G?
LA
RÉPUBLIQUE
ARGENTINE
N'AR t 3 1974
,1
PIERRE DENIS
Ancien élève de l'École Normale Supérieure
Agrégé d'Histoire et de Géographie, Docteur es Lettres
LA
RÉPUBLIQUE
ARGENTINE
La mise en valeur du pays
Avec 7 planches hors texte
tv
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
io3, Boulevard Saint-Michel, PARIS
1920
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays
VjnJversita^
i( BiBLIOTHECA ,
tîav 3n5\* -^
.033
LA REPUBLIQUE ARGENTINE
(la mise en valeur du pays)
INTRODUCTION
J'ai cherché à définir clans les chapitres qui suivent
les aspects essentiels de la colonisation dans l'Argen-
tine moderne : la conquête du sol par l'homme, la mise
en valeur des ressources naturelles, le développement
de l'agriculture et de l'élevage, la croissance de la popu-
lation et des centres urbains.
Un plan strictement régional, le seul qui convienne
apparemment à une description complète et méthodique
des terres historiques de l'Europe occidentale, le seul
qui permette d'y suivre de près la réalité géographique,
a paru moins indiqué pour un pays neuf comme l'Argen-
tine. En Europe occidentale, chaque région forme vrai-
ment une unité indépendante; elle a longtemps vécu sur
elle-même, réduite à ses ressources propres; chaque
groupe de population a son horizon limité : l'action
innombrable du milieu sur l'homme et de l'homme sur
le paysage s'est poursuivie sur chaque terroir dans une
sorte de tête-à-tôle solitaire et acharné. Il n'en est pas
de même en Argentine, où quelques-uns des faits à
mettre en lumière sont au contraire l'expansion de la
population et des méthodes d'exploitation d'une zone
à l'autre du pays, et l'influence exercée sur la colonisa-
tion par le commerce et par les besoins du marché
mondial.
Peut-être convient-il de répondre d'avance à une cri-
De:<is- — L'Argentine. 1
2 LA UÉPUBLIQUE ARGENTINE.
ti^ue que ne manqueront pas de m'adresser des amis
argentins. Ils me reprocheront de n'avoir pas fait une
place au peuple argentin lui-même, ouvrier de la gran-
deur argentine. Jai résolument écarté toute allusion à
la vie politique et morale de l'Argentine, au caractère
national et à ses transformations, au stoïcisme du Gau-
cho et à l'activité du colon ou du commerçant, au
patriotisme argentin. Ce livre n'est pas une étude sur
la nationalité argentine, mais une introduction géogra-
phique à cette étude.
J'ai commencé ce travail pendant un séjour en Argen-
tine, du mois d'avril 1912 au mois d'août 191 i. J'ai pu
visiter pendant ces deux années la plupart des régions
du pays. Les informations recueillies au cours de ces
voyages trop rapides étant une de mes sources princi-
pales, je résume ici mes itinéraires :
Octobrc-îiovembre\9[2 : Rosario — Région des colonies
de Santa Fe — Exploitations forestières du Chaco sanlia-
gueîïo — Banados du Rio Dulce — Salta — Jnjuy — Sierra
de la Lumbrera.
Novembre- décembre 1M2 : Tucuman — Vallée de Tafi-
Santa Maria à l'Ouest de l'Aconquija — Cafayate (vallée
des Calchaqui).
Décembre i9i2-janvïer 1915 : Catamarca — Andalgala —
Vallée de Pucara — Cordoba — Villa — Maria.
Janmer-fêvrier 1913 : Région pampéenne (province de
Buenos Aires, Sud de Cordoba et de S. Luis, territoire
de la Pampa Central).
Mars 1915 : Corrientes — Posadas — Asuncion —
Exploitations de bois du Chaco de Santa Fe.
Aoid 1915 : Région pampéenne (province de Buenos
Aires).
Mars 1914 : Lac Nahuel Huapi — Valcheta — San An-
tonio — Rio Negro.
INTRODUCTION. 3
Ami 1914 : La Rioja — Sierra de los LIanos — San
Juan — Mendoza.
Juillet lOli : Entre Rios.
Ces voyages, par voie ferrée ou suivant des roules
Lien connues, ne prétendaient pas être des voyages
d'exploration ou de reconnaissance. Ils devaient seule-
ment me permettre de classer provisoirement les types
principaux de paysage et les formes de colonisation, et
d'établir un programme méthodique pour des enquêtes
plus approfondies. Le travail que j'espérais poursuivre
à loisir dut être interrompu en 1914, et, malgré mon vif
désir, il m'a été impossible de le reprendre sur le terrain
en 1919. Je me suis donc résigné à publier mes obser-
vations écourtées, en les complétant de mon mieux par
une élude bibliographique. J'ai utilisé des fragments
d'un volume de vulgarisation commencé à la demande
de la Commission argentine pour l'Exposition interna-
tionale de San Francisco, dont quelques chapitres ont
été publiés en mon absence par l'Université de Tucuman
(L'Argentine moderne, chapitres de géographie écono-
mique. Publications de l'Université à l'occasion du cen-
tenaire du Congrès de Tucuman de 1(S10. Buenos
Aires, 1916)*.
Mon dépouillement des publications sur l'Argentine
comporte deux lacunes principales. L'une est volon-
taire : j'ai renoncé à connaître autrement que de
seconde main les documents et les chroniques qui con-
stituent jusqu'à la fin du xviii® siècle les sources de
l'histoire des provinces qui devaient former l'Argentine.
Les données historiques sur la colonisation qu'on
trouvera dans les chapitres suivants se rapportent donc
à peu près exclusivement à la période du xix" siècle.
1. Je saisis l'occasion de remercier M. J.-B. Teran, qui s'esl charge
de l'édition de ces chapitres, et de me féliciter avec lui que les
circonstances aient démenti ses prévisions quelque peu pessimistes
en ce qui concerne leur auteur.
i L\ PxKPl BLIQl E ARGENïI.M:.
La deuxième lacune n"a pu être comblée, à mon vif
désappointement. Une grande partie des publications
locales — officielles ou autres — caries, statistiques, etc..
n'est jamais parvenue en Europe, et Buenos Aires est
le seul point où Ion puisse en avoir une connaissance
complète. Ces publications ont été à ma portée jus-
qu'en 1014. Depuis cette date, j'ai été réduit aux res-
sources des bibliothèques de Paris et de Londres, qui
sont minimes : les envois d'Argentine se sont encore
réduits depuis la guerre. Les statistiques à jour m'ont
en partie manqué.
J'espère pourtant que ce tableau de l'Argentine n'a
pas un caractère seulement rétrospectif et n'est pas
vieilli d'avance. Aucime statistique, d'ailleui-s. ne sau-
rait suffire à résoudre le problème que pose à l'observa-
teur l'Argentine de 1920. La guerre européenne a-t-elle
seulement nilenti l'évolution économique du pays, ou
lui a-t-elle imprimé ime direction nouvelle ? Les rela-
tions qui sont en voie de se renouer entre l'Argentine et
le reste du monde seront-elles ou non calquées sur les
relations d'avant-guerre ?
Les conséquences de la guerre sur la vie du pays ne
doivent pas toutes être mises sur le même plan. Que,
parmi les fournisseurs de l'Argentine, la guerre ai;
avantagé les ims aux dépens des autres, que la part de^
Etats-L'nis ou même celle du Japon se soit largement
accrue, c'est là un fait que l'on peut considérer, du
point de \'ue argentin, comme d'importance secondaire.
La guerre a eu, par ailleurs, pour effet une désorgani-
sation des transports maritimes, une sorte d'isolement
relatif qui n'a pas encore complètement cessé. La réduc-
tion des arrivages de charbon anglais a accru la valeur
pour le pays des puits de pétrole de Rivadavia ; elle a
poussé à entreprendre un inventaire hâtif des ressources
naturelles en combustible. Les industries locales se sonl
efforcées de satisfaire les exigences du marché argentin.
où elles ne rencontraient plus la concurrence des mar-
INTRODUCTION. ô
chandises européennes. Le brusque déséquilibre des
prix a permis d'exporter certains produits jusque-là
réservés au marché intérieur. Du moins, la guerre n'a-
t-elle pas arrêté les courants établis des grandes expor-
tations argentines. L'Argentine a continué à fournir à
l'Europe ses céréales, ses viandes, ses cuirs et ses
laines. Rien n indique que la concurrence des acheteurs
soit destinée à se réduire, ni que la culture du blé ou
de la luzerne doive devenir moins profitable.'
Les deux effets essentiels de la guerre paraissent
avoir été, dune part, l'arrêt du courant d'immigration,
d'autre part, la réduction progressive de l'appui que
l'Europe donnait à la colonisation sous la forme d'avances
de capitaux.
De 19ii à 1918, •27'2Û00 immigrants seulement ont
débarqué à Buenos Aires, tandis que 48'2 000 émigrants
quittaient le pays. En t918, le mouvement global des
entrées et des sorties n'a été que de 47 000, moins d'un
dixième du chiffre d'une année normale d'avant-guerre.
Le retrait des capitaux européens s'est fait sentir dès la
déclaration de guerre, et sest poursuivi depuis sans
arrêt, les capitaux nord-américains ne suffisant pas à
les remplacer entièrement. En même temps, la balance
commerciale extraordinairement favorable a déterminé
la formation dans le pays d'une ample réserve de
capitaux, et l'Argentine a conquis en peu de temps une
indépendance financière qui aurait exigé, dans des
conditions normales, de longues années de travail et de
prospérité.
En dépit des apparences, ces deux faits, interruption
de l'immigration, accumulation de capitaux, ne peuvent-
être considérés indépendamment l'un de l'autre. L'en-
quête ouverte par le Musée Social argentin La imigracion
despues de la guerra, Museo Social argentine, Bol. men-
sual, Vlll, 1919, n'^' 85-90) démontre qu'on s'attend en
Argentine à une reprise rapide de l'immigration. On ne
peut nier en effet que l'insécurité politique et sociale en
C LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
Europe, la misère du vieux monde, ne soient faites pour
accroître l'attraction exercée par l'Argentine. Il faut
rappeler pourtant que le courant d'émigration d'Europe
vers l'Argentine a été provoqué au xix* siècle et au
début du xx" par un ensemble complexe de conditions
économiques, en relations étroites entre elles. Les hauts
salaires étaient liés en Argentine au loyer élevé de
l'argent, c'est-à-dire, en définitive, à la rareté des
capitaux. L'avenir dira si l'immigTation, le progrès
rapide de la colonisation et de la production, qui
caractérisent l'Argentine d'avant-guerre, peuvent s'ac-
commoder du régime de thésaurisation à laquelle la
guerre a condamné le pays.
CHAPITRE PREMIER
LES RÉGIONS NATURELLES DE l'aRGENTINE
Le railiou physique. — La colonisation el les régions natu-
relles. — I,es luttes contre les Indiens. — L'unité argentine. —
L'Argentine et le Monde.
Trois grandes zones se partagent de l'Ouest à l'Est
le Continent américain : les hautes chaînes des Andes
qui bordent le Pacifique ; à leurs pieds d'immenses
plaines alluviales; enfin les plateaux du littoral atlan-
tique. La zone orientale des plateaux s'interrompt au
Sud aux bouches du Rio de la Plata. Elle ne pénètre
sur le territoire argentin que dans l'angle Nord-Est du
territoire des Missions. Sous le 55" de latitude, les
plaines alluviales s'ouvrent librement sur l'Océan. La
situation de Buenos Aires, au seuil de la plaine pam-
péenne, est comparable à celle de Chicago à l'entrée
des prairies, si l'on effaçait de la carte les Etats du
Nord-Est des États-Unis et le Canada oriental, et si l'on
imaginait la mer pénétrant jusqu'aux lacs.
Les trois aspects essentiels du paysage argentin
sont : la montagne, la plaine et le fleuve. Le Parana
est en effet à lui seul toute une région naturelle, avec
ses bras et ses îles, et la plaine basse sans cesse rema-
niée où s'étalent ses crues, qu'on découvre du haut des
barrancas (falaises) de limon, sans parvenir, tant elle est
large, à discerner la rive d'en face. Il est dans la plaine
comme un étranger, émissaire de l'Amérique tropicale,
ayant une flore propre et des eaux tièdes qui souvent
coavrent de brume* l'estuaire oij elles se mêlent aux
eaux de la mer.
8 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
Dans l'ensemble des plaines argentines il faut mettre
à part la région comprise entre le Parana et l'Uruguay,
que les Argentins appellent Mésopotamie. Tandis que
les limons éoliens forment sur la rive droite du Parana
le sol de la Pampa, les dépôts fluviaux, sables et cail-
loux roulés, oij l'on n'a pas encore su distinguer la part
de l'Uruguay de celle du Parana, couvrent une grande
partie de la Mésopotamie. Les anciens tracés des fleuves
peuvent y être suivis non seulement aux alluvions qu'ils
ont abandonnées, mais aux lagunes qui les jalonnent
encore. Les eaux courantes ont modelé le terrain et
creusé un chevelu de vallées secondaires oii se reflètent
l'histoire du fleuve lui-même et les variations du niveau
de base qui ont fait alterner des périodes d'érosion et de
comblement.
Sur la rive droite, au contraire, le Parana ne reçoit
pas, sauf tout au nord de l'Argentine, d'affluents impor-
tants. Le défaut d'eaux courantes est en effet l'un des
traits caractéristiques de la plaine pampéenne. Sauf à
l'Est, le long du Parana où, sur un sol moins perméable
et plus humide, se développe un réseau de ruisseaux
permanents, et sauf au pied des montagnes, où des tor-
rents et des rivières irrégulières, gonflés après les
orages, amaigris à la saison sèche, se perdent le plus
souvent en vue des hauteurs qui les ont nourris, il
n'existe pas de drainage superficiel organisé. L'ensemble
de la nappe alluviale pampéenne, dont la barranca du
Parana tranche les couches supérieures, n'est pas
d'origine fluviatile; elle a été portée et étalée par le vent
qui a suppléé ou relayé les eaux courantes. Le limon
pampéen est un présent des vents. La sécheresse crois-
sante du climat vers l'Ouest, à mesure qu'on approche
de la Cordillère, explique l'impuissance de l'érosion
fluviale et l'intensité de l'érosion éolienne.
C'est aussi la sécheresse qui donne son caractère par-
ticulier au modelé des Andes argentines. A peine con-
naissent-elles les neiges éternelles, dont la limite infé-
LES REGIONS NATURELLES. 9
rieure si'clcvc à près de COOO mètres à la IVoiilière de la
Bolivie ; les glaciers y manquent et ne reparaissent au
Sud qu'à la latitude de San Juan et de Mendoza, sur le
flanc des trois géants de la Cordillère méridionale, le
Mercedario, l'Aconquija et le Tupungato. Au-dessous
du petit nombre d'arêtes aiguës qu'ont ciselées les gla-
ciers, et, le plus souvent, jusqu'au sommet de la mon-
tagne, s'étend ce qu'on a appelé d'un mot expressif la zone
des décombres*; là, les neiges d'hiver, rongées par le
soleil à travers l'atmosphère diaphane, forment ces
champs rugueux d'étroites pyramides que les Argentins
comparent à des cortèges de pèlerins vêtus de blanc.
La roche en place y apparaît rarement ; elle est recou-
verte d'un épais manteau de débris éclatés par la gelée
que les eaux sans force libérées par la fonte lente des
neiges accumulent au pied des pentes, au fond des
dépressions. Aux croupes à demi-enfouies succèdent les
bassins de comblement. Dans les vallées du pourtour
de la montagne, les nappes de cailloux détritiques à demi-
roulés s'étalent en immenses lalus; les torrents se sont
enfoncés à travers la masse alluviale, et coulent au pied
de hautes terrasses qui marquent d'anciens fonds de
vallées.
L'expansion de la colonisation vers le Sud pendant la
dernière génération a élargi le territoire argentin au
delà de la limite de ces paysages classiques. Les Andes
de Patagonie diffèrent en effet profondément des Andes
du Nord, et la transformation est brusque comme celle
du climat qui la détermine. En allant au Sud on passe
presque sans intervalle de l'Atlas à la Scandinavie;
l'humidité s'accroît^en effet rapidement en même temps
que la température moyenne s'abaisse ; la montagne
s'enneige, les glaciers s'étendent; ils forment encore
dans une partie de la Patagonie une calotte continue,
1. Schuttzone. H. Keidel, UeberdenBus^erschnee in den araentinischen
Andtn. — Zeilsch. fur Gletscberkunde, IV, pages 31-G«i. Berlin, 1909.
10 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
un inlandsis masquant la roche dans toute la zone
centrale de la Cordillère, et ne sont pourtant que le
reste d'une nappe glaciaire bien plus vaste qui s'est peu
à peu réduite et morcelée. Les glaces ont été ici le prin-
cipal ouvrier du modelé ; elles ont façonné les hauts
plateaux, élargi en auge les vallées profondes qui
coupent la montagne, poli leurs flancs, déposé sur leur
front, au point où elles s'ouvrent, les amphithéâtres de
moraines en arrière desquels se sont accumulées les
eaux des lacs, qui pénètrent vers l'amont comme des
fjords jusqu'au cœur de ia Cordillère et sont la parure
de la Patagonie,
Les eaux de ces montagnes humides ont ciselé à l'Est
le plateau patagonien. Il est traversé par d'amples
vallées puissamment sculptées et dont plusieurs, aban-
données par les rivières qui les ont creusées, sont
aujourd'hui des vallées mortes. Les débris de la destruc-
tion de la montagne et des moraines glaciaires ont été
répandus sur toute la superficie du plateau sous la
forme de nappes de cailloux roulés. Mais les fleuves
nés dans les Andes traversent en descendant vers l'Est
un pays de plus en plus sec ; pas d'affluent qui les gros-
sisse ; rien de l'adoucissement général des lignes, de la
paresse du courant attardé en méandres qui marquent
la dernière étape d'un fleuve en pays humide ; leur pente
reste forte, leurs eaux continuent à charrier des sédi-
ments grossiers, et partout, jusque sur les bords des
vallées, les cannelures du grès, l'escarpement des fa-
laises, pareilles aux relxDixls des hamadas sahariennes,
indiquent le règne d'une autre forme d'érosion que celle
des eaux courantes, et l'influence sur le modelé des
vents d'Ouest. Sur le plateau, le vent polit les cailloux
roulés, y sculpte des facettes et leur donne la patine du
désert.
Ainsi du Nord au Sud de l'Argentine, le contraste est
complet dans le mode de distribution des forces qui
régissent le paysage. Au Nord, les vents humides
LES RÉGIONS NATURELLES. 11
viennent de l'Est: les pluies se réduisent vers l'Ouest.
Les limons couverls d'humus noir de Buenos Aires
sont des dépôts éoliens, apportés par le vent de la
marche désertique qui enferme la Pampa à l'Ouest,
saisis, fixés, transformés par la végétation d'un pays
plus humide. Au Sud au contraire, c'est du Pacifique que
viennent les pluies, et les alluvions lluvio-gîaciaires du
plateau patagonien témoignent des copieuses réserves
d'humidité accumulées dans les Andes, mais le climat
aride sous lequel les eaux les ont abandonnés a marqué
son empreinte à leur surface.
Cette diversité du milieu physique n'est pleinement
mise en lumière que par la colonisation; c'est la coloni-
sation, ce sont les efforts et les tâtonnements de l'indus-
trie humaine pour adapter aux conditions naturelles les
pratiques agricoles ou pastorales, qui permettent de
délimiter les régions naturelles. Dans la différenciation
des régions naturelles, la part de l'histoire est essentielle.
L'introduction de cultures nouvelles donne un sens
géographique à des limites climatologiques restées
jusque-là inaperçues. Telle est la ligne de 400 millimètres
de pluies qui borne à l'Ouest la région des céréales.
Ces limites de cultures restent quelque temps incer-
taines, et peu à peu seulement l'expérience et la tradi-
tion les consacrent. Elles conservent toujours quelque
élasticité progressant ou reculant selon que le marché
des produits récoltés est plus ou moins favorable.
Le perfectionnement des procédés d'exploitation du
sol — adoption de méthodes agricoles plus perfection-
nées, dry farming, etc. — a pour résultat ordinaire
d'étendre le domaine d'un tjq>e de colonisation, en per-
mettant de triompher d'un obstacle naturel qui arrêtait
son expansion. Parfois, au contraire, il fait apparaître
un obstacle nouveau et crée une limite géographique
de plus.
12 LA RÉPUBLigUr: ARGENTINE.
A cette catégorie appartient la limite Nord de la zone
de rélevage sélectionne qui prend en écharpe la plaine
pampéenne depuis la Sierra de Cordoba jusquau
Parana. Le bétail créole plus ou moins dégénéré s'élail
répandu en effet dès le xvii" siècle sur tout le continent
sud-américain, en dehors de la forêt tropicale, s'adap-
tant indifféremment à des conditions de climat très
diverses, depuis les llanos vénézuéliens jusqu'au sertâo
de Bahia et jusqu'aux plaines de l'Argentine. Au con-
traire, les animaux de race, plus précieux mais plus
délicats, introduits dans la Pampa depuis 50 ans, ne
résistent pas à la maladie que leur inocule un parasite,
la garrapate. La limite méridionale de la garrapate a
donc pris brusquement dans la vie économique de
l'Argentine une valeur de premier ordre. La découverte
d'un virus immunisant le bétail contre la fièvre du Texas
lui enlèverait toute signification.
Selon les circonstances la portée d'une même cause
varie à l'infini. La limite de la prairie et de la brousse
{monte) qui l'entoure de tous côtés et la cerne à une
distance de 500 à 700 kilomètres de Buenos Aires, n'a
pas exercé une influence capitale sur la colonisation
primitive : couverte de graminées ou de brousse, la
plaine se prête également à l'élevage extensif ; de pari
et d'autre de la lisière, les estancias se ressemblent.
A la fin du xix*^ siècle, quand les cultures s'étendent, la
prairie prend brusquement l'avantage. Le travail
qu'exige le défrichement de la brousse avant de recevoir
là charrue suffit à détourner d'elle, pour un temps du
Pl. I. — L'Argentine. Les iîégions natlt.elles.
La carte montre la répartition des régions naturelles : les Andes sèches du
Nord-Ouest, avec cultures irriguées; le « monte » ou la brousse, resté le
domaine de l'élevage extensif; les forêts au Nord; la pampa et ses grandes cul-
tures de céréales et de luzernes. La ligne de la frontière de 1875 montre la
rapidité avec laquelle s'est faite l'expansion de la colonisation dans la moitié
occidentale de la plaine pampéenne. Les seules régions qui manquent sur la
carte sont le plateau de Misiones, avec ses forêts tropicales, et les Andes
humides de Patagonie.
Dknis. — I. Argentine.
Pi.. 1
LES RÉGIONS NATURELLES. \o
moins, le couranl de la colonisation agricole. Tandis
que la population du monte, bûcherons et éleveurs, est
autochtone, la prairie seule a absorbé l'immigration
européenne, et la lisière du monte est devenue sur plus
d'un point une IVonlière ethnographique'.
Les transformations introduites par l'homme dans le
paysage végétal sont en général modestes. Les limites
de la zone forestière ont été à peine déplacées. La forêt
de hêtres des Andes méridionales paraît être !une for-
mation plus fragile que le monte qui entoure la pampa,
et elle a été rongée par les incendies .sur toute la bor-
dure de la steppe du Sud du 57" de latitude"'. L'action de
l'homme se borne le plus souvent à altérer la compo-
sition primitive des formations naturelles, sans en
transformer l'apparence générale. C'est ainsi que les
essences précieuses disparaissent de la forêt et de la
brousse, l'alerce et le cyprès sur les lacs patagoniens,
le quebracho rouge à Santiago del Estero.
Une transformation peu sensible aux yeux, mais d'une
valeur économique considérable, est celle qu'a subie
la végétation de la prairie du fait du parcours des trou-
peaux. Au pas(o fuerle, composé de graminées vivaces,
qui constitue la végétation naturelle, succède le pasto
duJce où dominent les espèces annuelles, graminées,
légumineuses, etc., et qui comprend en majorité des
plantes originaires d'Europe. La distinction entre le
pasto dulce et le pasto fuerte ou duro a une telle impor-
tance pour l'éleveur qu'il n'est pour ainsi dire pas un
ouvrage sur l'Argentine, pas un récit de voyage qui n'y
insiste. L'idée que le pasto dulce a progressé réguliè-
rement vers l'Ouest, à partir des environs de Buenos
Aires, étendant sans cesse son domaine, est trop sché-
1. \'oir I>. A. S. Delachaux, Los regiones fisicas de la Répnblica
Ar.jenlina. Hpv. Museo Plafa. XV, 1908, p. 102-151.
"2. Max Rothkugel. Los Dosqiies Palagonicos. Min. de agricultura, Direc-
cion général de agric. y defensa agricola. Oficina de Bosques y Yei-
bales. Buenos Aires, 191G.
li LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
maliquc : eu 1895, Holmbcrg' trace la limite occidentale
de la zone du pasto dulce par Pergamino, Jimin, Bra-
gado, Azul, Ayacucho et Mar Chiquita. Si Ion compare
ces indications à des observations plus anciennes, on
constatera qu'au cours du xix^ siècle la zone du pasto
dulce s'est étendue de ]50 kilomètres environ dans le Sud
de la Pampa. Darwin, allant de Bahia Blanca à Buenos
Aires en 1855, ne rencontre le pasto dulce que vers
Monte, sur la rive gauche du Salado. Plus au Nord, au
contraire, l'extension du pasto dulce ne paraît pas s'être
sensiblement modifiée. L'expédition de 1778aux Salines,
après avoir franchi la frontière des estancias, trouva déjà
des chardons, caractéristiques du pasto dulce dans la
région de Chivilcoysur le Salado, alors abandonnée aux
troupes de bœufs marrons. « Suficiente cardo para
guisar » dit son journal de marche. Cette différence est
liée à l'histoire de la colonisation de la province de
Buenos Aires, qui, de 1800 à 1875, ne gagne de terrain
que vers le Sud. Depuis 1805, le pasto duro est éliminé
non plus par le piétinement des troupeaux, mais par les
labours. Les progrès du pasto dulce ne se réalisent donc
plus le long d'une ligne continue qui se déplace vers
l'Ouest, mais d'une façon sporadique, au hasard des
constructions nouvelles de voies ferrées qui ouvrent la
plaine à la charrue-.
La colonisation ne se borne pas à souligner l'indivi-
dualité de chacune des régions naturelles ; elle noue
entre elles des rapports; elle les associe en un orga-
nisme complexe et vivant qui ne cesse d'évoluer et de
se renouveler.
L'occupation par la colonisation blanche de l'en-
semble du sol argentin est un fait tout récent. La
t. lïolmhergf La Flora de la Republica Argenlina^ dans Secundo Censo
-de la R. A., Tome 1, Buenos Aires, 1898.
2. Diario de la espedicion de J778 a las Salinas. Coll. de Angelis, IV.
LES REGIONS NATURELLES. io
deuxième moitié du xix" siècle a été marquée par un
rapide mouvement d'expansion territoriale. Dans plus
de la moitié du pays, le mot de terres nem'es doit être
pris à la lettre ; depuis une génération seulement elles
ont été arrachées aux Indiens. Il ne peut cire question
ici de retracer l'histoire des relations entre la popu-
lation blanche et les Indiens non soumis du Chaco et
de la Pampa. Les plus redoutables furent, au Nord, les
Abipones et les Tobas; dans la Pampa, les adversaires
des colons étaient des Indiens d'origine Araucane, Ran-
queles, Pehuenches, etc., descendus des montagnes et
devenus cavaliers. A la fin du xviii^ siècle, la frontière
de Buenos Aires était en deçà du Salado et jalonnée
du Sud-Est au Nord-Ouest par les forts de Chascomus,
Monte, Lobos, Navarro, Areco, Salto, Rojas et Me-
lincue. Les propositions de d'Azara pour la reporter
jusqu'au Salado* ne furent pas réalisées, et c'est en 1828
seulement que fut accomplie une nouvelle étape vers
rOucst\
La frontière nouvelle, qui ne devait pas se déplacer
avant 1875, passait par Vinte Cinco deMayo et la Blanca
Grande, à l'extrémité N. W. de la Sierra de Tandil.
Eilc englobait toute la région comprise entre la Sierra
de Tandil et le Salado inférieur où le village de Tandil
venait d'être fondé en 1825. En outre, une ligne de for-
tins reliait Blanca Grande au Sud-Ouest à Bahia Blanca.
Les reconnaissances chargées de rechercher un port au
sud de Tembouchure de la Plata n'avaient pas trouvé
d'i site favorable moins éloigné. Mais Bahia Blanca
devait rester jusque vers 1880 un avant-poste isolé,
!. F. de Azara, Diario de un reconr>cirniento de las f/nardias y forlincs
■y fjuaracren la linea fronlera de B. A.^ 1796. Coll. de Angeiis, t. VL
'2. Les documents recueilli? par de Ang^eUs prouvent clairement
qu'on avait sonore, dès le milieu du xvin» siècle, à occuper toute la
li'aine à l'est de la Sierra de Tandil. Ces velléités d'expansion, dont
le projet de d'Azara est un autre signe, furent interrompues par la
Révolution.
[Diario de D. Pedro Pablo Pabon, Coll. de Angelis, IV. etc.)
16 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
aussi nettement séparé de la zone colonisée de la
Pampa que les établissements de la côte de Patagonie.
Tandis que le domaine des éleveurs s'élargissait ainsi
vers le Sud, il se réduisait au contraire dans le Nord de
la province de Buenos Aires et le sud de Cordoba;
les terres du Rio Cuarto inférieur n'étaient pas occupées.
Vers 1860 (Martin de Moussy), les établissements les
plus avancés dans ce secteur sont S. José de la
Esquina et Saladillo sur le Tercero; la route du Chili
par Rio Cuarto, Achiras et San Luis, était menacée. Les
progrès de la colonisation dans cette zone se manifes-
tèrent d'abord à l'Ouest vers Villa Mercedes sur le Rio-
Quinto; la ligne du Rio Cuarto par la Carlota fut réoc-
cupée et, avant 1875, la frontière avait été reportée au
Rio Quinto, d'où elle rejoignait par Sarmiento, Gainza
et Lavalle, les forts du Sud de Buenos Aires.
En 1878 enfin, le général Roca abandonne les mé-
thodes classiques de guerre contre les Indiens et passe
à l'offensive ; il enlève aux Indiens leurs refuges du Sud
de San Luis et de la Pampa Central et les rejette vers
le désert; l'armée argentine avance sur leurs traces
jusqu'aux Andes et au Rio Negro ; dans l'immense
domaine conquis subsistent à peine quelques traces de
la population indigène dont l'extrême mobilité avait
masqué la faiblesse numérique'.
L'histoire de la frontière du Nord est analogue. A la
fin du xviir siècle, les postes espagnols jalonnaient le
cours du Salado; au nord de Santa Fe ils couvraient à
Sunchales, Soledad, San Javier, la route directe de Santa
Fe à Santiago del Estero. Ces postes sont abandonnés
pendant la période révolutionnaire. Les Indiens pénè-
i. On trouvera dans M. J. Olascoaga, La conquête de la Pampa (Recueil
de documents relatifs à la campagne du Rio Negro (Buenos Aires, 1881),
de précieux renseignements non seulement sur les conditions de la
lutte contre les Indiens, mais sur la distribution dans la région pam-
péenne de leurs » invernadas » (terrains de parcours). Olascoaga tra-
duit leurs « quartiers d'hiver », c'est-à-dire les pâturages où ils
tenaient leur bétail et d'où partaient leurs expéditions.
LES RÉGIONS NATURELLES. 17
Irent jusque dans la banlieue de Santa Fe. Non seule-
ment le ciiemin de Santiago, mais celui de Cordoba par
le Ouebracho Herrado sont coupés'. Urquiza réorganisa
la frontière de Santa Fc d'abord à la hauteur de San
.lavier, puis sous le :20" de latitude entre FArroyo dcl
ixcy sur le Parana et le Tostado sur le Saiado. L'expé-
dition de 1884 amène l'armée argentine sur le Bcrmejo
et brise la résistance des Tobas. Les forts qui gar-
daient plus au Nord la province de Salta ou le revers
des Sierras de la Lumbrera et de Santa-Barbara avaient
été désarmés dès le début du xix^ siècle, les ^tribus de
celte partie du Cliaco n'étant pas hostiles ^
Le souvenir des luttes contre les Indiens est aujour-
d'hui si eiTacé, la menace des incursions des tribus a
été si rapidement abolie que l'on a peine à se repré-
senter pleinement l'influence profonde qu'elle a
exercée sur la colonisation. La ligne des forts n'était
qu'une barrière fragile, incessamment violée. Les
Indiens de la Pampa enlevaient dans les estancias de
Buenos Aires des bœufs qu'ils allaient vendre au Chili.
Le colonel Garcia^ estime en 1810 à 40 000 par an le
nombre des animaux razziés. Le colonel Woca donne
en 1870 le même chilYre. La Pampa n'offrait pas d'ob-
stacles naturels aux déplacements des Indiens, où la
frontière put s'appuyer. D. Pedro Pablo Pabon signale
que le voisinage de la Sierra, loin d'assurer une protec-
tion aux postes qui seraient fondés dans la région de
Tandil, serait une cause d'insécurité de plus, la surveil-
lance étant plus difficile. Vers le Nord, les expéditions
indiennes suivaient les clairières de la brousse en con-
tournant les taches de végétation trop dense, impéné-
trables. La lagune de Mar Ghiquita à l'ouest de Santa
1. Voir Thomas J. Ilutcliiiison, Buenos Aires y olras provincius
arQenlinas. Buenos Aires,^1866.
2. Voir Geronimo de la Serna, Expedicion militar al Chaco. Dol. f,
Geoi,'. Argc-utino, XV, 1894, p. 115-179.
5. iVttei'O plan de frontenis de Li provincia de B. A. Cuil. de Angeli-J.
T. M.
DE^•IS. — L'Arg;ci.li!;c. -2
J8 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
Fe formait un rempart précieux, à l'abri duquel un
groupe de population assez dense s'était fixé autour de
Concepcion del Tio.
Les déplacements de la frontière sont tantôt le résul-
tat d'une poussée de la colonisation, les éleveurs occu-
pant des terres nouvelles en dehors de la ligne des forts
et réclamant une protection, tantôt au contraire ils
résultent d'une décision arbitraire prise par un Gouver-
nement préoccupé d'élargir son territoire sans avoir
encore les moyens de le mettre en valeur. Roca a bien
montré les défauts de ce système d'occupation mili-
taire prématurée. « S'éloigner des contrées habitées
pour gagner du terrain, c'est, selon moi, accumuler tous
les inconvénients de la guerre défensive et placer le
désert entre les nouvelles lignes et les lieux habités...
les invasions se produisent immédiatement' ». On
s'exposerait donc à commettre de graves erreurs si l'on
voulait calquer l'histoire de la colonisation sur celle de
l'occupation militaire. La garnison des fortins n'a d'ail-
leurs pas par elle-même pris une part bien active à
l'exploitation du sol. Le projet conçu par d'Azara de
faire des lanciers « blandengues » des colons et de les
enraciner en leur distribuant des terres paraît avoir été
purement utopique. Sa description de la frontière
montre clairement la faible emprise exercée sur la Pampa
par la colonisation primitive, où le seul élément relative-
ment laborieux est représenté par les groupes de popu-
lation civile — paisanos — qui s'assemblaient autour
des bastions et des fossés des forts. Il n'en est pas de
même sur la frontière de Santiago del Estero, où l'agri-
culture s'ajoutait à l'élevage. Le fort ici se confond avec
le village, chaque soldat a son champ de blé, de maïs
et de pastèques*.
1. Lettre au Ministre de la Guerre, 19 octobre 1875.
2. Voir le tableau curieux que donne Hulchinson de la vie militaire
sur le Rio Salado de Santiago au milieu du xix* siècle.
LES RÉGIONS NATURELLES. l'J
Les provinces dont l'union devait former la Répu-
blique Argentine n'avaient pas d'unité économique.
Elles formaient à vrai dire un pays double, deux mondes
à part, régions du littoral et régions de la montagne,
{de arriba), unis, mais non fondus par la grande route
de Buenos Aires au Pérou par Cordoba, Tucuman et
Salta. Elles représentaient deux rameaux différents de
la colonisation espagnole. « Deux courants humains, dit
Mitre, contribuèrent à peupler la vice-royauté.... Le
premier venait directement d'Espagne, la mère-patrie;
il occupait et peuplait les rives du bassin du Rio de la
Plata, au nom du droit de découverte et de conquête, et
les fécondait par son travail. L'autre venait de l'ancien
empire des Incas, déjà subjugué par les armes espa-
gnoles, s'avançait vers l'intérieur du pays qu'il traver-
sait en allant du Pacifique à l'Atlantique, occupait les
territoires de par les mêmes droits et les exploitait
selon un système de, servage féodal.... La même année,
en 1555, étaient fondées les deux villes de Buenos Aires
et de Lima, centre de ces deux cycles de découvertes
cl de conquêtes, et, 58 ans plus tard, simultanément, au
cours de la môme année, en 1575, les Conquistadores
venus du Pjérou fondaient la ville de Cordoba, à 00 lieues
du Parana, tandis que ceux du Rio de la Plata fondaient-
la ville de Santa Fe sur les rives du fleuve' ».
Comme Tucuman et Salta furent fondés par des
conquérants venus du Pérou, San Juan et Mendoza sont
bâties par des Espagnols du Chili. La limite entre les
deux zones de colonisation passe à travers les immenses
plaines désertes de l'intérieur, et non sur les hauts pla-
teaux des Andes.
Tout distinguait l'une de l'autre les deux Argentines :
le sang aussi bien que le milieu physique; la race indi-
gène, éliminée sur la côte, s'était intimement mélangée
à la race conquérante dans l'intérieur.
1. Mitre, Historia de Belgrano, I, chap. 1, pages i el 5.
20 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
Les établissements du Rio de la Plala n'avaient été à
l'origine qu'une étape sur la route du Pérou, sans
valeur propre. Les Hauts-Plateaux des Andes restèrent
longtemps le centre économique de l'Amérique espa-
gnole, et les provinces de l'intérieur qui leur vendaient
des bœufs et des mules en dépendaient étroitement. La
fin du xvm" siècle est marquée par de rapides progrès
de la région pampéennc ; la Vice-Roj'auté de la Plata
est créée ; la liberté du commerce entre Buenos Aires et
les ports espagnols est établie; l'exporlalion des cuirs
se développe; l'influence de Buenos Aires s'étend vers
l'intérieur et pénètre, malgré la douane de Cordoba,
jusque dans les régions du Nord-Ouest. « La création
de la Vice-Royauté, dit le Dean Funes', et la direction
nouvelle prise par le commerce eurent pour résultat que
Buenos Aires devint le centre d'affaires nombreuses et
importantes. »
Ce mouvement commercial, qui paraissait devoir
associer dès cette date les deux moitiés du territoire
argentin, s'interrompt pendant la première moitié du
XIX* siècle. Les liens qui unissent les provinces du Nord-
Ouest au plateau et au versant du Pacifique, loin de se
relâcher, deviennent plus variés et plus étroits. Les
convois de mules qui portent aux ateliers métallur-
giques du versant Chilien les minerais de San Juan et
de la Rioja animent la Cordillère. Quand le Chili, trans-
formé en pays agricole, cesse de suffire à sa consomma-
tion en bétail, les oasis du versant argentin étendent
leurs luzernières et s'enrichissent à engraisser les trou-
peaux qui franchissent les montagnes. Les provinces de
Mendoza, San Juan, la Rioja, Catamarca, Tucuman,
Salta, gravitent dans l'orbite des pays andins\ Ce
1. D. Gregorio Funes, Ensayo de la hisloria civil del Paraguay,
Buenos Ailles y Tucuman. Buenos Aires, 3 vol in-16, 1816.
2. La carte de Woodbiue Parish (1839) place Tinogasta à 100 km. de
sa position réelle, au pied même du col de Coine Caballos, réduisant
de près de moitié sa distance de Copiapo, sur le versant chilien.
LES RÉGIONS NATURELLES. 21
recul de rinnucncc de Buenos Aires s'explique par des
raisons historiques. Les guerres de la période révolu-
tionnaire, les conflits entre le gouvernement de Buenos
Aires cl les puissances maritimes entravent l'essor com-
mercial des rives de la Plata. L'isolement politique de
la province de Buenos Aires, sous le gouvernement de
Rosas, dure jusqu'en J855. Ponce!' donne une statis-
tique des importations à Catamarca qui montre toute
l'importance de cette date dans l'histoire du commerce
argentin.
Années
Inipoilations dans !a province de ■ „t—
Catamarca : 18à0 51 52 55 54
Par le Pacifique à travers la Cordil-
lère (en milliers de piastres) ... 72 50 71 40 12
Par l'Atlantique (Buenos Aires ou
Rosario) 11 7 20 G4 ilO
En 1854-1855, la voie des Cordillères perd définitive-
ment pour Catamarca le caractère d'une route commer-
ciale et ne sert plus qu'à l'exportation des bœufs.
Mais l'attraction exercée par Buenos Aires après 1853
ne tient pas seulement à son rôle commercial et à sa
fonction d'intermédiaire entre les provinces de l'inté-
rieur et l'Europe. Elle est fondée surtout sur le dévelop-
pement économique de la région pampéenne, qui
débute vers cette date et rompt l'équilibre entre les
deux moitiés de l'Argentine. La mise en valeur de la
Pampa, la rénovation des méthodes d'élevage, l'intro-
duction et l'expansion des cultures dans la plaine pam-
péenne, qui remplissent toutes les publications sur l'Ar-
gentine moderne, sont en elles-mêmes un des grands
événements de l'histoire économique du xix" siècle.
Mais elles ont eu de plus des effets indirects et profonds
sur la vie des autres parties de l'Argentine. La puis-
sance de consommation de la Pampa s'est accrue en
même temps que sa richesse et sa population. Elle a
1. B. Poncel, Mes Ilinérnircs dans les Provinces du Rio de la Plata,
Province de Catamarca. Paris, 1864, in-8.
22 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
absorbé la production des provinces qui l'entouraient;
elle leur a imposé sa clientèle, répartissant entre elles,
selon les services qu'elle en reçoit, une partie de l'or qui
lui parvient d'outre-Atlantique. L'une après l'autre, les
provinces ont vu se dénouer les relations traditionnelles
qui les rattachaient à l'étranger. Partout, sur le pour-
tour de la zone des céréales et des luzernes, la même
évolution s'est produite ; l'orientation des courants
commerciaux s'est renversée. Tantôt la transformation
remonte déjà à plus d'une génération : à Tucuman, à
Mendoza; tantôt elle se produit sous nos yeux, à Salta,
à San Juan ; tantôt elle se prépare pour un avenir tout
proche, dans les vallées les plus retirées, à Jachal, à
Santa Maria. Par une anomalie singulière, le Far West
nord-américain, né depuis un demi-siècle, tend à se
dégager de jour en jour de l'influence des régions de
l'Est, qui lui ont fourni capitaux et immigrants, et ce
Far West argentin, aussi ancien que l'Est argentin lui-
même, qui n'est nullement son œuvre, qui a grandi iso-
lément et librement, déjà adulte et déjà riche lorsqu'ils
entrèrent en contact, a été réduit par lui en peu d'années
à une étroite dépendance.
La vie du pays tout entier est comme suspendue au
grand mouvement de colonisation qui a transformé la
plaine pampéenne. Elle lui a valu une unité économique
qui s'est aussitôt reflétée dans son régime politique. Le
chemin de fer de Buenos Aires atteint Tucuman avant
1880, Mendoza, San Juan, Salta, Catamarca avant
1890, la Rioja avant 1900. L'établissement de rapports
économiques plus étroits entre le littoral et les pro-
vinces de l'intérieur a presque toujours marqué pour
elles le début d'une période d'intense prospérité. Par-
tout, l'influence de Buenos Aires vivifie, secoue la
torpeur, répand la richesse.
Non seulement le littoral s'est réservé la production
des provinces occidentales jadis destinées à d'autres
marchés, mais, pour satisfaire à ses besoins, des]centres
LES RÉGIONS NATURELLES. 2.'
nouveaux de production se sont formés; les forêts du
Chaco se peuplent de bûcherons pour façonner les tra-
verses de ses voies ferrées; la vallée du Rio Negro se
plante de vignes pour fournir de vin les colonies de la
région de Bahia Blanca. L'attraction de la Pampa se
fait sentir jusqu'au delà des frontières. Le Paraguay
rivalise avec Corrientes pour l'approvisionner de tabac
et d'oranges, avec Misiones pour lui livrer la feuille de
la yerba mate. Chaque région choisit les cultures qui
conviennent le mieux à son climat pour tirer de ses
relations avec Buenos Aires tout le bénéfice possible.
Les deux satellites les plus brillants de la Pampa,
les deux foyers de production les plus importants de
l'intérieur sont Tucuman et Mendoza, toutes les autres
villes importantes de l'Argentine appartenant elles-
mêmes à la région pampéenne. Tucuman et Mendoza,
qui vivent d'approvisionner la Pampa en sucre et en
vin, sont devenues à leur tour des centres d'attraction
secondaires. Sortes de capitales régionales, elles ont,
elles aussi, leur zone de dépendance économique; un
faisceau de courants commerciaux s'est noué autour de
chacune d'elles, déterminant la création de routes nou-
velles. Ces lignes d'intérêt local sont aisément recon-
naissables sur la carte des chemins de fer, oij elles se
surajoutent à l'éventail régulier des voies qui conver-
gent vers Buenos Aires. La Rioja fournit les échalas
qui portent les vignes de San Juan et de Mendoza. Du
Nord de Cordoba jusqu'à Salta, à 500 kilomètres à la
ronde, on coupe le bois de chauffe pour les sucreries de
Tucuman ; Santiago sèche le fourrage nécessaire à ses
troupes de mules; les prairies de Gatamarca, où s'en-
graissaient autrefois des bœufs destinés au Chili et
venus parfois de Tucuman même, vendent aujourd'hui
leur bétail aux bouchers de Tucuman; les vins de San
Juan ont à Tucuman leur meilleure clientèle. Les frac-
tions les plus voisines de la «plaine pampéenne elle-
même, dans le Nord-Est de Santa Fe et le Sud de San-
24 LA RÉPUBLIOUE ARGENTINE.
Luis, expédient des maïs et des blés à Tuciiman et à
Mendoza, au lieu de les envoyer aux ports d'exporta-
tion.
Si TArgenlinc vit de la Pampa, la Pampa vit de l'ex-
portation. Elle a été mise en valeur par l'afflux des
immigrants européens. L'Europe s'acquitte en lui en-
voyant en échange ses produits manufacturés et ses
capitaux. Sauf en ce qui concerne les émigrants, les
Etats-Unis jouaient, vis-à-vis de l'Argentine, dès avant
la guerre, un rôle analogue à celui des pays de l'Europe
Occidentale. Ainsi la prospérité économique de l'Ar-
gentine l'associe de plus en plus intimement avec la vie
de l'ensemble du monde. Sa situation dans la zone tem-
pérée de l'Amérique du Sud avait retardé sa participa-
tion au commerce mondial. Elle explique la lenteur avec
laquelle la colonisation y progressa à l'origine. Son
climat et ses produits étaient trop semblables à ceux de
l'Espagne : non seulement les centres miniers et métal-
lurgiques des Andes ou de la Mantiqueira, mais aussi
les régions sucrières et cotonnières du Brésil, des An-
tilles et des Guyanes, ont été des foyers de production
plus précoces que les plaines pampéennes.
L'Ai^entine ne prit sa revanche que lorsque l'accrois-
sement de la population dans les pays industriels de
l'Europe les rendit tributaires de l'étranger pour leur
alimentation, et lorsque la navigation à vapeur permit
l'exportation en grand des laines, des viandes et des
céréales.
Si l'on compare l'organisation économique de l'Ar-
gentine avec celle des États-Unis, on observera qu'elle
est à la fois moins complexe et moins capable de se
suffire à elle-même. Ces différences ont leur raison
dans l'architecture même du pays. J'ai signalé en tête
de ce chapitre qu'il manque à l'Argentine l'équivalent
de la zone des Plateaux atlantiques, qui constitue au-
LES RÉGIONS XATUIŒLLES. 25
jourcriiui la grande région industrielle do l'Amériquo
du Nord. La prospérité industrielle de l'P^st nord-amé-
ricain assure aux agriculteurs de l'Ouesl un marché
intérieur et les dispense d'exporter leurs récoltes. En
outre, les plateaux atlantiques, foyers primitifs de peu-
plement, où les premières générations de colons vécu-
rent sur des terres souvent ingrates, ont vu se former
peu à peu des réserves d'hommes et de capitaux qui
s'employèrent plus tard à la colonisation de l'Ouest.
L'Est a tamisé, et pour ainsi dire contrôlé, l'influence de
l'Europe moderne sur la colonisation des Etats-Unis.
Il a encadré, assimilé les émigrants nouveaux-venus
qui partirent vers l'Ouest, mêlés aux troupes de pion-
niers nationaux en voyage vers la prairie. De même,
lorsque les capitaux européens ont afllué aux Etats-Unis,
ils y ont trouvé dans les villes de l'Est une épargne
puissante, un personnel de financiers entre les mains
desquels ils ont dû s'abandonner.
Tout, en Argentine, rappelle au contraire la dépen-
dance étroite et directe du pays à l'égard des marchés
d'outre-mer. Le sol lui-même porte l'empreinte de cette
solidarité. Elle se marque par le tracé du réseau des
voies ferrées, par la concentration de la })opulation
urbaine dans les ports, par la répartition des zones de
cultures en cercles concentriques limités souvent, non
par un obstacle physique, mais par l'élévation du fret
entre le lieu de production et le port d'embarquement.
Ainsi s'expriment géographiquement des faits qui pa-
raissent au premier abord d'ordre purement économique
ou sociologique.
CHAPITRE II
LES OASIS DU NORD-OUEST ET LA VIE PASTORALE
DANS LA BROUSSE
Les zones d'habitation des Andes du Nord-Ouest. — Vallès,
Quehradas. Puna. — Les coutumes d'eau des valles. — Les routes
historiques. — Les convois de bétail. — Le dressage des mules
et les foires. — La lutté des éleveurs contre la sécheresse. —
La sierra de los Llanos.
Toute vie et toute richessse dans les provinces arides
du Nord-Ouest de l'Argentine sont liées à l'irrigation,
et les points d'eau y fixent pour l'éternité le site des
établissements humains. Les ressources en eau sont
distribuées inégalement : elles sont particulièrement
aliondantes au Sud (San Juan, Mendoza, San Rafaël),
où les torrents de la Cordillère sont nourris par les gla-
ciers, et sur la bordure externe de la montagne au-
dessus du Chaco, au pied de l'Aconquija, qui amasse
sur son flanc les nuages et les pluies (Tucuman). Dans
l'intervalle, au contraire, sur le territoire de la Rioja
et de Catamarca, et si l'on pénètre au Nord-Ouest de
Tucuman à l'intérieur de la zone montagneuse, le débit
des eaux disponibles se réduit; les oasis ne forment
plus que des taches minuscules et espacées.
Cette inégalité naturelle n'a pas été sensible dès l'ori-
gine : pendant longtemps, l'extension des cultures et le
progrès de la richesse furent limités seulement par la
faible densité du peuplement, par la difficulté des trans-
ports et par l'insuffisante capacité des marchés de con-
sommation. Les oasis les mieux dotées dédaignaient et
laissaient se perdre l'excédent d'eau dont elles n'avaient
•28 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
pas remploi. Il faut venir jusqu'à la fin du xix" siècle
pour que les hommes se heurtent aux limiies que la
nature a mises à la colonisation et mesurent exactement
leur domaine. Alors seulement la Rioja renonce à riva-
liser avecMendoza, ou Catamarca avec Tucuman. Tan-
dis que de grandes cultures industrielles se développent
à Mendoza et à Tucuman, que de puissants foyers de
vie urhaine s'y forment, que la population s'y multiplie
et que les immigrants y affluent, les oasis de l'intérieur
se transforment à peine ; la population ne s'y renouvelle
pas; la vie y conserve un cachet d'archaïsme qu'on ne
retrouverait nulle part ailleurs en Argentine : les con-
ditions physiques ont ralenti et, pour ainsi dire, cris-
tallisé l'évolution économique. La génération présente
exploite encore le sol selon des traditions qui remon-
tent en partie aux indigènes, maîtres des conquérants
espagnols dans l'art de l'irrigation . L'industrie des
convois de bétail et de l'engraissage, qui fut jadis pour
le pays tout entier la principale source de richesse, s'y
pratique encore sous nos yeux.
La zone des hauts plateaux andins sans écoulement
vers la mer, — la « Puna », — mesure encore sous le
22°L. S., à la frontière Nord de l'Argentine, une largeur
de 500kiiomctres. Cette largeur se réduit progressive-
ment au Sud jusque vers le 28", où la Puna s'interrompt
à la hauteur de la route de Tinogasta à Copiapo.
A l'Est et au Sud de la Puna, les Andes argentines
sont découpées par quelques grandes fosses allongées
du Nord au Sud et par des bassins plus vastes, entre
lesquels se dressent de' hautes chaînes massives aux
versants escarpés. Les uns sont encastrés au cœur de
la montagne, d'autres s'ouvrent comme des golfes sur
la bordure de la plaine. Ces dépressions aux rebords
rectilignes sont un trait fréquent dans la topographie
des Andes à cette latitude. La plaine centrale du Chili
LES OASIS DU X.-O. ET LA VIE PASTORALE. 23
présente avec elles une étroite parenté. Dans le voca-
bulaire argentin, elles portent le nom de « valles » :
val le de Lcrma, valle Calchaqui, valle de Iglesias, de
Calingasta, d'L'spallata. Ce ne sont pourtant pas des
vallées, en ce sens qu'elles n'ont pas été creusées par
lérosion de l'eau courante, et qu'elles ont pour origine
des mouvements tectoniques, effondrements ou gaucliis-
sements de la surface. Les maigres rivières des Andes
sèches ne sont pas de taille à accomplir un aussi gros
œuvre. Lorsqu'elles empruntent le valle, elles y parais-
sent perdues dans un cadre démesuré; souvent elles y
tarissent en abandonnant les dépôts et les sels dont elles
sont chargées. Ailleurs elles franchissent le valle trans-
versalement, et s'en échappent à l'aval par d'étroites
brèche^, tandis que la dépression se poursuit de part et
d'autre, englobant des tronçons de rivières indépen-
dantes.
Au valle s'oppose le ravin d'érosion, sculpté par les
eaux, la « Ouebrada ». Elle s'ouvre sur le valle par une
issue en V aigu, qui s'évase vers le haut, et où l'œil
reconnaît des versants emboîtés et les étapes succes-
sives du creusement. Etroite et sinueuse, le lit plat de
galets occupant tout le fond du thalweg, elle se relève
rapidement vers l'amont, et ouvre une route du valle
vers la Puna. Valles, Ouebradas, Puna, telles sont les
trois zones d'habitation des Andes. La première est la
plus riche, et l'habitant du valle, fier de son aisance
relative, réserve à ses voisins des Quebradas et de la
Puna, à la « coyada », un mépris dont on trouverait
l'équivalant dans tous les bons pays d'Europe pour la
{)opulation des terres moins favorisées d'alentour.
Les pluies sont d'autant plus rares que le valle est
plus enfermé. Les observations donnent 1 10 millimètres
de pluie par an à Tinogasta, 290 à Andalgala, 200 à
Santa Maria. Salta et Jujuy ont un climat beaucoup
moins sec et ne reçoivent pas moins de 570 et 740 mil-
limètres de pluie : c'est que le chaînon oriental des An-
30 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
(les, qui va de la Sierra de Santa Victoria sur la frontière
bolivienne à l'Aconquija, s'abaisse à la hauteur de Salta
et laisse pénétrer l'humidité du Chaco jusqu'au cœur de
la zone andine. Les pluies de Salta et de Jujuy s'inter-
rompent pendant l'hiver; leur concentration pendant les
mois d'été (novembre à mars) permet de pratiquer sans
irrigation la culture du maïs, qui se contente de pluies
d'été. Mais si l'on suit de Salta vers le Sud le valle de
Lerma, la récolte du maïs devient de plus en plus incer-
taine, et il cesse d'être semé en terrain sec à 30 kilo-
mètres de Salta, à la hauteur du confluent du rio Arias
avec le Juramento. Les pluies d'été, qui mûrissent les
maïs, sont au contraire néfastes à la vigne et gâtent le
raisin. Aussi la limite méridionale des cultures de maïs
en terrain sec correspond-elle à peu près à la limite
septentrionale de la vigne : là est vraiment l'entrée du
paysage typique des valles.
La nécessité de l'irrigation résulte de la rareté des
pluies, mais elle est accrue par tout un ensemble de
causes qui tendent à accentuer la sécheresse. Les
valles sont le domaine de vents diurnes à l'haleine brû-
lante, la « zonda >;, venls de foehn sans doute, pareils
au Gletscherfresser des Alpes suisses, qui, faute de
neiges, dévorent l'eau des sources et des rigoles d'ar-
rosage, ou s'emparent des dépôts apportés par les eaux
pour édifier des dunes et les pousser au Sud, parfois en
véritables glaciers de sable. En outre, le sol des valles
est constitué généralement d'alluvions grossières per-
méables, qui boivent aussitôt les orages. Un immense
talus fortement incliné de cailloux à peine roulés
s'appuie de part et d'autre sur le flanc des massifs qui
encadrent chaque vallée. Cette double zone détritique
est étrangement solitaire; la végétation s'y réduit à des
buissons isolés de jarilla et de tola. Des bergeries de la
montagne aux oasis des vallées, c'est à peine si l'on
rencontre une habitation. Le fond de la vallée est moins
déshérité : le lit desséché d'un oued y trace un large
LES OASIS DU X.-O. ET LA VIE PASTORALK. r.l
ruban de sables, et, sur les limons de ses rives, lorsque
la nappe d'eau souterraine n'est pas trop profonde, se
maintiennent, malgré la dent des chèvres et des ânes
et malgré les charbonniers, quelques bois d'algarrobes,
où s'approvisionnent en combustible les établissements
métallurgiques.
Les alluvions modernes, cailloux et sables, repré-
sentent l'étage supérieur d'une série puissante de dépôts
continentaux qui recouvrent le socle cristallin et pa-
léozoïque des Andes'. Ils comprennent surtout des grès
rouges et des marnes bigarrées, qui percent par endroits
la couverture alluviale, et déterminent un modelé
rugueux, mordu par l'érosion des eaux sauvages et du
vent. Aucune trace d'humus; rien ne masque les teintes
vives de la roche. Bodenbender', à qui l'on doit le pre-
mier essai général de classification de cette série,
montre bien l'importance de la répartition de ses difîé-
l'ents étages pour la distribution des ressources en eau,
partant pour les conditions de la vie humaine. Une étude
géographique complète ne pourrait se dispenser de
suivre dans le détail la description géologique : tantôt,
— sur la bordure orientale de la sierra de los Llanos,
— les limons fins modernes sont en contact avec les
granits de la sierra et forment au-dessus des étages
inférieurs une nappe profonde, riche en eau douce;
tantôt, — au Sud-Ouest de la sierra de Famatina, jus-
qu'au Bermejo, — les grès rouges affleurent seuls; les
plateaux de Talampaya et d'Ischigualasta, que décou-
pent les gorges des affluents du Bermejo, forment là
une des régions les plus nettement désertiques du ter-
1. Celte série, qui va du peniiien au tertiaire, comprend aussi, no-
lainment dans la région des (haines subandines, sur la bordure du
Chaco, des étages marins (voir Bonarelli, Las sierras subandinas del
Alto y Aguarac/iie y los yacimientos petroliferos del distrito minero de Tar-
layal. Ann. Min. Agric, Seccion Geologia, Mineralogia y Mineria, VIII,
n° 4. Buenos Aires, 1915).
2. G. Bodenbender, Parle méridional de la Provincia de la Rioja y
reyiones limitrofcs (Ann. Min. Agric, Seccion Geol., Minerai, y Mineria,
vil, n* 5. Buenos Aires, 1912).
52 LA RÉPUBLIQUE ARGENTL\E.
ritoire argentin. Partoui où les couches gypsifères des
marnes des Calchaqui sont voisines de la superficie,
les sources sont salées. Les ondulations du sous-so!
rocheux imperméable ramènent au jour les eaux qui
circulent dans les alluvions meubles : c'est ainsi que
les ruisseaux qui descendent à l'Ouest de la Famatina
se perdent dans leurs alluvions sur la bordure de la
Sierra, mais reparaissent momentanément à loasis de
Pagancillo.
Il s'en faut donc de beaucoup que le valle soit tout
entier productif. Les oasis n'y couvrent qu'un espace
limité. On ne peut imaginer de contraste plus saisissant
que celui que font, avec le désert qui l'environne, la fraî-
cheur et l'aclivité de ces oasis. Des rideaux de peupliers
les abritent contre la zonda. L'eau court sur des rigoles
pavées de cailloux roulés, sous les treilles, au pied des-
quelles, par économie d'eau et d'espace, on sème de la
luzerne. Chaque jardin nourrit une famille. Auprès des
habitations de brique crue, se dressent de grandes am-
phores de terre, de hauteur d'homme, qui servent à
conserver le grain. Le marteau des tonneliers résonne.
Parfois l'oasis s'abreuve à la rivière. Alors de part et
d'autre de son lit, où fdtre le courant, les cultures for-
ment une double frange étroite, un ruban continu de
jardins riants où le chemin se cache. En amont et en
aval de Santa Maria, une tranchée est ouverte de mille
en mille dans les sables humides du Rio. L'eau y sourd,
la remplit, et se laisse guider par elle vers l'une des
rives où elle est jalousement recueillie et distribuée;
l'eau qui s'écoule des champs irrigués et retourne à la
rivière, et celle qu'a laissé passer dans le lit le léger
talus de la tranchée, vont alimenter plus bas une autre
rigole et d'autres champs. La région de los Sauces,
dans le Nord de la province de la Rioja, au Sud de Tino-
gasta, offre un autre exemple de cultures irriguées, liées
au cours sableux d'un oued. Elles suivent sur 60 kilo-
mètres l'artère nourricière, saignée au rentrant de
LES OASIS DU N.-O. ET LA VIE PASTORALE. 35
chaque méandre, et dont les eaux, richesse mystérieuse,
nafllcurcnt pas.
Mais, le plus souvent, le valle n'a pas d'eaux cou-
rantes. Celles qui lui parviennent parles quebradas laté-
rales s'infiltrent dans leurs propres alluvions accumulées
au débouché de la quebrada dans le valle. Pour les
utiliser, les cultures se sont groupées sur le cône de
déjection; c'est le site de la très grande majorité des
oasis. Une « costa » est une ligne d'oasis espacées,
adossées à un même versant. Lorsque le valle est étroit,
les deux costas se font face de part et d'autre de la
dépression déserte, comme les étapes de deux chemins
parallèles. L'eau de la quebrada ne suffit jamais à irri-
guer le cône torrentiel tout entier. On a choisi, pour y
créer l'oasis, la zone la plus aisément cultivable, qui est
d'ordinaire le pied du cône, où les dépôts sont plus fins
et plus fertiles, conservent mieux l'humidité et exigent
un arrosage moins fréquent. Le sommet du cône est au
contraire composé de cailloulis grossiers, que les crues
abandonnent d'abord, à mesure qu'elles perdent leurs
forces; ce sont de mauvaises terres oîi l'eau se gaspille
sans profit.
Pour lutter contre la rareté de l'eau, contre le danger
des crues inattendues sur cette zone alluviale qui est
tout entière le domaine du torrent, il a fallu une atten-
tion, une ingéniosité toujours renouvelée. A Colalao del
Valle, les cultures sont établies à deux lieues du som-
met du cône. A la suite d'un cycle d'années sèches, le
filet d'eau qui y parvenait au flanc du cône perdit la
moitié de son volume et menaça de tarir entièrement.
On construisit alors, au débouché de la quebrada, un
barrage maçonné, derrière lequel les eaux s'amassent
pendant la nuit. Le matin, à trois heures, on ouvre les
vannes, et le ruisseau, ayant ainsi réservé ses forces,
parvient en aval aux cultures vers sept heures du matin.
Puis le soleil et le vent se lèvent en même temps que le
réservoir se vide, et, vers le milieu de la journée, l'eau
Dems. — LAriieii'.ine. 5
U LA REPUBLIQUE ARGENTLNE.
s'arrête et l'irrigation s'interrompt. A Andalgaîa, que
surplombe la crête étincelante de l'Aconquija, les eaux
de fonte des neiges qui alimentent le torrent n'ont pas
le temps de se décanter avant l'entrée du valle, et y
arrivent chargées de boues et de sables. Au-dessus de
l'origine des canaux d'irrigation, on dispose, dans le lit
du torrent, des barrages de fascines et de branches qui
arrêtent l'eau et la filtrent. Chaque crue les balaie, et
chaque fois on les rétablit.
Le plus admirable n'est pas la souplesse avec laquelle
le vallista a tiré parti des ressources naturelles, mais la
minutie des droits d'usage de l'eau. Il semble que le
vallista se soit ingénié plus encore à s'assurer contre
son prochain que contre la nature elle-même. Les cou-
tumes d'eau des vallées andines vaudraient une longue
étude. L'eau n'appartient point ici à l'Etat, qui en
accorde Tusage par concession; elle est de domaine
privé. Le propriétaire en use et en abuse à son gré et
l'emploie librement sur les terres qu'il choisit. Un tel
est pauvre en terre et riche en eau et peut en vendre ; les
transactions portant sur les droits d'eau sont fré-
quentes; l'eau a son cours comme la terre elle-même et
ses produits. L'appropriation de l'eau précède souvent
celle du sol. Beaucoup d'oasis sont des communautés
où les terres non irriguées sont indivises entre toute la
population, tandis que les terres irriguées seules ont
été partagées.
-Un premier groupe de coutumes règle les rapports
entre les communautés placées en amont et en aval sur
un même cours d'eau. A Catamarca, Piedra Blanca et
Valle Viejo se partagent les eaux d'mi même ruisseau.
Piedra Blanca, en amont, absorbe toute l'eau pendant
huit jours, mais pendant les huit jours qui suivent elle
suspend l'arrosage et laisse le courant descendre la
vallée. Le soir même, ou le lendemain matin, suivant
la saison, les eaux arrivent à Valle Viejo. C'est la cou-
tume qu'on nomme las « quiebras « dans les vallées
LES OASIS DU N.-O. ET LA VIE PASTORALE. Ô5
méridionales de la côte désertique péruvienne, où elle
permet la coexistence de plusieurs étages de cultures.
De morne en amont de Santa Maria, oii plusieurs com-
munautés, S. José, Loro Huasi, etc., reçoivent l'eau du
canal de dérivation du rio Santa Maria, chacune d'elles
a droit au débit complet du canal pendant trois jours,
au bout desquels on baisse ses écluses, et l'eau revient
à la communauté inférieure. Malheur à l'oasis qui laisse
prescrire ses droits et n'astreint pas les communautés
d'amont à les respecter.
Entre les particuliers, le droit d'eau est le plus sou-
vent défini en mesure de temps, par un nombre de jours
ou d'heures, pendant lesquels le propriétaire dispose
de tout le débit de la source ou du ruisseau. C'est seu-
lement lorsque l'eau est plus abondante qu'on voit
apparaître une autre façon de fixer le droit d'eau, et
qu'il est défini en mesure de débit. On dit alors que
l'eau est « demarcada » : l'unité de débit traditionnelle
est en effet le marco ; c'est le volume que laisse passer
une ouverture de 21 centimètres de large environ sur
8 de hauteur. Le marco se divise à l'infini, chaque sub-
division ayant aussi son nom, la « naranja », la « bom-
billa », la « paja ».
Gomme toutes les eaux sont utilisées, et comme les
droits de tous sont également respectables, la division
de l'eau en marcos (demarcacion) n'est pratiquement
qu'une répartition proportionnelle entre les ayants
droit des eaux disponibles. Si la somme des droits
exprimés en marcos représente à peu près le débit du
ruisseau en saison moyenne, à l'étiage elle le surpasse
notablement, et l'eau cesse de couler à plein bord dans
les marcos. La quantité d'eau attribuée à chacun s'enfle
ou se réduit suivant que le ruisseau grossit ou diminue.
En théorie, lorsque le droit d'eau est défini en marcos,
il est permanent. Cependant il est souvent impossible
de donner à chaque propriétaire l'eau à titre permanent.
Même dans les oasis à eau démarquée, le « turno »,
56 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
c'est-à-dire le roulement des propriétaires pour l'attri-
bution de l'eau, qui est la règle absolue pour les oasis
les plus pauvres, reparaît pendant les mois d'indigence,
en hiver, où les pluies manquent, et au début de l'été.
Il reparaît aussi quand la propriété s'est divisée en
fractions trop petites, et qu'il y a avantage à remplacer
par un volume d'eau plus important accordé pendant
quelques heures un filet d'eau constant, mais si débile
que l'emploi en serait impossible. A Andalgala, le rou-
lement est tantôt obligatoire et réglé par la coutume sur
les canaux où les propriétaires irrigants sont trop nom-
breux, tantôt facultatif et établi par une convention des
propriétaires eux-mêmes, lorsque l'eau manque. A Valle
Viejo (Catamarca), si les eaux baissent, on établit la
« mita », c'est-à-dire que les vannes de chaque canal
restent fermées à tour de rôle pendant quatre jours sur
huit, chaque propriétaire renonçant à son droit perma-
nent pour recevoir un débit double, lorsque vient son
heure. A Valle Viejo aussi, tandis que les propriétés
importantes, qui ont conservé un marc d'eau entier,
ont, en saison favorable, l'eau permanente, pour les
droits d'eau moindres, représentant seulement une
fraction de marc, on préfère distribuer un marc entier
pendant une durée limitée. Ainsi le turno est une pra-
tique universelle. Partout on peut voir, guettant l'heure,
et comme à l'affût le long des acequias, le cultivateur
attendant le moment de fermer d'une pelletée d'argile
la rigole du voisin, et d'ouvrir d'un coup de bêche le
talus qui borde son champ pour y laisser pénétrer le
courant.
Les précautions les plus minutieuses sont prises pour
que nul ne soit lésé. L'irrigation étant toujours moins
bien faite et plus lente la nuit, de turno en turno, l'heure
de chacun revient alternativement de jour et de nuit.
Lorsque la communauté reçoit son eau d'une autre
communauté placée en amont, l'ordre de roulement
entre ses membres varie chaque fois. L'eau arrive en
LUS OASIS DU N.-O. ET LA VIL PASTORALE. r,7
eftet chargée de troubles, poussant devant elle une
nappe de boue liquide comme la crue d'un torrent; peu
h peu seulement, le courant devient régulier et clair. Le
})remier irrigant exerce son droit dans des conditions
désavantageuses. Suivant les expressions locales, la
« volcada de agua » est moins profitable que le « coitc
de agua », c'est-à-dire l'irrigation commencée quand
l'acequia est déjà pleine.
L'irrigation occupe tout un personnel d'arbitres et
d'administrateurs. Les principaux, qui exercent une
juridiction d'ordre supérieur, et assurent l'exacte distri-
bution des eaux entre plusieurs canaux ou entre plu-
sieurs communautés, sont aujourd'hui pour la plupart
des fonctionnaires administratifs, désignés par les
gouvernements provinciaux (juez de irrigacion à Cata-
marca, juez de rio à Rosario de Lerma). Mais le juez de
agua de chaque communauté ou de chaque canal est
un syndic élu par les intéressés. A Santa Maria, le juez
de agua est élu par les propriétaires et confirmé par le
gouvernement; il administre l'irrigation dans tout le
département, réglant les différends, soumettant les pro-
jets de travaux à l'assemblée des propriétaires, et répar-
tissant entre eux les charges en corvées et en contribu-
tions, proportionnellement à leurs droits.
Ce pays de coutumes et de traditions est aussi un
pays de circulation intense. L'intensité de la circulation
y tient en premier lieu à l'activité des échanges entre
les diverses zones de la montagne. Ce commerce, varié
et multiple, si dispersé que les voies ferrées ne peuvent
songer à le desservir, se pratique toujours sous la
vieillejorme de l'arriérage (transports à dos de mules).
L'animation des chemins entre le plateau et les vallées
plus basses du pourtour, l'activité des échanges entre
58 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
les étages de la montagne de climat différent, est un des
traits universels de la vie andine.
Mais ce spectacle classique prend, selon les latitudes,
des aspects variés. Au Pérou, et dans la Bolivie septen-
trionale, les hautes vallées, — Jauja, le Cuzco, les Pam-
pas de Cocliabamba et de Sucre, — forment, entre 3500 et
2800 mètres, des centres de population dense et de
richesse agricole. Elles pratiquent la culture des
céréales et reçoivent des terres chaudes tropicales, des
« montanas », des « yungas », le sucre, l'eau-de-vie de
canne, le cacao, la feuille de coca. Les vallées des
Andes argentines sont pour la plupart à une altitude
inférieure à celle des yungas et des montanas de la
Bolivie et du Pérou. Pourtant ce ne sont pas des terres
chaudes et elles n'ont pas de cultures tropicales. Les
gelées empêchent de récolter la canne à sucre à Salta,
à 1200 mètres. Quant à la feuille de coca, qui n'est pas
ici d'un usage aussi courant que dans le Nord, les valles
argentins, loin d'en fournir au plateau, la reçoivent par
son intermédiaire des yungas septentrionales. A défaut
de cultures tropicales, les valles argentins sèment le
blé et le maïs qu'ils vendent aux Indiens des terres
froides de la Puna contre de la laine et du sel.
Ces courants commerciaux sont d'origine très an-
cienne, et vraisemblablement précolombiens : Boman
a trouvé des épis de maïs dans les tombes préhisto-
riques de la Puna de Atacama*. La Puna, à l'altitude
de 5500 à 3800 mètres, est une zone d'habitation perma-
nente, à la différence des hautes vallées de la Cordillère
de San Juan, occupées seulement pendant la saison de
l'estivage par les bergers chiliens ; c'est avant tout une
région pastorale et minière ; cependant elle a encore
quelques cultures, à plus de 2000 mètres au-dessus du
niveau des valles : la limite supérieure des cultures
1. Eric BomSkB, Antiquités de la région andine de la République Argen-
tine et de la Puna de Atacama. Mission scient. G. de Créqui-Montfort
et E. Sénéchal de la Grange. Paris, t. I et II, 1908.
LES OASIS DU N.-O. ET LA VIE PASTORALE. 30
annuelles de terre froide, déterminée par la température
de l'été, ne s'abaisse pas en effet parallèlement à celle
des cultures arbustives de terre chaude, qui soulîrent
des gelées hivernales. Les Indiens de Cochinoca et de
Susques sèment la luzerne et l'orge comme plantes
fourragères, la quinoa et la pomme de terre comme
plantes alimentaires. Les transports entre la Puna et
les valles sont réalisés par les habitants de la Puna à
l'exclusion des vallistas. Ils sont surtout actifs au Nord,
dans la province de Jujuy. Bclmar' signale l'impor-
tance qu'avaient, au milieu du xix* siècle, les ventes de
lainages de la Puna : ces tissus servaient aux proprié-
taires des moulins du Rio Grande de Jujuy à rétribuer
le travail des Indiens du Chaco qu'ils employaient à la
récolte de la canne à sucre. La concurrence des produits
manufacturés européens met aujourd'hui en péril l'in-
dustrie domestique du tissage dans la Puna, comme la
concurrence des farines de la Pampa menace les cultures
de céréales des valles.
Outre ce trafic d'intérêt local, les valles desservent
une circulation d'ordre général, et, pour ainsi dire,
d'intérêt continental. Il paraît certain que, pendant la
période préhispanique, la route des plateaux péruviens
au Chili, évitant le désert inhospitalier de la Puna de
Atacama, empruntait à l'Est la région des valles, et
allait franchir la Cordillère à la hauteur de Tinogasta ou
peut-être même plus au Sud. Par là passèrent les armées
incasiques qui s'avancèrent au xiv^siècle jusqu'au Maule.
Les chaussées précolombiennes, dont Boman a retrouvé
les traces entre le valle de Lerma et le valle Calchaqui,
paraissent répondre à cette direction de la circulation.
La langue quechua pénétra, le long de cette route, parmi
les populations Diaguites. Les conquistadores suivirent
ici des guides indiens. Almagro, allant du Pérou au
Chili, longea les valles de la bordure orientale des
Andes.
