté des sciences de Montpellier. 11 y était
encore en 1862, quand Leverrier, alors directeur
de l'Observatoire de Paris, qui avait su l'apprécier,
lui offrit un poste d'astronome titulaire à l'Observa-
toire. En 1875, il suppléa Leverrier à la Faculté
des sciences de Paris dans la chaire d'astronomie
physique ; en 1877, il était chargé d'un cours de
physique céleste, enfin, en 1892, il devenait titulaire
de la chaire d'astronomie physique et conserva ce
poste jusqu'en 1903. C'est pendant son passage à la
Sorbonne gu'il fonda, puis dirigea le laboratoire
d'astronomie physique. Il disposait, dans la nouvelle
Sorbonne, d'une tour et de deux coupoles; il y ins-
talla un équatorial et une lunette méridienne; cela
lui permit, à côté des hautes spéculations mathéma-
tiques qu'il enseignait, de donner à ses élèves les
premières notions d'astronomie pratique. Ce fut.
Charles Woir
IV* iiii décembre (dfA.
d'ailleurs, un professeur consciencieux, dévoué à ses
élèves, et la haute estime que lui témoignaient tous
ses collègues était due autant à sa grande autorité
scientifique qu'à la sympathie personnelle qu'il avait
su inspirer. Sa longue vie fut entièrement consacrée
au travail; il prenait de temps en temps quelque
repos dans cette maison paternelle de 'Vorges qu'il
avaitconservéeet qu'ilfut, malheureusement, obligé
d'abandonner pendant l'invasion des Allemands.
Après avoir passé sa thèse de doctorat et alors
qu'il était professeur à Montpellier, il chercha à
établir une correspondance entre les variations du
magnétisme terrestre et les taches solaires. En 1862,
Wolf et Diacon montrèrent, en opérant sur les
métaux alcalins, que les spectres des vapeurs métal-
liques se compliquent quand la température s'élève.
A l'Observatoire de Paris, il fut tout d'abord chargé
des observations méridiennes et ne tarda pas à in-
diquer un certain nombre de perfectionnements
importants; il ré-
digea à ce sujet
des Instructions
qui, pendant
longtemps, fu-
rent rigoureuse-
me nt suivies.
Parmi les tra-
vaux qu'il publia
à cette époque,
citons ses recher-
ches sur VEqua-
tion personnelle
dans les observa-
tions de passage
et son Système
de synchronisa-
tions des horlo
ges; cette syn-
chronisation,
obtenue électri-
quement, a tout
d'abord fait l'objet d'une installation à l'Observa-
toire de Paris, puis la méthode fut appliquée ensuite
aux horloges de la ville.
Il se mit ensuite aux observations équatoriales;
ses mesures spectroscopiques, faites avec un appareil
spécial qu'il avaitlui-mème imaginé, lui permirent,
avec la collaboration de Rayel, de découvrir des
étoiles d'un nouveau type. he:s étoiles du type Wolf
et Hayet, au nombre d'une centaine environ, se ren-
contrent dans les nuées de Magellan et la"Voie lactée ;
elles paraissent portées à une très haute tempé-
rature et présentent des affinités avec les nébuleuses
planétaires. On les considère comme d'anciennes
Afouas, car les étoiles nouDe//ex que l'on a découvertes
depuis présentent les mêmes caractères, au point
de vue spectroscopique, lorsqu'elles arrivent vers
leur stabilisation. En collaboration avec Ch. André,
qui fut envoyé deux fois en mission pour l'ob-
servation des passages de 'Vénus (1874) et de Mer-
cure (1878), il perfectionna les méthodes d'obser-
vation pour l'étude, si importante alors, de ces
passages. Il importe, dans ces observations, de
déterminer de la façon la plus précise l'instant où
les bords de la planète et du Soleil entrent en
contact. Or, lorsque le contact est près de se faire,
on aperçoit un point noir ou, plutôt, une espèce de
ligament noirallongé, quisemble partir de la planète
et unit les •lords des deux astres. Ce phénomène
d'optique, connu sous le nom de phénomène de la
goutte noire, est évidemment des plus gênants,
puisqu'il empêche d'observer le moment précis du
contact. Ch. Wolf l'a étudié tout particulièrement,
et il a donné le moyen de l'éviter ; dans son mémoire
sur les Apparences qui accompagnent l'observation
des passages de Mercure et de f^é/ius devant le
Soleil, il étudie également l'influence due & l'ou-
verture des objectifs, ainsi que celle de l'aberra-
tion. Ce furent ces travaux qui le firent désigner,
en 1874 et 1882, pour diriger les observations du
passage de 'Vénus.
Parmi les autres travaux de 'Wolf, citons encore
ses études sur les Pléiades et l'Amas de l'Ecrevisse,
sur le Spectre des comètes, etc., ainsi que ses re-
cherches historiques sur les Etalons du système
métrique et sur l'Observatoire de Paris. Il avait
été élu membre de l'Académie des sciences en 1883,
en remplacement de Liouville.
Les travaux de 'Wolf ont été publiés dans les
comptes rendus de l'Académie des sciences et dans
différentes revues scientifiques. Il a publié & part :
le Mouvement propre des étoiles (dans le traité les
Soleils du père Secchi, Paris, 1875) ; les Hypothèses
cosmogoniques. Examen des tliéories scientifiques
modernes sur l'origine des mondes, suivi de la tra~
duction de ia Théorie du cielt/e Kant (Paris, 1886).
[Cet ouvrage, devenu classique, présente le plus
grand intérêt, tant par son originalité que par l'étude
historique que l'on y rencontre] ; Astronomie et
Ge'orfe'iîe, cours professé à la Sorhonne(Paris,1891);
Histoire de l'Observatoire de Paris, de sa fondation
à 1793 (Paris, 1902). — o. boochemt.
Pari». — Imprimerie Laroussk (Moreau, Aueé, Gtllon et C'*),
17, rue Montparnaiie. — Le gérant : L. UaoïLBT.
N' 143.
Janvier 1919
* Afrique - Orientale allemande ou
Est-Africain allemand. — Des quatre
grandes colonies que rAUeniiigiie possédait en
Afrique, c'est l'Afrlque-Orientale qui a pu opposer
la plus longue résistance aux allnqnes des Alliés;
mais elle est, comme les trois autres, lombt^e par les
armes entre leurs mains. A la fin de novembre 1917,
les Allemanils avaient pu être entièrement rejetés
hors de leur territoire et, malgré une récente
tentative de rentrée sur une partie de leur aji-
cienne colonie, leurs dernières forces réduites à
1 impuissance, elles ne pouvaient larder à être obli-
gées de se rendre. Cette conquête de l'Afrique-
Urientale par les troupes britanniques, belges et
portugaises, est venue rendre définitif et complet
l'effondrement de l'empire colonial que l'Allemagne
s'était constitué, et elle peut compter parmi les
plus grandes défaites qui lui aient été infligées.
Conformément aux conditions de l'armistice, les
forces allLUiandes qui subsistaient encore ont ca-
pitulé le 14 novembre.
La plus considérable en étendue des colonies afri-
caines de l'Allemagne, l'Afrique-Orienlale, présen-
tait une superficie d'environ 995.000 kilomètres car-
rés, alors que l'Allemagne en compte seulement
540.827. Mais, ce qui avait pu heureusement aider
à venir à bout de la conquête d un territoire aussi
considi'rable, c'est que la colonie, se trouvant en
bordure de l'océan Indien, était complètement en-
tourée, sur ses autres faces, de possessions appar-
tenant à ses adversaires. Au nord, en eiïet, elle
confinait h l' Afrique-Orientale anglaise, à l'ouest au
Conso helge, au sud, aux possessions anglaises de
la Rhodésia et du îs'yassaland et à r.\frique-Orien-
tale portugaise ou colonie du Mozambique. Cette
situation favorable pour nos alliés leur avait permis
d'encercler progressivement l'ennemi commun et
de pénéirer au cœur du pays.
Les opérations n'étaient cependant pas rendues
faciles par la configuration même de ces contrées.
L'Afrique-Orienlale allemande, située peu au sud
de l'éqnaleur, occupait une partie de cette zone
tourmentée du continent qui, entre le littoral el la
région des grands lacs, forme un haut plateau mar-
quant la ligne de part.ige des eaux entre l'.Xtlantique
et l'océan Indien. A lest et à l'ouest, ce plaleau est
limité par deux remarquables lignes de Iracture,
dans les |uell('3 toute une série de lacs creusent de
vastes et profondes cuves, et des monlagnes très
élevées bordent ou avoisinent ces deux grandes
fisses d'effondrement. Les limites de la colonie
allemaide coupaient un certain nombre des lacs de
la région ou en suivaient les rives.
De remiioucliure de 1 Oumba au nord., jusqu'au
cap Delgado au sud, la côte de r.\friqiie-Orientale
allemande présente une plage basse, où s'ouvrent
de nond>reuses embouchures el oui est bordée de
récifs de coraux, derrière lesquels s'étendent des
lagunes ombragées de cocotiers. Ces coraux gênent
la navigation, qui ne devient plus facile qu'aux em-
bouchures des fleuves où se trouvent des ports
abrit^-s. Le long du continent, il existe quelques
îles : Mafia appartenait à r.\llemagne, mais Pemba
el Zanzibar, au nord, sont à l'Angleterre.
Plusieurs régions naturelles se succèdent de la
côte vers l'intérieur. La zone littorale, bordée de
récifs coralliens, formée de dépôts sédimentaires et
.souvent marécageuse, s'étend jusqu'à la base de
l'escarpement du grand plaleau iiilérieur Bande
étroite, elle est traversée par de nombreux cours
d'eau, dont beaucoup ne viennent que du premier
rebord monta-
gneux, mais dont
quelques-uns
aussi descendent
des profondeurs
mêmes des mon-
tagnes.
En arrière de
celte plate-forme
littorale, s'étend
une première li-
gne montagneu-
se,quireprésente
l'escarpement du
haut plateau in-
térieur. C'est ce
que l'on appelle
les monlagnes
schisteuses de
l'Afrique-Orien-
lale. De lexlré-
mité septentrio-
nale du lac Nyas-
sa, où les monts Livingsloneatteignenl 2. 490 mètres,
elles se dirigent vers le nord-est en formant une
série de massifs jusqu'en arrière du port de Tanga
el présentent des sommets dépassant 2.200 mètres.
Ces massifs, bien arrosés, offrent des zones ferliles
el sont couverts de riches pâturages; leurs flancs
sont revêtus de forêts venloyantes.
Pardelàles montagnes schisteuses, on rencontre,
au nord-est de la colonie, un premier plaleau, qui est
un pays de steppes, arides ou herbeux, ces derniers
habités par les Massai. Au-dessus de ces steppes el
aux approches de la grande fosse orientale, se dres-
sent le Kenia el le Kilima N'djaro, le premier en
territoire anglais, le second du côté allemand. De
ces deux puissantes masses volcaniques, c'est le
Kilima N'djaro qui l'emporte, et sa plus haute cime,
le Kibo, où s'ouvre le cralère du volcan, est, avec
ses 5.893 mètres, le point le plus élevé du continent
noir. A l'ouest du Kilima N djaro, est le Mérou, haut
de 4 562 mètres. De ces volcans descendent eu cas-
cades les eaux qui viennent grossir le Pangani.
A l'ouest de ce massif volcanique et du pays des
Massai, s'étend la dernière prolongation de la ligne
urienlale de fracture, qui, venant du nord par
l'Abyssinie et passant par le lac Rodolphe, est
seulement marquée dans l'ancien territoire allemand
Le général anglais van Deventer.
par le lac Natrou et quelques autres nappes d'eau
plus méridionales, très petites aussi.
La ligne occidentale de fracture présente, au
contraire, son plein développement sur les confins
de la colonie où, faisant suite aux lacs Albert el
Albert-Edouard, se succèdent le lacKi von, jadis coupé
par la frontière germano-belge, et le Tanganyika,
dont les Allemands possédaient la côle orientale.
LelacKivou, situé à 1.500 mètres d'altitude, couvre
5.000 kilomètres carrés; le Tanganyika, qui est à
780 mètres, est long de 650 kilomètres et n'a pas
moins de 35.000 kilouiètres carrés de superficie.
Toute celle ligne marque une forte dépression ter-
restre, et les eaux sont encaissées entre des rives
montagneuses; d autre part, le Tanganyika, le lac le
plus profond de l'Afrique, auquel on connaissait des
fonds de 595 et de 647 mètres, en possède, comme
on le sait par des sondages récents, qui atteignent
1.277 mètres cl 1.430 mètres. Vers le sud-est, la
ligne de Iracture gagne le lac Nyassa, dont l'Alle-
magne possédait la par ie nord-est.
Entre les deux grandes lignes de fracture s'étale,
au nord de l'ancienne colonie allemande et traversé
en son milieu par la frontière germano-britannique,
l'immense lac'Victoria, le plus vaste de l'Afrique.d'uue
superficie d'environ 73.000 kilomètres carrés, mais
peu profond. Au sud de ce lac s'étend, d'une ligne
de fracture à l'autre jusqu'au lac Nyassa, le haut
plateau central, dont l'aU'lude varie entre 1.100 et
1300 mètres et qui, sur beaucoup de points, offre
une riche végétation. Les eaux qui l'arrosent s'écou-
lent vers le Congo par le Tanganyika, vers le Nil
par le lac Victoria.
Malgré sa position géographique, l'.Afrique-Orien-
tale allemande est loin d'avoir partout un climat
tropical. C'est dans la zone littorale qu'il se fait le
plus sentir; mais, dans les régions montagneuses, se
rencontrent les grandes variations de température
et, sur les plateaux, se fait surtout sentir une séche-
resse excessive. Les ressources naturelles de la
colonie sont donc très variables selon les régions,
ainsi que les facilités de colonisation et de culture.
•Tels sont les principaux caractères physiques de
cette vaste conirée de l'.^frique, où les Allemands
s'étaient iniroduils à l'époque où étaient nées chez
eux les aspirations coloniales. Mais, s'ils n'avaient
pas manqué d'envoyer des missions scientifiques
étudier loules les parties du pays, beaucoup d'autres
explorateurs avaient, avant eux, apporté une fruc-
tueuse contriliution à la connaissance de celle
partie de l'Afrique orientale. Encore moins les
Allemands, venus tardivement, avaienl-ils pu jouer
un rôle dans la découverte et l'exploration première
de celte superbe et curieuse région africaine.
C'est à de grands voyageurs anglais, tris qne
Burton, Speke, Granl, Livingslone, Stanley, que
revient le mérite d'avoir les premiers révélé les
tr:iil3 principaux de la configuration physi<|ue de
ces pays. Il est juste aussi de rappeler les efforts de
quelques voyageurs français : l'enseigne de vaisseau
LAIIOUSSI HKNSDEL.
Le général belge Tombeur.
654
Maizan, assassiné en 1845, alors qu'il remontait le
Pansaiii; l'abbé Debaize, qui, en 1879, alla de Zan-
zibar au lac Taiiganyika; l'enseigne de vaisseau
Giraud, qui, de Zanzibar, atteignit le nord du lac
Nyassa, puis le Tanganyika et vint déboucber à
Onilimane; le R. P. Le Roy, plus tard évoque
d'Alinda, qui, au cours d'un long séjour sur ce même
côté de l'Afrique, a visité diverses parties du centre,
ainsi que la région du Kilima N'djaro.
Cette partie de l'Afrique orientale, où les Alle-
mands allaient bientôt pénétrer, avait déjà, attiré
des peuples du
debors, et sa po-
pulation est ca-
ractérisée par
des mélanges de
races. Ce sontles
nègres de race
bâillon qui en
forment le fond;
puis se sont
fixées aussi des
peuplades diver-
ses, se livrant à
l'agriculture et à
l'élevage. Parmi
les grands éle-
veurs de bétail,
il est des peuples
belliqueux et pil-
lards : les Mas-
sa'i dans 1g steppe
duNordjlesZoulous dansle Sud, qui ont refouléles
tribus agricoles. Mais les races qui les premières
ont fait le plus sentir leur domination politique et
commerciale, ce sont les Arabes et les Hindous.
L'iiilluence arabe s'est propagée sur la côte dès
le viii° ou le 1x0 siècle, et du mélange des nou-
veaux venus avec les indigènes sont issus les Soua-
hélis, ou B habitants du rivage », qui se sont
répandus dans l'intérieur et se sont livrés au com-
merce des esclaves et de l'ivoire. Les Hindous
s'étaient surtout fixés dans les ports, où ils étaient
devenus commerçanis et banquiers.
Les territoires de l'Afrique-Orientale étaient aux
mains du sultan de Zanzibar quand les Allemands
vinrent s'y introduire, et c'est aux initiatives indi-
viduelles que furent dues les origines de la colonie.
Dès 18'i0, le commerce allemand s'était répandu
dans les Etats du snitan, et il était arrivé, en 1874,
à tripler le commerce anglais; aussi le souverain
africain se montrait-il disposé à accepter le protec-
torat allemand, ce que, d'ailleurs, ni la France ni
l'Anglelerre n'entendaient admettre.
Ce fut en 1884 seulement qu'eut lieu un acte
décisif, après la fondation à Berlin de la « Société
pour la colonisation allemande ». Karl Peters, qui
avait fondé cette
société, se rendit
avec quelques
comparons sur
la côte orientale
de l'Afrique et,
ayant soin de ne
pas agir ouverte-
ment,imposa des
traités àunedou-
zaine de chefs,
plus ou moins
indépendants,
dans toute la ré-
gion comprise
entre le Pangani
etle Ronfuiji. Le
sultan de Zanzi-
bar protesta,
mais,deviintrar-
rivée d'une esca-
Le général anglais Nortbey.
dre de guerre, il dut céder. En février 1885, fut
fondée la « Société de l'Est-Africain allemand ».
Puis, le 29 octolire 1886, fut conclu un arrange-
ment anglo-allemand qui limita l'autorité du sultan
dans cette partie de l'Afrique à une mince bande
littorale et qui détermina la limite entre les sphères
d'action de l'Angleterre et de l'Allemagne. De
l'emiiouchure de l'Oumba, elle montait vers le
nord-oues' et, contournant la base septentrionale
du Kilima N'djaro, elle gagnait la rive orientale
du lac Victoria, sous le premier degré de latitude
sud. Le 30 décembre 1886, par un accord avec le
Portugal, l'extension des territoires réservés à
l'inlluence allemande fut limitée, au sud, au cours
de la Ro/ouma.
Mais un soulèvement général des populations
locales ne tarda pas à éclater, amené à la fois par
la brutalité des agents allemands, par la rancune
des Arabes qui se voyaient entravés dans leurs con-
trebandes et leur commerce d'esclaves, et par le
mécontentementdes Hindous, auxquels venait d'être
enlevée la ferme des douanes pour être cédée à la
société allemande. Il fallut un blocus général en-
trepris par l'Angleterre, le Portugal et l'Allemagne,
puis une expédition conduite par le commissaire
impérial von Wissmann, pour venir h bout de cette
LAROUSSE MENSUEL
grande insurrection. L'Allemagne dut conclure avec
l'Angleterre, à la date du li^r juillet 1890, un nouveau
traité, qui fut une déception pour l'ambitieux empire,
malgié les avantages qu'il lui reconnaissait. S'il était
établi que son territoire africain s'étendrait en pro-
fondeur jusqu'aux grands lacset si, d'autre pai-t, l'Alle-
magne recevait par ce traite l'île d'Héllgobuid, de
son côté, elle abandonnaitàl'Angleterrele riche ter-
ritoire de l'Ouganda et, sur la côte, le sultanat de
Vitou. Désormais, c'est à l'Angleterre que devait
appartenir le protectorat du sultanat de Zanzibar;
à l'Allemagne resta une seule île, Mafia. Les limites
de l'Afriqiie-Orion laie allemande se trouvaient ainsi
définitivement établies, et elle devint ensuite une
colonie véritable, la Société de l'Afrique-Orientale
ayant transféré son domaine à l'empire d'Allemagne,
qui prit l'administration le 1" janvier 1891. Ce chan-
gement de régime n'empêcha, d'ailleurs, pas de nou-
veaux soulèvements de se produire dans la colonie.
Ayant constitué leur domaine colonial, c'est alors
que les Allemands purent y envoyer des missions
scientiliques nombreuses pour explorer ce pays, qui
offrait un champ d'étude très vasle,el préparer une
mise en valeur de plus en plus active. Il nous suifira
de rappeler celles du D^Hans Meyer, qui gravit, en
1889, le Kibo, principal sommet du Kilima N'djaro,
à sa troisième tentative ; de G. Uhlig, qui, en 1904,
refit la même ascension, ainsi que celleduMérou, et
qui étudia le grand fo.ssé de l'Est-Alricain ; de Fritz
Jaeger, qui, après a voir accompagné lamission Uhlig,
ntun nouveau voyagedanslarégionduKilimaN'djiiro,
en 1906-1907. Mais, h cette époque encore, les Alle-
mands n'ont pas été les seuls à explorer leur colonie.
Nous rappellerons notamment que le R. P. Le Roy,
poursuivant ses voyages, fut le premier Français à
gravirle Kilima N'djaro et qu'il put pousser son ascen-
sionjusqu'à 5.000 mètres. Un autre Français, Charles
Datterie indienne de montagne, en action dans les bois épais
du district de Liudi.
Alluaud, accomplit aussi de fructueux voyages en
Afrique-Orienlalepouren éludierla faune et la flore,
etil publie actuellement encore une description scien-
tifique de ces contrées, qui est la plus complète qui
ait jamais été faite. 11 faut citer le Suédois Yngve
Sjôstedt, qui, en 1905-1906, étudia également la ré-
gion du Kilima N'djaro.
Depuis leur établissement en Afrique-Orientale,
les Allemands s'étaient efforcés de provoquer des
émigrations nationales; mais, fortes au début, ayant
atteint le chiffre de 200.000 en 1881, elles allèrent
sans cesse en décroissant.
D'après ledernierrecensement fait avant la guerre,
la population indigène aval télé es limée à 7.51 1.000 in-
diï'idns, parmi lesquels 15.000 environ étaient des
non-autochtones, Hindous, Arabes, Syriens, etc.; elle
était de beaucoup la plus considérable de celle des
quatre colonies africaines allemandes. Quanta lapo-
pulationblanche,ellecomprenait,aul<i ■•janvier 1913,
5.336 individus, dont 4.170 .Mlemaiids; son augmen-
tation s'était surtout produite dans les districts de
Tanga et de Pangani.
Le territoire était divisé en 22 districts, dont
16 civils, 3 militaires et 3 laissés à l'administration
indigène sous l'autorité d'un résident. Le siège du
gouvernement était à Dar-es-Salam, le plus impor-
tant de fous les ports, situé sur l'océan Indien au snd
de l'ile de Zanzibar et dont la population n'était pas
moindrede 23. 000 habitants, parmi lesquels un m illier
de blancs. Les antres principaux ports sont, en des-
cendant du nord au sud, Tanga, Pangani, Sadani
el, au sud deDar-es-Salam, Kilwa-Kiwindje, Lindi
et Mikindani. Tanga, débouché de l'Ousambara,
Le général allemand Lettow-Vorbeck.
«• 143. Janvier t97y
est appelé h prendreune certaine extension, à l'aison
de la sécurité de sa rade, et ce point étant au-
jourd'hui la tête de ligne d'une voie ferrée gagnant
la base du Kilima N'djaro el qui dessert T'ancien
parcours des caravanes. Bagamoyo, à reiubouchurel
du Rouddji, a eu jadis une cerikine importance h
raison de sa proximité de l'île de Zanzibar, mais sa
rade médiocre ne pouvait lutter avec le magnifique
port de Dar-es-Salam,parfaiteinentaménagé. Déplus.
Dar-es-Salam avait été choisi comme point de départ
dune grande ligne de chemin de fer, qui, traversant
toute la colonie, a vaitpu avant la guerre être conduite
jusqu'au lac Tanganyika. Par cette ligne, qui suivait
une roule de caravanes traditionnelle, se trouvaient
desservis désormais les grands ce II 1res el les marchés
del'inlerieur: Morogoro, Kilossa, Mpapoua, Kilima-
tinde,Tabora, lapins grande ville du centre, à 1.260 mè-
tres d'allitude, Ondjidji, sur le lac Tanganyika.
C'est le 1='' février 1914 que le rail avait atteint
le Tanganyika et, lorsque la guerre éclata, l'Alri-
que-Orieuiale allemande se disposait à célébrer ce
grand événement
par l'ouverture
solennelle d'une
expositionà Dar-
es-Salam. Ladate
fi.xée pour cette
solennilô était le
15 août, et le
kronprinz, qui
avait accepté le
patronage de
l'Exposition, de-
vait se rendre
dans la colonie.
Mais, dès le mois
d'avril, on appre-
nait qu'il n'effec-
tuerait pas le
voyage annoncé.
On avait mis en
avant, pourexpli-
quer ce change-
ment, des consi-
dérations diverses, mais il apparaît aujourd'hui
comme fort prolmble que la véritable raison en était
la prévision d'une guerre prochaine.
Il est d'ailleurs, à cet égard, un fait très sigiiifica-
tif. En 1913, il y avait seulement dans la colonie
une troupe de police comprenant 320 Allemands cl
4.540 soldats indigènes. En 1914, on avait porté ces
contingents aux chiffresrespeclifsde 3.120 et26.00(),
et tout un matériel de guerre, artillerie, munitions,
équipements, avait été préparé et adjoint à celte
armée, sous le prétexte de donner un caractère plus
grandiose à celle inauguration. Aussi il n'y a pas
lieu de s'étonner que la lutte ait commencé, dans
l'Afrique-Orientale, par une offensive allemande.
Le 22 août 1914, une attaque fut, en effet, dirigée
par les Allemands contre le port de Loukouga, sur
la côte belge du lac Tanganyika. Ni les Belges ni
les Anglais n'avaient accru leurs forces colcuiiales
en vue d'hostilités, et les Belges croyaient pouvoir
toujours compter sur le trailé de Berlin, du 26 fé-
vrier 1883, qui garantissait la neutralilé du Con','o.
Quant aux Allemands, ils avaient déjà sillonné le
lac mitoyen de bateaux armés. Mais Belges et
Anglais surent admirablement organiser leur résis-
tance en al tendant l'an ivée des renforts qui devaient
les faire triompher.
Contre la colonie anglaise, les Allemands por-
tèrent leurs attaques dans la direction des routes
menant vers l'Ouganda. Une troupe ennemie s'em-
para, le 9 septembre, du poste de Karoungou, sur
les bords du lac Vicloria et, peu après, de Kisil.dans
l'intérieur du pays. Mais les Allemands durent bien-
tôt se replier sur leur territoire, et de nouvelles ten-
tatives restèrent vaines également.
En novembre 1914, les Anglais tentèrent une
offensive et, s'ils durent renoncer à s'emparer de
Tanga sur la côte allemande, ils purent néanmoins
franchir la frontière à rinléricur et, après un com-
bat acharné, s'emparer de Longido, au nord-ouest
du Kilima N'djaro.
En décembre, Dar-es-Salam fut violemment bom-
bardé, et tous les navires réfugiés dans le port alle-
mand furent anéantis. Puis, une expédition envoyée
de Mombasa vint occuper, le 11 janvier 1915, l'île
de Mafia, située au sud de Zanzibar.
Les Belges, de leur côté, voulant dégager les
abords de leur frontière orientale, avaient pénétré
aussi en territoire allemand et, après un violent
combat livré le 9 oclobre 1914, près de Kisangoué.
au nord du lac Kivoii, poursuivirent leur mouvement
en avant et infligèrent, le 29 octobre, un nouvel échec
à l'ennemi. Eu 1915, après s'être emparés de l'impor-
tante station de Kissignies, sur la rive nord-est du
lac, ils occupèrent par surprise, le 15 juin, le mont
Lonbafou, haut de 2.000 mèlres, position stralégique,
devant laquelle une première attaque, tentée le
4 oclobre 191 i, avait échoué. Ce succès fut complété,
le -21 juin, par le pas-age de la rivière Sebea. La
prise de Loubafou rendait les Belges maîtres de la
région du Bougoîe, très peuplée et très riche.
L El
■:'!_ Coûta Mbousa
«• 743. Janif/er 1919.
Sur la côle orientale du lai; Victoria, une petite
force liritannique avait pris possession, le 9 jan-
vier 191.i, du port allemand de Sliirali. l^e 12 mars,
un raid allemand, qui s'itait porte en («rriloireani^lais,
prf'sdeKaroiinKoii, sur le lac, au nord de Shirali, lut
repoussé au delà de la frontière. Le 22 juin, une forle
défaite fut innigée aux Allemands à Boukoba, sur
la côte occidentale du lac Victoria. Du côté du lac
Nyassa, les Anglais s'étaient emparés, le 30 mai, de
riphynxliaven, sur sou littoral oriental.
Après la victoire définitive que venait de rem-
porler, en juillet 1U15, le géin'ial Botba dans le
Sud-Ouest afiicain, les Allemands avaient essayé
de porter une activité nouvelle dans l'Esl-Africain.
Descontinirenls de troupes européennes allemandes
se mirent en mouvement, l'un* de Bismarckburg,
au sud du Taiiganyika,
lautrcde.Veu Langen-
burg, au nord du lac
Nyassa, menaçaiit à la
fois le territoire britan-
nique et le territoire
belge; mais, par des
mesures rapides, leur
marche fnt enrayée.
Malgré leurs tenta-
tives renouvelées du
côté du Tanganyika,
les .Allemands furent
constamment rejetés
par les Belges de [au-
tre côté de la rrontière
cl, en dernier lieu, le
29 septembre, près de
la station frontière de
Loiivoungi.SurleTan-
ganjika, les Anglais
avec le concours des
Belges , continuèrent
leur poursuite des ba-
teaux allemands et,
après les avoir Ions
mis hors de combat,
ils parvinrent, en fé-
vrier 1916, à assurer
défi niti vemen t aux
forces navales alliées
U maîtrise des eaux
du lac.
De nouvelles opéra-
tions importantes fu-
rent conduites par les
Anglais, en 1916, dans
le butdedégagerle che-
min deferdel'Ouganda.
Le 21 janvier 1916, ils
enlevèrent Longido ,
point situé au N.-O.
il u Kilima N'djaro,,
qu'ils avaient déjà oc-
cupé et que les .■Mle-
mands avaient repris.
Puis, les troupes bri-
tanni(|ues ayant atta-
qué les positions occu-
pées par les Allemands
dans les collines de
Kitovo, à l'ouest de
Tavela, purent, après
une lutte acharnée qui
dura les 11 et 12 mars,
les rejeter vers le sud-
ouesi; la reprise de
Tavela mettait un
terme à l'incursion
allemandeen territoire
britannique. Le 13 mars, les .Xnglais occupaient
Moslii, situé en territoire allemand au pied du Kilima
N'djaro, sur la ligne de chemin de fer qui part de
Tanga, sur la côte, puis, sedirigeantsur Arusha, son
point terminus, en cha.ssèrent l'ennemi le 20 mars.
Les Allemands durent évacuer la région deRou-
fou, où ils s'étaient réfugiés, et se retirèrent au sud
de la voie ferrée de Tanga. Celle brillante campagne
avait été conduite par le général Smuls, ex-général
boer. La frontière anglaise étant sûrement libérée
grâce à ce succès, le général Smuts transporta réso-
lument les hostilités en plein cœur de l'Afrique-
Orientale, vers le chemin de fer central de Uar-es-
Salam au Tanganyika, et la colonie lut envahie de
trois côtés à la fois : par les Anglais au nord, les
Belges au nord-ouest et les Portugais au sud.
Une partie des troupes anglaises, sous le com-
mandement du général van Deventer, s'était dirigée,
dès le début d'avril 1916, vers Kondoa-lrangi, loca-
lité située à a.'iO kilomètres au sud du Kilima N'djaro
et où les Allemands s'étaient concentrés; après un vif
combat, cette position fut occupée le 19 avril, et l'en-
nemi, surpris, laissa aux mainsdes Anglais une grande
quantité de munitions et de bétail. Les Allemands se
retirèrent vers la voie ferrée du centre. Désormais, la
campagne du général Smuts visa un double objectif:
d'une part, le chemin de fer de l'Ousambara, qui part
de Tanga; d'autre part, le chemin de fer central.
LAROUSSE Mi-INSUEL
Le général Smuts dirigea lui-même le corps expé-
ditionnaire de l'Ousambara. Partant de Kahé, il
occupa plusieurs stations et, le 16 juin, une de ses
colonnes prit 1 importante gare de Pangani.
Le 21, une autre colonne, commandée par le
major général Iloskins, s'empara de Handeni et,
Irois jours après, elle iniligeaii un échec sérieux à
l'eiineini plus au sud, sur la rivière Loukigoura.
Le 7 juillet, le général Smuts atteignait la côte et
occupait Tanga. La voie ferrée du nord passait
ainsi entièrement aux mains des Anglais. Après le
succès remporté sur la ri vière Loukigoura, le général
Smuts commença un mouvement en avant vers le
sud et un délacheuient enveloppant le massif des
montagnes de Ngourou, traversa la chaîne et vint
déboucher, le 8 août, à la mission de Mhonda,
L es Lcitres ( A l uuùjjutnt Uj passes-
• xwrut anejUiiscs
au-dessus de la vallée de Mojonda, où la résistance
de l'ennemi futlirisée.
Concurremment à ce mouvement, le général
van Deventer put mener plus à l'ouest une offen-
sive directe contre le chemin de fer central de
Dar-es-Salam au Tanganyika, vers lequel il avait
déjà repoussé l'ennemi. 11 put en occuper trois
points : Kilimatinde, Dodoma le 29 juillet, et Ki-
kombo; puis il délogea l'ennemi, le 12 août, dans la
direction de Mpapoua, vers l'est, au nord de la voie
ferrée. Continuant sa poursuite de ce côté, il s'em-
para, le 22 août, de Kilossa, sur le chemin de fer,
puis de Kissaki et de .Morogoro, que vint atteindre
également la colonne Hoskins.
De leur côté, les opérations des troupes belges
ont également contribué à la réalisation du même
plan stratégique, sous la conduite du général Tom-
beur. Une colonne belge put débarquer sur la rive
allemande du lac Kivou et reprendre la petite île de
Kivijivi, qui appartenait à la Belgique, et dont l'en-
nemi s'était emparé par surprise au début des
hostilités. D'autre part, une autre colonne s'étanl
engagée dans le nord du Houanda, occupa, le 8 mai,
Kigali, la capitale, vaste agglomération et nœuii
importantde communications. La colonne Tombeur,
qui poursuivait sa marche entre le lac Kivou et le
lac 'Victoria, occupa la rive sud-ouest de ce dernier
et, après avoir battu l'ennemi à pluaieurs reprises,
655
l'obligea, le 16 juillet, & abandonner les positions
qu'il avait organisées dans celte région. La
colonne de droite, faisant route vers le Tanganyika,
vint occuper, le 6 juin, Qusambara, chef-lieu de
rOiiroundi, qui domine la rive nord du lac, puis,
se portant vers le sud, elle s'empara, le 29 juillet,
d'ttudjiiljietdeson port de Kigoma, situé sur ce lac.
Elle tenait ainsi le terminus, sur le Tanganyika, de
la grande voie ferrée centrale.
Les progrès des Alliés allaient maintenant s'accé-
lérer des deux côtés, sur la ligne de chemin de l'er
allemande. Une colonne anglaise put marcher direc-
tement vers le port de Dar-es-Salam et, coopérant
avec la flotte, elle força la capitale de l'Est-Alricain
allemand à capituler, le 4 septembre.
Du côté belge, les forces eunemiesopéraient leur re-
traite dans la direction
deTubora, station de la
ligne et l'une des prin-
cipales cités (lu centre.
Aprèsunesérie de com-
bats, les troupes belges
entrèrent victorieuse-
ment dans la place le
19 septembre. Par la
prise de Tabora , la voie
ferrée centrale était
désormais penluc pour
les Allemands; avec la
chute de la capitale et
l'encerclement pres-
que complet des forces
germaniques, la con-
quête de la colonie était
désormais assurée.
Les Portugal s
avaient dirigé, eux
aussi, des attaques
contre la colonie alle-
mande. Leur campagne
avait débuté, le 10 avril
1916, par l'occupation
de la baie el de la région
de Kionga, à l'enibou-
chuie de la Hovounia,
(|ue les Allemands
avaient usurpées en
1 89 'i . C'est su r les bords
de celte rivière qu'eu-
rent lieu toutes les opé-
rations et, le 15 septem-
bre, une colonne porlu-
gaise put la franchir.
Après la prise de
Tabora par les troupes
belges, [es forces aile-
mandes effecluèrenl
leur retraite par le sud
et l'est en vue de ga-
gner Mahenge el d'y
rallier les éléments
qui y tenaient encore;
mais des défaites in-
fligées par les colonnes
britanniques, en octo-
bre et novembre, les
en empêchèrent. Re-
jetés vers la vallée de
la Roufidji, les Alle-
mands n'avaient plus
désormais dans la colo-
nie ni ville, ni port de
mer, ni voie ferrée, el
ils étaient dépourvus,
par suite, de toutmoyen
de ravitaillement; ils
devaient fatalement s'acheminer vers la capitulation.
Les opérations ayant repris avec plus d'activité à la Un
de la saison des pluies, en mai 1917, les Belges firent
prisonnier, le 22 de ce mois, le major allemand 'Wint-
gens, qui cherchait à remonter au nord, vers Tabora.
En juin, les forces britanuiquesrepoussèrentrennemi
des rives de l'estuaire du Loukouledi. A lafin de juillet,
il existait deux centres de résistance allemande : la
plus petite portion sous le colonel Talel dans Ma-
henge, l'autre sous le général von Leltow-Vorl)eck,
dans la vallée de la rivière M atandou, qui se jette dans
la mer à Kilwa.
Le mouvement d'enveloppement de Mahenge fut
ensuite lente a la fois par les Belges venus du côlé de
la rivière Oulanga, par la colonne rhodésieime du
général Northey et par les troupes du général van
Deventer, venues de l'est. De nombreux combats
eurent lieu en août et en septembre et, le 9 oclobre,
le major belge Muller occupa Mahenge. En même
temps, le général Northey déblaya les vallées sépa-
rant le Nyassa de Mahenge et le gros de l'armée
allemande, vivement attaqué par van Deventer dans
la vallée du Matandou, fut rejeté au sud ; la coupure
des deux forces allemandes élait ain«i faite.
Les Allemands de Talel avaient été chercher un
refuge vers le sud, malgré la menace de la colonne
Norlhey. A ce moment, le général van Devenler
venait de mener une vigoureuse oiTensive contre le
GoG
groupe allomand de l'est; il l'avait cliassé de la ré-
gion de Liiidi ni de la vallée du Kitangari, l'avait
rejeté sur la Rovoiima, qui marque la froiitiore por-
tugaise, et avait occupé Nevala, unpeu au nord de
la rivii're.Talel, qui ignorait ces succès, lomba sur
les colonnes de van Deventeret, enveloppé par elles
le 27 novembre, il fut contraint de se rendre.
Le territoire de l'Afrique-Orientale allemande
était à ce moment conquis et passé aux mains des
Alliés, car le reste des troupes ennemies, faibles en
nombre et exténuées, manquant de vivres et de mu-
nitions, s'était réfugié dans la colonie portugaise
sous la conduite de von Letlow-Vorbeck et avait re-
monté la vallée de la Loujenda, affluent de la Ro-
Bloi-lctiaus allemand pris par les troupes britanniques, & Kisangouê
vouma. Les Allemands se disséminèrent en groupes
et en patrouilles à travers tout le pays depuis
M'wembe, qui est près du lac Nyassa, jusqu'à la
cote dans le voisinage de Porl-Amelia. Des troupes
anglaises ont suivi le mouvenieiit allemand dans la
vallée de la Loujenda, tandis que des colonnes
coopérant avec les Portugais débarquaient à Port-
Amclia et s'avan(;aient à l'est et au nord-est de
l'extrémité méridionale du lac Nyassa. Malgré des
contre-attaques, les troupes anglaises et porUigaises
obligèrent l'ennemi, qui avait essayé quelques ten-
tatives de retraite du coLédu nord, à se retirer vers
le sud et, à la lin de juillet 1918, il était refoulé
vers Qui'limane. Mais, àcemoment, legénéral alle-
mand avait tenté un coup audacieux. Se portant
vers le nord-e.--t, il fiauchit la Hovouma au début
d'octobre; il rentra dans le territoire de l'ancienne
colonie allemamlo, chercliant à gagner le nord en
longeant le lac iNya^sa. C'est alors que fut conclu
l'armislice. I>e l 'i novembi e, legénériil von Lettow-
Vorbeck capitula sur la rivière (;iiaml)ezi, au sud
de Kasama, dans la Rbodésia seplentiionale.
Les Allemands avaient fait de gros elforts pour
mettre en valeur leur vaste colonie de l'Afrique-
Orientale, et, si elle n'avait pas paru tout d'abord
devoir leur apporter tous les résuliats qu'ils en
attendaient, elle avait pu, néanmoins, réaliser durant
les dernières années d'assez notables progrès. Un
pays de relief aussi inégal et offrant des conditions
climatériques aussi variéesne pouvait présenter par-
tout, sur son immense étendue, une valeur uniforme
et des possibilités de culture identiques. On a estimé
qu'un sixième seulement du territoire pouvait être
cultivé; c'était encore là une proportion assez forte,
étant donné sa configuration physique, et il y a
tout lieu de croire qu'elle pourrait être dépassée.
A part la zone littorale, plaine basse, couverte
de palétuviers, de manguiers, de cocoliers, pays
très favorable au dévelo|)pement des cultures, tout
l'intérieur du pays, constitué en grande partie par
des plateaux bordes de chaînes montagneuses, offre
une vé ,'éfation qui est celle des steppes ou savanes ;
mais s'il en est dedésertiques, garnies seulementde
broussailles etil'arbres de faible taille, il en est d'autres
qui sont de vastes étendues de hautes herbes et de
pâturages, de vrais parcs de riche végétation, où se
rencontrentsurtoutleslerrainspropices aux cultures.
C'est surtout du côté des cultures que s'était
LAROUSSE MENSUIHL
mettre à profit les régions les plus favorables. C'est
principalement dans la zone littorale que les AUe-
mandsnvaieut développé d'abordleurs exploitations
agricoles, ainsi que sur le plateau de rOusainbara,
au nord du Pangani, et sur le versant méridional du
Kilima N'djaro et du mont Merou. Les contrées sur
lesquelles ils avaient ensuite fait porter aussi leurs
efforts sont le Rouanda, au sud-ouestdu lacViotoria,
rOunyamouezi, vaste plateau du centre au sud du
même lac, et le Kondeland, au nord du lac Nyassa.
Les colons avaient tiré parti des ressources
naturelles de la zone littorale, particulièrement des
bananiers, qui viennent jusque sur les pentes mon-
tagneuses, et des cocotiers, dont ils augmentèrent
beaucoup le nomlire par des plantations.
L'une des cultures qui avaient semblé
d'abord devoir oMiir le plus d'avenir
est celle du café, et d'importantes plan-
tations en furent faites par plusieurs
sociétés sur les pentes et le plateau
du Handeï, ainsi que sur la côte, près
de Tanga et de Pangani ; mais elle
ne représente guère aujourd'hui que
4.800 heclares.
Puis, d'autres produits très rémuné-
rateurs furent aussi propagés, et l'un
des plus avantageux fut le chanvre de
sisal, dont la culture fut introduite en
1S93 parla Compagnie de l'Est-Africain
allemand et qui, en 1913, couvrait
2.Ï.000 heclares; elle avait réussi dans
presque toutes les régions de la colo-
nie et, dans les terres riches de l'Ou-
sambara, la plante donnait une récolte
au l)Oul d'un an et demi. Seize sociétés
s'étaient occupées de ce produit.
L'exploitation cotonnière avait fait
aussi de grands progrès, tant dans les
régions voisines du littoral qu'à l'inté-
rieur, en approchant des lacs. Cette cul-
ture, à laquelle onze sociétés s'étaient
consacrées, s'étendait en 1913 sur
22.000 hectares.
Lesplantalionsdecaoutchouc avaient
été aussi beaucoup développées. Elles
occupaient environ 45.000 heclares en
1912-1913, et l'on n'avait pas créé moins
de trente sociétés pour leur exploita-
tion. Du Mahenge et du sud-est de la
colonie, on peut même tirer du caout-
chouc de lianes de landolphia venant
à l'état sauvage.
Il faut citer aussi le cacao, pour la
culture duquel ou a fondé onze socié-
tés, qui vient dans la région du bas
Pangani, ainsi que la vanille, le tabac, qui est
prospère dans le delta du Roufidji. la canne à sucre,
que cultivent les Arabes de la cote, le palmier à
huile, dont on a pu faire des plantations sur les
rives du Tanganyika. Certains hauts plateaux du
centre, comme l'fjunyamouezi, peuvent se prêter à
toutes les cultures européennes, comme céréales,
pommes de terre, légumes, arbres fruitiers. L'en-
semble des plantations couvre aujourd'hui environ
Huttes en paille, servant de corps de garde aux fusiliers t
de l'armée britannique, près de Tabora.
100.000 hectares. Il faut tenir compte aussi des
forêts, qui s'étendent sur 261.000 heclares au moins.
L'élevage a aussi son importance, et il peut être
pratiqué surtout dans les vastes steppes qui s'éten-
dent au-dessus de la zone cultivable; il pourrait
recevoir une beaucoup plus grande extension, s'il
n'y avait pas à redouter les ravages de la mouche
tsé-tsé. Néanmoins, les Européens possédaient en
1912, dans la colonie, 43.1)13 bovidés, 41.647 mou-
tons et chèvres; pour les indigènes, ces chiffres
montaient à environ 3.950.000 et G. 400. 000.
La faune, très riche, olfre un gibier abondant.
Parmi les grands mammifères, il faut citer au pre-
orientée la colonisation allemande, et elle avait su mier rang l'éléphant, qui est malheureusement liés
N' 143. Janvier W19.
réduit eu nombre, le commerce de l'ivoire ayant été
jadis pratique à outrance. Mais se trouvent par
contre, en abondantes troupes, les zèbres, les gi-
rafes, les biiriles et les bœufs zéljus, les sangliirs
et des espèces variées d'antilope. La pêche peut
fournir aussi des ressources très dignes d'être no-
tées, les eaux du littoral étant très poissonneuses,
surtout enire Dar-cs-Salam et Kilwa.
Quant aux ressources du sous-sol, elles ont paru
jusqu'ici être plus limitées que celles fournies par
le sol. Cependant, on sait qu'il existe des gisements
de houille et de fer dans le pays de Kondé; sur
divers points, on a trouvé de l'or, noiammcnl des dé-
pots alluvionnaires sur la rive du Victoria Nyanza ;
il y a aussi quelques mines de sel gemme. Il se
peut que des recherches plus complèles fassent,
par la suite, découvrir de plus grandes richesses
minières.
Mais l'une des plus grandes difficultés rencon-
trées par l'Allemagne dans sa colonie, ainsi que
dans les autres, a été la question de la main-d'œuvre,
et sa politique indigène n'était pas faile pour l'ac-
croître et la bien disposer en sa faveur. Longtemps,
elle avait espéré pouvoir en faire une colonie de
peuplement, mais elle fut entièrement déçue, et les
immigrations d'aujounlhui sont devenues insigni-
fiantes. Le nombre des Noirs employés dans les
plantations est d'environ 83.000, mais ce chilfre est
très insuffisant, puisque les colons se plaignaient
vivement, avant la guerre, du manque de main-
d'œuvre. C'est rOunyamouezi qui fournissait le plus
d'ouvriers agricoles, mais le pays éiait en voie de
se dépeupler, par suite de l'abaissement de la nala-
lité, des maladies et de l'exode des travailleurs. On
avait cherché à en recruter dans le Rouenda et
l'Ouroundi, mais il était difficile d'habiluer ces mon-
tagnards au climat des plaines. 11 y «nit plus d'une
fois des révoltes : en 1906, notamment, les Noirs,
irrités parle travail des plantalions, se soulevèrent,
et l'agitalion se propagea surtout dans les districts
de Morogoro, Kiloa et Lindi.
Les efforts des Allemands se manifestèrent sur-
tout par le grand nombre de sociétés fondées par
eux pour les exploitations et par le capital consacié
aux diverses entreprises coloniales dans l'Lst-Afri-
cain, capital qui s'est élevé, pour 1912-1913, à
133.725.000 francs.
Mais, ce qui a le plus agi sur la prospérité de la
colonie et sur son développement commercial, ce
sont les lignes de chemin de fer qui ont élé créées.
La ligne de l'Ousambara, parlant de Tanga, entre-
prise par une Société en 1893 et continuée par les
soins de l'Elal en 1912, suit la rive gauche du Pan-
gani et, après un parcours de 352 kilomètres, atteint
Neu-Moshi, au pied du Kilima N'djaro Elle est
prolongée au sud-ouest jusqu'à Aruscha, qui est,
ainsi que Neu-Moshi, un centre agricole. Les Alle-
mands se proposaient de pousser celte ligne jus-
qu'au lac Vicloria.
Le chemin de fer central, qui unit Dar-es-Salam
au Tanganyika, fut également commencé par une
Société qui, en 1904, s'était fait concéder la cons-
truction d'une ligne de 220 kilomitres Jusqu'à Mo-
rogoro, laquelle fut achevée en 1907. Le Parlement
ayant voté alors la prolongation du
Ce«(i'aZ6a/in, l'Etal poursuivit sa cons-
truclion, et le rail atteignit Tabora, au
commencement de 1912. Au l"'"' fèviier
1914, il arrivait à Kigoma, sur le lac, au
nord d'Oudjidji. La construction de
celte ligne, longue de 1.250 kilomètres,
avait été effectuée en neuf ans. Désor-
mais, on pouvait faire en 36 bénies au
plus un trajet qui, autrefois, n'exigeait
pas moins de 42 jours.
Ces chemins de fer, bien que n'ayant
pas donné de très fortes receltes, a valent
eu déjà une forte influence sur le déve-
loppementdes plantafionset, c'est grâce
àeux, surtout, que le mouvementcom-
mercial avait pu s'accroître d'une façon
notable. Le commerce total de la colo-
nie, qui n'était en 1895 que de 11 mil-
lions 1/2 de marks et, en 1902, de
14.200.000, est moulé, en 1912-1913, à
81.200.000 marks, dont 49.865.000 pour
les importations et 31.335.000 pour les
exportations. Oe chilfre se trouve même
dépasser celui du Sud-Ouest africain, qui
occupait précédemment le premier rang
et n'atteignait plus, en 1912, que 71.500.000 marks.
C'est par les importations, s'élevant seulement
à 32.499.000 marks dans celte dernière colonie,
que l'Afrique Orientale l'emportait.
La plus forte part des exportations élait fournie par
la production agricole européenne, c'est à-dire par
les plantations. Le caoutchouc, qui avait été précé-
demment le principal produit d'exporlalion, a subi
un abaissement considérable, par suile de la cri.^e
dont il a eu à souffrir. C'est le chan\re sisal qui, le
dépassant, a pris la première place, les exporla-
lions de ce textile étant montées à 10.700.000 marks
en 1912-1913. Puis viennent les peaux, représentant
5.500.000 marks, les produits oléagineux 4.700.000,
N' 143. Janvier 1919.
le colon 2. 'i 00. 000, et ensuite le café, l'or et l'ivoire.
Les produils miniers roinpleiil, en 1912-1913, pour
l.Ili.Oûo marks; pour l'or, lu prodnction n'a pas
ilépassé SUO.OoO mark^i. Les principaux articles
iliiiiporlation sont les denrées alimentaires, le riz,
les cotonnades, la quincaillerie. La part de l'Alle-
magne dans les importations était de 52,8 p. 100.
Mais, malgré les.notables progrès réalisés par la
colonisation allemande dans l'Afrique -Orientale,
elle est loin d'avoir tiré de cette possession toutes
les ressources qu'elle peut fournir. Beaucoup de
ses richesses n'ont pu être mises jusqu'à ce jour en
valeur d'une façon complMe, et il est de nombreux
produits qui pourront y prendre, par la suite, une
importance de plus en plus grande; d'autres aussi
pourront y être essayés.
Knlre les mains des nations qui l'ont conquise,
l'ancienne colonie allemande ne pourra qu'entrer
dans une voie de prospérité nouvelle. En observant
une politique indigène plus juste et plus humaine,
en prenant des mesures préservatrices tendant à
régénérer les races, les nouveaux venus parvien-
dront certainement à accroître les populations
indigènes et à se les attacher. C'est ainsi que la
colonisation pourra bénéficier du concours de
l'indigène. Il importera aussi que les voies de
communication soient étendues encore plus, que
les diverses lignes déjà projetées par les Allemands
soient exécutées et que ce réseau ferré soit relié
à ceux des colonies voisines. Désormais, dispa-
raîtra pour la mise en valeur de ces vastes terri-
toire» la gêne résultant des rivalités économiques;
les peuples alliés se donnant désormais la main
sur la côte orientale de l'Afrique et travaillant
d'un commun accord, la production ira en s'accrois-
sanl, et le commerce trouvera sou libre mouvement
d'expansion. -^ Gustave REGEi.sp^a£R
Belle-Iale (lb Ministère de), études sur la
guerre de Sept ans, par le capitaine André Dus-
sauge. — C'est à Villefranche-de-Rouergue que
naquit, le 22 septembre 1681, Louis Poucquel, fils du
marquis de Belle-Isie, petlt-lils du surintendant.
On sait avec quelle rapidité celui-ci avait édifié
la fortune de sa famille et la sienne propre et
comment Louis XIV sut y mettre un terme brutal.
Nicolas Foucquet passa les dix-neuf dernières an-
nées de sa vie dans la plus dure captivité; sa fa-
mille fut dispersée aux quatre coins du royaume.
Son fils Louis, qui, à vingt ans, avait enlevé une
amie d'enfance, Catherine de Levis, fille du comte
de Charlus, et l'avait épousée contre la volonté des
farents, dut, pour vivre, se réfugier chez son oncle,
évèque d'.'Vgde, exilé lui-même, de sorte que c'est
dans une des résidences occasionnelles de celui-ci
que naquit le futur maréchal : il ne demeura pas
longtemps rouergat. Après un séjour forcé à Issou-
dun, la famille put, avec l'évéque, rentrer en 1690
dans la ville épiscopale d'Agde, où naquit un frère
cadet de Louis, Louis-Charles, qui, sous le nom de
chevalier de Belle-lsie, fut, durant toute sa vie, le
fidèle commensal, le bras droit de son aine.
Louis Foucquet de Belle-Isle, élevé par les do-
minicains de Sorèze, obtint, en 1700, à seize ans,
d'entrer dans la maison du roi : Louis XIV avait par-
donné après quarante ans de rigueur. A dix-huit ans,
il obtenait, moyennant 14.000 livres, une commission
de capitaine dans le régiment de royal-cavalerie
et partait pour l'armée du Rhin, que commandait
Câlinât. Le 13 octobre 1702, au passage du Rhin, il
recevait le baptême du feu : les deux jambes de
derrière de son cheval étaient emportées par un
boulet. Ainsi à l'aube du xviii» siècle débutait la
carrière du marquis de BelIe-lsle, qui devait se
dérouler sur les champs de bataille des Flandres
et d'Allemagne pendant les guerres des successions
de Pologne et d'Autriche, pour se terminer à Ver-
sailles, au ministère de la guerre, carrière que le
capitaine A. Dussauge résume dans un volume très
captivant et très complet, — quoiqu'il ne soit qu'un
début.
Trois fois blessé en trois ans, mais encore des-
servi par ses origines, Belle-Isle achète, en 170.ï,
moyennant 115.000 livres, un régiment de dragons,
qui, suivant l'usage, prend son nom et avec lequel,
en 1708, il défend Lille contre les troupes du
prince Eugène, fait d'armes qui lui vaut, cette
année même, le grade de brigadier. La faveur de
madame de Maintenon — qui se souvient d'avoir
été jadis, après Scarron, pensionnée du surinten-
lendant — lui vaut ensuite la charge de « mestre de
camp général des dragons », qu'il doit acheter au
démissionnaire 280.000 livres, tout en n'ayant pas
le sol. Un riche mariage avec M"' de Civrac lui
permet de s'acquitter vite; « elle était riche, extrê-
mement laide, encore plus folle, écrit Saint-Simon;
elle s'en entêta et ne le rendit pas heureux, ni père.
Son bonheur l'en délivra quelques années après •>.
En 1720, Belle-Isle parait tout-puissant; il a lié
partie avec le cardinal Dubois, a spéculé avec Law,
s'est rapidement enrichi, — trop rapidement : le
6 mars 172^, il est arrrêté, conduit à la Bastille,
Fuis exilé à cent lieues de Paris. La chambre de
Arsenal le condamne à rembourser au Trésor la
LAROUSSE MENStJEL. — IV,
LAROUSSE MENSUEL
somme de 600. OOO livres, que La .lonchère, trésorier
de « la caisse de l'exlraordinaire des guerres », a
détournée à son profit
La disgrâce, pour brusque et profonde qu'elle eut
été, ne fut pas de longue durée. En 1727, le cardinal
Fleury chargeait Belle-Isle du commandement inté-
rimaire des Trois-Evêchés: en 1731, il le nommait
lieutenant général, après lui avoir, l'année précé-
dente, offert l'ambassade de Vienne.
C'était l'époque on le marquis de Belle-Isle
épousait Emmanuele-Catherine de Béthune, veuve,
à vingt ans, du marquis de Meda-Grancey, l'époque
où, avec 8.000 hommes, il occupait Nancy et la Lor-
raine, expulsant le possesseur de ce duché français
de langue et de tendance, qui avait pourtant pris
parti pour la maison d'Autriche.
Gouverneur de Metz et excellent gouverneur,
Belle-Isle est, cependant, souvent à la cour, où sa
réputation grandit et où il aspire à régner; toujours
accompagné de son frère, le chevalier,
« il persuade sans s'exprimer avec élo-
quence, parce qu'il parait toujours per-
suadé », écrit Voltaire, qui ajoute : « Son
frère a les mêmes ambitions, les mêmes
vues, mais em-ore plus approfondies,
parce qu'une santé plus robuste lui per-
met un travail plus infatigable
Le 11 février 1741, Belle-Isle, qui
venait d'être placé à la tète d'une
ambassade extraordinaire formée pour
éblouir les princes allemands et les
écarter de r.\utriche, recevait le bâton
de maréchal de France. Le petit-fils
du surintendant, parvenu au comble de
la fortune, parcourait r.\llemagne en
dépensant, pour le compte du roi,
1.700.000 livres en moins d'un an:
mais il fascinait moins Frédéric 11 par
la somptuosité de son équipage et de
sa suite qu'il n'était troublé par l'ordre,
la discipline, l'entrainementdes armées
du roi de Prusse. Son admiration pour
ces armées fut telle qu'il les prit, à
dater de cette entrevue, pour mo-
dèle, au point, dans ses projets de ré-
forme, de se faire plus tard, traiter de
« Prussien ».
L'élection à l'empire de l'électeur de
Bavière, suivant de près la proclama-
tion de Marie-Thérèse comme reine de
Hongrie, fut le point de départ de la
guerre de la succession d'Autriche:
Belle-Isle abandonna l'habit brodé de
l'ambassadeur pour l'uniforme; il mar-
cha rapidement sur la Bohême, y fit
acclamer l'empereur Charles Vil, reçut
de Louis XV le titre de duc, du roi
d'Espagne la Toison d'or. Mais, mal
servi par le maréchal de Broglie, son
ancien et pourtant sou subordonné,
trahi par Frédéric, il fut sur le point
d'être enfermé dans Prague, qu'il éva-
cua le 16 décembre 1742, dans lescondi-
tions les plus fâcheuses, précipitant une
retraite de dix jours, aussi héroïque que
malheureuse. Cet échec, qu'il devait à Frédéric, objet
de son admiration, lui coûta le commandement
général des armées du roi, qui, l'année suivante,
en 1744, fut confié au maréchal de Saxe. Il dut se
contenter, en 1747, du commandement de l'armée de
Provence, qu'il espérait conduire jusqu'à Turin,
quand la paix d'Aix-la-Chapelle intervint. Créé pair
de France le 24 avril 1749, il fut, le 7 juin de la
même année, élu membre de l'Académie française.
Le maréchal, qui avait alors soixante-cinq' ans,
n'avait cependant pas, au dire de son biographe, ac-
compli la plus importante partie de sa tâche; l'œuvre
essentielle de Belle-Isle, c'est au minislèrede la guerre
qu'il l'entreprit et ce à l'âge de soixante-quatorze ans.
On était en pleine crise militaire, au Tnoment le
plus critique de la guerre de Sept ans, quand
Louis XV, malgré l'opposition du parti rival des
Broglie, appela le vieux soldat au ministère. Boyer
de Cremilles, lieutenant général de valeur et réputé
comme administrateur, lui fut adjoint.
Le ministère comprenait alors huit bureaux :
1" propositions aux étals-majors des places, emplois
vacants, croix et pensions; 2° expéditions des pro-
visions, discipline, correspondance militaire; 3» dé-
tail de la marche des troupes par étapes ; 4° soldes,
pensions, dons et brevets ; 5° expédition des ordres
et arrêts du roi ; 6» détail des retenues des officiers
et délits militaires; 7" artillerie, fortifications, maré-
chaussée, vivres et fourrages ; 8" milices, hôpitaux,
uniformes, lits, bois et lumière.
Le maréchal, qui avait, en diverses circonstances,
soumis ses projets de réforme laissés de côté par
ses prédécesseurs, s'attela vigoureusement à sa
lâche, en même temps qu'il réussissait à étendre
son autorité jusqu'aux armées combattantes. Mais le
comte de Clermont, fils du prince de Condé, nommé
l'année précédente commandant des armées, n'était
pas homme à se laisser conduire; aussi les heurts
et les difficultés allèrent-ils croissant jusqu'à la
lit ~ »
bataille de Krefeld (23 juin 1758), où Clermont fit
montre d'une si scandaleuse impéritie qu'elle décida
de son remplacement.
Contades. nommé au commandement supérieur
et peu après maréchal, rétablit pour un temps la
situation; secondé par (^hevert, il se montrait défé-
rent envers le ministre qui avait poussé à sa nomi-
nation.
Mais celui-ci, à Krefeld, avait fait la perle qui
pouvait lui être la plus sensible : son fils unique, le
comte de Uisors, avait été tué au moment même où
il enfonçait l'infanterie hanovrienne. Le vieux ma-
réchal avait été fortement secoué parlelTondrement
de tous ses espoirs; mais son énergie, sa volonté de
mener à bien l'œuvre des réformes qu'il avait entre-
prises l'emportèrent sur sa douleur. Quoique mal
soutenu par Louis XV, qui l'aimait peu (mais lequel
de ses ministres le Bien-Aimé aima-t-il et soutint-
il pour le bien de son royaume?) Belle-lsie demeure
Foucquet de BeUe-Isle (tableau de Hyacinthe Rigaud)
à son poste jusqu'à complet épuisement de ses
forces, s'efTorçant de réformer, avec le cadre des
officiers, leur avancement, leur mentalité même et
leur autorité dans l'armée.
Après avoir, dans un long chapitre, étudié l'état
de l'armée lors de l'avènement de Belle-Isle au
ministère, le capitaine André Dussauge expose les
réformes qu'il édicta.
L'armée manquait essentiellement d'homogénéité:
chaque corps avait une quasi-indépeudance, un
recrutement dillérent, et le système d'achat des
commandements faisait du colonel le maître de son
régiment, le capitaine propriétaire de .sa compagnie,
souvent fort rebelles à la discipline.
Chacun d'eux, selon sa fortune, menait à l'armée
un train de vie plus ou moins luxueux, tenait table
ouverte et traînait à sa suite un bagage considérable.
Les premières ordonnances du maréchal furent pour
limiter ce luxe (3 juin 1758) et pour forcer les géné-
raux à camper non loin de la troupe (29 mai). « Vn
projet de règlement provisionnel sur la formation
des divisions » parut le 16 mai 1758, édictant l'orga-
nisation de la division et de la brigade pendant la
durée de la guerre; quoique l'article 3 ait conservé
au général en chef le droit de confier les comman-
dements à son choix sans tenir compte de l'ancien-
neté, le règlement, au dire du capitaine Dusssauge,
marquait un progrès considérable et le point de
départ d'une tactique nouvelle. En même temps, le
ministre désengorgeait les états-majors surpeuplés
et diminuait le nombre des colonels, relevait l'auto-
torité des capitaines, augmentait leur solde et sup-
primait la vénalité des charges dans l'intérieur de
chaque régiment; il imposait un stage de cinq ans
dans le grade de capitaine à tout colonel et, pour ce
dernier grade, exigeait vingt-trois ans d'âge et sept
ans de service, mesures qui paraissent aujourd'hui
bien douces, mais qui suscitèrent les protestations
des corps privilégiés,
J5*
«)5S
D'aiilies ordonnances visèrent les services de
l'artillerie (5 novembre 17"iS} et du gf^nie (10 mars
(17:19). Pareilles réformes en pleine (cnerre pou-
vaient paraître audacieuses ; elles porti'renl assez
rapidement leurs fruits : l'armée se réorganisa avec
des clief.s moins nombreux, mais phis conscients de
leurs devoirs. Restait, en 17:19, la lourde lûcbe d'auR-
menter l'elTectir des troupes, tris diminué par les
premières campagnes. C'est elle que le maréchal
poursuivit dans les derniers mois de sa vie en or-
ganisant le recrutement des contingents par l'auto-
rité royale sans intermédiaire, >■ réforme la.plus im-
porlante, dit son biographe, premier embryon d'une
organisation adaptée aux transformations politi-
ques et sociales qui préparent l'avènement des temps
nouveaux ». — Picno r^is.
Beyrouth ou Beiroût, ville de l'Empire
ottoman, dans la Turquie d'Asie, et port méditer-
ranéen de la côte de Syrie; plus de IbO. 000 habitants.
Il est des régions que la nature a prédestinées à
jouer un rôle économique ou politique particulier
cl que l'on voil. à Inivprs la loiiu'in' snilr dr< àf^'--,
I..\f<Ol!SSK MENSUKL
roches déchiquetées dans une mer profonde. A moins
de deux kilomMresdansl'cstdu ras Beyrouth, le cap
extrême de cette langue de terre, la côte devient
plus sableuse, et les collines s'en écartent de quel-
ques centaines de mètres; bientôt, le nabr Beyrouth,
le Majoras des anciens, vient (inir son cours parmi
les ensal)lemenls qui forment le fond de la vaste
baie de Saint-Georges. C'est là que vécut la Béryle
ancienne (phénicienne et romaine), au débouché du
torrent qui descend des cimes voisines du Liban;
au moyen âge, la ville s'e^t déplacée vers l'ouest
et est venue occuper à peu près le milieu de la côle
nord du promontoire, à mi-chemin entre le ras
Beyrouth elle nahrBeyrouth, entre lecapetle fleuve.
Ses maisons bordent la mer sur plusieurs kilo-
mètres ou moulent en amphithéitre au flanc des
collines voisines, toutes couvertes de jardins. C'est
bien la jolie sultane accoudée sur un coussin de
verdure et contemplant les flots avec une rêveuse
indolence, que les poètes arabes ont chantée. Der-
rière la ville, les collines de plus en plus élevées
qui dominent Beyrouth sont couvertes par places de
fi (jihl . I Joyantes de les pins qui, à l'époque
pbénicienni', donnèrent leur nom
à l'antique v.'A(i(Uirouloxi=z cyprès
ou plutôt iiiris) ; ailleurs, de blancs
villages et de riches villas les par-
sèment au milieu des bouquets d'ar-
bres. Les hautes cimes du Liban, le
plus souvent couvertes d'une neige
éblouissante, forment l'arrière-plan
de ce magnlRque tableau.
Si le panorama de la ville est,
pour le voyageur arrivant par mer,
très séduisant et mérite d'être rap-
proché de celui de Naples ou de
Constantinople.le contraste devient
très grand pour qui pénètre à l'in-
térieur. Beyrouth ne possède pas de
monuments dignes de remarque ;
au centre, les vieux quartiers, en-
serrés dans une étroite enceinte
de remparts, conservent l'enchevê-
trement de ruelles étroites à la
pente plus ou moins roide qui
caractérise la ville d'Orient. La
grande mosquée — l'ancienne ca-
thédrale des Croisés, construite au
xu* siècle — offre seule quelque
intérêt, avec son clocher qua-
drangnlaire isolé. Quant aux ba-
zars, ils sont sans doute bien foui'-
nis d'étolTes de soie, de tapis, d'ob-
jets ciselés ; ils ne peuvent pas,
néanmoins, rivali-sor avec ceux de
Damas. Les nouveaux quartiers,
ornés de places et de jardins, offrent
un caractère plutôt européen, avec
Lc8 quais de Hfyrniith. — < hampnus atu-inlunt !>■
demeurer fidèles i. leur destinée, continuant, après
bien des siècles, le travail commencé des centaines
d'années auparavant. Tantôt, c'est nne région de
passage, sans cesse disputée entre les deux empires
rivaux, tantôt une plaine fertile vouée aux cultures,
ou encore une côte bien articulée aux ports nom-
breux et actifs... La Syrie maritime, l'antique Phé-
nicie, est une de ces provinces; le commerce et la
navigation s'y sont développés de bonne heui-e: elle
a compté nombre de ports florissants, et elle en
possède encore quelques-uns, pins ou moins impor-
tants : Sa'i'da, Tripoli, Beyrouth surtout, une grande
ville de près de 200.000 âmes, le principal entrepôt
du commerce du pays.
Beyrouth est située sur le rivage septentrional d'un
promontolredélachédu Liban etdont la pointe plonge
il quatre ou cinq kilomètres en Méditerranée ses
leurs larges rues éclairées au gaz et parcourues par
des tramways. Depuis 1x75, un aqueduc amène à
Beyrouth les eaux du nabr el-Kelb, le Lyciis des
anciens, qui se jette dans la Méditerranée, à une
dizaine de kilomètres plus au nord.
Le caractère moderne de Beyrouth, voilà donc ce
qui frappe surtout le visiteur de cette ville, si
pauvre en vestiges des temps anciens... Et, cepen-
dant, le passé de cette antique cité s'échelonne sur
plusieurs njilliers d'années, et Beyrouth serait même
— à en croire les Phéniciens — une des plus vieilles
villes du monde. Pour Sanchoniaton, le dieu El en
personne aurait présidé à sa fondation et l'aurait
donnée à son fds le Baal marin, lequel épousa en-
suite sa sœur Baaiat-Beirout, que les monnaies
gréco-romaines figurent comme une nymphe. Quoi
que l'on puisse penser de ces origines mythiques.
«• »43. Junvldr 19VJ.
il est certain que Beyrouth est déjà mentionnée par
les tablettes de Tell Amarna ; quatre d'entre elles
sont écrites par le roi de Bérula ou Biroulou, vassal
de l'Egypte, qui sollicile dans l'une d'elles, du pha-
raon son suzerain, l'autorisation de « fortifier la
ville et les jardins de mûriers •>. C'est que Beyrouth
a dû souffrir, comme toute la Syrie, des luttes per-
pétuelles entre Egyptiens et Assyriens ; elle a dû
craindre aussi les razzias provoquées par les ri-
chesses entassées dans une ville aussi commer-
çante. Comment eût-il pu en être autrement, à peu
de dislance du passage suivi par toutes les armées
d'invasion, comme le montrent, à quelques kilo-
mètres au nord de Beyrouth, deux inscriptions toutes
proches l'une de l'autre : l'une hiéroglyphique et
l'autre cunéiforme?
L'histoire de la ville est assez obscure jusqu'à la
période romaine, où Beyrouth est devenue colonie
militaire sous le nom de Colonia Julia Augtisla
Félix Uevi/tiis, à elle donné en l'honneur de la fille
d'Auguste. A ce moment, la ville s'embellit ; un
aqueduc amène l'eau du Magoras, tandis qu'un
autre, franchissant la baie de Saint-Georges sur
une double rangée d'arcades, va chercher celle du
Lycus. On y construit des thernu's, un théâtre, un
amphithéâtre, qu'Agrippa II — l'arrière-petit-fils
d'Hérode le Grand — orna de nombreuses statues.
Tôt après, Béryte devient le siège d'une école juri-
dique florissante, qui rivalise avec celles d'Athènes
et d'Alexandrie ; celte école brille longtemps d'un vif
éclat; Dorothée, Anatolius, deux de ses professeurs,
collaborent au Digeste, et le premier de ces deux
maitres est choisi par Justinien pour être un des
trois rédacteurs des Inslitules.
Quelques années plus tard, au milieu du vi« siècle
de notre ère (551), la ville est détruite par un trem-
blement de terre. AJors, l'école de droit est transfé-
rée à Sidon, et la prospérité économique de Béryte
est sérieusement atteinte; l'industrie de la soie,
depuis si longtemps source de richesses, languit, et
la vieille cité n'avait pas encore recouvré son an-
tique splendeur quand elle tomba, en 635, sous le
joug musulman. Les croisés l'enlevèrent, sous Bau-
douin 1", aux sectateurs du Coran (1110) et la gar-
dèrent, saut pendant dix ans, jusqu'en 1291; les
cités maritimes de la Méditerranée occidentale pro-
fitèrent de cette domination latine pour installer des
comptoirs à Beyrouth; les Génois et les Vénitiens y
eurent alors leur quartier et les Marseillais leur
rue
Tombée, au xvi' siècle, sous la domination des
émirs druses, Beyrouth devint la résidence favorite
dupluspuissantd'entreeux,Eakered-Din(l58'i-1635);
mais les luttes de celui-ci avec les Turcs nuisirent
au commerce de la ville, les Druses ayant comblé
le port de peur d'une attaque maritime des Otto-
mans. A celte époque, d'ailleurs, Beyrouth n'était
point, comme aujourd'hui, le port principal de la
côte; Seïde, l'antique Sidon, avait un trafic bien
supérieur. C'est là que les Français avaient leur
consul, alors qu'ils n'entretenaient à Beyrouth qu'un
vice-consul. Et encore les fonctions de vice-consul
à Beyrouth lurent-elles le plus souvent remplies par
quelques-uns de ces chefs maronites qui ne cessè-
rent d'entretenir avec la France les plus étroites
relations d'amitié.
Par la suite, le nom de Beyrouth n'apparait plus
dans l'histoire politique qu'en 1840, quand les Anglo-
Turcs bombardèrent la ville pour forcer les Egyp-
tiens d'Ibrahim-pacha à l'évacuer, et qu'en 186u." A
cette dernière date, les massacres du Liban amenè-
rent à Beyrouth une foule de maronites, qui vinrent
y chercher refuge, comme d'autres le firent à Damas.
La population de la ville s'en accrut considérable-
ment, et ce mouvement de progression s'est continué
jusqu'à nos jours. Rien, donc, que de naturel à ce
que le nomiJre des habitants de Beyrouth ait passé
de /i5.000 en 1862 à plus de 150.000 en 1914.
Cattioliques, orthodoxes et musulmans constituent
chacun àpeu près un tiers de ce total et forment trois
groupes sensiblement égaux de plus de 40.000 âmes.
La composition de ces trois groupes est très dilTé-
renle : nettement homogène chez les musulmans,
très disparate chez les catholiques, où les maronites
forment une très grande majorité, beaucoup plus
simple chez les orthodoxes, où les grecs sont très
nombreux. Les juifs sont au nombre d'une dizaine
de milliers, et on compte aussi à Beyrouth quelques
milliers de protestants de diverses sectes.
Celte ville est la capitale d'un vilayel et, d'autre
part, la résidence du délégué apostolique pour la
Syrie. A côté de ce représentant du saint-siège, le
rit maronite et le rit grec-melchite, tous deux unis
à Rome, reconnaissent chacun l'autorité d'un arche-
vêque. Le nombre des écoles religieuses est extrê-
mement considérable à Beyrouth ; mais aucune n'est
plus importante ni plus célèbre que l'Université
îles Pères jésuites, avec ses facultés de théologie,
de médecine et de langues orientales, auxquelles
sont annexés collège et imprimerie. C'est, sans
doute, le foyer le plus puissant de l'influence catho-
lique et française en Syrie, à laquelle s'oppose l'in-
fluence protestante et anglo-saxonne de l'école amé-
ricaine de médecine et de théologie.
I
N' I4J Jdiiv/ec J9J9.
Beyrouth n'e^l pas seulement la ville la plus sa-
vante du littoral de la Turquie d'Asie; c'en est
aussi, au point de vue économique, la plus active,
tout au moins pour la section syrienne de ce même
lilloral. De tout temps, la ville s'est adonnée au
commerce d'exportation des produits du Liban. Le
fameux « vin d'or », que donnent les coteaux envi-
ronnants et qui est célèbre depuis l'époque phéni-
cienne, était une de ces marchandises, comme
aussi les soies grèges; mais les maladies des vers
et la concurrence des soies de la Chine et du Japon,
amenées par le canal de Suez, ont fait péricliter la
culture du mûrier que dirigeaient des maisons de
Lyon et ont provoqué la décadence de la filature
de soie de Beyrouth. Aujourd'hui, le blé et le coton
de la Coélé-Syrie, l'huile d'olive, le bois ou le jus
de réglisse, les éponges de Tripoli fournissent le
plus fort contingent à l'exporlatiou. Depuis que le
lissage du coton est ruiné par l'invasion des étoffes
anglo-saxonnes, l'industrie locale est faible; toute-
fois, des Français, lii;i!' i ' I.>s arbustes et des
fleursduLiban, avaient
créé à Beyrouth, pour
ladislillalion deshuiles
essentielles, une usine
dont les produits
étaient expédiés h
Grasse. Mais, en dépit
de ces sorties, le port
de l'anlique Béryte est
surtout un port d'im-
portation; par là pé-
nètrent en Syrie les
pétroles, les denrées
coloniales, les coton-
nades et l%s matériaux
de construction néces-
saires au pays.
Ce qui a lait il cet
égard la fortune de
Beyrouth, c'est l'heu-
reuse chance d'avoir
été le premier port de
Syrie relié à l'intérieur
des terrespar une route
carrossable (1860). On
sait que celte route est
aujourd'hui doublée
Î)ar une voie ferrée
ongue de 147 kilomè-
tres etmeltanlencom-
munication Damas
avec la Méditerranée.
Beyroulhestle point de
départ de cette ligne,
comm e aussi d'un court
chemin de fer nui suit
la cOle et qui le relie
au port de Djebeil ou
Uyblos, situé à2o kilo-
mètres plus au nord. 11
est, enfin, en commu-
nication avecla Coélé-
Syrie septentrionale
parl'embranchementqui se détache à Hayak du rail
Heyrouth-Damaselqui,parBaaIbeck,HonisetHama,
pons.-^e jusqu'à Alep(331 kilom.), où le réseau de la
Société (française) ottomane des chemins de fer
Damas-Haiiran et prolongement se soude à celui des
chemins de fer d'Analolie et de Bagdad.
Kn dépit de ces avantages, ccmme de celui d'être
en relations avec Saïda (Sidon) par une route car-
rossable de 'i8 kilomètres, Beyrouth voit s'élever des
rivales. Caiffa, située plus au sud sur la baie de
Saint-Jean d'Acre et siège d'une importante colonie
allemande, Cailla, reliée à Damas par l'embrancbe-
nient du chemin de fer du Hedjaz qui descend de
Yarmouk et traverse la plaine d'Esdfrelon, pourrait
bien concurrencer Beyrouth dans son rôle de débou-
ché eu de pourvoyeur des pays damasquins. Tri-
poli, d'autre part, raccordé à Homs par une courte
ligne ferrée, pourrait bien enlever à Beyrouth le
marché de la Coélé-Syrie.
Ces menaces imposent k la vieille ville phéni-
cienne Béryte l'obligation d'améliorer Son port,
qui, construit en 1880 par des Français, est devenu
aujourd'hui un peu insuffisant. Ce port affecte la
forme d'un triangle; des jetées et brise-lames pro-
tègent contre l'agitation de la mer une superficie
d'environ 20 hectares. Quais et môles, d'un déve-
loppemenî total de 1.300 mètres, sont assez larges;
mais les grands vapeurs ne peuvent pas accoster
aux quais sud, faute de profondcur^uflisante.
Avant la guerre, un millier de bateaux à vapeur,
représentant un ensemble d'environ 100.000 tonnes,
fréquentaient annuellement le port de Beyrouth, où
se rendaient également de nombreux voiliers turcs.
Pour l'importance du tonnage, le pavillon français y
venait naguère au premier rang. Depuis la rupture de
la paix entre l'empire ottoman et les peuples de
l'Entente, le même port a perdu toute activité, du fait
du blocus établi par la flotte française sur les côtes
de la Syrie. Quant à la ville, elle a souffert d'une
cruelle lamine, due surtout aux difficultés du ravi-
L.\KOUSSE MKNSLKL
talllement. Comme les blés de l'intérieur de la Syrie
n'arrivaient plus à Beyrouth, le trafic de la voie ferrée
de Damas ayant été à peu près complètement sus-
pendu, les habitants de la ville en furent réduits à
manger des écorces d'orange ou des cannes à sucre.
Aussi beaucoup de citadins et de Syriens des alen-
tours de Beyrouth tentèrent-ils de s'éloigner pour
gagner des régions où ils auraient moins à souffrir.
Il Quand ils voient un navire français près de la
côte (écrit un correspondant du journal el Mo-
kaltam, du Caire, qui a visité le pays), ils tentent
dy arriver ù la nage; tous les jours, beaucoup
cherchent à gagner l'île de Rouad — occupée par
les Français dès 1916 — pour s'y réfugier, el nombre
d'entre eux meurent en route. Pour couper toute
communication avec les bateaux français qui blo-
quent la Syrie, le gouvernement a fait attacher les
barques avec des chaînes de fer; il a défendu la
pêche, et les pêcheurs autorisés ne s'éloignent qu'à
faible distance. Les soldats ont reçu l'ordre de tirer
sur toute personne qui se jette a la mer pour se
Vue générale de Beyrouth.
sauver. ■> De telles mesures n'empêchèrent pas de
bruyantes manifestations loyalistes en l'honneur
du comité » Union et Progrès », particulièrement
lors de la venue d'Enver-pacha à Beyrouth ; mais,
abstraction faite d'une niinorité de musulmans, la
majorité de la population, et les chrétiens surtout,
continuèrent sans défaillance de placer toute leur
confiance dans la France. C'est ce que constatait
avec dépit l'orientaliste allemand Hugo Grothes :
« Ils sont pour la plupart entraînés dans les filets
français ou anglais, écrivait-il; ils attendent leur
bonheur de ces deux grandes puissances. Nous
n'avons pu jusqu'à présent semer parmi eux les
graines de la Kulttir et gager ainsi leur amitié. »
La libération devait venir au début d'octobre 1918.
Le 7 de ce mois, à 6 heures du matin, la division
navale française de Syrie entrait dans le port de
Beyrouth, à la grande joie de la population, tandis
que des avant-gardes anglaises pénétraient de leur
côté dans la ville. Quinze jours plus tard, les trou-
pes françaises de terre prenaient définitivement
possession de Beyrouth, dont l'entrée sous notre
protection est l'heureux présage de celle, ou plutôt
du retour, de toute la Syrie sous notre influence.
Sans doute, y aura-t-il, à la paix, beaucoup à faire
à Beyrouth et dans les environs. Les Compagnies
françaises de chemins de fer et autres ont été expro-
priées par les Turcs, les écoles fermées ou islami-
sées, les forêts du Liban abattues; il faudra lutter
contre la mauvaise volonté de quelques politiciens
syriens, qui voudraient voir leur pays « indépendant,
sans ingérence étrangère d'aucune sorte », el mé-
connaissent ainsi les véritables intérêts d'une popu-
lation qui, pour se refaire, a besoin de l'amitié, des
capitaux et de la paix français. Il faudra aussi
veiller à ce que notre influence ne soit pas battue
en brèche par les étrangers et, surtout, par nos
ennemis; ceux-ci envisageaient naguère, en effet,
tout un programme de conquête morale de la Syrie
par les moyens les plus -divers, depuis les missions
•)."9
religieuse-s jusqu'à ces films cinématograpbiquei
qui exercent une si grande influence sur l'esprit de
1 homme de l'Orient. Fort heureusement, la France
a, depuis de longues années, l'expérience des bo;u-
mes et des choses de ces pays; aussi peut-on espérer
qu'elle saura s'acqui tter à son honneur des tâches qui
lui incomberont dans l'avenir en Syrie et particu-
lièrement à Beyrouth, comme elle a su le faire dans
les difl'érentes parties du Maghreb. — il Ftoioeviui.
Beyrouth, à. Samas (Chemin de fer de},
voie ferrée reliant le port syrien de Beyrouth à la
capitale de la Syrie. Cette ligne, à voie étroite de
l'»,05 d'écarlement, est longue de 147 kilomètres
et a été construite par la Société (française) otto-
mane des chemins de fer Damas-Hauran el prolon-
gement, qui en a reçu la concession, en 1891, du gou-
vernement ottoman pour une durée de 99 ans. Elle
était, en dépit des grandes diflicultés qu'a présentées
son établissement, achevée vers 1895. Elle est à
crémaillère sur une partie du trajet, car les pentes
• sont fortes, la voie s'é-
; levant graduellement,
au long du parcours,
depuis le niveau de la
Méditerranée (Bey-
routh)jusqu'àl.487mè-
Ires (Beidar, dans le
Liban, à 38 kilomètres
du point de départ)
pour redescendre en-
suite' entre 550 et
600 mètres entre
Mouallaka et Havak
dans la profonde vallée
de la Béqaa (Coélé-
Syrie ou « Syrie
creuse » des anciens)
et escalader ensuite
l'Anti-Liban. A Zer-
gha'ia (kilom. 87), elle
est par 1.372 mètres
d'altitude; c'est de là
qu'elle descend , en
suivant les gorges du
nahr Baradfl, jusque
dans l'oasis t^e Damas
et jusqu'à son point
terminus, Damas-
Midàn, par moins de
700 mètres d'altitude.
Entre ses deux sta-
tions extrêmes, le che-
min de fer deBeyrouth
à Damas dessert plu-
sieurs localitésimpor-
tanles. Tablé, ville de
16.000 habitants, tous
chrétiens, qui produit
des vins réputés et
qui fut en 1 860 le quar-
tier général des Druses
contre les maronites,
eslune de ces localités;
elle est située dans l'estdu Liban, au nord delà station
de Mouallaka. Rayak a aussi son intérêt, comme
point de départ (au fond de la plaine fertile, mais mo-
notone et complètement dépourvue d'arbres de la
Coelé-Syrie)derembranchemenlsurBaalbeckelAlep.
Intéressante au point de vue économi.|ue, cette
voie ferrée présente aussi un intérêt touristique. La
traversée du Liban couvert de vignobles et de mû-
riers, celle de la Coélé-Syrie, puis, après Zebdlni, la
descente sur Damas par l'étroite vallée du Baradà
au milieu de bouquets de chênes, de platanes ou de
bosquets d'églantiers qu'égayenl quelques fraicbes
cascades, une fois la ligne des crêtes de r.\nti-Libaii
franchie, voilà autant de spectacles qui rendent le
parcours de ces 147 kilomètres de rails curieux el
varié tout à la fois. — ii. i-roidkïaus.
Bouchardat (Gustave), chimiste français, né
à Paris le 4 juin 1842, mort dans la même ville
le 23 novembre 1918. De robuste souche bourgui-
gnonne, il était le fils d'Apollinaire Bouchardat, qui
fut professeur d'hygiène à la Faculté de médecine
de Paris. Il étudia d'abord la médecine et fut reçu
docteur en 1869, avec une thèse de chimie. Ses
goûts l'orientaient, d'ailleurs, vers celle branche de
la science, et il entra dans le laboratoire de Berlhe-
lot, dont il devait être, pendant cinq ans, le prépa-
rateur. En 1872, il était nommé docteur es sciences
physiques el, en 1873, pharmacien de 1" classe.
Professeur agrégé à la Faculté de médecine de
Paris en 1873 el à l'Ecole de pharmacie en 1874, il
Ut, dans ce dernier établissement, un cours adjoint
d'hydrologie el de minéralogiedonl il devint, en 1 S8i.
le professeur titulaire. Il était membre de l'Acadé-
mie de médecine depuis la même année 1884, dans
la section de physique el de chimie, el il avait été
désigné comme président pour 1917. Là maladie
qui devait l'emporter l'empêcha de remplir plus de
Quelques semaines ces hautes fonctions. Membre
u conseil d'hygiène et de salubrité du déparlement
Gustave Boucbardat.
C60
de la Seine, Bouchardat était ofncier de la Légion
d'tionneur.
Les travaux de Bouchardat ont porté sur un
grand noiiiln-e de substances chimi(|ues. Il a étudié
tout d'abord certains composés de l'urée et proposé
un procédé original de dosage de celle substance.
Ses recherches sur les sucres conslituenl une œuvre
magistrale et classique. Elles portèrent notamment
sur la niannite, la dulcite; il donna le premier exem-
ple de production de l'alcool ordinaire par action
chimique sur les substances sucrées, étudia les
combinaisons de ces sucres, comme la dulcélane,
la dulcétamine, établit la composition et J'origine
de la lactose et montra la présence, dans les végé-
taux, de cette lactose, que l'on considérait jusqu'à
lui comme d'ori-
gine purement
animale. Parmi
lesautrestravaux
de Bouchardat,
il faut citer ses
études sur la qui-
nine et la cin-
chonine, sur la
constitution chi-
mique du caout-
chouc et la pos-
sibilité de sa
fabrication syn-
thétique, sur les
térébenthènes et
les camphènes,
ou il posa les
bases de la syn-
Ihèseducàmplire
et fournit divers
enseignements
dont l'industrie
des parfums a largement bénéficié. On a fait re-
marquer que les études de Bouchardat ont toujours
pris comme base des matières premières de prix
médiocre et ont abouti à des résultats de très haute
valeur, notamment au point de vue industriel. Les
méthodes utilisées sont, en outre, d'une grande
simplicité. On peut encore noter qu'il est l'au-
teur de méthodes très originales, qui mettent à
profit, pour résoudre des problèmes chimiques, les
données fournies par la physique.
Outre les thèses et mémoires consignant les l'ésul-
tats de ces travaux, on a, de Bouchardat, une Histoire
générale des matières albutnitioïdes(iS13). ïldonnA,
enfin, plusieurs éditions du Formulaire magistral
créé par son père et qui fut longtemps le plus con-
sulté des ouvrages de ce genre. — D' nemi booquet-
Cliemins de fer. (Organisation pendant la
GUERRE.) L'organisation des chemins de fer fran-
çais pendant la guerre, telle qu'elle a été exposée
dans des articles de février et d'octobre 1916, a subi
un certain nombre de modincalions.
En décembre 191G, les attributions confiées à
l'autorité militaire pour le service des chemins de
fer ont été déléguées au sous-secrétaire d'Etat des
transports.
Un pas de plus a été fait le 9 mai 1917, date où
tout le personnel civil et militaire, affecté au service
des transports, a été placé sous l'autorité directe de
ce haut fonctionnaire. Ce personnel comprenait, no-
tamment, deux officiers généraux ou supérieurs,
recevant, pour les transports militaires, délégation
permanente du sous-secrélaire d'Etat, l'un dans la
zone des armées, l'autre dans la zone de l'inté-
rieur : ils portaient le titre de directeur des trans-
ports militaires dans la zone des armées ou dans
la zone de l'intérieur (abréviation: D.T. M. A. ou
D. T. M. L). Le premier avait les mêmes attribu-
tions que l'ancien directeur des chemins de fer aux
armées (D. C. F.): il était chargé des transports et
des travaux dans la zone des armées. Les fonctions
du D. T. M. 1. furent confiées au chef du 4" bureau
de l'état-major de l'armée.
Enfin, le 26 juillet 1918, il a été procédé à une
réorganisation complète.
Le ministre des travaux publics et des transports
est assisté :
1» D'un officier général, qui prend le titre de di-
recteur général des transports militaires (D. G. T. M.
en abrégé) ; il est chargé de faire exécuter, par
priorité, sur l'ensemble des réseaux des voies fer-
rées et des voies navigables, les transports par
ordres de transport militaires et de diriger l'exé-
cution des travaux militaires sur les voies ferrées;
2° Des chefs des services centraux d'exploitation :
a) des chemins de fer,
b) des voies navigables,
c) des ports maritimes,
qui sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de
tout ce qui est relatif à l'exécution technique de l'en-
sembledes transports et & l'exploitation commerciale.
Si le D.T. M. A. continue à exister, leD.T. M.I.
n'est plus prévu, et le 4" bureau de l'état-major de
l'armée, qui, jusqu'alors, était le rouage essentiel,
ne conserve, en matière de transports, que des
attributions très restreintes.
LAROUSSE MENSUEL
En effet, pour l'exécution des transports, les
commissions de réseau ne peuvent plus recevoir
d'ordres que du D. T. M. A., d'une part, et, d'autre
part, des services de l'exploitalion technique et de
l'exploitation commerciale, créés aux côtés du chef
du service central de l'exploitation des chemins
de fer. — André CiSSEl..
* confiscation n. f. — Encycl. La confiscation
(v. Nouv. Lar. ill.), en matière pénale, esl générale,
si elle s'applique à l'universalité ou & une quote-part
du patrimoine ; spéciale, si elle ne frappe que cer-
tains objets, plus particulièrement ceux qui sont le
produit du délit, ou qui ont servi à le commettre.
La loi du 14 novembre 1918, tendant à assurer
filus complètement la répression des crimes et dé-
its contre la sûreté extérieure de l'Etat, vient d'ap-
porter des modifications, l'une fondamentale, l'autre
très appréciable, dans le régime de cette peine, et
qu'il y a lieu d'examiner.
La confiscation générale a toujours été dénoncée
comme dangereuse dans son application, surtout si
elle s'opère en totalité au profit de l'Etat; l'histoire
en a souvent démontré les abus. De plus, et surtout,
elle est inique, puisque, par contre-coup, comme l'a
dit Montesquieu dans l'Esprit des lois, « elle dé-
pouille des enfants innocents, elle détruit une
famille, lorsqu'il ne s'agit que de punir un cou-
pable ». Seule, la personne responsable de la faute
commise doit supporter le châtiment. C'est le prin-
cipe moderne de la personnalité des peines.
Aussi, dans sa séance du 21 janvier 1790, l'As-
semblée constituante, proclamant le principe, abolis-
sait expressément la confiscation générale et, dans
le Code pénal des 25 septembre et 6 octobre 1791,
cette peine avait cessé d'exister.
Cependant, une réaction s'opéra bien vile et, par
un contraste étrange, ce fut aux jours les plus
ardents de la Révolution. Dès l'année suivante,
l'Assemblée législative et, après elle, la Convention
rétablissaient la confiscation générale pour certains
crimes graves contre la sûreté de l'Etal, contre la
chose publique, contre les embaucheurs, contre
les émigrés; en fait, il s'agissait surtout d'atteindre
dans leurs biens les émigrés.
Tel était l'état du droit lors de la confection du
Code pénal de 1810, et, dans l'énumération des
peines criminelles, h l'article 7, on vit figurer la
confiscation générale, applicable, à peu de chose
près, dans les cas déjà déterminés par les lois révo-
lutionnaires. 11 est vrai que le mode d'exécution
édicté par les articles 37, 38 et 39 du Code s'ins-
pirait d'une tout autre idée que le dépouillement
d'une famille au seul profit dû Trésor public et
tenait compte des notions de justice et d'humanité.
Beccaria, dans son Traité des délits et des peines,
de 1766, après avoir flétri la confiscation au profit
de l'Etat, avait dit que, dans certains cas, si la
loi déclarait « rompus tous les liens par lesquels il
(le condamné) tenait au corps politique », le cou-
pable devait perdre ses biens : a Alors, le cilt>yen
est mort, il ne reste que l'homme; et, par rapport
au corps politique, la mort du citoyen doit avoir les
mêmes suites que la mort naturelle », c'est-à-dire
qu'elle doit déterminer l'ouverture de la succession.
Le Code de 1810, sous l'influence de cette nouvelle
conception, décida que l'attribution à l'Etat de la
fortune du condamné serait grevée de la moitié de
la porlion dont le decujffs ne peut priver ses héri-
tiers réservataires, aux termes du Code civil, qu'elle
le serait aussi des dettes légitimes jusqu'à concur-
rence des biens confisqués, et enfin des secours ali-
mentaires.
Mais à cette réaction au principe de la Révolution
devait succéder fatalement un retour aux idées hu-
manitaires; il aboutit à la suppression de cette peine,
qui rappelait toujours les abus des régimes passés.
Ce fut l'œuvre d'abord de la Charte du 4 juin 1814,
puis de celle du 14 août 1830 et, enfin, delà Consti-
tution du 4 novembre 1848, lesquelles, successive-
ment, non seulement proclamèrent l'abolition de la
confiscation des biens, mais édiclèrent les unes après
les autres qu'elle ne pourrait jamais être rétablie.
On crut cette peine définitivement abolie.
Au cours de la guerre de 1914-1918, la conscience
publique fut révoltée au spectacle scandaleux de
certains individus qui jouissaient tranquillement de
leur fortune, alors qu'ils s'étaient dérobés à l'impôt
du sang pour la défense de la patrie, ou que, pis
encore, ils s'étaient concertés avec l'ennemi dont
ils avaient reçu de l'argent pour lui livrer nos se-
crets ou favoriser ses succès. L'idée se fit jour de
les atteindre dans leurs biens; elle fit des progrès
et, dans les années 1917 et 1918, la peine de la con-
fiscation générale fut hardiment proposée par le
gouvernement dans deux projets de loi : l'un visant
les faits d'insoumission et de désertion des indi-
vidus réfugiés à l'étranger pendant la guerre, l'autre
les faits portant atteinte i la sûreté extérieure de
l'Etat et a la défense nationale.
Henry Chéron s'était écrié devant le Sénat, à pro-
fios des insoumis et des déserteurs : « On n'a plus
e droit de prétendre à des biens quand on a refusé
de les défendre devant l'ennemi. » La Chambre des
N' 143. Janvier W19.
députés, en votant sans discussion l'ensemble du
premier de ces deux projets, manifestait clairement
sa volonté de rompre avec les scrupules du passé.
Etienne Elaiidin, rapporteur du deuxième projet
de loi devant le Sénat, tout en reconnaissant la
gravité dune pareille innovation, qui, en somme,
est l'oubli de I une des conquêtes de la Révolution
française, le principe de la personnalité des peines,
et sinclinant devant l'opinion exprimée par la grande
majorité des parlementaires, disait à son tour : <• Si
l'on confisque les biens des mauvais Français qui
ont fui plutôt que de défendre leur patrie, comment
ne point étendre à fortiori la même peine à ceux
qui n'ont pas seulement refusé de la défendre, mais
ont trahi et livré leur pays ! »
Ce fut ainsi que fut voté le deuxième projet de
loi (le premier n'est pas encore adopté), celui qui
vise les faits de trahison et d'espionnage.
Cette loi, qui ressuscite la confiscalion générale,
porte la date du 14 novembre 1918.
Disons tout de suite que la peine ne s'applique
qu'aux seuls fails qualifiés crimes, à l'exclusion des
délits. De plus, la loi a tenu à respecter, dans toule
la mesure équitable, les droits de la famille, celle
sorte de copropriété familiale, qui intéresse ceux
des plus proches héritiers que la loi a déclarés réser-
vataires. Ceux-ci, par le fait de la confiscation, de-
viennent propriétaires non plus seulement de la
moitié, mais de la totalité de la portion réservée.
_ Ledroitd'usufruitduconjointsurvivant,réglé par
l'article 767 du Code civil, est également respecié ;
mais il ne peut s'exercer que sur la parlie réservée.
Si le condamné est marié, s'il a des enfants légi-
times ou naturels, s'il a des ascendants, l'Etat ne
profite donc (jue de la quotité disponible ; s'il nu
que des héritiers à un degré plus éloigné, les biens
sont perdus en totalité pour la famille et profilent
exclusivement à l'Etat.
Ajoutons que, comme en 1810, les droits des
créanciers sont sauvegardés.
La loi nouvelle, incontestablement plus libérale
que la précédente, n'a, cependant, pas parlé de la
charge de prestation des aliments, ni de la possi-
bilité, pour le chef de l'Etat, de disposer en faveur
des parents du condamné de la partie des biens
revenant légalement au Trésor public.
Pratiquement, la succession est ouverte; la liqui-
dation et le partage des biens se font conformément
aux règles du droit commun; l'aliénation des biens
confisqués est poursuivie par l'administration des
domaines dans la forme prescrite pour la vente des
biens de l'Etat.
La loi du 14 novembre 1918 a fait une autre inno-
vation, moins grave que la précédente, mais qui a
bien son importance en droit criminel ; elle con-
cerne la confiscation spéciale.
Jusqu'ici, lorsque la loi prononçait ce dernier
mode de confiscation, elle ne visait que l'objet en
nature, in specie, et ne pouvait s'appliquer que s'il
existait encore. Si donc le coupable avait transformé
le prix de son infamie, s'il avait réussi à le dissi-
muler ou s'il l'avait dissipé, il n'était pas atteint, et
la confiscalion prononcée devenait inefficace. I^a
loi nouvelle a tenu à substituer, en pareil cas, à
l'objet du corps du délit qu'il ne parvient pas à
atteindre une condamnation au payement d'une
somme qui en représente l'équivalent. C'est une con-
ception tout à fait nouvelle en matière de confisca-
tion; ce sont, pour ainsi dire, les dommages-intérêts
dus à l'Etat se portant partie civile pour le dommage
national qui lui a été causé. — commandant Juuien.
Ssope, comédie en trois actes, en vers, de
Théodore de Banville, représentée pour la pre-
mière fois, sur la scène de la Comédie-Française, le
26 octobre 1918. — L'action se passe à Sardes, dans
la salle du trône, au palais de Crésus,roi de Lydie,
vers 560 av. J.-G. Crésus dit son amour et ses sou-
cis à sa belle esclave, Rhodope. Des cris se font
entendre au dehors. C'est un pauvre hère, Esope,
qu'un Lydien brutal, son maîlre, Dorion, roue de
coups. Le malheureux, sanglant, recroquevillé en
boule, vient rouler sur les marches jusque devant
le trône de Crésus. Rhodope reconnaît en lui un
ancien compagnon de servitude. Elle le défend.
Esope conte au roi la fable du lion et du rat. Le
monarque, intéressé par l'apologue et frappé par la
sagesse de ce bossu, le relient près de lui et écoute
ses conseils, dans la conjoncture où il se trouve,
pendant que les Perses de Cyrus menacent d'atta-
quer ses Etats.
Que m'annonce un tel signe?
ESOPE.
Arme tes citadelles.
Fais équiper tes chars. Emplis tes arsenaux.
Pratique des chemins et creuse des canaux.
Que le rouge brasier dans les forges s'allume
Et que les lourds marteaux épouvantent l'enclume.
Instruis pour les combats futurs les citoyens...
Que toujours sur la plaine en feu tes cavaliers
S'exercent, accourus tout à coup par milliers;
Qu'ils sachent, si longtemps que la bataille dure,
Boire de l'eau saumàtre et coucher sur la dure.
Et qu'enlin, sans savoir si la flèche les mord.
Ils soient prêts aux revers, au triomphe, i la mort!
H' 143. Janvier 1919.
Le roi se prend de confiance en un tel conseiller.
Il le fait cacher derrière une tapisserie pendant le
conseil des minisires, pour avoir son avis. Ceuï-ei,
Cydias et Orélès, ne songent qu'à pressurer le
peuple, à l'accabler d'impôls, à le dépouiller, saisir
et vendre les pauvres hardes des misérables pour
faire ruisseler l'or dans les caisses de l'Etat où ils
puisent. Quand ils sont partis, Esope dit sa pensée
au roi :
Ils s'exercent, guidés par leur prudence habile,
A mettre dans ta main royale une sébile.
Ne sachant rien do plus, et leur expédient.
C'est de faire du roi Crèsus un mendiant.
11 prcclie le respect et l'amour du peuple, à qui
l'Elat doit tout :
Tout vient de ce peuple vaillant!
Toujours fouaillé par la misère, et travaillant,
Kt tonjours pauvre et nu, c'est lui qui te fait riche !
C'est par lui que le blé sort des terres en friche
Et que, se déroulant comme un riche tapis.
Ondule sous le vent le bel or des épis.
Crésus, enthousiasmé, nomme Esope son grand
premier minisire.
KROPK.
Qui? moi? le maudit! moi, l'avorton? moi, l'esclave?
CRÉSC8.
On verra sous l'or pur resplendir ton front hâve.
Au début de l'acte II, les ministres Cydias et
Orélès exhalent leur colère envieuse contre le nou-
veau favori, dont ils coniplolent la perle. Ils l'ont
vu fouiller dans certain coffre, où il cache à coup
5Ûr tout l'or qu'il vole. Ils le dénonceront. En le
voyant approcher, ils s'éloignent avec des rires
moqueurs.
Esope, qui a quitté ses haillons pour un costume
faslueux, nous confie qu'il est malheureux dans le
sein du bonheur et du luxe. Lui, chélif et laid, il
aime la belle Rbodope :
Cedo Rhodopc. orgueil du printemps souriant,
Qui ravit le mal même.
Comme une blanche étoile au fond de l'Orient,
O délire ! je l'aime!
El la voici venir avec le roi. Tous trois se félici-
tent de voir le char de l'Etat remis sur la bonne
piste. Crèsus dit son amour à Rliodope, qui ne
l'aime pas, mais le subit avec la docilité passive
d'une esclave dév.ouèe :
Le desiiu, contre moi si longtemps irrité
.\ fait de moi, Rhodope, une esclave, une chose
Sur laquelle ton pied victorieux se pose.
Dans mon regard captif on no voit pas d'éclair,
Kt le lit où je dors d est pas à moi, ni l'air
Que je respire. Mais, cependant, mon cœur vibre,
Kt je l'admirerais, ô roi, si j'étais libre.
Même je m'intéresse à ton sort comme un chien.
Qui veille encor, le cou blessé par un lieu !
Quand le roi est parti, Kbodope, restée seule avec
E.-ope, lui parle avec douceur, berce sa Irislesse,
l'interroge sur sa peine secrète. Esope ne veut pas
cpie son ridicule amour soit connu II joue l'indif-
férence. Mais Rhodope le devine :
O folle que j'étais! Je comprends. Et c'est moi
Qui t'ai fait supporter cette angoisse infinie.
Ces deuils, et c est pour moi que tu soutfret;, génie !
Elle se rappelle le temps où tous deux étaient
esclaves ensemble. Esope a beau protester, elle se
sent aimée de lui, et elle l'aime aussi : •
.Te voyais tes regards comme un flot de lumière.
La laideur n'est plus rien dans la pure clarté.
D'ailleurs, qu'est-ce que la laideur ou la beauté
Pour celle à qui les dieux, en leur céleste ivresse,
.Vvaient donné l'orgueil d'une jeune déesse?
Esope se défend d'avoir osé l'aimer :
Si parfois j'ose
Te contempler, c'est comme on admire une rose.
Non, je ne t'aime pas!
nnonopi-;.
Je te dis que tu meus!
Et elle se sauve après avoir mis un baiser sur le
front du pauvre bossu, qui, comme Alain Cliarlier,
s'écrie :
Oli ! je n'ai pas rêvé ! C'est bien elle. Sa bouclio
Radieuse a l>aisé mon front triste et farouche...
C'est bien vrai, j'ai senti la douceur du baiser...
O dieux ! Mourir dans col instant !
Crésus parait avec ses ministres, auxquels il con-
firnic les hantes fonctions qu'il confie k Esope.
Cydias et Oiélès, demeurés seuls avec le favori
bossu, entreprennent de le flatter pour le corrompre
et le compronietlre. Esope s'amuse de leur naïve
rouerie et les laisse débiter leurs flagorneries ".
LAROUSSE MENSUEL
Esope leur conte alors la Table du corbeau et du
renara. Les ministres s'en amusent. « Et que fit le
corbeau? » s'informenl-ils? — « Je ne sais », dit
Rsopo :
Quant à moi, pour qui tout parleur est l'adversaire,
Kntro mes fortes dents comme un étau je serre
Un fromage dont nul no fora son repas,
Kt des grirfcs de fer oe l'en àtoraieut pas.
Les ministres n'insistent pas et commencent
aussitôt l'assaut de cette conscience, qu'ils croient
vénale. Ils expliquent à Esope qu'il est doux de
mener joyeu.se vie.
BSOPR.
J'entends. Etre un héros, ce n'est plus à la mode.
Et tous, vous aimez mieux vivre. C'est plus commode!
Les ministres félons lui proposent de partager le
prix fructueux de leurs rapines et de leur trahison.
Uançonner le pauvre peuple, livrer la patrie au
riche étranger, cela rapporte. Alors, l'indignation
d'Esope éclate en vers éloquents ;
.... Que fais-tu donc là-haut, sombre tonnerre,
Puisque lu no dis rien dans les cieux interdits,
Et puisque tu n'as pas foudroyé ces bandits?
Dieux! Une ligure ocheveléo et morte
Est là gisante, et c'est la Lydie au beau front,
Qui jadis rayonnait, vierge de tout affront,
Et (jui régnait, do fleurs et do joyaux chargée.
O parricides! C'est votre mère égorgée.
Ayant ses bras charmants blessés par les Jiens,
Et vous vous disputez sa chair comme dos chiens !...
Vous paradez, repus, souillés, rassasiés,
Contents de vous, traînant vos barbes dans la fange.
Et vous me dites : « Viens ! partage avec nous ! Mange !
Allons! voici ta part ! Fais comme tous, eniin ! » —
Merci. — Kégaloz-vous sans moi! Je n'ai pas faim!
Il sort. Les ministres hors d'eu.\-mêmes jurent la
perte de cet insolent. Le roi reparaissant au milieu
de son peuple, devant tous, ils accusent Esope de
voler l'Etat et d'enl'ouir l'or de ses larcins dans un
coiïre caché dans une maison écartée :
Hier, nos serviteurs l'ont pu voir par les fcnics
De sa porie, plongeant son visage et ses bras.
Dis qu on aille chercher le coffre, et tu verras !
Le roi, interdit et douloureux, supplie Esope de
se justifier. Celui-ci dédaigne sa délense, et se ré-
signe à subir la calomnie :
Que pourrais-je dire? Un esclave est-il un homme?
Il est moins qu'un chien, moins qu une hôte de somme.
Est-il né d'une femme et nourri de son lait?
Non pas. Il est né dans la fange, puisqu'il est
Esclave. Oh! c'est affreux! Se peut-i! qu'il so lave
l>'uno accusation? Non pas! Il est esclave!
On a commis un crime, un vol? Deuil étcrnelt
C'est lui le voleur et le pâle criminel,
Et tout crapaud vil peut le salir de sa bave :
li ment, il fraude, il n'est pas homme : il est esclave 1
Rhodope plaide pour lui. Le roi ordonne qu'où
apporte le coffre.
Le troisième acte débute par les lameulations de
Crésus, qui gémit de voir sa confiance trahie. On
lui annonce la prise d'un espion persan, Saroulka,
s, oui a bravé la
laitre. Crésus' veut lui pardonner. Rhodope inler-
ministre de Gyrus, oui a bravé la mort pour son
l'as plus iiu'uo lis!
RsorK.
lUcu. Mais ne suis-jc pas Ijossu?
CYI>t.\S.
KSOI'K.
I>oui', je no suis pas laid ?
ORKIKS.
I*as du tout.
KSOI>B.
Je suis beau ?
trot AS.
Comme Apollon venant éclairer nos misères!
cède pour le captif, qui veut mourir en soldat et qui
a droit à la mort :
C'est un guerrier! Bien qu'il se soit enfui loin d'elle,
l.,a mort fut de tout temps sa compagne fidèle.
Que sous le clair soleil il voulut épouser :
Il a droit maintenant à son rouge baiser.
Le roi cède :
Bien, soldat, va mourir!
Devant la cour, les ministres, le peuple, le coffre
d'Esope a été apporté. Esope refuse de se défendre
et consent que la caisse soit jetée au Pactole sans
même être ouverte et vérifiée.
Accusé devant loi, je n'ai pas le droit d'être
Justifié. Ton dur soupçon, mon noble maître.
M'a déjà retranché d'entre les innocents.
Rhodope prend sa défense et, persuadée de son
innocence, fait ouvrir le coffre : Esope en sorties
haillons qu'il portait avant d'avoir reçu les faveurs
de Crésus :
Ces haillons noirs lavés par l'eau du ciel, brûlés
Par les soleils, avec leurs crins échovelés,
Ces chaussures do poil et cette peau de chèvre.
Comme le faune, ayant une flûte à sa lèvre,
En porte une sur sa poitrine, dans les bois,
Poursuivi par les cns d'une meute aux abois.
Ces guenilles (juc l'eau du ciel tourmente et lave,
Kcgardez-Ics : co sont mes vêtements d'esclave!
Enlin, voilà les fors qui m'ont, meurtri, les fers
Dont la sinistre voix parlo des maux soufferts.
Esope est recniinu innocent. O'i^'it à ses enne-
mis, les ministres Cydias et Orétès, des tablettes
saisies font la preuve de leur intelligence avec l'en-
nemi : iln sont envoyés à la potence.
Rhodope offre à Esope son amour. Il n'en veut
pas. Il voit clair. Le sentiment de celle douce
femme, ce n'est pas de l'amour, c'était de la pitié ;
Un jour lu me verras toi que jo suis, hideux.
Mais le roi l'aime? QuUl la fasse libre et l'épouse,
lieureux ([ue
Ce triste csciavo ait pu te donner à co roi*
661
Pour lui, il part, loin des hommes et de leurs
misères, dans le désert
Où, la griffe en éveil, les bé tes rvgneot senles
Et tienueut une cliair sanglante dans leurs gueules.
J'y Rorai caressé par la ronce et le houx.
J'ai vu les gens do cour, et j'aime mieux les loups:
Le roi et Rhodope lui Tont des adieux émus :
CKK8US.
Tu pars, toi, le vainqueur de nos luttes passés»,
gui 6s monter si haut le vol de tes pen»6e8.
N'ayant pas achevé tout ce que tu rêvas,
Et nous laissant à nous le bonheur.
BHODOPE.
Tu t'en vas.
N'ayant que la douleur muette pour hôtesse.
Avec l'inconsolable et profonde tristesse.
Avec la solitude au souffle insidieux,
Avec la nuit, avec l'horreur...
ESOPK.
Avec les Dieux '■ {JUdeau.)
Théodore de Banville s'est inspiré, dans ce drame,
de l'historiette successivement contée par Planude,
Plutarque, Lafoiitaine et mise au théâtre par Bour-
saiilt. Il y a usé modérément des fables et apo-
logues qui étaient, pourtant, le langage ordinaire de
l'esclave phrygien. Cet ouvrage, composé peu après
la guerre de 1870, se ressent des événements et est
un hymne à la patrie. Il a aussi un caractère social
par les revendications qu'il exprime en faveur de
la plèbe conlre ses exploileurs. Esope devient le
type des opprimés, des disgraciés, des misérables,
et l'incursion malheureuse qu'il fait dans les hautes
classes le laisse meurtri et désillusionné. Le petit
roman d'amour mêlé k celte sociologie est assez
insignifiant, quoiqu'il soit dans la légende qu'il fut
esclave avec la célèbre courtisane Rhodope : ce
serait celle-ci qui aurait fait élever pour lui la plus
petite des trois pyramides d'Egypte.
Le caractère d'Esope est allier, rigide; il n'a pas
la bonhomie spirituelle que l'histoire et ses fables
lui allribuent. Le caractère du roi est inconsistant
et faible. Rhodope est aimable.
L'expression est chaleureuse et atteint par en-
droits k l'éloquence, comme aussi, par endroits, le
souci de la rime riche crée les digressions, lon-
gueurs ou chevilles, ou les répétitions des mêmes
mots : chien et lien, ce qui n'est pas fort riche, bois
et abois.
Ce drame ne fut publié qu'en 1893, deux années
après la mort du poète. Il n'avait jamais été repré-
senté. 11 e-t de valeur, et il mêrilait la place que la
(iométlie-Krauçaise vient de lui oITrir dans la gale-
rie de son répertoire — Léo Claketic.
Los principaux rolos ont été créés par M** Colouiia
Komano i^lthodope); MM. de Max (f'^ope), Kscando (C»r-
sits); Denis d'Inès (Oirtés); Lafon (Cyoia») ; Alcover (.Sa-
roulkha).
Fièvre des tranchées (Syn. : Trench
Fever). Ces noms ont élé donnés, en France et
en Angleterre, ainsi que par les auteurs américains,
à une maladie, de tout point, semble-t-il, identique
à celle que d'autres ont nommée fièvre de Volhjnie
et que nous avons décrite sous ce nom (v. Larousse
Mensuel, p. 554). La commission du comité de
recherches médicales de la Croix-Rouge améri-
caine a eiïectué, sur celte mali^die, des éludes qui
ont au moins un côlé inhaljituel : les animaux infé-
rieurs qui servent ordinairement de sujets d'expé-
rience dans les laboratoires n'étant pas susceptibles
de prendre la «Trench Fever», ces expériences ont
été faites, dit le major Richard P. Strung (de l'Uni-
versité Harvard), sur « des soldats de l'armée amé-
ricaine, lesquels, quand ils ont connu les bienfaits
qui en résulteraient pour l'humanité, n'ont pas
hésité à offrir leurs services ». Les conclusions de
ces recherches ont élé à p«u près identiques à celles
que nous avons déjà enregistrées. Il est seulement
à noter que l'on n'a signalé aucun micro-organisme
comme devant êlre l'agent spécifique de la conta-
gion et que les expérimentateurs ont conclu à un
virus lillrant et résistant. D'autre part, ils déclarent
que la transmission de la maladie se fait ordinai-
rement par l'intermédiaire des poux cl que le virus
existe parfois dans l'urine et les crachats. Ces expé-
riences ont fait l'objet d'une communication à l'Aca-
démie de médecine, dans la séance du 12 no-
vembre 1918. — D' Maurice QlLLB.
Oaz. Les naz asphi/xianls pendant la guerre.
Ce fut le 22 avril 1915, dans les Flandres belges,
que les troupes allemandes firent usage, pour la
première fuis, de gaz asphyxiants; c'était là une
violation flagrante de l'article 23 de la Convention
internationale de La Haye; mais déjà, à cette date,
nos ennemis n'en étaient plus à compter le nombre
de leurs infamies.
Il faut remonter plusieurs siècles en arrière pour
retrouver ce cruel procédé de combat, qui. pourtant,
à celle époque reculée, était peu de chose, compa-
rativement à ce qu'il est devenu aujourd'hui avec les
piiissanles ciéalions de la science moderne. Dans
la Chemische '/.eilung du 25 mai 1918, le professeur
U. Neumann, de Breslau, reproduisant un manuscrit
^^^FN
IB Si
662
allemand datant de 1483 et qui donne des recettes de
bombes asphyxiantes, semble revendiquer pour ses
compatriotesVinvenliondecesengins: cela nous sem-
ble tellement naturel, à priori, que nous nous garde-
rons bien de le contredire. LepremlergazeMiployépiir
les Allemands futle chlore; celui ci seml)lait,d'ailleurs,
tout désigné. D'abord, l'industrie allemande pouvait
en fournil-
de grandes
'jiiantités ;
bien avsnt la
guerre, elle
livrait au
commerce,
dans des cy-
lindres d'a-
cier, du chlo-
re liquide ii
lin prix rela-
li veinent peu
ilevé, puis-
i|ue le gaz
(Hait un sous-
produit de la
îabrication
de la soude
pur électro -
lyse du sel
marin (ils'ob-
lenait encore
comme ré-
Masque français. ^j^^ ^^ ^^
préparation électrolylique de l'hydrogène dont on
se servait pour le gonflement des zeppelins); de
plus, ce gaz se liquéfie avec la plus grande facilité, il
se transporte sans difficnllé et, enfin, ses effets nocifs
sont tout à fait redoutables, car il attaque les mu-
queuses, provoquant loutd'abord une toux suffocante
et amenant rapidement l'asphyxie en empêchant le
fonctionnement de l'appareil respiratoire ; la mort
ue vient, d'ailleurs, qu'après d'horribles souffrances.
Le 22 avril, il s'agissait, pour les Allemands, avec
les premières vagues de chlore, de profiler du dé-
sarroi de nos troupes pour traverser l'Yser. Un
colonel, dont le régiment tenait la tranchée entre
Bixschoote et l.anghermark, relate en des pages
poignantes les heures terribles qu'il a vécues à cette
époque; on était venu l'avertir qu'il se passait de
graves événements aux lignes. « Je me précipitai,
écrit-il, pour voir ce qu'il y avait, et, à peine sorti, je
fus pris aux yeux et à la gorge par une odeur suffo-
cante de chlore. Je m'avançai quand même vers le
poste d'un de mes chefs de bataillon ; j'aperçus alors
un brouillard épais à la base, puis vert au-dessus et
enfin blanc, s'étendant au-dessus des tranchées;
l'air était irrespirable et, aussitôt, je compris que ces
mi^èrahlc"!, voulant commellre un nouvel acte d'in-
famie, cher-
chaient à as-
phyxier mes
pauvres trou-
piers...Jedus
m'arrêter, dé-
jà les sulîo-
ca lions me
venaient, je
sentaislatêle
qui me tour-
nait et, néan-
inoins,jepen-
-iiis que mon
devoir étail
il'arrèler par
tous les
moyens les
Allemands
sur l"Yser,el
surtout de les
empêcher de
traverser... »
Nos ennemis
eurent pour
eux l'effet de
la surprise ; des morts, des prisonniers, du butin,
un gain de 3 kilomètres en profondeur, ce fut tout.
Après avoir réussi à pas.ser le canal de l'Yser à llet
Sas et à occuper Lizerne, ils en furent chassés et
contraints de se replier derrière le canal, qu'ils ne
devaient plus jamais franchir.
A partir de celte date, la guerre chimique était dé-
clarée, les attaques par vagues asphyxiantes se mul-
tiplièrent, mais le commandement français s'était
déjà précaulionné contre leurs efiets et, en peu de
temps, nos soldats furent tous munis d'un masqui^
respiratoire; en attendant, on leur avait distribué
des tampons de gaze qu'ils devaient s'appliquer sur
le nez et la bouche à la première alerte, après les
avoir préalablement imbibés d'une solution d'hypo-
sulfite de sodium et de carbonate de sodium. Si le
chlore n'est pas en excès, on a la réaction suivante :
Cl« + 2S*0'Na''= Na'SiO» + 2NaCl
chlore. hyposullUc tétrathionate chlorure
de BOfUum. de sodium. de fiodium ;
le lélrathlonate formé est neutre. Si le chlore est en
.AROUSSE MENSUEL
H' U3. Jumier 1S19.
Masque fraDç.tis.
> d'-' gaz asphyxiants.
excès, il se forme, en particulier, de l'acide chlorhy-
drique, qui constitue également un gaz asphyxiant,
ce gaz est neutralisé par le carbonate de sodium :
2HC1 + COsNas = 2NaGl + CQs -j- H»0
acide carbonate chlorure acide eau.
clilorhyilrique. de sodium. de sodium, carbonique.
Cependant, les Allemands ne s'en tinrent pas là et
eurent bientôt recours aux obus à gaz asphyxiants.
Les vagues de gaz, en effet, pour pouvoir être em-
ployées, néces-
sit aient plu-
sieurs condi-
tions indispen-
sables: d'abord,
le vent devait
être favorable,
puis il fallait
procéder à une
organisation
préliminaire
qui n'était pas
sans danger
pour les opéra-
teurs et, enfin.
l'effet produit
avait une por-
tée restreinte.
Avec les obus
asphyxiants, au
contraire, les
.M 1 e m a n d s
pouvaient por-
ter leur œuvre
de destruction
sur des points
variables, dé-
terminés, avec
beaucoup plus
de sûreté. Ils
commencèrent d abord par des obus à gaz lacry-
mogènes; ils employaient à cet effet le bromure
de benzyle Ce Hs — CH! Br et celui de }>jl<jle
GH3— Cem — CHSBr.
Ces gaz lacrymogènes, qui irritent les yeux,
avaient pour but de mettre nos soldats hors decom-
bat au moins pour quelques jours. D'ailleurs, ils ne
tardèrent pas à employer des gaz toxiques ; ils en
utilisèrent une assez grande variété, tant dans leurs
obus que dans leurs grenades.
Ce sont d'abord le cldoroformiute de méllnjle
monochloré, puis le chlorofnrmiate de méthyle tri-
chloré, pins toxique que le précédent, enfin, l'o.i.i/-
chlorure de carbone ou phosgène. Tous ces com-
posés ont, du reste, un lien de parenté chimique :
Appareil français Draegcr.
IICOOII
acide formiqitc.
Cl CO Cl
phosgène
i chlorure de formyle
chloré.
CICOOCH'
chloroformiatc de méthylo.
ClCOOGlUni
chloroformiate de m^Uivli-
monochloré.
ClCOOGCls
«•hloroformiate de méthyle
trichloré.
IICOOCH'
formiate de méthyle.
Le phosgène fut ultérieurement employé comme
vague, mélangé ou non de chlore.
On y remédia en munissant les masques protec-
teurs de sulfanilate de sodium, qui, comme l'ani-
line et ses dérivés, se combinent au phosgène.
Les masques protecteurs français ont, d'ailleurs,
changé plusieurs fois de forme (cagoules, demi-
cagoules, masques); il en est de même pour les
produits qu'ils renferment; depuis longtemps, ils ont
constitué pour nos soldats un préservatif absolu-
ment sur, à condition, bleu entendu, que le masque
soit appliqué correctement sur la figure.
Parmi les masques utilisés, il convient de citer
en première ligne celui du D'' Tissot, que nous
avons longuement décrit dans le Larousse Mensuel
(tome l"^', p. 724); malheureusement, ses dimen-
sions n'en permettent l'emploi qu'à poste fixe. 11 fut
distribué aux artilleurs et aux iiiilrailleurs. On a
réussi, après de laborieuses recherches, à établir nu
modèle de masque pouvant être porté longtemps
sans fatigue et ayant une efficacité indiscutable; il
rappelle le masque allemand par sa forme, mais en
dilfère par ses dispositions intérieures, qui lui con-
fèrent une supériorité indiscutable.
Dans les masques respiratoires allemands, l'air ins-
piré doit traverser trois couches successives de ma-
tières; la première est une couche de ponce imbibée
irhexaméthylène-tétramine, la seconde est constituée
par du charbon de bois, la troisième est une couche
lie terre cuite, imprégnée de carbonate de calcium.
A partir de la fin de l'année 1917, les Allemands
commencèrent à employer le sulfure d'étinjle di-
./i/oré S<^[p~g{Jîq[. que nos soldais onl sur-
nommé ïypp'W/e, parce que c'est aux environs d' Ypres
qu'ils eii ressentirent pour la première fois les etfels.
La préparation de ce composé est assez délicate;
les Allemands l'obtenaient probablement en par-
tant de la monochlorhydrine du glycol. Ce composé
se prépare assez facilement en traitant l'éthylène
par l'acide hypochloreux :
CH«=CHS -f ClOH = CH'Cl-ClPOll
éthylène acide monochlorhydriuc
hypochloreux. du glycol.
. La monochlorhydrine du glycol est traitée par le
sulfure de potassium et donne du thiodiglycol
S = (CH2 — Cll-OH)'. Ce Ihiodiglvcl ,)..nn^. >i\oc.
un clilorurc
de phosphore.
le sulfure
il éthyledl-
rbloré.L'ypp
rile est une
vapeur vési-
cante,quiagil
au contact de
la peau et
dont l'action
peut encore
se faire sen-
tir plusieui-
jours après
qu'elle a été
répandue, en
touchant par
exemple des
objets qui se
sont trouvé^
à son contact.
Les Alle-
mands firent un usage considérable d'ypérite, tant
par obus que par grenades. Parmi les autres gaz
qu'ils ont employés, nous pouvons citer :
Le sulfate de méthjle (CH3)jS0»,
Les célones bromées (dimélhylcélone bromée
CH'COCH'Br, mélhi/lélhylcélone bromée
C=H5C0GH!Br, etc.),
La chloropicrine GClaAzQs, obtenue par l'action
•du chlorure de chaux sur l'acide picrique,
Le chlorure de phénijlcarbylamine
cm» — Az=C = Cl>,
Miisquc allemand.
N' 143. Janvier 1919.
EnHn, un certain nombre d'arsines, parmi les-
quelles le chlorure de diphénylarsine iG'H'j'As*;!
et le dichlorure de phénylarsine ((J'Ii»)AsCl', ces
derniers produits caractériïiéâ par leur action ster-
uutatoire.
Malgré toute la répugnance des nôtres pour faire
usage de pareils procédés, il a fallu s'y résoudre, et
nos chimistes se mirent à l'oeuvre.
En présence d'adversaires ayant médité leur
agression et s'y étant longuement préparés, on dut
improviser. La chimie française montra en cette
circonstance tragique qu'elle était capable de réali-
sations immédiates, lorsqu'on lui en fournissait les
moyens. L'immense labeur de nos savants et de
leurs collaborateurs, dans les laboratoires, l'activité
de nos industriels pour la mise en œuvre, à l'usine,
des procédés de fabrication des gaz de combat et
du matériel de protection, assurèrent aux « Services
chimiques de guerre » une large part dans la vic-
toire linale. — o. bodcbkny.
Oermaniaues ((^AHACTÈnEs généraux des
langues), par A. Meillet (Paris, 1917, in-12). — 11
n'est pas besoin d'être un linguiste de profession
pour s'apercevoir que l'anglais et l'allemand sont
apparentés. Ces deux langues ont en commun une
foule de mots essentiels, peu susceptibles d'emprunt
et de migration, et elles offrent une remarquable
analogie dans la conjugaison des verbes « forts ».
Cependant, elles appartiennent chacune à un type
linguistique bien différent. La grammaire de l'alle-
mand, avec ses cas, ses désinences, ses suffixes,
rappelle, au moins en apparence, celle des langues
classiques. Au contraire, l'anglais, qui a perdu les
(inales, ou qui les a réduites à fort peu de chose,
semble, avec ses mots-racines, avec ses verbes qui
sont à la fois des noms, assez proche de l'état des
idiomes monosyllabiques de l'Extréme-tlrient : chi-
nois, annamite, etc. Mais leur parenté n'en est pas
moins rérlle. Anglais et allemand n'étaient d'abord
i|u'uue même langue, qui a suivi une évolution
divergente sur des domaines distincts, avec une
rapidité inégale, et sous des inlluences diverses.
Oans son nouveau livre, A. Meillol, professeur de
grammaire comparée au (iollège de, Krance, expose
le développement (U'igiiial dn groupe do langues
auquel appartiennent le parler de nos alliés et celui
de nos ennemis. Il étudie l'ensemble d'innovations
(|ui ont donné, dans la « fainilli- » indo-européenne,
une physionomie spéciale aux langues jeiVHa»i««es.
Lorsque la grannnaire comparée s'est constituée,
elle s'est d'aboid attachée aux ressemblances entre
les idiomes et a découvert une série de rorrespon-
<laiices régulières, qui ne pouvaient être l'elTet ni
d'un hasard, ni d'emprunts. Une fois établie la » pa-
renté », c'est-à-dire l'identité originelle des langues
composant la « famille », on a étudié les Irails par-
ticuliers à chacune des « branches » et les tendances
spéciales qu'elle manifeste. L'idéal .serait d'indiquer
les causes de ces tendances. Mais on est, sur ce
point, presque toujours réduit à se taire. La pénu-
rie des documents et l'absence de données histo-
riques rendent fragiles la plupart dos hypothèses.
Les langues germaniques se répartissent en trois
groupes : oriental, septentrional et occidental. Le
germanique oricnlal (gothique) nous est connu par
des fragments d'une traduction du Nouveau Testa-
ment faite au iv« siècle, dans la péninsule balkanique,
par l'evèquc goth Wnllila. Aucune langue actuelle
ne le continue. Le germanique soplenirional ou Scan-
dinave nous est anciennement coiuiuparlcs inscrip-
tions runiques (à partir du m" siècle après .I.-C.) et
par les monuments littéraires écrits en vieil islan-
dais (xi'-xiv« siècles). Il est représenté aujourd'hui
par les dialectes norvégiens et islandais, par le sué-
ilois et le danois. Ce dernier a subi une simplifica-
tion grammaticale analogue à celle de l'anglais. Kn-
lin. le gcrmanimie occidental comprend aujourdiini
l'anglais, dont le frison est assez rapproché, et les
parli'rs allemands, où l'on distingue le haut allemand
alleiuand liltéraire\ le bas allemand ou saxon, et le
néerlandais (hollandais et flamand). Les formes an-
ciennes du germanique occidental sont le vieil
anglais (depuis le vu" siècle^, le vieux haut allemand
(depuis le vm"^, le vieux saxon (depuis le ix'). Le
germanique occidental a moins d'unité que le Scan-
dinave, et le vieil islandais est plus, archaïque que
le gothique.
La comparaison entre les anciens monuments des
langues germaniques amène à postuler l'existence
.intérieure d'un germanique commun et, par consé-
quent, d'un peuple germanique ayant possédé une
unité relative, pendant les deux ou trois derniers
siècles avant l'ère chrétienne. Pour l'habitat de ce
Peuple, on peut désigner soit la partie centrale de
Europe, soit les plaines du nord de l'Allemagne.
Mais c'est de la préhistoire tm peu incertaine. Au
coniraire. l'induction linguistique permet d'assurer
que le germaniiinecoinnum, tout vn avant une forme
assez ancienne, s'écartait déjà sensiblement du type
indo-européen : " Beaucoup do changements capi-
taux étaient déjà réalisés: mais beaucoup d'autres
élaieiit seuleniont amorcés. Les loïKlaiiccs qui (le-
vai.'ni aliiiiitiiM Ijansl'in mer profoudénieut la langue
LA ROUSSI-: MENSUEL
existaient; mais elles n'avaient pas toutes abouti k
des réalisations visibles ».
Sans doute, nous ne savons à peu près rien de
l'histoire de la Germanie pendant la période d'unité.
.Mais, dès leur apparition dans l'histoire, les Ger-
mains ont fait preuve d'une humeur aventureuse et
conquérante. 1 antôt ils ont imposé leur langue aux
peuples vaincus (Angleterre), tantôt ils se .sont fon-
dus dans la population envahie (France). Or, quand
une masse ethnique change de langue, elle conserve
toujours quelques-unes de ses anciennes habitudes
de prononciation ou de grammaire. Elle a de la peine
à reproduire des articulations nouvelles, à s'assimi-
ler un autre mécanisme grammatical. De là une ten-
dance à modifier et à simplifier la langue apprise.
Les tendances que manifeste déjà le germanique
commun sont en partie imputables à cette cause,
n 11 est probable, dit Meillet, que le germanique,
qui a rompu si nettement avec les usages indo-euro-
péens, est de l'indo-européen parlé par une popula-
tion nouvelle qui a accepté l'indo-européen, tout en
conservant beaucoup de ses habitudes articulatoires
antérieures ».
D'autres tendances ne sont point particulières au
germanique : réduction des finales, amuissement
des consonnes entre voyelles, diminution du nombre
des cas, etc. Ce sont des phénomènes bien connus
dans l'histoire des langues romanes et dans celle des
dialectes modernes de l'Inde.
Après la période du germanique commun, l'évo-
lution s'est précipitée. 11 n'y a pas eu, en effet, d'em-
pire germanique assurant à la langue une stabilité
relative. L'empire de Charlemagne"a été tardif et
s'est accompagné d'une renaissance latine. « Jus-
qu'au moment où, du ix« au xiV siècle, sa sont
posées des langues nationales déjà fortement dilTé-
renciées, les populations de langue germanique n'ont
pas eu de langue germanique de civilisation ».
Une des plus remarquables innovations phoné-
tiques dos langues germaniques, déjà réalisée dans
le germanique commun et par conséquent antorieuri!
à l'ère chrétienne, est ce qu'on appelle la mutation
consonaiitique : toutes les consonnes indo-euro-
péennes, sauf la sifllantc s, ont changé de série en
germanique: les (iiclusi vos soiU)res indo-européennes
(h, (/, .9) sont devenues des sourdes germaniques
p, ^ k\\ les sourdes indo européennes (p, t. /.) ont
été remplacées en germanique par des spiranles
{f. Ih anglais sourd, ch allemand sourd) et les so-
nores aspirées indo-européennes [hh, dh, i)h) ont
perdu leur aspiration en germanique (6, d, g). C'est
la loi de Grimm, publiée par le Danois Haskcn ISIX
et par l'-MIcmand .lacob Grimm en 1822.
Du point de vue de la phonéti(|ue physiologique,
le phénomène consiste en ce que les consonnes gct»
inaniques s'articulent avec un retard dans l'ai'tion delà
glotte, qui reste ouverte durant la périoded'ocdusion
des sourdes et qui ne commence à vibrer qu'au
moment de l'explosion des sonores. Ce mode d'arti-
culation ayant persisté en allemand, il s'est produit
une seconde nmtalion consonanlique entre le i"' et
le vin» siècle de notre ère, et nous en voyons s'ac-
complir une troisième de nos jours, dans le sud de
l'Allemagne, où b, rf, g perdent leur sonorité et où
/(. /, k s'agrémentent d'une aspiration. Le lait est
bien connu des Français, qui ont mainte fois raillé
ce trait de prononcialion germanique. En anglais
et en Scandinave, les consonnes occlusives ont ac-
ipiis plus de fixité et ressemblent davantage à celles
des langues romanes.
Une mutation entièrement parallèle s'observe on
ariucnien. Or le système des occlusives ariucnieniies
est identique à celui du géorgien, langue voisine
non indo-européenne. On est donc conduit à ad-
mettre que l'arménien est de l'indo-européen pro-
noncé par des bouches géorgiennes. Mais on no
saurait indiquer le peuple ou la langue qui ont trans-
formé le consonantisme indo-européen en articula-
tions gcrmanii|ues. On peut noter seulement que le
celtique, voisin du germanique, a subi une altéra-
tiiin analogue.
Une autre particularité intéressante de la phoné-
tique germanique eslVinflexionoiiynétaphonie. Fax
germanique, le timbre des voyelles est susceptible
d'être modifié par la nature des éléments qui les sui-
vent dans le même mot. On a ainsi en vieux haut
allemand erda « terre » et irdin « de terre » allein.
moderne erde et irden) : \'e de la syllabe initiale de
erda est devenu un i dans Padjeclif irdin, à cause
de la présence d'un i dans la seconde syllabe. Mais,
en indo-européen, chaque syllabe était autonome et
ne subissait pas l'inlluence de ses voisines.
Plus importante encore est la différence entre
l'accent tonique indo-européen et celui du germa-
nique. Le " ton » indo-européen était un accent île
hauteur, une nuance mélodique. Il est resté tel en
sanscrit et on grec. L'.iccent indo-européen pouvait
occuper n'importe quelle place dans le mot. En ger-
manicpie, l'accent est un ronforcement de la voix
qui « frappe » la syllabe initiale et tend k détruire
les rapports quantitatifs hérités de l'indo-européen.
Il allonge les brèves et provoque l'alTaibli.ssement
ou la disparition îles voyelles atones, brèves ou
longues, qui Te suivent : «La phrase germanique e.st
663
violemment martelée par les acceuta d intensité qui
frappent les svllabcs initiales de chacun des mots
principaux... L'introduc:tion de l'accent d'intensité
à une place fixe, l'initiale, a été une révolution, et
rien ne caractérise davantage le germanique »
Le latin a pré.senté un pliénomcne .semblable, à une
époque très ancienne : toute syllabe initiale était
prononcée plus intense, d'où l'altération de» voyelles
intérieures : facio, efficio; faclum, effectum. Mais
celle intensité inilbile ne persistait plus à l'époque
hislorique. Le latin classique poa^édait seulement
un accent de hauteur, contrairement à ce qu'ensei-
gnent les linguistes allemands, dupes de leur j)ropre
accent. La transformation germanique de 1 accent
indo-européen est également imputable à une pro-
nonciation étrangère.
La phonétique germanique est donc radicalement
différente du système indo-européen. La grammaire
germanique a suivi une évolution parallèle. La ra-
cine, appuyée par l'accent, a pris une importance
capitale, au détriment du reste du mot. « L'élément
radical... devient l'essentiel et, finalement, le tout
du mot. C'est la négation du type indo-européen ».
Même lorsque le germanique" conserve certaines
caractéristiques de la morphologie indo-européenne,
par exemple les alternances vocaliques de la conju-
gaison des verbes « forts » (allemand bitiden, baiid,
gebiinden), il les altère, ou les complique. La flexion
est devenue un accessoire et, parfois, a disparu (an-
glais et danois). Le mot indo-euro|>éen, où la racine
s'accompagnait toujours d'éléments qui détermi-
naient sa fonction grammaticale, tend à se réduire,
en germanique, à une racin^toute nue. La dispari-
tion des désinences a fait développer l'usage des
prépositions pour exprimer lefcas et a rendu fixe
l'ordre des mots.
Quant an vocabulaire germanique, il a conservé
des noms indo-européens isolés; mais les mois hé-
rités de l'indo-européen ne sont pas groupés autour
de racines fournissant également «les noms et des
verbes, suivant la coutume indo-européenne. Los
racines germaniciues sont seulement verbales. De
nouveaux suffixes ont été créés : l'usure des finales
les avait rendus nécessaires. Le sens de certains
fermes indo-européens a été singulièrement modifié.
.\insi, l'allemand leben « vivre » se rattache à la
même racine que le grec lipos ■< graisse ». La racine
'leip- signifiait primitivement « se coller à. rester
collé à ». L'allemand leiheii « prêter » a la iiiêMie
origine que le grec teipein et le latin linquere qui
signilieni <• hiis.ser ». La racine 'leikir- servait, en
indo-européen, à désigner des transmissions d'objets
ayant une valeur.
Les emprunts sont nombreux eu geVmanique. Il y
a d'abord ceux qui proviennent d'un idiome inconnu,
tel l'allemand .silber « argent ». Il y a ensuite les
emprunts celtiques, qui sont imijortants. Les Gau-
lois, à l'époque de leur court et brillant empire
(v«-iii« siècle avant .Iésus-Chri.st), ont fourni aux
Germains des termes de civilisation : allemand
eisen « fer » (gaulois isarno-) ; ail. anit » charge,
emploi » (gaulois ainbactos « serviteur »), etc. L'in-
fluence du latin a été considérable. Citons seule-
mont l'allomand esel « âne », qui est le latin asellus
et ail. schreibeii » écrire », latin scribere. Ce der-
nier emprunt a été fait par le vieux haut allemand :
il n'y a pas do mots germaniques communs signi-
fiant « lire » et « écrire ». Les emprunts au latin et
aux langues romanes se sont multipliés jusqu'à la
fin du XIX* siècle. On sait qu'en anglais les mots
d'origine germanique ne forment qu'un tiers du
lexique total. Le latin a même prêle au germanique
son suffixe -arius, et c'est sur le modèle du latin
conscienliaquA été l'orme le mol qui est aujourd'hui
i/eirissen « conscience » en allemand. Happelons,
oiifin, que l'allemand kirclie et l'anglais churcli
« église » sont le grec kuriakêlkuriké).
Pour le vocabulaire, cuiimie pour la grammaire et
la phonétique, les langues germaniques se sont donc
fort éloignées du type indo-européen. — On a dû. se
borner, ici, à choisir quelques idées générales et
quelques exemples dans le livre d'A. Meillet, si
dense, si riche de faits, ordonné suivant une mé-
thode rigoureuse, et rédigé avec autant d'élégance
i[\ïQ de clarté. — Jcaa Dëoluc.
* grapbite n. m. — Encycl. Le graphite est une
<les substances industrielles si nécessaire aujour-
d'hui, par suite de l'extension des travaux niétallur-
gi(|ues, que son exploitation a dû être intensifiée.
N'os gisements coloniaux de Madagascar, par exem-
ple, qui, il y a quelques années, ne produisaient guère
que 350 tonnes annuellement, fournissent actuelle-
ment de 20.000 à 25.000 tonnes. Le graphite, en
effet, joue un rôle considérable non seulement dans
l'élaboration des métaux, étant la matière première'
dont on fait creusets, électrodes, enduits de mou-
lage, etc., mais aussi en mécanique, comme lubri-'
fiant, peinture antirouille, elc.
Chimiquement, le papbite est une variété cris-
tallisée du carbone, intermédiaire entre la matière
amorphe et le diamant. On le trouve dans la nature,
quelquefois en masses assez pures, mais, le plus
souvent, en mélange avec de la terre, de l'oxyde de
664
fer, etc. Purifié, il forme une substance noire, onc-
tueuse au toucher, bonne conductrice de la chaleur
et de l'électricité; sa densité oscille entre 2,015 et
2,583 selon les gisements. Très résistant à l'action
de la plupart des réactifs, il ne s'attaque que sous
l'inlluence d'acides concentrés additionnés d'oxy-
dants (chlorate, acide chromique, etc.); quelques
métaux en fusion le dissolvent (le fer à 1.000°C. en
dissout 1 p. 100). Le seul di.ssolvant connu, parmi
les substances organiques, est le décacyclène, car-
bure de formnle*J"H", capable d'en solubiliser un
dixième de son poids.
Le graphite résiste aux températures extrêmement
élevées du four électrique (4.000°G.),le carbone amor-
phe se transformant, àces températures, en graphite,
seul état stable du carbone, dans ces conditions.
Industriellement, on distingue, parmi les diverses
qualités, les graphites naturels, dont les plombagi-
nes ou mines de plomb sont des variétés compactes.
(jvaphile naturel. Le graphite a été signalé en
de nombreux points du globe, mais quelques gise-
ments seulement sont exploités, tant à cause de leur
puissance que de la pureté des masses extraites. En
CaiTicre de graphite, à Madagascar.
preniiéro ligne, il convient de citer Geylan, où plus
de 10.000 ouvriers, dans 300 mines, mettent à jour
40.000 tonnes par an; la Bavière, avec le célèbre
gisement de Passau; la Bohême; la Sibérie orien-
tale, dans les régions de Tounkine, près d'Irkontsk
et de Touroukliausk, eu nord de l'iénisséi, ces gise-
ments, découverte par le Français Alibert, furent
longtemps la propriété de la marque allemande des
crayons Faber; les Etats-Unis, etc.
En France, il n'existe que quelques mines : Pis-
sie (Ariège), Brusian (Hautes-Alpes), Vaigreray et
Saint-Paul (Rhône), de peu d'importance, notre
principal approvisionnement étant assuré par notre
colonie de Madagascar. La production globale est
évaluée & 175.000 tonnes, dont un quart est fourni
par Geylan et un tiers par la Bavière et la Bohême.
Les masses graphitiques extraites sont très im-
pures; certaines, même, ne contiennent que 5 à
8 p. 100 de graphite; il importe, avant tout emploi,
de les purifier. La diKicnlté de ce travail explique
le grand nombre de procédés employés, depuis le
simple triage manuel jusqu'aux méthodes d'enri-
chissement les plus perfectionnées, en usage dans
les laveries de minerais.
Mécaniquement, le minerai est traité soit sec,
soit mouillé d'eau. Dans le premier cas, le tout
venant de la mine, séché au four, est concassé et
hroyé, puis trié par des dispositifs classant les ma-
tériaux par ordre de densité. Dans le travail humide,
le minerai est broyé au pilon d'un bocard, avec
de l'eau; les boues, enrichies par des appareils
spéciaux, sont liltrées et séchées; selon les cas et,
sintont, d'après les facilités de la région minière,
on travaille à sec ou à l'eau. Dans telle région, l'eau
sera abondante, mais le combustible rare ; ailleur.s,
le lait inverse aura lion.Ge sont ces conditions qui
fixeront le meilleur clioix.
Outre ces moyens d'em-ichissement, lorsqu'il est
nécessaire d'obtenir un graphite pur, on procède par
nettoyage chimique. Un des procédés consiste à
alterner des lavages à l'acide chlorhydrique et des
fusions avec des carbonates alcalins. Enlin, lorsque
ion désire un produit extrênieinentpur, on pratique
une oxydation à iliaud, par l'acide nitrique fumant,
suivie d'une fusion à la potasse, en terminant par
un abondant lavage à l'eau et une calcination à
haute température.
LÀtlOUSSE MENSUEL
Graphite artificiel. Un grand nombre de réac-
tions, lorsque du carbone prend naissance à l'état
libre et se trouve en même temps soumis à une haute
température, produisent du graphite (attaque du fer
par le sulfure de carbone, de la fonte par le chlo-
rure de carbone, cristallisaliuti du carbone dans les
métaux, décomposition de divers carbures métalli-
ques, etc.). Ces réactions peuvent être mises en
application, pour préparer des graphites, en par-
tant de matières carburées quelconques.
L'Inventeur du carborundum, Acheson, réalise
un graphite très pur et très léger (densité 1,62) en
Irai tant dans un four électrique à résistance de
l'anthracite très impur. Celui-ci contenant de 20 ii
23 p. 100 de cendres, le courant détermine la for-
mation de carbure siliclé en quantité; puis, la tem-
pérature s'élevant, ce carbure se décompose en car-
bone libre, qui cristallise en graphite et en silicium,
lequel se volatilise; à la température de 4.000°G.,seul
subsiste le carbone, toutes les impuretés s'éliminant.
Le seul chauffage intense est également employé
pour graphiter divers objets façonnés avec des car-
bones amorphes. C'est ainsi que la société <• le Car-
bone » obtient des baguettes de graphite en portant
une pâte de carbone amorphe, étirée en un fil épais,
à une haute température, en la faisant traverser un
arc électrique jaillissant en atmosphère neutre. Nous
décrirons, pins loin, une application de ce genre
dans la fabrication des électrodes.
Emplois du graphite. Les multiples usages du
graphite n'ont pu se développer que par l'emploi de
grapliite épuré; le produit naturel, souvent souillé
de plus de 20 p. 100 de cendres, ne pouvait donner
de bons résultats qu'après nettoyage, car les con-
ductibilités calorlllque ou électrique, la malléabilité,
le pouvoir lubriliant sont fortement atténués parles
impuretés contenues.
L'usage du graphite, le plus ancien et pendant
longtemps le seul important, fut la fabrication du
crayon. Dès 1550, les mines anglaises de Borrow-
dale, aujourd'hui épuisées, fournissaient un graphite
très pur pour cet usage; puis l'industrie du crayon
se localisa à Nuremberg, au
pays des ouvrages de bois, où
elle était encore Horissante à
la veille de la guerre.
Sans nous étendre sur la
confection des crayons, nous
indiquerons que la préparation
de ces petits instruments né-
cessite la formation d'une pâte
enserrée dans une gaine de
bois. La pâte la plus conve-
nable, d'après les recherches de
^onté et Humblot, est un mé-
lange de graphite pulvérulent
et d'argile, les proportions des
constituants permettant de réa-
liser toutes les gammes de du-
reté demandées par les dessi-
nateurs. En général, l'argile
introduit la dureté, mais donne
un trait sans vigueur.
La pâte graphitée, bien ma-
laxée à l'eau, est pressée par un pisHon sur une
filière de pierre où elle s'eflile en longs filaments;
ceux-ci, desséchés, sont cuits dans des creusets clos
et ensuite enfermés dans les cylindres de bois
constitutifs du crayon. Naturellement, toutes ces
opérations se font mécaniqucmenl. Aux Elals-Unis.
la production de 1906 fut de 350 millions de pièces;
elle avait exigé la mise en œuvre de 10.000 tonnes
de pâte et de 780.000 mètres cubes de bois, princi-
palement du pin, sapin et cèdre.
La fabriciition du creuset pour la fusion des mé-
taux est également très ancienne; elle remonte au
moins à 1440. Elle consiste à travailler, par lès
procédés des potiers, des pâtes formées par un mé-
lange de graphite et d'argile lié par du goudron.
Une fois cuits, ces creusets rendent les plus grands
services; ilssupporteutde très hautes températures
sans se fendre, ne cassent pas au feu et résistent i
l'action corrosive de nombreuses scories; il faut,
toutefois, les chaufferjde préférence, dans une atmos-
phère réductrice ; ils conviennent parfaitement pour
la fusion des métaux (acier, bronze, métaux pré-
cieux); très bons conducteurs de la chaleur, la
fusion s'y accomplit rapidement. Leur résistance
leur permet de supporter un grand nombre de
(^barges et rend leur emploi comparable, connue
dépense, à celui des creusets de terre. Les creusets
ou pots, en usage pour fondre les alliages moné-
taires, tenant 250 kilogrammes de mêlai, cliaulTès à
feu nu de coke, peuvent résisler durant plus d'une
semaine à deux on trois charges par jour.
On fait également en terre plombaginée des agi-
tateurs pour brasser les métaux en fusion, des
briques réfraclaires pour établir les parois des fours,
des éléments d'appareils de cliaufi'ageélectrique.etc.
Cette dernière application repose sur le fait que
l'argile peut diminuer la conductibilité électrique
du graphite au point de le rendre assez peu conduc-
teur sous le passage du courant et de déterminer
ainsi son écbaufTement; le mélange d'argile, de
N' 143. ./anviap fSfS.
carborundum et de graphite connu sous le nom de
kryptoi a été préconisé dans ce but.
liB grande conductibilité électrique du graphite
(2 à 11 ohms par centimètre d'épaisseur) trouve dans
l'Industrie de multiples applications; elle le rend
précieux pour constituer des pièces d'appareillage
électrique, notamment lorsque celles-ci supportent
des frottements (balais de dynamos, par exemple).
Le graphite est l'élément de choix pour la confec-
tion des électrodes et des charbons de lampes à arc.
Les électrodes des fours électriques sontde grands
cylindres de 1°',50 à 2 mètres de longueur sur 23 à
33 centimètres de diamètre, par lesquels arrive
le courant dans les fours électriques. On prépare
ces électrodes en broyant le graphite très finement,
l'agglomérant avec du goudron sous une très consi-
dérable pression, pour finir par une forte calcination.
La grande consommation des électrodes, aujour-
d'hui si employées par suite de l'adaptation de la
houille blanche à la métallurgie, a conduit à reche-
rcher le moyen de les obtenir économiquement avec
des charbons ordinaires.
Les électrodes de charbon graphité se préparent
avec du coke, du charbon de cornue, etc.; ces maté-
riaux pulvérulents, agglomérés avec du goudron,
moulés en cylindres, sont, après cuisson, portés
dans un four spécial à une température très élevée,
sous l'infinence de laquelle le carbone prend l'état
graphiloide.
Le four employé consiste, en principe, en une
plate forme sur laquelle on pose les cylindres à
graphiter, debout sur leur base; les Interstices sont
garnis de matériaux peu conducteurs; un courant
électrique intense, envoyé à une extrémité de la
plate-forme, traverse la masse en y éprouvant ime
telle résistance que le tout s'échauffe au point de
porter les électrodes à la température nécessaire.
Les propriétés conductrices du graphite sont en-
core utilisées, en galvanoplastie, pour rendre con-
ducteurs les moulages à métalllser. On rend parfois
la plombagine destinée à cet usage meilleure con-
ductrice en l'évaporant avec des sels d'or ou d'argent.
ur ^ graphiter les électrodes : A A', prises de courant; lî, sole isolante; (^ uia8:^e peu
coaductrice; U, remplissage conducteur; E, électrodes à graphiter..
Les propriétés adhésives du graphite à tous les
corps rugueux ont reçu quelques applications dans
les fonderies de métaux pour empêcher le métal
coulé d'adhérer au moulage de sable. Celui-ci est
badigeonné de graphite en suspension dans l'eau.
Lorsque le métal en fusion vient en contact de celte
couche protectrice, la chaleur détermine la forma-
tion de vapeurs ou de gaz, qui, isolant le moule du
moulage, permettent aisément de retirer la pièce
coulée.
Ces mêmes propriétés adhésives font du graphite
une excellente matière pour constituer des pein-
tures. Un mélange d'huile de lin bouillie, de gra-
phite épuré et de silice pour obtenir la consistance
donne un endnittrès adhérent, dnralde, imperméable
à l'air, à l'humidilé, aux gaz, couvrant mieux que
le minium et couvenani, par suite, comme anti-
rouille. Ces peintures trouvent dans la construction
mécanique un grand débouché; il en est de même
des noirs de plombagine pour la fumisterie, mé-
langes de benzine, d'huile et de graphite.
L'une des propriétés les plus remarquables du
graphite est son pouvoir lubriliant. Sa grande onc-
tuosité, son adhérence aux surfaces métalliques
permettent, en eiïet, de réduire considérablement le
coefficient de friction et d'améliorer par suite les
frollemeiils.
Môme à l'élal solide, sans addition d'aucun véhi-
cule liquide, le graphite peut servir de matière de '
graissage. On fabrique des paliers de machine anlo-
gralsseurs en les façonnant d'aggloméré de sciure,
d'huile et de graphite convenablement pressé et
cuit (libro-graphite).
l'^n général, pour faciliter l'emploi du lubrifiant
dans les machines, on cherche à le faire pénétrer
dans toutes les pièces par l'iulormédiaire d'huile;
malheureusement, on rencontre une grosse difficulté
à le maintenir en suspension. Le plus grand nombre
de recettes préconisent l'emploi de graphite lamel-
laire incorporé dans du suif, de l'huile de palme, etc.
— OGo
CONDITIONS DE L'ARMISTICE
Signé le n Novembre 1918, dans un wagon-salon, en gare de Rethondes (Oise).
Entre le maréchal Foch, commandanl en chef les armées aUiéeSt stipulant
au nom des puissances alliées et associ'^eSy assisté de famiral Weymiss,
first sea /ora (premier lord de la mer), d'une pari;
El M. le secrétaired'Elal Erzherger, président de ladélégationallemande;
M. l'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire ^ comte von
Oherndor/f :
M. le (fénéral d'élat-major von Winterfeldt;
M. le capitaine de vaisseau Vanselow^
munis de pouvoirs réguliers et a;)issant avec l'agrément du chancelier
allemand, d'autre part,
H a été conclu wu armistice aux condilions suivantes :
i" — CoR«at ion dos hostilités^ sur terre ot dans les airs, six heures après la signature
de larmistico;
Evacuation jusqu^au delà du Rhin.
?• — Evacuation immédiate des pays envahis : Belgique, France, Luxembourg,
ainsi que rAlsace-Lorraine, réglée de manière à être réalisée dans un délai de quinze
jours à dater do la signature de l'armistice: les troupes allemandes qui n'auraient pas
évacué les territoires prévus
~ dans les délais tix«;s seront
faites prisonnières de guerre;
l'occupation par l'cnsemblb des
troupes alliées et des Etats-
Unis suivra, dans ces pays, la
marche de l'évacuation;
Tous les mouvements
d'évacuation ou d'occupation
sont réglés par la note annexe
n** I, arrêtée au moment de ta
signature de rarmisiice;
3» — Raparriement, com-
mençant immédiatement et
devant être terminé dans un
délai de quinze jours, detous les
habitants des pays énumérés
ci-dessus (y compris les otages
et les prévenus ou condamnés);
4* — Abandon, par les ar-
mées allemandes, du matériel
de guerre suivant, en bon état:
5.000 canons (dont 2.500 lourds
et 2.500 de campagne), 25.000
mitrailleuses, 3.000 minenwer-
fer, 1.700 avions de chasse et
de bombardement, en premier
lieu tous les D 7, et tous les
avions de hombardement de
nuit, à livrer sur place, aux
troupes alliées et des Etats-
Unis, dans les condilions de
détail fixées par la note annexe
n» l, arrêtée au moment do la
signature de l'armistice;
50 — Evacuation des pays
de la rive gauche du Rhin par
les troupes allemandes ; les
pays de la rive gaucho du Rhin seront administrés par les autorités locales, sous le
contrôle des troupes d'occupation des Alliés et des Etats-Unis;
Les troupes des Alliés et des Etats-Ums assureront l'occupation de ces pays par
des garnisons tenant les principaux points de passage du Rhin (Mayence, Colilentz,
Cologne;, avec, en ces points, des têtes de pont de 30 kilomètres de rayon sur la rive
droite et des garnisons tenant également des points stratégiques d© la région ;
Une zone neutre sera réservée sur la rive droite du Rhin, entre le fleuve et une
ligne tracée parallèlement aux tètes do pont, et au fleuve, et à )0 kilomètres do
distance depuis la frontière do Hollande jusqu'à
la frontière de la Suisse ;
L'évacuation par l'ennemi des pays du Rhin
I rive gauche et rive droite) sera réglée de façon
à être réalisée dans un délai de seize nouveaux
iours, soit trente et un Jours après la signature
lie l'armistice ;
l'ous les mouvements d'évacuation ou d'oc-
cupation seront réglés par la note annexe n" 1,
arrêtée au m<*mentdelasignaiuro de l'armistice ;
6*» — Dans tons les territoires évacués par
I tMincmi, toute évacuation des habitants sera
interdite; il no sera apporté aucun dommage
ou prc'judice à la personne ou la propriété des
liabitants ; personne ne sera poursuivi pour
liélit de partici|'atioii à des mesures de guerre
antérieures à ta signature de l'armistice ;
Il ne sera fait aucune destruction d'aucuno
sorte ;
Los installations militaires de toutes natures
seront livrées intactes, de mémo les approvi-
sionnements militaires, vivres, munitions,
équipements qui n'auront pas été emportés dans
les délais d'évacuation fixés;
Los dépôts de vivres pour la population
civile, bétail, etc. devront être laissés sur place ;
Il ne sera pris aucune mesure générale ou d'ordre offlciel ayant pour conséquence
une dépréciation des établissements industriels ou une réduction dans leur personnel ;
7* — Les voies et moyens do communication de toute nature, voies ferrées, voies
navigables, routes, ponts, télégraphe, téléphone, etc., ne devront être l'objet daucuno
détérioration ;
Tout le porsouuel civil et militaire actuellement utilisé y sera maintenu ;
Cession du matériel.
II sera livré aux puissances associées : 5.000 machines montées et 150.000 wagons
en bon état de roulement ot pourvus do tous rechanges et agrès nécessaires, dans les
délais dont le détail est fixé à l'annexe n' 2 ot dont le total ne devra pas dépasser
trente ot nu jours.
MaréoUal Foch, commandant en chef les armées ullié<-^
En£l)cr;,'er. sciT'iair-- il l'iiat,
président de la déKgation allemande.
Il sera également livré 5.000 camions aatomohilcs en bon état, dans na délai de
trente-six jours ;
les chemins do fer d'Alsace-Lorraine, dans un délai de trento et nn jours, seront
livrés dotés de tout le personnel et matériel afTectés organiquement à ce ré>eau ;
Eu outre, le matériel nécessaire à l'exploitation dans les pays de la rive gaucho du
Rhin sera laissé sur place;
Tous les approvisionnements en charbon ot matières d'entretien, en matériel de
voies, de signalisation et d'atelier, seront laissés sur place. Les approvisionnements
seront entretenus par l'Allemagno, en ce q^ui coocerno l'exploitation des voies do
communication des pays do la rive
gauche du Rhin ;
Tous les chalandsenlevésaux Alliés
leur seront rendus (ta note annexe n* 2
règlo le détail de ces mesures) ;
S" — Xjo commandement allemand
sera tenu de signaler, dans un délai do
48 heures après la signature de l'armis-
tice, toutes les mines ou dispositifs à
retard agencés sur les territoires éva-
cués par les troupes allemandes et d'en
faciliter la recherche et la destruction;
Il signalera également toutes les
dispositions nuisibles qui auraient pu
être prises (telles qu'empoisonnement
ou pollution de sou-ces et de puits);
Le tout sous peine de rej>résailles;
Q** — Le droit de réquisitiun sera
exercé par les armées dos Alliés et des
Etats-Unis dans tons les territoires
occupés, sauf règlement de comptes
avec qui de droit ;
L entretien des troupesd'occupation
des pays du Rhin, non compris l'Alsace-
Lorraine, sera à la charge du gouver-
nement allemand ;
Rapatriement des prisonniers.
10" — Rapatriement immédiat, sans Amiral Weyniisa.
réciprocité, dans des conditions do
détail à régler, de tous les prisonniers de guerre, y compris les prévenus et condamnés
des Alliés et des Etats-Unis. Les puissances alliées et les Etats-Unis pourront en
disposer comme bon leur semblera ;
Cette condition annule les conventions antérieures au sujet de l'échange des
prisonniers de guerre, y compris celle de juillet 1918, en cours de ratification. Toutefois,
le rapatriement des prisonniers do guerre allemands internés eu Hollande et en Suisse
continuera comme précédemment; le rapatriement des prisonniers allemands sera
réglé à la conclusion des préliminaires de paix;
11* — Les malades et blessés inévacnables laissés sur les territoires évacués par
les armées allemandes seront soignés par du personnel allemand, qui .sera laissé sur
place avec lo matériel nécessaire;
Revision des traités de Brest-Litovsk et do Bucarest.
IS» — Toutes les troupes allemandes qui se trouvent actuellement dans les terri-
toires qui faisaient partie avant ta guerre de rAutriche-Hougrie, de la Roumanie, do
la Turquie doivent rentrer immédiatement dans les frontières de l'Allemagno, telles
qu'elles étaient au 1" août 1914;
Toutes les troupes allemandes oui se trouvent actuellement dans les territoires
qui faisaient partie avant la guerre de la Russie devront également rentrer dans les
Château de Franc Port, près de Coropiègne, où furent logés les délégués allemands et od
ils délibérèrent entre eux. (De là, ils partirent en automobile pour aller sîjjner l'armisiice à la
gare voisine de Retlioudes.)
frontières de l'Allemagne, définies comme ci-dessus, dès (|ue les Alliés jugeront lo
moment venu, compte tenu de la situation intérieure de ces territoires;
13" — Mise en train immédiate de l'évacuatioo par les troupes allemandes et du
rappel de tous les instructeurs prisonniers et agents civils et militaires allemands se
trouvant sur les territoires de la Russie (dans les limites du 1*' août 19U);
14* — Cessation immédiate par les troupes allemandes do toutes réfiuisitions, sai-
sies ou mesures coercitives. en vue de se procurer des ressources à desiiuatioo de
l'Allemagne, en Roumanie et en Russie (dans les limîlps du l*'^août 19U);
15* - Renonciation aux traités de Bucarest et do Brest-Litovsk ot traités complé-
mentaires;
16» — Les Alliés auront libre accès aux territoires évacués par les Allemands snr
les frontières orientales, soit par Danizig. soit par la Vistulo, afin de pouvoir ravi-
tailler les populations ot dans lo but do maintenir l'ordre;
Dans TAfrique orientale.
17« — Evacuation de toni-s les forces allemandes opérant dans l'Afrique oriontalo
dans un délai réglé par les Alliés;
SHpp/émen( ai/ LAHOUSSE MENSUEL, ft" 143.
ALLEMAGNE
ETATS DE L'ANCIEW EMPIRE ALLEMAND
et abréviattons
ROYAUME S Tinsse, Salière y^urtemberg et Sais .
G^-** DUCHÉ S„ Sade, Hesse Mecklembotirg^Schwwiin, Mèciîembatœg'-Strelitz
Œâenbour^. SaxBWèimsrEiscDiicJi (S!WX)
DUCHÉS Anhalt.SmnsvTîcJci'&Y^] SszeALtenbom'g iS.K) 3aKe-Cobonrj-
et Goth2{ S.C.G) Ssze Âfeinm^^en i S. M)
T^NClPAVTCS.., Lippe Detmold \UPPED.) Reuss, branche amée (ft a) Hetiss irancTie
cadette (B J) Schaumbourghippe (sch. l )Schwarzbo}ip_çJiudolstadf.
'^ fscH r) Schwarzl30urff-Sandershaa.->fnt(scH.s)Widdockfyrmant (w.p)
"Villes libres Ilambourj. Brèmr Liiheck
Léc|en*lo
^Êmmmjgt^-Ljmites de l'Empire 1 • Wles dejûas deJÔOûOOhabJtants
. ^77. des Etats secondaires \ e Wles delOOOOO à 25 000 hah.
R-avincesprussieimesi o Villes aii dessous de 7.5000 Jiah.
BERLIN- STETTTN Capitales deHayaume s ou.de Provinces prassicmnes
Coliaai* _ - - diefsliernx. d£ divisions adimjustrat.tvcs
"N-Tî. Leu capitales d'Etals sont souliffaces
KcTioTle . l: 3800000
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Mecklemboui-g Schwerin MecklembSStrelitz
Oldenbourg Saxe-Weimar Eisenach
DUCHÉS
Anhalt
Brunswick
Saxe Allenburg SaxeCobourgGotha
Saxe-Meiningen
PRINCIPAUTÉS
Lippe Detmold Reuss branche ainée
Reuss br.cadette Schaumburg-Lippe
Schwarzb^Rudolstadl Schwarzb?Sondershaus'
WdldecK-rjiinont
Hambourg
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Conditions de l'Armistice signé le ii Novembre 1918 (suite).
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50 K
77f;7^7-'%%/''BALE SUISSE
Les parties grisées indiquent les territoires que Jcs troupes alliées occupent dans l'Allemagne
occidentale. Klle tiennent, sur le Kliin truis grands secteurs, d'un rayon de 30 kiloiuètres sur la
rive droite du fleuve, autour de Cologne, Coblentz et Mayence, ce qui leur permettrait de pénétrer
au cœur de l'Allemagne, si celle-ci était assez mal inspirOe pour rouvrir les hostilités. Une zone
neutre est réservée sur la rive droite du Rhin ; elle est indiquée par une li^ne tracée parallèlement
aux têtes de pont et au fleuve et h. 10 kilomètres de distance depuis la frontière de llollande jusqu'à
la frontière de la Suisse.
Clauses générales.
IS*» — Rapatriement sans réciprocité, dans lo délai maximum d'un mois, dans
des conditions de détail à lixer» de tous tes internés civils, y compris les otages, les
prévenus ou condamnés appartenant à des
puissances alliées ou associées autres que
celles énumérécs â l'article 2 ;
Clauses financières.
19" — Sous réserve do toutes revendications
et réclamations ultérieures, do la part des
Alliés ot des Klats-Uuis, réparation des
dommages;
Pendant la durée de l'armistice, il ne sera
rien disirait par l'ennemi des valeurs publiques
pouvant servir aux Alliés de gage pour lo
rccoiivrenioiit des réparations;
Uestitution immédiate de l'encaisse de la
Banque nationale de Belgi(|ue et, en général,
remise immédiate de tous les documents,
espèces, valeurs (^mobilières et fiduciaires avec
le matériel d'émission) touchant aux intérêts
publics dans les pays envahis ;
Restitution de l'or russe ou roumain pris
par les Allemands ou remis à eux ;
Cet or sera pris en charge par les Alliés
jusqu'à la signature do la paix;
Clauses navales.
20» — Cessation immédiate do toute hosti-
lité sur mor et indication précise do remplacement et des mouvements des bâtiments
allemands.
Avis donné aux neutres do la liberté concédée à la navigation dos marines de
guerre et de commerce des puissances alliées et associées dans toutes les eaux
territoriales sans soulever do quesCioa do Qoutrallté;
Comte von Oberndorff,
envoyé extraordinaire
et ministre plénipotentiaire.
81* — Restitution, sans réciprocité, de tous les prisonniers de guerre des marines
de guerre et de commerce dos puissances alliées ou associées au pouvoir des
Allemands ;
22" — Livraison aux Alliés et aux Etats-Unis de tous les sous-marins (y com-
pris tous les croiseurs sous-marins et tous les mouilleurs de mines) actuellement exis-
tants, avec leur armement et équipement complet, dans les ports désignés par les
Alliés et les Kiats-Unis. Ceux qui ne peuvent pas prendre la mer seront désarmés
de personnel et de matériel, et ils devront rester sous la surveillance des Alliés et des
Etats-Unis;
Les sous-marins qui sont prêts pour la mer seront préparés à quitter les ports
allemands aussitôt que dos ordres seront donnés par T. S. F. pour leur voyage au
port désigné de la livraison et lo reste lo jdus tôt possible;
Von Winlerfeldt,
général deiat-major.
Les conditions do cet article seront réalisées dans un délai de quatorze jours après
la signature do l'armistice ;
23" — Les navires do guerre de surface allemanils qui seront désignés par les Alliés
et les Etats-Unis seront immédiatement désarmés, puis internés dans les ports neutres
ou. à leur défaut, dans des ports alliés, désignés par les Alliés et les Etats-Unis.
Ilsy demeureront sous la surveillance des Alliés
et dos Etats-Unis, des détachements do garde • -—
étant seuls laissés à bord;
La désignation des Alliés portera sur 6 croi-
seurs de bataille, lo cuirassés d'escadre, 8 croi-
seurs légers {dont 2 mouilleurs do mines),
50 liestroyers des types les jïIus récents;
Tous les autres navires do guerre de sur-
face (y compris ceux de rivière) devront ôtro
réunis et complètement désarmés dans les
bases navales allemandes désignées par les
Alliés ot les Etats-Unis et y être placés soan
la surveillance des Alliés et des Etats-Unis ;
L'armement militaire de tous les navires
do la flotte auxiliaire sera débarqué;
Tous les vaisseaux désignés pour 6tro
internés seront prêts à quitter les ports alle-
mands sept jours apré^o la signature do
l'armistice. On donnera par T, S. F. la direction
pour lo voyage;
24» — D.-oit pour les Alliés ot les Etats-Unis,
en dehors dos eaux territoriales allemandeSf
de draguer tous les champs do mines ot do dé-
truire les obstructions ]>lacées par l'Allemagne,
dont l'emplacement devra leur être indi(|uc;
25" — Liljre entrée et sortie de la Baltique
pour les navires de guerre et de commerce des
Fuissances alliées et associées assurées par
occupation de tous les ports, ouvrages, bai tories ot défenses de tout ordre alle-
mands, dans toutes les passes allant du Cattéj^at à la Baltique, et par le dragage et la
destruction de toutes mines ou obstructions dans et hors les eaux territoriales alle-
mandes, dont les plans ot emplacements exacts seront fournis par l'Allemagne, qui ne
pourra soulever aucune question de neutralité ;
260 — Maintien du blocus des puissances alliées et associées dans les conditions
actuelles, les navires do commerce allemands trouvés en mer restant sujets à capture ;
Les Alliés et les Etats-Unis envisagent le ravitaillement de TAllemagne pendant
l'armistice, dans la mesure reconnue nécessaire;
27** — Groupement et immobilisation dans les hases allemandes désignées par les
Alliés et les Etats-Unis de toutes les forces aériennes ;
28° — Abandon par l'Allemagne, sur place et intacts, de tout le matériel de port
et de navigation fluviale, do tous les navires de commerce. remoi((neurs, chalands,
de tous les appareils, matériel et
approvisionnements daéronau -
tique maritime, toutes armes,
appareils, approvisionnements do
toutes natures, en évacuant la
côte et les ports belges;
29" — Evacuation de tous les
ports de la mer Noire par l'Alle-
magne et remise aux Alliés et
aux Etats-Unis de tous les bâti-
ments de guerre russes saisis
par les Allemands dans la mer
Noire. Libération de tous les na-
vires de commerce neutres saisis;
remise de tout le matériel de
guerre ou autre, saisi dans ces
ports, et abandon du matériel
allemand énuméréà la clause 28;
30» — Restitution, sans réci-
procité, dans des ports désignés
par les Alliés eties Etats-Unis, de
tous les navires de commerce
appartenant aux puissances
allit'
^^ulnes ^5^'Ouenti^
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Soissoiï
liées et associées actuellement
au pouvoir de l'Allemagne ;
31" — Interdiction de toute
destruction de navires ou do matériel avant évacuation, livraison ou restitution.
32" — Le gouvernement allemand notihera formellement à tous les gouvernements
neutres et en particulier aux gouvernements de Norvège, de Suède, du Danemark et de
la Hollande, que toutes 'es restrictions imposées au trafic do leurs bâtiments avec les
puissances alliées et as.",oniées, soit par le gouvernement allemand lui-même, soit par des
entreprises allemandes privées, soit en retour de concessions détinies, comme l expor-
tation de matériaux de constructions navales ou non, sont immédiatement annulées;
33" — Aucun transfert do navires marchands allemands de toute espèce, sous un
pavillon neutre quelconque, ne pourra avoir lieu après la signature de l'armistice ;
Durée de Tarmistice.
34"— La durée de l'armistice est fixée à trente-six jours, avec faculté do pro-
longation.
Au cours de cette durée, l'armistice peut, si les clauses ne sont pas exécutées,
être dénoncé par l'une dos parties contractantes, qui devra donner le préavis quarante-
huit heures à l'avance. Il est entendu que l'exécution des articles 3 et 28 ne donnera
lieu à dénonciation de l'armistice, i>our insuffisance d'exécution dans les délais voulus,
que dans le cas d'une exécution malintentionnée.
Four assurer dans les meilleures conditions l'exécution de la présente convention,
le principe d'une commission d'armistice internationale permanente est admis. Cette
commission fonctionnera sous la haute autorité du commandement eu chef militaire
et naval des armées alliées.
Le présent armisltce a été signé le If Novembre 4918, à 5 heures (ci?tq
heures), heure française.
Signé : Focu. Weymiss, amiral.
KnZBERGER, ODnrtNDORFF, WlNTEUFELDT, VaNSEI.OW.
I
N- 143. JsM/ier 1919.
Acheson, avec son graphite artificiel, est arrivé à
résoudre le problème de son maintien intime en
suspension dans une huile quelconque. Ce graphile,
par un procédé spécial, est défloculé, c'esl-à-dire
transformé en un colloïde à grains extrêmement
lins (un millimètre cube contient 14.000 grains); il
en résulte qu'incorporé dans un liquide, il reste en
suspension et passe à travers les filtres les plus ser-
rés. Pratiquement, délayé dans l'eau ou l'huile, à
condition, toutefois, que le liquide ne devienne pas
acide, le graphite reste parfaitement incorporé, sans
aucune tendance à se séparer.
Pour l'usage, on mélange 2 grammes de ce gra-
phite défloculé dans un litre d'huile de pétrole; le
liquide obtenu, versé dans les graisseurs ordinaires,
donne d'excellents résultats et permet de réaliser de
grandes économies de corps gras. Le pouvoir lubri-
fiant se conservant à haute
température, les huiles gra-
phitées trouvent leur appli-
cation dans le graissage des
moteurs à explosion, etc. De
même, l'incorporation avec
l'eau sert à préparer un suc-
cédané des huiles utilisées
dans la coupe des métaux
(travaux de décolletage,etc.).
Avec la vaseline, le graphite
défloculé forme également
desgraissesconsistantespour
les engrenages, les enroule-
ments, etc.
A côté de ces principaux
usages du graphite, on uti-
lise encore ses intéressantes
propriétés pour lisser les
grains de poudre, pour dé-
tartrerles chaudières, comme
pour constituer des mastics,
ciments, etc. — m. Mounié.
Guerre en 1914-
1918 (la). [Suite.] — Le
mois de novembre 1918 a vu
cesser la guerre commencée
au mois d'aoiit 1914. La sim-
plicité schématique de cette
énonciatiou est insuffisante
à exprimer la portée d'un
fait historique qui égale et
dépasse en conséquences im-
médiates et futures les évé-
nements qui, jusqu'ici, ont
orienté la marche de l'huma-
nité. Ils sont surtout impos-
sibles à rendre, la sensation
intense de soulagement qui a
été éprouvée dans le monde
entier et le sentiment d'allé-
gresse qui a envahi tous les
peuples. 11 a semblé, le 11 no-
vembre 1918, à onze heures
du matin, que le poids qui
écrasait les cœurs, que l'an-
xiété qui, sous le calme appa-
rent, possédait les esprits
comme une idée fixe, aient
été comme volatilisés en un
instant par le bienfait don
ne sait quelle force mysté-
rieuse et abolis pour toujours
comme s'ils n'avaient été
qu'un rêve atroce. Des mil
lions d'êtres humains de tout
*ge, de toute condition, ont
crié leur joie sur toule la
surface de la planète, et les
cloches ont sonné l'heure de
la délivrance comme si un
nouveau Messie était né au
monde. Rien mieux que cette
explosion spontanée, universelle, irrésistible, du
désir de paix que tous refoulaient courageusement
au fond d eux-mêmes ne fait mesurer la puissance
de résignation à l'inévitable dont est capable l'âme
humaine; rien n'affirme plus énergiquement l'ellort
surhumain accompli pendant plus de quatre ans
pour défendre la liberté du monde au milieu des
pires souffrances physiques etmorales. Si, pendant
ces 1.561 jours de guerre sans répit, nous avons eu
sous les yeux le spectacle effrayant des excès impré-
vus auxquels peut se porter, sans se révolter contre
lui-même, l'animal humain, nous avons vu aussi
jusqu'à quelle hauteur de sublime peut s'élever son
héroïsme et avec quelle force l'idéal s'impose & lui.
Quand on dressera le bilan de celle guerre, on
s'apercevra que la balance s'établit au profit de
l'humanité raisonnable el civilisée. L'épreuve a été
terrible. Qnisaitsi elle n'était pas nécessaire. — Le
mois de novembre 1918 a donc vu l'effondrement de
l'Allemagne, son impérialisme militaire tombant
en ruine, son unité menacée, son rêve d'hégémonie
dissipé comme une fumée, son orgueil écrasé.
La puissance du monde qui peut-être semblait la
LAROUSSE MENSUEL
plus solide s'est écroulée avec une rapidité qui
tient du prodige, et ce peuple, qui remplissait le
monde de l'affirmation de sa force invincible, s'est
montré incapable de résister à la démoralisation de
la défaite. A dire vrai, il s'est manifesté tel que
ceux qui le connaissaient l'avaient toujours jugé :
arrogant et impitoyable tant qu'il se sent fort,
lumible et prêt atout accepter dès que le sentiment
de sa faiblesse s'impose à lui; au total, privé de cet
équilibre qui est la force de 1 esprit français et la
garantie de notre existence nationale. Si rapprochés
que nous soyons des événements, la conclusion
morale qu'on peut en tirer s'impose d'une façon si
éclatante qu'il n'est pas à craindre que la suite des
temps vienne la démenlir.
On peut dire que la cessation de la guerre nous a
surpris par sa soudaineté autant que nous avait
Georges Clemenceau, à la tribune de la Chambre le II novembre 1918. Il vient de lire les conditions de l'armistice au
milieu d'une assistance enthousiaste et reconnaissante. Puis, tandis que le canon tonne, il jette, dans un élan magnifique,
cette constatation qui unit dans la gloire toutes les étapes de l'histoire de notre pays : •" ...La France, hier suldat de Dieu,
aujourd'hui soldat del' Humanité, sera toujours le soldat de l'Idéal. <» [J. Simoot, VlUusirution.)
surpris le déhiitdes hostililés. Cerles, les événements
militaires de la fin d'octobre, autant tjue l'insistance
mise par l'Allemagne à demander un armistice dont
elle ne pouvait pas ne pas pressentir les rigueurs,
indiquaient que la fin de la guerre se rapprochait
de nous avec une rapidité imprévue. Mais qui nous
eiît dit qu'elle viendrait avec celte brusquerie et
avec ses conséquences inattendues de désagréga-
tion polilique des Empires centraux? L'attaque
formidable des troupes alliées sous le commande-
ment suprême et réfléchi du maréchal Foch avait
continué pendant les premiers jours de novembre.
On avait appris coup sur coup, avec des sursauts
de joie devant la retraite désespérée de l'ennemi,
la prise d',\udenardc, en Belgique, le l^^novembre;
celle de Valenciennes, le 2; celle de Landrecies,
le 4; celle du Qucsnoy, de Guise, de Marie, de
Château-Porcien, de Dun-sur-Meuse, le 5; celle de
■Vervins et de Relhel, le 6; celle de Mézières,
d'Avesnes, de Tournai, de Condé, de Maubeuge,
le 8; enfin, en même temps que l'arrivée des parle-
mentaires allemands dans nos lignes, la nouvelle
culminante de l'entrée des Français et des Améri-
C69
cains & Sedan, qui apparut comme la revanche ven-
geresse du désastre del 870. Pendant le même temps,
on avait su que les Anglais étaient entrés à Mos-
soul; que l'armée turque de Mésopotamie s'était
rendue; que les Serbes étaient rentrés à Belgrade;
que la défaite des Autrichiens dans le Trenlin de-
vant l'effort de nos alliés se cliangeait en une déroule
sans précédent, qui laissait aux mains des Italiens
300.000 prisonniers, des milliers de canons et un
matériel immense. Un vent de victoire et de con-
fiance emportait nos troupes. La résistance éner-
gique de l'armée allemande, ouplut<>t des tronçons i
de cette armée, était incapable de briser l'élan de
nos soldats et la rigidité du plan d'attaque qui dérou-
tait et accablait nos ennemis, nelem' laissant aucun
espoir d'échapper à notre poursuite.
C'est à ce moment qu'intervinrent successive-
ment : le 3, l'armistice avec
l'Autriche - Hongrie , le II,
l'armistice avec l'Allemagne.
Il est bon de marquer les
moments successifs de ce
dernier événement. On se
souvient des termes de la
dernière Note du président
Wilson à l'Allemagne. A la
suite de celte Note, la Confé-
rence des Alliés, réunie à
■Versailles, avait arrêté les
conditions de l'armistice sol-
licité par les Allemands, et
le maréchal Foch avait été
mandaté pour les leur notifier
s'ils envoyaient des parle-
mentaires. Le 5 novembre,
Clemenceau soulevait les ap-
plaudissementsde la Chambre
en faisant connaître l'esprit
général de ces conditions. 11
s'agissait, pour l'Entente, de
conserver toute sa supério-
rité militaire acquise et de
préparer le retour à la paix
en rendant impossible pour
l'Allemagne la reprise de la
guerre , de s'assurer les
moyens d'imposer les condi-
tions et les réparations que
réclamaient la justice pré-
sente et la tranquillité future
du monde. Le 6, les pléni-
potentiaires allemands arri-
vaient auprès du maréchal
Foch. L'Allemagne avait
choisi, pour entendre les con-
ditions de l'Entente et, elle
l'espérait, les discuter, le se-
crétaire d'Etat Erzbeiger, le
général deWinterfeldt, — le
même qu'en 1913 et 1914, à
la suite d'un accident d'au-
tomobile survenuaux grandes
manœuvres, nous avions com-
blé de soins et de prévenan-
ces et qui, la guerre décla-
rée, avait fwssé en Espagne
pour y organiser une agence
d'espionnage, — le général
von Gundell, le comte Obern-
dofî el le capitaine de vais-
seau Vanselow. Le maréchal
Foch faisait connaître à ces
plénipotentiaires les condi-
tions imposées à l'Allemagne
et, tout en apportant à cette
notification la plus parfaite
courtoisie et un sentiment
véritable de modération, que
nos ennemis ont reconnu, il
leur faisait comprendre l'inu-
tilité de ladiscussion, refusait
toute suspension d'armes cl leur accordait 72 heures
pour en référer à leur gouvernement.
Le9, la nouvelle de l'abdication de Guillaume II et
sa fui le en Hollande élaientrendues publiques. Enfin,
le M, à six heures du matin, rariiiislire était signé.
Toutes les conditions imposées par l'Eulente étaient
acceptées. Les hostilités devaient être suspendues à
onze heures. Le même soir, Clemenceau annonçait
à la Chambre el au Sénat l'événenienl libérateur et
en expo!$ait les clauses au milieu des ovations. La
Chambre volait le projet de loi, dû à l'initiative du
Sénat, et dans lequel il était déclaré que l'armée
française, Clemenceau, le maréchal Fock et la
représentation nationale avaient bien mérité de la
pairie. Journée inoubliable d'apothéose nationale,
récompense bien due à ceux qui ont préparé la
victoire et verse leur sang pour la patrie, au grand
Français qui a eu le mérite, dans les heurw cri-
tiques, de comprendre el d incarner l'âme de. la
France.
On ne peut, ici, (ju'indiqucr les grandes lignc< du '
traité d'armistice imposé à l'Allemagne comme de
ceux qu'avaient dû subir l'Autriche-Hongrie et la
670
Turquie. Pour les bien comprendre, il faut avoir
dans l'esprit que la préoccupation primordiale de
l'Entenle a été de mettre, matériellenienl, nos
ennemis hors d'état de recommencer la guerre, en
admettant qu'ils en eussent eu moralement les
mo;fens. Avant tout, l'évacuation immédiate des ter-
ritoires encore occupés en France et en Belgiqui'
était imposée aux Allemands, et on entendait par là.
bien entendu, l'évacuation de l'Alsace et de fa Lor-
LAROUSSE MENSUEL
transports, qui est à la base de tontes nos dil'licullés
économiques, avait eu pour cause, sans doute, l'obli-
gation de consacrer tout notre matériel aux trans-
ports militaires : mais cette obligation n'aurait pas
été incompatible avec le service commeicial des
chemins de fer, si nous avions disposé d'un matériel
suffisant. Malgré l'itpport américain en loconiotivis
et en wagons, notre matériel fatigué, peu ou point
réparé, n'était pas en proportion de nos besoins. La
contribution récla-
■ mée à l'.MIemagne
devaitrétablirl'équi-
libreet,enoutre,ren-
dre impossible à nos
ennemis tout mouve-
ment, toute concen-
tration de troupes.
Les clausesde l'ar-
mistice imposaient à
l'Allemagne l'obliga-
tion de laisser en
l'état tous ses appro-
visionnements et dî-
ne causer aucun dom
mage sur les terri-
toires évacués. Celle
obligation avait été
imparfaitement ob-
servée, soit que la
mauvaise foi s'en fût
mêlée, soit que, sur
certains points,
comme en Belgique,
notammentàBru.\el-
les, la discipline mi-
litaire se fût singu-
lièrement relâchée.
Toujours est-il que
les explosions terri-
bles qui ont ruiné les
gares de Bru.xelles
cl fait des victimes
nombreuses ont pa-
ru une violation 11a-
granlederarmistiee.
De même, la libéra-
tion des prisonniers avait été faite lentement el
avec une négligence déplorable. L'Allemagne a pu-
rement et simplement déversé sur les roules un
grand nombre de nos malheureux soldats, sans
vivres el dans un état navrant de dénuement,
ajoutant ainsi à nos griefs passés une nouvelle cause
lie juste colère. Les gouvernants allemands avaient
argué de l'impossibilité où ils étaient d'accorder
l'obligation de ramener les prisonniers k la fron
lière et celle qui leur inronibait de livrer leur maté-
riel de chemin de fer. Mais il n'y eut là, pour eux,
rn ''ainouflaiîe alleiiniri tr'^uvr pu W'ot^vre. (.""est un tronr d'arbre (à droilo ouvert, à gauche fermé)
conctruit avec des plaques de tôle et d'acier, ulili».^ comme poste d'observation. L'j^bservateur entrait par
le bas, et il était protégé par une cuirasse de 1«»». Un siëge confortable se trouvait k l'intérieur.
raine et leur retour & la France. Les armées alliées
devaient suivre les troupes allemandes et occuper
les territoires ainsi libérés. Mais elles devaient, en
outre, occuper toute la rive gauche du Hbin et
lotîtes les têtes de pont, c'e^t-à-dire essentiellement
Coblenlz, Cologne, Mayence étions les points se-
condaires. L'armée allemande dcvail, en outre, livrer
un nombre de canons, de mitrailleuses, de fusils,
d'avions, ainsi que des stocks de nitinilions tels
que, joint i tout ce que nous lui avions déjà pris,
ret abandon de matériel correspondit a un désar-
iiiement général. D'ailleurs, les troupes allemandes
(levaient se retirer à .SO kilomètres du Rhin et de
la frontière. Pour écarter, d'aiilie part, tout danger
naval, la plus grande partie de la llotle, bâtiments
(le surface el sous-marins, devait être livrée à l'An-
gleterre; toutes les minesdevaientêtre relevéeselle
plan des défenses sous-marines exactement fourni;
les détroits de la Baltique étaient ouverts à la llolte
brilannique. Pour saisir l'ensemble de la situation
militaire, on doit ajouter que des conditions ana-
logues avaient été imposées à rAutriche. Le Trenliu
el le Tyrol avaient été occupés par les Italiens, (|ui,
en outre, étaient entrés à Trieste. La flotte autri-
chienne avait été remise aux Yougo-Slaves. Des
détachements français avaient été re(,us en Hon-
grie. Nous tenions, de même, toutelapéniusuledes
Balkans. La (lotte alliée avait passé les Dardanelles
et le Bosphore et mouillé devant Conslanlinopic.
Par suite de ces mesures, l'Entente était militaire-
ment la mailresse de l'Europe centrale, et il était
dorénavant interdit à la coaUtion qui s'était dressée
(■outre nous d'entreprendre quoi que ce fi'it. La
(luestion militaire était donc réglée. — D'autre
part, le blocus était maintenu, et les navires de
commerce allemands qui se seraient aventurés sur
les mers s'exposaient à être déclarés de bonne
prise. Cette précaution était indispensable pour per-
iiiettre aux Alliés de régler ultérieurement, selon la
justice, le développement économique de l'Alle-
iiiagne. Dans le même ordre d'idées, le rapatriement
de tous les prisonniers détenus par les Empires
centraux, sans réciprocité de la pari de l'Entente,
devait être considéré avant tout comme un moyen
de mettre fin aux souffrances de nos malheureux
soldats victimes de traitements inhumains, mais
aussi de récupérer à la fois une force numérique
importante et une main-d'œuvre dont nous avions
besoin; par contre, nous conservions par devers
nous les centaines de mille prisonniers allemands et
autrichiens qui, s'ils avaient été libérés, auraient
apporté & nos ennemis une force nouvelle. Enfin,
on avait imposé aux Allemands l'obligation de nous
livrer 5.000 locomotives et 150.000 wagons. Cette
condition avait pour but d'abord de nous remettre
en possession de tout le matériel qui nous avait été
volé, ensuite de nous procurer la traction et le ma-
tériel roulant dont nous manquions. La crise des
N' 143. Janvier 1919.
pire alk'inati J. Le D' Soif a écrit il ce sujet une Note
dune elfronlerie etd une inconscience surprenantes.
Il a tenté, d'autre part, d'apitoyer le président Wil-
son sur la détresse alimenlairë allemande, tout en
menaçanl li-s puissances européennes du pi-ril anar-
cliique du bolchevisme, qui, selon lui. pouvait être
déchaîné en Allemagne par les privations alimen-
taires pl, do là, déferler sur toute l'Europe. De son
côté, le général de Winterfeldt a protesté contre la
prétendue impossibilité oii l'on mettait l'Allemagne
d'c\écul(>r l'armistice el. comme le D'' Soif, sans se
douler de l'énormité d'un pareil argument sons
une plume allemande, il a crié à l'inhumanité. Tout
avait été mis au point. Le maréchal Focb avait, sans
phrases, répondu que les considéralions allemandes
nepouvaientêtre
retenues. Le pré-
side nfWils on
avait fait savoir
par Lansingque
î'.Mlemagne ne
pourrait être ra-
vitaillée que si
l'ordre y était as-
suré. Les gou-
vernementsfran-
cais el anglais
avaient notifié à
l'Allemagne leur
intention de re-
courir à des re-
présailles si les
clauses relatives
aux prisonniers
n'étaient pas lo docteur soif,
exécutées elslle secrétaire d'Etat aui Alfaires étranp^rcs
gouvernement ^" nouveau gouvernement allemand.
allemand ne se
hâtait pas de remplir toutes ses obligations. Il était
vraisemblable que l'Alleinagne coinmeii(;ail à
comprendre. On doit dire, au surplus, pour ras-
surer les âmes na'ives el compatis.santes, que les
cris elTarés de l'Allemagne au siijel de son ravi-
laillenienl couvraient un mensonge. A la lin de
novembre, 1 .Mletnagne n'avait consommé ni sa
récolte de céréales, ni sa récolte de pommes de
terre. Elle était, à ce point de vue, dans une si-
tuation satisfaisante. Elle avait, en outre, du bétail
et en avait au surplus volé dans les territoires
évacués. La diselle ne pouvait se produire chez elle
que vers le troisième ouïe quatrième mois detfllii.
La ravitailler, alors que nos déparlements délivrés,
que la Belgique, que la Serbie souffraient de pri-
vations antremenl dures, que la France, l'.Xnglete ne,
l'Amérique même étaient tenues de s'imposer des
restrictions gênantes el coûteuses, eut été un man-
(liiement criminel à nos devoirs et un véritable
La foule, sur la place de l'Opéra, à Paris, le jour de l'armistice (11 novembre 1918).
qu'une tentative d'éluder les conditions qui, à la
réflexion, leur parurent écrasantes. 11 apparut, en
effet, dans la première quinzaine qui suivit l'armis-
tice, que le gouvernement allemand, en l'espèce, le
général Winterfeldt et le D'Solf, ministre des affaires
étrangères, tentaient d'utiliser, pour se soustraire
aux clauses de l'armistice, les moyens d'intimidation
el le mépris de la parole donnée qui ont été chers
au gouvernement impérial. Ils ont ainsi essayé de
contester indireclement notre reprise de l'Alsace
et de la Lorraine et de continuera les rattacher, au
point de vue économique, postal et douanier, à l'em-
déni de justice. L'opinion publique n'avait pas été
suffisamment éclairée d'abord sur ce sujet, ofi les
Allemands ont essayé d'en imposer à la générosité
du président Wilson.
Il faut ajouter, au sujet de l'armistice, une der-
nière considération que les Allemands se sont bien
gardés de développer. Certes, ajuste titre, l'armis-
tice à été accueilli partout comme une délivrance
et un bienfait, et la cessation des hostilités a con-
servé des vies précieuses, que la continuation de la
guerre eût sacrifiées. 11 a été un acte de haulo
humanité, mais l'Entente n'en avait aucun besoin.
«" 143. Janviei' 1919-
LAROUSSE MENSUEL
671
Après leur capitulation, les Allemands abaudoauent les pays qu'ils ont systématiquement ravagés, (Matania, Tfie S/fAere.)
'.'est rAUeinagiie, au contraire, qui en a profilé, et
elle a été ainsi sauvée d'un désastre effroyable. Il
nous a arrêtés en pleine victoire et au moment où
l'armée allemande, épuisée, privée de moyens ma-
tériels, sans commandement suprême, était k la
veille d'une catastrophe.
Que la guerre eiit duré
quelques semaines en-
core, et l'Allemagne était
incapable d'échapper à
une invasion que toutes
les armées alliées souhai-
taient et qui eùl vraisem-
blablement fait payer avec
usure à nos ennemis tout
le mal qu'ils nous ont fait.
A cette heure-là, Luden-
dorf, par une défaillance
mentale, subite et totale,
avait renoncé de lui-
même à lutter contre une
force qui le dépassait.
Ilindenmirg, qui, après
l'armistice, a repris quel-
que prestige et a essayé
de sauver la face à son
armée, était hors d'état,
sans Ludendorf, dont il
ne fut que l'instrument,
de donner un tour favo-
rable à une situation dé-
sespérée. Tout concou-
rait donc pour assurer
notre triomplie total. Le
gouvernement allemand
le savait mieux que nous,
et ainsi se trouve expli-
quée sa hâte d'obtenir
une suspension d'armes
en attendant l'armistice.
A ce moment, la logique
des faits militaires eiit
exigé la poursuite de la guerre jusqu'à l'écrase-
ment de l'ennemi. Les craintes qu'on eut alors
dans le public et dans certains partis que les
Allemands n'acceptassent pas l'armistice no repo-
saient donc sur rien. C'étaient, au contraire, les
Allemands qui craignaient que l'armistice leur filt
refusé. Leur docilité est venue de leur irrémédiable
détresse. Pour nous, nous n'avons pas été assez
renseignés sur l'état réel de l'opinion allemande,
sur le désir et le besoin de paix qu'avait r.\lle-
magne, sur le vide de ses rodomontades de tribune
et de propagande. A diverses reprises, nous avons
A Cbatupi^DV : Commémoration de la bataille livrée en 1870. Le président de la République Raymond Poincaré a prononcé un éloquent
discours patrîouque, et le député Albert Thomas, dans un autre discours très applaudi, a fait l'éloge de Punion sacrée. (Les troupes
françaises et alliées défilent devant la tribune ofâcielle et le monument élevé à la mémoire de nos soldais tués dans celte bataille.)
commis la même erreur, faute de documentation
suffisante. Soit dit en passant, en avril 1917, alors
que nous nous sommes évertués à diminuer notre
situation militaire et à risquer notre avenir et
celui du monde dans une crise de démoralisation
organisée, l'histoire prouvera que l'Allemagne était
déjà miire pour la défaite. Il est utile de se rappeler
tout cela, si l'on veut juger sainement la situation de
l'Allemagne et ses protestations depuis l'armistice.
L'écroulement de l'édilice politique des empires
centiaux a été parallèle à leur déchéance mililaii-e.
Si, en ce qui concerne l'Autriche-Hongrie et bien
que sa dissolution fût du
domaine des choses pro-
bables, l'événement a
passé les prévisions, en
ce qui concerne l'empire
allemand, la surprise a
élé complète et la désa-
gi'égalion foudroyante.
L'historien n'a pasassisté
sans un étonnement voi-
sin de la stupeur à l'écrou-
lementsimultané desl lois
plus vieilles familles de
l'Europe : les Habsbouig
d'.\utriche, les Hohenzol-
lern de Prusse, les \Vil-
telsliach de Bavière. Nos
lecteurs n'attendent cer-
tainement pas de nous
que nous énnmérions un
à un les faits qui se sont
déroulés en Allemagne
pendant le mois de no-
vembre, ni que nous en
tirions une conclusion
ferme. Les faits en ques-
tion nous sont très mal
connus, et une partie de
ceux qui sont rapportés
par les journaux quoti-
diens étaient déformés,
amplifiés ou simplement
faux; d'autre part, leurs
conséquences possibles,
de même que leurs mo-
biles, étaient fort obscurs
pour nous. Rien ne prou ve
qu'ils fussent beaucoup plus clairs pour les Alle-
mands eux-mémeset que leurs dirigeants improvisés
eussent alors une notion nette de l'avenir de leur
propre pays.
L'état intérieur de l'Allemagne et de r.\utriche-
Hongrie était caractérisé par une extrême confusion.
Malgré certaines apparences, les ressemblances que
672
l'opinion chercliait à établir avec la ré-
volution russe étaient alors purement
superficielles. L'anarchie est, pour la
mentalité russe, une conception gouver-
nementale qui n'a rien de surprenant.
Elle est, pour la mentalité allemande,
en vertu des caractères spécifiques de la
race, renforcés par une éducation mé-
tliodique agissant dans le même sens,
une nouveauté difficile à concevoir ot à
subir. Certes, les événements avaien!
brutalement ébranlé le sentiment de sta-
bilité que le pouvoir impérial, à force de
caporalisme et de mensonge, avait in-
culqué aux masses. Mais c'était déjà
beaucoup que le peuple allemand se pas-
sât d'un gouvernement fort et s'essayât
à se gouverner lui-même. Il n'était pas
certain qu'il en fût capable. Le parle-
LAROUSSR MENSUEL
Entrée des troupe» françaises à Strasbourg (2ï novembre JOIS).
menlarisme, qui a tant de force en Angleterre, qui,
malgré ses défaillances, a pris en France une im-
portance croissante, est encore, en Allemagne, une
institution embryonnaire, dont l'impérialisme mili-
tariste s'était servi pour ses propres fins, sans son-
ger un instant à l'utiliser pour l'éducation politique
du peuple allemand. Par suite, le Parlement alle-
mand a perdu tout prestige, eu même temps que dis-
paraissait l'organisation impériale dont il était un
fragment, et c'est en dehors de lui que s'eèt consti-
tué le nouveau gouvernement allemand.
Trois faits essentiels semblaient émerger de la
mullilude des informations contradictoires qui
avaient été données en pâture à la curiosité pu-
blique. — Dans l'Allemagne du Nord, en Prusse et
notamment h Berlin, persistaient incontestablement
l'esprit unitaire de l'empire et ses méthodes bureau-
cratiques. Le personnel avait peu changé. L'empe-
reur avait fui et toute sa famille avec lui. Max
de Hade s'était retiré. Mais c'est, en somme, de lui
et, par suite, de l'empereur, que le député socialiste
KborI, sous le titre d'abord de chancelier, puis de
clief des commissaires du peuple, avait pris la di-
rection des affaires. Le seorélaire d'Etat aux affaires
clrangcres, le docteur Soif, élail, en dépit de l'an-
nonce itérative de .son départ, resté en fonctions et
dirigeait la diplomatie allemande par les mêmes
procédés tortueux et sans franchise du gouverne-
ment impérial. Tous les fonctionnaires étaient
restés à leur posle. L'armée, malgré quelques
troubles,- se conservait disciplinée comme par le
passé. Les proclamations d'ilindenburg étaient ac-
cueillies avec le même respect. 11 était indéniable
ijuil y avait eu quelques émeutes. Elles n'avaient
fait que peu ou point de \ictimes. Il était donc
certain que tous les efforts avaient tendu à main-
tenir l'esprit de l'ancien gouvernement et à suivre
sa voie. Cette tendance resterail-elle stable? Les élé-
ments révolulioiuiiiires violents l'emporteraient-ils?
Le groupe socialiste extrême, dit groupe Spartacus,
rallierait-il la masse du peuple allemand et jette-
jait-il l'Allemagne dans l'expérience périlleuse du
bolchevisme russe'? nien ne permettait de le nier
ou de l'ariirmer, mais les vraisemblances étaient
plutôt contre l'hypothèse d'un bouleversement anar-
chique. La révolution allema[ide dans le Nord ne se
présentait pas avec l'apparence de la révolution
russe ou de la Révolution française de 1793. Un sen-
timent apparaissaitclairemeut : la volonté de main-
tenir l'unité allemande et l'ordre intérieur, par suite,
un effort pour continuer la politique de l'empire
au dedans, sousl'illusion d'un changement de forme,
et au dehors sans même se donner la peine d'inno-
ver dans les procédés.
Un second fait s'était peu à peu précisé pour
devenir incontestable à la fin de novembre. Au
début du mois, on avait, ii grand fracas, annoncé
l'abdication de Guillaume II, du krouprinz, de toute
«• 743. Janvier 1919.
la famille Ilobenzollern. Mais la question s'était
très vite présentée & tous les esprits de savoir en
quelle forme cette abdication avait eu lieu. Le
rescrit de Guillaume II du 3 novembre n'indiquait
aucunement des intentions nettes. Comment en
élait-on venu à l'abdication? La vérité était autre.
( luillaume 11 n'avait pas abdiqué. Son acte d'abdica-
lionne fut signé que le 29 novembre; il ne concer-
nait que lui seul, et il était rédigé dételle sorte qu'il
n'engageait ni le krouprinz ni la dynastie, ni, à y
regarder de près, Guillaume 11 lui-même, si les
cil-constances changeaient. Il n'y avait là rien
d'étonnant et, cette manière d'agir est on tout point
conforme à la politique tortueuse des Ilobenzollern.
Il n'y aurait donc pas lieu de s'en inquiéter, s'il
n'était certain que le pouvoir déchu n'eût con-
servé de très nombreux partisans dans la bour-
geoisie, dans le monde universitaire, dans les
administrations, dans l'armée. 11 tombe sous le sens
qu'une multitude d'inlérèts étaient menacés par la
chute de l'empire et que l'armée en particulier per-
dait avec lui son prestige et ses espérances. De là
tant d'articles publiés pour proclamer que l'Alle-
magne n'était pas vaincue ; de là le maintien de
toute l'armature du gouvernement impérial sous l'éti-
quelle, d'ailleurs, très peuclaire, d'un gouvernement
soi-disant républicain. Quelles chances pouvaient
il voir une contre-révolution et une restauration impé-
riale? Il n'était pas possible de le savoir exactement.
S'il fallait porter à l'actif de cette éventualité ce
que nous venons de dire sur l'étendue des intérêts
attachés à la forme impériale, il était sage aussi
de constater la désorganisation interne de l'armée,
la diminution de ses moyens d'action et la lassitude
générale. Mais l'habitude d'obéir avait si fortement
pénétré l'Allemand et la conception impériale avait
si vivement chatouillé son orgueil qu'on ne pouvait
supputer au juste la puissance, sur son esprit, des
souvenirs encore si récents de la gloire de l'empire
à laquelle il avait cru.
Par contre, et c'est la troisième constalation qu'il
importe de faire, les tendances de l'Allemagne du
Sud, dirigée par la Bavière, s'étaient manifestées
franchement républicaines. La Bavière avait pro-
clamé la République, et Kurt Kisner en était je chef
avéré. Il semblait même qu'il cherchât à prendre la
direction du mouvement répulilicain en Allemagne,
en opposition avec les tendances doulenses du
gouvernement de Berlin. Il avait marqué cette
tendance en faisant publier un rapport adressé,
le 18 juillet 19!'i, a» gouvernement bavarois par le
comte Leschenfeld, alors minislie de Bavière à
Berlin, etdoiila préméditation delà guerre ressortait
avec une évidence éclatante. ICii outre, il n'est pas
niable que le sentiment particulariste de la Bavière,
si fort dans les années qui suivirent 1871, atténué
peu à peu à mesure que la main de fer de la Prusse
s'alourdissait sur l'.Vllemagne, reparaissait très vit;
et on pouvait se demander, sans aboutir à aucune
conclusion, si le vieil atavisme qui a tenu pen-
dant des siècles l'Allemagne morcelée n'allait
pas se réveiller et se dresser contre la conceplion
contemporaine de l'Allemagne unifiée, réalisée par
la Prusse.
Tels étaient les problèmes qui se posaient en
Allemagne. On admettra, sans doule, que l'heure
n'était pas encore venue de pleurer de tendresse,
comme le faisaient certains, sur la république alle-
Patrouillc (le cavaliers français au pont île Kehl, stu 1
remplacer l'aiicica pout de bateaux i^ui i
, iiuut, Ion;: de 233 mètres, fut c^.;.^t;iui ac JSj» à 1801. pour
iiksaik blraAbûul'g â Kelil, sur la rive droite du lleuve.J
N' 143. Janvier 1919.
LAROUSSE MENSUEL
(i73
Vûti-ttei-'Tann. OfriUnger. llindeu ::<:'j<itUz. Croiseur édaireur britannique Can/i^.
Reddition de la flotte allemande : les grandi navires de bataille allemandSi naviguant en Ute de colonne des 70 bâtiments livrés, arrivent dans les eaux britanniques, le 21 novembre 1918,
(Norman Wilttingon, Tht llhiitrattd London A'etcs.)
mande, et sur l'Allemagne régénérée. Le virus
impérialiste et le dogme militariste étaient fort loin
d'être éliminés.
Si ce qui se passait en Autriche-Hongrie était
assurément plus clair, la question étant posée depuis
longtemps, bien des obscurités subsistaient. Char-
les l" avait abdiqué le 12 novembre, et cette abdi-
cation avait été une résultante inéluctable des évé-
nements, beaucoup plus qu'une décision spontanée.
Le jeune empereur d'Autriche avait fait, on doit
le reconnaître, des efforts méritoires pour réorga-
niser son empire disparate. Monté au pouvoir sans
avoir eu aucune responsabilité dans la déclaration
de la guerre, entraîné par les forces en mouvement
sans pouvoir, malgré ses efforts, arrêter ou ralentir
leur marche, il est certain qu'il voulut la paix dès
l'abord et, peut-être, eût-il mérité d'être mieux com-
pris. A l'intérieur, il voulait aussi une réforme de
.son empire, qu'il était trop lard pour réaliser. Em-
porté par un courant irrésistible, Charles I""" a som-
bré dans le désastre de l'Allemagne. L'histoire
devra étudier avec soin son rôle dans cette guerre
et, peut-être, lui faire une place à part. — A la fin de
novembre, la double monarchie était en morceaux.
La Hongrie était en république, sans qu'on pût
deviner encore comment cet amalgame de nationa-
lités de races diverses, oii les Magyars sont en mi-
norité, parviendrait à s'organiser. L'attitude de la
Roumanie, délivrée du ministère Marghiloman, et
soulevée par le souffle national, était un grave dan-
ger. La Transylvanie, les centres roumains de Hon-
grie réclamaient contre la paix hongroise. L'avenir
de cette partie de l'empire était incertain. — La
République tchéco-slovaque avait élé proclamée
le 13 novembre. Le professeur Massaryk en était
président, Benès en était le ministre des affaires
étrangères. Des diverses parties de l'empii-e dé-
membré, c'était celle (jui semblait le plus près d'une
existence réelle et d un fonctionnement régulier.
Encore fallait-il se demander ce que deviendraient
les Allemands de Bohême. — Au Sud, un Etat yougo-
slave s'était formé. La confusion y était encore
grande; la fusion avec la Serbie, la formation d'une
grande Serbie, était encore un problème k résoudre,
problème délicat, qui touchait aux intéi-êts de
l'Italie, mais problème passionnant, et dont il fallait
souhaiter la solution large et juste en constatant
que, de tous les nouveaux Etats dont l'éclosion se
préparait, il était, par sa situation géographique, par
l'énergie de ses populations, celui qui avait le plus
de chances de réussir et qui le méritait le mieux.
— D'autre part, au centre de l'empire, les Alle-
mands d'Autriche avaient formé une république et
réclamé leur réunion à l'.^llemagne. Le problème
que nous avons signalé le mois dernier restait posé.
Il était lié étroitement au sort de l'Allemagne
même. Sans danger si une république allemande,
vraiment répul)licaine et pacifique, s'établissait soli-
dement, il devenait très grave pour la paix du
monde, si l'Allemagne, sous couleur de république,
restait militariste de tendance et impérialiste défait.
— Enfin, la république polonaise cherchait aussi
sa voie et tâchait i réunir les morceaux dispersés
de la nation polonaise. Sa destinée se compliquait
de ses rapports avec l'Ulsraine et avec la Russie et,
de ce côté, nous restions incapables non seulement
de faire aucun pronostic, mais de dire ce qui se
passait. La question russe restait un point d'inter-
rogation dressé devant l'Entente. Quelle réalité,
quel avenir s'agitait et se préparait derrière lui?
Nul ne le savait. Ce qui, cependant, semblait certain
était la propagande dangereuse faite par les bolche-
vicks en Allemagne, ainsi que leurs tentatives pour
étendre leur action en Europe. On en avait eu la
pi'euve dans la tentative de grève générale orga-
nisée en Suisse par le Comité d'Olteu. L'énergie
du Conseil fédéral et le ferme bon sens du peuple
suisse avaient faitavorler cet essai de révolution, vé-
ritable contresens dans un pays comme la Suisse.
Mais le fait était à retenir, et aucun homme raison-
nable n'avait le droit de s'en désintéresser.
On le voit, l'armistice général, la cessation des
hostilités, l'écroulement des trônes avaient fait
apparaître une infinité de problèmes, dont aucun
n'était simple. Tous allaient se poser devant le
Congrès de la paix, dont la date n'était pas fixée,
mais qu'il était souhaitable de voir s'ouvrir sans
délai. Encore une question de plus se posait-elle à
ce sujet : avec quel pouvoir allemand traiterait-on?
Quel gouvernement aurait qualité pour apposer au
bas de l'instrument de paix une signature authen-
tique, qui garantît l'exécution du traité? Rien ne
fait mieux sentir les difficultés devant lesquelles on
se trouvait. Il n'y a pas d'exemple, dans l'histoire,
d'une situation analogue. Le président Wilson an-
nonçait sa venue. On devait la désirer. Celui qui a
tenu dans ses mains les destinées du monde et à
qui notre reconnaissance doit aller sans réticence
avait, cependant, besoin de toucher de près les né-
cessités du temps présent. 11 faut, aujourd'hui, com-
biner les vues théoriques avec la réalité, la doctrine
avec les faits. Or, les faits nous dominent.
En dehors de tous les problèmes déjà énumérés,
deux autres, en particulier, devaient se poser au Con-
grès de la paix. Le premier était celui de la liberté des
mers. A la Conférence de Versailles, la différence
des points de vue sur cette question avait éclaté, et
le président Wilson l'avait franchement indiqué,
dans sa Note à l'Allemagne du 6 novembre. La
conception allemande de la liberté des mers est
évidemment incompatible avec la sécurité de l'An-
gleterre. Il y aura, sur ce point, à s'entendre clai-
rement.
L'autre problème est le problème économique, et
il est d'une terrible gravité pour la France et pour
la Belgique. Le nord de la Fiance et la Belgique
ont été, au point de vue industriel, systéma-
tiquement ruinés par l'Allemagne. Non seulement
le fonctionnement des industries a été arrêté,
mais leur outillage a été ou brisé volontairement,
ou transporté en Allemagne. Il importe de le
reconstituer. Mais comment? Quel mode de resti-
tution adoptera-t-on ? Si l'on fait fournir les ma-
chines nouvelles par l'Allemagne, on n'aboutira
qu'à alimenter l'industrie mécanique allemande et
à lui préparer l'hégémonie du marché. Si l'on re-
cherche en nature les machines et métiers volés,
en quel état les trouvera-t-on 7 N'importe-t-il pas.
en outre, au point de vue de la paix sociale du
monde, d'assurer à l'Allemagne un travail suffisant
pour faire vivre sa population ouvrière, sans qu'elle
puisse, pourtant, constituer pour nous une concur-
rence écrasante? Nous n'insisterons pas sur cette
question, que des volumes n'épuiseraient pas. Nous
la posons pour qu'on y songe, pour qu'on se méfie
des solutions trop simples, de l'idéologie, de l'huma-
nitarisme et pour qu'on sache que, là dedans,
tiennent tout notre avenir économique, toute notre
prospérité et, pour tout dire, notre existence.
Ne l'oublions pas, comme l'a dit Clemenceau dans
une formule admirable : « La France a été jadis le
soldat de Dieu, elle a été, dans cette guerre, le sol-
dat de l'humanité, elle sera toujours le soldat de
l'idéal. » Mais il faut aussi que la France descende
des hauteurs et songe à elle-même. Nous avons
célébré notre victoire, accueilli avec des transports
de joie l'Alsace et la Lorraine rendues à la patrie,
salué notre généreux allié le roi d'Angleterre. Nous
avons pleuré de joie au récit de l'entrée de Pétain
à Metz, deCasIelnau et de Foch à Strasbourg; nous
avons admiré l'éloquence sobre et profonde de nos
chefs militaires, celle de Foch, de Pétain devenu
maréchal, de Pershing; noua avons entouré de
674
reconnaissance et de re-^pect nos généraux vain-
queurs, restés simples dans la vicloiie et grands
par les inoiiblial)les services rendus à la patrie.
Il faut, maintenant, songer k traduire en faits con-
crets et en réalités tangibles les sacrilices que nuus
avons imposés aux citoyens et à la nation. Si nos
mœurs politiques ne sont pas ce qu'elles devraient
être, si, iléjà, nous sentons sévir la fièvre éleclorale
et la surenchère malsaine, si un internationalisme
coupable obscurcit chez quelques-uns, la claire vi-
sion de l'intérêt national, semble donner parmi
nous des alliés à nos ennemis et compromet par
des prétentions qui révoltent le plus sage patrio-
tisme les réformes sociales nécessaires, nous avons
le devoir de réagir. Le peuple français est un
peuple de bon sens. Son bon sens le gardera de
tout excès. Mais il faut qu'il voie clair dans son
avenir. Des lâches immense» s'offrent à lui : tâche
nationale et tâche internationale, lâche intellec-
tuelle et tâche économique ; toutes les énergies doi-
vent se tendre vers ces buts. Il serait déplorable
que l'immense effort accompli par nous, dans la
guerre, nous retrouvât, au lendemain de la paix,
dans le même état moral oii nous étions il y a
quatre ans. Sachons reconnaître les fautes que nous
avions commises, pour n'y plus retomber. Ne con-
fondons plus l'intérêt privé et l'intérêt général.
Ayons assez de confiance en nous-mêmes pour n'at-
tacher à certains mots, à certaines formules poli-
tiques que l'importance exacte et temporaire qu'ils
peuvent avoir. La République a prouvé qu'elle pou-
vait sauver la France et maîtriser toutes les entre-
prises de tyrannie universelle. Elle s'estplacée ainsi
au-dessus de tous les partis. Elle a, du même coup,
conquis le droit de s'organiser dans la forme la
plus favorable au développement intégral de notre
puissance matérielle et morale. Nous avons été
héroïques dans la guerre. L'heure est venue, main-
tenant, où il nous faut montrer dans la lutte paci-
fique entre les nations, qui s'ouvre à partir de ce
.jour, le même sang-froid, la même faculté d'adap-
tation, la même force de résistance et, surtout, la
même union des esprits et des cœurs. Nous souhai-
terions que chacun le comprit. L'histoire ne nous
montre-t-elle pas qu'être Français avant tout est la
meilleure façon, la seule qui nous convienne, de
servir l'humanité? — Jules otobaui.t.
Jeunesse de Joseph Joubert (la), par
André Beaunier (Paris, 1918). — On connaissait peu
les années d'enfance et de jeunesse de Joseph Jou-
bert, et on ne se représentait guère cet esprit char-
mant que tel qu'il rut plus lard, inspecteur général
de l'Université, ami de Chateaubriand et de Fon-
tanes. André Beaunier nous restitue aujourd'hui au
naturel le visage du jeune homme , déjà réservé,
déj& sage, mais que sa sagesse n'empêchait pas,
pourtant, de se mêler aux milieux les plus divers
et aussi les plus fous. On trouvera aussi, dans le
récit d'André Beaunier, la peinture de ces milieux,
peinture vive, peinture truculente parfois. Le cadre
vaut le portrait. Il y a, dans la manière d'André
lieaunier, une sorte d'ironique tendresse, qui est
d'une saveur extrême. 11 procède par petites touches,
rapides et pleines de couleur, et chaque fait s'ac-
compagne d'un sentiment. De là la vie singulière
qu'ont ses portraits et ses récits.
Ce fut en Guyenne, à Montignac-le-Comte, petite
ville importante et jolie, qu'anime la course rapide
et preste de la Vézère, que naquit, le 7 mai 1754,
Joseph Joubert. Sa mère, Marie-Anne Gonlier,
était la seconde femme de Jean Joubert, bourgeois
et ancien chirurgien des armées du roi.
La famille était bonnêlement aisée; mais de trop
nombreux enfants auraient apporté la gêne, si le
chef de famille n'avait courageusemeul travaillé.
Joseph fut, en eiïet, le deuxième de treize enfants
qui s'échelonnèrent de 1753 à 1769 et, si tous ne
vécurent pas, on imagine, du moins, volontiers,
que la jeunesse de Marie-Aime Joubert fut entiè-
rement occupée par eux. Joseph, aîné des garçons,
n'en profita pas pour vagabonder. Il est sage et
doux, il demeure auprès de sa mère, pour laquelle
il a une tendresse passionnée et dont il devient,
peu à peu, le confident.
