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Full text of "La République Argentine:"

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LA 


RÉPUBLIQUE 
ARGENTINE 


N'AR  t  3  1974 

,1 


PIERRE    DENIS 

Ancien  élève  de  l'École  Normale  Supérieure 
Agrégé  d'Histoire  et  de  Géographie,  Docteur  es  Lettres 


LA 

RÉPUBLIQUE 
ARGENTINE 

La  mise  en  valeur  du  pays 


Avec  7  planches  hors  texte 


tv 


LIBRAIRIE     ARMAND     COLIN 

io3,   Boulevard   Saint-Michel,   PARIS 
1920 

Tous  droits  de  reproduction,  de  traduction  et  d'adaptation  réservés  pour  tous  pays 


VjnJversita^ 


i(    BiBLIOTHECA    , 


tîav  3n5\*  -^ 


.033 


LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE 

(la  mise  en  valeur  du  pays) 


INTRODUCTION 


J'ai  cherché  à  définir  clans  les  chapitres  qui  suivent 
les  aspects  essentiels  de  la  colonisation  dans  l'Argen- 
tine moderne  :  la  conquête  du  sol  par  l'homme,  la  mise 
en  valeur  des  ressources  naturelles,  le  développement 
de  l'agriculture  et  de  l'élevage,  la  croissance  de  la  popu- 
lation et  des  centres  urbains. 

Un  plan  strictement  régional,  le  seul  qui  convienne 
apparemment  à  une  description  complète  et  méthodique 
des  terres  historiques  de  l'Europe  occidentale,  le  seul 
qui  permette  d'y  suivre  de  près  la  réalité  géographique, 
a  paru  moins  indiqué  pour  un  pays  neuf  comme  l'Argen- 
tine. En  Europe  occidentale,  chaque  région  forme  vrai- 
ment une  unité  indépendante;  elle  a  longtemps  vécu  sur 
elle-même,  réduite  à  ses  ressources  propres;  chaque 
groupe  de  population  a  son  horizon  limité  :  l'action 
innombrable  du  milieu  sur  l'homme  et  de  l'homme  sur 
le  paysage  s'est  poursuivie  sur  chaque  terroir  dans  une 
sorte  de  tête-à-tôle  solitaire  et  acharné.  Il  n'en  est  pas 
de  même  en  Argentine,  où  quelques-uns  des  faits  à 
mettre  en  lumière  sont  au  contraire  l'expansion  de  la 
population  et  des  méthodes  d'exploitation  d'une  zone 
à  l'autre  du  pays,  et  l'influence  exercée  sur  la  colonisa- 
tion par  le  commerce  et  par  les  besoins  du  marché 
mondial. 

Peut-être  convient-il  de  répondre  d'avance  à  une  cri- 

De:<is-  —  L'Argentine.  1 


2  LA  UÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

ti^ue  que  ne  manqueront  pas  de  m'adresser  des  amis 
argentins.  Ils  me  reprocheront  de  n'avoir  pas  fait  une 
place  au  peuple  argentin  lui-même,  ouvrier  de  la  gran- 
deur argentine.  Jai  résolument  écarté  toute  allusion  à 
la  vie  politique  et  morale  de  l'Argentine,  au  caractère 
national  et  à  ses  transformations,  au  stoïcisme  du  Gau- 
cho et  à  l'activité  du  colon  ou  du  commerçant,  au 
patriotisme  argentin.  Ce  livre  n'est  pas  une  étude  sur 
la  nationalité  argentine,  mais  une  introduction  géogra- 
phique à  cette  étude. 

J'ai  commencé  ce  travail  pendant  un  séjour  en  Argen- 
tine, du  mois  d'avril  1912  au  mois  d'août  191  i.  J'ai  pu 
visiter  pendant  ces  deux  années  la  plupart  des  régions 
du  pays.  Les  informations  recueillies  au  cours  de  ces 
voyages  trop  rapides  étant  une  de  mes  sources  princi- 
pales, je  résume  ici  mes  itinéraires  : 

Octobrc-îiovembre\9[2  :  Rosario  —  Région  des  colonies 
de  Santa  Fe  —  Exploitations  forestières  du  Chaco  sanlia- 
gueîïo  —  Banados  du  Rio  Dulce  —  Salta  —  Jnjuy — Sierra 
de  la   Lumbrera. 

Novembre- décembre  1M2  :  Tucuman  —  Vallée  de  Tafi- 
Santa  Maria  à  l'Ouest  de  l'Aconquija  —  Cafayate  (vallée 
des  Calchaqui). 

Décembre  i9i2-janvïer  1915  :  Catamarca — Andalgala  — 
Vallée  de  Pucara  —  Cordoba  —  Villa  —  Maria. 

Janmer-fêvrier  1913  :  Région  pampéenne  (province  de 
Buenos  Aires,  Sud  de  Cordoba  et  de  S.  Luis,  territoire 
de  la  Pampa  Central). 

Mars  1915  :  Corrientes  —  Posadas —  Asuncion  — 
Exploitations  de  bois  du  Chaco  de  Santa  Fe. 

Aoid  1915  :  Région  pampéenne  (province  de  Buenos 
Aires). 

Mars  1914  :  Lac  Nahuel  Huapi  —  Valcheta  —  San  An- 
tonio —  Rio  Negro. 


INTRODUCTION.  3 

Ami  1914  :  La  Rioja  —  Sierra  de  los  LIanos  —  San 
Juan  —  Mendoza. 

Juillet  lOli  :  Entre  Rios. 

Ces  voyages,  par  voie  ferrée  ou  suivant  des  roules 
Lien  connues,  ne  prétendaient  pas  être  des  voyages 
d'exploration  ou  de  reconnaissance.  Ils  devaient  seule- 
ment me  permettre  de  classer  provisoirement  les  types 
principaux  de  paysage  et  les  formes  de  colonisation,  et 
d'établir  un  programme  méthodique  pour  des  enquêtes 
plus  approfondies.  Le  travail  que  j'espérais  poursuivre 
à  loisir  dut  être  interrompu  en  1914,  et,  malgré  mon  vif 
désir,  il  m'a  été  impossible  de  le  reprendre  sur  le  terrain 
en  1919.  Je  me  suis  donc  résigné  à  publier  mes  obser- 
vations écourtées,  en  les  complétant  de  mon  mieux  par 
une  élude  bibliographique.  J'ai  utilisé  des  fragments 
d'un  volume  de  vulgarisation  commencé  à  la  demande 
de  la  Commission  argentine  pour  l'Exposition  interna- 
tionale de  San  Francisco,  dont  quelques  chapitres  ont 
été  publiés  en  mon  absence  par  l'Université  de  Tucuman 
(L'Argentine  moderne,  chapitres  de  géographie  écono- 
mique. Publications  de  l'Université  à  l'occasion  du  cen- 
tenaire du  Congrès  de  Tucuman  de  1(S10.  Buenos 
Aires,  1916)*. 

Mon  dépouillement  des  publications  sur  l'Argentine 
comporte  deux  lacunes  principales.  L'une  est  volon- 
taire :  j'ai  renoncé  à  connaître  autrement  que  de 
seconde  main  les  documents  et  les  chroniques  qui  con- 
stituent jusqu'à  la  fin  du  xviii®  siècle  les  sources  de 
l'histoire  des  provinces  qui  devaient  former  l'Argentine. 
Les  données  historiques  sur  la  colonisation  qu'on 
trouvera  dans  les  chapitres  suivants  se  rapportent  donc 
à  peu  près  exclusivement  à  la  période  du  xix"  siècle. 


1.  Je  saisis  l'occasion  de  remercier  M.  J.-B.  Teran,  qui  s'esl  charge 
de  l'édition  de  ces  chapitres,  et  de  me  féliciter  avec  lui  que  les 
circonstances  aient  démenti  ses  prévisions  quelque  peu  pessimistes 
en  ce  qui  concerne  leur  auteur. 


i  L\  PxKPl  BLIQl  E  ARGENïI.M:. 

La  deuxième  lacune  n"a  pu  être  comblée,  à  mon  vif 
désappointement.  Une  grande  partie  des  publications 
locales  —  officielles  ou  autres  —  caries,  statistiques,  etc.. 
n'est  jamais  parvenue  en  Europe,  et  Buenos  Aires  est 
le  seul  point  où  Ion  puisse  en  avoir  une  connaissance 
complète.  Ces  publications  ont  été  à  ma  portée  jus- 
qu'en 1014.  Depuis  cette  date,  j'ai  été  réduit  aux  res- 
sources des  bibliothèques  de  Paris  et  de  Londres,  qui 
sont  minimes  :  les  envois  d'Argentine  se  sont  encore 
réduits  depuis  la  guerre.  Les  statistiques  à  jour  m'ont 
en  partie  manqué. 

J'espère  pourtant  que  ce  tableau  de  l'Argentine  n'a 
pas  un  caractère  seulement  rétrospectif  et  n'est  pas 
vieilli  d'avance.  Aucime  statistique,  d'ailleui-s.  ne  sau- 
rait suffire  à  résoudre  le  problème  que  pose  à  l'observa- 
teur l'Argentine  de  1920.  La  guerre  européenne  a-t-elle 
seulement  nilenti  l'évolution  économique  du  pays,  ou 
lui  a-t-elle  imprimé  ime  direction  nouvelle  ?  Les  rela- 
tions qui  sont  en  voie  de  se  renouer  entre  l'Argentine  et 
le  reste  du  monde  seront-elles  ou  non  calquées  sur  les 
relations  d'avant-guerre  ? 

Les  conséquences  de  la  guerre  sur  la  vie  du  pays  ne 
doivent  pas  toutes  être  mises  sur  le  même  plan.  Que, 
parmi  les  fournisseurs  de  l'Argentine,  la  guerre  ai; 
avantagé  les  ims  aux  dépens  des  autres,  que  la  part  de^ 
Etats-L'nis  ou  même  celle  du  Japon  se  soit  largement 
accrue,  c'est  là  un  fait  que  l'on  peut  considérer,  du 
point  de  \'ue  argentin,  comme  d'importance  secondaire. 
La  guerre  a  eu,  par  ailleurs,  pour  effet  une  désorgani- 
sation des  transports  maritimes,  une  sorte  d'isolement 
relatif  qui  n'a  pas  encore  complètement  cessé.  La  réduc- 
tion des  arrivages  de  charbon  anglais  a  accru  la  valeur 
pour  le  pays  des  puits  de  pétrole  de  Rivadavia  ;  elle  a 
poussé  à  entreprendre  un  inventaire  hâtif  des  ressources 
naturelles  en  combustible.  Les  industries  locales  se  sonl 
efforcées  de  satisfaire  les  exigences  du  marché  argentin. 
où  elles  ne  rencontraient  plus  la  concurrence  des  mar- 


INTRODUCTION.  ô 

chandises  européennes.  Le  brusque  déséquilibre  des 
prix  a  permis  d'exporter  certains  produits  jusque-là 
réservés  au  marché  intérieur.  Du  moins,  la  guerre  n'a- 
t-elle  pas  arrêté  les  courants  établis  des  grandes  expor- 
tations argentines.  L'Argentine  a  continué  à  fournir  à 
l'Europe  ses  céréales,  ses  viandes,  ses  cuirs  et  ses 
laines.  Rien  n  indique  que  la  concurrence  des  acheteurs 
soit  destinée  à  se  réduire,  ni  que  la  culture  du  blé  ou 
de  la  luzerne  doive  devenir  moins  profitable.' 

Les  deux  effets  essentiels  de  la  guerre  paraissent 
avoir  été,  dune  part,  l'arrêt  du  courant  d'immigration, 
d'autre  part,  la  réduction  progressive  de  l'appui  que 
l'Europe  donnait  à  la  colonisation  sous  la  forme  d'avances 
de  capitaux. 

De  19ii  à  1918,  •27'2Û00  immigrants  seulement  ont 
débarqué  à  Buenos  Aires,  tandis  que  48'2  000  émigrants 
quittaient  le  pays.  En  t918,  le  mouvement  global  des 
entrées  et  des  sorties  n'a  été  que  de  47  000,  moins  d'un 
dixième  du  chiffre  d'une  année  normale  d'avant-guerre. 
Le  retrait  des  capitaux  européens  s'est  fait  sentir  dès  la 
déclaration  de  guerre,  et  sest  poursuivi  depuis  sans 
arrêt,  les  capitaux  nord-américains  ne  suffisant  pas  à 
les  remplacer  entièrement.  En  même  temps,  la  balance 
commerciale  extraordinairement  favorable  a  déterminé 
la  formation  dans  le  pays  d'une  ample  réserve  de 
capitaux,  et  l'Argentine  a  conquis  en  peu  de  temps  une 
indépendance  financière  qui  aurait  exigé,  dans  des 
conditions  normales,  de  longues  années  de  travail  et  de 
prospérité. 

En  dépit  des  apparences,  ces  deux  faits,  interruption 
de  l'immigration,  accumulation  de  capitaux,  ne  peuvent- 
être  considérés  indépendamment  l'un  de  l'autre.  L'en- 
quête ouverte  par  le  Musée  Social  argentin  La  imigracion 
despues  de  la  guerra,  Museo  Social  argentine,  Bol.  men- 
sual,  Vlll,  1919,  n'^'  85-90)  démontre  qu'on  s'attend  en 
Argentine  à  une  reprise  rapide  de  l'immigration.  On  ne 
peut  nier  en  effet  que  l'insécurité  politique  et  sociale  en 


C  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

Europe,  la  misère  du  vieux  monde,  ne  soient  faites  pour 
accroître  l'attraction  exercée  par  l'Argentine.  Il  faut 
rappeler  pourtant  que  le  courant  d'émigration  d'Europe 
vers  l'Argentine  a  été  provoqué  au  xix*  siècle  et  au 
début  du  xx"  par  un  ensemble  complexe  de  conditions 
économiques,  en  relations  étroites  entre  elles.  Les  hauts 
salaires  étaient  liés  en  Argentine  au  loyer  élevé  de 
l'argent,  c'est-à-dire,  en  définitive,  à  la  rareté  des 
capitaux.  L'avenir  dira  si  l'immigTation,  le  progrès 
rapide  de  la  colonisation  et  de  la  production,  qui 
caractérisent  l'Argentine  d'avant-guerre,  peuvent  s'ac- 
commoder du  régime  de  thésaurisation  à  laquelle  la 
guerre  a  condamné  le  pays. 


CHAPITRE  PREMIER 

LES     RÉGIONS    NATURELLES     DE    l'aRGENTINE 

Le  railiou  physique.  —  La  colonisation  el  les  régions  natu- 
relles. —  I,es  luttes  contre  les  Indiens.  —  L'unité  argentine.  — 
L'Argentine  et  le  Monde. 

Trois  grandes  zones  se  partagent  de  l'Ouest  à  l'Est 
le  Continent  américain  :  les  hautes  chaînes  des  Andes 
qui  bordent  le  Pacifique  ;  à  leurs  pieds  d'immenses 
plaines  alluviales;  enfin  les  plateaux  du  littoral  atlan- 
tique. La  zone  orientale  des  plateaux  s'interrompt  au 
Sud  aux  bouches  du  Rio  de  la  Plata.  Elle  ne  pénètre 
sur  le  territoire  argentin  que  dans  l'angle  Nord-Est  du 
territoire  des  Missions.  Sous  le  55"  de  latitude,  les 
plaines  alluviales  s'ouvrent  librement  sur  l'Océan.  La 
situation  de  Buenos  Aires,  au  seuil  de  la  plaine  pam- 
péenne,  est  comparable  à  celle  de  Chicago  à  l'entrée 
des  prairies,  si  l'on  effaçait  de  la  carte  les  Etats  du 
Nord-Est  des  États-Unis  et  le  Canada  oriental,  et  si  l'on 
imaginait  la  mer  pénétrant  jusqu'aux  lacs. 

Les  trois  aspects  essentiels  du  paysage  argentin 
sont  :  la  montagne,  la  plaine  et  le  fleuve.  Le  Parana 
est  en  effet  à  lui  seul  toute  une  région  naturelle,  avec 
ses  bras  et  ses  îles,  et  la  plaine  basse  sans  cesse  rema- 
niée où  s'étalent  ses  crues,  qu'on  découvre  du  haut  des 
barrancas  (falaises)  de  limon,  sans  parvenir,  tant  elle  est 
large,  à  discerner  la  rive  d'en  face.  Il  est  dans  la  plaine 
comme  un  étranger,  émissaire  de  l'Amérique  tropicale, 
ayant  une  flore  propre  et  des  eaux  tièdes  qui  souvent 
coavrent  de  brume*  l'estuaire  oij  elles  se  mêlent  aux 
eaux  de  la  mer. 


8  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

Dans  l'ensemble  des  plaines  argentines  il  faut  mettre 
à  part  la  région  comprise  entre  le  Parana  et  l'Uruguay, 
que  les  Argentins  appellent  Mésopotamie.  Tandis  que 
les  limons  éoliens  forment  sur  la  rive  droite  du  Parana 
le  sol  de  la  Pampa,  les  dépôts  fluviaux,  sables  et  cail- 
loux roulés,  oij  l'on  n'a  pas  encore  su  distinguer  la  part 
de  l'Uruguay  de  celle  du  Parana,  couvrent  une  grande 
partie  de  la  Mésopotamie.  Les  anciens  tracés  des  fleuves 
peuvent  y  être  suivis  non  seulement  aux  alluvions  qu'ils 
ont  abandonnées,  mais  aux  lagunes  qui  les  jalonnent 
encore.  Les  eaux  courantes  ont  modelé  le  terrain  et 
creusé  un  chevelu  de  vallées  secondaires  oii  se  reflètent 
l'histoire  du  fleuve  lui-même  et  les  variations  du  niveau 
de  base  qui  ont  fait  alterner  des  périodes  d'érosion  et  de 
comblement. 

Sur  la  rive  droite,  au  contraire,  le  Parana  ne  reçoit 
pas,  sauf  tout  au  nord  de  l'Argentine,  d'affluents  impor- 
tants. Le  défaut  d'eaux  courantes  est  en  effet  l'un  des 
traits  caractéristiques  de  la  plaine  pampéenne.  Sauf  à 
l'Est,  le  long  du  Parana  où,  sur  un  sol  moins  perméable 
et  plus  humide,  se  développe  un  réseau  de  ruisseaux 
permanents,  et  sauf  au  pied  des  montagnes,  où  des  tor- 
rents et  des  rivières  irrégulières,  gonflés  après  les 
orages,  amaigris  à  la  saison  sèche,  se  perdent  le  plus 
souvent  en  vue  des  hauteurs  qui  les  ont  nourris,  il 
n'existe  pas  de  drainage  superficiel  organisé.  L'ensemble 
de  la  nappe  alluviale  pampéenne,  dont  la  barranca  du 
Parana  tranche  les  couches  supérieures,  n'est  pas 
d'origine  fluviatile;  elle  a  été  portée  et  étalée  par  le  vent 
qui  a  suppléé  ou  relayé  les  eaux  courantes.  Le  limon 
pampéen  est  un  présent  des  vents.  La  sécheresse  crois- 
sante du  climat  vers  l'Ouest,  à  mesure  qu'on  approche 
de  la  Cordillère,  explique  l'impuissance  de  l'érosion 
fluviale  et  l'intensité  de  l'érosion  éolienne. 

C'est  aussi  la  sécheresse  qui  donne  son  caractère  par- 
ticulier au  modelé  des  Andes  argentines.  A  peine  con- 
naissent-elles les  neiges  éternelles,  dont  la  limite  infé- 


LES  REGIONS  NATURELLES.  9 

rieure  si'clcvc  à  près  de  COOO  mètres  à  la  IVoiilière  de  la 
Bolivie  ;  les  glaciers  y  manquent  et  ne  reparaissent  au 
Sud  qu'à  la  latitude  de  San  Juan  et  de  Mendoza,  sur  le 
flanc  des  trois  géants  de  la  Cordillère  méridionale,  le 
Mercedario,  l'Aconquija  et  le  Tupungato.  Au-dessous 
du  petit  nombre  d'arêtes  aiguës  qu'ont  ciselées  les  gla- 
ciers, et,  le  plus  souvent,  jusqu'au  sommet  de  la  mon- 
tagne, s'étend  ce  qu'on  a  appelé  d'un  mot  expressif  la  zone 
des  décombres*;  là,  les  neiges  d'hiver,  rongées  par  le 
soleil  à  travers  l'atmosphère  diaphane,  forment  ces 
champs  rugueux  d'étroites  pyramides  que  les  Argentins 
comparent  à  des  cortèges  de  pèlerins  vêtus  de  blanc. 
La  roche  en  place  y  apparaît  rarement  ;  elle  est  recou- 
verte d'un  épais  manteau  de  débris  éclatés  par  la  gelée 
que  les  eaux  sans  force  libérées  par  la  fonte  lente  des 
neiges  accumulent  au  pied  des  pentes,  au  fond  des 
dépressions.  Aux  croupes  à  demi-enfouies  succèdent  les 
bassins  de  comblement.  Dans  les  vallées  du  pourtour 
de  la  montagne,  les  nappes  de  cailloux  détritiques  à  demi- 
roulés  s'étalent  en  immenses  lalus;  les  torrents  se  sont 
enfoncés  à  travers  la  masse  alluviale,  et  coulent  au  pied 
de  hautes  terrasses  qui  marquent  d'anciens  fonds  de 
vallées. 

L'expansion  de  la  colonisation  vers  le  Sud  pendant  la 
dernière  génération  a  élargi  le  territoire  argentin  au 
delà  de  la  limite  de  ces  paysages  classiques.  Les  Andes 
de  Patagonie  diffèrent  en  effet  profondément  des  Andes 
du  Nord,  et  la  transformation  est  brusque  comme  celle 
du  climat  qui  la  détermine.  En  allant  au  Sud  on  passe 
presque  sans  intervalle  de  l'Atlas  à  la  Scandinavie; 
l'humidité  s'accroît^en  effet  rapidement  en  même  temps 
que  la  température  moyenne  s'abaisse  ;  la  montagne 
s'enneige,  les  glaciers  s'étendent;  ils  forment  encore 
dans  une  partie  de  la  Patagonie  une  calotte  continue, 


1.  Schuttzone.  H.  Keidel,  UeberdenBus^erschnee  in  den  araentinischen 
Andtn.  —  Zeilsch.  fur  Gletscberkunde,  IV,  pages  31-G«i.  Berlin,  1909. 


10  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

un  inlandsis  masquant  la  roche  dans  toute  la  zone 
centrale  de  la  Cordillère,  et  ne  sont  pourtant  que  le 
reste  d'une  nappe  glaciaire  bien  plus  vaste  qui  s'est  peu 
à  peu  réduite  et  morcelée.  Les  glaces  ont  été  ici  le  prin- 
cipal ouvrier  du  modelé  ;  elles  ont  façonné  les  hauts 
plateaux,  élargi  en  auge  les  vallées  profondes  qui 
coupent  la  montagne,  poli  leurs  flancs,  déposé  sur  leur 
front,  au  point  où  elles  s'ouvrent,  les  amphithéâtres  de 
moraines  en  arrière  desquels  se  sont  accumulées  les 
eaux  des  lacs,  qui  pénètrent  vers  l'amont  comme  des 
fjords  jusqu'au  cœur  de  ia  Cordillère  et  sont  la  parure 
de  la  Patagonie, 

Les  eaux  de  ces  montagnes  humides  ont  ciselé  à  l'Est 
le  plateau  patagonien.  Il  est  traversé  par  d'amples 
vallées  puissamment  sculptées  et  dont  plusieurs,  aban- 
données par  les  rivières  qui  les  ont  creusées,  sont 
aujourd'hui  des  vallées  mortes.  Les  débris  de  la  destruc- 
tion de  la  montagne  et  des  moraines  glaciaires  ont  été 
répandus  sur  toute  la  superficie  du  plateau  sous  la 
forme  de  nappes  de  cailloux  roulés.  Mais  les  fleuves 
nés  dans  les  Andes  traversent  en  descendant  vers  l'Est 
un  pays  de  plus  en  plus  sec  ;  pas  d'affluent  qui  les  gros- 
sisse ;  rien  de  l'adoucissement  général  des  lignes,  de  la 
paresse  du  courant  attardé  en  méandres  qui  marquent 
la  dernière  étape  d'un  fleuve  en  pays  humide  ;  leur  pente 
reste  forte,  leurs  eaux  continuent  à  charrier  des  sédi- 
ments grossiers,  et  partout,  jusque  sur  les  bords  des 
vallées,  les  cannelures  du  grès,  l'escarpement  des  fa- 
laises, pareilles  aux  relxDixls  des  hamadas  sahariennes, 
indiquent  le  règne  d'une  autre  forme  d'érosion  que  celle 
des  eaux  courantes,  et  l'influence  sur  le  modelé  des 
vents  d'Ouest.  Sur  le  plateau,  le  vent  polit  les  cailloux 
roulés,  y  sculpte  des  facettes  et  leur  donne  la  patine  du 
désert. 

Ainsi  du  Nord  au  Sud  de  l'Argentine,  le  contraste  est 
complet  dans  le  mode  de  distribution  des  forces  qui 
régissent    le    paysage.     Au    Nord,    les  vents  humides 


LES  RÉGIONS  NATURELLES.  11 

viennent  de  l'Est:  les  pluies  se  réduisent  vers  l'Ouest. 
Les  limons  couverls  d'humus  noir  de  Buenos  Aires 
sont  des  dépôts  éoliens,  apportés  par  le  vent  de  la 
marche  désertique  qui  enferme  la  Pampa  à  l'Ouest, 
saisis,  fixés,  transformés  par  la  végétation  d'un  pays 
plus  humide.  Au  Sud  au  contraire,  c'est  du  Pacifique  que 
viennent  les  pluies,  et  les  alluvions  lluvio-gîaciaires  du 
plateau  patagonien  témoignent  des  copieuses  réserves 
d'humidité  accumulées  dans  les  Andes,  mais  le  climat 
aride  sous  lequel  les  eaux  les  ont  abandonnés  a  marqué 
son  empreinte  à  leur  surface. 


Cette  diversité  du  milieu  physique  n'est  pleinement 
mise  en  lumière  que  par  la  colonisation;  c'est  la  coloni- 
sation, ce  sont  les  efforts  et  les  tâtonnements  de  l'indus- 
trie humaine  pour  adapter  aux  conditions  naturelles  les 
pratiques  agricoles  ou  pastorales,  qui  permettent  de 
délimiter  les  régions  naturelles.  Dans  la  différenciation 
des  régions  naturelles,  la  part  de  l'histoire  est  essentielle. 

L'introduction  de  cultures  nouvelles  donne  un  sens 
géographique  à  des  limites  climatologiques  restées 
jusque-là  inaperçues.  Telle  est  la  ligne  de  400  millimètres 
de  pluies  qui  borne  à  l'Ouest  la  région  des  céréales. 
Ces  limites  de  cultures  restent  quelque  temps  incer- 
taines, et  peu  à  peu  seulement  l'expérience  et  la  tradi- 
tion les  consacrent.  Elles  conservent  toujours  quelque 
élasticité  progressant  ou  reculant  selon  que  le  marché 
des  produits  récoltés  est  plus  ou  moins  favorable. 

Le  perfectionnement  des  procédés  d'exploitation  du 
sol  —  adoption  de  méthodes  agricoles  plus  perfection- 
nées, dry  farming,  etc.  —  a  pour  résultat  ordinaire 
d'étendre  le  domaine  d'un  tjq>e  de  colonisation,  en  per- 
mettant de  triompher  d'un  obstacle  naturel  qui  arrêtait 
son  expansion.  Parfois,  au  contraire,  il  fait  apparaître 
un  obstacle  nouveau  et  crée  une  limite  géographique 
de  plus. 


12  LA  RÉPUBLigUr:  ARGENTINE. 

A  cette  catégorie  appartient  la  limite  Nord  de  la  zone 
de  rélevage  sélectionne  qui  prend  en  écharpe  la  plaine 
pampéenne  depuis  la  Sierra  de  Cordoba  jusquau 
Parana.  Le  bétail  créole  plus  ou  moins  dégénéré  s'élail 
répandu  en  effet  dès  le  xvii"  siècle  sur  tout  le  continent 
sud-américain,  en  dehors  de  la  forêt  tropicale,  s'adap- 
tant  indifféremment  à  des  conditions  de  climat  très 
diverses,  depuis  les  llanos  vénézuéliens  jusqu'au  sertâo 
de  Bahia  et  jusqu'aux  plaines  de  l'Argentine.  Au  con- 
traire, les  animaux  de  race,  plus  précieux  mais  plus 
délicats,  introduits  dans  la  Pampa  depuis  50  ans,  ne 
résistent  pas  à  la  maladie  que  leur  inocule  un  parasite, 
la  garrapate.  La  limite  méridionale  de  la  garrapate  a 
donc  pris  brusquement  dans  la  vie  économique  de 
l'Argentine  une  valeur  de  premier  ordre.  La  découverte 
d'un  virus  immunisant  le  bétail  contre  la  fièvre  du  Texas 
lui  enlèverait  toute  signification. 

Selon  les  circonstances  la  portée  d'une  même  cause 
varie  à  l'infini.  La  limite  de  la  prairie  et  de  la  brousse 
{monte)  qui  l'entoure  de  tous  côtés  et  la  cerne  à  une 
distance  de  500  à  700  kilomètres  de  Buenos  Aires,  n'a 
pas  exercé  une  influence  capitale  sur  la  colonisation 
primitive  :  couverte  de  graminées  ou  de  brousse,  la 
plaine  se  prête  également  à  l'élevage  extensif  ;  de  pari 
et  d'autre  de  la  lisière,  les  estancias  se  ressemblent. 
A  la  fin  du  xix*^  siècle,  quand  les  cultures  s'étendent,  la 
prairie  prend  brusquement  l'avantage.  Le  travail 
qu'exige  le  défrichement  de  la  brousse  avant  de  recevoir 
là  charrue  suffit  à  détourner  d'elle,   pour  un  temps  du 


Pl.  I.  —  L'Argentine.  Les  iîégions  natlt.elles. 

La  carte  montre  la  répartition  des  régions  naturelles  :  les  Andes  sèches  du 
Nord-Ouest,  avec  cultures  irriguées;  le  «  monte  »  ou  la  brousse,  resté  le 
domaine  de  l'élevage  extensif;  les  forêts  au  Nord;  la  pampa  et  ses  grandes  cul- 
tures de  céréales  et  de  luzernes.  La  ligne  de  la  frontière  de  1875  montre  la 
rapidité  avec  laquelle  s'est  faite  l'expansion  de  la  colonisation  dans  la  moitié 
occidentale  de  la  plaine  pampéenne.  Les  seules  régions  qui  manquent  sur  la 
carte  sont  le  plateau  de  Misiones,  avec  ses  forêts  tropicales,  et  les  Andes 
humides  de  Patagonie. 


Dknis.  —  I. Argentine. 


Pi..  1 


LES  RÉGIONS  NATURELLES.  \o 

moins,  le  couranl  de  la  colonisation  agricole.  Tandis 
que  la  population  du  monte,  bûcherons  et  éleveurs,  est 
autochtone,  la  prairie  seule  a  absorbé  l'immigration 
européenne,  et  la  lisière  du  monte  est  devenue  sur  plus 
d'un  point  une  IVonlière  ethnographique'. 

Les  transformations  introduites  par  l'homme  dans  le 
paysage  végétal  sont  en  général  modestes.  Les  limites 
de  la  zone  forestière  ont  été  à  peine  déplacées.  La  forêt 
de  hêtres  des  Andes  méridionales  paraît  être  !une  for- 
mation plus  fragile  que  le  monte  qui  entoure  la  pampa, 
et  elle  a  été  rongée  par  les  incendies  .sur  toute  la  bor- 
dure de  la  steppe  du  Sud  du  57"  de  latitude"'.  L'action  de 
l'homme  se  borne  le  plus  souvent  à  altérer  la  compo- 
sition primitive  des  formations  naturelles,  sans  en 
transformer  l'apparence  générale.  C'est  ainsi  que  les 
essences  précieuses  disparaissent  de  la  forêt  et  de  la 
brousse,  l'alerce  et  le  cyprès  sur  les  lacs  patagoniens, 
le  quebracho  rouge  à  Santiago  del  Estero. 

Une  transformation  peu  sensible  aux  yeux,  mais  d'une 
valeur  économique  considérable,  est  celle  qu'a  subie 
la  végétation  de  la  prairie  du  fait  du  parcours  des  trou- 
peaux. Au  pas(o  fuerle,  composé  de  graminées  vivaces, 
qui  constitue  la  végétation  naturelle,  succède  le  pasto 
duJce  où  dominent  les  espèces  annuelles,  graminées, 
légumineuses,  etc.,  et  qui  comprend  en  majorité  des 
plantes  originaires  d'Europe.  La  distinction  entre  le 
pasto  dulce  et  le  pasto  fuerte  ou  duro  a  une  telle  impor- 
tance pour  l'éleveur  qu'il  n'est  pour  ainsi  dire  pas  un 
ouvrage  sur  l'Argentine,  pas  un  récit  de  voyage  qui  n'y 
insiste.  L'idée  que  le  pasto  dulce  a  progressé  réguliè- 
rement vers  l'Ouest,  à  partir  des  environs  de  Buenos 
Aires,  étendant  sans  cesse  son  domaine,  est  trop  sché- 


1.  \'oir  I>.  A.  S.  Delachaux,  Los  regiones  fisicas  de  la  Répnblica 
Ar.jenlina.  Hpv.  Museo  Plafa.  XV,  1908,  p.  102-151. 

"2.  Max  Rothkugel.  Los  Dosqiies  Palagonicos.  Min.  de  agricultura,  Direc- 
cion  général  de  agric.  y  defensa  agricola.  Oficina  de  Bosques  y  Yei- 
bales.  Buenos  Aires,  191G. 


li  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

maliquc  :  eu  1895,  Holmbcrg'  trace  la  limite  occidentale 
de  la  zone  du  pasto  dulce  par  Pergamino,  Jimin,  Bra- 
gado,  Azul,  Ayacucho  et  Mar  Chiquita.  Si  Ion  compare 
ces  indications  à  des  observations  plus  anciennes,  on 
constatera  qu'au  cours  du  xix^  siècle  la  zone  du  pasto 
dulce  s'est  étendue  de  ]50  kilomètres  environ  dans  le  Sud 
de  la  Pampa.  Darwin,  allant  de  Bahia  Blanca  à  Buenos 
Aires  en  1855,  ne  rencontre  le  pasto  dulce  que  vers 
Monte,  sur  la  rive  gauche  du  Salado.  Plus  au  Nord,  au 
contraire,  l'extension  du  pasto  dulce  ne  paraît  pas  s'être 
sensiblement  modifiée.  L'expédition  de  1778aux  Salines, 
après  avoir  franchi  la  frontière  des  estancias,  trouva  déjà 
des  chardons,  caractéristiques  du  pasto  dulce  dans  la 
région  de  Chivilcoysur  le  Salado,  alors  abandonnée  aux 
troupes  de  bœufs  marrons.  «  Suficiente  cardo  para 
guisar  »  dit  son  journal  de  marche.  Cette  différence  est 
liée  à  l'histoire  de  la  colonisation  de  la  province  de 
Buenos  Aires,  qui,  de  1800  à  1875,  ne  gagne  de  terrain 
que  vers  le  Sud.  Depuis  1805,  le  pasto  duro  est  éliminé 
non  plus  par  le  piétinement  des  troupeaux,  mais  par  les 
labours.  Les  progrès  du  pasto  dulce  ne  se  réalisent  donc 
plus  le  long  d'une  ligne  continue  qui  se  déplace  vers 
l'Ouest,  mais  d'une  façon  sporadique,  au  hasard  des 
constructions  nouvelles  de  voies  ferrées  qui  ouvrent  la 
plaine  à  la  charrue-. 


La  colonisation  ne  se  borne  pas  à  souligner  l'indivi- 
dualité de  chacune  des  régions  naturelles  ;  elle  noue 
entre  elles  des  rapports;  elle  les  associe  en  un  orga- 
nisme complexe  et  vivant  qui  ne  cesse  d'évoluer  et  de 
se  renouveler. 

L'occupation  par  la  colonisation  blanche  de  l'en- 
semble  du    sol   argentin    est   un    fait  tout   récent.    La 

t.  lïolmhergf  La  Flora  de  la  Republica  Argenlina^  dans  Secundo  Censo 
-de  la  R.  A.,  Tome  1,  Buenos  Aires,  1898. 

2.  Diario  de  la  espedicion  de  J778  a  las  Salinas.  Coll.  de  Angelis,  IV. 


LES  REGIONS  NATURELLES.  io 

deuxième  moitié  du  xix"  siècle  a  été  marquée  par  un 
rapide  mouvement  d'expansion  territoriale.  Dans  plus 
de  la  moitié  du  pays,  le  mot  de  terres  nem'es  doit  être 
pris  à  la  lettre  ;  depuis  une  génération  seulement  elles 
ont  été  arrachées  aux  Indiens.  Il  ne  peut  cire  question 
ici  de  retracer  l'histoire  des  relations  entre  la  popu- 
lation blanche  et  les  Indiens  non  soumis  du  Chaco  et 
de  la  Pampa.  Les  plus  redoutables  furent,  au  Nord,  les 
Abipones  et  les  Tobas;  dans  la  Pampa,  les  adversaires 
des  colons  étaient  des  Indiens  d'origine  Araucane,  Ran- 
queles,  Pehuenches,  etc.,  descendus  des  montagnes  et 
devenus  cavaliers.  A  la  fin  du  xviii^  siècle,  la  frontière 
de  Buenos  Aires  était  en  deçà  du  Salado  et  jalonnée 
du  Sud-Est  au  Nord-Ouest  par  les  forts  de  Chascomus, 
Monte,  Lobos,  Navarro,  Areco,  Salto,  Rojas  et  Me- 
lincue.  Les  propositions  de  d'Azara  pour  la  reporter 
jusqu'au  Salado*  ne  furent  pas  réalisées,  et  c'est  en  1828 
seulement  que  fut  accomplie  une  nouvelle  étape  vers 
rOucst\ 

La  frontière  nouvelle,  qui  ne  devait  pas  se  déplacer 
avant  1875,  passait  par  Vinte  Cinco  deMayo  et  la  Blanca 
Grande,  à  l'extrémité  N.  W.  de  la  Sierra  de  Tandil. 
Eilc  englobait  toute  la  région  comprise  entre  la  Sierra 
de  Tandil  et  le  Salado  inférieur  où  le  village  de  Tandil 
venait  d'être  fondé  en  1825.  En  outre,  une  ligne  de  for- 
tins reliait  Blanca  Grande  au  Sud-Ouest  à  Bahia  Blanca. 
Les  reconnaissances  chargées  de  rechercher  un  port  au 
sud  de  Tembouchure  de  la  Plata  n'avaient  pas  trouvé 
d'i  site  favorable  moins  éloigné.  Mais  Bahia  Blanca 
devait  rester  jusque   vers  1880   un   avant-poste  isolé, 


!.   F.  de  Azara,  Diario  de  un  reconr>cirniento  de  las  f/nardias  y  forlincs 

■y  fjuaracren   la  linea  fronlera  de  B.  A.^  1796.  Coll.  de  Angeiis,  t.  VL 

'2.  Les   documents   recueilli?  par  de   Ang^eUs    prouvent  clairement 

qu'on  avait  sonore,  dès   le  milieu  du  xvin»  siècle,  à  occuper  toute  la 

li'aine  à   l'est  de  la  Sierra  de  Tandil.  Ces  velléités  d'expansion,  dont 

le  projet  de  d'Azara  est  un   autre  signe,  furent  interrompues  par  la 

Révolution. 

[Diario  de  D.  Pedro  Pablo  Pabon,  Coll.  de  Angelis,  IV.  etc.) 


16  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

aussi  nettement  séparé  de  la  zone  colonisée  de  la 
Pampa  que  les  établissements  de  la  côte  de  Patagonie. 

Tandis  que  le  domaine  des  éleveurs  s'élargissait  ainsi 
vers  le  Sud,  il  se  réduisait  au  contraire  dans  le  Nord  de 
la  province  de  Buenos  Aires  et  le  sud  de  Cordoba; 
les  terres  du  Rio  Cuarto  inférieur  n'étaient  pas  occupées. 
Vers  1860  (Martin  de  Moussy),  les  établissements  les 
plus  avancés  dans  ce  secteur  sont  S.  José  de  la 
Esquina  et  Saladillo  sur  le  Tercero;  la  route  du  Chili 
par  Rio  Cuarto,  Achiras  et  San  Luis,  était  menacée.  Les 
progrès  de  la  colonisation  dans  cette  zone  se  manifes- 
tèrent d'abord  à  l'Ouest  vers  Villa  Mercedes  sur  le  Rio- 
Quinto;  la  ligne  du  Rio  Cuarto  par  la  Carlota  fut  réoc- 
cupée et,  avant  1875,  la  frontière  avait  été  reportée  au 
Rio  Quinto,  d'où  elle  rejoignait  par  Sarmiento,  Gainza 
et  Lavalle,  les  forts  du  Sud  de  Buenos  Aires. 

En  1878  enfin,  le  général  Roca  abandonne  les  mé- 
thodes classiques  de  guerre  contre  les  Indiens  et  passe 
à  l'offensive  ;  il  enlève  aux  Indiens  leurs  refuges  du  Sud 
de  San  Luis  et  de  la  Pampa  Central  et  les  rejette  vers 
le  désert;  l'armée  argentine  avance  sur  leurs  traces 
jusqu'aux  Andes  et  au  Rio  Negro  ;  dans  l'immense 
domaine  conquis  subsistent  à  peine  quelques  traces  de 
la  population  indigène  dont  l'extrême  mobilité  avait 
masqué  la  faiblesse  numérique'. 

L'histoire  de  la  frontière  du  Nord  est  analogue.  A  la 
fin  du  xviir  siècle,  les  postes  espagnols  jalonnaient  le 
cours  du  Salado;  au  nord  de  Santa  Fe  ils  couvraient  à 
Sunchales,  Soledad,  San  Javier,  la  route  directe  de  Santa 
Fe  à  Santiago  del  Estero.  Ces  postes  sont  abandonnés 
pendant  la  période  révolutionnaire.  Les  Indiens  pénè- 


i.  On  trouvera  dans  M.  J.  Olascoaga,  La  conquête  de  la  Pampa  (Recueil 
de  documents  relatifs  à  la  campagne  du  Rio  Negro  (Buenos  Aires,  1881), 
de  précieux  renseignements  non  seulement  sur  les  conditions  de  la 
lutte  contre  les  Indiens,  mais  sur  la  distribution  dans  la  région  pam- 
péenne  de  leurs  »  invernadas  »  (terrains  de  parcours).  Olascoaga  tra- 
duit leurs  «  quartiers  d'hiver  »,  c'est-à-dire  les  pâturages  où  ils 
tenaient  leur  bétail  et  d'où  partaient  leurs  expéditions. 


LES  RÉGIONS  NATURELLES.  17 

Irent  jusque  dans  la  banlieue  de  Santa  Fe.  Non  seule- 
ment le  ciiemin  de  Santiago,  mais  celui  de  Cordoba  par 
le  Ouebracho  Herrado  sont  coupés'.  Urquiza  réorganisa 
la  frontière  de  Santa  Fc  d'abord  à  la  hauteur  de  San 
.lavier,  puis  sous  le  :20"  de  latitude  entre  FArroyo  dcl 
ixcy  sur  le  Parana  et  le  Tostado  sur  le  Saiado.  L'expé- 
dition de  1884  amène  l'armée  argentine  sur  le  Bcrmejo 
et  brise  la  résistance  des  Tobas.  Les  forts  qui  gar- 
daient plus  au  Nord  la  province  de  Salta  ou  le  revers 
des  Sierras  de  la  Lumbrera  et  de  Santa-Barbara  avaient 
été  désarmés  dès  le  début  du  xix^  siècle,  les  ^tribus  de 
celte  partie  du  Cliaco  n'étant  pas  hostiles ^ 

Le  souvenir  des  luttes  contre  les  Indiens  est  aujour- 
d'hui si  eiTacé,  la  menace  des  incursions  des  tribus  a 
été  si  rapidement  abolie  que  l'on  a  peine  à  se  repré- 
senter pleinement  l'influence  profonde  qu'elle  a 
exercée  sur  la  colonisation.  La  ligne  des  forts  n'était 
qu'une  barrière  fragile,  incessamment  violée.  Les 
Indiens  de  la  Pampa  enlevaient  dans  les  estancias  de 
Buenos  Aires  des  bœufs  qu'ils  allaient  vendre  au  Chili. 
Le  colonel  Garcia^  estime  en  1810  à  40  000  par  an  le 
nombre  des  animaux  razziés.  Le  colonel  Woca  donne 
en  1870  le  même  chilYre.  La  Pampa  n'offrait  pas  d'ob- 
stacles naturels  aux  déplacements  des  Indiens,  où  la 
frontière  put  s'appuyer.  D.  Pedro  Pablo  Pabon  signale 
que  le  voisinage  de  la  Sierra,  loin  d'assurer  une  protec- 
tion aux  postes  qui  seraient  fondés  dans  la  région  de 
Tandil,  serait  une  cause  d'insécurité  de  plus,  la  surveil- 
lance étant  plus  difficile.  Vers  le  Nord,  les  expéditions 
indiennes  suivaient  les  clairières  de  la  brousse  en  con- 
tournant les  taches  de  végétation  trop  dense,  impéné- 
trables. La  lagune  de  Mar  Ghiquita  à  l'ouest  de   Santa 

1.  Voir  Thomas  J.  Ilutcliiiison,  Buenos  Aires  y  olras  provincius 
arQenlinas.  Buenos  Aires,^1866. 

2.  Voir  Geronimo  de  la  Serna,  Expedicion  militar  al  Chaco.  Dol.  f, 
Geoi,'.  Argc-utino,  XV,  1894,  p.  115-179. 

5.  iVttei'O  plan  de  frontenis  de  Li  provincia  de  B.  A.  Cuil.  de  Angeli-J. 
T.  M. 

DE^•IS.  —  L'Arg;ci.li!;c.  -2 


J8  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

Fe  formait  un  rempart  précieux,  à  l'abri  duquel  un 
groupe  de  population  assez  dense  s'était  fixé  autour  de 
Concepcion  del  Tio. 

Les  déplacements  de  la  frontière  sont  tantôt  le  résul- 
tat d'une  poussée  de  la  colonisation,  les  éleveurs  occu- 
pant des  terres  nouvelles  en  dehors  de  la  ligne  des  forts 
et  réclamant  une  protection,  tantôt  au  contraire  ils 
résultent  d'une  décision  arbitraire  prise  par  un  Gouver- 
nement préoccupé  d'élargir  son  territoire  sans  avoir 
encore  les  moyens  de  le  mettre  en  valeur.  Roca  a  bien 
montré  les  défauts  de  ce  système  d'occupation  mili- 
taire prématurée.  «  S'éloigner  des  contrées  habitées 
pour  gagner  du  terrain,  c'est,  selon  moi,  accumuler  tous 
les  inconvénients  de  la  guerre  défensive  et  placer  le 
désert  entre  les  nouvelles  lignes  et  les  lieux  habités... 
les  invasions  se  produisent  immédiatement'  ».  On 
s'exposerait  donc  à  commettre  de  graves  erreurs  si  l'on 
voulait  calquer  l'histoire  de  la  colonisation  sur  celle  de 
l'occupation  militaire.  La  garnison  des  fortins  n'a  d'ail- 
leurs pas  par  elle-même  pris  une  part  bien  active  à 
l'exploitation  du  sol.  Le  projet  conçu  par  d'Azara  de 
faire  des  lanciers  «  blandengues  »  des  colons  et  de  les 
enraciner  en  leur  distribuant  des  terres  paraît  avoir  été 
purement  utopique.  Sa  description  de  la  frontière 
montre  clairement  la  faible  emprise  exercée  sur  la  Pampa 
par  la  colonisation  primitive,  où  le  seul  élément  relative- 
ment laborieux  est  représenté  par  les  groupes  de  popu- 
lation civile  —  paisanos  —  qui  s'assemblaient  autour 
des  bastions  et  des  fossés  des  forts.  Il  n'en  est  pas  de 
même  sur  la  frontière  de  Santiago  del  Estero,  où  l'agri- 
culture s'ajoutait  à  l'élevage.  Le  fort  ici  se  confond  avec 
le  village,  chaque  soldat  a  son  champ  de  blé,  de  maïs 
et  de  pastèques*. 


1.  Lettre  au  Ministre  de  la  Guerre,  19  octobre  1875. 

2.  Voir  le  tableau  curieux  que  donne  Hulchinson  de  la  vie  militaire 
sur  le  Rio  Salado  de  Santiago  au  milieu  du  xix*  siècle. 


LES  RÉGIONS  NATURELLES.  l'J 

Les  provinces  dont  l'union  devait  former  la  Répu- 
blique Argentine  n'avaient  pas  d'unité  économique. 
Elles  formaient  à  vrai  dire  un  pays  double,  deux  mondes 
à  part,  régions  du  littoral  et  régions  de  la  montagne, 
{de  arriba),  unis,  mais  non  fondus  par  la  grande  route 
de  Buenos  Aires  au  Pérou  par  Cordoba,  Tucuman  et 
Salta.  Elles  représentaient  deux  rameaux  différents  de 
la  colonisation  espagnole.  «  Deux  courants  humains,  dit 
Mitre,  contribuèrent  à  peupler  la  vice-royauté....  Le 
premier  venait  directement  d'Espagne,  la  mère-patrie; 
il  occupait  et  peuplait  les  rives  du  bassin  du  Rio  de  la 
Plata,  au  nom  du  droit  de  découverte  et  de  conquête,  et 
les  fécondait  par  son  travail.  L'autre  venait  de  l'ancien 
empire  des  Incas,  déjà  subjugué  par  les  armes  espa- 
gnoles, s'avançait  vers  l'intérieur  du  pays  qu'il  traver- 
sait en  allant  du  Pacifique  à  l'Atlantique,  occupait  les 
territoires  de  par  les  mêmes  droits  et  les  exploitait 
selon  un  système  de, servage  féodal....  La  même  année, 
en  1555,  étaient  fondées  les  deux  villes  de  Buenos  Aires 
et  de  Lima,  centre  de  ces  deux  cycles  de  découvertes 
cl  de  conquêtes,  et,  58  ans  plus  tard,  simultanément,  au 
cours  de  la  môme  année,  en  1575,  les  Conquistadores 
venus  du  Pjérou  fondaient  la  ville  de  Cordoba,  à  00  lieues 
du  Parana,  tandis  que  ceux  du  Rio  de  la  Plata  fondaient- 
la  ville  de  Santa  Fe  sur  les  rives  du  fleuve'  ». 

Comme  Tucuman  et  Salta  furent  fondés  par  des 
conquérants  venus  du  Pérou,  San  Juan  et  Mendoza  sont 
bâties  par  des  Espagnols  du  Chili.  La  limite  entre  les 
deux  zones  de  colonisation  passe  à  travers  les  immenses 
plaines  désertes  de  l'intérieur,  et  non  sur  les  hauts  pla- 
teaux des  Andes. 

Tout  distinguait  l'une  de  l'autre  les  deux  Argentines  : 
le  sang  aussi  bien  que  le  milieu  physique;  la  race  indi- 
gène, éliminée  sur  la  côte,  s'était  intimement  mélangée 
à  la  race  conquérante  dans  l'intérieur. 

1.  Mitre,  Historia  de  Belgrano,  I,  chap.  1,  pages  i  el  5. 


20  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

Les  établissements  du  Rio  de  la  Plala  n'avaient  été  à 
l'origine  qu'une  étape  sur  la  route  du  Pérou,  sans 
valeur  propre.  Les  Hauts-Plateaux  des  Andes  restèrent 
longtemps  le  centre  économique  de  l'Amérique  espa- 
gnole, et  les  provinces  de  l'intérieur  qui  leur  vendaient 
des  bœufs  et  des  mules  en  dépendaient  étroitement.  La 
fin  du  xvm"  siècle  est  marquée  par  de  rapides  progrès 
de  la  région  pampéennc  ;  la  Vice-Roj'auté  de  la  Plata 
est  créée  ;  la  liberté  du  commerce  entre  Buenos  Aires  et 
les  ports  espagnols  est  établie;  l'exporlalion  des  cuirs 
se  développe;  l'influence  de  Buenos  Aires  s'étend  vers 
l'intérieur  et  pénètre,  malgré  la  douane  de  Cordoba, 
jusque  dans  les  régions  du  Nord-Ouest.  «  La  création 
de  la  Vice-Royauté,  dit  le  Dean  Funes',  et  la  direction 
nouvelle  prise  par  le  commerce  eurent  pour  résultat  que 
Buenos  Aires  devint  le  centre  d'affaires  nombreuses  et 
importantes.  » 

Ce  mouvement  commercial,  qui  paraissait  devoir 
associer  dès  cette  date  les  deux  moitiés  du  territoire 
argentin,  s'interrompt  pendant  la  première  moitié  du 
XIX*  siècle.  Les  liens  qui  unissent  les  provinces  du  Nord- 
Ouest  au  plateau  et  au  versant  du  Pacifique,  loin  de  se 
relâcher,  deviennent  plus  variés  et  plus  étroits.  Les 
convois  de  mules  qui  portent  aux  ateliers  métallur- 
giques du  versant  Chilien  les  minerais  de  San  Juan  et 
de  la  Rioja  animent  la  Cordillère.  Quand  le  Chili,  trans- 
formé en  pays  agricole,  cesse  de  suffire  à  sa  consomma- 
tion en  bétail,  les  oasis  du  versant  argentin  étendent 
leurs  luzernières  et  s'enrichissent  à  engraisser  les  trou- 
peaux qui  franchissent  les  montagnes.  Les  provinces  de 
Mendoza,  San  Juan,  la  Rioja,  Catamarca,  Tucuman, 
Salta,   gravitent  dans    l'orbite   des   pays    andins\   Ce 


1.  D.  Gregorio  Funes,  Ensayo  de  la  hisloria  civil  del  Paraguay, 
Buenos  Ailles  y  Tucuman.  Buenos  Aires,  3  vol  in-16,  1816. 

2.  La  carte  de  Woodbiue  Parish  (1839)  place  Tinogasta  à  100  km.  de 
sa  position  réelle,  au  pied  même  du  col  de  Coine  Caballos,  réduisant 
de  près  de  moitié  sa  distance  de  Copiapo,  sur  le  versant  chilien. 


LES  RÉGIONS  NATURELLES.  21 

recul  de  rinnucncc  de  Buenos  Aires  s'explique  par  des 
raisons  historiques.  Les  guerres  de  la  période  révolu- 
tionnaire, les  conflits  entre  le  gouvernement  de  Buenos 
Aires  cl  les  puissances  maritimes  entravent  l'essor  com- 
mercial des  rives  de  la  Plata.  L'isolement  politique  de 
la  province  de  Buenos  Aires,  sous  le  gouvernement  de 
Rosas,  dure  jusqu'en  J855.  Ponce!'  donne  une  statis- 
tique des  importations  à  Catamarca  qui  montre  toute 
l'importance  de  cette  date  dans  l'histoire  du  commerce 
argentin. 

Années 

Inipoilations   dans    !a    province    de  ■ „t— 

Catamarca  :  18à0  51       52      55      54 

Par  le  Pacifique  à  travers  la  Cordil- 
lère (en  milliers  de  piastres)  ...  72  50      71      40      12 

Par   l'Atlantique  (Buenos  Aires  ou 

Rosario) 11  7      20      G4     ilO 

En  1854-1855,  la  voie  des  Cordillères  perd  définitive- 
ment pour  Catamarca  le  caractère  d'une  route  commer- 
ciale et  ne  sert  plus  qu'à  l'exportation  des  bœufs. 

Mais  l'attraction  exercée  par  Buenos  Aires  après  1853 
ne  tient  pas  seulement  à  son  rôle  commercial  et  à  sa 
fonction  d'intermédiaire  entre  les  provinces  de  l'inté- 
rieur et  l'Europe.  Elle  est  fondée  surtout  sur  le  dévelop- 
pement économique  de  la  région  pampéenne,  qui 
débute  vers  cette  date  et  rompt  l'équilibre  entre  les 
deux  moitiés  de  l'Argentine.  La  mise  en  valeur  de  la 
Pampa,  la  rénovation  des  méthodes  d'élevage,  l'intro- 
duction et  l'expansion  des  cultures  dans  la  plaine  pam- 
péenne, qui  remplissent  toutes  les  publications  sur  l'Ar- 
gentine moderne,  sont  en  elles-mêmes  un  des  grands 
événements  de  l'histoire  économique  du  xix"  siècle. 
Mais  elles  ont  eu  de  plus  des  effets  indirects  et  profonds 
sur  la  vie  des  autres  parties  de  l'Argentine.  La  puis- 
sance de  consommation  de  la  Pampa  s'est  accrue  en 
même  temps  que  sa  richesse  et  sa  population.  Elle  a 

1.  B.  Poncel,  Mes  Ilinérnircs  dans  les  Provinces  du  Rio  de  la  Plata, 
Province  de  Catamarca.  Paris,  1864,  in-8. 


22  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

absorbé  la  production  des  provinces  qui  l'entouraient; 
elle  leur  a  imposé  sa  clientèle,  répartissant  entre  elles, 
selon  les  services  qu'elle  en  reçoit,  une  partie  de  l'or  qui 
lui  parvient  d'outre-Atlantique.  L'une  après  l'autre,  les 
provinces  ont  vu  se  dénouer  les  relations  traditionnelles 
qui  les  rattachaient  à  l'étranger.  Partout,  sur  le  pour- 
tour de  la  zone  des  céréales  et  des  luzernes,  la  même 
évolution  s'est  produite  ;  l'orientation  des  courants 
commerciaux  s'est  renversée.  Tantôt  la  transformation 
remonte  déjà  à  plus  d'une  génération  :  à  Tucuman,  à 
Mendoza;  tantôt  elle  se  produit  sous  nos  yeux,  à  Salta, 
à  San  Juan  ;  tantôt  elle  se  prépare  pour  un  avenir  tout 
proche,  dans  les  vallées  les  plus  retirées,  à  Jachal,  à 
Santa  Maria.  Par  une  anomalie  singulière,  le  Far  West 
nord-américain,  né  depuis  un  demi-siècle,  tend  à  se 
dégager  de  jour  en  jour  de  l'influence  des  régions  de 
l'Est,  qui  lui  ont  fourni  capitaux  et  immigrants,  et  ce 
Far  West  argentin,  aussi  ancien  que  l'Est  argentin  lui- 
même,  qui  n'est  nullement  son  œuvre,  qui  a  grandi  iso- 
lément et  librement,  déjà  adulte  et  déjà  riche  lorsqu'ils 
entrèrent  en  contact,  a  été  réduit  par  lui  en  peu  d'années 
à  une  étroite  dépendance. 

La  vie  du  pays  tout  entier  est  comme  suspendue  au 
grand  mouvement  de  colonisation  qui  a  transformé  la 
plaine  pampéenne.  Elle  lui  a  valu  une  unité  économique 
qui  s'est  aussitôt  reflétée  dans  son  régime  politique.  Le 
chemin  de  fer  de  Buenos  Aires  atteint  Tucuman  avant 
1880,  Mendoza,  San  Juan,  Salta,  Catamarca  avant 
1890,  la  Rioja  avant  1900.  L'établissement  de  rapports 
économiques  plus  étroits  entre  le  littoral  et  les  pro- 
vinces de  l'intérieur  a  presque  toujours  marqué  pour 
elles  le  début  d'une  période  d'intense  prospérité.  Par- 
tout, l'influence  de  Buenos  Aires  vivifie,  secoue  la 
torpeur,  répand  la  richesse. 

Non  seulement  le  littoral  s'est  réservé  la  production 
des  provinces  occidentales  jadis  destinées  à  d'autres 
marchés,  mais,  pour  satisfaire  à  ses  besoins,  des]centres 


LES  RÉGIONS  NATURELLES.  2.' 

nouveaux  de  production  se  sont  formés;  les  forêts  du 
Chaco  se  peuplent  de  bûcherons  pour  façonner  les  tra- 
verses de  ses  voies  ferrées;  la  vallée  du  Rio  Negro  se 
plante  de  vignes  pour  fournir  de  vin  les  colonies  de  la 
région  de  Bahia  Blanca.  L'attraction  de  la  Pampa  se 
fait  sentir  jusqu'au  delà  des  frontières.  Le  Paraguay 
rivalise  avec  Corrientes  pour  l'approvisionner  de  tabac 
et  d'oranges,  avec  Misiones  pour  lui  livrer  la  feuille  de 
la  yerba  mate.  Chaque  région  choisit  les  cultures  qui 
conviennent  le  mieux  à  son  climat  pour  tirer  de  ses 
relations  avec  Buenos  Aires  tout  le  bénéfice  possible. 
Les  deux  satellites  les  plus  brillants  de  la  Pampa, 
les  deux  foyers  de  production  les  plus  importants  de 
l'intérieur  sont  Tucuman  et  Mendoza,  toutes  les  autres 
villes  importantes  de  l'Argentine  appartenant  elles- 
mêmes  à  la  région  pampéenne.  Tucuman  et  Mendoza, 
qui  vivent  d'approvisionner  la  Pampa  en  sucre  et  en 
vin,  sont  devenues  à  leur  tour  des  centres  d'attraction 
secondaires.  Sortes  de  capitales  régionales,  elles  ont, 
elles  aussi,  leur  zone  de  dépendance  économique;  un 
faisceau  de  courants  commerciaux  s'est  noué  autour  de 
chacune  d'elles,  déterminant  la  création  de  routes  nou- 
velles. Ces  lignes  d'intérêt  local  sont  aisément  recon- 
naissables  sur  la  carte  des  chemins  de  fer,  oij  elles  se 
surajoutent  à  l'éventail  régulier  des  voies  qui  conver- 
gent vers  Buenos  Aires.  La  Rioja  fournit  les  échalas 
qui  portent  les  vignes  de  San  Juan  et  de  Mendoza.  Du 
Nord  de  Cordoba  jusqu'à  Salta,  à  500  kilomètres  à  la 
ronde,  on  coupe  le  bois  de  chauffe  pour  les  sucreries  de 
Tucuman  ;  Santiago  sèche  le  fourrage  nécessaire  à  ses 
troupes  de  mules;  les  prairies  de  Gatamarca,  où  s'en- 
graissaient autrefois  des  bœufs  destinés  au  Chili  et 
venus  parfois  de  Tucuman  même,  vendent  aujourd'hui 
leur  bétail  aux  bouchers  de  Tucuman;  les  vins  de  San 
Juan  ont  à  Tucuman  leur  meilleure  clientèle.  Les  frac- 
tions les  plus  voisines  de  la  «plaine  pampéenne  elle- 
même,  dans  le  Nord-Est  de  Santa  Fe  et  le  Sud  de  San- 


24         LA  RÉPUBLIOUE  ARGENTINE. 

Luis,  expédient  des  maïs  et  des  blés  à  Tuciiman  et  à 
Mendoza,  au  lieu  de  les  envoyer  aux  ports  d'exporta- 
tion. 


Si  TArgenlinc  vit  de  la  Pampa,  la  Pampa  vit  de  l'ex- 
portation. Elle  a  été  mise  en  valeur  par  l'afflux  des 
immigrants  européens.  L'Europe  s'acquitte  en  lui  en- 
voyant en  échange  ses  produits  manufacturés  et  ses 
capitaux.  Sauf  en  ce  qui  concerne  les  émigrants,  les 
Etats-Unis  jouaient,  vis-à-vis  de  l'Argentine,  dès  avant 
la  guerre,  un  rôle  analogue  à  celui  des  pays  de  l'Europe 
Occidentale.  Ainsi  la  prospérité  économique  de  l'Ar- 
gentine l'associe  de  plus  en  plus  intimement  avec  la  vie 
de  l'ensemble  du  monde.  Sa  situation  dans  la  zone  tem- 
pérée de  l'Amérique  du  Sud  avait  retardé  sa  participa- 
tion au  commerce  mondial.  Elle  explique  la  lenteur  avec 
laquelle  la  colonisation  y  progressa  à  l'origine.  Son 
climat  et  ses  produits  étaient  trop  semblables  à  ceux  de 
l'Espagne  :  non  seulement  les  centres  miniers  et  métal- 
lurgiques des  Andes  ou  de  la  Mantiqueira,  mais  aussi 
les  régions  sucrières  et  cotonnières  du  Brésil,  des  An- 
tilles et  des  Guyanes,  ont  été  des  foyers  de  production 
plus  précoces  que  les  plaines  pampéennes. 

L'Ai^entine  ne  prit  sa  revanche  que  lorsque  l'accrois- 
sement de  la  population  dans  les  pays  industriels  de 
l'Europe  les  rendit  tributaires  de  l'étranger  pour  leur 
alimentation,  et  lorsque  la  navigation  à  vapeur  permit 
l'exportation  en  grand  des  laines,  des  viandes  et  des 
céréales. 

Si  l'on  compare  l'organisation  économique  de  l'Ar- 
gentine avec  celle  des  États-Unis,  on  observera  qu'elle 
est  à  la  fois  moins  complexe  et  moins  capable  de  se 
suffire  à  elle-même.  Ces  différences  ont  leur  raison 
dans  l'architecture  même  du  pays.  J'ai  signalé  en  tête 
de  ce  chapitre  qu'il  manque  à  l'Argentine  l'équivalent 
de  la  zone  des  Plateaux  atlantiques,  qui  constitue  au- 


LES  RÉGIONS  XATUIŒLLES.  25 

jourcriiui  la  grande  région  industrielle  do  l'Amériquo 
du  Nord.  La  prospérité  industrielle  de  l'P^st  nord-amé- 
ricain assure  aux  agriculteurs  de  l'Ouesl  un  marché 
intérieur  et  les  dispense  d'exporter  leurs  récoltes.  En 
outre,  les  plateaux  atlantiques,  foyers  primitifs  de  peu- 
plement, où  les  premières  générations  de  colons  vécu- 
rent sur  des  terres  souvent  ingrates,  ont  vu  se  former 
peu  à  peu  des  réserves  d'hommes  et  de  capitaux  qui 
s'employèrent  plus  tard  à  la  colonisation  de  l'Ouest. 
L'Est  a  tamisé,  et  pour  ainsi  dire  contrôlé,  l'influence  de 
l'Europe  moderne  sur  la  colonisation  des  Etats-Unis. 
Il  a  encadré,  assimilé  les  émigrants  nouveaux-venus 
qui  partirent  vers  l'Ouest,  mêlés  aux  troupes  de  pion- 
niers nationaux  en  voyage  vers  la  prairie.  De  même, 
lorsque  les  capitaux  européens  ont  afllué  aux  Etats-Unis, 
ils  y  ont  trouvé  dans  les  villes  de  l'Est  une  épargne 
puissante,  un  personnel  de  financiers  entre  les  mains 
desquels  ils  ont  dû  s'abandonner. 

Tout,  en  Argentine,  rappelle  au  contraire  la  dépen- 
dance étroite  et  directe  du  pays  à  l'égard  des  marchés 
d'outre-mer.  Le  sol  lui-même  porte  l'empreinte  de  cette 
solidarité.  Elle  se  marque  par  le  tracé  du  réseau  des 
voies  ferrées,  par  la  concentration  de  la  })opulation 
urbaine  dans  les  ports,  par  la  répartition  des  zones  de 
cultures  en  cercles  concentriques  limités  souvent,  non 
par  un  obstacle  physique,  mais  par  l'élévation  du  fret 
entre  le  lieu  de  production  et  le  port  d'embarquement. 
Ainsi  s'expriment  géographiquement  des  faits  qui  pa- 
raissent au  premier  abord  d'ordre  purement  économique 
ou  sociologique. 


CHAPITRE   II 

LES    OASIS    DU    NORD-OUEST    ET     LA    VIE     PASTORALE 
DANS    LA    BROUSSE 

Les  zones  d'habitation  des  Andes  du  Nord-Ouest.  —  Vallès, 
Quehradas.  Puna.  —  Les  coutumes  d'eau  des  valles. —  Les  routes 
historiques.  —  Les  convois  de  bétail.  —  Le  dressage  des  mules 
et  les  foires.  —  La  lutté  des  éleveurs  contre  la  sécheresse.  — 
La  sierra  de  los  Llanos. 

Toute  vie  et  toute  richessse  dans  les  provinces  arides 
du  Nord-Ouest  de  l'Argentine  sont  liées  à  l'irrigation, 
et  les  points  d'eau  y  fixent  pour  l'éternité  le  site  des 
établissements  humains.  Les  ressources  en  eau  sont 
distribuées  inégalement  :  elles  sont  particulièrement 
aliondantes  au  Sud  (San  Juan,  Mendoza,  San  Rafaël), 
où  les  torrents  de  la  Cordillère  sont  nourris  par  les  gla- 
ciers, et  sur  la  bordure  externe  de  la  montagne  au- 
dessus  du  Chaco,  au  pied  de  l'Aconquija,  qui  amasse 
sur  son  flanc  les  nuages  et  les  pluies  (Tucuman).  Dans 
l'intervalle,  au  contraire,  sur  le  territoire  de  la  Rioja 
et  de  Catamarca,  et  si  l'on  pénètre  au  Nord-Ouest  de 
Tucuman  à  l'intérieur  de  la  zone  montagneuse,  le  débit 
des  eaux  disponibles  se  réduit;  les  oasis  ne  forment 
plus  que  des  taches   minuscules  et  espacées. 