1. Belmar, Les Provinces de la Fédération arge7ili7ie. Paris, 1856.
40 LA RÉPUBLIOUE ARCEXTIXE.
Plus lard, les valles furent empruntés par les diverses
variantes de la grande route historique, l'une des
premières et la plus vivante de l'Amérique espagnole,
qui va du rio de la Plata à Lima, route d'armées et de
marchands. Le projet du licencié Matienzo (1566) pour
établir une route des mines d'argent à l'estuaire du
Parana, par le valle des Calcliaqui, visait seulement,
semble-t-il, à aménager et à améliorer une ligne de
communication déjà pratiquée antérieurement. Par cette
voie, Buenos Aires reçut longtemps les marchandises
d'Europe. Vers 1880, la route de Salta reprend encore
un instant toute son importance continentale, pendant
la guerre du Pacifique et l'occupation des provinces
maritimes de la Bolivie par les Chiliens*. Elle consti-
tue alors l'unique débouché de la Bolivie.
Mais de toutes les formes de trafic qui ont animé les
valles, la plus stable et celle qui a le plus profondément
affecté leur existence a été la circulation du bétail.
L'importance du commerce du bétail dans l'histoire de
la colonisation de l'Amérique du Sud est primordiale.
Le bétail était en effet la seule marchandise qui pût
être transportée à de grandes distances. Aux origines
de la conquête, les régions productives du continent qui
alimentent le commerce d'exportation vers l'Europe sont
partout d'étendue très restreinte. Mais la colonisation
pastorale se répand aussitôt et occupe un immense
domaine. Les troupeaux, bœufs de boucherie et de trait,
chevaux et mules, sont acheminés vers les zones de
consommation, vers les villes, Lima, Bahia, Rio, vers
les mines du Pérou et les sucreries du Nord-Est brési-
lien, plus tard vers les yerbales du Paraguay ou les
ports de la mer des Caraïbes et du Rio Grande do sul,
où se développe la fabrication des viandes boucanées.
Autour de ces centres convergent les pistes de bétail.
Le courant d'exportation de bœufs et de mules des
1. Voir Brackebusch, Viaje a la provùicia de Jujuy. Bol. Instit.
Geogr. Argentino, IV, 1883, p. 9-17.
LES OASIS DU N.-O. ET LA VIE PASTORALE. il
plaines argentines vers le Pérou est établi dès la lin du
XVI* siècle; il ne semble pas s'être interrompu depuis.
Le haut Pérou n'est d'ailleurs pas le seul marché dont
ait vécu l'élevage argentin. A la fin du xviii* siècle,
d'Azara' réclame qu'on autorise la vente des chevaux et
des mules au Brésil pour le service des mines. Le trafic
du bétail avec les domaines portugais n'avait pas pris, en
effet, la forme d'un commerce régulier, et les Brésiliens
razziaient dans les provinces du Nord-Est les animaux
qui leur étaient nécessaires, 60000 par an, dit d'Azara.
L'exportation des bœufs vers le Paraguay et les
Missions avait au contraire, au xvin" siècle, une réelle
importance économique. Avant la révolution, dit
Rengger*, il passait annuellement, de Corrientes au
Paraguay, jusqu'à 200 000 bœufs par an, que le Paraguay
payait en maté et en tabac. Ce courant s'est maintenu
au xix" siècle d'une façon intermittente; les exporta-
tions de Corrientes ont été surtout importantes au
moment de la reconstitution du troupeau du Paraguay
après la guerre (40 000 bœufs en 1875).
Enfin le marché chilien s'est ouvert aux éleveurs
argentins vers le milieu du xix*" siècle. Au temps de
Martin de Moussy les convois de bétail vers le Chili
étaient si nombreux que les luzernières des deux ver-
sants étaient pelées el tondues dès le début de la saison,
et cependant louées à prix d'or^ Non seulement les
provinces minières du Nord, mais le Chili central
achetaient les bœufs argentins. A l'ouverture du marché
chilien correspond un remarquable mouvement d'expan^
i. Memorias sobre el estndo rural del rio de la Plata en 1801, escritos
postumos de D. Félix de Azara, publiés par D. Agustin de Azara.
Madrid, 1847.
"2. A. Rengger, Reise nach Paraguay in den Jalircn SHIH bis. IS-J6.
Aarau, 1835.
5. L'engraissage du bétail à destination du Chili n'est pas encore
pratiqué dans les invernadas de Mendoza au début du xix' siècle (Voir
dans le Teler/rafo mercantil du 31 janvier 1802 un article sur Mendoza,
qui signale le développement des estancias sur le Tunuyan. — Men-
doza et S. Juan étaient leur unique marché et ne vendaient pas de
boeufs au Chili).
42 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
sion de la colonisation pastorale sur le territoire argen-
tin, dont on peut suivre la marche, non seulement dans
le livre de Martin de Moussy, mais dans tous les récits
de voyage contemporains. Ses théâtres principaux sont
la province de San^Luis et celle de Santiago del Estero,
au nord du rio Dulce, où Hutchinson', notamment,
signale l'activité des estancias. Enfin, après la guerre
du Pacifique (1880) la région des nitrates, enlevée par
le Chili à la Bolivie et au Pérou, voit affluer la popula-
tion, et les usines s'y créer au milieu du désert. Les
champs de nitrate, entièrement stériles, et voués, sous
leur linceul de poussière grise, à une irrémédiable déso-
lation, deviennent aussitôt un des principaux centres de
consommation du bétail argentin.
Il est difficile de préciser le volume du commerce du
bétail dans l'Argentine coloniale. Les indications four-
nies par les voyageurs qui, d'ailleurs, se copient fré-
quemment les uns les autres, suffisent pourtant à
montrer la place que ce trafic tenait dans la vie du pays
et l'extension de la zone qu'il intéressait. Au milieu du
xv!!*" siècle, Cordoba aurait déjà exporté au Pérou de
28 000 à 50 000 mules par an-. A la fin du xviii® siècle,
d'Azara signale une exportation de 60 000 mules; le
même chiff're est donné par Helms''. Les mulets étaient
achetés jeunes par des commerçants de Cordoba à
Buenos Aires, à Santa Fe et à Corrientes, élevés à
Cordoba, puis envoyés à Salta où ils étaient vendus à
trois ans à un marchand de mules venu du Pérou.
Un article du Telegrafo Mercantil — numéro du 9 sep-
tembre 1801 (Publications de la Junta de Uistoria y
Numistnutica americana, Buenos Aires, 2 vol. in-8°, 1914
et 1915) — contient les renseignements les plus précieux
i. T. J. Hutchinson, Buenos Aires y otras Provincias argentinas (trad.
L. Varela), Buenos Aires, 1866.
2. Azcarate de Biscay, cité par H. Gibson, La evolucion ganadera.
dans Censo agropecuario nacional, Buenos Aires, 1909, t, III.
5. A. Z. Helms, Voyage dans l'Amérique méridionale. Paris, 1812, Le
voyage remonte à 1788,
k
LES OASIS DU X.-O. ET LA VIE PASTORALE. A7>
sur le commerce des mules. De 17C0 à 1780, Salta en-
voyait annuellement au Pérou entre 40 et 50 000 mules.
Elles valaient à Salta 10 piastres avant le dressage,
et 13 ou li après, et étaient vendues à 4 ans. Les
« arrieros », qui faisaient les transports de marchan-
dises européennes ou de marchandises du pays (ropas
y frutos), en achetaient un grand nombre. Le Telcgrafo
se plaint que ce commerce se soit peu à peu transformé.
Les mules de Santa Fe et de Cordoba arrivaient main-
tenant à Salta à deux ans, et, après l'invemada, elles
n avaient encore, à l'époque de la foire, que trois ans à
peine. Elles souffraient beaucoup du long voyage jus-
qu'à Lima ; le déchet sur les caravanes était considé-
rable; on ne pouvait les emmener chargées, et les
arrieros ne trouvant plus à se fournir de bêtes adultes
et assez vigoureuses, les prix du fret vers le plateau
s'étaient élevés au grand détriment des commerçants du
littoral. La réponse d'un marchand de mules de Potosi
(numéro du 15 décembre) montre clairement que les
dernières années du xviii" siècle avaient été marquées
par des demandes croissantes du Pérou en mules
argentines. Pour y satisfaire, les éleveurs de Cordoba
avaient développé la production. Les acheteurs, venus
à Salta de Lima, du Cuzco, d'Arequipa, enlevaient, sans
discussion et sans examen, les lots entiers qui leur
étaient offerts. Le correspondant du Telegrafo se plaint
avec aigreur des « caballeritos » qui partaient du Pérou
avec des 100 000 piastres et faisaient monter les prix à
Salta, sous prétexte que leurs instructions étaient de
ramener des mules coûte que coûte.
Robcrlson' recueillit en 1815 les souvenirs d'un mai-
chand de mules sur les convois de bétail entre Santa Fe
et les Andes qui, à cette date, s'étaient déjà interrom-
pus. Chaque convoi, ou « arreo », comprenait de 5 à
6000 mules. Elles provenaient de l'Entre Piios et même
\. J. P. y G. P. Robertson, Cartas sobre el Paraguay. Londres, 1838,
trad. clans Rev. Instit. Paraguayo, 1905, t. l\ et V.
n LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
de rUrugay, d'où on les rassemblait, après leur avoir
fait franchir le Parana, dans les estancias de Santa Fc.
Les éleveurs de Santa Fe possédaient d'ailleurs la plus
grande partie des terres de la rive gauche du fleuve.
L'expédition emmenait en outre trente chars de mar-
chandises et 500 bœufs de trait, et son personnel était
de 50 gauchos. La principale dépense était leur tabac
et leur yerba. Un caractère du commerce des mules
que toutes ces descriptions mettent invariablement en
lumière est sa division en deux étapes, séparées par
une période de dressage. Azcarate l'a déjà observée :
Cordoba et Santa Fe, Santiago et Salta conservaient
les mules deux ou trois ans avant de les envoyer au
Pérou. L'importance de Cordoba et de Santiago del
Estero paraît avoir été liée à l'industrie du dressage.
Le trafic du bétail sur pied avec la Bolivie et le Chili,
bien qu'il ne représente plus qu'un élément secondaire
dans l'économie nationale, est loin de s'être éteint :
1910. 1911. 1911 1915. 1914.
Exportation de bœufs :
En Bolivie .... 3.600 6.600 6.200 6.300 4.800
Au Chili 61.200 87.500 08.400 58.800 28.300
Exportation de mules :
En Bolivie. . . . 2,700 i.600 7.000 8.500 2.500
Au Chili 2.300 5.200 5.000 2.000 3.500
Exportation d'ânes :
En Bolivie. . . . 9.000 10.500 15.000 15.600 14.400»
i. Une statistique partielle donnée par Poncel pour la province de
Catamarca permet de se faire une idée de la part qui revient aux
Pl. II. — L'iRBIGATION DANS L'OuEST KT LE NORD-OUIÎST
DE l'Argentine.
Etendue des irrigations au Nord (zone des grandes pluies d'été), et au Sud
(zone des glaciers). L'industrie historique de l'engi'aissage dans les « in^ erna-
das » et l'exportation du bétail vers les pays andins ne se maintient plus que
partiellement. Les grandes cultures industrielles se sont en revanche dévelop-
pées à Tucuman et Jujuy (canne à sucre), à Mendoza et San Juan (vigne), et
approvisionnent le marché de Buenos Aires.
Demï!. — L'Argentine
Pl. m
70° LonqW P.
^^^^ ffégions monéaçneuses [i^
.'?^S^ Sa/mes p^*'-
• * Régions et points irrigués
■> , _,fj.— j- Banac/os ou cu/tures par
inondaiion
•^ — . f^incipales pisles pour
/'exportation du bêlai/
65° Long.W 6r.
LES OASIS DU \.-0. ET LA VIE PASTORALE. 45
Quelle que soit sa provenance, le trafic du bétail vient
transiter par les valles. Les transports du bétail se fai-
saient, dans les Andes argentines, dans des conditions
particulièrement difficiles. L'obstacle principal n'était
pas l'altitude des cols et l'àpreté des chemins, mais la
rareté de l'eau et l'étendue des « travesias », également
pauvres en pâturage et en eau, et qu'il faut franchir à la
hâte en doublant les étapes. La difficulté du voyage fit
la fortune des oasis placées sur le chemin. Le meneur
de bœufs ne peut éviter l'hospitalité du vallista, ni dis-
cuter le prix qu'il en demande.
La longueur du voyage, la difficulté de mettre les
animaux en bon point dans les maigres pâturages de la
zone d'élevage conseillèrent de prolonger le séjour à
l'oasis. Il s'y créa des luzernières pour recevoir et
engraisser les troupeaux de passage, les « invernadas ».
La luzerne a été la culture caractéristique des valles, la
plus productive. Elle s'établit partout où l'eau est
assurée et ne manque jamais, sur la section supérieure
des rigoles d'irrigation, tandis que les champs de
céréales se logent à l'aval, et sont atteints les premiers
par la sécheresse. Dans les quebradas, où l'espace est
plus restreint, les luzernières couvrent l'oasis entière. A
chaque piste de bétail est liée une ligne d'invernadas,
souvent complétée sur l'autre versant par un dernier
groupe de luzernières où les bœufs se refont du voyage
avant d'être vendus et dispersés.
A côté des routes officielles, ont existé longtemps des
routes clandestines, par des ravins moins accessibles,
où passait, à l'abri de tout contrôle, le bétail volé. Gua-
différenls pays andins dans les exportations de bétail argentin au
milieu du xix* siècle. La province de Catamarca a vendu, en 1855,
2700 bœufs, dont 1300 au Chili, 200 en Bolivie et 600 à S. Juan et
Mendoza; 5200 mules, dont 2500 en Bolivie, et 600 à Salla, également
à destination de la Bolivie; 1200 Anes, dont 700 en Bolivie et 400 à
Sait a.
A6 LA RÉPUBLIOUE ARGENTINE.
chipas était un point de rendez-vous pour le bétail
d'origine suspecte, qui, pour éviter de se montrer à
Salta et à Jujuy, s'engageait dans la quebrada del Toro
ou dans celle d'Escoïpe. Lorsque Brackebusch visita
Guachipas en i880, ses habitants n'avaient pas encore
perdu leur réputation de contrebandiers.
Une carte des pistes de bétail restées actuellement
pratiquées dans les Andes argentines montre un réseau
complexe où se discernent deux directions principales
qui se coupent à angle droit; les unes mènent à l'Ouest,
vers la côte du Pacifique, les autres au Nord, vers le
plateau bolivien.
Le commerce des bœufs ne se fait plus qu'avec le
Chili. 11 se maintient à San Juan, à .Tachai, à Vinchina,
à Tinogasta. Les bœufs redescendent au Chili vers
Coquimbo, Vallenar ouCopiapo. Mais c'est surtout vers
les salpêtrières que l'exportation des bœufs est restée
active. Du valle de Lerma et du valle Calchaqui, les che-
mins remontent vers le plateau par la quebrada del
Toro ou par celle de Cachi et de Luracatao, franchis-
sent des cols élevés au pied des nevados de l'Acay et
de Cachi, et se rejoignent entre Santa Rosa de Pastos
Grandes et San x\ntonio de los Cobres, pour traverser
la Puna de Atacama. Les « vegas » (pâturages) et les
eaux douces y sont rares; la piste longe interminable-
ment les dépressions tapissées de sel étincelant, que
dominent les crêtes volcaniques. On passe en toute
saison; mais l'hiver, les caravanes sont exposées au vent
froid, chargé de neiges, le « viento blanco ». San Pedro
est le port de ce désert. On y retrouve, sur le flanc du
cône énorme du Licancaur, des luzernières, quelques
champs semés de figuiers et d'algarrobes. On laisse là
aux bœufs quelques jours de repos pour les préparer à
la dernière étape, jusqu'à l'oasis de Calama sur le
chemin de fer d'Antofagasta.
Le centre de ce trafic est Salta ou plutôt, à trois lieues
au Sud, le petit village de Rosario de Lerma, où se
i
LES OASIS DU N.-O. KT LA VIE PASTORALE. 47
forment la majorité des caravanes. Les usines à sal-
pêtre font d'avance avec les marchands de Rosario de
Lerma des contrats d'un an, fixant le nombre et le prix
des bœufs livrables à Calama. Les frais du voyage com-
prennent, outre le salaire des bouviers — 80 à 100 pias-
tres par voyage — le ferrage, la location du pâturage à
San Pedro et la valeur des animaux qui meurent en
route. Le nombre des boeufs exportés par cette route
était évalué, en 1013, à 50 000. Les usines à salpêtre
achètent aussi des mules de trait pour les charrois de
minerai. Les mules de trait doivent être lourdes, et l'on
n'envoie au Chili que celles qui dépassent la taille de
1 m. 50. Pour les mulets plus petits et pour les ânes, la
Bolivie forme aujourd'hui le seul marché.
Le commerce des mules sous sa forme traditionnelle
et l'industrie du dressage sont encore pratiqués à Santa
Maria. Le métier du marchand de mules est fort diffé-
rent de celui du marchand de bœufs : la rusticité et la
résistance des mules permettent d'affronter avec elles
des traversées plus rudes encore que celles auxquelles
on expose les bœufs^ Les voyages sont plus longs, les
contrats moins réglés d'avance. En outre, le dressage
est une opération délicate qui exige de l'expérience. La
persistance du commerce des mules à Santa Maria est
un exemple d'une industrie maintenue grâce à la pré-
sence d'une main-d'œuvre bien entraînée et bien douée.
Les dresseurs de mules de Santa Maria conservent un
singulier orgueil de caste. Leur premier travail est
d'aller jusqu'à Santiago ou jusqu'à Cordoba pour y
acheter les mules. Ils les ramènent à Santa Maria par
Catamarca ou en traversant la vallée de Tafi. A Santa
Maria, les mules sont domptées, puis ont les conduit
aux luzernières de Poma où elles sont mises en forme.
Elles passent là plusieurs mois au pâturage; puis, à la
1. On mène par exemple des troupes de mules d'Abrapampa, sur
la ligne de la Quiaca, aux salpêtrières d'Antofagasta, alors que tous
les essais pour faire suivre cette roule à des bœufs ont échoué.
48 LA REPUBLIQUE ARGENTINE.
saison favorable, la petite troupe de Santa Marienos se
reforme et, poussant devant elle les bêtes devenues
dociles, et sans charge pour rester plus fraîches, se
rend à la foire de Huari en Bolivie, ou jusqu'à Sucre.
On vend \h 150 piastres les animaux achetés avant le
dressage moitié moins cher. Le nombre des mules qui
hivernent à Poma est de 4000 environ.
Les transactions réalisées dans les foires des Andes
méridionales sont de nature très diverse, mais leur
fonction essentielle a toujours été celle de marchés de
bétail'. Elles se tiennent en mars ou avril, au moment
où les pluies s'interrompent, mais où le pâturage est
encore abondant et les voyages faciles. La foire de
Vilque, au Nord du lac Titicaca, a cessé d'être visitée
par les marchands de mules argentins. La foire de Salta,
qui se tenait à Sumala, près de Rosario de Lerma, a
perdu son importance : c'était, à la fin du xvin'' siècle, le
centre principal du commerce des mules. La foire de
Jujuy reste, avec le pèlerinage de la Virgen del Valle
de Catamarca, une des grandes dates de la vie des
Andes. Après avoir été au xviii^ siècle surtout une foire
aux bœufs, elle n'est plus fréquentée aujourd'hui que
par les acheteurs de mules. Le développement des che-
mins de fer diminue peu à peu son activité.
Le commerce du bétail a été longtemps un véritable
troc. Les Argentins qui menaient leurs troupeaux au
Pérou en rapportaient des marchandises européennes
venues par Panama et le Pacifique. A Jachal encore,
les communications directes avec l'Argentine sont si
coûteuses qu'on préfère introduire du Chili une grande
partie des articles manufacturés. Mais partout ailleurs,
les vendeurs de bétail se font aujourd'hui payer en
argent. Les Santa Marienos rapportent seulement de
Bolivie quelques sacs de coca et des lettres de change,
1. On trouvera dans G. M. Wrigley, Fairs of the central Andes, Geo-
graphical Review, N. York, VII, 1919, p. 65-80, une étude intéressante
des foires du haut plateau.
LES OASIS DU N.-O. ET LA VIE PASTORALE. 49
qu'ils négocient à leur retour dans les banques de Salta.
Leurs bénéfices sont dépensés au profit des commer-
çants de Salta, de Catamarca et de Jujuy, qui se four-
nissent de marchandises aux maisons d'importation de
Buenos Aires. C'est la première forme que prend pour
pénétrer dans les valles l'influence de Buenos Aires.
Elle en conquiert la clientèle avant d'en absorber la
production.
Une grande partie des bœufs envoyés au Chili pro-
vient aujourd'hui des vallées andines elles-mêmes.
Autour des oasis, les parties les plus sèches et les plus
désertiques des valles ne nourrissent que des chèvres et
des ânes; mais dès que la végétation s'améliore un peu
sur un sol plus favorable, elle suffit à une race sobre et
résistante de bêtes à cornes. La terre est partagée en
grandes estancias dont les propriétaires ont souvent
eux-mêmes des luzernières, ou en communautés, où les
cultivateurs de l'oasis mettent chacun leurs bêtes, qui
vivent sans gardiens par petits groupes. D'elles-mêmes
elles montent l'été dans les cerros que les pluies verdis-
sent, et où l'eau nécessaire à les abreuver suinte pendant
quelques mois dans les ravins; l'hiver, elles reviennent
à la vallée à portée des réservoirs et des acequias per-
manentes. Bodenbender donne quelques renseigne-
ments sur les mouvements de transhumance irrégulière
qui sont pratiqués dans la région occidentale de la pro-
vince de la Rioja, autour de Guandacol. Les troupeaux
y sont conduits pendant les années sèches dans les
montagnes de l'Ouest.
En dehors des Andes, la zone où se fait sentir l'at-
traction des marchés transandins n'a cessé de se réduire
depuis 40 ans. Après avoir compris toute l'étendue de
la brousse et avoir débordé même sur la région des
prairies, elle ne comprend plus aujourd'hui que les
cantons les plus voisins de la bordure des montagnes.
Denis. — L'Aigcnlinc. 4
50 LA REPUBLIQUE ARGENTINE.
Dans la plus grande partie du monte, le bétail est expé-
dié aujourd'hui dans d'autres directions, vers Buenos
Aires, ou vers les villes argentines dont la population
s'est accrue, Gordoba, Mendoza, Tucuman.
La rupture des relations commerciales avec le Chili
n'a d'ailleurs pas déterminé une transformation notable
de l'industrie pastorale. La vie pastorale dans la
brousse offre des caractères très uniformes. Elle est
dominée avant tout par le problème de l'eau. Les points
d'eau naturels sont rares, et le bétail ne trouve à s'abreu-
ver que grâce à l'industrie humaine. Le problème de la
domestication du bétail, que les éleveurs de la prairie
n'ont pas toujours su résoudre, est simplifié par la sé-
cheresse ; point de chasse au bétail, point de « rodéos »
périodiques, quand le troupeau est ramené chaque soir
à l'abreuvoir par la soif. Les progrès de la colonisation
se résument dans l'établissement de puits et de réser-
voirs (baldes et represas) sans lesquels les éleveurs ne
peuvent occuper que temporairement la plaine, et sont
réduits à se replier pendant la saison sèche sur les rares
rivières qui la traversent. Le mot de « balderia »
désigne les régions où une nappe d'eau peu profonde a
permis l'établissement d'un réseau de puits : la plus
connue est la balderia Pmitana, au Nord de la province
de San Luis.
Parmi les régions en dehors des Andes qui dépen-
dent encore du marché chilien, il suffira d'en signaler
deux qui peuvent être considérées comme typiques.
La première est le Chaco Salteno sur le revers oriental
de la Sierra de la Lumbrera. La Lumbrera est une
haute chaîne anticlinale de calcaires et de grès rouges,
qui plongent à l'Ouest sous les limons de la plaine du
Chaco et la séparent du grand couloir longitudinal
subandin suivi par l'ancienne route et par la voie ferrée
actuelle de Tucuman à Jujuy. La colonisation déborda
au xviii* siècle au delà de la Lumbrera en la tournant,
au Sud et au Nord, par la trouée du Jurameuto et par
LES OASIS DU \.-0. ET LA VIE PASTORALE. 51
le San Francisco, qui rejoint le Bermejo. Les estancias
qui prirent à leur solde les Indiens — la pénétration
du Chaco sur ce point fut pacifique — jalonnèrent le
Bermejo et le riodel Valle, qui descend de la Lumbrera
vers l'ancien lit du Bermejo, et garnirent le pied de la
Lumbrera au bord de la plaine.
Le bétail y vit dans la brousse, Tété, lorsque les
pluies y ont fait germer les graminées entre les épines;
l'hiver, il remonte dans la forêt humide, à végétation
pérenne, qui couvre le flanc de la sierra '. L'abondance
relative des eaux réduit le travail des éleveurs et en
même temps la discipline du troupeau. A la saison favo-
rable, l'estancia se mobilise pour rassembler les bœufs
adultes et eu former un convoi; des cavaliers bardés du
double tablier de cuir, qui pend à l'arçon de la selle et
les protège des branches, escaladent avec leurs meutes
la sierra et sillonnent la brousse. Les bœufs farouches
se laissent cerner au bruit des abois. La troupe formée
se met en route, soit par des sentiers rugueux à travers
la forêt et la montagne, soit sur les chemins plus
faciles de la plaine vers Embarcacion ou vers Lum-
breras, où elle atteint le chemin de fer. Si les acheteurs
des sucreries de Jujuy ne l'arrêtent pas au passage,
elle est embarquée en wagons et expédiée à des con-
signataires du marché de Salta, où les ventes ont lieu
toute l'année. A Salta, les bœufs sont mis à l'engrais
dans les luzemières en attendant de traverser la Cor-
dillère. Les cultures ne sont presque pas pratiquées, soit
que la sécheresse de l'hiver rende la récolte incertaine,
soit que ces pasteurs ne sachent pas se plier au travail
agricole.
La Sierra de los Llanos de la Rioja est un autre
centre d'élevage extensif. De la voie ferrée, qui suit la
Sierra à distance, entre Chanaret Punta de Los Llanos,
l. Sur l'Aconquija, la forêt humide servait aussi de pâturage d'hiver
au l>étaii des estancias.
52 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
avant d'arriver à la Rioja, on n'en soupçonne guère
l'importance ni la vitalité. Elle est pourtant un des
foyers principaux de l'histoire argentine. Elle a été un
berceau de population et de richesse. Là, Quiroga, et,
plus tard, cet étrange aventurier qu'on surnommait le
Ghacho, ont puisé des forces pour dominer une partie
de l'Argentine. La colonisation y est encore plus an-
cienne que dans le Ghaco saltefio. Elle s'est faite en
deux périodes distinctes, que sépare un long intervalle.
Elle s'avança d'abord du Nord au Sud, en longeant le
pied de la sierra. Il est marqué par une ligne de sources,
maigres mais permanentes, dont les eaux sont bues
aussitôt qu'elles descendent vers les alluvions perméa-
bles de la plaine. La toponymie leur a fait une large
place; les aguitas, aguaditas, etc., pullulent. La route
de la Rioja à San Luis était liée à ces points d'eau, la
population s'y groupa. Ainsi se peuplèrent de part et
d'autre de la sierra la « costa baja » à l'Est, et la
« Costa alta » à l'Ouest. La maison de Facundo est
l'une de ces aguaditas de la costa alta.
Les deux costas forment la terre historique de los
Llanos. G'est de là que, longtemps après, la colonisa-
tion essaima alentour vers la plaine. Les origines de
ce mouvement d'expansion remontent à peu près à 1850,
c'est-à-dire au temps où une sécurité et une paix rela-
tives eurent été assurées aux éleveurs, et surtout où se
développèrent les invernadas de San Juan et de Men-
doza, et l'exportation des bœufs vers les provinces agri-
coles du Ghili. Le prix du bétail s'éleva, et la terre inoc-
cupée prit de la valeur. L'occupation et l'aménagement
de la plaine a été l'œuvre des deux dernières généra-
tions. Elles se sont avancées, ne laissant plus aucun
espace libre, jusqu'au bord même des salines. Ainsi les
travesias, qui entouraient l'étroite zone de peuplement
des costas, se sont animées. La sierra et les deux costas
ne sont plus, comme au temps de Sarmiento, une oasis
au milieu du désert; cependant elles se distinguent en-
LES OASIS DU .\.-0. ET LA VIE PASTORALE. 55
core du reste de la zone pastorale par la densité de la
population et la variété de leurs ressources.
L'ancienneté de la colonisation s'y traduit par un
régime foncier particulier, qui se retrouve d'ailleurs
dans une partie des provinces de Catamarca et de San-
tiago del Estero. Dans la plaine, la propriété s'est formée
au XIX* siècle par achats ou par concessions de terres
publiques appartenant au gouvernement provincial. Il
les a alloties en vastes domaines, qui, restés entiers ou
partagés, constituent les estancias actuelles. En appro-
chant du pied de la sierra, on passe des estancias dans
les « mercedes ». C'est le mot qui désigne les conces-
sions datant de l'époque coloniale, qui sont, dans toutes
les parties anciennement colonisées de l'Amérique mé-
ridionale, la source de la propriété foncière. Mais ce
que les mercedes des Llanos ont d'original, c'est qu'elles
sont restées indivises entre les héritiers du premier pro-
priétaire'. Tantôt le nombre des co-propriétaires est
restreint; ils connaissent les liens de parenté qui exis-
tent entre eux et la valeur des droits de chacun d'eux ;
la merced n'est alors qu'une propriété indivise de droit
commun ; tantôt le nombre des comuneros étant plus
élevé, ils ont perdu la notion exacte de la part de merced
qui revient à chacun d'eux. La merced nourrit tout un
peuple où se mêlent héritiers légitimes et usurpateurs.
Elle est en ce cas une véritable propriété communale,
comparable, malgré son origine toute différente, aux
communautés indiennes qui existent sur le territoire ar-
gentin comme dans la plupart des Etats des Andes.
L'économie des Llanos est moins simple que celle du
Chaco Salteno. L'agriculture y tient une place auprès
de l'élevage. Les pluies, concentrées, ici encore, pendant
1. La rédaction du titre de merced souligne souvent l'attraction
exercée sur la colonisation par les sources du pied de la Sierra. Le
territoire de la merced d'Uiapes est défini ainsi : » La source et les
terres jusqu'à une distance de deux lieues, dans toutes les direc-
tions. " La source en est le centre; là vivent ses divinités protec-
trices.
54 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINL.
les mois d'été, sont peu abondantes. Elles dépassent
sans doute la moyenne observée à la Rioja (près de
50 centimètres), mais ne suffisent pas pour que la cul-
ture puisse se passer de l'irrigation. Les aguadas,
sources et ruisseaux du pied de la sierra, sont la seule
réserve d'eau permanente, et combien limitée! Les oasis
qu'elles arrosent couvrent à peine quelques hectares au
pied de l'escarpement rectiligne de la sierra. Nulle part
les cultures n'ont pu s'éloigner de la montagne vers la
plaine. A Chamical, une rigole aménagée pour amener
l'eau jusqu'à la voie ferrée s'est tarie; on suit seulement
sur quelques lieues le parcours d'un courant souterrain
à une ligne de puits où l'eau est douce et peu profonde.
A Bella Vista, un comunero a creusé un acequia de
quelques milles et vend l'eau à 5 piastres les 48 heures.
Mais quand elle parvient jusqu'à l'extrémité de l'acequia,
elle se perd entre l'acequia et le champ où on veut
l'amener. A Ulapes, qui est pourtant l'un des centres
principaux, il faut le débit entier de la source pendant
16 heures pour irriguer une cuadra, c'est-à-dire un peu
plus d'un hectare; et le turno est de 17 jours. L'oasis
entière mesure 25 hectares. A Olta, le maigre filet d'eau
a été entouré de tant de convoitises que le tunio est de
58 jours, c'est-à-dire que chaque champ doit vivre
58 jours d'un seul arrosage. A Catuna, qui recueille avi-
dement quelques suintements saumûtres au pied d'un
cône de déjection, le droit d'eau est réglé selon un rou-
lement qui dure 90 jours, et les plantes meurent de soif
dans l'intervalle. Selon l'abondance, la régularité et la
qualité des eaux, les cultures varient. L'oranger est la
plus exigeante, le figuier, la plus résistante de toutes.
Les oasis les plus pauvres se réduisent à quelques jar-
dins de figuiers poudreux.
Si restreinte soit-elle, l'oasis représente toujours un
rudiment de vie communale, un « poblado », c'est-à-dire
qu'elle est dans ce monde pastoral, anarchique, amorphe,
un centre autour duquel la vie s'organise. Les terres
LES OASIS DU N.-O. HT LA VIE PASTORALE. 5.-)
ayant un droit d'eau sont considérées comme détachées
de la merced et ne sont jamais indivises.
A côté des cultures irriguées proprement dites, il faut
placer les cullures de banados, c'est-à-dire celles qui
sont pratiquées dans les terres basses, où se concentre
l'humidité des orages, et où elle se conserve. Elles ont
une étendue beaucoup plus considérable, et sont distri-
buées très irrégulièrement. Des inégalités du sol allu-
vial que l'œil remarque à peine suffisent à régler le
ruissellement des eaux sauvages après les pluies, pen-
dant leur parcours réduit à la surface du sol, qui les
absorbe bientôt. L'homme y aide de son mieux, et l'on
rencontre partout, croisant les chemins, de minuscules
levées de terres destinées à détourner le courant dans
la direction des cultures. Ce sont les « tomas ». Si l'on
suit vers l'aval une toma, on la voit, au bout de peu de
temps, passer sous une haie d'épines sèches, qui enferme
un champ, un « cerco ». Les cultures doivent être en
effet jalousement défendues contre le bétail qui règne
sur la brousse. Les cercos sont parfois si nombreux
qu'ils donnent l'impression d'une région proprement
agricole. La plupart des cercos sont plantés en mais.
Il est rare que la récolte de maïs manque, l'été, pendant
lequel végète et mûrit le maïs, ayant des pluies régu-
lières. Les épis recueillis, on met les bœufs dans le
cerco, où la paille de maïs est un fourrage [de choix.
Mais le blé, lui aussi, réussit dans les banados. Pourvu
que l'année ait eu quelques averses tardives, le blé semé
en automne supporte tant bien que mal la sécheresse
de l'hiver et mûrit après les premières pluies, au début
de l'été. Les Llanos récoltent un blé dur, qu'on ne moud
pas, et qui est consommé en grains comme du riz. Les
Llanos ont parfois exporté du blé. Le recensement
de 1888 donne pour le département de General Belgrano,
sur le versant oriental des Llanos, une superficie de
440 hectares ensemencés en maïs et 900 en blé. Après
la construction du chemin de fer de Chilecito, ces blés
56 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
concurrencèrent, dans la région des mines de la Fama-
lina, ceux qu'on apportait de Jachal à dos de mules.
Comme les jardins des oasis, les cercos échappent au
régime de l'indivision et appartiennent en propre à
ceux qui les cultivent.
Cependant, semailles ou moisson ne sont qu'un épi-
sode dans l'existence du llanero. Les occupations |de
l'élevage en Ifont la trame. La valeur du pâturage est
très inégale, suivant la nature du sol, et la clémence
ou la rigueur des saisons. Tantôt il forme sous la brousse
un épais tapis, tantôt, au contraire, il s'appauvrit, et
les feuilles ou les gousses de l'algarrobe sont l'unique
ressource. Un troupeau trop dense empêche qu'il se
régénère : l'éleveur reconnaît du premier regard le
« campo recargado » dont la capacité pastorale a été
outrepassée. Le pâturage doit être prudemment mé-
nagé. Mais le problème le plus urgent est d'assurer aux
bêtes de l'eau. Autour de la sierra, les eaux souterraines
sont souvent douces et les puits sont nombreux. Cepen-
dant, pour éviter d'avoir à puiser l'eau, on creuse dans
le limon, aux points favorables, de grandes fosses
autour desquelles on rejette la terre qui en est retirée,
en ménageant seulement vers l'amont l'entrée des eaux
qui s'y rassemblent au moment des pluies. Ce sont les
« represas ». Comme pour les banados, des levées de
terre dirigent le ruissellement vers la represa. Elle est
entourée de haies aussi précieusement qu'un champ.
Dans la plaine, les pluies sont rares et les represas sont
le plus souvent la seule réserve ; il faut qu'elles durent
toute l'année, deux ans même si un été particulièrement
sec empêche d'y renouveler l'eau. Aussi prennent-elles
la proportion de véritables lacs. De loin, on aperçoit,
au-dessus de la brousse, la courbe nue du talus déterre
l>attue qui les encercle, et au sommet duquel l'eau
afileure quand les pluies ont été abondantes. La hau-
teur du talus atteint parfois 4 et 5 mètres; telle la
represa de Tcllo, où relayait jadis entre la sierra
LES OASIS DU X.-O. ET LA VIE PASTORALE. :>?
d'Ulapes et los Llanos la diligence de San Juan. La
ropresa est le vrai cenlre du domaine. L'habitation est
liàtie à côté d'elle et en surveille l'entrée. Depuis le
petit jour jusqu'à la nuit tombante, les bêtes y viennent
isolément ou par petits groupes. L'estanciero les admet,
les laisse boire et referme derrière elles la clôture.
Lorsque les bœufs assoiffés ne portent pas sa marque,
il leur refuse l'eau s'ils appartiennent à un voisin, pour
les obliger à aller boire à leur represa; mais il l'accorde
aux bêtes venues de loin, égarées, et que leur maître
viendra chercher plus tard. Près de la represa est l'en-
clos (potrcro) où l'on enferme les veaux après la mise
bas ; les vaches y reviennent chaque matin et on les
trait pendant plusieurs mois pour fabriquer du fromage.
Comme les cercos, la represa appartient en propre à
celui qui la creuse ou qui en a hérité et qui l'entretient.
Le bétail des Llanos est relativement mobile. Cer-
taines migrations sont irrégulières, d'autres au con-
traire périodiques et saisonnières. Partout, sur la bordure
de la sierra, les» bœufs se tiennent l'hiver dans les
ravins et sur les croupes inférieures de la montagne, et,
Tété, reviennent d'eux-mêmes à leur querencia dans la
plaine. Les migrations irrégulicres sont déterminées
par le besoin d'eau ou le manque de pâturage. Les bêtes
font d'elles-mêmes, poussées par la faim, de longs
voyages, elles se mêlent à des troupeaux étrangers, si
loin de l'estancia où elles sont nées que leur marque
n'est plus connue de personne. Ou bien, c'est l'estan-
ciero lui-même qui, voyant tarir sa represa, va de-
mander l'hospitalité d'un canton moins maltraité.
Heureux si la sécheresse n'a pas été générale, et si
une partie du pays a été épargnée et peut offrir un
refuge.
Mais il arrive que la région entière ait également
souffert et soit également nue et brûlée. Alors il fau-
drait pour trouver le salut imposer au bétail un long
voyage, jusqu'à San Luis ou jusqu'aux luzernières de
68 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
San Juan. La ruine des Llanos fait brusquement monter
à la ronde le loyer des invernadas. L'évacuation géné-
rale du troupeau est un remède désespéré, souvent
d'ailleurs impraticable. Pendant tout l'été, on a patienté,
espérant que la sécheresse ferait trêve enfin. Jusqu'en
avril, l'espérance est permise, les orages peuvent se
former. Si avril s'achève sans pluies, il est trop tard
pour songer à éloigner les bêtes exténuées, les étapes
sont trop rudes à travers le pays désolé.
Le souvenir des années de sécheresse les plus mar-
quantes, des épidémies, comme dit le llanero, reste long-
temps vivant. Elles ont fortement impressionné l'imagi-
nation populaire; la légende en fait des fléaux à la façon
biblique; celle de 1884 fut particulièrement désastreuse;
les troupeaux anéantis, les familles, riches hier, émi-.
graient tout entières à pied, « n'ayant plus sur quoi
mettre une selle » ; émouvante vision de la misère de ce
peuple de centaures qui se sentent mutilés quand ils
ont mis pied à terre. Les pluies reviennent l'année
suivante; le pâturage croît d'autant mieux que le trou-
peau a été plus réduit, et les Llanos donnent alors au
voyageur qui les traverse une impression doublement
favorable de leur richesse naturelle.
Jusqu'à une date toute récente, la production de
bétail des Llanos a été destinée exclusivement au Chili.
Les acheteurs de Jachal ou de Tinogasta venaient à
l'automne, et les bœufs passaient l'hiver dans les inver-
nadas au pied de la Cordillère. De la sierra d'Uiapes,
qui prolonge les Llanos vers le Sud, les bœufs destinés
au Chili étaient dirigés d'abord sur San Juan. Ils y arri-
vaient en une ou deux semaines de marche. Il fallait
5 hommes pour une troupe de 100 bêtes; 8 seulement
pour une troupe de 200. Un estanciero ou son capataz,
ou des marchands originaires des Llanos eux-mêmes,
dirigeaient les caravanes.
L'exportation pour le Chili n'est pas entièrement
interrompue. En 1913, les acheteurs de Tinogasta et de
LES OASIS DU N.O. ET LA VIE PASTORALE. 59
.Tachai, qui avaient manqué en 1912, ont reparu. La
l'raction méridionale de la sierra d'Ulapes, éloignée du
chemin de fer, réserve encore sa production à San Juan.
Pourtant, de plus en plus, les bœufs sont exportés par
chemin de 1er vers le littoral. Dans la sierra d'Ulapes,
les acheteurs de Villa Mercedes devenue l'un des grands
marchés de bétail de l'Argentine, viennent chaque
année, louent un enclos (potrero) et y rassemblent, tête
par tète, un troupeau qu'ils emmènent ensuite à pied.
Il est vendu aux foires de Villa Mercedes, et dispersé
dans toutes les directions vers les zones d'engraissage
de la Pampa.
Cette révolution commerciale a eu pour corollaire
l'augmentation du prix du bétail; celui-ci, à son tour,
l'élévation du prix des terres. Sur une terre valorisée,
les méthodes d'exploitation se perfectionnent nécessai-
rement ; la sécurité s'est accrue; les vols de bétail
(cuatrerismo) sont devenus impossibles. De plus en
plus, on s'arme contre la sécheresse. On ne se borne pas
à agrandir les represas où à forer des puits plus pro-
fonds, on divise le sol par des clôtures, fds de fer à bon
marché médiocrement tendus sur des piquets façonnés
sur place, ou haies d'épines pareilles à celles qui proté-
geaient les banados. Ainsi l'on peut réserver pour les
mois difficiles des pâturages intacts.
Cette subdivision du sol par les clôtures a commencé
au Sud, dans la région d'Ulapes, au contact des régions
plus riches de San Luis et de Cordoba; dans les Llanos
proprement dits, elle s'ébauche à peine. A Ulapes, elle
se fait même sur les mercedes; chaque comunero en-
ferme, sans opposition, l'espace que lui permettent ses
forces, pour laisser ses bœufs au dehors, sur le com-
munal, le plus longtemps possible et les recueillir dans
son parc au besoin, si les pâturages communaux s'épui-
sent. Ainsi se prépare la dissolution des mercedes; la
propriété communale s'accorde mal avec les conditions
nouvelles. Le dernier progrès est l'apparition des luzer-
60 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
nières. La luzerne peut être cultivée en effet dans les
bafiados, sur toute l'extension où l'on pratiquait des
semailles. La création des luzernières donnera à l'indus-
trie pastorale une sécurité et une stabilité inconnues,
permettra d'accumuler des réserves de fourrage sec et
d'utiliser pleinement toute la capacité pastorale du
monte.
CHAPITRE III
TUCUMAN ET MENDOZ.V
LES GRANDES CULTURES INDUSTRIELLES
Tucuman cl la route du Chili. — Le climat et la cullure de ia
canne. — Le problème de la main-d'œuvre. — L'ii'rigation à
Mendoza. — Les droits d'eau. — L'industrie vinicole. — Le piu)-
lectionnisme et les conditions naturelles.
Les grandes cultures industrielles, la canne à sucre
et la vigne, ont, à la fin du xix" siècle, renouvelé le pay-
sage de Tucuman et de Mendoza. L'afflux de population
et de richesse qu'elles ont déterminé a été si brusque,
le progrès économique a été si rapide que vignerons et
sucriers ont perdu aujourd'hui tout souvenir des in-
dustries primitives qui faisaient vivre le Tucuman ou
le Mendoza colonial, et qui se sont maintenues jusqu'à
la dernière génération. Pourtant, si Ton compare Tu-
cuman ou Mendoza à tel centre de cultures irriguées de
l'Ouest nord américain, on observera aisément l'ori-
ginalité que leur valent trois siècles d'histoire. Le
régime foncier, — les droits d'eau, — la distribution
même des zones irriguées, — mille traits y révèlent
l'ancienneté de la colonisation. La mise en valeur du
sol et l'utilisation des eaux n'ont pas été réalisées con-
formément à un plan méthodique, conçu d'avance, selon
lequel chaque ouvrage, — barrages et canaux de dis-
tribution, — est adapté à l'ensemble. Les ingénieurs
qui ont construit les grands barrages modernes du Men-
doza, du San Juan ou du Sali ne se proposaient pas
de créer une zone de cultures nouvelles, mais seule-
6t^ LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
ment de ménager mieux les ressources en eaux que
gaspillaient des cultures déjà séculaires. Rien de plus
suggestif que le contraste entre ces barrages de ma-
çonnerie, conformes à toutes les règles de l'hydrau-
lique, et le réseau de canaux irréguliers tracés au hasard
du terrain et de la pente, au seuil desquels ils se
dressent, qui leur sont bien antérieurs, et auxquels ils
ont été raccordés tant bien que mal. Parfois même les
acequias primitives n'ont pu être corrigées de façon à
partir du barrage ; les prises d'eau se succèdent de
l'amont à l'aval, formées d'un simple épi transversal
de fascines et de terre que les crues détruisent pério-
diquement. Le barrrage moderne, « dique nivelador »,
à l'épreuve des crues, qui coupe toute la largeur du
torrent, et permettrait d'utiliser tout son débit, laisse
passer pour les besoins des acequias inférieures une
partie des eaux qu'il pourrait retenir : elles retombent
au lit large et pierreux, exposées comme jadis à l'éva-
poration et aux infiltrations.
Bien avant la naissance de la grande industrie su-
crière, une activité proprement urbaine se superpose à
Tucuman au fond commun de la vie pastorale ; les can-
tons voisins de la brousse, Trancas, Burruyacu, Gra-
neros, envoient comme le reste des plaines argentines
des bœufs et des mules au Pérou et au Chili ; mais plus
encore que de l'élevage ou du commerce du bétail,
Tucuman vit de la grande route du Pérou, dont elle est
l'étape principale, au point de contact de la plaine et
de la montagne. Le Tucuman primitif est un excellent
type de ville routière. La route a déterminé son site, au
passage du Sali. Le premier emplacement de la ville,
près de Monteros, est abandonné au xvnf siècle, lorsque
la route du Pérou se fixe dans la région subandine et
cesse d'emprunter la vallée des Calchaqui. La route
fait vivre ses industries essentielles, la tannerie et la
TUCUMAX ET MELNDOZA. 6^;
bourrellerie pour les muletiers de la zone andine, la fa-
brication des chars pour les troperos de la plaine. La
route et le peuple qui y circule offrent un débouché à
ses blés et à ses farines; elle permet l'exportation de
ses récoltes de tabac vers les provinces du littoral. Les
propriétaires do chars étaient de véritables entrepre-
neurs au compte desquels se faisaient les transports.
En outre, une partie de la Bolivie venait se fournir aux
boutiques (ticndas) de Tueuman, et les négociants de
la ville recevaient en consignation des minerais boli-
viens pour l'exportation. Ainsi la route accumula à
Tueuman un premier noyau de capitaux disponibles.
Ces capitaux se sont employés à la fin du xix^ siècle à
l'industrie sucrière qui les a centuplés. La majorité des
usines appartient encore à d'anciennes familles locales.
Les limites de la région sucrière sont relativement
étroites. Elle s'étend sur toute la zone où régnent les
anomalies climatologiques dues au voisinage de l'A-
conquija. Tandis que plus au Nord, les hautes chaînes
des Andes sont séparées de la plaine du Ghaco par des
chaînons étages, où les vents d'Est n'abandonnent que
progressivement leurs réserves d'humidité, à l'Ouest
de Tueuman, le massif de l'Aconquija se dresse comme
une borne géante au seuil même des plaines, dont
aucun contrefort ne le sépare, et rassemble autour de
lui les nuages.
Sur le versant oriental de l'Aconquija, s'achève le
croissant de forêt tropicale qui commence à 4000 kilo
mètres de là, sur le flanc des Cordillères du Venezuela
et de la Colombie, et se relie au centre dans la zone
équaloriale, du Guaviare au Mamore, aux forêts de
l'Amazonie, tandis qu'elle se réduit, à ses deux extré-
mités, à une zone étroite qui n'empiète pas à l'Est sur
les plaines alluviales, sur les savanes de l'Orénoque et
la brousse du Ghaco. La forêt humide des Andes ar-
gentines n'est nulle part plus luxuriante que près de sa
limite méridionale, au-dessus de Tueuman : les pal-
<U LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
miers et les fougères arborescentes y manquent, mais
les lianes abondent, et les troncs des arbres à feuillage
pérenne y sont revêtus d'épiphytes. L'Aconquija forme
une des limites climatologiques les plus nettes qui
existent au monde. A la latitude de Salta il ne faut
pas franchir moins de 200 kilomètres pour passer de
la forêt humide de la chaîne subandine de la Lumbrera
à la vallée aride de Caclii. Sur les deux versants
de FAconquija, moins de 80 kilomètres séparent les
champs de canne à sucre conquis sur la forêt et l'oasis
d'Andalgala ou celle de Santa Maria, en pleine zone
désertique. Suivant qu'on aborde l'Aconquija en venant
de l'Est ou de l'Ouest, on y rencontre, de la base au
sommet, la succession des étages de végétation des
Andes humides, de la forêt à la prairie de graminées
(paramo ou pajonal), ou celle qui caractérise les Andes
sèches, depuis la brousse épineuse des vallées jusqu'aux
champs de tola résineuse de la Puna. Le contraste cli-
matologique se répète dans la nature des sols, dans le
modelé. L'Aconquija contient à lui seul les Andes en-
tières en raccourci. Au pied de l'étroite zone des crêtes
alpines, dans les quelques lieues carrées des hautes
vallées de Tafi et de Pucara, vit, sous un climat tem-
péré, un petit monde agricole et pastoral, sans ana-
logue à la ronde, étroitement enfermé entre la forêt et
le désert'.
La région sucrière de Tucuman n'est pas au sens
propre une oasis, c'est-à-dire un canton irrigué au milieu
d'un désert, mais une tache humide au cœur d'une zone
moins favorisée. Le voyageur qui vient du Chaco voit,
en approchant de Tucuman, la poussière disparaître de
l'atmosphère plus humide. La hauteur des pluies est de
L Les hautes vallées de l'Aconquija sont un champ inépuisable
d'observation. Il existe au Suncho (vallée de Pucara) un groupe de
colons italiens semant du maïs et du blé, fait unique, je crois, dans
toute cette partie de l'Argentine. La vallée de Tafi est principale-
ment pastorale, les pâturages de la vallée étant utilisés pendant
l'été, tandis que la forêt elle-même sert de pâturage d'hiver.
TICIMAN ET MENDOZA. f.ô
974 millimètres à Tucuman. L'irrigation est un puissant
secours pour ragriculteur, mais elle ne lui est pas indis-
pensable. Le maïs est généralement récolté sans arro-
sage et une partie des cultures de canne à sucre elles-
mêmes est prafi({uée en terrain non irrigué. Ce n'est
pas d'ailleurs l'abondance relative des pluies qui a
permis le développement des cultures de canne à sucre
autour de Tucuman, mais l'égalité de la température,
liée à l'humidité atmosphérique, et la rareté des gelées.
Les brumes qui se condensent au pied de l'Aconquija
forment au-dessus de Tucuman un manteau protecteur
qui empêche le rayonnement nocturne. Plus on s'ap-
proche de la montagne, plus les gelées sont tardives,
rares et légères. Si l'on s'éloigne à l'Est vers la plaine,
les gelées deviennent au contraire plus rigoureuses, et la
culture de la canne est impossible. Outre l'humidité, le
relief a une influence sur les variations de la tempéra-
ture et la distribution des gelées. Les dépressions où
s'amasse l'air froid, selon le phénomène météorologique
bien connu de l'inversion des températures, sont plus
exposées que les terrains en pente où la circulation de
l'air est régulière et facile. La limite orientale de la zone
épargnée par les gelées passe à 40 kilomètres environ
du pied de l'Aconquija. Elle n'a été reconnue qu'après
quelques tâtonnements, et l'on peut voir encore, au delà,
des restes de plantations abandonnées.
Les ressources en eau de la région de Tucuman com-
prennent, en premier lieu, des rivières abondantes et
égales qui descendent à l'Est du tlanc de l'Aconquija
(Lules, Famailla , Angostura, Gastona, Médinas, etc).
Elles rejoignent au sud de Tucuman le cours du Sali.
Le Sali est un torrent irrégulier qui se forme dans la
dépression subandineau Nord de Tucuman, et débouche
à Tucuman dans la plaine, après l'étranglement de
l'Aguadita entre l'extrémité N. E. de l'Aconquija et la
chaîne subandine de Burruyacu. Il se dirige ensuite
vers le Sud, divaguant sur un large lit de cailloux à
Denis. — LWrgenline. 5
fsr. LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
lleur de plaine, sans avoir eu la force de creuser une
vallée, et la pente du terrain sur sa rive gauche orien-
tale reste inclinée à l'Est et au Sud-Est. Les terres de
la Rive droite du Sali sont donc plus abondamment
pourvues en eau que celles de la rive gauche. Cette
inégalité est si marquée que, les cultures de la rive
droite élant largement desservies par ailleurs, toutes
les eaux du Sali sont réservées à la rive gauche. En
1912 a même été construit, sous le lit torrentiel du Sali,
un siphon permettant de faire passer sur la rive gauche
les eaux inemployées du Rio-Lules. Enfin, au Nord-Est
de Tucuman, la Sierra de Burruyacu fournit quelques
filets d'eau intermittents que les estancias amenaient
jadis à grand'peine jusqu'à leurs represas, et qui ne
permettent pas de pratiquer l'irrigation en grand.
Les cultures de canne s'établirent d'abord aux portes
de la ville, et vers l'Est, à Cruz Alta, sur la rive gaucho
du Rio Sali, à distance de la montagne, parce que, les
pluies y étant moins abondantes et le sol plus sec, la
végétation naturelle était moins exubérante et le défri-
chement moins coûteux'. Le Chemin de fer du Central
Cordoba, qui longe de Tucuman au Sud la rive droite
du Sali, forme l'axe d'une autre zone de cultures et
d'usines anciennes. Plus tard la colonisation se porta
vers l'Ouest; un nouveau chemin de fer provincial en
arc de cercle se greffa (1888-1890) à Tucuman et à la
Madrid sur le Central Cordoba ; il suit de près le pi'N4
de la montagne, « la falda », et en a permis l'occupation.
Les cultures nouvelles ne sont pas restées limitées à la
plaine alluviale; elles ont gravi les collines inférieures
et tendent à s'élever de plus en plus. A la hauteur de
Tucuman la montagne se rapproche à 10 ou 15 kilo-
mètres du Rio- Sali, et l'expansion possible vers l'Ouest
1. En 1894, on estimait que la terre non défrichée valait de 100 à
150 piastres l'hectare à Cruz Alta, le coût du défrichement étant do
130 à 200 piastres, tandis que dans la forêt humide du pied de la
Sierra, la terre valait 75 à 100 piastres seulement, mais le coût du
défrichement était double (ÔOO à 530 piastres).
TTCUMAX ET MEXDOZA. 67
est étroitement limitée : elle a déjà atteint son terme.
Plus au Sud, au contraire, la plaine s'étend à l'Ouest du
chemin de fer provincial sur une largeur de 20 kilo-
mètres au moins. Il subsiste là, à l'Ouest de Monteros,
de Concepcion et de la ligne des usines modernes, une
réserve de terres disponibles, l'espace pour un nouveau
pas vers l'Ouest. Les cultures ont également du champ
pour s'étendre au Nord-Est, au pied de la chaîne suban-
dine de Burruyacu, où les gelées sont faibles. C'est
dans cette direction que sont pratiqués actuellement
les défrichements les plus importants.
Ces diverses régions n'offrent pas à la culture des
conditions exactement identiques. La Falda est la plus
favorisée de toutes, non seulement par la rareté des
gelées, mais par la fertilité du sol, où la foret tropicale
a accumulé d'inépuisables réserves dhumus. Le ren-
dement en poids de la canne y est plus élevé que partout
ailleurs. L'irrigation n'y est pas nécessaire; en revanche
l'humidité y réduit la richesse de la canne en sucre.
L'irrigation est la règle dans la zone suivante, entre le
chemin de fer provincial et le Central Cordoba (rive
droite du Sali). Sur la rive gauche, une grande partie
des cultures doit encore se passer d'arrosage.
Le trait le plus original de l'organisation de l'indus-
trie sucrière à Tucuman est le maintien, à côté des
usiniers, d'une classe indépendante de cultivateurs,
les « caneros ». La persistance d'une petite et d'une
moyenne propriété est un fait dont on chercherait vai-
nement d'autres exemples dans les autres régions su-
crières de l'Amérique tropicale'. Partout, au Brésil
comme aux Antilles, les « habitations » qui élaboraient
elles-mêmes, selon des méthodes primitives, la produc-
tion de leur domaine, ont été absorbées par les usines
centrales. L'habitant a été dépossédé de ses terres,
après avoir été ruiné en tant qu'industriel par la con-
1. Sauf peut-être à la Barbade.
68 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
currence de l'usine moderne. A Tucuman, au contraire,
l'industrie sucrière n'a pas connu le stade de la fabrica-
tion domestique. Elle s'est improvisée de toutes pièces,
les uns consacrant leurs capitaux à la construction des
usines, tandis que les autres étendaient les cultures.
L'irrigation parut pousser d'abord à la concentration
de la propriété; les usines de Cruz Alla tracèrent d'im-
portants canaux particuliers pour capter les eaux du
Sali. Seuls, les grands propriétaires ont les ressources
nécessaires pour mener à bien des travaux de ce genre,
et assez d'influence pour obtenir l'autorisation de les
poursuivre à travers les terres qui dominent leur fonds.
Mais la loi de 1897 a réorganisé l'irrigation et soustrait
les ressources en eau au contrôle de quelques grands
propriétaires privilégiés. Des travaux publics entrepris
par le Gouvernement provincial ont mis l'eau à la por-
tée de tous les cultivateurs. Depuis 1897, le nombre des
concessions d'eau s'est élevé de 250 à près de 2000.
Les intérêts de l'usine, — ingenio, — etdes cultivateurs,
— caneros, — ne sont pas inaltérablement liés. Leur
part respective dans la répartition du produit de l'in-
dustrie sucrière n'est pas invariable. La multiplication
des usines, en augmentant le nombre des acheteurs de
canne, tend à en élever les cours. Pendant les années
qui précèdent 1895, les usines améliorent leur outillage,
et leur capacité de production s'accroît plus vite que la
superficie des cultures. Le prix des cannes atteint
alors 20 piastres la tonne. Ce chiffre dépassant de beau-
coup le prix de revient, les usines cherchent à profiter,
elles aussi, des avantages que le moment réserve aux
caneros, et achètent des terres pour planter. De cette
période date la formation des grandes propriétés des
usines de Cruz Alta. Plus tard, la production de canne
s'accroît et égale à peu près les besoins des usines (pi
se font entre elles une concurrence moins Apre ; elles
cessent d'acheter des terres, et le cours de la canne
fléchit.
TUCUMAN KT MENDOZA. 60
Les usines disposent actuellement des cannes qu'elles
cullivent elles-mêmes avec un personnel salarié à leur
service, de celles qu'elles achètent à prix réduit à des
entrepreneurs, « colonos », qui les cultivent sur des do-
maines à elles, enfin de celles que leur vendent les
caneros propriétaires. La zone où se fournit chaque
usine est souvent très étendue. Le congrès sucrier de
1894 estimait que la moitié de la canne récoltée était
transportée par chemin de fer, et que le fret de la canne
(l'un canton à l'autre de la région sucrièrc représentait,
pour les chemins de fer, plus d'un tiers de ce que leur
rapportait le transport du sucre do Tucuman au littoral.
Chaque compagnie de chemins de fer s'efforce de con-
server aux usines placées sur son réseau les cannes
qu'elle charge, pour éviter qu'après la fabrication le
transport du sucre ne lui échappe. Aussi le marché de
cannes est-il divisé en deux compartiments étanches",
entre lesquels se produisent peu d'échanges, le premier
comprenant la zone dépendant du Central-Argentino
et du chemin de fer de l'État, le deuxième, la zone
du Central-Cordoba et de l'ancien chemin de fer pro-
vincial racheté par le Central-Gordoba.
Certaines zones, Cruz Alta, les environs de la ville,
ont trop d'usines pour leur production de canne, et sont
des centres d'importation. Le prix de la canne y est
régulièrement plus élevé que dans les zones agricoles.
Chaque usine a sa clientèle; elle établit aux gares d'ex-
pédition des balances où elle reçoit et pèse la canne.
Seuls les caneros importants ont avantage à charger
leur récolte en wagon, et à la vendre à des usines éloi-
gnées; les petits caneros constituent au contraire la
clientèle forcée de l'usine locale. Ils luj vendent leurs
cannes directement, ou parfois par l'intermédiaire de
courtiers et de revendeurs. Au temps où les usines se
disputaient la canne, l'habitude s'est établie de faire
le plus tôt possible les contrats d'achat; on en signe
dès le mois d'octobre, c'est-à-dire aussitôt la campagne
70 LA REPUBLIQUE ARGENTLXE.
de l'année précédente achevée. Pour s'assurer la fidélité
du canero, les usiniers lui font des avances d'autant
plus libérales qu'ils ont plus de peine à approvisionner
leurs moulins.
Caneros et usiniers ont eu conjointement à résoudre
le problème de la main-d'œuvre. La population néces-
saire n'existait pas sur place. Il fallut la recruter ail-
leurs. On envoyait des racoleurs alentour, à Catamarca,
à Santiago del Estero, jusque dans la province de
Cordoba, qui formaient des équipes et les ramenaient.
C'était un personnel hétérogène, instable, indiscipliné.
Les usiniers, pour les retenir, leur accordaient de fortes
avances, et, redoutant de perdre leur mise, ne se dé-
cidaient pas à les renvoyer pour leur paresse et leur
irrégularité. Le défaut de bras ne se fait plus sentir
aujourd'hui aussi vivement qu'au moment de la grande
expansion de culture; la population ouvrière immigrée
s'est enracinée et elle a perdu sa turbulence. Elle com-
prend, outre les créoles, un petit nombre d'Européens,
Espagnols ou Italiens; mais, tandis que les créoles se
sont incorporés définitivement à l'industrie sucrière,
les immigrants européens emploient leurs premières
économies à acheter un lot de terrain, et se font maraî-
chers.
Si Tucuman dispose en temps normal du personnel
qui lui est nécessaire, la récolte l'oblige toujours à re-
courir aux provinces voisines. En mai, juin, les raco-
leurs partent comme autrefois, bien munis d'argent, sur
le Rio Salado, sur le pourtour de la sierra d'Ancasti, etc.
L'attraction temporaire de Tucuman à cette saison s'é-
tend fort loin : à Santa Maria , de l'autre côté de l'Acon-
quija, 600 personnes, hommes, femmes et enfants, émi-
grent pendant 5 mois, et vont vivre sur les champs de
canne. Les négociants de Santa Maria leur font au nom
des ingenios des avances qui s'élèvent à 60 piastres en-
viron par travailleur. Plus au Nord, les enganchadorcs
de Tucuman se heurtent à ceux de Salta et de Campo
TUCUMA.X ET MENDOZA. 71
Santo, et se partagent avec eux les bras disponibles.
Parmi les immigrés saisonniers, quelques individus
chaque hiver se fixent et grossissent le personnel sta-
ble de l'industrie sucrière.
En dehors de la région de Tucuman, un essai malheu-
reux a été l'ait pour implanter l'industrie sucrière à
Santiago del Estero : de grandes usines y ont été cons-
truites; mais les gelées sont rudes : on a tenté pendant
quelques années d'approvisionner les usines de Santiago
de cannes achetées à Tucuman, mais le prix du trans-
port était trop élevé et les usines durent être abandon-
nées, ou démontées et rétablies ailleurs. La vallée du
Rio Grande, de Jujuy à 500 kilomètres au Nord de Tucu-
man, dans la dépression subandine entre la sierra de
Zenta et la Lumbrera, offre au contraire à la culture de
la canne à sucre des conditions physiques favorables.
Les gelées y sont rares ; sous un climat plus chaud que
celui de Tucuman, les cannes mûrissent plus vite, et le
rendement moyen est plus élevé. Les ressources en eau
sont abondantes. Les plantations de canne y sont an-
ciennes : leur premier marché a été la région du plateau
et des vallées ; elles y vendaient surtout des eaux-de-
vie, trafic séculaire qu'on retrouve partout sur le pour-
tour des terres froides des Andes, depuis la Colombie
jusque dans le Nord de l'Argentine : les usines modernes
de Ledesma et de San Pedro remplacèrent les mou-
lins primitifs aussitôt que la voie ferrée approcha de
Jujuy, et avant même qu'elle eût pénétré dans la vallée
du Rio Grande. Elles expédiaient alors leurs sucres par
chars en novembre et décembre, entre la fin de la saison
sucrière et le début des pluies qui défoncent les chemins.
La région sucrière de Jujuy offre aujourd'hui une
organisation économique et sociale bien différente de
celle de Tucuman. Il n'y a pas ici de cultivateurs pro-
priétaires : chaque centre est un grand fief, isolé au
milieu de la forêt, où les ouvriers sont logés et approvi-
sionnés par l'usine et en dépendent étroitement. Les
72 LA REPIBLIOI E ARGENTiNi:.
entrepreneurs qui se chargent pour elle du défrichement
sont astreints, par contrat, à importer directement du
Sud les travailleurs qu'ils emploient, de peur qu'ils ne
puisent dans le personnel occupé à la culture. Il nexisl.e
pas en effet sur place de bras disponibles, pas de mar-
ché libre du travail. Depuis l'achèvement du chemin de
fer de la Quebrada de Humahuaca, l'immigralion, défi-
nitive ou temporaire, de montagnards du plateau, s'est
développée. La zone d'attraction de San Pedro s'étend
aujourd'hui jusque sur le territoire bolivien. Pour la
récolte, qui exige, comme à Tucuman, un important
renfort de main-d'œuvre, les usines recourent aux In-
diens sauvages du Chaco. Ce courant singulier de mi-
gration saisonnière, que la campagne sucrière de Jujuy
provoque ainsi chaque hiver en dehors de la zone occu-
pée par la colonisation blanche, est d'origine très an-
cienne et remonte à plus de 60 ans. Belmar le signale
déjà au milieu du xix'' siècle. Les agents recruteurs de
San Pedro et de Ledesma partent . d'Embarcacion où
s'achève la voie ferrée, et pénètrent dans le Chaco, d'où
chacun ramène, entre mars et juin, une troupe de quel-
ques centaines d'indigènes. Le nombre des immigrants
temporaires paraît être de 6000 environ. Les Cliiriguanos
du Nord laissent au Chaco leurs fanulles, et les hommes
viennent seuls. Les Matacos immigrent au contraire
par tribus. Ils campent dans des huttes pareilles à celles
de leurs villages, à l'ombre des sucreries, et reçoivent
pour leur travail du maïs, de la viande et des cigares;
au mois d'octobre, quand l'algarrobe fleurit et les rap-
pelle à la brousse natale, ils touchent en argent le reste
de leur salaire, et le dépensent en eau-de-vie et en pa-
rures, en couteaux et en armes.
L'histoire de Mendoza offre avec celle de Tucuman
plus d'une analogie. Dans la province de Cuyo, comme
à Tucuman, la vie urbaine a été précoce : au milieu du
TICIMAN ET MENDOZA. 75
xviii' siècle, Meiulo/a et San Juan exportaient vers le
littoral et vers le Paraguay des vins, des fruits séchés,
pasas, orojones) et aussi des farines. Une partie des
l'arines dites chiliennes consommées dans la Pampa,
provenait on réalité de .lâchai cl de Mendoza. Au
MX* siècle, ce Irafic s'interrompt, mais San Juan et Men-
uoza trouvent une autre source de richesse dans l'in-
dustrie de l'engraissage et dans le commerce des bœufs
avec le Chili. Belniar évalue en 1856 à 150000 cuadres
('215000 hectares] la superficie des luzernières de Cuyo'.
Comme à Tucuman, la période contemporaine est mar-
quée par une brusque expansion des cultures et par un
accroissement rapide de la population. Mais, tandis qu'à
Tucuman les provinces voisines ont fourni le complé-
ment de main-d'œuvre nécessaire, tandis que la popula-
tion actuelle y est essentiellement créole, à Mendoza, le
nombre des immigrants étrangers est élevé; en 1914, les
éi rangers représentent 510 pour 1000 de la population
totale de Mendoza, plus que pour l'ensemble de l'Argen-
tine. Le nombre des immigrants acheminés directement
des ports de débarquement vers Mendoza atteint 12000
en 101 1, 15000 en lOl^, presque autant que pour la
province de Santa Fe, plus que pour la province de
Cordoba; Mendoza a donc sa part propre dans l'attrac-
tion que l'Argentine exerce sur l'immigration euro-
péenne. Si l'on examine une carte de la population de
l'Amérique du Sud, on observera que les oasis de Cuyo
forment le seul groupement important de population
européenne à distance de la côte.
La prospérité actuelle de Mendoza est liée à l'industrie
vinicole, comme celle de Tucuman, à l'industrie sucrièrc.
La culture de la vigne est possible sur la plus grande
jiartie du territoire argentin. Elle iut pratiquée, au début
ilr la colonisation, jusqu'au Paraguay ; elle se maintient
!. II passe encore aujourd'hui quelques convois de bœufs par la
l'tulo d'Uspallata et surtout par le col d'Espinacilo dans la Cordillère
de S. Juan.
7i LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
aujourd'hui sur l'Uruguay à Concordia, et sur le Paraiia
inférieur à San Nicolas. Pourtant les étés humides des
provinces orientales lui sont peu favorables, et le climat
lui devient de plus en plus propice lorsqu'on avance
vers l'Ouest et que les pluies se réduisent. La zone sèche
de l'Argentine occidentale est la terre d'élection de la
vigne; elle s'y est répandue sur près de 20 degrés de
latitude, liée comme les autres cultures, à l'usage de
l'irrigation. Dans les vallées andines du Nord-Ouest, elle
s'élève jusqu'à l'altitude de 2000 mètres. Au Sud de
Mendoza, la limite supérieure de la vigne s'abaisse rapi-
dement, on ne la rencontre plus dans la zone monta-
gneuse elle-même. En revanche, son aire d'extension
s'élargit, et s'avance à l'Est jusqu'au littoral atlantique,
dans la vallée du Rio Negro.
Les centres anciens de viticulture du Nord-Ouest,
dans les oasis des costas de la Rioja,de Catamarca et de
Salta, ont été à peine touchés par le progrès, et leur
superficie est d'ailleurs extrêmement limitée. Le vignoble
du Rio Negro est en pleine période de formation et son
rendement est encore restreint. La zone de grande produc-
tion vinicole est donc limitée aux trois oasis de San Juan,
de Mendoza et de San Rafaël, qui ont fourni en 1913,
4 750000 hectolitres sur une production totale de
5 000 000 d'hectolitres pour l'Argentine. Ces trois centres
diffèrent aujourd'hui moins par les conditions physiques
que par leur développement économique inégal. A 'San
Juan, la transformation des anciennes méthodes de pro-
duction et des industries créoles traditionnelles se pour-
suit encore sous nos yeux. A Mendoza, elle est au con-
traire achevée. Le centre de San Rafaël enfin est de
création récente ; il s'est formé sur l'emplacement d'un
fortin qui jalonnait jusqu'en 1880 la frontière indienne.
Les cultures y ont surgi en terrain libre, en plein désert.
De là des différences qui s'atténueront avec le temps,
mais qui sont encore sensibles dans le paysage. Le
cadre est partout le même : les montagnes arides et
TUCUMAN ET MENDOZA. 75
désolées ferment l'horizon à l'Ouest; à leur pied s'étale
l'immense talus alluvial recouvert d'une brousse clair-
semée, où les vignes entourées de lignes de peupliers se
sont étendues partout où l'eau a pu atteindre.
La rareté des coupures transversales qui interrompent
la précordillère a pour effet de rassembler en un petit
nombre de points les eaux disponibles. Le Rio San Juan
draine à lui seul une zone de la Cordillère qui n'a pas
moins de 200 kilomètres de large. Les deux oasis de
Mendoza et de San Rafaël ont chacune deux cours d'eau
nourriciers. Le Mendoza et le Tunuyan à Mendoza, le
Diamante et l'Atuel à San Rafaël, se rapprochent à leur
sortie des montagnes, au point que les cultures qu'ils
arrosent se soudent en une zone continue; puis, au lieu
de confluer, ils se détournent, et se perdent séparément
dans la plaine. Ces cours d'eau ont une pente moins
rapide que les torrents plus maigres des oasis du
Nord-Ouest, et l'inclinaison moyenne des cônes de déjec-
tion où sont établis les vignobles est relativement faible.
Les pentes supérieures du cône, où des limons peu épais
recouvrent les cailloux roulés, donnent des vins francs
et parfumés. Dans le vignoble de Mendoza, Lujan, et
plus bas, Godoy Cruz, Guaymallen, Maipu, forment
ainsi des crus privilégiés. Dans la plaine, à l'Est de
Mendoza, à San Martin, Junin, le rendement est plus
élevé, mais les vins sont grossiers et souvent marqués
par le salpêtre que contient le sol argileux. Le même
contraste entre la zone supérieure et la zone inférieure
s'observe à San Juan et à San Rafaël.
Tandis que l'oasis de San Juan et celle de San Rafaël
se sont étendues régulièrement sur les parties les plus
favorables du talus alluvial, la forme de l'oasis de Men-
doza offre une anomalie qui ne s'explique que par des
raisons historiques; la zone cultivée s'étend, en effet, en
une bande étroite le long du Tunuyan, sur plus de 100
kilomètres jusqu'au cœur de la plaine hors de vue de
la Cordillère. C'est là un exemple, entre mille, de l'in-
76 LA REPUBLIQUE ARGENTINE.
fluence que la circulation exerce sur la colonisation. Le
long du ïunuyan passe, en effet, la route de Mendoza
vers le littoral, par laquelle arrivaient les convois de
bœufs de San Luis vers les invernadas. Les cultures
naquirent sur son tracé. Les villages de Santa Rosa, Las
Catitas, La Paz, qui en marquent les étapes, sont tous
d'origine ancienne; les étrangers y sont rares. On y voit
encore des habitations vétustés, antérieures h la voie
ferrée, et datant de l'ère du « carril », ou chemin
charretier. L'importance de cette ligne d'eau à travers
le désert ressort nettement de la carte de Woodbine
Parish.
L'usage de l'irrigation soulevait ici d'autres problèmes
techniques que dans les provinces du Nord-Ouest. Les
torrents andins, à cette latitude, sont redoutables à la
saison de la fonte des neiges, au début de Tété; la crue
est d'autant plus brusque et plus forte que les chaleurs
sont plus tardives; alors, de tous les ravins de la mon-
tagne, les eaux chargées de boue convergent vers la
vallée. La crue laboure le lit du Rio, en ronge les
berges, et menace de se frayer un chemin au milieu des
cultures; les villes mêmes de Mendoza et de San Juan
ont été plus d'une fois en danger. La crainte de détour-
ner et d'attirer sur soi tout ou partie de la crue obligeait
à n'établir sur le torrent que des barrages légers et fra-
giles. A San Juan on arrosa longtemps avec les eaux de
l'Arroyo del Estero, maigre ruisseau nourri par les
infiltrations du V'allede Zonda,et l'on s'enhardit tardive-
ment à puiser au Rio lui-même.