C'est une jolie chose que les souvenirs d'enfance
de Joubert, racontés d'après les récits que lui en
faisait sa mère. M"» Joubert était très pieuse. Ce
fut au milieu d'une atmosphère religieuse qu'il
grandit, et, s'il devait plus tard la chagl'iner par sa
vie philosophique, sa mère n'en demeura pas moins
toujours au cœur de ses passions.
I,a première fois que je vous ai vu, — écrit-il à Mole le
30 mars 1804, — je perdais en ce moment ma mère, la
meilleure, la plus tendre et la plus parfaite des mères ;
ma tendresse pour elle fut toujours, au milieu racme do
mes innombrables passions, mon affection la plus vive et
la plus entière.
D'ailleurs, plus instruite que ne l'étaient de cou-
tume les femmes de la petite bourgeoisie, elle avait
pu le suivre dans ses études et, peut-êlre même, avait-
elle participé à ses premières émotions littéraires.
Ce fut à Montignac même que l'enfant apprit à
lire, à écrire, à compter, sous un bon vieux péda-
L.\ROUSSE MENSUEL
Sogue, qui lui enseigna aussi la géographie et
l'histoire, le style et la religion. Joubert ne quitta
son maître qu'en 1708, sans doute lorsqu'il en sut
autant que lui, pour entrer chez les Pères de la
Doctrine, à Toulouse. Les idées n'étaient pas
étroites chez les Pères. Ils ne craignaient pas d'al-
ler de l'avant, et ils conciliaient la recherche de la
vérité avec la rigueur de la doctrine.
Si nous ne savons pas les premières impressions
ressenties par l'enfant, nous connaissons, du moins,
les souvenii's qu'il garda de l'éducation reçue au
collège. Car c'est bien à ce temps-là qu'il songe
lorsqu'il écrit plus tard :
Nos collèges étaient do petites universités où l'enfance
était dressée à distinguer et à goûter tout ce qui doit
charmei' l'imagination et le cœur. Des hommes qui fai-
saient leurs délices de l'étude de ces beautés les ensei-
gnaient... Le temps de leur prorcssorat était pour eux un
enchantemeut continu. De ces dispositions des jeunes ré-
gents naissait en eux une aménité de goûts et de manières
qui se communiquait à leurs élèves. Dans nos collèges,
on enseignait tout. L'éducation littéraire y était complète.
Et cette éducation littéraire donnait
aux esprits et aux âmes une teinture de ce que les poètes,
les orateurs, les historiens et les moralistes de l'antiquité
ont eu de plus exquis, teinture qui, certes, embollissaii
les mœurs, les manières et la vie entière.
Les hommes qui ensoifrnaienl chez les Doctri-
naires enchantaient Joubert davantage encore que
leurs méthodes ; et, sans doute, est-ce pour de-
meurer en leur compagnie que, le 17 mai 1772, il
prit la soutane de la congrégation.
Inscrit au registre des vêtures, il avait bien le
projet, à ce moment, crpiihcr définitivement dans
r
Just-jih Joubert, d'api-es J .MassaïU.
la cungrégation. Pourtant, il n'y figure plus le
il avril 1773 et, cependant, il n'a pas quitté le col-
lège. On ne sait trop pourquoi il se relira du novi-
ciat : si ce fut pour une raison de santé, ou pour
linéique doute spirituel qui lui serait venu soudain.
Le fait est cru'il demeura au collège, sans doute
comme frère laïque.
Le laïque, aux Doctrinaires, faisait un métier de péda-
gogue ; il devait quotidiennement dire l'onioe de lu Vierge
ou le chapelet. Mais il ne prononçait pas de vœtix, et il
portait la soutane comme un uniforme.
Joubert enseigna donc. Ou |ieiil dire que la plu-
part des pensées relatives à l'éducatiim qu'il inscri-
vit plus tard sur ses cahiers, qiumd il l'ut inspecteur
général, datent de ce temps. Mais, au milieu de son
enseignement, il eut des loisirs. 11 les occupa à
s'instruire lui-même parla lecture, par la fréquen-
tation de ses camarades, dont il semble bien que
l'intelligence était largement ouverte aux idées du
dehors. Des conversations philosophiques, des lec-
tures, des méditations enricliirenl son esprit. 11
menait aussi la vie mondaine. Dès ce temps, il
s'éprend de l'amitié des femmes, et il leur adresse
des vers légers.
En 1776, il quitte le collège définitivement, mais
il demeure quelques mois encore à Toulouse. 11 ne
sait que faire. Sa mère essaye de l'arrêter au seuil
du grand départ pour la vie. Pour se rendre à son
appel, il revient à Montignac. Mais, après Toulouse,
c'est la solitude. Il y restera pourtant deux ans,
essayant d'animer par des romans celte solitude.
Ces romans, il les imagine, il les esquisse, il ne les
achève pas. Il se plaît aux caprices du songe, cul-
tive son esprit, ne pense pas qu'il faut un métier
pour vivre. 11 n'a qu'un désir, qu'une recherche : la
suprématie morale, la beauté intérieure. 11 les aura
toujours. Il répondit, un jour, à ses parents qu'il ne
voulait pas
que l'àme d'aucun* espèce d'homme eût ds la supériorité
W 143. Janvier 1919.
sur la sienne : que l'était bien assez que les riches eussent
par-dessus lui les avantages de la richesse, mais que,
certes, ils n'auraient pas ceux do ta générosité.
L'horizon de Montignac était trop limité pour ses
rêves. En mai 1778, ayant besoin d'espace, il partit
pour Paris.
A son esprit curieux Paris plaît dès les premiers
jours. Il s'y divertit. S'il s'est logé dans le quartier
Saint-Germain, il sait en sortir. 11 est avide de
voir les philosophes; mais Voltaire et Rousseau sont
morts. Marmonlel, La Harpe et d'Alembert restent,
qu'il connaît au bout de peu de mois. Nous avons
peu de lumières sur les relations qu'ils entre-
tinrent; mais nous .sommes mieux renseignés sur
la liaison de Joubert avec Diderot, bien que, sur ce
point encore, on en. soit réduit trop souvent aux
conjectures.
11 semble qu'il travailla auprès de Diderot, qui
ne devait mourir qu'en 1784, et dont on sait com-
bien il fut accueillant pour tous les jeunes gens qui
se présentaient devant lui. Il ne leur ménageait ni
sa complaisance, ni son génie, et ses visiteurs
étaient nombreux. Il avait alors plus de soixante-
cinq ans; mais ses manières avaient encore celle
turbulence si extraordinaire et un peu folle qui
semblait devoir si peu convenir au jeune homme
plein de réserve qu'était Joubert. Est-ce pour celle
réserve que Diderot ne le comprit pas? Du moins,
il ne le nomme jamais. Joubert, au contraire, parle
du philosophe, et il en parle à plusieurs reprises,
ce qui indique qu'il continua de le fréquenter. Il est
aisé de retrouver, dans certaines notes où il ne le
nomme pas, l'influence du maître : « l'ouvrage où
j'avais été engagé par Diderot », écrira-t-il plus tard.
Diderot lui avait conseillé d'écrire sur la bien-
veillance. Le jeune Joubert s'y efforça, jetant sur le
papier force remarques, où l'on reconnaît, autant
que les préoccupations morales, les préoccupations
sociales et politiques. Mais, sans doute, où l'on peut
le mieux retrouver l'influence de Diderot, c'est dans
Ir goiil qu'il manifeste pour le paradoxe. Ainsi,
il écrit :
Le seul moïen d'avoir des amis, c'est do tout jetter par
les fenêtres, do n'enfermer rien et de ne jamais savoir où
l'on couchera le soir. Il y a, me dirès-vous, peu de gens
assès fous pour prendre ce parti. Eh ! qu'ils ne se plaignent
donc pas, s'ils n'ont pas d'amis : ils n'en veulent pas !
Diderot lui donna aussi le goût des arts; il le
conduisit chez les artistes. Mais, en définitive, on
ne voit pas trop comment s'est exercée vraiment
l'influence du pliilosophe, influence, dit Sainte-
Beuve, >< plus grande qu'on ne le supposerait à voir
lu différence des résultats ». Il semble que Sainte-
Beuve exagère. On ne voit pas ce que Joubert a
lire de ce qu'a pu lui donner Diderot. Les deux
hommes étaient trop différents. L'influence, s'il y
eut influence, fut une influence négative. Peut-être
Diderot contribua-t-il à le détacher de ses croyances
et de ses coutumes. Et de cela Joubert ne lui garda
nulle reconnaissance.
Le vrai compagnon de sa jeunesse, qui devait
rester le compagnon de sa vie, c'est Fontanes. On
aurait tort de voir celui-ci, comme il se montra par
la suite, sous les traits nobles et imposants du
grand maître de l'UniVersité. Fontanes, en ce temps,
de trois ans plus jeune que Joubert, était mélanco-
lique et déluré. Les deux amis durent se rencontrer
sans que l'on sache qui les mit en rapport l'un avec
l'autre, vers la fin de 1778 ou le commencement
de 1779. Fontanes écrit des vers, qui le font appré-
cier. Et avec lui, peut-être par lui, Joubert se mêle
à toutes sortes d'écrivains des moins recomman-
dables comme des autres. Il connaît Dorai et la
comtesse de Beauharnais, dont la liaison avouée et
même affichée est partout reconnue. Fontanes, am-
bitieux, travaille beaucoup. Exubérant et même
turbulent, il a le goût du plaisir et des plaisirs:
mais il met, par principe, la littérature à part de sa
vie. De là celle froideur de ses poèmes. ,^rès
quelques vers élégiaques, il entreprend un poème
sur l'astronomie, puis un autre, en six chants, sur la
nature. Il publie une traduction en vers de l'Essai
sur l'homme, de Pope. Joubert est plus paresseux.
11 travaille doucement. Il se prépare surtout à tra-
vailler. Il traduit quelques remontrances d'Hésiode
à Perses. Il médite. 11 lit Platon, Descartes et autres
philosophes plus récents. 11 a lu Rousseau, et on
s'en aperçoit, quand il préfère la nature aux perver-
sités de la civilisation. Il s'attendrit sur l'innocence
et la simplicité. Mais, s'il fait figure de jeune sage,
il n'en fréquente pas moins le monde. Il ne vitupère
que ce qu'il connaît, que ce qu'il a vu. Les détails
qu'il donne sont trop précis pour que nous en
puissions douter. S'il n'y a pas pris goût, il s'y est
du moins diverti, et on n'a point de mal à sentir
quelque délectation en certaines de ses remarques.
Pourtant, s'il a déjà connu les femmes, il n'a pas
encore aimé une femme.
Il ne saurait échapper à cet accident inévitable.
Et cet amour, dont il va souffrir, l'introduira dans
un singulier milieu ou, du moins, l'y attardera.
Singulier milieu, c'est le moins que l'on puisse
dire du monde : famille, parents, amis, qui entourent
Restif de La Bretonne. 11 faut en contempler le vivant
M- 113. Janvier 1919.
tableau chez André Beaunier. Il faul voir le portrait
en piod ilu romaiieier, coiffé de son Ki'wd chapeau
de feuli-e à larges bords, einolopp* dans son large
et long inantpaii hleu, agrafr au col. Il faut le voir
s'agiter, bouffon, violent, cyiiii|iic, peintre pouilant
précieux de son temps, qui, on dix ans, publie
soixante-dix liuit volume». Des scènes terrible» ani-
maient son ménage. Il déshonorait sa femme .avec
une continuité et une publicité étonnantes et, certes,
Agnès Lebégue, qu'il avait épousée en 1760, m;
mena point une vie parfaite. Mais elle avait aussi
la fureur du bel esprit. Et c'est là le divertissant
Kestif lui reprochait moins ses écarts qu'il n'était
jaloux de sa réputation d'auteur. Ils s'étaient sépares
plusieurs fois, mais ils se trouvaient réunis quand
Joubert et Fontanes les connurent.
En même temps, ils connurent Mercier, l'auleur
du Tableau de l'aris, dont Joubert nota certains
passages sur ses carnets et qu'il imita joliment en
composant de petites esquisses parisiennes. Ils con-
nurent une sorte de fou, intime ami de Restif, Gri-
mod de La Reyniére, qui organisait des déjeuners
philosophiques, n parties très amusantes, écrit Res-
lif, dans lesquelles je trouvais réunis les trois agré-
ments d'une société de café bien composée, d'une
société particulière, et d'un muséum rempli de
jeunes gens d'un mérite distingué ». Ils connurent
surtout Agnès.
De cette liaison Restif devait faire un roman : la
Femme infidèle, roman en quatre volumes; et, bien
que ne ce soit trop souvent qu'un véritable ouvrage
d'imagination, nous y trouvons cependant des détails
sur les relations de Joubert et de Fontanes avec le
ménage.
Fontanes et Joubert connurent Restif vers la fin
de 1783. Ils avaient été le voir, raconte-t-il, « par
admiration pour son talent », et il semble bien que
ce soit la vérité. Au début, la confiance règne, et
les relations sont charmantes :
Vos écrits, lui écrit Joubert, ramènent au sentiment; ils
font sentir le bonheur de pardonner ou de s'attendrir.
Mais Restif introduit chez lui les deux amis. C'est
le malheur. Ils voient Agnès, qui, malgré ses qua-
rante ans passés, est encore belle. Dans 1 Intérieur
morose, les deux jeunes gens portent de la gaieté.
On se voit beaucoup, au point qu'on loue en commun
un jardin, rue del'Oursine; c'est l'occasion de nom-
breuses parties.
Longtemps Restif n'a aucune confiance. Pourtant,
loubert est devenu, ou peu s'en faut, l'amant
l'Agnès. Mais, le jour où Restif a un doute, ce doute
Jevient bien vite une certitude, (le qui le touche
davantage que la tromperie, c'est d'avoir perdu des
admirateurs passés dans le clan de sa femme. 11 les
soupçonne de manœuvres ténébreuses, tendant à le
faire mettre à la Bastille. Il leur en veut de lui
faire peur. Il croit qu'ils poussent sa femme à se
séparer de lui et à réclamer pension. El, comme tout
le monde lui donne tort, il s'emporte, il dénonce les
méfaits de ces garnements. Il écrit quatre volumes
contre eux.
Conunent Joubert a-t-il pu se laisser séduire par
un semblable milieu? Agnès lui a montré ses esquis-
ses littéraires; il les a approuvées. Pour «'exercer, .
elle lui écrira tous les malins. Ainsi vont les choses.
Agnès est très malheureuse; il est tendre et pitoya-
ble. Il n'a pas grand'chose à faire. Il corrigera ses
écrits, et il essayera de la relever de l'avilissenient
où elle est tombée. El Restif, au sujet de Joubert,
« le plus traître des hommes », écrira à Agnès :
Jo vous Iiravo tous doux; je préférerais la mort à tenir
de vous la vif. Je vous dévoilerai, puis je mourrai content,
enveloppé dans mon innocence.
Cependant, les querelles des deux époux s'aggra-
vent. Un beau matin, Agnès partit pour Joigny.
Quelle part eut Joubert à cette fuite? Nous ne le
saurons pas, ni quelle souffrance il put ressentir. Il
n'en dit rien. Il traduit des vers latins.
Fontanes était allé à Londres, afin de fonder une
« Correspondance » française en Angleten'e. Joubert
compte sur le succès de son ami, sinon pour faire
fortune, du moins pour gagner sa vie. Il est triste
dans sa solitude; et, pendant que Fontanes, voyant
qu'il est impossible de réussir, songe à remplacer la
« Correspondance » par un beau mariage. Joubert
s'ennuie. Comme pour parttciper au voyage que
Fontanes a fait, il en note quelques li-aits, à son re-
tour sur ses carnets. Il s'efforce encore de travail-
ler. 11 étudie les arts, peinture, sculpture et musi-
que, et sans doute faut-il voir le souvenir de ses
relations avec Diderot. Il s'occupe de David, de
Bembrandl. Ses notes, le plus souvent, ne manquent
ni de justesse, ni de sensibilité. Il ne se contente pas
d'ailleurs de sentir, il comprend. Et de ses sensations
il tire des règles à l'aide desquelles il formule une
esthétique. Il eût pu Clic un excellent critique d'art:
mais, quoi qu'on en ait dit, il ne semble pas qu'il
ait jamais été journaliste. Non pas qu'il n'ait essayé.
Nous avons de lui les brouillons de plusieurs arli-
cles, brouillons abondants, pleins de vues ingénieu-
ses, mais inachevées; tel cet Klof/e de Pignlle, des-
tiné au <■ Journal de Paris » et qui ne parut jamais.
Plein de scrupules, il revient sans cesse sur ce qu'il
I.AUOIJSSK MK.N'SUEL
a éerit; par suite, il n'achève jamais. Son amour de
la perfection le condaume à la stérilité. Les idées ne
lui manquent pas et, parfois, elles sont excellentes.
Les mots, non plus, ne lui font pas défaut. D'admira-
bles phrases ne sont pas rares chez lui. .Mais le lieu
et le fond manquent au ta-
bleau. Il faut reconnaître en
lui de la paresse ; mais il y
avait de bien jolies choses
chez ce paresseux, el il est à
souhaiter qu'.\ndré Beaunier
nous conte bientôt la suite de
son histoire. — Jacques BnufAKc.
Lamantins ( Elevage
POSSIBLE DES). Les laman-
tins { v. Nouveau Larous.if
illustré), avec les dugong-,
forment le groupe spécial des
sirénides, intermédiaire entre
les ongulés et les prosbosci-
diens. Ils sont exclusivement
herbivores, quoique vivant
dans l'eau. Depuis 1016. le
lamantin à rostre large est
l'objet d'essais d'élevage en
demi-stabulation dans les la-
gunes de la Floride, en vue
d'utiliser sa chair pour la l)OU-
cherie. Déjà, en 1907, l'Etal
de la Floride, en présence de
la diminution rapide de ces
animaux par suitede la chas.se
que lui faisaient les touristes,
et qui était considérée connue
un sport, avait dû voler uii'
loi pour interdire celle chasse,
avec une amende de 300 dollars
fiour toute mise à mort d'un
amantin. A lasuite, leConseil
fédéraldes Elals-Unisordonna
des recherches sur la possibi-
lité d'organiser l'élevage de
ces animaux dans le sud de la
Floride, puisque leur viande
est comestible. En effet, li-
lamantins ne se nourrissent
que d'une herbe qui vit eu
touffes énormes dans les lagu-
nes de la Floride, lacymodo-
cée des manates ipi/modocea
manalorum). Cette plante, de la famille des pala-
mogétonacées,esldioïque, submergée, avec uno tige
lierbaiée qui atteint 4 mètres de long et un rhizome
traçant qui en amène une rapide multiplication.
L'analyse de cette plante, l'aile par les soins du
bureau fé-
déral de
chimie des
Etats-Unis,
a permis
d'en fixerla
composi-
tion el de
la compa-
rer aux au-
tres four-
rages. Elle
montre que
sa valeur
nutritive
est à peu
près la mê- '
me que cel-
le de la lu-
zerne, du
trèfle, de la
fléole el df
la dolique:
seulement,
elle renfer-
me en plus
du fer i
l'état de
sesquioxy-
de (Fe«0'
dans la pro-
portion de
4,46 p. 100.
Il se peut
qu'alors la
chair du
lamantin
ait une te-
neur en fer plus forte que celle des autres herbivores.
Le lamantin du Sénégal habite les estuaires et les
Heuve^ de l'Afrique occidentale, jusqu'au lac Tchad
et au Congo. Extérieurement, il est peu différent
du lamantin d'Amérique, mais il y a identité d'ha-
bitudes, de mœurs et de slrurlure. Nous ne connais-
sons pas avecsutfisamment de précision les plantes
3ui lui servent de nourriture, mais, comme la cymo-
océe noueuse (cymodocea nodosa) vit dans les
estuaires et les lagunes de son habitat, il y a tout
Heu de «uppo.scr, paraualogie avec ce qui se pa.«.sepn
Amérique, qu'il broute exclusivement celte plante.
Les lamantins ont un corps fusiforme, terminé
par une queue large el arrondie. Leur peau ne porte
que quelques poils épars et est épaisse de i"^.',:
Cymodocea nodosa
femelle ;
b, plante
Lamantins du Sénégal.
leur taille varie de 3 à 6 mètres, tandis que leur
poids, qui est ordinairement de 300 à 400 kilo-
grammes, peut atteindre 750 kilogrammes chez les
vieux mâles. Lea membres aulcrieurs, seuls pré-
sents, sont des nageoires, qui servent pour la pro-
pulsion, pour la cueillette de la nourriture et aussi
pour porter à la bouche.
lis broutent sous l'eau, grâce à leur lèvre infé-
rieure, qui est fendue et dont les lobes manœuvrent
latéralement un peu comme les mandibules des in-
sectes. Ils fixent la plante avec la nageoire el
engloutissent d'énormes quantités de cymodocée.
En captivité, ils acceptent tous les végétaux : laitues,
choux, épinard.s, pointes de céleri, pommes cuites
et même du pain.
La femelle, la tète bois de l'eau, allaite .son petit
en le plaçant sous sa nageoire, car ses mamelles
sont pectoralts; c'est ce qui a donné lieu, évidem-
ment, à la fable des sirènes.
A l'inverse de tonle chair nouvelle, on peut dire
que celle du lamantin el du dugong a été appréciée
de tous ceux qui l'ont goûtée. Elle a été comparée
aux côtelettes du veau, au porc ou à du bœuf tendre.
Tous vantent sa blancheur, sa délicatesse el son
goût délicieux; c'est une chair iVatiimal herbivore.
On peut la saler pour la conserver. Les anciens
navigateurs capturaient ces animaux au harpon et
prisaient fort leur chair.
La peau, en séchant, devient très dure; elle servait
à doubler les boucliers el àconfcctionner les lanières
des grands fouets des Boers. Le tabernacle du temple
de Jérusalem était recouvert de peaux de dugong.
Lelard.qui a4cenlimèlresd'épais,seur.lournitune
huile sans oueur, sans goût, limpide, qui ne rancit
pas et qui peut remplacer l'huile de foie de morue.
Cet élevage est pratiquement réalisable. Il est
d'autant plus intéressant pour nous qu'il viendraii
s'ajouter aux autres, sans en rien distraire; qu'il
pourrait donner k la France un appoint considérable
de nourriture et qu'il sérail, pour nos colonies afri-
caines, une nouvelle source d'activité. Le transport
par des cargos frigorifiques ou la mise en conserve
sur les lieux de production ne pourraient être un
empêchement. Il faudrait que cette question fût mise
à l'étude, dès maintenant, par les gouvernements de
nos colonies africaines, afin de délerminerles lagunes
où la stabulation serait possible. — a. mèhjoaci.
Métin (Albert), universitaire et homme poli-
tique français, né t\ Besançon le 23 janvier 1871.
mort à San-Francisco le 16 août 1!)18. Fils d'un
agent voyer, Mélin fil, au lycée de Besançon, de
brillantes éludes, qu'il poursuivit au lycée Louis-le-
676
Grand et à la Sorbonne, oi'i il prépara l'agrégation
d'histoire et de géographie.
Il fut reçu, ail concours de ISfl'i, dans les pre-
miers rangs. Désireux de rester à Paris, où le rete-
naient ses travaux, il professa dans les écoles de la
ville, nolani nient à l'école Lavoisier, et lit également
des cours à l'KcoIe coloniale, à l'École des hautes
éludes et au Conservatoire des arts et métiers. Tout
de suite, il avait été attiré par les questions sociales,
et c'est dans cet esprit qu'il elTectua, en 1895, un
premier voyage en Angleterre. Il en rapporta les
éléments d'une solide étude sur le Socialisme en.
Angleterre, qui parut en 1897.
Dans ce volume, après avoir retracé les diverses
phases du mouvement socialiste anglais, depuis
Robert Owen et
les Chartistes,et
en avoir suivi les
manifestations
dans l'art et la
littérature avec
Carlyle, Ruskin
et W. Morris,
Métin abordait
l'examen du pro-
blème agraire ;
étudiait l'orga-
nisation et les
transforliiations
des trade-
unions ouvriè-
res, bref, traçait,
avec beaucoup de
netteté, un ta-
Aiberi Métin. bleau d'ensemble
de ce socialisme
anglais si particulier, qu'il définissaitjustement «un
socialisme d'Ktat démocratique, produit combiné
des idées radicales et de la morale chrétienne >>.
Peu après, ajant bénéficié d'une des bourses du
li Tour du monde », que venait de créer un géné-
reux donateur, Métin entreprit, de 1S98 à l'JOO, un
long voyage, au cours duquel il parcourut succes-
sivement l'Egypte, l'Inde, l'Australie, les Etats-
Unis et le Canada. Il visita ces diverses contrées,
non point avec la simple curiosité de l'historien ou
du géographe, mais dans le dessein d'observer sur-
tout les phénomènes sociaux et de compléter sa
documentation en matière économique et financière.
11 avait été chargé, d'ailleurs, par le ministère du
commerce, d'une mission ayant pour objet l'étude
des lois ouvrières en Australie et en Nouvelle-
Zélande. Il s'attacha donc à réunir tous les docu-
ments relatifs à la législation du travail dans ces
deux pays et ii étudier sur place l'application des
mesures ouvrières etsociales. De retour en France,
il exposa dans un volume la curieuse organisation
de ces pays, « où l'Etat a imposé des limites au droit
de propriété, a institué la journée de huit heures, le
minimum de salaire, l'arbitrage obligatoire », où
prospèrent iCS colonies ouvrières et les villages
coopératifs, où, enfin, selon le titre que Métin avait
donné k son livre, s'est établi et fleurit le Socialisme
sans doclrine (1901).
En parcourant l'Egypte et l'Inde, Métin avait été
farticulièrement frappé des modifications qui, sous
action des influences occidentales, s'étaient intro-
duites dans les conditions de la vie sociale de ces
deux vieux pays orientaux. Comment la société in-
digène supporte-t-elle, en Egypte, la lutte d'influences
qui s'exerce sur son sol, quelles transformations
l'Egypte a-t-elle subies en matière agricole et sur-
tout industrielle, et, d'autre part, dans quelle me-
sure l'action de l'Angleterre est-elle acceptée aux
Indes par la société indoue et musulmane, tel est
l'ensemble des questions auxquelles Métin, d'après
ses observations personnelles et avec le secours
des statistiques économiques, s'est efforcé de ré-
pondre dans ses deux ouvrages : la Transformation
(le l'Egypte et l'Inde d'aujourd'hui, publiés l'un et
l'autre en 1903.
Au cours de ce même voyage, déjà si fructueux,
Métin avait eu l'occasion d'étudier, en visitant le
Canada, les méthodes de colonisation employées
dans ce pays. 11 en fit le sujet de sa principale thèse
de doctorat es lettres, qu'il soutint en 1908 avec un
brillant succès et qu'il publia sous le litre de « la
Colombie britannique » ; sa seconde thèse portait
sur les Traités ouvriers et accords internationaux
de prévoyance et de travail.
Mais, depuis deux ans déjà, Métin avait aban-
donné l'enseignement pour la politique. En 1906,
lorsque fut institué le ministère du Travail, 'Viviani,
titulaire du portefeuille, avait choisi Métin comme
chef de cabinet. Il s'agissait de créer et de mettre
au point un organisme nouveau, aux rouages déli-
cats : nul n'était mieux qualifié que Métin pour
celle besogne. Il resta en fonctions pendant trois
ans, au cours desquels sa connaissance des pro-
blèmes sociaux fut particulièrement utile. C'est en
cette qualité qu'il conduisit en 1906 aux Etats-Unis
et au Canada une délégation ouvrière. Il rapporta
de ce voyage une intéressante Etude sur le travail
aux Elats-Unis et le travail au Canada (1907).
LAROUSSE MENSUEL
Par ses éludes comme par ses fonctions, Métin
se trouvait donc remarquablement préparé à la vie
publique, lorsque, à l'occasion d'une élection par-
tielle, il se présenta à la députation, en décembre 1909,
dans la deuxième circonscription de Besançon. 11
fut réélu aux élections générales de 1910 et 19U.
Inscrit au groupe radical-socialiste, Métin ne tarda
pas à se créer au Parlement une place importante.
Membre de la commission du budget, il fut chargé
de rapporter les budgets de l'agriculture et des colo-
nies. Peu après, en décembre 1913, il fut appelé
dans le cabinet Doumergue, comme ministre du
Travail. Il fut ensuite nommé rapporteur général
du budget.
Lorque la guerre éclata, Métin fut mobilisé comme
lieutenant au 54« régiment territorial de Besançon;
il tint les tranchées de l'Aisne et ne cessa de par-
tager son activité entre les conseils du gouverne-
ment, dont il fit partie à plusieurs reprises, et le
service du front, où il retournait chaque fois que
ses obligations parlementaires ou gouvernementales
lui en donnaient la possibilité.
En octobre 1915, en effet, lors du premier minis-
tère Briand, Métin avait été chargé du portefeuille
du Travail. Dans le second ministère Briand (dé-
cembre 1916-mars 1917), il devint sous-secrétaire
d'Etat des finances et, dans les ministères Ribot et
Painlevé, sous-secrétaire d'Etat du blocus (mars-
novembre 1917).
En juillet 1918, Métin avait reçu du gouverne-
ment l'importante mission de se rendre en Australie
pour y préparer, en vue de l'après-guerre, l'exten-
sion de nos relations économiques avec cette grande
colonie. Il était parti en compagnie du général
Pau pour les États-Unis qu'il devait d'abord
traverser, et c'est au moment de s'embarquer pour
l'Australie à San-Fraiicisco qu'il fut emporté par
une allaque d'apoplexie.
Cette mort prématurée a empêché A. Métin de
donner loute sa mesure. L'étendue et la solidité de
ses connaissances, sa particulière compétence dans
les questions financières et économiques, servie par
une énorme puissance de travail et une activité
toujours en éveil, ne pouvaient manquer d'en faire
H* 743. Janvier 1919.
un jour un homme de premier plan. Déjà, le rôle
qu'il a tenu dans l'organisation du travail en France,
ses initiatives en matière de législation ouvrière
et (le prévoyance sociale permettent d'apprécier la ,
valeur de son intelligence et l'ampleur de ses vues.
A. Métin, était depuisl906, chevalier de la Légion
d'honneur et, peu de temps avant sa morl, avait été
l'objet d'une citation à l'ordre de son régiment.
Outre ses travaux d'économie sociale, Métin a
rédigé de nombreux manuels scolaires, particulière-
ment destinés à l'enseignement primaire supérieur :
Cours d'économie politique et de droit cici/ (190'i).
Cours d'histoire, avec Seignobos (1904), Cours de
géographie {\910), Cours d'instruction civi'iue(\'-JlV).
Ses autres ouvrages sont : V Extrême-Orient (1905),
le Mouvement social en Ausiralasie (1909), VOrga-
nisation des agriculteurs (1911), les Retraites ou-
vrières et paysannes (\9\i), V Histoire des communes
d'Ornans (1913), le Dégrèvement de la terre (19l'i).
On lui doit enfin une traduction de Vllistoire du
trade-ttniojiisme de Sidney ^^'ebb. — i'. ourand.
Ministère de la guerre. (Organisation
PENDANT LA oueure.) Coiiimc il est facile de le
comprendre, l'évolution des événements militaires
a eu sa répercussion sur l'organisalion du minis-
tère de la guerre.
Certains services, inutiles en temps de paix ou
correspondant à des innovations dans l'armemenl,
ont été créés; par exemple, le service général des
prisonniers de guerre, le service des renseigne-
ments aux familles, de l'état civil et des succes-
sions, la sous-direclion de l'artillerie d'assaul.
D'autres se sont grossis, pour des raisons analo-
gues, comme l'aviation et le service automobile.
Le nombre des questions conteiitieuses ou relatives
aux pensions a amené à ériger en directions indé-
pendantes trois bureaux de la direction du conlen-
lieuxetdela justice militaire, ceux du contentieux,
de la justice militaire et des pensions.
Par contre, le ministère de la guerre a perdu
certains services. Le bureau des transports et des
frais de déplacement, qui formait le 6* bureau de
la direclion de l'inlendance, est passé au ministère
I.
Cabinet du Ministre.
Cahinet militaire.
Cahiiifl Civil.
Documentation du Ministre; présentation au Ministre tles promotions, mutations,
décorations.
1" Bureau : Courrier.
2* Bureau : Décorations, croix de guerre, diplôme des morts.
3* Bureau : Questions de principe; personnel des officiers généraux.
Bureau : Œuvres militaires diverses.
•Section du chiffre. — Service des informations militaires. — Service économi<|ue.^
Service géographique.
A. Groupe de l'Avant.
B. Groupe de l'Intérieur .
u
- Etat-Major de TArmée.
: Effectifs et matériel.
; Renseignements relatifs à la situation militaire. [lolitiquo. économique
des puissances ennemies et neutres.
; Opérations sur tous les fronts des alliés.
; Organisation et mobilisation de l'armée.
; Statistique militaire. Etude des armées étrang^Tes.
3' Bureau : Opérations militaires et instruction générale de Tarméo.
4* Bureau : Etapes. Ravitaillement. Service de l'arrière. Transport des troupes.
Sont, en outre, rattachés à l'Etat-Major de l'Armée, Groupe de l'Intérieur, les services suivants :
Section d'Afrique (s'occupe aussi de l'Orient). — Section historiaue. — Bureau des sursis (questions générales
relatives aux sursis). — Section du personnel du service a état-major. — Section administrative.
III. — Différentes directions et services.
II. -
" Bureau ;
2* Bureau ;
3* Bureau :
1" Bureau ;
2* Bureau :
infantei-ie.
l" Bureau : Personnel de l'armée active.
2' Bureau : Recrutement. Administration des hommes
de troupes dans leurs foyers.
3' Bureau : Ecoles et officiers de complément.
Caviderie.
l"' Bureau : Personnel.
2' Bureau : Remontes.
Sous-Direction do la Gendarmerie.
Inspection générale des Remontes.
Inspection vétérinaire.
Artillerie.
Artillerie.
Sous-Direction de l'artillerie d'assaut.
Sous-DirectioD du service automobile.
Génie.
l" Bureau : Personnel.
2* Bureau : Matériel.
Intendance.
Sous- Direction du Personnel et de la Mobilisation.
— des Subsistances,
— de la Solde.
— de l'Habillement.,
Contrôle,
Budgets et dépenses engagées.
Comptes.
Marchés.
Fonds et ordonnances.
l*' Bureau
2* Bureau
3' Bureau
4" Bureau
Réquisitions.
Santé,
I. Services du cabinet.
II. Services du personnel,
m. Services techniques.
On notera, à titre documentaire, que chacun des services de l'Aéronautique et de Santé a actuellement à sa
tôte un sous-secrétairo d'Etat, — que le service général des Pensions et celui des Effectifs dépendent du sous-
secrétariat d'Etal de l'Administration de la Guerre, des Effectifs et des Pensions, — enfin, que la Justice militaire,
le Contentieux et les Prisonniers de Guerre sont rattachés au sous-secrétariat d'Etat de la Justice militaire.
Santé (suite).
IV. Services de la comptabilité.
V. Services du matériel sanitaire et du ravitaillement.
Direction des approvisionnements, fabrications et éta-
blissements centraux du service do Santé.
Troupes coloniales.
l»' Bureau : Organisations, mobilisations, etc.
2« Bureau : Personnel de l'infanterie coloniale.
3' Bureau : Reste du personnel.
4* Bureati : Matériel et Comptabilité.
5» Bureau : Travailleurs coloniaux.
Aéronautique.
Aérostation. Personnel et matériel.
Aviation, matériel.
Administnation, contentieux et marchés.
Organisation générale et personnel do
l aviation.
Service industriel.
Pentions et Secours.
Pensions et Secours.
Etat civil et archives (i" section).
Renseignements aux familles (<* section).
Successions militaires {3" section).
Placement des Mutilés et Réformés de
la guerre.
Contentieux.
Bureau du Contentieux et des Réparations civiles.
Commission des Emplois réservés.
Bureau des Questions ouvrières.
Justice Militaire.
Service général des Prisonniers de Guerre.
Inspection générale des Effectifs.
1" Bureau
i* Bureau
3* Bureau
4» Bureau
l»' Service
2* Service
3* Service
(!• 143. Jan/ier 1919.
des Irivaux publics. Lo bureau du matériel à la
dii'cclioii de i'aililleric a formé le noyau du mi-
nislf'i'e de rarmouieiil el des fabricalions de guerre,
auquel a été jointe la direclion des poudres et des
salpùtres, devenue la direclion générale des fabri-
culioiis di's poiiilrcs et explosifs.
Da. Heurs, dans rcnseiiil)le, l'organisation est
resiée la même. Absti'acUon faite du service du
pci sonnet et du matériel de l'administration cen-
trale, le ministère
de la guerre com-
prend essentielle-
ment trois parties :
1" le calànel du
ministre, cliarfré
proprement de pré-
parer la sijf.iature
du minisire et au
quel sont venus
s annexer dilTér(mls
services, qui, logi-
2ucini'nt, ain'aienl
ùseplaceraillenrs;
2° l'clal- major,
organe de comman-
dement;
3" les différentes
directions et ser-
vices, organes ad-
ministratifs. (Les
grandes lignes de
l'organisation ac-
tuelle sont résumées
dans le tableau ci-
dessus). — A. Cassel.
podoce (du gr.
podâ/iés, léger à la
course) n. m. Genre
d'oiseaux du groupe
des passereaux et de
la famille des cor-
vidés ou corbeaux.
— E.NCYCL. (^e
genre est caracté-
risé par un plujnage
très doux, plus ou
moins couleurde sa-
ble, pir un bec mince, un peu arqué, portantdes vi-
brisses à sa base, par des lores emplumés, par des
ailes courtes, larges, dans lesquelles les rémiges,
tertiaires sont très longues, presque aussi lon-
gues que les primaires; la queue est assez molle
et un peu arrondie. Ce genre comprend cijiq
espèces, qui, toutes, babilent les steppes et les
hauts plateaux désertiques du centre de l'Asie.
Le podoce d'Henderson (podoces Ilende rsoni) a
une couleur générale, qui, en dessus, est d'un roux
couleur de sable, tirant nettement au roux vineux,
sur les épaules, le bas du dos, le croupion et les
couvertures supérieures de la queue; les petites
couvertures et les médianes de l'aile sont d'un
jaune Isabelle vineux, le reste des couvertures et
les rémiges secondaires étant d'un bleu foncé bril-
lant; les rémiges bâtardes sont bleu foncé exté-
rieurement, mais la vexille interne est blanche.
Les rémiges primaires sont blanches, sauf à la
base et à la pointe, où elles sont noires. La queue
est bleu foncé, les rectrices les plus externes sont
bordées de couleur jaune Isabelle; les plumes na-
sales sont isabelles, mais quelques-unes sont bleu
foncé, comme les plumes de la calotte, mais, ici, les
latérales ont une pointe blanche qui disparait par
l'usure. Les lores, les sourcils, les côtés de la face
et du cou et toute la surface inférieure du corps
sont d'une couleur Isabelle, qui est plus pftle et plus
blanchâtre à la gorge. Les sous-alaires sont noires,
excepté celles du bord de l'aile, qui sont blanches.
Le bec et les pieds sont noirs et l'iris brun.
La longueur totale est de 0"',30. La femelle est un
peu plus petite que le mâle et un peu plus foncée.
Celte espèce se rencontre depuis Yarkand jusqu'à
la Mongolie, le nord du Tibet et le désert de Gobi.
Dans ces grands déserts, les podoces cherchent des
insectes ou des graines dans les ornières et les crot-
tins; ce sont des coureurs rapides, qui se mettent dif-
ficilement à voler. Quand ils sont perchés, ils agi lent
constamment leur queue, à la manière des traquets.
Leur cri d'appel est tout à fait particulier. Le nid et
les œnl's sont encore inconnus. Le poducedu colonel
biddulph (podoce Biddul/ihi) habite le Turlierstan
oriental; il se reconnaîtfacilementàsa queue blanche,
dont les plumes ont la tige noire; su ries médianes, la
tige est iT\cine largement bordée de noir. Les côtés
de la gorge sont noirs, la gorge elle-même est d'un
noir mélangé de blanc, car les plumes, d'un noir
terne, ont de longues pointes blanches, qui cachent
presi]ne compb tenjent le noir quand les plumes ne
sonlpas usées. Les rémiges secondaires ne sonlpas
lout entières bleu noir, comme sur le podoces llen-
deisniii, mais elles ont une large pointe blanche.
Il est il piMi près de la même taille que le précé-
dent, dont il a les n)œurs; mais il aime plu3 les
fourrés; son vol est lourd, court et zigzagué.
LAROUSSE MENSUEL
Le podoce de Pander {podoces PaniJeri) repré-
sente un type bien dilférent des précédents. Ce joli
animal a la léle et le dos d'un gris clair; les lores
sont noirs, mais le front est blanc, ainsi que le
pourtour des yeux, le menton et la gorge. Sur le
jngulum se trouve une tache noire, triangulaire;
le reste des parties inférieures étant roux Isabelle,
sauf l'abdomen, qui est blanc, ainsi que les couver-
tures inférieures de la queue. Les rémiges primaires
Chrétiens livrés aux bétes. Fin de spectaole au cirque de Néron (tableau de Jan Styka) [1912],
sont d'un blanc pur, sauf la base et la pointe, qui
sont noires, comme la tige; les rémiges secondaires
sont blanches, avec la base d'un noir teinté de vert
métallique. L'aile est ainsi traversée par deux
bandes d'un bleu plus ou moins noir. La queue est
noire, avec reflets d'un bleu d'acier.
Le bec est noir et les pattes gris brun.
La femelle est un peu plus petite que le mâle.
Celte charmante espèce est un habitant des dé-
serts boisés de la Transcapsie et du Turlœslan. Ce
podoce est très vif, toujours en mouvement, et il
Podoce dlleodersoa.
étale souvent sa queue en éventail. Il court très
vite sur le sable des steppes couverts de saxauls,
petites chénopodiacées arborescentes, qui croissent
isolément dans les hauts plateaux de l'Asie. Ces
plantes curieuses des steppes salés n'ont que 3 à
4 mètres de haut et environ 0"',15 de diamètre.
11 se pose volontiers sur les buissons, d'où il s'en-
vole difficilement; son vol se fait par saccades, et
son cri, qui ressemble à celui des garnilaxes, est
tout spécial; c'est une sorte de bruissement élevé;
quant à son cri d'appel, il est voisin de celui des
pies. Le nid, assez volumineux, est placé dans les
buissons, à peu prés à 1 mèlre du sol: il est fait de
ramilles sèches et tapissé d'herbes fines, de poils
et de plumes. Comme celui de la pie, il est recou-
vert d un dôme tel qu'on ne peut y entrer que par
un orifice.
La ponte se fait en février et mars; elle com-
prend 4 .'i 5 œufs gris verdàtre, ou vert jaunâtre
clair, qui sont marqués de taches brunes ou oli-
vâtres. Ils rappellent donc ceux du geai de Sibérie
ou geai orangé {perisorcus infanstus]. Leurs dia-
mètres sont de O", 017 et de 0"", 019. Lanourilure de
ce podoce consiste en coléoptères (adultes et larves)
et en autres insectes ; en un de saison, il manje
677
plutôt des graines et, en particulier, celles du
saxaul {linloTi/lon ammodenrlron.
Le podoce de l'ieske ( podoces Pleski)Tùj>pel\e le
podoce de Pander par la disposition des couleurs,
mais son bec est plus long, ses mœurs sont aussi
les mêmes. C'est donc une simple lorme géogra-
filiiqiie qui représente la précédente espèce dans
a Perse orientale.
Le podoce humble (Podoces humilis) mérite son
nom par sa petite
faille el ses couleurs
ternes , jaunes et
brunftires, plus ou
moins sales, suivant
les régions. La fe-
melle est identique
au mâle.
On trouve cette
espèce de Yarkand,
à travers le Tibet,
jusqu'au Knku-noor
et au Kan-sou. 11 a
été rapporté par le
prince d'Orléans de
son expédition dans
ces régions.
Il vit donc dans
les steppes et les
hauts plateaux her-
beux; jamais on ne
le voit dans l'inté-
rieur des lorêfs. 11
se lient sou vent
près des troupeaux
et court rapidement
sur le sol, dans les
fentes des rochers,
etponddesT'ufsd'un
blanc pur, donc très
différents de ceux
du podoce de Pan-
der. Leur diamètre
mesure O^,0ii et
0°',016.— A.MiNÊOADI.
Sanguls mar-
tyrum, par Louis
Bertrand (Paris,
1918). — Ce n'est pas en vain que Louis Bertrand s'est
plu dans la compagnie de Flaubert, et il faut bien
penser à Salammbô en lisant Sanguis marlyrum.
Sur bien des points, pourtant, les deux œuvres se
séparent et, peut-être, en définitive, n'y a-t-il que
la couleur qui soit pareille dans ces deux romans
africains. Louis Bertrand, d'ailleurs, mêle à son ré-
cit des préoccupations actuelles, et de cela il nous
informe dès les premières lignes du livre:
Qu'on no chercho point dans co récit (écrit-il) ce qu'on
apiieilo uno résurrection historique, une œuvre do difet-
tanto on dérudit, qui s'applique à fairo revivre et à l'aire
comprendre tout co qui, dans l'héritage du passé, est défi-
nitivement mort et inintelfigiblo pour nous. Il ne s'agit, ici,
que do ce qui vit toujours, do ce qui nous est éternelle-
ment contemporain dans la plus lointaine histoire.
Peut-être se rendra-ton mieux compte de ce
qu'il a voulu après avoir lu le récit des événements
qui se déroulèrent dans les mines de Sigus et sur
le terriloire de Cirka, de Lambese el de Carthage,
au temps où 'Valérien et Gallien étaient empereurs
de Rome, Aspasius Paternus et Galerius Maximus
proconsuls d'Afrique, Gains Macrinius Decianus
légat impérial pour la Numidie.
C'était le temps aussi où Cyprien était évêque de
Carthage; Cyprien, dont l'autorité était telle qu'on
le reconnaissait comme primat d'Afrique, bien
qu'il ne le fût point officiellement; Cyprien, véri-
table chef par sa science, son éloquence, la pureté
de sa vie. iVlais si, par la fermeté de sa confession
et par la sérénité de son martyre, l'évéque de Car-
thage nous présente un visage d'une beauté en
quelque sorte traditionnelle, plus incertaine, plus
diverse, parfois plus obscure nous apparaît l'image
de Cecilius.
Si, au temps de sa jeunesse, Cecilius Natalis pou-
vait être comparé à la statue d'Hadrien qui décorait
l'orchestre de l'Odéon, à Carthage, les voyages,
les ans et peut-être les plaisirs ont pesé sur sa
beauté. Il a vieilli.
Si sa barbe était restée à peu près noire, ses cheveax
étaient tout blancs, bien qu'il n'eut guère dépassé la cin-
quantaine. Les tempes creusées, les lèvres amincies et
tombantes, if avait aux deux coins de la bonche un pli
d'amertume, et tout son visa^, de mémo que son atti-
tude, trahissait l'usure physique et comme une fatigue
do vivre.
Il vit, retiré à la campagne, en désabusé, en vo-
luptueux.
Il est chrétien, pourtant, mais il semble bien que
sa foi doive être assez tiède; et pourrait-on saisir
cette nuance d'imperceptible ironie dans son sou-
rire, s'il vivait entièrement en Jésus-Christ? Il passe
son exislence au milieu de statues païennes, dans
la beauté desquelles il ne veut voir qu'un reflet de
Dieu, sans songer que cette beauté fut cause des
678
pei'sécuUons clirélienue». Hi'r.liei' des rois nu-
iiiides, sa clientèle est immense, et il ne peut se
résoudre à l'abandonner, pour ne pas lui retirer,
dit-il, le pain quotidien. 11 croit pouvoir unir l'en-
seignement de l'Evangile et ce que la pensée
païenne a de plus pur et de plus élevé. Orgueil
e.ici'ssif, ou impuissance de choisir. 11 ne peut at-
teindre à la simplicité de la loi, et du désordre de
ses pensées naît le désordre de ses actions.
Sans doute, il réunit les chrétiens en secret chez
lui. 11 leur olFre a^ile et assistance; mais n'est-ce
puint parce qu'aller au-devant du danger est une
élégance? Des liens, d'ailleurs, le rattachent à la
terre : une fille adoplive, qu'on a nommée Birzil,
parce qu'elle est intrépide comme un jeune cavalier
du Sud, véritable Africaine, qui déteste également
Home et l'Eglise; Birzil, la fille de Lelia Juliana,
tant aimée par Cecilius au temps de sa jeunesse.
Principal fermier des mines de Sigus, il y des-
cend pour apporter des consolations et des secours
aux chrétiens qui y vivent enchainés. 11 peut se
rendre compte sur place qu'il vit de la torture des
misérables; mais, si une honte l'accable, s'il se
f;ourmande de sa mollesse, s'il se retourne vers la
fermeté de Gyprien, il ne peut se résoudre, pourtant,
à laisser pauvre Birzil, en résiliant son contrat de
fermage.
Cecilius croit, mais n'est-ce pas plutôt par lassi-
tude que par foi, et n'est-ce pas par lassitude que,
dans les conseils chrétiens, il incite à la prudence
et repousse toute provocation ?
On peut arriver (écrit-il àCyprien), à force de douceur
patienle et obstinée, à dénouer des situations en appa-
rence inextricables. Pourquoi coniproniettro la nôtre ? De
plus en plus le monde vient à nous. Demain, sans doute,
nous l'aurons conquis. Avec un peu de prudence et do
bonne volonté, ce grand changement peut s'accomplir
sans causer trop de désastres ni de ruines. Sans aclievor
d ébranler le corps vermoulu de l'IOmpu-e, n'est-il pas pos-
sible de tout y rénover dans le Clirist? Sous le masque
antique, la vie nouvelle continuerait à sourire. Tu as blâmé
les mosa'Kiueset les statues de mavdiades Thermes. Pour-
tant, les Heures et les Saisons païennes ne cessent pas de
dérouler leurs rondes sur les murs de nos nécropoles et
sur les flancs de nos sarcophages. Les Hermès Criophores
se sont transfigurés ou symboles du Bon Pasteur. Un jour
viendra peut-être où ce qui reste de la beauté ancienne
sera sauvé par les successeurs de Pierre.
Lan.gage d'artiste et de désabusé, plus que lan-
gage de croyant. Si Cecilius se retourne vers le
Christ, vers sa douceur et sa charité, ce n'est point
pour le Christ lui-même, mais par dégoût du monde
charnel, où il ne trouve ni bonté, ni justice, ni
amour et dont, pourtant, il ne peut s'échapper.
Mais le Destin est maître, et les événements pren-
nent parfois la place de la volonté. Des incidents
se produisent, qui forceronlCecilio àagiretàchoisir.
L'effervescence populaire s'aggrave. Les Barbares
menacent l'Empire et affolent l'empereur. Un jour
arrive, le jour prévu par Cyprien, où, au nom de
Valérien et de Gallien Augustes, le crieur public
annonce, à son de trompe, l'édit de persécution
contre les chrétiens. Le rescrit impérial porte que
les ovêques et les prêtres étaient requis de sacrifier aux
dieux de Home et au génie des empereurs. Défense aux
laïcs comme aux clercs do se réunir et d'entrer dans les
cimetières qui allaient être mis sous sé()Uestro. Quiconque
tiendrait une assemblée ou y prendrait part serait puni du
dernier supplice.
Cyprien est exilé à Curube. De là, il avise aux
tâches les plus urgentes, car, avant tout, il s'agit
de sauver l'avenir. Nombreux sont les chrétiens qui
se précipitent au Capitole pour sacrifier. Que fera
Cecilius?
La lâcheté le dégoûte, et aussi la crainte d'être
traité en suspecte! de vivre désormais, sans cesse,
sous le regard des espions. 'Va-t-il dune se sacrifier,
et k ce sacrifice se résoudra-t-il pourdonner l'exem-
ple ou pour se délivrer de la vie? Mais il y a Birzil,
qu'il ne peut se résigner à quitter. 11 vivra donc
sans gloire, dans une abstention dédaigneuse.
Mon intention (écrit-il à Cyprien) est de me tenir dans la
légalité. Quant à toi, je te conseille encore de te dérober.
Jamais tu n'as été plus nécessaire à, l'Ëglise.
Mais l'abstention n'est pas toujours aisée. Entre
Dieu et la terre, il faut choisir. Pour être tout à
Dieu, il faut être entièrement dégagé des biens
terrestres. Cecilius est sans cesse rappelé vers la
terre. C'est au moment où il est demandé à Lam-
bèse, afin de s'expliquer devant le légat impérial,
qu'il apprend l'enlèvement de Birzil par les Maures.
11 aura besoin de ce légat pour poursuivre les ra-
visseurs. Le désaccord deviendra plus aigu entre
ses principes et sa conduite de vie, et il trouvera
naturel que l'on torture un gueux qui peut fournir
des renseignements sur l'enlèvement.
A sa croyance chrétienne il sent que manque
l'inclination du cœur, sans laquelle la croyance n'est
rien; mnis n'est-ce pas vers Lelia Juliana, la mère
de Birzil, que va cette inclination? Au premier
échec dans la poursuite de Birzil, ne va-t-il point
jusqu'à renier Dieu : « Le Christ? Et dire qu'il y a
des gens qui meurent pour ce fantôme I Quelle
aberration! Cyprien est un foui » Tout est vain,
pcnse-t-il. L'amour terrestre existe seul.
LAROUSSE MENSUEL
Mais les persécutions s'aggravent. Un nouvel édit
contre les chrétiens, approuvé par un vote solennel
de la curie romaine, est rendu public. Les évéques
et les prêtres convaincus de christianisme doivent
être mis à mort. Cecilius ne s'abandonne pas en-
core. Le sort de Birzil l'emporte sur le sort des
chrétiens. Pour sauver la jeune fille, Cecilius ne se
livrera pas.
Et, pourtant, l'amour terrestre est vain. Birzil est
sauvée; mais son cœur ne répond pas au cœur de
Cecilius. Inquiète, agitée, c'est en vain qu'il l'enve-
loppe de soins et d'amour; et, lorsqu'il lui avoue
qu'il est son père, elle ne lui manifeste que son
horreur.
Si les liens de la terre se dénouent d'eux-mêmes,
Cecilius ne se ])récipitera-l-il pas dans les bras
ouverts du Christ? Il apprend que Cyprien est pour-
suivi. 11 va vers lui; mais on ne sait si c'est pour
l'assister, ou pourse faire assister par lui. Dans son
désarroi présent, il a besoin d'une aide. Le voici
devant Cyprien, dont les traits reposés et souriants
décèlent la sérénité. Cecilius voudrait lui confier ses
regrets, ses hésitations, ses inquiétudes. Mais l'évo-
que, avant d être à son ami, est à son troupeau.
Cecilius souffre de ce qu'il appelle o la froideur »
de Gyprien.
Quelle déception pour son inconscient égoïsmo ! Il était
accouru à Carthage sous prétexte d'assister le martyr à
ses derniers moments : en réalité, il n'était venu (|Ue pour
se faire plaindre de lui, pour trouver une oreille complai-
sante au récit de ses malheurs comme à la confession de
ses fautes. Et voilà que Cyprien, se retranchant dans son
caractère sacerdotal, l'avait traité comme le premier venu
trentre les fidèles. Il l'avait humilié sous la terrible éga-
lité chrétienne. La \e<^ou était trop dure pour sa faiblesse
de cœur : il se refusait à l'accepter. Après sa fille, il accu-
sait son ami d'indifférence et d'insensibilité. Maintenant,
tout était bien fini pour lui ! Plus rien, absolument plus
rien ne le rattachait au monde !
Mais il assiste au supplice de Cyprien. Sur son
visage transfiguré, il voit la splendeur du (Christ. Il
assiste au martyre, et, s'il fuit, ivre d'horreur, il si;
sent pourtant un autre homme. Une vie nouvelle
commence pour lui. 11 recouvre son caltiie, sa tran-
quillité d'esprit. Sa solitude n'est plus solitaire. Il
a retrouvé celui qui demeure éternellement.
Et, d'abord, il se préoccupe de protéger les chré-
tiens, avec tous les moyens légaux. Revêtu de la
tunique sénatoriale, à larges bandes de pourpre, il
les accompagne. Tandis qu'on les torture, il clatue
sa foi. Ses biens sont confisqués. 11 est déchu de
ses titres et de ses honneurs. On le condamne aux
mines pour dix ans.
Mais nul contentement ne naît de ce premier
sacrifice. Une détresse immense l'accable. Il n'a pas
de nouvelles de Birzil. Il se demande s'il pourra
résister jusqu'au bout aux souffrances qu'il va endu-
rer. Dans sa propre mine, à Ligus, où il subit sa
peine, il ne cède pas, pourtant, aux menaces, mais
peut-être est-ce encore plus par raison que par incli-
nation du cœur. Son esprit est lucide. Et c'est la
longue suite progressive des misères et des dou-
leurs. Mais jamais Cecilius ne goûte cette sérénité
parfaite qu'il a vue en Cyprien. Toujours il y a dans
son cœur une lassitude ou une inquiétude, on une
frayeur. Le jour où, à la suite d'un mouvement
dans les mines, il est condamné à mort, la fin de
l'épreuve, la joie prochaine d'être réuni avec le
Christ lui causent une joie profonde; mais, au mo-
ment où il totnbe, ce qui complète cette joie, ce qui
lui donne sa perfection, n'est-ce pas encore le cri
de Birzil accourue?
Tel est le récit que nous donne Louis Bertrand.
Il y aurait lieu d'insister sur les paysages, sur les
décors au milieu desquels se passent les différents
épisodes. Mais l'essentiel, c'est le caractère de
Cecilius.
Dans une étude qu'il publiait jadis sur Salammbô,
Louis Bertrand insistait sur ce qu'avait voulu Flau-
bert, sur ce qu'il avait réalisé. Flaubert, disait-il,
n'a voulu composer ni poème en prose, ni roman
historique. Il a voulu — ce sont les expressions du
grand romancier normand — « fixer un mirage
antique..., appliquer à l'antiquité les procèdes du
roman moderne ». Autrement dit. il s'est proposé
de faire un véritable roman moderne dans un décor
antique. N'est-ce point ce que s'est proposé Louis Ber-
trand dans Sanguis marlyrum? — Jacques boupard.
spirochétose ictéro-liéniorragique
ou ictérigène n. f. Méd. Infection due à un
protozoaire et essentiellement caractérisée par de
l'iclère des lésions du foie et des reins et parfois
des hémorragies.
— Encycl. h'odan-éki des médecins japonais,
qui fait d'assez importants ravages en Extrême-
Orient, a été retrouvé, parmi les troupes combat-
tantes de l'Europe occidentale, par L. Martin et
A. Pettit et étudié parGarnier, Chauffard, Costa et
Troisier, en France, Stokes et Ryle en Angleterre;
Wilmaers et Reiiaux en Belgique; Monli, Mnres-
clii, .^scoli, Siccardi en Italie. Ces études ont con-
firmé, dans leurs parties essentielles, celles des
Japonais et ouvert ainsi un nouveau chapitre de la
pathologie humaine.
N' 143. Janvier 1919.
Des tentatives avaient déjà été faites, d'ailleurs,
pour établir, dans le groupe des ictères infectieux,
une classification bactériologique; mais, des divers
microbes, typhiqiies et paratyphiques, colibacilles,
streptocoques, staphylocoques, etc., trouvés dans
ces maladies, aucun ne semblait pouvoir prétendre
à un rôle vraiment spécifique. La découverte, en
1914, par Inada et Ido, de 1 agent causal de l'odan-
éki, a défini et précisé une des formes les plus
retnarquables des ictères infectieux.
L'agent causal de cette forme d'ictère a apparu
d'abord à Inada et à Ido, ainsi qu'aux observateurs
européens et, notamment, à L. Martin et A. Pettit,
comme un filament spirale, dont les dimensions
moyennes varient entre 6 et 9 JJ-, à ondulations peu
visibles, aux mouvements assez lents et aux extré-
mités recourbées, terminées par un flagellum ou
un cil, dont l'un est long et flexible. Il se cultive
sur sérum de lapin, dilué par la solution de Ringer,
additionné ou non d'une petite quanti lé d'agar-agar.
Le cobaye est particulièrement sensible à l'inocula-
tion et reproduit ainsi les traits principaux de la
maladie. En raison de ses aspects et de son com-
portement, Inada et Ido avaient rangé ce micro-
organisme dafis la famille des spirocliètes. Cepen-
dant, L. Martin et A. Pettit s'étaient déjà demandé
si le micro-organisme qu'ils avaient observé chez
les malades de France était bien le même que celui
d'inada et Ido, el ils faisaient des réserves à ce sujet,
de même que sur la place de cet agent infectieux
dans la classification. Ces réserves ont leur i-ai^on
d'être, attendu que les dernières recherches de
Noguchi viennent d'établir que, si les micro-orga-
nismes européens, japonais et américains, sont mor-
phologiquement identiques, ils présentent, cepen-
Spirochètes dans l'urine de l'hoinme.
dant,des caractères, — filament cylindrique enroulé
en spirales très petites, crochets terminaux, sans fia-
gellum ni membrane, — qui le dislinguent nettement
des spirochctes, et c'est pourquoi il propose de les
désigner sous le nom de leplosjjira. La spirochétose
ictérique serait donc désormais une leptospirose.
Il y a plus. Inada et Ido avaient appelé spiro-
chasta iclei-o-hejnorra;/iœ l'agent qu'ils avaient dé-
couvert, parce que, parmi les symptômes domi-
nants de la inaladie qu'il produit au Japon figurent
l'ictère intense, jaune-orange, el les hémorragies et
suffusions sanguines.
Or, la symptomatologie ne parait pas rigoureu-
sement la même en Europe, ainsi que l'avait relevé
Chauffard. Voici, en effet, le tableau clinique som-
maire de la maladie, telle qu'elle est observée en
Europe. Début brusque, avec céphalée, myalgies
et arthralgies, fièvre élevée d'emblée, pouvant at-
teindre et dépasser 40°, vomissements. L'ictère
apparaît vers le quatrième ou cinquième jour,
marqué aux conjonctives, léger sur la peau; les
urines, rares, contiennent de l'albumine, des cylin-
dres, de l'urobiline, de la bilirubine et des sels
biliaires. La tension artérielle est généralement
abaissée, le pouls rapide, et il le demeure, dans les
formes graves, même quand la fièvre est tombée.
Les hémorragies ne s'observent guère que dans les
deux cinquièmes des cas, sous forme surtout d'épis-
taxis; rarement hématurie, mélœna ou taches pété-
chiales. Les symptômes méningés se montrent
fréquemment avec hypertension du liquide céphalo-
rachidien, exceptionnellement les éruptions érythé-
mateuses. Enfin, le foie est douloureux, la rate
normale, les ganglions présentent de la tuméfac-
tion et de la sensibilité; il y a souvent un certain
degré d'azotémie.
En général, deux ou trois jours après l'apparition
de l'ictère, la température commence à baisser,
les douleurs musculaires s'atténuent, les vomisse-
ments cessent; celte amélioration dure de trois à
quatre jours à une semaine, puis de nouveau la
fièvre monte, affectant un caractère cyclique ou
irrégulier, pour retomber définitivementen une se-
maine. Cette rechute semble liée à la disparition
des sels biliaires, qui, d'après Garnier, agissent
comme des antiseptiques énergiques à l'égard de
l'agent infectieux. La convalescence est longue;
l'anémie est marquée, ainsi que la dépression des
forces, et la chute des cheveux est fréquente. A
noter qu'en dehors de la modalité clinique, —
forme à rechute, — de beaucoup la plus fréquente,
qui vient d'être décrite, on observe encore d'autres
modalités, telles que l'iclère grave, la forme uré-
mique, la fortne exclusivement hémorragique el,
enfin, la forme d'ictère calarrhale, apyrélique et
bénigne.
Leptospii-a
AI* 143 Janvier 1919.
Au Japon et en Extrêine-Orienl, la mortalité est
trts élevée : 30 à 4» p. KiO d après Inada, Onaro et
Nislii; elle l'est beaucoup moins en Europe: 4 à
6 p. 100 seulement.
Les lésions aiialomo-pathologiques se montrent
surtout d:ins le foie, qui est envahi par les parasites
et dout les cellules sont atteintes de dégénérescence
graisseuse et de nécrose. En outre, on y observe,
de même que dans la rate et dans la moelle osseuse,
une destruction hématopliagique intense, qui explique
l'ictère et l'aniniie. iJe même, dans le rein, les
lésions sont importantes: les tubes sont encombrés
de cylindres, le parencliyme est infiltré d'amas leu-
cocytaires et parsemé de petites hémorragies; les
parasites y abondent, d'où la néphrite. Us existent
iiussi, d ailleurs, dans les poumons, les intestins, le
sang, les urines, peut-être les matières fécales.
On voit, d'après la description précédente, que la
maladie ein-opéenne diffère de la maladie nipponne
par le défaut de constance et de gravité des hémor-
ragies et sa bénignité relative. Mais l'agent causal
paraissant ôhe, clans tous les cas, le même, il ne
faut probablement attribuer ces différences qu'aux
circonstances du milieu, surtout à la transplanta-
tion du germe. Il n'en est pas moins vrai que l'ap-
pellalion de spirockélose icléro-hémorrarjique cesse,
en ce qui concerne l'affeclion européenne, d'être
exacte. Celle-ci constitue plutôt, au point de vue
analomo-pathologique et clinique, une hépalo-né-
phrite ictérigène, ou, plus réellement encore, une
leplonpirose iciérirjène.
Pour être moins répandue qu'au Japon, la spiro-
chélose (puisqu'on lui conserve encore le nom sous
lequel elle a été d'abord décrite) n'était, cependant,
pas tout à fait inconnue en Europe, avant 1916.
■Vers le milieu
dusiècledernier,
Budd , Ozanani ,
puis Monneret ,
IBIachez, Hérard
précisèrent les
caractèresdeccr-
taiiis ictères in-
fectieux.En 1882,
Lancereaux don-
ne une descrip-
tion du typhus
hépatique, à la-
quelle A. Weil,
quatre ans plus tard, n'ajouta rien d'essentiel en
dehors de la notion de rechute, bien que ses com-
patriotes allemands se soient empressés de donner
son nom à la maladie qui nous occupe, habitude
adoptée à tort par quelques auteurs et, notamnieiit,
par les Japonais. Au surplus, A. Weil lui-même
n'admet pas entièrement l'assimilation qu'on a voulu
établir entre « sa » maladie et la spirocliétose ictéro-
hémorragique. Et puis, quelques mois avant lui,
A. Mathieu avait donné, d'un cas typique qu'il dé-
signe sous le nom d'icléie infectieux à rechute,
une analyse complète, qui enlève tout droit de
priorité à l'auteur allemand.
La rareté relalive, en temps normal, de la spi-
rochétose et sa recrudescence pendant la guerre
s'expliquent peut-être par les condilions de son
éliologie. Les Japonais avaient déjà signalé sa fré-
quence chez les individus employés dans les rizières
et les mines inondées. En Europe, on sait égale-
ment qu'elle se rencontre de préférence chez les
égootiers. Mais, malgré ces constatations de fait,
le mode de transmission demeurait obscur. On a
invo(|ué l'existence d'un insecte vecteur, qui reste à
découvrir. L. Martin et A. Pettit incriminent la
contamination par l'urine des malades, qui renferme
de nombreux parasites dès le dixième jour et de-
meure conlagionnante pendant plusieurs semaines,
mode de contamination admis par les auteurs japo-
nais; les micro-organismes, tombant dans l'eau, y
conserveraient, bien qu'assez fragiles, une certaine
vitalité et infecteraient ensuite l'homme, soit par
la voie digeslive, soit par la peau érodée. Cette
hypothèse n'est pas contredite par le fait que des
cobayes infectés, vivant dans la même cage que
des cobayes indemnes, ne contaminent pas ces der-
niers, car il suffit de raser la peau à ceux-ci pour
déterminer l'infection. La contamination par les
matières fécales est plus douteuse; elle n'est pas
admise par Noguchi, en raison de la rareté des pa-
rasitesdans ces excrétions. Tout récemment (1917),
G. Gourmont et P. Durand ont montré que les rats
d'égout sont des " réservoirs » de spirochètes.
Celle découverte, confirmée par les Japonais et les
Américains, peut éclairer certains points de l'étio-
logie, car on se rend compte ainsi, si le spirochète
est propagé par le rai, de la fréquence de la mala-
die chez les égoutiers et les personnes qui vivent
dans les terres humides et de sa recrudescence
inattendue chez les troupes du front occidental,
dont les tranchées sont boueuses et envahies par
les rats. Comment le spirochète du rat arrive-t-il à
l'homme? Directement ou par l'intermédiaire de la
fiace? C'est une question qui n'est pas encore réso-
ue; on sait .seulement que le pou ne saurait être
incriminé. Les données précédentes permettent ce-
LAROUSSE MENSUEL
pendant déjà d'orienter la prophylaxie dans une
direction rationnelle.
De la thérapeutique spéciale de la spirochétose
ictéro-hémorragique il n'y a pas encore beaucoup
à dire. Les nouveaux arsenicaux, que semblait indi-
quer la nature de la maladie et qui ont, en effet,
donné certains résultats aux Japonais, se sont
montrés absolument inefficaces en Europe, où, d'ail-
leurs, le caractère hépato-néphrétique de l'alTecUon
en limite forcément l'emploi. Actuellement, on se
contente d'appliquer le traitement classique des
ictères infectieux : régime lacté, urotropine à la
dose de 1 gramme à 1 gr. ."iO par jour, adrénaline,
lavages intestinaux, grands bains chauds qui pro-
curent un réel soulagement. Quand les vomissements
sont intenses, remplacer le lait par du thé et des
limonades. Dans les formes urémiques, saignée;
caféine, spartéine ou huile camphrée pour soutenir
le cœur; dans les formes apyrétiques, lait et uro-
tropine. Enlin, pendant la convalescence, fer et
arsenic, cin-e d'allitude. Dans la voie sérothéra-
pique, les travaux ont été inaugurés par les Japo-
nais. Inada, Ido, Hoki, Ita et 'Wani ont immunisé
des chevaux à l'aide de cultures de spirochètes et
utilisent le sérum, qui acquiert rapidement des pro-
priétés immunisantes et curatives. La dose injectée
est de trois fois 20 centimètres cubes en vingt-
quatre heures; le sérum détruit rapidement les
spirochètes du sang, diminue leur nombie dans les
organes et développe la formation d'anti-corps;
toutes les manifestations secondaires sont amélio-
rées et cessent. Grâce à ce traitement, la mortalité,
qui était en moyenne de 40 p. 100, est tombée, pour
les cas traités, à 20. En France, l'Institut Pa.steur
a préparé, sous la direction de L. Martin et A. Pet-
tit, un sérum curateur de même principe, qui a été
adopté parle Service de santé de l'armée et adonné
déjà des résultats appréciables. — D' J. Laumosier.
* suette miliaire n. f. Maladie endémique
et épidèmique, caractérisée surtout par des sueurs,
une éruptiou et des phénomènes nerveux.
— Encycl. Deux opinions ont cours sur l'ancien-
neté de cette affection. Les uns admettent que le
morbus Cardiacus des premiers siècles de notre
ère, la suetle anglaise des xV et xvi» siècles et la
suette miliaire observée chez nous depuis deux
cents ans environ, ne sont qu'une seule et même
maladie. Les autres, avec Ozanam, Littré, Thoinot,
les distinguent l'une de l'autre et font remonter
seulement l'apparition de la suette miliaire à 1712
(Montbéliard); ils en font volontiers, d'autre part,
une maladie essenticlleTuent limitée à la France et
à ses voisins géographiques immédiats. La première
de ces opinions est la plus généralement adoptée.
L'Allemagne orientale connaîtrait actuellement,
d'après certains renseignements, une épidémie de
ce genre. Les épidémies les plus connues sont, en
Angleterre, celle de 1529 et, en France, celles de 1718
(suette des Picards), de 1842, de 1849, qui co'incida
avec l'apparition du choléra, et de 1887.
La maladie débute généralement par un malaise
vague, et le premier signe constaté est la transpira-
tion. Celle-ci est variable dans son intensité : il est
des malades chez qui elle reste modérée, tandis que
d'autres doivent être changés de linge jusqu'à dix
fois en vingl-quatre heures. La sueur est continue,
avec des paroxysmes. 11 est de règle qu'elle dispa-
raisse au moment où se montre l'éruption.
L'éruption apparaît, d'après la majorité des au-
teurs, vers le troisième ou quatrième jour de la
maladie. Elle est souvent précédée de démangeai-
sons et de picotements tout à fait caractéristiques,
qui ont fait dire par quelques malades qu'ils « sen-
taient leurs boutons pousser ». Elle débute en gé-
néral sur le côté du cou, la nuque, les aisselles, la
région mammaire. Elle est caractérisée par deux
sortes d'éléments : un érylhème variable dans ses
aspects, rappelant soit l'éruption de la rubéole, soit
celle de la scarlatine et se modifiant parfois d'un
jour à l'autre. Cet érythème sert de fond à des
éléments miliaires, c'est-à-dire à des papules
sensibles au toucher, de petites dimensions, se
tranformant ensuite en vésicules et s'exfoliant à la
période terminale de leur évolution. Quelquefois, on
noie, en outre, une éruption adjointe, siégeant sur
des régions dépourvues d'érythème fondamental et
rappelant les sudamina. Les sièges de prédilection
de l'éruption miliaire sont le dos et la poitrine.
Elle est particulièrement rare aux mains et aux
membres inférieurs, mais elle s'accompagne presque
toujours de l'apparition de vésicules siégeant sur la
voûte palatine et à la face interne des joues. L'érup-
tion dure de six à neuf jours.
Les phénomènes nerveux, qui constituent, avec la
sueur et l'éruption, la triade syniptomatiqne de la
maladie, apparaissent le plus souvent dès le premier
jour, en même temps qne la transpiration. Dans
l'ensemble, il faut distinguer des signes banals,
existant dans toutes les infections (lassitude, cé-
phalée, vertiges, insomnie, délires, etc.) et des signes
véritablement spécifiques, consistant en crises de
suffocation, sensation d'étreinte épigaslrii|ue, pal-
pitations violentes. On note aussi des crampes et
679
des convulsions, moins constantes. Enfin, on a
signalé, comme phénomènes terminaux, des mani-
festations d'aliénation mentale et du coma.
A côté de ces symptômes primordiaux, il faut
décrire tout un cortège de signes secondaires,
d'importance et de fréquence variables. En premier
lieu, il convient de noter la fièvre, qui est fort
irréguli'' re, ne dépassant pas, comme élévation do
température, 38° dans les cas bénins et atlei-
gnant 40° et plus dans les cas graves. 11 est & miter
que, dans plusieurs observations terminées' par la
mort, on a constaté des températures de 42° et
même 43°. Viennent ensuite l'embarras gastrique,
la constipation, la dysinie (on ne trouve jamais
d'albumine dans les urines), un peu de toux, une
légère anémie, quelque arythmie cardiaque, des
hémorragies (épistaxis, mènorragies, hémoptysies,
hémorragies cutanées, donnant la variété connue
sous le nom de yniliaire hémon-agique, etc.). Chez
la femme enceinte, l'avortement est fréquent.
Il y a, à la fin de la maladie, une desquamation
qui rappelle celle de la scarlatine.
La suette miliaire est une maladie « traîtresse »,
où le pronostic est & peu près impossible. Il y a
des épidémies d'une bénignité telle que l'on y
compte à peine un décès sur 1.500 malades; il en
fut d'autres si meurtrières que la mort y était cons-
tatée dans 35 à 50 et même (épidémie anglaise)
dans 80 p. 100 des cas. On signale des décès fou-
droyants, survenus dans les vingt-quatre ou qua-
rante-huit premières heures; dans d'autres cas la
mort survient au moment même où se manifeste
l'éruption. II est habituel que le malade, lorsqu'il
succombe, le fasse au milieu de phénomènes ner-
veux intenses.
L'étiologie de la suette miliaire nous reste sin-
gulièrement obscure. Nous savons seulement qu'elle
est une maladie infectieuse, mais nous ignorons
quel est l'agent responsable. Quelques-uns en font
une maladie tellurique, la rapprochant en quelque
sorte du paludisme. Dans les épidémies locales et
les cas endémiques, la contagion d'homme malade
à homme sain est à peu près démontrée, mais on
a constaté également la sinmltanéité de nombreux
cas dans le même pays, comme si, dit Thoinot,
« les malades puisaient leur infection presque con-
temporaine à une source de contagion générale ».
Dans les épidémies proprement dites, on a conslalé
des faits qui démontrent à la fois la transmission
par contact et la contagion par l'air. La suelte est,
surtout à l'état endémique, une maladie du prin-
temps et de l'été.
La prophylaxie de cette affection est celle de
toutes les maladies infectieuses: c'est dire que
l'isulement des malades et la désinfec ion y tien-
nent la première place. Le traitement, en l'absence
de données étiologiques plus nettes, est niai fixé et
se réduit aux indications symptomatiques. 11 semble
que les antipyrétiques et les évacuants du genre de
l'ipéca, jadis fort en honneur, ne donnent que de
médiocres résultats. Les enveloppements froids
sont recommandables dans les formes où la tem-
pérature est très élevée. — D' Henri Bocooet.
Tardenois, division féodale et ecclésiastique
de l'ancienne France, dans la partie nord-orientale
de la région parisienne, comprise, à la fin de l'an-
cien régime, dans la province de l'Ile-de-France.
Le Tardenois, dont le nom était naguère accolé
à celui d'assez nombreuses localités des dèparle-
ments actuels de r.\isne et de la Marne, localités
presque toutes situées entre la Marne et la Vesie,
à l'est d'une ligne tirée de Château-Thierry à
Braine, est un pays de bois et de cultures. Il est
d'une altitude généralement supérieure à 200 mètres;
des petites rivières qui l'arrosent et qui vont à la
Marne, à l'Ourcq et à la 'Vesle, la principale est
l'Ardre, sous-affiuent de l'Oise par la Vesle et par
l'Aisne. Il est plus varié d'aspect, mais moins riche
que la Brie, plus méridionale.
C'est du paqus Tardunensis, Tardonensis ou Tar-
d in en sis que dérivele nom de Tardenois. Cepagus de
l'époque franque, dont le nom venait sans doule de
celui d'un lieu au vocable celtique de Tardunum
(peut-être Mont-Notre-Dame, dans le département
de l'Aisne, arrondissement de Soissons) s'étendait
à peu près également sur le territoire des deux
diocèses de Boissons et de Heims; il couvrait tout
ou partie des doyennés de Bazoches et de La Fère
dans le diocèse de Soissons, d'Hermonville et de la
Montagne dans celui de Reims. Comme comté, il
n'a pas subsisté plus tard que le ix" siècle; dès lors,
le nom de Tardenois n'est plus resté officiellement
attaché qu'à l'un des archidiaconés du diocèse de
Soissons. Cet archidiaconé s'étendait sur les can-
tons actuels d'Oulchy-le-Chàleau, de Fère et de
Ville-en-Tardenois; il avait pour localité princi-
pale Fère-en-Tardenois (département de IVVisne,
arrond. de Chàteau-Thierrvl.
Aujourd'hui, cette localité est la seule, avec
Ville-en-Tardenois (département de la Marne,
arrond. de Reims), qui perpétue encore, grâce au
suffixe de son nom, le souvenir de l'ancien Tar-
denois. H. FlOIDITÀt».
G80
LAROUSSE MENSUEL
La Musique [tableau d'Abcl Truchet] (1910).
Abel Truchet
Truchet (Louia-Abel), peintre français, né à
Versailles le 29 décembre 1857, mort à Aiixerre le
9 septembre 1918. Elève de Jules LefebvreeldeTony
Roberl-Fknry, il commença à exposer au Salon des
artistes frauçais : il y parut en 1X92 avec la Place
Cliclaj après la pluie, en 1893 avec la 'tranchée de
l'Europe à la gare Saint-Lazare et y obtint eu 1895
une mention
honorable avrc
l'Eternel Cru-
cifié. La Soirée
d esthètes, qui
remonte à 1898,
marque son pre-
mier succès au-
près du public;
Abel Truclict s'y
révélait peintre
adroit de la vie
contemporaine.
Le paysagiste s'é-
cbappait encore
en Bi-etagne, et
il en rapportait le
Quai à Douar ne-
nez{\S'9),leCoiti
deporlàAuilier-
ne (1901), mais,
peu à peu, il allait
revenir aux scènes parisiennes ou, mieux, mont-
martroises. Habitant de la vieille rue Caroline, Abel
TiUcliKt eut pour sa petite patrie une prédilection
couslanle; d'année en année il revint à ce thème
favori. En 1903, il donnait le Bnl des quat' z'arts;
f mis, successiveinenl,leiUa)iè.7e(iiUo/i/»iaWre (19041,
es Femmes dans un bar (IHOi), la l'iace Clichy
(1908), la Fête foraine place Piifalle (191 1). Il avait
quitté le Salon des ailistes français pour celui de
la Société nationale des beaux-ails : il y fut nommé
sociétaire, en 1910. Sans quitter ce grou|iement, il
avait été l'un des fondateurs du Salon d'automne,
dont le premier but était de réunir tontes les ten-
dances de l'art français, sans distinction d'école.
Abel Truchet était nn observateur passionné de
la vie des rues et des bals. De pareils sujets, malgré
leur facilité apparente, nécessitent de longues étuiies
préparatoires. Toujours muni de son carnet de cro-
quis, Truchet notait çà et là un type, un geste, une
attitude, un effet, et pai-\enait à'composer si heu-
reusement ses scènes qu'elles semblaient prises sur
le vif. A ce sens du vriidique et du mouvement
l'artiste joignait des qualités d'agréable coloriste. 11
n'ignorait rien des maîtres officiels, mais rien non
plus des maitresd'à-côté, de Chéret à Degas. Sa pa-
lette est claire; il aime l'emploi des couleurs pim-
pantes; toute son œuvre est imprégnée de la bonne
h urneur que possédait ce peintre agréable et souriant.
Surpris par la guerre, il tint, malgré l'âge, à s'enga-
ger et fut l'un des plus aclils organisateurs de la sec-
lion de camouflage, qui rendit de si précieux services.
C'est pendant un voyage commandé qu'il fut soudai-
nement atteint par le mal qui devait l'emporter.
Abel Truchet restera, sans doute, apprécié comme
un chroniqueur agréable de la vie parisienne d'au-
jourd'hui. Le musée de la Ville de Paris conserve
de lui sa Soirée d'esthètes; celui de Toulouse la Valse
au Moulin de la Galette; celui de Dieppe le Petit
Jardin. On peut citer encore, parmi ses œuvres :
Temps de pluie (1893); les Petits Botticelli (1893);
l'Heure verte (1893); Y Accident (1901); Restiiurant
de nuit (1904); la Femme au tub (1906); Femme
regardant une estampe (1907); la Liseuse (1908);
le Pont-Seuf; le Quai de Bétliu7ie{i90i)); M unique
(1910); la Table au jardin (1911). — Tr. leci.êr&
'Villemoesie (zî) n. f. Nom qui sert à désigner
un genre de crustacé macroure des grandes pro-
fondeurs et appartenant à la famille des éryonidés.
— Encycl. Cet animal a la forme générale de
l'écrevisse. La carapace est large, comprimée de
haut en bas et portant en avant une simple dent un
peu relevée: les bords latéraux en sont à peu près
parallèles, et la
ligne médiane
estdentée. Ily a
deuxpairesd'an-
tenues, dont la
première porte
un petit fouet à
la basé; l'abdo-
men est fort, le
telson large. La
première paire
depatlesestlon-
gue et grêle, ter-
minée par une
pincedidactyle;
lesquatreautres
sontpluscourtes
et assez robus-
tes ; les pattes vinemuisie.
natatoires sont
biramées. Ce genre habite le nord et le sud de l'océiin
Allanlique, le sud du Pacifique de 1.200 à 2.000 bras-
ses et la Méditerranée.
La villemœsie leptodactyle (villeynœsia leptodac-
lyla) présente de nombreuses dents sur les bords
de la carapace et une carène mèiliaue dentée. La
première paire de pattes est particulièrement longue
et grêle. Les yeux sont placés de cliaquecùté, dans une
échancrurede la carapace, et dirigés latéralement et
en bas. Ils sont recouvL'its par le bord élargi de la
carapace. Ces animaux sont tellement transparents
qu'on peut se reiulre compte, à travers la carapace,
de la disposition des divers organes, des troncs ner-
veux et des vaisseaux. Celle espèce a été pêchée
au large deValparaiso, par 1.350 brasses de profon-
deur et, près de la côte occidentale de la Sardaigne,
par 3.000 mètres. — D' A. Ornis.
virus filtrants n. m. pi. Méd. Microbes
invisibles, capables de traverser certaines mem-
branes filtrantes, qui sont, au contraire, imperméa-
bles aux microbes ordinaires.
— Encycl. L'existence de microbes invisibles a
été soupçonnée dès que l'on eut constaté que les
germes pathogènes de certaines maladies conta-
gieuses demeuraient introuvables; mais celte exis-
tence parut problématique jusqu'aux travaux de
Lœffler et Frosch sur la fièvre aphteuse et de No-
«• M3. Janvier /9I9.
card et Ronx sur la péripneumonie des bovidés, qui
élablisseiildènuitivemeu lia réalité des vir us llllrants,
Sur quels fails est basée cet le réali té ?Toutd'aliord.
il convient de li.ver la densité des filtres dont on use.
Les bougies Berl<efeld sont plus perméables aux mi-
crolies que les bougies Cbamberland et, parmi ces
dernières, les bougies F sont plus perméables que les
bougies B, lesquelles ne laissent passer aucun mi-
crobe, sauf, peut être, celui de la horse sillniess. Il
faut en oulre vérifier si le filtre n'a aucune tare ou
fissure; dans ce but, on peut, comme lafait Lœffier,
ajouter au liquide à filtrer une bactérie très ténue,
le bacillns fluorescens, par exemple, qui n'est arrê-
tée que par les filtresintacts et à porosité lluiilèe.
Ladémonslrationdelaprésence de virus invisibles
(c'est-à-dire de dimensionsinférieures à 1 dixième de
micromillimèlre.limitedela visibilité au microscope)
est faite par 1 inoculation du filtrat aux espèces ani-
males qui sont alleintes spontanément de la maladie
infectieusedontonrecherche lacause. Si celte inocu-
lation donneelfeclivementlieu à la maladie, avec ses
caractères cliniques essentiels, c'est, évidemment,
que le filtrat renfermait la cause animée de l'infection.
Etan tin visibles, les virus filtrants échappent néces-
sairement en parlie à nos investigations, et les rensei-
gnemen Is que l'on possède à leu r égard sont très limi-
tés. On suppose, cependant, qu'ils sont mobiles, puis-
que dcsgrainesinertes, aussi peli les qu'eux, ne passent
pas à traversies bougies qui laissent filtrerles microbes
invisibles. Les cultures paraissent très dilficiles el,
seules, celles du virus de la péripneumonie ont réussi.
EllessefontenbouillonMartin,additionnéde 7p. 100
de sérum de bœuf, et donnent un léger louche; sur
gélose, les colonies donnent un dépoli h peine visible,
mais, quelquefois, elles peuvent atteindre la grosseur
d'une tête d'épingle. Ces colonies, sur lamelle, pren-
nentle gram etse colorent par les couleurs d aniline.
D'après Remlinger, tous les virus filtrants présen-
tent certains caractères communs, que l'on résume
ainsi .'ils sont peu résistants aux agents de destruction
etnotammintàla chaleur; le virus de la fièvre jaune
est détruit à 55° en dix minutes, celui de ia clavelée
en troisminutes 358°. En raisonde celte faible résis-
tance, leur transmission se fait surtout par cont.ige
direct, de malade à malade; en fin, presque tous déter-
minent des lésions anatomopathologiqnes analogues,
proliférations épilhélialps, formation de pustules, etc.
L'invisibilité des virus filtrants est-elle absolue?
C'est une question qui ne paraît pas définitivement
tranchée. 11 est vrai que l'ultramicroscope lui-même
n'a pas encore permis d'entrevoir ces virus, mais
Vincent a aperçu, à plusieurs reprises, dans le fil-
trat vaccinal, des petits grains extrêmement fins,
1 fit environ, qu'il est porté à considérer comme le
germe pathogène. Borrel a faii les mêmes constata-
tions en examinant des coupes de pustules vacci-
nales.Enfin, dans les corpuscules de Nigri. Valpino a
également observé de très pelites granulations, qui
se colorent bien par les couleurs d'aniline. De ces
diverses observations il n'est pas encore permis,
cependant, de tirer des renseignements très précis.
A quel groupe organisé faut-il rallaclicr les virus
filtrants? Ou n'en sait rien encore. Si certains au-
teurs les regardent comme des bactéries, d'antres,
et notamment Caullery et Mesnil, pensent qu'une
exception au moins doit être laile en faveurdu virus
de la fièvre jaune, lequel, en raison de son passage
obligé par les stégomyies, doit être plutôt consi-
déré comme se ratlachant aux protozoaires. Quoi
qu'ilen soit, il est bien certain que l'existence de ces
êtres, extrêmement pelils, fait songer aux microzy-
mas de Béchainp,organites élémentaires, en quoi se
résoudrait en fin de compte toute matière vivante.
Autant qu'on le sache actuellement, les virus lil-
trauts sont à l'origine d'un nombre assez considé-
rable de maladies infectieuses des animaux et de
l'homme. Parmi les maladies à microljcs invisibles
qui atteignent les animaux, il faut mentionner : la
fie vre aphteuse, lapéripueumonie desbovidés, la peste
aviaire, la peste bovine, la clavelée du mouton, le
molluscum des oiseaux, la septicémie des merles,
la fièvre catarrhale du mouton, l'anémie pernicieuse
du cheval, la maladie des jeunes chiens, etc.
Parmi les maladies de l'homme, on doit citer : la
fie vre jaune, car, d'après Beed et CaroU, le sang des in-
dividus atteints de fièvre jaune, filtré, donnerait par
inoculation la fié vrejaune :1a rage, d'après Remlinger,
le virus vaccinal, d'après Sieferl, Negri. Rouget, l'ac-
né varioliforme, d'après Juliusberg,pent-èlrR la rou-
geole, la scarlatine, enfin, d'à pris Nicolleel Lebailly,
lagrippeépidémique.Laréalitédecedernierfailaélê
récemment mise en évidence par Dnjarric de La Ri-
vière. Cet expérimentateur s'est, en effet, inoculé sous
la peau le filtrat du sang de malades gmvement at-
teints et a déterminé ainsi, quatre jours après l'inocu-
lation.l'apparit. onde tous lessymptômesd'nnegrippe,
d'ailleurs sans grande gravité. Il est à remarquer
que cette étiologie explique assez bien, éliint <lonné
les caractères de fragilité relative des virus filtrants,
les conditions qui paraissent présider à la propaga-
tion de la grippe et justifient les mesures de protection
que les médecins recommandent. — D' J Liumokieh.
Paris. — Imprimerie I.aroi;sbe (Moreau, Au?é. Gillon et C»),
17, rue Montparnaase. — Le gérant ; L. Groslk».
Le jardin d'hiv-r. Les eamélias.
N' 144.
Février 1919
Académie française. — Réception du
maiéchal Jo/f're. Le 19 Jéceinbie 1918, le maréchal
JolTie, qui avait été élu par l'Académie française
au fauteuil de .(. Claretie le 14 février 1918, y est
venu prendre séance. La cérémonie, impatiemment
attendue et particulièrement brillante, était encore
reiiaussée par la présence du président Wilson, qui
avait tenu à s'associer à cet hommage solennel rendu
au chef illustre de nos armées. A l'enthousiasme qui
animait l'assistance se mêlait, chez certains, une
pointe de curiosité : comment le récipiendaire s'ac-
quitlerait-il de la reùoutahle épreuve du discours
d'usage, que, visiblement, il n'alTrontait pas sans
quelque émotion?
Hompant avec les traditions académiques. .lolTre
ne s'est pas attardé à une étude détaillée de la vie et
de l'œuvre de son
prédécesseur,
— qu'aussi bien
on ne lui deman-
dait point ; — pas
davantage il m*
s'est complu aux
agréments du
style, à l'ageni-e-
ment des pério
des, à la re-
(^lierche de vains
effets oratoires :
secontenantdans
une e.vtrême sim-
plicité de termes,
■le débit et de
gestes, il a, dans
un discours aux
phrases courtes
et nettes, mais
tout vibrant de
tendresse, magnifiquement exalté les glorieux arti-
sans de la Grande Guerre.
Après un bref exorde, le maréchal expose l'idée
maîtresse de son discours :
Je pense. Messieurs, qu'en me faisant l'honneur de
m'accueillir parmi vous, vous avez voulu rendre hommage
à cette glorieuse armée qui a tant mérite qu'on l'honore
et ou'on l'aime. Quelque reconnaissance que vous lui
gardiez, quelque alfection que vous ayez pour elle, vous
me pardonnerez de tenter aujourd'hui de vous la faire
aimer davantage.
Kt, tout de suite, celui que les soldats avaient, dans
leur affectueuse familiarité, surnommé le Grand-
Hère, laisse voir qu'il a pour eux un cœur de grand-
père en etTet :
C'est que, dit-il, la tendresse de mon cœur est inHnio
pour celte armée, et je n'imagine pas de plus beaux sol-
dats, de plus grands héros ({Ue ceux à la tt^te desquels la
destinée m'a placé durant trois années.
« Aimer, cœur, tendresse ■>, sont des mots qui
reviendront 'jouvent dans la bouche de ,Jo(Tre, parce
que ce sont ceux-là mêmes que lui dictent ses sen-
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
Jules Claretie.
liments; ils n'en sont que plus précieux à noter,
puisqu'ils éclairent le fond — tout de sensibilité et
de bonté — de cette àme de soldat.
Peu curieux des mérites littéraires de .1. Claretie,
ni des incidents de sa carrière d'écrivain, Jolîre se
sent attiré, au contraire, par les qualités de droiture,
de probité et surtout de patriotisme qu'il découvre
en son prédécesseur. C'est cela seulement qu'il
rappelle et loue en quelques plirases rapides, ap-
puyées de citations judicieuses, sans s'appesantir
davantage, au fond impatient de retrouver ses chers
soldats et sollicité par les vivants souvenirs de la
guerre, dont il va évoquer quelques images.
Ce seront d'abord les mois et les semaines qui
précédèrent la guerre, à laquelle « la France se
préparait avec résolution et méthode », puis les
Journées de la mobilisation, que .lolTre, nous le
l'royons sans peine, ne peut se rappeler sans une
émotion profonde :
A ces heures tragiques, je sentis naître dans l'armée
qui venait se ranger sous mes ordres cette résolution, i-;*
rt'UMiioenii'ut. cette cuntiant-o qui proclainent iu justice
de la cause et n-uiient h's armées invincibles.
Kt la gratitude du chef salue le peuple fraiiçai.s,
" ce peuple amoureux de liberté, i|ui acceptait avec
fermeté la dure servitude de la guerre, parce qu'il
avait conscience d'avoir voulu sincèrement la paix
et qu'un sur instinct lui dévoilait la grandeur de' la
tâche qu'il allait accomplir ».
Dès lors, toute la suite du discours ne va plus être
qu'une .série d'hommages rendus k tous ceux qui
coopérèrent à la victoire : ènuiiiiralion glorieuse,
où chacun reçoit sa juste part, et qui, avec sa
concision substantielle et pleine, prend, dans la
bouche du maréchal, l'allure d'une citation militaire,
d'une citation à l'ordre de l'Histoire.
Ainsi sont évoqués successivement nos chefs,
« résolus et calmes •>, les grands états-majors d'ar-
mée >' demeurés comme des i-ocs dans la tempête,
répandant autour d'eux la clarté et le sang-froid »,
et surtout nos soldats, « les plus magnifiques du
monde ». De nouveau, l'orateur s'attendrit, et cet
attendrissement lui inspire, dans une superbe envo-
lée, la plus belle page de son discours :
Pour louer ces soldats, les mots sont impuissants et,
seul, mon cœur, s il pouvait laisser déborder l'admiration
dont il est pénétré pour eux, traduirait l'émotion que
j'éprouve en en parlant. Je les ai vus, couverts de pous-
sière et de boue, par tous les temps et dans tous les sec-
teurs, dans les neiges des Vosges, daus les boues de
r.Vrtois, dans les marécages des Flandres, toujours égaux
à eux-mêmes, bons et accueillants, atfectueux et gais,
supportant les privations et les fatigues avec bonne
humeur, faisant sans hésitation et toujours simplement le
sacritice de leur vie. Dans les yeux de ceux qui rentraient
du combat, comme dans les yeux de ceux qui y montaient,
j'ai vu toujours le même mépris du danser, l'ignorance de
la peur, la bravoure native gui donne à leurs actes
<rhéroïsme tant de naturel et de beauté; et, toujours aussi,
dans des milliers de regards francs et anonymes, j'ai lu
cette foi instinctive dans les destinées do la* France, cet
uniouretce respect de la vérité, de lu jutticu. ceiiahon-
iiêteté apportée dans l'accomplissement du devoir jour-
nalier, qui sont la force et la discipline de notre armée et
qui n'appartiennent qu'à elle. C'est pour cela que nos
soldats sont les premiers du monde et qu'on ne peut les
voir sans les admirer, les regarder sans leur sourire, les
commander sans les aimer.
Remarqué-t-on comment, sous l'effet de l'émotion,
la phrase, jusqu'ici d'un souille un peu court, s'am-
plifie, s'agence naturellement en période et, sans
effort, porte l'ora-
teur timide du dé-
but jusi|u'au ton
de la haute élo-
((uence ?
Si, pour louer
les Alliés, Joffre
ne garde plus le
même mouve-
ment lyrique, du
moinsil sait trou-
ver pour chacun
d'euxlemotjuste
qui rend l'éloge
plus précieux.
De l'armée bri-
tannique,qui,i<au
vingtième jourde
guerre , faisait
son apparition
sur le champ de .Maré.hai JubVc
bataille, encore
faible par le nombre de ses soldats, déjà forte de
toutes les qualités qui tirent leur réputation dans le
passé », il célèbre le sang-froid imperturbable, le
courage opiniâtre, grâce auxquels « elle s'est formée
en combattant, s'est instruite à la rude leçon de la
bataille » ; il honore d'un mot le sacrifice des armées
russes, « vouées à l'impuissance sans avoir été bat-
tues », parce qu'avaient sombré dans la tourmenle
révolutionnaire la foi et la volonté guerrière de la
nation; la Belgique, qu'au début de sou discours,
.loffre avait déjà montrée « meurtiie. salie, piétinée »,
assez forte néanmoins pour « arrêter sur l"Yser la
ruée désespérée de son formidable adversaire »,
voit à nouveau ses héroïques divisions associées
dans un même éloge à celles de la Roumanie, de la
Serbie, de l'Italie, qui, toutes.» confiant leur fortune
militaire aux robustes épaules de l'armée française,
ont pu subir, sans connaître la défaite décisive, les
assauts les plus dangereux ».
(Vest pour l'orateur une nouvelle occasion de ren-
dre hommage non seulement à notre armée,. qui a
été r « armature de tout l'édifice », mais aussi au
peuple français, car :
S'il est vrai que l'armée tire sa force du peuple qui
l'enfanta, fut-il jamais dans le monde un plus grand pays
que le nôtre ?
La source de tant d'héroïsme, de tant de résolu-
tion, JufTre la découvre dans les idées généreuses
de lilierlé et de justice qui ont inspiré les décisions
se
682
et guidé les acles des Alliés. El ceci le conduit na-
turellement à parler de l'intervention américaine.
Il nous monlie daliord le peuple des Elats-Unis,
qui, sentant ol)Scuréinent la force immense dont il
disposait, mais ne sachant pas encore comment
l'employer, la laissait deviner par la violence de
son affection pour la l'Vance. n II lui semblait,
ajoute le maréchal, qu'à force d'amour, il ferait
sans tarder quelque chose de grand et de réconfor-
tant pour le soulagement des armées alliées ». Et
de fait, bientôt :
Pour qu« la France vive prospère, pour que la Belgique
renaisse, pour que la liberté règne et que le droit s'éta-
blisse, l'Amérique se levait, résolue à jeter dans la lutte
jusqu'au dernier homme, jusqu'au dernier dollar... Et
comme si ce n'était pas assez de nous envoyer leurs maris,
leurs enfants, nous avons vu ces épouses, ces pères et ces
mères escorter au delà dos mors la phalange des guer-
riers, venir soulager nos misères, panser nos blessures.
L'hommage est rendu, sanctionné par la victoire,
que JofTre rappelle au terme de son discours. Il ne
le fait, d'ailleurs, que pour dégager la grande leçon
de la guerre et donner à la France le sage et pré-
cieux conseil de son autorité :
Qu'elle aille sans défaillance jusqu'au bout de son
effort; elle lo doit à ses morts, elle le doit aux tout petits
qui grandissent insouciants du danger et qui vivront libres
parce que leurs frères sont morts pour la liberté.
Que le peuple de France garde dans la victoire ce ferme
aicachemeii taux idées de liborté et de justice qui ont fait sa
force dans la guerre ! Qu'il conserve ce bel équilibre moral
qui l'a préservé de la chute aux heures les plus dangereuses!
La réponse de Jean Richepln, claironnante et par
instants d'allure plus militaire que le discours du
maréchal, fut bien celle qu'on attendait de ce poète
à l'âme toujours jeune et enlhousiasle. Lui non plus
ne s'est pas attardé autour de la personne de J. Gla-
relie, dont, décidément, l'ombre discWle, apparue
parfois au seuil d'une phrase, présidera à cette
cérémonie sans cependant s'y mêler. Cette ombre,
Richepin l'évoque au début de son discours, pour
rappeler un en-
trelien qu'il eut,
en 191 3, avec
Claretie, et au
cours duquel ils
parlèrent de la
guerre, que cha-
cun alors sentait
inévitable et pro-
chaine ; ils en
parlaient avec
angoisse, eux
«dont la jeunesse
avait subi l'in-
juste et humi-
liante défaite
de 1871, eux que
l'ennemi hérédi-
taire avait le
droit de consi-
I ri dérer commedes
vaincus désor-
mais Incurables, eux dont les tenaces espoirs de
revanche paraissaient un anaclironisme, une chi-
mère, presque un danger pour la France, depuis
tantôt un demi-siècle qu'on la laissait vivre dans
cette paix de résignation ».
Ils craignaient même que cette paix paralysante
ne fût pour la France que le prélude de la paix
définilive que lui prédisait l'Allemagne, « la paix
d'une morte sous le couvercle de son tombeau «.
Pourtant, à ces angoisses s'opposaient des motifs
(l'espérer : la puissance morale de la France, dont
le destin ne pouvait vouloir l'anéantissement, les
généreux efforts des générations nouvelles, eu qui
le beau sang de la race, même pendant ces quarante
années de silence, n'avait pas arrêté son travail de
fciinenlalion ardente.
Pourquoi les jeunes hommes nés après la guerre,
I>our(|Uoi leurs enfants devenus des hommes à leur tour
rési.steraient-ils à cette poussée du sang français, voulant
le redevenir dans toutes ses cnereios vitales? Parmi les
forces de jadis, qu'ils avaient tant île joie à sentir renaître
an fond d'eux-mêmes, no retrouveraient-ils pas quelque
jour, si l'occasion leur en était olTerte, les vertus militaires
"qui furent de tout temps l'ajianage de nos aïeux".'
Cet émouvant rappel de préoccupations et des
doutes qui furent, avant la guerre, ceux de tant de
Français va constituer, avec la suite du discours,
lout animé de l'allégresse de la victoire, un habile
et heureux contraste.
Pou rinlroiliiire l'éloge du maréchal, Uichepin are-
'■ours à une anecdote, choisie avec un rare ii-propos.
Kecevanl de Lesseps sous la coupole, Henan avait
soutenu qu'il n'est pas besoin de titres littéraires
pour entrer à l'Académie; il avait appuyé cette affir-
mation d'exemples pris dans le passé, puis, prophé-
tisant la cérémonie de ce jour, il s'était écrié :
Quelqu'un qui est bien sûr d'en ^tre, c'est le général qui
noua ramènera la victoire. En voilà un que nous ne chica-
nerons pas sur sa prose et qui nous paraîtra tout d'abord
un sujet fort académi(|ue ! Comme nous le nommerons par
acclatnation et sans nous inquiéter de ses écrits ! Oh ! la
belle séance que celle ou on le recevra! Comme les places
y seront recherchées ! Heureux celui qui la présidera !
LAROUSSE MENSUEL
Bénéilciaire de cette heureuse fortune, encore
qu'il délègue l'honneur de la présidence etfeclive à
■1 celui que la voix du peuple a baptisé de ce nom
rude et cordial, maintenant flamboyant pour jamais
au firmament de nos gloires, le Poilu ■■, Richepin
croit devoir examiner les litres littéraires de Jolire,
qui font de lui un sujet fort académique.
Il passe ainsi en revue un discours sur la prépa-
ration à la guerre, prononcé en 1913 par Jolfre, alors
chef d'élal-major, devant la société amicale des an-
ciens élèves de l'Ecole polytechnique, puis les notes
/V" J44. P^vWe/' J9Ja
Salamine, des cliamp^ Calalaunique:;, des Poitiers,
des Bouvines, des V'alniv, de même le chef qui a
gagné une telle lialaille est enlr.'i vivant non seu-
lement dans riminorlalité, mais dans la légendi'
elle-même.
Kt, l'orateur s'e(ra(;ant ici devant le poète, Riche-
pin iermine son disconr.'^ en forinidant un vœu
pour II ce grand honnne, auteur d'un grand acte et
enfant d'un grand peuple » :
C'est que vous demeuriez surtout cela, monsieur le
maréchal, un héros de légende ; c'est qu'un autre enfant
Plaça du Marché, à Arkhangel. [Sociiti de géographie.)
adressées par le généralissime aux troupes après
Charleroi et surtout son Instruction générale du
25 août 191Ji, préparant tous les commandants d'ar-
mée à la reprise possible, prévue et prochaine, d'une
nouvelle offensive :
Aprèa la lecture attentive de ces Notes et de cette Ins-
truction générale, on est forcé de reconnaître que, si vous
aviez perdu la bataille, vous restiez à iamais, comme on
dit, cloué au pilori de l'histoire sou» ce nom : vaincu de la
Marne. En retour, puisque vous l'avez gagnée, cette ba-
taille, il est de toute justice que vous restiez, à jamais
aussi, sans que rien vous puisse débouter de cette appel-
lation, le vauiqueur de la Marne.
Toutefois, Richepin s'excuse de ne pas insister
sur celte littérature trop spéciale : il préfère s'atta-
cher à d'autres écrits, dont « le plus ignorant en
art militaire est à même de voir, sans en perdre
une seule, toutes les beautés » : les proclamations
et les ordres du jour du maréchal; proclamations
du 8 aoiit 1914, dans .Mulhouse, allocution pronon-
cée à Thann et, eiilin, les grands ordres du jour,
<i par quoi s'ouvre et se clôt la bataille de la Marne » :
celui du 6 septembre 1914. — « un crid'altai|ue «, —
celui du 12 seplemljre, annonçant, avec quelle sim-
plicité, les résultais d'une telle victoire;
pages qui seront un jour gravées sur le marbre et le
bronze et qui le sont déjà dans tous les esprits et tous les
cœurs, puisque vous avez eu alors l'honneur, la fierté, la
force souveraine, la mission remplie jusqu'au bout et, pour
tout dire on un mot, le divin privilège d'y exprimer, en
premier lieu la volonté même de la Franco préférant la
mort à la honte, puis sa joie héroïque d'avoir été ressus-
citée des deux par la victoire.
Pour Richepin, la victoire de la Marne constitue
en elle-même nu titre académique; fort ingénieu-
sement il montre comment celte victoire, qui u ma-
nifeste la splendeur d'une haute conception traduite
dans une forme parfaite,.,, est de lalignée à laquelle
nous devons les plus purs chefs-d'œuvre de notre
littérature, les classiques de l'esprit français ».
Mais ne serait-ce pas diminuer cet événement que
de le réduire aux proportions d'un sujet acadé-
mique? Richepin s'en rend compte et reconnaît que
Il les échos de la coupole n'ont pas l'envergure ni le
retentissementqu'il faudrait,! lagloiredu maréchal.
C'est aux échos de l'humanité entière qu'elle doit
être et qu'elle est déjà propagée ».
Aucun peuple n'ignore aujourd'hui quelles furent, pour
la civilisation en péril, pour le monde menacé par la
Barbarie, les conséquences de cette première et décisive
victoire de la Marne, (|Uiacrié: « Halte! » àl'envahisseur.
qui l'a forcé à se terrer, qui a donné à tous nos amis le
temps de s'organiser, ainsi que l'exigeaient notre défense
et la défense commune, qui a finalement changé la guerre
en croisade et dont la seconde et suprême victoire de la
Marne a été ainsi l'épanouissement logique, fruit mer-
veilleux dû au miracle d'une telie fleur.
Mais, de même que la Marne restera dans la mé-
moire des hommes à l'égal des Marathon, des
de ce peuple, le fils ou quelque arrière-petit-fils d'un de
vos poilus, un anonyme et un sublime comme eux, laisse
un jour jaillir de son cœur une belle chanson popul^re,
que chantera toute la France, que répétera toute Thuraa-
nité et qui sera la Chanson de la Marne, la Chanson de
Joffre ! — F. OciRAND.
Arkhangel, Arkangelsk ou Archan-
gel, ville et port de l'Etat russe, dans la Russie
septentrionale, à la tête du delta de la Dvina, à 40
kilomètres de la mer Blanche; 35.000 hab. environ.
Pour la commodité de ses relations maritimes
avec l'extérieur, la Russie était certainement, au
début du xx« siècle, le moins favorisé des grands
Etals européens. Ses principaux porls s'ouvraient
sur des mers plus qu'à demi fermées : la mer Bal-
tique et la mer Noire, qui connnuniquaient avec les
grands espaces océaniques uniquement par des sé-
ries de détroits dont l'Etat russe ne possédait pas
les côtes. La porte de sortie de ces petites « médi-
lerranées » sur la mer libre étant plus ou moins
ouvertement tombée, au cours de la .liuerre de 1914,
aux mains des Empires centraux, les navires des
alliés occidentaux de la Russie ont dû reprendre la
route qu'avaient suivie leurs ancêtres pour .se ren-
dre en Moscovie, avant que Pierre le Gidiid eût
abattu le double mur turc et suédois qui séparait
ses Etals de la mer Noire et de la Baltique. Ce che-
iiiin aboutit à l'océan Glacial arctique, sur lequel la
Russie possède aujourd'hui deux ports. L'un de ces
ports, le plus septentrional et le plus occidental à la
fois, Alexandrovsk ou port Catherine, sur la côlc
moiirmane, est de création toute récente : l'autre, au
fond de la mer Blanche, Arkhangelsk, Arkhangel
ou Archangel, beaucoup plus ancien, a joué depuis
quelques mois un rôle considérable, qui a rappelé
sur lui l'attention.
Cette ville n'est pas établie au fond de la baie par
laquelle se termine cette grande indentation des
rivages de la mer Bliinche qu'est le golfe d'Arkhan-
gel, mais à quelque dislance à l'intérieur des
terres, à la tête du delta de l,i Dvina.
En amont, après s'être grossi de la PInega, le
fleuve s'est déjà divisé en un grand nombre de bras,
séparés par des iles basses; son lit redevient uniaue
à l'extrémité sud de la ville, mais pour se diviser à
nouveau, presque immédiatement, en plusieurs bran-
ches, dont trois grandes, qui entourent de nombreuses
iles plates et sablonneuses, les unes cultivées, les
autres couvertes de prairies. Arkhangel marque
donc vraiment le sommet du delta formé par le grand
fleuve de la Russie septentrionale, tributaire de la
mer Blanche.
Elle est tout entière bâtie sur la rive droite de
la Dvina, sur un terrain plat, dominant de peu les
eaux fluviales et bordé à l'est uar des marais, des
buis.sons et des arbres nains. 'Ville peu séduisante,
possédant un certain nombre de monumenls eu
«• 144. Février 1B19.
LA RÉGION D'ARKHANGEL ET LA FINLANDE
683
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"3 '>, jPelkosenrnemi Kuot^m^\\^ ',^=>e.
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[fOrhelJion UrthAtSioii--.
684
pierres, mais surtout beaucoup de bâliments en
bois ; ville toute moderne, dont les rues principales
sont parallèles aux bords de la Dvina, tandis que les
autres les coupent à angle droit; ville fort mal
pavée, ne possédant aucune œuvre architecturale
intéressante et dont une ancienne construction for-
tifiée, bâtie entre 1668 et 1684 et flanquée aux an-
gles de tours rondes aux toits coniques, de nom-
breuses églises et le monastère, entouré de fossés
et de murailles, où réside l'évêque, sont les princi-
paux édifices.
La population en était d'un peu plus de 20.000 ha-
bitants en 1897; elle s'est considérablement accrue
depuis lors ; peut-élre, même, les récents événe-
ments dont la Russie a été le théâtre ont-ils plus
que doublé le nombre de ceux qui s'y sont fixés.
Quoi qu'il en soil, Arl<hangel présente une réelle
importance à plus d'un litre. Au point de vue admi-
nistratif, elle est le chef-lieu d'un gouvernement de
Région d'ArkbangcI : une gare (ransforméc en hôpital par les Alliés.
moitié plus grand que la France (8a8.9:i0 kiloni.
carr. ; France : 528. 572 kiloni. carr.), mais presque
désert (438.500 hab., soit 1 habitant pour près de
•i kilom. carr.), marécages et toundras pour une
moitié, forêts de mélèzes et de pins pour le reste.
C'est, en outre, le siège d'un évêché orthodoxe et
d'une amirauté; on y constate l'existence d'un sémi
naire ecclésiastique, d'un certai n nombre de collèges
et d'écoles; entre autres, d'une école de navigation.
Au point de vue économique, d'autre part. Arkhan-
gel possède un port qui était autrefois et qui semble
toujours le plus impoitant des ports russes situés
sur la mer Glaciale, malgré l'essor pris par Alexan-
drovsk depuis la construction du chemin de fer de
la côte mourmane. Ce port se plaçait naguère au
neuvième rang parmi ceux de 1 Empire des tsars;
on y accède, depuis le fond de la baie d'Arkhangel,
par trois chenaux, dont le plus fréquenté est celui de
l'Est, défendu par un fort bâti au temps de Pierre le
Grand. C'est un assez bon port que ce port de ri-
vière, situé à l'endroit où la Dvina ne possède plus
iiu'un lit unique, large de 1.800 mètres et profond
rie 12 à 21 mètres; mais il n'est pas accessible en
tout temps. Par suite de sa situation septentrionale,
au milieu d'une plaine sans relief, à 2 degrés au sud
du cercle polaire arctique, il est complètement pris
parles glaces depuis la mi-octobre jusque vers la
lin de mai ou le début de juin : les navires ne peu-
vent même pas, à cause de la pression des glaces
et des dangers de la débâcle, hiverner près d'Ar-
khangel, mais doivent se réfugier plus en aval, à
Port Lapominskaya, où ils sont en sécurité.
LAROUSSE MENSUEL
_ Avec un port fermé pendant plus de sept mois de
l'année, avec le peu de ressources naturelles que
présentent les contrées environnantes, toundras
sans relief, glacées la plupart du temps ( température
moyenne de l'année à Arkhangel : 0'',3; de jan-
vier : — 14"), plongées parfois dans une obscurité
presque complète (durée du jour : 3 h. 1/2 seu-
lement au cœur de l'hiver), sans population et par
conséquent sans mise en valeur, la ville dédiée à
l'archange saint Michel semblait ne devoir prendre
aucun essor, mais la géographie explique qu'il en ait
été uulrement.
Dans cet énorme bloc massif de l'Europe orien-
liile. si peu échancré, la mer Blanche découpe (et
cela précisément au point où la concavité du lit-
toral arctique est la plus accentuée) une profonde
("ntaille de 550 kilomètres. Or, non seulement Ar-
khangel csl située à l'extrémité d'un des golfes
les plus méridionaux de cette même mer Blanche,
mais elle se
trouve tout près
de l'estuaire de
la Dvina et as-
sise sur ce fieuve,
qui est long de
560 kilomètres,
navigable pen-
dant la belle sai-
son et relié au
■Volga par des
canaux. Ainsi
peut-on, du fond
du Biéloé More
des Russes, arri-
ver par eau jus-
qu'au cœur et
même jusqu'au
sud -est de la
Russie d'Euro-
pe, jusqu'à Astra-
khan, à plus de
4.500 kilomètres
d'Arkhangel.
Cette position
éminemment fa-
vorable au point
de vue économi-
que, voilà l'ori-
gine de la for-
tune d'Arkhan-
gel, la cause de
la fréquentation
de son port.
En dépit du
long arrêt de la
navigation impo-
sé par les froids
(le l'hiver et par
la congélation de
la Dvina, voire
même du iond de
la baie d'Arkhan-
gel, en dépit de
l'obstacle apporté
le reste du temps
àl'accèsdufleuve
par la barre qui
ferme la princi-
pale brandie de
sondelta, le mou-
vement du port
était, avant la
guerre déjà, assez considérable. Les Mottes an-
glaise et Scandinave y tenaient le premier rang,
et des services de navigation unissaient régulière-
ment Arkhangel à 'Vardô, sur la côte norvégienne,
aux ports rus.'^es de la mer Blanche et de la pénin-
sule de Kola, et même à la Nouvelle-Zemble. A côté
des navires de mer, des navires de rivière ayant
Arkhangel pour point d'attache unissaient cette
capitale de la Russie boréale à Mezen, à 'Volodga
et même au bassin du Volga ; ils apportaient jus-
qu'à la têle du delta de la Dvina le lin et le chanvre
de Volodga, les laitages de la même région (où le
nombre des têtes de gros bétail était, avant la guerre,
de 75 pour 100 habitants, ce qui est une proportion
très considérable). Le seigle et l'avoine de V'iatka.
les blé'^ .-ibériens et les métaux de l'Oural du Nord,
le goudron el ta poix, toutes ces marchandises arri
valent encore à ,\rkhangel soit par voie fluviale,
soit aussi 'en grande partie) par voie ferrée, depuis
le jour où en 1896, un rail long de 1.118 kilomètres
avait relié Moscou à la grande ville de la Dvina,
.soit, enfin, par le chemin de fer d'abord entre
Viatka (une station de la ligne Pelrograd-Vladi-
voslock par Perm) et Kotlas. puis par la Dvina
depuis Kotlas jusqu'à Arkhaugel. A ces produits
d'antres régions de la Russie, ajoutons ceux de la
province boréale elle-même, en particulier ces boLs
dont les grandes forêts qui couvrent le territoire
alimentent les scieries mécaniques elles chantiers
de construction navale d'Arkhangel et des envi-
rons et qui s'exportent jusqu'en Hollande el en
Angleterre.
«• 144. Février 1B19.
Ainsi s'explique le rôle d'Arkhangel comme centre
d'approvisionnement des petits ports de la mer
Blanche (Kem, Onega, etc.); le port de la Dvina
leur fournit le thé, le sucre et les autres denrées
indispensables. Ainsi s'explique aussi qu'en temps
normal l'exportation soit, dans le mouvement com-
mercial d'Arkhangel, environ quatre fois supérieure
à l'importation.
Pour les peuples de la Russie boréale, le poisson
constitue la base de l'alimentation; rien, donc, que
de naturel à ce que la pêche soit très active par
toute la mer Blanche et sur les bords des fleuves
ses tributaires. A cet égard encore, Arkhangel a une
réelle importance : c'est un point de départ pour la
pêche de la morue et du hareng, pour la chasse de
la baleine. Durant la belle saison, des bateaux se
rendent même à la Nouvelle-Zemble pour y chercher
l'ivoire des morses et y chasser l'eider. Kn dépit
des ressources alimentaires que l'industrie de la
pêche — de la pêche du saumon, surtout — procure
aux habitants du pays, le poisson figure parmi les
marchandises d'importation. Du charbon, des ma-
chines, des vins, voilà les autres articles principaux
introduits par le port d'Arkhangel dans le nord
de la Russie.
Très faible avant la Grande Guerre, l'importa-
tation a pris subitement, par suile des circonstances,
un essor considérable, qui a complètement modifié
les données du trafic d'Arkhangel. A la suile de la
fermeture des ports de la Baltique et de la mer Noire
par l'Allemagne et par ses alliés, tous les envois
de munitions et de fournitures des puissances occi-
dentales à la Russie durent se faire, au cours des
années 1915-1916 et 1917, par les ports de l'océan
Glacial arctique. Le trafic devint bientôt si considé-
rable que, pour soulager Arkhangel, on relia par
voie ferrée Petrograd à Porl-Alexandrovsk (Port-
(^atherine), sur la côte mourmane. Non seulement
ce port était plus facilement accessible que la ville
de l'Archange, mais il offrait l'immense avantage
d'être toujours libre de glaces; aussi, après l'avoir
directement relié à la capitale de la Russie, cons-
truisit-on encore une voie ferrée raccordée à la
ligne de Perm pour rejoindre le chemin de fer de
la côte mourmane el amener les blés sibériens à
Port-Alexandrovsk ou, à son défaut, au nouve.iu
port de Soroka, sur la mer Blanche. Arkhangel
semblait devoir soulfrir de la naissance ou de l'essor
de ces deux rivaux, plus rapprochés qu'elle de
l'Europe; il n'en fut rien. Grande demeura son
importance, mais de manière inverse de ce qu'elle
élait aiilérieureinent : au lieu d'être la porte de
sortie de la Russie sur le dehors, elle demeura, et
devint, de plus en plus la porte d'entrée de l'Europe
occidentale dans les pays de l'est du continent.
Ainsi a été repris, par la ville d'Archange, un rôle
qu'elle avait déjà joué brillamment dans le passe
et aucMicl avaieni préludé, avant même sa fondaliou,
les aientour.s du site où elle s'élève depuis le
XVI» siècle. Dès le x» siècle, en effet, les Normaiids
y avaient fondé des comptoirs de commen-e de
quelque importance. Toutefois, c'est avec le milieu
du xvi" siècle que commence vraiment l'histoire
d'Arkhangel, peu de temps après que les grands
ducs de Moscou eurent secoué le joug tartar et
unifié la Russie centrale de façon plus ou moins
complète. Alors, trois ans après que l'expèdilion
conduite par Richard Ghancellor pour la Compagnie
anglaise des Marchands aventuriers eut touché aux
houchesde la Dvina, au monastère de Saint-Nicolas,
la « ville de Saint Michel-Archange » ou d' « .ar-
change » (comme l'appellent les anciens textes) fut
fondée en 1558. Créée à la tête du delta, à 40 kilo-
mètres de la seule mer à laquelle la Russie eût alors
accès, assez loin du turbulent monastère des îles
Solovetz, sur le fleuve qui, de tous les tributaires du
Bieloé rioré, pénètre le plus profondément à l'In-
térieur, Arkhangel était déjà, pour la Mosrovie.
" une fenêtre » sur l'P'urope, comme le dira plus
lard Pierre le Grand en parlant de sa fondation de
Pétersbourg. Mais c'était une fenêtre n'ayant pas
directement vue sur les pays de l'Ouest et le plus
souvent fermée. La mer Blanche est gelée dunint
plus de sept mois (mi-octobre-juin) el la Dvina
également: en outre, les rives du fleuve sont mare-
rageuses, inconsistantes, et le fleuve lui-même est
coupé par des rapides. Pour communiquer avec les
autres grandes artères fluviales de la contrée, force
était donc de recourir à des transbordements.
C'est ce qu'indique le Dieppois Jean Sauvage
dans la naïve relation de son voyage " à Saint-
Nicolas el Michel Archange » en juin 1786; il y
représente la ville comme constituée, à celte date,
par deux grands enclos (réservés l'un aux Musses
et l'autre aux étrangers), auxquels il donne le nom
de châteaux. « Le chasteau est (dit-il) un grand
enclos fait de mâts en forme de muraille, et y a
bien quatre-vingts ou cent maisons dedans, où c est
que les marchands forains mettent leurs marchan-
dises dedans leurs maisons; et cela ferme à la clé
avec l'autre chasteau pour les marchands du pays,
qui est à part ensemble avec l'autre ». Déjà, le port
était très fréquenté, n J'ay vu (raconte Sauvage)
sortir de la rivière, en deux mois que nous y avons
«• 144. Février 1919.
esté, plus de 250 grandes gabarres toutes chargées,
comme de seigle, de set, suifs, cires, lins et autres
marchandises. »
Celte grande prospérité ne dura qu'un temps. Apriâ
être demeuré le premier port russe jusqu'à la fin du
xvui' siècle, Arl(hangel tomba en décadence; c'est
par d'autres voies que celle de la Dvina du Nord et de
canaux coupés d'écluses que les marchandises euro-
péennes pénétraient désormais jusque sur les bords
du Volga. (ïrâce à la création d un service de ba-
teau.t à vapeur sur la Dvina, niellant Vologda à six
jours d'.\rkliangel, grâce h la construction — en
ligne droite, selon la coutume russe — de la voie fer-
rée Moscou-Arkhangel par Vologda, la ville avait
repris dès la lin du xix« siècle nue aciivilé nouvelle.
I, es événements qui se sont déioulés depuis les
débiils de la (irande Guerre n'ont pas seulement
rieveloppé l'essor écononii(|ue d'Arkliangel ; ils lui
imt également donné une grande importance poli-
tique et même militaire. Voici comment.
On a vu plus haut quelle quantité considérable de
matériel de guerre les puissances de l'Furope occi-
dentale avaient transportée, en t915etl9l6, jusque
sur les quais d'Arkhangcl. Pour empêcher ce
stock, également précieux à des titres divers, de
tomber entre les mains des bolcheviks russes et
d'être livré par eux à l'Allemagne, les Alliés débar-
quèrent d'abord des troupes sur les bords de la
Dvina; puis, pour proléger le chemin de fer mour-
nian et pour donner un point d'appui aux forces
d'ordre qui luttaient avec courage contre la révo-
lution, maîtresse des capitales du pays. Us firent
d'Arkhangel leur centre d'action en Russie. Là se
retirèrent les aml)assadeursde l'Knlente, incapables
de résidera Pelrograd et à Moscou; là se rendirent
des contingents militaires anglais, français, italiens,
américains, serbes. Malgré de multiples et sérieuses
(linicultés, ces divers contingents ne tardèrent pas
k s'avancer en plein territoire russe. Peu à peu, ils
inarchèrent dansia direction de Vologda au long de
la voie ferrée, vers Kotlas. en remontant la Dvina.
Dès maintenant, tous les rivages arctiques de la Rus-
sie d'Kurope sont au pouvoir des forces de l'Entente
et des Russessoutenusparelles; les Alliés semblent
même parvenus jusqu'à Kotlas, têle de ligne (on l'a vu
plus haut) du chemin de fer vers Permet la Sibérie.
Sans doute, ce rôle politique et militaire d'Ar-
khangel ne durera-t-il pas longtemps; la ville de
l'.\rcïiange ne peut, à cet égard, avoir qu'une im-
portance éphémère. Au point de vue économique,
il en sera tout autrement. Si la Finlande et les
nouveaux Etats créés dans l'ouest et dans le sud de
la Russie demeurent indépendants, l'océan Olacial
arctique redeviendra, comme avant Pierre le Graïul,
la seule porte de sortie de la Russie sur le dehors:
.\rkhangel, plus éloigné de la Ironlière finnoise
que Port-Alexandrovsk, redeviendra peut-être alors
le premier port de la Russie d'Europe. —h. Froidbtaui.
Bois (Industrie de la distillation du). Elal
(irluel de cette industrie. — Préparation ti/nt/ié-
Hque des dérivés acétylés. — Industr. et cnim. I.a
guerre, par les besoins considérables qu'elle a en-
traînés, a obligé souvent nos usiniers à perfectionner
leurs méthodes de
travail; cette re-
marque e.st rigou-
reusement exacte
pour l'industrie
chimique.
Lesdenlandesde
nos fabriques de.v-
plosifs, en particii- ^
lier, furent telles ff
que tous les pro-
cédés de produc-
tion des matières
premières néce.--
saires durent être
améliorés. La dis-
tillation des bois,
productrice d'al-
cool méthylique el
d'acide acétique, a
subi cette influen
ce; aux procèdes,
encore rudimen-
taires, employés
dans beaucoup
d'usines, se sont
substituéesdesme-
thodesplus ration-
nelles, permettan t la récupération complète de toutes
les substances extractives.
Primitivement, la carbonisation du bois se prati-
quait par le simple moyen du charbonnier des torcts :
une meule de bois, dans laquelle le feu, entretenu dou-
cement sans excès d'air, carbonisait une partie du
bois aux dépens de l'autre partie consommée comme
combustible ; naturellement, avec cette manière
d'opérer, toutes les malières volatiles sont perdues.
Or. en chaulfant du bois jusqu'à atteindre sa
carbonisation, de grandes quantités de substances
volatiles se dégagent : des gaz 'carbures d'bydro-
LAROUSSE MENSUEL
gène, oxyde de carbone, anhydride carbonique', des
goudron.^, de l'acide acétique, de l'alcool méthy-
lique, etc. La première amélioration fut précisé-
ment de conduire la carbonisation de façon à ré-
colter, outre le charbon, la majeure partie de ces
substances volatiles en les condensant; l'opération
devient une véritable distillation.
Cette idée, dérivée du thermo-lampe de Ph. Lebon
(17S9), appareil éclairant au moyen des gaz dégagés
d'une masse de bois chauffée, fut appliquée timide
ment tout d'abord en Krance, mais ici, comme.
68S
conservation. Il en résulte que les travaux de car-
bonisation doivent toujours se pratiquer sur les
bois coupés depuis un certain temps.
La nature des produits distillés varie beaucoup
selon les espèces végétales; à ce point de vue, les
bois se cla8.sent eu deux grands groupes :
1" les arbres non résinetu- (hêtre, chêne, orme,
charme, elc.^ fournissant surtout du méthylène et
de l'acide acétique, avec une faible proportion de
piodiiits goudronneux :
jolesesiièces ré.siMei/.se.v pin. sapin, mélèze, elc.V
Chariot ruiiiie, employé par les Alliés pour le ravitaillemeal, dans la i-égion d'Arkhangel.
hélas! dans beaucoup d'autres industries, la carbo-
nisation rationnelle fut développée à l'étranger. Au-
jourd'hui, poussée par les nécessités, cette industrie
s'est propagée en France, tout d'abord pour assurer
les besoins des poudres, de l'aviation, etc.; demain,
elle trouvera un débouché important, grâce au liévc-
loppemeiil de nos industries organiques (parfums,
malières colorantes, médicaments, etc.). l/exlen-
sion future de la distillation du bois est, du reste,
inlimemenl liée à celle de ces industries; on esti-
mait, en 1914. que T.ioO.OOO mètres cubes de bois
étaient distillés dans le monde, 50 p. 100 étant
^'^?. L — Schéma d'une batterie de cornues verticales. A. massif du four, vue en coupe selon ..V', BB'. cornues.
O. grue de manoeuvre, a, foyer; R R', réfrigérants.)
traites aux Etals-Unis, l'autre moitié étant distillée
en Europe; sur cette dernière quantité, 80 p. 100
représentaient la part des Empires centraux.
Le bois sec contient en moyenne 50 p. 100 de car-
bone, 6 p. 100 d'hydrogène, 44 p. 100 d'oxygène
sous forme de divers produits celluUsiques; la pro-
portion des matières minérales constituant les cen-
dres est assez faible, 0,2 & 0.4 p. 100 dans le bois
même, mais elle atteint jusqu'à 6 p. 100 dans les
écorces. Le bois fraîchement abattu est très humide ;
il retient de 30 à 60 p. 100 d'eau, mais cette pro-
portion s'abaisse à 20 p. 100 après quelques mois de
<lonnant, au contraire, peu d'alcool et d'acide avec
beaucoup de goudrons mélangés d'essences et de
résines. Le travail de ces espèces est plus délicat ; il
constitue une industrie un peu difTerente de la car-
bonisation du précédent groupe; le chauffage direct
en vase clos fournissant une quantité de goudron
telle que les appareils sont rapidement encrassés,
tandis qu'une partie des essences est pyrogénée et
détruite. Il est préférable : soit de distiller le bois
dans la vapeur d'eau, celle-ci entraînant les es-
sences, soit de le traiter par des alcalis qui solubi-
lisentles résines, soit d'employerdesdissolvaiits vo-
latils appropriés. Malgré ces diflicultés, cette indus-
trie est en voie de création dans nos régions du
Sud-Ouest, si bien pourvues d'arbres résineux.
Dislillation des bois non résineux. — Au début
de la carbonisation, vers 100", l'humidité est chassée
en entraînant quelques huiles essentielles, ainsi qu'il
.^e pratique dans la distillation des Heurs; puis, à
température plus élevée, la cellulose, les pentosanes
et les ligno-celluloses, constituant la masse vé-
gétale, se dissocient en plusieurs substances moins
complexes (alcool, acide, etc.), qui distillent, mais
aussi réagissent les unes sur les autres en engen-
drant d'autres substances. De la vitesse de distil-
lation, de la température à laquelle celle-ci s'ef-
fectue, dépendent, naturellement, les proportions
relatives de ces dernières substances.
L'expérience montre que les meilleurs rende-
ments s'obtiennent avec les espèces dures, bien Bê-
chées, en poussant lentement la carbonisation (is
à 20 heures», maintenue aux enviions de 400"* C.
Hendemettt en fonction fte la vitesse de distillation
(Bois de tiêtre, d'après Seofft;
Vitesse Goudron Ac. acétique Charbon Oai
— — pur — —
Lente. . . 5.85 % S,îl % î«,8» % 81,66 °„
Rapide.. 4,90% 3,8« % Sl.SO % 33,';s •„
Itendement industriel de Quelques espèces
(d'apris Barillot)
100 kgt de : 'Ao. acétique Alcool de bols Charbon
— »B kg* «a bm» ap ks«
Itètre 4,18 1,3» !3 •
Vienx cMm 3.7S I.M U -
Bouleau K • I,M !0.«!
rharmo b • 1.41 (4,50
Ciièoe (sciure) 1,31 0,38 lo >
En principe, le bois enfermé dans un récipient
clos est soumis à la haute température d'un foyer ;
les produits volatils étant conciensés par refroidis-
sement, puis séparés et purifiés. En pratique, dans
les usines françaises, ce travail s'accomplit dans
686
des cornues verticales, sortesde marmites de 3 mètres
(le hauteur suri ",65 de diamètre, contenant 4 stères,
disposées parsixdans un même massif. L'opération
comprend 2 à 3 lieures pour le chargement, is à
24 heures de chauffe et distillation et 7 heures de
Fiff. 2. Cotipe d'une cni-mic Iioi'izotifalc* : A. rorimt'. a.rarripau de eh.iiinaj;e. M', tubulures;
T>orle à charoière ; B, wagonnets chargés de hois. prêts pour le ehargement; c, dispositif pour
manœuvrer les chariots et wagonuets,
Fig. 3. — Schéma du dispositif des trois ehaudiêi-es pour le trailcuient du pyroligueux
(chaudières supposées eu coupei : 1. Chaudière de distillatiou du pyroligneux. «. arrivée de la
vapeur de eliaunagc : h, vidange des goudrons ;L*et:i. Chaudiéreseoutenant les lessives alcalines,
pour fixer l'acide acétique ; c, vidange dca eaux saturées ; t. Condensation des vapeurs alcooliques.
rt'ri'didisscinenl .-ivanl ilc défoiirner. H en résiilli'
ipie, pour acci'oili'c lo dèhil, on doit procéder au
rhargemenl cl au refroidissement des cornues hors
du four, ce qui oblige à posséder un grand noinijre
d'appareils {fif;. 1).
Actuellement, plnsienrs usines préfcreni i'nsage
de cornues horizontales, sortes do grands tunnels
de 2 mètres de diamètre sur plusieurs mètres de
longueur, dansles(|iielles entrent des wagonnts de
ler chargés de bois, la charge pouvant atteindre
25 et même 50 stères. Ce bois est carl)onisé dans
le -wagonnet même; après distrilation, cehii-ci est
retiré et envoyé dans une cornue semblalile, non
rhauffée, dite ëtou/foir, dans laquelle le charbon
est l'efroidi sans se consumer (fi;). 2).
Jadis, toutes les cornues étaient chaulTées h la
houille; les gaz issus de la distillation renvoyés
sous le foyer étaient ainsi timidement utilises. Or
ces gaz fiches en carbures et en oxyde de carbone
Goudron
de lavage
Vapeurs
3 traiter
a ''^^^
Solution
alcaline
jr\
Cau
1
Goudrçn
saturé
V
Solution Flegme
d'acétate
az
Eau
alcoolique
Fi;:. 4. —Schéma de l'épuration continue 'les vapeurs: A, dè;;..u-
dronneur; B. satui'ateur; C. i-ondensate'ir des flegmes; H. laveur
a eau des dernières vapeur»; tt, tuyauteries des vapeurs.
(S(l p. ion) sont combustibles et peuvent, à eu\
seuls, servir à chaulTer les appareils. 11 sultit d'or-
ganiser le roulement de mise k l'eu des cornues pour
toujours disposer de gaz, chose aisée en tenant
compte que le dégagement de réux-ci commence
vers la quatrième heure de chautTe; entin, lors-
([ue l'usine débite ses bois, elle trouve avantage
à employer les sciures dans un gazogène spécial.
l'Ule remédie ainsi à rinsuffisance possible des gaz
des cornues.
Les pioduits volatils sont chassés de la cornue
par plusieurs tubuluies réunies en un collecteur
commun, où les goudrons se déposent en majeure
partie; les vapeurs plus légères sont condensées
plus loin dans des tuyauteries refroidies; le liquide
obtenu se sépare en plusieurs couches : une gou-
dronneuse lourde, une moyenne aqueuse et une plus
légère huileuse.
Le liquide aqueux, dit pyroliqneux , contient de
l'acide acétique et de l'alcool dilués dans une forte
LAROUSSE MENSUEL
1 proportion d'eau et souillés de nombreux corps or-
ganiques (aldéhydes, aminés, huiles empyreuma-
tiques, etc.).
Ce pyroligneux, dans les petites usines, est traité
par le procédé des trois chaudières. Les chaudières
sont groupées de façon que les
vapeurs émises par la première
barbotent ilans le liquide de la
seconde, les vapeurs de cotte se-
conde barbotant dans le liquide
de la troisième. Si le liquide
des deux dernières chaudières
est une solution alcaline, il re-
tiendra tout l'acide, tandis que
les vapeurs alcooliques se dé-
gageront et pourront être ron-
densées, au sortir de l'appareil,
en un flegme à rectifier (^.7. 3).
Ce procédé serait suflisani si
les goudrons n'encrassaient ra-
pidement les tubulures et ne
souillaient les produits au point
de rendre parfois leur purifi-
cation impossible. Dans les ins-
tallations perfectionnées, pour
éviter ces inconvénients, on
pratique un dégoiidronnarie
soigné des vapeurs, dès leur
sortie des cornues. I^a meilleure
façon d'opérer consiste à faire
passer les gaz i travers une
couche de goudron; cette solu-
tion homéopathique repose sur
ce fait que le goudron liqniile
^ retient avec la plus grande faci-
lité le goudron vésiculaire, tel
qu'il se trouve dans les gaz.
Gomme une couche de quelques
décimètres doit être traversée,
l'opération, dans les premiers
types de dégouilronnenr. exige
une lorce motrice importante;
aussi préfère- t-on l'appareil
Barbet, sorte de colonne dans
laquelle s'écoule le i:ondi'on
de lavage, tandis que les gaz ii l;iver circulent en
.«eus inverse; grâce à de nombreuses chicanes, il
s'établit un barbotagc efficace avec une très faible
dépense d'a>|jiration.
Le niènie piinoi)n' de> colonnes à circulation in-
verse des vapeurs et du li-
quide laveur est encore ap-
pliqué dans la suite du traite-
ment : lavage des gaz avec
des eaux alcalines pour fixer
l'acide acéli(|uo, lavage des
vapimrs alcooliques à l'eau
avant leur rectification. Cotte
application a l'avantage de
rendre la fabrication contiime
et, par .-^uite, très économi-
que ifiij. II).
l'ar ces simples disposi-
tifs, on obtient finalement du
charbon, des goudrons, des
acétates et des flegmes.
Les goudrons, chauffés pour
chasser l'acide retenu, don-
nent des produits très recher-
chés par la marine, d'autre
part, leur distillation fournit,
entre -loO" et 200° C, des
créosotes ou mélanges de di-
vers phénols, matières pre-
mières intéressant l'industrie
des colorants et îles produits
pharmaceutiques anti-
septiques.
Les acétates les plus usuels
préparés par la grande indus-
trie sont ceux (le sodium et
lie calcium. L'acétate de so-
dium, extrait par cristallisa
tion des eaux acides neutra-
lisées par du carbonate de
soude, est purifié en fondant
les cristaux à 319° C. il'ril-
laf/e), température à laquelle
l'acétate est stable, tandis que
les goudrons qui le souillent
se décomposent. Repris par
l'eau, les nouveaux cristaux
obtenus sont utilisés pour fa-
briquer l'acide acétique. Cette
fabrication a lieu en décom-
posant l'acétate par de l'acide
sulfurique; on olitient par dis-
tilation de l'acide ditAon70(2/;
le dernier, rectifié soigneuse-
ment, fournit l'acide pur, dit
acide crislallisahle. Quant à l'acétate de calcium,
il reste comme résidu en évaporant à basse tempé-
rature les eaux acides saturées par un lait de
chaux; cet acétate est destiné à la préparation de
H' 144. Février 1919.
l'acétone. Quelques usines fabriquent de l'acétate
de fer pour l'impression des indiennes, des acétates
de cuivre et d'aluminium pour l'imperméabilisa-
tion des élofi'es.
Les flegmes contiennent, en outre, de l'alcool mé-
thylique ou méthylène, de l'acétone, de l'alcool
allyliqne, des créosotes, etc. Ces diverses substances
se séparent par rectification ou distillation fraction-
née accomplie dans des appareils identiques à ceux,
en usage dans les distilleries d'alcool ordinaire;
Seule, l'acétone, depointd'ébullition56°C., voisinde
celui de l'alcool méthyliqne : 66°5C., est plus difficile
à séparer. Aussi les industriels livrent-ils des qua-
lités d'alcools plus ou moins acétoniques : un mé-
thylène-régie riche en acétone pour dénaturer les
alcools, un méthylène à 5 p. 100 d'acétone pour les
applications usuelles et un alcool àO,l p. lOU seule-
ment pour la préparation des colorants. La fabri-
cation d'alcool chimiquement privé d'acétone exige-
rait la séparation des dernières traces de ce corps,
soit en les Iransforman t par le chlore, soi t en les fixant
à l'aide de bisulfite dans unecombinai.son insoluble.
Préparation des produits dérivés. Des substances
précédentes, matières premières industrielles, les
chimistes dérivent un nombre considérable de pro-
duits intéressants.
Les goudrons servent à produire des créosotes
riches on phénols; du gaïacol, point de départ de
1 industrie de la vanilline synthétique
De l'alcool méthyliqne on dérive, par oxydation,
le formol ou aldéhyde formique, ce désinfectant
gazeux si efficace.
Avec les acétates, outre Xacide acétique déjà si-
gnalé, se préparent des élhers : Vacé.tale de mé-
thi/le, employé comme dissolvant industriel ; r«ce-
lale d'amyle, formant l'essence de bonbon anglais
des confiseurs; Vacélone et ses dérivés pharma-
ceutiques : le chloroforme et Yiodoforme, Vanky-
ilriite acétique. Notons, toutefois, que l'acétate de
mothyle s'obtient couramment par éthérificaliou di-
reclede l'acide pyroligueux.
Dans l'inilustrio, l'acide acétique trouve un dé-
bouché important dans la préparation de l'indigo
synthétique, celui-ci s'oblenant par condensation de
l'acide anthianiliqne avec l'aciclo acétique chloré.
Déjà, en 1901, on estimait que 2.000 tonnes d'aride
acétique. c;irrespondant à InO.OOO mètres cubes de
bois, étaient employées <lans ce but.
L'acétone est également très demandée; c'est un
excellent dissolvant des acétates de cellulose. On
idautje d'un carbonisateur. Ch. Ducbemin.
l'utilise pour gélatiniscr les cotons-poudres et les
liansformer en poudres sans fumée; on l'obtient
par simple décomposition par la chaleur de l'acétate
de calcium.
«• 144. Février 1919.
L'anhydride acélique, oblemie en déshydratant
l'acide acélique par le perclilorure de phosphore,
est pai-liculièremimt intéressanle; c'est la maliêre
première nécessaire pour obtenir ces matières plas-
tiques dites acclales de cellulose, que nous avons
«étudiées ici. (V. I.ar. Mens., t. Il, p. 8S9.) Des acé-
tates, si employés pour remplacer le celluloïd, dont
i!s n'ont pas linllammabililé, constituent les soies
artilicielles, les pellicules photographiques, les ver-
nis divers d'aviation, rendant les toiles imperméa-
bles en diminuant leur visibilité.
fvoUuils sijnlhéliques. Le seul énoncé de loules
ces applications devant l'insuffisance de la produc-
tion di^ nos industries de distillation, depuis quel-
ques années déjà, a conduit les chimistes à cher-
cher les movens de produire industriellement l'acide
acétique et les al ools. La guerre, enliainant d'une
part le dévelopi ement de la distillation, a favo-
risé en même temps les recherches de préparations
synthétiques.
'Nous ne signalerons ici que le principe de ces
opérations : les unes partent de Vacéti/téne, produit
de notre industrie éleclro-chiinique; les autres ont
comme point de départ l'alcool élhylique pvovemnl
de nos industries agricoles; leurs réussites dépen-
dent des prix de revient soit de l'acétylène, soit de
l'alcool, ainsi que des lois liscales qui règlent rem-
ploi de ce dernier.
L'acétylène, G'U', est le gaz résultant de l'action de
l'eau sur le carbure de calcium, le carbure s'obte-
nant au four électrique par réaction du charbon sur
la chau.x. Ce gaz oxydé, en présence d'oxyde mercu-
rique, fournil de l'acide acétique :
CMls + HsQ -I- 0 = <'.Fls. COOH
acétylène. eau. oxygône. aciJe acétique.
Egalement, en présence de l'oxyde mercurique,
<m mélange d'acide acétique et d'acétylène donne
de l'anhydride acélique :
C«H»-f-2[CH3.COOH] = 0.[CH!i.CO]î-(-CH'.COH
acéty-
lène.
acide acétique.
anhyilride
acétique.
aldéhyde
ordinaire.
En partant de l'alcool éthylique [CH». OH], on
peut, par oxydation en présence de matières cataly-
îiques : oxydes et sels mercuriques, chlorure d'alu-
minium, sels de manganèse, etc., réaliser les divers
états d'oxydation de l'alcool : aldéhyde, acétone,
acide acétique.
La nécessité de produire l'alcool a fait rechercher
si les réactions synthétiques de Berlhelot pouvaient
avoir une application industrielle. D'après ces syn-
thèses, rèlhylène C*H*, agité avec de l'acide sulfu-
rique, se combine, donnant l'acide sulfovinique ou
éthyl-sulfurique [S0»H.C»H5], qu'il suffit de distil-
ler avec de l'eau pour obtenir de l'alcool et régéné-
rer l'acide sulfurique. Comme on peut transformer
aisément l'acétylène en élliylène, on voit qu'il est
possible de produire de l'alcool en ayant le carbure
de calcium comme point de départ et de réaliser
synthétiquement toutes les substances décrites ci-
dessus. Pratiquement, le prix de revient moiiireque
le carbure de calcium est actuellement trop coû-
teux pour donner un alcool pouvant concurrencer
l'alcool agricole; le procédé est, au contraire,
avantageux pour produire l'acétone et l'anhydride
acétique.
La France, dont les savants avaient établi les
principes théoriques de ces synthèses, a suivi égale-
ment leur application indusirielle. Déjà, plusieurs
usines ( Alais et la Camargue, les Usines du
Rhône, etc.) ont préparé, par synthèse, divers déri-
vés acétiques.
Conclusion. De ces considérations il résulte,
d'une part, que l'installation de ces usines synthé-
tiques et, d'autre part, le développement donné à
l'iuduslrie de la distillation du bois doivent nous
conduire à une surproduction de dérivés acétylés.
Or cet état de choses sera très favorable pour attirer
sur notre territoire un grand nombre d'industries
utilisant ces dérivés, industries jusqu'en 1914 tri-
butaires de l'Allemagne : usines de matières colo-
rantes, usines de matières plastiques, usines de
(ilms, de soie artificielle, de produits pharmaceu-
tiques, etc.; ce qui, par suite, ne peut que donner
une plus grande extension à notre industrie chimique
nationale. — m. Moumié.
Carmélites de France (le Premifr
MoNASïiiRE ni:s). Le couvent de l'Incnrtialion,
fauboury Saint-Jacques, par François Rousseau. —
La Société de l'hisloire de Paris, continuant ses
curieuses publications, a confié à l'érudit et très
consciencieux chercheur qu'est F. Rousseau le soin
de relater les origines exactes du couvent des car-
mélites de la rue Saint-Jacques et de retracer ses
fastes principaux; tâche malaisée, malgré les nom-
breuses histoires de Paris publiées depuis trois
siècles. Les renseignements intéressants se trouvent
éparsilans de multiples dépôts tant publics que pri-
vés, la'iques qu'ecclésiastiques. Le travail, publié
sous les auspices de la Société de l'hisloire de
Paris, en a recueilli un grand nombre, notamment
:iur la fondation du couvent; l'histoire de sa vie est,
LAROUSSE MKNSURL. — IV.
Cardinal de Bertille.
LAROUSSE MENSUEL
ensuite, assez fragmentaire : sur sa dispersion aux
jours de la Révolution, sur sa reconstitution à l'aube
du XIX" siècle, sur ses tribulations en 1N70, sur sa
dispersion définitive enfin enl90.5, il y aurailencore
bien à dire. Nous espérons que F. Rousseau tien-
dra, quelque jour, h parfaire son œuvre.
C'est en 1583 que la maréchale de Joyeuse, aidée
de l'abbé de Brêligny, lit les premières démarches
fiour obtenir la fondation d'un couvent de carmé-
ites en France. Si, à Rome et en Espagne, on se
montra favorable au projet, en France, Henri IV,
récemment converti, déclara peu opportune l'ins-
tallation de moi-
nes et de reli-
gieuses espa-
gnols , dont la
réputation d'in-
tolérance cadrait
mal avec son dé-
sir de paix reli-
gieuse.
Cependant,
quelques années
plus tard, l'idée
lut reprise par
M""Acarie, dont
le prosélytisme
infatigable' trou-
vait là matière à
de nouveaux ef-
forts, et par l'ab-
bé de Bérulle;
le chancelier de
MariUac et saint
François de Sales intervinrent, tant auprès du
roi qu'auprès du saint-siège. Le 13 novembre 1603,
Clément 'VllI octroya la bulle constitutive du pre-
mier Carmel français; la princesse de Longueville
fut autorisée à donner une rente de 2.400 livres
pour l'entretien de quinze religieuses, et Henri IV
donna son approbation, à la condition formelle que
les religieuses seraient placées sous l'obédience de
prêtres français et non de carmes espagnols.
Le local choisi était l'ancien prieuré de Notre-
Dame-des-Champs ou des Vignes, appartenant aux
bénédictins de Noirmouliers. La fondation du mo-
nastère remontait au xi' siècle; les bâtiments tom-
baient en ruine; ils s'étendaient de la rue d'Enfer
au fauhourg Saint-Jacques, à l'extrême limite de
la capitale, et étaient mitoyens du couvent bénédic-
tin de Saint-Magloire (les Sourds-Muets acluels). On
décida que tout était à reconstruire, sauf l'église, à
laquelle on adapta un chœur.
Le 29 mars 1603, c'est-à-dire avant même que le
pape n'eût octroyé sa bulle, la duchesse de Nemours,
au nom de la reine Marie de Médicis, posait la pre-
mière pierre des lieux claustraux, assistée des prin-
cesses de Longueville et d'Estouville; peu de jours
après, MM. de Bérulle et de Marillac posèrent la
première pierre du chœur. M"" Acarie, qui assistait
à la cérémonie, se tournant vers M. de Bérulle, lui
dit : « Vous serez le fondement de cet édifice pour
le spirituel: » et, s'adressanl à Marillac : « Et vous,
pour le temporel. »
De fait, celui-ci passa tous les marchés relalifs à
la reconstruction, à l'aménagement du monastère,
et l'abbé de Bérulle fut recormu comme premier
aumônier et directeur du Carmel.
C'est lui qui, le 15 octobre 1604, toujours flanqué
de l'ancien garde des sceaux Marillac, partit au-
devant des carmélites espagnoles jusqu'à Loiigju-
meau et qui, le smlendemain 17, accompagné de
M™» de Longueville, introduisit les religieuses dans
leur nouvelle résidence, qui prit aussitôt le nom
de couvent de l'Incarnation, selon les désirs de
M. de Bérulle.
Elles étaient six disciples de sainte Thérèse,
687
toutes flères et émues de la distinction dont elles
avaient été l'objet: ne leur avait-on pas dit, en Es-
pagne, qu'en franchissant les Pyrénées, elles cou-
raient au martyiel Les guerres de religion avaient
laissé chez les Espagnols, sujets de Philippe II, une
impression d'autant plus fausse qu'ils en avaient
plus vagiiement entendu parler...
La prieure, Anne de Jésus, ainsi que ses com-
pagnes, ne parlait qu'espagnol; aussi fut-elle bien
embarrassée pour faire passer aux postulantes fran-
çaises l'examen prescrit par les règles de l'ordre.
Elle s'en rapporta pour ce soin délicat à M°>° Aca-
rie, et celle-ci proposa l'admission de M"«» de
Fontaine-Marens, d Hannivel et Lavoix. La mère
prieure ratifia ce choix; telles furent donc les trois
premières carmélites françaises.
Les premiers mois de leur claustration leur furent
d'autant plus pénibles que les nouveaux locaux
n'étaient pas encore aménagés, que ceux où elles
étaient enfermées étaient étroits et malsains,
La duchesse de Longueville. gravure de Moncornet.
(Cabinet dea Estampes.)
que la direction de la mère prieure était plus
rigide et moins adaptée aux habitudes religieuses
françaises.
Dès 1603, les abbés de Bérulle, Gallemant et du
Val obtinrent le départ de la mère Anne de Jésus
pour Dijon, où elle alla fonder un nouveau Carmel;
mais les postulantes françaises n'étaient pas encore
assez nombreuses pour qu'une supérieure française
fût désignée; la mèie Anne de Saint-Barthélémy
était donc espagnole comme la première.
Ce fut seulement en 1608 qu'une des premières
novices françaises, M''« de Kontaine-Marans, en
religion mère Madeleine de Saint-Joseph, fut nom-
mée prieure.
A partir de ce moment, il semble que le Carmel
du faubourg Saint-Jacques, tout en se conformant
strictement aux règles édictées par sainte Thérèse,
eut avec le monde, et notamment avec la co:ir, des
rapports que la vierge d'.Vvila n'avait point prévus.
Marie de Médicis, Marie-Henriette, future reine
d'Angleterre, la duchesse de Longueville, toutes
L'ancienne «glise NoIn-Dama-des-Champa. qui fut donnée, en 130S. aux rellcieu«es carmélites, pour établir le premier monastér» de
cette congrégation. (Dessiné et gravé par Jean Margt, xvitt siéclc.j
26»
688
trois bienfaitrices du monastère, y vinrent tour h
tour loger en esprit de pénitence et y vivre quelques
jours ou quelques semaines la vie du cloilre; elles
ne pouvaient pas ne pas y apporter les échos des
grosses affaires politiques auxquelles elles étaient
t
Mademoiselle de La Valliére, pai- Jeaii Nocivt(miis>^e de Versailles),
mêlées, et il se trouva ainsi que les carmélites,
après avoir prié pour le cardinal de Richelieu, qui
assiégeait La Ilochelle, conjuraient sa perte quand
le ministre du roi était en guerre ouverte avec la
reine mère ou avec l'ancien ministre Marillac, in-
signe protecteur du couvent. Quand celui-ci mourut,
en disgrâce, la mère Madeleine de Saint-Joseph
obtint que ses cendres fussent transportées faubourg
Sainl-Jacques, où, dans la chapelle de Sainte-Thé-
rèse, elle lui lit élever un mausolée.
Quelque trente-cinq ans plus tard, c'est encore
dans l'église des Carmélites que furent déposés les
restes de la duchesse de Lougueville (15 avril 1679).
A ce moment, le couvent de l'Incarnation avait ac-
quis une notoriété particulière, du lait qu'il avait
été choisi, en avril 1674, par M"" de La Valliére,
pour y venir e.xpier ses fautes.
Trente-si.': ans durant, la favorite délaissée de
Louis XIV vécut dans la pénitence, sous le vocable
de sœur Louise de la Miséricorde. Klle recevait à la
grille de clôture de nombreuses visites, vuire celle
de .M™" de Montespan; elle édifiait chacun par sa
jiété et son humilité; sa prise d'habit, h laquelle
a reine assista et qui fut pour Bossuet l'occasion
de prononcer un de ses plus beaux sermons, fut
une cérémonie qui eut un retentissement par toute
la France. Elle s'éteignit le 6 juin 1710, à soixanle-
cinq ans, après de longs mois de souffrance, qu'elle
supportait sans murmures : « Elle ne laissa voir que
ce qu'elle ne put cacher », témoigne la prieure.
Le plus curieux chapitre de l'étude de F. Rousseau
est relatif à la querelle du « jansénisme au couvent
du faubourg Saint-Jacques ». Si le venin des que-
relles théologiques devait tiouver un terrain peu
propice à son développement, c'aurait, certes, dû
êlre à l'intérieur de la sainte clôture d'un Carmel.
Cependant, les personnes de la cour et de la ville
qui se pressaient trop souvent aux grilles du par-
loir trouvaient tout naturel d'entretenir les saintes
filles des choses de la religion et, notamment, de
celles qui faisaient l'objet des conversations fré-
quentes. En vain les « visiteurs » de la commu-
nauté dissuadèrent-ils leurs pénitentes de s'occuper
de querelles dangereuses; il fallut leur interdire
« les livres et les apologies des disciples de Saint-
Cyran qui sont remplis de disputes et d'altercations,
les livres des Pères qu'ils ont traduits en notre
langue, d'autant que ce sont matières qui vous sur-
passent II, disait le père Gihieux, le 11 septembre
1648. Hélas 1 il était l^op tard; le mal était déjà
fait. Les deux couvents du Carmel et de Port-
Royal étaient voisins; nombreux étaient les liens
qui les unissaient; M""" de Lougueville protégeait
et fréquentait l'un et l'autre ; Desmoulins, curé de
Saint-Jacques-du-llaut-Pas, puis Nivelle, son ami,
fort écoutés au Carmel, soutenaient Port-Royal,
même après la promulgation de la bulle Unige-
nilus; Nivelle, croil-on, chercha même un refuge
LAROUSSE MENSUEL
faubourg Saint-Jacques, contre les poursuites qu'il
redoutait. Dès 1713, le Carmel de l'Incarnation était
rangé parmi les jansénistes modérés, et les nonces
du saint-siège le dénonçaient à Rome parmi les
rebelles à l'autorité pontilicale. Le « visiteur » dom
La Tasle, évêque de Bethléem, ancien prieur
du couvent bénédictin des Blancs-Manleaux,
naguère suspect, lui aussi, de jansénisme, se
rangeant franchement dans le camp des jésuites,
dut entreprendre avec la prieure du Carmel
une véritable lutte. M"" d'Dsmont n'était, en
elfet, pas une personne facile à convertir; elle
voulait un supérieur à sa dévotion, respectant
les nouvelles mœurs introduites au couvent :
dom La Taste, soutenu par l'archevêque de
Paris, Christophe de Beaumont, écarta plu-
sieurs candidats et chercha à pénétrer plus
avant dans la confiance des religieuses. Il
apprenait d'étranges choses : cerlaines parties
de la messe, le canon, la consécration, que la
liturgie indique comme devant être dites à
voix basse, l'étaientàhaute voix; les religieuses
abandonnaient peu à peu l'usage de la commu-
nion, apparemment ne se jugeant pas dignes
d'approcher du sacrement par excellence; l'une
d'entre elles, à la veille de sa mort, avouait
n'avoir pas fait ses pàques depuis sept ans I En
vain, des k officières » des carmélites de Saint-
Denis, M""^» de Dillon, de La Roche, furent-
elles envoyées faubourg Sainl-Jacques, d'ordre
du roi, pour éclairer leurs compagnes; le Car-
mel de l'Incarnation faisait bloc dans la résis-
tance ; qui eût reconnu, dans ces fanatiques
des « convulsionnaires », des filles de Sainte-
Thérèse?
Edifié par le rapport des officières et de dom
La Taste, le roi décida des mesures énergiques :
le 15 mai 1748, le lieutenant de police Berryer
remit à la prieure, M""" d'Osmonl, une lettre de
cachet, lui enjoignant de se rendre sans délai au
Carmel de la rue de Grenelle, ce qu'elle dut faire
aussitôt dans la voiture même du lieutenant. La
sous-prieure. M"» Le Nain deTillemont, la maî-
tresse des novices. M"" Jaubert, furent égale-
ment expulsées du couvent de l'Incarnation et
conduites l'une rue Chapon, l'autre àPontoise;
la soeur portière se cacha pour ne pas leur ouvrir la
porte de sortie. Six autres religieuses partirent pour
l'exil; quinze étrangères au couvent furent intro-
duites faubourg Saint-Jacques. Plusieurs demeu-
rèrent parmi les irréductibles : « l'une d'elles, in-
firme, la soeur Frégery, mourut en refusant les sacre-
ments, qu'il lui fallait obtenir par une soumission à la
bulle; elle fut enterrée sans les prières de l'Eglise».
.\insi se termina cette malheureuse lutte. Fran-
çois Rousseau, tout en reconnaissant la difficulté
(le la lâche du prieur, dom La Taste, craint qu'il
n'y ait été inférieur et lui reproche d'avoir dé-
ployé dans ses requêtes un zèle tatillon et d'avoir
manqué de diplomatie et d'esprit de charité.
Quarante ans s'étaient à peine écoulés depuis ces
tristes incidents que la paix du Carmel était troublée
en même temps que la paix religieuse de tout le
royaume par le décret de l'Assemblée constituante
du 25 octobre 1789, portant que « toute émission de
vœux serait suspendue dans les monastères de l'un
et l'autre sexes ». Les carmélites de la rue de Gre-
nelle, agissant au nom de toutes les carmélites de
h'rance, envoyèrent une ardente protestation h l'As-
semblée: « On aime à publier dans le monde que
les monastères n'enferment que des victimes lente-
ment consumées par les regrets; mais nous pro-
testons devant Dieu que, s'il est sur la terre une
véritable félicité, nous en jouissons à l'ombre du
sanctuaire et que, s'il fallait encore opter entre le
siècle et le cloître, il n'est aucune de nous qui ne
ratifiât encore son premier clioix... » Les autres
protestations semblables émises par chaque monas-
tère n'empêchèrent pas l'Assemblée de persévérer
dans sa politique: le 15 février 1790, un nouveau
décret abolissait les ordres religieux.
Le 15 juin, trois officiers de police municipale
purent dresser un premier inventaire des biens du
couvent et ouvrir les portes aux religieuses qui y
auraient été enfermées contre leur gré. Naturelle-
ment, les religieuses furent unanimes à dire comme
la prieure, la mère Louise de Gonzague : n Pour
l'amour de Dieu, tout purement, j'aîembrassé l'état
de carmélite; j'y veux persévérer et mourir. »
Le fondé de pouvoirs de la communauté avait, le
27 février précédent, déclaré à II lotel de Ville que les
revenus bruts du couvent s'élevaientà 52.741 livres,
soit 23.543 en maisons, 20.050 en terres et fermes,
7.437 en rentes perpétuelles, 1.711 en rentes via-
gères. Les charges comprenaient: 720 fondalîons
de messes; 5.287 livres de renies; 16.206 livres de
réparations et autres charges. Parmi les immeubles
appartenant à la communauté, figurait notamment
celui sis à côté de la porte d'entrée du Carmel, au
n° 98 du faubourg Saint-Jacques (actuellement 282
de ladite rue). L'étroite façade, d'aspect misérable,
était habitée par d'humbles artisans; mais une voûte
assez longue donnait accès à une avant-cour, puis à
la cour d'honneur de l'hôtel de Villefort, lequel était
N" 144. Février 1919.
loué de 3.000 à 4.000 livres suivant l'époque. Plu-
sieurs autres maisons du faubourg, longeant le jar-
din du couvent, appartenaient au monastère, dont
les terrains s'étendaient jusqu'à la rue de la Bourbe
(l'actuel boulevard de Port-Royal) et à la rue d'En-
fer (actuellement rue Denfert-Rochereau). A peu
près au milieu des jardins, on y voyait une petite
chapelle, dans laquelle les religieuses venaient sou-
vent prier après leur travail et leur délassement;
c'est cette chapelle qu'on remarque actuellement
rue Pierre-Nicolle et qui est connue sous le nom de
" chapelle de M"» de La Valliére », encore qu'on ne
puissey rattacher aucun souvenir de la sœur Louise
de la Miséricorde. Le seul immeuble de la rue
d'Enfer dont les religieuses aient tiré profit est
mitoyen de l'hôtel de Villefort; il est dénommé gé-
néralement « hôtel de Chaulnes», du nom du loca-
taire qui l'habita dix-huit mois à peine et qui y
mourut le 23 septembre 1769.
Le procès-verbal des commissaires de la ville a
consigné le grand nombre d'objets de valeur artis-
tique (sculptures et surtout peintures) qui ornaient
le couvent : on y relève plusieurs tableaux de Phi-
lippe de Cliampaigne, de nombreuses œuvres de ses
élèves, quelques toiles de Lebrun, de multiples
copies de chefs-d'œuvre de la Renaissance et du
xvii' siècle. Qu'advint-il de toutes ces richesses?
On ne sait : quelques-unes seulement furent retrou-
vées après la tourmente révolutionnaire; le plus
grand nombre disparurent. Les religieuses, que la
nouvelle des massacres du 2 septembre 1792 n'avait
pas décidées à abandonner leur clôture, durent
quitter le faubourg Saint-Jacques le 29 du même
mois; elles se séparèrent, rentrèrent dans leurs
familles, ou se réfugièrent chez des personnes cha-
ritables. Cependant, grâce à l'ingéniosité et à la
prudence de la prieure Louise de Gonzague, elles
conservèrent entre elles un lien constant ; elles trouvè-
rent même moyen d'avoir quBli]ues pieuses réunions.
Le 18 octobre 1802, les survivantes eurent la joie
de pouvoir réintégrer leur ancien Carmel, bien
morcelé et privé de son ancienne église, démolie
en 1798. Le percement de la rue du Val-de-Grâce,
en 1797, séparait des bâtiments les anciens jardins,
qui avaient été dépecés. Le gouvernement de la
Restauration fit restituer au couvent plusieurs des
tableaux et des statues qu'on put retrouver, soit au
musée des Petits-Augustins, soit ailleurs. Une cha-
pelle fut construite plus près de la rue d'Enfer
I.a duchesse de La Vallit^rc, devenue Louise J^ : . .': ;.^u;dL', ■
en costume de carmtWite (gravure du Icmiibj.
que l'ancienne; quant à l'antique crypte, située &
10 mètres au-dessous du sol, elle "fut restaurée
avec soin : la tradition ne rapportc-t-elle pas que
saint Denis s'y réfugia, que saint Ignace et saint Fran-
çois de Sales y olficièrent? Les morcellements de
ces dernières années, le prolongement de la
rue Pierre-Nicolle, la respectèrent : elle subsiste,
une nouvelle fois restaurée en 1895, sous la chaus-
sée de cette dernière voie.
«• tA4. Février 1919.
A la suite de la loi sur les associations de 1901,
les carmélites durent délinitivement quitter le cou-
vent de l'Incarnation, dont les restes, à moitié
abandonnés, ont quelque peine à rappeler son glo-
rieux passé. — Pierre Rain.
Cbemin ou Route des Dames, route
carrossable du département de l'Aisne, courant sur
les plateaux qui couronnent les hauteurs de Graonne,
entre Aisne et Lette.
Entre .'es plaines sèches, infertiles et à peine
peuplées de la Champagne pouilleuse et les plateaux
surélevés de la Brie et du Tardenois, aux terres
humides et fécondes, à la population plus dense,
s'intercale une bande étroite de terrains montueux
et ravinés, un talus très caractérisé, surmonté d'une
corniche et dont le ressaut est plus ou moins amorti
par les éboulis. C'est une de ces auréoles du bassin
parisien, qui, depuis les coteaux de l'Ile-de-France
jusqu'aux côtes de Meuse et de Moselle, vont tou-
jours prenant plus d'amplitude, en même temps que
plus de hauteur.
La falaise de Champagne ou de Champagne-Brie
(tels sont les noms que les géographes donnent à
ce talus) est assez nettement marquée depuis le
confluent de la Seine et de l'Yonne jusqu'à celui de
LAROUSSE MENSUEL
50 ou 60 mètres au-dessus des bords marécageux de
l'Aisne. Mais, ensuite, quelle muraille à escalader,
— une muraille percée de ces véritables meurtrières
que sont les entrées des galeries naturelles {creuttes,
boves) creusées pur le travail des eaux au sein de
ces coteaux calcaires, puis agrandies par l'exploi-
tation humaine I... C'est seulement après avoir dé-
passé la ligne des villages et gravi le second palier
que l'on arrive sur le plateau où court le Chemin
des Dames.
Plateau âpre et rude, dont l'aspect contraste avec
celui des vallons encaissés de l'Aisne et de la Lette,
k la végétation épaisse et drue d'arbres et d'herbes,
comme aussi avec la luxuriance de la banquette
intermédiaire. Les vents s'y combattent, et la tem-
fiéralure y est sévère — les iicms des fermes de
a Malmaison, Froidmont et Hurtebise en fournis-
sent les preuves; pas d'arbres pour l'ombrager;
ce ne sont que champs où poussent fort bien les
céréales.
C'est donc h travers les blés que se succèdent,
sur plus de vingt kilomètres, les différents tronçons
du Chemin ou Route des Dames. Cette route s'em-
branche sur la grande roule de Paris à Maubeuge
par Soissons et Laon, un peu après le moment où
celle-ci (au Moulin de Laliaux) a modifié la direc-
689
est blotti dans les bois aa versant opposé du plateau.
Quel sol historique que celui de cette commune,
avec son célèbre bâtiment voûté de la lin du xii* siè-
cle, qui servit de cellier aux moines de l'abbaye
cistercienne de Vauclerr {Valtis clara), fondée
en 1134, avec la ferme Hurtebise I Ni Troyon, simple
écart de la comjnune de Vendresse-et-Troyon, ni
Cerny-en-Laonnois (183 hab.), l'ancien Cesurnicum,
la patrie du grand évêque de Reims, saint Rémi,
lier de son intéressante église du x« ou du xi« siècle,
ne sont davantage traversés par la Route de»
Dames; ils s'en tiennent à quelque distance, plus
ou moins, comme le font, plus à l'ouest encore,
Courtecon (73 hab.) et Braye-en-Laonnois(83 hab.),
puis Ostel (189 hab.) et ses vieilles ruines, commis
Filain (176 hab.), avec son église du xin« siècle et
son pèlerinage de sainte Berthe, comme Pargny-
Filain (248 hab.), Aizy, Jouy et Vaudesson. Seules,
des fermes aux noms aujourd'hui célèbres rompent
la monotonie de cette longue plate-forme tabulaire :
le Panthéon, les Bovettes, la Royère, Froidmont,
Malval, laCreute et Hurtebise, auxquelles s'Moute
une sucrerie, à peu près à égale dislance de Cerny
et de Troyon. Quelques-unes de ces fermes, l'épine
de Clievregny,rarbre deCerny, voilà les sculsjalons
que l'on rencontre en suivant la Route des Dames
Chemin ou Route des Dames.
la Serre avec l'Oise. Aucune homogénéité dans les
dilTérenles parties de ce talus tertiaire; les terrains
qui le composent n'appartiennent pas tous au niéme
étage: ils affectent, par suite, des formes très variées
et une valeur topograhique inégale dans le Monlois,
la Montagne de Reims, les hauteurs de Graonne et
la forêt de Saint-Gobain, c'est-à-dire dans les diffé-
rentes sections, aux noms spéciaux, de cette falaise
tertiaire.
Le Chemin des Dames ou Boute des Dames court
sur la majeure partie de la tioisième de ces sec-
lions, celle des coteaux de Graonne.
On connaît la situation de ces hauteurs : elles se
développent d'est en ouest, entre l'étroit couloir —
large en moyenne d'un kilomètre — de l'Aisne au
sud et, au nord, le fossé boueux de la Lette ou
Ailette; le ruisseau de la Miette, qui se jette dans
l'Aisne en aval de Berry-au-Bac, et celui qui prend
sa source près de LalTaux pour confluer avec l'Aisne
à Soissons en marquent respeclivement les extré-
mités orientale et occidentale.
On sait aussi quel en est l'aspect : les coteaux de
Graonne ne s'élèvent pas à de grandes altitudes et
ne dépassent pas 200 mètres (197 m. & la Croix-
sans-Têle; 200 m. à la Multe-au-Vent, qui domine
Vauclerc); mais, comme ils sont découpés, ces co-
teaux calcaires, dont les pentes abruptes ont mérité
d'être qualiflées de /'a/aise*.' Que de caps aigus et de
véritables éperons, que de corniches, que de bal-
cons! Certes, la muraille ne se dresse pas toujours
d'une seule pièce; elle se compose parfois de deux
parties, dont la première, l'inférieure, de pente
moins raide, s'élève à flanc de falaise jusqu'à
lion nord-est qu'elle tient depuis Soissons pour
incliner davantage vers l'est. Elle commence entre
les fermes de l'Ange-Gardien et de la Malmaison
et va jusqu'aux environs de Cerny et de Troyon;
de là, elle se poursuit jusqu'à la ferme Hurtebise,
où elle finit. Un de ses prolongements pousse au
nord, par delà 1' .Miette, jusqu'à Bouconville et au
château de la Bove ; vers le sud, un autre gagne
Craonnelle, à travers le plateau singulièrement dé-
coupé qui termine du côté de l'est les hauteurs de
Graonne, et descend enfin, à travers le bois de
Beaux-.Marais, dans la vallée de l'Aisne, à Ponta-
vert, après avoir lancé sur sa droite un embran-
chement jusqu'à Beaurieux.
Aucune localité vraiment importante sur cette
route, dans laquelle on a vu avec raison le « che-
min de ronde » des hauteurs de Graonne; aucune
localité vraiment importante, non plus, aux alen-
tours, sauf Graonne (608 hab. en 1911), qui en est
déjà à plusieurs kilomètres. Pontavert, où un pro-
longement du Chemin des Dames rejoint la roule
qui court vers l'est depuis Soissons, en remontant
la l'ive droite de l'Aisne, n'est qu'une commune de
389 habitants, avec un port sur le canal latéral à
l'Aisne. Plus au nord-ouest, Craonnelle (217 hab.)
est déjà sur la pente des tables dont l'ensemble
constitue le plateau de Graonne. Un peu plus loin,
par delà le chemin qui descend dans la vallée de
l'Aisne vers Beaurieux (618 hab.), voici Oulches
(146 kab.), non plus sur la route elle-même, comme
Graormelle, mais au penchant méridional et au pied
du plateau. De même en est-il de Vauclerc-et-la-
Vallée-Foulon (82 hab.), dont le centre communal
sur les tables dénudées et plus ou moins élroites
qui surmontent les hauteurs de Graonne.
Convient-il de faire honneur de la construction
de ce chemin au comte de Narbonne, le chevalier
d'honneur de Madame Adéla'ide, le ministre de la
guerre de la monarchie expirante? On ne saurait
l'affirmer. Sans doute a-t-elle pour garants d'ëmi-
nents historiens, cette tradition d'après laquelle la
Route des Dames aurait été tracée et exécutée
vers 1770 par Louis de Narbonne, pour permettre
aux filles de Louis XV, aux « Dames de France »,
de se rendre en carrosse à son château de la Bove,
sur la rive droite de la Lette; mais le comte de
Narbonne, né le 24 août 1755, était bien jeune
aux alenlours de 1770, et le Chemin des Dames
courait, avant celte époque déjà, sur la plate-forme
qui termine les hauteurs de Graonne. De très bonne
heure, une voie romaine avait utilisé les sommets
tabulaires, plus ou moins resserrés, de ces coteaux ;
plus d'une fois, les religieuses de Soissons ou de
Laon les avaient foulés pour gagner l'abbaye de
Vaucler OTi Vauclair, comme aussi les dames de
Proisy (non'Ioin de Guise) pour gagner, depuis la
grande route de Maubeuge à Paris, leur château de
la Bove. N'est-ce pas à elles, beaucoup plus qu'aux
filles de Louis XV, que se rapporte le nom de
« Route des Dames », parce que les unes ou les
autres l'auraient entretenue, ou tracée en partie?..
Quoi qu'il en puisse être exactement, seuls, avant
la Grande Guerre — dictionnaires et guides'>n font
foi — les gens du pays connaissaient l'existence
et le nom de ce chemin, aujourd'hui si célèbre.
Est-ce à dire que, jusqu'à cette époque, le p»vs
690
traversé, desservi par la Roiile des Dames, n'avait
pas été le Ihéâtre d'événements historiques consi-
dérables? On aurait grand tort de le penser. Les
hauteurs de Graonne font, en effet, partie d'un
vaste champ de bataille, aussi vieux que l'histoire
de France — deux fois millènaii-e, par conséquent
— de cette région de plaines et de plateaux dont
le principal cours d'eau est la rivière de l'Aisne,
« l'articulation (suivant une heureuse expression
de Gabriel Hanotaux) qui rattache les provinces
orientales aux provinces septentrionales » de la
France.
La preuve en est dans les célèbres Commentaires
de Jules César sur la guerre des Gaules. Que la
place forte bâtie par les Rémois — les Belges du
pays de Heims — pour couvrir leur capitale contre
les attaques possibles de leurs voisins de l'Ouest,
que Bibrax ait été Beaurieux, ou, à la source de la
Miette, ce'Vieux-Laon qui possède un « camp des
Romains", ou encore, au delà de l'Ailelle, Bièvres,
sur la rivière du même nom, peu importe ici. Mais
il importe de retenir que les autres Belges n'ont
pas voulu laisser César occuper celte solide place
forte, quand elle lui eut été livrée par les Rémois:
force fut au général romain, pour s'en emparer, de
livrer bataille à ses adversaires sur les dernières
Fentes des hauteurs de Craonne, immédiatement à
est de la branche méridionale de la fourche des-
sinée à partir de la ferme Hurtebise par les prolon-
gements divergents du Chemin des Dames. C'est
entre Berry-au-Bac et Pontaverl qu'en 57 avant J.-C.
César battit, sur les bords marécageux de la Miette
et de l'Aisne, quelques détachements de la puis-
sante armée belge campée en face de lui en avant
de la 'Ville-aux-Bois; c'est encore dans les mêmes
parages qu'il détruisit l'arrière-garde de celle même
armée, quand le succès du mouvement tournant
prescrit par lui à l'Eduen Divitiac eut contraint les
Bellovaques — 60.000 combattants, dit César — do
se retirer pour prolégerleur propre territoire. Alors,
les autres confédérés belges de se replier, sans dé-
fendre davantage, sur les pentes orientales des co-
teaux de Craonne, la vallée de l'Aisne et la capitale
des Suessiones (Soissons) ; alors, le grand général
romain de faire payer cher aux derniers d'entre
eux les velléités de résistance des peuples de la
Gaule Belgique.
C'est par la vallée de l'Aisne, et non pas par les
hauteurs sur lesquelles se déroule la Route des
Dames, que César, victorieux des Belges comme on
vient de le voir, a gagné Soissons; Jeanne d'Arc, au
contraire, a chevauché sur les plateaux, quand, après
le sacre de Charles VII à Reims (17 juillet 1429), elle
a entrepris de compléter le triomphe de la royauté
française en lui soumettant le foyer de rési.stance
anglo-bourguignonne qui existait encore dans les
vallées de l'Aisne et de l'Oise et couvrait Paris.
De Corbény, la vieille résidence royale, l'ancienne
villa des souverains mérovingiens, assise au pied
du plateau de Craonne sur la route de Reims à
Laon, elle est montée sur la Route des Dames,
qu'elle a suivie sur tout son parcours avant de des-
cendre dans la vallée de l'Aisne à Vailly, pour y
recevoir les clefs de Laon.
Napoléon I^'^ lui, a lutté contre les Alliés, en
mars 1814, à la fois dans la plaine et sur les coteaux,
avec les jambes de ses soldats et avec leurs armes.
Il a débuté par lutter avec les jaml)es de ses sol-
dats, après que Bliicher se fut engagé sur la grande
route de Coulommiers avec l'intention d'enlever
Paris par un coup de main (24 février) ; il a renoncé
à poursuivre plus loin que Troyes les Autrichiens
de Schwarzenberg et s'est alors retourné contre les
Prussiens de Bliicher — sur la Marne et l'Ourcq —
renforcés par les Russo-Prussiens de Biilow et par
les Russes de Winzingerode, opérant les premiers
sur l'Oise et les seconds sur l'Aisne. Audacieuse-
menl, il a entrepris de leur couper la retraite en
occupant les diiïérentes parties du massif à l'ouest
duquel le désir d'enlever la capitale avait entraîné
Bliicher et en les maintenant dans les replis du
fond de cuvette du i< bassin parisien ».
Quand la néfaste capitulation du « misérable »
général Moreau à Soissons (3 mars) eut empêché
Napoléon l""' de réaliser son dessein primitif et
l'eut contraint de refondre ses plans, il forma le
projet de tourner par l'est les hauteurs de Craonne
pour gagner Laon ; appuyé sur celte redoutable for-
teresse, il attendrait l'ennemi. Mais Bliicher devina
ce dessein et résolut d'attaquer Tannée française
de flanc, au cours de sa marche. Force fut donc à
l'Empereur de modifier encore une fois ses pro-
jets. Ses adversaires occupaient les hauteurs sur les
deux rives de la Lette, de Paissy et Cerny jusqu'à
Craonne sur la rive gauche, de Bruyères à Festieux
sur la rive droite; il fallait les en déloger et les
rejeter sur Laon, au lieu de les attaquer quand ils
arriveraient devant cette ville. ..Voilà pourquoi fut
engagée par Napoléon 1" la balaille de Craonne.
On sait quelles en furent les péripéties. Sans
grande difflculté, les Alliés furent délogés des pre-
mières pentes, du château de la Bove et du bourg
de Craonne, comme aussi du couloir que constitue
la vallée même de la Lette jusque vers l'abbaye de
LAROUSSE MENSUEL
Vauclerc et le ravin portant le nom de « trou de
la Demoiselle ». Mais il fallait faire davantage et
chasser les Russo-Prussiens du plateau lui-même,
et non pas seulement du plateau de Craonne, mais,
plus à l'ouest, des tables sur lesquelles passe, au
delà de l'isthme d'Hurtebise, la Route des Dames.
Or, voilà ce que Bliicher avait décidé d'empêcher.
Résigné à laisser à l'Empereur, s'il était nécessaire,
la possession des trois compartiments dont l'en-
semble porte le nom de « plateau de Graonne », il
avait porté tout l'elfort de la défense sur l'isthme
étroit d'Hurtebise, c'est-à-dire sur l'étranglement
large de 130 mètres qui, seul, entre le ravin du
« trou de la Demoiselle », au pied de la Mutte-
au-Vent, et celui, plus abrupt encore, du <i trou
d'Enter » rattache le plateau de Craonne au reste
des hauteurs du même nom. V&iue précaution !
Sans doute, la bataille fut-elle très dure et, le 6 mars,
les Russo-Prussiens parvinrent-ils à se maintenir
sur le plateau de Graonne et à la ferme Hurtebise,
qu'ils perdirent et reprirent trois l'ois; mais, le 7,
ils furent délinitivement battus. Grâce aux indica-
tions du maire de Beaurieux, Bussy, son ancien
camarade à La Fère, qui connaissait le pays jusque
dans ses moindres recoins. Napoléon l"' put tirer
parti des sentiers les plus favorables. Le courage
des « Marie-Louise » de Boyer de Rebeval, les ef-
forts des Ney, des Victor, des Priant, les marécages
de la Lette où s'embourbèrent, puis les pentes gla-
cées des coteaux sur lesquelles glissèrent les soldats
de Winzingerode, enfin la Vieille Garde et ses ca-
nons firent le reste. Bliicher dut évacuer les plates-
formes des coteaux de Craonne et les étroites vallées
de l'Aisne et de la Lette, qui les encadrent, « mené
tambour battant (a écrit Napoléon l" à Berthier)
sous la mitraille de cent pièces de canon depuis
Craonne jusqu'à l' Ange-Gardien ».
Ce n'est pas ici le lieu de rappeler les événements
des jours suivants et l'échec de Napoléon l'f devant
Laon; cet article traite, en effet, non pas de l'en-
semble du terrain sur lequel le grand Empereur
voulait faire manœuvrer ses armées, de Compiègne
à Reims et de Soissons à Rethel, mais, uniquemeul,
de la Route des Dames et des hauteurs sur lesquelles
elle court. Or, à partir du 8 mars 1814, les collines
situées au sud de la Lette ne sont plus, au cours de
la campagne de France, le théâtre d'événements
historiques; la lutte s'est transportée plus au nord,
de l'autre côté de la rivière, sur les plateaux les
plus rapprochés de « la grande redoute » de Laou.
Très bref a donc été ce nouvel épisode, l'épisode
napoléonien, de l'épopée historique de la Route des
Dames; il en va tout autrement de l'un au moins
de ceux dont nous venons d'être les témoins, au
cours de la grande guerre de 1914-1918.
Par trois fois, au cours de cette guerre, les co-
teaux de Craonne et la Roule des Dames ont été
l'enjeu toujours et, le plus souvent aussi, le terrain
de batailles considérables et de luttes opiniâtres;
jamais, toutefois, combat ne fut plus long ni plus
acharné que celui dont les dates extrêmes sont les
12-13 septembre 1914 d'une part et les 24-25 octobre
1917 de l'autre. Pendant 1.136 jours, avec des alter-
natives d'accalmie et de recrudescence, Anglo-Fran-
çais et Allemands se disputèrent la possession du
petit massif délimité au nord et au sud par les
deux étroits fossés de la Lette et de l'Aisne. Il ne
saurait, bien entendu, être question de rrconter
avec quelque détail, à cette place, l'histoire de ces
différentes batailles; mais, du moins, convient-il
d'en marquer les traits essentiels.
La première a commencé au lendemain même
des immortelles vicloires de la Marne et de l'Ourcq,
alors que les Allemands, battus, s'éloignaient, la rage
au cœur, de Paris, où ils s'étaient flattes d'entrer
avec la plus grande facilité. Poursuivis par des ar-
mées cruellement éprouvées, fatiguées — ou plutôt
même exténuées — par une épuisante série de mar-
ches et de combats (dix-sept jours consécutifs, du
25 août au 10 septembre) et n'ayant plus de cava-
lerie, les envahisseurs ne tardèrent pas à se res-
saisir. Une fois parvenus sur les hauteurs de l'Aisne,
ils résolurent de tirer parti de celle formidable for-
teresse naturelle. Lorsque le maréchal , alors gé-
néral) Joffre donna à ses collaborateurs l'ordre de
la tourner à la fois par l'est iFranchet d'Esperey)
et par l'ouest (Maunoury), ceux-ci, insufllsammenl
soutenus par une partie de leurs propres soldats et
par quelques-uns des chefs qui commandaient les
troupes intermédiaires, ne purent pas réaliser la
tâche qui leur avait été assignée. Pour une de ces
mêmes raisons, c'est-à-dire par suite de l'extrême
prudence du maréchal French, les succès obtenus
du 13 au 16 septembre par le général de Lamaze au
nord de Soissons (à Guffies et à Crouy) et par le
général de Maud'huy sur les différentes tables du
plateau de Craonne jusqu'à l'Ailette demeurèrent
sans lendemain. Enfin, l'arrivée des troupes alle-
mandes du VII' corps victorieuses à '^laubeuge et
leur intervention dans la balaille (17-21 septembre),
l'impossibilité où élaient les Français, avec leur
seule artiMerie de campagne et avec la « crise des
munitions », — à peine 300 coups par pièce, — de
riposter à l'artillerie lourde et à longue portée des
«• 144. Février 1919.
Allemands, eurent bientôt pour conséquence non
pas l'arrêt, mais la transformation de l'action.
De la bataille de mouvement rêvée par Joffre, la
balaille de l'Aisne, ou, pour rester plus exactement
dans les limites de cet article, du Chemin des Dames
devint une balaille de fixation ou d'accrochage;
pour permettre aux armées françaises de gauche, en
formation, de ne pas être débordées, ou même,
fieut-êlre, de déborder l'ennemi, les Anglo-Françait
e retinrent résolument dans ses positions, du 22 au
30 septembre. Puis, avant constaté qu'ils ne pou-
vaient pas chasser les Allemands de leurs positions,
mais leur ayant, par contre, prouvé qu'on ne pouvait
pas les déloger eux-mêmes des leurs propres — les
« déraciner », a dit un officier allemand — ils « s'en-
terrèrent » dans les tranchées.
Dès lors, la balaille s'apaise ou, plutôt, s'adoucit,
sans jamais cesser complètement; parfois, dans les
mois suivants, de très vifs incidents, de brusques
réveils provoqués tantôt par nous-mêmes et tantôt
par l'ennemi (perle de Vailly le 8 novembre 1914,
perte de toute la rive droite de l'Aisne devant Sois-
sons le 13 janvier 1915) prouvent que la lutte dure
toujours et se poursuit sans trêve aucune. C'est que
l'Alleinand n'a nullement abandonné l'idée de la
marche sur Paris; il voit dans les hauteurs de
l'Aisne, dont fait partie la plate-forme du Chemin des
Dames, le gigantesque tremplin — celle heureuse
expression est de Louis Madelin — d'où, solidement
reconstitué, il pourra reprendre son élan vers l'Ile-
de-France après avoir sauté par-dessus le fossé —
la ligne des tranchées — creusé par les soldats fran-
çais au pied des hauteurs de Graonne et des autres
falaises de l'Aisne.
L'histoire dira un jour qui, de Joffre ou de l'étal-
major allemand, a contraint son adversaire à subir
la guerre de tranchées; peut-être, contrairement à
l'opinion commune, monlrera-t-elle dans la « forte
tête » du généralissime français — un sapeur, il faut
s'en souvenir — celui qui, pour remédier à la crise
de l'artillerie lourde et des munitions et pour gagner
le temps nécessaire à tous égai Is, a su imposer
cette sorte de guerre à nos ennemis. Quoi qu'il en
soit, l'Allemand a commencé de bonne heure d'amé-
nager de la façon la plus favoraole pour la défensive
les falaises calcaires des hauteurs de Graonne, et il
en a perfectionné les creultes et les boves. Il ne
l'avait pas fait avant la guerre, bien que l'on ait
affirmé le contraire; il ne l'avait pas fait davantage
avant ses défaites sur la Marne et sur l'Ourcq ; mais,
ensuite, conseillé par des attachés techniques, parces
experts en géologie dont nos officiers refusent dédai-
gneusement les services, il n'a pas tardé à tirer parti
de toutes les facilités que lui offrait un sous-sol d'où
sont sorties les pierres de tant de cathédrales, d'ab-
bayes et de châteaux forts. Aussi les difficultés
à surmonter ont-elles été énormes, le jour où,
au printemps de 1917, l'état-major français s'est
décidé à entreprendre ce que personne n'avait
encore osé tenter, lorsqu'il a résolu de conquérir
les hauteurs de Craonne en les attaquant de front,
depuis la vallée de l'Aisne entre Soissons et
Berry-au-Bac.
On sait quelles furent les péripéties de cette ba-
taille de géants (comme eût dit Napoléon I"''), ou
plutôt de cette dernière phase d'une véritable bataille
de géants. C'est à peu près de ces mêmes positions
où les engagements de 1914-1915 avaient fai.ssé les
Anglo-Français que partirent nos soldats, demeu-
rés seuls depuis longtemps déjà sur toute cette
partie du front. Du 16 avril 1917, date où la lutte
reprit subitement, jusqu'au 25 octobre suivant, en
plus de six mois, par conséquent, ils réalisèrent la
conquête des hauteurs de tiraonne par une série
d'assauts successifs qui leur doiiuèreul d'abord la
possession du premier palier dont il a été question
au début de cet article, puis les accrochèrent aux
pentes et les menèrent, finalement, jusqu'à la Route
des Dames, c'esl-à-dire aux points culminants des
plateaux. La liitle — dans les détails de laquelle on
ne saurait entrer — a élé menée simultanément du
sud au nord et d'est en ouest, avec une patience
et une énergie vraiment surhumaines; elle a permis
aux assaillants de s'emparer d'abord (4 mai et jours
suivants) des trois tables du plateau de Craonne —
plateaux de Californie, des Casemates et de Vau-
clerc— puis de certains autres points culminants,
qui dominent la vallée de 'la Lette au sud d'Aillés
et de la forêt de Vauclerc; elle leur a donné peu à
peu, en poussant avec palience et ténacité la ligne
brisée de leurs tranchées de siège toujours plus
avant, la possession de toutes les autres parties de
la Route des Dames, plateaux et buttes. La conquête
a élé achevée quand elle eut été menée jusqu'à l'émi-
nence où, au nord de Coudé, fut autrefois bâti un
fort qui était en ruine au début de la guerre et
jusqu'à la ferme de la Malmaison (24-25 octobre).
Hurtebise, Troynn et Brave-en-Laonnois, les fermes
Malval et Froidmont, l'épine de Chevregny, les
fermes de la Royère, des Bovetles et enfin de la
Malmaison, voilà les principaux points qui, sur les
pentes méridionales et sur les plateaux eux-mêmes,
furent les théâtres de luttes épiques, tant d'infan-
terie que d'artillerie, après la conquête des télés
1
N' 744. Février 1919.
(le pont et des villages de la vallée de l'Aisne :
OEuilly, Bourg-el-Comiii, Soupir, Vailly et Goiidé-
sur-Aisnc.
La conquête, jusqu'au ruisseau fangeux de la
Lelle, de la pins élevéj des lalaises de l'Aisne,
autrement dit de la Route des Dames, voilà donc
quel fui le résultat lopographique, chèrement acheté,
de la longue et pénible bataille de plus de onze cents
jours, dont nous venons de rappeler brièvement les
principaux épisodes. On pouvait croire qu'une fois
en notre possession, un tel rempart, si ditficilement
enlevé, d'une si grande importance militaire, se-
rait solidement tenu et ne retomberait plus aux
mains de l'ennemi. 11 n'en fut rien : dès le soir du
27 mai 1918, juste sept mois après l'achèvemont de
sa conquête, le Chemin des Dames était de rechel',
et presque sans combat, occupé à nouveau par les
Allemands. Comment un pareil fait peut-il s'expli-
quer? Comment, en un seul jour, le premier d'une
nouvelle offensive, les envahisseurs parlis de la
rive droite de la Letle ont-ils pu franchir la rivière,
escalader les pentes septentrionales des hauteurs
de Craonne, s emparer de tout l'ensemble des pla-
teaux, rejeter les Anglo-Français sur la rive gauche
de l'Aisne et même franchir cette rivière entre
Vailly et Berrv-au-Bac? « Accident de guerre », a
dit le grand clief qu'est le général — aujourd'hui
maréchal — Pétain... En fait, ce malheureux" acci-
dent de guerre » s'explique par bien des ca.ises :
par la croyance où l'on était que le Chemin des Dames
se défendrait pour ainsi dire tout seul ; par l'état
de fatigue des troupes britanniques et françaises —
eu nombre relativement restreint, d'ailleurs — éta-
blies de ce côté en quelque manière au repos, après
avoir subi les plus dures attaques allemandes, en
mars et avril, du côté de Monldidier et plus au
nord. Soumises par surprise à un bombardement
par obus toxiques et destructeurs dune extrême
violence, ces troupes, qui étaient un peu en l'air,
durent céder le terrain de couverture, c'est-à-dire
la première zone de combat — dans l'espèce le Che-
min des Dames — où les Allemands se rétablirent
immédiatement en maîtres, avec l'espoir de pour-
suivre de là, sans tarder un seul jour, leur marche
victorieuse dans la direction et jusque sous les
murs de Paris.
On sait qu'il n'en fut pas ainsi ; on sait aussi que
les Allemands ne demeurèrent pas de longues an-
nées ni même de longs mois, comme naguère, pos-
sesseurs du Chemin des Dames. Dès le 18 juillet,
trois jours après le début d'une nouvelle offensive,
dirigée par nos ennemis un peu plus à l'est, du
coté de Reims et jusqu'à l'Argonne, la situation se
modifiait brusquement du tout au tout; d'allaqués,
les soldats de l'Entente devenaient attaquants et
commençaient cette admirable série de coups de
bélier, méthodiquement portés au bon moment à
l'endroit voulu, sous la puissance desquels se sont
rapidement effondrées les dilférentes lignes de dé-
fense de nos ennemis.
Les hauleurs de Craonne faisaient partie d'une
de ces ligues, la célèbre « ligne Hindenburg », et
il appartenait à l'armée Mangin de s'en emparer.
De cette lâche cette armée de choc sut admirable-
ment s'acquitter, quand, en s'avançant d'ouest en est
depuis l'Oise, elle fut parvenue par les deux vallées
de la Lelte et de l'Aisne jusqu'à la hauteur du Che-
min des Dames. C'est à partir du 16 septembre,
date de la prise du mont des Singes et de Vailly
sur l'Aisne, que commence vraiment la reconquête
de la Route des Dames; alors, une série d'attaques
réitérées sur les plateaux au nord de l'Aisne
ramène bientôt les Allemands, le 28 septembre, à
l'est de la ligne Allemant-Jouy.
Dès cette date du 28 septembre, la reconquête est
amorcée par la prise du fort même de la Malmaison ;
grâce à la collaboration d'un corps de troupes ita-
liennes qui opère dans la vallée de l'Aisne au pied
même du plateau de Craonne et prend Soupir dès
le 30 septembre, puis gravit les pentes des coteaux,
grâce à la vigueur et au mordant des troupes de
Mangin, elle est rapidement réalisée. Conduite si-
r.mltanément dans les vallées et sur les plateaux
dans un sens opposé à celui de la conquête d'avril-
octobre 1917, elle est d'abord marquée par la con-
quête du vaste plateau d'Ostel (au nord de Vailly
et de Cbavoime) et par celle de Pargny-Filain le
30 septembre ; tôt après (10 octobre), la ligne du
canal (souterrain) de l'Oise à l'Aisne est dépassée,
et les plateaux sont occupés par nous jusqu'aux
environs de Cerny-en-Laonnois; deux jours après,
les Allemands ont évacué le reste des plateaux, et
l'armée Mangin arrive à Craonne en rtême temps
que, plus au nord-ouest, à 4 kilomètres de Laon,
qui succombe le 13 octobre.
C'est à cette date, toute proche de l'heure ac-
tuelle, que s'arrête l'épopée de la Route des Dames,
une épopée dont les chants les plus importants et
les plus beaux sont les plus contemporains, les épi-
sodes d'avant-hier et d'hier. Ils méritent d'être
racontés en grand détail; ils méritent d'être, comme
l'était nnifuye la bataille de 1814 par le « monu-
ment d Hurtebise », commémorés par une véritable
série d'œuvres architecturales et sculpturales, éri-
LAROUSSE MENSUI-L
gées sur tous les points d' « un canton historique
jusque dans ses plus petites communes ». Les com-
bats du Cliemin des Dames, ou, pour parler plus
exactement, des hauteurs de Craoïme, tiennent, en
effet, une place à part dans ces grandes « batailles
de l'Aisne », qui, engagées par Joffre et par ses
successeurs depuis l'Oise jusqu'à la Suippe, ont eu
pour objet — sinon pour résultat — de rejeter sur
la Meuse les années allemandes parvenues à travers
la Belgique jusqu'aux derniers remparts de l'Ile-
de-France, sinon de la cuvette parisienne elle-
même. — Henri Froidbvaux.
cIlOC n. m. (de nombreux auteurs écrivent
skocli, sans que cet emploi d'un mot étranger soit
légitimé par une différence de sens quelconque).
Méd. Etat particulier d'asthénie grave, proche du
collapsus et observé chez les blessés (notamment les
blessés de guerre) et chez certains commotionnés
physiques ou moraux.
— Encycl. C'est surtout l'observation des grands
blessés de la guerre qui nous a permis d'étudier le
choc. Mais, avant celte période, on l'avait déjà noté
chez certains sujets blessés à la poitrine et dans
mainte autre circonstance. Les caractéristiques
symptomatiques du choc sont certainement le point
sur lequel les avis concordent le mieux. Ce sont :
la chute de la pression artérielle, la rapidité et la
faiblesse du pouls, l'hypoesthésie, la diminution
des réflexes cutanés, la respiration superficielle et
irrégulière, l'abaissement de la température, la
pâleur de la face, la sensation de faiblesse profonde
et la dépression psychique.
Cette description mise à part, il n'est peut-être
pas de phénomène pathologique qui ait donné lieu
à plus d'interprétations et à des explications plus
divergentes. Pour les uns, il s'agit d'un accident
nerveux; d'autres admettent que le point de départ
est respiratoire, cardiaque, vasculaire, sanguin,
glandulaire, etc. La chute du tonus nerveux a été
invoquée par beaucoup. Certains estiment que le
mécanisme pbysiopathologique du choc est toujours
sons la dépendance du système sympathique, d'une
part, et, de l'autre, de l'Iiypofonctionnement des
glandes à sécrétion interne et, notamment, des
glandes surrénales. De récentes conclusions, enfin,
le déclarent conditionné par une intoxication. On
peut, croyons-nous, d'après les derniers travaux
l)arns et d'après les discussions qui ont eu lieu ré-
cemment à la Société de chirurgie et à la Société
de biologie, établir tout d'abord une classification
fondée sur les différences entre les genres de choc,
en fonction du moment où ils se déclarent par
rapport à l'instant de la Blessure.
On arrive ainsi à distinguer : 1° un choc immé-
diat, qui serait sois la dépendance d'un trouole
nerveux ou d'une hémorragie grave (ce serait une
variété très rare); 2" un choc primitif, qui peut être,
lui aussi, conditionné par des hémorragies, mais
également et surtout par uno intoxication (celle-ci
serait due à la résorption, au .liveau du foyer trau-
matique, de toxines microbiennes ou de poisons
dus à la protéolyse, destruction des matières pro-
téiques des tissus blessés); 3° un choc secondaire,
dû à un état infectieux, compliqué ou non par une
des causes précédentes.
On a fait remarquer avec juste raison que les
phénomènes présentés par les blessés victimes des
grandes hémorragies constituent un état particu-
lier dépendant beaucoup plus de l'anémie et de la
cliute de pression consécutives à la perte de sang
que d'un choc à proprement parler. D'autre part,
le froid et la fatigue, que quelques-uns ont présen-
tés comme pouvant donner lieu, à eux seuls, au
choc, apparaissent surtout comme constituant des
circonstances aggravantes ou prédisposantes. En
troisième lieu, le choc infectieux secondaire pour-
rait être considéré comme un simple collapsus par
infection, sans qu'il fût besoin d'employer à cet
égard un mot nouveau. Lapointe a observé très
justement l'antinomie qui existe entre le mot
Cl choc », réservé en général à un phénomène subit,
et la conception d'un choc secondaire, c'est-à-dire
tardif.
Pour ceux qui tiennent ces objections pour va-
lables, il ne resterait doue, comme origine du choc
proprement dit, que le phénomène nerveux et le
filiénoinène toxique. Encore serait-il admissible de
es unir en un seul, soit que l'on tienne que le
choc nerveux est encore une iiitoxicalion, soit
qu'au contraire on estime que 1 intoxicatiou n'agit
de la sorte que par voie nerveuse. C'est encore
sous une influence de ce genre que naîtraient le
choc moral et le choc aneslhésique. Cette action
sur le système nerveux par l'intermédiaire des ter-
minaisons superficielles ferait comprendre que le
choc soit parfois consécnlir à des altérations peu
profondes, connne les brûlures superficielles, mais
étendues. Elle rapprocherait le choc de l'inhibition,
laquelle se produirait, en pareille circonstance,
d'après Brown-Séquard, par arrêt des échanges
entre le sang et les tissus.
Quelque vague que soit encore la théorie actuelle
du choc, on a pu, cependant — et c'est évidemment
691
I un des points les plus intéressants — établir une thé-
rapeutique logique de cet état, qui est assez grave
parfois pour entraîner la mort du blessé. Il existe
d'abord une thérapeutique générale, destinée à parer
au danger le plus urgent et à remonter l'état du
sujet. Elle consiste à le réchaulTer, au moyen d'ap-
pareils à incandescence si possible, à lui adminis-
trer de l'adrénaline et à faire des injections d'huile
camphrée et de sérum artificiel, les premières
ayant été préconisées comme à peu près spécifiques
et les secondes ayant pour but de parer à l'hypo-
tiMision. Kn dehors de ce Irailement, il est indiqué
de supprimer le plus promptement possible la cause
du choc, afin de l'empéchcr de persister. S'il y a
hémorragie grave, c'est elle que l'on combattra
au plus vite. D'autre part, il semble que l'on soil
d'accord pour opérer les choqués avec rapidité,
annd'éviler la formation de toxines (protéolyliques,
disent les uns, microbiennes, assurent les autres),
au niveau des foyers de blessure. Celle opération
doit être « minimum, totale et immédiate ». Elle ira
jusqu'à l'amputalion du membre si la conservation
de celui-ci apparaît comme imposs.ble; peut-être
la fixation, par des topiques, des parties confuses,
pourrait-elle, cependant, permettre de la retarder.
Certains, d'autre pari, font des réserves sur l'in-
tervention, chez les blessés, de l'abdomen en état
de choc et considèrent l'expectation comme pré-
férable, à la. condition de ne pas dépasser un
certain laps de temps et d'exercer une surveillance
constante. — D' h. bouquet.
Corneille (Pierre), par Auguste Dorchain,
Paris, 1918 (prix Lasserre, décerné par l'Académie
Irançaise). — Il est peu d'écrivains qui soient à la
fois aussi universellement et aussi mal connus que
Corneille. Les cinq ou six chefs-d'œuvre qui ont rail
sa renommée ont, du même coup, rejeté dans l'om-
bre la plupart de ses autres pièces. De plus, ses tra-
gédies nous transportent dans un monde idéal si
éloigné du nôtre qu'on est porté à croire qu'il ne
s'y trouve trace de la personnalité intime du poète.
Au prix des existences magnifiques dont il a doué
pierre Corneille (tableaa de Lebrun).
ses héros, la vie de Corneille parait bien terne, et
l'on ne songe pas à chercher ce qui, dans celle-ci.
explique celles-là. Celte erreur n'est pas seulement
le fait d'indifféreiits ou d'ignorants; certains de nos
meilleurs critiques s'y sont laissé entraîner : Lanson
n'a-t-il pas déclaré en propres termes que « Corneille
n'a pas de biographie » !
Le défaut de la plupart des études sur Corneille
est donc d'envisager son théâtre d'une façon trop
objective et, pourrait-on dire, abstraite : voir en lui
le poète de la volonté, le théoricien du devoir, c'e^t
bien ; mais doit-on, pour cela, oublier qu'il a été aussi
un homme? N'y a-t-il pas, au contraire, profit à s'en
souvenir parfois? C'est précisément celte préoccu-
pation qui a guidé Durchain dans son travail. « De
celle œuvre si diverse, dit-il dans sa préface, je ne
séparerai point la vie du poète ». Il faut l'en féli-
citer, car cela lui a permis d'écrire, après tant
d'autres, sur Corneille un volume plein de choses
nouvelles et d'ingénieuses sufigestions.
Tout au plus pourrait-on lui reprocber de céder
parfois à l'enlrainement — bien légitime, d'ailleurs
— de son admiration pour l'auteur du Cid ; mettre
certaines strophes de la Vetwe au rang • des plus
sincèrement et des plus mélodieusement amoureuses
qu'il y ait dans notre poésie », voir • le suprême
692
degré de l'art de penser en vers, de formuler et de
chanter à la fois chez Corneille », dans sa traduction
de Vlmitalion, surtout prétendre que, dans sa tra-
duction des Psaumes, Corneille a « surpassé, soit
en émotion poignante, soit en éclat lyrique, tout ce
que nous pouvons imaginer du génie hébreu » et le
classer, entre Ronsard et Victor Hugo, parmi « les
Maison où est nô Pierre Corneille, rue de la Pie, à Rouen,
maîtres de l'orchestration lyrique de notre poésie »,
sont des allégations qui appelleraient quelques ré-
serves. Mais l'enthousiasme est familier aux poètes,
— et Doichain en est un ; — et cet enthousiasme
se justifie, du reste, quand il s'applique à un écrivain
comme Corneille.
On aurait tort, d'ailleurs, de prolonger ces petites
chicanes, que, peut-être, eûl-il mieux valu même ne
pas soulever, car, ce qui fait précisément un des
charmes du livre de Dorchain, c'est cette sympa-
thie admirative que l'auteur témoigne continuelle-
ment à son sujet, ce plaisir qu'on sent qu'il éprouve
à nous signaler dans i'œu Vie de Corneille la moindre
beauté, comme dans sa vie le moindre trait de no-
blesse, pour nous inciter à l'admirer et à l'aimer
nous-mêmes davantage. II faut lui savoir gré, cepen-
dant, d'avoir résisté à la tentation de présenler un
Corneille plus grand que nature. Tout au contraire,
« n'espérons pas, dit-il, rencontrer en lui un sur-
homme, mais réjouissons-nous d'avoir à hanter un
grand homme, qui fut, avec beaucoup de génie,
mais avec une simplicité non moindre, un homme,
un honnête homme, un hrave homme ». Voilà qui
définit excellemment le dessein du livre, en déter-
mine les proportions et, par surcroît, en marque
tout l'intérêt.
Après avoir évoqué, de façon vivante et pitto-
resque, l'enfance du poète à Rouen, dans la maison fa-
miliale de la rue de la Pie et au collège des Jésuites,
oii, jeune écolier de quatorze ans. Corneille connut
ses premiers succès littéraires, en remportant, en
1620, le prix de versification latine, Dorchain suit
l'adolescent dans sa libre existence d'étudiant en
droit : il nous le montre parmi les divertissements
du carnaval, débitant de galants madrigaux aux
jeunes filles, ou moralisant les bourgeois aux car-
refours par de joyeuses mascarades; et c'est plaisir
que de rencontrer dans la vie de Corneille » ces
minutes d'insouciance heureuse, de franche et inno-
cente gaieté ».
Mais, bientôt, ses pensées vont prendre un tour
plus grave : c'est que l'amour, dont il se moquait
dans ses premiers vers avec la désinvolte d'un
Mercutio ou d'un Fantasio, s'est emparé de son
cœur. En utilisant les recherches des érudits, en
s'aidant aussi des aveux échappés au poète dans son
Excuse à Arisle, Dorchain a reconstitué le roman
qui, vers 1629, emplit la vie de Corneille et qui,
LAROUSSE MENSUEL
en dépit de son douloureux dénouement, eut cet
heureux effet de le pousser dans la voie du théâtre
et de faire de ce petit avocat du roi notre grand
poète national.
Peu après avoir été pourvu de sa charge de pre-
mier avocat du roi en l'amirauté de France au
siège général de la lubie de marbre du palais de
Rouen, Corneille s'était épris d'une cer-
taine Catherine Hiie, fille d'un receveur
des aides en l'élection de Rouen. Favora-
blement agréé par la jeime lille, il fut
moins heureux auprès des parents, qui
s'opposèrent sans doute au mariage, puis-
que, vers 1637, Catherine lliie épousait le
sieur Thomas du Pont, conseiller à la
Cour des comptes. Ce fut, en somme, peu
de chose que ce roman; pourtant, il devait
avoir de fortes répercussions sur une âme
aussi vibrante que celle de Corneille. C'est
ce que Dorchain a délicatement compris
et noté.
Dans la ferveur de sa première ten-
dresse. Corneille éprouve le besoin d'exté-
rioriser sa joie, pour ainsi dire : il s'essaye
à écrire une comédie qui n'est que le récit,
à peine déguisé, de sa propre aventure,
et c'est Mélite. Gomme Dorchain a eu rai-
son de s'arrêter longtemps sur cette œuvre
de jeunesse, écrite par le poète avec tout
son cœur, de dégager toutes les nouveau-
tés, toutes les promesses encloses dans ce
mélange d'ingéniosité puérile et de sponta-
néité délicieuse, où l'on trouve de tout :
du Marivaux, du Beaumarchais, du Mus-
set, du Sardou, et même du Corneille!
Enhardi par ce premier succès. Corneille
fait représenter de nouvelles comédies,
composées sous les yeux de Catherine, sa
douce inspiratrice, et dans toutes, ainsi que
le signale Dorchain, on sent « la jeunesse
heureuse du poète, son ivresse de jeter à
tous les vents ses imaginations, ses rimes
et ses rêves ». Pourtant, dans la Suivante,
perce une étrange amertume, et des sen-
timents singuliers apparaissent dans la
Place roi/ale, qui semblent témoigner d'in-
quiétudes d'esprit et de troubles de cœur.
N'en faudrait-il pas chercher la raison dans
quelque modification des sentiments de
Catherine Hiie? Discrètement, Dorchain en
suggère l'hypothèse, en somme plausible.
De fait, c'est peu de temps après que la
jeune fille épouse Thomas du Pont, et c'est
vers cette époque aussi que Corneille,
abandonnant la comédie, se tourne vers
la tra;.;édie. Dorchain ne manque pas de
relever la co'incidence et, en poète peut-être plus
qu'en historien, — mais les poêles n'ont-iis pas
parfois un don de divination? — il explique cette
évolution par des raisons sentimentales. « Celui,
dit-il, qui venait d'être supplanté par un Thomas
du Pont quelconque..., celui qui s'avouait, avec un
mélancolique sourire.
Bon galant au théâtre et fort mauvais en ville,
celai-li, fidèle encore au souvenir d'un grand amour,
mais sachant trop qu'il n'était point fait pour la
séduction amou-
reuse, se retira
modestement et or-
gueilleusement en
lui-même... et se
constilua, comme
un refuge et pour
une revanche, un
théâtre idéal où ne
s'agiteraient plus
que des âmes assez
fortes pour tou-
jours demeurer
maîtresses de leur
destin ». Et ces
âmes, c'est Chi-
mène et c'est Ro-
drigue, et c'est
toute leur lignée :
Horace, Auguste,
Polyeucte. L'expli-
cation est ingé-
nieuse et mérite
qu'on s'y arrête. En
tout cas, ne sem-
ble-l-il point qu'à
les expliquer ainsi,
les œuvres de Cor-
neille, issues de son
cœur autant que de
son esprit, prennent une valeur plus grande? Mais
Dorchain va plus loin encore : il suppose que les
jeunes gens ont pu se rencontrer après le mariage de
Catherine; n'habitaient-ils pas tons les deux Rouen?
N'avaient-ils pas, au prieuré du Monl-aux-Malades,
l'une un oncle, l'autre un frère? Quoi d'étonnant à
ce qu'ils se soient un jour croisés sous les arceaux du
N' 144. Février 1919.
cloître? Et ce qu'ils se sont dit alors, reproche
et demi-aveux, c'est cela même qu'en des vers
d'une tendresse si profonde et si vraie se disent
Pauline et Sévère, au deuxième acte de Polyeucte,
dans l'admirable scène de leur première entrevue.
Qu'on ne croie pas, cependant, que Dorchain, cé-
dant trop volontiers à l'attrait du romanesque, se
complaise à ces fantaisies — d'ailleurs judicieuses
— d'imaginalion. Il s'ellorce, au conlraire, de repla-
cer les diverses œuvres sous leur vrai jour et de
signaler à propos de chacune d'elles ce qui en cons-
titue la nouveauté ou la beauté propre : tels le cin-
quième acte de Cinna, « l'un des sommets de la
tragédie fiançaise et de l'œuvre cornélienne », le
fameux récit du Menteur, « la merveille des mer-
veilles », à l'occasion duquel Doicliain donne un
vrai modèle d'explication littéraire, ou l'extraordi-
naire cinquième acte de liodogtine, « chef-d'œuvie
du métier dramatique » et le début de Don Sanclie
d'Arar/on, de couleur si curieusement romantique.
Cependant, fidèle à sa méthode, Dorcliain a suivi
Corneille à travers tousjes menus incideii ts de sa vie :
à Rouen, où il nous le montre vers 1644, occupé
aux devoirs de sa charge, recueillant les doléances
des pilotes de Villequier ou requérant information
pour un enfant qui s'est noyé; à l'Académie fran-
çaise, où il est élu en 1647 ; pendant la Fronde, où
sa fidélité à la cause royale lui valut d'être nommé
par la régente procureur des états de Normandie;
et nous le voyons aussi, après l'échec de Perlha-
rite, s'éloigner du théâtre et s'appliquer à de pieux
travaux. Pointant, le dévot traducteur de l'Imita-
tion sera tiré de sa retraite, sept ans plus tard,
par une nouvelle aventure sentimentale, et c'est pour
Dorchain l'occasion de conter ce second roman du
poète qui a delerininé son retour à la scène et de
chercher, comme pour le premier, ce qui en a passé
dans son œuvre.
Cette fois, l'héroïne était une comédienne, la
Duparc. Celle que ses camarades appelaient « mar-
quise » était jeune, jolie, adulée et, d'ailleurs, nul-
lement coquette; Corneille avait passé la cinquan-
taine. L'aventure pouvait tourner au ridicule; elle
fut seulement touciiante. Rebuté par l'actrice. Cor-
neille, après une pointe de dépit, commit; il se
résigna I Loin de garder rancune à la Duparc de
ses dédains, il lui voua une tendresse amoureuse
et paternelle à la fois, idéalisée d'une résignation un
peu douloureuse; « mais, dit justement Dorchain,
de cet amour vaincu de longues traces vont se
laisser voir et dans son âme et dans son œuvre;...
d:uis les pièces de sa dernière manière, en face de
ces personnages de plus en plus abstraits... qui font
de leur cœur tout ce qu'ils veulent et n'existent plus
que pour exercer, fût-ce contre toute raison, leurs
volontés frénétiques, nous verrons apparaître... des
figures qui, par leur humanité, n'en trancheront que
davantage sur les autres : ces héros au déclin de
l'âge que torlureron l, avec le regret de leur jeunesse,
leur persistant pouvoir d'aimer et leur fatale im-
puissnnce à être aimés ». Et ce sera Sertorius, et
Syphax, et surtout l'admirable Martian de Pulché-
rie. Que Coi-neil'.e se soit peint lui-même derrière
ces personnages, la chose n'est pas douteuse. Faut-il,
pouitant, comme le risque Dorchain, à propos de
Pulchérie, prêter à Corneille des intentions plus
précises et découvrir derrière telle situation ou tel
Maison où Pierre Corneille a été élevé, à Petit -Couronne, prés de Rouen.
mot de celte pièce une allusion aux rapports dt
poète avec Racine, qui avait été, il est vrai, son
rival heureux auprès de la Duparc? Ceci semble
tiop hasardeux et, ici, l'ingéniosité de l'hypothèse
ne parvient pas à en masquer la fraîrilité. Ceci, du
moins, témoigne de l'attention minutieuse avec la-
quelle Dorchain, contrairement il l'habil'"''' cou-
«• 144. Février 19iu.
rante, a étudié les œuvres de la dernière période de
Corneille. S'il est contraint d'y souIij,'ner de nom-
breuses faiblesses, en revanche, il y découvre des
beautés peu connues et qui méritaient bien d'être
tirées de l'oubli.
Avec le même soin qu'il analyse en Corneille les
mouvementsde l'amour, Dorchain détaille, au cours
.ie sa biograpliie, les autres sentiments qui occu-
^;i'ent celle âme si vibrante : foi prolonde du chré-
lieu, qui s'épaiidit en Krandioses effusions lyriques;
tendresse et orgueil du père, beureux de mettre ses
deu.x liU au service du roi et comptant sur eux,
quand l'âge a ralenti son iielivité, pour « suppléer
pur l'cpèe au défaut de la plume »; dévouement
aITt'clueux de l'ami, toujours prêt à obliger et inca-
pable d'aucune pensée mesquine ou basse. Encore
que forcément écourié, le récit des dernières années
du poète, resté modeste dans sa gloire et ne sortant
de sa retraite que pour se rendre à l'église ou à l'Aca-
démie, complète hiirmonieusemont tout ce qui nous
était déjà apparu, au cours du livre, de cette belle
et simple figure.
Cette sympathie plus vive que nous éprouvons
pour Corneille, en fermant le livre de Dorchain, fait
tout le prix de ce travail. En étudiant dans ses
moindres détails celte vie si pure, si droite et sur-
tout si riche de noblesse intérieure, Dorch.iin nous
a restilué un Corneille plus près de nous, plus
homme et, par là, plus attachant. Et, ainsi expliquée
par sa vie, son œuvre elle-même ne nous en paraît
que plus belle et — ce qu'on a trop souvent oublié
— plus touchante. — F. Quieano.
Debussy (C/ourfe-Achille), compositeur fran-
çais, né le 22 août 1862 à Saiiit-Germain-en-Laye,
mort à Paris le 26 mars 1918. C'est seulement à
l'âge de onze ans que Debussy s'adonna sérieuse-
ment à la musique, sous la direction d'une amie
de samèce,qui avait deviné sa vocation en l'enten-
dant s'essayer à jouer du piano. 11 entra au Con-
servatoire en 1873, se distingua dans les classes de
soll'ège et de piano, où professaient Lavigiiac et
Marnionlel, mais se montra réfraclaire aux leçons
de Durand, qui élailcbargé ducouis d'harmonie. En
1880, il obtint un premier prix d'accompagnement.