Cette  inégalité  naturelle  n'a  pas  été  sensible  dès  l'ori- 
gine :  pendant  longtemps,  l'extension  des  cultures  et  le 
progrès  de  la  richesse  furent  limités  seulement  par  la 
faible  densité  du  peuplement,  par  la  difficulté  des  trans- 
ports  et  par  l'insuffisante  capacité  des  marchés  de  con- 
sommation. Les  oasis  les  mieux  dotées  dédaignaient  et 
laissaient  se  perdre  l'excédent  d'eau  dont  elles  n'avaient 


•28  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

pas  remploi.  Il  faut  venir  jusqu'à  la  fin  du  xix"  siècle 
pour  que  les  hommes  se  heurtent  aux  limiies  que  la 
nature  a  mises  à  la  colonisation  et  mesurent  exactement 
leur  domaine.  Alors  seulement  la  Rioja  renonce  à  riva- 
liser avecMendoza,  ou  Catamarca  avec  Tucuman.  Tan- 
dis que  de  grandes  cultures  industrielles  se  développent 
à  Mendoza  et  à  Tucuman,  que  de  puissants  foyers  de 
vie  urhaine  s'y  forment,  que  la  population  s'y  multiplie 
et  que  les  immigrants  y  affluent,  les  oasis  de  l'intérieur 
se  transforment  à  peine  ;  la  population  ne  s'y  renouvelle 
pas;  la  vie  y  conserve  un  cachet  d'archaïsme  qu'on  ne 
retrouverait  nulle  part  ailleurs  en  Argentine  :  les  con- 
ditions physiques  ont  ralenti  et,  pour  ainsi  dire,  cris- 
tallisé l'évolution  économique.  La  génération  présente 
exploite  encore  le  sol  selon  des  traditions  qui  remon- 
tent en  partie  aux  indigènes,  maîtres  des  conquérants 
espagnols  dans  l'art  de  l'irrigation .  L'industrie  des 
convois  de  bétail  et  de  l'engraissage,  qui  fut  jadis  pour 
le  pays  tout  entier  la  principale  source  de  richesse,  s'y 
pratique  encore  sous  nos  yeux. 


La  zone  des  hauts  plateaux  andins  sans  écoulement 
vers  la  mer,  —  la  «  Puna  »,  —  mesure  encore  sous  le 
22°L.  S.,  à  la  frontière  Nord  de  l'Argentine,  une  largeur 
de  500kiiomctres.  Cette  largeur  se  réduit  progressive- 
ment au  Sud  jusque  vers  le  28",  où  la  Puna  s'interrompt 
à  la  hauteur  de  la  route  de  Tinogasta  à  Copiapo. 

A  l'Est  et  au  Sud  de  la  Puna,  les  Andes  argentines 
sont  découpées  par  quelques  grandes  fosses  allongées 
du  Nord  au  Sud  et  par  des  bassins  plus  vastes,  entre 
lesquels  se  dressent  de' hautes  chaînes  massives  aux 
versants  escarpés.  Les  uns  sont  encastrés  au  cœur  de 
la  montagne,  d'autres  s'ouvrent  comme  des  golfes  sur 
la  bordure  de  la  plaine.  Ces  dépressions  aux  rebords 
rectilignes  sont  un  trait  fréquent  dans  la  topographie 
des  Andes  à  cette  latitude.  La  plaine  centrale  du  Chili 


LES  OASIS  DU  X.-O.  ET  LA  VIE  PASTORALE.         23 

présente  avec  elles  une  étroite  parenté.  Dans  le  voca- 
bulaire argentin,  elles  portent  le  nom  de  «  valles  »  : 
val  le  de  Lcrma,  valle  Calchaqui,  valle  de  Iglesias,  de 
Calingasta,  d'L'spallata.  Ce  ne  sont  pourtant  pas  des 
vallées,  en  ce  sens  qu'elles  n'ont  pas  été  creusées  par 
lérosion  de  l'eau  courante,  et  qu'elles  ont  pour  origine 
des  mouvements  tectoniques,  effondrements  ou  gaucliis- 
sements  de  la  surface.  Les  maigres  rivières  des  Andes 
sèches  ne  sont  pas  de  taille  à  accomplir  un  aussi  gros 
œuvre.  Lorsqu'elles  empruntent  le  valle,  elles  y  parais- 
sent perdues  dans  un  cadre  démesuré;  souvent  elles  y 
tarissent  en  abandonnant  les  dépôts  et  les  sels  dont  elles 
sont  chargées.  Ailleurs  elles  franchissent  le  valle  trans- 
versalement, et  s'en  échappent  à  l'aval  par  d'étroites 
brèche^,  tandis  que  la  dépression  se  poursuit  de  part  et 
d'autre,  englobant  des  tronçons  de  rivières  indépen- 
dantes. 

Au  valle  s'oppose  le  ravin  d'érosion,  sculpté  par  les 
eaux,  la  «  Ouebrada  ».  Elle  s'ouvre  sur  le  valle  par  une 
issue  en  V  aigu,  qui  s'évase  vers  le  haut,  et  où  l'œil 
reconnaît  des  versants  emboîtés  et  les  étapes  succes- 
sives du  creusement.  Etroite  et  sinueuse,  le  lit  plat  de 
galets  occupant  tout  le  fond  du  thalweg,  elle  se  relève 
rapidement  vers  l'amont,  et  ouvre  une  route  du  valle 
vers  la  Puna.  Valles,  Ouebradas,  Puna,  telles  sont  les 
trois  zones  d'habitation  des  Andes.  La  première  est  la 
plus  riche,  et  l'habitant  du  valle,  fier  de  son  aisance 
relative,  réserve  à  ses  voisins  des  Quebradas  et  de  la 
Puna,  à  la  «  coyada  »,  un  mépris  dont  on  trouverait 
l'équivalant  dans  tous  les  bons  pays  d'Europe  pour  la 
{)opulation  des  terres  moins  favorisées  d'alentour. 

Les  pluies  sont  d'autant  plus  rares  que  le  valle  est 
plus  enfermé.  Les  observations  donnent  1 10  millimètres 
de  pluie  par  an  à  Tinogasta,  290  à  Andalgala,  200  à 
Santa  Maria.  Salta  et  Jujuy  ont  un  climat  beaucoup 
moins  sec  et  ne  reçoivent  pas  moins  de  570  et  740  mil- 
limètres de  pluie  :  c'est  que  le  chaînon  oriental  des  An- 


30  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

(les,  qui  va  de  la  Sierra  de  Santa  Victoria  sur  la  frontière 
bolivienne  à  l'Aconquija,  s'abaisse  à  la  hauteur  de  Salta 
et  laisse  pénétrer  l'humidité  du  Chaco  jusqu'au  cœur  de 
la  zone  andine.  Les  pluies  de  Salta  et  de  Jujuy  s'inter- 
rompent pendant  l'hiver;  leur  concentration  pendant  les 
mois  d'été  (novembre  à  mars)  permet  de  pratiquer  sans 
irrigation  la  culture  du  maïs,  qui  se  contente  de  pluies 
d'été.  Mais  si  l'on  suit  de  Salta  vers  le  Sud  le  valle  de 
Lerma,  la  récolte  du  maïs  devient  de  plus  en  plus  incer- 
taine, et  il  cesse  d'être  semé  en  terrain  sec  à  30  kilo- 
mètres de  Salta,  à  la  hauteur  du  confluent  du  rio  Arias 
avec  le  Juramento.  Les  pluies  d'été,  qui  mûrissent  les 
maïs,  sont  au  contraire  néfastes  à  la  vigne  et  gâtent  le 
raisin.  Aussi  la  limite  méridionale  des  cultures  de  maïs 
en  terrain  sec  correspond-elle  à  peu  près  à  la  limite 
septentrionale  de  la  vigne  :  là  est  vraiment  l'entrée  du 
paysage  typique  des  valles. 

La  nécessité  de  l'irrigation  résulte  de  la  rareté  des 
pluies,  mais  elle  est  accrue  par  tout  un  ensemble  de 
causes  qui  tendent  à  accentuer  la  sécheresse.  Les 
valles  sont  le  domaine  de  vents  diurnes  à  l'haleine  brû- 
lante, la  «  zonda  >;,  venls  de  foehn  sans  doute,  pareils 
au  Gletscherfresser  des  Alpes  suisses,  qui,  faute  de 
neiges,  dévorent  l'eau  des  sources  et  des  rigoles  d'ar- 
rosage, ou  s'emparent  des  dépôts  apportés  par  les  eaux 
pour  édifier  des  dunes  et  les  pousser  au  Sud,  parfois  en 
véritables  glaciers  de  sable.  En  outre,  le  sol  des  valles 
est  constitué  généralement  d'alluvions  grossières  per- 
méables, qui  boivent  aussitôt  les  orages.  Un  immense 
talus  fortement  incliné  de  cailloux  à  peine  roulés 
s'appuie  de  part  et  d'autre  sur  le  flanc  des  massifs  qui 
encadrent  chaque  vallée.  Cette  double  zone  détritique 
est  étrangement  solitaire;  la  végétation  s'y  réduit  à  des 
buissons  isolés  de  jarilla  et  de  tola.  Des  bergeries  de  la 
montagne  aux  oasis  des  vallées,  c'est  à  peine  si  l'on 
rencontre  une  habitation.  Le  fond  de  la  vallée  est  moins 
déshérité  :  le  lit  desséché  d'un  oued  y  trace  un  large 


LES  OASIS  DU  X.-O.  ET  LA  VIE  PASTORALK.  r.l 

ruban  de  sables,  et,  sur  les  limons  de  ses  rives,  lorsque 
la  nappe  d'eau  souterraine  n'est  pas  trop  profonde,  se 
maintiennent,  malgré  la  dent  des  chèvres  et  des  ânes 
et  malgré  les  charbonniers,  quelques  bois  d'algarrobes, 
où  s'approvisionnent  en  combustible  les  établissements 
métallurgiques. 

Les  alluvions  modernes,  cailloux  et  sables,  repré- 
sentent l'étage  supérieur  d'une  série  puissante  de  dépôts 
continentaux  qui  recouvrent  le  socle  cristallin  et  pa- 
léozoïque  des  Andes'.  Ils  comprennent  surtout  des  grès 
rouges  et  des  marnes  bigarrées,  qui  percent  par  endroits 
la  couverture  alluviale,  et  déterminent  un  modelé 
rugueux,  mordu  par  l'érosion  des  eaux  sauvages  et  du 
vent.  Aucune  trace  d'humus;  rien  ne  masque  les  teintes 
vives  de  la  roche.  Bodenbender',  à  qui  l'on  doit  le  pre- 
mier essai  général  de  classification  de  cette  série, 
montre  bien  l'importance  de  la  répartition  de  ses  difîé- 
l'ents  étages  pour  la  distribution  des  ressources  en  eau, 
partant  pour  les  conditions  de  la  vie  humaine.  Une  étude 
géographique  complète  ne  pourrait  se  dispenser  de 
suivre  dans  le  détail  la  description  géologique  :  tantôt, 

—  sur  la  bordure  orientale  de  la  sierra  de  los  Llanos, 

—  les  limons  fins  modernes  sont  en  contact  avec  les 
granits  de  la  sierra  et  forment  au-dessus  des  étages 
inférieurs  une  nappe  profonde,  riche  en  eau  douce; 
tantôt,  —  au  Sud-Ouest  de  la  sierra  de  Famatina,  jus- 
qu'au Bermejo,  —  les  grès  rouges  affleurent  seuls;  les 
plateaux  de  Talampaya  et  d'Ischigualasta,  que  décou- 
pent les  gorges  des  affluents  du  Bermejo,  forment  là 
une  des  régions  les  plus  nettement  désertiques  du  ter- 

1.  Celte  série,  qui  va  du  peniiien  au  tertiaire,  comprend  aussi,  no- 
lainment  dans  la  région  des  (haines  subandines,  sur  la  bordure  du 
Chaco,  des  étages  marins  (voir  Bonarelli,  Las  sierras  subandinas  del 
Alto  y  Aguarac/iie  y  los  yacimientos  petroliferos  del  distrito  minero  de  Tar- 
layal.  Ann.  Min.  Agric,  Seccion  Geologia,  Mineralogia  y  Mineria,  VIII, 
n°  4.  Buenos  Aires,  1915). 

2.  G.  Bodenbender,  Parle  méridional  de  la  Provincia  de  la  Rioja  y 
reyiones  limitrofcs  (Ann.  Min.  Agric,  Seccion  Geol.,  Minerai,  y  Mineria, 
vil,  n*  5.  Buenos  Aires,  1912). 


52  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTL\E. 

ritoire  argentin.  Partoui  où  les  couches  gypsifères  des 
marnes  des  Calchaqui  sont  voisines  de  la  superficie, 
les  sources  sont  salées.  Les  ondulations  du  sous-so! 
rocheux  imperméable  ramènent  au  jour  les  eaux  qui 
circulent  dans  les  alluvions  meubles  :  c'est  ainsi  que 
les  ruisseaux  qui  descendent  à  l'Ouest  de  la  Famatina 
se  perdent  dans  leurs  alluvions  sur  la  bordure  de  la 
Sierra,  mais  reparaissent  momentanément  à  loasis  de 
Pagancillo. 

Il  s'en  faut  donc  de  beaucoup  que  le  valle  soit  tout 
entier  productif.  Les  oasis  n'y  couvrent  qu'un  espace 
limité.  On  ne  peut  imaginer  de  contraste  plus  saisissant 
que  celui  que  font,  avec  le  désert  qui  l'environne,  la  fraî- 
cheur et  l'aclivité  de  ces  oasis.  Des  rideaux  de  peupliers 
les  abritent  contre  la  zonda.  L'eau  court  sur  des  rigoles 
pavées  de  cailloux  roulés,  sous  les  treilles,  au  pied  des- 
quelles, par  économie  d'eau  et  d'espace,  on  sème  de  la 
luzerne.  Chaque  jardin  nourrit  une  famille.  Auprès  des 
habitations  de  brique  crue,  se  dressent  de  grandes  am- 
phores de  terre,  de  hauteur  d'homme,  qui  servent  à 
conserver  le  grain.  Le  marteau  des  tonneliers  résonne. 

Parfois  l'oasis  s'abreuve  à  la  rivière.  Alors  de  part  et 
d'autre  de  son  lit,  où  fdtre  le  courant,  les  cultures  for- 
ment une  double  frange  étroite,  un  ruban  continu  de 
jardins  riants  où  le  chemin  se  cache.  En  amont  et  en 
aval  de  Santa  Maria,  une  tranchée  est  ouverte  de  mille 
en  mille  dans  les  sables  humides  du  Rio.  L'eau  y  sourd, 
la  remplit,  et  se  laisse  guider  par  elle  vers  l'une  des 
rives  où  elle  est  jalousement  recueillie  et  distribuée; 
l'eau  qui  s'écoule  des  champs  irrigués  et  retourne  à  la 
rivière,  et  celle  qu'a  laissé  passer  dans  le  lit  le  léger 
talus  de  la  tranchée,  vont  alimenter  plus  bas  une  autre 
rigole  et  d'autres  champs.  La  région  de  los  Sauces, 
dans  le  Nord  de  la  province  de  la  Rioja,  au  Sud  de  Tino- 
gasta,  offre  un  autre  exemple  de  cultures  irriguées,  liées 
au  cours  sableux  d'un  oued.  Elles  suivent  sur  60  kilo- 
mètres   l'artère    nourricière,    saignée    au    rentrant    de 


LES  OASIS  DU  N.-O.  ET  LA  VIE  PASTORALE.  35 

chaque  méandre,  et  dont  les  eaux,  richesse  mystérieuse, 
nafllcurcnt  pas. 

Mais,  le  plus  souvent,  le  valle  n'a  pas  d'eaux  cou- 
rantes. Celles  qui  lui  parviennent  parles  quebradas  laté- 
rales s'infiltrent  dans  leurs  propres  alluvions  accumulées 
au  débouché  de  la  quebrada  dans  le  valle.  Pour  les 
utiliser,  les  cultures  se  sont  groupées  sur  le  cône  de 
déjection;  c'est  le  site  de  la  très  grande  majorité  des 
oasis.  Une  «  costa  »  est  une  ligne  d'oasis  espacées, 
adossées  à  un  même  versant.  Lorsque  le  valle  est  étroit, 
les  deux  costas  se  font  face  de  part  et  d'autre  de  la 
dépression  déserte,  comme  les  étapes  de  deux  chemins 
parallèles.  L'eau  de  la  quebrada  ne  suffit  jamais  à  irri- 
guer le  cône  torrentiel  tout  entier.  On  a  choisi,  pour  y 
créer  l'oasis,  la  zone  la  plus  aisément  cultivable,  qui  est 
d'ordinaire  le  pied  du  cône,  où  les  dépôts  sont  plus  fins 
et  plus  fertiles,  conservent  mieux  l'humidité  et  exigent 
un  arrosage  moins  fréquent.  Le  sommet  du  cône  est  au 
contraire  composé  de  cailloulis  grossiers,  que  les  crues 
abandonnent  d'abord,  à  mesure  qu'elles  perdent  leurs 
forces;  ce  sont  de  mauvaises  terres  oîi  l'eau  se  gaspille 
sans  profit. 

Pour  lutter  contre  la  rareté  de  l'eau,  contre  le  danger 
des  crues  inattendues  sur  cette  zone  alluviale  qui  est 
tout  entière  le  domaine  du  torrent,  il  a  fallu  une  atten- 
tion, une  ingéniosité  toujours  renouvelée.  A  Colalao  del 
Valle,  les  cultures  sont  établies  à  deux  lieues  du  som- 
met du  cône.  A  la  suite  d'un  cycle  d'années  sèches,  le 
filet  d'eau  qui  y  parvenait  au  flanc  du  cône  perdit  la 
moitié  de  son  volume  et  menaça  de  tarir  entièrement. 
On  construisit  alors,  au  débouché  de  la  quebrada,  un 
barrage  maçonné,  derrière  lequel  les  eaux  s'amassent 
pendant  la  nuit.  Le  matin,  à  trois  heures,  on  ouvre  les 
vannes,  et  le  ruisseau,  ayant  ainsi  réservé  ses  forces, 
parvient  en  aval  aux  cultures  vers  sept  heures  du  matin. 
Puis  le  soleil  et  le  vent  se  lèvent  en  même  temps  que  le 
réservoir  se  vide,  et,  vers  le  milieu  de  la  journée,  l'eau 

Dems.  —  LAriieii'.ine.  5 


U  LA  REPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

s'arrête  et  l'irrigation  s'interrompt.  A  Andalgaîa,  que 
surplombe  la  crête  étincelante  de  l'Aconquija,  les  eaux 
de  fonte  des  neiges  qui  alimentent  le  torrent  n'ont  pas 
le  temps  de  se  décanter  avant  l'entrée  du  valle,  et  y 
arrivent  chargées  de  boues  et  de  sables.  Au-dessus  de 
l'origine  des  canaux  d'irrigation,  on  dispose,  dans  le  lit 
du  torrent,  des  barrages  de  fascines  et  de  branches  qui 
arrêtent  l'eau  et  la  filtrent.  Chaque  crue  les  balaie,  et 
chaque  fois  on  les  rétablit. 

Le  plus  admirable  n'est  pas  la  souplesse  avec  laquelle 
le  vallista  a  tiré  parti  des  ressources  naturelles,  mais  la 
minutie  des  droits  d'usage  de  l'eau.  Il  semble  que  le 
vallista  se  soit  ingénié  plus  encore  à  s'assurer  contre 
son  prochain  que  contre  la  nature  elle-même.  Les  cou- 
tumes d'eau  des  vallées  andines  vaudraient  une  longue 
étude.  L'eau  n'appartient  point  ici  à  l'Etat,  qui  en 
accorde  Tusage  par  concession;  elle  est  de  domaine 
privé.  Le  propriétaire  en  use  et  en  abuse  à  son  gré  et 
l'emploie  librement  sur  les  terres  qu'il  choisit.  Un  tel 
est  pauvre  en  terre  et  riche  en  eau  et  peut  en  vendre  ;  les 
transactions  portant  sur  les  droits  d'eau  sont  fré- 
quentes; l'eau  a  son  cours  comme  la  terre  elle-même  et 
ses  produits.  L'appropriation  de  l'eau  précède  souvent 
celle  du  sol.  Beaucoup  d'oasis  sont  des  communautés 
où  les  terres  non  irriguées  sont  indivises  entre  toute  la 
population,  tandis  que  les  terres  irriguées  seules  ont 
été  partagées. 

-Un  premier  groupe  de  coutumes  règle  les  rapports 
entre  les  communautés  placées  en  amont  et  en  aval  sur 
un  même  cours  d'eau.  A  Catamarca,  Piedra  Blanca  et 
Valle  Viejo  se  partagent  les  eaux  d'mi  même  ruisseau. 
Piedra  Blanca,  en  amont,  absorbe  toute  l'eau  pendant 
huit  jours,  mais  pendant  les  huit  jours  qui  suivent  elle 
suspend  l'arrosage  et  laisse  le  courant  descendre  la 
vallée.  Le  soir  même,  ou  le  lendemain  matin,  suivant 
la  saison,  les  eaux  arrivent  à  Valle  Viejo.  C'est  la  cou- 
tume qu'on  nomme  las  «   quiebras  «  dans  les  vallées 


LES  OASIS  DU  N.-O.  ET  LA  VIE  PASTORALE.         Ô5 

méridionales  de  la  côte  désertique  péruvienne,  où  elle 
permet  la  coexistence  de  plusieurs  étages  de  cultures. 
De  morne  en  amont  de  Santa  Maria,  oii  plusieurs  com- 
munautés, S.  José,  Loro  Huasi,  etc.,  reçoivent  l'eau  du 
canal  de  dérivation  du  rio  Santa  Maria,  chacune  d'elles 
a  droit  au  débit  complet  du  canal  pendant  trois  jours, 
au  bout  desquels  on  baisse  ses  écluses,  et  l'eau  revient 
à  la  communauté  inférieure.  Malheur  à  l'oasis  qui  laisse 
prescrire  ses  droits  et  n'astreint  pas  les  communautés 
d'amont  à  les  respecter. 

Entre  les  particuliers,  le  droit  d'eau  est  le  plus  sou- 
vent défini  en  mesure  de  temps,  par  un  nombre  de  jours 
ou  d'heures,  pendant  lesquels  le  propriétaire  dispose 
de  tout  le  débit  de  la  source  ou  du  ruisseau.  C'est  seu- 
lement lorsque  l'eau  est  plus  abondante  qu'on  voit 
apparaître  une  autre  façon  de  fixer  le  droit  d'eau,  et 
qu'il  est  défini  en  mesure  de  débit.  On  dit  alors  que 
l'eau  est  «  demarcada  »  :  l'unité  de  débit  traditionnelle 
est  en  effet  le  marco  ;  c'est  le  volume  que  laisse  passer 
une  ouverture  de  21  centimètres  de  large  environ  sur 
8  de  hauteur.  Le  marco  se  divise  à  l'infini,  chaque  sub- 
division ayant  aussi  son  nom,  la  «  naranja  »,  la  «  bom- 
billa  »,  la  «  paja  ». 

Gomme  toutes  les  eaux  sont  utilisées,  et  comme  les 
droits  de  tous  sont  également  respectables,  la  division 
de  l'eau  en  marcos  (demarcacion)  n'est  pratiquement 
qu'une  répartition  proportionnelle  entre  les  ayants 
droit  des  eaux  disponibles.  Si  la  somme  des  droits 
exprimés  en  marcos  représente  à  peu  près  le  débit  du 
ruisseau  en  saison  moyenne,  à  l'étiage  elle  le  surpasse 
notablement,  et  l'eau  cesse  de  couler  à  plein  bord  dans 
les  marcos.  La  quantité  d'eau  attribuée  à  chacun  s'enfle 
ou  se  réduit  suivant  que  le  ruisseau  grossit  ou  diminue. 

En  théorie,  lorsque  le  droit  d'eau  est  défini  en  marcos, 
il  est  permanent.  Cependant  il  est  souvent  impossible 
de  donner  à  chaque  propriétaire  l'eau  à  titre  permanent. 
Même  dans   les  oasis  à  eau  démarquée,  le  «  turno  », 


56  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

c'est-à-dire  le  roulement  des  propriétaires  pour  l'attri- 
bution de  l'eau,  qui  est  la  règle  absolue  pour  les  oasis 
les  plus  pauvres,  reparaît  pendant  les  mois  d'indigence, 
en  hiver,  où  les  pluies  manquent,  et  au  début  de  l'été. 
Il  reparaît  aussi  quand  la  propriété  s'est  divisée  en 
fractions  trop  petites,  et  qu'il  y  a  avantage  à  remplacer 
par  un  volume  d'eau  plus  important  accordé  pendant 
quelques  heures  un  filet  d'eau  constant,  mais  si  débile 
que  l'emploi  en  serait  impossible.  A  Andalgala,  le  rou- 
lement est  tantôt  obligatoire  et  réglé  par  la  coutume  sur 
les  canaux  où  les  propriétaires  irrigants  sont  trop  nom- 
breux, tantôt  facultatif  et  établi  par  une  convention  des 
propriétaires  eux-mêmes,  lorsque  l'eau  manque.  A  Valle 
Viejo  (Catamarca),  si  les  eaux  baissent,  on  établit  la 
«  mita  »,  c'est-à-dire  que  les  vannes  de  chaque  canal 
restent  fermées  à  tour  de  rôle  pendant  quatre  jours  sur 
huit,  chaque  propriétaire  renonçant  à  son  droit  perma- 
nent pour  recevoir  un  débit  double,  lorsque  vient  son 
heure.  A  Valle  Viejo  aussi,  tandis  que  les  propriétés 
importantes,  qui  ont  conservé  un  marc  d'eau  entier, 
ont,  en  saison  favorable,  l'eau  permanente,  pour  les 
droits  d'eau  moindres,  représentant  seulement  une 
fraction  de  marc,  on  préfère  distribuer  un  marc  entier 
pendant  une  durée  limitée.  Ainsi  le  turno  est  une  pra- 
tique universelle.  Partout  on  peut  voir,  guettant  l'heure, 
et  comme  à  l'affût  le  long  des  acequias,  le  cultivateur 
attendant  le  moment  de  fermer  d'une  pelletée  d'argile 
la  rigole  du  voisin,  et  d'ouvrir  d'un  coup  de  bêche  le 
talus  qui  borde  son  champ  pour  y  laisser  pénétrer  le 
courant. 

Les  précautions  les  plus  minutieuses  sont  prises  pour 
que  nul  ne  soit  lésé.  L'irrigation  étant  toujours  moins 
bien  faite  et  plus  lente  la  nuit,  de  turno  en  turno,  l'heure 
de  chacun  revient  alternativement  de  jour  et  de  nuit. 
Lorsque  la  communauté  reçoit  son  eau  d'une  autre 
communauté  placée  en  amont,  l'ordre  de  roulement 
entre  ses  membres  varie  chaque  fois.    L'eau  arrive  en 


LUS  OASIS  DU  N.-O.  ET  LA  VIL  PASTORALE.  r,7 

eftet  chargée  de  troubles,  poussant  devant  elle  une 
nappe  de  boue  liquide  comme  la  crue  d'un  torrent;  peu 
h  peu  seulement,  le  courant  devient  régulier  et  clair.  Le 
})remier  irrigant  exerce  son  droit  dans  des  conditions 
désavantageuses.  Suivant  les  expressions  locales,  la 
«  volcada  de  agua  »  est  moins  profitable  que  le  «  coitc 
de  agua  »,  c'est-à-dire  l'irrigation  commencée  quand 
l'acequia  est  déjà  pleine. 

L'irrigation  occupe  tout  un  personnel  d'arbitres  et 
d'administrateurs.  Les  principaux,  qui  exercent  une 
juridiction  d'ordre  supérieur,  et  assurent  l'exacte  distri- 
bution des  eaux  entre  plusieurs  canaux  ou  entre  plu- 
sieurs communautés,  sont  aujourd'hui  pour  la  plupart 
des  fonctionnaires  administratifs,  désignés  par  les 
gouvernements  provinciaux  (juez  de  irrigacion  à  Cata- 
marca,  juez  de  rio  à  Rosario  de  Lerma).  Mais  le  juez  de 
agua  de  chaque  communauté  ou  de  chaque  canal  est 
un  syndic  élu  par  les  intéressés.  A  Santa  Maria,  le  juez 
de  agua  est  élu  par  les  propriétaires  et  confirmé  par  le 
gouvernement;  il  administre  l'irrigation  dans  tout  le 
département,  réglant  les  différends,  soumettant  les  pro- 
jets de  travaux  à  l'assemblée  des  propriétaires,  et  répar- 
tissant  entre  eux  les  charges  en  corvées  et  en  contribu- 
tions, proportionnellement  à  leurs  droits. 


Ce  pays  de  coutumes  et  de  traditions  est  aussi  un 
pays  de  circulation  intense.  L'intensité  de  la  circulation 
y  tient  en  premier  lieu  à  l'activité  des  échanges  entre 
les  diverses  zones  de  la  montagne.  Ce  commerce,  varié 
et  multiple,  si  dispersé  que  les  voies  ferrées  ne  peuvent 
songer  à  le  desservir,  se  pratique  toujours  sous  la 
vieillejorme  de  l'arriérage  (transports  à  dos  de  mules). 
L'animation  des  chemins  entre  le  plateau  et  les  vallées 
plus  basses  du  pourtour,  l'activité  des  échanges  entre 


58  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

les  étages  de  la  montagne  de  climat  différent,  est  un  des 

traits  universels  de  la  vie  andine. 

Mais  ce  spectacle  classique  prend,  selon  les  latitudes, 
des  aspects  variés.  Au  Pérou,  et  dans  la  Bolivie  septen- 
trionale, les  hautes  vallées,  — Jauja,  le  Cuzco,  les  Pam- 
pas de  Cocliabamba  et  de  Sucre,  —  forment,  entre  3500  et 
2800  mètres,  des  centres  de  population  dense  et  de 
richesse  agricole.  Elles  pratiquent  la  culture  des 
céréales  et  reçoivent  des  terres  chaudes  tropicales,  des 
«  montanas  »,  des  «  yungas  »,  le  sucre,  l'eau-de-vie  de 
canne,  le  cacao,  la  feuille  de  coca.  Les  vallées  des 
Andes  argentines  sont  pour  la  plupart  à  une  altitude 
inférieure  à  celle  des  yungas  et  des  montanas  de  la 
Bolivie  et  du  Pérou.  Pourtant  ce  ne  sont  pas  des  terres 
chaudes  et  elles  n'ont  pas  de  cultures  tropicales.  Les 
gelées  empêchent  de  récolter  la  canne  à  sucre  à  Salta, 
à  1200  mètres.  Quant  à  la  feuille  de  coca,  qui  n'est  pas 
ici  d'un  usage  aussi  courant  que  dans  le  Nord,  les  valles 
argentins,  loin  d'en  fournir  au  plateau,  la  reçoivent  par 
son  intermédiaire  des  yungas  septentrionales.  A  défaut 
de  cultures  tropicales,  les  valles  argentins  sèment  le 
blé  et  le  maïs  qu'ils  vendent  aux  Indiens  des  terres 
froides  de  la  Puna  contre  de  la  laine  et  du  sel. 

Ces  courants  commerciaux  sont  d'origine  très  an- 
cienne, et  vraisemblablement  précolombiens  :  Boman 
a  trouvé  des  épis  de  maïs  dans  les  tombes  préhisto- 
riques de  la  Puna  de  Atacama*.  La  Puna,  à  l'altitude 
de  5500  à  3800  mètres,  est  une  zone  d'habitation  perma- 
nente, à  la  différence  des  hautes  vallées  de  la  Cordillère 
de  San  Juan,  occupées  seulement  pendant  la  saison  de 
l'estivage  par  les  bergers  chiliens  ;  c'est  avant  tout  une 
région  pastorale  et  minière  ;  cependant  elle  a  encore 
quelques  cultures,  à  plus  de  2000  mètres  au-dessus  du 
niveau  des  valles  :   la    limite  supérieure   des  cultures 

1.  Eric  BomSkB,  Antiquités  de  la  région  andine  de  la  République  Argen- 
tine et  de  la  Puna  de  Atacama.  Mission  scient.  G.  de  Créqui-Montfort 
et  E.  Sénéchal  de  la  Grange.  Paris,  t.  I  et  II,  1908. 


LES  OASIS  DU  N.-O.  ET  LA  VIE  PASTORALE.  30 

annuelles  de  terre  froide,  déterminée  par  la  température 
de  l'été,  ne  s'abaisse  pas  en  effet  parallèlement  à  celle 
des  cultures  arbustives  de  terre  chaude,  qui  soulîrent 
des  gelées  hivernales.  Les  Indiens  de  Cochinoca  et  de 
Susques  sèment  la  luzerne  et  l'orge  comme  plantes 
fourragères,  la  quinoa  et  la  pomme  de  terre  comme 
plantes  alimentaires.  Les  transports  entre  la  Puna  et 
les  valles  sont  réalisés  par  les  habitants  de  la  Puna  à 
l'exclusion  des  vallistas.  Ils  sont  surtout  actifs  au  Nord, 
dans  la  province  de  Jujuy.  Bclmar'  signale  l'impor- 
tance qu'avaient,  au  milieu  du  xix*  siècle,  les  ventes  de 
lainages  de  la  Puna  :  ces  tissus  servaient  aux  proprié- 
taires des  moulins  du  Rio  Grande  de  Jujuy  à  rétribuer 
le  travail  des  Indiens  du  Chaco  qu'ils  employaient  à  la 
récolte  de  la  canne  à  sucre.  La  concurrence  des  produits 
manufacturés  européens  met  aujourd'hui  en  péril  l'in- 
dustrie domestique  du  tissage  dans  la  Puna,  comme  la 
concurrence  des  farines  de  la  Pampa  menace  les  cultures 
de  céréales  des  valles. 

Outre  ce  trafic  d'intérêt  local,  les  valles  desservent 
une  circulation  d'ordre  général,  et,  pour  ainsi  dire, 
d'intérêt  continental.  Il  paraît  certain  que,  pendant  la 
période  préhispanique,  la  route  des  plateaux  péruviens 
au  Chili,  évitant  le  désert  inhospitalier  de  la  Puna  de 
Atacama,  empruntait  à  l'Est  la  région  des  valles,  et 
allait  franchir  la  Cordillère  à  la  hauteur  de  Tinogasta  ou 
peut-être  même  plus  au  Sud.  Par  là  passèrent  les  armées 
incasiques  qui  s'avancèrent  au  xiv^siècle  jusqu'au  Maule. 
Les  chaussées  précolombiennes,  dont  Boman  a  retrouvé 
les  traces  entre  le  valle  de  Lerma  et  le  valle  Calchaqui, 
paraissent  répondre  à  cette  direction  de  la  circulation. 
La  langue  quechua  pénétra,  le  long  de  cette  route,  parmi 
les  populations  Diaguites.  Les  conquistadores  suivirent 
ici  des  guides  indiens.  Almagro,  allant  du  Pérou  au 
Chili,  longea  les  valles  de  la  bordure  orientale  des 
Andes. 

1.  Belmar,  Les  Provinces  de  la  Fédération  arge7ili7ie.  Paris,  1856. 


40  LA  RÉPUBLIOUE  ARCEXTIXE. 

Plus  lard,  les  valles  furent  empruntés  par  les  diverses 
variantes  de  la  grande  route  historique,  l'une  des 
premières  et  la  plus  vivante  de  l'Amérique  espagnole, 
qui  va  du  rio  de  la  Plata  à  Lima,  route  d'armées  et  de 
marchands.  Le  projet  du  licencié  Matienzo  (1566)  pour 
établir  une  route  des  mines  d'argent  à  l'estuaire  du 
Parana,  par  le  valle  des  Calcliaqui,  visait  seulement, 
semble-t-il,  à  aménager  et  à  améliorer  une  ligne  de 
communication  déjà  pratiquée  antérieurement.  Par  cette 
voie,  Buenos  Aires  reçut  longtemps  les  marchandises 
d'Europe.  Vers  1880,  la  route  de  Salta  reprend  encore 
un  instant  toute  son  importance  continentale,  pendant 
la  guerre  du  Pacifique  et  l'occupation  des  provinces 
maritimes  de  la  Bolivie  par  les  Chiliens*.  Elle  consti- 
tue alors  l'unique  débouché  de  la  Bolivie. 

Mais  de  toutes  les  formes  de  trafic  qui  ont  animé  les 
valles,  la  plus  stable  et  celle  qui  a  le  plus  profondément 
affecté  leur  existence  a  été  la  circulation  du  bétail. 
L'importance  du  commerce  du  bétail  dans  l'histoire  de 
la  colonisation  de  l'Amérique  du  Sud  est  primordiale. 
Le  bétail  était  en  effet  la  seule  marchandise  qui  pût 
être  transportée  à  de  grandes  distances.  Aux  origines 
de  la  conquête,  les  régions  productives  du  continent  qui 
alimentent  le  commerce  d'exportation  vers  l'Europe  sont 
partout  d'étendue  très  restreinte.  Mais  la  colonisation 
pastorale  se  répand  aussitôt  et  occupe  un  immense 
domaine.  Les  troupeaux,  bœufs  de  boucherie  et  de  trait, 
chevaux  et  mules,  sont  acheminés  vers  les  zones  de 
consommation,  vers  les  villes,  Lima,  Bahia,  Rio,  vers 
les  mines  du  Pérou  et  les  sucreries  du  Nord-Est  brési- 
lien, plus  tard  vers  les  yerbales  du  Paraguay  ou  les 
ports  de  la  mer  des  Caraïbes  et  du  Rio  Grande  do  sul, 
où  se  développe  la  fabrication  des  viandes  boucanées. 
Autour  de  ces  centres  convergent  les  pistes  de  bétail. 

Le  courant  d'exportation  de  bœufs  et  de   mules  des 

1.  Voir  Brackebusch,  Viaje  a  la  provùicia  de  Jujuy.  Bol.  Instit. 
Geogr.  Argentino,  IV,  1883,  p.  9-17. 


LES  OASIS  DU  N.-O.  ET  LA  VIE  PASTORALE.  il 

plaines  argentines  vers  le  Pérou  est  établi  dès  la  lin  du 
XVI*  siècle;  il  ne  semble  pas  s'être  interrompu  depuis. 
Le  haut  Pérou  n'est  d'ailleurs  pas  le  seul  marché  dont 
ait  vécu  l'élevage  argentin.  A  la  fin  du  xviii*  siècle, 
d'Azara'  réclame  qu'on  autorise  la  vente  des  chevaux  et 
des  mules  au  Brésil  pour  le  service  des  mines.  Le  trafic 
du  bétail  avec  les  domaines  portugais  n'avait  pas  pris,  en 
effet,  la  forme  d'un  commerce  régulier,  et  les  Brésiliens 
razziaient  dans  les  provinces  du  Nord-Est  les  animaux 
qui  leur  étaient  nécessaires,  60000  par  an,  dit  d'Azara. 
L'exportation  des  bœufs  vers  le  Paraguay  et  les 
Missions  avait  au  contraire,  au  xvin"  siècle,  une  réelle 
importance  économique.  Avant  la  révolution,  dit 
Rengger*,  il  passait  annuellement,  de  Corrientes  au 
Paraguay,  jusqu'à  200  000  bœufs  par  an,  que  le  Paraguay 
payait  en  maté  et  en  tabac.  Ce  courant  s'est  maintenu 
au  xix"  siècle  d'une  façon  intermittente;  les  exporta- 
tions de  Corrientes  ont  été  surtout  importantes  au 
moment  de  la  reconstitution  du  troupeau  du  Paraguay 
après  la  guerre  (40  000  bœufs  en  1875). 

Enfin  le  marché  chilien  s'est  ouvert  aux  éleveurs 
argentins  vers  le  milieu  du  xix*"  siècle.  Au  temps  de 
Martin  de  Moussy  les  convois  de  bétail  vers  le  Chili 
étaient  si  nombreux  que  les  luzernières  des  deux  ver- 
sants étaient  pelées  el  tondues  dès  le  début  de  la  saison, 
et  cependant  louées  à  prix  d'or^  Non  seulement  les 
provinces  minières  du  Nord,  mais  le  Chili  central 
achetaient  les  bœufs  argentins.  A  l'ouverture  du  marché 
chilien  correspond  un  remarquable  mouvement  d'expan^ 

i.  Memorias  sobre  el  estndo  rural  del  rio  de  la  Plata  en  1801,  escritos 
postumos  de  D.  Félix  de  Azara,  publiés  par  D.  Agustin  de  Azara. 
Madrid,  1847. 

"2.  A.  Rengger,  Reise  nach  Paraguay  in  den  Jalircn  SHIH  bis.  IS-J6. 
Aarau,  1835. 

5.  L'engraissage  du  bétail  à  destination  du  Chili  n'est  pas  encore 
pratiqué  dans  les  invernadas  de  Mendoza  au  début  du  xix'  siècle  (Voir 
dans  le  Teler/rafo  mercantil  du  31  janvier  1802  un  article  sur  Mendoza, 
qui  signale  le  développement  des  estancias  sur  le  Tunuyan.  —  Men- 
doza et  S.  Juan  étaient  leur  unique  marché  et  ne  vendaient  pas  de 
boeufs  au  Chili). 


42  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

sion  de  la  colonisation  pastorale  sur  le  territoire  argen- 
tin, dont  on  peut  suivre  la  marche,  non  seulement  dans 
le  livre  de  Martin  de  Moussy,  mais  dans  tous  les  récits 
de  voyage  contemporains.  Ses  théâtres  principaux  sont 
la  province  de  San^Luis  et  celle  de  Santiago  del  Estero, 
au  nord  du  rio  Dulce,  où  Hutchinson',  notamment, 
signale  l'activité  des  estancias.  Enfin,  après  la  guerre 
du  Pacifique  (1880)  la  région  des  nitrates,  enlevée  par 
le  Chili  à  la  Bolivie  et  au  Pérou,  voit  affluer  la  popula- 
tion, et  les  usines  s'y  créer  au  milieu  du  désert.  Les 
champs  de  nitrate,  entièrement  stériles,  et  voués,  sous 
leur  linceul  de  poussière  grise,  à  une  irrémédiable  déso- 
lation, deviennent  aussitôt  un  des  principaux  centres  de 
consommation  du  bétail  argentin. 

Il  est  difficile  de  préciser  le  volume  du  commerce  du 
bétail  dans  l'Argentine  coloniale.  Les  indications  four- 
nies par  les  voyageurs  qui,  d'ailleurs,  se  copient  fré- 
quemment les  uns  les  autres,  suffisent  pourtant  à 
montrer  la  place  que  ce  trafic  tenait  dans  la  vie  du  pays 
et  l'extension  de  la  zone  qu'il  intéressait.  Au  milieu  du 
xv!!*"  siècle,  Cordoba  aurait  déjà  exporté  au  Pérou  de 
28  000  à  50  000  mules  par  an-.  A  la  fin  du  xviii®  siècle, 
d'Azara  signale  une  exportation  de  60  000  mules;  le 
même  chiff're  est  donné  par  Helms''.  Les  mulets  étaient 
achetés  jeunes  par  des  commerçants  de  Cordoba  à 
Buenos  Aires,  à  Santa  Fe  et  à  Corrientes,  élevés  à 
Cordoba,  puis  envoyés  à  Salta  où  ils  étaient  vendus  à 
trois  ans  à    un  marchand  de  mules  venu    du  Pérou. 

Un  article  du  Telegrafo  Mercantil  —  numéro  du  9  sep- 
tembre 1801  (Publications  de  la  Junta  de  Uistoria  y 
Numistnutica  americana,  Buenos  Aires,  2  vol.  in-8°,  1914 
et  1915)  — contient  les  renseignements  les  plus  précieux 

i.  T.  J.  Hutchinson,  Buenos  Aires  y  otras  Provincias  argentinas  (trad. 
L.  Varela),  Buenos  Aires,  1866. 

2.  Azcarate  de  Biscay,  cité  par  H.  Gibson,  La  evolucion  ganadera. 
dans  Censo  agropecuario  nacional,  Buenos  Aires,  1909,  t,  III. 

5.  A.  Z.  Helms,  Voyage  dans  l'Amérique  méridionale.  Paris,  1812,  Le 
voyage  remonte  à  1788, 


k 


LES  OASIS  DU  X.-O.  ET  LA  VIE  PASTORALE.  A7> 

sur  le  commerce  des  mules.  De  17C0  à  1780,  Salta  en- 
voyait annuellement  au  Pérou  entre  40  et  50  000  mules. 
Elles  valaient  à  Salta  10  piastres  avant  le  dressage, 
et  13  ou  li  après,  et  étaient  vendues  à  4  ans.  Les 
«  arrieros  »,  qui  faisaient  les  transports  de  marchan- 
dises européennes  ou  de  marchandises  du  pays  (ropas 
y  frutos),  en  achetaient  un  grand  nombre.  Le  Telcgrafo 
se  plaint  que  ce  commerce  se  soit  peu  à  peu  transformé. 
Les  mules  de  Santa  Fe  et  de  Cordoba  arrivaient  main- 
tenant à  Salta  à  deux  ans,  et,  après  l'invemada,  elles 
n  avaient  encore,  à  l'époque  de  la  foire,  que  trois  ans  à 
peine.  Elles  souffraient  beaucoup  du  long  voyage  jus- 
qu'à Lima  ;  le  déchet  sur  les  caravanes  était  considé- 
rable; on  ne  pouvait  les  emmener  chargées,  et  les 
arrieros  ne  trouvant  plus  à  se  fournir  de  bêtes  adultes 
et  assez  vigoureuses,  les  prix  du  fret  vers  le  plateau 
s'étaient  élevés  au  grand  détriment  des  commerçants  du 
littoral.  La  réponse  d'un  marchand  de  mules  de  Potosi 
(numéro  du  15  décembre)  montre  clairement  que  les 
dernières  années  du  xviii"  siècle  avaient  été  marquées 
par  des  demandes  croissantes  du  Pérou  en  mules 
argentines.  Pour  y  satisfaire,  les  éleveurs  de  Cordoba 
avaient  développé  la  production.  Les  acheteurs,  venus 
à  Salta  de  Lima,  du  Cuzco,  d'Arequipa,  enlevaient,  sans 
discussion  et  sans  examen,  les  lots  entiers  qui  leur 
étaient  offerts.  Le  correspondant  du  Telegrafo  se  plaint 
avec  aigreur  des  «  caballeritos  »  qui  partaient  du  Pérou 
avec  des  100  000  piastres  et  faisaient  monter  les  prix  à 
Salta,  sous  prétexte  que  leurs  instructions  étaient  de 
ramener  des  mules  coûte  que  coûte. 

Robcrlson'  recueillit  en  1815  les  souvenirs  d'un  mai- 
chand  de  mules  sur  les  convois  de  bétail  entre  Santa  Fe 
et  les  Andes  qui,  à  cette  date,  s'étaient  déjà  interrom- 
pus. Chaque  convoi,  ou  «  arreo  »,  comprenait  de  5  à 
6000  mules.  Elles  provenaient  de  l'Entre  Piios  et  même 

\.  J.  P.  y  G.  P.  Robertson,  Cartas  sobre  el  Paraguay.  Londres,  1838, 
trad.  clans  Rev.  Instit.  Paraguayo,  1905,  t.  l\  et  V. 


n  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

de  rUrugay,  d'où  on  les  rassemblait,  après  leur  avoir 
fait  franchir  le  Parana,  dans  les  estancias  de  Santa  Fc. 
Les  éleveurs  de  Santa  Fe  possédaient  d'ailleurs  la  plus 
grande  partie  des  terres  de  la  rive  gauche  du  fleuve. 
L'expédition  emmenait  en  outre  trente  chars  de  mar- 
chandises et  500  bœufs  de  trait,  et  son  personnel  était 
de  50  gauchos.  La  principale  dépense  était  leur  tabac 
et  leur  yerba.  Un  caractère  du  commerce  des  mules 
que  toutes  ces  descriptions  mettent  invariablement  en 
lumière  est  sa  division  en  deux  étapes,  séparées  par 
une  période  de  dressage.  Azcarate  l'a  déjà  observée  : 
Cordoba  et  Santa  Fe,  Santiago  et  Salta  conservaient 
les  mules  deux  ou  trois  ans  avant  de  les  envoyer  au 
Pérou.  L'importance  de  Cordoba  et  de  Santiago  del 
Estero  paraît  avoir  été  liée  à  l'industrie  du  dressage. 

Le  trafic  du  bétail  sur  pied  avec  la  Bolivie  et  le  Chili, 
bien  qu'il  ne  représente  plus  qu'un  élément  secondaire 
dans  l'économie  nationale,  est  loin  de  s'être  éteint  : 

1910.  1911.  1911  1915.  1914. 

Exportation  de  bœufs  : 
En  Bolivie  ....       3.600      6.600      6.200      6.300      4.800 
Au  Chili 61.200    87.500    08.400    58.800    28.300 

Exportation  de  mules  : 
En  Bolivie.    .   .    .       2,700      i.600      7.000      8.500      2.500 
Au  Chili 2.300      5.200      5.000      2.000      3.500 

Exportation  d'ânes  : 
En  Bolivie.   .   .   .       9.000     10.500     15.000     15.600    14.400» 

i.  Une  statistique  partielle  donnée  par  Poncel  pour  la  province  de 
Catamarca  permet  de  se  faire  une  idée  de  la  part  qui  revient  aux 


Pl.   II.   —   L'iRBIGATION   DANS   L'OuEST  KT   LE  NORD-OUIÎST 

DE  l'Argentine. 

Etendue  des  irrigations  au  Nord  (zone  des  grandes  pluies  d'été),  et  au  Sud 
(zone  des  glaciers).  L'industrie  historique  de  l'engi'aissage  dans  les  «  in^  erna- 
das  »  et  l'exportation  du  bétail  vers  les  pays  andins  ne  se  maintient  plus  que 
partiellement.  Les  grandes  cultures  industrielles  se  sont  en  revanche  dévelop- 
pées à  Tucuman  et  Jujuy  (canne  à  sucre),  à  Mendoza  et  San  Juan  (vigne),  et 
approvisionnent  le  marché  de  Buenos  Aires. 


Demï!.  —  L'Argentine 


Pl.   m 


70°  LonqW  P. 


^^^^    ffégions  monéaçneuses      [i^ 

.'?^S^  Sa/mes  p^*'- 

•  *    Régions  et  points  irrigués 

■>   ,  _,fj.— j-  Banac/os  ou  cu/tures  par 
inondaiion 

•^         — .  f^incipales  pisles  pour 
/'exportation  du  bêlai/ 


65°  Long.W  6r. 


LES  OASIS  DU  \.-0.  ET  LA  VIE  PASTORALE.          45 


Quelle  que  soit  sa  provenance,  le  trafic  du  bétail  vient 
transiter  par  les  valles.  Les  transports  du  bétail  se  fai- 
saient, dans  les  Andes  argentines,  dans  des  conditions 
particulièrement  difficiles.  L'obstacle  principal  n'était 
pas  l'altitude  des  cols  et  l'àpreté  des  chemins,  mais  la 
rareté  de  l'eau  et  l'étendue  des  «  travesias  »,  également 
pauvres  en  pâturage  et  en  eau,  et  qu'il  faut  franchir  à  la 
hâte  en  doublant  les  étapes.  La  difficulté  du  voyage  fit 
la  fortune  des  oasis  placées  sur  le  chemin.  Le  meneur 
de  bœufs  ne  peut  éviter  l'hospitalité  du  vallista,  ni  dis- 
cuter le  prix  qu'il  en  demande. 

La  longueur  du  voyage,  la  difficulté  de  mettre  les 
animaux  en  bon  point  dans  les  maigres  pâturages  de  la 
zone  d'élevage  conseillèrent  de  prolonger  le  séjour  à 
l'oasis.  Il  s'y  créa  des  luzernières  pour  recevoir  et 
engraisser  les  troupeaux  de  passage,  les  «  invernadas  ». 
La  luzerne  a  été  la  culture  caractéristique  des  valles,  la 
plus  productive.  Elle  s'établit  partout  où  l'eau  est 
assurée  et  ne  manque  jamais,  sur  la  section  supérieure 
des  rigoles  d'irrigation,  tandis  que  les  champs  de 
céréales  se  logent  à  l'aval,  et  sont  atteints  les  premiers 
par  la  sécheresse.  Dans  les  quebradas,  où  l'espace  est 
plus  restreint,  les  luzernières  couvrent  l'oasis  entière.  A 
chaque  piste  de  bétail  est  liée  une  ligne  d'invernadas, 
souvent  complétée  sur  l'autre  versant  par  un  dernier 
groupe  de  luzernières  où  les  bœufs  se  refont  du  voyage 
avant  d'être  vendus  et  dispersés. 

A  côté  des  routes  officielles,  ont  existé  longtemps  des 
routes  clandestines,  par  des  ravins  moins  accessibles, 
où  passait,  à  l'abri  de  tout  contrôle,  le  bétail  volé.  Gua- 

différenls  pays  andins  dans  les  exportations  de  bétail  argentin  au 
milieu  du  xix*  siècle.  La  province  de  Catamarca  a  vendu,  en  1855, 
2700  bœufs,  dont  1300  au  Chili,  200  en  Bolivie  et  600  à  S.  Juan  et 
Mendoza;  5200  mules,  dont  2500  en  Bolivie,  et  600  à  Salla,  également 
à  destination  de  la  Bolivie;  1200  Anes,  dont  700  en  Bolivie  et  400  à 
Sait  a. 


A6  LA  RÉPUBLIOUE  ARGENTINE. 

chipas  était  un  point  de  rendez-vous  pour  le  bétail 
d'origine  suspecte,  qui,  pour  éviter  de  se  montrer  à 
Salta  et  à  Jujuy,  s'engageait  dans  la  quebrada  del  Toro 
ou  dans  celle  d'Escoïpe.  Lorsque  Brackebusch  visita 
Guachipas  en  i880,  ses  habitants  n'avaient  pas  encore 
perdu  leur  réputation  de  contrebandiers. 

Une  carte  des  pistes  de  bétail  restées  actuellement 
pratiquées  dans  les  Andes  argentines  montre  un  réseau 
complexe  où  se  discernent  deux  directions  principales 
qui  se  coupent  à  angle  droit;  les  unes  mènent  à  l'Ouest, 
vers  la  côte  du  Pacifique,  les  autres  au  Nord,  vers  le 
plateau  bolivien. 

Le  commerce  des  bœufs  ne  se  fait  plus  qu'avec  le 
Chili.  11  se  maintient  à  San  Juan,  à  .Tachai,  à  Vinchina, 
à  Tinogasta.  Les  bœufs  redescendent  au  Chili  vers 
Coquimbo,  Vallenar  ouCopiapo.  Mais  c'est  surtout  vers 
les  salpêtrières  que  l'exportation  des  bœufs  est  restée 
active.  Du  valle  de  Lerma  et  du  valle  Calchaqui,  les  che- 
mins remontent  vers  le  plateau  par  la  quebrada  del 
Toro  ou  par  celle  de  Cachi  et  de  Luracatao,  franchis- 
sent des  cols  élevés  au  pied  des  nevados  de  l'Acay  et 
de  Cachi,  et  se  rejoignent  entre  Santa  Rosa  de  Pastos 
Grandes  et  San  x\ntonio  de  los  Cobres,  pour  traverser 
la  Puna  de  Atacama.  Les  «  vegas  »  (pâturages)  et  les 
eaux  douces  y  sont  rares;  la  piste  longe  interminable- 
ment les  dépressions  tapissées  de  sel  étincelant,  que 
dominent  les  crêtes  volcaniques.  On  passe  en  toute 
saison;  mais  l'hiver,  les  caravanes  sont  exposées  au  vent 
froid,  chargé  de  neiges,  le  «  viento  blanco  ».  San  Pedro 
est  le  port  de  ce  désert.  On  y  retrouve,  sur  le  flanc  du 
cône  énorme  du  Licancaur,  des  luzernières,  quelques 
champs  semés  de  figuiers  et  d'algarrobes.  On  laisse  là 
aux  bœufs  quelques  jours  de  repos  pour  les  préparer  à 
la  dernière  étape,  jusqu'à  l'oasis  de  Calama  sur  le 
chemin  de  fer  d'Antofagasta. 

Le  centre  de  ce  trafic  est  Salta  ou  plutôt,  à  trois  lieues 
au  Sud,   le  petit  village  de  Rosario  de  Lerma,  où  se 


i 


LES  OASIS  DU  N.-O.  KT  LA  VIE  PASTORALE.  47 

forment  la  majorité  des  caravanes.  Les  usines  à  sal- 
pêtre font  d'avance  avec  les  marchands  de  Rosario  de 
Lerma  des  contrats  d'un  an,  fixant  le  nombre  et  le  prix 
des  bœufs  livrables  à  Calama.  Les  frais  du  voyage  com- 
prennent, outre  le  salaire  des  bouviers  —  80  à  100  pias- 
tres par  voyage  —  le  ferrage,  la  location  du  pâturage  à 
San  Pedro  et  la  valeur  des  animaux  qui  meurent  en 
route.  Le  nombre  des  boeufs  exportés  par  cette  route 
était  évalué,  en  1013,  à  50  000.  Les  usines  à  salpêtre 
achètent  aussi  des  mules  de  trait  pour  les  charrois  de 
minerai.  Les  mules  de  trait  doivent  être  lourdes,  et  l'on 
n'envoie  au  Chili  que  celles  qui  dépassent  la  taille  de 
1  m.  50.  Pour  les  mulets  plus  petits  et  pour  les  ânes,  la 
Bolivie  forme  aujourd'hui  le  seul  marché. 

Le  commerce  des  mules  sous  sa  forme  traditionnelle 
et  l'industrie  du  dressage  sont  encore  pratiqués  à  Santa 
Maria.  Le  métier  du  marchand  de  mules  est  fort  diffé- 
rent de  celui  du  marchand  de  bœufs  :  la  rusticité  et  la 
résistance  des  mules  permettent  d'affronter  avec  elles 
des  traversées  plus  rudes  encore  que  celles  auxquelles 
on  expose  les  bœufs^  Les  voyages  sont  plus  longs,  les 
contrats  moins  réglés  d'avance.  En  outre,  le  dressage 
est  une  opération  délicate  qui  exige  de  l'expérience.  La 
persistance  du  commerce  des  mules  à  Santa  Maria  est 
un  exemple  d'une  industrie  maintenue  grâce  à  la  pré- 
sence d'une  main-d'œuvre  bien  entraînée  et  bien  douée. 
Les  dresseurs  de  mules  de  Santa  Maria  conservent  un 
singulier  orgueil  de  caste.  Leur  premier  travail  est 
d'aller  jusqu'à  Santiago  ou  jusqu'à  Cordoba  pour  y 
acheter  les  mules.  Ils  les  ramènent  à  Santa  Maria  par 
Catamarca  ou  en  traversant  la  vallée  de  Tafi.  A  Santa 
Maria,  les  mules  sont  domptées,  puis  ont  les  conduit 
aux  luzernières  de  Poma  où  elles  sont  mises  en  forme. 
Elles  passent  là  plusieurs  mois  au  pâturage;  puis,  à  la 

1.  On  mène  par  exemple  des  troupes  de  mules  d'Abrapampa,  sur 
la  ligne  de  la  Quiaca,  aux  salpêtrières  d'Antofagasta,  alors  que  tous 
les  essais  pour  faire  suivre  cette  roule  à  des  bœufs  ont  échoué. 


48  LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE. 

saison  favorable,  la  petite  troupe  de  Santa  Marienos  se 
reforme  et,  poussant  devant  elle  les  bêtes  devenues 
dociles,  et  sans  charge  pour  rester  plus  fraîches,  se 
rend  à  la  foire  de  Huari  en  Bolivie,  ou  jusqu'à  Sucre. 
On  vend  \h  150  piastres  les  animaux  achetés  avant  le 
dressage  moitié  moins  cher.  Le  nombre  des  mules  qui 
hivernent  à  Poma  est  de  4000  environ. 

Les  transactions  réalisées  dans  les  foires  des  Andes 
méridionales  sont  de  nature  très  diverse,  mais  leur 
fonction  essentielle  a  toujours  été  celle  de  marchés  de 
bétail'.  Elles  se  tiennent  en  mars  ou  avril,  au  moment 
où  les  pluies  s'interrompent,  mais  où  le  pâturage  est 
encore  abondant  et  les  voyages  faciles.  La  foire  de 
Vilque,  au  Nord  du  lac  Titicaca,  a  cessé  d'être  visitée 
par  les  marchands  de  mules  argentins.  La  foire  de  Salta, 
qui  se  tenait  à  Sumala,  près  de  Rosario  de  Lerma,  a 
perdu  son  importance  :  c'était,  à  la  fin  du  xvin''  siècle,  le 
centre  principal  du  commerce  des  mules.  La  foire  de 
Jujuy  reste,  avec  le  pèlerinage  de  la  Virgen  del  Valle 
de  Catamarca,  une  des  grandes  dates  de  la  vie  des 
Andes.  Après  avoir  été  au  xviii^  siècle  surtout  une  foire 
aux  bœufs,  elle  n'est  plus  fréquentée  aujourd'hui  que 
par  les  acheteurs  de  mules.  Le  développement  des  che- 
mins de  fer  diminue  peu  à  peu  son  activité. 

Le  commerce  du  bétail  a  été  longtemps  un  véritable 
troc.  Les  Argentins  qui  menaient  leurs  troupeaux  au 
Pérou  en  rapportaient  des  marchandises  européennes 
venues  par  Panama  et  le  Pacifique.  A  Jachal  encore, 
les  communications  directes  avec  l'Argentine  sont  si 
coûteuses  qu'on  préfère  introduire  du  Chili  une  grande 
partie  des  articles  manufacturés.  Mais  partout  ailleurs, 
les  vendeurs  de  bétail  se  font  aujourd'hui  payer  en 
argent.  Les  Santa  Marienos  rapportent  seulement  de 
Bolivie  quelques  sacs  de  coca  et  des  lettres  de  change, 

1.  On  trouvera  dans  G.  M.  Wrigley,  Fairs  of  the  central  Andes,  Geo- 
graphical  Review,  N.  York,  VII,  1919,  p.  65-80,  une  étude  intéressante 
des  foires  du  haut  plateau. 


LES  OASIS  DU  N.-O.  ET  LA  VIE  PASTORALE.  49 

qu'ils  négocient  à  leur  retour  dans  les  banques  de  Salta. 
Leurs  bénéfices  sont  dépensés  au  profit  des  commer- 
çants de  Salta,  de  Catamarca  et  de  Jujuy,  qui  se  four- 
nissent de  marchandises  aux  maisons  d'importation  de 
Buenos  Aires.  C'est  la  première  forme  que  prend  pour 
pénétrer  dans  les  valles  l'influence  de  Buenos  Aires. 
Elle  en  conquiert  la  clientèle  avant  d'en  absorber  la 
production. 


Une  grande  partie  des  bœufs  envoyés  au  Chili  pro- 
vient aujourd'hui  des  vallées  andines  elles-mêmes. 
Autour  des  oasis,  les  parties  les  plus  sèches  et  les  plus 
désertiques  des  valles  ne  nourrissent  que  des  chèvres  et 
des  ânes;  mais  dès  que  la  végétation  s'améliore  un  peu 
sur  un  sol  plus  favorable,  elle  suffit  à  une  race  sobre  et 
résistante  de  bêtes  à  cornes.  La  terre  est  partagée  en 
grandes  estancias  dont  les  propriétaires  ont  souvent 
eux-mêmes  des  luzernières,  ou  en  communautés,  où  les 
cultivateurs  de  l'oasis  mettent  chacun  leurs  bêtes,  qui 
vivent  sans  gardiens  par  petits  groupes.  D'elles-mêmes 
elles  montent  l'été  dans  les  cerros  que  les  pluies  verdis- 
sent, et  où  l'eau  nécessaire  à  les  abreuver  suinte  pendant 
quelques  mois  dans  les  ravins;  l'hiver,  elles  reviennent 
à  la  vallée  à  portée  des  réservoirs  et  des  acequias  per- 
manentes. Bodenbender  donne  quelques  renseigne- 
ments sur  les  mouvements  de  transhumance  irrégulière 
qui  sont  pratiqués  dans  la  région  occidentale  de  la  pro- 
vince de  la  Rioja,  autour  de  Guandacol.  Les  troupeaux 
y  sont  conduits  pendant  les  années  sèches  dans  les 
montagnes  de  l'Ouest. 

En  dehors  des  Andes,  la  zone  où  se  fait  sentir  l'at- 
traction des  marchés  transandins  n'a  cessé  de  se  réduire 
depuis  40  ans.  Après  avoir  compris  toute  l'étendue  de 
la  brousse  et  avoir  débordé  même  sur  la  région  des 
prairies,  elle  ne  comprend  plus  aujourd'hui  que  les 
cantons  les  plus  voisins  de  la  bordure  des  montagnes. 

Denis.  —  L'Aigcnlinc.  4 


50  LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE. 

Dans  la  plus  grande  partie  du  monte,  le  bétail  est  expé- 
dié aujourd'hui  dans  d'autres  directions,  vers  Buenos 
Aires,  ou  vers  les  villes  argentines  dont  la  population 
s'est  accrue,  Gordoba,  Mendoza,  Tucuman. 

La  rupture  des  relations  commerciales  avec  le  Chili 
n'a  d'ailleurs  pas  déterminé  une  transformation  notable 
de  l'industrie  pastorale.  La  vie  pastorale  dans  la 
brousse  offre  des  caractères  très  uniformes.  Elle  est 
dominée  avant  tout  par  le  problème  de  l'eau.  Les  points 
d'eau  naturels  sont  rares,  et  le  bétail  ne  trouve  à  s'abreu- 
ver que  grâce  à  l'industrie  humaine.  Le  problème  de  la 
domestication  du  bétail,  que  les  éleveurs  de  la  prairie 
n'ont  pas  toujours  su  résoudre,  est  simplifié  par  la  sé- 
cheresse ;  point  de  chasse  au  bétail,  point  de  «  rodéos  » 
périodiques,  quand  le  troupeau  est  ramené  chaque  soir 
à  l'abreuvoir  par  la  soif.  Les  progrès  de  la  colonisation 
se  résument  dans  l'établissement  de  puits  et  de  réser- 
voirs (baldes  et  represas)  sans  lesquels  les  éleveurs  ne 
peuvent  occuper  que  temporairement  la  plaine,  et  sont 
réduits  à  se  replier  pendant  la  saison  sèche  sur  les  rares 
rivières  qui  la  traversent.  Le  mot  de  «  balderia  » 
désigne  les  régions  où  une  nappe  d'eau  peu  profonde  a 
permis  l'établissement  d'un  réseau  de  puits  :  la  plus 
connue  est  la  balderia  Pmitana,  au  Nord  de  la  province 
de  San  Luis. 

Parmi  les  régions  en  dehors  des  Andes  qui  dépen- 
dent  encore  du  marché  chilien,  il  suffira  d'en  signaler 
deux  qui  peuvent  être  considérées  comme  typiques. 
La  première  est  le  Chaco  Salteno  sur  le  revers  oriental 
de  la  Sierra  de  la  Lumbrera.  La  Lumbrera  est  une 
haute  chaîne  anticlinale  de  calcaires  et  de  grès  rouges, 
qui  plongent  à  l'Ouest  sous  les  limons  de  la  plaine  du 
Chaco  et  la  séparent  du  grand  couloir  longitudinal 
subandin  suivi  par  l'ancienne  route  et  par  la  voie  ferrée 
actuelle  de  Tucuman  à  Jujuy.  La  colonisation  déborda 
au  xviii*  siècle  au  delà  de  la  Lumbrera  en  la  tournant, 
au  Sud   et  au  Nord,  par  la  trouée  du  Jurameuto  et  par 


LES  OASIS  DU  \.-0.  ET  LA  VIE  PASTORALE.  51 

le  San  Francisco,  qui  rejoint  le  Bermejo.  Les  estancias 
qui  prirent  à  leur  solde  les  Indiens  —  la  pénétration 
du  Chaco  sur  ce  point  fut  pacifique  —  jalonnèrent  le 
Bermejo  et  le  riodel  Valle,  qui  descend  de  la  Lumbrera 
vers  l'ancien  lit  du  Bermejo,  et  garnirent  le  pied  de  la 
Lumbrera  au  bord  de  la  plaine. 

Le  bétail  y  vit  dans  la  brousse,  Tété,  lorsque  les 
pluies  y  ont  fait  germer  les  graminées  entre  les  épines; 
l'hiver,  il  remonte  dans  la  forêt  humide,  à  végétation 
pérenne,  qui  couvre  le  flanc  de  la  sierra  '.  L'abondance 
relative  des  eaux  réduit  le  travail  des  éleveurs  et  en 
même  temps  la  discipline  du  troupeau.  A  la  saison  favo- 
rable, l'estancia  se  mobilise  pour  rassembler  les  bœufs 
adultes  et  eu  former  un  convoi;  des  cavaliers  bardés  du 
double  tablier  de  cuir,  qui  pend  à  l'arçon  de  la  selle  et 
les  protège  des  branches,  escaladent  avec  leurs  meutes 
la  sierra  et  sillonnent  la  brousse.  Les  bœufs  farouches 
se  laissent  cerner  au  bruit  des  abois.  La  troupe  formée 
se  met  en  route,  soit  par  des  sentiers  rugueux  à  travers 
la  forêt  et  la  montagne,  soit  sur  les  chemins  plus 
faciles  de  la  plaine  vers  Embarcacion  ou  vers  Lum- 
breras,  où  elle  atteint  le  chemin  de  fer.  Si  les  acheteurs 
des  sucreries  de  Jujuy  ne  l'arrêtent  pas  au  passage, 
elle  est  embarquée  en  wagons  et  expédiée  à  des  con- 
signataires  du  marché  de  Salta,  où  les  ventes  ont  lieu 
toute  l'année.  A  Salta,  les  bœufs  sont  mis  à  l'engrais 
dans  les  luzemières  en  attendant  de  traverser  la  Cor- 
dillère. Les  cultures  ne  sont  presque  pas  pratiquées,  soit 
que  la  sécheresse  de  l'hiver  rende  la  récolte  incertaine, 
soit  que  ces  pasteurs  ne  sachent  pas  se  plier  au  travail 
agricole. 

La  Sierra  de  los  Llanos  de  la  Rioja  est  un  autre 
centre  d'élevage  extensif.  De  la  voie  ferrée,  qui  suit  la 
Sierra  à  distance,  entre  Chanaret  Punta  de  Los  Llanos, 


l.  Sur  l'Aconquija,  la  forêt  humide  servait  aussi  de  pâturage  d'hiver 
au  l>étaii  des  estancias. 