Un autre problème, que les oasis restreintes du
Nord-Ouest connaissent à peine, celui du drainage,
prend à San Juan et à Mendoza, pour une grande partie
de la surface irriguée, une importance capitale. Les
eaux infiltrées dans le sol s'écoulent en formant une
nappe souterraine qui, suivant la topographie, se rap-
proche plus ou moins de la surface. Elle vient affleurer
sur le pied du cône où la pente diminue, et où il passe
TUCLMAN ET MENDOZA. 77
peu à peu à la plaine. Le cône porte donc à sa hase une
ceinture de marécages (ciénagas), parfois une ligne de
sources puissantes (Borhollon). A Son Juan, si l'on
s éloigne assez pour embrasser d'un seul regard tout
l'ensemble des cultures, on s'aperçoit qu'elles occupent
la zone médiane, à mî-côle du cône, le sommet étant
formé de cailloux trop grossiers, la base étant trop
humide. Le progrés des cultures vers l'amont et lutilisn-
tion de jour en jour plus complète des eaux disponihl' -
tend à relever le niveau de la nappe souierrairif; et h
accroître la superficie des ciénagas.
Elles ont un sol fin et noir, admirablement fertile
après le drainage, et l'irrigation n'y est pas nécessaire :
car il est possible, selon la profondeur qu'on donne aux
rigoles de drainage, de régler le niveau des eaux souter-
raines de façon qu'elles continuent à nourrir les racines.
L'aménagement des ciénagas offre encore, h San Juan
surtout, où elle est à peine entamée, un champ d'expan-
sion assez large aux cultures. De plus, l'eau obtenue de
leur drainage permet de créer plus loin de nouveaux
groupes de cultures irriguées. A Mendoza, la superficie
irriguée par les canaux de drainage ^desague) est déjà
importante.
Le niveau de l'eau dans les ciénagas s abaisse pendant
l'été, et s'élève en hiver au moment où l'irrigation dans
les zones supérieures est suspendue ou très réduite, et
où le débit des acequias, que les champs ne recueillent
plus, s'écoule ou s'infiltre comme il peut vers l'aval.
C'est donc en hiver, à l'inverse du torrent lui-même, que
les canaux de drainage sont le plus abondamment
nourris. A Barriales ^Mendoza) et sur le cours inférieur
du canal Zanjon, quelques milliers d hectares, arrosés
par des eaux de drainage et exposés^à la disette pendant
l'été, ont le droit de prendre de l'eau au rio ou au canal
pendant les 5 mois d été, de novembre à janvier; le
reste de l'année, ils sont réduits aux ressources des
canaux de drainage. Cette forme de concession paraît
78 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
fournir un moyen d'utiliser l'excédent du débit du rio
pendant l'été.
A cette exception près, il n'existe pas de droits tempo-
raires limites à la saison des hautes eaux et permettant
de pratiquer sur le pourtour de la zone des cultures
vivaces, des cultures rapides mûries en peu de mois. Du
moins, le mouvement d'expansion des cultures et le
désir d'épuiser toutes les ressources en eau ont amené
à créer, à côté des droits définitifs, des droits éventuels.
Ils ne sont servis, en principe, que si les droits définitifs
ont reçu leur pleine dotation et dans un ordre fixe; ils
sont en effet subordonnés les uns aux autres. La valeur
marchande des terres à droits d'eau éventuels reste bien
inférieure à celle des terres à droits d'eau définitifs'.
A San Rafaël, où la colonisation a précédé l'inventaire
systématique des ressources naturelles, la concession de
droits d'eau éventuels a été un procédé pour laisser se
développer les cultures, bien qu'on fût fort mal renseigné
sur le débit de l'Atuel et du Diamante et sur la super-
ficie que pourrait atteindre le nouveau centre.
Dans la pratique, la coexistence de droits éventuels et
de droits définitifs offre bien des difficultés et plus d'un
prétexte à la fraude ; il arrive en effet que les titulaires
de droits éventuels ont accès au rio en amont des prises
d'eau plus anciennes et qui doivent être servies de pré-
férence. Tout un groupe de canaux desservant des
terres à droits éventuels se greffe ainsi sur le Tunuyan
au-dessus de la Paz dont les droits sont séculaires et
définitifs.
Le droit d'eau de Mendoza ou de San Juan, codifié
dans des lois provinciales qui datent, comme la construc-
tion des barrages, de la 'fin du xix^ siècle, est profondé-
1. Il existe actuellement dans la province de Mendoza 275 000 hec-
tares ayant un droit définitif, et 505 000 ayant un droit éventuel. Les
concessions alimentées par le Diamante et l'Atuel à S. Rafaël, soit
120 000 hectares avec droit définitif et 150 000 avec droit éventuel, ne
sont pas encore entièrement mises en valeur.
TLCUMAN ET MENDOZA. 7&
ment di fièrent des droits d'eau qui régnent dans les pro-
vinces andines du Nord-Ouest. La diversité des condi-
tions physiques se reflète dans les institutions. L'eau
n'est pas ici un objet de propriété privée indépendam-
ment du sol. La concession d'eau est accordée à tel ou
tel fonds et définie en mesures de superficie. La loi fixe
le volume d'eau qui revient à Tunité de superficie. Si le
débit du rio ne suffit pas pour distribuer à toute la zone
irriguée le volume prévu par la loi, du moins toutes les
terres à droits définitifs ont-elles une dotation égale, et
l'eau disponible est répartie entre les canaux en propor-
tion de la surface qu'ils irriguent.
Si aucune loi n'a pu assurer aux cultivateurs de Cuyo,
môme titulaires de droits définitifs, la constance de leur
provision d'eau, ni éviter qu'ils supportent en commun
les effets des variations du débit des torrents, il n'a pas
été davantage possible de leur assurer l'eau d'une façon
complètement permanente. Le « turno » est pratiqué
partout lorsque les eaux sont basses. Mais si l'on
s'éloigne vers l'aval, où la disette dure presque toute
l'année, le turno devient la règle constante. A la Paz,
au terme de la zone irriguée, il doit être appliqué avec
rigueur. Le tour de chaque propriétaire revient tous les
huit, dix ou douze jours. En temps normal, il reçoit la
<( suerte de agua », c'est-à-dire le débit d'une écluse de
dimensions fixes pendant une demi-heure par hectare.
Mais si le rio maigrit, il devient impossible de servir
simultanément plusieurs voisins et, pour ne pas allon-
ger l'intervalle entre deux arrosages successifs, la
durée de la suerte de agua est réduite ;de moitié ou
des trois quarts.
Du moins, les oasis de Cuyo ressemblent aux petites
oasis du Nord-Ouest par la part qui est faite aux intéres-
sés dans l'administration de l'irrigation. Les lois d'eau
en ont donné la direction générale à des fonctionnaires
provinciaux. Mais au-dessous d'eux, et pour le détail de
la distribution de l'eau et de l'entretien des canaux,
80 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLXE.
elles ont laissé subsister, en les régularisant seulement,
les organismes démocratiques pi-imitifs. A San Juan, ia
surveillance de l'irrigation est exercée par les conseils
municipaux élus et l'intendant des départements; à
Mendoza, les propriétaires nomment pour chaque canal
un conseil de trois délégués et d'un inspecteur, qui
fixent et soumettent aux autorités provinciales le budget
annuel du canal, perçoivent les taxes, exécutent les
réparations nécessaires, etc. Le fractionnement de la
propriété' et le nombre des électeurs donnent de la vie à
ces petites Républiques fort jalouses de leur autonomie.
Même dans les limites étroites de la région de Cuyo,
les conditions climatologiques, qui règlent la végéta-
tion de la vigne, ne sont pas exactement identiques.
L'ouverture des vendanges varie, selon les points, de
plusieurs semaines*. Le versant Nord du cône exposé
au soleil et abrité contre les vents du Sud est plus
précoce. Quelques parages, mal défendus contre les
vents du Sud, et où les gelées tardives sont fréquentes,
n'ont pas été envahis par le vignoble (zone du Tunuyan,
en aval de San Carlos, au Sud de Mendoza). Partout, la
sécheresse de l'air fait que les raisins mûrs se conser-
vent longtemps sur la plante; la vendange peut se pro-
longer sans inconvénient pendant deux mois et plus ;
elle réclame donc un supplément de main-d'œuvre rela-
tivement restreint, et n'entraîne pas de migrations sai-
sonnières. La durée des vendanges facilite d'autre part
les transactions sur les raisins, qui sont l'un des traits
particuliers de l'industrie vinicole argentine.
Le climat est moiiis favorable à la vinification qu'à ia
i. Plus de 6000 propriétaires à San Juan pour 91000 hectares, plus
de 9000 à Mendoza (zone des rios i^Iendoza et Tunuyan) pour 130 OOd
hectares (statistique dressée en 1899).
2. L'amplitude de ces difierences est infiniment plus grande si l'on
s'éloigne des provinces de Cuyo. Cataniarca. qui s'est spécialisée
dans la production des raisins de table, est envahie par les acheteurs
de Buenos Aires et commence ses expéditions on décembre, deux
mois entiers avant le début des vendanges de Mendoza.
TUCUMAN ET MENDOZA. 81
viticulture. La température au moment de la vendange
est élevée et entrave la marche de la fermentation dans
les cuves : les raisins sont trop sucres et trop peu
acides pour que la transformation des moûts se réalise
complètement d'elle-même. De là, la nécessité d'un
outillage coûteux, de caves perfectionnées et d'un per-
sonnel technique, (^ette organisation industrielle n'est
pas à la portée des petits cultivateurs. Aussi la culture
de la vigne et la fabrication du vin ne sont-elles pas ici
étroitement associées et comme inséparables. Elles sont
pratiquées par deux catégories distinctes de la popula-
tion. Comme Tucuman a ses « cafteros » et ses usiniers,
Mcndoza, par une division du travail qui ne paraît pas
moins anormale au voyageur européen et que le climat
contribue à expliquer, a ses vignerons, « viftateros » et
fe.cs fabricants, « bodegueros' ».
Chacune de ces deux classes a eu sa part dans
l'œuvre commune. Les vinaleros ont créé le vignoble.
La vigne créole importée des Canaries au Pérou, et qui
de là se répandit dans toutes les Andes méridionales,
donne en abondance un fruit sucré et ûpre qui ne
)»crmetpas d'imiter les vins d'Europe. A Mendoza elle
a presque complètement disparu; à San Juan elle se
maintient encore. Elle est cultivée en treilles, sur des
châssis de bois posés sur des fourches d'algarrobe, ou
bien les ceps robustes s'élèvent sans support à 2 mètres
du sol environ, et portent une couronne de sarments
et de feuillages. Le vignoble nouveau a au contraire
été constitué avec des cépages français. Tandis que les
vignes créoles ont l'aspect d'un véritable verger, les
vignes françaises sont cultivées sur des alignements de
fils de fer.
Les plantations furent faites d'abord par des ouvriers
1. Si la culture de la canne est généralement tombée sous la dé-
pendance de l'industrie sucrière, qui représente de gros capitaux, on
est accoutumé au contraire à considérer la vinification comme une
simple annexe de la viticulture.
Dems. — (.'Ariredline. 6
82 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
créoles, payés à la journée. Bientôt, à mesure que se
dessina l'immigration étrangère, se répandit l'usage de
contrats à long terme, par lesquels un colon recevait la
terre nue et s'engageait à la rendre au bout de trois,
quatre ou cinq ans, plantée en vignes. Le propriétaire
fournissait le matériel nécessaire. Le colon touchait à
la fin du contrat une prime de quelques centavos par
pied de vigne, ou bien vendait à son profit tout ou
partie des premières récoltes. Grâce à ces contrats, le
nombre des étrangers fut toujours particulièrement
élevé dans les zones où le vignoble était en formation.
La proportion des étrangers est aujourd'hui moins forte
à Mendoza qu'à San Rafaël, où la colonisation est plus
récente. Lorsqu'ils le purent, les propriétaires laissèrent
à leurs colons non seulement le soin de la plantation
des vignes, mais l'entretien des vignobles adultes.
Le colon reçoit alors une somme fixe par hectare
(100 piastres par exemple), et se charge de labourer,
tailler, irriguer, etc.... Un grand nombre de ces ouvriers
agricoles et de ces petits entrepreneurs, ayant réalisé
un modeste capital, ont eux-mêmes acheté des terres, et
planté, constituant ainsi une classe nouvelle de pro-
priétaires cultivateurs.
Pendant que les vinateros renouvelaient le vignoble,
les bodegueros transformaient les méthodes de vinifica-
tion. La fragilité des vins imparfaitement fermentes,
qui aigrissent et s'éventent vite, était d'autant plus
grave pour les viticulteurs de l'époque coloniale que
les transports se faisaient lentement, sans précautions
possibles contre le soleil, qui cuisait sur le dos des
mules les barillets d'algarrobe ou les outres de cuir.
Souvent les vignerons préféraient distiller leur vin pour
exporter vers les plateaux andins ou vers le littoral des
eaux-de-vie qu'on parfumait à l'anis. Le climat et les
risques du transport avaient fait naître une étonnante
variété de méthodes de traitement des moûts. Tantôt on
les concentrait par l'ébullition à l'état de sirop visqueux,
TICIMAN ET MENDOZA. 83
l'arrope, pareil, semble-t-il, aux vins épais de la Médi-
terranée antique ; tantôt on cuisait le moût sans le
réduire pour empêcher la fermentation immédiate,
comme on fait encore au Chili pour la chicha ; ou bien
on mêlait aux vins aigres des moûts bouillis avec des
cendres de sarment qui en masquaient l'acidité.
Ces traditions sont aujourd'hui perdues. Mais il est
curieux de voir les bodegueros s'appliquer à satisfaire
encore le goût de la population créole du Nord-Ouest
qui a gardé sa préférence pour les vins fruités et doux.
San Juan, qui approvisionne cette clientèle, fabrique
des mistelles, — moûts frais bouillis et additionnés
d'alcool, — qu'on ajoute aux vins achevés pour simuler
les fermentations imparfaites de jadis. Nulle part au
monde peut-être l'art de la vinification n'a été poussé
aussi loin que dans les bodegas de Mendoza. La cor-
rection des moûts, l'analyse et le traitement des vins
malades y sont pratiqués suivant les méthodes les plus
modernes. Les bodegas parviennent à livrer un produit
très régulier que garantit leur marque. Le vin du type
Mendoza qu'elles s'efforcent de réaliser est un gros vin
rouge, chargé en couleur, pesant 12 à 15 degrés d'alcool,
qu'on peut appeler par euphémisme vin de coupage,
mais qui est en réalité un vin de mouillage, l'Argentine
ne produisant pas ailleurs de vins trop légers et n'ayant
pas besoin de vins de coupage.
Le nombre des caves ayant élaboré du vin en 1915 est
de 097 à Mendoza, 556 à San Juan. Mais elles sont
d'importance très inégale, La grande majorité n'ont que
des installations réduites et un capital modeste.
Ouelques-unes, en revanche, sont de puissantes usines
dont la production suffirait à alimenter une grande ville,
vastes constructions de brique ou d'adobe, couvertes,
par crainte des tremblements de terre, d'une toiture
légère.
Les maîtres de caves sont eux-mêmes presque tou-
jours propriétaires de vignobles, mais ils ne se conten-
84 LA RÉPUBLIQUE ARGKNTINE.
tent pas de leur vendange et achètent la leur aux cultiva-
teurs dépourvus de caves. En 1008, on calculait que
140 000 tonnes de raisin avaient été mises au pressoir par
les propriétaires, et 1 75 000 tonnes achetées par les bode-
gueros'.
Les conflits d'intérêts entre viîïateros et bodegueros
forment la trame de la vie de Mendoza. Les cours du
raisin sont infiniment plus variables que ceux du vin.
Le vinatero dépourvu de cave est à la merci du bode-
guero. S'il ne veut pas laisser perdre sa récolte, il doit
accepter sans condition le prix qu'on lui en offre. Le
bodeguero a d'ailleurs l'avantage de disposer du raisin
vendangé sur les terres qui lui appartiennent; si les
circonstances ne l'encouragent pas à produire à
outrance, il se borne à mettre au pressoir sa propre
vendange et renonce à acheter celle du voisin. Tout le
poids des crises commerciales retombe donc sur le
vigneron sans cave.
Les prix payés pour le raisin varient légèrement dans
les différentes fractions du vignoble, beaucoup moins
selon ses qualités que selon le nombre de bodegas qui
y sont placées et leur capacité. Les transports de raisin
à grande distance sont en effet fort coûteux. Exception-
nellement on a apporté du raisin de San Rafaël à des
caves de Mendoza ; mais chaque bodega se fournit
autant que possible autour d'elle. A San Juan, la capa-
cité des caves étant proportionnellement moindre qu'à
Mendoza, les bodegueros ont imposé aux cultivateurs
des conditions plus dures. La vendange y est faite aux
frais du cultivateur, tandis qu'à Mendoza le bodeguero
s'en charge, et transporte lui-même le raisin au pres-
soir et à la cave. Le prix fixé par le contrat d'achat ne
donne pas par lui-même une idée complète des avan-
tages que le bodeguero en retire. Le raisin est payé au
1. Des statistiques plus récentes manquent. La proportion varie
légèrement cliaque année selon les cours du vin et du raisin.
TlCl MAN ET MEXDOZA. S.-)
poids, mais le bodeguero se réserve de fixer la date de
la livraison. Il commence par vendanger ses vignes
lorsque le fruit arrive à peine à maturité. Il remet au
contraire à plus tard, au mois d'avril et de mai, la ven-
dange des raisins achetés. Ces raisins, exposés sur la
plante à la chaleur et au soleil, dépassent la maturité,
gagnent du sucre et perdent du poids. Ils fournissent des
vins ayant plus de degré d'alcool et qui permettent de
corriger les vins trop légers élaborés pendant les se-
maines précédentes. Enfin le bodeguero ne fait pas
d'avances au vinatero comme l'usinier au cafiero dans
l'industrie du sucre.
Le seul salut des vignerons est le défaut d'entente des
bodegueros et la concurrence qu'ils se font entre eu.v.
Bien que des conventions entre bodegueros établissent
avant la vendange la cote officielle à laquelle doivent se
faire les transactions, elles ne sonl respectées que dans
la mesure où chacun s'y trouve intéressé. Si l'on compte
que le vin s'écoulera facilement, et si l'on craint que le
raisin manque, les acheteurs abondent, et les contrais
sont signés longtemps avant que le fruit ne se fonne.
C'est une véritable spéculation à terme. On joue sur le
raisin comme sur le blé ou le colon. Haussiers et bais-
siers se disputent le marché. Si les haussiers l'emporlent
les viùateros s'enrichissent'.
Si l'on compare les graphiques représentant la pro-
duction du vin et du sucre en Argentine, au cours des
30 dernières années, on constatera qu'ils illustrent clai-
1. Outre les causes d'ordre tcéographique qui ont été signalées,
rindépendance de la culture et de la fabrication du vin a des causes
économiques qui sortent du cadre de cette étude. La grande bodega
est mieux placée que le petit producteur pour organiser la vente de
ses vins sur le marché éloigné que constitue Buenos .\ires. Seuis,
les bodegueros étaient à même de lutter contre les commerçants éta-
blis à Buenos Aires qui importaient des vins d'Europe et fabri-
quaient des vins frelatés.
.Sii LA RÉPUBLigUE ARGENTINE.
rement la dépendance de linduslrie vinicole et de l'in-
dustrie sucrière à l'égard du marché intérieur. La
prospérité de la région pampéenne, notamment pendant
les années qui précèdent 1914, se reflète à Mcndoza et à
Tucuman. Le mouvement d'expansion des cultures y est
pareillement déclenché par la construction des voies
ferrées qui les relient au littoral. La grande industrie
s'implante à Tucuman à partir de 1876, c'est-à-dire à
partir de l'inauguration du Central Cordoba. La super-
licie cultivée en cannes passe de 2 200 hectares en 1876
à 14800 en 1886. La production de sucre triple en
4 ans, entre 1876 et 1880. Mais le Central Cordoba était
une ligne à voie étroite, d'une utilisation coûteuse et
nécessitant un transbordement des marchandises à Cor-
doba. En 1891, le chemin de fer à voie large de Buenos
Aires à Rosario est prolongé jusqu'à Tucuman, et, en
1892, la ligne à voie étroite de Rosario à Santa Fe, San
Cristobal et Tucuman, est également mise en service.
Les années suivantes sont de nouveau signalées par les
rapides progrès de l'industrie sucrière. De 1891 à 1895,
la superficie cultivée en cannes s'élève de 14 200 à
40 700 hectares et la production de sucre de 51 000 à
155 000 tonnes. A Mendoza de même, le développement
du vignoble date de l'achèvement du chemin de fer de
San Luis en 1885. Aussitôt sont entreprises les planta-
tions qui entrent en rapport trois ans plus tard. En 1887,
le chemin de fer transporte de Mendoza au littoral
27 0.00 hectolitres de vin; en 1890-91, 268 000 hectolitres.
Dans ce court intervalle la production a été décuplée.
A mesure que la production du vin et du sucre s'ac-
croît, l'importation étrangère diminue. Dès 1885,
Tucuman suffisait à la consommation nationale du sucre
brut, et les importations ne comprenaient plus que du
sucre raffiné. En 1888, une raffinerie se fonde à Rosario
à portée des sucres argentins qui lui arrivent par voie
ferrée, et des sucres étrangers amenés par la voie flu-
viale. A partir de cette date, l'importation s'interrompt
TLCIJMAN ET MENDOZA. 87
et ne reprend qu'à de longs intervalles, après les récoltes
déficitaires. L'importation des vins communs étrangers
continue à s'accroître jusqu'en 1890 (800000 hectolitres)
aussi longtemps que la production du vin à Mendoza
progresse moins vite que la consommation. Elle a
décliné régulièrement à partir de cette date (oSOOOOhec-
lolitros on 1015), soit 7 pour 100 seulement de la pro-
duction nationale. Il faut noter, d'ailleurs, que, môme en
matière ^de vins communs, le vin de Mendoza et le vin
importé ne représentent pas deux produits exactement
comparables, que la concurrence qu'ils se font l'un à
l'autre n'est pas une pure question de prix, et qu'une
partie de la clientèle garde une préférence pour les vins
étrangers.
L'élimination des vins et des sucres étrangers et le
développement de Mendoza et de Tucuman se sont réa-
lisés à l'abri d'un régime protectionniste dont les détails
sont curieux à étudier, parce qu'ils ont dû être adaptés
aux conditions naturelles. Le besoin d'une protection
résulte avant tout de l'éloignement des centres de pro-
duction du marché consommateur. Mendoza est à
1000 kilomètres de Buenos Aires, et Tucuman à 1200 ki-
lomètres. Les frets perçus par les voies ferrées sont
élevés. Ils atteignent 35 piastres la tonne pour les vins
entre Mendoza et Buenos Aires, près du double du fret
maritime normal qu'ont à supporter les vins européens
expédiés de Bordeaux ou de Gênes; 30 piastres environ
la tonne pour les sucres entre Tucuman et Buenos Aires.
Les dépenses de transport absorbent ainsi près de
1/6 de la valeur totale de la production. Malgré cette
charge commune, la nécessité de la protection est loin
d'être égale pour Mendoza et pour Tucuman. La vigne
est admirablement adaptée au climat de Mendoza. La
sécheresse y réduit les maladies cryptogamiques ; les
risques de culture y sont restreints. La fructification est
abondante; les gelées sont tardives et peu dangereuses.
Les chutes de grêle sont fréquentes, il est vrai, au
88 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
débouché des vallées de la Cordillère, mais elles ne sont
jamais générales et ne compromettent jamais qu'une
petite partie de la récolte. La courbe de la pioduction
est très régulière ; elle s'élève chaque année presque
sans à-coup et proportionnellement à l'extension des
cultures. En conséquence, le marché du vin olTre une
stabilité à laquelle les pays vinicoles europé'îns, de
climat plus incertain, ne sont pas accoutumés. Aussi le
régime de protection est-il resté fixe. Le droit d'impor-
tation sur les vins étrangers en fût, — 8 centimes or par
litre, — n'a pas été modifié depuis l'importation en
Argentine de la grande industrie vinicole '.
La courbe de la production du sucre est aussi acci-
dentée que la courbe de la production du vin est régu-
lière. D'une année h l'autre, le rendement varie du
simple au double, par bonds impossibles à prévoir :
147 000 tonnes en 1912, 535000 tonnes en 101';,
150 000 tonnes en 1915. C'est que, suivant le temps, la
campagne sucrière réussit ou échoue. Les cannes qui
ont subi les gelées aigrissent et fermentent sur pied;
elles doivent être moulues rapidement et il est impos-
sible de prolonger la récolte. Même dans les années
favorables, l'outillage coûteux des usines n'est actif que
pendant trois mois (juillet-septembre, juillet-octobre à
Jujuy.)
L'irrégularité de la production qui rend la protection
indispensable en complique infiniment la })ratique.
Tantôt, en effet, la récolte est insuffisante pour Ir^s
\. Mendoza est protégée en outre par les lois qui rcprinieni la
fraude. La législation contre les fraudes est double, nationale et
provinciale. La loi nationale, qui tient compte des intérêts des t-oni-
merçants de Buenos Aires, tolère la fabrication des vins artificiels;
la loi provinciale, qui défend les intérêts particuliers des régions de
production, est plus stricte. Elle interdit la fabrication des vins arti-
ficiels. Elle fixe le degré maximum d'alcool des vins et empèclie
l'expédition de Mendoza à Buenos Aires des vins alcoolisés, destinés
au mouillage. Enfin elle défend le vinatero contre le bodeguero en
tixant le poids de raisin à employer pour l'élaboration d'un hecto-
litre de vin et en rendant ainsi impossible la fraude à la Inxlega.
TICIMAN 1:T MKNDOZA. î'S
besoins du pays, et il faut autoriser l'imporlation ;
lantôt, au contraire, elle les surpasse de beaucoup et
les sucriers sont réduits à exporter l'excédent de sucre
pour ne pas laisser les prix s'effondrer sur le marché
intérieur encombré. Pour répondre à des situations si
diverses, le régime protecteur a dû être sans cesse mo-
difié et compliqué. Il ne peut être question ici d'en
suivre l'histoire en détail. Les droits sur les sucres
étrangers ont été établis par degrés entre 1885 et 189i,
des mesures de protection particulières étant prises en
faveur de la raffinerie à partir de 1888. La surproduc-
tion se manifesta pour la première fois en 1895. L'expor-
tation à perte pour dégager le marché national fut
d'abord organisée par une association des producteurs
eux-mêmes (en 1890). Mais dès 1807, le Gouvernement
argentin la développa en instituant des primes à l'expor-
tation. La période des exportations dure de 1897 à 190 î.
La loi de 1912, qui est la forme la plus récente du
régime protectionniste, laisse au gouvernement le droit
de suspendre temporairement les droits d'importation
et d'autoriser l'entrée du sucre étranger. Comme à
Mendoza, l'intervention du gouvernement provincial se
superpose à celle du gouvernement national. L'alter-
nance des mauvaises récoltes et des récoltes excessives
fait foisonner les lois improvisées de toutes sortes, modi-
fiant les bases de la perception des taxes, réglant la pro-
duction des usines, limitant la superficie des cultures'.
Tucuman a donc vécu au milieu des orages et des incer-
titudes, des discussions perpétuellement renaissantes,
dans l'énervement et l'insécurité, payant ainsi la rançon
de sa situation géographique, à la limite extrême de la
zone où la culture de la canne est possible.
I. Notamment pendnnl la crise de lOOS-lOO."}.
CHAPITRE IV
i/expi.oitation des forêts
La main- J'(riivre des ()l)rajrs. — Le pays des baiîados et les
cantons agricoles de Corrientes. — Les chantiers du (Ihaco et les
usines d'acide lannique du Parana. — L'exploitation du maté. —
L'industrie forestière et la colonisation.
Des Andes de Tueuman et de Salia aux rives du Haut
Parana dans le territoire de Misiones, le Nord de l'Ar-
gentine est aujourd'hui un vaste chantier d'exploitation
de bois. Il retentit partout des coups de la cognée.
L'exploitation du bois est très ancienne sur le lleuve :
au xviii" siècle, Buenos Aires est approvisionné de bois
par le Parana. Dans le Chaco occidental, la difficulté des
transports par terre entravait le développement de l'in-
dustrie forestière. Le seul marché pour le bois de
Tueuman était la région andine. Les expéditions de
bois vers Mendoza cessèrent au début du xix' siècle,
quand le peuplier eut été acclimaté par les oasis de
Cuyo. Sous Rosas, on amena par chars, de Santiago à
Buenos Aires, les premières charges de bois de que-
bracho ; mais ce commerce s'interrompit dès que la voie
fluviale fut redevenue libre, et il faut venir, pour le voir
reprendre, jusqu'à l'époque contemporaine et à l'inaugu-
ration des chemins de fer.
La lisière externe de la foret et de la brousse, où l'in-
dustrie forestière a dû recruter son personnel, est habitée
par une population pastorale très clairsemée. Pourtant,
dans le domaine solitaire des éleveurs, sont éparses
quelques ruches bruyantes où la brousse s'anime. Ces
cantons surpeuplés sont les régions à culture de bana-
92 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
dos, ou cultures de terres inondées. Entre ces anciens
foyers de vie créole et les chantiers de la forêt, s'est
établi un va-et-vient incessant : l'industrie forestière y
recrute ses ouvriers par engagements temporaires. Les
salaires qu'elle leur distribue y sont rapportés et dé-
pensés; ils contribuent à maintenir ces groupes sociaux
de type archaïque que la pauvreté de leur production
aurait voués à une élimination rapide.
Les banados sont dispersés sur le pourtour de toutes
les sierras dans les limites qu'atteignent, avant de se
perdre, les crues des torrents nés dans la montagne. En
outre, ils s'alignent le long des rares rivières assez abon-
damment nourries pour traverser la brousse : le Salado
et le Dulce. Le cours du Bermejo, où les conditions
naturelles sont analogues, est compris en dehors de la
zone de la colonisation primitive créole. Les cultures
ne forment pas sur le Salado ni sur le Dulce une zone
ininterrompue. Les banados manquent partout où
le lit du Rio est enfermé par des berges élevées qui
empêchent la crue de s'étendre. Le cours du Salado
unit trois taches principales de banados en chapelet
sous le 26° (Matoque, Boqueron), entre le 27° et le 28" (la
Brea), entre le 28° et le 29° (Le Bracho, Navicha). Mais
le pays classique des banados, où ils couvrent la super-
ficie la plus étendue et nourrissent le groupe de popula-
tion le plus important, est le delta intérieur du rio Dulce
en aval de Santiago del Estero, dans l'es départements
de Loreto, d'Atamisqui et de Salavina.
Santiago en occupe à peu près le sommet. Vers
l'amont, le rio Dulce est encaissé entre de hautes barran-
cas de limon (département de Rio Hondo). Au-dessous
de Santiago, le rio paraît courir au sommet d'une sorte
de cône alluvial aplati, sur lequel il divague. Les
exemples de déplacement du lit des rivières pendant la
période historique abondent dans le Nord de la plaine
argentine. La brousse est labourée à l'Est du Salado
par un réseau de lits morts, dont les berges s'effacent
L'EXPLOITATION DES FORÊTS. 93
peu à peu à mesure que la végélation s'en empare. Mais
nulle part, l'indécision des eaux n'est aussi marquée, le
vagabondage fluvial, aussi ample, que dans cette section
du bassin du rio Dulce. Les bourgades d'Atamisqui et
Salavina, qui vivaient des eaux du Dulce, furent ruinées
brusquement en 1825 lorsque le fleuve, à la suite d'une
crue particulièrement violente, se détourna au Sud pour
se perdre dans les Salinas Grandes. Un canal ayant été
creusé en 1897 pour irriguer la région de Loreto, sur la
rive gauche du rio Dulce, la crue de 1901 en élargit
l'entrée mal défendue par des travaux insuffisants, s'y
fraya un passage, et, guidée par lui, déboucha dans
l'ancien lit abandonné depuis un siècle, qui se dirige au
Sud-Est vers Alamisqui. Atamisqui et Salavina refleu-
rirent, tandis qu'il fallut abandonner les cultures du rio
des Salines qui ne reçoit plus d'eau que pendant les
crues exceptionnelles. Lits actuels, lits anciens toujours
prêts à se rouvrir, restes de canaux modifiés et coupés
par le courant, forment un chevelu dense au milieu de
la plaine, où l'inondation se répand tantôt d'un côté,
tantôt de l'autre, suivant le chemin qui s'ouvre à elle et
suivant la facilité avec laquelle les divers éléments du
réseau se prêtent à la circulation des eaux. Tel est le
pays des banados.
On y entre aujourd'hui par la station de Loreto, où la
ligne de Santiago à Prias s'en rapproche à quelques kilo-
mètres ; celte station est construite au milieu du monte
aride, et ne doit son mouvement qu'au voisinage des ba-
nados. En allant du chemin de fer vers l'Est, aussitôt
après avoir traversé le large lit encombré de sables du
rio des Salines, on se trouve au cœur des cultures de
banados. Le chemin circule entre les haies, « cercas »,
par-dessus lesquelles on voit verdir les blés et les
luzernes; les lots sont minuscules, des jardins plutôt
que des champs. On a conservé, en défrichant, les
arbres les mieux venus, dont le feuillage léger
assure aux récoltes une ombre salutaire, et la couronne
04 LA RÉPUBLIOUE ARGENTINE.
des algarrobes dépasse partout le sommet des haies.
Les champs ne couvrent pas tout le domaine des
inondations annuelles : ils sont limités aux zones oii la
crue est fertilisante et où elle abandonne un limon fin et
sain qui conserve pendant plusieurs mois les réserves
d'humidité. Ailleurs, le courant est trop rapide; il ravine
le sol, y laisse des trous profonds semblables aux lôncs
de la zone d'inondation du Rhône, arrache les clôtures;
ou bien, les eaux apportent avec elles des sables stériles
qu'elles étalent en longues traînées; ou enfin, lors-
qu'elles ne sont pas drainées à temps et s'évaporent sur
place, elles déposent les sels dont elles sont chargées,
et la terre, marquée d'une lèpre blanche, devient im-
propre à la végétation.
La crue s'ouvre en été, pendant les mois de novembre
ou de décembre ; elle est déterminée par les pluies d'orage
de la région de Tucuman, et fort irrégulière. Une partie
des habitations est évacuée, d'autres sont entourées de
levées de terre qu'on relève d'heure en heure, suivant le
niveau qu'atteignent les eaux et à l'abri desquelles on
attend la fin de la crue. Lorsque la boue, découverte par
la décrue, a repris assez de consistance, on laboure et on
sème le blé, qui germe pendant l'hiver et qu'on mois-
sonne en novembre, en hâte, de peur que la nouvelle
crue ne le trouve encore sur pied.
Les caprices de la crue obligent à déplacer fréquem-
ment les habitations et les cultures. Le village ancien
de Loreto, évacué après une crue, n'est plus aujourd'hui
qu'un amas de ruines solitaires. Alentour des troncs
dénudés d'algarrobes tués par un apport excessif de
sable ou de sel dominent des colonies uniformes de
plantes du même âge et de la même espèce qui
envahissent l'espace où la brousse adulte et variée a été
détruite. Le moulin a été reconstruit à moins d'un mille
et n'a pas perdu sa clientèle qui a relevé plus loin ses
ranchos. L'instabilité des cultures a empêché l'établis-
sement de la petite propriété ; les cultivateurs ne sont
L'EXPLOITATION DES I-ORÈTS. 05
<Iiie les tenanciers d'estancias qui s'étendent depuis le
Heuve jusqu'à de grandes distances dans l'intérieur.
L'utilisation des banados pour l'agriculture est
ancienne, et remonte probablement jusqu'à l'ère pré-
colombienne. Le père DobrizhofTer, qui le premier en
parle clairement', compare le Rio Dulce au Nil, et c'est
en efTel aux cultures de l'Egypte pharaonique que res-
semblent les banados, alors qu'ils n'ont aucun rapport
avec les zones d'irrigation des vallées andines. Les
banados étaient consacrés alors aux cultures de blé et de
courge. La courge, qui est d'origine américaine, n'y avait
pas encore été éliminée par le blé qui est d'introduction
espagnole. Le blé des banados alimenta jusqu'au début
du xix" siècle un commerce d'exportation assez actif, et
les banados ont été parfois appelés un peu emphatique-
ment le grenier de la vice-Royauté. Le mouvement de la
population des banados est difficile à suivre avec préci-
sion en raison des incessants remaniements des circon-
scriptions administratives dans la province de Santiago.
La population totale de la province ne forme plus aujour-
d'hui que 5 pour 100 de la population de l'Argentine,
mais son importance relative était beaucoup plus consi-
dérable au milieu du xix^ siècle (près de 8 pour 100 au
recensement de 1861). Les cinq départements de Loreto,
Atamisqui et Salavina sur le Rio Dulce, Copo primero
et Figueroa sur le Salado, qui vivent principalement
des cultures de banados, comptaient 46 000 habitants
en 1861, et 45000 en 1805. La carte de Woodbine
Parish, la description de Hutchinson donnent nettement
l'impression de la densité du peuplement dans la
zone des banados. J'indique ailleurs^ l'ancienneté et la
permanence des courants d'émigration temporaire qui
répandent sur une grande partie du territoire argentin
la population des banados. L'émigration temporaire des
1. llistoria de Abiponibus.
'1. Voir le chapitre sur la population.
96 LA RÉPUBLigUE ARGENTINE.
Santiaguenos se partage entré la plupart des provinces
du Centre et du Nord de l'Argentine, mais elle intéresse
surtout la région frontière. Le Santiaguefio est avant
tout un bûcheron. La zone forestière a sur les autres
marchés de travail l'avantage d'accueillir les travailleurs
en toute saison, hiver comme été, tandis que la récolte
de canne à Tucuman et la moisson du Sud ne durent que
peu de mois. On émigré des banados pour Tucuman en
mai, pour Cordoba et Santa Fe en octobre, novembre et
décembre, pour la forêt du Chaco pendant toute l'année.
Avec les banados du Dulce et du Salado, la province
de Gorrientes a élé la réserve principale où l'industrie
du bois a puisé sa main-d'œuvre. Comme à Santiago
del Estero, on retrouve à Corrientes l'opposition si fré-
quente dans les zones d'ancienne colonisation de l'Amé-
rique du Sud, entre les régions de culture et les régions
d'élevage. Les estancieros, éleveurs, sont les maîtres de
Corrientes, mais les alignements de collines basses de
snble et d'argile rouge ponctuées de lagunes qui tra-
versent l'angle Nord-Ouest de la province, échappent à
leur domination. Là le sol se divise, les champs appa-
raissent. Comme le blé pour les banados, le tabac a été
pour cette fraction de Corrientes un produit d'exporta-
tion, surtout après l'isolement politique du Paraguay,
principal producteur de tabac au xviii" siècle. Pen-
dant toute la première partie du xix® siècle, les ache-
teurs de tabac parcouraient Corrientes après la récolte,
en janvier et février. D'ailleurs ce sol fertile, sous un
climat doux où les plantes vivrières tropicales réus-
sissent comme celles de la zone tempérée, fournit les
éléments d'une aisance locale qui se suffit à elle-même.
Ici encore, la colonisation agricole a créé un noyau de
population relativement dense, capable d'essaimer. Bien
que les divisions administratives ne correspondent pas
exactement aux divisions naturelles, l'inégalité de la
distribution de la population à Corrientes ressort des
chiffres fournis par le recensement de 1895. La densité
L'EXPLOITATION DES FORÊTS. 07
s'élève, dans les zones agricoles, à 8 habitants par kilo-
mètre carré, dans le département de Bellavista; à 10
à S. Cosme; à 14 à Lomas ; à 30 à S. Roque. Elle est
comprise entre I et 2 dans les départements purement
pastoraux (Concepcion, Mercedes).
Corrienles a aussi ses forets où reparaissent la plu-
part des espèces de la forêt du Cliaco, en lignes étroites,
le long des cours d'eau, et en taches plus étendues sur
les plateaux qui séparent leurs vallées inférieures près
du Parana. Elles ont fourni d'abord l'écorce de Curupai
qu'utilisaient les tanneries de Corrientes. Les chantiers
de construction pour la batellerie fluviale émigrent au
début du xix*^ siècle du Paraguay à Corrientes, en même
temps et pour les mêmes causes que le commerce du
tabac. L'exploitation du quebracho rouge ne com-
mença que vers 1850. En 1887, Virasoro' rapporte que
50 navires sont employés h charger du bois de Nandubaï
sur les rives du rio Corrientes, et à le transporter à
Rosario. Née sur la rive gauche du Parana, l'industrie
forestière a émigré à la fin du siècle sur la rive droite,
où la main-d'œuvre correntine l'a suivie.
Le même mouvement se dessine plus au Nord sur le
Paraguay. L'exploitation du bois y est sur les affluents
de la rive gauche une industrie séculaire. D'Azara^ en
signale l'importance. Robertson, allant de Corrientes à
Asuncion en 1814, trouve dans la zone marécageuse
voisine du fleuve une population de bûcherons, qui,
pendant la crue, se réfugie dans les cantons agricoles
• limitrophes, sur les terres hautes, où elle est bien
accueillie. La coupe de bois paraît donc avoir dès cette
date le caractère d'une industrie saisonnière. L'exploita-
tion des forêts envahit aujourd'hui rapidement la rive
droite, longtemps abandonnée aux Indiens sauvages.
1. \'al. Virasoro. Los esteras y lagunas ciel Ibera. Rev. soc. geogr.
Argenlina, VI, 1887, p. .105-351. '
2. Diario de la n<iveçiacion y reconocimiento del rio Tibicuari. Collec-
tion de Ange'.is. t. II.
Denis. — L'Argentine. 7
98 LA RÉPUBLIQUE ARGENTL\E.
Santiaguenos et Correnlinos ne se sont pas mélangés.
Les deux zones d'expansion de la colonisation forestière,
dont ils sont les pionniers, sont indépendantes. Le
quechua, qui est la langue des banados durio Dulce, est
parlé sur les chantiers du Chaco de Santiago; le guarani,
qui est la langue de Gorrientes et du Paraguay, règne
le long du fleuve, dans le Chaco de Santa Fe. Leurs do*
maines n'entreront en contact que lorsque l'embranche-
ment de Quimili du chemin de fer du Central Norte, qui
vient de la province de Santiago, aura rejoint la ligne
de pénétration de Resistencia sur le Parana vers
l'Ouest.
L'industrie forestière de l'intérieur et celle de la région
fluviale ne se distinguent pas seulement par leur per-
sonnel, mais par leur organisation même et par leur
marché. La variété de quebracho rouge exploitée à l'Ouest
n'est pas exactement semblable à la variété qu'on trouve
à l'Est : chacune d'elles a son nom particulier : quebra-
cho santiagueno et quebracho chaqueno. Le premier
contient 10 pour 100 de tannin et le deuxième, 50pour 100 ;
le premier est abattu comme bois d'œuvre, le deuxième
pour en extraire l'acide tannique. L'un est vendu en
Argentine, l'autre est expédié à l'étranger.
L'exploitation du bois à Santiago est restée aux mains
d'un monde de petits capitalistes et de tâcherons qui
n'ont pas acquis la propriété foncière et ne travaillent
pas chez eux; ils se bornent à acheter au détail, et selon
les besoins du moment, le droit d'exploitation (derecho
de monte ou derecho de lena). Les troncs de quebracho
de dimensions exceptionnelles fournissent des billes
vendues au cube, mais la zone du quebracho santiagueno
exporte principalement des traverses. Les traverses de
quebracho ont été employées à la construction du réseau
de chemins de fer à voie étroite et à voie large, qui depuis
'20 ans s'est développé sur la Pampa. Les arbres hauts
L'EXPLOITATION DES FORÊTS. 99
el minces donnent des poteaux de télégraphe, les bran-
ches menues, les poteaux des clôtures de fil de fer. Dans
les régions du monte où manque le quebracho rouge, on
exploite aussi le rctamo dont on tire des piquets de clô-
ture, et le quebracho blanc qui se débite en rondins.
Enfin on tire de la forêt du bois de chauffe. Les usines
de Tucuman, les locomotives sur toute une partie du
territoire sont chauffées au bois. Le bois de quebracho
rouge, abandonné quelques années sur les chantiers
d'exploitation de traverses, et débarrassé par le temps
de l'aubier qui tombe en pourriture, la « lena campana »
est un combustible de première qualité. Le charbon de
bois supporte mieux que le bois brut les frais de trans-
port, aussi pout-il être expédié plus loin, dans toute la
zone de la prairie. On le fabrique dans le monte le long
de toutes les voies ferrées, et en particulier dans les
forêts clairsemées et pauvres qui forment la bordure de
la prairie.
Comme elle est dispersée et primitive, l'industrie
forestière de l'intérieur est aussi instable : son outillage
est peu coûteux : des scieries aisément démontables, et
représentant d'ailleurs un capital modeste. Lorsqu'elles
ont épuisé un canton de la forêt, on les démonte pour
les transporter plus loin. Les coupes ne sont pas con-
duites de façon à laisser la forêt se reconstituer et réparer
ses blessures et à permettre une exploitation continue.
On enlève en une fois tout ce qui a de la valeur. Le que-
bracho est d'ailleurs un arbre de croissance lente. Si
l'industrie forestière est parfois revenue après un inter-
valle à des terrains qu'elle avait déjà exploites, ce n'est
pas parce qu'elle y disposait d'une génération nouvelle
d'arbres, mais parce qu'elle trouvait profit, les condi-
tions du marché ou le prix du transport s'étant modifiés,
à abattre le bois menu qu'elle avait jadis dédaigné.
Le maître obrajero, qui se déplace, est suivi par la
plus grande partie de son personnel. Pourtant, pour le
décider à émigrer, ou pour recruter dans les banados
f BISLIOTHECA
100 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
des hacheurs qui consentent à aller travailler sur des
chantiers éloignés et dans des régions neuves, il doit se
montrer plus libéral et offrir des salaires plus élevés.
Les conditions du travail et le taux des salaires ne sont
donc pas les mêmes dans toutes les fractions de la forêt.
La zone d'exploitation la plus ancienne que traverse le
Central Cordoba, entre les provinces de Gatamarca et de
Santiago del Estero, a un excédent d'ouvriers habiles.
Les obrajeros de la vallée du San Francisco à Jujuy, où
l'exploitation est toute récente, ne disposent au contraire
que d'une main-d'œuvre médiocre. Le rendement n'y est
pas plus élevé qu'au Sud, bien que la densité et la
richesse de la forêt y soient incomparablement supé-
rieures. Il en a coûté surtout pour faire naître un courant
d'immigration continue vers la grande région de produc-
tion qu'on appelle aujourd'hui le Ghaco, le long de la
voie ferrée qui partd'Anatuya et pénètre à 200 kilomètres
vers le Nord, L'ouvrier étant rétribué aux pièces, le
prix payé par traverse atteignit au moment de la forma-
tion des obrajes du Ghaco un prix double sur la ligne
d'Anatuya de celui qu'on payait sur l'ancienne ligne de
Santiago à Prias, à la porte des banados.
L'exploitation ne reste profitable que jusqu'à une
faible distance de la voie ferrée. Les transports par chars
élèvent en effet rapidement les prix de revient. L'indus-
trie forestière n'est pas moins étroitement dépendante
des voies ferrées pour son approvisionnement que pour
l'exportation des bois. L'obraje n'a sur place aucune res-
source en fait de vivres. Les cultures maraîchères qui
commencent à s'étendre dans la zone des canaux d'irri-
gation de la Banda, à l'Est de la ville de Santiago del
Estero, voient leur production absorbée tout entière
par les acheteurs d'Anatuya et de la ligne du Ghaco.
Souvent la voie ferrée apporte non seulement les vivres
mais l'eau. Dans une grande partie du Ghaco de San-
tiago, les eaux courantes font défaut et les nappes sou-
terrames sont mal connues, inaccessibles ou salées.
L'EXPLOITATION DES FORÊTS. 101
L'obraje est le pays de la soif. Pour réduire les besoins
en eau, on creuse des réservoirs pareils aux represas
des estancias et que les pluies remplissent. Mais dès les
premiers mois de sécheresse, ce ne sont plus que de.s
mares croupissantes et vertes, et il faut recourir aux
wagons-citernes.
Si le Chaco de Santiago est aujourd'hui une démo-
cratie de petits obrajeros et de petits entrepreneurs, le
Chaco oriental, le long du Parana, abrite une société
toute différente. Il est en effet tout entier aux mains de
grandes fabriques d'acide tannique où les troncs de que-
bracho sont râpés, bouillis et leur suc concentré en une
ré.sine visqueuse ; leurs hautes cheminées dominent de
loin en loin la forêt. L'exploitation prend ici un caractère
capitaliste et industriel qui lui manque ailleurs ; elle est
dirigée par de puissantes entreprises, fortement organi-
sées, et qui la mènent selon un plan établi à l'avance.
Les usines ne traitent pas, il est vrai, toute la production
de quebracho ', mais, même pour les bois qui sont
exportés bruts, elles sont à peu près complètement maî-
tresses du marché, et une bonne part en est réservée aux
filiales qu'elles ont en Europe. Pour pouvoir amortir le
capital considérable que représentent les usines, les
compagnies qui les ont bâties ont dû s'assurer des forêts
étendues, et elles sont devenues propriétaires. La con-
centration des terres entre leurs mains se continue cha-
que jour, et le nombre des compagnies tend à se réduire
par fusion ou par rachat d'usines concurrentes et de
leurs domaines. Sur le territoire du Chaco, où l'admi-
nistration des terres publiques était entre les mains du
Gouvernement Fédéral, quelques précautions ont été
1. L'élaboration sur place de l'extrail de quebracho est d'autant
plus nécessaire qu'on avance davantage au Nord vers l'intérieur du
continent et par conséquent que les frets jusqii'aux ports de desti-
nation en Europe sont plus élevés.
102 LA REPUBLIQUE ARGENTINE.
prises pour éviter l'accaparement des terres : mais les
forêts de la province de Santa Fe appartiennent tout
entières à deux sociétés.
Avec les capitaux nécessaires à la construction des
usines, le Chaco oriental a reçu d'Europe un personnel
dirigeant assez nombreux, occupé soit à l'administration,
soit à la direction technique. Il s'est montré plus exi-
geant que le personnel créole des scieries de Santiago.
Auprès de la plupart des usines se sont élevés des cha-
lets confortables, des cités ouvrières de brique. Ces dé-
penses étaient d'autant plus indiquées que l'industrie est
ici moins errante. Une usine d'acide tannique ne peut
être déplacée comme une scierie : lorsque les réserves
de bois s'épuisent autour d'elle, elle se fournit plus loin,
aussi longtemps que les frets le lui permettent. Elle
dépend du chemin de fer, non seulement comme les
scieries, pour l'exportation de ses produits, mais pour
son approvisionnement en matière première.
Les usines ne sont pas toutes également riches. Elles
sont dispersées sur près de 10 degrés de latitude, au Nord
du 50" L. S., à portée du fleuve qui assure leur communi-
cation avec le monde, et a permis d'attaquer à la fois
toute la largeur de la forêt. Le quebracho abonde parti-
culièrement dans le Nord de Santa Fe et dans le Sud du
territoire argentin du Ghaco, où il forme l'essence domi
nante de la forêt. Les usines qui sont établies là, au
milieu des forêts les plus denses, disposent en outre de
capitaux abondants qui leur permettent de ménager
leurs ressources et d'acheter du bois au loin. La forêt à
leurs portes est encore presque intacte, et elles ont
devant elles le plus long avenir. Au contraire, l'usine la
plus ancienne, à la lisière méridionale de la forêt, et celle
des Corrientes sur la rive gauche du Parana, sont actuel-
lement paralysées, faute de bois.
Si les usines sont toutes placées à peu de distance du
fleuve, ce n'est pas seulement parce qu'elles en ont
besoin pour évacuer leur production, mais parce que
L'EXPLOITATION DES FORÊTS. 105
c'est la seule fraclion du Cliaco où l'on trouve de l'eau
douce. Or, l'usine à acide tannique en consomme abon-
damment. Le long du fleuve, dans une zone dont la lar-
geur est comprise entre 50 et 400 kilomètres, on voit
réapparaître en efl'et un réseau hydrographique perma-
nent qui manque dans tout le reste de la plaine; ce sont
de longues traînées de marécages couverts de joncs, des
« cafiadas » qui se convertissent pourtant, de place en
place et près de leur embouchure, en rivières propre-
ment dites au lit bien dessiné. Les eaux souterraines
sont aussi plus souvent douces et abondantes, soit
qu'elles soient entretenues par les pluies plus fréquentes,
soit qu'elles soient alimentées par des infiltrations du
Parana, et plusieurs usines ont exécuté des forages heu-
reux. On souffre ici de l'excès d'eau aussi souvent que
de la soif; sur ces immenses superficies presque horizon-
tales, les eaux des canadas s'étalent et envahissent par-
fois la forêt entière ; la voie ferrée, les habitations, sont
alors baignées par la nappe stagnante, qui met des mois
à disparaître. Les troncs mal équarris, accumulés aux
stations pour être chargés, et qui, suivant l'état du mar-
ché y attendent parfois des années, sont à demi enfouis
dans la boue. La circulation des chars sur les chemins
devient difficile. Les mules qui donnent dans la forêt
sèche de l'Ouest un bon rendement, ne sauraient fournir
leffort nécessaire ici, et il faut recourir au bœuf, la bête
de somme par excellence des pays de boue. Tandis que
les bœufs créoles aux grandes cornes, efflanqués, hâlent
péniblement les chars, un correntino, aux longues jambes
minces, botté de boue, les guide et les harcèle, pareil,
avec son pas lent et prudent, à un échassier du marais.
Le travail de ces meneurs de chars est bien plus dur
que celui des hàcheurs. Ils reçoivent une paie presque
double, et c'est la difficulté d'en recruter un assez grand
nombre qui limite la production.
La puissance et aussi la stabilité des grandes usines
a fixé le marché du travail sur la rive droite du Parana,
lOi LA RÉPUBLigUE ARGENTINE.
et nulle part on n'est plus forcé d'aller recruter des ou-
vriers à Corrientes; ils viennent d'eux-mêmes; des ser-
vices quotidiens de petits vapeurs les amènent à tous
les ports d'expédition du quebracho. La rive gauche,
sur le territoire argentin, n'a plus de centre d'embauché,
comme sont encore au Paraguay Asuncion et Concep-
cion.
Même sur ses terres, l'usine abandonne l'exploitation
du bois à des entrepreneurs auxquels elle l'achète. Mais
les obrajeros, travaillant dans les forêts de la Compagnie
ou chez eux, sont vis-à-vis de l'usine dans une étroite
dépendance : les contrats qui les lient varient selon
qu'ils sont ou non propriétaires, selon qu'ils se char-
gent du transport du bois aux gares, ou qu'ils le li-
vrent à la place où il a été abattu, selon qu'ils possè-
dent les bœufs et les chars nécessaires ou que ceux-ci
leur sont fournis par la Compagnie. Ils comportent
toujours des avances faites par la Compagnie, et, en
échange, l'obligation de se fournir à ses magasins des
denrées que consomme la population de l'obraje. Le
bénéfice réalisé sur ces fournitures s'ajoute au produit
de l'usine. La Compagnie monopolise le commerce d'im-
portation et le commerce d'exportation. Elle exerce sur
la forêt une souveraineté absolue. Tout juste a-t-elle
cédé au chemin de fer assez d'espace pour poser ses
rails et bâtir ses gares.
Le dernier centre de l'exploitation du bois dans l'Ar-
gentine moderne est le territoire des Missions sur le
haut Parana. Posadas en est l'entrepôt et en garde l'is-
sue vers l'aval. Son influence s'étend au delà de la fron-
tière argentine sur une petite partie du territoire para-
guayen et brésilien. Les Missions ont deux types de
forêts, très différents, et dont aucun ne ressemble à la
forêt à quebracho. L'un est la forêt à araucarias (pinos)
.qui couvre les hauts plateaux au-dessus de (300 mètres;
L'EXPLOITATION DES FORÊTS. 105
l'autre est la forêt tropicale, riche en essences, et de
végétalion pérenne, qui remplit le fond et le versant
des vallées. Le pin, qui fait déjà sur le plateau bré-
silien l'objet d'une exploitation intense, donne un ex-
cellent bois blanc, pouvant remplacer les pins du Nord,
et qui serait de vente facile sur le marché de Buenos
Aires; mais il n'a jamais été exploité sur territoire
argentin en raison de la distance qui sépare les peu-
plements du lleuve navigable. Par sa distribution au
faîte des plateaux, l'araucaria est un fret réservé aux
chemins de fer à construire et non à la voie fluviale'.
Ouant à la forêt feuillue tro})icale, elle comprend de
nombreuses variétés utilisables : timbo, lapacho, etc.,
mais celle qui est recherchée entre toutes est le cèdre,
au bois rose, odorant et fin, admirablement propre à la
menuiserie. Lors du voyage de d'Orbigny, les habitants
de Corrientes recherchaient déjà activement sur le fleuve
les troncs de cèdre amenés de l'amont par les crues.
Les obrajes de bois de cèdre s'étendent aujourd'hui sur
la rive argentine jusqu'à 20 kilomètres ; sur la rive para-
guayenne, qui est moins accidentée, et oii les transports
sont plus faciles, jusqu'à 50 kilomètres du fleuve. Les
billes descendent en trains de bois jusqu'à Posadas; le
cèdre, moins dense que le quebracho, est en effet flot-
table, et le séjour dans l'eau aide à faire dégorger la
sève. A Posadas les radeaux sont dépecés et les troncs
livrés aux scieries.
Mais le bois n'est pas à Misiones comme dans le
Chaco l'objet principal de l'industrie forestière : à côté
de l'obraje, la forêt abrite l'yerbal, chantier d'exploita-
tion de maté (ilex paraguayensis). On sait le rôle que
joue dans l'alimentation des pays méridionaux de l'Amé-
rique du Sud l'infusion de maté. La cueillette de la
feuille de maté est restée à travers les siècles, exemple
\. Au Brésil, de même, les scieries de pins araucarias sont localisées
le long de la voie ferrée Sâo Paulo — Rio Grande.
106 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
peut-être unique dans les annales des industries fores-
tières sud-américaines, une occupation profitable. Elle
ne s'est jamais interrompue, mais elle s'est fréquem-
ment déplacée.
Les plantations des Jésuites furent abandonnées
lorsque les missionnaires furent dispersés. Après la fin
du xvm® siècle, le Paraguay est la seule grande région
de production. Villa Rica paraît avoir été le centre prin-
cipal où se concentrait la yerba. Mais, dès cette date, le
bassin du Jejuy, plus au Nord, était exploité, et les yer-
bateros, venus de Guruguati, s'étaient avancés à l'Est
jusque dans la région des chutes de Guayra sur le Pa-
rana. Au xix^ siècle, le commerce du maté du Paraguay
paraît avoir moins souffert de la politique d'isolement
des dictateurs paraguayens que le commerce du tabac.
Les descriptions de Mariano Molas, de Demersay, etc..
montrent que l'exploitation se poursuit assez activement.
Elle s'étend même vers le Nord, et se développe jus-
qu'au rio Apa, Villa Goncepcion devenant un marché
de yerba rival de Villa Rica. Cependant, le monopole
institué par le Gouvernement du Paraguay et les res-
trictions imposées à la navigation sur le fleuve provo-
quent le développement de l'industrie de la yerba sur le
territoire des Missions orientales de la rive gauche de
l'Uruguay. Itaquy leur servait de port d'embarquement.
Dans le dernier tiers du xix- siècle, les chantiers d'ex-
ploitation émigrèrent de la rive gauche à la rive droite
de l'Uruguay. A partir de 1870, le Parana supplante
l'Uruguay et le commerce de la yerba se concentre à
Gandelaria. G'est le début de la résurrection de Misiones.
En 1880* San Javier, s^ur l'Uruguay, élaborait 800 ton-
nes de yerba et Gandelaria plus de 1000 tonnes. Les
yerbales autour de San Javier commençaient à s'épuiser
et les yerbateros devaient remonter de plus en plus haut
sur l'Uruguay et vers les yerbales du plateau de Fracan
i. V. Virasoro. El terrilorio correntino de Misiones. Bol. Institulo
Geogr. Argentino, II, 1881, p. 161-201.
L'EXPLOITATION DES FORÊTS. 107
el de San Pedro, (^andelaria était alimentée surtout par
les yerbales de la rive droite du Parana, sur territoire
paraguayen. Posadas a succédé aujourd'hui à Gande-
laria et les yerbales qui en dépendent sont distribuées
en amont de part et d'autre du Parana.
Les yerbales des Missions sont en dehors de la forêt
tropicale proprement dite, et vers la lisière inférieure de
la foret de pins, parlant à assez grande distance du
lleuve, auquel ils sont joints par des sentiers muletiers,
boueux et pénibles. Le maté peut en effet supporter des
frais de transport qui seraient écrasants pour le bois.
Au point oîi ces chemins débouchent sur le fleuve, les
vapeurs fluviaux font halle au pied d'un hangar, à peine
discernable dans la verdure. Ce sont les « échelles )^ des
yerbales.
Le travail aux yerbales dure six mois par an. Les
élagueurs qui rassemblent les rames de feuilles et les
rapportent aux fours où elles sont séchées comprennent
des brésiliens, des paraguayens et des argentins. Les
brésiliens vont s'embaucher sur le yerbal même; les
paraguayens el les argentins, originaires presque tous
de la province de Corrienles, sont recrutés à Posadas et
à la ville jumelle d'Encarnacion, qui lui fait face, sur la
rive jjaraguayenne.
L'embauchage à Posadas se pratique selon des cou-
tumes traditionnelles qui ne paraissent pas avoir varié
depuis un siècle. La description de d'Azara n'a pas
vieilli : « les gens de Villa Rica, dit-il, ont pour ressource
principale de s'engager aux yerbales; l'industrie de la
yerba est lucrative quelquefois aux maîtres, et jamais
aux pions qui travaillent cruellement sans profit aucun;
outre qu'on leur paie en marchandises la yerba qu'ils
récoltent, on évalue ces marchandises à si haut prix que
c'est une chose terrible; jusqu'à la serpe pour couper
le maté, on leur en exige un loyer... Comme les pions,
avant de partir pour les yerbales, s'endettent le plus qu'ils
peuvent, dès qu'ils ont travaillé quelque peu, ils se tirent
108 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
des grègues et disent adieu au yerbatero qui se trouve
ainsi volé. Le yerbatero à son tour est exploité par les
marchands qui le commanditent ». Avant de partir pour
l'yerbal, dit Robertson, Tentrepreneur, « babilitado »,
reçoit une avance de 4 à 5000 piastres; puis il embauche
une cinquantaine d'ouvriers, les fournit de tout le né-
cessaire, et leur avance deux à trois mois de salaire.
L'yerbal dans la forêt, une boutique à Posadas, au centre
d'embauché, où les avances sur la paie sont dépensées
avant le départ, un moulin à yerba, au Rosario ou à
Buenos Aires, à proximité des marchés consommateurs,
forment les trois éléments essentiels et inséparables
d'une entreprise d'exploitation du maté.
L'industrie forestière, sous ses formes diverses, ne
représente pas une prise de possession définitive du sol
par l'homme. Après avoir dépouillé la forêt, elle l'éva-
cué, et le terrain reste libre pour la colonisation. Presque
toujours, la séparation est complète entre l'industrie
forestière et la colonisation permanente. Elles n'ont pas
le même personnel : le bûcheron (hachador) ou le char-
bonnier ne sont pas des défricheurs. Le débroussaille-
ment, l'extirpation des souches, sans lesquels le terrain
ne peut être occupé par le laboureur, ne sont pas leur
affaire : besogne de terrassiers. A Tucuman, où la ma-
jorité des travailleurs sur les champs de canne à sucre
sont pourtant des Santiaguenos, on emploie au net-
toyage du terrain des Italiens et des Espagnols. Les
équipes de Mendocinos, qui viennent couper des échalas
dans le monte autour de Villa Mercedes, ne se louent
pas aux estancieros qui défrichent pour semer de la
luzerne.
Les rapports de l'industrie forestière et de la coloni-
sation forment l'un des chapitres les plus variés de
l'histoire économique de l'Argentine moderne. Sur le
pourtour de la région pampéenne, le premier point où
L'EXPLOITATION DES FORÊTS. 109
la colonisation agricole soit entrée en contact avec la
zone forestière est la région des anciennes colonies de
Santa Fc. Elle y trouva l'industrie forestière déjh an-
ciennement étal)lie, sur les rives du Salado comme sur
celles du Parana ; l'exportation de bois et de charbon
vers Buenos Aires et vers les fours à chaux d'Entre Rios
était à cette date l'un des rares éléments d'activité éco-
nomique qu'eût conservés Santa Fe. Les colons ne péné-
trèrent pas dans la forêt et ne se mêlèrent pas aux char-
bonniers, mais ils profitèrent indirectement de leur
voisinage en leur vendant du maïs. Plus tard, les labours
s'étendirent dans la Pampa central et la province de
Cordoba, jusqu'à la lisière de la brousse sur tout le pour-
tour de la prairie. La coupe du bois y est pratiquée par-
tout en petit, à Toay aussi bien qu'à Villa Mercedes et
à Villa Maria. Le prix de la vente des bois constitue pour
l'agriculteur un léger revenu supplémentaire, et le défri-
chement contribue à l'occuper pendant la morte-saison
agricole. Les terrains couverts de brousse sont restés
longtemps d'un prix très inférieur à celui des terrains
nus. Ils ont ainsi constitué une sorte de réserve qui a
échappé en partie à la spéculation sur les terres, et où
la petite propriété se constitue plus aisément que dans
la Pampa. Un courant de Santa Fecinos se porte aujour-
d'hui de l'Est et du Sud dans la zone du monte comprise
au Sud de Mar Chiquita, sur la voie ferrée de Lehmann
à Dean Funes.
La zone de la forêt du Chaco, dans l'Argentine sep-
tentrionale, entre les Andes et le Parana, paraît au
contraire réserA ce à la colonisation pastorale. La forêt
du Chaco peut en effet, aussi bien que le monte plus clair
qui en forme le prolongement méridional, être utilisée
par les éleveurs sans travail préalable. Les Indiens y
ont nourri des bœufs et des chevaux depuis le xvif siècle.
Les troupeaux trouvent partout de quoi s'alimenter, soit
dans les clairières, abras, très nombreuses, qui coupent
la forêt, soit dans la forêt elle-même où le sous-bois et
110 LA REPUBLIQUE ARGENTINE.
le tapis herbacé viennent dru sous le feuillage maig-re
des mimosées et des quebrachos.
Dans une grande partie du Chaco occidental, ,1a colo-
nisation pastorale est antérieure à l'exploitation fores-
tière. Sur le territoire de Santiago del Estero, les éle-
veurs s'étaient avancés bien avant les bûcherons et le
chemin de fer, au delà du Salado, à peu près jusqu'au
tracé actuel de la ligne d'Anatuya à Tintina, où il y a
des nappes deau douce et des puits. Les estancias
anciennes vont jusqu'à Alhuampa. La vieille population
pastorale n'a pris qu'une très faible part à l'exploitation
forestière : elle s'est bornée à en tirer une rente, en
recevant des obrajes le droit de monte. Ce fut pour elle
une aubaine gratuite, puisque l'abatage de quelques
arbres ne nuit en rien à la valeur du pâturage. L'exploi-
tation forestière n'a pas entraîné une refonte de la pro-
priété foncière, ni une transformation des méthodes
d'élevage. Les obrajes ne sont que des hôtes de pas-
sage dont les traces s'effacent vite.
Dans le Chaco oriental, au contraire, les bûcherons
sont de véritables pionniers, l'avant-garde de la coloni-
sation. Ce sont eux qui ont fait la conquête de la forêt,
souvent en contact direct avec les Indiens, et la propriété
s'est formée à leur profit. Dans le développement actuel
de l'élevage, ils ont eux-mêmes un rôle essentiel.
Si, quittant le fleuve, on s'avance à l'Ouest vers la
forêt, on traverse d'abord une étroite zone de cultures,
qui forme une ligne à peu près continue, de San Javier
à Resistencia. Ce sont d'anciennes colonies, fondées,
pour la plupart, vers 1870, en même temps que les pre-
mières colonies du centre de Santa Fe. Elles avaient
l'avantage d'être à portée de la voie fluviale, tandis que
le réseau des voies ferrées desservant les colonies de
Santa Fe ne fut construit qu'après 1880. Si elles n'ont
pas montré la même puissance d'expansion que les
colonies de la prairie, du moins paraissent-elles ferme-
ment enracinées, sur des terres hautes et bien drainées.
L'EXPLOITATION DES FORÊTS. Hl
1res différentes des argiles du Chaco, et où les alluvions
du Parana alternent avec des apports qui paraissent
provenir de la rive gauche. On y récolte le lin et l'ara-
chide, la canne ù sucre et le coton. Au delà de cette
frêle façade agricole s'étendent les grands domaines des
usines. Dans la répartition du sol, les usines ont re-
cherché les terres les plus riches en quebracho. Les
acheteurs de terres qui n'avaient pas d'intentions indus-
trielles, capitalistes étrangers ou porteiios, devenus
maîtres de grandes concessions dans les régions encore
mal reconnues, ont, après inventaire de leurs propriétés,
revendu aux usines les lots où le bois abondait ; pour le
reste, ils en ont fait des estancias (domaines d'élevage).
La région comprise au Nord de la ligne du Central
Norle de San Cristobal au Tostado, où la forêt, qui va
céder place à la prairie, se morcelle et ressemble à un
parc, comprend plusieurs de ces estancias modernes, où
la luzerne comm.ence à remplacer par taches les gra-
minées de la végétation naturelle.
Lorsqu'on pénètre dans l'intérieur, l'industrie pasto-
rale prend bientôt un caractère plus primitif. Les com-
pagnies de quebracho elles-mêmes pratiquent l'élevage,
pour utiliser leurs immenses domaines, après qu'on y a
enlevé le bois ou en attendant que les chantiers s'y
établissent. Elles consomment un nombre élevé de
bœufs, tant pour le transport des bois que pour l'ali-
mentation de leurs ouvriers, et cherchent à se suffire à
elles-mêmes. La forêt peut nourrir dans cette zone un
troupeau beaucoup plus dense que le monte plus sec
du Chaco oriental; souvent 1000 têtes à la lieue de
2500 hectares. Au Nord et à l'Ouest de la fraction de
la forêt où les grandes compagnies se sont approprié
tout le sol, dans le gouvernement du Chaco, d'assez
nombreux domaines d'élevage se sont créés. Plus loin
encore, en deçà et au delà du Bermejo, des occupants
sans titres ont introduit sur les terres du domaine public
des bœufs amenés de Corrientesou du Paraguay. Incer-
M '2 LA RÉPUBLIQUE ARGENTURE.
tains de l'avenir, ils ne peuvent exécuter de travaux
d'aménagement coûteux, puits, réservoirs, clôtures. Ils
sont parfois réduits par la sécheresse à se replier sur
le fleuve.
Les conditions sont fort différentes dans la forêt de
Misiones. La forêt humide des Missions ne se prête pas
à l'élevage. Tandis que la population forestière à l'Ouest
du Parana consomme, grâce au voisinage des éleveurs,
de la viande fraîche, à Misiones, dans les yerbales et les
obrajes, l'usage de la viande sécliée, charqui ou carne
seca, importée de loin, est resté général comme dans
la majorité des régions de l'Amérique tropicale. En
revanche, les Missions voient aujourd'hui se développer
une colonisation agricole d'une forme originale et entiè-
rement distincte du type général argentin. C'est que les
Missions constituent en Argentine une région à part :
elles se rattachent au plateau brésilien par leur struc-
ture géologique aussi bien que par leur climat. Les
colonies des Missions ne sont que le prolongement sur
territoire argentin de la grande zone des colonies du
Brésil méridional, qui s'étend de la côte de Santa
Catalina et du Rio Grande do Sul au rio Uruguay. Le
type de colonisation brésilien est fondé sur la culture à
la houe, dans les brèches ouvertes à la forêt par la hache
et l'incendie. Les labours sont en effet impraticables
entre les souches puissantes que les défricheurs doivent
laisser dans le sol, et qui y pourrissent lentement. Ils
sont d'ailleurs inutiles, car les terres, riches en humus,
sont légères et aérées. Les sols rouges, produits par la
décomposition des diabases auxquelles est liée toute
richesse agricole dans le Brésil méridional, couvrent
une grande partie de Misiones. L'infériorité économique
de cette colonisation agricole en forêt auprès de la colo-
nisation du type pampéen, qui a conquis les plaines
herbeuses du Rio de la Plata, est double; d'une part, la
superficie qu'un homme peut mettre en valeur est ré-
duite; les lots des colonies brésiliennes sont dix fois
L'EXPLOITATION DES FORETS. H3
pins petits que rexploilalioii moyenne dans la Pampa;
(l'aulro part, la circulation à travers la foré l est difficile
el gène l'exportation des produits.
Les colonies des Missions sont encore limitées à la
bordure de la grande forêt où elles pénétreront à mesure
que la population agricole grandira. Elles forment deux
groupes : l'un, sur le fleuve, au-dessus dePosadas (Can-
delaria, Bonpland, Corpus, San Ignacio, Santa Ana),
l'autre, sur le flanc des collines, au-dessus de la voie
ferrée de Posadas à l'Uruguay (San José, Apostoles).
Produits vivriers, tabac, volailles et œufs, qu'elles expé-
dient aujourd'buipar cbemin de fer jusqu'à Buenos Aires,
sont leurs ressources essentielles; la possibilité d'at-
teindre par voie fluviale ou par voie ferrée les grands
marchés consommateurs pampéens leur procure un
certain avantage sur les colonies brésiliennes ; en re-
vanche, les éléments de leur population paraissent de
moindre valeur. Ils sont très variés : ils comprennent en
effet des autochtones, restes de l'ancienne population
indienne ou métissée des Missions, qui ont reçu des
terres, et ne se hâtent pas de les mettre en valeur; des
Polonais, groupés en quelques villages (Apostoles, San
José) ; enfin des teuto-brésiliens immigrés de la rive
gauche de l'Uruguay. Actuellement, un courant continu
de teuto-brésiliens traverse les Missions pour s'embar-
quer à Posadas, remonter le Parana et aller se fixer plus
au Nord dans l'Etat du Matto Grosso.
On pourrait sans doute, en leur offrant des terres
convenablement choisies, en fixer une partie sur terri-
toire argentin.
Ces paysans défricheurs ont rarement trouvé à vendre
leur bois. La forêt tropicale est composée d'une extrême
diversité d'espèces, dont quelques-unes seulement sont
précieuses. L'obrajero n'abat pas la forêt : il y choisit
1 ses victimes. Dans la friche du colon, il est loin de pou-
voir tout utiliser. Dans la zone même où fleurit l'in-
dustrie forestière, des troncs sans défauts, tombés pour
Denis. — LArKenline. 8
114 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLXE.
faire place aux cultures, sont brûlés et détruits impi-
toyablement.
Mais les avantages indirects que l'industrie forestière
assure à la colonisation agricole sont multiples. Comme
dans tout le Brésil méridional elle offre à ses produits
un marché avantageux : les récoltes des colonies sont
concentrées par les commerçants de Posadas, qui les
répartissent entre les obrajes et les yerbales. L'industrie
fournit de plus un emploi aux bras disponibles. Au Rio-
Grande do Sul, plus tard au Parana, les salaires de la
cueillette du maté ont longtemps formé le plus clair
des ressources des colonies, et leur ont permis de se
maintenir pendant la période difficile de leurs débuts.
Dans les Missions argentines, l'attraction des yerbales
sur la population des colonies se manifeste avec moins
d'ampleur : les colons qui consentent à abandonner leur
lot pour aller s'embaucher au loin sont relativement peu
nombreux. Les yerbales se recrutent, non parmi les
immigrés venus d'Europe, mais parmi les anciens po-
bladores, c'est-à-dire parmi les occupants sans titre,
dont on a régularisé la situation lors de la formation des
colonies, population flottante, peu attachée au sol.
La colonisation agricole, à son tour, réagira sur l'in-
dustrie forestière en développant la culture du maté.
Des plantations importantes d'ilexont été en effet créées
en amont de Posadas. Déjà elles entrent en plein rapport.
Elles sontéparses soit surles lots des colonies nationales,
soit sur des propriétés plus étendues aux mains de co-
lons plus riches, car la plantation exige d'assez grosses
dépenses. Quelques-unes appartiennent à des commer-
çants qui exploitent encore ailleurs des yerbales naturels.
Elles sont établies de préférence dans la forêt, ou du moins
sur sa lisière, pour que le bois nécessaire au séchage
des feuilles ne manque pas. Ainsi se prépare sur place,
à mesure que les peuplements naturels s'appauvrissent,
la transformation de l'industrie primitive de la cueillette
du maté.
CHAPITRE V
LA PATAGONIE ET l'ÉLEVAGE DU MOUTON
Le Plaloau aride et la région des lacs glaciaires. — Les pre-
miers établissements de la côte de Patagonie et les populations
indigènes. — L'élevage extensif. — L'utilisation du pâturage sur
le territoire du Rio ^legro. — La transhumance.