Il ne fit qu'une apparition à la classe d'orgue de
César Eranck, mais reçut avec Iruit l'enseignement
d'Ernest Guiraud, qui s'intéressa à lui et l'encou-
ragea. En 1x82, Debussy remporta un accessit
de contrepoint et de fugue. En t883, le second
prix de Rome lui fut décerné. L'année suivante,
il devenait titulaire du premier grand prix avec
la cantate l'Enfant prodigue, dont le livret était
dû au poète Ouinand et qu'interprétaient Rose
Caron, "Van Dyck et Taskin. A la "Villa Médicis,
Debussy retrouva Georges Marty, Gabriel Pierné
et Paul "Vidal. Son premier envoi, Almanzor,
d'après Henri Heine, a été perdu; le second, le
Prinlem/is , o ii
l'on pressent dé-
jà l'Après-midi
d'tm faune, fut
refusé par l'Ins-
titut. La Damoi-
selle élue, inspi-
rée d'un poème
de Dante Gabriel
Rossetti, ne fut
acceptée qu'avec
quelques réser-
ves, quant au
sujet, tout au
moins, le « pré-
raphaélisme »
dont elle est im-
prégnée ayant
paru irrespirable
sous la coupole.
L'audition offi-
cielle qui devait,
aux termes des règlements, en être donnée, n'eut pas
lieu. Debussy refusa, en effet, de la laisser exécu-
ter si le Printemps ne figurait pas sur le même
programme. Entre temps, il avait fait un co irt sé-
jour eu Russie, oii il avaitenlrevu Rimsky-Korsakov,
Balaliirev, Borodine et écouté les improvisations
des tzixanes. Mais c'est plus tard que. grâce à son
intimité avec un musicien aussi modeste qu'érudit,
Jules de Biayer, il devait être louché par la grâce
de la musique russe. Après avoir entendu Boris
Godounov, de Moussorgsky, il renonça soudain à
Wagner, qui l'avait, à Bayreuth, « ému jusqu'aux
larmes », et s'enthousiama pour cet art, direct, réa-
liste et visionnaire touten-=enible,àquoi nous devons
les remarquables C/tnnsons c/e la Mort. Désormais, il
avait trou vé sa voie. 11 y rencontradabord les Ariettes
oubliées, les Cinq poèmes. Mandoline, entre autres.
La fréquentation assidue de Mallarmé et des symbo-
listes, quitenduient à tout rendre par l'image, acheva
de le révéler à lui-même. A Mallarmé il dédia
l'Après-midi d'un faune, qui semble l'éman^ition
de la nature même. La musique s'y affranchit des
formules, d>-s systèmes, du protocole des gammes et
des tonalités usuelles. Elle n'est plus le truchement
Claude Debussf.
LAROUSSE MENSUEL
conventionnel qui traduit la sensibilité en équiva-
lents, mais l'expression spontanée et comme invo-
lontaire, le « rellet », V « image » de la sensation.
Keflets dans l'eau, Images, Estampes, ce sont là,
d'ailleurs, les titres de quelques-unes des œuvres
les plus caractéristiques de Debussy. Les rythmes
subtils répercutent les pulsations de la vie; les
dissonances acquièrent eu soi une valeur expres-
sive et se résolvent, en se volatilisant en quelque
sorte, dans une atmosphère sonore, où vibre un
essaim d'harmoniques secrets. La musique atteint
693
un peu partout et non seulement chez les musiciens
de notre pays. Il est permis de dire que la jeune
école espagnole, qu'un Albeniz, par exemple, que
la jeune école anglaise, en ont été, consciemment
ou non, pénétrés etqu'il a ouvert un cliemiu où, de
son vivant, il a peut-être été dépa.-sé déjà.
Impressionniste et symboliste, Debussy l'est assu-
rëmi'iit. Mais sa musi(|ue re peut se définir par les
mots de « poinlillisme sonore » dont on a, ft son
égard, abusé. Elle est mélodie, rythme et logique
intérieure. Ses harmonies, déconcertantes au pre-
Décembristes : I. Conrad Ryléev. — II. Paul Pesiel. — III. Sprgc Monraviev-Apostol. — IV. Bestoujev-Rumia
(d'après une gravure de répoque).
ainsi au profond de notre inconscient. Et c'est une
séduction à laquelle, bon gré, mal gré, on ne se
dérobe pas. L'Après-midi d'un faune ne compte
plus, ce semble, de rebelles.
Suspect aux défenseurs de la tradition, accueilli
par les musiciens de l'avenir comme un Messie,
déjà choyé dans quelques cénacles, c'est par l'eiléas
et Uélisande que Debussy atteignit le grand pu-
blic. Pendant dix ans, il médita le drame de Maeter-
linck et en fut possédé. Le 30 avril 1902, Pettéaset
Mélisande était représenté à l'Opéra-Comique. La
répétition générale et la première représentation ne
se passèrent pas sans quelque agitation. Certaines
scènes choquèrent; l'orlhodoxie fut déroutée par la
simplicité du dessin vocal, le charme étrange des
harmonies, la sonorité, comme irréelle, d'un or-
chestre de songe.
La critique se partagea, favorable parfois, hostile
exceptionnellement ou hésitante, avec le sentiment
obscur d'une beauté nouvelle qu'elle ne saisissait
pas tout entière. « Enchantement mélodique et har-
monique », disait-on, mais « tessiture monotone »,
«brouillard harmonieux», mais «iléclamaliou juste»,
» orchestre clair et discret, harmonies fines et
neuves — conversation musicale — vague psal-
modie — poussière sonore ». Enfin « pas d'inspira-
tion », concluait, eu deux mots dont on a crucifié
tant de rédempteurs, un critique dont le jugement
ressemblait à une exécution. Mais, bientôt, les
disciples arrivèrent à la rescousse. Ou les suivit.
Et Pelléas, qui devait vivre deux jours, a fourni
une longue carrière, donnant l'essor aux œuvres
sympboniques, aux mélodies, partout répandues,
surtout aux Chansons de Bililis, tout enveloppées
du mystère de leur nostalgie, aux pièces pour piano,
au Quatuor à cordes, qui demeure une des belles
œuvres de la musique de chambre contemporaine.
11 faut regretter que la partition du Martyre de saint
Sébastien, écrite pour le drame de d'Annunzio, n'ait
eu, au Cbâtelet, qu'un petit nombre de repiésenla-
tions, troublées par l'intervention de l'autorité ecclé-
siastique. Elle renferme quelques-unes des pages
les plus émues et les plus profondément humaines
que Debussy ait écrites.
L'œuvre de U<bussy, pièces instrumentales, pour
piano surtout — Debussy jouait du piano en magi-
ci.'u p'ulôt qu'en virluose — mélodies, musique de
chambre ou d orchestre, encore qu'importante, ne
décèle nulle trace de précipitation, de facilité heu-
reuse, complaisamment exploitée, bref de cet irres-
pect de soi dont il est d'illustres exemples. On peut
ne pas la goûter absolument; on ne peut pas ne
pas honorer en elle une pure œuvre d'art, un
souci de l'expression la plus raffinée de la vérité,
de la sincérité dans l'émolion et surtout, et tou-
jours, de la musique au sens où les initiés l'enten-
dent quand ils parlent de Mozart par exemple, ce
qui, pour eux, résume et emporte tout.
Debussy a renouvelé la technique de l'expression
musicale. Sans parler des plagiaires sans âme qui
ont fait de ses trouvailles expressives des procèdes,
son émotion et sa sensibilité ont éveillé des échos
mier abord, et dont, au rebours des accords fau-
réens, nul contrepoint, même ténu, ne détermine
les enchaînements, ont des afiinités secrètes et
correspondent par les ondes invisibles de leurs vi-
brations. Sa rythmique est minutieuse, multiple.
Et l'analyse démontre la logique encore et l'ordre
qui régissent sa composition, ses développements,
et comment la fantaisie et une certaine raison s'y
marient. Debussy n'est pas toute la musique; il
n'aliolit rien des gloires du passé. Il s projeté sur
l'avenir un rayon qui éclaire les étapes futures.
Surtout, cet art délicat, mesuré, fait de charme et
de pudeur et dont toute la force jaillit de l'émo-
tion intime, cet art, né d'une instinctive révolte,
d'une II réaction vitale » contre les excès et les
artifices du wagnérisme, que Debussy, dans ses
articles de la « Revue blanche» et du « Gil Blas »,
n'a cessé de combattre, cet art, qui restitue au sen-
timent, à la sensation leur vérité ingénue, prime-
sautière et ardente, est profondément fiançais. Il
nous rattache à la lignée que Debussy chérissait de
nos musiciens du xvi» siècle en passant par Rameau,
dont l'auteur de Pelléas a honoré la gloire d'un
inoubliable hommage.
Il convient de citer, parmi les œuvres principales
de Claude Debussy :
Piano : Arabesques, Suite Bergamasque, Pré-
lude, Sarabande Toccata, Estampes, Images, Chil-
dren's Corner, Préludes. Mélodies : Ariettes ou-
bliées, Cinq Poèmes, l'Echelonnement des haies. Le
son (lu cor s'afflige. Mandoline, Fêles galantes,
Proses lyriques, Chansons de Bililis, Trois chan-
sons de France, Trois ballades, le Promenoir des
deux amants. Chœurs : Trois chansons à quatre
voix mixtes. Musique de chambre : Quatuor à cor-
des. Sonate pour piano et violon. Sona/e pour piano
et violoncelle. Trio pour flûte, alto et harpe. Musique
symphonique : Prélude à l'Après-midi d'un Faune,
Trois 7iocturties, Danses pour harpe avec accompa-
gnement d'orchestre, la Mer, Images. "Voix et or-
chestre : Printemps, la Damoiselle élue. Musique
de scène : le Marti/re de saint Sébastien. Musique
dramatique : l'Enfant prodigue, Pelléas et Méli-
sande. Diverses transcriptions.
Debussy préparait un drame lyrique, le Diable
dans le beffroi, d'après Edgar Poe, et un Tristan
et Yseut. Il a écrit, de 1901 à 1908, de nombreux arti-
cles de critique musicale dans la <■ Revue blanche •
et le <■ Gil Blas ». — Paul Locikd.
Décembristes (les). Les décembrisles sont
les auteurs d'une conspiration militaire qui éclata
en Russie en 1825, le 14/26 décembre, d'où leur
nom. Ils ont tenté, en Russie, la première révolution
poliliquc, préina'urément, c'est vrai, mais ils ont
ainsi donné le branle et sont les ancèlres de tous
les libéraux et révolutionnaires russes. 11 n'est guère
de nom plus populaire et respecté en Russie que
celui de « décembriste ».
Causes de ce mouvement : effervescence révolu-
tionnaire de iS 16 à ISiS. — Les causes de ce mou-
vement sont complexes. Il en est de lointaines et
694
qui remontent pour le moins à Catherine II, à cette
Russie du xviii" siècle, qui se montra si accueil-
lante aux idées des philosophes français. Sans doute,
ce ne fut de la part des nobles russes do ce temps
que dilettantisme d'aristocrates, flirt intellectuel,
interrompu encore par l'explosion de la Révolution
française. Mais le flirt, chez les pères, aboutit à
l'amour chez les fils. Ceux-ci, pour beaucoup, trou-
vèrent au loyer paternel des pères qui avaient fré-
quenté les idées françaises, des bibliothèques où
dominaient les ouvrages de nos philosophes, enfin
des précepteurs français. Bien plus, l'émancipation
intellectuelle de beaucoup des futurs décembrisles
se fit sur la terre même de France, où ils vinrent,
les uns comme étudiants pour parfaire leurs études —
c'était le bon ton, et tel lut le cas des frères Mou-
raviev-Apostol, — les autres, comme officiers, à la
suite des armées chargées de combattre Napo-
léon l", — et tel est le cas de Pestel, Volkonski,
Ryléev, Davydov, N. Tourguénev, etc. Il n'est pas
étonnant que l'atmosphère russe ait paru irrespi-
rable à ces jeunes hommes revenant de l'étranger
et trouvant dans leur pays despotisme en haut, ser-
vage en bas, servilisme partout. Alexandre semblait,
d'ailleurs, partager et encourager les idées libérales
de ses officiers. Ceux qui revoyaient Pétersbourg
après quelques années d'absence ne reconnaissaient
pas la capitale. Les officiers de la garde attiraient
surtout l'attention par la liberté et la hardiesse
avec laquelle ils s'exprimaient.
Organisation du mouvement. Les sociétés se-
crètes. — Bientôt, il se forma des sociétés secrètes
à l'instar des sociétés allemandes, du « Tugenbund »
en particulier.
Dès 1817, se forma la société de \'U7iion du sa-
lut. Les membres principaux étaient Paul Pestel,
les trois Mouraviev (Alexandre, Serge et Nikita),
les frères Mouraviev-Apostol, le prince Serge
Troubetskoï, le capitaine Iakouchkiiie. Donner
des institutions à l'Empire était leur but. A peu près
& la même époque, le général-major Michel Orlov
fondait à Pétersbourg la société des Clcevaliers
1-usses. Ces deux sociétés disparurent ou, plutôt, se
fondirent en une nouvelle : l'Union du bien-être
(1819), avec les membres anciens et des nouveaux,
telsque:NicolasTourgiiénev, Lounine.Chakhovski,
Von Vizine, Semenov, prince Obolenski, etc. Elle fut
divisée en directions. Il y en eut deux à Pé-
tersbourg, deux à Moscou, plusieurs en province,
une à Toultchin, centre de la deuxième armée, où
dominait l'influence de Pestel. Celui-ci eût voulu
une plus grande concentration entre les diverses
« directions », mais on ne parvint pas à s'entendre.
La société du « Bien-être » disparut (quelques
membres se retirèrent des sociétés secrètes) et fit
place à deux grands groupes, alliés, mais indépen-
dants : la Société du Nord et la Société du Midi.
Mais l'intérêt des conjurés, qui, depuis le rescrit
du 13 avril 1822, interdisant toute société secrète
en Russie, prenaient nettement figure de conspi-
rateurs, commandait, semblait-il, la fusion des deux
groupes. Pestel s'y employa encore et vint k cet
effet à Pétersbourg. Il échoua devant l'obstination
du chef de la « Société du Nord », N. Mouraviev.
Ces deux hommes, très cultivés, étaient peu faits
pour s'entendre. Mouraviev, disciple de Benjamin
Constant, s'arrêtait à mi-chemin et tenait pour une
monarchie constitutionnelle au profit de la dynastie.
Pestel voulait « avoir maison nette » ; il allait jus-
qu'au bout, jusqu'au régicide et la république. On
ne put s'entendre. « Chacun suit son opinion dans
la « Société du Nord », dit Mouraviev; dans celle
du «Midi», au contraire, si je suis bien informé,
personne n'ose contredire Pestel; la pluralité des
voix ne serait donc que l'expression de sa volonté
unique ». On convint seulement qu'une nouvelle
tentative de fusion serait faite en 1826. Mais les
événements allaient bientôt se charger de ren-
verser tous ces projets. Les deux sociétés conti-
nuant leur propagande parallèlement, Pestel cher-
cha un appui auprès des sociétés secrètes polo-
naises. Il ofi'rit à la Pologne son indépendance.
Mais les conjurés polonais ne purent lui donner
que des promesses vagues et à échéance assez loin-
taine. A quelque temps de là, la « Société du Midi »
s'enrichit d'un nouvel appoint. Elle découvrit, dans
le district tout voisin de Jitomir, un groupe de
trente-six membres, jeunes, idéalistes, enthou-
siastes, presque tous officiers d'artillerie, sous le
nom de Slaves unis. Réunir par un lien fédératif et
par la communauté du régime républicain toutes les
contrées slaves (Russie, Pologne, Bohême, Moravie,
Dalmalie, Croatie, Hongrie et Transylvanie, Serbie-
Moldavie-Valachie), tel était leur programme. De
son côté, la « Société du Nord » absorbait dans son
sein le bataillon de la marine de la garde, dont quel-
ques chefs s'étaient constitués en société secrète.
Le complot, lesrévoltes. — Le téltis étaient chaque
jour plus exaltées, les cœurs plus impatients. Tous,
même ceux du « Nord », se ralliaient maintenant
au met d'ordre de Bestouyer ; « Sus à la dynastie 1
Au vent, leur poussière! » Le» ;;olonels croyaient
pouvoir répondre de leurs régiments, les lieute-
nants de leurs compagnies, et les régicides s'of-
Le tsar Nicolas I«r.
LAROUSSE MENSUEL
fraient. Retarder, c'était courir le risque d'être
surpris et prévenus. La disgrâce de Chveikovski,
colonel du régiment de Saratov, fut un premier
avertissement. La « Société du Midi » résolut d'agir,
en mai 1826, à l'occasion de la revue qu'Alexandre
devait passer à Bêlaia Tserkov. Mais, comme un coup
de foudre, éclata en Russie la nouvelle de la mort
de l'empereur h Taganrog (19 nov./l" déc. 1825).
Les conjurés furent d'abord déconcertés. Devaient-
ils se démasquer, ou se réserver?
Ils se révoltèrent, tant ceux du «Nord» que ceux du
« Midi », mettant à profit le trouble de la succession.
Car Constantin, frère aîné de l'empereur défunt et
à ce titre son successeur légal, avait, aux termes de
l'ukase de Paul I", par son mariage hors d'une
maison régnante
en Europe, perdu
SCS droits h la
couronne. Une
lutte de généro-
sité s'engagea
entre les deux
frères; tandis que
Constantin, àVar-
sovie,faisaitprô-
ter serment à
Nicolas, Nicolas,
à Pétersbourg,
faisait jurer fidé-
lité à Constantin,
si bien que, du
1" au 24 décem-
bre, jour où Ni-
colas accepta dé-
finitivement la
couronne, la
Russie eut deux
empereurs, c'est-à-dire n'en eut aucun. Sa conscience
nationale en fut troublée, et les conjurés voulurent
en tirer parti.
Cependant, ceux du «Midi» furentprévenus. La dé-
nonciation du capitaine Malboroda, pris de remords,
eut pour conséquence l'arrestation de Pestel et de
plus de douze commandants de régiments de la
deuxième armée, sans compter une multitude d'of-
ficiers inférieurs. La deuxième armée, décapitée, ne
bougea point. Restait la premièie, où Serge Mou-
raviev-Apostol, Tiesenhausen et Bestoujev-Rumin,
notamment, essayèrent d'entraîner quelques régi-
ments à la révolte. Mais, entre les chefs conjurés et
les hommes, un malentendu grave subsistait. Ceux-ci
ne comprenaient pas le mot de République; il leur
fallait un tsar : Constantin ou Nicolas. La bande de
rebelles, sous la conduite de Mouraviev-Apostol, fut
bientôt cernée et, sans avoir brûlé une amorce, se
rendit et livra ses chefs. Peu de jours après, la pre-
mière armée tout entière prêta serment à Nicolas.
Quant aux conjurés de la société du «Nord», ils ré-
solurent de « passer le Rubicon », comme dit Ryléev,
et de refuser le serment, sans espoir de réussir, le
jour de la prestation solennelle (14/26 décembre).
Le matin de ce jour, quelques régiments, entraînés
par leurs chefs, sortirent sur la place Isaac, aux cris
de : « Vive Constantin » ! « Vive la Constitution » I
Le général Miloradovitch fut tué, le métropolite eut
sa mitre traversée de balles. Mais ni le gros de
l'armée, ni le peuple, ne soutinrent le mouvement.
Nicolas fit charger les émeutiers et, à dix heures du
soir, il était maître de la rébellion.
Le procès, le jugernent. — C'était un gros scan-
dale. Il fallait y mettre fin au plus tôt, rassurer la
Russie. En cinq mois, ce procès gigantesque fut
expédié : 240 prisonniers examinés, 1.500 témoins
entendus, 121 accusés condamnés. Une commission
d'enquête fut chargée d'élaborer un rapport officiel,
propre à établir les culpabilités et destiné à faire
croire à la Russie et aux cabinets étrangers que le
mal n'était pas aussi profond qu'il y avait paru.
Dans ce but, la commission étendit sur le scandale
un voile épais. Les accusés ne purent faire entendre
publiquement leur voix, proclamer leurs accusations
contre le régime. 11 n'y eut ni débats contradic-
toires, ni confrontation, ni défense, ni plaidoirie.
Tout se passa dans le secret des cac^iots, entre les
accusés et leurs juges.
Soigneusement furent retenus et imprimés les
aveux qui pouvaient jeter sur le «mouvement» — on
se gardait de dire « la conjuration », « le complot »
ou 11 la révolte » — le ridicule ou l'odieux. Les histo-
riens, jusqu'à ce jour, n'ont guère, pour parler des
décembrisles, que cette pièce officielle et nécessai-
rement partiale.
Le rapport de la commission d'enquête, terminé,
fut présenté à l'empereur le H juin et signé par lui
le 13. La haute Cour se réunit pour dresser l'échelle
des culpabilités et celle des châtiments.
Elle comprenait les trois premiers corps d'Etat :
leConseil de l'empire, le Sénat dirigeant et le Saint-
Synode, plus quinze personnages choisis dans les
grades supérieurs de l'armée et dans les hautes fonc-
tions civiles. Cette haute Cour commença par établir
trois genres principaux de crimes : 1° complot de
régicide ; 2*^ complot par sociétés secrètes, ayan t pour
but la ré\olte générale ; S» insurrection militaire
N* 144. Février 1919.
Dans chaque genre, on marqua des degrés, sui-
vant que l'accusé avait pris part à l'exécution du
complot ou qu'il avait seulement adhéré à ses fins,
ou qu'il en avait eu seulement connaissance sans le
dénoncer. Dans ces degrés, on tint compte encore
de certaines nuances et de circonstances soit atté-
nuantes, soit aggravantes. On aboutit ainsi à dresser
une échelle de la culpabilité de douze échelons.
L'expiation. La mort et l'exil. — Au sentiment
de la Cour, les 121 accusés, ainsi répartis en douze
classes criminelles, étaient tous dignes de la peine
de mort. Mais la volonté souveraine était con-
traire à cette juste sévérité. Nicolas proclama son
esprit d'indulgence. La haute Cour, invitée par le
souverain à plus de mansuétude, dosa les pénalités
comme suit : 121 accusés retenus, dont 5 hors de
toute catégorie, peine de mort par écartèlemenl;
31, dans la première catégorie, peine de mort par
décapitation; 17, dans la deuxième, peine de mort
politique, la tête sur le billot, travaux forcés à per-
pétuité; 38, dans les 4«, 5% 6» et 7«, travaux forcés
à terme, exil perpétuel en Sibérie, 15; dans la 8",
exil perpétuel en Sibérie, avec dégradation préala-
ble; 3, dans la 9«, déportation en Sibérie; 1, dans
la 10', soldat avec dégradation ; 8, dans la 11», sol-
dats sans privation de noblesse; 1, non classé.
L'empereur, proclamant une seconde fois son
esprit de modération, raitigea encore les peines
prononcées, réduisant les condamnations à mort, &
au lieu de 3G, diminuant les années de travaux for-
cés et d'exil. Le 23 juillet, les condamnés entendi-
rent lecture de la sentence qui les frappait; Pestel,
Ryléev, Serge Mouraviev-Apostol, Besloujev-Ru-
min, Chakhovski, étaient condamnés à la peine de
mort par pendaison, les autres à un exil plus ou
moins rigoureux, plus ou moins long.
Un jour leur fut laissé pour mettre ordre à leur
conscience et à leurs affaires. Le 25 juillet, se leva
le jour de l'expiation. A 3 heures du matin, sor-
tirent d'abord de leurs cachots ceux qui n'étaient
pas destinés à la mort. On leur arracha épaulettes,
décorations, uniforme, on brisa une épée sur leur
tête, et on les fit défiler devant le gibet, en présence
d'une délégation des corps auxquels chacun avait
appartenu. Puis les cinq condamnés à mort, vêtus
d'une capote grise, un capuchon sur la tête, un
nœud autour du cou, furent pendus. Le lendemain,
26 juillet, à 7 heures du matin, sur la place Isaae,
à l'endroit même où s'était déroulé le combat impie,
un service solennel, en présence de l'empereur, de
l'impératrice, des troupes et d'un grand concours
de peuple fut célébré. Les prêtres répandirent sur
la foule et sur la place l'eau lustrale en signe de
purification. 101 coups de canon annoncèrent la fin
de la cérémonie. L'expiation était complète et toute
trace du crime effacée.
L'exil en Sibérie pour les autres commença aussi-
tôt. Placés quatre par quatre sur des télègues ou
chariots à deux roues, sans autre siège que des
bottes de paille, ils gagnèrent les lieux de leur
déportation par Novgorod, Tver, Moscou, Nijni,
Kazan, Ekaterinbourg. Ceux qui ne recevaient pas
d'argent de Russie avaient un prêt de 5 roubles
pour un général, 3 pour des officiers supérieurs,
1 rouble ou 50 kopeks pour les autres. Les lettres
qu'ils recevaient, comme celles qu'ils envoyaient,
étaient ouvertes et lues par l'autorité. Les nom-
breux mémoires qu'ils ont laissés permettraient de
retracer leur existence, laquelle, peu à peu, par
le fait de leur ascendant, de leur valeur intellec-
tuelle et morale, s'adoucit progressivement. La Si-
bérie a gardé un pieux souvenir de leur passage. Ils
se créèrentdes occupations: lectures, conversations,
jeux, arts, jardinage, œuvres de bienfaisance. Enfin,
quelques-uns furent rejoints par leurs femmes et
leurs sœurs héroïques, chantées par le poète Ne-
krasov : M""' Troubetskoï, Davydov, Narychkine,
Von Vizin, Mouraviev, les sœurs des Bestoujev
Pauline Goeble, une jeune Lorraine, fiancée du che-
valier Annenkov. Ceux que les rigueurs du climat
sibérien n'avaient pas tués purent rentrer en Russie,
grâce à l'amnistie de 1856.
Telle est, brièvement réstimée, l'histoire de ce
mouvement, qui a échoué, parce que venu trop tôt,
non soutenu par 1 armée elle peuple, trop ignorants,
non frultde la terre russe, mais mûri sousl'innuence
d'un libéralisme exotique. Mouvement grand, cepen-
dant, et fécond par l'exemple qui s'en dégagea et par
la lutte qui s'ensuivit contre l'autocratie, lutte qui ne
devait finir que par la chute de celle-ci. — s. reizlbk.
Deprez (Marcel), ingénieur électricien, né à
Alllant-sur-Milleron (Loiret) le 29 décembre 1843,
mort à VIncennes (Seine) le 16 octobre 1918. Son
pire, mi'decin homéopathe, qui fil d'inléressantes
recherches dans son art, lui avait légué un esprit
curieux et original.
Après avoir passé deux années de jeunesse
(classes de sixième et de cinquième) au lycée
Louis-le-Grand, Il compléta lui-même ses études
élémenlalres en suivant des courspubllcs et travail-
lant dans les bibliothèques; il parvint à passer son
baccalauréat, puis, en 1864, entra à l'Ecole nationale
des mines. 11 ne suivit les cours que pendant un
Marcel Deprex.
iy« 144. Février 1919.
an et devint secrétaire du directeur de l'école, qui
était alors Combes, membre de l'Académie des
sciences. Celte situation, qu'il conserva pendant
six ans, lui laissait quelques loisirs et lui permit de
continuer ses études et aussi de faire des recher-
ches personnelles sur les machines à vapeur; il
avait déjà proposé, à cette époque, un nouveau
système de distribution de vapeur, qui permettait
de réaliser une assez forte économie de charbon.
Kn 1870, pendant la guerre, il prit part à la dé-
fense de Paris et servit dans Tartillerie; ce furent
probablement les méditations qu'il put faire à cette
époque qui lui
inspirèrent l'idée
d'étudier les
pressions exer-
cées dans r&me
du canon par les
gaz de la poudre,
en même temps
que les lois du
recul de la pièce.
Lesappareifsqu'il
conçut àcet effet
furent construits
sous les auspices
du ministère de
la marine et rem-
plirent parfaite-
ment le but que
l'inventeurs'élait
proposé. Marcel
Deprez fut ré-
compensé de son
travail par la croix de chevalier de la Légion
d'honneur, qu'il reçut en 1881. Ses travaux ont été
fiubliés à celle époque par le « Mémorial de l'artil-
erie de marine ».
C'est à partir de 1878 qu'il commença ses tra-
vaux sur l'eleclricilé. Le transport de l'énergie
électrique à dislance, qui s'effectue aujourd'hui si
couramment, était alors un problcine non rcoolu, et
de nombreux électriciens en recherchaient ardem-
ment la solulion. Marcel Deprez fut assez heureux
pour l'indiquer le premier, et son nom restera
attaché éternellement à cette découverte. La pre-
mière expérience fut faite en lS8i, pendant l'Expo-
sition de Munich : une petite machine du système
Gramme, construite par M. Deprez et Cornélius
Hertz, était commandée par un moteur à vapeur et
actionnait à distance (57 km.) une cascade située
dans l'enceintede l'Exposition, fournissant un travail
de unl/2-chevaI. Le résultat obtenu par M. Deprez
ne fut pas admis sans de violentes récriminations;
certains physiciens ne lui pardonnaient pas d'avoir
réussi : les uns nièrent simplement le succès de
l'expérience, d'auties accusèrent l'inventeur de
plagiat. M. Deprez confondit aisément les pre-
miers; il recommença son expérience en utilisant
les forces perdues de l'Isère et obtint un rendement
de 50 p. 100. Enfin, en 1883, un syndicat de capi-
talistes français ayant mis à sa disposition une
somme suffisante, les expériences furent reprises à
la Compagnie du Nord entre Greil et Paris (56 km.)
et suivies par une commission de savants, délégués
par l'Académie des sciences. Les essais durèrent
un mois et demi et, dans son rapport à l'Académie,
Cornu déclara que le résultat obtenu par M. Deprez
dépassait tout ce qu'on avait obtenu avant lui et
?ue ce résultat ferait époque dans l'histoire de
'électricité.
L'Académie des sciences vota, à l'unanimité,
des félicitations à l'inventeur. Le problème du
transport de l'énergie se trouvait résolu; on entre-
voyait un nouveau champ d'activité fécond et illi-
mité : en particulier, l'utilisation d'une partie des
forces naturelles devenait possible.
L'Académie avait déjà récompensé ses travaux.
Il avait reçu en 1876 le prix Monlyon de mécani-
que et, en 1878, le prix 'Trémonl, pour ses recher-
ches de balistique inléi'ieure. En 1884, il obtint le
prix Fonrneyron et, en 1886, il était élu lui-même
membre de l'inslitut pour la section de mécanique,
en remplacement de Tresca; il était oflicier de la
Légion d'honneur depuis 1883.
Dans le cours de ses recherches, M. Deprez fut
amené h perfectionner de nombreux appareils élec-
triques, lin 1881, il inventa l'interrupteur qui porte
son nom ;cet appareil, analogue à l'ancien inlerrup-
Leur à marteau, présentait, cependant, sur celui-ci
une grande amélioration parlarapidilé aveclaquelle
le courant se rétablit après l'interruption. On lui
doit aussi un galvanomètre, un a.opèremètre, etc., et
aussi de nombreux résultais théoriques.
Le galvanomètre Deprez etd'Arsonval. dit II à arête
de poisson » (v. Dict. iMr. ill., t. IV) est disposé de
tcdlc façon que l'action du champ magnétique
terrestre surle cadre mobile peut être négligée. De
plus, ses oscillations sont amorties par suite de la
production de courants induits résuilant du dépla-
cement du cadre dans le champ de l'aimant et, si le
circuit du galvanomètre n'a pas une résistance trop
forte, l'appareil est véritablement apériodique, ce
qui permet de faire très rapidement les lectures.
LAROUSSE MENSUEL
L'ampèremètre Deprez-Carpenlier est un instru-
ment pratique el des pins simples; il comprend une
bobine, à l'intérieur de laquelle se trouve une aiguille
en fer doux, orientée par un double aimant recourbé.
Marcel Deprez perfectionna les dynamos en indi-
ijuant le double enroulement, et il mit en usage l'em-
ploi de la méthode graphique pour divers essais.
C'est lui qui employa le premier, en 1 881, lescacac^^-
ristique-1, courbes construites en portant en abscisses
les intensités du courant et en ordonnées les forces
élec.romotrices à circuit ouvert ou fermé sur des
résistances croissantes ou décroissantes.
En 1890, Marcel Deçrez fut nommé professeur de
la chaire d'électricité industrielle au Gonservaloire
des arts et métiers; il avait été suppléant de Joseph
Bertrand au Collège de France. Ses travaux ont été
publiés dans les revues scientifiques et les « Comptes
rendus » de l'Académie des sciences; il a publié à
part : Traité d'électricité industrielle théorique et
pratique (Paris, 1896-1899). — O. Boucheiit.
Eta,t-in£tjor. (Organisation pendant la pré-
sente GUERRE.) L'état-major est l'auxiliaire du
commandement; il exerce son action en son nom
et sous une forme impersonnelle.
Son rôle est le suivant :
1» Préparer pour le général les éléments de ses
décisions ;
2" Traduire ces décisions sous forme d'instruc-
tions et d'ordres ;
3° Compléter les instructions et les ordres par
toutes mesures de détail nécessaires que le général
n'aurait pas arrêtées lui-même;
'•" Assurer la transmission des instructions et des
ordres et, le cas échéant, en contrôler l'exécution.
Di/férents états-majors. — D'après les règlements,
un état-major était placé, à l'intérieur, auprès du
ministre de la guerre (état-major de l'armée)
et de chaque commandant de région ; aux armées,
auprès du commandant en chef (état-major général),
auprès de chaque commandant d'armée, de corps
d'armée, de division, auprès du directeur de l'ar-
rière (chargé du Service des chemins de fer et du
Service des étapes) et de chaque directeur des éta-
pes et d ;s services (chargé, sous les ordres du
directeur de l'arrière, des même fonctions pour une
armée n'opérant pas isolément).
Les événements ont apporté à celte organisation
certaines extensions. Une armée indépendante,
comportant un directeur de l'arrière, a été formée
en Orient. Les armées opérant en France ont été
réunies en un certain nombre de groupes d'ar-
mées. Il a élé désigné un généralissime pour l'en-
semble des armées alliées opérajit en France. Des
états-majors ont élé placés auprès de tous les offi-
ciers généraux mis à la tête des organisations ci-
dessus indiquées.
D'autre part, à l'intérieur, par décret du 29 avril
1917, a été institué un chef d'état-major général,
placé à la tête de l'administration de l'armée, délé-
gué du ministre de la guerre pour l'élude de toules
les questions techniques intéressant les opérations
militaires et pour la direction des services généraux
du territoire. On sait que ce poste a été occupé suc-
cessivement par le maréchal Pétain, puis par le maré-
chal Foch, qui est suppléé, depuis sa nomination à la
tête des armées alliées, par l'officier général qui
dirige les services de l'élat-major de l'armée, groupe
de l'intérieur.
En effet, l'état-major de l'armée a été scindé en
deux groupes : groupe avant, collaborateur direct
du chef d'étal-major général, pour l'étude des ques-
tions et l'élaboration des travaux préparatoires inté-
ressant la direction générale de la guerre ; groupe
de l'intérieur, chargé de l'organisation et de l'emploi
des ressources du territoire, plus spécialement pour
les besoins des armées.
Composition des états-majors. — A la tête de
chaque état-major se trouve un officier qui organise
le fonctionnement d'ensemble et dirige l'exécution
du service. Il porte le titre de major général, pour
l'etat-major de l'armée, groupe de l'intérieur, pour
l'élat-major du maréchal Foch et du maréch al Pétai n,
celui de chef d'état-major pour les autres étals-
majors; le grade varie de général de division pour
les majors généraux à chef de bataillon oud'esca-
di'on dans une division.
Le major général est assisté d'un ou de plusieurs
officiers, portant le titre de sous-chef d'élal-inajor,
à l'intérieur, aides-majors généraux, aux armées ;
ils ont rang de général de division, de général de
brigade ou colonel ; le chef d'état-major a auprès de
lui, sauf dans les divisions, un ou plusieurs sous-
cliefs de grade égal ou immédiatement inférieur au
sien.
Les étals-majors de corps d'armée et de division
comprennent des officiers de l'active ou de com-
plément, dont un certain nombre sont brevetés
d'élat-major, un officier d'administration du service
d'état-maior, un inlerprcte.
La composition des autres états-majors est va-
riable et complexe.
Les bureaux de l'état-major. — Dans tous les
états-majors, sauf ceux des régions (qui sont divisés
695
en sections), les affaires sont réparties par espèces
entre trois bureaux :
1" bureau : personnel et matériel.
2< bureau : renseignements et affaires politiques.
3* bureau : opérations et mouvements.
De plus, une section spéciale, dite du <> courrier »,
est chargée de la réception et de la transmission
des pièces.
Dans les états-majors de division, où le nombre
restreint des officiers ne permet pas de les répartir
elfecli veinent en bureaux, l'organisation par bureau
n'est plus que conventionnelle, c'est-à-dire qu'elh-
n'est pins observée que pour l'établissement et l'en-
registrement de la correspondance.
C'est en vertu de cette division, aux armées, que
le 1" bureau a dans ses attributions les questions
ci-après :
a) Organisation, situation, effectifs, pj ises, perles,
évacuations, remplacements, mutations, remontes,
avancement et récompenses, police et discipline,
justice militaire, prisonniers de guerre, prévAlé,
sauvegardes, état civil.
6) Munitions, vivres, matériel de tout genre,
constitution, consommation et renouvellement des
approvisionnements.
Le 2" bureau est chargé :
a\ du service des renseignements.
il du service des affaires politiques.
c) du service topographique.
Le service des renseignements comporte, entre
autres, l'espionnage, le contre-espionnage et l'inter-
rogatoire des prisonniers et des déserteurs.
Dans le service des affaires politiques rentrent les
relations éventuelles avec l'ennemi, les rapporlsavec
lesauloriléscivilesdes pays occupés, la surveillance
du personnel des formations sanitaires laissées par
l'ennemi, les relations éventuelles avec la presse.
Les relations éventuelles avec l'ennemi ont trait
à l'envoi de parlementaires, à l'établissement de
cartels d'échange pour les prisonniers, à l'applica-
tion des dispositions de la Convention de La Haye
et de celle de Genève pour les blessés et les forma-
tions sanitaires, à la comlusion des conventions
militaires, suspensions d'armes, armistices, elc.
Les relations avec les autorités civiles, les fonc-
tionnaires et les habitants des territoires occupé^
comportent, notamment, les contributions de guerre
et les réquisitions.
Le service lopographique rassemble et coordonne
tous les renseignements concernant le terrain de la
zone d'opérations et les ressources du pays. C'est
lui qui tient à jour les cartes d'opérations.
Le 3' bureau est chargé de tout ce qui est relatif
aux opérations et aux mouvements des troupes. Il
rédige les instructions, ordres ou parties d'ordres
concernant les marches, le stationnement et le
combat. Il établit le compte renau quotidien de
situation et d'opérations, qui doit être adressé par
les moyens les plus rapides à l'échelon supérieur,
compte rendu qui sert à la rédaction du commu-
niqué; les reconnaissances spéciales, jugées néces-
saires, renlrent également dans ses attributions.
A Vétat-niajor de l'armée, groupe de l'avant, le
\" bureau s'occupe du programme des fabrications
de matériel pour l'armée française tout entière, de
la cession de matériel aux Alliés, de la répartition
des e"'ectifs et du matériel entre les théâtres d'opé-
ration. Le 2" est chargé de la centralisation, analyse
et synthèse, des renseignements relatifs à la situa-
tion militaire, politique et économique des puissan-
ces ennemies et neutres. Au 3' bureau ressortissent
les opérations sur tous les fronts des Alliés.
Dans le groupe de l'intérieur, le 1" bureau a dans
ses attributions tout ce qui concerne l'organisation
et la mobilisation de l'armée : hommes, animaux, voi-
tures, automobiles. Le 2' bureau comprend, notam-
ment, une section d'études de la presse étrangère,
pour renseigner l'autorité militaire et le ministère
des affaires étrangères — une section des courriers
extérieurs chargée, entre autres, de transporter,
dans des conditions de sécurité absolue, les rap-
ports, documents, instructions, manuels el caries
particulièrement importants — une section écono-
mique, qui a la direction des commissions de con-
trôle postal et de contrôle télégraphique, du service
secret des renseignements économiques et financiers.
C'est le 3° bureau qui traite li s que;>tions relatives
aux opérations militaires et à l'instruction générale
de l'armée, notamment à la défense contre aéronefs.
En oulre, l'élat-major de l'armée, groupe de l'in-
térieur, comprend un 4* bureau, dont les attributions
sont multiples : s'il n'a plus, comme au début de la
guerre, la charge et la responsabilité exclusive des
transports par terre et par eau, il conserve encore,
notamment, l'organisi'lion dos services de l'arrière
de l'armée française et '.'.e l'armée aniérlraine, l'en-
tretien des années française, serbe et h>llénique,
la centralisation du fret pour le ministère de la
guerre, enfin le service de la poste militaire el dos
colis postaux militaires, auquel sont rattachés les
deux bureaux centraux militaires postaux de Paris
et de Marseille, dont le premier seul occupe fiinze
cents personnes, et les deux bureaux des colis pos-
taux militaires des mêmes villes. — André CiauL.
696
Éltats-XJnis (l'Effort financier, militaire
«T NAVAL des). Le comité «France-Amérique», qui a
tant fait déjà pour susciter et développer en Fiance
le goût avec la connaissance des ciioses d'Amérique
et pour rendre de plus en plus intime la commu-
nauté de sentiments, d'idées, d'intérêts et d'inspira-
tions entre les Etats-Unis et la France, a conçu la
très heureuse pensée de concentrer en un exposé
large, suffisamment compréliensif, les multiples
manifestations de l'effort américain dans la guerre
mondiale qui s'achève par la victoire. Cette concep-
tion a été réalisée par la présentation d'une publi-
cation spéciale préparée sous le contrôle d'André
Tardieu, commissaire général des affaires de guerre
franco-américaines.
Depuis que le président Wilson a fait entrer les
Etats-Unis dans la guerre, en mars-avril 1017, il a
été beaucoup écrit sur l'effort financier et mililaire
de ce grand pays dans la grande guerre d'Europe,
effort dont le résultat a été d cbord d'abréger la
durée de la lutte, puis d'en assurer la fin victorieuse.
L'effort s'est exercé dans toutes les directions de l'ac-
tivité économique de l'Union, affcriant l'exploitation
des chemins ae fer comme le functionncment des
banques, les conditions de la production industrielle
comme les possibilités du commerce extérieur, bri-
sant tontes les traditions, conlrMgnant toutes les
habitudes, visant un seul objet :1e concours le plus
Fuissant et le plus rapide à donner aux nations de
Entente engagées depuis trois années dans une
lutte à outrance contre la barbarie.
a Au début, dit André Tardieu dans une courte,
mais très expressive préface k l'exposé de l'effort
des Etats-Unis, tout ou presque tout était nouveau
pour l'adminislralion et pour la nation américaines.
Pour arriver aux résultats que nous admirons main-
tenant, le gouvernement a adopté un sy.sLime d'une
audace remarquable. Le contrôle de l'Etal a été
étendu à tous les moyens de production, d'échange
et de circulation qui intéressent la guerre. »
Le pouvoir fédéral a, d'autre part, assumé une
œuvre de direction de la vie morale de la nation,
qui tient dans l'elfort américain une place digne de
1 attention de l'observateur contemporain, comme
du futur historien. L'Etat s'estefforcé, pour justifier
et faire accepter le contrôle dont il prenait la charge,
de se mettre en contact direct avec les citoyens,
expliquant aussi clairement que possible la néces-
sité des mesures prises, faisant appel à la collabora-
tion volontaire de tous, rappelant sans cesse et par
tous les moyensimaginables à chacun certaines idées
directrices, celles que le président Wilson a si magis-
tralement exposées dans ses messages et discours.
« Le Commitiee on Public Information est au
centre de cette organisation de propagande, nous
dit André Tardieu. 11 réunit des nouvelles pour la
Sresse, des renseignements pour les conférenciers,
es photographies pour les journaux, des films pour
les cinémas. »
La tâche de ce comité est complétée, dans tous
les grands services de production industrielle, par
une armée de conférenciers. La «Food Administra-
tion » (ou Service d'approvisionnement) adresse au
public des appels au moyen d'images, d'affiches, de
récits dans les journaux et revues, de projections
sur l'écran lumineux. Les campagnes d'emprunt
sont plus vastes encore. Le président les ouvre, les
ministres y participent, le secrétaire d'Etat aux
finances prononce cinquante discours par semaine,
les gouverneurs, dans les Etals, dirigent la propa-
gande. Les résultats attestent l'incontestable effica-
cité de ces méthodes multiples, sans cesse variées,
de la publicité patriotique.
On sait, maintenant, quels grands avantages mili-
taires et économiques pouvaient être et ont été
«(Tectivement obtenus par tant de manifestations
diverses, souvent bien inattendues, de l'effort améri-
cain. La victoire est venue, et tous ceux qui ont
participé à l'œuvre commune peuvent aujourd'hui
se féliciter d'avoir réelle'.ient bien travaillé.
André Tardieu, qui a vu de près le lonctionne-
ment de l'énorme machine actionnée par le pouvoir
fédéral, dit qu'il faut attribuer pour une large part
les succès de l'effort américain k la franchise avec
laquelle le gouvernement des Etats-Unis est allé à
son peuple, à ia loyauté avec laquelle il est resté
fidèle k son devoir démocratique.
L'effort financier. — C'est en avril 1917 que les
Etats-Unis ont apporté aux nations de l'Entente,
engagées dans la pins rude guerre que les annales
du monde aient jamais connue, le concours de leurs
forces militaires et de leurs forces financii res. Il
convient de constater qu'à ce moment précis les
Etats-Unis étaient dans une situation économique
très fiorissante. Les fournitures de guprre à l'Angle-
terre, à la France, à la Russie, à l'Italie, avaient fait
affluer l'or dans les caisses de leurs banques; les
Américains, en Irois années, s'étaient considérable-
ment enrichis. Cette constatation, loin de rien enle-
ver au mérite de leur intervenlion dans la guerre,
ne fait que mieux ressortir l'esprit de sacrifice qui
a guidé tous leurs actes k partir d'avril 1917 et ex-
plique la grande valeur du concours qu'ils ont donné
dès lors, sous toutes les formes, à l'Entente.
LAROUSSE MENSUEL
A la veille de la guerre, ils avaient constitué, en
vue d'améliorer leur mécanisme de banque et de
circulation fiduciaire, un système de « Réserve fé-
dérale », groupant la plupart des banques émettrices
de billets autour de douze banques centrales, dites
n banques de réserve fédérale », ayant leurs opéra-
tions régularisées par un Conseil central, au sein
duquel le Trésor fédéral se trouve largement repré-
senté. Nous rappellerons ici que le Larousse Men-
suel Illustré a publié un exposé de ce nouveau
système bancaire, peu de temps après qu'il avait
commencé d'être en plein fonctionnement. ('V. p. 220.)
Cette organisation a eu un grand succès et son rôle
est devenu de première importance dans la vie
financière de l'Union. Elle a consolidé les résultats
merveilleux acquis par l'élan des affaires privées et
resserré les liens financiers unissanlles diverses ré-
gions de ce pays quinze fois grand comme la France.
On ne saurait suivre dans le détail l'exposé fait
par M France-Amérique », en trente-deux pages,
grand format et d'impression très serrée, de refforl
financier des Etats-Unis pendant la première année
de la participation à la guerre mondiale. Il suffira
de constater par quelques chifl'res l'énorme activité
financière déployée en 1917.
Avant l'entrée en guerre, les Etats-Unis avaient
déjà avancé 15 milliards à des Etats ou à des con-
sorliumsétrangers De nouvelles avances, consenties
pendant l'année 1917, ont porté le tolal des prêts
consentis à la fin de cette période à 35 milliards de
francs, déduction faite des remboursements partiels
qui avaient pu être effectués sur les premières
avances. Le total a été, naturellement, grossi dans
de fortes proportions pr^.r les transactions nouvelles
passées en 1918 entre les Etats-Unis et les Alliés.
Des importations nettes d'or faites depuis le mi-
lieu de 1914 ont accru de près de 6 milliards de
francs les stocks de ce mêlai aux Etats-Unis. Le
pays, d'autre part, a rapatrié la majeure partie des
titres représentant ses délies extérieures. Une telle
force financière est destinée, de toute évidence, à
exercer pour longtemps une action prépondérante
sur la vie économique du monde.
Les chiffres du budget fédéral permettent de me-
surer l'inlensité du travail imposé an gouvernement
de l'Union pour la couverture des besoins de la
guerre. En 1915-1916, le budget s'élait soldé, en
recettes et en dépenses, par 3.900 millions de francs.
Or, le budget présenté le 3 décembre 1917 accuse,
ponrlesdépenses imputables sur l'exercice 191 7-1 91 8
(crédits volés), une somme totale de 92 milliards
de francs, dont 45 milliards pour la guerre et la
marine et 35 milliards pour les avances à des Etats
étrangers.
Les recettes ont été d'environ 5 milliards pour
1916-1917. Les prévisions de rendement pour
1917-1918 ont atteint 20 milliards de francs, dont
6 milliards 1/2 à provenir des anciens impôts et
13 milliards 1/2 de la taxation nouvelle. Sur ce
dernier chifrre,raecroissenient d'impôt sur le revenu
figure pour 4 milliards 1/2 et l'impôt sur les béné-
fices de guerre pour 5 milliards.
La rentrée effective de l'impôt est très satisfai-
sante. Les taxes sur le revenu et sur les bénéfices
de guerre fournissent beaucoup plus que le rende-
ment espéré.
Entre le produit de la taxation et le montant des
dépenses, l'écart est énorme, soit de plus de 70 mil-
liards pour 1917-1918. 11 a été couvert par le pro-
duit des emprunts de la Liberté, émis à des inter-
valles singulièrement rapprochés et dont le succès,
grâce aux méthodes de propagande employées, a
été considérable.
La coopération de la puissance économique amé-
ricaine k lalulte sonlenne parles Alliés a été surtout
une œuvre de coonlination industrielle, commer-
ciale et financière. Il s'agissait, en effet, de centra-
liser les apports de tonte nature fournis par les
diverses régions des Etats-Unis pour en opérer le
transfert à une alTeclalion spéciale: l'indiislrie de
la guerre. Cette centralisation a été favorisée par
l'exislence de certains organes d'origine plus ou
moins récente, tels que les trusts et les banques de
réserve fédérale. Les grandes sociétés américaines,
jusqu'à l'entrée en guerre, absorbaient la majeure
parlie des capitaux disponible» parce qu'elles em-
ployaient le pins de main-d'œuvre (et par là de
produits alimentaires), d'acier, de charbon, de tex-
tiles. Elles n'ont pu échapper au devoir général de
modérer leurs dépenses et leurs emprunts et, ce-
pendant, pour beaucoup d'entre elles (celles qui
produisent en majeure partie des objets de première
nécessité dev-ant, d'unemanièredirecteou indirecte,
servir à la guerre), l'économie bien enlendue exigeait
d'extraordinaires augmentations de dépenses.
A la fin de mars 1918, une centaine des princi-
pales indnsIriesdesEtats-Unisavaient rendu compte
à leurs actionnaires des résultats obtenus en 1917.
Leurs bénéfices nets étaient, en moyenne, très in-
férieurs à ceux de 1916, à cause de l'accroissement
des impôts et des prix de revient. Mais leur mouve-
ment d'affaires avait été extrêmement actif, et elles
avaient engagé des capitaux considérables dans
leur production.
«• 744. Février 1919.
Le besoin de coordination rapide était, cependant,
trop impérieux pour que le pouvoir central, obligé
d emprunter si laigemenl, ne fiit pas amené à une
action précise auprès des principales industries.
Pour ce rôle difficile, il s'api uya sur des avis tech-
niques puisés dans le monde' des affaires, mani-
festant son désir de laisser à celui-ci toute l'indé-
pendancccompatibleavcclesnécessilés. Les milieux
financiers, non sans s'cnionvoir de certaines me-
sures, durent admettre qu'elles étaient commandées
parla force des choses. Au commencement de 1918,
les emprunts des sociétés furent soumis au même
contrôle officieux du (.lonseil de réserve fédérale
que ceux des Etats et municipalités.
On doit observer que l'intervention a pris sa
forme la i)lus étendue pour les industries dont l'ac-
tivité pouvait influer le plus sur les événements de
guerre, telles que les constructions navales, les
mines et les chemins de fer.
Le problème concernant l'exploitation, pour le
mieux des intérêts généraux et des besoins de l'Etat,
de l'immense réseau des voies ferrées de l'Union
re(;iit une première solution par la proclamation de
Wilson de décembre 1917, réquisilioimaiit toutes
les lignes des compagnies, grandes ou petites, pour
la durée de la guerre et pour un certain temps
après la conclusion de la paix.
Cette mesure ne fut prise qu'après des tâtonne-:
ments motivés par la complexité des facteurs so-
ciaux, financiers et techniques en jeu. On sait que
les chemins de fer, aux Etats-Unis, s'étaient déve-
loppés sous un régime d'extrême liberté. Certaines
compagnies desservaient d'immenses terriloires,
différant entre eux par la situation géographique
comme par la productivité. Il fallait, pour le bien
général et en vue de parer aux dangers d'une crise
de transport, éliminer au plus tôt les divergences
résultant d'une organisation déjà presque séculaire.
11 n'y avait pas d'antre remède que la mainmise
de l'Etat sur les réseaux contre la crise de main-
d'œuvre et l'agitation ouvrière qui, depuis quelque
temps, compromettaient le trafic de la façon la plus
sérieuse.
Les compagnies, aux prises avec de grands em-
barras et qui, renonçant progressivement à leurs
hal)itudesdo concurrence, cherchaient à se grouper,
firent bon accueil à la proclamation du président,
qui, d'ailleurs, garantissait aux propriétaires des
lignes un revenu net équivalant à celui de la der-
nière période triennale. Les actionnaires et obliga-
taires manifesièrent leur confiance, dans les pre-
mières semaines de 1918, par une reprise des
valeurs h la Bourse de New-York. La tenue de ces
titres, qui représentent un capital énorme, ne
pouvait que réaj^ir favorablement sur l'ensemble de
la cote, ce qui n'était point sans intérêt pour les
emprunts des Allies et pour les obligations de la
Liberté que l'F^tat fédéral avait déjà émises ou
devait encore émettre.
Veffurt militaire. — En avril 1917, l'armée amé-
ricaine comprenait au total 9.524 olficiers et
202.000 hommes (dont, piiur l'armée régulière,
77.000 soldats et 3.733 officiers et le reste pour la
garde nationale).
Le 18 mai suivant, fut votée la loi de conscription,
assurant la levée d'une armée nationale par le choix
systématique des hommes dont l'incorporation serait
le moins nuisible aux intérêts économiques de la
nation.
Tout d'abord, on ne songea pas k l'envoi de
troupes en France. Le 8 mai 1917, pourtant, l'état-
major américain reçut l'ordre d'étudier la constitu-
tion et le transport d'un corps expéditionnaire. Le
général Persliiiig arrivait à Paris le 13 juin; les
premiers soldats amérirains débarquaient en France
le 26 du même mois. Bientôt, il y eut sur notre sol
une division américaine, 25.000 hommes.
Le 6 juillet, le premier bataillon fut envoyé au
front. Cependant, la veritn.ble coopération militaire
ne devait, dans la pensée du gouvernement de
Washington, devenir dcflnidve qu'en 1918. IVIaisle
président Wilson était poussé par un fort courant
d'opinion, que dirigeaient le sénateur Lodge et
Roosevelt, en vue d'une inlervenlion sérieuse, im-
médiate. 11 fallait, disaient-ils, « rendre la visite de
Rochambean ». C'est alors qu'arrivèrent les missions
des pays alliés, notamment la mission JofTre et
Viviani, qui reçut un accueil entliousiaste dans
toules les grandes villes des Etats-Unis.
Dès lors, était battue en brèche cette déclaration
qui répondait au sentiment de la majorité du
public de l'Union : « L'armée américaine ne doit
faire aucun tort à l'agricnllure et à l'industrie amé-
caines. » Principe excellent, mais dont on lirait des
conclusions contraires à l'envoi d'une grande armée
en Europe.
La phase inlensive de l'effort militaire des Etats-
Unis a été ouverte par les oITensives allemandes
de mars et de mai 1018. Les circonstances élaient
graves. Elles parurent telles an secrétaire d'Etat à
la guerre, Baker, qui se trouvait alors à Paris, et il
jugea qu'elles devaient modifier les modalités du
concours américain. Dès son retour en Amérique,
les envois d'hommes se succédèrent, de plus en plus
«• 144. Février 1919-
imporlanls, jusqu'à alteindre le cLiffre de 306.000
en juiliit 1918. Le total, pour 1917 et 1918, a été
de 2 millions d'Iiomines, dont 65 à 70 p. 100 de
combattants.
l'jn aoi'it 1918, il avait étéTorméSâ divisions, com-
prenant cliaciine 37.000 hommes. Les dispositions
étaient prises pour la formatioa de 80 divisions.
La signature de l'armistice a arrêté ces préparatifs.
L'e/lorL naval. — Le numéro spécial de t'rance-
Amérique contient, sur l'elfort naval des Etats-
Unis, un chapitre de neuf grandes pages, du plus
haut iiiiérct, tant à cause des faits qu'il met en
lumière que pour leur caractère d'authenticité. Ils
émanent, (m elfet, du Comité d information publique,
dans un document intitulé « Revue officielle de la
première année de guerre ». Le détail en est très ins-
tructif et attachant; il faut, cepen-
dant, passer outre et se contenter
de quelques notations topiques. Rn
dépit des attaques des sous-marins,
pas un transport américain ne fut
coulé dans la traversée d'Amérique
en H'rance.Le transport .'iH/iZ/es fut
coulé durant son voyage de retour.
Un autre, le Finlnnd, fut torpillé,
mais parvint à gagner un port par
ses propres moyens. Le Tuscania
était un transport britannique, por-
tant des troupes américaines.
Peu après le commencement de
la guerre, la marine des Etats-Unis
se chargea de la plus grande partie
du service de patrouille dans les
eaux occidentales de l'Atlantique.
Une escadre, envoyée dans l'Amé-
rique du Sud, fut reçue avec un
grand enthousiasme à Hio-de-Ja-
neiro, à Montevideo et Buenos-
Ayres. Après l'entrée en guerre du
Brésil, la marine de ce pays coopéra
avec les navires américains à la pa-
trouille des eaux sud-américaines.
Par la réquisition de 800 navires
de diirérentes catégories et leur
transformation militaire, les Etats-
Unis se procurèrent un grand nom-
bre de transports, de navires de
patrouille, de chasseurs de sous-
marins, de dragueurs et de mouil-
leurs de mines, de remorqueurs
et autres auxiliaires. Des navires
allemands, au nombre de 109, étaient
internés dans les ports des Etats-
Unis. Leurs équipages avaient mis
volontairement les machines hors
de service. Les bâtiments furent
saisis et réparés. Le tonnage mili-
taire et marchand des Etats-Unis
fut ainsi accru de 700.000 tonnes,
et la marine disposa de plusieurs
grands transports, qui ont depuis
beaucoup navigué.
Il a été construit des centaines
de baleaux chasseurs de sous-ma-
rins. Le contre-torpilleur s'étant
montré le type de bâtiment le
plus efficace contre les sons-ma-
rins, les Etals-Unis consi uisent
actuelleineul plus de contre-torpil-
leurs qu'aucune nation n'a jamais tenté d'en cons-
truire dans le même temps.
De juillet 1916 an mois d'août 1918, il a été cons-
truit et immalriculé aux Etats-Unis 2 900 bâtiments,
représenlant 2.610.000 tonnesde jau^'e brute.
L'opinion publique aux Elals-Unis, et peut-être
même le gouvernement de l'Union, dit dans ses
conclusions le rédacleur du <■ Numéro spécial », ne
se rendaient pas très exactement comple, tout
d'aliord, des lourdes charges et des sacrilices de
tout ordre qu'allait entraîner, pour chacun des
ciloyens américains, la participation à la guerre.
Mais, aussi généreux que réalistes, ils ont accepté
résolument la letton des faits et n'ont pas hésité à
prendre les mesures, si graves fussent-elles, que
conseillaient les événements. Aussi n'est-il quejusie
de reconnaître (| ne l'esprit d'initiative et les heu relises
réalisations des autorités fédérales, comme lavolonlé
disciplinée et unanime de la nation, font honneur à
la grande démocratie américaine.
Le sentiment particularisie l'e chaque Etat par
rapport à l'Union, de chaque individu pur rapport
à l'Union, éiait toujours très viviice, il y a quelques
années, chez nos amis Yanliees. La guerre aura eu
pourconséquence de provoquer une évolution de cet
état d'esprit opiniâtrement individualiste vers une
coopéralion plus étroite des organismes des Etats
isolés avec l'adm'nistration fédérale. 'Poules les
forces de la Confédération devant converger vers
ce but : mettre au service des pouvoirs publics la
totalité des ressources nationales en vue il'iine
victoire rapide et complète, les représentants du
pays n'ont pas craint de confier au président de
l'Union des ri'sponsahili'és personnelles et directes
sans exemple dans une démocratie.
LAROUSSE MENSUEL
De tous les sacrifices consentis on peut dire que
le plus signilicaiif a élé l'institution du service
militaire obligatoire. C'était une innovation d'une
hardiesse inouïe dans la politique et les moeurs
américaines. Aucune autre ne pouvait marquer
d'une façon plus éclatante la volonté de « gagner la
guerre ». Les Allemands virent bien, alors, que
l'idéalisme américain apportait dans la lutte un
élément décisif. — a. Moireiu.
Q-uelpa (cuHE de). Méd. Cure de désintoxi-
cation appliquée au traitement de certaines maladies
et, spécialement, du diabète sucré.
— Encycl. C'est en 1908 que Guelpa, médecin
de Paris, présenta, pour la première l'ois, à la So-
ciété de thérapeutique et k la Société de médecine
Aspect d'un port de base américaine en France. — I,e déchirjfement, à l'aiile de grues géantes, des produits
et Diarctiandises de toutes sortes destinés aux armées du front.
les résultats d'une méthode générale de désintoxi-
cation organique, qui lui avait été inspirée par
certaines constatations faites dans le service de Du-
jardin-Beauinetz et qu'il appliquait depuis long-
temps avec un succès constant. L'exposé de cette
méthode, qui porte aujourd'hui le nom de cure de
Guelpa, souleva d'abord les plus violentes critiques,
et chacun de ses adversaires lui prédisait, par des
arguments théoriques différents, un échec complet,
provenant tnnt de rinsul'lisiince des moyens em-
ployés que de la résistance des malades. Ôr, à l'ex-
périence, il se trouva que des faits de plus en plus
nombreux et di^monstiatifs s'inscrivaient en sa
faveur, si bien qu aujourd'hui, beaucoup de ceux
qui combaltirenl autrefois celte méthode l'em-
ploient maintenant, au grand béiiélice de leurs ma-
lades. Il y a donc désormais un intérêt pratique
évident à la faire connaître.
Sa technique est fort simple. Pendant trois, quatre
ou cinq jours, le palient doit observer une dièle
rigoureuse; tons les aliments, môme le lait et le
bouillon, lui sont rigoureusement interdits; on ne
lui permet que les boissons abondantes, sous forme
d'eau p ire ou de tisanes indilTérentes (pas de vin,
bièi'e, cidre, ni aucune espèce d'alcool), avec une ou
deux petites tasses, faiblement sucrées, de café, de
thé ou de maté. En outre et pendant le même temps,
Guelpa ordonne une piirgation saline quotidienne
(eau purgative naturelle, sulfate de soude ou de
magnésie) assez forte (30 à 60 gr. suivant les cas),
diluée dans un litre d'eau chaude et prise par verre
â intervalles de 10 il 15 minutes. L'effet de celte
piirgalion massive est rapide : deux ou trois éva-
cuations abondantes, sans coliques ni inalaises;
après quoi, le sujet est parfaitement tranquille tout
697
le reste de la journée et peut même vaquer sans
inconvénient à ses occupations. La seule précaution
& prendre, mais essentii-lle, est d'éviter les refroi-
dissements. C'est pourquoi, quand il s'agit de per-
sonnes ayant leurs aiïaires au dehors, il vaut mieux,
sauf indication urgente, pratiquer la cure pendant
la saison chaude qu'en hiver.
L'originalité de cette méthode ne réside pas dans
la superposition de la purgation au jeiine, mais dans
la durée de son application, essentielle pour obtenir
l'action thérapeutique. Au début, les ad versaires de
Guelpa soutenaient qu'à ce régime les malades
seraient bien vite affamés, épuisés, et devraient en
conséquence l'interrompre pour échapper à ces
graves inconvénients. Oes inconvénients, Guelpa
les niait absolument, et il avait raison. Le premier
jour du traitement, le malade est,
à la vérité, un peu éberlué; il
éprouve quelques petits malaises,
causés principalement par la rup-
ture des habitudes alimentaires.
Mais, dès le second ou le troisième
jour, au plus tard, il se reirouve
tout à fait dispos, sans affaiblisse-
ment, appétit gênant ni soif exa-
gérée; souvent, même, il éprouve
un sentiment de bien-être, se sent
de corps plus alerte et d'esprit
plus dispos. Les malades les plus
gravement atteinis n'échappent pas
à cette heureuse influence. En 1915,
arrivaient dans une ambulance de
Paris de malheureux blessés de
guerre, lamentables, fiévreux, dé-
primés, moins par le fait des
hémorragies et des souffrances que
de l'infection généralisée dont ils
étaient victimes. Quand Guelpa
leur prescrivait, au lieu des toni-
ques dont ils semblaient avoir be-
soin, deux ou trois jours de jeûne
el de purgation, certains médecins
se récriaient et pensaient que l'on
condamnait à mort ces pauvres
blessés. Non seulement ils ne mou-
raient point, mais encore, au bout
de leur cure et à la surprise géné-
rale, ils étaient sensilib ment amé-
liorés; la fièvre avait disparu, ainsi
que la dépression, le teint était
redevenu bon, les plaies prenaient
un bel aspect et évoluaient rapide-
ment vers la guérison
De ces faits impressionnants, que
l'on pourrait multiplier, quelle est
l'explication?
Beaucoup de maladies, au moins
dans leur gravité et leurs compli-
cations, sont imputables à une in-
toxication de l'organisme, qu'elle
soit d'origine endogène ou exogène.
Pour lutter contre cette intoxica-
tion, qui diminue la résistance des
organes et gêne, ou empêche, les
réKct.ons défensives, illaut; loobll-
gei- l'organisnieà vivre sur son pro-
pre fonds, car, alors, en vertu de la
concurrence vitale, les cellules affai-
blies, épuisées, altérées, sont dé-
truites lespremières et dévorées par les phagocytes,
en même temps que les déchets et les toxines sont plus
énergiquement oxydées pourparer aux besoinséner-
gétiques (c'est à cela que répond le jeûne de quelques
jours); V nettoyer l'intestin des matières qui s'y
accumulent et qui, résorbées, sont une cause perma-
nente d'iiiloxicalion, tout en maintenant une bonne
diurèse qui facilite l'élimination des résidus inlé-
rienrs, biûlés et détruits (c'est à cette seconde né-
cessité que répondent les purgalions salines répétées
et les boissons ac|ueuses abondantes). Il est évident
que, si ces desiderata sont convenablement remplis,
les procédés naturels de défense el toutes les fonc-
tions doivent se trouver facilités, puisque les tissus
et les humeurs, débarrassés des déchels qui les
« encrassent» ou modifient leur composition, sont,
pour ainsi dire, ramenés à l'élat de neuf. C'est jus-
tement ce que l'on observe chez les malades Irailés.
Bien loin, après une cure de Guelpa, de conslaler
chez eux une tendance à l'anémie, on note, au con-
traire, une augmentation du nombre des globules
rouges, lie la richesse en hémoglobine et de l'index
opsonique, la dilution du sang étant d'ailleurs main-
tenue normale, malgré les purgalions, par l'usage
de boissons abondantes; l'amaigrissement consécutif,
qui peut atteindre 500, 7n0 et même 1.000 grammes
par jour de cure, ne diminue nullement les forces,
car la pression au dynamomètre est plus élevée, la
détenle musculaire plus rapide; le coerficient uri-
naire d'utilisation azotée devient plus élevé, tandis
que baisse le coefficient d'intoxiculion. I.a langue,
enfin, est complètement nelti.yée, la digestion plus
aisée, le travail plus facile, etc.
C'est contre le diabète sucré qu'a élé utilisée, en
premier lieu, la cure de Guelpa et avec un succès
698
qui ne s'est pas démenti. Une seule cure (de 4 &
5 jours) suflil parrois à faire disparaître le sucre,
même quand il atteint un chilîre élevé (100 gr. et
au delà); mais il est rare qu'il ne reparaisse pas
ensuite plus lard. Il faut doue que le dialiétique
s'astreifîiie, en général, il une série de cuj'es, au bout
de laquelle il guérit complètement et délinilivemenl
de sa glycosurie et de l'état diathésique qui la
condiliouue, à la condition qu'il s'observe soigneu-
sement au point de vue alimenlaire, le régime de-
vant être surtout réduil, sans nécessiter l'exclusion
complète d'aucun aliment (pain, fécules, sucre).
■ Quant aux complications graves du diabète, comme
la gangrène, elles guérissent avec la même facilité.
Toutefois, en ce qui concerne le diabète pancréa-
tique, les ell'ets de la cure de Guelpa sont beaucoup
moins rapides, et il est des cas, rares à la vérité, où
la médication parait inopérante. Le taux du sucre
urinaire n'a, d'ailleurs, pas d'influence sur les efl'els
du traitement, et ce sont souvent les glycosuries
les plus fortes qui cèdent le plus rapidement. Enfin,
il n'est pas besoiu d'a-
jouter que l'acidose
et toules les menaces
de coma diabétique
sont rapidement dis-
sipées par la cure de
Guelpa, méthodique-
ment et promptement
appliquée.
Ce rtains autres
états diathésiques et,
notamment, l'obésité
toxique et le rhuma-
tisme déformant, si
rebelle à toute théra-
peutique, sont aussi
très heureusement in-
fluencés par cette
cure, à la condition
qu'elle soit répétée un
grand nombre de fois
et qu'en ce qui cou-
cerne le rhumatisme,
on y adjoigne un ré-
gime décalcifiant. 11
en est de même dans
les troubles digestifs,
surtout hypersthéni-
ques, à cause de la
déchloruralion que la
cure entraine, dans
les albuminuries cy-
cliques, dans l'eczé-
ma, l'épilepsie et les
états neurasthéniques
avec excitation. Dans
les toxi- infections ,
comme on l'a vu ci-
dessus, dans les phé-
nomènes toxiques liés
aux vastes brûlures,
dans les empoisonne-
ments chroniques,
comme le morpîiinis-
me et le saturnisme,
elle apporte aussi des
résultats très satisfai-
sants, ainsi que Jennings l'a maintes fois constaté.
II semble, d'ailleurs, que la cure de Guelpa facilite
l'action des médications spécifiques, comme on a pu
le noter dans le paludisme et la syphilis. 11 convient,
enfin, de noter que, si certaines infections, les sep-
ticémies par plaie infectée, la furonculose, l'érysi-
pèle, sont très favorablement influencés, d'autres, et
principalement la grippe, la tuberculose, le cancer,
ne ressentent de la cure qu'un effet nul ou même
fâcheux, bien que, dans ces maladies, les actions
toxiques jouent un rôle certainement important
La cure de Guelpa n'est donc pas une panacée;
elle a, au contraire, des indications très précises,
mais que, peut-être, nous ne connaissons pas toutes
encore.
D'après la manière dont elle agit, il faut surtout
la considérer connue un adjuvant très précieux du
traitement spécifique, exception faite, cependant,
fiourles maladies diasthésiques et, avant tout, pour
e diabète, à l'égard duquel elle apparaît nettement
curative. La seule difficulté réelle, dans l'applica-
tion, est la résistance des malades. (Juelques-uns se
refusent carrément à l'utiliser, sous prétexte qu'ils
ne pourront jamais supporter un si long jeiine ni
tant de pnrgations. L'expérience, renouvelée des
milliers et des milliers de fois, atteste que c'est une
erreur; sitôt, d'ailleurs, qu'un malade, triomphant
de ses propres répugnances, a réussi à aller scru-
puleusement jusqu'au bout de sa première cnre, le
soulagement éprouvé est tel qu'il n'hésite plus à la
recommencer. Enfin, une condition absolument né-
cessaire à la réussite de la cure est d'observer stric-
tement, scrupuleusement, les indications de la tech-
nique de Guelpa. Un jeûne insuffisant ou sans
purgation ou trop court, des purgations mal prises
ou sans jeijne, ne sauraient, en effet, procurer les
LAROUSSE MENSUEL
améliorations attendues, puisqu'ils ne rempliraient
pas les indications requises pour une complète dé-
sintoxication. D' J. LiUllO.MER.
Gluerre en 1914-1918 (la). [Suite.]
— Le mois de décembre 1918, qui fut un mois de
fêle et d'allégresse, fut aussi un mois d'allente et
de lente ébauche des réparations nécessaires. On
a vu s'y succéder les entrées royales, les voyages
de joie triomphale dans les provinces récupérées,
les marques éclatantes de respectueuse reconnais-
sance à l'égard de notre grand allié le président
Wilson. On y a entendu, en même temps, la sourde
et lamentable plainte de nos déparlements libérés,
victimes suprêmes d'une lutte inexpiable, dont l'ar-
mistice n'a pu terminer les souffrances, où la vie,
étouffée sous la barbarie geimanique, n'a pu renaître
que par fragments, au milieu des plus cruelles pri-
vations. Nous y avons assisté de loin, sans en bien
connaître les détails, ni en démêler tout à fait
l'exacle signification, aux troubles politiques, quel-
A Metz ; Le maréchal Pètain, au moment de recevoir ie uàton de mareehai que va lui remettre le président Raymond Poincaré. Derrière
lui. les chefs des armées alliées ; les maréchaux Jolfre et l'och ; le maréchal anglais Douglas Haig ; le ::énéral américain Perahing; le général
belge Gillaia; le général ilalieii Alhricci ; le général polonais Haller. (En haut, a droite, le président R. l'oincaré donnant l'accolade au maréchal
rétain, — En haut, a gauche, le président R. l'oincaré et G. Clemenceau, passant sur le front des troupes.)
quefois sanglants, qui ont agité la masse allemande,
désemparée, privée des guides dominateurs qui lui
avaient imposé une discipline et une constitution,
incapable encore de se donner à elle-même les lois
de la liberté. De plus loin encore, nous avions suivi,
à travers l'obscurité qui environnait encore ce pays
et qu'aucune lueur précise ne dissipait, les terribles
convulsions de la Russie, sans pouvoir deviner si
nous allions en voir surgir un être nouveau, effrayant
peut-être, mais capable de vivre, ou si nous étions
en présence des derniers spasmes d'un organisme
en dissoluiion. Ailleurs, nous avions senti toutes
les difficultés qui s'accumulent autour de la recons-
titution de la Pologne, les tâtonnements inévitables
de la république Ichcco-slovaque, les conflits d'in-
térêts qui compliquent la formation, en face de
l'Italie, du nouvel Etat yougo-slave. 11 n'était pas
jusqu'aux troubles politiques de l'Espagne, agitée
parle vieil esprit parlicularisle de la Gat.ilogne, et
au drame sanglant qui coûta la vie au président de
la République portugaise, qui n'aient été des signes
de ce temps extraordinaire. Plus près de nous, par
contre, nous avions senti, sur un grand et solide
pays comme l'Angleterre, l'action irrésistible d'une
énergie morale agissant dans le sens même de la
tradition réfléchie de tout un peuple, et le succès
électoral de la coalition qui se pressait autour de
Lloyd George avait été, pour le corps électoral
français, un avertissement et un exemple. Enfin, la
présence parmi nous du président Wilson, la calme
confiance de cet homme de foi dans le pouvoir de
la justice, sa volonté de discuter équilablement tous
les droits, de réparer tous les dommages de la
force et de ne permettre l'oppression d'aucune fai-
blesse semblaient devoir être pour l'avenir une
garantie et pour la paix future du monde un soutien
«• 144. Février Wla.
inébranlable. Mais le contraste même qui se mani-
festait entre ces faits ot ces tendances, la difficulté
d'accorder les anciennes régies de l'équilibre euro-
péen avec les principes encore vagues de la Société
des nations, idéal entrevu dans la brume, l'incerti-
tude qui subsistait sur les véritables aspirations de
lAUemagne, la lourde angoisse oue la Russie fai-
sait peser surrEurope,toutprouvaitau moins clair-
voyant que, si la lutte armée était très certainement
terminée et ne pouvait, en admettant qu'elle reprît,
se développer que dans un champ étioilementlimité,
la guerre n'était pas finie, — en ce sens qu'on devait
raisonnablement, avant de proclamersolennellemenl
la paix tant souhaitée, avoir réglé le statut des
peuples de telle manière que cette même paix fût
assurée réellement par la satisfaction légitime et
réciproque des aspirations et des besoins de chacun,
beaucoup plus nue par des signatures convention-
nelles et révocables.
Dans cette chronique, où nous éprouvons un in-
dicible soulagement à n'avoir plus à parler d'actions
militaires, si glorieu-
■^f-s fussent-elles pour
is soldats, il nous
Miit essayer d'indi-
quer sommairemenl,
avaiitque se réunisse
le Congrès de la paix,
quellesétaicnl, au der-
nier jour de l'année
1918, la situation gé-
nérale de l'Europe et
les questions à résou-
dre. Chacune de ces
'lueslions se présente
' haque jour, dans la
lesse, isolément et
iMi- fragments, au ha-
-ird de télégrammes
d une authen licite
douteuse etd'informa-
tions contradictoires
ou tendancieuses. Il
était nécessaire de les
grouper si l'on voulait
en saisir toute la gra-
vité, et il était du de-
voir de tout citoyen
d'avoir la claire vision
des problèmes aux
mulliplesdounéesqui
vont se poser devant
les plénipotentiaires
de l'Entente.
Avant tout, nos re-
gards se portaient vers
l'Allemagiie. Que re-
présentait, fin décem-
bre 1918, celle expres-
sion? Y avail-ilencore
« une Allemagne », au
sens que nous avons
donné à ce moi depuis
1871, ou avions-nous
devant nous des « Al-
lemagnesudiversesde
tendances et d'esprit?
Il était très délicat
de répondre à ces questions. — Au point de vue mili-
taire, nous traitions avec l'Allemagne qui nous avait
fait la guerre. Le maréchal Koch, mandaté par l'En-
tente, posait ses conditions au grand quartier géné-
ral allemand, que représentaient essentiellemtnt le
généralde Winlerfeldt et le secrétaired'Etat hi-zber-
ger et qui avait toujours pour chef le maréchal
llindenburg, seule autorité allemande qui n'eût pas
été disculée depuis la chute des HohenzoUern. Ces
conditions étaient exécutées avec plus ou moins
d'exactitude et de récrimiualions. Du moins, l'oc-
cupation militaire prévue par l'arinislice du 11 no-
vembre, étendue, lors de la prolongation accordée
le 13 décembre, à une zone de dix kilomètres depuis
la tête de pont de Cologne jusqu'à la frontière hol-
landaise, s était organisée régulièrement, avec une
grande prudence de la part des Alliés et sans aucun
incident. Les troupes anglaises, françaises, améri-
caines et belges s'étaient progressivement avancées
jusqu'au Rhin, puis au delà du fleuve. Avec Cohlentz,
Mayence, Trêves, Aix-la-Chapelle et tout le pays
rhénan, nous tenions là un gage considérable. La
population de ces régions avait accueilli les troupes
alliées avec curiosité, sans aucune apparence d'hos-
tilité, quelquefois, comme h Cologne, qui connut un
instant les désagrégeants d'une révolle militaire,
avec satisfaction. — D'autre part, la reddition de la
flotte allemande et de tous les sous-marins avait
rendu toute sécurité à la navigation marilime. Donc,
sur terre comme sur mer, nous étions assurés contre
toute reprise des hostilités, et nous gardions la maî-
trise de la situation. Mais, nous le répétons, tout
cela était d'ordre militaire et émanait, en somme, du
com.nandement allemand tel qu'il existait pentlant
la guerre. 11 était patent, au surplus, que l'armée
allemande n'était ni démobilisée ni désorganisée, et
«• 744. Février 1919
qu'Hindenburg coiiliniiait à en être le chef accepté
lie tous. Il pouvait inèine arriver que le sort de
l'unité allemande fût entre ses mains; on pouvait
admettre lojjiquement que toutes les forces sociales
qui avaient intérêt en Alema^'ne à conserver leur
cohésion et à lutter contre
l'anarchie voyaient dans
le vieux maréchal, qui
avait su conserver son au-
torité et sa popularité, le
sauveur possible et, peut-
0 tre, nécessaire.
On pouvait, à propos
de nos relations diploma-
tiques avec l'Allemagne,
fairedesobservationsana-
logues à celles qui précé-
dent. LeD'Soir.quidéte-
naitle ministère desalTai-
res étrangères depuis la
chute du gouvernement
de Guillaume 11, l'avait
détenu avant l'abdication,
et il n'est pas certain qu'il
ne le lui ait pas été con-
.servé aulaiit pour main-
tenir la continuité de la
politique élranjtère dans
un moment critique que
par l'eUet d'une secrète
conformité de vues qui
reliait le nouveau pouvoir
aux dirigeants de l'Em-
pire déchu. On doit ajou-
ter que, lorsque, devant
le Congrès des ouvriers
et soldats réuni à 13erlin
le 16 décembre, le D^ Soif
dut, en présence d'une
hostilité plus bruyante
que raisonnée, résigner
ses fonctions et fut rem-
placé par un favori de
l'ancien régime, le comte
de Brockdorlf-Hantzau.
ministre d'Allemagne à
Copenhague, ce choix, en , .
dépitde toutl'esprildémo- '""'""' Lorraines parcourant
cratique qui l'ut attribué
généreusement à ce grand seigneur, apparut beau-
coup plutôt comme une continuation du passé que
■-omme le présage d'une diplomatie Iransformée.
LAROUSSE MENSUEL
Il est certain, enfin, que toute l'ancienne adminis-
tration impériale subsistait et que c'est grâce à elle
que l'Allemagne vivait. L'étiquette seule était autre;
1 esprit était le même. Ainsi on était amené k cons-
tater tout d'abord en Allemagne la persistance de
A Molz. le 8 décembre 1018.
gaiement en automobile les rues de la viUe, 1î jour de l'entrée solen
pouvoirs qui prolongeaient h. la fois l'ancien régime
et le principe de l'unité allemande. En tirer la con-
rlu^'ion qu'une contre-révolution était imminente ou
699
possible aurait, en dépit de certaines tendances
impérialistes surgissant en divers milieux, dépassé
de beaucoup les faits eux-mêmes. On avait, en elTel,
l'impression très nette que soif, comme Hindenburg,
servaient non les Hohenzollern, mais l'ancienne po-
litique impériale et ten-
daient à conserver à l'Al-
lemagne nouvelle, en de-
hors de toute idée dynas-
tique, les incontestables
avantages d'une organi-
sation qui avait fait ses
preuves. Rien n'appuie
mieux cette opinion que
le manifeste du 11 dé-
cembre, dans lequel Hin-
denburg invitait l'armée
à soutenir le gouverne-
ment actuel et la bour-
geoisie et , essentielle-
ment, « i écarter de la
patrie les misères qu'en-
gendre le bolehevisme ».
Mais, à côté de ces
restes d'un passé si ré-
cent, dont tant de traits
sont compatibles avec un
gouvernement républ i-
cain, l'Allemagne avait-
elle adopté la forme d'une
république? Quelques
Français isolés, igno-
rants, insensés ou crimi-
nels, avaient pu le croire,
ou faire semblant, et pro-
clamer au milieu de l'in-
dignation publique leur
sympathie pour cette ré-
publique nouvelle.Cela ne
changeait rien à la ques-
tion et ne pouvait être
pour nous qu'une raison
de plus d'être sur nos gar-
des. En fait, il n'y avait
pas de République alle-
mande, il y avail à Berlin
un gouvernement mal dé-
nclle des troupes ton,.-uses. ^^j^ jj^.j^^^ jj^j^^ g^^g^.
liellement par Ebert et
Scheidemann, battu en brèche par Liebknechl,
Ledebour et tout le groupe Spartacus, — et, en
dehors de Berlin, des tendances locales variées,
A Sirasbourg, le 9 décembre 1918.
Alwdena ai Aluciesnei déOleat Joyeusement devant le président da la République tUymond Poincarii, entouré des membres du QouTariiement et du Parlement. (J. Simont, riUulnuiim.)
700
que l'allilude de Berlin pouvait orienter suivant
ce qu'elle serait, soit vers le maintien de l'unHé
allemande, soit vers le séparatisme. — Le rôle
?[ue Berlin joue en Allemagne ne peut en aucune
açon être comparé à celui que Paris joue en
France. Si Paris n'est pas le centre géométrique
de la France, il est son vrai centre géographique
et, depuis des siècles, son centre moral. Berlin
n'est un centre pour l'Allemagne, ni géogra-
pliiquement, ni moralement. C'est une ville relati-
vement moderne, qui, pendant des centaines d'an-
nées, n'a pas compté en Allemagne. Physiquement,
l'Allemagne n'a pas de centre. Moralement, elle en
a un grand nombre, dont aucun n'a jamais accepté
d'être absorbé par Bcilin. Par suite, ce qui se
Le prC'sident R^tymoad l'oiucai'é sorlaul de ia cuUicdrale de Strasbourg
passe à Berlin n'implique pas une répercussion
nécessaire dans le reste de l'Allemagne. Mais,
inversement, Berlin représente l'unilé réalisée mi-
litairement par la Prusse; elle est le syinljole de la
domination et, en môme temps, de la grandeur impé-
riale. Que Berlin donne l'exemple de l'ordre dans
le liberté, du respect de la conslilution sociale alle-
mande, qu'elle se montre digne de grouper autoiu'
d'elle les éléments de l'avenir allemand, il est cer-
tain qu'aucune partie de l'Allemagne ne refusera
de la reconnaître comme la têle de l'Etat répu-
blicain allemand. Qu'au contraire, Berlin apparaisse
comme le sirge de l'anarchie, que le bolchevisme
semble y triompher, que des troubles sanglants,
antipatliiques à une nation qui ne souhaite que le
repos, la paix et le travail réguliers, s'y produisent,
il y a beaucoup de chances pour que l'unité allemande
se dissolve, ou que toute rAUemagno, appuyée sur
l'armée, se réunisse contre Berlin. Ebert et Schei-
demann l'avaient certainement compris. C'est leur
conviction (|u'il était indispensable d'allirmer l'unilé
de rAlleuuigue, c'est la certitude qu'ils avaient der-
rière eux la majorité du peuple allemand qui leur a
fait désirer la réunion la plus rapide de la Consli-
luante. Mais, soit qu'Ebert et Scheidemann n'aient pas
été à la hauteur des événements, soit qu'ils n'aient
pu disposer de moyens d'action suffisants, soit, enfin,
que des circonstances fortuites, les troubles du temps
plus quela force de leurs adversaires, les eussentdomi-
nés, il est certain qu'au cours de décembre la situation
du Directoire socialiste, qui formait le gouvernement
de Berlin, avait été, à Berlin même, très critique.
LAROUSSE MENSUEL
Dès le 6 décembre, des émeutes avaient éclaté
dans cette ville. Elles avaient pour cause la présence
d'une division de marins, éléments turbulents et
peu disciplinés et, plus proliablement encore, le fait
que le préfet de police, Èichhorn, était l'avorable aux
adversaires du gouvernement. 11 avaitsemblé, pour-
tant, un moment que la situation se dénouait en fa-
veur d'Ebert et de ses collaborateurs. D'ailleurs, à la
suite de ces journées, des troupes, dévouées au gou-
vernement, étaient entrées à Potsdam et à Berlin. —
Le 16, le Congrès des comités des ouvriers et sol-
dais s'était réuni dans la capitale. Le 18, on annon-
çait qu'Ebert et Scheidemann étaient raffermis dans
leur pouvoir. Mais cette allirniation était très vite
contredite par des faits graves. A partir du 23 dé-
ctmbre, les marins,
auxquels on n'avait pas
tenu des promesses
financières qui leur
avaient été faites, s'é-
taient mis en opposi-
tion violente avec le
gouvernement, qui fut,
à ce qu'il semble,
abandonné, à un cer-
tain moment, par
les forces de la
police, à l'instigation
d'Eichhoni. Des col-
lisions avaient eu
lieu. Il y avait eu des
morts et des blessés.
Liebknecht, Ledebour
et le groupe Spartacus
avaient, à la faveur de
ces troubles, gagné du
terrain, et on avait an-
noncé que la victoire
leur restait. Or la liai-
son de Liebknecht etde
ses partisans avec les
bolcheviks russes n'é-
tait pas douteuse, de
même que leur inten-
tion d'établir en Alle-
magne la socialisation
totale et immédiate et
le terrorisme à l'égard
des officiers et de la
bourgeoisie. Tous ces
événements avaient
été obscurs pour nous
et, peut-être aussi, pour
les Allemands. Us
étaienten tout cas très
incomplètement con-
nus. Ils se résumaient
dans la lutte des socia-
listes majoritaires et
indépendants contre
les minoritaires et les
Spartaciens. Mais on
ne devait pas oublier
que le groupe Spar-
tacus représentait une
infime minorité et qu'il
n'était pasdans l'esprit
du peuple allemand,
dontla majorité restait
étrangère à ces agi-
tations et les réprou-
vait, de se rallier au
bolchevisme russe et de se laisser imposer l'anarchie
slave. Cependant, la victoire de Liebknecht aurait pu
provoquer un trouble très grave, même s'il eût été
passager, auquel l'Entente n'avait pas le droit de
rester indifférente, et qui eût embrouillé davantage
encore la position de l'Allemagne à l'égard du Con-
grès de la paix. Aux dernières heures de 1918, celle
éventualité seml)lait avojr été écartée. On annon-
çait qu'Ebert, soutenu par Uindenburg et décidé à
employer les moyens énergiques, restait maître du
gouvernement et qu'il le reconstituait avec des élé-
ments tirés uniquement du groupe majoritaire. On
devait voir là un pas fait vers une organisation défi-
nitive et pacifique de l'Allemagne.
Il fallait tenir compte, enfin, des tendances sépara-
tistes, qui, nous l'avons déjà dit le mois dernier, font
partie de l'héritage polilique et de la vieille mentalité
de l'Allemague. Ces tendances étaient manifestées
sur bien des points : à Cologne, à Kiel, en Franco-
nie, dans le Palatinal, en Hanovre, dans le grand-
duché de Bade, en Thuringe et surtout en Bavière.
11 ne faut pas exagérer l'importance de ces velléités
et, spécialement en Bavière, Kurt Eisner, qui élait
le chef iuponteslédu gouvernement bavarois, s'était
défendu de vouloir contribuer au démendu'ement de
l'empire allemand. Maison nedoitpas, non plus, né-
gliger des manifestatiojis qui s'appuient non seule-
ment sur de très vieux souvenirs, mais sur des inté-
rêts moraux fort puissants. On a le tort, quand on
étudie la situation de l'Allemagne, de ne pas faire
intervenir assez la question religieuse au nombre des
facteurs qui peu vent peser sur les destinées de ce pays.
N' 144. Février 19iy.
Or les populations très catholiques des pays rhé-
nans et de la Bavière n'entendent pas être menacées
dans leurs libertés et leurs croyances religieuses,
et elles avaient été sérieusement inquiétées par les
mesures anticléricalesdusocialisleHolImann, chargé
de l'inslruction publique dans le gouvernement
d'Ebert. Celte considération, jointe à lappréhension
quepro\ oquait lamenacesparlacienne, àla crainte de
voir la paix compromise, au besoin d'ordre qu'avaient
tant d'organismes, non seulement bourgeois, mais
encore ouvriers et syndicaux, élait de nature à
éloigner de Berlin et de la Prusse les fractions de
l'empire qui ne songeraient pas à se séparer si elles
ne sentaient compromis leur sécurité matérielle et
les droits moraux auxquels elles tiennent le plus.
L'Entenle, qui avait, nous n'en doutons pas, à l'égard
de r.-\lleniagne, autre chose qu'une politique mili-
taire, avait un intérêt primordial à suivre de très
prèsles détailsdecetlesiluation. Beaucouppensaient
aussi qu'un homme connne Kurt Eisner, très bon
allemand, mais aussi très sincère bavarois et très
averti sur les intérêts de sa grande et de sa petite
patrie, était de ceux que le moment présent dési-
gnait le plus forlement pour iufiuer sur les desti-
nées de son pays.
On le voit, l'Entente n'avait devant elle, sur la fin
de 1918, aucun gouvernement allemand défini,
autorisé à parler au nom de l'Allemagne, capable
de faire respecter ses décisions. Mais elle était cer-
tainement encore en présence d'une Allemagne
pénétrée de principes impérialistes, peu convaincue
de sa défaite et de ses torts, prêle à revendiquer de
nouveau, à la première occasion, les prétendus droits
politiques et économiques que son orgueil naturel
et la folie des Hohenzollern l'incitent à considérer
comme nalurellement nécessaires à son existence.
11 est inutile d'insister pour faire apparaître les
complications qu'une semblable situation pouvait
entraîner et la prudence qu'elle commandait au
gouvernement français, plus qu'à tout autre.
Tandis que le problème allemand restait ainsi posé
et inquiétant, à l'est de ITurope, derrière l'Alle-
magne, surgissait l'incomiue, plus redoutable encore,
(|u'était la Russie. Sur les affaires russes s'éten-
dait une obscurité plus épaisse que sur les affaires de
Berlin. Aucune des nouvelles qui nous venaient par
la presse, le gouvernement russe étant maître des
communications, quelles qu'elles fussent, ne pouvait
mériter notre confiance. Ces informations contradic-
toires annonçaient d'une part une grave défaite
bolcheviste du côté de Perm, dans la région où
opérait l'armée volontaire du général Denikine,
successeur d'Alexeief, d'accord avec le gouver-
nement d'Ekateriuodav; d'autre pari, une véritabls
invasion bolchevik, puissante en nombre, bien orga-
nisée, du côté de la Pologne et de l'Esthonie, qu'on
nous représentait comme plongées dans la lerreur;
en même temps, on signalait le désarroi des bolche-
viks à Pétrograd.
Ce qui semblait certain, indubitable, c'était l'anai-
rhie grandissante : une lamine atroce, par suite de
Iboslililé des paysans qui cultivaient peu et ca-
chaient leurs récoltes, la ruine totale de l'industrie
par suite du manque de matières premières, la dimi-
nution progressive de la production minière par
suite de l'accroissement insensé des salaires, l'ab-
sence totale de numéraire, le débordement d'un
papier-monnaie sans garantie, la ruine des banques,
la cherté invraisemblable des demées de première
nécessité, la tyrannie d'une police et d'une hiérarchie
sociale pires que celles du régime tsariste, l'espion-
nage incessant, l'insécurité individuelle. Il parais-
sait, en outre, évident que les bolcheviks avaient
formé une armée, d'abord avec des éléments lettons
et chinois, puis avec des éléments russes, peut-être
recrutés de force, peul-ètre volontaires, par suite de
l'appât d'une baule paye et de la certitude de ne plus
mourir de faim. Quelles étuient la force numérique
exacte et la valeur niililaire de cette armée, dont
Trolsky semblait le chef, rien ne permettait d'en
faire l'estimation. — La Hussie vivait, si c'est là vivre,
séparée du monde entier, solitaire et sanglante, dé-
fiant toutes les puissances, perséculant farouche-
ment quiconque des gouvernants ou leurs séides
soupçonnaient de « bourgeoisie », et, en particulier,
la centaine de malheureux Français torturés dans
les prisons bolchevistes. Toile quelle et si en dehors
du bon sens que nous paraisse cette ambition, non
seulement le gouvernement de Lénine n'atténuait en
rien, devant la menace d'une catastrophe spontanée,
ce système de dissolution sociale, mais il prétendait
faire déferler sur le vieux monde, en attendant le
rmuveau, son principe d'anarchie et de guerre à mort
contre le capital. Ne regardant pas à la dépense, il
avait organisé un système de propagande qui devait
en Asie gagner la Chine et l'Inde el, en Europe,
r.\llemagne d'abord, puis les pays neutres, enfin les
pays de l'Entente.
C'est ici qu'on touche du doigt le danger de cette
situation. La liaison entre les bolcheviks russes et
les spartaciens allemands, nous le répétons, entre
Lénine et Liebknecht, ne pouvait faire de doute.
D'une part, le gouvernement bolchevik russe avait
besoin, pour relever la Russie au point de vue finan-
N' 144. Février 1919.
LAROUSSE MENSUEL
701
L'arrivée dcg chefs des Etats alliés k Paris : 1. I.c rui George V d'Angleterre et le président de la ItépuLliqui- Raymond l'oincarô (28 novembre 1918). _.
«t &!■• IlAymood Poiocarâ. — 3. Le roi Albert de Belgique <t K. Poincaré. — 4. Le duo de Brabaot, flls aintS du rut et de la reine de Belgique, et Oeorges Cle'neDceau, président du ContcU
(El décembre 1918). — 5. Le président dej iStats-Unis, wilson. et R. Poinoaré (li décembre I918j. — 6. M»« M'ilson. — 7. I*e roi d'Italie Victor-l^mmanuel lll et R. Poinoar^ (l5 dc(
La reine Elîsabotb de Uel|riq>ie
' idcnt du Cons "
iccmbro 1918^
702
cier, industriel, minier, agricole, en un mot pour
organiser la masse moscovite, de l'expérience, de
l'esprit d'ordre et de disciplinj des techniciens alle-
mands. D'autre part, le parti avancé allemand comptait
sur l'appui russe, sur sa propagande, sur la timidité
du gouvernement d'Ebert à l'égard des bolcheviks
russes, et, la victoire acquise par hypothèse, il
escomptait pour le développement allemand les ri-
ch sses du sol russe, l'union de la Russie et de
l'Àlleinagne devant ensuite permettre la conquête
de l'Europe. Certes, l'utopie e.\travagante éclate
dans ce plan colossal. Mais il serait dangereux de
s'en tenir, sous prétexte d'utopie, à la prétérition.
Nous avons souvent insisté ici, alors que l'Alle-
magne impériale se croyait sûre de triompher, sur
le danger qu'il y avait, pour l'Europe, à livrer la
Russie à notre ennemie. Le danger a changé de
forme; il n'a pas disparu. Au moment où nous écri-
vions ceci, aucune barrière, en eiïet, n'existait entre
la Russie et l'Allemagne. Celle que doivent constituer
des Etats eu formation était encore purement nomi-
nale. La Russie du
Sud, l'Ukraine,
étaient incapables
de résister par leurs
seules forces à une
invasion armée. An
nord, l'Ëslhonie de-
mandait à grands
cris du secours. Riga
et Reval étaient me-
nacées. Une escadre
anglaise ne pouvait
que protéger les cô-
tes. Au centre de la
barrière, l'Etat polo-
nais s'organisait pé-
'liblement et lente-
ment. La question
même se posait de
savoirsil'ou n'assis-
terait pas à ce spec-
lacle paradoxal de
r.\llemagne vaincue
entrant en guerre, à
propos de la Posna
nie, contre la Polo-
gne, dont l'Entente
victorieuse avait
promis la totale re-
naissance. Il y avait
là, par conséquent,
des éléments qu'il
fallait soutenir.
Vrinnitchercko et
Petchura en Ukrai-
ne, .loseph Pilduski
en Pologne, cher-
cliaienl à la fois à
arrêter le bolche-
visme russe à la
frontière de leurs
patries et à lutter
contre le germanis-
me, qu'ils sentaient
à la fois hostile à
leurs visées nationales et favorable au même bol-
chevisme. Ils étaient à la lois — ou, du moins, ce
<|ne nous pouvions démêler de sûr dans les infor-
mations semblait le prouver — des patriotes qui
<lésirent pour leurs pays, tous deux si riches et si
pleins d'avenir, l'indépendance, l'ordre et la prospé-
rité, et des amis de l'Entente, qui comprennent la
nécessité d'affranchir le monde du militarisme an-
nexionniste de l'Allemagne. A ce double titre, ils
méritaient d'être aidés énergiquement.
Pas plus que qui que ce fût, nous ne pouvions, au
31 décembre, préjuger des intentions de l'Entente
au sujet de la Russie, ni de la forme sous laquelle
elles se manifesteraient.
Nous avons laissé souvent, ici, pressentir, avec les
précautions requises, ce que Franklin-Bouillon a dit
à la tribune de la Chambre, le 29 décembre, à sa-
voir que nous n'avons pas eu jusqu'ici de politique
russe. Dans les dernières semaines, la presse avait
annoncé comme officiel qu'il n'y aurait pas d'expédi-
tion militaire en Russie. Certaines ripostes du mi-
nistre Pichon au député Cachin donnaient à penser,
par contre, qu'ainsi condensée, cette affirmation ne
répondait pas à la vérité. En fait, nous avions des
troupes au nord et au sud de la Russie; l'armée
roumaine était prêle; on cherchait à susciter et à
soutenir la résistance nationale russe; il était évi-
ilent qu'on allait sortir de l'inaction. Rien n'était
plus souhaitable au point de vue russe, au point de
vue des nationalités que l'Enlente appelle k la vie,
au point de vue de la tranquillité du monde et de
la paix future. Nous n'énonçons rien d'exagéré en
disant que le seul obstacle à la paix était, doréna-
vant, le gouvernement bolchevik russe. Prétendre,
sous prétexte de respecter le droit des peuples, que
nous devons laisser réduire à néant par une bande
de fanatiques un grand pays nécessaire à l'équili-
bre du monde, qui a été notre allié et doDt lesintë-
LAiiOUSSE MENSUEL
rets sont étroitement liés aux nôtres dans le passé
et dans l'avenir, est un sophisme ou une trahison.
11 est triste de constater que, dans les derniers
jours de décembre, il s'était trouvé à la Chambre
française un groupe de députés pour se faire le sou-
tien et le défenseur du bolchevisme. Une erreur
aussi grossière et aussi antipathique à l'opinion pu-
blique ne faisait que confirmer la nécessite d'une
action énergique contre un péril européen. Les dé-
cisions de l'Entente étaient attendues non sans
quelque impatience, mais avec confiance.
Si nous retournions, maintenant, en arrière, du
côté de l'ancien empire austro-hongrois, nous cons-
tations que, là aussi, il était indispensable que l'En-
tente ménageât le plus tôt possible des solutions
conformes à la justice et aux désirs des peuples. La
Hongrie, qui avait eu dans la guerre une très lourde
responsabilité et qui avait parlé si haut dans la dou-
ble monarchie, en était la partie la plus troublée.
Amputée de ses possessions slaves et de ses posses-
sions ioumaines, menacée par le séparatisme doses
AiTivéc à Paris du président Wilson et de M»« WUson (Baincdi It décembre l'JlSJ. Le cortège officiel t
provinces du Nord, elle restait remuée de troubles
graves et que nous connaissions mal. Là aussi, il
eût été bon d'être renseigné sur le rôle du clergé
et des croyances religieuses. Pays peu civilisé,
malgré les "apparences urbaines, elle était aussi un
pays de très grande propriété. Elle était donc vouée
à l'agitation agraire. Le gouvernement du comte
Karolyi n'avait abouti à rien de solide. — La Répu-
blique tchéco-slovaque s'installait. Elle reconstituait
l'unité delà Bohême. — Acôté d'elle, l'Autriche alle-
mande cherchait sa voie, tantôt atlirée vers l'Alle-
magne, tantôt souhaitant plus encore une fédération
des Etats de la monarchie, dont elle eût fait partie
et qui eût restauré sur le Danube un Etat solide,
peut-être indispensable à la tranquillité de l'Europe.
Rien ne démonlrait, comme nous l'avons déjà
dit, que l'Autriche se sentit invinciblement atlirée,
politiquement on économiquemenl, vers r.\llema-
gne, comme celle-ci l'eût souhaité. Ce qui s'y pas-
sait n'était pas fait pour séduire. Au contraire, la
perspective d'aider à continuer le rôle historique
de la monarchie autrichienne et l'attirance natu-
relle vers les groupes avec lesquels elle avait
vécu, tantôt bien, tantôt mal, à tout prendre, sans
trop de dommage, pendant des siècles, devait
plaire davantage h son tempérament. Nos lecteurs
savent que nous sommes de ceux qui ne ver-
raient pas sans crainle l'Autriche s'annexer à
l'Allemagne et l'Etat danubien disparaître. L avenir
nous renseignera.
Quant à l'Etat yoiigo-slave, il r?.ttachait à lui
peu à peu tous les peuples qui ont une raison de
race et un intérêt malériel à se grouper étroite-
ment autour de la Serbie. La grande Skoupchtina
de Podgoritza avait proclamé la déchéance du roi
Nicolas de Monténégro et la réunion du pays à la
Serbie. Des discussions assez vives s'étaient en-
gagées sur l'accord de Londres du 26 août 1915,
N' 144. Février 1919.
par lequel l'Italie s'était assuré la possession non
seulement du Trentin italien, de l'istrie et de
Trieste, mais encore de la côte dalmate de Zara à
Trau et toutes les îles, Fiume, Spalato, Raguse et
Cattaro restant en dehors de celte convention. Cer-
taines interventions de l'Italie à Fiume et à Laybach
et le fait que, dans les territoires énumérés ci-des-
sus, il en est qui, sans conteslation possible, doi-
vent reveirir h la 'Yougo-Slavie, avaient suscité la
crainte de difficultés sérieuses. Il était vraisem-
blable que tout s'aplanirait. L'Italie n'a aucun in-
térêt à empêcher le développement de l'Etat yougo-
slave. Elle n'a plus à craindre l'Autriche. Elle a
réalisé son rêve. Comme le disait avec une violente
émoLion le vénérable Marcora à l'ouverture de la
Chambre italienne, Ilalia e compiuia! (L'Italie
est complète!) Il importera, pourlant, que toute
cause de conflit soit écartée entre les deux puis-
sances. On y parviendra sans peine. La Serbie, sûre
de son développement, liée à la Grèce par leur com-
mune diversion pour la Bulgarie et la Turquie, est
assurée maintenant
d'un avenir brillant.
Combien ne l'a-t-elle
pas mérité!
Cette rapide revue
des questions essen-
tielles que le Con-
grès de la paix devra
résoudre suffit à in-
diquer que ses déli-
bérations seront
longues et quelque-
fois pénibles. El
nous n'avons parlé
ni de la Turquie, ni
de la Syrie et de
l'Arménie, ni du
Luxembourg, ni de
la question de l'Es-
caut et du Limbourg
hollandais, ni de la
liberté des mers, ni
de la question colo-
niale, ni des ques-
tions ouvrières, ni
de la constitution
de la Société des
nations. — En ce qui
concerne la France,
la question de l'Al-
sace etde l;i Lorraine
était, en fait, déjà
réglée par la popu-
hition elle-même.
L'accueil si sponla-
iicment chaleureux,
SI émouvatit dans
.son irrésislibleélan,
le sentiment si clai-
rement exprimé d'à
mour et de fidéliU,
envers la mère pa-
trie, malgré près de
cinquante ans de sé-
paration, la sensa-
tion aiguë du retour dans la maison paternelle d'en-
fants que l'on croyait perdus, tout ce qui s'est passé
à Metz, à Strasbourg, à Colmar, à Mulhouse, lorsque,
du 8 au 10 décembre, le président.de la Hépublique,
Clemenceau et les représentants du Parlement ont
parcouru l'Alsace et la Lorraine, tout cela a mon-
tré sans phrases combien vainc avait été l'œuvre
d'annexion de l'Allemagne. Nous aussi, nous pou-
vons dire : « La famille est complète. » Les Alsa-
ciens-Lorrains ont fait d'eux-mêmes leur plébis-
cite. Mais quelles sont les limites de l'Alsace ? Sans
discussion, aussi, il devait êlre entendu que nous
ne pouvons renoncer à y comprendre le bassin en-
tier de la Sarre, avec Sarrebriick et Sarrelouis, pa-
trie de Ney, que le traité de 1815 nous avait prises.
Il semblait que tout le monde, en France, fût d'ac-
cord sur ce point. On l'élait moins sur la question
dite « de la rive gauche du Rhin », c'est-à-dire sur
la destinée future de tout le pays rhénan alle-
mand. Si l'idée de l'annexion devait être sagement
écartée, du moins, devait-on espérer que des dispo-
sitions seraient prises pour que, de ce côté, nous
fussions à tout jamais, nous et la Belgique, garantis
contre une invasion allemande. Certes, on doit espé-
rer en la Société des nations. Mais deux sûretés
valent mieux qu'une, et nous sommes payés pour
nous défier des ambitions germaniques. — Non moins
nécessairement devait être réglée, au Congrès de la
paix, la question des réparations matérielles et pé-
cuniaires dues à nos départements envahis, oppri-
més, pillés, saccagés délibérément et avec méthode.
Sur ce point, aucune transaction n'était possible.
Le mal devait être réparé par ceux qui l'avaient
fait, et réparé le plus tôt possible. Nos malheureuses
provinces du Nord avaient assez souffert. Leur mar-
tyre devait cesser.
La presse s'était préoccupée de discuter si les
neutres seraient admis au Congrès de la paix. Si
i.,;ac.
AI' 144. Février 1919.
l'on coiii;oil ce congrès comme des assises de l'Iin-
manité, ce qui parait être l'avis du président Wil-
son dans rallocution prononcée à Londres, à l'am-
bassade des Etals- Unis, le 28 décembre, et ce qui doit
être le désir de tout homme ami de la paix, on coni'oit
mal que les neutres, dont les intérêts sont si inlimo-
raent liés à ceux des belligérants, puissent être pri-
vés du droit d'exposer leurs besoins et leurs droits.
Au surplus, il suffit d'une rapide revue des neu-
tres pour se convaincre que leur présence sera
souvent utile et quelquefois inévitable. Ainsi, l'Es-
pagne, si troublée par les agissements germaniques,
dont le jeune roi a tout fait pour adoucir les souf-
frances de nos prisonniers et qui, par le voyage de
son premier ministre Homanones, venait de mani-
fester son désir de rester en contact inmiédlat avec
la France el l'Entente, l'Espagne a besoin de régler.
avec nous et avec les puissances signataires de la
convention d'Algésiras, la question du Maroc. La
Suis.se, qui a secouru si tendrement nos prisonniers
et nos évacués, el dont le pré.«ident Ador incarne
l'œuvre essentiellement inlernalionale de la Croix-
Houge, doit faire consacrer sa neutralité si forte-
ment maintenue par elle pendant la guerre. Le Da-
nemark réclame son Alsace-Lorraine, les provinces
que Bismarck lui a prises. La Norvège, qui nous
lut si fidèle, la Suède, qui doit, elle aussi, .se garder
également de l'.\llemagne et de la Russie, n'ont-elles
pas à dire leur mot dans le débat sur la liberté des
mers et dans la question des iles d'Aland et de la
Baltique? N'est-il pas jusqu'au pape qui n'ait à sor-
tir, vis-à-vis de l'Italie, de l'équivoque oii il vil depuis
1870 et qui ne cherche dès mainlenaiit ii rétablir
une situation morale si maladroilenientcompromise?
A dire vrai, il n'est pas une puissance qui n'ait intérêt
k faire entendre sa voix au Congrès, et, s'il serait
inadmissible qu'une coalition impossible de neutres
irresponsables put arrêter le cours de la justice
humaine, il est permis de penser que le concours de
lous les peuples est nécessaire pour régler le nou-
veau statut de l'Iiumanité.
D'ailleurs, la hauteur de vues de ceux qui à cette
heure apparaissaient comme les détenteurs des pou-
voirs de ibinnaiiilé était pour tous un siir garant que
la sereine justice présiderait aux débats, que lien
ne serait exigé qui ne l'ùt dii par les lesponsahles,
que rien, non plus, ne serait négligé pour londer la
paix du monde. lUemeneean. au cours des entrées du
roi et de la reine des Belges et de leur lils, le duc
de Brabant, du roi d'Italie et de son fils, le duc de
Piémont, du président Wilson, puis en Alsace et en
Lorraine, recueillait le liibutunaniinede reconnais-
sance du peuple français. La Chaml)re des députés,
après un débat, certes trop prolongé et où il est
trop apparu que certains n'ii valent rien oublié ni rien
appris pendant la guerre, prouvait à notre Premier
qu'elle avaitpleine confiance dans sa clairvoyance et
dans son énergie pour diriger la France au milieu des
écueils qui subsistent. — Les élections anglaises du
i 8 décembre, qui donnaient un triomphe complet aux
idées que r.\ngleterre a défendues depuis quatre ans
et infligeaient un échec significatif à des hommes
qui ne sont pas les premiers venus, mais qui se sont
trompés lourdement, ou qui ont elè faildes. conmie
Asquith, Ramsay Macdonald, Mac Kenna, Snow-
den, Henderson et tant d'autres, étaient pour Lloyd
(Jeorge la consérralion de sa politique et la récom-
pense de sa ténarilé, une invesliture nouvelle et
nationale à son aulorité morale, un désaveu éclatant
des doctrines de désordie et d'abaissement.
Enfin, Woodrow Wilson, malgré la tradition
américaine, s'était décidé à venir en Europe pour
collaborer personnellement au grand œuvre de libé-
ration de l'humanité opprimée. Il apparaissait à
tous, dans son admirable simplicité, avec la force
pénétrante de la conviction qui illumine ses paroles
franches et claires, comme la personuilicalion du
bon sens el de la droiture, comme l'avocat irrésis-
tible de la paix conquise par le courage. Sa venue
eu Europe rive le dernier anneau de celle chaîne
de faits nouveaux qui a relié 1 ancien monde el le
nouveau et qui à l'isolement jaloux que gardait
l'Amérique a substitué une étroite union avec lous
les peuples de la lerre. Lors de la publication des
Noies si fermes du président Wilson, nous avons
naguère affirmé qu'elles étaient la marque d'un
temps nouveau. Nous ne doutons pas que cette poli-
tique universelle, à laquelle, par un elforl spontané,
tendait r.\mérique, que Wilson a eu le rare mérite
de dégager et de fornuiler, ne date dans l'histoire
une ère nouvelle: celle où, suivant une phrase du
maréchal .lotfre dans son discours de réception à
l'Académie française, que le président Wilson a re-
prise pour son compte, «on n oubliera jamais que les
fielits et les faibles ne sauraient vivre libres dans
e monde, si les forts et les grands ne sont pas tou-
jours prêts à mettre leur force et leur puissance au
service du droit ». — JuUs geruault.
Honorariat dans l'armée. L'honora-
riat(v..Voui)eau Larousse illuslre) e»l la qualité at-
tribuée à certaines personnes ayant occupé avecdis-
tini'llon pendant longtemps des emplois déterminés
il qui leur en conserve le titre et certains privll"ges
LAROUSSE MENSUEL
honorifiques, après cessation de leurs fonctions. Jus-
qu'ici, le litre « honoraire » n'avait jamais été con-
cédé dans l'armée ; une loi du 24 avril 1916 en a
institué l'application à l'égard non pas de tous les
anciens ofliciers, mais k l'égard des seuls officiers de
complément, c'est-à-dire des officiers de la réserve
de l'armée active et de ceux de l'armée lerriloriale.
L'officier de l'armée active conserve, après sa
mise il la retraite et sa vie durant, sa qualité d'offi-
cier, avec tous les avantages attrihués ii cette qua-
lité; il jouit en même temps d'une pension d(!
retraite. La retraitc\ pour un officier, est une des
positions légales instituées parla loi du 19 mai I8:ti;
i'oflicierde l'armée active est en quelque sorte
propriétaire de sa qiialilé, il ne perd pas ce dioil
de propriété en rentrant dans la vie civile, il reste
officier. Il n'a pas besoin du litre d'officier hono-
703
Ces limites d'âge marquent, depuis la loi du
4 avril 1918, dans chaque grade, les possibilités
extrêmes du maintien exceplionoel dans les cadres
de tous les officiers de complément, quelle que soit
leur origine.
3° l'ofticier de complément non encore atteint par
le terme des obligations militaires peut être rayé
prématurément comme devenu inapte à remplir les
lonctions de son grade, en raison de blessures ou
intirmités contractées ou aggravées au service.
L'Iionorariat n'est conféré que dans les deux der-
niers cas. 11 apparaît clairement, en effet, que l'offi-
eier des réserves qui ne demande pas à servir plus
longtemps que les autres citoyens n'aurait aucune
raison pour demander l'application d'un traitement
privilégié: il n'a l'ait que son devoir. Une récom-
pense est due seulement à ceux i|iii, sur leur dc-
I.e [irésideiàl \V..ao.i
\ 1 lluu: .h ViUe de Cbauiiiont, où il eut allé viiiitcr lc;i ii-uiii'v
raire, il csl officier en retraite, et ce dernier titre
lui suffit.
Très difi'éreute était, jusqu'ici, lasitualion de l'ofti-
cier de complément; rayé des cadres, il perdait, de
ce l'ail, la qualité d'officier, avec tous les avantages
honorifiques altachés à celle qualité. 11 n'avait pas
plus de droits qu'un officier démissionnaire ; il ne
conservait aucun souvenir officiel de sa situation,
rien de tangible, pas même un titre honorifique. Il y
avail donc là une inégalité que le législateur devait
réparer.
A r/ uel les situai io7is se réfère V honurariat ?
Ne peut y prétendre que l'officier rayé des cadres.
Il y a donc lieu, au préalable, de rappeler les di-
verses causes de radiation.
Laissant de côté celles qui pioviennenl de la vo-
lonté ou de la faute du titulaire (démission, perle
de la qualité de Frim(;ais, révocation, perte de la
qualité d'officier, deslilution, etc.\ i|ui sont sans
intérêt dans la (lueslion, l'on peut dire qu'elles se
réduisent à trois ;
1° limite normale des obligations mililaires : en
principe, l'officier de complément est rayé lorsqu'il
atleiui le ternie de la durée du service militaire
exigé de tous les Français par la loi de recrutement,
c'est-à-dire, d'après la législation actuellement en
vigueur, lorsque la classe à laquelle il appartient a
parfait sa vingt-huitième année de service;
2» limite d'âge définitive : l'ofticier qui en fait la
demande el qui continue à remplir les conditions
d'aptitude peut être admis par le minisire de la
guerre à rester dans ses fonctious jusqu'à un âge
plus avancé. L'article .'i4 de la loi du 13 mars 1875
avait fixé ces dernières limites d'Age à soixante ans
pour les orficiers subalternes et à soixante-cinq
pour les ofliciers supérieurs ; une loi du 4 avril 1918
a réduit cette facuilée aux limites suivantes :
Colonels : 65 ans en temps de paix (Gi ans en
temps de guerre, pareffelde la loi dulOavril 19171;
lieutenant-colonel : 63 ans : chef de bataillon ou
d'escadron: 61 ans; capitaine : 38 ans; liautenant :
57 ans; officier d'administration principal : 6,H ans :
oTlicier d'adiniDistralion de 1" classe : 63 ans ; offi-
cier cB^nnuistration de 2° et S* classe : 61 ans.
mande el par dévouement, se sont créé des services
supplémentaires, exceplionnels, dépassant ce qui
est imposé par la loi. Seuls, ces derniers peuvent
êire considérés comme ayant accompli une carrière
militaire digne d'un couronnement; enfin, il est bien
juste de leur assimiler ceux dont la carrière a été
brisée avant l'âge par des infirmités contractées
précisément au service militaire.
Les officiers de complément qui peuvent èlre pla-
cés dans la position d'officiers honoraires ne peuvent
donc relever que des deux dernières catégories.
Pour être complet, il faut jouter que l'ofllcier
de complément provenant des officiers retraités et
qui jouit de la qualité légale d'officier en retraite,
ainsi qu'il a été dit plus haut, peut aussi, dans un
cas particulier, cumuler l'honorariat avec cette pre-
mière (qualité : c'est lorsque, dans les réserves, il
aura été pourvu d'un grade supérieur à celui qu'il
avait dans l'armée active; il pourra recevoir l'hono-
rariat de ce nouveau grade.
L'honorariat organisé au profit des officiers de
complément est un droit, dès l'instant que la limite
d'âge est atleinle et (|ue la radiation n'a pas été de-
mandée par mesure de discipline. L'officier n'a
donc pas à solliciter ce bénéfice ; l'opportunité do
la concession doit être obligatoirement examinée,
en même temps que la proposition de radiation des
cadres. Par mesure transitoire, seuls sont astreints
à formuler une demande ceux <jui ont été rayés des
cadres antérieurement à l'application de la loi du
24 avril 1916 et qui se trouvaient dans les conditions
requises pour obtenir leur admission.
L'admission à l'honorariat est insérée au « Jour-
nal officiel » ; elle est prononcée par le ministre de
la guerre.
En quoi consiste l'honorariat .*
L'officier honoraire, dit le décret du 24 février
1U17, conserve l'état d'officier, tel qu'il a été déter-
miné par le statut du 31 août 1878 pour les officiers
des réserves.
Bien que n'ayant aucun emploi militaire, il est
placé, connue l'officier de complément dans ses
foyers, sous la haule autorité du général comman-
dant la subdivision dans laquelle il réside. U jouit
704
des mêmes droits que l'officier de complément,
lorsque celui-ci est en dehors des convocations.
Il porte le titre de son dernier grade en le faisant
suivre du mot « honoraire ». 11 est autorisé à revêtir
l'uniforme dans les conditions prévues pour les ofli-
clers de complément, c'esl-à-dire à toutes les re-
vues, réunions, fêtes et cérémonies olliciellos, ou
lion oflicieiles, à l'cxceplion des réunions publiques,
ayant un caractère polilique ou électoral; il est
admis à fairi- paiiin des cercles militaires et des bi-
l)liolhèques de garnison dans les mêmes conditions.
L'honorariatn'eiitr.iine pasde traitementpécuiuaire.
Cftle i|ualilé d'honoraiie, rol'ficier ne pourra en
perdre le hênélii-o que dans eerlains ras et sous
rerlaines eoiuiitions : démission aeceplée, perte de
la qualité île h'rancais prononcée par ju^çement,
perte du grade entraînée par certaines condamna-
tions pénales liiiiilalivemeiit déterminées par la loi
de IS.Ti et le décret du 'î't février 1917, deslitution
prononcée par jugement. L'officier perd, enlin, son
Mtre par la révocation; la révocation ne peut être
prononcée que dans les formes et les conditions
déterminées par le décret du 31 août 1878 après la
i-omparution devant un conseil d'enqiièle dont l'of-
licier honoraire, aussi itien que l'oflicierde complé-
ment, reste disciplinairement justiciable.
L'officier de complément, comme l'officier de
carrière, conservera donc, dans ses vieux jours,
un souvenir tangible de ses services militaires;
il a une situation militaire honorifique, un statut
légal; les services qu'il a rendus dans la guerre
actuelle ne devaient pas le laisser sans récom-
pense. — C'JULUEN.
laurier-tln n. m. Plante de la famille des
caprifoliacées, appelée aussi viorne-lin.
— Encvcu Le laurier-tin (vihwtium limis) est
un fort joli arl)nste, qui croit sponlanément dans les
parties pierreuses et couvertes du nord de l'Afrique,
des régions méridionales de l'Europe et du midi de
la France; on le cultive communément dans les
jardins comme espèce d'ornement. (Test un grand
arbrisseau, qui atteint de cinq à six mètres en
Laiirier-tin ou Viorne-lin t.Ythiu-tnim tiniis).
Afrique, mais qui ne s'élève guère que de trois à
quatre mètres en France. Il prend naturellement la
forme d'un buisson arrondi et touftii. Ses feuilles
entières, ovales aiguës, marquées en dessous d'un
réseau de veines velues, ont une verdure foncée.
Sa Horaison, commencée en hiver, se continue au
printemps et, quelqueldis, jusqu'en été ; ses fieurs
'•ont blanches ou d'un bliinc rosé et disposées en
rorymbes à l'extrémité des rameaux; elles donnent
naissance à des baies d'un bleu indigo métalliq\ie.
qui sont d'un bel effet. Très rustique dans le midi
de la France, le laurier-tin est souvent employé k
former des haies et des charmilles, qu'on taille aux
ciseaux. On le cultive soit en pleine terre, dans un
sol léger, h une exposition ombragée, bien abri-
tée, soit en orangerie; il redoute l'excès d'humidité
el gèle k Paris dans les hivers rigoureux. On eu
obtient des pieds nains, qu'on élève en pots dans
les appartements. — Max s»i.»ris.
Lepère (Louis-i^u^usie), peinlre el graveur
français, né à Paris le 30 novembre 1849, mort h
iJonime (Hordogne), au cours d'une villégiature,
le 20 novembre 1918. Il était fils de François
Lepère, élève de Rude el connu par des terres
Auguste Lept-re.
LAAOUSSE MENSUEL
cuites où se retrouve un peu du faire et de l'esprit
des petits-maîtres du xvni= siècle.
A treize ans, Auguste Lepère entra dans l'atelier
de gravure sur bois de Smeeton.l'un des principaux
fournisseurs du « Magasin pittoresque » el ne le
quitta définitivement qu'en 1872, après s'être initié
à tous les secrets de la profession. Mais, ce qui lui
appartenait en propre, c'était un esprit alerte, un
talent souple, une volonté de travail considérable,
toutes qualités qui devaient l'amener, rompant avec
les errements de son temps, à rénover un art dont
il demeurera un des plus grands maîtres.
Il n'(Buvra pas tout d'abord f our son compte. Ce
n'est qu'en 187;i. dans le " Magasin pittoresque ».
que, pour la première fois, parait son nom ou, plutôt,
son monogram-
me. Us'agitd'une
gravure d'après
une composition
de Turner : Ihe
Collage. Le dé-
but est assez heu-
reux pour que le
"Mondeilluslré»
le chargede lare-
production de ta-
bleauxdesSalons,
dont il exécute
souvent non seu-
lement la gravu-
re, mais le dessin
préparaloire..\in-
si, la l'érhe, d'a-
près Charnay
(1877); le fins de
yilliers, le soir,
d ' a p r è .s 'Yen
il877); le Soir.
d'après Jules Breton, l'Accident, d'après Dagnan-
Houveret (1880). Exposées au Salon de 1881, ces
deux gravures lui valurent sa première récompense.
Mais il affirmait mieux sa personnalité dans la suite
de grandes planches que, vers le même temps, il exé-
cutait pour ce même n Monde illustré », d'après Ed-
mond Morin et Daniel Vierge d abord, puis d'après
ses propres compositions lorsqueVierge, terrassé par
la maladie, dut interrompre sa collaboration ; plan-
ches si belles que l'on a décidé, il y a quelques mois,
il'en elfecluerun retirage sur grand papier, à l'inten-
tion des collectionneurs. C'est, par exemple, d'Ed-
mond Morin : le Dernier Bal Iravesli chez la prin-
cesse de iiagan, La cluisse esl fermée; de Daniel
Vierge : les Driqands en Espar/ne, le Dimatiche des
Hameaux en Espagne, l'Exéciilion des décrets à
l'aris, Louise Michel à son arrivée à Paris, Taureau
fouillant les entrailles d'un cheval mort ; de lui-
même : le Héveillon sur la glace dn Pont-Neuf
(hiver de I87l»-I880\ une Fête vénitienne au li juil-
let, au bois de Boulogne(\ S8 1 ) et bien d'autres pièces,
qui, comparées à sa preudère planche originale, les
Chantiers de la bulle Montmartre lors des travaux
de la fondatiim du Sacré-Cœur, parue le 12 mai 1877
dans le « Monde illustré », prouvent combien ses
facidtés d'observation et ses qualités de dessin pit-
toresque s'étaient depuis ce début développées.
C'est qu'à côté des besognes commandées, il
n'avait jamais cessé de consacrer les heures dispo-
nibles au travail personnel. Peignant, dessinant, il
était encore à l'atelier Smeeton que déjà il exposait au
Salon comme peintre. Il débutait en 1870 avec deux
toiles : Souvenir de Chatenay, Sentier à Aulnay.
Puis, c'étaient : Port au charbonprès de Saint-Denis
(18731, les Joueurs de cjuilles de la butte Mont-
martre (1874), le Moulin de la Galette vu de ma
fenêtre (1877), l'Automne à Champagne (1880), etc.
Refusé en 1876 sur le Poste de la rue des Rosiers
(où furent fusillés, sous la Commune, les généraux
Clément Thomas et Lecomte), maintenant au musée
Carnavalet, il avait envoyé sa toile au Salon des He-
fusés de cette année-là. Ces différentes peintures
révèlent en Auguste Lepère un artiste épris de plein
air, peignant sur nature avec un vif souci de l'effet,
de la qualité de la lumière. Ce n'est que plus tard
qu'il substituera à l'impression directe l'exécution
réfléchie, dans l'atelier, d'après des annotations
peintes ou pastellées, vivifiées par les souvenirs
d'une mémoire admirable.
Mais la peinture, c'est la récréation. De 1879 il
1885, le labeur journalier esl presque uniquement
consacré à la gravure sur bois. Le « Monde illustré ••
a fait de Lepère son principal fournisseur, et force
lui esl de se faire aider, de monter un atelier où la
besogne se partage, lui gardant la direction, entre
Tony Bellrand, L. Deté et F. Klorian. C'est par cen-
taines que se chiffrent les bois exécutés par le
groupe, durant ces six années. Le surmenage est
même si intensif qu'un beau jour, atteint de troubles
visuels, Auguste Lepère doit abandonner l'échoppe.
Mais le crayon le console : ce sont des randon-
nées à travers Paris, des courses à Fontainebleau.
Aussi, bien fourni de croquis el sa vue repo-
sée, peut-il donner à la « Revue illustrée » une
remarquable série sur la forêt de Pontain ;bleau,
dont la publication s'échelonne de 1887 à 1890 ; au
«• 144. Février 1919.
« Harper's Magasine », des croquis parisiens. Puis,
pour la o Revue de l'Exposition universelle de 1889»,
ce sont des évocations des chantiers, des palais, des
coins pittoresques de la grande foire. Exposées, quel-
ques-unes de ces pièces lui valent une médaille d'or.
Ce succès stimule encore le grand travailleur qu'il
est naturellement. Peu après 1889, il met à la mode
la gravure au canif, qui , en opposant de grands blancs
à de beaux noirs, simplifie 1 effet, tout en le drama-
tisant; puis il se passionne pour la gravure sur bois
en plusieurs tons, qui, réalisée dans le Palais de Jus-
tice (1889), le Goàler (1890), devait lui permettre la
magistrale Procession de la Fêle-Dieu à Nantes,
(1901). Enfin, à l'instigation de Bracquemond.qui lui
esl tout acquis depuis la Fête vénitienne au hois de
Boulogne, il aborde sérieusement reau-foite, don',
ses premiers essais timides, et alors sans lendemain,
remontaient à iSTA. Leur aspect esl tout d'abord
celui d'un croquis exécuté à la pointe; mais, bientôt,
les difficultés vaincues, ce sont de hardies estampes
colorées, bien mordues, vraies gravures de peintre,
qui lui conquièrent une clientèle fidèle d'admira-
teurs. Quelques litres : les Toits de Saint-Séverin
(1899); Marchandes de poissons rue Pirouette ( 1 890) ;
Mdt de cocagne rue Galande, Marché aux pommes,
et une suite d'aspects londoniens (1891) ; Sur les toits
de Notre-Dame, Vue de Jouy-le-Moutier (1893), la
Cité vue du pont des ^Ws(1894).
Pour renouveler son inspiration, satisfaire ses cu-
riosités, il voyage. D'un séjour à Londres il rapporte,
outre des eaux-fortes, de grands bois; ainsi, le Par-
lement à neuf heures du soir (1891), l'une de ses
œuvres les plus saisissantes, que publie la revue
« Blak and VVhile ». Puis c'est la Normandie qui le
sollicite; il en rapporte deux planches magisirales :
la Cathédrale de Houen. la Hue du Gros-Horloge.
publiées dans 1' « Illustration ». En 1897, il est à Bor-
deaux, en 1901 à Amsterdam, qui lui inspire quel-
ques-unes de ses meilleures eaux-fortes : Bords de
l'Amstel, une Hue du quartier juif. Le Nys. Il sera
devant la cathédrale d'Amiens, un jour d'inventaire,
et saisira à la fois le caractèrs colossal du monu-
ment et le grouillement lilliputien de la foule ameu-
tée en bas. L'Italie sera vue la dernière, en 1910.
Mais c'est Paris qui demeurera, malgré tout, sa
grande source d'inspiration. Il l'aime en artiste et
aussi en gamin musard, auquel chaque coin de rue
est familier, évocateurd'énisodes pittoresques. Aussi,
lorsque, à partir de 1X94, à la demande de Béraldi,
du libraire Sagot, il se mêle d'ordonner des livres,
texte et illustration, c'est la vie de Paris, ses aspects,
ses pay.sages gui fixent ses préférences. Les titres :
Pag.iages parisiens, texte de Goudeau (1891); Paris
au hasard, texte de Montorgueil (189.1); Pari.i-
l/rnanac/i, texte de Ch. Morice (1897); Dimanches
parisie7is, texte de Louis Morin (1898); Pai/sages
et coins de rues, texte de .lean Richepin (1900).
L'activité qui signala sa proiluction de 1x89-1900,
dans la gravure, le livre, même la litliogiaphie :
Y'a un noyé, le Perruquier des déhnnteurs (I89fi),
tes Chiffonniers du Pont-Marie (1897), l'avait for-
eémenl éloigné de la peinture. Après 1900, Auguste
Lepère s'y remettait avec joie, car un petit port de
Vendée, Saint-Jean-de-Mont, où il avait acquis une
maison, fixait ses villégiatures d'été. Aussi avec
quelle juvénile ardeur s'appliqua-t-il à peindre l'ef-
fet, la nuance des ciels mouvants, le caractère des
grands arbres courbés par le vent du large ; el puis,
les allées et venues des paysans du Marais, pré-
sentés au marché ou participant à une noce villa-
geoise. Mais le burin el la pointe n'étaient pas né-
gligés pour cela. Cette même Vendée a inspiré
plusieurs estampes, parmi lesquelles on citera VEn-
terrement en pays vendéen.
A Paris, le Livre plus que jamais l'accaparait. En
1901, à la demande de la Société de propagation des
livres d'art, il illustrait de bois et d'eaux-forles : la
Bièvre, les Gohelins el Sainl-Séveriii, de ,1.-K. Huys-
inans ; puis, installant une imprimerie chez lui, il
donnait une édition de A rebours, dont les dispo-
sitions nouvelles, après avoir déconcerté certains,
sont maintenant universellement admirées. En 1906,
de son atelier toujours, sortait un Eloge de la Folie.
encore plus parfait peut-être. Entre temps, pour des
bibliophiles provinciaux, il avait illustré et tiré sur
sa presse Foires et paysages normands, Nantes
en 1900.
Au moment de la déclaration de guerre. Auguste
Lepère préparait une série de vues de France, des-
tinées k illustrer une Géographie humaine, dont le
texte était confié à .lean Brunhes. Les bois au canif,
placés sur la couverture de chacune des livraisons
de l'Histoire de la guerre, de Gabriel Hanolaux,
comptent parmi ses derniers travaux.
En fait, dans l'histoire de la gravure, principale-
ment pour le bois, Auguste Lepère fera figure de
novateur el aussi de sauveur, (lar, par son talent.
ses curiosités, il a remis en honneur un art qu'il
avait trouvé en pleine décadence, les graveurs de
son temps étant uniquement préoccupés de concur-
rencer, par le bois de teinte, la similigravure. Enfin,
après Bracquemond, nul n'a plus fait pour la gra-
vure originale, la gravure d'artiste. Dans ce but, il
a patronné, alimenté des publications comme l'Es-
W. 144. Février 1919.
LAROUSSE MENSUEL
705
lampe originale (1888), la « Société artistique du
Livre illustré •> (1890), !'<■ Image», fondée par la cor-
poration des graveurs sur bois (1897-1898), orga-
nisé à la gloire du même procédé l'Exposition ré-
trospective et contemporaine de 1902 à l'Ecole des
beaux-arts.
On doit aussi % Lepère des reliures en cuir incisé.
Chevalier de la Légion d'honneur depuùs 1900, il
avait été promu officier en 1911. 11 existe un Cata-
logue de l'œuvre gra-
vée d'Auguste Lepère,
établi par les soins
de Lotz-Brissonneau
(1905). Une exposition
récapitulative,organi-
séeenl908 par la So-
ciété nationale, adon-
né lieu aussi k l'éta-
blissement d'un cata-
logue important tiré
.«ur la presse de l'ar-
tiste. — Charles Saunier.
Pellissier
( Geor je«-.lacques-
.Marie), professeur et
critique français, né
k Monflanquin (Lot-
et-Garonne) le 7 fé-
vrier 1852, mort aux
environs de Monlau-
ban le 18 juin 1918.
Héritier des qualités
de ténacité, d'énergie
et de gravité qui ca-
ractérisent la rude
race cévenole dont il
était issu, Pellissier
s'élait fait lui-même.
Sitôt sa licence pas-
sée devant la faculté
de Montpellier, il élait
entré dans l'Univer-
sité par la peti le porte,
occupant des postesdivers dans les collèges deCler-
mont d'Hérault, de Celte et de Beauvais (1873-1874).
Envoyé de U aulycéede Limoges, comme chargé de
cours enseconde,ily demeurajusqu'en 1876. Durant
ces trois années, il s'astreignit à une double lâche, par-
tageant son temps entre son enseignement et la pré-
fiaration de son agrégation. Il fut reçu agrégé des
étires au concours de 1876, avec le rang de troi-
sième. Nommé aussitôt en rhéloiique au lycée de
Tours (1876-1880), il alla ensuite occuper les mêmes
fondions au lycée de Nancy (1880-J88:t;. Entre
temps, en 1S82, il avait soutenu à Paris ses thèses
de doctorat es lettres, avec une thèse laliiie sur les
Arts poéliques en France an XVI' siècle et une
thèse française .sur ht Vie et les (Hinvres de Du Barlas.
il ne quitta pas, cepeiidanl, l'ensfignement secon-
daire : en 18K5, il fut appelé comme professeur de
seconde au lycée Lakanal et chargé enfin de la
rhétorique au lycée .lanson-de-Sailly (1890), où il
resla jusqu'à sa relraile. On lui avait également
confié une maîtrise de conférences à l'Ecole nor-
male supérieure d'inslitulrices de Fontenay-aux-
Hoses. En 1900, il avait été promu chevalier de la
Légion d'honneur.
Professeur d'une haute cc-.iscience, sous un exté-
rieur un peu froid, Pellissier en imposait à ses
élèves et par sa probité d'esprit et par sa noblesse
(le caractère. Il leur rendait, d'ailleurs, en dévoue-
ment ce que ceux-ci lui donnaient en respect.
Une notable partie de son activité littéraire fui,
en effet, consacrée à des travaux destinés à l'ensei-
gnement secondaire : éditions d'auteurs, recueils de
morceaux choisis, lectures classiques, anlliologies,
et surtout son Précis de l'histoire de la littérature
française, devenu réellement classique, non seu-
lement par sa diffusion dans les classes, mais aussi
riar ses qualités de précision et d'exactitude dan.<
p.s jugements.
En matière pédagogique. Pellissier était affranchi
de tout fétichisme, comme le témoigne son édition
de Boileau, où, en des notes impitoyables, il a relevé
toutes les faiblesses de versification de l'auteur de
l'Art poétique. 11 estimait aussi que les élèves ne
doivent pas s'en tenir dans leurs leclure.i aux seuls
et immuables auteurs inscrits aux programmes, et
c'est celte pensée qui l'a guidé dans la compo-
sition de ses trois volumes : le XVII', le XVIIh,
le XIX' siècle par les textes.
Par le choix des sujets de ses thèses de docloral,
que suivit peu après (1885) une édition de l'Art
poétique de Vauquelinde La Presnaye, accompagnée
Hune subslantielle notice sur ce poète, Pellissier
semblait devoir s'orienter vers l'hisloire littéraire
et, particulièrement, vcrsl'étudede notre xvi» siècle.
Assez tôt, cependant, il fut attiré par la littérature
contemporaine, et l'historien, chez lui, fit place au
critique. Après avoir tracé un tableau d'ensemble du
Mouvement littéraire au XIX' siècle (1889), qu'il
compléta deux ans plus tard par son Mouvement lit-
téraire contemporain, Pellissier s'attacha à suivre
de très près les divers courants qui se manifestaient
dans notre littérature, à en déterminer la valeur, à
fixer en même temps la personnalité littéraire de
nos principaux écrivains. C'est à cet objet que se
rapportent ses Essais de littérature contemporaine
(189:1), suivis bientôt de ses Nouveaux Essais (1895),
ses deux séries d'Etudes de lillèralure contempo-
i'fliHe(l9fll), ses Eludes de lillèralure et de morale
contemporaines {190Ô). Dans tous ces ouvrages, sur-
Lcâ Fuf^îtift, en 1915. (Composition et ^riTiir*- d'Auguste T*père.^
tout dans les premiers, Pellissier s'est montré un
critique très averti et très pénétrant; les derniers
laissent percer parfois une légère pointe de parli
pris; pourtant, ses préférences, de quelques motifs
qu'elles s'inspirent, ne nuisent pas à Voljjerlivité de
ses jugements, toujours fortement motivés. Il a fait,
notamment, du naturalisme une critique très serrée,
montrant que ce mouvement, dont le caractère es-
sentiel élait <i de n'admettre comme réel que le mal
"t de nier la réalité dn bien », fut « moins une esthé-
tique qu'une théorie de la vie et de l'homme » ; ce
qui explique le
courant de pes-
simisme qui, à
certaine époque,
a traversé notre
littérature. Pel-
lissier ne dédai-
Kuaitpas non plus
de s'attarder à des
détails de techni-
que et, se souve-
nant que son pre-
mier ouvrage
avait été un
Traité théorique
et historique de
versification
française {lll»i],
ilaconsacrédans
ses Essais ou
Eludes de nom-
lire u s e s pages
aux questions de
langue et de métrique. Son étude des transforma-
tions de l'alexandrin au xix* siècle, qu'il résume
dans « un conflit entre le principe de la symétrie
et celui de la variété », mérite d'être citée.
En 1908, Pellissier publia une étude sur Voltaire
philosophe : à l'enconlre de ceux qui ne voient en
Voltaire qu'un démolisseur ou qui, comme Faguet.
par exemple, n'accoi-dent de prix qu'à la partie né-
gative de son œuvre, Pellissier s'est appliqué à
dégager de l'œuvre de Voltaire une philosophie
positive, qui, dit-il, peut se résumer d'un mot :
humanité. Ce volume complète très heureusement
la Philosophie de Voltaire, de Bersot.
Le dernier ouvrage de Pellissier : le Réalisme du
romantisme (1912), est encore une page d'histoire
littéraire, où le grand mouvement du début du
XIX" siècle e.st présenté sous un aspect assez nouveau.
Le style de Pellissier est l'exact rellet de sa
pensée : il en a la clarté,. la précision et aussi le
tour didaclique. Ses phrases, courtes, de structure
purement linéaii-e, expriment chaque idée de façon
directe et définitive : on sent toujours le professeur
derrière l'écrivain; si le style y perd un peu en
agrément, il y gagne du moins en autorité.
.Jaloux de son indépendance, ennemi de toute
représentation, Pellissier n'a jamais cherché les
Georges Pellissier.
occasions de se produire. C'est cette modestie qui
l'a maintenu au-dessous du rang où son talent
aurait pu l'élever; il n'en mérite pas moins d'être
compté et retenu parmi nos bons critiques.
Aux ouvrages déjà mentionnés il convient d'ajou-
ter : les Ecrivains politiques en France avant la
llévolution (1883); Anthologie des poètes dn
XIX' siècle; Pages choisies de Diderot (1898) ;
Anthologie des prosateurs français contemporains
{■i vol., 1910-1913);
morceaux choisis des
poètes du XIX' siècle
(1897). Pellissier a
rédigé de nombreux
articles de littérature
moderne dans le
Nouveau Larousse il-
lustré, — J. IIlKCiUIK.
Poussières,
resiescomplèles.par
Barbey d'Aurevilly
(Paris. 1918 . — «Oui,
mon cher Trébulien,
écrivait Barbey
d'Aurevilly le 21 jan-
vier 1851, un petit
cahier de mes vers
copiés par vous me
sera plus cher que
toutes les plus belles
éditions du monde.
Je crois vous l'avoir
dit : je ne suis pas un
poêle officiel, et ja-
mais vers de moi ne
serontiinprimis:mais
il m'est agréable de
conserver des bouts
rimes, qui sont des
dates de sentiments
dans ma vie. On les
montre à vingt-cinq
personnesqu'onaime,
et voilà tonti Du moins, ce sera tout pour moi. »
Déjà, il écrivait en 1813 :
"Vous savez que les vers i|ne je fais n'ont rien de litté-
raire et qu'ils sont seulement la fin de toutes mes rrises...
Vous voyez »|ue. malgré les tiorreurs de la politique. le
démon des vers me hante parfois ; mais c'est toujoui*a un
autre démon qui l'amène, et voilà pourquoi je ne fais pas
de livres eu vers, mais seulement des vers par ci par là.
Le 7 juillet 1S.S3, il insistait :
« Ce recueil anonyme doit être aussi peu un livre
que possilile. »
Ses vers, disait-il encore, n auront un certain
prix de curiosité », quand il sera devenu historien
politique ou chargé d'all'aires quelque part
Il faut reconnailre, d'ailleurs, que. lorsqu'il se fut
décidé, sur les installées de son ami Trébutien, à
laisser celui-ci publier, en 1854, un petit recueil de
douze pièces, imprimées à trente-six exemplaires,
le soin de la publication lui donna des préoccupa-
tions constantes; et nombreuses sont les lettres
qui nous ont été conservées et dans lesquelles il
donne de multiples conseils sur la forme malérieHe
qui devra êtje donnée au recueil.
C'est ce recueil qu'on édite de nouveau aujour-
d'hui, dans un volume qu'eût aimé Barbey d'.\ure-
villy. On y a joint les poèmes d'un recueil intitulé :
Disjecla memhra, qui appartient à M"' Bead, et
(les autographes originaux, des pages d'album, des
dédicaces.
Bien qu'il n'ait été en nul pays chargé d'affaires,
les poèmes de Barbey d'Aurevilly, « ces fleurs
d'aconit et ces feuilles d'absinthe, disait-il. que
sont mes pauvres vers, dans leur douce ou cruelh;
amertume » gardent plus qu'un prix de curiosité.
Et si plus de vingt-cinq personnes peuvent le.s
lire aujourd'hui, plus de vingt-cinq personnes les
aimeront.
11 ne faut pas. pourtant, être plus royaliste que le
roi et découvrir en l'auteur des Diaboliques un
poète qu'il ne reconnaissait pas lui-même. S'il est
poète, c'eét dans sa prose, beaucoup plus que dans
ses vers; et, ainsi qu'ill'abien vu lui-même, le pre-
mier mérite de ses strophes est sans doute de noua
fournir des confidences lyriques, des dates de sen-
timent. Confidences précieuses, iiuand il s'agit d'un
homme comme Barbey d'Aurevilly, dont la vie pas-
sionnée fut toujours pleine d'ardentes contradic-
tions. Et ne songe-t-on pas à lui en li.sant ces vers
de belle allure, au début du Vieux Goéland :
C'était un fier oiseau, — farouche et solitaire,
.\u liée crochu d'or pâle, aux pieds d'aml>re, à l'œil
Arraché tout vivant au rocher, son repaire, fcUir,
Aux flots verta, À la nue, aux brisants, au grand air.
Dates de sentiments, ces poèmes, dont le premier
a été écrit le 13 décembre 1834 et dont le dernier
porte la date de 1886, ces poèmes qui, tour à tour
sontdédié.s à Clary, à Armance, à la baronne H. de B..
à Lily, à la comtesse de P., à bien d'autres encore,
prénoms et initiales que les admirateurs de Barbev
d'Aurevilly connaissent bien. Certains sont déjà
706
fameux : Oh! pourquoi voyager? que Sainte-Beuve
jugeait un chef-d'œuvre :
C'est que le cœur hennit en pensant aux voyages
Plus fort que le coursier qui, sellé, nous attend.
Il en est d'autres qui ne sont pas moins lieureux :
le Buste jaune, le Vieux Goéland, Si j'avais sous
ma mantille. Et la Maltresse rousse marque au
passage une date fameuse dans la vie de Barbey. On
sait que celte maîtresse n'est pas une femme,
« mais, malérielloment et positivement, écrit-il,
l'eau-de-vie que j'ai aimée, que j'aime encore, et
dont je boirais comme sir Reginald Annesly, si je
ne craignais pas de faire de la peine à l'Ange blanc.
Positivement, aussi, VAnge blanc a mis ses gants
dans mon verre, et ma poésie, comme tout ce qui
est poésie sous ma plume, est de l'action et de la
réalité ". Citons encore ce qu'il ajoute et qui con-
firme la valeur confidentielle de ses vers : « Tout
est vrai dans ce que j'écris. Vrai de la vie passée,
soufferte, éprouvée d'une manii'-re quelconque, non
pas seulement de la vie supposée ou devinée. Je ne
suis pas aussi grand artiste que cela. »
On sait que l'Ange blanc fut la baronne de B.,
ainsi nommée par l'abbé Léon d'Aurevilly, pour
l'iiifluence heureuse qu'elle eut sur son frère. Elle
l'avait décidé, en 1856, à se réconcilier avec ses
parents, après vingt ans d'éloignement. Elle avait
contribué grandement à sa conversion. Elle l'avait
empêché de boire :
Au milieu de nous tous, charmante solitaire,
V'Aïe avait les yeux jïleins de toutes les pitiés.
Klle prit ses gants hiancs et les mit dans mon verre,
Kt me dit en riant, do sa voix douce et claire :
« Je ne veux plus que vous huviez! »
Kt ce simple mot-là décida de ma vie,
Kt fut le coup de Dieu qui changea mon destin.
Kt, quand elle le dit, sûro d'ôtro obèic,
fia main vint chastement s'appuyer sur ma main.
L'Ange blanc, c'était bien le nom qui lui conve-
nait, et c'est bien chastement qu'elle appuyait sa
main sur la main de Barbey d'Aurevilly. Elle avait,
d'ailleurs, été franche avec lui. Elle lui avait écrit :
« Vous ne mettrez jamais dans voire flore amou-
reuse le nénuphar blanc qui s'appelle... la baronne
11. de B. " Et c'est pour répondre à celte lettre
que le poète «écrivit ses S'énuphars :
Nénuphars blancs, 6 lys des eaux limpides.
Neige montant du fond do leur azur,
Qui, sommeillant sur vos tiges humides,
Avez besoin, pour dormir, d'un lit pur;
Fleurs de pudeur, oui ! vous êtes trop (ières
Pour vous laisser cueillir... et vivre a|irés.
IScnupIiars blancs, donnez sur vos rivières.
Je ne vous cueillerai jamais!
Il y aurait lieu de noter, sans doute, que Barbey
d'Aurevilly n'est pas un poète très original. D'une
personnalité si nettement marquée dans ses œuvres
en prose, il manque d'accent personnel dans .ses
vers, et la couleur, qui est si vive, si abondante dans
les romans et dans les articles, est plus terne dans
les poèmes. Mais il s'y rencontre des rythmes in-
génieux. L'inspiration est toujours noble; et ne
rappelle-t-il pas Alfred de Vigny, ce vers qu'on
rencontre dans la Haine du soleil :
L'impassible témoin des douleurs d'ici-bas.
Mais, surtout, l'émotion est toujours profonde;
c'est vraiment une émotion de cœur.
Ces vers, dont pas un seul n'exprime le bonheur,
décèlent une sensibilité extrême, une sensibilité à
laquelle participe le lecteur qui connaît Barbey
d'Aurevilly, et qui l'aime. Nous reconnaissons que,
dans la double coupe où le poète puise la vie,
Il est un autre goiit que celui do l'amour.
Jacques BoMPAi-.n.
Révolution et les Étrangers (la\ par
AlbertMathiez. — On sait quelle lourde surveillance
pesa, au fort de la Terreur, sur tous ceux qui, aux
yeux du Comité de siiieté générale, passèrent pour
des «agents de l'étranger»: espions, déinoralisa-
feiirs, fomentateurs de ti'oubles payèrent mainte
fois do leur vie leurs menées contre-révolution-
naires. Arrètons-noiis seulement sur ces épisodes
dramatiques de la lutte de la France convention-
nelle pour son existence. Nous aurons l'impression
d'une Hcvolution française au nationalisme aussi
liorné et féroce que le germanisme d'aujoni'd'hui.
La vérité est justement à l'opposé. LaHévolution
française fut non seulement nationale, mais profon-
dément humaine, large, internationale au meilleur
sens du mot; et ce lurent seulement les nécessités
de la défense nationale qui la conduisirent peu à
peu et comme malgré elle à une politique d'hostililé
systématique à l'égard des étrangers. Le livre
d'AlbertMalhiez nous fait, avec une clarté parfaite,
saisir cette évolution.
La Révolution française est en partie la résultante
du mouvement philosophique du xvni" siècle. Ce
mouvement — éclatant surtout au pays d'où il est
parti, la France — n'est pas pui'ement français,
mais international, comme la société dont il est
l'expression. Il y a alors échange continuel de pen-
sées entre la Fiance et ses voisins immédiats: An-
gleterre, Piiys-Bas, Allemagne, Espagne, et, de
Pélersbourg à Naples, les écrivains français r6-
LAROUSSE MENSUEL
pandent leurs idées. Les Français sont bien accueil-
lis dans toute l'Europe; les étrangers sont choyés à
Paris. Nombreux sont les Anglais, les Italiens, les
Autrichiens, les Prussiens qui y résident et tiennent
une place distinguée dans la société. Ceux-ci s'en-
thousiasment à l'égal des Français pour la convo-
cation des états généraux, la prise de la Bastille,
les promesses de bonheur universel que la nuit du
4 Août, la Déclaration des droits de l'homme font
éclore. Et l'enthousiasme se répand chez les com-
f>atriotes restés au pays natal : Klopslock et Schil-
er, Woordsworth et Coleridge, William Paine et
.loËl Barlow, les radicaux anglais et les bouigeoi.';
de Genève manifestent par des dons, des discours
ou des poèmes leur admiration passionnée.
La prise de la Uastllle (dit fort justement A. .Mathiez)
Carut à la société europfeniie le signal d'une vie nouvelle,
1 promesse messianique du règne de la jiistioo sur la
terre. Pendant trois ans et plus, tous les regards se tour-
nèrent vers Paris, capitale du globe... Il sembla que
l'humanité, dans ses formes les plus hautes et les plus
pures, avait fait de la France son séjour de prédilection.
Kntre les Français et les étrangers, les différences s'atté-
nuaient au point de disparaître. Il n'y avait plus de natio-
naux, il n'y avait plus que des hommes, ()ue des frères.
Parmi les étrangers à qui la France et Paris
ouvrent libéralement leurs portes et qui se pressent
dans la rue, au Palais-Royal, dans les calés poli-
tiques, les salons et les clubs, ne ligurent pas seu-
lement de platoniques amants de la liberté : les
réfugiés politiques sont nombreux. De la Suisse et
de Genève, de la Belgique et de Liège, de Hollande
et de Sardaigne affluent les « patriotes » victimes
des rois ou des oligarchies. Dès 1790, les Suisses,
les Savoyards fondent des clubs, des journaux;
Bataves, Belges, Liégeois viennent il leur suite,
puis les Rhénans et de nombreux Allemands. Des
1790, les Jacobins, qui étaient encore une socicié
fermée et choisie, comptaient déjà parmi leurs
membres des étrangers notoires: les Anglais "Young,
Fitz-Gerald, Miles, Keith; les Allemands Bitaubé,
Cloots, Charles de Hesse; le Belge Van Praët;
l'Espagnol Gabarus; le Genevois Clavière. Le
Club de 1789, le Club des cordeliers, le Cercle
social comptent parmi eux des étrangers. Quelques-
uns d'entre eux : Jean-Paul Marat, V ami du peuple.
Clavière, Mallet du Pan sont entrés depuis long-
temps dans la grande histoire. A. Mathiez fait,
i côté d'eux, revivre quelques figures curieuses
et moins connues : le Belge Proli, bâtard du
prince de Kaunitz, homme politique et homme
d'affaires, qui, sous les apparences d'un épicurien,
joue dans les coulisses révolutionnaires un rôle
considérable; son compatriote Walckers, riche
banquier bruxellois, chef, dans son pays, du parti
des patriotes (parti vonckisle). qui, sous couleur de
libéralisme, soutient, en pleine période de gueri'e
révolutionnaire, les intérêts autrichiens; deux aven-
turiers de grande marque, les deux banquiers Israé-
lites viennois, Emmanuel et Junius Frey, qui, de
Strasbourg, où ils se font consacrer révolution-
naires, partent à la conquête de Paris et réussissent,
en effet, grâce à leurs écrits patriotiques, à leur
fortune considérable, à l'influence de leur beau-
frère Chabot, à y passer pour des sans-culottes bon
teint; la Hollandaise Etta Palm d'Adders, physio-
nomie plus complexe de courtisane femme de
lettres et femme d'intrigues qui, entre deux rapports,
au stathouder de Hollande, trouve moyen de pro-
noncer au Cercle social de sages paroles sur 1 af-
franchissement féminin.
Ceux-là furent des aventuriers de plus ou moins
grande envergure, dont la ferveur révolutionnaire
ne fut que le masque qui recouvrit leurs affaires et
leurs intrigues. Anacnarsis Cloots, lui, fut sin-
cère. On lira avec le plus grand plaisir les pages
consacrées par Mathiez à cet extraorainaire person-
nage : baron prussien, formé à l'école littéraire du
xviii» siècle français et à l'école militaire du roi de
Prusse, c'est la France qu'il choisit libi-ement pour
sa patrie. Fixé à Paris à partir de 177ô, il se place
résolument dans le camp des philosophes et combat
avec eux pour les réformes et la lumière. En 1789,
il siège aux Jacobins. La doctrine révolutionnaire
concorde parfaitement avec ses propres idées :
guerre aux préjugés, établissement des principes
que, non les Français seulement, mais tous les
hommes éclairés, doivent reconnaître comme bases
de toute société, de tout gouvernement; poursuite
du bonheur universel.
Cloots, dès 1790, appelle de ses vœux celte
Uépublique universelle, où les citoyens du monde,
légers d'impôts, riches de forces qu ils dépenseront
pour une meilleure exploitation de la planète,
a goûteront un bonheur sans bornes ». La France
que le Prussien émancipé admire sera le rayonnant
loyer de la grande lumière et Paris le centre du
monde. Anacharsis Cloots," ambassadeur du genre
humain », devient « comme le représentant officiel
de tous les étrangers qui attendent quelque chose
de la Révolution ». En 1793, en pleine guerre, il
osera, à la tribune même de la Convention, se faire
le champion de l'inlernationalisme. Il payera de sa
vie ses idées sulMersivcs, ses liens avec les héber-
tistes et sud zèle décbristianisatcur.
N' 744. Février 1919.
En 1790, d'ailleurs, pendant l'ivresse généreuse
de la Fédération, et même les années suivantes,
les gouvernements de la Révolution fuient prêls
à s'engager dans la voie que leur montrait Ana-
charsis. Et des mesures nombreuses semblèrent
préparer, sous la direction de la France, la fusion
du genre humain. La propagande pour les idées
nouvelles est pratiquée avec ardeur dans les pays
voisins et aboutit à la guerre à la Prusse et à 1 Au-
triche, coisidérée, en 1792, par les girondins,
comme le prélude de la grande «croisade de liberté
universelle ». Les étrangers domiciliés et les
réfugiés s'enrôlent en foule sous le drapeau de la
liberté. Des légions étrangères s'organisent : lé-
gion belge, Dalave, savoisienne, germanique, dont
les soldais brûlent du désir de renverser les tyrans.
Déjà la Consliluante avait accordé tous les droits
des citoyens français aux étrangers domiciliés et
exerçant nn métier. En 1791, un législateur demande
pour la refoule des lois françaises la collaboration
des penseurs de toutes les nations. En 1792, la
Convention, pour se concilier l'élite élraugére,
décide que la France adoptera tons les savants et
philcsophes dont les travaux honorent le genre
humain: Paine, Benthain, Vilberl'orce, Pestalozzi,
Klopslock, Kosciuszko, Schiller, Cloots, deviennent
citoyens français. Paine et Cloots siègent à la
i;onvention. Ainsi les étrangers n'ont jamais été
plus choyés, plus exaltés qu'au moment de notre
histoire où nous engagions une lutte à mort contre
leur patrie d'origine.
La propagande révolutionnaire suscite bien des
mécomptes, et Mathiez parle fort justement de « crise
de la propagande. » Les événements se chargèrent
vile de démontrer que, pour vaincre la coalition, il fal-
lait faire appela des armes autrement efficaces, mais
dont l'emploi exigeait l'abandon du cosmopolitisme
liumanitaii-e. Belges, Rhénans, Savoisiens, annexés
à la lin de 1792, « ne semblent goûter que médiocre-
ment leur bonheur » d'être aflranchis. Après l'en-
Ihousiasme des tout premiers jours, c'est la mau-
vaise volonté, puis la révolte ouverte. La répression
s'impose : il faut combatti'e non seulement les rois,
mais les prévilégiés et, malgré soi, faire la guerre
aux peuples. Nombreux sont encore, il est vrai, les
polUiciens qui, reprenant la formule na'iveet géné-
reuse: "Guerre aux rois, paix aux peuples! » s'oppo-
sent à toute politique de représailles contre les sujets
de ces puissances ennemies qui, sur leur territoire,
persécutent les Français. 11 faut, enfin, se résoudre à
surveiller de près les nombreux indésirables, ser-
viteurs en apparence de la Révolution, en réalite
espions patentés de l'étranger. En mars 1793, la Con-
vention vote un décret, dont les dispositions princi-
pales sont les suivantes : « Tout étranger qui ne
pourra justifier d'une profession... ou de ses senti-
inentsciviques» sera banni. Tout étranger saisidans
une émeute sera puni de mort.
Le décret s'exécuta dans la fièvre palriotiquir
que provoquèrent la perte de la Belgique et la tra-
hison de Dumouriez. A Paris, on ne se borna pas
à incarcérer les étrangers. Après enlente avec le
Comilé de défense et de sûreté générale de la
Convention, le maire Pache ordonna que les scellés
fussent apposés sur leurs papiers. Plusieurs furent
arrêtés. Désormais, la surveillance des étrangers
est à l'ordre du jour. Surveillance et défiance qui
s'étendent jusqu'aux légions étrangères. Celles-ci
sont retirées du front extérieur. Ces mesures dis
réaction coïncident avec l'abandon officiel de la
politique de propagande, nellemenl marqué par
Danton (dont ou aurait pu citer les ironiques paroles
sur la nécessité qu'une telle politique imposerait
aux révolutionnaires de soutenir une révolution eu
Chine) dans son discours du 13 avril 1793.
Les étrangers, pourtant, continuent leurs menées.
Proli et Walckers intriguent toujours pour l".\n-
triche, et les deux frères Frey restent les agents les
plus actifs de l'Empereur. Les mesui'es réi'cmment
prises apparaissent bientôt comme insuffisantes.
Robespierre réclame une loi qui chasse tous les
étrangers qui peuvent nous nuire. Camboii accusa
les étrangers d'être les auteurs responsables de la
grave crise que la République traversait. » 1/or de
Pilt, disait-il avec raison, était le i'onp;ible. La
politique anglaise ne consistait-elle pas, en effet,
à discréditer les assignats et à « leur ôler leur
gage » en entravant la vente des biens nationaux'/
Le retentissement du discours de Canibon fut
considérable. Dès lors, furent k l'ordre du jour la
double question de la défense patriotique à organi-
ser contre les agents de l'étranger et des repré-
sailles économiques à exercer... contre les gouver-
nements coalisés.
En juillet 1793, la Convention ordonne l'arresta-
tion de tous les sujets des puissances avec lesquelles
la France est en état de guerre et la mise sous
séquestre de leurs biens. L'application de cette der-
nièi'e mesure rencontre, il est vrai, des difficultés.
Les banquiers étrangers, si nombreux en France cl
dont un grand nombre consacrent leur fortune à
sDiilenir une politique anti-révolutionnaire, anli-
nationale, trouvent parmi les conventionnels des
avocats. Un premier décret sur le séquestre, vote
^• 144 FévrlW JBJ9.
le 7 septembre, est abrogé le 8. Mais, soua l'iii-
llueiice (les Jacobins, la Convention décrète, le
8 octobre, la saisie de tous les biens appartenant
aux Anglais. « .hi-i(|uo-lîi, le problème des élran-
ners était resté dans le domaine de la défense natio-
nale. Mais le problème n'allait pas tarder k entrer
dans une autre phase. » A la lin de 1793 et au
début de 1 791 , les lu ttes pol i tiques redoublent d'achar-
nement : les partis, les hommes s'accusent mutuel-
lement (souvent avec raison, démontre A. Mathiez)
d'être les instruments de l'étranger. « Dès lors, les
étrangers ne seront plus bientôt que l'enjeu pas-
sionné des luttes de partis. Après la prison, l'écha-
faud les attend. » A la fin de 1793, Robespierre
dénonce comme impolitique et dangereux le propa-
gandisme acharné mené dans tous les pays neutres
par les disciples d'Hébert et d'AnacharsisCIoots.Le
Prussien internationaliste est chassé du Club des
Jacobin.sen attendant d'être emprisonné et exécuté.
Son compatriote, Charles de Hesse (le fameux
général Marat), est destitué et empri.sontié ; de même
Thomas Paine. Le satrape slrasbourgeois (ex-
capucin wurtembefgeois) Euloge Schneider est exé-
cuté, ainsi que le célèbre baron deTrenck. La Ter-
reur sévit sur les étrangers comme sur les aristo-
crates. Danlonistes, hcbertistes entraînent avec eux
ces Prussiens, Autrichiens, Anglais naturalisés
dont ils furent, quelques-uns du moins, les com-
plices ou les inconscients instruments. En 1794,
« la législation répressive est complète ». Elle
comporte, dit A. Mathiez, une partie seulement des
mesures que la guerre actuelle a inspirées aux
belligérants. Ni camps de concentration, en effet,
ni même cessation complète du commerce avec les
étrangers. •< Par là on peut mesurer dans quel sens
a marché la civilisation. »
De fait, la France, même terroriste, reste impré-
gnée d'un idéalisme généreux, où vit encore l'inlei-
nalionalisme du siècle passé. C'est seulement le
xix» siècle, l'exemple de la Prusse de 1813 et le
réveil des nationalités qui susciteront la haine entre
les peuples. — Léon .\nENSoiiR.
rocade n. f. Chemin de fer stratégique (plus
rarement route) parallèle au front et reliant les
>ecleurs voisins. (On dit aussi ligne de rocade et
uoie de rocade.)
— Encycl. Deux étymologies ont été proposées.
Suivant l'-une, rocade viendrait de roquer, terme de
jeu d'échecs désignant un coup qui consiste à inter-
vertir la place respective de la tour et du roi. quand
l'es deux pièces sont voisines l'une de l'autre. La
métaphore ferait ainsi allusion au va-et-vient des
trains sur les lignes de rocade.
IJ'après une autre hypothèse, le mot viendrait du
Midi. En provençal, roucado signifie suite de ro-
chers, chaîne de rochers, terrain rocailleux. La
.1 roule de rocade », taillée en corniche dans le roc
et qui suit les contours de la montagne, aurait donné
naissance à la ligne de rocade militaire, qui épouse
les sinuosités du front. Ce serait une métaphore
créée par le service de la topographie.
En tout cas, rocade ne semble pas avoir été em-
ployé avant 1914 comme terme militaire; il n'a été
usité couramment qu'à partir de 191,ï.
Sacrifie =î (le), pièce en trois actes, en prose, de
Henri Laudenbach, représentée pour la première fois
sur la scène du théâtre national île l'Odéon. le ih oc-
tobre 1918. — Nous sommes à Saint-Diè, en 1916,
dans une maison qui sert de « popote » aux officiers
d'un bataillon de chasseurs. La table est mise. A la
place d'honnein' est assis le commandant, venu pour
présider celle réunion, où l'on fête, en sablant le
Champagne et en chantant la « Sidi-Brahim ", lacroix
lie la Légion il'honinMU' qu'il a épinglée, à côté de
la croix de guerre, sur la poitrine du capitaine
Landry. (Test un héros, dont ses camarades disent
Ions la magnilique conduile. Il n'est pas jusqu'au
ihasseur llochei', qui, en lui offrant des llenrs au
iiiini lies hiimrries de l.'i compagnie, n'exalte ses
■ iroues.ses et son beau caractère. Il raconte, entre
autres traits, l'histoire de la pipe. Rocher fumait,
iMie miit, au risque de se faire repérer par les
l'oches. Le capitaine Lanilry lui arracha sa pipe et
la jela an loin. Mais, quelques jours plus tard, Lan-
dry olfrit sa propre pipe au chasseur qu'il avait
ainsi rappelé à l'ordre. Aussi est-il adoré de ses
bonnni-. Quant à sa bravoure, il vient de la prou-
ver en allant chercher sons les obus, parmi les fils
de fer barbelés, son lieutenant Gardenct, qui était
lomhé la jambe fracassée.
Ce|>enirant, Landry seul ne semble pas participer
il la joie de cette réunion, organisée en son honneur.
Il est triste et sombre. Ses camarades supposent
(|u'il est fatigué, surmené. Mais, quand tous sont
partis, il demeure seul avec un camarade de pro-
motion, à qui il dévoile son secret.
Ce n'est pas le pur amour de la patrie qui l'exalte
et lui fait faire des prouesses : c'est un sentiment
bas et vil, son amour insensé pour une femme
mariée, Lucienne Cardenet, la fenmie de son lieu-
tenant. Elle est sa vie, sa raison d'être, sa conscience
et sa force. Il vu a honte. Il trompe un brave sol-
dat, il se vautre dans l'amour impur et, dans cette
LAROUSSE MENSUEL
fange, 11 puise l'étrange force du ses prétendu.^
exploits. Le pur patriotisme se suffit à lui-même, ne
relève que de lui-même. Lui, Landry, fait son
devoir par amour et par repentir. Il est un être
abject, et il a envie u'anaclier cette croix de la
Légion d'honneur qu'il mérite si mal.
Son ami comprend ce dégoût : il y a un remède.
Landry doit, cette nuit, partir en permission. 11 ne
rêve qu'à l'instant où il va retrouver Lucienne et la
tenir dans ses bras. Qu'il ait une fois un vrai cou-
rage : il doit, s'il veut se réhabiliter, télégraphier à
Lucienne qu'il ne viendra pas et aller passer sa
permission dans quelque refuge écarté.
Landry comprend que là est son devoir. 11 rédige
la dépêche et la donne à son ami pour qu'il l'expé-
die. Mais, à peine demeuré seul, il est repris par le
désir de revoir sa Lucienne, et il donne l'ordre de
seller son cheval : il va partir.
A ce moment, entre une pauvre fille, Geneviève.
Ses parents sont morts de la guerre. Elle est ruinée.
Elle a dû se l'aire servante d'auberge. Elle est expo-
sée à toutes les privautés des soldats. Il y a deux
jours, Landry l'a rencontrée et l'a tirée des mains
de galants trop entreprenants. Mais, à présent, Ge-
neviève est persécutée par son patron, qui va la
chasser ou l'outrager. Elle vient demander secours
à celui qui l'a déjà sauvée une fois.
Elle le trouve si indifférent, si froid, si distant, si
préoccupé, si agité, qu'avec son instinct de femme
elle devine qu'il soutire par et pour une femme.
Elle lui tient un noble langage, l'exhorte à résis-
ter à tout amour vulgaire, à écouler l'appel de sa
pureté et de sa blancheur : u Je suis une parcelle
de votre devoir! » Landry, surpris, troublé, ému
par l'élévation de ce langage, obéit, renonce à par-
tir et emmène Geneviève pour prier avec elle, sur
la tombe de sa mère.
Le second acte se passe dans le même décor.
Depuis huit jours, Luiieniie n'a pas répondu an
télégramme et ii la lettre de rupture de Landry, et
celui-ci voit chaque jour la pure Geneviève. Pas
une parole d'amour n'a été échangée entre eux.
Landry éprouve une sensation rafraîchissante à
baigner son cœur gluant de fange dans cette can-
deur si sincère et k écouter les nobles propos de
cette amie, qu'il a retirée du cabaret pour la placer
comme dame de compagnie dans une maison hono-
rable. Elle parle, elle prévoit déjà l'adieu qu'il fau-
dra se dire, car le régiment va partir ce jour même
à la ligne de feu. Leur entretien est plein de chaste
noblesse. A ce moment, Lucienne entre. Elle voit
Landry avec une femme. « Ah 1 je comprends 1 »
dit-elle douloureusement. Mais Landry l'a à peine
revue qu|il est ressaisi; il veut prouver à Lucienne
qu'il ne l\. pas trompée, qu'il l'aime toujours, et il
chasse Geneviève. Celle-ci se retire et reste comme
crucifiée sur le seuil de la porte. De là, elle assiste
à la scène d'amour où Lucienne multiplie toutes
ses câlineries, évoque tous les plus voluptueux sou-
venirs pour bien reprendre son amant. Ce-
pendant, Geneviève soufl're le martyre. A
ce moment, le clairon sonne le rassemble-
ment. U faut que Landry aille joindre son
poste pour partir au combat. « Reste I »
supplie Lucienne. « Partez ! » ordonne
Geneviève, qui symbolise la voix du de-
voir. C'est elle qu'écoute Landry : il court
vers ses hommes. Les deux femmes restent
en présence. Lucieniie a deviné que, si
Gène vie ve n'est pas aimée, elle aime. Et elle
finit, elle aussi, par admirer cette sto'ique
elCgie du devoir. Toutes deux pleurent,
tandis que le clairon qui s'éloigne atteste
que Landry est parti.
Le troisième acte nous transporte quinze
jours après, dans une salle d'hôpital, ,-i
Saint-Dié. Landry est blessé à mort. Ge-
neviève le soigne avec le ilévouemeni de
l'amour le plus chaste. Avant de nmurir,
Landry veut s'imposer uni' suprême puri-
fication. Le mari de Lncieime, blessé, est
.soigné dans le même hôpital. Landry le
fait appeler. Il lui avoue tout : il a été
l'amant de sa femme. Mais c'est fini : il veut
par cet aveu, se réhabiliter sur son lit de
mort, et pour mourir en paix, il implore du mari
outragé un double pardon, el pour l'amant et pour
la femme. Le mari résiste d'abord, puis consent.
Arrive Lucienne, qui est venue voir son mari, igno-
rant que Landry est là. Elle devine qu'il a tout dit.
Mais elle proteste aussi que .-on amour s'est épuré,
et son m.iri lui permet de déposer un chaste baiser
d'adieu sur le front du mourant. Le conple se retire.
Landry mourra dans les bras de Geneviève.
Ce drame, écrit par un jeune auteur, mêle des
gaucheries à des scènes d'une grande beauté. L'ins-
piriiliou en est noble, élevée, généreuse. Le sujet
est sensiblement le même que celui de l'Elévation
de Rernstein (v. p. j98); mais la morale en est tout
l'opposé.
Peut-être trouvera-l-on quelque disproportion en-
tre la faute et le remords. Le renoncement rapide
de Lucienne n'est pas assez expliqué. Peut-être,
aussi, estime-t-on que le silence du mourant aurait
707
du moins épargné le repos moral du mari durant le
reste de ses jours. L'auteur a voulu que le sacrifice
s'étendit à tous et que Geneviève, par une ascension
puissante, attirât à elle vers les hauteurs tonte cette
grappe d'âmes repentantes et sacrées par le pardon :
Landry, sa complice et l'époux.
Le style a de la chaleur, mais se laisse parfois
entraîner à des pages de littérature. Les caracl>'res
sont assez nets : celui de Geneviève est particuliè-
rement ititéressant. Cet ouvrage a de bonnes qua-
lités et renferme des promesses. — Vto CLiïiTre.
Les principaux rôlM ont été créés par : M" Faute
Andral (Lucienne), M''* CoUiney {Geneviève); MM. Joul)é
(ciipiiaine Landry), Vareas {lieuItTMnt Gardenet), Maurica
Lamy {chasseur Jiocher),
Transfusion du sang simplifiée (la).
Les premiers procédés de transfusion du sang exi-
geaienlune instrumentation dontl'élémentprincipal
était une sorte de réservoir interposé entre le « don-
neur » de sang et le « récepteur ». Dans ce réservoir,
qui faisait cou-
rir des risques
énormes de sep-
ticité, le sang,
en outre, se
coagulait facile-
ment, ce qui
rendait l'opéra-
tion impossible.
C'est pour parer
à ces inconvé-
nients et à ces
dangers que
l'on inventa les
techniques mo-
dernes qui ré-
duisaient cet
appareil inter-
médiaire à une
canule d'argent
parfaitement aseptique et paraffinée à l'intérieur ou
même le supprimait complètement en réalisant Tabou-
cbement direct des deux vais.seaux {v.Lar.Mens.ill.,
1. 111, p. 235;. Mais, tout en constituant un indéniable
progrès sur les méthodes dejadis, tonten accroissant
considérablement la fréquence de la transfusion, ces
techniques restaient passiblesd'objections sérieuses.
Tout d'abord, l'expérience montra que ces inter-
ventions étaient fort délicates, très difficiles à exé-
cuter, el elles n'étaient abordées que par un petit
nombre de chirurgiens; de plus, on restait, en les
suivant, dans l'impossibilité de doser avec queîqui'
exactitude la quantité de sang soustraite au don-
neur et infusée au patient qui en devait bénéficier.
D'où le risque d'excès qui devait nuire considéra-
blement au premier, dont la perte sanguine serait
trop importante, et le risque d'insuffisance, qui
réduisaitla transfusion à des proportions inefficaces.
Ampoule de verre pour reeovoir le sanff.
Soufflerie aspirante et fuul.inte.
opvratiOD pour recueillir ou pour injecter le Uiug.
Les méthodes récemment préconisées remédient,
semble-l-il, à ces défauts. Elles sont basées sur la
propriété que possède le citrate de soude d'empê-
cher la coagulation du sang. C'est Agole (de Bue-
iios-.\yres) qui, le premier, en 1914, montra le
moyen d'utiliser pratiquement cette intéressante
qualité. Mais la technique fut surtout bien réglée,
l'année suivante, par Jeanbrau (de Montpellier), qui
ignorait, quand il le lit, le procédé d'Agote et les
perfectionnements que lui avaient déjà apportés les
chirurgiens des Etats-Unis.
Comme outillage, Jeanbrau utilise simplement une
ampoule de verre, de SOO centimètres cubes, dont
une extrémité est fermée par un bouchon de caout-
chouc que traverse un Inbe métallique recourbé, sur
lequel est intercalée une boUe à colon destinée à
filtrer l'air ; l'extrémité inférieure de cette ampoule
est effilée en forme de canule à biseau latéral, afin
1 de pénétrer facilement dans une veine. Sur le tube
708
métallique supérieur, ou peut adapter une soufflerie
de thermocautère, modifiée (en retirant d'un centi-
mètre la portion qui porte la soupape) de façon à pou-
voir être alternativement aspirante et foulante Un
presse-tube, intercalé sur le caoutchouc près de l'am-
poule, permet ou empêche à volonté la commimica-
tion. Il faut se procurer, en outre, une solution de
citrate de soude chimiquement pur, dosée à 10 p. 100.
Le donneur une fois choisi, on le fait coucher sur
une table, à côté du lit du receveur ; on dénude,
après aneslhésie locale et avec toutes les précau-
tions d'asepsie requises, une de ses veines, sur
laquelle on place une ligature en aval et une pince
à mors souple en amont, puis on ouvre cette veine
transversalement sur le tiers de sa circonférence.
Ensuite, on prépare de la même façon le receveur,
à cette dilTérence près que la lig-ature est, chez lui,
placée en amont. On verse alors dans l'ampoule de
verre la solution de citrate de soude, dont on imbibe
bien les parois du récipient et dont on y laisse une
petite quantité (10 cmc pour 250 gr. de sang). Cette
ampoule est introduite par son extrémité effilée
dans la veine du donneur et, retirant la pince à
mors souple, on voit le sang affluer dans l'ampoule,
dans laquelle on fait
le vide k l'aide de la
soufflerie afin d'ai-
iler à son remplis-
sage. Celui-ci effec-
lué, on transporte
I ampoule eton l'in-
troduit dans la veine
il u récepteur. E n
appuyant sur le bou-
rlioii de r!ii;on que
la pression ne le
lasse pas sauter, on
insuffle de l'air à
l'aide de la souf-
flerie, et le sang
passe ainsi dans la
circulation île celui
qui doit en bénéfi-
cier. Le presse-tube
sert à fermer le con-
duit de caoutchouc
tout le temps que
la souffierie ne doit
pas jouer, soit en
aspirant, soit en re-
foulanl.l^'opération
terminée, on lie les
veines au-dessus et
nu-dessous de leur
ouverlure, et on
fi'rme la petite plaie
cutanée.
L'expérience a
montré que cette
petite opération
pouvait encore être
simplifiée sans in-
convénient. C'est
ainsi que Théve-
nard, ayant à elfec-
tuerund transfusion
d'urgence alors que
toute instrumenta-
tion spéciale lui fai-
sait défaut, a l'eiri- Mari.'igc de N;t[iulr..ii I" (
plaoélamiiouleduM^
nous avons parlé par un bock :"i irrigation soigneu-
sement ;,térilisé,daus lequel il a recueilli le produit
d'une saignée banale l'aile au donneur et a injecté
ce sang au receveur en ajustant au liuut du tulie de
caoutchouc de ce récipient une aiguille ii injection
inira-veineuse.
D'autre part, Hosonthal a pioposé de soustraire
également le sang du donneur par le moyen d'une
aiguille qu'il adapte à une seringue de verre de
100 à 2.o0 centimètres cubes de capacité. Pendant
que cette soustraction s'effectue, un aide fait au
receveur uiie injection intra-veineuse de sériun
physiologique et laisse en place dans la veine l'ai-
guille nécessaire pour cette injection. On transporte
donc du doimeur au receveur la .seringue chargée
de sang, et on l'adapte à l'aiguille demeurée en
place. La transfusion est ainsi réduite à des ma-
nœuvres qui sont celles de l'injection intra-veineuse
banale, appliquée aux deux sujets. Celte méthode
et celle qu'a improvisée Thévenard évitent les dé-
nudations de vaisseaux et les ligatures terminales.
Mien entendu, dans l'un comme dans l'autre cas,
il faut placer dans le récipient (bocl< ou seringue)
une certaine quantité de solution de citrate de
soude, toutes ces techniques étant basées, nous le
répétons, sur la propriété que possiile ce corps
d'empêcher la coagulation du sang. — t>' ii. Bouqubt-
Trois mois ô, Paris loks du mariage di:
l'empereur Napoléon I"'' kt de i.'archiuuchesse
Marie-Louise. (Souvenirs du prince Charles île
Clary et Aldringen, publiés par le baron de Mitis el
l<- comte de Pimodan.) — L'auteur de ces souvenirs
LAROUSSE MENSUEL
très parisiens était un Autrichien de hante naissance,
petit-lils du renommé prince de Ligne : « J'ai eu
raison de mettre en étiquette sur mon fait : Je suis
le petit-fils du prince de Ligne, ça fait qu'on
s'm arrache », écrit-il dès son arrivée.
Chambellan de l'empereur François, il fut chargé
par lui, en 1810, quelques jours avant le départ de
Marie-Louise pour la France, d'aller porter une
lettre de son maitre k son futur gendre, Napoléon.
Ce jeune homme de trente-deux ans se déclara en-
iliaïué de la mission, laissa femme et enfanis et
partit à franc étrier pour Paris, où il arriva le
2(1 mars, d'où il dut repartir aussitôt pour Gompiègne
où l'Empereur se trouvait, .lusqu'au 26 juin, trois
mois exactement, il fut l'étranger le plus friand des
plaisirs de la capitale, le plus spirituel à les décrire :
point de politique, ou si peu, mais récit détaillé en-
voyé au jour le jour, sur le ton le plus enjoué, k sa
mère ou à sa femme, dans le but avoué de conser-
ver pour plus tard, pour lui et les siens, le souvenir
d'une page amusante et brillante de sa jeunesse.
(j'élait Paris et la vie parisienne qui, naturelle-
ment, l'attiraient plus que la cour impériale; sa
mission de courrier aulrichien lui valait pourtant
■t Jf Maiie-I...ui.-ii>. à l'.Tpla, lo :! .ivril IHKl, l:il.lf:iu Je (li
des invitations qu'il ne lui était point loisible de
décliner. Il n'eut ()u'uue conversation avec « Napo »,
comme il l'appelle souvent : ce fut le jour de la
remise de la lettre autographe de I Cmpeieur Kran-
<;ois, conversation (|ui lut un interrogatoire serré,
rapide, comme Napoléon sa\ait les l'aire, après
lequel I Empereur prétendait connaître son homme.
Convié aux chasses à courre, aux soirées mornes,
où l'Empereur dormait pendant le concert, il était
k Compiègne quand Marie-Louise y arriva : « .l'ai
vu l'Impératrice sauter assez lestement à bas de
sa voiture, embrasser immédiatement toute la fa-
mille et monter l'escalier, conduite par son petit
mari. Tout le monde l'a trouvée très bien, très
grande, beaucoup mieux qu'on ne s'y attendait.
Comme elle a une demi-tête de plus que Lui, elle
a vraiment assez bon air. » Huit jours plus tard,
le comte Clary assistait, à Saint-Cloud, au ma-
riage civil, sans donner, d'ailleurs, de détails iné-
dits sur la cérémonie; le lendemain, il était dans
le salon carré du Louvre, qu'on avait, on ne sait
pourquoi, transformé en chapelle pour y célébrer
la cérémonie religieuse : " C'était vraiment la chose
la plus lra|>pante qu'il fût possible de voir, mais
sans rien de religieux, rien qui ressemblât en
rien à une chapelle, k tel point qu'on se trouvait
tout étonné lorsque, par hasard, il entrait quelque
cardinal ou évêque, de lui voir faire le signe de la
croix. » Et, parcourant Paris, illuminé, il se ren-
dait devant Notre-Dame, affreusement <• défigurée •>
par un temple de r.\mour en carton-pâte, qui s'éle-
vait au-dessus des deux tours et faisait l'effet le
plus effroyal)le.
«• 144. Février 1919
Reçu dans le milieu le plus aristocratique, Clary
n'y rencontre pas que des admirateurs du maître :
le faubourg Saint-Germain, que l'Empereur espérait
rallier par son second mariage, boudait encore; le
chambellan autrichien, ailleurs qu'à la cour et dans
les demeures officielles, dissimulait mal ses senti-
ments, peu .sympathiques à l'Empereur; il ne le*- dis-
simule pas dans ses lettres, rassuré qu'il est par les
courriers qui les portent à destination.
Au reste, il s'occupe presque exclusivement des
plaisirs de Paris et fait grise mine aux invitations
bonapartistes et autres. Ses plaisirs sont, d'ailleurs,
très avouables; le plus vif est le Théâtre-Français.
Il s'y rend presque chaque soir, trouvant moyen
d'intercaler ses dîners ou ses soirées avant ou après
le spectacle. Différent des étrangers ou des provin-
ciaux de nos jours, il méprise les petits théâtres,
peu nombreux et assez négligés d'ordinaire et,
comme les Français, comme Napoléon lui-même,
accorde toutes ses prélérences aux tragédies. Il
n'en est presque pas une célèbre qu'il n'ait vue,
pendant son séjour de trois mois : Zaïre, Iphigénie,
Nicom'ede, le Triomphe de Traj'an, Andromaque,
Phèdre, Manlius, Horace, Poli/eucle , la Mort
d Hector, Paul, Jo-
seph, les Etats de
Blois, Cinna, quel-
ques-unes plusieurs
fois; le goût des tra-
gédies estalorssi ré-
pandu à Paris qu'il
rencontre des co-
chers de voiture de
louage lisant Gor-
iieilleen attendaiitle
client."Jen'aijamais
trouvé ni SchiUei-,
ni Gœlbe dans im
fiacre de Vienne ",
écrit-il émerveillé ;
il chercherait en
vain dans les rues
du Paris moderne
le cocher lecteur de
Corneille ou même
de Victor Hugo.
Adiniiateur pas-
sionné (le Talma, il
discute le jeu des
partenaires du tra-
gédien, admire et
critique tour à tour
M"' Mars ou la Du-
chesnois, MU»' Le-
vert. Maillard ou
Voinais; il aime
également la musi-
que, fréquente
l'Opéra et l'Opéra-
Coinique de la rue
Feydeau. Quel en-
thousiasme dans ce
laconisme : u Paris,
le 21) mars. Je suis
arrivéhiersoi'-; j'ai
vu Gendrillon,
ah!!l ') et, le lende-
main,ildécrilen de-
tailsesimpressions.
Il lui arriva un
jour, au mois de
juin, de délaisser les plaisirs de Paris pour aller, à
Dieppe, voir la mer; l'amour de la nature n'étaitpas
alors très répandu. Clary semble en avance sur ses
contemporains, sous ce rapport : il projette un voyage
en Suisse, dont il se promet force jouissances; sa
courte randonnée sur la cote normande l'enthou-
siasme : >. .l'ai vn la mer! écrivait-il à sa femme
le 11 juin; après ces mots, je devrais finir et cacheter
ma lettre »; mais il la continuait, énumérant les fêtes
et spectacles parisiens que ce voyage lui faisait
manquer, reprenant : mais vidi aquam .' (j'ai vu la
mer!) et le voilà « dégoûté à jamais des mers
d'opéra, car c'est autrement ». Arrivant au Havre,
son enthousiasme est encore plus vif: <■ Ouf 1 que
c'est beau ! Où trouver des paroles pour vous faire
l'histoire de ma journée ! j'ai épuisé tout mon voca-
bulaire admiratif pour Rouen, pour Dieppe. Eh!
mon Dieu, cela n'en valait pas la peine ! » Com-
ment éuumérer les amusants récits de fêtes, de
réunions, de ;)romonades dans Paris ou aux en-
virons, dont foisonnent les lettres du comte Clary,
lequel les a illustrées de petits croquis amusants,
montrant qu'il savait tenir aussi bien le crayon que
la pluiTie. La publication très soignée que le baron
de Mittis et lo comte do Pimodan ont faite de cette
correspondance est donc des plus heureuses : la
vie de Paris, à la plus brillante époque du premier
empire, comporte, grâce à eux, un nouveau tableau
qui supporte la comparaison avec les plus re-
nommés. — Piorre R*m.
i*.!!-!». — Imprimerie Larousse (Moreau, Au^é, Gillon et C»),
17, rue Mgnlparnasae. — Lt gérant : L. Oroslet.
i llmtiîfl. ls:i7. (Miist»,. li,. VfrsîuUea.)
Le magnolia.
N° 145. — Mars 1919
Académie des beaux-arts. — E/ec<f on
d'Adolplie Dëchenaud. Le 16 novembre 1918, l'Aca-
démie des beaux-arts a procédé à l'élection d'un
membre dans la section de peinture, en rempla-
cement de Riipnaël Collin.
Le nombre de votants était de 29. II y a eu dix
tours de scrutin. Au premier tour, les voix s'étaient
réparties ainsi : DéchenandA; Priant 6; WencUcr 4;
Ménard 5; Auburtin 3; M«enier2; Cliabas 2 ; Schom-
mer 2; Bail 1. Au dixième tour, Déchenaud a eu
15 voix, Ménard 11 et Priant 3.
Adolphe Déchenaud a été déclaré élu (v. p. 718).
Antide-Boyer(Antoine-JeanBaptisteBoYER,
dit), homme politique français, né à Aubagne
(Bouches-du-Rhône) le 26 octobre 1850, mort à Mar-
seille le 23 juillet 1918. Fils d'un ouvrier, Antide-
Boyer travailla, dés l'âgt, de huit ans, dans une pe-
tite fabrique de poteries dirigée par ses deux oncles,
Picliou et Beaumont, hommes rudes, qui le soumi-
rent aux plus pénibles besognes. Il demeura sous
leur direclion jusqu'à l'âge de quinze ans. Il gagnait
alors douze sous par jour. Admis à l'école de l'abbé
Donde, il entra ensuite au séminaire, ofi ses profes-
seurs firent de lui un brillant latiniste, mais tentèrent
vainement d'éveiller en lui la vocation religieuse.
Son père mort, Anlide-Boyer quitta le séminaire
pour entrer alors « au P -L.-M. ", en qualité de sur-
numéraire. Il fut ensuite « homme d'équipe intel-
ligent » selon les rapports officiels, puis lampiste de
la gare de Sainl-Martin-de-Orau, — lampiste singu-
lier, qui, étendu sur les banquettes des wagons au
garage, oubliait la fuite des heures dans la lecture
d'un Michelet constellé de taches d'huile!... On le
vit encore successivement employé aux ateliers ma-
ritimes de La Giotat, attaché à une des principales
huileries marseillaises, enfin, spécialisé dans les tra-
vaux de comptabilité et de liquidation commerciales.
Dès 1869 — à dix-neuf ans! — il s'était « lancé
dans la politique ». En 1871, il soutint, à Marseille,
la candidature de Gambelta,dont il ne cessa jamais
d'être l'enthousiaste partisan. Il prit part aux con-
grès ouvriers locaux, dont il fut l'un des orateurs
les plus écoutés et le délégué au Havre, à Saint-
Etienne et dans toutes les manifestations impor-
tantes. En 1879, surtout, il joua un rôle capital au
congrès ouvrier tenant ses assises aux Folies-Ber-
gère de Marseille, en travaillant à l'élaboration du
programme du parti socialiste et en associant les
syndicats ouvriers à la propagande de ce parti.
Tout cela ne l'empêcha ni de collaborer assidûment
à d'innombrables feuilles régionales (il avait fait
paraître, à l'âge de dix-sept ans, son premier article
dans le Galoubet) ni de fonder un journal : le
Travailleur.
1884 voit son entrée dans la politique effective.
Les électeurs du quartier de la Belle-de-Mai (le
Belleville phocéen) élisent comme conseiller muni-
cipal ce candidat socialiste-ouvrier, que ses collègues
élèvent, à leur tour, à la dignité d'adjoint au maire.
En octobre 1885, au scrutin de liste (2' tour^, Antide-
Boyer, candidat radical-socialiste, fut élu député
de la cinquième circonscription de Marseille par
52.593 voix.
Boyer fut réélu en 1889, 1893, 1897, 1901, 1905.
Son ami "Victor Leydet, devenu sénateur, étant
mort, il fut nommé à sa place, le 3 janvier 1909,
pour achever la législature sénatoriale en cours
Violemment combattu lors des élections régulières,
il ne fut pas réélu le 7 janvier 1912.
11 avait été le représentant de la ville de Marseille
au Parlement pendant vingt-sept années consécutives.
Depuis 1912, son activité, toujours exceptionnelle,
ne se démenlit pas. Chargé de diverses missions
à l'étranger, il fonda te Monde latin, revue de propa-
gande française et latine, qu'il dirigea jusqu'à sa mort.
Parlementaire, Antide-Boyer resta fidèle aux
idées libre-échangistes, communalistes et fédéra-
listes. 11 fit une politique socialiste, réformiste, pro-
gressiste,quiévo-
lua de l'énergie
intransigeante et
généreuse à la to-
lérance et à la
bonhomie systé-
matiques. Fonda-
teur, avec les
quatre autres pre-
miers socialistes
élus en même
temps que lui
(Basiy, Planteau,
CaméiinatetGlo-
vis Hugues), du
groupe ouvrier
delà Chambre et
siégeant àl'extrê-
me gauche lors
de sa première
législature , son
indifférence pour
les outrances et
les surenchères
inutiles le fit, sans quitter la gauche, rapprocher son
siège du centre. Parmi les propositions et les projets
de loi déposés par lui sur le bureau de la Chambre, les
plus mémorables semblent être ceux ou celles con-
cernant : les victimes du coup d'Etat de ISSI et de
la loi dite « de sûreté générale » de 1858, — l'allocation
d'une pension minimum de 1.000 fr. à la famille
de chacun des officiers et soldats morts au Tonkin
ou à Madagascar, — «ne conférence interyiationale
en vue d'arriver à un désarmement général et si-
multané des peuples {session de 1SS5-1gS9), — l'ad-
ministralion des caisses de secours des ouvriers
contre les mal.idies, les accidents, la vieillesse, etc.,
— l'eiiquêle sur la circulation monétaire et fidu-
ciaire (session de 1SS9-1S9S), la revision de la
Constitution, — la création de ports /francs, parti-
culièrement à Marseille (l'une de ses idées les plus
Astîde-Boyer.
chères), — les permis de navigation et l'évaluation
des services donnant droit à la demi-solde des
marins {sessions de 1S9S-1S98-190S).
Parmi ses interpellations et interventions les plus
significatives, il faut retenir les suivantes : sur les
événements de Decazeville ; — sur les désordres
qui se produisirent le 8 novembre 1887 aux obsèques
d'Eugène Pottier; — sur le sort des travailleurs
atteints par la transformation des services maritimes
postaux; — sur les poursuites du Panama (au cours
d'une des plus émouvantes séances de la session
1898-1902); — sur l'état des négociations au sujet de
la paix entre la Grèce et la Turquie et la région de
Crète, etc.
Les questions turques, grecques et Cretoises pas-
sionnaient Antide-Boyer En 1897, la Grèce, berceau
de la civilisation antique, fut menacée une fois de plus
par la Turquie, son ennemie séculaire. Boyer —
qui, accrédilé par Houvier, avait eu, en 1896, l'oc-
casion de s'occuper avec Delyannis et de Mon-
tholon de l'adduction des eaux du lac Slymphalis
et qui aimait le pays hellène depuis toujours —
attendit que la Chambre fût en vacances et partit
pour Athènes, où il s'enrôla parmi les 1.200 « Che-
mises Bouges » de RiccioUi Garibaldi. Il se vit
imposer le grade de lieutenant et, aux côtés des
députés italiens Galtorno et de Felice, de José
di Furtado de Mendoça, sergent de dix-sept ans qui
chantait la Marseillaise sous les balles, et de Marcel
Lamy (Chambige), entre autres, se conduisit en
héros à la bataille de Domokos. Chargé, plus tard,
de barrer aux Turcs, très supérieurs en nombre, le
défilé de la Furka, pour proléger l'extrême gauche
de l'armée garibaldienne, il fut nommé capitaine
sur le champ de bataille.
Régionialiste et provençal, il aima fidèlement nos
provinces, et la Provence plus que toutes les autres.
Vers 1S79, il fit partie du groupe marseillais nommé
le Portique, puis il créa les Jeunes, sorte d'uni-
versité populaire avant la lettre. Il fonda, en oulre,
la Société dei Troul>atre, dont le fameux et rarissime
Tron de l'Er fut l'organe, le Gay Sahé, qui ne dis-
parut qu'en 1900 après avoir pris l'initiative d'élever
un monument à Puget, et les Francs- Prouvençaous
qui publièrent la Revisto dei Troul>aire.
L'orientation lilléniire de Boyer se précisa dans
cette dernière publication. Il célébra, entre autres
talents de l'école de Marseille, celui de Victor Geln,
le puissant patoisant. Cette littérature du peuple,
franchement psloisée, était préférée par Antide-
Boyer à celle des félibres. à qui il reprochait d'avoir
forgé une langue aristocratique.
Son œuvre littéraire est considérable, mais épar-
pillée dans d'innombrables publications et signée
de pseudonymes très variés. Les travaux linguis-
tiques y tiennent une place importante.
Le régionalisme d'Antide-Bover admettait le pro-
gramme minimum de la « Fédération régionalisle
française ». Au point de vue administrait, '' : créa-
tion de centres régionaux, industriels et universi-
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
Î7
710
taires, gestion des aiïaires de la commune par la
commune, de la région par la région, de la nation
par l'Etat; création dunejiiridiction arbitrale, char-
gée de connaitie des conflits entre l'individu, la
commune, la région l'I l'Etat; — Au point de vue
économique : libellé des initiatives communales et
régionales; organisation professionnelle régionale,
développement des groupes locaux mutualistes,
coopératifs et corporatifs; conciliation des intérêts
économiques de chaque région; — Au point de vue
intellectuel : appropriation de l'enseignement aux
besoinsrégionaux et locaux; autonomie des univer-
sités; développement des œuvres d'initiative privée
dans le domaine des lettres, des sciences et des arts.
Dès 1879, Boyer montrait que la décentralisation
n'est pas forcément le séparatisme ; qu'en prêchant
le fédéralisme on ne prêche pas la désunion ; que
Vunité se dilférencie essentiellement de la hlâmable
uniformité; qu'on peut être provençal sans être,
ou en étant, félibre et que l'antimilitarisEne hon-
nête ne doit pas être confondu, de bonne foi, avec
l'antipatriotisme (l'Evénement, 9 mars 1S79).
Il n'a manqué à Boyer qu'un peu de recueillement
et de méthode pour que sa puissance de travail et son
universalité d'esprit pussent donner tout ce qu'elles
devaient logiquement produire. — Georges Noemanoy.
autofrettage (du gr. autos, soi-même et de
frettage) n. m. Traitement spécial que l'on fait
subir, au moyen de la pression d'un fluide, aux
tubes métalliques en cours de fabrication, pour les
rendre capables de supporter ultérieurement de
fortes pressions intérieures.
— Encycl. L'autofretlage a pour effet de déve-
lopper dans l'épaisseur du métal un état tel que
chaque couche concentrique ait tendance à com-
primer celle qu'elle enveloppe et à être comprimée
par celle qui lui est extérieure, les difTéreutes cou-
ches jouant ainsi respectivement le rrtle de frettes.
Lorsqu'on s'est proposé de construire des tubes
métalliques capables de résister à des pressions in-
ternes considérables, la théorie aussi bien que l'ex-
périence ont prouvé qu il était inutile d essayer
d'obtenir une augmentation de résistance en don-
nant au métal un surcroît d'épaisseur. On constate,
en efl'et, que, lorsque l'épaisseur atteint une cer-
taine valeur, les couches extérieures de métal ne
concourent plus d'une manière sensible et eflicace
au travail de résistance.
On a donc été amené depuis longtemps à cons-
tituer les tubes de haute résistance tels que ceux
destinés aux pièces d'artillerie non pas d'un seul
bloc homogène de métal, mais d'une série de tubes
emboîtés k chaud les uns dans les autres, de telle
sorte que, revenue à la température ordinaire, toute
enveloppe exerce une action de serrage sur celle
qui est directement en contact avec sa surface in-
terne, la forçant ainsi à effectuer un certain travail.
C'est cette opération qui est connue sous le nom de
frettage, chaque enveloppe constituant une frette.
Des travaux récents ont conduit les techniciens à
rechercher s'il ne serait pas possible d'obtenir un
résultat analogue sur un tube formé d'un seul bloc
de métal. On est arrivé à celte conclusion que si,
dans un tube de ce genre, on introduit un fluide
pour y exercer des pressions croissantes, les cou-
ches successives de métal subissent des dilatations,
d'abord élastiques, dont l'amplitude varie en sens
inverse du rayon de la couche; à partir d'une cer-
taine valeur de la pi-ession, les dilatations devien-
nent permanentes ; elles sont localisées au début à
la surface interne du tube, mais progressent vers
l'extérieur à mesure que la pression augmente, pour
s'étendre enfin à toute l'épaisseur.
Les dilatations permanentes ainsi réalisées di-
minuant de valeur de la surface externe à la surface
interne, il en résulte que, lorsque la pression a cessé
de s'exercer, le métal du tube se trouve dans un état
fiarticuliertel que chaque couche comprime celle qui
ui est intérieure. Les couches successives se com-
Ïiortent donc, vis-à-vis les unes des autres, comme
es frettes que nous avons délinies plus haut.
Gel état et ce traitement ont recule nom à'auto-
frellage. On réalise industriellement l'opération
en exerçant des pressions hydrauliques à l'intérieur
des tubes. On peut ainsi développer des pressions
atteignant 5.000 à 6.000 kilogrammes par centimètre
carré, ce qui est amplement suifisant pour assurer
la résistance des canons les plus puissants.
En résumé,c'estenréagissantcontredes pressions
internes qu'un tube métallique s'adapte à résister à
des pressions du même genre; — curieux phénomène,
qui tendrait à prouver que les prérogatives de « dé-
fense naturelle » ne sont pas le seul apanage des ani-
maux et des végétaux, mais appartiendraient aussi à
la matière dite « inerte ». — o. Lunel et c. Dubosc.
Autriche-Hongrie (Populations du l').
Il existe un singulier contraste entre la situation
que présentait l'Autriche-Hongrie avant la guerre
de 1914 et sa situation actuelle; au lieu d'un empire
dualiste, voici une foule d'Etats en formation, de
pays dont les uns réclament leur indépendance, tandis
que les autres aspirent à s'agréger à des Etats exté-
rieurs à l'ancien empire. C'est la conséquence,
LAROUSSE MENSUEL
prévue depuis longtemps, du fait historique qu'a été
la cristallisalion, autour du domaine primitif des
Habsbourg d'Autriche, d'une foule de territoires
différents par la race et par la langue, sinon par la
religion
Ce n'est pas ici le lieu de rechercher comment
cette cristallisation s'est produite, ni à la suite de
quelles conquêtes et de quels mariages a été con-
stitué le ci-devant empire d'Autriche-Hongrie,
Il suffira de rappeler que, de très bonne heure, par
une politique bien comprise d'unions matrimoniales,
la maison d'Autriche a gagné de nombreux terri-
toires; un célèbre distique en fait foi :
Bella gérant alii; tu. felix Austria, nube;
Nam qtis Mars aliis dut tilii régna Venus;
« Que d'autres fassent la guerre; toi, marie-toi,
heureuse Au triche; car ces royaumes que Marsdonne
aux autres, à toi c'est Vénus qui les donne. »
Pendant plusieuis siècles, les princes de la maison
d'Autriche n'ont pas eu à soufl'rir de la diversité
des races qu'ils avaient réunies sou s leur domination;
c'eslseulementdans la seconde moitié du xviii" siècle
qu'un souverain maladroit et brouillon, encore
qu'animé des meilleures intentions, un « despote
éclairé », .loseph 11, a, par sa politique d'unification,
surexcilé les senlinients nationaux et déterminé le
réveil des nationalités qui mouraient lenlement ou,
à tout le moins, sommeillaient. A la suite des eflorts
tentés par cet « empereur philosophe » pour subs-
tituer la langue allemande aux dialectes nationaux,
Mariés croates.
à la suite d'actes attentatoires à des institutions et
à des coutumes chères à des populations magyares
et tchèques, on vit le sentiment national se mani-
fester avec force; on vit renaître les langues hon-
groise et tchèque Depuis lors, lemouvementnationil
n'a cessé d'aller se développant, malgré des difficultés
et des persécutions de toute sorte Aussi, dès la
seconde moitié du xix' siècle, les politiques comme
les géographes avaient-ils pris l'habitude de consi-
dérer l'Autriche-Hongrie non pas comme un empire
dualiste, mais comme un assemblage factice de
nations très différentes, sous la domination de
l'empereur-roi. C'est ce que reconnai-^saient même
les manuels destinés à l'enseignement secondaire;
ils voyaient dans l'Autriche-Hongrie un Etat « aux
populations bigarrées, autant slaves et magyares
qu'allemandes » (Niox), fatalement destiné à se
morceler un jour en fragments dont on n'osait
prévoir l'avenir.
L'événement a donné raison aux géographes, et
ceux-ci sont en train de voit leurs pronoslics se
réaliser Raison de plus pour essayer de déterminer
avec précision de quelles races se composait, au
moment où éclata la grande guerre de 1914, la
population de l'empire austro-hongrois.
t. Absence d'uxité physique de l'Autriche-
HoNGRiE. — On sait quelle était alors l'étendue de
ce ci-devant empire. Depuis la forêt de Bohême ou
BOhmer Wald, l'inn, le lac de Constance et la mer
Adriatique jusqu'aux extrémités occidentales de la
plaint russe en Galicie, jusqu'aux Karpathes et aux
Alpes de Transylvanie, enfin jusqu'à la Drîna,
depuis les monts Métalliques et les monts des Oéants
(Erzgebirge et Riesengebirge) jusqu'au lac de Garde,
N' 145. Mars 1919.
à laTsrnagora ou Monténégro, à la Save et au Da-
nube, l'Autriche-Hongrie s'étendait sur une super-
ficie déplus de 676.000 kilomètres carrés (France :
538.000). Pas de frontières naturelles à ce vaste
territoire; c'est un pays éminemment composite,
dont les différents compartiments contrastent sin-
gulièrement les uns avec les autres: la montagneuse
Autriche alpestre, le plateau de Bohême, la plaine
hongroise, la région fermée du Karst, puis les glacis
galiciens du rempart des Karpathes et la balkanique
Bosnie-Herzégovine... Pays sans aucune unité géo-
graphique, dont certaines parties sont fatalement
appelées à graviter autour de centres autres que le
bassin danubien de Vienne ou la plaine magyare.
Si, du moins, le Danube, le grand fleuve longitu-
dinal de l'Europe centrale, qui traverse ou borne
d'ouest en est les différentes parties de l'Aiitriche-
Hongrie, depuis le confluent de l'Inn jusqu'aux
Portes de Fer, — si, du moins, le Danube donnait
une véritable unité aux contrées qu'il arrose! Mais
il n'en est rien... Très différent du fleuve alpestre
ou (pour parler plus exactement) subalpin qu'est
le Danube autrichien, apparaît, dès sou entrée dans
I la plaine hongroise, au sortir du défilé de Wacz (ou
I Waitzen)ou même en aval de Presbourg, le fleuve
qui continue de porter le nom de Danulie. Notons
le fait, sans y insister davantage, et retenons aussi
que la vallée du Danube, depuis l'antiquilé la plus
leculée, a servi de grande route commerciale, et
aussi de grande voie d'invasion, entre les pays de
l'Orient et ceux de l'Europe occidentale.
Comme les textes historiques, les documents
archéologiques témoignent de ce rôle joué par la
vallée du Danube dès les époques où les hommes
ne se servaient pas encore de l'écriture. Les uns et
les autres montrent comment, pour fuir les enva-
hisseuis, les populations riveraines du grand fleuve
ont peu à peu quitlé ses bords pour se retirer dans
les hautes vallées, très difficilement accessibles.
Par là s'explique la persistance de groupes spora-
diques dans un certain nombre de cantons reculés
des Alpes et des Karpathes. Mais, à eux seuls, ces
groupes, confinés aux extrémités de l'ancien empire
austro-hongrois, n'auraient pas suffi à compromettre
son unité ethnique; il a fallu, pour arriver à ce ré-
sultat, que des migrations de populations considé-
rables vinssent, depuis l'ère chrétienne, superposer
aux couches plus ou moins profondes des popiila-
tionsprimitivesdes masses nouvelles, différentes des
habitants antérieurs par la race, par la langue et par
la religion; il a fallu (|ue ces migrations eussent
lieu à des époques et par des voies différentes et
conduisissent les groupes de tribus en quête de nou-
veaux territoires dans des compartiments naturels
où ils rencontraient ce qu'ils cherchaient. Voilà, pré-
cisément, ce qui s'est produit avant que la maison
d'Autriche pratiquât la fructueuse politique de ma-
riages que l'on sait; voilà pourquoi les Habsbourg
empereurs d'Allemagne ont pendant longtemps res-
pecté des groupes dont l'individualité ne les gênait
pas; voilà, aussi, pourquoi ils n'ont pu réussir, le
jour où ils ont entrepris de les fondre en une seule
population de race allemande. Pour les mêmes rai-
sons, aujourd'hui encore, l'Autriche-Hongrie est un
assemblage de populations multiples et très diffé-
rentes les unes des autres.
Ces explications préliminaires une fois données,
essayons de nous rendre compte du nombre, comme
de l'importance respective, de ces populations.
11. Elé.ments de la population austho-hon-
GROiSE. — Ouvrons Y.Mmanach de Gotlia, et voyons
quels renseignements fournit, sur les populations
de l'Autriche-Hongrie, le volume de cet Almanach
qui porte ladatedel914. 11 résume succinctement les
travaux du recensement qui a été fait en 1910 par
toutes les parties de la monarchie dualiste et qui
a constaté, sur le territoire de l'empire, la présence
de 5I.356.4C5 individus.
Mais — demandera-t-on sans doute — peut-on
avoir foi dans la sincérité de ce recensement et
est-on fondé à en accepter les chiffres? N'a-t-on
pas accusé les documents officiels d'inexactitude,
pourne pas dire plus? Oui, sans doute: Louis Léger,
par exemple, dans son Histoire de l'Autriche-
Hongrie, déclare que « les races dominantes se plai-
sent à enfler leur nombre et à diminuer celui des peu-
ples moins favorisés ». Aussi ne saurait-on accep-
ter que sous bénéfice d'inventaire les indications
fournies par les documents officiels. Malheureuse-
ment — à tout le moins d'ordinaire — les rensei-
gnements donnés par les auteurs qui ont entrepris
de critiquer et de rectifier les chiffres gouverne-
mentaux sont, eux aussi, vraiment tendancieux et
travaillent à faire prévaloir les thèses ethniques et
politiques chères à ceux qui les citent. Il est donc
difficile de les admettre sans contrôle.
Les recensements officiels prennent pour base de
la nationalité un facteur singulièrement élastique,
celui de la langue usuelle (Umgangssprache). qui
n'est ni la langue maternelle, ni la langue officielle,
ni la langue provinciale. Comme, cependant — en
théorie tout au moins — chacun peut penser que le
recensé déclare pour sa langue usuelle celle dont
il préfère se servir, on peut en conclure que cet
«• 145. Mars 1919.
ETHNOGRAPHIE DE L'AUTRICHE-HONGRIE
711
712
élément stalislique n'est pas sans présenter quelque
valeur. C'est donc sur les chiffres fournis par le
recensement général de 1910 que nous n'Iiésiterons
pas à nous appuyer d'ordinaire, sans, cependant,
nous faire faute de les reclider à l'occasion, à l'aide
d'auteurs d'une valeur scientifique indiscutable,
comme Lubor Niederle et Jovan Cvijic, comme,
aussi, h l'aide d'indications fournies parle recense-
ment officiel lui-même.
Cela étant, que dit le recensement officiel de 1910?
11 constate, au moyen de i'Umgangssprache, l'exis-
tence de treize nationalités distinctes en Autriche-
Hongrie. 11 dénombre, en effet, en chifi'res ronds,
12 millions d'Allemands, 10 millions de Hongrois,
3.225.000 Roumains et 800.000 Italiens et Ladins.
Abstraction faite de 250.000 divers, le reste, soit
25 millions d'individus, appartient tout entier à la
race slave et se décompose ainsi : 8.500.000 Bohé-
miens .Moraveset Slovaques, 5 millions de Polonais,
4 millions de Huthènes, 5.545.000 Croates et Serbes
et 1.350.000 Slovènes.
Ainsi donc, les trois grandes races dont les repré-
sentants peuplent le sol de l'Europe sont inégale-
ment représentées sur le territoire de l'Autriche-
Hongrie ; les Slaves sont de beaucoup les plus
nombreux. 'Viennent ensuite les Allemands, de race
Types tialmates des environs de Zara.
germanique et, enfin, très loin derrière eux, les
descendants des anciens Latins. D'autre part, on
trouve dans l'empire dualiste un groupe considé-
rable de Magyars, dont l'origine ethnique est sûre-
ment asiatique. Voilà ce qui ressort du tableau
récapitulatif des populations de l'Autriche-Hongrie,
dressé, d'après les langues, à la suite du recense-
ment de 1910.
Mais de l'examen du tableau des religions
pratiquées par ces populations, voici qu'une autre
conclusion se dégage aussitôt : VUmgangssprache
aboutit à la suppression complète — sur le papier —
d'une race très vivace, la race juive. On comptait,
en effet, en 1910, plus de 2.258.000 individus de reli-
gion Israélite dans l'empire austro-hongrois. De li,
immédiatement, une preuve formelle de l'inexacti-
tude, au point de vue ethnique, des chiffres fournis
par le recensement de 1910. Ajontons que les grandes
divisions adoptées ne rendent ancun compte de
l'extrême complexité des populations de l'Etat
dualiste ; certains auteurs ne vont-ils pas jusqu'à
signaler l'existence, dans la seule Hongrie, de 18 et
même de 24 groupes différents de langue, de culte
et d'origine? Sans pousser la dilTérenciation aussi
loin, tenons pour certain que l'Autriche-Hongrie
est, suivant l'heureuse expression de Louis Léger,
« une véritable tour de Babel européenne ».
Rien de plus difficile, par conséquent, que de
tracer un tableau complet des nationalités du ci-
devant Etat dualiste ; du moins est-il possible, en
s'en tenant aux grandes lignes, de donner un aperçu
d'ensemble des peuples qui contribuèrent à le
former. 'Voilà ce que nous allons nous efforcer de
faire en étudiant d'abord la plus nombreuse et la
plus complexe des grandes races dont les recense-
ments officiels y reconnaissent l'existence, la race
slave.
m. Les Slaves. — Chacun sait l'importance de
l'élément slave dans le peuplement de l'Europe ;
chactm sait aussi que, dès les temps préhistoriques,
LAROUSSE MENSUEL
le peuple slave primitif, dont le noyau vivait pro-
bablement entre l'Oder et le Dniepr, avait atteint
par endroits l'Elbe, la Saale, le Danube, la Desna,
le Niémen et la Baltique. Ainsi, dès une époque
dont aucun témoignage écrit n'a conservé le sou-
venir, les Slaves avaient pénétré sur des terres
faisant hier encore partie de l'Etat austro-hongrois.
Des pays situés à 1 ouest de la 'Vistule et des Kar-
pathe3,une importante fraction de ce noyau primitif
poussa au delà de l'Elbe, de la Saale et de la
Sumawa en occupant la Lusace, la Moravie et la
Bohême ; une autre fraction, partie de la région
comprise entre la haute Vistule, le Dniester et le
moyen Danube, pénétra dans le Sud jusqu'à la
Drave ; elle s'enfonça même, après avoir franchi la
Save et le Danube, dans la péninsule balkanique,
non sans laisser des représentants au sud des Kar-
palhes. Ainsi s'explique, dans le ci-devant empire
austro-hongrois, la présence de nombreuses popu-
lations slaves appartenant à des groupes différents :
au groupe polonais, au groupe tchèque, au groupe
Slovène et, enfin, au groupe serbo-croate.
De ces groupes, plus on moins éloignés les uns
des autres, un seul appartient exclusivement à l'an-
cienne monarchie dualiste : le groupe tcneco-slova-
que. Aussi est-il naturel de commencer par lui l'étude
des populations
'j slaves des pays
i austro-hongrois.
. A. Les Tchéco-
slovaques. — Très
obscure est (nous
venons de le voir)
l'histoire des mi-
t;iiilions qui ont
amené les Tchè-
ques de la Bohême,
les Moraves et les
Slovatiues sur les
territoires où ils
sont établis aujour-
d'hui ; aussi sufli-
ra-t-il de noter ici
qu'après avoir oc-
cupé, peu avant
l'ère chrétienne, la
Bohême et la Mo-
ravie, les Tchéco-
slovaques débor-
dèrent bien au sud
du territoire qui est
actuelle m entle
leur. Danslescom-
taîs d'Esztergom,
de Budapest, de
liiirs, de Nograd,
siil)sistent de nom-
liicux îlots témoins
d'une extension
considérable de la
branche tchéco-
slovaque.
Fondus dès le
ix" siècle de notre
ère en une seule nation sous l'hégémonie des Tchè-
ques, les Tchéco-Slovaques se développaient norma-
lement sous les princes nationaux de la dynastie des
Prémyslides, quand, à partir du xu» siècle, ceux-ci
appelèrent des colons allemands dans le pays. Déjà,
en s'avançant du côté du sud au long du Danube,
les Allemands avaient commencé de refouler les
Tchéco-Slovaques de quelques-unes de leurs con-
quêtes (au sud-ouest) ; ils les menacèrent bien plus
sérieusement quand ils pénétrèrent dans les parties
septentrion.iles de la Bohème et de la Moravie et
qu'ils établirent sur les pentes méridionales de
l'Erzgebirge et des Sudètes une ceinture toujours
plus serrée de villes et de bourgades allemandes,
quand ils poui::èrent jusque dans l'intérieur du
pays. On rail par quelles alternatives d'avance et
de recul passa, au cours des siècles, la germanisa-
tion de la contrée ; finalement, elle échoua de telle
sorte que le peuple tchèque a aujourd'hui pleine
co[iscience de lui-même, qu'il forme une masse
compacte de 6.500.000 individus, qu'il constitue
un rempart solide et (autant qu'il est permis de
parler ainsi) inexpugnable contre le germanisme,
qu'il est enfin organisé depuis quelques semaines
en peuple maître de ses destinées et ne relevant
que de soi-même.
Seule, une carte détaillée permettrait de déter-
miner avec exactitude les frontières nationales du
peuple tchèque. 11 suffira de dire ici que les Tchè-
ques prédominent dans le royaume de Bohême, en
dépit de la présence de nombreux Allemands sur
les différents côtés du quadrilatère, surtout au
Nord-Ouest et au Nord-Est; ils ont aussi, d'autre
part, des représentants en Autriche, dans le mar-
graviat de Moravie, dans le duché de Silésie et en
Hongrie. Leurs voisins du Sud-Est et leurs frères
de race, les Slovaques, sont, d'autre part, e»i Mo-
ravie, tellement liés à la vie de la nation tchèque,
ils s'en rapprochent tant et si vite que la véritable
frontière des deux groupes tchèque et slovaque
fV* 145. Mars 1919.
n'est autre que la frontière politique même de la
Moravie et de la Hongrie : la Morava et les
Karpalhes.
Là finit le (lomaine des Tchèques; là commence,
pour se prolonger par delà le Bodrog jusqu'à
l'IJng (Ungvar), celui des Slovaques établis dans
la Hongrie septentrionale au sud des Karpatlies.
Naguère, ces Slovaques descendaient beaucoup
plus loin vers le sud qu'ils ne le font aujourd'hui ;
de nombreux îlots sporadiques, épars dans le centre
et le sud de la Hongrie jusque dans les comilats
de Bekes, de Bacska et de Torontal, en fournissent
la preuve. Les Magyars ont refoulé les Slovaques
ici plus et là moins vers le nord, comme le mon-
trent les sinuosités de la frontière ethnographique,
ces pointes poussées en pays slovaque par les Hon-
grois, depuis les rives de la Tisza et du Danube,
auxquelles répondent des pointes plus ou moins
accentuées des Slovaques à l'est du Gran, entre
Gran et Waag, et, plus à l'ouest encore, jusqu'au
sud de Preshourg.
On compte en Flongrie plus de 2 millions de Slo-
vaques qui sont, au point de vue de l'origine
ethnique et linguistique, strictement les frères des
Slovaques de Moravie et des Tchèques de Bohême.