52  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

avant  d'arriver  à  la  Rioja,  on  n'en  soupçonne  guère 
l'importance  ni  la  vitalité.  Elle  est  pourtant  un  des 
foyers  principaux  de  l'histoire  argentine.  Elle  a  été  un 
berceau  de  population  et  de  richesse.  Là,  Quiroga,  et, 
plus  tard,  cet  étrange  aventurier  qu'on  surnommait  le 
Ghacho,  ont  puisé  des  forces  pour  dominer  une  partie 
de  l'Argentine.  La  colonisation  y  est  encore  plus  an- 
cienne que  dans  le  Ghaco  saltefio.  Elle  s'est  faite  en 
deux  périodes  distinctes,  que  sépare  un  long  intervalle. 
Elle  s'avança  d'abord  du  Nord  au  Sud,  en  longeant  le 
pied  de  la  sierra.  Il  est  marqué  par  une  ligne  de  sources, 
maigres  mais  permanentes,  dont  les  eaux  sont  bues 
aussitôt  qu'elles  descendent  vers  les  alluvions  perméa- 
bles de  la  plaine.  La  toponymie  leur  a  fait  une  large 
place;  les  aguitas,  aguaditas,  etc.,  pullulent.  La  route 
de  la  Rioja  à  San  Luis  était  liée  à  ces  points  d'eau,  la 
population  s'y  groupa.  Ainsi  se  peuplèrent  de  part  et 
d'autre  de  la  sierra  la  «  costa  baja  »  à  l'Est,  et  la 
«  Costa  alta  »  à  l'Ouest.  La  maison  de  Facundo  est 
l'une  de  ces  aguaditas  de  la  costa  alta. 

Les  deux  costas  forment  la  terre  historique  de  los 
Llanos.  G'est  de  là  que,  longtemps  après,  la  colonisa- 
tion essaima  alentour  vers  la  plaine.  Les  origines  de 
ce  mouvement  d'expansion  remontent  à  peu  près  à  1850, 
c'est-à-dire  au  temps  où  une  sécurité  et  une  paix  rela- 
tives eurent  été  assurées  aux  éleveurs,  et  surtout  où  se 
développèrent  les  invernadas  de  San  Juan  et  de  Men- 
doza,  et  l'exportation  des  bœufs  vers  les  provinces  agri- 
coles du  Ghili.  Le  prix  du  bétail  s'éleva,  et  la  terre  inoc- 
cupée prit  de  la  valeur.  L'occupation  et  l'aménagement 
de  la  plaine  a  été  l'œuvre  des  deux  dernières  généra- 
tions. Elles  se  sont  avancées,  ne  laissant  plus  aucun 
espace  libre,  jusqu'au  bord  même  des  salines.  Ainsi  les 
travesias,  qui  entouraient  l'étroite  zone  de  peuplement 
des  costas,  se  sont  animées.  La  sierra  et  les  deux  costas 
ne  sont  plus,  comme  au  temps  de  Sarmiento,  une  oasis 
au  milieu  du  désert;  cependant  elles  se  distinguent  en- 


LES  OASIS  DU  .\.-0.  ET  LA  VIE  PASTORALE.  55 

core  du  reste  de  la  zone  pastorale  par  la  densité  de  la 
population  et  la  variété  de  leurs  ressources. 

L'ancienneté  de  la  colonisation  s'y  traduit  par  un 
régime  foncier  particulier,  qui  se  retrouve  d'ailleurs 
dans  une  partie  des  provinces  de  Catamarca  et  de  San- 
tiago del  Estero.  Dans  la  plaine,  la  propriété  s'est  formée 
au  XIX*  siècle  par  achats  ou  par  concessions  de  terres 
publiques  appartenant  au  gouvernement  provincial.  Il 
les  a  alloties  en  vastes  domaines,  qui,  restés  entiers  ou 
partagés,  constituent  les  estancias  actuelles.  En  appro- 
chant du  pied  de  la  sierra,  on  passe  des  estancias  dans 
les  «  mercedes  ».  C'est  le  mot  qui  désigne  les  conces- 
sions datant  de  l'époque  coloniale,  qui  sont,  dans  toutes 
les  parties  anciennement  colonisées  de  l'Amérique  mé- 
ridionale, la  source  de  la  propriété  foncière.  Mais  ce 
que  les  mercedes  des  Llanos  ont  d'original,  c'est  qu'elles 
sont  restées  indivises  entre  les  héritiers  du  premier  pro- 
priétaire'. Tantôt  le  nombre  des  co-propriétaires  est 
restreint;  ils  connaissent  les  liens  de  parenté  qui  exis- 
tent entre  eux  et  la  valeur  des  droits  de  chacun  d'eux  ; 
la  merced  n'est  alors  qu'une  propriété  indivise  de  droit 
commun  ;  tantôt  le  nombre  des  comuneros  étant  plus 
élevé,  ils  ont  perdu  la  notion  exacte  de  la  part  de  merced 
qui  revient  à  chacun  d'eux.  La  merced  nourrit  tout  un 
peuple  où  se  mêlent  héritiers  légitimes  et  usurpateurs. 
Elle  est  en  ce  cas  une  véritable  propriété  communale, 
comparable,  malgré  son  origine  toute  différente,  aux 
communautés  indiennes  qui  existent  sur  le  territoire  ar- 
gentin comme  dans  la  plupart  des  Etats  des  Andes. 

L'économie  des  Llanos  est  moins  simple  que  celle  du 
Chaco  Salteno.  L'agriculture  y  tient  une  place  auprès 
de  l'élevage.  Les  pluies,  concentrées,  ici  encore,  pendant 

1.  La  rédaction  du  titre  de  merced  souligne  souvent  l'attraction 
exercée  sur  la  colonisation  par  les  sources  du  pied  de  la  Sierra.  Le 
territoire  de  la  merced  d'Uiapes  est  défini  ainsi  :  »  La  source  et  les 
terres  jusqu'à  une  distance  de  deux  lieues,  dans  toutes  les  direc- 
tions. "  La  source  en  est  le  centre;  là  vivent  ses  divinités  protec- 
trices. 


54  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINL. 

les  mois  d'été,  sont  peu  abondantes.  Elles  dépassent 
sans  doute  la  moyenne  observée  à  la  Rioja  (près  de 
50  centimètres),  mais  ne  suffisent  pas  pour  que  la  cul- 
ture puisse  se  passer  de  l'irrigation.  Les  aguadas, 
sources  et  ruisseaux  du  pied  de  la  sierra,  sont  la  seule 
réserve  d'eau  permanente,  et  combien  limitée!  Les  oasis 
qu'elles  arrosent  couvrent  à  peine  quelques  hectares  au 
pied  de  l'escarpement  rectiligne  de  la  sierra.  Nulle  part 
les  cultures  n'ont  pu  s'éloigner  de  la  montagne  vers  la 
plaine.  A  Chamical,  une  rigole  aménagée  pour  amener 
l'eau  jusqu'à  la  voie  ferrée  s'est  tarie;  on  suit  seulement 
sur  quelques  lieues  le  parcours  d'un  courant  souterrain 
à  une  ligne  de  puits  où  l'eau  est  douce  et  peu  profonde. 
A  Bella  Vista,  un  comunero  a  creusé  un  acequia  de 
quelques  milles  et  vend  l'eau  à  5  piastres  les  48  heures. 
Mais  quand  elle  parvient  jusqu'à  l'extrémité  de  l'acequia, 
elle  se  perd  entre  l'acequia  et  le  champ  où  on  veut 
l'amener.  A  Ulapes,  qui  est  pourtant  l'un  des  centres 
principaux,  il  faut  le  débit  entier  de  la  source  pendant 
16  heures  pour  irriguer  une  cuadra,  c'est-à-dire  un  peu 
plus  d'un  hectare;  et  le  turno  est  de  17  jours.  L'oasis 
entière  mesure  25  hectares.  A  Olta,  le  maigre  filet  d'eau 
a  été  entouré  de  tant  de  convoitises  que  le  tunio  est  de 
58  jours,  c'est-à-dire  que  chaque  champ  doit  vivre 
58  jours  d'un  seul  arrosage.  A  Catuna,  qui  recueille  avi- 
dement quelques  suintements  saumûtres  au  pied  d'un 
cône  de  déjection,  le  droit  d'eau  est  réglé  selon  un  rou- 
lement qui  dure  90  jours,  et  les  plantes  meurent  de  soif 
dans  l'intervalle.  Selon  l'abondance,  la  régularité  et  la 
qualité  des  eaux,  les  cultures  varient.  L'oranger  est  la 
plus  exigeante,  le  figuier,  la  plus  résistante  de  toutes. 
Les  oasis  les  plus  pauvres  se  réduisent  à  quelques  jar- 
dins de  figuiers  poudreux. 

Si  restreinte  soit-elle,  l'oasis  représente  toujours  un 
rudiment  de  vie  communale,  un  «  poblado  »,  c'est-à-dire 
qu'elle  est  dans  ce  monde  pastoral,  anarchique,  amorphe, 
un  centre  autour  duquel  la  vie  s'organise.  Les   terres 


LES  OASIS  DU  N.-O.  HT  LA  VIE  PASTORALE.  5.-) 

ayant  un  droit  d'eau  sont  considérées  comme  détachées 
de  la  merced  et  ne  sont  jamais  indivises. 

A  côté  des  cultures  irriguées  proprement  dites,  il  faut 
placer  les  cullures  de   banados,  c'est-à-dire  celles  qui 
sont  pratiquées  dans  les  terres  basses,  où  se  concentre 
l'humidité  des  orages,  et  où  elle  se  conserve.  Elles  ont 
une  étendue  beaucoup  plus  considérable,  et  sont  distri- 
buées très  irrégulièrement.  Des  inégalités  du  sol  allu- 
vial que   l'œil  remarque  à  peine  suffisent  à  régler  le 
ruissellement  des  eaux  sauvages  après  les  pluies,  pen- 
dant leur  parcours  réduit  à  la  surface  du  sol,  qui  les 
absorbe  bientôt.  L'homme  y  aide  de  son  mieux,  et  l'on 
rencontre  partout,  croisant  les  chemins,  de  minuscules 
levées  de  terres  destinées  à  détourner  le  courant  dans 
la  direction  des  cultures.  Ce  sont  les  «  tomas  ».  Si  l'on 
suit  vers  l'aval  une  toma,  on  la  voit,  au  bout  de  peu  de 
temps,  passer  sous  une  haie  d'épines  sèches,  qui  enferme 
un  champ,  un  «  cerco  ».  Les  cultures  doivent  être  en 
effet  jalousement  défendues  contre  le  bétail  qui  règne 
sur  la    brousse.  Les  cercos  sont  parfois  si  nombreux 
qu'ils  donnent  l'impression   d'une  région    proprement 
agricole.  La  plupart  des  cercos  sont  plantés  en  mais. 
Il  est  rare  que  la  récolte  de  maïs  manque,  l'été,  pendant 
lequel  végète  et  mûrit  le  maïs,  ayant  des  pluies  régu- 
lières. Les  épis  recueillis,   on  met  les  bœufs  dans  le 
cerco,  où  la  paille  de  maïs  est  un  fourrage  [de  choix. 
Mais  le  blé,  lui  aussi,  réussit  dans  les  banados.  Pourvu 
que  l'année  ait  eu  quelques  averses  tardives,  le  blé  semé 
en   automne  supporte  tant  bien  que  mal  la  sécheresse 
de  l'hiver  et  mûrit  après  les  premières  pluies,  au  début 
de  l'été.  Les  Llanos  récoltent  un  blé  dur,  qu'on  ne  moud 
pas,  et  qui  est  consommé  en  grains  comme  du  riz.  Les 
Llanos  ont  parfois    exporté    du   blé.    Le   recensement 
de  1888  donne  pour  le  département  de  General  Belgrano, 
sur  le  versant  oriental  des  Llanos,  une    superficie  de 
440  hectares  ensemencés  en  maïs  et  900  en  blé.  Après 
la  construction  du  chemin  de  fer  de  Chilecito,  ces  blés 


56         LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

concurrencèrent,  dans  la  région  des  mines  de  la  Fama- 
lina,  ceux  qu'on  apportait  de  Jachal  à  dos  de  mules. 
Comme  les  jardins  des  oasis,  les  cercos  échappent  au 
régime  de  l'indivision  et  appartiennent  en  propre  à 
ceux  qui  les  cultivent. 

Cependant,  semailles  ou  moisson  ne  sont  qu'un  épi- 
sode dans  l'existence  du  llanero.  Les  occupations  |de 
l'élevage  en  Ifont  la  trame.  La  valeur  du  pâturage  est 
très  inégale,  suivant  la  nature  du  sol,  et  la  clémence 
ou  la  rigueur  des  saisons.  Tantôt  il  forme  sous  la  brousse 
un  épais  tapis,  tantôt,  au  contraire,  il  s'appauvrit,  et 
les  feuilles  ou  les  gousses  de  l'algarrobe  sont  l'unique 
ressource.  Un  troupeau  trop  dense  empêche  qu'il  se 
régénère  :  l'éleveur  reconnaît  du  premier  regard  le 
«  campo  recargado  »  dont  la  capacité  pastorale  a  été 
outrepassée.  Le  pâturage  doit  être  prudemment  mé- 
nagé. Mais  le  problème  le  plus  urgent  est  d'assurer  aux 
bêtes  de  l'eau.  Autour  de  la  sierra,  les  eaux  souterraines 
sont  souvent  douces  et  les  puits  sont  nombreux.  Cepen- 
dant, pour  éviter  d'avoir  à  puiser  l'eau,  on  creuse  dans 
le  limon,  aux  points  favorables,  de  grandes  fosses 
autour  desquelles  on  rejette  la  terre  qui  en  est  retirée, 
en  ménageant  seulement  vers  l'amont  l'entrée  des  eaux 
qui  s'y  rassemblent  au  moment  des  pluies.  Ce  sont  les 
«  represas  ».  Comme  pour  les  banados,  des  levées  de 
terre  dirigent  le  ruissellement  vers  la  represa.  Elle  est 
entourée  de  haies  aussi  précieusement  qu'un  champ. 
Dans  la  plaine,  les  pluies  sont  rares  et  les  represas  sont 
le  plus  souvent  la  seule  réserve  ;  il  faut  qu'elles  durent 
toute  l'année,  deux  ans  même  si  un  été  particulièrement 
sec  empêche  d'y  renouveler  l'eau.  Aussi  prennent-elles 
la  proportion  de  véritables  lacs.  De  loin,  on  aperçoit, 
au-dessus  de  la  brousse,  la  courbe  nue  du  talus  déterre 
l>attue  qui  les  encercle,  et  au  sommet  duquel  l'eau 
afileure  quand  les  pluies  ont  été  abondantes.  La  hau- 
teur du  talus  atteint  parfois  4  et  5  mètres;  telle  la 
represa   de   Tcllo,    où    relayait   jadis    entre   la    sierra 


LES  OASIS  DU  X.-O.  ET  LA  VIE  PASTORALE.  :>? 

d'Ulapes  et  los  Llanos  la  diligence  de  San  Juan.  La 
ropresa  est  le  vrai  cenlre  du  domaine.  L'habitation  est 
liàtie  à  côté  d'elle  et  en  surveille  l'entrée.  Depuis  le 
petit  jour  jusqu'à  la  nuit  tombante,  les  bêtes  y  viennent 
isolément  ou  par  petits  groupes.  L'estanciero  les  admet, 
les  laisse  boire  et  referme  derrière  elles  la  clôture. 
Lorsque  les  bœufs  assoiffés  ne  portent  pas  sa  marque, 
il  leur  refuse  l'eau  s'ils  appartiennent  à  un  voisin,  pour 
les  obliger  à  aller  boire  à  leur  represa;  mais  il  l'accorde 
aux  bêtes  venues  de  loin,  égarées,  et  que  leur  maître 
viendra  chercher  plus  tard.  Près  de  la  represa  est  l'en- 
clos (potrcro)  où  l'on  enferme  les  veaux  après  la  mise 
bas  ;  les  vaches  y  reviennent  chaque  matin  et  on  les 
trait  pendant  plusieurs  mois  pour  fabriquer  du  fromage. 
Comme  les  cercos,  la  represa  appartient  en  propre  à 
celui  qui  la  creuse  ou  qui  en  a  hérité  et  qui  l'entretient. 

Le  bétail  des  Llanos  est  relativement  mobile.  Cer- 
taines migrations  sont  irrégulières,  d'autres  au  con- 
traire périodiques  et  saisonnières.  Partout,  sur  la  bordure 
de  la  sierra,  les»  bœufs  se  tiennent  l'hiver  dans  les 
ravins  et  sur  les  croupes  inférieures  de  la  montagne,  et, 
Tété,  reviennent  d'eux-mêmes  à  leur  querencia  dans  la 
plaine.  Les  migrations  irrégulicres  sont  déterminées 
par  le  besoin  d'eau  ou  le  manque  de  pâturage.  Les  bêtes 
font  d'elles-mêmes,  poussées  par  la  faim,  de  longs 
voyages,  elles  se  mêlent  à  des  troupeaux  étrangers,  si 
loin  de  l'estancia  où  elles  sont  nées  que  leur  marque 
n'est  plus  connue  de  personne.  Ou  bien,  c'est  l'estan- 
ciero lui-même  qui,  voyant  tarir  sa  represa,  va  de- 
mander l'hospitalité  d'un  canton  moins  maltraité. 
Heureux  si  la  sécheresse  n'a  pas  été  générale,  et  si 
une  partie  du  pays  a  été  épargnée  et  peut  offrir  un 
refuge. 

Mais  il  arrive  que  la  région  entière  ait  également 
souffert  et  soit  également  nue  et  brûlée.  Alors  il  fau- 
drait pour  trouver  le  salut  imposer  au  bétail  un  long 
voyage,  jusqu'à  San  Luis  ou  jusqu'aux  luzernières  de 


68  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

San  Juan.  La  ruine  des  Llanos  fait  brusquement  monter 
à  la  ronde  le  loyer  des  invernadas.  L'évacuation  géné- 
rale du  troupeau  est  un  remède  désespéré,  souvent 
d'ailleurs  impraticable.  Pendant  tout  l'été,  on  a  patienté, 
espérant  que  la  sécheresse  ferait  trêve  enfin.  Jusqu'en 
avril,  l'espérance  est  permise,  les  orages  peuvent  se 
former.  Si  avril  s'achève  sans  pluies,  il  est  trop  tard 
pour  songer  à  éloigner  les  bêtes  exténuées,  les  étapes 
sont  trop  rudes  à  travers  le  pays  désolé. 

Le  souvenir  des  années  de  sécheresse  les  plus  mar- 
quantes, des  épidémies,  comme  dit  le  llanero,  reste  long- 
temps vivant.  Elles  ont  fortement  impressionné  l'imagi- 
nation populaire;  la  légende  en  fait  des  fléaux  à  la  façon 
biblique;  celle  de  1884  fut  particulièrement  désastreuse; 
les  troupeaux  anéantis,  les  familles,  riches  hier,  émi-. 
graient  tout  entières  à  pied,  «  n'ayant  plus  sur  quoi 
mettre  une  selle  »  ;  émouvante  vision  de  la  misère  de  ce 
peuple  de  centaures  qui  se  sentent  mutilés  quand  ils 
ont  mis  pied  à  terre.  Les  pluies  reviennent  l'année 
suivante;  le  pâturage  croît  d'autant  mieux  que  le  trou- 
peau a  été  plus  réduit,  et  les  Llanos  donnent  alors  au 
voyageur  qui  les  traverse  une  impression  doublement 
favorable  de  leur  richesse  naturelle. 

Jusqu'à  une  date  toute  récente,  la  production  de 
bétail  des  Llanos  a  été  destinée  exclusivement  au  Chili. 
Les  acheteurs  de  Jachal  ou  de  Tinogasta  venaient  à 
l'automne,  et  les  bœufs  passaient  l'hiver  dans  les  inver- 
nadas au  pied  de  la  Cordillère.  De  la  sierra  d'Uiapes, 
qui  prolonge  les  Llanos  vers  le  Sud,  les  bœufs  destinés 
au  Chili  étaient  dirigés  d'abord  sur  San  Juan.  Ils  y  arri- 
vaient en  une  ou  deux  semaines  de  marche.  Il  fallait 
5  hommes  pour  une  troupe  de  100  bêtes;  8  seulement 
pour  une  troupe  de  200.  Un  estanciero  ou  son  capataz, 
ou  des  marchands  originaires  des  Llanos  eux-mêmes, 
dirigeaient  les  caravanes. 

L'exportation  pour  le  Chili  n'est  pas  entièrement 
interrompue.  En  1913,  les  acheteurs  de  Tinogasta  et  de 


LES  OASIS  DU  N.O.  ET  LA  VIE  PASTORALE.  59 

.Tachai,  qui  avaient  manqué  en  1912,  ont  reparu.  La 
l'raction  méridionale  de  la  sierra  d'Ulapes,  éloignée  du 
chemin  de  fer,  réserve  encore  sa  production  à  San  Juan. 
Pourtant,  de  plus  en  plus,  les  bœufs  sont  exportés  par 
chemin  de  1er  vers  le  littoral.  Dans  la  sierra  d'Ulapes, 
les  acheteurs  de  Villa  Mercedes  devenue  l'un  des  grands 
marchés  de  bétail  de  l'Argentine,  viennent  chaque 
année,  louent  un  enclos  (potrero)  et  y  rassemblent,  tête 
par  tète,  un  troupeau  qu'ils  emmènent  ensuite  à  pied. 
Il  est  vendu  aux  foires  de  Villa  Mercedes,  et  dispersé 
dans  toutes  les  directions  vers  les  zones  d'engraissage 
de  la  Pampa. 

Cette  révolution  commerciale  a  eu  pour  corollaire 
l'augmentation  du  prix  du  bétail;  celui-ci,  à  son  tour, 
l'élévation  du  prix  des  terres.  Sur  une  terre  valorisée, 
les  méthodes  d'exploitation  se  perfectionnent  nécessai- 
rement ;  la  sécurité  s'est  accrue;  les  vols  de  bétail 
(cuatrerismo)  sont  devenus  impossibles.  De  plus  en 
plus,  on  s'arme  contre  la  sécheresse.  On  ne  se  borne  pas 
à  agrandir  les  represas  où  à  forer  des  puits  plus  pro- 
fonds, on  divise  le  sol  par  des  clôtures,  fds  de  fer  à  bon 
marché  médiocrement  tendus  sur  des  piquets  façonnés 
sur  place,  ou  haies  d'épines  pareilles  à  celles  qui  proté- 
geaient les  banados.  Ainsi  l'on  peut  réserver  pour  les 
mois  difficiles  des  pâturages  intacts. 

Cette  subdivision  du  sol  par  les  clôtures  a  commencé 
au  Sud,  dans  la  région  d'Ulapes,  au  contact  des  régions 
plus  riches  de  San  Luis  et  de  Cordoba;  dans  les  Llanos 
proprement  dits,  elle  s'ébauche  à  peine.  A  Ulapes,  elle 
se  fait  même  sur  les  mercedes;  chaque  comunero  en- 
ferme, sans  opposition,  l'espace  que  lui  permettent  ses 
forces,  pour  laisser  ses  bœufs  au  dehors,  sur  le  com- 
munal, le  plus  longtemps  possible  et  les  recueillir  dans 
son  parc  au  besoin,  si  les  pâturages  communaux  s'épui- 
sent. Ainsi  se  prépare  la  dissolution  des  mercedes;  la 
propriété  communale  s'accorde  mal  avec  les  conditions 
nouvelles.  Le  dernier  progrès  est  l'apparition  des  luzer- 


60  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

nières.  La  luzerne  peut  être  cultivée  en  effet  dans  les 
bafiados,  sur  toute  l'extension  où  l'on  pratiquait  des 
semailles.  La  création  des  luzernières  donnera  à  l'indus- 
trie pastorale  une  sécurité  et  une  stabilité  inconnues, 
permettra  d'accumuler  des  réserves  de  fourrage  sec  et 
d'utiliser  pleinement  toute  la  capacité  pastorale  du 
monte. 


CHAPITRE    III 


TUCUMAN     ET    MENDOZ.V 
LES    GRANDES    CULTURES    INDUSTRIELLES 

Tucuman  cl  la  route  du  Chili.  —  Le  climat  et  la  cullure  de  ia 
canne.  —  Le  problème  de  la  main-d'œuvre.  —  L'ii'rigation  à 
Mendoza.  —  Les  droits  d'eau.  —  L'industrie  vinicole.  —  Le  piu)- 
lectionnisme  et  les  conditions  naturelles. 

Les  grandes  cultures  industrielles,  la  canne  à  sucre 
et  la  vigne,  ont,  à  la  fin  du  xix"  siècle,  renouvelé  le  pay- 
sage de  Tucuman  et  de  Mendoza.  L'afflux  de  population 
et  de  richesse  qu'elles  ont  déterminé  a  été  si  brusque, 
le  progrès  économique  a  été  si  rapide  que  vignerons  et 
sucriers  ont  perdu  aujourd'hui  tout  souvenir  des  in- 
dustries primitives  qui  faisaient  vivre  le  Tucuman  ou 
le  Mendoza  colonial,  et  qui  se  sont  maintenues  jusqu'à 
la  dernière  génération.  Pourtant,  si  Ton  compare  Tu- 
cuman ou  Mendoza  à  tel  centre  de  cultures  irriguées  de 
l'Ouest  nord  américain,  on  observera  aisément  l'ori- 
ginalité que  leur  valent  trois  siècles  d'histoire.  Le 
régime  foncier,  —  les  droits  d'eau,  —  la  distribution 
même  des  zones  irriguées,  —  mille  traits  y  révèlent 
l'ancienneté  de  la  colonisation.  La  mise  en  valeur  du 
sol  et  l'utilisation  des  eaux  n'ont  pas  été  réalisées  con- 
formément à  un  plan  méthodique,  conçu  d'avance,  selon 
lequel  chaque  ouvrage,  —  barrages  et  canaux  de  dis- 
tribution, —  est  adapté  à  l'ensemble.  Les  ingénieurs 
qui  ont  construit  les  grands  barrages  modernes  du  Men- 
doza, du  San  Juan  ou  du  Sali  ne  se  proposaient  pas 
de   créer  une  zone  de  cultures  nouvelles,  mais  seule- 


6t^  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

ment  de  ménager  mieux  les  ressources  en  eaux  que 
gaspillaient  des  cultures  déjà  séculaires.  Rien  de  plus 
suggestif  que  le  contraste  entre  ces  barrages  de  ma- 
çonnerie, conformes  à  toutes  les  règles  de  l'hydrau- 
lique, et  le  réseau  de  canaux  irréguliers  tracés  au  hasard 
du  terrain  et  de  la  pente,  au  seuil  desquels  ils  se 
dressent,  qui  leur  sont  bien  antérieurs,  et  auxquels  ils 
ont  été  raccordés  tant  bien  que  mal.  Parfois  même  les 
acequias  primitives  n'ont  pu  être  corrigées  de  façon  à 
partir  du  barrage  ;  les  prises  d'eau  se  succèdent  de 
l'amont  à  l'aval,  formées  d'un  simple  épi  transversal 
de  fascines  et  de  terre  que  les  crues  détruisent  pério- 
diquement. Le  barrrage  moderne,  «  dique  nivelador  », 
à  l'épreuve  des  crues,  qui  coupe  toute  la  largeur  du 
torrent,  et  permettrait  d'utiliser  tout  son  débit,  laisse 
passer  pour  les  besoins  des  acequias  inférieures  une 
partie  des  eaux  qu'il  pourrait  retenir  :  elles  retombent 
au  lit  large  et  pierreux,  exposées  comme  jadis  à  l'éva- 
poration  et  aux  infiltrations. 


Bien  avant  la  naissance  de  la  grande  industrie  su- 
crière,  une  activité  proprement  urbaine  se  superpose  à 
Tucuman  au  fond  commun  de  la  vie  pastorale  ;  les  can- 
tons voisins  de  la  brousse,  Trancas,  Burruyacu,  Gra- 
neros,  envoient  comme  le  reste  des  plaines  argentines 
des  bœufs  et  des  mules  au  Pérou  et  au  Chili  ;  mais  plus 
encore  que  de  l'élevage  ou  du  commerce  du  bétail, 
Tucuman  vit  de  la  grande  route  du  Pérou,  dont  elle  est 
l'étape  principale,  au  point  de  contact  de  la  plaine  et 
de  la  montagne.  Le  Tucuman  primitif  est  un  excellent 
type  de  ville  routière.  La  route  a  déterminé  son  site,  au 
passage  du  Sali.  Le  premier  emplacement  de  la  ville, 
près  de  Monteros,  est  abandonné  au  xvnf  siècle,  lorsque 
la  route  du  Pérou  se  fixe  dans  la  région  subandine  et 
cesse  d'emprunter  la  vallée  des  Calchaqui.  La  route 
fait  vivre  ses  industries  essentielles,  la   tannerie  et  la 


TUCUMAX  ET  MELNDOZA.  6^; 

bourrellerie  pour  les  muletiers  de  la  zone  andine,  la  fa- 
brication des  chars  pour  les  troperos  de  la  plaine.  La 
route  et  le  peuple  qui  y  circule  offrent  un  débouché  à 
ses  blés  et  à  ses  farines;  elle  permet  l'exportation  de 
ses  récoltes  de  tabac  vers  les  provinces  du  littoral.  Les 
propriétaires  do  chars  étaient  de  véritables  entrepre- 
neurs au  compte  desquels  se  faisaient  les  transports. 
En  outre,  une  partie  de  la  Bolivie  venait  se  fournir  aux 
boutiques  (ticndas)  de  Tueuman,  et  les  négociants  de 
la  ville  recevaient  en  consignation  des  minerais  boli- 
viens pour  l'exportation.  Ainsi  la  route  accumula  à 
Tueuman  un  premier  noyau  de  capitaux  disponibles. 
Ces  capitaux  se  sont  employés  à  la  fin  du  xix^  siècle  à 
l'industrie  sucrière  qui  les  a  centuplés.  La  majorité  des 
usines  appartient  encore  à  d'anciennes  familles  locales. 

Les  limites  de  la  région  sucrière  sont  relativement 
étroites.  Elle  s'étend  sur  toute  la  zone  où  régnent  les 
anomalies  climatologiques  dues  au  voisinage  de  l'A- 
conquija.  Tandis  que  plus  au  Nord,  les  hautes  chaînes 
des  Andes  sont  séparées  de  la  plaine  du  Ghaco  par  des 
chaînons  étages,  où  les  vents  d'Est  n'abandonnent  que 
progressivement  leurs  réserves  d'humidité,  à  l'Ouest 
de  Tueuman,  le  massif  de  l'Aconquija  se  dresse  comme 
une  borne  géante  au  seuil  même  des  plaines,  dont 
aucun  contrefort  ne  le  sépare,  et  rassemble  autour  de 
lui  les  nuages. 

Sur  le  versant  oriental  de  l'Aconquija,  s'achève  le 
croissant  de  forêt  tropicale  qui  commence  à  4000  kilo 
mètres  de  là,  sur  le  flanc  des  Cordillères  du  Venezuela 
et  de  la  Colombie,  et  se  relie  au  centre  dans  la  zone 
équaloriale,  du  Guaviare  au  Mamore,  aux  forêts  de 
l'Amazonie,  tandis  qu'elle  se  réduit,  à  ses  deux  extré- 
mités, à  une  zone  étroite  qui  n'empiète  pas  à  l'Est  sur 
les  plaines  alluviales,  sur  les  savanes  de  l'Orénoque  et 
la  brousse  du  Ghaco.  La  forêt  humide  des  Andes  ar- 
gentines n'est  nulle  part  plus  luxuriante  que  près  de  sa 
limite  méridionale,   au-dessus   de   Tueuman  :   les  pal- 


<U  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

miers  et  les  fougères  arborescentes  y  manquent,  mais 
les  lianes  abondent,  et  les  troncs  des  arbres  à  feuillage 
pérenne  y  sont  revêtus  d'épiphytes.  L'Aconquija  forme 
une  des  limites  climatologiques  les  plus  nettes  qui 
existent  au  monde.  A  la  latitude  de  Salta  il  ne  faut 
pas  franchir  moins  de  200  kilomètres  pour  passer  de 
la  forêt  humide  de  la  chaîne  subandine  de  la  Lumbrera 
à  la  vallée  aride  de  Caclii.  Sur  les  deux  versants 
de  FAconquija,  moins  de  80  kilomètres  séparent  les 
champs  de  canne  à  sucre  conquis  sur  la  forêt  et  l'oasis 
d'Andalgala  ou  celle  de  Santa  Maria,  en  pleine  zone 
désertique.  Suivant  qu'on  aborde  l'Aconquija  en  venant 
de  l'Est  ou  de  l'Ouest,  on  y  rencontre,  de  la  base  au 
sommet,  la  succession  des  étages  de  végétation  des 
Andes  humides,  de  la  forêt  à  la  prairie  de  graminées 
(paramo  ou  pajonal),  ou  celle  qui  caractérise  les  Andes 
sèches,  depuis  la  brousse  épineuse  des  vallées  jusqu'aux 
champs  de  tola  résineuse  de  la  Puna.  Le  contraste  cli- 
matologique  se  répète  dans  la  nature  des  sols,  dans  le 
modelé.  L'Aconquija  contient  à  lui  seul  les  Andes  en- 
tières en  raccourci.  Au  pied  de  l'étroite  zone  des  crêtes 
alpines,  dans  les  quelques  lieues  carrées  des  hautes 
vallées  de  Tafi  et  de  Pucara,  vit,  sous  un  climat  tem- 
péré, un  petit  monde  agricole  et  pastoral,  sans  ana- 
logue à  la  ronde,  étroitement  enfermé  entre  la  forêt  et 
le  désert'. 

La  région  sucrière  de  Tucuman  n'est  pas  au  sens 
propre  une  oasis,  c'est-à-dire  un  canton  irrigué  au  milieu 
d'un  désert,  mais  une  tache  humide  au  cœur  d'une  zone 
moins  favorisée.  Le  voyageur  qui  vient  du  Chaco  voit, 
en  approchant  de  Tucuman,  la  poussière  disparaître  de 
l'atmosphère  plus  humide.  La  hauteur  des  pluies  est  de 

L  Les  hautes  vallées  de  l'Aconquija  sont  un  champ  inépuisable 
d'observation.  Il  existe  au  Suncho  (vallée  de  Pucara)  un  groupe  de 
colons  italiens  semant  du  maïs  et  du  blé,  fait  unique,  je  crois,  dans 
toute  cette  partie  de  l'Argentine.  La  vallée  de  Tafi  est  principale- 
ment pastorale,  les  pâturages  de  la  vallée  étant  utilisés  pendant 
l'été,  tandis  que  la  forêt  elle-même  sert  de  pâturage  d'hiver. 


TICIMAN  ET  MENDOZA.  f.ô 

974  millimètres  à  Tucuman.  L'irrigation  est  un  puissant 
secours  pour  ragriculteur,  mais  elle  ne  lui  est  pas  indis- 
pensable. Le  maïs  est  généralement  récolté  sans  arro- 
sage et  une  partie  des  cultures  de  canne  à  sucre  elles- 
mêmes  est  prafi({uée  en  terrain  non  irrigué.  Ce  n'est 
pas  d'ailleurs  l'abondance  relative  des  pluies  qui  a 
permis  le  développement  des  cultures  de  canne  à  sucre 
autour  de  Tucuman,  mais  l'égalité  de  la  température, 
liée  à  l'humidité  atmosphérique,  et  la  rareté  des  gelées. 
Les  brumes  qui  se  condensent  au  pied  de  l'Aconquija 
forment  au-dessus  de  Tucuman  un  manteau  protecteur 
qui  empêche  le  rayonnement  nocturne.  Plus  on  s'ap- 
proche de  la  montagne,  plus  les  gelées  sont  tardives, 
rares  et  légères.  Si  l'on  s'éloigne  à  l'Est  vers  la  plaine, 
les  gelées  deviennent  au  contraire  plus  rigoureuses,  et  la 
culture  de  la  canne  est  impossible.  Outre  l'humidité,  le 
relief  a  une  influence  sur  les  variations  de  la  tempéra- 
ture et  la  distribution  des  gelées.  Les  dépressions  où 
s'amasse  l'air  froid,  selon  le  phénomène  météorologique 
bien  connu  de  l'inversion  des  températures,  sont  plus 
exposées  que  les  terrains  en  pente  où  la  circulation  de 
l'air  est  régulière  et  facile.  La  limite  orientale  de  la  zone 
épargnée  par  les  gelées  passe  à  40  kilomètres  environ 
du  pied  de  l'Aconquija.  Elle  n'a  été  reconnue  qu'après 
quelques  tâtonnements,  et  l'on  peut  voir  encore,  au  delà, 
des  restes  de  plantations  abandonnées. 

Les  ressources  en  eau  de  la  région  de  Tucuman  com- 
prennent, en  premier  lieu,  des  rivières  abondantes  et 
égales  qui  descendent  à  l'Est  du  tlanc  de  l'Aconquija 
(Lules,  Famailla  ,  Angostura,  Gastona,  Médinas,  etc). 
Elles  rejoignent  au  sud  de  Tucuman  le  cours  du  Sali. 
Le  Sali  est  un  torrent  irrégulier  qui  se  forme  dans  la 
dépression  subandineau  Nord  de  Tucuman,  et  débouche 
à  Tucuman  dans  la  plaine,  après  l'étranglement  de 
l'Aguadita  entre  l'extrémité  N.  E.  de  l'Aconquija  et  la 
chaîne  subandine  de  Burruyacu.  Il  se  dirige  ensuite 
vers  le  Sud,  divaguant  sur  un   large  lit  de  cailloux  à 

Denis.  —  LWrgenline.  5 


fsr.  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

lleur  de  plaine,  sans  avoir  eu  la  force  de  creuser  une 
vallée,  et  la  pente  du  terrain  sur  sa  rive  gauche  orien- 
tale reste  inclinée  à  l'Est  et  au  Sud-Est.  Les  terres  de 
la  Rive  droite  du  Sali  sont  donc  plus  abondamment 
pourvues  en  eau  que  celles  de  la  rive  gauche.  Cette 
inégalité  est  si  marquée  que,  les  cultures  de  la  rive 
droite  élant  largement  desservies  par  ailleurs,  toutes 
les  eaux  du  Sali  sont  réservées  à  la  rive  gauche.  En 
1912  a  même  été  construit,  sous  le  lit  torrentiel  du  Sali, 
un  siphon  permettant  de  faire  passer  sur  la  rive  gauche 
les  eaux  inemployées  du  Rio-Lules.  Enfin,  au  Nord-Est 
de  Tucuman,  la  Sierra  de  Burruyacu  fournit  quelques 
filets  d'eau  intermittents  que  les  estancias  amenaient 
jadis  à  grand'peine  jusqu'à  leurs  represas,  et  qui  ne 
permettent  pas  de  pratiquer  l'irrigation  en  grand. 

Les  cultures  de  canne  s'établirent  d'abord  aux  portes 
de  la  ville,  et  vers  l'Est,  à  Cruz  Alta,  sur  la  rive  gaucho 
du  Rio  Sali,  à  distance  de  la  montagne,  parce  que,  les 
pluies  y  étant  moins  abondantes  et  le  sol  plus  sec,  la 
végétation  naturelle  était  moins  exubérante  et  le  défri- 
chement moins  coûteux'.  Le  Chemin  de  fer  du  Central 
Cordoba,  qui  longe  de  Tucuman  au  Sud  la  rive  droite 
du  Sali,  forme  l'axe  d'une  autre  zone  de  cultures  et 
d'usines  anciennes.  Plus  tard  la  colonisation  se  porta 
vers  l'Ouest;  un  nouveau  chemin  de  fer  provincial  en 
arc  de  cercle  se  greffa  (1888-1890)  à  Tucuman  et  à  la 
Madrid  sur  le  Central  Cordoba  ;  il  suit  de  près  le  pi'N4 
de  la  montagne,  «  la  falda  »,  et  en  a  permis  l'occupation. 
Les  cultures  nouvelles  ne  sont  pas  restées  limitées  à  la 
plaine  alluviale;  elles  ont  gravi  les  collines  inférieures 
et  tendent  à  s'élever  de  plus  en  plus.  A  la  hauteur  de 
Tucuman  la  montagne  se  rapproche  à  10  ou  15  kilo- 
mètres du  Rio- Sali,  et  l'expansion  possible  vers  l'Ouest 

1.  En  1894,  on  estimait  que  la  terre  non  défrichée  valait  de  100  à 
150  piastres  l'hectare  à  Cruz  Alta,  le  coût  du  défrichement  étant  do 
130  à  200  piastres,  tandis  que  dans  la  forêt  humide  du  pied  de  la 
Sierra,  la  terre  valait  75  à  100  piastres  seulement,  mais  le  coût  du 
défrichement  était  double  (ÔOO  à  530  piastres). 


TTCUMAX  ET  MEXDOZA.  67 

est  étroitement  limitée  :  elle  a  déjà  atteint  son  terme. 
Plus  au  Sud,  au  contraire,  la  plaine  s'étend  à  l'Ouest  du 
chemin  de  fer  provincial  sur  une  largeur  de  20  kilo- 
mètres au  moins.  Il  subsiste  là,  à  l'Ouest  de  Monteros, 
de  Concepcion  et  de  la  ligne  des  usines  modernes,  une 
réserve  de  terres  disponibles,  l'espace  pour  un  nouveau 
pas  vers  l'Ouest.  Les  cultures  ont  également  du  champ 
pour  s'étendre  au  Nord-Est,  au  pied  de  la  chaîne  suban- 
dine  de  Burruyacu,  où  les  gelées  sont  faibles.  C'est 
dans  cette  direction  que  sont  pratiqués  actuellement 
les  défrichements  les  plus  importants. 

Ces  diverses  régions  n'offrent  pas  à  la  culture  des 
conditions  exactement  identiques.  La  Falda  est  la  plus 
favorisée  de  toutes,  non  seulement  par  la  rareté  des 
gelées,  mais  par  la  fertilité  du  sol,  où  la  foret  tropicale 
a  accumulé  d'inépuisables  réserves  dhumus.  Le  ren- 
dement en  poids  de  la  canne  y  est  plus  élevé  que  partout 
ailleurs.  L'irrigation  n'y  est  pas  nécessaire;  en  revanche 
l'humidité  y  réduit  la  richesse  de  la  canne  en  sucre. 
L'irrigation  est  la  règle  dans  la  zone  suivante,  entre  le 
chemin  de  fer  provincial  et  le  Central  Cordoba  (rive 
droite  du  Sali).  Sur  la  rive  gauche,  une  grande  partie 
des  cultures  doit  encore  se  passer  d'arrosage. 

Le  trait  le  plus  original  de  l'organisation  de  l'indus- 
trie sucrière  à  Tucuman  est  le  maintien,  à  côté  des 
usiniers,  d'une  classe  indépendante  de  cultivateurs, 
les  «  caneros  ».  La  persistance  d'une  petite  et  d'une 
moyenne  propriété  est  un  fait  dont  on  chercherait  vai- 
nement d'autres  exemples  dans  les  autres  régions  su- 
crières  de  l'Amérique  tropicale'.  Partout,  au  Brésil 
comme  aux  Antilles,  les  «  habitations  »  qui  élaboraient 
elles-mêmes,  selon  des  méthodes  primitives,  la  produc- 
tion de  leur  domaine,  ont  été  absorbées  par  les  usines 
centrales.  L'habitant  a  été  dépossédé  de  ses  terres, 
après  avoir  été  ruiné  en  tant  qu'industriel  par  la  con- 

1.  Sauf  peut-être  à  la  Barbade. 


68  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

currence  de  l'usine  moderne.  A  Tucuman,  au  contraire, 
l'industrie  sucrière  n'a  pas  connu  le  stade  de  la  fabrica- 
tion domestique.  Elle  s'est  improvisée  de  toutes  pièces, 
les  uns  consacrant  leurs  capitaux  à  la  construction  des 
usines,  tandis  que  les  autres  étendaient  les  cultures. 
L'irrigation  parut  pousser  d'abord  à  la  concentration 
de  la  propriété;  les  usines  de  Cruz  Alla  tracèrent  d'im- 
portants canaux  particuliers  pour  capter  les  eaux  du 
Sali.  Seuls,  les  grands  propriétaires  ont  les  ressources 
nécessaires  pour  mener  à  bien  des  travaux  de  ce  genre, 
et  assez  d'influence  pour  obtenir  l'autorisation  de  les 
poursuivre  à  travers  les  terres  qui  dominent  leur  fonds. 
Mais  la  loi  de  1897  a  réorganisé  l'irrigation  et  soustrait 
les  ressources  en  eau  au  contrôle  de  quelques  grands 
propriétaires  privilégiés.  Des  travaux  publics  entrepris 
par  le  Gouvernement  provincial  ont  mis  l'eau  à  la  por- 
tée de  tous  les  cultivateurs.  Depuis  1897,  le  nombre  des 
concessions  d'eau  s'est  élevé  de  250  à  près  de  2000. 

Les  intérêts  de  l'usine, — ingenio,  —  etdes  cultivateurs, 
—  caneros,  —  ne  sont  pas  inaltérablement  liés.  Leur 
part  respective  dans  la  répartition  du  produit  de  l'in- 
dustrie sucrière  n'est  pas  invariable.  La  multiplication 
des  usines,  en  augmentant  le  nombre  des  acheteurs  de 
canne,  tend  à  en  élever  les  cours.  Pendant  les  années 
qui  précèdent  1895,  les  usines  améliorent  leur  outillage, 
et  leur  capacité  de  production  s'accroît  plus  vite  que  la 
superficie  des  cultures.  Le  prix  des  cannes  atteint 
alors  20  piastres  la  tonne.  Ce  chiffre  dépassant  de  beau- 
coup le  prix  de  revient,  les  usines  cherchent  à  profiter, 
elles  aussi,  des  avantages  que  le  moment  réserve  aux 
caneros,  et  achètent  des  terres  pour  planter.  De  cette 
période  date  la  formation  des  grandes  propriétés  des 
usines  de  Cruz  Alta.  Plus  tard,  la  production  de  canne 
s'accroît  et  égale  à  peu  près  les  besoins  des  usines  (pi 
se  font  entre  elles  une  concurrence  moins  Apre  ;  elles 
cessent  d'acheter  des  terres,  et  le  cours  de  la  canne 
fléchit. 


TUCUMAN  KT  MENDOZA.  60 

Les  usines  disposent  actuellement  des  cannes  qu'elles 
cullivent  elles-mêmes  avec  un  personnel  salarié  à  leur 
service,  de  celles  qu'elles  achètent  à  prix  réduit  à  des 
entrepreneurs,  «  colonos  »,  qui  les  cultivent  sur  des  do- 
maines à  elles,  enfin  de  celles  que  leur  vendent  les 
caneros  propriétaires.  La  zone  où  se  fournit  chaque 
usine  est  souvent  très  étendue.  Le  congrès  sucrier  de 
1894  estimait  que  la  moitié  de  la  canne  récoltée  était 
transportée  par  chemin  de  fer,  et  que  le  fret  de  la  canne 
(l'un  canton  à  l'autre  de  la  région  sucrièrc  représentait, 
pour  les  chemins  de  fer,  plus  d'un  tiers  de  ce  que  leur 
rapportait  le  transport  du  sucre  do  Tucuman  au  littoral. 
Chaque  compagnie  de  chemins  de  fer  s'efforce  de  con- 
server aux  usines  placées  sur  son  réseau  les  cannes 
qu'elle  charge,  pour  éviter  qu'après  la  fabrication  le 
transport  du  sucre  ne  lui  échappe.  Aussi  le  marché  de 
cannes  est-il  divisé  en  deux  compartiments  étanches", 
entre  lesquels  se  produisent  peu  d'échanges,  le  premier 
comprenant  la  zone  dépendant  du  Central-Argentino 
et  du  chemin  de  fer  de  l'État,  le  deuxième,  la  zone 
du  Central-Cordoba  et  de  l'ancien  chemin  de  fer  pro- 
vincial racheté  par  le  Central-Gordoba. 

Certaines  zones,  Cruz  Alta,  les  environs  de  la  ville, 
ont  trop  d'usines  pour  leur  production  de  canne,  et  sont 
des  centres  d'importation.  Le  prix  de  la  canne  y  est 
régulièrement  plus  élevé  que  dans  les  zones  agricoles. 
Chaque  usine  a  sa  clientèle;  elle  établit  aux  gares  d'ex- 
pédition des  balances  où  elle  reçoit  et  pèse  la  canne. 
Seuls  les  caneros  importants  ont  avantage  à  charger 
leur  récolte  en  wagon,  et  à  la  vendre  à  des  usines  éloi- 
gnées; les  petits  caneros  constituent  au  contraire  la 
clientèle  forcée  de  l'usine  locale.  Ils  luj  vendent  leurs 
cannes  directement,  ou  parfois  par  l'intermédiaire  de 
courtiers  et  de  revendeurs.  Au  temps  où  les  usines  se 
disputaient  la  canne,  l'habitude  s'est  établie  de  faire 
le  plus  tôt  possible  les  contrats  d'achat;  on  en  signe 
dès  le  mois  d'octobre,  c'est-à-dire  aussitôt  la  campagne 


70  LA  REPUBLIQUE  ARGENTLXE. 

de  l'année  précédente  achevée.  Pour  s'assurer  la  fidélité 
du  canero,  les  usiniers  lui  font  des  avances  d'autant 
plus  libérales  qu'ils  ont  plus  de  peine  à  approvisionner 
leurs  moulins. 

Caneros  et  usiniers  ont  eu  conjointement  à  résoudre 
le  problème  de  la  main-d'œuvre.  La  population  néces- 
saire n'existait  pas  sur  place.  Il  fallut  la  recruter  ail- 
leurs. On  envoyait  des  racoleurs  alentour,  à  Catamarca, 
à  Santiago  del  Estero,  jusque  dans  la  province  de 
Cordoba,  qui  formaient  des  équipes  et  les  ramenaient. 
C'était  un  personnel  hétérogène,  instable,  indiscipliné. 
Les  usiniers,  pour  les  retenir,  leur  accordaient  de  fortes 
avances,  et,  redoutant  de  perdre  leur  mise,  ne  se  dé- 
cidaient pas  à  les  renvoyer  pour  leur  paresse  et  leur 
irrégularité.  Le  défaut  de  bras  ne  se  fait  plus  sentir 
aujourd'hui  aussi  vivement  qu'au  moment  de  la  grande 
expansion  de  culture;  la  population  ouvrière  immigrée 
s'est  enracinée  et  elle  a  perdu  sa  turbulence.  Elle  com- 
prend, outre  les  créoles,  un  petit  nombre  d'Européens, 
Espagnols  ou  Italiens;  mais,  tandis  que  les  créoles  se 
sont  incorporés  définitivement  à  l'industrie  sucrière, 
les  immigrants  européens  emploient  leurs  premières 
économies  à  acheter  un  lot  de  terrain,  et  se  font  maraî- 
chers. 

Si  Tucuman  dispose  en  temps  normal  du  personnel 
qui  lui  est  nécessaire,  la  récolte  l'oblige  toujours  à  re- 
courir aux  provinces  voisines.  En  mai,  juin,  les  raco- 
leurs partent  comme  autrefois,  bien  munis  d'argent,  sur 
le  Rio  Salado,  sur  le  pourtour  de  la  sierra  d'Ancasti,  etc. 
L'attraction  temporaire  de  Tucuman  à  cette  saison  s'é- 
tend fort  loin  :  à  Santa  Maria ,  de  l'autre  côté  de  l'Acon- 
quija,  600  personnes,  hommes,  femmes  et  enfants,  émi- 
grent  pendant  5  mois,  et  vont  vivre  sur  les  champs  de 
canne.  Les  négociants  de  Santa  Maria  leur  font  au  nom 
des  ingenios  des  avances  qui  s'élèvent  à  60  piastres  en- 
viron par  travailleur.  Plus  au  Nord,  les  enganchadorcs 
de  Tucuman  se  heurtent  à  ceux  de  Salta  et  de  Campo 


TUCUMA.X  ET  MENDOZA.  71 

Santo,  et  se  partagent  avec  eux  les  bras  disponibles. 
Parmi  les  immigrés  saisonniers,  quelques  individus 
chaque  hiver  se  fixent  et  grossissent  le  personnel  sta- 
ble de  l'industrie  sucrière. 

En  dehors  de  la  région  de  Tucuman,  un  essai  malheu- 
reux a  été  l'ait  pour  implanter  l'industrie  sucrière  à 
Santiago  del  Estero  :  de  grandes  usines  y  ont  été  cons- 
truites; mais  les  gelées  sont  rudes  :  on  a  tenté  pendant 
quelques  années  d'approvisionner  les  usines  de  Santiago 
de  cannes  achetées  à  Tucuman,  mais  le  prix  du  trans- 
port était  trop  élevé  et  les  usines  durent  être  abandon- 
nées, ou  démontées  et  rétablies  ailleurs.  La  vallée  du 
Rio  Grande,  de  Jujuy  à  500  kilomètres  au  Nord  de  Tucu- 
man, dans  la  dépression  subandine  entre  la  sierra  de 
Zenta  et  la  Lumbrera,  offre  au  contraire  à  la  culture  de 
la  canne  à  sucre  des  conditions  physiques  favorables. 
Les  gelées  y  sont  rares  ;  sous  un  climat  plus  chaud  que 
celui  de  Tucuman,  les  cannes  mûrissent  plus  vite,  et  le 
rendement  moyen  est  plus  élevé.  Les  ressources  en  eau 
sont  abondantes.  Les  plantations  de  canne  y  sont  an- 
ciennes :  leur  premier  marché  a  été  la  région  du  plateau 
et  des  vallées  ;  elles  y  vendaient  surtout  des  eaux-de- 
vie,  trafic  séculaire  qu'on  retrouve  partout  sur  le  pour- 
tour des  terres  froides  des  Andes,  depuis  la  Colombie 
jusque  dans  le  Nord  de  l'Argentine  :  les  usines  modernes 
de  Ledesma  et  de  San  Pedro  remplacèrent  les  mou- 
lins primitifs  aussitôt  que  la  voie  ferrée  approcha  de 
Jujuy,  et  avant  même  qu'elle  eût  pénétré  dans  la  vallée 
du  Rio  Grande.  Elles  expédiaient  alors  leurs  sucres  par 
chars  en  novembre  et  décembre,  entre  la  fin  de  la  saison 
sucrière  et  le  début  des  pluies  qui  défoncent  les  chemins. 

La  région  sucrière  de  Jujuy  offre  aujourd'hui  une 
organisation  économique  et  sociale  bien  différente  de 
celle  de  Tucuman.  Il  n'y  a  pas  ici  de  cultivateurs  pro- 
priétaires :  chaque  centre  est  un  grand  fief,  isolé  au 
milieu  de  la  forêt,  où  les  ouvriers  sont  logés  et  approvi- 
sionnés par  l'usine  et  en  dépendent  étroitement.   Les 


72  LA  REPIBLIOI  E  ARGENTiNi:. 

entrepreneurs  qui  se  chargent  pour  elle  du  défrichement 
sont  astreints,  par  contrat,  à  importer  directement  du 
Sud  les  travailleurs  qu'ils  emploient,  de  peur  qu'ils  ne 
puisent  dans  le  personnel  occupé  à  la  culture.  Il  nexisl.e 
pas  en  effet  sur  place  de  bras  disponibles,  pas  de  mar- 
ché libre  du  travail.  Depuis  l'achèvement  du  chemin  de 
fer  de  la  Quebrada  de  Humahuaca,  l'immigralion,  défi- 
nitive ou  temporaire,  de  montagnards  du  plateau,  s'est 
développée.  La  zone  d'attraction  de  San  Pedro  s'étend 
aujourd'hui  jusque  sur  le  territoire  bolivien.  Pour  la 
récolte,  qui  exige,  comme  à  Tucuman,  un  important 
renfort  de  main-d'œuvre,  les  usines  recourent  aux  In- 
diens sauvages  du  Chaco.  Ce  courant  singulier  de  mi- 
gration saisonnière,  que  la  campagne  sucrière  de  Jujuy 
provoque  ainsi  chaque  hiver  en  dehors  de  la  zone  occu- 
pée par  la  colonisation  blanche,  est  d'origine  très  an- 
cienne et  remonte  à  plus  de  60  ans.  Belmar  le  signale 
déjà  au  milieu  du  xix''  siècle.  Les  agents  recruteurs  de 
San  Pedro  et  de  Ledesma  partent  . d'Embarcacion  où 
s'achève  la  voie  ferrée,  et  pénètrent  dans  le  Chaco,  d'où 
chacun  ramène,  entre  mars  et  juin,  une  troupe  de  quel- 
ques centaines  d'indigènes.  Le  nombre  des  immigrants 
temporaires  paraît  être  de  6000  environ.  Les  Cliiriguanos 
du  Nord  laissent  au  Chaco  leurs  fanulles,  et  les  hommes 
viennent  seuls.  Les  Matacos  immigrent  au  contraire 
par  tribus.  Ils  campent  dans  des  huttes  pareilles  à  celles 
de  leurs  villages,  à  l'ombre  des  sucreries,  et  reçoivent 
pour  leur  travail  du  maïs,  de  la  viande  et  des  cigares; 
au  mois  d'octobre,  quand  l'algarrobe  fleurit  et  les  rap- 
pelle à  la  brousse  natale,  ils  touchent  en  argent  le  reste 
de  leur  salaire,  et  le  dépensent  en  eau-de-vie  et  en  pa- 
rures, en  couteaux  et  en  armes. 


L'histoire  de  Mendoza  offre  avec  celle  de  Tucuman 
plus  d'une  analogie.  Dans  la  province  de  Cuyo,  comme 
à  Tucuman,  la  vie  urbaine  a  été  précoce  :  au  milieu  du 


TICIMAN  ET  MENDOZA.  75 

xviii'  siècle,  Meiulo/a  et  San  Juan  exportaient  vers  le 
littoral  et  vers  le  Paraguay  des  vins,  des  fruits  séchés, 
pasas,  orojones)  et  aussi  des  farines.  Une  partie  des 
l'arines  dites  chiliennes  consommées  dans  la  Pampa, 
provenait  on  réalité  de  .lâchai  cl  de  Mendoza.  Au 
MX*  siècle,  ce  Irafic  s'interrompt,  mais  San  Juan  et  Men- 
uoza  trouvent  une  autre  source  de  richesse  dans  l'in- 
dustrie de  l'engraissage  et  dans  le  commerce  des  bœufs 
avec  le  Chili.  Belniar  évalue  en  1856  à  150000  cuadres 
('215000  hectares]  la  superficie  des  luzernières  de  Cuyo'. 
Comme  à  Tucuman,  la  période  contemporaine  est  mar- 
quée par  une  brusque  expansion  des  cultures  et  par  un 
accroissement  rapide  de  la  population.  Mais,  tandis  qu'à 
Tucuman  les  provinces  voisines  ont  fourni  le  complé- 
ment de  main-d'œuvre  nécessaire,  tandis  que  la  popula- 
tion actuelle  y  est  essentiellement  créole,  à  Mendoza,  le 
nombre  des  immigrants  étrangers  est  élevé;  en  1914,  les 
éi rangers  représentent  510  pour  1000  de  la  population 
totale  de  Mendoza,  plus  que  pour  l'ensemble  de  l'Argen- 
tine. Le  nombre  des  immigrants  acheminés  directement 
des  ports  de  débarquement  vers  Mendoza  atteint  12000 
en  101 1,  15000  en  lOl^,  presque  autant  que  pour  la 
province  de  Santa  Fe,  plus  que  pour  la  province  de 
Cordoba;  Mendoza  a  donc  sa  part  propre  dans  l'attrac- 
tion que  l'Argentine  exerce  sur  l'immigration  euro- 
péenne. Si  l'on  examine  une  carte  de  la  population  de 
l'Amérique  du  Sud,  on  observera  que  les  oasis  de  Cuyo 
forment  le  seul  groupement  important  de  population 
européenne  à  distance  de  la  côte. 

La  prospérité  actuelle  de  Mendoza  est  liée  à  l'industrie 
vinicole,  comme  celle  de  Tucuman,  à  l'industrie  sucrièrc. 
La  culture  de  la  vigne  est  possible  sur  la  plus  grande 
jiartie  du  territoire  argentin.  Elle  iut  pratiquée,  au  début 
ilr  la  colonisation,  jusqu'au  Paraguay  ;  elle  se  maintient 

!.  II  passe  encore  aujourd'hui  quelques  convois  de  bœufs  par  la 
l'tulo  d'Uspallata  et  surtout  par  le  col  d'Espinacilo  dans  la  Cordillère 
de  S.  Juan. 


7i  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

aujourd'hui  sur  l'Uruguay  à  Concordia,  et  sur  le  Paraiia 
inférieur  à  San  Nicolas.  Pourtant  les  étés  humides  des 
provinces  orientales  lui  sont  peu  favorables,  et  le  climat 
lui  devient  de  plus  en  plus  propice  lorsqu'on  avance 
vers  l'Ouest  et  que  les  pluies  se  réduisent.  La  zone  sèche 
de  l'Argentine  occidentale  est  la  terre  d'élection  de  la 
vigne;  elle  s'y  est  répandue  sur  près  de  20  degrés  de 
latitude,  liée  comme  les  autres  cultures,  à  l'usage  de 
l'irrigation.  Dans  les  vallées  andines  du  Nord-Ouest,  elle 
s'élève  jusqu'à  l'altitude  de  2000  mètres.  Au  Sud  de 
Mendoza,  la  limite  supérieure  de  la  vigne  s'abaisse  rapi- 
dement, on  ne  la  rencontre  plus  dans  la  zone  monta- 
gneuse elle-même.  En  revanche,  son  aire  d'extension 
s'élargit,  et  s'avance  à  l'Est  jusqu'au  littoral  atlantique, 
dans  la  vallée  du  Rio  Negro. 

Les  centres  anciens  de  viticulture  du  Nord-Ouest, 
dans  les  oasis  des  costas  de  la  Rioja,de  Catamarca  et  de 
Salta,  ont  été  à  peine  touchés  par  le  progrès,  et  leur 
superficie  est  d'ailleurs  extrêmement  limitée.  Le  vignoble 
du  Rio  Negro  est  en  pleine  période  de  formation  et  son 
rendement  est  encore  restreint.  La  zone  de  grande  produc- 
tion vinicole  est  donc  limitée  aux  trois  oasis  de  San  Juan, 
de  Mendoza  et  de  San  Rafaël,  qui  ont  fourni  en  1913, 

4  750000    hectolitres     sur    une     production    totale   de 

5  000  000  d'hectolitres  pour  l'Argentine.  Ces  trois  centres 
diffèrent  aujourd'hui  moins  par  les  conditions  physiques 
que  par  leur  développement  économique  inégal.  A  'San 
Juan,  la  transformation  des  anciennes  méthodes  de  pro- 
duction et  des  industries  créoles  traditionnelles  se  pour- 
suit encore  sous  nos  yeux.  A  Mendoza,  elle  est  au  con- 
traire achevée.  Le  centre  de  San  Rafaël  enfin  est  de 
création  récente  ;  il  s'est  formé  sur  l'emplacement  d'un 
fortin  qui  jalonnait  jusqu'en  1880  la  frontière  indienne. 
Les  cultures  y  ont  surgi  en  terrain  libre,  en  plein  désert. 
De  là  des  différences  qui  s'atténueront  avec  le  temps, 
mais  qui  sont  encore  sensibles  dans  le  paysage.  Le 
cadre  est  partout   le  même    :  les  montagnes  arides  et 


TUCUMAN  ET  MENDOZA.  75 

désolées  ferment  l'horizon  à  l'Ouest;  à  leur  pied  s'étale 
l'immense  talus  alluvial  recouvert  d'une  brousse  clair- 
semée, où  les  vignes  entourées  de  lignes  de  peupliers  se 
sont  étendues  partout  où  l'eau  a  pu  atteindre. 

La  rareté  des  coupures  transversales  qui  interrompent 
la  précordillère  a  pour  effet  de  rassembler  en  un  petit 
nombre  de  points  les  eaux  disponibles.  Le  Rio  San  Juan 
draine  à  lui  seul  une  zone  de  la  Cordillère  qui  n'a  pas 
moins  de  200  kilomètres  de  large.  Les  deux  oasis  de 
Mendoza  et  de  San  Rafaël  ont  chacune  deux  cours  d'eau 
nourriciers.  Le  Mendoza  et  le  Tunuyan  à  Mendoza,  le 
Diamante  et  l'Atuel  à  San  Rafaël,  se  rapprochent  à  leur 
sortie  des  montagnes,  au  point  que  les  cultures  qu'ils 
arrosent  se  soudent  en  une  zone  continue;  puis,  au  lieu 
de  confluer,  ils  se  détournent,  et  se  perdent  séparément 
dans  la  plaine.  Ces  cours  d'eau  ont  une  pente  moins 
rapide  que  les  torrents  plus  maigres  des  oasis  du 
Nord-Ouest,  et  l'inclinaison  moyenne  des  cônes  de  déjec- 
tion où  sont  établis  les  vignobles  est  relativement  faible. 
Les  pentes  supérieures  du  cône,  où  des  limons  peu  épais 
recouvrent  les  cailloux  roulés,  donnent  des  vins  francs 
et  parfumés.  Dans  le  vignoble  de  Mendoza,  Lujan,  et 
plus  bas,  Godoy  Cruz,  Guaymallen,  Maipu,  forment 
ainsi  des  crus  privilégiés.  Dans  la  plaine,  à  l'Est  de 
Mendoza,  à  San  Martin,  Junin,  le  rendement  est  plus 
élevé,  mais  les  vins  sont  grossiers  et  souvent  marqués 
par  le  salpêtre  que  contient  le  sol  argileux.  Le  même 
contraste  entre  la  zone  supérieure  et  la  zone  inférieure 
s'observe  à  San  Juan  et  à  San  Rafaël. 

Tandis  que  l'oasis  de  San  Juan  et  celle  de  San  Rafaël 
se  sont  étendues  régulièrement  sur  les  parties  les  plus 
favorables  du  talus  alluvial,  la  forme  de  l'oasis  de  Men- 
doza offre  une  anomalie  qui  ne  s'explique  que  par  des 
raisons  historiques;  la  zone  cultivée  s'étend,  en  effet,  en 
une  bande  étroite  le  long  du  Tunuyan,  sur  plus  de  100 
kilomètres  jusqu'au  cœur  de  la  plaine  hors  de  vue  de 
la  Cordillère.  C'est  là  un  exemple,  entre   mille,  de  l'in- 


76  LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE. 

fluence  que  la  circulation  exerce  sur  la  colonisation.  Le 
long  du  ïunuyan  passe,  en  effet,  la  route  de  Mendoza 
vers  le  littoral,  par  laquelle  arrivaient  les  convois  de 
bœufs  de  San  Luis  vers  les  invernadas.  Les  cultures 
naquirent  sur  son  tracé.  Les  villages  de  Santa  Rosa,  Las 
Catitas,  La  Paz,  qui  en  marquent  les  étapes,  sont  tous 
d'origine  ancienne;  les  étrangers  y  sont  rares.  On  y  voit 
encore  des  habitations  vétustés,  antérieures  h  la  voie 
ferrée,  et  datant  de  l'ère  du  «  carril  »,  ou  chemin 
charretier.  L'importance  de  cette  ligne  d'eau  à  travers 
le  désert  ressort  nettement  de  la  carte  de  Woodbine 
Parish. 

L'usage  de  l'irrigation  soulevait  ici  d'autres  problèmes 
techniques  que  dans  les  provinces  du  Nord-Ouest.  Les 
torrents  andins,  à  cette  latitude,  sont  redoutables  à  la 
saison  de  la  fonte  des  neiges,  au  début  de  Tété;  la  crue 
est  d'autant  plus  brusque  et  plus  forte  que  les  chaleurs 
sont  plus  tardives;  alors,  de  tous  les  ravins  de  la  mon- 
tagne, les  eaux  chargées  de  boue  convergent  vers  la 
vallée.  La  crue  laboure  le  lit  du  Rio,  en  ronge  les 
berges,  et  menace  de  se  frayer  un  chemin  au  milieu  des 
cultures;  les  villes  mêmes  de  Mendoza  et  de  San  Juan 
ont  été  plus  d'une  fois  en  danger.  La  crainte  de  détour- 
ner et  d'attirer  sur  soi  tout  ou  partie  de  la  crue  obligeait 
à  n'établir  sur  le  torrent  que  des  barrages  légers  et  fra- 
giles. A  San  Juan  on  arrosa  longtemps  avec  les  eaux  de 
l'Arroyo  del  Estero,  maigre  ruisseau  nourri  par  les 
infiltrations  du  V'allede  Zonda,et  l'on  s'enhardit  tardive- 
ment à  puiser  au  Rio  lui-même. 

Un  autre  problème,  que  les  oasis  restreintes  du 
Nord-Ouest  connaissent  à  peine,  celui  du  drainage, 
prend  à  San  Juan  et  à  Mendoza,  pour  une  grande  partie 
de  la  surface  irriguée,  une  importance  capitale.  Les 
eaux  infiltrées  dans  le  sol  s'écoulent  en  formant  une 
nappe  souterraine  qui,  suivant  la  topographie,  se  rap- 
proche plus  ou  moins  de  la  surface.  Elle  vient  affleurer 
sur  le  pied  du  cône  où  la  pente  diminue,  et  où  il  passe 


TUCLMAN  ET  MENDOZA.  77 

peu  à  peu  à  la  plaine.  Le  cône  porte  donc  à  sa  hase  une 
ceinture  de  marécages  (ciénagas),  parfois  une  ligne  de 
sources  puissantes  (Borhollon).  A  Son  Juan,  si  l'on 
s  éloigne  assez  pour  embrasser  d'un  seul  regard  tout 
l'ensemble  des  cultures,  on  s'aperçoit  qu'elles  occupent 
la  zone  médiane,  à  mî-côle  du  cône,  le  sommet  étant 
formé  de  cailloux  trop  grossiers,  la  base  étant  trop 
humide.  Le  progrés  des  cultures  vers  l'amont  et  lutilisn- 
tion  de  jour  en  jour  plus  complète  des  eaux  disponihl'  - 
tend  à  relever  le  niveau  de  la  nappe  souierrairif;  et  h 
accroître  la  superficie  des  ciénagas. 