La limite Nord de la région patagonienne passe au
Nord du Colorado, à la hauteur du Cerro Payen et du
seuil qui mène du Malargue au Rio Grande dans la zone
subandine (56'' degré L. S.), et vers la sierra de Liliuel
Calel dans la partie méridionale du Gouvernement de la
Pampa. Au Sud de cette ligne s'étend, des Andes à
TAtlantique, sur les territoires de Neuquen, du Rio
Negro, du Chubut et de Santa Cruz, le domaine des ber-
geries, leur refuge depuis que des formes d'exploitation
plus riches chassent progressivement le mouton de la ,
Pampa. L'élevage extensif pratiqué sur ces terres pauvres
est trop peu productif pour justifier de fortes dépenses
d aménagement, et d'autant plus étroitement soumis
aux conditions physiques. Si l'élevage des bœufs a été
pratiqué jadis par les établissements espagnols du Rio
Negro inférieur, s'il se maintient encore dans la Pata-
gonie occidentale au pied des Andes, du moins ne
trouve-t-on jamais ici ce ty|De d'association particulier
de l'élevage du bœuf et de l'élevage du mouton qui est
caractéristique de la région pampéenne, et dans lequel
le troupeau de bœufs a pour fonction essentielle d'amé-
liorer le pâturage et de préparer la place aux moutons.
Le climat est rude: les vents d'Ouest soufflent violem-
ment la plus grande partie de Tannée, surtout sur la
IIG LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
côte, et ne s'apaisent un peu qu'en hiver. La température
moyenne s'abaisse sur l'Atlantique de près d'un degré
par degré de latitude (14", 6 à San Antonio sous le 41" de
latitude Sud; 8", 5, à Santa Cruz sous le 50"; 5", 5 à
Ushuaia sous le 55"). La température de l'été s'abaisse
plus rapidement encore, tandis que la différence est
moins marquée en hiver (21", 4 à San Antonio, 14" à
Santa Cruz, 9", 2 à Ushuaia). Les températures insuffi-
santes de l'été ne permettent pas aux céréales de mûrir
au Sud du Chubut. Dans les vallées subandines, l'été
reste relativement chaud : 16° en janvier à Diez y Seis
de Octubre à l'altitude de 600 mètres; mais les gelées
sont fortes surtout au début de l'hiver, avant la fin de la
saison sèche, et aucun mois n'en est entièrement
exempt.
Les pluies sont abondantes dans la Cordillère et sur
sa lisière occidentale : 800 millimètres à Junin, près de
2 mètres à San Martin oi^i les vents humides de l'Ouest
pénètrent parla coupure du lac Lacar, près d'un mètre à
Bariloche, sur le lac Nahuel Huapi. Mais elles diminuent
brusquement dès qu'on sort de la zone montagneuse
pour passer plus à l'Est sur le plateau. Tout le plateau
reçoit moins de 200 millimètres d'eau (Las Lajas 180,
Limay 150, San Antonio 180, Santa Cruz 155). Au Sud
du Rio de Santa Cruz seulement, les pluies augmentent
de nouveau (Gallegos 400 millimètres, Ushuaia 500 mil-
limètres.) L'ensemble de la Patagonie est donc, à l'ex-
ception d'une étroite bande au pied des Andes, une
région semi-aride à climat sub-désertique. Dans les
Andes patagoniennes comme sur la côte du Chili méri-
dional, les précipitations tombent surtout en hiver.
Entre Mendoza, qui a encore le régime des pluies d'été
de l'Argentine centrale et tropicale, et Chosmalal, dans
les Andes du Neuquen, le contraste est absolu: les mois
d'été (janvier, février) y sont secs, et les pluies y sont limi-
tées aux mois d'hiver, de mai à août; il en est de même
plus au Sud, à Bariloche et à Diez y Seis de Octubre.
LA PAT AGONIE ET L'ÉLEVAGE DU MOUTON. 117
Sur la côte do rAtlanliquo, le régime des pluies d'hiver
est moins régulier et moins uniforme : à San Antonio,
les pluies les plus fortes tombent en automne (avril,
mai) ; il y a un minimum secondaire en août, et quelques
averses de nouveau au printemps (septembre, octobre).
Au Sud de San Antonio, le maximum d'hiver, toujours
reconnaissable, est coupé par une courte période sèche
(juillet et août à Camarones, juin à Deseado et Santa
Cruz'). Dans l'intérieur, au contraire, le régime des pré-
cipitations d'hiver persiste sans altération. La prédo-
minance des précipitations de la saison froide a une
importance primordiale pour les éleveurs : elles tombent
en effet le plus souvent sous la forme de neige qui fond
lentement, et les maigres réserves d'humidité s'incor-
porent du moins intégralement au sol. Au Sud de Santa
Cruz, en même temps que l'humidité s'accroît, la saison
des pluies se déplace : à Gallegos, le mois le plus
humide est décembre; à Ushuaia, les pluies durent de
septembre à mars; la saison des neiges (mai-août) cor-
respond à la saison sèche, et les chutes de neige ne sont
pas assez abondantes pour rendre l'élevage impossible.
La surface du plateau patagonien est très acciden-
tée; elle porte pourtant les traces d'une usure profonde
sous un climat désertique qui paraît avoir persisté pen-
dant tout le Tertiaire. Si l'on remonte le Kio Negro,
on voit les grès gris et les tufs tertiaires, qui forment les
falaises de part et d'autre de la vallée inférieure, rem-
placés en amont par les marnes bigarrées et les grès
rouges du Crétacé, qui constituent le plateau au pied des
premiers chaînons andins. Sous le manteau des grès
crétacés et tertiaires, le socle de granits et de por-
phyres anciens apparaît par endroits. L'horizon de la
1. C'est là une anomalie due sans doute au voisinage immédiat de
la mer et à la trêve que marquent en hiver les vents d'Ouest. La côte
bordée d'eau froide, les vents de terre déterminant une ascension
des eaux de fonds, a un régime particulier de brouillards et de
bruines qui ne pénètrent pas vers l'intérieur et qui font penser aux
garuas de la côte péruvienne.
118 LA RÈPUBLIOUE ARGENTINE.
pénéplaine passe du plateau tertiaire et crétacé aux
affleurements de roches cristallines dont le relief a été
presque entièrement effacé. Les éruptions volcaniques
se sont poursuivies jusqu'à une date toute récente; aussi
les zones éruptives forment-elles les parties saillantes du
plateau, à TAnecon et au Somuncura au Sud du terri-
toire du Rio Negro, dans le massif de la rive gauche du
Moyen Senguerr, sur le territoire du Chubut. Les ba-
saltes se sont répandus en nappes dont la surface paraît
parfois à peine refroidie. Les coulées basaltiques se
retrouvent jusque dans la Patagonie du Nord, au Sud de
Valcheta et de Maquinchao, mais leur domaine est sur-
tout la Patagonie australe. Elles couvrent les plateaux
inhospitaliers à l'Est des lacs de Buenos Aires et de
Pueyrredon. Le Rio Chico et le Santa Cruz les traver-
sent pendant les 2/5 supérieurs de leur cours. Au Sud
du Coilc et du Gallegos, elles s'avancent jusqu'au voisi-
nage de la côte, et les pampas tertiaires y sont dominées
par un archipel de cônes volcaniques minuscules.
Le plateau est traversé d'Ouest en Est par des vallées
profondes et larges, enfermées entre de hautes falaises,
étranglées souvent à la traversée des massifs basaltiques
ou des seuils de roches cristallines, et faiblement rami-
fiées. Les ravins (canadones) qui ébrèchent de part et
d'autre leurs barrancas pénètrent à peu de distance dans
la pampa gréseuse ou le plateau de laves. Quelques-unes
de ces vallées seulement sont occupées par des rivières
importantes (Rio Negro, Santa Cruz), nées dans les
"Andes, et que les pluies indigentes de la Patagonie
orientale ne contribuent guère à entretenir. La plupart
n'ont que des cours d'eau intermittents (Sheuen, Coile),
ou sont entièrement sèches et semées de lacs salés
(Deseado). Sur ce réseau de vallées fossiles, le vent
d'Ouest règne aujourd'hui en maître : il en sculpte les
versants, il y transporte les sables, y bâtit des dunes.
Il ne faut pas assimiler à ces vallées mortes les dépres-
sions allongées sans issue qui parsèment le plateau de
LA PATAGOME ET L'ÉLEVAGE DU MOUTON. 119
granit et de grès (bajos, valles, cuencas). On s'est obstiné
à tort à y chercher la trace de fleuves disparus: et les
bajos du Gualicho et de Valcheta ont été considérés
sans niison comme l'ancien lit du Rio Negro et du
Limay. L'érosion éolienne paraît avoir une part dans le
creusement de ces dépressions. Leur persistance est du
moins l'un des effets de la sécheresse qui enipcche l'éro-
sion normale de modeler la surface du plateau. Les plus
importantes forment des centres d'appel pour les eaux
courantes; autour d'elles s'ébauche un groupe de vallées
et les alluvions s'y accumulent.
Le climat détermine les caractères des sols patago-
niens. Les cailloux roulés de granit et de roches érup-
tives, si souvent décrits depuis Darwin, tantôt libres,
tantôt enfermés dans une gaine de sable rouge ou de cal-
caire', sont répandus sur le plateau en auréole autour des
massifs rocheux, et abondent particulièrement dans la
région côtière. Sur le Rio Negro, ils paraissent limités
au voisinage de la vallée et manquent quand on s'en
éloigne. On a observé la réduction progressive du
volume des cailloux du Rio Negro, vers l'aval, à partir
de la zone andine, et c'est en effet des Andes qu'ils pro-
viennent. Au Sud de Santa-Cruz, sous un climat plus
humide où la circulation des eaux a été moins localisée,
la nappe est plus continue et recouvre les grès et les
argiles tertiaires. Elle est d'origine fluvio-glaciaire, et
provient de la destruction des moraines anciennes,
antérieurement au creusement des vallées actuelles.
Mais c'est le vent qui explique la concentration des
cailloux à la superficie. Il les dégage des matériaux
meubles qui les entourent. Partout où les couches qui
affleurent contenaient des cailloux, le vent en convertit
1. La dalle calcaire de la Tosca, caractéristique de la province
Sud-Ouest de la plaine pampéenne, s'étend au Sud jusqu'au Rio
Negro dans la région côtière. Elle manque au contraire à peu près
totalement 100 kilomètres à l'Ouest, entre le Colorado et le Rio Negro,
sur le tracé du clieniin de fer de Fortin Uno à Choele Choel.
120 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
à la longue la surface en un champ de galets. Ainsi
a-t-il fait des terrasses du Limay. Les dépôts marins
tertiaires de la région côtière sont riches eux aussi en
cailloux arrachés aux pointements rocheux de la côte :
de là l'extension des sols de cailloux dans la zone
côtière. Le vent met également à nu autour des massifs
isolés du plateau désertique, ou au flanc des ravins
secondaires, des cailloux anguleux de provenance locale,
ayant suhi une usure incomplète.
Le travail d'alluvionnement du vent crée au contraire
des dépôts à éléments fins, parfaitement calibrés, et qui
vont du sable des dunes jusqu'aux poussières les plus
ténues. Les parcelles les plus légères, indéfiniment
reprises par la rafale, et soulevées à de grandes hau-
teurs dans l'atmosphère, échappent à la région patago-
nienne et se retrouvent sur les fonds de l'Atlantique ou
dans la plaine pampéenne. Lne partie cependant se
dépose dans les dépressions du plateau où l'humidité
les fixe et les empêche de reprendre leur vol. Ces dépôts
éoliens des dépressions, argile grise cendrée, qui durcit
à la sécheresse, mais que l'eau amollit, forment deux
types de sols entièrement distincts : si la dépression est
fermée, ou si la circulation de l'eau est trop faible, les
sels minéraux s'y concentrent; c'est le « salitral », nu ou
recouvert d'une végétation halophyte que les efflores-
cences salines recouvrent à la saison sèche d'une couche
blanche. Si, au contraire, les eaux souterraines ont un
écoulement assuré, l'argile éolienne forme le « mallin ».
Des joncs et des graminées fines y végètent et, par leur
décomposition, en assombrissent peu à peu la teinte, et
en modifient la composition. Le sol du « mallin » est
riche en éléments organiques. Il tapisse le fond des
vallées entre des terrasses basses couvertes de cailloux
à facettes que dominent les escarpements verticaux de
tufs et de laves. Le contraste entre la verdure du mallin
et la steppe xérophile poudreuse et jaunie du plateau est
l'un des traits les plus caractéristiques du paysage pata-
LA PATAGONIE ET L'ÉLEVAGE DU MOUTON. 121
gonien. La zone de formation des mallines correspond
aux régions les plus humides, au voisinage des Andes,
et sur le pourtour des massifs élevés. Sur le chemin qui
suit à distance, à la surface du plateau, la rive droite du
Limay, la limite entre le pays des salitrales et celui des
mallines passe entre Tricaco et Chasico', à 120 kilo-
mètres au Sud-Ouest de Neuquen ; elle correspond à
peu près à la courbe de 200 millimètres de pluies. Bien
que le nom de mallin ne soit pas employé sur le Santa
Cruz, des sols éoliens analogues se trouvent dans la
partie occidentale du plateau jusqu'à cette latitude.
Plus au Sud, les dépôts glaciaires, argiles à bloc morai-
niques remplissent les vallées, et, à partir du Gallegos,
recouvrent la plus grande partie du plateau.
Sur les coulées éruptives de date récente la roche
est nue; le vent enlève les produits de sa décomposition
et accumule les poussières dans les fissures. La circula-
tion est difficile, parfois impossible.
Vers l'Ouest, le plateau est séparé de la Cordillère
par une dépression longitudinale dont on a d'ailleurs
exagéré la continuité. Cette dépression, qui jalonne le
contact entre la zone plissée des Andes et la zone tabu-
laire du plateau, a, du point de vue de la colonisation,
une importance essentielle : à la limite de la steppe et
de la forêt, elle constitue la partie la plus hospitalière de
la Patagonie, la plus riche en ressources naturelles.
Entre les dépôts glaciaires et lacustres qui y sont accu-
mulés, pointent des massifs rocheux de structure variée
qui la fragmentent en compartiments, voûtes de couches
sédimentaires, culots granitiques de laccolites mis à
nu, appareils éruptifs démantelés. Au Sud, la dépression
subandine forme entre le lac Maravilla et Punta Arenas
un large couloir de 250 kilomètres enfermé entre Tescar-
1. G. Rovereto, Studi di geomorfologia argentina : la valle dcl Rio
Negro. Bull. Soc. G«ol. liai., XXXI, 1912, pp. 101-142 et 181-27,7.
122 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
pement basaltique du plateau à l'Est, et les montagnes
de la presqu'île d^ Brunswick et de la terre du Roi Guil-
laume. Le fond en est occupé par un singulier paysage
glaciaire semé de lagunes, ponctué de collines éparses,
au sol imperméable d'argiles à blocaux et de boue. Du
lac Argentin au lac Buenos Aires, les hauts plateaux
basaltiques qui atteignent 1500 mètres viennent s'appuyer
sur la Cordillère elle-même, et la dépression subandine
s'interrompt. De même, entre le lac Buenos Aires et le
lac General Paz, le rebord du plateau patagonien est
peu marqué dans la topographie au-dessus de la zone
subandine. Les alluvions glaciaires du pied de la Cor-
dillère s'élèvent jusqu'à la hauteur du plateau qui des-
cend régulièrement à l'Est vers le Genua et le Senguerr.
Au Nord, entre le Carrenleufu et le Nahuel Huapi, le
recul des nappes lacustres a asséché en pleine Cordil-
lère d'étroites fosses allongées, comme le Valle Nuevo
del Bolson, ou le couloir qu'emprunte le Futaleufu à
l'Ouest du Cerro Situacion; plus à l'Est, les accidents
topographiques de la bordure du plateau (vallées du Chu-
but, du Tecka, du Norquinco) sont orientés du Nord au
Sud. La zone subandine offre donc sur une longueur de
plus de 100 kilomètres une série de voies parallèles
communiquant entre elles par de larges trouées trans-
versales, qui logèrent jadis le lobe inférieur des glaciers.
La dépression subandine ne se poursuit pas au Nord du
Nahuel Huapi.
Les caractères morphologiques des Andes de Pata-
gonie' se manifestent progressivement à partir du
36° L. S. La bordure de la Cordillère, dans la fosse
1. Le puissant massif des Andes patagoniennes difTère profondé-
ment des Andes de TArgentine centrale par sa structure géologique.
Les sédiments paléozoïques et en même temps les hautes chaînes
des précordillères s'interrompent à partir du 56" L. S. Les couches
mésosoïques, brèches et conglomérats porphyriques bariolés, grès,
calcaires et marnes, qui forment dans le Chili centrai le versant
occidental des Andes, passent à partir du So"^ L. S. sur le versant
oriental où elles se développent en plis réguliers, alignés au Sud-Sud-
Est obliquement à la direction générale du massif. Ces plis détermi-
LA PATAGONIE ET L'ÉLEVAGE DU MOUTON. 123
du Maliirgiie, sous le 55", offre encore le paysage
typique des Andes cenlrales. Le cône de déjection de
l'Atuel ressemble à celui du Mendoza. Cette frange de
dépôts torrentiels étalés en cônes où les eaux divaguent
résulte de l'intensité de la désagrégation des roches dans
les montagnes à climat désertique. Keidel a signalé le
rôle des pluies d'été dans le transport des éléments
meubles, que les eaux abandonnent aussitôt que la
pente diminue, la hauteur des précipitations étant trop
faible pour qu'un réseau fluvial proprement dit s'orga-
nise et se continue dans la plaine. A partir du Rio
Grande, les cônes de déjection disparaissent. Les rivières
tendent à devenir permanentes ; elles s'enfoncent dans
les vallées étroites. Les pluies d'été s'interrompent, et
les eaux de fonte des neiges ne sont capables que d'un
faible travail de transport. Le sol de la Cordillère est
protégé par une végétation plus dense. Les premiers
fourrés de molle apparaissent dans les vallées, les pre-
miers cyprès isolés sur les versants, à partir du Rio
Agrio, affluent du Neuquen. Puis la forêt envahit la
montagne, c'est d'abord, de 38" à 59', 50' L. S., la forêt
résineuse d'araucarias. Enfin sur le Nahuel Huapi la
forêt a pris l'aspect général qu'elle conserve jusque
dans la région magelianienne. Elle se compose surtout
de différentes espèces de hêtres : le coihue (notofagus
nenl l'orienlalion des vallées intérieures qui est remarquablement
uniforme, depuis le Rio ?segro jusqu'au Collon Cura. Ils viennent
s'ennoyer au Sud-Est sous les grès du plateau. A l'Ouest de cette
zone gédimentaire, la zone des granits andms et des diorites qui,
plus au Nord, n'ont été mises à nu qu'à la base du versant occiden-
tal, s'épanouit dans les Andes de Patagonie, dont elle constitue la
masse principale entre le lac Lacar et le golfe de la Ultima Espe-
ranza. Enfin, les Andes de Patagonie sont caractérisées par le déve-
loppement des formations volcaniques. Elles y apparaissent sur le
versant oriental vers le 56° L. S. avec les champs de laves et de
cendres du Payen et du Tromen. Plus au sud, tandis que les vol-
cans à laves acides et à cônes caractéristiques sont limités à la
zone centiale (Lanin, etc.) et au versant chilien, les elTusions de laves
basiques fluides recouvrent sur la bordure orientale des Andes
d'énormes étendues, et elles se sont répandues hors de la région
andine sur une grande partie du plateau patagonien.
124 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
dombeyi) y domine jusque vers 1100 mètres, couvrant
un sous-bois impénétrable de bambous; plus haut,
s'étend jusqu'à la lisière des prairies alpestres le
domaine du lenga (notofagus pumilio). La forêt n'atteint
pas l'extrémité orientale des lacs. Dans la dépression
subandine, elle se réduit à des fourrés de nirre (notofagus
antarctica) et de mayten, et aux touffes de calafate, sem-
blables à nos myrtilles.
C'est sur l'Alumine, vers le ~)9" L. S. que deviennent
manifestes les traces de l'érosion glaciaire et qu'elles
envahissent le paysage. La montagne est cependant
aujourd'hui dégagée de glaces, sauf les cimes du Lanin
et du Tronador; mais à partir du Rio Puelo (42° L. S.),
les glaciers couvrent tous les sommets qui dépassent
2000 mètres. Au Nord de l'Aïsen, ils forment une ligne
encore étroite mais déjà presque continue. De l'Aïsen
au fjord de Calen, et au delà de la coupure du fjord de
Calen jusqu'au 52° L. S., les glaces s'étalent en une
nappe puissante dont ia largeur atteint par endroits
100 kilomètres. Les langues des glaciers descendent
jusqu'au Pacifique sous le 46°, et jusqu'au lac San Martin
sur le versant argentin sous le 49". Dans la Terre de
Feu. la limite des névés est à 700 mètres tandis que les
glaciers qu'ils alimentent atteignent eux aussi les fjords
et le lac Fagnano.
Le lac Carri Lauquen sur le Barrancas (56°, 20' L. S.),
presque entièrement vidé en 1914 par suite de la rupture
du barrage naturel de terres meubles qui retenait ses
eaux', n'a pas le caractère d'un lac glaciaire. La chaîne
des lacs glaciaires s'étend depuis l'Alumine jusqu'au
Seno de la Ultima Esperanza, et se prolonge au Sud par
Skyring Water, Otway Water et Useless Bay, véritables
lacs en communication avec le Pacifique par d'étroites
coupures. Les lacs sont tantôt moulés dans une étroite
1. Pablo Groeber, Informe sobre las causas que han producido las
erecienles de/ rio Colorado en l'.Jl4. Dir. Gen. de Minas, Geol. e Hidrol.,
Bol. N° 11, série B, Geologia. Buenos Aires, 1910.
LA PAT AGONIE ET L'ELEVAGE DU MOUTON. 125
et profonde vallée glaciaire dont ils remplissent le fond;
tantôt ils se ramifient dans les vallées voisines; tantôt
ils s'avancent à l'Est en dehors de la zone montagneuse,
et s'élargissent en un bassin arrondi environné par un
cercle de moraines. Les plus grands comprennent un
groupe de fjords ramifiés qui forment leur moitié occi-
dentale, tandis que la moitié orientale s'épanouit entre
des grèves plus basses*.
1. La majorité des dépressions lacustres se conlinucntà l'Est à tra-
vers le plateau patagonien par une vallée bien marquée. La partie
Est du détroit de Magellan n'est qu'une vallée submergée dans l'axe
d'Otway Water. Useless lîay se prolonge de même à l'Est par le
seuil qui aboutità la baie de San Sébastian. Parfois les eaux des lacs
s'écoulent à l'Est vers l'Atlantique en suivant ces vallées. Le plus
souvent pourtant, les lacs du versant oriental sont drainés à l'Ouest
par d'étroites coupures à travers la Cordillère, ou au Nord et au
Sud par des rivières qui suivent la dépression subandiue et qui les
réunissent en chapelet. La vallée qui unit le lac à l'Atlantique est alors
une vallée morte et la ligne de partage des eaux interocéanique est
marquée par la moraine frontale de l'ancien glacier qui enferme le
lac à l'Est. Cette disposition se retrouve, avec une surprenante régu-
larité, depuis l'Alumine et le Lacar au Neuquen, jusqu'au lac Buenos
Aires et au Seno de la Ultima Esperanza ;\ Santa-Cruz. La capture
des eaux du versant oriental par les rivières du Pacifique à travers
la Cordillère est assez ancienne et certainement préglaciaire. Mais,
pendant la période glaciaire, les glaciers obstruèrent les vallées
transversales de la Cordillère, et les eaux du versant oriental repri-
rent la route de l'Atlantique. Avec le recul des glaciers, les vallées
de la Cordillère se dégagèrent une à vme; les lacs endigués par les
glaciers s'écoulèrent brusquement et leiu" niveau s'abaissa; les val-
lées du plateau patagonien furent définitivement abandonnées, et
l'accident topographique d'importance secondaire que constitue l'an-
cienne moraine frontale du glacier se trouva marquer la limite du
domaine du Pacifique. La fraîcheur de formes des vallées mortes de
Patagonie atteste la date récente de cette conquête plus brusque et
plus rapide qu'une capture proprement dite. Elle n'est pas d'ailleurs
encore réalisée partout. Du lac San Martin au lac Buenos Aires, tous
les lacs du versant oriental sont drainés vers le Pacifique parles rivières
qui aboutissent au fjord de Calen. Mais, plus au Sud, les lacs Viedma
et Argentino sont encore tributaires de l'Atlantique; ils correspon-
dent à la zone des Andes de Patagonie qui est encore recouverte par
l'inlandsis. Au Nord, dans le bassin du Puelo et du Yelcho, où les
vallées transandines ont cessé depuis longtemps d'être obstruées
par les glaces, les lacs du versant oriental qui s'écoulent vers le
Pacifique sont de superficie réduite: leur niveau actuel est très infé-
rieur à leur niveau primitif, et un réseau de rivières s'est développé
à l'Est sur l'ancien domaine lacustre asséché.
126 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
La colonisation pastorale s'est répandue aujourd'hui
sur la superficie presque entière de la Patagonie ; les
parties restées inoccupées sont de peu d'étendue et se
réduisent aux zones les plus déshéritées du Sud du ter-
ritoire du Rio Negro et du Nord de Santa Cruz. L'expan-
sion de la colonisation blanche ne débute que vers 1880 ;
jusqu'à cette date, l'intérieur reste abandonné aux popu-
lations indigènes et presque entièrement inconnu. La
côte Atlantique seule avait été explorée. Le voyage de
Villarino le long du Rio Negro et du Limay jusqu'au
Nahuel Huapi n'avait laissé qu'un souvenir effacé'. Au
Nord du Rio Negro, Woodbine Parish (1839) utilisant
les notes de Cruz, qui avait franchi en 1806 les Andes et
le territoire indien entre Antuco et Melincue, publie le
premier quelques informations positives, que nul, pen-
dant 40 ans encore, n'enrichira-.
Les établissements fondés par les Espagnols sur la
côte à la fin du xviii'= siècle, S. José, P. Deseado, fuient
éphémères : un seul vécut obscurément : Carmen de
Patagones, à quelques lieues en amont de l'embouchure
du Colorado. L'exportation du sel constituait une de ses
ressources principales. Les expéditions des saulniers
sur la côte de Patagonie commencent dès le milieu du
xviii^ siècle : (voyage du San Martin au Puerto San
Julian vers 1755. Coll. de Angelis, V). Après la Révolu-
tion, Buenos Aires renonça définitivement aux coûteuses
expéditions par terre vers la région des salines de la
Pampa et fut approvisionnée en sel par les goélettes de
Carmen. Pendant la guerre avec le Brésil et le blocus
du Rio de la Plata, Carmen, à l'abri de la barre du Rio
Negro, devint, avec la baie de San Blas, le havre où les
1. Diario de D. Basilio Villarino ciel reconocimiento que hizo del Rio
Negro en et ano de 1782. Collection de Angelis, VL
2. C'est Woodbine Parish qui corrige l'erreur de Villarino, qui avait
pris le Neuquen à son confluent avec le Limay pour le rio Diamante,
connu au sud de la province de Mendoza.
LA PAÏAGOME ET LÉLEVAGE DU MOUTON. 127
corsaires argentins, an<j!:lais et français, venaient cacher
leurs prises, et se refaire des tempêtes du Golfe de Santa
Catharina. DOrbigny visita Carmen pendant cette
période de prospérité suspecte. L'un des effets les plus
singuliers de l'hospitalité offerte aux corsaires fut le
débarquement sur la côte de Patagonie de noirs saisis
sur des négriers à destination du Brésil ; un remous
imprévu entraîne ainsi jusqu'au Sud de la région pam-
péenne une partie du courant de la traite dirigé vers les
plantations de canne à sucre de l'Amérique tropicale :
plusieurs eslancias du Carmen avaient, à cette époque,
un personnel de couleur.
Autour de Carmen, en effet, l'élevage commençait à
se répandre. Le bétail avait été amené par terre de
Buenos Aires, et s'était multiplié dans la région côtière
et le long du fleuve en amont de Carmen. Au Sud de
Carmen, à San José, les bœufs, après l'abandon du
fortin, étaient devenus sauvages. Le troupeau de Carmen
est évalué» avant la Révolution, à 40 000 tètes. Il dispa-
raît pendant la période des guerres révolutionnaires,
mais se reconstitue vite ensuite, et, même pendant la
guerre avec le Brésil, l'exportation des peaux et de la
viande salée se poursuivait activement. Carmen s'em:'i-
chissait surtout par le trafic avec les indigènes. Elle
vivait sous la terreur des Indiens, gardée, à distance, sur
les pistes par lesquelles ils pouvaient approcher par des
postes perdus, chargés de donner l'alarme. Mais cet état
de guerre permanent n'empêchait pas le commerce.
Auprès de Carmen, s'était formé un groupement stable
d'Indiens pacifiés qui sentait de truchement avec les
tribus de l'intérieur, jalouses et hostiles. Là se recru-
taient des interprètes et des guides ; là furent recueillies
les premières données sur l'intérieur. La traite avec les
indigènes continua longtemps à prêter à la colonisation
un appui précieux. En 1805, la colonie galloise établie
sur le Chubutet dont les débuts furent difficiles, fut sau-
vée d'un échec total par le commerce avec les Indiens.
128 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
La population indigène comprenait deux groupe-
ments : les Tehuelches ou Patagons proprement dits,
de haute stature, et les Araucans, d'origine chilienne,
auxquels se rattachent les Aucas, les Ranqueles, les
Pehuenches et les Pampas. Il n'existait pas entre eux de
limite géographique fixe ; les Tehuelches habitaient la
Patagonie méridionale; mais les Araucans, de même
qu'ils avancèrent à l'Est jusque dans la région pam-
péenne, se répandirent au Sud jusqu'au delà du Chubut.
La population indienne de la vallée du Genua et du Sen-
guerr, au Sud de la colonie de San Martin, comprenait
en 1880* et comprend encore aujourd'hui* un mélange
d'Araucans et de Tehuelches : les Araucans connais-
saient l'agriculture; mais, lorsqu'ils eurent domestiqué
des chevaux, ils devinrent, comme les Tehuelches, avant
tout pasteurs et chasseurs.
En tant que chasseurs, les Indiens de Patagonie étaient
nomades. La conquête du cheval ne fit'que faciliter leurs
déplacements et leur donner plus d'ampleur. Leur
nomadisme a été trop souvent considéré comme un
vagabondage à l'aventure. Il avait ses lois, fixées par
les conditions physiques et dont nous pouvons saisir
quelques-unes : la région de la côte n'était guère prati-
quée par eux que pendant l'hiver : c'est la saison où les
pluies y entretiennent des points d'eau. On a remarqué
que les noms d'origine indienne manquent sur la côte
de Patagonie. Les navigateurs espagnols qui y abordè-
rent pendant l'été trouvèrent le pays désert, les campe-
ments abandonnés. La part des appellations indigènes
dans la toponymie est au contraire très grande dans
l'intérieur et jusqu'au pied des Andes. L'été, les Indiens
se rapprochaient de la montagne où ils trouvaient des
terrains de chasse favorables. Ils poursuivaient surtout
les jeunes guanacos à la saison de la mise-bas, en dé-
1. Carlos M. Moyano, Informe sobre unviaje a ti^aves de la Patagonia.
Bol. Instit. geogr. Argentino, II; 1881, p. 1-35.
2. W. Vallentin, C/mbut. Berlin, 1006.
LA PATAGONIE ET L'ÉLEVAGE DU MOUTON. 129
cembrc cl janvier. Popper ' a signale (1887) des migra-
tions du mèiiic type chez les Onas de Patagonic, qui se
rapprochent de la côte en hiver, et s'en éloignent l'été
pour chasser dans l'intérieur. La région du Nahuel
Iluapi et du GoUon Cura exerçait une attraction à dis-
tance. La foret d'araucarias produisait en effet des
graines (pinones) que les Indiens allaient recueillir, et
ils étaient également friands des pommes sauvages qui
mûrissaient sur le terrain des anciennes missions jé-
suites. Les fourrés de bambous de la Cordillère fournis-
saient les lances des Aucas et des Tehuelches.
Au Nahuel Iluapi aboutit la plus active de toutes les
routes indiennes, qui venait du Santa Cruz inférieur, re-
montait le rio Chico et suivait de là vers le Nord le pied
de la Cordillère. D'Orbigny l'a connue déjà par ouï dire.
« Tous les Indiens qui vivent près des Andes en suivent,
dans leurs voyages, le pied oriental, parce qu'ils y trou-
vent de l'eau ; tandis qu'ils en manqueraient en suivant
les côtes : par là, ils vont du détroit de Magellan au Rio
Negro ». La piste indienne ne s'éloignait de la dépres-
sion subandine qu'entre le rio Chico et le lac Buenos
Aires, dans la zone où les hautes mesetas basaltiques
s'avancent jusqu'à la Cordillère, et sur la Pampa du
Senguerr.
Du Nahuel Iluapi, les Indiens du Sud gagnaient, en
descendant le Limay et le Rio Negro, l'île de Choele
Choel, à 500 kilomètres en amont de Carmen, où ils ren-
contraient les Aucas et les Puelches ; ils y échangeaient
leurs peaux de guanacos contre les tissus de laine fabri-
qués par les Aucas. Choele Choel était le seul grand
marché purement indigène : les blancs n'y pénétraient
pas. Des raisons géographiques fixaient l'emplacement
de ce marché de nomades. A la hauteur de Choele Choel,
le Rio Negro se rapproche du Colorado et de l'archipel
des Sierras de la Pampa méridionale, qui marquent autant
1. J. Popper, Exploracion de la Tierra de Fueijo. Bol. Instit. geogr.
Argentirio, VllI, 1887, p. 7i-9ô.
DcM*. — LArçcnline. 9
15© LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
d'étapes sur les routes entre la Pampa et les Andes. Au
Sud, partait de Clioele Choel le chemin de la côte,
moins exposé aux neiges que la piste subandine et que
les Indiens suivaient pour gagner Le golfe de San Jorge et
le Santa Cruz, en hiver, à la saison des pluies. Darwin
signale l'importance du site et du gué de Choele Choel.
Villarino l'avait devinée, et, dès 1782, plaidait pour qu'un
poste y fût établi. En tenant ce point, dit-il, on empêche-
rait les tribus d'attaquer Buenos Aires et aussi d'appro-
cher de la côte de Patagonie dans la région de San José'.
Aussi loin que nous puissions remonter, la vie indi-
gène nous apparaît d'ailleurs comme profondément
influencée par des relations entretenues avec les popula-
tions blanches. Les Aucas apportaient à Choele Choel,
non seulement les produits de leur industrie, mais les
objets achetés ou volés aux chrétiens de la Pampa. Le
récit de Musters, qui suivit une tribu Tehuelche de Santa
Cruz au pays de las Manzanas (pays des pommes), mon-
tre clairement que l'attraction exercée sur les Indiens
par la région du Nahuel Huapi s'expliquait moins par
ses ressources naturelles que par le voisinage des éta-
blissements chiliens de Valdivia, d'oîi venaient,, par les
cols de la Cordillère, quelques charges d'eau-de-vie.
L'Indien n'a jamais pratiqué l'élevage des bœufs ; son
troupeau ne comprend que des juments et un petit nom-
bre de moutons. Mais, à défaut d'élevage, le commerce
du bétail volé devient vile l'occupation principale des
tribus. On se tromperait pourtant en simaginant que
l'Indien pillard ait été pour les estancias du Carmen uni-
quement et constamment un adversaire redouté. Il leur
♦arrivait de recourir à ses services ou de profiter de ses
méfaits. Après la Révolution, ce sont les Indiens qui
aident à repeupler les estancias du Rio Negro en y ame-
nant les bœufs marrons restés dans la région de S. José.
Plus tard, Carmen achète les bœufs volés parles Indiens
1. Informe de D. Basilio Villarino à Fr. de Viednia, 4782. Coll. (ie
Ancelis, ^'.
LA PATAGO-NIE LT L'ÉLEVAGE DU MOUTON. 151
à Buenos Aires. De hStî") à i8'26, le nombre des bœufs
vendus par les Indiens aux colons du rio Negro est
évalué à 40 000. Ainsi alternaient, pour les éleveurs du
Carmen, vis-à-vis des indigènes, les périodes de conflit
armé et les périodes de complicité.
Mais le grand marché du bétail razzié fut toujours le
Chili. Les razzias (nialones) et le passage des convois
par la Cordillère commencent au xviii^ siècle et se pour-
suivent pendant tout le xix% jusqu'en 1880, où rétablis-
sement de l'autorité argentine sur le versant oriental des
montagnes donna au commerce du bétail une forme plus
régulière. Les convois aboutissaient à Antuco et à Chillan,
d'où les acheteurs chiliens accompagnaient parfois les
tribus indiennes jusqu'aux tolderias de la lisière de la
Pampa. Le trafic du bétail volé empruntait tous les pas-
sages de la Cordillère, depuis le col du Planchon sous
le 55", que Roca fît couvrir dès 1877 par le fort d'Ala-
milo, jusqu'aux sources du Bio Bio. Le plus pratiqué
élait celui de Pichachen ou d'Antuco. Sur le plateau, les
routes de bétail formaient un faisceau, richement ramifié,
et qui s'étalait sur une largeur de 200 kilomètres environ.
Le chemin le plus septentrional partait à l'Est de la
région de Poitague, et, après avoir guéé le Salado et
l'Atuel et touché les aguadas de Cochico et de Ranquilco,
pénétrait dans la Cordillère au coude du Rio Grande,
l'nc autre piste remontait le Colorado pour gagner en-
suite la haute vallée du Neuquen ; une troisième passait
du Colorado au Rio Negro, et, en amont du confluent du
Limay au rio Agrio ou à l'Alumine.
Les premiers renseignements précis sur le domaine
des Indiens de Patagonie sont fournis par un groupe de
voyageurs hardis qui, de 1870 à 1880, parcoururent les
j>istes indiennes : Musters, Moreno, Moyano, Ramon
Lista, etc. Leurs découvertes avaient déjà ébauché la
reconnaissance géographique de la Patagonie lorsque la
campagne de 1879 à 1885 l'ouvrit à la colonisation.
L'histoire de la colonisation blanche depuis 1880 laisse
132 LA RÉPUBLIOUE ARGENTINPl
reconnaître plusieurs courants de peuplement distincts.
Le premier, parti de la région pampéenne, progresse du
Nord au Sud le long de la côte atlantique et élargit peu
à peu son domaine vers l'intérieur. Les éleveurs utilisent,
pour amener les premiers troupeaux, la voie maritime ou
l'ancienne piste indienne jalonnée de points d'eau recon-
nus. En 1884, le seul point habité de la côte entre le Rio
Negro et le Deseado était la colonie galloise du Chubul.
En 1886, Fontana ' signale déjà des estancias dans la
région de Punta Delfin, au Sud du Cliubiit. Vers 1890,
tout le pourtour du golfe de San Jorge a été occupé, et,
peu après, le courant venu du Nord rencontre, vers San
Julian et Santa Cruz, le courant provenant du Sud.
L'expansion de la colonisation est m.oins rapide veis
l'intérieur: AmbrosettiS'oit s'établir, en 1893 seulement,
les premières estancias autour de la Sierra de Lihuel
Calel, et, à la même date, Siemiradzki^ rencontre encore
peu de traces de colonisation sur le Colorado.
Le deuxième courant de peuplement provient de la
région magellaniennc; il a son origine en territoire chi-
lien autour de Punta Arenas. C'est vers 1878 que l'éle-
vage du mouton se répand autour de Punta Arenas, et
entre 1885 et 1892 que les estancias magellaniennes se W
multiplient le plus rapidement. Elles occupent au Nord
du détroit les terres basses en bordure de Skyring Watcr
et d'Otv/ay Water, puis le plateau au Sud du Gallegos ;
elles progressent le long de l'Atlantique jusqu'au Santa
Cruz. En 1896, la limite du mouton se trouve sur le Santa
Cruz à 50 kilomètres de la côte (Hatcher)*. A l'Ouesl,
Puerto Consuelo est fondé en 1892, et, en 1898, la colo-
1. L. J. Fontana, Exploracion en la Palacjonia austral. Bol. Inslil.
geogr. Argent., \'II, 1886, p. 223-259.
2. J. B. Ambrosetti, Viaje a la Pampa centra!. Bol. Inst. geogr.
Argent., XIV, 1893, p. 292-568.
5. J. V. Siemiradzki, £'me Forschungsreise in Patagunien. Peter-
mann's Miiteiliingen, XXXIX, 1893, p. 49 62.
4. J. B. lîatclier, Reports of the Princelon Universily expéditions lo
Patagonia, 1896-99. Narrative of the expéditions. Geography of southern
Patagonia. Princelon. Stuttgart, 1903.
LA PATAGOXIE ET LÉLEVAGE DU MOUTON. 133
nisalion s'arrête devanl la barrière montagneuse que le
Cerro Payne et le plateau basaltique du Cerro Vi/xachas
interposent entre le lac Arg^entin et le fjord de la Ultima
Esperanza.
Les zones de colonisation primitive de la Patagonie
méridionale et de la côte se distinguent encore aujour-
d'hui par la densité relativement élevée de leur popula-
tion. Mais les éleveurs en quôte de terres inoccupées
n'ont pas tardé à s'avancer au delà. En 1895 et 1900, ils
se portent à l'Ouest du golfe de San Jorge vers le bassin
du Senguerr et du Gcnua (fondation de la colonie Sar-
miento, au Sud du Golhuapi 1897; fondation de San
Martin sur le Genua 1900). Depuis 1900, le peuplement
a remonté aussi le Sanla Cruz et le Piio Chico, jusque
dans la zone andine, et la lacune qui subsistait encore il
y a 20 ans, entre la région du Senguerr et celle du lac
Argentin, aisément reconnaissable sur les cartes de la
Commission des Frontières, a été à peu près entièrement
comblée.
L'histoire de la colonisation dans la partie Nord des
Andes de Patagonie est plus compliquée. Aussitôt après
la campagne de 1885, les vallées du Neuquen sont enva-
hies par des immigrants chiliens, métis de la « Fron-
tière », qu'il n'est pas toujours aisé de distinguer des
Araucans purs. Quelques Chilotes, et même quelques
Allemands des colonies méridionales du Chili,, étaient
mêlés aux métis. Ce courant d'immigration avait com-
mencé avant la conquête. Dès 1881, Host' signale la
présence à Chosmalal de familles d'agriculteurs chiliens
qui tenaient leurs terres du Cacique indien. Ils gardaient
pendanl l'été les troupeaux transhumants venus de la
plaine chilienne. Le pays pacifié, leur nombre s'accrut
rapidement. Ce sont eux qui fournirent la main-d'œuvre
des placers du Neuquen, dont l'exploitation commença à
1. Fr. Host, Expcdicion al Neuquen. Bol. Inslif. geogr. Aigenlino,
II, 1881, p. 10-16.
154 LA REPUBLIQUE ARGENTL\E.
partir de 1890. La zone où s'étendit la colonisation clii-
lienne, va du Rio Atuel, où Villanueva' signale en 1884
des immigrants chiliens, jusqu'au Sud du Nahuel Huapi,
où des Chiliens furent encore rencontrés par Vallentin
en 1906, sur le rio Pico, tout près du 44° L. S. Au Sud
du Nahuel Huapi il n'existe pas de passage régulière-
ment pratiqué à travers la Cordillère \ Les colons chi-
liens de la zone méridionale sont donc venus du Nord
en suivant le pied oriental des Andes. Bailey Willis
estime qu'il y a 2000 Chiliens sur une population totale
de 3500 habitants dans la région subandine depuis le
Nahuel Huapi jusqu'à Diez y seis die Octubre. Le nom-
bre total des immigrants chiliens a pu atteindre 20000.
Il ne continue pas à s'accroître. L'immigration chilienne
s'est interrompue enlre 1890 et 1895. Après le règlement
du tracé de la frontière, le Gouvernement chilien a cher-
ché à ramener sur son territoire une parlie des émi-
grants. Beaucoup sont allés se fixer dans la vallée du
Lonquimay. En 1896, Moreno observe partout dans la
vallée du Collon Cura la trace du départ des colons chi-
liens qui venaient d'abandonner le pays.
A l'origine, les Argentins des provinces occidentales
de San Juan et de Mendoza avaient été seuls à disputer
le sol aux Chiliens. C'est eux que Furque^ trouve en 1888
à Roca, sur le Rio Negro, mais à partir de 1890 à 1895,
des immigrants de nationalités divei'ses se fixent dans le
Neuquen et le Rio Negro. Des capitalistes étrangers y
.organisent les premières cstancias. En 1888, d'autre
part, les Gallois du Chubut inférieur, guidés par les
Indiens, essaiment de la côte vers la région subandine
et s'établissent dans la vallée de Diez v Seis de Gctubre.
1. C. Villaiiueva, De Mendoza a Norquin. Bol. Iiist. geogr. Ai'gentino,
V, 1884, p. 171-174.
2. Les bûcherons cliilotes ont pénétré parfois jusque dans les val-
lées orientales à la recherche de bois d'alerces, mois ce sont des
nomades qui ne se fixent pas.
3. Furque, Desoipcion ciel Fueblo General Roca, Bol. Inst. gcopr.
Argentino, IX, 1888, p. 124-102.
LA PATAGOME ET L'IILEVAGE DU MOUTON. IT).')
Entre 1895 et 1900, les vallées voisines commencent à se
peupler, et les zones de colonisation du NahuelHuapi et
du Senguerr se soudent'.
Le caractère le plus frappant de la colonisation en
Patagonio est la très faible densité de la po})ulatîon. Le
recensement de i914 donne 81 000 hal)ilants en tout aux
territoires du Rio Negro, du Neuquen, du Chuhut, de
Santa Cniz et de la Terre de Feu. Une estancia bien
tenue de '2500 kilomètres carrés comporte euA^iron un
personnel d'une centaine d'hommes, soit au maximum,
en faisant la part des étrangers établis sur ses terres,
500 habitants, i\ peine plus d'un pour dix Ivilomètres car-
rés. Cette population se divise en deux classes distinctes.
L'une a des titres de propriété réguliers, elle est enra-
cinée et stable. Le Gouvernement, après avoir à l'origine
accordé de vastes concessions où se sont établies sur-
tout des propriétés anglaises, s'efforce aujourd'hui de
diviser le sol davantage, et les lots des nouvelles colo-
nies pastorales qu'il met en vente n'ont plus que 625 hec-
tares. Mais c'est là une superficie trop faible pour
établir un domaine d'élevage, si favorable que soit sa
situation, et la concentration des terres entre un petit
nombre de propriétaires paraît inévitable. L'antre partie
de la population occupe des terres qui ne lui appar-
tiennent pas; elle se déplace à mesure que des conces-
sions régulières sont octroyées à de nouvelles esîancias,
vivant, pour ainsi dire, en marge delà colonisation, et
réduite de plus en plus aux zones les plus pauvres.
Parfois les « intruses » ou les « pobladores » obtiennent
1. Malip'é leur impoiiance, il faut considérer comme des épisodes
dans l'histoire de la colonisati.on de la F'atagonie, l«s affiux de popu-
lation provoqui'-s sur la côte orientale par la découverte de l'or des
■pbcers du r,ap ^'irf^Piies el de la ente atlantirine do la Terre de Feu
(1884), et par celle du pétrole à Hivadavia (1907) au cours de sondages
à la recherche de l'eau, Rivadavia, avec ses ÔOOO habitants, est déjà
l'on des principaux centres de la Patagonie.
156 LA REPUBLIQUE ARGENTLNE.
pour leurs troupeaux riiospitalité sur les terres d'une
estancia, en échange de services ; ils disposent de peu
de capitaux, et ne pratiquent aucune amélioration maté-
rielle. Ils se préoccupent peu de ménager le pâturage
qu'il ne leur importe guère de voir s'appauvrir.
Le climat établit en Patagonie deux régions pastorales
distinctes. A l'Ouest, la zone andine humide est favo-
rable à l'élevage des bœufs. Vers 1870, les Chiliens de
Valdivia chassaient les bœufs sauvages dans la région
du Nahuel Huapi ; de même, la Commission des frontières
rencontra sur les rives du lac San Martin, encore inoccu-
pées, de grands troupeaux de bœufs sauvages. Le mou-
ton ne prospère pas dans la zone humide, où les pluies
ont lessivé les terres et entraîné les sels qui paraissent
lui être indispensables. Le plateau aride, au contraire, est
le pays du mouton. Il y a éliminé le gros bétail, môme
dans la zone que les premiers éleveurs à la fin du
xviif siècle avaient peuplée de bœufs. Entre la zone du
mouton et celle du bœuf s'étend une zone mixte, où les
deux élevages se combinent : elle est plus ou moins
étendue, selon que la transition du climat humide au
climat désertique est lente ou brusque; elle est surtout
importante dans les régions où la colonisation est déjà
ancienne, comme la région fucgienne et le Neuquen;
elle manque dans les régions de colonisation récente
(Chubut et Santa Cruz), où les éleveurs de moutons ont
trouvé le champ libre jusqu'aux x\ndes. Les estancias de
la Cordillère, spécialisées dans l'élevage du gros bétail,
nourrissent toutes un petit troupeau de moutons réservés
i\ leur propre consommation, leur personnel étant trop
restreint pour qu'il soit économique d'abattre des bœufs.
La zone du mouton est de beaucoup la plus étendue :
sur sa superficie, les taches de colonisation agricole
sont infiniment clairsemées et réduites. Elles sont
limitées aux oasis fluviales du Rio Negro et du Chubut.
Ces petites régions de culture ont conserA'^é à l'égard de
la zone pastorale où elles sont perdues une indépen-
LA PATAGOME ET L'ÉLEVAGE DU MOUTON. 157
dancc économique remarquable. C'est ainsi que les cul-
tivateurs du Chubut exportaient leurs blés vers Buenos
Aires jusque vers 1900, et y envoient aujourd'hui leurs
balles de luzerne sèche. Quelques estancias ont l'ait de
petits essais de culture en quelques points favorisés,
mais elles sont uniquement destinées à augmenter leurs
réserves de fourrage, non pour le troupeau de moutons,
mais pour les chevaux de selle employés à la surveil-
lance du domaine, et pour les attelages utilisés aux
transports.
La capacité pastorale de la brousse patagonienne est
en moyenne de 800 à 1200 têtes de mouton par lieue
carrée de 25 kilomètres carrés, moins du 1/10 des
prairies de la Pampa orientale. L'estancia établit sa
résidence sur la partie la plus favorisée du domaine, où
le manque d'eau est le moins à craindre, et où le patu-
l'oge est le plus abondant. C'est là, en effet, que l'on
amène périodiquement les moutons pour leur faire subir
les bains désinfectants contre la gale, et qu'on les
rassemble pour la tonte. Ces mouvements incessants
vers le centre de l'estancia y déterminent une sur-
charge presque permanente du pâturage, qui est un des
soucis principaux de l'éleveur. Le territoire de l'estancia
est aussitôt que possible divisé en quartiers (potreros)
par des clôtures de fil d'acier, qui permettent à la fois
de surs'eiller la reproduction et l'amélioration du trou-
peau et de mieux utiliser le pâturage. Le clôturage est
plus avancé près de la Cordillère qui fournit du bois
pour les piquets.
Certaines régions restent désertes faute de points
d'eau. Parmi les points d'eau naturels, les uns sont
permanents : les eaux sourdent à la base des bancs
fissurés de roches volcaniques, lorsque la roche sous-
jacente est imperméable, et au-dessus de différents
niveaux marneux des mollasses patagoniennes, par
exemple dans les canadones du pourtour du golfe de
San Jorge. En outre, les pluies et la fonte des neiges
158 LA RÉPUBLIOIE .ARGENTINE.
laissent à la surface du plateau un grand nombre de
flaques qui s'évaporent à la saison sèche ; ce sont ces
points d'eau temporaires, « manantiales », auxquels
l'élevage est réduit sur de grandes étendues du plateau.
La plupart des nappes sans écoulement, qui ont un
caractère permanent, sont salées; la teneur en sel en est
très variable et se modifie pour chacune d'elles suivant
les cycles d'années sèches et d'années humides. Les
eaux du Carilaufquen étaient douces en 1900; en 1914
elles étaient devenues saumâtres, bien qu'utilisables
encore pour les troupeaux.
La recherche de points deau permanents est le pre-
mier soin de l'éleveur. Dans quelques régions, il a réussi
à atteindre par des puits des nappes d'eau douce. Ces
puits manquent dans les zones cristallines, dans les
dépressions fermées, où les nappes sont parfois puis-
santes, mais toujours salées. îls manquent aussi dans la
zone des grès rouges, la plus aride de toutes. Dans la
région occidentale, les puits sont creusés dans les vallées
sèches, sur le tracé des courants d'eau souterrains.
C'est ainsi que le Picun Leufu, dont le cours superficiel
se perd 25 kilomètres en amont de son confluent avec le
Limay, est jalonné par une ligne ininterrompue de puits.
C'est surtout dans la région côtière que les puits ont
transformé les conditions de l'élevage. L'eau y fut
découverte d'abord au pied des dunes, le long de la côte
elle-même (région de Viedma, San-Jose, etc.). Depuis,
des forages profonds ont été entrepris dans toute la
plate-forme tertiaire de part et d'autre du Rio Negro
inférieur, au Nord de San x\ntonio. Chaque estancia y a
son réservoir de tôle, abrité par un bouquet de tamaris,
et qu'un moteur à vent travaille à remplir.
Tous les pâturages ne sont pas utilisables indiff'é-
remment en toute saison : tous ceux dont l'altitude
dépasse 1200 mètres au Nord, 7 ou 800 mètres au Sud,
sont recoiuverts en hiver d'une épaisse couche de neige
et constituent des pâturages d'été. L'hiver, les animaux
LA PATAGOiME ET L'ELEVAGE DU MOUTOX. lô'J
sont ramenés dans les vallées principales ou dans les
cafladones abrités au-dessous du niveau du plateau. Le
mallin est en général un pAlurage d'hiver; cependant,
lorsqu'il est trop humide, il devient mouvant, et les ani-
maux s'y enlisent; il leur faut attendre les beaux
jours pour y pénétrer. Les pâturages où manquent les
points d'eau permanents, et qui n'ont que des manan-
tiales, desséchés dès le début de l'été, ne peuvent eux
aussi être utilisés que comme pâturages d'hiver. Il faut
donc, à chaque estancia, outre des ressources assurées
en eau, une heureuse association de pâturages d'hiver
et de pâturages d'été, qui est bien loin de se rencontrer
toujours sur chacun des lots, géométriquement découpés
à l'usage de la colonisation par l'administration des
terres.
La constitution du troupeau et la première occupation
du terrain ont obligé les éleveurs à des voyages difficiles,
dont plus d'un tourna au désastre. Les premiers arri-
vants, poussant leur bétail sur des pistes mal connues,
franchirent, non sans pertes, les parties arides du plateau
que d'Orbigny, traduisant littéralement le mot espagnol
de travesia, appelle des « traversées n\ Une fois l'estan-
cia établie, l'élevage ne comporte plus, à l'exception de
certaines migrations particulières de transhumance que
j'étudie plus loin, de déplacements des troupeaux à
grande distance. C'est sur chaque estancia, parfois sur
cha(iue groupe de quelques estancias associées en un
seul domaine, qu'ils passent alternativement des pâtu-
rages d'hiver aux pâturages d'été. Les seuls transports
sont ceux de la laine. Les toisons que le vent d'Ouest
a lourdement chargées de poussière sont rassemblées
dans des hangars dépendant de l'estancia, ou, pour les
intrusos, chez de petits commerçants « bolicberos »,
1. La recherche îles ilin6roircs possibles pour amener du bétail
dans les régions non encore colonisées a contribué à la reconnais-
sance de la Patagonie. Movano est conduit par cette préoccupation
à explorer la roule de Santa riruz au XahuoI Huapi.
140 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
dispersés jusque sur les parties les plus reculées du
plateau. Des troupes de chars les emportent ensuite aux
ports de la côte.
Depuis peu d'années pourtant, la laine a cessé d'être le
seul produit des estancias. Peu avant 1895, s'établirent
sur le détroit de Magellan les premières graisseries,
pour abattre les brebis âgées qui ont cessé d être
fécondes. Les frigorifiques ont succédé aux graisseries
et se sont ouverts à Puerto Callegos et à San Julian.
Un troisième frigorifique est en construction à Puerto
Deseado (1915). Dans la Patagonie septentrionale, une
partie du troupeau est envoyée de même aux frigori-
liques ou aux abattoirs de la région pampéenne. La
création des frigorifiques a rendu nécessaire une adapta-
tion de l'élevage à des conditions économiques nou-
velles. La race merino tend, dans toute la zone
d'influence du frigorifique, à être éliminée par la race
.lincoln, de poids plus fort et de croissance plus rapide,
tandis qu'elle se maintient dans la Patagonie aride du
Nord.
En outre, l'approvisionnement des frigorifiques déter-
mine des mouvements importants de transport de bétail :
les troupeaux, à destination des frigorifiques ou des
voies ferrées du Nord, circulent à la belle saison, après
la tonte, de novembre à avril. Les routes qu'ils suivent
ne sont pas encore invariablement fixées. L'une des plus
passantes, qui mène des plateaux subandins vers San
Julian, suit la vallée de Santa Cruz. Rien, au moment
où a été faite la division des terres, n'avait fait prévoir
cette forme de circulation ; rien n'a été préparé pour la
faciliter. Les chemins traversent les estancias qui sont
contraintes d'autoriser le passage ; lourde servitude pour
certaines d'entre elles, à moins qu'en louant le pâturage
aux troupeaux en voyage, elles ne tirent au contraire
une ressource précieuse de leur situation sur la route
qui se crée.
La zone andine, si elle est encore aujourd'hui, elle
LA PATAGOME ET L'ÉLEVAGE DU MOUTON. 141
aussi, principalement pastorale, n'en est pas moins
infiniment plus variée et plus riche en possibilités de
développement que le plateau. L'agriculture y est dès
maintenant associée à l'élevage.
Le nom de « vegas », qui désigne dans la Puna et à
San Juan des pâturages alpestres, s'applique ici aux
taches de cultures des vallées andines. Elles apparais-
sent au Nord dans la vallée du Neuquen, autour de
Chosmalal. Au Sud, la vallée du Rio Pico marque la
limite des cultures. L'irrigation est presque toujours
nécessaire au Nord du lac Nahuel Huapi, oii les vegas
ont le plus souvent un sol d'alluvions grossières, ou de
tufs perméables qui se dessèchent vite. Les ressources
en eau sont, il est vrai, abondantes, et s'accroissent
rapidement vers le Sud. Le principal obstacle à l'exten-
sion des cultures est la fréquence des gelées de prin-
temps et d'été. Les fosses profondes de la dépression
subandine au Sud du Nahuel Huapi, dont l'altitude
s'abaisse à 500 mètres au Bolson, à 400 mètres à Diez y
seis de Octubre, n'ont pas de gelées d'été, et nourrissent
de petites communautés agricoles. Aux altitudes supé-
rieures, dans le bassin du Nahuel Huapi, ou sur les
vegas du Traful et du Lac Lacar, vers l'altitude de
700 mètres, la distribution des gelées d'été est en rela-
tion étroite avec le relief et la disposition du terrain qui
facilite ou entrave la circulation des couches d'air froid
et le jeu de ce que l'on a appelé le drainage atmosphé-
rique. Les vallées bien ouvertes de l'Ouest à l'Est, au
débouché des lacs, oîi les vents d'Ouest trouvent libre
passage, sont peu exposées aux gelées. Partout où les
gelées sont fréquentes, on doit se borner à cultiver des
plantes fouiragères; les cantons plus favorisés, qui récol-
tent du blé, du seigle et des pommes de terre, contri-
buent à l'approvisionnement de la population pastorale
locale et exportent une partie de leur production jusqu'à
une faible distance sur le plateau.
L'élevage des bœufs est pratiqué, comme l'élevage
142 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
des moutons sur le plateau, à la fois par des pobladores
sur les terres publiques, et par des estancieros établis
sur des concessions régulières qu'ils ont aménagées et
clôturées. Les hauts pâturages alpestres, au-dessus de
la lisière de la forêt, sont en partie utilisés comme pâtu-
rages d'été de décembre à mars. La forêt sert elle aussi
au pâturage ; elle constitue un terrain de parcours per-
manent, utilisable l'hiver et l'été. Au-dessous de l'alti-
tude de 1000 mètres, les fourrés de bambous du sous-
bois fournissent un abri pendant l'hiver et un fourrage
que la neige n'ensevelit pas. Les incendies allumés par
les éleveurs ont transformé une partie de la forêt primi-
tive en une brousse qu'envahit une légumineuse grim-
pante fourragère, et dont la capacité pastorale dépasse
celle de la forêt. A TEst de la forêt, la prairie, trop
exposée aux vents, ne convient pas en général comme
pâturage d'hiver; les bœufs trouvent un refuge dans
les vallées abritées et dans les fourrés de mayten qui
suivent les dépressions : Bailey Willis estime à 400 bœufs
par lieue carrée de 2500 hectares la capacité pastorale
de la forêt vierge; à 600, celle de la forêt incendiée, à
350 celle des prairies subandines. Le problème essentiel
pour l'utilisation complète des ressources pastorales de
la région subandine est un problème de circulation. Les
chemins manquent, en effet, pour passer d'une zone à
l'autre, et pour gagner les hautes prairies; les troncs
abattus qui encombrent la forêt ne peuvent être franchis
par les bœufs; le rassemblement des bêtes pour la vente
est difficile ainsi que la surveillance du troupeau.
Le rendement de l'exploitation du bois paraît devoir
rester faible. La forêt, réduite par les incendies, difficile
d'accès, est composée en partie d'arbres trop âgés. Le
libocedrus a été enlevé sur un tiers de la superficie.
L'Alerce, qui est l'essence la plus précieuse, ne passe
que rarement sur territoire argentin. Les scieries ne se
sont pas multipliées sur le versant oriental des Andes
comme dans la région magellanienne. Le rôle essentiel
LA PATAGO.MK ET L'ELEVAGE DU MOUTON. 145
de la forêt, selon l'avis des forestiers argentins, est de
régler la circulation des eaux. Dans ce pays d'érosion
glaciaire, de captures récentes, où les cours d'eau ont
partout un profil accidenté, où des lacs régularisent
leur débit, l'utilisation de la force hydraulique est parti-
culièrement aisée. La houille blanche en fera, dit Bailey
Willis, une grande région industrielle, et y implantera
la vie ui'baine. Bailey Willis, dont l'optimisme et le don
prophétique no manqueront pas de surprendre un lec-
teur européen, a tracé, à l'extrémité orientale du lac
Nahuel Huapi, le plan circonstancié d'une ville future
de 40000 âmes. Le terroir patagonien fournira la ma-
tière première à ses industries : bois, cuirs, laines.
Une des conditions indispensables au développement
de la vie urbaine est du moins pleinement réalisée dans
la région du Nahuel Huapi et du Limay. Elle constitue
un carrefour remarquable de voies naturelles, dont
l'avenir accroitra la valeur économique. Là, se rejoignent
les routes qui viennent de la Patagonie australe par la
dépression subandine, du golfe de San Antonio sur
l'Atlantique, et du Rio Negro par le Limay et les routes
qui mènent au Chili et à travers la Cordillère. Toute la
zone des Andes comprise entre le 56" et le 42", à hauteur
de la partie méridionale de la plaine chilienne, comporte
des passages faciles et des cols nombreux. Les rela-
tions ont toujours été étroites entre les deux versants ;
la population a librement émigré de l'un à l'autre. Mais,
au Nord du 59" L. S., ces cols ne s'abaissent guère
au-dessous de 1500 mètres; ils sont coupés en hiver par
la neige et ne se prêtent qu'à une circulation saisonnière,
comme celle que représentent les transports de bétail.
Il n'en est pas de même au Sud du volcan Lanin : là
commencent les vallées glaciaires qui pénètrent jusqu'au
cœur de la Cordillère et dont quelques-unes la traver-
sent d'Est en Ouest. Leur reconnaissance n'est pas
encore achevée. Le col de Bariloche, au Sud du Trona-
dor, par lequel les missionnaires chiliens parvenaient
lu LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
au xviii" siècle sur le Naliuel Iluapi, a cessé d'être pra-
tiqué. Le col du Cajon Negro, à l'Ouest du lac Traful,
par où Bailey Willis fait passer le tracé du chemin de
ter transandindu Sud, n'a été découvert que récemment,
et les vallées qui y aboutissent sur le versant chilien ne
sont pas encore reconnues. Les deux routes transan-
dines les plus fréquentées sont aujourd'hui celles de
Ferez Rosales qui mène du Chili au Nahuel Huapi en
passant au Nord du Tronador, et, plus au Nord, celle du
lac Lacar et de San Martin. L'une et l'autre ont reçu un
aménagement provisoire, et des téléféric{ues ou des
decauvilles y relient les lacs. Les transbordements suc-
cessifs réduisent leur rendement, mais la circulation y
est permanente et elle ne s'interrompt pas pendant Ihi-
ver. La réduction des exportations de bœufs vers le
Chili a momentanément réduit leur activité, mais elle
ne peut manquer de reprendre sous d'autres formes.
Leur importance permanente est un des faits les plus
clairement inscrits par la nature sur le sol américain.
11 est difficile, faute de documents, d'entreprendre
pour tout l'ensemble de la Patagonie une description
détaillée de l'industrie pastorale, en suivant, pas à pas,
sur le terrain, ses efforts pour s'adapter aux conditions
naturelles. Mais cette analyse peut être tentée pour la
région comprise entre San Antonio et le Nahuel Huapi,
au Sud du Rio Negro', pour la vallée du Rio Negro et
pour le plateau qui s'étend à l'Ouest entre le Neuquen
et le Limay. Cette fraction de la Patagonie est aujour-
d'hui facilement accessible : deux voies ferrées paral-
lèles y pénètrent. L'une part de San Antonio sur l'Atlan-
tique, et se dirige à l'Ouest vers le Nahuel Huapi; elle
atteint (19J4) Maquinchao, sur le plateau, à mi-chemin
des Andes; l'autre part de Bahia Blanca ; elle atteint à
1. C'est sur cette région qu'ont porté les études de la Commission
dirigée par Bailey Willis.
LA PATAGOME ET L'ELEVAGE DU MOUTON. 145
Clioelc-Clioel la vallée du Rio Negro et la remonte jus-
qu'au confluent du Ncuquen, puis pénètre à 200 kilo-
mètres à rOucst jusqu'à Zapala, au pied des premiers
ciiainons subandius. L'une et l'autre de ces deux lignes
ont l'ambition de servir d'amorce à des transandins;
du moins se hàtent-elles d'atteindre la zone humide du
pi^^d des Andes, capable d'alimenter un trafic plus actif
que le plateau désertique.
Le chemin de fer de San Antonio et la piste qui le
prolonge, à l'Ouest de Maquinchao, traverse, de l'Ailan-
tique aux Andes, sur une distance de 500 kilomètres,
cinq régions distinctes : la première est la plaine côtière,
formée de sédiments marins tertiaires horizontaux, argi-
leux et sableux. La plaine se relève lentement vers l'Ouest
et atteint 200 mètres à 90 kilomètres de la côte. Cette
plate-forme côtière sépare, au Nord-Ouest, du fond du
golfe de San Antonio, la dépression fermée du Bajo del
Ciualicho. Sa surface est peu accidentée; les cailloux
roulés sont accumulés à sa superficie en une sorte de
]ioudingue : malgré l'apparence, ces sols caillouteux ne
sont pas défavorables à la végétation. Les eaux de pluie
y sont rapidement absorbées et échappent à l'évapora-
tion. La végétation est relativement riche. Il n'existe
pas do sources: mais, sur les affleurements marneux, les
pluies d'automne entretiennent des « manantiales », qui
ne tarissent qu'au printemps. La plaine côtière est aban-
donnée l'été, faute d'eau. Mais l'hiver, les troupeaux
s'y rassemblent et y séjournent jusqu'au printemps. La
neige y est peu abondante, la température est douce.
Malgré la densité de la population pastorale en hiver,
la pâturage ne souffre pas; les graminées restent abon-
dantes parmi les buissons du monte ; c'est que les trou-
peaux quittent la région avant la saison où les herbes
fleurissent et fructifient, et que le réensemencement est
possible. Une partie des troupeaux qui hivernent dans
la plaine côtière eslive au Sud-Ouest sur les hauts-pla-
teaux basaltiques de Somuncura. La surface entière du
Denis. — I/Aiirenline. lO
140 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
plateau n'est pourtant pas utilisable d'une façon per-
manente pendant tout Télé. L'eau y abonde au prin-
temps après la fonle des neiges. xVu cœur de Tété,
les troupeaux se concentrent au voisinage des sources
permanentes pour se disperser de nouveau dans les
pâturages de la montagne aux pluies d'automne, avant
le retour vers la plaine.
La deuxième région est celle de Valcheta. Depuis
Aguada Cecilia jusqu'à Gorral Chico, la voie ferrée suit
pendant 80 kilomètres le front des épanchements de
laves venus du Sud, qui recouvrent les argiles ter-
tiaires. En avant de l'escarpement basaltique, le terrain
s'abaisse au Nord vers une dépression fermée, le bajo
de Valcheta, dont le fond est occupé par des argiles
imprégnées de sel. Les couches tertiaires marines
entourent cette dépression à l'Ouest et au Nord où elles
la séparent du bajo del Gualicho, mais elles ne forment
plus ici qu'une mince pellicule recouvrant laplate-fornic
cristalline. Le contact des basaltes et des marnes ter-
tiaires est marqué par une série de sources })uissantes,
qui forment des ruisseaux permanents, comme l'arroyo
Valcheta et le Naliuel Niyeu. Ils coulent d'abord dans
une étroite vallée couronnée par les basaltes et dont le
fond est occupé par des prairies tourbeuses, puis sur les
marnes tertiaires, et, à la hauteur de la voie ferrée,
s'enfoncent dans une gorge creusée dans les granits,
avant de se perdre au Nord dans le salitral. Une petite
o.asis agricole est nourrie par les eaux du Valcheta. Le
site de Valcheta a une importance exceptionnelle dans
l'histoire de la colonisation de la Patagonie. Il marque
une étape nécessaire sur la piste indienne de l'Allan-
tique au Nahuel Huapi dont la voie ferrée suit aujour-
d'hui les traces. Musters s'y est arrêté. Là, passait aussi
la piste de Choele-Choel, sur le Rio Negro, vers la côte
méridionale et le Santa Cruz. Elle était, dit Ezcurra',
1. Pedro Ezcurra, Comino indio entre los rios Negro y Chnbut. La tra-
vesia de Valcheta. Bol. Instit. geogr. Argenlino, XIX. 98, p. 1.1i-lo8.
LA PATAGOME ET L'ÉLEVAGE DU MOUTON. U7
bii passante que le pied des chevaux l'uvait profondément
creusée. Le village argentin date de 1890; il vécut
(l'abord du ravitaillement en fourrage des caravanes de
chars qui font le tran.sport des laines; le chemin de fer
a supprimé cette forme de circulation et le seul débouché
de l'oasis est aujourd'hui le petit port de San Antonio,
où les laines sont embarquées et dont les environs sont
impropres à loiitc culture.
Gomme la région côtière, la région de Valcheta paraît
destinée par sa faible altitude à servir de terrain de par-
cours d'hiver. En fait, le pâturage est utilisé toute l'an-
née. Les points d'eau ne tarissent pas en été. Les ruis-
seaux qui descendent du Sud vers le bajo de Valcheta
sont permanents; en outre, quelques puits ont été forés
dans les couches tertiaires. A la ditférence de ce qui se
passe dans la plaine côtière, le bétail peut donc ici être
conservé pendant l'été. La reproduction des graminées
se fait moins librement, et le pâturage teud à s'appau-
vrir.
La troisième zone, à 200 kilomètres de la côte, est
r-elle du plateau des Cerros Colorados, où des croupes
basses de granit rouge émergent comme un archipel
des formations tertiaires déposées dans les dépressions
qui les séparent. Son altitude augmente vers l'Ouest de
"200 à 400 mètres. C'est une des parties les plus pauvres
du plateau et la densité du troupeau s'y réduit à 000
tétcs par lieue carrée. La roche nue y affleure, sans être
recouverte, comme plus à l'Est, par une nappe de cail-
loux; dans les vallées, l'eau est rare et à une grande
profondeur. Il n'y a pas de déplacements périodiques
du bétail; il se tient l'hiver et l'été à la portée de quelques
sources maigres qui naissent de quelques aflleurements
de laves d'étendue restreinte, et s'en éloigne seulement
sur le plateau après la période des pluies.
Au delà des Cerros Colorados, la ligne s'élève rapi-
dement et atteint à Maquinchao le bassin du lac Cari-
laufquen. Le Carilaufquen occupe, à l'altitude de
148 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
900 mètres, le fond d'une dépression fermée dominée de
tous côlés par un plaleau de laves, vers lequel aboutit
au Sud un faisceau de vallées importantes (Nahuel
Niyeu, Ouetriquile, Maquincliao). Ces vallées naissent
au Sud dans le plateau basaltique, à 1200 mètres et
1400 mètres, et n'ont d'eaux courantes que dans leur
partie supérieure. Elles s'ouvrent au Sud du Carilauf-
quen sur une large plaine, qu'enferme une cornicbe
sombre de laves haute de 100 mètres environ. Les eaux
ont accumulé dans la plaine des formations alluviales
que les vents ont remaniées, cailloux anguleux des ter-
rasses, fine poussière des mallines, sables des dunes sur
le pourtour du lac.
Toute cette région est beaucoup plus favorisée que les
Cerros Colorados. Les sources sont nombreuses, à la
base des coulées de laves, sur les flancs des vallées, et
ont dispensé jusqu'ici de chercher les nappes souter-
raines qui suivent certainement les vallées. Le haut bas-
sin du Ouetriquile, qui n'est pourtant occupé que par
des « intrusos », paraît avoir une densité pastorale par-
ticulièrement élevée, et nourrit, assure-t-on, 500 000 mou-
tons. Dans la partie occidentale de la région, le prin-
temps est plus tardif, et les neiges sont à craindre pen-
dant la saison de la mise-bas. Aussi n'y a-t-on pas de
béliers, et les agneaux y sont amenés de Maquinchao.
Cette spécialisation des zones consacrées à la multipli-
cation du troupeau permet d'améliorer rapidement la
race. Ici encore, il n'y a pas de déplacements du bétail
à grande distance pour l'utilisation du pâturage. La
végétation des vallées a souffert, dans les années de
sécheresse qui ont précédé 1914, de la permanence du
parcours du troupeau, qui empêche le réensemencement
des graminées utiles. Le danger est moindre pourtant
que sur les Cerros Colorados, parce que les mallines
sont étendus et suffisent à l'alimentation des moutons,
pendant les périodes où les « manantiales » du plateau
sont taris et où le bétail est confiné aux vallées.
LA PATAGOME ET L'ELEVAGE DU MOUTON. 149
La cinquième région comprend le massif élevé qui
sépare le bassin du Carilaul'quen du Nalmel Huapi, et
dont les eaux s'écoulent au Nord vers le Limay, au Sud
vers le Cluibut. Des éruplions successives ont répandu
à sa suri\ice des laves et des cendres qui s'élèvent à
l'Anecon jusqu'à 2000 mètres; la plate-i'orme granitique
qui affleure au Nord au Cerro Aspero et au Qu^fl^'^di'o
atteint elle-même 1500 et 1400 mètres, et elle offre par
endroits des formes hardies et rajeunies. Toute la région
a été profondément découpée par l'érosion et offre des
passages relativement aisés que les roules indiennes
ont utilisés. Au-dessous des hautes pentes, les vallées
s'approfondissent en gorges qui s'élargissent dans les
tufs meubles et s'étranglent à la traversée des laves ou
des affleurements granitiques. Dans ce pays accidenté,
où les difl'érences d'altitude sont très marquées, les pâ-
turages d'hiver et les pâturages d'été sont partout pro-
ches : les précipitations sont plus abondantes qu'à dis-
tance de la Cordillère, le pâturage est plus riche et la
densité du troupeau s'élève à 1600 têtes à la lieue, l^es
moulons passent l'hiver sur les versants inférieurs,
abrités contre le vent et la neige; ils descendent au
mallin quand la sécheresse débute et en rafifermit le sol.
En été. ils gravissent les plateaux oîi les pâturages s'é-
tendent jusque vers 1500 mètres.