Mais un séjour prolongé dans une région qui a son
centre géographique à l'est, tandis que la région
voisine a le sien à l'ouest et une longue sépara-
tion politique (elle dale de près de neuf siècles, et
remonte à l'année 1031) oiilaccentué lesdilférences
dialectales du début et déterminé la naissance de
costumes et, surtout, de coutumes autres en Bohême
et en Slovaquie. Aussi, en dépit de mnltiples ten-
lalives de rapprochement, n'y avait-il pas, avant la
guerre, union complète ni assimilation entre les
Slovaques et les Tchèques; il y avait même, depuis
la fin de la première moitié du xix« siècle, scission
entre la littérature slovaque et la littérature tchè-
que. La Morava et les Karpathes séparaient donc,
en 1914, deux pays distincts, à l'intérieur de chacun
desquels l'unification est de plus en plus caracté-
risée, sauf en Moravie, où l'originalité des tribus
primitives s'est un peu mieux conservée qu'en
Boliême. Un prochain avenir dira si les Tchéco-
slovaques doivent évoluer en s'écartant davantage
les uns des autres ou si, au contraire, les Slovaques
entendent rester pleinement fidèles au sentiment
de la solidarité et de l'unité morale de leur groupe
et de la nation tchèque.
B. Les Polonais. — Au nord du groupe tchéco-
slovaque, à qui le dernier recensement attribue un
total de 8.475.292 individus, se développe la partie
du territoire austro-hongrois habitée par les Polo-
nais. C'est sur les pentes septentrionales des Kar-
pathes, sur les deux rives de la 'Vistule inlérieure,
puis sur la rive droite de ce fleuve jusqu'à son
confluent avec le San et sur les deux rives de ce
tribulaire de la Vistule que sont surtout groupés
les représentants de cette fraction de la race slave,
dans un pays qu'ils occupèrent de tout temps. Tou-
tefois, les Polonais sont encore nombreux dans la
Galicic orientale, où un seul cercle est purement
russe et contient moins de 3 p. 100 de Polonais, le
cercle de Kossow.
Le recensement de 1910 a dénombré 5.019.496 Po-
lonais sur le territoire de la monarchie dualisie,
presque tous groupés dans le triangle décrit par
les Karpathes, la 'Vistule et le San. Là vivent les
Polonais de la race la plus pure, les Gorals ou mon-
tagnards (du mot poivi, montagne), bracbycéphales
de taille moyenne (1">, 681), déteint généralement
clair ou mixte. Plus on s'éloigne des Karpathes, plus
le type se modifie et accuse des mélanges; néan-
moins, le Galicien est de type beaucoup plus carac-
térisé que l'habilant des parties de la Pologne
extérieures à l'empire austro-hongrois. Là, les Po-
lonais sont vraiment chez eux; leur nombre s'ac-
croît rapidement (de 14 p. 100 en 50 ans) et ils
professent en majorité écrasante (83,14 p. 100) la
religion calholique.
Malgré les bons traitements dont ils étaient de-
puis longtemps l'objet de la part des souverains
Habsbourg, les Polonais aspiraient à se soustraire
à la domination ausiro-hongroise pour redevenir,
avec leur frères séparés d'.MIemagne et de Russie,
membres d'un Etat indépendant faisant revivre
l'ancienne Pologne démembrée par les partages
successifs de la fin du xviii" siècle. Leur vœu a été
exaucé; aujourd'hui, les Polonais d'Autriche-Hon-
grie et de Russie constituent un nouvel Etat, dont
les limites seront déterminées par le Congrès de
la paix.
G. Les Ruthènes. — Que deviendront, dans ce cas,
les Ruthènes, dont le nombre est tout proche de
4 millions (3.998.872 exactement)? C'est à l'est des
domaines des Polonais, des Hongrois et des Rou-
mains, sur le flanc nord-oriental des Karpathes et
même (aux sources de la Tisza) à l'inlérieur de cette
vaste conque montagnense, que vivent ces repré-
sentants de la race slave. Ils occupent tout le pays
compris entre le San et les sources du Styr, du
Goryn et du Bong, le cours supérieur et moyen du
Dniestr en amont de son confluent avec le Podhorce
et, aussi, la région montagneuse des sources du
I
«• 145. Mars 1979.
Prout et (lu Seret. Ces Ukraniens, ces Pelils-
Husses, (jui lèvent, coiiune leurs l'rèi-es plus oiien-
taiix, la création d'une Ukraine indépendante orga-
nisée snr la base de la démocratie et du socialisme,
avec Kiev pour capilalc, sont également appelés
Rousini ou Housniiilts et portent dans la région des
Karpalhcs une foule de noms locaux. Les Gora/s
ou montagnards en constituent le principal, mais
non pas le seul élément; on distinf,'ue, en effet,
parmi les Rulliènes, plusieurs tribus différentes,
depuis les monts Ueskides jusque dans le comlat
honjfrois de Marmaros et la Bukovine autricbienne.
Telle est, en particulier, celle des Houtsoules,
11 une énigme de l'ellinologie slave », au dire de
I.ubor Niederle, remarquables par la beauté de la
taille, par l'anliquilé et la richesse de leurs cou-
tumes, par leur sens artistique, leur costume pitto-
resque, mais, aussi, par leur manque intellectuel,
qui les met au dernier rang parmi les Slaves
(90 p. 100 d'illettrés).
D. Les Your/o-Slaves. — De ces différents groupes
s'aves, dont les deux preiniers appartiennent aux
Slaves du Nord, tandis que les Ruthènes se ratla-
cbent aux Slaves de l'Est, les Yougo-Slaves so[il
complètement isolés par des populations allemandes,
hongroises et roumaines. Il n'en a pas toujours élé
ainsi, et l'histoire a connu le temps où aucune bar-
rière ethnique ne séparait les Yougo-Slaves de leurs
frères de race cantonnés plus au nord ou plus à
l'est. Alors (v«-vi« siècles de noire ère), sur les vastes
espaces déserts délimités au nord et à l'est par le
Danube en aval de Linz, dans les pays montagneux
des Alpes orientales, dans les vallées de la Hienz,
de la Mur et du Haab ou Raba et dans la haute val-
lée de la Drave, des Yougo-Slaves étaient établis en
groupes peu denses et isolés les uns des autres.
Mais, peu à peu, sous la poussée continue des Alle-
mands convertis au catholicisme d'abord, puis des
Hongrois, l'isthme intermédiaire alla se rétrécis-
sant, diminuant d'épaisseur, en même temps que de
longueur. Puis il linil par disparaître complète-
ment. Seuls, par conséquent, des groupes slaves
plus ou moins considérables, isolés en territoire
allemand ou en territoire hongrois, et des noms de
lieux, attestent lexislence historique d'un territoire
slave ininterrompu depuis les Karpathes et le qua-
drilatère de Bohême jusqu'au Danube, aux mon-
tagnes de Tsrnagora et aux vallées profondes des
.\lpes orientales.
Malgré leur séparation d'avec les autres Slaves,
les Yougo-Slaves ou Slaves du Sud sont pleins de
vitalité; ils n'entendaient nullement, aux temps de
Bosniaque de Priedor.
l'empereur-roi François-Joseph déjà, se laisser absor-
ber par les Allemands ni par les Magyars. Les recen-
sements de l'ancien Etat dualiste, comme les ethno-
graphes, y distinguent deux groupes particuliers :
celui des Croates et des Serbes et celui des Slovènes.
II convient d'étudier à part chacun de ces groupes.
a) Croates et Serbes. Le plus important d'entre
eux (5. .545. 531 représentants d'après le recensement
de 1910) est celui des Croates et des Serbes, le plus
oriental et le plus étendu tout à la fois. Sur un vaste
territoire, qui englobe la partie slave de l'istrie et
du Littoral, toute la Croatie, toute la Slavonie
(abstraction faite de la Syrmie), la Dalmatie presque
entière et toute la Bosnie-Herzégovine on ne rencon Ire
que des Croates et des Serbes; on en rencontre
d'autres encore dans la Hongrie méridionale. Consi-
déi-able est donc le domaine géographique des
Serbo-Croates.
11 a été question, plus baul, des premières migra-
tions qui conduisirent les Slaves depuis leur centre
priniilif de dissémitialion jusqu'au cœur de la Pé-
ninsule des Balkans; nous n'y reviendrons pas.
Mieux vaut noter, ici, qu'un Etat considérable se
LAROUSSE MENSUEL
constitua aux ix° et x° siècles dans le nord-ouest de
l'aire d'habitat des Yougo-Slaves, autour de la mer
.Xdriatique ; de ce royaume de Croatie se détacha, un
peu plus lard, dans le Sud-Ouest, une Serbie, qui ne
larda pas à devenir (du xii" au xiv" siècle) nu très
puissant Etat. De très bonne heure, commença donc,
au sein du groupe serbo-croate, une scission poli-
713
dance de la Serbie, le souvenir de la communaulé
de race fit renaître, chez les Serbo-Croates des Bal-
kans comme chez ceux de l'Anlriche-Hongrie, le
désir du rétablissement de l'antique unité.
Au point de vue géographique, rien ne s'y oppose,
car les spécialistes les plus autorisés tiennent pour
très difficile de tracer la frontière qui sépare les
Luc uocc j'uugo-slave, aux environs JA^ram-
tique, qui s'accentua au début du xn« siècle, au temps
où la Croatie lut rattachée à la couronne de Hon-
grie (1 102) et qui ne tarda pas à devenii un véritable
divorce. 'Tandis, en effet, que les Croates subirent
l'influence évangélisalrice de Rome, embrassèrent
le catholicisme et adoptèrent l'alphabet latin, les
Serbes subirent l'influence de Byzance, embrassè-
rent le christianisme grec et adoptèrent l'alphabet
cyrillique. Ce sont donc des Slaves byzantinisés
ou grécisés, tandis que les Croates sont des Slaves
latinisés.
Ce seul fait suffirait à faire comprendre pourquoi
les frères de race que sont les Croates et les Serbes
ont été séparés les uns des autres pendant long-
temps de la façon la plus complète; mais voici qui
l'explique encore davanta.ge : la conquête turque
accentua la séparation. Chacun sait combien vio-
lente lut la conquête de la péninsule des Balkans
par les Turcs; on sait aussi que les violences conti-
nuèrent longtemps encore après l'occupation. De là
des déplacements des populations chrétiennes, dési-
reuses de se soustraire à ces violences. Tandis que
les populations chrétiennes du cœur de la péninsule
balkanique qiiitliiient les pays riches pour les pays
pauvres, les plaines et les bassins intérieurs pour
lis montagnes, celles qui n'étaient pas éloignées de
l'Europe centrale reculaient vers le nord et l'ouest,
dans la direction du Karst dinarique, du Monté-
npgro, de la Dalmatie, puis elles passaient au delà
de la Save et du Danube. Ainsi de nouvelles causes
d'isolement vinrent encore s'ajouter à celles qui
séparaient déjà les Serbes d'avec les Croates.
Toutefois, d'assez bonne heure, les rapports se
renouèrent, et d'une façon tout imprévue. A la
suite des éphémères réactions des armées autri-
chiennes contre les envahisseurs, les Turcs revin-
rent altérés de vengeance, et leur retour détermina
de nouvelles migrations en masse vers le nord. 11
en fut ainsi jusqu'à ce que la paix de Passarowitz
de 1718 eiit placé la rive droite du Danube, Bel-
grade et une partie de la Serbie sous la domination
de l'empereur Gliarles 'Vl. Mais, même alors, les
migrations des Y'ougo-Slaves des Balkans ne ces-
sèrent pas. Pour échapper aux hordes de pillards
(surtout albanais islamisés) qui mirent en coupe
réglée, à la fm du xvin» siècle et surtout un peu
plus tard, les parties centrales de la Péninsule et la
région du Pinde, ils passèrent jusque dans le Banat.
Puis les causes économiques se joignirent aux
causes historiques pour déterminer ces mêmes
Yougo-Slaves à quitter les pays pauvres oti ils se
trouvaient à l'étroit pour aller coloniser de nouvelles
terres... Ainsi, peu à peu. disparurent les causes
physiques d'isolement des Serbes et des Croates.
Les causes morales disparurent graduellenienl,
elles aussi, du fait de l'oppression des populations
slaves de l'Austro-Hongrie par les Allemands et par
les Magyars. Le jour où l'ambitieuse politique bal-
kanique du cabinet de 'Vienne menaça l'indépen-
Croates des Serbes. Considère-ton, d'autre pari, le
type ethnique, on arrive au même résultat. Mêmes
caractères anthropologiques, en effet : haute taille,
forte prépondérance du type brun, forte brachy-
céphalie et vaste capacité crânienne. Une langue
commune, avec des différences de prononciation
(les Tchakavtsi et les Chtokavtsi) et des nuances
dialectales. Enfin, des occupations identiques; par-
tout, une prédominance extrêmement marquée de
l'agriculture et de l'élève du bétail. Aussi un savant
particulièrement autorisé, Lubor Niederle, n'a-t-il
pas hésité à écrire que « Serbes et Croates ne dif-
fèrent sérieusement ni au point de vue physique, ni
au point de vue linguistiaue, ni au point de vue de
la manière de vivre ».
Ainsi donc, seules la politique, la religion et la
littérature ont créé de véritables différences entre
les deux rameaux de celte branche de la race slave.
Mais il n'y a là rien d'absolu, encore que, dans le
royaume de Serbie, qui dit « serbe » dise « ortho-
doxe ». En effet, de nombreux catholiques sont
serbes ou sont revendiqués par les Serbes, qui
comptent aussi des musulmans parmi eux, et le
gouvernement serbe n'a-t-il pas conclu un concordat
avec le saint-siège, peu de temps avant l'explosion
de la Grande Guerre? D'autre part, certains ortho-
doxes se considèrent comme croates. Par ailleurs,
la natalité des Croates, comme celle des Serbes, est
faible, et le nombre des uns et des autres était
naguère diminué sans cesse par l'émigration. Dans
de telles conditions, il y a vraiment nécessité, pour
les Serbo-Croates, de quelque domination qu'ils
relèvent, de s'entendre et de réaliser le programme
que leur traçait l'un des leurs. le grand évèque de
Diakovo, M»' Slrossmayer. « Les uns et les autres.
Croates catholiques et Serbes schismatiques. nons
honorons et invoquons saint Cyrille et saint Mé-
thode, disait-il... Que ces deux saints nous unissent
dans une amitié fraternelle ! »
On sait qiie ce souhait est aujourd'hui une réalité.
Serbes et Croates entendent revenir à leur unité
d'origine et aspirent à former à nouveau un seul et
même peuple.
A] Les Slovènes. El de ce seul et même peuple
désirent également faire partie ces Slovènes ou
Wendes, aujourd'hui si réduits comme nombre et
comme influence, qui constituent la fraction la plus
occidentale des Slaves du Sud. Dans les premiers
siècles du moyen âge, ces Yougo-Slaves formaient nn
groupe puissant, établi entre le coude du Danube et
les rivages de rAdriati(jue, sur la route accédant k
celle mer, et ils pénétraient profondément dans les
régions alpestres. Allemands et Hongrois ont peu h
peu chassé les Slovènes de la majeure partie de
l'ancienne Carantanie; ils les ont réduits à la pos-
session de la Carniole, du nord de l'isirie, du pavs
de Gorizia, de la partie sud-est de la Carinthie, ^e
la Styrie méridionale et des deux comitats hongrois
de 'Vas et de Zaiad.
714
Là vivent, groupés autour de leur capitale
Ljubljana — le Laibach des Allemands — environ
1.500.000 Slovènes (exaclemenl 1.349.222 d'après le
recensement de 1910, qui en a cerlaiiienient réduit
le nombre). Pressés sur pre3i|ue toutes leurs fron-
tières par les Italiens, les Allemands et les Magyars,
par les Allemands surtout, qu'ils empêchent de
réunir l'Adriatique à la mer du Nord, les Slovènes
se défendent de leur mieux; mais que pourraient-iI.s
faire seuls? Ils ne dilfèrent guère, d'autre part, des
Croates, leurs voisins de l'Est, ni par les caractères
physiques, ni par le genre de vie, ni par la langue,
ni par la religion. Aussi aspirent-ils, comme eux,
à la constitution d'un grand royaume d'IIlyrie, grou-
pant tous les Slaves du Sud sous un même sceptre
et leur assurant à tous une existence indépendante,
Jeunes femmes du Tyrol.
à l'abri de tous les empiétements (sur leur territoire
et sur leur liberté imlividuelle) de leurs oppres-
seurs d'hier, parfois même de toujours : Allemands,
Hongrois et Italiens.
IV. Les Allemands. — De ces oppresseurs des
Slovènes et de tous les Yougo-Slaves, voire de
tous les Slaves, les plus nombreux sont les Alle-
mands, à qui le recensement de 1910 attribue un
chilfre de 12 millions d'individus (exactement
12.010.669 âmes).
Ainsi, de par les statistiques officielles elles-
mêmes, le total de la population germanique de
l'ex-Austro-Hongrie est inférieur de moitié à celui
de la population slave. Mais, par contre, le groupe
allemand est homogène. Non seulement, en face
de multiples groupes slaves, divisés — pour ne pas
dire ennemis — pendant trop longtemps, il est
un ; mais, en s'avançant profondément d'ouest en
est au long du cours du Danube et dans les vallées
alpestres depuis le Vorarlberg jusqu'à la Morava
inférieure, jusqu'à Presbourgel jusqu'au lac Balalon
dans l'est de la Leitha, il isole les Tchèi]ues et les
Slovaques de la Moravie (qui sont des Slaves du
Nord) des Slovènes (qui sont des Slaves du Sud).
De par sa position géographique, le groupe allemand
du ci-devant empire austro-hongrois se trouve donc
dans une situation éminemment favorable par
rapport aux groupes slaves.
Il y est également d'une autre manière. Les You-
go-Slavessont complètement séparés du reste de la
race slave; les Tchèques, véritable avant-garde des
Slaves du Nord, pénètrent en flèche en plein cœur
de l'Europe centrale, au milieu de populations exclu-
sivement germaniques ou germanisées et. donc, se
trouvent dans une situation exposée; au contraire,
les Allemands d'Autriche sont solidement appuyés
par les populations de même race de la Suisse orien-
tale et de la Bavière. Rien, sauf les sillons de la
Salzach et de l'Inn, pour séparer les Allemands
d'Autriche de ceux de la Bavière; le bloc des popu-
lations de race germanique demeure compact et sans
la moindre fissure. Dans le 'Vorarlberg et une partie
du Tyrol. dans le duché de Salzbourg et les haute
et basse Autriche, dans la partie septentrionale de
la Garinthie et la majeure partie de la Styrie, on ne
rencontre que des Allemands, et tout est allemand :
le type, la langue, les coutumes, les aspirations.
Tel est le résultat de l'oeuvre de conquête et de
colonisation commencée dès le vi* siècle par des
Allemands venus surtout de la Bavière, toute proche.
LAROUSSIi: MENSUEL
Cette colonisation, religieuse d'abord, féodale en-
suite, détruisit, assimila ou refoula graduellement
les anciens possesseurs de la contrée hors du terri-
toire actuellemeni occupé par les Autrichiens; elle
lit peu à peu de ce bloc territorial le <• lieu d'élection »
qui assura l'hégémonie au.v Allemands, et le « noyau
solide ■> de 1 Etat autrichien.
Si tout y est homogène (abstraction faite de cor-
puscules étrangers, qui ne sont pas complètement
absorbés), tout n'y est pas uniforme : ni les types, ni
les dialectes, ni les habitations. I^a langue littéraire
et oilicielle est le haut allemand, mais que de parleis
divers et de vocabulaires locaux 1 La religion est le
christianisme ; mais, si la grande majorité est catho-
lique, beaucoup aussi sontprolestaiits; lacivilisation
n'e.sl pas la même dans les villes — à Vienne surtout,
foyer de la nationalité allemande — dans les cam-
pagnes de la plaine et dans les hautes vallées alpes-
tres. Par contre, identiques sont à peu près partout
h's aspirations; après avoir élé pendant longtemps
les maîlres de manière incontestée, les Allemands
se sentent, aujourd'hui, plus que menacés dans leur
ancienne primauté; ils ne peuvent s'y résigner.
Avant la guerre, déjà, ils voyaient le dualisme
compromis, el ils redoutaient d'avoir à subir pis
encore qu'un trialisme; maintenant, en présence de
la dislocation, ils ne voient qu'un moyen de conserver
leur antique suprématie : se fondre <lans la masse
allemande, qui obéissait naguère, plus ou moins
directement, aux empereurs Hohenzollern. Ainsi les
Allemands d'Autriche donneront à celle-ci une force
nouvelle en portant à une masse totale de quelque
75 millions d'individus le groupe compact des Alle-
mands de l'Kurope centrale; ainsi pourront-ils
asseoir solidement, une fois de plus, leur domination
sur les antres nationalilés du Milteleurnpa.
Assez peu répandues chez les Allemands du
Tyrol, dont le loyalisme pour les Halisbonrg est
demeuré à peu près immuable depuis le temps
d'Andréas Hol'er et de ses compagnons de révolle,
ces idées sont, au contraire, très communes dans les
pays plus .septentrionaux (Salzl)ourg, liante et basse
Autriche). Elles sont, d'autre part, celles de lous les
Allemands qui n'apparliennent pas à la masse com-
pacte, en particulier de ces colonies germanii|ues
qui bordent d'un cordon continu le pourlour de la
Bohême. Appuyées à la masse de l'empire alle-
mand lui-même, elles empiètent sur le domaine des
Tchèques et, pénétrant plus ou moins profondément
à l'intérieur du quadrilatère, essayent du moins de
réduire le plus possible un pays i|uelles ont dû
reconnaître ne pouvoir absorber ni assimiler. Sur
les pentes nord-orientales du Bdlimer Wald et dans
l'est du Fichtelgebirge aux sources de la Beraun
(jusqu'à Pilsen), sur les penlesméi-idionales de l'Erz-
gebirge (vallée de l'Eger) et des Riesengebirge
(aux sources de l'Elbe), dans les vallées silésiennes
des Sudites au nord de la Moiavie. les Allemands
luttent avec énergie contre les Tchèques et les
Moraves, à l'intérienr des frontières de l'ancien
empire dualiste; ils essayent d'y maintenir une su-
prématie que, sans l'appui de leurs congénères de
Bavière, de Saxe et de Silésie, ils ne parviendraient
pas à défendre.
Ailleurs, encore, on rencontre des Allemands en
Austro-Hongrie, mais par groupes isolés ou îlots
plus ou moins sporadiques. Tels sont les îlots
d'Iglau et de Briinn en Bohême el en Moravie, de
Schemnitz et de Lips dans la haute Hongrie, en
pays peuplé par des Slovaques. Telles, encore, ces
célèbres enclaves, dites saxonnes, de la Transyl-
vanie, dont les fondateurs furent surtout, en réa-
lité, des colons venus du Rhin moyen et de la
Moselle et installés, au milieu du xn" siècle, par le
roi Geiza II, dans la vallée de l'Oit ou Aluta pour
surveiller les délilés de cette rivière à travers les
Alpes de Transylvanie; là et dans quelques autres
parties de cette forteresse montagneuse (comilats
de Beslucze-Nassod, de Brasso, de Nagy-KiikiillO,
de Szeben), se maintiennent avec peine quelque
230.000 Allemands. D'autres se trouvent plus au
sud encore, dans le Banat (comitats de Ternes, de
Torontal et de Krasso) au nombre de 335.000 et
dans la Bacska ; d'autres, encore, au milieu des Slo-
vènes de la Carniole, autour de Gottschee (au S. de
Laibach ou Ljubljana). Mais, là, le germanisme,
ailleurs si vivace, semble vraiment condamné; les
Allemands eux-mêmes ne gardent aucune illusion
sur le sort qui attend ces pionniers, ces enfants
perdus de la race allemande.
V. Les Hongrois. — Des groupes allemands qui
disparaîtront ainsi peu à peu les plus importants se
trouvent en Hongrie et en Transvlvanie, dans les
pays transleilhans de la coin-onue de Saint-Etienne.
Là, domine la race qui a imposé aux Allemands le
compromis de 1867 et qui a transformé l'ancien
empire militaire d'Autriche en un empire dualiste
d'Autriche-Hongrie.
Si les Magyars ou Hongrois, dont le nombre
était de 10.067.992 en 1910, ont pu réussir à se faire
concéder ainsi par les Allemands d'Autriche un
régime privilégié, ils le doivent à leur situation
géographique. En effet, depuis la Leitha et le lac
de Neusiedl jusqu'au confinant de la Tisza et de la
«• 145. Mars 1919.
Borsava, jusqu'aux derniers glacis — les plus occi-
dentaux — du baslion montagneux de la Transyl-
vanie, par delà Danube et Tisza, ce sont les Hon-
grois qui peuplent presque exclusivement la contrée.
.Maîtres de \'Al/'old ou Fuszla, depuis les teires
qui bordent le Danube au septentrion jusqu à la
Drave ou Drava, depuis Ungvar jusqu'à Uj. Videk
(Neusatz)et Arad, ils jouent, dans l'est de l'ancienne
monarchie dualiste, le même rôle que les Alle-
mands dans l'ouest : ils séparent complèlement les
uns des autres Slaves du Nord et You^'O-Slaves.
Voilà pourquoi les Allemands ont du consentir aux
Hongrois des concessions qu'ils n'ont faites à au-
cune autre des nationalités de l'empire : ne leur
fallait-il pas, pour dominer, acheler la complicité
des Magyars?... On sait cominent ceux-ci ont ré-
pondu à l'attente des Allemands de Vienne, quelles
persécutions ils ont fait subir aux nationalités qui
se permettaient de prétendre subsister en territoire
Iransleithan, quelle lutte ils ont engagée pour assi-
miler — pour absorber — les Slaves, les Roumains
et même les Allemands établis en groupes plus
ou moins compacts dans les dilférentes provinces
de la couronne de saint Etienne.
Rien d'étonnant à ce que les Magyars n'aient pas
reculé devant une telle entreprise; ils ne sont nul-
lement les frères de race des peuples qu'ils veulent
Paysans des environs de Salzbniirg.
faire disparaître. Les fils d'Arpad sont des Jaunes,
en effet, parents des Finnois et des Turcs, qui ne
sont pas arrivés dans la plaine hongroise avant la
lin du IX" siècle. Auparavant, déjà, quelques-uns de
leurs proches parents les y avaient précédés : Huns,
Avares, Hongrois. Les Magyars réunirent autour
d'eux les débris de ces peuples barbares, impo-
sèrent leur joug aux Slaves étaldis dans la contrée
en groupes plus ou moins clairsemés et fondèrent
dès la fin dux« siècle un Etat catliolique romain, qui
sut tirer un excellent parti de sa soumission au
saint-siège et de sa civili>alion latine. Tout en
conservant ses caractères propres, son Indépen-
dance, sa langue et sa liltérature, le peuple magyar
utilisa son entrée dans la communauté chrétienne
au mieux de ses intérêts particuliers; il s'assimila
des populations dilférentes et consolida de toutes
les manières son étal)lissement dans ces basses
vallées de la Tisza et du Danube, où il domine
encore actuellement.
Mais il ne domine pas que là. Un simple coup
d'œil jeté sur la carte etlmograpliique décèle, égale-
ment, la présence d'un nombreux et important
groupe magyar dans les cantons montagneux de la
Transylvanie, aux sources du Maros et de l'Oit ou
Aluta et, entre ces deux rivières, autour de Cluj
(Koloszar), de Gyergyo-Sz. Miklos et de Sibiu
(Nagy-Szeben). Sur les bords du Samos moyen et
supérieur, une bande plus ou moins continue de
population hongroise assure la jonction de ce groupe
exlrême-orienlal (plus de 900 000 individus au total)
avec la masse magyare située plus à l'ouest.
Ainsi donc, un litoc homogène dans l'AlfOld, des
groupes isolés, mais toutefois de plus en plus com-
pacts, se succédant du nord-ouest an sud-est à
travers la Transylvanie, voilà quelle est la position
occupée par le peuple hongrois dans les pays de la
N- 145. Mars 1915.
LAROUSSE MENSUEL
715
-rypt:s uk l AUTHicup.-uoNaRiE
Pajraam boogroU des cnvlruni de Temcsvar. — 2. Une sortie iligUBe ilaits un village de Hongrie. — 3 Payians hongrois des environs de Debrectia. — ». PajrMDS tob<<)ues. — 5. Cn coin de ourcbé
H Sarajevo. — 6. Tyrolien d'Innsbruck. — 7. Prêtre el pa;unne de Transj ivanie. — ». Juif» polonais. — ». Paysans de Traasjlvaaie.
LAROUSSE MENSUEL. — IV.
27"
716
couronne de Saint-Etienne, depuis les derniers con-
treforts des Alpes orientales jusqu'au fond de la
concavité Itarpathique. Ce peuple est loin, par consé-
quent, de remplir à lui seul une telle étendue de
territoire; lorce lui est d'en partager le sol avec des
Slaves, avec des Roumains, avec des Allemands.
Mais, fier de sa supériorité numérique sur chacun
des autres groupes pris séparément, fier de son
hégémonie intellectuelle, de sa situation politique
éminente, il veut enfermer les différents groupes
ethniques qui vivent dans les pays transleilhans
dans les cadres d'une seule nation et d'une seule
patrie : de la nation et de la patrie magyares. En
agissant ainsi, il ne fait que se conformer à une
tradition déjà fort ancienne ; le code hongrois ou
'ïriparlilum de 1514 dénie déjà, en ellet, à la
Croatie, à la Transylvanie et aux comitats le droit
de se créer des statuts à rencontre de la loi géné-
rale du royaume.
Malheureusement pour eux, les Magyars ne sont
pas parvenus à réaliser leur programme; ils se sont
heurtés à une résistance analogue à celle qu'eux-
mêmes avaient, comme les Tchèques, naguère op-
posée aux ambitions allemandes de Joseph II. Ils
sont, cependant, arrivés à un résultat : ils ont groupé
autour d'eux tous les éléments de race jaune déjà
établis en terre hongroise. Sans doute, peut-on
encore distinguer quelques variétés locales, engen-
drées par le milieu ou
par les vicissitudes
historiques, des types
originaux: Ha'idukes,
Yaziges, Koumanes,
dans l'Alfûld et, en
Transylvanie, ces
Szekier ou Szekly
(=: garde-frontières?)
qui se vantent d'être
les fils d'Attila, tan-
dis que les Magyar.s
en seraient seulement
les petits-fils. Mais ce
sont là curiosités
ethnologiques qui ne
modifient pas l'homo-
généité de l'ensemble
de la population hon-
groise.
Celle-ci est ambi-
tieuse et fourbe, si
elle est brave et fière ;
elle s'est toujours ef-
forcée de dissimuler
ses véritables inten-
tions et de fonder sa
domination sur l'op-
pression des autres
nationalités, qu'elle a
plus d'une fois indi-
gnement calomniées.
Elle l'essayerait au-
jourd'hui encore, si
elle ne s'en trouvait
empêchée par les cir-
constances; les évé-
nements ne lui per-
mettent plus, en effet,
d'étouffer les protestations des nationalités qu'elle
écrasait naguère : des Slovènes et des Serbo-Croates
dont nous avons déjà parlé et de ces Latins de l'Eu-
rope sud-orientale que sont les Roumains.
VI. Les Latins. — Il n'y a pas, en effet, dans
l'ex-empire austro-hongrois, de populations de race
latine qu'aux confins de l'Italie et, donc, au Sud-
Ouest; il y en a également au Sud-Est, et ceux-ci
sont de beaucoup les plus nombreux : 3.225.000 contre
800.000 seulement dans les pays autrichiens. Occu-
pons-nous d'abord des Roumains de la Transylvanie.
A. Les Roumains. Les Roumains sont-ils les
descendants des légionnaires et des colons établis
par Trajan dans la Dacie? Sont-ils, au contraire —
comme le veulent les Hongrois — le dernier venu
des groupes ethniques aujourd'hui fixés en terre
transylvaine, autrement dit des « 'Valaques » immi-
grés au xui« siècle, qui se seraient accrus peu à peu
et auraient fini par se superposer à la couche slave
primitive? Peu importe, ici. Ce qui importe bien
davantage, c'est le fait de la présence, en territoire
hongrois, de 3.224.755 individus — tel est le chiffre
exact donné par le recensement de 1910 — qui se
déclarent « membres d'une grande famille roumaine
de 11 millions d'âmes ».
Ils forment un groupe compact à l'extrémité
orientale de l' Autriche-Hongrie. Depuis les sources
de la Tisza jusqu'au Danube et aux Alpes de Tran-
sylvanie, non pas seulement dans le pays que les
Allemands appellent les Siebenbilrgen, mais sur les
pentes orientales des Karpathes, dans la Bukovine
méridionale, ils constituent la grande majorité,
parfois même la totalité de la population; de même
en est-il dans la population orientale, sinon dans la
partie occidentale du Banat.
Ces Roumains — en dehors desquels on ne peut
signaler qu'un groupe infime, en Istrie — sont pres-
LAROUSSE MENSUEL
que exclusivement des paysans, cultivateurs du plat
pays ou pâtres montagnards, ceux-ci plus aisés ou
moins misérables que ceux-là. Tous gardent fidèle-
ment leur langue et, plus fidèlement encore, leur
religion grecque — grecque-unie ou grecque-orien-
tale — et, après s'être déclarés pendant tout un temps
Il des sujets fidèles de la couronne des Habsbourg »,
aspirent, maintenant, à un autre sort : ils veulent
s'unir à leurs frères de race et faire partie d'une
grande Roumanie, englobant l'ensemble des popu-
lations latines établies sur les deux versants des
Karpathes.
B. Les Italiens. Analogues sont les aspirations
des Italiens du Trentin et de l'Istrie, qui ont élc
pour les Italiens du royaume, jusqu'à ces derniers
mois, les frères <■ non délivrés » (les Irredenli).
Cembien sonl-ilo exactement, ces Latins du sud-
ouest de l'Autriche-Hongrie? 11 est très difficile de
le dire. 806.271 avec les Ladins, d'après le recense-
ment de 1910; mais sans les Ladins? A en croire
les Italiens, leurs frères de race seraient beaucoup
plus nombreux que ne le disent les statistiques, et
celles-ci seraient erronées; pour tous les points où
ils sont en contact avec les Italiens, d'autre part,
les Yougo-Slaves contestent l'exactitude des recen-
sements; à les en croire, les Italiens ont été favo-
risés à leur propre détriment. Plus compliqué encore
que les autres, s'il est possible, est donc là le con-
Llne noce dans le banat de Tcmesvar.
fiit des races et des langues du côté des rivages de
l'Adriatique; là, des ambitions territoriales diamé-
tralement opposées s'appuient sur des arguments
d'ordre scientifique.
Quoi qu'il en soit, et ces réserves générales une
fois formulées, voici comment on peut (semble-l-il,'
résumer la situation de la manière la plus impar-
tiale.
En ce qui concerne le Trentin, aucun doute n'est
possible. Cette partie méridionale du Tyrol(Hovereto,
Trente) fut de tout temps italienne; là. les Tudes-
ques sont les nouveaux venus et sont en minorité.
Plus au nord, au contraire, il n'en va plus de même;
au confluent de l'Etsch et de l'Eisack, Botzen et ses
alentours, naguère italiens, sont devenus en grande
majorité allemands, et on n'y constate plus guère
que des infiltrations italiennes. Ces infiltrations se
constatent plus en amont encore, jusqu'à Brixem,
jusqu'à Meran, où la masse est nettement allemande.
Tel est le résultat des invasions germaniques du
moyen âge, de ces invasions dont des témoms sub-
sistent encore jusque dans les Setle communi du
territoire italien.
Plus à l'est, à en croire les Italiens, pour qui
l'Adriatique est un « lac italien », les rivages du
ci-devant empire austro-hongrois seraient peuplés
de leurs frères de race; il n'en est rien. Certes, bien
hardi serait celui qui oserait dire ce que fut le fond
primitif de la population de ces rivages et quand,
au cours de leurs m igrations, lesYougoSlaves actuels
arrivèrent jusqu'en Istrie et en Dalmatie. Ik y étaient
dès le haut moyen âge, dans tous les cas, ces Dina-
riques dont parle Jovan Goijec, venus des montagnes
et des plateaux calcaires du nord-ouest de la pénin-
sule balkanique, avec qui les Italiens des rivages
opposés entretinrent de bonne heure des relations
suivies. Protégés par le rempart mobile de l'arrière-
«» 145. Mars 1919.
pays, de la Zagora dalmate qui avançait ou reculait
suivant que la pression des barbares de l'Est se
faisait plus ou moins forte, les rivages septentrionaux
et orientaux de l'Adriatique bénéficièrent d'une
précieuse continuité de civilisation.
L'apogée de celte civilisation se place aux temps
de la domination vénitienne, lorsque la république
des Doges installée à Zadar (Zara) en 1502 eut
étendu de là sa domination jusqu'aux Bouches de
Caltaro, en respectant, toutefois, le territoire de la
république slave de Raguse (Dubrovnick). Alors,
l'italien devint la langue des gens cultivés et du
commerce; mais, même alors (Auerbach l'a dit très
heureusement), surlafaçadeorientaledelAdriatique,
Il l'italianilé n'a dessiné qu'un mince feston », et
l'arrière-pays est demeuré slave. Aujourd'hui, à la
suite des migrations nouvelles provoquées par les
événements qui se sont produits dans les Balkans
au cours des derniers siècles, le littoral est à nou-
veau presque entièrement slavisé; les manifestations
des populations ne laissent aucun doute à cet égard
et témoignent de leurs sentiments éloquemment
slavophiles.
Est-ce à dire que les Italiens en soient éliminés?
Nullement. Si, dans le comté de Gorizia et Gradisca,
les Slovènes l'emportent sur les Italiens, à Trieste,
par contre, les Italiens dominent sans conteste.
En Istrie, ils constituent une minorité considérable;
groupés en masses
serrées sur la côte
occidentale, ils lais-
sent presque complè-
tement aux Slaves les
rudes plateaux du
Karst où souffle l'âpre
bora. Par contre, ils
leur disputent âpre-
ment cette ville de
Fiume ou Ricka qui
est la II perle du Quar-
nero ». Les Magyars,
pourvoyeurs et géné-
rateurs du trafic de
ce port, avaient na-
guère voulu en faire
leur débouché, leur
n fenêtre «sur l'Adria-
tique; ilsen sontcom-
plètement écartés au-
.lourd'hui. Aucun maî-
tre n'est donc plus là
pour arrêter les que-
relles des Italiens et
des Yougo-Slaves ; les
uns et les autres tien-
nent pour leur une
ville où les Italiens
ont la majorité rela-
tive (24.000 envir. sur
près de 50.000 âmes),
mais dont les abords,
même les plus pro-
ches, sont exclusive-
ment peuplésdeSeiio-
Croates. Ces mêmes
Serbo-Croates sont les
maîtres en Dalmatie;
ils y sont au nombre de filO.OOO, sur une population
totale de 635.000 individus; seuls, quelques petits
cantons continentaux ou insulaires en sont habités
par les Italiens, qui ne peuvent se résigner à voir
les excellents marins dalmates, naguère pourvoyeurs
des équipages de la flotte vénitienne et hier pour-
voyeurs des équipages des navires autrichiens,
monter dans un prochain avenir les unités d'une
flotte rivale de la leur.
C'est donc, en réalité, un conflit d'hégémonie poli-
tique et non point un conflit de races que celui qui
divise Yougo-Slaves et Italiens sur les rivages de la
mer Adriatique ; il est un des plus graves que
doive trancher la Conférence de la paix.
C. Les Ladins. Rien de tel pour les Ladins du
Trentin et du Frioul, ces frères des Romanches des
Grisons. Les problèmes qui se posent à leur sujet
sont d'ordre purement scientifique et non pas poli-
tique. Au reste, fort peu considérables sont ces
vestiges d'un ancien peuple roman, sur l'origine
anthropologique duquel les savants n'ont pas encore
pu se mettre d'accord. Si le nombre des Rhétoro-
mans (comme on les appelle parfois) parlant l'alle-
mand ou l'italien est encore assez considérable
(plus de 100.000), on ne compte guère que de 10 à
20.000 individus de parler ladin dans les vallées
tyroliennes des Alpes dolomitiques et quelque
50.000 autres ladinophones dans le Frioul. Il est
légitime que ces Ladins aillent grossir la masse de
la grande nation latine qui ajoute aujourd'hui à son
ancien territoire Vllalia irredenta.
VII. Populations diverses. — Nous avons ainsi
passé en revue les nombreuses nationalités qui sont,
dans la ci-devant Austro-Hongrie, en conflit les
unes avec les autres. Pour avoir un tableau complet
des populations entrant dans la composition de cette
mosaïque de peuples, que de noms il faudrait encore
N' 145. Mars 1919-
prononcer I Bornons-nous à en signaler deux, dont
on s'étonnerait à bon droit de ne pas trouver men-
tion ici.
Les Juifs — nous l'avons déjà dit — sont au
nombre de plus de 2 millions un quart ; le recen-
sement de 1910 en compte 2. 258. 013 Dans certaines
parties de l'Autriclie-Hongrie (en Pologne, en Bu-
kovine), ils ont conservé nettement les traits carac-
téristiques de leur race et même l'usage de leur
langue liébraïque.
Les Tsiganes, c'est-à-dire des serfs de toute ori-
gine et notamment d'origine tatare, vivent égale-
ment en Buliovine. Ils forment des communautés
séparées, sur des terrains qui leur sont assignés en
dehors des villages. Ils constituent une individualité
Jeune fille slovaque en costume de fête.
ethnique, plus OU moins particulière, dont les recen-
sements ne permettent pas de soupçonner l'existence ;
ils sont, en effet, comptés comme Roumains, — ce
que, d'ailleurs, ils prétendent être. On ne saurait dire,
dans de telle.s conditions, quel est leur nombre.
On connaît, par contre, celui des Lippowanes, ras-
kolniksréfugiés de Russie (3.000 et plus). On connaît
aussi le chllfre des Arméniens (environ 700), qui ont
pour langue le polonais, bâtissent leurs maisons à la
roumaine et ont conservé quelques coutumes de leur
pays d'origine. Mais, pas plus que les petits groupe-
ments d'autres nationalités établis en différents
points du ci-devant empire dualiste, ces petits grou-
pes ne méritent vraiment de retenir l'attention.
■yill. Conclusion. — Il en va tout autrement deceux
dont nous avons commencé par nous occuper. Certes,
les problèmes qui se posent à leur sujet sont si consi-
dérables qu'il eilt fallu, pour les exposer complète-
ment, beaucoup plus de place que celle dont nous
disposions. Nous espérons, cependant, avoir pu, en
courant sur les sommets, donner quelque idée de leur
nombre, de leurgravité, de leur complexité. La tâche
est difficile pour les diplomates et les hommes poli-
tiques oui s attachent à bien mener la liquidation de
l'Autricne-Hongrie et qui ont à tenir compte de pré-
tentions souvent contraires. — Henri FaoïDSTAnx.
Bessou (Justin-Jean), poète méridional et ma-
jorai du félibrige, né à Saint-Salvadou (Aveyron)
le 31 octobre 1845, mort àVillefranche-de-Rouergue
le 29 octobre 1918. L'abbé Bessou est une belle
figure du félibrige, et son nom mérite de survivre
comme le nom d'un grand poète rustique et d'un
des artisans '.es plus distingués de la renaissance
des lettres méridionales. Il était issu d'une famille
rurale. Sa vie est simple : c'est celle d'un prêtre
du Rouergue, longtemps occupée de ministère
paroissial dans une campagne un peu perdue, jus-
qu'au jour où elle vient, à l'ombre du clocher de la
petite ville voisine, goûter le repos de la retraite et
s'achever paisiblement.
L'abbé Bessou avait reçu le don de traduire avec
un rare bonheur les pensées et les rêves imprécis
de r&me populaire. Il la comprenait, et il en aimait
la naïve candeur. Lorsqu'il voulut tenter l'évocation
de l'existence paysanne, avec son rythme cadencé
par les saisons éternelles, sa noblesse dans sa mo-
destie, sa diversité dans son unité foncière, il le fit
sous la forme d'une épopée rurale en douze chants,
qu'il a intitulée : D'al brés a la toumbo (Du berceau
à la tombe). C'est ce volume, paru en 1892, qui
passe pour son chef-d'œuvre. Charles de Pomairols,
qui était son voisin et son ami, présenta ce livre au
Îiublic méridional dans une préface où, marquant
e caractère de l'œuvre, il disait :
L'auteur de ce poAme accomplit de cette manière un
acte de piéti douce et profonde envers la race nutiqoe
LAROUSSE MENSUEL
dont il est sorti, envers les esprits simples et francs qui
ont formé ses jeunes années ot, plus loin encore, envers
les longues générations do travailleurs perdus dans les
&gos, auxquels il doit .sa naissance, son pittoresque lan-
gage et ses savoureuses inspirations.
Il est difficile d'analyser une telle œuvre, qui est
au fond l'étude de la vie paysanne et où il se mêle
une part certaine d'autobiographie. L'auteur se met
iliscrèlemeiit en scène en évoquant les souvenir-"
de sa famille et en faisant revivre les figures qu'il a
connues autour de sa jeunesse. Dès les premiers
vers de son poème, il le laisse entendre :
L'oustal quo soui nascut n'es pas riche ni panre;
Noù i abcn espelit, et noù li poudian claure
Et i aben pas patit, mai que dius un caste!
Lous poutous, l'aio fresco et Ion pa d'al cantcl.
(La maison où je suin né n'est ni rictie, ni pauvre :
Neuf nous y somme» eclos et neuf nous y pouvions tenir
Et nous n'avons pas manqué, plus que dans un cb&teau,
Mt baisers, d'eau fraîctie. et de pain de tourt&j
Il suit l'enfant à travers ses jeux, à l'école, dans
les veillées familiales, où il glisse avec art ces jolis
récits (le Noël et ces coules naïfs, conservés par
une tradition orale. Nous apprenons de la bouche
d'un paysan l'histoire populaire de Napoléon. Nous
voyons l'enfant grandir, participer aux l'êtes reli-
gieuses, qui tiennent une si grande part dans la
vie des campagnes. Puis c'est toute la série des
choses rurales : les semailles, les moissons, avec
l'évocation des chansons coulumières; puis le tirage
au sort, l'entant du peuple à l'armée, le retour au
foyer, le mariage, la fête des noces, une nouvelle
génération qui nait dans la vieille maison et, tandis
que se perpétue la lamille, la vi.sion des oncles et
des tantes voués au célibat, avec des vocations reli-
gieuses, de tradition dans les familles du Houergiie.
Knfiii, au terme de celle existence paysanne, si in-
timement mêlée au sol, le poète salue, avec une
filiale émotion, la mort des anciens el, pénétré du
rythme éternel de la nature et de la vie, il retourne
de la tombe aux berceaux :
Et s'en boù, toutes pies des mêmes soubenis,
Kscouta pes oustals la cansou des nenis.
(Ils s'en vont, tout remplis des mêmes souvenirs.
Ecouter dans les maisons la chanson des bébés.)
Si l'abbé Bessou était poète (et il le fut dans
toutes les manilestations de son activité), même
lorsqu'il préféra la prose au vers, il était aussi
conteur, à la manièi'e de nos auteurs de tableaux
du moyen âge, qui surent manier l'allégorie et la
satire sous une forme parfois assaisonnée de sel
gaulois. L'abbé Bessou était leur héritier direct. Il
fait penser aussi à Rabelais et à La Fontaine par sa
verve élincelante et sa bonhomie malicieuse. Il se
plut à écrire des contes patois, où il présente sous
la forme la nlus attrayante des légendes, des his-
toires de bêtes, des fables, parfois des aventures
personnelles, enjolivées par son esprit. Il les
recueillit dans deux volumes qu'il appela : Countes
de la tala Mannou et Countes de l'ouncle Janel
(Contes de la tante Mannou et de l'oncle Janet
[1901 et 1910]).
L'origine de ces contes, ce sont des mots entendus,
des réflexions, des proverbes, des légendes répétées
aux veillées d'hiver dont l'abbé Bessou a recueilli
le suc et qu'il a exprimés, rhapsode de cette littéra-
ture populaire maintenue par la tradition. L'âme du
peuple s'y révèle avec sa naïveté, son goût du symbole,
son besoin du mystère, toutes qualités qui n'excluent
ni l'ironie, ni la sagesse. Le rire y sonne clair, mais
aussi les larmes y coulent pures. Après avoir chanté
dans son poème la grandeur des destinées les plus
humbles, la force de la tradition, toute celle vie qui
fut la sienne et celle de ses paroissiens, l'abbé Bessou,
entrant plus avant dans l'existence quotidienne,
rappelle les récits dont fut nourrie sa jeunesse.
Cette littérature traditionnelle, qui, à la longue, se
serait peut-être dissipée ou du moins altérée, il faut
lui savoir gré de l'avoir fixée dans une forme heu-
reuse et de l'avoir conservée pour nos successeurs.
Il convient de remarquer, en passant, que le poète
n'oublia jamais qu'il était prêtre et qu'à travers
ses poèmes, ses contes, ses nouvelles, où éclate
tantôt une verve mordante, tantôt un rire franc,
large et sonore, l'on devine toujours une morale
discrète et sûre.
Dans son humble paroisse du Rouergue, l'abbé
Bessou, chaque dimanche, adressait à ses paysans
sur l'évangile du jour des commentaires patois qu'il
a recueillis et transformés en récits évangéliques
d'un paysan s'adressanl aux siens. Ils ont paru dans
un organe méridional, mais, faute de l'approbation
canonique, n'ont pu être assemblés en volume. C'est
un livre d'amour, que, sous le lilre Besprados de
l'ouncle l'olito (Soirées de l'oncle Hippolyte), il
voulait adresser aux seules &mes droites et primi-
tives dont il connaissait les besoins et dont il par-
lait la langue, el ce lui fut une grande tristesse que
de voir son orthodoxie suspectée et sa sincérité
méconnue.
En 1902, aux fêtes félibréennes de Béziers, fut
tenue, sous la présidence de Mistral, une importante
réunion du consistoire félibréen, où l'abbé Bessou
fut nommé majorai du Rouergue.
717
Il a écrit aussi deux volumes de vers français,
dont l'un. Merles et fauve II es, paru en 1877, est une
œuvre de jeunesse et de début. L'autre, qui atteste
plus de maturité, est un recueil de pièces de circons-
tance qu'il a réunies, en 1898, sous ce litre : Lyre
et guitare.
Ceux qui ont approché cet homme furent toujours
séduits par sa verve brillante et sa vivacité d'esprit,
qui inspirait au cardinal Bourret cette boutade :
1,'abbé Bessou est le prêtre le pins spirituel, mais le
plus embarrassan t de mon diocèse.
Il était volontiers railleur, souvent satirique et
même caustique. Il se fit de la sorte plus d'un en-
nemi, mais il compta aussi des amitiés fidèles, car
son cœur était un ardent foyer de tendresse el
dalTeclion.
Retiré depuis plusieurs années à Villefrancbe-de-
Roiiergue, il écrivait parfois des poésies patoises
de circonstance, inspirées par la guerre, car son
attachement passionné à la petite patrie ne lui fai-
sait pas méconnaître l'autre, la grande, dont il
aimait les gloires et chantait volontiers les gestes.
Il est mort dans une aube de victoire, el ce fut une
consolation su-
prême pour son
cœur.
L'abbé Bessou
eut un jour une
retentissante et,
d'ailleurs, assez
cordiale polémi-
que avec .lean
.fiiurès, qui ne
partageailpasses
vues sur l'avenir
de la langue pa-
loise. Lui , le
barde de la terre,
le fils aimant du
vieux Rouergue,
le fervent du dia-
lecte tradition-
nel, il sentait
s'efîacer peu à
peu el disparaître '^''" ^"'■"'■
une langue dont
il souffrait d'être un des derniers représentants. Son
espérance restait vive, pourtant, d'un retour plus
ou moins proche du paysan vers ses origines et vers
son parler maternel : illusion généi-euse et poétique
d'un noble esprit, que soulignait Jaurès en appelant
desesvœux lejouroù lagrandecivilisation française
aurait définitivement remplacé la civilisation et le
parler de la langue d'oc, mais en rendant hommage
au poète qui avait su provoquer chez le peuple des
campagnes <• toute une floraison de vie et de pensées »
et en n hésitant pas à le saluer du tilre d'« un des
maîtres de la langue méridionale». — b.coiibesdbpat»is.
cbéilorapliie n. f. {ké-i — du gr. kheilos,
lèvre, el rhapliè, suture). Suture des lèvres.
— Encycl. On appelle ainsi une opération tempo-
raire pratiquée pour assurer les rapports des lèvres
entre elles et la forme de la bouche au cours des inter-
ventions sur les régions voisines et la face en général
et des cicatrisations ultérieures. Lachéiloraphie, tou-
jours incomplète, laisse une ouverture soit centrale,
soit latérale ou bilatérale, qui permet au malade de
s'alimenter à l'aide de liquides Elle ne peut être faite
qu'après désinfection soignée de la bouche et des
dents. Elle a été recommandée et appliquée (Mo-
restin) dans la chirurgie de la face consécutive aux
blessures de guerre, aux brûlures, aux tumeurs
malignes et, surtout, à l'occasion des auloplasties.
Oipriani (Amilcare), homme politique italien.
né à Riinini le 18 octobre 1845, mort à Paris le
2 mai 1918. Appartenant à une famille originaire de
Rome el fils de Felice Cipriani, persécuté par la
cour pontificale pour son libéralisme, le jeune Amil-
care grandit au milieu des luttes obscures pour
l'indépendance, au moment où se levait sur l'Italie
le grand souffle du Risorgimettto. Bercé par les ré-
cits des souffrances de son pays, témoin de la
misère du peuple italien asservi, il sent s'éveiller
en lui de bonne heure la vocation du révolution-
naire el de l'apôtre. Et, à quatorze ans, il inaugure
cette longue carrière de combats et d'aventures qui
va faire de lui, pendant quarante ans, le chevalier
errant de la liberté, le Chevalier Rouge. Engagé dans
l'armée piémontaise, il fait avec elle la campagne
contre l'Autriche et reçoit les galons de sergent, sur
le champ de bataille de Soiférino. La paix de 'Vil-
lafranca signée, il quille l'armée régulière el, le
6 mai 1860, court à Gênes rejoindre Garilialdi. Les
Mille viennent alors de s'embarquer. Cipriani les
rejoint en Sicile, prend part à la bataille de Milazzo,
franchit le détroit et entre à Naples avec Garibaldi.
Il est vivement apprécié du grand patriote, qui le
nomme sous-lieutenant. Avec Garibaldi, dont il
approuve toutes les idées el tous les espoirs, il rêve
de conquérir Rome malgré le roi Victor-Emma-
nuel, et partage sa défaite d'Aspromunte comme il
vient de partager ses triomphes. Proscrit alors, il
718
• s'embaniue pour la Grèce, où il est parmi les orga-
nisateurs de l'émeute qui renverse Otiion de Ba-
vière (1863). Il a cru combattre pour la République :
un nouveau prince est installé. Gipriani, républi-
cain exalté, repousse les avances du roi Georges
et fuit l'Hellade. Le voilà explorateur en Egypte
avec la mission Miani, qui, en même temps que les
Anglais Speke et Barton, mais inoins heureuse-
ment, cherche les sources du Nil. Abandonné à
Kharionm par ses compagnons de route, il revient
à pied à Alexandrie, part pour Londres, où il con-
triljue, aux côtés de Karl Marx, de .Vlazzini et d' lin-
gels, à la fondation de l'Internationale. En 1866,
deuxième guerre de l'indépendance italienne. Fixé
comme employé de banque à Alexandrie, Gipriani
lève une « légion égyptienne >> et amène trois cents
soldats k Garibaldi, avec lequel il fait la campagne
■du Tyrol. Les Italiens maîtres de Venise à la suite
•du traité qui termine cette campagne, Gipriani,
n'ayant plus l'occasion de servir son pays, où, d'ail-
leurs, il est proscrit comme déserteur de l'armée
régulière, s'en va en Grète servir encore la cause
<ie la liberté. Dans l'armée du général grec Koronec,
il prend part aux combats de Zaideros, de la Ganée,
de Santa Runieli, de Spliakia et ne fait qu'assister
à la répression de l'insurrection Cretoise. Il a, pen-
d.mt cette campagne, lié connaissance avec Gus-
tave Ploiirens, dont l'amitié eut sur le jeune révo-
lutionnaire une décisive influence.
En 1868, Gipriani est à Londres auprès de Maz-
zini. Le vieux tribun engage le jeune disciple à
« continuer la
lutte pour l'Italie
et la liberté ».
Quelques années
calmes à Rome.
l'iiis éclate la
nu erre franco-
prussienne. Ré-
publicain, révo-
u t ion naire ,
cil a m pi on du
droit, chevalier
de la liberté et,
par surcroît, ami
intime de Gari-
baldi, Gipriani ne
peut manquer de
mettre son épée
au service de la
France de la
Révolution, atta-
quéeinjuslement
parla Prusse lyrannique. Ne pouvant aller rejoindre
Garibaldi dans la Gôle-d'Or, il reste à Paris, liant
partie avec les chefs les plus avancés, en particulier
avec Flourens, au'il a retrouvé comme chef des
bataillons de Belleville. Avec Flourens, il prend
part aux malheureuses journées révolutionnaires
du 5 et du 31 octobre, ce qui ne l'empêche pas de
faire très brillamment son devoir de soldat à Cham-
figny, au plateau d'Avron et à Montretout. Après
armistice, il part pour rejoindr3 Garibaldi, lorsque,
sur la route d'Autun, une dépêche de Flourens l'ar-
rête. A Paris, la Gommune est victorieuse. Flourens,
membre de la Commission militaire, charge son ami
Gipriani, promu colonel, de l'organisation du ser-
vice de l'état-major de la place.
Tâche on ne peut plus dure, la Commune étant,
militairement du moins, le régime de la fantaisie
■et du laisser-aller. Soldat de métier, Gipriani ne
peut, cependant, lutter contre l'indiscipline dont il
«oulTre. Arrêté en même temps qu'^ Flourens pen-
•dant une sortie des troupes communales, il est dé-
porté à la Nouvelle-Calédonie, où il reste jusqu'au
■vote de l'amnistie (1880). A peine p.-t-il le tempr. de
passer à Paris qu'emprisonné d' nouveau pour
manifestation jugée séditieuse lors du retour de
Louise Michel, sa compagne de détention, il est
expulsé de France.
Il revient en Italie : c'est pour combattre en
faveur du suffrage universel. Il ne peut le faire
qu'avec toute sa fougue habituelle; une procla-
mation : M Aux oppresseurs de l'Italie » lui vaut de
faire une fois de plus connaissance avec la prison,
qui n'en est pas moins dure pour être celle du
pays natal. Condamné à vingt-cinq ans de carcere
dura, il est libéré en 1888, le peuple italien ayant,
par des manifestations répétées, forcé la main au
gouvernement. Le « Chevalier Rouge » n avait-ilpas,
en 1886, été, par la population de Rimini, puis par
celle de Forli et de Ravenne, porté à la députation?
N'avail-il pas recueilli 450.000 voix? On refuse,
cependant, de lui laisser, ï sa sortie de prison,
occuper son siège à la Consulta. Après un voyage
quasi triomphal dans son pays de Romagne, il re-
vient à Paris, où la défense de la République et
celle de l'idée latine concourent à l'attirer. Le bou-
langisme bat alors son plein dans la capitale fran-
çaise. Gipriani est parmi ses adversaires déter-
minés; il forme une petite troupe qui devait em-
pêcher Boulanger de marcher sur l'Elysée. Mais le
Sopulaire général n'ayant osé exécuter son coup
'Etat, les volontaires de Gipriani restent inactifs.
Amilcare Gipriani.
LAROUSSE MENSUEL
En même temps, il travaille au rapprochement de
la France et de l'Italie, qu'il souffre — nous sommes
à l'aurore de la Triplice — de voir dressées en face
lune de l'autre en ennemies. ÏSUnion des peuples
latins par lui fondée et où militent avec lui Benoit
Malon, Stephen Piclion, Rosny aîné, Millerand,
groupe bientôt 15.000 adhéreiits. Elle n'a pas peu
contribué à l'entente cordiale franco-italienne qui
précéda la guerre et, par conséquent, à l'actuelle
alliance. Peut-être est-ce là — sullisante pour sa
gloire — l'œuvre la plus féconde de Gipriani.
Latude de la liberté, Gipriani est emprisonné de
nouveau pour avoir pris part à un meeting révolu-
tionnaire (1889-1894). Il passe au Congrès de Zurich
(1896), où il combat l'impérialisme des socialistes
allemands. Et l'année 1897 le retrouve en Grèce,
décidé, comme trente ans auparavant, à affranchir
la Crète du joug turc. Pendant la campagne de
Thessalie, il commande un corps de volontaires. Ce
n'est pas, hélas 1 la marche triomphale qu'il a rêvée,
mais la défaite. Partout, la débandade. Gipriani est
grièvement blessé à Démokos (1898). C'est la der-
nière bataille de sa dernière campagne.
Toujours populaire en Italie, Gipriani, dont une
longue retraite n'a pu faire oublier les éclatants
services, est, en 1913, puis en 1914, porté de nou-
veau à la députation. Ne voulant pas prêter ser-
ment à la dynastie, il démissionne immédiatement.
Physiquement et moralement, Gipriani est ap-
paru à ceux qui le connurent comme une figure
d'un autre âge. Amant de la gloire comme un
homme de la Renaissance et surtout amant pas-
sioimé de la liberté comme le furent ses con-
temporains Mazzini, Blanqui, Barbes, Gipriani
voua sa vie à la gloire et à la liberté. Il doit
rester comme un très haut exemple de fidélité
scrupuleuse aux principes de probité, de désinté-
ressement. — Léon Abensour.
Séclienaud (Adolphe), peintre français, né à
Saint-Ambreuil (Saône-et-Loire) le 28 juin 1868.
Elève de Jules Lefebvre, il obtint en 1 891 un second
grand prix de Rome avec une toile pleine de char-
me : Philémon et Baucis, aujourd'hui au musée de
Màcon. Le premier grand prix lui échut en 1894,
avec une Judith montrant la tête d'Holopherne.
Mais il ne se sentait guère attiré par les sujets
légendaires, et la réalité lui convenait mieux.
L'étude de la figure humaine allait devenir son
thème préféré. En 1900, il eut une troisième mé-
daille au Salon des Artistes français, avec le por-
trait de Constaiit Roux; en 1902, il exposait un
tableau rustique : les Vendangeurs; l'année sui-
vante, le Portrait du père de l'artiste valait à
Adolphe Déchenaud une première médaille. C'était
déjà la consécration. Le succès venait rapidement
à cette peinture simple, de beau caractère, d'une
exécution ferme et sobre: les commandes allaient
affluer Mais le peintre, pour se dérober aux félici-
tations, partit pour la campagne. Les demandes de
portraits demeurèrent sans réponse, oubliées pen-
dant six mois dans une boîte aux lettres. Quand
Déchenaud revint à l'atelier, il était un peu tard
pour donner suite à cette correspondance.
Mais il travaillait toujours. 11 partageait son
temps entre des représentations de la vie paysanne
comme le Marché du Salon de 1904, les Noces d'or
(1907) ou la Botine prise (1911), aujourd'hui au musée
de la"Ville de Paris, et des portraits. Quelque intéres-
santes qu'aientété ses scènes rustiques,ellesnefurent
pour lui qu'un point de départ. Leur réalisme di-
rect ne flattait pas toujours le goût de l'amateur,
mais l'approbation des connaisseurs était assurée k
l'auteur. C'est avec des groupes de personnages
qu'il allait définitivement assurer sa maîtrise.
On ne peut parler de cette catégorie d'œuvres
sans évoquer les belles peintures de corporations
d'autrelbis signées de 'Van der Helst ou de Frans
Hais. Déchenaud a appliqué à ses contemporains
la même méthode. Il excelle à réunir sur une toile
plusieurs personnages, et son Groupe d'amis (1909)
en fut un premier et superbe exemple.
Ce sont là des camarades d'atelier de Déchenaud :
les poses sont aisées et heureusement accordées;
les visages brossés avec une sijrelé rare. Sur une
préparation légère en grisaille le peintre revient
avec des demi-pâtes et complète méthodiquement
l'effet et le modelé. Ce procédé de travail est renou-
velé des anciens maîtres. Déchenaud n'y vise pas
à la virtuosité comme Franz Hais avant tout, il se
préoccupe d'exactitude et ne s'abandonne pas trop
aux emportements de la brosse. Ce n'est pas qu'il
ne sache, à son heure, s'abandonner aux Bonheurs
de l'exécution, et quelques nus comme celui que
possède le cercle Volney sufOraient à le montrer.
Mais il veut rester attentif aux moindres accents
du modèle; et, s'il a soin de subordonner le détail
aux beaux ensembles, aux lignes dominantes, aux
caractères principaux, il reste un vériste délicat
et fort, à la manière précisément de Van der Helst.
C'est avec une toile de même ordre : Dans l'ate-
lier, qu'Adolphe Déchenaud obtint, du consentement
général de ses confrères, la médaille d'honneur
en 1913. Là aussi, des peintres posent; entre autres,
Adolphe l>ccbeiiaud.
«• »45. Mars 1979.
Henry Grosjean, l'excellent paysagiste, et la ressem-
blance des visages est tout à lait étonnante. L'exé-
cution a gagné encore en sûreté, en netteté, en
logique. Un clair bon sens préside à l'ordoimance,
aux oppositions, aux effets, à la réalisation. L'art de
Déchenaud est celui de prosateur, mais d'un maître
de la prose. 11 ne cherche ni l'excessif enveloppe-
mentd'un Ricard
ou d'un Carrière,
ni l'empâtement
de tels autres : la
mesure, cette
qualité française
par excellence,
est la marque
principale de son
art. La modéra-
tion, la simpli-
cité, la discrétion
forment.dureste,
le fond du carac-
tère de l'honnne:
sa modestie est
extrême, et il
hésite souvent à
exposer l'œuvre
<iu il ne trouve
jamais assez
réussie à son gré. Une année, il fit décrocher au
Salon un portrait déjà catalogué, en sorte que les
critiques furent réduits à indiquer qu'une belle
œuvre de Déchenaud devait se trouver à la place
vide. En 1918, l'artiste envoya au Petit Palais un
portrait du sculpteur Sicard. Il a été élu membre
de l'Institut le 16 novembre 1918 (v. p. 709). Le
musée du Luxembourg conserve de Déchenaud:
le Portrait du père de l'artiste, celui de Dujardin-
Deaumelz et le Groupe d'amis; le musée de Mâcon
possède le Portrait de la mère du peintre (1903)
et les Noces d'or. — Tristan Leolbek.
Farina (Salvatore), romancier italien, né le
10 janvier 1846 à Sorso (province de Sassari [Sar-
daigne]), mort à Milan le 15 décembre 1918. Fils d'un
magistrat, il fit des études de droit à Pavie, puis à
Turin, où il fut reçu docteur en 1868. Mais il n'avait
jamais songé qu'à écrire des romans. Fixé à Milan,
qu'il ne quitta guère que pour ses villégiatures de
Lugano ou des tournées de conférence où il lisait
ses nouvelles (comme celle qui le conduisit en 1888
en Allemagne et en Belgique), il s'adonna tout en-
tier au plaisir d'imaginer. Il a beaucoup produit, et
ses œuvres, traduites dans toutes les langues de
l'Europe, ont eu un large succès, tant à l'étranger
qu'en Italie. Les principales sont : Dueamori (1869),
un Sej?»-e<o (1870), qui furent ses débuts; ilRomanzo
d'un vedovo{\ill); Frutti proibiti{i8Ti); ilTesoro
di Donnina (1873, tr. fr. en 1883), un de ses livres
les plus appréciés; Amore bendato (1875); Capelli
blondi (1876, tr. fr. en 1885); Délia spuma del
mare (1877, tr. fr. en 1888); Oro nascosto (1878);
AfioyS^;!o(l882,tr.fr. en 1883-1884), un autre succès;
il Sig?iorIo (1882) [le Seigneur Moi], amusant por-
trait de l'égoïste
na'if, et sa meil-
leure œuvre ;f)'a
le corde di un
contrabbass 0
(1 882) ;^moi'e /ta
cent'occhi (1883,
tr. fr. en 1883);
Si muore : Capo-
ral Silveslro
(1884).
Une grave ma-
ladie, consé-
quence d'un tra-
vail excessifetdu
chagrin que lui
avait causé la
mortdesafemme
en 1882, lui fit
perdre pendant
quelque temps
l'usage de la pa-
role et la mémoire des mots. Cette douloureuse
épreuve lui fournit le sujet de sa nouvelle : l'Ulti-
ma Battaglia di Prête Agosliuo (1885). On lui doit
encore : Pe' begli occhi délia gloria (1888), tr. fr.
en 1889); Don Chischiotlino (1890); Piu forte
dell'amore (1890); Perche ho riposta no (1892);
Amore bugiardo (1893); Che dira il mondo (Ifins);
Carta bollata (1894); il Numéro 13 (1895); Madon-
nina bianca (1897); Fino alla morte (1902); le 'Ire
Commedie délia vita (1903), d'autres romans et re-
cueils de nouvelles; des œuvres dramatiques comme
Amore cieco, en trois actes; de nombreux articles
dans les revues italiennes. Il rédigea la partie litté-
raire de la Gazetta mxisicale de Milan et dirigea
la Rivista minima.
Ce producteur infatigable s'est adressé au grand
public, qui ne lui a pas marchandé sa faveur. Dans
un style simple et facile, non sans pittoresque, il a
conté les fictions où se plaisait son imagination
Salvatore Farina.
N' 145. Mars 1919.
bienveillante et optimiste. 11 y a fait une large
place à l'observation et a représenté avec une sym-
pathie attendrie, quelquefois, un peu sentimentale,
la bourgeoisie italienne qui l'entourait. Dans cette
observation, l'esprit se mêle au sentiment de manière
à produire une sorte d'humour assez particulière, qui
caractérise cet écrivain et qui a permis de l'appeler,
tout en tenant compte des différences, « un Dickens
italien ». Salvatore Farina demeurera le peintre
humoristique de la famille italienne. — Jean BoMciiaB.
Guerre en 1 9 1 -4- 1 9 1 9 (La) [Suite.] —
On doit espérer que le destin a marqué l'année 1919
comme le point de départ d'une ère de paix. Après
les convulsions qui l'ont bouleversée pendant quatre
ans et demi, après des souffrances si grandes que
l'esprit, même en évoquant les époques les plus
cruelles de l'histoire, n'aurait pu les croire possibles,
l'humanité a droit à une longue période de calme
laborieux. Tout à la fois, cette loi naturelle qui,
depuis des siècles, a mesuré au monde la paix et la
guerre, et la lassitudegénérale, semblent nous assurer
un avenir tranquille et une vie acceptable. Mais le
passage de la fièvre sanguinaire et de l'extrême
agitation à une existence apaisée et à un développe-
ment normal risquent de ne se faire qu'avec len-
teur. La convalescence d'un malade si violemment
ébranlé doit être surveillée de près et conduite avec
ménagement, si l'on veut écarter les rechutes décou-
rageantes et les accès inquiétants. C'est dans la con-
duite sage de cette période difficile que se marquent
l'expérience et le tact scientifique du médecin. Or,
si la médecine, appliquée aux individus, est sujette
à tâtonnements et à erreurs, combien la difficulté se
multiplie lorsqu'il s'agit de l'adapter aux multiples
organismes de l'humanité souffrante après une crise
aussi terrible. On a pu, déjà, le constater au cours
du mois de janvier 1919. Nous y avons vu com-
mencer la grande consultation des peuples et la
discussion sur les remèdes appropriés à l'état de la
santé mondiale. Jamais pareille assemblée n'a été
réunie. Les plus grands congrès d'autrefois : le
concile de Trente, le congrès de 'Weslphalie, le
congrès de 'Vienne n'avaient groupé que les repré-
sentants des puissances européennes. Le salon de
l'Horloge du quai d'Orsay voit des délégués de
toutes les parties du monde, et ce n'est pas un des
faits les moins curieux de celte Conférence que de
compter le Japon parmi les cinq grandes puissances
chargées de fixer le statut du monde et de rece-
voir, au sujet de la future Ligue des nations,
les suggestions du gouvernement de l'Afrique aus-
trale. De là doit sortir une espérance. 11 n'est pas
possible que, devant cette mise en commun de tant
de bonnes volontés, le sacrifice des ambitions parti-
culières qui ne sont pas fondées en justice ou
en équité ne s'impose pour le salut de tous et de
chacun. Sur cette assemblée de tant de races, de
tendances naturelles et de traditions diverses ou
opposées, planent l'irrésistible désir de vivre et le
sentiment que la vie des peuples, comme celle des
individus, n'est possible qu'au prix de concessions
mutuelles et de conventions raisonnables. En dépit
des antagonismes latents, ce besoin imposera sinon
la solution absolue, du moins le règlement solide
et durable. De là, aussi, se déduisait la certitude que
des luttes d'opinion et d'influence peut-être très
vives se produiraient entre les peuples engagés et
seraient de nature à jeter, au premier moment,
quelque trouble dans les esprits. C'était, par suite,
pour tous, acteurs et spectateurs, l'obligation d'at-
tendre avec patience, pour juger l'œuvre, qu'elle soit
achevée, de se garder de ces mouvements violents
et irréfléchis de l'esprit que suscite trop souvent
une information incomplète et qui risquent de
vicier le jugement de ceux-là mêmes qiii tiennent en
leurs mains nos destinées futures. Ces réflexions
venaient à l'esprit au seuil de 1919, et il était
du devoir de tout homme raisonnable non seule-
ment de réserver l'arrêt définitif de sa raison au
sujet des faits fragmentaires que la presse nous
apprenait chaque jour au gré de son information,
de ses tendances ou de ses intérêts, mais encore
de se préparer à utiliser de son mieux, pour le
bien public, les décisions, même discutables, qui
allaient sortir des délibérations de la Conférence
de la paix.
Pour la clarté de celte chronique et de celles
qui suivront, il convient de faire une revue des
questions territoriales et ethniques spéciales que
la Conrérence allait avoir à régler. L'exposé des
actes de la Conférence en deviendra plus aisé à
comprendre.
La question capitale était, évidemment, la question
russe, qui, tout le monde le sait, continuait à peser
comme un lourd cauchemar sur tous les esprits.
Nous avons déjà parlé de la Russie le mois dernier,
il y faut revenir encore. L'ancien empire russe était
partagé, au début de 1919, entre plusieurs gouverne-
ments de tendances diverses, quelquefois définies in-
suffisamment, et dont les limites territoriales étaient
impossibles à marquer exactement. — A Omsk,
sur l'Irtych, siégeait le gouvernement de l'amiral
KoUcbak. Il comprenait presque toute la Sibérie et
LAROUSSE MENSUEL
dépassait l'Oural. 11 disposait de forces importantes,
tant russes qu'alliées, et il s'était appuyé, au début
principalement, sur l'armée tchéco-slovaque II ten-
dait à rétablir l'ordre dans toute la Russie; il cons-
tituait incontestablement l'organisation la plus forte
et la plus ordonnée de tontes les Russies. Son chef,
l'amiral Koltchak, le meilleur des amiraux russes,
avait pu, au début de la Révolution, maintenir pen-
dant assez longtemps la discipline dans la flotte de
la mer Noire ; il ne s'était retiré qu'au moment où
la contagion, venue de Cronstadt, avait rendu toute
autorité impossible. A la fin de décembre 1918, les
troupes du gouvernement d'Omsk avaient infligé
aux bolcheviks, à Perm, une défaite dont l'impor- j
tance avait été considérable. C'est à ce gouverne-
719
gouvernait par les mêmes méthodes <\ue ceux de Im
Russie centrale. — Enfin, à Moscou, siégeait le go»-
vernement de Lénine et de Trolsky, lequel était'
maitre de toute la Grande-Russie et du rivage bal-
tique avec Riga. Il y avait, cependant, à noter
encore qu'autour de Minsk, en Russie Blanche, il
existait peut-être un gouvernement particulier, qui
pouvait se considérer comme investi de droits dinë-
renls de celui de Moscou.
Nous ne reviendrons pas sur la force relative du
pouvoir de Trotskyet de Lénine, rien de ce que nous
avons dit le mois dernier n'ayant été infirmé par les
renseignements reçus depuis lors. Les dépositions
de l'ambassadeur français Noulens et celles de
l'ambassadeur danois Scavenius devant la Confé-
Les Noces d'or, tableau d' Adolphe Dôchenaud (1907).
ment que tendaient à se rallier d'autres groupe-
ments; notamment, au sud-est de la Russie, le
gouvernement des cosaques du Don du général
Krasnof et le gouvernement d'Ekaterinodar, sur le
Kouban, au nord du Caucase. 11 pouvait ainsi se
former, soit sous l'autorité directe de l'amiral Kolt-
chak, soit en liaison intime avec lui, un vaste grou-
pement d'environ 40 millions d'âmes, qui compre-
nait tout l'est et le snd-est de la Russie jusqu'à
la mer d'Azov et le Volga à l'ouest. On ne doit
pourtant pas oublier que, dans l'est de la Sibérie,
subsistait le gouvernement indépendant du général
Semenof et qu'en Crimée et en Tauride s'était
constituée une république non bolchevisle, mais sur
le fonctionnement de laquelle les détails étaient
rares. — Dans la partie occidentale et méridionale, la
République ukranienne était en grande partie sous
le gouvernement de Petlioura, sur les tendances
et les actes duquel on a écrit bien des affirmations
contradictoiies, mais qui représentait très certaine-
ment, comme nous l'avons déjà dit, un mouvement
national, en opposition à la fois avec l'organisation
d'origine allemande qui avait eu à sa tête Skoro-
padski et avec les tendances bolchevistes. — Tout
à fait au sud, sur la mer Noire, le grand port
d'Odessa était, en fait, aux mains des Alliés. — Au
nord-est, l'Eslhonie.la Livonie, la Lilbuanie avaient
constitué, comme la Finlande, des gouvernements
particuliers et étaient entrées en lutte contre les
bolcheviks, après avoir subi leur menace et leur
tyrannie. La Finlande avait été très éprouvée. Elle
était, à ce moment, en train de se constiluer solide-
ment, sous l'autorité du général Mannerheim. L'Es-
thonie, avec une armée qui ne dépassait sans doute
pas 12.000 hommes, avait complètement battu l'ar-
mée ronge et menaçait peut-être Petrograd — Tout
à fait au nord, avec Ârkhangel pour centre, le gouver-
nement deTcha'ikowski était reconnu sans conteste;
mais il semble qu'à la fin de janvier sa lutte armée
contre l'armée bolchevisle ne tournait pas à son
avantage. — Au sud du Caucase, le socialisleTcheidze
availconstilué la république géorgienne. — Il y aval l,
en outre, une république en Arménie et, à T.isch-
kund, dans le Turkestan, un soviet bolchevik qui
rence avaient montré plus que jamais à quel abomi-
nable régime la Russie était soumise, vers quelle
ruine totale elle marchait et quels dangers consti-
tuait le bolcbevisnie pour le reste de l'Europe. H
était évident que ce gouvernement, malgré les affir-
mations tendancieuses qu'il répandait lui-même, ne
subsistait que par l'impuissance de ses adversaires
à réagir contre lui et par l'inertie de la masse
paysanne russe. Mais, de ce côté, il evlt été possible
de trouver un appui à condition de comprendre la
mentalité rurale moscovite. Entraîné au bolche-
visme par le partage des terres, le paysan russe,
que la persécution contre son clergé indisposait et
inquiétait déjà, s'était montré incapable de suivre
ses nouveaux maîtres dans la conception d'un ré-
gime terrien qui comporte la jouissance, mais non
fa propriété du sol. Le paysan russe, devenu usager
des terres seigneuriales, attendait avec impatience
qu'on lui délivrât le titre définitif qui le mettrait
à l'abri de toute revendication ultérieure. Les
théories bolchevistes ne permettaient pas ce geste
nécessaire, et aucun autre parti n'avait encore saisi
toute la puissance qu'il pourrait acquérir en le
faisant. 11 n'est même pas impossible que certains
de ces partis n'eussent pour but la restauration d'un
régime tsariste amendé, et il est certain que presque
tous les adversaires des bolchevistes qui s'agitaient
en Europe, imbus de l'ancienne tradition russe, ne
concevaient pas la nécessité absolued'uneorientalion
entièrement nouvelle. Le bloc national des orga-
nisations politiques russes à l'étranger ne comptait
Îias moins de huit groupes distincts, sans compter
es isolés. Si l'on ajoute à celte dispersion de l'ef-
fort la division inlérieure que nous avons exposée
pins haut, on s'apercevra aisément que la question
russe se présentait devant la Conférence avec une
complexité un peu décourageante.
A l'ouest du problème russe, se dressait le pro-
blème polonais. Là, tout était à créer, et au milieu
de quelles difficullésl La plus grosse con^islail dans
la détermination de la consistance même du terri-
toire polonais el dans le tracé de la frontière.
Pouvait-on songer à reconstituer la Pologne de
1 772. et une Pologne constituée aulrement que celle
PaJerewaki, président du conseil
dea ministres polonais.
720
de 1772 étail-elle viable ?Ne devail-on pas concevoir
une Pologne ouveiie sur la Baltique par Danlzig
et unie à la Lilhuaiiie, à l'Ukraine et à la Galicie
orientale? Si l'on consulte l'histoire et la carte, on
constate que, formé en dehors de ces éléments,
le futur Etat polonais serait le jouet de ses voisins.
On s'en apercevait dès maintenant. L'Allemagne
s'apprêtait à disputer âprement à ses voisins, à peine
délivrés de son joug, la Posnauie et Danlzig,
sans tenir compte de ce fait indéniable que la Pos-
iianie est restée polonaise en dépit des lois alle-
mandes d'expropriation et que toute la région à
l'ouest de Dantzig est devenue polonaise par une
colonisation récente que le gouvernement allemand
n'a pu empocher.
Les Etats de la Lithuanie et de l'Ukraine, que
l'Allemague, usant à son profit du principe des
nationalités, avait créés ou encourages, étaient en
opposition ou en hostilité ouverte avec la Pologne,
tandis que le gouvernernenient bolcheviste de
Moscou tentait de pénétrer lui-même dans le nou-
vel Etat et d'en
refaire la con-
quête pour le
compte de la Rus-
sie prolétarienne,
toutcomme avait
faitlaKussie tsa-
riste. Enfin, en
Silésie, lesTché-
co-Slovaques et
les Polonais se
disputaient le
dislrictminierde
Tsechan, en
grande partie
peuplé de Polo-
nais, mais écono-
miquement in-
dispensable aux
Tchùco - Slova-
ques. Du moins,
au milieu de ces
attaques qui les menaçaient de tous côtés, les Polo-
iiaisavaient paré au danger intérieur, qui, sisouvent
au cours de leur ancienne histoire, les avait livrés
à leurs ennemis. Pildsuski, faisant l'union devant
lepéril commun, avait, avec Paderewski, formé un
Kouvernement national, qui se présentait devant la
Conférence avec une indiscutable autorité Mais ce
seul fait, si important qu'il filt, n'était qu'un élé-
ment de la solution. Il était évident que le pro-
blème polonais semblait vital à l'Allemagne et
qu'elle tendait toutes ses forces pour prévenir la
perte de laPosnanie et de Dantzig, qu'elle affirmait
elfrontément terres allemandes et qu'elle entendait
ne lâcher à aucun prix. — L'Allemagne avait une
autre raison que nous avons déjà notée et sur
laquelle ou ne reviendra jamais trop souvent: elle
ne peut laisser former entre elle et la Russie une
barrière infrancliissable. L'Allemagne privée du
chemin de fer de Bagdad, privée du débouché de
Salonique, privée de ses colonies, a besoin d'un
champ d'expansion. Aucun n'est plus désirable et
plus facile que la Russie, tant par ses richesses pro-
pres que par la route qu'elle ouvre vers l'Extrême-
Orient. Maintenir sa liaison avec la Russie est une
nécessité vilale pour l'avenir de l'Allemagne, quel
que soit son gouvernement A l'heure où nous
écrivons, l'Allemagne, ayant vaincu ses bolchevistes
se gardait des bolchevistes russes. Mais elle savait
•que le holclievisme russe n'aurait qu'un temps, et
■ellle songeaitavant tout à l'immensité de la détresse
«•usse et aux énormes besoins de ce peuple épuisé.
[Elle y voyait une exploitation facile. Ainsi l'histoire
•lie h. Pologne continuait ses vicissitudes passées,
tes raisons qui avaient été l'origine des partages
de 1772 à 1795 se retrouvaient devant la recons-
truction, aprrs cent cinquante ans, delà nalion polo-
naise. A cette opération difficile était liée, on le
voit, celle des nationalilés lilhuanienne et ukra-
nienne, et il appartenait à la Conférence non seu-
lement de faire cesser les différends entre ces
peuples, mais de les amener à s'unir pour une ré-
sistance commune aux empiétements possibles de la
Russie et aux convoitises certaines de l'Allemagne.
Du côté de l'ancien empire austro-hongrois, les
difficultés n'élaient guère moindres. Les Tchéco-
slovaques ont donné, pendant cette guerre, un
admirable exemple de vitalité. Pendant que leur
territoire continuait à faire partie de la monarchie
des Habsbourg et qu'une partie des leurs étaient
obligés de combattre contre l'Enlenle, tous ceux
qui avaient pu se soustraire à celle obligation
avaient apporté leur secours i la Russie. C'est
grâce à l'armée tchéco-slovaque que la résistance
avait pu être organisée en Sibérie jusqu'à Tinter-
vention japonaise et que les coiiimuniciilions avec
la Ru<sié par l'océan Indien avaient pu être main-
tenues. Depuis la chute du gouvernement de
C.harles P', les Tchéco-Slovaques ont donné le
plus bel exemple d'union et de discipline et, parmi
les Etats nouveaux, leur république est la seule
qui ait échappé au désordre intérieur. Ils ont ainsi
LAROUSSE MENSUEL
recueilli le fruit de leur longue patience et de
leur inlassable préparation, que l'homogénéité de
leur groupe a rendues sinon faciles, en présence
de la domination aulrichienne, du moins possibles.
Mais eux aussi étaient menacés par l'AUemagne.
De plus en plu» se dessinait et prenait corps un
mouvement qui tendait à rattacher l'Autriche au
nouvel Etat allemand. Rien n'était fait, et on ne
devait pas oublier, nous l'avons dijà fait remarquer,
les différences du tempérament autrichien et du tem-
pérament allemand. Mais on devait s'inquiéter aussi
du lait que l'Autriche, se sentant isolée entre des
éléments slaves et n'ayant plus le soutien hongrois,
devait se tourner presque fatalement vers un grou-
pement fort de môme race et de même langue.
Or quelle serait la position des Tchéco-Slovaques
devant un groupe de plus de soixante millions
d'Allemands qui détiendraient les routes de terre
et de nier par où le commerce et l'industrie tchéco-
slovaques pourraient trouver leui débouché? Et ne
lombait-il pas sous le sens que Tchéco-Slovaques et
l'olonais avaient les mêmes intérêts?
Quant à la Hongrie, qui se débattait dans des
difficultés internes, il est à peine besoin de marquer
combien précaire s'annonçait son avenir Bloquée
par la Pologne, la Roumanie et les Yougo-Slaves,
séparée de la Russie par les montagnes, privée
de son regard sur l'Adriatique, elle apparaissait
entièrement continentale et sans vues sur la mer.
Elle devait tout attendre de relations internationales
et de la complaisance de ses voisins.
Nous avons signalé, le mois dernier, tout ce que la
question yougo-slave iiouvait con tenir d'imprévu. Du
côlédelenrs voisins allemandset hongrois, les Yougo-
slaves n'ont pas de difficultés de délimitation.
Les races sont trop tranchées, et leurs maîtres au-
trichiens ou hongrois avaient pris eux-mêmes la
précaution de ne laisser aucun doute sur la diffé-
rence des races et des langues. Toutefois, ils ne
bénéficient pas, comme les Tchéco-Slovaques, d'une
ancienne cohésion. Leurs individualités respectives,
leurs souvenirs historiques ne sont pas abolis, et le
fait que leur intérêt est de se tenir unis avec la
Serbie ne sera peut-être pas toujours assez fort pour
maintenir entre eux et avec leurs héro'iques voisins
tout au moins une coordination indispensable à tous.
Mais, pour eux, la question capitale est l'accès à
l'AdriaLiqueet, dans l'espèce, la possession de Fiume
que réclame aussi, non sans de sérieuses raisons,
l'Italie. L'autorité coUei^tive de la Conférence ne sera
peut-être pas de trop pour accorder des ambitions
opposées et calmer des appétits excessifs ou, plutôt,
pour faire entendre à chacun son véritable intérêt
et étendre sur l'ensemble une législation interna-
tionale protectrice de la paix future.
La même observation s'appliquait au règlement
des questions territoriales de la péninsule des
Balkans. Si la Bulgarie y apparaissait en vaincue
et payait cher l'énormilé de ses ambitions passées,
si la Turquie abdiquait son autonomie entre les
mains des Alliés et devenait, en attendant son sort
définitif, un pays protégé, il restait à régler entre
alliés la question de l'Albanie et de la Macédoine
et la question du banal de Temesvar, que Serbes et
Roumains se disputaient. La Roumanie, qui, déjà,
s'agrandit de la Transylvanie jusqu'à Debreczin, de
laBukovine et d'une partie delà Bessarabie, excipait
du traité de 1916, conclu avec l'Angleterre, la France
et l'ilalie, qui lui attribuait cette provinct, et elle
prétendaittrès justement que le traité de Bucarest,
auquel l'avait contrainte la trahison russe, n'infir-
mait aucunement les promesses qui lui avaient été
faites. La Serbie invoquait la nationalité serbe d'une
fiartie de la population du Banal et les nécessités de
a défense de Belgrade. Dis la fin de janvier, un
compromis paraissait probable par la division du
Banal entre les deux compétiteurs qui avaient tous
deux de bons arguments. Enfin, il y avait à exa-
miner les demandes grecques. Venizelos, avec une
grande éloquence, réclamait le nord de l'Epire et la
Thrace. S'il consentait à renoncer à Constanti-
nople, il résistait pour Smyrne avec un périmètre
considérable.
Restaient encore, de ce côté, la question de la
Turquie d'Asie, celles de la Syrie, du Liban, de la
Palestine, de la Mésopotamie: le Liban et la Syrie,
très désireux de leur autonomie, mais sentant aussi
très bien leur impuissance à se défendre et à se
développer seuls, réclamaient spontanément une
protection, en l'espèce celle de la France, leur amie
et leur soutien séculaire ; la Mésopotamie et la Pa-
lestine, routes immuables vers le golfe Persique,
vers l'Egypte et l'Arabie, nécessaires au développe-
ment commercial de toute l'ICurope, attendaient un
maître ou un guide, et le gouvernement de l'Inde
surveillait de près l'attribution qui serait faite de ces
terres vacantes.
En revenant dans le détail sur les multiples ques-
tions territoriales qu'entraînent à l'est de l'ICurope
la défaite de la Quadruple-Alliance et l'écroulement
de la Russie, nous avons voulu non seulement
rappeler à chacun, une fois de plus, la complexité du
remembrement de l'Europe, mais encore faire sentir
que cette répartition nouvelledes Etats n'est possible,
N» 145. Mars 1919.
et ne sera durable, que si un lien solide unit entre
eux ceux qui ont des intérêts communs et si des
règles de droit puissamment constituées obligent
au respect réciproque les multiples individus de la
collectivité européenne. Nous avons voulu aussi
faire deviner à quel point il sera indispensable que
des routes transeuropéeimes, placées sous un
contrôle international, également accessibles à tous
ceux qui veulent en user comme d'un bien commun,
entretenues et administrées en commun, soient
créées pour l'usage de toute l'Europe et soustraites
à toutes les exigences abusives et à loutss les
influences exclusiveo.
El nous n'avons parlé, jusqu'ici, que de l'Europe.
Combien les considérations qui précédent devien-
nent plus fortes, si l'on envisage les communications
entre l'Europe et l'Asie, le chemin de fer de Bagdad,
l'immense réseau du Transsibérien et des chemins
de fer chinois, la liaison du chemin de fer transcas-
pien avec l'Inde; si, sur un autre continent, on
songe à l'avenir des chemins de fer transafricains,
— et, ici, on touche à la question des colonies alle-
mandes, dont nous dirons plus loin quelques mots.
Si des arrangements comme ceux que l'on a l'obli-
gation d'élaborer devaient être faits en un temps
de paix générale, au milieu d'une bonne volonté una-
nime et universelle et dans une pleine confiance ré-
ciproque, ils seraient déjà une tâche compliquée.
Intervenant après la terrible préface d'une guerre
atroce, engagée au mépris de tous les Irailés, inspirée
par la passion de l'hégémonie, conduite par le peuple
qui l'a voulue avec une perfidie sans précédent et une
absence inattendue de tout senlimeiit d'humanité,
elle exige des précautions minutieuses. Cette guerre
alaissé le vaincu affaibli, elle ne l'a pas abattu ; elle
n'a pas amélioré sa mentalité ; il a changé sa ma-
nière, il a gardé son esprit et sa méthode. Il faut
donc régler les affaires du monde avec l'idée que
l'Allemagne reste dangereuse et sans qu'on puisse
faire confiance à sa franchise.
Tout prouvait, en effet, fin janvier, que l'Alle-
magne se remellait peu il peu de ses alarmes. A
lin décembre dernier, on se souvient que la lutte
entre les Spartaciens et le gouvernement Ebert-
Scheidemann restait indécise. Cependant, on sentait
déjà que le Directoire des commissaires du peuple
se ressaisissait et que, comprenant le violent désir
d'ordre et de calme qui possédait la presque una-
nimité du peuple allemand, il était décidé à résister
fortement aux éléments de désordre.
Il apparaissait que l'introduction de Noske dans le
Directoire avait déjà son heureux efiel. On avait
appelé des troupes fidèles et répondu par la manière
forte à la violence des partisans de Liebknecht. Les
premiers jours de janvier avaient encore vu des
luttes sanglantes dans les rues de Berlin; m:iis, dès
le 8, la situation du gouvernement se consolidait et
sa victoire s'affirmait. Un essai de contre-gouverne-
ment spartacien avait échoué, et il était avéré que
les émeutiers ne constiluaient qu'une minorité inca-
pable d'aboutir. Le préfet de police Eichhorn avait
été renvoyé et av:iit dû fuir. Les conseils d'ouvriers
et soldats appuyaient le gouverneiiK nt. L'arres-
tation de Ledebourle 8, puis, le 15, la mort tragique
de Liebknecht et de Rosa Luxembourg, l'un tué
par un soldat de l'escorte qui le conduisait en pri-
son, l'aulre massacrée par la populace, ne provo-
quaient qu'une agitation passagère et, malgré la
complicité vraisemblable du gouvernement, lais-
saient l'Allemagne indifférente. Ce n'est pas que le
parti spartacien fiH entièrement réduit à l'impuis-
sance. Il se réveillait par endroits. Il avait pu s'em-
parer un moment deWilhelmshaven. Mais il n'y avait
\k que des mouvements locaux, sans répercussion
générale et voués à un échec certain. Noske essayait
de rétablir la discipline dans l'armée et, en dépit de
certaines protestalioiis, il réussissait. La démobili-
sation, si complète qu'on la iiroclamut, n'allait pas
sans permettre de masser, sous le commandement
d'Hindenbiirg, qualre corps d'armée sur le front
polonais. Tout annonçait que le gouvernement se
sentait fort. — Au resle, les élections du 19 janvier
pour l'Assemblée consliluaute avaient prouvé plus
clairement que tout le reste les sentiments du peuple
allemand. Sans qu'on put chiffrer encore mathé-
matiquement la composition de la majorilé de la
future Assemblée, il était certain que cette majorilé
était du côté du gouvernement ou, tout au moins,
d'un gouvernement qui ressemblerait de très près
à celui qui avait permis à l'Allemagne de vivre de-
puis trois mois. — Les élections pour les assem-
blées particulières, dans les Etats les plus importants
de l'Allemagne, avaient donné des résullals analo-
gues. En Bavière, le parti du centre, s'il n'avait
pas conservé la primauté qu'il possédait avant la
chute de la dynastie, arrivait en tête an sortir du
scrutin. Le parli socialiste majoritaire, dont les re-
présenlanls dans le minislère Eisner, le ministre de
l'intérieur Auer, notamment, s'élaient révélés comme
(les administrateurs de talent, venait ensuile. Mais
le parti socialiste indépendant, auquel appartenait
Kurt Eisner lui-même, l'auteur de la révolution ba-
varoise et, semblait-il, l'idole du peuple, se trouvait
en minorité, et on pouvait prévoir qu'il devrait
Larnaude, professeur
à la Faculté de droit de Paris.
H' >45. Mars 1B19.
âuitler le pouvoir. — Dans l'ancien grand-duché de
ade, le président du gouvernement provisoire,
Geiss, terminait son discours en ouvrant l'Assem-
blée badoise par ces mots : « Le peuple badois veut
la paix, la liberté et du pain. » — lin Prusse, les
élections à l'Assemblée nationale prussienne avaient
amené les socialistes majoritaires en tête des élus,
et, si les partis démocratiques pouvaient leur dis-
puter la majorité, l'ensemble constituait un grou-
pement qui n'avait pour devise que l'ordre et l'or-
ganisation.— La résolution, d'ailleurs acceptée par
tous, en dépit de quelques protestations, de réunir
l'Assemblée nationale allemande à Weimar, et non
à Berlin, montrait assez qu'on entendait la sous-
traire k toutes les causes d'agitation. — Au fond,
l'ancien esprit allemand, celui qui avait courbé tout
le peuple allemand sous la discipline militaire prus-
sienne, qui l'avait entraîné consciemment sur les
routes sanglantes de la guerre pour la domination
mondiale, reparaissait peu à peu, dans l'opinion pu-
blique comme dans les actes du gouvernement.
Bien des faits devaient retenir notre attention.
Lorsque le maréchal Foch, conformément aux sti-
pulations de l'ar-
mistice signé par
le général de
Winlerfeldt,avait
fait occuper les
forls de Stras-
bourg sur la rive
droite du Rhin,
le même Win-
terfeldt avait
bruyamment
donné sa démis-
sion de président
de la commission
allemande d'ar-
mistice, en alTec-
tant de considé-
rer comme une
marque de dé-
fiance person-
nelle cette exécu-
tion de clauses
acceptées par lui. — Ce geste ostentatoire avait été
approuvé en des termes parfaitement déplacés, pu-
bliquement, dans un discours du secrétaire d'Etat,
de Brockdorf-Rantzau, à des journalistes, et le ton
de toute la harangue s'était fait volonlairement
hautain et menaçant. Le même Brockdorf-Ranlzau
essayait de lier la restitution des objets volés par
les Allemands à la levée du séquestre sur les biens
allemands en Alsace. — De plus en plus, en Alle-
magne, s'affirmait l'impuissance de ce peuple à
comprendre ses responsabilités et leurs conséquen-
ces. Le mémoire
ÎirésentéàlaCon-
érence par les
jurisconsultes
français Larnau-
de et Geouiïrede
Lapradelle,surla
culpabilité per-
sonnelle de Guil-
iaumelletsurles
sanctions possi-
bles, avait soule-
vé des protesta-
lions indignées
nonseulementde
la part des mo-
narchistes, mais
encore des jour-
naux du gouver-
nement,etl'anni-
versaire de l'em-
pereur déchu, le
27 janvier, n'avait guère provoqué que des ma-
nifestations d'indulgence attendrie et de sympathie
fidèle. Pour un piofesseur Fœrster, qui, courageuse-
ment, afiirmait la nécessité de reconnaître les fautes
de l'Allemagne, il y avait des millions d'Allemands
qui fermaient obstinément les yeux devant les
preuves les plus criantes. Et, à ce piopos, il était
bon que la loyauté française, au moment de la
déclaation de guerre de 1914, fût éloquemment
clamée du haut de la tribune de la Chambre par Vi-
vian!, le 31 janvier, et affichée sur tous les murs de
France, comme le cri de la conscience révoltée
contre la mauvaise foi germanique. — Autre symp-
tôme. Les projets de Constitution allemande qui
avaient été élaborés, notamment celui du secrétaire
d'Etat Preuss, nous présentaient une Allemagne uni-
fiée, gouvernée par un président d'Empire et par un
chancelier dont les pouvoirs ne différaient en rien
de ceux du kaiser et de son chancelier. Le maintien
proposé de la qualification d' « Empire allemand ■>
était à lui seul un programme de gouvernement.
Sans doute, ce projet avait été amendé, mais il faut
retenir que, dans l'intention des chefs de l'Allemagne,
la survivance, — à côté d'un Reichstag pourvu de
droits certainement supérieurs à ceux de l'ancienne
Assemblée des Hohenzollern, — d'une Commission
Kurt Eisner, président
dj nouveau gouvernement bavarois.
LAROUSSE MENSUEL
des Etats qui avait, en fait, la haute main sur toute
la politique générale intérieure et extérieure et
qui n'était autre que l'ancien Conseil fédéral (Bun-
desrath), indiquait la volonté de laisser intactes les
anciennes formes du gouvernement allemand. Ainsi,
il était de toute évidence que l'Allemagne tendait,
de toutes ses forces, à conserver et, s'il lui était
possible, à fortifier son unité. — Certes, il ne faut rien
exagérer. Des directions fort diverses se manifes-
taient dans l'opinion. 11 était certain que le mouve-
ment séparatiste se marquait nettement, par l'opposi-
tion à 1 hégémonie militaire et diplomatique de la
Prusse. M Dans la nouvelle république allemande,
disait, dans le discours cité plus haut, le président
badois Geiss, la Prusse aura une influence corres-
pondant à l'impor-
tance de son terri- .._,.-„,.
toire, mais l'Etat ba- •■
dois doit avoir son
mot dans les alTaires
allemandes ». La Ba-
vière , le Wurtem-
berg pensaient de
même. En Prusse,
même, on sentaitque
l'ancien système de
domination pi-us-
sienne ne pouvait se
renouveler. Enoulre,
des discussions gra- — —
ves s'élèveraienlcer-
lainementdans l'As-
semblée constituante
sur la division terri-
toriale de l'Allema-
gne et sur le groupe-
ment des Etats. — 11
faut, sans doute, se
rappeler que, si l'Al-
lemagne a évité, par
une prompte signa-
ture de l'armistice
du 11 novembre, un
désastre irrémédia-
ble et si elle a ainsi
sauvé une bonne par-
tie de ses forces mi-
litaires et économi-
ques, elle était hors
d'état de recommen-
cer une guerre dont
son peuple ne veut
plus et qu'il lui fau-
dra industriellement
un gros et long effort
Four reprendre sur
es marchés du
monde la place à
laquelle elle prétend.
Mais, malgré cette
réserve, la sagesse
élémentaire nous
conseillait, fin jan-
vier, comme elle
nous conseillera tou-
jours, de prendie contre le relèvement de l'Alle-
magne, contre son intrusion perfide dans les affaires
de l'Europe, contre ses agissements vei's la Russie
et vers l'Orient, toutes les précautions quecomporte
le besoin de paix, de calme et de travail que le
monde éprouve après quatre ans et demi de guerre.
Il ne s'agit pas d'anéantir l'Allemagne, ou de. la
juguler de telle sorte qu'on l'oblige à une réaction
qui serait aussi dangereuse que sa domination. Il
importe, pourtiint, qu'après s'être acquittée de la
dette formidable que ses erreurs et ses crimes ont
fait peser sur elle, elle ne puisse prétendre dans le
monde qu'à la place exacte à laquelle lui donnerait
droit son importance relative, combinée avec les
nécessités impérieuses d'existence des autres na-
tions, petites ou grandes.
C'était, précisément, la tâche de la Conférence de
la paix. Dès le 15 janvier, les présidents et les
ministres des affaires étrangères des puissances
alliées et associées, auxquels s'étaient joints les
ambassadeurs du Japon à Londres et à Paris, avaient
fixé le nombre des délégués de chaque Etat partici-
pant. Il avait été décidé que les cinq grandes puis-
sances : Etals-Unis, Empire britannique, France,
Italie et Japon, auraient chacime cinq délégués; il
y aurait, en ouli-e, deux délégués respectivement
four le Canada, l'Australie, l'Afrique du Sud, les
ndes, et un délégué pour la Nonvelle-Zélande;
liois délégués pour le Brésil ; deux pour la Belgique,
la Chine, la Grèce, la Pologne, le Portugal, la
Roumanie, la Serbie, la République tchéco-slo-
vaqiie ; un pour le Siam, Cuba, Guatemala, Haïti,
Honduras, Nicaragua et Panama; la question du
délégué du Monténégro, admis en principe, était
réservée en fait.
Chaque délégation formait un tout indivisible, et
la faculté de remplacement était permise dans cha-
cune d'elles. En même temps, à côté de la Confé-
rence, se constituait une Commission des présidents
721
et ministres des alTaires étrangères, qui délibérait
séparément sur toutes les questions et prenait des
décisions indépendantes; dans le langage courant,
on l'appelle la « Commission des Dix >>. Nous ne sau-
rions ici donner la liste de tous les délégués. Nous
citons seulement, pour la France : Clemenceau,
Pichon, Klotz, Tardieu et Jules Cambon, puis Léon
Bourgeois, appelé spécialement pour la question de
la Société des nations; pour l'Empire britannique :
Lloyd Gporge, Balfour, Bonar-Law, Barnes, Bor-
den, Hughes; pour les Etats-Unis : 'Wilson, Lan-
sing, Baker, White etiecolonel House; pour l'Italie:
Orlando, Sonnino, Salandra; pour la Belgique :
Hymans; pour la Roumanie : Bratiano; pour la
République tcbéco-slo vaque : Kramarcz et Benès;
^
Coirassé anglaia, pasiant par le canal de Kiel et rencontrant un train de prisonnieri anglais en route
pour leur patrie.
pour le Japon : Matsui; pour la Serbie : Trora-
bilch, etc. Cette fixation du nombre des délégués
n'avait pas été sans susciter quelques critiques. On
s'était étonné que la Belgique, la Serbie, la Rou-
manie, victimes héroïques de la guerre, eussent
moins de délégués que le Brésil et pas plus que le
Portugal et la Chine. La suite de la discussion avait
montré, en particulier pour la Belgique, que le
consentement unanime et le respect de tous les
peuples représentés à cette conférence préliminaire
corrigerait ce que cette décision étroite avait eu, au
gré de notre admiration reconnaissante, d'insuffisant
et peut-être d'injuste.
Il ne nous sera pas possible, on le conçoit, de
suivre jour par jour et pas à pas les délibérations
de la Conférence et celles de la Commission des
Dix. Les journaux mettent, chaque matin et chaque
soir, le public au courant de ces détails quotidiens
qui alimentent les discussions de la presse, mais
dont l'importance décroit à mesure que chaque jour
en amène de nouveaux. Comme nous l'avons fait
pour les événements de la guerre, nous noterons
seulement les grands moments des événements
menant à la paix, ceux qui ont quelque chance de
devenir définitifs et de réagir sur l'histoire future.
— Inaugurée, le 18 janvier, par un très beau dis-
cours du président Poincaré, admirable modèle de
clarté française et résumé saisissant de l'œuvre
de justice qui lui incombe, la Conférence, sur
la proposition de 'Wilson, de Lloyd George et
d'Orlando, choisit pour président Clemenceau, ren-
dant ainsi un nouvel et éclatant hommage à la
Fi-ance en la personne de celui oui avait incainé
son indomptable énergie et sa volonté de vaincre.
Puis elle aborda ses travaux. Les décisions essen-
tielles jusqu'à la fin janvier furent prises par la
Commission des Dix.
On ne s'étonnera pas que la question russe ait
été celle qui la première retiut l'attention des
— 722
OUVERTURE de la CONFÉRENCE de la PAIX
Discours de M. Raymond POINCARÉ, président de la République française
Raymond Poincaré,
président de la République française.
En ouvrant la séance d'inauguration de la Conférence de la paix, le
samedi i8 janvier 19 f 9, à 3 heures de l'après-midi, M. Raymond Poincaré,
président de la Hépublique française, a prononcé le discours suivant
devant les délégués des puissances alliées et associées l'éunis à Paris, au
Palais d'Orsay, dans le salon de l'Horloge (ou de la Paix) :
MliSSIIiURS,
I.a France vous adresse ses souhaits de bienvenue et vous remercie d'avoir, d'un
consentement unanime, choisi comme siège de vos travaux la ville que, pondant plus
de quatre années, l'onnomi a prise pour son principal olijectif militaire et que la vail-
lance des armées alliées a vic-
torieusement défendue contre
des offensives sans cesse re-
nouvelées
Laissez-moi voir dans vo-
tre décision un hommage do
toutes les nations ()ue vous re-
présentez à un pays qui ;i, plus
encore que d'autres, connu les
souffrances de la guerre, dont
des provinces entières. trans-
formées en vastes champs de
bataille, ont été systémati-
quement ravagées par l'cn-
valiisseur et qui a payé à la
mort le tribut le plus lourd.
Ces énormes sacrifices, la
France les a subis sans avoir
la moindre responsabilité
dans l'épouvantable cata-
clysme qui a bouleversé
l'univers; et, au moment où
s'achève ce cycle d'horreur,
toutes les puissances dont
les délégués sont assemltlés
ici peuvent se rendre à elles-
mémos cette justice qu'elles
n'ont aucune part dans le
crime d'où est sorti un dé-
sastre sans précédent. Co qui
vous donne toute qualité pour
établir une paix de justice,
c'est qu'aucun des peuples
dont vous ôtes les manda-
taires n'a trempé dans l'injustice. L'humanité peut vous faire confiance, parce que vous
n'êtes pas de ceux qui ont violé les droits de l'humanité.
Besoin n'est pas d'informations complémentaires ou d'enquêtes exceptionnelles
pour connaître les origines du drame qui vient d'agiter le monde. La vérité, toute
couverte de sang, s'est déjà évadée des archives impériales. La préméditation du guet-
apens est aujourd'hui clairement démontrée. Dans l'espoir de conquérir d'abord l'hégé-
monie européenne et bientôt la maîtrise du globe,
les Empires du centre, rivés l'un à l'autre par une
secrète complicité, ont inventé les prétextes les
plus odieux pour tâcher de passer sur le corps do
la Serbie et se frayer un chemin vers l'Orient.
En même temps, ils ont renié les engagements les
plus solennels pour pouvoir passer sur le corps de
la Belgique et se frayer un chemin vers le cœur
de la France. Voilà les deux inoubliables forfaits
qui ont ouvert les voies à l'agression. Les efforts
combinés de l'An'.^leterre, de la France et de la
Russie se sont brisés contre cette folio d'orgueil.
Si, après de longues vicissitudes, ceux qui vou-
laient régner par le fer ont péri par le fer, ils n'ont à
s'en prendre qu'à eux. C'est leur aveuglement qui les
a perdus. Quoi de plus significatif que les honteux
marchés qu'à la fin de juillet 1914 ils tentaient d'offrir
à l'Angleterre et à la France, lorsque à l'Angleterre
ils murmuraient: « Luisscz-nous libremontaltaquor
la France par terre, et nous n'entrerons pas dans la
Manche» ; et lorsqu'ils chargeaient leur ambassadeur
de dire à la France : «Nous n'accepterons, do votre
part, une déclaration de neutralité que si vous nous li-
vrez Briey, Toul et Verdun !» C'est à la clarté de tels
souvenirs, Messieurs, que se préciseront toutes les
conclusions que vous allez avoir à tirer de la guerre.
Vos nations se sont successivement jetées dans
la mêlée ; mais elles n'ont fait, les unes et les autres,
que venir au secours du droit menacé. Comme l'.Mle-
magne, la Grande-Bretagne et la Franco avaient
garanti l'indépendance de la Belgique. L'Allemagne
a cherché à écraser la Belgique. La Grande-Bre-
tagne et la Franco se sont juré toutes deux do la
sauver. C'est ainsi qu'au point de départ môme des
hostilités, s'affrontent les idées contraires qui. durant
cinquante mois, vont se disputer In monde : l'idée de
ta force souveraine, qui n'accepte ni contrôle ni frein ;
l'idée de la justice, qui ne s'appuie sur le glaive
que pour prévenir ou réprimer les abus de la force.
Fidèlement suivie do ses Dominions et de ses colonies, la Grande-Bretagne a
jugé qu'elle ne pouvait demeurer étrangère à un conflit où était engagé le sort de tous
les pays. Elle a accompli — ses Dominions et ses colonies ont accompli avec elle — des
efforts prodigieux pour empêcher que la guerre ne tournât au triomphe do l'esprit de
conquête et à la confusion du droit.
Le Japon ne s'est, à son tour, décidé à prendre les armes (pie par loyauté vis-à-
vis (le sa grande alliée l'Angleterre et par conscience du péril qu'aurait fait courir, à
l'Asie comme à l'Europe, l'hégémonie rêvée par les Empires germaniques.
L'Italie, qui avait, dès la première heure, refusé de prêter la main aux ambitions
allemandes, ne s'est levée contre un ennemi séculaire que pour répondre à l'appel do
populations opprimées et pour détruire, au prix de son sang, des comiiinaisons politiques
artificielles qui ne tenaient aucun compte de la liberté humaine.
La Roumanie ne s'est résolue au combat que pour réaliser l'unité nationale à
laquelle s'opposaient les mêmes puissances de contrainte et d'arbitraire. Abandonnée»
tialiio. étranglée, elle a dû subir un traité odieux, dont vous saurez exiger la revision.
La Grèce, que l'ennemi a, pendant de longs mois, essayé de détourner de ses tra-
ditions et de ses destinées, n'a levé une armée que pour se soustraire à des tentatives
de domination dont elle sentait la menace grandissante
Le Portugal, la Chine, le Siam ne sont sortis do la neutralité que pour êcliappcr,
eux aussi, aux tentacules impériaux. C'est l'étendue des convoitises allemandes qui a
ainsi amené tant de peuples, petits ot grands, à se liguer contre le même adversaire.
Et que dire de la solennelle résolution prise, au printemps de 1917, par la République
des Etats-Unis, sous les auspices de son illustre président, M. Wilson, que je suis
heureux de saluer ici au nom de la France reconnaissante et. si vous me le permettez.
Messieurs, au nom de toutes les nations représentées dans cette salle ? Que dire do tant
dauires Etats américains, qui se sont déclarés contre rAllemagno : Brésil, Cuba,
Panama, Guatemala, Nicaragua, Haïti, Honduras, ou ont, au moins, rompu avec elle
toutes relations diplomatiques ; Bolivie, Pérou, E(|uateur, Uruguay? Du nord au sud, le
nouveau monde a tressailli d'indignation lorsqu'il a vu que les Empires du contre
européen, après avoir déchaîné la guerre sans provocation et sans excuses, la pour-
suivaient par l'incendie, le pillage ot le massacre d'êtres inoffensifs.
L'intervention des Etats-Unis a été plus et mieux qu'un grand événement politique
et militaire: elle a été un jugement souverain, porté devant l'Histoire par la haute
conscience d'un peuple libre et de son premier magistrat, sur les responsabilités
énormes encourues dans la lutte effroyable qui déchirait l'humanité.
Ce n'est pas seulement pour se protéger eux-mêmes contre les audacieuses tenta-
tives de la mégalomanie germanique que les Eiats-Unis ont équipé des flottes et créé
des armées immenses; c'est aussi, et surtout, pour défendre un idéal de liberté sur lequel
ils voyaient s'étendre tous les jours davantage l'ombre démesurée de l'aigle impériale.
Fille de l'Europe, l'Amérique a traversé l'océan pour arracher sa mère à Thumi-
liation de la servitude et pour sauver la civilisation.
Le peuple américain a voulu mettre fin au plus grand scandale qui se fût jamais
produit dans les annales du genre humain : des gouvernements autocratiques ayant
préparé, dans le secret des chanc^oUeries et des états-majors, un programme insensé
de domination universelle; ayant, à l'heure fixée par leur génie d'intrigue, lâché leurs
meutes et sonné la curée; demandant à la science, au moment même où elle com-
mençait à supprimer les distances, à rapprocher les hommes et à rendre la vie plus
douce, d'abandonner le cie! lumineux où elle avait pris son essor et de venir se mettre
docilement au service de la violence ; abaissant l'idée religieuse jusqu'à faire de Dieu
l'auxiliaire complaisant de leurs passions et le complice de leurs forfaits; ne comptant.
Vue extérieure du Palais d'Orsay, situé sur le quai d'Orsay, à Paris, où se tiennent les séances de la Conférence de la pMi.
— 723
Le salon de
(C'est dans ce mêtiie salon de
en un mot, pour rien ni les tradilions et les volon-
tés des peuples, ui la vie dos citoyens, ni riion-
neur des femmes, ni aucun de ces principes d«
morale publique et privée quo nous avons cherclio,
quant à nous, à no pas laisser altérer parla guerre
et que les nations, pas plus que les individus, ne
sauraient impunément répudier ou méconnaître.
Pendant que, do proche en proche,Ja lutte en-
gagée s'étendait sur toute la surface do la terre,
résonnaient çà et là des bruits de chaînes se-
couées, et des nationalités captives nous appe-
laient au secours, du fond de leurs geôles sécu-
laires. Bien plus, elles s'échappaient pour venir à
notre aide. La Pologne ressuscitée nous envoyait
des troupes. Les Tchéco-Slovaques conquéraient on
Sibérie, en France, en Italie, leur droit à l'indo-
pendance. Yougo- Slaves, Syriens et Libanais ,
Arabes, tous les peuples opprimés, toutes les
victimes, longtemps impuissantes ou résignées,
des grandes injustices historiques, tous les martyrs
du passé, toutes les consciences violentées, toutes
les libertés étouffées se ranimaient au bruit de nos
armes et se tournaient vers nous comme vers leurs
défenseurs naturels.
Si bien que, peu à peu, la guerre a pris la plé-
nitude de son sens initial et qu'elle est devenue,
dans toute la force du terme, une croisade do
l'humanité pour le droit; et, si quelque chose peut
nous consoler, en partie, des deuils qui nous ont
frappés, c'est assurément la pensée que notre vic-
toire aussi est la victoire du droit.
Cette victoire est totale, puisque l'ennemi n'a
riemandé l'armistice que pour éviter un irrémé-
diable désastre militaire, et de cette victoire to-
tale il vous appartient de tirer aujourd'hui, dans
l'intérêt de la justice et de la paix, les consé-
quences totales.
Pour mener à bien cette tâche immense, vous
n'avez voulu admettre, tout d'abord, à ces grandes
assises que les nations alliées ou associées et, pour
autant que leurs intérêts seront engagés dans les
débats, les nations demeurées neutres. Vous avez
pensé que les conditions de la paix devaient être arrêtées entre nous avant d'être
communiquées à ceux contre qui nous avons ensemble combattu le bon combat. La soli-
darité qui nous a unis pendant la guerre et qui nous a valu le succès do nos armes doit
subsister tout entière pendant les négociations et après la signature du traité. Ce ne
sont pas seulement des gouvernements qui sont représentés ici; ce sont des peuples
libres. A l'épreuve du danger, ils ont appris à se connaître et à s'entr'aider. Ils veulent
que leur intimité d'hier serve à leur assurer la tranquillité de demain. C'est en vain
que nos ennemis chercheraient à nous diviser. S'ils n'ont point encore renoncé à leurs
manœuvres accoutumées, ils s'apercevront vite qu'elles se heurtent aujourd'hui, comme
pendant les hostilités, à un bloc homogène que rien ne pourra désagréger.
Dès avant l'armistice, vous avez placé cette union nécessaire sous l'égide des hautes
vérités morales et politiques
dont M. le président Wilson
s'est fait noblement l'inter-
prète, et c'est à la lumière
do ces vérités que vous en-
tendez accomplir votre mis-
sion.
Vous ne chercherez donc
que la justice, et «une justice
qui n'ait point de favoris » :
justice dans les problèmes
territoriaux, justice dans les
problèmes financiers, justice
dans les problèmes écono-
miques.
Mais la justice n'est pas
inerte ; elle ne prend pas son
parti de l'injustice; ce qu'elle
réclame d'abord, lorsqu'elle
a été violée, ce sont des res-
titutions et des réparations
pour les peuples et les indi-
vidus qui ont été dépouillés
ou maltraités. En formulant
cette revendication légitime,
elle n'obéit ni à la haine, ni
à un désir instinctif et irré-
fléchi de rcpré.saiiles ; elle
poursuit un double objet: ren-
dre à chacun son dû et ne pas
encourager le recommence-
ment du crime par l'impunité.
Ce que la justice réclame
encore, sous l'inlluence des
mêmes sentiments, ce sont des sanctions contre les coupables et des garanties efficaces
contre un retour olfensif de l'esprit qui les a pervertis. Kt elle est logique en deman-
dant que ces garanties soient données, avant tout, aux nations qui ont été, et qui
peuvent être encore, le plus exposées à des agressions ou à des menaces, à celles qui
ont maintes fois risqué d'être submergées sous le flot périodique des mêmes invasions.
Ce quo la justice exclut, ce sont les rêves do conquête et d'impérialisme, le mépris
des volontés nationales, les échanges arbitraires de provinces entre Etats, commo si
les peuples « n'étaient que des meubles ou des pions dans un jeu ». Le temps n'est
plus où les diplomates pouvaient se réunir pour refaire, d'autorité, sur un coin de
table, la carte des empires. Si vous avez Â, remanier la carte du monde, c'est au
nom des peuples et à la condition de traduire fidèlement leurs pensées, de respecter
le droit des nations, petites et grandes, à disposer d'elles-mémea et de le concilier
avec le droit, également sacré, des minorités ethniques et religieuses. Besogne for-
Georges Clemenceau,
président de la Conférence de la paix.
l'Horloge (ou de la Paix), au Palais d'Orsay, ou siège la Conférence de la paix.
l'Horloge que fut sif^nc, le 30 mars 1856, le traité de Paris qui mettait Ru à la guerre de Crimée.)
midablo, que la Science et l'Histoire, vos deux conseillères, se chargeront d'éclairer
et d'alléger.
A tous ces peuples qui se constituent ou se reconstituent en Etats, à ceux qui
veulent s'unifier avec leurs voisins, à ceux qui se divisent en unités distinctes, à ceux
qui se réorganisent suivant leurs traditions retrouvées, à tous ceux, enfin, dont vous
avez déjà consacre ou dont vous consacrerez bientôt la liberté vous vous efforcerez
naturellement d'assurer les moyens matériels et moraux d'existence ; vous ne les appel-
lerez pas à la vie pour en faire aussitôt des condamnés à mort; vous voudras que 1&,
comme partout, votre œuvre soit féconde et durable.
En même temps que vous introduirez ainsi dans le monde le plus d'harmonie pos-
sible, vous instituerez, conformément à la quatorzième des propositions qu'ont unani-
mement adoptées les grandes puissances alliées, une Ligue générale des nations, qui
sera une garantie suprême contre de nouveaux attentats au droit des gens. Dans votre
pensée, cette association internationale ne sera, pour l'avenir, dirigée contre personne ;
elle ne fermera, de parti pris, ses portes à personne; mais, organisée par les nations
qui se sont sacrifiées à la défense du droit, elle recevra d'elles ses statuts et ses règles
fondamentales ; elle fixera des conditions auxquelles se soumettront ses adhérents
immédiats ou futurs et, devant avoir pour but essentiel de prévenir, dans la mesuro
du possible, le recommencement des guerres, elle cherchera, avant tout, à faire res-
pecter la paix que vous aurez établie et aura d'autant moins de peine A la maintenir
que cette paix portera en elle-même de plus grandes réalités de justice et de plus
sûres précautions de stabilité.
En établissant cet ordre nouveau, vous répondrez aux aspirations de l'humanité,
qui, après les terribles secousses de ces années sanglantes, souhaite ardemment de se
sentir protégée, par un concert des peuples libres, contre les réveils toujours possibles
de la sauvagerie primitive.
Une gloire immortelle s'attachera aux noms des nations et des hommes qui auront
voulu collaborer à cotte œuvre grandiose dans la foi et la fraternité et qui auront soi-
gneusement travaillé à éliminer de la paix future les causes d'ébranlement et de fragilité.
Il y a quarante-huit ans, jour pour jour, le 18 janvier 1871, l'empire d'Allemagne
était proclamé par une armée d'invasion, dans le ch&teau de Versailles. Il demandait
au rapt de deux provinces françaises sa première consécration. Il était ainsi vicié
dans ses origines mêmes et, par la faute de ses fondateurs, il contenait en lui un
germe de mort. Né dans l'injustice, il a fini dans l'opprobre. Vous êtes assemblés pour
réparer le mal qu'il a fait et pour on empêcher le retour. Vous tenez dans vos
mains l'avenir du monde. Je vous laisse. Messieurs, à vos graves délibérations, et je
déclare ouverte ta Conférence de Paris.
Le discours terminé, les délégués s'assoient. A plttsieurs reprises^ des murmures
npprobatifs avaient souligné des passages de cette éloquente et nobte allocution, mais le
protocole interdisait tout applaudissement.
Le sous-lieutenant interprète Manloux, placé à l'intérieur du fer à cheval formé par
In table, se lève et traduit en anglai: te discours présidentiel.
te président de la Hépubligue fait ensuite le tour de la table en eomiMnçaHt par îa
droite et serre la viain de chaque délégué, puis tl se retire.
M. Georges Clemenceau pretid alors sa place et annonce qtte, président provisoire,
il va faire procédera l'élection du président définitif et du Imreau. M. WtlsoH^ assit à
sa droite, se lève aussitôt et, en tenues très cordiaux {v. le Bulletin de guerre de ce n"),
demande aux délégués de donner la présidence à M. Clemenceau. .1/. Lloyd George se lève
a son tour et s'msocie pleinement à l'hommage que le président Wi/son vient de rendre
à notre premier ministre et à la France. M. le baron Sonnmo, enfin, appuie ta proposition
de MM. Wilson et Lloyd George. M. Clemenceau est élu à l'unanimité président de la
Conférence de la paix.
M. Clewencean exprime sa profotuie gratitude aux ilbutre* kommé$ d'Etat qui
viennent de faire son éloge et, dans une alloeution pleine d'etprit et d'amattililé, il attribue
son élection à la tradition internationale de courtoisie envers le pays qui a l'honneur tîv
recevoir la Conférence,
7:24
représenlanls des grandes puissances. Nous l'avons
dit bien des l'ois, et il n'est pas l)esoin d'être grand
clerc pour le comprendre, celte question domine
toutes les autres. Le monde civilisé ne peut vivre
normalemenllant qu'un Etat aussi considérable sera
aussi profondément troublé, et il n'y a aucune vrai-
semblance que sa guérison vienne de lui-même.
Au moment où l'on veut établir une paix perpé-
tuelle, il est inadmissible qu'on laisse la guerre et
la baibarie eusanglanler une partie de l'Kurope.
D'autre part, on peut admetlje qu'après avoir pesé
toutes les responsabilités, les puissances, avant
d'en venir à la manière forte contre ceux qui em-
pêchent ce pays de renaître, aientjugé utile d'épuiser
tous les moyens pacifiques. Il faut mettre aussi en
balance qu'on a pu penser, notamment en Angle-
terre, que le gouvernement bolcheviste sentait le
besoin d'enlreren conversation. De Suède, il avait
fait offrir par son ancien envoyé à Londres, Litvinof,
une sorte de couipromisqui eût garanti les inlérêls
financiers de l'Eiitenle en Russie. Il est, d'ailleurs,
certain que Lloyd George était d'avis que la Con-
férence devrait appeler à Paris les représentants des
bolcheviks. Celle opinion, très discutable, n'avait
pas de chances d'êlre acceptée par la France, et
Wilson proposa, et fit accepter, le principe d'une
Conférence spéciale qui réunirait à l'Ile Prinkipo,
dans la mer de Marmara, les représentants des
grandes puissances et ceux de « tout groupe orga-
nisé qui exerce actuellement, ou qui tente d'exercer,
une autorité politique ou un contrôle militaire où
que ce soit en Sibérie, ou dans l'inlérieur des fron-
tières de la Russie d'Europe, telles qu'elles étaient
avant la guerre qui vient de s'achever (excepté en
Finlande et en Pologne) •>. La seule condition posée
était d'i< établir une trêve entre les partis invités et
que toutes les forces armées envoyées ou dirigées
contre les peuples du territoire en dehors des fron-
tières de la Russie d'Europe ou contre la Finlande,
ou contre des peuples ou des territoires dont l'au-
tonomie est envisagée dans les quatorze articles
sur lesquels sont basées les présentes négociations
de paix, soient entre temps retirées et que toute
action offensive militaire cesse ».
On doit à la stricte vérité de dire que cette initia-
tive pacifique caasa une vive surprise et qu'elle fut
accueillie assez froidement. Les groupements russes
existant en France ne lui ménagèrentpas leurs criti-
ques et, à la fin du mois, on n'avait encore aucune ré-
ponse officielle d'aucun gouvernement russe hostile
aux bolcheviks. Senl, le gouvernement de Moscou,
non sans unecertainehàtequi n'apasété assez remar-
■quée et sous la forme d'un télégramme diffus et
agressif de ïchitcherine, ne repoussa pas l'invitation
qui lui était adressée, mais déclara se refuser à une
réunion dans l'île Prinkipo. Les bolchevisles ne
pouvaient, évidemment, trouver leur compte & une
conversation qui ne serait pas, pour eux, l'occasion
d'une propagande sur un terrain propice. U n'est
pas inutile de rappeler que le télégramme de Tchit-
«herine, qui avait l'apparence d'une demande de
renseignements, fut adressé en copie par son auteur
à un journal français, qui apparut ainsi, non sans
que le public s'en émût, comme le correspondant
à Paris du gouvernement de Moscou. Mais celle
manifestation officieuse n'avait été, au 31 janvier,
■encore suivie d'aucune confirmation officielle, et on
savait seulement qu'en Russie le gouvernement de
Lénine avait pris acte des propositions de l'Enlenle
■comme d'un aveu de faiblesse et d'une capitulation
des partis bourgeois. Si l'on rapprochait cette inler-
prétation d'une effronterie audacieuse de la situation
critique des bolcheviks du côté de l'Esthonie et de
l'Oural, on devait se demander si Lénine n'avait
pas vu dans la proposition de conférence amiable
un moyen de sauver sa situation et, par suite, si
l'invitation même n'avait pas été une généreuse
erreur. Aucune conclusion n'était permise.
Cette invitation si discutée avait été suivie immé-
diatement d'une injonction à tous les Etats nouvel-
lement constitués d'avoir à cesser toute tentative de
s'emparer par les armes de territoires contestés. Si
juste que fût ce conseil énergiquement formulé, il
apparut à beaucoup comme un peu brusaue et sans
nuances.
Le second acte important de la Conférence avait
été la résolution du 25 janvier, relative à la Ligue
des nations. Il avait été décidé d'étudier la création
d'une ligue qui serait « un organe de coopération
internationale », qui assurerait « l'accomplissement
des obligations internalionales contractées » et qui
fournirait « des sauvegardes contre la guerre ». Celte
ligue ferait partie intégrante du traité de paix et
comporlerait une organisation permanente et un
secrétariat pour suivre les affaires pendant l'inter-
valle des réunions. La nomination de la commission
chargée d'étudier la question n'avait pas été sans
amener quelque agitation dans la Conférence, à
propos de la représentation des petites puissances
auxquelles on n'accordait que cinq représentants en
tout, et il avait fallu la franchise un peu rude de
■Clemenceau pour faire accepter celte décision. 11
est trop tôt pour parler de la Ligue des nations et
des diverses solutions — Ligue ou Société ^ qui
LAROUSSE MENSUEL
s'offrent pour la constitution de cet organe nouveau,
d'un maniement si délicat. Mais nous ne pouvons
passer sous silence l'existence d'un projet allemand,
combiné en vue de l'intérêt allemand, et qui ferait
de la Ligue des nations une puissance indépendante
et supérieure superposée à toutes les nations, sorte
d'internationalisme autoritaire, qui, en fait, concen-
trerait en ses mains, en vue de l'Allemagne, tous les
grands ports et toutes les grandes voies de commu-
nication : preuve complémentaire des intentions
dans lesquelles l'Allemagne abordera les négocia-
tions de paix.
Enfin, la Commission des Dix avait discuté la
question des colonies allemandes. On s'était trouvé
là en présence de théories et d'ambilions fort di-
verses. Avec une grande netteté les Dominions
australien, néo-zélandais et sud-africain avaient
réclamé les possessions allemandes du Pacifique
méridional et d'Afrique, et la France avait affirmé
ses droits sur le Togo et le Cameroun. Mais la thèse
de l'annexion étant contraire aux bases posées par
le président Wilson, on en était venu, avec l'assen-
timent de Lloyd George, à envisager la possibi-
lité, pour les Etats qui revendiquaient les colo-
nies allemandes et les possessions turques d'Asie
Mineure, d'être mis en possession de ces territoires
eu vertu d'un maiidat de la Société des nations. Ce
mandat comporlerait des modalilés différentes, sui-
vant oue les pays envisagés seraient plus ou moins
capables de se gouverner eux-mêmes.
L'initiative de ce compromis, qui avait été donné
comme provisoire et qui, d'ailleurs, devait, pour
passer dans la réalité, être approuvé par les Parle-
ments des nations intéressées, avait, dès qu'il avait
été connu, suscité d'assez vives discussions, et il
semblait bien qu'il ne donnait que des satisfactions
insuffi-santes. U avait ledéfaut primordial, au surplus,
de prévoir dans la grave question coloniale l'inter-
vention de la Ligue des nations, qui n'existait pas
encore et qui, même avant que de naîlre, se trouvait
dotée d'une grave et lourde responsabilité.
Ce qui précède — et toute cette chronique — suffit
h nous convaincre des difficultés multiples qui se
dressaient devant la Conférence. Beaucoup s'étaient
étonnés qu'elle n'eût pas commencé par régler les
questions territoriales, dont l'urgence apparaissait
chaque jour un peu plus. On sentait qu'un haut
idéalisme présidait aux délibérations et les inspi-
rait. Mais l'admiration que l'on éprouvait k voir
tant de peuples planer avec sérénité dans l'absolu
ne pouvait faire oublier que tous, ans.';!, avaient be-
soin d'une paix prompte, qui coupât court aux ambi-
tions exagérées ou aux intrigues dangereuses, qui
fixât très nettement pour l'avenir les garanties
réclamées par la France contre les attaques ulté-
rieures de l'Allemagne et qui permît aux uns d'or-
ganiser leur vie naissante, aux autres de s'occuper
de leurs affaires intérieures négligées depuis 1914
et, elles aussi, très pressantes. Un peu partout,
il fallait regarder au dedans de soi. L'Angleterre
avait la question d'Irlande et, avec quelque flegme
qu'elle regardât l'hypothétique république procla-
mée par les Sinn-Peiners, elle devait souhaiter
de résoudre cette lancinante question. Chez elle,
comme en France, les questions sociales et l'or-
ganisation nouvelle du travail réclamaient la plus
grande attention. Il était à craindre que les con-
férences internationalistes, que les socialistes al-
laient tenir à Berne, toute réserve faite sur le senti-
ment pénible qu'inspirait celte collaboration avec
nos ennemis, que les Français n'avaient pas su,
comme les Belges et les Américains, répudier, ne
posât le problème en des termes excessifs. La grève
d'une minute des employés de la Compagnie P.-L. -M.
n'était rien en elle-même ; elle était un symptôme
que personne ne devait négliger.
De la solution qui serait donnée aux problèmes
du travail, autremen l importants que la question élec-
torale, pouvaient dépendre la tranquillité intérieure
et l'avenir économique non seulement de la France
et de l'Angleterre, mais du monde entier. Tout en
se gardant, comme nous l'avons dit en débutant, de
jugements hâtifs, on devait donc souhaiter, à la fin
de janvier, que les travaux de la Conférence de la
paix fussent poussés vigoureusement vers les réali-
sations concrètes.
La France avait besoin de se refaire. Les régions
libérées ne revenaient que lenlement à la vie. 11
fallaitreronstiluer notre industrie, refaire la grande
famille française en fondant de nouveau, avec toutes
les transitions nécessaires, l'Alsace et la Lorraine
dans l'unité nationale. Un avenir de travail et de
prospérité s'ouvrait devant nous. Pour ne plus nous
occuper que de lui, nous devions avoir le droit de
ne plus penser à la guerre que pour nous souvenir
de la méfiance qu'elle nous impose. Nous désirions
nous appuyer en toute tranquillilé sur un solide
traité de paix. La générosité du peuple français le
disposait naturellement à collaborer au progrès de
l'humanité et à la constilulion d'un organe viable
de paixet d'union internationales. Saraison, toujours
droite et claire, le gardait du sentimentalisme huma-
nitaire et utopique. Il attendait de la Conférence un
impartial arrêt de justice, et la cause lui paraissait
Jules Qulffirey.
«• 145. Mars 1919.
assez entendue pour qu'on ne risquât pas d'égarer
le tribunal par d'interminables et épisodiques
plaidoiries. — Jule» Oerbault.
GuiiTrey (Ju/es-Marie-Joseph), écrivain d'art
et érudit français, né à Paris le 29 novembre 1840,
mort dans celte même ville le 26 novembre 1918.
Jules Guiffrey fut un des historiens de l'ait et un
des érudits dont peut s'honorer la science française.
Après de brillantes éludes h l'institution Massin,
il entra à l'Ecole des chartes en 1858. U en sortit
le second de sa promotion eu 1863. Sa famille étant
originaire du IJauphiné.il présenta comme thèse une
Histoire de la réunion du Dauphiné à la France.
Ce travail lui valut la première médaille au concours
des antiquités de la France en 1865. Jules Guiffrey
enlra alors, en 1866, comme archiviste, aux Archi-
ves de l'empire. Il y demeura vingt-sept ans.
L'heure était à l'interprétalion intelligente des
documents d'archives. Le comte de Laborde venait,
avec son Histoire des ducs de Bourgogne, d'en
donner un exem-
ple. Le marquis
de Chennevières
avait fait appel
à tous ceux qui
pouvaient l'aider
dans la réalisa-
tion des^rcAiues
de l'art français
qu'il projetait.
Jules Guiffrey y
collabora assidû-
ment, lorsque la
sociétédecenom
fut fondée. Le
marquisdeChen-
nevières lui ren-
dait hommage en
l'appelant «le
vaillant, le te-
nace ». C'est en
effet grâce à lui
que ce recueil si utile aux historiens fut continué
après la mort de son fondateur et que la Société
de l'histoire de l'art français prit un grand essor.
Jules Guiffrey trouvait ainsi dans l'histoire de
l'art un aliment âson activité. L'Exposition de 1876
détermina une orientation précise de ses études; il
s'intéressa particulièrement aux tapisseries exposées
au Palais de l'industrie. Cela l'incita à étudier di'
plus près cet art. 11 publia d'abord un ouvrage sur
les tapisseries françaises, puis, quelques années plus
tard, une Histoire générale de la tapisserie (1886)
qui eut un grand succès. Dès lors, il se consacra
presque exclusivement â cette étude.
Le 1'"' février 1893, il fut nommé administrateur
de la manufacture des Gobelins; — il était membre
de la commission des Gobelins depuis 1883. — 11
demeura à ce poste jusqu'en 1908. Ses travaux anté-
rieurs luidonnaientà cettefonctiondestitresparticu-
lièrement appréciables. 11 s'efforça de faire adopter
à la manufacture un certain nombre de réformes
qui lui semblaient nécessaires pour rendre à la ta-
pisserie les caractères qu'elle présentait à ses plus
belles périodes, c'est-à-dire, à son avis, avant la lin
du xv» siècle, lorsque la tapisserie était un art indé-
pendant du tableau.
La classification scientifique des teintes faite par
son prédécesseur Chevreul, en mettant à la disposi-
tion de l'artiste tapissier une palette d'une étendue
presque infinie, avait abouti à un abus de la dégra-
dation des tons qui lui semblait une virtuosité de
décadence, car le but de la tapisserie n'est pas de
donner l'illusion du pinceau. Il en résultait, en effet,
une mollesse d'exécution très sensible dans les tra-
vaux de cette époque et que le temps, en faisant
passer certains tons, rendit encore plus sensible. Il
se proposa donc de revenir à la franchise du travail
obtenu avec un petit nombre de tons, ce qui avait,
en outre, l'avantage de permettre des effets plus tran-
chés, puisqueles moyens par lesquels on les obtenait
étaient plus simples. Jules Guiffrey préconisa les
hachures franches, au lieu du dégradé, dans le trai-
tement des modelés et des ombres. Il reromnianda,
par suite, l'interprétation du modèle, au lieu de sa
copie servile et minutieuse. Mais ses efforts ne se
bornèrent pas à ces modifications de technique; il
voulut aussi revenir k la véritable tradition de la
destination précisedes œuvres, et il incita les artistes
auxquels il fit des commandes à travailler spéciale-
ment pour la traduction en tapisserie. (Luc-Olivier
Merson, Albert Maignan, Jean-Paul Laurens lui
fournirent des cartons; ce dernier exécuta pour les
Gobelins les six sujets de la Vie de Jeanne d'Arc
qui comptent parmi les belles pièces sorties de la
manufacture). 11 s'efforça aussi de ne livrer aucun
travail sans s'être enquis du cadre qu'il servirait à
décorer, afin d'en harmoniser les éléments; c'est
ainsi qu'il commença, pour divers hôtels de ville
(Rennes, Bordeaux, etc.), la série dite des Villes
de France.
Sous sa direction, l'habileté manuelle de nos ar-
tistes tapissiers se manifesta, à deux reprises, d'une
«• M5 Mars 1919
LAROUSSE MENSUEL
725
Ouverture de la Conférence de ta paix, dans le salon de l'Horloge du ministère des Affaires étrangères, le IS janvier, à 15 heures. — L'offlcier intcrpi'i-'ttï Mantoux lit la traduction en langue anglaise
du magnifique discours que vient de prononcer M. Raymond Poincaré, président de la République française.
façon éclatante, lorsqu'il entreprit la traduction en
tapisserie delà Sirène et le Poêle, de Gustave Moreau
(pour le Luxembourg) et du fn'niem/js de Botlicelli.
A l'E-xposilion de 1900, la série des tapisseries
exécutées sous sa direction ayant été exposée fut
très admirée. Il avait été nommé, en 1884, clievalier
<le la Légion d'honneur; il reçut la rosette d'offi-
cier à cette occasion. Il était entré à l'Académie des
beaux-arts en 1899. En 1908, il fut admis à faire
valoir ses droits à la retraite.
Son activité d'érudit ne se spécialisa pas dans la
seule histoire de la tapisserie; ses travaux d'érudi-
tion sont nombreux et variés. La bibliographie de
ses œuvres complètes, publiée en 1916 par les Archi-
ves de l'art français, comprend 922 numéros. Citons,
parmi ceux-ci : un Catalogue de l'œuvre de
Charles Jacque (1866); une Table générale des
artistes ayant exiiosé aux Salons du xviii" siècle
(1869); la collection des Livrets des anciennes ex-
positions de V Académie roi/ale, celle des Livrets
des exposiiions de P Académie de Saint-Luc, les
Comptes rendus des bâtiments du roi, une Etude
sur les Caffieri, que GuifTrey fut le premier à
mettre en vedette en extrayant des archives et
des mémoires contemporains un grand nombre de
notes et de renseignements inédits. Ce livre, daté
de 1877, est très important et fait encore autorité. 11
publia, en outre, les Lettres inédiles d'Eugène
Delacroix (1878); une étude sur les Tapisseries des
amours de Gomhaut et Macé (1883); llnveritaire
général du mobilier de la couronne sous Louis XIV
(1885); une Liste des conventionnels (1892); les
Tapisseries de la Couronne autrefois et aujour-
d'hui (1893); Pierre le Grand à la manufacture
lies Gobelins (1899); VInventaire du duc Jean de
Berrij (1896); les Débuts de la correspondance des
directeurs de l'Académie de France à Rome, publi-
cation féconde en aperçus nouveaux sur les artistes
a prix de Home ••; l'Inventaire des tapisseries du
garde-meuble (1900); une Elude sur les tapisseries
de la cathédrale de Strasbourg (1900); les Du-
monslier dessinateurs de portraits (1905) ; la
Liste des pensionnaires de l Académie de France
à Rome (190S); André le Nostre (1913); des Docu-
ments sur les artistes parisiens desx\i'el xvu" siè-
cle (\9lâ).
Jules Guidrey a publié, en outre, un grand nom-
bre d'articles, d'études, dans les revues d'art, dans les
recueils de la Société d'histoire de l'art français.
11 laisse inachevée une grande Histoire de la tapis-
serie et une grande quantité de notes, d'ouvrages
en cours d'exécution, d'articles, etc. Sa réputation
était plus grande à l'étranger peut-être qu'en
France, surtout en Angleterre et en Amérique, et
il avait été honoré de décorations par le Portugal,
la Russie, le Danemark, la Suède, la Norvège.
Détail touchant, qui peint un caractère : ce grand
éiudit, dont la pensée voyagea à travers le temps
et dans la poussière de l'histoire, s'est éteint dans
la maison où il était né, presque exactement soixante-
dix-huit ans plus tôt. — Jean-Gabriel Leuoime.
Lettres inédites à sa mère, par Char-
les Baudelaire. Préface et notes de Jacques Crépet
(Paris, 1918). — C'est là un des livres les plus émou-
vants qu'il y ait eu au monde. Baudelaire avait rêvé
d'écrire ses confessions; il en avait trouvé le titre :
Mon cœur mis à nu. Ce devait être un ouvrage de
rancunes, où il eût fait sentir sans cesse comment il
se sentait « étranger au monde et à ses cultes »-. Il
ne l'a pas écrit, mais nulle part son cfeur ne pouvait
être mis plus à nu que nous ne le voyons dans ces
pages frémissantes que l'on publie aujourd'hui. 11
saigne devant nous. Et, certes, ce n'est pas un livre
de rancunes, c'est un livre de douleur. La sincérilé y
est si profonde, les cris qu'on y entend pousser sont
si vifs que l'on ne peut pas ne pas être étrangement
troublé. Catulle Mendès ne voulait pas la publication
de ces lettres; et, sans doute, Baudelaire, lui aussi,
les eût voulues secrètes. N'écril-il pas dans l'une
d'elles : « Puissent de pareils aveux — ou pour vous
ou pour moi — n'être jamais connus des hommes vi-
vants et de la postérité I Car je crois encore que
la postérité me concerne. On ne voudrait pas croire
qu'un être raisonnable et issu d'une mère bonne et
sensible soit tombé dans de pareils étals. Aussi, que
cette lettre adressée uniquement à vous, la première
personne à qui je fais de pareilles confidences, ne
sorte pas de vos mains. Vous devez trouver dans
votre cœur des raisons bien suffisantes pour com-
prendre que de pareilles plaintes ne peuvent s'adres-
ser qu'à vous et ne pas sortir de vous. »
Mais ces aveux, maintenant connus, nerabaissent
pas l'homme, 11 faudrait être vraiment dépourvu de
tonte pitié pour les considérer aujourd'hui avec un
esprit de malice. Les misères du poète furent trop
vives, trop longues, trop continues pour que nous
ne senlioîis pas une immense compassion. Certes,
ces misères, il ne les doit qu'à lui, à sa sensibilité
excessive. Elles n'en furent pas moins réelles, et
l'on peut admirer qu'au milieu d'elles il ait pu tra-
vailler et édifler l'œuvre qu'il nous a laissée.
Dans une lettre qu'il écrit le 6 mai 1861, nous trou-
vons, en quelques phrases passionnées, comme un
résumé de sa vie : enfance heureuse vite partie, édu-
cation solitaire au collège, puis abandon et solitude.
« 11 y a eu dans mon enlaiice, écrit-il à sa mère,
une époque d'amour passionné pour toi : écoute et
lis sans peur. Je ne t'en ai jamais tant dit... De
longues promenades, des tendresses perpétuelles:
Je me souviens des quais, qui étaient si tristes le
soir. Ah 1 c'a été pour moi le bon temps des ten-
dresses maternelles... J'étais toujours vivant en
toi, tu étais uniquement à moi. Tu étais à la fois
une idole et un camarade... Plus tard, tu sais
quelle atroce éducation ton mari a voulu me faire;
j'ai quarante ans, et je ne pense pas aux collèges
sans douleur .. Enfin, je me suis sauvé, et j'ai été
dès lors tout à fait abandonné. Je me suis épris
uniquement du plaisir, d'une excitation perpétuelle;
les voyages, les beaux meubles, les tableaux, les
filles, etc. J'en porte cruellement la peine aujour-
d'hui. » Il pousse ce cri : « Je suis vieux et malheu-
reux; » et, suppliant sa mère : «Tu t'es toujours
sacrifiée. "Tu n'as que le génie du sacrifice. Moins
de raison que de charité. Je te demande plus; je le
demande à la fois conseil, appui, entente complète
entre toi et moi, pour me tirer d'alTaire. Je l'en sup-
plie, viens, viens, je suis à bout de force nerveuse,
à bout de courage, à bout d'espérance. Je vois une
continuité d'horreur. »
Ah I que l'on ne dise pas que de pareilles plaintes,
de tels gémissements peuvent rabaisser un nomme,
peuvent le faire apparaître en posture ridicule. Il
n'y a là que de la souffrance, que de la misère, et
c'est un llls qui parle à sa mère.
Il n'y a pas de monotonie dans ces lettres. Il n'y
a pas de monotonie dans la douleur : « Je t'en sup-
iilie, écrivait-il encore, le repos, donne-moi le repos,
le travail et un peu de tendresse. » Toute sa vie, il
courut après ce repos, loin duquel il travailla pour-
tant; il se réfugia auprès de cette tendresse, qui ne
le comprenait pas toujours.
Dans le recueil que l'on publie aujourd'hui, la pre-
mière lettre est datée du 16 juillet 1839. La dernière
est datée de Bruxelles, 30 mars 1866; mais ce n'est
pas lui qui l'a écrite, il n'a fait que la dicter. Déjà,
lo mal le terrassait. La dernière qui soit de sa main
est du 20 mars, et l'écriture en est bien tremblée,
la pensée bien incertaine.
On y a joint quelques billets écrits à son beau-
père, le général Aupick, dans lesquels il essaye de
lui persuader qu'il n'est pas un grand scélérat, mais
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un bon i^arçon. Mais il ne peut vivre, pourtant, comme
celui-ci le voudjail; il ne peut être traité comme
celui ci le tniile. C'est pourquoi il abandonne le
domicile familial. L'almosphère même de la maison
lui est insupportable. Il préfère sa solitude, même
dans un petit hôtel borgne et introuvable. Car c'est
là une des origines du drame.
La mère de Baudelaire s'était remariée, et il y avait
trop d'incompatibilité d'humeur entre son fils etson
mari pour qu'ils pussent vivre ensemble. 11 n'y a
fas de coupable, et le beau-père croyait agir dans
intérêt de son beau-fils; et la mère, chaque fois
qu'elle le peut, envoie de l'argent à son fils. Mais il
a fait des dettes. On lui donne un conseil judiciaire.
Et lui, qui a la passion de son indépendance et qui
repousse avec fureur tout ce qui est attentatoire à
sa liberté, qui, pour cette liberté, a fui la maison de
sa mère, il est blessé à vif, d'une blessure qui ne
guérira jamais.
11 est malheureux, humilié, triste. Il a besoin
qu'on lui soit indulgent. 11 n'est pas fait comme les
autres hommes. Sa sensibilité le fait souffrir à
l'exlrême du moindre choc et, en même temps, il a
la pudeur de ses larmes et de ses cris; car, s'il se
luoulre tel qu'il est à sa mère, c'est qu'il s'adresse à
sa uirre et qu'à une mère on ne caclie rien; mais, s'il
lui dit toutes ses misères physiques et morales, sans
cesse il la supplie de ne pas mocilrer ses lettres, de
les garder secrètes. 11 a une susceptibilité extrême.
11 tombe dans l'indolence, dans la maussaderie,
dans l'ennui : « Supposez une oisiveté perpétuelle
commandée par un niahiise perpétuel, avec une haine
profonde de cette oisiveté et l'impossilulité absolue
d'en sortir, à cause du manque perpétuel d'argent. »
Tel est sou destin. Manque perpétuel d'argent pour
tout. Il n'a pas de quoi sepayer<lu linge. des habits.
Il n'a même pas l'argent nécessaire pour s'abrutir.
Il est obligé de travaillei' au cabinet de lecture ou au
café, alors qu'il lui faudrait la tranquillité tiède d'un
foyer familial. Mais c'est « la seule manière de tra-
vailler et de dépenser moins ». En un mois, il démé-
nage six fois.
Les œuvres d'imagination pure, les romans le
tentent, sans doute parce qu'il y a dans ces œuvres
une gravité, une beauté, un art particuliers, mais
surtout, parce que, bon ou mauvais, tout roman se
vend et nourrit son auteur. Pendant longlemps, il
a de vains espoirs. Il s'imagine que, sa dette payée,
sa destinée pourra glorieusement .s'accomplir. Mais
les déceptions accompagnent et suivent les espoirs.
Il voudrait, alors, sortir de lui-même. La solitude
l'exaspère. Mais commen t,sans argent, peul-on s'éva-
der de la solitude? Il voudrait dormir : mais com-
mentdormir sans penser? Sans cesse, des poursuites
le menacent. Dès qu'un déficit est coml)lé, un autre
se creuse. Alors, il s'acharne à ses espoirs : «.le ne
veux pas crever obscurément, gémil-il; je ne veux
pas voir venir la vieillesse sans une vie régulière ;
je ne m'y résignerai jamais » (et c'est lui qui sou-
ligne). Bientôt, il ne se reconnaît plus lui-même.
Trois sentiments ne le quillent plus : la peur de
mourir avant d'avoir achevé son œuvre, Ihorreur
de son conseil judiciaire, la peur de ne jamais pou-
voir se guérir de ses vices.
On sait qu'il était alleiut d'un mal sérieux, sous
lequel il devait finir par succomber. De violentes
crises l'alTaiblissaicnt et n'étaient pas sans exercer
une certaine inlluence sur ses pensées : « Depuis
plusieurs mois, je suis malade, écril-il en 18fi0, d une
maladie dont on ne guérit pas, de lâcheté et d'afi'ai-
blissement. Physiquement, cela se complique de
mauvais sommeil et d'angoisses ; tantôt la peur, tan-
tôt la colère. » Mais, plus il devient malheureux, plus
son orgueil augmente. Il ne perd pas pied. « Si ja-
mais homme a connu, jeune, le spleen et l'hypo-
condrie, certes, c'est moi. Et, cependant, j'ai envie de
vivre, et je voudrais connaître un peu la sécurité, la
gloire, le conleuiement de moi-même. Quelque
chose de terrible me dit : Jamais! et quelque autre
chose me dit, cependant : Essaye I »
Mais, bientôt, il n'a même plus envie de vivre, il
ne se sent plus le courage d'essayer, il est au bord
du suicide : « C'est surlout à cause d'une fatigue
épouvantable, qui résiille d'une situation impossible
trop prolongée. » 11 ne croit plus qu'il viendra à
bout de ses projets. 11 porte sur lui son conseil ju-
diciaire, comme une maladie honteuse. Il a horreur
de la vie. Il se l)rouille avec ses amis, avec des
revues, avec des éditeurs: et ses ressources en sont
encore réduites. 11 est prodigieusement impopulaire.
L'amitié, le luxe seraient pourtant des remèdes effi-
caces. Mais le travail même semble s'éloigner de
lui. Dans ses crises d'oisiveté, il s'imagine soudain
qu'il est désormais incapable d'effort. Alors, il se
jelle têtebaisséedans le tra\ ail pour s'essaycrencore.
Ses derniers espoirs furent pour la Belgique;
espoirsbienlôtdéçus. Arrivé à Hruxellesen avriHs64.
on devait l'en ramener apliasique et lamentable en
juillet 1866. Rien ne lui fut épargné. Les leclures
qu'on devait lui payer 200 francs ne les lui sont
payées que 50. Les livres qu'il voulait vendre à
Lacroix lui sont refusés. On l'accusa d'appartenir à
la police française. Les mœurs belges, le climat
belge lui sont insupportables. Sans cesse, il rêve
LAROUSSE MENSUEL
de Honfleur, où habite sa mère; mais il ne peut quit-
ter la Belgique, il n'a pas de quoi payer son hôtel.
Ses souffrances physiques s'aggravent. Une sorte de
torpeur l'immobilise : « Je ne veux pas garder le
lit, écrit-il, mais j'ai peur de travailler. » S'il a en-
core du courage, ce courage est violent, mais n'est
plus continu. Il ne veut plus que se venger des
hommes : « J'ai un besoin de vengeance comme un
homme fatigué a besoin d'un bain. » 11 est trop tard,
maintenant, pour faire fortune. Il est trop tard pour
avoir une vieillesse libre. 11 ne veut plus de verdeur
et d'énergie que pour soulager sa colère « par des
livres épouvantables ». o Je voudrais mellre la race
humaine tout entière contre moi. Je vois là une
jouissance qui me consolerait de tout ».
Car Paris n'a jamais été juste avec lui. II a Une
claire vision de ce qu'il a fait, de ce qu'il laisse :
" Je suis convaincu, écril-il, que, si peu d'ouvrages
que je laisse, ils se vendront fort bien après ma
mort. » Déjà il avait écrit des Fleurs du mal : « Je
sais que ce volume, avec ses qualités et ses défauts,
fera son chemin dans la mémoire du public lettré,
il côté des meilleures poésies de Victor Hugo, de
Th. (Sautier et même de Byron. »
Mais, maintenant, il n'ose retourner à Paris, par
peur de ne pas réussir. Il est dans un état somno-
lent. II souffre. II n'est plus maître de son temps.
Bientôt, il n'est plus maître de son esprit.
C'est à sa mère que sont écrites toutes ces lettres
où apparaît ainsi son cœur mis à nu el, dans ces
lettres, à la lumière de leurs aveux, nous aperce-
vons le visage de sa mère. La mère et le fils ne se
sont pas toujours compris. La mère avait un trop
grand besoin de parler toujours sagesse, et sagesse
mondaine. Des influences s'exerçaient sur elle, qui
n'étaient pas toujours favorables à son fils; et le fils,
excédé, ne fut pas toujours respectueux. Pouilant,
une tendresse pathétique les unit l'un à l'autre. « II y a
entre loi et moi, lui écrit-il, cette dilTérence que je le
sais par cœur et que tu n'as jamais pu deviner mon
misérable caractère ». Mais la mère, si elle est parfois
maladroite, fait tout ce qu'elle peut pour essayer de
rendre son fils heureux. Si elle ne réussit pas, il ne
lui en veut pas. N'est-ce pas lui qui devrait êlre
chargé du bonheur de sa mère? II a peur de la voir
mourir avant de lui a voir procuré ce bonheur; n toi.
lui écril-il, le seul être avec lequel je puisse vivre
doucement sans ruses, sans mensonge ». Et il lui
écrit encore : « Ma tendresse pour toi va augmentant
sans cesse. » — « Jamais une journée ne se passe
sans que je rêve à toi. » — « Ma pensée est toujours
dirigée vers toi. » Sans elle, il aurait n l'horrible
sensation d'un isolement absolu » ; et le plus cher de
ses rêves est de s'installer auprès d'elle, à Honlleur.
Dans celle vie misérable, elle fut le refuge loin-
tain, mais qui était précieux parce que le poète en
connaissait l'existence.
Et, maintenant, il faut ouvrir len Fleurs du mal
ouïes poèmes en prose, ces poèmes dont Baudelaire,
dans une de ses lettres, dit qu'ils sont le résultat
Il d'une grande concentration d'esprit ». On aimera
davantage le poète. — Jacques Bohpard.
Ijion devenu vieux (le), comédie en un
acte, en vers, par Auguste Villeroy, représentée pour
la première fois au théâtre nalioual de l'Odéon le
7 janvier 1919. — La scène est placée à Saint-Cloud
eii 1670, dans le salon de Henriette d'Angleterre,
fille de Henriette de France elde Charles I"d'AngIe-
/V" 145. Mars 1919.
terre, femme du duc d'Orléans, frère de Louis Xl'V.
On sait qu'elle eut pour son royal beau-frère un
sentiment fort vif; son amie M™" de Lafayelte a
conté avec quelle abnégation un peu théâtrale elle
le lit taire en elle. Mais elle voulut qu'il éclatât litté-
rairement pour la postérité. Se comparant à Béré-
nice, qui renonce héroïquement à Titus, elle fil faire,
par Corneille et par Racine à la fois, deux tragédies
ayant cet amour royal pour sujet.
Le thème choisi par Auguste 'Villeroy est la
commande que fait Madame Henriette à Corneille
d'un poème dramatique : Tile et Bérénice.
Madame est seule dans son salon. Elle sonne ua
laquais et dit :
Introduisez monsieur Corneille !
La conversation s'engage. Corneille, vieilli, ne
sort plus, ne voit plus le monde ni la cour. Madame
amène peu à peu Corneille à l'idée de rentrer en
scène en lui disant que le roi s'inquiète de son
silence. Le poète montre ici l'aigreur du caractère
maussade qu'on lui prêle el malmène Madame un
peu plus que de raison pour la vraisemblance. Il
est grognon, revêche, soupçonneux. Puis, soudain,
l'idée que lui suggère la princesse le ravit; il voit
le sujet à sa manière, par le grand côté héroïque :
Césîir, la destinée immense
Do rKmpire absorbant on lui tout l'univers !...
Titus Imporator conquérant la Judée,
Jiitapate vaincue, ainsi que Gamala...
I.'liistorion Josèphe épargné. Tout est là.
I.a majesté du clief et, devant ses coliortcs,
Jérusalem ouvrant toutes grandes ses portes.
Mais ce n'est point l'afi'aire de Henrielle, qui se
soucie peu de Jotapate el veut léguer à la postérité
le souvenir de son renoncement amoureux :
Non, laissez ! ce que l'on vous demande.
Ce n'est pas un César qui lit Rome plus grande...
Ne pensez ipi'à ta Cour !
— Mais do quoi faudra-t-il que je parle ?
— D'amour.
Doux espoirs! doux regrets! de constantes atariuesl
Deux cœurs cpio le destin oblige à se quitter.
Ktqui, meurtris descoups qu'ils doivent se porter.
Gémissant des liens charmants qui les encliaînent»
Se séparent toujours et toujours se reprennent.
La tragédie unique et tendre, la voilà...
Et je veux, aussi moi, comme un écho complice,
Ktitendre soui)irer Tite avec Bérénice...
Ali ! la gloire n'est pas non plus toute l'histoire,
Kt l'amour a sa place à côte de la gloire.
C'est lui, surtout, c'est lui dont les traits éclatants
Peuvent se retrouver dans le miroir des temps...
Ne doutons point, monsieur, que, dans toute saison.
Les cœurs ont soupiré d'une même façon.
Il fut toujours, il fut des âmes déchirées.
Des sanglots retenus, des larmes dévorées ;
Kome ot la Grèce ont vu l'un vers l'autre venir,
Tout comme nous, des cœurs qui rêvaient de s'unir ;
D'abord même espérance et puis même supplice,
Et toujours Calypso portant le deuil d'Ulysse...
La douleur, voyez-vous, cela ne meurt jamais.
Quelqu'un me l'a transmiseet, moi, je la transmets !
Dans des êtres nouveaux elle renaît sans cesse,
Kt Titus est toujours pleuré par sa Princesse.
Corneille, cette fois, en écoulant ces jolis vers, a
saisi el pénétré le secret princier :
Madame, je comprends tout à coup, et je vois
Pourquoi d'abord Titus a fixé votre choix,
... et j'admire.
Moi, l'humble confident d'un si rare martyre.
Que votre cœur permette à nos yeux indfscrets
De pénétrer dans l'omljre où dorment vos secrets.
Mais il hésite, il ne se sent plus apte à disserler
d'amour. Soit, répond Madame, Racine y pour-
voira! A ce nom, le vieux lion se réveille : il
traitera le sujet proposé. 11 demande seulement de
n'être pas exposé à un tournoi où ce jeune et
délesté Racine serait son adversaire. Avec une
duplicité peu nolile. Madame ne dit ni oui ni non.
Le vieux Corneille sort confiant, persuadé que le
sujet est à lui exclusivement. Dès qu'il a disparu,
Henrielle, restée seule comme au début de l'acte,
sonne un laquais et dit :
Introduisez monsieur Racine, je vous prie.
Elle commandera au jeune poète la même tra-
gédie qu'elle vient de demander à Corneille. Dans
ce duel poétique, ce fut Racine le vainqueur.
Cet acte a des qualilés et des défauts. Il est un
peu long, et la conversation trébuche de querelle en
récriminations qu'il n'est pas sûr qu'une princesse-
eût tolérées. Le plan est floUant et réduit tout
l'acte à une pure conversation. Mais la forme a de
la fermeté, de la justesse; le vers est de bonne
frappe, jeté dans le moule classique du siècle qu'il
évoque, et cet ouvrage, au point de vue littéraire,
n'est pas indifi'érenl. — Léo Ciaeetie.
Les rôles ont été créés par : M"* Paule Andral {Hen-
riette d' Angleterre) et M. Maxudian {Corneille).
Margueritte (Paul), romancier français, né h
I>agbouat le 1'^'' février 1S60. — H est mort le 30 dé-
cembre 1 91 S à llosségor, près de t^apbreloii (Laudes).
dans la maison de son confrère et ami J.-II. Rosny
jeune. Fils du glorieux général Marguerilte, qui
mourut de ses blessures en 1870, Paul entra la
même année au Prytanée militaire de La Flèche.
Il fut quelque temps employé au ministère de l'ins-
Iruclion publique (1881-1887).
Paul Margueritte.
N* 145. M»n 1919.
C'est à la mémoire du général qu'il consacra son
premier livre : Mon père (1884); mais il attira l'at-
tention des lettrés et principalement du groupe natu-
raliste par un ouvrage : Tous quatre (1885), où il
décrivait la vie du Prytanée avec la précision minu-
tieuse clifcre à cette école. C'est, en effet, à l'école de
Zola et des Gonconrl qu? Paul Margueritte se ratta-
cha tout d'abord, bien qu'il n'échappât point entiè-
rement & l'inlluence du symbolisme et, notamment,
de Stépliane Mallarmé, dont il était parent. Mais
il ne tarda pas à affirmer son indépendance : il fut, le
18 août 1887, un
des signataires,
et non le moin-
dre, du fameux
manifeste des
Cinq (avec Bon-
netain, L. Des-
caves, Guiches,
J.-H. Rosny)qui,
rebutés des gros-
sièretés de la
Terre, rompirent
o u ver lement
avec Emile Zola.
A dire le vrai,
P. Margueritte
s'apparentait
moinsavecEmile
Zola qu'avec les
Concourt, de qui
le rapprochait son
goût des descrip-
tions par petites touches brèves et rapides. Il devait,
d'ailleurs, peut-être sous l'influence régnante des ro-
manciers anglais et russes, vivifier l'inspiration du
roman réaliste par un souffle de pitié humaine, de
sympathie généreuse et substituera une aèprimante
tristesse un sentiment sincère de confiance dans
l'efl'ort et dans la vie. Ce sont là des mérites qui
ont fait le succès de ses romans, dont (juelques-uns
comptent parmi les plus estimables qu ait produits
la génération issue du naturalisme. Citons, en parti-
culier : PascalGéfosse (ISSl), Jours d'épreuve (1889),
la Force des choses (1890), qui est peut-être son chef-
d'œuvre, Sur le retour (I89t), Ma grande (189i),
la Tourmente (1893), etc., livres où l'observation
minutieuse nt s'arrête point au dehors des choses,
mais pénètre au fond de la vie intérieure et scrute
les mystères les plus angoissants de la destinée.
Paul Margueritte fut un des huit écrivains qu'Ed-
mond de Concourt désigna, par son testament du
16 juillet 1896, comme premiers membres de son
académie.
Cette même année, un changement eut lieu dans
sa vie littéraire. Son frère, Victor, officier démis-
sionnaire de cavalerie, devint son constant collabora-
teur et, désormais, jusque vers 1908, Paul et Victor
Margueritte publièrent, sous une signature com-
mune, les ouvrages qu'ils écrivirent. Tout d'abord,
ils entreprirent de concert cette vaste tétralogie :
«»ieE/)oqr»e,con3acréeaux événements de 1870-1871.
Le premier volume : le Désastre (1898), qui a
pour sujet la capitulation de Metz, s'opposait à la
Débâcle de Zola comme une protestation et une
défense des vaincus valeureux ; les Tronçons du
r/laive (1901), les Braves Gens (1901), la Commune
(1904) complélèrent celte série d'œuvres un peu
touffues, où la partie romanesque estfort secondaire,
où la documentation historique est extrêmement
abondante et consciencieuse, où l'on trouve quan-
tité de portraits vigoureux, de scènes saisissantes,
où la foule, surtout, est réelle et vivante. Deux
études d'âmes d'enfants : Poum : Aventures d'iin
petit garçon (1897) et Zelte (1903), tracées avec
humour, obtinrent un succès prolongé. Dana les
ouvrages qui suivirent, les deux frères s'attachèrent
de plus en plus à traiter en réformateurs des ques-
tions sociales et, particulièrement, la question du
mariage. Us souhaitèrent d'en assouplir les liens
et firent campagne en faveqr du divorce par consen-
tement mutuel. A cette période appartiennent des
œuvres telles que Deux vies (190â), le Prisme
(1905), la comédie le Cœur et la Loi (Odéon, 1905).
Vers 1908, leur coflal)oration cessa : chacun des
deux frères suit dorénavant sa carrière propre. A
Paul Margueritte appartiennent : Souvenirs de
jeunesse : les Pas sur le subie (1906) ; Souvenirs
de jeunesse : Les jours s'allongent (1908) ; la
Princesse Noire (1908); la Flamme (1909) ; la Lan-
terne magique (1909) ; la Faiblesse humaine (1910);
les Fabrecé (1912); La maison brûle (1913); les
Sources vives (1913) ; Nous les mères (1914) j Contre
les barbares ; l'Immense Effort ; l'Embusqué
(1916); Joi(ir(1918), etc..
En résumé, de son passage dans les milieux
réalistes et impressionnistes Paul Margueritte a
gardé le goût du détail précis, des notations rapides
et nombreuses, des traits serrés et aigus, avec
quelque chose de cette nervosité vibrante qu'on
remarquait chez ses maîtres, les Goncourl. De là,
peut-être aussi — ce qui est comme la rançon de
cette minutie dans la description — une certaine
faiblesse à soutenir la composition d'un ensemble.
LAROUSSE MENSUEL
Mais II a le grand mérite de ne pas s'être enfermé
dans l'inventaire du monde extérieur. H a porté
son analyse au dedans de l'homme. Il a été psycho-
logue. Son enquête a été sérieuse et sincère,
attristée en apparence et un peu cruelle, soutenue
au fond par de généreuses pensées. Cette tristesse
véridique n'est point décourageante : elle respire
la franchise, la tendresse humaine, l'amour de la
justice, la confiance dans l'action. C'est sur ce
fond solide que s'appuie son talent d'écrivain
probe, exact et ferme. — Jean bonclèrb.
Marquis de Marlgny (le) [nS7-ngi],
par Alfred Marquiset. — L'ouvrage consacré par
A. Marquiset au marquis de Marigny, tout en étant
fort agréable à lire, manque de précisions et de
détails sur la carrière du directeur général des bâ-
timents du roi. C'est un portrait que le chroniqueur
a voulu faire, et un portrait intime; il l'a enrichi
de mainte anecdote sur la vie privée du marquis;
mais, sur son administration, sur les travaux ac-
complis sous sa direction, les monuments construits
ou réparés, les sculptures ou les tableaux comman-
dés, les tapisseries exécutées,
bien peu de cliose. Cette la-
cune fondamentale est d'autant
plus utile à signaler que de
nombreux écrivains, tentés par
un succès facile, al)ordent de-
puis quelques années un sujet
historique à la façon dont agit
ici A. Marquiset et ne font
3u'en effleurer l'essence. Ten-
ant ainsi 'plus ingrate la tâche
des véritables historiens.
Gesréservesfaites,il est juste
de signaler l'élégance du style
et l'agrément du récit d'A. Mar-
quiset. Il fait de son héros un
portrait très sympathique, réfu-
tant lescalomniesdontMarigny
fut l'objet pendantlecoursdesa
carrière e t j usqu'après sa mort.
Peut-être, dans certaines cir-
constances , aimerait-on que
cette justification fût étayée de
preuves indiscutables. Marigny
eut sans doute de réelles qua-
lilés; ce fut un amateur d'art
distingué; il se laissa guider
par des artistes du plus grand
talent, tout en ne se laissant
chambrer paraucund'entreeux.
Par contre, son apologiste sem-
ble exagérer quand il vante la
douceur de son caractère et
l'économie de son administra-
tion. L'homme qui géra si mal
sa fortune qu'il trou va le moyen,
malgré les continuels subsides
du roi, d'avoir un budget per-
sonnel en déficildeSO.OOOlivres,
ne dut pas administrer avec
beaucoup plus de scrupule la
direction des bâtiments; il ne
faisait, d'ailleurs, en se mon-
trant prodigue, que se confor-
mer aux mœurs du siècle ; mais
ceci constiluet-il une excuse?
Abel-François Poisson na-
quitàPari3lel8févrierl727; il
était le cadet de Jeanne-Antoi-
nette, quiétaitnéeenl721. Son
père, ancien « haullepied » munitionnaire desarmées,
n'avait pas tardé à s'enrichir, achetant une charge de
« fourrierdu corps » du duc d'Orléans, en même temps
que le fief deVandièies à Lucy-le-Bocage. Alaveille
de la naissance de son fils, François Poisson menait
grand train dans l'ancien hôtel desévêques deBeau-
vais, rue de Moissy; mais, deux mois plus tard, le
23 avril 1727, le munitionnaire était convaincud'avoir
majoré les comptes des fournisseurs militaires et con-
damné à remhourserauTrésorIasomniede432. 43011-
vres. Aussitôt, il disparaissait et passait la frontière.
Sa femme, un instant troublée par ce coup soudain
du sort, reprit vite son aplomb, grâce à l'appui galant
du fermier général Le Normant de Tournehem.
Le retour de Poisson, en 1736, n'empêcha pas le
fermier général de fréquenter la demeure de
M"" Poisson et de subvenir aux besoins du ménage.
Le 4 mars 1741, Le Normant s'avisa même de ma-
rier la toute charmante Jeanne-Antoinette avec son
neveu Le Normant d'Etiolles et de présenter la
jeune femme à la cour. On sait quelle fortune elle y
fit : quelques années plus tard, elle y trônait comme
maîtresse en titre, sous le joli vocable de o M™" de
Pompadour ».
A cette rapide ascension le frérot Abel-François
ne pouvait demeurer indifférent : à dix-huit ans, il
obtient la charge de trésorier de la grande Ecurie et la
survivance de la Direction générale des bâtiments;
un brevet de 8.000 livres de pension est, en outre,
accordé par le roi au frère de la favorite ; on ne peut
commencer plus vite et plus brillamment sa fortune.
727
Le jeune homme avait beau Atre élégant, discret,
modeste ; semblable faveur, aussi imméritée et scan-
daleuse, devait soulever quelques protestations,
toutes platoniques ; aucun autre recours contre le
bon plaisir du roi que des chansons :
Poisson, courtisan très plat.
Fait court>etce sur couri>ette;
Od le comprend, puisqu'il a,
Eo fait d'échiné, une arête...
... murmurait méchamment un pamphlet.
Poisson, qui, du jour de son arrivée aux affaires,
n'était plus que le sieur de Vandières en attendant
mieux et qui portait en blason « un écu de gueules
à deux poissons en forme de barbeaux d'or adossés,
cet écu timbré d'un casque de profil orné de ses
lambrequins d'or et de gueules », commence heu-
reusement sa carrière par un voyage en Italie :
c'était pour un futur surintendant des beaux-arts
aller à la meilleure école. M"" de Pompadour, en
organisant cette instructive randonnée, en confiant
son frère à des guides tels que Soufflot et Cochin,
faisait montre de son habituelle habileté; de retour
de Rome, de Naples, de Florence, de Venise, Poisson
Abel-Krançois Poisson, marquis de Marigny, frère do la marquise de Pompadour.
de Vandières ne pouvait être qu'un homme de goût,
apte aux plus hautes fonctions. Deux mois après sa
rentrée en France, Le Normant de Tournehem
venait à succomber; Abel-Francois Poisson de Van-
dières recevait la charge de directeur des bâtiments,
arts et manufactures du roi (19 nov. 1751). 11 avait
tout juste vingt-quatre ans ! 11 était bien peu expé-
rimenté pour exercer dès l'abord une influence pré-
pondérante sur ce très vaste département : son nis-
toriograplie ne nous dit d'ailleurs pas quelle part il
prit jamais à la direction effective qui lui était con-
fiée. Nombreuses sont les constructions décidées et
exécutées sous son principal : Compiègne, Saint-
Sulpice, Sainte-Geneviève, les bâtiments de la place
Louis-XV, la Monnaie et maint autre monument;
plus nombreuses les toiles et statues commandées
par ordre du roi : la Savonnerie, Sèvres, les Gobe-
lins, transformées, embellies, quelle œuvre artistique
plus féconde que celle à laquelle sont associés
Louis XV, la Pompadour et Marigny I Mais, aussi,
quelle pléiade d'artistes, dont le rare talent a conçu
et exécuté tant de chefs-d'œuvre! Le mérite de la
favorite et de son frère est d'avoii encouragé et
|)rotégé les Souffiot, les Gabriel, les Cochin, les
Tocqué, les Boucher, les Watteau, les Lalour, les
CoYsevox, les Boiichardon et vingt autres...
C'est en septembre 1754 que le directeur des bâ-
timents reçut les marques de la satisfaction du
monarque pour les services ■ endus, en voyant ériger
sa terre de Marigny en marquisat. Cette nouvelle
faveur, loin de désarmer les railleurs, ranima leur
728
verve. Le parvenu était, d'ailleurs, assez fat de ses
succès; il était resté assez rustre sous l'habit brodé
et le cordon bleu pour susciter les critiques; il éta-
lait sa récente fortune avec un cynisme enjoué,
entretenant filles d'opéra et achetant objets d'art et
hôtels pour les y abriter. A sa maison du Roule, à
son château de Menars, il dépensait presque autant
que le roi à l'entretien de ses palais. Le budget des
beaux-arts, (^ui, au début du règne, s'élevait à 3 mil-
lions et demi, somme bien modeste, était diminué
de moitié à la paix de Paris, en 1764, année de la
mort de M"°de Pompadour. Aussi ne peut-"bn s'éton-
ner que l'ère des démolitions ne commence à ce
moment. Sur un document du 6 juillet 1764, on voit
figurer, avec la mention : i à démolir », Blois,
Monceaux, Madrid; cependant qu'on note : « adon-
ner à vie et à l'entretien » Bellevue, Chaville, le
Val. Seul, le Louvre était « à achever »;Vincennes,
Saint-Germain, Fontainebleau» à conserver », ainsi
que Ghambord, « époque du renouvellement des arts
en France ». Vingt ans plus tard, ce dernier château
était, lui aussi, désigné pour la démolition ; la Révolu-
tion seule, coïncidence inattendue, devait le sauver.
La mort de M"»» de Pompadour ne marqua pas
la fin de la surintendance de Marigny ; il garda jus-
qu'en 1773 la confiance du roi et ne dut sa chute
qu'aux efforts conjugués de Tenay, qui convoitait
sa place, et de M""" du Barry. Marié depuis 1766 h
Julie Filleul, que certains disaient fille naturelle de
Louis XV, Marigny, qui vivait en assez mauvaise
intelligence avec sa femme et qui n'en avait eu
qu'un enfant mort en bas âge, passa les dernières
années de sa vie à Menars, dans ce château, legs
de sa sœur, qu'il fit ériger par Louis XVI en mar-
quisat, échangeant le nom de Marigny, qu'il avait
illustré, contre ce nouveau titre.
(1 Une des plus belles terres du royaume, disait-
il, et certainement la plus agréable de l'Europe par
sa position et ses embellissements, Menars est meu-
blé d'une élégance et d'une recherche dont aucune
maison royale ni aucune maison de prince n'ap-
proche ». Tous les artistes du siècle avaient tenu à
remercier de ses commandes le directeur des Bâti-
ments et les chefs-d'œuvre y abondaient. De 1764 à
1769, Marigny dépensa aux embellissements de sa
propriété 800.000 livres. Cependant, par un caprice
qui dénote bien son parvenu, dix ans plus tard, celui
qui se nommait marquis de Menars se lassait d'un
château pour lequel il n'avait aucun penchant véri-
table, cherchait à le louer, cependant qu'il achetait
un nouvel hôtel place des Victoires et une maison
de plaisance à Bercy. Aussitôt, il ordonnait un dé-
ménagement en règle des diverses œuvres d'art
qu'il avait amassées, tant à Menars que dans sa
maison du Roule et dans un hôtel de la rue de Ri-
chelieu. Ces diverses demeures étaient encore en
voie de transformation quand le marquis, après
quelques semaines de maladie, mourut, le 10 mai 178 1 .
Cochin, qui avait été depuis 1749 son plus intime
conseiller, fit de son maître, dans le « Journal de
Paris » du 1'' juin, un éloge que la posiérilé a gé-
néralement ratifié. « 11 acquit, y disait-il, une véri-
table connaissance de ce qui constitue l'excellence
des arts; cependant, loin de se livrer à celte con-
fiance donttantd'autres moins éclairés abusentpour
prendre un. ton tranchant, il ne porta jamais de
décisions sans avoir consulté plusieurs artistes â qui
il avait accordé sa confiance, et, particulièrement ses
compagnons de voyage, qu'il appelait ses yeux...
On ne peut ignorer combien l'encouragement que
donnent les supérieurs éclairés en n'applaudissant
qu'aux ouvrages de leur goût infiue sur les progrès
de l'art ». — n-c. boisst.
œdème de la faim (syn. œdème de
guerre). Maladie observée en Allemagne, en Au-
triche et en Russie et qui semble sous la dépen-
dance d'un régime alimentaire insuffisant.
— Encycl. L'œdème de la faim, qui a donné lieu
à de nombreux travaux en Allemagne, a régné dans
presque la totalité des régions centrales de l'Europe
et, notamment, dans les camps de prisonniers de
guerre. Il se manifestait, sans qu'il y eût, en géné-
ral, de symptômes prémonitoires, par l'apparition
brusque d'un œdème considérable, qui siégeait sur-
tout aux membres inférieurs, mais n'épargnait pas
certains autres points du corps, comme la face et
le scrotum. Parfois, on notait simultanément de
i'ascite et de l'hémothorax. Les urines, qui attei-
gnaient parfois, dans les vingt-quatre heures, trois à
quatre litres, ne conlenaient pas d'albumine. La
crise urinaire apparaissait surtout lorsque le malade
se mettait au lit, ce qui faisait en même temps dis-
paraître l'œdème. I-.a composition du liquide épanché
était identique k celle que présentent les épanche-
ments du même genre au cours des affections ré-
nales et le liquide d'ascite semblable à celui des
cirrhoses. Rémissions et rechutes se montrèrent
fréquemment. Le pouls était très ralenti, donnant
de 42 à 60 battements à la minute. Le sang mon-
trait un certain degré d'anémie (3 à 4 millions de
globules rouges).
Les différents auteurs qui ont écrit sur ce sujet
sont d'accord pour attribuer cette maladie aux
LAHOUSSE MENSUEL
conditions défavorables d'alimentation dans les-
quelles se trouvaient ceux qui en furent atteints.
En général, on incrimine le manque de corps gras,
et il est remarquable qu'en ajoutant 100 grammes
de graisse par jour au régime de certains malades,
on soit parvenu, en une semaine, à guérir définiti-
vement quelques-uns d'entre eux. Les uns supposent
que les toxines nées du métabolisme des albumi-
noïdes ont endommagé le revêlement endolhéliiil
des vaisseaux sanguins et permis ainsi la production
de l'œdème. D'autres incriminent la quantité accrue
de liquide absorbée par les malades, qui, en pré-
sence des difficultés alimentaires, ingéraient une
énorme quantité d'eau sous forme de soupes et de
racines. Une autre explication réside dans la quan-
tité accrue de sel prise par les patients pour assai-
sonner leurs aliments, la cuisine sans graisse étant
oarticulièrement fade. Le résultat, dans tous les cas,
est la rétention dans l'économie d'une grande
quantité d'eau. Certains assimilent l'œdème de
guerre, purement et simplement, au béri-béri et
autres maladies causées par la carence de vitamines.
La plupart des auteurs estiment que le rein n'a rien
à voir dans la maladie; quelques-uns admettent,
cependant, qu'il s'agit là dune atteinte réelle des
reins, un n adynamisme fonctionnel, à localisation
surtout vasculaire, où les privations alimenlaires
n'interviendraient que comme une cause prédispo-
sante » (Franke et Gottesmann).
Quelle que soit la théorie vraie, parmi toutes
celles que nous venons de passer en revue, le trai-
tement doit toujours consister dans le maintien au
lit des malades jusqu'à la disparition de l'œdème,
la diminution de la quantité de liquide absorbée et,
si la chose est possible, des modifications dans
l'alimentation, notamment l'adjonction de corps
gras. — D' H. BouQDET.
pandémie n. f. Méd. — Encycl. Au point de
vue médical, il faut établir une différence entre
l'épidémie et la pandémie. Celle-ci ne se distingue
pas de la première uniquement par sa plus grande
extension et le nombre plus élevé de personnes
qu'elle atteint; elle s'en distingue également, comme
on va le voir, par un mode particulier de propa-
gation.
Les cas de pandémie assez nombreux qui ont été
enregistrés par l'histoire sont désignés d'ordinaire
sous le nom générique de « peste », bien que les
descriptions laissées par les vieux auteurs ne cor-
respondent pas toujours à celles de la peste vraie,
bubonnique ou pneumonique, et cette appellation
commune ne parait pas avoir eu pour but spécial
de souligner la malignité de la maladie, mais sa
grande fréquence et la rapidité de son extension,
grâce à laquelle des contrées entières semblaient
simultanément frappées. Aussi les anciens méde-
cins, pour expliquer des phénomènes dont ils ne
percevaient pas la cause, avaient-ils imaginé la
théorie des « miasmes » et l'hypothèse du « génie
épidémique», auxquelles, maintenant, on tend à re-
venir, en les appuyant de faits précis et d'expé-
riences concluantes.
Parmi les maladies contagieuses qui ont été qua-
lifiées parfois de pandémie, figurent naturellement
la peste, le choléra et le typhus, mais aussi lagrippe,
dont, à plusieurs reprises, en effet, les ravages
furent considérables. Sans remonter au xiu« siècle,
époque à laquelle elle fut notée pour la première
fois par la chronique des Frères mineurs ae l'ordre
religieux fondé en 1208 par saint François d'Assise,
on doit mentionner les grandes épidémies de 1580,
décrites par Sallus Diversus, de Faenza, celle de
1658, décrite par Willis, celle de 1709, décrite
par Hoffmann et Lancisi, celle de 1762, décrite
par Sauvages de La Croix, Huxham, Baker et
Razoux, enfin celles de 1836-1837, de 1858 et sur-
tout de 1889-1890, qui, toutes, se présentèrent sen-
sildement avec les mêmes caractères cliniques:
début brusque, rapidité d'évolution, prédominance
des complications pulmonaires qui confèrent sa
gravité à la maladie, — et épidémiologiques : ex-
tension considérable, fréquence, rapidité de pro-
pagation telle que des villes et des pays parfois
très éloignés semblent atteints en même temps.
La grippe de 1918 est, à tous égards, compa-
rable aux autres, bien que la proportion des cas
mortels soit peut-être un peu plus élevée (de 8 à
15 p. 100, suivant les auteurs), mais elle a été étu-
diée de plus près et avec des moyens plus perfec-
tionnés, et c'est cette élude qui a permis de définir
ce qu'il fallait entendre par pandémie et d'en déter-
miner les causes de production, qui, ne se retrou-
vant pas dans toutes les épidémies, heureusement,
justifient la distinction désormais établie entre
ces deux formes de manifestations contagieuses.
On a constaté sans peine la très grande fréquence
de cette grippe (en certains endroits, 40 p. ion
de la population totale ont été atteints) et la rapi-
dité déconcertante de sa propagation. Venue
d'Orient par l'Europe centrale, peut-être en partie
par les ports méditerranéens, on l'a vue éclater
simultanément à Lyon, à Marseille, & Toulouse,
à Bordeaux, à Paris.
«• 145. Mars 1919.
On pensait expliquer autrefois cette simultanéité
apparente par la facilité et la rapidité des commu-
nications, qui permettent à certains malades de
transporter l'infection de ville en ville, oii des foyers
se constituent, que l'on découvre aisément et que
parfois (choléra) on peut isoler et éteindre. Mais, ici,
rien de pareil. Dans telle petite ville de 4.000 habi-
tants, que l'on a citée, 60 personnes furent atteintes
dans la même nuit. Mieux encore : dans un village
du centre, où personne n'était arrivé et d'où per-
sonne n'était parti depuis trois jours (et l'incuba-
tion de la maladie ne dépasse pas 24 à 36 heures,
quelquefois beaucoup moins, v. grippk), 11 per-
sonnes sur 250 environ tombèrent malades dans la
même journée. Devant de tels faits, il a fallu
admettre que l'explication par la contagion que
sème autour de lui le malade au moyen de se»
sécrétions salivalres, nasales, bronchiques, etc., est
insuffisante et en revenir, plus ou moins explici-
tement, à la théorie des « miasmes », que soute-
naient les anciens. Mais il fallait lui donner une
interprétation vraiment scientifique, et c'est à
Trillat, de l'Institut Pasteur, qu'on la doit.
Trillat a montré, en effet, par des expériences
multiples, que les micro-organismes les plus ténus,
répandus dans l'air par la parole, la toux, l'éternue-
ment, et... des personnes infectées, peuvent y
rester, attachés aux vésicules de vapeur d'eau, et y
vivre, car celte vapeur d'eau dissout des subs-
tances volatiles et des gaz, qui peuvent servir d'ali-
ments à ces micro-organismes et leur permettre,
quand les conditions son t favorables, de se multiplier.
Ainsi soutenus et véhiculés par les buées en
quantités innombrables, les germes pathogènes sont
entraînés par les courants aériens et transportés
rapidement à travers de vastes régions, en suivant
presque toujours des directions constantes, parce
qu'elles sont soumises aux lois de la circulation
atmosphérique. Respiré simultanément par beaucoup
de personnes, cet air contaminé les infecte par la
voie de l'appareil respiratoire. C'est ce qui explique :
1» la marche à peu près régulière des pandémies
qui envahissent lEurope par l'Est; 2° l'apparition
presque subite de la maladie en des réglons étendues ;
3° la nécessité du masque pour se protéger contre
les « miasmes », nécessité que les anciens avaient,
comme on le sait, parfaitement reconnue et à la-
quelle on s'est actuellement et avantageusement
décidé à obéir.
Toutefois, pour que la pandémie se réalise, il ne
faut pas seulement que les conditions atmosphériques
(humidité, tension électrique, tension superficielle,
présence de substances nutritives, etc.) soient favo-
rables à la vie et à la multiplication des germes,
souvent fragiles au surplus; il faut aussi que ces
germes soient assez petits pour pouvoir être portés
et véhiculés par les buées, car, autrement, leur poids
déterminerait la précipitation des vésicules aqueuses
auxquelles ils s'attachent. Or, précisément, il semble
aujourd'hui établi, depuis les travaux de Nicolle et
Lebailly, que le germe pathogène de la grippe est
un virus filtrant (v. p. 680), c'est-à-dire un microbe
extrêmement petit, puisqu'il échappe aux plus forts
grossissements du microscope. Le caractère pandé-
mique de certaines épidémies de grippe trouve, dans
ce fait, en partie du moins, sa justification. II y a
plus. De même que l'on considère actuellement le
coccobacille de Pfelffer, le pneumocoque, le strep-
tocoque, le pneumobacille comme les microbes de
Il sortie » du virus grippal, ainsi on tend de plus en
plus à considérer comme des microbes de « sortie »
du choléra, et peut-être de la peste, le vibrion et le
bacille de Yersin regardés, à tort, jusqu'ici comme
les agents spécifiques de ces maladies et dont l'agent
véritable, encore inconnu, serait aussi un virus
filtrant. On a remarqué, enfin, que la variole, la rou-
geole, le typhus exanthématique, qui se sont com-
portés quelquefois comme des uandémies, reconnais-
sent aussi pour cause des germes très petits et,
vraisemblablement, des virus filtrants.
En résumé, certaines maladies contagieuses dont
les microbes pathogènes sont extrêmement petits
peuvent se répandre au moyen non seulement de la
transmission directe des malades et des objets
souillés par ceux-ci, mais aussi de l'air qui véhicule
leurs germes. Dans ce cas, on peut avoir affaire à
une pandémie, qui est donc une épidémie caracté-
risée par la proportion très considérable des per-
sonnes qu'elle atteint et l'étendue et la simultanéité
des coups qu'elle frappe. — D' J. LtuKoniBR.
potasse (les Gisements ie) en haute Alsace.
La possession de la haute Alsace place sous notre
dépendance d'importants gisements de sels potassi-
ques. Ce fait présente un intérêt économique con-
sidérable, car, jusqu'ici, avec les gisements de
Stassfurt et d'Alsace, l'Allemagne détenait une
sorte de monopole, dont le monde entier était plus
ou moins tributaire.
Les sels de potassium jouent, en effet, un rôle
important : très demandés par les agriculteurs, qui
voient dans la potasse un élément indispensable à
toute culture intensive, ils ne le sont pas moins
dans de nombreuses industries chimiques. Nous
ï'
/V* 145. Mars 1919.
relevons l'emploi de ces sels dans les verreries, les
(çlaceries, les poteries, les savonneries, les fabri-
ques dalluineltes, d'explosifs, de produits pharma-
ceutiques, dans les tanneries, etc.
11 existe de nombreuses sources productrices de
potasse; quelques-unes, même, furent longtemps les
seules capables de suffire aux besoins de l'époque :
nitrate naturel des Indes, produits des nitrières ar-
tificielles, lessivage des cendres de bois, traitement
des eaux de mer, des varechs, des résidus de sucre-
ries, des papeteries, travail du suint de la laine, etc.
Mais, depuis la découverte des importants gise-
ments de Stassfurt (1857), ces sources avaient
perdu de leur importance; leur appoint n'atteignait
guère plus de 5 à 8 p. 100 de la production totale,
resque tous les sels de potassium provenant de
exploitation des mines allemandes.
En 1914, celles-ci produisaient 1.167.000 tonnes,
dont la moitié était exportée, 10 p. 100 allant aux
industries chimiques, les autres 90 p. 100 étant
absorbés par les besoins agricoles. Les hostilités,
rompant les relations commerciales, nous obligèrent
à rechercher la potasse par ailleurs ; aux sources
secondaires déjà exploitées il convient de joindre
l'exploitation des nitrates chiliens, des roches
fel.Ispathiques; des fumées des fours à ciment, de
divers amas trouvés en Amérique (Searles Lake),
en Espagne, à Cardona, près de Barcelone, etc.
Ces apports purent satisfaire aux besoins de la
défense nationale; mais tous les procédés indus-
triels employés pour les obtenir, très onéreux, ne peu-
vent lutter contre le bas prix des sels extraits du sol.
Formation géologique des gisemenls potassi-
ques. — Ceux-ci constituent la véritable source de
potasse; jusqu'ici, les principaux gisements exploités
sont ceux de la région de Stassfurt, près de la fron-
tière d'Anhalt (Saxe), et ceux, tout récemment dé-
couverts, de la haute .\lsace.
Ces derniers, qui nous intéressent dans cette
étude, sont situés entre Mulhouse et Cernay. lis
forment, sous une épaisseur considérable de sel
gemme, deux coiicnes de quelques mètres, s'éten-
dant sur une superficie de 250 kilomètres carrés;
ces couches contiennent du chlorure de potasium
mélangé de chlorure de sodium {sylvine, sylvinite)
dans un état remarquable de pureté.
L'origine de ces amas salins est attribuée à l'éva-
poration de mers préhistoriques, brusquement sépa-
rées du reste des océans par un soulèvement du sol;
mais, tandis qu'à Slasslurt tous les éléments salins
déposés dans l'ordre de leur solubilité se retrouvent
formant des sels plus ou moins impurs, souillés de
mas^nésie, en Alsace, celte magnésie est en très
fiiilile proportion, ce qui simplifie
considérablement la purification.
On explique la formation du gise-
ment de Mulhouse par la sup-
position de l'existence, sur
cette contrée, d'une mer dé-
LAROUSSE MENSUEL
729
Légende
Voie ferrée
Gisemenls de Potasse
fiendante de la mer oligocène,
aquelle couvrait k l'époque le
nord de la France et la Belgique.
Cette mer secondaire devait être
en relation avec la première par
un bras très étroit, susceptible
de se trouver coupé par les mo-
difications du sol. La mer, iso-
lée, s'assécha ; — par la suite, un
court envahissement des eaux
enlevaseulementlessels les plus
solubles (sels magnésiens); puis
des bouleversements géologi-
ques successifs provoquèrent, à
nouveau, l'assèchement et le dé-
pôt de couches d'argiles et de
marnes qui protégèrent les sels
déposés. Le même phénomène
dut se reproduire pour formel
ensuite la seconde couche de
sels potassiques.
A l'époque tertiaire, la mer
qui couvrait l'actuelle vallée du
Hhin laissa, en s'êvaporant. sur
ces premiers dépôts, une puis-
sante couche de sel marin; en-
fin, à l'époque diluvienne, le tout
fut recouvert d'argiles el de gra-
viers amenés par le Rhin et ses
affluents.
Description du gisement al-
sacien.— Le gisement alsacien
a été découvert tout foi-tuite-
ment, en 1904, par Vogt, à la
tête d'un syndicat de forage créé
pour rechercher la houille ou
le pétrole, sous le grès vosgien,
dans le sous-sol de la haute
Alsace. Un premier forage, effec-
tué à Wittelslieitn, fit découvrir
dans les terrains tertiaires, vers
400 mètres de profondeur, une
épaisse couche de sel gemme et,
aux environs de 600 mètres au
delà, deux zones riches en po-
tasse; le forage, poursuivi jus-
qu'àl.119 mètres, n'indiqua plus
aucune autre matière intéres-
sante. Un grand nombre de fo-
rages dans la région a permis
de retrouver la potasse dans un
vaste périmètre aux abords im-
médiats nord-ouest de Mulhouse; dans toute cette
région, le sel marin se rencontre
entre 200 et 800 mètres de profon-
deur, sous une épaisseur de 200 à
300 mètres; les couches de
potasse sont au nombre de
deux, séparées par une ving-
WMwwwwwv
l'if. 1. — MoaliD k potuu. — 1. Moulin : A, irriTé* du minerai; B, (rille de triage: C, eoncaiieur ; D, moulin à meulei tioriiontalei ;
B, tnuiporwuri ; V, moulin à cylindrée ; O, «lenteur : U, Tle trauporteuee (en ooupej. — 1. Magaein à chlorure : I, aalle d'enaachage.
Gisements tie potasse de ia liaute Alsace.
laine de mètres, la supérieure ayant une puissance
de l^.SO en moyenne, l'inférieure, plus épaisse,
atteignant de 3 à 5 mètres.
L'importance du gisement peut, par suite, s'évaluer
à environ 300 millions de tonnes de potasse pure,
d'une valeur d'au moins 40 milliards de francs.
Cette richesse nous promet, pour l'avenir, l'indé-
pendance la plus grande vis-à-vis des mines alle-
mandes.
Jusqu'ici, du reste, le gisement n'a pu être exploité
comme il convenait, par suite des mesures restric-
tives introduites par la législation pour maintenir
les prix à un taux avantageux; le manque de con-
currence permettait à l'empire allemand, seul déten-
teur de tapotasse, d'en réglementer le marche à sa
guiseet, surtout, de réserver la plus grande partie de
la production à ses nationaux.
Installation des puits. — Avant toute exploita-
talion, on procède à un sondage du sol en em-
ployant, selon la nature de celui-ci, soit le trépan,
outil travaillant par percussion, soit une couronne
d'acier munie de diamants noirs, agissant par un
rapide mouvement de rotation. Ces appareils per-
mettent une avance journalière moyenne de 7 mètres
environ.
Une fois les zones reconnues, le forage est agrandi
à un diamètre suffisant pour permettre l'extraction;
le premier puits foncé fut celui de la mine Amélie,
où le sel fut rencontré à 348 mètres et les zones de
potasse recoupées, la première à 627 mètres, la
seconde h 649 mètres. Celles-ci avaient respective-
ment lin.SO et D°',60 d'épaisseur.
Les travaux de ce premier puits furent assez pé-
nibles aux débuts; par suite des infiltrations d'eau,
il l'ut nécessaire, pour traverser les zones de graviers
aquifères, d'employer la congélation. En principe,
ce procédé consiste à durcir le sol par le froid;
autour du puits à percer, on fore une série de
trous, dans lesquels on descend des tubes métal-
liques; ces tubes servent à établir une circulation de
saumure de chlorure de calcium refroidie à — 25">C.:
le sol arrive à se congeler et à présenter une résis-
tance de 1 80 à 200 kilogrammes par centimètre carré.
Le travail peut, alors, s'elîectuer sans crainte
d'éboulemenl. La congélation fut pratiquée jusqu'à
75 mètres, tandis qu'un cuvelage en fonte était
descendu à 121 mètres; au-dessous de cette cote, le
terrain étant plus consistant jusqu'à 664 mètres, base
du puisard oii s'assemblent toutes les voies d'eau,
le puits fut protégé par une forte maçonnerie. — Un
tel puits, avec ses aménagements, revient à près de
deux millions et demi de francs. Depuis, on a sim-
730
plifié le travail en employant une tour en maçonnerie
descendante, édifiée au fur et à mesure de l'enfon-
cement d'un caisson métallique à bords tranchants.
Une fois arrivé aux coucties de kali ou potasse,
on exploite par galeries avec des perforatrices, selon
les procédés usuels; en général, toutes les mines
de la région sont équipées électriquement. La mine
Amélie, la plus importante, pouvait extraire environ
400 tonnes de sel brut par jour. Le gisement est
divisé entre 106 concessions, 78 appartenant aux
Allemands, 28 à la société Sainte-Tliérèse à capitaux
français, mais toutes ne sont pas en exploitation ;
à la veille des hostilités, on comptait seulement
18 puits en activité.
Traitement des sels bruts. — Au sortir de la
mine, le minerai brut contient de 20 à 80 p. 100 de
chlorure de potassium; il est formé de sylvine (KGl)
et d'un mélange avec du chlorure de sodium (sylvi-
nite), avec diverses substances insolubles, notam-
ment des argiles, des oxydes de fer.
Si les sels sont destinés à l'agricnlture, on se
borne à les broyer dans des moulins (fig. 1) agencés
LAROUSSE MENSUEL
En 1909, la production de 590.023 tonnes fut ré-
partie en :
Allemagne 305.900 tonnes.
Etats-Unis 148.478 —
Autres pays, . . . 135.587 —
La France ne figurant guère que pour 20. 000 tonnes !
En 1914, pour une production de 1.167.000 tonnes,
la part de l'exportation, surtout américaine, était de
531.000 tonnes.
Or, au point de vue agricole, l'influence de la po-
tasse est considérable ; les travaux des Boussingault,
des Liebig ont montré que les sols ne sont fertiles
qu'à la condition de contenir de l'acide phosphori-
que, de l'azote et de la potasse. Gomme les récoltes
enlèvent chaque année des doses importantes de
ces éléments, il importe de les restituer à la terre.
Eléments enlevés au sol par diverses récottes
(en kilogrammes par hectare) ;
potasse acide azote
phosphoriqua —
Houblon 30 15 340
Blé 40 30 85
Pommes de terre. , 100 30 60
Choux 405 95 170
Les agriculteurs éclairés sont ipso facto des acqué-
reurs de potasse ; or, si nous considérons les statisti-
ques d'achat par pays, on remarque que nous tenons
un rang indigne d'une nation agricole.
Consommation des Etats
(en kilogrammes par hectare cultivé) :
acide potasse azote
phosphoriiiue — —
P'o' K'o Az
France 8.617 0.53 1.40
Angleterre 9.53 1.00 1.8 1
Belgique 24.55 4.45 10.45
Etats-Unis 2.67 0.81 0.35
Italie 10.18 0.26 0.62
Russie 0.19 0.15 —
Allemagne 12.15 S.iO 3.97
Autriche 3.26 0.52 —
Malgré les critiques, que cette statistique peut
soulever étant d'origine étrangère, elle est cepen-
dant intéressante, car elle consigne l'allure respec-
tive des consommateurs et montre combien il nous
m\\m\\\\^^^^
Pig. 2. — Usine d'extractioa du chlorure de potassium : A, arrivée du minerai broyé ; B, cliatidières où est disBous le clxlorure de
potassium ; C, filtres ; 1>, bacs de décantation ; £, bacs de cristallisation ; F, eaux résiduelles ; H, réception des résidus insolubles.
pour faire graviter les matières par la pesanteur et
les faire passer dans des concasseurs, des moulins
à meules ou des cylindres selon le degré de finesse
désirée. Les mélanges sont elfectués pour donner un
engrais titrant de 20 à 22 p. 100 eu potasse K^O.
Pour l'industrie chimique, il est nécessaire de
purifier les sels et d'extraire le chlorure de potas-
sium pur; le travail se fait très simplement, grâce
à l'absence de magnésie. Il repose, en principe, sur
la différence de solubilité à froid et à chaud des
chlorures de sodium et de potassium :
Solubilité des dilorures de sodium et de potassium :
àlO'C. àlOO°C.
Chlorure de sodium. . . . 35.7 39.6 gr. par 100 gr. d'eau.
Chlorure de potassium, 32 57 — —
Ces chiffres monlrent que la solubililé du chlorure
de sodium étant sensiblement la même à froid et à
chaud, tandis que celle du sel de potassium corres-
pondant atteint un écart de 25 grammes, en lavant
le sel brut avec une dissolution saturée chaude de
sel marin, le chlorure potassique se dissoudra et
se déposera seul par refroidissement. L'opération se
pratique dans de grandes chaudières (fig. 2), les
solutions filtrées sont abandonnées à la cristalli-
sation dans de longs bacs ; les premiers cristaux
ne titrant que 80 p. 100 de sel pur sont destinés à
l'agriculture, les autres, après lavage à l'eau, ont
une teneur de 98 p. 100, après séchage.
La valeur moyenne des sels de potasse était cal-
culée de 21 fr, 50 à 23 fr. 70 les 100 kilogrammes de
potasse (K'O) contenue (chllTres allemands, ante
bellum).
Consommation et débouchés de la potasse. —
Parmi les emplois de la potasse, ce sont surtout les
utilisations agricoles qui constituent le plus fort
contingent; elles atteignent 87 p. 100 de la pro-
duction Or ces utilisations ne peuvent que se déve-
lopper, puisque, jusqu'ici, l'Allemagne était le prin-
cipal consommateur.
reste à faire sur notre sol et combien les débouchés
français peuvent être imporianis.
Grâce à la potasse, notre sol peut acquérir la
faculté de donner d'abondantes récoltes; la posses-
sion des mines nous fournit le moyen de doubler
notre production agricole. Si l'on considère que les
Allemands arrivaient à obtenir de leur sol ingrat
jusqu'à 21 quintaux de blé à l'hectare, il est aisé de
calculer combien le sol propice de notre patrie
pourra fournir avec l'appoint d'un tel fertilisant.
Naturellement, délivré des entraves économiques
allemandes, le bassin peut être exploité librement;
seulement, pour en tirer tout le profit désirable, il
reste à améliorer ses relations avec nos principaux
centres. Or, à l'heure actuelle, la seule grande voie
de transport allant vers la France est le canal du
lihône au Rhin, qui passe à Mulhouse, Les sels
chargés en gare de Richwiller sont acheminés à
Mulhouse, où on les transl)orde sur péniches. Malheu-
reuseinent, le canal ne peut suffire pour les commu-
nications vers le Sud; il importe — et ceci regarde
l'expansion entière des industries alsaciennes —
que les communications avec Besançon et la région
lyonnaise soient améliorées. En ce moment, elles
sont encore au même point qu'avant 1870. L'.Mle-
magne n'ayant eu, évidemment, aucun intérêt à faci-
liter les relations avec la France, il est de notre
devoir de modifier cet état de choses, dès le début
de la restauration de l'Alsace reconquise. — M. Molihi*.
Rostand (Edmond), poète et auteur drama-
tique français, né à Marseille le l" avril 1868, — Il a
succombé à l'épidémie de grippe, le 2 décembre 1918,
à Paris. Rostand apparlenaft à une famille de finan-
ciers, chez qui la pratique des affaires n'avait pas
altéré le goût dCi. choses de l'esprit et de l'art. Son
oncle, important banquier, était passionné de mu-
sique; son père, Eugène Rostand, avant de se dis-
tinguer comme économiste et de siéger & ce titre à
l'Académie des sciences morales, avait publié une
N- 145. Mars 1916.
agréable traduction en vers de Catulle, ainsi qu'un
recueil de poèmes : les Sentiers unis. C'est donc
dans un milieu de lettrés et d'artistes que grandit
le jeune Rostand, Il fit ses études au lycée de Mar-
seille et les acheva au collège Stanislas, à Paris, Ce
que fut l'écolier, on le peut conjecturer par ce qu'il
devint plus tard; mais il n'a laissé sur ses années
de collège que de rares confidences. Tout au plus
en a-t-il dégagé une amusante et louchante figure de
a vieux pion »,
Aux coudes rapiécés, pauvre être marmiteux,,.
Dont l'haleine odorait le vin et la boutfarde,
mais qui, sous son enveloppe fruste, cachait une
âme de poète. Aussi, à plusieurs reprises, Rostand
s'est-il souvenu avec émotion de ce pauvre « Pif
luisant», qui lui révéla la poésie et fut le confident
de ses premiers vers.
Au sortir du collège, Rostand, à qui sa situation
de fortune assurait l'indépendance, commença par
faire son droit, qu'il poussa jusqu'à la licence.
Mais, dans sa petite chambre d'hôtel de la rue de
Bourgogne, dont il a décrit l'acajou « si Louis-
Philippart », à la lumière de sa vieille lampe,
ventrue et basse, en cuivre bosselé.
Comme on on voit encor sur les vieilles crédences,
il s'attachait moins à dépouiller les Pandectes qu'à
suivre les caprices de son imagination et à pour-
chasser les rêves, « flottant aux ombres de la
chambre », qui venaient tournoyer sous le halo clair
de l'abat-jour. Déjà, la littérature le possédait tout
entier; elle l'avait, d'ailleurs, attiré à elle par des
succès précoces; à peine venait-il d'achever ses
études qu'il remportait, à l'académie de Marseille,
le prix d'éloquence, fondé par le maréchal de
Villars, avec un curieux essai sur le Roman senti-
mental et le Roman naturaliste. Cependant, c'est
vers la poésie qu'allaient ses préférences et, déjà,
par de petits poèmes, publiés dès 1888 dans diverses
revues, notatnment la « Grande Revue », il prélu-
dait à ses Musardises. Celles-ci parurent en 1890,
l'année même de son mariage. A ce livre d'un poète
de vingt ans on ne saurait demander des qualités
de profondeur et de maîtrise; il faut, en le lisant,
se souvenir de l'âge de l'auteur. Néanmoins, on y
discerne les traits es-sentiels du tempérament poé-
tique de Rostand, Derrière ses airs de noncha-
lance, le poète laisse voir son âme éprise d'idéal,
qui se console des vulgarités environnantes avec
son rêve,
insaisissable bien.
Secrète liberté des âmes asservies.
Tantôt, il le dit expressément :
Ce qu'il faut pouvoir, ce qu'il faut savoir.
C'est garder son rêve;...
C'est avoir dos yeux qui, voyant le laid,
"Voient le beau quand même;
C'est savoir rester, parmi ce qu'on hait.
Avec ce qu'on aime.
Tantôt, il traduit la même idée sous forme sym-
bolique, comme dans la belle pièce des Bœufs, ou
le reiTiarquable poème du Contrebandier. Mais il
semble aussi que le poète ait comme la pudeur de
son rêve et une sorte de fausse honte à se livrer
tout entier; de là, souvent, ainsi qu'il l'avoue
lui-même,
... pour qu'un sentiment ne devienne trop grand,
Le soin de l'amoindrir, vite, en se dénigrant.
Plus d'une pièce, commencée sur un ton grave,
s'achève par une plaisanterie; plus d'une fois,
l'émotion se fond en un sourire ou une pointe de
raillerie. Qu'on lise, par exemple, les Parentliéses.
Cette perpétuelle intervention de l'esprit, qui
paraît exercer sur le sentiment une surveillance
jalouse, déconcerte et, parfois même, agace; et il ne
semble pas que cette altitude doive être imputée
à l'âge du poète, à l'époque des Musardises ;
Rostand la gardera dans presque tout le reste de
son œuvre.
De même conservera-t-il toujours, en la perfec-
tionnant même, cette extiaordinaire virtuosité qui
s'atteste déjà dans les Musardises. La somptuosité
des rimes, l'inépuisable richesse du vocaliidaire,
prodiguée parfois jusqu'à l'outrance, la variété des
rylhmes, par quoi ce disciple de Banville s'affir-
mait du premier coup l'égal de son maître, consti-
tuent les principaux mérites de ce recueil, qui,
cependant, demeura presque inaperçu à .'^^on appa-
rition. C'est au théâtre que Rostand devait conquérir
sa gloire définitive.
On a quelque hésitation à rappeler que c'est par
un vaudeville : le Gant rouf/e, représenté à Gluny
en 1888, que Rostand aborda la scène. La pièce
n'eut aucun succès ; repoussé par le vaudeville,
Rostand se tourna vers la comédie en vers.
Une petite saynète : les Deux Pietrots, que Ros-
tand avait fait parvenir à Glaretie par l'intermé-
diaire de Féraudy, fut acceptée d'abord, puis rendue
à son auteur ; pour le dédommai^er, Glaretie lui
demanda une autre pièce. Rostand écrivit alors
les Romanesques.
C'est en 1894 que fut représentée au Français
cette œuvre légère, pleine de fantaisie : du Regnard.
revu par Marivaux, corrigé par Musset et orchestré
«• J45. Mars 1919.
par Banville. Car il y a de tout cela dans cette
pièce charmante, — Sarcey y découvrait même du
Scari'on;et ce mélange, habilement dosé, consti-
tuait une originalité délicate, qui aurait dû, semblc-
t-il, s'imposer plus fortement. Mais, à celle époque,
le grand public s'intéressait à une l'orme de théâtre
toute difléreiite; et le succès de la pièce, qui fut
réel, ne dépassa guère les couloirs de la maison de
Molière. Pourtant, dans celte comédie qui se dérou-
lait au royaume de Fantaisie, le poète avait fait
briller les mille facéties de son esprit, que tempé-
rait une pointe d'émotion, à fleur d'âme ; sa vir-
tuosité s'y déployait à l'aise, et il n'est pasjusqu'au
fond de préciosité qui était en lui qui ne trouvât
son expression naturelle dans les enlreliens floria-
iiesqucs de Sylvelle et de Hercinel. Et, déjà aussi,
s'affirmait ce âon du métier dramatique que Rostand
possédait d'instinct à un si haut degré.
L'année suivante, en 1895, la. Princesse loinlaine
révélait un aspect nouveau et supérieur de son
talent. En aucune œuvre, peut-être, le poète ne s'est
livré plus entièrement et, en même temps, ne s'est
élevé plus haut. Ici, plus d'esprit, plus de badinage;
de la fantaisie toujours, mais une fantaisie d'une
essence rare, qui maintient autour de l'œuvre une
atmosphère de poésie exquise et une hauteur de
pensée qui porte le spectateur en plein ciel d'idéal.
La princesse lointaine, cette Mélissinde, « prin-
cesse d'Orient, dont le nom est de miel », vers qui
vogue, épuisé, mourant, le poète Joffroy Rudel
pour avoir la joie suprême de la voir une fois au
moins avant de mourir, c'est le rêve, l'idéal vers
lequel s'efforce quiconque a l'âme haute et qu'on ne
peut atteindre souvent qu'au seuil même de la
mort. Gomme le dit frère Trophime, le bon capelan
de la nef, « l'inertie est le seul vice; et la seule
vertu, c'est l'enthousiasme ».
Que selon ses moyens chacun do nous s'efforce.
L'important, c'est qu'un cœur nous batte dans le torse !
Alors, ne comptent plus luttes, fatigues, souf-
frances; il suffit de tendre vers un but noble pour
être payé de ses peines, car
On tiait par aimer tout ce vers quoi l'on rame.
Poème de foi et d'énergie, la Princesse loin-
laine, malgré son tour symbolique, n'en est pas
moins un drame très vivant. Parmi la mysticité des
lis qui jonchent les dalles de son palais, Mélissinde
n'est pas seulement une princesse de légende : c'est
aussi une femme, qui a de la femme les incertitudes,
les élans, les contradictions, les faiblesses, mais
aussi le dévouement sublime et, dans l'expiation, la
ferveur poussée jusqu'au renoncement. Quant à
Joffroy Rudel et à son compagnon Bertrand d'Alla-
nianon, héros épris d'idéal, à l'exaltation chevale-
resque, ils reparaîtront plus tard sous les traits de
Cyrano et sous le plumage de Chantecler. Ainsi,
comme on l'a dit fort justement, <■ la Princesse loin-
laine est le poème capital de l'œuvre de Rostand;
il la contient en germe et la résume d'avance ». Et
ce poème ne serait pas loin d'être parfait, si le
ton, moins empreint de modernisme, avait plus de
na'ivelé à la fois et de vigueu
On ne saurait en dire autant de In Samaritaine,
représentée en 1897. Certes, la pièce est adroite,
animée même d'un réel mouvement dramatique : le
tableau de Sichem, au 2= acte, est plein de pittores-
que et de vie. Fort ingénieusement aussi sont inter-
calés dans le texte quelques-unes des paraboles les
plus fameuses et certains souvenirs du Cantique des
Cantiques; il y a même des trouvailles heureuses,
comme le prologue, où le poète a rassemblé les
ombres des prophètes autour du puits de Jacob.
Mais de celte scène, qui portait en soi une grandeur
vraiment biblique, Rostand n'a su tirerqu'un mince
parti : le ton des prophètes, les grâces presque ba-
dines de leurs discours s'accordent mal avec leur
caractère. De même, les paraboles, traitées en vers
sautillants, prennent un air fâcheux de fables â la
Florian ; bref, l'impression d'ensemble est médio-
crement satisfaisante. C'est que le sujet, celte fois,
était disproportionné aux forces de l'auteur. Il eût
fallu, pour le traiter, la profondeur de pensée d'un
Vigny ou. mieux, la puissance d'un Hugo.
Rostand n'y apportait qu'une grâce délicate, certes,
mais trop mièvre. L'Evangile s'accommode mal de
préciosité, et le Christ de Rostand est volontiers pré-
cieux; il y a même en lui un côté esthète très peu
plaisant, quand il regarde, par exemple, s'avancer
Photine et qu'il admire — en des vers d'ailleurs
délicieux — la grâce de son geste :
Voici bien, ô Jacob, le geste dont tes filles
Savent, en s'avançant d'un pas jamais trop prompt,
Soutenir noblement l'amphore sur leur front.
Klles vont, avec un sourire taciturne,
Kt leur forme s'ajoute à la forme de l'urne,
Et tout leur corps n'est plus qu'un vase svelte, auquel
IjO bras levé dessine une anse sur le ciel.
Vraiment, ce Jésus sent trop son Renan ! Et que
dire de celte paraphrase de l'oraison dominicale qui
termine la pièce et où le poète a appliqué toute sa
virtuosité k plier â la mesure des vers une prière,
si belle en prose? C'est là une trace de ce mauvais
goût que Rostand n'a pas toujours su éviter et dont
Edmond Rostand.
LAROUSSE MENSUEL
il avait donné déjà, dans les Musardises, un signi-
ficatif et analogue exemple dans la Prière d'un
matin bleu.
Ces trois pièces avaient valu à Rostand une cer-
taine notoriété : on l'estimait comme le poète délicat
et charmant, comme un homme de théâtre habile'
mais la douce musique de ses vers, qui ravissait les
connaisseurs, gardait encore des sons trop grêles
pour frapper les oreilles de la foule. Il fallut, pour
cela, la fanfare de Cyrano.
Le triomphal succès qui salua celle œuvre lors
de son apparition, le 38 décembre 1898, restera dans
notre histoire dramatique comme une date mémo-
rable. Si ce ne fut pas l'avènement d'une ère nou-
velle, comme se hâtèrent un peu vite de le procla-
mer certains critiques et, à leur tête, Faguet, qui
s'éleva ce jour-là jusqu'au lyrisme, c'était du moins
une réaction et
une revanche.
Depuis une di-
zaine d'années,
notre théâtre,
sous prétexte
d'études psycho-
logiques et sous
couleur de serrer
de plus près la
réalité, se com-
plaisait dans un
réalisme parfois
outrancier. Les
« tranches de
vie » que présen-
laientles auteurs,
c'étaient surtout
de l'adultère dé-
bité en mor-
ceaux, et le pu-
blic commençait
à être las d'un régime si uniforme. Il y avait aussi
les « pièces à idées », qui, trop orgueilleuses pour se
plier aux lois élémentaires du poème dramatique, se
bornaient à offrir des suites de scènes sans action ni
mouvement. Heureux, encore, quand la pensée ne
s'enveloppait pas de quelque brume Scandinave!