Elles  ont  un  sol  fin  et  noir,  admirablement  fertile 
après  le  drainage,  et  l'irrigation  n'y  est  pas  nécessaire  : 
car  il  est  possible,  selon  la  profondeur  qu'on  donne  aux 
rigoles  de  drainage,  de  régler  le  niveau  des  eaux  souter- 
raines de  façon  qu'elles  continuent  à  nourrir  les  racines. 
L'aménagement  des  ciénagas  offre  encore,  h  San  Juan 
surtout,  où  elle  est  à  peine  entamée,  un  champ  d'expan- 
sion assez  large  aux  cultures.  De  plus,  l'eau  obtenue  de 
leur  drainage  permet  de  créer  plus  loin  de  nouveaux 
groupes  de  cultures  irriguées.  A  Mendoza,  la  superficie 
irriguée  par  les  canaux  de  drainage  ^desague)  est  déjà 
importante. 

Le  niveau  de  l'eau  dans  les  ciénagas  s  abaisse  pendant 
l'été,  et  s'élève  en  hiver  au  moment  où  l'irrigation  dans 
les  zones  supérieures  est  suspendue  ou  très  réduite,  et 
où  le  débit  des  acequias,  que  les  champs  ne  recueillent 
plus,  s'écoule  ou  s'infiltre  comme  il  peut  vers  l'aval. 
C'est  donc  en  hiver,  à  l'inverse  du  torrent  lui-même,  que 
les  canaux  de  drainage  sont  le  plus  abondamment 
nourris.  A  Barriales  ^Mendoza)  et  sur  le  cours  inférieur 
du  canal  Zanjon,  quelques  milliers  d  hectares,  arrosés 
par  des  eaux  de  drainage  et  exposés^à  la  disette  pendant 
l'été,  ont  le  droit  de  prendre  de  l'eau  au  rio  ou  au  canal 
pendant  les  5  mois  d  été,  de  novembre  à  janvier;  le 
reste  de  l'année,  ils  sont  réduits  aux  ressources  des 
canaux  de  drainage.  Cette  forme  de  concession  paraît 


78  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

fournir  un  moyen  d'utiliser  l'excédent  du  débit  du  rio 

pendant  l'été. 

A  cette  exception  près,  il  n'existe  pas  de  droits  tempo- 
raires limites  à  la  saison  des  hautes  eaux  et  permettant 
de  pratiquer  sur  le  pourtour  de  la  zone  des  cultures 
vivaces,  des  cultures  rapides  mûries  en  peu  de  mois.  Du 
moins,  le  mouvement  d'expansion  des  cultures  et  le 
désir  d'épuiser  toutes  les  ressources  en  eau  ont  amené 
à  créer,  à  côté  des  droits  définitifs,  des  droits  éventuels. 
Ils  ne  sont  servis,  en  principe,  que  si  les  droits  définitifs 
ont  reçu  leur  pleine  dotation  et  dans  un  ordre  fixe;  ils 
sont  en  effet  subordonnés  les  uns  aux  autres.  La  valeur 
marchande  des  terres  à  droits  d'eau  éventuels  reste  bien 
inférieure  à  celle  des  terres  à  droits  d'eau  définitifs'. 
A  San  Rafaël,  où  la  colonisation  a  précédé  l'inventaire 
systématique  des  ressources  naturelles,  la  concession  de 
droits  d'eau  éventuels  a  été  un  procédé  pour  laisser  se 
développer  les  cultures,  bien  qu'on  fût  fort  mal  renseigné 
sur  le  débit  de  l'Atuel  et  du  Diamante  et  sur  la  super- 
ficie que  pourrait  atteindre  le  nouveau  centre. 

Dans  la  pratique,  la  coexistence  de  droits  éventuels  et 
de  droits  définitifs  offre  bien  des  difficultés  et  plus  d'un 
prétexte  à  la  fraude  ;  il  arrive  en  effet  que  les  titulaires 
de  droits  éventuels  ont  accès  au  rio  en  amont  des  prises 
d'eau  plus  anciennes  et  qui  doivent  être  servies  de  pré- 
férence. Tout  un  groupe  de  canaux  desservant  des 
terres  à  droits  éventuels  se  greffe  ainsi  sur  le  Tunuyan 
au-dessus  de  la  Paz  dont  les  droits  sont  séculaires  et 
définitifs. 

Le  droit  d'eau  de  Mendoza  ou  de  San  Juan,  codifié 
dans  des  lois  provinciales  qui  datent,  comme  la  construc- 
tion des  barrages,  de  la 'fin  du  xix^  siècle,  est  profondé- 


1.  Il  existe  actuellement  dans  la  province  de  Mendoza  275  000  hec- 
tares ayant  un  droit  définitif,  et  505  000  ayant  un  droit  éventuel.  Les 
concessions  alimentées  par  le  Diamante  et  l'Atuel  à  S.  Rafaël,  soit 
120  000  hectares  avec  droit  définitif  et  150  000  avec  droit  éventuel,  ne 
sont  pas  encore  entièrement  mises  en  valeur. 


TLCUMAN  ET  MENDOZA.  7& 

ment  di fièrent  des  droits  d'eau  qui  régnent  dans  les  pro- 
vinces andines  du  Nord-Ouest.  La  diversité  des  condi- 
tions physiques  se  reflète  dans  les  institutions.  L'eau 
n'est  pas  ici  un  objet  de  propriété  privée  indépendam- 
ment du  sol.  La  concession  d'eau  est  accordée  à  tel  ou 
tel  fonds  et  définie  en  mesures  de  superficie.  La  loi  fixe 
le  volume  d'eau  qui  revient  à  Tunité  de  superficie.  Si  le 
débit  du  rio  ne  suffit  pas  pour  distribuer  à  toute  la  zone 
irriguée  le  volume  prévu  par  la  loi,  du  moins  toutes  les 
terres  à  droits  définitifs  ont-elles  une  dotation  égale,  et 
l'eau  disponible  est  répartie  entre  les  canaux  en  propor- 
tion de  la  surface  qu'ils  irriguent. 

Si  aucune  loi  n'a  pu  assurer  aux  cultivateurs  de  Cuyo, 
môme  titulaires  de  droits  définitifs,  la  constance  de  leur 
provision  d'eau,  ni  éviter  qu'ils  supportent  en  commun 
les  effets  des  variations  du  débit  des  torrents,  il  n'a  pas 
été  davantage  possible  de  leur  assurer  l'eau  d'une  façon 
complètement  permanente.  Le  «  turno  »  est  pratiqué 
partout  lorsque  les  eaux  sont  basses.  Mais  si  l'on 
s'éloigne  vers  l'aval,  où  la  disette  dure  presque  toute 
l'année,  le  turno  devient  la  règle  constante.  A  la  Paz, 
au  terme  de  la  zone  irriguée,  il  doit  être  appliqué  avec 
rigueur.  Le  tour  de  chaque  propriétaire  revient  tous  les 
huit,  dix  ou  douze  jours.  En  temps  normal,  il  reçoit  la 
<(  suerte  de  agua  »,  c'est-à-dire  le  débit  d'une  écluse  de 
dimensions  fixes  pendant  une  demi-heure  par  hectare. 
Mais  si  le  rio  maigrit,  il  devient  impossible  de  servir 
simultanément  plusieurs  voisins  et,  pour  ne  pas  allon- 
ger l'intervalle  entre  deux  arrosages  successifs,  la 
durée  de  la  suerte  de  agua  est  réduite  ;de  moitié  ou 
des  trois  quarts. 

Du  moins,  les  oasis  de  Cuyo  ressemblent  aux  petites 
oasis  du  Nord-Ouest  par  la  part  qui  est  faite  aux  intéres- 
sés dans  l'administration  de  l'irrigation.  Les  lois  d'eau 
en  ont  donné  la  direction  générale  à  des  fonctionnaires 
provinciaux.  Mais  au-dessous  d'eux,  et  pour  le  détail  de 
la   distribution  de   l'eau  et  de   l'entretien  des  canaux, 


80  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLXE. 

elles  ont  laissé  subsister,  en  les  régularisant  seulement, 
les  organismes  démocratiques  pi-imitifs.  A  San  Juan,  ia 
surveillance  de  l'irrigation  est  exercée  par  les  conseils 
municipaux  élus  et  l'intendant  des  départements;  à 
Mendoza,  les  propriétaires  nomment  pour  chaque  canal 
un  conseil  de  trois  délégués  et  d'un  inspecteur,  qui 
fixent  et  soumettent  aux  autorités  provinciales  le  budget 
annuel  du  canal,  perçoivent  les  taxes,  exécutent  les 
réparations  nécessaires,  etc.  Le  fractionnement  de  la 
propriété'  et  le  nombre  des  électeurs  donnent  de  la  vie  à 
ces  petites  Républiques  fort  jalouses  de  leur  autonomie. 

Même  dans  les  limites  étroites  de  la  région  de  Cuyo, 
les  conditions  climatologiques,  qui  règlent  la  végéta- 
tion de  la  vigne,  ne  sont  pas  exactement  identiques. 
L'ouverture  des  vendanges  varie,  selon  les  points,  de 
plusieurs  semaines*.  Le  versant  Nord  du  cône  exposé 
au  soleil  et  abrité  contre  les  vents  du  Sud  est  plus 
précoce.  Quelques  parages,  mal  défendus  contre  les 
vents  du  Sud,  et  où  les  gelées  tardives  sont  fréquentes, 
n'ont  pas  été  envahis  par  le  vignoble  (zone  du  Tunuyan, 
en  aval  de  San  Carlos,  au  Sud  de  Mendoza).  Partout,  la 
sécheresse  de  l'air  fait  que  les  raisins  mûrs  se  conser- 
vent longtemps  sur  la  plante;  la  vendange  peut  se  pro- 
longer sans  inconvénient  pendant  deux  mois  et  plus  ; 
elle  réclame  donc  un  supplément  de  main-d'œuvre  rela- 
tivement restreint,  et  n'entraîne  pas  de  migrations  sai- 
sonnières. La  durée  des  vendanges  facilite  d'autre  part 
les  transactions  sur  les  raisins,  qui  sont  l'un  des  traits 
particuliers  de  l'industrie  vinicole  argentine. 

Le  climat  est  moiiis  favorable  à  la  vinification  qu'à  ia 


i.  Plus  de  6000  propriétaires  à  San  Juan  pour  91000  hectares,  plus 
de  9000  à  Mendoza  (zone  des  rios  i^Iendoza  et  Tunuyan)  pour  130  OOd 
hectares  (statistique  dressée  en  1899). 

2.  L'amplitude  de  ces  difierences  est  infiniment  plus  grande  si  l'on 
s'éloigne  des  provinces  de  Cuyo.  Cataniarca.  qui  s'est  spécialisée 
dans  la  production  des  raisins  de  table,  est  envahie  par  les  acheteurs 
de  Buenos  Aires  et  commence  ses  expéditions  on  décembre,  deux 
mois  entiers  avant  le  début  des  vendanges  de  Mendoza. 


TUCUMAN  ET  MENDOZA.  81 

viticulture.  La  température  au  moment  de  la  vendange 
est  élevée  et  entrave  la  marche  de  la  fermentation  dans 
les  cuves  :  les  raisins  sont  trop  sucres  et  trop  peu 
acides  pour  que  la  transformation  des  moûts  se  réalise 
complètement  d'elle-même.  De  là,  la  nécessité  d'un 
outillage  coûteux,  de  caves  perfectionnées  et  d'un  per- 
sonnel technique,  (^ette  organisation  industrielle  n'est 
pas  à  la  portée  des  petits  cultivateurs.  Aussi  la  culture 
de  la  vigne  et  la  fabrication  du  vin  ne  sont-elles  pas  ici 
étroitement  associées  et  comme  inséparables.  Elles  sont 
pratiquées  par  deux  catégories  distinctes  de  la  popula- 
tion. Comme  Tucuman  a  ses  «  cafteros  »  et  ses  usiniers, 
Mcndoza,  par  une  division  du  travail  qui  ne  paraît  pas 
moins  anormale  au  voyageur  européen  et  que  le  climat 
contribue  à  expliquer,  a  ses  vignerons,  «  viftateros  »  et 
fe.cs  fabricants,  «  bodegueros'  ». 

Chacune  de  ces  deux  classes  a  eu  sa  part  dans 
l'œuvre  commune.  Les  vinaleros  ont  créé  le  vignoble. 
La  vigne  créole  importée  des  Canaries  au  Pérou,  et  qui 
de  là  se  répandit  dans  toutes  les  Andes  méridionales, 
donne  en  abondance  un  fruit  sucré  et  ûpre  qui  ne 
)»crmetpas  d'imiter  les  vins  d'Europe.  A  Mendoza  elle 
a  presque  complètement  disparu;  à  San  Juan  elle  se 
maintient  encore.  Elle  est  cultivée  en  treilles,  sur  des 
châssis  de  bois  posés  sur  des  fourches  d'algarrobe,  ou 
bien  les  ceps  robustes  s'élèvent  sans  support  à  2  mètres 
du  sol  environ,  et  portent  une  couronne  de  sarments 
et  de  feuillages.  Le  vignoble  nouveau  a  au  contraire 
été  constitué  avec  des  cépages  français.  Tandis  que  les 
vignes  créoles  ont  l'aspect  d'un  véritable  verger,  les 
vignes  françaises  sont  cultivées  sur  des  alignements  de 
fils  de  fer. 

Les  plantations  furent  faites  d'abord  par  des  ouvriers 


1.  Si  la  culture  de  la  canne  est  généralement  tombée  sous  la  dé- 
pendance de  l'industrie  sucrière,  qui  représente  de  gros  capitaux,  on 
est  accoutumé  au  contraire  à  considérer  la  vinification  comme  une 
simple  annexe  de  la  viticulture. 

Dems.  —  (.'Ariredline.  6 


82  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

créoles,  payés  à  la  journée.  Bientôt,  à  mesure  que  se 
dessina  l'immigration  étrangère,  se  répandit  l'usage  de 
contrats  à  long  terme,  par  lesquels  un  colon  recevait  la 
terre  nue  et  s'engageait  à  la  rendre  au  bout  de  trois, 
quatre  ou  cinq  ans,  plantée  en  vignes.  Le  propriétaire 
fournissait  le  matériel  nécessaire.  Le  colon  touchait  à 
la  fin  du  contrat  une  prime  de  quelques  centavos  par 
pied  de  vigne,  ou  bien  vendait  à  son  profit  tout  ou 
partie  des  premières  récoltes.  Grâce  à  ces  contrats,  le 
nombre  des  étrangers  fut  toujours  particulièrement 
élevé  dans  les  zones  où  le  vignoble  était  en  formation. 
La  proportion  des  étrangers  est  aujourd'hui  moins  forte 
à  Mendoza  qu'à  San  Rafaël,  où  la  colonisation  est  plus 
récente.  Lorsqu'ils  le  purent,  les  propriétaires  laissèrent 
à  leurs  colons  non  seulement  le  soin  de  la  plantation 
des  vignes,  mais  l'entretien  des  vignobles  adultes. 
Le  colon  reçoit  alors  une  somme  fixe  par  hectare 
(100  piastres  par  exemple),  et  se  charge  de  labourer, 
tailler,  irriguer,  etc....  Un  grand  nombre  de  ces  ouvriers 
agricoles  et  de  ces  petits  entrepreneurs,  ayant  réalisé 
un  modeste  capital,  ont  eux-mêmes  acheté  des  terres,  et 
planté,  constituant  ainsi  une  classe  nouvelle  de  pro- 
priétaires cultivateurs. 

Pendant  que  les  vinateros  renouvelaient  le  vignoble, 
les  bodegueros  transformaient  les  méthodes  de  vinifica- 
tion. La  fragilité  des  vins  imparfaitement  fermentes, 
qui  aigrissent  et  s'éventent  vite,  était  d'autant  plus 
grave  pour  les  viticulteurs  de  l'époque  coloniale  que 
les  transports  se  faisaient  lentement,  sans  précautions 
possibles  contre  le  soleil,  qui  cuisait  sur  le  dos  des 
mules  les  barillets  d'algarrobe  ou  les  outres  de  cuir. 
Souvent  les  vignerons  préféraient  distiller  leur  vin  pour 
exporter  vers  les  plateaux  andins  ou  vers  le  littoral  des 
eaux-de-vie  qu'on  parfumait  à  l'anis.  Le  climat  et  les 
risques  du  transport  avaient  fait  naître  une  étonnante 
variété  de  méthodes  de  traitement  des  moûts.  Tantôt  on 
les  concentrait  par  l'ébullition  à  l'état  de  sirop  visqueux, 


TICIMAN  ET  MENDOZA.  83 

l'arrope,  pareil,  semble-t-il,  aux  vins  épais  de  la  Médi- 
terranée antique  ;  tantôt  on  cuisait  le  moût  sans  le 
réduire  pour  empêcher  la  fermentation  immédiate, 
comme  on  fait  encore  au  Chili  pour  la  chicha  ;  ou  bien 
on  mêlait  aux  vins  aigres  des  moûts  bouillis  avec  des 
cendres  de  sarment  qui  en  masquaient  l'acidité. 

Ces  traditions  sont  aujourd'hui  perdues.  Mais  il  est 
curieux  de  voir  les  bodegueros  s'appliquer  à  satisfaire 
encore  le  goût  de  la  population  créole  du  Nord-Ouest 
qui  a  gardé  sa  préférence  pour  les  vins  fruités  et  doux. 
San  Juan,  qui  approvisionne  cette  clientèle,  fabrique 
des  mistelles,  —  moûts  frais  bouillis  et  additionnés 
d'alcool,  —  qu'on  ajoute  aux  vins  achevés  pour  simuler 
les  fermentations  imparfaites  de  jadis.  Nulle  part  au 
monde  peut-être  l'art  de  la  vinification  n'a  été  poussé 
aussi  loin  que  dans  les  bodegas  de  Mendoza.  La  cor- 
rection des  moûts,  l'analyse  et  le  traitement  des  vins 
malades  y  sont  pratiqués  suivant  les  méthodes  les  plus 
modernes.  Les  bodegas  parviennent  à  livrer  un  produit 
très  régulier  que  garantit  leur  marque.  Le  vin  du  type 
Mendoza  qu'elles  s'efforcent  de  réaliser  est  un  gros  vin 
rouge,  chargé  en  couleur,  pesant  12  à  15  degrés  d'alcool, 
qu'on  peut  appeler  par  euphémisme  vin  de  coupage, 
mais  qui  est  en  réalité  un  vin  de  mouillage,  l'Argentine 
ne  produisant  pas  ailleurs  de  vins  trop  légers  et  n'ayant 
pas  besoin  de  vins  de  coupage. 

Le  nombre  des  caves  ayant  élaboré  du  vin  en  1915  est 
de  097  à  Mendoza,  556  à  San  Juan.  Mais  elles  sont 
d'importance  très  inégale,  La  grande  majorité  n'ont  que 
des  installations  réduites  et  un  capital  modeste. 
Ouelques-unes,  en  revanche,  sont  de  puissantes  usines 
dont  la  production  suffirait  à  alimenter  une  grande  ville, 
vastes  constructions  de  brique  ou  d'adobe,  couvertes, 
par  crainte  des  tremblements  de  terre,  d'une  toiture 
légère. 

Les  maîtres  de  caves  sont  eux-mêmes  presque  tou- 
jours propriétaires  de  vignobles,  mais  ils  ne  se  conten- 


84  LA  RÉPUBLIQUE  ARGKNTINE. 

tent  pas  de  leur  vendange  et  achètent  la  leur  aux  cultiva- 
teurs dépourvus  de  caves.  En  1008,  on  calculait  que 
140  000  tonnes  de  raisin  avaient  été  mises  au  pressoir  par 
les  propriétaires,  et  1 75  000  tonnes  achetées  par  les  bode- 
gueros'. 

Les  conflits  d'intérêts  entre  viîïateros  et  bodegueros 
forment  la  trame  de  la  vie  de  Mendoza.  Les  cours  du 
raisin  sont  infiniment  plus  variables  que  ceux  du  vin. 
Le  vinatero  dépourvu  de  cave  est  à  la  merci  du  bode- 
guero.  S'il  ne  veut  pas  laisser  perdre  sa  récolte,  il  doit 
accepter  sans  condition  le  prix  qu'on  lui  en  offre.  Le 
bodeguero  a  d'ailleurs  l'avantage  de  disposer  du  raisin 
vendangé  sur  les  terres  qui  lui  appartiennent;  si  les 
circonstances  ne  l'encouragent  pas  à  produire  à 
outrance,  il  se  borne  à  mettre  au  pressoir  sa  propre 
vendange  et  renonce  à  acheter  celle  du  voisin.  Tout  le 
poids  des  crises  commerciales  retombe  donc  sur  le 
vigneron  sans  cave. 

Les  prix  payés  pour  le  raisin  varient  légèrement  dans 
les  différentes  fractions  du  vignoble,  beaucoup  moins 
selon  ses  qualités  que  selon  le  nombre  de  bodegas  qui 
y  sont  placées  et  leur  capacité.  Les  transports  de  raisin 
à  grande  distance  sont  en  effet  fort  coûteux.  Exception- 
nellement on  a  apporté  du  raisin  de  San  Rafaël  à  des 
caves  de  Mendoza  ;  mais  chaque  bodega  se  fournit 
autant  que  possible  autour  d'elle.  A  San  Juan,  la  capa- 
cité des  caves  étant  proportionnellement  moindre  qu'à 
Mendoza,  les  bodegueros  ont  imposé  aux  cultivateurs 
des  conditions  plus  dures.  La  vendange  y  est  faite  aux 
frais  du  cultivateur,  tandis  qu'à  Mendoza  le  bodeguero 
s'en  charge,  et  transporte  lui-même  le  raisin  au  pres- 
soir et  à  la  cave.  Le  prix  fixé  par  le  contrat  d'achat  ne 
donne  pas  par  lui-même  une  idée  complète  des  avan- 
tages que  le  bodeguero  en  retire.  Le  raisin  est  payé  au 


1.  Des  statistiques  plus  récentes   manquent.  La  proportion  varie 
légèrement  cliaque  année  selon  les  cours  du  vin  et  du  raisin. 


TlCl MAN  ET  MEXDOZA.  S.-) 

poids,  mais  le  bodeguero  se  réserve  de  fixer  la  date  de 
la  livraison.  Il  commence  par  vendanger  ses  vignes 
lorsque  le  fruit  arrive  à  peine  à  maturité.  Il  remet  au 
contraire  à  plus  tard,  au  mois  d'avril  et  de  mai,  la  ven- 
dange des  raisins  achetés.  Ces  raisins,  exposés  sur  la 
plante  à  la  chaleur  et  au  soleil,  dépassent  la  maturité, 
gagnent  du  sucre  et  perdent  du  poids.  Ils  fournissent  des 
vins  ayant  plus  de  degré  d'alcool  et  qui  permettent  de 
corriger  les  vins  trop  légers  élaborés  pendant  les  se- 
maines précédentes.  Enfin  le  bodeguero  ne  fait  pas 
d'avances  au  vinatero  comme  l'usinier  au  cafiero  dans 
l'industrie  du  sucre. 

Le  seul  salut  des  vignerons  est  le  défaut  d'entente  des 
bodegueros  et  la  concurrence  qu'ils  se  font  entre  eu.v. 
Bien  que  des  conventions  entre  bodegueros  établissent 
avant  la  vendange  la  cote  officielle  à  laquelle  doivent  se 
faire  les  transactions,  elles  ne  sonl  respectées  que  dans 
la  mesure  où  chacun  s'y  trouve  intéressé.  Si  l'on  compte 
que  le  vin  s'écoulera  facilement,  et  si  l'on  craint  que  le 
raisin  manque,  les  acheteurs  abondent,  et  les  contrais 
sont  signés  longtemps  avant  que  le  fruit  ne  se  fonne. 
C'est  une  véritable  spéculation  à  terme.  On  joue  sur  le 
raisin  comme  sur  le  blé  ou  le  colon.  Haussiers  et  bais- 
siers  se  disputent  le  marché.  Si  les  haussiers  l'emporlent 
les  viùateros  s'enrichissent'. 


Si  l'on  compare  les  graphiques  représentant  la  pro- 
duction du  vin  et  du  sucre  en  Argentine,  au  cours  des 
30  dernières  années,  on  constatera  qu'ils  illustrent  clai- 


1.  Outre  les  causes  d'ordre  tcéographique  qui  ont  été  signalées, 
rindépendance  de  la  culture  et  de  la  fabrication  du  vin  a  des  causes 
économiques  qui  sortent  du  cadre  de  cette  étude.  La  grande  bodega 
est  mieux  placée  que  le  petit  producteur  pour  organiser  la  vente  de 
ses  vins  sur  le  marché  éloigné  que  constitue  Buenos  .\ires.  Seuis, 
les  bodegueros  étaient  à  même  de  lutter  contre  les  commerçants  éta- 
blis à  Buenos  Aires  qui  importaient  des  vins  d'Europe  et  fabri- 
quaient des  vins  frelatés. 


.Sii  LA  RÉPUBLigUE  ARGENTINE. 

rement  la  dépendance  de  linduslrie  vinicole  et  de  l'in- 
dustrie sucrière  à  l'égard  du  marché  intérieur.  La 
prospérité  de  la  région  pampéenne,  notamment  pendant 
les  années  qui  précèdent  1914,  se  reflète  à  Mcndoza  et  à 
Tucuman.  Le  mouvement  d'expansion  des  cultures  y  est 
pareillement  déclenché  par  la  construction  des  voies 
ferrées  qui  les  relient  au  littoral.  La  grande  industrie 
s'implante  à  Tucuman  à  partir  de  1876,  c'est-à-dire  à 
partir  de  l'inauguration  du  Central  Cordoba.  La  super- 
licie  cultivée  en  cannes  passe  de  2  200  hectares  en  1876 
à  14800  en  1886.  La  production  de  sucre  triple  en 
4  ans,  entre  1876  et  1880.  Mais  le  Central  Cordoba  était 
une  ligne  à  voie  étroite,  d'une  utilisation  coûteuse  et 
nécessitant  un  transbordement  des  marchandises  à  Cor- 
doba. En  1891,  le  chemin  de  fer  à  voie  large  de  Buenos 
Aires  à  Rosario  est  prolongé  jusqu'à  Tucuman,  et,  en 
1892,  la  ligne  à  voie  étroite  de  Rosario  à  Santa  Fe,  San 
Cristobal  et  Tucuman,  est  également  mise  en  service. 
Les  années  suivantes  sont  de  nouveau  signalées  par  les 
rapides  progrès  de  l'industrie  sucrière.  De  1891  à  1895, 
la  superficie  cultivée  en  cannes  s'élève  de  14  200  à 
40  700  hectares  et  la  production  de  sucre  de  51  000  à 
155  000  tonnes.  A  Mendoza  de  même,  le  développement 
du  vignoble  date  de  l'achèvement  du  chemin  de  fer  de 
San  Luis  en  1885.  Aussitôt  sont  entreprises  les  planta- 
tions qui  entrent  en  rapport  trois  ans  plus  tard.  En  1887, 
le  chemin  de  fer  transporte  de  Mendoza  au  littoral 
27  0.00  hectolitres  de  vin;  en  1890-91,  268  000  hectolitres. 
Dans  ce  court  intervalle  la  production  a  été  décuplée. 

A  mesure  que  la  production  du  vin  et  du  sucre  s'ac- 
croît, l'importation  étrangère  diminue.  Dès  1885, 
Tucuman  suffisait  à  la  consommation  nationale  du  sucre 
brut,  et  les  importations  ne  comprenaient  plus  que  du 
sucre  raffiné.  En  1888,  une  raffinerie  se  fonde  à  Rosario 
à  portée  des  sucres  argentins  qui  lui  arrivent  par  voie 
ferrée,  et  des  sucres  étrangers  amenés  par  la  voie  flu- 
viale. A  partir  de  cette  date,  l'importation  s'interrompt 


TLCIJMAN  ET  MENDOZA.  87 

et  ne  reprend  qu'à  de  longs  intervalles,  après  les  récoltes 
déficitaires.  L'importation  des  vins  communs  étrangers 
continue  à  s'accroître  jusqu'en  1890  (800000  hectolitres) 
aussi  longtemps  que  la  production  du  vin  à  Mendoza 
progresse  moins  vite  que  la  consommation.  Elle  a 
décliné  régulièrement  à  partir  de  cette  date  (oSOOOOhec- 
lolitros  on  1015),  soit  7  pour  100  seulement  de  la  pro- 
duction nationale.  Il  faut  noter,  d'ailleurs,  que,  môme  en 
matière  ^de  vins  communs,  le  vin  de  Mendoza  et  le  vin 
importé  ne  représentent  pas  deux  produits  exactement 
comparables,  que  la  concurrence  qu'ils  se  font  l'un  à 
l'autre  n'est  pas  une  pure  question  de  prix,  et  qu'une 
partie  de  la  clientèle  garde  une  préférence  pour  les  vins 
étrangers. 

L'élimination  des  vins  et  des  sucres  étrangers  et  le 
développement  de  Mendoza  et  de  Tucuman  se  sont  réa- 
lisés à  l'abri  d'un  régime  protectionniste  dont  les  détails 
sont  curieux  à  étudier,  parce  qu'ils  ont  dû  être  adaptés 
aux  conditions  naturelles.  Le  besoin  d'une  protection 
résulte  avant  tout  de  l'éloignement  des  centres  de  pro- 
duction du  marché  consommateur.  Mendoza  est  à 
1000  kilomètres  de  Buenos  Aires,  et  Tucuman  à  1200  ki- 
lomètres. Les  frets  perçus  par  les  voies  ferrées  sont 
élevés.  Ils  atteignent  35  piastres  la  tonne  pour  les  vins 
entre  Mendoza  et  Buenos  Aires,  près  du  double  du  fret 
maritime  normal  qu'ont  à  supporter  les  vins  européens 
expédiés  de  Bordeaux  ou  de  Gênes;  30  piastres  environ 
la  tonne  pour  les  sucres  entre  Tucuman  et  Buenos  Aires. 
Les  dépenses  de  transport  absorbent  ainsi  près  de 
1/6  de  la  valeur  totale  de  la  production.  Malgré  cette 
charge  commune,  la  nécessité  de  la  protection  est  loin 
d'être  égale  pour  Mendoza  et  pour  Tucuman.  La  vigne 
est  admirablement  adaptée  au  climat  de  Mendoza.  La 
sécheresse  y  réduit  les  maladies  cryptogamiques  ;  les 
risques  de  culture  y  sont  restreints.  La  fructification  est 
abondante;  les  gelées  sont  tardives  et  peu  dangereuses. 
Les  chutes  de    grêle   sont  fréquentes,  il   est   vrai,  au 


88  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

débouché  des  vallées  de  la  Cordillère,  mais  elles  ne  sont 
jamais  générales  et  ne  compromettent  jamais  qu'une 
petite  partie  de  la  récolte.  La  courbe  de  la  pioduction 
est  très  régulière  ;  elle  s'élève  chaque  année  presque 
sans  à-coup  et  proportionnellement  à  l'extension  des 
cultures.  En  conséquence,  le  marché  du  vin  olTre  une 
stabilité  à  laquelle  les  pays  vinicoles  europé'îns,  de 
climat  plus  incertain,  ne  sont  pas  accoutumés.  Aussi  le 
régime  de  protection  est-il  resté  fixe.  Le  droit  d'impor- 
tation sur  les  vins  étrangers  en  fût,  —  8  centimes  or  par 
litre,  —  n'a  pas  été  modifié  depuis  l'importation  en 
Argentine  de  la  grande  industrie  vinicole  '. 

La  courbe  de  la  production  du  sucre  est  aussi  acci- 
dentée que  la  courbe  de  la  production  du  vin  est  régu- 
lière. D'une  année  h  l'autre,  le  rendement  varie  du 
simple  au  double,  par  bonds  impossibles  à  prévoir  : 
147  000  tonnes  en  1912,  535000  tonnes  en  101';, 
150  000  tonnes  en  1915.  C'est  que,  suivant  le  temps,  la 
campagne  sucrière  réussit  ou  échoue.  Les  cannes  qui 
ont  subi  les  gelées  aigrissent  et  fermentent  sur  pied; 
elles  doivent  être  moulues  rapidement  et  il  est  impos- 
sible de  prolonger  la  récolte.  Même  dans  les  années 
favorables,  l'outillage  coûteux  des  usines  n'est  actif  que 
pendant  trois  mois  (juillet-septembre,  juillet-octobre  à 
Jujuy.) 

L'irrégularité  de  la  production  qui  rend  la  protection 
indispensable  en  complique  infiniment  la  })ratique. 
Tantôt,   en  effet,   la    récolte   est  insuffisante  pour  Ir^s 


\.  Mendoza  est  protégée  en  outre  par  les  lois  qui  rcprinieni  la 
fraude.  La  législation  contre  les  fraudes  est  double,  nationale  et 
provinciale.  La  loi  nationale,  qui  tient  compte  des  intérêts  des  t-oni- 
merçants  de  Buenos  Aires,  tolère  la  fabrication  des  vins  artificiels; 
la  loi  provinciale,  qui  défend  les  intérêts  particuliers  des  régions  de 
production,  est  plus  stricte.  Elle  interdit  la  fabrication  des  vins  arti- 
ficiels. Elle  fixe  le  degré  maximum  d'alcool  des  vins  et  empèclie 
l'expédition  de  Mendoza  à  Buenos  Aires  des  vins  alcoolisés,  destinés 
au  mouillage.  Enfin  elle  défend  le  vinatero  contre  le  bodeguero  en 
tixant  le  poids  de  raisin  à  employer  pour  l'élaboration  d'un  hecto- 
litre de  vin  et  en  rendant  ainsi  impossible  la  fraude  à  la  Inxlega. 


TICIMAN  1:T  MKNDOZA.  î'S 

besoins  du  pays,  et  il  faut  autoriser  l'imporlation  ; 
lantôt,  au  contraire,  elle  les  surpasse  de  beaucoup  et 
les  sucriers  sont  réduits  à  exporter  l'excédent  de  sucre 
pour  ne  pas  laisser  les  prix  s'effondrer  sur  le  marché 
intérieur  encombré.  Pour  répondre  à  des  situations  si 
diverses,  le  régime  protecteur  a  dû  être  sans  cesse  mo- 
difié et  compliqué.  Il  ne  peut  être  question  ici  d'en 
suivre  l'histoire  en  détail.  Les  droits  sur  les  sucres 
étrangers  ont  été  établis  par  degrés  entre  1885  et  189i, 
des  mesures  de  protection  particulières  étant  prises  en 
faveur  de  la  raffinerie  à  partir  de  1888.  La  surproduc- 
tion se  manifesta  pour  la  première  fois  en  1895.  L'expor- 
tation à  perte  pour  dégager  le  marché  national  fut 
d'abord  organisée  par  une  association  des  producteurs 
eux-mêmes  (en  1890).  Mais  dès  1807,  le  Gouvernement 
argentin  la  développa  en  instituant  des  primes  à  l'expor- 
tation. La  période  des  exportations  dure  de  1897  à  190  î. 
La  loi  de  1912,  qui  est  la  forme  la  plus  récente  du 
régime  protectionniste,  laisse  au  gouvernement  le  droit 
de  suspendre  temporairement  les  droits  d'importation 
et  d'autoriser  l'entrée  du  sucre  étranger.  Comme  à 
Mendoza,  l'intervention  du  gouvernement  provincial  se 
superpose  à  celle  du  gouvernement  national.  L'alter- 
nance des  mauvaises  récoltes  et  des  récoltes  excessives 
fait  foisonner  les  lois  improvisées  de  toutes  sortes,  modi- 
fiant les  bases  de  la  perception  des  taxes,  réglant  la  pro- 
duction des  usines,  limitant  la  superficie  des  cultures'. 
Tucuman  a  donc  vécu  au  milieu  des  orages  et  des  incer- 
titudes, des  discussions  perpétuellement  renaissantes, 
dans  l'énervement  et  l'insécurité,  payant  ainsi  la  rançon 
de  sa  situation  géographique,  à  la  limite  extrême  de  la 
zone  où  la  culture  de  la  canne  est  possible. 

I.  Notamment  pendnnl  la  crise  de  lOOS-lOO."}. 


CHAPITRE   IV 

i/expi.oitation   des   forêts 

La  main- J'(riivre  des  ()l)rajrs.  —  Le  pays  des  baiîados  et  les 
cantons  agricoles  de  Corrientes.  —  Les  chantiers  du  (Ihaco  et  les 
usines  d'acide  lannique  du  Parana.  —  L'exploitation  du  maté.  — 
L'industrie  forestière  et  la  colonisation. 

Des  Andes  de  Tueuman  et  de  Salia  aux  rives  du  Haut 
Parana  dans  le  territoire  de  Misiones,  le  Nord  de  l'Ar- 
gentine est  aujourd'hui  un  vaste  chantier  d'exploitation 
de  bois.  Il  retentit  partout  des  coups  de  la  cognée. 
L'exploitation  du  bois  est  très  ancienne  sur  le  lleuve  : 
au  xviii"  siècle,  Buenos  Aires  est  approvisionné  de  bois 
par  le  Parana.  Dans  le  Chaco  occidental,  la  difficulté  des 
transports  par  terre  entravait  le  développement  de  l'in- 
dustrie forestière.  Le  seul  marché  pour  le  bois  de 
Tueuman  était  la  région  andine.  Les  expéditions  de 
bois  vers  Mendoza  cessèrent  au  début  du  xix'  siècle, 
quand  le  peuplier  eut  été  acclimaté  par  les  oasis  de 
Cuyo.  Sous  Rosas,  on  amena  par  chars,  de  Santiago  à 
Buenos  Aires,  les  premières  charges  de  bois  de  que- 
bracho  ;  mais  ce  commerce  s'interrompit  dès  que  la  voie 
fluviale  fut  redevenue  libre,  et  il  faut  venir,  pour  le  voir 
reprendre,  jusqu'à  l'époque  contemporaine  et  à  l'inaugu- 
ration des  chemins  de  fer. 

La  lisière  externe  de  la  foret  et  de  la  brousse,  où  l'in- 
dustrie forestière  a  dû  recruter  son  personnel,  est  habitée 
par  une  population  pastorale  très  clairsemée.  Pourtant, 
dans  le  domaine  solitaire  des  éleveurs,  sont  éparses 
quelques  ruches  bruyantes  où  la  brousse  s'anime.  Ces 
cantons  surpeuplés  sont  les  régions  à  culture  de  bana- 


92  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

dos,  ou  cultures  de  terres  inondées.  Entre  ces  anciens 
foyers  de  vie  créole  et  les  chantiers  de  la  forêt,  s'est 
établi  un  va-et-vient  incessant  :  l'industrie  forestière  y 
recrute  ses  ouvriers  par  engagements  temporaires.  Les 
salaires  qu'elle  leur  distribue  y  sont  rapportés  et  dé- 
pensés; ils  contribuent  à  maintenir  ces  groupes  sociaux 
de  type  archaïque  que  la  pauvreté  de  leur  production 
aurait  voués  à  une  élimination  rapide. 

Les  banados  sont  dispersés  sur  le  pourtour  de  toutes 
les  sierras  dans  les  limites  qu'atteignent,  avant  de  se 
perdre,  les  crues  des  torrents  nés  dans  la  montagne.  En 
outre,  ils  s'alignent  le  long  des  rares  rivières  assez  abon- 
damment nourries  pour  traverser  la  brousse  :  le  Salado 
et  le  Dulce.  Le  cours  du  Bermejo,  où  les  conditions 
naturelles  sont  analogues,  est  compris  en  dehors  de  la 
zone  de  la  colonisation  primitive  créole.  Les  cultures 
ne  forment  pas  sur  le  Salado  ni  sur  le  Dulce  une  zone 
ininterrompue.  Les  banados  manquent  partout  où 
le  lit  du  Rio  est  enfermé  par  des  berges  élevées  qui 
empêchent  la  crue  de  s'étendre.  Le  cours  du  Salado 
unit  trois  taches  principales  de  banados  en  chapelet 
sous  le  26°  (Matoque,  Boqueron),  entre  le  27°  et  le  28"  (la 
Brea),  entre  le  28°  et  le  29°  (Le  Bracho,  Navicha).  Mais 
le  pays  classique  des  banados,  où  ils  couvrent  la  super- 
ficie la  plus  étendue  et  nourrissent  le  groupe  de  popula- 
tion le  plus  important,  est  le  delta  intérieur  du  rio  Dulce 
en  aval  de  Santiago  del  Estero,  dans  l'es  départements 
de  Loreto,  d'Atamisqui  et  de  Salavina. 

Santiago  en  occupe  à  peu  près  le  sommet.  Vers 
l'amont,  le  rio  Dulce  est  encaissé  entre  de  hautes  barran- 
cas  de  limon  (département  de  Rio  Hondo).  Au-dessous 
de  Santiago,  le  rio  paraît  courir  au  sommet  d'une  sorte 
de  cône  alluvial  aplati,  sur  lequel  il  divague.  Les 
exemples  de  déplacement  du  lit  des  rivières  pendant  la 
période  historique  abondent  dans  le  Nord  de  la  plaine 
argentine.  La  brousse  est  labourée  à  l'Est  du  Salado 
par  un  réseau  de  lits  morts,  dont  les  berges  s'effacent 


L'EXPLOITATION  DES  FORÊTS.  93 

peu  à  peu  à  mesure  que  la  végélation  s'en  empare.  Mais 
nulle  part,  l'indécision  des  eaux  n'est  aussi  marquée,  le 
vagabondage  fluvial,  aussi  ample,  que  dans  cette  section 
du  bassin  du  rio  Dulce.  Les  bourgades  d'Atamisqui  et 
Salavina,  qui  vivaient  des  eaux  du  Dulce,  furent  ruinées 
brusquement  en  1825  lorsque  le  fleuve,  à  la  suite  d'une 
crue  particulièrement  violente,  se  détourna  au  Sud  pour 
se  perdre  dans  les  Salinas  Grandes.  Un  canal  ayant  été 
creusé  en  1897  pour  irriguer  la  région  de  Loreto,  sur  la 
rive  gauche  du  rio  Dulce,  la  crue  de  1901  en  élargit 
l'entrée  mal  défendue  par  des  travaux  insuffisants,  s'y 
fraya  un  passage,  et,  guidée  par  lui,  déboucha  dans 
l'ancien  lit  abandonné  depuis  un  siècle,  qui  se  dirige  au 
Sud-Est  vers  Alamisqui.  Atamisqui  et  Salavina  refleu- 
rirent, tandis  qu'il  fallut  abandonner  les  cultures  du  rio 
des  Salines  qui  ne  reçoit  plus  d'eau  que  pendant  les 
crues  exceptionnelles.  Lits  actuels,  lits  anciens  toujours 
prêts  à  se  rouvrir,  restes  de  canaux  modifiés  et  coupés 
par  le  courant,  forment  un  chevelu  dense  au  milieu  de 
la  plaine,  où  l'inondation  se  répand  tantôt  d'un  côté, 
tantôt  de  l'autre,  suivant  le  chemin  qui  s'ouvre  à  elle  et 
suivant  la  facilité  avec  laquelle  les  divers  éléments  du 
réseau  se  prêtent  à  la  circulation  des  eaux.  Tel  est  le 
pays  des  banados. 

On  y  entre  aujourd'hui  par  la  station  de  Loreto,  où  la 
ligne  de  Santiago  à  Prias  s'en  rapproche  à  quelques  kilo- 
mètres ;  celte  station  est  construite  au  milieu  du  monte 
aride,  et  ne  doit  son  mouvement  qu'au  voisinage  des  ba- 
nados. En  allant  du  chemin  de  fer  vers  l'Est,  aussitôt 
après  avoir  traversé  le  large  lit  encombré  de  sables  du 
rio  des  Salines,  on  se  trouve  au  cœur  des  cultures  de 
banados.  Le  chemin  circule  entre  les  haies,  «  cercas  », 
par-dessus  lesquelles  on  voit  verdir  les  blés  et  les 
luzernes;  les  lots  sont  minuscules,  des  jardins  plutôt 
que  des  champs.  On  a  conservé,  en  défrichant,  les 
arbres  les  mieux  venus,  dont  le  feuillage  léger 
assure  aux  récoltes  une  ombre  salutaire,  et  la  couronne 


04  LA  RÉPUBLIOUE  ARGENTINE. 

des  algarrobes  dépasse  partout  le   sommet  des  haies. 

Les  champs  ne  couvrent  pas  tout  le  domaine  des 
inondations  annuelles  :  ils  sont  limités  aux  zones  oii  la 
crue  est  fertilisante  et  où  elle  abandonne  un  limon  fin  et 
sain  qui  conserve  pendant  plusieurs  mois  les  réserves 
d'humidité.  Ailleurs,  le  courant  est  trop  rapide;  il  ravine 
le  sol,  y  laisse  des  trous  profonds  semblables  aux  lôncs 
de  la  zone  d'inondation  du  Rhône,  arrache  les  clôtures; 
ou  bien,  les  eaux  apportent  avec  elles  des  sables  stériles 
qu'elles  étalent  en  longues  traînées;  ou  enfin,  lors- 
qu'elles ne  sont  pas  drainées  à  temps  et  s'évaporent  sur 
place,  elles  déposent  les  sels  dont  elles  sont  chargées, 
et  la  terre,  marquée  d'une  lèpre  blanche,  devient  im- 
propre à  la  végétation. 

La  crue  s'ouvre  en  été,  pendant  les  mois  de  novembre 
ou  de  décembre  ;  elle  est  déterminée  par  les  pluies  d'orage 
de  la  région  de  Tucuman,  et  fort  irrégulière.  Une  partie 
des  habitations  est  évacuée,  d'autres  sont  entourées  de 
levées  de  terre  qu'on  relève  d'heure  en  heure,  suivant  le 
niveau  qu'atteignent  les  eaux  et  à  l'abri  desquelles  on 
attend  la  fin  de  la  crue.  Lorsque  la  boue,  découverte  par 
la  décrue,  a  repris  assez  de  consistance,  on  laboure  et  on 
sème  le  blé,  qui  germe  pendant  l'hiver  et  qu'on  mois- 
sonne en  novembre,  en  hâte,  de  peur  que  la  nouvelle 
crue  ne  le  trouve  encore  sur  pied. 

Les  caprices  de  la  crue  obligent  à  déplacer  fréquem- 
ment les  habitations  et  les  cultures.  Le  village  ancien 
de  Loreto,  évacué  après  une  crue,  n'est  plus  aujourd'hui 
qu'un  amas  de  ruines  solitaires.  Alentour  des  troncs 
dénudés  d'algarrobes  tués  par  un  apport  excessif  de 
sable  ou  de  sel  dominent  des  colonies  uniformes  de 
plantes  du  même  âge  et  de  la  même  espèce  qui 
envahissent  l'espace  où  la  brousse  adulte  et  variée  a  été 
détruite.  Le  moulin  a  été  reconstruit  à  moins  d'un  mille 
et  n'a  pas  perdu  sa  clientèle  qui  a  relevé  plus  loin  ses 
ranchos.  L'instabilité  des  cultures  a  empêché  l'établis- 
sement de  la  petite  propriété  ;  les  cultivateurs  ne  sont 


L'EXPLOITATION  DES  I-ORÈTS.  05 

<Iiie  les  tenanciers  d'estancias  qui  s'étendent  depuis  le 
Heuve  jusqu'à  de  grandes  distances  dans  l'intérieur. 

L'utilisation  des  banados  pour  l'agriculture  est 
ancienne,  et  remonte  probablement  jusqu'à  l'ère  pré- 
colombienne. Le  père  DobrizhofTer,  qui  le  premier  en 
parle  clairement',  compare  le  Rio  Dulce  au  Nil,  et  c'est 
en  efTel  aux  cultures  de  l'Egypte  pharaonique  que  res- 
semblent les  banados,  alors  qu'ils  n'ont  aucun  rapport 
avec  les  zones  d'irrigation  des  vallées  andines.  Les 
banados  étaient  consacrés  alors  aux  cultures  de  blé  et  de 
courge.  La  courge,  qui  est  d'origine  américaine,  n'y  avait 
pas  encore  été  éliminée  par  le  blé  qui  est  d'introduction 
espagnole.  Le  blé  des  banados  alimenta  jusqu'au  début 
du  xix"  siècle  un  commerce  d'exportation  assez  actif,  et 
les  banados  ont  été  parfois  appelés  un  peu  emphatique- 
ment le  grenier  de  la  vice-Royauté.  Le  mouvement  de  la 
population  des  banados  est  difficile  à  suivre  avec  préci- 
sion en  raison  des  incessants  remaniements  des  circon- 
scriptions administratives  dans  la  province  de  Santiago. 
La  population  totale  de  la  province  ne  forme  plus  aujour- 
d'hui que  5  pour  100  de  la  population  de  l'Argentine, 
mais  son  importance  relative  était  beaucoup  plus  consi- 
dérable au  milieu  du  xix^  siècle  (près  de  8  pour  100  au 
recensement  de  1861).  Les  cinq  départements  de  Loreto, 
Atamisqui  et  Salavina  sur  le  Rio  Dulce,  Copo  primero 
et  Figueroa  sur  le  Salado,  qui  vivent  principalement 
des  cultures  de  banados,  comptaient  46  000  habitants 
en  1861,  et  45000  en  1805.  La  carte  de  Woodbine 
Parish,  la  description  de  Hutchinson  donnent  nettement 
l'impression  de  la  densité  du  peuplement  dans  la 
zone  des  banados.  J'indique  ailleurs^  l'ancienneté  et  la 
permanence  des  courants  d'émigration  temporaire  qui 
répandent  sur  une  grande  partie  du  territoire  argentin 
la  population  des  banados.  L'émigration  temporaire  des 


1.  llistoria  de  Abiponibus. 

'1.  Voir  le  chapitre  sur  la  population. 


96  LA  RÉPUBLigUE  ARGENTINE. 

Santiaguenos  se  partage  entré  la  plupart  des  provinces 
du  Centre  et  du  Nord  de  l'Argentine,  mais  elle  intéresse 
surtout  la  région  frontière.  Le  Santiaguefio  est  avant 
tout  un  bûcheron.  La  zone  forestière  a  sur  les  autres 
marchés  de  travail  l'avantage  d'accueillir  les  travailleurs 
en  toute  saison,  hiver  comme  été,  tandis  que  la  récolte 
de  canne  à  Tucuman  et  la  moisson  du  Sud  ne  durent  que 
peu  de  mois.  On  émigré  des  banados  pour  Tucuman  en 
mai,  pour  Cordoba  et  Santa  Fe  en  octobre,  novembre  et 
décembre,  pour  la  forêt  du  Chaco  pendant  toute  l'année. 
Avec  les  banados  du  Dulce  et  du  Salado,  la  province 
de  Gorrientes  a  élé  la  réserve  principale  où  l'industrie 
du  bois  a  puisé  sa  main-d'œuvre.  Comme  à  Santiago 
del  Estero,  on  retrouve  à  Corrientes  l'opposition  si  fré- 
quente dans  les  zones  d'ancienne  colonisation  de  l'Amé- 
rique du  Sud,  entre  les  régions  de  culture  et  les  régions 
d'élevage.  Les  estancieros,  éleveurs,  sont  les  maîtres  de 
Corrientes,  mais  les  alignements  de  collines  basses  de 
snble  et  d'argile  rouge  ponctuées  de  lagunes  qui  tra- 
versent l'angle  Nord-Ouest  de  la  province,  échappent  à 
leur  domination.  Là  le  sol  se  divise,  les  champs  appa- 
raissent. Comme  le  blé  pour  les  banados,  le  tabac  a  été 
pour  cette  fraction  de  Corrientes  un  produit  d'exporta- 
tion, surtout  après  l'isolement  politique  du  Paraguay, 
principal  producteur  de  tabac  au  xviii"  siècle.  Pen- 
dant toute  la  première  partie  du  xix®  siècle,  les  ache- 
teurs de  tabac  parcouraient  Corrientes  après  la  récolte, 
en  janvier  et  février.  D'ailleurs  ce  sol  fertile,  sous  un 
climat  doux  où  les  plantes  vivrières  tropicales  réus- 
sissent comme  celles  de  la  zone  tempérée,  fournit  les 
éléments  d'une  aisance  locale  qui  se  suffit  à  elle-même. 
Ici  encore,  la  colonisation  agricole  a  créé  un  noyau  de 
population  relativement  dense,  capable  d'essaimer.  Bien 
que  les  divisions  administratives  ne  correspondent  pas 
exactement  aux  divisions  naturelles,  l'inégalité  de  la 
distribution  de  la  population  à  Corrientes  ressort  des 
chiffres  fournis  par  le  recensement  de  1895.  La  densité 


L'EXPLOITATION  DES  FORÊTS.  07 

s'élève,  dans  les  zones  agricoles,  à  8  habitants  par  kilo- 
mètre carré,  dans  le  département  de  Bellavista;  à  10 
à  S.  Cosme;  à  14  à  Lomas  ;  à  30  à  S.  Roque.  Elle  est 
comprise  entre  I  et  2  dans  les  départements  purement 
pastoraux  (Concepcion,  Mercedes). 

Corrienles  a  aussi  ses  forets  où  reparaissent  la  plu- 
part des  espèces  de  la  forêt  du  Cliaco,  en  lignes  étroites, 
le  long  des  cours  d'eau,  et  en  taches  plus  étendues  sur 
les  plateaux  qui  séparent  leurs  vallées  inférieures  près 
du  Parana.  Elles  ont  fourni  d'abord  l'écorce  de  Curupai 
qu'utilisaient  les  tanneries  de  Corrientes.  Les  chantiers 
de  construction  pour  la  batellerie  fluviale  émigrent  au 
début  du  xix*^  siècle  du  Paraguay  à  Corrientes,  en  même 
temps  et  pour  les  mêmes  causes  que  le  commerce  du 
tabac.  L'exploitation  du  quebracho  rouge  ne  com- 
mença que  vers  1850.  En  1887,  Virasoro'  rapporte  que 
50  navires  sont  employés  h  charger  du  bois  de  Nandubaï 
sur  les  rives  du  rio  Corrientes,  et  à  le  transporter  à 
Rosario.  Née  sur  la  rive  gauche  du  Parana,  l'industrie 
forestière  a  émigré  à  la  fin  du  siècle  sur  la  rive  droite, 
où  la  main-d'œuvre  correntine  l'a  suivie. 

Le  même  mouvement  se  dessine  plus  au  Nord  sur  le 
Paraguay.  L'exploitation  du  bois  y  est  sur  les  affluents 
de  la  rive  gauche  une  industrie  séculaire.  D'Azara^  en 
signale  l'importance.  Robertson,  allant  de  Corrientes  à 
Asuncion  en  1814,  trouve  dans  la  zone  marécageuse 
voisine  du  fleuve  une  population  de  bûcherons,  qui, 
pendant  la  crue,  se  réfugie  dans  les  cantons  agricoles 
•  limitrophes,  sur  les  terres  hautes,  où  elle  est  bien 
accueillie.  La  coupe  de  bois  paraît  donc  avoir  dès  cette 
date  le  caractère  d'une  industrie  saisonnière.  L'exploita- 
tion des  forêts  envahit  aujourd'hui  rapidement  la  rive 
droite,  longtemps  abandonnée  aux  Indiens  sauvages. 


1.  \'al.  Virasoro.   Los  esteras  y   lagunas  ciel  Ibera.  Rev.    soc.  geogr. 
Argenlina,  VI,  1887,  p.  .105-351.  ' 

2.  Diario  de  la  n<iveçiacion  y  reconocimiento  del  rio  Tibicuari.  Collec- 
tion de  Ange'.is.  t.  II. 

Denis.  —  L'Argentine.  7 


98  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTL\E. 


Santiaguenos  et  Correnlinos  ne  se  sont  pas  mélangés. 
Les  deux  zones  d'expansion  de  la  colonisation  forestière, 
dont  ils  sont  les  pionniers,  sont  indépendantes.  Le 
quechua,  qui  est  la  langue  des  banados  durio  Dulce,  est 
parlé  sur  les  chantiers  du  Chaco  de  Santiago;  le  guarani, 
qui  est  la  langue  de  Gorrientes  et  du  Paraguay,  règne 
le  long  du  fleuve,  dans  le  Chaco  de  Santa  Fe.  Leurs  do* 
maines  n'entreront  en  contact  que  lorsque  l'embranche- 
ment de  Quimili  du  chemin  de  fer  du  Central  Norte,  qui 
vient  de  la  province  de  Santiago,  aura  rejoint  la  ligne 
de  pénétration  de  Resistencia  sur  le  Parana  vers 
l'Ouest. 

L'industrie  forestière  de  l'intérieur  et  celle  de  la  région 
fluviale  ne  se  distinguent  pas  seulement  par  leur  per- 
sonnel, mais  par  leur  organisation  même  et  par  leur 
marché.  La  variété  de  quebracho  rouge  exploitée  à  l'Ouest 
n'est  pas  exactement  semblable  à  la  variété  qu'on  trouve 
à  l'Est  :  chacune  d'elles  a  son  nom  particulier  :  quebra- 
cho santiagueno  et  quebracho  chaqueno.  Le  premier 
contient  10  pour  100  de  tannin  et  le  deuxième,  50pour  100  ; 
le  premier  est  abattu  comme  bois  d'œuvre,  le  deuxième 
pour  en  extraire  l'acide  tannique.  L'un  est  vendu  en 
Argentine,  l'autre  est  expédié  à  l'étranger. 

L'exploitation  du  bois  à  Santiago  est  restée  aux  mains 
d'un  monde  de  petits  capitalistes  et  de  tâcherons  qui 
n'ont  pas  acquis  la  propriété  foncière  et  ne  travaillent 
pas  chez  eux;  ils  se  bornent  à  acheter  au  détail,  et  selon 
les  besoins  du  moment,  le  droit  d'exploitation  (derecho 
de  monte  ou  derecho  de  lena).  Les  troncs  de  quebracho 
de  dimensions  exceptionnelles  fournissent  des  billes 
vendues  au  cube,  mais  la  zone  du  quebracho  santiagueno 
exporte  principalement  des  traverses.  Les  traverses  de 
quebracho  ont  été  employées  à  la  construction  du  réseau 
de  chemins  de  fer  à  voie  étroite  et  à  voie  large,  qui  depuis 
'20  ans  s'est  développé  sur  la  Pampa.  Les  arbres  hauts 


L'EXPLOITATION  DES  FORÊTS.  99 

el  minces  donnent  des  poteaux  de  télégraphe,  les  bran- 
ches menues,  les  poteaux  des  clôtures  de  fil  de  fer.  Dans 
les  régions  du  monte  où  manque  le  quebracho  rouge,  on 
exploite  aussi  le  rctamo  dont  on  tire  des  piquets  de  clô- 
ture, et  le  quebracho  blanc  qui  se  débite  en  rondins. 
Enfin  on  tire  de  la  forêt  du  bois  de  chauffe.  Les  usines 
de  Tucuman,  les  locomotives  sur  toute  une  partie  du 
territoire  sont  chauffées  au  bois.  Le  bois  de  quebracho 
rouge,  abandonné  quelques  années  sur  les  chantiers 
d'exploitation  de  traverses,  et  débarrassé  par  le  temps 
de  l'aubier  qui  tombe  en  pourriture,  la  «  lena  campana  » 
est  un  combustible  de  première  qualité.  Le  charbon  de 
bois  supporte  mieux  que  le  bois  brut  les  frais  de  trans- 
port, aussi  pout-il  être  expédié  plus  loin,  dans  toute  la 
zone  de  la  prairie.  On  le  fabrique  dans  le  monte  le  long 
de  toutes  les  voies  ferrées,  et  en  particulier  dans  les 
forêts  clairsemées  et  pauvres  qui  forment  la  bordure  de 
la  prairie. 

Comme  elle  est  dispersée  et  primitive,  l'industrie 
forestière  de  l'intérieur  est  aussi  instable  :  son  outillage 
est  peu  coûteux  :  des  scieries  aisément  démontables,  et 
représentant  d'ailleurs  un  capital  modeste.  Lorsqu'elles 
ont  épuisé  un  canton  de  la  forêt,  on  les  démonte  pour 
les  transporter  plus  loin.  Les  coupes  ne  sont  pas  con- 
duites de  façon  à  laisser  la  forêt  se  reconstituer  et  réparer 
ses  blessures  et  à  permettre  une  exploitation  continue. 
On  enlève  en  une  fois  tout  ce  qui  a  de  la  valeur.  Le  que- 
bracho est  d'ailleurs  un  arbre  de  croissance  lente.  Si 
l'industrie  forestière  est  parfois  revenue  après  un  inter- 
valle à  des  terrains  qu'elle  avait  déjà  exploites,  ce  n'est 
pas  parce  qu'elle  y  disposait  d'une  génération  nouvelle 
d'arbres,  mais  parce  qu'elle  trouvait  profit,  les  condi- 
tions du  marché  ou  le  prix  du  transport  s'étant  modifiés, 
à  abattre  le  bois  menu  qu'elle  avait  jadis  dédaigné. 

Le  maître  obrajero,  qui  se  déplace,  est  suivi  par  la 
plus  grande  partie  de  son  personnel.  Pourtant,  pour  le 
décider  à  émigrer,  ou  pour  recruter  dans  les  banados 

f  BISLIOTHECA 


100  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

des  hacheurs  qui  consentent  à  aller  travailler  sur  des 
chantiers  éloignés  et  dans  des  régions  neuves,  il  doit  se 
montrer  plus  libéral  et  offrir  des  salaires  plus  élevés. 
Les  conditions  du  travail  et  le  taux  des  salaires  ne  sont 
donc  pas  les  mêmes  dans  toutes  les  fractions  de  la  forêt. 
La  zone  d'exploitation  la  plus  ancienne  que  traverse  le 
Central  Cordoba,  entre  les  provinces  de  Gatamarca  et  de 
Santiago  del  Estero,  a  un  excédent  d'ouvriers  habiles. 
Les  obrajeros  de  la  vallée  du  San  Francisco  à  Jujuy,  où 
l'exploitation  est  toute  récente,  ne  disposent  au  contraire 
que  d'une  main-d'œuvre  médiocre.  Le  rendement  n'y  est 
pas  plus  élevé  qu'au  Sud,  bien  que  la  densité  et  la 
richesse  de  la  forêt  y  soient  incomparablement  supé- 
rieures. Il  en  a  coûté  surtout  pour  faire  naître  un  courant 
d'immigration  continue  vers  la  grande  région  de  produc- 
tion qu'on  appelle  aujourd'hui  le  Ghaco,  le  long  de  la 
voie  ferrée  qui  partd'Anatuya  et  pénètre  à  200  kilomètres 
vers  le  Nord,  L'ouvrier  étant  rétribué  aux  pièces,  le 
prix  payé  par  traverse  atteignit  au  moment  de  la  forma- 
tion des  obrajes  du  Ghaco  un  prix  double  sur  la  ligne 
d'Anatuya  de  celui  qu'on  payait  sur  l'ancienne  ligne  de 
Santiago  à  Prias,  à  la  porte  des  banados. 

L'exploitation  ne  reste  profitable  que  jusqu'à  une 
faible  distance  de  la  voie  ferrée.  Les  transports  par  chars 
élèvent  en  effet  rapidement  les  prix  de  revient.  L'indus- 
trie forestière  n'est  pas  moins  étroitement  dépendante 
des  voies  ferrées  pour  son  approvisionnement  que  pour 
l'exportation  des  bois.  L'obraje  n'a  sur  place  aucune  res- 
source en  fait  de  vivres.  Les  cultures  maraîchères  qui 
commencent  à  s'étendre  dans  la  zone  des  canaux  d'irri- 
gation de  la  Banda,  à  l'Est  de  la  ville  de  Santiago  del 
Estero,  voient  leur  production  absorbée  tout  entière 
par  les  acheteurs  d'Anatuya  et  de  la  ligne  du  Ghaco. 
Souvent  la  voie  ferrée  apporte  non  seulement  les  vivres 
mais  l'eau.  Dans  une  grande  partie  du  Ghaco  de  San- 
tiago, les  eaux  courantes  font  défaut  et  les  nappes  sou- 
terrames  sont  mal    connues,  inaccessibles   ou   salées. 


L'EXPLOITATION  DES  FORÊTS.  101 

L'obraje  est  le  pays  de  la  soif.  Pour  réduire  les  besoins 
en  eau,  on  creuse  des  réservoirs  pareils  aux  represas 
des  estancias  et  que  les  pluies  remplissent.  Mais  dès  les 
premiers  mois  de  sécheresse,  ce  ne  sont  plus  que  de.s 
mares  croupissantes  et  vertes,  et  il  faut  recourir  aux 
wagons-citernes. 


Si  le  Chaco  de  Santiago  est  aujourd'hui  une  démo- 
cratie de  petits  obrajeros  et  de  petits  entrepreneurs,  le 
Chaco  oriental,  le  long  du  Parana,  abrite  une  société 
toute  différente.  Il  est  en  effet  tout  entier  aux  mains  de 
grandes  fabriques  d'acide  tannique  où  les  troncs  de  que- 
bracho  sont  râpés,  bouillis  et  leur  suc  concentré  en  une 
ré.sine  visqueuse  ;  leurs  hautes  cheminées  dominent  de 
loin  en  loin  la  forêt.  L'exploitation  prend  ici  un  caractère 
capitaliste  et  industriel  qui  lui  manque  ailleurs  ;  elle  est 
dirigée  par  de  puissantes  entreprises,  fortement  organi- 
sées, et  qui  la  mènent  selon  un  plan  établi  à  l'avance. 
Les  usines  ne  traitent  pas,  il  est  vrai,  toute  la  production 
de  quebracho  ',  mais,  même  pour  les  bois  qui  sont 
exportés  bruts,  elles  sont  à  peu  près  complètement  maî- 
tresses du  marché,  et  une  bonne  part  en  est  réservée  aux 
filiales  qu'elles  ont  en  Europe.  Pour  pouvoir  amortir  le 
capital  considérable  que  représentent  les  usines,  les 
compagnies  qui  les  ont  bâties  ont  dû  s'assurer  des  forêts 
étendues,  et  elles  sont  devenues  propriétaires.  La  con- 
centration des  terres  entre  leurs  mains  se  continue  cha- 
que jour,  et  le  nombre  des  compagnies  tend  à  se  réduire 
par  fusion  ou  par  rachat  d'usines  concurrentes  et  de 
leurs  domaines.  Sur  le  territoire  du  Chaco,  où  l'admi- 
nistration des  terres  publiques  était  entre  les  mains  du 
Gouvernement  Fédéral,   quelques  précautions   ont  été 


1.  L'élaboration  sur  place  de  l'extrail  de  quebracho  est  d'autant 
plus  nécessaire  qu'on  avance  davantage  au  Nord  vers  l'intérieur  du 
continent  et  par  conséquent  que  les  frets  jusqii'aux  ports  de  desti- 
nation en  Europe  sont  plus  élevés. 


102  LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE. 

prises  pour  éviter  l'accaparement  des  terres  :  mais  les 
forêts  de  la  province  de  Santa  Fe  appartiennent  tout 
entières  à  deux  sociétés. 

Avec  les  capitaux  nécessaires  à  la  construction  des 
usines,  le  Chaco  oriental  a  reçu  d'Europe  un  personnel 
dirigeant  assez  nombreux,  occupé  soit  à  l'administration, 
soit  à  la  direction  technique.  Il  s'est  montré  plus  exi- 
geant que  le  personnel  créole  des  scieries  de  Santiago. 
Auprès  de  la  plupart  des  usines  se  sont  élevés  des  cha- 
lets confortables,  des  cités  ouvrières  de  brique.  Ces  dé- 
penses étaient  d'autant  plus  indiquées  que  l'industrie  est 
ici  moins  errante.  Une  usine  d'acide  tannique  ne  peut 
être  déplacée  comme  une  scierie  :  lorsque  les  réserves 
de  bois  s'épuisent  autour  d'elle,  elle  se  fournit  plus  loin, 
aussi  longtemps  que  les  frets  le  lui  permettent.  Elle 
dépend  du  chemin  de  fer,  non  seulement  comme  les 
scieries,  pour  l'exportation  de  ses  produits,  mais  pour 
son  approvisionnement  en  matière  première. 

Les  usines  ne  sont  pas  toutes  également  riches.  Elles 
sont  dispersées  sur  près  de  10  degrés  de  latitude,  au  Nord 
du  50"  L.  S.,  à  portée  du  fleuve  qui  assure  leur  communi- 
cation avec  le  monde,  et  a  permis  d'attaquer  à  la  fois 
toute  la  largeur  de  la  forêt.  Le  quebracho  abonde  parti- 
culièrement dans  le  Nord  de  Santa  Fe  et  dans  le  Sud  du 
territoire  argentin  du  Ghaco,  où  il  forme  l'essence  domi 
nante  de  la  forêt.  Les  usines  qui  sont  établies  là,  au 
milieu  des  forêts  les  plus  denses,  disposent  en  outre  de 
capitaux  abondants  qui  leur  permettent  de  ménager 
leurs  ressources  et  d'acheter  du  bois  au  loin.  La  forêt  à 
leurs  portes  est  encore  presque  intacte,  et  elles  ont 
devant  elles  le  plus  long  avenir.  Au  contraire,  l'usine  la 
plus  ancienne,  à  la  lisière  méridionale  de  la  forêt,  et  celle 
des  Corrientes  sur  la  rive  gauche  du  Parana,  sont  actuel- 
lement paralysées,  faute  de  bois. 