Bailey Willis, étudiant les améliorations qui pour-
raient être apportées aux pratiques pastorales, conclut
f[ue le point essentiel serait d'utiliser chaque pâturage
à la saison favoral)le et d'établir une rotation raisonnée
entre les terrains de parcours. Ce régime, le seul qui
permette de ménager les ressources naturelles de la
brousse en plantes fourragères, n'est appliqué aujour-
d'hui que dans un petit nombre de districts : à l'Est, où
les troupeaux hivernent dans la plaine côtière et esti-
vent sur le plateau de Somuncura, et à l'Ouest, autour
de l'Anecon, où les pâturages d'été et d'hiver sont grou-
pés à peu de distance les uns des autres. 11 devrait être
150 LA RÉPUBLIQUE ARGENTL\E.
général. Les zones à réserver au pâturage d'hiver com-
prennent la plaine côtière, toute la région basse autour
de Valclieta, et la partie inférieure des vallées au Sud du
Carilaufquen. Elles sont moins étendues que les pâtu-
rages d'été disponibles, mais on pourrait accroître leur
capacité en développant les cultures irriguées dans le
Bajo de Valcheta et en ensemençant en luzerne les mal-
lines du bassin du Carilaufquen. Les vallées basses au-
tour du Carilaufquen devraient être réservées aux pâtu-
rages d'hiver. L'été, les moutons seraient menés au Sud
dans les hautes, vallées qui .ont des pâturages perma-
nents. Ils se répandraient de là, après la fonte des
neiges, et en automne après les premières pluies, sur les
hauts plateaux qui les environnent.
Ce programme se heurte en premier lieu à la consti-
tution actuelle de la propriété, imprudemment fixée avant
que la reconnaissance détaillée du terrain eûtétéachevée.
C'est ainsi que l'estancia de Maquinchao, établie dans
la vallée inférieure, ne possède pas la haute vallée où
s'étendent les pâturages d'été qui lui sont nécessaires.
Un obstacle plus grave est l'extrême difficulté des dépla-
cements de bétail. Ce ne sont pas seulement les routes
qui^ manquent , mais surtout les points d'eau aux
éta-pes'.
Entre le chemin de fer de San Antonio au Nahuel
Huapi et le Rio Negro, s'étend une zone désertique de
iOO kilomètres de large, où dominent les grès rouges et
qui est restée inoccupée. Au Nord de cette travesia,
s'ouvre la vallée du rio Negro. Sa largeur entre Neuquen
et Patagones varie de 6 à 20 kilomètres. Sa pente di-
1. Le territoire du Rio Negro n'est pas la seule partie de la Pata-
gdnie où se pose le problème d'augmenter la capacité des pâlurages
d'iiiver. On a signalé la possibilité d'étendre les luzernières dans !a
région- de la Colonia Sarmiento, au sud du lac Musters, et den faire
une grànde zone d'hivernage pour les troupeaux de Santa Cruz.
LA PATAGONIt: ET LK LEVAGE DU MOUTON. loi
minuc lenlement vers l'aval (de 0,67 à 0,49 pour 1000 en
amont de Clielforo, de 0,45 à 0/29 pour 1000 en amont de
Conesa). Les barrancas de grès et de marnes qui Fen-
Fermcnt s'abaissent progressivement vers lavai; elles
dominent la vallée de 2i)0 mètres au conlïuent du Neu-
quen. de 50 à 40 à Palagoncs. A leurs pieds, s'étendent
de larges terrasses déjà fortement entamées par des
ravins dissymétriques, où les couches de grès affleurent
sur le versant ouest, exposé aux vents, tandis que les
cailloux roulés couvrent les pentes orientées à l'Est. Sur
les rives du fleuve, une zone de 2 à 5 kilomètres de large
a une végétation herbacée aI)ondante, entre des lignes
de saules; c'est celle qui est recouverte par les crues
ordinaires. Le reste de la plaine fluviale, jusqu'au pied
des barrancas, ne nourrit qu'une brousse clairsemée,
interrompue par des dunes. Les argiles salées y recou-
vrent les cailloutis fluviatiles. Le niveau de la nappe
phréatique, entretenue par le fleuve, s'approfondit quand
on s'éloigne de ses berges vers les barrancas. Peu de
parties du plateau ont un aspect aussi désolé que le fond
de ces grandes vallées patagoniennes quand il n'a pas
été transformé par l'irrigation. Le pâturage y est maigre.
A Conesa cependant, la costa (vallée) est utilisée comme
pâturage d'été quand l'eau fait défaut sur les plateaux
environnants (planeza).
Les ressources en eau sont abondantes : le débit du
fleuve varie de 200 à 900 mètres cubes par seconde. Les
basses eaux durent de février à avril (fin de l'été). De
mai à juillet, le fleuve a des crues brusques et violentes ;
c'est l'eff'et des pluies d'automne. La courbe fléchit de
nouveau en août et septembre, pour se relever d'octobre
à décembre, pendant la période de la fonte des neiges
dans les Andes. Le Limay, dont le bassin supérieur
comprend de vastes nappes lacustres, est plus régulier
que le Neuquen, qui a au contraire des maigres très
accentués, et d'où proviennent les crues dangereuses
d'automne. Les premiers efforts pour aménager l'irriga-
15-2 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
tion dalent de 1885; alors fut creusé le canal de la co-
lonie Roca; d'autres furent établis plus tard vers l'aval.
Les coopératives organisées pour l'administralion de
ces canaux n'ont pas eu tout le succès qu'on pouvait en
attendre ; le progrès de la colonisation agricole est resté
lent; un travail d'aménagement coûteux est nécessaire
pour niveler le terrain et pour organiser le drainage,
sans lequel des taches salées se forment et s'étendent
comme une lèpre aux dépens des terres cultivables.
Enfin !e centre de la vallée est exposé aux crues'.
Les cultures principales sont la luzerne, les céréales
et les vignes. Sur la vigne, se concentrent aujourd'hui
tous les soins et toutes les espérances des colons. C'est
pour étendre le vignoble qu'ils se préoccupent d'ac-
croître leur main-d'œuvre. Elle comprend un singulier
mélange où se coudoient les Chiliens venus du Neuquen
et des immigrants latins (italiens et espagnols) de la
région pampéenne.
La luzerne est mise en balles et exportée par voie
ferrée vers Bahia Blanca et Buenos Aires. Pas plus que
sur le Chubut, la vie économique de l'oasis agricole
du Rio Negro n'est liée à celle du plateau pasioral. On
ne pratique pas sur le Rio Negro l'engraissage des mou-
tons ni des bœufs. Singulier contraste avec le spectacle
qu'offrent les régions andines de l'Argentine du Nord-
Ouest et de l'Ouest, où, depuis des générations, s'est éta-
blie et se maintient l'association entre l'industrie de
1,'élevage dans la brousse et celle de l'engraissage dans
les luzernières. C'est que les courants du commerce du
bétail n'ont pas eu ici le même caractère de permanence
et de stabilité que plus au Nord. L'ère où les convois du
1. Les travaux en cours (1914) réduiront la menace des crues et
permettront d'étendre notablement la superficie des cultures. La
Cuenca Vidal, qui s'ouvre dans les grès, nu-dessous du niveau de la
vallée, sur le plateau au Nord du Neuquen, sera aménagée pour
absorber la crue du lleuve, et alimentera un canal qui desservira la
rive gauche sur une étendue de 150 kilomètres. Les eaux du Limay
resteront disponibles pour la vallée inférieure.
LA PATAGOME ET L'ÉLEVAGE DU MOUTON. !■•".
bcHail pampécn en route vers le Chili empruntaient la
vallée du Rio Negro est antérieure à la colonisation
agricole des berges du fleuve ; la conquête de la Pata-
gonie arrêta ce trafic. Un intervalle de 25 ans sépare la
période des (exportations de bétail pampéen vers le Chili
de la reprise dos exportations des bœufs du Neuquen
vers Buenos Aires, que je signale plus loin. Quant à
l'élevage du mouton, il n'a visé que tardivement à la
production de viande, et n'a donné lieu que depuis peu
d'années à des transports de bétail. Les agriculteurs du
Rio Xegro, pauvres en capitaux, et dont les fourrages
secs sont achetés et payés d'avance, n'ont pu encore
profiler de la réorganisation du commerce du bétail.
A l'Ouest du confluent du Neuquen et du Limay,le che-
min de fer s'élève sur le plateau gréseux de 500 à 900 m.,
jusqu'au pied de la première chaîne subandine, à l'estancia
de Zapala. Les roches éruptivesy ont soulevé les grès, et
les profils levés au Xord et au Sud de Zapala, à travers
la Sierra de la Vaca Muerta et le Cerro Lotena coupent
des plis de couches mésosoïques réduits par l'érosion
au niveau du plateau. On y sent déjà le voisinage de la
Cordillère, le pâturage est abondant, le malîin dru et les
points d'eau nombreux. Le domaine du mouton s'étend
à rOuest de Zapala jusqu'au Rio Cataluin et au Rio
Agrio. De Zapala vers l'Est, au contraire, le caractère
désertique du pays s'accentue vite. Les points d'eau
tarissent en été, et toute la zone comprise à l'Est du
70" long. Ouest Gr. n'est utilisable, faute de points
d'eau permanents, que com.me terrain de parcours
d'hiver. Aussi la transhumance y est-elle indispensable.
La transhumance a été pratiquée de longue date sur le
versant chilien de la Cordillère depuis la latitude de
Coquimbo et de San Juan jusqu'au Nord du Lac Quil-
len. Elle tend actuellement à disparaître dans les Andes
du Neuquen '. Mais la transhumance du versant argentin
I. A la vérité, dans les dernières années, on a souvent déguisé sur
lui LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
se maintient. Les moutons du plateau, chassés de leurs
pâturages d'hiver lorsque les points d'eau tarissent,
montent à la Cordillère. Il arrive qu'elle ne soit pas
encore libre de neiges ; on ralentit alors le voyage, pâtu-
rant en route, au grand dommage des terres traversées.
Les itinéraires sont multiples; ils se confondent sou-
vent avec ceux que suivait jadis le bétail des Pampas
vers les cols de la Cordillère. Groeber signale une draille,
(piste de transhumance), au Sud du.Rio Barrancas et du
lac Carri Lauquen. De la rive gauche du Neuquen, les
troupeaux remontent par Chosmalal et Butamallin vers
les pâturages du col de Pichachen, ou par Las Lajas
vers le col de Pino Hachado ; de Zapala et du plaieau
plus au Sud, ils vont estiver dans la Cordillère de Cala-
luin où le nombre des moutons estivants est estimé
à 70000; d'autres poussent au delà vers les sources de
l'Alumine et le col de l'Arco. Le volcan Lanin marque à
peu près la limite méridionale de la zone de trans-
humance. Le groupe le plus important des moutons
transhumants provient de la région du Coyunco, du
Canadon Grande et du Picun Leucu.
La transhumance n'est pratiquée que par les « intru-
sos ». Ils passent des terres encore sans maîtres du pla-
teau aux terres encore sans maîtres de la Cordillère. La
location à des propriétaires de terrains d'estivage est
tout à fait exceptionnelle. Les concessions de terres
accordées par le Gouvernement argentin réduisent de
plus en plus le domaine des transhumants dans la Cor-
dillère, et aussi les zones de circulation entre le plateau
et la montagne. Les propriétaires se soucient peu d'hé-
berger les troupeaux migrateurs et s'opposent à leur pas-
ce versant, sous le nom de transhumance, une contrebande do bétail
que la transhumance rendait facile, et qui contribuait d'ailleurs à la
maintenir. Les bergers se faisaient remettre par les autorités chi-
liennes, avanl de franchir la frontière, des certificats exagérant le
nombre de leurs bêtes, et s'en servaient pour rentrer ensuite au Chili
après avoir complété leurs troupeaux par des achats sur le territoire
argentin.
LA PATAGOXIE ET LKLEVAGE DU MOUTOX. \bh
sage en cloturanl leurs terres. Les routes de trans-
humance sont actuellement déterminées par les espaces
restés libres entre les estancias clôturées. Les intrusos
transhumants sont traqués en outre par la crainte de
trouver occupés par d'autres en leur absence les pâtu-
rages d'hiver sur lesquels ils n'ont pas de droits de pro-
priété. Le fractionnement des terres et l'organisation de
la propriété auront pour résultat, à bref délai, l'extinc-
tion des coutumes de transhumance, et la plus grande
partie des pâturages d'hiver sera transformée en pâtu-
rages permanents par le forage de puits et l'aménage-
ment de points d'eau.
Les environs de l'estancia de Zapala se sont brusque-
ment animés depuis la construction de la voie ferrée. La
voie ferrée y a transformé profondément les conditions
d'existence. Elle a fait de Zapala une manière de capi-
tale. Il est curieux d'opposer le renouvellement qui a
suivi ici l'arrivée du rail aux transformations beaucoup
moins profondes qu'elle a déterminées à Maquinchao.
Le mouvement que la voie ferrée concentre à Zapala ne
comprend pas seulement comme à Maquinchao le trafic
des laines, mais celui du bétail. Les troupeaux destinés
à l'embarquement se rassemblent en même temps que
les « tropas » de chars autour de l'estancia qui leur loue
un bon prix le droit de pâturage. Tandis que la ligne de
Maquinchao aboutit au port de San Antonio, outillé
seulement pour l'expédition des laines, le chemin de fer
de Zapala dessert le frigorifique de Bahia Blanca. ïl se
raccordeavec tout le réseau dévoies ferrées de la Pampa.
Les moutons arrivent à Zapala non seulement de la
région voisine et du Neuquen, mais de toute une partie
du Rio Negro et même du Ghul>ut. Les convois de bétail
venant du Sud ont intérêt en effet à se tenir au voisinage
de la Cordillère où les pâturages sont meilleurs. Quel-
ques-uns seulement descendent le Limay jusqu'à Senil-
losa; de Zapala à Senillosa, aucun chemin praticable
aux troupeaux ne se greffe sur le chemin de fer, et, plus
i:>3 LA RÉPUBLIOUE ARGENTINE.
à l'Est, il faut aller, pour trouver des pistes qui y abou-
tissent, jusqu'à la hauteur de Choele-Choel. L'embar-
quement des moutons dure cinq mois, de novembre à
mars.
Mais Zapala voit aussi converger vers sa gare les trou-
peaux de bœufs. Tels habitants de Zapala gardent encore
le souvenir du temps où passaient par cette vallée les
bœufs amenés de la Pampa, à destination du Chili. Si
ces exportations de bétail pampéen vers le Chili cessè-
rent après 1885, du moins toute la région andine du
Neuquen vécut-elle uniquement jusqu'à une date toute
récente du marché chilien. L'attraction du marché
chilien est une des causes qui ont entretenu la transhu-
mance ; les éleveurs du versant argentin avaient avan-
tage en effet à se rapprocher de la Cordillère et des cols
où venaient en été les acheteurs chiliens. La vie des
petits centres des hautes Vvillées qui se développèrent
rapidement après la conquête, Chosmalal, Norquin,
Codihue, Junin, San Martin, était liée au commerce du
bétail avec le Chili, et se reflétait d'ailleurs de l'autre côté
des Andes dans la prospérité des marchés chiliens cor-
respondants.
Dans les quelques années qui précédèrent 1914, une
brusque révolution renversa au Neuquen le sens de la
circulation du bétail, et l'attraction de Buenos Aires y
remplaça celle du marché chilien. L'influence commer-
ciale de Buenos Aires se fît sentir d'abord sur le marché
des laines ; les tropas de chars qui amenaient les laines
à Zapala y prirent en échange les farines, le sel, néces-
saires à l'élevage des moutons dans les pâturages de la
Cordillère (pastos dulces). Le commerce d'importation
suivit la roule tracée par le commerce d'exportation.
Les petits chars chiliens qui continuent à franchir la
Cordillère n'amènent plus au Neuquen que les farines
grossières du Chili, des haricots et du vin ; ils reviennent
à vide au Chili. Après les acheteurs de laine, les mar-
chands de bœufs de Buenos Aires se sont avancés jusque
LA PATAGONIE ET L'ÉLEVAGE DU MOUTON. 157
dans la Cordillère. Les centres où se faisaient les ventes
de bétail pour le Chili sont en décadence et ont perdu
une partie de leur population. Les bœufs sont dirigés
veis les centres d'engraissage de la Pampa, ou vers les
marchés de Bahia Blanca ou de Buenos Aires. Ainsi se
produit sous nos yeux, inopinément, dans le Nord de la
Patagonie, une transformation qui s'est réalisée progres-
sivement depuis un demi-siècle dans toutes les parties
du Nord-Ouest et de l'Ouest de l'Argentine. Sous ces
formes multiples, elle est le fait essentiel de l'histoire
moderne de la colonisation de l'Argentine; les provinces
les plus éloignées se détachent une à une des marchés
extérieurs, et la vie nationale tout entière s'organise
autour du grand foyer économique qu'est devenue la
région pampéenno.
CIIAPITRi: VI
LA PLAINE P A .M P ii! E N N E
Les limites de la prairie. — Les pluies. — Le veut et la forma-
tion du limon pampéeu. — Le vent et le modelé. — Les zones de
colonisation de la Pampa, — La chasse au bétail et l'élevage
primitif. — Les bergeries. — Les estancias. — La région des
« colonies ». — La région des luzernes, du maïs el du blé. —
L'association de l'agriculture et de l'élevage. — Le mécanisme
économique de la colonisation. — Les échanges entre les diverses
/cones de la Pampa.
Le paysage pampéen est sans doute l'un des plus
uniformes qui soient au monde. Sa monotonie fatigue
l'observation : elle est en partie responsable de la
médiocrité de la plupart des descriptions de la Pampa.
Cette uniformité est en elle-même favorable à la colo^
nisation. On a signalé bien souvent la rapidité avec
laquelle les plantes et les animaux introduits par les
Européens se répandirent autour de Buenos Aires, et,
devançant éleveurs et agriculteurs, colonisèrent La
Pampa. Dans la deuxième moitié du xix*" siècle, lorsque,
au delà de l'ancienne frontière indienne, toute l'étendue
de la plaine fut occupée, sa mise en valeur fut d'autant
plus aisée qu'on put y appliquer des méthodes d'exploi-
tation plus simples et moins variées. Pas plus qu'elle
n'exigeait de capitaux importanls, la colonisation ne
nécessitait de la part de l'immigrant une longue expé-
rience personnelle. Des Basques, des Italiens, débarqués
de la veille, ont pu y prendre une part active presque
sans apprentissage; les groupes primitifs de population
ont pu s'avancer d'une zone à l'autre de la plaine, trans-
160 LA RÉPUBLIQUE ARGEXTLXE.
portant avec eux telles méthodes de culture et d'élevage,
tel type d'économie rurale.
Une étude attentive permet cependant de relever dans
la plaine pampéenne des différences physiques sensibles.
Ni le climat, ni le sol ne sont semblables sur toute son
étendue.
Ce mot de Pampa désigne avant tout une formation
végétale : la prairie. Ses limites sont marquées par la
lisière de la brousse, du « monte ». C'est encore aujour-
d'hui, si surprenant qu'il paraisse, une entreprise diffi-
cile que de les tracer exactement. Au Nord de Santa Fe,
entre le Salado et le Parana, la Pampa s'avance jusqu'à
Fives-Lille, un peu au delà du 50" L. S. \ Sur les lignes
du Central Norte et du Central Argentino, la lisière du
monte passe à Fuertin Inca et à Malbran, à 250 kilomè-
tres environ au Nord-Ouest de Santa Fe. Elle se dirige
ensuite au Sud-Est et au Sud, en entourant toute la
dépression de Los Porongos et de Mar Chiquita, et la
ligne de Santa Fe à Cordoba la traverse à la Francia, en
approchant du rio Secundo. Au Sud du rio Secundo,
elle s'éloigne à rOucst, et rejoint le pied de la Sierra de
Cordoba au Sud du rio Tercero (au ruisseau de Tequia).
De ce point à la Cumbre, à 20 kilomètres à l'Est de San
Luis, la prairie s'étend jusqu'à la bordure des sierras, et
s'insinue jusque dans la moitié méridionale de la fosse
de Gonlara, entre les massifs de Cordoba et de San Luis
(Pampa de Naschel). La forêt de mimosées pénètre dans
la steppe en zones étroites le long du rio Quinto, jus-
qu'à quelques lieues en aval de Villa Mercedes, le long
du rio Tercero jusqu'au confluent du Saladillo, et le
long du Salado, jusqu'au Sud de Santa Fe; en outre,
les bojiquets de chanares isolés et les taches de bois
\. Sur la rive gauche du Salado, à l'Ouest du chemin de fer de
Resistencia, un grand golfe de prairies basses pénètre au Xord dans
la forêt du Chaco, jusque près du iS*^ L. S., mais il a plutôt le carac-
tère dune des clairières inondables du Chaco (esleros) que de la
Pampa temnér^^o.
lA PIAINK PAMPDENM:. KH
plus étendues abondent dans l'angle Nord-Ouest de la
prairie (province de Santa Fe). Le « monte » riverain du
Salado se continue au Sud de Santa Fe le long du Pa-
rana, jusqu'au point où le bras principal du fleuve vient
toucher la falaise de la rive droite, à San Lorenzo. Là est
le domaine de V « ombu », au tronc épais, aux racines
déchaussées, qu'on retrouve dispersé dans la prairie au
voisinage du Parana jusqu'au Sud de Buenos Aires.
Vers l'Ouest, entre San Luis et l'embouchure du Colo-
rado, le passage de la Pampa au monte se fait progres-
sivement. Comme à Santa Fe, l'apparition des premiers
chanares, dans l'angle Sud-Ouest de la province de
( iOrdoba et sur le versant Sud de la Sierra de la Ventana ,
annonce l'approche du monte. Le monte proprement
dit, d'ailleurs appauvri, envahi par la jarilla et composé
surtout, comme dans le Nord de la Patagonie, de mimo-
sécs naines, couvre la région des sierras pampéennes
sur la rive gauche du Chadi Leuvu et du Colorado.
Entre cette zone et une ligne passant par Rancul, Anguil,
Atreuco et Bernasconi, où commence la prairie nue,
s'étend une zone mixte qu'on peut appeler la zone du
calden. Cette mimosée, proche parente de l'algarrobe et
dont le port dépasse celui des autres végétaux du monte
à cette latitude, forme des bois discontinus dans le Sud
de la province de San Luis et sur les flancs des vallées
parallèles de la Pampa central. Entre ces bois, le
plateau reste généralement couvert par la prairie semée
de taches de chaflares. La ligne de San Rafaël effleure,
à 50 kilomètres à l'Est de Buena Esperanza, l'angle
extrême d'une forêt de caldenes, qui s'étend au Sud-
Ouest et atteint le rio Salado vers 55*30' L. S.; elle
reste au delà de Buena Esperanza dans la prairie, jus-
qu'à la traversée du rio Salado, qui marque ici la limite
du monte; la ligne du rio Negro passe directement de
la prairie à la brousse patagonienne à mi-chemin entre
Bahia Blanca et le Colorado.
A l'intérieur de ces limites, la prairie s'étend sans
Denis. — I. 'Argentine. 11
162 LA RÉPUBLIQUE ARGEXTLNK.
interruption. Les Sierras de la province de Buenos
Aires n'ont pas de végétation arborescente.
La zone de la prairie, intermédiaire entre l'Argentine
tropicale et les régions suddésertiques de l'Ouest et de
la Patagonie, reçoit une hauteur d'eau moyenne; les
pluies diminuent régulièrement du Nord-Est au Sud-
Ouest : elles sont de 1*200 à 1000 millimètres sur le
Parana inférieur, de iOO à 600 millimètres seulement
sur la bordure occidentale de la Pampa. La zone com-
prise entre les courbes de 800 et de 600 millimètres n'a
pas moins de 400 kilomètres de large. Mais ce qui
caractérise le climat pampéen, c'est surtout l'égalité de
la distribution des pluies pendant l'année, et l'absence
d'une saison sèche rigoureuse. Par là, la Pampa s'oppose
aux régions qui l'environnent, aussi bien vers le Sud-
Ouest que vers le Nord. A Buenos Aires, les six mois
de la saison relativement sèche fournissent encore
44 pour 100 des pluies totales; à Bahia Blanca, 40 pour
100. Cette régularité diminue à mesure qu'on s'éloigne
de la côte : à Rosario, les six mois de la saison sèche
ne fournissent plus que 50 pour 100 des pluies de
l'année; à Villa Mercedes (province de San-Luis),
25 pour 100. Si l'on franchit les limites de la prairie,
la proportion des pluies de la saison sèche s'abaisse
rapidement; elle n'est que de 20 pour 100 à Cordoba,
de 18 pour 100 à San Luis. A Cordoba, la courbe des
pluies accuse encore un régime tropical typique, avec
maximum d'été et minimum très profond en hiver. De
Cordoba vers le Sud-Est, à Bell Ville, à Villa Maria,
à Rosario surtout, la sécheresse de l'hiver diminue, en
même temps que se manifeste au milieu de l'été (jan-
vier, février) un minimum secondaire. A Buenos Aires,
l'allure de la courbe s'est complètement transformée.
Le minimum d'été est presque aussi profond que le
minimum d'hiver et les pluies se produisent surtout au
printemps (septembre) et au début de l'automne (mars) '.
1. Ln Mésopotamie argentine, qui est au point de vue climatolo-
LA PLAINH PAMPEENNE. 16ô
Ces nuances du climat pampéen ont Une im})ortance
e^senlicllc pour Tliistoiro de la colonisation et la distri-
bution des cultures. La zone des pluies d'été est la
zone des cultures de maïs, tandis que la culture du blé
exige des pluies de printemps et un été relativement
sec.
Tandis que les courbes isohyètes figurant les précipi-
tations pour l'année entière sont orientées du Nord-
Ouest au Sud-Est, les courbes des pluies pendant la
saison froide, d'avril à septembre (saison sèche du Nard),
coupent obliquement les précédentes et sont dirigées
directement du Nord au Sud. Bahia Blanca reçoit en
hiver autant de pluies que Rosario, et General Acha,
dans le territoire de la Pampa central, autant que Gor-
doba. On ne s'expliquerait pas, sans cette circonstance,
l'extension de la culture du blé, au Sud-Ouest, jusque
vers la courbe de 400 millimètres et même au delà sur la
côte atlantique.
Le relief de la plaine pampéenne est connu avec assez
de précision, grâce aux nivellements exécutés le long
des voies ferrées. Le sol se relève lentement vers l'Ouest.
La courbe de 100 mètres dessine un golfe profond à
500 kilomètres à l'Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires.
La zone comprise entre 100 et 150 mètres d'altitude a
plus de iOO kilomètres de large à la hauteur de Santa
Fe, 200 kilomètres à la latitude de Buenos Aires. Au
delà de la courbe de 150 mètres, le terrain s'élève rapi-
gique un i)rolongement de la région pampéenne, ne connaît pas non
plus, même tians sa partie septentrionale, les saisons sèches rigou-
reuses du Cliaco. En remontant le Parana, de Corrientes vers Posa-
das, comme en allant de Cordoba vers Buenos Aires, on voit s'atté-
nuer le minimum d'hiver et se manifester au printemps un maximum
secondaire. La prédominance des pluies de printemps, qui caracté-
rise le Brésil méridional, s'accentue sur le moyen Uruguay. Sur
rUraguay inférieur, le régime des pluies se rapproche de celm de
Buenos Aires avec maxiraa au printemps et en automne, minimum
principal en hiver et minimum secondaire en été.
164 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
dément vers l'Ouest et le Nord-Ouest pour atteindre
iOO mètres dans la région de Cordoba, 500 dans celle de
Villa Mercedes; c'est à hauteur de la courbe de 150 mè-
tres et de la rupture de pente qu'elle marque que le Rio
Quinto se perd vers la Amarga, au Sud de General Lavalle.
Le seuil entre la Pampa et le bassin du Salado dans le
Sud de la province de San Luis est à l'altitude de
450 mètres. Au Sud de la province de Buenos Aires, les
sierras de Tandil et de la Ventana sont réunies par un
dos de pays qui ne s'abaisse pas au-dessous de 200 mè-
tres. Certaines irrégularités de ;la surface, comme la
fosse de Mar Chiquita à TEst de Cordoba, ou la saillie
du plateau sur la rive droite du Parana, au Sud de Villa
Constitucion et de San Nicolas, paraissent ne pouvoir
s'expliquer autrement que par des mouvements tecto-
niques récents.
Les dépôts pampéens qui couvrent la plaine reposent
sur un socle rocheux dont les sierras de la province de
Buenos Aires et les massifs de Cordoba et de San Luis
représentent les parties saillantes. Ce socle affleure de
nouveau à FEst du bassin pampéen dans Tîlot granitique
de Martin Garcia, au centre de l'estuaire de la Plata, et
dans les mornes de la côte uruguayenne*.
Sous la nappe uniforme des alluvions,la surface de la
plate-forme subpampéenne est très accidentée; son
allure a été révélée par les sondages profonds en quête
de nappes artésiennes. Elle a été gauchie et découpée
par des failles, une partie de ces dislocations étant pro-
bablement contemporaine de la formation des dépôts
pampéens qui les ont masquées à mesure qu'elles se
1. Tandis que clans les Sierras du Colorado inférieur et de la;
Pampa central, dans le Sud de la province de Buenos Aii-es et dans
l'Uruguay, les dépôts pampéens recouvrent directement les forma-
tions cristallines et paléozoïques, elles en sont séparées, sur la bor-
dure orientale de la Sierra de Cordoba, par des grès et des conglo-
mérats rouges, d'âge mal établi, correspondant peut-être aux
grès rouges continentaux de Corrientes qui affleurent à lEst du Pa-
rana, et sont connus depuis d'Orbigny sous le nom de grès gra-^
nitiques.
lA PLA1N1£ PAMPÉENXi:. K'O
produisaient. Un seuil rocheux souterrain prolonge au
Sud la Sierra de Cordoba et la relie aux Sierras du
Colorado. Le granit y affleure à Chamaico sur la ligne
de l'Ouest, tandis que, de part et d'autre, les sondages
ont traversé de grandes épaisseurs de limons et de
sables'. Ce seuil isole la Pampa orientale des plaines
subandines, et marque la limite de la zone qui alimente
ses nappes d'eau souterraines. Dans le Nord de la ré-
gion pampéenne, entre la Sierra de Cordoba et le Pa-
rana, l'épaisseur des formations continentales meubles
est de plus de 600 mètres à Bell Ville, de plus d'un
millier au Nord-Ouest de Santa Fe (forages de San-
Cristobal et dEl Tostado). A Buenos Aires, le granit a
été trouvé à 295 mètres de la surface.
La formation pampéenne est composée presque exclu-
sivement de dépôts meubles, allant du sable au limon
et à des argiles impalpables. Les cailloux roulés man-
quent'. Même au voisinage des Sierras, les bancs de
cailloux roulés ou anguleux sont presque toujours recou-
verts par les limons et ne sont mis à nu que dans les
barrancas des ruisseaux. Olascoaga parle de la surprise
des gauchos de l'armée du général Boca en découvrant
sur le sol des cailloux patagoniens, pendant leur étape
du Colorado à Choele-Choel, au cours de la campagne
du Bio Negro. Officiers et soldats mettaient pied à terre
pour les recueillir. Sables, limons et argiles constituent
une nappe puissante d'alluvions continentales. Les
transgressions maritimes tertiaires, qui ont laissé leur
trace dans les argiles et les calcaires de la rive gauche
du Parana inférieur, et les bancs de coquilles de San
Pedro, sur la rive droite, n'ont jamais pénétré profondé-
1. A Rancul, à l'Est, 200 mètres ^e lôss recouvrant des grès
rouges ; y Telen, à l'Ouest, 600 m. de sables, de marnes, de grès et
de cailloux.
2. Roth assure en avoir trouvé dans la barranca de San-Nicolas sur
le Parana. .l'ai moi-même recueilli de petits silex roulés dans les
argiles du f^haco à Tarlagal. Mais ces dépôts proviennent vraisem-
blablement de la rive gauche du Parana où les nappes de cailloux
fluviatiles sont au contraire largement développées.
100 LA REPUBLIOUE ARGENTINE.
ment dans l'intérieur de la région pampéenne, et on n'en
trouve aucune trace dès qu'on s'éloigne de la côte et du
fleuve.
La provenance des éléments qui composent les allu-
vions pampéennes est très incertaine. Leur composition
ne révèle pas clairement leur origine; les limons sont
relativement riches en calcaires, ce qui semble indiquer
qu'ils ne proviennent pas de l'Amérique tropicale et du
bassin supérieur du Parana. Wright et Fenner' insistent
sur la proportion élevée qu'ils contiennent de verre sili-
ceux d'origine volcanique, qui dénote pendant ou avant
leur formation une intense activité éruptive. Doering
avait déjà signalé dans la région de Cordoba l'impor-
tance des couches de cendres volcaniques qui augmen-
tent d'épaisseur quand on se rapproche de la Sierra. Il
est certain que les sierras pampéennes ont fourni leur
apport à la constitution du pampéen. Mais la masse
principale est probablement d'origine andine; quoi qu'il
en soit, dès qu'on s'éloigne de la lisière des montagnes,
les terrains pampéens n'offrent pas d'autre variété que
celle qu'ils doivent aux conditions mêmes dans lesquelles
ils ont été déposés.
Dépôts fluviaux proprement dits, dépôts d'estuaires,
dépôts lagunaires, dépôts éoliens, dépôts éoliens étalés
par les eaux, dépôts fluviaux remaniés par les vents,
ces types divers sont représentés dans la formation
pampéenne, mais on discute encore sur leur importance
relative \
1. Dans Aies Hrdlicka. Early man in South America. Smithsoniau
Instit., Bull. 52, Washington, 1912.
2. Des tentatives nombreuses ont été faites pour établir une clas-
sification des terrains pampéens; leurs résultats ne peuvent être
considérés comme délinitifs; Ameghino, qui est avant tout un paléon-
tologue, a eu le mérite de montrer l'inanité des divisions géologiques
fondées sur le faciès actuel des dépôts (couleur, finesse, etc.). Mais
la paléontologie elle-même donne des résultats assez incertains,
faute de pouvoir reconnaître et suivre d'un point à l'autre les étages
d'où proviennent les fossiles. Toutes les classifications du pampéen
reposent sur l'examen de deux groupes de coupes; le premier groupe
comprend la falaise de la rive droite du Parana, de Rosario à Buenos
LA PLAINE PAMPÉENNE. 167
Si l'on se borne à l'examen des conditions actuelles
de formation des dépôts, on sera frappé d'abord par
l'indigence du réseau hydrographique de la Pampa. Il
ne présente quelque densité qu'à proximité des sierras,
où la pente du terrain reste forte, et dans la zone orien-
tale, sur la rive droite du Parana et d'Entre Rios, où le
climat est plus humide et le ruissellement plus intense
sur un sol moins perméable. La seule des rivières nées
des sierras pampéennes qui parvienne au Parana est
le rio Tercero ou Carcarana. Toutes les autres s'appau-
vrissent vers l'aval et se perdent dans une zone basse
marquée par des lagunes qu'elles n'atteignent qu'au
moment des crues : les crues elles-mêmesne rétablissent
jamais le contact entre les rios Cuarto et Quinto et
le Salado de Buenos Aires. Les eaux du versant Nord
de la sierra de Tandil et même celles de la sierra de
Curumalal arrivent au contraire, après les pluies, jus-
qu'au Salado, soit par des courants qui drainent les
chapelets de lagunes, soit en nappes d'inondation qui
s'étalent sur de larges espaces.
Les cours d'eau de la plaine ont d'ailleurs un cours
instable; les traces de leurs divagations subsistent sous
la forme de traînées de sables alluviaux étalées au
milieu des limons fins d'origine éolienne. Ces sables
Aires, et la falaise cùtièrc qui lui fait suite, avec une interruption
de la Ensenada à Mar Chiquita. jusqu'à Bahia Blanca. Ameghino y a
reconnu une série puissante de dépôts éoliens, divisés par plusieurs
discordances, et dont les éléments les plus anciens, vers Bahia Blanca,
remontent au miocène. Le deuxième comprend les falaises qui enfer-
ment la vallée du rio Primero en amont et en aval de Cordoba. '
Doering et Bodenbender y décrivent deux étages de lôss éolien
recouverts l'un et l'autre par des cailloutis torrentiels.
De l'étude de ces coupes, les géologues ont tiré des conclusions
sur les mouvements qui ont aflecté le sol de la Pampa ou les varia-
tions qu'y a subies le climat. Ces conclusions n'ont en tout cas
qu'une valeur locale et elles n'ont pas encore été coordonnées. La
majorité des observateurs, de Doering à Bailey Willis et à Rovereto,
semble d'ailleurs ne pas avoir tenu compte suffisamment du fait que,
dans les formations continentales, les faciès les plus dilTérents
peuvent voisiner dans un môme étage, selon le processus particulier
du dépôt, et que leur alternance n'implique pas une transformation
générale des conditions de l'érosion.
168 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
fluvialiles se développent parfois en zones étendues
dont la distribution est liée avec le dessin d'un réseau
hydrographique aujourd'hui partiellement effacé. Les
sables des départements de General Lopez (Sud de la
province de Santa Fe), et General Arenales (province de
Buenos Aires), où le Salado se forme actuellement, sont
vraisemblablement des apports de Rio Cuarto et mar-
quent l'ancien raccord entre le Cuarto et le Salado.
Ces sables se prolongent le long du Salado jusqu'à la
hauteur du confluent du Saladillo, et le contraste entre
ces sols légers et les argiles de la rive du Parana est si
frappant qu'ils ont été considérés longtemps comme un
dépôt marin, marquant un ancien rivage. Le long du
Saladillo, s'étend aussi, au Nord-Est des lagunes de
Guamini, une zone sableuse correspondant à une direc-
tion importante suivie par les eaux courantes, et qui
traverse les départements de Bolivar et de Veinte Cinco
de Mayo.
Si l'action des eaux courantes est limitée, pour le
transport des alluvions, à certains secteurs de la plaine,
celle du vent s'exerce au contraire sur toute sa super-
ficie. Partout, le vent supplée ou relaie les cours d'eau.
Comme les eaux courantes, il classe les éléments qu'il
charrie, et les trie selon leur poids ou leur calibre, les
limons les plus fins étant déposés dans la zone orien-
tale humide, les sables les plus grossiers dans la zone
sud-désertique de l'Ouest. Le mécanisme de lérosion
rend compte de ce contraste ; les grains de sable pousses
par le vent cheminent à la surface du sol, aussi longtemps
que la végétation est trop clairsemée pour les fixer. Si
l'on pénètre plus à l'Est, dans une zone plus humide, à
tapis végétal plus dense; le cheminement des grains de
sable à la surface du sol ne se produit plus, mais le
vent continue à transporter les particules fines de
limon qu'il soulève et qu'il entraîne à forte altitude. Le
dépôt des limons, bien loin de supposer, comme on la
dit quelquefois, un climat aride, correspond à la zo.ie
I,A PLAINK PAMl»KKNNK. il"'-'
des steppes, à pluies moyennes. C'est d'ailleurs pendant
les périodes' sèches que le dépôt de limon est le plus
intense. Darwin signale qu'après la sécheresse de
1827-1830, dans la zone voisine du Parana, les bornes
furent à ce point ensevelies par la poussière qu'on ne
reconnaissait plus les limites des propriétés. Mais, en
dehors de ces sortes de crues et des tempêtes de pous-
sière que soulève le pampéro, l'atmosphère d'été est
manifestement chargée dans l'Est de la province de
Buenos Aires et jusque dans Entre Bios, de poussières
qui colorent le ciel.
Le modelé de la plaine porte, comme le sol, la double
marque de l'érosion des eaux courantes et de l'érosion
éolienne. Les rivières de la Pampa coulent, à leur sortie
des sierras, enfoncées entre de hautes barrancas, dont
l'altitude diminue vers l'aval ; bientôt ces barrancas
s'abaissent, se rapprochent et ne marquent plus que
les berges d'un lit majeur que les crues remplissent.
Aucune trace de vallée : Bailey Willis, surpris par cette
impuissance de cours d'eau qui conserve pourtant
parfois une pente sensible, l'attribue au fait que le
cycle d'érosion ouvert par le dernier soulèvement de la
Pampa n'a pas encore eu le temps de pénétrer vers
l'intérieur. Elle marque, en réalité, que nous touchons
ici à la limite de la zone d'érosion par les eaux courantes,
et que, sous ce climat, le facteur essentiel du modelé
est le vent.
La région de la rive droite du Parana (à l'Est du
Salado), qui offre seule un réseau hydrographique com-
plet, doit être mise à j)art. Elle est découpée, de la hau-
teur de Rosario à celle de Buenos Aires, par des vallées
à fond plat dont la profondeur atteint une trentaine de
mètres. Le creusement de ces vallées a été déterminé
par un soulèvement qui a porté cette partie de la pampa
au-dessus du niveau de base. Les rapides du Carcarafia
inférieur témoignent, eux aussi, de cette reprise du creu-
sement. Ultérieurement, un mouvement inverse a ramené
170 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
le fond des thalwegs au-dessous de ce niveau et en a
déterminé le comblement (dépôts lagunaires du Luja-
nense d'Ameghino). Au Sud de Buenos Aires, le soulè-
vement a été moins important et les vallées sont moins
profondes. Une partie d'entre elles (Salado moyen et ses
affluents de la rive gauche) est occupée aujourd'hui par
des lagunes allongées, aux berges élevées, ramifiées le
long des vallées affluentes et qui doivent leur origine au
même mouvement négatif, postérieur au creusement des
vallées. Le soulèvement ne s'est pas étendu à la partie
orientale de la province de Buenos Aires qui se trouve au
Sud du Salado, zone basse et plate, mal drainée, exposée
aux inondations, et dont le relief a été étudié en détail
pour l'exécution d'un vaste réseau de canaux de drai-
nage. Au Nord de Rosario, sur les argiles peu per-
méables, la circulation des eaux se fait, après les pluies,
non par des thalwegs proprement dits, mais par de
larges dépressions à peine marquées, — canadas, — où
le courant est peu sensible, et qui tarissent à la saison
sèche; leurs relations générales ne sont pas encore
connues.
Les dépôts meubles du pampéen offrent peu de résis-
tance à l'érosion; les cycles y évoluent rapidement, et
les traces des cycles antérieurs y sont fragiles et s'effa-
cent vite'.
Une surface d'érosion ancienne disséquée par les
vallées actuelles s'est pourtant conservée dans la partie
Sud-Ouest de la plaine pampéenne, grâce à la présence
à la surface d'une nappe de calcaire dur, la losca. La
tosca est le résultat de la concentration à la superficie,
1. Certains traits du réseau hydrographique ont manifestement le
caractère d'un réseau surimposé, c'est-à-dire que le ti'acé des cours
d'eau a été légué à la plaine actuelle par d anciennes surfaces d'éro-
sion aujourd'hui disparues sur lesquelles les thalwegs se sont pri-
mitivement établis. C'est ainsi que les vallées, dans la région où
confluent le Colorado et le Chadi-Leuvu, passent indifféremment des
dépôts pampéens aux sierras cristallines, qui ont été autrefois entiè-
rement recouvertes par eux.
LA PLAINE PAMPÉENNE. 171
sous un climat sec, des éléments calcaires contenus
dans le limon : sa l'oimation suppose une longue stabi-
lité de la surface où elle s'est accumulée; comme les
sols profonds de décomposition dans les réj^ions plus
humides, elle marque une pénéplaine sur laquelle l'éro-
sion a fait trêve. La nappe de tosca couvre toute la
région entre la sierra de Tandil et la Ventana, le versant
Sud-Ouest de la Ventana et la plus grande partie du ter-
ritoire de la Pampa central. Elle ne dépasse pas au Nord
la ligne de Buenos Aires à San Rafaël; sa limite orien-
tale passe à peu près par Ingeniero Malmen, Monte
Nievas et Atreuco, d'où elle rejoint à l'Est la rive Sud
des lagunes de Carhue et de Guninini*. La tosca atteint
parfois une épaisseur de plus d'une dizaine de mètres.
La région de la Tosca forme aujourd'hui, à l'Ouest de
la Ventana et dans la Pampa central, un plateau enlaillé
par des vallées étroites dont la profondeur va jusqu'à
60 mètres. Ces vallées parallèles, faiblement ramifiées,
orientées généralement du Sud-Ouest au Nord-Ouest,
débouchent à l'Est dans la plaine pampéenne vers la
limite de la province de Buenos Aires; les plus méri-
dionales, au contraire, naissent au pied de la Ventana
et paraissent confluer au Sud-Ouest avec une dépres-
sion maîtresse encore très mal connue, qui aboutirait
au fond de l'estuaire de Bahia Blanca. Aucune d'elles
n'a d'écoulement permanent". L'origine des vallées
sèches de la zone de la tosca est un des problèmes les
plus obscurs de la morphologie de la plaine pampéenne.
Peut-être, comme pour les fosses qui parsèment plus au
Sud le plateau du Colorado et du Rio Negro, leur for-
mation est-elle due à l'érosion éolienne.
1. Au voisinage de la sierra de San Luis et de Cordoba, les couches
dures désignées sous le nom de tosca sont des bancs de cendres
éruplives.
2. La surface du plateau de la tosca est ponctuée en outre par un
grand nombre de dépressions fermées plus ou moins profondes,
entonnoii s ou - dolines » allongées qui paraissent ne pouvoir s'expli-
quer que comme le résultat de la dissolution du calcaire par les
eaux.
J72 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
L'action du vent sur le modelé se révèle d'une façon
moins contestable par la formation des dunes. Lors-
qu'on dépasse, en partant de Buenos Aires ou de Rosa-
rio, la zone des pampas horizontales, les dunes forment
le premier accident que l'œil perçoive à la surface de
la plaine. Les premières dunes vives se rencontrent à la
Carlota sur la ligne de Rio Guarto, à Lavalle sur la ligne
de Villa Mercedes, à Trenque Lauquen sur la ligne de
Toay. Les dunes s'étendent au Nord jusqu'à la lati-
tude de Mar Chiquita mais ne pénètrent pas dans le
Chaco. A l'Ouest, on les trouve aussi par endroits dans
la brousse, mais leur véritable domaine est la lisière
occidentale de la steppe, la partie supérieure de la
plaine au pied de la sierra de Cordoba, le Sud de
la province de San Luis et la Pampa central.
Une cause accidentelle, qui fait disparaître la couver-
ture végétale, le piétinement du bétail près d'un abreu-
voir ou d'une clôture, suffit à déchaîner l'érosion
éolienne : le vent soulève alors le sable en une sorte de
mer accidentée ; puis la dune prend une forme circulaire ;
une dépression centrale apparaît, et s'approfondit jus-
qu'au niveau moyen de la plaine; elle contient souvent
une lagune. A partir de ce moment, les déformations
sont moins rapides; la végétation envahit de nouveau le
sol et la dune devient la proie des pluies qui réduisent
lentement son relief. Dans la Pampa central, où le relief
est bien marqué, les dunes, au lieu de former des taches
circulaires éparses, s'allongent en traînées parallèles
aux vallées, tantôt au cœur de la vallée, tantôt adossées
à l'un des versants.
Bien à l'Est de la zone des dunes vives, on trouve,
dans le Sud de la province de Cordoba et le centre de
Buenos Aires, des ondulations douces, couvertes de
végétation, au sol plus sableux que celui de la plaine
qui les environne : ce sont des dunes mortes. La
région des dunes mortes est caractérisée par l'extrême
irrégularité du sol superficiel, l'humus, de plus en plus
LA PLAINE PAMPÉENNK. 175
riche et plus profond en règle générale à mesure qu'on
progresse vers l'Est, y étant recouvert par endroits par
des apports éoliens récents.
La répartition des dunes mortes est liée aux traînées
de sables lluviatiles qui traversent la Pampa et qui ont
offert une proie facile aux vents; une ligne de dunes
mortes suit le cours supérieur du Salado dans la région
de Junin et de Bragado. Sur la ligne de Buenos Aires à
San Luis, on la traverse entre Ghacabuco et Vedia,
l)Our retrouver au delà la plaine horizontale, où les dunes
vives n'apparaissent que plus à l'Ouest, à 150 kilomètres
avant Villa Mercedes. Son relief est si apparent sur la
plaine uniforme que les premiers éleveurs qui en utili-
sèrent les pâturages l'appelaient emphatiquement la
« Cerillada ». D'Azara avait reconnu très exactement sa
nature. « Ce n'est pas autre chose » dit-il, « qu'une dune
d'excellent sable fin ». Son altitude ne dépasse pas
quelques mètres. Les dunes mortes des départements
de Bolivar et de Veinte Cinco de Mayo, que Parchappe
a décrites, conservent un relief plus marqué et rappel-
lent parfois par leur disposition les dunes vives circu-
laires environnant une lagune. Les lignes des dunes
côtières de la partie orientale de la province de Buenos
Aires, qui y font obstacle à l'écoulement régulier des
eaux, forment un groupe à part qui doit être nettement
distingué des dunes de la plaine'.
Ainsi l'impression de monotonie que laisse le relief de
1. En dehors des régions de dunes mortes ou vives, un type de
modelé fréquent dans la Pampa est celui d'une plaine parsemée de
lagunes minuscules, généralement circulaires, entre lesquelles se
développe un lacis d'ondulations à peine sensibles. La dénivellation
est souvent si faible qu'elle n'est marquée que par le contraste entre
la végétation des terres basses et des terres hautes. Ce modelé, qui
est notamment celui des environs de Lincoln ou de Nueve de Julio,
résulte de l'action du vent sur une plaine où le niveau de la nappe
d'eau est très voisin de la superficie; ce niveau marque, en effet, une
limite au-dessous de laquelle l'érosion éolienne cesse d'avoir prise,
une sorte de niveau de base. Les variations périodiques du niveau de
la nappe pliiéatique y réduisent ou y agrandissent la superficie
exondée.
174 LA rp:publiole argentine.
la Pampa s'atténue par une observation patiente; les
terres hautes et les terres basses y alternent. Parchappt'
avait déjà noté le contraste entre la zone comprise enti-e
Buenos Aires et le Salado avec ses ondulations légères
et son réseau hydrographique bien développé, les plaines
horizontales de la rive droite du Salado^ semées de
dunes irrégulières et le plateau méridional de la tosca
entre les Sierras de Tandil et de la Ventana.
Il est possible actuellement de distinguer sur l'en-
semble du territoire de la Pampa les régions sui-
vantes :
1** — La partie centrale de la province de Santa Fe
constitue la région dite « des colonies », c'est-à-dire le
domaine des colonies primitives établies il y a deux
générations, et la zone où s'est implanté le type d'exploi-
tation introduit par elles. Les récoltes principales y sont
le blé et le lin. Des haies de sorbiers plantés (paraïsos)
encadrent les champs ; par opposition aux parties de la
Pampa restées entièrement nues, la région des colonies
constitue un véritable bocage. Elle s'étend à l'Ouest
jusqu'au delà de la frontière de la province de Cordoba,
où elle vient toucher entre San Francisco et Mar Chiquita
la lisière du monte. Au Nord, Miatello donne le 30" L.S.
comme la limite normale de la culture du blé, au delà de
laquelle elle souffre à la fois de la réduction des pluies
d'hiver et de l'augmentation des pluies d'été. En fait, les
grandes cultures n'atteignent cette latitude que sur la
ligne de San Francisco à Ceres ; sur la ligne de Resisten-
cia, au Nord de Santa Fe, elles s'interrompent sous
30° 50' L. S. Dans l'intervalle, la limite de la région des
colonies coïncide à peu près avec celle du département de
Castellanossous 30''45'L.S. La zone comprise entre cette
ligne et la lisière Nord de la Pampa est une région d'éle-
vage. Au Sud, la région des colonies s'étend jusqu'à las
Bandurias et Irigoyen.
LA PLAINE PAMPEENxNE. 17:.
2° — Au Sud de la région des Colonies, le plateau de la
rive droite du Parana, à l'Ouest de Rosario cl de San
Nicolas, forme la région du maïs, le corn belt argentin.
La culture du lin y est généralement associée à celle du
maïs. C'est par excellence la terre de labour de l'Argen-
tine. Le sol de limon fin argileux, de teinte rouge sombre,
qui retient l'humidité, les pluies d'été abondantes, sont
éminemment favorables au maïs. Les limites de la région
du maïs dessinent autour de Rosario un arc de cercle
d'un rayon de 100 à 150 kilomètres; elles n'atteignent
pas tout à fait à l'Ouest la frontière de Cordoba, et
laissent en dehors tout l'angle Sud-Ouest de la province
de Santa Fe. La zone du maïs touche le Parana entre
le 02° L.S. et le Baradero. Au Nord, le passage de la
région du maïs à la région des colonies se fait brusque-
ment. Au Sud, au contraire, il existe à la lisière du
cornbelt une zone de transition étendue, où le maïs et
le blé occupent à peu près la même superficie, et qui
s'étend jusqu'au rio Salado de Buenos Aires.
5° — La région des luzernières est beaucoup plus
étendue. Elle comprend tout l'angle Nord-Ouest de la
province de Buenos Aires, depuis le cours du Salado,
dans la région de Junin, jusqu'à la lisière méridionale
des départements de Nueve de Julio et de Pehuajo, et
jusqu'à la hauteur de Guamini. La limite des luzernières
laisse en dehors le territoire de la Pampa central, mais
s'avance à l'Ouest pour englober une partie du dépar-
tement de Pedernera dans la province de San Luis.
Les luzernières s'étendent sur la ligne de San Rafaël
jusqu'à Batavia, et elles touchent en ce point les limites
mêmes de la zone colonisée. La zone des luzernières
comprend, en outre, toute la partie Sud-Est de la pro-
vince de Cordoba, jusqu'à la hauteur de la ligne de
Villa Mercedes à Villa Maria, et la fraction méridionale
de la province de Santa Fe. Dans toute cette zone, la
luzerne couvre de 15 à 25 pour 100 de la superficie
totale. Les conditions nécessaires pour le développe-
170 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
ment des luzernières sont la faible profondeur de la
nappe d'eau souterraine et un sol léger où les racines
pénètrent aisément. La zone orientale des limons argi-
leux est peu propice à la luzerne; la luzerne y résiste
moins longtemps que dans l'Ouest, où, bien ménagée,
elle se conserve quinze ou vingt ans.
La zone des luzernières est avant tout une grande
zone d'élevage de bêtes à cornes, le pâturage dlf
mouton étant nuisible à la luzerne. Elle est loin,
d'ailleurs, d'ofTrir l'uniformité des régions précédentes.
Au Sud-Est, dans la province de Buenos Aires, la for-
mation des luzernières a été entreprise à une date où
la colonisation agricole était déjà commencée. On y
trouve donc juxtaposés deux types distincts d'exploita-
tion; la culture du maïs y pénètre au Sud-Ouest, en
dépit de conditions de climat relativement peu favo-
rables, jusque dans la région de Trenque Lauquen et de
Guamini. Le centre de la zone des luzernières, au Sud
de la province de Cordoba, est lui aussi une grande zone
agricole, mais l'agriculture y est directement liée à la
création des luzernières. Elle est confiée, en effet, à des
colons qui cultivent la terre 4 ou 5 ans, et, à la fin de
leur bail, la restituent aux propriétaires, ensemencée
en luzerne. Les récoltes consistent à peu près exclusive-
ment en blé et en lin. Enfin, dans l'Ouest (province de
San Luis et extrême Sud-Ouest de la province de
Cordoba), le sol est de plus en plus sableux et le climat
de plus en plus sec. Un seul labour suffit à détruire la
végétation naturelle et à faire place nette pour la
luzerne; les luzernières ont été créées, sans l'intervention
de colons, par les éleveurs eux-mêmes qui sont les
seuls maîtres de la région.
4° — Au delà des luzernières, au point où la plaine se
relève vers les sierras de San Luis et de Cordoba, la
nappe d'eau phréatique s'éloigne de la superficie; cette
zone du pied des sierras, impropre à la luzerne, et dont
le sol est relativement riche en humus, a été occupée par
lA i'I.VINE l'AMPÉENNE. 177
la colonisation agricole. Les cultures de blé s'étendent,
dans la province de San I.uis, jusqu'à Fraga età Naschol,
dans la fosse de Conlara; les cuUures de maïs, à Oncai-
tivo,dans la province deCordoba, entre les rios Tercero
et Secundo, oij les pluies d'été sont plus abondantes.
Cette zone dispose, grâce au voisinage de la montagne,
de ressources en eaux pour l'irrigation qui entretiennent
de petits centres de cultures riches.
5" — Le Sud de la province de Buenos Aires et la
Pampa central forment la zone du blé. La nappe de
tosca, qui suit le sol à une faible profondeur, ne nuit au
blé que dans les années très sèches. Les vallées où
la tosca s'interrompt et les dunes où le sol est profond
sont précieusement utilisées pour former des luzernières
dont l'étendue est toujours limitée. La culture du blé
paraît avoir atteint, aujourd'hui, aussi bien dans cette
zone que dans la précédente, sa limite définitive, la sé-
cheresse rendant peu probable une nouvelle extension
vers l'Ouest.
6" — Enfin, l'Est de la province de Buenos Aires, dont
la petite ville de Dolores marque approximativement le
centre, est la seule partie de la plaine pampéenne où la
colonisation agricole n'ait pas pénétré. Les terres y
sont basses et mal drainées. La végétation n'y a pas
subi d'autre transformation que l'amélioration progres-
sive qui est due au piétinement et au séjour prolongé du
bétail. Cette région pastorale est nettement limitée au
Sud par la sierra de Tandil. Au Nord, elle se continue
par la zone plus accidentée comprise entre Buenos
Aires et le cours inférieur du Salado, où ralternance
des pâturages d'hiver sur les terres sèches, et des pâtu-
rages d'été dans les vallées, favorise des méthodes d'éle-
vage plus perfectionnées, et a localisé l'industrie lai-
tière.
Dans la province d'Entre Rios, la limite des grandes
cuUures de blé et de lin est marquée par le 52° L. S.
La fraction d'Entre Rios qui s'étend au Nord du 52" et
Dems. — l,"Argeriti:!e. 1-2
lis LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
la province de Corrientes ne se rattachent plus à propre-
ment parler à la région pampéenne.
L'élevage extensif a été la première forme de la colo-
nisation blanche dans la Pampa, Le mot d'élevage n'est
pas à la vérité parfaitement propre pour caractériser
une industrie qui tient surtout de la chasse et qui se
distingue nettement de Télevage plus attentif et plus
perfectionné pratiqué à la même époque dans les pro-
vinces du Nord.
« La véritable richesse de la province de Buenos
Aires, » dit le Dean Funes, « était et sera toujours le
commerce des peaux » (la pelleteria)*. Une bonne part
des peaux exportées provenait de la chasse des bœufs et
des chevaux sauvages qui s'étaient multipliés sur le
territoire de la Pampa au delà du rio Salado*. C'est sur-
tout après 1778, lorsque le commerce eut été autorisé
avec l'Espagne et que la demande des cuirs grandit,
que la chasse de ces réserves de bétail sans maître fut
pratiquée activement : 2000 Espagnols de Buenos
Aires, de Santa Fe, de Mendoza, chassaient tous les
jours, dit Azara, égorgeant, outre les animaux qu'ils
dépouillaient, une bête pour chacun de leurs repas.
De 1775 à la Révolution, le Gouvernement espagnol se
montre constamment préoccupé de régler et de modérer
le massacre des troupeaux. Il établit des peines contre
toute personne vendant des cuirs qui ne portent pas sa
1. Ensayo de la historia civil del Paraguay, Buenos Aires y Tucuman,
5 volumes in-16, Buenos Aires, 1816, t. III, p. 2U.
2. On a souvent exagéré le nombre des animaux marrons et l'éten-
due de la zone où ils s'étaient répandus. Il ne semble pas qu'ils
aient jamais recouvert toute la superficie de la plaine pampéenne.
Un saulnier qui traversa en 1755 la Patagonie et la Pampa tout
entière (voyage du San Martin au port de San Julian. Coll. de Angelis,
t. V), ne rencontra de troupeaux sauvages qu'à proximité de la fron-
tière du Salado et reconnut à cet indice le voisinage des estancias.
Au début du xix'^ siècle, les bœufs marrons avaient disparu sur la
rive droite du Parana; il en restait quelques-uns dans Entre Kios.
LA PIAINK PAMPÉENNE. 179
marque; il afferme le droil de chasser les animaux sans
marque; il organise la destruction des chiens sau-
vages, etc. Les estancias se développèrent à l'abri de
cette législation. Cependant, la Révolution ne marque
pas le terme des chasses au bétail. D'Orbigny assiste
en 1828 à des chasses aux chevaux sauvages (baguales)
dans Entre Bios. Longtemps encore le gaucho argentin
conservera les mœurs d'un chasseur plutôt que d'un
éleveur proprement dit : témoin les soldats d' Urquiza,
qui, dit Demersay, pendant la campagne de Corrientes
de 1846, lorsqu'ils ne trouvaient pas d'arbres pour atta-
cher leurs montures, égorgeaient des bœufs, aux cornes
desquels ils nouaient les longes.
Si l'on passe de la zone de la chasse à la zone des
estancias, on constate que le travail de l'éleveur y con-
siste avant tout à empêcher son troupeau de devenir
sauvage. « Les estancias de ce pays, dit le Dean Funes,
étant établies sur des plaines immenses, oi!i il n'était pas
facile de contenir les troupeaux à l'intérieur de limites
fixes, il arrivait que les bœufs, en quête d'eau ou de pâtu-
rage, se dispersaient à d'énormes distances et finissaient
par être considérés comme sauvages et sans maîtres. »
Azara, voulant indiquer la supériorité des estancias du
Paraguay sur celles de Buenos Aires, se borne à dire
que les bœufs y sont plus apprivoisés « mansos ». Au
bétail sauvage « alzado » s'oppose le bétail « de rodeo »,
c'est-à-dire le bétail qu'on rassemble périodiquement
par des battues au centre de l'estancia pour l'accou-
tumer au pâturage où il doit vivre (aquerenciar). C'est
la difficulté d'éviter la dispersion du troupeau qui donne
leur prix aux « rincones » de Corrientes entourés de
zones inondées, et dans lesquels les bœufs sont captifs.
Les descriptions que Mac Kann a données de la vie
pastorale dans la province de Buenos Aires au milieu
du XIX* siècle, donnent une impression très nette de ce
régime de transition entre l'exploitation du croît naturel
d'un troupeau qui se multiplie en dehors de toute inter-
JSO LA RÉPUBLIQli- ARGENTINE.
venlion humaine et l'élevage proprement dit. La valeur
d'un cheval y représente presque uniquement le prix de
son dressage : l'éleveur ne voit pas sans inquiétude son
troupeau s'accroître, redoutant de ne plus avoir les
moyens de le domestiquer. Parmi les dangers qui
menaçaient la fragile discipline des troupeaux, les plus
redoutables étaient les sécheresses. Celle de 1827 fut un
désastre; les animaux quittèrent en masse leurs estan-
cias pour s'éloigner vers le Sud où ils se mêlèrent \
Les révolutions et les guerres interrompent la domes-
tication du bétail. iGalvez*, arrivant de la province de
1. Le problème de l'eau n'a pas dans la région pampéenne la même
importance essentielle pour l'histoire de la colonisation que dans la
région septentrionale. L'élevage primitif était réduit, pour abreuver
les troupeaux, aux points d'eau naturels, lagunes ou ruisseaux, et à
des puits peu profonds, jagueles, ouverts jusqu'à la nappe superfi-
cielle, qui est le plus souvent peu profonde, mais exposée à tarir. A
mesure que la colonisation progressa, l'éleveur, et après lui l'agri-
culteur, furent mieux outillés pour le forage des puits et cessèrent
de redouter la sécheresse. On descendit jusqu'aux nappes profondes,
semi-artésiennes (région de Buenos Aires) ou artésiennes (Ouest de
la province de Santa Fe autour de San Francisco). Ailleurs, au con-
traire, on sut utiliser des nappes superficielles, plus douces que les
nappes profondes, en adai>tant aux puits des types nouveaux de
filtres (région de Buena Esperanza). Les deux seules régions où la
recherche de l'eau ait présenté des difficultés sont l'angle Sud-Ouest
de la région pampéenne et l'extrémité septentrionale de la prairie
dans la province de Santa Fe. Les nappes y sont très irrégulières,
et souvent salées, et il a fallu longtemps pour que les estancias
finissent par avoir leurs besoins en eau assurés.
Un trait remarquable est l'importance des dunes dans la distribu-
tion des nappes d'eau souterraines; les eaux de pluies s'accumulent
dans les dunes et s'écoulent lentement du sable dans le sous-sol; le
niveau de la nappe souterraine dans le limon sur lequel la dune
repose est toujours plus proche de la surface au voisinage de la
dune. La dune elle-même a souvent une végétation plus verte que
les terrains qui l'environnent. Rien n'est plus surprenant que de
découvrir à « Medanos » (Ouest de Bahia Blanca), au centre d'une
plaine d'aspect aride, les cultures de luzerne et les vergers logés
dans les creux de dunes encore vives. Dans toute la province de
Buenos Aires, le voisinage de dunes mortes, en raison de ses res-
sources en eau, est un site favorable d'habitation. D'Azara signale
les nombreux points d'eau qui jalonnent le pied de la ligne des
dunes mortes de la Cerillada. Alentour blanchissaient les os des
baguales. Dans les vallées de la Pampa central, où la nappe d'eau
au centre de la vallée est souvent salée, les eaux souterraines s'amé-
liorent régulièrement quand on se rapproche des lignes de dunes.
2. V. Galvez, Memorio.s de un viejo. Buenos Aires, 5 vol. in 16, 4' édi-
cion, 1889.
LA PLAINK PAMPftENNE. 18!
Cordoba à Buenos Aires, à la fin du Gouvernement de
Rosas, est frappé par l'état où il trouve les estancias.
Beaucoup d'entre elles avaient été confisquées, ou les
maîtres avaient été exilés : On n'y « marquait » plus ;
les bœufs étaient devenus de véritables bêtes sauvages.
La période des troubles de l'émancipation fut beaucoup
moins néfaste pour les éleveurs de Buenos Aires que
pour ceux d'Entre Bios. Le troupeau d'Entre Bios fut à
peu près complètement anéanti pendant la Révolution,
et une partie des estancieros de la rive gauche se trans-
portèrent sur la rive droite du Parana. Après 1823, la
richesse pastorale d'Entre Bios fut brusquement rétablie
grAce à dos razzias exécutées sur le territoire brésilien.
Elles étaient si fructueuses que la population entière y
prenait part. En 1827, les habitants de la Bajada y
allaient en si grand nombre que la ville était à moitié
déserte. Chaque jour, des milliers de bœufs étaient ras-
semblés sur la rive de l'Uruguay et franchissaient le
fleuve; une partie de ces troupeaux était même menée
au delà du Parana dans la province de Santa Fe.
Woodbine Parish (1859) confirme ce rapide repeuple-
ment d'Entre Bios dont d'Orbigny a été le témoin. Cette
période de prospérité fut de courte durée. La guerre
avec l'Uruguay sous Bosas ruine de nouveau les estan-
cias d'Entre Bios; la sécheresse de 1846 contribue à
disperser les troupeaux qui restaient. L'élevage extensif
est faiblement enraciné au sol; les centres principaux
de production se déplacent, au hasard des circon-
stances politiques, d'une zone à l'autre de la plaine pam-
péenne.
L'élevage primitif offre peu d'exemples de migrations
périodiques pour assurer une meilleure utilisation du
pâturage. En 1822, le colonel Garcia, pendant son
voyage entre les sierras de Tandil et de la Ventana,
observe que les Indiens gardaient leurs juments pendant
l'hiver autour des lagunes temporaires de la plaine et
se rapprochaient en été des ruisseaux de la montagne.
182 LA RÉPUBLIQUE ARGEiNThXE.
Des mouvements de transhumance de ce genre étaient
difficiles pour les estancieros créoles, dont les trou-
peaux, trop nombreux, étaient peu maniables. Pour-
tant les éleveurs de Chascomus menaient, à la fin du
xviii^ siècle, leurs bœufs dans les terres basses des rives
du Salado, pendant la saison sèche'. Garcia^ signale de
même l'importance des pâturages du Salado pour les
estancias du Salto, d'Areco et de Lujan. La nécessité
de déplacer les troupeaux à la saison sèche, et de trouver
des « invernadas » à portée des anciennnes estancias,
résultait de la transformation subie dans la Pampa
orientale par la végétation naturelle et de l'extension
du « pasto dulce «. Les herbes annuelles qui composent
le pasto dulce meurent en effet et disparaissent après
avoir fructifié ; elles laissent, jusqu'aux pluies d'au-
tomne, le sol entièrement nu et dépouillé, tandis que
les graminées vivaces du pasto duro fournissaient un
fourrage maigre mais permanent.
Les premiers perfectionnements de l'industrie pasto-
rale dans la Pampa sont liés au développement de l'éle-
vage du mouton. Les exportations de laine débutent
vers 1840 et elles progressent rapidement à partir
de 1855 (17 000 tonnes en 1860, 65000 tonnes en 1870).
De 1850 jusque vers 1890, le rendement économique de
l'élevage des moutons resta très supérieur à celui de
l'élevage des bœufs. Pendant toute cette période, la
multiplication des bergeries n'est limitée que par les
ressources en main-d'œuvre. Les premiers bergers ont
été des Basques, dans le Sud de la province de Buenos
Aires, et des Irlandais dans le Nord. Le propriétaire les
i. Diario de un reconocimiento de las guardias y fortines que guarne- ;
cen la linea de frontera de Buenos Aires (l"96), por D. Félix de Azara.
Coll. de Angelis, VL
2. Nuevo plan de fronteras de la Provincia de Buenos Aires por cl
Colonel Garcia {\S16). Coll. de Angelis, VI.
LA PLAINH PAMPEENNE. 1S5
établit comme métayers dans les « puestos », sur la
bordure de l'estancia, dont le centre reste consacré au
gros bétail. Ils peuvent ainsi, en surveillant leurs mou-
tons, faire respecter les limites du domaine et empê-
cher les bœufs de les franchir.
La laine resta longtemps le seul produit de l'élevage
du mouton. A partir de 1866, on songea à utiliser éga-
lement les peaux et le suif. Le matériel des graisseries
étant peu coûteux, elles se multiplièrent dans toute la
zone du mouton; beaucoup d'estancias eurent la leur.
De 1867 à 1877, les saladeros établis depuis longtemps
pour abattre les bœufs entreprirent en grand l'abatage
des moutons. Le nombre des moutons vendus aux sala-
deros s'éleva jusqu'à 5 000 000 par an. En 1880 furent
faites les premières expéditions de viande de mouton
frigorifiée. Tandis que la création des graisseries n'avait
pas eu d'influence sur l'élevage, l'établissement des fri-
gorifiques provoqua une rapide transformation du trou-
peau. La race Lincoln, plus lourde et d'un meilleur
rendement en viande, élimina la race mérinos à laine
fine. La substitution des Lincoln aux mérinos est aujour-
d'hui achevée dans toute la région pampéenne.
Jusqu'en 1880, l'élevage du mouton était concentré à
l'Est du Salado, au Nord et au Sud de Buenos Aires, à
partir d'une ligne passant par Quilmes, San Vicente,
Pilar et Campana, qui marque les limites de la zone
suburbaine. En outre, il s'était propagé sur la rive droite
du Salado inférieur, jusqu'au pied de la sierra deTandil,
dans une zone où les premiers postes datent de 1825,
mais dont le peuplement ne progressa rapidement
qu'après 1855. Vers 1880, commence, après la pacifica-
tion de la Pampa, l'expansion des bergeries vers l'Ouest.
Alors apparaissent sur le marché de Buenos Aires les
laines de pasto fuerte : elles proviennent de la région
d'Azul en 1870; dOlavarria, en 1880; de Bolivar, en 1885;
de Villegas, en 1890. Le recensement de 1889 attribue
à la province de Buenos Aires 51 000 000 de mouton.?.
184 I.A RÉPLBÎ.ÎOUE AUGENTINE.
Celui de 1895 donne un chiffre identique (52 000 000).
Une comparaison détaillée des deux recensements
montre que le mouvement d'expansion vers l'Ouest
s'est continué et achevé pendant cette période. Le trou-
peau de la zone Nord-Ouest de la province (Lincoln-
Villegas-Trcnque-Lauquen) a plus que doublé; celui de
la zone Sud-Ouest (Alsina-Puan-BahiaBlanca-Villarino)
a continué à s'accroître et a augmenté d'un tiers. Celui
du territoire de la Pampa central a triplé. En revanche,
dans les départements au Nord et au Sud de la sierra de
Tandil, où la colonisation est plus ancienne, l'élevage
du mouton est'stationnaire. Les zones du Nord-Est et
du Sud-Est, entre le Parana et le Salado, ont perdu, l'une
le cinquième, l'autre la moitié de leur troupeau.
A partir de 1895, l'effectif du troupeau de moutons de
la plaine pampéenne diminue rapidement. Le nombre
des moutons descend de 54 000 000 en 1908 à 18 000000
en 1915 pour la province de Buenos Aires; de 2800 000
en 1908 à 2 500 000 en 1914 pour la Pampa central. La
réduction est générale et se manifeste dans toutes les
régions; mais elle n'est pas partout aussi forte et elle ne
se produit pas partout à la même date. L'élevage du
mouton a disparu à peu près complètement de la zone
orientale, à l'Est du Salado, qui avait été son berceau.
Au Sud de Buenos Aires, le mouton recule devant l'éle-
vage des bêtes à cornes, et il est déjà à peu près éliminé
en 1908. Au Nord de Buenos Aires, il résiste plus long-
temps, mais la réduction du troupeau n'en est que plus
rapide depuis 1908 ; elle correspond au progrès des cul-
tures de maïs. En 6 ans, les départements de Bartolome
Mitre et de Pergamino ont perdu les 4/5 et les 5/6 de
leurs moutons. Dans le Nord-Ouest de la province de
Buenos Aires, le recul du mouton commence dès le
début de la création des luzernières, vers 1900; il a con-
tinué depuis sans arrêt ; le troupeau actuel représente
environ 1/4 du troupeau de 1895. Dans le Sud-Ouest
(zone des cultures de blé) la diminution est rapide
i
LA PLAlMi PAMPÉENxMi:. 18;-)
avant 1008, mais elle paraît s'être à peu près arrêtée
depuis, grâce à l'association de l'élevage du mouton
avec la culture du blé et de l'avoine. Le troupeau actuel
représente environ la moitié du troupeau de 1895. Enfin,
dans la zone au Nord de la Sierra de Tandil, le mouton
recule comme plus au Nord devant l'élevage du bœuf,
mais son élimination est moins complète que dans la
zone des luzernières, et le troupeau représente encore
en 1915 les 2/5 environ du troupeau qui existait vingt ans
plus tôt.
Dans la province d'Entre Rios et le Sud de Gor-
rientes, le nombre des moutons a continué à s'élever
jusqu'en 1908, mais l'augmentation porte seulement sur
les départements du Nord, en dehors de la zone agri-
cole, tandis que les départements du Sud, gros produc-
teurs de bléetde lin, ont perdu, entre 1895 et 1908, 1/3 de
leur troupeau.
L'élevage des bœufs souffrit longtemps de la diffi-
culté à écouler ses produits; les cuirs seuls trouvaient
facilement preneur. La fabrication et l'exportation de
viande salée date du xv!!!*" siècle, et c'est pour l'appro-
visionner que sont organisées les expéditions aux
salines de la Pampa et les voyages des saulniers à la
côte de Patagonie. De 1792 à 1796, on expédia du rio de
la Plata à la Havane 59 000 quintaux de viande sèche.
Mais le marché de la viande salée, tasajo, fut toujours
restreint. Il comprenait seulement les Antilles et le
Brésil, et les saladeros n'utilisèrent jamais complète-
ment la capacité de production en viande du troupeau
argentin. La crise des Saladeros est antérieure à la date
où commença pour eux la concurrence des frigorifiques.
Dès 1889, il n'en restait plus que trois dans la province
(le Buenos Aires.