Et voilà que, soudain, à ce public rassasié d'étran-
getés, fatigué d'un tel étalage de vulgarités et de
tristesses, un poète, jeune, eulhousiasle, vibrant,
offrait une œuvre ingénieusement construite, pleine
de mouvement et de vie, riche de fantaisie comique
et de grâce morale, où le rire se mêlait agréable-
ment à l'émotion, la bouffonnerie à l'héroïsme, où
les saillies de l'esprit ne servaient qu'à souligner
les nobles aspirations du cœur 1 II n'en eût pas fallu
davantage pour assurer le succès de la pièce. Mais,
ce qui charmait surtout le public français, c'est
qu'il se retrouvait sans effort dans celle œuvre si
conforme à notre tradition nationale. Car, il faut
bien le dire, Cyrano de Bergerac n'apportait rien
de nouveau au théâtre. Ainsi que le remarquait
judicieusement J. Lemaître, >< Cyrano va du roman
de d'Urfé et des premières coniédies de Corneille
au Capitaine Fracasse et à la Florise de Ban-
ville, en passant par l'hôtel de Rambouillet, par
Regnard, par le Prince travesti de Marivaux, par
le quatrième acte de Ruy Blas, par Tragaldabas et
les romans de Dumas père ». Qu il y ait de tout
cela dans cette comédie, cela n est pas douteux, et
c'est pourquoi elle nous fut tout de suite familière;
mais il y a surtout du Rostand. Le poète avait eu
cette chance unique de rencontrer le sujet qui
s'adaptait le plus étroitement à son talent. Toutes
ses qualités pouvaient s'y donner libre cours, et ses
défauts mêmes devenaient des qualités. Comment,
d'ailleur.s, démêler ceux-ci de celles-là dans ces vers,
tour à tour pètillanis d'esprit et vibrants d'émotion,
qui éblouissaient par la richesse de la langue, l'im-
prévu des épilhèles. la trouvaille des rimes et dont
l'extraordinaire souplesse se prêtait aussi bien à la
vivacité du dialogue qu'au développement de la
tirade lyrique? Là, Rostand se révélait véritable-
ment créateur, et c'est ce qui lui gagna du premier
coup tous les suffrages. En d'autres œuvres, il a pu
atteindre à plus de profondeur, à plus de force
lyrique; dans aucune, il n'a été plus complètement
lui-même. Cyrano restera donc l'œu vre la plus popu-
laire et la plus représentative de Rostand et, pour
tout dire, son chef-d'œuvre.
Porté brusquement à la célébrité, entré vivant
dans la gloire, promu au rang de poète national et
même mondial, Rostand se vit condamné du même
coup k ne plus donner que des œuvres supérieures.
Quand on sait combien vive était sa sensibilité,
qu'un rien suffisait à alarmer, combien tyranniques
ses scrupules, qui lui ôlaienl toute confiance en lui-
même, on devine qu'il souffrit de sa gloire plus
qu'il n'en jouit. 11 aurait pu faire d'autres Cyrano;
par conscience d'artiste, il voulut se renouveler,
s'élever plus haut : de la comédie il passa au drame,
du poème hérolcomique à l'épopée et il écrivit
l'Aiglon (1900).
C'était une erreur. En changeant de genre, Ros-
tand était resté le même et, cette fois, le miracle de
Cyrano ne s'était plus renouvelé : il y avait désac-
731
cord entre le poète et son sujet. Celni-ci, du reste,
était mal choisi.
Si c'est le comble de l'art dramatique de << faire
quelque chose de rien », comme l'a-dit Racine, c'en
est aussi la suprême difficulté. Que pouvait donner
l'histoire du duc de Reichstadt, qu'aucun incident
n'a jamais traversée? Que pouvait donner, surlout,
ce caractère indécis, voué à de perpétuelles hésita-
tions, parce qu'il ne fit jamais rien et qu'il est
encore trop près de nous pour que la fantaisie du
poète ait droit de lui prêter quelque action? Le
semblant de complot, imaginé par l'auleur pour
animer un peu son drame, ne saurait nous attacher.
Desservi par son sujet principal, Rostand s'est ra-
battu sur les à côté et a construit sa pièce avec
une série d'épisodes, de scènes accessoires, où il a
vainement prodigué toutes les ressources de son
talent. Car il y a beaucoup de talent dans l'Aiglon;
mais c'est un talent d'une autre nature qu'il eùl
fallu. Seul, un Shakespeare pourrait refaire //am/et;
et, dans l'Aiglon, Rostand est trop ouvertement
resté le poète de Cyrano. Victime de ses dons et de
son esprit, il a groupé dans son drame les tableaux
pittoresques, les scènes adroites, pleines de mots
spiriluels, d'images gracieuses, de tirades faciles, de
couplets à effet, mais son œuvre demeure tout
extérieure et d'un artifice trop visible : elle manque
de vie intérieure, d'âme.
Au lendemain de l'Aiglon, Rostand fut atteint
d'une pneumonie qui mit ses jours en danger. Pour
rétablir sa sanlé — qui ne devait plusse relever —
il décida de quitter Paris et alla se fixer en pays
basque, parmi ces Pyrénées auxquelles l'attachait
le sang espagnol qu'il avait hérité de sa grand'mère.
A Cambo, sur les hauteurs qui dominent la Nive, il
se fit édifier une résidence, i la fois rustique et
somptueuse. Vraie demeure de poète, la villa
Amaga devint désormais le séjour préféré de Ros-
tand. Il la quitta, cependant, en 1903. pour entrer à
l'Académie française, où il avait été élu en 1901, au
fauteuil de H. de Bornier; à cette occasion, il pro-
nonça un discours, plein de grâce et de malice,
qui est un véritable joyau de prose. Revenu dan-
sa retraite, Rostand y prépara laborieusement
l'œuvre qui, dans son esprit, devait être le sommet
de sa carrière, celle où il s'exprimerait totalement,
Chantecler.
Tout le bruit qui se fil sur cette pièce avant son
apparition nuisit plus qu'il ne servit à son succès,
lorsqu'elle fut représentée en 1910. On applaudit
— par habitude; — mais, au fond, le public était dé-
concerté par celte œuvre d'une forme si nouvelle,
qui mêlait tous les genres, dont les personnages
étaient pris dans le monde des animaux et où un
coq, un chien, un merle, une faisane étaient char-
gés de traduire les plus hautes conceptions d'un
poète. Il y avait là une sorte de disproportion, qui
s'aggravait encore à la scène. En outre, le sens pro-
fond de l'idée se cachait sous un feu d'artifice de
plaisanteries, de pointes, d'à-peu-près, de jeux de
mois, de calembours, qui, en éblouissant les audi-
teurs, déconcertait leur jugement. A la lecture, au
contraire, Chantecler apparaît comme un très beau
poème lyrique. Si les fautes de goût — et elles sont
nombreuses — s'y marquent davantage, par contre
la pensée frappe par sa profondeur el la nouveauté
de l'inspiration. Chantecler, c'est le poète qui, plein
de foi dans sa mission divine, puise dans l'illusion
même de sa foi l'énergie de poursuivre sa tâche,
malgré les mesquineries, les jalousies, les haines.
Que lui importent les sifflements railleurs du merle.
les complots des « nocturnes » ! Son chant seul
l'occupe, ce chant éveilleur d'aurore et de beauté,
où il met toute son âme :
Chanter, c'est ma façon de me battre et de croire!
Son unique angoisse est la crainte de ne pouvoir
renouveler son effort :
Ah ! le cygne est certain, lorsaue son cou s'allonge.
De trouver sous les eaux, des herbes; l'aigle est sûr
De tomber sur sa proie en tombant de l'aïur;..
Mais moi, dont le métier me demeure un mystère
Et qui du lendemain connais toujours la peur,
Suis-je sûr de trouver ma chanson dans mon cœur?
Celle admirable scène du deuxième acte, où le
poète a traduit la foi et l'inquiétude des poètes et
des artistes, où un pittoresque symbole explique la
genèse douloureuse et fervente de toute poésie et
de toute œuvre d'art, ce n'est pas seulement la scène
maîtresse de la pièce, c'est aussi une des pages
maîtresses de l'œuvre de Rostand.
Depuis Chantecler, le poète, à part quelques courts
poèmes, n'a plus rien donné. Le demi-insuccès de
l'œuvre où il avait mis. avec son âme, ses plus chers
espoirs, avait profondément blessé sa sensibilité,
exaspérée, d'ailleurs, par la maladie. Il ne lui suffisait
pas de vivre sur sa gloire, qu'avait couronnée en
1911 sa promotion au grade de commandeur dans la
Légion d'honneur. Cet artiste scrupuleux et pas-
sionné continuait à travailler; il avait en chantier
plusieurs pièces, dont certaines, même, étaient pres-
que achevées : un Don Juan, un Faust, une Jeanne
d'Arc. La guerre l'empêcha de les faire représen-
ter; la mort ne lui aura pas permis d'y metlrs U
dernière main.
732
Homme de (héâlre d'une incontestable maîtrise,
Rosland possédait en outre tous les dons qui font les
vrais poètes : sensibilité vibrante, imagination très
vive, inépuisable richesse d'expression. Malheureuse-
ment, un défaut — qui était encore l'excès d'unequalilé
— gâtait tout cela : il avait trop d'esprit. Dans une
pièce des Musardises, il s'est remarquablement ana-
lysé et jugé. Décrivant un tambourineur provençal,
Qui souffle dans son fifre un air très gai de danse.
Pendant qu'il frappe avec la baguette, en cadence,
La peau du tambourin qui ronfle sourdement,
il ajoutait :
Tambourineur d'amour, comme je te ressemble î
Je vais, jouant du triste et du gai tout ensemble ;
Le tambourin sonore et grave, c'est mon cœur...
Mais, toujours, cependant qu'il fait sa plainte sourde.
Sifflote mon esprit, ce galoubet moqueur.
Tout Rostand tient dans celte allégorie. Mais
pourquoi l'allut-il que les sifflotements de son es-
prit, assurément gracieux et alertes, aient trop
souvent distrait notre oreille, nous empêchant
parfois même d'entendre la grave musique de
son cœur? — F. ouie»nd.
sagoun. m.— Encycl. Pécule exotique utilisée
dans l'alimentation humaine, le sagou est extrait
de la moelle du slipe ou tronc de dilTérenls pal-
miers et de (liiïérentes cycadées des pays chauds.
Les peuples des contrées inlertropicales cultivent
depuis des temps reculés ces arbres, dont le troue
LAROUSSE MENSUEL
allongées et entrelacées ; ses feuilles, presque
dressées, sont longues de 6 à 8 mètres et ont des
pétioles armés de pif|uanls. Ses spadices sont
en épis serrés, qui sortent du milieu des feuilles
Ses fruits, presque globuleux, sont déprimés aux
deux extrémités.
Ce palmier sagoulier a le port et la taille du dat-
tier. II est commun dans l'Inde, dans la presqu'île
de Malacca, au Siam, dans les îles de la Sonde, aux
Moluques et en Guyane.
Le sai/ou ifAmboine, qui est très blanc, est pro-
duit par ce paltnier. D'après Capus et Bois, un tronc
de 1.1 ans peut produire S-îO kilogrammes de fécule
et 150 kilogrammes de sagou granulé. Ce palmier
ne donne des fruits que lorsqu'il est très âgé.
Le sar/oulier lisse (meiroxylon Isevis ; sagus
Isevis; sagus inermis) donne un slipe élevé, qui
atteint quelquefois 10 mètres de hauteur. Ses feuil-
les, très belles, très élégantes, ont des pétioles sans
piquants. Ses fruits sont presque globuleux.
Ce palmier, célèbre par l'excellent sagou qu'on
en tire et qu'on imporle en Europe, est abondant
aux Indes, à la presqu'île de Malacca, au Siam,
aux îles de la Sonde et en Chine.
Avec le précédent, ce sont les deux seuls qui
donnent le véritable sagou.
U.Haphier {raphia}. — Le raphier pédoncule
{raphia pedunculala; raphia ruffia; meiroxylon
ru/'fîa; sagus ruffia; sagus pedunculala; sagus
farinifera) a un tronc très élevé, des feuilles
1. Sagoutier de Rumpbiug : A, fruit.
contient une abondante moelle féculifère. Celte
moelle, appelée « sagou », sert d'aliment et rem-
place le pain.
Les sagoutiers sont nombreux dans les parages
maritimes de l'Inde, de Malacca, des îles de la
Sonde, en Nouvelle-Guinée, aux Moluques, aux
Philippines, au Japon, en Océanie, à Maurice, à la
Réunion, à Madagascar, en Afrique, au Brésil, en
Guyane, à la Jamaïque.
L'île Céram, aux Moluques, renferme une im-
mense forêt de sagoutiers, dont quelques-uns sont
si développés qu'un homme ne peut embrasser leur
tronc. On peut voir à la Maiscn-Blanche, résidence
présidentielle des Etats-Unis, un sagoutier âgé de
270 ans, qui développe chaque année une couronne
de 50 à 60 feuilles.
Les troncs ou stipes ne donnent plus de fécule
quand les arbres ont produit une première fois
des fruits
Les diverses parties des sagoutiers proprement
dits sont utilisées de plusieurs manières dans les
contrées inlertropicales. Les feuilles servent à cou-
vrir les cases, les côtes des feuilles servent à faire
des sagaies. Le bourgeon terminai se mange
comme chou palmiste, cru ou cuit. Par l'extrémité
tronquée, dont on a enlevé le bourgeon terminal,
s'écoule une sève abondante, qui donne par fer-
mentation une liqueur vineuse, supérieure au vin
de palme.
Espèces cultivées. Les sagoutiers cultivés dans
les régions chaudes du globe appartiennent à huit
genres différents.
I. Sagoutier (meiroxylon). — Le sagoutier de
Bnmpliius {meiroxylon Bumphii ; meiroxylon
sagits; sagus Iiu»ipliit ; sagus genuina) a des racines
rampantes qui s'élendent à de grandes distances et
émettent de nombreux rejets. Son tronc (stipe) est
très gros; il mesure de 8 à 10 mètres de liauleur.
Son écorce est formée de nombreuses fibres épaisses,
2. Rapliia vinifère : B, fruit.
très grandes et très développées, a des fruits pyri-
formes ou obovales, très sillonnés et de couleur
marron sombre.
Ce palmier est très cultivé h. Maurice, à la Réu-
nion, à Madagascar, à la Marlinique, à la Guade-
loupe, dans les autres Antilles et en Guyane, ainsi
qu'en Afrique. 11 est indigène en Malaisie. A Mau-
rice et à la Réunion, on le nomme mouffia.
Ce sagoulier a beaucoup de rapport avec le sagou-
tier proprement dit. Il est remarquable par le ma-
gnifique bouquet que forment ses longues et belles
feuilles au sommet du stipe; son spadice terminal
est gigantesque, à ramifications pectinées, presque
articulées. Son régime est très beau; son Ironc, épi-
neux à l'état jeune, s'élève rarement au-dessus de
10 mètres.
Le sagou que l'on retire de ce raphia est consi-
déré aux Moluques comme le meilleur. Il se pré-
sente en grains irréguliers, arrondis, blancs, demi-
transparents, insolublesdansl'eau froide, ne formant
pas une bouillie dans l'eau bouillanle.
\jti raphia vinifère {raphia vinifera; sagus vini-
fera; meiroxylon vinifera; sagus palma-pinus)
a le tronc moyeimement élevé, des feuilles longues
de 2 mètres environ, des fruits oldongs un peu
pointus, écailleux et brun marron pâle. Les régi-
mes de ces fruits sont très développés. Ce sagoutier
est répandu en Cochinchine, à Madagascar, en Afri-
que orientale, dans les parties basses de la Guinée,
au Sénégal, au Congo, à Feinando-Po.
Le sagou extrait de ce palmier est identique à la
fécule des autres sagoutiers; il est recherché par
les Malgaches. C'est lui qu'on désigne parfois sous
les noms de : sagou de Saigon, sagou de Cochin-
chine. Ce palmier donne un vin de palme, produit
hydro-alcoolique obtenu par fermentation de la sève,
qui est extraite par incisions.
On consomme ce vin de palme en Guinée, au
Congo, à Fernando-Po; on l'appelle tope. Les fruits
M* 745. Mars 1919-
de ce palmier servent aussi à faire une boisson eni-
vrante. Les naturels se servent beaucoup des raphias,
dans l'architecture indigène. Les stipes, débarrassés
du sagou, serventde carcasse aux cases; les feuilles,
placées en faisceaux, s'imbriquant comme les bottes
de chaume des couvreurs de nos campagnes, for-
ment les parois et les couvertures de maisons pri-
mitives, qui servent malheureusement de repaire
aux énormes rats de ces régions et aux reptiles qui
les chassent. Les raphias donnent des libres appré-
ciées et une cire qui pourrait avoir un gros emploi
dans la métropole.
\\l.Mauritier{maurilia). — Lemaiirilier flexueux
{mauritia flexuosa; sagus Americana) a un tronc
droit sans épines, très haut, qui atteint souvent 30
à 40 mètres de haut. Ses feuilles sont grandes,
avec des pinnules nombreuses et crispées et des
pétioles hémicylindriques canaliculés. Ses fruits
sont ovales, pre-3que globuleux et déprimés à leur
sommet.
C'est une belle espèce, qui aime les bas-fonds et
les lieux humides. Les habitants des Guyanes l'ap-
pellent ila. Elle est répandue en Guinée, au Brésil,
au Pérou, au "Venezuela, en Guyane, sur les bords
de l'Amazone et de l'Orénoque. Le sagou qui en
est extrait est appelé ipuruma par les Indiens de
l'Amazone. Le commerce le nomme sagou de l'Amé-
rique du Sud.
Le matirilia forme dans les lieux humides des
groupes magninques d'un vert frais et brillant. Son
ombre conserve aux autres arbres un sol humide,
ce qui fait dire aux Indiens qu'il réunit l'eau autour
de ses racines par une attraction mystérieuse. Ses
qualités sont nombreuses. Seul, il nourrit les Guara-
nis, à l'embouchure de rOréiiO(|ue.
Ces peuplades tendent d'un tronc k l'autre des
nattes faites avec les nervures des feuilles de
mauritia et, durant la saison des pluies, où le delta
est inondé, ces hommes primitifs vivent comme
des singes au sommet des arbres. Ces habitations
suspendues sont en partie couvertes avec de la
glaise. Les femmes allument, pour les bi-soins du
ménage, des foyers suspendus, et le voyageur qui
navigue sur le fleuve aperçoit ainsi des flammes à
une grande hauteur. Ces arbres atteignent de façon
courante une taille de 30 à 40 mètres. Les fibres,
appelées arawaa/c, servent à faire des hamacs.
Les Indiens préparent avec le fruit du mauritia
flexuosa une liqueur appelée belleerie, qui peut
empoisonner.
Le fruit de l'espèce appelée mauritia vinifera
sert â faire une bonne confiture, que les Brésiliens
appellent saje</a
La sève qu'on obtient de ces deux espèces en
pratiquant des entailles sur les troncs est transfor-
mée en vin de palme par fermentation.
IV. Arenga. — h'arenga à sucre {arenga sac-
charifera; saqiierus liumphii ; saguerus gomutus;
gomulus sacc)iarifer; borassus gomulus) a un tronc
qui atteint 10 à 12 mètres de haut, très gros, chargé
de grosses écailles formées par la persistance des
pétioles. Ses feuilles terminales sont pennées, ses
fleurs sont mono'iques, ses fruits sont à trois loges
et à trois semences. Ses graines sont dures et tri-
gones. Ce palmier est cultivé dans les parties
chaudes de l'Inde, des îles de la Sonde, aux
Moluques, aux Philippines, en Cochinchine, au
Japon.
Les Malais l'appellent anao, les Javanais aren,
gomouti ou sangoer, les lUniioas sa gwire ou go-
muti et les Amboinais nawa.
Le sagou extrait de son stipe est abondant, mais
il est moins estimé que celui qui est fourni par les
autres palmiers. Il est doué d'une saveur particu-
lière, qui déplaît aux Européens. Les Javanais le
mangent volontiers et avec plaisir. Un arbre de
2U ans peut donner 75 kilogrammes de fécule. La
sève de ce palmier est très sucrée; elle est extraite
par incisions ou sections pratiquées aux spadices.
Elle fournit le vin d'arenga, qu'on transforme en
eau-de-vie par distillation. Un arbre de 8 à 10 ans
donne 3 litres de sève par jour.
On fait avec les amandes des fruits de bonnes
confitures. La pulpe des fruits de Varetiga contient
un suc vénéneux, que les Hollandais appellent hel
waler (eau infernale). Les Malais s'en servent pour
empoisonner leurs flèches. Les fibres de ses feuilles
donnent une bonne matière textile.
■V. Dattier{phœnix]. — Le dattier farineux {phœ-
nix farinifera) a l'aspect et le port du phœ-
nix dactylifera. Son stipe, très gros, n'a qu'un
mètre de haut ; sa moelle renferme en abon-
dance une fécule d'une grande finesse. Les Arabes
appellent ce palmier "e/fA/a. 11 est très répandu en
Cochinchine et dans l'Inde, où les Hindous estiment
le sagou qu'ils en tirent.
VI. Caryote {caryota). — Le caryote caustique
{caryota urens) a un très beau tronc droit, cylin-
drique, annelé, atteignant 20 mètres de haut. Ses
feuilles, très divisées, ont des pinnules un peu co-
riaces, longues de 5 à 6 mètres et larges de 3 à
4 mètres. Ses fruits sont globuleux, déprimés et
rouges à la maturité. Ses semences sont aplaties
d'un côté et arrondies de l'autre.
W 745. Mars 1919.
Celle espèce est 1res répandue & Ceylan, dans les
parlies méridionales de l'Inde, au Bengale, dans
r Himalaya, au Coromandel, au Malabar et aux
Moluques.
La fécule qu'on extrait de son stipe est abon-
dante et de bonne qualité; elle constitue le sagou
de Malabar, dont la saveur n'est pas aussi agréable
que celle des vrais sagous.
Les Hindous l'emploient en bouillie et pour faire
du pain
Les feuilles de ce palmier donnent des fibres résis-
tantes, avec lesquelles on fabrique divers objets.
Les fruits, delà grosseur d'une prune, sont caus-
tiques.
Au témoignage de Roxburgh, un arbre adulte de
celle espèce donne en Î4 heures une centaine de
pintes de sève sucrée, avec laquelle les indigènes
fabriquent du vin de palme et de l'eau-de-vie.
Vil. Cycas (cycas). — Les cycas et les zamiers
ont le port des palmiers, mais sont d'une famille
toute diirérente : la famille des cycadées, qui est
intermédiaire entre les cryptogames vasculaires
(fougères) et les gymnospermes (if, genévrier, sapin).
Les feuilles des cycadées poussent en crosse,
comme les feuilles de fougères.
Le cycas circinal (cycas circinnlis ; todda patina)
a le tronc en colonne de 5 à 6 mètres de haut. 11
alleint souvent plus de 15 mètres. Il est couronne
au sommet par une gerbe de grandes et belles
feuilles pinnatiséquées à 180 à 200 paires de fo-
lioles. Ses pétioles sont bordés de chaque côté
par une rangée d'épines. Son spadice est rameux.
Ses fruits, réduits à une graine nue, de la grosseur
d'une noix, sont un peu comprimés, lisses, jaune
orangé ou rougeàtre, quand ils sont roùrs. Cette
espèce croît de préférence dans les terrains arides,
pierreux, sablonneux, montueux. Elle est commune
aux Indes, en Chine méridionale, au Malabar, aux
Molusquesetdanslapartieéquatoriale de l'Australie.
Sa férule, qu'on appelle faux sagou, est très estimée
au Japon. Le commerce de l'Inde l'appelle sagou
des Indes on sagou indien. En Nouvelle-Guinée, les
Papous mangent les amandes de cette espèce, quand
elles sont rôties ou grillées.
Le cycas révoluté [cycas revoluta) a un tronc
de 2 mèlres de haut, qui est gros et couvert des
cicatrices des feuilles tombées; ses feuilles sont
longues de 1 mètre à 1°»,50; ses pétioles ont aussi
deux rangées d'épines; ses fruits sont ovo'ides.
Cette espèce est commune à Ceylan, aux Indes,
au Japon et en Chine. La fécule produite par ce
cycas est très estimée des Japonais.
Le cycas satis épines [cycas i7termis) a un tronc
simple, des pétioles non épineux et des fruits ovo'ides
légèrement comprimés.
Cette belle espèce est cultivée en Chine méridio-
nale et en Cochinchine, où les indigènes l'appellent
cay-sau-thué
Le cycas Caledonica fournil aussi de la fécule en
Nouvelle-Calédonie.
VIII. Zamier [zamia). — Le zamier des Cafres
[zamia Cafra ; zamia cycadis ; encephalartos
Caffer) a une tige cylindrique ligneuse, peu élevée,
fragile, des feuilles longues de 1°',50, composées
de folioles nombreuses, oblongues, lancéolées, très
peu révolutées sur les bords.
Cette espèce est répandue dans les parties méri-
dionales de l'Afrique. Son tronc contient une fécule;
on l'appelle pain des Cafres.
Les colons boers de l'.^frique australe l'appellent
broodboom (arbre à pain).
La fécule que l'on appelle fécule de Guyaba est
extraite des racines féculifères du zamia pigmea.
En général, les cycadées, qui ont une croissance
très lente, ne sonl pas cultivées. On exploite pour
sagou seulement celles de ces espèces qui poussent
à l'état sauvage, aux Indes, en Indochine, aux Mo-
luques, au Japon, en Chine, en Australie, en Nou-
velle-Calédonie et dans l'Afrique du Sud.
Agriculture. Multiplication et culture. — Comme
nous l'avons vu pour chaque espèce, les sagoutiers
sont répandus sur le globe du 35« parallèle nord et
au 30« parallèle sud en Asie, en Océanie, en Amé-
rique, en Afrique et dans les lies qui en dépendent
géographiquement.
Ils se développent dans des vallées marécageuses
ou au bord des cours d'eau, dans des terres d'allu-
vion. La culture en est des plus simples.
On peut les propager par graines, mais ils ne
germent pas toujours très bien. 11 est préférable
de repiquer les rejetons ou les bourgeons latéraux
qu'ils produisent en grand nombre.
Ces plants doivent être placés dans une terre
ameublée et fertile, fraîche sans être humide.
Il faut, au besoin, arroser et irriguer mouérémenl.
Chaque année, le sol est ameubli au moins une
fois autour des pieds pour faciliter l'aération de la
couche arable et la pénétration des eaux pluviales.
Les fruits des sagoutiers sont de la grosseur d'un
œuf et presque globuleux.
La floraison et la maturation de ces fruits exi-
gent environ deux années.
Industrie. Extraction de la fécule. — La fécule
des palmiers est contenue dans le tissu cellulaire
LAROUSSE MENSUEL
qui occupe l'intérieur des troncs ou stipes. On
opère la récolle quand les troncs ont de 10 a 15 ans,
avant la première floraison et le développement
complet de l'énorme spadice qui termine le stipe
Ou reconnaît que la fécule existe dans le tissu du
palmier quand les feuilles se recouvrent d'une
poudre blanche (cire). Si les troncs sont trop élevés,
on y pratique une ponction exploralrice, et l'on juge
si on peut pratiquer la récolte.
Quand ce moment est arrivé, on abat les palmiers
au pied, et on les débite en billes de 1 à 2 mètres,
qu'on fend longitudinalement en plusieurs mor-
ceaux. On débarrasse alors la masse cellulaire ou
moelle, qui est spongieuse, blanche et tendre, de la
partie corticale dure, en la réduisant en lanières
733
plaques métalliques, chauffées au feu. On a soin de
remuer continuellement ces granules avec une spa-
tule de bois. Au bout de quelques minutes, ils
acquièrent toute la dureté nécessaire. On les crible
à nouveau, et on les lait sécher k l'ombre, dans un
endroit aéré.
Quelquefois, aussi, on humecte la fécule, on la
soumetàl'actiond'unfeu modéré, elon ladivise pour
la transformer en granules ou petits grains Suivant
le degré de torréfaction qu'on fait subir aux granules,
on obtient du sagou blanc ou du sagou coloré Le
sagou reste blanc quand la température nedépassepas
100° C. environ ; il prend une teinte rose ou jaunâtre
si elle atteint 150° C. ; enfin, le sagou devient rou-
geàtre ou jaune rouss&tre si la chaleur atteint 200° C.
1. Mauritier flexueux: 2. Arenga à sucre ; 3. < .lyote caustique; 4. Cycas circinal, 5. Zamier des Cafres.
qu'on râpe et qu'on broie en les écrasant dans l'eau
froide contenue dans une auge. On lave la pvilpe
en agitant et en malaxant bien la moelle. Cette
masse aqueuse est alors versée sur un tamis placé
au-dessus d'une cuve. L'eau entraîne les parlies
féculentes, qui se déposent au fond de la cuve.
Quand l'eau est presque claire, on décante, et on
trouve au fond de la cuve une masse pâteuse, qu'on
expose au soleil pour la sécher. Quand elle est en
partie sèche, on la moule en petits pains de 18
à IG centimètres au carré, épais de 2 à 3 centi-
mèlres. Les moules sont en terre ou fabriqués avec
des feuilles vertes de sagoulier. Ces pains sont
placés à mi-ombre, dans un endroit aéré, pour qu'ils
durcissent.
Raffinage. — Avant de l'exporter, on lave à
nouveau la fécule, et on la tamise à l'eau, puis
on la laisse déposer, et on décante. On fait ensuite
sécher. On obtient ainsi une poudre féculente ou
farine. Celte fécule est le véritable sagou. Ce pro-
duit conserve très bien pendant longtemps toutes
ses qualités alimentaires, & la condition qu'il soit
placé dans un endroit très sec. Pour l'exporta-
tion, il est cependant préférable de le granuler ou
de le perler.
f^a granulation du sagou est simple. Avant que
la masse soit tout à fait sèche, on la pusse à travers
un crible à mailles assez (ines Tout ce qui reste
sur ce crible est mis dans un sac, auquel on donne
un mouvement de va-et-vient modéré pendant dix
minutes environ pour séparer le sagou perlé des
parties poudreuses qu'il peut contenir. Ces gra-
nules ainsi obtenus sonl très frial)h's. Pour leur
donner la résistance voulue, on les expose sur des
La fécule du zamia est préparée par les Cafres
d'une manière difTérente : la masse cellulaire est
enfermée dans une peau, et le tout est enterré. On
laisse ainsi la masse fermenter. Après trente ou
quarante jours, on la retire du sol, et on l'écrase en
la mouillant. La pile obtenue est ensuite pétrie;
elle sert à confectionner des gâteaux et galettes,
qu'on fait cuire sous la cendre. On estime, d'après
Capus el Bois, qu'un sagoulier peul donner 350 ki-
logrammes de fécule, représentant 150 kilogrammes
de sagou granulé. Le sagou d'Amhoine est produit
par le metroxylon Rumpkii; le sagou de Malabar
par le caryota urens; le sagou de Saigon ou de
Cochinchine par le raphia vint fera; le sagou de
l'Amérique du Sud par le mauritia flexuosa; le
sagou des Indes par le cycas cirdHalis; le pain des
Cafres par le zatnia Cafra.
Le sagou d'.\mboine contient :
Amidon 86.91
Matières aIKuniinoïdes O.SO
Cendres 0.19
Ban li.SO
TOTAL 100.00
Description du sagou commercial. — Le vrai
sagou constitue plusieurs sortes commerciales, qui
varient selon leur forme, leur coloration et leur pro-
venance. Toutes se présentent en grains arrondis
plus ou moins réguliers, rugueux, opaques, blancs,
gris ou roses, ayant 1 à 8 millimètres de diamèlre.
Ces grains sont très durs ; ils s'aplatissent diffici-
lement sous la dent, sans s'écraser. Ils ne se tendent
au couteau que difflcilement. Ils sont toujours iso-
lés, jamais en masses mamelonnées, lia se gon-
Fécule de sagou (vue au microscope).
734
nent dans l'eau ou dans la salive, sans s'y dissoudre.
Ils deviennent alors transparents. Ils sont à peu
près sans goût et sans odeur.
Caractères microscopiques. — La fécule de sagou
pure se présente en grains de grosseur irrégulière,
qui montrent des formes variables, suivant qu'ils
étaient isolés ou agglomérés dans la moelle. Les
grains isolés sont ronds ou ovales, elliptiques ou
pyriformes, parfois bosselés sur leur contour ou
terminés brusquement en pointe; les grains agglo-
mérés sont généralement composés d'un grain
volumineux et de deux à trois granules beaucoup
plus petits, qui se sont séparés et affectent la forme
d'une calotte hémisphérique. Le gros grain auquel
ils étaient soudés n une forme plus variable : ar-
rondi d'un côlé,
il est tantôt apla-
ti, tantôt angu-
leux de l'autre
côté ; parfois, il
est bosselé ou
réniforme. Les
gros grains me-
surent 50 à 65 I^
de longueur, les
petits ne dépas-
sent guère 10 à
20 fi. La plupart
des gros grains
présentent un bile très apparent, excentrique, fis-
suré ou étoile, et des stries concentriques.
Les sagous du commerce contiennent souvent
des débris végétaux comme impuretés.
Le sagou perlé a subi l'action du feu. Quand on
l'a désagrège dans l'eau, on peut voir de nombreux
grains ayant conservé les caractères précédents;
mais on peut suivre sur d'autres toutes les trans-
formations que
c
l'action du feu leur
a fait subir. Ils
sont déformés, leur
hileestdeveiiuplus
large et bien plus
apparent.
Au niveau de ce
point, beaucoup de
^Co'oSOC fe> CT^ grains ont éclaté et
^^^ ont donné, en s ag-
Fécule de manioc (vue au microscope), glulinan t, des mas-
ses irrégulières
d'empois striées en différents sens et qui ont perdu
leur forme primitive.
Il ne faut pas confondre le sagou avec le tapioca,
car celui-ci est une fécule retirée des tubercules
de manioc, plante de la famille des euphorbiacées,
11 ne faut pas le cou fondre non plus avec l'arrowroot,
qui est produit par les tul)ercules ou les rhizomes
de différentes plantes des familles des amomacées,
zingiberacées, taccacées et aroïdées.
Enfin, il faut le distinguer également du sagou
indigène ou tapioca indigène, qui est fabriqué avec
la fécule de
pomme de terre
humide, qu'on
passe à travers
un crible mé-
tallique assez
fin et dont on
soum et les
grainsainsiob-
tenus à l'action
de la chaleur.
C'estlà.d'ail-
leurs,unprocé-
dé pratique
Fécule de pomme de terre (vue au microscope), d'utiliser les
pommes de
terre gelées. Celles-ci sont pelées, puis réduites en
pulpe, qui est lavée sur un tamis fin; la fécule est
recueillie avec les eaux de lavage dans un fût bien
propre; elle est récupérée par décantation, lavée à
nouveau, essorée, séchée en partie, criblée et traitée
dans une poêle sur le feu.
On peut plus simplement réduire les pommes de
terre gelées en peliles particules qu'on traite par
la chaleur et qu'on fait sécher dans un endroit bien
aéré ou en utilisant la chaleur perdue des fourneaux
de cuisine. On obtient ainsi un excellent produit,
qui peut remplacer le sagou ou le tapioca dans les
potages.
Historique. — C'est Marco Polo qui a introduit le
sagou en Europe, où il n'est commercialement
connu que depuis 1729. Le premier qui fut importé
en Angleterre venait des Maldives. On l'a introduit
en France en 1740, sons le nom de sagou de Chine.
De nos jours, le commerce distingue trois sortes
de sagou : 1» le sagou blanc rosé ou sagou tapioca ;
2° le sagou gris ; 3° le sagou blanc, qu'on appelle
aussi sagou perlé. Il est moins estimé que les
autres, il gonfle peu à la cuisson.
Le sagou rouge brique vient de la Nouvelle-
Guinée.
Le sagou blanc jaunâtre à odeur musquée vient
de Sumatra.
LAROUSSE MENSUEL
Le sagou rouge cuivré vient des lies Maldives ;
il est très estimé.
On colore quelquefois le sagou blanc avec la co-
chenille, pour lui donner une teinte rosée.
Le principal marché du sagou est Singapour,
qui en exporte environ 30.000 tonnes par an. Très
recherché dans les pays tropicaux, oii il est une des
bases de l'alimenlalion, le sagou est une immense
ressource pour les Malais. 11 sert à faire du pain,
des galettes, de la pâtisserie, des bouillies. On le
mêle souvent au chocolat et aux potages. A I»
cuisson, les granules absorbent l'eau et se gonflent
beaucoup. Ils deviennent alors mous et translu-
cides. Le sagou est regardé comme un aliment
excellent, agréable, léger, facile à digérer.
En Europe, le sagou est employé principalement
en pâtisserie; mais on en fait aussi des bouillies,
des potages, etc. Il est à présumer que la consom-
mation ira se développant, car ce produit est un
excellent aliment hydrocarboné, qui peut rendre de
grands services dans l'alimentation ; et c'est, d'autre
part, une ressource naturelle de nos colonies toute
prêle à être exploitée. — André piédàllo.
*saltation n. f. — Hist. nat. Transformation
brusque d'une espèce vivante. || Apparition soudaine
d'une nouvelle espèce vivante (terme employé par
les paléontologistes, en souvenir de l'adage Natura
non facit sallus) : Blaringhem a précisé une des
causes possibles de saltation en provoquant expé-
rimentalement la création d'espèces nouvelles de
maïs, à la suite de blessures infligées intentionnel-
lement à certains sujets (Emmanuel de Martonne).
Shakespeare (Sous le masque de William).
— Voici une nouvelle solution de l'énigme shakespea-
rienne qui passionne depuis longtemps les érudils.
On sait qu'en présence des nombreuses contradic-
tions relevées entre les caractères d'une œuvre dra-
matique géniale et la vie, l'éducation de l'auteur
présumé, des critiques, de plus en plus nombreux,
se refusent à attribuer à William Shakespeare la
paternité des pièces qui ont été publiées et jouées
sous son nom : l'acteur n'aurait été qu'un homme
de paille. Les difficultés commencent lorsqu'il s'agit
de retrouver l'auteur véritable du théâtre shakespea-
rien et de percer un anonymat qui s'est ingénié k
s'entourer du mystère le plus impénétrable.
On a d'abord songé à Bacon, mais l'hypothèse se
heurte à un certain nombre de difficullés graves. A
en croire, au contraire, P. Alvor et K Bleibtreu
(1907), dont la thèse a été reprise en 1912 et 1914
par Demblon, le dramaturge serait Roger Manncrs,
cinquième comte de Rutland. Le travail principal
de Demblon a élé analysé et critiqué ici même
(V. Larousse Mensuel, t. Il, p. 780-781). Parmi les
objections qu'il soulève, il paraît surtout invraisem-
blable que lord Rutland ait pu écrire troiscomédies et
trois tragédies remarquables & l'âge de dix-sept ans.
Dans un ouvrage nourri de faits et d'idées, qui
fait sensation parmi les milieux litténiires [Sous le
masque de Williani Shakespeare, William Stnn-
lei/, VI' comte de Derby, Paris, 1918-1919, 2 vol.
in-12, XVl-355 p. et 303 p.), Abel Lefranc, profes-
seur au Collège de France, pose la question sous un
journouveau. Il était fatal qu'un spécialiste de l'his-
toire littéraire du xvi« siècle fût attiré par celte
grande énigme historique, une des plus passion-
nantes des temps modernes.
Il ne s'agit plus ici, en effet, d'une simple curiosité
historique comme pour le Masque de fer ou l'éva-
sion hypothétique de Louis X'VII du lemple. Le
problème a une portée singulièrement plus haute :
c'est toute la méthode de la critique littéraire ac-
tuelle qu'il met en jeu. En s'appuyant sur les don-
nées de l'histoire, de la sociologie', de la psycholo-
gie, la science explique aujourd'hui l'œuvre par
l'homme; elle montre les relations étroites qui exis-
tent entre les productions littéraires ou arlisliques
et le caractère de l'auteur, sa vie, son milieu, ses
joies et ses tristesses. 11 n'est pas de génie, si prime-
sautier ou si épris de l'art pour l'art, dont on ne
puisse reconstituer la formation et retrouver les
attaches. A la lueur de ce nouveau flambeau, maints
problèmes obscurs se sont éclairés; replacées dans
leur cadre originaire, les œuvres ont repris leur
réelle valeur et ont gagné à être regardées dans une
juste perspective. Et, seul, un des plus grands génies
de l'époque moderne échapperait à la loi commune,
â laquelle sont soumis pourtant même un Dante, un
Camoëns, un Gœthe, un Hugo? La vie d'un homme
aussi célèbre est enveloppée d'une opacité téné-
breuse, et le peu que nous en savons, loin d'expli-
quer son œuvre, ne nous apporte que contradictions
et invraisemblances.
La crttiqite négative. — La thèse d'Abel Lefranc
comporte d'abord une partie négative, qui renforce
I les arguments déjà présentés par les baconiens et
I les lutlandiens : l'auteur des pièces publiées sous le
nom de William Shakespeare ne saurait être le
petit acteur de Slratford-sur-Avon. Et il fournit
à l'appui de son assertion un faisceau de documents
et de preuves qui sont de nature à emporter la con-
viction chez tous ceux qui jugent librement, sans
esprit préconçu et sans une foi aveugle dans les
William Stanley, vi« comte de Derby
{d'après une gravure du xvn» siècle).
N' 145. Mars 1919.
opinions admises et consacrées par la tradition.
Aucune assimilation n'est possible entre William
Shakespeare et Molière. Fils d'un tapissier et valet
de chambre du roi, en contact avec la cour dès ses
jeunes années, Molière avait fait de fortes études
au collège de Clermont et se fit même recevoir
avocat à Orléans ; après dix ans de vie de comédien
ambulant, il consignait, à trente ans passés, dans ses
premières pièces, les résultats d'un savoir et d'une
expérience déjà singulièrement mûris. Au contraire,
William Shakespeare arrive à Londres, en 1587, de
sa campagne
natale, à peu
près, sinon to-
talement illet-
tré — il n'a
jamais connu
l'orthographe
de son nom,
qu'il signe cha-
?|ue fois d'une
açondifférente
(les fac-similés
sont reproduits
dans l'ouvrage
de Lefranc) —
et on pourrait
admettre qu'au
bout de quel-
ques années il
ait écrit coup
sur coup une
série de chefs-
d'œuvre qui
supposent k la
fois une maî-
triseexception-
nelle de la langue poétique, une connaissance ap-
profondie du cœur humain en général et des
diverses classes sociales en particulier, et surtout
une érudition prodigieuse? Ce serait un miracle, et
l'histoire littéraire, pas plus que la science, ne croit
aux miracles.
Pour Lefranc, comme pour les partisans de l'hy-
pothèse Rutland, l'auteur des drames shakespeariens
ne saurait être qu'un membre, savant et lellré, de
l'aristocratie anglaise, qui a voulu rester caché.
Cette œuvre révèle d'abord un ensemble éton-
nant de connaissances, dont beaucoup sont très
spéciales et qui n'ont pu être acquises que par une
éducation raffinée et de longues études faites à loisir.
Dès ses premières pièces, l'auteur est familier avec
la mythologie et la littérature antiques ; il a lu
des auteurs grecs ou latins, dont il n'existait pas, à
son époque, de traductions anglaises. Il a pénétré
les arcanes du droit et de la procédure comme un
juriste; il parle musique comme un musicien II
manifeste une pratique approfondie des cours et des
usages aristocratiques ; il n'ignore rien des sports de
la haute société, qu'il s'agisse du cheval, de l'es-
crime ou de la vénerie. Est-ce là le fait d'un petit
acteur campagnard?
Il n'est pas moins incontestable que le grand dra-
maturge a voyagé beaucoup : l'insistance avec la-
quelle il revient, dans diverses pièces, sur l'utilité
des voyages pour former l'esprit, prouve que l'au-
teur parle en connaissance de cause. Il a vécu à
l'étranger : en France d'abord, d'où il a rapporté,
comme le montre Lefranc, une vive sympathie pour
nos mœurs et une connaissance trèt juste des gen-
tilshommes, des dames, de l'amour, déjà raffiné et
spirituel, dans les cours de l'époque. II a visité
l'Italie, tout au moins l'ilalie du Nord : pour quicon-
que connaît Venise et Vérone, certaines pièces sha-
kespeariennes ont une ia/zoe d'Italia indéfinissable,
mais à laquelle on ne se trompe pas, comme
certains vers de Lamartine (malgré des erreurs
matérielles de souvenirs) sentent Sorrenle. Pour
reconstituer de façon si frappante l'ambiance d'un
milieu, il faut s'en être impiégné soi-même. Enfin,
Lefranc a signalé un pastiche frappant de la littéra-
ture et du caractère espagnols.
Que dire de l'homme et de son caractère ? Ici,
le terrain est plus mouvant, et on ne saurait s'y
aventurer qu'avec précaution. Certes, les portraits
de Shakespeare que nous possédons, avec les ron-
deurs banales, les yeux en boule et inexpressifs, la
figure de cabotin satisfait, n'ont rien de commun
avec les masques puissants ou convulsés, les éclairs
de génie qui brillent dans les yeux d'un Dante, d'un
Gœthe, d'un Chateaubriand; mais la tête prognathe,
lippue et crépue d'un fier poète presque contempo-
rain, nous montrerait en revanche que, comme eût
dit le bonhomme Cbrysale, il ne faut pas toujours
ose fier à la guenille». Les oppositions morales qu'on
a pu relever entre la noblesse de pensée du théâtre
shakespearien et la dureté de cœur, l'amour du lucre
chez l'acteur de Slratford, ne sont pas non plus
suffisamment convaincantes : combien relèverait-on
de contradictions analogues chez des écrivains de
noire époque, idéalistes dans leurs œuvres, très
réalistes et très âpres au gain dans leur vie I
Beaucoup plus démonstratif me paraît l'argument
tiré du testament, cet étrange testament si plat, si
N: 145. mars 1919.
banal, dans lequel William Shakespeare ne fait pas
la moindre allusion à ses œuvres, à ses manuscrits,
h ses livres. Quelle criante invraisemblance!
Enfin, il est bon de rappeler comliien le théâtre
de Shakfspeare est difficile à jouer. C'est Charles
Lamb qui Ta observé le premier, et nul n'était plus
qualifié pour faire cette remarque. On pourrait
insister là-dessus et rappeler qu'en France, tout au
moins, il n'a jamais paru possible, mftme aux plus
fervents admirateurs de ce théâtre, de mettre sur
la scène une pièce de Shakespeare intégrale, sans
remaniements, sans coupures. Ces drames et ces
comédies ne sont pas l'œuvre d'un acteur, mais
d'un homme de livres, qui fait le désespoir de tons
les metteurs en scène, tant il s'est placé au-dessus
des contingences du métier
Donc, William Shakespeare est un prête-nom. Et
ceci explique que sa vie soit si obscure et si peu
connue, tandis que nous sommes abondamment
renseignés sur l'existence de tous ses contempo-
rains notoires, beaucoup moins célèbres de son
vivant : le public et les lettrés ne prenaient pas
garde à un homme dans lequel on devinait le simple
courtierjiltëraire.
Mais qui donc se cache derrière son masque?
Williatn Stanley — Un ensemble de présomp-
tions vraiment remarquable a conduit Abel Le-
franc à identifier l'auteur du théâtre shakespearien
avec William Stanley, sixième comte de Derby, l'an-
cêtre de l'acluel ambassadeur d'Angleterre à Paris.
Né à Londres en 1561, second fils du comte Henry,
élevé à l'université d'Oxford, William Stanley, en
i582, partit pour l'étranger en compagnie de son pré-
cepteur, Richard Lloyd; il voyageapendant plusieurs
années, en France d'abord, où il reçut un accueil flat-
teur à la cour de Henri 111 avant de s'installer quelque
temps dans la région d'Angers, puis en Navarre, en
Espagne, en Italie et, peut-être, dans l'Allemagne du
Sud. 11 est difficile de fixerl'itinéraire de cespérégrina-
lions, que la légende a dénaturées de bonne heure.
En tout cas, William Stanley est de retour à
Londres en 1587. Il rentre dans sa résidence sei-
gneuriale du Lancashire, où bientôt sont données
des représentations théâtrales — coïncidence extra-
ordinaire — par des comédiens de Slratford-sur-
Avon. C'est peu après cette date que les critiques
placent la composition de la première pièce
shakespearienne, Peines d'amour perdues.
En 1594, le jeune noble est immatriculé & l'école
de droit de Lincoln's Inn, à Londres. Il perd suc-
cessivement son père et son frère Ferdinando
(16 avril 1594), dont la mort étrange et inopinée fut
attribuée à l'empoisonnement, à des manœuvres de
sorcellerie, comme aussi à des causes politiques.
Cette mort, qui faisait de William le sixième lora
Derby, fut en même temps le poin. de départ de
procès et de pénibles discussions familiales, qui
troublèrent sa vie pendant près de quinze ans
Le 2« janvier 1595, il épouse Elisabeth de 'Vere,
petite-fille de lord Burleigh. « Les plus récents bio-
graphes de Shakespeare pensent que le Songe d'une
nuit d'été a dû être composé et joué pour celte
circonstance ». Par une délicate prévenance envers
sa future, le lord poète l'aurait préparé pour les
fêtes de son mariage.
Ce mariage ne fut pas très heureux. Aux ennuis
du procès, à certains besoins d'argent qui provo-
q^uèrent des ventes forcées et des emprunts onéreux,
s ajoutèrent des préoccupations constantes pour la
santé précaire de la comtesse, sans compter des
accès de jalousie et des scènes fréquentes. C'est
l'époque où sont composées les pièces les plus som-
bres, les plus amères du théâtre shakespearien. En
revanche, la Tempête, qui, en clôturant cette série
de chefs-d'œuvre, marque le retour à la sérénité et
à l'optimisme, co'incide avec la solution heureuse
des grands procès de lord Derby.
William renonce, en 1617, au patronage de sa
compagnie de comédiens et vit de plus en plus isolé
dans son château. A noter qu'il laisse publier sous
son vrai nom une pavane, en 1624. La mort de sa
femme, en 1627, achève de le confiner dans sa re-
traite, où il meurt le 29 septembre 1642.
L'homme avait une figure énergique et intelli-
gente, une tête de penseur ou d'homme d'action ; son
écriture, dont nous possédons de nombreux exem-
plaires, est nette, élégante, vigoureuse et révèle, au
dire des graphologues, une intelligence supérieure.
Sa vie cadre avec l'œuvre shakespearienne, non
seulement par l'ensemble, mais par de nombreux
détails qu'a relevés Abel Lefranc. En dehors des pré-
somptions, nous avons même un commencement de
preuve : c'est une lettre de juin 1599, écrite par un
agent politique, Georges Fenner. Celui-ci déclarait
que lord Derby, à ce moment, « était Uniquement
occupé (busyed only) à écrire des pièces pour les
comédiens professionnels ».
Voilà donc un fait établi : William Stanley,
qui n'a jamais rien publié sous son nom (en dehors
(l'une pavane), a écrit des pièces de théâtre. Comme
l'auteur présumé des pièces shakspeariennes, c'est
un aristocrate érudit et lettré, juriste, musicien,
grand voyageur en Europe occidentale. Toutes les
conditions requises se trouvent réunies.
LAROUSSE MENSUEL
Mais pour quelle raison l'auteur réel aurait-il
gardé lÀnonymat? Il suffit de se rappeler à quel
point, à cette époque, étaient méprisés, dans l'aris-
tocratie, les comédiens et tout ce qui touchait à la
scène. Or lord Derby était un grand personnage; si
grand que les adversaires de la
reine Elisabeth songèrent un ins-
tant à lui offrir la couronne (en
1599). Pour un homme d'un tel
rang, c'était déchoir que d' « écrire
des pièces pour les comédiens »,
fussent-elles géniales, ce que son
entourage n'était pas à même d'ap-
précier : bizarrerie, originalité,
pour laquelle convenait l'anony-
mat, qui datait d'ailleurs d'une
époque où William Stanley n'était
pas encore chef de famille.
Quelques pièces. — Serrant la
question de plus près, Abel Le-
franc a examiné quelques pièces
shakespeariennes qui permettent
des rapprochements suggestifs
avec l'existence de lord Derby.
Peines d'amour perdues retrace
la vie de la cour de Navarre, où
passa William Stanley vers 1583-
1584. On retrouve les principaux
protagonistes, à peine démasqués :
Henri de Navarre, notre futur
Henri IV, Biroii. Dumaine, qui
serait Mayenne, Marguerite de
Navarre, etc., sans oublier le pré-
cepteur pédant et gênant, figuré
sous les traits d'Holophernes. Il
n'est pis jusqu au voyage des deux
princesses qui n'ait une base his-
torique. Et l'épisode d'Ophélie
(dans Hamlet), donl on n'a jamais
retrouvé la source, rappelle singu-
lièrement uneanecdote bien connue
à la petite cour de Nérac et contée
par Marguerite.
Le personnage d'HamIet, dans
lequel tous les commentateurs ont
cru reconnaître l'auteur peint par
lui-même, évoque des traits con-
nus de lord Derby : son pessi-
misme, son caractère inquiet et
emporté, son amour de la soli-
tude; comme lui, c'est un prince
prolecteur des comédiens, leur
donnant des conseils, récitant ses
propres vers. La mort du père de
Hamlet rappelle étrangement la fin
mystérieusede Ferdinando. Yorick
est un bouffon de la cour, dessiné
d'après nature.
On retrouve aussi l'auteur —
et lord Derby — dans Jacques de
Comme il vous plaira : grand
voyageur, à la fois misanthrope et
bon, aimant la nature avec une
sensibilité extraordinaire pour
l'époque, qui ne pouvait être le
fait que d'un esprit très raffiné.
Enfin, le duc Prospero, de la Tempête, est le
grand seigneur désabusé et amoureux de la retraite.
Cette pièce est d'autant plus significative qu'elle
tend visiblement à défendre la magie bienfaisante,
dont Jacques I" était l'adversaire résolu : seul, un
très gros personnage pouvait se permettre une telle
hardiesse et avait une autorité suffisante pour faire
représenter un tel drame à la cour. La magie (dont il
est fort question dans d'autres pièces
.shakespeariennes) était de tradition
dans l'aristocratie anglaise, et il se
trouve justement que lord Derby fut
le protecteur de John Dee, astro-
nome et magicien réputé.
On le voit, les présomptions ap-
portées par Abel Lefranc en faveur
de son hypothèse sont vraiment im-
pressionnantes. Avec lui, l'énigme
de Shakespeare semble toucher à
sa solution. Quoiqu'on ait pu dire,
il importe beaucoup de savoir quel
a été le grand écrivain et penseur
caché derrière le masque del'acteur
de Stratford et de voir briller les
reflets de sa vie à travers les joyaux
de son œuvre. — Albert damàt.
tétraogallen.m.Nom qui sert
à désigner un genre d'oiseaux de
l'ordre des gallinacés et de la famille des pbasianidés.
— Encycl. Ces oiseaux sont caractérisés par un
bec un peu allongé, robuste et large, à culmen
arqué vers la pointe, par une petite tache en arrière
des yeux, par des ailes médiocres et pointues, dont
les deuxième et troisième rémiges sont les plus lon-
gues, par une queue large, assez allongée, formée de
dix-huit rectrices, par des tarses courts, forts, portant
un éperon pointu. Les sexessontsemblables.Acause
735
de leur taille, ils sont fréquemment appelés faisant
des neiges ou parfois cogs des neiges.
Le tétraogalle de l'Himalaya {tetraogallus Hima-
layensis) est l'un des plus connus et des plus
beaux. Le capuchon, les joues et la nuque sont
Mr-WILLIAM
SHAKESPEARES
COMEDIES,
HISTORIES, &
TRAGEDIES.
PiiWiiliecl açcorcling to tlic TrueOriginail Cop'es.
£ 0 .ACE» 0 5\C.
Pimtcdty IGuc laggard.and Ed. Blonnt. i6ii
Portrait de William Sliakesticare,
gris, le reste des parties supérieures étant généra-
lement gris cendré, mais finement tacheté de noir.
Les ailes sont d'un cendré pur, et le dos est teinté
de brun rougcâlre, chaque plume du dos, du crou-
pion et les susalaires étant marquées d'uns strie
jaunâtre plus ou moins foncée. Les rémiges pri-
maires sont blanches, largement bordées d'un gris
pointillé de foncé; les rectrices sont rousses sur la
Tétraogalle : a, du Tibet , 6, de l'Uimalaya.
vexille externe et flnement tachetées de noir et de
gris sur la vexille interne. Le menton et la gorge
sont blancs, mais encadrés par deux bandes châ-
taines qui partent l'une de l'œil, l'autre de lacommis-
sure des mandibules. Les plumes de la poitrine sont
écailleuses, l'abdomen est gris, pointillé de brun,
chaque plume étant marquée par une double tache châ-
taine. Les couvertures inférieures de la queue sont
blanches. Le bec est pile et les pattes rouge jaunâtre.
736
La longueur totale est de 0 ™, 70 ; l'aile a 0 ", 32
et la queue 0 >», 20. La femelle est un peu plus pe-
tite. Ce bel oiseau se rencontre delaporlion occi-
dentale du massif liimalayen jusqu'au Népaul et
au Tibet. Ces animaux vivent en petites sociétés
de cinq à dix individus, rarement de vingt à trente,
et à la limite supérieure de la végétation.
Souvent, l'un d'eux, perché sur un rocher du voi-
sinage, prévient la société d'un danger probable;
aussi sont-ils difficiles à tirer. En hiver, ils émi-
grent parfois dans les régions de moyenne altitude.
Us se nourrissent d'herbes et, occasionnellement, de
mousses, de racines et de (leurs. Les œufs ressem-
blent à ceux des grouses, mais ils sont un peu plus
allongés. Ils sont olive clair et finement marqués
de taches châtaines. Ce genre renferme encore sept
espèces intéressantes par leur plumage.
Le tétraogalle l\héla.in {tetraoffaltus Thibetanus)
du Til)et et de l'ouest de la Ghme (Mou-pin) est
une des plus petites espèces du groupe. Il a la tête,
la nuque et le manteau gris, la gorge et la poitrine
blanches. Le tétraogalle de Henri (tetraogaUus
Henrici), dont la gorge et la poitrine sont grises,
ainsi que les suscaudales, vit aux environs de Ta-
tsien-lou. On peut encore signaler le tétraogalle
caspien de l'Asie Mineure et de la Transcaspie (te-
irangallus Caspius) et le tétraogalle des monts
Alta'i (letraogallus Allaicus). Pour l'espèce du
Caucase (letraogallus Caucasiens), on avait créé le
genre chourlka (chourlka Alpina). — a. Misia^vx,
Tlioinsen (maladie DE).[Syn. : Myolonie congé-
nitale.] Maladie caractérisée par un certain nombre
de symptômes relevant d'une contraction irrégulière
des muscles, soit sous l'i nfluence de la volonté, soitpar
action réflexe, soit, encore, par excitation électrique.
La première chose qui frappe, chez les malades
atteints de la maladie de Thomsen, c'est l'évidente
disproportion, presque paradoxale, entre le déve-
loppement de leur musculature et sa faiblesse ou,
plutôt, sa presque impuissance. Si l'on commande
à un homme atteint de cette alTection d'exécuter un
mouvement quelconque, on conslate qu'il ne le
fait qu'après une attente marquée. Et, au cours
même de ce mouvement, il est parfois arrêté subi-
tement. S'il marche, il suffit d'un très minime
obstacle pour le faire choir.
La cause en est dans l'existence d'une anomalie
du fonctionnement musculaire, où la contraction
normale est remplacée par une contracture. Pour
exécuter le mouvement prescrit, ce sujet a besoin
d'attendre que celte contracture cesse. D'autre part,
le moindre obstacle, un petit caillou rencontré par
son pied, un coin de tapis relevé, renouvelle cette
contraclure et risque de le faire tomber. Cette
contracture, on a pu l'éludier en faisant passer un
courant faradique dans les muscles. Elle se produit
alors, et on remarque que, lorsque le courant cesse
de passer, elle ne cesse pas subitement comme une
contraction normale, mais par secousses graduelles,
« en escalier ». Ainsi peut-on voir certains malades
de cette catégorie, lorsqu'ils rient, persister à pré-
senter le faciès du rieur, même lorsque leur envie
de rire est passée depuis longtemps (Pitres et
Dallidet, Dopter). De même, si la réaction myolo-
nique intéresse la région oculaire, il y a du relard
dans les mouvements du globe de l'œil, de l'hési-
tation à ouvrir et à fermer les paupières; si elle
intéresse les muscles du pharynx, elle apporte un
obstacle sérieux à la déglutition, etc. Cette contrac-
ture du muscle remplaçant la contraction se voit donc
dans les mouvements 'volontaires, d'une part, dans
les mouvements provoqués électriquement, d'autre
part. On peut encore la voir dans les contractions
qui suivent de façon réflexe les impressions superfi-
cielles et, ainsi, peuvent être viciés les réfiexes plan-
taire, crémastérien, etc. On constate aussi parfois,
chez ces malades, de la rétraction de certainstendons.
C'est surtout au régiment, plus que dans la vie
courante, quese manifestent les inconvénients graves
de la maladie de Thomsen. Le malade de ce genre
est, en elTet, incapable d'exécuter les mouvements
prescrits dans le même laps de temps que ses cama-
rades, et son incapacité physique inattendue est mise
sur le compte d'une mauvaise volonté évidente.
Cette incapacité est telle que les médecins militaires
qui l'ont étudiée concluent que la réforme s'impose
pour les malades qui en sont atteints (Dopter, Fro-
mont et Desmarqnest). L'anatomie pathologique de
la maladie de Thomsen, incomplètement connue,
montre un développement exagéré du sarcoplasme
qui sépare les fibrilles musculaires les unes des autres
et un certain degré d'atrophie de ces fibrilles elles-
mêmes. Quant au traitement de cette ad'ection, qui
est congénitale et se manifeste en général de très
bonne heure, il peut être actuellement considéré
comme inexistant. — i" iienri bouqoet.
Tlsza (Etienne, comte), homme politique hon-
grois, néà Budapest le 22 avrillSBl, mort dans cette
ville le 31 octobre 1918. Etienne Tisza appartenait
à une famille de la grande bourgeoisie hongroise
anoblie par François-Joseph. Son père, Coloman
Tisza, avait, comme président du conseil hongrois,
Comte Etienne Tisza.
LAROUSSE MENSUEL
fait occuper, en 1878, la Bosnie et l'Herzégovine
et s'était montré l'un des plus fidèles soutiens de
la politique dualiste inaugurée, en 1867, par An-
drassy. Aussi Etienne Tisza reçoit-il une éduca-
tion aussi allemande que magyare. Il fréquente,
en effet, les étahlissements scolaires de Berlin et
l'université d'Heidelberg avant d'achever ses études
à liudapest, où il conquiert le grade de docteur es
sciences politiques (1882). Aussitôt après, il entre
au ministère de l'intérieur, où il se spécialise dans
l'étude des questions économiques. Envoyé à la
Chambre des représeiitants en 1886, il se fait, en effet,
connaître par ses rapports sur les problèmes agraires
et sur ceux qui ont trait à l'éducation.
Dès 1897, il exerce une sérieuse influence. Une
première fois (1903), Etienne Tisza arrive à la prési-
dence du conseil.
Ses idées sont,
dès cette époque,
bien arrêtées. A
l'intérieur, hosli-
lité déclarée con-
tre tout change-
ment du régime
politique et du
système électoral
qui assure aux
grands proprié-
taires et à la ri-
che bourgeoisie
la suprématie;
préoccupation de
réaliser l'unité
magyare par Tas-
ser visse ment
complet des na-
tionalités allo-
gènes; annihila-
tion, au besoin, de leur individualité ethnique parla
magyarisation. Pour soutenir cette politique, lama-
nière forte, c'est-à-dire le gouvernement dictatorial,
réalisé, au besoin, contre le Parlement. A l'exléiùeur,
la fidélité au régime dualiste, dont son père fut un des
artisans, ne lui apparaît pas comme suffisante: l'al-
liance austro-hoiigroisedoit être non seulement main-
tenue, mais resserrée, et de telle façon que la Hongrie
y soit, dans l'empire des Habshourg, dominatrice.
L'action prépondérante du royaume magyar doit
entraîner à la remorque de l'Allemagne la double
monarchie, auxiliaire dévouée d'une politique de
conquête à laquelle elle-même trouvera son compte.
Une des idées favorites de Tisza est, en effet, celle-
ci : la position mondiale de la Hongrie dépend de la
position mondiale de l'Allemagne. Dès 1897, il expo-
sait dans son ouvrage : la Politique agraire en
Hongrie, le plan d'un Milleleuropa . Ces idées
n'eurent pas toutes, tant s'en faut, l'assentiment de
la Chambre hongroise. Méprisant ie parlementa-
risme, Tisza gouverna malgré l'opposition de la plus
grande partie de la Chambre, opposition bruyanle,
qui dégénéra bientôt en obstruction et amena à Buda-
pest des scènes scandaleuses. Après les séances par-
ticulièrementtumultueuses desl6-18 novembre 1903,
Tisza obtient la dissolution de la Chambre et gou-
verne seul. C'est, pendant un peu plus d'un an,
la dictature. Au début de 1905, il est battu aux élec-
tions générales et se retire dans ses terres.
En 1913, il reparaît sur la scène politique, prési-
dent de la Chambre et la dirigeant avec son habi-
tuelle brutalité (l'intervention de la police dans la
salle des séances est alors chose courante) ; il est
bientôt appelé par François-Joseph à une deuxième
présidence du conseil.
Tout l'intérêt de l'empereur s'était alors porté
sur l'armée, armature indispensable de l'empire,
non moins que sauvegarde extérieure. Tisza se fait
l'àine de cette politique. Malgré l'hostilité évidente
de la majorité du Parlement, où le parti libéral de
Kayrolyi, appuyé par les aspirations du pays, prend
la plus grande importance, Tisza présente le projet
de loi sur l'augmentation des effectifs et, sous la
seule pression des baïonnettes, obtient le vote de la
loi. Dès lors, le premier ministre hongrois est tout-
puissant à la cour de 'Vienne. Il devient l'homme
de confiance de l'empei'eur François-Joseph et, aussi,
de Guillaume II, qui voit dans la Hongrie, comme
Tisza lui-même, le pivot de la politique allemande
en Orient. L'influence de Tlsza et sa communauté
de vues avec l'empereur d'Allemagne se manifestent
et dans l'appui moral prêté à la Bulgarie lors de sa
brusque attaque conti-e les Alliés et par l'attitude
belliqueuse de l'Autriche-Hongrie à la fin de 1913.
lors du règlement des questions soidevées par les
deux guerres des Balkans. Dès lors, la cour de
Vienne, dirigée par Tisza, s'est nettement posée en
ennemie des Serbes et de leurs légitimes revendi-
cations sur les territoires autrichiens (Bosnie et
Herzégovine) qui ontdépendnde l'ancienne Grande
Serbie. Dès les premiers mois de 1914, Tisza, nin
a réduit au rang de sous-ordre le comte Berchtold,
ministre des affaires étrangères austro-hongrois, est
décidé à engager la gueri'e générale pour réaliser
les ambitions allemandes, qui sont aussi les siennes
propres et celles de la Hongrie.
«• J45. Mars 1919.
Un obstacle : l'archiduc François-Ferdinand, pro-
moteur d'une politique slave. Sur les suggestions
de Guillaume II, Tisza est chargé de le convertir,
etil élabore le programmedit « de Konopischt», qui
n'est autre que celui du remaniement complet de
l'Iîurope orientale, conduite à de nouvelles destinées
par l'archiduc et ses successeurs.
L'entrevue de Konopischt entre le kaiser et Fran-
çois-Ferdinand n'amène pas le résultat espéré et,
le 28 juin, l'archiduc succombe à Sarajevo, sous les
balles de Prinzip ; l'attentat fut facilité, semble-t-il,
par l'inertie des autorités officielles et de la police.
Tisza laissa-t-il faire, ou préparal-il? Point encore
obscur. Toujours est-il que. dès lors, le premier
ministre hongrois a le champ libre. De concert avec
l'Allemagne, il examine le parti qu'on peut tirer de
l'attentat, et l'ultimatum du 23 juillet 1914, bien
qu'émanant officiellement du comte Berchtold, est
bien, en réalité, l'œuvre de Tisza, assisté du comte
Forgach. Car c'est pour la Hongrie unitaire et impé-
rialiste de Tisza que la race serbe est la grande
ennemie. De concert avec l'Allemagne, Tisza a pré-
paré de longue main la guerre et, au moment voulu,
l'a déchaînée. A l'heure où furent jetées dans la
balance les destinées des peuples, les ambitions
magyares incarnées dans Tisza ont pesé aussi lourde-
ment que le pangermanisme de l'entourage impérial.
Pendant la guerre Tisza s'efforce de réaliser la
Hongrie unitaire, d'abord. Vis-à-vis des groupements
ethniques qui foi-men t la moi I ié de la population trans-
leithane (les Hongrois n'étant guère plus de 50 p. 100),
la politique dont Tisza fut le plus qualifié des repré-
sentants se résume en deux mots: assujettissement,
»ia(;</a7'tsah'on. Slovaques, Serbo-Croates, Roumains
ont vu depuis le compromis de 1867 disparaître les
derniers vestiges de leur indépendance. D'où, chez
toutes ces nationalités, un mouvement national très
fort et particulièrement intense depuis la guerre.
Slovaques, Serbo- Croates, Roumains réclament
l'autonomie,... prétention justifiée par le principe du
droit des peuples et par les rigueurs de la politique
magyare. "Tout en déclarantofficiellement que « l'opi-
nion publique de Hongrie respecte le principe des
nationalités, que l'opinion magyare tout entière veut
le libre développement et la prospérité des nationa-
lités», il soumet ces nationalités, pour briser en elles
tout esprit particulariste, à un régime de terreur :
snppressionde lapressenonmagyai-e, transformation
des écoles slaves ou roumaines en écoles magyares,
confiscation de biens, déportations.
Tisza veut non seulement la Hongrie unie, mais
la Plus grande Hongrie, c'est-à-dii'e le rattachement
à la Hongi'ie de tous les pays sud-slaves : Bosnie,
Herzégovine, Serbie. Pour réaliser cette concep-
tion, la Hongrie doit nouer avec l'Allemagne des
liens toujours plus étroits. La subordination de plus
en plus complète de l'Autriche-Hongrie à l'Alle-
magne au cours de la guerre peut être regardée
comme étant en très grande partie l'œuvre de Tisza.
Quand, à partir de 1915, l'idée du Milleleuropa
— l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie unies pour
former le noyau de l'empire universel — se cristal-
lise et prend forme, Tisza, qui en fut vingt ans aupa-
ravant le promoteur, en est l'un des plus zélés parti-
sans. Une première étape : le renouvellement de la
convention douanière austro-hongroise conclue en
1907. Tisza l'exécute et la garde secrète, sans vou-
loir tenir compte des demandes d'explication du
Parlement, car elle serviia de base à l'édification
des conventions douanières de la future combinai-
son magyaro-austro-allemande.
Malgré l'opposition des libéraux du comte Karo-
lyi, Tisza réussit à conserver le pouvoir. Il a. en
effet, derrière lui le o parti du travail », dont il est le
fondateur et qui, malgré son étiquette d'apparence
populaire, est, en réalité, le parti conservateur. Il
revendique « la direction de l'Etat pour la caste des
seigneurs magyars contre les nationalités non ma-
gyares et contre les milieux inférieurs du peuple ».
Comme tel, il s'opposa à toute réforme électorale.
Tout-puissant encore à la mort de François-Joseph,
Tisza fut obligé par Charles I»'' à démissionner
(23 mai 1917), sa présence étant un obstacle à la
politique de paix poursuivie, à cette date, par le gou-
vernement autrichien. Son influence n'en demeura
pas moins très grande sous les ministères Weckerlé
et Esterhazy, et à cette influence est dii l'échec de
toutes les tentatives de réforme électorale. En sep-
tembre 1918, TLsza fit un voyage en Bosnie, Herzé-
govine et Dalmatie, pour préparer le rattachement
de ces pavs à la Hongrie; il y exposa devant les
délégués slaves, avec sa brutalité ordinaire, les prin-
cipes de la politique panmagyare et ne recueillit,
au lieu de l'adhésion escomptée, qu'un redoublement
d'opposition.
Le 31 octobre, la révolution éclate à Budapest ;
une bande de soldats, pénétrant dans la maison de
Tisza, lui notifie sa condamnation « comme l'un des
responsables de la guerre » et exécute le représen-
tant le plus convaincu et le plus brutal du fanatisme
de race et de caste qui fut l'âme de la vieille
Hongrie. — Léon Abensoue.
Paris. — Imprimerie LARotissE (Moreau, Aueé, Oillon et C'«),
17, rue Mootparnasie. — Le gérant ; L. GaosLBY.
La glycine du vieux puits.
Glycines, anéTnon.eSf narcisses.
k
N" 146. — Avril 1919
Académie française. — Election et ré-
ception de Louis Barthou. Le 2 mai 1918, l'Acadé-
mie française procéda à une élection pour pourvoir
au remplacement d"; Henry Ronjon. Les candidats
à ce fauteuil étaient Louis Barthou, Pierre Veber
et André Maurel. Ii y avait 27 votants. Au premier
tour, Louis Barthou fut élu par 20 voix (v. p. 739),
contre 4 à Pierre Veber et 3 à André Maurel. La
réception solennelle a eu lieu le 6 février 1919. lîn-
louré de ses deux parrains, R. Poincaré et P. Loti,
Barthou a, selon l'usage, prononcé l'éloge de son
prédécesseur.
Fonctionnaire consciencieux, qui fournit une bril-
lante et rapide carrière, écrivain agréable, mais dont
le bagage se réduit à trois ou quatre volumes de
chroniques, Roujon n'olTre rien qui prête particuliè-
rement aux développements oratoires. A celte figure
un peu elTacée Barthou, cependant, sut, par la magie
de sa parole, donner un relief inattendu et, pendant
plus d'une heure, sans longueurs ni redites et sans
que l'intérêt de l'auditoire faiblît un instant, il parla
sur Henry lioujon.
Il est vrai qu'en orateur consommé, Barthou sait
adroitement profiter — au besoin, même, il les pro-
voque — de toutes les occasions de s'évader un peu
de son sujet pour s'élever à des considérations plus
générales. Ainsi, à propos de Roujon, il parla suc-
cessivement de l'enseignement secondaire, dont il
signala les errements ; de Déroulède, en qui il salua
■< l'apôtre enflammé de la revanche »; de l'instalii-
lilé ministérielle, qu'il déplora; de Jules Ferry,
dont il aui ait voulu dire davantage; de Guillaume 11,
qu'il flétrit d'une période cinglante; de la femme
française, à qui il rendit un juste hommage pour
« son dévouement, sa ténacité confiante, sa charité
tendrement fraternelle, pendant la guerre ». Par là,
Barthou est parvenu à donner à son discours une
ampleur et une élévation que la seule personnalité
de son prédécesseur ne lui eût peut-être pas fournies.
L'habileté oratoire de Barthou se marqua dès son
début. Au lieu de s'attarder à ces banales protesta-
tions d'indignité, dont les récipiendaires envelop-
pent volontiers l'expression de leur gratitude,
Barthou est entré de plain-pied dans son sujet, et
ce n'est qu'après avoir donné une première esquisse
de son personnage qu'il a, avec une franchise simple
et émue, préiienté son remerciement.
Ma reconnaissance se mesure au vif désir que j'avais
d'6tre des vôtres. L'Académie a toujours tenté lea hommes
f politiques. Déjà, en 1867, Sainte-Beuve trouvait qu'elle
es tentait trop. Moins sévères que lui, vous n'avez pas
craint, on m'accueillant. une invasion parlementaire, fa-
vorisée par la camaraderie. Si, depuis mon élection,
vous avez ouvert vos rangs avec un éclat digne de vous
et de lui à un autre homme politique, la noble camarade-
rie par laquelle il a été appelé au milieu de vous est celle
du pays tout entier, qui a su gré à son patriotisme in-
domptable de l'avoir, avec les grands chefs et les grands
soldats de l'armée nationale, aimé et servi, défendu et
sauvé. Pour ma part, je vous dois la seule joie que la vie
pût me donner encore. Elle m'a flatté dans mon amour-
LAROUSSE MENSUEL. -IV.
Henry Roujon.
propre, mais elle m'a surtout ému jusqu'au fond du cœur.
Messieurs, je vous remercie tout à la fois de l'honneur et
du bien que vous m'avez faits.
11 n'est pas besoin de relever le discret hommage
rendu ici à Clemenceau.
Barthou aborde ensuite la biographie de Henry
Roujon. Il y a mis une remarquable conscience,
qui ne laisse plus rien ignorer des atavismes de
l'ancien direc-
teur des Beaux-
Arts, ni de ses
hérédités. Nous
savons, désor-
mais, qu'en lui
<i plusieurs races
s'étaient rencon-
trées et fondues,
au milieu des-
quelles le Midi
prédominait »,
pour faire de ce
ParisiendeParis
un cadet de Gas-
cogne. Nous en-
trons également
dans la familia-
rité du grand-
père Roujon, ou-
vrier ébéniste,
qui,partiduDau-
phinépour faire le tour de France, « ne revint ni au
pays natal ni à sa profession » ; nous faisons aussi
connaissance avecledocteurRoujon, pèrede Henry,
et il n'est pas jusqu'aux silhouettes de l'oncle Jean, de
l'oncle Barthélémy, de l'oncle François et de l'oncle
Honoré qui n'apparaissent, dessinées d'un trait ra-
pide et alerte, dans ce défilé familial. A laquelle de
ces influences obéissait le jeune Henry Roujon,
lorsque, boudant à la profession d'avoué que rêvait
pour lui son père, il se tourna vers la littérature?
S'il n'a pu entièrement résoudre ce problème, Bar-
thou n'en a, du moins, négligé aucune donnée. De
même, il a retracé minutieusement, et non sans
malice, les années d'études de Henry Roujon; et, &
ce propos, avec l'autorité que lui confère son titre
d'ancien ministre de l'instruction publique, il a
prononcé sur la question, pins que jamais actuelle,
de l'enseignement secondaire, de fortes paroles qu'il
est opportun de citer :
L'enseignement secondaire se proposait moins alors
d'accabler l'esprit sous une encyclopédie que de lui don-
ner une méthode... On savait quelle force de vie renfer-
ment les langues mortes... Les belles-lettres étaient en
honneur pour orner les esprits et pour forger les carac-
tères. On pensait, à l'exemple de Doscartes et de Pascal,
qu'elles n étaient même pas inutiles aux sciences. Nous
avons réformé tout cela... Mais il ne suffit pas d'innover
pour progresser, et je sais quelques prétendus progrès
qui sont sujets A revision. Il n'est trop tard pour aucun
examen de conscience. Sortie victorieuse de la plus ter-
rible épreuve qui se soit jamais abattue sur elle, mais
douloureusement meurtrie par une invasion sauvage, la
France peut en toute liberté, avec la liberté que donnent
l'héroïsme et la gloire, examiner les problèmes que pose
sa reconstitution. I .a réorganisation de son enseignement
secondaire est un de ces problèmes. J'y voudrais moins
d'utilitarisme immédiat, mal compris d'ailleurs, et plus de
cette large humanité, dont H. Roujon sentait les vertus
bienfaisantes au milieu même d'une démocratie. Le bac-
calauréat est un diplôme. Ce serait beaucoup si ce n'était
rien. Il y a même plusieurs baccalauréats... Combien je
leur préférerais un examen de culture générale, qui ou-
vrirait la voie, une voie sévèrement gardée, aux aptitudes
A vingt-deux ans, Roujon entrait comme secré-
laire de la rédaction h la « République des lettres »,
revue littéraire dont la carrière assez courte, mais
brillante, fournit à Barthou l'occasion de rappeler
délicatement les débuts de quelques-uns de ses
nouveaux confrères. Pour sa part, Roujon, sous le
pseudonyme de Henry Laujol, collaborait par des
essais vaiiés de critique littéraire et artistique.
De la <i République des lettres », Barthou nous
conduit au ministère de l'instruction publique, où
Roujon débuta enl876 et parvint, cinq ans plus tard,
aux fonctions de chef de bureau, après avoir été
attaché au cabinet de J. Ferry. « Commis exem-
plaire, au sens traditionnel et élevé du mot », Rou-
jon assista, durant ses quinze années de fonctions,
au passage de treize ministres.
Qui hésiterait (dit alors Barthou) à dénoncer cette ins-
tabilité comme un fléau? Elle interdit tout plan d'en-
semble, tout travail de longue haleine, toute continuité
dans l'eS'ort...
Au ministère, Roujon se montra pour les écri-
vains « un allié précieux, dont le concours ne se
refusait jamais ». En même temps, il consacrait à la
littérature les rares loisirs que ses fonctions lui
laissaient. Après une pointe \ers le genre roma-
nesque, qui nous valut une délicate nouvelle. Mire-
monde, Roujon revint à la chronique et collabora
à la « Revue blpue » sous le pseudonyme d'Uasus :
ours peu féroce, qui « flaire, s'écarte et revient,
appuie ses pattes sur la proie, la retourne et la pèse,
mais ses dents et ses griffes sont rarement meur-
trières ». Ce que Barthou relève surtout chez cet
écrivain, épris d'art et de lettres, c'est son amour de
la France et, inspirée par ce sentiment, sa clair-
voyance à l'égard des ennemis du dehors.
En 1890, il refuse de s'apitoyer, malgré la brutalité du
])rocédé impérial, sur Bismarck congédié, dont il dit
avec une force singulièrement prophétique « que l'on
saura seulement s'il est grand quand l'humanité fera ses
comptes » ; et, un an après, il arrache d'un mot vengeur
son masque de cabotinage à l'empereur Ouiltaume IL
qu'il appelle ■ tm Charlemagne pour villes d'eaux •.
A. cette heure (ajoute Barthou, dont le ton se hausse),
l'humanité a fait ses comptes. Le maître renvoyé et le
disciple révolté, responsables du sang injustement versé,
sont voués l'un et l'autre au mépris de la conscience
universelle. Mais, tout de même, le Chancelier de fer,
malgré son œuvre lamentablement écroulée, avait une
autre allure que l'empereor dégénéré, hjrpocrioe et llche,
26
738
vers lequel montent, d'un bout du monde II l'autre, dans
un cri d inexorable justice, les malédictions de millions
de morts.
Nous passons ensuite à la direction des Beaux-
Arts, qu'une douce violence de Léon Bourgeois
imposa au modeste chef de bureau. Là encore, dit
Barthou, Roujon » fut un commis excellent », et il
signale, avec la souplesse de son talent, « l'impec-
cable correction qui présidait à tous ses actes, sans
qu'il y ait jamais un dessous à ses décisions ». Au
surplus, Barlhou se défend d'entrer dans le détail
de l'œuvre administrative de Roujon. Il préfère
s'attacher aux notices qu'il écrivit comme secrétaire
perpétuel de l'Académie des beaux-arts, où il avait
été élu en 1903. « Leur variété, dit-il, n'exclut ja-
mais leur aisance. »
Ayant conduit le fonctionnaire au faite de sa car-
rière, Barlhou se trouve amené à nous parler de
l'écrivain et à détailler les mérites de ses trois vo-
lumes de chroniques : Au milieu des hommes, la
Galerie des bustes et En marge du temps. Il le
fait dans une note mesurée, juste, oii s'atteste sa
fine compréhension de lettré.
H. Roujon saisit avec une vive promptitude d'esprit
l'actualité qui passe et, la saisissant, il la tixe. Il excelle
à ramener vers des vérités durables les incidents les plus
éphémères. Sa philosophie est souriante et indulgente. 11
n est méchant qu'aux méchants. Ses immenses lectures lui
ont donné une érudition aisée, dont la sûreté lui permet
de se promener sans etTort à travers nos grands siècles,
comme un conservateur qui vit dans son musée va d'un
pas allègre d'une vitrine 4 l'autre. Ce lettré n'a rien d'un
pédant ni d'un régent, mais comme il sait ses lettres !
Quelques mots encore sur un dernier volume de
Roujon : Dames d'autrefois, qui lui permet de dire
ce que fut la femme d'hier pendant la dure épreuve
de quatre années de guerre, et Barthou arrive Si sa
conclusion. Elle fut telle qu'on l'attendait et des cir-
constances et de l'orateur :
Nous avons vaincu et magniflqnement, mais Dons n'au-
rions pas mérité pleinement notre victoire, si nous n'en
mettions pas à prolit la double leçon. Le droit n'est rien
sans la force, et la force exige l'union. Henry Roujon, dont
le patriotisme avisé fut, en temps de paix, un apôtre fer-
vent de la concorde nationale, a écrit cette belle pensée :
« Les statues ne sont durablement belles que si les (ils de
la même mère peuvent les inaugurer sans l'outrager. » Il
faudra que tous les Français élèvent une statue à la France
immortelle. Autour d'elle, ils seront sûrs de toujours
s'aimer.
Le discours de Barthou valait surtout par des
qualités de netteté, de profondeur et de force. La
réponse de Maurice Donnay fut toute de charme et
d'esprit, avec, de-ci de-Ià, des passages de délicate
émotion. Rehaussée d'une pointe de « blague » et
d'amicale irrévérence, émaillée de jeux de mots et
d'à peu près — Donnay cultive l'a peu près jusque
dans les citations, témoin celle qu'il fit de Vauve-
nargues — et prononcée d'une voix grave, un peu
nonchalante, elle constitua pour l'auditoire un réel
divertissement.
Après l'élude si consciencieuse et si nourrie que
Barlhou venait de faire de Henry Roujon, il ne res-
tait plus à Donnay beaucoup de nouveaulés à appor-
ter. Il se borna à compléter le portrait par quelques
touches discrètes, louant l'élégance et la fermeté
des principes de l'ancien directeur des Beaux-Arts,
la probité de son administration, son amour des
lettres, ses qualités d'essayiste. Puis il s'adressa
au récipiendiaire et, tout de suite, le ton se fit
enjoué. Après une évocation rapide de la famille
et des premières années de Barthou à Oloron, il le
félicita de ses succès scolaires au lycée de Pau '
Vous avez été un excellent élève... Il faut dire ces
choses ; trop de personnes sont enclines à croire que non
seulement les succès scolaires ne signifient rien, mais
encore qu'ils préparent dans la vie les pires déceptions.
Non, non, il ne suffit pas toujours d'avoir fait de mau-
vaises études pour remplir plus tard une carrière brillante.
C'est sur le même Ion de badinage que, suivant à
Bordeaux, puis à Paris, le jeune étudiant en droit,
Donnay souligne ses dons déjà singuliers de parole
et la série régulière de ses succès :
Vous n'avez pas été obligé de vous promener aux bords
de la mer avec des cailloux dans la bouche et de vous
entraîner àcouvrir do votre voix le bruit des flots... Votre
thèse est couronnée, naturellement. Avec vous, il semble
que c'est le contraire qui ne serait pas naturel.
L'ancien Montmartrois reparaît même pour re-
tracer la carrière politique de Barthou :
Vous êtes conseiller municipal de Pau à vingt-six ans,
le plus jeune conseiller municipal : en 1889, vous êtes dé-
puté d'Oloron. le plus jeune député républicain; en 1894,
vous êtes ministre pour la première fois, le plus jeune
ministre de la troisième République. C'est un record; dé-
cidément, vous les collectionnez ; enfin, en 1918. vons êtes
nommé académicien, un des plus jeunes académicien, et
le premier Béarnais.
Suit alors une digression délicieuse sur un per-
sonnage qui, enfant du Bèarn comme Barthou,
faillit le précéder à l'Académie. Et c'est un vrai
régal que cette évocation pittoresque de Joseph-
Henri de Peyré, comte de Tréville, qui fut soldat,
amoureux et bibliophile, quitta le monde pour la
dévotion, puis la dévotion pour le monde, redevint
solitaire, se lia avec les jansénistes et fut, en défi-
nitive, « plus port-royaliste que le roi », L'Académie
M&urioe Donnay.
LAROUSSE MENSUEL
l'avait élu en 1704 ; mais Louis XIV refusa de sanc-
tionner son élection. « Votre élection, monsieur,
ajoute gravement Donnay, a eu l'agrément de M, le
président de la République. »
Barthou avait auparavant déploré l'instabilité
ministérielle; Donnay, lui, s'en amuse:
Entre 1894 et 1918, vous avez été neuf fois ministre;
vous l'avez été aux Travaux publics, à l'Intérieur, à l'Ins-
truction publique, aux Affaires étrangères ; vous avez eu
votre cabinet boulevard Saint-Germain, place Beauvau,
rue de Grenelle, place Vendôme, quai d'Orsay. Qu'est-ce
que cela prouve ? Sinon que vous avez une prodigieuse
activité, une mémoire qui sort de l'ordinaire, des connais-
sances étendues, une curiosité générale, le souci des
intérêts publics, une singulière faculté d'assimilation ; et
si, comme on l'affirme, le romantisme est l'impuissance à
s'adapter au milieu, vous n'êtes pas un romantique, mon-
sieur, vous êtes un classique.
Mais, surtout, Barthou est un avocat, et « rien
n'est plus propre de nos jours que cette profession
à préparer les hommes aux affaires publiques » :
Admirez qu'étymologiquement « avocat » signifie c ap-
pelé auprès «, appelé à {ad vocatits). Mais appelé auprès
de qui? Appelé à quoi? Cela reste dans le vague et dans
l'universel; donc
appelé auprès de
tous, et à tout.
Onsourit.Mais
de celte i>ointe
spirituelle Don-
nay tire soudain
un développe-
ment plein de sé-
rieux et d'éléva-
tion. Il montre
combien magni-
fique est le rôle
de l'avocat, de-
venu député ou
ministre. C'est
alors qu'il est
appelé auprès de
tous; son client,
c'est le peuple
tout entier. Et,
passant insensi-
blement à des considérations plus actuelles, Donnay
lance un appel à toutes les bonnes volontés, néces-
saires au relèvement du pays :
A l'heure où tant de problèmes sociaux se soulèvent, où
le conflit entre le capital et le travail va s'aggraver, seule
la stabilité ministérielto n'apportera pas la solution ; il
faudra que, dans la grande paix, il se forme virtuellement
entre toutes les classes, par bonne volonté réciproque, la
ligue des droits et des devoirs de l'homme et qu il s élève,
dans les classes heureuses, l'esprit de sacrifice et de
reconnaissance.
Avec cette nonchalance qui donne & son discours
l'allure d'une causerie, Donnay abandonne un mo-
ment l'homme politique, pour nous montrer en
Barlhou le musicien, le bibliophile, qui <> nous
éblouit des rayons de sa bililiolbèque », l'amateur
de manuscrits et d'aulographes. Et, à ce propos, il
fait à Barthou une amicale querelle au sujet de
son dernier livre sur les amours de Victor Hugo.
Est-il bon de soulever les voiles qui recouvrent
certains mystères? a Est-il indispensable de mettre
le public ail courant des jeux de l'inspiratrice et du
poète, de la muse et du génie?... Et, au définitif,
rend-on service à ceux qui ne savent pas, en leur
tendant ainsi la clef, blonde ou brune, des poèmes
d'amour? » Donnay ne le pense point, et il conclut:
Doux sentiments, premiers aveux, tendres émois, pro-
fondes amours, romans furtii's, craintes, espoirs, triomphes,
douleurs, tout cela parce qu'on est un grand homme, doit-il
entrer dans le domaine public, et le poète qui a écrit :
M Non, l'avenir n'est à personne », se doutait-il qu'
son passé serait à tout le monde?
Revenant à la carrière politique de Barthou,
Donnay aborde le principal titre du nouvel acadé-
micien, la loi de trois ans. Il retrace d'abord la
courbe de nos efforts militaires depuis 1871, mon-
trant comment ils sont allés s'affaiblissant peu à peu;
n'élait-il pas entendu qu'on ne se battrait plus, que
jamais l'homme ne se rencontrerait capable de dé-
chaîner sur le monde un tel cataclysme?
Cet homme s'est trouvé, pourtant, monarque adoré à
l'égal d'un dieu par dos hobereaux, des marchands, des
philosophes sanguinaires et des savants des cavernes...;
peuple aux longs intestins qui préparait la guerre du
ventre, cependant que, chez nous, les wagnériens de la
politique, qui n'avaient jamais voyagé en AÏlemaç-ne, per-
sistaient à croire que, de l'autre côté du Rhin, veillait sur
la paix universelle Loliongrin, le chevalier an cygne, à
l'armure étincelante, au cœur pur. Lohengrin ? Non, mais
bien Ysengrin, la bête féodale, le loup méchant et perfide.
Après toutes les provocations de l'Allemagne
en 1905, 1906, 1908, 1911, que couronna en 1913 le
renforcement de ses armements, il fallut se rendre
à l'évidence. C'est alors que vint devant la Chambre
la discussion de la loi de trois ans. Ce qu'une telle
discussion représente i< de travail, d'endurance, de
responsabilités, d'ardeur et de sang-froid, d'exalta-
tion et de patience », de la part du chef du gouver-
nement, qui la soutenait » dans le heurt passionné
des convictions contraires, dans la fièvre aes partis,
aussi contre l'sveuglement du parti pris », Donnay
qu un jour
N' 146. Avril 1919
le résume en des phrases rapides et saisissantes, qui
s'achèvent en une pensée de commisération pour
les hommes publics, à qui sont refusées « les calmes
retraites, les longues rêveries, la douce continuité
des heures ».
Parlant de l'activité de Barthou pendant la guerre,
Donnay le salue comme « un bon combattant de
l'arrière ». Il redit ses conférences de propagande
chez les neutres, ses discours à la Sorbonne, ses
appels incessants à l'union sacrée :
L'union sacrée, vous y revenez sans cesse, au nom des
combattants et des morts. Le mot de » tolérance » se trouve
fréquemment sous votre plume et, à un moment même,
vous avez un scrupule ; ce mot de « tolérance * ne vous plait
pas tout à fait. Kh ! oui : il faut toujours remonter à 1 éty-
mologie. Or, dans « tolérance n, on voit un radical inquié-
tant d'où est sorti un verbe tôlière, dont l'impératif toile
n'est pas précisément un cri d'apaisement et de mansué-
tude. Tolte {Enlevez-le ! Tuez-le !) Le cri avec lequel des
hommes envoient d'autres hommes au bûcher et à l'écha-
faud et le Fils de l'Homme sur la croix ! Non, dites-vous,
pas de tolérance, mais la liberté, le droit. Vous êtes
un libéral.
Ce libéralisme, ne serait-ce pas de Lamartine,
o l'homme qu'il admire entre tous », que Barthou
l'a hérité? Et toute la fin du discours est consacrée
à l'examen de l'important ouvrage que l'ancien pré-
sident du conseil a écrit sur Lamartine orateur.
Après Barthou, Donnay rend justice à l'ampleur et
à la hauteur des vues politiques du poète, qui dépas-
saient souvent dans les questions économiques ou
industrielles celles des économistes et des savants.
11 retient surtout la belle définition que Lamartine
a donnée de la politique,» ce mécanisme moral des
sociétés humaines, au moyen duquel Dieu fait vivre
les hommes en familles nationales, transforme des
instincts ignorants et égoïstes en patriotisme et en
dévouement sublime ». Sans doute, Lamartine a été
n apôtre de la paix à outrance », mais, quand il pen-
sait ainsi, la France n'était pas menacée. Et, comme
Donnay demeure homme d'esprit même dans les
passages les plus graves, il conclut que, si le poète
avait pu voir cette Prusse dure et détestée s'associer sa
vieille, chère et sentimentale Allemagne et cette asso-
ciation former un empire, qui, nous ayant vaincus, ne
nous pardonnait pas nos défaites;... s'il avait pu voir à
nos portes la formidable machine de guerre, ramassée
pour ainsi dire sur ses ressorts d'acier, prête à bondir
pour l'attaque brusquée, alors... il ne se serait plus écrié :
■ Vivent les nobles fils de la grave Allemagne ! » mais il
serait monté à la tribune ; il aurait été l'orateur de la loi
de trois ans. — Félix Guieasd.
Académie des sciences (Nouvelle divi-
sion al'). Une nouvelle modification a été apportée
à la composition des membres de l'Académie des
sciences. Depuis longtemps, notre enseignement
scientifique estl'objet de sévères critiques; on lui re-
proche d être surtout théorique et de ne pas s'occuper
suffisamment des réalisations; la science, dit-on, est
cultivée pour elle-même et non dans le but d'amé-
liorer notre industrie; nos industriels sont livrés à
eux-mêmes. A la séance de l'Académie des sciences
du 7 janvier 1918, en prenant possession du fau-
teuil présidentiel, P. Painlevé avait tenu à relever
ces critiques, qui, malheureusement, sont générale-
ment justes. « Notre culture à nous, disait-il, n'est
pas une culture sans âme » ; elle ne vise pas à l'uti-
lilarisme immédiat (pas assez peut-être), mais elle
respecte, elle développe l'iiidiviiliialité, les facultés
originales et inventives des inlelligences. Ce sont
ces qualilés-Ià qui, industriellement, ont sauvé la
France envahie, menacée dans sa capitale, privée de
ses aciéries, désorganisée à l'intérieur par la mobi-
lisation; c'est grâce à elles qu'ont été réalisés, dans
l'ordredes productions chimiqueset métallurgiques,
d'incroyables prodiges, qu'aucun pays au monde n'a
égalés. » Quoi qu'il eu soit, les critiques formulées
contre notre enseignement scientifique n'en subsis-
tent pas moins, et c'est dans le but de sceller plus
étroiteinent l'union de la science et de l'industrie que
l'Académie des sciences vient d'élargir son recrute-
ment et de former dans son sein une section spéciale
pour les représentants de lascience industrielle; c'est,
sans doute, aussi pour donner une indication très
nette de la nouvelle orientation qu'il conviendrait de
donnera notreenseignement. Le 14 janvierl918,par
une délibération spéciale, l'Académie des sciences
demandait la création, à côté de la division des acadé-
micienslihres, d'une division desix membres, répon-
dant au titre suivant : Application de la Science à
l'Industrie et qui jouiraient des mêmes prérogatives
que les académiciens libres, sans qu'aucune condi-
tion de résidence leursoitimposée. Un décret du pré-
sident de la République, en date du 23 janvier 1918,
a décidé cette création. — g boocbent.
Académie des sciences. — Election de
Pierre Vialn. Le 3 février 1919, l'Académie des
sciences a procédé, par la voie du scrutin, à l'élec-
tion d'un membre de la section d'économie rurale,
en remplacement d'A. Miintz, décédé. Au premier
tour de scrutin, le nombre des votants élant de 50,
GabrielBertrand obtient 22 suffrages, Pierre VialaîO,
Léon LindetS. Au second tour, Pierre Viala obtient
26 suffrages, et il est proclamé élu par le président,
(V. p. 764.)
«• 146. Avril 1919.
Bartllou(LouM-Jean-Firmin), homme politique
et écrivain français, né le 25 août 1868 à Oloron-
Sainie-Marie ( liasses-Pyrénées). Arrière-petit-fils et
petit-neveu d'instiluteurs qui se succédèrent pendant
un siècle dans le pays, Barthou est donc béarnais
d'origine autant que de naissance. Il lit de brillantes
études au lycée de Pau, où il remporta le prix
d'honneur de rhétorique et fut, en philosophie, lau-
réat du concours général. Déjà, cependant, le jeune
écolier se passionnait pour les choses de la politi-
que, non moins que pour celles de l'esprit, et, de son
propre aveu, k Vàge de quatorze ans, « il mêlait,
sur les bancs du lycée, la lecture interdite des jour-
naux — c'était l'époque du Seize-Mai — k celle de
■Victor Hugo, qui subissait avec moins de raison la
même rigueur ». Confidence intéressante où se pré-
cisent déjà, avec la précoce vivacité de son esprit,
les deux traits dominants de la personnalité de Bar-
thou : son amour de la politique et son sens averti
de la littérature.
Inscrit à la Faculté de droit de Bordeaux, il y
poursuivit ses succès et même, fait sans précédent
dans les annales de cette Faculté, obtint, trois ans de
suite, aux six concours consécutifs de fin d'année,
les six premiers prix. Venu à Paris pour y achever
ses études de droit, il passa son doctorat, en 1 886, avec
deux thèses : De la distinction des biens meubles et
immeubles et De l'origine de l'adage: « Vili3mobi-
Uumpo3se3sio»,quifurentcouronlléespa^laFaculté.
Secrétaire de la Conférence des avocats de Paris,
Barthou se fit ensuite inscrire au barreau de Pau et
devint, presque aussitôt, rédacteur en chef de 1' « In-
dépendant des Basses-Pyrénées ». Il se signala dans
ce journal par de nombreuses et ardentes campa-
gnes républicaines, qui attirèrent sur lui l'attention
du corps électoral. Elu conseiller municipal de Pau
en 1888, il entra, l'année suivante, au Parlement,
comme député des Basses-Pyrénées. Son mandat lui
a été, dès lors, constamment renouvelé.
Mêlé depuis trente ans k la vie parlementaire du
pays, Barthou y a de très bonne heure joué un rôle
de premier plan. La souple et vive compréhension
de son intelligence, qui lui permet de s'assimiler
aisément les questions les plus nouvelles, ainsi que
ses remarquables dons d'orateur, qui firent rapide-
ment de lui un des maîtres de notre tribune, impo-
sèrent très vitealaChambresapersonnaIite.il n'avait
pas encore trente-deux ans qu'il fut appelé au porte-
feuille des travaux publics, dans le cabinet Ch. Du-
puy (1894). Il fut ainsi le plus jeune ministre de la
Hépubliqiie; il devait, par la suite, établir un autre
record. Ministre de l'intérieur, dans le cabinet Mé-
line (1898), il reprit, dans le cabinet Sarrien, le por-
tefeuille des travaux publics et le conserva dans le
premier cabinet Clemenceau, soit pendant plus de
trois ans. De ce fait, Barthou a été, de nos ministres
des travaux publics, celui qui est demeuré le plus
longtemps en exercice. 11 fut ensuite ministre de la
justice, dans le premier et le troisième cabinet Briand
(1910 et 1913); en 1913, il prit, avec le portefeuille de
l'instruction publique, la présidence du conseil, qu'il
occupa pendant trois mois. Durant la guerre, il a été
ministre d'Etat, membre du comité de guerre et mi-
nistre des alfairesétrangères.danslecabinetPainlevé.
Soit comme député, soit comme ministre, Barthou
a pris part, quand il ne les a pas provoquées, à toutes
les discussions relatives aux grands intérêts de la
nation. Inscrit au groupe des républicains de gau-
che, grand admirateur de Jules Ferry, Barlhou a
toujours défendu et pratiqué une politique nettement
républicaine et la'ique, affranchie, cependant, de tout
sectarisme et animée d'un profond sentiment de
justice sociale. Sur ce dernier point, même, on peut
dire que Barlhou est, comme tendances, plus avancé
que la plupart de ses amis politiques. Ses initiatives
ministérielles, en matière de prévoyance sociale sont
là pour l'attester. C'est lui qui fit voter, en 189'i,
comme ministre des travaux publics, la loi sur les
retraites des ouvriers mineurs; en 1898, comme mi-
nistre de l'intérieur, la loi sur les sociétés de secours
mutuels; en 1907, enfin, comme ministre des tra-
vaux publics, la loi sur les caisses de retraites des
ouvriers et employés de chemins de fer. 11 ne faut
pas oublier non plus l'important ouvrage qu'il a pu-
blié, en 1904, sur V Action syndicale, où sont étudiés
les résultats de la loi du 21 mars 1884.
Qu'on ne voie point dans ces mesures, qui ont
▼alu k Barthou une légitime popularité dans le
monde mutualiste, des intentions de réclame per-
sonnelle ou un souci de clientèlo politique. On doit
reconnaître à son honneur qu'il a toujours été guidé
dans ses actes par des considérations supérieures, et
il n'a pas craint, à l'occasion, de braver les mécon-
tentements populaires et de sacrifier les commodités
individuelles, lorsque l'intérêt national lui semblait
exiger ce sacrifice. En 1913, quand l'Allemagne
appela des classes nouvelles, augmenta ses effectifs,
développa son matériel, au point qu'il était impos-
sible de se méprendre sur ses intentions agressives,
Barthou, alors président du conseil, n'hésita pas à
faire voter le retour à la loi de trois ans. On sait que
cette sage mesure nons évita, un an plus lard, d'être
écrasés au premier choc de notre formidable adver-
saire. Dans toute la carrière politique de Barthou,
LoQis Barthou.
LAROUSSE MENSUEL
ce sera, assurément, son plus beau titre de gloire que
d'avoir, par l'énergie de ses con vidions et la persua-
sion de sa parole, imposé à un Parlement, d'abord
hostile, une réforme d'où devait, peu après, sortir le
salut du pays. Pour cela, Barthou doit légitimement
être compte parmi les artisans de notre victoire.
Quelque éminent que soit en Barthou l'homme
politique, il ne constitue cependant qu'un des aspects
de cette personnalité très diverse et très riche. Chez
lui, le politique
se double d un
artiste, l'orateur
d'un écrivain.
Accessible à tou-
tes les formes de
l'art, il a pour la
musique un goût
particulier et a
avoué lui-même
n'avoir jamais
entendu certains
passages de la
Messe solennelle
en ré de Beetho-
ven, « sans êlre
secoué de fris-
sons et ému jus-
qu'aux larmes ».
Il a, d'ailleurs,
fait, en 1911, sur
Beethoven, une
conférence, où, avec la ferveur de son admiration
réfléchie et profonde pour le maître, il donne la
mesure de sa haute compréhension musicale.
De même, au sortir des luttes de la tribune, sa
plus grande joie est de se retrouver parmi ses livres
familiers. Bibliophile passionné, ayant l'amour et le
culte du livre — il a écrit sur la bibliophilie des pa-
ges charmantes — mais ne recherchant que les livres
qu'il aime, il s'est constitué une très belle bibliothè-
que, où sont réunis, dans les éditions les plus rares
et sous de superbes reliures, les auteurs de son
choix. « En parcourant les livres rassemblés par un
homme, disait J. de Maistre, on connaît en peu de
temps ce qu'il sait et ce qu'il aime ». Un simple coup
d'oeil sur la bibliothèque de Barthou vérifierait cette
assertion. On y chercherait vainement, par exemple,
des Balzac ou des Stendhal; par contre, Rabelais,
Montaigne, Bossuet, Racine, La Bruyère, 'Voltaire,
Rousseau, parmi les classiques, s'y offrent en magni-
fiques exemplaires; les romantiques, cependant, et
particulièrement V. Hugo, y occupent une place
d'honneur et, parmi les contemporains, A. France,
P. Loti, Maupassant, Verlaine, Samain, y ont acquis
leur droit de cité.
Non moins que de livres, Barthou est féru de
sports : il ne les a pas seulement encouragés quand
il était ministre, il les pratique aussi dans le parti-
culier; et c'est ce qui, sans doute, permet à cet
homme, petit de taille, à la démarche alerte et
souple, au regard vif derrière ses lorgnons, de porter
allègrement ses cinquante-sept ans.
Cette curiosité d'esprit, que seconde une activité
inlasseble, explique la diversité de la production lit-
téraire de Barthou. Il s'est refusé jusqu'ici à réunir
en volumes ses nombreux discour» politiques, esti-
mant qii' n un discours vaut moins, pour être effi-
cace, par la forme que par la vie », et qu'ainsi la
parole ne peut que perdre à se figer dans l'immobi-
lité définitive de l'écriture. Par contre, il a publié,
en ces dernières années, un nombre respectable d'ou-
vrages. En 1888, il avait fait paraître des Notes de
voyage en Belgique et en Hollande, simple relation
de touriste ; mais ses véritables œuvres sont de date
plus récente. C'est d'abord, en 1913, sa belle étude
sur Mirabeau, où il s'est efforcé, avec bonheur, de
nous restituer l'exacte figure du « monstre ». L'an-
née suivante, sous le titre d'Inipressions et Essais,
il réunissait un certain nombre d'articles, de notes
de voyage, de discours, de conférences, sur les su-
jets les plus divers : volume intéressant par cette
diversité même, qui nous ouvre de curieux aperçus
sur les formes multiples de la pensée de Barlhou.
A côté du lettré, curieux de documents inédits ou
rares, de l'amateur de musique, qui va au concert,
non seulement pour entendre, mais pour écouter,
s'y révèle l'observateur, qui, en voyage, sait aper-
cevoir et traduire le caractère propre des pays qu'il
traverse; on y trouve même un peintre délicat et
habile : telle notation d'un coucher de soleil sur le
Nil Blanc a une singulière valeur descriptive.
En 1916, Barthou a donné son Lamartine orateur,
travail de haut prix, dont la portée dépasse le titre,
^ar c'est toute la politique de Lamartine qui est
étudiée : l'origine et l'évolution de ses idées n'y
tiennent pas moins de place que la formation et les
progrès de son talent oratoire, très minutieusement
analysés. Ce livre achève de fixer la physionomie de
Lamartine, en qui on avait trop exclusivement jus-
qu'ici considéré le poète, encore qu'il eût déclaré
lui-même qu'il «avait pins de politique que de poé-
sie dans la tête ». Ce volume peut être considéré
comme l'ouvrage capital de Barthou; c'est certaine-
ment celui auquel il attache personnellement le plus
739
de prix, si l'on en juge par la simple et émouvante
dédicace : « A la chère mémoire de mon fils Max, en-
gagé volontaire au 8' hussards, à l'âge de dix-buit
ans, le 24 août 1914, brigadier le 8 décembre, tué k
Thann (Alsace), par un obus allemand, le 14 décem-
bre. » Il y a bien des choses sous ces quelques lignes :
il suffit d'en retenir la belle leçon d énergie donnée
par ce père, qui a continué sa tâche, malgré le deuil
qui le frappait.
Tout récemment, enfin, en 1918, sons le litre U>
Amours d'un poète, Barthou, utilisant des docu-
ments inédits, a apporté d'intéressantes et curieuses
précisions sur la vie intime de Victor Hugo, les
tristesses de son foyer, sa liaison avec Juliette
Drouet. Ce livre, où la ligure de V.Hugo apparaît avec
une richesse de sensibilité qui lui a été parfois si in-
justementdéniée,nesauraitêtre indifférent à tous les
esprits soucieux de mieux pénétrer l'œuvre du poète
en connaissant l'homme de plus près. En outre, par
les poésies, jusqu'ici inédites, qui y figurent, il aoit
être compté comme une importante contribution a
l'œuvre lyrique de V. Hugo.
Dans tous ces ouvrages, le style de Barthou affirme
les qualités qui s'attestent dans ses discours : sa
phrase courte, bien frappée, pleine d'idées et de faits,
a le triple mérite de la sobriété, de la fermeté et de
la précision.
Durant la guerre, Barthou n'a cessé de se dé-
penser pour le bien du pays. Sans parler du rôle
qu'il a joué dans les commissions parlementaires et
dans les conseils du gouvernement, ni des multiples
œuvres auxquelles il a prêté le concours de son
activité et de son expérience, Barthou, soit par la
plume, soit par la parole, s'est efforcé, en France,
de soutenir le moral du pays et, au dehors, de ral-
lier à notre cause les sympathies des peuples étran-
gers. Ses conférences en Suisse et en Italie, ses
allocutions à la Sorbonne et, surtout, sa belle décla-
ration au nom des pères et mères de famille dont les
fils sont morts pour la patrie, — qui se trouvent
réunies dans le volume Sur les routes du droit, —
témoignent de ce noble et patriotique effort de pro-
pagande. En même temps, sous la forme familière
de Lettres à un jeune Franfais, Barthou, commen-
tant les événements de la guerre, en a dégagé les
firincipales leçons. Il a insisté particulièrement sur
a nécessité de maintenir après la guerre l'Union
nationale, qui ne sera « pas moins indispensable
pour refaire la France qu'elle ne l'a été pour la
sauver»; il va même jusqu'à dire courageusement
que « la guerre se traduira par un inappréciable
liienfait social, si elle a eu ce résultat de rapprocher
les conditions, d'apaiser les haines fratricides, de
nous faire mieux connaître les uns aux autres. ..Vou-
lue, préparée, achevée par toute la France, la vic-
toire doit profiter à toute la France ». Puisse ce
souhait généreux se réaliser demain !
En une heure de pessimisme, Challemel-Lacoar a
écrit : « La politique est une occupation plus exci-
tante encore (que la littérature', et la pensée n'y
est pas moins superflue... Avez-vous pied dans un
parti, on vous débarrasse obligeamment de votre
esprit, on le met au régime, et on ne vous le rend
que déshabitué de tous les écarts. » Cette réflexion
ne saurait s'apppliquer à Barthou. Serviteur de ses
idées plus que des exigences d'un parti, très jaloux
de l'indépendance de son esprit, dont il entretient
l'activité par un labeur constant, Barthou a donné
dans la politique la mesure de ses talents; mais il a
su montrer aussi que la politique ne les absorbait
pas tout entiers; et c'est ce que souligne, sans doute,
le choix de l'Académie française, qui, en l'appelant
à elle, a voulu honorer à la fois l'homme politique
et l'écrivain. — P. Odir»nii.
Blanchard (flapAarèZ-Anatole-Émile), zoolo-
giste et médecin français, né le 28 février 1857, à
Saint-Christophe (Indre-et-Loire) , mort k Paris, le
7 févrierl919. Il était l'arrière-neveude l'aéronaule
François Blanchard, inventeur du parachute, qui le
premier, traversa la Manche en ballon. La seule
énumération des faits saillants de sa vie la montre
orientée, dès le début, vers les applications des
sciences naturelles à la médecine et bientôt presque
exclusivement consacrée à la parasilologie. Etu-
diant en médecine de la Faculté de Paris, en 1874,
il s'adonne en même temps aux sciences naturelles;
entre, deux ans plus lard, comme préparateur dans
le laboratoire de Georges Pouchet, au Muséum, puis
passe, avec les mêmes fonctions, au laboratoire de
physiologie de Paul Bert, à la Faculté des sciences.
Dans l'intervalle, en 1877-78, il effectue un voyage
en Allemagne, d'où il rapporte les éléments d'un li-
vre qui, à l'époque où il parut, fut une révélation.
les Universités allemandes (1883). En 1879, il est
nommé secrétaire général de la Société zoolo-
gique de France, fonction qu'il remplira avec un
zèle et un succès remarquables pendant vingt-deux
ans. En 1880, il est docteur en médecine; en 1882.
licencié es sciences; en 1883, il est nommé agrégé
de la Faculté de médecine de Paris, section d'his-
toire naturelle médicale. Dès ce moment, il décide
de consacrer presque entièrement l'enseignement
dont il est chargé k l'étude de la parasilologie, qui
Dr Raphaèl Blanchard.
740
est, à ses yeux, ua chapitre fondamental de la pa-
thologie humaine ; et, de l'ait, ses leçons d'agrégé
ne traitèrent que de zoologie. Lorsqu'en 1897, à la
mort du professeur Bâillon, il est appelé à la chaire
magistrale qu'occupait celui-ci et où il n'était guère
(Question que de botanique, Blanchard renouvelle en-
tièrement cet enseignement, et, dans ses leçons ou
dans les travaux de son laboratoire, donnelapremière
place à la parasitologie pour lutler contre les affec-
tions contagieuses dues & des parasites (rats, puces,
mouches, moustiques, acariens, etc.). Cette transfor-
mation devait être complétée, en 1907, par le change-
ment de litre de la chaire elle-même, qui devint, sur
ses instances réitérées, la chaire de parasitologie.
Ces faits nous montrent tout d'abord dans Blan-
chard un homme pénétré de l'importance de la
science à laquelle il s'est consaci-é, faisant admet-
tre, malgré les critiques, sa façon de voir; pressen-
tant, d'après les études déjà faites, la place de tout
premier rang que cette science doit occuper dans les
préoccupations des médecins, et qui n'est plus guère
contestée aujourd'hui; prévoyantenlin de quelleaide
seraient ces connaissances dans l'œuvre de coloni-
sation,et voulant
qu'en ces matiè-
res son pays mar-
chât à la tête des
nations, lis nous
montrent aussi
en lui un organi-
sateur de haute
valeur, car la
transformation
qu'il a fait subir
à l'enseignement
de l'histoire na-
turelle à la Fa-
culléde Paris fut
profonde et de-
manda, pour être
menéeà bien, des
qualités multi-
ples. Ces qualités
organisatrices ,
Raphaël Blanchard les prouva aussi dans la façon
dont il dirigea les travaux de la Société zoologique
de France; dans la fondation (avec Alph. Milne-
Edwards), en 1889, des congrès internationaux île
zoologie; dans la création, à la Faculté de Paris,
d'un Institut de médecine coloniale, qui délivre un
diplôme spécial aux élèves ayant suivi ses travaux,
et s'occupe exclusivement des maladies des pays
tropicaux; dans la création de la Ligue française,
laquelle s'est donné pour but de lutter contre les
maladies évitables; enfin, dans la fondation (avec
le D"' Albert Prieur) de la Société française d'His-
toire de la médecine.
Blanchard fut élu membre de l'Académie de mé-
decine (Section de thérapeutique et histoire naturelle
médicale) en 189'i, et secrétaire annuel de celte
savante Compagnie enl902, conlirmé chaque année
dans ces fonctions par la confiance de ses collègues.
Chevalier de la Légion d'iionneur en 1895, il fut
récemment promu officier. 11 était secrétaire de
l'Association des Dames françaises, et rendit, en
cette qualité, de grands services aux blessés de la
dernière guerre.
Peu de savants ont eu une carrière aussi brillante
que celle du professeur Blanchard, et une renommée
aussi universelle. Très lié avec les parasitologues du
monde entier, il assistait à tous les congrès interna-
tionaux et s'y montrait un propagandiste énergique et
documenté des idées françaises. Il était servi merveil-
leusement, dans cette tâche, par sa connaissance des
langues étrangères, car il parlait couramment l'an-
glais, l'allemand, l'italien et l'espagnol, et se faisait
comprendre en russe et en hollandais. Sa parfaite
courtoisie, ses manières affables, non moins que sa
science parasitologique.lui valurent des amitiés pré-
cieuses pour son pays et pour lui-même. 11 était ti-
tulaire de nombreuses décorations étrangères, mem-
bre honoraire de l'Académie de médecine de Belgi-
que, de la Société britannique de médecine tropicale,
du Royal Inslilute of Public Health de Londres,
membre correspondant des Académies de Turin et
de Rio-de-Janeiro, de la Société de médecine de
Gand, de l'Institut égypiien, etc.
Raphaël Blanchard était également curieux d'his-
toire de la médecine, et, & côté du temps qu'il con-
sacrait à la Société qu'il avait fondée, il avait réuni
ime précieuse collection de numismatique spéciale,
comprenant des jetons de doyen de la Faculté, des
médailles frappées à l'occasion des grands faits mé-
dicaux ou de la cessation d'épidémies meurtrières,
des insignes professionnels, etc. Sa propre médaille,
œuvre de Paul Richer, lui avait été oderte lorsqu'il
quitta le secrétariat général de la Société zoologi-
que. Il possédait également de rares autographes des
médecins de jadis.
Il laisse, comme œuvres écrites, des Eléments de
zooloqie (en collaboration avec Paul Berl, 1885): un
Traité de zoologie médicale (1885-1888); une His-
toire zoologique et médicale des téniadés (1891);
Paraiitts animaux, parasites végétaux (dans le
LAROUSSE MENSUEL
Traité de Pathologie générale de Bouchard (1895);
les Moustiques, histoire naturetleetmédicate(i'!)Ub);
l'Insecte et l'Infection, histoire naturelle et médi-
cale des arthropodes pathogènes (acariens), (1903);
les Hématozoaires de l'homme et des animaux
(en collaboration avec Laveran); un Glossaire zoo lo-
gique français-allemand, le premier volume (1908)
d'une œuvre considérable : Corpus inscriptio-
num ad medicinam et biologiam spectantium,
et de nombreux mémoires parus, notamment, dans
les Archives de Parasitologie, qu'il avait fondées,
en 1898, en même temps que des collections, sur
la même science, dont il avait fait un musée annexé
à son laboratoire. — D' Henri bodquet.
calophase (du gr. kalos, beau; phasis, faisan)
n. m. Genre d'oiseau de la famille des phasianidés.
— Encycl. Les calophases ont un bec plus petit
que celui des vrais faisans; les narines sont partiel-
lement couvertes par une écaille, donc plus ouvertes
et plus visibles que sur les autres faisans. La tête ne
porte ni huppe, ni touffe auriculaire. Les plumes du
dos et du croupion sont arrondies; elles ne recou-
vrent pas les sus-caudales, qui sont ainsi visibles.
Les parties nues de la face, dans les deux sexes,
sont très visibles; sur les mâles, elles sont plus
petites que chez les faisans vrais. La queue est
particulière : elle est large à la base, et les rectrices
médianes sont de beaucoup les plus longues; leur
largeur diminue rapidement en allant vers l'extré-
mité; de plus, elles ne restent pas rectilignes, elles
se recourbent vers l'extérieur. Les tarses
du mâle sont armés d'un long éperon acéré,
tandis que la femelle n'en n'a qu'une in-
dication.
L'arrangement des couleurs dans le plu-
mage des deux sexes est différent de ce
qu'on rencontre chez tous les faisans connus.
Ce genre comprend plusieurs espèces de la
région orientale.
Le calophase mikado {Calophasis mikado)
est un fort bel oiseau d'un noir bleu, avec
parfois des reflets violacés, et un cercle rouge
autour des yeux. Les plumes du cou, en
avant et en arrière, ont au milieu une tache
triangulaire d'un noir velouté; sur le dos et
jusqu'au croupion les plumes ont une bor-
dure étroite d'un bleu foncé. Les couver-
tures supérieures de la queue sont allongées,
bordées de blanc, comme les sous-caudales
où la bordure blanclie est plus large ; les
culottes sont courtes et brunes, l'abdomen
est d'un noir mat. Les rémiges primaires
sont noir brunâtre; les secondaires sont de même
couleur, mais elles portent à leur extrémité une
tache plus ou moins longue et triangulaire. Les
grandes couvertures des ailes sont bordées de
blanc, tandis que les moyennes et les petites sont
bordées de bleu foncé, comme les plumes du dos.
La queue est étagée, avec 18 rectrices allant pro-
gressivement en s'allongeant depuis l'extérieur
pour arriver aux médianes. Elles portent tontes des
bandes gris-blanc, étroites, séparées par de larges
bandes noires. Sur les médianes on trouve 14 de
ces bandes; ce nombre va diminuant vers l'exté-
rieur; la queue, quand elle est étalée, a une forme
nettement triangulaire.
La longueur totale du mâle est de 0™,90; la queue
(avec les longues rectrices) a O^iiS. La femelle de
cette espèce est beaucoup moins élégante que le
mâle. Elle ressemble à celle des autres faisans, mais
elle est pins foncée; en dessous, chaque plume brune
est bordée de blanc ; de grosses taches blanches et
noires se voient sur le milieu de la poitrine. Les
rectrices sont châtain, marquées sur toute leur lon-
gueur de noir et de jaune sable; toutes'ont la pointe
blanche, sauf la paire médiane. Les scutelles des
tarses sont particulières; elles sont réticulées et
octogonales, surélevées en leur milieu, de façon à
former une masse rugueuse. La longueur totale de
la femelle est de O^.iô.
L'espèce Calophase mikado a été établie sur une
paire de rectrices médianes marquées d'environ
12 bandes étroites grises, espacées de 3 â 4 centimè-
tres environ. Ces plumes, qui ornaient la chevelure
d'un indigène de lîle Formose, porleur de bagages,
venaient des monts Arizan. Dans une expédition
faite en 191 j, Goodfellow, avec l'aide des indigènes,
put capturer 8 mâles et 3 femelles qui tous arrivèrent
vivants en Angleterre. Les monts Arizan s'élèvent à
l'ouest de l'île Formose, et s'allongent du N. au S.;
ils renferment de nombreux précipices, et des forêts
très denses. A l'est se trouve une vallée herbeuse,
en face du mont Morrison; c'est sur les flancs
de cette vallée que le calophase mikado vit en
permanence, et niche au-dessous de 2.000 mètres.
Les pentes sont trop raides pour qu'on puisse y
poursuivre ces beaux oise.nnx; on dut les piéger,
et on les captura le malin de bonne heure et le soir
quand ils descendent un peu pour chercher leur
nourriture. Jamais ils ne se laissèrent tenter par
aucun appât. C'est grâce à plusieurs centaines de
pièges placés en des endroits bien choisis, qu'on put
en attraper quelques-uns.
«• 746. Avril 1919-
Le matin, les calophases mikados (mâles et fe-
melles) font entendre un cri rappelant celui des
jeunes dindons; quand il est effrayé, le mâle siffle
comme un serpent. Ces oiseaux nichent à la fin
d'avril, et pondent en mai.
La martre est certainement le plus grand ennemi
du mikado, et c'est pour cela qu'ils sont si rares et
si farouches, car dès qu'on les effraye ils s'enfuient
dans les rochers et sur le mont Morrison. Les
martres sont si nombreuses dans ces régions et si
effrontées, qu'elles entraientlanuitdans le campdes
voyageurs; elles effrayaient les oiseaux, et rendaient
tout sommeil impossible. Jamais elles ne se lais-
sèrent prendre aux trappes tendues à leur intention.
Avant la guerre, en Angleterre, le prix d'une
paire d'oiseaux vivants atteignait I.OOO francs.
Le calophase d'EUiot {Calophasis Ellioti) a le
sommet de la tête brun, moucheté de brun foncé;
la nuque est d'un gris foncé passant au blanc pur
sur les côtés du cou. Le menton et la gorge sonl
d'un noir foncé présentant des reflets bleus; la poi-
trine et le dos sont d'un rouge cuivré, avec un trait
noir sur le bord de chaque plume; les plumes du
bas du dos et du croupion sont noires, mais bor-
dées de blanc; les scapulaires et les couvertures
des ailes portent une plaque bleu métallique et une
bordure blanche qui dessine une bande oblique
sur le milieu de l'aile. Les rémiges sont rousses,
les sous-caudales noires ; l'abdomen est blanc ;
La queue, qui comprend seize rectrices seulement,
est alternativement barrée de larges bandes d'un
Calophases mikados, m&le et femelle.
brun marron et d'un gris finement rayé de blanc.
Il y a un cercle rouge autour des yeux.
La femelle est d'un châtain tacheté, avec la gorge
noire, l'abdomen blanc, mais avec des barres irré-
gulières sur les flancs; la queue est d'une teinte
grisâtre avec des stries brunâtres.
Ce superbe animal, qui a été rapporté vivant en
Europe en 1872, vit dans les bois montagneux du
sud-est de la Chine. Les Chinois l'appellent han-ky,
ce qui signifie « poule des lieux secs ». La première
paire vivante mise en vente à Londres atteignit le
prix de 3.750 francs. Son élevage a très bien réussi
dans nos pays; aussi, son
prix a-t-il baissé au-des-
sous de lOOi'rancs.
Ce genre est encore
représenté par deux es-
pèces très voisines, qui
habitent le nord et le
sud de la
Birmanie. —
A. MénAoaux.
•"cantua
n. m. Genre
de polémo-
niacées voi-
sines desco-
béas et ren-
fermant six
ou sept es-
pèces du Pé-
rou et de la
Bolivie.
— Encyci,.
Les cantuas
sont des ar-
bres ou des
arbrisseaux
h feuilles al-
ternes.épais-
ses, entières
ou sinuées
dentées per
sistantes, d'un beau vert; à jolies fleurs groupées à
l'aisselle des feuilles supérieures ou & l'extrémité
des rameaux. Ces fleurs ont un calice urcéolé.
tubulcux-campanulé découpé en cinq dents au som-
met, une corolle tubuleuse, à limbe étalé, parta;;é
en cinq lobes; les élaniines sont ex.sertes; l'ovaire
est à trois loges; le fruit est une capsule coriace
Cantua.
N' 146. Avril 1919.
déhiscente. Les principales espèces du genre sont :
Canlua buxifoUa, Canlua bicolor et Cantua de-
pendens ici figuré. Cette dernière espèce est fré-
quemment cultivée dans les serres d'Europe pour la
beauté et la gr&ce de ses fleurs, longs tubes d'un
rouge orangé passant au rouge cramoisi vers les
bords du limbe. — Jean di Cbàox.
Cliantavoine (Henri), professeur et journa-
liste français, né à Montpellier le 6 août 1850, mort
à Galuire (Rhône) le 15 août 1918. Entré k l'Ecole
normale supérieure à dix-neuf ans, il en sortit
quatre ans plus tard en 1873, ayant été reçu premier
à l'agrégation des lettres. Les brillantes qualités
qu'il avait marquées dans ses études le désignaient
pour un avancement rapide; après avoir occupé
successivement la chaire de rhétorique dans les
lycées de Ghaumont (1873), de Saint-Quentin (1874)
et de Nantes (1875), il fut dès 1876 appelé à Paris
comme suppléant de seconde au lycée Charlemagne,
passa de là au collège Rollin comme suppléant de
rhétorique et fut enfin, en 1882, nommé professeur
de rhétorique au lycée Henri-lV. Il ne devait plus
quitter cet établissement, où, jusqu'à sa mort, il
exerça son enseignement dans la chaire de rhéto-
rique supérieure. A ces fonctions, il joignait celles
de maître de conférences de littérature française à
l'Ecole normale supérieure de jeunes filles de
Sèvres. Il était officier de la Légion d'honneur.
Chantavoine s'était d'abord adonné à la poésie;
ses premières publications furent des recueils de
poèmes, d'un tour facile, où s'attestait une souple
maîtrise dans le choix et le maniement des rythmes,
mais sans nulle
de ces hardiesses
auxquelles se
complaisent vo-
lontiers les jeu-
nes poêles. Voici
d'ailleurs com-
ment il se pré-
sentait au public
dans la préface
de ses Poèmes
sincères (1877) :
o L'auteur est at-
taché àson loyer,
à sa patrie, à sa
religion par un
amour ardent et
un peu exclusif,
ce qui, aux yeux
de plusieurs per-
sonnes, est peut-
être un triple ri-
dicule... Il a appris dès le collège à admirer les chefs-
d'œuvre classiques, et depuis il s'en est toujours tenu
à ses premières admirations;... à part quelques noms
justement célèbres et quelques œuvres d'un mérite
incontesté, le Parnasse contemporain le trouve jus-
qu'à présent peu enthousiaste». 11 qualifiaitliii-même
sa muse de « bourgeoise » et lui faisait dire :
Terre à terre, contre le sol,
Âmi lecteur, je prends mon vol.
Et je m'arrête
Plus volontiers dans le sillon
OOi j'entends chanter le grillon
Et l'alouette.
Pourtant, s'il dédaignait les hautes spéculations
ou la recherche des sensations rares; s'il s'attachait
à chanter ce qui fait une vie droite et simple, le
foyer, la patrie, l'Evangile; s'il attaquait dans ses
Satires contemporaines (1880) les manifestations
du naturalisme en littérature et en art, du matéria-
lisme en morale, et de l'agitation stérile en poli-
tique ; bref, s'il se plaisait à traduire dans ses vers le
bon sens terre à terre et bourgeois, il n'était nulle-
ment incapable d'élévation. Cruellement frappé par
la perte prématurée d'une compagne aimée, il lui a
consacré, sous le titre Ad memoriam (1884), un
volume tout vibrant des accents d'une tendresse
douloureuse et d'une émouvante mélancolie. Telle
pièce fait songer à la belle plainte de Victor Hugo
dans son fameux poème A Vtllequier ; comme le
poète des Contemplations, Chantavoine s'adresse
au Seigneur avec une amertume résignée :
Mais toi, Dieu créateur et père des humains.
Ne nous entends-tu pas, quand nous joignons les mains,
Quand nous joignons les mains avec mélancolie
Pour te redemander les morts que nous pleurons?
Ailleurs, c'est une autre veine qui l'inspire: le
Songe d'une nuit cf hiver a la sobre et poignante
lieaiité d'un poème de Musset. Son dernier recueil,
•lu fil des jours (1889), reflète la même élévation
de pensée, et le ton y est d'une gravilé soutenue.
Parlant de la patrie, de la vie, de l'art, volontiers
le poète s'adresse à la jeunesse pour lui inspirer de
saines maximes :
Aimez. 6 jeunes gens, et respectez la vie :
Elle est bonne à celui qui va droit son ciiemin
Et qui ne garde au fond de son àme ravie
Que le rêve d'hier et l'espoir de domain.
Chantavoine ne manquait donc pas d'un réel tem-
pérament poétique; cependant, il délaissa assez vite
Henri Chantavoine.
LAROUSSE MENSUEL
la poésie, etse tourna vers le journalisme; dès 1881,
il était entré au Journal des Débalt, et pendant
près de quarante ans il ne cessa d'y donner des
chroniques où l'actualité était commentée avec
esprit et fantaisie. La critique littéraire y tenait,
comme de juste, une part importante, et ses appré-
ciations marquaient la sitreté de son goût; mais son
profond élolgnementpour tout pëdantisme empêcha
Chantavoine de se spécialiser dans la critique : il
abordaitdonc avec la même complaisance les sujets
les plus divers : tantôt, il effleurait une question
d'éducation ou un problème de politique, et en
quelques lignes apportait une solution uu redressait
une erreur; tantôt, il employait ses dons de poésie
et d'émotion à l'évocation de quelque souvenir per-
sonnel ou à la description d'un paysage; il se plai-
sait aussi à brosser de petits tableaux de mœurs,
spirituels et vifs, égayés parfois d'une délicate iro-
nie comme l'Histoire de Pinchu ou le Ménage Po-
ierlot. Ses articles étaient en somme des causeries
pleines de vie et de charme.
On pourrait en dire autant de son enseignement.
Tous ceux qui furent ses élèves ont gardé de
Chantavoine le souvenir d'un maître aimable, à la
parole séduisante et facile, qui professait comme
d'autres causent, soutenant sans cesse l'intérêt de
ses leçonspar des anecdotes, des réminiscences per-
sonnelles, des rappels de l'actualité : pour lui, le
livre n'était jamais séparé de la vie; c'est ce qui
faisait le charme et aussi la valeur de son enseigne-
ment. D'autres maîtres en imposaient peut-être
davantage par la profondeur de leur érudition ou
la rigueur de leurs méthodes, mais aucun n'avait,
comme Chantavoine, l'art d'affiner les esprits, de
donner à ces jeunes intelligences qui, venues de
toutes les provinces, se groupaient autour de sa
chaire, cette politesse, ce fini qui caractérisent le
véritable humaniste. C'était, comme on l'a dit jus-
tement, un remarquable initiateur à la vie de l'esprit.
Sans ambition vaine, bornant ses désirs et ses
vœux à
pouvoir venir, quand le jour achevé
Permet la solitude à l'àme recueillie,
Savourer ion repos et jouir de la vie
Dans une humble maison blanche, aux contrevents verts,
Chantavoine a vécu une vie harmonieuse, toute
vouée aux bonnes lettres et aux choses de l'esprit.
Par son propre exemple autant que par son ensei-
gnement, il fut réellement un professeur d'huma-
nités. — J. Darguin.
Cliien de guerre. Historique. L'histoire
abonde en récits de grands sièges et de grandes
batailles où le chien remplit un rôle utile; et nom-
breux sont les exemples que l'on pourrait citer de
n chiens de guerre ».
Végèce, dans son De re militari, recommande
aux garnisons des forteresses, « pour éviter des
surprises, de faire coucher, dans les tours, des
74i
rgyll, utilisa des chiens de patrouille pour dé
■ les Barbares qui se cachaient dans les bois
décou-
d'Arg
vrir lés Barbares qui
Pline rapporte que les Colopboniens, dans leur
guerre contre les Castabales, se servaient de chiens
« pour porter et traîner leurs équipages de guerre ».
Quant aux arrestations d'espions, de déserteurs par
des chiens, Polybe mentionne « qu'Agésilas assié-
Chien-porteur, chargé de banH«B de mitraUleuse.
géant Mantinée, à la tête des Lacédémoniens, et se
défiant de ses alliés qu'il soupçonnaitd'entretenirdes
relations avec la place, imagina d'établir aux avant-
postes des chiens chargés d'arrêter les transfuges,
et il s'en trouva bien ». Faisant l'éloge du chien si
utile à la guerre, Pline ajoute, avec une légère pointe
d'ironie contre les militaires d'aiors: <■ ils ne sont
point exigeants sous le rapport de la solde, de l'arme-
ment et des honneurs ». Nombre d'armées de l'anti-
quité possédaient des régiments de forts molosses,
ayant une grande analogie avec les alans du moyen
âge et nos actuels dogues de Bordeaux ou masli/fs.
Un roi de Lydie, allant combattre les Gimmé-
riens, dit Polybe, prit pour auxiliaires d'énormes
^ , . ' i'*^..
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iu.
^-'- .i,^..- V-v-
Au chenU central militaire de Satory. — Chiens prêts au départ.
chiens d'un odorat fin et subtil, qui, sentant l'en-
nemi, aboient à propos ». Ils firent ce que l'on
demanda à nos chiens de liaison, les chiens qne les
Macédoniens et également les Béotiens avaient dres-
sés à porter des messages à travers les lignes; mais
les pauvres animaux étaient sacrifiés dès leur arri-
vée, car on leur faisait au départ avaler le message
dans une boulette de viande. Jamais les chevaliers
de Hhodes ne partaient à la rencontre de l'ennemi
sans être précédés d'une avant-garde canine. Et Po-
lybe raconte que Philippe, roi de Macédoine, père du
grand Alexandre, lorsqu'il fitirruptiou dans le pays
chiens qui, les jours d'action, chargeant à propos
les ennemis, procurèrent la victoire aux Lydiens.
Elien, racontant une bataille gagnée par les Slagné-
siens sur les habitants d'Ephèse, fait ressortir que
les premiers ne durent la victoire qu'aux chiens
qu'ils employèrent; il assure aussi que !es Colopho-
niens tenaient sur pied des cohortes de chiens, qui
jetaient un grand désordre dans les rangs ennemis
par la vivacité de leur attaque. Les Gaulois aussi
se servaient de chiens de guerre, et Strabon dit
d'eux « qu'ils étaient hardis au combat, et jamais
n'abandonnaient leurs maîtres •. Les Celtes entre-
742
tenaient des régiments de cliiens armés d'un collier
hérissé de pointes, et couverts d'une cuirasse; ils
les lançaient contre leurs ennemis. Par contre, les
Romains avaient conservé une certaine méfiance
contre les cliiens, depuis que ceux-ci les avaient
trahis au Capitole en laissant aux oies l'honneur
d'avertir de la venue des Gaulois; toujours est-il que
César n'utilisa pas les chiens dans ses guerres.
Les plus connus, peut-cire, parmi les chiens de
guerre, avertisseurs ei d'attaque, furent ceux qui,
au moyen âge, gardaient la place forte de Saint-
En faction dans les Vosges (région du Linge, 1915).
Malo. Dès 1155, les Malouins lâchaient pendant la
nuit des dogues chargés de protéger leur ville
contre des surprises, et cette troupe canine ne fut
licenciée qu'en 1770. L'archevêque d'Upsal, Olaus
Magnus, a composé au xvi"' siècle l'Histoire des
mœurs et des guerres des Peuples du Nord; on y
voit que les Finlandais étaient fort habiles à dresser
des chiens pour combattre la cavalerie. C'est ce
même Olaus Magnus qui rapporte que Henry Vlll,
roi d'Angleterre, envoyant une armée auxiliaire à
Charles-Quint, mit à la solde du monarque espagnol
une troupe de quatre cents chiens.
Dans la Dame du Lac, 'Walter Scott parle comme
d'ime chose toute naturelle de l'utilisation des
chiens par les rois d'Ecosse, pour soumettre les
clans révoltés. A la fameuse bataille de Morat
(1476), livrée par Charles le Téméraire, duc de
Bourgogne, aux confédérés suisses, peu avant la
fin de la lutte, qui fut une victoire pour les confé-
dérés, une troupe nombreuse de chiens de mon-
tagne, écrit de Barante, avait rencontré d'autres
chiens du camp ennemi et leur donnait la chasse.
A Granson aussi, les chiens de montagne des con-
fédérés entamèrent l'action à rencontre des chiens
bourguignons.
Philippe V, roi d'Espagne, en 1702, renforça les
garnisons de Porlo-Hercole, du mont Philippe et
du fort de l'Etoile par des chiens, et, écrit Santa
Cruz dans ses Réflexions militaires, « au plus petit
bruit des partis autrichiens qui sortent d'Orbitello
et de Port-Saint-Elierme, ces chiens aboient avec
tant de force que la garnison est très bien avertie.
Si des détacliements vont en parti, ces chiens les
précèdent et découvrent toutes les embuscades des
ennemis, ou indiquent le chemin qu'ils suivent
après avoir été battus ». Les Turcs et les Bosniaques
(guerres de 1769 à 1774) utilisaient des chiens pour
veiller à la sûreté de leurs camps; en 1788, au siège
de Dubitza, les chiens turcs avertirent de l'ouver-
ture de la tranchée, et une compagnie campée avec
des chiens à Gino-Perdo formait une ligne avancée
qui força toutes les patrouilles aulrichiennesfe battre
en retraite.
A mesure que se perfectionnèrent les armes à
feu, on négligea les services que pouvait rendre le
chien combattant.
Cependant, dans les guerres de conquête, le chien,
même combattant, fut très employé. Les récils de
la découverte de l'Amérique mentionnent les ex-
ploits de deux chiens guerriers, Becerillo et Leon-
cillo, qui, avec d'autres, contribuèrent au gain de
la bataille livrée au cacique Mabodomaca. Jean de
Bry s'est plu à raconter les exécutions sanglantes
dans lesquelles Leoncillo jouait le principal rôle et
qui lui valurent une haute paye et sa part de butin.
Colomb avait une armée de 200 fantassins, 20 cava-
liers et 20 chiens. Pizarre, dans sa conquête du
Pérou, était précédé d'une avant-garde canine dont
"Vasco Nuiiez était le chef. Les Anglais, lors de la
révolte de la Jamaïque, se firent aider par des chiens
de combat; nous-mêmes, dans notre expédition de
Sain t-Domingue,employàmes des éuscadores (chiens
chercheurs dans les bois).
Napoléon l", qui ne négligeait aucun détail, mais
ne croyait sans doute pas k l'utilité du chien dans
les guerres continentales, recommande l'utilisation
du chien dans les guerres coloniales.
Pendant les guerres du Premier et du Second
empire, presque tous les régiments eurent leur chien,
LAROUSSE MENSUEL
un brave « cabot » adopté par un ou plusieurs
soldats, compagnon des bons et des mauvais jours,
et qui fut le héros d'une aventure plus ou moins
véridique mais toujours touchante. Horace Vernet
immortalisa ce « chien du régiment », qui fut parfois
utile, mais qui vivait en marge des règlements.
L'histoire nous a conservé les noms de quelques-uns
de ces chiens, dont les exploits paraissent cependant
bien modestes à côté de ceux des chiens de guerre
d'aujourd'hui : c'est Moustache, qui fit presque
toutes les guerres du Premier empire; qui, en Ita-
lie, évite une surprise à Balbo, dépiste un espion
autrichien, défend un drapeau et est décoré par le
maréchal Lannes; c'est Misère, du 6' de la Garde;
Pompon, du 48«de ligne; Mirette, qui, à Sébastopol,
reçut une balle en détendant un drapeau ; Patte-
Blanche, du 116» de ligne, qui sauva la vie au lieu-
tenant Burat, porte-drapeau, entouré d'un fort
parti d'ennemis; Mitraille, du 2« d'artillerie, qui
fut deux fois blessé au siège d'Alger et entra le pre-
mier dans la place; etc.
Cependant, ce ne furent pas des isolés, des
'■ chiens de régiment », les quarante chiens éclai-
reurs qui accompagnaient la compagnie franche du
capitaine Blangini, en 1836, dans l'expédition de
Constantine et contre les Kabyles. C'est le premier
essai que nous trouvons, dans les temps modernes,
d'nne organisation canine, de chiens régulièrement
enrégimentés, et les embuscades qu'ils déjouèrent,
les surprises qu'ils évitèrent, l'aide précieuse qu'ils
prêtèrent à nos troupes auraient pu faire espérer
que, malgré le perfectionnement des armes et les
rnodilications de la tactique de la guerre, on son-
geât à utiliser ce précieux auxiliaire, le chien, aussi
bien dans les guerre de conquêtes en Afrique et
aux colonies, que sur le continent.
Utilisation moderne du chien à la guerre. ï. Dans
l'ahmée française. — Le « chien du régiment » est
devenu le chien-soldat, le « chien de guerre ». Régu-
lièrement immatriculé sur les contrôles de l'armée,
le chien de guerre possède un élat civil, un livret mi-
litaire, une plaque d'identité, un équipement, comme
un poilu. Les services qu'il a rendus, comme auxi-
liaire des sentinelles, pour doubler ou remplacer les
agents de liaison, en couvrant les patrouilles ou
éclairant le terrain; comme porteur et tracteur, en
ravitaillant en vivres et munitions les postes avan-
cés, isolés et soumis à d'intenses bombardements ;
comme pisteur, pour rechercher les espions ou les
prisonniers évades, ont justifié pleinement la con-
fiance que l'on avait mise en lui.
Mais, on peut dire que depuis 1885 des officiers,
des cynophiles, qui s'étaient rendu compte des servi-
ces que 1 on pouvait attendre des chiens à la guerre.
N* 146. Avril 1919.
nant Faucher au 21' bataillon de chasseurs à pied,
du lieutenant Gollot au 27' régiment d'infanterie,
du lieutenant Jarry au 5" régiment de dragons, du
lieutenant Isnard au 58' régiment d'infanterie, du lieu-
tenant Vicart au 38' régiment d'infanterie, du lieu-
tenant Buer au 19' bataillon de chasseurs à pied;
et d'autres encore. Ces ofiiciers purent, au cours de
grandes manœuvres en Champagne, en Touraine,
en Picardie, dans les 'Vosges, dans les Alpes, utiliser
des chiens, principalement comme porteurs de mes-
sages. Les chiens leur avaient été offerts par des
associations d'amateurs de chiens de berger, dési-
reuses de ne point laisser aux Allemands le mono-
pole du chien de guerre.
Dans les guerres coloniales, le chien fut aussi
quelque peu utilisé par le capitaine Pein en 1892,
alors qu'il commandait un escadron de méharistes
dans le Sud-Algérien, el en 1898 à Madagascar par
le maréchal des logis Mairie; le premier se servit
du chien comme auxiliaire des sentinelles et porteur
de messages, le second comme avertisseur et chien
d'attaque au besoin.
Rapports élogieux des autorités militaires, cam-
pagnes de presse, conférences, etc., rien ne fit:
le ministre de la Guerre voulait ignorer le chien de
guerre, sans que l'on en si'it la raison...
Depuis 1885 jusqu à la veille de la guerre, le journal
« l'Eleveur » multiplia les articles sur ce qui se faisait
en Allemagne, sur les essais heureux et concluants
faits en France mais que l'inertie des bureaux empê-
chait d'aboutir. Cependant, grâce à la ténacité du
lieutenant Faucher, un chenil officiel militaire fut
créé à Toul en 1913, et des chiens, une douzaine — qui
avaient été offerts par des amateurs, — furent affectés
à la garde de certains ouvrages de la place.
En août 1914, un dresseur professionnel de
chiens de berger, Jouhant, de Bourg-la-Heine, pa-
triote ardent, qui connaissait l'organisation alle-
mande et avait, en vue d'une utilisation éventuelle,
préparé en « chiens de guerre » un certain nombre
d'animaux de son chenil, offrit au ministre de la
Guerre dix chiens dressés et trente prêts à être mis
en dressage. Ses lettres et dépêches restèrent sans
réponse. Et cependant, par des articles parus dans
les journaux et revues d'Allemagne et d'Autriche,
on savait que nos ennemis utilisaient des chiens
sur les deux fronts, que ces chiens avaient évité
des surprises, en donnant l'éveil aux postes avancés,
suppléaientlesagents de liaison en portant des messa-
ges, qu'ils accompagnaient les patrouilles... D'autres
offres de chiens parvinrent au ministère de la Guerre:
elles eurent le même sort que celles de Jouhant.
Dès la mobilisation, la «Société nationale du chien
sanitaire» CV. Lar. Afens., t. I,p. 481),quidepui3 plu-
'^
durent lutter avec énergie el ténacité pour faire
adopter le cl.ien de guerre dans l'armée française.
Le lieutenant Jupin, du 32' de ligne, en 1887, avait
publié les Chiens militai>-es dans l'armée française.
puis, en 1890, lactique et Chiens de guerre, montrant
par des exemples pris dans l'histoire des guerres et
desbalaillesquedescbiens dressésà certains emplois
seraient d'une grande utilité. Dès 1885, sans
appui d'aucune sorte, il fit l'acquisition de chiens,
les prépara et les utilisa au cours des grandes ma-
nœuvres. Des rapports élogieux concluant à l'adop-
tion du chien de guerre furent envoyés au ministère
de la Guerre ; mais aucune suite n'y fut donnée. Puis,
ce furent les tentatives isolées dians divers corps
d'armée : du capitaine Lauth en 1909 au 67' régiment
d'infanterie, et vers la même époque du lieute-
r^'*^
sieurs années s'occupail du dressage des chiens des-
tinés à la recherche des blessés égarés ou dissimulés,
mit à la disposition du Service de santé un assez
grand nombre de chiens. Mais, par suite de circons-
tances diverses, ces chiens ne rendirent pas les ser-
vices que l'on était endroit d'attendre d'eux. Par une
décision en date du 15 septembre 1915, le G. Q. G.
supprima l'emploi des chiens sanitaires aux armées.
En août 1914, à la déclaration de guerre, un
seul corps, le 19' bataillon de chasseurs, partit en
campagne avec six chiens de guerre (de liaison),
dressés par le lieutenant Buer; ils rendirent d'im-
portants services, mais ne tardèrent pas à être tués,
et ils ne furent pas remplacés.
En décembre 1914, le journal «le Temps «publiaune
étude sur l'utilisation du chien par les Allemands,
(V- 146- Avril 1919.
montrai! l ce qui existait chez l'ennemi et ce qui pour-
rait exister cliez nous. Des lettres parvinrent k l'au-
teur, principalement d'offlciers des bataillons alpins,
réclamant des chiens qui leur paraissaient de voir être
fort utiles dans la guerre de montagne. Mais il
était impossible d'envoyer des chiens, même dres-
sés, sans également envoyer des hommes capables
de les conduire. Quelques amateurs furent sollicités
d'aller organiser un chenil militaire à l'armée des
Vosges; l'un d'eux, auxiliaire non encore mobi-
lisé, répondit à l'appel et partit fin décembre 1914
au 12' bataillon de chasseurs avec une équipe d'une
douzaine de chiens. Ce fut le premier essai pendant
cette guerre. Quelques semaines après, un officier
de l'armée active qui s'était occupé, avant la guerre,
des chiens sanitaires, proposa au général de Cas-
telnau d'organiser un chenil militaire pour l'armée
qu'il commandait. Le général de Gastelnau accepta.
Mais, par suite de difficultés d'ordres divers, en tout
cas étrangères il la bonne volonté des organisateurs,
ces deux tentatives ne réussirent pas comme elles au-
raient dû, et la question de l'utilisation du chien pa-
raissait dèslors sérieusement compromise : le G.Q.G.
étant sur le point de décider la suppression des che-
nils.. .Ainsi, nous qui avions en temps de paix fait les
essaisles plus concluants, et mieux que les Allemands
approprié le dressage des chiens aux méthodes nou-
velles de guerre, nous allions rester en arrière"?
Une nouvelle tentative faite par le directeur de
r 11 Eleveur » allait obtenir de plus appréciables
résultats. S'adressant au général de Maud'huy, qui
commandait alors l'armée des Vosges et d'Alsace,
il lui demanda d'organiser sur le front de son armée
un service de chiens de guerre. Sa proposition fut
acceptée, et moins d'un mois après il partait au front
emmenant avec lui quinze dresseurs professionnels
choisis parmi des militaires des vieilles classes ou
du service auxiliaire, et une soixantaine de chiens
offerts par des amateurs. Fin juillet 1915, le chenil
militaire de laVlI" armée fonctionnait et mettait en
service des chiens de diverses spécialités, dont n'eu-
rent qu'à se louer les chefs de corps. Peu après, le
chenil de la 11» armée (général de Gastelnau) était
réorganisé avec un personnel idoine. Quatre mois
après, les résultats obtenus étant satisfaisants, le
cheTiil militaire de Toul devint chenil de l'armée
de Lorraine; puis un chenil fut créé pour la région
fortifiée de Uunkerque.
Ces quatre chenils furent les embryons desquels
sortit le « Service des chiens de guerre ».
Mais ces chenils fonctioimèrent en quelque sorte
officieusement : reconnus par le G. Q. G., ils ne
l'étaient point par le ministre de la Guerre; les
chiens qui leur étaient fournis provenaient de dons
ou de prêts d'amateurs, de sociétés pour l'amélio
ration des races ou le dressage des chiens ; ils vi-
vaient en marge des règlements. Leur situation
restait délicate et difficile. Cependant, grâce aux
résultats obtenus signalés par le G. Q. G. et aux
actives démarches du comte Clary, président du
Saint-Hubert-Club de France et vice-président de la
Société centrale pour l'amélioration des races de
chiens en France, MiUerand, alors ministre de la
Guerre, reconnut officiellement, le 25 décembre 1915.
les chenils militaires, et rattacha le n Service des
chiens de guerre » à la Direction de l'infanterie (On
aurait mieux compris que ce service fût rattaché à
la Direction du génie, qui avait, depuis sa création,
le service des pigeons voyageurs).
Cette reconnaissance n'améliora cependant pas
beaucoup la situation des chenils militaires, faute
de spécialistes à la tête du service.
La commission sénatoriale de l'armée s'émut de
cette situation; elle désigna un rapporteur pour
s'occuper de la question, éludier les améliorations
propres à la développer, et rechercher des spécia-
listes pour la diriger. Lebert, sénateur de la Sarthe,
fut chargé du rapport et conclut, après enquête aux
armées et à l'intérieur, à une réorganisation du
service. Besnard, alors sous-secrétaire d'Etat à la
Guerre, s'intéressa à la question, et grâce h lui la
solution intervint rapidement.
Au cabinet du général Lyautey, ministre de la
Giierre, se trouvait le capitaine Mairie, qui, comme
maréchal des logis, avait utilisé les chiens à Mada-
gascar; 11 fut désigné pour prendre la direction du
« Service des chiens de guerre » ; il demanda comme
adjoint le signatairede cet article, qui avait organisé le
service des chiens de guerre à l'armée de Maud'huy ;
et, de la Direction de l'infanterie, le service passa
au Cabinet du ministre. En outre, le G. Q. G. accep-
tait que la nouvelle Direction eiit la surveillance
technique du dressage des chiens de guerre, et de
leur utilisation aux armées. C'était une preuve évi-
dente de l'importance que le haut commandement
attachait aux chiens de guerre.
Tout en conservant le cadre du début, l'organi-
sation fut considérablement améliorée. A la signa-
ture de l'armistice, foutes les armées avaient leurs
chenils militaires, et beaucoup de régiments possé-
daient des chiens de guerre qui étaient de précieux
auxiliaires.
Pour qu'un chien rendît des services, il fallait qu'il
fût judicieusement recruté, convenablement pré-
LAROUSSE MENSUEL, — IV.
LAROUSSE MENSUEL
paré, correctement et complètement dressé, et
confié à un homme qui sût l'utiliser.
Le recrutement fut organisé de façon à obtenir,
avec le minimum de dépenses, le plus grand nombre
de chiens. Seuls, certaines races ou certains types
de chiens sont susceptibles d'être utilisés comme
chiens de guerre; ce sont les races diverses de
En Champagne ; grenadier en sentinelle avec son chien.
chiens de berger : chiens de berger français (varié-
tés de Brie, de Beauce, d'Alsace, bouviers), chiens
de berger belges (variétés de Malines, de Groenen-
dael, de Tervueren, bouviers), chiens de berger
anglais (variétés d'Ecosse), auxquels on peut ajou-
ter les airedales-terriers et les grands loulous, ainsi
que tous les bâtards de ces races, chez lesquels do-
743
Des dogues, des matins, de forts bouviers furent
utilisés comme patrouilleurs; dressés k l'attaque, ils
étaient lancés contre l'ennemi et capturaient, un pea
rudement souvent, des prisonniers. Comme chiens
de guet et comme chiens de liaison, furent dressés
les bergers de toutes les races, et parfois même les
chiens sans race déterminée, mais qui avaient révélé
au dressage de sérieuses c[ualilés. Pour l'attelage
et le portage, l'armée utilisa les forts chiens de
berger et de bouvier, les dogues, les chiens de mon-
tagne, et aussi des chiens de chasse de grande taille,
principalement des chiens courants, qui, étant con-
tinuellement sous la surveillance de leurs conduc-
teurs, respectaient par force le gibier tentateur.
Grâce à la nouvelle organisation, et aux multiples
emplois du chien, ceux qui n'avaient pas les qualités
requises pour devenir chiens de guerre proprement
dits (liaison, sentinelle, patrouille) devenaient pour
la plupart chiens de trait ou chiens porteurs. Dans
ce cas encore, préparation et dressage étaient
effectués par des spécialistes, ou surveillés par eux.
Le pourcentage des chiens inutilisables ne dépassait
pas 8 p. 100.
Le recrutement avait été confié soit à des sociétés
canines existant avant la guerre, soit à des amateurs
connus et compétents, que le ministre de la Guerre
avait agréés dans ce but.
La France fut divisée en régions de recrutement,
comprenant les départements où des sociétés d'ama-
teurs cynophiles groupaient un assez grand nombre
d'adhérents, et organisaient des expositions; l&oil il
n'existait point de sociétés, ou lorsque celles-ci ne pu-
rent pour diverses raisons organiser des chenils, des
amateurs furent sollicités. Les directeurs de ces che-
nils étaient des civils, dégagés d'obligations mili-
taires; ils remplissaientleursfonclionsgratuilement.
Ils ne recevaient de l'Etat qu'une somme de 100 francs
fiar mois pour l'installation du chenil, son entretien et
es frais de propagande et de recrutement, et 0 fr. 50
par jour pour la nourriture des chiens. A leur dispo-
sition, l'armée mettait cinq militaires, dont un bri-
gadier, appartenant au service auxiliaire, et inaptes
à servir aux armées. Il existait une dizaine de che-
nils (Caen, Le Mans, Orléans, Epinal, Nantes, Bor-
deaux, Lyon, Marseille, etc.) soumis à la surveil-
lance administrative du « Service des chiens de
guerre », et qui opéraient leur recrutement avec
l'aide des autorités civiles et d'amateurs qui s'étaient
mis bénévolement à la disposition du ministre de
la Guerre. Chaque chenil recrutait mensuellement
de 30 à 60 chiens.
Des chenils de recrutement, après un séjour de
quelques jours, les chiens étaient dirigés par wagons
:.4mii^'^'''^
Section de chiens tracteurs et porteurs.
mine le sang berger. Les chiens de chasse, essayés,
n'ont pas donné de bons résultats, sauf peut-être
quelques retrievers : car, l'instinct l'emportant sur le
dressage, si, par malheur, ils rencontraient un
gibier ou même une piste de gibier, ils ouliliaient
leur devoir de porteurs de mes.sage, et étaient dis-
traits; leurs fonctions furent celles d'avertisseurs.
Pour avertir, pour être le parfait auxiliaire des
sentinelles, un chien doit non seulement être en
possession de tous ses moyens, mais pouvoir utiliser
tous ses sens; chez la plupart des chiens avertis-
seurs, le sens qui parait jouer le rôle principal est
l'ouïe, sens très développé chez les chiens de berger,
dont l'oreille est en général droite ou demi-droite
et dont la conque, dirigée en avant, forme un
excellent réceptacle d'ondes sonores. Tous ceux
qui ont utilisé le chien avertisseur ont remarqué
que le premier mouvement d'un chien en faction,
lorsqu'il perçoit un bruit quelconque, est de pointer
les oreilles, les dirigeant vers l'endroit d'où il croit
que provient le bruit, puis, il cherche à se rendre
compte de la nature de ce bruit.
de 18 à 20 têtes sur le « chenil-dépôt du Service
des chiens de guerre », installé dans des bâti-
ments du Jardin d'Acclimatation, au bois de Bou-
logne. Ce II chenil-dépôt », dirigé également par un
amateur bénévole, comprenait : 1» un sanatorium;
2° un chenil de triage. Au sanatorium, installé
par la société franco-anglo-américaine la Blve
Cross, celte admirable « croix-rouge » des bêtes
qui font la guerre, et qui assuma également la
tâche d'installer plusieurs hôpitaux vétérinaires ca-
nins, les chiens restaient de trois à huit jours; ils
étaient désinfectés, intérieurement et extérieure-
ment, nettoyés, pansés, mis en état; là également
étaient amenés tous les chiens susceptibles d'être
utilisés par le Service des chiens de guerre et qui
tous les deux jours étaient prélevés à la fourrière
de la ville de Paris, par le vétérinaire du Service.
Du sanatorium les chiens étaient versés au chenil de
triage, et répartis par spécialités dans de vastes boxes
très aérés, très hygiéniquement compris, avec cours
d'ébats; là, ils s habituaient à la vie en commun,
un ne leiu: demandait que de répondre k leur nom.
^8»
744
Avant la réorganisation du service, il existait cinq
chenils de préparation, tous dirigés par des civils
remplissant gratuitement ces fonctions, et auxquels
il était accordé, conime aux chenils de recrutement
et au chenil-dépôt, 100 francs par mois pour les
fraisd'entretien. et 0 fr. 50 par chien et par jour, pour
la nourriture. De ces huit chenils, la plupart aux
environs immédiats de Paris (à Asnières, Courbe-
voie, Maisons-Laffitte, Plessis-Trévise, Vulaines-
sur-Seine, Saint-Philbert-du-Risle), cinq s'occu-
paient de la préparation des chiens de guerre
proprement dits; les trois autres avaient été spé-
cialisés dans le dressage complet des chiens des-
tinés à la garde et à la protection des établissements
travaillant pour la défense nationale, service créé,
i la demande du ministre de l'Armement, afin de
diminuer le nombre des gardiens et veilleurs d'usine
et de rendre la garde plus efficace. Chaque chenil,
prévu pour 50 chiens, avait toujours une trentaine
de sujets qu'il recevait mensuellement du chenil-
dépôt et qui étaient préparés, par des spécialistes,
à raison de six hommes et un sous-officier, apparte-
nant aux mômes catégories que ceux des chenils
de recrutement.
On ne peut utiliser un chien aux armées sans
qu'il soitcomplètement assoupli, rompu aune obéis-
sance active, qui laisse l'animal en possession de
ses moyens naturels; c'est là le résultat que donne
seul un dressage bien compris. Les exercices sont
d'ailleurs gradués quant à la durée et à la difficulté.
On apprend au chien à suivre à la laisse, à s'as-
seoir, à se coucher, à ne pas bouger de l'endroit
où on l'a placé, k revenir où qu'il soit au premier
LAROUSSE MENSUEL
venant du secouage de sacs, et, partant, impropres
à la consommation humaine, fabriquait des biscuits
spéciaux; 2» un équaris.sage, qui recevait journelle-
ment pour les abattre des chevaux réformés prove-
nant d'hôpitaux vétérinaires; 3° enfin, une infirmerie
dirigée par un vétérinaire spécialiste des maladies
des chiens. Le chenil central militaire était dirigé
par un lieutenant del'armée territoriale, dans le civil
dresseur professionnel; cet officier avait sous ses
ordres deux adjudants (l'un pour les chiens de guerre,
l'autre pour les chiens de trait et porteurs) profession-
nels tous deux avantla guerre, et un certain nombre
de gradés et hommes de troupe, de façon qu'un
homme eût une moyenne de six chiens en dressage.
Là, le dressage des chiens, préparé par les chenils
affréés, était parachevé : les chiens auxiliaires de
sentinelles étaient déshabitués d'aboyer et dressés
à avertir en grognant; les chiens de liaison étaient
dressés à retrouver leurs conducteurs à des dis-
tances de un à trois kilomètres en terrain varié,
à travers bois, par-dessus des tranchées ou des
trous d'obus, de jour et de nuit, au milieu des écla-
tements des grenades, du tac tac des mitrailleuses,
du crépitement des feux de salve, des lueurs des
projecteurs, des émissions de fumées, des éclate-
ments de gros projectiles très fréquents à Satory
où se trouvait une importante commission d'expé-
rience et de réception de poudres.
Après quinze jours, un mois, six semaines, sui-
vant les aptitudes des sujets, les chiens, sur les
livrets desquels de nouvelles mentions étaieiit
portées, se trouvaient « bons à partir » pour les che-
nils des armées. Suivant leurs demandes, établies
-^.
Le chenil de l'armée Gouraud.
appel de son conducteur; on l'accoutume aussi aux
bruits les plus divers, et aux crépitements des fusils
et des revolvers. On éprouve ses qualités; on se
rend compte s'il est vigilant; s'il avertit, naturelle-
ment et à quelle distance, de la venue d'un étranger;
on essaie aussi son instinct d'orientation et son
nez, en le faisant aller d'un conducteur à un autre,
à des distances variables; il doit être capable de
retrouver ses conducteurs sans que ceux-ci aient
besoin de l'appeler ou de le siffler. Et tout cela
est obtenu uniquement par la douceur et des frian-
dises; dans la préparation d'un chien de guerre,
comme du reste dans son dressage, s'il faut parfois
punir il ne faut cependant jamais frapper, car le
chien se rebuterait, et on ne pourrait plus rien en
tirer. Les punitions — et le chien les comprend
fort bien — sont : gronder, obliger à se tenir dans
la position « couché » sans bouger pendant un certain
temps, mise à l'atlache, privation de récréation.
A la fin de chaque période de préparation, les
directeurs des chenils indiquaient sur le livret ma-
tricule de chaque animal les qualités de celui-ci,
son degré de préparation, et la spécialisation vers
laquelle il avait été dirigé (avertisseur, chien de
liaison ou de patrouille), et tous les chiens prêts
étaient envoyés au n chenil central militaire «, situé
au camp de Satory près de Versailles, établissement
exclusivement militaire.
Ce chenil, dont la création, les plans et l'aména-
gement sont dus au commandant Mairie, chef du
« Service des chiens de guerre », comprenait près
de six cents boxes, avec cours d' ébats pour chaque
groupe de dix chiens. Une partie était réservée aux
chiens de guerre proprement dits, une autre aux
chiens de trait et porteurs ; comme annexes, il y
avait: l<>unemanutention,qui,àl'aidede5 farines pro-
d'après les besoins des divisions de leurs armées,
les officiers directeurs de chenils d'armée étaient
convoqués au chenil central militaire, et venaient y
prendre livraison de chiens spécialisés.
Aux chenils des armées, tous situés à proximité
du front, les chiens de guerre étaient mis en contact
avec les poilus destinés à devenir leurs conducteurs
en première ligne. Ceux-ci, envoyés pour un stage
d'une semaine en moyenne au chenil de leur armée,
apprenaient sous la direction du lieutenant directeur
du Service des chiens de guerre de l'armée et de
sous-officiers et maîtres dresseurs la manière d'uti-
liser un chien de guerre; homme et chien avaient
vite fait connaissance, et devenaient une paire d'amis.
Pendant qu'au chenil central une partie des
dresseurs s'occupait des chiens de guerre, l'autre
dressait des chiens de trait et porteurs. Ceux-ci
étaient destinés à ravitailler en vivres et en muni-
tions les unités de première ligne, là où n'avaient
accès ni les chevaux ni les mulets. A certaines uni-
tés on fournit des petites voiturettes attelées de un,
deux ou trois chiens; à des unités plus importantes
des sections entières de chiens de trait attelés aux
mêmes voiturettes, et des chiens porteurs pourvus
d'un bât adapté à leur conformation.
Deux chiens traînent facilement 200 kilos, quelque-
fois plus; un chien bâté porte de 12 à 15 kilos.
Le ravitaillement en munitions par le moyen des
chiens se fait plus rapidement; les vivres parvien-
nent plus régulièrement à destination, et c'est une
économie de nombre, de forces et de vies d'hommes.
Au Service des chiens de guerre furentrattachées
également deux sections de chiens de l'Alaska, qu'en
1916 le général de Maud'huy fit venir pour assurer le
ravitaillement et le transport par traîneaux, pendant
les hivers très neigeux de l'Alsace et des Vosges.
!V» 148. Avril 1919.
Dans tous les chenils quels qu'ilsfus8ent,de l'inté-
rieur ou du front, les chiens recevaient deux fois par
jour une nourriture composée d'un bon pot-au-feu
de pain, viande, riz et légumes, provenant de déchets
ou de denrées inutilisables pour la troupe.
Quant au personnel de tous les chenils, il apparte-
nait à une compagnie spéciale et autonome du train
des équipages dont le dépôt était à Paris et la portion
centrale à Satory. Le» dresseurs et conducteurs de
chiens de trait et porteurs étaient presque tous des
spécialistes; ceux qui ne l'étaient pas le devinrent,
et tous, même ceux qui ravitaillaient les unités de
première ligne, étaient des H. A. T. des vieilles
classes, ou des auxiliaires.
Ce Service des chiens de guerre était, comme on le
voit, assez important; il comprenait un personnel
hommes nombreux, un personnel chiens plus nom-
breux encore, et n'avait pour le diriger et le sur-
veiller que trois officiers, mais tons trois spécia-
listes : le chef du service, un officier s'occupant
particulièrement des questions de dressage et d'uti-
lisation, et l'autre de l'administration générale.
Et maintenant, demandera-t-on, ces chiens de
guerre ont-ils rendu des services? S'il fallait mention-
ner toutes les actions dans lesquelles ils se sont
distingués, les surprises qu'ils ont évitées, les vies
humaines qu'ils ont épargnées, de longues pages
seraient nécessaires. Qu'il suffise de citer ces lignes
parues au rapport du 14 juin 1918 d'un régiment
d'infanterie qui s'est illustré dans maints combats :
Le lieutenant-colonel commandant le 52» R. I. porte à
la connaissance de tous la mort du chien-sentinelle Lion,
n" m'* 147, et du chien de liaison Lion, n" m'« 164, tués
tous deux à la Cote 304.
Ces deux fidèles camarades du soldat avaient rendu, en
de nombreuses circonstances, les plus précieux services
au régiment.
II. Dans l'armée anglaise. — Déjà, au cours de
la guerre sud-alricaine, l'armée anglaise utilisa le
chien, principalement comme avertisseur, auxiliaire
des sentinelles, et pour retrouver les blessés. C'est un
officier de l'armée coloniale, le major Richardson,
qui avait offert, préparé et dressé ces chiens, de
races airedale-terrier ou bloodhound. Les résul-
tats avaient été assez concluants pour qu'au cours
de diverses campagnes (première guerre des Balkans,
campagne russo-japonaise, guerre d'Egypte ou de
Tripolitaine) le major Richardson se mît à la dispo-
sition des Urecs, des Russes, des Italiens, et de
l'armée anglaise, pourorganiser un service de chiens
de guerre. Mais, malheureusement, ce service ne
prit pas une grande extension, le major Richardson
étant seul pour préparer et dresser les chiens, et
n'ayant obtenu aucun appui officiel.
Dès le début de la guerre, en septembre 1914, le
même major Richardson, qui n'avait pas cessé de
s'occuper de chiens de guerre, et de faire de la pro-
pagande pour ces utiles auxiliaires du soldat, mit
à la disposition de la première armée anglaise qui
vint combattre sur le continent cent vingt-quatre
airedales-terriers dressés comme chiens avertis-
seurs; la réussite ne répondit pas aux espérances
du dévoué major, car les chiens, confiés à des mains
inexpertes, ne conservèrent pas leur dressage, et
devinrent plus dangereux qu'utiles.
Le major Richardson, tenu au courant des résultats
obtenus en France dans l'armée d'Alsace et des
Vosges, sollicita du War Office, et du Ministère de
la Guerre français une mission pour éluilier notre
organisation; il visita nos chenils de l'intérieur et
nos chenils du front, put se rendre compte des mé-
thodes d'utilisation des chiens de sentinelle et de
liaison jusque dans nos premières lignes. Quelques
mois après, une mission militaire anglaise fut en-
voyée en France pour étudier le service des chiens
de guerre qui venait d'être réorganisé, et, l'armée
anglaise reconnut et adopta le chien de guerre.
En Angleterre, le major Richardson fut chargé
officiellement du recrutement et de la préparation
des chiens destinés à l'armée. En France, à proximité
du front anglais, fut créé un chenil central militaire
qui achevait le dressage des chiens, lesquels étaient
ensuite envoyés, sous la conduite de spécialistes,
dans les divers secteurs occupés par nos alliés.
Le Service des chiens de guerre de l'armée an-
glaise, rattaché au service des liaisons du Grand
Quartier général, était placé sous la direction du
major Alec 'Waley.
L'armée anglaise n'utilisa pas le chien auxiliaire
de sentinelle, mais exclusivement le chien estafette,
le chien de liaison, et le chien porteur qui ravi-
taillait seul les unités combattantes : il était donc
en même temps chien de liaison et chien porteur.
Il y eut, entre les deux services de chiens de
guerre, français et anglais, unité de vues, et entente
très cordiale; les deux services se vinrent en aide,
aussi bien pour le ravitaillementdes chiens, que pour
le matériel. Les résultats obtenus dans l'armée
anglaise furent excellents, et le service se développa
tous les jours. Les Anglais n'utilisaient que des
chiens, à l'exclusion des chiennes; comme nous, ils
employaient les chiens de berger, ou ayant beau-
coup dece sang; des airedales-lerriers, des relrievers,
des terre-neuve, puis des croisés de bull-dogs et de
«• 746. Avril 1919.
maïitifTs et également une race bâtarde appelée « lur-
chcr ", croisement du lévrier et du ciiien de berger,
type tiès répandu en Angleterre, et dont se servent
les braconniers. Les cliiens porteurs étaient choisis
parmi les foxhounds ou les bloodliounds.
III. Dans l'armée belgk. — Déjà en temps de
paix, l'armée belge possédait des sections de mi-
trailleuses attelées de chiens de la race dite « mâtin
belge », race très utilisée dans tous le p y.s wallon
et llamand pour la traction des petites chairettes de
laitiers et de marchands de légumes. Mais bien
que le dressage du chien de berger, soit comme
chien de défense, soit comme chien de pistage, fût
très développé, la petite armée de nos alliés igno-
rait aussi bien le chien de sentinelle que le chien
de liaison.
Les chiens tracteurs de mitrailleuses rendirent de
très grands services au cours de la retraite de Liège
et de celle d'Anvers; cependant, ce mode de traction
des mitrailleuses dut être abandonné en partie par
l'armée belge, non que les chiens ne fussent point
aptes à traîner en terrain varié des engins de
guerre, mais le matériel construit l'avait été pour
un attelage de deux chiens en paire; or, s'il est
facile de trouver et de dresser deux chiens de même
pied, il est très diflicile de les trouver de même taille
exactement. C'est cette raison qui a fait que, dans
notre armée on attelait un cliien entre les brancards
en lui adjoignant un ou deux chiens de renfort,
suivant le mode d'attelage dit « à la bohémienne •>.
L'armée belge avait installé en France un chenil
militaire, sous la direction d'un ofncier spécialiste.
A ce chenil, on dressa pour l'armée en campagr»e
des chiens auxiliaires <le sentinelles, des chiens de
liaison, et surtout des chiens de Irait.
IV. Dans l'armée italienne. — L'organisation
qui existait dans l'armée italienne était à peu près
semblable à la nôtre.
Cependant, étant donné la guerre presque exclu-
sivement de montagne, oii le ravitaillement des
postes avancés est souvent impossible même par
mulets, nos alliés employèrent surtout des chiens
porteurs qui, chargés de munitions, de vivres, d'eau
potable, allaient jusque dans les postes les plus
avancés. Pourtant, l'hiver, beaucoup de chiens de
montagne furent attelés à des traîneaux légers.
V. Dans l'armée allemande. — Les Allemands,
depuis leur victoire de 1870, n'avaient rien négligé
en vue de cette guerre « fraîche et joyeuse » qui
devait leur donner l'hégémonie du monde. Ils sui-
vaient attentivement ce qui se faisait à l'étranger,
et épiaient tout ce qui était susceptible de leur être
de quelque utilité. C'est dire qu ils eurent tôt fait
d'adapter l'utilisation du chien aux méthodes de la
guerre moderne.
En 18tf5, plusieurs années donc après les essais
pratiqués en France, ils introduisirent officiellement
LAROUSSE MENSUEL
lieutenant von Damm,du2" régiment de campagne,
et se rendirent très utiles.
Persuadé que les chiens rendraient encore plus
de services dans une guerre continentale, à la con-
dition d'en avoir un grand nombre très bien
745
quels un certain nombre de chiens sanitaires
fournis avec leurs conducteurs par la Deustche
Verein fUr Sanitâlshund, qui avait, dès le temps
de paix, organisé et mis à la disposition du ser-
vice de santé des équipes d infirmiers auxiliaires
Camai'ades d'armes : officier français et soq chien, m'iais
de masques contre les gaz asphyxiants.
l'emploi du chien dans leurs armées, et principale-
ment dans les bataillons de chasseurs silésiens et
de la Garde. Chacun de leurs corps expédition-
naires, dans leurs guerres coloniales, emmena des
équipes de chiens de guerre; ils purent ainsi se
rendre compte des meilleures méthodes d'utilisation
mieux qu'au cours de grandes manœuvres. Lors
de la révolte en Afrique-Occidentale allemande,
soixante chiens furent utilisés sous la direction du
Dressage d'un chien de liaison, dans les dunes. (Chenil militaire de rarmée anglaîac.)
dressés, le grand état-major allemand suscita, vers
1888-1889, la création de nombreuses sociétés pour
la propagation de l'élevage et du dressage du chien
de berger, du dobermann, du boxer, du rotlwiller,
du spitz, toutes races susceptibles d'être ulilisées
comme chiens de guerre. A l'instigation du kron-
prinz et sous sa présidence d'honneur se fonda la
plus importante association d'éleveurs de chiens de
berger qui exista jamais sur le continent : la Verein
fûrdeulsclte Schûferkund {Assoe'\Mon pour le chien
de berger allemand) qui, en 1914, comptait plus
de 4.000 adhérents en Allemagne et en Autriche, et
plus de 150 filiales, lesquelles organisaient tous les
ans des concours de chiens de défense et de police,
véritables épreuves préparatoires au dressage des
chiens de guerre. Les dirigeants de ces « Verein »
étaient des officiers à la suite, qui préparaient en
temps de paix la mobilisation des chiens.
La Verein filr deutsche Schâferhund publiait
chaque année un stud-book, dont les onze volumes
parus contiennent 45.000 inscriptions; c'est le Schâ-
ferhund Zuchlbuch ; il existait des Zuchlhuch sem-
blables pour les dobermann, les rottwiller, les
boxers, les spitz. Dans ces Zuchtbuch, à côté du
nom de chaque chien étaient indiquées, en abrévia-
tion, les aptitudes générales de l'animal, en vue de
renseigner les éleveurs désireux d'utiliser les repro-
ducteurs inscrits ; mais, outre ce Zuchtbuch que tout
le monde pouvait se procurer, chaque société était
dans l'obligation de tenir un registre secret, réservé
aux chiens utilisables en temps de guerre et sus-
ceptibles, étant donné l'hérédité des caractères
acquis, de reproduire des chiens de guerre. Ces indi-
cations étaient les suivantes : P^ H. (Polizeihund),
chien dressé pour le service de la police ; —
S. H. {Saniietshund), chien dressé pour la re-
cherche des blessés; — Z. H. {Zuchlhund), chien
de recherches; — Pt H. {Poslenkund), chien esta-
fette; — M. H. {Meldehund), chien de liaison; —
W. u. B. (Wach und Bej/ei7/iunrf), chien-sentinelle
et de garde. — Environ 4.000 chiens étaient inscrits
en 1913 aux registres spéciaux.
Dès le 15 juillet 1914, par 1«? soins de la <> Verein »
à laquelle ils appartenaient, les possesseurs de
chiens dont les aptitudes avaient été éprouvées dans
les concours reçurent avis d'avoir à se préparer
en vue de concours spéciaux. C'était la mobilisation
de l'armée de réserve canine: l'armée active était
déjà mobilisée avec les balaillons de chasseurs
et les diverses formations de l'armée allemande
qui possédaient des chenils de chiens de guerre.
Dès le début de la guerre, 6.000 chiens furent
mis en service sur les deux fronts, parmi les-
avec les chiens dressés à la recherche des blessés.
Partout, en outre, où les Allemands passaient,
ils s'emparèrent des chiens qui pouvaient leur être
utiles; ils en trouvèrent de nombreux en Belgique.
Afin de maintenir et d'augmenter le nombre de
leurs chiens de guerre, les Allemands organisèrent
une intense propagande à travers l'Allemagne et
l'Autriche : articles dans les journaux, tracts, con-
férences avec projections cinématographiques, ils
ne négligèrent rien. Puis ils achetèrent des chiens
à des prix variant entre 20 et 50 marks ; ils ache-
tèrent d'abord en Hollande, et, lorsque ce pays
interdit l'exportation des chiens, en Suisse, qui, à
son tour, décréta l'interdiction d'exportation. Ils
durent enfin avoir recours à la réquisition.
A Trepow, près de Berlin, fut aménagé un « kolos-
sal » chenil militaire. Dans diverses régions d'Alle-
magne furent créés des centres de dressage, entre
autres à Metz, à Cologne, à Dusseldorf, à Munich ;
les chiens préparés dans ces centres étaient envoyés
aux chenils d'armées — chaque armée possédant
son chenil, — et de là dans les unités du front.
Pour tous ces chenils, on fit appel à des spécialistes
qui avaient pour unique fonction la conduite des
chiens de guerre; il faut ajouter que ces spécia-
listes furent assez faciles à trouver, étant donné
qu'en Allemagne presque tousles gendarmes, agents
de police, gardes communaux ou particuliers entre-
tenaient, grâce à des subventions gouvernemen-
tales, des chiens dits de police.
Les Allemands ont attaché une très grande impor-
tance aux chiens de guerre. Ludendortf lui-même
n'a pas craint de signer un ordre général sur leur
utilisation, ordre qui, publié dans la Deustche
Schâferhund Zeitung, enthousiasma les éleveurs
de chiens. C'était la consécration de leurs efTorls, le
couronnement de leur travail de plusieurs années !
Le service des chiens de guerre allemand, rattaché
au service des renseignements, était sous la direc-
tion effective du grand état-major
Comme on le voit, parmi les « animaux de gruerre »
le chien ne fut pas l'un des moins utiles. Il a conquis
son droit de faire partie de l'armée ; il a été à la peine,
il est juste qu'il soit à l'honneur. — Paul méonim.
Ëlectro-6iiinants Industriels (db lb-
VAGE iT DB manutention). — La métallurgie des
fers, fontes et aciers nécessite des manutentions
fréquentes, auxquelles on a jusqu'ici satisfait le
mieux possible à l'aide de ponts roulants et de grues
électriques. Cependant, la nécessité d'augmenter les
rendements, tout en simplifiant la main-d'oeuvre, a
donné l'idée d'utiliser pour cette application do
746
f laissants électro-aimants combinés aux ponts rou-
ants. On arrive ainsi i élever et transporter des
masses de fer considérables, avec une dépense de
courant très faible et un personnel réduit. Un ou-
vrier suflit, en effet, à la commande des types les
plus puissants, enlevant jusqu'à 25 tonnes.
Les électro-aimants leveui's et transporteurs sont
particulièrement précieux dans les usines électro-
sidérurgiques, qui reçoivent ou produisent généra-
"1
Fig 1. — Electro-aimant o.Tlikon enlevant des déchet*
(tournure, fcrraiUcfi) d'acier.
lement l'énergie électrique à bon compte. On les
emploie pour le transport et la manutention des
matériaux magnétiques sous toutes les formes :
blooms d'acier, tôles, rails, poutrelles et fers pro-
filés, plaques de blindage, pièces de fonderie et de
forge, lingots et gueuses, arbres de transmission,
minerais de 1er, tournure et limaille, déchets de
Pig. 2. — Electro-aimant soulevant des morceuui de iouLe.
fer-blanç,et copeaux métalliques, etc. (fig.l, 2, 3). On
les empfoie aussi pour le chargement des wagons,
le déplacement des lingotières, la mise en tas des
déchets métalliques, le relèvement des matériaux
immergés. Ils peuvent également transporter en
travail intermittent des pièces chaudes n'excédant
pas 400°, telles que des couvercles de fours et de
LAROUSSE MENSUEL
creusets, des fers laminés, des pièces de fonte moulée
et d'acier forgé. Ils sont enfin utilisés pour soulever
et laisser tomber les masses en ier (boulets de
Pig. 3.
iaque8 d'acier.
casse-fonte) servant à fragmenter les pièces coulées
défectueuses, de même que les moutons servant au
battage des pilots, ou encore pour soulever les tôles
à planchers dans les aciéries, etc.
Le montage des électro-aimants s'exécute facile-
ment par la mise au crochet de l'appareil de levage.
L'emploi de ces appareils n'empêche pas d'utiliser
les grues et ponts roulants pour d'aiilres usages ; il
suffi L de les déposer sur le sol quand ils ne sont pas
nécessaires. Pour les matériaux de grande longueur
ou de large surface, tels que les rails, tôles, fers
laminés, on accouple deux on plusieurs appareils à
une liarre d'attelage en fer profilé suspendue au
crochet de l'appareil de levage.
Leur fonctionnement est simple : dès qne l'élec-
tro-aimant est posé sur les pièces à transporter,
l'envoi du courant les fait adliéi-er magnétiquement,
puis l'appareil de levage effectue sa manœuvre, et il
suffit de rompre le courant pour déposer immédia-
tement la charge. Les connexions s'établissent à
l'aide d'un câble souple i deux conducteurs. Quand
le mou du câble d'amenée de courant peut gêner la
manœuvre, on le maintient constamment tendu avec
un treuil à commande mécanitiue ou un enrouleur
automatique qui se fixe sur le bâti de l'appareil. Les
enrouleurs de câble sont montés dans une boîte de
lonte, et le tambour d'enroulement est alimenté par
deux frotteurs.
La commande peut être faite d'un endroit quel-
conque, ordinairement de la cabine de manœuvre;
elle est exécutée par un contrôleur spécial avec ré-
mpuiiinmiiiUM
Fig. 4. — Electro-aimant & doigts mobiles, pour la manutention
des pièces de forme irrégulière.
sistance de démarrage et de protection, évitant la
détérioration des enroulements et des contacts;
une position d'inversion permet le décollement ra-
pide de la charge, quelle que soit sa composition.
La construction des électro-aimants industriels
doit nécessairement être très robuste. Aussi com-
portent-ils une carcasse d'acier absolument étanche,
permettant leur emploi dans un endroit quelconque,
même au froid, sous la pluie ou dans la poussière.
Les enroulements sont pressés à l'intérieur, et noyés
dans une matière isolante; ils sont largement cal-
culés, pour permettre une marche intensive sans
échauffement anormal. Leur puissance de levage
varie avec la cohésion, la forme et la température
«• 148. Avril 1919.
des matériaux à transporter. On indique souvent
comme base de puissance portante le poids d'un
bloom d'acier doux k face plate, de surface corres-
pondante à celle de l'électro-aimant, et d'épaisseur
suffisante.
Le courant absorbé est très faible. C'est ainsi que
le transport d'un bloc d'acier de 5.000 kilogrammes
nécessite un électro-aimant pesant 450 kilogrammes
et ne consommant qu'un courant de 800 watts.
Les poids utiles soulevés, mentionnés dans le
tableau ci-dessous, quoique approchés suffisent pour
donner une indication de rapport entre le poids des
matériaux soulevés, leur nature, la puissance élec-
trique dépensée et le poids de l'éleclro-aimant :
POIDS DTILB SOULEVÉ
PUISSANCE
absorbée
POIDS
de
l'électro.
Blooms
d'acier
T41es
Qiieuscs
de fonte
Déohets
Wdogr.
kiloBr.
kilofr.
Vilosr.
kwa.
kilogr.
.■iOO
250
a
g
0,8
80
1.000
350
n
J,
1,5
150
2.000
500
250
U
■1
too
4.000
800
3:m
150
3
350
6.000
1.200
500
250
4
900
8.000
1.500
600
400
5,5
1.400
10.000
".000
850
600
6,5
2.200
18.000
2.800
1.100
1.000
8
3.500
Nous donnons d'autre part, ci-après, le poids de
matière soulevé, suivant la nature de celle-ci, pour une
même dépense d'énergie électrique, soitl kilowatt :
Nature de la charge. Poids soulevé
kilogr.
Tournure 70
Mitraille 75
Gueuses 200
Déchets d'acier 340
Fers profilés goo
Blocs ou lingots 2.000
On voit, par les chiffres indiqués, qu'une même
dépense d'énergie se traduit, pour un même appareil,
par une force attractive variable avec la nature desma-
tériaux; sa valeur effective varie entre 1 et 30 environ.
Suivant le genre des matériaux à soulever (blooms
d'acier, ferrailles, tournure, etc.l, on donne aux
électro-aimants des formes diverses : ronde, carrée,
rectangulaire. La forme et la compacité plus ou
moins grande des matériaux exercent aussi une
action très nette sur la fo7-ce attractive des électros.
On sait, en effet, que celle-ci décroît très rapide-
ment, dans un aimant, lorsque son armature est éloi-
gnée des pôles : l'attraction est inversement propor-
Fig.
- Electro-aimant à doigts mobiles, soulevant des obu».
tionnelle au carré de la distance séparant les pôles.
Le flux magnétique diminue ainsi rapidement, par
suite de la faible perméabilité magnétique de l'air.
L'armature étant constituée ici par les objets à sou-
lever, l'effet d'attraction atteint son maximum avec
les matériaux compacts; par contre, avec les fers
firofilés, les déchets de forme ronde ou cylindrique,
es nombreux interstices existant entre eux occa-
sionnent des pertes magnétiques; de plus, le centre
de gravité de l'ensemble se trouve déplacé, et reporté
plus loin des pôles. Par conséquent, les électro-
aimants h base d'adhérence plane conviennent mal
pour la manutention des ferrailles disposées en tas
irréguliers ; on leur substitue, dans ce cas, des appa-
reils à doigts mobiles {fig. 4 et 3), qui peuvent ainsi
épouser les formes despièces à transporter. Les doigts
mobiles sont .constitués par des barrettes rectan-
gulaires A, figure 4; ils sont juxtaposés sur tout le
pourtour des bobines de l'électro-aimant, et forment
ainsi un circuit magnétique complet. Ils se déplacent
«• 14é. Avril 1919.
dans le sens vertical, et, quelle que soit la forme
extérieure des matières à soulever (gueuses de fonte,
tas de fer en morceaux), prennent respectivement
une position en rapport avec le contour qu'elles
dessinent dans l'espace.
A égalité de dépense d'énergie électrique, les
électro-aimants à doigts magnétiques mobiles ont
une puissance attractive près de deux fois supérieure
à celle des électro-aimants à base plane, lorsqu'ils
sont utilisés pour le levage ou la manutention des
pièces k surface irrégulière.
Sans nous attarder à la description de tous les
types d'électro-aimants utilisés dans l'industrie, nous
donnons ci-joint (fig. 6) le schéma d'un type à base
circulaire, de la société « Steel Peech and Tozer »,
de Sheffield. Il comprend essentiel-
lement un bloc de support A, un bloc
central N constituant le pôle nord de
rélectro,une paroi extérieure S cons-
tituant le pôle sud, et une paroi inter-
médiaire D annulaire, destinée à di-
viser en deux compartiments l'espace
réservé aux bobines E et F; l'un des
enroulements E entoure le bloc cen-
tral, l'au tre F la pi èce extérieure S . Ce
dispositif a pour but d'augmenter la
force portante de l'aimant. Celui-ci
est suspendu à des boulons traver-
sant les œillets.
La grande force portante des élec-
tro-aimants industriels peut être fa-
cilement mise en évidence en les
disposant au-dessus d'un tas de tour-
nure de fer et fonte. Alors même
que l'appareil est à une certaine dis-
tance du métal à soulever, celui-ci
a encore une tendance à s'élancer
vers l'éleclro. On peut encore pro-
céder comme suit : on place des
planches de bois de 5 centimètres
d'épaisseur entre la face polaire d'un
électro-aimant et sa charge : celle-ci
est soulevée aisément; de même, une
couche de sable n'entrave pas leur
■ction. Industriellement, on met &
profit cette grande force portante en
utilisant les électro-aimants au levage
et transport de matériaux rangés dans des caisses
à claire-voie ou même à parois pleines.
Pour augmenter la sécurité de ces appareils et
réduire la consommation du courant, on a recours
au dispositif représenté par la fig. 7. Le travail
de l'électro a est ainsi réduit au levage des pièces m.
Une fois soulevées, celles-ci sont prises par les
grilTes b qui se ferment d'elles-mêmes et soutien-
nent ensuite les matériaux saisis, lorsque le courant
est interrompu.
Le calcul de la puissance (force attractive, force
portante) des électro-aimants leveurs n'est pas com-
pliqué lorsqu'il s'agit de matériaux à surface plane,
car il est facile d'évaluer le flux total et, ainsi, la
force portante de l'aimant. En effet, en appelant F
la force portante, B l'induction et S la surface de
l'entrefer, il suffit d'appliquer la formule classique :
„ B»S
^=— •
Poar une induction de 16.000 gauss, couramment
employée dans les électro-aimants industriels, cette
force portante est de 10 kilogrammes environ par
centimètre carré.
Lorsqu'on doit manutentionner des pièces de
forme irrégulière, le calcul exact de la force por-
tante devient très dilTicile, sinon impossible. Aussi
est-ce surtout par la pratique et après de nombreux
tâtonnements qu'on a pu établir le rapport entre
les puissances des électro-aimants et le genre de
travail qu'ils ont à effectuer.
Quoi qu'il en soit, l'établissement d'un électro-
aimant de levage nécessite une force portante aussi
grande que possit)le, avec un poids mort d'aimant mi-
nimum. 11 est utile aussi d'insister sur ce fait que la
dépense d'énergie électrique consommée par un
électro-aimant constitue un élément presque insi-
gnifiant dans l'ensemble des frais de manutention
du fer et de l'acier à l'aide d'aimants. L'économie
de temps et de main-d'œuvre que l'on peut réaliser
en réduisant le nombre de parcours et de ma-
nœuvres de l'appareil de levage par l'emploi d'un
électro-aimant « à grande consommation d'énergie »
fait que celui-ci accuse une supériorité très marquée
sur l'électroaimant dit « à faible consommation ».
En pratique, la capacité de levage d'un aimant
est représentée par le produit de l'intensité du cou-
rant par le nombre de tours de l'enroulement
(ampères-tours). En d'autres termes, à condition
d'employer une carcasse magnétique bien conçue,
la capacité de levage d'un électro-aimant croît avec
le nombre d'ampères-tours de la bobine. Donc, avec
une bobine donnée, plus l'intensité du courant est
f;rande. plus la force portante est élevée. En poussant
a densité du courant dans les enroulements de
l'appareil jusqu'au maximum admissible, et en dis-
posant scieutiliquement le maximum de tours d'en-
lauôusse mensuel
roulement dans le minimum d'espace, on obtient la
plus grande efficacité.
La plupart des appareils actuels sont construits
pour fonctionner sous courant continu et avec une
tension comprise entre 110 et 500 volts. Lorsqu'on
ne dispose que de courant alternatif, il est donc
nécessaire d employer une dynamo ou un groupe
convertisseur. En effet, l'influence de l'entrefer se
traduit d'une manière fâcheuse dans l'emploi des
courants alternatifs simples : dans les électro-
aimants ainsi excités, il se produit des variations
périodiques de l'entrefer, qui ont pour résultat de
diminuer la force portante dune façon assez sen-
sible. A dépense de courant égale, les électros
à courant alternatif simple sont inférieurs à ceux
. .'.••iii'ii iii '.''l'-
■:i;Si.ii;:r ■
' . I.'l;
Kig. 6. — Coupft verticale de l'électro-aimaDt Phœnix.
utilisant le courant continu. Il n'en est pas de même
des courants polyphasés, avec lesquels le champ
magnétique ne s'annule pas périodiquement. Aussi
les électro-aimants triphasés sont-ils relativement
faciles à établir. Avec les appareils diphasés, il suffît
de prendre une carcasse d électro-aimant triphasé
en disposant une bobine sur chacune des pièces
polaires extrêmes; la troisième pièce polaire placée
au centre n'a pas d'enroulement.
Lorsqu'on expérimen te un tel appareil, on constate
que chaque bobinage absorbe bien la même inten-
Fig. 7. - Electro-aimant avec pioca de support auxiliaires :
1. Levage des pièces; 2. Pièces de support fermées.
site, mais que les puissances prises par les deux
phases sont difféientes; cela tient à ce que la symé-
trie n'est qu'apparente avec le système diphasé,
tandis qu'elle est complète avec le système triphasé.
Cependant, dans le cas des courants diphasés, la
dissymétrie est relativement faible, et ce type
d'électro peut très bien être employé dans l'indus-
trie concurremment aux appareils à courant continu.
Il existe actuellement un grand nombre de mo-
dèles d'électro-aimants industriels. Citons, parmi
les plus connus, ceux de Bachelet, Couffinal, Igra-
nic, des ateliers Oerlikon, de la « Electric Contrô-
ler and Manufactury •>, de la société « l'Eclairage
électrique » (C» Thomson-Houston), de la « Steel
Peech and "Tozer Ltd » (appareils Phœnix), de la
société « AUen-'West ». Nous donnerons la des-
cription sommaire de quelques-uns de ces appareils,
en signalant leurs particularités :
Dans l'électro-aimant Allen -West, la carcasse
de l'appareil est faite en acier anglais k haute per-
méabilité magnétique. Le pourtour de la pièce
moulée est ondulé; les nervures sont disposées
747
de façon k former des encoches pour It protection
des têtes de boulons d'assemblage de la pièce
polaire extérieure. Des chapes très massives venues
de fonte avec la carcasse servent de points d'attache
à une suspension par chaînes ou rigide.
Le bouclier de protection des enroulements, qui
est exposé aux chocs les plus violents, est constitué
par un disque en acier au manganèse, de forte
épaisseur et muni de nervures massives sur la face
extérieure. L'acier au manganèse étant non magné-
tique, et présentant une résistance mécanique remar-
quable en même temps qu'une grande dureté, cons-
titue un métal idéal pour l'exécution du bouclier.
Les enroulements sont constitués par quatre ga-
lettes superposées, composées chacune d'une bande
de cuivre enroulée k plat, et dont les spires sont
isolées entre elles par un ruban incombustible, de
composition spéciale. Le procédé employé pour
obtenir un enroulement parfaitement rigide et inu-
sable est le suivant : une légère ondulation est
laminée dans la bande de cuivre au fur et à mesure
de son enroulement, et la nervure ainsi formée
vient se loger sur la gorge de la spire précédente;
le ruban isolant interposé suit la même ondulation.
Les enroulements ainsi terminés sont maintenus
fortement par une patte métallique très robuste,
qui empêche les déformations on avaries même dans
les conditions de service les plus pénibles.
La bobine sur laquelle sont placés les enroule-
ments est constituée par du métal magnétique, de
telle sorte que le noyau placé à l'intérieur des en-
roulements est entièrement magnétique; de celte
façon, la longueur de la spire moyenne n'est pas
augmentée comme dans le cas des électro-aimants
dont les bobines sont constituées par des substances
non magnétiques.
La forme intérieure de l'aimant a été étudiée de
façon k éviter les poches d'air et à faciliter la trans-
mission de la chaleur des enroulements k la car-
casse, d'oii elle peut rayonner dans l'atmosphère.
Le mica est seul employé pour isoler les enrou-
lements de la carcasse et les différentes galettes
entre elles.
Les pièces polaires extérieure et intérieure sont
en acier moulé, et k la méthode ordinaire de fixa-
tion par vis a été substituée la fixation par boulons
les traversant de part en part; le remplacement d'un
boulon en est d'autant facilité.
Pour l'amenée du courant k l'appareil, on utilise
des boîtes de prise de courant construites et dis-
posées de telfe sorte que les extrémités de con-
nexion aux enroulements sont amenées k des bornes
très robustes placées dans une cavité facilement
accessible de l'extérieur par l'enlèvement d'un
simple couvercle en tôle. Ces bornes traversent un
bossage venu de fonte avec la carcasse, et dont
elles sont bien isolées. La cavité dans laquelle elles
aboutissent est amplement dimensionnée, en vue de
faciliter la visite et le câblage. Une très forte tôle
recouvre cette cavité, destinée k être remplie d'une
matière isolante moulée à chaud; un presse-étoupe
étanche empêche toute entrée d'humidité. La boite
à fiches renferme un collier conique destiné à ancrer
l'armure du câble d'alimentation k son entrée dans
la boite de prise de courant. Deux brides venues de
fonte avec la carcasse protègent la boite de prise
de courant et la mettent à l'abri des chocs latéraux.
Afin d'éviter des avaries au contrôleur par suite de
l'amorçage d'arcs nuisibles, cet appareil comporte
un grand nombre de coupures en série; il est en
outre muni d'un soufflage magnétique très puissant.
De plus, dans le but d'annuler les effets du magné-
tisme rémanent qui tend à maintenir la charge pen-
dant quelques secondes après la rupture du cou-
rant, le contrôleur permet de lancer dans l'aimant
un faillie courant de sens contraire, qui produit la
démagnétisation, et la chute immédiate de la charge.
Le courant de démagnétisation n'est admis que sur
la position « chute rapide » du contrôleur; un res-
sort de rappel ramène automatiquement le contrô-
leur au point mort, dès que 1 on abandonne la
manette, et une butée mécanique placée au point
mort empêche de dépasser cette position.
Dans le but de rendre l'électro-aimant étanche à
l'eau et à l'humidité, l'appareil est d'abord complè-
tement assemblé avec les enroulements, etc., puis
mis en place. L'aimant est ensuite fortement chaufTé
pendant que des pompes spéciales font le vide à
l'intérieur de la carcasse : de cette façon, toute
l'humidité contenue dans l'aimant se trouve trans-
formée en vapeur, et est aspirée par les pompes.
Lorsque cette première opération a été menée à
bonne fin, une matière isolante et antihygrosco-
pique est introduite k l'intérieur de l'aimant chauffé
et vide d'air. L'isolant, comprimé k une pression
de 8 kilogr. 5 par centimètre carré, pénètre de cette
façon jusque dans les moindres interstices; par re-
froidissement, il acquiert de la résistance et de l'élas-
ticité, et remplit entièrement la cavité intérieure de
l'aimant, qu'il rend absolument étanche. Les électro-
aimants ayant subi ce traitement peuvent travailler
sous l'eau sans aucune crainte de détérioration.
Comme la rupture du circuit d'un électro-aimant
de levage produit une surtension très considérable,
748
due à la self-induction, on cherche k limiter le plus
possible celle surtension et à absorber l'énergie de
self-induction. Dans ce but, une résistance non
induclive est branchée en dérivation aux bornes de
l'aimant jusle avant la rupture du circuit. Celte
résistance ne reste pas en circuit pendant le fonc-
tionnement de l'appareil.
Les ateliers de construction Oerlikon, de Zurich,
construisent des électro-aimants de forme ronde,
carrée ou rectangulaire légèrement arrondie sur les
angles. Ceux à base ronde, qui sont les plus cou-
rants, sont conslilués par une carcasse en forme
de cloche, avec noyau venu de fonte avec la car-
casse. I>a bobine d'aimantation flxée sur le noyau est
maintenue par ime plaque de proteclion. L'amenée
de courant se fait par la partie supérieure de la car-
casse. La suspension est obtenue par trois chaînes
fixées à des oreilles venues de fonte avec le corps.
La carcasse et le noyau sont constitués par de
l'acier fondu, de perméabilité maximum. La forme
en cloche est la plus favorable, en ce qui concerne
la longueur des lignes de lorce : elle permet d'ob-
tenir la plus grande puissance spécifique, avec un
poids de matière donné.
La bobine possède une carcasse en tôle de fer et
en tôle d'aluminium, et peut être facilement dé-
montée du noyau. Le bobinage est fait avec des
rubans ou des fils d'aluminium oxydé ; il est ainsi
possible de pousser la charge de l'électro sans avoir
à craindre de détériorations d'isolant, et on obtient
ainsi le maximum de rendement de la matière.
La plaque de protection est fixée sur la carcasse
avec des vis à tête fraisée, et bloque complètement
la bobine; elle est constituée par un alliage non
magnétique, spécial, d'une grande dureté et d'une
grande résistance au choc.
L'isolement de chaque aimant est essayé à
2.000 volts pendant cinq minutes; d'aulre pari, des
essais en charge sont effectués, et l'électro est laissé
sous le courant normal jusqu'à ce que lacourbe de la
température passe par un maximum qui est relevé.
Les câbles armés sont à deux conducteurs, isolés
à 1.200 mégohms par kilomètre. L'armature est faite
de spires en fd d'acier galvanisé; l'interrupteur a la
forme d'un contrôleur avec plols de contact et la-
melles à grande surface ; chaque plot est prévu avec
soufflage magnétique.
La démagnélisalion de l'aimant est complète dès
le retour sur le plot neutre. Les plus petiles parties
magnétiques se détachent doncde l'aimant facilement.
Le câble d'aliinenlalion s'enroule sur un tambour
avec un dispositif bipolaire de contacts à liagues,
complèlement prolégé. Ces tamliours sont piirfois
construits avec entraînement à l'aide d'un accou-
plement par friclion ou d'un contrepoids.
Le tableau ci-dessous donne quelques indications
sur les dimensions, la puissance utile, le poids et
l'énergie électrique absorbée, des électro-aimants
Oerlikon, pour les formes rondes, carrées et rec-
tangulaires.
Dans le type Igranic, le modèle le plus employé est
le modèle circulaire. La carcasse est en acier doux
et pourvue de fortes nervures, qui servent à la ren-
forcer, et de trois bossages auxquels sont fixées les
chaînes de suspension. L'enroulement excilateur
est formé d'un ruban de cuivre; ses différentes
spires sont isolées à l'aide d'un ruban d'amiante, et
les couches de conducteurs superposées alternent
avec des couches de mica qui augmentent encore
l'isolement. La bobine, en alliage ferromagnétique
très perméable, fait partie du circuit magnétique.
Les pièces polaires sont fixées à la carcasse par
des boulons, de façon à pouvoir être aisément rem-
plaçables en cas d'accident. Un bouclier, formé d'un
disque épais en acier au manganèse non magné-
L
H
LAROUSSE MENSUEL
tique et renforcé par des nervures, protège l'en-
roulement.
(;omme dans les électro aimants du type Allen-
'West, on a cherché à rendre incombustibles les
spires de l'enroulement excitateur, en utilisant un
isolant antihygroscopique. Cet isolant, en pénétrant
par pression dans les interstices de l'enroulement
après dessiccation
à l'étuve et dans le
vide, en assure en „^^^^,^^^__^^^________^
même temps la sta- <, ||
bilité en évitant le
déplacement des
spires pendant le
fonctionnement de
l'appareil. Lafaçon
dontl'isolementest
assuré permet, en
outre, de dissiper
plus facilement la
chaleur développée
dans les bobines
par le passage du
courant.
Cerlainsmodèles
d'éleclro - aimants
Igranic sont com-
plètement imper-
méables à l'eau, ce
qui leur permet de
travailler non seu-
lement à l'humidité ou sous la pluie, mais même
dans les liquides.
Le type Phœnix, de la société « Sleel Peech and
Tozer », dont nous avons donné précédemment le
principe, présente l'avantage de posséder une force
portante très grande pour des dimensions relative
ment restreintes, de sorte que la dépense de travail
est très limitée. La consommation d'un électro-
aimant de .'iSO millimètres de diamètre ne s'élève
qu'à 3 kilowalts-heure sur
la base de 60 transports
durant chacun une mi-
nute; unélectro-aimanlde
800 millimètres de dia-
mètre ne consomme que
7 kilowatts-heure dans les
mêmes conditions de tra-
vail. Si l'on admet, dans
le cas des aciéries, un prix
uniliiiredeScentimes pour
le courant d'alimentation,
le coût de travail par heure
est seulement de 15 et de
35 centimes respective-
ment. Le maximum d'efti-
cacité de l'aimant est ob-
tenu lorsque la grue ma-
nœuvrant l'aimant a de
bonnes vitesses de tra-
vail. Quant au travail de
l'aimant lui-même, il est
réglé par le conducteur de
la grue.
L'installation des élec-
tro-aimants de levage varie
naturellement suivant le genre d'appareil adopté,
la nature et la puissance du courant disponible, etc.
On peut cependant utiliser des électro-aimants de
levage même avec des appareils non desservis par
l'électricité : il suffit d'installer sur la plate-forme
d'une grue à vapeur une dynamo mue par un mo-
teur auxiliaire et fournissant le courant nécessaire
au fonctionnement de l'électio-aimant.
La fig. 8 représente un électro-aimant installé
^• 146. Avril lôlù.
pour le chargement des mitrailles. Le problème
consiste à transporter, des wagons jusqu'aux fours
Martin, des mitrailles dans le minimum de temps
et avec le moins possible de main-d'œuvre. Dans
ce but, un pont roulant A portant l'éleclro-aimant B
soulève la mitraille et la laisse tomber sur un plan
incliné M qui la déverse dans les cuillers. Le plan
— Siii lu .
1
n
I
I
n
Fig. 8. — Installation pour le chargement de wagonnets à l'aide d'un lîlectro-aimant mobile BUr pont routant.
incliné, qui est en acier, ou recouvert d'acier, est
fixé sur un cadre portatif circulant sur les rails,
mais placé extérieurement par rapport aux cuil-
lers ; ces dernières sont rangées sur châssis à
bogies, de façon à pouvoir passer sous le plan
incliné. L'électro qui a soulevé et laissé tomber les
mitrailles sert également à traîner celui-ci sur les
rails, de façon à le mettre successivement devant
toutes les cuillers à remplir; il suffit pour cela de
PUISSïANCE UTILE APPROXIMATIVE (en
kilogrammes)
ÉNEROIB
absorbée
FORME
DIMENSIONS
POIDS
LINOOTS
TÔLE
TÔI.E
COPEAUX
d'acier
d'acier
RIBl.ONS
d'acier
de G""
de 2i,"-
d'acier
millioi.
kilogr-
kilogr.
kiloBT.
k.lojr.
klioBF.
kllogr.
WKtU
/
' 400
95
500
I.i0
370
» »
n »
200
1
500
250
2.000
410
1.040
80 à 140
30 à 60
750
600
32C
3.000
570
1.420
130 à 200
45 À 85
1.100
Circulaire (diamètre). <
850
430
6.000
1.050
2.6:i0
250 à 350
60 À 110
1.600
1.050
650
10.000
1.800
4.500
400 à 600
150 à 250
2.100
1
1.550
1.500
18.000
2.700
6.900
700 à 1.000
300 à 340
4.800
\
1.800
2.100
25.000
4.000
8.700
1.000 à 1.400
400 à 700
7.800
360
105
1.200
300
750
> *
» K
400
600
370
3.500
760
1.950
n M
N ■
1.150
Carrée (cAté) <
750
630
7.000
1.400
3.600
M H
n »
1.600
1.250
1.400
15.000
2.600
6.700
n N
n a
3.300
1.500
2.015
20.000
3.200
8.200
" "
• '
4.800
[ 700X200
120
1.000
250
620
.
,
300
1 800X240
200
2.000
410
1.040
■ »
R a
600
Rectangulaire. . . .
{ 900X400
570
6.000
1.050
2.650
0 n
> •
1.450
' 2.000X650
1.215
14.000
2.250
5.600
« a
M ■
2.800
[ 2.400X800
1.685
18.000
2.700
6.900
n »
■ B
3.800
Fig. 9. — Transport de poutres en fbr.
poser l'aimant sur la partie métallique du plan
incliné. Le conducteur du pont roulant peut donc,
à lui seul, exécuter toute la manœuvre du déchar-
gement des mitrailles de wagons et de leur charge-
ment dans la rame des cuillers avec la plus grande
rapidité. On réalise ainsi une grande économie de
main-d'œuvre; de plus, le chargement est rendu
beaucoup plus expéditif, et la manœuvre des wagons
sur des voies de garage est évitée.
Par leur nature même, les électro-aimants cons-
tituent de véritables séparateurs ou trieurs magné-
tiques, (l'est ainsi qu'en retirant d'un chantier ou
d'un wagon des pièces quelconques de fonte ou
d'acier, ils les débarrassent en même temps de
toutes les substances non magnétiques qui peuvent
les accompagner, telles que boues, poussières,
pierres, débris de bois, etc.
Quant au transport des rails et poutres métal-
liques (fig. 9), il constitue une manœuvre en quelque
sorte classique, pour les éleclro-aimants industriels.
Les rails ayant été coupés à longueur sont, encore
ckauds, soulevés par les ôlectro-aimants et amenés
aux refroidisseurs, puis de ceux-ci aux presses de
redressage. De là, les mêmes électros les transpor-
tent jusqu'aux machines à forer, aux bancs d'ins-
pection, puis aux wagons ou au magasin, selon la
destination. Deux électro-aimants suffisent pour ce
travail; chacun d'eux transporte aisément 50 tonnes
de rails par heure, du magasin aux 'wagons. Deux
hommes seulement sont nécessaires : le conducteur
de la grue et un ouvrier. Dans ces conditions, le
transport des rails n'atteint que quelques centimes
de dépense par tonne. Il est évident que l'économie
de main-d'œuvre ainsi réalisée est considérable,
outre celle de temps et d'espace nécessaires à la
manœuvre.
Le concassage des riblons, copeaux, tournure,
en morceaux de 1 à 2 centimètres de longueur
«• 146. Avril 1919.
offre, après triage magnétique et concassage par
les éleclros munis de casse-fonle, de nombreux
avantages, tels que : facilité de transport et de ma-
gasinage par des élévateurs, et surtout augmentation
de la densité d'environ 90 p. 100 par le briquetage
des déchets. Ces briquettes métalliques se manu-
tentionnent aisément, permettent le chargement des
wagons au poids maximum, et facilitent ensuite en
fonderie la mise en moule, en creuset, et la fabri-
cation des alliages. — Jean Escino.
Famille paysanne, tableau de Le Nain.
Parmi les peintures récemment entrées au musée
du Louvre à la suite de dons ou d'achats, celle d'un
des frères Le Nain est assurément l'une des plus
remarquables. Elle voisine avec un petit portrait
de Fragonard, de la plus exquise qualité; mais, quel
que soit le mérite de ce charmant petit maître
du xvui" siècle, il ne saurait l'emporter sur la
beauté grave et puissante de Le Nain. Certes, la
couleur de Fragonard est plus fleurie, mais dans sa
discrétion celle de Le Nain a aussi très grand prix.
Il s'agit ici d'un repas de paysans. C'est un sujet
familier à l'artiste,
et le Louvre en pos-
sédait déjà deux
autres exemplaires.
Mais aucun d'eux ne
dénotait une sem-
blable maîtrise. Du
naturel de la com-
position, il y a peu
à dire: c'est chose
que nospeintres ont
généralement prati-
quée, l'ar contre, il
faut insister sur la
lorceextraordinaire
du dessin. Le mo-
delé a un relief sin-
gulier, la lumière
fuit saillir les plans
et les formes d'une
LAROUSSE MENSUEL
de Famille paysanne. D'après l'Histoire de Laon de
Claude Léleu, l'aîné des frères, Antoine, excellait
dans les miniatures et les portraits en raccourci;
Louis, le cadet, réussissait dans les portraits qui sont
à demi-corps et en forme de buste; Matiiieu, qui
était le dernier, était pour les grands tableaux. Si
l'on suivait à la lettre l'historien, on attribuerait
volontiers à Antoine les petites paysanneries peintes
sur cuivre, et à Louis ces beaux portraits en buste
dont les musées de Laon, du Puy, d'.-\vignon pos-
sèdent des exemplaires. Dès lors, on serait amené à
penser que l'auteur des grandes paysanneries pour-
rait être Mathieu. Cependant, il n'est pas assuré que
Claude Léleu n'ait pas fait quelque confusion. Nous
lisons en effet dans sa propre Notice, que Mathieu
Le Nain est l'auteur d'un portrait de la reine Anne
d'Autriche, et que le roi Louis XI II, présent à la séance
de pose, avait déclaré que la reine n'avait jamais été
peinte dans un si beau jour. D'autre part, nous sa-
vons que Mathieu avait été en 1633 reçu lieutenant
de la compagnie bourgeoise du capitaine Du Ry;
que, par surcroît, il était peintre ordinaire du prévôt
des marchands et des échevins de la ville de Pans.
manière quasi
sculpturale. Les vi-
sages sont d'une vé-
rité et d'une pléni-
tude saisissantes;
les costumes aux
filis larges évoquent
a meilleure tradi-
tion française et font
volontiers songer
auxdraperiesde nos
primitifs; les parties
de nature morte, la
miche de pain et les
gourdes, sontdignes
de Chardin. Le co-
loris est d'une modé-
ration préméditée.
Dans une gamme
de gris bruns, seules
l'étoffe bleue d'une
robe et la liqueur
rouge d'un verre de
vin sonnentun peuhaut. Aussi bien n'est-il pas impos-
sible que Le Nain ait emprunté non seulement à l'école
italieime, mais encore k l'espagnole ce goiit des gris.
Deux autres tableaux représentant des person-
nages sont entrés au Louvre en même temps que le
tableau de Le Nain. Ce sont deux œuvres modernes :
l'une de Fanlin-Latour, l'autre de Degas. Elles sont
loin d'être sans mérite. Mais, ni par la composi-
tion, ni par l'exécution, elles ne sauraient soutenir
la comparaison avec la peinture du xvii' siècle.
L'arrnngement de Fanlin a quelque chose d'apprêté
et de bourgeois, la composition de Degas est décou-
sue; et, par surcroît, on sent que les deux artistes ont,
malgré eux, subi l'influence du daguerréotype. La
touche de Pantin est molle volontairement : c'est
par ce procédé que l'artiste espère donner la sensa-
tion de l'enveloppe atmosphérique. La manière de
Degas est plus ferme, mais la justesse des tons est
douteuse, et l'unité d'impression manque. Rien de
tous ces défauts dans le vieux Le Nain. Si parfaite
que nous apparaisse la figure de femme dans le
tableau de Degas, comme elle paraît plate à côté
de la figure de vieille paysanne de Le Nain ! Comme
cette fillette du peintre moderne semble indécise à
côté du jeune joueur de flageolet du peintre de
Laon I El pourtant le Louvre a pu acquérir à frais
légers celte œuvre capitale de notre école du
XVII" siècle, tandis qu'il a dû dépenser des centaines
de mille francs pour obtenir un Degas assez cnrieux
mais peu significatif. On fait campagne pour nous
assurer que le Louvre manque d'argent, et pour éta-
blir un tourniquet aux portes; mieux vaudrait, au
lieu de se livrer à des dépenses inopportunes, assu-
rer un meilleur aménagement des richesses déji
acquises, notamment des dessins, dont vingt-cinq ou
trente mille sont enfouis, ignorés, dans les cartons.
Si surprenante que la chose puisse paraître, on
ne peut encore désigner avec certitude l'auteur
Famille paysanne, tableau de Le Nain. (Maiée du Louvre.)
Enfin, on peut remarquer que les portraits de Laon,
du Puy sont des portraits de militaires: ne s'agit-il pas
là précisément de camarades du peintre? Quoi qu'il
en soit, la tradition s'est perpétuée, de mettre sous
le nom de Mathieu la plupart des portraits, et de lais-
ser à Louis Le Nain les grandes scènes paysannes.
Une date, placée sur un tableau, suffira peut-être à
résoudre le problème : il ne l'est pas encore. Mais,
peintres de genre ou portraitistes, les Le Nain doi-
vent assurément compter parmi les plus grands maî-
tres français de la première moitié du xvii» siècle.
Un goût passager pour les scènes nobles ou ga-
lantes a nui à leur gloire ; la surprise est d'autant
plus vive, aujourd'hui, de trouver dans leurs œuvres
tant de force, de simplicité, de modernisme et d'ac-
cent français. — Tristan Leclère.
fl'elure n. f. Résultai de l'aclion des basses
températures sur les tissus vivants.
— Encycl. Gelure des pieds. Syn. : Pied des
<ranc/iees. Affection due au froid humide, etobservée
chez un grand nombre de soldats dès le premier hiver
de la guerre actuelle. La fréquence de ces accidents
est devenue de moins en moins grande les années
ultérieures, à mesure que nous en connaissions
mieux les origines, la prophylaxie et le traitement.
Quand apparurent les premiers cas de gelure des
pieds, on pensa unanimement que le froid régnant
dans les tranchées du champ de bataille et l'immo-
bilité prolongée à laquelle étaient astreints nos com-
battants était la cause unique des lésions. Témoin,
de Hourges, fut le premier a remarquer que le froid
à lui seul ne saurait causer des lésions de ce genre.
Il rappela que pendant la guerre de 1870-18'71, du-
rant laquelle le froid avait été beaucoup plus intense
et prolongé qu'en 1914-1915, il y eut peu de gelures
des extrémités inférieures, tandis qu'il y eut de
nombreuses gelures des oreilles, du nez et des
749
mains, à peu près inconnues dans la présente guerre.
11 estimait que les accidents constatés étaient sur-
tout causés par la compression exercée sur la jambe,
elle pied tout d'abord, par la bande molletière que
nos soldats portaient presque tous, ensuite par le
cuir des chaussures raccorni par l'humidité froide
de la boue. « De là, disait-il, des lésions qui rappel-
lent beaucoup la gangrène par compression, et qui
lui sont identiques par essence. •>
Cette influence du froid humide avait été déjà
notée par Larrey, qui signale qu'à la bataille d'Eylaa
les gelures des pieds ne se manifestèrent que lors-
que le dégel eut fait son apparition. De Massary
décrivit, en 1916, le premier cas de lésions de ce
genre survenu cette année-là, alors que le thermo-
mètre était resté très au-dessus de 0°. Il était re-
marquable, en outre, que les sentinelles immobiles
en plein champ, pendant des nuits entières, debout
pendant plusieurs heures, mais sur un sol poreux,
ne présentassent jamais d'accidents de ce genre
(Vincent). D'autre part, on répondait aux détrac-
leurs de la bande molletière que les gelures étaient
assez souvent survenues chez des soldats qui n'en
portaient point, et
même chez des
hommes qui res-
taient preds nus,
comme les tirail-
leurs sénégalais.
A l'heure pré-
sente, on est d'ac-
cord pour admettre
que c'est le froid
humide qui est le
grand coupable, et
que les lésions sont
dues à l'action com-
binée du froid et de
la macération pro-
longée des tissus
dans l'eau ayant pé-
nétré dans la chaus-
sure. Cette action,
dit Vincent, est sin-
gulièrement aggra-
vée lorsque la bande
molletière exerce
sur la jambe une
constriction conti-
nue, qui favorise la
stase sanguine et
l'œdème des extré-
mités, surtout lors-
que , imbibée par
l'eau, cette bande
gonfle et entrave
plus ou moins la cir-
culation de retour,
et provoque elle-
même l'œdème. II
ajoutait que les sol-
datsallemands souf-
fraient fort peu de
ces accidents, parce
qu'ils portaient des
bottes larges, avec
double chaussette ou une bande graissée et une chaus-
sette recouvrant celle-ci. Recherchant ensuite quel
pouvait être le rôle de l'humidité elle-même dans la
genèse des phénomènes, Raymond et Parisot conclu-
rent qu'il s'agissait d'une infection cryptogamique,
ou mycétome, le germe infectant faisant partie de la
flore tellurique, pénétrant dans les tissus à la faveur
de la macération produite par le séjour dans la boue
liquide, et prospérant grâce à la basse température
où le pied est maintenu. Les mêmes auteurs ont noté
les phases successives que pouvaient parcourir les
lésions. Au premier stade, ils signalent l'aneslhésie
douloureuse du pied; àun stade suivant l'œdème, qui
peut s'étendre à une partie de la jambe; au troisième
stade apparaissent des phlyctènes ; et au stade ultime,
sous ces phlyclènes, surviennent des escarres qui
marquent l'envahissement gangreneux de la région.