Si  les  usines  sont  toutes  placées  à  peu  de  distance  du 
fleuve,  ce  n'est  pas  seulement  parce  qu'elles  en  ont 
besoin  pour  évacuer  leur  production,  mais  parce   que 


L'EXPLOITATION  DES  FORÊTS.  105 

c'est  la  seule  fraclion  du  Cliaco  où  l'on  trouve  de  l'eau 
douce.  Or,  l'usine  à  acide  tannique  en  consomme  abon- 
damment. Le  long  du  fleuve,  dans  une  zone  dont  la  lar- 
geur est  comprise  entre  50  et  400  kilomètres,  on  voit 
réapparaître  en  efl'et  un  réseau  hydrographique  perma- 
nent qui  manque  dans  tout  le  reste  de  la  plaine;  ce  sont 
de  longues  traînées  de  marécages  couverts  de  joncs,  des 
«  cafiadas  »  qui  se  convertissent  pourtant,  de  place  en 
place  et  près  de  leur  embouchure,  en  rivières  propre- 
ment dites  au  lit  bien  dessiné.  Les  eaux  souterraines 
sont  aussi  plus  souvent  douces  et  abondantes,  soit 
qu'elles  soient  entretenues  par  les  pluies  plus  fréquentes, 
soit  qu'elles  soient  alimentées  par  des  infiltrations  du 
Parana,  et  plusieurs  usines  ont  exécuté  des  forages  heu- 
reux. On  souffre  ici  de  l'excès  d'eau  aussi  souvent  que 
de  la  soif;  sur  ces  immenses  superficies  presque  horizon- 
tales, les  eaux  des  canadas  s'étalent  et  envahissent  par- 
fois la  forêt  entière  ;  la  voie  ferrée,  les  habitations,  sont 
alors  baignées  par  la  nappe  stagnante,  qui  met  des  mois 
à  disparaître.  Les  troncs  mal  équarris,  accumulés  aux 
stations  pour  être  chargés,  et  qui,  suivant  l'état  du  mar- 
ché y  attendent  parfois  des  années,  sont  à  demi  enfouis 
dans  la  boue.  La  circulation  des  chars  sur  les  chemins 
devient  difficile.  Les  mules  qui  donnent  dans  la  forêt 
sèche  de  l'Ouest  un  bon  rendement,  ne  sauraient  fournir 
leffort  nécessaire  ici,  et  il  faut  recourir  au  bœuf,  la  bête 
de  somme  par  excellence  des  pays  de  boue.  Tandis  que 
les  bœufs  créoles  aux  grandes  cornes,  efflanqués,  hâlent 
péniblement  les  chars,  un  correntino,  aux  longues  jambes 
minces,  botté  de  boue,  les  guide  et  les  harcèle,  pareil, 
avec  son  pas  lent  et  prudent,  à  un  échassier  du  marais. 
Le  travail  de  ces  meneurs  de  chars  est  bien  plus  dur 
que  celui  des  hàcheurs.  Ils  reçoivent  une  paie  presque 
double,  et  c'est  la  difficulté  d'en  recruter  un  assez  grand 
nombre  qui  limite  la  production. 

La  puissance  et  aussi  la  stabilité  des  grandes  usines 
a  fixé  le  marché  du  travail  sur  la  rive  droite  du  Parana, 


lOi  LA  RÉPUBLigUE  ARGENTINE. 

et  nulle  part  on  n'est  plus  forcé  d'aller  recruter  des  ou- 
vriers à  Corrientes;  ils  viennent  d'eux-mêmes;  des  ser- 
vices quotidiens  de  petits  vapeurs  les  amènent  à  tous 
les  ports  d'expédition  du  quebracho.  La  rive  gauche, 
sur  le  territoire  argentin,  n'a  plus  de  centre  d'embauché, 
comme  sont  encore  au  Paraguay  Asuncion  et  Concep- 
cion. 

Même  sur  ses  terres,  l'usine  abandonne  l'exploitation 
du  bois  à  des  entrepreneurs  auxquels  elle  l'achète.  Mais 
les  obrajeros,  travaillant  dans  les  forêts  de  la  Compagnie 
ou  chez  eux,  sont  vis-à-vis  de  l'usine  dans  une  étroite 
dépendance  :  les  contrats  qui  les  lient  varient  selon 
qu'ils  sont  ou  non  propriétaires,  selon  qu'ils  se  char- 
gent du  transport  du  bois  aux  gares,  ou  qu'ils  le  li- 
vrent à  la  place  où  il  a  été  abattu,  selon  qu'ils  possè- 
dent les  bœufs  et  les  chars  nécessaires  ou  que  ceux-ci 
leur  sont  fournis  par  la  Compagnie.  Ils  comportent 
toujours  des  avances  faites  par  la  Compagnie,  et,  en 
échange,  l'obligation  de  se  fournir  à  ses  magasins  des 
denrées  que  consomme  la  population  de  l'obraje.  Le 
bénéfice  réalisé  sur  ces  fournitures  s'ajoute  au  produit 
de  l'usine.  La  Compagnie  monopolise  le  commerce  d'im- 
portation et  le  commerce  d'exportation.  Elle  exerce  sur 
la  forêt  une  souveraineté  absolue.  Tout  juste  a-t-elle 
cédé  au  chemin  de  fer  assez  d'espace  pour  poser  ses 
rails  et  bâtir  ses  gares. 


Le  dernier  centre  de  l'exploitation  du  bois  dans  l'Ar- 
gentine moderne  est  le  territoire  des  Missions  sur  le 
haut  Parana.  Posadas  en  est  l'entrepôt  et  en  garde  l'is- 
sue vers  l'aval.  Son  influence  s'étend  au  delà  de  la  fron- 
tière argentine  sur  une  petite  partie  du  territoire  para- 
guayen et  brésilien.  Les  Missions  ont  deux  types  de 
forêts,  très  différents,  et  dont  aucun  ne  ressemble  à  la 
forêt  à  quebracho.  L'un  est  la  forêt  à  araucarias  (pinos) 
.qui  couvre  les  hauts  plateaux  au-dessus  de  (300  mètres; 


L'EXPLOITATION  DES  FORÊTS.  105 

l'autre  est  la  forêt  tropicale,  riche  en  essences,  et  de 
végétalion  pérenne,  qui  remplit  le  fond  et  le  versant 
des  vallées.  Le  pin,  qui  fait  déjà  sur  le  plateau  bré- 
silien l'objet  d'une  exploitation  intense,  donne  un  ex- 
cellent bois  blanc,  pouvant  remplacer  les  pins  du  Nord, 
et  qui  serait  de  vente  facile  sur  le  marché  de  Buenos 
Aires;  mais  il  n'a  jamais  été  exploité  sur  territoire 
argentin  en  raison  de  la  distance  qui  sépare  les  peu- 
plements du  lleuve  navigable.  Par  sa  distribution  au 
faîte  des  plateaux,  l'araucaria  est  un  fret  réservé  aux 
chemins  de  fer  à  construire  et  non  à  la  voie  fluviale'. 
Ouant  à  la  forêt  feuillue  tro})icale,  elle  comprend  de 
nombreuses  variétés  utilisables  :  timbo,  lapacho,  etc., 
mais  celle  qui  est  recherchée  entre  toutes  est  le  cèdre, 
au  bois  rose,  odorant  et  fin,  admirablement  propre  à  la 
menuiserie.  Lors  du  voyage  de  d'Orbigny,  les  habitants 
de  Corrientes  recherchaient  déjà  activement  sur  le  fleuve 
les  troncs  de  cèdre  amenés  de  l'amont  par  les  crues. 
Les  obrajes  de  bois  de  cèdre  s'étendent  aujourd'hui  sur 
la  rive  argentine  jusqu'à  20  kilomètres  ;  sur  la  rive  para- 
guayenne, qui  est  moins  accidentée,  et  oii  les  transports 
sont  plus  faciles,  jusqu'à  50  kilomètres  du  fleuve.  Les 
billes  descendent  en  trains  de  bois  jusqu'à  Posadas;  le 
cèdre,  moins  dense  que  le  quebracho,  est  en  effet  flot- 
table, et  le  séjour  dans  l'eau  aide  à  faire  dégorger  la 
sève.  A  Posadas  les  radeaux  sont  dépecés  et  les  troncs 
livrés  aux  scieries. 

Mais  le  bois  n'est  pas  à  Misiones  comme  dans  le 
Chaco  l'objet  principal  de  l'industrie  forestière  :  à  côté 
de  l'obraje,  la  forêt  abrite  l'yerbal,  chantier  d'exploita- 
tion de  maté  (ilex  paraguayensis).  On  sait  le  rôle  que 
joue  dans  l'alimentation  des  pays  méridionaux  de  l'Amé- 
rique du  Sud  l'infusion  de  maté.  La  cueillette  de  la 
feuille  de  maté  est  restée  à  travers  les  siècles,  exemple 


\.  Au  Brésil,  de  même,  les  scieries  de  pins  araucarias  sont  localisées 
le  long  de  la  voie  ferrée  Sâo  Paulo — Rio  Grande. 


106  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

peut-être  unique  dans  les  annales  des  industries  fores- 
tières sud-américaines,  une  occupation  profitable.  Elle 
ne  s'est  jamais  interrompue,  mais  elle  s'est  fréquem- 
ment déplacée. 

Les  plantations    des    Jésuites    furent    abandonnées 
lorsque  les  missionnaires  furent  dispersés.  Après  la  fin 
du  xvm®  siècle,  le  Paraguay  est  la  seule  grande  région 
de  production.  Villa  Rica  paraît  avoir  été  le  centre  prin- 
cipal où  se  concentrait  la  yerba.  Mais,  dès  cette  date,  le 
bassin  du  Jejuy,  plus  au  Nord,  était  exploité,  et  les  yer- 
bateros,  venus  de  Guruguati,  s'étaient  avancés  à  l'Est 
jusque  dans  la  région  des  chutes  de  Guayra  sur  le  Pa- 
rana.  Au  xix^  siècle,  le  commerce  du  maté  du  Paraguay 
paraît  avoir  moins  souffert  de  la  politique  d'isolement 
des  dictateurs  paraguayens  que  le  commerce  du  tabac. 
Les  descriptions  de  Mariano  Molas,  de  Demersay,  etc.. 
montrent  que  l'exploitation  se  poursuit  assez  activement. 
Elle  s'étend  même  vers  le  Nord,  et  se  développe  jus- 
qu'au rio  Apa,  Villa  Goncepcion  devenant  un  marché 
de  yerba  rival  de  Villa   Rica.  Cependant,  le  monopole 
institué  par  le  Gouvernement  du  Paraguay  et  les  res- 
trictions imposées  à  la  navigation  sur  le  fleuve  provo- 
quent le  développement  de  l'industrie  de  la  yerba  sur  le 
territoire  des  Missions  orientales  de  la  rive  gauche  de 
l'Uruguay.  Itaquy  leur  servait  de  port  d'embarquement. 
Dans  le  dernier  tiers  du  xix-  siècle,  les  chantiers  d'ex- 
ploitation émigrèrent  de  la  rive  gauche  à  la  rive  droite 
de  l'Uruguay.  A  partir  de   1870,    le  Parana  supplante 
l'Uruguay  et  le  commerce  de  la  yerba  se  concentre   à 
Gandelaria.  G'est  le  début  de  la  résurrection  de  Misiones. 
En  1880*  San  Javier,  s^ur  l'Uruguay,  élaborait  800  ton- 
nes de  yerba  et   Gandelaria  plus  de  1000  tonnes.  Les 
yerbales  autour  de  San  Javier  commençaient  à  s'épuiser 
et  les  yerbateros  devaient  remonter  de  plus  en  plus  haut 
sur  l'Uruguay  et  vers  les  yerbales  du  plateau  de  Fracan 

i.  V.  Virasoro.  El    terrilorio    correntino   de  Misiones.    Bol.    Institulo 
Geogr.  Argentino,  II,  1881,  p.  161-201. 


L'EXPLOITATION  DES  FORÊTS.  107 

el  de  San  Pedro,  (^andelaria  était  alimentée  surtout  par 
les  yerbales  de  la  rive  droite  du  Parana,  sur  territoire 
paraguayen.  Posadas  a  succédé  aujourd'hui  à  Gande- 
laria  et  les  yerbales  qui  en  dépendent  sont  distribuées 
en  amont  de  part  et  d'autre  du  Parana. 

Les  yerbales  des  Missions  sont  en  dehors  de  la  forêt 
tropicale  proprement  dite,  et  vers  la  lisière  inférieure  de 
la  foret  de  pins,  parlant  à  assez  grande  distance  du 
lleuve,  auquel  ils  sont  joints  par  des  sentiers  muletiers, 
boueux  et  pénibles.  Le  maté  peut  en  effet  supporter  des 
frais  de  transport  qui  seraient  écrasants  pour  le  bois. 
Au  point  oîi  ces  chemins  débouchent  sur  le  fleuve,  les 
vapeurs  fluviaux  font  halle  au  pied  d'un  hangar,  à  peine 
discernable  dans  la  verdure.  Ce  sont  les  «  échelles  )^  des 
yerbales. 

Le  travail  aux  yerbales  dure  six  mois  par  an.  Les 
élagueurs  qui  rassemblent  les  rames  de  feuilles  et  les 
rapportent  aux  fours  où  elles  sont  séchées  comprennent 
des  brésiliens,  des  paraguayens  et  des  argentins.  Les 
brésiliens  vont  s'embaucher  sur  le  yerbal  même;  les 
paraguayens  el  les  argentins,  originaires  presque  tous 
de  la  province  de  Corrienles,  sont  recrutés  à  Posadas  et 
à  la  ville  jumelle  d'Encarnacion,  qui  lui  fait  face,  sur  la 
rive  jjaraguayenne. 

L'embauchage  à  Posadas  se  pratique  selon  des  cou- 
tumes traditionnelles  qui  ne  paraissent  pas  avoir  varié 
depuis  un  siècle.  La  description  de  d'Azara  n'a  pas 
vieilli  :  «  les  gens  de  Villa  Rica,  dit-il,  ont  pour  ressource 
principale  de  s'engager  aux  yerbales;  l'industrie  de  la 
yerba  est  lucrative  quelquefois  aux  maîtres,  et  jamais 
aux  pions  qui  travaillent  cruellement  sans  profit  aucun; 
outre  qu'on  leur  paie  en  marchandises  la  yerba  qu'ils 
récoltent,  on  évalue  ces  marchandises  à  si  haut  prix  que 
c'est  une  chose  terrible;  jusqu'à  la  serpe  pour  couper 
le  maté,  on  leur  en  exige  un  loyer...  Comme  les  pions, 
avant  de  partir  pour  les  yerbales,  s'endettent  le  plus  qu'ils 
peuvent,  dès  qu'ils  ont  travaillé  quelque  peu,  ils  se  tirent 


108  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

des  grègues  et  disent  adieu  au  yerbatero  qui  se  trouve 
ainsi  volé.  Le  yerbatero  à  son  tour  est  exploité  par  les 
marchands  qui  le  commanditent  ».  Avant  de  partir  pour 
l'yerbal,  dit  Robertson,  Tentrepreneur,  «  babilitado  », 
reçoit  une  avance  de  4  à  5000  piastres;  puis  il  embauche 
une  cinquantaine  d'ouvriers,  les  fournit  de  tout  le  né- 
cessaire, et  leur  avance  deux  à  trois  mois  de  salaire. 
L'yerbal  dans  la  forêt,  une  boutique  à  Posadas,  au  centre 
d'embauché,  où  les  avances  sur  la  paie  sont  dépensées 
avant  le  départ,  un  moulin  à  yerba,  au  Rosario  ou  à 
Buenos  Aires,  à  proximité  des  marchés  consommateurs, 
forment  les  trois  éléments  essentiels  et  inséparables 
d'une  entreprise  d'exploitation  du  maté. 


L'industrie  forestière,  sous  ses  formes  diverses,  ne 
représente  pas  une  prise  de  possession  définitive  du  sol 
par  l'homme.  Après  avoir  dépouillé  la  forêt,  elle  l'éva- 
cué, et  le  terrain  reste  libre  pour  la  colonisation.  Presque 
toujours,  la  séparation  est  complète  entre  l'industrie 
forestière  et  la  colonisation  permanente.  Elles  n'ont  pas 
le  même  personnel  :  le  bûcheron  (hachador)  ou  le  char- 
bonnier ne  sont  pas  des  défricheurs.  Le  débroussaille- 
ment,  l'extirpation  des  souches,  sans  lesquels  le  terrain 
ne  peut  être  occupé  par  le  laboureur,  ne  sont  pas  leur 
affaire  :  besogne  de  terrassiers.  A  Tucuman,  où  la  ma- 
jorité des  travailleurs  sur  les  champs  de  canne  à  sucre 
sont  pourtant  des  Santiaguenos,  on  emploie  au  net- 
toyage du  terrain  des  Italiens  et  des  Espagnols.  Les 
équipes  de  Mendocinos,  qui  viennent  couper  des  échalas 
dans  le  monte  autour  de  Villa  Mercedes,  ne  se  louent 
pas  aux  estancieros  qui  défrichent  pour  semer  de  la 
luzerne. 

Les  rapports  de  l'industrie  forestière  et  de  la  coloni- 
sation forment  l'un  des  chapitres  les  plus  variés  de 
l'histoire  économique  de  l'Argentine  moderne.  Sur  le 
pourtour  de  la  région  pampéenne,  le  premier  point  où 


L'EXPLOITATION  DES  FORÊTS.  109 

la  colonisation  agricole  soit  entrée  en  contact  avec  la 
zone  forestière  est  la  région  des  anciennes  colonies  de 
Santa  Fc.  Elle  y  trouva  l'industrie  forestière  déjh  an- 
ciennement étal)lie,  sur  les  rives  du  Salado  comme  sur 
celles  du  Parana  ;  l'exportation  de  bois  et  de  charbon 
vers  Buenos  Aires  et  vers  les  fours  à  chaux  d'Entre  Rios 
était  à  cette  date  l'un  des  rares  éléments  d'activité  éco- 
nomique qu'eût  conservés  Santa  Fe.  Les  colons  ne  péné- 
trèrent pas  dans  la  forêt  et  ne  se  mêlèrent  pas  aux  char- 
bonniers, mais  ils  profitèrent  indirectement  de  leur 
voisinage  en  leur  vendant  du  maïs.  Plus  tard,  les  labours 
s'étendirent  dans  la  Pampa  central  et  la  province  de 
Cordoba,  jusqu'à  la  lisière  de  la  brousse  sur  tout  le  pour- 
tour de  la  prairie.  La  coupe  du  bois  y  est  pratiquée  par- 
tout en  petit,  à  Toay  aussi  bien  qu'à  Villa  Mercedes  et 
à  Villa  Maria.  Le  prix  de  la  vente  des  bois  constitue  pour 
l'agriculteur  un  léger  revenu  supplémentaire,  et  le  défri- 
chement contribue  à  l'occuper  pendant  la  morte-saison 
agricole.  Les  terrains  couverts  de  brousse  sont  restés 
longtemps  d'un  prix  très  inférieur  à  celui  des  terrains 
nus.  Ils  ont  ainsi  constitué  une  sorte  de  réserve  qui  a 
échappé  en  partie  à  la  spéculation  sur  les  terres,  et  où 
la  petite  propriété  se  constitue  plus  aisément  que  dans 
la  Pampa.  Un  courant  de  Santa  Fecinos  se  porte  aujour- 
d'hui de  l'Est  et  du  Sud  dans  la  zone  du  monte  comprise 
au  Sud  de  Mar  Chiquita,  sur  la  voie  ferrée  de  Lehmann 
à  Dean  Funes. 

La  zone  de  la  forêt  du  Chaco,  dans  l'Argentine  sep- 
tentrionale, entre  les  Andes  et  le  Parana,  paraît  au 
contraire  réserA  ce  à  la  colonisation  pastorale.  La  forêt 
du  Chaco  peut  en  effet,  aussi  bien  que  le  monte  plus  clair 
qui  en  forme  le  prolongement  méridional,  être  utilisée 
par  les  éleveurs  sans  travail  préalable.  Les  Indiens  y 
ont  nourri  des  bœufs  et  des  chevaux  depuis  le  xvif  siècle. 
Les  troupeaux  trouvent  partout  de  quoi  s'alimenter,  soit 
dans  les  clairières,  abras,  très  nombreuses,  qui  coupent 
la  forêt,  soit  dans  la  forêt  elle-même  où  le  sous-bois  et 


110  LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE. 

le  tapis  herbacé  viennent  dru  sous  le  feuillage  maig-re 
des  mimosées  et  des  quebrachos. 

Dans  une  grande  partie  du  Chaco  occidental, ,1a  colo- 
nisation pastorale  est  antérieure  à  l'exploitation  fores- 
tière. Sur  le  territoire  de  Santiago  del  Estero,  les  éle- 
veurs s'étaient  avancés  bien  avant  les  bûcherons  et  le 
chemin  de  fer,  au  delà  du  Salado,  à  peu  près  jusqu'au 
tracé  actuel  de  la  ligne  d'Anatuya  à  Tintina,  où  il  y  a 
des  nappes  deau  douce  et  des  puits.  Les  estancias 
anciennes  vont  jusqu'à  Alhuampa.  La  vieille  population 
pastorale  n'a  pris  qu'une  très  faible  part  à  l'exploitation 
forestière  :  elle  s'est  bornée  à  en  tirer  une  rente,  en 
recevant  des  obrajes  le  droit  de  monte.  Ce  fut  pour  elle 
une  aubaine  gratuite,  puisque  l'abatage  de  quelques 
arbres  ne  nuit  en  rien  à  la  valeur  du  pâturage.  L'exploi- 
tation forestière  n'a  pas  entraîné  une  refonte  de  la  pro- 
priété foncière,  ni  une  transformation  des  méthodes 
d'élevage.  Les  obrajes  ne  sont  que  des  hôtes  de  pas- 
sage dont  les  traces  s'effacent  vite. 

Dans  le  Chaco  oriental,  au  contraire,  les  bûcherons 
sont  de  véritables  pionniers,  l'avant-garde  de  la  coloni- 
sation. Ce  sont  eux  qui  ont  fait  la  conquête  de  la  forêt, 
souvent  en  contact  direct  avec  les  Indiens,  et  la  propriété 
s'est  formée  à  leur  profit.  Dans  le  développement  actuel 
de  l'élevage,  ils  ont  eux-mêmes  un  rôle  essentiel. 

Si,  quittant  le  fleuve,  on  s'avance  à  l'Ouest  vers  la 
forêt,  on  traverse  d'abord  une  étroite  zone  de  cultures, 
qui  forme  une  ligne  à  peu  près  continue,  de  San  Javier 
à  Resistencia.  Ce  sont  d'anciennes  colonies,  fondées, 
pour  la  plupart,  vers  1870,  en  même  temps  que  les  pre- 
mières colonies  du  centre  de  Santa  Fe.  Elles  avaient 
l'avantage  d'être  à  portée  de  la  voie  fluviale,  tandis  que 
le  réseau  des  voies  ferrées  desservant  les  colonies  de 
Santa  Fe  ne  fut  construit  qu'après  1880.  Si  elles  n'ont 
pas  montré  la  même  puissance  d'expansion  que  les 
colonies  de  la  prairie,  du  moins  paraissent-elles  ferme- 
ment enracinées,  sur  des  terres  hautes  et  bien  drainées. 


L'EXPLOITATION  DES  FORÊTS.  Hl 

1res  différentes  des  argiles  du  Chaco,  et  où  les  alluvions 
du  Parana  alternent  avec  des  apports  qui  paraissent 
provenir  de  la  rive  gauche.  On  y  récolte  le  lin  et  l'ara- 
chide, la  canne  ù  sucre  et  le  coton.  Au  delà  de  cette 
frêle  façade  agricole  s'étendent  les  grands  domaines  des 
usines.  Dans  la  répartition  du  sol,  les  usines  ont  re- 
cherché les  terres  les  plus  riches  en  quebracho.  Les 
acheteurs  de  terres  qui  n'avaient  pas  d'intentions  indus- 
trielles, capitalistes  étrangers  ou  porteiios,  devenus 
maîtres  de  grandes  concessions  dans  les  régions  encore 
mal  reconnues,  ont,  après  inventaire  de  leurs  propriétés, 
revendu  aux  usines  les  lots  où  le  bois  abondait  ;  pour  le 
reste,  ils  en  ont  fait  des  estancias  (domaines  d'élevage). 
La  région  comprise  au  Nord  de  la  ligne  du  Central 
Norle  de  San  Cristobal  au  Tostado,  où  la  forêt,  qui  va 
céder  place  à  la  prairie,  se  morcelle  et  ressemble  à  un 
parc,  comprend  plusieurs  de  ces  estancias  modernes,  où 
la  luzerne  comm.ence  à  remplacer  par  taches  les  gra- 
minées de  la  végétation  naturelle. 

Lorsqu'on  pénètre  dans  l'intérieur,  l'industrie  pasto- 
rale prend  bientôt  un  caractère  plus  primitif.  Les  com- 
pagnies de  quebracho  elles-mêmes  pratiquent  l'élevage, 
pour  utiliser  leurs  immenses  domaines,  après  qu'on  y  a 
enlevé  le  bois  ou  en  attendant  que  les  chantiers  s'y 
établissent.  Elles  consomment  un  nombre  élevé  de 
bœufs,  tant  pour  le  transport  des  bois  que  pour  l'ali- 
mentation de  leurs  ouvriers,  et  cherchent  à  se  suffire  à 
elles-mêmes.  La  forêt  peut  nourrir  dans  cette  zone  un 
troupeau  beaucoup  plus  dense  que  le  monte  plus  sec 
du  Chaco  oriental;  souvent  1000  têtes  à  la  lieue  de 
2500  hectares.  Au  Nord  et  à  l'Ouest  de  la  fraction  de 
la  forêt  où  les  grandes  compagnies  se  sont  approprié 
tout  le  sol,  dans  le  gouvernement  du  Chaco,  d'assez 
nombreux  domaines  d'élevage  se  sont  créés.  Plus  loin 
encore,  en  deçà  et  au  delà  du  Bermejo,  des  occupants 
sans  titres  ont  introduit  sur  les  terres  du  domaine  public 
des  bœufs  amenés  de  Corrientesou  du  Paraguay.  Incer- 


M '2         LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTURE. 

tains  de  l'avenir,  ils  ne  peuvent  exécuter  de  travaux 
d'aménagement  coûteux,  puits,  réservoirs,  clôtures.  Ils 
sont  parfois  réduits  par  la  sécheresse  à  se  replier  sur 
le  fleuve. 

Les  conditions  sont  fort  différentes  dans  la  forêt  de 
Misiones.  La  forêt  humide  des  Missions  ne  se  prête  pas 
à  l'élevage.  Tandis  que  la  population  forestière  à  l'Ouest 
du  Parana  consomme,  grâce  au  voisinage  des  éleveurs, 
de  la  viande  fraîche,  à  Misiones,  dans  les  yerbales  et  les 
obrajes,  l'usage  de  la  viande  sécliée,  charqui  ou  carne 
seca,  importée  de  loin,  est  resté  général  comme  dans 
la  majorité  des  régions  de  l'Amérique  tropicale.  En 
revanche,  les  Missions  voient  aujourd'hui  se  développer 
une  colonisation  agricole  d'une  forme  originale  et  entiè- 
rement distincte  du  type  général  argentin.  C'est  que  les 
Missions  constituent  en  Argentine  une  région  à  part  : 
elles  se  rattachent  au  plateau  brésilien  par  leur  struc- 
ture géologique  aussi  bien  que  par  leur  climat.  Les 
colonies  des  Missions  ne  sont  que  le  prolongement  sur 
territoire  argentin  de  la  grande  zone  des  colonies  du 
Brésil  méridional,  qui  s'étend  de  la  côte  de  Santa 
Catalina  et  du  Rio  Grande  do  Sul  au  rio  Uruguay.  Le 
type  de  colonisation  brésilien  est  fondé  sur  la  culture  à 
la  houe,  dans  les  brèches  ouvertes  à  la  forêt  par  la  hache 
et  l'incendie.  Les  labours  sont  en  effet  impraticables 
entre  les  souches  puissantes  que  les  défricheurs  doivent 
laisser  dans  le  sol,  et  qui  y  pourrissent  lentement.  Ils 
sont  d'ailleurs  inutiles,  car  les  terres,  riches  en  humus, 
sont  légères  et  aérées.  Les  sols  rouges,  produits  par  la 
décomposition  des  diabases  auxquelles  est  liée  toute 
richesse  agricole  dans  le  Brésil  méridional,  couvrent 
une  grande  partie  de  Misiones.  L'infériorité  économique 
de  cette  colonisation  agricole  en  forêt  auprès  de  la  colo- 
nisation du  type  pampéen,  qui  a  conquis  les  plaines 
herbeuses  du  Rio  de  la  Plata,  est  double;  d'une  part, la 
superficie  qu'un  homme  peut  mettre  en  valeur  est  ré- 
duite; les  lots   des  colonies  brésiliennes  sont  dix  fois 


L'EXPLOITATION  DES  FORETS.  H3 

pins  petits  que  rexploilalioii  moyenne  dans  la  Pampa; 
(l'aulro  part,  la  circulation  à  travers  la  foré l  est  difficile 
el  gène  l'exportation  des  produits. 

Les  colonies  des  Missions  sont  encore  limitées  à  la 
bordure  de  la  grande  forêt  où  elles  pénétreront  à  mesure 
que  la  population  agricole  grandira.  Elles  forment  deux 
groupes  :  l'un,  sur  le  fleuve,  au-dessus  dePosadas  (Can- 
delaria,  Bonpland,  Corpus,  San  Ignacio,  Santa  Ana), 
l'autre,  sur  le  flanc  des  collines,  au-dessus  de  la  voie 
ferrée  de  Posadas  à  l'Uruguay  (San  José,  Apostoles). 
Produits  vivriers,  tabac,  volailles  et  œufs,  qu'elles  expé- 
dient aujourd'buipar  cbemin  de  fer  jusqu'à  Buenos  Aires, 
sont  leurs  ressources  essentielles;  la  possibilité  d'at- 
teindre par  voie  fluviale  ou  par  voie  ferrée  les  grands 
marchés  consommateurs  pampéens  leur  procure  un 
certain  avantage  sur  les  colonies  brésiliennes  ;  en  re- 
vanche, les  éléments  de  leur  population  paraissent  de 
moindre  valeur.  Ils  sont  très  variés  :  ils  comprennent  en 
effet  des  autochtones,  restes  de  l'ancienne  population 
indienne  ou  métissée  des  Missions,  qui  ont  reçu  des 
terres,  et  ne  se  hâtent  pas  de  les  mettre  en  valeur;  des 
Polonais,  groupés  en  quelques  villages  (Apostoles,  San 
José)  ;  enfin  des  teuto-brésiliens  immigrés  de  la  rive 
gauche  de  l'Uruguay.  Actuellement,  un  courant  continu 
de  teuto-brésiliens  traverse  les  Missions  pour  s'embar- 
quer à  Posadas,  remonter  le  Parana  et  aller  se  fixer  plus 
au  Nord  dans  l'Etat  du  Matto  Grosso. 

On  pourrait  sans  doute,  en  leur  offrant  des  terres 
convenablement  choisies,  en  fixer  une  partie  sur  terri- 
toire argentin. 

Ces  paysans  défricheurs  ont  rarement  trouvé  à  vendre 
leur  bois.  La  forêt  tropicale  est  composée  d'une  extrême 
diversité  d'espèces,  dont  quelques-unes  seulement  sont 
précieuses.  L'obrajero  n'abat  pas  la  forêt  :  il  y  choisit 
1  ses  victimes.  Dans  la  friche  du  colon,  il  est  loin  de  pou- 
voir tout  utiliser.  Dans  la  zone  même  où  fleurit  l'in- 
dustrie forestière,  des  troncs  sans  défauts,  tombés  pour 

Denis.  —  LArKenline.  8 


114  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLXE. 

faire  place  aux  cultures,  sont  brûlés  et  détruits  impi- 
toyablement. 

Mais  les  avantages  indirects  que  l'industrie  forestière 
assure  à  la  colonisation  agricole  sont  multiples.  Comme 
dans  tout  le  Brésil  méridional  elle  offre  à  ses  produits 
un  marché  avantageux  :  les  récoltes  des  colonies  sont 
concentrées  par  les  commerçants  de  Posadas,  qui  les 
répartissent  entre  les  obrajes  et  les  yerbales.  L'industrie 
fournit  de  plus  un  emploi  aux  bras  disponibles.  Au  Rio- 
Grande  do  Sul,  plus  tard  au  Parana,  les  salaires  de  la 
cueillette  du  maté  ont  longtemps  formé  le  plus  clair 
des  ressources  des  colonies,  et  leur  ont  permis  de  se 
maintenir  pendant  la  période  difficile  de  leurs  débuts. 
Dans  les  Missions  argentines,  l'attraction  des  yerbales 
sur  la  population  des  colonies  se  manifeste  avec  moins 
d'ampleur  :  les  colons  qui  consentent  à  abandonner  leur 
lot  pour  aller  s'embaucher  au  loin  sont  relativement  peu 
nombreux.  Les  yerbales  se  recrutent,  non  parmi  les 
immigrés  venus  d'Europe,  mais  parmi  les  anciens  po- 
bladores,  c'est-à-dire  parmi  les  occupants  sans  titre, 
dont  on  a  régularisé  la  situation  lors  de  la  formation  des 
colonies,  population  flottante,  peu  attachée  au  sol. 

La  colonisation  agricole,  à  son  tour,  réagira  sur  l'in- 
dustrie forestière  en  développant  la  culture  du  maté. 
Des  plantations  importantes  d'ilexont  été  en  effet  créées 
en  amont  de  Posadas.  Déjà  elles  entrent  en  plein  rapport. 
Elles  sontéparses  soit  surles  lots  des  colonies  nationales, 
soit  sur  des  propriétés  plus  étendues  aux  mains  de  co- 
lons plus  riches,  car  la  plantation  exige  d'assez  grosses 
dépenses.  Quelques-unes  appartiennent  à  des  commer- 
çants qui  exploitent  encore  ailleurs  des  yerbales  naturels. 
Elles  sont  établies  de  préférence  dans  la  forêt,  ou  du  moins 
sur  sa  lisière,  pour  que  le  bois  nécessaire  au  séchage 
des  feuilles  ne  manque  pas.  Ainsi  se  prépare  sur  place, 
à  mesure  que  les  peuplements  naturels  s'appauvrissent, 
la  transformation  de  l'industrie  primitive  de  la  cueillette 
du  maté. 


CHAPITRE   V 

LA    PATAGONIE    ET    l'ÉLEVAGE    DU    MOUTON 

Le  Plaloau  aride  et  la  région  des  lacs  glaciaires.  —  Les  pre- 
miers établissements  de  la  côte  de  Patagonie  et  les  populations 
indigènes.  —  L'élevage  extensif.  —  L'utilisation  du  pâturage  sur 
le  territoire  du  Rio  ^legro.  —  La  transhumance. 

La  limite  Nord  de  la  région  patagonienne  passe  au 
Nord  du  Colorado,  à  la  hauteur  du  Cerro  Payen  et  du 
seuil  qui  mène  du  Malargue  au  Rio  Grande  dans  la  zone 
subandine  (56''  degré  L.  S.),  et  vers  la  sierra  de  Liliuel 
Calel  dans  la  partie  méridionale  du  Gouvernement  de  la 
Pampa.  Au  Sud  de  cette  ligne  s'étend,  des  Andes  à 
TAtlantique,  sur  les  territoires  de  Neuquen,  du  Rio 
Negro,  du  Chubut  et  de  Santa  Cruz,  le  domaine  des  ber- 
geries, leur  refuge  depuis  que  des  formes  d'exploitation 
plus  riches  chassent  progressivement  le  mouton  de  la  , 
Pampa.  L'élevage  extensif  pratiqué  sur  ces  terres  pauvres 
est  trop  peu  productif  pour  justifier  de  fortes  dépenses 
d  aménagement,  et  d'autant  plus  étroitement  soumis 
aux  conditions  physiques.  Si  l'élevage  des  bœufs  a  été 
pratiqué  jadis  par  les  établissements  espagnols  du  Rio 
Negro  inférieur,  s'il  se  maintient  encore  dans  la  Pata- 
gonie occidentale  au  pied  des  Andes,  du  moins  ne 
trouve-t-on  jamais  ici  ce  ty|De  d'association  particulier 
de  l'élevage  du  bœuf  et  de  l'élevage  du  mouton  qui  est 
caractéristique  de  la  région  pampéenne,  et  dans  lequel 
le  troupeau  de  bœufs  a  pour  fonction  essentielle  d'amé- 
liorer le  pâturage  et  de  préparer  la  place  aux  moutons. 

Le  climat  est  rude:  les  vents  d'Ouest  soufflent  violem- 
ment la  plus  grande  partie  de  Tannée,  surtout  sur  la 


IIG  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

côte,  et  ne  s'apaisent  un  peu  qu'en  hiver.  La  température 
moyenne  s'abaisse  sur  l'Atlantique  de  près  d'un  degré 
par  degré  de  latitude  (14", 6  à  San  Antonio  sous  le  41"  de 
latitude  Sud;  8", 5,  à  Santa  Cruz  sous  le  50";  5", 5  à 
Ushuaia  sous  le  55").  La  température  de  l'été  s'abaisse 
plus  rapidement  encore,  tandis  que  la  différence  est 
moins  marquée  en  hiver  (21", 4  à  San  Antonio,  14"  à 
Santa  Cruz,  9", 2  à  Ushuaia).  Les  températures  insuffi- 
santes de  l'été  ne  permettent  pas  aux  céréales  de  mûrir 
au  Sud  du  Chubut.  Dans  les  vallées  subandines,  l'été 
reste  relativement  chaud  :  16°  en  janvier  à  Diez  y  Seis 
de  Octubre  à  l'altitude  de  600  mètres;  mais  les  gelées 
sont  fortes  surtout  au  début  de  l'hiver,  avant  la  fin  de  la 
saison  sèche,  et  aucun  mois  n'en  est  entièrement 
exempt. 

Les  pluies  sont  abondantes  dans  la  Cordillère  et  sur 
sa  lisière  occidentale  :  800  millimètres  à  Junin,  près  de 
2  mètres  à  San  Martin  oi^i  les  vents  humides  de  l'Ouest 
pénètrent  parla  coupure  du  lac  Lacar,  près  d'un  mètre  à 
Bariloche,  sur  le  lac  Nahuel  Huapi.  Mais  elles  diminuent 
brusquement  dès  qu'on  sort  de  la  zone  montagneuse 
pour  passer  plus  à  l'Est  sur  le  plateau.  Tout  le  plateau 
reçoit  moins  de  200  millimètres  d'eau  (Las  Lajas  180, 
Limay  150,  San  Antonio  180,  Santa  Cruz  155).  Au  Sud 
du  Rio  de  Santa  Cruz  seulement,  les  pluies  augmentent 
de  nouveau  (Gallegos  400  millimètres,  Ushuaia  500  mil- 
limètres.) L'ensemble  de  la  Patagonie  est  donc,  à  l'ex- 
ception d'une  étroite  bande  au  pied  des  Andes,  une 
région  semi-aride  à  climat  sub-désertique.  Dans  les 
Andes  patagoniennes  comme  sur  la  côte  du  Chili  méri- 
dional, les  précipitations  tombent  surtout  en  hiver. 
Entre  Mendoza,  qui  a  encore  le  régime  des  pluies  d'été 
de  l'Argentine  centrale  et  tropicale,  et  Chosmalal,  dans 
les  Andes  du  Neuquen,  le  contraste  est  absolu:  les  mois 
d'été  (janvier,  février)  y  sont  secs,  et  les  pluies  y  sont  limi- 
tées aux  mois  d'hiver,  de  mai  à  août;  il  en  est  de  même 
plus  au  Sud,  à  Bariloche  et  à  Diez  y  Seis  de  Octubre. 


LA  PAT  AGONIE  ET  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.       117 

Sur  la  côte  do  rAtlanliquo,  le  régime  des  pluies  d'hiver 
est  moins  régulier  et  moins  uniforme  :  à  San  Antonio, 
les  pluies  les  plus  fortes  tombent  en  automne  (avril, 
mai)  ;  il  y  a  un  minimum  secondaire  en  août,  et  quelques 
averses  de  nouveau  au  printemps  (septembre,  octobre). 
Au  Sud  de  San  Antonio,  le  maximum  d'hiver,  toujours 
reconnaissable,  est  coupé  par  une  courte  période  sèche 
(juillet  et  août  à  Camarones,  juin  à  Deseado  et  Santa 
Cruz').  Dans  l'intérieur,  au  contraire,  le  régime  des  pré- 
cipitations d'hiver  persiste  sans  altération.  La  prédo- 
minance des  précipitations  de  la  saison  froide  a  une 
importance  primordiale  pour  les  éleveurs  :  elles  tombent 
en  effet  le  plus  souvent  sous  la  forme  de  neige  qui  fond 
lentement,  et  les  maigres  réserves  d'humidité  s'incor- 
porent du  moins  intégralement  au  sol.  Au  Sud  de  Santa 
Cruz,  en  même  temps  que  l'humidité  s'accroît,  la  saison 
des  pluies  se  déplace  :  à  Gallegos,  le  mois  le  plus 
humide  est  décembre;  à  Ushuaia,  les  pluies  durent  de 
septembre  à  mars;  la  saison  des  neiges  (mai-août)  cor- 
respond à  la  saison  sèche,  et  les  chutes  de  neige  ne  sont 
pas  assez  abondantes  pour  rendre  l'élevage  impossible. 
La  surface  du  plateau  patagonien  est  très  acciden- 
tée; elle  porte  pourtant  les  traces  d'une  usure  profonde 
sous  un  climat  désertique  qui  paraît  avoir  persisté  pen- 
dant tout  le  Tertiaire.  Si  l'on  remonte  le  Kio  Negro, 
on  voit  les  grès  gris  et  les  tufs  tertiaires,  qui  forment  les 
falaises  de  part  et  d'autre  de  la  vallée  inférieure,  rem- 
placés en  amont  par  les  marnes  bigarrées  et  les  grès 
rouges  du  Crétacé,  qui  constituent  le  plateau  au  pied  des 
premiers  chaînons  andins.  Sous  le  manteau  des  grès 
crétacés  et  tertiaires,  le  socle  de  granits  et  de  por- 
phyres anciens  apparaît  par  endroits.  L'horizon  de  la 

1.  C'est  là  une  anomalie  due  sans  doute  au  voisinage  immédiat  de 
la  mer  et  à  la  trêve  que  marquent  en  hiver  les  vents  d'Ouest.  La  côte 
bordée  d'eau  froide,  les  vents  de  terre  déterminant  une  ascension 
des  eaux  de  fonds,  a  un  régime  particulier  de  brouillards  et  de 
bruines  qui  ne  pénètrent  pas  vers  l'intérieur  et  qui  font  penser  aux 
garuas  de  la  côte  péruvienne. 


118  LA  RÈPUBLIOUE  ARGENTINE. 

pénéplaine  passe  du  plateau  tertiaire  et  crétacé  aux 
affleurements  de  roches  cristallines  dont  le  relief  a  été 
presque  entièrement  effacé.  Les  éruptions  volcaniques 
se  sont  poursuivies  jusqu'à  une  date  toute  récente;  aussi 
les  zones  éruptives  forment-elles  les  parties  saillantes  du 
plateau,  à  TAnecon  et  au  Somuncura  au  Sud  du  terri- 
toire du  Rio  Negro,  dans  le  massif  de  la  rive  gauche  du 
Moyen  Senguerr,  sur  le  territoire  du  Chubut.  Les  ba- 
saltes se  sont  répandus  en  nappes  dont  la  surface  paraît 
parfois  à  peine  refroidie.  Les  coulées  basaltiques  se 
retrouvent  jusque  dans  la  Patagonie  du  Nord,  au  Sud  de 
Valcheta  et  de  Maquinchao,  mais  leur  domaine  est  sur- 
tout la  Patagonie  australe.  Elles  couvrent  les  plateaux 
inhospitaliers  à  l'Est  des  lacs  de  Buenos  Aires  et  de 
Pueyrredon.  Le  Rio  Chico  et  le  Santa  Cruz  les  traver- 
sent pendant  les  2/5  supérieurs  de  leur  cours.  Au  Sud 
du  Coilc  et  du  Gallegos,  elles  s'avancent  jusqu'au  voisi- 
nage de  la  côte,  et  les  pampas  tertiaires  y  sont  dominées 
par  un  archipel  de  cônes  volcaniques  minuscules. 

Le  plateau  est  traversé  d'Ouest  en  Est  par  des  vallées 
profondes  et  larges,  enfermées  entre  de  hautes  falaises, 
étranglées  souvent  à  la  traversée  des  massifs  basaltiques 
ou  des  seuils  de  roches  cristallines,  et  faiblement  rami- 
fiées. Les  ravins  (canadones)  qui  ébrèchent  de  part  et 
d'autre  leurs  barrancas  pénètrent  à  peu  de  distance  dans 
la  pampa  gréseuse  ou  le  plateau  de  laves.  Quelques-unes 
de  ces  vallées  seulement  sont  occupées  par  des  rivières 
importantes  (Rio  Negro,  Santa  Cruz),  nées  dans  les 
"Andes,  et  que  les  pluies  indigentes  de  la  Patagonie 
orientale  ne  contribuent  guère  à  entretenir.  La  plupart 
n'ont  que  des  cours  d'eau  intermittents  (Sheuen,  Coile), 
ou  sont  entièrement  sèches  et  semées  de  lacs  salés 
(Deseado).  Sur  ce  réseau  de  vallées  fossiles,  le  vent 
d'Ouest  règne  aujourd'hui  en  maître  :  il  en  sculpte  les 
versants,  il  y  transporte  les  sables,  y  bâtit  des  dunes. 

Il  ne  faut  pas  assimiler  à  ces  vallées  mortes  les  dépres- 
sions allongées  sans  issue  qui  parsèment  le  plateau  de 


LA  PATAGOME  ET  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.        119 

granit  et  de  grès  (bajos,  valles,  cuencas).  On  s'est  obstiné 
à  tort  à  y  chercher  la  trace  de  fleuves  disparus:  et  les 
bajos  du  Gualicho  et  de  Valcheta  ont  été  considérés 
sans  niison  comme  l'ancien  lit  du  Rio  Negro  et  du 
Limay.  L'érosion  éolienne  paraît  avoir  une  part  dans  le 
creusement  de  ces  dépressions.  Leur  persistance  est  du 
moins  l'un  des  effets  de  la  sécheresse  qui  enipcche  l'éro- 
sion normale  de  modeler  la  surface  du  plateau.  Les  plus 
importantes  forment  des  centres  d'appel  pour  les  eaux 
courantes;  autour  d'elles  s'ébauche  un  groupe  de  vallées 
et  les  alluvions  s'y  accumulent. 

Le  climat  détermine  les  caractères  des  sols  patago- 
niens.  Les  cailloux  roulés  de  granit  et  de  roches  érup- 
tives,  si  souvent  décrits  depuis  Darwin,  tantôt  libres, 
tantôt  enfermés  dans  une  gaine  de  sable  rouge  ou  de  cal- 
caire', sont  répandus  sur  le  plateau  en  auréole  autour  des 
massifs  rocheux,  et  abondent  particulièrement  dans  la 
région  côtière.  Sur  le  Rio  Negro,  ils  paraissent  limités 
au  voisinage  de  la  vallée  et  manquent  quand  on  s'en 
éloigne.  On  a  observé  la  réduction  progressive  du 
volume  des  cailloux  du  Rio  Negro,  vers  l'aval,  à  partir 
de  la  zone  andine,  et  c'est  en  effet  des  Andes  qu'ils  pro- 
viennent. Au  Sud  de  Santa-Cruz,  sous  un  climat  plus 
humide  où  la  circulation  des  eaux  a  été  moins  localisée, 
la  nappe  est  plus  continue  et  recouvre  les  grès  et  les 
argiles  tertiaires.  Elle  est  d'origine  fluvio-glaciaire,  et 
provient  de  la  destruction  des  moraines  anciennes, 
antérieurement  au  creusement  des  vallées  actuelles. 
Mais  c'est  le  vent  qui  explique  la  concentration  des 
cailloux  à  la  superficie.  Il  les  dégage  des  matériaux 
meubles  qui  les  entourent.  Partout  où  les  couches  qui 
affleurent  contenaient  des  cailloux,  le  vent  en  convertit 


1.  La  dalle  calcaire  de  la  Tosca,  caractéristique  de  la  province 
Sud-Ouest  de  la  plaine  pampéenne,  s'étend  au  Sud  jusqu'au  Rio 
Negro  dans  la  région  côtière.  Elle  manque  au  contraire  à  peu  près 
totalement  100  kilomètres  à  l'Ouest,  entre  le  Colorado  et  le  Rio  Negro, 
sur  le  tracé  du  clieniin  de  fer  de  Fortin  Uno  à  Choele  Choel. 


120  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

à  la  longue  la  surface  en  un  champ  de  galets.  Ainsi 
a-t-il  fait  des  terrasses  du  Limay.  Les  dépôts  marins 
tertiaires  de  la  région  côtière  sont  riches  eux  aussi  en 
cailloux  arrachés  aux  pointements  rocheux  de  la  côte  : 
de  là  l'extension  des  sols  de  cailloux  dans  la  zone 
côtière.  Le  vent  met  également  à  nu  autour  des  massifs 
isolés  du  plateau  désertique,  ou  au  flanc  des  ravins 
secondaires,  des  cailloux  anguleux  de  provenance  locale, 
ayant  suhi  une  usure  incomplète. 

Le  travail  d'alluvionnement  du  vent  crée  au  contraire 
des  dépôts  à  éléments  fins,  parfaitement  calibrés,  et  qui 
vont  du  sable  des  dunes  jusqu'aux  poussières  les  plus 
ténues.  Les  parcelles  les  plus  légères,  indéfiniment 
reprises  par  la  rafale,  et  soulevées  à  de  grandes  hau- 
teurs dans  l'atmosphère,  échappent  à  la  région  patago- 
nienne  et  se  retrouvent  sur  les  fonds  de  l'Atlantique  ou 
dans  la  plaine  pampéenne.  Lne  partie  cependant  se 
dépose  dans  les  dépressions  du  plateau  où  l'humidité 
les  fixe  et  les  empêche  de  reprendre  leur  vol.  Ces  dépôts 
éoliens  des  dépressions,  argile  grise  cendrée,  qui  durcit 
à  la  sécheresse,  mais  que  l'eau  amollit,  forment  deux 
types  de  sols  entièrement  distincts  :  si  la  dépression  est 
fermée,  ou  si  la  circulation  de  l'eau  est  trop  faible,  les 
sels  minéraux  s'y  concentrent;  c'est  le  «  salitral  »,  nu  ou 
recouvert  d'une  végétation  halophyte  que  les  efflores- 
cences  salines  recouvrent  à  la  saison  sèche  d'une  couche 
blanche.  Si,  au  contraire,  les  eaux  souterraines  ont  un 
écoulement  assuré,  l'argile  éolienne  forme  le  «  mallin  ». 
Des  joncs  et  des  graminées  fines  y  végètent  et,  par  leur 
décomposition,  en  assombrissent  peu  à  peu  la  teinte,  et 
en  modifient  la  composition.  Le  sol  du  «  mallin  »  est 
riche  en  éléments  organiques.  Il  tapisse  le  fond  des 
vallées  entre  des  terrasses  basses  couvertes  de  cailloux 
à  facettes  que  dominent  les  escarpements  verticaux  de 
tufs  et  de  laves.  Le  contraste  entre  la  verdure  du  mallin 
et  la  steppe  xérophile  poudreuse  et  jaunie  du  plateau  est 
l'un  des  traits  les  plus  caractéristiques  du  paysage  pata- 


LA  PATAGONIE  ET  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.        121 

gonien.  La  zone  de  formation  des  mallines  correspond 
aux  régions  les  plus  humides,  au  voisinage  des  Andes, 
et  sur  le  pourtour  des  massifs  élevés.  Sur  le  chemin  qui 
suit  à  distance,  à  la  surface  du  plateau,  la  rive  droite  du 
Limay,  la  limite  entre  le  pays  des  salitrales  et  celui  des 
mallines  passe  entre  Tricaco  et  Chasico',  à  120  kilo- 
mètres au  Sud-Ouest  de  Neuquen  ;  elle  correspond  à 
peu  près  à  la  courbe  de  200  millimètres  de  pluies.  Bien 
que  le  nom  de  mallin  ne  soit  pas  employé  sur  le  Santa 
Cruz,  des  sols  éoliens  analogues  se  trouvent  dans  la 
partie  occidentale  du  plateau  jusqu'à  cette  latitude. 
Plus  au  Sud,  les  dépôts  glaciaires,  argiles  à  bloc  morai- 
niques  remplissent  les  vallées,  et,  à  partir  du  Gallegos, 
recouvrent  la  plus  grande  partie  du  plateau. 

Sur  les  coulées  éruptives  de  date  récente  la  roche 
est  nue;  le  vent  enlève  les  produits  de  sa  décomposition 
et  accumule  les  poussières  dans  les  fissures.  La  circula- 
tion est  difficile,  parfois  impossible. 


Vers  l'Ouest,  le  plateau  est  séparé  de  la  Cordillère 
par  une  dépression  longitudinale  dont  on  a  d'ailleurs 
exagéré  la  continuité.  Cette  dépression,  qui  jalonne  le 
contact  entre  la  zone  plissée  des  Andes  et  la  zone  tabu- 
laire du  plateau,  a,  du  point  de  vue  de  la  colonisation, 
une  importance  essentielle  :  à  la  limite  de  la  steppe  et 
de  la  forêt,  elle  constitue  la  partie  la  plus  hospitalière  de 
la  Patagonie,  la  plus  riche  en  ressources  naturelles. 
Entre  les  dépôts  glaciaires  et  lacustres  qui  y  sont  accu- 
mulés, pointent  des  massifs  rocheux  de  structure  variée 
qui  la  fragmentent  en  compartiments,  voûtes  de  couches 
sédimentaires,  culots  granitiques  de  laccolites  mis  à 
nu,  appareils  éruptifs  démantelés.  Au  Sud,  la  dépression 
subandine  forme  entre  le  lac  Maravilla  et  Punta  Arenas 
un  large  couloir  de  250  kilomètres  enfermé  entre  Tescar- 

1.  G.  Rovereto,  Studi  di  geomorfologia  argentina  :  la  valle  dcl  Rio 
Negro.  Bull.  Soc.  G«ol.  liai.,  XXXI,  1912,  pp.  101-142  et  181-27,7. 


122  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

pement  basaltique  du  plateau  à  l'Est,  et  les  montagnes 
de  la  presqu'île  d^  Brunswick  et  de  la  terre  du  Roi  Guil- 
laume. Le  fond  en  est  occupé  par  un  singulier  paysage 
glaciaire  semé  de  lagunes,  ponctué  de  collines  éparses, 
au  sol  imperméable  d'argiles  à  blocaux  et  de  boue.  Du 
lac  Argentin  au  lac  Buenos  Aires,  les  hauts  plateaux 
basaltiques  qui  atteignent  1500  mètres  viennent  s'appuyer 
sur  la  Cordillère  elle-même,  et  la  dépression  subandine 
s'interrompt.  De  même,  entre  le  lac  Buenos  Aires  et  le 
lac  General  Paz,  le  rebord  du  plateau  patagonien  est 
peu  marqué  dans  la  topographie  au-dessus  de  la  zone 
subandine.  Les  alluvions  glaciaires  du  pied  de  la  Cor- 
dillère s'élèvent  jusqu'à  la  hauteur  du  plateau  qui  des- 
cend régulièrement  à  l'Est  vers  le  Genua  et  le  Senguerr. 
Au  Nord,  entre  le  Carrenleufu  et  le  Nahuel  Huapi,  le 
recul  des  nappes  lacustres  a  asséché  en  pleine  Cordil- 
lère d'étroites  fosses  allongées,  comme  le  Valle  Nuevo 
del  Bolson,  ou  le  couloir  qu'emprunte  le  Futaleufu  à 
l'Ouest  du  Cerro  Situacion;  plus  à  l'Est,  les  accidents 
topographiques  de  la  bordure  du  plateau  (vallées  du  Chu- 
but,  du  Tecka,  du  Norquinco)  sont  orientés  du  Nord  au 
Sud.  La  zone  subandine  offre  donc  sur  une  longueur  de 
plus  de  100  kilomètres  une  série  de  voies  parallèles 
communiquant  entre  elles  par  de  larges  trouées  trans- 
versales, qui  logèrent  jadis  le  lobe  inférieur  des  glaciers. 
La  dépression  subandine  ne  se  poursuit  pas  au  Nord  du 
Nahuel  Huapi. 

Les  caractères  morphologiques  des  Andes  de  Pata- 
gonie'  se  manifestent  progressivement  à  partir  du 
36°  L.   S.  La  bordure  de  la  Cordillère,   dans  la  fosse 


1.  Le  puissant  massif  des  Andes  patagoniennes  difTère  profondé- 
ment des  Andes  de  TArgentine  centrale  par  sa  structure  géologique. 
Les  sédiments  paléozoïques  et  en  même  temps  les  hautes  chaînes 
des  précordillères  s'interrompent  à  partir  du  56"  L.  S.  Les  couches 
mésosoïques,  brèches  et  conglomérats  porphyriques  bariolés,  grès, 
calcaires  et  marnes,  qui  forment  dans  le  Chili  centrai  le  versant 
occidental  des  Andes,  passent  à  partir  du  So"^  L.  S.  sur  le  versant 
oriental  où  elles  se  développent  en  plis  réguliers,  alignés  au  Sud-Sud- 
Est  obliquement  à  la  direction  générale  du  massif.  Ces  plis  détermi- 


LA  PATAGONIE  ET  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.        123 

du  Maliirgiie,  sous  le  55",  offre  encore  le  paysage 
typique  des  Andes  cenlrales.  Le  cône  de  déjection  de 
l'Atuel  ressemble  à  celui  du  Mendoza.  Cette  frange  de 
dépôts  torrentiels  étalés  en  cônes  où  les  eaux  divaguent 
résulte  de  l'intensité  de  la  désagrégation  des  roches  dans 
les  montagnes  à  climat  désertique.  Keidel  a  signalé  le 
rôle  des  pluies  d'été  dans  le  transport  des  éléments 
meubles,  que  les  eaux  abandonnent  aussitôt  que  la 
pente  diminue,  la  hauteur  des  précipitations  étant  trop 
faible  pour  qu'un  réseau  fluvial  proprement  dit  s'orga- 
nise et  se  continue  dans  la  plaine.  A  partir  du  Rio 
Grande,  les  cônes  de  déjection  disparaissent.  Les  rivières 
tendent  à  devenir  permanentes  ;  elles  s'enfoncent  dans 
les  vallées  étroites.  Les  pluies  d'été  s'interrompent,  et 
les  eaux  de  fonte  des  neiges  ne  sont  capables  que  d'un 
faible  travail  de  transport.  Le  sol  de  la  Cordillère  est 
protégé  par  une  végétation  plus  dense.  Les  premiers 
fourrés  de  molle  apparaissent  dans  les  vallées,  les  pre- 
miers cyprès  isolés  sur  les  versants,  à  partir  du  Rio 
Agrio,  affluent  du  Neuquen.  Puis  la  forêt  envahit  la 
montagne,  c'est  d'abord,  de  38"  à  59', 50'  L.  S.,  la  forêt 
résineuse  d'araucarias.  Enfin  sur  le  Nahuel  Huapi  la 
forêt  a  pris  l'aspect  général  qu'elle  conserve  jusque 
dans  la  région  magelianienne.  Elle  se  compose  surtout 
de  différentes  espèces  de  hêtres  :  le  coihue  (notofagus 


nenl  l'orienlalion  des  vallées  intérieures  qui  est  remarquablement 
uniforme,  depuis  le  Rio  ?segro  jusqu'au  Collon  Cura.  Ils  viennent 
s'ennoyer  au  Sud-Est  sous  les  grès  du  plateau.  A  l'Ouest  de  cette 
zone  gédimentaire,  la  zone  des  granits  andms  et  des  diorites  qui, 
plus  au  Nord,  n'ont  été  mises  à  nu  qu'à  la  base  du  versant  occiden- 
tal, s'épanouit  dans  les  Andes  de  Patagonie,  dont  elle  constitue  la 
masse  principale  entre  le  lac  Lacar  et  le  golfe  de  la  Ultima  Espe- 
ranza.  Enfin,  les  Andes  de  Patagonie  sont  caractérisées  par  le  déve- 
loppement des  formations  volcaniques.  Elles  y  apparaissent  sur  le 
versant  oriental  vers  le  56°  L.  S.  avec  les  champs  de  laves  et  de 
cendres  du  Payen  et  du  Tromen.  Plus  au  sud,  tandis  que  les  vol- 
cans à  laves  acides  et  à  cônes  caractéristiques  sont  limités  à  la 
zone  centiale  (Lanin,  etc.)  et  au  versant  chilien,  les  elTusions  de  laves 
basiques  fluides  recouvrent  sur  la  bordure  orientale  des  Andes 
d'énormes  étendues,  et  elles  se  sont  répandues  hors  de  la  région 
andine  sur  une  grande  partie  du  plateau  patagonien. 


124  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

dombeyi)  y  domine  jusque  vers  1100  mètres,  couvrant 
un  sous-bois  impénétrable  de  bambous;  plus  haut, 
s'étend  jusqu'à  la  lisière  des  prairies  alpestres  le 
domaine  du  lenga  (notofagus  pumilio).  La  forêt  n'atteint 
pas  l'extrémité  orientale  des  lacs.  Dans  la  dépression 
subandine,  elle  se  réduit  à  des  fourrés  de  nirre  (notofagus 
antarctica)  et  de  mayten,  et  aux  touffes  de  calafate,  sem- 
blables à  nos  myrtilles. 

C'est  sur  l'Alumine,  vers  le  ~)9"  L.  S.  que  deviennent 
manifestes  les  traces  de  l'érosion  glaciaire  et  qu'elles 
envahissent  le  paysage.  La  montagne  est  cependant 
aujourd'hui  dégagée  de  glaces,  sauf  les  cimes  du  Lanin 
et  du  Tronador;  mais  à  partir  du  Rio  Puelo  (42°  L.  S.), 
les  glaciers  couvrent  tous  les  sommets  qui  dépassent 
2000  mètres.  Au  Nord  de  l'Aïsen,  ils  forment  une  ligne 
encore  étroite  mais  déjà  presque  continue.  De  l'Aïsen 
au  fjord  de  Calen,  et  au  delà  de  la  coupure  du  fjord  de 
Calen  jusqu'au  52°  L.  S.,  les  glaces  s'étalent  en  une 
nappe  puissante  dont  ia  largeur  atteint  par  endroits 
100  kilomètres.  Les  langues  des  glaciers  descendent 
jusqu'au  Pacifique  sous  le  46°,  et  jusqu'au  lac  San  Martin 
sur  le  versant  argentin  sous  le  49".  Dans  la  Terre  de 
Feu.  la  limite  des  névés  est  à  700  mètres  tandis  que  les 
glaciers  qu'ils  alimentent  atteignent  eux  aussi  les  fjords 
et  le  lac  Fagnano. 

Le  lac  Carri  Lauquen  sur  le  Barrancas  (56°, 20'  L.  S.), 
presque  entièrement  vidé  en  1914  par  suite  de  la  rupture 
du  barrage  naturel  de  terres  meubles  qui  retenait  ses 
eaux',  n'a  pas  le  caractère  d'un  lac  glaciaire.  La  chaîne 
des  lacs  glaciaires  s'étend  depuis  l'Alumine  jusqu'au 
Seno  de  la  Ultima  Esperanza,  et  se  prolonge  au  Sud  par 
Skyring  Water,  Otway  Water  et  Useless  Bay,  véritables 
lacs  en  communication  avec  le  Pacifique  par  d'étroites 
coupures.  Les  lacs  sont  tantôt  moulés  dans  une  étroite 

1.  Pablo  Groeber,  Informe  sobre  las  causas  que  han  producido  las 
erecienles  de/  rio  Colorado  en  l'.Jl4.  Dir.  Gen.  de  Minas,  Geol.  e  Hidrol., 
Bol.  N°  11,  série  B,  Geologia.  Buenos  Aires,  1910. 


LA  PAT  AGONIE  ET  L'ELEVAGE  DU  MOUTON.        125 

et  profonde  vallée  glaciaire  dont  ils  remplissent  le  fond; 
tantôt  ils  se  ramifient  dans  les  vallées  voisines;  tantôt 
ils  s'avancent  à  l'Est  en  dehors  de  la  zone  montagneuse, 
et  s'élargissent  en  un  bassin  arrondi  environné  par  un 
cercle  de  moraines.  Les  plus  grands  comprennent  un 
groupe  de  fjords  ramifiés  qui  forment  leur  moitié  occi- 
dentale, tandis  que  la  moitié  orientale  s'épanouit  entre 
des  grèves  plus  basses*. 


1.  La  majorité  des  dépressions  lacustres  se  conlinucntà  l'Est  à  tra- 
vers le  plateau  patagonien  par  une  vallée  bien  marquée.  La  partie 
Est  du  détroit  de  Magellan  n'est  qu'une  vallée  submergée  dans  l'axe 
d'Otway  Water.  Useless  lîay  se  prolonge  de  même  à  l'Est  par  le 
seuil  qui  aboutità  la  baie  de  San  Sébastian.  Parfois  les  eaux  des  lacs 
s'écoulent  à  l'Est  vers  l'Atlantique  en  suivant  ces  vallées.  Le  plus 
souvent  pourtant,  les  lacs  du  versant  oriental  sont  drainés  à  l'Ouest 
par  d'étroites  coupures  à  travers  la  Cordillère,  ou  au  Nord  et  au 
Sud  par  des  rivières  qui  suivent  la  dépression  subandiue  et  qui  les 
réunissent  en  chapelet.  La  vallée  qui  unit  le  lac  à  l'Atlantique  est  alors 
une  vallée  morte  et  la  ligne  de  partage  des  eaux  interocéanique  est 
marquée  par  la  moraine  frontale  de  l'ancien  glacier  qui  enferme  le 
lac  à  l'Est.  Cette  disposition  se  retrouve,  avec  une  surprenante  régu- 
larité, depuis  l'Alumine  et  le  Lacar  au  Neuquen,  jusqu'au  lac  Buenos 
Aires  et  au  Seno  de  la  Ultima  Esperanza  ;\  Santa-Cruz.  La  capture 
des  eaux  du  versant  oriental  par  les  rivières  du  Pacifique  à  travers 
la  Cordillère  est  assez  ancienne  et  certainement  préglaciaire.  Mais, 
pendant  la  période  glaciaire,  les  glaciers  obstruèrent  les  vallées 
transversales  de  la  Cordillère,  et  les  eaux  du  versant  oriental  repri- 
rent la  route  de  l'Atlantique.  Avec  le  recul  des  glaciers,  les  vallées 
de  la  Cordillère  se  dégagèrent  une  à  vme;  les  lacs  endigués  par  les 
glaciers  s'écoulèrent  brusquement  et  leiu"  niveau  s'abaissa;  les  val- 
lées du  plateau  patagonien  furent  définitivement  abandonnées,  et 
l'accident  topographique  d'importance  secondaire  que  constitue  l'an- 
cienne moraine  frontale  du  glacier  se  trouva  marquer  la  limite  du 
domaine  du  Pacifique.  La  fraîcheur  de  formes  des  vallées  mortes  de 
Patagonie  atteste  la  date  récente  de  cette  conquête  plus  brusque  et 
plus  rapide  qu'une  capture  proprement  dite.  Elle  n'est  pas  d'ailleurs 
encore  réalisée  partout.  Du  lac  San  Martin  au  lac  Buenos  Aires,  tous 
les  lacs  du  versant  oriental  sont  drainés  vers  le  Pacifique  parles  rivières 
qui  aboutissent  au  fjord  de  Calen.  Mais,  plus  au  Sud,  les  lacs  Viedma 
et  Argentino  sont  encore  tributaires  de  l'Atlantique;  ils  correspon- 
dent à  la  zone  des  Andes  de  Patagonie  qui  est  encore  recouverte  par 
l'inlandsis.  Au  Nord,  dans  le  bassin  du  Puelo  et  du  Yelcho,  où  les 
vallées  transandines  ont  cessé  depuis  longtemps  d'être  obstruées 
par  les  glaces,  les  lacs  du  versant  oriental  qui  s'écoulent  vers  le 
Pacifique  sont  de  superficie  réduite:  leur  niveau  actuel  est  très  infé- 
rieur à  leur  niveau  primitif,  et  un  réseau  de  rivières  s'est  développé 
à  l'Est  sur  l'ancien  domaine  lacustre  asséché. 


126  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 


La  colonisation  pastorale  s'est  répandue  aujourd'hui 
sur  la  superficie  presque  entière  de  la  Patagonie  ;  les 
parties  restées  inoccupées  sont  de  peu  d'étendue  et  se 
réduisent  aux  zones  les  plus  déshéritées  du  Sud  du  ter- 
ritoire du  Rio  Negro  et  du  Nord  de  Santa  Cruz.  L'expan- 
sion de  la  colonisation  blanche  ne  débute  que  vers  1880  ; 
jusqu'à  cette  date,  l'intérieur  reste  abandonné  aux  popu- 
lations indigènes  et  presque  entièrement  inconnu.  La 
côte  Atlantique  seule  avait  été  explorée.  Le  voyage  de 
Villarino  le  long  du  Rio  Negro  et  du  Limay  jusqu'au 
Nahuel  Huapi  n'avait  laissé  qu'un  souvenir  effacé'.  Au 
Nord  du  Rio  Negro,  Woodbine  Parish  (1839)  utilisant 
les  notes  de  Cruz,  qui  avait  franchi  en  1806  les  Andes  et 
le  territoire  indien  entre  Antuco  et  Melincue,  publie  le 
premier  quelques  informations  positives,  que  nul,  pen- 
dant 40  ans  encore,  n'enrichira-. 