Bien que le prix du bétail fût très peu rémunérateur et
n'incitât pas à perfectionner l'élevage, bien que le Sala-
dero fût peu exigeant, demandant seulement des ani-
maux en bon point, l'amélioration du troupeau et l'in-
186 LA REPUBLIQUE ARGENTINE. 1
Iroduction de reproducteurs de race sélectionnée avaieii
été entreprises vers le milieu du xix* siècle. Les laitier
basques établis dans la zone voisine de Buenos Aire
vendaient aux estancias des veaux de race, qui y étaien'
utilisés comme reproducteurs*. Vers 1880, les progrè:
de l'élevage du mouton refoulaient peu à peu les estanh
cias de bêtes à cornes et leur mesuraient de plus en pluî
étroitement l'espace, à l'intérieur de l'ancienne frontière
indienne. L'étroitesse du marché des bœufs, et leur
faible valeur marchande furent des circonstances émi-
nemment favorables à l'occupation des terres nouvelles
qu'ouvrit à cette date la soumission des Indiens. Les
troupeaux qui ne trouvaient pas acheteurs furent envoyés
vers les campos de afuera ; l'expansion des estancias se
fit avec une extrême rapidité. Daireaux a dépeint avec
beaucoup de précision cette ère de colonisation pasto-
rale et l'exode des convois destinés à peupler l'Ouest de
la Pampa. Les bœufs y devancent partout le mouton de
plusieurs années. En fait, le bœuf est considéré par les
éleveurs comme sans valeur propre; il n'est qu'un auxi-
liaire chargé d'améliorer le pâturage et de préparer le
terrain au mouton. Il est lui-même précédé par les
troupes de chevaux à demi sauvages qui prennent pos-
session les premiers ducampo vierge, et en commencent
la transformation.
L'effectif du troupeau de bœufs s'élève rapidement.
•!. C'est, sous une forme très spéciale, un premier exemple de la
spécialisation d'un des cantons de la région pampéenne dans l'in-
dustrie de l'élevage proprement dit (production d'élèves).
Pl. III. -^ L'ÉLEVAGE DES BŒUFS.
La densité du troupeau est très f;iible dans Ja zone du maïs; elle est trc.<
élevée dans le Cenfre et l'Est de la région pampéenne. qui approvisionne les fri-
gorifiques d'animaux de race sélectionnée et de poids élevé. La densité est très
forte aussi dans le Nord de la Mésopotamie, mais le bétail y est de valeur moin-
dre, et il est consommé par les saladeros de l'Uruguay. La présence du tique, qui
inocule aux "bœufs la fièvre du Texas, est le principal obstacle à la transforma-
tion du troupeau dans le Nord de l'Argentine.
Denis. — L'Argentine.
Pl. m
65° Long W P.
j ' .j 60 à 90 bêtes j cornes au Km . carré
lllï] à0à53 o"-
■ ' î ' P 20 à 3S . </'
moins de20 d°
Colon fhints ou existent des sa/ac/eros
La Plata Points du existent des FngoriPiques
a Bains désinfectants pub/ics pour la
destruction des tiques
65° Lonq.W 6r
I.A PLA1N1-: IWMPEEN.NE. 187
En 1875, il est évalué à 5000000 de têtes pour la province
de Buenos Aires. Il est de 8 millions et demi en 1889.
Depuis cette date, les variations ont été relativement
modérées. Le recensement de 1895 donne 7 700000 têtes;
celui de 1908, 10500000; celui de 1914, 9000000; celui
de 1915, 11 500000'. Mais la valeur de ce troupeau a con-
tinué à s'élever rapidement. Les exportations de viande
sur pied, qui durèrent de 1889 à 1900, marquèrent le début
delà hausse du bétail. Elle s'accentua surtout du jour
où les frigorifiques cessèrent d'abattre exclusivement
des moutons et commencèrent à acheter des bœufs. Les
exportations de viande de bœuf congelée ou refroidie se
développent à partir de 1898. Leur valeur s'élève à
10000000 de piastres or en 1904, au double en 1909, à
près du quadruple en 1914.
La différence entre le prix payé par les frigorifiques
pour les bêtes de race et le prix des animaux de sang
créole, que consomme seulement le marché local, pré-
cipite la transformation du troupeau. Pour surveiller la
reproduction et ménager le pâturage, les estancias mul-
tiplient les clôtures de fil de fer. Mais les conditions de
l'élevage sont surtout modifiées par l'introduction des
cultures de luzerne. La luzerne se répand à partir de
1895 dans le Sud de Cordoba et à l'Ouest de la province
de Buenos Aires, et à partir de 1905 dans une partie
de la province de San Luis. De petites luzernières exis-
taient déjà depuis longtemps dans la province de Buenos
Aires. Une description de la fin du xviii" siècle signale,
autour de la ville, des luzernières qui étaient réservées
à l'entretien des bœufs d'attelage et des bêtes de somme*.
1. Les variations du troupeau sont moins sensibles pour la région
pampéenne que pour l'ensemble du territoire argentin. Elle est en
elTet mieux pourvue de capitaux que les autres zones d'élevage, et
répare rapidement les pertes causées par une exportation excessive,
en achetant du bétail dans les provinces voisines.
2. Fernando Borrevo, Descnpcion de las provmcias ciel Rio delà PlaUi.
Publié par le Ministère des Affaires étrangères de la République
Argentine, Buenos Aires, 1911.
188 LA RÉPUBLIOl E ARGENTINE.
Mais la zone d'où partit, à la fin du xix^ siècle, la culture
de la luzerne est la région de la province de Cordoba,
que traverse la voie ferrée de Rosario à Cordoba, ache-
vée dès 4870,versBeîIvilleet Villa Maria. Lesluzernières
n'y furent pas créées par des éleveurs et la luzerne y fut
destinée primitivement à être exportée à l'état de four-
rage sec vers Rosario et Buenos Aires; le commerce du
fourrage sec y est resté actif; le recensement de 1908
donne 4 '28 kilomètres carrés de luzerne pour la coupe
dans le département de Tercero Abajo (Villa Maria), et
267 kilomètres carrés dans le département de Union
(Bellville)'.
La luzerne se propagea de ce point vers le Sud et le
Sud-Ouest; l'amélioration du' troupeau a progressé de
pair avec elle. J'ai indiqué ailleurs comment cette amé-
lioration était entravée, au Nord d'une ligne qui suit le
cours du Parana, la frontière Nord des départements de
Constitucion et de General Lopez, dans la province
de Santa Fe et le rio Cuarto, dans la province de
Cordoba, par la présence de la garrapate, qui inocule au
bétail une maladie redoutable, la fièvre du Texas. Le
bétail créole est immunisé contre la piqûre de la garra-
pate, mais les bœufs de race sélectionnée y succombent
rapidement. Pour protéger la zone méridionale indemne
où la garrapate ne se reproduit pas, le Gouvernement
argentin soumet à une stricte réglementation les trans-
ports de bétail du Nord vers le Sud, et les bœufs doivent
subir des bains désinfectants aux stations qui jalonnent
la ligne frontière. Elle coupe en deux l'Argentine pasto-
rale. Tandis que les bœufs durham du Sud sont destinés
aux frigorifiques, les bœufs créoles du Nord continuent
à alimenter les saladeros, qui ont disparu à Buenos
1. Parmi les industries spécialisées liées au développement des
luzernières, il faut signaler la culture de la luzerne pour la semence,
qui s'est cantonnée dans les zones sèches, où la luzerne est moins
envahie par d'autres espèces; par exemple, la région de Medanos, à
l'Ouest de Bahia Blanca.
LA P1AIM-: PAMPKKNM:. 189
Aires, mais se mainlicnnenl sur l'Uruguay. Pourlanl, les
avantages du croisement avec les races européennes
sont tels que les éleveurs du Nord, en dépit de tous les
risques et de tous les frais, n'ont pas renoncé à le réaliser.
Mais la transformation du troupeau ne peut être que
très lente. Les reproducteurs de race sonl amenés du
Sud et tenus à létable; leurs produits, nés sur place,
résistent mieux à la fièvre du Texas et peuvent être mis
au pâturage. Les progrès ont été plus marqués dans la
zone contaminée sur la rive droite du Parana que dans
Entre Rios et Corrientes : des animaux de race ont été
introduits à Santa Fe, non seulement dans la région des
colonies, mais plus au Nord, dans l'angle Nord extrême
delà Pampa (département de San Cristobal) colonisé par
desestancieros venus du Nord de Buenos Aires et du Sud
de Santa Fe, et chassés par les progrès de la culture du
maïs. Ils ont importé là, sur des terres neuves, la culture
de la luzerne et les méthodes appliquées sur leurs anciens
domaines. A Corrientes, au contraire, l'élevage est une
industrie historique ; le personnel des estancias est
autochtone; les traditions pastorales n'ont pas été renou-
velées.
Si l'on recherche les variations qu'a subies, dans les
différentes fractions de la Pampa, l'effectif du troupeau
de bœufs, en comparant les résultats des derniers recen-
sements, on constatera que le nombre des bœufs s'est
élevé rapidement, à partir de 1895, dans toute la
zone orientale, au Nord de la Sierra de Tandil.
L'augmentation est surtout notable au Nord du Rio
Salado, dans le domaine de l'industrie laitière. (Densité
moyenne en 1915, 40 à 00 bêtes à cornes par kilomètre
carré.) Dans la région du Sud-Ouest (zone du blé), la
densité est toujours restée faible (12 par kilomètre carré)
et elle ne tend pas à s'accroître. Dans la région Nord-
Ouest de Buenos Aires (zone des luzernières), l'accrois-
sement est rapide et se manifeste surtout entre 1895 et
1908 (création des luzernières), mais il ne s'est pas inler-
190 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
rompu depuis (densité 50 au kilomètre carré). Le même
accroissement s'observe dans tout le reste de la région
des luzernières sur le territoire de Cordoba, de San Luis
et de San la Fe,oîi le troupeau double entre 1895 et 1908.
Deux régions seulement ont subi une réduction : la
région agricole du centre (Ghacabuco, Cliivilcoy), où la
diminution se marque à partir de 1895, et la région du
maïs (Nord de Buenos Aires) où l'élevage du bœuf n'a
reculé qu'après 1908.
L'agriculture avait commencé à se développer dès
la fin du xviii" siècle, aux environs de Buenos Aires.
Azara, tout en constatant la prédominance écrasante de
l'élevage, signale que la rive droite du Parana exportait
des farines sur la rive orientale, exclusivement pastorale.
Borrero observe de même qu'entre la zone des vergers et
des luzernes, large d'une lieue, qui entourait Buenos
Aires, et la zone des estancias qui ne commençait qu'à
6 ou 8 lieues, s'étendait une zone agricole, la région des
(' chacras de pan llevar ». La culture principale était le
blé, et les labours étaient pratiqués surtout dans les
terres riches en humus du fond des vallées, qui portent
dans le langage local le nom de canadas (canada de
Moron, canada du rio Lujan).
Ce n'est pourtant pas à Buenos Aires, mais dans la
province de Santa Fe, que débuta au xix" siècle la coloni-
sation aorricole moderne. Elle remonte à la fondation
— en 1854 — de la colonie d'Esperanza à l'Ouest de
Santa Fe, dont elle était séparée par la bande de forêt
qui suit le Salado. Des immigrants Européens, Suisses,
Français, Piémontais y furent fixés. Les premières
années de la colonisation à Santa Fe furent difficiles, et
les colonies ne commencèrent à se développer rapide-
ment qu'après 1870. Vers cette date, on peut distinguer
à Santa Fe trois noyaux de colonisation agricole : le
premier groupe de colonies est établi au Nord sur la
l.A PLAINE PAMPÉENNE. 191
rive du Parana. Au centre, le groupe d'Esperanza s'étend
progressivement vers l'Ouest; enfin, un troisième groupe
de colonies jalonne la ligne du chemin de fer central
argentin de Rosario à Cordoba.
Les colons de l'Esperanza avaient récolté du maïs au
début; mais la prospérité des colonies fut liée à la cul-
ture du blé. Zeballos, qui visite les colonies en 1882, les
dépeint comme un immense lac de blé. Le blé ne domine
pas seulement dans le département de Las Co-lonias, à
l'Ouest de Santa Fe, où il sest toujours maintenu, mais,
au Nord, à Garay, où il a été éliminé depuis par le lin et
l'arachide, et au Sud, autour de Rosario, dans la zone
aujourd'hui exclusivement consacrée au maïs. C'est pour
le blé que sont construits les moulins du Carcarana et
les greniers de Rosario. La superficie ensemencée en blé
à Santa Fe s'élève en 1882 à 102000 hectares sur un
total de 127000 hectares de cultures'. En 1889, l'étendue
des cultures de blé est quadruplée. La zone des cultures
l'ait tache d'huile, elle atteint à l'Ouest Rafaëla et Cas-
tellanos. En 1895, les progrès ont été plus rapides
encore. La culture du blé a franchi la frontière de Cor-
doba et s'est répandue autour de San Francisco et à
l'Est de Mar Chiquita (Départements de San Justo et
Marcos Juarez). Les régions agricoles du centre de
Santa Fe et du Central Argentino se sont rejointes, et
le blé a envahi tout le département de San Martin. Il
s'étend même au Sud des anciennes colonies du Central
Argentino vers le Sud-Ouest de Santa Fe, dans le dépar-
tement de General Lopez. Le recensement de 1908 révèle
des conditions très différentes. La densité des cultures
de blé a continué de s'accroître sensiblement dans toute
la région Nord, et aussi dans le Sud-Ouest de la pro-
vince, à distance du Parana (département de General
Lopez). Elle a diminué au contraire dans la région voi-
1. Population des colonies de Santa Fe en J88^: 52 000 habitants
dont 12 000 dans les colonies du San Javier au Nord de la ville de
Santa Fe.
%
Vn LA RÉPUBLigrE ARGENTINE.
sine de Rosario (départements d'Iriondo, de Belgrano,
de Gaseros et de Constitucion), où s'est développée la
culture du maïs. Le maïs a conquis une partie delà zone
du blé.
Culture
du blé (en k'°-).
Culture
du niaïf
(en k-')
^ ■ ^
-r, ail -
-— - -
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1889.
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1.442
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92
Limitée au Sud par l'exlension de la zone du maïs, la
région des colonies garde aujourd'hui parmi les zones
agricoles de la Pampa un caractère très distinct. Son
originalité tient moins à ses cultures (blé dur et lin) qu'à
l'ancienneté de la colonisation et à la division de la pro-
priété. Les colons y sont en majorité propriétaires, et
les domaines de 50 à 200 hectares y sont la règle. Les
habitations y sont confortables ; elles s'entourent de
vergers et de potagers. En outre, l'économie rurale s'est
compliquée et elle a pris una.spect familier pour l'obser-
vateur européen par l'introduction de l'élevage pratiqué
en petit par les agriculteurs. Le nombre des bêtes à
cornes a doublé entre 1908 et 1914 dans le département
de Castellanos, et augmenté d'un tiers dans celui de Las
Colonias. La superficie des luzernières s'est étendue
proportionnellement; elles se sont multipliées dans les
1. Les noms des départements qui appartiennent en entier à la
région du maïs sont en italique; le département de San Jeronimo
est à cheval sur la région du maïs et la région des colonies. Le ter-
ritoire de General Lopez s'étend de même vers le Sud-Ouest bien
au delà de la limite de la région du maïs.
LA PLAINt: PAMPÉENNE. 105
terres basses, « cafladas », impropres- au blé, que les
premiers colons avaient dédaignées, et qui sont consi-
dérées aujourd'hui comme les parcelles les plus pré-
cieuses. La hausse récente de la valeur des terres dans
la région des colonies répond non à une augmentation
de la production agricole, mais au développement de
Télevage. Quelques coopératives de laiterie ont été
créées. En général pourtant, l'élevage vise seulement à
la production de la viande. Le commerce du bétail
s'exerce selon des méthodes très différentes de celles qui
conviennent aux régions de grandes propriétés et
d'estancias; il est resté aux mains de petits marchands
(juifs de Moïsesville).
La colonisation agricole dans la province de Buenos
Aires est au début entièrement indépendante de la colo-
nisation de Santa Fe. Les cultures de la région voisine
de Buenos Aires ne disparurent jamais entièrement :
dans la période à laquelle se rapporte le tableau que
Daireaux a tracé de la vie économique de la Pampa
(1880-80), les labours disputaient à l'élevage une zone de
10 lieues de rayon autour de la capitale; mais l'élevage
du mouton ne laissait aucune place à l'agriculture dans
la zone suivante qui entourait de toutes parts la première,
et s'étendait jusqu'à proximité du Salado. La colonisa-
tion agricole n'avait trouvé de terres libres qu'au delà
du domaine des bergeries, à 200 kilomètres à l'Ouest de
Buenos Aires, autour de Chivilcoy, de Chacabuco et de
Brag.tdo. Dès 1872, la région de Chivilcoy produisait
150 OOO hectolitres de blé, près de la moitié de la produc-
tion totale de la province de Buenos Aires. En 1889, elle
forme une tache agricole déjà relativement dense, la
superficie cultivée étant consacrée par moitié au blé et
au maïs.
Blé. Maïs.
Chivilcoy 307 k"'* 399 k"'*
Cliacabuco 155 — 1G4 —
Bragado 147 — 201 -
Denis. — L'Argentine. lô
104 LA RÉPUBLIt>UE ARGENTINE.
A la même date, tout l'Ouest et le Sud de la province
de Buenos Aires est exclusivement pastoral. Deux
noyaux isolés de colonisation agricole y apparaissent
seulement, le premier autour d'OIavarria^ sur rancienne
fronlière indienne, où des colonies de Russo-Allemands
avaient été établies en 1878; le deuxième, dans le dépar-
tement de Suerez, à rextrémilé Nord de la Sierra de hi
Ventana, où un groupe de colons français s'établil
cinq ans plus tard, à Piguë'. L'ouverture de la ligne de
Buenos Aires à Baliia Blanca paraissait devoir préparer
dans ce secteur la route à la colonisation agricole. Le
recfr'nsement de 1895 démontre l'échec de ces premières
tentatives de culture dans le Sud. Les labours ont
diminué de moitié à Suarez ; des trois quarts à Olavarria.
Si les colons de Piguë ont réussi à se maintenir sur leurs
terres, ceux d'Oiavarria les ont abandonnées et ont
émigré pour la plupart h destination de la province
d'Entre Bios.
La colonisation avait, au contraire, conservé le terrain
conquis, dans la région du moyen Salado, et elle s'étend
d'une façon sporadique vers le Sud-Ouest et l'Ouest
(Nueve de Julio, 252 kilomètres carrés de blé et 400 de
maïs; Veinte Ginco de Mayo, 84 kilomètres carrés de blé
et 218 de maïs; Junin, 197 kilomètres carrés de blé et
204 de maïs en 1895). Elle s'y est maintenue depuis, sans
progrès rapide, et sans que l'élevage ait été éliminé.
C'est une des régions de la Pampa où se trouvent mêlés
le plus étroitement les types les plus différents d'exploi-
talion rurale. La colonisation agricole y a été réalisée
tantôt par des petits propriétaires,, tantôt par des fer-
miers ou des métayers. L'association du maïs et du blé
parait stable, et le climat est également favorable aux
deux cultures, la récolte du maïs étant meilleure lorsque
l'été est humide, celle du blé lorsque l'été est sec. Les
1. Cultures de blé en 1889, dans le département d'Oiavarria, 510 ki-
lomètres carrés; dans le département de Suarez, 118 kilomètre?;
carrés.
LA PLAINE PAMPÉExNNE. 1H5
lieux céréales se surcèdent lune à Tauti'e sur les mêmes
terres, par une véritable rotation, le blé profitant des
sarclages et netloyages répétés qu'exige le maïs. Les
colons emploient au labour des bœufs qu'ils engraissent
ensuite*.
La colonisation agricole dans la région desluzernières
date de 1895 à 1905 :
Cultures de bk' Cullure'^ de lin
(en k-*). {en k-*).
1895. 1908. 189:i. '"^TÎiÔsr
R. A. Lincoln 152 819 » 100
Pehuajo 406 727 » .
Guaraini 20 528 » »
Tronque Lauquen. 100 1.459 » .^9
Villegas A 812 1 84
Pinto . 469 » 60
Conloba. Gii\. noc» » 1.009 » K9
Rio Quarto .... 5 1.156 . 17-2
Juarez Celman . . 144 1.679 . 185
Union 375 2.548 12 516
J'ai indiqué comment elle était liée au développemeni
même des luzeniières. L'extrême Ouest de la zone des
luzernières (département de Pedernera, San Luis) est le
.seul point où la superficie des cultures reste réduite. Les
contrats, par lesquels les estancieros confient b-urs t«^rres
aux colons, à charge de les restituer ensemen( ées en
luzerne, se sont progressivement modifiés à mesure que
le courant de colonisation se développait. La terre a
d'abord été abandonnée au colon sans loy(T, le seul
profit de Testanciero étant la création des luzernières.
A mesure que le courant d'immigration a pris i»lusde
volume et la concurrence entre colons plus d"âpiet€,
1. Aniraaui de travail en 1^8, k Chivilcoy : bœufs, 17 00', chevaux.
lOOnO; à Junin : bœufs, 15000, chevaux, GOOu"; à Nueve de .Julio : liœuft;.
15000, chevaux. WJOo. Dana la région des colonies de Santa Fe, à r.as-
tellanos : bœufs, ITOOi», chevaux. ôlOOO; à Las Colonias : bœufs. 0000.
chevaux, 55 000. Dans la région du blé (Sud de Buenos Aires); à
Puan : chevaux, 'i'J UOO, bœufs, néant. A las Sierras : chevaux, UnOO,
•ceufs, n^ant.
li'G LA RÉPUBLIQUE ARGENTL\E.
l'estanciero a réclamé d'eux un fermage plus élevé. Des
contrats analogues servent en outre à la reconstitution
des luzernières fatiguées par le pâturage, de sorte que
la terre est périodiquement rendue à la charrue. Les
dé.fricheurs de la zone des luzernières ont été recrutés
en majorité dans la région des anci< unes colonies de
Santa Fe, où une génération nouvelle commençait à être
à l'étroit. Les cultures qu'ils pratiquent pendant les
quatre ou cinq années de leur bail, sont choisies sans
souci de ménager des terres qu'ils ne conserveront pas,
et le blé y succède au blé, la première et la dernière
récolte étant souvent réservées au lin. La proportion du
lin diminue seulement dans la zone sud des luzernières.
Il arrive, dans la province de Buenos Aires, que le colon
lui-même cultive de la luzerne à son compte, soit pour
vendre le fourrage sec, soit pour faire de l'élevage ou de
l'engraissage.
La colonisation n'a pas correspondu ici à la division
de la propriété. Non seulement le cultivateur ne devient
pas propriétaire du sol, mais il ne s'y fixe pas à demeure
et reste un véritable nomade. L'habitation a un carac-
tère provisoire qui frappe au premier regard. La super-
ficie cultivée est actuellement à peu près stable, si l'on
considère l'ensemble de la région. Mais la colonisation
agricole se transporte périodiquement d'un secteur à
l'autre et détermine, par ses déplacements, de brusques
à-coups dans le trafic des stations de chemins fer ou
dans le développement des centres urbains.
Comme elle a été peuplée de Santafecinos, la région
des luzernières a fourni h son tour des colons pour la
zonf^ agricole occidentale du pied des sierras de San Luis
et de Cordoba, où ils trouvent des conditions climatolo-
giques moins favorables, mais, la terre ne leur étant pas
disputée par les éleveurs, l'avantage d'une plus grande
stabilité.
Tandis que la colonisation agricole a été une auxiliaire
de la colonisation pastorale dans le Nord-Ouest de
DeM:-
LAiy:riitiiii
l'i. IV
65' long W P.
60° 30^
60° Long. W Gr.
Densité des cultures de maïs.
Exifreant |)Ius de chaleur et plus d iiumidilé (pie le l>ié. le maïs s'avance iimiiis loin vers
i rOiiesl et vers le Sud. Il se cnncentre pour l'e.vporlal ion aux |)orls du Hio de la IMala et du
Parana, et surtout à Kosario. La zone de grande culture du maïs, le « cornbell aryenlin »,
s'étend en arrière de Rosario et de San Nicolas jusqu'au delà de Casilda et de Pergamino.
LA PLAINE PAMPÉENNH. 197
Buenos Aires, au Nord-Esl, au contraire, el au Sud,
dans les deux grandes zones du maïs et du blé, Tagri-
cullure lend à éliminer l'élevage ou à limiter son champ
d'action. La cullure du maïs est partie de la rive du
Parana. où elle est déjà prédominante en 1889, entre
Campana au Nord de Buenos Aires et San Nicolas.
En \S\K^ elle a remonté le Parana jusqu'à la province de
Sanla Fe (Constitucion) et s'est répandue dans lintérieur
jusqu'à 80 kilomètres dans le département de Salto.
Dans les années suivantes, elle progresse rapidement
vers rOuest et le Nord-Ouest, couvrant les départements
de Pcrgamino, Hojas, Colon, et à Santa Fe une partie
de General Lopez, de San-Lorenzo et de Constitucion.
^_Cu
1889.
Itures (le maïs.
Cil
18S9.
iltures de
"^895^^
lin.
1895.
1908.
'^1908.
Campana . .
f.7
45
22
15
51
17
Bai-atlero . .
559
260
291
26
58
175
S. Pedro . .
598
555
420
5
73
235
Arrecifos . .
i'U
126
155
15
50
265
Salto . . . .
16
51
326
375
256
1.558
15
»
3
70
75
Gai Lopez. .
1
752
Constitucion.
575
756
>
270
404
Pergam no .
108
160
540
50
50
275
Roja.s . . . .
86
81
247
4
23
275
Colon . . , .
s
4i
126
>
14
78
S. Lorenzo .
l
S
178
150
1.169
H
36
450
Ca^eros . . .
>
85
990
>
15
319
C'est en 1805 que débutent les grandes exportations
de maïs argentin. La culture du lin ne s'est ajoutée à
celle du maïs que depuis 19(>0.
Les terres lourdes exigent des hersages répétés; le
sarclage du maïs, sa récolte, occupent une main-d'œuvre
relativement dense. Les exploitations sont restreintes,
souvent de 50 hectares, La propriété ne s'est pas divisée
au moment de la colonisation, la terre ayant acquis déjà,
grâce à l'élevage, une valeur trop considérable [)Oui-
pouvoir être achetée par les colons. Sur les terres qui
lui ont éléatîermées, s'est multiplié un prolétariat rural,
19g LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE,
souvent indocile. La région du maïs est celle où se sont
produites les grèves agricoles les plus sérieuses. Les
conflits entre propriétaires et colons se prolongent
d'autant plus longtemps que les semailles du maïs peu-
vent être, sans grand inconvénient, retardées jusque
vers la fin du printemps. La zone voisine du Parana a
fourni une partie des maiseros qui se sont répandus
vers le Nord-Ouest. Mais les colonies récentes com-
prennent, en outre, une forte proportion d'immigrants
récemment débarqués d'Italie et d'Espagne. La popu-
lation des cultivateurs de maïs ne s'est pas mélangée
avec celle des cultivateurs de blé, chacune d'elles éten-
dant parallèlement son domaine.
L'expansion de la culture du blé dans le Sud date de
1898 seulement :
Cultures de Jblé
(en k"-).
1895. 1908.
Alsina 45 1.296
Puan 52 1.521
Suarez 104 978
La Madrid 75 249
Pringles 15 724
Dorrego » 885
Tcrr. de la Pampa » 1.731
Le blé s'est répandu d'abord sur le parcours de la
ligne de Buenos Aires à Bahia Blanca, à l'Ouest de la
Sierra de la V^entana, puis dans la zone côtière, à l'Est
de Bahia Blanca ; ces deux zones de production de blé
se sont soudées l'une à l'autre, après 1904, lorsque la
construction de la ligne directe d'Olavarria à Buenos
Pl. V. — Deasitl de.s coltcres de iîlé.
La zone du blé setend en un large arc de cercle de Bahia Blanca à Santa Vv,
où remonte aujourd'hui la navigation maritime. La culture du blé franchit l.'i
couri>e de 600 millimètres de pluie, et même celle de 4(K) millimètres, à mesure
qu'on passe du domaine des pluies d été au domaine des pluies de printemps c\
(l'automne.
I>^:^l^. — L Argeiiliiif
l'i. V
65° Long W P
^^^ UO à 50 p. loo de fa super/ïc/e
^^^ tota/e cu/tivée en b/é
^^ 20 j 33 p loo
[^/^ a /9 p ,oo
I ! 1 1 ! I 5 à 9 p. ,00
I I moins </e S p lOO
Échelle
60° Lon.qW Gi-
lA PLAINE PAMPEENNE. lOU
Aires permit la mise en valeur de la région intermédiaire
Pringles-Laprida). De Bahia Blanca, la culture du blé
s'est étendue également vers l'Ouest et le Nord-Ouest
sur la lijrnede Toay, et vers le Sud jusqu'au Colorado sur
le lilloral. Dans tout le territoire de la Pampa central,
il est encore aujourd'hui possible de distinguer deux
couches de population immigrées à des dates différentes,
— • et qui se sont superposées l'une à l'autre, — celle des
éleveurs de moutoms, et celle den agriculteurs. Autour
de Toay, le contraste entre ces deux éléments de la po-
pulation est d'autant plus frappant que la première
colonisation pastorale, qui date de 1890, avait été pour
une large part l'œuvre de créoles « puntanos » (de la
province de San Luis). Les colonies agricoles actuelles
comprennent des Européens immigrés récemment et
des colons venus d'autres parties de la province de
Buenos Aires et d'Entre Rios.
Le rendement du blé est de plus en plus faible à me-
sure qu'on avance vers l'Ouest. La récolte peut être
compromise soit par des gelées tardives, soit par la
sécheresse, et notamment par des coups de vent chaud
qui, dans les semaines qui précèdent la moisson, grillent
les plantes et anéantissent des espérances déjà presque
réalisées. Mais la médiocrité du rendement est com[)en-
sée par l'étendue des exploitations et la faiblesse des
dépenses en main-d'œuvre. La récolte est faite souvent
au moyen de machines égreneuses qui ensachent le
grain, et le colon n'est pas contraint, comme à Santa Fe,
d'attendre le passage de la batteuse. La sécheresse
exclut la culture du lin, mais l'avoine réussit, surtout
entre la Sierra de la Ventana et la Sierra de Tandil, et
convient aux terres fatiguées par des récoltes de blé
consécutives. Les exportations d'avoine par Bahia Blanca
ont débuté en 1!)0().
L'éliminai ion de l'élevage par la culture est beaucoup
moins complète que dans la région du maïs. L'avoine,
semée dès le début de l'automne, sert de plante fourra-
200 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
gère; les animaux y sont tenus l'hiver, et l'avoine fau-
chée est mise en meule, sans être battue, comme réserve
de fourrage. En outre, les cultivateurs de blé eux-mêmes
ont adopté l'élevage du mouton, et les moulons paissent
les chaumes et les jachères.
Ce résumé de l'histoire de la colonisation met en lu-
mière quelques conclusions essentielles. Au moment où
commença la colonisation agricole, on admettait que
l'agriculture représentait une forme supérieure d'exploi-
tation du sol, et que la Pampa passerait, dans un délai
plus ou moins long, du cycle pastoral au cycle agricole,
ou, pour employer le langage local, que la « colonie »
succéderait partout à l'estancia. Cette idée était peu
fondée : la seule région où les faits paraissent actuel-
lement la confirmer est la région du maïs. La règle
générale est au contraire que le progrès de la coloni-
sation développe un type d'exploitation mixte où l'agri-
cullure et l'élevage sont représentés, soit que l'une
alterne avec l'autre en une sorte de rotation périodique,
comme dans la région des luzernières, soit que l'asso-
ciation soit plus étroite encore et que les agricu teurs
fassent à l'élevage une place dans leurs occupations,
comme dans la région des colonies de Santa Fe ou dans
la région du blé, au Sud de la province de Buenos
Aires.
Il apparaît en outre que le développement de la colo-
nisalion dépend non seulement des conditions physiques,
mais de facteurs d'ordre purement économique ou social
que le géographe ne peut négliger. 11 suffira de signalei-
ici les principaux.
On a vu le rôle joué dans la mise en valeur du sol par
les groupes de colons qui essaiment d'une zone à l'autre :
qu'il s'agisse des estancieros de la région orientale de
Buenos Airos qui s'implantent à Cordoba, ou dans le
Nord de Santa Fe, des éleveurs de moutons qui se
I-\ PLAINE PAMPÉKNNK. 501
déplacent vers l'Onesl, ou des colons de Santa Fe qui
s'établissent dans la région des luzernières, ces groupes
transporlenf avec eux leurs habitudes et leurs méthodes
d'exploitation et ne les adaptent que progressivement k
un milieu nouveau.
Le colon, éleveur ou agriculteur, n'est pas livré à
lui-même. La colonisation est soutenue et dirigée par
la spéculation sur les terres et elle subit son influence.
La spéculation escompte le travail du colon et attribue
aux ferres une valeur qui n'est pas fondée sur le revenu
qu'elles ont produit, mais sur celui que le spéculateur
estime qu'elles pourront produire dans l'avenir. Si le
spéculateur est hardi, il ne se laisse pas décourager par
les premières expériences malheureuses, et il faut des
échecs répétés pour venir à bout de son optimisme.
Le colon peut, même si ses comptes de culture ne se
règlent pas à son [u-ofit, réaliser un bénéfice, si la valeur
de sa terre s'accroît. L'augmentation de son capital lui
dissimule la médiocrité de son revenu, d'autant plus
qu'il obtient aisément des banques hypothécaires des
avances sur la valeur de sa propriété qui lui permettent
de monnayer annuellement cette richesse.
La spéculation porte surtout sur les terres neuves, à
la périphérie de la zone déjà colonisée, où le sol est
déjè, en règle générale, entre les mains des exploitants
eux-ménjes. Les spéculateurs, qui ont payé ces terres
un prix élevé, cherchent à en organiser l'exploitation.
C'est en partie gv^cc à leur influence que la colonisa-
tion étend sans cesse son domaine, au lieu de concentrer
son labeur sur les régions anciennement occupées, où
il j)Oiirr;iit parfois être plus productif. La spéculation
sur les ter' es agit enfin profondément sur les conditions
de la colonisation, en rendant plus difficile au colon
l'achat des terres qu'il exploite. Le propriétaire qui les
lui concède entend garder pour lui le profit de la hausse
du sol ; il le loue et ne le met pas en vente.
L'histoire de la colonisation ne peut donc pas être
•202 LA REPUBLIQUE ARGENTLNE.
séparée de celle du commerce des terres. Les caracîères
particuliers de ce commerce dans la région pampéenne,
sa concentration à Buenos Aires, l'établissement d'un
marché des tenues, analogue à un véritable marché de
titres, les procédés de vente par annuités, qui permet-
tent aux plus petits capitalistes de s'intéresser à la spé-
culation, les mutations répétées de parcelles que leurs
acheteurs n'ont pas visitées et ne connaissent que par
leur plan, sont l'un des aspects les plus originaux de
l'Argentine moderne; ils s'expliquent d'ailleurs en pnrtie
par un fait d'ordre géographique : l'uniformité de la
plaine pampéenne, où toute terre vaut à peu près la
terre voisine.
La colonisation est d'autant plus aisée et plus rapide
qu'elle exige moins de capitaux et moins de main-d'œu-
vre. L'expansion de l'élevage vers l'Ouest entre 1(S80 et
1890 fut facilitée par la faible valeur marchande des
bœufs pendant cette période. L'élevage a sur l'agricul-
ture l'avantage de se contenter d'un personnel moins
nombreux, mais il nécessite un capital plus considé-
rable. Parmi les cultures, les conditions de sol et de
climat étant supposées également favorables, le blé
convient mieux à la colonisation que le maïs, parce que
la préparation du terrain et la récolte se font selon des
procédés plus rapides et que le même nombre de bras
peut cultiver en blé une superficie plus étendue qu'en
maïs.
Le rôle du gouvernement argentin et des administra-
tions provinciales a été restreint, sauf dans la première
période de l'établissement des colonies à Santa Fe, tant
dans le recrutement et l'introduction des immigrants
que dans la distribution des terres et l'administration
des colonies'. La colonisation est restée, en général,
1. La loi des <■ Centres Agricoles », passée en 1887 par la Province
•le Buenos Aires pour faToriser la colonisation, n'a pas eu de résul-
tats heureux. Aux termes de cette loi, les propriélaires qui décla-
raient consacrer leurs terres à la colonisation recevaient une avance
?^ur la \-aleur de ces terres sous la forme de cédules hypothécaires.
LA PLAINE PAMPÉENNi:. 200
une alTaire privée. Le rôle d'enlrepreneur de colonisa-
lion a été joué parfois par les propriétaires eux-mêmes,
qui vendaient, à terme des lots, et retiraient ainsi de leurs
terres un prix avantageux, en même temps rpi'ils favo-
risaient, en accroissant la densité de la population, la
plus-value des parcelles qu'ils conservaient; parfois, par
des Compagnies de colonisation qui achetaient des
domaines pour les diviser et les vendre ; plus souvent
par des commerçants qui font crédit aux colons qu'ils
ont établis, à condition que ces colons se fournissent
chez eux et leur confient la vente de leurs récoltes.
L'essaimage des colons de Santa Fe a été en partie
déterminé et soutenu par une migration parallèle des
commerçants enrichis dans les colonies les plus an-
ciennes, et qui ont ainsi étendu leur clientèle. Le com-
merçant entrepreneur de colonisation devient fréquem-
ment l'intermédiaire entre le propriétaire et le colon,
garantissant au premier une rente fixe de ses terres, et
recueillant du second un tant pour cent de sa récolle.
Cette organisation est particulièrement répandue dans la
région du maïs, mais elle est courante dans toute la
plaine pampéenne. Elle tend ù disparaître lorsque la
colonisation est plus ancienne et mieux enracinée, le
colon réussissant peu à peu à conquérir son indépen-
dance, tant pour l'achat de son cheptel, de son matériel
et de ses fournitures, que pour la vente de ses récoltes.
Dans les zones où il n'est pas devenu propriétaire, les
contrats de location du sol varient entre les deux types
suivants : le fermage, lorsque le colon dispose du capi-
tal nécessaire à l'exploitation, et le métayage, ou con-
trat à part, lorsque ce capital est fourni par le proprié-
taire ou l'entrepreneur.
Enfin la colonisation ne peut progresser que si elle
l'intérêt et ramortissemenl des cédules étant à la charge des colons.
Beaucoup de propriéUires proûtèt^nt des avantages que leur offrait
l;i loi, mais, après un simulacre de colonisation, conservèrent la
propriété de leurs IciTes.
'i04 lA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
trouve un marché où placer ses produits. Le marché
principal des laines, des cuirs, des viandes et des cé-
réales de la région pampéenne a été jusqu'ici l'Europe
occidentale; l'Amérique Iropicale absorbe une partie de
la production des saladeros, des farines el des fourrages
secs, et l'Amérique du Nord a commeMcé depuis peu à
disputer à l'Europe les laines, les cuirs et les viandes
frigorifiées. La facilité avec laquelle les produits de la
Pampa se sont écoulés sur le marché mondial, qui se
traduit par la stabilité relative de leurs cours, explique la
continuité de la colonisation et la brièveté des crises qui
en ont entravé l'essor.
Tableau des exportations des principaux produits de la
région pampéenne [en milliers de tonnes): ■
1901. 190.Ï. 1910. 1013. 191i.
Blé 904 '2.868 1.883 2.812 980
Maïs. ...... 1.H2 2.222 2.ti60 4.80ti 3.542
Lin 338 654 604 1.016 841
Farine 71 144 115 124 67
Laine 228 191 150 UO 117
Cuirs salés. ... 28 40 61 65 65
Cuirs séchés . . . 26 24 29 21 14
Bœuf congelé . . 44 152 253 3' 6 368
Moulon congelé . 63 78 75 45 58
Le chapitre des céréales apparaît en 1882 dans les
ptalistiques de l'exporlation argentine; en 1900, la
valeur des produits agricoles exportés égale celle des
produits de l'élevage; en 1904 elle la surpasse.
Le marché intérieur a eu pourtant pour la colonisation
une importance qui n'est pas négligeable. Lorsque la cul-
ture du blé se répandit à Santa Fe, la moisson fut consa-
crée d'abord à l'approvisionnement de Buenos Aires, et
Zeballos considérait encore en 1885 comme le résultat
essentiel de la colonisation agricole le fait que les farines
chiliennes élaient éliminées du marché argentin. Même
aujourd'hui, les régions j)ériphériqiies de la zone des
céréales dépendent encore du marché intérieur. Le
LA PLAINE PAMPLENXi:. IQb
moulin de Villa Mercedes ravitnille Mendoza; Cordoba
et Santa Fe envoient des farines à Tucuman. Le cours
des céréales révèle encore dans ces régions, par rajiporl
au cours pratiqué à Buenos Aires, de légères fluctuations
locales.
La colonisation pastorale n'a pas été davantage entiè-
rement indépendante du marché intérieur. Martin de
Moussy aillrme, il est vrai, que la zone qui, vejs I8G5,
exportait en Europe les produits de l'élevage, s'étendait
jusqu'à la sierra de Cordoba ; mais cette observation
doit être corrigée. Si les cuirs étaient, en eiïct, dans
toute cette zone expédiés vers les ports du rio delaPlata,
les animaux sur pied étaient acheminés, de tout le Nord-
Ouest de la région pampéenne, vers le Chili. C'est pour
vendre des bœufs ;iu Chili que les estancias se multi-
plièrent vers iiSOO autour de Villa Mercedes et vers
l'aval, sur le Rio Quinto. La description de Jegou'
montre encore en 1883 les éleveurs de la province de
San Luis se consacrant exclusivement à l'approvision-
nement du marché chilien. Les acheteurs chiliens et
ceux des provinces andines visitent toujours Villa Mer-
cedes et ils sont veaus jusqu'à une date récente à Villa
Maria, dans la province de Cordoba. A Santa Fe, les
estancias eurent pour clients, jusqu'à l'ouverture de la
voie ferrée de Cordoba (1870), les troperos qui ache-
taient des bœufs de trait pour leurs charrettes. L'extinc-
tion de cette chentèle et la crise économique quelle
détermina sont une des raisons pour lesquelles la colo-
nisation agricole rencontra de la part des éleveurs si peu
de résistance et put s'implanter à Santa Fe aussi aisé-
ment. Dans le département de San Crislobal, les éle-
veurs qui s'établirent après 1890 eurent pour premier
marché les obrajes de la forêt voisine. L'ouverture de la
voie ferrée vers Tucuman leur permit ensuite d'expédier
I. A. Jegou, Informe solre lu provincia de San Luis. Ann. Soc. Cion-
tifica Argentina, XVI, 1883, p. liO-152, 192-200 et 223-250.
206 I..\ RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
leurs bœufs vers les provinces du Nord-Ouest. Les ache-
teurs de Buenos Aires péiiétrcrent tardivement dans ce
canton éloigné de la [)laine pampéenne : on les y vit
pour la première fois en 1911.
L'importance de la région pampéenne elle-même, en
tant que marché consommateur, s'est accrue à mesure
que la population y devenait plus dense. La part qu'elle
absorbe dans les produits de l'élevage et de l'agricullure
est très variable. Elle est prépondérante pour une partie
d'entre eux. L'élevage du cheval par exemple, qui reste
une des grandes industries de la Pampa, n'a jamais ali-
menté l'exportation ; de même, la culture des pommes de
terre, concentrée dans deux régions étroitement limitées,
autour de Rosario et au Nord de la Sierra de Tandil.
Une peîite partie seulement du fourrage sec est ex-
portée. En ce qui concerne les céréales, la comparaison
des statistiques de production et des stalistiques d'ex-
portation montre que la consommation s'élève à un tiers
environ de la production. Elle est presque nulle pour le
lin, et atteint presque nO pour 100 pour le blé.
Moyenne de la production et de l'exportation pour
les années 1912, 1913, 1914, en milliers de tonnes :
Total y compris
Blé. Maïs. Liu. l'avoiae.
Production . . 4.241 6.398 931 12 662
Exportation. . 2.140 4.227 790 8.058
Les centres consommateurs prinrijiaux étant précisé-
ment les ports, il en résulte que les courants commer-
ciaux destinés à leur ravitaillement se confondent avec
ceux qui alimentent l'exporbition. Plus intéressants pour
le géographe sont les échanges entre les régions diverses
de la Pampa. En tendant à se spécialiser, ces régions
ont cessé, en effet, de se suffire à elle-mêmes, et elles
doivent faire appel aux régions voisines. L'approvision-
nement des moulins provoque des Iransports de blés
dans ditTérentes directions. Les moulins principaux sont
LA PLAINE PAMPÉENNE. 207
établis à Buenos Aires, où ils sont bien placés pour tra-
vailler à la t'ois pourlc marché intérieur et pour l'expor-
tation,et les moulins de l'intérieur résistent difticiîemeni
à leur concurrence. Beaucoup d'entre eux pourtant tra-
vaillent encore. Ils pratiquent des mélanges de blé dur,
acheté dans la région des colonies de Santa Fe, et de blé
tendre, qui est cultivé dans le Centre: et le Sud de
Bnonos Aires.
Mais ces transports inter-régionaux de céréales sont
p<»u de chose auprès des trans4»orts de bétail. L'exten-
sion des luzernières a développé dans certaines régions
l'industrie de l'engraissage, tandis que d'autres conti-
nuent à taire de lélovage proprement dit et alimentent
les centres d'embouche. La zone d'engi-aissage la mieux
spécialisée est la région de Villa Mercedes et la partie
occiilcnlale de la zone des luzerniéres, tondis que l'Est
de la provinre de Buenos Aires et Entre Bios sont restés
df^s régions de production. La dilTéreneiation des zones
pastorales ressort de l'étude des statistiques. D'après
le recensemoîit de 1908, les vaches représenteat 5?) pour 1(>0
de lefTec lit' total du troupeau dans l'ensemble des dépar-
tements formant le cœur de la zone d'élevage de l'Est de
Buenos Aires, 45 pour 100 seulement dans les départe-
ments du iNord-Ouest de Buenos Aires et dji Sud de
Cordoba et dans le département de Pedemera à San Luis,
où l'industrie de l'engraissage est couramment pra-
tiquée.
D'après le recensement de 1914, les bœufs forment
•24 pour 100 du troupeau dans les mêmes départe-
ments de l'Est de Buenos Aires; 24 pour 100, de même,
à Entre Bios; la proportion s'élève à 31 pour 100 dans la
zone des luzernières. Le département de Dolores (Est de
Buf'uos Aires), a C4 pour 100 de vaches et 21 pour 100
de bœufs ; le département de Pedernera (San Luis), (zone
des luzernières), a 49 pour 100 de vaches et 58 pour lOO
de bœufs; celui de General Boca (Cordoba), 48 pour 100
de vaches et 34 pour 100 de bœufs; celui d'Arenales
'208 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
(Buenos Aires), 59 pour 100 de vaches et 46 pour 100
de bœufs*.
Tandis que les achats de bœufs pour les frigorifiques
se font, soit dans les estancias mênie^ soit à Buenos
Aires, où les bœufs en bon point sont expédiés à des
coiîsignataircs, les ventes de bœufs destinés à l'engrais-
sage ont lieu à des foires qui se tiennent périodiquement
dans les villes de l'intérieur. Un autre élément du trafic
de ces foires est le commerce des reproducteurs de race.
La plus courue est celle de Villa Mercedes (prov. de
San Luis) où se vendent 8000 bœufs par mois. On voit
aux foires de Mercedes les bouvillons Durham de l'Est
de Buenos Aires, destinés, après engraissage, à être
expédiés de nouveau vers les frigorifiques ou les abat-
toirs de Buenos Aires. On y voit aussi les bœufs créoles
provenant du Nord de la province de San Luis et de
la Rioja qui seront plus tard consommés à Mendoza ou
au Chili. Il n'existe pas, en effet, à la frontière occiden-
tale de la Pampa, une ligne de démarcation analogue à
celle que constitue au Nord la limite de la zone conta-
minée par la garrapate, séparant les deux domaines de
l'élevage créole. Les communications entre les deux
zones se font ici librement, et les luzcrnières d'embouche
de Villa Mercedes sont utilisées en commun parles éle-
veurs de la Pampa et de la brousse \
Étendues ciillivées dans la Bépublique Argeniine
(en kilom. carrés, presque exclusivement dans la région pampéenne).
Blr.
iMaïs.
X\
oine.
Un.
Luzerne.
1896. .
. 25 . 000
14.000
B
3.000
8 (lOrf
1900. .
. 53.000
12.000
»
6 000
15.000
1902. . .
. 30 000
18.000
>
13.000
17.000
1905. .
. 50.000
22.000
700
10.000
^.0.000
1910. .
. 02.000
32.000
8
.000
15.000
54. ('OO
\. La moyenne est pour l'ensembîe de l'Argentine : vaches 55 pour
100, bœufs 2(j pour 100.
2. Un grand nombre de bœufs destinés à l'engraissage sont égale-
ment acbetés au marché de Buenos Aires; mais ils ne proviennent
généralement pas do In région pampéenne.
1912.
1915.
191-t.
LA PLAINE l'AMPÉEXNE.
209
G9 OiiO
38.000
12
000
17
OCO
59
000
65
000
/» 1.000
II
600
17
0(tO
66
000
62
000
42.000
11
400
17
OUO
'•
Exportations par ports en 1913, 1914 et 1915.
Blé. Mnïi=. Lin. .\voinc. Total. Moyenne.
2.716
( 782
1 . 757
275
13
2.829
Rosario . . .
. î 242
1.952
248
1
2.445
( 717
1 . 790
366
>
2.875
( 4tl
1.389
246
240
2 318
Buenos Aires
] 297
906
255
78
1.537
( 511
1.319
542
96
2.-J99
. 927
. ] 241
( 921
2
t
462
1.595
Baliia Blanca
>
»
222
463
X
»
442
1.364
( 5
910
74
989
S. Nicolas . .
) J
450
60
* *
492
( 5
420
48
474
( 5")5
358
14
170
876
La Plata. . .
\ 160
51
16
49
278
( 152
45
6
16
222
( 265
51
158
476
Santa Fe . . .
] 7
23
128
1..9
( 114
7
77
I9y
2.051
1.075
651
459
278
Denis. — L'Argentine.
U
CHAPITRE VII
ROUTES ET VOIES FERREES
Les routes de la pl;iine. — La piste du seL — Le « cheiaîn du
lumiiiorce ». — Les transports par chars à bœufs. — Arrieros et
l'roperos. — Les chemins de fer et la colonisation. - Le iratir
des céréales. — Le tralic intérieur et la réorganisation du
réseau.
Le chapitre consacré à l'éle^a'^e primitif et aux trans-
ports de bétail comprend une esquisse du réseau des
routes andines. On ne peut s'atlendre à retrouver dans
le dt\ssin du réseau routier des plaines argentines l'in-
lluence aussi impéiieuse et au^si évidente des conditions
naturelles. La surface <le ces plaines est dans son
on^emble largement ouverte à la circulation. La carte
des roules y garde pourtant les traces multiples des né-
cessités géographiques.
L<'S massifs, qui émergent comme des îles de la plaine
alluviale, ne sont pas tous impénétrables, et les routes
ne les contournent pas toujours; la route de Buonos
Aires au Pérou court au Nord de 3()M0' de latitude Sud
sur l'axe même de la pénéplaine granitique qui forme la
partie septentrionale de la Sierra de Cordoba. Le seuil
de Dean Funes, qui s'ouvre à 700 mètres d'altitude entre
la sierra Chica et ces plateaux, a servi de tout temps aux
relations de Cordoba avec les provinces du Nord-Ouesl,
et la voie ferrée y a succédé à la piste primitive. Une
autre piste importante traverse la Sierra de Cordoba au
Nord de la Pampa de Achala, et joignait Cordoha à Villa
Dolores et au Nord de la province de San Luis. La
partie méridionale de la Sierra de Cordoba et la Sierra
212 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
de San Luis forment au contraire un obstacle infran-
chissable que contourne au Sud la grande route du Chili
par Achiras, San José del Morro et San Luis.
Les Sierras de la province de Buenos 7\ires sont
moins élevées et moins étendues; en outre, elles sont
morcelées en massifs isolés entre lesquels la plaine
pénètre. Dès 1822, le colonel Garcia signalait l'impor-
tance pour les migrations des tribus indiennes du pas-
sage entre la Sierra Amarilla et la Sierra de Curaco,
c'est-à-dire du seuil d'Olavarria. C'est par là que la pre-
mière voie ferrée, construite entre Buenos Aires et Bahia
Blanca, franchit la ligne des Sierras; elle va contourner
ensuite la Sierra de la Ventana, au Nord, par le seuil de
Piguë, entre le massif de Curumalan et les collines de
Puan. Les dunes de la Pampa occidentale forment, elles
aussi, un obstacle à la circulation, moins par leur alti-
tude que par leur sol mouvant. L'étape entre General
Acha et Toay mettait à une rude épreuve les attelages
des diligences'; les voyageurs devaient faire à pied la
traversée des dunes pendant la saison d'hiver oii les
chevaux de trait étaient en mauvais état.
Les points d'eau naturels sont de pins en plus fré-
quents à mesure qu'on s'éloigne de la zone andine vers
l'Est. L'aménagement de points d'eau permanents reste
cependant le travail principal, souvent môme le seul,
que suppose l'établissement d'une route. Martin de
Moussy signale le creusement des puits sur la route
nouvelle de Cordoba au Rosario, ouverte vers 1800.
L'aiguade était plus souvent une « represa », un réser-
voir où les eaux s'amassaient au-dessus d'un barrage de
terre élevé au travers d'un cours d'eau intermittent.
L'entretien de la represa est la fonction essentielle du
maître de poste. La bordure des Sierras et le débouche
des ravins qui en descendent est un lieu favorable pour
1. J.-B. Ambrosetti, Viaje a la Pampu central. Boi. Inst. geogr.
Argentine, XIV, 1893, p. 29'2-368.
ROUTES KT VOIES FERRÉES. 213
l'élablisscnient des represas, et les routes s'y tiennent
rréquenimont (variante de la route de Cordoba à Tucu-
uian par Toloral, la Dormitia, Mio Seco et Sumampa,
sur la lisière orientale de la Sierra de Cordoba, etc.).
Les longues étapes sans points d'eau, ou « travesias »
no se trouvent en général sur les routes battues qu'à
rOucst du méridien de Cordoba. Cependant la route
directe de Santa Fe îi Santiago del Eslero par la lagune
de Los Porongos, pratiquée au xyui" siècle, paraît avoir
été abandonnée plus tard, autant parce que le ravitail-
lement en eau y était difficile que parce qu'elle était
exposée aux incursions indiennes.
Le seul obstacle que rencontraient les caravanes, sur
les routes de la plaine, était la traversée des cours d'eau.
On les franchissait à gué; les gués à fond de boue sur le
cours inférieur des rivières, comme celui du Saladillo,
près du confluent du rio Tercero, offraient plus de diffi-
culté aux chars que les gués à fond de sable du cours
supérieur, près de la bordure des montagnes, comme
ceux du rio Tercero sur la route de Cordoba, ou du rio
Cuarto sur celle du Chili. Après les pluies, certaines
zones de la plaine s'inondent et deviennent intransi-
tables. Il en est ainsi de la région au Sud du Salado
inférieur, la même où le Père Cardiel signale (1747) le
manque de points d'eau à la saison sèche. Le chemin
direct de Buenos Aires aux Sierras y était exposé alter-
nativement à la sécheresse et aux inondai ions. Les
lignes du chemin de fer du Sud qui la franchissent sont
encore aujourd'hui coupées périodiquement de part et
d'autre de Las Flores par les inondations. L'absence
d'un réseau fluvial organisé, l'irrégularité des pluies, la
difficulté de déterminer les pentes et le régime de l'écou-
lement des eaux sur une plaine qui parait à l'œil parfai-
tement horizontale, ont causé plus d'un mécompte aux
voi«'S ferrées établies à la hâte et sans qu'un nivellement
général de la Pampa eût été entjepris; telle ligne, dans
la Pampa ou dans le Chaco, a dû être en partie recons-
214 LA RÉPUBLIOUE ARGENTINE.
truite et exhaussée après un cycle d'anrées pluvieuses'.
La colonisation de la fraction de la plaine qui forme
actuellement la province de Buenos Aires a clé tai-
dive; elle dale seulement de lère des voies ferr< es. Une
seul<' route historique traverse les terres restées jusqu'au
dernier tiers du xix^ siècle le domaine des trihus
indiennes : c'est la route du sel ; on ne sait au juste à
quelle époque elle commença d'être pratiquée. Au
xviii° siècle, malgré la con< urrence du sel de Cadix el du
sel de Patagonie, importé par mer, le sel de la Pampa
fournit la plus grosse part de l'approvisionne ment de
Buenos Aires. La route du sel ne lut délaissée qu'après
481(1. !Nous avons conservé le journal de plusieurs
voyages de Buenos Aires aux Salines. C'étaient des
exj'édilions militaires, où des centaines de chars, for-
tement convoyés, se rassemblaient vers Lujan et Chi-
vilcoy, et atteignaient Aireuco, à l'Ouest des lacs de
Guamini et de Carhuë, après une marche de quinze à
vingt-cinq jours.
L'itinéraire était exactement fixé. En 1796, d'Azara
observa au ^o^d de la lagune de Pi lentelen (Bragado),
les puits creusés par les saulniers quand ils trouvaient
la lagune à sec. De Pa!enlelen vers le Sud-Ouest, la
route du sel suivait la piste utilisée par les Indiens du
Sud-Ouest pour leurs expéditions contre les estancias
de la frontière de Buenos Aires. Près du lac Epecuen,
au Nord de Carhuë, elle était rejointe par une autre piste
qui venait d'OIavarria et dont les étapes étaient marquées
par les ruisseaux nés dans la Sierra de Cuiumalan. La
1. Dans le dessin actuel du réseau des voies ferrées, cerlains dou-
blements s'expliquent par la nécessité de corriger un trncé établi
trop hâtivement et inutilement accidenté. La ligne de Justo Daract à
la Paz (1912), sur le chemin de fer du Pacifique, évite les fortes
rampes de la ligne primitive qui suivait le tracé de la route des
chais par San Luis. L'inteipiétation du relief ofne des dilficultcs
particulières dans un pajs qui n'a p;is été façonné par 1 érosion
normale. Des erreurs que les levés topograpbiques postéi leurs ont
révélées ont été commises de même dans le tracé des chemins de for
nalagoniens.
ROUTES ET VOIES FERRÉES. 215
région de Carhuë, à ce carrefour de pistes, était l'une
des zones où se rassemblaient les tribus. « Ces parages,
dit le journal de l'expédition de 1778', sont le premier
point où se rcjiosentet se réunissent les Indiens ennemis,
lorsqu'ils sortent de la Sierra, et au retour de leurs inva-
sions. Non seulement ils s'y reposent, mais ils y ont leurs
pâturages d'biver {de saison sèche). Zebailos* a décrit
la piste indienne, la u rastiillada », entre Epecuen,
Atreuco et Traru Lauquen, où commençait la travesia
vers le Chili. Elle n'avait pas moins de 500 mètres de
large; au pied des dunes, s'alignaient parallèlement les
sillons profonds, tracés par le pied des bœufs razziés
emmenés par les « Chiienos ».
Les deux grandes routes de la période coloniale sont
le chemin du Chili et celui du Pérou. Ils se confondaient
au départ de Buenos Aires sur une distance de 500 kilo-
mètres environ. Le « Chemin du Commerce » passait
par Lujan, Areco, Sauce, et atteignait le Carcarana, ou
rio Tercero à la Esquina; il se tenait donc à distance du
Parana (50 à 25 km.), sur le plateau, franchissant les
vallées qui y sont encastrées et qui formaient autant de
mauvais pas. Il longeait ensuite le Tercero vers l'amont,
sur la rive droite, jusqu'au Paso Fereira, à l'emplacement
où se trouve aujourd'hui Villa Maria. A la Esquina de
Medrano (Villa Maria) le chemin du Chili bifurquait au
Sud-Est, gagnait San Luis par Rio Cuarto, Achiras et
San Jo.se del Morro, et, après une travesia de 120 kilo-
mètres, atteignait à la Paz le rio Tunuyan qu'il remon-
tait jusqu'à Mendoza'.
1. Coll. de Angelis, V.
2. Est. Zeballos, D^scripcion amena de la Repxihlica Argcnlina, l. I.
Vioje al pais de los Araucanos. Buenos Aires, 1881.
5. Martin de Moussy assure qu'une piste plus diiect* évitant le
délourau Nord par le rio Tercero aurait été pratiquée au xviii» siècle
entre Buenos .Aires et San Luis, par Salto et le cours du rio Ouinto
ju.squ'à hauteur du fort Coustilucion <\'illa .Moreede.s;. La carte de
Woodbine Parish (1^59) et celle de rsapp (187(i) portent lune et l'auU'e
une piste par Salto et Melincue vers le rio Cuarto, où elle rejoint la
loute ordinaire. Quoi qu'il en soit, ces chemins ne TurenL jamais uti-
'il 6 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
De la Esquina de Medrano, la roule du Pérou se diri-
geait au Nord-Ouest vers Cordoba. Des plateaux qui
prolongent au Nord la Sierra de Cordoba, elle descen-
dait vers le rio Dulcc, qu'elle rejoignait à l'Ouest
d'Atamisqui et qu'elle longeait jusqu'à Santiago del
Estero, où elle passait sur la rive Nord. Elle franchis-
sait le Sali à la hauteur de Tucuman, et longeait, par
Trancas et Metan, la dépression qui sépare les Andes
des chaînons subandins. De Salta, elle gagnait au Nord
Jujuy, pour remonter vers la Puna la quebrada de
Humahuaca.
L'influence du fleuve est faiblement marquée sur le
dessin du réseau routier primitif; des itinéraires nom-
breux relièrent au s\f siècle le Pérou au Paraguay à
travers le Chaco, mais non une route proprement dite et
permanente. Au xvni* siècle, une route directe était pra-
tiquée entre Santa Fe et Tucuman, par le Nord de la
lagune de Los Porongos et le cours du rio Dulce ; une
autre, entre Santa Fe et Cordoba. Ces routes n'étaient
pas uniquement consacrées au transport du bel ail; la
route fluviale à laquelle elles se raccordaient à Santa Fe
leur fournissait, en provenance des provinces d'amont,
un élément de trafic : le m.até paraguayen gagnait par
cetle voie les régions andines; en échange, les bateliers
chargeaient à Santa Fe les vins et les fruits secs des
provinces andines à destination d'Asuncion.
Le raccord du réseau routier avec le fleuve ne devient
un problème capital que du jour où le Parana commence
à desservir le commerce d'importation et d'exportation
de l'Argentine et à assurer les communications des pro-
vinces intérieures avec l'Europe. Cette question du
débouché sur le fleuve domine l'histoire de la formation
du réseau des voies ferrées. Mais son importance essen-
lisés régulièrement, de crainte des incursions indiennes, ou, ce qui
revient au même, parce que la région qu'ils traversent, dans le Sud
du territoire actuel des provinces de Santa Fe et de Cordoba, n'était
pas colonisée.
ROUTES ET VOIES FERREES. 211
tiellc peut être reconnue dès la première moitié du
xix" siècle. D'Orbi{^ny l'a pressentie. Parlant de l'avenir
de Santa Fe, il écrit (T. I., p. 406) : « Lorsque la tran(piil-
lité sera revenue, il est certain que les marchandises de
Cordoba, au lieu d'aller parterre de cette ville à Buenos
Aires, pourront n'aller qu'à Santa Fe. où leur embarque-
ment pour la capitale argentine réduira au tiers de sa
longueur le trajet par terre, toujours plus coûteux que
le trajet par eau ». Martin de Moussy, prévoyant la
construction d'une route à travers le Ghaco entre Tucu-
man et le Parana, î'i la hauteur de Corrientes, calcule que
Corrientes pourra plus tard servir de port à une partie
de l'Ouest et du Nord de l'Argentine. A la date où il
publiait son livre, ce n'est pourtant ni Santa Fe, ni
('Corrientes, mais la ville nouvelle du Rosario, qui com-
mençait à jouer le rôle de port intérieur, et qui servait
d'amorce à un nouveau résrau routier. La circulation
entre Rosario et Cordoba emprunta d'abord la vieille
route de Buenos Aires au Pérou, qu'on rejoignait de
Rosario, par un détour vers le Sud-Ouest, sur la rive
droite du Garcarana (ou rio Tercero). Mais cet itinéraire
tut bientôt remplacé par une route directe à l'Ouest-
Nord-Ouest, suivant le tracé oùallaient être entrepris les
travaux du chemin de fer*.
Sur la plus grande partie du territoire argentin, les
transports ont été effectués, avant l'ère des voies ferrées,
I. Enli-e 18o'2 et 18ti2, pendant la ])ériode où les relations sont
rompues entre la Confédération Argentine et Buenos Aires, s'ébauche
un remaniement général du réseau routier qui tente de s'adapter à des
conditions politiques nouvelles. La route de Santa Fe et de Parana à
«loncepcion de l'Uruguay par les plateaux de l'Entre Rios, et de là à
Montevideo, avait dû son importance première à la fermeture du
Parana inférieur sous Rosas, et Woodbine Parish signale déjà qu'il
s'y faisait une contrebande active; celte route devient une artère
ossenlielle lorsque Parana s'érige sous Urquiza en capitale fédérale.
Lîrquiza se préoccupe aussi de relier Parana avec les provinces de
l'Ouest, et il crée un service postal de Santa Fe à Cordoba. Si éphé-
mère qu'ait été la fortune de Parana, son influence sur le tracé des
routes argentines fut assez marquée pour que le géographe ne puisse
l'ignorer.
218 ÎA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
par des charrettes, La lirai! e entre la zone des trans-
porls par charrettes et la zone des transports à dos de
b^les est parfailement slaf>le. Malgré le développement
des chemins de fer, elle conserve une importance
a«'{uelle; les chars et les convois de mules servent tou-
jours à rassembler et à distribuer autour de chaque
stiition de chemin de fer les éléments de son trafic. La
zone des cultures et de lélevage perfectionné dans les
Pampas, la zone du mouton en Patagonie, la zone des
exploitations de bois dans le Chaco sont toujours desser-
vies par des chars; les transports à dos de mules, —
l'arriérage, — sont pratiqués dans la zone andine, La
route du Pérou étaitcarrossable à la rigueur jusqu'à Salta,
mais elle est déjà rude et accidentée entre Tucuman et
Salta, et c'est généralement à Tucuman que s'arrêtaient
les chars et que se fai-ait le tnaisbordement. On avait
ainsi l'avantage d'éviter aux chars le gné du Sali que
les mules franchissaient plus aisément. Dans la plaine
elle-même, l'espacement des points d'eau et la longueur
des étapes obligeaient parfois à remplacer les chars par
des mules. Si les chars arrivaif-nts^ns peine à Mendoza,
parla route que le Tunuyan longe dans sa partie la plus
aride, tous les convois entre Cordoha et San Juan ou la
Rioja et Catamarca étaient formés de mules; Cordoha
formait donc ainsi que Tucunian un point de transbor-
dement sur la route de Buenos Aires vers le Nord-
Ouest. Endn si le mont»^ n'offre pas aux chars d'nbsta<-le
insurmontable, en revanche, les cliars ne peuvent péné-
trer dans la forêt tropicale humide, où le sol ne s'as-
sèche pas. Sur la lisière de la forêt des Missions,
San Javier était le point où les chars venus de San
Tome déposaient leur charge que des mules convoyaient
ensuite jusqu'aux yerbales.
Les deux zones des transports sur roues et de l'arrié-
rage n'ont jamais été parfaitement étanches; les arrieros
ont parfois pénétré dans le domaine des charretiers et
sont venus leur faire concurrence jusque sur les rives du
ROUTES ET VOIES FERRÉES. 2la
Parnna. En 18(i() (Hutciiinson), les muletiers amènent à
Ixosario un cinquième environ en poids du trafic en
provenance de l'inlérieur, et ils assurent plus d'un tiers
des Iransporls de Hosario vers rinlérieur. Ils ne léussis-
saienteeprn lant à trouver du l'ret qu'en offrant des prix
d'un tiers moins élevé.s que ceux des chars. Il semble
que cette invasion des arriéros répond à une crise des
transports dans la zone andine qui laissait sans travail
une partie dos muletiers de >an Juan. Elle ne dura pas;
dès IHCi^, les transports à dos de mules entre Rosario el
l'intérieur s'étaient presque interrompus.
Les chars de la plaine argentine ont été décrits par de
nombreux voyageurs : c'étaient de pesants véhicules,
qui portaient 150 ou parfois 180 arrobes (17!25 à
2070 kilos), couverts d'une bAche de cuir tendue sur
des cercles; un long aiguillon orné de plumes d'autruche
reposait en équilibre sur un anneau fixé au toit et ser-
vait à diriger la paire de bœufs de devant. Une cruche
de terre, contenant la provision deau pour les étapes,
était suspendue aux montants de derrière. L'allelage
comprenait normalement trois paires de bœufs, dont une
paire de limoniers. A Corrientes, la nécessité de fian-
chir les marais et les esteros avait lait adopter un type
particulier de chars, muni d'une sorte de claie horizon-
tale formant un étage supérieur, où se tenait le < onduc-
teur. Partout, dans la Pampa aussi bien qu'à Corrienle?,
les roues étaient énormes, et leur diamètre atteignait
parfois, dit Darwin, jusqu'à 10 pieds. Ainsi les chars
parvenaient à franchir les fondrières. La boue étuiten
effet le pire ennemi des convois. Le sol de la Pampa est
argileux et tendre dans la région voisine du fleuve. La
largeur de la route n'étant pas limitée, lorsque les
ornières s'approfondissaient, les chars se détournaient
à droite ou à gauche, et la piste arrivait à couvrir une
large zone de terrain. Mais on n'avait pas cette ressource
au voisinage des villes où la circulation se concentrait.
Buenos Aires en vint à être entourée de fondrières
2-20 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
redoutables, qui s'assainissaient seulement en été, et le
pavage de ses rues et de ses abords était en voie de
devenir un problème d'importance nationale quand la
construction des chemins de fer fut commencée.
Les chars ne voyageaient pas isolément. Le « tropero »
ou entrepreneur de transports organisait les caravanes.
En pays soumis, où une escorte militaire n'était pas
indispensable, et où l'on pouvait sans inconvénient
diviser les convois, leur effectif variait le plus souvent
de 15 à 50 chars. Outre les 6 bœufs de l'attelage, il fal-
lait avoir des bœufs de rechange et quelques chevaux
de service ; on comptait ordinairement au total 10 bœufs
par char, exceptionnellement le double \ Le convoi des
Salines de 1778 n'emmenait pas moins de 12 000 bœufs
pour 600 chars. Chaque char avait son conducteur. Mais
il fallait en outre des conducteurs pour les bœufs haut
le pied, des charpentiers pour les réparations en cours
de route; le chef de la caravane, « capataz », était le
plus souvent un maître charpentier. C'est lui qui repré-
sentait les intérêts du tropero. Le personnel comprenait
environ trois hommes pour deux chars. Les carieros for-
maient une population nomade, originale, bien différen-
ciée par ses coutumes et son caractère des gauchos (éle-
veurs) de la plaine. A la fin du xviif siècle, Buenos Aires
employait aux transports vers Mendoza et Tucuman plus
d'un millier de chars (Borrero).
Les étapes dépassaient rarement 4 à 5 lieues de 5 kilo-
niètres. A cette allure, un convoi mettait de 40 à 5U jours
pour aller de Buenos Aires à Mendoza ; 50 jours, de
Rosario à Tucuman ; 3 mois avec les périodes de repos
nécessaire, de Buenos Aires à Salta^ Quand Teau man-
1. Selon les renseignements fournis par de Angelisjl837, Introduc-
lion au Diaiio ilel viujeal Rio Bermejo de Fniy Francisco Murillo. Coll.
de Angelis, t. VI), une caravane de 14 chars, de Saita à Tucuman,
nécessitait 3 relais de bœufs; le premier, de 100 animaux, allait do
Saita à Tucuman; le deuxième de 150, allait de Tucuman à la fron-
tière de Buenos Aires ; le troisième, de 84, allait jusqu'à la capitale.
Le premier et le dernier relais étaient composés d'animaux loués; le
deuxième seul était la propriété du tropero.
2. 30 jours de Buenos Aires à Mendoza; 70 jours de Buenos Aires à
ROUTES ET VOIES FERRÉES. 221
(juait, le voyage pouvait être prolongé sensiblement, le
rendement des attelages affaiblis se réduisant, ou même
être interrompu, si les aiguades étaient taries, La saison
n'élait pas indifTérenle. Dans la région de Buenos Aires,
l'hiver délrempanl le terrain, rendait la circulation diffi-
cile. Plus au Nord, l'hiver correspond à la saison sèche,
le p.'Uurage y manque et il était difficile d'alimenter les
tropas en voyage. L'été offrait lui aussi des obstacles :
en janvier et février la crue du rio Diilcc rendait fré-
quemment intransitable le gué de Santiago. Les charre-
tiers partaient de préférence des provinces du Nord vers
la fin de l'été, en avril ou en mai. La saison la plus favo-
rable pour quitter Buenos Aires était le printemps,
d'août à novembre. Chaque tropa pouvait ainsi effectuer
dans l'année un voyage d'aller et retour.
Avant la construction des voies ferrées, des efforts
avaient déjà été réalisés pour accélérer les transports.
La « Calera » ou diligence, que remorquait un essaim de
chevaux attelés à la cincha (sangle où s'attachait le
lasso), ne servait pas aux transports de marchandises ;
elle remplace non le convoi de chars, mais la tropilla de
chevaux de rechange que poussaient devant eux les
voyageurs qui traversaient la plaine. La galera allait de
Rosario à Cordoba en 5 jours, à Mendoza en 10, de Cor-
doba à Salta en 14 jours. Vers 1860, s'organisèrent des
services rapides de transports pour marchandises, où
lies chars légers attelés de mules remplaçaient les chars
à bœufs. Ils faisaient en 6 jours le trajet de Rosario à
Cordoba. De même, avant 1889, les chars à bœufs avaient
fait place, dans la Pampa, à des charrettes rapides traî-
nées par des chevaux pour les transports de laine des
estancias aux gares d'embarquement. •
Le prix des transports par chars était naturellement
élevé; il était d'ailleurs très irrégulier, et il ne peut être
Jujuy, dit Borroro. (F. Bonero, Descripcion de las Provincias del Rio
de l'i Plaln, fin du .wiir siècle, publié par le Ministerio de Relaciones
exteriorcs, Buenos Aiies, 1911.)
222 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
question d'en suivre les variations. Il sulfira de repro-
duire à titre d'exemple les indications que donne liut-
chiiison pour l'année 1862 : le fret était calculé soit par
ctiarge complète de 150 arrobes (1725 kgs.), soil par
arrobe de 11 k. 500. Le transport d'une charge de
Rosario à Cordoba valait de 40 à 50 piastres fortes
(200 à 250 francs). Le transport d'une arrobe de Rosario
à Mendoza valait de 5 à 6 reaies (2 fr. 50 à 3 francs); de
Rosario à Tucuman, 9 reaies (4 fr. 50); de Rosario à
Saila, 18 reaies (9 francs). Aussi les tropas furent-elles
rapidement supprimées par le développement des voies
ferrées. Sur quelques points pourtant, elles tentèrent
contre le chemin de fer une lutte inégale. Le « memoria
deldepartementodeIngenierosdelaNacion »de l8T6.cité
parRebuelto, signale la concurrence que font les tropas
au chemin de fer Andino, ouvert de Villa Maria à Rio
Cuarto en 1873, et à Villa Mercedes en 1875. Les com-
merçants de San Juan et de Mendoza continuaient à les
employer. Le chemin de fer dut signer avec les troperos
un contrat aux termes duquel les chars devaient amener
les marchandises jusqu'à V'^illa Mercedes où ils les re-
mettaient au chemin de fer. Le fret global était de
50 centavos boliviens (2 fr. 50) par arrobe depuis M<m-
doza jusqu à Rosario, et de GO centavos depuis San
Juan. Le chemin de fer prélevait pour sa part 15 centavos.
Le premier chemin de fer argentin fut inauguré en
1859 seulement, entre Buenos Aires et Moron, sur une
dislance de 20 kilomètres.
En 1870, les voies ferrées argentines forment deux
réseaux indépendants. Le premier commence à dessiner
un éventail rayonnant autour de Buenos Aires (ligne de
l'Ouest, ouverte jusqu'à Chivilcoy en 1870, ligne du
Sud, ouverte jusqu'à Chascomus en 1865). Plus au
Nord, une ligne (Central Argentino), part de Rosario et
atteint Bellville en 1866 et Cordoba en 1870.
ROUTIvS ET VOIES FERRÉES. 2iô
L'isolement politique de Buenos Aires entre 1852 et
180"2, pendant la [M;riode où furent accordées les pre-
niirr<'s concessions, laisse dans le dessin du réseau
une trace durable qui ne s'elVace que 15 ou W ans plus
lard. C'est en I8(S6 seulement que Rosario fut relié par
rail h liuenos Aires. La ligne vers Mendo/.a et le Chili
entreprise dès 187.) (F. C. Audino), se greffa sur le che-
min (le fer de Hosario à Cordoba. Klle atteignit Mendoza
au pied des Andc-< avant d'être raccordée à Buenos Aires,
et c'est en 18N8 que le chemin de fer du Pacitique fut
achevé entre Buenos Aires et N'illa iMercedes, et élahliL
une communication directe entre la capitale et les pro-
vinces de Cuyo.