A ces symptômes, il faut joindre la fièvre fré-
quente, de l'albuminurie, et des douleurs de névrite
ascendante dans le territoire du nerf sciatique.
La prophylaxie des gelures ressort des considéra-
tions éliologiques qui précèdent. Les points les plus
importants en sont la diminution de séjour dans les
tranchées boueuses, et la fréquence des relèves, ledes-
serrage à intervalles aussi rapprochés que possible
des souliers et des bandes mollelières, la mise en ser-
vice de guêtres en toile imperméable, le port de chaus-
setles de laine imbibées de corps gras. On a préconisé
également (et l'expérience a prouvé la valeur du pro-
cédé) l'application de la méthode biokinéliqne de
Jacquet, suivant laquelle l'homme, déchaussé, s'étend
sur le dos, les jambes dressées suivant la verticale
le plus haut possible, et doit, dans cette position
« tendue », remuer àfond ses orteils. Celle méthode,
qui donne des résultais si appréciables dans la pro-
phylaxie et le traitement des engelures, peut consti-
tuer aussi le premier élément de traitement de la ge-
lure des pieds, quand elle resleà son premier stade.
750
Ace moment, c'est-à-direlorsqu'iln"existeencore que
les premiers élancements douloureux qui annoncent
ledébut de l'affection, le massage despii'ds etlafric-
tionà l'alcooldansunesape cliauffée donnent dessuc-
cès nombreux. Les partisans de l'origine mycosique
de la gelure tiennent que le nettoyage soigneux des
f lieds et notamment des ongles joue un rôle prophy-
ac tique important. L'usage des pommades h. base de
formol oudecamphreest, pour legraissage des pieds
et des chaussettes, particulièrement recommandé.
Quant au traitement lui-même, s'il est facile dans
les cas légers, il devient beaucoup plus ardu quand
les lésions sont graves. Si le mal n'a pas dépassé les
premiers stades, les moyens thérapeutiques ne man-
?[uentpas. Ce sont les bains chauds salés, suivis de
rictions, puis de massages et de mobilisation (de
Fossey et Merle), les badigeonnages au goudron
(Rabbi), les bains de soleil combinés avec le sau-
poudrage à l'acide salicylique ou au formol (Gilett),
te badigeonnage à la parafOne contenant des essen-
ces antiseptiques (Rathery et Bauzil) ou à la paraffine
Le président Wilson et M"" Wilson visitent Reims. — Le cardinal Luçon leur montre les ruines de la
cathédrale ; •< Regardez, monsieur le Président, ce qu'ils ont fait de mon église ! » (77ie Sphère.)
cocaïnée(Chalier), les pansements à l'acide picrique
(divers), les pansements à l'aide de compresses im-
bibées de solution boratée camphrée ou de solutions
au sulfate de cuivre (Raymond et Parisot), elc. Mais
dès que les lésions graves sont apparues, il faut
traiter celles-ci comme toute sphacèle. Les moyens
indiqués plus haut, et notamment les derniers, sem-
blent alors empêcher parfois la gangrène de s'éten-
dre, et limiter les pertes de substance qu'elle ne peut
manquer d'entraîner. Dans les cas les plus graves,
où les douleurs sont intolérables et les lésions très
étendues, on est obligé souvent d'en veniràl'am-
fiutation du pied. Ajoutons qu'il a été démontré que
e tétanos pouvait facilement compliquer les gelures
des pieds, et qu'il imporle de préserver les blessés
de ce genre k l'aide d'injections préventives de
sérum antitétanique. — D' Henri Bodquet.
Guerre en 1914-1 919 (La). [Sut^e.] —
L'impression du spectateur qui essayait de dégager
une vue d'ensemble des événements du mois de fé-
vrier ne différait que fort peu de celle qu'il avait
ressentie en janvier. Un grand trouble dans les
esprits, et partout une confusion persistante dans
les idées; de vastes ambitions et de petits moyens,
LAROUSSE MENSUEL
comme une impossibilité à conclure, par une sorte
de lassitude générale qui eût souhaité atteindre la
fin désirée — la paix — sans avoir la peine de faire
le nécessaire pour rétablir. A côté de cela, la per-
sistance, en certains pays, d'un chaos sinistre d'où
émergeait un paroxysme de violence et d'anarchie
subi passivement par des masses incapables de
réagir; et. pour le reste du monde, la menace plus
ou moins prochaine d'une contagion qui pouvait être
plus ou moins rapide, plus ou moins étendue, suivant
le tempérament de chaque race, et que, malgré le
danger couru, on semblait accepter avec une indif-
férence fatiguée qui se refusait à la réflexion et à
l'effort : tel était à peu près le spectacle qui avait
passé sous nos yeux pendant les quatre semaines de
février, sans qu aucun fait, même parmi les plus bru-
taux, pût fournir une indication précise sur l'avenir.
La fièvre qui avait brûlé le monde depuis le mois
d'août 1914 continuait de l'agiter. Et pourtant, com-
bien le retouràune température normale, qui permit
le libre jeu de tous les organes de l'humanité, était
souhaité et sou-
haitable! La phi-
losophie future
de notre histoire
déduirapeut-être
savamment les
causes de cetétal
morbide dont
nous souffrons,
et les remèdes
qu'ileûtfalluem-
ployer.Nousdou-
lonsunpeuqu'elle
soitjaniaisenétat
d'y voirtrèsclair,
dans la com-
plexité de notre
cas. Elle simpli-
fiera, en négli-
geant beaucoup
de symptômes
qui nous sem-
blent essentiels;
surtout, elle ju-
gpra avec séré-
nité et sans in-
dulgence une
époque dont elle
n aura pas souf-
fert le poids. Il La
phllosopliie, adit
Vauvenargues,
triomphe aisé-
ment (les maux
passés et des
maux à venir;
mais les maux
présents triom-
phent d'elle. »
En fait, nous
ne croyons pas
qu'aucun temps
avail vu prospé-
rer avec un égal
succès l'indus-
trie, déjà si fruc-
tueusement pra-
tiquée pendant la
guerre, des faus-
sesnouvelles.De
làvientl'exlrême
et croissante dif-
ficulté dese faire
un jugement au
milieu d'infor-
mations entière-
ment imaginai-
res ou à moitié
vraies, rarement tout à fait exactes, que les besoins
de la publicité et de la concurrence lancent dans la
circulation par le moyen de la presse quotidienne.
Faire la critique d'une nouvelle qui souvent ne repose
sur rien et n'a pour objet que d'étonner le lecteur, de
frapper son esprit, de l'elTrayerou de le séduire, est
un exercice d'assouplissement intellectuel à peu près
irréalisable. On en est réduit à se servir de ces faits
tels quels, quitte à en mesurer la valeur réelle avec
les moyens ordinaires du simple bon sens et de la
vraisemblance, qui se trouvent souvent, nous en
avons fait la fréquente expérience, les plus sûrs.
Au début de février, plusieurs questions étaient po-
sées. Ou'idviendrail-ilde. a proposition delà Confé-
rence delà paix relativement à la réunion dans l'ile
Prinkipo.pour la discussion des affairesrussesîOuel
plan de travail suivrait la Conférence de la paix?
sortirait-elle des généralités idéalistes pour aborder
enfin les réalités concrètesîComment tourneraiteii
Allemagne la lulle contre les spartaço-bolclievistes?
au profit de l'ordre ou dans le sens de l'anarchie?
et la Consliluante qui allait se réunir serait-elle en
mesure d'organiser un gouvernementrégulier, sépa-
ratiste ou unitaire, allemand ou prussien ? Comment
se régleraient les prétentions innombrables, contra-
N' 146. Avril 1919.
dictoires, à la fois mégalomanes et brumeuses, des
nationalités fragmentaires qui se di.sputent les terres
d'Europe et d'Asie entre l'Adrialique et la mer
Caspienne, entre le Danube et l'Euphrate? Essayons
de noter, en y apportant la clarté possible et en
laissant tomber le détail inutile, les résultats acquis
s'il en existe, et tout au moins les idées dominantes.
La conférence de Prinkipo, qui, lorsque le Comité
des Dix en avait lancé le projet avec une solennité
un peu na'ive, avait eu une assez mauvaise presse, ne
s'était pas relevée de ce débutjustementdiscuté. Le
gouvernement bolchevik, tenu au courant de ce qui
se passait et se disait à Paris, par les correspondants
qu ilavaitdans notre presse etpardes complaisances
télégraphiques sur lesquelles la lumière n'a pas été
faite, avait continué à le prendre de haut avec la
Conférence de la paix. 11 avait accepté d'aller à Prin-
kipo; il avait même consenti k discuter la question
des emprunts, celle des frontières territoriales, celle
de la participation des capitaux étrangers aux entre-
prises industrielles russes; il avait admis que sa pro-
pagande pût être tempérée. Mais il avait affirmé en
même temps que sa situation militaire lui permettait
de traiter de pair avec l'Entente. Si les ouvertures
qu'il faisait à proposdes concessions que nous venons
d'énumérerlaissaient peicerle désir d'aboutir à des
transactions chaque jour plus nécessaires pour lui,
d'autre partit faisait sentir qu'il se croyait fort et qu'il
savait de source sûre que, militairemeiil, on ne ferait
rien contre lui. — Parmi les autres gouvernements
russes, ceux de l'Esthonie, de la Lithuaiiie et de
l'Ukraine eussent accepté d'aller à Prinkipo. Tous
les autres avaient énergiquement refusé, et les grou-
pements russes en dehors de Russie avaient suivi la
même conduite sans que pour cela aucun d'eux eût
prononcé les paroles libératoires attendues par le
peuple russe. Dans ces conditions, et sans que le Co-
mité des Dix eût cru devoir formuler une conclusion
ferme, la conférencede Prinkipo s'était trouvée close
avant d'êlre ou verte. Assurément, cette solution va-
lait mieux que les risques que pouvait faire courir la
réunion d'une assemblée de ce genre, et au total
rien n'était changé. Cependant, on ne peut dire que
le gouvernement de Lénine et de Trotsky n'eût pas
trouvé dans celte négociation officieuse, où il avait
pu faire montre de ses relations ouvertes et publi-
ques avec l'Occident, l'apparence d'une reconnais-
sance officielle et un regain d'autorité sur le peuple
qu'il écrasait. Par contre, le prestige des autres
gouvernements russes n'en avait pasélé augmenté,
et, en fin de compte, il était impossible de chiffrer
le profit de celle opération hasardeuse.
Quanta la situalion réelle du gouvernement bol-
chevik en Russie, nous ne la connaissions pas avec
plus de précision que nous ne l'avions connue jus-
qu'alors. Les opérations militaires que l'armée rouge
soutenait sur divers fronts n'avaient amené aucun
résultat décisif. Les Esthotiiens, sans continuer
leurs succès aussi vivement qu'en janvier, avaient
du moins résisté énergiquement à des forces pro-
bablement supérieures, et la position de Petro-
grad restait fâcheuse. Du côté d'Arkhangel, aucun
des deux partis ne semblait avoir dominé l'adver-
saire. Par conire, le général Denikine, du côté
du Caucase, avait certainement l'initialive des opé-
rations et avait, à plusieurs reprises, imposé aux bol-
chevisles des échecs graves. — On parlait beaucoup
de l'organisation de l'armée rouge, et on lui altri-
buait dans les journaux une valeur numérique qui
ne pouvait que daller le gouvernement de Moscou.
11 est vraisemblable, comme nous l'avons dit an-
térieurement, que le recrutement de l'armée rouge,
au milieu de la misère générale et de la famine
croissante, élaitfacllilé dansunelarge mesure parle
besoin de manger etde s'assurer un minimum de sécu-
rité. Le danger couru au front sousl'uniforme mili-
laireétait ceitainementmoindrequecelui quigueltait
chaque jourle bourgeois, le noble, ou l'ouvrier. C'est
là un phénomènesocial que toutes les révolutions ont
connu. Mais quelle était la valeur mililaire réelle de
celte armée, évidemment composée d'éléments très
disparates? quel était son armemeni? quelles étaient
ses ressources en munitions, en artillerie, en avions,
en subsistances ? Nul ne le savait. 11 étailfort possible
que, militairement comme politiquement, la force des
bolcheviks fût faite surtout de leur hardiesse, de leur
absence de lout scrupule, de la certitude qu'ils
jouaient le tout pour le lout, et, plus encore, de la
faiblesse et de l'indécision de leurs adversaires. Ce
qui caractérisait de plus en plus l'histoire présente
de la Russie, c'était l'absence et probablement l'im-
possibililé, pour le peuple moscovite, d'une de ces
réactions raisonnées et énergiques qui peuvent
échouer momentanément mais nui finissent toujours
par réussir sous une forme quelconque, et qui n'eût
pas manqué dese produire dans une nation de l'oc-
cident de l'Europe. Le fatalisme passif de l'Asie
apparaît clairement chez des populations qui, en
apparence, ont participé à la civilisation occiden-
tale, mais que trois siècles d'autocratie, asiatique
elle aussi, en ont tenues plus éloignées que ne l'eus-
sent fait d'infranchissables barrières naturelles. Si
regrettable que soit cette constatation , l'on ne pouvait
pas ne pas la faire. La population russe de la Grande-
«• 746. Avril 1919.
Russie, leiTorisée par les Dataillons chinois au ser-
vice de ses mailres, anémiée par des privations sans
nom, décimée par le typlius, mourant par dizaines
de mille, supportait cependant le régime bolche» isle
dont on ne pouvait, fin lévrier, en présence de l'in-
certitude totale sur les projets de la Conférence de
la paix, prévoir la fin que par l'usure même de sa
violence et par cette loi historique qui ne permet
pas à une société, quelle qu'elle soit, de vivre indé-
finiment hors des formes ordinaires d'existence
qu'impose fatalement, en dépit de toutes les théories,
la constitution physique et morale de l'humanité.
Mais, jusqu'au moment où, la limite de celte gigan-
tesque oscillation étant atteinte, le pendule russe
retrouvera son mouvement normal, bien des choses
pouvaient se passer, et c'était précisément l'incer-
titude qui régnait sur ces choses-là qui laissait
peser sur les esprits une attente que rien n'était
venu alléger. Sans doute, le pauvre chroniqueur,
qui s'informe de son mieux, mais qui ne sait jamais
tout, pouvait et devait supposer qu'il se passait,
quelque chose dans les salons dorés de la Confé-
rence, et il avait le loisir de se persuader que de
grandes pensées et de vastes espoirs se discutaient
derrière les portes closes. C'est pourquoi il s'abste-
nait, de conseils oiseux et faciles. 11 ne pouvait pour-
tant pas ne passe dire que — tout arrive, — s'il ne se
passait rien du tout autour des grandes tables du
salon de l'Horloge, et qu'on n'y eût pas de plan
arrêté au sujet des affaires russes, il était tout de
môme bien grave de laisser, eu présence du bolche-
visme, le sort du monde entre les mains du hasard.
Le grand danger du bolchevisme est précisément
que derrière ce mot, qui pourrait comme tous les
grands mots séduire les masses qui ne raisonnent
pas, il n'y a que le néant. Ce qu'on appelle la dic-
tature du prolétariat, c'est tout simplement la tyran-
nie féroce d'une minorité infime de rêveurs messia-
niques, ou de simples bandits, à l'égard de l'immense
majorité d'une nation qu'on englobe tout entière,
pour la commodité de l'opération, sous l'étiquette
de bourgeoisie, ce qui comprend tout le monde,
depuis les plus riches jusqu'aux plus pauvres. Re-
présenter, ainsi que le font quelques intéressés,
le bolchevisme russe comme la forme définitive
du socialisme n'est qu'un honteux sophisme et un
moyen de parvenir. Le bolchevisme n'a rien do
commun avec les doctrines sociales qui cherchent
la répartition égale des charges publiques, l'amé-
lioration constante, au profit de tous, des condi-
tions de la vie, l'élévation générale de la valeur
intellectuelle, la participation de tous au gouverne-
ment de la société, et qui ont avant tout pour base
le respect de la personne humaine et le sentiment
de sa dignité. Il faut le dire, le bolchevisme, loin
de conduire au progrès démocratique, en éloigne :
un peuple épuisé par le désordre cherchera toujours
quelqu'un qui
I en tire à n'im-
|)orte quel prix.
L'opinion de
tous, à l'excep-
tion de quelques '\
complices, était [
donc, nous le ré-
élons, qu'il était
ourdement im-
prudent de lais-
ser courir le
bolchevisme, et
encore jdus de
sembler le forti-
fier. On ne voyait
pcmitanl pas ce
qu'on faisait pour
le combattre.
Ceci nous con-
duit naturelle-
ment à parler des
choses d'Allemagne. C'est, en effet, à travers l'Alle-
magne que le bolchevisme russe cherchait sa voie,
sous les espèces du spartakisme.
Fin janvier, le gouvernement de fait dirigé par
Rbert, Scheidemann et Noske était maître de la si-
tuation, et il préparait l'ouverture de l'Assemblée
nationale de "Weimar, qui se réunit le 6 février.
Le choix, comme président provisoire, du député
David, et le discours provocateur qu'il prononça,
avaient été symplomatiques de l'état d'esprit alle-
mand. Tout ce qui s'est dit dans ces débuts de la
représentation nationale allemande sous le régime
delà révolution, a prouvé que rien ne ressemble k
un Allemand impérialiste comme un Allemand ré-
volutionnaire. Les protestations Indignées contre
les termes et l'exécution de l'armistice, le refus
obstiné de reconnaître formellement la responsabi-
lité de r.Mlemagne dans la guerre, les gémissements
sur le sort malheureux de l'Allemagne, les réclama-
lions relatives au sujet des prisonniers allemands,
les indignations véhémentes à propos des décisions
relatives aux colonies allemandes, le verbe haut du
ministre Brockdorfl-Rantzau et la menace de refuser
la prolongation de l'armistice si les clauses n'en
étaient pas modiQées, ce mélange de fanfaronnade
fc
Gustave Noske,
homme politique allemand.
LAROUSSE MENSUEL
et d'inconscience, tout montrait que l'esprit alle-
mand de 1914 n'avait pas changé en 1919. Fallait-il
s'en étonner, et n'étions-nous pas un peu les auteurs
de celle persistance de la superbe allemande?
N'avions-nous pas, par l'insuffisance de nos exi-
gences et la pusillanimité de nos revendications,
donné à penser aux Allemands qu'ils n'étaient vain-
cus que par des circonstances adverses plutôt que
par la justice de notre cause et notre écrasante
751
allemand, pour le jour oà la tempête sérail calmée.
N'est-il pas jusqu'à cette sorte d'impossibilité men-
tale où se sont trouvés les Allemands — les plus
attachés des hommes aux litres extérieurs et aux
traditions verbales, — de renoncer au nom d'« Empire
allemand », que le ministre Preuss avait maintenu
dans son projet de Constitution, qui ne prouve l'in-
capacité du peuple allemand à concevoir ses desti-
nées autrement que sous une forme prestigieuse t
I,e monastère de Saint^Georges, dans Vile de Prinkipo (île des Princes).
supériorité militaire? L'Allemagne avait cru pouvoir
se montrer intransigeante en paroles, et elle n'a>ait
pas vu un instant que ce grand étalage de forfante-
rie devait avoir un effet contraire à celui qu'elle
cherchait. Mise au pied du mur le 15 février par le
maréchal Foch, elle avait dû, en la personne
d'Erzberger, signer sans modification un renouvel-
lement plus dur de l'armistice. Au moment où
Hindenburg s'apprêtait à envahir la Pologne, elle
avait été obligée d'accepter une délimitation provi-
soire de sa frontière orientale, qui donnait aux Po-
lonais un commencement important de satisfaction ;
et les protestations que quelques voix, comme celle
(le Volberg, avaient essayé de faire entendre,
n'avaient pu qu'amener Erzberger et le gouverne-
ment à proclamer que les circonstances ne permet-
taient pas de différer d'une heure la signature exigée.
En effet, pendant que l'Assemblée discutait paisi-
blement à Weimar, à Brème, à Hambourg, à Dus-
seldorf, à Essen, dans tout le bassin de la Ruhr la
révolution spartakiste se réveillait et mettait de
nouveau le gouvernement en présence de la véri-
table situation. Ebert, devenu président de l'Etal
allemand. Scheidemann devenu président du con-
seil des ministres retrouvaient dans des fonctions
nouvelles les mêmes difficultés qu'en janvier. Il
faut, avec les rares renseignements sûrs que nous
eussions à cette époque, essayer de se faire une
idée à peu près exacte de la situation de l'Allema-
gne à la fin de février.
L'Allemagne essayait, dans un présent incertain
et troublant, de relier son passé d'hier à son avenir
de demain. Il est évident que son esprit militariste
et impérialiste n'était pas et ne pouvait pas être
aboli. Son armée à peine démobilisée, elle essayait
d'en reformer une autre avec des volontaires. C est
sur cette force armée, animée du même esprit et
maintenue par la même discipline qu'autrefois, que
le gouvernement socialiste s'appuyait à Berlin, à
Brème, à Hambourg, dans le bassin de la Hubr,
comme dans l'est, et, en vérité, un Ebert et un
Scheidemann n'avaient rien à changer à leurs idées
pour continuer en leur propre nom la politique mili-
taire qu'ils avaient approuvée lorsque Guillaume II
les entraînait à sa suite. Hindenburg, comme par le
passé, incarnait la patrie allemande, et ce ne pouvait
être qu'avec le consentement des gouvernants de
Berlin qu'il s'adressait directement au peuple alle-
mand pour lui rappeler qu'il était là. Quand Brock-
dorff-Rantzau jouait, au moment de l'armistice, la
comédie préparée de la démission; quand, dans un
grand discours à l'Assemblée nationale, il assurait
sa voix comme un Hertiing et tendait la main à la
Russie, il suivait la tradition impérialiste, et prépa-
rait une roule sûre et féconde au vaisseau de l'Etat
Au total, on ne doit pas se dissimuler que l'idée
pangcrmaniste, impérialiste et militariste vivait en
Allemagne malgré tout, en dépit de la faiblesse cer-
taine, du Pays rhénan occupé, de l'Alsace-Lorraine
perdue, de la Posnanic et de Dantzig menacés, du
Slesvig rendu en principe au Danemark. De là à
voir déjà l'Allemagne relevée, menaçante, prête à
reprendre les armes, il y avait certes loin; mais,
à côté des pertes subies, quel espoir ne naissait pas
du côté de l'Autriche! On perdait des provinces, mais
on allait, pensait-on, reconstituer l'unité de la race
germanique. L'Autriche, travaillée parles socialistes,
abandonnée h elle-même par l'Entente, souffrant
de la faim, s'apprêtait à voter sa réunion à l'Etat
allemand. Quelles perspectives, en apparence, ne
s'ouvraient pas de ce coté? N'allait-on pas donner
la main à la Hongrie, rouvrir la roule vers l'Orient,
et, quand on aurait remis d'aplomb la Russie, ne
serait-on pas de
nouveau la puis-
sance irrésistible
de l'Europe cen-
trale? Ces rêves,
dont une partie
semblait être dé-
jà une réalité im-
médiate, ne pou-
vaient manquer
de se dresser et
ils se dressaient
devant le verre
grossissant de
l'imagination
allemande. Nous
les avions laissé
nailre; et nous
pouvons bien re-
dire ici, après
beaucoup d'au-
tres, que l'En-
tente, qui n'avait pas de politique russe, semblait
bipn,en février, n'avoir ni pulitiqiieallemandenipoli-
tique autrichienne. Elleris(|uaitdese trouver en face
d'une Allemagne oui, vainiue, gagnerait la guerre.
Il ne fallait, d'ailleurs, rienexagérer. Dans ce beau
rêve, bien des nuaiu-es restaient indécises. En ce
qui concernait l'Autriche elle-même, comment se
ferait la fusion de l'esprit allemand et de l'esprit
autrichien? Quoi qu'en pense la pédanterie alle-
mande, la communauté de langue n'est pas un gage
certain d'union et d'entente. Tout diffère, nous
l'avons déjà répété, entre la tradition autrichienne
et la tradition prussienne. Qu'apporteraill' Autriche,
outre sa défaite, sa désorganisation, sa famine, ses
divisions internes et ses dettes ?
Comte de Brockdorff-R«nUAU,
ministre aileinaad.
752
Autre côté de la question. A l'heure même où
l'Autriche songeait à compléter l'Allemagne, l'unité
de l'empire allemand n'était-elle pas menacée? Un
homme en Allemagne avait élevé la voix pour rap-
peler l'Allemagne à la pudeur, pour lui dire en face
ses responsabililés et ses fautes : c'était Kiirt Eisner,
rêveur, idéaliste, mais courageux, orateur puissant,
aimé des foules. En Bavière, en dépit des élections
qui lui semblaient contraire, il restait le maître et
c'est lui qui formait le lien entre les partis les plus
avancés, les comités d'ouvriers et de soldats et les
divers groupes socialistes ou libéraux. Le 21 février,
Kurt Eisner était assassiné dans la rue, à Munich,
par un officier. Au même moment le ministre Auer
était blessé très grièvement d'un coup de revol-
ver. Des émeutes éclataient à Munich. Le mouve-
ment révolutionnaire renaissait. Les spartakistes,
avec le D"' Lewyn, essayaient de prendre la direction
des affaires. Le trouble le plus grave se manifestait
à Munich, et il était impossible, au dernier jour de
février, de deviner de quel côté le vent tournerait.
Mais il restait cerlain que, dans l'ensemble, les évé-
nements de Bavière allaient contre la politique uni-
taire et prussienne d'Ebert et de Scheidemann, et
que l'Empire, si républicain qu'il piit se dire, voyait
de nouveau sa continuité ébranlée par la secousse
du séparatisme. Que dire aussi des manifestations
opposées qui agitaient l'opinion dans le Pays rhénan,
et mettaient en présence les partisans de l'aulonomie
morcelée de l'Allemagne et ceux de l'unité h la
mode des Hohenzollernî En même temps, il sem-
blait certain que les spartakistes de Berlin et de
Prusse orientale, puissamment soutenus par les bol-
chevistes russes, préparaient une nouvelle poussée,
et que les jours de janvier auraient une suile. La
propagande russe comprenait fort bien l'importance
qu'il y avait pour elle à s'étaler sur l'Allemagne du
Nord, terrain plus propice et plus proche que l'Al-
lemagne du Sud et d'où elle pouvait déferler sur
l'Occident. Quelles chances avail-elle de réussir?
Nous n'aimons pas pronostiquer. Il faut dire pour-
tant quelle avait pour elle la fatigue du peuple
allemand, le chômage volonlaire d'ouvriers qui
semblaient n'avoir plus l'énergie de se remeltre au
travail, les promesses fallacieuses que Michel pouvait
accueillir; elle avait contre elle la docilité alle-
mande, l'habitude et le goût de la discipline, l'amour
de l'ordre, le respect de la force, qui sont le
fond de la nature allemande. Le gouvernement
avait fait arrêter l'agitateur Radek. On comptait sur
l'énergie du ministre Noske,surl'intérêtqu'avait tout
le socialisme allemand à garder le pouvoir qu'il
avait pris. L'avenir n'en l'eslait pas moins très incer-
tain. Nous devions y prêter attention. N'eûl-ce pas
été l'heure de favoriser les mouvements séparatistes,
et de rattacher k nous par un ravitaillement oppor-
tun l'Allema^'ne autrichienne? Nous ne pouvions
souhaiter d'avoir h côté de nous une Allemagne anar-
chique. Nous pouvions trouver notre profi td'une Alle-
magne divisée. Rien n'était plus réalisable. En tout
cas, il y avait là une belle chance à courir. — Si l'on
se résume, on constate que les difficultés dressées
devant l'Allemagne étaient nombreuses et graves.
Et nous ne comptons pas les difficultés de ravitaille-
ment qui étaient en voie de règlement, mais dont
la solution dépendait à la fois de la bonne volonté
des Alliés et du bon ordre du pays, ni les charges
financières que les réparations réclamées par nous
allaient faire peser sur elle. Nos ennemis, quoi qu'en
dit alors la presse quotidienne, étaient plus atteints
qu'on ne voulait nous le faire croire. C'était à nous
d'en savoir profiler, non pour les anéantir comme
ils l'eussent mérité, mais pour les traiter dans la
simple rigueur de notre justice, et pour les mettre
dans l'incapacité de nous nuire à l'avenir.
La question autrichienne, si importante au point
de vueallemand, confinaitàtouteslesautresqnestions
territoriales et politiques pendantes au moment où
nous écrivions ceci. Nous laissons de côté pour
aujourd'hui tout ce qui concerne la barrière à établir
entre l'Allemagne et la Russie, par la Pologne et
l'Ukraine jusqu'à la Roumanie, ainsi que la question
proprement dite des Balkans. Si, en ce qui concerne
la Pologne, un pas important avait été fait, d'une
Fart par la délimitation de la Posnanie, imposée à
Allemagne, d'autre part par l'envoi en Pologne
d'une mission interalliée, et par la reconnaissance du
gouvernement polonais par la France, dans l'en-
semble ces questions n'avaient pas avancé sensible-
ment vers une solution définitive.
Par contre, sans d'ailleurs faire un pas de plus, la
question yougoslave avait assez vivement occupé
l'opinion publique et la Conférence de la paix. Au
milieu de février, on n'avait pas appris sans étonne-
ment que le groupement yougo-slave, par la voie de
ses représentants Pachitcn, Vesnitch et Trumbitch,
demandait l'arbitrage du président Wilson entre lui
et l'Italie. On sut très vile que l'Italie, très cour-
toisement d'ailleurs, n'acceptait pas cet arbitrage, et
qu'elle n'attendait que de la Conférence le règle-
ment de la question yougoslave : les grandes puis-
sances l'approuvaient. L'attitude yougoslave, si inté-
ressante que soit la cause des peuples variés qui
composent ce groupe, n'était pas à l'abri de la cri-
Léon Bourfçeois, président de la délégation
française à la Ligue des nations.
LAROUSSE MENSUEL
tique. Il faut bien dire que les ambitions manifestées,
même si elles sont basées sur un raisonnement logi-
que, et, pour une part, sur l'ethnographie, avaient paru
à beaucoup excessives et inacceptables. Il ressortait
de cartes publiées récemment que les Yougo-Slaves
réclameraient presque toute la côte orientale de
l'Adriatique, y compris Trieste, Kiume et la Dal-
matie. De pareilles prétentions ne pouvaient que
gâter une excellente cause. Les incidents assez peu
clairs de Laybach ne contribuaient pas à l'amé-
liorer. Tout le monde est d'accord pour donner à
la Serbie héroïque toutes les réparations, toutes les
garanties d'avenir dont elle a besoin. Les droits
des Yougo-Slaves de l'ancienne monarchie autri-
chienne ne sont pas appuyés sur des titres aussi
certains ; et il est évident que si les principes du
président 'Wilson, acceptés par toutes les puis-
sances, leur donnent le droit d'aspirer à une auto-
nomie nationale complète et sûre de l'avenir, ils
n'ont pas au même degré collaboré au triomphe de
la justice et de leur propre droit.
Il importe, au surplus, de se souvenir qu'ils ont
devant eux l'Italie, et du rôle qu'a joué ce généreux
pays. Son intervention dans la lutte contre les em-
pires centraux a permis de resserrer l'étaudu blocus
où a été écrasée
l'Allemagne; elle
a libéré notre
front des contin-
gentsautrichiens,
et elle nous a
donné toute sé-
curité sur notre
frontière des
Alpes. Rappe-
lons-nous le sou-
pir de soulage-
ment que nous
avons poussé, et
l'élan de joie qui
nous a soulevés,
quandnousavons
apprisquel'ltalie
marchait; rappe-
lons-nous que
l'opération, en
dépit de tout ce
qu on avait pu promettre, comportait des risques
énormes; quesil Italieavailsoun'ertpar l'Autriche, et
devait saisir l'occasion de régler avec elle le capital
et les intérêts d'un compte douloureux, elle n'avait
pas en, en somme, à se plaindre de l'Allemagne, et
que peut-être elle eût pu, si elle l'eût voulu, obtenir
beaucoup. Elle eût pu rester neutre. En se plaçant
à nos côtés, elle montrait qu'elle voulait, elle aussi,
être du côté du Droit. Depuis cette date, l'Italie
a toujours fait largement son devoir, et c'est elle
qui a porté le coup suprême à l'empire austro-
hongrois. — Les services qu'elle a rendus à la
cause de l'Entente concordent, en outre, avec ses
droits historiques, avec l'ethnographie, avec l'in-
térêt bien entendu de l'Europe. Aux premiers
mois de la guerre, nous avons insisté vivement
sur les raisons qui devaient pousser l'Italie à entrer
dans notre coalition, et nous avons montré que
jamais pareille occasion ne se présenterait & elle
d'acquérir dans l'Adriatique la situation prépondé-
rante qui doit y être sienne. 11 n'y a pas utilité à
revenir sur cette démonstration qui s'impose. Il y a
place dans l'Adriatique pour plusieurs. Il serait
inadmissible que l'Italie, après les sacrifices consen-
tis, après les pertes subies, s'y trouvât contre-
balancée par d'autres qu'elle peut et qu'elle veut y
laisser vivre à ses côtés, mais par qui elle ne peut
accepter d'être dominée. Le beau et ferme dis-
cours du président Orlando à la chambre italienne
l'avait dit en termes qu'on ne pouvait qu'approuver
entièrement.
Il était certain que la Conférence de la paix
réglerait cette question au mieux des intérêts géné-
raux, qui concordent ici avec les intérêts particuliers
de l'Italie. Mais il importait à tous que la question
de l'Autriche, qui est liée à celle de l'Adriatique,
fût, elle aussi, résolue fermement, et, s'il le fallait,
d'autorité, au profit de l'Italie et des "Yougo-slaves,
et non au gré et sous la seule inspiration de l'Alle-
magne. Tout cela se tenait. Il ne peut y avoir d'an-
tagonisme entre les riverains de l'Adriatique, et 11 ne
faut pas qu'il en existe.
La Conférence de la paix avait vu se dérouler les
différents événements que nous venons de résumer.
Elle avait en outre entendu quelques autres pré-
tentions d'une mégalomanie assez imprévue, qui
avaient un instant troublé ou distrait le public.
Nous voulons dire le projet du roi du Hedjaz, repré-
senté par son fils l'émir Payçal, de s'annexer la Syrie,
et les visées des Arméniens sur toute l'Asie Mineure
jusqu'au golfe d'Adana et jusqu'à Alaxandrette. Les
droits de la France et ceux de la Grèce, non moins
que l'ethnographie, y avaient été un peu trop oubliés.
La Conférence avait accueilli tout cela au jour le jour,
comme des manifestations de jeunesses fougueuses;
sur cela et sur lereste, on avait attendu avec patience
qu'elle apportât les solutions espérées. Cependant,
«• 146. Avril 1919.
elle n'avait abouti sur aucun point, et l'on peut
dire que le seul résultat concret qu'on eût à enre-
gistrer de ses délibérations était le projet de Ligue
des nations que le président Wilson lui avait pré-
senté et qu'elle avait approuvé avant que l'éminent
homme d'Etat repartît pour l'Amérique.
Nous n'avons pas cru devoir analyser à ce mo-
ment ce projet, qui n'avait pas été discuté à fond et
qui n'était évidemment pas définitif. Nous devions
remarquer seulement que l'organisme prévu par le
président Wilson restait un organisme d'arbitrage
bien plus qu'un organisme de coercition active, et
que précisément ce qui paraissait lui manquer le
plus c'étaient les moyens de se faire respecter. En ce
(^ut nous concerne spécialement, il avait semblé dès
1 abord, comme l'avait bien vu Léon Bourgeois,
qu'il appelait des réserves formelles sur la question
des garanties que nous avions le droit d'exiger pour
notre frontière orientale, et contre les entreprises
ultérieures de l'Allemagne. La Ligue des nations
du président américain n'était pas non plus, et là on
ne pouvait que le suivre, le super-Etat qui impose-
rait à tous son autorité et dans lequel les nationali-
tés indépendantes finiraient par se fondre et dispa-
raître. Entre les deux conceptions, il y a place pour
une Société internationale qui soit une véritable
garantie de paix universelle, autant que cette hypo-
thèse est réalisable, et qui laisse à chacun sa liberté
entière et son autonomie. Nous notons, du moins,
que la Ligue du président Wilson était en fait le
maintien pour l'avenir, de la Conférence de la paix
avec son organisation présente. Ce n'était pas du
tout celle que demandait l'Assemblée de Weimar,
non sans une effronterie qui n'était pas pour nous
étonner.
Ce n'était pas non plus celle que réclamait la con-
férence socialiste de Berne. Cette conférence Tut-
elle tenue pour balancer la Conférence de la Paix,
et pour peser sur ses décisions? c'est possil)le.
Le résultat, en tout cas, fut fort au-dessous de l'in-
tention. Ouverte le 3 février, sous la présidence du
Suédois Branting, on y vit des représentants de la
France, de l'Allemagne, de l'Autriche, et d'un très
grand nombre d'autres pays qualifiés ou non pour
y figurer, mais on n'y vit ni Gompers, délégué
des travaillistes des Etats-Unis, ni les socialistes
belges, qui ne crurent pas pouvoir, à l'heure où l'on
était, renouer avec la social-démocratie allemande.
L'événement leur avait donné raison. Placés en face
de la nécessité de prendre parti sur la question des
responsabilités de la guerre, qu'Albert Thomas posa
dans un courageux discours, vitupérés par Kurt
Eisner qui prononça ce jour-là et les jours suivants
des paroles vengeresses qui furent peut-être son
arrêt de mort, les délégués allemands, Wells en
tête, essayèrent de s'en tirer par des arguties,
et finalement firent présenter une résolution équi-
voque et hypocrite où ils ne répudiaient pas nette-
ment la conduite de l'Allemagne, et qui les montrait
toujours semblables à eux-mêmes dans leur duplicité
et leur fourberie. II en fut de même dans le débat
sur le bolchevisme, et le projet de Société des
nations qui fut voté n'était en somme qu'un plan
d'action destiné à permettre la rentrée en scène de
l'Allemagne. De même aussi dans la question des
firisonniers et dans celle d'Alsace -Lorraine sur
esqnejles Griimbach sut s'expliquer avec une éner-
gique franchise.
Il ne s'agissait d'ailleurs pas d'antre chose au
congrès de Berne, et c'est pour cette raison que, tout
en devinant les raisons profondes qu'invoquaient
les socialistes français qui ont cru devoir s'y rendre,
l'opinion française n'a pas entendu sans malaise,
et pour certains sans indignation, les discours
prononcés à Berne.- Il était permis de se deman-
der si cette réunion, par suite des abstentions
nombreuses et capitales qui se sunt produites, avait
bien atteint son but, et si l'apparente reconstitution
de l'Internationale, qui en était le prétexte avoué,
n'a pas plus fortement marqué les graves dissen-
timents et les incompatibilités d'opinion, de tem-
pérament et d'éducation qui existent et s'accen-
tuent entre les divers partis nationaux ou au sein
même de ces partis. — En même temps que la confé-
rence socialiste de Berne, se tenait aussi dans cette
ville une conférence des syndicats, qui avait conclu
à la nécessité de la création d'un Office interna-
tional du travail. — Nous ne croyons pas nous trom-
per si nous disons que c'est de ce côté que doit se
porter toute l'attention des pouvoirs publics comme
celle des simples citoyens, soucieux de l'avenir et de
la prospérité de leur pays.
Le projet du président Wilson avait, aux Etats-
Unis, comme sur le continent européen, et plus
qu'en France, donné lieu à de très vives discussions
dans la presse et dans le Congrès. Certains avaient
paru craindre que les Etals-Unis, en entrant dans la
Ligue des nations, ne vissent diminuer leur propre
indépendance et ne se trouvassent engagés dans
les affaires européennes contrairement à la doctrine
de Monroe. Le but du voyage du président avait été
en partie de s'expliquer sur ces points. Son absence
devait être courte. On l'attendait de nouveau au
début de mars.
If 146. Avril Idid.
.ÂftOUSSE MENSUEL
753
Conférence générale des Conseils des Ouvriers et Soldats, tenue à Berlin. — Sur l'estrade du Conseil fédéral on voit, de gauche k droite ; les représentants du iieuilt' s
Ebert, Barth; derrière l'estrade, de gauche à droite : Stœssinger, Wurm, D' Uerzfeldt, D' Oscar Cohn (qui se penche vers Ebert), Landsberg. Au fauteuil de la présidence
Devant la tribune, debout, le représentant Dittmauu. Au balcon de droite, dans te coin, assis : Ledebour.
heidemann, Haase,
Leinert-Hannover.
La Conférence, cependant, continuait ses travaux.
Ils avaient été troublés par un attentat criminel qui
avait eu en France et dans le monde entier un reten-
tissement considérable. Le 19 février, comme le
président Clemenceau quittait en automobile la rue
Franklin, où il demeure, un anarchiste, nommé
Cottin, tira sur lui plusieurs coups de revolver.
Une des balles atteignit le président dans le dos, et
se logea entre les deux poumons. L'admirable cons-
titution de notre Premier avait résisté à cette ter-
rible secousse. Le mois n'était pas achevé, qu'il
reprenait ses oecupalions, entouré de la sympathie,
du respect et de la reconnaissance de tous. La France
avait senti un peu plus combien elle tenait à lui.
Ainsi, le mois de février s'était écoulé sans que
fût intervenu l'acte final qui, définitivement, termi-
nerait la guerre. Avons-nous besoin de dire que,
de plus en plus, on l'attendait avec impatience, et
que la France, comme le monde entier, en avait un
absolu besoin? il fallait sortir de l'incertain, réjîler
enfin le sort de l'Allemagne, et nous fixer sur la sécu-
rité de notre avenir. Il était permis de penser, à cer-
tains symptômes, que, comme il est arrivé souvent
dans des réunions internationales de ce genre, les
travaux de la Conférence allaient se précipiter, et que
les satisfactions étaient proches. Nous les espérions
complètes, et sans restriction. — Jules Oerbault.
Hertling(Georg, comte de), écrivain ethomme
politique allemand, né à Darmstadt le 31 août 1843,
mort à Rukpolding le 4 janvier 1919. Etudiant à
Munich, Munster et Berlin, Georg Hertling devint
prival-docent à l'Universiléde Bonn, puis occupa la
chaire de philosophie à l'Université de Munich. Ce
fut d'abord comme professeur et écrivain, qu'il se fit
connaître : Matière et forme dans la définition de
l'dme chez Arislote; Albert le Grand; Augustin.
Le Déclin de la civilisation de l'antiquité, el de
nombreux ouvrages sur l'histoire de la philosophie
médiévale lui assurèrent dans les milieux univer-
sitaires allemands une grande notoriété.
En 1875, il entre au Reichslag comme député de
Coblentz, el, catholique convaincu, sii'ge au centre,
devenant bientôt un des porte-paroles les plus in-
fluents du parti. Il intervient chaque fois qu'une ques-
tion sociale est mise en discussion. A ce moment,
Bismarck était engagé dans la lutte contre l'Eglise
romaine : le Kullurkampf. Le centre catholique était
alors, sous ladirection de Windhorst, un parti d'op-
posilion. Mais, peu à peu, le Kullurkampf s'apaisa
Bismarck, résolu à barrer la route au socialisme, vou-
lut réaliser le bloc de tous les partis de conservation.
La persécution terminée, le centre évolua jusqu'à
devenir un parti de gouvernement. Hertling fut de
ceux qui contribuèrent le plus activement à réaliser
celte évolution.
Très en faveur à
Rome et écouté
delà curie romai-
ne, en relations
personn elles
avec Léon XIII,
il fut employé par
Bismarck pour
l'œuvre de rap-
prochement avec
Rome. Il obtint
ainsi du Vatican
plusieursconces-
sions importantes
pour le gouver-
nemcnlde Berlin.
La plus impor-
tante fut la créa-
tion de la faculté
de théologie ca-
tholique à l'Université de Strasbourg, l'une des
formes que prit la germanisation religieuse de
l'Alsace-Lorraine.
Ces négociations menées k bonne lin et l'aulorilé
déplus en plus grande que lui confère son enseigne-
ment repris de 1890 à 1896 le désignent, lorsqu'à
partir de 1896 il siège de nouveau au Reichstag,
comme le leader du centre catholique. Il s'y montre
le défenseur des droits et prérogatives de la Bavière,
et apparaît comme le partisan résolu du parlemen-
tarisme. Rappelé à Munich, il devient président du
conseil el minisire des affaires étrangères du
royaume de Bavière (1911), et en même temps pré-
siticnl de la commission des affaires étrangères du
Bundesralh. A celte place encore, il se montre
d'al)ord l'adversaire de la Prusse. Mais peu à peu
il évolue, se laisse gagner au\ avances du gouver-
nement de Berlin, et abandonne bientôt sa ligne de
Comte de Hertling.
conduite particulariste pour une politique nettement
allemande et impérialiste. Bismarck et sa politique
réaliste, tel est pour lui l'idéal.
Et le but à atteindre, c'est la grandeur de la
Prusse. C'est pourquoi Hertling, comme l'écrivait
un journal allemand, « loin de désirer, en bon catho-
lique, un ordre juridique international établi sur les
droits naturels de tous les peuples, supérieur à ceux
de chaque Elat en particulier », applaudit à la guerre
et soutint pendant cette guerre « une politique con-
traire à la pensée fondamentale du catholicisme ».
Serviteur de la Prusse, il employa son influence
auprès de Benoit XV pour l'amener à une ligne de
conduite favorable aux empires centraux; son in-
fluence sur le centre, pour annihiler les tendances
pacifiques de ce parti. Lors de la chute du chance-
lier Micbaëlis, apparaissant à l'empereur comme
l'homme de confiance bien fait pour couvrir de son
autorité la politique impérialiste, il fui choisi comme
chancelier (3 novembre 1917). Pendant son mi-
nistère, il poursuivit non une politique nouvelle,
mais la politique de LudendorfT et de la camarilla
militaire, politique que son secrétaire d'Etat aux
affaires étrangères Kûhlmann fit triompher aux
traités de Brest-Liti^-wsk et de Bucarest. Les discours
qu'il prononça pendant cette période furent belli-
queux. Quand la fortune tourna, cependant, après
l'arrêt des grandes offensives allemandes de prin-
temps, Hertling avait assez de finesse pour juger la
partie compromise. Une nouvelle évolution le ramena
vers le parti pacifiste; la théorie de la paix de conci-
liation votée un an auparavant par le Reichstagdevint
son dogme. D'accorcl avec von Kûhlmann, il essaya
de préparercetle paix : Kûhimann avoua au Reichstag
l'impo-sslbllilé de la victoire militaire. Mais Hertling
n'eut pas le courage de le soutenir comme il l'avait
d'abord annoncé, et de se retirer avec lui quand la
fureur des pangermanistes exigea sa démission (juil-
let 1918). 11 se laissa imposer, en remplacement de
Kûhlmann, l'amiral vonHinlze.DepuisIors.il ne fut
plus que l'instrument de l'état-major impérial. Les dé-
faites de r.VIlemagne et la nécessité de constituer un
ministèrelihéral imposèrent sa démission (oct. 1918).
Hertling, placé à un poste au-dessus de ses capa-
cités el de son énergie, fut de ceux qui se laissèrent
diriger par les événements, non de ceux qui surent
les diriger. — Uon AhKttom.
754
Histoire de trois générations (ISIS-
1918), par Jacques Baiiiville Paris, 1918). — C'est
l'histoire de cent ans que Jacques Bainville a écrite,
de cette plume alerte qui est bien la sienne, el avec
une chaleur de vie qui donne à ces chapitres brefs
et ramassés un intérêt extrême. Il est vrai que ces
cent années sont proches de nous, que nous sommes
sortis de ces trois générations. 11 est difficile de ne
point s'en émouvoir. Il est difficile de ne pas prendre
parti. On sait que Jac(|ues Bainville prend parti. En
même temps qu'il raconte, il veut démontrer; et il
raconte bien. La démonstration est claire. Nous
essayerons de la dire comme il l'a conduite.
Sous l'inspiration de Louis XVIll et de Tal-
leyrand, La Besnardière écrivait, dans les Instruc-
tions destinées aux représentants <ie la France au
Congrès de Vienne :
En Italie, c'est l'Autriclio qu'il faut empêcher de do-
miner; en Alloniagne, c'est la Prusse. La constitution de
sa monarciiie lui fait de l'ambition une sorte de nécessité.
Tout prétexte lui est bon. Nul scrupule ne l'arrête. La
convenance est son droit... Les Alliés ont, dit-on, pris
l'engagement de la replacer dans le même état de puis-
sance où elle était avant sa chute, c'est-à-dire avec dix mil-
lions de sujets. Qu'on la laissât faire, bientôt elle en aurait
vingt, et l'Allemagne entière lui serait soumise. Il est
donc nécessaire de mettre un frein à son ambition, en res-
treignant d'abord, autant que possible, son état de pos-
session en Allemagne, et ensuite en restreignant son
influence par l'organisation fédérale.
A ce même moment, à Sainte-Hélène, Napoléon \"
traçait les grandes lignes de la politique de l'avenir.
11 annonçait, après la Sainte-Alliance des rois, la
Sainte-Alliance des peuples. Il montrait que des
maximes de 1789 naîtraient les Etats-Unis d'Eu-
LAROUSSE MENSUEL
Louia-Philippe.
rope, et à cet affranchissement universel le devoir
de la France était de travailler; ce devoir qu'il
s'était efforcé de remi>lir, qu'il aurait rempli si on
ne l'avait pas arrêté. Et d'un geste prophétique, il
désignait la tâche à accomplir: l'unité de l'Italie,
l'unité de l'Allemagne. Les prophéties de Sainte-
Hélène, Bérenger les popularisa par ses chansons.
Elles devinrent l'évangile démocratique. C'est d'elles
que sortit toute l'histoire du siècle.
Tandis que sous la Restauration les partis ne son-
geaient qu à s'entre déchirer, l'intérêt national dispa-
raissait. En Allemagne, des hommes comme Stein,
comme Hegel, sonnaient le rassemblement autour
de la Prusse; mais la France ne songeait qu'aux
aventures, et à l'agrandissement de ses ennemis.
Ceux qui firent la révolution de 1830, les doctri-
naires, la bourgeoisie, le peuple, poursuivaient des
buts divers; mais bourgeois et peuple se rencon-
traient sur un point : le goilt des aventures exté-
rieures. Le roi fut le modérateur. Toute l'histoire
de la monarchie de Juillet n'est pas autre chose
Napoléon III.
qu'une longue lutte de la royauté contre les entraî-
nements du parti de la guerre. Déclarer la guerre
aux tyrans, abolir les traités de 1815, c'était là le
double but du parti démocratique :
La Révolution — avait dit Cavaignac on 1831, — c'est
notre patrie remplissant cette mission d'affranchissement
qui lui a été remise par la providence des peuples.
Cependant, on accusait le roi de manquer du sens
de l'hoimeur national. La France devenait plus forte
et plus riclie; mais le gouvernement était mépri.^é,
fiarce qu'il ne voulait pas courir d'aventures péril-
enses. Pour avoir voulu, d'accord avec l'Autriche,
surveiller les agissements de la Prusse, l'impopu-
larité du souverain s'accrut. Il fut renversé. Tout
était désormais à la plus grande Allemagne.
Février 1848, c'est la crise religieuse de la démo-
cratie. Il semblait qu'apparut un avenir de bonheur
illimité. La démocratie reconnaissait solennellement
le principe des nationalités, l'adoptait. Les journées
de Juin furent la guerre sacrée des faubourgs. Le
rêve de justice sociale y resta. 11 n'en sortit qu'une
chose intacte : le rêve de justice internationale.
L'Allemagne et la France apparaissaient comme
devant mener une même politique; mais ce n'était
là qu'une apparence. Alors que l'Allemagne prépa-
rait Sado'wa et Sedan, la France était désintéressée.
Pour cette politique, Louis-Niipoléon fut élu
le 10 décembre par 5 millions et demi de voix. La
démocratie, dans le neveu du prophète de Sainte-
Hélène, reconnaissait ses aspirations.
Une occasion pourtant allai t se présenter, d'abattre
à jamais la Prusse. Les petites cours allemandes
s'étaient groupées autour de l'Autriche; et la Prusse
dut s'humilier à Olmiilz. L'Autriche voulait pour-
suivre son avantage. L'empereur de Russie Nico-
las \", par son intervention, sauva la Prusse.
C'était en 1850. Le gouvernement russe n'avait rien
vu et rien compris.
Et en France, Louis-Napoléon, certain d'être
soutenu par tout le pays, développait son pro-
gramme: abolir les traités de 1815 pur une alliance
franco-anglo-prussienne, c'est-à-dire agrandir la
Prusse. L'Assemblée aurait voulu s'opposer à la
politique d'aventures de l'Elysée; mais l'opinion
publique donnait raison à l'Elysée contre l'As-
semblée. Il faut voir là une des raisons de l'unani-
milé aveclaquelle la France accueillit les premières
années du Second empire. Napoléon 111 partageait
toutes les idées de sa génération; et les guerres de
Crimée et d'Italie étaient conformes au programme
de la démocratie.
Une seconde occasion s'était présentée pourtant
d'abattre le militarisme prussien. L'Autriche offrait
à la France une alliance perpétuelle. Notre ministre
des AlTaires étrangères, Drouyn de Lhuys, pressait
«• 146. iiiril JÔJÔ.
l'empereur d'accepter. Napoléon IH hésita quinze
jours, puis refusa. 11 n'avait pu se défaire de cette
idée, que l'alliance autrichienne était l'alliance
rèaclionnairo, celle qui avait porté malheur à Napo-
léon I«"', comme elle avait porté malheur à Louis XVl.
Et ayant réfléchi, il lit ouvrir les portes du Congrès
de Paris à la Prusse, malgré l'opposilion du gou-
vernement britannique. Il fit plus. Pour décider à
la guerre l'Autriche, qui ne donnait aucune raison
de conflit, il la provoqua. Mais il ne devait pas
retirer de la campagne d'Italie ce qu'il en espérait.
Les questions sont moins simples que les principes.
La guerre d'Italie laissa une œuvre inachevée, et
ne contenta personne. L'empereur en eut le senti-
ment si vif, qu'il demeura désorienté. Il n'osa plus
rien pousser à fond. Il ébaucha sans achever, et
par suite il se créait plus de rancunes que de gra-
titude. Le désir de détourner les esprits, de leur
procurer une gloire plus facile, le conduisit à orga-
niser l'expédition du IVlexique. Mais, au lieu de
nous donner de la gloire, l'expédition allait affaiblir
la France, nous rendre hostiles les Etats-Unis,
indisposer la Grande-Bretagne.
Ainsi, pour avoir voulu suivrela politique démo-
cratique, pour avoir voulu remplir le programme •
de Sainte-Hélène, la France se trouvait isolée dans
le monde; et elle allait se buter à un ennemi puis-
sant qu'elle avait elle-même créé. Mais auparavant,
elle allait encore travaillera accroître la puissance
de cet ennemi. Bismarck tenta Napoléon III. Il lui
laissa entrevoir, il lui promit même, que si l'unité
allemande s'achevait, la France aurait une compen-
sation sur le Rhin ou en Belgique, et deviendrait
l'arbitre du monde. L'empereur le crut, et ce fut
Sado-wa.
Ce fut Sado'wa; et pourtant le destin eût pu encore
être modifié. Le 6 juillet 1 s66, le (jonseil des minis-
tres décida une démonstration militaire sur le Rhin,
pour ne pas permettre à la Prusse de disposer de
l'Allemagne à son gré. Afin de demeurer conséquent
avec lui-même, l'empereur s'abstint de convoquer
le Corps législatif, qui devait voler les crédits.
L'occasion était excellente. Tous les Etals du Sud
se tournaient vers nous. Mais nous ne bougeâmes
pas, et non seulement la démonstration militaire sur
le Rhin n'eut ^)as lieu, mais l'empereur rejeta le
projet de congrès européen proposé par Gortchakof.
11 se souvenait des promesses que lui avait faites
Bismarck. Il y croyait. 11 s'imaginait que la Prusse
accorderait une prime à sa neutralité, et il fil ex-
pliquer qu'il y avait lieu de considérer les vicloires
de la Prusse comme un bienfait. Et, comme consé-
quence, alors que la situation n'avait jamais été
aussi grave, les rêves de désarmement et de frater-
nité universelle commencèrent à se répandre.
Cependant, l'Allemagne s'était convertie tout
entière à la politique de Bismarck, et pour atteindre
son unité elle entendait employer désormais les
méthodes bismarckiennes. Lorsque Napoléon III lui
avait demandé la prime promise à sa neutralité.
Adolphe Thiers.
Bismarck avait répondu en reniant sa parole, et en
excitant le patriotisme allemand par la révélation
des réclamalions françaises. Le sort en était jelé.
Rapide avait été le chemin parcouru par l'Empire,
et lointaines déjà étaient les belles années du début.
Les désillusions avaient amené un renversement
total de la politique impériale. L'Empire étaildevenu
libéral au dedans, el conservateur au dehors. Le nou-
veau parti républicain demandait la suppression de*
«• 146. Avril 1919.
armements, pour parvenir à la fraternité des nations
et à la suppression des guerres. Le gouvernement
n'afc'it pas. 11 laissa venir la guerre avec résignation.
On sait la suite, et le fol espoir qu'eurent certains,
après le 4-Seplembre, de voir l'Allemagne déposer
les armes devant la jeune démocratie.
Mais quand Tliiers, devant le fait accompli,
chercha à négocier, la démocratie révolution-
naire ne put encore se résigner à renoncer à sa
mystique. Elle demanda la guerre à outrance, et ce
fut la Commune.
Les erreurs, pourtant, n'étaient pas mortes. AVer-
sailles, le 18 janvier 1871, dans l'avènement de
l'empire d'Allemagne, l'Europe crul voir un achè-
vement. Ce n'élait qu'un commencement. Ni l'An-
gleterre ni la Russie ne virent la menace que repré-
sentait l'empire allemand, et le Times avait pu
écrire en décembre 1870:
M. do Bismarck, avec ses émincntos facultés, ne pour-
suit (|u'uQ seul but : le bien de l'Allemagne, le bien du
monde entier. Puisse le magnanime, le pacifique, le sage,
le sérieux peuple allemand faire son unité. Puisse la
Germanie devenir la reine du continent... C'est le plus
grand événement des temps présents, dont tout le monde
doit désirer l'accomplissement.
Si, aux élections de 1871, la France envoya à
l'Assemblée une grosse majorité de conservateurs,
c'est qu'elle voulait la paix. Elle se retournait tout
naturellement vers les partisans des régimes qui
s'étaient jadis opposés aux aventures. Si l'on rejetait
la République, c'est que l'on ne voulait plus de l'esprit
guerrier qu'elle avait toujours manifesté. Thiers et
Grévy le comprirent. Us comprirent qu'une répu-
blique ne serait possible que pacilique. Ils furent
d'accord pour condamner la « folie » de Gambetta.
Le seul moyen de détourner la Fraxe d'une monar-
chie, c'est d'élablii' une république conservatrice,
ennemie de la guerre. Par là, le régime républicain
n'effrayant plus se mainliendra. Mais c'est là aussi
que prend naissance la dangereuse illusion qui
existera jusqu'au 4 aoiit 19H ; c'est de là que sort
le dangereux raisonnement de Thiers :
La France, qui aurait le droit d'être mécontente do son
sort, voulant la paix, tous les autres Etats la voulant
comme elle, il n'y a aucune prévision possible qui puisse
faire craindre la' guerre.
Et du même coup, les deux grands partis poli-
tiques qui allaient partager la France pendant qua-
lante-quatre ans se formaient : ceux qui se résigne-
raient au fait accompli, ceux qui ne voudraient pas
abdiquer. Gambetta, comprenant qu'il s'agissait
avant tout d'organiser un parti pratique, un parti
de gouvernement, s'était rallié à Thiers.
La leçon avait profité. Les républicains ne se-
raient plus le parti de la guerre. Ils retourneraient
Léon Gambetta.
ce reproche contre leurs adversaires. Ainsi ils asso-
cièrent l'idée de péril extérieur à la lutte contre le
cléricalisme. Gambetta s'imaginait que quand la
République serait solide, on pourrait revenir à
une politique nationale. Mais 1 ayant voulu faire,
il fut renversé.
Cependant, Bismarck ne songeait qu'à une chose :
prévenir toute coalition dont la France serait l'âme.
Pour nous détourner des Vosges, il nous montra
les colonies.
Dès lors, la politique française est occupée par les
manifestations des deux grands partis en présence.
C'est le renversement de Jules Ferry, le boulan-
gisme. A ces incidents est due l'alliance russe. II
Qétait plus douteux en effet que le sentiment na-
LAROUSSE MENSUEL
tional ne pouvait être rompu. Il fallait tenir compte
de ce sentiment national par une politique exté-
rieure de grande envergure, une politique intérieure
(le discipline. On crut que l'alliance russe garan-
tissait tout. On se jeta dans la politique mondiale,
et ce fut Fachoda. Ce fut la nécessité d'opter entre
l'.MIemagne et l'Angleterre.
Bientôt la politique intérieure et la politique exté-
rieure ne se pénétrèrent plus, en France. Au dedans
la république radicale-socialiste était née; au dehors
le Quai d'Orsay poursuivait sa politique. Le sacrifice
d'aucune matière organique. Parla s'accuse le râle
immense que peut jouer la forêt dans l'utilisation
du sol par l'homme. Tessier disait, il y a quelques
années :
Les racines des arbres, en s'insionaot dans les fentes,
les élargissent et favorisent la désagrégation' mécanique
de la roche. Toutes les réactions chimiques de l'air et de
l'ean du sol sur les principes minéraux sont pins actives
en forêt, par suite de la présence de grandes quantités
d'acide carbonique. La forêt tend donc & augmenter l'épais-
seur de la couche végétale par le desstu en l'enchérissant
d'apports organiques, et jjar le dessous en favorisant la
Chemin forestier rechargé à laide de fag'its.
de Delcassé à l'Allemagne en 1905 réveilla l'opinion
publique. Les deux grands partis se retrouvèrent
en présence. Mais, alors que l'élection Poincaré
en 1913 exprimait politiquement la renaissance du
sentiment national, les élections de 1914 montraient
l'insouciance, l'aveuglement de la foule. Il aura
fallu la voix du canon, pour fondre les deux partis
dans l'union sacrée. — Jacques bohpard.
Iiumus n. m. Formation de l'humus dans les
forêts. — ENCYGi.Econ.forest. L'étude des sols fores-
tiers, et, en particulier, de tous les phénomènes qui
déterminent la constitution de l'humus, ont été étu-
diés naguère dans le plus grand détail parle profes-
seur E. Henry, de l'Ecole foiestière de Nancy. C'est,
en effet, dans les bois que l'on peut le plus directe-
ment observer la marcne de l'humification, et c'est
aussi pour la vie des masses forestières que cette
étude présente le plus vif intérêt
En sylviculture, en effet, tous les débris végétaux,
aussi bien les feuilles que les fruits, brindilles, etc.,
sont, en général, abandonnés à la surface du sol.
Presque sans valeur marchande, leur enlèvement et
leur utilisation sont, du moins eu France, assez ra-
res. Il faut signaler, cependant, pour mémoire, les
exceptions intéressantes auxquelles nous ont con-
duits les exigences et la durée de la guerre : utilisa-
tion des brindilles (en fagots) pour le rechargement
des chemins de forêts; camouflages divers, faits de
menus bi-anchases, récolte des feuilles vertes, pour
l'alimentation des chevaux; ramassage des feuilles
sèches, des aiguilles de pin, etc., pour remplacer la
paille dans le couchage des soldats. Ce sont là, ce-
pendant, des exceptions qu'inspirèrent uniquement
la pressante obligallon des restrictions, le désir de
contribuer à une sage économie; que rendit possi-
bles l'abondance de la main-d'œuvre (troupes au re-
pos); mais qui, la plupart du temps, ne donnèrent
pas les résultats qu'on avait espéré en obtenir.
La masse des détritus forestiers est cependant
très considérable : il faut compter, en effet, chaque
année, environ de trois à quatre mille kilogrammes
de matières organiques de toute sorte s'accumulant
ainsi à la surface de chaque hectare de forêt. C'est
celte ti couvertuie morte » qui se décompose peu à
peu et s'incorpore progressivement à la terre végé-
tale proprement dite, sans que l'homme ait jamais à
intervenir. Les véritables agents de la transforma-
tion sur place de ces matières sont les animaux
fouisseurs, insectes et surtout vers de terre, qui
ameublissent sans cesse le sous-sol, et mélangent
l'élément minéral organique, de telle sorte qu'il
existe entre les deux une transition véritablement
insensible. Et il paraît démontré que ce terreau fo-
restier possède le précieux piivilège de fixer l'azole
de l'air, assurant ainsi la fertilité en quelque sorte
permanente du sol forestier, qui n'exige l'apport
désagrégation et la décomposition de la base minéralo-
gique. Le boisement est le seul procédé que l'homme ait
à sa disposition pour améliorer, sans aucun frais, les sols
de mauvaise qualité.
Le mécanisme de l'humification est à présent bien
connu, les travaux de J.-J.-Th. Schlœsing et de
Miintz, de'Winogradsky, etc., ont largement contri-
bué à ce résultat. La décomposition des débris
végétaux est un phénomène essentiellement biolo-
gique, et divers ferments en sont les agents. Elle
cesse sous l'action du chloroforme. A mesure
qu'elle se poursuit, les feuilles perdent de leur
poids, et semblent en quelque sorte se détruire
spontanément : elles ont perdu la moitié de leur
masse en une année environ. La destruction parait
complète au bout de quaire ans : c'est que leur
transformation en terreau est à ce moment ache-
vée : terreau doux, si la couverture morte s'est
décomposée en présence de l'oxygène; terreau
acide dans le cas contraire, que réalisent bien la
tourbe et, à un moindre degré, la terre de bruyère.
Les propriétés chimiques des sols forestiers ré-
sultent précisément de celte combinaison de leurs
propres éléments minéraux avec ceux de la « couver-
ture morte » qui se décompose à leur surface. Delà,
l'aptitude particulière de certaines espèces à végéter
convenablement sur certains sols, tandis qu'elles
paraissent en quelque sorte exclues de régions en-
tières, d'une constitution minëralogique différente.
Beaucoup de ces « convenances» sont bien connues
des sylviculteurs; c'est ainsi que le pin maritime,
le chêne-liège et le châtaignier ne s'accommodent
pas des sols calcaires, sinon dans les cas où la pro-
portion de carbonate de chaux assimilable est très
faible :
D'autre part, la décalcification des conches supérieures
du sol par l'action dissolvante des eaux chargées d'acide
carbonique est un phénomène incessant, et si énergique
que ces couches supérieures Uniraient par manquer de
chaux si les racines des arbres ne la puisaient sans cesse
dans les profondeurs du sol pour l'accumuler dans les
feuilles et la restituer par l'intermédiaire de la coover-
ture morte.
Enfin, il n'y a pas, sauf dans les cas de sols sa-
blonneux purs, à s'inquiéter de donner aux sols fo-
restiers de la potasse et de l'acide phosphorique :
l'apport en est fait par le revêlement des feuilles
tombées, lorsque leur couche entre en décomposi-
tion : ,
La production ligneuse de la forêt enlève, chaque année,
au sol, de 2S A 50 Kilogrammes de matières minérales par
hectare. La forêt, grâce à l'action do l'acide carbonique,
répare facilement ces pertes, et même au delà; de telle
sorte, qu'elle s'enrichit automatiquement en matières miné-
rales, comme d'ailleurs en humus et en matières azotées.
De toute façon, par conséquent, il convient de
laisser en place la couverture morte. Celle-ci, tout
en suffisant parfaitement à maintenir la fertilité du
756
sol forestier, ne saurait constituer qu'un engrais
agricole trop pauvre pour justifier une exploitation
continue : les frais de ramassage et plus encore de
Iransport en accroîtraient au delà de toute mesure
le prix de revient. Abandonnée à elle-même, au con-
traire, elle devient pour le sol un véritable manteau,
à l'abri duquel les animaux fouisseurs assurent sa
constante porosité, ainsi i|ue le mélange de l'humus
à la terre minérale. Enfin et surtout sa faculté d'im-
bibilion, qui augmente avec l'ameiiblissement, en
fait une véritable éponge, retenant les eatix de ruis-
sellement : c'est grâce à elle que la forêt, dans les
pays de montagne, devient l'ennemie du torrent et
l'agent le plus efficace contre les ravinements exces-
sifs du sol agricole des bas versants.
Il y a donc lieu, et c'est la conclusion pratique à
laquelle nous voulions arriver, de renoncer absolu-
ment à la pratique du ratissage, que quelques-uns
ont préconisée; car nulle part la couverture morte
ne saurait être plus utile qu'à l'endroit même où
elle est tombée. — Jean di csion.
Kitcliener (lord Horatio Herbert), comte de
Khartoum et de Broome, de Veal et d'Aspall, field-
marshal ethommepolitique anglais, né le24 juin 1S50
àBally Longford(comtédeKerry),mort leSjuin 1916
(en mer). Fils du lieutenant-colonel Henry Horalio
Kitchener, qui, après avoirserviaux Indes, s'était fixé
en Irlande oii il avait acquis, dans le comté de Kerry,
de vastes domaines, Horatio Herbert passe son en-
fance en Irlande, qu'il quitte à l'âge de 13 ans, voyage
en France et en Suisse, puis se rend à Londres où il
étudie avec un précepteur jusqu'au moment où il
entre (1868) à l'Académie militaire de Woolwich.
Il y passe deux ans, et y révèle, disent ses bio-
graphes anglais, une véritable vocation militaire.
En 1870, l'occasion s'offre de quitter les études
théoriques pour la pratique. La guerre franco-alle-
mande a éclaté : pendant un séjour à Dinan auprès
de son père, le jeune apprenli-oflicier s'enthou-
siasme pour la cause française; il s'engage dans le
bataillon des gardes mobiles des Gôtes-du-Nord,
rejoint avec cette formation la deuxième armée de
la Loire, prend part à plusieurs importants enga-
gements, et, en compagnie de deux officiers français,
fait en ballon de périlleuses ascensions.
Tombé gravement malade, et évacué, il rentre à
Woolwich pour prendre son brevet de deuxième
lieutenant du génie (Royal Engineers). Puis, à
l'issue des années de perfectionnement technique
passées à Ghatham et à Aldershot, le jeune officier,
poussé par le désirde voir le monde, se fait attacher
au Service topographique de la Palestine, organisé
alors par son gouvernement.
Il dresse le plan de Jérusalem et la carte delà
Galilée, et, sous un climat malsain, parmi le désert
sablonneux agltéde violentes tempêtes, fait l'appren-
tissage des difficultés que, chef, il fera surmonter à
ses armées dans des pays plus lointains.
A son retour à Londres, Kitchener a dressé avec
la plus grande exactitude, dans le plus grand détail,
la carte de la Terre-Sainte ; et la réussite de cette
mission lui a valu déjà une réputation.
En 1878, Chypre vient d'être annexée. Le gouver-
nement lui confie pour la nouvelle possession le
travail dont il s'est si bien acquitté en Palestine.
La tâche est assez difficile dans ce pays couvert de
montagnes et de marais. Cependant, elle est menée
à bonne fi n et permettra, en 1 885, la publication d'une
excellente carte de l'île. Entre temps, sir Charles
Wilson, consul général en Asie Mineure, emmène
avec lui son jeune camarade H. H. Kitchener comme
vice-consul. Il réside à Erzeroum(1886), puisretourne
à Chypre achever ses travaux cartographiques.
En 1881 éclate en Egypte le mouvement xéno-
phobe d'Arabi-pacha : Kitchener prend part, en qua-
lité de major de cavalerie des troupes égyptiennes,
à la campagne organisée contre lui, et à la victoire
remportée à Tell-el-Kébir par sir GarnefWolseley.
Kitchener reste en Egypte avec l'armée d'occupa-
tion laissée alors dans le pays par l'Angleterre.
Justement, il est question de réorganiser l'armée
indigène : le commandement suprême en est confié au
général sir Evelyn Wood, avec le titre de « sirdar ».
Celui-ci cherche à s'entourer de talents et d'initia-
tives, appelle à lui de jeunes officiers ambitieux,
aventureux. Kitchener a fait ses preuves en Palestine,
et joint à ses qualités de technicien une connaissance
parfaite de la langue arabe : il sera l'un de ses
collaborateurs. 11 commande en second la cavalerie,
sous les ordres du lieutenant-colonel Taylor. Capi-
taine en 1883, il va redevenir topographe et explo-
rateur. Une mission s'est formée pour reconnaître
la péninsule du Sinaï et la région biblique de la mer
Morte. Parti de Suez, il refait avec ses compagnons
l'antique route des Israélites de l'Exode, explore
le Sinaï et la Palestine du Sud, et observe ces tribus
bédouines qu'il s'agira de détacher des agitateurs
jeunes-égyptiens, et de gagner à la cause anglaise.
Expédition dangereuse, la mission précédente ayant
péri dans un guel-apens. Son voyage heureusement
terminé, Kitchener rentre en Egypte (1884).
La situation est alors très grave : l'agitateur
musulman Mohammed Ahmed s'est fait proclamer
LAROUSSE MENSUEL
Mahdi, a appelé les fidèles à la gruerre sainte, réuni
autour de lui, par son prestige personnel, toutes les
populations musulmanes du Soudan. Prophète, il a
trouvé pour le seconder un homme d'action : Abdul-
lah, et organisé une grande armée. Il projette de
libérer complètement le Soudan du joug étranger.
Le général anglais Hicks-pacha, qui s'est avancé
contre les Mahdistesavec El-Obeid comme objectif,
a été, avant d'atteindre celte ville, surpris par les
Mahdistes, et a péri avec toute son armée. Le Sou-
dan tout entier a échappé à l'influence anglaise.
Gordou-pacha est enfermé dans Khartoum.
C'est contre les musulmans révoltés, que Kitchener
va faire ses premières campagnes. C'est au Soudan
qu'il va conquérir sa renommée d'habile capitaine
et de grand serviteur de l'Angleterre.
Attaché au Service des renseignements (Intelli-
gence Department) il est chargé d'aller observer sur
place les tribus arabes fixées entre le Nil et la
mer Rouge, pour se rendre compte des progrès et
de l'influence réelle du Mahdisme parmi elles.
Influence assez grande lors de l'arrivée de Kitchener,
mais que l'énergie, l'activité, l'ascendant personnel
du jeune officier sur les tribus bédouines (fruit de
sa bravoure et de sa connaissance de la langue et
des mœurs arabes) réduisent sensiblement. Le cheik
de Dongola est suspect d'incliner vers le Mahdi :
Kitchener, qui a si bien réussi auprès des tribus du
désert, est envoyé sur le Haut-Nil. « Les subsides
apportés, et tout autant les paroles persuasives de cet
étranger, cet Anglais aux yeux bleus costumé en
Arabe et parlant arabe, détournèrent le cheik de ses
desseins. Il voua fidélité au khédive, et resta un
serviteur loyal. »
Kitchener était à Dongola, lorsque le cabinet
Gladstone se décida à organiser une expédition pour
la délivrance de Gordon-pacha. Kitchener joue, dans
la préparation de cette expédition, un rôle assez
important, assurant pendant le long siège de Khar-
toum la liaison entre les forces anglaises d'Egypte
et Gordon-pacha à qui il trouva moyen de faire
parvenir quelques renseignements, et d'annoncer les
secours. <• C'est dans le major Kitchener, dans cet
homme énergique et vraiment supérieur que je place
tout mon espoir », écrit alors Gordon.
Mais, au moment où Kitchener arrive avec ses
troupes aux abords de la place, Khartoum a succombé
avec ses défenseurs.
Kitchener quitte alors l'Egypte, et rentre au pays
natal où il reçoit, par sa nomination au grade de
lieutenant-colonel, la récompense de ses services.
Au bout de quelques mois, il se rembarque et va
prendre le poste de gouverneur du littoral de la
mer Rouge et commandant de Souakim, qui lui est
alors confié (1886). Il doit, pendant les deux ans
qu'il l'occupe, mettre en défense le pays contre les
derviches. Un de leurs chefs, Osman-Digna, marchant
sur Souakim, Kitchener se porte rapidement à sa
rencontre, et le défait complètement à Handoub.
Blessé assez sérieusement pendant l'action, il est
évacué sur l'Angleterre (1888), fait aide de camp de
la reine 'Victoria et colonel. A la fin de la même
année il retourne en Egypte pour commander une
brigade de l'armée khédiviale au Soudan, avec le
titre d'adjudant général. Dès lors il n'est plus seu-
lement le bon officier qui exécute avec intelligence
les ordres de ses chefs, mais lui-même un chef dont
dépendra le sort des plus importantes campagnes;
les qualités du chef, il les possède déjà pleinement :
la bravoure, l'esprit de décision et d'initiative,
l'énergie et par-dessus tout ces qualités bien britan-
niques de ténacité inlassable et de maîtrise de soi.
Ayant compris, « ayant réalisé l'un des premiers que
la guerre est une affaire et doit être apprise comme
les afTaires », il la mène avec la méthode pratique des
affaires, c'est-à-dire en ménageant son temps et ses
forces, et surtout par la préparation la plus minu-
tieuse des opérations.
La première expédition du nouveau général est
heureuse : il s'agit de délivrer le territoire de la
mer Rouge de la menace que font peser sur lui les
bandes d'Osman-Digna. Celles-ci sont battues à
Gemaizeh (décembre 1888) par les troupes noires
vigoureusement entraînées par Kitchener. Quelques
mois plus tard (aoiît 18891, l'adjudant général défait
à Toski l'un des principaux chefs mahdistes, celui-là
même qui a détruit l'armée d'Hicks-pacha. et contri-
bué le plus efficacement à la chute de Khartoum.
Première revanche, et prélude de plus éclatantes.
Les années suivantes, années de recueillement,
sont consacrées à la direction de la police égyp-
tienne. En 1892, la retraite de sir Francis Grenfell
porte le colonel Kitchener au poste le plus élevé de
la hiérarchie militaire égyptienne. Le voilà sirdar.
Il va pouvoir préparer et exécuter cette reconquête
du Soudan pour laquelle, de l'avis du grand explo-
rateur Samuel Baker et de lord Cromer, il est
l'homme désigné.
Avant d'attaquer l'empire madhiste, que cette
fois il se propose de briser, il veut mettre de son
côté toutes les chances de succès. Deux années
sont consacrées à une complète mise au point de
l'armée égyptienne, et à la centralisation de tous
les renseignements politiques et militaires fournis
«• J46. Avril J9J8.
sur l'Etat des derviches par 1' « Intelligence Oe-
parlment ».
Edifié sur la force réelle — ou plutôt sur la réelle
faiblesse — du grand empire musulman, Kitchener
peut, lorsque le cabinet de Londres se décide enfin
à intervenir au Soudan, exécuter dans cette région
les étapes d'un plan longuement mûri.
Au début de 1896, il organise une expédition pour
la reprise de Dongola, qui, au sommet de la grande
boucle décrite par le Nil entre l'Egypte et le Soudan,
est un important point stratégique. Le sirdar se dé-
place rapidement et, le 8 juin, inflige aux derviches
la défaite de Firket; c'est la première grande ba-
taille dirigée par Kifchener. Les mois suivants, ses
troupes avancent le long du Nil, utilisant en partie
la voie fluviale, et battent les derviches à Haftir.
A la fin de septembre, les troupes britanniques occu-
pent Dongola. « Tonte la province du même nom
est rendue à une tranquille prospérité. » L'heureux
vainqueur est fait major général. 11 passe à Londres
Eour discuter avec le 'War Office des modalités de
1 prochaine campagne. Elle doit, d'après lui, être
décisive; le mot d'ordre est : « A Khartoum ».
Il faut, pour attaquer avec chances de succès
l'empire madhiste, organiser une base d'opéralions
proche de sa capitale, y accumuler troupes et
matériel. Kitchener fait choix d'Abou-Hamed, et
décide de pousser de 'Wadi-Halfa à Abou-Hamed
une ligne ferrée à travers le désert. Malgré l'oppo-
sition des techniciens, il en fait, en 1897, com-
mencer les travaux. La collaboration intime par-
faite de la pensée du général et de la technique
de l'ingénieur canadien Girouard assure la cons-
truction rapide de la ligne, qui, en novembre
1897, ayant franchi les 400 kilomètres de sable fin
et de rochers qui remplissent l'arc immense dessiné
par le Nil, en tracent de 'Wadi-Halfa à Abou-Hamed
la corde rectiligne. De là, il envoie des canonnières
sur le fleuve, pour reconnaître l'emplacement et
l'importance approximative des forces ennemies;
d'autres navires tiennent l'embouchure de l'Albara,
tandis que la cavalerie bat le désert de Bajouda ;
et il concentre ses troupes à Berber. En avril 1898,
Kitchener recueille le premier fruit — longuement
mûri — de son activité organisatrice: le 8 avril 1898,
vendredi saint, les troupes des derviches, comman-
dées par Osman-Digna, fortement retranchées à
Undabia, sur l'Atbara, subissent une défaite com-
plète. Leur armée de 20.000 hommes perd 5.000 tués
et 4.000 prisonniers.
Tandis qu'il rentre triomphalement à Berber, la
nouvelle de la victoire se répand en Angleterre où
elle soulève l'enthousiasme. La bataille de l'Atbara
a désorganisé les forces madhistes. Les mois sui-
vants vont permettre d'exploiter la victoire. A Abou-
Hamed est concentrée une armée de 30. 000 hommes
(dont 8.000 de troupes britanniques), 7.000 chevaux,
mulets, ânes et chameaux, 124 canons (dont 60 sur
les canonnières). Au mois d'août, l'armée marche
sur Omdurman, résidence du khalifa Abdullah, suc-
cesseur du Mahdi. C'est devant la ville que se livre,
le 2 septembre, entre les troupes anglaises et
40.000 derviches, la bataille qui, en quelques heures,
consomme la ruine de l'empire du Mahdi. 9.000 der-
viches sont mis hors de combat, et seule l'insuffi-
sance de cavalerie empêche la capture d'Abdul-
lah. Le lendemain, l'armée victorieuse traverse le
Nil, et occupe Khartoum. Dans la capitale souda-
nienne reconquise a lieu, le 4 septembre, une simple
et grandiose cérémonie : un service religieux
à la mémoire de Gordon-pacha. Sur la terre bou-
leversée, parmi des murs croulants où monte
la bannière rouge écartelée de bleu, les soldats se
rangent pour écouter les hymnes et les prières.
Au milieu d'eux Kitchener, grave et la tête décou-
verte, prononce un bref éloge du champion de
l'Europe civilisée, que la fortune a trahi. Ici,
Kitchener apparaît vraiment dans toute l'ampleur
de son rôle : vainqueur des barbares, soldat de la
Grande-Bretagne et de la civilisation. L'action civi-
lisatrice doit, en effet — c'est là une de ses idées
les plus chères, — compléter l'œuvre de la guerre.
Il Nous avons pour tâche, écrit-il, d'appeler à la
civilisation les peuples délivrés du fléau mahdiste,
et de faire du Soudan le foyer d'où rayonnera la
civilisation britannique dans le centre-africain. »
Et, de passage à Londres à la fin de l'année, il
obtient du gouvernement un crédit de 100.000 livres
sterling pour la fondation, à Khartoum, du Gordon
Collège où, sous la direction britannique, une élite
égyptienne et une élite soudanaise même se doivent
former. Le triomphe de Kitchener et de la Grande-
Bretagne n'a pu se consommer sans entraîner des
complications européennes.
Cinq jours après l'occupation de Khartoum, KiU
chener est informé que Fachoda (située sur le Nil
blanc, à 500 kilomètres environ en amont de Khar-
toum) est occupée par des Européens. C'est l'hé-
roïque colonne Marchand, qui, réalisant l'un des
plus prodigieux exploits qu'aient enregistrés les
annales de l'exploration, a traversé le continent noir
de part en part, et pris possession du Haut-Nil au
nom de la France. Le sirdar remonte le Nil avec
cinq vaisseaux munis de bonnes troupes, d'artillerie
N° 148. Avril 1919.
et de mitrailleuses; arrivé à Fachoda, il considère
avec surprise « l'armée miniature du commandant
Marchand ». Surprise admiralive : le grand maître
des choses africaines juge à sa valeur l'extraordinaire
performance accomplie par l'officier français. Les
hommes s'apprécient, mais les intérêts nationaux se
heurtent; et les deux chefs, qui se relrouveront côte
à côle dans la Grande guerre, s'affrontent presque
en ennemis. Rappelé par le gouvernement français,
Marchand se retire, et la bannière d'Egypte rem-
f place au-dessus du Nil équatorial le drapeau trico-
ore. Le traité franco-anglais de 1899 sanctionne;
Kitcbener a complété sa victoire en assurant à
l'Egypte anglaise la maîtrise de tout le Soudan
oriental formant bloc, désormais, avec VI. B. E. A.
La nation lui en a manifesté sa reconnaissance par
les présents et les honneurs qu'elle a coutume d'ac-
corder à ses grands serviteurs : 30.000 livres ster-
ling, félicitations du Parlement, titre de baron de
Kharloum ; Londres le nomme bourgeois de la Cité.
C'est à Alexandrie, où il réside momentanément,
que lui arrive sa nomination au poste de chef
d'élat-major de lord Roberts chargé de remplacer
au commandement général des forces sud-afri-
caines sir Redvers BuUer qui a subi de graves
échecs. Arrivé au Cap le 10 janvier 1900, il se
donne pour tâche, dit-il, non de réorganiser, mais
d'organiser l'armée. « Travaillant beaucoup, dor-
mant peu », s'imposant aux officiers et aux soldats
par son sang-froid, sa décision, une autorité inflexi-
ble, il donne immédiatement aux hostilités une
tournure nouvelle. A la fin de 1899, les Boërs ont
pris l'offensive; ils assiègent Ladysmith et Kim-
berley, menacent le Natal et la colonie du Cap elle-
même où ils appellent les colons à la révolte.
Attaquer les Boérs chez eux pour les forcer à
lever le siège des deux villes, tel est le plan conçu
par lord Roberts et son chef d'état-major. Il est
rapidement exécuté : le 13 février, Krench et Dou-
glas Haig battent le général Kronje, et délivrent
Kimberley. Le 1.5, Kitcbener lui-même inflige au
grand chef boërune nouvelle défaite : Paardeberg,
et le 28 il délivre Ladysmith.
Les mois qui suivent sontconsacrés par Kitcbener
à une double tâche : répression de la révolte qui a
éclaté dans le district de Prieska, au nord-ouest
de la colonie du Cap; réorganisation des voies
ferrées. Ainsi, la rébellion comprimée au Cap, au
moment même où les chefs boërs échouent dans
leur tentative d'invasion du Natal, et les transports
assurés, est permise la marche sur Bloemfontein
et Pretoria. La capitale de l'Orange est occupée le
19 mars, celle du Transvaal le 5 juin.
Cette date marque dans la guerre sud-africaine
le commencement d'une période nouvelle. Les
Boërs doivent renoncer aux vastes opérations stra-
tégiques : plus de grandes offensives ni de batailles
rangées, mais la guérilla. C'est cette guerre longue,
épuisante, mais où doivent finalement triompher la
ténacité, l'organisation, la méthode, que Kitcbener,
appelé le 29 novembre au commandement suprême,
secondé par des lieutenants qui s'appellent French,
Douglas Haig, Jan Hamillon, va soutenir pendant
dix-huit mois.
Les Boërs continuent i faire, à travers les lignes
anglaises, des raids audacieux. Kitcbener rappelle à
lui les garnisons avancées et assure, entre tous les
points fortifiés du front anglais, une solide liaison.
En même temps, décidé <■ à faire de l'aire des opé-
rations un désert », il crée les camps de concen-
tration, où, « pour empêcher, dit-il, les commandos
boërs d'enrôler de force les civils », il réunit tout
ce qu'il peut ramasser (jusqu'à 116.000 hommes,
femmes et enfants en 1902) de la population civile
des deux républiques. Mesure cruelle et pénible
{unpleasant and répugnant), de l'aveu même du
sirdar, et dont les historiens anglais ont blâmé
l'inhumanité, contesté même l'efficacité. De fait,
l'aimée 1901 se passe sans amener de résultat
décisif. De 'VVet, il est vrai, est battu (10 février),
mais Botha, poursuivi par French pendant deux
mois, est insaisissable ; toujours les chefs boërs con-
tinuent leurs raids, et menacent les voies ferrées.
Kitcbener, à qui n'échappe pas le danger d'une
pareille tactique, protège les chemins de fer par
une ligne ininterrompue de blockhaus, et se main-
tient sur la défensive. S'ils ne subissent pas alors
de sérieuses défaites, les chefs boërs sont battus à
plusieurs reprises dans des engagements locaux, et
leurs armées fondent, tandis que les effectifs de
Kitcbener montent jusqu'à 194.000 hommes.
Cette période, passive en apparence, est cepen-
dant fructueuse : en 1902 Kitcbener, instruit de
l'affaiblissement de ses adversaires, renonce au
système des blockhaus et prend l'offensive. Il faut
poursuivre, harasser, épuiser l'ennemi. En fé-
vrier 1902, la première « poussée » est exécutée
avec un succès éclatant : De 'Wet, repoussé vers le
Nord, doit abandonner toute la ligne de Bloem-
fontein à'Vereeniging. En mars, les succès se pour-
suivent : « Le système de Kitcbener fonctionnant,
nous dit un historien anglais, avec la précision
d'une machine ». Le 23 mars, les Boërs, hors d'ha-
leine, engagent les négocfallons préliminaires du
LAROUSSE MENSUEL
traité de 'Vereeniging, prélude de l'entrée des deux
républiques dans l'Union Sud-Africaine.
Reçu triomphalement à Londres, Kitcbener repart
bientôt, comme commandant en chef des troupes
d'occupation de l'Inde. Sept ans se passent (1902-
1909), employés à de nombreuses réformes adminis-
tratives et à la réorganisation militaire de l'empire
indien. Une nouvelle répartition des forces place
les armées aux points stratégiques principaux:
nœuds de chemins de fer, frontières afghane et (bi-
betaine, passes de Bolan et de Kba'fber. L'arme-
ment est modernisé.
A l'expiration de son commandement, Kitcbener
est appelé à remplacer le duc deConnaught comme
commandant en chef et haut commissaire dans la
Méditerranée. « Peu important en apparence, ce
Le fleld-niarshal Kitchener.
poste est regardé comme le commandement virtuel
de toutes les forces coloniales. Il s'agit donc de pré-
parer la défense éventuelle de l'Empire. Inspectant
les deux grandes colonies du Pacifique, Australie
et Nouvelle-Zélande, il établit pour elles tout un
plan d'organisation militaire et navale. Ainsi se
prépare la glorieuse armée des « Anzac ».
Séjournant de 1911 à 1914 en Egypte comme
résident et consul général britannique, il revient à
Londres au moment où éclate la guerre contre
l'Allemagne, pour se voir appelé, le 5 août 1914, au
ministère de la guerre.
Salué par toute la nation britannique comme
" the right man in the right place », le nouveau
secrétaire d'Etat a pour lui une compétence uni-
verselle des questions militaires, et le prestige, l'au-
torité que lui confèrent ses éclatants services.
La tache qui lui incombe est, a dit justement,
le 6 août 1914, le speaker de la Chambre des Com-
munes, la plus ardue qu'un ministre de la guerre
ait jamais supportée.
D un pays à qui sa position géographique a per-
mis — à l'ère des immenses armées nationales — de
se contenter d'une armée de moins de 200.000 hom-
mes, il s'agit de faire une grande nation militaire
capable de lutter avec honneur contre ses ennemis,
d'apporter un secours efficace à ses alliés. Problème
redoutable : Kitchener l'aborde résolument. A ren-
contre d'une grande partie de l'opinion publique, il
est convaincu « et que la guerre doit être très
longue, et qu'il faudra lever un nombre d'hommes
considérable pour humilier l'ennemi ».
Après avoir organisé et équipé « la méprisable
petite armée » que commande Krench, son lieute-
nant dans la guerre des Boërs, il lance appels sur
appels pour les enrôlements volontaires: « Le roi et
la patrie ont besoin de vous. Il faut tOO.OOO hommes
tout de suite pour sauver le pays d'un grave péril.
Lord Kitchener en témoigne. » Répandue par tout
le Royaume-Uni, la proclamation suscite 1 enthou-
siasme. En août seulement, 100.000 volontaires se
lèvent à la voix du héros national, nui forment dès
ce moment une armée de seconde ligne. Avant la
(in de 1914, des millions d'hommes sont recensés,
et Kitchener a pu lever et organiser six armées, dont
les commandants sont pour la plupart ses anciens
lieutenants des guerres africaines. En mai 1915, il
demande 300.000 hommes encore. En mai 1916
înfin, il fait passer le bill instituant le service obli-
gatoire, « seul moyen, dit-il, de permettre à l'An-
gleterre de jouer le rôle qui lui incombe dans le
conflit où l'avenir du pays est en jeu ». L'auto-
rité, le prestige du fleld-marsbal ne sont pas de
757
trop, pour faire accepter un bill si contraire aux tra-
ditions britanniques, et qui heurte tant d'égolsmeg,
et lèse tant d'intérêts privés. Sans mésestimer les
efforts poursuivis après lui par lord Derby, Lloyd
George, lord Milner, on peut donc attribuer au
vainqueur des Mahdistes le principal rôle dans la
formation et la mise sur pied de guerre de la
grande armée britannique de la Somme, de Lens,
de Cambrai et de la Sambre, qui devra garder dans
l'histoire le nom donné à la petite armée de Char-
leroi, d'Ypres et de Neuve-Chapelle : << l'armée
Kitchener ». « Pendant les deux années où il a
exercé le poste de secrétaire d'Etat à la guerre, dit
un de ses biographes, Kitcbener, tel Allas, a soutenu
les fardeaux les plus gigantesques, et, comme
Napoléon, s'est multiplié lui-même par son acti-
vité : visites dans les hôpitaux et dans les camps
d'instruction d'Aldershot, Sborncliffe, Manchester;
voyages au front occidental, en Italie, en Grèce,
à Paris; réorganisation de la Défense contre
aéronefs londonienne, surveillance des étrangers
établis dans le Royaume-Uni, le sollicitent, en
dehors du travail si écrasant déjà du "War Office. »
Rien d'étonnant qu'engagé dans des entreprises
aussi multiples, et pendant une guerre qui, dans ses
premières années, causa à tous les hommes d'Etat de
l'Entente tant de déboires, Kitchener ait connu
des insuccès. L'Angleterre, comme la France à la
même époque, a subi en 1915 la crise des munitions.
On l'attribue en partie au ministre de la guerre, et
l'on détache de son département, pour le confier à
Lloyd George, le ministère des munitions. Sans
doute, d'ailleurs, l'insuffisance des munitions vint-
elle plutôt de la difficulté d'organiser le travail
industriel, que d'une imprévoyance ou d une incom-
préhension de la guerre moderne, qui eussent été
étonnantes de la part de Kitchener. Au passif égale-
ment du ministère, les expéditions malheureuses
des Dardanelles et de Mésopotamie : l'échec de la
première est dû surtout au manque de liaison
entre l'armée et la flotte ; quant à celle de Mésopo-
tamie, Kitchener, qui avait donné l'ordre au général
Townsbend d'avancer toujours, malgré la présence
de grandes forces ottomanes, a, reprenant un mot
de Philippe II, attribué l'échec de soi. général aux
éléments plus qu'aux Turcs. En tout cas, Kitchener
sut liquider avec habileté l'expédition des Darda-
nelles. La visite qu'il fit à la fin de 1915 aux posi-
tions anglaises de la presqu'île de Gallipoli aboutit
à l'évacuation de la baie de Suvia, opération mili-
taire supérieurement exécutée (20 décembre 1915-
3 janvier 1916).
La plus grande erreur qu'ait commise Kitcbener
est son opposition à l'expédition de Salonique. Ce-
pendant, au retour de son voyage en Orient, dans
une conférence qu'il eut à Paris avec le président
de la République, le général Joffre et Briand, il se
laissa, non sans quelque difficulté, convaincre par
les arguments du Premier français.
Chargé, au début de juin 1916, d'une mission
en Russie, Kitcbener s'embarqua dans un port
d'Ecosse pour gagner Arkhangel. Le 5 juin, le navire
Hampshire, qui le portait, fut torpillé sur la côle
des Orcades. « La mer fut un tombeau digne de ce
grand Anglais. »
Lord Kitchener fut, dans une carrière très longue
et d'une surprenante plénitude, l'incarnation de cet
impérialisme qui germa pendant la jeunesse du
sirdar, s'épanouit orgueilleusement aux heures glo-
rieuses de Khartoum et de Paardeberg, et, menacé
de mort par le pangermanisme, dut, en 1914, évoluer
vers une forme nouvelle. Disraeli, Salisbury, Cham-
berlain et Cecil Rhodes voulurent la plus grande
Angleterre : Kitchener la réalise, du Cap au Caire,
de la Nouvelle-Zélande aux marches afghanes. Il la
réalise contre les barbares mahdistes, contre les
chevaliers béro'iques de l'indépendance transvaa-
lienne, contre celte France même qu'il aime cepen-
dant et qu'il a servie. L'Angleterre le veutl... L im-
mense empire sur lequel ne se couche pas le soleil
éprouve le besoin de ceindre contre les ambitions de
l'Allemagne une cuirasse prolectrice. Kilchenerorga-
nise la défense des Dominions, prépare leur future
coopération militaire. La guerre éclate, elle Roj'aume
Uni, qui, « maître des vagues », a dédaigné l'Europe,
se jette tout entier et à fond dans la mêlée des peu-
ples continentaux : Kitchener voue ces dernières
années à forger la grande armée anglaise, instrument
des victoires qu'il ne verra pas — Won ab«s«oor.
Lampes électriques de poche à ma-
anéto. On connaît la disposition courante des
lampes électriques de poche, composées d'un boîtier
renfermant un générateur d'électricité amovible, pile
sèche ou accumulateur, qui envoie le courant dans
une petite ampoule à incandescence, munie d'un
réflecteur; une pression du doigt .sur un bouton
interrupteur suffisant à faire jaillir le faisceau lumi-
neux, d'une petite lentille serlie dans le bottier. Les
générateurs d'électricité de ces appareils ont l'in-
convénient d'être relativement coûteux, et d'un fonc-
tionnement peu sûr : ils doivent être remplacés ou
rechargés fréquemment, et se trouvent parfois épui-
sés au moment mime où l'on a besoin d'éclairage.
758
Il a donc paru intéressant aux inventeurs de
rechercher des systèmes générateurs d'électricité
d'une durée pratiquement indéfinie et dont le fonc-
tionnement soit toujours assuré. Un ceitain nombre
de brevets ont été pris pour des lampes de poche
comportant la combinaison d'une petite magnéto
avec un mécanisme de commande qui permet, par
l'intermédiaire d'un multiplicateur ae vitesse, d'im-
primer à la magnélo une rotation assez rapide pour
produire le courant sulfisant h l'alimentation d'une
petite ampoule à incandescence.
La difficulté de la mise au point de ces appareils
réside dans l'obllgalion de réaliser des mécanismes
occupant un faible volume, et d'un poids relalive-
ment léger. Il faut, en outre, que leur prix de
revient soit abordable, ce qui est assez peu conci-
liable avec la nécessité d'établir des mécanismes de
Lampe électrique à magnéto. — 1, boîtier : 3, induit fixe de la magnéto ; 4, inducteur
tournant, à aimatit multipolaire, solidaire de l'arbre 5 ; 6 & 11, engrenages multiplicateurs
de vitesse : la roue 11 tourne folle sur l'arbre 12 portant le rocliet 13; I*, levier faisant
tourn'^r l'arbre 12 par la bielle 16 et le levier 18 : l'arbre 12 entraîne le rochet 13 qui,
poussant le cliquet 19. fait tourner la roue II; SO, ressort provoquant le relevage
automatique du levier H; 28, verrou maintenant le levier li contre la boite en position
de repos ; 31, ôvidement du boîtier où s'engai^e le pouce.
précision, excluant toute camelote. Les Allemands,
qui ont employé pendant la ffuerre des lampes por-
tatives actionnées par magnétos, ainsi qu'en témoi-
gnent les spécimens qu'ils ont abandonnés dans les
tranchées, n'ont pas fourni de modèles intéressants
à suivre, et nos inventeurs français paraissent avoir
trouvé beaucoup mieux.
Dans la lampe dont nous donnons ci-dessus une
représentation, avec légende explicative détaillée,
le générateur d'électricité est formé d'un induit fixe
et d'un inducteur tournant constitué par un aimant
multipolaire. La rotatiou est obtenue par l'intermé-
diaire d'engrenages mulliplicaleurs de vitesse, en
exerçant une pression de la main sur un levier arti-
culé. A chaque pression, le levier se trouve abaissé
contre la boite, et l'aimant est auimé d'une vitesse
suffisante pour tourner lui-même pendant une mi-
nute. Le liruit des engrenages, qui se trouverait
amplifié par la résonance de la boite, est amorti
grâce à des ouvertures dissimulées par les garni-
tures extérieures.
On pourrait adapter l'appareil pour servir en même
temps d'alliiinoir, en le munissant d'un commutateur
permettant d'envoyer le courant à travers un fil de
platine. On pourrait le transformer en lampe fixe, en
montant le mécanisme sur un support approprié. 11
Eourrait constituer une lampe de table, une lampe de
ureau,une lampe de mine, en assurant la mise en
mouvement du mécanisme h l'aiile d'un ressort qui
serait remonté périodiquement. — o. LAisELetc. Dubosc.
Ijamy(B/!e7!ne-Marie-Victor), homme politique
et écrivain français, né & Cize (.lura) le 2 juin 1845,
mort à Paris le 9 janvier 1919. Il fit ses éludes au
collège des dominicains de Sortze (Tarn). II vécut
là plusieurs années, sous la direction de Lacordaire,
et l'on peut, sans haraiesse, conjecturer que l'auteur
des Lettres à un jeune homme sur la vie chrétienne
ne fut pas sans influer sur la formation de ses idées
et de son esprit. Il lui dut sans aucun doute — du
LAROUSSE MENSUEL
moins en partie — la fermeté de ses convictions
religieuses; peut-être lui dut-il aussi ses opinions
républicaines, car il ne faut pas oublier que Lacor-
daire s'était, après 1848, rallié à la République, et
avait siégé à l'Assemblée conslituimte sur les bancs
les plus élevés de l'exlrême-gauche. Quoi qu'il en
soit, Lamy garda toujours à Lacordaire une admi-
ration profonde. Au sortir de Sorèze, Lamy vint
faire son droit à Paris; inscrit au barreau, il fut
secrétaire de la Conférence des avocats, et, en 1869,
passa son doctorat avec une thèse sur les Opérations
de bourse dans l'antiquité, au moyen âge et aux
temps modernes. Un moment, le roman sembla
l'attirer : en 1867, il avait publié deux traductions
du Juif de Vérone et de Mathitde de Canossa, ro-
mans d'un jésuite italien, le P. Bresciani. Mais la
politique l'intéressait davantage : ses relations avec
Emile OUivier, sa brochure sur le
Tiers-Parti (1867), indiquaient
l'orientation de ses idées.
La guerre de 1870 donna un autre
cours à son activité : il s'engagea
dans les mobiles du Jura, et il fit
vaillammentla campagne. En 1871,
il revint à la politique, et fut envoyé
à l'Assemblée nationale par le dé-
parlement du Jura. Son mandat lui
fut renouvelé en 1876 et en 1877.
Il siégea à gauche, combaltil pour
l'établissement de la République, et
s'opposa à la politique duSeize-Mai.
Des son entrée au Parlement, il
s'était signalé par un discours sur
la réforme des services publics. S'il
n'obtint pas la réduction du nombre
des fonctionnaires, que sa jeune
audace réclamait, il fut plus heu-
reux en ce qui concernait l'adminis-
tration de la marine, dont il pro-
-J posait de rénover les procédés. On
institua une commission d'enquête,
dont Lamy fut nommé rapporteur;
il déposa son rapport en 1878, et ce
travail — le Rapport Lamy — est
encore aujourd'hui compté comme
une œuvie du plus haut intérêt.
Protégé par Gambetta, lié d'amitié
avec les chefs du parti républicain,
estimé par ses collègues comme un
des maîtres de la tribune, Lamy
semblait promis & un brillant ave-
nir politique. Mais le projet de loi
Ferry sur renseignement supérieur,
déposé en 1879, souleva dans son
âme, à propos du fameux article 7,
un confiit entre ses opinions poli-
tiques etses convictions religieuses ;
il ne jugea point que celles-ci dus-
sent céder à celles-là par discipline
de parti ; il se sépara donc de la
majorité républicaine par un mé-
morable discours oii, après avoir
dénoncé le danger de ce projet qui
tendait i « substituer dans le pays
aux partis politiques des partis religieux », il le
combattait au nom même des principes républi-
cains. Un an plus tard, il renouvela sou opposition
à l'occasion dis « décrets » : il défendit la liberté
d'association, et, seul de la gauche, vota avec la mi-
norité. Cette attitude lui coûta son siège de député.
Depuis lors, Lamy se tint éloigné de la politique
active. Un moment, il sembla devoir y revenir.
Lorsqu'en 1892 Léon XIII engagea les catholiques
à se rallier à la République, Lamy apparut comme
le chef désigné du nouveau parti républicain-catho-
lique ; l'échec de cette politique de ralliement l'em-
pêcha de jouer le rôle auquel tout, sauf peut-être
sa modestie, l'appelait. Il ne cessa cependant de
s'occuper des affaires publiques, et d'exprimer ses
sentiments, soit dans des conférences, soit dans des
articles, publiés dans la « Revue des Deux Mondes »
et surtout dans le « Correspondant » qu'il dirigea
pendant six ans.
Républicain, Lamy est hostile à l'étatisme; il
dénonce les abus de la centralisation administrative,
où il voit une survivance de l'ancien pouvoir absolu,
et estime qu'il faut intenter à l'Etat un « procès en
bornage ». Catholique, il a toujours fidèlement servi
la politique papale, que le pape fût Léon XIII ou
Pie X. A propos du « ralliement », il avait judicieu-
sement interprété la pensée pontificale, en disant
que le pape avait voulu non pas « détaclier l'Eglise
de la Monarchie pour l'unir à la République », mais
« la libérer d'une solidarité funeste avec un régime,
afin qu'elle demeurât indépendante de tous ». Aussi
se plaçai l-il sur le terrain des libertés communes,
pour revendiquer en faveur de l'Eglise « le droit
stable » au lieu de « la faveur instable ». Il garda
cette altitude lors de la séparation des Eglises et de
l'Etat, et défondit avec une intransigeante logique
la thèse de Pie X.
Le politique, en Lamy, se doublait d'un sociologue.
11 se dépensa beaucoup — et de toutes façons — en
œuvres d'assistance, favorisa le développement des
Etienne Lamy.
«• 146. Avril W19.
maisons de travail, à l'imitation des settlements
anglais, s'intéressa aux familles nombreuses, témoins
les deux prix annuels de dix mille francs qu'il ins-
titua pour les familles catholiques qui ont le plus
girand nombre d'enfants, et dont il confia la répar-
tition à l'Académie française. C'est aussi en socio-
logue, qu'il écrivit la Femme de rfemam(1901). Il s'y
montre féministe déterminé, mais sans excès. S'il ne
va pas jusqu'à souhaiter que les femmes aient des
droits politiques, estimant inutile et dangereux
pour elles de « jouer à l'homme », il revendique du
moins pour elles une culture intellectuelle plus
forte, en rapport avec leur mission sociale.
Mais c'est surtout comme historien, que Lamy
s'est fait connaître. L'histoire était d'ailleurs pour
lui une forme de l'action : il jugeait que l'histoire
n'est complète que lorsqu'o elle montre aux hommes,
dans la clarté des faits, l'évidence des devoirs».
Aussi s'allacliait-il, surtout, à tirer de l'examen des
faits des enseignements et des maximes. A une
époque où l'histoire tendait à se constituer en
science, Lamy était resté fidèle à l'ancienne con-
ception littéraire. Sans méconnaître la légitimité de
la niéthoile critique, il s'est élevé plus d'une fois
contre l'abus de la documentation. Il estimait que
" trouver est bien, choisir est mieux ». Et il ajou-
tait judicieusement : « Les écrits des morts peuvent
être oiseux comme les paroles des vivants, et la
pensée de la plupart des hommes ne mérite, comme
eux, que le repos
d'une tombe si-
lencieuse ».Pour
lui, il abordait
l'étude du passé
moins en histo-
rien qu'en philo-
sophe Convaincu
que o rien d'im-
portant et de du-
rable ne modifie
l'existence des
sociétéssansêtre
justifié en rai-
son », il s'effor-
çait de dégager
de la suite des
faits t< celte loi
de morale et d'é-
quité qu'on ap-
pelle la force des
choses » et où il voyait lui, o la force de Dieu ». C'est
dans cet esprit qu'il a composé ses Etudes sur le
Second Empire (\ii9o). Après avoirrelatè les origines
du régime impérial qui s'était fondé sur la peur, sur
l'orgueil militaire et sur l'égoi'sme satisfait des classes
possédantes, Lamy expose, avec unepénélralion sin-
gulière et une grande vigueurde démonstration, par
quel inéluctable enchaînement de circonstances
Napoléon III, cet « ambitieux mystique, qui fermait
les yeux pour mieux voir dans ses idées », marcha
d'erreur en erreur, de faute en faute, jusqu'à la
catastrophe finale. Qu'une part de responsabilité
retombe sur le caractère irrésolu de l'empereur,
qui « ne savait que commencer », et dont toutes
(I les entreprises ont un commun aspect d'improvi-
sation inachevée », oui, sans doute; mais c'est sur-
tout dans l'excessive idéologie de Napoléon III, et
particulièrement dans sa politique des nationalités,
que Lamy voit le principe de toutes les faiblesses
du régime, et le germe de sa ruine :
Un peuple, en renonçant à l'égoïsme, ne détruit nue le
sien: et s il déploie son désintéressement et son zèle au
profit des nations jalouses et cupides, en accroissant leur
puissance il accroît la puissance de vices qu'elles tour-
neront contre lui-môme. La justice n'a donc pas de chance
de se maintenir dans le monde par le respect volontaire
de tous : les passions qu'elle ne supprime pas la menacent.
Pour garder ses propres conquêtes, il lui faut des défen-
seurs armés.
Ces réflexions de l'historien du Second empire
ne sont peut-être pas aujourd'hui encore sans quel-
que à-propos.
On retrouverait les mêmes préoccupations de
philosophe et de moraliste dans les autres éludes
de Lamy : les Luttes entre l'Eglise et l'Elat au
XIX" siècle, dont une partie seulement a été pu-
bliée; l'Histoire du Gouvernement de la Défense
nationale, également inachevée ; l'Armée et la
Démocratie ; la France du Levant (1908), où sont
examinées les causes du déclin de notre influence
dans ces pays, auxquels nous rattache une si longue
tradition historique.
Cependant, si à l'aise qu'il soit dans le domaine
des idées, quelque plaisir même qu'il prenne à s'y
mouvoir, Lamy ne s'y confine pas entièrement. Le
pittoresque n'est nullement absent de son œuvre.
Il sait à propos tracer de grandes scènes historiques,
brosser dos tableaux d'ensemble ou de détail. Déjà,
dans ses Eludes sur le Second Empire, on rencontre
maintes pages d'un vif intérêt dramatique, tel que
le dernier conseil tenu par l'emporenr à Sedan, ou
le départ furtif de l'impératrice quittant les Tuile-
ries au soir du 4-Seplembre. Ces qualités se mar-
quent davantage encore dans deux autres volumes
W 146. Avril 1919.
où. sous le litre de Témoins des jours passés (1907
et 1913), Lamy a rassemblé de petites études ou des
monograpliies. Il n'était pas moins habile à saisir et
à fixer le caractère d'une figure. Cet art du portrait,
épars dans son œuvre, mais particulièrement appa-
rent dans la copieuse introduction qu'il a donnée
aux Mémoires d'Aimée de Coigny (1902) et dans sa
Préface aux Souvenirs de la duchesse de Dino (1908),
est un des principaux mérites d'Etienne Lamy. Là
se fait naturellement l'alliance de ses doubles dons
de psychologue et de peintre. Sans doute il s'attache
plus à expliquer l'âme de ses personnages qu'à dé-
tailler leur extérieur, et les traits qu'il rapporte de
leur aspect physique servent surtout à préciser leur
caractère; mais ces traits sont toujours si heureuse-
ment choisis, qu'ils suffisent à évoquer toute une
physionomie.
C'est Napoléon 111, « au regard clos comme une
paupière, et qui n'était fait ni pour pénétrer les
pensées des autres, ni pour livrer les siennes »;
c'est Ernest Picard, « court, rond, avec une tête
d'ange bouffi sur un corps de Silène, et ne gardant
d'aigu que la langue »; c'est Garnier-Pagès, «qui
portait sur son visage la solennité des grands des-
seins et marchait comme accablé sous le poids de
sa pensée, mais, quand il s'en déchargeait, donnait
l'impression que le vide peut être lourd ». D'autres
figures, comme celles de Jules Simon, de Gambetta,
sont d'un dessin plus poussé; mais dans tous ces
portraits, il y a quelque chose de la manière d'un
Saint-Simon ou d un Retz.
D'une façon générale d'ailleurs, le style de Lamy
rappelle, parfois même avec quelque affectation,
celui de nos écrivains de l'âge classique. Sans se
départir le plus souvent du ton oratoire, tantôt il se
plaît aux balancements d'expressions et s'agence en
périodes, tantôt au contraire il se resserre en sen-
tences concises et bien frappées :
La liberté ne se prend pas, elle s'apprend.
Les petites raisons ne sont des raisons que pour les
petites âmes
Le grand art en politique n'est pas d'entendre ceux qui
parient, c'est d'entendre ceux qui se taisent.
Volontiers aussi l'idée s'agrémente de la parure
d'une comparaison ou d'une image :
Les erreurs sont comme les montagnes. Le voyageur
oui s'avance hors de leurs replis marche encore longtemps
dans leur ombre.
Pour la plupart des jeunes filles. le mariage est le dé-
part pour l'inconnu avec un inconnu.
On pourrait multiplier les exemples, car Lamy
excelle en ces condensations d'idées. Cela confère
à son style une allure un peu apprêtée, qui soUicile
du lecteur une tension constante; mais cet effort
même fait apprécier davantage la force du penseur
et la conscience de l'écrivain.
Etienne Lamy avait été élu à l'Académie fran-
çaise en 1905, en remplacement du sculpteur Eugène
Guillaume. A la mort de Thureau-Dangin, il avait
été nommé secrétaire perpétuel de cette Compa-
gnie. 11 était depuis 19t3 officier de la Légion
d'honneur. — J. daeouw.
ntUcadO n. m. Ornilh. 'V. calophase, p. 740.
TTavires coulés par les sous-ma-
rins (Relevage des). Le nombre de navires coulés
par les submersibles allemands et le tonnage cor-
respondant ont été énormes; d'après les statistiques
du bureau Veritas avant la guerre, le tonnage mon-
LAROUSSE MENSUEL
dial en 1914 atteignait le chiffre de 42.742.719 tonnes
avec 17.596 steamers et 20.791 voiliers jaugeant brut
5.497.737 tonnes, ce qui donne en chiffre rond
48.000.000 de tonneaux en ne comptant que les bâ-
timents de plus de 100 tonnes. Or, les Allemands
ont coulé, en 1917, en un seul mois, près de 2.000.000
de tonnes, 6.629.000 dans la même année, et au mois
de novembre 1918 les pertes
totales se montent à 15.000.000
de tonneaux, y compris celles des
risques de mer. Avant la guerre,
les statisticiens estimaient à
625 francs la valeur moyenne de
la tonne (cargaison comprise) ;
à l'heure actuelle, elle aurait
plus que triplé, et serait de
2.500 francs; il y aurait donc
37.500.000.000 de francs de na-
vires ensevelis sous les flots,
depuis le début des hostilités.
Tous ces bâtiments n'ont pas
coulé en eau profonde, et les
amirautés anglaise et française,
après avoir réquisitionné les
compagnies de sauvetage pri-
vées, ont donné un développe-
ment considérable à ce service ;
récemment, en Angleterre, on
a annoncé que la valeur des
navires sauves représentait déjà
plus d'an milliard de francs. A
mesure que les sauvetages s'ef-
fectuaient, les moyens se per-
fectionnaient. Il était admis,
par exemple, dans le Royaume-
Uni, qu'if était inutile de cher-
cher à soulever au moyen de
câbles en acier un navire de
filusde 1.600 tonnes, parce que
es câbles défonçaient les tôles
de coque en les déchirant; le
fait a été reconnu inexact, et on
a soulevé des bâtiments beau-
coup plus lourds.
Les deux inventions qui ont
rendu le plus de services sont
d'abord la découverte d'un pro-
cédé chimique permettant de
rendre inofi'ensives les émana-
tions provenant de cargaisons
en putréfaction ou en fermen-
tation, et ensuite celle d'une
pompe à moteur électrique que
l'on descend dans les compar-
timents à vider et qui fonctionne
pendant de longues heures sans
aucune interruption.
On emploie aujourd'hui cou-
ramment les lances à acétylène
pour perforer certaines membrures en acier, pour
permettre de pénétrer dans les bâtiments. Ces lances
se composent de deux tubes concentriques ; dans
l'intervalle des deux tubes un violent courant d'air
comprimé chasse l'eau de la partie à découper à
l'acétylène, et le tube intérieur sert au passage du
gaz lui-même.
De puissants réflecteurs électriques sont utilisés
pour éclairer les parois ou l'intérieur des coques
oii travaillent les scaphandriers ; au moyen d'élec-
759
tro-aimants très puissants, on parvient à soulever
et à ramener des poids très lourds à la surface.
Pour boucher les brèches, on se sert de placards en
bois dont les bords sont garnis d'une épaisse couchede
feutre et qui sont fixés contre les tôles par de longues
tiges à boulons venant de l'intérieur du navire.
Le ciment à prise rapide joue un très grand rôle
Cofferdun montant à la lurfaoe, cnnatruit »ur Iffi panneaux de dei cente du pont.
Pompe submersible, à moteur électrique. *
dans les sauvetages : on arrive avec ce procédé à
constituer de véritables murailles de grande super-
ficie. Enfin, l'air comprimé chassé dans les com-
partiments sert à les vider, et permet souvent de
faire à nouveau flotter le navire.
Nous verrons tout à l'heure l'application de ces
divers moyens d'action, mais leur efficacité ne peut
être obtenue qu'avec l'aide des scaphandriers, qui
font un métier très dur et très dangereux. Pour
I leurs descentes, on a aussi réalisé des progrès,
! et la question a été minutieusement étudiée par
les soins de l'amirauté anglaise : des tables spéciales
ont été dressées, donnant le nombre d'heures et de
minutes que doit mettre un plongeur pour atteindre
certaines profondeurs, et celui de sa remontée.
Ce dont il y a lieu de tenir grand compte, ce n'est
pas tant de l'augmentation d'acide carbonique dans
l'air respiré, à mesure que la pression augmente
(I k. 033 par 10 m.), que de l'absorption d'azote à haute
pression dans le sang; cette absorption doit s'effec-
tuer très lentement, et également la décompression.
11 est d'ailleurs de règle courante aujourd'hui,
lorsqu'un plongeur se sent indisposé quand, son
casque enlevé, il se trouve soumis à la pression
atmosphérique, qu'on lui revisse immédialement son
casque et qu'on le fasse redescendre, jusqu'à ce qu'il
se trouve soulagé. On le décomprime alors très len-
tement, pour que les gaz dissous dans le sang puissent
se dégager très progressivement.
A l'heure actuelle, on ne dépasse pas la profondeur
de 35 mètres, en général; on a atteint cependant
65 mètres, pendant un temps très court ; la pression
est alors de 64 kilogrammes par centimètre carré.
Le scaphandrier n'en souffre pas, parce que la
pression extérieure est équilibrée à l'intérieur par
celle de l'air que lui envoie la pompe, pression réglée
sur les indications d'un manomètre; en plus, le
nombre de coups de pompe est lui-même déterminé.
Voici quelques renseignements intéressants ex-
traits du Marine Ennineer and Saval Archilecl.
Les constituants de l'atmosphère sont donnés
j comme suit : azote 79,1 p. loo en volume, oxy-
gène 20,9 p. 100, oxyde de carbone 0,03; l'air se
détend, pour un degré Fahrenheit = 0',55, de 1/49.H,
I et son volume varie en sens inverse de la pression.
760
Normalement, la quantité d'air respiré par un
adulte est de 491 centimètres cubes par inhalation,
ce qui, pour 15 inhalations par minute, correspond
à 7', 3 par minute.
L'air expiré contient en moyenne 79,1 d'azote,
16,5 d'oxyg-ène, 4,4 d'acide carbonique.
L'espace mort occupé par les plus gros tubes d'ar-
rivée d'air est de 163'"°^870.
Un corps d'homme de taille moyenne a une super-
ficie de l°S393o, ce qui, à la pression atmosphérique,
représente une pression totale de l',427,:i85; par
une profondeur de 10™, 058, elle devient 2', 916598 ;
quand cette pression est répartie également sur la
surface du corps, aucun elTet sensible ne se fait sentir.
Le poids moyen de l'équipement d'un plongeur,
en dehors de son tuyautage, est d'environ 77'»,112;
donc, un homme qui pèse 76 kilogrammes et est
revêtu de son costume représente un poids de
153 kilogrammes. Quand il est nu, il déplace environ
0,075 de tonne d'eau salée; équipé complètement,
0',15, et avec le costume entièrement gunllé 0,31.
Les procédés de renflouement peuvent se ranger
en plusieurs catégories distinctes : pour les navires
en partie immergés, on se contente d'obturer les
ouvertures de la coque, et on rellolte le bâtiment;
s'il est trop enfoncé dans la vase, on la creuse autour
Une cloche sous-marlne descendue prét> -i^ . cyi±<c, ^i u uu .<:» ov^aiihandriers sortent avec un appareil
sur le dos, dans lequel l'air est régénéré en passant sur un mélangée à base de potasse caustique.
de lui avec des suceuses spéciales, pour supprimer
l'adhérence avec le fond.
Si la profondeur n'est pas considérable, on cons-
truit pour les bâtiments entièrement sous l'eau un
balardeau qui enveloppe la coque, et dépasse la sur-
face de la mer, et à l'intérieur duquel on pompe l'eau
de mer plus rapidement qu'elle ne s'y introduit.
On peut encore rapprocher de terre l'épave, à
l'aide de chaînes la ceinturant par en dessous et
amarrées sur plusieurs pontons, en utilisant la
marée : à basse mer ces chaînes sont raidies avec
des caliornes, et, quandla mer monte, le bâtiment
est soulevé du fond ; on le remorque alors avec ses
chalands jusqu'à ce qu'il .>ioit échoué de nouveau, et
en répétant cette opération l'on Unit par l'amener
dans une eau moins profonde, où l'on peut le ré-
parer plus aisément. Si la marée est trop faible, on
raidit les chaînes au moyen de vérins. Pour le sous-
marin F. 4, coulé par 90 mètres de fond aux îles
Hawa'i, on avait d'abord essayé de le soulever avec
des chalands de surface, et on avait réussi partielle-
ment; mais, dans un coup de vent, les chalands
sombrèrent ; on coula alors ces mêmes chalands à
toucher la coque, on les vida ensuite, et le sous-marin,
biendéchiré d'ailleurs, put être ramené à lasurface.
A la Havane, on a élevé tout autour du célèbre
croiseur américain Manie un énorme batardeau
étanche qu'on a asséché, ce qui a permis de réparer
la coque; une fois les réparations terminées, le ba-
tardeau a élé démoli, et le croiseur remis à flot. Il
avait élé question d'employer la même méthode
pour faire disparaître l'épave du cuirassé Liberté,
qu'oQ n'ose pas démolir à l'aide d'explosifs, dans
LAROUSSE MENSUKL
la crainte d'explosion des nombreux projectiles de
ses soutes.
Les navires chavirés sont redressés à l'aide d'aus-
sières en fils d'acier, de grande résistance ; quand
ils sont droits, on se sert d'une des méthodes déjà
décrites, en utilisant au besoin l'air comprimé pour
remplir leurs compartiments, et faciliter ainsi la
remontée.
Pour ceux qui, par suite de coups de vent et de
très grosse mer, sont parfois complètement à sec sur
des plages basses et sablonneuses, on leur ouvre
un passage à l'aide de puissantes suceuses aspirant
l'eau et le sable.
Pour les scaphandriers, le tuyautage en caout-
chouc, allant de la pompe à air au casque, est lourd
à porter dès que la profondeur atteint certaines li-
mites; avec du courant il se courbe, et tend à sou-
lever le plongeur; en plus, il risque de s'engager ou
de se couper quand ce dernier pénètre, et il le doit
faire constamment, dans l'intérieur des navires qui
sont souvent couchés et où la circulation est exces-
sivement compliquée et dangereuse.
Dans le but de remédier à ces inconvénients très
sérieux, une compagnie allemande de sauvetage
aurait construit, paraît-il, des cloches spéciales pou-
vant recevoir plusieurs scaphandriers; l'air y arrive
par un tuyau central
contenant un câble té-
léphonique ; ellescons-
tituent un véritable
atelier, où les ouvriers
sous-marins ont à por-
tée d'œuvre les acces-
soires et les outils
nécessaires à leur pé-
rilleux métier, sous
forme de perceuses à
air comprimé, de mar-
teaux, de racloirs, de
pinces, de leviers.
Ces cloches sont, en
plus, pourvues de puis-
sants réflecteurs élec-
triques, et de chalu-
meaux dé£oupeurs à
l'acétylène.
Au lieu du tuyautage
habituel, les scaphan-
driers portent sur le
dos un réservoir d'air
muni d'un dispositif de
purification; l'air ex-
piré par l'homme passe
surun mélangeàbasede
soude caustique ou de
po tasse, quiledépouille
chimiquement de son
acide carbonique et le
rend à nouveau pro-
pre à la respiration.
Les amirautés an-
glaise et française ont
obtenu de si beaux ré-
sultats avec leurs puis-
santes organisations
de sauvetage (com-
prenant pour l'Angle-
terre 150 plongeurs et
2.000 officiers et équi-
pages, qui ont sauvé
500 navires), que l'on
peut être certain qu'un grand nombre d'entreprises,
à capitaux très importants, se sont déjà formées
pour arracher à la mer les incalculables trésors
qu'elle renferme dans son sein, principalement sur
les côtes de France, d'Angleterre, et dans la mer
du Nord où les fonds le permettent dans beaucoup
de parties.
Si l'on tire une ligne de Fastnet-Rock aux îles
Scilly, et de là à l'extrémité la plus occidentale de
la côte de Fiance, on ne rencontre pas de fonds
supérieurs à 100 mètres; or, c'est aux environs
de cette ligne que se sont produits le plus grand
nombre de torpillages. D'autre part, la mer du Nord
est relativement peu profonde : elle n'a pas plus de
20 à 30 mètres dans sa partie méridionale, 50 mètres
au centre, et 100 mètres jusqu'au parallèle passant
au nord de l'Ecosse.
C'est d'ailleurs ce qui a permis à l'amirauté an-
glaise de mouiller entre l'Ecosse nord et la Nor-
vège un immense champ de mines qui a rendu la vie
très dure aux sous-marins ennemis. — A. Poidlouë.
Novell! (Ermete), acteur italien, né à Lucques
le 5 mai 1851, mort à Naples le 29 janvier 1919.
Son père, issu d'une famille noble des Rnmagnes,
s'était fait souffleur pour ne pas devenir prêtre :
il mourut peu après la naissance d'Ermete. Celui-ci
fut un enfant de la balle: à six ans, il jouait déjà
de petits rôles; à quinze ans, il ne savait pas lire
mais témoignait de cette mémoire prodigieuse
qui lui permit plus tard de savoir par cœur un
répertoire de soixante-dix pièces, et d'apprendre un
drame en le lisant deux ou trois fois.
«• 146. Avril 1919.
11 connut des années de misère; mais de bonne
heure, dans d'humbles rôles comiques, il plaisait
au public par sa verve juvénile, sa mimique expres-
sive, son talent d'improvisation, son art de se gri-
mer. Comique de genre dans les troupes Calloud-
Diligenti (1866-1871), Vilaliani-Cunibefli(1871-1873),
Pietriboni (1873-1877), il acquiert rapidement une
célébrité que consacre son entrée dansla troupe Bel-
lotti-Bon (1877-1883), où il est chargé des rôles à
caractère. Aprèsson passage dans la Troupe dramati-
que nationale de Paolo Ferrari (1883-1884), il de vieil l
lui-même chef de troupe. 11 se fait applaudir dans
des adaptations de vaudevilles français : Mademoi-
selle îsitouche
( Sanlarellina);
Trois femmes
pour un mari; le
Député de Bom-
bignac. Mais dé-
jà, avec cette opi- I
niâtreté qui était 1
un des traits de
son caractère et
qui se traduit
dans sa devise :
Clie dura vince
[Qui persévère
t'emporte], il tra-
vaillait énergi-
quement à sortir
de ces rôles co-
miques où l'opi-
nion du public et
la critique s'obs-
tinaient à le can-
tonner. Cependant, il emmenait sa troupe dans des
fréquentes tournées à l'étranger : en Espagne (1886-
1887, 1896), dans l'Amérique du Sud (1890,1894-
1895, 1897), en Portugal (1897). C est en juin 1898,
au théâtre de la Renaissance, qu il fut donné aux
Parisiens de faire connaissimce avec un talent dra-
matique dont la vivacité tout italienne fournit aux
amateurs de théâtre comme aux professionnels un
intéressant sujet de comparaison. Novelli joua des
pièces italiennes et des adaptations en italien de
pièces françaises et étrangères, adaptations dont il
ne faut pas oublier qu'il était lui-même l'auteur. Il
joua donc la Morte civile, de Paolo Giacomelti:
Prima Voila, d'Anlona-Traversi; D. Pielro Carusu,
de Roberto Bracco; l'AUeluja, de Marco Praga;
et d'autre part, le Père Lebonnard, de Jean Aicanl ;
Ermete Novelli.
NovoUi, dans li: rôle de Shylock du Marchand d,^ Vonisej.
Michel Perrin, de Mélesville et Duveyrier; les Re-
venants {Spetlri), d'Ibsen: le Drame nouveau, de
l'Espagnol Tamayo y Baus. En décembre 1898, on
l'entendit de nouveau à la Renaissance dans le Pain
d'autrui, de ïourguenev; Jalousie, de Théodore
Barrière; le Bourru bienfaisant, de GoIJoni;
Othello, Hainlet, le Marchand de Venise, de Shakes-
peare, où il fit admirer, dans le rôle de Shylock,
une de ses plus remarquables interprétations.
Après de nouvelles tournées à Budapest, en
Egypte (1899), à Berlin, Dresde, 'Vienne (19001, il
inaugura, le 1"' novembre 1900, à Rome, à la Casa
di Goldoni, le théâtre 'Valle, organisé sur le modèle
(le notre Comédie-Française; mais cette tentative ne
réussit pas. En mai-juin 1902, il fit une nouvelle
I
/V 14e. Avril 1919.
apparition i. Paris, celle fois au tbé&lre Sarah-Ber-
nliard, où il joua Goldoniet ses seize comédies nou-
velles, de Paolo Ferrai-i; la Mégère apprivoisée, de
Shalcespeare; LouisXl, de Casimir Delavigiie; Kean,
d'Alexandre Duinaspère, elc. Il devait revenir en-
core à Paris en 1911. Peu de temps après, il prit
sa retraite. Puis, il obéit à la tentation de remon-
ter sur la scène. Fatigué et vieilli, il n'était plus
que l'ombre de lui-même. Mais le public italien
lui conserva sa faveur jusque dan» ses dernières
années, où il donna de nombreuses représentations
au profit des blessés de la guerre.
Grand, large d'épaules, doué d'une voix plus
mâle qu'harmonieuse, avec de grands yeux bruns,
Ermele Novelli avait des traits d'une extrême mobi-
lité. Sa mimique était exlraordinairement souple, et
il savait tirer un grand parti des silences, pour don-
ner à son visage les expressions les plus diverses
Il y avait là quelque chose d'assez diflérent du goût
français, mais de tout à fait conforme k l'esthétique
dramatique italienne. Du reste, cet artiste au jeu
passionné était un grand travailleur. Avant d'abor-
der un de ces rôles shakespeariens qui l'attiraient, il
le méditait plusieurs années; et cependant il ne ces-
sait d'observer la réalité ambiante et d'emprunter au
spectacle de la vie quotidienne des gestes, des jeux
de physionomie dont il enrichissait ses interpréta-
tions. Car il avait le souci de la vérité. En opposition
avec ses plus illustres prédécesseurs, les Rossi, les
Salvini, il a fait, toutes proportions gardées, ce que
notre Molière (en tant qu'acteur) avait fait avec les
comédiens de l'hôtel de Bourgogne : il a réagi contre
une certaine pompe dans le jeu dramatique, en fa-
veur d'une manière naturelle, réaliste, inspirée de
la vie. Ajoutons que, d'après ces principes, il avait
formé une troupe excellente, et que sa femme, Olga
Giannini, y tenait bien son rang. — Jeim bonclère.
Pléthore végétale (la). Le mol pléthore,
employé en médecine, peut également être employé
en botanique pour exprimer, ihez les plantes, un
état de force, de vigueur végétative exagérée.
Une plante se contentant d'ordinaire d'un sol
maigre, transplantée en sol fertile où elle se déve-
loppe uniquement en feuilles et rameaux, peut être
dite plélhorique. De même un individu végétal,
vivant en sol frais d'ordinaire, peut se trouver, acci-
dentellement, le pied dans l'eau, et acquérir une
luxuriance exagérée de végétation qui indique un
ptat pléthorique.
Comment se traduit lapléthoredansla vie sexuelle
de l'individu? Telle est la question, encore grosse
d'inconnues, mais à laquelle dès maintenant on peut
répondre par certains faits précis, et des commen-
taires prudents.
La renouée amphibie ( Polygonum amphibium)
présente deux formes, l'une terrestre à port redressé,
à feuilles distri-
buées sur toute
la hauteur de la
tige, à pilosité
plus ou moins
accusée qui peut
mêmese traduire
fiar une glandu-
osité marquée.
Essentiellement
différente à l'œil
estlaforme aqua-
tique, à longs
rameaux submer-
gés, sans feuilles,
sauf la couronne
de feuilles na-
geantes. Cette
tige se termine
par un bel épi
rose très flori-
fère. La forme
aquatique peut
d'ailleurs donner
la forme terrestre
si elle est assé-
chée, et, inver-
sement, sur une
berge, des ra-
meaux peuvent
AcoDitnapel:A,coupedelafleur;B, fruit, prendre le facies
terrestre, d'au-
tres l'aspect nageant, les uns et les autres appar-
tenant au même individu. C'est le plus bel exemple
de dimorphisme staiionnel. Mais allons plus loin :
étudions au microscope les anthères de la forme
aquatique; elles sont pleines d'une pnlpe aqueuse
dont on n'aperçoit pas l'org.inisation. Nous n'avons
pu observer le pollen de la forme terrestre, mais
tout donne àpenser qu'il est normalement constitué.
Ainsi l'expansion donnée par le milieu aux organes
de végétation a nui à l'un des sexes; la pléthore a
nui à l'organe màlc, le pollen, qui s'est atrophié.
Croissant presque toujours le pied dans l'eau, la
menthe aquatique {Meniha aquatica) présente un
cas inalogne. Quand elle est vraiment aquatique,
inutile de chercher le pollen dans les anthère* d'appa-
LAROUSSE MENSUEL
rence normale; mais si un individu se trouve en sol
plus drainé, le pollen est parfaitement constitué.
L'aconit napel (Aconitum naj/ellus) nréfère les
prairies fraîches. Il n'est pas rare dans le Morvan.
Son pollen est normal; mais nous avons ol)servé le
pollen d'un individu prélevé dans la montagne mor-
vandelle et cultivé dans un jardin fertile à Autun
(Morvan) : il offrait seulement 12 p. lOC de pollen
bien constitué.
Même fait présenté par le framboisier {Rubus
Idseus); deux individus : l'un spontané, a tous ses
761
base ces stolons flottants ^ui atteignent 1 mètre et
plus de longueur? Pourquoi la lysimaque monnayère
(Lysimachia nummularia), qui rampe dans les sols
riches et frais, ne donne-t-elle presque jamais de
fruitsîPourquoi le roseau des élangs(/lruni/opArap-
miles), qui végète le pied dans l'eau à la queue des
étangs, ne donne-t-il jamais de graines mais de nom-
breux stolons basilaires gui émettent de jeunes tiges
aux nœuds? et pourquoi, coupant ces stolons tout
autour, réussit-on à obtenir des graines fertiles?
Cultivée pour sa précieuse sève, et le plus souvent
I. Polygone amphibie ou renouée amphibie, montrant deux tipet t<>rrestre8 et une tige na^ceante. — 3. Mentht> aquatique; — 3. Son
pollen très ^ossi. — 4. Pollen de l'aconit napet, très grossi. — 5. Pollen du framboisier, trt-s grossi. — 6. Lysimaqiie vulgaire, avec
ses longs stolons aquatiques. — 7. Lysimaq'ie nummulaire ou monnayère. — 8. Phrafîmite, roseau des étants, avec stolon souterrain. —
S. Pomme de terre. Quarantaine de la Halle, avec ses âeurs. — 10. Pomme de terre, Saucisse, avec fleurs avortées et caduques.
pollens normaux; l'autre, cultivé en bonne terre
à la même altitude, donne un fort pourcentage de
grains atrophiés.
Ces exemples qui précèdent et plusieurs autres
sont vraiment intéressants quant l la fécondité alté-
rée ou détruite de l'élément mâle lorsque l'individu
végète dans des conditions d'exubérance ou de plé-
thore. Exubérance ou pléthore coïncide presque
toujours avec un développement de stolons, de rejets
qui reproduisent le végétal par voie agame.
Il y aurait encore bien des observations à faire
dans la nature, ou des expériences & entreprendre,
pour accumuler davantage de résultats probants
dans cet ordre d'idées. Ainsi, pourquoi la lysimaque
vulgaire (Lysimachia vulfaris), l'épiaire des marais
[Stachys paluslrin) ont-elles leur pollen infertile en
partie ou en totalité lorsque leurs racines baignent
complètement dans l'eau et que leur ti^e donne i sa
dans des sols riches, la canne à sucre {Saccharum),
reproduite toujours d'œilletons, ne donne jamais de
graines, et l'on ne peut la régénérer que par les se-
mences des individus cultivés en terre sèche.
Chacun sait que la pomme de terre {Solarium tu-
berosum) est propagée de tubercules, c'est-à-dire
agamiqiiement; que dans certaines races elle donne
des fleurs dont Bien peu sont remplacées par des
baies, et que souvent ces fleurs mêmes avortent dès
l'origine.
S'il est exceptionnel de voir les baies de la pomme
de terre, on ne volt les fruits du lis blanc (Lilium
candidum), sous notre climat, que par des années
très chaudes et sèches; mais on sait qu'il fructifie
asseï normalement sous le climat de Naples. Pour-
tant, nulle part ailleurs que dans les cultures de
Paris on n obtient des bulbes aussi volumineux.
Tous ces cas, qu'il était bon de citer, offrent une
762
rertilité atténuée ou nulle, et il ne semble pas témé-
raire de penser que cette stérilité est due à la pléthore
ou exubérance végétative des individus. Si l'on met
ces plantes dans d'autres conditions, l'on obtiendra
des semences : les exemples abondent, mais le plus
curieux de tous est
certainement celui-
ci, qui émane d'un an-
cien botaniste renou-
velé par un contem-
Eorain : « Quand le lis
lanc, dit celui-ci, est
en bouton, l'arracher,
avec son bulbe, le sus-
pendre par une ficelle
dans un grenier : il
épanouira ses fleurs,
ildévelopperasescap-
sules, et donnera des
semences».
L'expérience vaut
d'être renouvelée;
mais, dès maintenant,
cerésultatsurprenanl
peut être interprété.
Sous notre climat, le
lisdéfleurit vite, laisse
sécher ses tiges, et
concentre sa force
dans le bulbe, qui
donne déjàdes feuilles
à la fin de l'automne.
Supprimer la vie du
bulbe, c'est la concen-
trer dans la lige et
dans les ovaires. Il
Framboisier.
y avait une rupture
d'équilibre au profit
de la vie végétative :
on atténue celle-ci, et le prolit en revient h la vie
sexuelle, au fruit et aux graines.
Comme l'ail cultivé {AUium sativum) ne donne
jamais de fleurs ou seulement des bulbilles au som-
met de la tige, on pourrait peut-être essayer d'un tel
traitement pour en observer les fleurs. On pourrait
tenter d'obtenir des graines de l'estragon de nos
potagers {Ai-temisia dracunculus), qui en porte en
Chine sa patrie, comme l'ail doil en porter dans sa
patrie voisine la Sibérie.
Evidemment, le but de toute plante est de se re-
produire de graines ou de spores. Si, par accident
naturel ou arliticiel (culture), certaines plantes que
nous venons de citer se trouvent dans les conditions
extraordinaires vues plus haut, elles deviennent plé-
thoriques, et leur
fertilité se trouve
plus ou moins ré-
duite : 1° elles ne
donnent pas de
fleurs et alors tout
le système sexuel
fait défaut, mâle
et femelle; 2° elles
fleurissent sans
fructifier, et l'un
des sexes au moins
est atrophié. Nous
avons vu que, dans
lecasde la renouée
amphibie, dans la
menthe aquatique,
dans l'aconit, dans
leframboisier.c'est
le pollen qui avorte
plus ou moins. Il
existe, d'ailleurs,
de nombreux exem-
plesoùl'ovaireper-
siste et même se
développe sans
qu'il y ait féconda-
tion : pommes,
poires, raisins sans
pépins, et bananes
sans graines. De
plus, quand il y a duplicature des fleurs, les pétales
se doublent souvent par dédoublement de chacun
d'eux, plus souvent par transformation desétamines
en pétales; mais la duplicature ne touche pas aux
carpelles, élément femelle.
En thèse générale.l'exubérance végétative nuit au
sexe de la plante. Elle rompt un équilibre qui existe
toujours dans l'individu adulte, et normal, et les deux
conditions de cet équilibre sont la fonction physiolo-
gique, qui assure la vie de l'individu, et la fonction
sexuelle, qui assure la naissance de nouveaux sujets.
Les deux systèmes doivent s'égaler dans la vie nor-
male : le système sexuel, ensemble des organes de
procréation (fleuret fruit); le système végétatif, en-
semble des organes de nutrition (racines, feuilles).
11 existe deux âges de la vie de la plante, où cet
équilibre n'est pas assuré : dans la jeunesse, quand
le système sexuel n'existe pas encore; dans la vieil-
lesse, quand les fonctions végétatives s'atténuent.
LAROUSSE MENSUEL
La pléthore est un retour à la jeunesse plus ou
moins complète ; la profusion dans les fleurs est or-
dinairement un signe de décrépitude.
Dès qu'un arbre sain est adulte il fleurit, et les deux
systèmes : végétatif et sexuel, s'équilibrent. Ils s'é-
quilibreront jusqu'à la vieillesse ou la maladie, si
les conditions de vie ne sont point troublées. Nous
avons vu que la pléthore favorise le système végé-
tatif; nous avons assisté à des expériencts qui limi-
ten t la pléthore, et favorisent le système sexuel. Voici
maintenant quelques exemples où la misère physio-
logique exaspère le système sexuel.
Un pommier greffé sur sauvageon, trop rajeuni
par la taille, ne fleurissait jamais, bien qu'adulte.
Un jardinier, plus intellis^ent, employa un autre pro-
cédé : il tailla très long ou à peine, se bornant à
maintenir la forme de l'arbre; il creusa autour du
pied une fosse circulaire qu'il laissa ouverte jus-
qu'en juin, et mu-
tila les racines maî-
tresses ainsi mises
à nu. Le pommier
fleurit abondam-
ment,et doiinaune
belle récolte de
fruits excellents.
On a vu un autre
pommier, en plein
vent, couvert de
fruits en juin et se
couvrir de fleurs
en août. Un oura-
gan avait passé, le
renversant sur le
sol et ne lui lais-
sant actives que
quelques fortes
racines. La misère
physiologique
avait amené cette
seconde floraison;
un accident mortel
avait exagéré le
système sexuel, en
portant gravement
atteinte au système
végétatif.
A Paris, certains
boulevards ou ave-
nues, plantés en
marronniers , pré-
sentent, en août-
septembre, un phé-
nomène bizarre,
car les arbres ont
perdu leurs feuilles
et fleurissentabon-
damment en don-
nant, comme en
avril, de nouvelles
frondaisons. Ces arbres, brûlés par la réverbéra-
tion de la chaleur par les maisons ; soufl'rant, en
outre, d'un manque d'eau, sentent leur appareil
végétatif compromis, et l'avantage que donne cette
rupture d'équilibre en revient à l'appareil sexuel qui
se révèle hors de saison.
Pour faire fleurir en plein air le lilas une
deuxième fois dans l'année, il suffit de lui arracher
ses feuilles en juin. La végétation d'août-septembre
donne des fleurs en nombre.
Un fait extrêmement intéressant est la mort des
individus de longue durée, dès qu'ils ont fleuri et
fructifié. Cela arrive régulièrement chez plusieurs
espèces de bambous (Bambusa) qui vivent de nom-
breuses années, donnant des stolons souterrains qui
fournissent de nouvelles tiges à leurs nœuds. Ils
fleurissent et meurent. Sont-ils donc épuisés par le
nombre des fleurs et la matière qu'ils ont fournie
pour l'accroissement et la maturation des fruits?
Non pas! L'explication du phénomène est celle-ci :
pendant longtemps les individus étaient en état de
jeunesse, se reproduisant par voie agame. Puis, ayant
épuisé le sol aux alentours, ils sont arrivés à la dé-
crépitude et à la floraison. Ce n'est donc point la
floraison qui fut cause de la mort des plus anciens
individus, maisleur sénilité qui amena leurfloraison
à la fin.
Jusqu'ici, nous n'avons considéré que des plantes
vivaces et même ligneuses. Comment se compor-
tent les plantes annuelles? Elles ne fructifient qu'une
fois, et l'année même de leur naissance. Parfois
même quelques semaines suffisent pour le cycle de
leur destinée. Elles passent toutes rapidement de
l'état jeune, par l'état adulte, à la caducité; elles
germent, végètent, fleurissent et fructifient à la
hâte. Comment la pléthore pourrait-elle faire sentir
ses effets, et retarder ou diminuer leur fécondité?
Comment cette pléthore pourail-elle ajouter ses in-
fluences pendant plusieurs années consécutives?
Aussi n'a-t-on jamais constaté que leur pollen, par
exemple, pût être mal conformé, même suivant un
pourcentage infime.
De l'exposé qu'on vient de lire, le résumé suivant
se dégage. Les plantes s'orientent vers deux pôles
«• 746. Mril 1919.
opposés, vers deux fonctions différentes : l" vie
végétative, qui assure l'existence de l'individu par
les organes de nutrition (racines, feuilles) ; 2» fonc-
tion sexuelle, qui préside à la naissance de nouveaux
êtres, de nouvelles générations par les organes mâles
et femelles (étamines et pistil, fruit et graines).Toute
reproduction sans fécondation, sans intervention
des sexes ne fait que prolonger l'individu; elle ne
donne pas naissance à de nouveaux êtres; c'est ce
qu'on appelle la reproduction agame. Voilà ce qui
est admis par tout le monde. Voici ce qui n'a été
compris gue confusément jusqu ici : à l'état normal
et adulte il y a toujours équilibre dans ces deux fonc-
tions. Dans la jeunesse, la vie végétative l'emporte
naturellement ; dans la vieillesse, la vie sexuelle prend
le dessus.
Des conditions extraordinaires peuvent rompre
cet équilibre. La pléthore nuit toujours au système
SituatioDB respectives du bassin ferrirère de Lorraine et du bassin houiller de la Sarre.
sexuel, et atteint plutôt le sexe mâle ; la misère phy-
siologique amène souvent la floraison plus profuse.
Les plantes annuelles sont, à ce point de vue, en
équilibre très stable. — GMNEPiiN.
SaiTe (i.E Bassin de la). Historique et des-
cription du bassin. Houillères et industries métal-
lurgiques. — Ind. Le bassin de la Sarre, dont il est
maintes fois question dans les travaux de la Con-
férence de la paix, présente pour les Français un
intérêt considérable; son retour à la mère patrie —
car ce territoire fut jadis français — doit, en outre,
nous assurer la possession d'un centre houiller et
métallurgique important.
La Sarre est un affluent de la Moselle, prenant ses
sources au pied du mont Donon, dans les Vosges,
s'écoulant d'abord en deux torrents qui se réunis-
sent; elle arrose un certain nombre de villes :
Sarrebourg-en-Lorraine, Penestrange, Sarreguemi-
nes, Sarrebrtick, Sarrelouis, Saarburg. Navigable
et canalisée aux environs de Sarrebriick, la Sarre
rejoint la Moselle à 7 l<iIomètres environ en amont
de Trêves, après un cours assez sinueux de 238 kilo-
mètres. C'est dans la vallée de cette rivière, aux
environs de Sarrebruck, que se trouve le gisement
houiller de la Sarre, communément désigné sous
le nom de " bassin de la Sarre ».
Cette région avait été acquise à la France, vers la
même époque que l'.Msace; dès 1697, date du traité
de Ryswick, la partie méridionale nous était réservée.
En 1790, la région de Sarrelouis y fut adjointe; puis,
en 1793, la partie nord, déjà importante par ses
mines et ses usines à fer, compléta l'annexion. Celte
situation dura jusqu'à 1814, époque où le traité de
Paris nous ramena aux possessions du traité de
Ryswick, nous laissant la zone riche en houille;
mais bientôt la revision de ce traité, en 1815, nous
déposséda complètement des mines alors connues.
Après plusieurs années de recherches, de nom-
breux sondages exécutés permirent de repérer,
en Lorraine, le prolongement du banc houiller:
en 1858, la Moselle retrouvait des gisements de
charbon; hélas! en 1871, les Allemands nous arra-
chaient ces précieux terrains.
«• 148. Avril 1919.
Le bassin houiller actuellement intéressant, en
ne comptant que les zones vraiment exploitables et
reconnues, s'élend sur une surface de 155.000 hec-
tares, en forme de rectangle long de 70 kilomètres
de Boulay à vingt kilomètres de Metz jusqu'à Saint-
Wendel à l'E., sur 36 kilomètres de largeur moyenne
de Sarrelouis à Sarrebriick dans la direction N.-S.
Cette surface minière est comparable à notre bas-
sin du Nord et du Pas-de-Calais, lequel couvre
144.000 hectares.
La houille s'y trouve sous un manteau de grès
rouge, d'abord en couclies de faible puissance cons-
tituées par une houille sèche à longue flamme, puis
au-dessous dans un conglomérat de grès et de
chistes argileu.x, en couches très nombreuses (30 en-
viron), d'une puissance totale variant de 37
à 42 mètres; le charbon est une houille soit
flambante, soit grasse, cette dernière étant
la plus abondante et la meilleure. En géné-
ral, ces charbons sont inférieurs à ceux de
nos mines françaises comme pouvoir calo-
rifique; très riches en matières volatiles, ils
conviennent mieux pour le chauffage des
chaudières et les usages domestiques.
La gazéification les transforme en un
coke médiocre, cendreux, friable, avec le
faible rendement de 50 p. 100. Malgré ce
mauvais résultat, de nombreuses cokeries
étaient installées pour les besoins des hauts
fourneaux de la région; elles transfor-
maient 17 p. 100 de la production.
Toutes les couches de houille sont à des
profondeurs très variables, selon le point
considéré du bassin, allant de quelques
centaines de mètres jusqu'à plus de deux
kilomètres. La richesse de ce dépôt doit
être considérable, d'après les estimations
des géologues (Congrès de Toronto, 1913) :
en ne tenant compte que des couches
exploitables, le bassin contiendrait au-
dessus de 2.000 mètres de fond 16 milliards
540 millions de tonnes, soit mille fois la
production annuelle; sur ce chiffre, la
moitié serait comprise dans les zones infé-
rieures à 1.000 mètres.
Trois divisions du pays allemand se par-
tageaient le district minier :
1° La Prusse rhénane, pour environ les
deux tiers de la surface (100.000 hectares),
avec les villes de Sarrebrûck. Sarrelouis,
Ottweiler, Saint- "Wendel ; cette partie est
exploitée par l'Etat prussien (60 puils) :
c'est la région la plus productive et la plus
avantageuse; l'eau et le grisou, en quanti-
tés peu excessives, rendent les travaux peu
onéreux;
2° La Lorraine annexée, comprenant
50.000 hectares autour des centres de For-
bach , Boulay, Saint-Avold, et qui est exploi-
tée (23puits) par des compagnies privées (de
Wendel, Compagnie de Sarre et Moselle,
Compagnie de la Houve). Dans cette ré-
gion, la présence des eaux et du grisou
complique les travaux ;
3° Le Palalinat bavarois, pour 5.500 hec-
tares,en grande partie exploité par l'Etat ba-
varois ; le principal centre minier est à Saint-lngbert.
Ces régions, en 1913, avaient produit les quantités
suivantes :
LAROUSSE MENSUEL
est indispensable, mais il sera insuffisant, la com-
paraison des productions et des consommations
relatives de la Prancr. de l'AIsace-Lorraine et de
la Sarre le démontre aussitôt :
Production de la fonte et de l'acier (1913)
(En millieri de tonnei).
FonU
France 5.3U
Alsace-Lorraine. . . 3.870 j
Sarre 1.374 j
Totaux . .
f.286 \
2.080 I
Asisr
4.835
I 4.366
9.001
En 1913, dernière année normale, nous avons
consommé 62 millions de tonnes de charbon
contre 40 que nous produisions, soit un déficit
763
Etats-Unis ayant tous un excédent de charbon
disponible , du fait de ces importations, la bouille
coûtait avant la guerre en France 19 francs la tonne
contre 12 à 13 à l'étranger, et le coke 28 contre 20
à 21 : cette valeur initiale du combustible grevait
naturellement tous les produits de notre industrie,
nous plaçant dans des conditions défavorables vis-
à-vis de nos rivaux.
Bien que diverses mesures industrielles paissent
être prises, et permettent d'économiser une dizaine
de millions de tonnes : mise en valeur de la bouille
verte, de la bouille blanche, de l'énergie de la
mer, etc., gazéification de tous les charbons, emploi
étendu du gaz, emploi général de l'électricité dans
la distribution de l'énergie, électrisalion des cbe-
V- M.'iven ce
Echelle
BASSIN miNlER de la SARRE
♦ ♦♦♦♦♦• Limites du bassin houiUer
== Chemins deFeriGr'^lignesl
__ ...rf? d'uLignes seconda
• Mines
A Usines métallurgiques
Les noms soulignés indiquent enlYusse
mi£nane}esœntresdinspTiamines fiscales
Partie rhénane
— lorraine
— palatine
Total . . .
12.406.536 tonnes
3.795.932 —
810.546 —
17.013.014 tonnes
Pour assurer le dégagement de celle puissante
extraction, le bassin est desservi par deux grandes
voies ferrées se croisant à Sarrebrûck : la ligne
Trêves-Strasbourg du N. au S., la ligne Metz-
Mannheim de l'O. à l'E.; celte dernière allant vers
le Rhin. En outre, la Sarre traversant la région
du S. au N. est canalisée sur 32 kilomètres aux
alentours de Sarrebriick; elle est également réunie
au canal de la Marne au Rhin, par le canal des
Houillères, assurant ainsi les communications avec
l'Alsace et la France.
Cette richesse minérale a eu pour résultat la
création de nombreuses usines métallurgiques, la
production de la fonte y atteignant g p. 100 de la
production allemande, et celle de l'acier 12 p. 100.
Trente hauts fourneaux, vingt et un convertisseurs,
trente et' un fours Martin de grande puissance
répartis dans une dizaine d'usines arrivaient en 1913
à la formidable production de :
Fonte brute 1.374.534 tonnes
Acier brut 2.079.825 —
Produilsflnis(fers, rails, tôles, lils). . 1.652.414 —
Toutes ces usines sont situées dans la partie
rhénane, elles traitent principalement des minerais
de fer lorrains; leur adjonction & nos usines, ainsi
qu'à celles de l'.^lsace-Lorraine, nous permettrait de
doubler notre production.
Ce résultat est déjà intéressant, mais la question
de la houille est pour nous d'un intérêt autrement
important; non seulement le bassin de U Sarre nous
de 22 millions de tonnes qu'il a fallu importer
d'Angleterre et d'Allemagne.
Or, le retour de l'AIsace-Lorraine augmente ce
déficit : l'Alsace ne.produit pas de charbon, la Lor-
raine par la région de la Sarre placée dans ses
limites en produit 3,8 millions; la consommation
totale de ces deux provinces étant de 11,8 millions
(8 en houille crue, 4,5 en coke), le déficit s'accroît
par ce fait de 8 millions, ce qui porte à 30 notre
déficit total.
L'adjonction de la Sarre laissant un disponible
de 8 millions de houille crue, nous sommes ramenés
au chiffre initial de 22, en apparence égal à notre
déficit ordinaire; en réalité, la situation est pins
grave, car si nous n'avons plus que 12 millions de
tonnes de houille crue en déficit au lieu de 18, le
déficit en coke passe de 4 à 10 ; or, le coke, plus coû-
teux, est absolument indispensable à l'industrie
métallurgique, et sa pénurie ne peut qu'avoir une
influence lâcheuse sur toute notre industrie. Le
tableau suivant résume cette situation :
Déficit de nos productions en houille et coke
(En million- de tonnes).
Production France Als.-Lor. Sarre Total
Houille crue. .
Coke
18
4
- 8
12
10
Totaux . 22 8-8 22
Remarquons que ces chiffres ont été établis en
admettant que nos exploitations du Nord puissent
travailler, ce qui n'est pas, hélas! le cas; le déficit
de ce fait sera augmenté, au moins pendant les pé-
riodes de reconstitution, d'une vingtaine de millions
de tonnes.
Il résulte de ces chiffres que la France, pays
industriel, a une production insuffisante de charbon,
qui la livre économiquement aux détenteurs de
charbons étrangers ; 1 Angleterre, l'Allemagne, les
mins de fer, etc., nous resterons insuffisamment
pourvus de combustible. La France a acquis assez
de droits, pour exiger sa liberté économique; pour
l'exercer, le retour de la Sarre à notre territoire
est indispensable, mais il ne peut suffire : il est
indispensable, également, d'obtenir des droits sur les
régions houillères de la 'Westphalie. — m. Mouni*.
Sourire du Faune (Le), pièce en 1 acte
et en vers, par André Ri voire, jouée pour la première
fois à la Comédie-Française, le 5 février 1919.
La scène représente un parc aux allées envahies
par les broussailles. Au fond, un mur véluste, et, par
delà, les toits d'une petite ville. Un vieux gentil-
homme, le Marquis, vit là, depuis trente ans, dans
la solitude. Il ne sort jamais, et ne reçoit personne.
L'action se passe vers 1820. Le Marquis a auprès
de lui sa fille Rose, âgée de dix-sept ans ; un garçon
adoptif, Pascal, à peu près du même âge, et un jar-
dinier âgé. Il avait autrefois une compagne, qui,
s'ennuyant dans ce désert, l'abandonna :
Deux ans sa robe claire égaya les allées.
Puis sa robe et ma joie, un jour, s'en sont allées.
Le Marquis fait sa lecture assidue des ouvrages
de Jean-Jacques Rousseau, lequel a dit, au commen-
cement de l'Emile : « Tout est bien, sortant des
mains de la Nature ». Aussi laisse-t-il la nature
embroussailler les arbres et les parterres couverts
de mousse, les statues effritées, et, quand son jar-
dinier lui fait observer que Rose et Pascal de-
viennent grands, et qu'il faudrait veiller sur eux,
il lui répond :
Eh mais, qu'ils s'aiment donc, si l'heure en est venue.
Qu'ils s'aiment, ces petits !... Pour l'avoir empêché,
Ai-je mis dans leur cœur la crainte du péché?
Je suis pour ces enfants, dans ce décor de rére,
Comme le créateur pour Adam et pour Eve...
Mais dans mon paradis tout est permis pour eux.
Ils n'y connaîtront pas le remords d'être heurenx...
764
Lear Ti» j conlera libre, innocente et douce...
Ils pourront chaque fois que le désir les ponsse,
Par quehiue soir trop tendre ou quelque belle nuit,
Se cueillir leur amour aux lèvres comme un fruit...
De peur de mettre une ombre à leur insouciance,
J'ai banni de ces lieux l'arbre de la science !
Je les laisse tous deux grundir à cœur perdu,
Sans savoir ce que c'est qu'un bonheur défendu.
Le Marquis veut (jue sa 0 Ile connaisse le bonheur, 11
lui a lui-même choisi et donné un compagnon :
Je me suis trop promis qu'elle serait heureuse,
Aussi complètement qu'on peut l'être ici-bas...
Quand sur la mousse elle essaya ses premiers pas.
J'ai mis à ses côtés Pascal, enfant comme elle.
Pour qu'un même destin leur fît l'âme jumelle
El pour qu'elle eût un jour une bouche où poser
L'étonnement ravi de son premier baiser...
Cependant Rose et Pascal éprouvent au printemps
des émois inconnus et des inquiétudes : « C'est
depuis ce printemps! ■> dit Rose :
Mon corps est plus léger, dans l'herbe oii je m'étends.
Et plus lourd à la fois... Je ne peux pas te dire...
Je voudrais... je voudrais... je voudrais. Tout m'attire;
Tout fait passer sur moi des frissons inconnus :
L'air du soir, le soleil qui touche mes bras nus...
Les oiseaux se sont mis à chanter dans ma tête;
Les âeurs semblent fleurir en moi... Tu vois, c'est béte.
L'eau qui coule, parfois dit des mots que j'entends...
Je voudrais... je voudrais... C'est depuis ce printemps !
Les enfants vont courir dans le parc, le Marquis
s'éloigne un livre & la main, lorsque apparaît sur
le mur un jeune homme qui l'escalade, et descend
dans le parc.
Le Marquis, de retour, est surpris de cette appa-
rition. C'est un neveu, François, qu'il avait perdu
de vue et dont le père est mort dans la misère,
exilé par la Révolution française.
Quant à lui, il retrouva à peu près sa fortune à la
Restauration, mais il a fait la fête, et il est ruiné :
Que voulez-vous, monsieur, je suis fils d'émigré !
Jeune, il s'en est fallu d'uu rien queje mourusse
Do faim, dans quelque bourg do Hanovre ou de Prusse.
Dénoncé, ruiné, mon père avait dû fuir;
11 gagnait notre vie en tapant sur du cuir,
Dont il faisait, lui gentilhomme, des chaussures!...
Je n'ai connu longtemps que des heures mal sûres.
Et je me suis promis dès lors, quand le plaisir
Passerait devant moi, de toujours le saisir!
U a fait des largesses avec son bien :
Le Roi m'avait rendu mes châteaux et mes terres;
J'ai beaucoup fréquenté chez messieurs les notaires...
Que do fois j'aurai fait d'une vigne ou d'un pré
Celte goutte de sang qu'est un rubis pourprel
Cette ferme, là-liaut, sur la route grimpante.
J'en ai fait un collier qui brille sur la pente
D'un jeune soin dressé plus orgueilleusement..
De ce grand bois j'ai fait un petit diamant :
J'ai toujours eu du goût pour les métamorphoses.
Bref, on cinq ou six ans. j'ai fait beaucoup de choses.
Et, fort peu soucieux de ce que je donnais.
Jeté tous mes moulins par-dessus des bonnets!...
Le Marquis est très imporinné par la visite de
François, et il prie le jeune homme de se retirer, au
moment où Rose et Pascal reviennent, rapportant
ime vieille statue de faune, qu'ils déposent sur une
gaine vide.
Le Marquis se croit débarrassé de cette fâcheuse
visite. Le soir tombe, chacun se retire, et Rose
veut encore prendre un peu l'air :
Le temps de voir devenir rose le ciel bleu !...
Tandis qu'elle est" seule, elle s'adresse au faune
de pierre, qui sourit, et lui den^ande la cause de son
Irouble priiitanier:
Tu dois le savoir, toi, petit faune de pierre !
Si tes yeux n'étaient pas vides sous la paupière.
S'ils avaient un regard, sans doute ils m'auraient dit
Pourquoi mon cœur tressaille et tout à coup bondit !
Mais ton sourire sans regard est équivoque.
Et, quand je l'interroge, on croirait qu'il se moque.
Oh ! comme il aurait tort! Je t'en prie à genoux.
Par ce beau soir d'été si clair autour de nous.
Où le dernier rayon du couchant sous les branches
Fait brusquement rougir même les roses blanches.
Dis-le-moi ton secret, parle-moi, réponds-moi!
Je ne sais pas, je ne sais plus... J'ai devant toi
Un tel désir confus de donner et de prendre.
Ton sourire, vois-tu, je voudrais te le rendre
Avec ma bouche sur ta bouche...
Ace moment François, qui a de nouveau grimpé
sur le mur, a tout entendu; il descend, et il flirte
avec la jeune fille, qui l'écoute docilement, inté-
ressée par tout ce qu'il lui apprend sur l'amour et
le désir, et comprend enfin ce qui l'a troublée : elle
voit clair dans son cœur.
François s'imagine qu'il va en profiter, mais la
petite innocente est plus finaude que lui : c'est Pascal,
qui aura la primeur de son expérience; elle l'ap-
pelle à grands cris, tandis que François tout penaud
les regarde s'embrasser, et profiter de ses leçons.
11 n'a plus qu'à s'en aller, sous les railleries de
Pascal qui nargue son âge déjà mûr.
François grimpe, pour sortir, sur le mur par-
dessus lequel il est entré. Pascal, narquois, lui
demande :
Vous pourrez?
et François furieux, murmure :
— Ce jeune homme a le mot décevant...
C'est vrai que ce vieux mur est bien plus haut qu'avant.
LAHOUSSli ME^SUEL
Cet acte est charmant de fraîcheur, de grâce et
de jeunesse. La poésie en est très pure et très mé-
lodieuse. Les vers' sont d'une bonne venue et d'une
frappe claire, d'une prosodie sûre. Les sentiments
sont délicats, et joliment exprimés. Ce petit acte
prendra naturellement place à la Comédie-Fran-
çaise auprès des comédies poétiques comme le
Baiser de Théodore de Banville, ou le Passant de
François Coppée. — Léo Claretie.
Les rôles ont été créés par : M''* Nizan (iîo«e), et par
MM. Dorival {le Marquis), Denis d'Inès {François), Roger
Gaillard {Pascal), Lafon {le Jardinier).
tarifaire {fè-re) adj. Qui a rapport à un tarif :
La nouvelle loi tarifaire.
tatarisme {ris-me — de Talar ou Tartare)
n. m. Doctrine politique des Bulgares russophobes
qui prétendent que le sang jaune court seul dans les
veines du peuple bulgare, qu'il n'a rien de commun
avec le sang des Slaves, et qu'il doit dissocier son
sort de celui des peuples slaves : Le poêle bulgare
Cyrille Chnstofs est fait l'apôtre du tatarisme.
"Vlala (Pierre), agronome français, né à Lavé-
rnne (Hérault), le 24 septembre 1859. Descendant
d'une famille de viticulteurs, Viala s'est consacré
à l'étude de la vigne et de ses maladies. Entré
en 1878 à l'Ecole nationale d'agricullure de Mont-
pellier, au moment où l'invasion du phylloxéra don-
nait les plus sérieuses inquiétudes, Viala, actif et
laborieux, se révéla bienlôt comme un sujet d'élite.
En 1881, il sortait, en effet, premier, et recevait la
médaille d'or. Nommé préparateur-répétiteur de vi-
ticulture (1881-1886), puis professeur (1886) à cette
même école, il avait, en 1883, obtenu la licence
es sciences naturelles à la Faculté de Montpellier.
Appelé à la chaire de Viticullure de l'Institut agro-
nomique (1890), docteur es sciences naturelles en
1891, il était, la même année, nommé directeur de
la Station des recherche» viticoles de Montpellier.
Membre titulaire (1895) de la Société nationale
d'agriculture (depuis Académie d'agricullure), dans
la section des
cultures spécia-
les, Viala élait
nommé inspec-
teur général de
la viticulture en
1897 et entrait,
la même année,
à la Commission
supérieu re du
phylloxéra au mi-
nistère de l'Agri-
culture. Prési-
dent du jury de la
Classe 36 (maté-
riel et procédés
delaviliculture)à
l'Exposition uni-
verselle de 1900,
il fut appelé en
1902 au Comité
des épi phy lies
(dont il devait être inspecteur général en 1915). Nom-
mé officier de la Légion d'honneur en 1 903, il devint
l'année suivante membre du Conseil supérieur de
l'agriculUire. Le 3 février 1919, rAca<lémie des
sciences l'élisait dans la section d'économie rurale,
en remplacement d'Achille Mûntz. (V. page 738.)
Rappelons, pour mémoire, que depuis de nom-
breuses années il est président de la classe 36 (viti-
culture) aux grandes expositions universelles (Liège,
Milan, Bi'uxelles, Turin, Gand), et membre corres-
pondant de plusieurs académies étrangères.
Les fonctions officielles dont Viala fut chargé
témoignent de sa haute valeur; mais il convient de
faire ressortir la part prépondérante qui lui revient
dans la reconstitution de notre vignoble.
La viticulture est sinon la plus importante, du
moins la plus caractéristique et la plus nationale
des industries agricoles de France. Elle occupait,
avant 1875, près du cinquième de la population
totale, et donnait annuellement un produit brut que
Jules Gnyot estimait à 1 milliard 500 millions de
francs. Si l'on veut se rappeler que l'invasion phyl-
loxérlque détruisit aux deux tiers les vignobles
français, faisant perdre à la richesse nationale plus
de dix milliards, et si l'on compare cette efi'royable
situation avec l'état actuel de notre vignoble (qui
couvre une superficie plus vaste qu'avant 1875), on
pourra se rendre compte de l'importance des ser-
vices qu'a rendus Pierre Viala.
Lorsque le phylloxéra fit son apparition en Europe
(vers 1868), puis dans la France méridionale un peu
plus tard, le professeur Planchon, de la Faculté de
Montpellier, se mit à étudier la maladie nouvelle, et
c'est lui qui, le premier, en décrivit la cause. A
l'Ecole d'agriculture de Montpellier, sous ladirection
de Planchon et de Foëx, s'organisa rapidement
le premier centre de résistance au terrible Oéau.
Tandis que J.-B. Dumas, avec le baron Thénard,
recommandait l'utilisation des insecticides (sul-
fure de carbone, sulfocarbonate de potassium).
Pierre Viala.
AI* T46. Hvnl 1B19.
l'Ecole de Montpellier préconisait l'emploi des cé-
pages américains (résistants au puceron) comme
porte-greffes : les greffons, rameaux de vignes fran-
çaises, devant assurer la continuité des qualités de
celles-ci. Les deux systèmes allaient être employés
parallèlement pendant de longues années, avec des
fortunes diverses; mais le triomphe définitif devait
appartenir à l'Ecole de Montpellier qui, dès le début,
s'était mise à l'étude des vignes américaines, et tra-
vaillait à leur multiplication.
Viala s'était mis résolument à la lâche : il entre-
voyait toute l'ampleur et tontes les difficultés de
celle-ci. Dès 1883, en collaboration avec Foëx, il
publiait son Ampélographie américaine (in-folio,
avec 80 planches). Cependant, les nombreuses va-
riétés de vignes américaines importées de 1877
à 1887, et dont les viliculleurs avaient hâtivement
fait l'essai, ne montraient point partout des qualilés
identiques; beaucoup, en efi^et, sans qu'on pût dé-
terminerimmédialementlacause du mal, devenaient
chlorotiques, et mouraient dans certains sols, alors
qu'elles étaient florissantes sur les sols voisins;
d'autres résistaient mal aux attaques du phylloxéra.
Désespérées par les essais infructueux, les tâton-
nements onéreux, les populations vilicoles voyaient
la ruine imminente, tiui, d'ailleurs, pour beaucoup,
fut complète. 11 semblait désormais que le fléau fût
invincible, et que dussent rester stériles tous les
efforts tentés en vue d'arrêter sa marche précipitée.
C'est en 1887, alors que la crise pliylloxérique —
aggravée encore par l'invasion du mildiou (1879)
et du black-rot (1885) — atteignait son plus haut
point d'acuité, que le ministre de l'Agriculture,
sur les instances des viticulteurs, chargea Pierre
Viala de se rendre en Amérique afin d'étudier sur
filace les vignes indigènes, leur résistance, les ma-
adies auxquelles elles sont sujettes, leur adaptation
enfin aux différents terrains.
Viala rapporta de ce voyage une multitude de
firécieux renseignements, corroborés d'ailleurs par
es études expérimentales ultérieures auxquelles il
se livra. 11 put résoudre victorieusement celte
question primordiale de l'adaptation, et établir que
la chlorose dont mouraient certaines espèces ré-
sultait (en dépit de différentes thèses soutenues
jusque-là) de l'absorption du calcaire soluble ou
solubilisé. 11 fit connaître des espèces chalciphiles
{V. Berlandieri, V. monticola) qu'il avait décou-
vertes dans les terrains crétacés du Texas. D'autre
part, les expériences culturales qu'il avait enlre-
prises lui avaient permis une classification mélho-
dique des hybrides sauvages ou artificiels, suivant
leur degré de résistance.
Parlant de ces données, Viala allait imprimer une
nouvelle et vigoureuse orientation à la reconsti-
tution de nos vignobles. Se multipliant sans cesse,
nous le voyons, depuis 1890, parcourir loules les
régions vilicoles de la France, pour aller donner
sur place des conseils pratiques aux viticulteurs,
reconnaissant leur terrain, préconisant ici l'emploi
de telle e.^pèce, là l'emploi de telle autre, faisant
bénéficier les uns et les autres des connaissances
pratiques de son expérience. Une bornait d'ailleurs
pas son activité à la Fiance, car de 1896 à 1914 il
parcourut à peu près tous les vignobles de l'Europe.
C'est grâce aux savantes recherches de Viala, à ses
démonstrations répétées, grâce à la confiance qu'il
sut faire renaître parmi les viticulteurs, que. peu à
peu, se repeuplèrent les anciens vignobles de France.
La contribulion du savant dans la lutte contre le
phylloxéra ne lui a point fait négliger cependant les
autres maladies de la vigne, dont beaucoup, au
contraire, ont été, pour la première fois, signalées
et décrites par lui (black-rot, roi blanc, rot amer,
phthiriose, phoma, brnnissure, etc.); dont d'autres,
déjà connues, ont fait l'objet de monographies com-
plètes et originales (oïdium, mildiou, anthracnose,
pourridié, chlorose, érinose, etc.).
C'est encore pour diffuser les connaissances utiles
aux viticulteurs que Viala a fondé en 1894 la « Revue
de Viticulture », qui est devenue sons sa direction un
puissant organe de vulgarisation et d'enseignement.
Les recherches et les travaux deViala sont très nom-
breux; ils ont faitlobjelde multiples communications
à l'Académie des sciences et autres sociétés savan-
tes, d'articles originaux dans les journaux et revues
agricoles, ou ont été réunis en de précieux ouvra-
ges; mais nous devons dire que l'ensemble constitue
un précieux monument à la viticullure et à l'ampélo-
graphie, qu'il y règne une admirable unilé de direc-
tion dans la poursuite d'un but unique : le relève-
ment et le progrès d'une de nos richesses nationales.
Parmi les ouvrages de Viala, pour la plupart
traduitsdan. lesdifférenteslanguesdespays viticoles,
nous citerons : les Maladies de la Vigne (1885;
plusieurs fois réédité); une Mission en Amérique
(1889); les Hybrides Bouschet; monographie des
vignes à jus rouge (1886); Ampélographie (7 vol. :
le plus bel ouvrage sur la vigne); Ampélogrnphie
américaine {iS83; 1 vol.); les Vignes américaines,
adaptation (1892); les Vignes américaines; in-
fluence du greffage (1912). — Pierre Momnot.
Paris, imprimerie Larousse (Moreau, Auge, Glllon et Cf<),
17. rue MontparDBSie. — Lt Gérant : L. Oeoslst.
N» 147.
Mai 1919
Académie française. — Réception de
René Boylesve. Le 16 mai 1918, l'Académie fran-
çaise procédait à la désignation d'un successeur au
fauteuil d'Alfred Mézières; les candidats étaient
nombreux : c'étaient Louis Bertrand, René Boylesve,
le docteur Fauvel, Paul Fort, J.-M. Lacombe,
Nauroy, Maurice du Plessys, Joseph Reinach et
Henri Welschinçer. Au premier tour, les voix des
27 votants se répartirent ainsi : H. Boylesve 12,
L. Bertrand 6, J. Reinach 4, Welschinger 4, Paul
Fort 1 ; au second tour, René Boylesve ayant obtenu
18 voix fut proclamé élu. CV. p. 769.)
Il est venu prendre séance le 20 mars 1919, entre
ses deux parrains, Maurice Donnay et Alfred Gapus.
Quoiqu'il lise très bien, d'une voix grave, sonore
et nuancée, Boylesve n'est pas un orateur; son dis-
cours n a rien de spécifiquement oratoire et ne vise
pas à l'efTel ; c'est une notice consciencieusement pré-
parée, une étude scrupuleuse de la carrière et de
l'œuvre d'A. Mézières, d'une composition un peu
llollanle et agrémentée seulement de quelques
réflexions d'ordre strictement littéraire. Qu'on ne
s'y trompe point, cependant : sous le couvert de la
littérature, Boylesve ne s'interdit pas de dire sou
mot sur l)ien des proldèmes actuels, mais il le fait
avec une discrétion extrême et une légèreté de touche
qui laisse deviner sa pensée plus qu'elle ne l'exprime.
Au seuil de son discours, Boylesve a tenu à com-
pléter son remerciement à l'Académie d'im hom-
mage d'affectueuse gratitude à la mémoire de Paul
Herviou,qui patronna sa candidature. Puis, conscient
que les formidables événements que nous venons
de vivre sont trop près de nous pour qu'on en puisse
écarter l'obsession, il extrait de l'œuvre de Mézières
deux citations, relatives au siège de Strasbourg en
1870, qui prouvent qu'à parcourir cette vie labo-
rieuse on ne quitte pas l'immense souci de ces
quatre dernières années. Cette concession faite aux
préoccupations du jour, Boylesve entreprend de
retracer la carrière de son prédécesseur.
Il le prend à l'Ecole normale, où Mézières se
trouvait en 1848; le jeune étudiant, arraché à ses
cours par le mouvement populaire et ■• transformé
par le gouvernement en défenseur do l'ordre », par-
ticipa à divers épisodes de la révolution.
Quarante-huit, remarque à ce propos Boylesve, nous
apparaît un peu comme uu vieux semeur harhu. en redin-
tjoto noire, de qui le pied est encore mal fait au contat-t
do la terre, mais qui jette dans les sillons une sorte de
grain do poésie...
L'image est jolie et juste, non moins que le
commentaire qui l'accompagne :
Le propre de la poésie est do faire sourire les gens
habiles ou les fortes têtes, qui, faute d'un peu do candeur,
sont parfois stériles, tandis que la poésie, lorsqu'elle est
bonne, est fôcondo... C'est évidemment une excellente
condition pour commettre, immédiatement du moins, les
l>Ius graves erreurs, car, en re cas. !o cœur est maître du
i;erveau. Oporidant, si, au contraire, lo cerveau prend le
ilessns sans être suivi par lo cœur, il no crée jamais une
véritable force.
Celle conclusion serait malgré tout décevante, si
Boylesve ne laissait entendre que ses préférences
vont à la forme daclion inspirée par le cœur ; tout
au moins « se retient-il de sourire si, par hasard, il
aperçoit quel(iue semeur en apparence mal adapté
aux conditions actuelles de la terre ».
En quelques mots, Boylesve rappelle ensuite les
deux années passées par Mézières dans l'enseigne-
ment secondaire, — où, nourri des fortes maximes
de l'antiquité classique, il supportait avec vaillance
et philosophie la médiocrité de sa situation, — la
sourde irritation
que lui causèrent
les événements
du 2-Décembre,
caractérisés par
un tel « dédain de
l'idéologie », en-
lin son admission
àl'écolelrançaise
d'Athènes, où» il
étudie simulta-
nément les anti-
quités grecque et
latine, la langue
italienne, pour
contempler dès
son berceau
la littérature
moderne et l'an-
glaise, afin d'at-
teindre les som-
mets de la poé-
sie». D.ins ce labeur, il n'est nullement poussé par
le désir de s'imposer, de se faire un nom ; il a seu-
lement l'ambition de savoir davantage, de s'orner
l'esprit; aussi, « professeur de littérature étrangère,
il va au moins inconnu... et, sans tapage, il écrit
sur de vieux sujets des livres nouveaux ».
Pourtant, il n'est pas homme à s'abstraire de la
vie publique; pour affirmer son opposition au gou-
vernement, il contribue, en 1864, à la fondation d'un
journal républicain, le Temps; eiitreprise diflicile,
puisque l'existence du journal était alors à la merci
d'une phrase trop vive; et Boylesve ne résiste pas
à citer le mot de Mézières :
Pour l'ensemble do la nation elle-même, pour la force
et pour l'honneur du pays, rien de plus dangereux que lo
régime du silence... Tout vaut mieux, môme les excès,
que l'obscurité et les ténèbres.
A la table de rédaction du Temps, Boylesve nous
présente, aux côtés du grave NelTlzer, du puritain
Scherer, du spirituel Hébrard, un Mézières sociable,
conciliant, «gardant une aménité aussi complaisante
qu'avertie et... soutenant ses principes de libéralisme
avec un attendrissement passionné ». Mézières
donnait au Temps deschroniciues sur l'histoire et la
littérature, dont Boylesve apprécie l'art curieux,
reste do notre vieil art du moraliste, héritage de Mon-
taigne, qui s'accroît de l'art de l'historien et qm ue saurait
Alfred Mt'zièrcs.
k
LAROUSSE MENSUEL.
être vicié que par les exigences de la presse moderne,
condamnant son rédacteur à être moraliste et historien,
comme lo timbre d'une pendule est sonore : à intervalles
égaux, et sans répit, jusqu'à ce que Je ressort soit
détendu.
Boylesve aborde ensuite l'examen des grands ou-
vrages de Mézières sur Shakespeare, sur Uœthe, sur
Pétrarque. Ce ne sera pas une étude méthodique,
mais une série de réflexions suggérées k l'orateur
Far ses lectures et où, sous couleur de commenter
œuvre de son prédécesseur, il affirmera et défendra
quelques-unes de ses propres idées.
Boylesve est d'aborci frappé de la a très particulière
qualité que Mézières s'applique sans cesse à mettre
en valeur chez ses auteurs de prédilection : l'indé-
pendance de la pensée et de l'art, un religieux res-
pect envers cette entité mystérieuse que les hommes
de son temps divinisaient sous le nom de Liberté ».
Ce culte du libéralisme, l'orateur avoue en avoir
reçu lui aussi l'enseignement, mais il précise sa
pensée en empruntantlesecours aimable et ingénieux
de l'apologue. Il conle comment un songe le trans-
porta, vers sa vingtième année, dans un pays mer-
veilleux, où une inscription en trois termes'figurait
au fronton des palais, sur les monnaies, sur les
affiches oflicielles. En sa naïveté, il conclut que le
pays était gouverné par trois princesses; mais un
nain, soudainement surgi prèsde lui, «nain grotesque,
en qui tous les auteurs, par un singulier accord, se
sont concertés pour incarner la sagesse », l'avertit
que les trois belles avaient peu de part aux affaires
et que celui qui gouvernait efl'eclivemenl était
« quelqu'un sans esprit ni tournure, qui ne se montie
guère et sans qui, cependant, ses filles idolâtrées
seraient de vains fantômes : l'Autorité ».
Boylesve indique par là les sages limites qu'il pose
à l'exercice de la liberté ; il est, toutefois, un domaine
où il revendique la liberté totale, c'est celui de la
littérature.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de soutenir le droit do
divagation chez lo premier venu. II s'agit d'applaudir lo
génie manifeste d'avoir usé de tous ses feux et, quitte A
avoir répandu çà et là quoique odeur de fagot, d'avoir
produit une intensité de Ilamnio (|ue. sans lui ot sans sa
liberté totale, lo monde n'eût point vue.
Outre cette humeur d'indépendance, Boylesve
relève e"ncore, chez Mézières, certaines audacesd'opi-
nion, soit sur les conditions de la critique, soit
particulièrement sur l'identité de l'œuvre d'art et
de l'auivre d'utilité nationale. Et c'est là encore, à
n'en point douter, une idée chère à Boylesve, si l'on
en juge par le développement plein de" chaleur qu'il
lui consacre :
Un moraliste, observateur pénétrant ou spiritncl,'qui
fait, par exemple, une Iioune comédie, pour n'avoir qu'une
part, peut .êiro relativement éloigni'e, à l'action auguste, y
concnhuo cependant, car non seulement il enrichit le pa-
trimoine esthétique qui est l'oruement de la nation, mais
il PSI, à l'étranger où il pénétre, une sorte d'amliassadeur
perpétuel et favori, un ministre souvent sans insignes et
sans titres, mais dont la voix dépasse l'enceinte des palais
29
766
et le monde des salons diplomatiques et va toucher au loin,
auplus profond, les foules, l'opinion publique, par le moyen
le plus persuasif qui soit : le plaisir... Ce n'est ]>as seule-
ment par nos habiles plénipotentiaires, ce n'est pas seu-
lement par nos voyageurs dévoués que nous sommes connus
et estimés hors de nos frontières, mais c'est aussi par le
théâtre qui secouo les foules, et c'est aussi par le livre
qui s'installe et demeure <lans les maisons en ami, on pré-
texte à causerie, en excitateur de songeries sans fin... Ne
marchandons pas notre crédit aux écrivains, c'est-à-diro
à ces êtres étranges, doués de l'extraordinaire pouvoir
d'émettre Bur tome la surface du globe des rayons émanés
du foyer national...
Dans les jugemenls que Mézières, à propos de
Shakespeare, a portés sur l'art anglais, Boylesve
relienl spécialemenl une idée, à laquelle il est d'au-
tant plus sensible qu'il y a conrornié tout son art de
romancier : c'est cet indéllnissable humour, « qui
n'est guère autre chose qu'une inanlÈre plaisante et
imprévue de présenler des idées sérieuses », cet art
libre et varié des auteurs britanniques, qui « enten-
daient ne se soumettn' à aucune règle qui piit en-
chaîner leur imagination », ce sens couslant de la
complexité infinie de l'homme, qui, chez eux, n s'op-
pose à notre goût immodéré pour la réduction de
tous les hommes à un type convention lel ». (Jn n'a
pas été surpris d'entendre l'antenr de Mademoiselle
Cloque doimer sou adhésion chaleureuse à une telle
conception.
Malgré son désir de se maintenir sur le terrain
littéraire, Uoylesve ne pouvait se dispenser de rap-
peler la carrière politique de Mézières, qui fut sé-
nateur et inembre de la commission de l'année. II
insista surtout sur les préoccupations patriotiques
de ce représentant d'un département frontière, ([ui
« ne se lassa jamais de monter le guet, là-bas, dans
son tout petit pays, le plus voisin possible de la
frontière maudite et de Metz, dont il gardail, parmi
ses souvenirs d'enfance, le son très aimé des clo-
ches ». Et, dans la dernière partie de son discours,
Hoylesve fait un tableau émouvant des dernières
journées de ce vieillard de quatre-vingt-huit ans,
surpris dans son village de Rehon par la guerre et
bientôt par 1 invasion, transformant sa propriété en
dispensaire, y hébergeant les malheureux chassés
de leurs foyers, vivant sous la menace des exécu-
tions sommaires et dans l'inquiétude des perquisi-
tions soupçonneuses.
Les mois passent; depuis plus d'une année, le vieillard
est environné par l'ennemi ; il endure des souffrances mor-
telles; il ne se plaint pas; il espère toujours. Le 'S octobre
1915, un officier d'ordonnance du cûmiiiaixtant de la place
<le Longwy vient annoncer que M. le Sénateur e-st autorisé
à rentrer en France, échangé contre un consul. A ce mo-
ment, dans la chambre au-rlossus. entre les bras d'un garde-
malade, Mézières était mourant. U s'éteignit le 10 octobre.
El, déplorant la ciuanté du sorl,Uoylesveconclut :
Que le cœur de ce vieillard eût palpité trois années de
plus et un mois, jour pour jour, peut-être alors succom-
bait-il, — mais de joie...
L'hommage que Boylesve avait rendu à Paul
Hervieu a naturellement trouvé un écho dans la
bouche de Henri de Kégnier, qui a tenu, lui aussi, en
prenant la parole, à évoquer cette généreuse ligure
à l'ombre de laquelle s'abritait la modestie du réci-
piendaire. Mais, alin de dissiper chez celui-ci toute
inquiétude, H. de Uégnier a voulu exposer les rai-
sons qui guident l'Académie dans ses choix. Et ceci,
sans doute, était dit moins pour U. Boylesve qu'à
propos de certaines élections récentes, maladroi-
tement interprétées par des esprits peu avertis
comme une dérogation au.\ vieilles traditions aca-
démiques.
L'Académie, a dit H. de Régnier, tient a honneur de
rechercher, parmi les élites du pays, leurs représentants
les plus notables pour se les associer et les admettre en
sa compagnie. Par eux, elle s'efforce de s'incor|)orer les
plus solides et les plus brillantes renommées françaises...
Elle a, pour fixer ses choix, les indications de la gloire....
gardienne du langage et hôtesse de la pensée. Que cette
pensée s'exerce par la lettre ou par le chiffre, par lit
parole ou par l'action, l'Académie se doit à elle-même
d'ouvrir ses portes à ceux qui, dans les divers domaines de
l'intelligence, sont l'expression vivante du génie éternel
de la France... C'est à ce sentiment qu'elle s'est conformée
— interprète, cette fois, de la reconnaissance nationale —
quand elle a élu le citoyen illustre dont l'étonnante et
magnifique vieillesse a vu. avec le triomphe du droit et
<le la justice, la grandeur restituée de la patrie et (lui.
tout vibrant en''ore de l'immense tâche accomplie par son
énergie inlassable et son implacable vigilance, lorsqu'il
viendra s'asseoir ]>armi vous, messieurs, y retrouvera les
deux hommes dont les noms glorieux évoquent un éclat
de victoire et en (|ui s'incarne, <lans la plus haute dignité
militaire, l'âme héro'ique des années françaises, à qui nous
devons la grande œuvre do la Franco sauvée, <lo la France
reconquise, do la France délivrée, do la France vivante
malgré ses deuils et debout, eu face de l'avenir, de toute
£a hauteur, plus haute que le plus haut laurier.
Toutefois, l'orateur ne fait nulle difficulté de re-
connaître que «la qualité d'écrivain sera toujours
le titre principal auquel l'Académie restera lidcle-
ment sensible ». Et c'en est assez pour légitimer
la présence parmi elle de l'écrivain qu'est René
Boylesve.
Après avoir loué le portrait qu' « en termes excel-
lents, avec la plus clairvoyante sympathie cl le res-
pect le plus courtois », Boylesve a tracé de son
Henri de Héguicr.
LAROUSSE MENSUEL
prédécesseur et avoir apporté à l'éloge de Mézières
son propre témoignage, H. de Régnier commence
la biographie de R. Boylesve, qui naquit « dans une
de ces petites villes de Touraine doucement posées
au milieu des douces campagnes tourangelles». De
famille notariale, rien, autour de lui, ne l'incitait à
la carrière des lettres; pourtant, il avait, dès l'en-
fance, un penchant à l'observatiDii ; témoin tels de
ses livres « où l'on seul, sous la lictioii, la présence
de souvenirs réels <>. A quel moment, sous quelles
influences s'est éveillée sa vocation d'écrivain'? C'est
Boylesve lui-même qui répoiidia à cette question, et
H. de Régnier se borne à rapporter l'aveu direct du
romancier :
Le goilt d'écrire m'est venu assez bi/.arremont, par une
soirée d'hiver, à la campagne, dans la maison (jue j'ai
décrite dans la Becquée... J'avais sept ans... et je lisais
tout seul, en un coin, le Mar/asin pittoresi/iie. C'est là que
je lus uu petit récit de la mort de Lamartine, et jamais
rien au monde ne me fit tant d'effet que cette évocation
d'un grand poète dont je n'avais jamais entendu parler,
qui vivait dans un chalet de Passy, entouré de lévriers,
et qui prisait ! Je restai hypnotisé par cette dcmi-colonno
du Maijasin pUloresque ; '] y repensai longtemps, et je de-
mandai à mes parents, pour mes étreinies, de me faire
cadeau de cahiers de papier blanc. Quand je les eus obte-
nus, je n'écrivis rien dessus, mais je me promenais dans
le jardin, durant des heures, eu imaginant des histoires à
écrire plus tard sur mes cahiers, dont j'avais soin...
Une vocation si impérieuse et si précoce ne
pouvait que s'affermir avec l'âge. Aussi est-ce en
vain qu'après
avoir achevé ses
études au lycée
de Tours, Boy-
lesve s'inscrivit
à la Faculté des
lettres de Paris,
passa sa licence
en droit, fré-
quenta l'Ecole
des sciences po-
liliquesetlEcole
du Louvre. «Ces
divers travaux ne
tirent de lui ni un
professeur, ni un
juriste, ni un di-
plomate, ni un
archéologue . . .
La vie et les
li vres l'intéres-
saient seuls : la vie par les spectacles qu'elle pré-
sente, les livres par les idées qu'ils expriment ».
Etudiant alors dans quel terrain littéraire le talent
de Boylesve a plongé ses racines profondes, H. de
Régnier démêle, parmi les influences qui se sont
exercées sur lui, outre Lamartine, le Montesquieu
des Lettres persanes, \e Voltaire des Contes, Renun,
A. France et les Goncourt. Os derniers sont joli-
ment apprécies :
Dans la grosso vague naturaliste ([ui déferlait lourde-
ment sur notre jeunesse, les Goncourt dessinaient une
volute élégamment et bizarrement contournée en rocaille.
Leur réalisme minutieux, à la fois maniéré, sincère et
voulu, naïf et alambiqué, nous retenait.
Un mot encore sur le goût de Boylesve pour les
ouvrages de critique, et H. de Régnier raconte,
avec une pointe d'humour, les débuts du romancier.
Débuts singuliers, en effet, où il semble que le jeune
écrivain ail « apporté grand soin à éviter autant
que possible de se faire coimaître ». Il se tenait à
l'écart de tous les groupements, ne montrait
« aucune disposition aux camaraderies littéraires ».
Prévention sans doute exagérée, contre laquelle
l'orateur s'élève, en évoquant — non sans émotion
— l'ardeur désintéressée, le noble idéalisme de ses
compagnons de jeunesse, de ses amis des temps
lointains du symbolisme.
Boylesve, cependant, à ce moment littéraire si
actif, est demeuré un isolé. On ne le vit « ni dans
la cave des Hydropathes, ni chez les Hirsutes, ni
chez les Rose-Croix, ni aux banquets de la Plume,
ni aux dîners des Tétes-dePipe, ni aux soirées du
Chat-Noir ». Il poussait même la réserve plus loin
encore : il se plaisait à mettre .sons enveloppe des
contes signés de noms divers et à les adresser aux
journaux; puis il dépensait ses économies déjeune
homme à acheter les numéros du journal, pour voir
si son conte n'était pas inséré en IJelle page. Ce jeu.
observe H. de Régnier, n'était pas très propre à
mettre en vue son talent 1
Pourtant, la publication de son premier livre
attira promplement sur Boylesve l'attention des
lettrés : on s'aperçut que nous avions en lui un
romiincier de la plus saine et de la plus délicate
tradition française, dont la maîtrise s'accusait à
chaque ouvrage nouveau; et 11. de Régnier énu-
mère, en les caractérisant d'un mot, les divers
romans de Boylesve.
Mis ainsi en présence de l'œuvre du récipiendaire,
H. de Régnier se défend de vouloir porter sur ses
écrits un jugement critiquement motivé. Ce n'est là,
heureusement, qu'une précanlion oratoire, car nous
y aurions perdu quelques pages d'une très grande
N' 147. Mai 1919.
finesse, oti le talent de Boylesve est analysé avec
beaucoup de sentiment et de pénétration.
Le premier trait que H. de Régnier y découvre est
la diversité, qui <i unit une certaine sensibilité poé-
tique aune vive faculté d'observation» :
Vous sentez on poète, mais cette façon de sentir se
corrige en vous par un discernement exact et souvent
ironique do la réalité... Certains de vos livres sont presque
des satires, certains presque des poèmes.
Un point commun s'y marque, toutefois: un i< idéa-
lisme blessé », qui tantôt se désespère de sa décep-
tion, tantôt s'en venge par de la raillerie. Cet idéa-
lisme, qui maintient Boylesve à une constante
hauteur de vue, lui confère, en outre, l'impartialité
du romancier, historien des mœurs; nul à priori
dans ses romans.
Rien n'y est préconçu, et vous vous abstenez de tout
commentaire personnel, de même que vous en bannisse/,
le plus possible l'élément dramatique e1 que vous y rédui-
sez l'intrigue à n'y être plus que de l'intérêt. Donc, ni
thèses, ni péripéties. Quand vous avez mis en évidence tin
trait de mœurs ou de caractère, vous êtes content.
C'est là excellcmiTient défini le caractère général
de l'œuvre de Boylesve ; mais H. de Régnier v»
préciser encore son jugement en examinant un à un
chaque roman.
U s'arrête d'abord aux deux romans d'Italie :
Sainfe-Maiie-des-Fleurs et /a Parfum des îles
Borromëes, qui lui paraissent comme une déviation
dans le développement de la pensée de Boylesve et
où il voit la trace de son goût pour la poésie et le
souvenir de ses juvéniles lectures lamartiniennes.
Expérience, d'ailleurs, négative, puisque leromancier
revint de celte excursion en Italie dégagé de tout
romantisme et conscient que le décor d'une terre
étrangère n'était pas nécessairi! à son talent. C'est
en regagnant son terroir d'origine qti'il trouva sa
voie définitive, et « peu à peu les ardents visages
d'Italie s'elTacèreut de sa mémoire pour faire place
à l'humble, grave et pathéti(|ue figure tourangelle
de 3/"<^ Cloque ».
C'est avec raison que H. de Régnier considère ce
livre comme marquant une date dans l'œuvre de
Boylesve en inaugurant une manière à laquelle il se
tiendra désormais :
Dans une atmosphère dont vous connaissez exactement
la température sociale et morale, vous placez une figure
jirincipale soigneusement étudiée et judicieusement signi-
ficative : car. si vous aimez le relief des caractères, vous en
évitez l'exagération. Ce goût d'une juste sobriété ne vous
quittera jamais, et vous en ferez preuve aussi dans les
figures adjacentes. Elles seront en étroit rapport avec
celle ({ui les domine, la compléteront de leur contraste et
l'expliqueront par leurs 'différences. Et, pour maintenir
cet équilibre, vous userez d'un style clair et ferme, sans
empâtement et sans fioritures.
Ces caractères se retrouvent dans la Becquée,
dans l'Enfant à la balustrade, dans toute celle
Il série d'études provinciales, si riches de vérité,
d'observation, d'ironie souriante ou douloureuse, de
malice aussi, et aussi de poésie discrète et nuancée».
On aurait tort, d'ailleurs, de classer Boylesve au
nombre des peintres attitrés de la vie de province :
n'est-il pas aussi l'auteur du liel-Avenir, « comédie
charmante qui est un roman délicieux », cl de cette
0 œuvre d'émotion discrète et profonde, de vérité
sobre, de perfection solide », qui s'appelle Mon
amour ?
De tant de mérites — et si divers — qui signalent
l'œuvre de Boylesve, H. de Régnier retient surtout
Il l'amour profond que, tout entière, elle exprime
de notre vie française, de noire esprit de France ».
Et c'est de ce sentiment, avivé par les angoisses
récentes de la guerre, que l'orateur tirera sa con-
clusion, toute vibrante d'éloquence et de lyrisme :
Durant quatre années, nos regards se sont tournés inva-
riablement sur l'horizon de foudre et de feu où devait se
lever l'aurore attendue. Pendant quatre années, nos cœurs
ont battu dans une même pensée, pendant ces quatre
années où se jouaient les destins do la France. Aujour-
d'hui, ils se sont fixés dans la gloire, et, bientôt, la paix
ramènera à leurs foyers les héros de la Grande Guerre...
D'avance, regardons-les venir et se disperser vers l'usine
et l'atelier, la ferme et le lopin. Regardons-les reprendre
le travail interrompu... Regardons-les se répandre à tra-
vers cette France qu'ils ont faite si grande. Venez, mon-
sieur, accoudons-nous à la balustrade qu'ornent mainte-
nant des banderolles de victoire, et saluons, en ces héros,
l'âme française... Accoudons-nous à la balustrade et sa-
luons le bel avenir. Il éclaire de son reflot glorieux le
visage sacré de la patrie. — v. Guirand.
Académie des beaux-arts. — £/?<•-
tion d'Ernest Laurent. Le 8 février 1919, l'Aca-
démie des beaux-arts a procédé à l'élection d'un
membre dans la section de peinture, en remplace-
ment de Carolus-Duran.
Le nombre des votants était de 31. Au premier
tour de scrutin, les voix se répartissent ainsi :
Friant, 6; Laurent, 6: DawanI, 5; Ménard, 4:
Muenier, 3; Aubiutin, Bail et Wencker, 2 chacun ;
Chabas, 1.
Au 5« tour de scrutin, E. Laurent obtient 20 voix.
Il est déclaré élu. (V. page 783.)
— Election de Dampt. Le 15 février 1919, l'Aca-
démie des beaux-arts a procédé à l'élection d'un metu-
N' 147. Ma/ 1919.
bre ilans la section de sculpture, en remplacement
li'Anlonin Mercié.
Le nombre des votants était de 34. Il y a eu trois
tours de scrutin. Au troisième tour, les voix se sont
ainsi réparties: Dampt, 16; âicard,14; Kefebvre, 1.
Oampt a été déclaré élu. (V. p. 772.)
Académie des sciences. — Election de
Maurice Leblanc. Le iâ novembre 1918, l'Académie
des sciences a procédé, par la voie du scrutin, à
l'élection d'un membre pour la nouvelle division
créée : Division des sciences appliquées à l'in-
dustrie. Au premier tour de scrutin, le noml)re des
votants étant de .Hi), .Maurice Leblanc olilint 37 suf-
frages et fut proclamé élu. {V. p. 78'i.)
— Election de Georges Charpy. Le 23 décembre
1918, l'Académie des sciences a procédé, par la voie
du scrutin, àl'élection d'un membre de la division des
.\pplications de la science à l'industrie. Au deu-
xième tour de scrutin, le nombre de votants étant
de 43, Georges Charpy obtint 28 suffrages et l'ut
proclamé élu. CV. p. 771.)
A.lUOUrs d'un poète (les) [Victor Hugo,
documents inédits], par Louis Barthon. — Dans son
livre les Amours d'un poète, Louis Barlhou s'est
proposé un triple objet : d'abord, enrichir l'œuvre
de Victor Hugo d'un certain nombre de pages, pen-
sées, poésies, lettres inédites, qu'il a eu la bonne
fortune de retrouver dans les documents venus en
sa possession; ensuite, refaire à grands traits la bio-
grapliie du poète, entre les années 1822 et 1883, en
l'approchant de plus près et en saltachant surtout
k sa vie sentimentale et privée, estimant après Mon-
taigne : « J'ai une singulière curiosité de connaître
l'âme de mes auteurs •> autrement que « par cette
montre de leurs écrits qu'ils étalent au théàlre du
monde. Je choisirai plutôt de savoir ce que Brutus
faisait en son cabinet et en sa chambre que ce qu'il
faisait emmi la place et au sénat ».
Troisièmement, il apporte la contribution de ses
inédits au fameux roman quadrilatéral Hugo-Juliette
Orouet et M°" Hugo-Sainte-Beuve et à toute la
littérature que forment déjà autour de ce problème
amoureux les livres de Gustave Simon :
le Homan de Sainte-Beuveei la Vie d'une
femme;de Michaut: Sainte-Beuve amou-
reux et poète; de Maréchal : la Clé de
nolupté ; de Louis Guimbaud : Victor
Hugo et Juliette Drouet, avec un choix
de lettres inédites de .lulielte Drouet
CV. Larousse Mensuel, t. 11, p. 720, et
t. III, p. 236); deH.-W. 'Wack : le Roman
de Juliette et de Victor Hugo, etc. Louis
Barlhou a adroitement refait ce récit en
évitant les redites et en choisissant les
épisodes qui permettaientd'enchâsserles
pages inédites de ses collections.
L'ouvrage comprend quatre chapitres.
Le premier, un Mariage d'amour, ra-
conte le roman charmant et bien connu
des amours de Victor Hugo et d'Adèle
Poucher, sa fiancée, la folie d'Eugène
Hugo — le frère de Victor — amoureux
d'Adèle, la partie autobiographique de
Han d'Istande,\e commentaire historiqui'
des si tendres Lettres à la finncée.
Le chapitre II est intitulé la Faute de
la femme. Il donne l'histoire des amoin-s
Je Sainte-Beuve et de M"" Adèle Victor
Hugo, qui est ici un peu partialement
mise en cause. Comme le chapitre III
s'appelle la Faute du mari, Louis Bar-
thon, dans sa pieuse admiration pour le
Maître, force un peu les faits pour excu-
ser l'infidélité de Hugo en faveur des
exigences de son tempérament, des refus
de sa femme, de la coquetterie de celle-ci
avec Sainte-Beuve. Hugo se serait écarté
de son foyer par besoin, par dépit, par
jalousie et par lassitude d'une épouse
prosa'ique et froide, incapal)le de se pas-
sionner pour les beautés poétiques de
l'œuvre du mari; au contraire, Julienne-
Joséphine Gau vain, dite «JulietteDrouet'i
11806-1883), était vive, ardente etentbou-
siaste des moindres lignes échappées au
génie.
Malgré le talent de cette plaidoirie,
Mme Adèle Victor Hugo demeure la plus
intéressante des deux femmes et, si
Sainte-Beuve, dans des publications qui
sont de mauvaises actions : Volupté,
■W™" de l'ontivy, le Livre d'amour, a
cédé à la vanité fate de faire entendre plus qu'il
n'y eut, il n'en parait pas moins probable que tout
se borna à des rendez-vous dans une église, lors
d'une époque troublée de la vie de l'épouse.
Louis Barlhou traite de légende l'opinion que
M">« Victor Hugo aurait écouté Sainte-Beuve par
dépit d'épouse trahie, — opinion émise par Alphonse
Karr dans les Guêpes cl au demeurant " inadmis-
sible » : car les rendez-vous de Sainte-Beuve et de
M"" Victor Hugo dans les églises datent de 1833,
LAROUSSE MENSUEL
Victor Hugo à rà<;f> de 3S an«.
d'après une lithographie de Léon Noël.
tandis que les premières relations de Victor Hugo
et de Juliette Drouet sont du 19 janvier 1833. « Il
faut se résoudre à l'évidence, dit Louis Barlhou. Si
M™' Victor Hugo a trompé son mari, l'infidélité
de celui-ci n'a rien à y voir ». Et, renversant
les riMes, il excuserait Hugo d'avoir cherché à se
consoler des amours de sa femme avec son ami.
Adâle Victor IlU|;o, tableau de Loui» Boulanger.
Cette thèse, qui charge .Adèle Hugo, ne peut se sou-
tenir que si Hugo et Juliette n'ont fait connaissance
qu'en 1833 Louis Barlhou le croit. Hugo, dit-il, a
rencontré Juliette à un bal, en mai 1832.11 la fuit neuf
mois et la retrouve au théâtre de la Porte-Saint-Mar-
tin, le 3 janvicrl833, aux répétitionsdetucrèce Bor-
giii. " Ace moment, affirme Louis Barlhou (page 132),
l'auteur cl l'actrice ne se connaissaient pas. »
Gomment prouve-t-on que depuis le bal de mai 1832
Victor Hugo n'apas revu Juliette ?0n ne le prouve pas.
767
Or, 11 y a apparence qu'ils se sont revu.-) au con-
traire, et voici le curieux document qui autoriserait
à le penser.
Maussang a trouvé chez un brocanteur un vieux
registre de commerce, auquel L'Esprit a consacré
un article dans le « Bulletin du vieux papier », en
octoljre 1917. C'est le grand-livre d'un rabricant de
pianos, Cluesnian, 5, rue iNeuve-des-Petils-Champs,
pour les années 1826 à 1833.
Il avait une clientèle choisie, car on relève parmi
sesclientsM.deSaint-Viclor, la duchessede Rovigo, •
Séraphin, Victor Hugo et Juliette Drouet.
Le 16 avril 1832, Juliette Drouet lui achète un
piano pour 1.400 francs. Son adresse est marquée
sur le registre : .ï bis, boulevard Saint-.Martin. Le
!"■ juin, elle a versé 500 francs. F^lle reste devoir
900 francs. A cette date, le nom de Drouet disparait
du registre et est remplacé par M. Victor Hugo,
avec la mention qu'il payera 800 francs le 25 no-
vembre 1832, — somme effecli veinent marquée paj/ee
à cette date.
Objectera-t-on que Hugo s'est peut-être acheté un
piano? Il serait bien bon marché; puis, comment
expliquer que son adresse ne figure pas près de son
nom, comme pour tous le» autres clients? Et pour-
quoi n'est-il plus question dans le registre de la dette
de MU" Drouet?
Mais, dira-t-on. M"' Drouet devait 900 et non
800 francs ! Ne peut-on admettre que Hugo a payé
100 francs en faisant le transfert de la dette? En
tout cas, il y a là une hypothèse plausible et une
présomption que Hugo a conlinué, après la première
entrevue, à fréquenter chez M"' Drouet, à l'aider
même de ses fonds. Et il lui fit attribuer le rôle de
la princesse Negroni, pour lequel il la remercia el
la félicita, dans une note de l'édition de sa pièce,
avec une partialité visible et intéressée. Il est pos-
sible que M""= Victor Hugo ait été mise au courant
de l'intrigue et ait demandé & une amitié un peu
vive une consolation contre cette trahison du cœur.
Juliette n'a pas été tout de suite l'amie dévouée
i|u'elle fut plus tard. Son passé, quand Hugo l'a
connue, était assez calamiteux. Elle avait eu une
fille du sculpteur Pradier, qui la fit poser pour la
statue de Strasbourg de la place de la
Concorde; Séchan, jeune peintre, Al-
phonse Karr, DemidolT, Apponyi furent
dans ses bonnes grâces. C'est elle que
Hugo réhabilitait en disant :
O n'insultoz jamais une femme qui tombe.
Juliette avait la passion du théâtre. Elle
vit dans Victor Hugo un protecteur utile
pour sa carrière. Elle espérait des rôles.
Elle eut Jane de Marie Tudor (1833) el
y fut si mauvaise qu'elle quitta l'affiche
à la seconde représentalion ; elle convoita
.Vlarion Delorme (1836), Catarina d'An-
gelo (1838), Marie de Neubourg de Ru;/
Blas (1838). Hugo, né malin, la consolait
avec des dédicaces. Puis le temps mar-
chait; en 1840, Juliette avait trente-
quatre ans : elle se fixa dans une alTec-
tioii prolonde, totale, dévouée.
A n'en pas douter, ses leltres des pre-
mières années ont quelque chose de
livresque el de convenu. C'est comme le
pastiche des lettres que Hugo lui écrit :
— VioDS, viens, viens, tu auras plus de
baisers que de pas. plus de l>ODheur que de
peine, plus do sourires et plus de joie que de
brouillard ot do froid (1833).
Et encore, en 1836 :
— Mon beau Victor, dans le même momeol.
jo rugis, je pleure, jo rampe, je m'élève, je
m'iDcliDO, je vénère l
Un autre que Hugo eût pu croire qu'on
se moquait (le lui. « Ecrivassière et abon-
dante », dit justement Louis Barthou,
elle ajoute à ce don une intelligence
souple des manies de son ami, qui adore
la flatterie. Allez au musée Victor-Hugo,
place des Vosges, et vous comprendrez
comment elle savait l'amadouer et lui
plaire en collectionnant les relitiues les
plus sottes : une rognure d'ongle, une
plume, une clef de chambre, un galel
avec inscription, une grammaire latine.
•Vêtait le séide devant l'idole.
De son côté , Victor Hugo lui pro-
diguait sans compter les marques les
plus passionnées de son amour, qui, au
demeurant, se répétait :
— Ton lioau visage est un astre dont ton
sourire est le rayon. Cet astre, c'est mon étoile. Quand je
lève les yeux au-dessus des tristes horizons do la terre, je
la vois. Je vois mon étoile, ma Juliette, toi, et où tu es est
le bonheur; une étoile ne peut être qu'au ciel.
Il y a dans tout cela bien de la littérature. Les
mots les grisent et perdent leur vrai sens. Les cris :
» J>! t'aime! » sontmonnBiecourante.et les « étoiles»
pullulent sur le ciel de ces aventures.
A dislance et de sens rassis, nous sourions, et
nous nous étonnons d'entendre le poète, en voyag*
768
avec Juliette, dire par lellre à sa femme, laquelle
sait en quelle compagnie il est :
— Je t'aime. Tu es la joio et l'honneur de ma vie... Je
t'aime bien, va, mon Adèle.
Et il lui promet, en lui vantant la poésie des
paysages :
— Un jour, je voyagerai avec toi !
Et il l'assure :
— Tu vois, mon Adèle, qu'aucune de ces belles et
bonnes choses ne m'empêche de songer à toi. Tu es la
Hauteville-House. (Demeure de Victor Hugo à GuerneBey.)
plus belle des choses qui sont belles, tu es la meilleure
dos choses qui sont bonnes.
Dans ses lettres, comme dans ses livres, il (lotte
ainsi a deux encens qui se repoussent ».
Juliette reçoit les mêmes témoignages aussi
bruyamment démonstratifs : mais le poêle la trompe
durant des années avec M"" Biard, dans une aven-
ture qui faillit finir en scandale. S'il ne trompe
point M™' Biard avec Alice Ozy, c'est qu'Alice
Ozy lui préféra son propre fils, Charles
Hugo. Mais la soubrette de Juliette,
Blanche, l'occupa longtemps, et que
d'autres! Cependant, Juliette est adulée
et mise au pinacle, la « noble femme i>,
tout comme Adèle. Mais Juliette est
jalouse, rageuse. Combien plus tou-
chante la figure résignée de M™" Hugo,
finissant par tout accepter : « Si tu
t'amuses, je ne te trouve aucun tort...
Sois aussi libre qu'un garçon I
Tout un côté est triste, déplaisant :
Juliette endettée, écrivant à son ex-
ami Alphonse Karr des lettres mena-
çantes, où Louis Barthou reconnaît l'in-
tervention énergique de la plume de
Hugo ; ou Juliette envoyant, le 15 octo-
bre 1834, de l'argent à son autre ex-ami
Séchan, qui lui en demande; enfin,
Juliette faisant ses comptes et étalant
sa misère en alignant les petites som-
mes que lui apporte Toto, c'est-à-dire
Victor Hugo.
Quelle morne existence, triste, som-
bre, solitaire, et quel sacrifice il y
a au fond de ce dévouement à une
gloire I
Hugo ne fut pas bomme du monde ;
il était plutôt peuple. « 11 trouvait que
la pauvreté courageusement supportée
avait sa noblesse et que la toilette
n'ajoutait rien aux charmes d'une jolie
femme ». Ce dut être un des plus durs
sacrifices de Juliette que celui de ses
goûts de luxe et de parure. L'honneur
envié d'être l'amie de Hugo lui parut
valoir ce prix, et même davantage, car
elle aliéna aussi sa liberté, vécut cloî-
trée, seule, sans relations, sans sor-
ties et, dans ses heures de révolte, elle
réclamait « la liberté », « la vie comme
tout le monde ». Hugo était un doux despote, d'une
volonté d'acier.
Quand Juliette Drouet en avait assez et se fâchait,
elle se réfugiait cliez sa sœur. M™» Koch, qui habi-
tait Saint-Renan, près Brest. Son fils, Louis Koch,
était professeur d'allemand au lycée Saint-Louis
vers 1878. Il a hérité, en 1883, de sa tante Juliette
et s'est ainsi trouvé en possession de lots impor-
tants de reliques relatives à Victor Hugo. Il en
a donné une bonne part à la Ville de Paris, qui a pu
commencer l'installation d'un musée Victor-Hugo,
place Royale, avec le déménagement de la villa de
Juliette à Guernesey. Feu Louis Koch fut nommé
LAROUSSE MENSUEL
conservateur du musée. Ses héritiers ont dispersé
les papiers et collections de lettres.
Juliette eut foi dans l'étoile de son génial ami.
Elle a fini par se dévouer à lui de toute son âme.
Le début fut moins sincère. Une petite erreur nous
éclaire sur la contingence des sentiments de Juliette
pour commencer. Chaque année, sur le Livre d'an-
niversaire, Hugo commémora par quelqueslignes le
souvenir de la nuit du mardi gras 1833, le 17 février.
Or, le mardi gras tomba celte année-là le 19. Ni l'un
ni l'autre, durant cinquante ans, ne se sont aperçus
de l'erreur, et ils commémo-
rcM'ent consciencieusement une
fausse date, à laquelle Juliette
n'accordait sans doute pas une
importance excessive. Le der-
nier chapitre /Je l'exil à la
mortconle le Dévouement d'une
maîtresse au moment du coup
d'Etat. Elle n'était plus jeune,
elle avait quaranle-six ans. Elle
risqua plusieurs fois sa vie pour
l'ami de vingt ans, devenu l'ami
de toujours. Les deux derniers
chapitres s'intitulent: les Voisi-
nages de l'exil, ou la vie à
Guernesey, et la Vieillesse
amoureuse d'Olympio, ou les
frasques de ce Nestor, veuf de-
puis 1868, et éparpillé.
Tel est l'aspect général de ce
livre, écrit d'une plume alerte et
soigneuse, avec une touchante
piété.
Victor Hugonesortpas grandi
de cette épreuve. Il n'en a pas
trop souffert. A part ses cascades
d'infidélités, il n'y a aucune
bassesse, aucune vilenie dans
son cas, mais une sorte de naïve
ingénuité, grandiloquente et
fusante en jets de mois sonores, plus brillants que
solides. Somme toule, l'expérience était périlleuse
d'ouvrir ainsi ces tiroirs secrets. Il s'en est tiré, et
il se fait pardonner cette longue liaison d'un demi-
siècle qui, selon le mot heureux de Gustave Simon,
« commence en faute et finit en vertu ».
La partie la plus précieuse du volume est dans le
choix de morceaux inédits qu'il nous apporte. 11 en
est qui sont dignes de leur signataire et qu'on
Juliette Drouet, d'aprei
lilliograpbie de Léou Noël.
sait gré ï Louis Barthou d'avoir sauvés du néant.
Les sources sont des carnets et recueils inédits,
inconnus, un carnet journalier de Hugo, le Livre
de l'anniversaire, le Résidu du Livre d'amour, de
Sainte-Beuve : ce sont des documents curieux.
Pendant un voyage dans l'ouest de la France,
Hugo dessina une quinzaine de croquis sur l'album
de Célestin Nanteuil et y ajouta des notes qui por-
tent sa griffe :
— ... Et la vague qui fait les mouvements du serpent.
— L'aiguille qui continue do tourner sur le cadran dont
les heures sont effacées.
— J'écoutais cette musique mystérieuse et formidable
N' 147. Mai 1919.
de la mer qui monte. Un râle affreux so déchirait sur les
galets qui roulaient éperdus sous la blanche salive de
l'océan. Chaque flot jetait à son tour sous nos pieds son
cri désespéré. Un rugissement sourd et profond emplis-
sait au loin toute la mer, comme si l'on eût entendu bondir
et hurler une foule de monstres cachés dans l'ombre do
l'océan et soulever les vagues avec leurs dos énormes.
Un méandre lui inspire cette image :
Le fleuve se recourbe à nos pieds dans la plaine
Comme un grand fer forgé pour un cheval géant.
A Fécamp, le 15 juillet 1835, il s'adresse & la
mer dans ces vers que son CEuvre n'avait pas re-
cueillis :
Mer pareille à la destinée.
Mer triste au chant mystérieux !
Dis-nous quelle force obstinée
Quel vent de la terre ou des cieux
Sur tes bords que ta vague broie.
Te prend, te jette et te renvoie
Kt te précipite toujours,
Et par moments joyeux ou sombres.
Point de rayons ou couvre d'ombres
Tes flots mêlés comme nos jours !
Et voici d'autres vers contemporains du poème
des Voix intérieures : « Une nuit qu'on entendait
la mer sans la voir. » Il ne les a pas publiés :
Un jour que mon esprit de brume était couvert.
Je gravis lentement la falaise au dos vert,
Et puis je regardai, quand je fus sur la cime.
Devant moi 1 air et l'onde ouvraient leur double abîme.
Quelque chose de grand semblait tomber des cieux.
Le bruit de l'océan sinistre et furieux
Couvrait de l'humble port les rumeurs paciflques.
IjO soleil, d'où pendaient des rayons magnifiques
A travers un réseau de nuages flottants
S'épandait sur la mer qui brillait par instants.
1,0 vent chassait les flots où des formes sans nombre
Couraient. Des vagues d'eau herçaientdesvaguesd'ombre
L'ensemble était immense, et l'on y sentait Dieu.
C'est d'un beau souffle, bien que certains vers,
comme le sixième, le septième et le dixième sem-
blent être de La Harpe. Hugo l'aura senti et a
condamné la page. Ceci est gracieux; c'est un ma-
drigal pour Juliette seulement, et nous ne le lisons
que par surprise :
Mon âme à ton cœur s'est donnée.