Les  établissements  fondés  par  les  Espagnols  sur  la 
côte  à  la  fin  du  xviii'=  siècle,  S.  José,  P.  Deseado,  fuient 
éphémères  :  un  seul  vécut  obscurément  :  Carmen  de 
Patagones,  à  quelques  lieues  en  amont  de  l'embouchure 
du  Colorado.  L'exportation  du  sel  constituait  une  de  ses 
ressources  principales.  Les  expéditions  des  saulniers 
sur  la  côte  de  Patagonie  commencent  dès  le  milieu  du 
xviii^  siècle  :  (voyage  du  San  Martin  au  Puerto  San 
Julian  vers  1755.  Coll.  de  Angelis,  V).  Après  la  Révolu- 
tion, Buenos  Aires  renonça  définitivement  aux  coûteuses 
expéditions  par  terre  vers  la  région  des  salines  de  la 
Pampa  et  fut  approvisionnée  en  sel  par  les  goélettes  de 
Carmen.  Pendant  la  guerre  avec  le  Brésil  et  le  blocus 
du  Rio  de  la  Plata,  Carmen,  à  l'abri  de  la  barre  du  Rio 
Negro,  devint,  avec  la  baie  de  San  Blas,  le  havre  où  les 

1.  Diario  de  D.  Basilio  Villarino  ciel  reconocimiento  que  hizo  del  Rio 
Negro  en  et  ano  de  1782.  Collection  de  Angelis,  VL 

2.  C'est  Woodbine  Parish  qui  corrige  l'erreur  de  Villarino,  qui  avait 
pris  le  Neuquen  à  son  confluent  avec  le  Limay  pour  le  rio  Diamante, 
connu  au  sud  de  la  province  de  Mendoza. 


LA  PAÏAGOME  ET  LÉLEVAGE  DU  MOUTON.        127 

corsaires  argentins,  an<j!:lais  et  français,  venaient  cacher 
leurs  prises,  et  se  refaire  des  tempêtes  du  Golfe  de  Santa 
Catharina.  DOrbigny  visita  Carmen  pendant  cette 
période  de  prospérité  suspecte.  L'un  des  effets  les  plus 
singuliers  de  l'hospitalité  offerte  aux  corsaires  fut  le 
débarquement  sur  la  côte  de  Patagonie  de  noirs  saisis 
sur  des  négriers  à  destination  du  Brésil  ;  un  remous 
imprévu  entraîne  ainsi  jusqu'au  Sud  de  la  région  pam- 
péenne  une  partie  du  courant  de  la  traite  dirigé  vers  les 
plantations  de  canne  à  sucre  de  l'Amérique  tropicale  : 
plusieurs  eslancias  du  Carmen  avaient,  à  cette  époque, 
un  personnel  de  couleur. 

Autour  de  Carmen,  en  effet,  l'élevage  commençait  à 
se  répandre.  Le  bétail  avait  été  amené  par  terre  de 
Buenos  Aires,  et  s'était  multiplié  dans  la  région  côtière 
et  le  long  du  fleuve  en  amont  de  Carmen.  Au  Sud  de 
Carmen,  à  San  José,  les  bœufs,  après  l'abandon  du 
fortin,  étaient  devenus  sauvages.  Le  troupeau  de  Carmen 
est  évalué»  avant  la  Révolution,  à  40  000  tètes.  Il  dispa- 
raît pendant  la  période  des  guerres  révolutionnaires, 
mais  se  reconstitue  vite  ensuite,  et,  même  pendant  la 
guerre  avec  le  Brésil,  l'exportation  des  peaux  et  de  la 
viande  salée  se  poursuivait  activement.  Carmen  s'em:'i- 
chissait  surtout  par  le  trafic  avec  les  indigènes.  Elle 
vivait  sous  la  terreur  des  Indiens,  gardée,  à  distance,  sur 
les  pistes  par  lesquelles  ils  pouvaient  approcher  par  des 
postes  perdus,  chargés  de  donner  l'alarme.  Mais  cet  état 
de  guerre  permanent  n'empêchait  pas  le  commerce. 
Auprès  de  Carmen,  s'était  formé  un  groupement  stable 
d'Indiens  pacifiés  qui  sentait  de  truchement  avec  les 
tribus  de  l'intérieur,  jalouses  et  hostiles.  Là  se  recru- 
taient des  interprètes  et  des  guides  ;  là  furent  recueillies 
les  premières  données  sur  l'intérieur.  La  traite  avec  les 
indigènes  continua  longtemps  à  prêter  à  la  colonisation 
un  appui  précieux.  En  1805,  la  colonie  galloise  établie 
sur  le  Chubutet  dont  les  débuts  furent  difficiles,  fut  sau- 
vée d'un  échec  total  par  le  commerce  avec  les  Indiens. 


128  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

La  population  indigène  comprenait  deux  groupe- 
ments :  les  Tehuelches  ou  Patagons  proprement  dits, 
de  haute  stature,  et  les  Araucans,  d'origine  chilienne, 
auxquels  se  rattachent  les  Aucas,  les  Ranqueles,  les 
Pehuenches  et  les  Pampas.  Il  n'existait  pas  entre  eux  de 
limite  géographique  fixe  ;  les  Tehuelches  habitaient  la 
Patagonie  méridionale;  mais  les  Araucans,  de  même 
qu'ils  avancèrent  à  l'Est  jusque  dans  la  région  pam- 
péenne,  se  répandirent  au  Sud  jusqu'au  delà  du  Chubut. 
La  population  indienne  de  la  vallée  du  Genua  et  du  Sen- 
guerr,  au  Sud  de  la  colonie  de  San  Martin,  comprenait 
en  1880*  et  comprend  encore  aujourd'hui*  un  mélange 
d'Araucans  et  de  Tehuelches  :  les  Araucans  connais- 
saient l'agriculture;  mais,  lorsqu'ils  eurent  domestiqué 
des  chevaux,  ils  devinrent,  comme  les  Tehuelches,  avant 
tout  pasteurs  et  chasseurs. 

En  tant  que  chasseurs,  les  Indiens  de  Patagonie  étaient 
nomades.  La  conquête  du  cheval  ne  fit'que  faciliter  leurs 
déplacements  et  leur  donner  plus  d'ampleur.  Leur 
nomadisme  a  été  trop  souvent  considéré  comme  un 
vagabondage  à  l'aventure.  Il  avait  ses  lois,  fixées  par 
les  conditions  physiques  et  dont  nous  pouvons  saisir 
quelques-unes  :  la  région  de  la  côte  n'était  guère  prati- 
quée par  eux  que  pendant  l'hiver  :  c'est  la  saison  où  les 
pluies  y  entretiennent  des  points  d'eau.  On  a  remarqué 
que  les  noms  d'origine  indienne  manquent  sur  la  côte 
de  Patagonie.  Les  navigateurs  espagnols  qui  y  abordè- 
rent pendant  l'été  trouvèrent  le  pays  désert,  les  campe- 
ments abandonnés.  La  part  des  appellations  indigènes 
dans  la  toponymie  est  au  contraire  très  grande  dans 
l'intérieur  et  jusqu'au  pied  des  Andes.  L'été,  les  Indiens 
se  rapprochaient  de  la  montagne  où  ils  trouvaient  des 
terrains  de  chasse  favorables.  Ils  poursuivaient  surtout 
les  jeunes  guanacos  à  la  saison  de  la  mise-bas,  en  dé- 

1.  Carlos  M.  Moyano,  Informe  sobre  unviaje  a  ti^aves  de  la  Patagonia. 
Bol.  Instit.  geogr.  Argentino,  II;  1881,  p.  1-35. 

2.  W.  Vallentin,  C/mbut.  Berlin,  1006. 


LA  PATAGONIE  ET  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.        129 

cembrc  cl  janvier.  Popper  '  a  signale  (1887)  des  migra- 
tions du  mèiiic  type  chez  les  Onas  de  Patagonic,  qui  se 
rapprochent  de  la  côte  en  hiver,  et  s'en  éloignent  l'été 
pour  chasser  dans  l'intérieur.  La  région  du  Nahuel 
Iluapi  et  du  GoUon  Cura  exerçait  une  attraction  à  dis- 
tance. La  foret  d'araucarias  produisait  en  effet  des 
graines  (pinones)  que  les  Indiens  allaient  recueillir,  et 
ils  étaient  également  friands  des  pommes  sauvages  qui 
mûrissaient  sur  le  terrain  des  anciennes  missions  jé- 
suites. Les  fourrés  de  bambous  de  la  Cordillère  fournis- 
saient les  lances  des  Aucas  et  des  Tehuelches. 

Au  Nahuel  Iluapi  aboutit  la  plus  active  de  toutes  les 
routes  indiennes,  qui  venait  du  Santa  Cruz  inférieur,  re- 
montait le  rio  Chico  et  suivait  de  là  vers  le  Nord  le  pied 
de  la  Cordillère.  D'Orbigny  l'a  connue  déjà  par  ouï  dire. 
«  Tous  les  Indiens  qui  vivent  près  des  Andes  en  suivent, 
dans  leurs  voyages,  le  pied  oriental,  parce  qu'ils  y  trou- 
vent de  l'eau  ;  tandis  qu'ils  en  manqueraient  en  suivant 
les  côtes  :  par  là,  ils  vont  du  détroit  de  Magellan  au  Rio 
Negro  ».  La  piste  indienne  ne  s'éloignait  de  la  dépres- 
sion subandine  qu'entre  le  rio  Chico  et  le  lac  Buenos 
Aires,  dans  la  zone  où  les  hautes  mesetas  basaltiques 
s'avancent  jusqu'à  la  Cordillère,  et  sur  la  Pampa  du 
Senguerr. 

Du  Nahuel  Iluapi,  les  Indiens  du  Sud  gagnaient,  en 
descendant  le  Limay  et  le  Rio  Negro,  l'île  de  Choele 
Choel,  à  500  kilomètres  en  amont  de  Carmen,  où  ils  ren- 
contraient les  Aucas  et  les  Puelches  ;  ils  y  échangeaient 
leurs  peaux  de  guanacos  contre  les  tissus  de  laine  fabri- 
qués par  les  Aucas.  Choele  Choel  était  le  seul  grand 
marché  purement  indigène  :  les  blancs  n'y  pénétraient 
pas.  Des  raisons  géographiques  fixaient  l'emplacement 
de  ce  marché  de  nomades.  A  la  hauteur  de  Choele  Choel, 
le  Rio  Negro  se  rapproche  du  Colorado  et  de  l'archipel 
des  Sierras  de  la  Pampa  méridionale,  qui  marquent  autant 

1.  J.  Popper,  Exploracion  de  la  Tierra  de  Fueijo.  Bol.  Instit.  geogr. 
Argentirio,  VllI,   1887,  p.  7i-9ô. 

DcM*.  —  LArçcnline.  9 


15©  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

d'étapes  sur  les  routes  entre  la  Pampa  et  les  Andes.  Au 
Sud,  partait  de  Clioele  Choel  le  chemin  de  la  côte, 
moins  exposé  aux  neiges  que  la  piste  subandine  et  que 
les  Indiens  suivaient  pour  gagner  Le  golfe  de  San  Jorge  et 
le  Santa  Cruz,  en  hiver,  à  la  saison  des  pluies.  Darwin 
signale  l'importance  du  site  et  du  gué  de  Choele  Choel. 
Villarino  l'avait  devinée,  et,  dès  1782,  plaidait  pour  qu'un 
poste  y  fût  établi.  En  tenant  ce  point,  dit-il,  on  empêche- 
rait les  tribus  d'attaquer  Buenos  Aires  et  aussi  d'appro- 
cher de  la  côte  de  Patagonie  dans  la  région  de  San  José'. 

Aussi  loin  que  nous  puissions  remonter,  la  vie  indi- 
gène nous  apparaît  d'ailleurs  comme  profondément 
influencée  par  des  relations  entretenues  avec  les  popula- 
tions blanches.  Les  Aucas  apportaient  à  Choele  Choel, 
non  seulement  les  produits  de  leur  industrie,  mais  les 
objets  achetés  ou  volés  aux  chrétiens  de  la  Pampa.  Le 
récit  de  Musters,  qui  suivit  une  tribu  Tehuelche  de  Santa 
Cruz  au  pays  de  las  Manzanas  (pays  des  pommes),  mon- 
tre clairement  que  l'attraction  exercée  sur  les  Indiens 
par  la  région  du  Nahuel  Huapi  s'expliquait  moins  par 
ses  ressources  naturelles  que  par  le  voisinage  des  éta- 
blissements chiliens  de  Valdivia,  d'oîi  venaient,,  par  les 
cols  de  la  Cordillère,  quelques  charges  d'eau-de-vie. 

L'Indien  n'a  jamais  pratiqué  l'élevage  des  bœufs  ;  son 
troupeau  ne  comprend  que  des  juments  et  un  petit  nom- 
bre de  moutons.  Mais,  à  défaut  d'élevage,  le  commerce 
du  bétail  volé  devient  vile  l'occupation  principale  des 
tribus.  On  se  tromperait  pourtant  en  simaginant  que 
l'Indien  pillard  ait  été  pour  les  estancias  du  Carmen  uni- 
quement et  constamment  un  adversaire  redouté.  Il  leur 
♦arrivait  de  recourir  à  ses  services  ou  de  profiter  de  ses 
méfaits.  Après  la  Révolution,  ce  sont  les  Indiens  qui 
aident  à  repeupler  les  estancias  du  Rio  Negro  en  y  ame- 
nant les  bœufs  marrons  restés  dans  la  région  de  S.  José. 
Plus  tard,  Carmen  achète  les  bœufs  volés  parles  Indiens 

1.  Informe  de  D.  Basilio   Villarino  à  Fr.  de    Viednia,  4782.  Coll.    (ie 
Ancelis,  ^'. 


LA  PATAGO-NIE  LT  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.        151 

à  Buenos  Aires.  De  hStî")  à  i8'26,  le  nombre  des  bœufs 
vendus  par  les  Indiens  aux  colons  du  rio  Negro  est 
évalué  à  40  000.  Ainsi  alternaient,  pour  les  éleveurs  du 
Carmen,  vis-à-vis  des  indigènes,  les  périodes  de  conflit 
armé  et  les  périodes  de  complicité. 

Mais  le  grand  marché  du  bétail  razzié  fut  toujours  le 
Chili.  Les  razzias  (nialones)  et  le  passage  des  convois 
par  la  Cordillère  commencent  au  xviii^  siècle  et  se  pour- 
suivent pendant  tout  le  xix%  jusqu'en  1880,  où  rétablis- 
sement de  l'autorité  argentine  sur  le  versant  oriental  des 
montagnes  donna  au  commerce  du  bétail  une  forme  plus 
régulière.  Les  convois  aboutissaient  à  Antuco  et  à  Chillan, 
d'où  les  acheteurs  chiliens  accompagnaient  parfois  les 
tribus  indiennes  jusqu'aux  tolderias  de  la  lisière  de  la 
Pampa.  Le  trafic  du  bétail  volé  empruntait  tous  les  pas- 
sages de  la  Cordillère,  depuis  le  col  du  Planchon  sous 
le  55",  que  Roca  fît  couvrir  dès  1877  par  le  fort  d'Ala- 
milo,  jusqu'aux  sources  du  Bio  Bio.  Le  plus  pratiqué 
élait  celui  de  Pichachen  ou  d'Antuco.  Sur  le  plateau,  les 
routes  de  bétail  formaient  un  faisceau,  richement  ramifié, 
et  qui  s'étalait  sur  une  largeur  de  200  kilomètres  environ. 
Le  chemin  le  plus  septentrional  partait  à  l'Est  de  la 
région  de  Poitague,  et,  après  avoir  guéé  le  Salado  et 
l'Atuel  et  touché  les  aguadas  de  Cochico  et  de  Ranquilco, 
pénétrait  dans  la  Cordillère  au  coude  du  Rio  Grande, 
l'nc  autre  piste  remontait  le  Colorado  pour  gagner  en- 
suite la  haute  vallée  du  Neuquen  ;  une  troisième  passait 
du  Colorado  au  Rio  Negro,  et,  en  amont  du  confluent  du 
Limay  au  rio  Agrio  ou  à  l'Alumine. 

Les  premiers  renseignements  précis  sur  le  domaine 
des  Indiens  de  Patagonie  sont  fournis  par  un  groupe  de 
voyageurs  hardis  qui,  de  1870  à  1880,  parcoururent  les 
j>istes  indiennes  :  Musters,  Moreno,  Moyano,  Ramon 
Lista,  etc.  Leurs  découvertes  avaient  déjà  ébauché  la 
reconnaissance  géographique  de  la  Patagonie  lorsque  la 
campagne  de  1879  à  1885  l'ouvrit  à  la  colonisation. 

L'histoire  de  la  colonisation  blanche  depuis  1880  laisse 


132  LA  RÉPUBLIOUE  ARGENTINPl 

reconnaître  plusieurs  courants  de  peuplement  distincts. 
Le  premier,  parti  de  la  région  pampéenne,  progresse  du 
Nord  au  Sud  le  long  de  la  côte  atlantique  et  élargit  peu 
à  peu  son  domaine  vers  l'intérieur.  Les  éleveurs  utilisent, 
pour  amener  les  premiers  troupeaux,  la  voie  maritime  ou 
l'ancienne  piste  indienne  jalonnée  de  points  d'eau  recon- 
nus. En  1884,  le  seul  point  habité  de  la  côte  entre  le  Rio 
Negro  et  le  Deseado  était  la  colonie  galloise  du  Chubul. 
En  1886,  Fontana  '  signale  déjà  des  estancias  dans  la 
région  de  Punta  Delfin,  au  Sud  du  Cliubiit.  Vers  1890, 
tout  le  pourtour  du  golfe  de  San  Jorge  a  été  occupé,  et, 
peu  après,  le  courant  venu  du  Nord  rencontre,  vers  San 
Julian  et  Santa  Cruz,  le  courant  provenant  du  Sud. 
L'expansion  de  la  colonisation  est  m.oins  rapide  veis 
l'intérieur:  AmbrosettiS'oit  s'établir,  en  1893  seulement, 
les  premières  estancias  autour  de  la  Sierra  de  Lihuel 
Calel,  et,  à  la  même  date,  Siemiradzki^  rencontre  encore 
peu  de  traces  de  colonisation  sur  le  Colorado. 

Le  deuxième  courant  de  peuplement  provient  de  la 
région  magellaniennc;  il  a  son  origine  en  territoire  chi- 
lien autour  de  Punta  Arenas.  C'est  vers  1878  que  l'éle- 
vage du  mouton  se  répand  autour  de  Punta  Arenas,  et 
entre  1885  et  1892  que  les  estancias  magellaniennes  se  W 
multiplient  le  plus  rapidement.  Elles  occupent  au  Nord 
du  détroit  les  terres  basses  en  bordure  de  Skyring  Watcr 
et  d'Otv/ay  Water,  puis  le  plateau  au  Sud  du  Gallegos  ; 
elles  progressent  le  long  de  l'Atlantique  jusqu'au  Santa 
Cruz.  En  1896,  la  limite  du  mouton  se  trouve  sur  le  Santa 
Cruz  à  50  kilomètres  de  la  côte  (Hatcher)*.  A  l'Ouesl, 
Puerto  Consuelo  est  fondé  en  1892,  et,  en  1898,  la  colo- 

1.  L.  J.  Fontana,  Exploracion  en  la  Palacjonia  austral.  Bol.  Inslil. 
geogr.  Argent.,  \'II,  1886,  p.  223-259. 

2.  J.  B.  Ambrosetti,  Viaje  a  la  Pampa  centra!.  Bol.  Inst.  geogr. 
Argent.,  XIV,  1893,  p.  292-568. 

5.  J.  V.  Siemiradzki,  £'me  Forschungsreise  in  Patagunien.  Peter- 
mann's  Miiteiliingen,  XXXIX,  1893,  p.  49  62. 

4.  J.  B.  lîatclier,  Reports  of  the  Princelon  Universily  expéditions  lo 
Patagonia,  1896-99.  Narrative  of  the  expéditions.  Geography  of  southern 
Patagonia.  Princelon.  Stuttgart,  1903. 


LA  PATAGOXIE  ET  LÉLEVAGE  DU  MOUTON.        133 

nisalion  s'arrête  devanl  la  barrière  montagneuse  que  le 
Cerro  Payne  et  le  plateau  basaltique  du  Cerro  Vi/xachas 
interposent  entre  le  lac  Arg^entin  et  le  fjord  de  la  Ultima 
Esperanza. 

Les  zones  de  colonisation  primitive  de  la  Patagonie 
méridionale  et  de  la  côte  se  distinguent  encore  aujour- 
d'hui par  la  densité  relativement  élevée  de  leur  popula- 
tion. Mais  les  éleveurs  en  quôte  de  terres  inoccupées 
n'ont  pas  tardé  à  s'avancer  au  delà.  En  1895  et  1900,  ils 
se  portent  à  l'Ouest  du  golfe  de  San  Jorge  vers  le  bassin 
du  Senguerr  et  du  Gcnua  (fondation  de  la  colonie  Sar- 
miento,  au  Sud  du  Golhuapi  1897;  fondation  de  San 
Martin  sur  le  Genua  1900).  Depuis  1900,  le  peuplement 
a  remonté  aussi  le  Sanla  Cruz  et  le  Piio  Chico,  jusque 
dans  la  zone  andine,  et  la  lacune  qui  subsistait  encore  il 
y  a  20  ans,  entre  la  région  du  Senguerr  et  celle  du  lac 
Argentin,  aisément  reconnaissable  sur  les  cartes  de  la 
Commission  des  Frontières,  a  été  à  peu  près  entièrement 
comblée. 

L'histoire  de  la  colonisation  dans  la  partie  Nord  des 
Andes  de  Patagonie  est  plus  compliquée.  Aussitôt  après 
la  campagne  de  1885,  les  vallées  du  Neuquen  sont  enva- 
hies par  des  immigrants  chiliens,  métis  de  la  «  Fron- 
tière »,  qu'il  n'est  pas  toujours  aisé  de  distinguer  des 
Araucans  purs.  Quelques  Chilotes,  et  même  quelques 
Allemands  des  colonies  méridionales  du  Chili,,  étaient 
mêlés  aux  métis.  Ce  courant  d'immigration  avait  com- 
mencé avant  la  conquête.  Dès  1881,  Host'  signale  la 
présence  à  Chosmalal  de  familles  d'agriculteurs  chiliens 
qui  tenaient  leurs  terres  du  Cacique  indien.  Ils  gardaient 
pendanl  l'été  les  troupeaux  transhumants  venus  de  la 
plaine  chilienne.  Le  pays  pacifié,  leur  nombre  s'accrut 
rapidement.  Ce  sont  eux  qui  fournirent  la  main-d'œuvre 
des  placers  du  Neuquen,  dont  l'exploitation  commença  à 


1.  Fr.  Host,    Expcdicion  al  Neuquen.  Bol.   Inslif.  geogr.   Aigenlino, 
II,  1881,  p.  10-16. 


154  LA  REPUBLIQUE  ARGENTL\E. 

partir  de  1890.  La  zone  où  s'étendit  la  colonisation  clii- 
lienne,  va  du  Rio  Atuel,  où  Villanueva'  signale  en  1884 
des  immigrants  chiliens, jusqu'au  Sud  du  Nahuel  Huapi, 
où  des  Chiliens  furent  encore  rencontrés  par  Vallentin 
en  1906,  sur  le  rio  Pico,  tout  près  du  44°  L.  S.  Au  Sud 
du  Nahuel  Huapi  il  n'existe  pas  de  passage  régulière- 
ment pratiqué  à  travers  la  Cordillère  \  Les  colons  chi- 
liens de  la  zone  méridionale  sont  donc  venus  du  Nord 
en  suivant  le  pied  oriental  des  Andes.  Bailey  Willis 
estime  qu'il  y  a  2000  Chiliens  sur  une  population  totale 
de  3500  habitants  dans  la  région  subandine  depuis  le 
Nahuel  Huapi  jusqu'à  Diez  y  seis  die  Octubre.  Le  nom- 
bre total  des  immigrants  chiliens  a  pu  atteindre  20000. 
Il  ne  continue  pas  à  s'accroître.  L'immigration  chilienne 
s'est  interrompue  enlre  1890  et  1895.  Après  le  règlement 
du  tracé  de  la  frontière,  le  Gouvernement  chilien  a  cher- 
ché à  ramener  sur  son  territoire  une  parlie  des  émi- 
grants.  Beaucoup  sont  allés  se  fixer  dans  la  vallée  du 
Lonquimay.  En  1896,  Moreno  observe  partout  dans  la 
vallée  du  Collon  Cura  la  trace  du  départ  des  colons  chi- 
liens qui  venaient  d'abandonner  le  pays. 

A  l'origine,  les  Argentins  des  provinces  occidentales 
de  San  Juan  et  de  Mendoza  avaient  été  seuls  à  disputer 
le  sol  aux  Chiliens.  C'est  eux  que  Furque^  trouve  en  1888 
à  Roca,  sur  le  Rio  Negro,  mais  à  partir  de  1890  à  1895, 
des  immigrants  de  nationalités  divei'ses  se  fixent  dans  le 
Neuquen  et  le  Rio  Negro.  Des  capitalistes  étrangers  y 
.organisent  les  premières  cstancias.  En  1888,  d'autre 
part,  les  Gallois  du  Chubut  inférieur,  guidés  par  les 
Indiens,  essaiment  de  la  côte  vers  la  région  subandine 
et  s'établissent  dans  la  vallée  de  Diez  v  Seis  de  Gctubre. 


1.  C.  Villaiiueva,  De  Mendoza  a  Norquin.  Bol.  Iiist.  geogr.  Ai'gentino, 
V,  1884,  p.  171-174. 

2.  Les  bûcherons  cliilotes  ont  pénétré  parfois  jusque  dans  les  val- 
lées orientales  à  la  recherche  de  bois  d'alerces,  mois  ce  sont  des 
nomades  qui  ne  se  fixent  pas. 

3.  Furque,  Desoipcion  ciel  Fueblo  General  Roca,  Bol.  Inst.  gcopr. 
Argentino,  IX,  1888,  p.  124-102. 


LA  PATAGOME  ET  L'IILEVAGE  DU  MOUTON.        IT).') 

Entre  1895  et  1900,  les  vallées  voisines  commencent  à  se 
peupler,  et  les  zones  de  colonisation  du  NahuelHuapi  et 
du  Senguerr  se  soudent'. 


Le  caractère  le  plus  frappant  de  la  colonisation  en 
Patagonio  est  la  très  faible  densité  de  la  po})ulatîon.  Le 
recensement  de  i914  donne  81  000  hal)ilants  en  tout  aux 
territoires  du  Rio  Negro,  du  Neuquen,  du  Chuhut,  de 
Santa  Cniz  et  de  la  Terre  de  Feu.  Une  estancia  bien 
tenue  de  '2500  kilomètres  carrés  comporte  euA^iron  un 
personnel  d'une  centaine  d'hommes,  soit  au  maximum, 
en  faisant  la  part  des  étrangers  établis  sur  ses  terres, 
500  habitants,  i\  peine  plus  d'un  pour  dix  Ivilomètres  car- 
rés. Cette  population  se  divise  en  deux  classes  distinctes. 
L'une  a  des  titres  de  propriété  réguliers,  elle  est  enra- 
cinée et  stable.  Le  Gouvernement,  après  avoir  à  l'origine 
accordé  de  vastes  concessions  où  se  sont  établies  sur- 
tout des  propriétés  anglaises,  s'efforce  aujourd'hui  de 
diviser  le  sol  davantage,  et  les  lots  des  nouvelles  colo- 
nies pastorales  qu'il  met  en  vente  n'ont  plus  que  625  hec- 
tares. Mais  c'est  là  une  superficie  trop  faible  pour 
établir  un  domaine  d'élevage,  si  favorable  que  soit  sa 
situation,  et  la  concentration  des  terres  entre  un  petit 
nombre  de  propriétaires  paraît  inévitable.  L'antre  partie 
de  la  population  occupe  des  terres  qui  ne  lui  appar- 
tiennent pas;  elle  se  déplace  à  mesure  que  des  conces- 
sions régulières  sont  octroyées  à  de  nouvelles  esîancias, 
vivant,  pour  ainsi  dire,  en  marge  delà  colonisation,  et 
réduite  de  plus  en  plus  aux  zones  les  plus  pauvres. 
Parfois  les  «  intruses  »  ou  les  «  pobladores  »  obtiennent 


1.  Malip'é  leur  impoiiance,  il  faut  considérer  comme  des  épisodes 
dans  l'histoire  de  la  colonisati.on  de  la  F'atagonie,  l«s  affiux  de  popu- 
lation provoqui'-s  sur  la  côte  orientale  par  la  découverte  de  l'or  des 
■pbcers  du  r,ap  ^'irf^Piies  el  de  la  ente  atlantirine  do  la  Terre  de  Feu 
(1884),  et  par  celle  du  pétrole  à  Hivadavia  (1907)  au  cours  de  sondages 
à  la  recherche  de  l'eau,  Rivadavia,  avec  ses  ÔOOO  habitants,  est  déjà 
l'on  des  principaux  centres  de  la  Patagonie. 


156  LA  REPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

pour  leurs  troupeaux  riiospitalité  sur  les  terres  d'une 
estancia,  en  échange  de  services  ;  ils  disposent  de  peu 
de  capitaux,  et  ne  pratiquent  aucune  amélioration  maté- 
rielle. Ils  se  préoccupent  peu  de  ménager  le  pâturage 
qu'il  ne  leur  importe  guère  de  voir  s'appauvrir. 

Le  climat  établit  en  Patagonie  deux  régions  pastorales 
distinctes.  A  l'Ouest,  la  zone  andine  humide  est  favo- 
rable à  l'élevage  des  bœufs.  Vers  1870,  les  Chiliens  de 
Valdivia  chassaient  les  bœufs  sauvages  dans  la  région 
du  Nahuel  Huapi  ;  de  même,  la  Commission  des  frontières 
rencontra  sur  les  rives  du  lac  San  Martin,  encore  inoccu- 
pées, de  grands  troupeaux  de  bœufs  sauvages.  Le  mou- 
ton ne  prospère  pas  dans  la  zone  humide,  où  les  pluies 
ont  lessivé  les  terres  et  entraîné  les  sels  qui  paraissent 
lui  être  indispensables.  Le  plateau  aride,  au  contraire,  est 
le  pays  du  mouton.  Il  y  a  éliminé  le  gros  bétail,  môme 
dans  la  zone  que  les  premiers  éleveurs  à  la  fin  du 
xviif  siècle  avaient  peuplée  de  bœufs.  Entre  la  zone  du 
mouton  et  celle  du  bœuf  s'étend  une  zone  mixte,  où  les 
deux  élevages  se  combinent  :  elle  est  plus  ou  moins 
étendue,  selon  que  la  transition  du  climat  humide  au 
climat  désertique  est  lente  ou  brusque;  elle  est  surtout 
importante  dans  les  régions  où  la  colonisation  est  déjà 
ancienne,  comme  la  région  fucgienne  et  le  Neuquen; 
elle  manque  dans  les  régions  de  colonisation  récente 
(Chubut  et  Santa  Cruz),  où  les  éleveurs  de  moutons  ont 
trouvé  le  champ  libre  jusqu'aux  x\ndes.  Les  estancias  de 
la  Cordillère,  spécialisées  dans  l'élevage  du  gros  bétail, 
nourrissent  toutes  un  petit  troupeau  de  moutons  réservés 
i\  leur  propre  consommation,  leur  personnel  étant  trop 
restreint  pour  qu'il  soit  économique  d'abattre  des  bœufs. 
La  zone  du  mouton  est  de  beaucoup  la  plus  étendue  : 
sur  sa  superficie,  les  taches  de  colonisation  agricole 
sont  infiniment  clairsemées  et  réduites.  Elles  sont 
limitées  aux  oasis  fluviales  du  Rio  Negro  et  du  Chubut. 
Ces  petites  régions  de  culture  ont  conserA'^é  à  l'égard  de 
la   zone  pastorale  où   elles   sont  perdues  une  indépen- 


LA  PATAGOME  ET  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.  157 
dancc  économique  remarquable.  C'est  ainsi  que  les  cul- 
tivateurs du  Chubut  exportaient  leurs  blés  vers  Buenos 
Aires  jusque  vers  1900,  et  y  envoient  aujourd'hui  leurs 
balles  de  luzerne  sèche.  Quelques  estancias  ont  l'ait  de 
petits  essais  de  culture  en  quelques  points  favorisés, 
mais  elles  sont  uniquement  destinées  à  augmenter  leurs 
réserves  de  fourrage,  non  pour  le  troupeau  de  moutons, 
mais  pour  les  chevaux  de  selle  employés  à  la  surveil- 
lance du  domaine,  et  pour  les  attelages  utilisés  aux 
transports. 

La  capacité  pastorale  de  la  brousse  patagonienne  est 
en  moyenne  de  800  à  1200  têtes  de  mouton  par  lieue 
carrée  de  25  kilomètres  carrés,  moins  du  1/10  des 
prairies  de  la  Pampa  orientale.  L'estancia  établit  sa 
résidence  sur  la  partie  la  plus  favorisée  du  domaine,  où 
le  manque  d'eau  est  le  moins  à  craindre,  et  où  le  patu- 
l'oge  est  le  plus  abondant.  C'est  là,  en  effet,  que  l'on 
amène  périodiquement  les  moutons  pour  leur  faire  subir 
les  bains  désinfectants  contre  la  gale,  et  qu'on  les 
rassemble  pour  la  tonte.  Ces  mouvements  incessants 
vers  le  centre  de  l'estancia  y  déterminent  une  sur- 
charge presque  permanente  du  pâturage,  qui  est  un  des 
soucis  principaux  de  l'éleveur.  Le  territoire  de  l'estancia 
est  aussitôt  que  possible  divisé  en  quartiers  (potreros) 
par  des  clôtures  de  fil  d'acier,  qui  permettent  à  la  fois 
de  surs'eiller  la  reproduction  et  l'amélioration  du  trou- 
peau et  de  mieux  utiliser  le  pâturage.  Le  clôturage  est 
plus  avancé  près  de  la  Cordillère  qui  fournit  du  bois 
pour  les  piquets. 

Certaines  régions  restent  désertes  faute  de  points 
d'eau.  Parmi  les  points  d'eau  naturels,  les  uns  sont 
permanents  :  les  eaux  sourdent  à  la  base  des  bancs 
fissurés  de  roches  volcaniques,  lorsque  la  roche  sous- 
jacente  est  imperméable,  et  au-dessus  de  différents 
niveaux  marneux  des  mollasses  patagoniennes,  par 
exemple  dans  les  canadones  du  pourtour  du  golfe  de 
San  Jorge.  En  outre,  les  pluies  et  la  fonte  des  neiges 


158  LA  RÉPUBLIOIE  .ARGENTINE. 

laissent  à  la  surface  du  plateau  un  grand  nombre  de 
flaques  qui  s'évaporent  à  la  saison  sèche  ;  ce  sont  ces 
points  d'eau  temporaires,  «  manantiales  »,  auxquels 
l'élevage  est  réduit  sur  de  grandes  étendues  du  plateau. 
La  plupart  des  nappes  sans  écoulement,  qui  ont  un 
caractère  permanent,  sont  salées;  la  teneur  en  sel  en  est 
très  variable  et  se  modifie  pour  chacune  d'elles  suivant 
les  cycles  d'années  sèches  et  d'années  humides.  Les 
eaux  du  Carilaufquen  étaient  douces  en  1900;  en  1914 
elles  étaient  devenues  saumâtres,  bien  qu'utilisables 
encore  pour  les  troupeaux. 

La  recherche  de  points  deau  permanents  est  le  pre- 
mier soin  de  l'éleveur.  Dans  quelques  régions,  il  a  réussi 
à  atteindre  par  des  puits  des  nappes  d'eau  douce.  Ces 
puits  manquent  dans  les  zones  cristallines,  dans  les 
dépressions  fermées,  où  les  nappes  sont  parfois  puis- 
santes, mais  toujours  salées.  îls  manquent  aussi  dans  la 
zone  des  grès  rouges,  la  plus  aride  de  toutes.  Dans  la 
région  occidentale,  les  puits  sont  creusés  dans  les  vallées 
sèches,  sur  le  tracé  des  courants  d'eau  souterrains. 
C'est  ainsi  que  le  Picun  Leufu,  dont  le  cours  superficiel 
se  perd  25  kilomètres  en  amont  de  son  confluent  avec  le 
Limay,  est  jalonné  par  une  ligne  ininterrompue  de  puits. 
C'est  surtout  dans  la  région  côtière  que  les  puits  ont 
transformé  les  conditions  de  l'élevage.  L'eau  y  fut 
découverte  d'abord  au  pied  des  dunes,  le  long  de  la  côte 
elle-même  (région  de  Viedma,  San-Jose,  etc.).  Depuis, 
des  forages  profonds  ont  été  entrepris  dans  toute  la 
plate-forme  tertiaire  de  part  et  d'autre  du  Rio  Negro 
inférieur,  au  Nord  de  San  x\ntonio.  Chaque  estancia  y  a 
son  réservoir  de  tôle,  abrité  par  un  bouquet  de  tamaris, 
et  qu'un  moteur  à  vent  travaille  à  remplir. 

Tous  les  pâturages  ne  sont  pas  utilisables  indiff'é- 
remment  en  toute  saison  :  tous  ceux  dont  l'altitude 
dépasse  1200  mètres  au  Nord,  7  ou  800  mètres  au  Sud, 
sont  recoiuverts  en  hiver  d'une  épaisse  couche  de  neige 
et  constituent  des  pâturages  d'été.  L'hiver,  les  animaux 


LA  PATAGOiME  ET  L'ELEVAGE  DU  MOUTOX.        lô'J 

sont  ramenés  dans  les  vallées  principales  ou  dans  les 
cafladones  abrités  au-dessous  du  niveau  du  plateau.  Le 
mallin  est  en  général  un  pAlurage  d'hiver;  cependant, 
lorsqu'il  est  trop  humide,  il  devient  mouvant,  et  les  ani- 
maux s'y  enlisent;  il  leur  faut  attendre  les  beaux 
jours  pour  y  pénétrer.  Les  pâturages  où  manquent  les 
points  d'eau  permanents,  et  qui  n'ont  que  des  manan- 
tiales,  desséchés  dès  le  début  de  l'été,  ne  peuvent  eux 
aussi  être  utilisés  que  comme  pâturages  d'hiver.  Il  faut 
donc,  à  chaque  estancia,  outre  des  ressources  assurées 
en  eau,  une  heureuse  association  de  pâturages  d'hiver 
et  de  pâturages  d'été,  qui  est  bien  loin  de  se  rencontrer 
toujours  sur  chacun  des  lots,  géométriquement  découpés 
à  l'usage  de  la  colonisation  par  l'administration  des 
terres. 

La  constitution  du  troupeau  et  la  première  occupation 
du  terrain  ont  obligé  les  éleveurs  à  des  voyages  difficiles, 
dont  plus  d'un  tourna  au  désastre.  Les  premiers  arri- 
vants, poussant  leur  bétail  sur  des  pistes  mal  connues, 
franchirent,  non  sans  pertes,  les  parties  arides  du  plateau 
que  d'Orbigny,  traduisant  littéralement  le  mot  espagnol 
de  travesia,  appelle  des  «  traversées  n\  Une  fois  l'estan- 
cia  établie,  l'élevage  ne  comporte  plus,  à  l'exception  de 
certaines  migrations  particulières  de  transhumance  que 
j'étudie  plus  loin,  de  déplacements  des  troupeaux  à 
grande  distance.  C'est  sur  chaque  estancia,  parfois  sur 
cha(iue  groupe  de  quelques  estancias  associées  en  un 
seul  domaine,  qu'ils  passent  alternativement  des  pâtu- 
rages d'hiver  aux  pâturages  d'été.  Les  seuls  transports 
sont  ceux  de  la  laine.  Les  toisons  que  le  vent  d'Ouest 
a  lourdement  chargées  de  poussière  sont  rassemblées 
dans  des  hangars  dépendant  de  l'estancia,  ou,  pour  les 
intrusos,    chez  de  petits   commerçants  «  bolicberos  », 


1.  La  recherche  îles  ilin6roircs  possibles  pour  amener  du  bétail 
dans  les  régions  non  encore  colonisées  a  contribué  à  la  reconnais- 
sance de  la  Patagonie.  Movano  est  conduit  par  cette  préoccupation 
à  explorer  la  roule  de  Santa  riruz  au  XahuoI  Huapi. 


140  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

dispersés  jusque  sur  les  parties  les  plus  reculées  du 
plateau.  Des  troupes  de  chars  les  emportent  ensuite  aux 
ports  de  la  côte. 

Depuis  peu  d'années  pourtant,  la  laine  a  cessé  d'être  le 
seul  produit  des  estancias.  Peu  avant  1895,  s'établirent 
sur  le  détroit  de  Magellan  les  premières  graisseries, 
pour  abattre  les  brebis  âgées  qui  ont  cessé  d  être 
fécondes.  Les  frigorifiques  ont  succédé  aux  graisseries 
et  se  sont  ouverts  à  Puerto  Callegos  et  à  San  Julian. 
Un  troisième  frigorifique  est  en  construction  à  Puerto 
Deseado  (1915).  Dans  la  Patagonie  septentrionale,  une 
partie  du  troupeau  est  envoyée  de  même  aux  frigori- 
liques  ou  aux  abattoirs  de  la  région  pampéenne.  La 
création  des  frigorifiques  a  rendu  nécessaire  une  adapta- 
tion de  l'élevage  à  des  conditions  économiques  nou- 
velles. La  race  merino  tend,  dans  toute  la  zone 
d'influence  du  frigorifique,  à  être  éliminée  par  la  race 
.lincoln,  de  poids  plus  fort  et  de  croissance  plus  rapide, 
tandis  qu'elle  se  maintient  dans  la  Patagonie  aride  du 
Nord. 

En  outre,  l'approvisionnement  des  frigorifiques  déter- 
mine des  mouvements  importants  de  transport  de  bétail  : 
les  troupeaux,  à  destination  des  frigorifiques  ou  des 
voies  ferrées  du  Nord,  circulent  à  la  belle  saison,  après 
la  tonte,  de  novembre  à  avril.  Les  routes  qu'ils  suivent 
ne  sont  pas  encore  invariablement  fixées.  L'une  des  plus 
passantes,  qui  mène  des  plateaux  subandins  vers  San 
Julian,  suit  la  vallée  de  Santa  Cruz.  Rien,  au  moment 
où  a  été  faite  la  division  des  terres,  n'avait  fait  prévoir 
cette  forme  de  circulation  ;  rien  n'a  été  préparé  pour  la 
faciliter.  Les  chemins  traversent  les  estancias  qui  sont 
contraintes  d'autoriser  le  passage  ;  lourde  servitude  pour 
certaines  d'entre  elles,  à  moins  qu'en  louant  le  pâturage 
aux  troupeaux  en  voyage,  elles  ne  tirent  au  contraire 
une  ressource  précieuse  de  leur  situation  sur  la  route 
qui  se  crée. 

La  zone  andine,  si  elle  est  encore  aujourd'hui,  elle 


LA  PATAGOME  ET  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.        141 

aussi,  principalement  pastorale,  n'en  est  pas  moins 
infiniment  plus  variée  et  plus  riche  en  possibilités  de 
développement  que  le  plateau.  L'agriculture  y  est  dès 
maintenant  associée  à  l'élevage. 

Le  nom  de  «  vegas  »,  qui  désigne  dans  la  Puna  et  à 
San  Juan  des  pâturages  alpestres,  s'applique  ici  aux 
taches  de  cultures  des  vallées  andines.  Elles  apparais- 
sent au  Nord  dans  la  vallée  du  Neuquen,  autour  de 
Chosmalal.  Au  Sud,  la  vallée  du  Rio  Pico  marque  la 
limite  des  cultures.  L'irrigation  est  presque  toujours 
nécessaire  au  Nord  du  lac  Nahuel  Huapi,  oii  les  vegas 
ont  le  plus  souvent  un  sol  d'alluvions  grossières,  ou  de 
tufs  perméables  qui  se  dessèchent  vite.  Les  ressources 
en  eau  sont,  il  est  vrai,  abondantes,  et  s'accroissent 
rapidement  vers  le  Sud.  Le  principal  obstacle  à  l'exten- 
sion des  cultures  est  la  fréquence  des  gelées  de  prin- 
temps et  d'été.  Les  fosses  profondes  de  la  dépression 
subandine  au  Sud  du  Nahuel  Huapi,  dont  l'altitude 
s'abaisse  à  500  mètres  au  Bolson,  à  400  mètres  à  Diez  y 
seis  de  Octubre,  n'ont  pas  de  gelées  d'été, et  nourrissent 
de  petites  communautés  agricoles.  Aux  altitudes  supé- 
rieures, dans  le  bassin  du  Nahuel  Huapi,  ou  sur  les 
vegas  du  Traful  et  du  Lac  Lacar,  vers  l'altitude  de 
700  mètres,  la  distribution  des  gelées  d'été  est  en  rela- 
tion étroite  avec  le  relief  et  la  disposition  du  terrain  qui 
facilite  ou  entrave  la  circulation  des  couches  d'air  froid 
et  le  jeu  de  ce  que  l'on  a  appelé  le  drainage  atmosphé- 
rique. Les  vallées  bien  ouvertes  de  l'Ouest  à  l'Est,  au 
débouché  des  lacs,  oîi  les  vents  d'Ouest  trouvent  libre 
passage,  sont  peu  exposées  aux  gelées.  Partout  où  les 
gelées  sont  fréquentes,  on  doit  se  borner  à  cultiver  des 
plantes  fouiragères;  les  cantons  plus  favorisés,  qui  récol- 
tent du  blé,  du  seigle  et  des  pommes  de  terre,  contri- 
buent à  l'approvisionnement  de  la  population  pastorale 
locale  et  exportent  une  partie  de  leur  production  jusqu'à 
une  faible  distance  sur  le  plateau. 

L'élevage  des  bœufs  est  pratiqué,  comme   l'élevage 


142  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

des  moutons  sur  le  plateau,  à  la  fois  par  des  pobladores 
sur  les  terres  publiques,  et  par  des  estancieros  établis 
sur  des  concessions  régulières  qu'ils  ont  aménagées  et 
clôturées.  Les  hauts  pâturages  alpestres,  au-dessus  de 
la  lisière  de  la  forêt,  sont  en  partie  utilisés  comme  pâtu- 
rages d'été  de  décembre  à  mars.  La  forêt  sert  elle  aussi 
au  pâturage  ;  elle  constitue  un  terrain  de  parcours  per- 
manent, utilisable  l'hiver  et  l'été.  Au-dessous  de  l'alti- 
tude de  1000  mètres,  les  fourrés  de  bambous  du  sous- 
bois  fournissent  un  abri  pendant  l'hiver  et  un  fourrage 
que  la  neige  n'ensevelit  pas.  Les  incendies  allumés  par 
les  éleveurs  ont  transformé  une  partie  de  la  forêt  primi- 
tive en  une  brousse  qu'envahit  une  légumineuse  grim- 
pante fourragère,  et  dont  la  capacité  pastorale  dépasse 
celle  de  la  forêt.  A  TEst  de  la  forêt,  la  prairie,  trop 
exposée  aux  vents,  ne  convient  pas  en  général  comme 
pâturage  d'hiver;  les  bœufs  trouvent  un  refuge  dans 
les  vallées  abritées  et  dans  les  fourrés  de  mayten  qui 
suivent  les  dépressions  :  Bailey  Willis  estime  à  400  bœufs 
par  lieue  carrée  de  2500  hectares  la  capacité  pastorale 
de  la  forêt  vierge;  à  600,  celle  de  la  forêt  incendiée,  à 
350  celle  des  prairies  subandines.  Le  problème  essentiel 
pour  l'utilisation  complète  des  ressources  pastorales  de 
la  région  subandine  est  un  problème  de  circulation.  Les 
chemins  manquent,  en  effet,  pour  passer  d'une  zone  à 
l'autre,  et  pour  gagner  les  hautes  prairies;  les  troncs 
abattus  qui  encombrent  la  forêt  ne  peuvent  être  franchis 
par  les  bœufs;  le  rassemblement  des  bêtes  pour  la  vente 
est  difficile  ainsi  que  la  surveillance  du  troupeau. 

Le  rendement  de  l'exploitation  du  bois  paraît  devoir 
rester  faible.  La  forêt,  réduite  par  les  incendies,  difficile 
d'accès,  est  composée  en  partie  d'arbres  trop  âgés.  Le 
libocedrus  a  été  enlevé  sur  un  tiers  de  la  superficie. 
L'Alerce,  qui  est  l'essence  la  plus  précieuse,  ne  passe 
que  rarement  sur  territoire  argentin.  Les  scieries  ne  se 
sont  pas  multipliées  sur  le  versant  oriental  des  Andes 
comme  dans  la  région  magellanienne.  Le  rôle  essentiel 


LA  PATAGO.MK  ET  L'ELEVAGE  DU  MOUTON.        145 

de  la  forêt,  selon  l'avis  des  forestiers  argentins,  est  de 
régler  la  circulation  des  eaux.  Dans  ce  pays  d'érosion 
glaciaire,  de  captures  récentes,  où  les  cours  d'eau  ont 
partout  un  profil  accidenté,  où  des  lacs  régularisent 
leur  débit,  l'utilisation  de  la  force  hydraulique  est  parti- 
culièrement aisée.  La  houille  blanche  en  fera,  dit  Bailey 
Willis,  une  grande  région  industrielle,  et  y  implantera 
la  vie  ui'baine.  Bailey  Willis,  dont  l'optimisme  et  le  don 
prophétique  no  manqueront  pas  de  surprendre  un  lec- 
teur européen,  a  tracé,  à  l'extrémité  orientale  du  lac 
Nahuel  Huapi,  le  plan  circonstancié  d'une  ville  future 
de  40000  âmes.  Le  terroir  patagonien  fournira  la  ma- 
tière première  à  ses  industries  :  bois,  cuirs,  laines. 

Une  des  conditions  indispensables  au  développement 
de  la  vie  urbaine  est  du  moins  pleinement  réalisée  dans 
la  région  du  Nahuel  Huapi  et  du  Limay.  Elle  constitue 
un  carrefour  remarquable  de  voies  naturelles,  dont 
l'avenir  accroitra  la  valeur  économique.  Là,  se  rejoignent 
les  routes  qui  viennent  de  la  Patagonie  australe  par  la 
dépression  subandine,  du  golfe  de  San  Antonio  sur 
l'Atlantique,  et  du  Rio  Negro  par  le  Limay  et  les  routes 
qui  mènent  au  Chili  et  à  travers  la  Cordillère.  Toute  la 
zone  des  Andes  comprise  entre  le  56"  et  le  42",  à  hauteur 
de  la  partie  méridionale  de  la  plaine  chilienne,  comporte 
des  passages  faciles  et  des  cols  nombreux.  Les  rela- 
tions ont  toujours  été  étroites  entre  les  deux  versants  ; 
la  population  a  librement  émigré  de  l'un  à  l'autre.  Mais, 
au  Nord  du  59"  L.  S.,  ces  cols  ne  s'abaissent  guère 
au-dessous  de  1500  mètres;  ils  sont  coupés  en  hiver  par 
la  neige  et  ne  se  prêtent  qu'à  une  circulation  saisonnière, 
comme  celle  que  représentent  les  transports  de  bétail. 
Il  n'en  est  pas  de  même  au  Sud  du  volcan  Lanin  :  là 
commencent  les  vallées  glaciaires  qui  pénètrent  jusqu'au 
cœur  de  la  Cordillère  et  dont  quelques-unes  la  traver- 
sent d'Est  en  Ouest.  Leur  reconnaissance  n'est  pas 
encore  achevée.  Le  col  de  Bariloche,  au  Sud  du  Trona- 
dor,  par  lequel  les  missionnaires   chiliens  parvenaient 


lu         LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

au  xviii"  siècle  sur  le  Naliuel  Iluapi,  a  cessé  d'être  pra- 
tiqué. Le  col  du  Cajon  Negro,  à  l'Ouest  du  lac  Traful, 
par  où  Bailey  Willis  fait  passer  le  tracé  du  chemin  de 
ter  transandindu  Sud,  n'a  été  découvert  que  récemment, 
et  les  vallées  qui  y  aboutissent  sur  le  versant  chilien  ne 
sont  pas  encore  reconnues.  Les  deux  routes  transan- 
dines  les  plus  fréquentées  sont  aujourd'hui  celles  de 
Ferez  Rosales  qui  mène  du  Chili  au  Nahuel  Huapi  en 
passant  au  Nord  du  Tronador,  et,  plus  au  Nord,  celle  du 
lac  Lacar  et  de  San  Martin.  L'une  et  l'autre  ont  reçu  un 
aménagement  provisoire,  et  des  téléféric{ues  ou  des 
decauvilles  y  relient  les  lacs.  Les  transbordements  suc- 
cessifs réduisent  leur  rendement,  mais  la  circulation  y 
est  permanente  et  elle  ne  s'interrompt  pas  pendant  Ihi- 
ver.  La  réduction  des  exportations  de  bœufs  vers  le 
Chili  a  momentanément  réduit  leur  activité,  mais  elle 
ne  peut  manquer  de  reprendre  sous  d'autres  formes. 
Leur  importance  permanente  est  un  des  faits  les  plus 
clairement  inscrits  par  la  nature  sur  le  sol  américain. 


11  est  difficile,  faute  de  documents,  d'entreprendre 
pour  tout  l'ensemble  de  la  Patagonie  une  description 
détaillée  de  l'industrie  pastorale,  en  suivant,  pas  à  pas, 
sur  le  terrain,  ses  efforts  pour  s'adapter  aux  conditions 
naturelles.  Mais  cette  analyse  peut  être  tentée  pour  la 
région  comprise  entre  San  Antonio  et  le  Nahuel  Huapi, 
au  Sud  du  Rio  Negro',  pour  la  vallée  du  Rio  Negro  et 
pour  le  plateau  qui  s'étend  à  l'Ouest  entre  le  Neuquen 
et  le  Limay.  Cette  fraction  de  la  Patagonie  est  aujour- 
d'hui facilement  accessible  :  deux  voies  ferrées  paral- 
lèles y  pénètrent.  L'une  part  de  San  Antonio  sur  l'Atlan- 
tique, et  se  dirige  à  l'Ouest  vers  le  Nahuel  Huapi;  elle 
atteint  (19J4)  Maquinchao,  sur  le  plateau,  à  mi-chemin 
des  Andes;  l'autre  part  de  Bahia  Blanca  ;  elle  atteint  à 

1.  C'est  sur  cette  région  qu'ont  porté  les  études  de  la  Commission 
dirigée  par  Bailey  Willis. 


LA  PATAGOME  ET  L'ELEVAGE  DU  MOUTON.        145 

Clioelc-Clioel  la  vallée  du  Rio  Negro  et  la  remonte  jus- 
qu'au confluent  du  Ncuquen,  puis  pénètre  à  200  kilo- 
mètres à  rOucst  jusqu'à  Zapala,  au  pied  des  premiers 
ciiainons  subandius.  L'une  et  l'autre  de  ces  deux  lignes 
ont  l'ambition  de  servir  d'amorce  à  des  transandins; 
du  moins  se  hàtent-elles  d'atteindre  la  zone  humide  du 
pi^^d  des  Andes,  capable  d'alimenter  un  trafic  plus  actif 
que  le  plateau  désertique. 

Le  chemin  de  fer  de  San  Antonio  et  la  piste  qui  le 
prolonge,  à  l'Ouest  de  Maquinchao,  traverse,  de  l'Ailan- 
tique  aux  Andes,  sur  une  distance  de  500  kilomètres, 
cinq  régions  distinctes  :  la  première  est  la  plaine  côtière, 
formée  de  sédiments  marins  tertiaires  horizontaux,  argi- 
leux et  sableux.  La  plaine  se  relève  lentement  vers  l'Ouest 
et  atteint  200  mètres  à  90  kilomètres  de  la  côte.  Cette 
plate-forme  côtière  sépare,  au  Nord-Ouest,  du  fond  du 
golfe  de  San  Antonio,  la  dépression  fermée  du  Bajo  del 
Ciualicho.  Sa  surface  est  peu  accidentée;  les  cailloux 
roulés  sont  accumulés  à  sa  superficie  en  une  sorte  de 
]ioudingue  :  malgré  l'apparence,  ces  sols  caillouteux  ne 
sont  pas  défavorables  à  la  végétation.  Les  eaux  de  pluie 
y  sont  rapidement  absorbées  et  échappent  à  l'évapora- 
tion.  La  végétation  est  relativement  riche.  Il  n'existe 
pas  do  sources:  mais,  sur  les  affleurements  marneux,  les 
pluies  d'automne  entretiennent  des  «  manantiales  »,  qui 
ne  tarissent  qu'au  printemps.  La  plaine  côtière  est  aban- 
donnée l'été,  faute  d'eau.  Mais  l'hiver,  les  troupeaux 
s'y  rassemblent  et  y  séjournent  jusqu'au  printemps.  La 
neige  y  est  peu  abondante,  la  température  est  douce. 
Malgré  la  densité  de  la  population  pastorale  en  hiver, 
la  pâturage  ne  souffre  pas;  les  graminées  restent  abon- 
dantes parmi  les  buissons  du  monte  ;  c'est  que  les  trou- 
peaux quittent  la  région  avant  la  saison  où  les  herbes 
fleurissent  et  fructifient,  et  que  le  réensemencement  est 
possible.  Une  partie  des  troupeaux  qui  hivernent  dans 
la  plaine  côtière  eslive  au  Sud-Ouest  sur  les  hauts-pla- 
teaux basaltiques  de  Somuncura.  La  surface  entière  du 

Denis.  —  I/Aiirenline.  lO 


140  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

plateau  n'est  pourtant  pas  utilisable  d'une  façon  per- 
manente pendant  tout  Télé.  L'eau  y  abonde  au  prin- 
temps après  la  fonle  des  neiges.  xVu  cœur  de  Tété, 
les  troupeaux  se  concentrent  au  voisinage  des  sources 
permanentes  pour  se  disperser  de  nouveau  dans  les 
pâturages  de  la  montagne  aux  pluies  d'automne,  avant 
le  retour  vers  la  plaine. 

La  deuxième  région  est  celle  de  Valcheta.  Depuis 
Aguada  Cecilia  jusqu'à  Gorral  Chico,  la  voie  ferrée  suit 
pendant  80  kilomètres  le  front  des  épanchements  de 
laves  venus  du  Sud,  qui  recouvrent  les  argiles  ter- 
tiaires. En  avant  de  l'escarpement  basaltique,  le  terrain 
s'abaisse  au  Nord  vers  une  dépression  fermée,  le  bajo 
de  Valcheta,  dont  le  fond  est  occupé  par  des  argiles 
imprégnées  de  sel.  Les  couches  tertiaires  marines 
entourent  cette  dépression  à  l'Ouest  et  au  Nord  où  elles 
la  séparent  du  bajo  del  Gualicho,  mais  elles  ne  forment 
plus  ici  qu'une  mince  pellicule  recouvrant  laplate-fornic 
cristalline.  Le  contact  des  basaltes  et  des  marnes  ter- 
tiaires est  marqué  par  une  série  de  sources  })uissantes, 
qui  forment  des  ruisseaux  permanents,  comme  l'arroyo 
Valcheta  et  le  Naliuel  Niyeu.  Ils  coulent  d'abord  dans 
une  étroite  vallée  couronnée  par  les  basaltes  et  dont  le 
fond  est  occupé  par  des  prairies  tourbeuses,  puis  sur  les 
marnes  tertiaires,  et,  à  la  hauteur  de  la  voie  ferrée, 
s'enfoncent  dans  une  gorge  creusée  dans  les  granits, 
avant  de  se  perdre  au  Nord  dans  le  salitral.  Une  petite 
o.asis  agricole  est  nourrie  par  les  eaux  du  Valcheta.  Le 
site  de  Valcheta  a  une  importance  exceptionnelle  dans 
l'histoire  de  la  colonisation  de  la  Patagonie.  Il  marque 
une  étape  nécessaire  sur  la  piste  indienne  de  l'Allan- 
tique  au  Nahuel  Huapi  dont  la  voie  ferrée  suit  aujour- 
d'hui les  traces.  Musters  s'y  est  arrêté.  Là,  passait  aussi 
la  piste  de  Choele-Choel,  sur  le  Rio  Negro,  vers  la  côte 
méridionale  et  le  Santa  Cruz.  Elle  était,  dit  Ezcurra', 

1.  Pedro  Ezcurra,  Comino  indio  entre  los  rios  Negro  y  Chnbut.  La  tra- 
vesia  de  Valcheta.  Bol.  Instit.  geogr.  Argenlino,  XIX.  98,  p.  1.1i-lo8. 


LA  PATAGOME  ET  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.        U7 

bii  passante  que  le  pied  des  chevaux  l'uvait  profondément 
creusée.  Le  village  argentin  date  de  1890;  il  vécut 
(l'abord  du  ravitaillement  en  fourrage  des  caravanes  de 
chars  qui  font  le  tran.sport  des  laines;  le  chemin  de  fer 
a  supprimé  cette  forme  de  circulation  et  le  seul  débouché 
de  l'oasis  est  aujourd'hui  le  petit  port  de  San  Antonio, 
où  les  laines  sont  embarquées  et  dont  les  environs  sont 
impropres  à  loiitc  culture. 

Gomme  la  région  côtière,  la  région  de  Valcheta  paraît 
destinée  par  sa  faible  altitude  à  servir  de  terrain  de  par- 
cours  d'hiver.  En  fait,  le  pâturage  est  utilisé  toute  l'an- 
née. Les  points  d'eau  ne  tarissent  pas  en  été.  Les  ruis- 
seaux qui  descendent  du  Sud  vers  le  bajo  de  Valcheta 
sont  permanents;  en  outre,  quelques  puits  ont  été  forés 
dans  les  couches  tertiaires.  A  la  ditférence  de  ce  qui  se 
passe  dans  la  plaine  côtière,  le  bétail  peut  donc  ici  être 
conservé  pendant  l'été.  La  reproduction  des  graminées 
se  fait  moins  librement,  et  le  pâturage  teud  à  s'appau- 
vrir. 

La  troisième  zone,  à  200  kilomètres  de  la  côte,  est 
r-elle  du  plateau  des  Cerros  Colorados,  où  des  croupes 
basses  de  granit  rouge  émergent  comme  un  archipel 
des  formations  tertiaires  déposées  dans  les  dépressions 
qui  les  séparent.  Son  altitude  augmente  vers  l'Ouest  de 
"200  à  400  mètres.  C'est  une  des  parties  les  plus  pauvres 
du  plateau  et  la  densité  du  troupeau  s'y  réduit  à  000 
tétcs  par  lieue  carrée.  La  roche  nue  y  affleure,  sans  être 
recouverte,  comme  plus  à  l'Est,  par  une  nappe  de  cail- 
loux; dans  les  vallées,  l'eau  est  rare  et  à  une  grande 
profondeur.  Il  n'y  a  pas  de  déplacements  périodiques 
du  bétail;  il  se  tient  l'hiver  et  l'été  à  la  portée  de  quelques 
sources  maigres  qui  naissent  de  quelques  aflleurements 
de  laves  d'étendue  restreinte,  et  s'en  éloigne  seulement 
sur  le  plateau  après  la  période  des  pluies. 

Au  delà  des  Cerros  Colorados,  la  ligne  s'élève  rapi- 
dement et  atteint  à  Maquinchao  le  bassin  du  lac  Cari- 
laufquen.     Le    Carilaufquen    occupe,    à    l'altitude    de 


148  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

900  mètres,  le  fond  d'une  dépression  fermée  dominée  de 
tous  côlés  par  un  plaleau  de  laves,  vers  lequel  aboutit 
au  Sud  un  faisceau  de  vallées  importantes  (Nahuel 
Niyeu,  Ouetriquile,  Maquincliao).  Ces  vallées  naissent 
au  Sud  dans  le  plateau  basaltique,  à  1200  mètres  et 
1400  mètres,  et  n'ont  d'eaux  courantes  que  dans  leur 
partie  supérieure.  Elles  s'ouvrent  au  Sud  du  Carilauf- 
quen  sur  une  large  plaine,  qu'enferme  une  cornicbe 
sombre  de  laves  haute  de  100  mètres  environ.  Les  eaux 
ont  accumulé  dans  la  plaine  des  formations  alluviales 
que  les  vents  ont  remaniées,  cailloux  anguleux  des  ter- 
rasses, fine  poussière  des  mallines,  sables  des  dunes  sur 
le  pourtour  du  lac. 

Toute  cette  région  est  beaucoup  plus  favorisée  que  les 
Cerros  Colorados.  Les  sources  sont  nombreuses,  à  la 
base  des  coulées  de  laves,  sur  les  flancs  des  vallées,  et 
ont  dispensé  jusqu'ici  de  chercher  les  nappes  souter- 
raines qui  suivent  certainement  les  vallées.  Le  haut  bas- 
sin du  Ouetriquile,  qui  n'est  pourtant  occupé  que  par 
des  «  intrusos  »,  paraît  avoir  une  densité  pastorale  par- 
ticulièrement élevée,  et  nourrit,  assure-t-on,  500  000  mou- 
tons. Dans  la  partie  occidentale  de  la  région,  le  prin- 
temps est  plus  tardif,  et  les  neiges  sont  à  craindre  pen- 
dant la  saison  de  la  mise-bas.  Aussi  n'y  a-t-on  pas  de 
béliers,  et  les  agneaux  y  sont  amenés  de  Maquinchao. 
Cette  spécialisation  des  zones  consacrées  à  la  multipli- 
cation du  troupeau  permet  d'améliorer  rapidement  la 
race.  Ici  encore,  il  n'y  a  pas  de  déplacements  du  bétail 
à  grande  distance  pour  l'utilisation  du  pâturage.  La 
végétation  des  vallées  a  souffert,  dans  les  années  de 
sécheresse  qui  ont  précédé  1914,  de  la  permanence  du 
parcours  du  troupeau,  qui  empêche  le  réensemencement 
des  graminées  utiles.  Le  danger  est  moindre  pourtant 
que  sur  les  Cerros  Colorados,  parce  que  les  mallines 
sont  étendus  et  suffisent  à  l'alimentation  des  moutons, 
pendant  les  périodes  où  les  «  manantiales  »  du  plateau 
sont  taris  et  où  le  bétail  est  confiné  aux  vallées. 


LA  PATAGOME  ET  L'ELEVAGE  DU  MOUTON.        149 

La  cinquième  région  comprend  le  massif  élevé  qui 
sépare  le  bassin  du  Carilaul'quen  du  Nalmel  Huapi,  et 
dont  les  eaux  s'écoulent  au  Nord  vers  le  Limay,  au  Sud 
vers  le  Cluibut.  Des  éruplions  successives  ont  répandu 
à  sa  suri\ice  des  laves  et  des  cendres  qui  s'élèvent  à 
l'Anecon  jusqu'à  2000  mètres;  la  plate-i'orme  granitique 
qui  affleure  au  Nord  au  Cerro  Aspero  et  au  Qu^fl^'^di'o 
atteint  elle-même  1500  et  1400  mètres,  et  elle  offre  par 
endroits  des  formes  hardies  et  rajeunies.  Toute  la  région 
a  été  profondément  découpée  par  l'érosion  et  offre  des 
passages  relativement  aisés  que  les  roules  indiennes 
ont  utilisés.  Au-dessous  des  hautes  pentes,  les  vallées 
s'approfondissent  en  gorges  qui  s'élargissent  dans  les 
tufs  meubles  et  s'étranglent  à  la  traversée  des  laves  ou 
des  affleurements  granitiques.  Dans  ce  pays  accidenté, 
où  les  difl'érences  d'altitude  sont  très  marquées,  les  pâ- 
turages d'hiver  et  les  pâturages  d'été  sont  partout  pro- 
ches :  les  précipitations  sont  plus  abondantes  qu'à  dis- 
tance de  la  Cordillère,  le  pâturage  est  plus  riche  et  la 
densité  du  troupeau  s'élève  à  1600  têtes  à  la  lieue,  l^es 
moulons  passent  l'hiver  sur  les  versants  inférieurs, 
abrités  contre  le  vent  et  la  neige;  ils  descendent  au 
mallin  quand  la  sécheresse  débute  et  en  rafifermit  le  sol. 
En  été.  ils  gravissent  les  plateaux  oîi  les  pâturages  s'é- 
tendent jusque  vers  1500  mètres. 

Bailey  Willis,  étudiant  les  améliorations  qui  pour- 
raient être  apportées  aux  pratiques  pastorales,  conclut 
f[ue  le  point  essentiel  serait  d'utiliser  chaque  pâturage 
à  la  saison  favoral)le  et  d'établir  une  rotation  raisonnée 
entre  les  terrains  de  parcours.  Ce  régime,  le  seul  qui 
permette  de  ménager  les  ressources  naturelles  de  la 
brousse  en  plantes  fourragères,  n'est  appliqué  aujour- 
d'hui que  dans  un  petit  nombre  de  districts  :  à  l'Est,  où 
les  troupeaux  hivernent  dans  la  plaine  côtière  et  esti- 
vent  sur  le  plateau  de  Somuncura,  et  à  l'Ouest,  autour 
de  l'Anecon,  où  les  pâturages  d'été  et  d'hiver  sont  grou- 
pés à  peu  de  distance  les  uns  des  autres.  11  devrait  être 


150  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTL\E. 

général.  Les  zones  à  réserver  au  pâturage  d'hiver  com- 
prennent la  plaine  côtière,  toute  la  région  basse  autour 
de  Valclieta,  et  la  partie  inférieure  des  vallées  au  Sud  du 
Carilaufquen.  Elles  sont  moins  étendues  que  les  pâtu- 
rages d'été  disponibles,  mais  on  pourrait  accroître  leur 
capacité  en  développant  les  cultures  irriguées  dans  le 
Bajo  de  Valcheta  et  en  ensemençant  en  luzerne  les  mal- 
lines  du  bassin  du  Carilaufquen.  Les  vallées  basses  au- 
tour du  Carilaufquen  devraient  être  réservées  aux  pâtu- 
rages d'hiver.  L'été,  les  moutons  seraient  menés  au  Sud 
dans  les  hautes,  vallées  qui  .ont  des  pâturages  perma- 
nents. Ils  se  répandraient  de  là,  après  la  fonte  des 
neiges,  et  en  automne  après  les  premières  pluies,  sur  les 
hauts  plateaux  qui  les  environnent. 