La ligne de Rosario à Cordoba est donc la branche
principale autour de laquelle se développa le réseau
argentin. Il e.^t remarquable qu'on envisagea dès la dale
de m première <oncession, en 1855, son prolongement
vers l'Ouest, et qu'on songea à en faire l'amorce d'un
transandin. Le premier concessionnaire, Wheelwright,
avait construit en 1851 au Chili la voie feirée la plus
ancienne du continerjt sud-américain, de la Cald^'ra à
Copiapo. La concession de 1N55 autorisait WheeKvright
è prolonger vers l'Ouesl la ligne de (Cordoba, et à la
relier à la ligne de Copiapo. En inauguianl la gare de
Cordoba, en 187o, sans se laisser décourager par la len-
teur avec laquelle le rail avait traversé la Pampa,
Wheelwright déclarait encore que le but était le Paci-
tique, par la Rioja, Co[)aca!)ana et le col de San Fran-
cisco. Ce programme ambitieux méritait d'êlre rappelé,
ne fût-ce que comme un souvenir de l'ancienne orienta-
lion du commerce de la Rioja et de ïinogasta vers le
Pacifique, et comme une preuve de l'importance
qu'avaient, dans l'imagination des hommes de cette géné-
ration, lés vieilles routes transandines du Nord-Ouest de
l'Argentine.
Avant même que la ligne de Rosario eût atteint (^lor-
doba, on avait entrepris de la prolonger au Nord jusqu'à
22i LA RÉPUBLIQUE ARGEINTLNE.
Tucuman. Le travail fut poussé rapidement, et Tucuman
atteint dès 1875. La ligne de Cordoba et Tucuman fut la
première construite entièrement dans la zone du monte;
on y employa pour la première fois les traverses de que-
bracho. Tandis que les premières lignes de la province
de Buenos Aires et le Central Argentino avaient, sur le
modèle des chemins de fer de l'Inde, une largeur de voie
de 1 m. 67, le Central Cordoba, de Cordoba à Tucuman.
fut établi à voie étroite de 1 mètre; les marchandises en
provenance de Tucuman devaient donc subir un trans-
bordement à Cordoba. A la même date (1875), étail
ouverte la ligne de Concordia à Monte Caseros. permet-
tant de tourner les rapides de TUruguay, qui devait servir
d'amorce à tout le réseau mésopotamien. Sa largeur de
voie était de \ m. 43. La diversité des types de voie est,
dès ce moment, et restera, l'une des caractéristiques du
résrau argentin.
Lri période de 1875 à 1890 voit construire les lignes
principales qui se substituent aux anciennes routes de
province à province. Le chemin de fer Andin atteint
San Luis en 1882, Mendoza et San Juan en 1885. Des
embranchements du Central Cordoba parviennent à San-
tiago del Estero en 18<S4, et à Catamarca en 1889. Le
Central Argentino ouvre en 1891 une ligne nouvelle
directe à voie large de Rosario à Tucuman, et presque
en même temps, est achevée plus au Nord la voie étroite
du Central Norte, de Sanla Fe à Tucuman. La ligne de
Tucuman est prolongée au Nord au pied des Andes jus-
qu'à Salta. Dans la province de Buenos Aires, la ligne
de Bahia Blanca est ouverte en 1884. Depuis 1900, les
chemins de fer ont été poussés jusqu'aux frontières et
raccordés dans différentes directions au réseau des pays
voisins. I.e tunnel de la Cumbre sur le transandin de
Mendoza a été achevé en 1910, et le trafic par voie ferrée
a\ec le Chili est devenu permanent. La ligne de Salta a
été prolongée en 1908 jusque sur le plateau bolivien.
Enfin, dfins la Mésopotamie, le chemin de fer du Nord-
ROUTES ET VOIES FERRÉES. 225
Kst a atteint Posadas en 19H, et s'est relié avec le che-
min de fer du Paraguay.
Ces indications donnent toutefois une idée très incom-
plète de l'histoire de la formation du réseau argentin.
Ce réseau ne s'est pas seulement superposé aux an-
ciennes routes, il a servi d'autre part à l'ouverture et à
la mise en valeur de terres neuves dont il a permis la
colonisation. Dès 1885, Valiente Noailles, examinant le
plan général du réseau, signalait cette profonde diffé-
rence entre les chemins de fer d'Argentine et d'Europe.
« En Europe... les chemins de fer sont construits...
pour desservir des centres de production et de consom-
mation déjà existants.... Nos chemins de fer en Argen-
tine doivent permettre la colonisation. » A l'occupation
de chacune des régions de la plaine pampéenne par
l'éleveur ou l'agriculteur, correspond la construction
dans cette région d'un réseau dont elle alimente le
trafic et qui lui permet d'écouler sa production. Les
mailles de ce réseau sont d'autant plus serrées que la
région est plus productive ; elles restent plus larges
dans les zones pastorales que dans les zones agricoles.
La période du développement du réseau du Sud dans la
province de Buenos Aires correspond à l'expansion de
l'élevage aussitôt après la pacification de la Pampa. Le
chemin de fer atteint Azul en 1876. L'embranchement
d'Ayacucho est ouvert en 1880 et prolongé en 1887
jusqu'à Très Arroyos; l'achèvement de la ligne de Bahia
Blanca par Azul et Olavarria, en 1884, ne marque lui-
même qu'une des dates de cette période de colonisa-
tion. La grande période de la colonisation agricole de
Santa Fe et de la construction du réseau des voies fer-
rées qui la desservent, débute un peu plus tard, et elle
est comprise entre 1880 et 1890 (extension du réseau
du Central Argentin, des chemins de fer de la Province
de Santa Fe et du chemin de fer à voie étroite de
Rosario à Cordoba).
Le rôle que la voie ferrée a joué dans la colonisation
Dem». — L'Aigentine. Ib
•JiiG LA RÉPUBLIQUE ARGENTLXE.
transparaît nettement dans le dessin actuel du réseau qui
s'est développé librement sur la surface uniforme de la
plaine pampéenne. Les lignes rayonnent autour du porî
de Buenos Aires, et en moins grand nombre autour des
ports de Rosario et de Bahia Blanca. A un examen plus
détaillé, la symétrie de la carte des chemins de fer, qui
frappe au premier abord, apparaîtra moins complète.
Tandis que la côte atlantique entre la Plata et Bahia
Blanca n'a pas de ports, le Parana offre au contraire
nombre de points favorables à l'embarquement des
céréales. La Plala, San Nicolas, V. Constitucion sont
desservis par des voies ferrées qui coupent perpendi-
culairement les lignes aboutissant à Rosario et à Buenos
Aires. Cette complexité du réseau à l'Ouest du Parana
se continue au Nord de Rosario, où les lignes aboutis-
sant à Santa Fe coupent partout les lignes dirigées vers
Rosario. Les lignes qui viennent toucher la côte Sud
de la province de Buenos Aires (à Juancho, Neco-
chea, etc.), contrairement à ce qui se passe pour les
lignes desservant les ports secondaires du Parana, ont
tout leur trafic orienté vers l'intérieur, et servent seule-
ment à rassembler vers Buenos Aires et Bahia Blanca la
récolte des régions qu'elles traversent. Elles sont des
dépendances des grandes lignes du réseau du Sud et non
des lignes concurrentes.
Lorsque la partie la plus fertile de la plaine pam-
péenne, où des pluies régulières assurent les récoltes,
eut été complètement colonisée et couverte de chemins
de fer, le gouvernement national poursuivit dans les ter-
ritoires nationaux la politique de la colonisation par le
rail. Le ministre Ramos Mejia a attaché son nom à ces
travaux, interrompus depuis la guerre, et qui ont rempli
la dernière période de la formation du réseau argentin.
Les chemins de fer de Ramos Mejia comprennent les
lignes de pénétration du Chaco ouvertes à partir de
Resistencia et de Formosa vers le Nord-Ouest, et les
lignes construites vers l'intérieur de la Patagonie à
ROUTES ET VOIES FERRÉE.S. 227
partir df^s ports de Son Antonio, de Puerto Deseado et
de Rivadavia. Il faut y ajouter la ligne du Neuquen vers
les Andes, construite par la Compagnie du Sud, mais
avec une subvention gouvernementale'. Ces lignes, des-
servant des régions peu peuplées et de ressources
naturelles insuffisantes, ne peuvent escompter d'ici
longtemps un rendement rémunérateur ^
La construction des voies ferrées doit donc être con-
sidérée dans l'Argentine moderne comme l'un des
aspects du problème de la mise en valeur du sol. — Les
Compagnies de chemins de fer ont été amenées à inter-
venir directement dans le développement de la coloni-
sation. Le Central Argentino reçut en d865 du Gouver-
nement une bande de terrain large de 5 kilomètres de
part et d'autre de la ligne en construction, entre Rosario
et Cordoba, à charge de la coloniser. La Compagnie eut
elle-même ses agences d'immigration et ses services de
colonisation et ouvrit ses premières colonies à l'Ouest
de Rosario entre LS70 et 1872. Ce type de concession est
resté exceptionnel en Argentine. En revanche, la loi
de 1909 sur l'irrigation charge les Compagnies de che-
mins de fer d'exécuter pour le compte du Gouvernement
les travaux nécessaires pour le développement de l'irri-
gation dans les zones desservies par elles, ces travaux
ayant une répercussion immédiate sur l'accroissement
1. La ligne de Bahia Blanca au Rio Negro, dont la ligne du Neu-
quen est le prolongement, a été construite dès 1896.
•2. On a prévu le prolongement de plusieurs de ces lignos, de façon
à leur assurer plus tard un trafic de transit à grande distance. Les
lignes de Resistencia et de Formosa, poussées jusqu'aux Andes,
pourront disputer aux lignes de Rosario et de Tucuman le trafic de
la région de Salta. En Potagonie, le prolongement du chemin de fer
de San Antonio au Nahuel Huapi à travers les Andes, vers la région
de Valdivia, a été étudié. Un passage a été découvert à l'altitude de
•1200 mètres. Le jour où ce projet serait réalisé, le transandin du
Nahuel Iluapi pourrait concurrencer avantageusement le transandin
d'Uspallata, condamné par son altitude à rester exclusivement une
ligne de voyageurs. Ces projets, dont la réalisation est encore éloi-
gnée, n'enlèvent pas aux chemins de fer de Ramos Mejia leur carac-
tère de ligues de colonisation, uniquement consacrées pour l'instant
au transport des bois du Chaco et des laines de Patagoni'^.
228 LA REPUBLIQUE ARGENTINE.
de la population et du trafic. Aux termes de cette loi, le
chemin de fer du Sud construit un canal qui arrosera
toute la vallée du Rio Negro en aval du confluent du
Neuquen. Le Central Argentino et le Pacifico ont de
même entrepris la construction de barrages sur le rio
Tercero et le rio Quinto, dans les provinces de Cordoba
et de San Luis.
La fonction essentielle de la voie ferrée étant d'amener
les produits de la zone desservie au port d'exportation,
le problème des rapports entre l'Administration des
chemins de fer et l'Administration des ports prend une
importance essentielle. Si les ports principaux, comme
Rosario ou Ruenos Aires, que desservent différentes
Compagnies de chemins de fer, conservent leur indépen-
dance, tel port secondaire est, au contraire, à la merci
de l'unique chemin de fer qui lui amène des marchan-
dises. Sous ce régime, les ports sont devenus dans bien
des cas de simples dépendances des chemins de fer. Le
port de Colastiné appartient aux chemins de fer de la pro-
vince de Santa Fe. Le port de Rahia Rlanca se compose
de plusieurs ports distincts construits par les différentes
Compagnies de chemins de fer, administrés par elles,
et 011 chacune d'elles opère le transbordement des mar-
chandises qu'elle amène. Le port Ingeniero White, qui
appartient à la Compagnie du Sud, fut construit dès 1885,
aussitôt après l'ouverture de la ligne de Buenos Aires à
Bahia Blanca; le Puerto Galvan appartient à la Com-
pagnie du Pacifico ; le puerto Belgrano est le port du
chemin de fer de Rosario à Bahia Blanca. A Buenos
Aires, la Compagnie des chemins de fer du Sud a acquis
le contrôle de la « Buenos Aires Southern Dock Com-
pany » ; à la Plata, elle exerce la gérance des docks.
L'expansion de la colonisation agricole fut d'abord
limitée par les frets que pouvaient supporter les céréales
à une zone d'un rayon de 500 kilomètres environ autour
des ports. C'est le chiffre que donne Girola dans l'Inves-
tigacion agricola de 1904. La période de 1895 à 1905
ROUTES KT VOIES FERRÉES. 2-29
vit éclore une série de projets de conslruction de
canaux dans la région pampéenne, destinés à assurer les
transports de grains dans la zone que la voie ferrée ne
semblait pas pouvoir desservir économiquement. Aucun
d'eux ne fut réalisé, mais les chemins de fer élargirent
rapidement leur zone d'influence vers l'intérieur. Il
subsiste toutefois une trace de cette pause de la coloni-
sation, dans ce qu'on appelle en Argentine les tarifs
paraboliques. Les chemins de fer argentins appliquent
en effet en principe, et sauf les exceptions dues à la
concurrence entre lignes rivales, des tarifs propor-
tionnels aux distances jusqu'à 550 kilomètres et des
tarifs dégressifs au-dessus de cette limite. Les chemins
de fer ont favorisé ainsi la conquête de l'Ouest. Les
tarifs dégressifs ont certainement leur part dans l'expan-
sion de la colonisation pendant les années qui précé-
dèrent 191 2 : ils ont contribué à masquer l'infériorité des
terres nouv(;lles auprès des terres plus favorisées de
l'Est'.
La hausse des terres et le progrès de la colonisation
provoquèrent, à chacune des crises de développement
qui marquent l'histoire récente de l'Argentine, un foi-
sonnement de concessions de voies ferrées accordées
par le Gouvernement de la Nation et par celui des diffé-
rentes provinces, qui durent être rachetées parles Com-
pagnies principales, chacune d'elles s'efforçant de rester
maîtresse exclusive de la zone où elle s'était établie. Ce
travail de concentration ne put être réalisé d'une façon
parfaitement méthodique, et les différents réseaux se
pénètrent aujourd'hui contrairement aux intérêts des
Compagnies. C'est ainsi que Villa Maria, sur la ligne
du Central Argentine de Rosario à Cordoba, est des-
servie également par une ligne des chemins de fer de la
province de Santa Fe et par une ligne du Pacifique qui
I. J. Lopez MaûJin, t'I actual prohlema ayrario. Buenos Aii'es, 191'2
(Minislerio de agricullura. Direccion General de agricullura y dclensa
agricola).
2."0 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
la met en communication avec Buenos Aires. En re-
vanche, le Central Argentine pénètre à Junin jusqu'au
cœur de la zone du Pacifico.
Cependant la concurrence entre les diverses Compa-
gnies a eu pour effet de répartir la plaine pampéenne en
trois grandes zones d'influence. La première au Nord
est celle du Central Argentino et du Buenos Aires y
Rosario. Le Gouvernement argentin a officiellement
sanctionné en 1908 la fusion des deux Compagnies qui
était réalisée en fait depuis plusieurs années. La
deuxième zone au Sud est celle du Pacifico dont
l'amorce fut la ligne de Buenos Aires à Villa Mercedes,
et qui a racheté en 1907 la ligne de Villa Mercedes à
Mendoza et le Transandin, prolongement naturel de son
réseau. En outre, le Pacifique a absorbé en 1904 la ligne
de Bailla Blanca au Nord-Ouest qui a été reliée à son
réseau primitif vers Villa Mercedes. Il possède ainsi un
double débouché vers Buenos Aires et vers Bahia
Blanca et enferme complètement entre ses branches la
troisième zone. La troisième zone, qui comprend le
Centre et le Sud de la plaine pampéenne, est le domaine
des Compagnies du Sud et de l'Ouest. Ces deux Compa-
gnies ont demandé en 1912 au Gouvernement argentin
l'autorisation de se fusionner. Bien qu'elles aient retiré
leur proposition en 1914, en présence des conditions qui
leur étaient imposées, elles restent étroitement unies et
solidaires. Une partie du trafic des lignes occidentales
de l'Ouest passe à Carhuë sur les lignes du Sud, et
s'embarque au port d'Ingeniero V^hite. A Buenos Aires,
de même, et à la Plata, une partie du trafic de l'Ouest
en céréales et en bétail utilise les installations de la
Compagnie du Sud. L^Ouest et le Sud, conjointement,
ont racheté, dès 1908, avant qu'elle fût achevée, l'exploi-
tation de la ligne à voie étroite du Midland de Buenos
Aires à Carhuë, qui devait traverser leur zone d'influence,
et qui a été mise en service en 1911.
L'importance du transport des céréales dans la vie
34,3 o/o
32,5 <> 0
32,6 o/„
61,7
55,1
58,4
41,8
53,8
35
46.G
34,8
39,5
ROUTES ET VOIES FERRÉES. 251
des grands réseaux argentins peut être mesurée par les
chiffres suivants. Par rapport au total des marchandises
transportées, tant de l'intérieur vers les ports que des
ports vers l'intérieur, le tonnage des céréales exportées
représente :
1913. 19U. 1910. Moyenne.
Sud 31 o/o
Ouest 58,3
Pacifique. . . 21)
Central. . . . 5d,5
Les chiffres s'abaissent légèrement sur le Sud qui
s'étend sur une zone restée largement pastorale, et qui
dessert, par sa ligne du Rio Negro, une partie des trans-
ports du bétail de Patagonie (transports de bétail
sur le Sud, moyenne des années 1915, 1914 et 1916 :
17,2 pour 100 du tonnage total, 19 pour 100 delà recette
totale; transports de laine sur le Sud : 1,4 pour 100 du
tonnage, 6,3 pour 100 de la recette). Ils s'élèvent au
contraire pour l'Ouest, le seul réseau qui soit entière-
ment compris dans la région pampéenneet qui ne pousse
pas de prolongements en dehors comme le Pacifique
vers Mendoza et le Central vers Tucuman.
La proportion du trafic total qui revient à chaque
réseau varie d'une année à l'autre selon le rendement
de la récolte. Sur les 4 à 10 000 000 de tonnes de cé-
réales transportées chaque année, la plus grosse part,
I/o environ, revient au Central Argentino; 1/6 envi-
ron au Sud. Le Central Argentino transporte la plus
grande partie de la production du maïs et du lin; le
maïs représentée lui seul 26 pour 100 du tonnage chargé
sur le réseau, et le lin 5,6 pour 100. Parmi les autres
réseaux, l'Ouest seul transporte une quantité importante
(le maïs, provenant de la région de Junin (19 pour 100
de son tonnage, mais 12 pour 100 seulement de sa
recette, en raison de la faible distance sur laquelle s'ef-
fectuent ces transports). Les transports de blé sont à
232 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE,
peu près également répartis entre les 4 grands réseaux,
mais c'est sur l'Ouest que leur proportion avec le trafic
total est la plus forte : (34,4 pour 100 du tonnage total).
Le réseau du Sud est le principal transporteur d'avoine
(9,8 pour 100 du tonnage total). Le tonnage convoyé
annuellement est particulièrement irrégulier sur le
Central, en raison de l'inégalité des récoltes de maïs, et
aussi sur le Pacifique, dont les lignes desservent, au
Nord-Ouest de Bahia Blanca, une zone de production
de blé exposée à la sécheresse (blés transportés par le
Pacifique en 1913 : 15,9 pour 100 du tonnage total, en
1914 : 27,2 pour 100).
L'évacuation des céréales pose pour les réseaux ar-
gentins un problème délicat d'organisation du trafic. La
récolte de lin, de blé et d'avoine doit être enlevée dans
les 4 à 6 mois qui suivent la récolte (décembre-janvie]).
La récolte du maïs, qui est plus tardive, est aussi beau-
coup plus lente et se prolonge pendant tout l'automne.
L'évacuation du maïs se répartit donc sur une longue
période, et il arrive qu'une campagne d'exportation du
maïs rejoigne celle de l'année suivante. De ce fait, le
Central se trouve avantagé par rapport aux autres ré-
seaux. La laine doit aussi, en raison de sa grande valeur,
être concentrée rapidement vers les ports après la tonte,
mais elle ne représente qu'un tonnage restreint d'une
centaine de mille tonnes'.
L'exportation est loin cependant de constituer la tola-
lité du trafic des chemins de fer argentins. Les trans-
ports de produits destinés à la consommation intérieure
portent en premier lieu sur une partie notable de la
récolte des céréales. Les transports de matériaux de
construction : briques, chaux, pierres à bâtir, pavés,
fournissent également un fret important aux différentes
lignes joignant Buenos Aires à la Sierra de Cordoba et
i. La guerre et les difficultés de l'affrètement maritime ont réduit
la gravité du problème de la rapidité des transports par voie ferrée
sur le territoire argentin.
ROUTES ET VOIES FERRÉES. '2ô:>
à la Sierra de Tandil. Le chemin de fer du Sud a trans-
porté, en 1913, 1 154 000 tonnes de matières minérales,
dont 007 000 tonnes de pierres et 101 000 tonnes de chaux,
provenant de la sierra de Tandil et 34 000 tonnes de sel
provenant des salines de Levalle, entre Bahia Blanca et
le Colorado. Les chemins de fer du Pacifique, du Central
Argentino, du Central Cordoba et de l'État ont trans-
porté la même année, en provenance de la sierra de
Cordoba, 880000 tonnes de matières minérales dont près
de la moitié de chaux'. Les bois chargés sur tous les
chemins de fer du Nord de l'Argentine sont, à l'excep-
tion du quebracho des rives du Parana, destinés eux
aussi à la consommation intérieure : traverses de voies,
piquets de clôtures, bois de chauffe et charbon forment
le fret principal sur la plupart des lignes du monte. La
guerre a ralenti la construction des chemins de fer et
réduit la consommation des traverses, mais elle a privé
l'Argentine de combustible minéral et augmenté les
transports de bois de chauffage. Même sur des réseaux
comme ceux du Pacifique ou du Central Argentino qui
n"ont dans le monte qu'une faible partie de leurs lignes,
le tonnage des bois transportés représente encore
6 pour 100 du tonnage total (moyennes des années 1913,
1914 et 1910), la proportion s'élève à 50 pour 100 du ton-
nage total sur le Central Cordoba. Les sucres de Tu-
cuman et les vins de Mendoza forment pour plusieurs
Compngnies un élément essentiel de leurs recettes, moins
par leur tonnage que par le prix élevé du fret et par la
longueur du parcours jusqu'aux centres de consomma-
tion de la région pampéenne. Les transports de vin et
de tonneaux assurent au Pacifique 58,5 pour 100 de
ses receltes (1915-14-16). Les transports de sucre sur
le Central Argentino représentent en année normale
1. Les Iran.sports de matières minérales, à l'exception des trans-
ports de sel, ont été grandement réduits par la guerre. En 1916, ils
ne s'élèvent plus qu'à 037 000 tonnes pour le Sud et 157 000 tonnes
pour l'ensemble des réseaux du Central Argentino, du Pacifico, du
Central Cordoba et de l'État.
23 i LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
5 pour 100 de ses recettes. Sur le Central Cordoba, le
tonnage de canne à sucre et de sucre transporté s'élève
en 1914, année de récolte exceptionnelle, à près de
42 pour 100 du tonnage total, à près de 20 pour 100
encore en 1916, année de récolte très réduite. Enfin
l'approvisionnement en viande du marché de Buenos
Aires et de la zone pampéenne, à population dense,
détermine un courant important de transport de bétail
à grande distance, les frigorifiques absorbant pour les
marchés extérieurs le bétail sélectionné de la zone, voi-
sine des ports, et les abattoirs de Buenos Aires devant
se contenter de bêtes moins fines élevées dans les pro-
vinces et les territoires éloignés.
L'importance de -ces courants de trafic interne s'est
fait sentir sur l'organisation du réseau argentin. Elle a
rendu essentiel, pour chaque réseau, non seulement
d'avoir une issue sur un port d'exportation, mais d'être
relié directement au" centre principal de consommation
intérieure, Buenos Aires. Le réseau à voie étroite, qui
était resté jusqu'à la fin du xix" siècle limité à la moitié
septentrionale du territoire argentin, au Nord de la lati-
tude de Rosario, s'était développé après 1900 dans la
province de Buenos Aires où il entreprenait de concur-
rencer, pour l'exportation des céréales, le réseau à voie
large (Compagnie des chemins de fer de la province de
Buenos Aires, chemin de fer provincial de la Plata). Ce
réseau s'est uni aux lignes à voie étroite du Nord. Le
Central Cordoba, qui avait atteint Rosario en 1912 el
évité ainsi, pour son trafic d'exportation, la nécessité du
Pl. VL — ■ Les chemins de fep.
Il a élé impossible de figurer le réseau complet; les lignes principales seules
sont indiquées. Parmi les lignes à voie élroite de la région pampéenne, on n'a
tracé que celles qui raccordent à Buenos Aires le réseau du Nord de l'Argenlino.
l.a carte montre le double débouché du réseau du Pacifico de Villa Mercedes
vers Buenos Aires el Bahia Blanca; elle ne donne qu'une idée insuffisante de la
façon dont se superposent et sentre-croisent les réseaux aboutissant aux ports
du Parana et du Rio de la Plata : Sanla Fe, Rosario, San Nicolas, Buenos
Aires, La Plata.
Hems. — L'Argentine.
l'r,. VI
Réaions monragneoses
Chemins de fer à fOit \nrgt-
d° à lOît (irhile
d° à voie moyenne
ROUTES ET VOIES FERREES. 255
transbordement à Cordoba sur la voie large, a entrepris,
aussitôt après, la construction d'un raccord direct avec
Buenos Aires (Central Cordoba, extension à Buenos
Aires, ouvert en 1915). La ligne de Rosario à Buenos
Aires de la Compagnie de la province de Buenos Aires
sert de même au passage des trains de la Compagnie de la
province de Santa Fe qui s'est étroitement associée avec
elle. Les lignes à voie moyenne de la Mésopotamie ont
réalisé, elles aussi, leur raccord avec Buenos Aires par
l'intermédiaire d'un ferry-boat qui circule sur le Parana
entre Ibicuy et Zarate, et par l'utilisation d'un tronçon
du Central de Buenos Aires.
La concentration des lignes à voie étroite et à voie
moyenne parut même en 1915 aboutir à une fusion com-
plète de leurs intérêts. L'Argentine Railway Co. se rendit
maîtresse des cbemins de fer de l'Entre Bios, de Cor-
rientes et du Paraguay; elle afferma l'exploilalion du
Central Cordoba et de son prolongement; elle disposait
en outre de gros intérêts dans les Compagnies françaises
des provinces de Buenos Aires et de Santa Fe. L'unifi-
cation entre ses mains de toutes les ligues à voie étroite
eût été complète si elle avait pu absorber les chemins de
fer de l'État. La ligne à voie large de Rosario à Puerto
Belgrano, en conflit d'intérêts avec les grands réseaux
anglais à voie large, s'était rattachée au groupement
des lignes à voie étroite constitué par l'Argentine Rail-
way. La fusion tentée par l'Argentine Railway a échoué,
et, après sa faillite, les compagnies qu'elle avait momen-
tanément groupées, ont repris leur indépendance.
La voie fluviale du Parana a été pour les voies ferrées
tantôt une auxiliaire et tantôt une concurrente.
Jusqu'à l'ouverture de la ligne de Buenos Aires à
Rosario en 1886, la navigation du Parana resta le seul
lien entre le réseau du Nord de l'Argentine et celui de la
province de Buenos Aires. La Compagnie de Buenos
Aires à Rosario, avant l'achèvement de la ligne, avait
organisé sur le Parana un service de navigation, et main-
2ÔC LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
tenait ainsi un trafic de marchandises à destination des
stations du Central Argentin avec transbordement à
Rosario. Ces combinaisons entre le service par chemin
de fer et le service fluvial ont disparu depuis fachèvc-
ment de la ligne de Buenos Aires à Rosario.
En ce qui concerne le trafic d'exportation, les chemins
de fer n'ont pas essayé d''entrer en concurrence avec le
fleuve dans t"oute la section où il est ouvert à la naviga-
tion maritime, leur seule préoccupation étant de se
relier à lui. La voie ferrée et la voie fluviale se disputent
au contraire le trafic intérieur, et les transports de la
zone amont où la navigation maritime ne remonte pas.
Avant l'ère des chemins de fer, la voie fluviale, qui absor-
bait tout le trafic des marchandises n'en avait pas moins
laissé subsisté sur la rive gauche une route postale entre
Santa Fe, Corrientes et Asuncion. Le chemin de fer
conserve aujourd'hui l'avantage sur le fleuve pour les
transports rapides (transports de voyageurs entre Rosario
et Buenos Aires, transports de bétail sur pied du Chaco
et du Paraguay à destination de Buenos Aires ou des
Saladeros du bas Uruguay). Même pour certaines mar-
chandises lourdes, — le bois de quebracho, — la voie
fluviale n'a pas réussi à établir un monopole, et les
transports par voie ferrée restent actifs.
CHAPITRE VIÎI
LES VOIES FLUVIALES
L'utilisation du fleuve avant la navigation à vapeur. — La crue.
— La plaine fluviale. — Le lit du Parana et ses transformations.
— L'estuaire et ses marées. — La navigation maritime. — La
Ijatcllerie du Parana.
Le problème de l'utilisation de la voie fluviale du
Parana et du Paraguay n'intéresse pas l'Argentine seule :
il touche à l'histoire générale de la colonisation dans
l'Amérique du Sud. Le nom même du rio de la Plata
conserve le souvenir des préoccupations des premiers
navigateurs qui y abordèrent, et qui y cherchaient avant
tout une route vers les régions minières des Andes; il
est remarquable que l'Amazone, qui ouvre vers les
Andes une voie plus directe et mieux orientée, ne servit
jamais à atteindre le Pérou et fut utilisée tout au plus,
et d'une façon exceptionnelle, comme une voie de
retour, tandis que le Parana voit, pendant tout le
xvf siècle, s'organiser sur ses rives les expéditions à
destination de la Cordillère. Les itinéraires joignant le
Parana et le Paraguay au plateau sillonnent toute la
plaine de la Pampa et du Chaco, depuis la hauteur de
l'estuaire jusque près du 16" L. S. (expédition de Nuflo
de Chavez en 1557). Un faisceau particulièrement dense
part du fleuve entre le IS** et le 22° et aboutit à Santa
Cruz, le centre le plus septentrional établi par les Espa-
gnols dans la plaine, au pied des Andes, dont la fonda-
tion est une conséquence de l'utilisation du Parana*.
I. Un certain trafic comiuercial se maintient encore à cette latitude
entre le fleuve et la région de Santa Cruz, par les pistes de Puerto
Suarez et de Puerto Paclieco.
258 LA REPUBLIQUE ARGENTINE.
Cependant la colonisation espagnole ne parvient pas
à fonder d'établissements durables dans le Chaco. Les
Indiens, qui en restent les maîtres, interdisent le pas-
sage, et seule reste praticable la plus méridionale des
routes vers le plateau, au Sud du rio Salado, qui aboutit
à l'estuaire. De ce jour, la prospérité de Buenos Aires
efface celle d'Asuncion ; le fleuve cesse de jouer le
rôle d'une grande voie continentale.
Le partage du Parana entre Espagnols et Portugais
était un obstacle au plein rendement de la voie fluviale;
les Portugais tenaient les parties supérieures de son
bassin que le Brésil a conservées. Ils chassent les mis-
sionnaires espagnols du Parana supérieur au milieu du
xvii^ siècle, et se rendent maîtres du Paraguay au Nord
du 20" L. S. Leurs forteresses de Coïmbrè et d'Albu-
querque barraient le fleuve à la montée. Azara insiste
sur l'intérêt qu'aurait eu pour l'Espagne le désarmement
de ces forts; il eût permis de remonter par le fleuve
jusqu'aux missions espagnoles des Mojos et des Chi-
quitos. Les Portugais, de leur côté, n'utilisaient comme
route d'accès vers les mines d'or du Matto Grasso que
le tronçon supérieur du fleuve, auquel le chemin des
Paulistes vient se raccorder au Nord de Coïmbre.
Aujourd'hui encore, bien que le Parana soit ouvert à
tous les pavillons, le développement de la voie fluviale
n'est pas indépendant des conditions politiques. En
construisant le chemin de fer de Saint-Paul à Corumba,
et en créant ainsi sur son territoire une voie de commu-
nication directe avec le Paraguay supérieur, le Brésil
détourne du fleuve inférieur une part du trafic qui devrait
normalement l'emprunter. De même, les ports du Brésil
méridional et les réseaux qui y aboutissent cherchent à
attirer vers l'Atlantique les produits des bassins de
l'Uruguay et du Parana supérieur, qui, si les frontières
avaient été autrement dessinées, eussent suivi le fil du
courant pour alimenter le commerce de Buenos Aires.
Le commerce fluvial est limité, avant la Révolution,
LES VOIES FLUVIALES 259
aux échanges entre les Missions et le Paraguay d'une
j)art, et de l'autre Buenos Aires et les provinces andines.
Après la dispersion des Missions, le Paraguay est le
centre principal des expéditions sur le fleuve. Sa popu-
lation à la tin du xvni"^ siècle est relativement considé-
rable. Elle s'élevait, selon d'Azara, à 07000 habitants, el
à 47 000 pour le territoire des anciennes Missions, alors
que Buenos Aires, Santa Fe, Entre Bios et Corrientes
ne comptaient encore que 105 000 habitants en tout. Le
Paraguay expédiait par le fleuve du tabac, du maté et des
bois. La direction de l'estanco de B. A. recevait du
Paraguay 800 tonnes de tabac par an. Les exportations
de maté du Paraguay pour le Pérou, le Chili et les pro-
vinces de l'intérieur s'élevaient à 1725 tonnes; les expor-
tations de maté à destination de Buenos Aires à
2250 tonnes. Le bois provenait surtout du Tebicuary, oi!i
se formaient les angadas (trains de bois). C'est aussi sur
le Tebicuary que se trouvaient les chantiers de cons-
truction principaux : on y lançait des embarcations de
20 à 200 tonnes; elles s'éclairaient, pour descendre le
fleuve, de pirogues chargées de dépister les embuscades
des Indiens, maîtres de la rive droite au Nord de
Santa Fe.
Le développement de la navigation sur le Parana,
pendant la première moitié du xix*' siècle, est retardé
par les troubles et les guerres de la période de l'éman-
cipation et de l'unification de l'Argentine. A maintes
reprises, le blocus du fleuve est organisé et la circulation
s'y arrête; quelques barques de contrebandiers réus-
sissent seules à se glisser par les bras latéraux que les
navires mouillés dans le fleuve ne peuvent surveiller.
Robertson échappa ainsi aux vaisseaux espagnols.
L'image pittoresque que d'Orbigny a tracée de la vie
fluviale se rapporte à l'année 1827. A cette date, l'es-
tuaire est bloqué par la flotte brésilienne et dans toute
la région du delta, jusque vers San Pedro; la piraterie
est si répandue et l'insécurité telle, que, de l'Uruguay ou
240 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
du Parana, on se risque à peine à descendre jusqu'à
Buenos Aires, en groupant les navires en convois. Vers
Tamont, Corrientes marque le terme de la navigation.
Le dictateur Francia a fermé le Paraguay, et les pirogues
même ont cessé de circuler sur le haut Parana, le long
de la frontière paraguayenne. Les Gorrentinos, de
langue Guarani, obtiennent seulement de loin en loin
Tautorisation d'envoyer vers l'amont quelques barques,
que les pirogues convoient jusqu'à Neembucu et qui
ramènent des peaux et du maté. Corrientes est donc
devenu l'entrepôt du fleuve supérieur et a remplacé
Asuncion dans le commerce fluvial. La flottille du
Parana comprend des chalands à fond plat, qu'on n'em-
ploie qu'à la descente, et de fortes embarcations à
quille, durables, gréées en goélettes, en sloops et en
bricks, dont les cordages sont faits de tresses de cuir.
V^ers l'aval, le trafic se diversifiait un peu; les îles
envoyaient à Santa Fe et à Buenos Aires quelques
charges de bois de chauffage et de charbon; les vergers
du delta fournissaient Buenos Aires d'oranges et de
pêches; les peaux destinées à l'exportation s'embar-
quaient à Goya et Santa Fe ; mais le fret principal était
la chaux de la Bajada, que brûlaient les fours établis sur
la Barranca, aux affleurements des bancs de calcaire
coquillier.
La navigation était relativement aisée; le voyage de
Corrientes à Buenos Aires (1080 km) prenait d'ordinaire
.15 à 20 jours. A la montée, sa durée était plus irrégu-
lière; on s'arrêtait quand les vents du Sud manquaient,
ou l'on tentait de gagner un peu de terrain en se halant
à la corde (sirgar). D'Orbigny employa à la montée
un mois*. En 1822, avant la guerre avec le Brésil,
651 embarcations étaient entrées à Buenos Aires pour
1. Les vents du sud locaux, qui aident la navigation de la montée en
aval de Rosario, sont peut-être déterminés par la tempéi'ature élevée
des eaux du fleuve, qui provoque par ailleurs sur le Parana inférieur
les brouillards épais que signalent les instructions nautiques.
LES VOIES FLUVIALES. t>41
le comineirc de cabotage des rios, 1055 à San Fernando
ou au Tigre, avanl-port de Buenos Aires. En 4855, Isa-
belle évalue à 1 ()()() le nombre des embarcations desser-
vant le Parana et l'Uruguay.
En 1841, Rosas interdit la navigation du fleuve. Uji
double blocus enlravo alors le commerce de l'Argentine :
la Hotte franco-britannique ferme le rio de la Plata cl
bloque Je porl do Buenos Aires où est établi le gouver-
nement de Rosas. En outre, les troupes de Rosas de la
barranca de la rive droite interdisent la remontée du
Parana et isolent du monde les provinces de l'intérieur.
Combien ce régime heurtait d'intérêts déjà pleinement
conscients, on peut le mesurer à l'agitation que pro-
voque la décision prise par la France et l'Angleterre en
1845 de forcer le blocus du fleuve. Aussitôt s'organise à
Montevideo un convoi qui ne comprend pas moins de
95 navires jaugeant en tout G900 tonnes (Mac Kann). Il
remonte le Parana, sous la protection des navires de
guerre qui parviennent à relever les chaînes tendues par
Rosas; le convoi se disperse à l'amont aussitôt parvenu
hors de portée des entreprises de Rosas. Il avait exigé
un tel déploiement de forces que la tentative ne put être
reprise avant la chute de Rosas.
La fermeture du Parana contraint le commerce du
Paraguay à se détourner vers le Sud-Est, à franchir
l'isthme des Missions, entre le Parana et l'Uruguay, et
à descendre l'Uruguay. C'est le moment oii Itapua, sui-
te haut Parana, concentre toute l'activité commerciah-
du Paraguay. La prospérité de l'Uruguay est la rançon
de la misère qui règne sur le Parana. La population de
Paysandu et celle de Montevideo s'accroissent rapide-
ment.
En 1852, à la chute de Rosas, commence pour le
Parana la période moderne : la population fluviale
elle-même se transforme rapidenjent ; elle cesse d'être
exclusivement créole. Les Basques puis les Italiens, qui
avaient pénétré depuis dix ans sur l'Uruguay, se répan-
Dems. — LAisonliiic. IG
242 LA REPUBLIQUE ARGENTINE.
dent à cette époque sur le Parana; Mac Kann trouve à
Santa Fe, en 1850, 50 barques de 20 à 100 tonnes ap-
partenant toutes à des Italiens. Cette immigration coïn-
cide avec le développement des relations entre le Parana
et le port de Montevideo. De 1852 à 1860, en effet, Bue-
nos Aires reste isolée et se tient en dehors de la vie
économique de l'Argentine : Montevideo tient sa place.
Le gouvernement d'Urquiza cherche, en outre, à établir
des relations maritimes directes entre les pays d'outre-
mer et les ports du fleuve, Gualeguay, dans Entre Rios,
et Rosario, à Santa Fe. Sous le régime des droits préfé-
rentiels, 1857-1859, qui dégrève les marchandises im-
portées par le fleuve, Rosario s'accroît brusquement et
passe entre 1855 et 1858 de 4000 à 22 700 habitants. La
période de 1852 à 1860 est aussi celle du développement
de la navigation à vapeur, qui double la valeur de la
voie fluviale. Dès 1860, Buenos Aires est relié par des
services réguliers de vapeurs à Rosario, Santa Fe, Cor-
rien tes, Asuncion et Cuyaba. Sur le haut Parana, ce
sont encore des goélettes à voiles qui font les transports
de bois, de tabac et d'oranges entre Corrientes et Apipé,
où elles s'arrêtent au pied des rapides. La navigation à
vapeur sur les rapides d' Apipé ne sera établie qu'en
1868'. De 1850 à 1860 se multiplient les explorations du
Salado et du Bermejo, par lesquels les provinces de
l'intérieur espèrent pouvoir se relier à l'artère vivifiante
du Parana (voyages de Page sur le Salado, depuis Salta
en 1855, de Lavarello sur le Bermejo, en 1855 et 1863).
A partir de 1860, l'entrée de Buenos Aires dans la
Confédération rétablit un régime normal de libre con-
currence entre Buenos Aires et Rosario. La vie du fleuve
reflète désormais le développement de la colonisation
dans la région pampéenne. Le Parana devient une
grande voie d'exportation des céréales.
1. Selon Rengger, les goélettes à voiles arrivaient parfois à fran-
chir le Salto d'Apipé.
LI-:S VOIES FLUVIALES. 245
Les deux ilcuves, dont le rio de la Plata forme l'es-
tuaire commun, diffèrent profondément par leur régime.
L'Uruguay a des crues irrégulières qui se produisent
surtout en automne (mai) et à la fin de l'hiver (août-oc-
tobre). L'étiage est atteint en été (janvier-février). Son
bassin appartient en effet à la zone tempérée et ne s'étend
pas au Nord jusque dans le domaine des pluies d'été
tropicales. L'Uruguay s'oppose encore au Parana par
sa faible puissance de transport et d'alluvionnement.
Tandis que le Parana a édifié une vaste plaine deltaïque,
l'Uruguay s'achève par un véritable rias, à fond de roche
ou de sable, aux eaux claires. Le rias de l'Uruguay
s'étend sur "200 kilomètres de long et 8 à 10 de large. La
rive orientale est rocheuse et accidentée ; la rive argen-
tine est basse : elle est formée au Sud par les dépôts
du delta du Parana, tandis que, plus au Nord, de Guale-
guaychu à Concepcion, les collines d'Entre Rios sont
masquées par un rideau d'îles plates couvertes de pal-
miers, construites par les apports des ruisseaux d'Entre
Rios. Sur la vaste nappe du rias, les crues fluviales
s'amortissent. La marée de l'estuaire ou la crue du
Parana suffisent à y renverser le courant.
La navigation maritime remonte en amont du rias, au
delà de Paysandu, jusqu'aux rapides qui barrent le fleuve
à Salto. Les deux villes jumelles de Concordia (rive
droite) et Salto (rive gauche) marquent la limite de la
navigation sur le bief inférieur. Elle reprend en amont
des chutes, à Monte Caseros^ d'où les vapeurs fluviaux
atteignent San Tome, et irrégulièrement Concepcion ;
les barques parviennent aux hautes eaux jusqu'au Salto
Grande des Missions sous 27° 20' L. S.
Le réseau navigable du Parana a une extension qua-
druple, les premiers levers du fleuve remontent au milieu
du xix*" siècle, et furent exécutés par la marine anglaise.
1. La batellerie du haut Uruguay descendait autrefois, pour
réduire la longueur du portage, du Salto jusqu'à TArapeliy, à mi-
cheniin entre Monte Caseros et Concordia (voir Isabelle).
m LA REPUBLIQUE ARGENTINE.
Au début du xx® siècle, le gouvernement argentin a
repris l'étude du lit et du régime du Parana. Une carte
au 1/100000 du cours du fleuve entre Posadas et San
Pedro, à l'entrée du delta, a été publiée par le Ministère
de Obras Publicas. Un nivellement de précision a été
réalisé, et 26 échelles fluviométriques ont été établies
dont le zéro représente l'étiage moyen'; des sondages
transversaux ont été pratiqués à équidistance de 2 ou
300 mètres, réduite à 50 et même 25 mètres aux points
critiques. Grâce à ces travaux, le Parana est sans doute
aujourd'hui le mieux connu des fleuves de son impor-
tance.
Son débit est évalué à 6000 mètres cubes par seconde
à l'étiage moyen, à hauteur de Rosario; à 25 ou 30000
mètres cubes pendant la crue pour une hauteur de
6 mètres au-dessus de l'étiage ^ Son régime porte l'em-
preinte de ses origines tropicales : le régime tropical est
typique sur le Paraguay, qui, par sa situation dans la
plaine centrale sud-américaine, est la continuation véri-
table du Parana inférieur. La faiblesse de la pente du
Paraguay et l'étendue des marais sur lesquels il se ré-
pand sur le territoire du Brésil et du Paraguay ont pour
effet de régulariser et de retarder la crue qui n'atteint
son maximum devant Asuncion qu'en mai. La .crue du
Paraguay prolonge la période des hautes eaux sur le
Parana inférieur jusqu'à la fin de l'automne. Le Parana
i. Il est bon de rappeler que le profil déterminé par l';iltitudc du
zéro de ces différentes échelles, ou profd d'étiage, a le caractère d'une
notion toute théorique ; le fleuve n'est jamais à l'étiage sur toute sa
longueur, et le profil réel est toujours accidenté par de légers mou-
vements de crue ou de décrue.
2. Des observations ont été faites à Campans. à 50 kilomètres de
l'estuaire, sur les troubles contenus dans ses eaux. A cette hauteur,
le Parana ne transporte plus en suspension que de fines particules
argileuses, mais des sables cheminent lentement sur son lit. Le poids
des limons en suspension varie de 179 grammes par mètre cube en
mars, pendant la crue, à 42 grammes aux basses eaux en juillet. Us
proviennent en majeure partie du Bermejo, qui arrive à charrier jus-
qu'à 5 kilogrammes de troubles par mètre cube. La charge du Parana,
cinq fois plus pesante que celle de l'Uruguay, roste notablement in-
férieure à celle du Mississipi.
LES VOIES FLUVIALES. 21^
su))éricur ^i lui-même la majeure partie de son bassin
dans la zone tropicale des pluies d'été. Mais son régime
est influencé en outre par les pluies de printemps ou
d'automne de la partie méridionale du plateau brésilien.
Ses crues sont brusques et violentes; elles atteignent
jusqu'à 18 et 20 mètres dans la région du confluent de
TYgnassu; elles se propagent rapidement vers l'aval et
parviennent sur le Parana inférieur avant la crue du
Paraguay qu'elles refoulent.
De Posadas, les ondes de crue atteignent Corrientes
en 5 jours (375 kilomètres). De Corrientes, elles par-
viennent à Parana en huit jours (600 kilomètres), pro-
gressant environ de 5 kilomètres à l'heure : c'est le 1/3
de la vitesse du couiant; la crue est en effet ralentie et
comme absorbée par les ramifications du lit majeur où
elle se répand.
A Bajada Grande, les plus basses eaux sont en sep-
tembre. La crue s'annonce généralement en décembre
ou janvier, parfois dès octobre ou novembre. Le maxi-
mum est en mars ou avril. La montée est rapide d'abord,
mais se modère bientôt, et le niveau des eaux s'élève
dun mètre par mois environ i)cndant 5 mois, pour s'a-
baisser ensuite d'un rythme analogue. La décrue est
souvent interrompue en juin, et parfois jusqu'en août,
par un brusque ressaut de la courbe avec mouvement
ascensionnel des eaux trois fois plus rapide que celui de
la crue principale (1 mètre en 10 jours). Le niveau
atteint par cette crue tardive dépasse parfois celui de la
crue normale d'avril ou mai. L'amplitude des mouve-
ments ordinaires de crue et de décrue est de 3 à 5 mètres.
Les crues exceptionnelles s'élèvent jusqu'à 7 mètres
au-dessus de Tétiage.
Les courbes établies pour les années 1908 à 1910 par
le .Service hydrographique argentin permettent d'analy-
ser avec beaucoup de certitude le mécanisme de la crue.
Le début de la crue à Bajada Grande en octobre corres-
pond à la première crue du Parana supérieur. Pendant
246 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
cette première phase, la courbe de la Bajada est parai
lèle (avec 15 jours de retard) à la courbe de Posadas;
ce parallélisme se maintient en novembre, décembre et
janvier. Si les pluies d'été sont faibles sur le haut Pa-
rana, la crue est tardive sur le Parana inférieur, et les
eaux y sont encore basses en décembre (0,20 au-dessous
de l'étiage, le 51 décembre 1910). Au début de mars,
avant le maximum de la crue, la courbe de Bajada
Grande se détache de la courbe de Posadas. C'est la
période où la crue du fleuve inférieur est déterminée par
la montée du Paraguay. Les crues secondaires de juin
ou de juillet ont de nouveau leur origine sur le haut
Parana, mais, comme elles s'ajoutent sur le fleuve infé-
rieur à la crue du Paraguay, elles y atteignent un niveau
plus élevé qu'à Posadas : cette différence s'atténue peu
à peu à mesure que la crue du Paraguay s'écoule. Ce
sont les crues tardives du Parana supérieur s'ajoutant à
la crue du Paraguay qui déterminent sur le fleuve infé-
rieur les crues anormales, qui s'y produisent à inter-
valles irréguliers (en 1825-55-58-78-1905-1917).
En aval de la Bajada, la hauteur des crues diminue
progressivement. Sur l'estuaire, elles cessent d'être sen-
sibles et les variations de niveau sont dues uniquement
à la marée. Dans les chenaux du delta du Parana, la
marée ne renverse pas le courant comme dans le rias
de l'Uruguay, mais elle détermine un léger relèvement
de la nappe fluviale, qui a pu être observé parfois aux
eaux très basses, jusqu'à Rosario.
C'est vers Corpus, à 60 kilomètres en amont de
Posadas, que le haut Parana échappe à- l'étreinte du
plateau brésilien, qui emprisonne sa vallée, depuis les
chutes de la Guayra, dans une profonde fissure entre de
hautes falaises basaltiques; au-dessous de Posadas, le
fleuve sort de la zone des collines et des terres rouges.
Au-dessous de Corrientes, il court partout sur ses allu-
vions. Même en aval de Corrientes, son profil conserve
pourtant des traces surprenantes de jeunesse. Le nivel-
LES VOIES FLUVIALES. 2i7
lement de précision exécuté sur ses rives a permis de
discerner une rupture de pente très nette au-dessus de
Villa Urquiza, à 620 kilomètres de Buenos Aires. La
pente, qui depuis Corrientes s'était maintenue entre
60 et 40 millimètres par kilomètre, s'abaisse brusque-
ment à 15 sur une longueur de 40 kilomètres pour se
relever ensuite à 30 et 45 millimètres'. Au-dessous de
Rosario, la pente moyenne est de 12 millimètres par
kilomètre, au-dessous de San Pedro, de 6 millimètres
seulement.
En aval de Corrientes, la largeur du bras principal du
Parana varie en général de 800 à 2000 mètres. Celle de
la plaine fluviale où s'épandent les crues est plus irré-
gulière encore. Entre Santa Fc et Parana, oii elle est
particulièrement étroite, elle mesure encore 15 kilo-
mètres. Vers l'aval, elle s'élargit peu à peu jusqu'à
100 kilomètres au fond de l'estuaire. Son aspect n'est
pas partout identique. La végétation des îles est plus
riche et plus variée en amont; les essences tropicales
(laurel-timbo) y apparaissent au-dessus de la Bajada et
y forment des groupes d'arbres que recouvrent les
lianes.
Mais les variations d'aspect de la zone fluviale tiennent
avant tout aux conditions différentes de Térosion et du
modelé. En amont de Rosario, la zone fluviale est
façonnée par la crue: chaque crue la remanie et y laisse
des traces dans la topographie; les bancs de sable
qu'elle abandonne sont fixés par les joncs et les herbes
1. La zone qui s'étend sur la live droite du Parana, en amont de
Santa Fe et de Parana, paraît être une zone d'affaissement récent. Le
fleuve est au contraire astreint à un travail d'érosion actif dans la
traversée des terres hautes entre Santa Fe et Buenos Aires. Il est
remarqual)le que la rupture de pente de Villa Urquiza se produit
précisément au-dessus du coude de Parana. Une rupture de pente
moins marquée a été reconnue également plus au Nord à hauteur
de Lavalle, en amont du coude de Goya. Il semble que le ralentisse-
ment du creusement du Thalweg s'explique par le travail d'érosion
que le courant e.xerce latéralement contre la barranca de la rive
gauche.
248 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
flottantes, puis par les saules (Salix Humboldtiana); ce
rideau de végétation favorise les atterrissements, et les
berges tendent à se surélever. Au centre de l'île, subsis-
tent des terres basses marécageuses; l'irrégularité de
lalluvionnement détermine dans la zone fluviale tout
entière des ondulations marquées et une alternance
incessante des dépôts de limons et de sables. En aval
de Rosario, la crue perd peu à peu de sa force; les îles
sont à la fois plus stables et plus horizontales. Les
fourrés de saules et de ceibos épineux (erythrinà cris-
tagalli) en couvrent encore les berges, et parfois s'éten-
dent vers l'intérieur. Mais sous un ciel moins humide, la
végétation fixe moins solidement le sol, et les vents
deviennent un ouvrier essentiel du modelé; ils amassent
les sables pendant la saison des eaux basses et bâtissent
des dunes qui dépassent le niveau des plus grandes crues.
Ces dunes forment une ligne continue dans la partie
méridionale d'Entre Rios, au Nord du bras principal, le
long de la terre ferme, et des épis transversaux qui
s'avancent au Sud, reposant sur le limon fluvial, comme
celui que suit, à travers la zone inondable, le chemin de
fer d'Ibicuy. Le bétail de la zone fluviale trouve sur les
dunes un refuge pendant la crue. Pendant les périodes
de sécheresse, elles conservent au contraire des réserves
d'eau qu'on retire à leur base de puits superficiels.
Légitimités de la zone fluviale sont bien marquées sur
lout le Parana inférieur. Elle y est enfermée de part et
d'autre entre de hautes « barrancas » (falaises), verti-
cales aux points où le courant principal en longe le pied,
en pente douce lorsqu'elles sont suivies seulement par
un faux bras sans force d'érosion. La barranca s'inter-
rompt seulement au confluent de petites vallées dont le
fond plat remblayé se raccorde avec la plaine alluviale
du Parana. C'est dans la région de ViJla Parana que la
falaise est le plus élevée : elle y atteint par endroits
00 mètres. Les barrancas offrent sur la rive droite une
coupe des étages supérieurs des limons pampéens. Sur
LES VOIES FLUVIALES. 249
la rive gauche, les limons éoliens n'en forment que le
sommet; au-dessous afll(Hirent des étages marins ter-
tiaires (marnes et grès avec bancs de coquilles). La
harranca de la rive gauche se continue au Nord avec
plusieurs interruptions jusqu'à Corrientes, et jusqu'aux
Missions. Son altitude diminue progressivement et les
couches marines tertiaires y sont remplacées par les
grès rouges guaranitiques'. Sur la rive droite, au con-
tiMire, l'altitude de la barranca diminue régulièrement
V(M-s l'amont. Elle est encore bien marquée au confluent
du Carcarana; à Santa Fc, elle ne domine plus le
lleuve que de 10 mètres. Au Nord du 31" degré L. S., et
jusqu'au delà du Pilcomaj o, la plaine du Chaco est très
basse, et la limite de la zone alluviale du Parana est
impossible à définir exactement. Les argiles fines, grises
et blanches, qui forment le sol du Chaco, passent
-jusque sur la rive gauche au Nord de Corrientes, dans
"SLfts esteros de Neembucu ; de cette nappe horizontale de
dépôts lacustres émergent comme un archipel les col-
lines de grès rouge de la région d'Asuncion.
La navigation est pratiquée sans obstacle sur tout le
bief qui s'étend en amont de Posadas, jusqu'aux chutes
de la Guayra sur le Parana et au Salto Grande de
l'Yguassu. A 25 kilomètres en aval de Posadas, le
Parana traverse une série de rapides échelonnés sur
00 kilomètres environ (kil. 1467 à kil. 1558 de Buenos
Aires), et improprement désignés sous le nom de salto
de Apipé. Le courant s'y élève à huit nœuds, et la pro-
fondeur descend à trois pieds aux basses eaux. Ces
rapides sont déterminés par des bancs de mélaphyre,
affleurant au milieu des grès guaranitiques, où les eaux
cherchent leur voie entre de grandes îles rocheuses.
i. Dans l'intervalle entre la frontière d'Entre Rios et le rio Empe-
ilrado, au Sud de Corrientes, affleurent dans la ])arranca, au-dessus
des grès rouges, des couches de sables et de limons, alluvions flu-
viales abandonnées par les anciens lits du Parana, dont le trace peut
être suivi du Nord-Est au Sud-Ouest en écharpe à travers la province
de Corrientes.
250 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
A Ituzaingo (kil, 1455), le courant s'apaise; cependant il
existe encore vers l'aval, sur 140 kilomètres, des hauts
fonds de roche avec une profondeur de cinq pieds ; plus
bas, la roche n'affleure plus que sur la rive gauche et
dans quelques épis à proximité de cette rive, ou en
écueils isolés qu'il a été facile de baliser.
De Corrientes à La Paz, le fleuve suit du Nord au Sud
le pied de la barranca de Corrientes. Elle touche le cou-
rant principal entre Corrientes et Empedrado, et sur
50 kilomètres au Sud de Bellavista. Cette falaise forme,
à la hauteur de Riachuelo, et surtout vers Bella-
vista, une série d'anses et de caps, où les vents d'Ouest
créent une forte houle, et que redoutaient les barques
mal gréées qui descendaient le courant. Au Nord de
Bellavista et sur plus de 150 kilomètres au Sud de Goya,
le lit principal est séparé de la barranca par une laisse
d'îles alluviales ; à l'abri de ces îles, courent des bras
latéraux, — riachos, — où aboutissent les rivières de
Corrientes. Ces bras ont été largement utilisés par la
navigation primitive.
Entre Esquina et la Paz, le lit principal, qui n'est en
contact avec la terre ferme sur aucune de ses rives, se
développe en méandres réguliers d'une portée de 10 kilo-
mètres, dont l'échelle est double environ de celle des
méandres du Paraguay au Nord du confluent. Les îles
sont de petite dimension et sont disposées en chapelet,
à hauteur du sommet de chaque courbe. La profondeur
atteint 60 pieds au sommet des méandres ; les hauts
fonds sont placés sur l'alignement des îles, au point où
le courant se redresse avant le méandre suivant. La
profondeur y descend à 7 et même 5 piedsV Ces hauts
fonds se déplacent rapidement, et ce n'est pas toujours
le même mauvais pas qui détermine le tirant d'eau
L En fait, le seuil s'approfondit au moment des basses eaux où
le courant se concentre dans le chenal principal, de sorte qu'on y
trouve toujours un ou deux pieds de fond de plus à l'étiage que les
sondages faits aux liaules eaux ne permettaient de l'espérer.
LES VOIES FLUVIALES. 251
maximum des embarcations utilisables sur ce secteur.
Cette migration des hauts fonds s'oppose à la fixité des
seuils à fond de roche du bief Corrienles-Posadas.
De La Paz à Parana, le cours principal est aligné au
pied de la barranca d'Entre Rios. Le méandrage s'inter-
rompt. La barranca avec ses bancs de roche dure est en
effet infiniment plus résistante que les alluvions meubles
où le rio se déplace à son gré. La fixité du lit devant la
barranca se traduit par de grandes profondeurs qui attei-
gnent 80 pieds. De loin en loin seulement, une frange
d'alluvions éloigne momentanément le chenal de la
barranca. Ces courbes paraissent correspondre d'ordi-
naire avec le confluent des rivières qui apportent du
plateau une forte charge de limons : tel le San Feli-
ciano, au Nord d'Hernandarias. Elles sont marquées
par des hauts fonds qui contrastent avec les grandes
profondeurs des sections rectilignes. Le paso San Feli-
ciano, qui a actuellement 12 pieds, n'en avait que
6 en 1908, et il est déjà porté sur la carte de Sullivan*
(1847).
En aval de Parana, et jusqu'à l'estuaire, les observa-
tions patientes accumulées depuis 1903 sur les mouve-
ments du fleuve ont révélé quelques-unes de leurs lois^
On peut y distinguer quatre tronçons de longueur iné-
gale : de Parana à Diamante, le fleuve reste en contact
avec la barranca de la rive gauche. Elle n'est pas recti-
ligne et dessine une série de croissants accolés, de
rayon égal, qui semblent marquer la trace d'autant de
méandres. Une courbe sur deux seulement de la bar-
ranca est suivie par le chenal. Le vagabondage des
\. Un peu en amont de sa position actuelle.
2. Il est indispensable, lorsqu'on cherche à étudier les variations
du lit du Parana, de ne pas comparer des cartes dessinées à de trop
longs intervalles. Les différences en sont telles en effet qu'elles ne
permettent pas de deviner le processus par lequel les formes
actuelles sont dérivées des formes anciennes. Les analogies qu'elles
présentent résultent parfois, non de la fixité de la topographie, mais
du retour après un cj-cle complet de transformation, de conditions
analogues aux conditions primitives.
2^'2 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE,
méandres est ainsi enfermé dans des limites et comme
dans un moule fixe. Le haut fond de Paracao, qui
entrava longtemps la navigation vers Santa Fe (appro-
fondi progressivement par les dragages de 8 à 19 pieds
entre 1907 et 1911), est à l'angle où se raccordent deux
de ces courbes. Sur la rive droite, les faux bras conti-
nuent à suivre le fleuve (Parana viejo, riacho de
Coronda)'.
Au-dessous de Diamante, le fleuve quitte la barranca
de la rive gauche et traverse en biais la plaine alluviale
jusqu'à la barranca de la rive droite qu'il vient toucher
à San Lorenzo. Il reprend sur ces cinquante kilomètres
la liberté et la régularité d'allure qui le caractérisent en
amont de La Paz. La comparaison de cartes successives
du fleuve montre que le tableau schématique qu'on est
tenté de tracer de ses mouvements, avec migration
régulière des îles et des méandres vers l'aval, ne cor-
respond pas à la réalité. Les transformations du lit du
fleuve sont dues essentiellement aux variations du débit
des différents bras, qui changent continuellement d'im-
portance relative, et dont le tracé s'adapte sans cesse
au volume des eaux qui les empruntent. Le raycrti des
courbes de chaque bras est en efl'et proportionnel à son
débit. Une île allongée se forme entre deux bras d'im-
portance égale, qui dessinent, de part et d'autre, des
courbes symétriques. Si le débit de l'un d'eux se réduit,
sa courbe primitive fait place à des sinuosités de moindre
rayon, qui rongent les berges de l'île, et lui donnent
une forme irrégulière. Si le débit s'accroît de nouveau,
le lit sinueux est abandonné et se convertit en bras mort.
4. Les faux bras de la rive droite, au Nord de Santa Fe, n'ont guère
été explorés avant 1870. La carte de Sullivan (1847) n'y signale que le
riacho de San Jeronirao, reconnu sur une faible distance au Sud du
29» L. S. La rive droite était en effet le domaine des Indiens, et les
Correntinos ne s'y risquaient pas. A partir de 1870, la navigation com-
mence h utiliser le bras de S. Javier sur lequel se créent de nom-
breuses colonies; plus au Nord, le Parana Mini sert depuis 1890 à
l'exportation des bois de quebracho.
LES VOIES FLUVIALES. '257.
taudis que s'ouvre un méandre plus ample. La roule
suivie par la navigation se décompose donc en une série
de méandres, d'un développement dc 1*2 kilomètres
environ, qui répondent à la concentration dans un seul
chenal de la plus grande partie des eaux du fleuve, et en
courbes plus étroites dans les secteurs où le courant est
divisé entre plusieurs bras.
De San Lorenzo à San Pedro, le fleuve longe la bar-
ranca de la rive droite. Elle est remarquablement régu-
lière et ne présente qu'une seule saillie, peu accentuée,
site exceptionnellement favorable, où s'est bâtie la villo
de Rosario. A des intervalles presque égaux, qui varient
seulement entre 15 et 20 kilomètres, le fleuve s'en éloigne
et en est séparé par une plage alluviale ou par une zone
insulaire large de quelques kilomètres'. En aval de celle
courbe, le courant revient frapper la barranca et l'attei-
rissement est facile. Les petits ports anciens du Parana,
Constitucion, San Nicolas, Puerto Obligado, San Pedro,
sont établis sur des sites semblables. Il ne semble pas
que les îles du pied de la barranca tendent à descendre
vers l'aval devant ces ports, et les points oii le fleuve
touche la falaise restent fixes. Au pied de la barranca, les
profondeurs sont souvent considérables (138 pieds en
face de Puerto Obligado). Les hauts fonds sont distri-
bués irrégulièrement sur les courbes oij le chenal
s'éloigne de la barranca. Ils ont tous actuellement une
profondeur minima de 21 pieds*. Sur la rive gauche les
faux bras parcourent la plaine alluviale jusqu'à 50 kilo-
mètres au Nord du fleuve.
A San Pedro, commence le delta. Le Parana Guazu,
1. Comme entre La Paz el Parana, il senible qu'on puisse établir
une relation entre ces zones d'alluvionnenient au pied de la barranca
et le confluent des petites vallées de la plaine panipéenne.
2. Le Paso Paraguayo, qui a coûté le plus de travaux au service
bydrographi(iuc argentin, n'existait pas au milieu du xix' siècle. Il
semble qvie le cbenal suivait alors la barranca jusque vers Benavidez,
et se continuait jusqu'à l'origine du Parana Favon par une boucle
très accentuée, dont la lagune Monriel est la cicatrice. En IS'Xi, le
paso avait seulement 15 pieds de profondeur.
2:)4 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
ou bras principal, quitte la barranca de la rive droite et
va se terminer en face de Cârmelo sur la rive uru-
guayenne. Le Parana de las Palmas, qui s'en détache
au Sud et passe devant Campana et Zarate; au pied du
plateau, est profond et de navigation facile, mais il est
fermé au fond de Festuaire par une barre de 6 pieds qui
en fait une sorte de cul-de-sac ouvert seulement vers
l'amont. Les bras de la zone deltaïque s'opposent à ceux
de la région proprement fluviale par l'irrégularité de
leur tracé. Entre des îles étendues, ils se développent
tantôt en tronçons rectilignes, tantôt en méandres ou en
boucles presque parfaites. Les chenaux de la partie
méridionale du delta, au voisinage de Buenos Aires,
portent, en raison de leur allure sinueuse, le nom de
« caracoles » (colimaçons). La faiblesse du com'ant que
la marée retient se marque aussi dans la distribution
des profondeurs : elles ne suivent plus uniformément la
lisière concave des courbes et varient irrégulièrement.
On a mesuré, sur le Parana Guazu, des fonds de
130 pieds; sa profondeur minima est de 22.
On ne peut séparer de l'étude du fleuve celle de l'es-
tuaire. Il se compose de trois parties de superficie iné-
gale qui s'ouvrent de plus en plus largement vers
l'Atlantique. Le rio de la Plata supérieur, en amont de
la Colonia et de Punta Lara, a une largeur de 50 kilo-
mètres environ. Le rio de la Plata moyen, dont l'am-
pleur est double, s'étend jusqu'à hauteur de Montevideo
et de Punta de las Piedras. Enfin la rade extérieure
s'ouvre entre Maldonado et la Punta Rasa. Les eaux
restent douces dans l'estuaire moyen jusqu'à 120 kilo-
mètres en aval de Buenos Aires.
Sauf dans les chenaux entre Martin Garcia et Colonia S
les fonds sont d'alluvions. A la différence de ce qui se
produit sur le fleuve, où les chenaux ont un fond de
1. Les granits qui affleurent à Martin Garcia forment également la
plate-forme du banc anglais dans la rade extérieure.
LES VOIES FLUVIALES. 2;.:>
sable, tandis que les bancs sont formés de limons plus
fins, les chenaux de l'estuaire ont des fonds de vase et
de limon argileux, tandis que les hauts fonds sont
sableux; dans la rade extérieure, les pilotes reconnais-
sent l'approche des bancs aux sables que la sonde
ramène. L'action des vagues, qui manque sur le fleuve,
accumule en effet sur les bancs les matériaux de calibre
et de poids relativement élevé.
En dépit des conclusions des instructions nautiques,
qui dépeignent l'estuaire comme le théâtre de transfor-
mations rapides « occasionnées par les dépôts conti-
nuels de sables charriés par le Parana et par l'Uru-
guay' », l'estuaire se trouve actuellement dans des
conditions d'équilibre remarquables, et il n'y a pas
d'indice d'un comblement progressif par les alluvions,
ni (le déplacements importants des chenaux. La côte du
delta, au Nord du Parana de las Palmas, couverte de
joncs qui la protègent contre l'attaque des vagues, ne
marque ni avance, ni recul. Les grandes lignes de
l'hydrographie du rio de la Plata sont déjà clairement
indiquées sur la carte de Woodbine Parish. La carte
marine anglaise de 1869 (d'après des levés exécutés en
1855, 1844 et 1856), n'ofîre avec la carte actuelle que
des différences de détail. La stabilité des chenaux
s'oppose d'une façon surprenante aux déplacements du
lit du fleuve, dans la zone des crues. La permanence
dt's fonds sur les dépôts meubles de l'estuaire s'explique
par la régularité des courants. Ces courants qui déter-
minent la topographie sous-marine du rio de la Plata,
et la distribution des bancs, ne sont pas d'origine flu-
viale, ce sont des courants de marée.
Deux groupes de hauts fonds caractérisent l'estuaire :
le premier, la Playa Honda, en occupe toute la partie
occidentale jusqu'à la hauteur d'une ligne tirée de
1. Les eaux de l'estuaire, brassées par les vagues et les marées,
contiennent un poids de troubles plus élevé que les eaux du fleuve.
250 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
Buenos Aires à Colonia. Ces bancs laissent au Nord,
contre la côte uruguayenne, un étroit passage que suit
la route de navigation vers l'Uruguay et le Parana
Guazu. Le deuxième groupe de hauts fonds est le banc
d'Ortiz, de forme triangulaire, qui s'appuie au Nord à
la côte uruguayenne en aval de Colonia, et dont la
pointe s'avance au Sud-Est jusqu'à 25 kilomètres au
Nord de Punta de las Piedras. 11 maintient la zone des
grandes profondeurs, dans l'estuaire moyen, au Sud, à
proximité de la côte argentine. A hauteur de la pointe
du banc d'Ortiz, et sur l'alignement de Montevideo à
Punta de las Piedras, l'estuaire moyen est séparé de la
rade extérieure par une barre (barra del Indio) portant
6 mètres d'eau, due à l'action des courants transversaux
qui circulent d'une pointe à l'autre à l'intérieur du banc
anglais.
La marée de l'estuaire se produit avec la plus grande
irrégularité. Les vents du Sud-Est amplifient le flux et
entravent le reflux. Lorsqu'ils soufflent, il arrive fréquem-
ment que le niveau des eaux dans lestuaire supérieur se
maintienne élevé d'une marée à l'autre, parfois pendant
plusieurs jours. La marée, qui est faible à Montevideo,
s'amplifie au fond de la rade sur la barra del Indio, et y
atteint près d'un mètre. Elle se propage de là difficile-
ment au Nord sur le banc d'Ortiz, le long de la côte
uruguayenne, tandis qu'elle pénètre librement dans la
zone plus profonde qui suit la côte argentine'. Elle a
encore à Buenos Aires une amplitude de 0 m. 75. Elle
se répand de là vers le Nord par les chenaux de Martin
Garcia et par-dessus la Playa Honda. Le chenal des
Pozos del Barca grande, qui parcourt le banc de la
Playa Honda du Nord- au Sud, parallèlement à la lisière
du delta, est orienté conformément aux courants de
marée et entretenu par eux. Il ne se relie pas au fleuve,
1. Le courant de flux y est plus intense que le courant de reflux, et
a détourné au Nord-Est les ruisseaux qui débouchent sur cette côte.
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LES VOIES FLUVIALES. 257
et est séparé des bouches du Parana de las Palmas ou
du Parana Mini par des hauts fonds impraticables sinon
pour les petites embarcations. Le rias de l'Uruguay, où
la marée élève les eaux de 5i) centimètres, forme une
sorte de réservoir de chasse qui alimente, au reflux, un
courant puissant autour de Martin Garcia et y déblaie
les chenaux.
Les travaux entrepris pour l'aménagement de l'es-
tuaire ont compris l'approfondissement à 9 mètres de la
barra del Indio, et le dragage d'un chenal rectiligne
entre ce point et Buenos Aires. Les navires de fort ton-
nage à destination du Parana quittent ce chenal à 40 ki-
lomètres à l'Est de Buenos Aires, et remontent au Nord
pour passer à l'Est de Martin Garcia et pénétrer dans
le fleuve par le Parana CuazAi ou le Parana Bravo.
Depuis I9U1, le gouvernement argentin a envisagé en
outre le projet d'ouvrir une voie directe entre Buenos
Aires et le Parana de las Palmas, soit en creusant un
canal artificiel au pied de la barranca, à travers l'ar-
chipel du Tigre, soit en profitant du chenal des Pozos
del Barca grande, et en coupant l'étroite barre qui
ferme à l'aval le Parana de las Palmas. Ainsi, les ports
du Parana de las Palmas auraient un accès direct vers
la mer; en outre, la route nouvelle du Parana vers
l'Atlantique passerait entièrement sur territoire argen-
tin, hors de portée de la côte uruguayenne, et Buenos
Aires y deviendrait à l'arrivée comme au départ une
escale nécessaire.
En amont de l'estuaire, les travaux d'amélioration du
Parana ont débuté en 1904 et 1905. Depuis 1910, le
cubage extrait par les dragues du lit du fleuve s'est
élevé à 5500 0110 mètres cubes par an en moyenne. L'ex-
périence acquise au cours de ces travaux a bientôt
permis au service hydrographique argentin d'adapter
SOS méthodes à la puissance incomparable du fleuve. Il
Denis. — L'Argentine. 17
^2bb LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
ne peut être question ici, comme sur les fleuves d'Eu-
rope, d'entreprendre une rectification générale du lit et
des rives. Le seul parti est de se plier docilement au
plan que le fleuve lui-même ébauche et de se borner à
approfondir les passages difficiles sur l'alignement du
bras principal. Les dragues à succion, qui travaillent
aisément dans les sables, attaquent chaque seuil ou
paso par l'aval, établissant ainsi un chenal vers lequel
les eaux affluent et qui tend de lui même à se prolonger
vers l'amont. Les dragues sont déplacées de seuil en
seuil à mesure que les sondages révèlent la formation
de nouveaux obstacles à la navigation. Elles ont été
concentrées d'abord en aval de Rosario, où le gouver-
nement argentin avait à remplir des engagements pris
envers la Compagnie du port, puis échelonnées jusqu'à
la hauteur de Santa Fe. Les moyens dont on dispose
actuellement suffisent à assurer la réalisation du pro-
gramme qui avait été prévu : maintenir des profondeurs
de 21 pieds jusqu'à Hosario, et de 19 pieds jusqu'à
Santa Fe.
En ce qui concerne la section en amont de Santa Fe,
l'ingénieur Repossini conseille, au lieu d'adopter un
programme de dragages coûteux, de résultats incertains,
de songer d'abord à adapter la navigation aux conditions
naturelles, qui sont telles d'ailleurs qu'elles seraient
considérées en Europe comme éminemment favorables.
Le service hydrographique conserverait cependant une
double fonction : en premier lieu, l'étude lopographique
du fleuve et le balisage qui doit être sans cesse repris;
en second lieu, l'observation de son régime et la prévi-
sion des variations du niveau des eaux. L'utilité du
service de prévision des crues, qui fonctionne depuis
1907, a été largement démontrée. Il public, tous les
5 jours, en se fondant sur l'observation des échelles
fluviométriques d'amont et sur les lois de la transmis-
sion des ondes de crue, un bulletin de prévision qui
est également précieux pour les navigateurs et pour les
LES VOIES FLUVIALES. SM»
éleveurs de la zone inondable. 11 permet aux éleveurs
de mellre leur bétail en sécurité à l'approche des crues.