Je n'existe qu'à ton côté,
Car une même destinée
Nous joint d'un lien enchanté :
Toi l'harmonie et moi la lyre.
Moi l'arbuste et toi le zéphyre.
Moi la lèvre et toi le sourire.
Moi l'amour et toi la beauté.
C'est un peu du Parny. Mais voici de beaux vers
adressés à Juliette, le 1" janvier 1842 :
Janvier est revenu. — Ne crains rien, noble femme!
Qu'importent l'an qui passe et ceux qui passeront!
Mon amour toujours jeune est en fleur dans mon âme ;
Ta beauté toujours jeune est en fleur sur ton front.
Sois toujours grave et douce, ô toi que j'idolâtre;
Que ton humble auréole éblouisse les yeux!
Comme on verso un lait pur dans un vase d'albâtre.
Emplis de dignité ton cœur religieux.
Brave le temps qui fuit. Ta beauté te protège.
Brave l'hiver! Bientôt, mai sera de retour.
Dieu, pour effacer l'âge et pour fondre la neige.
Nous rendra le printemps et nous laisse l'amour.
Les pages inédites de Sainle-Beuve ne lui font pas
grand honneur. Il est fort quinaud quand Alphonse
Karr dénonce l'infamie du Livre d'amour publié
en 1845; la lellre qu'il adresse k ce propos à
Mme Hugo, et dont il a gardé copie dans le résidu
du Livre d'amour, constate une plaisante inquié-
tude et de sages précautions, comme aussi une autre
lettre inédite écrite à M"" Hugo de Liège, où Sainte-
Beuve est hué pour celte histoire. Et, quand il ra-
conte qu'il simulait la piété « pour arriver aux
belles », son cynisme égale sa franchise.
On ne peut ici reproduire toutes ces pages : elles
forment comme une anthologie inédite, qui grossira
la collection des CEuvres complètes. Parmi les plus
curieuses et les plus savoureuses, il faut faire état
d'un billet de Renan à Juliette Drouet, de lettres
fort prosaïques d'Alphonse Karr, des méditations
sentimentales de Hugo, pensées de minuit écrites
en janvier et février 1834, de fulgurantes dédicaces
en vers (1833), pour les 0) ienlales, Han d'Islande, et
une corbeille littéraire, une page délicieuse écrite i
Fermain Bay en 1862, une énergique attestation de
courage de Juliette au moment du coup d'Etat, ré-
digée le li^r janvier 1S60, les impressions rétrospecti-
ves et ardentes d'une nuit de mardi gras, consignées
en 18'i9, des souvenirs de déménagement (1834) ou
de Jouy-en-Josas, de beaux vers sur la calomnie.
En attendant la publication des lettres intimes de
Hugo, qui ne sera faite qu'en 1963, cette glane à
travers ses papiers est aussi riche que piquante, et
souvent heureuse. — Léo ci.»[i«rii.
Bemier (StanisIas-Lo«i>), architecte français,
né à Paris le 21 février 1845, mort dans la même
ville le 2 février 1919. Il entra en 1864 à l'Ecole
des beaux-arts, atelier Daumet, et remporta les
diverses récompenses réservées à l'enseignement
de l'architecture; notamment, en 1872, l'important
Louis Bernier.
/V- 147. Mil JSÎ9.
prix Rougevin. Cette même année, il obtenait le
premier Rraiid prix de Home sur un Muséum d'his-
toire naturelle. Pensionnaire à la villa Médicis, il
tint à honneur de remplir complélenient les obli-
gations de son séjour en soumettant au jugement
de l'Académie des beaux-arts une suite de travaux
qui furent justement appréciés. C'est ainsi que la
restauration du Tombeau deMausole, à Halicarnasse
(Asie Mineure), lui valut une médaille de première
classe à l'Exposition universelle de 1878. Au Salon
de cette même année, il obtenait une troisième
médaille pour ses
études d art an-
tique et d'art ita-
lien : relevé et
restauration de
la Basilique de
Palestrina, dé-
tails du Temple
</eAf inerte, à As-
sise, de la Pare-
te Nera, à Pom-
péi ; études du
Cloître de Saint-
Jean de Latran,
plafonds de l'égli-
se de Santa Ma-
7-ia in Ara casli, à
Home, façade de
la Libreria Vec-
chia, à Venise.
Ses envois aux
Salons suivants
répondaient au même ordre de travaux : ISSO, Détails
<iu portique des écoles et du Camp des soldats, à
Pompéi; 18S1, Entablement de l'ancienne biblio-
thèque de Venise. La construction de l'hôtel de
Léon Bonnat, rue Bassano, 48, dont les châssis
figurèrent au Salon de 1882, ajoutait à son renom.
La Société centrale des architectes lui remettait sa
médaille pour l'architecture privée, en même temps
que r.\cadémie des beaux-arts lui décernait, pour
laulre ordre de ses travaux, le prix biennal des
hautes études arcliitectoniques (prix Duc). Récom-
pensé à l'Exposition d'Anvers en 1885 et décoré de
fa Légion d'honneur cette même année, il se voyait
attribuer une médaille d'or par le jury de l'Expo-
sition universelle de 1889, où il était réprésenté par
les châssis de l'Iiôtel Bonnat.
A la suite de l'incendie de l'Opéra-Comique, sur-
venu dans la nuit du 25 mai 1887, un concours pour
sa reconstruction ayant été ouvert en mai 1893,
Louis Bernier obtenait le premier prix. Commencés
«n janvier 1894, les travaux furent terminés vers la
fin de 1898. Entre temps, l'architecte-lauréat avait
également procédé à la construction des magasins et
ateliers de décors de l'Opéra-Comique et de l'Odéoii
situés boulevard Berthier.
I^e nouvel Opéra-Comique aurait pu consacrer
définitivement sa réputation. Ainsi en avait-il été
pour l'Opéra de Charles Garnier. En fait, on le
«ritiqua volontiers. Certains écrivains ou archi-
tectes reprochèrent à l'ensemble son manque de
personnalité, aux motifs extérieurs leur peu de
caractère. Enfin, ce qui était plus grave, les déga-
gements des services de la scène furent reconnus
insuffisants et mal distribués. C'est qu'aussi les
exigences d'un grand théâtre moderne avaient dû
trouver leur solution sur le terrain d'un théâtre
vieux d'un siècle. Mais on s'accorda pour louer la
salle, l'harmonie légère de ses proportions, sa déco-
ration sobre et de bon goût.
Ces critiques n'émurent ni l'Académie des beaux-
arts qui, en 1898, choisit Louis Bernier pour rem-
placer Ginain, dont les goûts et le talent avaient une
certaine parenté avec les siens, ni le jury de l'Ex-
position universelle de 1900 qui honorait d'un grand
prix les plans de l'Opéra-Comique. Le l""' août 1905,
Louis Bernier fut appelé à remplacer Scellier de
Gisors comme professeur chef d'atelier à l'Ecole des
beaux-arts dont il était architecte depuis 1890.
A ce titre, il a dû étudier le monument élevé dans
l'Ecole même, à la mémoire de Duban, son premier
constructeur. Il a été aussi l'architecte du monument
de Barye, inauguré sur le terre-plein du pont Sully,
en 1894. Louis Bernier était membre du conseil
des Bâtiments civils, officier de la Légion d'honneur
depuis 1898. — Charles SAnmsa.
Boylesve (flen^-Marie-Augusle Tardiveau,
dit), romancier français, né à La Haye-Descartes
(Indre-et-Loire) le 14 avril 1867. Par ses origines,
comme par ses ascendances, Boylesve appartient à
notre meilleur terroir; sa famille p.ilernelle était
issue du 'Vendômois, et il se rattache, par sa mère,
à une très vieille famille d'Anjou, les Boylesve, dont
il est fait mention dans Moréri. Certes, il sied de
n'aborder qu'avec une extrême réserve les problè-
mes mal débrouillés de l'atavisme; mais, s'il est
vrai que quelque chose passe en nous des affinités
ancestrales, peut-être est-ce à cette longue suite
d'aïeux, dont l'existence se déroula sans heurts dans
le cadre étroit et paisible de leur petite ville, que
Boylesve doit son intuition de la vie provinciale et
LAROUSSE MENSUEL
son liabileté singulière à en noter les menus aspects.
Jusqu'à l'âge de onze ans, l'enfant vécut à la cam-
pagne, et ce contact direct avec la nature, à un âge
où l'âme, ouverte à toutes les impressions, reçoit
des moindres choses une empreinte profonde et du-
rable, ne devait pas être sans influence sur le futur
auteur de la Becquée. De ses années de collège il
y a peu à dire : mis en pension, à Poitiers, chez les
Frères des écoles chrétiennes, Boylesve passa en-
suite chez les jésuites, puis chez les picpuciens et
alla, enfin, achever ses études au lycée de Tours.
Les succès qu'il avait remportés dans ces divers éta-
blissements incitèrent sa famille à le diriger vers la
carrière universitaire. Il vint donc à Paris et se fit
inscrire à la Sorbonne. Mais, un peu effrayé par le
concours de Normale, il songea plutôt à l'École des
chartes. En même temps, il faisait son droit, fré-
qnentaitl'Ecoledes
sciences politiques
etsuivaitmême les
cours de l'Ecole du
Louvre. Qu'on ne
cherche point en
cela un indice de
visées ambitieuses
de la part du jeune
Boylesve. Il « cu-
mulait» toutes ces
études, un peu à la
façon d'Alex Dieu-
lafait d'Oudart, le
héros du Bel-Ave-
nir, à qui il sem-
ble bien avoirprêlé
quelques-uns des
traits de sa propre
adolescence. En
fait, s'il dispersait
son activité entre
la Faculté des let-
tres et la Faculté
de droit, c'est que,
ni dans l'une ni
dans l'autre, il
n'avait trouvé de
quoi la fixer. Une
seule idée le han-
tait: faire delà lit-
térature. Et ce
n'était chez lui vo-
cation ni soudaine,
ni tardive : à l'âge
de sept ans, la lec-
ture d'un article
sur Lamartine lui
avait révélé le pres-
tige de la poésie.
— Moi aussi, je se-
rai poète, s'étail-il
écriédans son ingé-
nuité puérile, sans
même savoir au
juste ce que ce mot
signifiait.
Il tint parole, an
moins en partie,
puisque ses pre-
miers essais fu-
rent des Proses
rythmées, qui pa-
rurent, vers 1891,
dans "l'Ermitage".
Encore que ces ti-
mides ébauches n'occupent dans l'œuvre de Boy-
lesve qu'un rang effacé, il n'est pas inutile de les
signaler, ne fût-ce que pour expliquer ce charme
de poésie, discrète, mais foncière, dont s'agrémen-
teront, par la suite, ses romans. S'il n'eût écouté,
d'ailleurs, que les impulsions de sa nature, sans
doute eût-il poussé plus loin ses essais poétiques ;
mais on était à cette époque en plein mouvement
symboliste, et le tempérament de Boylesve s'accor-
dait mal avec la forme de poésie mise en honneur
par la nouvelle école. Il ne s'obstina point et se
tourna vers le roman. Le Médecin des dames de
Néans, publié en 1896, fut sa première œuvre : elle
retint tout de suite l'attention des lettrés et gagna
leur estime. Mérite d'autant plus rare que Boylesve
ne faisait partie d'aucnn groupe et avait adopté déjà
cette altitude réservée et un peu distante qui l'a
tenu jusqu'ici en dehors de toutes les coteries et de
toutes les chapelles. Encouragé par ce succès, Boy-
lesve persévéra dans la voie où il s'était d'abord en-
gagé par dépit de ne pouvoir réaliser son rêve
d'enfant et, dès lors, son œuvre ne comptera plus
que des romans.
Il publia successivement : les Bains de Bade
(1896), « petit roman d'aventures galantes et mora-
les », où l'aimable libertinage des conteurs du
xvni" siècle s'allie aux traditions plus gaillardes
des conteurs de la Renaissance ; Sainte-Marie-des-
Fleurs (1897), œuvre d'exaltation lyrique, pleine de
sincérité et de jeunesse ; le Parfum des tles Bor-
romées (1898), roman de passion ; Mademoiselle
769
Cloque (1899), la Becquée (1901), où, avec une so-
briété voulue d'imagination et d'expression, l'auteur
a voulu fixer quelques traits des mœurs provincia-
les; la Leçon d'amour dans un parc (1902), qui,
par sa fantaisie narquoise, contraste singulièrement
avec les œuvres précédentes, encore que sous le
badinage perce une discrète mélancolie; l'Enfant
à la balustrade (1903), qui nous ramène à la vie de
firovince et pose « le douloureux conflit de l'idéa-
isme de l'enfance avec les relativités nécessaires
ou la comédie de notre vie de relations » ; puis le
Bel-Avenir (1905), roman d'ironie malicieuse, em-
preint d'un optimisme amusé, auquel succèdent deux
romans douloureux : Mo7i amour (1908) et le Meil-
leur Ami (1909), tout vibrants de passion profonde
et d'émotion grave. Après la Poudre aux yeux
(1909) et la Marchande de petits pains, la Jeune
ope i\t Comique (de Paris), conalruit
incendié le 25 mai 1887. (Ce
par Louis Bernier sur remplacement de l'ancien, dit Salle Fatarl,
nouvel Opira-Comique fut inauguré le 1 décembre 1898.)
Fille bien élevée et Madeleine jeune femme (1912),
nous font assister à l'étoufl'ement, dans une âme
jeune et ardente, de tous les instincts, de toutes les
aspirations, sous la pesée progressive et incons-
ciemment cruelle de l'éducation bourgeoise. Enfin,
la guerre a fourni à Boylesve, dans Tu n'es pbts
rien (1917), l'occasion d'étudier les modifications
apportées par les événements à nos façons ordinaires
de sentir et de juger et de noter comment nos sen-
timents individuels et égoïstes se sont fondus dans
l'immense émotion collective.
Ce qui frappe, tout d'abord, quand on embrasse
ainsi d'un coup d'œil d'ensemble l'œuvre de Boy-
lesve, c'est sa diversité : fantaisie, émotion, tris-
tesse douloureuse et ironie narquoise, amertume,
sourire, caprices d'imagination ou minuties d'ob-
servation précise, tous les genres s'y mêlent, tous
les tons s'y confondent. Et cela déconcerte un peu.
En général, le public réserve sa faveur aux artistes
qui, ayant adopté un genre ou une manière, s'y ma'D-
liennenl; avec ceux-là, du moins, pas d'imprévu :
on est sûr de les reconnaître sans peine, et notre
vanité, qui y trouve son compte, leur sait gré de fa-
voriser la sûreté de nos jugements. On se méfie, au
contraire, d'un auteur qui se montre trop divers et
dont chaque œuvre nouvelle exige un nouvel effort
d'adaptation. Boylesve, pour cela, ne sera jamais
populaire. De plus, en France, nous gardons tou-
jours l'empreinte du vieil esprit classique, qui, su-
perstitieux à l'excès d'ordre et de clarté, a prétendu
établir des cloisons entre les genres, sans voir que
770
la réalité, infiniment plus complexe, déborde ces ca-
dres trop étroits et qu'une liltéralure ne peut s'as-
treindre à ces règles sans s'éloigner de la vie.
Boylesve, au contraire, a voulu serrer la réalité
du plus près possible, et ce n'est pas sa faute si,
dans la vie courante, le tragique et le comique se
heurtent souvent; si, dans les conjonctures les plus
tristes, il surgit partbis un incident, un détail, qui
l'ait sourire et atténue l'émotion. En outre, si respec-
tueux qu'il soit de son art — et nul moins que lui n'a
sacrifié au souci de popularité — Boylesve estime,
I cependant, que l'artiste ne doit pas être asservi
à l'art, mais qu'il doit, au contraire, plier celui-ci à
^'expression de sa personnalité totale. Chacun de ses
livres nous révèle un aspect de lui-même, et il n'est
pas moins sincère quand il s'exalte dans Sainle-
1 Marie-des-F leurs que lorsqu'il raille dans le Bel-
Avenir-, on qu'il badine dans la Leçon d'amour.
D'ailleurs, à y bien regarder, cette diversité est
plus apparente que réelle, et il n'est pas malaisé,
pour peu qu'on s v attache, de retrouver dansl'œuvre
du romancier
une unité véri-
table. Déjà, son
premier livre, le
Médecin des da-
mes de Néans,
l'ontient tous les
antres en sub-
stance. Le ta-
lileau de cette vie
(li^ province si
déprimante, qui
verse dans les
«mes son affa-
dissement et les
rend incolores et
assoupies, sera
reprisdansil/arfe-
moiselle Cloque,
lu Becquée, l En-
ianl à la balus-
René Boylesve. /îY(rfe ; Cet asser-
vissement des
esprits au n souci du convenable », que déplore le
médecin Grandier, n'est-ce pas anssi déjà le thème
de la Jeune Fille bien élevée? Quant à l'ardente
sentimentalité du jeune Septime, dont l'amour pour
Mme Durosay s'exalte jusqu'à la passion et au suicide,
nous le retrouverons, avec de simples différences de
nuances, chez les héros de Sainle-Marie-des-Fleurs,
ilu Parfum des îles Borromées, de Mon amour. 11
n'est pas jusqu'à la Leçon d'atnour dans un parc
qui, dans son dénouement, ne présente une analogie
singulière avec le Médecin des dames de Néans. 11
serait facile de prolonger ces rapprochements, de
montrer comment Mon amour n'est qu'une transpo-
sition de Sainte-Marie-des-Fleurs ou comment la
Jeune Fille bien élevée avait eu sa première incar-
nation dans la nièce de M"» Cloque. Tous les
romans de Boylesve reposent donc sur un fonds
identique d'observations, d'idées et de sentiments :
seuls diffèrent les plans respectifs, oix sont pré-
sentés ces sentiments et ces idées.
Un autre caractère commun de ces ouvrages est
non pas l'absence d'intrigue, mais l'indifférence de
l'auteur à ce qu'on appelle la situation, n Je veux,
dit-il dans une de ses préfaces, m'aniuser lil)renient
lies petits incidents invariables et même médiocres,
sachant de longtemps que rien de ce qui touche les
hommes n'est jamais bien nouveau ni tout à fait fa-
meux. )i Boylesve ne recherche donc pas de grands
sujets; les menus faits de la vie courante lui suffi-
sent. Un homme qui aime et qui souffre, voilà Mon
amour. Les intrigues qui, à l'occasion de la recons-
truction d'une église, mettent aux prises les divers
clans d'une petite ville, tel est le sujet deJUarfejnoi-
selle Cloque; l'imprudent achat d'une maison par
un notaire, à qui l'envieuse malignité d'une société
provinciale fait chèrement payer son humble ambi-
tion, voilà le drame que contemple l'Enfant à la
balustrade. La forme de ces romans est exactement
appropriée à leur sujet : point de longs développe-
ments, nulle rigueur de composition, mais une série
de petites scènes juxtaposées, entrelesquellesévolue
librement, parfois même avec caprice, l'action prin-
cipale. Ce procédé, où l'on pourrait démêler une
influence des Concourt, enlève au récit de son am-
pleur; il lui confère, par contre, plus de vie et con-
court à produireune impression plus exacte de réalité.
Les milieux que Boylesve peint de préférence sont
ceux de la bourgeoisie moyenne et, plus particuliè-
rement, ceux de la bourgeoisie provinciale. Ses
héros mêmes ne sont pas d'une autre essence; ils
ne se distinguent de leur entourage qnepar leursen
sibililé qui est extrême et leur délicatesse d'âme qui
est infinie. Cette disposition affective détermine, il
est vrai, chez certains d'entre eux, des révoltes contre
une vie trop prosaïque et trop mesquine ; mais, pour
la plupart, ils se soumettent sans murmure et s'atta-
chent seulement, comme l'exquise M"» Cloque, à
quelque chimère puérile où se satisfait leur besoin
d'idéal. Ces dernières figures, d'un modelé moins
accusé, qui semblent s'enfoncer dans leur cadre, au
LAROUSSE MENSUEL
lieu de s'en détacher, sont beaucoup plus intéres-
santes; aies peindre, Boylesve a révélé toute la ri-
chesse de son tempérament et la souplesse de son art.
Le poète se trahit précisément dans cette sensibi-
lité affinée qu'il prête à ses personnages et qui n'est
au fond que la sienne propre : hommes et femmes
ont une égale délicatesse de nerfs et d'Ame, et l'on
sent que l'auteur vibre avec eux, qu'il partage
les inévitables souffrances que la réalité inflige à ces
êtres d'exception; car, tous, dans leur impuissance
à réaliser leur rêve, sortent meurtris de l'épreuve,
et c'est une impression douloureuse qui se dégage
de l'ensemble des romans de Boylesve. Une seule
fois, dans le Bel-Avenir, le romancier a modifié sa
conception : il s'est plu à présenter la revanche de
la fantaisie et de la nonclialance sur le prosaïsme
ambiant et à montrer comment la destinée capri-
cieuse s'amuse parfois à déjouer les laborieux ca -
culs de la vanité bourgeoise. Mais, par le contraste
même qu'il offre, ce roman, tout d'ironie, ne fait
ressorlirque davantage le caractère mélancolique et
poignant du reste de l'œuvre.
Cette mélancolie, cependant, n'a rien d'indiscret.
Malgré la compassion qu'il marque à ses héros,
Boylesve ne s'interdit pas de regarder la vie avec
des yeux amusés. L'acuité de son observation, à la-
quelle rien n'échappe, lui fait saisir dans les situa-
tions les plus pénililes un élément d'indifférence ou
de ridicule qu'il n'a garde d'omettre. Ainsi, sous
son émotion, perce une ironie constante, qui, loin
de nuire, d'ailleurs, à l'impression d'ensemble, la
rend seulement plus exacte, plus proche de la vie.
Nul n'a mieux décrit l'atmosphère accablante des
petites villes et les petites âmes qui y mènent une
chélive existence, ouatée decalmeeld ennui. Parla,
Boylesve est un réaliste, dans le vrai sens du terme;
car, s'il n'est nullement romantique, bien qu'il ait
décritla passion dans ce qu'elle a de plus douloureux
et de plus violent, il ne se rattache pas davantage
au naturalisme, malgré sou souci de sigiialerles mes-
(|nineries de l'existence. Son tour d'esprit l'apparen-
terait plutôt à certains romanciers anglais, à un
Dickens, par exemple, si l'on ne se rappelait que cet
art de l'observation précise est de la meilleure tradi-
tion française, celle d'un La Bruyère, d'un Montes-
quieu, d'un Voltaire.
Eu définitive, la personnalité de Boylesve est un
composé heureusement tempéré de sensibilité et
d'ironie; celle-ci, même, à bien l'examiner, dérive
directement de celle-là. C'est parce que les moindres
choses l'affectent que Boylesve les note et les dé-
taille : au fond, son ironie n'est que la revanche de
sa sensibilité, exaspérée par les mes(|uineries qui
l'obsèdent. Cette union de deux caractères, en appa-
rence si disparates, mais qui, chez lui, se fondent si
intimement qu'on ne saurait démêler le passage de
l'un à l'autre, c'est précisément ce qui donne au talent
de Boylesve ce charme délicat et prenant qui est en
somme sa principale caractéristique. — Boylesve a
été reçu solennellement à l'Académie française, le
20 mars 191'.». (V. p. 7K.'>.) — P. Oiirasd.
Oapodistrias (Capo d'Istria), avant i.a
RÉVOLUTION GRECQUK, par S.-'l'Ii. I>ascaris. — La
bibliographie que l'auteur a eu soin de placer en
tête de son ouvrage montre, en même temps que la
sérieuse étendue de ses recherches, leur trop
étroite limite. S. -Th. Lascaris n'est, d'ailleurs, pas
entièrement responsable de l'insuffisance de sadocu-
mentalion; la guerre l'a, en effet, empêché d'étudier
sur place les documents allemands et russes. Il
s'est donc contenté de dépouiller les ouvrages
français et grecs; peut-être aurait-il pu faire mieux
et compulser, en môme temps que divers volumes
publiés par la Société impériale d'histoire de
Russie, les archives du ministère des affaires étran-
gères français. 11 y aurait certainement trouvé des
précisions utiles sur plusieurs points, notamment
sur le rôle de Capodisfrias de 1814 à 1822, alors
qu'il est le véritable ministre des affaires élran-
gères d'Alexandre l"'. Tel quel, le livre est inté-
ressant, car il met en pleine lumière un homme qui
exerça sur la polili<|ue européenne une infiuence
prépondérante en diverses circonstances et qui fut
pour la France un ami des heures critiques.
Né àCorfou le 11 février 1776, Jean Gapodistrias
(orthographe adoptée par son biographe et conforme,
dit-il, au noTU grec) est issu d'une famille dont les
origines remontent au xui'= siècle. L'empereur
Frédéric II avait octroyé le comté de Justiniapolisà
un de ses soldats, lequel avait, selon l'usage, adopté
le nom de sa capitale, Capo d'Istria. Après une longue
éclipse, on retrouve un Gapodistrias à Corfou an
XVI" siècle ; ses descendants entrent tour à tour au
service de la Sérénissime République de Venise.
Cependant, à la veille de la Révolution, il n'est pas
facile de faire à Corfou des études bien sérieuses.
Jean Gapodistrias est donc envoyé, en 1 794, àPadoue ;
il y travaille la médecine, tout en suivant avec un
intérêt passionné la marche des événements qui
rapidement bouleversent la péninsule et le monde.
Déjà, il élabore la doctrine politique à laquelle il
restera fidèle toute sa vie ; il condamne aussi bien
les vieilles tyrannies, celle de Venise, par exemple,
«• 147. Mai 1919.
que le despotisme militaire, qu'il reproche à Bona-
parte dès 1796. Il rêve d'un état de choses sem-
blable à celui que les Constituants français ont
cherché à instaurer; il est déjà presque en état de
s'entendre avec l'élève de La Harpe, le tsarewitch
Alexandre. Cependant, quand il rentre à Corfou, au
lendemain du traité de Campo-Formio, il trouve sa
petite patrie en proie à la plus complète anarchie;
la paix signée par Bonaparte et Cobenzell annexé
les îles Ioniennes à la République française ! Tandis
queles vieux aristocrates, serviteursde Venise, sont
jetés en prison, le père de Gapodistrias, entre autres,
celui-ci évite de prendre parti et s'adonne tout en-
tier à la médecine. Mais cette profession accomplie
avec zèle pousse vite son homme : le jeune docteur
de vingt ans est déjà une manière de personnage,
quand, le S mars 1799, la flotte russo-turque mouille
devant Corfou, que les Français abandonnent. 11 se
rallie d'autant plus volontiers au nouveau régime
que son père lait partie du Conseil suprême et né-
gocie à Constanlinople un modus vicendi qui doit
assurer aux Sept-Ues une liberté relative.
Va) 1801, alors qu'il atteint ses vingt-cinq ans,
Jean Gapodistrias reçoit sa première mission offi-
cielle; il inspecte l'île de Céphalonie, où une sorte
de vendetta corse divise en deux camps irréconci-
liables les quelques milliers d'habitants. Il a pour
tout appui une armée de 250 hommes : cependant,
voyant qu'il ne peut convaincre les Anilos ni les
Métaxas, il n'hésite pas à attaquer leurs chefs.
André Métaxas est fait pri.sonnier, envoyé à Corfou,
et, tout aussitôt, l'émeute s'apaise : l'énergie du jeune
commissaire a suffi à rétablir l'ordre.
Reconnue par la France au traité d'Amiens, la
république des Sept-Iles, quoique placée sous la
suzeraineté du SuHan, n'allait pas tarder à tomber
sous le protecto-
rat russe. Pré-
textant les trou-
illes causés par
l'organisation
constitutionnelle
du nouvel Etat,
Alexandre I=''en-
voyait une esca-
dre dans les eaux
de Corfou, on
elle mouillait le
20 août 1802.
C'estun Ionien, le
comte Mocenigo,
que le tsar avait
délégué pour le
représenter et ré-
tablir un ordre
de choses égale-
ment favorable
auxSept-lles et à
laHussie: le plénipotentiaire russe fit aussitôt choix
du président du Sénat, « prince de la République »,
Spiridion Théotokî, et de Jean Gapodistrias, pour
l'aider dans celle lâche.
Après un nouveau voyage à Céphalonie, celui-ci,
rentrant à Corfou, fut nommé par le Sénat diri-
geant o ministre du pouvoir exécutif pour toutes les
branches de l'administration », puis secrétaire d'Etal
pour les affaires étrangères, la marine, le commerce.
Tout au soin d'instituer pour son pays un régime
adminislralifslable, le nouveau ministre, ayant appris
la rupture de la paix d'Amiens, fil proclamer la
neutralilé de la jeune république. Quelques mois
plus tard, le A décembre 1803, il n'était pas peu fier
d'avoir contribué à l'adoption d'une Constitution
qui, tout en établissaiit un pouvoir exécutif ayant
l'initiative des lois, garantissait les libertés indivi-
duelles plus explicitement que les autres constitu-
tions alors en vigueur en France ou en Italie. Un.
certain article 7, remarque Th. Lascaris, ne don-
nail-il pas le droit de vote, généralement réservi-
aux électeurs possédant un certain revenu, aux cor-
respondants de l'une des premières académies df-
l'Europe, devançant ainsi d'un demi-siècle, ou
presque, les libéraux du règne de Louis-Philippe !
Quelque bonne que fût la Constitution corfiote.
elle ne pouvait, à l'anbe de la nouvelle coalition
enropéeime, assurer la paix et l'indépendance à la
jeune république. La Russie exigeait du gouverne-
ment dont Gapodistrias était sinon le chef officiel,
du moins le membre le plus actif, la reconnaissance
d'un véritable proleitorat; celui-ci s'inclinait, sen-
tant que, si la Russie relirait sa main puissante.
Napoléon ferait aussitôt sentir la sienne, plus puis-
sante encore. Déjà, en 1807, l'Empereur trouve eu
Ali de Janiua im allié précieux qui se prépare à
envahir l'île Sainte-Maure. Gapodistrias lance nn
appel pressant à tous les Ioniens et entre à celte
occasion en rapport avec des Hellènes, qu'il retrou-
vera plus lard, aux jours des luîtes pour l'indépen-
dance grec(|ue. Mais Ali-pacha n'a pas le temps de
mettre ses projets à exécution : le traité de Tilsil
attribue les Sept-Iles en toute propriété et souve-
raineté à l'empereur des Français.
Gapodistrias se trouve alors' à une de ces heures
graves où le parti à prendre importe, en même temps
CaiiodistriaB (ou Capo d'Istria).
«• 147. Mai 1919.
qu'à soi à tout un peuple. Napoléon lui ofTre une
place à son conseil d'État et, sans doute, une part
importante au gouvernement de sa patrie d'origine ;
méfiant, le Corflole refuse et préfère s'expatrier, pour
répondre à l'appel de l'empereur de Russie, Se
fûl-il rangé du parti de la France, qui peut dire si
un tel liornme, soalenu par la puissance de Napoléon,
n'eût pas, dès 1808, émancipé du joug turc l'iiellé-
nisme renaissant?
En janvier 1809, Capodistrias arrivait à Saint-
Pétersbourg et était attaché au ministère des affaires
étrangères, alors dirigé parle comte RomanzofT; en
Cftle même année, curieuse coïncidence, entrait
également au service du tsar le prince Ypsilaiiti.
Après un premier séjour de deux ans à la cour,
pendant lequel il put tout à loisir s'initier aux secrets
de la politique russe, sans, toutefois, être admis dans
les confidences du rouverain, Capodistrias eut la
bonne fortune, au mois de septembre 1811, d'être
envoyé à Vienne auprès du comte Stakelberg. Spé-
cialement chargé de la correspondance d'Orient, il
se trouva amené à étudier, à rectifier les projets
de l'amiial Tchilchagolf, commandant en chef de
l'armée i|ui devait soulever contre la France les
peuples d'illyrie et du Monténégro. Son expérience
lui particulièrement précieuse en ces circonslances
délicates ; il fut envoyé au quartier général de l'ami-
ral en qualité de chef de sa chancellerie diploma-
tique : il décida de conduire l'expédition non nlus sur
lAdiiatique, mais sur Gonstanlinople.Les succès de
Napoléon durant l'été de 1812 obligèrent Alexandre
à rappeler dans le Nord l'armée de Tchitchagoff ;
Capodistrias suivit son chef, resta attaché à la per-
sonne du successeur de Tchitchagoir, Barclay de
Tolly; mais il continua à correspondre directement
avec les agents russes dans l'empire ottoman, ne per-
dant jamais de vue son ancienne patrie. Ses rapports
étaient déjà fréquemment passés sous les yeux de
l'empereur, quand celui-ci, l'ayant rencontré quel-
ques jours avant la bataille de Leipzig, fut séduit
par sa manière d'êlre, la tournure très fine de son
esprit et, subitement, le prit en particulière affec-
tion : quand le quartier général russe parvint à
Francfort-sur-le-Mein, le tsar fit appeler le Gorfiote
et lui dit :
Vous aimez les républiques, je les aime aussi ; il s'agit
d'en sauver une que le despotisme français asservit. C'est
de la !<uisse qu'il est question.
Ainsi, sans plus de préambule, Alexandre con-
fiait-il à Capodistrias la mission non seulement
d'aller sauver les libertés helvétiques du joug fran-
çais, qui, à ce moment, n'était plus dangereux, mais
de contre-balancerl influence de l'envoyé autrichien
qui venait de recevoir de Metternich l'ordre de sou-
tenir les efforts des aristocrates bernois. Or, dans
cette querelle intérieure, le tsar était résolu à prendre
le parti des cantons démocrates, guidé qu'il était en
cetteaffalre par son précepteur.leVaudois La Harpe,
auquel il écrivait le 4 janvier 1814 :
J'envoie auprès de la Diète un M. Capo d'Istria, homme
très recommandable par sa probité, sa délicatesse, ses
lumières et ses vues. Il est de Corfou, par conséquent
républicain ; c'est la connaissance de ses principes qui me
l'a fait choisir.
Ainsi était-ce grâce k ses principes républicains
qne l'ancien membre du gouvernement des Sept-Iles
saisissait la confiance de l'autocrate de toutes les
Russies. Il nous a semblé que les débuts de la for-
lune de ce Gorfiote n'étaient guère connus; Th. Las-
caris les a racontés agréablement : le récit de la
mission de Capodistrias en Suisse, quoique moins
neuf, est moins clair.
Lebzellern, représentant autrichien, et Capodis-
trias partirent ensemble pour la Suisse, déguisés
en marchands; cependant, apprenant que le Grand
Conseil helvétique allait proclamer la neutralité de la
République, ils notifièrent aussitôt leur arrivée au
landamman Reinhart. Mais, quand ils arrivèrent à
Zurich, le 21 novembre, la Diète avait déjà fait cette
proclamation, contrecarrant ainsi les projets de
la coalition qui consistaient à contourner la barrière
du Rhin et à traverser quelques cantons suisses
pour atteindre la France. En vain La Harpe protesta-
t-il auprès de son maître contre la violation de la
neutralité helvétique : Alexandre ne put vaincre la
résistance de ses conseillers militaires et de ses
alliés : on profita d'un voyage qu'il fit à Carslruhepour
décider le passage du lleuve à Uâle.
« Vous m'avez fait un mal irréparable », déclara-
t-il solennellement à Metternich, quand il apprit
qu'on avait passé outre à ses objurgations.
Au reste, Capodistrias l'avait-ilmal servi durant
toutes ces négociations: il avait contresigné la note
rédigée par Lebzeltern, destinée à légitimer auprès
de la Diète l'entrée des troupes alliées en territoire
neutre. Il semble, pourtant, qu'Alexandre ne lui en
voulut pas de cette condescendance. L'essentiel de
la mission du Gorfiote était, aux yeux du tsar, de faire
prévaloir en Suisse une Constitution libérale et dé-
mocratique en réduisant l'opposition des Bernois.
A cette tâche, qui, pour lui, n'était point nouvelle,
Capodistrias s'attela avec ardeur; le mémoire qu'il
présenta le 21 avril 1814 à la Diète fut pris en sé-
rieuse considération ; le pacte fédéral qui fut adopté
LABOUSSE MENSUEL. — IV.
LAROUSSE MENSUEL
l'année suivante s'inspira très ouvertement des
principes émis par le représentant d'Alexandre.
Cependant, les affaires suisses n'étaient pas encore
terminées que l'empereur rappelait auprès de lui
Capodistrias, en qui il mettait peu à peu toute sa
confiance ; Nesselrode restait son secrétaire d'Etat,
mais Capodistrias devenait son principal porte-
parole. Au reste, le 29 septembre 1815, avant de
quitter Paris, Alexandre 1"' donnait à son favori du
moment un titre égal à celui de Nesselrode : le
ministère des affaires étrangères eut pendant
sept ans deux chefs, dont les idées personnelles
n'étaient pas précisément semblables.
Lors des négociations qui précédèrent et suivirent
la signature du traité de Paris, Capodistrias fut,
avec Pozzo di Borgo, un des seuls défenseurs des
droits de la France. C'est lui qui décida Alexandre
à s'opposer aux exigences prussiennes et soutint
victorieusement les efforts du duc de Richelieu.
Il fut moins heureux dans la lutte qu'il entreprit
avec la diplomatie anglaise pour obtenir l'indépen-
dance des îles Ioniennes : si l'article 1"'' de la
Convention du 6 novembre 1815 stipulait que les
Sept-Ues formeraient « un seul Etat libre et indé-
pendant », l'article 2 ajoutait : « Cet Etat sera placé
sous la protection exclusive de S. M. britannique » :
indépendance très relative, comme on voitl
Il serait trop long de suivre Capodistrias dans sa
carrière ministérielle de 1815 à 1822, car ce serait
esquisser toute la politique extérieure de cette
époque. Pas une question d'importance dont le
secrétaire d'Etat de l'empereur ne se soit occupé :
évacuation progressive du territoii'e français, cons-
titutions allemandes, affaires d'Espagne et d'Italie;
Th. Lascaris, dans les deux derniers chapitres de
son étude, détermine le rôle du Gorfiote dans toutes
ces négociations et durant les congrès où elles se
poursuivirent. Mais, comme il était naturel, ce
furent bientôt les affaires grecques qui absorbèrent
sa pensée et son cœur : il rêvait de faire du tsar le
libérateur des opprimés, l'éniancipateur de sa grande
patrie, la Grèce. Or, Alexandre n'était plus, en 1820,
le libéral de 1802, ni même de 1812 ; l'emprise de
Metternich, de Nesselrode, d'AracklcbeielT se faisait
chaque jour plus forte sur son esprit : hanté par la
crainte des révolutions, l'ancien élève de La Harpe,
qui avait naguère choisi Capodistrias pour ses
convictions républicaines, le craignait lors des
congrès de Troppau ou de Laybach, en raison de ces
mêmes convictions. Le jour où il se rendit compte
qu'Alexandre, loin d'aider les Grecs à secouer le
joug ottoman, était résolu à laisser l'Autriche
écraser les révoltés, Capodistrias présenta sa démis-
sion. « A votre place, j'aurais dit et agi comme
vous, lui répondit le tsar, mais, à la mienne, il m'est
impossible de changer de résolution ».
En apprenant la nouvelle de cette retraite,
qu'Alexandre ne fit rien pour adoucir, Metternich
exulta : « Le règne de Capo d'Istria est passé; c'est
un homme mort, etje ne crains ni les morts ni les
revenants », écrivit-il le 25 juillet 1822, allant un
peu vile en besogne. Si le ministre grécophile
de l'empereur Alexandre était mort, l'ardent
avocat de la cause hellénique était encore bien
vivant. Peut-être déterminera-t-on, quelque jour, la
part qu'il a prise à l'œuvre de la résurrection
grecque. — Pierre lUm.
Cliarpy (Augustin-Geor^e«-Albert), ingénieur
français, né le i" septembre 1865 à OuUins (Rhônej.
Après avoir fait ses études au lycée de Lyon, il
suivit les cours de mathématiques spéciales au
lycée Saint-Louis et entra à l'Ecole polytechnique
en 1885. En 1887, il restait à l'Ecole comme prépa-
rateur du cours de chimie, en même temps qu'il
professait à l'école Monge. En 1892, il passa sa
thèse de doctorat es sciences physiques avec nn
intéressant travail sur les propriétés des solutions
salines : il cherchait à rattacher les variations de
volume et de densité des solutions salines à celles
des points de congélation ou des tensions de vapeur.
La même année, il était attaché comme ingénieur
au laboratoire central de la marine; ce fut là qu'il
commença ses premiers travaux de chimie indus-
trielle. 11 étudia d'abord la trempe des aciers et
établit la corrélation qui existe entre le phénomène
de recalescence et les propriétés mécaniques dues
à la trempe; il a indiqué des méthodes de trempe
systématiques, permettant d'obtenir à coup sûr des
résultats voulus, au lieu d'opérer empiriquement et
de n'atteindre ces mêmes résultats qu'exception-
nellement. C'est pour efTectuer ces travaux qu'il a
imaginé le four électrique à tube réfractaire et
résistance de platine qu'on emploie couramment
aujourd'hui. En 1893, il a effectué l'examen micros-
copique du laiton qui est employé pour la fabrica-
tion des douilles de canons à tir rapide et montré
que celle fabrication peut être réglée d'après ce
mode d'observation. En 1897 et 1898, il a fait éga-
lement l'étude micrographique des alliages et en
particulier des alliages eulectiques; il a également
étendu ses recherches aux alliages ternaires et aux
alliages blancs dits anlifriction. C'est encore au
Laboratoire central de la marine qu'il a étudié l'em-
774
ploi des erushers pour la détermination des pres-
sions produites par les explosifs, travaux qui furent
couronnés par 1 Académie des sciences en 1898. A
cette date, il fut engagé comme ingénieur à la
Compagnie des forges de Chàtillon-Commentry et
Neuves-Maisons ; en 1903, il était nommé directeur
des usines Saint-Jacques à Montluçon, en 1906,
directeur des Etablissements du Centre et, enfin,
en 1916, sous-directeur technique de la compagnie.
Durant toute celle période, il a effectué, soit seul,
soit avec divers collaborateurs, d'importantes re-
cherches, dont la plupart ont trouvé immédiatement
leur application industrielle, et la contribution qu'il
apporta à l'élude des aciers peut être considérée
comme des plus importantes.
Ce n'est là, toutefois, qu'une faiblepartie de ceqne
doit à G. Charpy l'industrie française. Ce qu'il
convient de dire, c'est l'impulsion scientifique qu'il
s'est efforcé de donner à l'industrie métallurgique ;
dans les nom-
breuses confé-
rences et rap-
ports qui lui sont
dus, dans les
articles et noies
qu'il a publiés
dans les Revues
scientifiques
françaises, il a
toujours préco-
nisé l'emploi des
méthodes scien-
tifiques. A côte
de l'usine et ne
faisant qu'un
avec elle, il a lui-
même créé etor-
ganisé des labo-
ratoires et, sous
son impulsion, Qeorgea Charpy.
les procédés em-
piriques, les tours de main, les secrets d'atelier, avec
toute l'incertitude qu'ils comportent, ont disparu de
plus en plus, pour faire place à des méthodes rigou-
reusement scientifiques, qui non seulement ontsim
plifié le travail, mais encore ont permis d'arrivei
aussi sûrement que possible au résultat.
D'ailleurs, la nouvelle situation de G. Charpy
commeingénieur d'une grande Société métallurgique
françaiselui donnait toutes facilités pour étudier un
grand nombre de problèmes spéciaux et, aussi, pour
étendre à la pratique des ateliers les procédés d;
laboratoire.
En 1900, il commença une série d'études sur
l'équilibre des systèmes fer-carbone ; avec la colla-
boration deL. Grenel, il a montré que le mélange
fer et graphite constitue la forme la plus stable de
ces systèmes, et il a établi le rôle du silicium dans
les transformations. Il a déterminé les conditions
dans lesquelles le graphite peut se séparer par
recuit dans une fonle blanche; il a montré plus
tard, avec A. Cornu, que ces conditions étaient les
mêmes pour la séparation du graphite dans les
aciers peu carbures, et il a établi la courbe de solu-
bilité du carbone dans le fer solide. En 1903, avec
L. Grenel, il a effectué une longue série de déter-
minations relativement aux points critiques des
aciers. Tous ces travaux ont apporté au diagramme
fer-carbone de remarquables précisions. D'ailleurs.
G. Charpy n'a pas laissé de côté l'étude purement
chimique de la question ; il a publié, soit seul, soit
avec la collaboration de S. Bonnerot (1910), plu-
sieurs mémoires sur la cémentation. Il a montré
que « la carburation du fer était produite non par
une dissolution directe du carbone dans le fer, mais
bien par réaction sur le métal d'un gaz qui, dans
la plupart des cas, est de l'oxyde de carbone ». 11 a
également étudié l'action de 1 oxyde de carbone sur
les diflérents métaux susceptibles d'intervenir en
métallurgie : le chrome, le manganèse, le nickel
et leurs oxydes, et il a établi, avec la collaboration
de Boniieiat, que, dans la réduction de l'oxyde de
fer, l'action du carbone est niilie et que l'oxyde de
carbone seul intervient. 11 a été ainsi conduit à
étudier les gaz occlus dans les aciers et qui se
dégagent quand ceux-ci sont chauffés dans le vide,
et aussi la formation de l'azolure de fer et l'osmose
de l'hydrogène à travers l'acier à différentes tem-
pératures.
11 a donné une nouvelle préparation de l'oxyde
graphitique et effectué la séparation du carbone
dans les fontes blanches sous l'influence de fortes
pressions. Il a constaté que le carbure se sépare à
l'état de graphite sans formation de diamant. Citons
encore ses travaux sur les propriétés magnétiques
des aciers doux, employés dans la construction de
machines électriques, sur les alliages légers d'alu-
minium, sur les alliages monétaires, sur la maladie
de l'écrouissage dans l'acier, etc. On doit également
à G. Charpy de nombreux travaux sur les essais
mécaniques des métaux, en particulier sur le tra-
vail absorbé par la rupture par choc. Il a imaginé, à
cet effet, les appareils appelés moutons-pendules e\,
avec la collaboration d A. Cornu, il est arrivé à
29"
772
LAROUSSE MENSUEL
N« 147. Mai 1919.
uuuche de rondins sur un P. C. (Poste de commandement.)
; lit lii^i
tits, à proximité du front.
donner à celte épreuve de la fragilité un degré de
certitude aussi rigoureux que celui des autres
épreuves usuelles.
Les travaux de G. Charpy ont été publiés dans
les comptes rendus de l'Académie des sciences et
dans diverses revues et journaux scientifiques ; il a
publié à part : Leçons de chimie à l'usage des
él'eoes de mathémaliques spéciales (en collaboration
avec H. Gautier) [Paris, 1892, 5' édition, 1912];
Abrégé de chimie générale, de Ostwald (traduit de
l'allemand, Paris, 1893); les Gaz de l'atmosphère,
de Hamsay (traduit de l'anglais, Paris, 1895); Con-
ditions et essais de réception des métaux (Paris,
1917). Enfin, il a rédigé dans le Traité de chimie
minérale, de Mois.san, les chapitres sur la métal-
lurgie du fer et les alliages de cuivre. En 1913,
l'Académie des sciences l'avait nommé corres-
pondant pour la section de chimie ; le 23 dé-
cembre 1918, il fut élu membre titulaire pour la
nouvelle division des Applications de la science à
l'industrie. — G. Bouchent.
Dampt (.lean-Auguste), sculpteur français, né
à Venarey (Gôte-d'Or) le 6 mar.s 1S.S3. La ville de
Dijon lui accorda une bourse pour suivre les cours
de l'Ecole des beaux-arts de Paris, où il eut pour
maîtres JonlTroy et P. Dubois. Il remporta le second
grand prix de Home en 1877 et débuta, deux ans après,
au Salon avec un marbre, Ismaël, qui lui valut une
médaille de seconde classe. Il ol)tint une première
médaille en 1881 avec le Saint Jean-Baptiste qui
est aujourd'hui
au musée du
Luxembourg.
Après ces bril-
lants débuts,
D a m p t partit
pour l'Italie, et
c'est à Naples
qu'il apprit à exé-
luler les bronzes
il cire perdue. Il
s'empressad'user
(!(' ce pro<'édé, et
un buste exécuté
de celte manière
liguriiauSalonde
1883. Il n'aban-
donniiit, cepen-
danl, pas le mar-
breet, l'année sui-
vanle, sa Mignon
cliantant la pa-
trie le faisait désigner parmi les laui-éats des bourses
de voyage. L'arlisleen profitait pour visiter l'Espagne
et le Maroc, et c'est de là qu'il lapporlait le sujeld'une
nouvelle cire perdue : Avant la fantasia (1886).
Mais Danipt était particulièrement épris des belles
matières, et l'on peut dire que tout, ou à peu près
tout ce qui se peut .sculpter, a été mis à profit par
lui. En 1888, Il essaye de l'ivoire ; en 1891, il revient
au bronze avec une Baccliante ; en 189'i, il allie
l'acier, l'ivoire et l'or dans son charmant petit
groupe : la Fée Mélusine et le Chevalier Hagmondin.
Dampt travaille toutes ces matières avec une pré-
ciosité de joaillier, et son art arrive ainsi à beaucoup
de délicatesse. Les formes gracieuses de la fée sont
amoureusement modelées dans la matière blanche
et s'opposent, dans un heureux contraste, aux formes,
plus roides de l'armure d'acier du chevalier. On
surprend en ces petites œuvres le secret di' la per-
sonnalité de l'artiste : un grand raffinement de
J.-A. Dampt.
l'esprit, allié à un goût rare du métier manuel.
Dampt est épris du mystère des légendes; en même
temps, c'est un ouvrier excellent, qui sait tirer de
loutes les matières une forme agréable à l'œil.
Avec le buste de P.-A. Dagnan (1896), le sculp-
La Fée Mélusine et le Chevalier Raymondin, œuvre de Dampt (1894).
teur se met i employer l'argent ; et, dès lors, les
œuvres se succèdent, exécutées avec les moyens
et les matériaux les plus divers. Le bas-relief du
7empspa««éempoWaH^/'^»iourest en marbre (1898);
le Sphinx de 1901 est en granit; c'est le bois qui
sert au sculpteur, en 19(i2, pour une tète d'enfant;
c'est le marbre rose qui lui sert, l'an suivant, pour
un sujet de même nature ; un autre buste d'enfant,
daté de 190'i, sera en ivoire. Tous les marbres sont
utilisés par l'artisle : le marbre blanc pour le portrait
de la duchesse de Marctiéna (1907), ou celui de
M"' J. Dortzal (1907), le marbre gri.s pour un
Chevreau (1907), le marbre noir pour im Petit chat
(1909), le marbre de Sienne pour un Chien pékinois
(1914). Dampt a également décoré quelques meubles;
sa statue de Bonite a pris place à l'Hôtel de Ville;
son Bizet est au foyer de l'Opéra-Comique. Il faut
encore noter, parmi ses œuvres : portrait de
M. Mazeau, sénateur (1882); A la forge, bronze à
cire perdue (1885) ; Coquette, marbre (1886) ; Diane
regrettant la mort d'Acléon (1887) ; buste de
Ml'' Moreno (1891); Au seuil du mystère (1892);
Figure funéraire, marbre (1906); Lapin, pierre
dure (1910): Louis XIV, cire perdue (1911). J. Dampt
a été élu membre de l'Académie des beaux-arts le
15 février 1919. CV. p. 766.) — Tr. Lïoléhb.
Forêts et la Guerre (les). Exploita-
tion DES FORÊTS PAU 1,'aiimée. — L'urliclc publié
dans le numéro de janvier 1917 du " Larousse Men-
suel » a moniré clairement combien notre domaine
forestier a souffert de la guerre et la répercussion
que doit avoir ce déboisement intensif sur l'avenir
de nos forêts. Nous voulons, dans les lignes qui
suivent, montrer que l'armée, dès qu'elle a pu le
faire, s'est préoccupée de réglementer ce déboise-
ment et de quelle manière elle a procédé pour se
procurer les matériaux-bois nécessaires à la défense
nationale.
Les dégâts, on le sait, sont dus aux bombarde-
ments d'abord, — mais peut-être ces dégâts-là soiil-
ils les moins considérables, — au pillage éhonté de
l'envahisseur, qui, dans les zones occupées, s'est
largement approvisionné sur notre domaine fores-
tier, enfin, el surtout, aux exigences constantes des
travaux de défense.
En ce qui concerne les zones bombardées et les
pays de forêts occupés par l'ennemi, la situation est
désastreuse ; car ce que les obus avaient épargné el
ce qui pouvait subsister après une exploitation sans
scrupule, les 'Vandales que nous combattions le
détruisaient systématiquement, en se retirant, sans
même respecter les arbres fruitiers, comme ou l'a
pu constater lors du fameux « recul stratégique » de
Hindenburg.
A présent qu'a sonné l'heure du règlement final
el que les Alliés peuvent parler en maîtres de « ga-
ranties et de sanctions », les forêts dévastées ne
doivent pas, plus que le reste, être oubliées.
Aucun remède, hélas ! n'est d'une application pos-
sible, à l'heure actuelle, pour ces malheureuses
régions; mais il apparaît dès aujourd'hui que leur
reboisement constituera, pour la période d'après-
guerre, l'un des problèmes les plus pressants qui se
poseront à notre activité.
Restent les déboisements stratégiques. Ils sont,
il faut l'avouer, l'un des nombreux effets d'une in-
complète préparation à la guerre, d'une insuffisante
connaissance des procédés de nos adversaires. Il
nous a fallu, en effet, en matière d'approvisionne-
ment en bois, comme en beaucoup d'autres applica-
tions de l'activité militaire, faire un apprentissage
long et onéreux. Toutefois, ces déboisements hàlifs
et déréglés trouvent une excuse, s'il en faut cher-
cher, dans l'idée qu'on s'était faite, en 1914, sur la
durée des hostilités : trois mois, six mois devaient
suffire pour réduire nos adversaires et, dès lors, il
N' 147. Mai 1919.
LAROUSSE MENSUEL
773
Des gnimes de sciage sont transporli^es par tii'jueiiaiies ac
ne Tallait rien épargner pour abréger ce temps;
d'énormes sacrifices étaient nécessaires : il les fal-
lait consentir 1
Dès septembre 1914, on s'était trouvé en présence
de situations imprévues : le théâtre de la guerre se
modinait; le front se stabilisait apri'S la victoire de
la Marne; la guerre en rase campagne, où le trou-
fiier français met en valeur tant de qua-
ités, devenait une guerre de tranchées
et de boyaux, une guerre souterraine,
l'our arrêter les hordes barbares et briser
la ruée, il fallait, en hâle, construire des
défenses infranchissables : les tranchées
succédaient aux tranchées; les abris de
bombardement et les postes de comman-
dement se creusaient de toutes pnrts; les
abris à mitrailleuses, les casemates, les
emplacements de batteries, puis les im-
menses et épais réseaux barbelés absor-
baient le bois par milliers de tonnes.
A tort et à travers, pour satisfaire sans
compter à ces exigences impérieuses, on
se mit à abattre des arbres et des taillis
qui devenaient pièces de charpente, ron-
dins, piquets ou clayonnagcs ; les scieries,
un peu partout réquisitionnées, débitèrent
sans relâche les grumes provenant des
vieilles futaies, pour fournirdela planche
aux charpentiers du front.
Mais ces amoncellements de matériaux
indispensables, tirés uniquement de notre
fonds, décimaient les forêts avec une ver-
tigineuse rapidité. La situation devenait
difficile, s'aggravait chaque jour un peu
plus et, cependant, elle devait se prolonger
ainsi plus d'une année avant qu'on y portât
remède.
Quand le plus urgent fut fait — et l'his-
toire dira quelle ardeur, quelle endurance,
quelle ténacité déploya le soldat français
dans la mise en état de défense de notre
sol — quand ces travaux fébrilement
conduits furent achevés, on se rendit
compte que le déboisement avait porté déjà
un coup terrible à l'avenir de nos forêts et
<|u'à le continuer ainsi sans mesure, on
courait à grands pas vers l'anéantissement
du domaine forestier. A la requête de
l'Administration des eaux et forêts, le
haut commandement se préoccupa de ce
désastreux état de choses ; il faut recon-
naître qu'il sut prendre des décisions éner-
giques et judicieuses.
Au printemps de 1916, beaucoup d'agents
forestiers mobilisés, depuis les simples
gardes domaniaux jusqu'aux inspecteurs
des forêts, furent appelés à constituer, au.x
armées, des groupements techniques où
leurs qualités professionnelles, plus ra-
tionnellement utilisées, allaient leur per-
mettre de rendre d'éminents services.
Dans les armées stationnées sur un
territoire boisé, une réglementation sé-
rieuse fut mise en vigueur.
Tout d'abord, fut délimitée la zone où
devaient se poursuivre les exploitations forestières.
Il ne fallait pas .songer à comprendre dans cette zone
les régionssoiimises aux bombardements, c'est-à-dire
situées derrière la première ligne et, naturellement,
très surveillées par les avions. Le travail y était déjà
fort pénible pour les auxiliaires du génie ou de l'ar-
tillerie, obligés la plupart du temps à n'accomplir
iipc vers le luu a'expi'ilition.
Fabrication du charbon de bois. Charbonniers militaires montant une meule.
leur besogne que de nuit. Ces régions étaient gar-
nies de nos batteries; on y poursuivait avec activité
l'établissement de nouvelles et importantes lignes
de défense, et l'on conçoit aisément qu'en y multi-
pliant les va-et-vient, même sous bois, on eût gêné,
sans grand profit, ces travaux de défense et déclan-
chéinfailliblemenl des bombardements plus intenses.
Une Rlissoire de 100 mèlres de long, par laquelle grumes, rondins et piquets descendaient
à proximité d'une voie ferrée. (Lo gliisage de tel ou tel de ces matériaux cessait au coup
de sifflet, lorsque l'amoncellement au pied de la glissoire était jugé suffisant.)
Cependant, même dans ces zones, il fut recommandé
aux chefs de corps qui avaient à prélever du bois de
s'inspirerdesprincipesdelarégleinentalionafln de ne
procéder qu'à des coupes nécessaires et pour fournir
dans la mesure du possible aux propriétaires ou ser-
vices qui le demanderaient tous les renseignement.s
utiles, destinés à faciliter les règlements ultérieurs.
Ainsi, la région d'exploitation s'arrêta en arrière
du front à une limite marquée par une ligne de re-
pères fixés (villages, fermes, rivières, ruisseaux, etc.),
mais elle n'eut pas de limite dans l'intérieur du
pays et, de la zone des Etapes, déborda sur la zone
de l'Arrière.
Aux termes des instructions émanant du comman-
dement en chef, l'exploitation forestière
fut réglementée de la façon suivante :
Un service forestier, dirigé par un offi-
cier de chasseurs forestiers (inspecteur ou
conservateur), fonctionnait à côté de la
Direction du génie, pour une armée ou
un groupe d'armées. Ce service avait sous
ses ordres, dans chacune des grandes uni-
tés (corps d'armée, corps de cavalerie, di-
vision (l'infanterie, groupement d'étapes),
desservicessecoiidaii'es,àlatêledechacun
desquels était placé un sous-inspecteur ou
un inspecteur des forêts, ayant à sa dispo-
sition un nombre de chasseurs forestiers
fixé d'après les disponibilités et l'impor-
tance des exploitations.
Les coupes étaient désignées par le ser-
vice forestier de l'armée, après entente
avec l'Administration des eaux et forêts
ou avec les communes.
L'enlèvement des produits ne se faisait
que sur la production d'un « bon d'enlè-
vement», indiquant l'unité partie prenante,
le nom de la forêt, le nom du propriétaire
de celle-ci, la nature du bois façonné, etc.
Ces bons ne pouvaient être établis que
par les commandants de génie ou des offi-
ciers spécialement désignés, et ils devaient
correspondre à des travaux prescrits ou
autorisés par les généraux commandant
les divisions. Le payement des bois (eu
provenance de forêts particulières) était
effectué par le génie pour les bois tle dé-
fense, par l'Intendance pour les bois de
chauiïage.
I. Personnel. — Toutes les exploita-
tions de bois faites pour les besoins de la
défense nationale furent, sans exception,
etfectuées à partir de ce moment par les
services forestiers avec des troupes mises
temporairement à leur disposition. Ces
troupes étaient, le plus souvent, des H. A.T.
constitués en bataillons ou compagnies
d'Etapes ; mais on a parfois fait appel à
des troupes combattantes au repos et aussi,
pas assez souvent d'ailleurs, suivant nous,
k des prisonniers de guerre.
A chacun des détachements de travail-
leurs il était adjoint un ou plusieurs fores-
tiers (gardes ou .sous-officiers), agents
techniques agissant comme représentants
du chef de service forestier de l'armée,
pour le renseigner quotidjennement sur
la production des chantiers et ayant pour
mission de surveiller l'exploitation elle-
même, c'est-à-dire d'assurer le respect de
certaines recommandations générales, de
veiller notamment à ce qu'il ne soit abattu
aucune perche dont la conservation serait précieuse
pour l'avenir de la forêt ; de conserver les baliveaux
et Ions les beaux brins d'essences précieuses (chêne,
frêne, orme, etc.), de faire rassembler .^ur des points
facilement accessibles les débris de l'exploitation
(chutes, ramilles), de manière qu'on en puisse tirer
parti, le cas échéant, soit en les livrant à l'armée,
774
soit en les restituant à l'Administration des eaux et
forêts ; enfin, de faire évacuer les produits au fur et
à mesure de leur fabrication.
Dans cliaque chantier, la direction générale était
confiée au commandant de compagnie le plus an-
cien, secondé dans sa ticiie par les officiers de com-
pagnie (les compagnies d'Etapes n'avaient que deux
officiers, le commandant de compagnie compris).
La présence de ces officiers sur le cliantier était,
d'ailleurs, obligatoire pendant toute la durée du tra-
vail, dans le but d'obtenir un rendement maximum.
^
LAROUSSE MENSUEL
lation au cantonnement ou au bivouac des troupes
d'Etapes furent données aux commandants d'unités
de travailleurs. Judicieusement comprises et res-
pectées, elles ont permis de maintenir les com-
pagnies de R. A. T. dans une situation sanitaire très
satisfaisante.
II. Produits. — Les produits fabriqués sur les
chantiers forestiers de l'armée étaient des bois de
défense, du charbon et du bois de chauffage.
Bois de défense. Les bois de défense comprenaient
des grumes de sciage, des rnndiiis, dps perches et
Installation rapide d'une voie ferrée pour l'enlèvement des produits de la coupe.
Ordinairement, la durée du travail était de 8 à
9 heures en hiver et de 10 heures en été, non com-
pris la durée des trajets d'aller et de retour ni le
temps des repas ; mais elle n'était pas limitée, ce-
pendant, d'une façon absolue et, en cas d'urgence, il
pouvait être exigé des hommes un elfort plus pro-
longé encore.
Il D'est pas admissible, disait une note circulaire de
l'état-major général, que les militaires des formations
de l'arrière affectés aux travaux divers ne s'emploient pas
de toutes leurs forces à l'exécution do leurs tâches, tandis
que leur camarades de l'avant sont soumis, nuit et jour,
aux fatigues, aux intempéries et, de plus, exposent sans
cesse leur vie.
Il y a pareil mérite pour tous ceux qui font leur devoir
à l'avant ou à l'arriére, mais à condition que chacun ap-
porte à l'accomplissoment du devoir toutes les ressources
d'intelligence, d'énergie, d'endurance dont il est capable
et face le don complet de soi-même dans l'intérêt commun.
L'effectif des travailleurs dans les compagnies
d'Etapes devait être maintenu aussi élevé que pos-
sible, par réduction au strict minimum des employés
divers. Une journée de repos par semaine était accor-
dée aux travailleurs (en principe, le dimanche), pour
les travaux de propreté, l'échange des effets, etc.
Le contrôle général des chantiers était exercé en
permanence par les commandants de groupements
d'Etapes et, temporairement, par des officiers su-
périeurs du service des Etapes, du service forestier
ou de l'état-major.
I>'administration dei troupes d'Etapes, surtout de
celles qui furent affeclées au service forestier, ne
laissa pas d'être souvent fort coiupliquée : des compa-
gnies, dispersées et fournissant elles-mêmes parfois
des détachements à des exploitations éloignées, se
trouvaient ainsi fréquemment isolées, loin de leur
chef direct et loin d'un centre de ravitaillement.
Il fallut maintes fois adopter ou inaugurer même un
modus Vivendi spécial ; c'est ainsi, par exemple, (|ue
certaines unités ravitaillées par décade en petits
vivres (sucre, café, etc.) devaient trouver sur plui:e la
viande et le pain, ou bien demander de la farine à
l'Intendance et la faire panifier par un boulanger de
la localité la plus voisine ; trouver dans les ressources
locales la paille de couchage pour les hommes, le
foin pour les animaux de Irait, ce qui n'était pas tou-
jours facile.
Mais, grâce à l'initiative des commandants de com-
pagnies, ces difficultés inhérentes à la situation fu-
rent le plus souvent surmontées.
Au reste, il convient d'ajouter que le haut com-
mandement, reconnaissant l'effort fourni par des
hommes âgés, leur accorda des rations alimen-
taires spéciales (suppléments de café, thé, sucre, elc).
D'autre part, des instructions particulières sur les con-
ditions du travail, les permissions, les repos, l'instal-
poleaux, des piquets, des étrésiUons, des gauteltes
et, accessoirement, des fagots.
Les grumes étaient des troncs d'arbres d'un dia-
mètre supérieur à 0", 28 au milieu de la longueur et que
l'on débitait généralement en tronçons de 4 mètres.
Ces grumes, cubées sur place et numérotées (nu-
méro d'ordre et volume inscrits à chaque extrémité),
étaient expédiées aux scieries de l'armée, qui en
faisaient des planches, des poutres, des chevrons,
N- 147. Mai l91è.
En général, les rondins étaient expédiés de la forêt
non équarris, et les équipes de travailleurs les façon-
naient à pied-d'œuvre, suivant les exigences des
travaux. Mais il est arrivé parfois aussi que le
génie prescrivant un type spécial de construction,
adoptant, par exemple, un modèle déterminé d' « abri
à l'épreuve » dont il fallait rapidement creuser et
Ijoiser un grand nombre, c'était alors en forêt que
les rondins étaient équarris, entaillés, coupés aux
dimensions et que les différentes pièces d'un assem-
blage (semelles, chandelles et chapeaux) étaient nu-
mérotées : de cette façon, le montage en place se
faisait avec beaucoup plus de rapidité.
En tout cas, la fabrication des rondinsbruts de toutes
ilimensions était toujours des plus importantes.
On utilisait les perches (petits rondins de 6 mètres
de long et d'un diamètre de 0"',10 à 0™,13) pour
l'établissement des lignes téléphoniques volantes ou
pour soutenir les masques cachant les routes, les
toiles de camouflage, etc.
Les poteaux (6 à 10 mètres de longueur) servaient
à l'établissement des lignes téléphoniques ou télé-
graphiques fixes.
Les piquets étaient de plusieurs types et prove-
naient d'arbustes ayant moins de O™,!» de diamètre.
Tous les pi(|uets livrés parle service forestier étaient
aiguisés à une extrémité et affranchis droitde l'autre.
L'aiguisage se faisait le plus souvent à la hache par
équipes de deux hommes, dont l'un tenait le piquet,
tandis que l'autre manœuvrait l'outil; certaines ex-
ploitations possédant des scies mécaniques, l'aigui-
sage s'y faisait à la scie.
On fabriquait des piquets de réseau (les plus nom-
breux), ayant un diamrtre de 0'",07 à 0™,lo, et une
longueur de 1"',50 à l^.TO; des piquets de revéte-
tiienl (pour soutenir les parois des boyaux profonds),
a;-ant2'»,40 à 3mètresde long et deO^.OS à 0",14 de
diamètre moyen ; despiquels de retraite, de 1 mètre
de longueur, 0™,07 à 0",12 de diamètre moyen, pour
fixer les fils de retraite soutenant les réseaux ; des
piquets de clayonnage, de 1"°,70 à 2", 10 de long
el de flin.ODà 0™,()8 de diamètre moyen, servant au
revêtement des tranchées.
Les étrésillons{ç\i'cei de 0'°,13 de diamètre moyen
et d'une longueur de 1™,50 à 2", 50, étaient utilisés
dans le montage des charpentes d'abris, la construc-
tion des cadres de soutènement, elc.
On appelait gaulettes des brins ayant de 0",02 à
0°',04 de diamètre au pied, une longueur minimum
de 2'°,50 et pouvant facilement se plier sans se
rompre. On les élaguait, de manière à les débar-
rasser de toutes leurs aspérités; mais on leur conser-
vait le petit faisceau des brindilles extrêmes. Réunies
par bottes de 33, liées de deux ou trois harts
solides, ces gaulettes étaient expédiées à l'avant,
où elles étaient utilisées en clayonnages, pour
retenir les terres dans les boyaux, tranchées, abris,
pour confectionner des gabions, des claies, elc.
Une scierie militaire (expéilition de planches).
des châssis de boyaux, des caillebotlis, etc. Parfois,
des scieries automobiles pouvaient se rendre en
forêl, s'installaient à pied-d'œuvre et débitaient sur
place les produits de la coupe, dont elles suivaient
l'avancement.
Les rondins (bois ayant 0'^,\â à 0°',28de diamètre
et tronçonnés en pièces de 3, 4 et de 5 mètres) ser-
vaient à la construction des abris de bombardement
(abris à personnel), des al)ris de mitrailleuses, des pos-
tes de commandement, des casemates à canons, etc.;
le service forestier en constituait des approvisionne-
ments importants àproximilé des lignes et en faisait
livraison au génie ou à l'artillerie, sur leur demande.
Les fagots et les bourrées, confectionnés avec
les ramilles et les menues branches, étaient em-
ployés aux camoullages divers (ouvrages découverts,
routes, etc.), au chauffage des fours de campagne.
Souvent, on les utilisa sur place, pour combler les
ornières ou recouvrir les chemins de forêt défoncés
par les charrois.
Charbon. Le charbon de bois a l'avantage de se
consumer sans produire de fumée, ce qui le rendait
précieux pour les troupes de l'avant; aussi le service
forestier aux armées en fit-il fabriquer d'énormes
quantités pour le chauffagt: des tranchées et la
cuisson des aliments.
«• 147 Mai 1919.
Le bois destiné à la fabrication du charbon est en
général coupé régulièrement à O^.ee de longueur
(deux pieds) ; son diamètre inférieur est de O^.OA
(les brins plus minces brûlant en effet sans profit
dans une meule), mais ce diamètre peut atteindre
O^.IO sans inconvénient, surtout s'il s'agit de bois
blancs; lorsque les bliches destinées à la carboni-
sation ont un diamètre supérieur à O^.IO, on les
refend en deux ou en qualre.
Au fur et à mesure du débit, la « charbonnette «
{ainsi nomme-t-on ces bûchettesdedeux pieds) est em-
pilée en tas réguliers, que l'on abandonne sur la ccupe .
Des charbonniers (professionnels pour la plupart),
prélevés dans diverses unités des Etapes ou même
de l'avant, furent réunis en équipes (de quatre ordi-
nairement) et répartis sur les coupes. Au moyen
de quelques perches, qu'ils recouvraient de menues
branches, puis de feuilles et de terre, chaque équipe
consiruisait sa hutte. C'est là que les charbonniers
vivaient pendant plusieurs mois, occupés d'abord à
préparer des emplacements de carbonisation sur les-
quels ils élevaient leurs meules. Chaque équipe pos-
sédait autour de sa hutte une dizaine de places, qui
ne chômèrent pas : un fourneau éteint et tiré était
aussitôt remplacé par une meule nouvelle. Ces meules
absorbaient en moyenne de 12 à 15 stères de char-
bonnelle et fournissaient environ 700 kilogrammes
de charbon, après une carbonisation dont la durée
variait de 48 à 72 heures. Pendant l'opération, la
surveillance de jour et de nuit était assurée par deux
hommes, alternant par roulement pour la nnit. Le
fourneau éteint, le charbon était tiré et ensaché.
Bois de chauffage. Le bois de chauffage que li-
vrait le service forestier provenait soit de l)ranches,
soit de pieds d'arbres tortusou noueux, inutilisables
à la confection des produits de défense. Cependant,
lorsque les besoins l'exigeaient, on débita en bois
de chauffage (coupé à l" de longueur) des arbres de
toute venue.
Ce bois de chauffage était livré aux troupes sur
bons réguliers, conformément aux allocations accor-
dées par l'Etat pour le chauffage des cantonnements
et la cuisson des aliments; allocations qui variaient,
d'ailleurs, suivant que les troupes étaient cantonnées,
hivouaquées ou en service dans les tranchées et
qu'elles faisaient, ou non, usage de cuisines roulantes.
Les produits dont nous venons de parler étaient,
suivant le peuplement et l'âge de la foret exploitée,
tirés d'une même coupe ou de coupes différentes :
tantôt l'exploitation ne devait donner que des gau-
lettes (coupes d'éclaircie ou de nettoiement), tantôt
LAROUSSE MENSUEL
Qu'il s'agit, par exemple, d'une coupe régulière
devant fournir plus spécialement de la charbonnette
et, accessoirement, des piquets et gaulettes, voici
comment on procédait à son exploitation :
Une première équipe était mise à l'abatage ; munis
de haches et de serpes, les abatteurs coupaient le
taillis en respectant les baliveaux et réunissaient en
775
aucnn accident, les arbres étaient abattus à la hache
et au passe-parlout, ébranchés et tronçonnés en ron-
dins ou grumes, suivant leur grosseur.
III. Transports. — La question du transport des
produits était le problème le plus difficile à résoudre.
Il s'agissait, en effet, de débarrasser le plus rapide-
ment possible les coupes d'une masse énorme de ma-
•^.-'A^'
5, T^ WÏÎ^Ç^P^ î'
Chargement de grumes sur batt-i
las plus ou moins volumineux les perches abattues.
Derrière les abatteurs, venaient les tronçonneurs.
Chncun de ceux-ci était pourvu d'une scie, d'une
serpe, d'un trépied en bois servant de billot (chèvre)
et d'une pige (gaule d'environ 2", 50 de longueur,
entaillée de loin en loin d'encoches correspondant
aux div«rs"s longueurs àss piquets). II .s'installait à
proximité d'un tas de bois abattu, tirait une perche
du tas et, suivant l'aspect, la qualité, la grosseur de
celle-ci, la débitait à la scie ou à la serpe pour en
faire tel ou tel produit. II empilait la charbonnette
k sa gauche, réunissait ses piquets en tas, ainsi que
ManipulaUon mûuani^uti des aibies aliatlus.
elle fournissait des gaulettes, des piquets et de la
charbonnette (coupe régulière faite k la révolution),
tantôt, enfin, uniquement des grumes et des rondins.
L'abatage de la futaie ne présentait rien de parti-
culier, qu'il s'agit de feuillus ou de résineux, les
troncs fournissant grumes et rondins, les branches
bois de chauffage, piquets et fagots ; mais la conduite
d'une coupe de taillis de 25 k 30 ans d'âge (coupe régu-
lière) présentait, au point de vue de la répartition
des équipes de travailleurs, un intérêt tout particulier.
On tirait, en effet, d'une coupe de ce genre des
Eroduits variés (piquets de toutes dimensions, char-
onnette, gaulettes et fagots), et l'exploitation né-
cessitait la constitution de multiples chantiers, dans
lesquels on groupait les hommes les mieux exercés
à chaque genre de travail.
les gaulettes, et jeiail à sa droite les chutes et brin-
dilles uniquement propres à faire des fagots
Piquets et gaulettes, abandonnés sur place par le
tronçonneur quand son tas de bois était terminé,
étaient ramassés par de nouvelles équipes : les pi-
quels étaient transportés k proximité des chemins,
aiguisés, puis empilés par sortes ; les gaulettes, réu-
nies en bottes, apportées également au bord des
chemins en tas réguliers. Parfois, on procédait au
nettoiement complet de la coupe en façonnant des
fagots et des bourrées; d'autres fois, celle fabrica-
tion n'étant que très accessoire : les brindilles étaient
abandonnées sur place.
Si la coupe comportait l'abatage de la a:' 'e de
nouvelles équipes venant derrière les précédentes et
assez loin pour que la chute des arbres n'occasionn&t
tériel. Les chemins forestiers ne se prêtaient guère
à cette besogne ; d'un accès toujours difficile, parfois
même impossible aux gros véhicules, ces chemins
ne tardaient pas, en tout état de cause, à devenir
impraticables ; les continnels charrois les défonçaient
rapidement et, sans cesse, il fallait les remettre en
état de viabilité, soit par des apports de pierres
(lorsqu'on trouvait des carrières k proximité), soit
en les chargeant de fagots serrés, de branchages,
ou même de rondins.
L'enlèvement des gaulettes, des piquets, du char-
bon de bois, des fagots, en un mol des produits légers,
se faisait par porteurs, ou par pelites voilures
pouvant aborder les chemins difficiles et pénétrer
jusque sur la coupe. Mais il n'en allait pas cle même
des grumes et rondins.
Pour enlever ces pièces volumineuses et lourdes,
on ne pouvait songer à faire circuler sur les coupes
de forts véhicules, qui, une fois chargés, s'y fussent
enlisés ; on sortait alors les pièces une à une, et on
les amenait jusqu'aux chemins accessibles en pra-
tiquant tantôt le traînage (par chevaux, mulets ou
bœufs), tantôt l'enlèvement par fardiers (Iriqueballes
et autres véhicules spéciaux). Le chargement et le
déchargement des véhicules se faisait le plus souvent
à bras, au prix de mille difficultés et d'un pénible
labeur. De rares chantiers étalent pourvus d'appa-
reils de manipulation et de transport à vapeur.
Il est maintes fois arrivé que 1 exploitation, pour
être productive, exigeait des installations toutes
spéciales, en raison de la nature du sol ou des dif-
férences de niveau existant entre la forêt et les
chemins. C'est ainsi que, fréquemment, il a fallu
construire des voies ferrées (voles normales ou voies
étroites), des schlittes, toboggans, glissoires, etc.,
afin de pouvoir amener les produits à proximité
d'une estacade d'embarquement où venaient s'ap-
provisionner chariots et camions, près d'un quai
de chemin de fer ou des bords d'un canal.
Les animaux et le matériel de transport (camions
automobiles, voitures à traction animale) étaient mis
par les généraux commandant les régions à la di.'
position des travailleurs forestiers et suivant les bb
soins de ceux-ci. Ordinairement, d'ailleurs, il était
adjoint à chaque compagnie de travailleurs un dé-
tachement de C. 'V. A. X. (convois auxiliaires) du
train des équipages : chevaux et voitures.
Les véhicules n'étaient pastoujoursadaptés aux tra-
vaux qu'ils devaient effectuer : c'étaient, en effet, des
voiluresde toutes formesetde tousmodèlesquiprove-
naientde réquisitions. Toutefois, ringénlosilédes trou-
piers suppléa, là encore, à l'insuffisance des moyens :
Earmi les travailleurs forestiers, cultivateurs pour
i plupart et, par nécessité de métier, plus ou moins
charrons et forgerons, il fut facile de trouver des arti-
sans qui transformaient les voitures et les mettaienl
en état de servir utilement aux besoins du chantier.
Cette organisation du service forestier donna les
meilleurs résultats; elle permit de fournir à la dé-
fense des quantités considérables de bois, tout en
ménageant l'avenir de nos forêts.
Les R. A. T., qu'on avait, au début de la cam-
pagne, envoyés au feu, puis affectés aux travaux de
défense des premières lignes, ces hommes, dont on
fit successivement des maçons, des charpentiers,
776
des cantonniers, etc., et qui, tous âgés d'au moins
44 ans, pères de famille pour la plupart, ayant sou-
vent un (ils ou deux aux armées, ces H. A. T.
s'étaient mis k l'exploitation forestière avec autant
de courage, de patience, de bonne volonté qu'à
toutes les besognes auxquelles on les avait succes-
sivement employés.
11 convient de leur adresser ici un juste tribut de
louanges pour la somme prodigieuse de travail qu'ils
ont fournie. Us auront été, pour une large part, les
artisans de la victoire. Ni les communiqués, ni les
comptes rendus, jamais n'ont dit les efforts accom-
plis par ces ouvriers modestes, par ces vieux braves,
que les " bleuets » avaient désignés sous le sobriquet
un tantinet moqueur de " pépères ». Lelabeurobscur
de ces vieux soldats, soumis, comme les jeunes, aux
intempéries des saisons, aux aléas des cantonne-
ments et des bivouacs inconfortables, astreints à
des corvées de toute sorte, exposés longtemps à
d'intenses et meurtriers bombardements, n'a peut-
être pas été suffisamment reconnu et apprécié.
Les R. A. T. ont montré, cependant, une noblesse
et une grandeur d'âme admirables; ils ont fait
preuve de qualités d'endurance et môme d'un en-
train dont leur âge aurait pu faire douter.
Réduits au rôle d'auxiliaires, ces collaborateurs
modestes n'ont jamais lait partie de formations bien
nettement déterminées. Ils étaient troupes non en-
diviiionnées, dispersés par groupes, éparpilles au
hasard des exigences formulées par les services ;
ils dépendaient de tel ou tel (artillerie, génie, ser-
vice forestier, etc.), qui, ses plans exécutés, ses
projets réalisés, les renvoyait à leur unité lointaine
sans grande l'ormalilé. Devenus troupes d'étapes,
ils furent utilisés aux besognes les plus diverses.
Mais, disciplinés et laborieux, ingénieux et dévoués,
ils ont passé ici et là sans qu'aient faibli jamais leur
courage et leur bonne volonté.
Nous nous estimons heureux de pou voir leur rendre
ici un public hommage, avec l'espérance qu'au livre de
la Grande Guerre, il leur sera consacré le chapitre élo-
gieux dont ils se sont montrés dignes. — Pierre Mohnot.
Fourragère. (V. récompenses de guerre,
Lar. Mens., t. III, p. 931.) La fourragère a disparu
de l'armée française après la guerre de 1870. Elle
revit depuis la guerre de 1914. Après n'avoir été
autrefois qu'un ornement de parade devenu sans
utilité, elle consacre, maintenant, les gloires de ceux
de nos régiments qui ont mérité plus particulièrement
la reconnaissance de la France par leur conduite et
leurs sacrifices devant l'ennemi. Son acte de nais-
sance est la circulaire ministérielle du 21 avril 1916.
Origines de la fourragère. — Les origines de la
fourragère sont très confuses; il faut bien avouer
que nous ne savons encore rien de précis sur le
sujet, jusqu'aux guerres de la Révolution tout au
moins. La preuve de cette obscurité est la multi-
plicité des légendesia-
contées par les divers
auteurs ;légendesqu'ils
appliquent indistincte-
ment à la fourragère et
aux aiguillettes, quel-
quefois sans bien dis-
cerner les différences
de ces deux attributs.
Les aiguillettes ser-
vaient autrefois, et
même jusqu'au début
du xvi" siècle, d'instru-
ments d'atlachedes vê-
tements, des pièces
d'équipement ou d'ar-
mures ; aussi, ce qui
les caractérise, c'est le
/"en-e/, cette enveloppe
métallique de l'extré-
mité du cordon d'atta-
che{aiguille), analogue
à nos aiguilles métal-
liques de lacets de
chaussures.
La fourragère dérive d'une autre idée : c'est le
souvenir de la corde à fourrage que le soldat, pour
plus de commodité, enroulait autour de ses épaules.
Gomme on le verra plus loin, la fourragère, en raison
de son emploi, ne comportait pas de ferrets; c'était
une corde avec de gros nœuds, de grosses tresses à
ses extrémités, que, dans le langage usuel, on appe-
lait des raquettes.
Il ne faut pas nier, cependant, que les aiguillettes,
dans la suite, ont pu aussi rappeler le souvenir de
cordes à fourrage, de cordes d'écurie, d'attaches
pour les chevaux, de cordes servant à lier les mal-
faiteurs et même à les pendre, comme le voudrait
l'anecdote, souvent racontée, mais dont la source est
inconnue, du duc d'Albe et d'un corps de Flamands
qui avait lâché pied. (V. Nouveau Larousse illustré,
AIGUILLETTES.)
Historiquement, l'aiguillette est aussi ancienne
que la chevalerie. Après la disparition des armures
et l'adoption d'instruments d'attache pins pratiques,
tels que les boutons, elle subsiste comme attribut,
Les aig^uillettes bous Louis XIV.
Le cordon de shako, sous
le Directoire.
LAROUSSE MENSUEL
comme insigne de grade; on la trouve dans les
livrées, spécialement des hommes de cheval ou au
service des écuries; on la trouve comme insigne de
grade même chez des offi-
ciers d'infanterie, comme
attribut de certains corps
d'élite. Dès lors, elle ne se
porte plus qu'à une seule
épaule ; ce sera l'usage
adopté à partir du règne
de Louis XUl environ.
Pour ce qui est de la
fourragère, il ne faut peut-
être pas remonter aussi
loin dans le passé. Dans
le Dictionnaire de l'ar-
mée de terre du général
Bardin (Gorréard, 1851,
4 vol.), il y est dit, au
mot « aiguillettes », que,
suivant des écrivains, «les
dragons de la milice au-
trichienne, dans le siècle
de leur création, portaient
la corde à fourrage à la
place et de la manière dont
on porte aujourd'hui l'ai-
guillette sur l'habit ».
On sait l'engouement
avec lequel furent adoptés
en France les costumes
hongrois dans la dernière
partie du xviii» siècle ;
c'était l'époque de la foniialion des régiments de
hussards fiançais, avec tout le pittoresque original
et capricieux du costume et des traditions des hus-
sards hongrois. Gecostumes'étaitimposé, versl762,
à toutes les milices hongroises; en France, on imita,
on copia, avec les shakos, les dolmans, les pelisses,
les cadenetles, etc., toute la fantaisie orientale des
bords du Danube. Tous les corps se piquaient
d'être « à la hussarde ». On comprend, dès lors,
que, sous cette influence, la mode ait pu s'intro-
duire, à cette époque, dans nos nouveaux régi-
ments de hussards, de porter la corde
à fourrage autour des deux épaules,
comme cela venait d'être fait en Hon-
grie ; c'est une hypothèse très accepta-
ble, mais que, cependant, avouons-le,
les dessins ou gravures du temps ne
viennent pas nettement corroborer.
Toujours est-il qu'il fallut les guerres
delaRévolutionpour fixer les éléments
définitifs de la fourragère et pour dé-
terminer une modification profonde
dans la manière de la porter.
Les hussards avaient adopté le shako, Modèle
cette coiffure à forme cylindrique (le
mirliton), très haute, sans visière, à
flamme flottante, dont il est fait mention dans le
règlement du 25 avril 1767; mais cette coiffure,
illogique et plutôt incommode, affirmait ses incon-
vénients, spécialement comme coiffure de cavalerie
légère. Aux allures vives, à travers les branches,
dans les fourrés,
par les temps de ,..™'''i"i«\
bourrasque, au mi-
lieu des chocs du
combatetdes corps
à corps, le shako
quittait la tête du
cavalier et se per-
dait; il fallait l'as-
sujettir ou, tout au
moins, l'empêcher
de tomber à terre;
on eut recours à la
fourragère pourcet
office. L'extrémité
libre de la fourra-
gère vint s'attacher
à la partie supé-
rieure et arrière du
shako, de telle sorte
que la coiffure pou-
vait chavirer, mais
ne se perdait pas.
D'ailleurs, au
cours du xviii' siè-
cle il en avait été
de même pour les
bonnets à poil dont
étaient coiffées les
compagnies de gre-
nadiers des milices
du Nord : les jours
d'action, dit Bardin
dans son Diction-
naire, des cordons
entouraient les bras et la poitrine du soldat et
venaient s'attacher au bonnet.
L'usage, dans la cavalerie légère, de maintenir la
coiffure avec la fourragère n'apparaît que pendant les
guerres de la Révolution. Aucun dessin représentatif |
«• 147. U&l 1910.
des costumes antérieurs à la Révolution ne révèle le
port de la fourragère à la coiffure (ni même autour
des épaules) ; on ne commence à le constater qu'à
partir de 1798, ce
qui coïnciderait avec
1 expédition d'Egyp-
te, oti l'on se prit da-
vantageencore à imi-
ter les modes orien-
tales. A partir de
celte époque, nous
n'avons plus d'incer-
titude : touteslesgra-
vures,tous lesdessins
nous représentent ce
cordon largement
flottant, qui, du haut
de la coiffure, des-
cend pour s'enrouler
autour des épaules.
La fourragère existe
donc en France de-
puis 1798 environ.
Nous voyons tout (le
suite que ce cordon,
perdanttoutle souve-
nir desonutilitépre-
mière (la corde ser-
vant à lier le four-
rage), est devenu ex-
clusivement un cor-
dond'attache, destiné j
à relier la coiffure
Une remarque im-
portante doit être
faite : cet attribut
n'a jamais porté le
nom de <i fourragère »
dans nos règlements
militaires et nos descriptions officielles d'uniformes;
nulle part on ne rencontre cette expression: c'était
une appellation usuelle, mais non réglementaire, et
voilà pourquoi on rechercherait vainement cette
dénomination dans notre vieux Journal militaire
Le cordon de shako,
sous la Restauration.
À
Le cordon de colback,
à la fin du premier Empire.
1 cordon de shako (fourragère) en ISitt, d'aprëe le règlement
signé par le maréclial Soult.
officiel, comme dans le Dictionnaire de Bardin. La
fourragère portait un nom beaucoup plus simple :
c'était le cordon de sitako, de colback ou de chapska.
Pour fixer les idées, il suffira de rappeler les dis-
positions contenues dans l'un de nos règlements,
portant description d'uniformes, celui de 1845;
règlement signé du maréchal Soult, duc de Dalmatie.
La fourragère a peu varié, avant comme après.
Le cordon de shako et de chapska était formé de
4"», 70 de cordon
simple en laine
ou en fil, d'un
diamètre de 5 à
6 ""/m. Il était
complété par
deux plaques (ra-
quettes) en gui-
pure de laine, du
diamè t re de
80 "'/m, une man-
chette de même
tissu, trois glands
à franges faisant
suiteauxplaques,
quatre coulants,
deux tenons de
laine.
L'ordonnance
prescrivait d'ac-
crocher le tenon
de gland au bou-
ton supérieur du
revers de gauche
de l'habit, le te-
non de plaques à
un bouton infé-
rieur du même
côté, pour les empêcher de sauter dans les allures
vives. Le cordon, ramené devant la poitrine, pas-
sait par-dessus l'épaule droite, puis derrière le dos,
pour revenir par devant, en passant sous l'ais-
selle gauche. Alors, on séparait les deux brins, on
passait la tête entre les deux ; le premier coulant
était serré contre le pied du collet de l'habit par
devant, le deuxième de la même manière, prèi du.
Le cordon de colback
des guides du second Empire.
«• 147. Mal 1919
collet, par derrière. Les deux brins, ainsi rapprochés,
étaient seiTés par le 3« coulant ; le cordon s'accro-
chait alors par un tenon à la coilTurc, au soiiiinet
de la partie arrière; le 4" coulant le serrait contre
la ganse de cette coiffure.
Les corps de cavalerie porteurs de la fourragère
étaient :
Les hussards, coifTés du shako (remplacé par le
colback à partir de 1858). La couleur était celle
affectée aux tresses du dolinan et de la pelisse (on
sait que les couleurs variaient, alors, suivant les
régiments de hussards) ;
Les chasseurs, coiffés du colback. La couleur était
blanche pour la troupe, tricolore pour les trom-
pettes ;
Les lanciers, coiffés du chapska, couleur blanche;
Les guides, coiffés du colback, lorsqu'ils furent
rétablis sous le second Empire.
L'artillerie, coiffée du shako (sauf les trompettes
et les musiciens, qui portaient le colback), avait la
fourragère écarlate.
La fourragère des officiers était en tout semblable
à celle de la troupe quant aux formes et aux dimen-
sions : en or ou en argent, suivant le mêlai du bou-
ton, avec diverses modificalions dans le travail de
passementerie, pour les ofliciers supérieurs.
Après la guerre de 1870, à la réorganisation de
l'armée, on élagua le plus possible tout ce qui pou-
vait être de pure parade dans les uniformes; la
cavalerie légère et l'artilleiie perdirent leurs col-
hacks, pour recevoir uniformément des shakos, de
proportions très réduites et sans autre ornement
extérieur que les gourmetles métalliques. Dès lors,
la fourragère disparut. Tant pis pour la coquetterie,
l'esprit de tradition et l'amour de la vieille locarde!
En tout cas, on ne saurait Irop insister sur ce
point que la l'ourragère n'a jamais été portée que
par les troupes à cheval et par celles seulement
qui étaient coiffées du shako, du kolback et du
chapska, alors qu'à la même époque, les aiguil-
letles étaient portées par certains corps d'élite d'in-
fanterie comme de cavalerie, par la gendarmerie,
par les officiers du corps d'état-major.
La nouvrlle fonrrar/ère, insigne de distinction.
— La circulaire du aiavril 1916 a créé la nouvelle
fourragère ou,
filut6t, adonné
e nom de /'our-
ragèreh un in-
signe spécial,
accordéàlacol-
lectivitédesmi-
lilairesdesrégi-
ments et unités
formant corps
qui se sont dis-
tingués devant
l'ennemi. I^a
condition fon-
damentalepour
l'obtenirestque
le régiment ait
étécitéàl'ordre
de l'armée. La
fourragère est
destinée à rap-
peler d'une fa-
çon perma-
nente et appa-
rentelesaclions
d'éclat qui ont
fait l'objet des
citations. Elle
est pour l'ensemble des militaires du régiment ce
qu'estla croix de guerre pour les individus qui ont rem-
porté des citations. Elle est la propriété du régiment,
comme la croix de guerre est celle de l'individu.
Attribution. — Les régiments et unités formant
corps doivent avoir obtenu un nombre déterminé de
citations pour se voir attribuer la fourragère. L'in-
signe leur est conféré par le commandant en chef
des armées françaises. Le ministre de la guerre en
ratifie l'attriliution en faisant insérer au Journa/o/'^-
ciel de la République et au BuUelin officiel du mi-
nistère de la guerre la liste de ces régiments etunités,
avec l'énoncé intégral des citations obtenues. La pre-
mière liste publiée porte la date du 30 juin 1916.
La fourragère n'est pas, d'ailleurs, réservée aux
seuls fronts de guerre européens; elle peut être
attribuée aux troupes opérant au Maroc, dans
l'Afrique du Nord, aux colonies, avec cette restric-
tion, néanmoins, que, dans les deux derniers cas,
les commandants en chef ou supérieurs des troupes
ne feront que proposer à l'agrément du ministre.
Au début, il n'y avait qu'une seule fourragère :
celle tressée aux couleurs de la croix de guerre
vert et rouge mélangées. Il fallait au régiment
deux citations au moins pour l'acquérir. Mais nos
superbes unités ne marchandaient pas leur dévoue-
ment; les actes d'héroïsme et, avec eux, les citations
à l'ordre se multiplièrent; il fallut embellir la four-
ragère, créer des degrés dans la distinction. Ce fut
l'œuvre d'aliord de la circulaire du 12 juin 1917, qui
créa une fourragère aux couleurs de la médaille m\-
l.«B aiguillettes d'orflcier d'état-major
80UI la troisième République.
LAROUSSE MENSUEL
litaire (jaune) pour quatre et cinq citations, celle du
20 octobre 1917 aux couleurs de la Légion d'honneur
(rouge) pour six à huit citations; enfin, la circulaire
du 11 septembre 1918 ajouta trois degrés nouveaux,
ce qui porte le total définitif à six. A partir du qua-
trième degré, la fourragère est double.
Dès lors, une partie de ce double cordon étanttou-
jours de la couleur du ruban de la Légion d'honneur,
l'autre partie est de la couleur de la croix de guerre,
de neuf à onze citations; de la couleur
de la médaille militaire, de douze à qiia-
torze citations ; de la couleur de la Lé-
gion d'honneur à partir de quinze
citations.
Il y a donc là toute une série d'éche-
lons, formant une gamme en harmonie
avec celle des trois décorations indivi-
duelles : croix de guerre, médaille
militaire. Légion d'honneur.
Droits des individus. — Il a été dit
que la fourragère est un insigne per-
manent ; cela équivaut à dire qu elle
est la propriété du régiment. En effet,
les militaires faisant partie du régi-
ment, soit à l'époque où elle a été
conférée, soi tdans l'avenir, à un moment
quelconque, ont le droit de la porter;
mais, par contre, ces militaires perdent
ce droit dès qu'ils ont quitté le régi-
ment, même s'ils portaient le numéro
de l'unité quand elle a été décorée, le
tout avec les importantes réserves qui
vont être indiquées.
Le droit existe pour les officiers et
pour les hommes de troupe, qu'ils
soient aux armées avec le régiment, ou
à l'intérieur avec le dépôt ou dans un
service quelconque, pourvu qu'ils soient inscrits, à
quelque titre que ce soit, sur les contrôles du dépôt.
Néanmoins, ceux qui appartiennent au dépôt ne
peuvent prétendre au port de l'insigne que s'ils
ont figuré sur les contrôles de ce même corps avjc
«»'(nees; peu importent, d'ailleurs, le temps et la durée
de celte inscription (circulaires combinées du 25 juil-
let 1916 et du 18 avril 1917).
11 vient d'être dit que les militaires qui quittent le
corps perdent par cela même le droit au port de la
fourragère. Il eût été injuste de traiter tout le monde
avec celte rigueur, d'autant plus que la bravoure de
celui qui est appelé à changer de corps pouvait avoir
largement contribué à l'action d'éclat qui a emporté
la citation, et, s'il était affecté à un régiment sans
fourragère, c'était, à ses yeux, subir une sorte de
déchéance. Il a donc été décidé que les militaires
ayant effectivement pris part à l'ensemble des faits
de guerre visés dans les citations auront le droit
de conserver la fourragère après leur départ du corps
et leur passage dans un régiment auquel la même
fourragère n'est pas attribuée. Ils la conserveront
de la couleur correspondant au nombre de citations
acquises par les actions auxquelles ils ont participé
(circulaire du 11 sept. 1918). Une attestation du chef
de corps certifiera ce droit au moment de la radiation
des contrôles; mais, pour éviter toute confusion, la
fourragère ainsi conservée portera sur un coulant
placé au-dessus du ferret le numéro en métal du corps
d'origine. Ce droit pourra être retiré aux militaires
qui, après leur changement de corps, s'en rendraient
indignes, soit par suite de condamnation, soit par
leur mauvaise conduite (circulaire du 25 juillet 1916).
Description. — La fourragère est une tresse for-
mée d'un cordon rond natté à trois brins, terminé
par un nœud et par un ferret. Son diamètre est de
6 millimètres, sa longueur de 3™, 15. Le ferret, en
métal uni de la couleur des galons de grade, a
11 millimètres de hauteur.
Le nœud à forme de trèfle, qui forme l'une des
extrémités du cordon, se fixe à l'épaule. Le ferret
reste libre à l'autre extrémité.
La fourragère se porte à l'épaule gauche. En tenue
de campagne, c'est-à-dire avec l'équipement, elle
fait le tour du bras gauche, s'agrafe à la même
épaule ; — en tenue de sortie, l'extrémité libre est
agrafée, au moyen du même anneau, au deuxième
bouton d'uniforme du vêtement.
Telle est donc la distinction nouvelle destinée à
commémorer, dans l'armée et aux yeux des popu-
lations, les hautes actions de la Grande Guerre. On
lui a donné le nom de fourragère alors que, par ses
caractères, elle constitue une véritable aiguilletle.
Sans doute, c'était un peu une hérésie de lui don-
ner une pareille appellation, maisie public l'a accueil-
lie telle quelle et s'est pris à l'aimer. Respectons donc
le nom de fourragère. Il est consacré. Oubliant ses
origines et son passé, rangeons la nouvelle four-
ragère parmi les emblèmes de nos gloires natio-
nales. -* Commt JuLUSN.
Guerre en 191 4:- 1919 (la). [S«i/e.] —
En terminant notre dernière chronique, qui résu-
mait les événements du mois de février, nous avions
émis l'espoir que les décisions de la Conférence de
la paix allaient ae précipiter et que le monde rece-
vrait k bref délai le statut qui doit lut rendre le
777
calme. Cette prévision optimiste ne s'était pas
réalisée en mars. Par contre, de multiples circons-
tances, ainsi que des faits graves et imprévus, nous
obligeaient à craindre non plus que la lettre même
du traité tardât à être rendue publique, mais que
le traité lui-même fût, sur bien des points et dés
l'abord, inopérant. En dépit des précautions de
langage qui s'imposaient à la presse française du
fait que nous avions à remplir envers nos alliés et
La nouvelle fourragère, criée le 21 avril 1916.
nos hôtes des devoirs de reconnaissance et d'hospi-
talité, en dépit, aussi, delà surveillance étroite qui
continuait à s'exercer en France, et rien quen
France, sur toutes les publications, des critiques,
presque toujours mesurées de ton, mais très solides
au fond, avaient éclaté dans les journaux et les
revues; le Palais-Bourbon avait retenti non seu-
lement des clameurs furibondes des amis de nos
ennemis et des artisans de révolution, mais encore
du réquisitoire des hommes les plus sages et les
mieux informés. Au reste, l'altitude de plus en
plus arrogante de l'Allemagne, les difficultés crois-
santes qu'elle opposait au règlement de questions
d'où la paix dépendait évidemment, l'indécision,
chaque jour plus périlleuse, de l'Entente à l'égard
du bolchevisme russe, les progrès incontestables
de la contagion maximaliste vers l'Occident et la
révolution de Budapest suffisaient pour justifier
les inquiétudes de l'opinion publique. Ce ne sera,
d'ailleurs, pas la moindre surprise des historiens
futurs qu'à l'heure même où l'anxiété grandissait
chaque jour, la passivité générale ail pourtant sup-
porté sans révolte l'attente d'événements qiieLloyu
George lui-même jugeait si inquiétants que, disait-il,
n il n'aimerait pas à prédire ce qui arrivera d'ici
un an ou deux ». On s apercevait tardivement de la
faute que l'on avait commise en ne réglant pas
d'autorité, au moment même de la défaile alle-
mande, les questions territoriales qui dominent la
situation et en ne prenant pas vis-à-vis de nos en-
nemis vaincus l'altitude de protection raisonnée
qui leur eût ôté toute idée de protester contre notre
justice. Au lieu de diriger la reconslitulion de
l'Allemagne et de l'orienter dans un sens purement
allemand, ce qui eût ruiné l'idée d'unilé à la prus-
sienne, nous avions laissé chez nos voisins l'anar-
chie s'installer à côté de l'impérialisme, et nous
n'avions pas songé un instant à profiler de leur
détresse alimentaire pour apparaître en vainqueurs
généreux. Bien plus, laissant en suspens la question
polonaise et la question autrichienne, nous avions
d'une part abandonné sans défense un Etat naissant,
dont la faiblesse inévitable aurait dû être solidement
étayée, et renoncé d'autre part aux avantages que
peut nous assurer l'existence, surle Danube, d'un Etat
allemand autonome. Enfin, nous n'avions eu, il faut
bien le redire encore, aucune politique russe, et les
avances maladroites que l'on avait faites au gouver-
nement bolcheviste par l'offre de la conférence de
Prinkipo prouvaient uniquement chez leurs auteurs
une grave erreur de jugement, qui laissait place à une
récidive plus dangereuse. On ne pouvait même pas
affirmer que la perspectived'une Société des nations,
garante de la paix, nous promit une paix sûre. Trop
de contradictions apparaissaiententrelaféliciléidéale
qu'on nous forgeait et les réalités qui accusaient si
brutalement la violence humaine encore déchaînée.
— Nous ne faisons ici, qu'on veuille bien le remar-
quer, que résumer en quelques lignes ce qui s'était dit
et écrit au cours du mois de mars. De jour en jour,
l'urgence d'une conclusion croissait et, précisément
parce que cette nécessité s'affirmait, beaucoup se
demandaient si les solutions qui seraient adoptées,
et qu'il faudrait ensuite faire adopter à l'Allemagne,
ne se ressentiraient pas de la h,Ate subite qui s'im-
posait aux arbitres responsahici. Une dernière ob.ier-
vation ne pouvait manquer de le présenter à l'esprit.
778
Elle découlait de la personnalité même de ces arbi-
tres, dont le nombre s'était peu à peu réduit, à la
fin du mois, jusqu'à l'extrême limite, et qui, tout à
la fois négociateurs et chefs de gouvernement, ne
pouvaient se dérober à la terrible obligation d'en-
gager à fond, sur chaque question, non seulement
toute leur autorité personnelle, mais le pays tout
entier qu'ils représentaient sans contrôle, de sorte
qu'ils étaient condamnés à ne jamais se tromper ni
faiblir, sous peine de compromettre irrémédiable-
ment l'avenir matériel et le prestige moral du peuple
qui leur avait remis ses destinées ; situation assuré-
ment insolite et périlleuse, dont les rares essais qui
en ont été faits dans l'histoire n'étaient pas pour ras-
surer les inquiétudes. Nos lecteurs croiront sans peine
que nous n'écrivions pas sans tristesse ce qui pré-
cède. Nous gardions, par contre, une loi inébran-
lable dans le robuste bon sens et dans l'énergie de
la nation française. Portant nos regards en arrière,
nous contemplions le chemin parcouru depuis 1914
et, songeant aux justes angoisses que nos cœurs ont
surmontées, nous écartions par la pensée les nuages
qui couvraient l'horizon, et nous nous fortifiions dans
I espérance d'un avenir, peut-être laborieux et dif-
ficile, du moins solide et fructueux.
Nous avions formé le projet, au moment de l'ar-
mistice, de donner à nos Chroniques une l'orme plus
systématique et d'y faire à chaque pays une place
spéciale, qui permît au lecteur de suivre le dévelop-
pement particulier de chaque Etat. On constatera
certainement avec nous qu il faut encore ajourner
l'exécution complète de ce plan. La confusion qui
règne en Europe oblige à envisager l'ensemble des
événements et à leur donner une place en rapport
avec les répercussions qu'ils ont sur la politique
générale. 11 n'y avait eu en mars — de longtemps il
n'y aura — que deux questions essentielles, qui do-
mment toutes les autres et qui se tiennent : la
question allemande et la question russe.
Où en était l'Allemagne à la fin de mars? La si-
tuation intérieure s'était, dans l'ensemble, peu mo-
difiée. Le gouvernement Ebert-Scheidemann restait,
en somme, le maître. Les troubles du début du mois
avaient été vigoureusement réprimés et, pour le
moment, les spartakistes se tenaient tranquilles.
Sans doute, les journaux français n'avaient cessé de
prédire de nouvelles poussées extrémistes. Même,
se montrant mieux renseignés sur les affaires alle-
mandes que sur les nôtres, ils assignaient des dates.
II avait été sage de n'accorder à ces prédictions
qu'une valeur relative. On n'avait pu ne pas remar-
quer le contraste qui s'était marqué entre les récits
qui nous étaient faits de l'instabilité gouverne-
mentale dans l'Etat allemand et les tentatives très
nettes de révolte que ce même gouvernement, qu'on
nous représentait comme menacé à toute lieure,
avait esquissées pour se soustraire aux obligations
que lui imposait l'armistice du 11 novembre. De
même, tout homme réfléchi avait été frappé de ce
fait que le besoin sans cesse proclamé de ravitail-
lement sous peine de famine n'était pas tel que le
gouvernement n'eût cru pouvoir risquer de com-
promettre l'arrivée des vivres tant réclamés. Cette
opposition s'était manifestée clairement lors de l'in-
cident de Spa, le 6 mars. Au cours des pourparlers
qui se tenaient dans cette ville entre les commis-
sions d'armistice des parties belligérantes, il s'était
agi de régler la livraison de la flotte commerciale
allemande et, par voie de conséquence, le ravitail-
lement de l'Allemagne. Les délégués allemands
avaient émis la prétention de subordonner la red-
dition de leurs navires de commerce à un engage-
ment formel et bilatéral de l'Entente de fournir à
l'Allemagne deux millions et demi de tonnes de den-
rées alimentaires. Les commissaires alliés s'étaient
à juste titre refusés à accepter cette prétention et
avaient maintenu le droit, dérivant de l'armistice,
d'exigerla reddition de la flotte sans conditions, affir-
mant, d'ailleurs, la bonne volonté de l'Entente pour
le ravitaillement et réservant le sort ultérieur du ton-
nage allemand. Les pourparlers avaient été rompus.
Une pareille extrémité n'était l'indice ni d'un gouver-
nement aux abois ni d'un pays mourant de laim. La
Conférence de Paris avait maintenu les termes de la
convention et, le 14 mars, à l'entrevue de Bruxelles
où l'amiral Weymiss avait notifié aux délégués alle-
mands les décisions de l'Entente, ceux-ci s'étaient
soumis. Ils avaient accepté de livrer leur flotte, et
les Alliés avaient levé le blocus pour une livraison
mensuelle de 'iOO.OOO tonnes de céréales et de
70.000 tonnes de matières grasses jusqu'à la pro-
chaine récolte. Les Allemands avaient donc capitulé.
Mais, en dépit du bruit fait autour de cette soumis-
sion et de la procédure qu'on y adopta pour l'enre-
gistrer par un acte, il ne put échapper qu'en somme
nos ennemis avaient obtenu ce qu'ils voulaient, c'est-
à-dire la garantie d'une quantité de vivres sensible-
ment égale à celle dont ils ont besoin. Certes, ils
eussent pu obtenir à Spa ce qu'on leur accorda à
Bruxelles et s'éviter l'apparence d'une humiliation.
Il est donc très caractéristique qu'ils aient essayé
de résister. Au surplus, il est difficile de savoir si
les vivres accordés leur étaient, en réalité, indis-
pensables. Assurément, l'Allemagne n'était pas au
J, Nùulens, président de la uiiasion alliée
en Pologne.
LAROUSSE MENSUEL
large en matière alimentaire. Mais elle souffrait
plus de l'absence d'un ordre régulier dans la dis-
tribution des vivres que de la disette même. Même
après la signature du protocole de Bruxelles, l'exé-
cution de l'engagement pris par elle se trouva
retardé par la menace de grève d'une partie des
matelots de Hambourg qui terrorisa le reste. Là
encore, le gouvernement vint à bout de la difficulté
et prouva qu'après tout il était le maître.
Plus significatif encore fut l'incident de Posen.
Le 5 mars, avaient été entamés à Kreutz, pour le
règlement de la
frontière de la
Pologne et de
l'Allemagne, des
pourparlers qui
semblaient de-
voir aboutir. Peu
à peu, on sentit
une résistance.
Successivement,
les deux princi-
paux délégués
allemands, le gé-
néral Dommeset
von H e i c h e n-
berg, quittèrent
Posen, où avait
été transportée la
Conférence, sous
le prétexte d'al-
ler chercher des
instructions à
Berlin. Revenu au bout de trois jours, Reichen-
berg éluda toute réponse avec une mauvaise foi
si évidente que l'ambassadeur J. Noulens, chef de la
mission alliée, rompitles négociations. Elles n'avaient
pas été reprises à la fin de mars. Bien plus, la ques-
tion s'était gravement compliquée. L'armistice du
11 novembre imposait aux Allemands l'obligalioii de
laisser l'Entente envoyer des troupes eu Pologne,
et l'Entente voulait y renvoyer les troupes polonaises
du général Haller, inoccupées en France, alors qu'en
Pologne les attaques allemandes, ukrariennes et bol-
chevistes, rendaient leur présence indispensable. La
Conférence de Paris avait décidé que l'armée Haller
serait rapatriée par Dantzig. Or, au même moment,
elle discutait les frontières germano-polonaises et,
sans être parvenue à fixer la largeur du couloir qui
assurerait à la Pologne la possession de la basse 'Vis-
tule et l'accès au port de Dantzig, elle avait laissé
entendre que ce port serait compris dans l'Etat polo-
nais. L'Allemagne avait déclaré qu elle se refusait
à laisser l'armée Haller débarquer à Dantzig, tout en
offrant de la rapatrier par SIettin. Kœnigsbers', Me-
ineletLibau.EUe
arguait, pour re-
fuser l'accès de
Dantzig, qu'elle
n'avait pas com-
pris, le 11 no-
vembre, qu'il s'a-
gît de troupes
polonaises, qu'au
surplus c'était
Paderewski lui-
même qui avait
déchaînéuneagi-
tation anti-alle-
mande lors de
son passage à Po-
sen. Elle deman-
dait, par suite,
qu'on la garantît
contre les trou-
bles que pourrait
causer,en Prusse
orientale, la pré-
sence des troupes du général Haller. Le conflit était
aigu au 31 mars. Pour le régler, le maréchal Foch
devait se rencontrer à Spa avec Erzberger. Il fallait
arriver à une rupture ou à une transaction.
L'explication de cette situation nouvelle et de
l'arrogance de l'Allemagne devait être cherchée à la
fois dans les lenteurs de la Conférence et dans l'auto-
rité, vraisemblablement fortifiée, du parti militariste
allemand. Ebert, Scheidemann et Noske avaient dû
s'appuyer sur les restes de l'ancienne armée pour
venir à bout des spartakistes. Ils risquaient, main-
tenant, d'être débordés par cette alliée envahissante.
Des manifestations militaristes caractérisées avaient
eu lieu. Sans compter les paroles impérialistes pro-
noncées à Rotterdam, au dernier jour de février,
par le général colonial von Letlow-Vorbeck, qui
fut accueilli en Allemagne avec enthousiasme, il
était certain que les anciens officiers formaient un
groupe puissant, qui, le 23 mars, avait manifesté à
Berlin et acclamé Ludendorf, rencontré dans la
rue. Scheidemann avait dénoncé cette manœuvre
à l'Assemlilée de Weimar et annoncé la formation
d'une Haute Cour pour juger les responsables de la
guerre; mais il avait été froidement accueilli et, à
l'Assemblée nationale allemande, comme à l'Assem-
blée de l'Etat prussien, les conservateurs s'étaient
Le général polonais Haller.
«• 147. Mai 7819.
exprimés sur la révolution en des termes agressifs,
qui prouvaient qu'ils se sentaient très forts. Si l'in-
cident de Spa, qui ne fut peut-être qu'un moyen
pour tâter l'Entente, pouvait être attribué à une
influence d'ordre économique et politique, il n'était
pas douteux que l'incident de Posen et les troubles
de Dantzig qui suivirent, les prétentions de l'auto-
rité allemande au sujet des officiers polonais qui
faisaient partie de la délégation alliée du lieutenant-
colonel Maréchal dans ce port, ne fussent d'origine
militaire. Nous le répétons, il ne fallait pas s'exa-
gérer ces tentatives de résistance; il ne fallait pas,
non plus, les négliger. Elles prouvaient péremptoi-
rement qu'on avait eu tort de ne pas imposer, dès
novembre, à l'Allemagne une paix bien définie.
.■\pres plus de quatre mois, l'Allemagne se reprenait,
les partis se soudaient de ûouveau. l'ancien esprit
militariste, impérialiste et discipliné, retrouvait sa
force, ébranlée par le cataclysme de novemlire.
Tout à la fois, l'Allemagne cherchait à profiler
des divergences de vue qu'elle percevait chez les
Alliés et à intimider par des menaces et même
par des actes. La vieille méthode allemande de
brutalité diplomatique reparaissait. L'Allemagne
sentait, d'autre part, le be.soin d'être forte pour ré-
sister au bolclievisme russe et, en même temps, elle
afl'ectait de vouloir se lier avec lui. Elle essayait
ses forces. Ses hommes d'Etat et ses journaux ne
perdaient aucune occasion de menacer l'Eiitenle de
ne pas signer la paix. 11 était certain que, sans aller
jusqu'à prévoir le pire, on se trouvait en présence
d'une Allemagne de moins en moins maniable.
D'autre part, la question se posait avec précision
de la forme que prendrait la nouvelle Allemagne.
L'attention du public français était chaque jour plus
retenue par la presse sur les dangers que le réveil
de l'Alleniague pouvait nous faire courir. Elle ne
l'était pas assez sur les causes profondes de ce
danger. On raisonnait toujours comme si l'Alle-
magne ne pouvait se présenter que sous la forme
unitaire. On ne se rappelait pas que l'Allemagne
n'avait constitué pour nous un péril que du jour où
elle avait été groupée autour de la Prusse. Tous les
efforts du parti militariste et des socialistes majori-
taires qui détenaient le pouvoir tendaient à mainte-
nir cette unité; les incidents de Spa, de Posen et
de Dantzig n'avaient pas d'autre but que de faire
sentir aux Allemands la nécessité de cette unité.
Or, il y avait en Allemagne des éléments opposés
à cette idée, et nous avions eu le tort de trop tarder
à les soutenir. Nous n'avions rien fait en Bavière,
alors que Kurt Eisner vivait. Nous n'avions rien
fait en Autriche jusqu'en mars pour soutenir la
résistance des éléments parlicularistes autrichiens
contre la campagne d'annexion à l'Allemagne menée
par les socialistes. C'est seulement en mars qu'on
avait enfin envoyé en Autriche et en Allemagne
quelques hommes bien choisis pour étudier sur place
le véritable état de l'opinion. Or la paix future avec
l'Allemagne dépendait avant tout de la Constitution
qui serait donnée à la république allemande. Pre-
nons la question du désarmement, qui avait occupé
la Conférence et défrayé la presse. Il semlilait qu'on
se fût arrêté à l'idée très discutable de Lloyd George
d'imposer à l'Allemagne l'obligation de se borner à
une armée de métier où, par une étrange illusion,
on voyait une garantie contre le militarisme prus-
sien. Napoléon l'"', dont la police n'était pas un
vain mot, avait, lui aussi, cru pouvoir refréner le
militarisme prussien. Il avait été la dupe des restrie-
lions qu'il imposait. Quoi qu'on fasse, il en sera de
même dans l'avenir, si la limitation des armements
est acceptée et e.séculée par une Allemiigne sem-
lilable à d'Ile qu'a formée Bismarck et que Guil-
laume 11 a entraînée dans sa folie pangermanisle.
Toute autre opinion nous ménagera de dures sur-
prises. Qu'au conlraire l'/Mleniagne soit conduite,
par un retour à la forme fédérative et particulariste
qu'elle a conmie pendant des siècles, à se déshabi-
tuer du caporalisme prussien et à pratiquer les
méthodes plus humaines qui ont jadis été les
siennes, il devient certain (|ue le désarmement peut
devenir une réalité durable et que le danger d'une
brusque attaque, longuement et sévèrement pré-
parée, devii'iit de plus en plus hypothétique. Notre
sécurité future, si exposée aux" entreprises prus-
siennes, exige donc que nous portions tous nos
efforts vers une destruction, non pas nominale et
passagère, mais effective et durable de cet esprit
unitaire prussien, qui a été le ferment unique du
trouble de l'Eiimpe depuis un demi-siècle et qui le
sera encore à l'avenir si l'on ne parvient pas à en
immuniser d'abord l'Allemagne. On pouvait dire
que nous n'avions pas assez fait en ce sens, même
que nous n'avions rien fait du tout. A la fin de mars,
l'occasion négligée pouvait peut-être se retrouver
En Bavière, l'opposition contre l'hégémonii
prussienne n'était pas étouffée. En Autriche, le mois
de mars avait passé sans que le rattachement à
l'Allemagne qui, fin février, on se le rappelle, sem-
blait imminent, eût été réalisé, et, en dépit de
troubles sérieux et de grèves partielles ou générales
sur la tendance desquels on était peu fixé en dépit
du pangermanisme du chancelier Reinert, il parais-
N' 147. Mai 1919.
sait que l'altitude bienveillante de l'Entente et un
ravitaillement suivi avaient rortiliéou modifié l'opi-
nion en laveur de l'autonomie de l'Autriche. 11 était
de première importance, pour le maintien futur de
la paix, qu'on ne fît rien qui pût donner des argu-
ments aux partisans du système prussien contre un
système qui serait simplement allemand. Etait-il
impossible, tout en faisant sa large part aux dé-
fiances que le caractère allemand nous a contraints
de garder à son égard, d'imaginer que l'Allemagne
pût modifier la conception de ses destinées telle que
la Prusse la lui avait présentée depuis 1870 et
qu'elle reconnût enfin que le rôle d'arbitre du monde
par la force n'était pas son fait? Beaucoup ne pen-
saient pas qu'il y eût là une utopie irréalisable et,
au surplus. Il fallait bien admettre que deux solu-
tions seulement de la question allemande pouvaient
se concevoir : ou une Allemagne écrasée, rendue à
merci, ruinée et rayée presque de la carte d'Europe;
ou une Allemagne tenant sa place dans le monde,
rien que sa place, collaborant franchement à la
paix, renonçant au militarisme, acceptant la preuve
faite de sa responsabilité et de ses crimes. Nous
avions laissé échapper la première solution et, à
l'heure où nous étions, il ne pouvait venir à l'esprit
de personne qu'elle fût encore possible. Restait la
seconde. 11 fallait travaillera la réaliser.
Après la question allemande, la question russe.
Ici, nos informations restaient, comme précédem-
ment, nébuleuses, les seuls renseignements que
nous possédions étant de source bolchevisle. Cepen-
dant, on pouvait extraire de la concordance des
documents quelques faits qui paraissaient certains.
Au point de vue militaire, la jonction était très
probablement faite entre les troupes du gouver-
nement d'Arkhangel et celles du général Koltchak,
venant de Sibérie. Du côté esthonien, les bolche-
vistes n'avançaient pas. Vers le Sud-Est, dans les
régions du Don et du Kouban, le général Denikine
semblait maintenir ses positions, sans que l'on fût
fixé sur sa véritable situation, représentée tantôt
comme très bonne, tantôt comme très compromise.
Mais, du côté de l'Ouest, vers l'Ukraine et la Po-
logne et vers la mer Noire, l'armée rouge avançait.
LegouvernementdePellioura avait évacué'Vinnitza,
où il s'était auparavant réfugié. Odessa était très
sérieusement menacée. Par suite, la situation de la
Pologne et celle de la Roumanie de venaient cri tiques.
La révolution de Hongrie donnait au gouverne-
ment des soviets un appui qui nous semblait inat-
tendu, mais qui l'était peut-être moins qu'il ne
paraissait. Il est vraisemblable que la poussée de
l'armée rouge vers l'Ouest était en liaison avec l'opé-
ration des socialistes hongrois. Sur ce qui se passait
à l'intérieur de la Russie, nous avions continué à
tout ignorer. 11 fallait enregistrer, sans que rien
garantît l'exactitude de ces bruits, que Lénine avait,
dit-on, fait des avances aux minimalistes, à la pe-
tite et à la moyenne bourgeoisie; que des troubles
graves avaient éclaté à Petrograd ; que l'armée
rouge était minée par les désertions et par la tra-
hison; que la détresse alimentaire et économique
devenait intolérable; que la ruine apparaissait, s'il
était possible, plus irréparable chaque jour. En
dépit de ces informations, le bolchevisme durait,
et c'était le seul fait à retenir. Quelle avait été,
quelle serait la politique de la Conférence h son
égard? Pour le passé, cette politique avait été, en
mars, identique à ce qu'elle était pendant les mois
précédents, c'est-à-dire sans plan. Pour l'avenir,
aux derniers jours de mars, les déclarations à la
tribune de la Chambre française du ministre Pichon
et du 30us-secrétaire d'Etat .\brami valent, pour la
première fois, indiqué formellement que l'Entente
se bornerait à soutenir ses amis russes et ses alliés
polonais et roumains par des subsides, des muni-
tions, du matériel, des équipements et du ravitail-
lement, mais que ses propres troupes n'intervien-
draient pas. Cette politique était tardive, mais c'était
une politique soutenable. Il ne s'agissait plus que
de la réaliser. Il était grand temps.
Il n'y a guère, sur l'avenir de la Russie, que trois
hypothèses possibles : ouïe bolchevisme, usé, avant
épuisé la Russie, incapable de rien créer, fera place
à une réaction qui ramènera la Russie à l'aiitocra-
tisme dont elle n'est certainement pas dé.sabusée;
ou il sera vaincu par l'une des forces actuellement
en action, qu'elle vienne du nord, de l'est ou du
midi, et la Russie se constituera en une république
démocratique, à forme unitaire ou fédérative; ou.
enfin, le bolchevisme vivra et se cristallisera en un
gouvernement national, qui fera l'unité de la Russie.
On ne peut se dissimuler que la première hypo-
thès-, qui, historiquement, est la plus conforme aux
tendances russes et qui est la moins souhaitable,
n'était annoncée par aucun indice; que la seconde,
qni est la seule désirable, ne pouvait se réaliser que
si l'Entente, très rapidement, par tous les moyens
en son pouvoir, faisait passer de la tribune à la
réalité les déclarations des ministres français que
nous relations tout à l'heure; qu'enfin, la troisième,
dont les dangers sont innombrables et qui, dans
l'état d'épv.isement de la Russie, semblait invrai-
semblable, était subordonnée, pourtant, tout à la fois
Le comte Rarolyi, ex-président du conaeil
des ministres honfçrois.
LAROUSSE MENSUEL
à l'attitude de l'Entente et aux progrès de la propa-
gande bolcheviste vers l'occident de l'Europe.
11 faut, ici, parler de la révolution de Hongrie. Le
comte Karolyi, grand seigneur terrien devenu so-
cialiste, président provisoire de la République hon-
groise, avait, dans la dernière semaine cle mars,
remis brusquement le pouvoir à la dictature du pro-
létariat. La cause apparente avait été la signification
par l'Entente des limites de la zone neutre que la
Hongrie devait, en attendant la paix, laisser occuper
en Transylvanie par les Roumains. Karolyi en avait
pris prétexte pour se retirer. Une république des
soviets avait été proclamée & Budapest, et le com-
muniste Bêla Kun, extrait de prison, était devenu
le chef du nouveau gouvernement, auquel s'étaient
ralliés tous les
partis socialistes
et même ceux
qui ne l'étaient
pas. Une liaison
avait été aussi-
tôt établie entre
le soviet de Bu-
dapest et le gou-
vernement so-
viétiste de Mos-
cou. On avait,
dans la presse,
à propos de cette
révolution, parlé
de chantage hon-
grois ; on avait
annoncé que les
bolcheviks rus-
ses ne la voyaient
pas avec une con-
fiance absolue;
bref, on avait, suivant une coutume déplorable,
tenté d'endormir l'opinion publique en présence
d'un fait d'une gravité particulière. Certes, la diffé-
rence entre le gouvernement de Karolyi et celui que
présidait Bêla Kun n'était pas dès l'abord apparue
très clairement : l'union rapide faite entre les partis
semblait suspecte; le programme du partagé des
terres, qui est le programme des soviets et qui peut
s'appliquer en Hongrie au même titre qu'en Russie,
était aussi celui du comte Karolyi, qui en avait com-
mencé l'exécution. On devait, d autre part, réfléchir
que le bolchevisme ne peut, en Hongrie, pays de
grande propriété sans doute, mais plus instruit,
mieux ordonné, plus fortement groupe autour d'un
clergé très écouté et très discipliné, ressembler tout
à fait à ce qu'il est en Russie.
On ne devait pas, néanmoins, fermer les yeux sur
le fait même de l'adhésion formelle donnée au bol-
chevisme par un pays uni, qui avait toutes les raisons
possibles de chercher un appui quelque part contre
des voisins menaçants et qui n'hésitait pas à se
tourner vers la Russie; on ne pouvait nier que le
gouvernement de Lénine n'en reçût un accroisse-
ment d'autorité et n'eût fait un pas vers l'Ouest.
Les éléments bolchevistes de l'Allemagne s'en trou-
vaient par cela même fortifiés, et tous les ferments
qui s'agitaient en Autriche, en Tchéco-Slovaquie,
en Pologne, en Roumanie, dans les Balkans, en pre-
maient une force nouvelle. Par conséquent, la conta-
gion gagnait. L'Entente devait tout faire pour
l'arrêter. En admettant même, en efi'et, par impos-
sible, qu'un jour pût venir où le bolchevisme serait
pour la Russie une forme viable de gouvernement,
il est trop évident qu'introduit dans l'occident de
l'Europe, il ne peut y apporter que la forme aveugle
et brutale d'une révolution rétrograde. La civilisa-
lion lentement élaborée des nations de l'ouest de
l'Europe n'a aucun rapport avec la civilisation em-
bryonnaire de l'Europe orientale. Elle doit écarter
d'elle toute révolution par des réformes progres-
sives, qui sont les conséquences du progrès naturel
des mœurs. Toute violence lui est forcément funeste
et mortelle. La grave erreur des partis les plus
avancés, en France comme en Angleterre, en Italie
et en Allemagne, était précisément de se laisser
séduire par l'apparence grossière de progrès social
que renfermait le système bolcheviste et de s'ima-
giner qu'introduit dans les traditions qui font la force
de notre organisme, ils pourraient y apporter, au
profit de certaines classes, une amélioration sensible.
Ils ne s'apercevaient pas (jue, si l'on ébranle brutale-
ment cet édifice séculaire, on risque de le faire
crouler et de ne pouvoir même plus se servir des
matériaux dissociés.
Quelle était, au juste, la politique de la Conférence
à l'égard du gouvernement de Moscou ? L'offre de
conférence de Prinkipo avait choqué l'opinion.
II était permis d'induire de certains articles de presse
que les bolchevistes, peut-être avisés de la lassitude
de certaines puissances, avaient fait des offres finan-
cières et économiques, que l'Angleterre insulaire et
l'Amérique transatlantique, pressées d'en finir pour
seremettre aux affaires, auraient peut-êtreenvisagées
.sans déplaisir. La France tout entière, à l'exception
de quelques fous, avait protesté contre la possibilité
de cette attitude, et on pouvait espérer que des
mesures allaient enfin être prises pour fortifier la
779
barrière d'Etats nouveaux édifiés à la fois pour
défendre l'Europe occidentale contre le bolchevisme
et pour maintenir une séparation entre la Russie
et l'Allemagne.
Mais, vraiment, cela venait bien tard. La Rou-
manie, si souvent déjà abandonnée dans cette
guerre, se trouvait de nouveau menacée de très
près, et la révolution de Hongrie exigeait une déci-
sion immédiate. Quant à la Pologne, elle luttait
désespérément contre d'immenses périls. A l'Est,
elle était aux prises avec les Ukraniens, qui lui
disputaient Lemberg. La Conférence était intervenue
uniquement par un télégramme adressé aux deux
partis et les invitant à conclure un armistice pour
venir s'expliquer à Paris. Contre tout espoir, cette
communication télégraphique n'avait pas été re-
poussée et, le 3U mars, on avait appris que les
Ukraniens acceptaient la proposition, à condition
3ue la ligne de démarcation fixée par la suspension
'armes laisserait entre leurs mains la Galicie
orientale à l'est du San, à l'exception de la ville de
Lemberg et de la voie ferrée de Pizemysl. A
l'Ouest, nous avons dit plus haut l'incident de Posen
et l'évidente mauvaise volonté des Allemands. Pour
comble, ceux-ci n'avaient pu ignorer les divergences
d'opinion qui s'étaient manifestées dans la Confé-
rence à propos de la basse Vistule et du couloir
qui reliera la Pologne à la Baltique. Alors que la
Commission qui avait étudié le tracé de la fron-
tière avait fixé les limites du couloir assez largement
pour que la Pologne pût s'en servir utilement à
l'abri du canon allemand, Lloyd George avait tout
remis en question parce que le tracé adopté englo-
bait un million, ou plus, de populations allemandes.
On ne s'était pas encore mis d'accord, lin mars,
mais l'attitude des Allemands à Dantzig avait
montré avec éclat le parti qii'ils comptaient tirer
de nos divisions internes. Rien n'avait été plus
énervant pour l'opinion publique que le retard dans
le règlement de la question polonaise, et l'opinion
publique ne se trompait pas quand elle voyait là
une question vitale, à la fois au point de vue russe
et au point de vue allemand. Elle sentait combien
était dangereuse et combien pouvait être proche,
si l'on n'avisait, une liaison étroite entre la Russie,
immense champ de colonisation, et l'Allemagne,
prête déjà à se répandre au dehors ; et tout le
monde appelait une solution de la question qui
fiermit à la Pologne de vivre et de se développer
ibrement et fortement.
Les hésitations de Lloyd George, admissibles er.
principe absolu, pouvaient, si on les érigeait ep
règle fondamentale, devenir un obstacle insurmon-
table non seulement pour la constitution de le
Pologne, mais pour celle de la Tchéco-Slovaquie,
de l'Ukraine, de la Roumanie, de la Yougo-Slavie,
de l'Asie Mineure et même pour l'extension légi-
time de l'Italie. L'enchevêtrement des nationalités
à l'orient de l'Europe ne saurait permettre l'auto-
nomie absolue de chacun de leurs morceaux épars.
Seuls, la sagesse des peuples et des gouvernants ev
l'intérêt général de I Europe doivent inspirer dei-
délimitations nécessaires.
Ainsi, de cette revue rapide des affaires aile
mandes, russes et polonaises, qui pesaient du poids
le plus lourd sur la politique européenne, ressortait,
fin mars, cette constatation un peu décourageante
que, si des intentions avaient été, sur certai ns points,
verbalement affirmées, elles n'avaient été suivies
d'aucun commencement d'exécution
La Conférence de la paix avait-elle, par ailleurs,
abouti à des résolutions définitives? Il fallait bien
répondre négativement. Ni sur la question de Syrie
et d'Asie Mineure, où les prétentions italiennes heur-
taient les désirs helléniques, où les ambitions arabes
menaçaient les tendances séculaires des populations
syriennes, ni sur la question yougo-slave, dans la-
quelle un mémorandum italien avait apporté des
précisions parfaitement soutenables et appuyées
sur l'ethnographie, sur la géographie, sur la sécurité
de l'Adrialique et de la Péninsule italique et, par
surcroît, sur les engagements pris par nous envers
l'Italie ; ni sur la question du canal de Kiel, dont on
proposait de garantir le libre accès en le confiant à
une républiaue de Holstein bien mal protégée elle-
même et en lui imposant, garantie bien illusoire, la
situation internationale du canal de Suez; ni sur la
question des réparations à imposer à l'Allemagne, on
ne connaissait encore les décisions de la Conférence.
D'ailleurs, ce que nous appelons la « Conlérence »
s'était resserré peu à peu en des organismes de plus
en plus étroits. A la fin de mars, le conseil suprême
des Dix n'avait plus qu'une existence virtuelle. A la
suite d'incidents que nous n'avions connus que par
la presse anglaise et qui furent relatifs, précisément,
au couloir polonais de la Vistule, Lloyd George
s'était plaint vivement d'indiscrétions commises. A
la suite de ce mécontentement du Premier anglais,
le conseil des Dix s'était transformé en conseil
des Quatre : Clemenceau, 'Wilson, Lloyd George et
Orlando. La presse nous avait appris que, dans les
réunions de ce petit comité, qui se tenaient soit dans
le cabinet de Clemenceau, soit dans l'hôtel habité par
le président 'Wilson, les discussions avaient lieu
A. Millerand. commissaire général
de la République, à Strasbourg.
780
en anglais, un interprète traduisant au fur et à me-
sure les conversations pour le ministre Orlando,
qui, en dehors de sa langue nationale, ne parle que
le français. En outre, un conseil des Cinq, composé
des ministres des affaires étrangères Picîion,
Lansing, Balfour, Sonnino et Mal<ino, préparait sur
les points essentiels les solutions déjà discutées
par les Commissions spéciales. Enfin, une autre
Commission étudiait avec le président Wilson tout
ce qui se rattachait à la fondation de la Ligue des
nations. On affirmait que ces divers organismes
travaillaient avec ardeur et que les préliminaires de
paix seraient prêts dans les premiers jours d'avril.
Le monde entier attendait, non sans impatience,
cette échéance promise déjà et toujours différée.
La France en particulier et plus qu'aucune autre
nation avait le droit de demander qu'on se hâtât.
Elle sentait que chaque jour de retard accroissait
les difficultés et
les risques. 11 lui
fallait une fron-
tière sûre et la
certitude d'une
réparation finan-
cière. Ni l'une ni
l'autre de ces
questions n'était
d'une solution
aisée. Personne
ne songeait sin-
cèrement à des
iinnexions. Il
nous suffisait que
l'AlsaceetlaLor-
rai ne fussent ren-
trées dans la pa-
trie. Elles y
étaient, en vertu
du droit réparé
et de leur volonté
affirmée. Seule, l'inconscience allemande pouvait
réclamer un plébiciste, qui était fait. La nomination
de Millerand comme commissaire général de la
République dans les pays recouvrés marquait cer-
tainement le début d'une administration raisonnée,
qni effacerait les derniers vestiges de la tyrannie
allemande. Mais le sort du bassin minier de la Sarre
était moins lumineux. Au lendemain de l'armistice,
la réunion de cette partie de la France à la métropole
eût été aisée. On avait, ici encore, laissé échapper
l'occasion. On invoquait, maintenant, la nationalité
allemande delà population, prétexte commode pour
garder le bassin minier. Or, il nous fallait le bassin
minier, dut la population rester allemande. Il y avait
là, pour les Allemands, une ample matière à équi-
voque. Quelle serait, enfin, notre situation sur la rive
gauche du Hhin? Quel serait le régime du Palatinat,
bastion avancé de la France vers l'Ouest, couverture
nécessaire de la Belgique? Là encore, la question de
l'unité allemande, dont nous montrions plus haut
l'importance, nous dominait. Le Palatinat, membre
de la fédération allemande, ou le Palatinat, partie
intégrante d'une Allemagne toujours prussienne,
c'étaient deux choses bien différentes : à laquelle
s'airêterait-on, et comment imposerait-on la solution
adoptée?
Quant aux réparations matérielles, l'Allemagne
cherchait notoirement à les éviter, et quiconque
réfléchissait comprenait très clairement qu'il ne
suffisait pas que la presse, que même le Sénat fran-
çais proclamassent l'obligation indispensable de
faire payer l'Allemagne pour que le moyen conve-
nable de la faire payer fût enfin trouvé. La France
avait dépensé 171 milliards. Il lui fallait 18 milliards
annuels. Elle avait une trésorerie embarrassée, un
système d'impôts médiocre; ses tendances finan-
cières menaçaient sa fortune acquise et les moyens
de l'accroître. Elle devait beaucoup à l'étranger, et la
politique imprévoyante de ses ministres des finances
lui avait laissé une dette flottante énorme. L'Alle-
magne était dans une situation aussi difficile, avec
cette différence que sa dette, plus largement conso-
lidée, était en grande partie intérieure. Gomment
payerait-elle et comment, tout en assurant notre
créance, pourrions-nous lui laisser tout de même le
nécessaire pour vivre en paix et pour écarter d'elle
le besoin de sortir par la violence d'une situation
intolérable? Tout cela s'agitait dans tous les esprits;
on attendait, on voulait en sortir.
Quant à la Ligue des nations, on peut dire, sans
se tromper, que l'intérêt de curiosité que celte idée,
fort belle, avait suscité naguère, s'était changé en
une indifférence qui, chez beaucoup, n'allait pas
sans défiance et sans une obscure hostilité. Aux
Etats-Unis même et chez les neutres, l'accueil avait
été froid, et chacun se demandait si cette Société
de paix n'allait pas avoir d'abord à faire la guerre.
Le présidentWilson poursuivait, pourtant, son œuvre
avec une imperturbable confiance et, à la vérité,
c'était un spectacle non sans grandeur que celui de
cet idéaliste, inébranlable dans sa croyance à la jus-
tice et à la fraternité des peuples, au milieu du plus
grand trouble que l'humanilè ait connu depuis des
siècles. On devait souhaiter, malgré tout, qu'il
LAROUSSE MENSUEL
sortit quelque chose de cette obstination généreuse,
qui, en d'autres temps, eût entraîné les peuples
éblouis vers les horizons radieux d'une foi nouvelle.
Reconnaissons-le, ce n'était pas l'idéal qui occu-
pait l'esprit des hommes. Chacun songeait surtout
à rendre meilleure sa situation matérielle, et c'était
là, en somme, l'universel danger, celui qu'on incar-
nait dans le bolchevisme. Dans tous les pays, on
sentait à des signes infaillibles l'élan vers le bien-
être, vers un aménagement de la vie qui laissât
place pour la vie elle-même. On l'avait vu dans le
gigantesque mouvement ouvrier qui avait failli
bouleverser l'Angleterre et dont nos journaux ont
longtemps tu même l'existence. La Triple Alliance,
c'est-à-dire la fédération des syndicats des mineurs,
des cheminots et des dockers, avait réclamé à la fois
une amélioration des salaires, une diminution de la
durée du travail journalier, à quoi s'ajoutait la
question de le nationalisation des mines et des
chemins de fer. Après de longs pourparlers, grâce
à l'arbitrage du juge Sankey et l'entremise intelli-
gente du cheminot Thomas, l'accord était fait sur
tous les points. Une grève, qui eût été un désastre,
avait été évitée. Le bon sens pratique des Anglais
l'avait emporté sur les théories des agitateurs.
Mais l'Angleterre, et son premier ministre plus
que personne, avait senti que le vrai remède à cette
crise intérieure, qui ne pouvait manquer de sur-
venir après la guerre — et qui s'ajoutait aux soucis
de la question irlandaise toujours ouverte, ainsi
qu'à la question égyptienne que des troubles graves
venaient de révéler à ceux qui l'avaient jusqu'alors
ignorée, — était la reprise de la vie normale, de
l'activité commerciale et industrielle, le retour du
monde entier, amis et ennemis, à des relations
régulières et à des entreprises fécondes. De là le
désir violent de sortir de l'imprécis et de signer la
paix, de là certaines solutions, qui, au premier
abord, nous avaient choqués, de là certaines viva-
cités que nous avons su ne pas voir. Encore une
fois, il fallait que tout cela prît fin.
La France, dans le cinquante-sixième mois de
cette lutte qui continuait, avait conservé son inalté-
rable sang-froid. Bien qu'elle comprît très bien tout
ce qu'il y avait d'imparfait dans les méthodes em-
ployées, bien qu'elle eût à résoudre chez elle les
plus graves questions politiques et sociales, chaque
jour plus prochaines et pins impérieusement affir-
mées, bien qu'elle souffrît dans sa dignité et dans
son patriotisme des erreurs de pensée et de langage
de certains de ceux qni la représentaient, bien
qu'elle eût, par le jeu même des institutions les plus
respectables, des révoltes de sa raison et de sa
justice devant des faits troublants tels que fut
l'acquittement du meurtrier de Jaurès, elle suppor-
tait avec plus de calme que quiconque une attente
épuisante. Elle conservait sa confiance à ceux qui la
dirigeaient, et elle comptait sur leur énergique
entêtement à vouloir la grandeur de leur pays. Elle
se souvenait de ce qu'elle devait à ses alliés, et elle
escomptait pour l'avenir la continuation nécessaire
de leur amitié. Mais elle aussi voulait vivre libre,
sans cauchemar et sans entraves, et elle n'eût pas
admis qu'on ne lui donnât pas la réalité de ses
espérances. — Juies Gerbault.
Hodler (Ferdinand-Max), peintre suisse, né le
14 mars 1853 à Gurzelen, près de Seftigen, dans le
canton de Berne, mort à Genève le 19 mai 1918. Fils
d'un menuisier, il séjourna avec sa famille à La
Chaux-de-Fonds, à Berne, à Steffisburg, où il reçut
ses premières leçons de dessin du peintre suisse
Sommer, enfin, à Genève, où il devait se fixer pour
toujours. Venu dans cette ville pour copier un tableau
de Diday, il devint l'élève de Barthélémy Menn, pro-
fesseur à l'Ecole des beaux-arts de cette ville, qui
possédait les traditions des ateliers d'Ingres et de
Corot et qui ne lui permit de peindre que quand il
eut fait un long apprentissage du dessin. En même
temps, Hodler complétait son instruction générale.
A vingt et un ans (1874), il obtint le prix Galame. 11
fit un voyage d'études en Espagne, où il subit le pres-
tige de Vélasquez. Il séjourna aussi en France, où il
se fit admettre, en 1891, à la Société nationale des
beaux-arts. Son tableau Ames déçues, exposé au
Salon des Rose-Croix de 1892, le fit connaître des
artistes français. Son Cortège de lutteurs suisses fi-
gurai à l'Exposition universelle de 1889. A l'Exposi-
tion de 1900, où il obtint une médaille d'or, il avait
envoyé la Nuit (aujourd'hui au musée de Berne),
une de ses œuvres les plus célèbres, qui révèle la
connaissance de l'anatomie, mais qui est d'un sym-
bolisme ingrat et, en outre, le Jour et Eurythmie
(musée de Berne).
Hodler eut quelque peine, malgré l'appui des cri-
tiques d'avant-garde, à imposer sa personnalité.
En France, il ne réussit pas à obtenir une très large
réputation, bien qu'au Salon d'automne de 1913, une
salle lui eût été réservée et que la croix d'offi-
cier de la Légion d'honneur fût venue récompenser
son talent. Les Allemands, par contre, s'empressè-
rent de l'annexer au domaine de l'art germanique;
de ce côté, les commandes officielles ou privées lui
vinrent en abondance; en 1897, il fut médaillé à
«• 147. Itfnl 1919-
l'Exposition de Munich. Malheureusoment, les exi-
gences de la clientèle et des marchands l'entraînèrent
parfois à une production rapide, en même temps que
les théories des esthéticiens allemands l'orientaient
vers un symbolisme gigantesque e* fâcheux. Malgré
la faveur dont iijouissaiten Allemagne, il n'hésita pas,
la guerre venue, à adhérer à la protestation des ar-
tistes helvétiquescontre le bombardement de lacathé-
drale de Reims. Les Allemands en furent vivement
irrités, et l'université d'Iéna fit enlever son célèbre
Départ des volontaires en ISIS.
Dans son pays, Ferdinand Hodler avait fini par
acquérir une large popularité. Professeur à l'Ecole
des beaux-arts de Genève, président central de la
Société des peintres, sculpteurs et architectes
suisses, docteur honoris causa de l'université de
Bâie, il avait enfin, étant par naissance bourgeois
de Berne, reçu, par arrêt du Grand Conseil, la bour-
geoisie d'honneur à Genève. Il fut chargé d'impor-
tantes décorations officielles. En 1917, une exposi-
tion presque complète de ses œuvres fut ouverte à
Zurich. Le 11 mai 1918, pende temps avant sa mort,
il put encore assister au vernissage d'une nouvelle
exposition de plus de 300 toiles de sa façon à la gale-
rie Moos, à Genève.
Ferdinand Hodler est un peintre essentiellement
suisse. Certes, il a subi des influences diverses : on a
discerné dans ses œuvres celles de "Vélasquez, de
Giotto, de Michel-Ange, de Courbet, d'autres encore.
II y a dans sa carrière des époques et des ten-
dances différentes. Il a débuté par un coloris triste
et grisâtre, avant d'arriver à des couleurs claires
et lumineuses. Il
a commencé par
traiter des sujets
d'un réalisme
sombre et amer.
Il a sacrifié sou-
vent à un sym-
bolisme obscur,
tourmenté et pé-
nible. Il s'est
longtemps as-
servi à un pro-
cédé d'expres-
sionqu'ilappelait
le parallélisme
et qui consistait à
accentuer un cer-
tain effet en ré-
pétant les mêmes
lignes : formule
facile, mais su-
perficielle. Il l'a particulièrement appliquée dans
Eurythmie, dans le Départ des volontaires d'Iéna
et dans l'Unanimité du musée de Hanovre, qui
représente une rangée d'hommes debout, les mains
levées. Une telle conception eijgendre aisément la
monotonie.
Mais ce qui, dans l'œuvre de Hodler, mérite le
mieux de rester, ce sont, d'une part, ses paysages,
d'une composition très simplifiée, pleins de couleur
et de lumière et, d'autre part, les grandes composi-
tions historiques et moimmentales où il a célébré
des épisodes nationaux comme, par exemple, son
Retour des Suisses après Marignan, fresque (1900)
qui se trouve à la salle d'armes du musée de Zurich
ou le Cortège des Lutteurs du Musée des beaux-arts
de Zurich. Dans des œuvres de ce genre, exécu-
tées par larg:es teintes plates, il a fait apprécier de
ses compatriotes la solidité des figures, la simple
symétrie de l'ordonnance, la franchise et la fraîcheur
du coloris.
Parmi ses œuvres, outre celles que nous avons
déjà mentionnées, il nous faut rappeler le Savetier
dans son échoppe, le Meunier, son fils et l'âne (mu-
sée Rath, à Genève), le Taureau (peint en Espagne),
le Menuisier (1874), le Vieil Homme (1887), Ames
déçues (musée de Berne), Ame ett peine, le Juif
errant. Dialogue intime, le Chemin des âmes
d'élection, l'Avalanche (1887, musée de Soleure),
la Moisson (1892, musée de Neuenhurg), Dans le
jardin, les Lansquenets (1896), Guillaume Tell
(1897, musée de Berne), la Vérité, Regard dans
l'infini. Amour, Episode de la bataille de Naefels
(musée de Bâle), Après la fêle de gytnnasli^ue
(musée de Berne), le Furieux, portrait de l'artiste
(musée de Berne), Automne (musée de Neuchâtel)
et le dernier tableau de l'artiste : les Alpes vues de
sa fenêtre. — La Jakrie.
Impôt sur le revenu. Impôt général
et impôts cédulaires. — Notre système d'impôts
directs comprend aujourd'hui : d'une part, une
série d'impôts portant séparément sur chaque caté-
gorie de revenus, ou impôts cédulaires; d'autre
part, un impôt général atteignant l'ensemble des
ressources des contribuables au-dessus d'une limite
fixée par la loi et se superposant aux autres taxes.
A partir du l^' janvier 1918, ont cessé d'être per-
çues, en tant qu'impôts d'Etal (c'est-à-dire en ce qui
concerne la part revenant à l'Etat), la conlribution
personnelle mobilière, la contribution des portes et
fenêtres et la contribution des patentes. Subsistent
Ferdinand Hodler.
)V 147. Uti t8f8.
seuls, les centimes départementaux et communaux
portant sur ces trois contributions, en attendant que
des taxes nouvelles aient remplacé les- centimes
additionnels.
Impôt général. L'impôt général sur le revenu
institué par la loi de finances du 15 juillet 1914, et
modifié déjà par les lois du 30 décembre 1916, des
23 février et 31 juillet 1917 (v. Larousse Mensuel.,
t. III, p. 735, et t. IV, pp. 100 et 424), l'a été de nou-
veau par l'art. 2 de la loi de finances du 29 juin 1918.
Taux. Le taux de l'impôt général sur le revenu
net annuel, défalcation faite des déductions admises
par les articles 12 et 14 de la loi du 15 juillet 1914,
est fixé comme suit :
1° Revenu taxable ne dépassant pas 5.000 fr.: 1,50 p. 100 ;
2" Revenu taxable compris entre 5.000 et 150.000 fr. ; 1,50
à 16 p. 100 (avec progression de 1 centime par 100 fr.) ;
3« Revenu taxable compris entre 150.000
et 550.000 fr. : 16 p. loo à to p. loo (avec
progression de 1 centime par 1.000 fr.
ou fraction de 1.000 fr.J ; i** Revenu
taxable supérieur à550 000 fr. : îOp. 100.
Toute fraction du revenu taxable est
négligée lors(|u'ello est inférieure a
100 fr. (Loi du :9 juin 1918, art. 2),
Déductions. L'impôt ainsi calculé
est réduit, de plein droit, pour
cbargesde famille, d'après les règles
suivantes :
Tout contribuable, imposé d'après un
revenu taxable inférieur à 10.000 fr., a
droit à une réduction d'impôt de 7 fr. 50
p. 100 pour chacune personne a sa charge
jusqu'à la deuxième et de 15 p. 100 pour
cliaouue des autres personnes à partir
de la troisième, sans que, toutefois,
cette réduction puisse être supérieure
aux trois quarts de l'impôt.
Tout contribuable, imposé d'après un
revenu taxable supérieur à 10.000 fr., a
droit à une réduction d'impôt de 5 p. 100
pour chacune des doux premières per-
sonnes à sa charge et de 10 p. 100 pour
chacune des autres personnes à partir
de la troisième, sans que, toutefois, le
montant total de cette réduction puisse
excéder la moitié de l'impôt, ni, en tout
cas, 2.000 fr. par personne à la charge
du contribuable. (Loi du 29 juin 1918,
môme art. 2.)
La déduction à laquelle ont droit
les contribuables mariés (loi du
15 juillet 1914, art. 12) est accordée,
en cas de décès de l'un des époux,
au conjoint survivant non remarié
et ayant à sa charge un ou plusieurs
enfants issus du mariage. (Loi du
29juinl918,art. 3.)
Sont considérés comme person-
nes à la charge du contribuable,
jusqu'àla fin des hostilités, les des-
cendants mobilisés (soldats, capo-
raux ou sous-officiers et assimilés)
devenus majeurs au cours de la
guerre. (Loi du 29 juin 1918, art. 4.)
Impôts CÉOUÎ.AIRES. I. Générali-
tés. — Une première réforme, qui
ne consistait que dans une sorte de
mise au point des lois existantes,
fut opérée par la loi du 29 mars 191 4 ,
concernant les cédules relatives :
aux revenus des propriétés fon-
cières non bâties, — aux propriétés
foncières bàlies, — aux revenus des
valeurs et capitaux mobiliers. Puis
la Loi du 31 juillet 1917 institua, à
côté de l'impôt général sur le re-
venu, un impôt particulier sur les
cinq catégories de revenus ou cédules ci-après :
lobénéfices Industriels et commerciaux;
2° bénéfices de l'exploitation agricole;
3°traitement3 et sajaires, pensions et rentes via-
gères;
4° bénéfices des professions non commerciales
(libérales ou analogues, charges et offices);
5° revenus des créances, dépôts et cautionne-
ments.
II. — Impôt sur les bénéfices indijstriels et
COMMERCIAUX. — Etablissement da l'impôt. — La
patente a été remplacée par un impôt perçu (envers
tout particulier ou toute société) sur les bénéfices
des exploitations commerciales et industrielles réa-
lisés pendant l'année précédente, ou dans la période
de douze mois du dernier bilan.
Cet impôt est établi en un seul endroit : le siège
de la direction de l'ensemble des entreprises, si ce
siège est en France, ou, à défaut, le lieu du prin-
cipal établissement en France.
Bases de l'impôt. — L'impôt est, suivant les cir-
constances, assis soit sur la déclaration contrôlée
du bénéfice net, soit sur l'évaluation administrative
de ce bénéfice.
Déclaration contrôlée du bénéfice net. — La dé-
claration est obligatoire : 1" pour les sociétés ano-
nymes ou en commandite par actions, dont les
bilans sont soumis à l'administration de l'enre^s-
LAROUSSE MENSUEL
trement ; — i» pour les contribuables qui ont déjà
déclaré le chiffre de leurs bénéfices réels, en vue
de la loi sur les bénéfices de guerre.
La déclaration est facultative pour tous les autres
commerçants et industriels. Ceux d'entre eux qui
veulent s'y soumettre doivent — avant le l"" avril
de chaque année — remellre au contrôleur des
contributions directes un résumé de leur compte
de profits et pertes de l'année précédente, en pre-
nant l'engagement de fournir à l'appui, s'il y a
lieu, tous renseignements utiles, toutes justifica-
tions nécessaires. Le bénéfice net s'entend ici,
précisons-le, du bénéfice réalisé après déduction
de toutes charges, y compris la valeur locative
des immeubles affectés à l'exploitation et les amor-
tissements généialement admis, d'après les usages
de chaque nature d'industrie ou de commerce.
Le Cortège des Lutteurs, tableau de Ferdinand Hodler (1884). [Musée artistique de Zurich.]
Evaluation administrative du bénéfice. — A dé-
faut de déclaration spontanée, les personnes et
sociétés assujetties à l'impôt sont requises de faire
connaître (par écrit) le montant de leur chiffre d'af-
faires pendant l'année précédente, en fournissant
à cet égard toules les justifications indispensables.
En cas de refus du contribuable, le chiffre d'af-
faires est, d'office, évalué par le contrôleur et,
comme sanction du refus opposé, l'impôt est majoré
de moitié.
Au chiffre d'affaires (déclaré ou évalué d'office)
sont appliqués, pour obtenir le bénéfice imposable,
des coefficients ou taux de bénéfices, qui varient selon
les diverses catégories ou groupes de professions.
Pénalité. — En cas d'inexactitude reconnue dans
les renseignements fournis au contrôleur par un
contribuable au sujet de ses bénéfices ou de son
chiffre d'affaires, il y a lieu, en principe, à double
droit : l'impôt est doublé sur la fraction du bénéfice
imposable que l'inexactitude tendait à dissimuler.
Toutefois, le double droit n'est applicable que si
l'insuffisance constatée est supérieure au dixième du
bénéfice, ou bien si elle excède 20.000 francs.
Cas d'exemption. — 1° ouvriers, artisans, pê-
cheurs. — Pour les artisans travaillant seuls ou tra-
vaillant en chambre avec un seul apprenti, pour les
veuves de ces mêmes artisans, continuant, avec un
seul ouvrier, le métier précédemment exercé par
781
leur mari, pour les marchands vendant en ambu-
lance des objets de faible valeur, pour les pécheurs,
lors même que la barque qu'ils montent leur appar-
tient : la loi du 31 juillet 191 7 a consacré une excep-
tion aux règles générales de taxation. Ils ne sont
assujettis à l'impôt cédulaire que si leurs bénéfices
dépassent la somme de 1.500 francs et, dans le cas
où leurs bénéfices sont supérieurs ï cette somme, la
fraction de ces bénéfices n'excédant pas 1.500 francs
est affranchie de l'impôt (au lieu d'être taxée pour
un quart) ;
2° syndicats agricoles et sociétés coopératives de
consommation. — Sont affranchis de l'impôt les
syndicats agricoles et les sociétés coopératives de
consommation qui se bornent à grouper les com-
mandes de leurs adhérents ou qui, ne vendant
qu'à leurs sociétaires, distribuent leurs bonis annuels
soit à leurs sociétaires, soit à des
œuvres d'intérêt général.
Taxes supplémentaires pour les
grandes maisons de vente au dé-
tail.— Indépendamment de l'impôt
sur les bénéfices indnslriels et com-
merciaux, les entreprises ayant pour
principal objet la vente au détail
de denrées ou marchandises quel-
conques (par exemple les grands
magasins) sont redevables d'une
taxe spéciale sur leur chiffre d'af-
faires, toutes les fois que ce chiffre
dépasse un million de francs.
Celle taxe supplémentaire est
calculée d'après un tarif progressif
(qui varie de 1 à 5 p. 100) par frac-
tions successives entre 1 million et
200 millions de francs. — Voir, pour
les détails, l'article 14 de la loi du
31 juillet 1917.
Pour les maisons & succursales
multiples, le chiffre d'affaires sur
lequel est établie la taxe supplé-
mentaire spéciale est le chiffre
global des affaires réalisées par
toules les succursales.
111. Impôt sur les bénéfices de
l'exploitation AGRICOLE. — Eta-
blissement de l'impôt. — L'impôt
sur les bénéfices de l'exploitation
agricole (destiné à atteindre le re-
venu que l'exploitation des biens
ruraux procure soit aux fermiers,
métayers ou colons paritaires, soit
aux propriétaires eux-mêmes) est
établi dans la commune où ces
exploitants ont leur habitation
principale.
Bases de l'impôt. — Le contri-
buable passible de l'impôt n'a à
souscrire aucune déclaration : le
bénéfice agricole est déterminé par
l'administration.
Il est déterminé par un système
forfaitaire : on le considère comme
égal à la moitié de la valeur loca-
tive des terres exploitées. Pour
établir cette valeur locative, il faut
majorer d'un quart le montant du
revenu net afférent aux parcelles
exploitées, tel que ce revenu figure
à la matrice cadastrale des proprié-
tés non bâties.
Calcul et taux de l'impôt. — Le
bénéfice imposable est taxé de façon
différente, suivant que la valeur
locative de l'exploitation n'excède
pas 12.000 francs ou, au contraire,
dépasse celte somme.
1" cas : la valeur locative n'excède pas 12.000 fr.
— L'exploitant n'est taxé que sur la fraction de son
bénéfice supérieure à 1.250 francs. D'autre part, at-
ténuations à la base : la fraction comprise entre
1.251 et 2.000 francs est comptée seulement pour
un tiers; la fraction comprise entre 2.001 et
3.000 francs est comptée pour deux tiers. Le sur-
plus est, seul, compté pour la totalité;
î« cas : la valeur locative excède 12.000 francs. —
Le bénéfice imposable est taxé pour sa totalité, sans
atténuation d'aucune sorte.
Dans les deux cas, il est fait application du taux
de 3 fr. 75 p. 100, et le mode de calcul est analogue
à celui de l'impôt sur les bénéfices industriels et
commerciaux.
Terrains d'agrément. — Les terrains réservés
au pur agrément (parcs, jardins, avenues, pièces
d'eau, etc.), ou spécialement aménagés en vue de
la chasse, sont assujettis à l'impôt dont il s'agit :
ils y sont assi^eltis sans déductions ni atténuations
d'aucune sorte, mais sous la réserve qu'ils aient
plus d'un hectare de superficie et que leur valeur
locative soit supérieure a 100 francs.
IV. Impôt sur les traitements bt salaires,
SUR LES PENSIONS «T RENTES VIAGÈRES. — Etablis-
sement de Vimpût, — Les traitements (publics et
privés), les salaires, les indemnités et émoluments
782
LAROUSSE MENSUEL
«• 147. Ma/ J8I9.
(y compris l'iniiemnité des membre» du Parlement,
les jetons de présence des membres de l'Institut ou
ceux des membres de conseils d'administration),
ainsi que, d'autre part, les pensions et les rentes
viagères sont soumis à un impôt portant sur la
partie de leur montant annuel qui dépasse le mini-
mum suivant :
1» pour les pensions et rentes viagères, la somme
de 1.250 francs ;
2° pour les traitements, salaires, indemnités et
émoluments, la somme de :
— 1.500 francs, si le contribuable est domicilié
dans une commune de moins de 10.001 habitants;
— 2.000 francs, s'il est domicilié dans une com-
mune de 10.001 à 100.000 habitants;
— 2.500 francs, s'il est domicilié dans une com-
mune de plus de 100.000 habitants;
— 3.000 francs, s'il est domicilié à Paris, dans
le département de la Seine ou dans une commune
de la banlieue située dans un rayon de 25 kilomètres
des fortilicalions de Paris.
Calcul et tau.r de l'impôt. — Atténuations à la
base : pour le calcul de l'impôl, la fraction des trai-
tements, salaires, indemnités ou émoluments, des
pensions ou rentes viagères n'excédant pas le mi-
nimum fixé ci-dessus (minimum imposable), est
enlièrement exonérée ; la fraction comprise entre ce
minimum et 5. 000 francs est comptée simplementpour
moitié. Le surplus est, seul, compté pour la totalité.
Au total des sommes ainsi obtenues est appliqué
le (aux de 3 fr. 75 pour 100. Le mode de calcul est
analogue à celui de l'impôt sur les bénéfices indus-
triels et commerciaux.
Oblif/alions des employeurs et des débirentiers.
— Les contribuables passibles de l'impôt n'ont à
souscrire persoimellement aucune déclaration quant
au chilTre de leur revenu imposable. C'est l'em-
ployeur ou bien le débirenlier qui, seul, y est tenu.
Voici la déclaration que la loi (sous peine d'une
amende de 5 francs, par chaque omission ou in-
exactitude) impose aux employeurs et aux débi-
rentiers, — dans le courant du mois de janvier de
chaque année :
1» tous particuliers ou toutes sociétés rétribuant
des employés, ouvriers, auxiliaires ou domestiques,
doivent fournir un état, détaillé et précis, des per-
sonnes qu'ils ont occupées pendant l'année précé-
dente, pendant plus de trente jours consécutifs, et
dont les appointements, salaires ou gages (y com-
pris tous avantages quelconques en nature, tels que
logement gratuit) ont dépassé le minimum assujetti
à l'impôt ;
2° tous particuliers ou toutes sociétés payant des
pensions ou rentes viagères sont tenus de fournir,
dans les mômes conditions, les indications relatives
aux titulaires de ces pensions ou rentes, lorsqu'elles
dépassent 1.250 francs.
V. Impôt sur les bénéfices des professions
NON commerciales (PROFESSIONS LIBÉRALES OU ANA-
LOGUES, CHARGES ET OFFICES). — Etablissement de
l'impôt. — Dans la catégorie des bénéfices des pro-
fessions que la loi du 31 juillet 1917 vise sous le nom
de <i professions non commerciales ». sont compris :
l" les revenus des professions libérales (méde-
cine, barreau, lettres, arts, etc.) ;
2» les revenus professionnels autres que ceux qui
proviennent de l'industrie, du commerce, de l'agri-
culture, des fonctions publiques et des emplois
privés ;
30 d'une façon générale, les profits de toutes
occupations ou exploitations lucratives non sou-
mises à un impôt spécial sur le revenu.
L'impôt porte, chaque année, sur le bénéfice net
de l'année précédente, — ce bénéfice étant constitué
par l'excédent des receltes totales sur les dépenses
nécessitées par l'exercice de la profession.
L'impôt 11 est dû que lorsque le bénéfice net excède:
— 1.500 francs, si le contribuable est domicilié
dans une commune de moins de 10.001 habitants ;
— 2.000 francs, s'il est domicilié dans une com-
mune de 10.001 à 100.000 habitants;
— 2.500 francs, s'il est domicilié dans une com-
mune de plus de 100.000 habitants ;
— 3.000 francs, s'il est domicilié à Paris, dans
le département de la Seine ou dans une commune
delà banlieue située dans un rayon de 25 kilomètres
des fortifications de Paris.
Bases de l'impôt. — L'impôt est assis, suivant
les circonstances, soit sur la déclaration contrôlée
du bénéfice net, soit sur l'évaluation administrative
de ce bénéfice.
Déclaration contrôlée du bénéfice net. — Toute
personne passible de l'impôt est tenue de faire —
dans les trois premiers mois de chaque année —
au contrôleur des contributions directes du lieu de
son domicile une déclaration de son bénéfice net,
pour l'année précédente.
Toutefois, voici la tolérance : une déclaration
spéciale n'est pas nécessaire quand le contribuable
Froduit une déclaration pour l'établissement de
impôt général sur le revenu. En effet, celle-ci,
obligatoirement, contient, en particulier, l'indication
distincte du montant des « bénéfices des professions
non commerciales ».
Evaluation administrative du bénéfice. — En cas
de défaut de déclaration spontanée, les personnes
assujetties à l'impôt sont requises de faire leur dé-
claration.
En cas d'abstention persistante ou de refus, le
bénéfice imposable est déterminé d'office par le
contrôleur et, à titre de sanction, l'impôt est majoré
de moitié.
Calcul et taux de l'impôt. — L'impôt est calculé
de la même façon que pour les traitements et sa-
laires : la fraction du bénéfice n'excédant pas le
minimum d'imposition précisé plus haut, est entiè-
rement exonérée ; — la traction comprise entre ce
minimum et 6.000 francs est comptée seulement
pour moitié; — le surplus est comptépour la totalité.
Au total des sommes ainsi obtenues est appliqué
le taux de 3 fr. 75 p. 100. Le mode de calcul est ana-
logue à celui de l'impôt sur les bénéfices industriels
et commerciaux.
Pénalité. — En cas de déclaration reconnue
inexacte, il y a lieu, en principe, à double droit : l'im-
pôt est doublé sur la fraction du bénéflcj dissimulé.
Toutefois, le double droit n'intervierit que si l'in-
suffisance constatée est supérieure au dixième du
bénéfice réel, ou bien si elle excède 10.000 francs.
C/targes et offices. — Les revenus des charges et
offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de
commerçants (notaires, avoués, huissiers) rentrent,
au point de vue de l'impôt, dans la catégorie des
bénéfices des professions non commerciales ; et,
pour tout ce qui concerne la détermination des bases
(le taxation, sont applicables les rèirles que nous
avons indiquées à propos desdites professions.
Mais une dérogation : l'impôt est — au taux spé-
cial de 4 fr. 50 pour 100 — calculé selon les condi-
tions et tarif fixés pour les bénéfices industriels et
commerciaux. Par conséquent, la portion de béné-
fices n'excédant pas 1.500 francs doit être comptée
pour un quart; la fraction comprise entre 1.500
et 5. 000 francs, par moitié ; le surplus, pour la totalité.
VI. Impôt sur les revenus des créances, dé-
pôts ET cautionnements. — Etablissement de l'im-
pôt. — L'impôt sur les revenus des valeurs et capi-
taux mobiliers (actuellement de 5 p. 100, comme
nous l'avons dit en tète de cet article) s'applique
aux intérêts, arrérages et tous antres produits :
l" des créances hypothécaires, privilégiées et
chirographaires, à l'exclusion de toute opération
commerciale ne présentant pas le caractère juri-
dique d'un prêt ;
2° des dépôts de sommes d'argent, à vue ou à
échéance fixe, quel que soit le dépositaire et quelle
que soit l'alfeclation du dépôt;
30 des cautionnements en numéraire.
L'impôt est liquidé sur le montant brut de ces
revenus, — c'est-à-dire sans tenir compte, par
exemple, des frais de recouvrement ayant réduit la
somme à percevoir.
Jusqu'à la loi du 31 juillet 1917, les revenus des
créances, dépôts et cautionnements, n'étaient soumis
à aucun impôt.
L'impôt institué a fait l'objet d'une instruction
spéciale de la Régie, en date du 31 décembre 1917.
Cas d'exemption. — Sont affranchis de l'impôt :
1° les intérêts des sommes inscrites sur les livrets
des caisses d'épargne;
2° les Intérêts des créances hypothécaires ou pri-
vilégiées, en représentation desquelles les sociétés ou
compagnies autorisées par le gouvernement à faire
des opérations de crédit foncier (comme le Crédit
foncier de France) ont émis des obligations, titres
ou valeurs soumis eux-mêmes à l'impôt sur le revenu.
Mode de payement de l'impôt. — Le recouvre-
ment de l'impôt est ici confié non pas à l'adminis-
tration des contributions directes, mais à celle de
l'enregistrement. L'impôt est perçu au moyen de
l'apposition, sur la quittance ou le titre libératoire
quelconque, de tirnlires mobiles, proportionnels à
l'importance du revenu encaissé. La valeur de ces
timbres mobiles (créés par un décret du 20 décem-
bre 1917) varie de 1 centime à 500 francs.
Le droit est à la charge exchisive du créancier,
nonobstant toute clause contraire, quelle qu'en soit
la date; toutefois, le créancier et le débiteur en
sont tenus solidairement (sous peine d'amende).
VII. Déductions. — Aux termes de l'article 52
de la loi du 31 juillet 1917, les personnes considé-
rées comme à la charge des contribuables, pour
impôts cédulaires, sont celles qui sont comptées
comme telles au point de vue de l'établissement de
l'impôt général sur le revenu. 11 en résulte que
l'efi'et de la disposition visée, qui a été ajoutée à l'ar-
ticle 13 de la loi du 14 juillet 1914 par l'article 4 de
la loi du 29 juin 1918, s'étend aussi bien aux impôts
cédulaires qu'à l'impôt général. — Mm leorand.
Jeune flUe aux joues roses (laI,
pièce en trois actes et neuf tableaux, en vers et en
prose, par François Porche, représentée pour la
première fois au théâlre Sarab-Bernhardl, le
12 mars 1919.
Le premier tableau représente l'hôtellerie des
■Vieilles-Archives; c'est l'arrivée de Rosette au pays
des Visages Gris.
Le décor caractérise la mentalité de ce peuple
routinier et arriéré, emprisonné dans les entraves
des traditions les plus étroites et des usages les
plus bornés.
Les murs sont constellés d'écriteaux : défense
de parler, défense d'entrer, défense de boire du
vin, etc. C'est un peuple muselé; tous ont le visage
gris; pas un visage rose; le sang de cette race est
pauvre et anémié. A la tête de ce triste royaume
est la Régente; elle porte, pendus à sa ceinture, les
attributs de son pouvoir, une énorme paire de
ciseaux. Autour d'elle gravite une foule silencieuse,
aux pas feutrés. Dans cette morne région arrivent
deux voyageurs venus de l'Occident. C'est une
jeune fille au teint frais etauxjoues roses, Rosette,
avec son écuyer, un bon gros vivant, Benoît. Us
sont aussitôt suspects et arrêtés; mais Rosette, qui
a revêtu pour le voyage le costume masculin, se
donne pour Roset, neveu du célèbre savant Jacobus.
A ce titre, il est accepté et sera le précepteur du
Prince, qui prépare sa thèse de doctorat.
Au deuxième tableau, le joyeux Benoit se met à
fureter à travers les lourdes murailles et les couloirs
sinistres du palais. 11 cherche les cuisines et la
cave. A travers un guichet, le concierge le rembarre
à la façon des garçons de bureau des ministères.
Heureusement, la femme du concierge, Perpétue, le
trouve à son gré et consent à le guider.
Troisième tableau. Rosette est introduite dans la
bibliothèque où travaillent les savants du royaume.
Ils se consacrent aux travaux les plus stériles et
les plus rebutants : catalogues, fiches, transcrip-
tions, répertoires. Les murs sont hauts et suintent
l'ennui. On n'y connaît le ciel que dans le lexique,
au mot Ouranos.
Rosette comprend que, pour s'introduire dans ce
funèbre état-major et ne pas se faire chasser, il faut
flatter la manie de ces tristes sires, et elle abonde
dans leur sens en feignant de pratiquer le mépris
de toute poésie, de toute vérité. La Régente est
entichée de ce jeune docteur, qu'elle prend pour un
jeune homme et dont elle se promet maint plaisir.
Le quatrième tableau nous montre le Prince dans
sa salle d'étude morose et froide, travaillant avec
son jeune précepteur. Celui-ci commence sa tâche
de libération et d'apostolat en l'honneur delà vérité,
de la nature, de la poésie, de la beauté. Le Prince
conçoit pour son maître une amitié troublante, et
Rosette est touchée par le charme de ce pauvre
enfant étiolé. Elle rie souffrira pas qu'il soit trompé
plus longtemps; elle va lui révéler le véritable
monde :
Je souffre ici pour vous, on vous trompe, on vous leurre.
Tous les jours sur vos yeux on ajoute un bandeau.
Vos plaisirs sont bornés à l'heure
Où vous pincez du lutli derrière ce rideaa.
Une étiquette byzantine
Vous tient captif dans ses filets.
Vos serviteurs sont vieux, vos professeurs sont laids.
Chacun vous plie à sa routine.
Vous ne quittez le gris que pour prendre le noir.
Il semble qu'on s'applique à vous donner la pente
D'un liquide qui baisse au creux d'un entonnoir.
Je ne veux pas qu'un jour votre âme s'en repente,
Je veux qu'elle bondisse avec l'élan des eaux
Quand s'ouvre enfin l'écluse.
Venez, vous dont la vie est dolente et recluse,
Venez voir le vol des oiseaux!
Elle tire de son corsage une superbe rose, qu'elle
a cueillie au jardin. Elle la lui montre; c'est une
fleur fraîche et vraie et non plus une fleur séchée,
une représentation pédagogique, à l'aquarelle; c'est
une rose vivante et nue!
Oui, dans sa vérité!
Approchez ; ce n'est pas la rose convenue
Qu'avec sa pauvre habileté
TJn enlumineur dessine et colore.
Venez voir de plus près encore!
Prince à qui l'on parle à genoux.
Vous pouvez vous baisser : voici plus grand que vous I
Le Prince n'a plus qu'un désir, aller au jardin
pour voir de près les fleurs roses. Mais il faut la
clef de la grille. Aussitôt se hérissent les dif-
ficultés. Comme la Reine dans Bu'i Blas, le Prince
est prisonnier de l'étiquette et de la loi. Un prince
ne cioit pas se promener dans les jardins.
Ceux-ci sont faits uniquement pour justifier la
fonction du sous-secrétariat d'Etal aux jardins. 11
faut consulter le directeur des serrures, le chef de
bureau des clefs, le recteur de l'Université, qui
détermine les programmes d'études et l'emploi du
temps, le doyen de la faculté de médecine, qui
règle l'hygiène princîère. On réunira des commis-
sions, des sous-commissions, et le Chef du Pro-
tocole espère que, dans deux ans, on pourra sou-
mettre au Prince un rapport le mettant au fait de
l'état de la question. La prétention qu'il émet bou-
leverse toute la gent administrative, bureaucratique,
routinière. C'est un scandale. Le Prince doit s'incli-
ner. Mais, une fois tous les fonctionnaires partis.
Rosette le prend par la main et l'entraîne par des
couloirs secrets, qu'elle a découverts au cours de
ses promenades.
Cinquième tableau. Guidé par Perpétue. Benoit
a repéré la cave. Là, i-eposent des bouteilles pou-
dreuses des vins les plus rares, les plus vieux, les
Al* 147. Mai làlé.
plus capiteux, conservés à litre documentaire comme
des objets de musée. Benoit, entouré de quelques
gars qui ont osé l'escorter, entonne l'hymne du vin,
les fait boire tous et, aussitôt, éclate la gaieté, em-
preinte de fraternité, de bonté et de santé.
Si.xième tableau, le Prince a suivi Rosette. Les
voici dans le parc tout étincelant de l'éclat du soleil
et des fleurs épanouies. Rosette dit les splendeurs
de la nature, des floraisons, des lacs, des sources;
dans son enthousiasme, elle fait voler son bonnet,
sa belle chevelure blonde s'épand sur ses épaules.
Le Prince découvre en même temps le charme des
roses et le charme de la femme. Son cœur bat plus
vite; un amour iijconnu le secoue, il s'évanouit.
Aux cris de Rosette, des gardes accourent. Elle est
accusée d'avoir attenté aux jours du Prince; elle
est arrêtée, tandis que Benoît, surpris derriiire un
buisson avec ses compagnons à moitié ivres, est
appréhendé et confondu dans la même accusation.
Septième tableau. Devant la cour d'assises, Ro-
sette et Benoît comparaissent. Au cours du procès,
se l'ont jour toutes les manœuvres : l'ambition du
juge d'instruction, plus préoccupé de son avance-
ment que de la justice; la torture morale imposée à
l'accusée ; les questions insidieuses, les pièges, la
mauvaise foi des témoins. Rosette et Benoît sont
condamnés & mort. Mais Benoît, qui, jusqu'alors,
croyait à une plaisanterie, n'est plus d'humeur à se
laisser occire; il empoigne des tabourets, il assomme
et rosse gardes et juges; une bagarre éclate, et le
peuple commence à goûter les premières joies de
l'espoir et de la liberté.
Hnilième tableau. Dans une cellule froide et sou-
terraine, le Prince s'est retiré pour méditer. Il fait
monter la condamnée, avec laquelle la loi l'autorise
h avoir un dernier entretien. Resté seul avec Ro-
sette, il lui révèle que celle retraite esl un subter-
fuge, qu'il a voulu la revoir, qu'il l'aime, qu'il veut
mourir avec elle. Mais des grondements se font
entendre au loin, des charges de cavalerie passent;
la révolution libératrice esl en marche.
Neuvième tableau, le Prince et Rosette ont pu
quitter la cellule. Les voilà en liberté dans le parc.
La nuit effraye le Prince, mais Rosette le rassure.
Peu à peu, l'aube répand sa symbolique clarté, et
voici le soleil, et voici le peuple qui chante, ayant
brisé ses chaînes, et voici la délivrance, la liberté 1
Tous les fonctionnaires, faux savants, académiques,
bureaucrates et geôliers ont pris la fuite; ils se
sont sauvés du côté de l'ouest. « Pourvu, s'écrie
Roselte, qu'ils ne viennent pas chez nous »! C'est le
mot de la lin.
On en sent toute l'ironie, car ils sont bien de chez
nous, ces abus et ces ridicules.
Cette charmante comédie est une satire fantai-
siste d'un genre original et nouveau. Ce n'est ni
Aristophane, ni le Roman de ta Rose, ni le Rornan
de Renarl, ni Rabelais, ni Jarry, ni Brieux dans la
Rohe rouqe, ni Henry Monnier. ni Jules Moinaux,
ni Gourteline, et c est un peu de tout cela.
La fantaisie et la réalité s'entrelacent. Les incon-
vénients du fonctionnarisme, de l'érudition théorique
et desséchante, de la tyrannie administrative, de
l'insouciance et de l'égolsme des fonctionnaires,
tout cela est dénoncé avec humour, esprit et finesse,
rien n'est épargné : le trait est implacalile, l'esprit
est joli et varié, le ton est tantôt éloquent et lyri-
que, tantôt blesssant et ironique. Les vers libres
alternent avec la prose.
L'ensemble est délicieux. C'est le rêve d'une révo-
lution de poète; non pas une révolution pour les
grands principes sociaux d'Egalité et de Fraternité,
mais pour les droits de la Beauté dans la vie, de la
Poésie que dégagent les fleurs, le soleil, les sources,
la Nature.
C'est la mise à la scène des vers de 'Victor de
Laprade :
Allons respirer l'air que respirent les chênes I
Les livres sont fermés et les bois sont ouverts î
C'est la guerre a tout ce qui attriste et assombrit
le spectacle de la vie : c'est la guerre aux murs
épais et aux nécropoles des archives, à l'atmosphère
lourde des bureaux, à la routine, aux habitudes
encrassées, aux ordres, avis, règlements qui en-
chaînent et entravent, et immobilisent l'exercice
des facnllés humaines.
La Révolution de 1789 a délivré l'individu. La
tourmente de 1914-1918 a libéré les peuples. Si la
révolution de Rosette se réalisait, ce sont les âmes
qui connaîtraient l'afTrancbissemeut et la délivrance.
Comme Socrate, ramenant la philosophie sur la
terre, avait quitté la région de la métaphysique pour
se pencher vers le mystère psychologique de l'indi-
vidu, Krançois Porche, négligeant le point de vue
politique, social ou international, a écrit le vibrant
et étincelant manifeste des Droits de l'ime et de
l'idéal. — Léo Claretib.
Los principaux rôles ont été créés par : M»" Simone
(liiuette), Jeanne Ixjnry (i« Récente), Jeanne Fusier [Per-
pétue); et par MM. Raimu (Benott), Yonnel (le Prince),
Chamoroy Ile Juge Mahnud), Villa (M. Confident), René
Worms (l'Envoyé), Grégoire (le Docteur expert), Renoux
{le Chef du Protocole), Angelot [un Docteur), Lagarde
(l'Auberpitle), Bergeron (un Dignitaire), H. Crémienz
(le Greffier), etc.
Ernest Laurent.
tAÎlOUSSE MENSUEL
Laurent (£rrtes<-Joseph), peintre français, né
à Paris en 1860. Fils, d'un décorateur, il entra dans
l'atelier de Lehmann, où il rencontra Georges Seurat
et Aman-Jean. Il débuta au Salon de 1882 avec une
Clarisse Harlowe, de facture traditionnelle; mais,
dès 1885, il adopta, avec son AnnonciK.lion, le divi-
sionnisme cher à Seurat et aux impressiormistes. Il
ne cherchait pas,
comme ces der-
niers, l'éclat de
la lumière, mais
le mystère de la
pénombre. Seu-
rat, dans ses des-
sins, a été lui-
même pèoccupé
desefl'elsdélicats
de clair-obscur :
le procédé divi-
sionniste, par
l'imprécision
qu'il laisse aux
contours, expri-
me parl'aitement
le tremblement
de la lumière sur
les formes. Mal-
gré sa facture,
VA nnonciation
d'Ernest Laurent fut fort goûtée : elle fut achetée
par l'Etat pour le musée de Nérac, et Puvis de Cba-
vannes fit donner à l'auteur une bourse de voyage.
Après une excursion en llalie et en Sicile, Ernest
Laurent revint à Paris, rentra à l'école et obtint, en
1889, le prix de Rome, avec un CItrist guérissant le
paralytitjue, de facture assez traditionnelle.
A la villa Medicis, il eut pour guide Hébert, dont
l'esprit raffiné eiait fort séduisant; de Rome, Ernest
Laurent alla à As-
sise, où il demeura
un an et où il pei-
gnit un Saitit Fran-
çois. Il n'avait pas
envoyé au Salon
depuis plusieurs
années : il y repa-
rut, en 1895, avec
la toile ombrienne.
Celle-ci est aujour-
d'hui au musée de
Nantes.Cependant,
l'artiste abandonna
vite les sujets d'his-
toire ou de légende
pour l'observation
de la vie. Il fut,
avant tout, peintre
de portraits. On ne
saurait rappeler
toutes ces œuvres,
qui ne sont dési-
gnées aux livrets
du Salon que par
des initiales: il faut
noter, cependant,
le portrait de
Jlfme Rosentlial et
ceux de Seurat,
de Gustave iltc/iel,
de M. et JW™' Paul
Jamot (1907).
L'artiste aime à
placer ses person-
nages dans leur
milieu : volontiers,
il enrichit de quel-
ques fleurs le fond
de la toile. Ernest
Laurent excelle, en outre, à modeler délicatement
les visages au moyen de touches fines et allongées,
suivant généralement le sens de la forme et parfois
aussi croisées, comme le réseau 1res agrandi de
l'épiderme. Il donne aux bouches et aux yeux l'ac-
cent et la vie nécessaires, mais sans jamais cher-
cher l'effet brutal. Tout, en son art, demeure voilé
et discret. Parmi ses meilleures pages, on peut
citer : le Voile mauve. Au jardin, la Rêverie, les
Relerailles (1902, musée de Nancy), sans parler de
diverses natures mortes de fleurs, roses ou pivoines,
non plus que d'exceptionnels paysages.
A côté du peintre de chevalet, le peintre décora-
teur a aussi une œuvre fort attachante. Un panneau,
signé de lui, orne l'hôtel Terminus de Lyon. Mais
la suite la plus importante qu'il ait donnée en ce
genre est celle qui est placée, depuis un an, dans
une salle de la Sorbonne et qui comprend quatre
? anneaux allégoriques : la Poésie, l'Eloquence,
'Histoire et la Philosophie. A côté de ces grandes
pages, de simples feuillets crayonnés d'Ernest Lau-
rent méritent aussi de retenir 1 atlenlion. Là, comme
dans ses toiles, s'affirme le désir de l'artiste d'éviter
l'isolement des formes et de noyer les contours dans
un entrecroisement de traits légers : la richesse de
ce procédé, sa douceur et sa puissance d'expression
des volumes, désignent particulièrement à l'admira-
tion les dessins d'Ernest Laurent. L'artiste a été
élu membre de l'Académie des beaux-arts, le 8 fé-
vrier 1919. CV. p. 766.) — TriiUn LEcUaz.
Xjaurier (sir 'Wilfrid), homme d'Etat cana-
dien, né à Saint-Lin, dans la province de Québec,
le 20 novembre 1841, mort à Ottawa le 17 février
1919. Il appartenait à une famille catholique et lit
ses premières études dans sa paroisse natale, au col-
lège de l'Assomption. Achevant son instruction à
l'université Mac Gill, de Montréal, il s'attacha, en
outre, quelque temps à une école publique protes-
tante, afin d'apprendre la langue anglaise, ayant jus-
qu'alors, comme le plus grand nombre de ses com-
patriotes de la province, parlé exclusivement le
français. Sir 'Wilfrid Laurier entra dans la profes-
sion légale, fut appeit au barreau en 1864 ouvrit
un cabinet d'avocat en 1868. La même année, il
épousa miss Zoe Martineau et poursuivit sa car-
riiM-e d'homme de loi, au cours dé laquelle, en 1880,
il fut créé « Conseil de la Reine ».
C'est à Arlhabaskaville, dans le comlé de Dnim-
mond et d'Arthabasca, que Laurier était installé. Il
fonda, dans les premières année», un journal fran-
çais hebdomadaire à tendances libérales : le Défri-
cheur, mais ne put en soutenir longtemps la publi-
cation.
C'est à la même époque de sa vie que se placent
ses démêlés avec les autorités ecclésiastiques de la
province de Québec. Laurier était membre de l'Ins-
titut canadien de Montréal, société littéraireet scien-
tifique, dont le libéralisme décidé appela les foudres
de l'Eglise. Un imprimeur libéral, Guibord, étant
morl, le clergé refusa de le laisser inhumer à Côte
des Neiges, parce que, membre de l'Inslitut cana-
dien, il ne pouvait recevoir ral)solution. Appel fut
fait de cette décision ecclésiastique aux tribunaux;
jardin, tableau d'Eraest Laurent.
il fallut un jugement du Conseil impérial privé pour
que le corps de Guibord pût être, enfin, transporté,
sous une protection militaire, à Côte des Neiiies, et
inhumé dans le terrain consacré. Laurier avait dé-
fendu la cause du défunt el fut, assez longtemps
encore après ces démêlés, dénoncé par ses adver-
saires politiques et professionnels, comme un « ami
de Guibord ». Les ecclésiastiques ultramontains le
tinrent, durant de longues années, en défiance. Il
personnifia l'antinomie entre le libéralisme de Qué-
bec et le clergé de la province.
En 1871, commença la carrière politique de Lau-
rier. Elu, par la circonscription d'Arthabaska, à la
législature de la province, il s'y exerça i la pratique
de l'éloquence parlementaire et devint rapidement
un detialer estimé. Parmi ses thèmes favoris, dans
celle période, celui qui revenait le plus souvent dans
ses discours était l'intérêt qu'avaient les Canadiens
français à entrer dans une active compétition indus-
trielle avec l'élément anglais.
La Confédération du Dominion canadien avait
été constituée en 1867. Dans Oltawa, la capitale,
siégeait le Parlement fédéral. Laurier, abandon-
nant son siège dans la législature de Québec, en
1874, fut envoyé par sa circonscription à la Cham-
bre des communes d'Ottawa, où il prit rang parmi
L
784
les membres les plus en vue du psrli libéral, alors
au pouvoir avec Mackenzie.
Sir John Macdonald.deux années plus lard (1876),
engagea le parti conservateur dans une politique
résolue de protection des industries du pays contre
la concurrence étrangère. Le Canada traversait
alors une période de dépression marquée, la com-
pétition des industries américaines opposant des
entraves de plus en plus sérieuses aux industries
canadiennes. L'opinion publique, en général, récla-
mait une élévation de la plupart des droits inscrits
au tarir douanier. Mais l'administration Macifenzie,
sous la pression des provinces de l'Est, dont les in-
térêts inclinaient plutôt au libre-échange, s'en tenait
au système du tarif étiiljli sous la seule considéra-
tion de l'apport au revenu général (a revenue tariff).
Laurier adopta une position intermédiaire entre
les libre-écbangisteset leurs adversaires. Dans tous
ses discours de cette période, il recommandait une
certaine mesure de protection comme indispensable
pour le développement de l'activité industrielle dans
un piiys neuf. Son autorité dans le Parlement et sa
réputation dans le pays grandissaient rapidement. Il
entra, en octobre 1877, dans le cabinet, comme mi-
nistre du revenu intérieur, il fallait que sa circons-
cription le rééliit, et c'est alors que lui fut inll^ée
la seule défaite personnelle qu'il eut à subir dans
sa carrière politique. Les échecs du gouvernement
dans plusieurs élections partielles apportaient la
démonstration que le pays inclinait fortement au
système de la protection. Laurier, malgré sa popu-
larité personnelle et la satisfaction locale que cau-
sait son accession au cabinet, échoua dans sa cir-
conscription. Il fut, il est vrai, renvoyé à Ottawa
quelques semaines plus tard par le district est de
Québec, dont il resta, dès lors, le représentant. jus-
qu'à sa mort. Le mécontentement populaire contre
la politique fiscale de l'administration Mackensie fit
tomber le cabinet, en septembre 1878. Laurier fut
naturellement entraîné dans sachute, après une année
d'exercice du pouvoir.
Sa vie politique se partage, dès lors, en deuxphases.
Il resta dans l'opposition de 1878 à 1896, soit pen-
dant dix-huit ans, comme chef du parti libéral, puis
arriva aux affaires en 1 896 comme premier ministre
et ne quitta cette position qu'en 1911, lors du retour
du parti conservateur au pouvoir avec son chef ac-
tuel, sir Robert Borden.
Pendant plusieurs années après 1878, Laurier ne
fut chef du parti libéral que dans la province fran-
çaise de Québec. Le chef reconnu du parti pour
toute la Confédération était Mackenzie. Lorsque
celui-ci résigna ce poste, en 1880, il eut pour suc-
cesseur Edward Blake, avec lequel Laurier se main-
tint en un étroit accord dans le plus grand nombre
des questions politiques. Aussi, lorsque Blake dut
se retirer à son tour, après une série d'insuccès, de
la direction du parti, Laurier se trouva naturelle-
ment désigné pour recueillir sa succession comme
leader du libéralisme au Canada. Sa nomination
par le caucus libéral du Parlement d'Ottawa n'alla
fias, cependant, sans quelque difficulté, et le vote qui
e porta ne fut nullement unanime. 11 pariiissail dif-
ficile à accepter, pour beaucoup de membres libé-
raux de la Chambre des communes, qu'un Canadien
français, de la religion catholique romaine, fût
nommé chef du parti pour les provinces anglaises.
Laurier avait à tel point la conscience de cette dif-
ficulté qu'il protesta lui-même contre l'idée de lui
conférer la succession politique de Blake. En dépit
de ces considérations et bien que Laurier eût encore
contre lui une santé un peu faible et qu'il ne possé-
dât que de très modestes revenus, il fut élu par le
caucus.
Une fois installé dans la position de leader des
libéraux, il conquit en peu de temps la confiance de
ses coreligionnaires politiques dans tout le pays.
D'autre part, les libéraux protestants lui surent gré
de la fermeté dont il avait toujours fait preuve
contre l'intervention cléricale abusive dans les af-
faires de la province de Québec et de son attitude
loyale, lors des difficultés suscitées dans cette même
province française par les « exubérances » du natio-
nalisme français de Mercier. Laurier sut, dans cette
crise, représenter en sa personne un mélange heu-
reux de nationalisme français et de nationalisme
canadien, dont l'opinion publique se montra large-
ment satisfaite.
Sir John Macdonald avait jusqu'alors préservé le
parti conservateur de tout choc malencontreux dans
sa longue gestion des affaires de la Confédération.
Le programme économique du parti n'avait pas
varié, et son principe fondamental était toujours la
protection. Laurier, dans le Parlement, au nom des
libéraux, recommandait dans tous ses discours un
système de large réciprocité commerciale avec les
Etats-Unis, soutenu avec énergie par un libéral en
renom à cette époque, sir Richard Cartwright. La
lutte entre les deux politiques était ardente. Sir
John Macdonald l'emporta encore aux élections
générales de 1891. Mais il mourut en juin, au len-
demain des élections, et le parti conservateur, si
longtemps vigoureux, commença de montrer quel-
ques symptômes de désintégration et de faiblesse.
Sir Wilfrid Laurier.
LAROUSSE MENSUEL
Sir John Thompson le dirigea, non sans habileté,
jusqu'en 1894, lui conservant sinon toute sa force,
au moins son unité. Sa mort hâta la désorganisation,
que ne put enrayer sir Charles Tupper, rappelé de
Londres pour prendre charge des intérêts du parti.
En 1896, les élections générales furent un désastre
pour l'ancienne combinaison de forces qu'avait su
créer et soutenir sir John Macdonald. Les libéraux
obtinrent une majorité décisive de quarante-quatre
voix dans tout le Dominion, et sir Wilfrid Laurier
devint premier ministre de la Confédération.
Une des principales affaires qu'il eut à régler i
son arrivée au pouvoir lut celle des écoles mixtes
(catholiques et protestantes) dans le Manitoba. La
solution qu'il fit prévaloir donnait une satisfaction
suffisante aux Anglais dans le Dominion. Elle fut
acceptée aussi dans la province de Québec. Toutes
les difficultés, cependant, ne furent levées qu'après
une visite faite, k ce sujet, par M«' Merry dei Val
au Canada.
Laurier fit voter par le Parlement fédéral une
mesure de revision de tarif, qui n'eut aucunement
le caractère d'une réforme libre-échangiste. La plu-
part des droits protectionnistes furent maintenus,
soit sans changement, soit avec des atténuations
ayant pour objet
défaire droit, au
moins partielle-
ment, à de mul-
tiples revendica-
tionsde l'agricul-
ture canadienne.
Le trait saillant
de la réforme du
tarif futl'établis-
sement de droits
différentiels (l?> !
tish Préférence)
en faveur des im-
portations de la
Grande - Brela -
gne. L'opinion
publique, en .An-
gleterre, accueil-
lit avec un vif
contentement
l'offre du gouvernement du Dominion, par laquelle
se manifestait d'une façon éclatante le patriotisme
de la grande communauté britannique du nouveau
monde. Laurier visitant l'Angleterre en 1897, à
l'occasion du jubilé de la reine Victoria, reçut l'ac-
cueil le plus sympathique. Le grand Canadien
français venait de se montrer le plus " loyal » des
Canadiens anglais.
Le cabinet libéral à Ottawa eut, en 1898, quelques
difficultés avec le gouvernement de Washington
au sujet de l'Alaska. Laurier, lorsque les Anglais
s'engagèrent dans la guerre contre les Boers, se
décida, après quelques hésitations, à envoyer un
contingent de troupes canadiennes dans l'Afrique
du Sud et défendit avec la même vigueur sa poli-
tique dans la province de Québec, oii l'envoi était
blâmé, et dans l'Ontario, oii l'opinion estimait qu'il
avait trop tardé.
Quelques grandes mesures de l'administration
Laurier sont encore à citer : la construction du che-
min de fer transcontinental national (Gî'arit/ Trunk
Pacific), création delà Commission pour les chemins
de fer du Dominion, l'introduction du système du
concours pour l'admission anx emplois dans le ser-
vice intérieur, diverses dispositions législatives en
faveur du travail, un arrangement avec le Japon
concernant l'immigration des Jaunes au Canada.
Dans la grande question, si fiévreusement agitée
en Angleterre, après la fin de la guerre en Afrique
du Sud, des projets de fédération impériale, Laurier
se tint sur une grande réserve. Il était anxieux de
ne créer aucune difficulté an gouvernement impérial,
mais en même temps très jaloux du maintien de la
plus grande autonomie pour le Dominion canadien.
Un peu avant 1911, les temps devinrent plus
difficiles pour le parti libéral et pour son chef. Des
dissentiments se produisirent entre Ottawa et
Londres sur les modalités d'une participation du
Dominion à l'accroissement des forces navales de
l'empire et entre Ottawa et Washington sur la
question de la réciprocité commerciale. Ces pro-
blèmes soulevèrent, au sein même de la Confédé-
ration, des controverses très âpres. La réciprocité
était dénoncée, même par les libéraux, dans les
régions industrielles du Canada, comme le renver-
sement de la politique nationale par laquelle le
commerce avait été délibérément dirigé d'Est en
Ouest et comme un pas décisif sur la voie du libre-
échange absolu entre le Canada et les Etals-Unis.
C'était, disait-on, une politique fatale à tout arran-
gement futur de droits différentiels avec l'Angle-
terre ; elle entraînait une union de plus en plus
étroite avec les Etats-Unis, et le relâchement des
liens avec la Grande-Bretagne ; elle constituait un
danger pour la nationalité canadienne et pour
l'empire britannique.
Les élections générales de 1911 se firent sur cet
ensemble de questions. Le gfouvernement libéral y
H' 14?. Ma/ 1919.
fut battu, les conservateurs que dirigeait sir Robert
Borden revenant au pouvoir avec une majorité de
48 voix. Les libéraux étaient vainqueurs dans les
provinces de la « Prairie », Saskalchewan et Alberta,
mais affaiblis dans les provinces de l'Est et complè-
tements défaits dans la Colombie britannique et
dans l'Ontario. La province même de Québec ne
leur donnait que 38 sièges sur 65.
Laurier avait tenu le pouvoir suprême durant
quinze années, pendant lesquelles la prospérité du
Canada s'était grandement développée. 11 soutint sa
défaite avec une courageuse dignité et reprit son
siège à la Chambre des communes comme chef du
parti libéral, rejeté dans l'opposition. Lorsque la
guerre éclata en Europe, il donna son plein assen-
timent à la décision prise par le gouvernement de
sir Borden d'équiper et d'envoyer des contingents
canailiens dans l'ancien monde pour combattre les
ennemis de la France et de l'Anglelene. Le parti
vota tous les crédits nécessaires et les emprunts
considérables que la Confédération dut contracter
pour rendre la participation du Canada au confiit
aussi complète que glorieuse. Laurier avaitsoixante-
treize ans en 1914. Au Parlement et dans de nom-
breuses réunions hors d'Ottawa, il parla aussi long-
temps que ses forces le lui permirent, pour dénoncer
l'agression de l'Allemagne, exalter la France et la
Belgique, affirmer la justice de la cause pour
laquelle Inllaient désespérément les nations alliées
contre la barbarie.
Sur un seul poinl il fut en désaccord avec le gou-
vernement conservateur et avec un bon nombre de
ses coreligionnaires libéraux : il ne voulut point re-
connaître la nécessité de la conscription militaire
et ne céda à aucune des instances dont il fut l'objet,
même lorsqu'il fut invité à former avec sir Borden
un cabinetd'union. 11 lui sembla qu'en abandonnant
le système du volontariat, il trahirait un des prin-
cipes auxquels il avait été fidèle toute sa vie.
C'était en 1917, et Laurier comptait soixante-seize
ans. Entêtement ou fidélité aux principes, la position
(|ue prit Laurier le laissa un peu isolé dans son parti.
Mais, s'il en fut attristé, il n en eut cure au point
de vue de son attitude comme chef de parti; aux
élections de 1917, il fut réélu, ayant mené la cam-
pagne pour la conservation de son siège avec une
réserve à laquelle tous, amis ou adversaires, ren-
dirent hommage.
Sir Wilfrid Laurier avait de grandes qualités
comme conducteur d'hommes dans les batailles de
la politique. Ceux qui l'ont connu disent qu'il en eut
de grandes aussi comme homme du monde et
simple particulier. Modeste dans ses goûts, très
sobre, il n'avait rien d'austère, aimait les amuse-
ments et goûtait la bonne compagnie comme un
vrai Français qu'il était, tout en pensant et agissant
comme un loyal Anglais. En bien des points, il
rappelait son prédécesseur au pouvoir, sir John
Macdonald. Avec des traits semblables de caractère
et de méthode,- le libéral sut construire sur les fon-
dations que le conservateur avait établies. « La
France, notre mère », dit-il un jour. Il fut un admi-
rable agent de liaison entre le Canada français et le
Canada anglais, un des constructeurs du Dominion
canadien contemporain, devenu la nation pros-
père et vigoureuse de huit millions d'hommes qui
a poussé sur les « quelques arpents de neige « du
xviii« siècle. Sir Wilfrid Laurier figure au premier
rang des artisans de la grandeur nationale en son
pays. — A. MoiRBAu.
Leblanc (il/auWce-Charles-Léonard-Armand),
ingénieur français, né à Paris le 2 mars 18.ï7. Il fit
ses premières études au lycée Louis-le-Grand et fut
admis & l'Ecole polytechnique en 1876. 11 en sortit
en 1878 et entra comme ingénieur à la Compagnie
des chemins de fer de l'Est, puis, quelques années
après, dans une entreprise industrielle. Entièrement
absorbé par ses fonctions, Leblanc était loin, cepen-
dant, de se désintéresser du mouvement scientifique,
et il publia, durant cette période de dix années,
dans la « Lumière électrique », d'intéressantes mises
au point relativement à diverses questions d'élec-
tricité. Toutefois, ce n'est qu'à partir de 1888 qu'il
se consacra entièrement à des recherches person-
nelles. Le moment était propice ; le grand problème
du transport de l'énergie à dislance se trouvait tou-
jours posé ; les expériences de Marcel Deprez, dont
la première remonte à 1881, en avaient indiqué la
solution, mais la mise en œuvre était loin d'être
définitive. Leblanc se proposa tout d'abord de cons-
truire un bon moteur à courants alternatifs; c'est
là, seml)le-t-il, son premier essai dans cette carrière
d'inventeur, où il ne devait pas tarder à se faire
connaître. En 1889, dans une note aux Comptes
rendus de l'Académie des sciences, Lelilanc propo-
sait d'établir un moteur à balais tournants, qui avait
l'avantage de ne pas prendre de courant déwatlé
au réseau sur lequel il est branché. Toutefois, ce
moteur ne fut pas réalisé; c'était l'épo(|ue où Testa
venait d'imaginer un moteur d'induction relative-
ment simple. Ce moteur était alimenté par des cou-
rants polyphasés, amenés par autant de conducteurs
distincts qu'il y avait de courants de phases diffé-
Maui'ice Leblanc.
«• 14f. Mal 1919.
rentes. Pour supprimer la complication due à la
mullipIicUé des lignes de transport, Leblanc eut
l'idée d'associer le moteur à des condensateurs qui
auraient produit sur place les courants polyphasés,
mais il ne put la réaliser & cause des pliénoniènes
de résonance électrique. Il résolut alors de produire
sur place les courants déwatlés qui sont nécessaires
à l'excitation du moteur, au lieu de les emprunter
au réseau; il proposa d'abord de fermer ses circuits
sur des condensateurs électrolytiques, puis il conçut
les avanceurs de phase. Ce sont de petites machines
analoijues aux dynamos, qui, lorsqu'elles sont par-
courues par un courant alternatif, donnent les nionies
forcesélectromotrices qu'un coudensalcur. On monte
sur l'arbre du moteur une de ces excitatrices, et on
la règle de façon que le moteur, en charge moyenne,
ne prenne pas de courants déwattés au réseau.
Avant d'étudier ci^s modifications, Leblanc avait
fait entirremi-nl la théorie du moteur dinduclion;
il a établi l'ex-
pression de la
force électromo-
trice capable de
faire passer un
courant d'inten-
sité déterminée
dans chacun des
circuils d'arma-
ture et aussi l'ex-
pression du cou-
ple développé sur
l'axe du moteur.
Il indiqua aussi
les circonstances
les plus favora-
bles pour déve-
lopper le couple
maximum: on de-
vait fermer les
circuits induits
sur des résis-
tances variables, grandes au moment du démar-
rage et diminuant peu à peu quand la vitesse du
moteur s'accentue.
A partir de 1892, Leblanc se proposa d'assurer
le synckronistne des alternateurs et inventa à cet
effet les circuits amortisseui-s. Ce sont des circuits
fermés sur eux-mêmes et disposés dans les épa-
nouissements polaires des inducteurs, au voisinage
immédiat de l'entrefer. Il a construit également une
machine d'induction particulière, susceptible de
remplacer les alternateurs et non assujettie à tour-
ner synchroniquement. On lui doit aussi une e-rri-
tatrice permettant de régler automatiquemen t l'exci-
tation d'un alternateur. Citons encore ses étouffeurs
d'harmoniques, circuils très résistants, composés de
peu de métal, étalés à la surface des pôles en tôles
feuilletées et à travers lesquels se développent libre-
ment les flux à variations rapides produits par le
passage des harmoniques.
En 1S91, il réalisait un transformateur de fré-
quence et de tension, puis, plus tard, un transfor-
mateur en cascade, permettant de diminuer la
fréquence des courants à redresser. On lui doit
également une méthode de transmission d'énergie à
des véhicules en marche; il parvint à produire des
courants de haute fréquence et d'intensité efficace
constante, et sa méthode a été appliquée pour oble-
nir les ondes entretenues dans la télégrahiesans fil.
En 1902, M. Leblanc, qui était ingénieur-conseil
de la Société anonyme Westinghouse, à Paris,
abandonna ses éludes d'électricité pour se livrer à
des recherches de mécanique et de thermodyna-
mique. Il se proposa de réaliser un frigoril'ère
domestique, qui pourrait « rendre les mêmes ser-
vices dans les pays chauds qîie le calorilere dans
les pays froids ». Le premier problème qu'il eut à
résoudre fut celui de la construction d'une pompe à
air, donnant dans un condenseur le vide théorique.
Cette pompe, adaptée aux turbines à vapeur, a per-
mis d'augmenter le rendement de celles-ci dans des
proportions très notables. Il étudia ensuite les
éjecteurs et parvint à construire des appareils en-
traînant des quantités de vapeurs déterminées de
façon à produire un vide prévu à l'avance, puis il
s'occupa des évaporateurs et réalisa une machine
frigorifique k vapeur d'eau et à éjecteur, qui fut
adoptée par la marine militaire pour refroidir les
soutes à munitions et utilisée aussi dans certains
grands paquebots pour refroidir les soutes k vivres,
ïlnfin, il réalisa une mac/ii'ne frigorifique à vapeur
d'eau et à compresseur rotatif, qui paraît destinée
à apporter un notable perfectionnement dans l'outil-
lage de l'industrie du froid.
M. Leblanc est un laborieux ; ses profondes con-
naissances, ses travaux d'ordre purement théorique
et aussi les nombreux problèmes techniques qu'il a
résolus lui ont acquis, dans le monde scientifique et
dans le monde industriel, une renommée d'ailleurs
largement méritée. La plupart de ses travaux théo-
riques ont été publiés dans les comptes rendus de
l'Académie des sciences.
En 1900, il avait obtenu un grand prix k l'Exposi-
tion universelle de Paris et avait été nommé che-
LAROtJSSE MENSUEL
valier de la Légion d'honneur. De 1903 i 1909, Il a
professé le cours d'électricité industrielle à l'Ecole
des mines à Paris et, en 1913, il a été choisi comme
président de la Commission électrolechnique in-
ternationale. C'était la première fois que cet
honneur était accordé à un Français. Enfin, le
25 novembre 1918, il fut élu membre de l'Académie
d2s sciences, pour prendre place dans la section
nouvellement créée : Division des sciences appli-
quées à l'industrie. — CJ. boocbem.
Maison des enfants (la) ou la Méthode
d'koucation de M™= Maria ÀIontessori. — La
méthode Monlessori s'intéresse à l'éducation de la
première enfance.
Son succès s'explique tout à la fois par les dons
indiscutables d'ingéniosité et d'originalité chez la
doctoresse Montessori et par la forte éducation
scientifique que cette éducalrice de la premièn-
enfance a voulu se donner avant d'aborder ce pro-
blème complexe, dont elle a traité scientifiquement
tous les aspects.
Elève des grands professeurs de psychiatrie et
de psychologie expérimentale, dans un pays où cettf
science a fait depuis un certain nombre d'année-
dos progrès considérables, assistante du professeur
Morselli, puis elle-même chargée de cours k l'Uni-
versité de Rome, où elle enseigna quelques années,
elle a voulu, tout d'abord, faire pénétrer dans la
moderne éducation les meilleurs apports de la phy-
siologie et de la psychologie expérimentale.
C'est ainsi qu'en physiologue elle établit pour
chaque enfant un carnet psychophysiologique, dont
la mise à jour et la consultation doivent faire l'objet
des préoccupations constantes et mutuelles des édu
cateurs et des parents. Ces derniers peuvent y
trouver des renseignements utiles sur l'état normal
ou défectueux des principales fonctions, par exemple
de nutrition ou de circulation, dont l'importance
est si considérable dans le développement de l'en-
fant. Ils peuvent même être mis eu garde contre la
naissance ou le développement de certaines mal-
formations, comme le strabisme ou le rachitisme,
dont l'heureuse alliance de l'école et de la lamille
arrivera à triompher plus facilement et pour le plus
grand profit de la race future.
Ce premier point établi, M"= Montessori, en psy-
chologue avertie, en aborde un autre, qui n'a pas
moins d'importance dans l'affirmation de la méthode :
Mn' Moatessori enseignant les emboîtements géométriques.
c'est l'alfranchissement, nour l'enfant, de ces en-
traves, ou bien matérielles ou bien morales, que la
propagande de notre Rousseau n'avait pas réussi à
faire disparaître de son horizon enfantin.
Une école Montessori doit être le domaine où la
liberté de l'enfant s'exerce dans sa plénitude, comme
une république minuscule où chacun agit k sa guise,
en prenant cependant conscience de sa responsabi-
lité personnelle.
Danslematériel scolaire, l'antique banc a disparu;
symbole de la tyrannie qui condamnait l'enfant à
l'immobilité, il a fait place k de coquettes petites
tables, à de petites chaises basses, légères, facile-
ment maniables, même pour un enfant de quelques
années, et qu'il transporte lui-même là où il veut, là
où il a plaisir et intérêt à se trouver.
De même, tout autour de la salle, ornée d'un revê-
tement blanc, ou de couleur claire, régnent de petites
armoires basses, à hauteur d'occupants, où l'enfant
viendra prendre le petit matériel de jeux ou de cons-
truction mis à sa disposition et qu'il s'habituera,
d'ailleurs, k remettre dans le même ordre, avec une
ponctualité qui étonne et charme l'observateur.
Ce culte de l'indépendance, associé k l'amour de
l'ordre, sont des qualités primordiales, queMi"» Mon-
785
tessori excellera k faire naître dans le cerveau des
petits enfants. Elle arrêtera le zèle intempestif des
parents ou des maîtresses, qui voudraient aplanir au
tout petit mille difficultés, qu'il préfère résoudre de
son propre effort, à ses risques et périls.
Mais elle trouvera, en même temps, des leçons
appropriées pour habituer un enfant très jeune à la
maîtrise de soi-même. Si, d'aventure, il se refuse k
partager les jeux de ses petits camarades, ou s'il
^^^^1
BH
1
Ml
. ^ 1
Enfant conBtl*uisant une tour avecdes cubes de diverses ^l'andeun.
prétend y apporter du trouble, il sera non puni — le
mot n'a pas de valeur pour M"" Montessori — mais
mis k part de la communauté le temps nécessaire
pour qu'il comprenne que, dans une société petite
ou grande, nul n'a le droit, par son seul caprice, de
forter atteinte à l'ordre établi et de déranger
harmonie de l'ensemble. C'est la leçon muette,
quoique expressive, que la maîtresse, ou la direc-
trice — tel est son nom dans la méthode — devra
faire comprendre k l'enfant.
Le rôle de l'éducatrice est ici singulièrement
limité, ce qui n'est pas fait pour le rendre plus
facile; elle doit être, par-dessus tout, une observa-
trice attentive et patiente des manifestations sj)on-
tanées de l'activité enfantine, de cette activité qui
doit opérer elle-même une sélection dans ses pro-
pres tendances et s'organiser par une coordination
de mouvements en vue d'un but que l'enfant veut
atteindre, parce qu'il en comprend l'intérêt pour
son développement personnel.
La maîtresse moiitessorienne doit donc éviter
toute contrainte, même toute insistance k faire
recommencer sur-le-champ un acte ou un mouve-
ment mal exécuté et que l'enfant, demain, pourra
rectifier de lui-même; ainsi encore pour une erreur
de couleur, ou de pesanteur, qui n'indique chez
lui qu'ime notation insuffisante, que de nouvelles
expériences viendront mettre au point et préciser
définitivement.
Son rôle consiste en une orientation discrète,
bien que décisive, de l'enfant vers l'observation des
faits de la vie, des lignes, des formes ou des cou-
leurs, qui se combinent différemment dans la nature
ou dans les travaux des hommes.
Ajoutons, cependant, que les recommandations
que M"" Montessori illustre d'exemples empruntés
k sa propre expérience — car elle a été la première
maîtresse dans ses écoles — sont en accord aussi
avec l'un des dogmes fondamentaux de sa méthode
et qui complète celui-là : le respect de la liberté et
de l'initiative chez l'enfant. C'est l'idée d'assurer le
libre développement et l'expansion de tous les sens
en disposant pour l'éducation de chacun d'eux pris
en particulier d'un matériel fort ingénieux et fort
bien adapté aux buts différents que l'on se propose
d'atteindre pour conduire progressivement l'enfant
d'une maîtrise de ses sens aux premières opérations
de l'intelligence.
Des sens à l'intelligence, c'était déjà la formule
de Séguin, un savant français trop méconnu, qui
avait devancé M"" Montessori dans celle voie si
féconde et auquel elle s'esl plu à rendre en toute
justice un légitime hommage. Celui-ci, physiologue
et psychologue éminent, le premier éducateur
d'anormaux, avait été amené à reconnaître pour ses
intéressants protégés l'importance d'une éducation
de certains sens en particulier, gr&ce à laquelle on
obtiendrait d'eux une coordination de mouvements,
prélude d'une discipline intérieure, qui est la condi-
tion même de tout progrès dans de semblables édu-
cations.
A ce grand observateur revient aussi l'honneur
d'avoir établi l'importance de ce sens musculaire,
organe obscur, quoique le plus puissant auxiliaire
766
peut-être de la mémoire organique; il en avait
déjà tiré pour son compte une éducation physiolo-
logique de la main, que M™" Montessori connaîtra
et dont elle tirera, par l'addition de procédés tout
Personnels, une ingénieuse méthode d'initiation à
écriture.
A Séguin aussi revient, mais toujours pour l'édu-
cation des petits anormaux, l'idée de ces pièces
d'habillement, de grandeur naturelle, que l'enfant
LAtlÔÛSSE MËNâÛÈL
par Séguin, 'ar cette remarque que des enfants
doués d'ambidextrie fonctionnelle, phénomène assez
fréquent, paraît-il, chez des enfants de trois ou
quatre ans, réussissent à merveille, grâce à cette
égalité des deux mains, les petits exercices de sou-
pesage des tablettes. Cette question a été rendue
d'actualité par les admirables résultats obtenus dans
nos écoles de rééducation pour de nombreux muti-
lés de la guerre, et les éducateurs de l'avenir de
Enfants rangés pour la marche rythmique.
s'exerce à boutonner, à lacer ou agrafer et, surtout,
l'emploi de ces cadres obloiigs en bois sur lesquels
sont découpées des formes d'apparence géométrique,
fermées d'un couvercle mobile que l'enfant déplace
ou replace à volonté, grâce à un boulon de métal
inséré au centre de l'appareil. Exercice fécond pour
les anormaux instables, avait établi Séguin, qui
avait trouvé ce premier moyen ingénieux de fixer
leur attention fuyante; exercice excellent pour tous
les petits enfants, a innové M™' Montessori, et je
la crois volontiers quand elle affirme avoir vu une
petite fille recommencer jusqu'à vingt fois des
essais infructueux, tant qu'elle n'était point arrivée
à parfaite réussite.
L'exercice ne manque pas de difficulté, puisque,
les couvercles étant dispersés, il s'agit, pour le petit
expérimentateur, de retrouver la forme qui s'adapte
à l'orifice unique dans lequel elle doit s'emboîter
exactement.
Mais M™« Montessori a justement découvert la
loi de l'effort enfantin, qui ne se fatigue que dans
un travail aride et qui se plaît à résoudre avec une
infinie patience mille petits problèmes, que l'em-
pres.sement de son entourage lui enlève la joie de
réussir personnellement.
Partie sur cette voie, M™" Montessori sera fer-
tile en découvertes fécondes pour une éducation
des sens qu'en psychologue et en psychiatre elle
voudra préparer à des notations bien plus déli-
cates que celles qui leur étaient jusqu'à présent
demandées.
D'ailleurs, chaque sens doit être ici développé
pour lui-même dans le ressort de son activité et
dans la voie précise, pourrait-on dire, de sa desti-
nation originelle. La main est faite pour peser;
l'enfant prendra dans ses deux paumes ouvertes de
légères talilettes de bois de poids quelque peu dif-
férents; il les soupèsera par un mouvement alter-
natif de bas en haut et de haut en bas, à la manière
d'une balance dont les plateaux oscillent avant de
marquer le poids, pour les séparer ensuite en deux
tas, qu'il placera à sa gauche, ou à sa droite, sui-
vant l'équivalence ou l'inégalité de leur pesanteur.
L'exercice se pratiquera les yeux bandés, pour laisser
agir le seul toucher.
Nous verrons plus loin le parti ingénieux que
M"= Montessori tire de l'obscurité et du silence
dans son système d'éducation. Mais les petits cama-
rades pourront suivre facilement l'opération, car
une même couleur spécifiera les tablettes de poids
semblables, et l'exercice, fertile en péripéties, de-
viendra un jeu auquel participeront volontiers tous
les enfants. Exercice fécond, puisqu'il réalise le
vœu depuis longtemps exprimé par Rousseau dans
son Emile : « .l'aime mieux qu'Emile ait des yeux
au bout des doigts que dans la boutique d'un chan-
delier. »
Dans l'éducation du toucher. M"»' Montessori
solutionne la question de l'ambidextrie, déjà posée
vront tenir le plus grand compte de semblables
observations.
Dans l'éducation de la vue. M"»* Montessori
distingue une éducation du toucher à distance et
un apprentissage de la couleur, à proprement par-
ler. Pour inculquer cette seconde notion, elle uti-
lise un double jeu de bobines, sur chacune des-
quelles s'enroule une laine de couleur nettement
tranchée : rouge, orange, vert, bleu, violet ou brun.
/V» i4f. Mal 191d.
raisons s'ofl'riront ensuite à sa curiosité, dévelop-
pant tout à la fois la finesse de sa vision et son goût
pour la couleur, pointdedépart d'une éducation esthé-
tique qui n'est pas négligeable, même à cet âge.
Aussi, grande est l'ingéniosité de moyens de
Mme Montessori lorsque est en cause l'éducation de
l'oreille. Elle y distingue, avec raison, l'éducation
aux bruits et aux sons, bruits et sons qu'après
Séguin elle reconnaît symbolisés dans deux instru-
ments bien dissemblables : le tambour et la cloche.
La deuxième éducation est, à coup sûr, plus im-
portante que la première, puisqu'elle doit être le
principe d'une initiation musicale, à laquelle l'édu-
calrice attache, à juste titre, une très grande im-
portance. C'est qu'elle a observé que l'enfant lui
doit de se déshabituer de lui-même des mouve-
ments désordonnés et peu gracieux, pour choisir de
son plein gré des gestes et des attitudes dont la
coordination et le rythme font la beauté et l'har-
monie. Si l'éducation pour les bruits n'est pas si
[ nécessaire (et pourtant!) elle est indispensable par
son côté négatif, pourrait-on dire, et pour nous ga-
rantir contre l'assaut perpétuel des bruits, pour la
plupart discordants de la grande ville, et domma-
geables non à noire oreille seule, mais à notre sys-
tème nerveux tout entier.
De là l'utilité de celte leçon d'immobilité et de
silence, si curieuse dans son application et si pro-
fitable, nous dit M"* Montessori, dans ses elfets.
« J'appelle, dit l'éducatrice, l'altentinn des en-
fants sur moi qui fais silence, el, d'ailleurs, à ce
silence se joint l'immobilité absolue dans des poses
différentes, sans que rien ne bouge dans toute la
personne, en essayant môme de rendre impercepti-
ble le bruit de la respiration. Ensuite, appelant un
élève, je l'invile à faire de même, ce qui n'est point
chose aisée et qui nous semblerait, au premier
abord, chose impossible à obtenir chez de petits
enfants latins». D'autant que M™« Monlessori ne se
déclare satisfaite que si elle a pu obtenir de ses
jouni's disciples un silence tel que l'on puisse per-
cevoir dans la cour le picorement d'un oiseau ou,
dans la salle même, le bruit de la mouche qui vole.