Ce  programme  se  heurte  en  premier  lieu  à  la  consti- 
tution actuelle  de  la  propriété,  imprudemment  fixée  avant 
que  la  reconnaissance  détaillée  du  terrain  eûtétéachevée. 
C'est  ainsi  que  l'estancia  de  Maquinchao,  établie  dans 
la  vallée  inférieure,  ne  possède  pas  la  haute  vallée  où 
s'étendent  les  pâturages  d'été  qui  lui  sont  nécessaires. 
Un  obstacle  plus  grave  est  l'extrême  difficulté  des  dépla- 
cements de  bétail.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  routes 
qui^  manquent ,  mais  surtout  les  points  d'eau  aux 
éta-pes'. 


Entre  le  chemin  de  fer  de  San  Antonio  au  Nahuel 
Huapi  et  le  Rio  Negro,  s'étend  une  zone  désertique  de 
iOO  kilomètres  de  large,  où  dominent  les  grès  rouges  et 
qui  est  restée  inoccupée.  Au  Nord  de  cette  travesia, 
s'ouvre  la  vallée  du  rio  Negro.  Sa  largeur  entre  Neuquen 
et  Patagones  varie  de  6  à  20  kilomètres.  Sa  pente  di- 

1.  Le  territoire  du  Rio  Negro  n'est  pas  la  seule  partie  de  la  Pata- 
gdnie  où  se  pose  le  problème  d'augmenter  la  capacité  des  pâlurages 
d'iiiver.  On  a  signalé  la  possibilité  d'étendre  les  luzernières  dans  !a 
région-  de  la  Colonia  Sarmiento,  au  sud  du  lac  Musters,  et  den  faire 
une  grànde  zone  d'hivernage  pour  les  troupeaux  de  Santa  Cruz. 


LA  PATAGONIt:  ET  LK LEVAGE  DU  MOUTON.        loi 

minuc  lenlement  vers  l'aval  (de  0,67  à  0,49  pour  1000  en 
amont  de  Clielforo,  de  0,45  à  0/29  pour  1000  en  amont  de 
Conesa).  Les  barrancas  de  grès  et  de  marnes  qui  Fen- 
Fermcnt  s'abaissent  progressivement  vers  lavai;  elles 
dominent  la  vallée  de  2i)0  mètres  au  conlïuent  du  Neu- 
quen.  de  50  à  40  à  Palagoncs.  A  leurs  pieds,  s'étendent 
de  larges  terrasses  déjà  fortement  entamées  par  des 
ravins  dissymétriques,  où  les  couches  de  grès  affleurent 
sur  le  versant  ouest,  exposé  aux  vents,  tandis  que  les 
cailloux  roulés  couvrent  les  pentes  orientées  à  l'Est.  Sur 
les  rives  du  fleuve,  une  zone  de  2  à  5  kilomètres  de  large 
a  une  végétation  herbacée  aI)ondante,  entre  des  lignes 
de  saules;  c'est  celle  qui  est  recouverte  par  les  crues 
ordinaires.  Le  reste  de  la  plaine  fluviale,  jusqu'au  pied 
des  barrancas,  ne  nourrit  qu'une  brousse  clairsemée, 
interrompue  par  des  dunes.  Les  argiles  salées  y  recou- 
vrent les  cailloutis  fluviatiles.  Le  niveau  de  la  nappe 
phréatique,  entretenue  par  le  fleuve,  s'approfondit  quand 
on  s'éloigne  de  ses  berges  vers  les  barrancas.  Peu  de 
parties  du  plateau  ont  un  aspect  aussi  désolé  que  le  fond 
de  ces  grandes  vallées  patagoniennes  quand  il  n'a  pas 
été  transformé  par  l'irrigation.  Le  pâturage  y  est  maigre. 
A  Conesa  cependant,  la  costa  (vallée)  est  utilisée  comme 
pâturage  d'été  quand  l'eau  fait  défaut  sur  les  plateaux 
environnants  (planeza). 

Les  ressources  en  eau  sont  abondantes  :  le  débit  du 
fleuve  varie  de  200  à  900  mètres  cubes  par  seconde.  Les 
basses  eaux  durent  de  février  à  avril  (fin  de  l'été).  De 
mai  à  juillet,  le  fleuve  a  des  crues  brusques  et  violentes  ; 
c'est  l'eff'et  des  pluies  d'automne.  La  courbe  fléchit  de 
nouveau  en  août  et  septembre,  pour  se  relever  d'octobre 
à  décembre,  pendant  la  période  de  la  fonte  des  neiges 
dans  les  Andes.  Le  Limay,  dont  le  bassin  supérieur 
comprend  de  vastes  nappes  lacustres,  est  plus  régulier 
que  le  Neuquen,  qui  a  au  contraire  des  maigres  très 
accentués,  et  d'où  proviennent  les  crues  dangereuses 
d'automne.  Les  premiers  efforts  pour  aménager  l'irriga- 


15-2         LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

tion  dalent  de  1885;  alors  fut  creusé  le  canal  de  la  co- 
lonie Roca;  d'autres  furent  établis  plus  tard  vers  l'aval. 
Les  coopératives  organisées  pour  l'administralion  de 
ces  canaux  n'ont  pas  eu  tout  le  succès  qu'on  pouvait  en 
attendre  ;  le  progrès  de  la  colonisation  agricole  est  resté 
lent;  un  travail  d'aménagement  coûteux  est  nécessaire 
pour  niveler  le  terrain  et  pour  organiser  le  drainage, 
sans  lequel  des  taches  salées  se  forment  et  s'étendent 
comme  une  lèpre  aux  dépens  des  terres  cultivables. 
Enfin  !e  centre  de  la  vallée  est  exposé  aux  crues'. 

Les  cultures  principales  sont  la  luzerne,  les  céréales 
et  les  vignes.  Sur  la  vigne,  se  concentrent  aujourd'hui 
tous  les  soins  et  toutes  les  espérances  des  colons.  C'est 
pour  étendre  le  vignoble  qu'ils  se  préoccupent  d'ac- 
croître leur  main-d'œuvre.  Elle  comprend  un  singulier 
mélange  où  se  coudoient  les  Chiliens  venus  du  Neuquen 
et  des  immigrants  latins  (italiens  et  espagnols)  de  la 
région  pampéenne. 

La  luzerne  est  mise  en  balles  et  exportée  par  voie 
ferrée  vers  Bahia  Blanca  et  Buenos  Aires.  Pas  plus  que 
sur  le  Chubut,  la  vie  économique  de  l'oasis  agricole 
du  Rio  Negro  n'est  liée  à  celle  du  plateau  pasioral.  On 
ne  pratique  pas  sur  le  Rio  Negro  l'engraissage  des  mou- 
tons ni  des  bœufs.  Singulier  contraste  avec  le  spectacle 
qu'offrent  les  régions  andines  de  l'Argentine  du  Nord- 
Ouest  et  de  l'Ouest,  où,  depuis  des  générations,  s'est  éta- 
blie et  se  maintient  l'association  entre  l'industrie  de 
1,'élevage  dans  la  brousse  et  celle  de  l'engraissage  dans 
les  luzernières.  C'est  que  les  courants  du  commerce  du 
bétail  n'ont  pas  eu  ici  le  même  caractère  de  permanence 
et  de  stabilité  que  plus  au  Nord.  L'ère  où  les  convois  du 

1.  Les  travaux  en  cours  (1914)  réduiront  la  menace  des  crues  et 
permettront  d'étendre  notablement  la  superficie  des  cultures.  La 
Cuenca  Vidal,  qui  s'ouvre  dans  les  grès,  nu-dessous  du  niveau  de  la 
vallée,  sur  le  plateau  au  Nord  du  Neuquen,  sera  aménagée  pour 
absorber  la  crue  du  lleuve,  et  alimentera  un  canal  qui  desservira  la 
rive  gauche  sur  une  étendue  de  150  kilomètres.  Les  eaux  du  Limay 
resteront  disponibles  pour  la  vallée  inférieure. 


LA  PATAGOME  ET  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.        !■•". 

bcHail  pampécn  en  route  vers  le  Chili  empruntaient  la 
vallée  du  Rio  Negro  est  antérieure  à  la  colonisation 
agricole  des  berges  du  fleuve  ;  la  conquête  de  la  Pata- 
gonie  arrêta  ce  trafic.  Un  intervalle  de  25  ans  sépare  la 
période  des  (exportations  de  bétail  pampéen  vers  le  Chili 
de  la  reprise  dos  exportations  des  bœufs  du  Neuquen 
vers  Buenos  Aires,  que  je  signale  plus  loin.  Quant  à 
l'élevage  du  mouton,  il  n'a  visé  que  tardivement  à  la 
production  de  viande,  et  n'a  donné  lieu  que  depuis  peu 
d'années  à  des  transports  de  bétail.  Les  agriculteurs  du 
Rio  Xegro,  pauvres  en  capitaux,  et  dont  les  fourrages 
secs  sont  achetés  et  payés  d'avance,  n'ont  pu  encore 
profiler  de  la  réorganisation  du  commerce  du  bétail. 

A  l'Ouest  du  confluent  du  Neuquen  et  du  Limay,le  che- 
min de  fer  s'élève  sur  le  plateau  gréseux  de  500  à  900  m., 
jusqu'au  pied  de  la  première  chaîne  subandine,  à  l'estancia 
de  Zapala.  Les  roches  éruptivesy  ont  soulevé  les  grès,  et 
les  profils  levés  au  Xord  et  au  Sud  de  Zapala,  à  travers 
la  Sierra  de  la  Vaca  Muerta  et  le  Cerro  Lotena  coupent 
des  plis  de  couches  mésosoïques  réduits  par  l'érosion 
au  niveau  du  plateau.  On  y  sent  déjà  le  voisinage  de  la 
Cordillère,  le  pâturage  est  abondant,  le  malîin  dru  et  les 
points  d'eau  nombreux.  Le  domaine  du  mouton  s'étend 
à  rOuest  de  Zapala  jusqu'au  Rio  Cataluin  et  au  Rio 
Agrio.  De  Zapala  vers  l'Est,  au  contraire,  le  caractère 
désertique  du  pays  s'accentue  vite.  Les  points  d'eau 
tarissent  en  été,  et  toute  la  zone  comprise  à  l'Est  du 
70"  long.  Ouest  Gr.  n'est  utilisable,  faute  de  points 
d'eau  permanents,  que  com.me  terrain  de  parcours 
d'hiver.  Aussi  la  transhumance  y  est-elle  indispensable. 
La  transhumance  a  été  pratiquée  de  longue  date  sur  le 
versant  chilien  de  la  Cordillère  depuis  la  latitude  de 
Coquimbo  et  de  San  Juan  jusqu'au  Nord  du  Lac  Quil- 
len.  Elle  tend  actuellement  à  disparaître  dans  les  Andes 
du  Neuquen  '.  Mais  la  transhumance  du  versant  argentin 

I.  A  la  vérité,  dans  les  dernières  années,  on  a  souvent  déguisé  sur 


lui  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

se  maintient.  Les  moutons  du  plateau,  chassés  de  leurs 
pâturages  d'hiver  lorsque  les  points  d'eau  tarissent, 
montent  à  la  Cordillère.  Il  arrive  qu'elle  ne  soit  pas 
encore  libre  de  neiges  ;  on  ralentit  alors  le  voyage,  pâtu- 
rant en  route,  au  grand  dommage  des  terres  traversées. 

Les  itinéraires  sont  multiples;  ils  se  confondent  sou- 
vent avec  ceux  que  suivait  jadis  le  bétail  des  Pampas 
vers  les  cols  de  la  Cordillère.  Groeber  signale  une  draille, 
(piste  de  transhumance),  au  Sud  du.Rio  Barrancas  et  du 
lac  Carri  Lauquen.  De  la  rive  gauche  du  Neuquen,  les 
troupeaux  remontent  par  Chosmalal  et  Butamallin  vers 
les  pâturages  du  col  de  Pichachen,  ou  par  Las  Lajas 
vers  le  col  de  Pino  Hachado  ;  de  Zapala  et  du  plaieau 
plus  au  Sud,  ils  vont  estiver  dans  la  Cordillère  de  Cala- 
luin  où  le  nombre  des  moutons  estivants  est  estimé 
à  70000;  d'autres  poussent  au  delà  vers  les  sources  de 
l'Alumine  et  le  col  de  l'Arco.  Le  volcan  Lanin  marque  à 
peu  près  la  limite  méridionale  de  la  zone  de  trans- 
humance. Le  groupe  le  plus  important  des  moutons 
transhumants  provient  de  la  région  du  Coyunco,  du 
Canadon  Grande  et  du  Picun  Leucu. 

La  transhumance  n'est  pratiquée  que  par  les  «  intru- 
sos  ».  Ils  passent  des  terres  encore  sans  maîtres  du  pla- 
teau aux  terres  encore  sans  maîtres  de  la  Cordillère.  La 
location  à  des  propriétaires  de  terrains  d'estivage  est 
tout  à  fait  exceptionnelle.  Les  concessions  de  terres 
accordées  par  le  Gouvernement  argentin  réduisent  de 
plus  en  plus  le  domaine  des  transhumants  dans  la  Cor- 
dillère, et  aussi  les  zones  de  circulation  entre  le  plateau 
et  la  montagne.  Les  propriétaires  se  soucient  peu  d'hé- 
berger les  troupeaux  migrateurs  et  s'opposent  à  leur  pas- 


ce  versant,  sous  le  nom  de  transhumance,  une  contrebande  do  bétail 
que  la  transhumance  rendait  facile,  et  qui  contribuait  d'ailleurs  à  la 
maintenir.  Les  bergers  se  faisaient  remettre  par  les  autorités  chi- 
liennes, avanl  de  franchir  la  frontière,  des  certificats  exagérant  le 
nombre  de  leurs  bêtes,  et  s'en  servaient  pour  rentrer  ensuite  au  Chili 
après  avoir  complété  leurs  troupeaux  par  des  achats  sur  le  territoire 
argentin. 


LA  PATAGOXIE  ET  LKLEVAGE  DU  MOUTOX.         \bh 

sage  en  cloturanl  leurs  terres.  Les  routes  de  trans- 
humance sont  actuellement  déterminées  par  les  espaces 
restés  libres  entre  les  estancias  clôturées.  Les  intrusos 
transhumants  sont  traqués  en  outre  par  la  crainte  de 
trouver  occupés  par  d'autres  en  leur  absence  les  pâtu- 
rages d'hiver  sur  lesquels  ils  n'ont  pas  de  droits  de  pro- 
priété. Le  fractionnement  des  terres  et  l'organisation  de 
la  propriété  auront  pour  résultat,  à  bref  délai,  l'extinc- 
tion des  coutumes  de  transhumance,  et  la  plus  grande 
partie  des  pâturages  d'hiver  sera  transformée  en  pâtu- 
rages permanents  par  le  forage  de  puits  et  l'aménage- 
ment de  points  d'eau. 

Les  environs  de  l'estancia  de  Zapala  se  sont  brusque- 
ment animés  depuis  la  construction  de  la  voie  ferrée.  La 
voie  ferrée  y  a  transformé  profondément  les  conditions 
d'existence.  Elle  a  fait  de  Zapala  une  manière  de  capi- 
tale. Il  est  curieux  d'opposer  le  renouvellement  qui  a 
suivi  ici  l'arrivée  du  rail  aux  transformations  beaucoup 
moins  profondes  qu'elle  a  déterminées  à  Maquinchao. 
Le  mouvement  que  la  voie  ferrée  concentre  à  Zapala  ne 
comprend  pas  seulement  comme  à  Maquinchao  le  trafic 
des  laines,  mais  celui  du  bétail.  Les  troupeaux  destinés 
à  l'embarquement  se  rassemblent  en  même  temps  que 
les  «  tropas  »  de  chars  autour  de  l'estancia  qui  leur  loue 
un  bon  prix  le  droit  de  pâturage.  Tandis  que  la  ligne  de 
Maquinchao  aboutit  au  port  de  San  Antonio,  outillé 
seulement  pour  l'expédition  des  laines,  le  chemin  de  fer 
de  Zapala  dessert  le  frigorifique  de  Bahia  Blanca.  ïl  se 
raccordeavec  tout  le  réseau  dévoies  ferrées  de  la  Pampa. 
Les  moutons  arrivent  à  Zapala  non  seulement  de  la 
région  voisine  et  du  Neuquen,  mais  de  toute  une  partie 
du  Rio  Negro  et  même  du  Ghul>ut.  Les  convois  de  bétail 
venant  du  Sud  ont  intérêt  en  effet  à  se  tenir  au  voisinage 
de  la  Cordillère  où  les  pâturages  sont  meilleurs.  Quel- 
ques-uns seulement  descendent  le  Limay  jusqu'à  Senil- 
losa;  de  Zapala  à  Senillosa,  aucun  chemin  praticable 
aux  troupeaux  ne  se  greffe  sur  le  chemin  de  fer,  et,  plus 


i:>3         LA  RÉPUBLIOUE  ARGENTINE. 

à  l'Est,  il  faut  aller,  pour  trouver  des  pistes  qui  y  abou- 
tissent, jusqu'à  la  hauteur  de  Choele-Choel.  L'embar- 
quement des  moutons  dure  cinq  mois,  de  novembre  à 
mars. 

Mais  Zapala  voit  aussi  converger  vers  sa  gare  les  trou- 
peaux de  bœufs.  Tels  habitants  de  Zapala  gardent  encore 
le  souvenir  du  temps  où  passaient  par  cette  vallée  les 
bœufs  amenés  de  la  Pampa,  à  destination  du  Chili.  Si 
ces  exportations  de  bétail  pampéen  vers  le  Chili  cessè- 
rent après  1885,  du  moins  toute  la  région  andine  du 
Neuquen  vécut-elle  uniquement  jusqu'à  une  date  toute 
récente  du  marché  chilien.  L'attraction  du  marché 
chilien  est  une  des  causes  qui  ont  entretenu  la  transhu- 
mance ;  les  éleveurs  du  versant  argentin  avaient  avan- 
tage en  effet  à  se  rapprocher  de  la  Cordillère  et  des  cols 
où  venaient  en  été  les  acheteurs  chiliens.  La  vie  des 
petits  centres  des  hautes  Vvillées  qui  se  développèrent 
rapidement  après  la  conquête,  Chosmalal,  Norquin, 
Codihue,  Junin,  San  Martin,  était  liée  au  commerce  du 
bétail  avec  le  Chili,  et  se  reflétait  d'ailleurs  de  l'autre  côté 
des  Andes  dans  la  prospérité  des  marchés  chiliens  cor- 
respondants. 

Dans  les  quelques  années  qui  précédèrent  1914,  une 
brusque  révolution  renversa  au  Neuquen  le  sens  de  la 
circulation  du  bétail,  et  l'attraction  de  Buenos  Aires  y 
remplaça  celle  du  marché  chilien.  L'influence  commer- 
ciale de  Buenos  Aires  se  fît  sentir  d'abord  sur  le  marché 
des  laines  ;  les  tropas  de  chars  qui  amenaient  les  laines 
à  Zapala  y  prirent  en  échange  les  farines,  le  sel,  néces- 
saires à  l'élevage  des  moutons  dans  les  pâturages  de  la 
Cordillère  (pastos  dulces).  Le  commerce  d'importation 
suivit  la  roule  tracée  par  le  commerce  d'exportation. 
Les  petits  chars  chiliens  qui  continuent  à  franchir  la 
Cordillère  n'amènent  plus  au  Neuquen  que  les  farines 
grossières  du  Chili,  des  haricots  et  du  vin  ;  ils  reviennent 
à  vide  au  Chili.  Après  les  acheteurs  de  laine,  les  mar- 
chands de  bœufs  de  Buenos  Aires  se  sont  avancés  jusque 


LA  PATAGONIE  ET  L'ÉLEVAGE  DU  MOUTON.        157 

dans  la  Cordillère.  Les  centres  où  se  faisaient  les  ventes 
de  bétail  pour  le  Chili  sont  en  décadence  et  ont  perdu 
une  partie  de  leur  population.  Les  bœufs  sont  dirigés 
veis  les  centres  d'engraissage  de  la  Pampa,  ou  vers  les 
marchés  de  Bahia  Blanca  ou  de  Buenos  Aires.  Ainsi  se 
produit  sous  nos  yeux,  inopinément,  dans  le  Nord  de  la 
Patagonie,  une  transformation  qui  s'est  réalisée  progres- 
sivement depuis  un  demi-siècle  dans  toutes  les  parties 
du  Nord-Ouest  et  de  l'Ouest  de  l'Argentine.  Sous  ces 
formes  multiples,  elle  est  le  fait  essentiel  de  l'histoire 
moderne  de  la  colonisation  de  l'Argentine;  les  provinces 
les  plus  éloignées  se  détachent  une  à  une  des  marchés 
extérieurs,  et  la  vie  nationale  tout  entière  s'organise 
autour  du  grand  foyer  économique  qu'est  devenue  la 
région  pampéenno. 


CIIAPITRi:   VI 


LA     PLAINE     P  A  .M  P  ii!  E  N  N  E 


Les  limites  de  la  prairie.  —  Les  pluies.  —  Le  veut  et  la  forma- 
tion du  limon  pampéeu.  —  Le  vent  et  le  modelé.  —  Les  zones  de 
colonisation  de  la  Pampa,  —  La  chasse  au  bétail  et  l'élevage 
primitif.  —  Les  bergeries.  —  Les  estancias.  —  La  région  des 
«  colonies  ».  —  La  région  des  luzernes,  du  maïs  el  du  blé.  — 
L'association  de  l'agriculture  et  de  l'élevage.  —  Le  mécanisme 
économique  de  la  colonisation.  —  Les  échanges  entre  les  diverses 
/cones  de  la  Pampa. 

Le  paysage  pampéen  est  sans  doute  l'un  des  plus 
uniformes  qui  soient  au  monde.  Sa  monotonie  fatigue 
l'observation  :  elle  est  en  partie  responsable  de  la 
médiocrité  de  la  plupart  des  descriptions  de  la  Pampa. 
Cette  uniformité  est  en  elle-même  favorable  à  la  colo^ 
nisation.  On  a  signalé  bien  souvent  la  rapidité  avec 
laquelle  les  plantes  et  les  animaux  introduits  par  les 
Européens  se  répandirent  autour  de  Buenos  Aires,  et, 
devançant  éleveurs  et  agriculteurs,  colonisèrent  La 
Pampa.  Dans  la  deuxième  moitié  du  xix*"  siècle,  lorsque, 
au  delà  de  l'ancienne  frontière  indienne,  toute  l'étendue 
de  la  plaine  fut  occupée,  sa  mise  en  valeur  fut  d'autant 
plus  aisée  qu'on  put  y  appliquer  des  méthodes  d'exploi- 
tation plus  simples  et  moins  variées.  Pas  plus  qu'elle 
n'exigeait  de  capitaux  importanls,  la  colonisation  ne 
nécessitait  de  la  part  de  l'immigrant  une  longue  expé- 
rience personnelle.  Des  Basques,  des  Italiens,  débarqués 
de  la  veille,  ont  pu  y  prendre  une  part  active  presque 
sans  apprentissage;  les  groupes  primitifs  de  population 
ont  pu  s'avancer  d'une  zone  à  l'autre  de  la  plaine,  trans- 


160  LA  RÉPUBLIQUE  ARGEXTLXE. 

portant  avec  eux  telles  méthodes  de  culture  et  d'élevage, 
tel  type  d'économie  rurale. 

Une  étude  attentive  permet  cependant  de  relever  dans 
la  plaine  pampéenne  des  différences  physiques  sensibles. 
Ni  le  climat,  ni  le  sol  ne  sont  semblables  sur  toute  son 
étendue. 

Ce  mot  de  Pampa  désigne  avant  tout  une  formation 
végétale  :  la  prairie.  Ses  limites  sont  marquées  par  la 
lisière  de  la  brousse,  du  «  monte  ».  C'est  encore  aujour- 
d'hui, si  surprenant  qu'il  paraisse,  une  entreprise  diffi- 
cile que  de  les  tracer  exactement.  Au  Nord  de  Santa  Fe, 
entre  le  Salado  et  le  Parana,  la  Pampa  s'avance  jusqu'à 
Fives-Lille,  un  peu  au  delà  du  50"  L.  S.  \  Sur  les  lignes 
du  Central  Norte  et  du  Central  Argentino,  la  lisière  du 
monte  passe  à  Fuertin  Inca  et  à  Malbran,  à  250  kilomè- 
tres environ  au  Nord-Ouest  de  Santa  Fe.  Elle  se  dirige 
ensuite  au  Sud-Est  et  au  Sud,  en  entourant  toute  la 
dépression  de  Los  Porongos  et  de  Mar  Chiquita,  et  la 
ligne  de  Santa  Fe  à  Cordoba  la  traverse  à  la  Francia,  en 
approchant  du  rio  Secundo.  Au  Sud  du  rio  Secundo, 
elle  s'éloigne  à  rOucst,  et  rejoint  le  pied  de  la  Sierra  de 
Cordoba  au  Sud  du  rio  Tercero  (au  ruisseau  de  Tequia). 
De  ce  point  à  la  Cumbre,  à  20  kilomètres  à  l'Est  de  San 
Luis,  la  prairie  s'étend  jusqu'à  la  bordure  des  sierras,  et 
s'insinue  jusque  dans  la  moitié  méridionale  de  la  fosse 
de  Gonlara,  entre  les  massifs  de  Cordoba  et  de  San  Luis 
(Pampa  de  Naschel).  La  forêt  de  mimosées  pénètre  dans 
la  steppe  en  zones  étroites  le  long  du  rio  Quinto,  jus- 
qu'à quelques  lieues  en  aval  de  Villa  Mercedes,  le  long 
du  rio  Tercero  jusqu'au  confluent  du  Saladillo,  et  le 
long  du  Salado,  jusqu'au  Sud  de  Santa  Fe;  en  outre, 
les  bojiquets   de  chanares  isolés  et   les  taches  de  bois 


\.  Sur  la  rive  gauche  du  Salado,  à  l'Ouest  du  chemin  de  fer  de 
Resistencia,  un  grand  golfe  de  prairies  basses  pénètre  au  Xord  dans 
la  forêt  du  Chaco,  jusque  près  du  iS*^  L.  S.,  mais  il  a  plutôt  le  carac- 
tère dune  des  clairières  inondables  du  Chaco  (esleros)  que  de  la 
Pampa  temnér^^o. 


lA  PIAINK  PAMPDENM:.  KH 

plus  étendues  abondent  dans  l'angle  Nord-Ouest  de  la 
prairie  (province  de  Santa  Fe).  Le  «  monte  »  riverain  du 
Salado  se  continue  au  Sud  de  Santa  Fe  le  long  du  Pa- 
rana,  jusqu'au  point  où  le  bras  principal  du  fleuve  vient 
toucher  la  falaise  de  la  rive  droite,  à  San  Lorenzo.  Là  est 
le  domaine  de  V  «  ombu  »,  au  tronc  épais,  aux  racines 
déchaussées,  qu'on  retrouve  dispersé  dans  la  prairie  au 
voisinage  du  Parana  jusqu'au  Sud  de  Buenos  Aires. 

Vers  l'Ouest,  entre  San  Luis  et  l'embouchure  du  Colo- 
rado, le  passage  de  la  Pampa  au  monte  se  fait  progres- 
sivement. Comme  à  Santa  Fe,  l'apparition  des  premiers 
chanares,  dans   l'angle   Sud-Ouest   de    la   province  de 
(  iOrdoba  et  sur  le  versant  Sud  de  la  Sierra  de  la  Ventana , 
annonce   l'approche   du   monte.  Le  monte  proprement 
dit,  d'ailleurs  appauvri,  envahi  par  la  jarilla  et  composé 
surtout,  comme  dans  le  Nord  de  la  Patagonie,  de  mimo- 
sécs  naines,  couvre  la  région  des  sierras  pampéennes 
sur  la  rive  gauche   du  Chadi  Leuvu    et  du  Colorado. 
Entre  cette  zone  et  une  ligne  passant  par  Rancul,  Anguil, 
Atreuco  et  Bernasconi,  où  commence    la  prairie  nue, 
s'étend  une  zone  mixte  qu'on  peut  appeler  la  zone  du 
calden.  Cette  mimosée,  proche  parente  de  l'algarrobe  et 
dont  le  port  dépasse  celui  des  autres  végétaux  du  monte 
à  cette  latitude,  forme  des  bois  discontinus  dans  le  Sud 
de  la  province  de  San  Luis  et  sur  les  flancs  des  vallées 
parallèles  de   la   Pampa   central.    Entre    ces   bois,   le 
plateau  reste  généralement  couvert  par  la  prairie  semée 
de  taches  de  chaflares.  La  ligne  de  San  Rafaël  effleure, 
à   50  kilomètres  à   l'Est  de    Buena  Esperanza,   l'angle 
extrême  d'une   forêt  de  caldenes,  qui  s'étend  au  Sud- 
Ouest  et  atteint  le  rio   Salado  vers  55*30'  L.  S.;  elle 
reste  au  delà  de  Buena  Esperanza  dans  la  prairie,  jus- 
qu'à la  traversée  du  rio  Salado,  qui  marque  ici  la  limite 
du  monte;  la  ligne  du  rio  Negro  passe  directement  de 
la  prairie  à  la  brousse  patagonienne  à  mi-chemin  entre 
Bahia  Blanca  et  le  Colorado. 

A  l'intérieur  de  ces  limites,  la  prairie  s'étend  sans 

Denis.  —  I. 'Argentine.  11 


162  LA  RÉPUBLIQUE  ARGEXTLNK. 

interruption.    Les    Sierras   de   la   province  de  Buenos 
Aires  n'ont  pas  de  végétation  arborescente. 

La  zone  de  la  prairie,  intermédiaire  entre  l'Argentine 
tropicale  et  les  régions  suddésertiques  de  l'Ouest  et  de 
la  Patagonie,  reçoit  une  hauteur  d'eau  moyenne;  les 
pluies  diminuent  régulièrement  du  Nord-Est  au  Sud- 
Ouest  :  elles  sont  de  1*200  à  1000  millimètres  sur  le 
Parana  inférieur,  de  iOO  à  600  millimètres  seulement 
sur  la  bordure  occidentale  de  la  Pampa.  La  zone  com- 
prise entre  les  courbes  de  800  et  de  600  millimètres  n'a 
pas  moins  de  400  kilomètres  de  large.  Mais  ce  qui 
caractérise  le  climat  pampéen,  c'est  surtout  l'égalité  de 
la  distribution  des  pluies  pendant  l'année,  et  l'absence 
d'une  saison  sèche  rigoureuse.  Par  là,  la  Pampa  s'oppose 
aux  régions  qui  l'environnent,  aussi  bien  vers  le  Sud- 
Ouest  que  vers  le  Nord.  A  Buenos  Aires,  les  six  mois 
de  la  saison  relativement  sèche  fournissent  encore 
44  pour  100  des  pluies  totales;  à  Bahia  Blanca,  40  pour 
100.  Cette  régularité  diminue  à  mesure  qu'on  s'éloigne 
de  la  côte  :  à  Rosario,  les  six  mois  de  la  saison  sèche 
ne  fournissent  plus  que  50  pour  100  des  pluies  de 
l'année;  à  Villa  Mercedes  (province  de  San-Luis), 
25  pour  100.  Si  l'on  franchit  les  limites  de  la  prairie, 
la  proportion  des  pluies  de  la  saison  sèche  s'abaisse 
rapidement;  elle  n'est  que  de  20  pour  100  à  Cordoba, 
de  18  pour  100  à  San  Luis.  A  Cordoba,  la  courbe  des 
pluies  accuse  encore  un  régime  tropical  typique,  avec 
maximum  d'été  et  minimum  très  profond  en  hiver.  De 
Cordoba  vers  le  Sud-Est,  à  Bell  Ville,  à  Villa  Maria, 
à  Rosario  surtout,  la  sécheresse  de  l'hiver  diminue,  en 
même  temps  que  se  manifeste  au  milieu  de  l'été  (jan- 
vier, février)  un  minimum  secondaire.  A  Buenos  Aires, 
l'allure  de  la  courbe  s'est  complètement  transformée. 
Le  minimum  d'été  est  presque  aussi  profond  que  le 
minimum  d'hiver  et  les  pluies  se  produisent  surtout  au 
printemps  (septembre)  et  au  début  de  l'automne  (mars)  '. 

1.  Ln  Mésopotamie  argentine,  qui  est  au  point  de   vue  climatolo- 


LA  PLAINH  PAMPEENNE.  16ô 

Ces  nuances  du  climat  pampéen  ont  Une  im})ortance 
e^senlicllc  pour  Tliistoiro  de  la  colonisation  et  la  distri- 
bution des  cultures.  La  zone  des  pluies  d'été  est  la 
zone  des  cultures  de  maïs,  tandis  que  la  culture  du  blé 
exige  des  pluies  de  printemps  et  un  été  relativement 
sec. 

Tandis  que  les  courbes  isohyètes  figurant  les  précipi- 
tations pour  l'année  entière  sont  orientées  du  Nord- 
Ouest  au  Sud-Est,  les  courbes  des  pluies  pendant  la 
saison  froide,  d'avril  à  septembre  (saison  sèche  du  Nard), 
coupent  obliquement  les  précédentes  et  sont  dirigées 
directement  du  Nord  au  Sud.  Bahia  Blanca  reçoit  en 
hiver  autant  de  pluies  que  Rosario,  et  General  Acha, 
dans  le  territoire  de  la  Pampa  central,  autant  que  Gor- 
doba.  On  ne  s'expliquerait  pas,  sans  cette  circonstance, 
l'extension  de  la  culture  du  blé,  au  Sud-Ouest,  jusque 
vers  la  courbe  de  400  millimètres  et  même  au  delà  sur  la 
côte  atlantique. 


Le  relief  de  la  plaine  pampéenne  est  connu  avec  assez 
de  précision,  grâce  aux  nivellements  exécutés  le  long 
des  voies  ferrées.  Le  sol  se  relève  lentement  vers  l'Ouest. 
La  courbe  de  100  mètres  dessine  un  golfe  profond  à 
500  kilomètres  à  l'Ouest-Sud-Ouest  de  Buenos  Aires. 
La  zone  comprise  entre  100  et  150  mètres  d'altitude  a 
plus  de  iOO  kilomètres  de  large  à  la  hauteur  de  Santa 
Fe,  200  kilomètres  à  la  latitude  de  Buenos  Aires.  Au 
delà  de  la  courbe  de  150  mètres,  le  terrain  s'élève  rapi- 


gique  un  i)rolongement  de  la  région  pampéenne,  ne  connaît  pas  non 
plus,  même  tians  sa  partie  septentrionale,  les  saisons  sèches  rigou- 
reuses du  Cliaco.  En  remontant  le  Parana,  de  Corrientes  vers  Posa- 
das,  comme  en  allant  de  Cordoba  vers  Buenos  Aires,  on  voit  s'atté- 
nuer le  minimum  d'hiver  et  se  manifester  au  printemps  un  maximum 
secondaire.  La  prédominance  des  pluies  de  printemps,  qui  caracté- 
rise le  Brésil  méridional,  s'accentue  sur  le  moyen  Uruguay.  Sur 
rUraguay  inférieur,  le  régime  des  pluies  se  rapproche  de  celm  de 
Buenos  Aires  avec  maxiraa  au  printemps  et  en  automne,  minimum 
principal  en  hiver  et  minimum  secondaire  en  été. 


164  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

dément  vers  l'Ouest  et  le  Nord-Ouest  pour  atteindre 
iOO  mètres  dans  la  région  de  Cordoba,  500  dans  celle  de 
Villa  Mercedes;  c'est  à  hauteur  de  la  courbe  de  150  mè- 
tres et  de  la  rupture  de  pente  qu'elle  marque  que  le  Rio 
Quinto  se  perd  vers  la  Amarga,  au  Sud  de  General  Lavalle. 
Le  seuil  entre  la  Pampa  et  le  bassin  du  Salado  dans  le 
Sud  de  la  province  de  San  Luis  est  à  l'altitude  de 
450  mètres.  Au  Sud  de  la  province  de  Buenos  Aires,  les 
sierras  de  Tandil  et  de  la  Ventana  sont  réunies  par  un 
dos  de  pays  qui  ne  s'abaisse  pas  au-dessous  de  200  mè- 
tres. Certaines  irrégularités  de  ;la  surface,  comme  la 
fosse  de  Mar  Chiquita  à  TEst  de  Cordoba,  ou  la  saillie 
du  plateau  sur  la  rive  droite  du  Parana,  au  Sud  de  Villa 
Constitucion  et  de  San  Nicolas,  paraissent  ne  pouvoir 
s'expliquer  autrement  que  par  des  mouvements  tecto- 
niques récents. 

Les  dépôts  pampéens  qui  couvrent  la  plaine  reposent 
sur  un  socle  rocheux  dont  les  sierras  de  la  province  de 
Buenos  Aires  et  les  massifs  de  Cordoba  et  de  San  Luis 
représentent  les  parties  saillantes.  Ce  socle  affleure  de 
nouveau  à  FEst  du  bassin  pampéen  dans  Tîlot  granitique 
de  Martin  Garcia,  au  centre  de  l'estuaire  de  la  Plata,  et 
dans  les  mornes  de  la  côte  uruguayenne*. 

Sous  la  nappe  uniforme  des  alluvions,la  surface  de  la 
plate-forme  subpampéenne  est  très  accidentée;  son 
allure  a  été  révélée  par  les  sondages  profonds  en  quête 
de  nappes  artésiennes.  Elle  a  été  gauchie  et  découpée 
par  des  failles,  une  partie  de  ces  dislocations  étant  pro- 
bablement contemporaine  de  la  formation  des  dépôts 
pampéens    qui  les  ont  masquées  à  mesure  qu'elles   se 

1.  Tandis  que  clans  les  Sierras  du  Colorado  inférieur  et  de  la; 
Pampa  central,  dans  le  Sud  de  la  province  de  Buenos  Aii-es  et  dans 
l'Uruguay,  les  dépôts  pampéens  recouvrent  directement  les  forma- 
tions cristallines  et  paléozoïques,  elles  en  sont  séparées,  sur  la  bor- 
dure orientale  de  la  Sierra  de  Cordoba,  par  des  grès  et  des  conglo- 
mérats rouges,  d'âge  mal  établi,  correspondant  peut-être  aux 
grès  rouges  continentaux  de  Corrientes  qui  affleurent  à  lEst  du  Pa- 
rana, et  sont  connus  depuis  d'Orbigny  sous  le  nom  de  grès  gra-^ 
nitiques. 


lA  PLA1N1£  PAMPÉENXi:.  K'O 

produisaient.  Un  seuil  rocheux  souterrain  prolonge  au 
Sud  la  Sierra  de  Cordoba  et  la  relie  aux  Sierras  du 
Colorado.  Le  granit  y  affleure  à  Chamaico  sur  la  ligne 
de  l'Ouest,  tandis  que,  de  part  et  d'autre,  les  sondages 
ont  traversé  de  grandes  épaisseurs  de  limons  et  de 
sables'.  Ce  seuil  isole  la  Pampa  orientale  des  plaines 
subandines,  et  marque  la  limite  de  la  zone  qui  alimente 
ses  nappes  d'eau  souterraines.  Dans  le  Nord  de  la  ré- 
gion pampéenne,  entre  la  Sierra  de  Cordoba  et  le  Pa- 
rana,  l'épaisseur  des  formations  continentales  meubles 
est  de  plus  de  600  mètres  à  Bell  Ville,  de  plus  d'un 
millier  au  Nord-Ouest  de  Santa  Fe  (forages  de  San- 
Cristobal  et  dEl  Tostado).  A  Buenos  Aires,  le  granit  a 
été  trouvé  à  295  mètres  de  la  surface. 

La  formation  pampéenne  est  composée  presque  exclu- 
sivement de  dépôts  meubles,  allant  du  sable  au  limon 
et  à  des  argiles  impalpables.  Les  cailloux  roulés  man- 
quent'. Même  au  voisinage  des  Sierras,  les  bancs  de 
cailloux  roulés  ou  anguleux  sont  presque  toujours  recou- 
verts par  les  limons  et  ne  sont  mis  à  nu  que  dans  les 
barrancas  des  ruisseaux.  Olascoaga  parle  de  la  surprise 
des  gauchos  de  l'armée  du  général  Boca  en  découvrant 
sur  le  sol  des  cailloux  patagoniens,  pendant  leur  étape 
du  Colorado  à  Choele-Choel,  au  cours  de  la  campagne 
du  Bio  Negro.  Officiers  et  soldats  mettaient  pied  à  terre 
pour  les  recueillir.  Sables,  limons  et  argiles  constituent 
une  nappe  puissante  d'alluvions  continentales.  Les 
transgressions  maritimes  tertiaires,  qui  ont  laissé  leur 
trace  dans  les  argiles  et  les  calcaires  de  la  rive  gauche 
du  Parana  inférieur,  et  les  bancs  de  coquilles  de  San 
Pedro,  sur  la  rive  droite,  n'ont  jamais  pénétré  profondé- 

1.  A  Rancul,  à  l'Est,  200  mètres  ^e  lôss  recouvrant  des  grès 
rouges  ;  y  Telen,  à  l'Ouest,  600  m.  de  sables,  de  marnes,  de  grès  et 
de  cailloux. 

2.  Roth  assure  en  avoir  trouvé  dans  la  barranca  de  San-Nicolas  sur 
le  Parana.  .l'ai  moi-même  recueilli  de  petits  silex  roulés  dans  les 
argiles  du  f^haco  à  Tarlagal.  Mais  ces  dépôts  proviennent  vraisem- 
blablement de  la  rive  gauche  du  Parana  où  les  nappes  de  cailloux 
fluviatiles  sont  au  contraire  largement  développées. 


100  LA  REPUBLIOUE  ARGENTINE. 

ment  dans  l'intérieur  de  la  région  pampéenne,  et  on  n'en 
trouve  aucune  trace  dès  qu'on  s'éloigne  de  la  côte  et  du 
fleuve. 

La  provenance  des  éléments  qui  composent  les  allu- 
vions  pampéennes  est  très  incertaine.  Leur  composition 
ne  révèle  pas  clairement  leur  origine;  les  limons  sont 
relativement  riches  en  calcaires,  ce  qui  semble  indiquer 
qu'ils  ne  proviennent  pas  de  l'Amérique  tropicale  et  du 
bassin  supérieur  du  Parana.  Wright  et  Fenner' insistent 
sur  la  proportion  élevée  qu'ils  contiennent  de  verre  sili- 
ceux d'origine  volcanique,  qui  dénote  pendant  ou  avant 
leur  formation  une  intense  activité  éruptive.  Doering 
avait  déjà  signalé  dans  la  région  de  Cordoba  l'impor- 
tance des  couches  de  cendres  volcaniques  qui  augmen- 
tent d'épaisseur  quand  on  se  rapproche  de  la  Sierra.  Il 
est  certain  que  les  sierras  pampéennes  ont  fourni  leur 
apport  à  la  constitution  du  pampéen.  Mais  la  masse 
principale  est  probablement  d'origine  andine;  quoi  qu'il 
en  soit,  dès  qu'on  s'éloigne  de  la  lisière  des  montagnes, 
les  terrains  pampéens  n'offrent  pas  d'autre  variété  que 
celle  qu'ils  doivent  aux  conditions  mêmes  dans  lesquelles 
ils  ont  été  déposés. 

Dépôts  fluviaux  proprement  dits,  dépôts  d'estuaires, 
dépôts  lagunaires,  dépôts  éoliens,  dépôts  éoliens  étalés 
par  les  eaux,  dépôts  fluviaux  remaniés  par  les  vents, 
ces  types  divers  sont  représentés  dans  la  formation 
pampéenne,  mais  on  discute  encore  sur  leur  importance 
relative  \ 

1.  Dans  Aies  Hrdlicka.  Early  man  in  South  America.  Smithsoniau 
Instit.,  Bull.  52,  Washington,   1912. 

2.  Des  tentatives  nombreuses  ont  été  faites  pour  établir  une  clas- 
sification des  terrains  pampéens;  leurs  résultats  ne  peuvent  être 
considérés  comme  délinitifs;  Ameghino,  qui  est  avant  tout  un  paléon- 
tologue, a  eu  le  mérite  de  montrer  l'inanité  des  divisions  géologiques 
fondées  sur  le  faciès  actuel  des  dépôts  (couleur,  finesse,  etc.).  Mais 
la  paléontologie  elle-même  donne  des  résultats  assez  incertains, 
faute  de  pouvoir  reconnaître  et  suivre  d'un  point  à  l'autre  les  étages 
d'où  proviennent  les  fossiles.  Toutes  les  classifications  du  pampéen 
reposent  sur  l'examen  de  deux  groupes  de  coupes;  le  premier  groupe 
comprend  la  falaise  de  la  rive  droite  du  Parana,  de  Rosario  à  Buenos 


LA  PLAINE  PAMPÉENNE.  167 

Si  l'on  se  borne  à  l'examen  des  conditions  actuelles 
de  formation  des  dépôts,  on  sera  frappé  d'abord  par 
l'indigence  du  réseau  hydrographique  de  la  Pampa.  Il 
ne  présente  quelque  densité  qu'à  proximité  des  sierras, 
où  la  pente  du  terrain  reste  forte,  et  dans  la  zone  orien- 
tale, sur  la  rive  droite  du  Parana  et  d'Entre  Rios,  où  le 
climat  est  plus  humide  et  le  ruissellement  plus  intense 
sur  un  sol  moins  perméable.  La  seule  des  rivières  nées 
des  sierras  pampéennes  qui  parvienne  au  Parana  est 
le  rio  Tercero  ou  Carcarana.  Toutes  les  autres  s'appau- 
vrissent vers  l'aval  et  se  perdent  dans  une  zone  basse 
marquée  par  des  lagunes  qu'elles  n'atteignent  qu'au 
moment  des  crues  :  les  crues  elles-mêmesne  rétablissent 
jamais  le  contact  entre  les  rios  Cuarto  et  Quinto  et 
le  Salado  de  Buenos  Aires.  Les  eaux  du  versant  Nord 
de  la  sierra  de  Tandil  et  même  celles  de  la  sierra  de 
Curumalal  arrivent  au  contraire,  après  les  pluies,  jus- 
qu'au Salado,  soit  par  des  courants  qui  drainent  les 
chapelets  de  lagunes,  soit  en  nappes  d'inondation  qui 
s'étalent  sur  de  larges  espaces. 

Les  cours  d'eau  de  la  plaine  ont  d'ailleurs  un  cours 
instable;  les  traces  de  leurs  divagations  subsistent  sous 
la  forme  de  traînées  de  sables  alluviaux  étalées  au 
milieu  des  limons  fins  d'origine  éolienne.   Ces  sables 

Aires,  et  la  falaise  cùtièrc  qui  lui  fait  suite,  avec  une  interruption 
de  la  Ensenada  à  Mar  Chiquita.  jusqu'à  Bahia  Blanca.  Ameghino  y  a 
reconnu  une  série  puissante  de  dépôts  éoliens,  divisés  par  plusieurs 
discordances,  et  dont  les  éléments  les  plus  anciens,  vers  Bahia  Blanca, 
remontent  au  miocène.  Le  deuxième  comprend  les  falaises  qui  enfer- 
ment la  vallée  du  rio  Primero  en  amont  et  en  aval  de  Cordoba.  ' 
Doering  et  Bodenbender  y  décrivent  deux  étages  de  lôss  éolien 
recouverts  l'un  et  l'autre  par  des  cailloutis  torrentiels. 

De  l'étude  de  ces  coupes,  les  géologues  ont  tiré  des  conclusions 
sur  les  mouvements  qui  ont  aflecté  le  sol  de  la  Pampa  ou  les  varia- 
tions qu'y  a  subies  le  climat.  Ces  conclusions  n'ont  en  tout  cas 
qu'une  valeur  locale  et  elles  n'ont  pas  encore  été  coordonnées.  La 
majorité  des  observateurs,  de  Doering  à  Bailey  Willis  et  à  Rovereto, 
semble  d'ailleurs  ne  pas  avoir  tenu  compte  suffisamment  du  fait  que, 
dans  les  formations  continentales,  les  faciès  les  plus  dilTérents 
peuvent  voisiner  dans  un  môme  étage,  selon  le  processus  particulier 
du  dépôt,  et  que  leur  alternance  n'implique  pas  une  transformation 
générale  des  conditions  de  l'érosion. 


168  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

fluvialiles  se  développent  parfois  en  zones  étendues 
dont  la  distribution  est  liée  avec  le  dessin  d'un  réseau 
hydrographique  aujourd'hui  partiellement  effacé.  Les 
sables  des  départements  de  General  Lopez  (Sud  de  la 
province  de  Santa  Fe),  et  General  Arenales  (province  de 
Buenos  Aires),  où  le  Salado  se  forme  actuellement,  sont 
vraisemblablement  des  apports  de  Rio  Cuarto  et  mar- 
quent l'ancien  raccord  entre  le  Cuarto  et  le  Salado. 
Ces  sables  se  prolongent  le  long  du  Salado  jusqu'à  la 
hauteur  du  confluent  du  Saladillo,  et  le  contraste  entre 
ces  sols  légers  et  les  argiles  de  la  rive  du  Parana  est  si 
frappant  qu'ils  ont  été  considérés  longtemps  comme  un 
dépôt  marin,  marquant  un  ancien  rivage.  Le  long  du 
Saladillo,  s'étend  aussi,  au  Nord-Est  des  lagunes  de 
Guamini,  une  zone  sableuse  correspondant  à  une  direc- 
tion importante  suivie  par  les  eaux  courantes,  et  qui 
traverse  les  départements  de  Bolivar  et  de  Veinte  Cinco 
de  Mayo. 

Si  l'action  des  eaux  courantes  est  limitée,  pour  le 
transport  des  alluvions,  à  certains  secteurs  de  la  plaine, 
celle  du  vent  s'exerce  au  contraire  sur  toute  sa  super- 
ficie. Partout,  le  vent  supplée  ou  relaie  les  cours  d'eau. 
Comme  les  eaux  courantes,  il  classe  les  éléments  qu'il 
charrie,  et  les  trie  selon  leur  poids  ou  leur  calibre,  les 
limons  les  plus  fins  étant  déposés  dans  la  zone  orien- 
tale humide,  les  sables  les  plus  grossiers  dans  la  zone 
sud-désertique  de  l'Ouest.  Le  mécanisme  de  lérosion 
rend  compte  de  ce  contraste  ;  les  grains  de  sable  pousses 
par  le  vent  cheminent  à  la  surface  du  sol,  aussi  longtemps 
que  la  végétation  est  trop  clairsemée  pour  les  fixer.  Si 
l'on  pénètre  plus  à  l'Est,  dans  une  zone  plus  humide,  à 
tapis  végétal  plus  dense;  le  cheminement  des  grains  de 
sable  à  la  surface  du  sol  ne  se  produit  plus,  mais  le 
vent  continue  à  transporter  les  particules  fines  de 
limon  qu'il  soulève  et  qu'il  entraîne  à  forte  altitude.  Le 
dépôt  des  limons,  bien  loin  de  supposer,  comme  on  la 
dit  quelquefois,  un  climat  aride,  correspond  à  la  zo.ie 


I,A  PLAINK  PAMl»KKNNK.  il"'-' 

des  steppes,  à  pluies  moyennes.  C'est  d'ailleurs  pendant 
les  périodes'  sèches  que  le  dépôt  de  limon  est  le  plus 
intense.  Darwin  signale  qu'après  la  sécheresse  de 
1827-1830,  dans  la  zone  voisine  du  Parana,  les  bornes 
furent  à  ce  point  ensevelies  par  la  poussière  qu'on  ne 
reconnaissait  plus  les  limites  des  propriétés.  Mais,  en 
dehors  de  ces  sortes  de  crues  et  des  tempêtes  de  pous- 
sière que  soulève  le  pampéro,  l'atmosphère  d'été  est 
manifestement  chargée  dans  l'Est  de  la  province  de 
Buenos  Aires  et  jusque  dans  Entre  Bios,  de  poussières 
qui  colorent  le  ciel. 

Le  modelé  de  la  plaine  porte,  comme  le  sol,  la  double 
marque  de  l'érosion  des  eaux  courantes  et  de  l'érosion 
éolienne.  Les  rivières  de  la  Pampa  coulent,  à  leur  sortie 
des  sierras,  enfoncées  entre  de  hautes  barrancas,  dont 
l'altitude  diminue  vers  l'aval  ;  bientôt  ces  barrancas 
s'abaissent,  se  rapprochent  et  ne  marquent  plus  que 
les  berges  d'un  lit  majeur  que  les  crues  remplissent. 
Aucune  trace  de  vallée  :  Bailey  Willis,  surpris  par  cette 
impuissance  de  cours  d'eau  qui  conserve  pourtant 
parfois  une  pente  sensible,  l'attribue  au  fait  que  le 
cycle  d'érosion  ouvert  par  le  dernier  soulèvement  de  la 
Pampa  n'a  pas  encore  eu  le  temps  de  pénétrer  vers 
l'intérieur.  Elle  marque,  en  réalité,  que  nous  touchons 
ici  à  la  limite  de  la  zone  d'érosion  par  les  eaux  courantes, 
et  que,  sous  ce  climat,  le  facteur  essentiel  du  modelé 
est  le  vent. 

La  région  de  la  rive  droite  du  Parana  (à  l'Est  du 
Salado),  qui  offre  seule  un  réseau  hydrographique  com- 
plet, doit  être  mise  à  j)art.  Elle  est  découpée,  de  la  hau- 
teur de  Rosario  à  celle  de  Buenos  Aires,  par  des  vallées 
à  fond  plat  dont  la  profondeur  atteint  une  trentaine  de 
mètres.  Le  creusement  de  ces  vallées  a  été  déterminé 
par  un  soulèvement  qui  a  porté  cette  partie  de  la  pampa 
au-dessus  du  niveau  de  base.  Les  rapides  du  Carcarafia 
inférieur  témoignent,  eux  aussi,  de  cette  reprise  du  creu- 
sement. Ultérieurement,  un  mouvement  inverse  a  ramené 


170  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

le  fond  des  thalwegs  au-dessous  de  ce  niveau  et  en  a 
déterminé  le  comblement  (dépôts  lagunaires  du  Luja- 
nense  d'Ameghino).  Au  Sud  de  Buenos  Aires,  le  soulè- 
vement a  été  moins  important  et  les  vallées  sont  moins 
profondes.  Une  partie  d'entre  elles  (Salado  moyen  et  ses 
affluents  de  la  rive  gauche)  est  occupée  aujourd'hui  par 
des  lagunes  allongées,  aux  berges  élevées,  ramifiées  le 
long  des  vallées  affluentes  et  qui  doivent  leur  origine  au 
même  mouvement  négatif,  postérieur  au  creusement  des 
vallées.  Le  soulèvement  ne  s'est  pas  étendu  à  la  partie 
orientale  de  la  province  de  Buenos  Aires  qui  se  trouve  au 
Sud  du  Salado,  zone  basse  et  plate,  mal  drainée,  exposée 
aux  inondations,  et  dont  le  relief  a  été  étudié  en  détail 
pour  l'exécution  d'un  vaste  réseau  de  canaux  de  drai- 
nage. Au  Nord  de  Rosario,  sur  les  argiles  peu  per- 
méables, la  circulation  des  eaux  se  fait,  après  les  pluies, 
non  par  des  thalwegs  proprement  dits,  mais  par  de 
larges  dépressions  à  peine  marquées,  —  canadas,  —  où 
le  courant  est  peu  sensible,  et  qui  tarissent  à  la  saison 
sèche;  leurs  relations  générales  ne  sont  pas  encore 
connues. 

Les  dépôts  meubles  du  pampéen  offrent  peu  de  résis- 
tance à  l'érosion;  les  cycles  y  évoluent  rapidement,  et 
les  traces  des  cycles  antérieurs  y  sont  fragiles  et  s'effa- 
cent vite'. 

Une  surface  d'érosion  ancienne  disséquée  par  les 
vallées  actuelles  s'est  pourtant  conservée  dans  la  partie 
Sud-Ouest  de  la  plaine  pampéenne,  grâce  à  la  présence 
à  la  surface  d'une  nappe  de  calcaire  dur,  la  losca.  La 
tosca  est  le  résultat  de  la  concentration  à  la  superficie, 


1.  Certains  traits  du  réseau  hydrographique  ont  manifestement  le 
caractère  d'un  réseau  surimposé,  c'est-à-dire  que  le  ti'acé  des  cours 
d'eau  a  été  légué  à  la  plaine  actuelle  par  d  anciennes  surfaces  d'éro- 
sion aujourd'hui  disparues  sur  lesquelles  les  thalwegs  se  sont  pri- 
mitivement établis.  C'est  ainsi  que  les  vallées,  dans  la  région  où 
confluent  le  Colorado  et  le  Chadi-Leuvu,  passent  indifféremment  des 
dépôts  pampéens  aux  sierras  cristallines,  qui  ont  été  autrefois  entiè- 
rement recouvertes  par  eux. 


LA  PLAINE  PAMPÉENNE.  171 

sous  un  climat  sec,  des  éléments  calcaires  contenus 
dans  le  limon  :  sa  l'oimation  suppose  une  longue  stabi- 
lité de  la  surface  où  elle  s'est  accumulée;  comme  les 
sols  profonds  de  décomposition  dans  les  réj^ions  plus 
humides,  elle  marque  une  pénéplaine  sur  laquelle  l'éro- 
sion a  fait  trêve.  La  nappe  de  tosca  couvre  toute  la 
région  entre  la  sierra  de  Tandil  et  la  Ventana,  le  versant 
Sud-Ouest  de  la  Ventana  et  la  plus  grande  partie  du  ter- 
ritoire de  la  Pampa  central.  Elle  ne  dépasse  pas  au  Nord 
la  ligne  de  Buenos  Aires  à  San  Rafaël;  sa  limite  orien- 
tale passe  à  peu  près  par  Ingeniero  Malmen,  Monte 
Nievas  et  Atreuco,  d'où  elle  rejoint  à  l'Est  la  rive  Sud 
des  lagunes  de  Carhue  et  de  Guninini*.  La  tosca  atteint 
parfois  une  épaisseur  de  plus  d'une  dizaine  de  mètres. 
La  région  de  la  Tosca  forme  aujourd'hui,  à  l'Ouest  de 
la  Ventana  et  dans  la  Pampa  central,  un  plateau  enlaillé 
par  des  vallées  étroites  dont  la  profondeur  va  jusqu'à 
60  mètres.  Ces  vallées  parallèles,  faiblement  ramifiées, 
orientées  généralement  du  Sud-Ouest  au  Nord-Ouest, 
débouchent  à  l'Est  dans  la  plaine  pampéenne  vers  la 
limite  de  la  province  de  Buenos  Aires;  les  plus  méri- 
dionales, au  contraire,  naissent  au  pied  de  la  Ventana 
et  paraissent  confluer  au  Sud-Ouest  avec  une  dépres- 
sion maîtresse  encore  très  mal  connue,  qui  aboutirait 
au  fond  de  l'estuaire  de  Bahia  Blanca.  Aucune  d'elles 
n'a  d'écoulement  permanent".  L'origine  des  vallées 
sèches  de  la  zone  de  la  tosca  est  un  des  problèmes  les 
plus  obscurs  de  la  morphologie  de  la  plaine  pampéenne. 
Peut-être,  comme  pour  les  fosses  qui  parsèment  plus  au 
Sud  le  plateau  du  Colorado  et  du  Rio  Negro,  leur  for- 
mation est-elle  due  à  l'érosion  éolienne. 

1.  Au  voisinage  de  la  sierra  de  San  Luis  et  de  Cordoba,  les  couches 
dures  désignées  sous  le  nom  de  tosca  sont  des  bancs  de  cendres 
éruplives. 

2.  La  surface  du  plateau  de  la  tosca  est  ponctuée  en  outre  par  un 
grand  nombre  de  dépressions  fermées  plus  ou  moins  profondes, 
entonnoii  s  ou  -  dolines  »  allongées  qui  paraissent  ne  pouvoir  s'expli- 
quer que  comme  le  résultat  de  la  dissolution  du  calcaire  par  les 
eaux. 


J72  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

L'action  du  vent  sur  le  modelé  se  révèle  d'une  façon 
moins  contestable  par  la  formation  des  dunes.  Lors- 
qu'on dépasse,  en  partant  de  Buenos  Aires  ou  de  Rosa- 
rio,  la  zone  des  pampas  horizontales,  les  dunes  forment 
le  premier  accident  que  l'œil  perçoive  à  la  surface  de 
la  plaine.  Les  premières  dunes  vives  se  rencontrent  à  la 
Carlota  sur  la  ligne  de  Rio  Guarto,  à  Lavalle  sur  la  ligne 
de  Villa  Mercedes,  à  Trenque  Lauquen  sur  la  ligne  de 
Toay.  Les  dunes  s'étendent  au  Nord  jusqu'à  la  lati- 
tude de  Mar  Chiquita  mais  ne  pénètrent  pas  dans  le 
Chaco.  A  l'Ouest,  on  les  trouve  aussi  par  endroits  dans 
la  brousse,  mais  leur  véritable  domaine  est  la  lisière 
occidentale  de  la  steppe,  la  partie  supérieure  de  la 
plaine  au  pied  de  la  sierra  de  Cordoba,  le  Sud  de 
la  province  de  San  Luis  et  la  Pampa  central. 

Une  cause  accidentelle,  qui  fait  disparaître  la  couver- 
ture végétale,  le  piétinement  du  bétail  près  d'un  abreu- 
voir ou  d'une  clôture,  suffit  à  déchaîner  l'érosion 
éolienne  :  le  vent  soulève  alors  le  sable  en  une  sorte  de 
mer  accidentée  ;  puis  la  dune  prend  une  forme  circulaire  ; 
une  dépression  centrale  apparaît,  et  s'approfondit  jus- 
qu'au niveau  moyen  de  la  plaine;  elle  contient  souvent 
une  lagune.  A  partir  de  ce  moment,  les  déformations 
sont  moins  rapides;  la  végétation  envahit  de  nouveau  le 
sol  et  la  dune  devient  la  proie  des  pluies  qui  réduisent 
lentement  son  relief.  Dans  la  Pampa  central,  où  le  relief 
est  bien  marqué,  les  dunes,  au  lieu  de  former  des  taches 
circulaires  éparses,  s'allongent  en  traînées  parallèles 
aux  vallées,  tantôt  au  cœur  de  la  vallée,  tantôt  adossées 
à  l'un  des  versants. 

Bien  à  l'Est  de  la  zone  des  dunes  vives,  on  trouve, 
dans  le  Sud  de  la  province  de  Cordoba  et  le  centre  de 
Buenos  Aires,  des  ondulations  douces,  couvertes  de 
végétation,  au  sol  plus  sableux  que  celui  de  la  plaine 
qui  les  environne  :  ce  sont  des  dunes  mortes.  La 
région  des  dunes  mortes  est  caractérisée  par  l'extrême 
irrégularité  du  sol  superficiel,  l'humus,  de  plus  en  plus 


LA  PLAINE  PAMPÉENNK.  175 

riche  et  plus  profond  en  règle  générale  à  mesure  qu'on 
progresse  vers  l'Est,  y  étant  recouvert  par  endroits  par 
des  apports  éoliens  récents. 

La  répartition  des  dunes  mortes  est  liée  aux  traînées 
de  sables  lluviatiles  qui  traversent  la  Pampa  et  qui  ont 
offert  une  proie  facile  aux  vents;  une  ligne  de  dunes 
mortes  suit  le  cours  supérieur  du  Salado  dans  la  région 
de  Junin  et  de  Bragado.  Sur  la  ligne  de  Buenos  Aires  à 
San  Luis,  on  la  traverse  entre  Ghacabuco  et  Vedia, 
l)Our  retrouver  au  delà  la  plaine  horizontale,  où  les  dunes 
vives  n'apparaissent  que  plus  à  l'Ouest,  à  150  kilomètres 
avant  Villa  Mercedes.  Son  relief  est  si  apparent  sur  la 
plaine  uniforme  que  les  premiers  éleveurs  qui  en  utili- 
sèrent les  pâturages  l'appelaient  emphatiquement  la 
«  Cerillada  ».  D'Azara  avait  reconnu  très  exactement  sa 
nature.  «  Ce  n'est  pas  autre  chose  »  dit-il,  «  qu'une  dune 
d'excellent  sable  fin  ».  Son  altitude  ne  dépasse  pas 
quelques  mètres.  Les  dunes  mortes  des  départements 
de  Bolivar  et  de  Veinte  Cinco  de  Mayo,  que  Parchappe 
a  décrites,  conservent  un  relief  plus  marqué  et  rappel- 
lent parfois  par  leur  disposition  les  dunes  vives  circu- 
laires environnant  une  lagune.  Les  lignes  des  dunes 
côtières  de  la  partie  orientale  de  la  province  de  Buenos 
Aires,  qui  y  font  obstacle  à  l'écoulement  régulier  des 
eaux,  forment  un  groupe  à  part  qui  doit  être  nettement 
distingué  des  dunes  de  la  plaine'. 

Ainsi  l'impression  de  monotonie  que  laisse  le  relief  de 


1.  En  dehors  des  régions  de  dunes  mortes  ou  vives,  un  type  de 
modelé  fréquent  dans  la  Pampa  est  celui  d'une  plaine  parsemée  de 
lagunes  minuscules,  généralement  circulaires,  entre  lesquelles  se 
développe  un  lacis  d'ondulations  à  peine  sensibles.  La  dénivellation 
est  souvent  si  faible  qu'elle  n'est  marquée  que  par  le  contraste  entre 
la  végétation  des  terres  basses  et  des  terres  hautes.  Ce  modelé,  qui 
est  notamment  celui  des  environs  de  Lincoln  ou  de  Nueve  de  Julio, 
résulte  de  l'action  du  vent  sur  une  plaine  où  le  niveau  de  la  nappe 
d'eau  est  très  voisin  de  la  superficie;  ce  niveau  marque,  en  effet,  une 
limite  au-dessous  de  laquelle  l'érosion  éolienne  cesse  d'avoir  prise, 
une  sorte  de  niveau  de  base.  Les  variations  périodiques  du  niveau  de 
la  nappe  pliiéatique  y  réduisent  ou  y  agrandissent  la  superficie 
exondée. 


174  LA  rp:publiole  argentine. 

la  Pampa  s'atténue  par  une  observation  patiente;  les 
terres  hautes  et  les  terres  basses  y  alternent.  Parchappt' 
avait  déjà  noté  le  contraste  entre  la  zone  comprise  enti-e 
Buenos  Aires  et  le  Salado  avec  ses  ondulations  légères 
et  son  réseau  hydrographique  bien  développé,  les  plaines 
horizontales  de  la  rive  droite  du  Salado^  semées  de 
dunes  irrégulières  et  le  plateau  méridional  de  la  tosca 
entre  les  Sierras  de  Tandil  et  de  la  Ventana. 


Il  est  possible  actuellement  de  distinguer  sur  l'en- 
semble du  territoire  de  la  Pampa  les  régions  sui- 
vantes : 

1**  —  La  partie  centrale  de  la  province  de  Santa  Fe 
constitue  la  région  dite  «  des  colonies  »,  c'est-à-dire  le 
domaine  des  colonies  primitives  établies  il  y  a  deux 
générations,  et  la  zone  où  s'est  implanté  le  type  d'exploi- 
tation introduit  par  elles.  Les  récoltes  principales  y  sont 
le  blé  et  le  lin.  Des  haies  de  sorbiers  plantés  (paraïsos) 
encadrent  les  champs  ;  par  opposition  aux  parties  de  la 
Pampa  restées  entièrement  nues,  la  région  des  colonies 
constitue  un  véritable  bocage.  Elle  s'étend  à  l'Ouest 
jusqu'au  delà  de  la  frontière  de  la  province  de  Cordoba, 
où  elle  vient  toucher  entre  San  Francisco  et  Mar  Chiquita 
la  lisière  du  monte.  Au  Nord,  Miatello  donne  le  30"  L.S. 
comme  la  limite  normale  de  la  culture  du  blé,  au  delà  de 
laquelle  elle  souffre  à  la  fois  de  la  réduction  des  pluies 
d'hiver  et  de  l'augmentation  des  pluies  d'été.  En  fait,  les 
grandes  cultures  n'atteignent  cette  latitude  que  sur  la 
ligne  de  San  Francisco  à  Ceres  ;  sur  la  ligne  de  Resisten- 
cia,  au  Nord  de  Santa  Fe,  elles  s'interrompent  sous 
30° 50'  L.  S.  Dans  l'intervalle,  la  limite  de  la  région  des 
colonies  coïncide  à  peu  près  avec  celle  du  département  de 
Castellanossous  30''45'L.S.  La  zone  comprise  entre  cette 
ligne  et  la  lisière  Nord  de  la  Pampa  est  une  région  d'éle- 
vage. Au  Sud,  la  région  des  colonies  s'étend  jusqu'à  las 
Bandurias  et  Irigoyen. 


LA  PLAINE  PAMPEENxNE.  17:. 