De m^me chaque navire peut, grâce au bulletin, prévoir
quelle hauteur d'eau il trouvera aux passages critiques,
et calculer exactement la charge qu'il peut prendre,
quitte à compléter sa cargaison plus en aval. Le service
de prévision des crues a moralisé la navigation sur
le Parana, en supprimant lout prétexte possible aux
échouages volontaires qui étaient devenus une forme
courante de spéculation.
Rien déplus varié que la flotte qui dessert aujourd'hui
le Parana. Elle comprend à la fois les tramps et les longs
courriers européens qui chargent les céréales et les
viandes, les grands vapeurs fluviaux, luxueux etlégers, les
chalands et les remorqueurs, les goélettes et les gabarcs
qui compensent par la médiocrité de leurs frais la len-
teur de leurs voyages.
En ce qui concerne la navigation, le fleuve se divise
actuellement en trois tronçons : la navigation maritime
remonte jusqu'à Santa Fe; elle pénètre, à Rosario et à
Santa Fe, jusqu'au cœur de la zone des céréales et juis-
qu'à la lisière de la zone des forets. Le secteur amont,
entre Rosario et Santa Fe, offre encore moins de sécu-
rité que le secteur aval, et le prix des frets au départ de
Santa Fe s'en ressent.
On peut classer en trois catégories les ports du Pa-
rana inférieur entre Santa Fe et Buenos Aires. Un pre-
mier groupe de ports est bâti sur les terres basses inon-
dables; ils sont exposés aux crues, qui chaque année
menacent d'interrompre leur trafic : tel est Golastiné h
l'Est de Santa Fe, spécialisé dans l'expédition des bois
de quebracho ; tel est aussi le portd'lbicuy, sur le Parana
Pavon, au Sud de la province d'Entre Rios, mieux pro-
tégé d'ailleurs par des travaux plus puissants. Les petits
ports de la barranca de la rive Sud, sur le fleuve prin-
200 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
cipal et sur le Parana de lasPalmas, forment un deuxième
groupe : ils embarquent des viandes (Campana, Zarale),
ou des céréales (San Nicolas, Villa Constitucion), et
sont admirablement adaptés parleur situation naturelle
à leur fonction. Sans qu'aucun aménagement ait été
nécessaire, les vapeurs viennent accoster devant la
barranca; les sacs de blé y sont jetés, par des plans
inclinés, des entrepôts construits sur la falaise, ou di-
rectement des wagons Aucun de ces ports n'est outillé
pour l'importation. Un troisième groupe enfin comprend
les ports ayant un outillage complet, et desservant à la
fois un trafic d'importation et d'exportation. Le prin-
cipal est Piosario. C'est le développement des importa-
lions entre 1850 et 1860 qui détermina ses premiers
progrès. Le tonnage des marchandises débarquées à
Rosario représente aujourd'hui la moitié à peu près du
lonnage des céréales qui y sont chargées. IVlais, malgré
l'apparence, ce sont les importations qui entretiennent
surtout l'activité de ses quais. Tandis que la Compagnie
du port exerce elle-même le déchargement, la manipu-
lation et le magasinage des marchandises importées,
elle se borne à percevoir une redevance sur les expor-
tations faites dans le périmètre où sa concession lui
assure un monopole. Une petite partie seulement des
céréales exportées utilise ses élévateurs. Un p(»rt en eau
profonde, outillé comme celui de Rosario à la fois pour
l'importation et pour l'exportation, vient d'être construit
a Santa Fe. Il dispute déjà à Colastiné l'expédition des
bois de quebracho. Le trafic d'importation y est encore
réduit : le commerce d'importation suppose en effet des
capitaux puissants, tout un réseau de relations avec
l'arrière-pays qui ne peuvent pas s'improviser.
La deuxième section du fleuve s'étend de Santa Fe à
Gorrientes et se continue sur le Paraguay. Le transport
des bois de quebracho et de l'acide tannique forme
l'élément le plus important de son trafic. Le tirant d'eau
maximum des embarcations qu'elle admet aux basses
LES VOIES FLUVIALES. 201
eaux normales est de 6 pieds. Une partie des porls de
la rive gauche (Esquina, Goya), et tous les porls de la
rive droile (Reconquista, Barranqueras, etc.), y sont
établis à distance du lit principal sur des liras latérnux.
Les usines du Cliaco ont pour la plupart une flottille de
.vapeurs et de chalands. Ce sont les exportateurs de
bois et d'extrait de quebracho à destination de l'Eu-
rope qui réclament avec le plus d'insistance l'appro-
fondissement du lit du Parana en amont de Santa Fe.
La balellerie h voiles partage avec les services régu-
liers des vapeurs fluviaux les transports des produits
du Paraguay et de Corrientes, peaux, tabac, maté. Le
seul transport des oranges chargées aux escales de
San Antonio, Villeta, Pilar, Humaïta, représente un
mouvement de plusieurs dizaines de milliers de tonnes.
La troisième section du fleuve s'étend de Corrientes
à Posadiis et en amont. La navigation à voile.s, qui ne
peut vaincre le courant des rapides d'Apipé, y a disparu.
Des vapeurs de 4 pieds et demi de calaison et de
150 tonnes de portée y sont aujourd'hui en service,
mais ils doivent interrompre le trafic au moment des
basses eaux. Ils assurent un service direct entre Buenos
Aires et Posadas; toutefois ce service est peu écono-
mique parce qu'il ne permet pas d'utiliser pleinement
en aval de Corrientes la capacité de transport du fleuve;
aussi la plupart des marchandises à destination de
Posadas sont-elles transbordées à Ituzaingo, au-dessous
des rapides, ou à Corrientes. Les Compagnies de n.ivi-
gation qui desservent Posadas sont contraintes, pouj-
assurer avantageusement le transport jusqu à Buenos
Aires des marchandises chargées sur le Parana supé-
rieur, d'entretenir des lignes qui remontent le i araguay
jusqu'à Asuncion, et qui prennent à Corrientes le fret
en provenance de Posadas. A l'amont, les chutes de la
Guayra et de l'Yguassu fixent une limite infranchissable
à la zone d'influence de la batellerie argentine. La batel-
lerie des biefs supérieurs de l'Yguassu ou du Parana
'2 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
alimente les voies ferrées du plateau brésilien. Le trafic
du haut Parana comprend principalement le maté des
Missions et lesplanchesde cèdre débitées par les scieries
de Posadas. Les trains de bois sont en effet arrêtés à
Posadas, et descendent rarement au fil du fleuve vers
l'aval.
Les statistiques argentines de la navigation sont
obscures : elles confondent sous un même titre le mou-
vement fluvial entre Posadas et le territoire brésilien,
ou entre Corrientes et le Paraguay, et les exportations
de la région pampéenne à destination de l'Europe. lî
est diflicile d en tirer une notion du trafic réel et de dis-
tinguer le tonnage efl'ectivement débarqué ou embarqué
dans chaque port de celui qui ne fait que passer devant
ses quais à bord des navires remontant ou descendant
le fleuve. Elles attribuent à une vingtaine de ports un
tonnage total — entrées et sorties comprises — de plus
de 500 000 tonnes.
Du moins permettent-elles de distinguer des ports
exclusivement consacrés au cabotage fluvial ceux qui
ont des relations directes avec les ports doutre-mer.
Presque tous les navires à destination du Parana tou-
chent à l'aller Buenos Aires, resté le principal pori
d'importation, et s'y délestent; ils remontent ensuite à
vide pour prendre à Rosario, San Nicolas ou Santa
Fe, un chargement complet de céréales ou de bois, et
sont mis en route directement du Parana pour l'Europe
sans faire à Buenos Aires une nouvelle escale. Les
sorties du port de Buenos Aires pour la navigation
intérieure excèdent fortement les entrées. De 191 2 à 1914,
Buenos Aires a reçu en moyenne en provenance des
ports à l'intérieur 1 750000 tonnes, dont 1 035 000 char-
gées. Elle a mis en route vers les mêmes ports des
navires jaugeant 3 '275 000 tonnes, dont 1580 000 sur
lest. Ce dernier cliifl*re représente à peu près le tonnage
des navires maritimes expédiés à vide vers l'amont
après déchargement sur les quais de Buenos Aires. Au
LES VOIKS FLUVIALES. 265
contraire, à Rosario, San Nicolas, San Pedro, le ton-
nage à la sortie, à destination des ports argentins, est
beaucoup plus faible que le tonnage à l'entrée*. Le mou-
vement total des marchandises au port de Rosario est
de 410000 tonnes aux entrées et 375 000 tonnes aux
sorties pour la navigation intérieure, de 1 100 000 tonnes
aux entrées et de 1 824 000 aux sorties pour la navigation
à destination de l'extérieur.
Selon les calculs de Repossini, le tonnage des expor-
tations sur le Parana inférieur en aval de Santa Fe
s'élevait vers 1910 à 4000000 ou 4 500 000 tonnes. Les
importations, presque complètement concentrées à
Rosario, représentaient un quart environ de ce chiffre.
Sur le Parana moyen et supérieur, Repossini évaluait
le volume du trafic à 800 000 tonnes, dont le quebracho
formait les deux cinquièmes.
La navigation du Parana reste l'une des sources
principales de la prospérité de Buenos Aires. Si le déve-
loppement du commerce d'importation de Rosario ou
de Santa Fe s'accomplit en partie aux dépens de la
capitale, si les navires chargés de céréales sur le fleuve
ne font pas même escale devant ses quais, du moins le
cabotage du Parana est-il en grande partie à destina-
tion de Buenos Aires. Au retour, plutôt que de remonter
à vide, les bateliers emportent des cargaisons de pro-
duits européens fournis par les importateurs de Buenos
Aires. Par le Parana, la zone d'influence du commerce
d'importation de Buenos Aires s'étend au delà des fron-
tières argentines jusqu'au Paraguay et jusque sur une
partie du territoire brésilien. Buenos Aires est en outre
le centre d'armement principal de la navigation fluviale
à vapeur. Ses capitaux dominent le Parana. Enfin le
I. Mouvement de la navigation intérieure à Rosario (moyenne de
mi à 1914), entrées : 1 108 000 tonnes, dont 690 000 tonnes sur lest;
sorties • 5X0 000 tonnes; à S. Nicolas, entrées, 440 000 tonnes, dont
400000 sur lest; sorties : 4000 tonnes. La diiîérence entre les entrées
et les sorties repré-sente des navires mis en route directement pour
l'Europe.
26t LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
Parana lui fournit un fret d'exportation qui n'est pas
négligeable. C'est à Buenos Aires, en effet, que sont
transbordés les peaux, les tabacs, l'extrait et les bois de
quebracho à destination d'outre-mer, chargés sur des
chalands dans toute la partie supérieure du fleuve
inaccessible à la navigation maritime.
CHAPITRE IX
LA POPULATION
La distriliulion de la population. — Les courants d émigraliun
à l'intérieur. — Les migrations saisonnières. — Les villes histo-
riques. — Les villes de la région pampéenne. — Buenos Aires.
Une carie à grande échelle de la densité moyenne de
la population, établie par provinces, — comme celles
qui ont été publiées dans les derniers recensements
argentins, — est sans valeur géographique pour les
régions de l'Ouest et du Nord-Ouest, où des oasis
d'étendue limitée sont séparées par de vastes étendues
restées désertes faute de ressources en eau. Dans la
région pampéenne au contraire, la population est dis-
persée et distribuée d'une façon très uniforme, et les
densités moyennes calculées répondent suffisamment
aux fai^s.
Aux différents types d'exploitation dont on a étudié la
répartition dans la Pampa, corresponde^^t des densités
inégales : l'élevage des bœufs n'entretient qu'une
population clairsemée. La première colonisation pasto-
rale de la plaine à l'Ouest du Salado s'est laite entre
1880 et 1890 avec un personnel très restreint. Une
grande estancia de 400 kilomètres carrés sur la lisière
Nord de la pampa (estancia del Tostado) n'emploie
qu'une centaine de personnes, soit une pour 4 kilo-
mètres carrés. La densité s'élève sensiblement, pour
l'élevage du mouton, sur les pastos tieinos de la pro-
vince de Buenos Aires où une estancia de iOO kilomètres
carrés, consacrée à la production de la laine, avec
50 à 60 bergers, nourrit au moins 200 personnes.
20(5 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
2 au kilomètre carré'. La densité n'est pas sensiblement
plus forte dans les zones de grande culture de blé, où
la superficie exploitée par une famille atteint normale-
ment, jachères comprises, 200 hectares ; mais elle peut,
même en faisant abstraction de la population urbaine,
dépasser 10 habitants au kilomètre carré dans la zone
du maïs.
Les progrès de la population argentine peuvent être
suivis de près depuis le milieu du xviii" siècle. Un
recensement exécuté en 1 744 attribue à la campagne de
Buenos Aires, à l'intérieur de la première ligne des
forts, 6000 habitants. A la lin du xvni" siècle (recense-
ment de 1797, cité par Azara), la population de la pro-
vince de Buenos Aires, sans la ville, dépasse de peu
50 000 âmes, la zone occupée s'étant étendue dans l'inter-
valle, au moins partiellement, jusqu'au Salado. Wood-
bine Parish l'évalue en 1824 à 80 000, au moment où
commence l'expansion vers le Sud, au delà du Salado,
jusqu'à la Sierra de Tandil. Elle double entre 1824
et 1855. Les départements du Nord comptaient alors
45 000 habitants; ceux de l'Ouest, 58 000; ceux du
Sud, 63000; la densité était encore un peu plus forte au
Nord, le long de la route du Pérou, mais le progrès de
rélevage du mouton dans le Sud commençait à déplacer
le centre de gravité de la colonisation. Le premier recen-
sement régulier de la République argentine, en 1869,
révèle un progrès plus rapide encore. La population de
la -province de Buenos Aires est passée à 315 000 habi-
tants. L'augmentation porte surtout sur la région de
l'Ouest, où les cultures commencent à s'étendre autour
de Chivilcoy, au delà de la zone pastorale, et sur la
i-égion du Sud, où se sont multipliées les bergeries. La
population des départements du Sud a plus que doublé
en 14 ans (137 000 habitants pour 70 000 kilomètres carrés
occupés environ, soit 2 habitants au kilomètre carré).
1. Elle est 20 fois plus faible dans les eslancias qui exploitent les
lȈturages maigres du Rio Negro.
LA POPULATION. 207
Cependant la région pampéenne, — Buenos Aires, y
compris la capilalo, Santa Fe, et la partie méridionale de
Cordoba, — nourrit encore à cette date une population
moins nomlireusc que celle des provinces du Nord et du
Nord-Ouest : 020 000 contre 813 000 ; les provinces de la
Mésopotamie avaient alors 263000 habitants.
La proportion s'est renversée 25 ans plus tard, au
lecensement de 1895; la population pampéenne a triplé,
et représente à elle seule plus de la moitié de la popu-
lation totale du pays ; celle des provinces de l'Ouest
et du Nord-Ouest en forme un tiers environ, et ne s'est
accrue que de 50 pour lOO.
Si l'on examine en détail la disU'ibution de la popu-
lation dans la plaine pampéenne en 1895, on constatera
qu'en dehors de la banlieue de Buenos Aires, la zone
de plus forte densité, — de 5 à 8 par kilomètre carré, —
s'étend au Nord Ouest entre San Andres de Giles et
Pergamino, région d'élevage perfectionné, oii les cul-
tures de maïs commencent à occuper une part impor-
tante du terrain. La population reste serrée à l'Ouest
de la zone précédente, dans la région agricole de Junin,
Chacabuco et Chivilcoy. Cette zone, où le maïs voisine
avec le blé, englobe déjà vers l'Ouest Veinte Ginco de
Mayo (5 habitants au kilomètre carré) et Nueve de
Julio (2,5 habitants au kilomètre carré). Au Sud de
Buenos Aires, les départements de la rive gauche du
Salado, uniquement consacrés à l'élevage, mais ancien-
nement peuplés, ont une densité de 5 à 5 au kilomètre
carré. La région comprise entre le Salado inférieur et la
sierra de Tandil, zone d'élevage du mouton, alors en
plein rendement, mais de colonisation plus récente, ne
dépasse pas 3. Dès qu'on s'éloigne vers l'Ouest, la den-
sité diminue brusquement. Elle s'abaisse à moins
de 1 dans le Nord-Ouest et l'Ouest de la province de
Buenos Aire*>, dans la zone où se sont répandus les
éleveurs de bœufs venus de la région orientale. A Santa
Fe, la région colonisée, tant à la hauteur de Rosario
2ii8 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
qu'à la hauteur de Santa Fe, compte environ 5 hal)i-
lanls par kilomètre carré; mais au delà de la frontière
de Cordoba, la densité tombe à '2 dans le département
de San Juslo, à moins encore plus au Sud, à Marcos
Juarez, Union et General Lopez.
En 1914, la densité dépasse 15 dans toute la région du
maïs sur le territoire de Buenos Aires et de Sanla Fo :
elle approche de ce cliiff'e dans les départements de
colonisation agricole ancienne du moyen Salado. Dans
la région des luzernières, elle est de 5 à 5, sauf au Sud-
Est {départements de Veinte Cinco de Mayo, Nueve de
Julio, Bolivar), oîi elle s'élève grâce à la coexistence des
estancias et de la culture du maïs et du blé. Elle
s'abaisse entre 2 et 3 dans la zone du blé du Sud et du
Sud-Est de Buenos Aires. A Santa Fe, la région des
co'onies nourrit 7 habitants au kilomètre carré.
L'accroissement de la population s'explique en partie
par l'immigration européenne. Les étrangers forment .
en 1914, 30 pour 100 de la population totale'. La propor-
tion des étrangers par rapport à la population totale est
un des indices qui permettent de suivre le plus exacte-
ment le mouvement de la colonisation. Aussitôt que la
colonisation se ralentit dans une zone du pays, le
nombre des immigrants y diminue; les enlants des
colons étrangers nés en Argentine sont considérés
comme indigènes par les statistiques argentines. En
1869, la proportion des étrangers s'élève à 417 pour 1000
dans la province de Buenos Aires (moins la capitale).
C'est la grande période de la colonisation pastorale et
du développement des bergeries. Elle n'atteint encore
que 156 pour 1000 à Santa Fe. En 1895, la proportion des
étrangers s'est abaissée à 309 pour 1000 à Buenos Aires.
mais elle s'est élevée à 419 à Santa Fe, oîi cette date
1. Européens presque tous, sauf quelques dizaines de mille Boli-
viens dans les provinces de Salta et de Jujuy, quelques milliers df
Brésiliens dans le territoire de Misiones, et quelques milliers do
Chiliens au Neuquen.
LA POPULATION. ^2t59
marque à peu près le terme de la grande période de
colonisation agricole. En 1014, la proportion des étran-
gers s'est relevée i\ Buenos Aires à 540 pour 1000
(mise en valeur de la région du mais et de la région
méridionale du blé). Elle s'est abaissée à Santa Fe
(350 pour 1000) malgré une forte immigration dans les
départements du Sud à cultures de maïs. En même
temps, un fort afflux de j)opulation étrangère s'est produit
dans la province de Cordoba (200 pour 1000) et dans le
lerrifoire de la Pampa central (500 pour 1000)'.
Les derniers recensements permettent de suivre
d'autre part sur le territoire argentin les déplacements
de la population indigène et la part qu'elle a eue dans la
colonisation. En dehors de la région pampéenne, les
fractions du pays qui ont constitué des centres d'attrac-
tion pour la population argentine sont les provinces
sucrières de Tucuman et de Jujuy et la province de
Mendoza. En 1895, Tucuman compte 40 000 habitants
originaires d'autres provinces; Jujuy, 150( 0 ; Mendoza,
19 000. L'attraction de Tucuman s'est exercée princi-
palement sur les provinces voisines de Santiago
(li2000 immigrés) et de Catamarca (12 000 immigrés).
A Mendoza, les immigrants proviennent surtout de
San Juan (7000) et de San Luis (5000). L'attraction de
la zone d'exploitation du bois est plus difficile à mesurer,
parce que la majorité des obrajes est comprise sur le
terriloire de la province de Santiago qui a fourni elle-
même la main-d'œuvre, et que les recensements n'ont
pas tenu compte des déplacements à l'intérieur des
provin<es. Cependant l'immigration vers la région du
quebracho chaquefio, en bordure du Parana, est recon-
naissable dès 1895. Elle est alimentée par la province
1. J'ai signalé ailleurs l'iniportance du courant d'immigration euro-
péenne à Mendoza. En Patagonie (terriloire du Hio Negro, du Xeu-
quen, du Chubut, du Santa-Cruz et de la Terre de Feu. dont la
population totale n'est que do lOidOO habitants), l'élevage du mouton
a déterminé aussi une forte immigration (4'28 étrangers pour mille
habitants en l'Jl i).
270 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
de Gorrientcs : Sanla Fe compte 10000 immigrants de
Corrientes, dont 6500 dans les départements forestiors
de Reconquista et de Vera. Le territoire du Gharo
nourrit 2000 bûcherons correntinos et quelques cen-
taines de Santiaguenos et de Saltenos. Enfin Corrientes
a également fourni 5000 immigrants au territoire des
Missions.
Dans la région pampéenne, la population de la pro-
vince de Buenos Aires ne comprend en 1895 qu'une très
faible proportion d'éléments venus d'autres provinces.
La population de Santa Fe est plus mêlée. L'essor de la
colonisation agricole y a fixé 63000 immigrants argen-
tins. Ils sont venus surtout de la rive gauche du Parana
et de Cordoba. L'immigration cordobense est localisée
le long de la voie ferrée de Rosario à Cordoba, dans les
départements de Belgrano et d'Iriondo, et dans la ville
de Rosario. L'essaimage des colons de Santa Fe vers les
terres neuves de l'Ouest commence à peine. Ils sont
5000 seulement dans la province de Buenos Aires,
5000 à Cordoba, en majorité dans les départements
limitrophes de l'ancienne zone des colonies. La coloni-
sation de Cordoba débute à la fois à l'Est, au voisinage
de Santa Fe, et au Sud-Ouest dans le département de
Rio Cuarto, où pénètrent les éleveurs de la province de
San Luis. De même, la population argentine de la
Pampa central comprend des éléments venus de l'Est
en même temps que les colons européens, et des élé-
ments venus du Nord-Ouest (10 000 immigrés de la
province de Buenos Aires, 5000 de la province de
San Luis).
Le recensement de 1914 contient, au sujet des migra-
tions intérieures, des renseignements moins complets
que le précédent. Ces migrations ne se sont pas arrêtées.
L'attraction de Tucuman et de Mendoza n'a fait que
s'accroître. La province de Tucuman compte 55 000 im-
migrés argentins; celle de Jujujs 15 000; celle de Men-
doza, 54 000. Les provinces de Santiago et de Corrientes
LA POPULATION. 271
coiilinuent à (Hre les foyers d'émigration les plus impor-
tants (58 000 et 65000 éniigrants). A Santa Fe, le nombre
des émigrants qui ont quitté la province pour aller
s'établir à Cordoba et dans le reste de la région pam-
péenne est passé de 14 000 à 87 000. Enfin les territoires
patagonicns comprennent également un fort excédent
(le populalion immigrée d'autres provinces.
Les migrations péiiodiques, qui nenlraîncnt pas un
changement définitif de résidence, échappent au con-
traire complètement aux statistiques officielles. L'im-
portance de ces migrations dans le Nord de l'Argentine
a été signalée dans les chapitres consacrés à Tucuman
et à l'exploitation des bois. Elles se produisent éga-
lement dans la région pampéenne, où elles sont déter-
minées principalement par les besoins de main-d'œuvre
pour la moisson et le battage du blé et du lin, et pour la
cueillette du maïs. Miatello a analysé en détail le
phénomène pour la province de Santa Fe en 1904. La
période pendant laquelle les cultivateurs de blé et de
lin ont besoin d'aide s'étend de novembre à février; elle
commence en mars pour les cultivateurs de maïs, et se
prolonge d'autant plus que la récolte est plus abon-
dante. Les immigrants temporaires proviennent en
partie d'Europe. Non seulement le courant d'immigra-
tion à destination de l'Argentine est plus intense pen-
dant les mois qui précèdent les récoltes, tandis que lo
courant de réémigration vers l'Europe s'accentue au con-
traire pendant l'automne, mais encore il n'est pas rare de
voir des Italiens faire annuellement le voyage d'Argen-
tine pour y séjourner seulement pendant le temps des
moissons, où les salaires s'élèvent. Cette immigration
saisonnière en provenance d Italie est déjà ancienne et
Daireaux la signale dès 1889. Ces étrangers ne forment
toutefois qu'une partie du personnel de fortune embau-
ché pour les moissons de la plaine pampéenne. Les
migrations saisonnières restent surtout un phénomène
intérieur. La main-d'œuvre employée à la cueillette du
un LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
maïs comprend des éléments empruntés à la population
des villes voisines de la région maïsera. Mais toutes les
provinces du pourtour de la région pampéenne four-
nissent aussi leur contingent d'immigrants temporaires.
Il en vient de la vallée du Rio Negro à Baliia Blanca,
comme de San Luis, et même de Mendoza dans la Pampa
central et dans la province de Cordoba.
Le courant le plus ancien, et, encore aujourd'hui le
plus volumineux, est celui qui provient de la province
de Santiago. D'Orbigny signale en 1827 l'afflux saison-
nier des Santiaguenos vers le littoral. La récolte des
blés à Buenos Aires progressait cette année, lentement,
faute de bras ; « les levées forcées pour l'armée empé-
ciiaient les Santiagueflos de venir se louer, selon leur
usage, par la crainte d'être obligés de servir »*.
L'émigration temporaire a sans doute pour origine
les voyages qui amenaient à Buenos Aires les gens du
Nord comme conducteurs des troupes de chars. Les
Santiaguenos étaient nombreux parmi les troperos.
Lorenzo Fazio* a recueilli dans le pays des baflados les
souvenirs laissés par ces voyages : ils remontent au
premier quart du xix^ siècle, à la période antérieure
au détournement du Rio Dulce et à la ruine de Salavina
et d'Atamisqui. « Mon père, dit un de ses informateurs,
menait des chars de blé à Cordoba, et parfois jusqu'à
Buenos Aires, où il le vendait pour rapporter en
échange des marchandises, des étoffes. Il achetait le
blé tantôt à Loreto, tantôt à Afamisqui ou à Salavina.
Il revenait au bout d'un an seulement, car il lui fallait
attendre là-bas les pluies et que le pâturage eût reverdi :
sans quoi ses bêtes seraient mortes de soif et de faim
sur la route ». Les voyages des troperos comportaient
un long séjour oisif dans la région pampéenne, préci-
1. D'Orbigny, Voyage dans V Amérique méridionale, t. I, p. 528.
2. Lorenzo Fazio, Memoria descriptiva de la provincia de Santiago del
Eslero. Buenos Aires, 1889.
LA POPULATION. 273
sèment à l'époque des récoltes. Il est naturel qu'ils aient
songé à tirer parti de leurs bras.
L'émigration temporaire des Santiagiiefios ne s'inter-
rompit jamais au xix" siècle. Elle persista même à
l'époque troublée du gouvernement de Rosas, qui vit
s'arrêter presque complètement les relations commer-
ciales entre Buenos Aires et les provinces de arriba.
Galvez', traversant les villages du Rio Dulce, observe
que la population masculine y était peu nombreuse : les
hommes s'étaient dispersés par les chemins; ils étaient,
dit-il, « andariegos »; les femmes seules étaient séden-
taires. La province de Buenos Aires voyait les Santia-
guenos arriver par nuées pour s'embaucher. Chivilcoy
et toute la zon(3 des « chacras » de maïs et de blé rece-
vaient leurs caravanes pour la moisson, et les retenaient
parfois pour les semailles. Les estancieros eux-mêmes
profitaient de ce renfort et louaient leurs services pour
la marque. A l'automne ils s'en retournaient avec leurs
tropillas, redoutés des éleveurs dont ils traversaient les
domaines, et volant sans scrupule les chevaux mal
gardés.
La province de Santa Fe, et particulièrement les
départements agricoles du Nord-Ouest, sont aujourd'hui,
dans la région pampéenne, le principal théâtre de l'im-
migration des Santiaguenos Elle ne se fait pas toujours
par voie ferrée et a conservé en partie son aspect pitto-
resque et primitif. Les immigrants arrivent par troupes,
montés sur des mules ou des chevaux, et se dispersent
en novembre dans les colonies.
La population argentine a subi en outre l'attraction
exercée par les centres urbains. La croissance des villes
est due en effet h la fois à l'immigration étrangère et à
l'immigration intérieure. Le développement de la vie
1. V. Galvez, Memorias de un viejo. I3uenos Aires, 3 vol. in-16
4' édicion, 1889. '
Dems. — L'Argentine. jg
27 1 LA RÉPLIBLÎOUE ARGENTINE.
urbaine, devenu l'un des traits caractéristiques de l'Ar-
gentine moderne, est un phénomène récent. Rien ne le
fait pressentir au xviii" siècle. Azara est frappé au con-
traire par le défaut de toute vie communale : point de
« pueblos unidos ». La dispersion de la population est
une conséquence de la prédominance de l'élevage. « Si
ce pays trouvait profit à l'agriculture, on verrait ses
habitants se réunir deux-mcmcs en villages, au lieu
que toute la population des campagnes est au contraire
disper.-iée dans ses cstancias^ ». C'est la dispersion de
la population, plus encore que sa faiblesse numérique
absolue, c'est la solitude, « le désert, horizon universel
qui s'insinuait partout jusque dans les entrailles du
pays' », qui a façonne l'àmc farouche du gaucho.
Les sites urbains primitifs sont tous placés soit sur
le fleuve, soit sur les routes historiques du Pérou et du
Chili. Les seules villes de la région du Parana étaient
à la fin du xviii'- siècle Buenos Aires, Santa Fe et Cor-
rientes. Quant aux villes de l'intérieur, le voyage de
Helms (1788) donne une idée de leur importance. Cor-
doba, au carrefour de la route du Pérou et des pistes
vers la province de la Hioja, avait alors 1500 habitants
de race blanche et iOOO noirs. Elle devait au voisinage
de la sierra, qui fournissait le granit et la chaux, une
apparence architecturale, des rues pavées, qui frap-
paient même le voyageur arrivant de Buenos Aires.
L'attraction de ses écoles s'étendait au loin : nous
avons conservé une liste d'étudiants du Paraguay
ayant fait leurs études à l'Université de Cordoba au
xv!!!*" siècle'. Tucuman, et surtout Salta, étaient aussi
des centres assez vivants. Salta avait 600 familles es-
pagnoles et 9000 habitants en tout, et ses relations
s'étendaient jusqu'au Pérou et au Chili. Jujuy, au
1. F. de Azara. Mcmorias sobre el estado rural ciel rlu de la Plata en
1801, p. 10.
'2. Sarmiento, El Facundo, p. 19.
3. Pubii'^c par la Rcvista del [nstihilo Paraguayo. t. W. p. ri.'i.
LA POPULATION'. 27;.
conlraire, nclail qu'une bourgade. Helms signale la
décadence de Santiago del Estero : le commerce qui y
rtorissait autrefois a pris, dit-il, une autre direction. La
prospérité de Santiago était liée en effet à l'activité de la
loute directe de Santa Fe h Tucuman, qui cesse d'être
pratiquée à la fin du xviii'' siècle. Santa Fe est égale-
ment, à la fin du XYiif siècle, et restera jusqu'au milieu
du XIX" siècle, une ville déchue. Sa misère s'explique non
seulement par l'interruption de ses relations directes
avec le Pérou, mais par la décadence et l'isolement du
Paraguay, qui fournissait les éléments principaux de
son commerce, et dont elle assurait les relations avec
les provinces andines.
Le grand développement de la vie urbaine en Argen-
tine date seulement de la période de la colonisation
de la région pampéenne. La proportion de la population
urbaine s'est élevée considérablement pendant les
vingt-cinq dernières années : en 1895, 115 centres de
plus de 2000 habitants comprennent 37 pour 100 de la
population argentine totale; en 1914, le nombre des
centres urbains atteint 322, et ils comprennent 53 pour
100 de la population. La population des villes de 5000
à 20 000 habitants a triplé en 20 ans, passant, de 1895 à
1914, de 312 000 à 977 000 âmes. De grandes villes nou-
velles, comme Rosario ou Bahia Blanca, sont nées.
L'importance relative des villes anciennes s'est rapi-
dement modifiée; Tucuman et Mendoza (121000 et
92 000 habitants) ont distancé Santiago et Salta (22 000
et 28 000 habitants). Les villes du Nord-Ouest, Gata-
marca et la Bioja, se sont au contraire à peine déve-
loppées.
Si ion examine une carte de la population urbaine
dans la région pampéenne, on constatera que la colo-
nisation y a déterminé la formation d'une dizaine de
centres principaux, de 15000 à 25 000 habitants, et d'une
cinquantaine de centres secondaires, de 5000 512 000 ha-
bitants, tous offrant un caractère nettement urbain. La
216 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLNE.
juxtaposition de ces centres urbains et d'une population
agricole ou pastorale dispersée est un des traits origi-
naux du mode de peuplement actuel de la Pampa; le
village, ou groupement purement rural, n'existe pas. La
distribution de ces centres à la surface de la plaine est
assez uniforme; ils sont un peu plus serrés dans la ré-
gion voisine du Parana, au Nord de Buenos Aires, où
le peuplement est le plus ancien, et où la densité de la
population rurale reste d'ailleurs le plus élevée*. Le
territoire de la Pampa s'est réparti, comme en autant
d'alvéoles, entre les zones d'influence de ces différents
centres, dont le rayon se réduit à une quinzaine de ki-
lomètres dans le Nord-Est, et s'élève à 30 dans le Sud
de Buenos Aires et à 40 dans l'extrême Ouest.
Un nœud secondaire de voies ferrées en a déterminé
généralement le site (SanFrancisco-Pergamino, Junin).
Leur population comprend le personnel nécessaire au jeu
de la vie économique de la Pampa, courtiers desexpor
lateurs de céréales, commerçants qui approvisionnent
les colons en marchandises importées, — notamment en
machines agricoles —, banquiers et agents d'assurances,
arpenteurs et hommes de loi. Les mieux desservis par
les voies ferrées ont un rudiment d'industrie, moulins
et brasseries, dont la production est absorbée par la
clientèle locale. Ces villes tirent de la région pam-
péenne même tous les éléments de leur activité, et n'ont
de relations directes ni avec les marchés extérieurs,
ni avec les autres régions de l'Argentine*.
1. Plusieurs centres sont alignés sur la voie ferrée de Cordoba à
Rosario, la seule dans la région pampéenne qui ait le caractère d'une
ligne de communication interrégionale.
2. Deux d'entre elles seulement, Villa Mercedes et Villa Maria, sont
placées à la lisière de la Pampa. On a vu ailleurs la part que l'éle-
vage extensif des provinces du Nord-Ouest prend à l'aclialandage de
la foire aux bœufs de Villa Mercedes. Villa Maria, elle aussi, tire
quelque profit de sa situation au contact de la brousse. Ses fours à
chaux reçoivent le calcaire de la sierra de Cordoba, mais ils s'ali-
mentent en combustible sur place; le bois leur est fourni par les
colons qui défrichent le monte.
LA POPULATION. 277
Mais les villes de la Pampa qui ont grandi le plus ra-
pidement sont les ports. Rosario est passé de 2Ô0U0 ha-
bitants en 18G9 à 91000 en 1895, et à 245 000 en 1914;
Bahia Blanca, de 9000 en 1895 à 62 000 en 1914. La po-
pulation actuelle des ports de la Pampa n'est nullement
proportionnelle à la part qui revient à chacun d'eux
dans l'exportation des produits pampéens.
Uosario. Buenos Aires. Bahia Blanca. San Nicolas. La Plala. Santa Fe.
Exportation de céréales en milliers de tonnes ; moyenne
des années 1913-1915 :
2.7ir, 2.051 1.07Ô 651 -459 278
Population en 1914 :
245.000 1.575.000 62.000 19.000 157.000 64.000
Tel centre, comme Campana ou Zarate, San Pedro ou
San Nicolas, qui embarquent des viandes ou des grains
pour une valeur considérable, sont cependant restés
des bourgs médiocres. Ni le commerce d'exportation
des viandes, ni celui des céréales ne suffisent par eux-
mêmes à alimenter une vie urbaine intense. De fait, la
croissance des ports de la Pampa est liée avant tout à
leur fonction de ports d'importation et à leur rôle de
marchés de capitaux. L'étroite dépendance où Bahia
Blanca se trouve placée à ce double point de vue à
l'égard de Buenos Aires paraît lui interdire tout espoir
de jamais devenir l'égale de Rosario. La prospérité de
Rosario s'est fondée pendant la période de l'isolemenl:
de Buenos Aires, entre 1855 et 1860, qui a permis au
commerce d'importation de s'y organiser et d'y accu-
muler un noyau de capitaux autonomes'.
Le développement de Buenos Aires doit être mis à
i. Buenos Aires et Rosario seuls ont un marché aux graines indé-
pendant, d'ailleurs diversement organisé : à Buenos Aires, les expor-
tateurs ont noué des relations directes avec les producteurs et
éliminé les intermédiaires; à Rosario ils doivent au contraire accepter
les services d'une corporation puissante de courtiers.
278 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
part. Il ne reflète pas uniquement l'essor de la coloni-
sation dans la Pampa, et représente un phénomène
d'ordre national. L'attraction de Buenos Aires s'est
exercée sur tout l'ensemble du pays. En 1895, sur une
population d'origine argentine de 318000 habitants,
plus de la moitié, — 167 000, — étaient originaires des
provinces'. La façon dont la prospérité de Buenos Aires
est liée non pas seulement à celle de son arrière-pays
immédiat, mais à celle du pays tout entier, .se marque
par la stabilité du chiffre qui représente la proporlion
des habitants immigrés de l'étranger. Tandis que, dans
chacune des provinces, la proportion des étrangers varie
d'un recensement à l'autre, selon les déplacements du
courant de colonisation, à Buenos Aires, elle reste au
contraire à peu près fixe : 496 pour mille en 1809, 520
en 1895, 493 en 1914.
La population de la ville de Buenos Aires ost évaluée
par Helms en 1788 à 24 000 ou 30000 habitants, par
Azara à 40 000 en 1799. La révolution n'interrompt pas
sa croissance : d'après les calculs de Woodbine l'arisb,
la ville avait 81 000 habitants en 1824. Le gouverne-
ment de Rosas marque au contraire une période de
stagnation (90 000 habitants en 1855). Mais à partir de
1855, les progrès de Buenos Aires reprennent avant
même le rétablissement de l'unité politique argentine et
ils ne se sont pas ralentis depuis. La population a doublé
à peu près régulièrement pendant chaque période de
quinze ans : 1/7 000 habitants en 1869, 435000 en 1887,
663000 en 1895, 1 575 000 en 1914. Ce dernier chiffre est
d'ailleurs insuffisant : l'agglomération de Buenos Aires,
y compris la banlieue, comprend en réalité 1 990 000 ha-
bitants (1914).
Le terrain sur lequel s'est bâtie la ville est un pla-
teau régulier d'une altitude de 20 mètres, découpé par
des vallées à fond plat marécageux. Le Riachuelo, au
i. Le recensement de 1914 ne donne pos sur ce point de rensoi-
ments dignes de foi.
LA POPULATION. 270
débouché d'une de ces vallées, a fourni à Buenos Aires
son port primitif. Les terres basses mal drainées des
vallées ont été occupées par les quartiers les plus
pauvres. Leurs versants, les « barrancas )),sont au con-
traire un site de résidences aristocratiques; les dessi-
nateurs de jardins ont pu en tirer parti avantageusement.
Dans l'ensemble, la croissance de Buenos Aires
présente, en raison de l'uniformiié du sol, les mêmes
caractères de régularité que l'expansion de la coloni-
sation à la surface de la plaine pampéenne. La ville est
disposée en zones concentriques, et offre ainsi une
image en raccourci de la répartition des types d'exploi-
tation dans la Pampa qui l'environne. Le noyau central,
ou quartier des affaires, contient non seulement les
bureaux, mais les entrepôts de marchandises importées.
Autour du centre, dans un rayon de 2 à 5 kilomètres,
s'étendent les quartiers d'habitation où la densité est le
plus élevée (250 à 350 à l'hectare). Au delà, la densité
s'abaisse à moins de 200 habitants à l'hectare, à moins
de 50 vers la périphérie. Les quartiers du centre ont
atteint leur densité maxima depuis 1900. Ceux de la pre-
mière zone extérieure ont réalisé de gros gains entre
1904 et 1909; depuis cette date, leurs progresse sont
arrêtés à leur tour, et l'accroissement a porté surtout
sur les quartiers ouvriers éloignés du Sud et de la rive
du Riachuelo.
Buenos Aires a conservé dans les quartiers du centre,
et reproduit partout dans les quartiers périphériques,
le plan primitif en damier régulier de la cité coloniale
espagnole. Ce plan est mal adapté aux besoins actuels.
La croissance rapide de la ville et son étendue, — la
densité moyenne n'y dépasse pas 54 habitants à l'hec-
tare, contre 300 à Paris, — compliquent le problème
des transports. Buenos Aires projette actuellement un
remaniement complet de sa voirie, et le percement de
rues diagonales, rayonnant à partir du centie et con-
formes à la direction des courants généraux de circu-
280 LA RÉPUBLIQUE ARGENTL\E.
lation. Ainsi se trouvera reproduite dans le périmètre
'Urbain la disposition en éventail du réseau des voies
ferrées de la plaine pampéenne.
Buenos Aires sert d'intermédiaire entre l'Argentine
et les pays d'outre-mer. Elle joue ce rôle fructueux à
un triple titre : elle est d'abord le centre principal du
commerce d'importation. Les commerçants des villes
de l'intérieur constituent la clientèle des importateurs de
Buenos Aires, étroitement liée à eux par un système
de crédits à long terme. Buenos Aires est, en outre, le
centre de distribution des capitaux européens qui se
sont employés à la mise en valeur du pays. Enfin, de
même qu'elle répartit entre les provinces les capitaux
étrangers, elle leur distribue la main-d'œuvre immigrée.
En tant que port d'immigrants, son monopole est incon-
testé. Les essais tentés pour détourner vers Bahia Blanca
une partie des immigrants ont échoué, et l'immigration
directe à destination de la province de Santa Fe s'est
arrêtée dès la fin de la première période de la coloni-
sation, vers 1880. C'est à Buenos Aires aussi que vien-
nent s'embarquer les immigrants qui ne se fixent pas
dans le pays, et la réémigration, qui est considérée
comme un fléau national par les économistes argentins,
n'en est pas moins pour la capitale une source de nou-
veaux profits. La fortune de Buenos Aires est donc
faite avant tout de l'étroit contact entre la vie économique
de l'Argentine et celle de l'Europe et de l'Amérique du
Nord.
Mais sa croissance même a progressivement trans-
formé son rôle à l'intérieur du pays. A mesure que sa
population et sa richesse se sont accrues, elle est
devenue un grand marché national. Les produits des
provinces y affluent non seulement pour les besoins de
sa propre consommation, mais pour être répartis ensuite
sur tout le territoire argentin. Les chiffres du commerce
du bétail au marché de Buenos Aires sont instructifs à
cet égard : de janvier à juillet 1919, il y a été vendu
LA POPULATION. 281
1 150 000 bœufs, dont 240000 pour rapprovisionncmenl
de la capitale et 700 000 pour les frigorifiques':'
120 000 bœufs ont élé achetés par des éleveurs pour
être mis à l'engraissage, 40 000 par des bouchers de
villes autres que Buenos Aires. Les capitaux propres
qui se sont accumulés à Buenos Aires sont employés
soit au commerce des terres, soit à l'industrie qui a
profité à la fois du développement de la consommation
locale et des larges disponibilités de main-d'œuvre
créées par l'afflux des immigrants. Ainsi Buenos Aires
ne se borne plus à servir de truchement entre le pays et
l'extérieur ; elle contribue par ses ressources et son tra-
vail à la colonisation et à l'approvisionnement en articles
manufacturés des régions agricoles et pastorales. Elle
est enfin une grande ville de luxe, offrant aux proprié-
taires enrichis par la hausse des terres l'occasion de
dépenser leurs revenus, et dispensant les plaisirs à la
population du campo, lasse parfois de son existence
laborieuse, rude et solitaire.
1. Pendant la même période, les frigorifiques argentins ont abattu
1 490000 bœufs ; une moitié environ de ces bœufs a donc été achetée à
Buonos Aires.
BIBLIOGRAPHIE
Je me borne à signaler ici les ouvrages les plus impor-
tants et les plus récents. Une liste des articles qui onl
été consultés serait longue et sans intérêt; quant à un*-
liste complète de ceux qui auraient pu être consultés,
et où des renseignements auraient pu être glanés, ce
serait une entreprise impossible : pour un travail de ce
genre, il n'est ni un récit de voyage, ni une élude con-
cernant le sol, le climat, la végétation, ni un document
statistique, ni un journal, ni un texte purement histo-
rique, qui ne puisse être considéré à bon droit comme
une source.
\° Périodiques.
Paraii les périodiques publiés en Argentine et con-
sacrés partiellement ou entièrement à l'étude du terri-
toire argentin et de sa mise en valeur, les principaux
sont :
Boletin del Instituto geografico argentino. Buenos Aires,
depuis 1879 (t. 1 1879, t. Il 1881, 1 volume par an de
1881 à 1901; a paru irrégulièrement depuis).
Anales delà Sociedad cientifica argcndna. Buenos Aires.
2 volumes par an à partir de 1870.
Revista de la Sociedad geografica argentina. Buenos
Aires, n'a paru que de 1885 à 1889.
Boletin de la Academia nacionai de ciencias de Cordoba.
Cordoba, depuis 1874, 23 volumes jusqu'en 1918.
Les publications des musées de Buenos Aires et de
28i LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
la Plata contiennent aussi, parmi un copieux matériel
anthropologique, archéologique, paléontologique et
historique, un grand nombre d'articles intéressants pour
les géographes :
Anales del Museo nacional de historia natural de Buenos
Aires^ à partir de 1864, 25 volumes in-folio et in-4° jus-
qu'en 1914.
Anales del Museo de la Plata, première série 1890 à 1900,
deuxième série depuis 1907, in-fol. et in-4°.
Revista del Museo de la Plata, depuis 1890-1891, 17 vo-
lumes jusqu'en 1910-1911.
Toutes ces revues contiennent principalement des
articles sur les parties du pays qui ont été explorées en
dernier lieu, Patagonie, Chaco, Misiones. On y trouvera
peu de chose sur les régions anciennement colonisées,
qui ne sont pas toujours les mieux connues.
^'' Cartes.
Les cartes publiées au xviif siècle (carte de d'Anville,
1755, dans les Lettres édifiantes, XIX^ recueil, Paris,
1754; carte de Bellin, dans le t. II de l'Histoire du
Paraguay du R.P. P.F.X. de Charlevoix, Paris, 1756,
5 vol. etc.) sont fondées sur les renseignements recueillis
par les Missionnaires jésuites.
La carte de d'Azara (1809) marque un progrès remar-
quable.
Des corrections importantes à la carte de d'Azara
figurent sur la carte de Woodbine Porish (1858).
Les 2 cartes de BracUebusch sont des documents essen-
tiels : Mapa del interior de la Republica argentina por
el Dr. L. Brackebusch, I : 1000 000, Gotha, 1885 et
Mapa geologico del interior de la Republica argen-
tina, 1 : 1 000 000, Gotha, 1890.
Les résultats des travaux antérieurs ont été utilisés
BIBLIOGRAPHIE. 285
dans V Atlas de la Republica argentiim construido y puhli-
cado por el Insl/tulo geografico argeiitino, Buenos Aires,
I80i, qui contient une liste de ses sources.
Depuis cette date, les cartes se sont multipliées, cartes
des différentes provinces, levés exécutés par les Com-
pagnies de chemins de fer, par la Commission de fron-
tières avec le Chili (voir Palagonic), par la Division de
mines (voir Régions naturelles), par le Ministerio de
Obras publicas (voir les voies fluviales). On trouvera un
bref résumé de l'histoire de la cartographie argentine et
une liste des cartes des provinces dans Col. B. Garcia
Aparicio, la carta de la Republica (Anuario del Instituto
o-eografico militar, 1, 191'2, Buenos Aires, p. 1-27).
L'Institut géographique militaire a lui-même édité un
nombre considérable de cartes, soit d'après des levés
nouveaux, soit en compilant des travaux antérieurs,
notamment :
Une trentaine de feuilles à 1 : 25 000 (région pam-
péenne) depuis 1904, intéressantes pour l'étude du mo-
delé de la plaine ;
Gobernacion de la Pampa 1 : 500 000 (Estado Mayor
5a Division), Buenos Aires, 1909;
Trois feuilles à 1 : 1 000000 (Buenos Aires, Concordia
el Corrientes). B. A. édition provisoire 1911 d'une carte
de l'Argentine au 1:1000000 qui doit comprendre
21 fouilles.
Une carte de référence commode, quoique sans valeur
scientifique, est la carte des chemins de fer à 1:2 000000
en 3 feuilles, publiée en 1910 par le Ministerio de Obras
Publicas.
3" Statistiques.
Un résumé des statistiques essentielles est publié
annuellement dans l'Argentine Ycarbook (depuis 1902 à
Buenos Aires, depuis 1909 à Buenos Aires et à Londres).
UAnuario de la Direccion gênerai de Estadistica, qui
im LA RÊPUBLIOUE ARGENTINE.
paraîtdepuis 1880 en 1, 2ou5 volumes in-4'*, contient les
chiffres relatifs au commerce, à l'immigration, à l'agri-
culture, aux chemins de fer, à la navigation, etc. (der-
nier volume consulté relatif h l'année 19i4, B.A. 1915).
On trouvera dans le tome III de l'annuaire de 1912
une liste des publications delà Direccion de Estadistica.
Outre l'Annuaire, la Direccion édite un bulletin con-
tenant les statistiques commerciales. (Dernier numéro
consulté n° 181 : El comercio cxterior argentino en los
primeros trimestres de 1918 y 1919, B.A., 1919. Le
Boletin 176 contient un tableau rétrospectif du com-
merce argentin de 1910 à 1917.)
Les Services de statistique du Ministère de TAgricul-
ture, dirigés par E. Lahittc, éditent le Boletin mensual de
estadistica agricola (dernier volume consulté : t. XXÏ,
1919).
4" DescriptioiNS générales'.
On peut faire remonter à d'Azara l'étude scientifique
de cette partie de l'Amérique du Sud. Ses observations
sont rassemblées dans Don Félix de Azara, Voyages dans
r Amérique méridionale, publiés d'après les manuscrits de
i. Ed (ichors des publications des Jésuites, qui sont facilement
accessibles, un assez grand nombre de textes relatifs à riiistoire de
la colonisation ont été publiés ou réédités au xix^ et au xx" siècle.
Voir notamment :
Relaciones geograficas de Lidias, t. 1, 1881: t. II, 1885, Madrid.
Anales de la Bibliot^ca mxcionul, Buenos Aires, publicacion de docu-
menlos relativos al Rio de la Plata, depuis 1900.
Publications de la Junta de historia y Numismalica americana.
Buenos Aires, 7 vol. in-S" parus de 1905 à 1915.
On trouvera des indications (Critiques précieuses sur quelques-uns
des documents historiques les plus importants dans E. Boman, Anii-
fjuités de la région andine (voir L'Argentine du Nord-Ouest).
La collection à coup sur la plus curieuse pour le géographe est :
Pedro de Aagelis, Coleccion de obras y documenlos relativos a la his-
toria antigua y modcrna de las provincijxs del Rio de la Plata. Buenos
Aires, 1837, 6 vol. in-8°, qui contient de nombreux itinéraires, jour
naux d'expéditions, etc., y compriR diverse?; notes de d'Azara.
BIBLIOGRAPHIK. 287
l'auteur par Walckeiiaër, Paris, 1809, 4 vol. in-12 et
atlas;
et D. Félix de Azaia, Descripcion e hisloria del Para-
(fiutij y del rio de la Plafa, publié par D. Agustin de Azara.
Madrid, t8i7, 2 vol. iii-S.
Le Voyage dans l' ÀDiérUpie méridionale, d'Alcide d'Or-
bigny, conlient ses observations sur le Parana, la pro-
vince de Corrientes, la Pampa (voyages de Parcliappe)
et la Patagonie ^1828). (Partie historique t. I, Paris,
1855, et t. II, Paris, 1859-1847); t. III, S'^ partie, géo-
logie, Paris, 1842).
Darwin a lui aussi visité la côte de la Patagonie et
liaversé la Pampa (1853) : Narrative of ihe surveying
voyages of IL Ms. sliips Adveniure and Beagle... t. III
■fonrnal and remarks 1852-56, by Charles Darwin, Lon-
don, 1859. in-8.
Le livre de Sir Woodbine Parish : Buenos Aires and
the pi^ovinces of the rio de ht Plala, London, 1858, est
remarquablement bien informé et fondé sur un dépouil-
lement patient des publications antérieures et des ar-
chives.
Le récit de voyage de Mac Kann : William Mac Kann,
Two iliONsand miles'ride trough the Argentine Republic,
London, 1855, 2 vol. in-12, est intéressant et d'un
observateur attentif.
Martin de Moussy, Description géographique et stalis-
tiqne de la Confédération argentine, Paris, 1859, 5 vol.
in-8 et atlas, est inégal, abondant en informations.
Le livre de IL Burmeister : Description physique de la
Réiniblique argentine, Paris, t. I et II, 1876, dont la répu-
tation est surfaite, esl au contraire de peu d'utilité.
Richard Napp, Die Argentinische Ltepublik, Buenos
Aires, 1876, 1 vol. in-8, contient un chapitre précieux
288 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
de P. -G. Lorentz sur la végétation (Vegetationsverliaelt-
nisse Argentiniens), p. 87-149.
Le tome II (territoire), du Second recensement de la
République argentine (B. A. 1898) comprend une étude
géographique d'ensemble par divers collaborateurs ;
Géologie, par J. Valentin.
Climat, par G. -G. Davis.
Flore, par E.-L. Holmberg.
Un essai d'interprétation générale des connaissances
géographiques sur l'Argentine a été tenté par E -A. -S. De-
lachaux : Las regiones fisicas de la Repnblica Argenlina
(Rev. Mus. Plata, XV, 1908, p. 102-131.)
La connaissance physique de lArgentine a été renou-
velée par les travaux de la Direccion de Minas.
Leurs résultats sont résumés dans les Munorias de la
Direccion gênerai de Minas, Geologia e Hiârologia, publics
depuis 1908 (Anales del Ministerio de Agricultura,
Seccion geologia mineralogia y mineria ; dernier volume
paru correspondant à l'année 1915, B. A., 1917,
t. XII, n°2).
Les travaux particuliers sont publiés dans la même
Section des Anales del Min. Agric.,et dans les Boletines
de la Direccion de Minas, Geologia e Hidrologia; voir
surtout la série B, Geologia. Ces rapports et les cartes
qui les accompagnent, sont la base de tout travail sur la
géographie de l'Argentine. Ils couvrent déjà une grande
partie du territoire argentin. Les travaux de Keidrl,
notamment, qui forment une contribution essentielle à
l'histoire géologique du continent sud-américain, et
ceux de Windhausen, font une large place à la géogra-
phie physique, à l'étude du modelé, et à l'influence du
climat sur les formes du terrain.
On trouvera un résumé de l'histoire des recherches
sur le sol de l'Argentine dans E. Hermitte, La geologia y
IjibLlOGRAPHIE. 2MH
mineria argenlina en 19J4, Tercer censo nacional, 1. VII,
p. 407-494.
Sur le climat :
R. A. Minislerio de Agricullura, Servicio meieorolo
gico argoitiiio, Historia y organizacion, con un resnmcn de
losresidiados, preparaOohajo la dircccion de G. -G. Davis
(B. A., 1914, in-4''), dispense de consulter les travaux
antérieurs.
Bibliographie très complète des ouvrages de bota-
nic|ue et de géographie botanique concernant l'Argen-
tine dans F. Ivurtz, Essai d'une bibliographie botanique de
l'Argentine^ 2^ édition (13ol. Acad. Nnc. Ciencias Cordoba,
XX, 1915, p. 569-467).
Résumé commode de nos connaissances sur les popu-
lations primitives dans Félix F. Outes et Carlos Bruch,
Los aborigènes de la Rep. Argentina. B. A., 1910.
5" L'Argentine du Nord-Ouest.
L'ouvrage d'ensemble le plus complet sur l'irrigation
est E.-A. Soldano, La irrigacion en la Argentina, B. A.,
l'.MO, in-S"; voir aussi G. Wauters, La irrigacion en e.
V aile de Lernia (An. Soc. Cient. Argentina, LXVI, 1908,
p. 417-145).
La meilleure description de la Puna de Atacama et
du pays des Vallès se trouve dans Eric Boman, Anti-
guiV's de la région andine de la République Argentine et du
désert d' Atacama (Mission scientifique G. de Crcqui,
Montfort et E. Sénéchal de la Grange. Paris, 1908,
1 vol. in-H").
L. Brackebusch, Ueber die Rodensverliaeltnisse des
nordwestlichen Teiles der Argenlinischen Republik mit
Bczugnahme auf die Végétation (Pelermanns Mitteilun-
gcn, 1895, p. 153) est un essai de description d'ensemble
Denis. — L'Argentine. 19
290 LA RÉPUBLIOCE ARGENTINE.
de tout le Nord-Ouest argeniln ; mais le récit de voyage
de Brackebusch, Viaje nia Provincia de Jujuy (Bol. Inst.
Gcogr. Argenlino, IV, 1885, p. 0-17, '204-211, 217-226)
est plus vivant et plus utile.
J'ai signalé en note p. 51 le travail de Bodenbender
sur la province de la Rioja.
Parmi les articles très dispersés sur l'Argentine du
Nord-Ouest, on peut citer également :
J.-B. Ambrosetti, Viaje a la Piina de Atacama de Salta
a Caurchari (Bol. Inst. Geogr. Argentino, XXI, 1900,
p. 87-116).
F. Kiihn, Descripcion del rajnino desde Rosario de Lerma
hasta Cachi (Bol. Inst. Geogr. Argentino, XXIV, 1910,
p. 42-50).
H. Seckt, Coniribucion al conocimiento de la vegelacioii
del Noroeste de la Ptep. Arg. — Vallès de Calchaqui y Puna
de Atacama (An. Soc. Cient. Arg., LXXIV, 1912, p. 183-
225).
Juan F. Barnabe, Informe sobre el disirito minero de
Tinogasta (An. Min. Agric, Seccion Geol. Mineraiogia
y Mineria, l. X, n^ i, B. A., 1915).
Sur la Puna de Atacama :
L. Gaplain, In/'orine sobre el eslado de la mineria en el
Territorio de los Andes. (An. Min. Agric, Seccion Geol.
M. y M., t. Vil, n"!, B. A., 1912).
Sur les chaînes subandines :
Guido Bonarelli, Las S:ierras snbandinas del Alto g
Aguaragiie y los yacimienlos petroliferos del disirito minero
de Tartagal {ibid., t. Vlll,n° 4, B. A., 1915); voir aussi :
Direccion General de Minas, Geol. c Ilidrol., Boletin,
Série B., n" 0, B. A., 1914.
BIBLIOGRAPHIE. 291
Sur le Chaco Salteno :
L. Arnaud, Expcdicion al C/iaco, Bol. Insl. Geogr.,
Arg., VI, 1885, p. 201-iîlO).
Sur la parlic de la })rovince de San Luis comprise
dans la zone da monte :
Avé-Lallemant, Datas oro(jra/îcos e liidrograficos sobre
la Provincia de San Luis^ (Bol. Insl. Geogr. Arg., V,188i.
p. 101-190 et 222-224).^
et Apunles sobre represas y baldes en San Luis '
{An. Soc. Cient. Arg., XI, 1881, p. 178-188).
A. L. Gravetli, Invesligacion agricola en la Provincia
de San Luis, 1]. A., 1904 (Anales Min. Agric, Secciou
agric, botanica y agronomia, — t. I, n"5.)
Sur la brousse au Sud de Mar Chiquita :
H. Frank, La repoblacion foreslal en la région de la Mar
Chiquita (Bol. Dep. gen. Agric. y Ganaderia, Prov. Cor-
doba, 11, 1912, p. 52-57), et Conlribncion al conocimiento
de la Mar Chiquila {ibid, P. 87-101).
6" TucuMAN ET Mendoza :
Sur Tucuman, consulter Emilio Lahitte, La industria
azucarera. apiinlcs de actualidad, Buenos Aires, 1902.
La meilleure source sur l'histoire économique de
l'industrie sucrière est la collection du Boletin del
Centro azucarero (Buenos Aires).
Sur Mendo/.a, Invesligacion vinicola (Buenos Aires,
1905. Anales Min. Agric, Seccion Comercio, Indus-,
trias y economia, I, nM).
1° Les exploitations forestières :
lUidolf Luetgens, Beiiraege zur Kenntniss des Que-
hracho-gebietos in Argenlinien und Paraguay (Mittcil.,
Geogr. Ges. Hamburg, XXV, 1911, p. 1-70).
^'j'2 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
8" La Patagonie.
A. Le plateau ;
Si l'on néglige le voyage de Villarino sur le Rio
Negro au xviii^ siècle, le premier itinéraire à travers
le plateau patagonien est celui de G. Chawortli Mus-
ters, At home ivith the Patagonians, London, 1871.
On trouvera dans les premiers volumes du Bol. Inst.
Geogr. Argentino les résultats des explorations pra-
tiquées entre 1878 et 1885 par les voyageurs argentins.
On peut rattacher à ce groupe de travaux, qui ont
fourni les premiers éléments de ses conclusions, les
recherches géologiques de Florentino Ameghino, Vâge
des formations sédimentaires de Patagonie {Kn. Soc. Cient.
Argentina, L, 1900. p.. 100-130, 145-160, 209-229; LI,
1901, p. 20-39, 65-90; LU, 1901, p. 189-197, 244-250;
LUI, 1902, p. 161-181, 220-249,282-542) elles forma-
tions sédimentaires du crétacé supérieur et du tertiaire en
Patagonie (An. Museo Nac. Buenos Aires, série IT,
L VIII, 1906, p. 1-568).
Sur la partie méridionale de la Patagonie, au Sud du
r-O-^ degré L. S. :
Svenska Expeditionen till Magellanslaenderna. Wissen-
schaftliche Ergebnisse der Schwedischen Expédition
nach den Magellans Làendern 1895-1897, unter Leitung
von Dr. Otto Nordenskjoeld, Band 1, Géologie, Geo-
graphie und Anthropologie, Stockholm, 1907.
Également sur la région magellanienne et celle du
Santa-Cruz :
Reports of the Princeton University expéditions to
Patagonia 1896-99, 1, J. B.-Hatcher, Narrative of the
expéditions Geogr aphy of soufhern Patagonia. Princeton-
Stuttgart, 1903.
Sur la région du Rio Negro :
S. Roth, Apuntes sobre la Geologia y la Paleontologia de
'■)U'-.
BIBLIOGRAPHIE. -'•*•
los Terrilurios dd rio Negro y Neuquen (Rev. Mus. Plata,
IX, 1800, p. lil-IO()).
Parmi les Iravaux i)Iiis récents, il faut citer surloal
ceux des ing»'>nieurs de la Direccion de Minas :
R. Stappenbeck y F. Reichcrt, Informe prelimiïvtr
relaliro a la porte sudeste del Terrllorio del Chubut (An.
Min. Agric, Seccion Geol. Minerai, y Minas, t. IX,
n° 1, B. A. 1000);
Ricardo Wichmann, diverses études sur la partie
orientale du plateau du Rio Negro {ibid, XIII, n° 1, 3
et i, B. A. 1018 et 1910);
A. Windbausen, études sur le Rio Negro et le Neu-
quen {ibid., X, n" 1. B. A. 1914). Les résultats géolo-
giques des travaux de Windbausen sont résumés dans
des articles parus dans Amer. Journal of Science,
4" série, XLV, 1918, p. 1-55, et dans Bol. Acad. Nae.
Ciencias Cordoba, XXIIl, 1018, p. 97-128 et 510-504.
Il faut y ajouter G. Rovereto, La valle del Rio Neijro
(Boll. Soc. Geologica Ital., XXXI, 1912, p. 181-257, et
XXXII, 1915, p. 101-142).
B. Les Andes -
Nombreux articles dans le Bol . Inst. Geogr. Argentine,
cl dans les An. Soc. Cient.Argentina, aussitôt après
l'expédition militaire de 1879-1880 (lïost, Avé-Lalle-
mant, etc.)
La reconnaissance détaillée de la région andine a
été entreprise à l'occasion du conflit de frontière, entre
l'Argentine et le Cbili, qui a donné lieu à d'innom-
brables publications. Les travaux exécutés par les
Argentins sous la direction de F. P. Moreno sont uti-
lisés dans Fronlern Argentino-Chilena, Memoria presentada
al Iribiinal nombrado por el Gobierno de Su Majestad
Brifanica, Londres, 1002, 2 vol. in-i", 1 vol. cartes
204 LA RÉPUBLIQUE ARGENTLXE.
et 1 vol. photos, et dans Brave Beplica a la nieniorla
Chilena (Londres, 1 vol. in-4°, 1902).
Voir un résumé de leurs résultats dans L. Gallois,
Les Andes de Patagonie, Annales de Géographie, X,
1901, p. 252-259.
On trouvera dans la Revisla et les Anales du Musée
de la Plata une partie des études réalisées pendant cette
période 1897-1900 par les experts argentins, notamment
les travaux de Burckhardl cl de Welirli sur la Cordil-
lère du Neuquen.
Les travaux chiliens qui ont servi de base au State-
inent presented on beJiaJf of Chile in reply fo the Argentine
report (London, 1902, 4 vol., plus 2 vol. en appendice)
sont en général de moindre valeur.
Parmi les voyageurs postérieurs il Tant faire une
place à Quensel.
P.-D. Quensel, On llie injluenee of the ice âge on the
continental watershed of Patagonia (Bull. Geol. Instit.
Univ. Upsal, IX, 1908-1909, p. 00-92) ei Geologisch-petro-
graphische Studien in der Patagonischen Cordillrra [ibid.,
XI, 1912, p. 1-114).
Des levés très importants dans la Cordillère et sur le
plateau au Sud du Rio Negro ont été exécutés sous la
direction de Bailey Willis : ikiiU^ij Willis, Northern Pata-
gonia, Ministry of public works, Bureau of Raihvays,
Argentine Republic, Texl and maps by the Comision de
Estudios hidrologicos, B. W. Director, 11)11-1914, New-
York, 1914, 1 vol. in-8% plus un atlas.
Sur la forêt patagonieime (versant argentin du 40"
L. S. au cap Ilorn), voir Max Rothkugel, Los Bosques
Patagonicos (Minist. Agric, Direccion Gen. Agric. y
Defensa Agricola; Oficina de Bosques y Verbales,
B. A. 1910).
9° La région pamféenne
L'occupation de la pai-lie occidentale de la Pampa
BIBLIOriRAlMUK. 205
entre 187;"> cl 1880 a provoqué un assez trrand nombre
(le reconnaissances. Le li-avail le plus important est
Informe ofirial de la Coviision cienti/îca agref/aila al Eslado
Mayor General de la expedicion al lUo Negro, t. IIl, Geo-
loffin, par el Dr* Ad. Dœrinc;. B. A., 1882.
On peut citer aussi G. Avé-Lallenianl, Excursion al
Terrilorio indio del Sud (Bol. înslilulo Geogr. Argenlino,
II, 1881, p. 41-i9); D. Dupont, \olas (jeograficas sobre el
pats de los Ranqucles {Bo\. liist. Gcogr. Argentino, 179,
p. 47-50) et
Est. Zeballos, Descripcion amena de la Republica Argen-
tina, t. I, Viaje al ])aïs de /o.< Araticanos, B. A., 1881.
Parmi les travaux d'ensemble sur la Pampa et les
dépôts pampéens :
FI. Ameghiuo, La furmacion Pampeana^ Paris-Buenos
Aires, 1881, et Las formaciones sedimenfarias de la région
liloral de Mar del Plata y Chapalmalan (An. Mus. Nac.
Buenos Aires, série II, t. X, 1008, p. 3ij-428).
G. Bodenbender, La cuenca del valle del rio Primero en
Corboba. Descripcion geologica del valle del rio Primero
desde la Sierra de Cordoba hasla la Mar Chiquila (Bol.
Acad. Nac. Giencias Cordoba, Xll,1800, p. 1-54);
et Die Pampa Ebene im Oslen der Sierra von Cordoba
i)i Argentinien (Petermans Mitteilungen, 189^», p. 251-
257 et 258--264).
Santiago Roth, Beobachiungen ueber Enfstehung und
Aller der Pampas formalionen in Argentinien (Zeitschr. d.
Dcutschen Geol. Ges; XL, 1888, p. 375-461):
et Beitrag zur Gliederung der Sedimeniablagerungen in
Paiagonien und der Pampas Région (Neues Jahrbuch fur
xMin. Geol. undPaleont. Beilagc, Band XXVI, Stuttgart,
1908, p. 92-150);
et La construccion de un Canal de Dahia Blanca a las
provincias andinas bajo el punto de visia hidrogeologico
(Rev. Museo de la Plata, XVL 1909).
290 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
Nouvelles recherches sur la formation pampéenne et
Vhomme fossile de la République argentine. Recueil de
contributions scientifiques publiées par R. Lehmann-
Nitsche (Rev. Mus. Plata, XIV, 1907, p. 143-488),
contiennent notamment : C. Burciiliardt, La formation
pampéenne de Buenos Aires et Saiita Fe, et Ad. Dœring,
La formai ion pampéenne de Cordoba.
Aies Plrdlicka, Earli/ man in South America, Smithso-
nian Institution, Bull. 52, Washington, 1912 (Partie
géologique par Bailey Willis).
Sur la région de la « Pampa Central » : R. Stappen-
beck, Investigaciones hidrogeologicas de los valles de
Chapalco y Queliué y sus alrededorcs (Min. Agric,
Dir. Gen. Minas, Geol. e Hidrol., Bol. n° 4, B. A. ,1915).
Sur différents points de détail on peut consulter :
Lavalle y Medici, Las Nivelaciones de la Provincia, Bol.
Inst. Geogr. Argentino, VII, 1886, p. 57-71).
P. A. Bovct, El Problema de los Medanos en el Païs.
B.A., 1910.
R. Velasco, Los Medanos de la Provincia de Cordoba.
(Bol. Dep. gen. Agric. y Ganaderia, Prov. Cordoba,
I, p. 155-173).
Parmi les descriptions d'un caractère économique,
qui sont pour la plupart d'une regrettable médiocrité, il
faut faire une exception pour Emile Daireaux, La vie et
les mœurs à la Plata. Paris, 1889.
On trouvera quelques notes utiles sur la colonisation
dans Teod. Morsbah, Estudios economicos sobre el Sud de
la Provincia de Buenos Aiî^es (Bol. Insl. Geogr. Arg., IX,
1888, p. 145-151) et dans E. Segui, La provincia de
Buenos Aires (Bol. Inst. Geogr. Arg., XIX, 1898,
p. 419-440). .
On trouvera les résultats d'une enquête générale sur
l'agriculture, fort utile, dans Investigacion agricola en
ninLIOC.RAPIIIH. 207
la Répuh. Arg., Anales .Min. Agrio. Agronoiiiia, l. I
n' 1, 2, .1, B. A. lOOi (Preliminares, por Carlos D. Gi-
rola; Ricardo J. Huergo, Investigacion agricola en la
région scplcnlrional Je la Provincia de Buenos" Aires;
Hugo Mialello, Investigacion agricola en la Provincia
de Santa Fe),
A celte enquête se rattache C.-D. Girola, El cultiva del
Iricjo en la provincia de Buenos Aires, B. A., 1904.
Des recensements agricoles ont été pratiqués: en 1888,
F. Latzina, V agriculture et te bétail dans la République
argentine. Paris, 1880, in-8;
En 1895 (Secundo censo, voir Population), résultats
utilises dans C. P. Salas, Bureau central de Statistique de
la province de Buenos Aires. — Vagriculture, Vélevage, l in-
dustrie et le commerce dans la province en 1895. La Plata,
1897, cartes dressées })ar Delachaux ;
En 1908, Censo agro-pecuario nacional. La ganaderia ij
la agricultura en 1908, B. A., 5 vol. in4°, 1909. Le t. III
contient une série de monographies qui intéressent non
seulement la région pampéenne, mais l'histoire écono-
mique du pays tout entier;
En 1914 (Tercer censo, voir Population), la publica-
tion du t. y, relatif à l'agriculture, est malheureusement
on retard.
On dispose en outre d'un recensement du bétail
exécuté en 1915 dans la province de Buenos Aires : Pro-
vincia de fi. A., Min. Obras Publicas, Cenao Ganadero, 1910.
10" Les voies ferrées.
Sur l'histoire des voies ferrées : Rebuelto, Ilistoria del
desarollo de los ferrocarriles argentinos. Bol. Obras Pu-
blicas, t. V, 1911, p. 115-172, t. VI, 1915, p. 1-18, 81-110,
VIII, 1915, p. 1-52;
Et toute la collection du Boletin de Obras Publicas.
Une sorte d'annuaire des chemins de fer argentins
paraît annuellement depuis 1906 sous le titre de
'iy8 LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
KilUk's Argentine Raihvay Manual. Londres, l vol. in-1'2
avec carte (dernier volume 1918).
irLs Par AN A.
E.-A.-S. Delachaux, Los problenias geograficos del Terri-
lorio argentino (Rev. Univ., Buenos Aires, 1906, V)
contient une étude sur la crue du Parana.
La source essentielle est le mémoire de Repossini,
Memoria sobre el rio Parana (Bol. Obras Publicas, t. VI,
1912, p. 141-168 et 254-264; t. VII, 1912, p. 31-48 et
165-180, et t. VIII, 1913, p. 53-99). Il contient une réduc-
tion de la carte du Ministère de Obras Publicas qui est
introuvable en France. On pourra y suppléer par les
cartes marines anglaises, Rio de la Plata, 1869 (n" 25i4
du catalogue of Admiralty charts), et River Parana
parts I, II, m et parts IV, V et VI, 1905 (n-^^ 1982/A et
1982/B).
Résumé économique intéressant dans W.-S. Barclay,
The river Parana, an économie surveij. Geogr. Journal
XXXÏII, 1909, p. 1-10.
Sur l'estuaire :
Alej. Foster, Rcgimen del Rio de la Plata y su correccion,
(An. So€. Cient. Arg., LU, 1901, p. 209-254);
G. Rovereto, Studi di geontorfologia argentina, II, Il rio
delta Plata (Boll. Soc. Geol. Ital., XXX, 1911).
12" La population.
En dehors des recensements municipaux et provin-
ciaux, trois recensements généraux ont été exécutés :
Premier recensement exécuté en 1869, 1 vol. in-folio
publié en 1872. On a pu consulter seulement : Oficinadel
Censo. Informe sobre la opcracion ij resultado del Primer
censo argentino, B. A, 1870, in-8.
Second recensement de la République Argentine,
10 mai 1895, 2 vol. in-4", B. A. 1898.
Tercer Censo Nacional levantado el l'' de junio de
BIBLIOGRAPHIE. J'-'V
lllii, 10 vol. iii-'r, B.A., l'Jl()-i!ll7. Seul le 1. \', sur
ragriculUu'c, manque encore.
Un essai dinlerprélalion géographique de la dislri-
bulion de la i)0})ulation a élé tenlé par E.-A.-S. Dela-
eliaux, La poblacloa de Ui Hep. Ar/j. lUev. Univ., Buenos
Aires, IIJ, l!lo:)j.
TABLE DES CARTES
HORS TEXTE
Pages .
Planche I. — L'Argentine. Les régions naturelles . 1'2 lô
Planche II. — L'irrigation dans l'Ouest et le Nord-
Ouest de l'Argentine i44.j
Planche III. — L'élevage des bœufs 180-187
Planche IV. — Densité des cultures de ma'is .... 196-197
Planche V. — Densité des cultures de blé 198-199
Planche VI. — Les chemins de fer 234-255
Planche VII. — Estuaire du Rio de la Plata 256-257
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date Due
d3 AVR.1988
ÛCT ^ .
LIO NOV , 0 2(|0<
04
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^6f) 2 3 1999
DEC 121997
DEC 0
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2008
0 7 A^.
a39003 00^45^^95066
_ _. i_:i i;*..^ ronriii à la dernière
CE F 2815
.Û3'i 1920
CCO DEMS. PIEi^ft REPUBLIQUE
P^CQft 1J70 42 9