Cependant, assez vite, les enfants atteignent cette
quasi-perfection, parce qu'ils se piquent à cet exer-
cice-jeu; bientôt, sur un signe de la maîtresse, tout
ce petit peuple arrive, par degrés, à un silence et
à une immobilité vraiment impressionnants.
Singulière maîtrise de soi-même, obtenue ainsi
très tôt dans les écoles Montessori qui, en outre,
sous le rapport physiologique, ajoute M""» Montes-
sori, procure à un système nerveux surmené dans
les grandes villes, et toutes les fois qu'on vou-
dra utiliser ce procédé, un véritable allè','ement.
Petits réfugiés fraudais et helges jaiJiuaut à Fontenay-aux-Kuses.
Huit couleurs suffiront, que l'enfant apprendra à
connaître et à rechercher de lui-même par des pré-
sentations successives, pendant lesquelles on n'omet-
tra jamais de lui prononcer très distinctement le
nom correspondant; puis on lui demandera de re-
trouver dans son jeu de bobines la couleur exacte-
ment semblable à la première, pour l'amener bien-
tôt à reconnaître et à rechercher de lui-même les
couleurs qui se rapprochent, ou celles qui s'op-
posent. Enfin, suivront des exercices d'assouplisse-
ment pour alfiuer le sens et lui permettre de plus
délicates notations. Chaque ton pourra se repré-
senter par une gamme nuancée, représentée par un
nouveau jeu de huit bobines; le tout petit rangera
bientôt en ordre ascendant ou descendant les
nuances d'une même couleur; de multiples combi-
Avec le silence. M""» Montessori .se plaît à com-
biner l'obscurité pour l'éducation parfaite de l'ouïe.
On ferme volets et rideaux et, dans une immobilité
rendue plus pathétique, l'enfant entend tout à coup
le son d'une petite cloche, tantôt plus rapprochée,
ou tantôt plus lointaine; ou bien c'est la maîtresse
qui, d'un coin ou de l'autre de la salle, susurre son
nom à voix très basse et l'invite à venir la rejoindre.
— Excellente initiation au sens de l'orientaiion des
bruits et des sons, ordinairement si difficile à acquérir.
Telle qu'elle se présente, cependant, celle éduca-
tion des sens nous paraît bien réaliser d'indiscuta-
bles progrès sur les éducations ordinaires; elle
nous explique le parti que l'éducatrice a su tirer de
leur perfeclionnement pour la préparation des opé-
rations intellectuelles les plus nécessaires.
(V 147 Mai 1919.
LAROUSSrî MKNSUEL
«87
^.
a
l p^''" . ;~ "*^ ' '3
I^HHHl ..^
1
1 . KÎUt'tles et garçons occupés à des constructions diverses
- •!. Enfants rangeant le matériel lacilcment transportable.
4. Exercices sensoriels. — ii. Xja leçon du silence.
- 3. Kiil'riiits loiicliaiit les lettres rtiijueuses et les emboitemenls géomélriques.
Une lellc ctlucation des seii.'' ne vaut pa.s seiilt^-
iiienl par clle-inêine, elU^ amène ù toutes les opéra-
lions primordiales (l'observation et d'intelligence,
que M°"Monlessori range dans cet ordre rationnel :
dessin, écriture, lecture, que pourront suivre tous
autres exercices de calcul, grammaire, etc.
L'éducalrice a signalé en son temps la puissance
de ces mémoires musculaires et motritîes, qui enre-
gistrent et conservent d'elles-mêmes nn certain
nombre d'e.\périences et de notions, utiles à la l'or-
matioii de l'intelligence du tout petit.
El, de même que, par celle mémoire, il se trou-
vera capable, au bout de peu de temps, de recon-
naître les diltérences de poids assez subtiles entre
les petites tablettes de bois, de même, si vous lui
mettez en main un crayon ou de la craie, il suivra
lout d'abord le contour de ses incaslvi, qui lui ser-
virent de premier modèle, pour en reproduire bien-
tôt il main libre la forme, ainsi que toutes celles
(|ui le frappeninl. ou qu'on lui présentera.
Laliguralion libre. M'"*" Montessori, d'accord avec
ses principes, a bien reconnu dans ce procédé une
disposition beureuse de la nature eiilantine, à qui il
ne s'agissait que de donner des aliments pour la
voir s'enrichir d'elle-inênie et pousser l'enfanl non
seulement à aimer le dessin, mais à désirer l'écri-
ture cl progressivement la lecture. Une promenade
au Pincio et le regard jeté, de celle éminence, sur
des monuments qui sur le ciel clair détacbent leurs
arêtes vives à la fatjon de formes géomélritiues sim-
ples, el voilà l'enfant intéressé et amusé par une
imilalion qu'on lui suggère el qu'il reproduira un
nombre considérable de fois sans se lasser, pourvu
qu'on l'y encourage et que l'on varie les objets de
son observation. Pour l'apprentissage de l'écriture,
il faut tout d'abord habituer la main à la netteté
graphique, résultat qui sera obtenu par des trattés
de lignes horizontales ou verticales, dans un contour
préalablement délimité au crayon; c'est l'amorci-
d'une mémoire musculaire, ii laquelle, bientôt, vien-
dra prêter son aide la mémoire tactile.
Deux jeux d'alphabet sont mis en usage : l'un en
carton souple, rouge pour les voyelles, bleu pour
les consonnes, l'autre en caractères plus compacts,
collés sur papier de verre afin de retenir le doigt de
l'enfant sur le contour tranché de la lettre. Ce der-
nier entre tout d'abord en usage. Le jeune opérateur
palpe lentement, à l'aide d'un ou deux doigts, les
lettres isolées simples, voyelles d'abord, consonnes
ensuite, et, chaque fois qu'il en prenil une en main,
on lui en énonce distinctenient le son, de manière
([ue les deux notations, graphique t>t phonétique,
s'associent dans son esprit, ce qui facilitera singu-
lièrement ses premières opèralions d'écriture. On
joindra bientôt consonnes el voyelles de fai^on ii
lormer des syllabes complètes, qui, mises bout à bout,
finiront par former des mots usuels : noms d'êtres
ou d'animaux qu'on lui avait déjà présentés el Dom-
inés et dont on remettra sous ses yeux la représen-
tation. Mais, le mot complet énoncé, il sera cepen-
dant utile de revenir souvent sur les éléments qui le
composent, et c'est ce qu'avait déjà noté Séguin,
dont M™" Montessori reproduit les trois temps.
« Ceci est i ou o », dira la maîtiesse en palpant les
lettres rugueuses, sur lesquelles elle dirigera ensuite
lesdoigts de l'eniaut « Tends-moi Vi ou l'o ", deinan-
dera-t-elle, en pronontjant les sons correspondants.
Enfin, elle tendra à l'enfant le jeu complet de lettres,
dans lequel il devra trouver de sa propre initiative
la lettre équivalente au son déjà prononcé.
D'ailleurs, parvenu à ce stade, l'enfant prendra à
l'exercice un plaisir et un intérêt croissants. On
pourra ajouter aux consonnes principales des voyelles
qui en modifieront le son, formant des syllabes, qui,
gi'âce à l'euphonie de la langue italienne, se recon-
iiaitront aisément dans la prononciation. Bientôt,
armé d'un alphabet de lettres souples, l'enfant se
plaira à composer ses syllabes et ses mots ou, encore,
à lafa(;on d'un petit proie d'imprimerie, en éveil aux
mots que vous lai prononcerez et qu'il doit repro-
duire, il ira puiser chaque leltre composante dans
le casier spécial qui la contient el où il la replacera
lui-même, une fois l'exercice accompli, grâce aux
saines habitudes d'ordre inculquées dès le jeune
ftge par cette méthode,
H serait trop long d'insister sur les nombreux
détails ajoutés par M"" Montessori sur ce sujet :
notamment, les pi-ogrès d'enTanls qui parviennent
très vite à corriger leurs erreurs de reproduction.
M™" Montessori attrihue logiquement celle rapide
progression à la parfaite éducation des sens, qui a
précédé et développé dune manière précoce l'allen-
lion et la réflexion du petit enfant.
Sachant composer ses mots et ses syllabes, l'en-
fant sait lire, mais au premier degré; il lui faudra,
maintenant, appliquer ses connaissances et relier le
signe à la chose exactement signiiiée. Pour cela,
cependant, les elforts précédents auront facilité sa
nouvelle tâche. Ayant la double habitude de bien
percevoir le son et d'en reproduire l'énoncé grâce
à ses alphabets, il lui sera plus facile de reconnaître
un mol en connexion avec l'objet représenté.
Bientôt, l'enfant, associant ses souvenirs gra-
phiques et visuels, cherchera et découvrira lui-
même l'objet dont on lui aura donné la notation
écrite, ou bien il recevra encore un petit sac où.
comme à la loterie, un certain nombre de billet»
seront enfermés. En les tirant, l'enlant ira les placer
sur les objets qu'ils représentent, el l'on voit d'ici
l'intéressante variété des exercices, et la joie fécond»
qui en naîtra.
El, maintenant, c'est de lui-même que l'enfant va
désirer achever son apprentissage de l'écriture et
de la lecture, car les petits problèmes qui se multi-
plient pour sa jeune intelligence piquent sa curio-
sité amusée. Tous les matériaux lui seront bons
pour exercer sa facullé graphique.
El, maintenant, se produit le joirnc/e Montessori,
disent les iniliés; — nous dirions plus simplement
r « éclosion attendue et préparée de la facullé de
lire el d'interpréter une idée ».
Un jour, le tableau, organe de transmission de
pensées entre maîtresse et enfaiils, se couvre d'ins-
criptions : Cl Je sais écrire », s'écrie l'enfant, en
saulanl de joie. — n Sais-tu lire? • ajoute la direc-
trice, el la contre-épreuve est facile. Elle écrit à
son tour quelipies phrases simples : <t M'aimez-
vous ?» « Tenez-vous bien tranquilles » ; et elle
voit que chaque petit assistant lit gravement le
membre de phrase à peine tracé et témoigne par
son altitude qu'il en saisit la signification.
Le pas décisif est franchi dans la formation de la
pensée enfantine, car un pont est établi délinilive-
ment entre la parole et la pensée. Les difficultés
peuvent croître désormais; l'enfant les résoudra
avec autant de patience que d'intérêt.
(^mme on a procédé naguère pour la connais-
sance des mots simples, de même on pourra main-
icnant introduire dans un petit sac un certain nombre
de phrases plus complexes, messagères de recom-
mamlations ou d'ordres k accomplir, el l'on sait
combien l'enfant est sensible aux missions de con-
fiance : « Prie huit de tes petits camarades de se
mettre en rangs deux par deux, au milieu de la
788
chambre, puis fais-les avancer et reculer tout dou-
cement sur la pointe des pieds. » Il faut voir le sé-
rieux avec lequel l'enfant prend connaissance du
billet et accomplit dans le détail la fonction qui lui
estdévolue. Ses petits camarades se prêtent à l'exer-
cice avec une entière bonne volonté, et voilà, de ce
fait encore, une bonne leçon de discipline librement
consentie.
La même méthode vivante interviendra dans l'ap-
prentissage des premiers chiffres. Les nombres de
1 à 10, le zéro lui-même, pourront offrir des jeux
instructifs, sous la forme de cortèges, où l'enfant
devra trouver la place que lui assigne un numéro
tiré au sort par cette ingénieuse idée de Is, loterie
employée déjà pour le perfectionnement de la
lecture.
Quant aux opéralions simples, elles seront mises
sous les yeux des tout petits grâce à des règles de
bois figurant les grandeurs de 1 à 10 et peintes
Jeux avec les yeux barniés.
allernalivement de bleu et de louge pour faciliter
les expériences. Rien de plus facile, avec ce matériel
très simple, que de faire loucher du doigta l'enfant
la gradation ou la diminution des chiffres, doués de
la mobilité nécessaire pour se prêter à un grand
nombre de combinaisons, qui éveilleront la curio-
sité et l'intérêt de l'enfant pour l'aride science du
calcul.
C'est que la doctoresse Montessori a su réaliser,
en les faisant passer dans l'éducation des tout petits,
les meilleurs apports de la psychologie expérimen-
tale dont elle est, en Italie, une des plus distinguées
représentantes. Et cette science ne se présente pas
pour elle sous la forme de calculs logarithmiques
ou de statistiques douteuses, mais sous les appa-
rences simples et fécondes d'expériences patientes
sur l'enfant et dont l'observation silencieuse de
l'enfant lui-même nous fournit à la fois la donnée
et la conclusion.
Nous avons dit que la méthode Montessori s'était
développée en Italie. C'est grâce à une Américaine,
miss Cromwell, qu'elle est en train de se populariser
en France. Disciple ardente et convaincue de la
grande éducalrice italienne, miss Cromwell ne s'est
pas conlenlée d'ouvrir et de développer pendant la
guerre plusieurs écoles modèles de ce type, notam-
ment dans les locaux du secours de guerre place
Saint-Sulpice, à Paris, et en pleine campagne, à
Fontenay-aux-Roses, ainsi que de former sur place
d'excellentes maîtresses monlessoriennes. Elle a eu
l'ingénieuse et touchante idée d'installer dans les
Champs-Elysées un atelier de fabrication du nialériel
montessoriën, pour la construction duquel elle a
voulu utiliser uniquement de glorieux mutilés de la
guerre. Et, de même, par une délicate pensée pour
le pays qu'elle habite depuis longtemps et qu'elle
aime avec passion, c'est à plusieurs de nos écoles
maternelles de Paris et de province, et à soixante-
dix de nos Ecoles normales, qu'elle a voulu faire
don du matériel montessoriën pour un essni on,
plutôt, pour une addition aux procédés excellents
déjà en usage dans nos maternelles. Le directeur
de l'Enseignement primaire, Lapie, a manifesté
son intérêt à miss Cromwell non seulement en vi-
sitant ses écoles à plusieurs reprises, mais en pré-
façant la Iraduclioii du livre de M°" Montessori,
qu'elle vient de faire paraître à la librairie Larousse.
Et ceci prouve que la France, qui a l'honneur de
compler deux des plus grands éducateurs de l'en-
fance : un Fénelon et un Rousseau, veut mettre au
nombre de ses préoccupations les plus hautes la for-
mation libre et heureuse du corps, de l'intelligence
et du cœur de nos petits Français. — Maurice wolff.
LAROUSSE MENSUEL
IMonroe (Doctrine de). Principe directeur
constant de la politique extérieure des Etats-Unis.
— La doctrine de Monroe, dontil a été plusieurs lois
question au cours de la guerre et qui constilue
pour les Etats-Unis un dogme qu'ils ont toujours
énerginuement opposé, comme une loi fojidamen-
talede ladiplomalieaméricaine,auxpuissanceseuro-
péennes, chaque fois qu'une difliculté amis ces puis-
sances en contact avec les républiques du nouveau
continent, offre ceci de particulier qu'elle n'a jamais
lait l'objet d'aucune sanction législalive; elle ne
s'appuie sur aucune convenlion; ce n'est même pas
un acte de volonté unilatérale affirmée par l'Elat
fédéral, c'est une simple déclaration contenue dans
un message du présidentJames Monroe (1759-1S31),
adressé au Congrès le 2 décembre 1823, à l'occasion
de la rcvolle des colonies espagnoles de l'Amérique
du Sud qui venaient de proclamer leur indépendance.
Et il est arrivé que celle assertion, qui n'a soulevé
en son temps au-
cune polémique de
presse, aucun dé-
bat, a pris dans la
suite, sons le nom
de Doctrine de
Monroe, l'impor-
tance d'une véri-
table déclaration
des droits des
Etals-Unis, enma-
lière de politique
extérieure. Im-
muablement fidèle
aux idées qu'elle
posait en principe,
la grande Répu-
blique américaine
n'a jamais permis,
au cours du siècle,
qu'il y fût porté
atteinte, et voici
qu'après quatre-
vingt-seize ans
d'existence el
malgré les revire-
ments multiples
qui se sont pro-
duits dans la con-
duite extérieure
des Etals, celte
doctrine est aussi
vivante et aussi fermement soutenue qu'au pre-
mier jour.
En voici les passages essentiels :
Les continents américains, par la condition libre et
indépendante qu'ils ont conquise et qu'ils maintiennent,
ne doivent plus être considérés comme susceptibles de
colonisation, à l'avenir, par aucune puissance euro-
}jéenne.
La politique que nous avons adoptée à l'égard do l'Eu-
rope dès le commencement des guerres qui ont agité
cette partie du monde est toujours restée la même : elle
consiste à ne jamais nous interposer dans les affaires in-
térieures d'aucune des puissances do l'ancien monde, à
considérer le gouvernement de fait comme légitime rela-
tivement à nous...
Nous devons, en conséquence, à la bonne foi et aux
relations amicales qui existent entre les Etats-Unis et les
puissances (alliées) do déclarer que nous devrons consi-
dérer toute tentative de leur part pour étendre leur sys-
tème à une portion quelconque do cet hémisphère comme
dangereuse pour notre tranquillité et notre sécurité.
11 nous serait impossible de demeurer spectateurs in-
différents de cette intervention, sous quoique forme
qu'elle eût lieu.
En ce qui concerne les dépendances actuelles de telle
ou telle puissance en Amérique, nous ne sommes pas
intervenus et nous n'interviendrons pas.
Mais, pour ce qui regarde les gouvernements qui ont
proclamé leur atlrancliissoment et qui l'ont maintenu et
dont, après mûre réflexion, nous avons reconnu l'indépen-
dance, nous ne pourrions regarder toute intervention
d'une puissance européenne (juelconque, ayant pour objet
soit d'obtenir leur soumission, soit d'exerrer une action
sur leurs destinées, que comme la manifestation d'une
disposition hostile à l'égard des Etats-Unis.
La véritable politique des Etats-Unis est toujours de
laisser à. elles-mêmes les parties en conflit, dans l'espoir
que les autres puissances suivront lo même système.
C'est seulement quand nos droits sont attaqués ou sé-
rieusement menacés que nous ressentons nos injures et
faisons des préparatifs pour notre défense.
En somme, la déclaration de Monroe proclame
les principes suivants :
1" Les territoires américains no sont plus susceptibles
décolonisation. Les Etats-Unis respectent les colonies
européennes en Amérique, mais n'admettront pas que les
puissances de l'ancien continent en créent de nouvelles ;
2' Les Etats-Unis pratiquent à l'égard de l'Europe une
politique de non-intervention ; ils s'opfioseront. par contre,
à toute intervention des Etats européens dans les affaires
américaines, même s'il s'agissait de rétablir seulement
leur souveraineté sur des colonies ayant proclamé leur
affranchissement ;
3" Les Etats-Unis s'instituent, par ce fait même. les
protecteurs du continent américain contre toute entre-
prise hostile de l'Europe et, par conséquent, admettent
rour eux-mêmes le droit, qu'ils refusent de reconnaître à
Europe, d'intervenir formellement dans les affaires in-
térieures des républiques du nouveau monde.
«• 147. Mai 1919.
Pour bien comprendre le sens de cette déclara-
tion, qui a joué un grand rôle dans la politique des
Etats-Unis au xix= siècle, il importe de la situer
dans son cadre historique.
L'Europe était alors placée sous le régime de la
Pentarchie (181.Ï-18U)). Après le Congrès de 'Vienne,
cinq grandes puissances : l'Autriche, la Prusse et la
Russie d'abord, puis l'Angleteire et, enfin, la France
(1818), jouèrent le rôle de cour régulatrice de l'Eu-
rope, de gai'diens prolecteurs, appelés à veiller avec
un soin jaloux sur la trantiuillilé des peuples. Elles
avaient établi, comme règle, la faculté de s'ingérer
dans les affaires intérieures des Etats indépendants
lorsque, à leur jugement, la situation de ces aflaircs
constituerait un danger pour la paix de l'Europe.
Cette politique d'intervention devait tout naturel-
lement éveiller l'atlenliou des Elals-Unis et provo-
quer de leur part l'emploi de mesures éventuelle-
ment propres à endiguer cette poli tique ou, du moins,
à l'empêcher de se développer jusque sur le nou-
veau continent.
La doctrine de Monroe apparaît donc comme un
avertissement solennel, donné par l'Amérique à la
Penlarchie, d'avoir à respecter l'indépendance et la
souveraineté des Etats-Unis. Doctrine, du reste,
éminemment utilitaire, elle affirme en même temps
le droit, pour le gouvernement de 'W'asliinglon, de
jouer sur tout le continent américain le rôle pro-
tecteur que la Sainte-Alliance s'était allribué vis-à-
vis de l'ancien continent : « A vous l'Europe, à
moi l'Amérique ! »
On a dit qu'avec le temps celte doctrine s'était
amplifiée et avait servi de base à une politique
d'hégémonie et à une politique impérialiste des
Etats-Unis.
A la vérité, la politique d'hégémonie est tout en-
tière en germe dans la doctrine de Monroe, qui tend
virluellement à assurer la prépondérance des Etats-
Unis dans le nouveau monde, tout en respectant
l'indépendance des Etals américains. Quant à la po-
litique impérialiste des Elats-Lnis, visant à établir
leur supériorité politique ou commerciale dans tou-
tes les parties du monde, cette politique, si tant est
qu'elle existe, n'a aucun rapport avec la doctrine de
Monroe, et elle doit êlre considérée tout au plus
comme un besoin moderne des puissances d'étendre
leur sphère d'influence, afin de soutenir, avec le plus
de chances de succès possible, la lutte économique,
devenue si âpre avant la guerre de 1914-1918, alors
qu'elle était à peu piès ignorée à l'époque du prési-
dent Monroe.
Nous n'entreprendons pas de rappeler les conflits
multiples au cours desquels les Etats-Unis ont été
amenés, soit dél'ensivement, soit offensivement, à
opposer la doctrine qui a maintenu leur indé-
pendance et affirmé leur puissance à tous les Etals
dont l'attitude leur paraissait être en opposition
avec ces principes
Mentionnons, pour mémoire, deux faits particu-
lièrement importants : la guerre du Mexique (1861-
1867) et le conflit entre la République vénézuélienne
et la Guvaue anglaise (délimitation de frontières,
1895-1897).
Dans l'affaire du Mexique (il s'agissait, on le sait,
de donner à ce pays une Conslilution monarchique,
avec le jeune archiduc d'Autriche, Maximilien), Na-
foléon III (qui avait signé, le 31 octobre 1861, avec
Espagne et la Grande-Bretagne, une convention
aux termes de laquelle les puissances intervenantes
s'engageaient à ne rechercher pour elles-mêmes
aucune acquisition de teriiloire et à ne porter au-
cune atteinte au droit de la nation mexicaine de
constituer librement la forme de son gouvernement),
s'était proposé, en réalité (lettre au général Forey,
du 3 juillet 1862), de mettre obstacle à l'absorption
de cette partie de l'Amérique par les Etats-Unis, de
rétablir en Amérique le prestige de la race latine et
d'avoir, au Mexique, un gouvernement plus sympa-
thique aux intérêts de l'Europe et de la France en
particulier.
C'était aller directement à l'encontre des princi-
pes énoncés dans la doctrine de Monroe. Aussi, les
Etats-Unis n'eurent qu'une hâte : voir 1' s troupes
françaises évacuer le Mexique, lis multiplièrent les
dépêches el les avertissements, représentant au gou-
vernement de Paris que la forme républicaine avait
toujours été considérée coinme le type absolu de
gouvernement dans tout le continent américain, que
la guerre entre la France et le Mexiqneétait dange-
reuse pour la cause républicaine et pour les Etats-
Unis; qu'il import:iit d'y mettre un terme et qu'en
tous les cas le Congres refuserait unanimement de
reconnaître la nouvelle monarchie mexicaine.
Finalement, la France rappela ses troupes, et
Maximilien. réduit à ses propres forces, fut pris el
fusillé (1867).
L'affaire du 'Venezuela mérite aussi d'être citée,
car elle donna lieu à un échange de noies très vif,
en 1895, entre le sou.s-secrétaire d'Etat Olney et
lord Salisbury. Les Etats-Unis prétendiient, alors,
que les Etats américains du Sud, comme du Nord,
étaient, commercialement et politiquement, leurs
alliés: « Permettre à un Etat européen de metire la
main sur l'un d'eux serait bouleverser cet étal de
«• 147. Mai 1919.
choses et sacrifier tous les avantages que les Etals-
Unis retirent de ces relations naturelles. »
Et, comme lord Salishury répondit que la doctrine
de Monroe ne dérivait pas d'un principe de droit in-
ternational fondé sur le consentement universel, les
Etats-Unis répliquèrent qu'ils pouvaient se préva-
loir léffitimement de cette doctrine, consacrée par
de nombreux précédents et qui avait sa place dans
le Code international, comme si elle y avait été spé-
cifiquement mentionnée.
En (in de compte, le président Cleveland proposa
au Congres de Washington de nommer une commis-
sion pour procéder à la délimitation de Irontière qni
faisait l'ohjet du litige entre la République vénézué-
lienne et la Guyane anglaise : « Une fois le rapport
établi et accepté par le Congrès, ce sera un devoir
pour les Etats-Unis de résister à toute usurpation,
par la Grande-Bretagne, d'un territoire quelconque
ou d'une Juridiction quelconque sur un territoire que
nous aurions regardé comme appartenant au Vene-
zuela. » C'était une déclaration de guerre anticipée.
Les Etats-Unis se posaient ainsi en arbitres
entre le Venezuela et la possession anglaise et
menaçaient, d'imposer au besoin par les armes, la
sentence qu'ils auraient rendue.
On voit la différence entre les deux cas qni
viennent d'être cités. Affaire du Mexique : les Etats-
Unis, au nom de la doctrine de Monroe, s'opposent
à l'intervention des puissances européennes dans la
politique d'un Etat américain. — Affaire du Ve-
nezuela : les Etats-Unis interviennent, au nom de
cette même doctrine, dans un différend entre un
Etat américain et une colonie européenne, parce
qu'ils se considèrent comme les protecteurs du con-
tinent américain.
Soucieux, avant tout, de leur indépendance et de
leur souveraineté, les Etats-Unis ont encore montré,
au cours des deux conférences de La Haye ( 1 899-1907) ,
combien ils tenaient à la doctrine qui résume si
heureusement leurs aspirations et protège si bien
leur existence.
A la Conférence de La Haye de 1899, les Etats-
Unis n'ont consenti a signer 1 article 27 (institution
d'une Cour permanente d'arbitrage) qu'après avoir
fait insérer au procès-verbal de la Conférence une
déclaration constatant que les hautes parties con-
tractantes reconnaissaient l'existence de la doctrine
de Monroe.
Les Etats-Unis avaient, dureste, exprimé la cram te
<|ue la médiation offerte par un État tiers, dans un
conflit entre deux puissances, ne fût pas désinté-
ressée et ressemblât par trop à une intervention.
Aussi est-il dit, à l'article 27, que « le fait par les
puissances signataires de rappeler aux parties en
conflit que la Cour permanente d'arbilrage leur est
ouverte et le conseil donné, dans l'intérêt supérieur
de la paix, de s'adresser à cette Cour, ne peuvcr.l être
considérés que comme actes de bons offices ».
A la Conférence navale de Londres (1909), lors-
qu'il s'est agi de la Cour internationale des prises,
instituée par la Conférence de La Haye de 1907.
pour servir de moyen de recours international
contre les décisions des tribunaux nationaux de
prises, les Etals-Unis soulevèrent une objection
d'ordre constitutionnel, ne pouvant admettre qu'une
décision de la Cour internationale pût, sans porter
atteinte à la souveraineté des Etats-Unis, annuler un
arrêt des tribunaux américains et, spécialement, un
arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis. Aussi la
Conférence de Londres, dans son piotocole final,
a-t-elle émis le vœu — réalisé par le protocole addi-
tionnel.signéàLaHaye le 19 septembre 19 10 — que les
puissances aient la faculté de déclarer que, dans les
affaires de prises, le recours devant la Cour interna-
tionale ne pourra être exercé contre elles que sous
la forme d'une action en indemnité du préjudice
causé par la capture, sans que la Cour ait à infirmer
ou confirmer la décision des tribunaux nationaux.
La guerre de 1914-1918 n'aurail-elle pas dû, aux
termes mêmes de la doctrine de Monroe, trouver les
Etats-Unis indifférents et neutres jusqu'au bout ?
N'est-il pas dit dans cette déclaration que les Etats-
Unis pratiquent à l'égard de l'Eun'pe une politique
de non-intervention? Le gouvernement de Was-
hington, en se rangeant au côtés des Alliés en 1917,
n'a-t-il pas méconnu les principes posés par le pré-
sident Monroe en 1823?
Non ; car il est spécifié aux termes mêmes de la
célèbre déclaration : « La véritable politique des
Etats-Unis est toujours de laisser à elles-mêmes les
parties en confiit. C'est seulement quand nos
droits sont attaqués ou sérieusement menacés que
nous f.iisons des préparatifs pour notre défense. »
Le président Wilson était donc dans la plus pure
tradition américaine lorsqu'il a dit (11 février 1918,
discours au Congrès) : » Les Etats-Unis n'ont aucun
désir d'intervenir dans les affaires européennes, non
plus que d'agir comme arbitres, en Europe, des dis-
cussions territoriales. Ils se refusent à profiter de
toute faiblesse ou de tous désordres inlérieurs pour
imposer leur volonté à un autre peuple. Les Etats-
Unis sont enlrés en puerje parce qu'ils sont de-
venus, bon gré mal gré, victimes, eux aussi, des
souffrances et des humiliations infligées par les
LAROUSSE MENSUEL
maîtres militaires de l'Allemagne à la paix et à la
sécurité de l'humanité, u Nous ne rappellerons pas
les torts intoléraliles causés ii l'Amérique par l'Alle-
magne, les faits
d'ingérence dans
les affaires inté-
rieures des Etats-
Unis, lesaclescri-
minels dont leur
marine mar-
chande a été la
vicliinede la part
des sous-marins
allemands. Mena-
céedanssonindé-
pendance et dans
sa souveraineté,
la grande Confé-
d é r a t i o n de
l'Amérique du
Nord n'avait que
trop de motifs
d'intervenir,
pour montrer à
l'Alleinagne, au
nom même de la doctrine de Monroe, qu'elle en-
tendait être maîtresse chez elle. Mais, en même
temps, l'attitude non hostile des Etats-Unis à
l'égard du gouvernement des soviets de Mos-
cou, attitude qui a paru choquer ceux qui voient
Janws Monroe.
789
Mais le président Wilson est tenace, et il finira
bien par convaincre les plus réi'ractaires qu il s'agit,
en somme, ainsi qu'il le disait dans un ui-scours au
Sénat du 22 janvier 1917, d'obtenir de toutes les
nations d'adopter comme une doctrine mondiale
la doctrine de Monroe. — Uaurios duvil.
Payement. La loi du 31 décembre 1917 a
institué trois taxes nouvelles, portant soit sur la
constatation des payements, soit sur les payements
eux-mêmes : taxe sur les écrits constatant les paye-
ments civils (art. 19), taxe sur le prix des ventes
au détail ou à la consommation (art. 23), taxe de
luxe (art. 27).
1. "Taxe sur les titres constatant les paye-
ments. La loi du 31 décembre 1917 (art. 19-22) a ins-
titué une taxe de o fr. 20 par 100 francs ou fraction
de 100 francs, sans addition de décimes, « sur tous
les titres, de quelque nature qu'ils soient, signés ou
non signés, constatant des payements ou des verse-
ments de sommes, soit à des non-commerçants pour
une cause quelconque, soit à des commerçants pour
une cause nuire que l'cTercice de leur commerce ».
En ce qui concerne ces titres, la taxe est subslituéa
au droit de timbre établi par la loi du 23 août 1871
(art. 18) et par la loi du 15 juillet 1914 (art. 28) sur
les titres emportant libération, reçu ou décharge.
La taxe n'est exigible que s'il existe un écrit,
signé ou non signé ; elle n'est pas perçue sur les
quittances ou reçus de dix francs et au-dessous,
Les derniers moments de Tempereur Maximilien (tableau de Jean-Paul Laurens, 1882).
Les troupes françaises ayant évacué le Mexique en février 1867, le pays tout entier se souleva. Maximilien, assiégé dans la forte-
resse de Querelaro par les soldats de Juarez, fut obligé de- se rendre. Traduit devant un conseil de guerre, il fut condamné à mort.
(Le 19 juin 1867, Maximilien, enfermé dans une cellule du couvent de Queretaro, vit s'ouvrir la pnrte de sa prison. Un ofUcier mexicain
venait lui annoncer que le moment était proche. L'ex-empereur dit adieu à l'abbé Soria et, s'arrachant à l'étreinte désespérée de «on
domestique, sortit d'un pas décidé pour se rendre au lieu do l'exécution. C'est Tinstant qu'a choisi le peintre. La scène est d une grande
simplicité; eUe comprend quatre personnages seulement : un bourgeois en redingote noire, un prêtre, un domestique, un soldat.
Ce bourgeois est un empereur, sans couronne et sans manteau, qui marche à la mort. Il est grand néanmoins, car. a cette heure de
toutes les faiblesses, il console le consolateur et est plus fei-nie que ceux qui doivent vivre. Jean-Paul Laurens a su donner à cette scène
l'énergie austère de la tragédie, et il est arrivé aux grands effets par la profondeur de l'émotiou.)
dans le bolchevisme un péril mondial, s'éclaire à
la lumière de la doctrine de Monroe : « Notre poli-
tique, y est-il dit, consiste à regarder le gouverne-
ment de fait comme légitime relalivcmcnl à nous. «
Mais voici que le président Wilson prône la
création d'une Société des nations qui serait, pour
les peuples de l'univers, une garantie permanente
de paix et qui arbitrerait tous les conflits et saurait
imposer, par l'application de sanctions adéquates,
ses décisions aux Etats qui violeraient le pacte social.
La Conférence de la p.iix qui siège à Paris a mis
sur pied, selon le désir et suivant les indications du
président Wilson, un projet de pacte pouvant ser-
vir de fondement à cette Ligue des nations. Il était
permis de se demander quel accueil les hommes
polilii|ues d'Amérique feraient à ce document. Ne
considéreraient-ils pas qu'il est en contradiction
avec la doctrine de Monroe, en ce sens qu'il pour-
rait, le cas échéant, porter atteinte à la souveraineté
des Etats-Unis et lier jusqu'à un certain point sa
politique américaine?
11 est de fait que le président Wilson, en allant
porter au Sénat de Washington le projet élaboré
par la Conférence de Paris, s'est heurté à une oppo-
sition, conduite par le sénateur Lodge, et qui a
pris la forme d'une manœuvre obstructionniste.
quand il ne s'agit pas d'un acompte ou d'une quit-
tance finale sur une plus forte somme.
Le payement étant le fait généraleur de l'impôt,
la taxe est due, quelle que soit la date de la créance,
donc même si la créance est antérieure à l'applica-
tion de la loi du 31 décembre 1917.
Quittances el reçus affranchis de la taxe de
0 fr. SO p. 100. — Sont affranchis de la taxe comme
soumis à un droit de timbre spécial :
1" Les quittances données par les commerçants
pour des causes tenant à l'exercice de leur com-
merce. Elles restent sous l'empire de l'ancienne lé-
gislation sur le timbre (lois des 33 août 1871 et
15 .juillet 1914);
2° Les titres constatant l'extinction d'une dette
par voie de compensalion légale ou de confusion;
3° Les acquits inscrits sur les chèques, lettres de
change, billets à ordre el autres effets de rominerce
assujetlis au droit proportionnel de timbre.
[La taxe de 0 fr. 20 est applicable aux accusés de
réception de chèques adressés pour les payements
civils. S'il s'agit (le réception de chèques adressés
en payement du prix de vente en gros et en demi-
gros, la législation antérieure demeure applicable.
Enfin, les accusés de réception de chèques adressés
pour le payement du prix des ventes au détail ou
790
à la consommalion des marchandises sont soumis
à la taxe instituée par l'article 23 de la loi du 31 dé-
cembre 1917 sur le payement du prix des ventes de
l'espèce]. V. vente ;
4° Les renouvellements de lettres de change, bil-
lets à ordre et autres effets de commerce assujettis
au droit proportionnel de timbre établi par l'ar-
ticle l^i^ de la loi du 5 juin 1850 ;
5° Les acquits et quittances énumérés à l'arti-
cle 20 (2°, 3° et 4") de la loi du 23 août 1871,
savoir : les acles et registres exceptés du droit de
timbre par l'article 16 de la loi du 13 brumaire au VII,
et les quittances délivrées par les comptables de de-
niers publics régies par une législation spéciale;
6" Les reçus délivrés par les banques aux clients
titulaires de comptes de dépôts, ainsi que les reçus
donnés par lesdits titulaires, lorsqu'ils ont exclu-
sivement pour objet de constater les versements ou
les retraits effectués par les clients au crédit ou au
débit de leur propre compte.
[Ces reçus restent soumis àl'anciendroitde timbre
-gradué, mais à la condition qu'ils aient exclusive-
ment pour objet de constater les versements ou les
retraits effectués par les clients au crédit ou au débit
de leur propre compte] ;
7" Les quittances ou reçus de sommes déposées
ou consignées chez des officiers publics ou ministé-
riels en leur dite qualité, lorsqu'elles n'opèrent pas
vis-à-vis des tiers la libération des déposants, et les
décharges que donnent les déposants ou leurs ayants
cause auxdits ofliciers publics ou ministériels, lors-
((ue est faite la remise des sommes consignées ou
déposées.
[Pas plus que l'ancien droit de timbre de quittance,
la taxe n'atteint les payements et les versements
constatés par des actes notariés. En effet, les quit-
tances notariées constatant des payements civils sont
soumises, en vertu des dispositions générales de
l'article 12 de la loi du 13 brumaire an "Vl^au droit
de timbrede dimension. Comme un écrit quelconque
ne doit, en principe, donner ouverture qu'à un
simple droit de timbre, la perception du droit de
timbre de dimension sur les actes de l'espèce exclut
celle de la taxe de 20 centimes par 100 francs créée
par l'article 19 de la loi du 31 décembre 1917, attendu
que celle taxe constitue, elle aussi, un droit de
timbre. IMais, si la somme qui fait l'olyet de l'acte
notarié donne lieu à la délivrance d'un reçu par le
notaire rédacteur, ce reçu est assujetti soit à la taxe
de 20 centimes par 100 francs, lorsque le notaire
agit comme mandataire du créancier, soit au droit
de timbre gradué (loi du 31 déc. 1917, art. 20, 7°.]
En ce qui concerne les dépôts et retraits de
sommes effectués dans les hôtels par les voya-
geurs, la solution diffère suivant le caractère de
l'écrit intervenu. Dans l'hypothèse d'un contrat
de dépôt, le timbre de dimension est seul dû; dans
l'hypothèse d'un reçu pur et simple, la taxe de
20 centimes p. 100 est exigible, et celte même taxe
est applicable lors du retrait des fonds déposés,
l'exemption ne s'appliquant qu'aux reçus et aux
décharges de sommes déposées chez des officiers
publics ou ministériels en leur dite qualité. S'il s'agit
de dépôt non de sommes, mais d'objets, le timbre
de dimension est également dû lorsque l'écrit affecte
la forme d'un véritable contrat de dépôt. Mais,
quand on se trouve en présence d'un reçu pur et
simple, le timbre de quittance de 10 centimes est
seul exigible, et le retrait des objets déposés ne
lionne lieu qu'au droit du timbre de quittance à
10 centimes sur la décharge qui le cojislale.
8° Les payements effectués par l'Ktat, les départe-
ments, les communes et les établissements publics,
payements passibles du droit de timbre gradué (loi
du 29 juin 1918, art. 23).
A gui incombe la charge de la tare. La taxe est
à la charge de la partie versante; mais la personne
qui a donné quittance, reçu ou décharge en coulra-
vention est tenue personnellement, et sans recours,
nonobstant toute stipulation contraire, des droits,
frais et amendes.
Contraventions. Les contraventions sont punies
d'une amende de 6 p. 100 de la somme sur liiquelle
l'impôt n'a pas été régulièrement acquitté et sans
pouvoir être inférieure à 50 francs du principal.
Duplicata de quittances. Les duplicata sont sou-
mis au droit dans tons les cas où la quittance pri-
mitive y était elle-même soumise.
II. Taxe sur le prix des marchandises vendues
AU DÉTAIL ou À LA CONSOMMATION. Quotité et Carac-
tère de la taxe. Celte taxe, qui est de 0 fr. 20 par
1 00 francs ou fraction de 100 francs, sans addition de
décimes, est perçue : 1" sur « le payement de la vente
an détail ou à la consommation de toutes marchan-
dises, denrées, fournitures ou objets quelconques »,
lorsque ce payement dépasse 150 francs;
2° Sur tous les litres, de quelque nature qu'ils
soient, signés ou non signés, qui sont remis par le
vendeur en constatation de payements effectués infé-
rieurs à 150 francs, mais supérieurs à 10 francs. En ce
cas, la taxe remplace le droit de timbre-quittance.
La taxe sur les payements civils (art. 19) constitue
un droit de timbre et n'est exigible qne s'il existe un
litre libératoire; la taxe sur les payements commer-
LAROUSSE MENSUEL
ciaux (art. 23) constitue un impôt d'une nature spéciale,
puisqu'elle est due même s'il n'existe pas d'écrit.
La taxe de l'article 19 n'est applicable qu'à la
vente au consommateur, dite « vente au détail ou à la
consommation « ; elle n'atteint pas les ventes faites
par un commerçant à un autre commerçant, si ce
dernier achète un objet pour le revendre et non
pour se l'approprier : c'est ce que l'administration
entend par « vente en gros ». Un libraire achète
des livres pour les revendre : c'est, pour le fisc, une
vente en gros; s'il achète des registres pour sa
comptabilité, c'est une vente au détail, passible de
la taxe. Un industriel achète du charbon, non pour le
revendre, mais pourproduire sa force motrice : c'est
une vente à la consonunation, passible de la taxe.
En alfranchissant de la la.ve le payement du prix
de toute vente en gros ou en demi-gros, le légis-
lateur a voulu éviter de prélever un droit propor-
tionnel pour chacune des transmissions dont les
marchandises font l'objet entre négociants avant
d'être livrées au public et de grever le prix d'un
impôt successif, variable suivant le nombre des
intermédiaires par les mains desquels elles passent.
Lorsqu'une association ou un syndicat achète des
marchandises pour ses membres, la taxe de l'article 19
doit être acquittée, suivant les cas, par l'associa-
tion ou par les sociétaires. Un syndicat agricole,
par exemple, agit-il comme simple intermédiaire?
La taxe est versée aux fournisseurs par les socié-
taires, au moment où ceux-ci acquittent le prix de
leur commande. Le syndicat est-il acheteur direct?
C'est à lui qu'il appartient de verser la taxe aux
vendeurs et, quand il est remboursé, les sociétaires
tombent à leur tour sous l'application de la taxe,
lorsque le payement est constaté par un écrit et que
la somme payée excède 10 francs ou représente un
acompte sur une plus forte somme.
Obligations des commerçants. Les commerçants
ont la double ol)ligation de tenir un livre spécial
destiné à recevoir l'inscription des payements impo-
sables et de percevoir la taxe dans les conditions
prescrites par le décret du 29 mars 1918 (art. 6 à 19).
La taxe est, en effet, à la charge de l'acheteur,
mais sa perception est assurée par le vendeur.
Objets repris ou échangés. Les taxes appliquées
aux objets repris ou échangés dans un délai de deux
mois sont remboursées par le vendeur à l'acheteur,
puis restituées au vendeur par l'administration de
l'enregistrement.
Achats de marchandises destinées à être reven-
dues. — Les commerçants, commissionnaires ou
courtiers qui achètent pour revendre sont exonérés
tant de la taxe de 0 fr. 20 par 100 francs que de la
taxe de luxe, mais à la condition de remettre au
vendeur, pour chaque achat, une attestation portant
leur signature et leur adresse et dans laquelle ils
déclarent sous leur responsabilité : 1» qu'ils sont
soumis à l'impôt cédulaire sur les béuéfices des
professions commerciales et industrielles ou légale-
ment exemptés de cet impôts ; 2° qu'ils achètent
pour leur propre compte, à moins qu'ils ne soient
commissionnaires ou courtiers ; 3° que les mar-
chandises achetées sont destinées à être revendues
(transformées ou non) et qu'elles supporteront ulté-
rieurement la taxe
Le commissionnaire ou le courtier n'a pas à
attester qu'il achète pour son propre compte s'il
établit, soit par sa note de commission, soit de
toute autre manière, que les marchandises achetées
sont destinées à un commerçant.
L'attestation prévue par l'article 2'i du décret du
29 mars 1918 n'est exigée que pour les achats
d'objets destinés à être revendus et faits à un non-
commerçant on à un commerçant vendant habi-
tuellement au détail. Elle n'a pas à être fournie au
commerçant en gros pour les achats faits par un
détaillant «n vue de la revente : par exemple, un
libraire détaillant n'est pas tenu de joindre cette
attestation aux commandes qu'il adresse aux édi-
teurs, et ceux-ci n'ont pas à inscrire les payements
alférents à ces commandes sur le livre spécial.
Marchandises importées ou e.v/iorlées. — Les
marchandises importées sont taxées quand elles
sont destinées à être revendues : pour être exonéré
du payement de l'impôt, le commerçant importateur
doit faire au bureau des douanes une déclaration
établissant sa qualité et attestant que la marchandise
importée supportera la taxe nu moment de la revente.
Les marchandises exportées sont exemptes de
toute taxe.
Le régime spécial des marchandises importées
ou exportées fait l'objet d'un arrêté ministériel du
:!3 mars 1918.
Ventes en gros. — L'article 23 n'ayant visé que
les ventes au détail ou à la consommation, les
ventes en gros échappent à la taxe établie par cet
article. Elles échappent aussi à l'application de
l'article 19, puisque le payement fait au vendeur a
pour objet une cause tenant à l'exercice de son
commerce. Lors donc qu'un commerçant fait une
vente en gros, reçoit le prix et donne quittance,
celle-ci est passible du droit de timbre gradué des
quittances ordinaires établi par les lois du 23 avril
1871 (art. 23) et 15 juillet 1914 (art. 28).
N- 147. Mai 1919.
Payement au moyen d'effets de commerce. Tou*
les commerçants, en gros ou en détail, doivent in-
distinctement, lorsqu'ils se servent d effets de com-
merce, comme mode de payement ou de recouvre-
ment, timbrer ces effets au droit de timbre qui
frappe les effets de commerce, même lorsque la taxe
de 0 fr. 20 p. 100 est applicable au payement du
prix de vente faisant l'objet de l'effet de commerce,
il y a, dans ce cas, deux droits distincts : un droit
de timbre frappant l'effet de commerce et une taxe
spéciale, indépendante de ce droit de timbre, qui
frappe le payement d'une marchandise, parce que
le prix en est supérieur à l.'io francs.
En cas de payement par traite, comme le fait gé-
nérateur de 1 impôt est le payement, et non la vente,
la taxe est exigible seulement le jour où la traite est
encaissée. Pour se couvrir de la taxe dont il est res-
ponsable vis-à-vis du Trésor, le vendeur l'ajoute, sur
la traite, au prix principal de la venle et, une fuis
la ti-aite mise en circulation, il procède comme si la
vente avait été faite au comptant. Si la traite est
proleslée, la taxe est remboursée sur justilications.
Contraventions et pénalités. — Toute contraven-
tion relevée à la charge du vendeur ou de l'ache-
teur est punie d'une amende de 6 p. 100 (qui pourra,
à chaque récidive, être majorée de 25 p. 100) sur la
somme soustraite à l'impôt, sans que cette amende
soit inférieure à 50 francs en principal. Le recou-
vrement du droit simple est poursuivi contre le
vendeur, sauf recours de celui-ci contre l'acheteur.
III. Taxe de luxe. V. luxe, dans un prochain
numéro. — Max Leorand.
*pentodon n. m. — Encycl. Le pentodon
ponctué {pentodon punctalus) s'attaque, comme
on sait, à la vigne. C'estun gros coléoptère deO°',02
de long et O'°,01 de large, à corps massif et arrondi.
Entièrement de couleur noire, il ressemble à un
bousier. 11 apparaît au commencement du prin-
temps et, si l'insecte dédaigne les pieds de vigne,
il n'en est pas de même de sa larve. Celle-ci, qui
passe deux années dans le sol, est particulièrement
redoutable pourles greffes
enterrées, dont elle ronge
les bourrelets de cicatrisa-
lion formés aux points de
soudure du sujet et du
greffon. On combat les
larves par des injections
de sulfurede carbone et les
inseclesparfaitsenleur lai-
saut la chasse aux heures
crépusculaires (piégeage).
Les dégâts causés par la
larve du pentodon ponc-
tué ont été parfois très ini- Peotodon (jro«li d'un quart).
portants, surtout dans le
midi de la France; mais, jamais encore, on n'avait
pu accuser, d'une façon formelle, l'adulte de com-
mettre des méfaits dans les plantations.
Ni 'Valery-Mayet, dans son Traité sur les insectes
ampélophages, ni Guéneaux, dans son Entomologie
et parasitologie agricoles, ni aucun aulreentomolo-
giste de parasitologie générale ou particulière n'a
cité cet insecte comme nuisible. D'après la plupart
des auteurs, et quelque paradoxale que puisse pa-
raître cette affirmation, le pentodon ponctué vivrait
exclusivement sur ses réserves. Il semble, à priori,
quecettecurieuse exception l'ait tache dans le tableau
des mœurs des insectes ; car, dans la majorité des
cas, les adultes ont à accomplir des fonctions actives
qui s'accommoderaient mal du jeûne.
Les observations faites en 1913 par Herbet (direc-
teur de l'Ecole pratique de La Kéole) et Aussenac,
(profes.seur dans le même établissement), ont montré
qu'il fallait, en effet, revenir sur le jugement pri-
mitif porté sur le pentodon adulte. Celui-ci, tout com-
me sa larve, est un déprédateur qu'il faut détruire.
An mois de juillet 1913, les observateurs que nous
venons de citer constataient, dans le potager de
1 école, qu'un certain nombre de laitues se flétris-
saient chaque jour et que le système radiculaire des
plants attaqués était plus ou moins rongé ; l'arrachage
mettait presque inévitablement à la lumière un
pentodon ponctué, et c'est l'absence de tout autre
parasite qui, seule, fit incriminer celui-ci.
Mais, en présence des affirmations acceptées
jusque-là par les enlomologisles, Herbet et Aussenac,
ayant encore des doutes, résolurent de se livrer à
une série d'expériences minutieuses qui viendraient
élayer leur quasi-conviclion.
11 serait peut-être fastidieux de rappeler ici une à
une les expériences qui furent faites. Disons seu-
lement que la lumière est complète aujourd'hui sur
ce point et que le pentodon ponctué, s'il n'est nui-
sible à la vigne qu'à l'état de larve, est tout aussi
redoutable pour les laitues et les chicorées à l'état
d'insecte parfait et qu'il convient de le poursuivre
sans merci. — J. db Chào».
poétrle {tri — de poète) n. f. Liltér. Terme
emprunté aux rhéloriqueurs français du xV siècle,
pour désigner tout le matériel technique qui sert à
l'expression de la poésie : La poétrib est la chair
dont la poésie est l'âme.
W J47. Mai 1919.
prototlièse (du gr. prôlos, premier, et de
thèse) n. f. Se. phys. Supposition résultant de l'expé-
rience qui sert d'écliafaiida{,'e à la reclierche pro-
prement dite et peut, au cours du travail, être
remplacée par une autre niipux appropriée, jusqu'à
ce qu'on possède la relation cliercnée. (Ce mot pi'ul
être opposé à hypothèse, dénomination réservée aux
suppositions incontrôlables) : Une protothèsk s'éla-
bore au début du travail et disparaît s'il réussit;
c'est ^'hypothèse qui apparaît quand le travail
n'avance plus.
Rulir (lb Bassin dk la) et les Richesses
INDUSTRIELLES DE LA Westphalie {Indust.}. Dans
une étude précédente (v. hassin ue la Sarhk,
Lar. Mens., p. 762), devant l'Insuffisance de notre
production houillère, nous avons fait ressortir la
nécessité d'obtenir, outre l'annexion du bassin de la
Sarre, des droits sur les cliarbonnages weslpha-
liens. En effet, alors que nous sommes si mal pour-
vus de bouille (notre production restant annuel-
lement en déficit de 22 millions de tonnes de
combustibles), nos rivaux allemands possèdent cette
même houille à ne savoir qu'en faire, avec des
réserves, que les estimations les plus timides
évaluent au moins suffisantes pour satisfaire à
l'exploitation durant
plusieurs siècles.
Les principaux cen-
tres houillersde l'Alle-
magne se trouventdis-
persésen cinq régions :
le bassin rhénan-west-
phalien, le bassin silé-
-sien, la région de
Bonn sur le Rliin, celle
de Zwickau en Saxe
et celle, déjà citée, de
la Sarre; cet ensemble
a produit 191 millions
de tonnes en 1913, li-
gnitesà part, et 279 mil-
lions, en comprenant
ceux-ci.
Or. de ces districts
miniers, le premier est
de beaucoup le plus
important; sa produc-
tion est, à elle seule,
égale à la moitié de
celle de l'Allemagne
(102 millions de ton-
nes); elle représente
également près de
deux fois et demie
notre extraction, bien
que la superDcie ex-
ploitée soit relative-
ment faible (1.500 ki-
lomètres carrés).
Nous nous propo-
sons, ici, de donner
une idée de cette con-
trée extraordinaire, où
la richesse minière a
entraîné une vie indus-
trielle tellement in-
tense que les usines s'entassent les unes contre les
autres; les villes importantes sont si proches que
leurs faubourgs se confondent, c'est le royaume
des grands métallurgistes, des Krupp, des Thyssen,
seigneurs modernes du fer et de l'acier, régnant
en maîtres sur toute l'activité germanique.
La contrée, désignée sous le nom de Rheinland,
est pari âgée entre la Prusse rhénane et la West-
phalie; le centre de cette région est principalement
connu dans le public sous la dénomination de bassin
de la Ruhr, du nom d'un affluent du Khin, s'écou-
lanl de l'est vers l'ouest en traversant toute la zone
westphalienne.
La population, extrêmement dense (11 millions
d'habitants) est en continuel accroissement, par
suite de l'attraction exercée sur les paysans par
les hauts salaires industriels; elle occupe de nom-
breuses villes ; plusieurs parmi celles-ci dépassent
100.000 âmes: Cologne (483.000 h.), Diisseldorf
(347.000 h.), Essen (270. 000 h. KDorlmund (215.000 h),
Duisburg (210.000 h.), Gelsenkirchen (180.000 h.),
Elberfeld (175.000 h.;, Barmen .(162.000 h.), Bochum
1135.000 h.), Crefeld sur la rive gauche du Rhin
(110.000 h.), Mulheim (100.000 h.), Hamborn
(lOO.OOO h.), Solingen (50.000 h.); Remscheid, Iser-
lohn, Oberhausen, etc., toutes cités où les industries
métallurgiques occupent la première place, consé-
quence directe de l'accroissement prodigieux (de 1
à 10) de l'extraction de la houille depuis 1870.
La houille, dans le bassin do la Rbur, est de même
formation que celle que nous rencontrons dans noire
bassin du Nord et dans le bassin belge: mais, tandis
que, dans ces derniers, elle est localisée dans une
étroite bande de quelques kilomètres de largeur, au
delà des frontières belges et hollandaises, les gise-
ments prennent une ampleur extraordinaire ; tout le
nord de la 'Westphalie, le Limbuurg et la Campine
LAROUSSE MENSUEL
belges, une partie de la Hollande, la rive gauche du
Rhin contiennent d'importantes réserves encore peu
exploitées.
La région la mieux connue d'exploitation plus
aisée est celle de la Ruhr; des charbonnages y sont
installés depuis longtemps; déjà, en 1789, la pro-
duction, considérable pour l'époque, atteignait
176.000 tonnes.
Les exploitations actuelles se trouvent dans un
vaste rectangle de 60 kilomètres de longueur, entre
Dortmund et la Hollande, sur une largeur de 20 à
30 kilomètres, rectangle traversé du sud au nord
par le Rhin, qui lui sert d'exutoire. Là, plus de
200 puits sont en activité, avec tout l'outillage né-
cessaire à l'extraction, aux laveries, aux cokeries, à
la manutention des houilles extraites, etc. Le char-
bon appelle le fer; aussi, grâce au voisinage des
mines du Luxembourg, de la Lorraine, de la vallée
de la Sieg, la plus formidable industrie métallur-
gique s'est créée sur le carreau des mines; la ré-
gion est couverte d'une agglomération extraordi-
naire de chevalements de mines, d'installations de
hauts fourneaux, d'aciéries, d'usines mécaniques,
sans compter les installations des voies ferrées, des
canaux et des ports.
Ici, tout favorise le mineur : les couches de
charbon épaisses et régulières se prêtent à un
abatage rapide et permettent un débit important.
Alors que nos ouvriers, dans des conditions au-
trement pénibles, atteignent une production de
200 tonnes par an, l'Allemand extrait 268 tonnes.
La proximité du minerai de fer, une voie fluviale
à pied-d'œuvre pour faciliter les transits, tout con-
courait pour faciliter l'esprit méthodique des Alle-
mands et faire de cette contrée un ensemble
unique par son importance et sa prodigieuse
organisation.
Les principales mines de la région ne sont pas,
comme celles de la Sarre, la propriété fiscale de
l'Etat; presque toutes appartiennent, au contraire,
à des compagnies privées, ou dépendent d'impor-
tantes firmes métallurgiques. Les plus célèbres
d'enlre elles sont : la Société de Gelsenkirchen
(1X0 millions de marks de capital-actions, 72 millions
d'obligations; production 9.900.000 tonnes en 1911,
avec 35.000 ouvriers), la Harpener, à Dortmund
(production, 7.540.000 t.), la Hibernia (production,
10.000.000 l.l, laConcordia (production, 1.600. 000 1.),
la m lue Cunslanlinle-Orand (production. 2. 500 000 t.);
sur la rive gauche du Rhin, la mine Frédéric-Henri, à
Clostercamp (1.600.000 t.), les charbonnages de
Rheinpreussen (3.000.000 t.), etc. Citons encore les
houillères de Mœderich, près de Duisburg, aux
établissements Thyssen, diverses exploitations ap-
partenant à Krupp; enfin, les mines fiscales, d'ailleurs
peu nombreuses, et ne figurant que pour une part
très modeste (4,13 p. 100) dans la production. En
décembre 1913. on comptait 381.000 mineurs dans
le seul bassin de la Ruhr.
Presque toutes les houilles extraites donnent de
bons cokes; aussi chaque mine possède-t-olle de
nombreuses batleiies de fours à coke, avec dispo-
sitifs pour condenser les produits volatils; les statis-
791
tiques les plus récentes ante bellum indiquent une
production de :
22 millions de tonnes de coke.
5,50.000 tonnes de goudron.
244.000 tonnes de sulfate d'ammoniaque.
En outre, l'emploi des gaz combustibles permet
dans toute la région une large diffusion de l'énergie
électrique.
Cette masse de combustibles a servi en grande
partie à l'élaboration de 14 millions de tonnes de
fonte. En effet, la production métallurgique suit
la même évolution.
Chacun connaît les célèbres usines d'Essen, où a
été forgée la plus grande partie du matériel de
guerre allemand. Créées en 1811 par Krupp, les
usines, au début très modestes, étaient arrivées peu
à peu à une certaine importance; mais ce fut sur-
tout après la guerre de 1870, par sa collaboration
avec le grand état-major allemand pour organiser
l'artillerie, que la firme atteignit la place prépondé-
rante qu'elle occupe. La dernière guerre a été, natu-
rellement, pour Essen, l'objet d'un nouveau dévelop-
pement. Déjà, avant celle-ci, 73.000 ouvriers étaient
occupés dans les divers établissements.
A Essen, où les ateliers couvrent près de 500 hec-
tares, se trouvent principalement des aciéries et
des arsenaux d'artille-
rie; de plus, la Société
possède des aciéries et
des hauts fourneaux à
Rheinhausen, près de
ljuisl)urg (production :
un million de tonnes
de fonte, 740.000 ton-
nes d'acier), des acié-
ries à Annen, des usi-
nesdeconstrnction mé-
canique à Magdebourg,
des chantiers navals à
Kiel et à Stettin, etc.
A côté des Krupp, se
dresse la figure rivale
de Thyssen, le bras-
seur d'affaires le plus
extraordinaire de la
Westphalie. Parti en
1 870 d'une petile usine,
aujourd'hui, Thyssen
est partout. Il existe
peu d'entreprises dans
le bassin de la Ruhr où
il ne soit intéressé :
Hamborn, Briickhau-
sen.prèsde Duisburg,
sont ses domaines; là
ont été installées les
usines de Deutscher
Kaiser, les plus impor-
tantes aciéries élec-
triques, de la même
direction dépendent les
laminoirs de Densla-
ken, les importantes
usines mécaniques de
Mulheim, de nombreux
charbonnages et mines
deferdansdiverspays;
il est à peine besoin de rappelerque Thyssen avait jeté
son dévolu jusque sur nos gisements Je Normandie.
Parmi les autres affaires industrielles de la région,
on peut indiquer les installations métallurgiques de
la Société de Gelsenkirchen, déjà citée pour ses
charbonnages; la Société houillère et métallurgique
de Bochum; les usines du Phénix à Duisburg, Huh-
rort, Hœrde, les plus prospères de ces entreprises ;
les établissements Mannesmann de Diisseldorf, les
tréfileries Carlwerk de Mulheim, les aciéries Haniel
à Diisseldorf, les coutelleries de Solingen, etc. A
Elberfeld se trouvent les premières usines de la
célèbre maison F. Bayer, spécialisée pour la fabri-
cation descolorantsetdes produits pharmaceutiques.
Une si grande production s'accroissant de jour en
jour, puisque le trafic de 90 millions de tonnes en
1902 atteignait, dix ans plus tard, 142 millions, tant
par la venue des minerais de fer et des denrées né-
cessaires à la population que pour le départ des
houilles et des produits manufacturés, il importait
d'assurer une circulation rapide de toutes ces ma-
tières. Naturellement, le pays est sillonné de voies
ferrées ; mais celles-ci, quelle que soit leur puissance,
ne peuvent suffire.
Déjà, le Rhin, qui traverse le bassin, sert de dé-
bouché vers Anvers et Rotterdam; au confluent de
la Ruhr avec le fleuve, les Allemands ont établi le
plus grand port de batellerie, le port de Ruhrort-
Duisburg, d'une importance considérable.
Créé en 1715, ce port s'est accru en suivant la
marche ascendante des exploitations minières; au-
jourd'hui, son trafic de 33 millions de tonnes en fait
le plus important port fluvial du monde. Les instal-
lations appartiennent partie à l'Ktat, partie aux villes
de la région, et pour une large part aux compagnies
{•rivées, nombre d'entre elles ayant leurs bassins et
eurs flottes.
Buchho).
792
Malgré ce puissant outillage, 1 encombreinent tou-
jours croissant délermina la création d'une voiellu-
viale nouvelle vers le port d'Emden, sur la mer du
Nord, i^e bassin serait coupé de l'ouest à l'est par
un canal allant de Rulirort î Henie, pour rejoimlre
le canal déjà existant de Dortmund à Emden. Par
suite de la dilficulté de traverser une région aussi
encombrée, celte entreprise est une des plus impor-
tantes des travaux modernes ; la guerre est venue
l'interrompre, mais l'avancement est assez grand
pour que, dans un avenir tri^s proche, le Hhin soit
en quelque sorte doublé. Les Allemands y voyaient,
en outre, l'avantage de s'alTranchir des ports belges
et hollandais, s'ils ne pouvaient se les approprier.
En même temps, une amorce dans la vallée de la
Lippe est dirigée vers le Weser.
Le canal du Rhin à Herne représente le type du
canal moderne le mieux adapté aux besoins d'un
Irafic intense. La largeur, portée à 35 mètres, per-
mettra à deux grands chalands de se croiser; enfin,
l'éclairage électrique de tout le parcours
facilitera la circulation de nuit. La ré-
gion est encore pourvue d'alimentation
d'eau potable par d'importants barrages
àMonethal.surle cours supérieur de la
Rhur; quant à l'éclairage et à I énergie
nécessairesaufonctionnenient des tram-
ways, on les obtient au moyen des gaz
soitdeshauts fourneaux, soit des l'ours à
coke, canalisés ou après transformation
àl'origine de lenrénergie en électricité.
Toutes ces dispositions font de cette
partie de la Westphalie un des districts
industriels les mieux outillés; c'est, à
nos portes, un gage important de
l'immense créance que nous avons
sur le peuple germain.
Les défauts de ce bassin étaient de ne
point a voir de débouché àlamerenterre
allemande et d'être insuffisamment
pourvus de fer. Nous avons indiqué
comment les Allemands cherchaient
l'issue à la mer par Emden. Pour le mi-
nerai,ce fut très simple; nos gisements
étaient convoités depuis longtemps, le
charbon allemand nécessitait le fer
français, cette considération fut une
des causes de la guerre. Aujourd'hui,
toutes les mines lorraines étant rentrées
dans notre camp, l'argument peut être
retourné : le charbon allemand nous
devient nécessaire, d'autant plus que
nol^e déficit est encore aggravé par
la destruction systématique de nos
charbonnages du Nord.
Comme le dit, avec autorité, le sa van I
académicien de Launay, dans une étudc>
de ces problèmes miniers : » A notre
époque, un pays ne peut pas plus
vivre sans houille qu'un- corps vivant
ne peut se passer de sang Il dépend
de nous que notre inl'ériorité soit
reléguée dans le domaine du passé.
Demain, par le traité qui récompensera
la vigueur indomptable avec laquelle
a combattu notre pacifisme, nous pou-
vons conquérir le moyen de déve-
lopper nos industries, d'ouvrir un
large champ à nos initiatives et, disons- | — : ~
le, la possibilité aussi de provoquer par I — ■ ^
là cet essor de notre population qui
nous sera indispensable, non pas seulement pour
prospérer, mais pour vivre. » — M. Molimié.
Wendes de Lusace. On n'a pas vu sans
quelque surprise, dans les journaux quotidiens, l'é-
noncé des revendications desWendes de la Lusace.
Comme les Slaves de l'ancien empire dualiste d'Au-
Itriche-Hongrie, ils revendiquent leur indépendance
et demandent la reconnaissance et le respect de
leur nationalité. Ce sont là demandes parfaitement
juslifiées; une brève histoire des Wendes de la Lu-
sace en fournira très vite la preuve.
On sait ce qu'est la Lusace : un pays de l'Allemagne
centrale, s'étendant au nord-est du quadrilatère de
Bohême, sur les territoires arrosés par la Neisse et
la Sprée. Physiquement, ce pays ne présente aucune
homogénéité : plaines sablonneuses ici et collines
accidentées plus au sud. Il est, d'autre part, au point
de vue politique, partagé entre le royaume de Prusse
(province de Brandebourg et Silésie) et celui de
Saxe. Enfin, sur son territoire de quelque 10.000 ki-
lomètres carrés vivent, non pas seulement des Alle-
mands, mais aussi des Slaves.
Le peuple slave primitif occupait, suivant toute
vraisemblance, le vaste territoire compris entre le
Dniepr et l'Oder; il atteignait même, par endroits,
les côtes de la mer Baltique et les rives du Niémen,
de la Desna, du Danube, de la Saale et de l'Elbe.
De très bonne heure, ceux qui marchèrent dans la
direction de l'ouest franchirent les fossés fluviaux
de la Laba (ou Elbe) et de la Saale, comme aussi le
rempart de la Sumava ; ainsi s'étendit sur toute une
partie de l'Allemagne, comme sur la Bohême, une
LAROUSSE MENSUEL
couche dépopulation slave, dont les vieux historiens
du moyen âge ont conservé les noms : au nord, dans
le Meckltmbourg, la bande de Liinebourg et le Hols-
lein, les Obotrites; plus à l'est, entre l'Oder, la mer,
la Varnava et l'Elbe, les Lulitses, ou Vélètes; au
sud, enfin, sur l'Elbe moyen, entre Werra, Ilavel
et Bober, les Serbes. C'étaient là les Slaves Pola-
bes, dont une des branches, les Obotrites, a lutté
contre Gharlemagne sur les bords de l'Elbe, et dont
les Wendes de Lusace constituent le dernier débris.
Il serait intéressant de retracer ici, avec quelque
détail, la lajiienlable histoire de la lutte des Po-
labes contre les Allemands, le jour oii ceux-ci com-
mencèrent leur Drang nach Ôslen, leur « marche
vers l'Est », jusqu'aux frontières qu'atteignait, hier
encore, le Deutsches Reich. Une lutte longue et iné-
gale, où les Polabes durent résistera la fois à l'Em-
pire allemand et à l'Eglise romaine. En dépit de
leur énergie, les Polabes, peu nombreux et obligés
de luttercontre un monde d'ennemis — carlesDanois
0 rOK. 80,
®lFrancfi)rt-sup-Oder
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Ham^nzQ, ■'■■ ' •' ^
DRESDE
^ ^/^J.
i^'
H Ê M E
Frontière de I550 (d'après Andrée )
Territoire actuel des Wendes
toujours, et parfois les princes polonais et tchèques,
firent cause commune avec les .Mlemands — les Po-
labes, divisés entre eux par surcroît, furent cons-
tamment vaincus et finirent par disparaître à peu
près partout. Ils perdirent d'abord leur indépen-
dance politique, aux temps des empereurs saxons,
dont les margraves de Brandebourg achevèrent
l'œuvre conquérante; puis, sous les flots de la colo-
nisation allemande et chrétienne, leur nationalité,
leur langue et leur religion reculèrent rapidement
à partir du xiii= siècle. Dès 1404, ils n'existaient plus
dans l'île de Riigen, et, tôt après, àla On du xv' siè-
cle, rares étaient les vestiges de la vieille nationalité
slave au nord du Havet et de la Sprée. On en trou-
vait encore quelques-uns, cependant, sur l'Elbe, en
particulier dans la partie septentrionale de VAU-
mark du Brandebourg (Vieille-Marche), dans le
Mecklenibourg et dans le Liinebourg; mais ces der-
niers groupes furent germanisés graduellement.
Dans le cercle de Liichow (au sud de l'Elbe, partie
orientale du Hanovre), qui porte encore aujourd'hui
le nom de Wendland — pays des 'Wendes — la
langue slave disparut au milieu du xvin» siècle.
C'est alors que la messe fut célébrée, pour la der-
nière fois (en 1751), en slave, chez les Dravaînes,
dont les descendants ont du moins conservé en
grande partie, aujourd'hui encore, le type et la ma-
nière de vivre des vieux habitants du "Wendland.
Si, dans les parties septentrionales de l'Allema-
gne, les Polabes ont disparu ainsi, et très vile, ils
ont mieux résisté dans le Sud. Ils y étaient plus nom-
breux, ils y occupaient en masse compacte le pays
compris entre Saale et Elbe (Serbes ou Sorabes),
N' 747. /Mai 1919.
la région de la moyenne Saale (Lusaciens), les can-
tons du haut Elstei, de la Sprée supérieure et de la
Neisse (Milczanes). Toutefois, à la suile des mal-
heurs de la guerre «le Trente Ans, ils disparurent
des campagnes situées à l'ouest de l'Elbe, et si, en
Lusace, ils mainlinreiit toujours leur existence, ce
ne fut pas sans subir d.^.apenes sérieuses; surtout à.
partir du moment où la Lusace passa sous la domi-
nation de la maison de Saxe (traité de Prague de
1635), la germanisation r. réalisé de très grands
progrès.
Aussi, dans les dernières années du xix» siècle
(1886), bien réduite était la partie de la Lusace où
la majorité de la population parlait encore la langue
slave. La carte jointeà cet article en donne le tracé
d'après les linguistes slaves, comme elle donne,
d'après un géographe allemand, l'étendue du terri-
toire où elle était parlée au xv' siècle. Encore con-
vient-il de reconnaître que si, en Lusace, un terri-
toire absolument serbe existait en 1886 aux environs
de Cholibuz (Koltbus), ailleurs, par contre, on y
constatait la présence de nombreux îlots allemands.
Et, d'autre part, les Allemands ont encore, depuis
1886, gagné du terrain au détriment des Slaves.
En 1886, ceux-ciélaienl, en chiiïres ronds, 176.000,
dont plus de 100.000 en haute Lusace; mais ils
n'étaient plus que quelque 156.000 en 1900; —
156.000 entourés el pénétrés de tous les côtés par
les flots de la race allemande, 156.000 dépendant
des Allemands au triple point de vue politique,
économique et religieux (les Serbes sont en très
grande majorité luthériens), astreints au service
militaire en Allemagne, complètement isolés de
leurs frères de race et privés de la direction et du
soutien d'une élite intellectuelle. Si, du moins, ils
étaient étroitement unis entre eux 1 Mais les Serbes
de Lusace n'ont même pas d'unité linguistique.
Entre les idiomes de la basse et de la haute
Lusace, les différences sont telles que les gens du
peuple ont de la peine à s'entendre. De même, il y
a deux langues littéraires et deux littératures !
D'autre part, les Serbes de Lusace ne sont pas
soumis à une seule et même domination ; les Serbes
de Kottbus sont prussiens et ceux de Bautzen sont
saxons.
Aussi les Allemands les considèrent-ils comme
une quantité absolument négligeable et se relusenl-
ils à les considérer comme ayant une individualité
propre. Ils ne se contentent plus, comme naguère
Richard Andrée (en 1873), de réduire de manière
systématique et abusive leur aire linguistique; ils
les tiennent comme complètement disparus. Vers
1860 encore, les célèbres guides Baedeker donnaient
le nom wende des principales villes de la Lusace ;
aujourd'hui et depuis longtemps déjà, ils ne l'in-
diquent plus. Le silence est systématique, et de la
part des sphères officielles et de la part des autres,
qui imitent docilement les premières.
Cependant, en dépit de tant de difficultés, de tant
de causes de disparition de toute nature, les Serbes
de Lusace sont parvenus jusqu'ici à maintenir leur
existence propre. Lenr type les différencie nette-
ment des Allemands qui les entourent. « On en est
frappé, constatait naguère Vidal-Lablache, lorsque,
dans les rues ou les églises de Dresde, on aperçoit,
le dimanche, ces hommes aux longues houppelandes
et aux grandes bottes, que leurs têtes plus petites,
leurs cheveux d'un blond terne et souvent une
expression de douceur somnolente répandue sur
leur physionomie, distinguent nettement dans la
foule germanique ». Leur langue, d'autre part,
assure leur individualité nationale. Celle-ci persisté,
grâce aux efforts des quelques patriotes éclairés,
qui ont, vers 1840, réveillé la conscience populaire,
fondé (à Bautzen) une société pour leur langue et
leur littérature (Masica Serhskn), fondé une revue
et introduit la langue slave dans les écoles pri-
maires. Néanmoins, précaire demeurait toujours la
situation des Serbes de Lusace, non pas seulement
en Prusse (où le gouvernement n'avait pour eux
aucun ménagement), mais même en Saxe, avant la
fin de la Grande Guerre. C'est précisément pour
assurer à ses compatriotes un avenir meilleur que
le Comité national wende a lancé, dans les derniers
jours de janvier 1919, une proclamation déclarant
la réunion de la haute et de la basse Lusace en un
Etat wende, conformément au principe wilsonien
du droit des nationalités à l'existence, reconim
précédemment par le gouvernement d'Empire. Le
Reich allemand admetlra-t-il de telles prétentions 7
On peut souhaiter, dans tous les cas, que, comme les
Suédois de l'archipel d'Aland, les Serbes de Lusace
obtiennent satisfaction ; on peut désirer pour eux
que des jours plus heureux succèdent à la domi-
nation brutale dont, tout au moins en basse Lusace,
ils ont souffert jusqu'Ici ; mais on ne saurait se dis-
simuler que l'existence d'un Etat wende, au milieu
de populations allemandes, sera très précaire. Ni par
le nombre de ses nationaux, ni par la nature phy-
sique de son territoire, un tel Etat ne sera capable
de se faire longtemps respecter. — Henri KRoinEnui.
Paris, Imprimerie Larousse (^ïo^eau, Auge, Gillon et C'»),
17, rue Montparnasse. — Le Gérant : L. Gkoslst.
N" 148.
Juin 1919
i^cadémle française. — Réception de
M'J' Baudrillart. L'Académie française, procédant
le 2 mai 1918 à l'élection d'un nouveau membre en
remplacement d'Albert de Mun, avait élu au 3' tour
Mf Baudrillart (v. p. 795), par 14 voix contre 7 à
Ad. Mithouard et 5 à F. Gregh. Le nouvel académi-
cien a pris séance le 10 avril 1919, accompagné de
ses deux parrains, d'Haussonville et R. Bazin. Ce fut
une grande réception ecclésiastique, ainsi qu'en té-
moignait la présence du cardinal Amette, entouré de
nombreux prélats.
La logi(]iie, qui ne préside pas toujours à l'ordre
des successions académiques, avait été, celte fois,
resppclée. Albert de Mun appartient presque autant
à l'Eglise que M'' Baudrillart; du moins était-il
naturel que l'éloge du grand leader catholique fût
présenté par un orateur chrétien. Tout au plus
pouvait-on craindre qu'un tel orateur, entraîné vers
des digressions faciles, ne confondît son pupitre de
récipiendaire avec une chaire de prédicateur; mais
M»' Baudrillart est un trop fin letlré pour ne pas
observer la distinction des genres ; c'est en historien
qu'il a abordé son sujet, en historien scrupuleux,
soucieux avant tout de mettre en lumière tous les
aspects de son personna^^e et tout le détail de ses
idées. Successivement furent évoqués l'officier,
l'apôtre, l'orateur, le penseur, l'homme politique,
le patriote et, grâce à la netteté de la composition,
ce long discours, d'une langue élégante et ferme, se
suivit jusqu'au bout sans fatigue.
Sitôt son remerciement présenté, l'orateur se féli-
cita d'avoir, « homme d'Eglise, à célébrer l'une des
plus nobles figures et l'une des plus fécondes tenta-
tives dont le catholicisme contemporain soit en
droit de se parer ». Sans s'attarder aux ascendances
d'A. de Mun, sinon pour rappeler — rapproclie-
menl assez piquant — qu'il comptait parmi ses
ancêtres le philosophe Helvétius et pour nous faire
entrevoir le pieux foyer où s'écoula sa jeunesse,
M»' Baudrillart évoqua « la physionomie très douce
et très virile, à la fois rêveuse et décidée », du
jeune homme à son entrée à Saint-Cyr, d'où il
partit bientôt pour l'Algérie. Son allégresse au
premier combat, ses rêveries parmi les nuits afri-
caines sont agréablement rapportées : on y découvre
ce goût de l'action et cette vivacité d'imagination
qui car.ictériseront par la suile Albert de Mun,
comme le récit de sa vie de garnison à Glermont-
Ferrand nous révèle son esprit de foi et l'ardeur
de sa charité.
M»' Baudrillart entreprend ensuite l'histoire de
la vocation sociale d'A. de Mun, qu'il suit dans ses
diverses étapes et ses curieux épisodes. C'est d'abord,
au lendemain de la capitulation de Metz en 1870,
la captivité du jeune officier à Aix-la-Chapelle ; là,
en compagnie de son camarade René de La Tour
du Pin, il reçoit l'initiation il des idées sociales
-hrétiennes jusqu'alors insoupçonnées. Les premiers
linéaments de sa doctrine se dessinent dans son
esprit : ■> il sera l'homme du Syllabus, de la contre-
UROUSSE MENSUEL. — IV.
Albert de Mun.
révolution, l'adversaire du libéralisme et de l'indivi-
dualisme issus de 1789, l'ami de la classe ouvrière...».
Libéré par la paix, il rentre à Paris le 15 mars 1871,
pour assister au mouvement de la Commune.
Ah! cette fois, l'esprit d'Albert de Mun ne sera pas seul
conquis à l'œuvre indispensable, urgente, mais aussi son
cœur. Car c'est son cœur qui souffre quand il voit se
dresser, cadavre à
demi vivant , cet
insurgé couvert de
sang qui, le bras
nu, l'œil fixe , lui
jette avant de mou-
rir ce dernier cri :
«Les insurgés, c'est
vous ! n ; <|uand il
lui faut s'avancer
dans les rues de la
capitale en conqué-
rant plus qu'en libé-
rateur; quand, sur
la place de Belle-
ville, ii apprend le
massacre des reli-
gieux , des gen-
darmes, des gardes
municipaux fusil-
lés rue Ilaxo et
lorsque, dans l'égli-
se, découronnée du
signe divin, il voit
la foule éperdue
chercher un refuge près de Celui-là même dont elle
avait, la veille, renié la protection, en même temps
que la divinité. C'est Celui-là qu'il fait serment de rendre
au peuple...
Mais comment s'y prendre ? Découragé par les
« docteurs d'Israël », c'est un humble frère de
Saint- 'Vincent de Paul, Maurice Meignen, qui lui
montre la voie à suivre: aller au peuple, le cœur
ouvert, la main tendue.
Le cœur du soldat chrétien ëtait à jamais conquis, son
avenir décidé, l'œuvre des cercles fondée.
Le 10 décembre 1871, de Mun prononçait son
f premier discours au cercle Montparnasse et, dès
ors, commença pour lui à travers toute la France
" une vie de courses apostoliques qui dura plus de
vingt ans »; vie fiévreuse, dont M"' Baudrillart peut
par expérience retracer les émotions joyeuses et les
épuisantes fatigues. Pour se consacrer lotalement à
sa nouvelle tâche, de Mun donnait sa démission
en 1875; mais il n'en demeura pas moins soldat :
A la place de l'épée qu'il abaudonnait, la Providence
ne l'avait-elle pas armé des deux tranchants du glaive,
^âce auquel se livrent les batailles d'idées : la parolo de
Porateur, la plumo de l'écrivain?
Ceci amène naturellement M»" Baudrillart à ca-
ractériser le double talent de de Mun : il insisie
surtout sur ses dons d'orateur et, s'aidant des con-
fidences mêmes de son personnage, il décrit le
labeur auquel de Mun, répudiant, comme tout
orateur véritable, l'improvisation, s'astreignait dans
la préparation de ses discours.
puelles idées y exprimait-il? C'estce que M»* Bau-
drillart examine ensuite. Il ne cache point que « le
défaut de fortes études au début de sa carrière
sociale ne laissa pas que déplacer toujours de Mun
dans une certaine dépendance à l'égard des hommes
et des événements;... comme un paladin, comme
un preux des anciens âges, muni de peu de lectures
et d'études, il a foncé contre le mal ». L'image est
agréable, mais elle dissimule mal une discrète
critique.
Le point de départ des idées de de Mun était le
désir de réagir contre l'esprit de la Révolution.
Il Nous sommes, disait-il, la contre-révolution inté-
grale ». Puis le spectacle de l'insurrection pari-
sierme lui ayant révélé le danger de l'individualisme,
néfaste surtout à l'ouvrier, il reconnut que « l'unique
solution était un ordre social qui établisse organi-
quement, dans les rapports de leurs droits et de
leurs devoirs réciproques, les trois agents de la pro-
duction : le capitaliste, l'entrepreneur, l'ouvrier ».
Ainsi fut-il amené à mettre à la base de son sys-
tème l'organisation corporative du travail. De la
corporation au syndicalisme, remarque M"* Bau-
drillart, la distance n'était pas infranchissable. Aussi
de Mun se prononça-t-il hautement en faveur des
syndicats ;
mais il les réclama strictement professionnels, mixtes
et jouissant, a-/ec la personnalité civile, du droit de pos-
séder. Ainsi ils eussent été un instrument de justice et de
conservation sociale.
De même, il avait compris la nécessité d'une lé-
gislation internationale du travail et tenté à plu-
sieurs reprises d'en amorcer l'idée.
Malgré les difficultés qu'il rencontra, non seule-
ment de la partdes ouvriers, mis en défiance par son
origine aristocratique et son hostilité, peu adroite-
ment affichée, aux principes de la Révolution, mais
aussi de la part des économistes libéraux et même
de certains calholiques, qui trouvaient excessives
ses tendances, l'eiïort de de Mun ne fut point inu-
tile. M«' Baudrillart rappelle que l'Eglise lui a
donné raison par la grande voix de Léon \Ilt et
qub le Parlement français, de son côté, a adopté la
filnpart des mesures proposées par l'orateur catho-
ique. Très justement, il conclut :
La génération nouvelle, pénétrée de ce qu'elle doit à
ces humbles qui ont porté le poids le plus lourd de la lutte
cruelle et meurtrière, s'inspirera du même esprit; elle
reconnaîtra pour l'un de ses guides tes plus clairvoyants
le chrétien social qui s'est simplement rendu iustice
lorsqu'il s'écriait un jour : • Je ne suis pas un enfant du
peuple: mais... j'ai vécu tout entier au service d'une idée :
le salut de la classe ouvrière, son salut moral et le procréa
de sa condition matérielle, tous deux inséparables dans
ma conviction... >
C'est ce dévouement à la cause des travailleurs et
surtout son attachement à la foi catholique qui
expliquent l'évolution politique de de Mun et y
mainliennent, en dépit de changements successifs
d'opinions, une incontestable unilé. Tour à tour
favorable â l'empire, dévoué à la monarchie, qu'il
30
794
servil avec un zèle égal en la personne du comte
de (^hambord et en celle du comte de Paris, séduit
parle boulangisme, de Mun s'était enfin rallié à la
République: mais, en faisant l'histoire de ces varia-
tions, M'' Baudrillart a soin de souligner que
l'adhésion de de Mun 'a ces divers partis fut tou-
jours déterminée par la même pensée : remplir son
devoir de chrétien et défendre les principes catho-
liques. Non sans émotion, l'orateur évoque ici le
souvenir des anciennes luttes religieuses, auxquelles
de Mun prit une part si active. Mais il le fait dis-
crètement et tire de cette évocation un appel à
l'union « qui nest pas moins nécessaire pour
refaire la France qu'elle ne le fut pour la sauver ».
Pareille phrase, en termes identiques, était déjà
venue sous la plume de Barthon, dans ses Lettres
à un jeune Français ; en la faisant sienne, M«' Bau-
drillart montre ce que devrait être la France de
demain.
Il ne restait plus à M»' Baudrillart qu'à parler de
l'œuvre patriotique d'Albert de Mun et de la cam-
pagne qu'il mena dans les années qui précédèreiit
la guerre et durant les premières semaines de celle-
ci. La question nationale était alors devenue son
unique souci. Avec une clairvoyance que signale
justement M"' Baudrillart, « de Mun avait annoncé,
dès 1913, presque tout ce qui est advenu au cours
de l'effroyable tourmente >>.
Le tocsin de la guerre le trouva dans sa petite
maison de RoscolT et déjà bien malade ; sans retard,
il fut à Paris : il siégea à la Chambre le 4 août, le
jour sacré, organisa l'oeuvre des aumôniers volon-
taires, inaugura le « ministère de la confiance
publique ». Surtout, par ses articles quotidiens, il
s'efforça de relever les courages défaillants, de tenir
haut les cœurs. Et le discours de M«' Baudrillart
s'achève sur l'émouvante peinture de cette suprême
et généreuse activité d'un vieillard, qui, sachant
ses jours comptés, continuait néanmoins sa tâche
quotidienne, jusqu'au moment où, « dans la nuit
du 6 octobre, il tomba tout entier, comme un beau
chêne qui s'abat ».
11 y a des hasards malicieux. C'en fut un que
celui qui confia à Marcel Prévost la mission de
répondre à W' Baudrillart; l'auteur des Demi-
Vierges et du Scorpion recevant le recteur de l'Ins-
titut catholique, la rencontre ne manquait pas de
piquant ! Il est vrai que, depuis, Marcel Prévost,
avec ses Lettres à Françoise, a pris figure de direc-
teur de conscience, ce qui le rapproche un peu du
récipiendaire. Toutefois, il ne s'est pas cru tenu
— et il faut l'en louer — d'adopter un ton austère :
son discours agréable, spirituel, familier par en-
droits et aiguisé çà et là d'une pointe de malice,
fut charmant. 11 a parlé, d'ailleurs, avec une entière
indépendance d'idées, justifiant, selon ses propres
termes, « ce libre esprit qui règne sous la coupole »
et qui permet qu'un Renan et un Baudrillart puissent
y recevoir le même accueil.
K Vous rentrez aujourd'hui dans la maison de
votre famille », dit-il en débutant à M»' Baudrillart;
et il rappela les nombreux membres de l'Institut
que celui-ci compte dans ses hérédités. Ainsi le
récipiendaire était-il voué à l'Académie par une
sorte de prédestination, qui ne fut peut-être pas
sans influer sur sa carrière intellectuelle.
Tout un côté de vous fut toujours académique : le goût
des humanités; l'aptitude aux longs travaux...; le style
mesuré sans excès d'ornements, classique par la correc-
tion et un certain mépris du pittoresque, usant d'un voca-
bulaire impeccable, celui-là même dont usaient naturelle-
ment les treize habits verts qui ont environné votre ado-
lescence...
Cependant, une autre maison a exercé une in-
fluence profonde sur M»' Baudrillart : c'est le cou-
vent des Carmes, où il a passé cinquante et un ans
de sa vie, depuis qu'il en franchit le seuil à l'âge
de neuf ans, comme élève à l'école Bossuet, qui
venait de s'y établir. « Peu d'existences humaines
ont cette impressionnante unité de lieu ».
Ces vieilles pierres, ces murs lézardés et écaillés qui
semblent, comme vous, avoir fait vœu de pauvreté, ces
toits en pente abrupte, cette chapelle recueillie, ces cor-
ridors tachés du sang des martyrs de Septembre, cette
chambre où les girondins attestèrent sur les murailles...
leur culte de la liberté, cette froide et triste cellule où
fermenta le génie de Lacordaire, ces lieux privilégiés qui
exhalent le surnaturel, l'onction, l'abnégation, le sacrirtce
aux idées, ces lieux vous ont élu, ils vous ont appelé, ils
ont jeté sur vous leur enchantement...
Marcel Prévost nous conduit dans celte maison
des Carmes à la suite du jeune écolier, élève bril-
lant, mais peu discipliné, qui faisait, à dix ans, les
premiers essais de ses dons oratoires en excitant
ses camarades à la rébellion ! Il retrace ensuite la
carrière de M'' Baudrillart dans l'Université, où,
malgré sa vocation sacerdotale éveillée dès l'âge de
dix-sept ans, il demeura environ dix années. Le
prélat d'aujourd'hui renie-t-il cette décade laïque?
Non, sans doute; il ne saurait échapper à « l'attrait
que rayonne toujours dans les cœurs loyaux et les
esprits sincères qui l'ont vraiment connue cette
Université de France, si calomniée par des sec-
taires ». Seulement, s'il n'affiche pas toujours ses
sympathies, c'est que souvent — et Marcel Prévost
Marcel Prévost.
LAROUSSE MENSUEL
l'en plaisante discrètement — son libéralisme fon-
cier est étouffé par 1' « ange de la soumission ».
Suspendant un moment sa tâche de biographe,
Marcel Prévost s'arrête sur l'œuvre maîtresse de
M«' Baudrillart : Philippe V et la Cour de France.
Et là, peut-être, a-t-il cédé un peu trop complaisam-
ment à ce qu'on peut appeler l'esprit académique
en s'altardant h plaisanter sur les trois mille pages
qui constituent ces cinq gros volumes in-octavo.
Aux yeux de ceux qui ignorent que cette œuvre est
le résultat de quinze années de travail, M«' Bau-
drillart risquerait de pa>iser pour un auteur prolixe
et pesant. Mais
Marcel Prévost
avait décidé de
n'être point gra-
ve ; ce qui ne
l'empêche pas,
d'ailleurs, de por-
ter sur l'ouvrage
un jugement
équitable et rai-
sonné. 11 recon-
naît très juste-
ment que l'histo-
rien y a traité un
problème débor-
dant les rapports
de Philippe avec
la cour de Fran-
ce et que le vrai
titre de l'ensem-
ble serait : l'Eta-
blissement des
Bourbons en Espagne et en Italie, 1700-17iS. Il
analyse cet essai d'union des races latines, conçu
par Louis XIV, et, y retrouvant cette continuité du
labeur français pour la patrie; pour la civilisation,
il nous invite à tomber d'accord sur cette éclatante
vérité :
Le génie de la France, génie de raison, do liberté, de
concorde, continue dans la victorieuse et nécessaire
démocratie d'aujourd'hui l'œuvre de la glorieuse et né-
cessaire monarchie d'hier.
Cependant, tout en poursuivant ses travaux histo-
riques, M»' Baudrillart achevait l'évolution de sa
vie spirituelle. En 1890, sa thèse passée, il entrait
à l'Oratoire. Marcel Prévost a eu la curiosité de
dénombrer les oraloriens qui furent membres de
l'Institut. Il en a compté quarante-trois, dont le plus
illustre fut sans contredit un simple novice, qui ne
dépassa jamais le noviciat, Jean de La Fontaine.
Ordonné prêtre en 1893, M»' Baudrillart reprit peu
après sa chaire d'histoire moderne à l'Institut
catholique: enseignement qu'il poursuivit avec
succès durant onze ans, jusqu'au moment où il fut
choisi, en 1907, pour succéder comme recteur à
Ms' Péchenard.
Marcel Prévost effleure alors la question de l'en-
seignementcatholique : il montre comment l'Eglise,
privée par la Révolution non seulement de son
monopole d'enseignement, mais du droit même
d'enseigner, fut tenue à l'écart par l'Empire et la
Restauration, ne parvint à reconquérir la liberté
de l'enseignement primaire que sous Louis-Philippe,
celle de l'enseignement secondaire sous la deuxième
République, et longtemps lutta en vain pour la
liberté de l'enseignement supérieur, qui lui fut
rendue par la troisième République. Et Marcel
Prévost ne craint pas d'opposer le libéralisme des
Jules Simon et des Renan à l'intransigeance de
ceux qui, réclamant la liberté pour eux-mêmes,
n'hésitaienlpas àla restreindre d'avance pour leurs
adversaires et voulaient " non seulement que l'Eglise
enseignât, mais que personne ne pût enseigner, sauf
l'Eglise ». Comme Marcel Prévost tirait toute sa do-
cumentation des deux volumes que Mf Baudrillart
écrivit sur un de ses prédécesseurs, Mif d'Hulst,
ses remarques ne manquaient pas de quelque sel.
Examinant ensuite l'activité que M»' Baudrillart
a déployée dans ses fonctions de recteur, — fonc-
tions particulièrement délicates, où n l'esprit le plus
sincère et le plus laborieux peut être soudain arrêté
au milieu de son enseignement par une voix qu'il
respecte et qui dit : Tu t'es trompé ; tais-loi ou
enseigne le contraire... », — Marcel Prévost rap-
pelle l'attitude du prélat en face de la crise moder-
niste, qu'il condamna « sans hésitation et sans tri-
cherie», répudiant même son ancien libéralisme, et
surtout à propos de la séparation des Eglises et de
l'Etat : partisan du Concordat, M"' Baudrillart
approuva néanmoins la rupture dans sa forme la
moins atténuée, dans le rejet de la transaction des
cultuelles, que l'épiscopat français était pourtant
disposé, dans sa majorité, à accepter.
Mais (ajoute Marcel Prévost) ce n'est pas ici le lieu de
s'attarder sur l'histoire de ces heures difficiles... La formi-
dable épreuve d'où la France vient de sortir victorieuse
et grandie a rapproché les partis adverses. Tous, nous
avons couru, la main dans la main, au secours de notre
mère menacée. Sous la capote bleue, l'instituteur maté-
rialiste a pâti dans les tranchées avec le prêtre ultra-
montain, le juif avec le camelot du roi, l'anarchiste avec
le capitaliste. Dans le jour à jour d'une vie douloureuse
et précaire, ils ont reconnu la mesquinerie des récentes
N* 148. Juin 1919.
querelles... Serait-il possible que tant de jours de misère,
tant d'endurance et d'héroïsme commun n'eussent servi
qu'à se défendre contre les périls du dehors et demeu-
rassent sans vertu contre les périls du dedans?... Revi-
sons ce qui doit être revisé, renouons les liens qui furent
imprudemment dénoués, mais qu'il ne soit pas dit, Fran-
r;ai8, que nous avons fait ta Société des nations sans
parvenir à réédifier la Société des Français.
Ce passage, très applaudi, amena l'orateur à parler
de l'œuvre de guerre de M'' Baudrillart et de son
active campagne de propagande. Il ne put se dé-
fendre, auparavant, d'une pointe légère et finement
lancée, en évoquant le rôle de l'Eglise au moyen
âge et l'attitude du pape Grégoire IX, se dressant
contre l'empereur germanique Frédéric II et « à la
force de fer et de feu opposant la force morale
dont il disposait au nom de la justice éternelle ».
En 1915, les circonstances étaient moins favo-
rables; un peu partout, dans les pays neutres, les
catholiques faisaient des vœux pour le triomphe de
l'Allemagne. EtMarcel Prévost emprunte à M»' Bau-
drillart quelques citations frappantes, qui révèlent
jusqu'où, dans certains milieux catholiques espa-
gnols et dans des mandements même d'archevêque,
allait la haine de la France ! C'est alors que M'' Bau-
drillart fonda son comité catholique de propagande,
qui batailla contre la féroce propagande des catho-
liques allemands. « Dans cette lutte d'idées, le clair
esprit français ne tarda pas à triompher de l'impu-
dent fatras germanique ». Puis, comme le livre ne
lui semblait pas un instrument suffisant, M»' Bau-
drillart partit lui-même en Espagne, « portant dans
cette terre empoisonnée de germanisme le verbe de
vérité ». Mémorable campagne, qui produisit d'écla-
tants retours !
Après avoir fixé les derniers traits de la figure de
M'' Baudrillart en rappelant son aclivilé de prédi-
cateur et son dévouement de prêtre auprès des bles-
sés, Marcel Prévost « dépose son humble hommage »
sur le mausolée d'Albert de Mun et invite le réci-
piendaire à recueillir sa succession, » lourde de
devoirs, lourde d'espoirs » :
Comme lui, vous êtes orateur, vous êtes écrivain ;
comme lui, vous êtes homme d'action. Et l'heure, cette
fois encore, est décisive. Vous, dont la personnalité actuelle
est une résultante de l'Ecole normale, de l'Université, du
libéralisme dans le sens lai'c du mot, et aussi de la foi
catholique, de la philosophie scolastique et de la disci-
pline vaticane, vous, qui êtes un bourgeois de Paris de-
venu dignitaire de Rome, n'aiderez-vous pas à pacifier
autour de vous ce qui a fini par s'accorder en vous? Deux
puissances se partagent aujourd'hui le monde... L'une,
confiante en la parole de son fondateur, dit : « J'ai devant
moi l'éternité! », c'est l'Eglise; l'autre, sans prétendre si
loin, peut compter sur un long avenir, c'est la démocra-
tie, qui vient de gagner la guerre. Ah ! monsieur, pour
la paix du monde, pour le bonheur des générations pré-
sentes et futures, aidez à leur accord!... Dites-leur qu'il
faut déposer les armes, se comprendre, se supporter...
Et, revenant à la forme familière qu'il avait obser-
vée dans la plus grande partie de son discours,
Marcel Prévost termine par un apologue souriant,
où se déploie la généreuse malice d'un curé gascon,
et dont il lire cette moralité :
Faisons tous notre examen de conscience et, l'&me sin-
cère et sans fiel, marchons. Français réconciliés, vers la
paix promise aux hommes de bonne volonté. — F. Guirawd.
Académie des sciences. — Le 16 décem-
bre 1918, l'Académie des sciences a procédé, parla
voie du scrutin, à l'élection d'un membre de la
Division des applications de la science à l'industrie.
Au premier tour de scrutin, aucun des candidats
n'obtintla majorité; au second tour, le nombre des
votants étant 40, A. Râteau obtint 28 suffrages et
fut proclamé élu. (V. p. 817.)
a'vitaminose (degr. a priv., et de vitamine)
n. f. Maladie causée exclusivement par l'insuffi-
sance ou l'absence des vitamines.
— Encycl. On a déjà vu, dans des articles précé-
dents, ce que sont les vitamines et les maladies
par carence. (\. Larousse Mensuel, p. 490 et 53.ï.)
Mais, précisément, les dernières recherches, faites
aussi bien en France qu'en Amérique, ont mis en
question la valeur de celte appellation de maladie par
carence (deficiency diseasesàea Anglais et des Amé-
ricains), qui, comme l'a indiqué Schaeffer, s'applique
non seulement aux troubles morbides causés par l'in-
suffisance ou l'absence des vitamines proprement
dites, mais aussi à ceux qui dépendent d'une carence
minérale ou d'une carence d'azote aminé spécifique.
Il en résulte que l'on a classé sous cetteappellation des
maladies qui ne sont pas des avitaminoses, ce qui,
pratiquement, a une grande importance, puisque
toutes les avitaminoses vraies guérissent par l'admi-
nistration des vitamines appropriées, tandis que les
fausses avitaminoses résistent à ce traitement et ne
cèdent qu'à l'usage des aliments carences, dont il n'est
pas toujours aisé de déterminer exactementla nature
et la forme. En fait, donc, le domaine delà carence
est beaucoup plus vaste que celui de l'avitaminose,
et la pratique des amendements et des engrais, dans
la sphère agricole, suffit à en laisser comprendre
l'étendue. Au point de vue de la physiologie com-
parée et de la pathologie générale, c'est un chapitr»
nouveaude l'histoire de la nutrition qui s'ouvre ainsi.
IV 148- Juin 1919.
Il semble, quant à présent, que le nombre des
avitaminoses soit assez restreint. Autant qu'on le
sache pour le niomenl, chacune d'elles eslprobable-
menl causée par l'absence ou le déficit d'une vita-
mine délerininée. Ou sait, en eflet, par les recher-
ches de Mac Collum et Davis, que les vitamines
connues se divisent en deux groupes: les vitamines
A, solubles dans les graisses et les lipoîdes, et les
vilaiTiinesB, insolubles dans les corps gras, mais so-
lubles dans l'eau et l'alcool. Le délicit du groupe A
amène de la xérophtalmie et la cécité ; le déficit
du groupe 13, le béribéri et le scorbut, sous leurs
deux formes respeclives. Toutefois, on admet géné-
ralement que la vitamine antibéribérique n'est pas
la même que la vitamine anliscorbutique. La pre-
mière (orizanine des Japonais) produit surtout des
accidents nerveux, cérébelleux et périphériques et
est notablement plus résistante que la seconde, qui
détermine surtout des accidents osseux. Toutes les
urizanines, d'ailleurs, ne paraissent pas identiques,
puisque leur point de fusion diffère sensiblement.
(Juaiit à la pellagre, il est encore douteux, contrai-
rement à l'opinion de Goldberger, Wheeler et
Sydenslricker, qu'elle soit exclusivement une avi-
taminose, bien que Mac Collum, Simmonds et Par-
sons soient disposés à faire jouer, dans son appari-
tion, un certain rôle aux vitamines du groupe A.
11 en est de même de certains arrêts de crois-
sance, du rachitisme de l'enfant et de l'osléo-ma-
lacie de l'adulte, pour lesquels, cependant, Cooper
invoque le déficit d'une vitamine spéciale, surtout
apparenlée avec les vitamines anliscorbutiques.
Ayant ainsi précisé les limites de l'avitaminose
et exclu de son territoire les simples carences ali-
mentaires, les auteurs se sont demandé quel est le
mode d'action des vitamines. Les uns y voient des
hormones (v. Larousse Mensuel, t. II, p. 10), ou
même de simples diastases; les autres, avec Funk,
des corps chimiques définis, se rattachant aux bases
pyrimidiques qui entrent dans la constitution de la
nucléine et assurent, par suite, le fonctionnement
du noyau, partie la plus importante, sans doute, de
la cellule, sous le rapport de l'assimilation fonc-
tionnelle. Entre ces deux opinions, il paraît de plus
en plus difficile d'hésiter et, tout dernièrement, à la
Société de biologie, Linossier reconnaissait que les
réactions des vitamines prouvent que ce sont non
pas des ferments, mais des aliments spéciaux, défi-
nis, agissant à doses presque infinitésimales. C'est
cette action à doses très faibles qui est l'argument
principal de ceux qui veulent ne voir dans les vita-
mines que des diaslases. Mais les expériences de
Javillier, complétant celles de Raulin, sur le peni-
cillum, permettent de se rendre compte que des
corps chimiques simples peuvent avoir, en quantité
presque impondérable, une influence marquée sur
la nutrition et le développement.
Si l'on supprime le zinc du milieu nutritif du
penicillum, la végétation de celui-ci est modifiée;
or, il suffit de substituer au verre ordinaire du réci-
pient dans lequel se fait la culture du verre d'Iéna,
qui renferme un peu de zinc dans sa composition,
pour voir le penicillum prendre tout son dévelop-
pement. Assurément, les recherches de Funk, de
Suzuki, Shimamoura et Odake le prouvent, les vi-
tamines ne sont pas des combinaisons exclusive-
ment minérales. Mais rien n'empêche, chimique-
ment et biologiquement parlant, qu'une seule de
leurs molécules soit capable d'accrocher les groupe-
ments qu'une bonne nutrition doit opérer, et on
s'expliquerait ainsi, sans faire intervenir de phéno-
mènesoxydo-réducteurs, que quelques milligrammes
de vilamine soient capables de rétablir une nutri-
tion compromise. Comme nous l'indiquions en com-
mençant, c'est là un fait que la physiologie de
l'alimentation doit désormais enregistrer avec autant
de soin que la pathologie et qui, sans doute, en se
généralisant davantage, contribuera à nous débar-
rasser de la théorie des calories, qui a joué, dans les
vingt dernières années, un rôle des plus fâcheux
dans la diététique de l'homme sain et de l'homme
malade. — D^ J- Laumo.nikr.
BaucLrillart (Alfred), historien français, rec-
teur de l'Institut catholique de Paris, né dans cette
ville le 6 janvier 1859. Kils de l'économiste Henri
Baudrillart, qui professa au Collège de France et
fut membre de l'Académie des sciences morales et
politiques, le nouvel académicien trouve dans sa
famille une assez longue tradition académique : son
arrièie-grand-père, l'orientaliste Silvestie de Saci,
fut secrétaire perpétuel de l'Académie des inscrip-
tions et belles-lettres, et son grand-père, Silvestre
de Saci, siégea & l'Académie française.
Après de solides et brillantes études à l'école
Hossuet que venait d'ouvrir l'abbé Thenon, ancien
normiilien, et au lycée Louis-le-Grand, où il rem-
porta en 4' le premier prix d'histoire au concours
général, Alfred Baudrillart entra à l'Ecole normale
supérieure en 1878. II en sortit en 1881 avec le titre
d'agrégé d'histoire, alla professer aux lycées de
Laval et de Caen, puis fut appelé en 1883 au collège
Stanislas, à Paris ; il débutait la même année
comme maître de conférences à l'Institut catholique.
Msr Baudrillart
LAROUSSE MENSUEL
De celle époque datent ses premiers travaux : un
Cours d'hislotre à l'usage des écoles primaires en
3 vol. (1884-1887) et une étude sur la Politique de
Henri IV en Allemagne (188,5). En 1886, le jeune
professeur fut chargé par le ministère de l'instruction
publique d'aller dépouiller les archives d'Alcala de
Hénarès et de Simancas, en Espagne. Il y séjourna
deux ans et en rapporta les éléments de sa thèse
de doctorat, qu'il passa en 1890. Sa thèse latine
traitait De cardinalis Quirini vila et operibus; sa
thèse française inaugurait la série de ses remar-
quables travaux sur Philippe V et la Cour de
France. Alfred Baudrillart avait alors trente et un
ans; il avait fourni déjà dans l'Université une
carrière rapide et brillante, pleine encore de pro-
messes. Mais, depuis plusieurs années — dès l'âge
de dix-sept ans — il se sentait attiré vers la vie
religieuse. Cette sorte d'apostolat intellectuel qu'un
mailre exerce sur ses élèves ne lui suffisait point :
il rêvait d'une action plus directe et plus complète
sur les âmes. « Servir Dieu et les âmes », telle était,
de son propre aveu, son ambition.
Longtemps retenu par scrupule filial, il céda enfin
à sa vocation. Ce n'était pas le premier normalien
qui se donnât à l'Eglise. Faut-il croire, comme le
disait un des directeurs de l'Ecole, que le séminaire
laïque de la rue d'Ulm est, de tous les milieux, le
plus favorable à
la formation des
prêtres qui con-
viennent à notre
temps? En un
siècle, vingt-sept
normaliens se
sont voués au sa-
cerdoce. Comme
son illustre pré-
décesseur, le car-
dinal Perraud,
Alfred Baudril-
lart entra à l'Ora-
toire, trouvant
dans l'esprit de
cette congréga-
tion vouée à la
prédication et à
l'étude, « associa-
tion libre d'hom-
mes habitués aux recherches de l'érudition », la
satisfaction de ses aspirations religieuses et de sou
activité intellectuelle. Ordonné prêtre en 1893, il
voulut approfondir la doctrine catholique : l'ancien
firofesseur de lettres revint, comme étudiant, suivie
es cours de la Faculté de théologie et, en 1895,
il obtint le grade de docteur, avec une thèse —
d'un caractère plutôt historique — qui recherchait
Cotnmenl et pourquoi la Fratice est restée catho-
lique au XVl" siècle. Professeur à l'école Mas-
sillon, l'abbé Baudrillart avait repris dès 1894 sa
chaire d'histoire à l'Institut catholique, où il pro-
fessa sans interruption pendant treize ans, parta-
geant son temps entre son enseignement, ses tra-
vaux personnels et la direction — de concert avec
l'abbé Thédenat — de la maison d'études de
l'Oratoire. En 1907, il fut nommé recteur de l'Insti-
tut catholique, en remplacement de M«' Péchenard,
appelé à l'évêché de Soissons. Celte même année,
M»' Baudrillart recevait la dignité de prélat de la
maison du pape ; il est, en outre, depuis 1908, vicaire
général de l'archevêque de Paris.
Pendant ses onze années de rectorat, l'activité de
M»' Baudrillart a été considérable. Pénétré de cette
idée que « l'on ne peut conserver la direction des
âmes quand on a perdu celle des esprits » et re-
marquant judicieusement que, « partout où la reli-
gion a perdu contact avec la vie intellectuelle d'une
nation, elle n'a gardé d'empire que sur le peuple et
elle ne le gardera qu'autant que le peuple végétera
dans l'ignorance », M»' Baudrillart a entrepris de
faire cesser l'antagonisme si souvent proclamé de
la science et de la foi. 11 a doté l'Institut cattjolique
de cours multiples sur l'apologétique, l'histoire de
l'Eglise, l'histoire des origines chrétiennes, l'his-
toire des religions, l'histoire de la Hévolution fran-
çaise, etc. S'il n'a pas été le promoteur de ce grand
mouvement de rénovation intellectuelle du clergé
français, dont les origines remontent à Lamennais,
du moins, Ms» Baudrillart peut-il être compté, après
les Dupanloiip, les d'Hulst, les Perraud, parmi les
plus actifs ouvriers de ce mouvement. Convaincu
que la n prédication ne suffit pas aux chrétiens
éclairés d'aujourd'hui », il se refuse à croire « que
l'avenir soit dans un retour aux méthodes du passé,
qui étaient trop souvent des méthodes d'à peu près » ;
il le place plutôt « dans un sain usage des méthodes
scientifiques ». On sent que de son passage à l'Ecole
normale et dans l'Université il a gardé le goût de
la libre discussion, qu'il considère comme « la con-
dition sine qua non de la vie intellectuelle ». Aussi,
s'il estime « qu'il est indispensable de réagir contre
des tendances dangereuses pour l'intégrité de la
foi », s'il condamne formellement le modernisme
et s'il se refuse à tout compromis qui affaiblirait
l'autorité doctrinale de l'Eglise, il n'en demeure
795
pas moins persuadé « que le travail d'adaptation
scientifique et critique accompli par les catholiques
dans les cinquante dernières années était nécessaire
et qu'il est bon dans son ensemble ».
Lui-même, d'ailleurs, a prêché d'exemple en pour-
suivant ses travaux historiques. Une minutieuse
bibliographie, dressée par rabt>é Corbierre, signale
près de trois cents articles, publiés par M»* Bau-
drillart dans différents périodiques, tels que le
« Correspondant », la « Revue hebdomadaire », la
« Revue des questions historiques », la « Revue de
l'Institut catholique », la « Revue d apologétique ■
qu'il a fondée, et le « Bulletin critique », dont il
lut longtemps le secrétaire et le directeur. On lui
doit aussi plusieurs Cours d'histoire à l'usage des
classes. Mais le principal titre de M'' Baudrillart
est son important ouvrage sur Philippe V et la Cour
de France, en cinq volumes (1890-1900). Il avait en
l'heureuse fortune de découvrir aux archives d'Al-
cala de Hénarès les papiers privés de Philippe 'V,
ignorés jusqu'alors ; en s'aidant de ces précieux
documents, complétés par un minutieux dépouille-
ment des archives officielles de Simancas et de celles
de nos Affaires étrangères. M»* Baudrillart s'est
appliqué à raconter les relations des deux cours
d'Espagne et de France, de 1700 à 1748. Mais son
travail a, en réalité, une portée plus grande que ne
l'indique le titre; reléguant assez vite au second
plan son héros, Philippe 'V, ce fantôme de roi, qui
resta toute sa vie un enfant paresseux, sensuel et
dévot, et dont Alberoni disait : « Avec un prie-Dieu
et une femme, il oubliait l'existence du monde exté-
rieur », M»' Baudrillart a retracé l'histoire de l'éta-
blissement des Bourbons en Espagne et en Italie
et de « leurs efforts, tant de fois traversés, pour
unir étroitement les diverses branches de leur fa-
mille ». Suivant la bonne méthode historique, l'au-
teur a fait la part la plus large aux documents con-
temporains; il les unit à la trame de son récit et
en tire des conclusions générales. 11 a écrit ainsi,
dans une langue nette et claire, une œuvre solide,
un peu compacte, sans doute, mais qui, par l'abon-
dance de la documentation et la précision de l'ex-
posé, a une valeur définitive. Dans le même ordre
d'idées, M«' Baudrillart a publié, en collaboration
avec Leceslre, les Lettres du duc de Bourgogne
au roi d'Espagne Philippe V et à la reine (2 vol.,
1912-1916), qu'il a accompagnées d'une introduction
où il analyse cette correspondance et en dégage un
portrait très fouillé du duc de Bourgogne, médiocre
général, mais époux affectueux, frère dévoué et
prince pénétré d une haute idée du métier de roi.
Toutefois, ces travaux de pure érudition s'accor-
dent mal avec les préoccupations plus actuelles du
recteur de l'Institut catholique et aussi, il faut bien
le dire, avec son humeur combative. Faire de l'his-
toire, soit ; mais à condition de tirer de l'histoire
un enseignement pour le présent et d'y trouver des
arguments pour la défense de la foi et de l'Eglise.
<c C'est dans l'histoire, a-t-il dit, que nous devons
chercher la solution des difficultés actuelles, non
pas pour l'emprunter telle quelle au passé, mais
pour la choisir conforme à ce qui, de notre passé,
vit encore dans notre présent et le détermine ».
C'est dans cet esprit que M^ Baudrillart a publié en
1904 l'Eglise catholique, la Renaissance, le Pro-
teslantisme ; en 1905, au moment de la discussion
de la loi de séparation. Quatre cents aris de concor-
dat, où il se déclare nettement contre la sépara-
tion des Eglises et de l'Etat; en 1910, l'Enseigne-
ment catholique dans la France contemporaine,
recueil d'études et de discours, où il « remet en
lumière quelques idées et quelques figures qui
rendent sensibles aux amis et aux ennemis ce que,
dans l'enseignement public et privé, les catholiques
du xix« siècle ont voulu et ce qu'ils ont fait ». On y
peut joindre la Vie de IW d'Hulst (2 vol., 1912-
1914), longue biographie, ou l'auteur, avec une
admiration fervente, s'attache surtout à retracer
l'apostolat intellectuel de ce prélat, qui disait jus-
tement : « Ou la science se mettra d'accord avec
la foi, ou la foi périra. » Tous ces ouvrages, où la
polémique tient autant de place que l'histoire, mon-
trent combien M<^ Baudrillart a été intimement
mêlé au mouvement catholique de ces dernières
années, quand il ne l'a pas dirigé. Profondément
respectueux de l'orthodoxie, qu'il concilie, d'ailleurs,
avec une largeur de vues indéniable, il a toujours
fidèlement servi la politique pontificale, celle de
Léon XllI comme celle de Pie X. Il semble bien,
cependant, que ses préférences aillent à cette der-
nière. L'intransigeance est une attitude qui convient
a la fermeté de sa doctrine, et la lutte n est pas non
plus pour déplaire à son tempérament. Très jaloux
des prérogatives de l'Eglise et de ses droits, surtout
en matière d'enseignement, il s'est fait à maintes
reprises le porte-parole des revendications catho-
liques. Son éloquence est celle d'un homme habitué
à manier les textes, à en éplucher le contenu : elle
est précise, sans ornements inutiles, d'une argu-
mentation serrée, recourant volontiers au témoi-
gnage de l'histoire et empruntant toute sa chaleur
et sa force non à l'artifice des phrases, mais à la
conviction même de la pensée.
706
Chacun l'a pu voir, d'aillears, lorsque la guerre a
Iranslorjné M»' Baudrillart en un des plus aidimls
propagandistes de la cause française à rélr.iuger.
Très vite il s'était rendu compte que l'Allemagne
tirait avantage auprès des neutres de nos anciennes
dissensions religieuses : nul autre n'était plus qua-
lifié que M»' Baudrillart pour répondre aux men-
songes et aux calomnies, colportés par la propa-
gande allemande parmi les nations catholiques et
firincipiilementl'Espagne. En février 1915, if fonda
e Comité catholique de propagande française à
l'élrangei; qui combattit activement par le livre,
le journal, la conférence. La GuetTe allemande et
le Catholicisme (1915), V Allemagne et les Alliés
devant la conscience chrétienne (1915), la France,
les Catholiques et la GueiTe (1916), ouvrages rédigés
par M»' Baudrillart ou publiés sous sa direction,
eurent au dehors un retentissement considérable. Le
premier, surtout, qui dénonçait l'esprit foncière-
ment irréligieux de la culture germanique et l'achar-
nement systématique des armées allemandes contre
les églises et les prêtres, déchaîna outje-Rbin de
violentes colères : les évêques allemands essayèrent
même d'obtenir contre le livre et son principal
auteur une condamnation de Rome. Cependant,
l'actif directeur de la propagande catholique ne s'en
tint pas là : en 1916, il entreprit en Espagne et en
Amérique une tournée de conférences qui nous
rallièrent surtout, parmi la population espagnole,
nombre de sympathies jusque-là réservées à nos
adversaires. Les résullats de cet effort sont consi-
gnés dans le volume intitulé : une Campagne
française (1917).
V'aisant l'éloge de M»* d'Hulst, M»' Baudrillart
saluait en lui « l'homme de qui la foi fut au-dessus
de tous les doutes, l'intelligence à la hauleur de
toutes les idées ». On pourrait sans exagération
adresser le même compliment à celui qui, en 1901,
prononçait ces paroles et qui, par sa culture
comme par ses fonctions, est certainement, à l'heure
actuelle, un des personnages les plus représentatifs
du clergé français. — F. GniRiHo.
Soïto (Arrigo), poète, librettiste et compositeur
italien, né à Padoue le 22 février 1842; mort à Mi-
lan, dans une clinique, le 10 juin 1918. Il était le
fils d'un miniaturiste de Bellune, Silvestre Bo'fto, et
d'une Polonaise, la comtesse Joséphine Radolinska.
Son frère aîné, Camillo (mort en 1914 (v. Larousse
Mensuel, t. III, p. 213), a été un architecte très
remarquable. A onze ans, Arrigo entra au Conser-
vatoire de Milan, où il eut pour maîtres Mazuchato
et Roncbetti. En collaboration avec son camarade
Paccio, il composa deux cantates patriotiques. Pourvu
d'une bourse de voyage, il se rendit à Paris, où il fit
la connaissance de 'Verdi, de Rossini et de Berlioz.
11 visita aussi la Pologne, pays de sa mère, et l'Alle-
magne, où il fut initié à la musique de Richard "Wa-
gner. De retour à Milan, il collabora au Pungolo
(l'Aiguillon) et au Museo di famiglia. Ce n'étaient pas
là ses débuts d'écrivain : il avait toujours mené de
front l'étude des lettres et celle de la musique. Il
avait composé des vers. En collaboration avec le
poète Emilio Praga, il écrit une comédie : le Madri
galanti, qui, jouée en 1864 au théâtre Carignano,
de Turin, y obtient peu de succès. En 18(i6, Boïto
s'engage dans la légion de volonlaires queGaribaldi
conduit dans le Trentin contre les Autrichiens.
Quand il se retrouve à Milan, il achève l'œu-
vre à laquelle, depuis longtemps, il songeait, et, le
5 mars 1868 (il avait alors vingt-six ans), il fait re-
présenter, à la Scala de Milan, un opéra, dont il était
à la fois le librettiste et le compositeur : Mefisto-
fele. Ce fut un échec complet. Boïto ne se décou-
ragea point. Il reprit son œuvre, la remania, adoucit
quelques aspérités, supprimt quelques développe-
ments, trop littéraires pour une œuvre musicale.
Présentée sous cette nouvelle forme au Théâtre
communal de Bologne, le 4 octobre 1875, l'œuvre
conquit un succès qui ne devait plus se démentir.
Mefistofele fut représenté, à Hambourg, en 1880;
puis, en France, au théâtre d'Orange, le 6 août 1905
(en italien). Chaliapine, puissant et dramatique dans
le rôle de Mefislol'ele, Lina Cavalieri, belle et tou-
chante dans le rôle de Marguerite, recueillirent les
applaudissements de 10.000 spectateurs. Mefisfofele
fut encore joué, en représentation extraordinaire,
au théâtre de la Gaité, à Paris, le 17 février 1910, avec
M°" Calvé, dans le rôle de Marguerite. Il en existe
une version française, par Paul Milliet.
Comme la Damnation de Berlioz, on le Faust de
Gounod, le Mefistofele de Boïto est tiré de Gœthe.
Mais le choix, la disposition, l'interprétation des
scènes sont très différents. A l'exemple de Gœthe,
Boïto a fait précéder son œuvre d'un prologue, qui
se passe dans le Ciel : les phalanges célestes chan-
tent la gloire de Dieu; Méphistophélès critique la
création; le Ciel lui permet de tenter Faust; le
chœur des Enfants bienheureux et le chœur des Pé-
nitentes sur la terre terminent le prologue. Le drame
proprement dit se compose de deux parties. La pre-
mière, comme les œuvres de Berlioz et de Gounod,
est empruntée au premier Faust de Gœthe. On y
voit, le dimanche des Rameaux, la fête populaire et
Arrigo Boïto.
LARoussn: mensuel
le pacte de Faust avec Méphislo (acte 1); puis, le
jardin de Marguerite et la nuit du Sabbat roman-
tique sur le Biocken (acte II); enfin, la scène de la
prison et la mort de Marguerite (acte 111)
La seconde partie, tirée du second Faust, n'a son
équivalent ni chez Berlioz, ni chez Gounod. Elle
comprend la nuit du Sabbat classique, où Hélène
de Troie apparaît à Faust, qui lui adresse un hymne
d'adoration (,%cle IW], et l'Epilogue où Faust, après
avoir célébré l'action bienfaisante et civilisatrice de
riiomme, échappe aux dernières tentations du Malin
et meurt pardonné.
Librettiste et musicien. Boïto a essayé, dans la
me.-ure du possible, d'exprimer en un opéra les
aspects multiples et variés du drame de Gœthe tout
entier. Il l'a lait en poète, qui en a su pénétrer le
sens profond. Ceraccourcissementobligéa pu accen-
tuer certains contrastes : mais l'étrange était de l'es-
sence même du sujet. Le caractère fantastique et le
filus souvent infernal des scènes comportait, dans
e livret comme dans la musiciue, particulièrement
dans les chœurs, des effets un peu exceptionnels.
Boïto, dans l'ensemble, a conduit son œuvre avec
une verve ardente et dramatique. 11 a subi l'in-
fluence de "Wagner, surtout du "Wagner continua-
teur de "Welier et auteur de TannIUiuser et de Lo-
hengrin. Les accords célestes du prélude font, dès
le début, penser
au prélude même
de Lohengrin.
Mais il n'a pas
perdu, pour cela,
ses caractères
d'italien, de ro-
mantique italien.
11 a, chaque fois
que c'en était le
lieu, introduit
dans son œuvre
des mélodies
d'un charme pé-
nétrant et poéti-
que. 11 suint de
rappeler, au pre-
mieracte, la belle
invocation de
Faust à la nature;
au deuxième, le
duo de Faust et
de Marguerite, dans le jardin; au troisième, la
plainte triste et poignante de Marguerite dans sa
prison; au quatrième, le duo de Faust et d'Hélène;
enfin, dans l'Epilogue, l'hymne ample et noble où
Faust chante les destins de l'humanité.
Dans lee années qui suivent, c'est, au moins en
apparence, le poète et le librettiste qui l'emportent
sur le compositeur. Poète lyrique ou épique, Boïto a
réuni ses vers dans son Ltbro dei versi (1877), au-
quel il faut joindie le Roi Orso. Librettiste, il
écrit un Amleto, dont son ami Paccio compose la
musique et qui est représenté, le 9 février 1861, à
la Scala de Milan, avec un médiocre succès; une
traduction italienne du Bienzi de R. "Wagner; une
Gioconda, livret en 4 actes, d'un romantisme som-
bre (sous le pseudonyme de Tobia Gorrio), mis eu
musique par Amilcare Ponchielli et représenté à la
Scala, le 8 avril 1876; Ero e Leandro, musique de
Botlesini (Théâtre royal de Turin, 11 janvierl879).
Citons encore : une version italienne du Tristan et
Iseult de R. 'Wagner et un Pier Luigi Farnese,
musique de Palumbo (1891).
Mais le nom d'Arrigo Boïto est inséparable de ce-
lui de "Verdi. Déjà, en 1862, il avait composé pour
lui les paroles de l'/nno délie Nazioni, exécuté à
l'Exposition universelle de Londres. Lorsque, après
un silence de seize années, l'auteur d'Aïda reparut
à la scène, il demanda à Boïto le livret d'une œu-
vre nouvelle. Otello, opéra sérieux en quatre actes,
fut représenté à la Scala de Milan, le 5 février 1887.
C'est un métier ingrat de tirer d'un chef-d'œuvre litté-
raire un livret d'opéra. Passionné pour Shakespeare,
Boïto s'acquitta fort habilement de sa tâche. Il dut
opérer de larges coupures. Il supprime tout le pre-
mier acte de Shakespeare et commence son drame
par la tempête. Il simplifie un peu trop l'intrigue
du mouchoir, ce qui a pour effet d'en laisser cer-
taines parties inexpliquées. 11 a su, néanmoins,
ordonner un drame mouvementé et pathétique, et
il a eu sa part légitime au succès de l'œuvre, qui
fut éclatant. Boïto a collaboré, avec Camille du Lo-
cle, à la version française de son œuvre, pour la re-
présentation, à l'Opéra de Paris, qui eut lieu le
12 octobre 1894.
C'est encore à Shakespeare que Boïto emprunta
le livret sur lequel 'Verdi devait composer sa der-
nière œuvre dramatique. Falstaff, comédie lyrique
en 3 actes et 6 tableaux, représentée à la Scala de
Milan le 9 février 1893, était tiré des Joi/euses
Commères de Windsor, avec quelques traits pris
dans les deux parties de Henri IV, où le joyeux
et cynique gentilhomme joue aussi un rôle impor-
tant. Là encore, conformément aux nécessités d'une
œuvre musicale, Boïto abrège et simplifie. Des trois
aventures où Falstaff se fait berner par Mrs Ford et
N' 148- Juin 1919-
Mrs Page, il supprime la seconde, où sir John se
dissimule sous des habits de femme. Suivant le
système wagnérien, adopté par "Verdi dans ses der-
nières œuvres, les scènes sont enchaînées sans lais-
ser de place à des morceaux proprement dits. Le
livret de Boïto, tout en restant fidèle à Shakespeare,
est heureusement approprié à la musique, vive et
spirituelle, où le vieux maestro manifestait une
nouvelle jeunesse Comme pour Otello, Boïto colla-
bora à la version française qui lut faite de son
œuvre par Paul Solanges, pour la représentation du
18 avril 1894, à l'Opéra-Comique de ï-aris.
Librettiste et, comme il le disait lui-même, <• fidèle
serviteur » de "Verdi, Boïto avait-il renoncé à com-
poser pour son propre compte? Ses amis savaient
qu'il n'en était rien. Pendant près d'un demi-siècle,
il n'a cessé de travailler amoureusement à son
Nerone, dont il a publié le libretto en 1902, mais
dont il a toujours refusé de communiquer la parti-
lion demeurée manuscrite, sauf, peut-être, partielle-
ment, à quelques vieux amis : œuvre dont la valeur
est le secret de l'avenir.
Le 17 mars 1912, Boïto, membre de la Reale
Accademia de Naples, fut nommé sénateur.
Arrigo Boïto est une figure sympathique. Modeste,
discret, réservé, il vivait fort retiré, soit dans sa
maison de la "Via Principe Amedeo à Milan, soit
dans sa villa de Sermionc, sur le lac de Garde.
Mais, dans cette retraite, il menait une vie intellec-
tuelle et artistique intense, car il a eu véritable-
ment le culte de l'art. Camille Bellaigue a publié
(« Revue des Deux Mondes » du 15 août 1918) des
lettres qui lui furent adressées par Boïto et qui font
bien connaître cette âme délicate et passionnée, en-
thousiaste et scrupuleuse, ouverte à toutes les
nouveautés et fidèle à ses grandes admirations :
Dante, Palestrina, Bach, Beethoven, Shakespeare,
Verdi. Dans cette correspondance, Boïto précise
son jugement final sur "Wagner :
Il sera donc dit que ce créateur tudesque, adorable et
odieux, nous reviendra toujours à l'esprit toutes les fois
que nous serons au contact des grandes sérénités ou des
spasmes de la nature ou du cœur. Hybride, monstrueux,
moitié homme, moitié brute, faune, satyre, centaure ou
triton, ou bien plutôt moitié dieu, moitié &ne, Dionysius
par le délire divin de l'inspiration, Bottom par l'opiniâtreté
stupide, nous ne l'aimerons jamais tout entier. Mais, si
nous oublions son train de derrière, lourd, tardif et récal-
citrant, et si nous ne regardons que le buste, c'est à ge-
noux qu'il faut le contempler. Comme harmoniste, à part
telle ou telle ruade asinine, je l'admire sans réserve. Il a
possédé le monde harmonique et métaboliijue tout entier,
dont on n'avait conquis, avant lui, qu'un seul hémisphère.
Boïto avait toujours été fort attaché à la France.
La guerre ne fit qu'accroître cette affection. 11 écrivait:
Je maudis l'infâme assassin do millions d'hommes, qui,
l'ayant préparée depuis trente ans, a déchaîné cette
guerre. Avec Caïn et Judas, il est le plus grand criminel
de l'humanité et, pour comble d'ironie ou de stupide
inconscience, il se croit un envoyé de Dieu!
Enfin, trois semaines avant sa mort, il envoyait
ce court billet : « Mon très cher, merci pour les
demandes anxieuses; mais, avant toute chose, je
m'agenouille devant la France. » — Jean Bo»ci.«re.
Botanique. {Elymologies botaniques.) On a
fait souvent procès à la botanique pour ses termes
techniques, empruntés au grec et au latin, oubliant
trop que, pour des chosesinconnues auparavant, il faut
bien forger des noms nouveaux. Toutes les plantes
ne peuvent s'appeler chou, betterave, oignon.
D'ailleurs, la nécessité des termes techniques est
tellement absolue que nulle science n'a pu s'y
soustraire : minéralogie, géolosie, zoologie ont
leurs substantifs savants pour désigner des objets
inconnus du vulgaire. La mécanique, les métiers
un peu spéciaux même ont des appellations inusitées
de la plupart des hommes pour désigner des appa-
reils, des machines, des organes, des outils qui ne
sont pas d'un usage courant. A la longue, l'usage
a rendu ces noms très acceptables à l'œil quand
ils sont écrits, à l'oreille quand ils sont prononcés.
11 en est de même des noms de plantes qui ont
acquis droit de cité. On dit sans s'ofi'usquer : des
fuchsia, àesgeranium, des reseda, et même dahlia,
aspidistra. Avec l'usage, tout devient familier.
Mais les noms scientifiques en général, les
termes botaniques en particulier, sont extiêmemeut
nombreux... C'est que les plantes aussi sont presque
innombrables : 9.000 genres et plus ; 125.000 espèces.
Il est difficile de retenir tous ces termes savants,
même si, n'étant pas botaniste, mais médecin, hor-
ticulteur, jardinier, l'on ne doit se préoccuper que
d'une faible partie du monde végélaf. 11 y a, cepen-
dant, un moyen de venir en aide à la mémoire ;
ce moyen, c'est l'étymologie raisonnée avec la for-
mation des mots, leurs oripines, leur histoire, leurs
vicissitudes, leur imprévu, leur fantaisie. Cette
science spéciale doit être d'un grand avantage en
botanique, où il y a tant de mots à retenir, par con-
séquent à comprendre.
Supposons un botaniste, nn chercheur, élaborant
la flore d'une contrée peu connue, l'Indochine par
exemple. Il vient de travailler une plante, de l'ob-
server dans tous ses organes; il la connaît doDO
L
«• 748. Juin 1919.
bien ; mais cela ne suffit pas pour en parler; il faut
lui donner un nom. De deux choses l'une ou bien
elle est commune à l'Indochine et à une des flores
circonvoisines, et elle a des chances d'être déjà
nommée, donc connue des botanistes; ou bien elle
est étudiée pour la première fois, aucun savant ne
l'a observée, nommée, ni l'ait connaître. Suivons
les opérations de ce botaniste, et nous assisterons
en quelque sorte à la naissance d'un nom, à son
étymologie. L'idée qui vient à notre savant, c'est de
donner à son genre nouveau le nom de celui qui
la découvert, alin de le récompenser des peines qu'il
s'est données et des dangers qu'il a affrontés dans
son métier de pionnier de la botanique. Impossible,
on lui a déjà dédié un genre 1 Le botaniste donnera
donc à sa nouveauté le nom de son pays d'origine ;
mais c'est, je suppose, Xieng-Koiiang, dans le Laos.
Que voilà des mots mal euphoniques 1 II cherche
ailleurs. Les caractères des feuilles, des fleurs expri-
més en grec ne Ini donnent rien d'acceptable ; puis,
danssescombinaisons, il estcontentd'avoir fait pho-
nétiquement deux trouvailles heureuses. Pas de
chance I l'une et l'autre sont déjà employées à dési-
gner deux plantes depuis longtemps connues. S'il
donnait à la plante le nom d'un botaniste qui a bien
mérité de la flore et de l'Indochine? Pierre, par
exemple. Bon ! il y a déjà le genre Pierrea. Ouvrons
le dictionnaire grec et traduisons en grec un carac-
tère très remarquable, très curieux de sa graine. Elle
est en forme dun animal bizarre : un pou, avec un
corps ramassé, des pattes. C'est tout à fait cela!
cpOétp, çOEipiç, pou et sTrépaa, graine. Phtheiro-
spermum, voilà ! Le malheur, c'est que Bunge, bota-
niste russe, en 1835, a déjà appelé de ce nom une
plante de Sibérie, de Chine, appartenant à la famille
des scrofulariacées et voisine des pédicnlaires (lat.
pediculus, pou). Mais il tient à ce caractère bizarre
de la graine, et notre botaniste sera peut-être plus
heureux en adoptant le terme acareosperma (du gr.
'axxpi, "oocapewç, ciron, mite, acarien).
Aux prises avec tant de difficultés, ce n'est pas
toujours heureusement que le botaniste réussit. Aussi
certains noms de plantes sont-ils d'une fantaisie ex-
traordinaire. N'importe I si le nom n'est pas trop long,
trop dur à l'oreille ou à la langue. Nous avons déjà
signalé quelques catégories sous lesquelles se rangent
les étymologies botaniques : nom du découvreur, du
pays d'origine, d'un botaniste méritant; nom tiré du
grec ou du latin et rappelant nn caractère remar-
quable. 11 y a bien d'autres cas étymologiques : em-
prunts à la mythologie, à l'histoire, à la botanique
ancienne (grecque, latine, arabe), à une langue bar-
bare ou à un patois, à des usages médicaux, indus-
triels, etc. Parfois, le botaniste, situant son genre
auprès d'un autre, trouve pins facile d'adopter le
nrm de ce dernier en le modifiant dans sa termi-
naison ou en faisant danser sans ordre ses syllabes
ou ses lettres (anagramme), etc.
Des difficultés inhérentes à ces sortes de re-
cherches sont telles qu'un botaniste de quelque expé-
rience et doué de quelque sagacité y réussira mieux
qu'un étymologiste de profession. Et d'abord :
1» 11 n'y a aucun ouvrage d ensemble, assez récent
pour être complet, traitant de cette matière ;
2° Ceux qui existent ne comportent souvent qu'une
érudition de seconde main, donc sujette à caution.
II faut, en effet — c'est une règle absolue — tou-
jours remonter à la source, si l'on veut avoir toutes
garanties de rencontrer la vérité étymologique ; et,
par soîtrce, il faut
entendre la des-
cription princeps
du genre où l'au-
teur a créé son
nom, l'a forgé de
toutes pièces et
où, peut-être, il a
donné les raisons
pour lesquelles il
a préféré ce nom
à tout autre. Or,
ce principe ab-
solu admis, les
difficultés com-
mencent:
l'Disposant
d'une biblio-
thèque spéciale et même de plusieurs, toutes très
importantes, comme sont celles du Muséum natio-
nal d'histoire naturelle de Paris, on est loin d'avoir
à sa disposition tous les ouvrages ou brochures
nécessaires. 11 faut donc écrire à l'étranger et se
faire copier des extraits ;
2° L'auteur du genre donne l'étymologie, mais, si
le nom est emprunté aux botanistes anciens, grecs
ou latins, on se trouve en pleine obscurité sans pou-
voir en sortir ;
:f° Si le genre est de Linné et s'il le tient des auteurs
firélinnéens, c'est toute une série de recherches à
aire parmi les ouvrages des x%i« et xvii' siècles;
4° Le plus .souvent, quand l'antenr ne donne pas
l'étymologie du genre qu'il vient de nommer, c est
par le texte qu'on la trouve à travers des descriptions
Pig. 1. Feuille de Baubinia.
LAROUSSE MENSUEL
latines et des termes désuets; d'où nécessité d'être
un botaniste et de connaître soi-inême la plante ou
quelque plante affine.
Il ne saurait être question, ici, de citer beaucoup
d'étymologies, mais il sera bon de présenter quel-
3 nés exemples bien choisis, curieux, typiques, qui
onneront uneidéedu puissant intérêt, des difficultés
qui s'attachent à ces recherches, en même temps que
des exemples seront puisés dans chaque catégorie.
On a vu plus haut qu'il faut remonter aux sources,
de toute nécessité. Pour le prouver, nous citerons
d'abord quelques étymologies trompeuses:
Adenia de l''(irskal, de la famille des passifloracées,
publié dans la Flora JE f/yptiaco- Arabica, p.77 (1775).
On supposerait vraisemblablement qu'il s'agit
d'une plante portant des glandes (àoTiv, à3ï)voç,
glande). Pas du tout, on trouve dans Forskal, p. CX et
p. 77 : « Elymologie : du nom vemaculaire atlen. »
Anguillaria de K. Brown, famille des liliacées, pu-
blié dans le ftorfromu«/?orée7iODas//o//.,p.273 (1810).
On pourrai t croire que le nom vien t du latin an^uî's,
serpent, anyuilln, petit serpent, d'on anguille, pois-
son. Un dessin (dans Gaertner, De fruclibus) montre
un embryon contourné en spirale, et cela ajoute à la
vraisemblance de celte étymologie risq.iée. Elle est
fausse, puisque R. Brown prend soin de nous dire
luimême,p.273:
"En mémoire de
Aloys Anguilla-
ria, professeur
de botanique à ^r~s-,»^> a ^rMU. t^ »_ '
Padoue, bota- ^S^é.^\ ^^^^^
niste émi nent
de son époque,
d'après le juge- Fig,
mentdeHaller.»
Dianihus de Linné, l'oeillet, famille des caryo-
phyllacées, publié dans les Gênera plantarum de
Liuné, n» 565 (1736).
Le chercheur croit être sûr de lui en disant : 8t;,
deux et "avOo;, fleur (qui porte deux fleurs),
comme le Diantkus prolifer L., par exemple. Mais
Linné lui donne un double démenti : 1" dans sa
Philosophia botanica, p. 177, car il écrit expres-
sément « Atoç, de Dieu, de Jupiter et âvOo;, fleur ■> ;
2» dans la Flora Lapponica, p. 133, où il est plus
explicite : « Gomme qui dirait fleur de Jupiter
ou fleur des dieux, à cause de l'odeur et de la couleur
remarquables de la fleur dans certaines espèces. »
Microtœna, genre de Prain, de la famille des
labiacées, publié dans les Icônes plantarum de
Hooker, pi. 1872, en 1889.
Voici ce qui se présente à l'esprit du chercheur
superficiel : micro, préfixe grec très employé, signi-
fiant « petit >i et Tatvt'a, terme grec, bien semblable au
lat. teîu'a, signifiant «bandelette». Les dictionnaires
grecs ne donnent rien demieux.Vadonc pour micro-
tœna, petite bandelette, petit ruban ! Mais, si l'on se
reporte à la pi. 1872 des Icônes, c'est-à-dire à la
source, on lit : « Raison étymologique : du nom de
Craniotome; lettres disposées par anagramme. »
Craniotome est un genre voisin.
Et nous n'avons cité que quelques exemples des
erreurs que l'on peut commettre en ne remontant
point aux sources.
DÉDICACES. — On peut deviner assez facilement à
qui sont dédiés les genres Jnssieua, Herschellia,
Copernicia, Thiersia, Torricetlia, Neirtonia, Bre-
monliera, Columbia et même Urvillea et Nicoliana ;
plus dilficilement la dédicace de Pe,'/rousea (le na-
vigateur), Hausmannia (de Haussmann, l'architecte
de la ville de Paris), mais voici Gustavia de Linné, une
myrtacée ou lécythidacée. C'est Linné fils qui prend
soin de nousdire, dans son Supp/emen/ujn. p. 51 (1781):
<i En mémoire du très puissant et très clément
Gustave III, notre roi, qui donna très gracieusement
la merveilleuse collection des plantes de l'Inde à
mon père. " Nous savons de manière indubitable
qu'il s'asjit du roi de Suède, qui régna de 1772 à 1792
et périt assassiné.
11 y a des dédicaces où le créateur a déformé le
nom de son personnage. Ainsi, Gi(n(/e//a h.« est pré-
féré, dit Linné dans sa Critica bolanica, p. 8S et
95, par euphonie, à Gundehkeimera ». Dès lors, nous
savons de qui il est question : c'est de Gundelsheimer
(André), médecin allemand très versé en archéologie
qui accompagna Tournefort dans son voyage en
Orient (1700-1702). Tournefort aimait, parait-il, à
abréger en Gundel le nom de son compagnon.
Herminiera, une légumineuse, est dédiée par
Guillemin et Perrottel,dans leur Florse Sener/alensis
Tenlamen (1830-1833), I. p. 201, « à Lherminier,
naturaliste très distingué de la Guadeloupe, qui a
enrichi le Muséum d'histoire naturelle de Paris
d'un grand nombre d'objets intéressants et, particu-
lièrement, de plantes des Antilles ».
Barleria de Linné, une acanthacée, « est préférée,
par euphonie, à Barrelieria », dit le créateur dans su
Critica botanica, pp. 88 et 91. Sans cette indication
concise, mais suffisante, qui donc aurait deviné
qu'il s'agissait de Barrelier (Jacques), dominicain,
né et mort à Paris (1606-1673), qui a écrit une Bis-
797
toire des plantes observées en France, Espagne et
Italie, publiée par Ant. de Jussieu en 1714 ?
MueÙerargia, de Cogniaux, est une cucurbi-
lacée, dédiée, dit son auteur, dans les Monographix
phanerogamarum (1881), III, p. 630 « à J. Mueller
d'Argovie. botaniste genevois ». On l'appelait .4 rjo-
viensis pour le distinguer des autres Mueller, bota-
nistes, qui sont légion. Un
autre botaniste, Pax, devait
récemment créer un genre
A rgomuellera.
Aublet, dans ses Plantes
de la Guiane française, s
fait un genre Bertiera, I,
p. 180 (1775), sansdire quelle
personne il voulait immor-
taliser. Mais une dameBer-
tier demeurait à Aroura, en
Guyane, comme on l'ap-
prend en compulsant l'ou-
vrage d'Aublet, où elle est
citée çà et là, à propos d'un
genre ou d'un autre. Sans
doute, le Bertiera est dédié
à cette dame Bertier, mais
pourquoi Aublet n'en dit-il
rien?...
Voici deux genres biato-
ri<|ues : Carlina L. n'est pas
dédié à un Carlin,
s'il en existe, ou
même à un vul-
gaire Charles.
«Tiré du nom d'un
nsea. roi » , dit Linné
[Philosopliia bo-
lanica (1751), p. 171]; « Charles V le Grand, empe-
reur d'Allemagne », complète-t-il dans sa Critica
botanica (1737), p. 76. Mais voici venir le grand
botaniste Ray (Rajus), l'Anglais, qui nous dit dans
son Historia plantarum (1686), p. 288 : « Cette
plante a été dédiée à Charles le Grand, empereur;
il en a utilisé les racines contre la peste qui conta-
minait son armée. » Un effort de mémoire, et l'on
se rappelle le siège de Metz, si vaillamment défen-
due par le duc de Guise en 1553.
Eugenia Linné, une myrtacée, aurait-il été dédié
galamment à une Eugénie? Point. » Dédié à un
prince », dit Linné dans sa Phil. bot., p. 171 :
« Eugène, prince de Savoie-Carignan », précise-t-il
dans la Crit. bot., p. 76. Mais, alors, c'est du fameux
prince Eugène qu'il s'agit, celui
qui, dédaigné de Louis XIV, a
su battre ses armées dans la
guerre de succession d'Espagne,
à Oudenarde et Malplaquet.
Comme si ce n'était assez de
ce double témoignage, voici
celui de Candolle {Mémoire sur
les myrtacées, p. 24) : <• Genre
établi par Micheli, en 1729, sur
une espèce qui porte aujour-
d'hui le nom à'Eugenia Miche-
lii. Le nom générique est des-
tiné à rappeler celui du prince
Eugène de Savoie, qui se dé-
lassait de SCS occupations mili-
taires par le soin de ses jardins
et qui avait donné à Micheli
toutes les plantes d'Allemagne
décrites par Clnsius. »
Voici une bien jolie dédicace
présentée par le genre Bauhinia
Linné, famille des légumineu-
ses : Il Du nom des botanistes »,
dit Linné dans sa Phil. bol.,
p. 172. Il Banhinia est à feuilles
bilol>éesou à deux
folioles presque
nées de la même
base, comme est
la noble paire des F'ï- '■ Andromeda.
frères Bauhin »,
dit encore Linné dans la Critica botanica. p. 79
et 91. Jean Bauhin (1541-1613) et Caspar Bauhin
(1550-1624) ont été inséparables dans leurs beaux
travaux : la feuille des Bauhinia en est une élé-
gante image {fig. 1).
Goûtez cette tonte charmante et toute modeste
appréciation de Liuné par lui-même à propos du
genre Linnsea.de la famille des caprifoliacées [ftg. 2 > :
■I Dédié à Linnœus Car., Suédois qui florissait en
1732 " (Linné lui-même, dans la Critica botanica.
p. 93). « Ce genre est fait par Gronovius sur une
plante de Suède, petite, vile, négligeable, fleurissant
dans un temps très court. Il en est de même de
Linné >. Et cela est signé de Linné lui-même, dans
le même ouvrage, p. 81. Charmante modestie du
plus génial des botanistes I
Deux dédicaces de Bâillon, pour finir : la pre-
mière, Dedea major, dans VAdansonia, XII, p. 339
(1876-1879); laseconde, Marcellia mirabilis, dans le
Bulletin delà Société linnéenne de Paris (6 oct. 1886,
798
p. 625): Délié, c'est André, son fils aîné (major);
Marcelle, c'est sa petite f\\\e {mirabilis, admirable).
C'est la tradition conservée au IVIuséum qui explique
ces dédicaces.
Nous terminons par l'extraordinaire dédicace que
voici : Didiciea doit rappeler le D"'Gunningham {?!).
Personne ne trouverait l'étymologie sans l'explica-
tion des auteurs du genre, King et Pantling, deux
Anglais : « Le genre (d'orchidées) est dédié à son
collecteur, le D' D. D. Cunningham, de la Société
royale de Londres, légionnaire de l'ordre impérial
de l'Inde, et les consonnes dans le nom proposé
pour lui sont dérivées des initiales. » Les con-
soimes initiales sont D. D. C. En anglais, cela
se prononce Di di ci : Didiciea. Mais qui aurait
Fig. 4. Passiflore (Heur et coupe).
trouvé cette étymologie fantaisiste sans remonter
aux sources ?
Anagrammes. — Deux genres déjà cités : Micro-
teena, venant de Craniotome, genre voisin, e\,Argo-
muellera, venant de Mueller Argovieiisis, l)otaniste,
sont des anagrammes. Il y en a des multitudes
d'autres, au moins aussiimprévus : Anogra de Spach,
genre voisin de Onagra, une œnothéracée; Gura-
nia de Cogniaux, voisin de Anguria, une cucurbi-
tacée; Mirlana de Pierre, voisin de Anamirla, une
ménispermacée; Vausagesia de Bâillon, qui a le port
d'un Sauvagesia; Obhea de Hooker, comparable à
Bobea; Phitopis du même, comparable h. HIppotis;
Rapona de Bâillon, qui aies fleurs de Porana, deux
convolvulacées, etc. Et l'anagramme est loin d'être
toujours signalée. C'est pour l'étymologiste une
question de perspicacité.
Pour finir, deux anagrammes : Rnjania Linné est
dédié au grand botaniste Rajus (Ray en anglais);
Fig. S. Acridocarpus (a, fruit ; b, acridien au vol).
c'est Linné lui-même qui prend soin de nous l'ap-
prendre dans sa Crilica bolanica, p. 94. Mais,
p. 113, il nous signale que la même plante était
d'abord appelée Janraya, de Jean Hay. Or, Rajania
est, avec variante, une anagramme de Janraya.
Noranlea, de Aublet, une marcgraviacée, vient du
nom vulgaire donné en Guyane par la peuplade des
Galibis. Ce nom vulgaire est Corono-antegri, dit Au-
blet (Hhl. lies pi. de la Guiane française, I, p. 555).
Dans ce mot, il y a ron anle en choisissant et en
rejetant certaines lettres; par invei-sion, on a nor
anle. Il n'y a plus qu'à ajouter la finale latine a.
C'est aussi simple que cela ! Mais Aublet s'est bien
gardé de nous donner la clef de l'énigme.
LAROUSSE MENSUEL
Noms vernaculairbs. — Aublet, qui futle premier
à étudier la végétation de la Guyane « françoise •>,
devait découvrir des genres nouveaux en quantité.
Nous venons de voir qu'il a tiré Noranlea d'un nom
vulgaire. C'est par centaines que se chiffrent les
exemples du même emploi. En voici quelques-uns :
Qualea, une marcgraviacée appelée Quaté par les
indigènes (p. 9); Ouralea, une ochnacée, appelée
Oura-ara par les Galibis (p. 297); Malayba, une
sapindacée, nommée Matabaiba par la même peu-
filade (p. 333); Couepia, une rosacée, désignée par
es Galibis par le nom de Couepi (p. 519) ; Couma,
une apocynacée, ainsi appelée par les mêmes indi-
gènes (Suppl., p. 40); Couratari, une myriacée,
ainsi nommée par les nègres (p. 725) ; Coupoui, une
rubiacée, appelée par les Garipons Coupoui-rana
(Suppl., p. 17); Cou?narouna,unelégiimineuse, appelée
Coumarou par les Galibis et les Garipons (p. 742), etc.
D'autres botanistes avaient agi de même : Ro-
tang L., famille des palmiers, est ainsi appelé
par les indigènes malais, au dire de Pison, Rajus,
Rumpliius, Burmann; i'Ailanlus Desfontaines, une
simaroubacée, le vernis du Japon de nos boule-
vards, élait appelé Aijlanlo, c'est-à-dire arbre du
ciel, au dire du vieux Rumphius [Ilerbariiim Amboi-
nense, 111, 1755, p. 206), selon le patois d'Amboine,
ce que Desfon-
taines traduit par
Ailantfte, cause
d'une faute or-
thographique,
comme si le nom
venait du gr.
àvGo;, fleur.
Pelunga de
Candolle, une ru-
biacée, est appe-
lée Peetunga
dans l'Inde an-
glaise, au témoi-
gnage de de Can-
dolle lui-même
{Prodromus, "VI,
p. 399); Coffea
de Linné, noire
café, était utilisé
par les Arabes,
îesEgyptieiis.les
Turcs, sous le
nom de CoOBa, au
dire de Ray [His-
toria plantartim
(1686) p. 1691].
Terminons cette
énumération.qui
pourrait donner
cent exemples,
par un nom ver-
naculaire portu-
gais habillé à la grecque : le Basiloxylon est une
sterculiacée du Brésil, ainsi nommée par K. Schu-
mann dans la Flora Brasiliensis, XII, :i, p. 12, et
cet auteur nous dit que le nom vernaculaire est
Pao-Rey, c'est-à-dire Bois royal (du gr. êaai'Xetoç,
royal, et ^OXov, bois).
Patrie go station. — Parfois, une plante tire
son nom de sonpays d'origine; ainsi VAframomwn
K. Schumann. Dans le Pflanzenreick, p. 201 (1904),
son créateur nous dit de celle zingibéracée : « Com-
posé de Amomum (un genre voisin) et de Africa,
parce que ses espèces ne vivent pas en dehorsde cette
partie du monde. » Comparez aussi : Afvardisia,
une ardisiacée; Afrocalallieu, voisin de Calalhea;
Afrodaphne, une daphnacée; Afromendocia, voi-
sin de Mendocia; A froraphidophora, voisin de
Raphidophora, tous genres africains au témoignage
de leurs divers auteurs. Le grenadier est nommé
Punica par Linné, après le vieux Dodoons. Celui-ci
fait venir ce nom de malus Punica, pomme de Car-
thage (réminiscences :guerrespuniques, foi punique),
et Linné dit littéralement: « Tiré du nom de la ville
deCarthage ».(P/(i/os.ioi. p. 169.) Autrefois, on con-
naissait davantage le Thapsia aux cuisants sou-
venirs. La piaule qui donne ce médicament est de
Linné, qui nous dit, dans sa Philosophia bolanica,
p. 169: « Du nom de la localité africaine. » Avant
lui, notre Tournefort avait décrit ce genre en di-
sant : 11 Dioscoride nous apprend que la plante reçut
ce nom du fait qu'elle fut découverte d'abord dans
l'île de Thapsus », non loin de la Sicile, aujourd'hui
Manghisi. Bien malin qui trouverait l'étymologie
du genre Coublandia, si son créateur ne nous la
faisait connaître. Est-il dédié à un cerlain Cou-
bland? <■ Cet arbrisseau, dit Aublet, croît dans l'île
de Ca'ienne, sur les bords de la crique Fouillée, du
côté de la Descouhlandière » {Hist. pi. Guiane fran-
çaise, p. 937-938). On chercherait vainement cette
localité sur les mappemondes.
Bien nombreuses et bien connues sont les re-
noncules (Ranunculus L.). Tournefort nous dit
dans ses Institutiones, I, p. 293 : " Ainsi nommé
parce que plusieurs espèces de ce genre aiment les
endroits où vivent les grenouilles. » Et Linné
Fig. 6. ..Sgioeraa
(a, fruit ; b, tôto et cornes de chèvre).
Aspicarpa (fruit).
N' 148. Juin 1919.
confirme celte étymologie : n La plante habile avec
les grenouilles » (Pkil. bot., p. 167) [lat. r<ina, gre-
nouille, ranuncnlus, grenouilletle). (Comparez à rai-
nette, la grenouille verte des buissons. Saxifraga,
encore un nom bien connu des botanistes et des
horticulleurs I Tournefort nous dit les stations que
prélère le Saxifi'Oga (du lat. saxum, roc, elfrangere,
briser), c'est-à-dire plante brisant les rochers ou qui
s'élance de leurs fissures... » (lnslilritio}ies,l,p.'iTi3.)
Propriétés, usages. — Les propriétés vraies ou
supposées ont donné l'idée du nom d'une plante.
Ainsi, Putmonaria L. : « Les feuilles de la plante
portent, la plupart, des macules rappelant les taches
d'un poumon malade. » (Tournefort, Institutiones, I,
p. 137.) 11 Nom tiré de l'usage médicinal. » (Linné
Phil. bot., p. 168.) De même, Matricaria L. (de ma-
trix, matrice ou femme ■■ était réputée utile dans le
traitement des maladies des femmes ». (Tournefort,
Inst., I, p. 493.) LaSanguisorbeesl hémostatique, si
l'on en croît l'étymologie : sanguis, sang [du lat. sor-
here, absorber, qui absorbe le sang] (voy. Linné,
Pliil. bot., p. 169). La Scrofulaire (Scrophulariu)
partageait avec les rois de France le pouvoir de
guérir les écrouelles [scrophulae), au dire de Tour-
nefort et de Linné. L'honnête Pas-d'âne, nom peu
noble, s'appelle Tussilago en botanique, et ce nom
vient du lat. tussis (toux) selon Linné et Rajus.
Remarquable concordance : le même Tussilago
s'appelle Bvi/i'ov en grec
et passe pour béchique,
naturellement.
La Balsamine [Balsa-
mina, aujourd'hui Impa-
tiens) servait à la confec-
tion d'un baume (balsa-
mum)\ pour cela, dit
C. Bauhin, avant la matu-
rilé, les fruits de Balsa-
mine étaient jelés dans
l'huile etexposés au soleil ;
il en résultait un baume.
Certaines plantes, classées autrefois dans les Maljn-
ghia,oni mérité de former un genre distinct appelé
Byrsonima Richard et Jussieu, «parce qu'elles sont
employées dans leur patrie au tannage des cuirs ».
(A.-L. de Jussieu, dans les Annales du Muséum,
XVIIl, p. 481 [du gr. ëùpaa, peau apprêtée, cuir];
à comparer bourse, petit sac de cuir pour la monnaie.)
Les Latins disaient «copœ, balai; scoparius, ba-
layeur; de là le genre Scoparia de Linné, « nom
tiré de l'usage économique », dit Linné [Phil. bot.,
p. 168).
Religion. — La mythologie a donné leur nom
au Gerbera, au Centaurea, au Circseii, à Appolo-
nias, Achillea, Dejanira, Mercurialis, Alropa, et
nous n'insistons pas, l'allusion est trop claire. Le
Neptunia Loureiro « est ainsi nommé, dit celui-ci,
parce que c'est une plante aquatique non fixée au
sol » [Flora Cochinchinensis , p. 654). Tel le dieu
Neptune, elle marche sur les ondes.
Une perle étymologique, c'est Andromeda Linné
{fig. 3). Goûtez toute la poésie qui s'exhale d'une
citation du grand botanisfe [Flora Lapponica,p.l'îl
(1737)]: 11 Andromède, cette vierge très distinguée et
très belle, s'enorgueillit de son col allier (pédoncule),
de sa face aux lèvres roses (corolle), beaucoup plus
belle que la pourpre de l'amour. Celle frêle jeunesse
est jetée à genoux et les pieds liés (tige inférieure-
menl couchée), entourée d'eau (au printemps), fixée
à un rocher (ou petite montagne), exposée aux hor-
reurs des dragons (mon.stres des eaux). Elle penche
vers la terre sa face consternée (sa fleur) et lève, très
innocente, ses bras vers le ciel (ses rameaux). Enfin,
digne d'un meilleur sort, elle est soustraite aux
eaux et aux monstres vaincus par le généreux
Persée (l'été), qui fait de la vierge désolée une mère
féconde, dont la face se relève (son fruit). » Admi-
rable poésie, pleine de vérité si on la compare à
l'image mê-
me de la
plante telle
qu'elle est
donnée par
Linné lui-
mêmedans
sa Flora
Lapponi-
ca!
La Passi-
florahinné
(dulat.pas-
sio, la pas-
sion , et
flos, floris,
fieur) est ainsi nommée à cause des instruments de
la Passion (Linné, Phil. bot., p. 169) de Jésus-
Christ. L'imagination du botaniste et du peuple a
vu {fig. 4) la couronne d'épines du Crucifié (la ran-
gée circulaire formée par les divisions du disque),
le marteau qui servit au supplice (les anthères oscil-
lantes sur leur fileti, et les clous qu'il enfonça dans
les pieds et les mains de l'homme-Dieu (les stig-
mates en forme de clous à large tête).
Fig. 8. — Aspidistra (fleur et coupe).
«• 148- Juin 1919.
Caractères botaniques. — Pour le botaniste, de
toutes les élymologies, les plus importantes, les
plus instructives sont tirées des caractères bota-
niques et, fort heureusement, c'est par milliers qu'on
les rencontre. Elles ont cet avantage de dire, en
grec ou en latin, un trait remarquable de la plante,
si bien que le botaniste averti voit ce trait par
transparence à travers le nom. S'il connaît ce carac-
tère, il trouve plus facilement le nom, et c'est
l'heureuse contrepartie de l'opération intellectuelle.
Ici, pour trouver des exemples, nous n'avons que
l'embarras du choix :
Acridocarpus Guillemin et Perrottet, une mal-
pigbiacée : « du gr. àxptç, àxpt'So;, sauterelle, et
xapitd;, fruit, comme qui dirait fruit ayant l'aspect
d'une sauterelle au vol » (Guillemin et Perr., dans
Florse Senegalensis Tentamen, p. 123 et pi. 29.)
Le fruit ci-contre (fig. 5), pris dans celte planche 29,
permet de juger de l'exactitiide de la comparaison.
Sgiceras Gaertner, une myrsinacée. Ici, l'auteur
(dans son De fruclibus, I, p. 216, pi. 46) ne donne
pas les racines du nom, mais son texte est si clair:
« capsule arquée, ronde, acuminée, coriace, très
glabre ■>, et sa ligure 1 de la planche 46 est si expli-
cative qu'il n'y a qu'à consulter le dictionnaire grec :
ali, xlfoi;, chèvre et xspaç, corne : littéralement,
corne de chèvre. (V. ci-contre, fig. 6.)
Aspicarpa L. G. Richard, une malpighiacée.
.< Fruit transversal, orbiculaire-disco'ide et presque
caréné, avec un mame-
lon en dessus », dit l'au-
teur dans les Mémoires
du Muséum de Paris, II,
p. 396. Le texte repré-
sente assez bien un bou-
clier à l'imagination,
{xaTzii, bouclier rond, et
xapTtdç, fruit). C'est très
sirnple et très amusant,
et de la vie on n'oubliera
ce bouclier-fruit (/i^. 7).
Aspidislra Ker, une
liliacée. Il y a encore un
bouclier sans doute. Li-
sez Ker dans le Botani-
cal Register (182i),
pi. 628, et vous trouvez :
« àdmSi'axoç, petit bou-
clier » d'où aspidislra,
sorte de bouclier. Le
bouclier, c'est « le stig-
mate charnu, épais, lar-
ge, en forme de chapeau,
orbiculaire, convexe »
qui ferme la fleur comme le couvercle ferme une
marmite. (V. fig. 8.)
Cordilocarpus Desfontaines, une crucifère. « Si-
lique (fruit) en massue, cylindrique, globuleuse au
sommet ». (De.sfontaines, Flora Allantica, II, p. 79)
et plus loin: xopôûXT), massue, et xapTidç, fruit
[même ouvrage]. (V. fig. 9.)
Condylocarpon Desfoiitaines, une apocynacée.
« Follicules (fruits) composés chacun de i 3-4 lobes
oblongs, aplatis, un peu épais, articulés les uns à la
suite des aulres, rétrécis au point de jonction...» (Des-
font., Mémoire du Muséum de Paris [1822], p. 120.)
Ces fruits ressemblent aux phalanges noueuses d'un
squelette. (V. ci-contre, /îff. 10.) Le dictionnaire grec
nous donne l'étymologie xovouXoî, articulation des
os, surtout des doigts, et xap-^roç, fruit.
Digitalis Tournef., Linné, une scrofulariacée
bien connue en France. « Digitiilis, dé ou qui coii-
rerne le doigt. A cause de la ressemblance de la
Heur avec un dé, que les femmes ont l'habitude de se
mettre au doigt •>. (Tournelort, liislilutiones [1700],
1, p. 166.) « Tiré de la forme en doigt de la corolle».
{Linné, Phil. bot., p. 169.] (V. fig. 11.)
Delphinium Tournef., Linné, renonculacée com-
mime dans nos jardins. « Ue la lorme des Heurs,
non encore ouvertes, qui figurent le dauphin, tel que
les peintres le représentent ». (Tournef., Inslitu-
/iones [1 700], I, p. 428.) Vue de côté, en effet, avec son
éperon courl)é, la fleur a quelque analof;ie avec le
dauphin {delpliinum) classique. (V. fig. 12.)
Comme ce sont deux plantes de France, consul-
tons une Flore récente, et voyons ce qu'elle dit de
leurs étymologies : « Digitalis',i\u lat. digitus, doigt,
DU digilale, dé, à cause de la forme de la corolle,
dans laquelle on peut introduire le doigt. » >• Del-
phinium, du gr. SsÀ^pt'c; . dauphin : allusion à
l'éperon du sépale supérieur. » Evidemment, il ne
peut iMre question, ici, de la source intéressante,
ni d'une précision suflisanle que l'ouvrage ne
comporte pas.
Etymologiks douteuses. — Quand les auteurs
modernes ont emprunté un nom à la littérature
greccjue ou latine, on sait rarement à f^nelle plante les
Grecs ou les Latins avaient alfaire. Si, par exemple,
Rosa, la rose, Lens, la lentille, ne laissent aucune
équivoque, le Lilium de nos ouvrages n'est pas
celui del'Ecriture. Notre Peucedaiium, ainsi nommé
Fig. 9. — Corililocarpus
(a, fruit; 6, massue).
Fig.lO.— Condylocarpon (a. fruit; 6, auri-
culaire et annulaire humains disséqués).
LAROUSSE MENSUEL
par Linné, est-il celui dont parlent Dioscoride et
Pline? Cela est très problématique. Ce que nous savons
parfaitement, c'est que noire Lolut, petite légumi-
neuse des prés ,
n'est pas le Lolos
des Grecs, cher aux
Lotophages dont
parle Homère. Les
anciens botanistes,
grecs ou latins, dé-
cri valent si incom-
plètement leurs
plantes que, le plus
souvent, nous ne
les connaissons pas
et, pour en revenir
au îo/o.» des G recs,
que d'encre il afait
couler ! Après des
discussions inter-
minables, notre
opinion n'est pas
plus flxée, et nous
hésitons encore
entre une nym-
phéacée, herbe, ou
un grand arbre,
peut-être un Pista-
cliier(ll). Le mieux, dansée cas, estde s'en tenir, en
étymologie, à une ci talion de Linné comme celles-ci;
nom emprunté à Pline, à Dioscoride, à Hippocrale.
Comme exemple de plante vulgaire, à étymologie
très contestée, citons le Portulaca Linné. « Por-
lula, petite porte » (Linné, Phil. bol., p. 167).
« Porlulaca, nom de plante qui se trouve dans
Pline i< (même ouvr., p. 195). — « Les récents au-
teurs grecs appellent ^otpoêÔToivov, plante du porc,
le pourpier (Porlulaca), qu'ils appellent également
àvSpâyvYi, comme les Grecs anciens ». (Vossius,
Elymiilogial{oma7ia,Tp.liO%.)P\\ne
ou ses copistes auraient donc écrit
Portulaca, au lieu de Porculala,
plante du porc, porcelle, en inter-
vertissant deux lettres. Se non è
vero
Famille de mots. — Quand les
noms de plantes ont été forgés
par les botanistes, ils sont le plus
souvent empruntés au grec et
peuvent se rapprocher par une de
leurs racines. Cette racine est une
clef qui aide à comprendre une
multitude de noms de plantes.
.\insi, brachy, signifiant couit.
a donné : Brachionidion. — P^^"
bras; Brachistus, — tube; Bra-
chyaclis, — rayon; Brachyan-
dra, — étamine; Brachybolrys,
— grappe; Bracliycarpse, — fruit;
Brachychseta, — paillette ; Brachychilus, — lèvre ;
Brachychiton, — disque; Brachycorylkis, — casque;
Brachyelytrum, — élyyre; Brachygiollis, —langue;
Brachy lx7ta, — invotucre; Brachylophon, — cri-
nière; Brachyloma, — frange; Brachynema, —
filet; Brachyolum, — oreille; Brachypodium, —
pied; Brachyplerys, — aile; Brarhysema, — éten-
dard ; Brachysi-
phon, — tube ;
Bracliyslegia, —
rouverture; Bra-
chy stelma, —
ceinture; etc.
Laracineo'.vp-
<o, caché, peu vi-
s i b I e , est
commune
dans les
noms de
plantes. De
même, on
rencontre
fréquemment
dacti/lon, doigt ;
dendron, arbre;
acanlha, épine;
ambly, obtus;
iitiiso, inégal;
anlho, fleur; vn-
<i,contreouprès;
osier et astro ,
astre ;ca/o et ca/-
li, beau; etc. Ces
racinessontnatu-
rellement grou-
pées dans un lexi-
que et se suivent
alphabétiquement, ou à peu près ; mais la seconde ou
la troisième racines ne sont jamais groupées, bien
entendu. 11 y aurait intérêt à les rassembler en fa-
milles de mots dans un Dictionnaire étymologique
bien compris, et ainsi voisineraient, par exemple,
tous les noms de plantes qui renferment le mot
(/en(/ron, arbre, soit au commencement, soit à la fin.
Digitale
. 12 — Delpbiiiium (n, Seur ; b, dauphin
d'une pièce d'eau de Versailles).
Carlo Bourlet.
LAROUSSE MENSUEL.
IV.
799
comme Dendrobium, Dendrocalamus, Dendrochi-
ium, Dendrodaphne..., et Alsinodendron, Ammo-
dendron, Anadendron, Anodendron, Calodendron,
Caryodendron, Archidendron, Aydendron, Bal-
fourodendron, etc., et les... phyltum et les...
spermum, etc.
Avec un peu d'habitude et de pratique, le lecteur
deviendrait vite habile i discerner les étymologies.
Beaucoup de ces noms composés représentant un
caractère de la plante, l'esprit irait du nom au
caractère, ou vice versa. — F. OAoxu-ain.
Sourlet (Charles- Emile-Ernest, dit Car^o), ma-
thématicien français, né à Strasbourg le 25 avril 1866,
mort à Annecy le 12aoât 1913. Il fit ses études clas-
siques d'abord dans sa ville natale, puisa Bourges
et enfin à Paris (lycée Saint-Louis). En 1885, il était
reçu premier à l Ecole polytechnique et second &
l'Ecole normale supérieure, opla pour celle-ci et,
trois ans plus tard, était admis le premier au con-
cours d'agrégation de mathématiques. Docteur es
sciences mathé-
matiques avec
une thèse consa-
crée aux Equa-
tions aux déri-
vées partielles
qui contiennent
plusieurs fonc-
tions inconnues,
Bourlet pro-
fessa les ma-
thématiques aux
lycées Lakanal,
Henri -IV et
Saint-Louis, puis
fut chargé de la
suppléance des
cours d'éléments
d'analyse et de
mécanique à la
Sorbonne et
nommé professeur à l'Ecole des beaux-arts, puis au
Conservatoiredes arts et métiers (statique graphique,
dynamique, cinématique).
L'œuvre mathématique de Bourlet est assez im-
portante ; elle comprend de nombreux mémoires
parus dans les organes spéciaux et bulletins de
diverses sociétés savantes, puis des traités d'en-
seignement secondaire (Leçons d'algèbre élémen-
taire, Leçons de trigonomélrierectiligne. Géométrie
descriptive, Eléments de statique graphique, etc.);
enfin, des ouvrages de mathématiques appliquées,
où son nom l'ait autorité. Citons, notamment :
Nouveau traité de bicycles et bicyclettes (1895),
réédité en deux volumes (1" partie : équilibre et
direction; 2' partie : le travail) en 1898; la Bicy-
clette, sa construction et sa forme (Paris, 1899),
puis des éludes très documentées sur les roulements
à bille, les roues libres, freins, changements de
vitesse, etc.
11 collaborait à de nombreuses revues scien-
tifiques (<c Génie civil », « Bulletin de l'Asso-
ciation générale automobile », « Locomotion auto-
mobile », etc.) et dirigeait depuis 1903, avec
Laisant et Bricard, les « Nouvelles Annales de
mathématiques ».
Ajoutons, enfin, que Bourlet s'est signalé égale-
ment par la propagande qu'il lit pour vulgariser la
langue universelle appelée espéranto et qu'il a
organisé, en qualité de membre du comité tech-
nique du <■ Touring-Club de France », de nom-
breuses épreuves de cyclisme (notamment en 1901
et 1902). Il était membre de l'Association des
sciences de la Société mathémalique de France et
faisait partie du jury d'agrégation des sciences
mathématiques. — J. AuïtRsiaa.
Cain (Gïorjes-Jules-Auguste), peintre et écri-
vain français, né le 14 avril 185:< à Paris, mort dans
cette ville le 4 mars 1919. Georges Cain était le lils
aine d'Auguste Cain, le statuaire animalier et le
petit-fils d'im autre sculpteur, P-J. Mène. Il lit
ses études à Louis-le-Griind et an lycée de Vanves.
Puis, après avoir passé son baccalauréat, il se sentit,
par atavisme sans doute, incliné vers les arts et
suivit, pendant quelques années, les cours de pein-
ture de l'Ecole des beaux-arts, oii il fut élève de
Cabanel et de Détaille. Son goût le portail vers
l'histoire. II tenta, avec succès, des reconstitu-
tions historiques ayant presque toujours pour
sujet un fait parisien et, pour cadre, un décor de
la vieille capitale. Ses toiles, tris appréciées aux
Salons, où il exposa dis 1878, devinrent pour la
filupart populaires. Citons, parmi les principales :
e Buste de Marat au pilier des Halles (1880) ;
une Rixe att café de la Rotonde en 1/114 (1882) ;
Paiou faisant le buste de la du Barry (1884);
la Criée aux pois.ions à la Halle (18S8) ; une Bar-
ricade en ISSO (1889) ; Bulletin de victoire de Car-
mée d'Italie, en 1797 (1895); la Mort dev derniers
Montagnards (1897, musée de Bayeux). Citons en-
core : une Noce sous le Directoire; A l'église (musée
d'Amiens) ; Napoléon apris l'abdication ; Duel-
30»
Georges Gain.
800
listes au rendez-vous ; Présentation de lord Bi/ron
à la comtesse Guiccioli ; Napoléon et la Sentinelle;
Marie-Antoi7iette allant à l'échafaua ; Bonaparte
à la Malmaison ; etc. Dans chacune de ces œuvres,
il manifestait un grand soin du détail. Le tableau
qui lui valut le plus de succès était un tableau
d'actualité repii^sentant une Répétition de « Madame
Sans-Gêne » (1x99).
Son goût délicat de collectionneur était connu et
apprécié. La municipalité parisienne lui confia, en
1897, la conservation du Musée historique de la
Ville de Paris, fondé p;ir Jules Cousin, un biblio-
phile qui avait légué à la ville le fonds qui constitue
actuellement la bibliothèque Carnavalet.
On peut (lire que Georges Gain a créé le musée
actuel. Il avait trouvé une manière de magasin
d'antiquités poudreux et rébarbatif, dessallescrépies
àlachaux. Seuls,
les appartements
de M"» de Sévi-
gné, le salon sur-
tout,subsistiiienl
Georges Gain ne
se contenta pas
de les décorer et
de classer des
souvenirs, il vou-
lut faire vivre le
musée. 11 tenta
des reconstitu-
tions d'époques
au moyen d'une
série de boise-
ries, de tableaux,
de souvenirs ap-
propriés. Apartir
de ce moment,
sa biographie se
confond presque
avec l'histoire de ce musée, qu'il aimait à ce point
2ue, pour s'y consacrer plus activement, il aban-
onna la peinture.
En 18!)9, ayant mis de l'ordre dans les salles de
la Révolution, il leur adjoignit une galerie du Siège
de Paris. En 1900, il organisait la Rétrospective de
la 'Ville de Paris, où l'on vit notamment le berceau
du roi de Rome, prêté par l'empereur d'Autriche.
En 1901, il lit l'Exposition des portraits d'enfants
par les maîtres anciens, au Petit Palais. En 1902,
il fut désigné pour aller recueillir le legs Dutuit
à Rouen; en 1911, il participa à l'Exposition rétros-
pective des rapports de l'Italie avec la France, à
Turin. Carnavalet prêta des tableaux et des docu-
ments. En 1912, il fut à l'Exposition de Gand, où la
Ville de Paris présentait les tableaux flamands des
collections parisiennes. En 1914, Carnavalet s'agran-
dissait, Georges Gain prenait possession de nou-
veaux bâtiments, ce qui lui faisait remanier ses
salles et lui permettait d'établir une chronologie
plus étendue. Pendant la guerre, le musée resta
fermé. Deux fois, des envois précieux furent faits à
Toulouse. Dès cette époque et comme si la ferme-
ture de son cher musée l'avait violemment affecté,
Georges Gain tomba malade. lUutla contre la ma-
ladie jusqu'au début de janvier 1919. 11 espérait
pouvoir assister h l'inauguration de l'après-guerre,
mais une congestion pulmonaire l'emporta.
Georges Gain s'était essayé h écrire ses Prome-
nades dans Paris, qui parurent sous forme d'articles
à partir de 1902. C'étaient d'aimables flâneries à
travers les quartiers de Paris, écrites avec finesse
et esprit, appuyées sur un fonds de documents, à la
façon des Concourt. A la fin de l'année, il réunissait
ses articles en volume et leur ajoutait une illustration
unique, qu'il n'avait qu'à emprunter aux documents
du musée. Son premier volume : Coins de Paris (1903)
fut préfacé par Sardou; une dizaine d'autres devaient
suivre celui-ci : Promenades dans Paris{\9(t6), An-
ciens théâtres de Paris{l9(li5), Nouvelles prometiades
dans Paris (1908), A travers Paris (1909), les Pierres
de Paris (1910), le Long des rues (191-2), les Envi-
rons de /"acis (1912-1913). — J.-o. Lemoine.
Ch.aintemesse (André), médecin français, né
au Puy (Haute-Loire) le 13 octobre 1851, mort à
Paris le 28 février 1919. Son père le destinait au
commerce, ce qui fil qu'il ne commença ses études
médicales que tardivement, à l'âge de vingt-cimi
ans. Mais son ardeur au travail lui permit de rat-
traper le temps perdu. Interne des hôpitaux de Pa-
ris en 1880, médecin des hôpitaux en 1885, il fut
nommé le premier au concours d'agrégation, en 1889.
Après avoir occupé quelque temps la chaire de mé-
decine expérimentale à la Faculté de Paris, il fut,
en 1898, nommé professeur d'hygiène, en remplace-
ment du professeur Proust. En 1901, il était élu
membre de l'Académie de médecine et nommé, en
1903, inspecteur général des services d'hygiène,
titre transformé, plus tard, en celui de conseiller
technique sanitaire du ministère de l'intérieur. 11
était commandeur delà Légion d'honneur.
Chantemessefut un bactériologiste de la première
heure, un de ceux qui, comprenant l'immense ave-
nir réservé à la microbiologie, allèrent étudier au-
D' André Cbantemease,
LAROUSSE MENSUEL
près de Pasleur la science nouvelle et les horizons
inattendus qu'elle ouvrait à la médecine. La tâche
qu'il se traça fut, dis lors, double : instruire les jeu-
nes généralions médicales de ces notions ignorées
d'elles et appliquer les connaissances qu'elles four-
nissaient et les méthodes qu'elles inauguraient à
l'hygiène humaine. La première partie de ce pro-
gramme lui fit
consacrer à la
bactériologie ses
leçons d'agrégé,
qui eurent un
grand succès au-
prèsdesétndiants
et des médecins,
tant français
qu'étrangers, et
à fonder, avec
l'appui du profes-
seur Gornil, dont
il était l'élève, le
premier labora-
toire de bactério-
logie qu'ait pos-
sédélaFacultéde
Paris. La se-
conde l'amena à
poursuivre ses
étudessur la microbiologie des maladies infectieuses,
qui devaient le conduiie à des découvertes intéres-
santes. La fièvre typho'ide fut surtout l'objet de ses
recherches. Il découvrit, avec Brouardel, le bacille de
cette maladie dansleseaux d'alimentation de la Ville de
Paris; la comparaison des statistiques de morbidité
de cette ville avec les tables de distribution des eaux
de source et de rivière montra que ses déductions
étaient exactes et amena de sérieux progrès dans la
fourniture de l'eau potable aux cités. Plus tard, il
tenta le premier, avec Widal, des essais sur la vac-
cination antityphoïdique et fabriqua ultérieurement
un vaccin destiné à l'homme. L'Académie des scien-
ces reconnut la valeur de ces travaux en décernant
aux deux bactériologistes, Chanlemesse et Widal, le
prix Osiri (1917), conjointement avec le professeur
Vincent (du Val-de-Grâce). Il fut encore l'un des pre-
miers à étal)Iir le rôle des huîtres défectueusement
parquées dans la genèse de la fièvre typhoïde.
Enfln, il fabriqua, contre cette maladie, un sérum
sur la valeur curative duquel des incertitudes
persistent.
Chanlemesse fut, avec Gharrin, le premier mé-
decin du service de la rage, lorsque Vulpian déclara
à Pasteur qu'il pouvait, sans appréhension, appli-
quer sa découverte à la préservation de l'homme
contre cette terrible maladie.
En sa qualité d'inspecteur général des services
d'hygiène, Chanlemesse fut chargé de nombreuses
missions et d'études sur les épidémies et le moyen
d'empêcher leur propagation. Les rapports qu'il
fournit, dans ces occasions, ont souvent servi de
base aux réformes réalisées en matière d'hvgiène
publique, de police sanitaire maritime, etc. t'armi
ses pins récentes missions, on peut citer l'enquête
qu'il fut chargé de conduire sur les empoisonne-
ments de Cholet(1913).
On a de lui : les Processus généraux ; Moustiques
^• 148. Juin 1919.
et fièvre Jaune; Mouches et choléra; Frontières et
prophylaxie. Après la mort de Brouardel, il assuma,
avec Mosny, la direclion du « Traité d'hygiène », le
plus récent ouvrage d'importance sur ce sujet.
11 est mort subitement, d'une syncope cardiaque,
peut-être causée indirectement par la grippe, qui
l'avait gravement atteint et dont il semblait que sa
robuste constitution eût triomphé. — U' Henri bouqdet.
divorce n. m. — Encycl. Dr. civ. Lorsque deux
époux divorcés s'étaient mariés de nouveau, ce
second mariage ne pouvait être dissous par le di-
vorce, à moins que l'un des deux époux n'eût été
condamné, depuis la célébration, à une peine afflic-
live ou infamante. Les conjoints avaient la faculté
de demander la séparation de corps, mais celle-ci
n'était pas convertible en divorce.
L'indissolubilité du nouveau mariage d'époux
divorcés n'a pas été maintenue dans notre Code
civil, dont l'article 295 (§ 3) a été abrogé par la loi
du 5 avril 1919. — M. l.
donation n.f. — Encycu Dr. civ. Pour faciliter
les donations au profit des œuvres d'assistance et de
bienfaisance (publiques ou privées) et aussi de celles
qui ont plus spécialement pour objet le développe-
ment de la natalité ou la prolerlion de l'enfance et
des orphelins de guerre, la loi du 19 mars 1919 a
ajouté une importante disposition à l'article 1556 du
Gode civil.
Par exception au principe de l'inaliénabilifé des
immeubles dotaux, cet article permet à la femme,
dûment autorisée, d'en disposer pour établir ses
enfants. Désormais, lorsque la femme est âgée de
plus de quarante-cinq ans et que les époux n'ont ni
entants ni descendants vivants, elle peut, avec l'au-
torisation du mari, donner ses biens dotaux aux
œuvres visées par la loi du 19 mars 1919. Si le mari
refuse son autorisation, celle de la justice lui per-
mettra de passer outre, mais la jouissance des biens
aliénés restera au mari.
En faveur des mêmes œuvres, la femme qui n'a
pas de descendants et qui est âgée de plus de
quarante-cinq ans peut, sans l'autorisation du
mari, disposer des biens acquis par elle : c'est une
extension du principe posé par l'article \" de la loi
du 13 juillet 1907 et aux termes duquel la femme,
sous tous les régimes matrimoniaux, a sur les pro-
duits de son travail personnel et sur les écono-
mies en provenant les mêmes droits d'adminis-
tration que l'article l'i'i9 du Code civil donne à la
femme séparée de biens. — M. L.
enseignement hôtelier (i.). La fin du
xix« et le début du xx« siècle ont été témoins de
l'essor considérable du tourisme. Les moyens de
locomotion se sont développés d'une façon telle
que des voyages qui, il y a cinquante ans, parais-
saient impraticables au commun des mortels, se
font aujourd'hui couramment. C'est un de ces lieux
communs sur lesquels il n'y a pas à insister. En
même temps que les transports devenaient plus
rapides et plus confortables, leur prix s'abaissait, ce
qui permet actuellement à un grand nombre de fa-
milles de voyager plus souvent. D'où le formidable
mouvement touristique. Mais, en dehors du facteur
Dans la cuisine de l'Ecole liôteUcix, les élèves apprennent tous les soins de la confection des plats et du nettoyage des ustensile».
Les élèves font ainsi un atage dana chaque service.
«• 148 Juin 1919.
LAROUSSK MENSUEL
801
Unc rixe au café de la Rotondk, en 1814-. — Tableau de Georges Gain (1882).
Le 11 avril 18t&, Napoléon signa son abdication h Fontainebleau et, le 3 mai suivant. Louis XVIII fit son entrée dans Paris. La plupart des émigrés qui, alors, étaient revenus en France étaient pleins
de cette présomption qui leur avait été si funeste pendant que les soldats de la Révolution et de l'Empire emplissaient l'Kurope du bruit de leurs conquêtes. L'armée s'indignait du dédain qu'alTeetaient
vis-à-vis d'elle les nouveaux venus et de la brutale destitution de ses chefs les plus aimés. Plus df U.OJO officiers avaient été mis en demi-solde et 200.000 soldats avaient été licenciés, pendant qu'on donnait
des grades aux anciens émigi es, dont les campagnes contre la République étaient comptées comme services de guerre. Aussi les querelles, les duels furent très fréquents entre bonapartistes et royalistes. —
Georges Gain a représenté un de ces épisodes et a placé la scène nu Palais-lîoyal, au café de la Rotonde, alors très en vogue. L'artiste a fort bien composé son tibleau ; les personnages y sont disposés avec
élégance et harmonie ; à gauche les royalistes, il droite les bonapai'tistes. Les costumes sont exacts, dessinés avec soin et peints avec minuue.
■1 moyen de transport », il en est un autre qui a
autant d'importance pour le développement du tou-
risme : c'est le facteur « hôtelier ■>. Car, à tous ces
voyageurs qui se déplacent il faut, à l'arrivée,
trouver le logement et le couvert. Le temps n'est
Plus où le touriste était obli^'é de se contenter de
unique hôtellerie du pays oil il débarquait et où il
lui fallait supporter le manque de confort ou de
propreté qui y régnait trop souvent. A l'heure ac-
tuelle, le voyageur mi^coutent va autre Part, dans
une autre région : un train est vile pris I Tout natu-
rellement, l'hôtellerie est donc devenue une véri-
table <i industrie ", qui n'admet plus les vieilles rou-
tines, qui réclame de la part de ses dirigeants et de
son personnel une somme de connaissances tech-
niques, faute desquelles l'entreprise périclite.
Chacun sait que le tourisme est, pour la région
qui sait l'attirer, une source de richesse, la princi-
pale,quelquefois même la seule: par exemple. Vichy,
Nice et toutes les grandes villes d'eaux ou stations
balnéaires. On pourra se faire une idée du mouve-
ment d'affaires qu'entraîne avec soi le flot des tou-
ristes et des « curistes », quand on saura que,
d'après les calculs d'un spécialiste en la matière, ce
mouvement se chilTrait, en 1913, pour la France, à
150 millions de francs; ce même spécialiste démon-
trait également que, si l'industrie hôtelière était
organisée sérieusement en France, son chiffre d'af-
faires pourrait aller jusqu'à un milliard.
En plus de son importance financière, celle indus-
trie en a une autre, capitale, au point de vue na-
tional. L'hôtel moderne est im centre de propagande
et d'influence de premier ordre pour un pays qui
sait en tirer parti. C'est ce que les étrangers, et en
particulier les Allemands, ont compris depuis long-
temps, et l'on sait qu'avant la guerre ils avaient
réussi k envahir les hôtels français. Donc, il faut
qu'en France, l'hôlelier et son personnel soient des
Français.
Mais pourquoi, jusqu'ici, l'étranger supplanlail-il
le Français sur ce terrain? Cela tenait avanl tout à
re que, dans certains pays, la Suisse el l'Allemagne,
notamment, il existait des écoles, de véritables
écoles professionnelles où, méthodiquement, on pré-
parait le futur hôtelier à son métier, où on lui ensei-
gnait la technique de son industrie.
On s'en e.st aperçu en Fiance depuis quelques
années, et on a lenlé de lutler. Grâce aux elforts du
Touring-Club, grâce à sa propagande ainsi qu'à
celle des Etals généraux du Tourisme, l'industrie
hôtelière a fait de grands progrès. De plus, on a
enfin créé 1' « enseignement hôtelier » ; on a com-
pris qu'on fait un bon hôtelier comme on fait un
bon in,t,'énieur ou un bon commerçant. On s'est mis
à considérer r« hôtellerie » comme une industrie
ayant ses spécialistes, ses techniciens, ses profes-
seurs, avec dos règles qui peuvent et doivent a'trf-
prendre. On en a donc conclu qu'il fallait l'ensei-
gner comme n'importe quelle autre branche du
commerce ou de l'industrie. — Comment cet ensei-
gnement s'est-il formé?
C'est en Suisse qu'il est né. Cela est tout naturel,
si l'on considère que 1' « hôtellerie » est l'industrie
nationale de ce pays, qui, depuis si longtemps, est
un centre de tourisme universel. On y a reconnu
l'importance d'avoir un personnel, tant subalterne
que dirigeanl, parfaitement au courant de son mé-
tier, et méthodiquement préparé à sa lâche. Des
écoles se sont donc fondées, où l'on enseigne la
théorie el la pratique de cette industrie.
L'Allemagne et l'Autriche ont suivi. L'Allemagne,
avec sa surpopulation, a vu, sur ce terrain, comme
ailleurs, des débouchés pour ses nationaux, et nous
en avons constaté le résultat en France ! L'Autriche,
cenire touristique important, avec le Tyrol, les
Dolomites, etc., a aussi compris tout l'intérêt de cet
enseignement.
La France a mis longtemps à s'organiser. On peut
heureusementdire, à l'heure actuelle, que cet ensei-
gnement y fonctionne déjà très bien et ne fera que
prendre (le l'extension. C'était une nécessité vitale
pour notre pays. La profession était envahie par les
étrangers, mieux préparés, si bien que les Français
s'en trouvaient peu à peu évincés. L'insuffisance de
leurs moyens, aggravée par une fAcheuse routine,
les handicapait fortement par rapport aux besoins
crois.sants créés par le développement de plus en
plus considérable du grand tourisme. Les syndicats
hôteliers français, admirablement soutenus par le
Touring-Club de France, les organes des Etals gé-
néraux du Tourisme et des cbambresde commerce,
se sont émus et ont conclu que le seul moyen de
lutter contre la concurrence étrangère, d'attirerelde
maintenir dans le pays l'afflux des touristes, source
de richesse nationale, était d organiser un enseigne-
ment hôtelier rationnel. La guerre a encore accéléré-
le mouvement. Car, il faut bien l'avouer, peu de
choses avaient été faites avant la guerre. On sentait
le besoin très vivement, mais on tâtonnait encore;
on avait fait quelques essais, lancé des propositions
nombreuses. Mais il fallait créer de toutes pièces, et
l'on n'avait encore obtenu que peu de résultats. Lai
guerre, brutalement, a fait sentir toute l'acuité drr
la question. Devant les vides considérables créés
dans le personnel par la mobilisation des Français
et par le départ des sujets ennemis, si nombreux
dans la profession, il a lallu aviser au plus vite, cl
les efl'orts les plus sérieux ont été faits pour orga-
niser r« enseignement hôtelier ». Ce qui e.Tistait
déjà a été amélioré, grâce aux efforts des spécia-
listes, et ne fait que s'améliorer encore.
Passons rapidement en revue, dans l'ordre chro-
nologique, ce qui a été fait jusqu'à présenl.
Dès 1912, l'Ecole supérieure Bernascon. à Aix-les-
Bains, annexait à ses cours professionnels de com-
merce et d'industrie une section hôtelière. Celle
section a pris une grande extension: ses cours ont
été réorganisés le 19 avril 1915. A l'heure actuelle,
elle jouit d'un excellent renom dans la région sa-
voi.sienne.Elle dépend du ministère de l'instruction
publique (académie de Chambéry).
La même année, s'ouvrait, à Paris, l'école profes-
sionnelle de la Mutualité hôtelière, subventlonnéi!
n:ir le Syndicat général de l'industrie hôtelière de
Paris et les Hôteliers français. Elle s'occupe, tout
particulièrement, de l'élude des langues.
Les Etals généraux du Ttiurisme de 1914 présen-
tèrent des vœux au sujet de l'enseignement hôtelier.
Ces vœux eurent une excellente inllueiice.
802
En 1908, déjà, sur l'iniliative de la chambre de
commerce de Nice, présidée par Béri, la muni-
cipalité avait voté le principe de la création d'une
école hôtelière. Ce projet fut réalisé le 3 fé-
vrier 1916.
A Boulogne-siir-Mer, une section liôtelière fut
l'annexée à l'école pratique de commerce, par déci-
LAROUSSE MENSUEL
hôtelière à acquérir une bonne instruction profes-
sionnelle »i ces cours durent 8 mois, et on y admet
des élèves entre 16 et 18 ans; 2° une « école de cui-
sine », dont les cours durent 4 mois; 3° une « école
supérieure », ou « académie hôtelière », dont les
cours durent 6 mois et où l'âge d'admission mini-
mum est de it ans. Elle est réservée aux jeunes
/V« 148. Juin 1919.
.Salit; d'étudcâ de l'Eoole hôtelière féminine, à l'ans. A(>ics le» Iravanx pratique-;, viennent les eonrs thOoriques : correspondance,
langues vivantes, comptabilité, administration, etc.
s'ion miiiislèiielledu 15 juillet 1914. Mais la guerre
est venue entraver sou activité.
En 1916, comme nous l'avons vu, l'école de Nice
fut ouverte. La même année, le l""' oclol)pe, 1' « école
hôtelière du centre de la France », à Vichy, com-
inenija ses cours. Celle du Havre-Trouville et celle
de Grenoble également.
En somme, il existe, à l'heure actuelle, un certain
nombre d'écoles hôtelières pioprcmeiit dites, dont
les débuis son t pleins de pionie.^ises. La plupart dépen-
dent du ministère du commerce et de l'industrie. Ce
sont celles : du Havre-Tronville, de Grenoble (école
des Alpes françaises), de Nice (école de la Côte
<rAzur), deTlionon-les-Bains (école de la Savoie et
4lu Léman), de Toulouse (école des Pyrénées), de
Vichy (école du centre de la Krance.)
En outre, des scellons hôtelières sont annexées à
l'école pratique de commerce (gari-ons) de Boulogne-
sur-Mer, à l'école pratique de commerce et d'industrie
deTarbes, ainsi qu'aux écoles pratiques de comiTierce
et d'industrie de jeunes filles de Nice et Rouen.
D'autres dépendent des chaml)res de commerce.
Une section d'industrie hôtelière a été adjointe, en
octobre 1916, à l'école supérieure pratique de com-
merce et d'industrie de Paris.
Les cours y sont remarquablement compris : c'est,
en somme, « l'Ecole normale supérieure » de l'en-
seignement hôtelier. A Paris également, en ilelior.s
de l'Ecole profes-sionnelle de la mutualité hôtelière
que nous avons déjà citée, existe une école hôte-
lière féminine fort intéressante. L'école des Alpes
françaises coitiporle aussi une seclion l'éminine. De
plus, le comité de l'hôtellerie comtoise a fondé,
en 1916, à Besançon, un cours hôtelier féminin.
Gomme on le voit, l'eiiseignenieiit hôtelier, pour
ainsi dire inexistant avant 1914, a pris un essor
considérable au cours de la guerre. Nous n'avons
cité que les écoles les plus importantes. D'autres
se forment; d'autres, certainement, seront créées
encore. Par exemple, la section hôtelière de l'école
Saint-Gricq, à Pau, où professe Meillon, qui. avec
JVIermoz, notamment, a beaucoup fait pour cet ensoi-
gnement. — Le rendement est jusqu'ici très satisfiii-
sant, et le nombre des élèves ne fait que s'aicroitie.
Voyons, mainlenant, la façon dont cet enseigne-
ment est compris et pratiqué. C'est en Suisse, nous
l'avons déjà dit, que cet enseignement a pris nais-
sance. Dans ce pays, où l'industrie hôtelière lient
une si grande place et où ceux qui s'y destinent
sont très nombreux, l'école est avant tout un moyen
de perfectionnement à l'usage des jeunes gens pos-
sédant déjii. dans une certaine mesure, la pratique
de leur métier. Prenons comme exemple l'école
professionnelle de la Société suisse des hôteliers,
à Lausanne. Elle comprend : 1» une « école pré-
paratoire », où les cours sont destinés « à aider les
jeunes gens qui désirent se vouer à la carrière
gens ayant déjà une grande expérience pratique.
Comme on le voit, les études sont divisées de
manière à fournir les trois personnels hôteliers :
subalterne, de cuisine, dirigeant. En Allemagne, des
écoles hôtelières sont adjointes aux écoles de com-
merce, qui y sont organisées de façon supérieure,
avec le sens pratique et la méthode qui y caracléri-
remplir tous les emplois dans les hôtels modernes.
Ensuite, il se propose d'attirer et de retenir des
touristes dans telle ou telle région par la bonne
organisation des hôtels. Enfin, il veut que l'industrie
hôtelière, jusqu'ici envahie par les étrangers, rede-
vienne française et que les moyens de propagande
et l'influence dont elle dispose soient, avant tout,
utiles et profitables à la France. Et ce triple but
mérite en soi qu'on s'y intéresse. Comme n'importe
quel autre enseignement, celui-ci rend les jeunes
gens qui le suivent capables de faire très bien un
métier que, sans cela, ils auraient dû apprendre
d'une manière exclusivement empirique et qui leur
aurait coulé beaucoup plus de temps. Il leur permet
de coordonner les résultats de leur expérience
pratique, de les diriger, d'en tirer le meilleur parti
possible. De plus, par la somme de connaissances
théoriques qu'il leur inculque et que nul appren-
tissage ne pouvait leur donner, il les rend plus
facilement aptes à occuper les emplois supérieurs
et qui sont très rémunérateurs, de la profession.
Car il faut considérer que peu de professions peuvent
donner, à un âge aussi peu avancé, des émoluments
aussi importants. Celle-ci demande de nombreuses
qualités, et la valeur de la « personnalité » y joue
le principal rôle. Un des gros avantages de cet
enseignement est d'ouvrir un nouvel horizon à de
nombreuses familles qui, sans lui, n'auraient jamais
songé à pousser leurs enfants dans cette voie.
Examinons d'un peu plus près les formes que
revêt cet enseignement. Il comprend deux grandes
catégories :
1° La préparation ou le perfeclionnement pour
les emplois « subalternes », c'est-à-dire la cuisine,
le service, les c< bureaux », etc..
2» La préparation ou le perfectionnement pour
les emplois « supérieurs » : gérance, direction
d'hôtels, casinos, etc..
Dans les deux cas, pour que cet enseignement
soit bon, il faut qu'il soit nettement professionnel
et soit donné par des spécialistes. C'est ce qu'on
s'est efforcé de faire dans les écoles frantjaises et,
jusqu'à présent, les résultats sont bons. Les matières
que l'on y enseigne devront servir au but final,
c'est-à-dire qu'elles ne seront pas apprises pour
elles-mêmes, mais en vue d'être utiles à la forma-
tion hôtelière. A cet enseignement théorique se
joindra un entraînement méthodique des qualités
physiques et inlellecluelles nécessaires à l'exercice
de la profession. Des stages pratiques dans de bons
hôtels serviront à contrôler la façon dont l'élève
aura assimilé les connaissances théoriques qu'on
lui aura inculquées à l'école. Enfin, les écoles, pour
que leur niveau soit suffisamment élevé, devront
^
Une leçon de cuiaine à TEcole hôtelière de Vichy.
sent les entreprises de cet ordre. — En Autriche,
l'enseignement est compris de la même façon : des
sections hôtelières spéciales sont rattachées aux
écoles supérieures de commerce. La plus connue
est celle d'Insprnck, qui est un modèle du genre.
Eu France, lel qu'il existe actuellement, l'ensei-
gnement hôtelier, tout en suivant une ligne générale
commune aux difTérenles écoles, présente une cer-
taine variété. Son but, comme partout ailleurs, est
triple. D'abord, il lend à préparer théoriquement,
tochniquement et pratiquement, des jeunes gens à
sanctionner les résultats de leur enseignement par
la délivrance d'un diplôme, dont la valeur recon-
nue dans la profession sera le meilleur critérium du
bon rendement des éludes. C'est à ces principes
généraux que se sont ralliées les écoles existant
actuellement en France. Les sections hôtelières
rattachées aux écoles pratiques de commerce et
dépendant du ministère du commerce et de l'in-
dustrie décernent un « brevet d'enseignement pra-
tique hôtelier », conformément à l'arrêté ministé-
riel du 20 avril 1918. Les écoles particulières, sou-
/V" 113 Juin 1919.
tenues par les chainbies de cominerce, délivrent
également un diplôme.
Enfin, ajoutons que ces écoles ont été pour la
plupart créées dans îles réjfions où l'industrie hô-
telière est au premier plan, par suite de l'aldiience
des touristes. 11 suflit, pour s'en rendre compte, de
consulter la liste de ces écoles. C'est aussi une
cliose excellente; car, placés au centre même du
mouvement hôtelier et touristique, les dèves sont
plus à même de se rendre compte de l'importance
et de la valeur de l'enseignement qu'on leur donne.
La plupart de ces écoles reçoivent deux catégories
d'élèves :
1" les employés d'hôtel qui désirent se perfec-
tionner ;
2" les jeunes gens qui se destinent à celle pro-
fession et en font l'apprentissage complet. La pre-
mière catégorie recevra, naturellement, des élèves
plus âgés qiie l'autre, et la durée des cours sera
moindre. Certains de ces programmes sont très
spécialisés : on n'y donne qu'un enseignement par-
ticulier. Par exemple, à l'école professionnelle de
la Mutualité hôtelière, à Paris, on fait, pour les
employés d'hôtel, exclusivement des cours de
langues. Dans les écoles hôtelières féminines,
celle de Paris, celle de Rouen, etc., on prépare un
fiersonnel féminin apte aux emplois de bureau, de
ingerie, de cuisine.
Considérons d'un peu plus près encore la façon
dont ces écoles sont organisées.
Nous avons vu que leur but est très déOni et
limité : former des hôteliers. Très judicieusement,
donc, on a élaboré des programmes qui laissent de
côté ce qui n'est pas directement utile à la profes-
sion. Et c'est k quoi tendent les éludes dans toutes
les écoles, à des degrés plus ou moins élevés, selon
l'âge d'admission des élèves. Les matières ensei-
gnées sont celles que l'on retrouve sur tous les
programmes de tous les établissements d'enseigne-
ment primaire supérieur. Mais on les y traite en
les orientant tout particulièrement vers le but pro-
posé. Commerce, complabilité, langues étrangères,
sténographie, dactylographie, géographie, législa-
tion, publicité, électricité, etc., y sont enseignés
dans ce qu'ils peuvent avoir d'utile pour un futur
hôtelier.
La géographie, par exemple, y sera étudiée sur-
tout au point de vue touristique : les pays qui
fournissent ou reçoivent des touristes, les chemins
de fer, transcontinentaux et internationaux, les
grandes villes, l'organisation du tourisme dans les
divers pays; le transit des bagages, la douane; les
caractéristiques des diverses régions au point de
vue des richesses du sol, des particularités intéres-
sant le tourisme et de ce qui en résulte.
On y étudie de même les langues, non pas comme
si l'on voulait former des philologues, mais avec,
pour but, la pratique orale : d'où l'emploi exclusif
de la méthode directe, avec de nombreux exercices
pratiques, dont le sujet est toujours tiré de la pro-
fession hôtelière. On fait, naturellement, une grande
place aux langues, car on sait qu'une des grandes
forces des étrangers, et particulièrement des Alle-
mands, était leur connaissance de plusieurs langues
étrangères.
De même pour le droit commercial : on étudie seu-
lement ce qui peut intéresserdirectementlhôtelier.
De même, encore, pour les notions d'art, qui sont
données à propos de l'architecture, de l'agence-
ment, du mobilier, etc., d'un hôtel moderne.
Il est inutile d'entrer ici dans le détail de ces pro-
grammes. La seule chose à retenir est qu'ils sont
essentiellement pratiques et éliminent tout ce qui
n'est pas directement utile à la profession.
A la suite de cet enseignement théorique, ou pa-
rallèlement à lui, ces programmes comportent un
stage plus ou moins long dans les hôtels, — stages
contrôlés naturellement, — en France et à l'étran-
ger. L'importance de tels stages n'est pas à démon-
trer : elle saute aux yeux. C'est en forgeant qu'on
devient forgeron et en tenant la queue de la
poêle qu'on devient cuisinier !
Les exercices physiques sont cultivés également.
Car, comme le dit fort judicieusement le directeur
d'une des plus importantes écoles : « ... Les jeunes
garçons doivent être sains, robustes, bien plantés,
jolis garçons et intelligents. Les mal bâtis, les laids,
les souffreteux, les timides, les médiocres n'ont pas
d'avenir de ce côté : c'est un métier de lutte; il faut
des qualités de lutteur, que l'enseignement se char-
gera de perfectionner. »
C'est donc sur celte base pratique qu'est fondé
tout l'enseignement hôtelier. Bien entendu, ces pro-
grammes seront plus ou moins approfondis, selon
l'âge auquel les élèves sont admis à l'école et sur-
tout selon la durée des cours. Certaines écoles ad-
mettent des élèves à partir de 12 ans, au sortir de
l'école primaire, comme l'école BiTnascon, à Aix-
les-Bains, et les études comportent quatre années de
cours. D'autres les acceptent à partir de 13 ans, pour
trois années d'études, comme celles de Nice, de
Thonon-les-Rains, de Grenoble, etc. L'école de 'Vi-
chy, l'une des plus importantes, reçoit des élèves à
partir de 12 ans, mais engage les parents à ne les
LAROUSSE MENSUEL
lui confier qu'à partir de 14 ans, âge où l'enfant peut
mieux profiter d un enseignement rationnel.
Enfin, la section d'industrie hôtelière de l'Ecole
supérieure pratique de commerce et d'industrie de
Paris ne reçoit pas d'élèves au-dessous de 16 ans.
Aussi, s'ailrcssant à des jeunes gens ayant déjà une
formation antérieure assez avancée, les cours théo-
riques n'y durent-ils qu'un an et sont suivis d'une
année de stage pratique dans un grand hôtel de
Paris. Celte section, dont nous avons déjà dit
qu'elle était en quelque sorte « l'Ecole normale
supérieure de l'enseignement hôtelier », est extrê-
mement sérieuse, comme formation du personnel
de direction des hôtels.
Nous venons de donner sommairement une idée
de la façon dont l'enseignement hôtelier a été com-
pris en Kranie. Si l'on voulait entrer dans le détail,
il y aurait encore beaucoup de choses intéressantes
à dire sur la question. Qu'il nous suffise d'en ré-
sumer brièvement les caractéristiques.
Cet enseignement, avant tout, est pratique. Il ne
vise pas à former de savants théoriciens. Sans
négliger le côté scientifique, qui est la base né-
cessaire de toute pratique, il ne perd jamais de
vue le but qu'il s'est proposé et qui consiste à
former un personnel de premier ordre pour nos
hôlels français.
Un autre caractère, qui découle du premier, est
f^np cet enseitriipmpnt est donné par des spécialis-
SOS
étrangers, particulièrement par les Allemands.
Le moment est donc favorable. Débarrasses du celle
concurrence, les jeunes Français qui veulent s'y
préparer sérieusement ont dans ce domaine un
avenir avantageux. — Bkslek et CoHro«r.
Guerre en 1 9 1 4- 1 9 1 9 (la). [Suite.] —
Le mois d'avril s'était, dans le passif de l'attente
universelle, ajouté aux jours et aux mois qui la-
vaient précédé. La Conférence delà paix n'availpas
terminé ses travaux, et le trouble de l'opinion, si-
gnalé déjà ici comme un symptôme permanent, n'a-
vait pas été dissipé. Durant tout le mois, les discus-
sions avaient continué dans la presse, voilées le plus
souvent dans la forme, très âpres dans le fond, sans
direction logique, pouitant, parsuiledel'insufllsancc
ou de l'inégale répartition de l'information, et elle»
n'avaient eu pour modérateur que les coups de ci-
seaux libéralement prodigués par la censure. Le
grave inconvénient de celle méthode, ou plutôt de
cette absence de méthode, avait été une mauvaise
orientation de l'opinion, qui ne pouvait conduire
qu'à des déceptions et à des mécontentements. Il
était très vraisemblable, à la fin d'avril, que, sur cer-
taines questions, sur lesquelles divers journaux,
sous l'inspiration d'un patriotisme ardent plutôt que
sous celle des réalités possibles, avaient haussé le
ton et posé comme nécessaires des conditions ex-
trêmes, évidemment sans portée concrète, la paix ne
l-:cole Iiôtttliére de Nic<
tes, c'est-à-dire par des hommes qui, en plus de leur
culture scientifique, connaissent la profession à la-
quelle ils sont chargés de préparer les jeunes gens.
Et c'est là un point essentiel.
Enfin, par le choix même des villes où fonction-
nent ces cours, on a réalisé l'union intime des deux
éléments primordiaux : l'école et l'hôtel. L'élève s'y
trouve II dans l'ambiance » voulue, et chacun com-
prendra les avan âges énormes d'une telle façon de
procéder.
En somme, sans aller jusqu'à dire que cet ensei-
gnement a été improvisé, on peut conclure de ce qui
précède qu'il est récent, très récent même, et a été
mis sur pied relativement vite. Et c'est pour lui un
avantage : dégagé de toute formule scolastique, de
toute routine étouffante, il est, avant tout, « mo-
derne ». Et, s'il est une profession où, pour réussir,
il faille avant tout être « moderne», c'est bien celle
de l'hôtelier. On commence déjà avoir les résultats
se dessiner, et ils sont extrêmement encourageants.
Malgré sa «jeunesse », l'enseignement, — on peut
le dire sans hésiter, — est bon. On a beaucoup fait
pour lui depuis la guerre et, avec la pratique, il
ne fera que s'améliorer.
Il ne lui manque qu'une chose : c'est d'être plus
connu. Le public et les familles ne sont pas encore
suffisamment au courant de cet effort et ne s'y
intéressent pas encore suffisamment. Mais l'idée
Il perce ». Déjà, le nombre des élèves a beaucoup
augmenté. El les familles, peu à peu, se rendent
compte que 1'» hôtellerie » est, pour des enfants
bien doués, un débouché très lucratif et très
intéressant. Il y a, en France, une lacune à com-
bler : c'est surtout le personnel directeur fran-
çais qui manque. C'est sur lui que reposent toute
l'initiative et la prospérité de l'hôtellerie. Toute
celte partie, avant la guerre, était envahie par les
nous apporterait que des satisfactions limitées, sans
rapport avec les espoirs qu'on avait laissés naître.
Dès lors, il eiit peut-être été d'une sagesse plus pré-
voyante de préparer, au contraire, l'opinion publique
et de ne pas laisser prendre à des transactions très
raisonnables, commandées par l'intérêt même de la
paix universelle, des allures de coups de théâtre, de
capitulations ou de coups de force. Ceux qui portaient
le poids écrasant de notre avenir en avaient, du
moins en France, jugé autrement, et nous en avions
un peu pâti. Nos informations, ramassées dans les
journaux étrangers ou cueillies au vol dans les ha-
sards dangereux des antichambres et des couloirs,
bien loin de préparer le public, avaient tendu les-
nerfs un peu plus et lui avaient enlevé encore un
peu du sang-froid, déjà diminué, qui lui restait. Ja-
mais, pourtant, il n'avait été plus indispensable de
faire appel à notre raison, à notre bon sens. Les cir-
constances où nous noustrouvions, nous l'avons déjk
dit, exigeaient une paix supportable pour tous. Mais
le rôle d'arbitre entre tant d'intérêts opposés, de
nationalités naissantes, d'antagonismes légitimes
qu'il fallait changer en sympathies ncces,saires, était
terriblement difficile à tenir, et il y avait beaucoup
de chances pour que celui qui avait le courage de
l'accepter fût exposé à voir son action mal ou gros-
sièrement jugée par une opinion publique qu'on
n'éclairait pas et qui, en pleine obscurité, butait
douloureusement contre toutes les pierres d'achop-
pement. Pourtant, il était évident, au 30 avril, que
nous touchions au terme de notre attente. Non pas
qu'on pût avoir l'espoir que, par l'effet d'une incan-
tation magique, toutes les résistances allaient s'en-
dormir. Mais des faits, quelles que fussent leur valeur
et leur signification, étaient acquis. D'une part, le
statut de la Société des nations avait été adopté et
promulgué par les puissances qui avaient été alliëes
804
dans la içuerreel par bon nombre de neutres; d'au-
tre part, les plénipotentiaires allemands, régulière-
ment appelés, étaient arrivés à Versailles. Nous n'é-
tions pas encore à la dernirre séance du drame qui
a bouleversé le monde; nous étions certainement
au cinquième acte.
Le centre d'attraction de tous les événements qui
s'étaient produits dans le monde pendant le mois
d'avril avait été la Conféience de la paix, et l'histoire
de cette assemblée est liée ctroileiiient & la vie de
tous les peuples. Mais cette histoire était elle-même
si obscure et si mal connue qu'il valait mieux, sui-
vant notre méthode habituelle, essayer de dégager
les faits essentiels de la vie de chaque peuple, au-
tant que nous pouvions les connaître, avec les moin-
dres chances d'erreur.
En dépit dos pronostics pessimistes que nous si-
gnalions le mois dernier et des prévisions de trou-
bles spartakistes qu'on nous avait annoncés par
provision, en dépit aussi de <i\ielques grèves éner-
giquement arrêtées, le gouvernement allemand avait
vécu sans trop de dilTiculté et s'était alTermi, beau-
coup plus même peut-être qu'on ne nous l'avait dit.
Le Congrès des conseils d'ouvriers et de soldats
qui s'était réuni à lierliu n'avait pas donné lieu à
des incidents graves, et il était apparu comme vrai-
semblable que le gouvernement Kberl-Scheidemann,
non sans quelques heurts, assurément, se stabilisait.
Les événements les plus sérieux s'étaient produits
LAROUSSE MENSUEL
kistes de Berlin. Il fallait tirer de là une preuve de
pins de l'erreur que nous avions commise en nepro-
ntant pas, alors que nous le pouvions aisément et
que Kurt Eisner vivait, de ce moyen très efficace
de désagrégalion polilique de l'Allemagne que nous
offrait la Bavière. Tout semblait prouver qu'il élail
maintenant trop tard, et il ne paraissait aucunement
vraisemblable que la tentative communisle de
l'ancien royaume des 'WiUelsbach dilt aboulir à
un bouleversement de la république impériale
allemande. Bien au contraire, il pouvait, par sa
défaite militaire ou diploujatique, le raffermir et
le concentrer.
L'Allemagne, d'ailleurs, continuait à se reprendre.
Elle n'avail point une alliinde de vaincue repen-
tante et docile, et elle entendait bien le faire sentir.
Ce qui s'était passé à Bruxelles, en mars, à propos
du ravitaillement, n'avait pu que la confirmer
dans ce dessein. Elle avait trouvé dans l'incident
de Danlzig une nouvelle occasion de manifester son
état d'esprit.
On a vu, dans notre précédent article, comment
les pourparlers de Posen avaient été rompus et
comment l'Allemagne avait opposé au passage des
troupes polonaises par Dantzig des objections dila-
toires pour aboutir à un refus absolu. L'opinion
publique n'avail pas été sans s'inquiéter des consé-
quences possibles de cetle situation ; la presse
avait fait état, non sans bruit, des termes de l'ar-
HÔTEL DBS RÉSERVOIRS, Â VERSAILLES, OÙ se trouve logée Une parlie de la délégation allemande.
(Vue du côté du Parc et du bassin de Neptune.)
en Bavière. A la fin de février, le Congrès des
conseils d'ouvriers et de soldats, réuni à Munich,
s'était prononcé contre la république communiste.
Dans le courant de mars, le Landtag, réuni, avait
appelé au pouvoir le cabinet Hoffmann, qui avait fait
montre d'un grand zèle socialiste, sans parvenir à
gagner la confiance des communistes, dont l'in-
lluence grandissait de plus en plus, si bien que,
dans les premiers jours d'avril, le parti du D''Lewen
prenait fe pouvoir et proclamait la république des
soviets à Nlunicb. Ce mouvement était provoqué, à
la fois, par des causes internes, comme le chômage,
par la désunion des partis socialistes, (|ue Kurt
Eisner avait naguère essayé de grouper, et par une
réaction très nelle, que nous avons déjà marquée,
contre les tendances unitaires du gouvernement
tiUemand et de l'assemblée deWeimar. Il était donc
•évident que le mouvement communiste de Munich
avait un caractèrefrancheinentséiiaratisleetqu'ilétait
liostile aux vues de Scheidemann et de Noske. Mais
ce séparatisme allemand s'était doublé d'un sépa-
ratisme bavarois. Le gouvernement présidé par
Hoffmann s'était retiré à Bamlierg et, sous son in-
fluence, la Franconie avait marqué son intention de
se séparer de la Bavière du Sud. Bien plus, elle était
devenue le centre de l'action militaire quHolfmann
avait entreprise contre la république de Munich, et
des opérations avaient été entreprises c. ntre la ca-
pitale, avec le concours de Noske et des troupes
d'empire. Par suite, le mouvement communiste ba-
varois, quelle que pût être sa liaison apparente
avec le gouvernement russe, incapable, d'ailleurs, à
ce moment, de lui venir en aide, devait être consi-
déi'é avant tout comme une crise allemande qui
semblait avoir bien des chances, si l'on n'arrivait
pas à un accommodement, de se terminer par la
manière forte qui était venue à bout des sparta-
mistice du 11 novembre, et on avait pu redouter
des complications. Or, à l'entrevue de Spa, les
termes de l'armistice du 11 novembre furent certes
très fermement maintenus et le droit d'utiliser
Dantzig pour le rapatriement des troupes polonaises
solennellement affirmé; mais, dans la pratique, on
adopta une solution nouvelle, qui était le transport
par voie ferrée des troupes du général Haller de
France en Pologne. A Spa, comme à Bruxelles,
l'Allemagne obtint donc ce qu'elle voulait, et les
Alliés fii'ent preuve d'un grand esprit de concilialion.
Nousdevons déclarer que nous ne sommespas de ceux
qui seraient disposés à leur donner tort. Multiplier
les difficultés et s'obsliner à des décisions capables
de soulever des incidents graves est une mauvaise
politique en tout temps. A l'heure où nous étions,
c'eût été en outre une politique maladroite et sté-
rile. Ce qui était urgent, c était de ramener les
troupes polonaises en Pologne n'importe par quel
moyen, (^e résultat avait été obtenu. On eilt peut-
être donné à l'Allemagne moins de prise si l'on eût
moins tardé. L'Allemagne avait enfin été amenée
à manifester une fois de plus ses velléités d'indé-
pendance à l'égard de la Conférence, au moment
où elle avait été invilée à envoyer ses plénipoten-
tiaires à 'Versailles pour prendre connaissance des
préliminaires de paix. Elle avait feint de croire, —
et il faut recormailre que tous les commentaires de
la presse justifiaient cette manière de voir, — que
ses envoyés n'auraient qu'à prendre livraison d'un
texle qu'ils en verraient en Allemagne, sans pouvoir
en discuter les clauses; ils avaient donc manifesté
l'intention de charger de cetle mission des comparses
irresponsables. Cetle prétention avait été relevée
par la Conférence, et le gouvernement allemand
avait dû s'incliner devant la nécessilé de mettre la
Conférence en présence de véritables plénipolen-
«• 148. Juin 1919.
tittires, pourvus de pouvoirs suffisanis pour apposer
au bas du traité une signature valable. Mais leur
soumission avait élé accompagnée de la constata-
tion qu'ils pourraient discuter là où l'on avait voulu
faire croire à l'opinion publique qu'ils n'auraient
qu'à se taire et à signer. Certes, ce sont là des détails.
Mais la diplomatie, quoi qu'en pensent les prôneurs
de la diplomalie nouvelle, est faile de ces détails
et, faute de savoir les mettre de son côlé, on risque
de les avoir contre soi. De ces diveis incidents
on pouvait, à noire sens, tirer deux conclusions :
l'une évidente, l'autre probable. La première, c'est
que l'Allemagne ne né.^ligeait et ne négligera
aucune circonstance capable de nous émouvoir, de
nous fatiguer et, par suite, de nous faire perdre la
possession de nous-mêmes, en même temps qu'elle
en profiterait pour relever son prestige auprès de
son propre peuple et