2°  —  Au  Sud  de  la  région  des  Colonies,  le  plateau  de  la 
rive  droite  du  Parana,  à  l'Ouest  de  Rosario  cl  de  San 
Nicolas,  forme  la  région  du  maïs,  le  corn  belt  argentin. 
La  culture  du  lin  y  est  généralement  associée  à  celle  du 
maïs.  C'est  par  excellence  la  terre  de  labour  de  l'Argen- 
tine. Le  sol  de  limon  fin  argileux,  de  teinte  rouge  sombre, 
qui  retient  l'humidité,  les  pluies  d'été  abondantes,  sont 
éminemment  favorables  au  maïs.  Les  limites  de  la  région 
du  maïs  dessinent  autour  de  Rosario  un  arc  de  cercle 
d'un  rayon  de  100  à  150  kilomètres;  elles  n'atteignent 
pas  tout  à  fait  à  l'Ouest  la  frontière  de  Cordoba,  et 
laissent  en  dehors  tout  l'angle  Sud-Ouest  de  la  province 
de  Santa  Fe.  La  zone  du  maïs  touche  le  Parana  entre 
le  02°  L.S.  et  le  Baradero.  Au  Nord,  le  passage  de  la 
région  du  maïs  à  la  région  des  colonies  se  fait  brusque- 
ment. Au  Sud,  au  contraire,  il  existe  à  la  lisière  du 
cornbelt  une  zone  de  transition  étendue,  où  le  maïs  et 
le  blé  occupent  à  peu  près  la  même  superficie,  et  qui 
s'étend  jusqu'au  rio  Salado  de  Buenos  Aires. 

5°  —  La  région  des  luzernières  est  beaucoup  plus 
étendue.  Elle  comprend  tout  l'angle  Nord-Ouest  de  la 
province  de  Buenos  Aires,  depuis  le  cours  du  Salado, 
dans  la  région  de  Junin,  jusqu'à  la  lisière  méridionale 
des  départements  de  Nueve  de  Julio  et  de  Pehuajo,  et 
jusqu'à  la  hauteur  de  Guamini.  La  limite  des  luzernières 
laisse  en  dehors  le  territoire  de  la  Pampa  central,  mais 
s'avance  à  l'Ouest  pour  englober  une  partie  du  dépar- 
tement de  Pedernera  dans  la  province  de  San  Luis. 
Les  luzernières  s'étendent  sur  la  ligne  de  San  Rafaël 
jusqu'à  Batavia,  et  elles  touchent  en  ce  point  les  limites 
mêmes  de  la  zone  colonisée.  La  zone  des  luzernières 
comprend,  en  outre,  toute  la  partie  Sud-Est  de  la  pro- 
vince de  Cordoba,  jusqu'à  la  hauteur  de  la  ligne  de 
Villa  Mercedes  à  Villa  Maria,  et  la  fraction  méridionale 
de  la  province  de  Santa  Fe.  Dans  toute  cette  zone,  la 
luzerne  couvre  de  15  à  25  pour  100  de  la  superficie 
totale.  Les  conditions   nécessaires  pour  le  développe- 


170  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

ment  des  luzernières  sont  la  faible  profondeur  de  la 
nappe  d'eau  souterraine  et  un  sol  léger  où  les  racines 
pénètrent  aisément.  La  zone  orientale  des  limons  argi- 
leux est  peu  propice  à  la  luzerne;  la  luzerne  y  résiste 
moins  longtemps  que  dans  l'Ouest,  où,  bien  ménagée, 
elle  se  conserve  quinze  ou  vingt  ans. 

La  zone  des  luzernières  est  avant  tout  une  grande 
zone  d'élevage  de  bêtes  à  cornes,  le  pâturage  dlf 
mouton  étant  nuisible  à  la  luzerne.  Elle  est  loin, 
d'ailleurs,  d'ofTrir  l'uniformité  des  régions  précédentes. 
Au  Sud-Est,  dans  la  province  de  Buenos  Aires,  la  for- 
mation des  luzernières  a  été  entreprise  à  une  date  où 
la  colonisation  agricole  était  déjà  commencée.  On  y 
trouve  donc  juxtaposés  deux  types  distincts  d'exploita- 
tion; la  culture  du  maïs  y  pénètre  au  Sud-Ouest,  en 
dépit  de  conditions  de  climat  relativement  peu  favo- 
rables, jusque  dans  la  région  de  Trenque  Lauquen  et  de 
Guamini.  Le  centre  de  la  zone  des  luzernières,  au  Sud 
de  la  province  de  Cordoba,  est  lui  aussi  une  grande  zone 
agricole,  mais  l'agriculture  y  est  directement  liée  à  la 
création  des  luzernières.  Elle  est  confiée,  en  effet,  à  des 
colons  qui  cultivent  la  terre  4  ou  5  ans,  et,  à  la  fin  de 
leur  bail,  la  restituent  aux  propriétaires,  ensemencée 
en  luzerne.  Les  récoltes  consistent  à  peu  près  exclusive- 
ment en  blé  et  en  lin.  Enfin,  dans  l'Ouest  (province  de 
San  Luis  et  extrême  Sud-Ouest  de  la  province  de 
Cordoba),  le  sol  est  de  plus  en  plus  sableux  et  le  climat 
de  plus  en  plus  sec.  Un  seul  labour  suffit  à  détruire  la 
végétation  naturelle  et  à  faire  place  nette  pour  la 
luzerne;  les  luzernières  ont  été  créées,  sans  l'intervention 
de  colons,  par  les  éleveurs  eux-mêmes  qui  sont  les 
seuls  maîtres  de  la  région. 

4°  — Au  delà  des  luzernières,  au  point  où  la  plaine  se 
relève  vers  les  sierras  de  San  Luis  et  de  Cordoba,  la 
nappe  d'eau  phréatique  s'éloigne  de  la  superficie;  cette 
zone  du  pied  des  sierras,  impropre  à  la  luzerne,  et  dont 
le  sol  est  relativement  riche  en  humus,  a  été  occupée  par 


lA  i'I.VINE  l'AMPÉENNE.  177 

la  colonisation  agricole.  Les  cultures  de  blé  s'étendent, 
dans  la  province  de  San  I.uis,  jusqu'à  Fraga  età  Naschol, 
dans  la  fosse  de  Conlara;  les  cuUures  de  maïs,  à  Oncai- 
tivo,dans  la  province  deCordoba,  entre  les  rios  Tercero 
et  Secundo,  oij  les  pluies  d'été  sont  plus  abondantes. 
Cette  zone  dispose,  grâce  au  voisinage  de  la  montagne, 
de  ressources  en  eaux  pour  l'irrigation  qui  entretiennent 
de  petits  centres  de  cultures  riches. 

5"  —  Le  Sud  de  la  province  de  Buenos  Aires  et  la 
Pampa  central  forment  la  zone  du  blé.  La  nappe  de 
tosca,  qui  suit  le  sol  à  une  faible  profondeur,  ne  nuit  au 
blé  que  dans  les  années  très  sèches.  Les  vallées  où 
la  tosca  s'interrompt  et  les  dunes  où  le  sol  est  profond 
sont  précieusement  utilisées  pour  former  des  luzernières 
dont  l'étendue  est  toujours  limitée.  La  culture  du  blé 
paraît  avoir  atteint,  aujourd'hui,  aussi  bien  dans  cette 
zone  que  dans  la  précédente,  sa  limite  définitive,  la  sé- 
cheresse rendant  peu  probable  une  nouvelle  extension 
vers  l'Ouest. 

6"  —  Enfin,  l'Est  de  la  province  de  Buenos  Aires,  dont 
la  petite  ville  de  Dolores  marque  approximativement  le 
centre,  est  la  seule  partie  de  la  plaine  pampéenne  où  la 
colonisation  agricole  n'ait  pas  pénétré.  Les  terres  y 
sont  basses  et  mal  drainées.  La  végétation  n'y  a  pas 
subi  d'autre  transformation  que  l'amélioration  progres- 
sive qui  est  due  au  piétinement  et  au  séjour  prolongé  du 
bétail.  Cette  région  pastorale  est  nettement  limitée  au 
Sud  par  la  sierra  de  Tandil.  Au  Nord,  elle  se  continue 
par  la  zone  plus  accidentée  comprise  entre  Buenos 
Aires  et  le  cours  inférieur  du  Salado,  où  ralternance 
des  pâturages  d'hiver  sur  les  terres  sèches,  et  des  pâtu- 
rages d'été  dans  les  vallées,  favorise  des  méthodes  d'éle- 
vage plus  perfectionnées,  et  a  localisé  l'industrie  lai- 
tière. 

Dans  la  province  d'Entre  Rios,  la  limite  des  grandes 
cuUures  de  blé  et  de  lin  est  marquée  par  le  52°  L.  S. 
La  fraction  d'Entre  Rios  qui  s'étend  au  Nord  du  52"  et 

Dems.  —  l,"Argeriti:!e.  1-2 


lis  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

la  province  de  Corrientes  ne  se  rattachent  plus  à  propre- 
ment parler  à  la  région  pampéenne. 


L'élevage  extensif  a  été  la  première  forme  de  la  colo- 
nisation blanche  dans  la  Pampa,  Le  mot  d'élevage  n'est 
pas  à  la  vérité  parfaitement  propre  pour  caractériser 
une  industrie  qui  tient  surtout  de  la  chasse  et  qui  se 
distingue  nettement  de  Télevage  plus  attentif  et  plus 
perfectionné  pratiqué  à  la  même  époque  dans  les  pro- 
vinces du  Nord. 

«  La  véritable  richesse  de  la  province  de  Buenos 
Aires,  »  dit  le  Dean  Funes,  «  était  et  sera  toujours  le 
commerce  des  peaux  »  (la  pelleteria)*.  Une  bonne  part 
des  peaux  exportées  provenait  de  la  chasse  des  bœufs  et 
des  chevaux  sauvages  qui  s'étaient  multipliés  sur  le 
territoire  de  la  Pampa  au  delà  du  rio  Salado*.  C'est  sur- 
tout après  1778,  lorsque  le  commerce  eut  été  autorisé 
avec  l'Espagne  et  que  la  demande  des  cuirs  grandit, 
que  la  chasse  de  ces  réserves  de  bétail  sans  maître  fut 
pratiquée  activement  :  2000  Espagnols  de  Buenos 
Aires,  de  Santa  Fe,  de  Mendoza,  chassaient  tous  les 
jours,  dit  Azara,  égorgeant,  outre  les  animaux  qu'ils 
dépouillaient,  une  bête  pour  chacun  de  leurs  repas. 
De  1775  à  la  Révolution,  le  Gouvernement  espagnol  se 
montre  constamment  préoccupé  de  régler  et  de  modérer 
le  massacre  des  troupeaux.  Il  établit  des  peines  contre 
toute  personne  vendant  des  cuirs  qui  ne  portent  pas  sa 


1.  Ensayo  de  la  historia  civil  del  Paraguay,  Buenos  Aires  y  Tucuman, 
5  volumes  in-16,  Buenos  Aires,  1816,  t.  III,  p.  2U. 

2.  On  a  souvent  exagéré  le  nombre  des  animaux  marrons  et  l'éten- 
due de  la  zone  où  ils  s'étaient  répandus.  Il  ne  semble  pas  qu'ils 
aient  jamais  recouvert  toute  la  superficie  de  la  plaine  pampéenne. 
Un  saulnier  qui  traversa  en  1755  la  Patagonie  et  la  Pampa  tout 
entière  (voyage  du  San  Martin  au  port  de  San  Julian.  Coll.  de  Angelis, 
t.  V),  ne  rencontra  de  troupeaux  sauvages  qu'à  proximité  de  la  fron- 
tière du  Salado  et  reconnut  à  cet  indice  le  voisinage  des  estancias. 
Au  début  du  xix'^  siècle,  les  bœufs  marrons  avaient  disparu  sur  la 
rive  droite  du  Parana;  il  en  restait  quelques-uns  dans  Entre  Kios. 


LA  PIAINK  PAMPÉENNE.  179 

marque;  il  afferme  le  droil  de  chasser  les  animaux  sans 
marque;  il  organise  la  destruction  des  chiens  sau- 
vages, etc.  Les  estancias  se  développèrent  à  l'abri  de 
cette  législation.  Cependant,  la  Révolution  ne  marque 
pas  le  terme  des  chasses  au  bétail.  D'Orbigny  assiste 
en  1828  à  des  chasses  aux  chevaux  sauvages  (baguales) 
dans  Entre  Bios.  Longtemps  encore  le  gaucho  argentin 
conservera  les  mœurs  d'un  chasseur  plutôt  que  d'un 
éleveur  proprement  dit  :  témoin  les  soldats  d' Urquiza, 
qui,  dit  Demersay,  pendant  la  campagne  de  Corrientes 
de  1846,  lorsqu'ils  ne  trouvaient  pas  d'arbres  pour  atta- 
cher leurs  montures,  égorgeaient  des  bœufs,  aux  cornes 
desquels  ils  nouaient  les  longes. 

Si  l'on  passe  de  la  zone  de  la  chasse  à  la  zone  des 
estancias,  on  constate  que  le  travail  de  l'éleveur  y  con- 
siste avant  tout  à  empêcher  son  troupeau  de  devenir 
sauvage.  «  Les  estancias  de  ce  pays,  dit  le  Dean  Funes, 
étant  établies  sur  des  plaines  immenses,  oi!i  il  n'était  pas 
facile  de  contenir  les  troupeaux  à  l'intérieur  de  limites 
fixes,  il  arrivait  que  les  bœufs,  en  quête  d'eau  ou  de  pâtu- 
rage, se  dispersaient  à  d'énormes  distances  et  finissaient 
par  être  considérés  comme  sauvages  et  sans  maîtres.  » 
Azara,  voulant  indiquer  la  supériorité  des  estancias  du 
Paraguay  sur  celles  de  Buenos  Aires,  se  borne  à  dire 
que  les  bœufs  y  sont  plus  apprivoisés  «  mansos  ».  Au 
bétail  sauvage  «  alzado  »  s'oppose  le  bétail  «  de  rodeo  », 
c'est-à-dire  le  bétail  qu'on  rassemble  périodiquement 
par  des  battues  au  centre  de  l'estancia  pour  l'accou- 
tumer au  pâturage  où  il  doit  vivre  (aquerenciar).  C'est 
la  difficulté  d'éviter  la  dispersion  du  troupeau  qui  donne 
leur  prix  aux  «  rincones  »  de  Corrientes  entourés  de 
zones  inondées,  et  dans  lesquels  les  bœufs  sont  captifs. 

Les  descriptions  que  Mac  Kann  a  données  de  la  vie 
pastorale  dans  la  province  de  Buenos  Aires  au  milieu 
du  XIX*  siècle,  donnent  une  impression  très  nette  de  ce 
régime  de  transition  entre  l'exploitation  du  croît  naturel 
d'un  troupeau  qui  se  multiplie  en  dehors  de  toute  inter- 


JSO  LA  RÉPUBLIQli-  ARGENTINE. 

venlion  humaine  et  l'élevage  proprement  dit.  La  valeur 
d'un  cheval  y  représente  presque  uniquement  le  prix  de 
son  dressage  :  l'éleveur  ne  voit  pas  sans  inquiétude  son 
troupeau  s'accroître,  redoutant  de  ne  plus  avoir  les 
moyens  de  le  domestiquer.  Parmi  les  dangers  qui 
menaçaient  la  fragile  discipline  des  troupeaux,  les  plus 
redoutables  étaient  les  sécheresses.  Celle  de  1827  fut  un 
désastre;  les  animaux  quittèrent  en  masse  leurs  estan- 
cias  pour  s'éloigner  vers  le  Sud  où  ils  se  mêlèrent  \ 

Les  révolutions  et  les  guerres  interrompent  la  domes- 
tication  du  bétail.  iGalvez*,  arrivant  de  la  province  de 

1.  Le  problème  de  l'eau  n'a  pas  dans  la  région  pampéenne  la  même 
importance  essentielle  pour  l'histoire  de  la  colonisation  que  dans  la 
région  septentrionale.  L'élevage  primitif  était  réduit,  pour  abreuver 
les  troupeaux,  aux  points  d'eau  naturels,  lagunes  ou  ruisseaux,  et  à 
des  puits  peu  profonds,  jagueles,  ouverts  jusqu'à  la  nappe  superfi- 
cielle, qui  est  le  plus  souvent  peu  profonde,  mais  exposée  à  tarir.  A 
mesure  que  la  colonisation  progressa,  l'éleveur,  et  après  lui  l'agri- 
culteur, furent  mieux  outillés  pour  le  forage  des  puits  et  cessèrent 
de  redouter  la  sécheresse.  On  descendit  jusqu'aux  nappes  profondes, 
semi-artésiennes  (région  de  Buenos  Aires)  ou  artésiennes  (Ouest  de 
la  province  de  Santa  Fe  autour  de  San  Francisco).  Ailleurs,  au  con- 
traire, on  sut  utiliser  des  nappes  superficielles,  plus  douces  que  les 
nappes  profondes,  en  adai>tant  aux  puits  des  types  nouveaux  de 
filtres  (région  de  Buena  Esperanza).  Les  deux  seules  régions  où  la 
recherche  de  l'eau  ait  présenté  des  difficultés  sont  l'angle  Sud-Ouest 
de  la  région  pampéenne  et  l'extrémité  septentrionale  de  la  prairie 
dans  la  province  de  Santa  Fe.  Les  nappes  y  sont  très  irrégulières, 
et  souvent  salées,  et  il  a  fallu  longtemps  pour  que  les  estancias 
finissent  par  avoir  leurs  besoins  en  eau  assurés. 

Un  trait  remarquable  est  l'importance  des  dunes  dans  la  distribu- 
tion des  nappes  d'eau  souterraines;  les  eaux  de  pluies  s'accumulent 
dans  les  dunes  et  s'écoulent  lentement  du  sable  dans  le  sous-sol;  le 
niveau  de  la  nappe  souterraine  dans  le  limon  sur  lequel  la  dune 
repose  est  toujours  plus  proche  de  la  surface  au  voisinage  de  la 
dune.  La  dune  elle-même  a  souvent  une  végétation  plus  verte  que 
les  terrains  qui  l'environnent.  Rien  n'est  plus  surprenant  que  de 
découvrir  à  «  Medanos  »  (Ouest  de  Bahia  Blanca),  au  centre  d'une 
plaine  d'aspect  aride,  les  cultures  de  luzerne  et  les  vergers  logés 
dans  les  creux  de  dunes  encore  vives.  Dans  toute  la  province  de 
Buenos  Aires,  le  voisinage  de  dunes  mortes,  en  raison  de  ses  res- 
sources en  eau,  est  un  site  favorable  d'habitation.  D'Azara  signale 
les  nombreux  points  d'eau  qui  jalonnent  le  pied  de  la  ligne  des 
dunes  mortes  de  la  Cerillada.  Alentour  blanchissaient  les  os  des 
baguales.  Dans  les  vallées  de  la  Pampa  central,  où  la  nappe  d'eau 
au  centre  de  la  vallée  est  souvent  salée,  les  eaux  souterraines  s'amé- 
liorent régulièrement  quand  on  se  rapproche  des  lignes  de  dunes. 

2.  V.  Galvez,  Memorio.s  de  un  viejo.  Buenos  Aires,  5  vol.  in  16, 4' édi- 
cion,  1889. 


LA  PLAINK  PAMPftENNE.  18! 

Cordoba  à  Buenos  Aires,  à  la  fin  du  Gouvernement  de 
Rosas,  est  frappé  par  l'état  où  il  trouve  les  estancias. 
Beaucoup  d'entre  elles  avaient  été  confisquées,  ou  les 
maîtres  avaient  été  exilés  :  On  n'y  «  marquait  »  plus  ; 
les  bœufs  étaient  devenus  de  véritables  bêtes  sauvages. 
La  période  des  troubles  de  l'émancipation  fut  beaucoup 
moins  néfaste  pour  les  éleveurs  de  Buenos  Aires  que 
pour  ceux  d'Entre  Bios.  Le  troupeau  d'Entre  Bios  fut  à 
peu  près  complètement  anéanti  pendant  la  Révolution, 
et  une  partie  des  estancieros  de  la  rive  gauche  se  trans- 
portèrent sur  la  rive  droite  du  Parana.  Après  1823,  la 
richesse  pastorale  d'Entre  Bios  fut  brusquement  rétablie 
grAce  à  dos  razzias  exécutées  sur  le  territoire  brésilien. 
Elles  étaient  si  fructueuses  que  la  population  entière  y 
prenait  part.  En  1827,  les  habitants  de  la  Bajada  y 
allaient  en  si  grand  nombre  que  la  ville  était  à  moitié 
déserte.  Chaque  jour,  des  milliers  de  bœufs  étaient  ras- 
semblés sur  la  rive  de  l'Uruguay  et  franchissaient  le 
fleuve;  une  partie  de  ces  troupeaux  était  même  menée 
au  delà  du  Parana  dans  la  province  de  Santa  Fe. 
Woodbine  Parish  (1859)  confirme  ce  rapide  repeuple- 
ment d'Entre  Bios  dont  d'Orbigny  a  été  le  témoin.  Cette 
période  de  prospérité  fut  de  courte  durée.  La  guerre 
avec  l'Uruguay  sous  Bosas  ruine  de  nouveau  les  estan- 
cias d'Entre  Bios;  la  sécheresse  de  1846  contribue  à 
disperser  les  troupeaux  qui  restaient.  L'élevage  extensif 
est  faiblement  enraciné  au  sol;  les  centres  principaux 
de  production  se  déplacent,  au  hasard  des  circon- 
stances politiques,  d'une  zone  à  l'autre  de  la  plaine  pam- 
péenne. 

L'élevage  primitif  offre  peu  d'exemples  de  migrations 
périodiques  pour  assurer  une  meilleure  utilisation  du 
pâturage.  En  1822,  le  colonel  Garcia,  pendant  son 
voyage  entre  les  sierras  de  Tandil  et  de  la  Ventana, 
observe  que  les  Indiens  gardaient  leurs  juments  pendant 
l'hiver  autour  des  lagunes  temporaires  de  la  plaine  et 
se  rapprochaient  en  été  des  ruisseaux  de  la  montagne. 


182  LA  RÉPUBLIQUE  ARGEiNThXE. 

Des  mouvements  de  transhumance  de  ce  genre  étaient 
difficiles  pour  les  estancieros  créoles,  dont  les  trou- 
peaux, trop  nombreux,  étaient  peu  maniables.  Pour- 
tant les  éleveurs  de  Chascomus  menaient,  à  la  fin  du 
xviii^  siècle,  leurs  bœufs  dans  les  terres  basses  des  rives 
du  Salado,  pendant  la  saison  sèche'.  Garcia^  signale  de 
même  l'importance  des  pâturages  du  Salado  pour  les 
estancias  du  Salto,  d'Areco  et  de  Lujan.  La  nécessité 
de  déplacer  les  troupeaux  à  la  saison  sèche,  et  de  trouver 
des  «  invernadas  »  à  portée  des  anciennnes  estancias, 
résultait  de  la  transformation  subie  dans  la  Pampa 
orientale  par  la  végétation  naturelle  et  de  l'extension 
du  «  pasto  dulce  «.  Les  herbes  annuelles  qui  composent 
le  pasto  dulce  meurent  en  effet  et  disparaissent  après 
avoir  fructifié  ;  elles  laissent,  jusqu'aux  pluies  d'au- 
tomne, le  sol  entièrement  nu  et  dépouillé,  tandis  que 
les  graminées  vivaces  du  pasto  duro  fournissaient  un 
fourrage  maigre  mais  permanent. 


Les  premiers  perfectionnements  de  l'industrie  pasto- 
rale dans  la  Pampa  sont  liés  au  développement  de  l'éle- 
vage du  mouton.  Les  exportations  de  laine  débutent 
vers  1840  et  elles  progressent  rapidement  à  partir 
de  1855  (17  000  tonnes  en  1860,  65000  tonnes  en  1870). 
De  1850  jusque  vers  1890,  le  rendement  économique  de 
l'élevage  des  moutons  resta  très  supérieur  à  celui  de 
l'élevage  des  bœufs.  Pendant  toute  cette  période,  la 
multiplication  des  bergeries  n'est  limitée  que  par  les 
ressources  en  main-d'œuvre.  Les  premiers  bergers  ont 
été  des  Basques,  dans  le  Sud  de  la  province  de  Buenos 
Aires,  et  des  Irlandais  dans  le  Nord.  Le  propriétaire  les 


i.  Diario  de  un  reconocimiento  de  las  guardias  y  fortines  que  guarne-        ; 
cen  la  linea  de  frontera  de  Buenos  Aires  (l"96),  por  D.  Félix  de  Azara. 
Coll.  de  Angelis,  VL 

2.  Nuevo  plan   de   fronteras  de  la  Provincia  de  Buenos  Aires  por   cl 
Colonel  Garcia  {\S16).  Coll.  de  Angelis,  VI. 


LA  PLAINH  PAMPEENNE.  1S5 

établit  comme  métayers  dans  les  «  puestos  »,  sur  la 
bordure  de  l'estancia,  dont  le  centre  reste  consacré  au 
gros  bétail.  Ils  peuvent  ainsi,  en  surveillant  leurs  mou- 
tons, faire  respecter  les  limites  du  domaine  et  empê- 
cher les  bœufs  de  les  franchir. 

La  laine  resta  longtemps  le  seul  produit  de  l'élevage 
du  mouton.  A  partir  de  1866,  on  songea  à  utiliser  éga- 
lement les  peaux  et  le  suif.  Le  matériel  des  graisseries 
étant  peu  coûteux,  elles  se  multiplièrent  dans  toute  la 
zone  du  mouton;  beaucoup  d'estancias  eurent  la  leur. 
De  1867  à  1877,  les  saladeros  établis  depuis  longtemps 
pour  abattre  les  bœufs  entreprirent  en  grand  l'abatage 
des  moutons.  Le  nombre  des  moutons  vendus  aux  sala- 
deros s'éleva  jusqu'à  5  000  000  par  an.  En  1880  furent 
faites  les  premières  expéditions  de  viande  de  mouton 
frigorifiée.  Tandis  que  la  création  des  graisseries  n'avait 
pas  eu  d'influence  sur  l'élevage,  l'établissement  des  fri- 
gorifiques provoqua  une  rapide  transformation  du  trou- 
peau. La  race  Lincoln,  plus  lourde  et  d'un  meilleur 
rendement  en  viande,  élimina  la  race  mérinos  à  laine 
fine.  La  substitution  des  Lincoln  aux  mérinos  est  aujour- 
d'hui achevée  dans  toute  la  région  pampéenne. 

Jusqu'en  1880,  l'élevage  du  mouton  était  concentré  à 
l'Est  du  Salado,  au  Nord  et  au  Sud  de  Buenos  Aires,  à 
partir  d'une  ligne  passant  par  Quilmes,  San  Vicente, 
Pilar  et  Campana,  qui  marque  les  limites  de  la  zone 
suburbaine.  En  outre,  il  s'était  propagé  sur  la  rive  droite 
du  Salado  inférieur,  jusqu'au  pied  de  la  sierra  deTandil, 
dans  une  zone  où  les  premiers  postes  datent  de  1825, 
mais  dont  le  peuplement  ne  progressa  rapidement 
qu'après  1855.  Vers  1880,  commence,  après  la  pacifica- 
tion de  la  Pampa,  l'expansion  des  bergeries  vers  l'Ouest. 
Alors  apparaissent  sur  le  marché  de  Buenos  Aires  les 
laines  de  pasto  fuerte  :  elles  proviennent  de  la  région 
d'Azul  en  1870;  dOlavarria,  en  1880;  de  Bolivar,  en  1885; 
de  Villegas,  en  1890.  Le  recensement  de  1889  attribue 
à  la  province  de  Buenos  Aires  51  000  000  de  mouton.?. 


184  I.A  RÉPLBÎ.ÎOUE  AUGENTINE. 

Celui  de  1895  donne  un  chiffre  identique  (52  000  000). 
Une  comparaison  détaillée  des  deux  recensements 
montre  que  le  mouvement  d'expansion  vers  l'Ouest 
s'est  continué  et  achevé  pendant  cette  période.  Le  trou- 
peau de  la  zone  Nord-Ouest  de  la  province  (Lincoln- 
Villegas-Trcnque-Lauquen)  a  plus  que  doublé;  celui  de 
la  zone  Sud-Ouest  (Alsina-Puan-BahiaBlanca-Villarino) 
a  continué  à  s'accroître  et  a  augmenté  d'un  tiers.  Celui 
du  territoire  de  la  Pampa  central  a  triplé.  En  revanche, 
dans  les  départements  au  Nord  et  au  Sud  de  la  sierra  de 
Tandil,  où  la  colonisation  est  plus  ancienne,  l'élevage 
du  mouton  est'stationnaire.  Les  zones  du  Nord-Est  et 
du  Sud-Est,  entre  le  Parana  et  le  Salado,  ont  perdu,  l'une 
le  cinquième,  l'autre  la  moitié  de  leur  troupeau. 

A  partir  de  1895,  l'effectif  du  troupeau  de  moutons  de 
la  plaine  pampéenne  diminue  rapidement.  Le  nombre 
des  moutons  descend  de  54  000  000  en  1908  à  18  000000 
en  1915  pour  la  province  de  Buenos  Aires;  de  2800  000 
en  1908  à  2  500  000  en  1914  pour  la  Pampa  central.  La 
réduction  est  générale  et  se  manifeste  dans  toutes  les 
régions;  mais  elle  n'est  pas  partout  aussi  forte  et  elle  ne 
se  produit  pas  partout  à  la  même  date.  L'élevage  du 
mouton  a  disparu  à  peu  près  complètement  de  la  zone 
orientale,  à  l'Est  du  Salado,  qui  avait  été  son  berceau. 
Au  Sud  de  Buenos  Aires,  le  mouton  recule  devant  l'éle- 
vage des  bêtes  à  cornes,  et  il  est  déjà  à  peu  près  éliminé 
en  1908.  Au  Nord  de  Buenos  Aires,  il  résiste  plus  long- 
temps, mais  la  réduction  du  troupeau  n'en  est  que  plus 
rapide  depuis  1908  ;  elle  correspond  au  progrès  des  cul- 
tures de  maïs.  En  6  ans,  les  départements  de  Bartolome 
Mitre  et  de  Pergamino  ont  perdu  les  4/5  et  les  5/6  de 
leurs  moutons.  Dans  le  Nord-Ouest  de  la  province  de 
Buenos  Aires,  le  recul  du  mouton  commence  dès  le 
début  de  la  création  des  luzernières,  vers  1900;  il  a  con- 
tinué depuis  sans  arrêt  ;  le  troupeau  actuel  représente 
environ  1/4  du  troupeau  de  1895.  Dans  le  Sud-Ouest 
(zone   des   cultures   de    blé)    la   diminution  est   rapide 


i 


LA  PLAlMi  PAMPÉENxMi:.  18;-) 

avant  1008,  mais  elle  paraît  s'être  à  peu  près  arrêtée 
depuis,  grâce  à  l'association  de  l'élevage  du  mouton 
avec  la  culture  du  blé  et  de  l'avoine.  Le  troupeau  actuel 
représente  environ  la  moitié  du  troupeau  de  1895.  Enfin, 
dans  la  zone  au  Nord  de  la  Sierra  de  Tandil,  le  mouton 
recule  comme  plus  au  Nord  devant  l'élevage  du  bœuf, 
mais  son  élimination  est  moins  complète  que  dans  la 
zone  des  luzernières,  et  le  troupeau  représente  encore 
en  1915  les  2/5  environ  du  troupeau  qui  existait  vingt  ans 
plus  tôt. 

Dans  la  province  d'Entre  Rios  et  le  Sud  de  Gor- 
rientes,  le  nombre  des  moutons  a  continué  à  s'élever 
jusqu'en  1908,  mais  l'augmentation  porte  seulement  sur 
les  départements  du  Nord,  en  dehors  de  la  zone  agri- 
cole, tandis  que  les  départements  du  Sud,  gros  produc- 
teurs de  bléetde  lin,  ont  perdu,  entre  1895  et  1908, 1/3  de 
leur  troupeau. 

L'élevage  des  bœufs  souffrit  longtemps  de  la  diffi- 
culté à  écouler  ses  produits;  les  cuirs  seuls  trouvaient 
facilement  preneur.  La  fabrication  et  l'exportation  de 
viande  salée  date  du  xv!!!*"  siècle,  et  c'est  pour  l'appro- 
visionner que  sont  organisées  les  expéditions  aux 
salines  de  la  Pampa  et  les  voyages  des  saulniers  à  la 
côte  de  Patagonie.  De  1792  à  1796,  on  expédia  du  rio  de 
la  Plata  à  la  Havane  59  000  quintaux  de  viande  sèche. 
Mais  le  marché  de  la  viande  salée,  tasajo,  fut  toujours 
restreint.  Il  comprenait  seulement  les  Antilles  et  le 
Brésil,  et  les  saladeros  n'utilisèrent  jamais  complète- 
ment la  capacité  de  production  en  viande  du  troupeau 
argentin.  La  crise  des  Saladeros  est  antérieure  à  la  date 
où  commença  pour  eux  la  concurrence  des  frigorifiques. 
Dès  1889,  il  n'en  restait  plus  que  trois  dans  la  province 
(le  Buenos  Aires. 

Bien  que  le  prix  du  bétail  fût  très  peu  rémunérateur  et 
n'incitât  pas  à  perfectionner  l'élevage,  bien  que  le  Sala- 
dero  fût  peu  exigeant,  demandant  seulement  des  ani- 
maux en  bon  point,  l'amélioration  du  troupeau  et  l'in- 


186  LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE.  1 

Iroduction  de  reproducteurs  de  race  sélectionnée  avaieii 
été  entreprises  vers  le  milieu  du  xix*  siècle.  Les  laitier 
basques  établis  dans  la  zone  voisine  de  Buenos  Aire 
vendaient  aux  estancias  des  veaux  de  race,  qui  y  étaien' 
utilisés  comme  reproducteurs*.  Vers  1880,  les  progrè: 
de  l'élevage  du  mouton  refoulaient  peu  à  peu  les  estanh 
cias  de  bêtes  à  cornes  et  leur  mesuraient  de  plus  en  pluî 
étroitement  l'espace,  à  l'intérieur  de  l'ancienne  frontière 
indienne.  L'étroitesse  du  marché  des  bœufs,  et  leur 
faible  valeur  marchande  furent  des  circonstances  émi- 
nemment favorables  à  l'occupation  des  terres  nouvelles 
qu'ouvrit  à  cette  date  la  soumission  des  Indiens.  Les 
troupeaux  qui  ne  trouvaient  pas  acheteurs  furent  envoyés 
vers  les  campos  de  afuera  ;  l'expansion  des  estancias  se 
fit  avec  une  extrême  rapidité.  Daireaux  a  dépeint  avec 
beaucoup  de  précision  cette  ère  de  colonisation  pasto- 
rale et  l'exode  des  convois  destinés  à  peupler  l'Ouest  de 
la  Pampa.  Les  bœufs  y  devancent  partout  le  mouton  de 
plusieurs  années.  En  fait,  le  bœuf  est  considéré  par  les 
éleveurs  comme  sans  valeur  propre;  il  n'est  qu'un  auxi- 
liaire chargé  d'améliorer  le  pâturage  et  de  préparer  le 
terrain  au  mouton.  Il  est  lui-même  précédé  par  les 
troupes  de  chevaux  à  demi  sauvages  qui  prennent  pos- 
session les  premiers  ducampo  vierge,  et  en  commencent 
la  transformation. 
L'effectif  du  troupeau  de  bœufs  s'élève  rapidement. 


•!.  C'est,  sous  une  forme  très  spéciale,  un  premier  exemple  de  la 
spécialisation  d'un  des  cantons  de  la  région  pampéenne  dans  l'in- 
dustrie de  l'élevage  proprement  dit  (production  d'élèves). 


Pl.    III.   -^  L'ÉLEVAGE  DES   BŒUFS. 

La  densité  du  troupeau  est  très  f;iible  dans  Ja  zone  du  maïs;  elle  est  trc.< 
élevée  dans  le  Cenfre  et  l'Est  de  la  région  pampéenne.  qui  approvisionne  les  fri- 
gorifiques d'animaux  de  race  sélectionnée  et  de  poids  élevé.  La  densité  est  très 
forte  aussi  dans  le  Nord  de  la  Mésopotamie,  mais  le  bétail  y  est  de  valeur  moin- 
dre, et  il  est  consommé  par  les  saladeros  de  l'Uruguay.  La  présence  du  tique,  qui 
inocule  aux  "bœufs  la  fièvre  du  Texas,  est  le  principal  obstacle  à  la  transforma- 
tion du  troupeau  dans  le  Nord  de  l'Argentine. 


Denis.  —  L'Argentine. 


Pl.  m 


65°     Long  W    P. 

j     '    .j  60 à  90  bêtes  j  cornes  au  Km . carré 

lllï]  à0à53 o"- 

■  '  î  '  P  20  à  3S .  </' 

moins  de20 d°  

Colon    fhints  ou  existent  des  sa/ac/eros 

La  Plata  Points  du  existent  des  FngoriPiques 

a        Bains  désinfectants  pub/ics  pour  la 
destruction  des  tiques 


65°  Lonq.W    6r 


I.A  PLA1N1-:  IWMPEEN.NE.  187 

En  1875,  il  est  évalué  à  5000000  de  têtes  pour  la  province 
de  Buenos  Aires.  Il  est  de  8  millions  et  demi  en  1889. 
Depuis  cette  date,  les  variations  ont  été  relativement 
modérées.  Le  recensement  de  1895  donne  7  700000  têtes; 
celui  de  1908,  10500000;  celui  de  1914,  9000000;  celui 
de  1915, 11  500000'.  Mais  la  valeur  de  ce  troupeau  a  con- 
tinué à  s'élever  rapidement.  Les  exportations  de  viande 
sur  pied,  qui  durèrent  de  1889  à  1900,  marquèrent  le  début 
delà  hausse  du  bétail.  Elle  s'accentua  surtout  du  jour 
où  les  frigorifiques  cessèrent  d'abattre  exclusivement 
des  moutons  et  commencèrent  à  acheter  des  bœufs.  Les 
exportations  de  viande  de  bœuf  congelée  ou  refroidie  se 
développent  à  partir  de  1898.  Leur  valeur  s'élève  à 
10000000  de  piastres  or  en  1904,  au  double  en  1909,  à 
près  du  quadruple  en  1914. 

La  différence  entre  le  prix  payé  par  les  frigorifiques 
pour  les  bêtes  de  race  et  le  prix  des  animaux  de  sang 
créole,  que  consomme  seulement  le  marché  local,  pré- 
cipite la  transformation  du  troupeau.  Pour  surveiller  la 
reproduction  et  ménager  le  pâturage,  les  estancias  mul- 
tiplient les  clôtures  de  fil  de  fer.  Mais  les  conditions  de 
l'élevage  sont  surtout  modifiées  par  l'introduction  des 
cultures  de  luzerne.  La  luzerne  se  répand  à  partir  de 
1895  dans  le  Sud  de  Cordoba  et  à  l'Ouest  de  la  province 
de  Buenos  Aires,  et  à  partir  de  1905  dans  une  partie 
de  la  province  de  San  Luis.  De  petites  luzernières  exis- 
taient déjà  depuis  longtemps  dans  la  province  de  Buenos 
Aires.  Une  description  de  la  fin  du  xviii"  siècle  signale, 
autour  de  la  ville,  des  luzernières  qui  étaient  réservées 
à  l'entretien  des  bœufs  d'attelage  et  des  bêtes  de  somme*. 


1.  Les  variations  du  troupeau  sont  moins  sensibles  pour  la  région 
pampéenne  que  pour  l'ensemble  du  territoire  argentin.  Elle  est  en 
elTet  mieux  pourvue  de  capitaux  que  les  autres  zones  d'élevage,  et 
répare  rapidement  les  pertes  causées  par  une  exportation  excessive, 
en  achetant  du  bétail  dans  les  provinces  voisines. 

2.  Fernando  Borrevo,  Descnpcion  de  las  provmcias  ciel  Rio  delà  PlaUi. 
Publié  par  le  Ministère  des  Affaires  étrangères  de  la  République 
Argentine,  Buenos  Aires,  1911. 


188  LA  RÉPUBLIOl  E  ARGENTINE. 

Mais  la  zone  d'où  partit,  à  la  fin  du  xix^  siècle,  la  culture 
de  la  luzerne  est  la  région  de  la  province  de  Cordoba, 
que  traverse  la  voie  ferrée  de  Rosario  à  Cordoba,  ache- 
vée dès  4870,versBeîIvilleet  Villa  Maria.  Lesluzernières 
n'y  furent  pas  créées  par  des  éleveurs  et  la  luzerne  y  fut 
destinée  primitivement  à  être  exportée  à  l'état  de  four- 
rage sec  vers  Rosario  et  Buenos  Aires;  le  commerce  du 
fourrage  sec  y  est  resté  actif;  le  recensement  de  1908 
donne  4 '28  kilomètres  carrés  de  luzerne  pour  la  coupe 
dans  le  département  de  Tercero  Abajo  (Villa  Maria),  et 
267  kilomètres  carrés  dans  le  département  de  Union 
(Bellville)'. 

La  luzerne  se  propagea  de  ce  point  vers  le  Sud  et  le 
Sud-Ouest;  l'amélioration  du' troupeau  a  progressé  de 
pair  avec  elle.  J'ai  indiqué  ailleurs  comment  cette  amé- 
lioration était  entravée,  au  Nord  d'une  ligne  qui  suit  le 
cours  du  Parana,  la  frontière  Nord  des  départements  de 
Constitucion  et  de  General  Lopez,  dans  la  province 
de  Santa  Fe  et  le  rio  Cuarto,  dans  la  province  de 
Cordoba,  par  la  présence  de  la  garrapate,  qui  inocule  au 
bétail  une  maladie  redoutable,  la  fièvre  du  Texas.  Le 
bétail  créole  est  immunisé  contre  la  piqûre  de  la  garra- 
pate, mais  les  bœufs  de  race  sélectionnée  y  succombent 
rapidement.  Pour  protéger  la  zone  méridionale  indemne 
où  la  garrapate  ne  se  reproduit  pas,  le  Gouvernement 
argentin  soumet  à  une  stricte  réglementation  les  trans- 
ports de  bétail  du  Nord  vers  le  Sud,  et  les  bœufs  doivent 
subir  des  bains  désinfectants  aux  stations  qui  jalonnent 
la  ligne  frontière.  Elle  coupe  en  deux  l'Argentine  pasto- 
rale. Tandis  que  les  bœufs  durham  du  Sud  sont  destinés 
aux  frigorifiques,  les  bœufs  créoles  du  Nord  continuent 
à  alimenter  les   saladeros,   qui   ont  disparu  à   Buenos 


1.  Parmi  les  industries  spécialisées  liées  au  développement  des 
luzernières,  il  faut  signaler  la  culture  de  la  luzerne  pour  la  semence, 
qui  s'est  cantonnée  dans  les  zones  sèches,  où  la  luzerne  est  moins 
envahie  par  d'autres  espèces;  par  exemple,  la  région  de  Medanos,  à 
l'Ouest  de  Bahia  Blanca. 


LA  P1AIM-:  PAMPKKNM:.  189 

Aires,  mais  se  mainlicnnenl  sur  l'Uruguay.  Pourlanl,  les 
avantages  du  croisement  avec  les  races  européennes 
sont  tels  que  les  éleveurs  du  Nord,  en  dépit  de  tous  les 
risques  et  de  tous  les  frais,  n'ont  pas  renoncé  à  le  réaliser. 
Mais  la  transformation  du  troupeau  ne  peut  être  que 
très  lente.  Les  reproducteurs  de  race  sonl  amenés  du 
Sud  et  tenus  à  létable;  leurs  produits,  nés  sur  place, 
résistent  mieux  à  la  fièvre  du  Texas  et  peuvent  être  mis 
au  pâturage.  Les  progrès  ont  été  plus  marqués  dans  la 
zone  contaminée  sur  la  rive  droite  du  Parana  que  dans 
Entre  Rios  et  Corrientes  :  des  animaux  de  race  ont  été 
introduits  à  Santa  Fe,  non  seulement  dans  la  région  des 
colonies,  mais  plus  au  Nord,  dans  l'angle  Nord  extrême 
delà  Pampa  (département  de  San  Cristobal)  colonisé  par 
desestancieros  venus  du  Nord  de  Buenos  Aires  et  du  Sud 
de  Santa  Fe,  et  chassés  par  les  progrès  de  la  culture  du 
maïs.  Ils  ont  importé  là,  sur  des  terres  neuves,  la  culture 
de  la  luzerne  et  les  méthodes  appliquées  sur  leurs  anciens 
domaines.  A  Corrientes,  au  contraire,  l'élevage  est  une 
industrie  historique  ;  le  personnel  des  estancias  est 
autochtone;  les  traditions  pastorales  n'ont  pas  été  renou- 
velées. 

Si  l'on  recherche  les  variations  qu'a  subies,  dans  les 
différentes  fractions  de  la  Pampa,  l'effectif  du  troupeau 
de  bœufs,  en  comparant  les  résultats  des  derniers  recen- 
sements, on  constatera  que  le  nombre  des  bœufs  s'est 
élevé  rapidement,  à  partir  de  1895,  dans  toute  la 
zone  orientale,  au  Nord  de  la  Sierra  de  Tandil. 
L'augmentation  est  surtout  notable  au  Nord  du  Rio 
Salado,  dans  le  domaine  de  l'industrie  laitière.  (Densité 
moyenne  en  1915,  40  à  00  bêtes  à  cornes  par  kilomètre 
carré.)  Dans  la  région  du  Sud-Ouest  (zone  du  blé),  la 
densité  est  toujours  restée  faible  (12  par  kilomètre  carré) 
et  elle  ne  tend  pas  à  s'accroître.  Dans  la  région  Nord- 
Ouest  de  Buenos  Aires  (zone  des  luzernières),  l'accrois- 
sement est  rapide  et  se  manifeste  surtout  entre  1895  et 
1908  (création  des  luzernières),  mais  il  ne  s'est  pas  inler- 


190  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

rompu  depuis  (densité  50  au  kilomètre  carré).  Le  même 
accroissement  s'observe  dans  tout  le  reste  de  la  région 
des  luzernières  sur  le  territoire  de  Cordoba,  de  San  Luis 
et  de  San  la  Fe,oîi  le  troupeau  double  entre  1895  et  1908. 
Deux  régions  seulement  ont  subi  une  réduction  :  la 
région  agricole  du  centre  (Ghacabuco,  Cliivilcoy),  où  la 
diminution  se  marque  à  partir  de  1895,  et  la  région  du 
maïs  (Nord  de  Buenos  Aires)  où  l'élevage  du  bœuf  n'a 
reculé  qu'après  1908. 


L'agriculture  avait  commencé  à  se  développer  dès 
la  fin  du  xviii"  siècle,  aux  environs  de  Buenos  Aires. 
Azara,  tout  en  constatant  la  prédominance  écrasante  de 
l'élevage,  signale  que  la  rive  droite  du  Parana  exportait 
des  farines  sur  la  rive  orientale,  exclusivement  pastorale. 
Borrero  observe  de  même  qu'entre  la  zone  des  vergers  et 
des  luzernes,  large  d'une  lieue,  qui  entourait  Buenos 
Aires,  et  la  zone  des  estancias  qui  ne  commençait  qu'à 
6  ou  8  lieues,  s'étendait  une  zone  agricole,  la  région  des 
('  chacras  de  pan  llevar  ».  La  culture  principale  était  le 
blé,  et  les  labours  étaient  pratiqués  surtout  dans  les 
terres  riches  en  humus  du  fond  des  vallées,  qui  portent 
dans  le  langage  local  le  nom  de  canadas  (canada  de 
Moron,  canada  du  rio  Lujan). 

Ce  n'est  pourtant  pas  à  Buenos  Aires,  mais  dans  la 
province  de  Santa  Fe,  que  débuta  au  xix"  siècle  la  coloni- 
sation aorricole  moderne.  Elle  remonte  à  la  fondation 
—  en  1854  —  de  la  colonie  d'Esperanza  à  l'Ouest  de 
Santa  Fe,  dont  elle  était  séparée  par  la  bande  de  forêt 
qui  suit  le  Salado.  Des  immigrants  Européens,  Suisses, 
Français,  Piémontais  y  furent  fixés.  Les  premières 
années  de  la  colonisation  à  Santa  Fe  furent  difficiles,  et 
les  colonies  ne  commencèrent  à  se  développer  rapide- 
ment qu'après  1870.  Vers  cette  date,  on  peut  distinguer 
à  Santa  Fe  trois  noyaux  de  colonisation  agricole  :  le 
premier  groupe  de  colonies  est  établi  au  Nord  sur  la 


l.A  PLAINE  PAMPÉENNE.  191 

rive  du  Parana.  Au  centre,  le  groupe  d'Esperanza  s'étend 
progressivement  vers  l'Ouest;  enfin,  un  troisième  groupe 
de  colonies  jalonne  la  ligne  du  chemin  de  fer  central 
argentin  de  Rosario  à  Cordoba. 

Les  colons  de  l'Esperanza  avaient  récolté  du  maïs  au 
début;  mais  la  prospérité  des  colonies  fut  liée  à  la  cul- 
ture du  blé.  Zeballos,  qui  visite  les  colonies  en  1882,  les 
dépeint  comme  un  immense  lac  de  blé.  Le  blé  ne  domine 
pas  seulement  dans  le  département  de  Las  Co-lonias,  à 
l'Ouest  de  Santa  Fe,  où  il  sest  toujours  maintenu,  mais, 
au  Nord,  à  Garay,  où  il  a  été  éliminé  depuis  par  le  lin  et 
l'arachide,  et  au  Sud,  autour  de  Rosario,  dans  la  zone 
aujourd'hui  exclusivement  consacrée  au  maïs.  C'est  pour 
le  blé  que  sont  construits  les  moulins  du  Carcarana  et 
les  greniers  de  Rosario.  La  superficie  ensemencée  en  blé 
à  Santa  Fe  s'élève  en  1882  à  102000  hectares  sur  un 
total  de  127000  hectares  de  cultures'.  En  1889,  l'étendue 
des  cultures  de  blé  est  quadruplée.  La  zone  des  cultures 
l'ait  tache  d'huile,  elle  atteint  à  l'Ouest  Rafaëla  et  Cas- 
tellanos.  En  1895,  les  progrès  ont  été  plus  rapides 
encore.  La  culture  du  blé  a  franchi  la  frontière  de  Cor- 
doba et  s'est  répandue  autour  de  San  Francisco  et  à 
l'Est  de  Mar  Chiquita  (Départements  de  San  Justo  et 
Marcos  Juarez).  Les  régions  agricoles  du  centre  de 
Santa  Fe  et  du  Central  Argentino  se  sont  rejointes,  et 
le  blé  a  envahi  tout  le  département  de  San  Martin.  Il 
s'étend  même  au  Sud  des  anciennes  colonies  du  Central 
Argentino  vers  le  Sud-Ouest  de  Santa  Fe,  dans  le  dépar- 
tement de  General  Lopez.  Le  recensement  de  1908  révèle 
des  conditions  très  différentes.  La  densité  des  cultures 
de  blé  a  continué  de  s'accroître  sensiblement  dans  toute 
la  région  Nord,  et  aussi  dans  le  Sud-Ouest  de  la  pro- 
vince, à  distance  du  Parana  (département  de  General 
Lopez).  Elle  a  diminué  au  contraire  dans  la  région  voi- 

1.  Population  des  colonies  de  Santa  Fe  en  J88^:  52  000  habitants 
dont  12  000  dans  les  colonies  du  San  Javier  au  Nord  de  la  ville  de 
Santa  Fe. 


% 


Vn  LA  RÉPUBLigrE  ARGENTINE. 

sine  de  Rosario  (départements  d'Iriondo,  de  Belgrano, 
de  Gaseros  et  de  Constitucion),  où  s'est  développée  la 
culture  du  maïs.  Le  maïs  a  conquis  une  partie  delà  zone 
du  blé. 


Culture 

du  blé  (en  k'°-). 

Culture 

du  niaïf 

(en  k-') 

^ ■  ^ 

-r,                      ail  - 

-— -   - 

' "^^ 

T^i          ^            ,■- 

^■- — — ^ 

Déparlemenls'. 

1889. 

1895. 

l'.t(»8. 

1889. 

1893. 

Î908. 

\>  Las  Colonias. 

\ 

1.025 

1.507 

1.021 

l 

82 

24 

51 

jl{  Castellanos  . 

s 

1.845 

3.425 

\ 

4 

7 

f:  S.  Jeronimo. 

\ 

00  i 

854 

849 

! 

05 

15 

204 

.:  S.  Martin  .    . 

004 

1.884 

22 

55 

■>"  Iriondo    .    .    . 

\ 

971 

929 

4i2 

l 
S 

05 

81 

041 

%  Belgrano.    .   . 

1.157 

058 

37 

290 

h  S.  Lorenzo.    . 

i 

052 

587 

1 .  590 

) 

178 

150 

1.109 

'"  Caseros  .    .    . 

1.159 

408 

\ 

85 

970 

Gai.    Lopez  . 

l 

12 

888 

1.570 

'. 

51 

575 

1.558 

,:ConsliluciQii  . 

\ 

227 

105 

575 

750 

X,  s.  Justo  .    .    . 

\ 

12 

752 

2.545 

l 

'i 

48 

7 

54 

r  M.  Juarez  .    . 

1.504 

1.442 

55 

92 

Limitée  au  Sud  par  l'exlension  de  la  zone  du  maïs,  la 
région  des  colonies  garde  aujourd'hui  parmi  les  zones 
agricoles  de  la  Pampa  un  caractère  très  distinct.  Son 
originalité  tient  moins  à  ses  cultures  (blé  dur  et  lin)  qu'à 
l'ancienneté  de  la  colonisation  et  à  la  division  de  la  pro- 
priété. Les  colons  y  sont  en  majorité  propriétaires,  et 
les  domaines  de  50  à  200  hectares  y  sont  la  règle.  Les 
habitations  y  sont  confortables  ;  elles  s'entourent  de 
vergers  et  de  potagers.  En  outre,  l'économie  rurale  s'est 
compliquée  et  elle  a  pris  una.spect  familier  pour  l'obser- 
vateur européen  par  l'introduction  de  l'élevage  pratiqué 
en  petit  par  les  agriculteurs.  Le  nombre  des  bêtes  à 
cornes  a  doublé  entre  1908  et  1914  dans  le  département 
de  Castellanos,  et  augmenté  d'un  tiers  dans  celui  de  Las 
Colonias.  La  superficie  des  luzernières  s'est  étendue 
proportionnellement;  elles  se  sont  multipliées  dans  les 

1.  Les  noms  des  départements  qui  appartiennent  en  entier  à  la 
région  du  maïs  sont  en  italique;  le  département  de  San  Jeronimo 
est  à  cheval  sur  la  région  du  maïs  et  la  région  des  colonies.  Le  ter- 
ritoire de  General  Lopez  s'étend  de  même  vers  le  Sud-Ouest  bien 
au  delà  de  la  limite  de  la  région  du  maïs. 


LA  PLAINt:  PAMPÉENNE.  105 

terres  basses,  «  cafladas  »,  impropres- au  blé,  que  les 
premiers  colons  avaient  dédaignées,  et  qui  sont  consi- 
dérées aujourd'hui  comme  les  parcelles  les  plus  pré- 
cieuses. La  hausse  récente  de  la  valeur  des  terres  dans 
la  région  des  colonies  répond  non  à  une  augmentation 
de  la  production  agricole,  mais  au  développement  de 
Télevage.  Quelques  coopératives  de  laiterie  ont  été 
créées.  En  général  pourtant,  l'élevage  vise  seulement  à 
la  production  de  la  viande.  Le  commerce  du  bétail 
s'exerce  selon  des  méthodes  très  différentes  de  celles  qui 
conviennent  aux  régions  de  grandes  propriétés  et 
d'estancias;  il  est  resté  aux  mains  de  petits  marchands 
(juifs  de  Moïsesville). 

La  colonisation  agricole  dans  la  province  de  Buenos 
Aires  est  au  début  entièrement  indépendante  de  la  colo- 
nisation de  Santa  Fe.  Les  cultures  de  la  région  voisine 
de  Buenos  Aires  ne  disparurent  jamais  entièrement  : 
dans  la  période  à  laquelle  se  rapporte  le  tableau  que 
Daireaux  a  tracé  de  la  vie  économique  de  la  Pampa 
(1880-80), les  labours  disputaient  à  l'élevage  une  zone  de 
10  lieues  de  rayon  autour  de  la  capitale;  mais  l'élevage 
du  mouton  ne  laissait  aucune  place  à  l'agriculture  dans 
la  zone  suivante  qui  entourait  de  toutes  parts  la  première, 
et  s'étendait  jusqu'à  proximité  du  Salado.  La  colonisa- 
tion agricole  n'avait  trouvé  de  terres  libres  qu'au  delà 
du  domaine  des  bergeries,  à  200  kilomètres  à  l'Ouest  de 
Buenos  Aires,  autour  de  Chivilcoy,  de  Chacabuco  et  de 
Brag.tdo.  Dès  1872,  la  région  de  Chivilcoy  produisait 
150  OOO  hectolitres  de  blé,  près  de  la  moitié  de  la  produc- 
tion totale  de  la  province  de  Buenos  Aires.  En  1889,  elle 
forme  une  tache  agricole  déjà  relativement  dense,  la 
superficie  cultivée  étant  consacrée  par  moitié  au  blé  et 
au  maïs. 

Blé.  Maïs. 

Chivilcoy 307  k"'*  399  k"'* 

Cliacabuco 155    —  1G4  — 

Bragado 147    —  201    - 

Denis.  —  L'Argentine.  lô 


104  LA  RÉPUBLIt>UE  ARGENTINE. 

A  la  même  date,  tout  l'Ouest  et  le  Sud  de  la  province 
de  Buenos  Aires  est  exclusivement  pastoral.  Deux 
noyaux  isolés  de  colonisation  agricole  y  apparaissent 
seulement,  le  premier  autour  d'OIavarria^  sur  rancienne 
fronlière  indienne,  où  des  colonies  de  Russo-Allemands 
avaient  été  établies  en  1878;  le  deuxième,  dans  le  dépar- 
tement de  Suerez,  à  rextrémilé  Nord  de  la  Sierra  de  hi 
Ventana,  où  un  groupe  de  colons  français  s'établil 
cinq  ans  plus  tard,  à  Piguë'.  L'ouverture  de  la  ligne  de 
Buenos  Aires  à  Baliia  Blanca  paraissait  devoir  préparer 
dans  ce  secteur  la  route  à  la  colonisation  agricole.  Le 
recfr'nsement  de  1895  démontre  l'échec  de  ces  premières 
tentatives  de  culture  dans  le  Sud.  Les  labours  ont 
diminué  de  moitié  à  Suarez  ;  des  trois  quarts  à  Olavarria. 
Si  les  colons  de  Piguë  ont  réussi  à  se  maintenir  sur  leurs 
terres,  ceux  d'Oiavarria  les  ont  abandonnées  et  ont 
émigré  pour  la  plupart  h  destination  de  la  province 
d'Entre  Bios. 

La  colonisation  avait,  au  contraire,  conservé  le  terrain 
conquis,  dans  la  région  du  moyen  Salado,  et  elle  s'étend 
d'une  façon  sporadique  vers  le  Sud-Ouest  et  l'Ouest 
(Nueve  de  Julio,  252  kilomètres  carrés  de  blé  et  400  de 
maïs;  Veinte  Ginco  de  Mayo,  84  kilomètres  carrés  de  blé 
et  218  de  maïs;  Junin,  197  kilomètres  carrés  de  blé  et 
204  de  maïs  en  1895).  Elle  s'y  est  maintenue  depuis,  sans 
progrès  rapide,  et  sans  que  l'élevage  ait  été  éliminé. 
C'est  une  des  régions  de  la  Pampa  où  se  trouvent  mêlés 
le  plus  étroitement  les  types  les  plus  différents  d'exploi- 
talion  rurale.  La  colonisation  agricole  y  a  été  réalisée 
tantôt  par  des  petits  propriétaires,,  tantôt  par  des  fer- 
miers ou  des  métayers.  L'association  du  maïs  et  du  blé 
parait  stable,  et  le  climat  est  également  favorable  aux 
deux  cultures,  la  récolte  du  maïs  étant  meilleure  lorsque 
l'été  est  humide,  celle  du  blé  lorsque  l'été  est  sec.  Les 

1.  Cultures  de  blé  en  1889,  dans  le  département  d'Oiavarria,  510  ki- 
lomètres carrés;  dans  le  département  de  Suarez,  118  kilomètre?; 
carrés. 


LA  PLAINE  PAMPÉExNNE.  1H5 

lieux  céréales  se  surcèdent  lune  à  Tauti'e  sur  les  mêmes 
terres,  par  une  véritable  rotation,  le  blé  profitant  des 
sarclages  et  netloyages  répétés  qu'exige  le  maïs.  Les 
colons  emploient  au  labour  des  bœufs  qu'ils  engraissent 
ensuite*. 

La  colonisation  agricole  dans  la  région  desluzernières 
date  de  1895  à  1905  : 

Cultures  de  bk'  Cullure'^  de  lin 

(en  k-*).  {en  k-*). 

1895.  1908.  189:i.    '"^TÎiÔsr 

R.  A.  Lincoln 152  819  »  100 

Pehuajo 406  727  »             . 

Guaraini 20  528  »              » 

Tronque  Lauquen.  100  1.459  »              .^9 

Villegas A  812  1              84 

Pinto .  469  »              60 

Conloba.  Gii\.  noc» »  1.009  »  K9 

Rio  Quarto  ....  5  1.156  .  17-2 

Juarez  Celman   .    .  144  1.679  .  185 

Union 375  2.548  12  516 

J'ai  indiqué  comment  elle  était  liée  au  développemeni 
même  des  luzeniières.  L'extrême  Ouest  de  la  zone  des 
luzernières  (département  de  Pedernera,  San  Luis)  est  le 
.seul  point  où  la  superficie  des  cultures  reste  réduite.  Les 
contrats,  par  lesquels  les  estancieros  confient  b-urs  t«^rres 
aux  colons,  à  charge  de  les  restituer  ensemen(  ées  en 
luzerne,  se  sont  progressivement  modifiés  à  mesure  que 
le  courant  de  colonisation  se  développait.  La  terre  a 
d'abord  été  abandonnée  au  colon  sans  loy(T,  le  seul 
profit  de  Testanciero  étant  la  création  des  luzernières. 
A  mesure  que  le  courant  d'immigration  a  pris  i»lusde 
volume  et  la   concurrence  entre  colons  plus  d"âpiet€, 


1.  Aniraaui  de  travail  en  1^8,  k  Chivilcoy  :  bœufs,  17  00',  chevaux. 
lOOnO;  à  Junin  :  bœufs,  15000,  chevaux, GOOu";  à  Nueve  de  .Julio  :  liœuft;. 
15000,  chevaux.  WJOo.  Dana  la  région  des  colonies  de  Santa  Fe,  à  r.as- 
tellanos  :  bœufs,  ITOOi»,  chevaux.  ôlOOO;  à  Las  Colonias  :  bœufs.  0000. 
chevaux,  55  000.  Dans  la  région  du  blé  (Sud  de  Buenos  Aires);  à 
Puan  :  chevaux,  'i'J  UOO,  bœufs,  néant.  A  las  Sierras  :  chevaux,  UnOO, 
•ceufs,  n^ant. 


li'G  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTL\E. 

l'estanciero  a  réclamé  d'eux  un  fermage  plus  élevé.  Des 
contrats  analogues  servent  en  outre  à  la  reconstitution 
des  luzernières  fatiguées  par  le  pâturage,  de  sorte  que 
la  terre  est  périodiquement  rendue  à  la  charrue.  Les 
dé.fricheurs  de  la  zone  des  luzernières  ont  été  recrutés 
en  majorité  dans  la  région  des  anci<  unes  colonies  de 
Santa  Fe,  où  une  génération  nouvelle  commençait  à  être 
à  l'étroit.  Les  cultures  qu'ils  pratiquent  pendant  les 
quatre  ou  cinq  années  de  leur  bail,  sont  choisies  sans 
souci  de  ménager  des  terres  qu'ils  ne  conserveront  pas, 
et  le  blé  y  succède  au  blé,  la  première  et  la  dernière 
récolte  étant  souvent  réservées  au  lin.  La  proportion  du 
lin  diminue  seulement  dans  la  zone  sud  des  luzernières. 
Il  arrive,  dans  la  province  de  Buenos  Aires,  que  le  colon 
lui-même  cultive  de  la  luzerne  à  son  compte,  soit  pour 
vendre  le  fourrage  sec,  soit  pour  faire  de  l'élevage  ou  de 
l'engraissage. 

La  colonisation  n'a  pas  correspondu  ici  à  la  division 
de  la  propriété.  Non  seulement  le  cultivateur  ne  devient 
pas  propriétaire  du  sol,  mais  il  ne  s'y  fixe  pas  à  demeure 
et  reste  un  véritable  nomade.  L'habitation  a  un  carac- 
tère provisoire  qui  frappe  au  premier  regard.  La  super- 
ficie cultivée  est  actuellement  à  peu  près  stable,  si  l'on 
considère  l'ensemble  de  la  région.  Mais  la  colonisation 
agricole  se  transporte  périodiquement  d'un  secteur  à 
l'autre  et  détermine,  par  ses  déplacements,  de  brusques 
à-coups  dans  le  trafic  des  stations  de  chemins  fer  ou 
dans  le  développement  des  centres  urbains. 

Comme  elle  a  été  peuplée  de  Santafecinos,  la  région 
des  luzernières  a  fourni  h  son  tour  des  colons  pour  la 
zonf^  agricole  occidentale  du  pied  des  sierras  de  San  Luis 
et  de  Cordoba,  où  ils  trouvent  des  conditions  climatolo- 
giques  moins  favorables,  mais,  la  terre  ne  leur  étant  pas 
disputée  par  les  éleveurs,  l'avantage  d'une  plus  grande 
stabilité. 

Tandis  que  la  colonisation  agricole  a  été  une  auxiliaire 
de   la  colonisation   pastorale   dans    le    Nord-Ouest  de 


DeM:- 


LAiy:riitiiii 


l'i.  IV 


65' long  W  P. 


60°        30^ 


60° Long. W  Gr. 


Densité  des  cultures  de  maïs. 


Exifreant  |)Ius  de  chaleur  et  plus  d  iiumidilé  (pie  le  l>ié.  le  maïs  s'avance  iimiiis  loin  vers 
i   rOiiesl  et  vers  le  Sud.  Il  se  cnncentre  pour  l'e.vporlal  ion  aux  |)orls  du  Hio  de  la  IMala  et  du 
Parana,  et  surtout  à  Kosario.  La  zone  de  grande  culture  du  maïs, le  «  cornbell  aryenlin  », 
s'étend  en  arrière  de  Rosario  et  de  San  Nicolas  jusqu'au  delà  de  Casilda  et  de  Pergamino. 


LA  PLAINE  PAMPÉENNH.  197 

Buenos  Aires,  au  Nord-Esl,  au  contraire,  el  au  Sud, 
dans  les  deux  grandes  zones  du  maïs  et  du  blé,  Tagri- 
cullure  lend  à  éliminer  l'élevage  ou  à  limiter  son  champ 
d'action.  La  cullure  du  maïs  est  partie  de  la  rive  du 
Parana.  où  elle  est  déjà  prédominante  en  1889,  entre 
Campana  au  Nord  de  Buenos  Aires  et  San  Nicolas. 
En  \S\K^  elle  a  remonté  le  Parana  jusqu'à  la  province  de 
Sanla  Fe  (Constitucion)  et  s'est  répandue  dans  lintérieur 
jusqu'à  80  kilomètres  dans  le  département  de  Salto. 
Dans  les  années  suivantes,  elle  progresse  rapidement 
vers  rOuest  et  le  Nord-Ouest,  couvrant  les  départements 
de  Pcrgamino,  Hojas,  Colon,  et  à  Santa  Fe  une  partie 
de  General  Lopez,  de  San-Lorenzo  et  de  Constitucion. 


^_Cu 
1889. 

Itures  (le  maïs. 

Cil 
18S9. 

iltures  de 
"^895^^ 

lin. 

1895. 

1908. 

'^1908. 

Campana  .    . 

f.7 

45 

22 

15 

51 

17 

Bai-atlero  .    . 

559 

260 

291 

26 

58 

175 

S.  Pedro  .   . 

598 

555 

420 

5 

73 

235 

Arrecifos  .    . 

i'U 

126 

155 

15 

50 

265 

Salto  .    .    .    . 

16 
51 

326 
375 

256 
1.558 

15 

» 

3 

70 

75 

Gai  Lopez.    . 

1 

752 

Constitucion. 

575 

756 

> 

270 

404 

Pergam  no    . 

108 

160 

540 

50 

50 

275 

Roja.s  .    .    .    . 

86 

81 

247 

4 

23 

275 

Colon  .    .   ,    . 

s 

4i 

126 

> 

14 

78 

S.  Lorenzo  . 

l 
S 

178 

150 

1.169 

H 

36 

450 

Ca^eros .   .    . 

> 

85 

990 

> 

15 

319 

C'est  en  1805  que  débutent  les  grandes  exportations 
de  maïs  argentin.  La  culture  du  lin  ne  s'est  ajoutée  à 
celle  du  maïs  que  depuis  19(>0. 

Les  terres  lourdes  exigent  des  hersages  répétés;  le 
sarclage  du  maïs,  sa  récolte,  occupent  une  main-d'œuvre 
relativement  dense.  Les  exploitations  sont  restreintes, 
souvent  de  50  hectares,  La  propriété  ne  s'est  pas  divisée 
au  moment  de  la  colonisation,  la  terre  ayant  acquis  déjà, 
grâce  à  l'élevage,  une  valeur  trop  considérable  [)Oui- 
pouvoir  être  achetée  par  les  colons.  Sur  les  terres  qui 
lui  ont  éléatîermées,  s'est  multiplié  un  prolétariat  rural, 


19g  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE, 

souvent  indocile.  La  région  du  maïs  est  celle  où  se  sont 
produites  les  grèves  agricoles  les  plus  sérieuses.  Les 
conflits  entre  propriétaires  et  colons  se  prolongent 
d'autant  plus  longtemps  que  les  semailles  du  maïs  peu- 
vent être,  sans  grand  inconvénient,  retardées  jusque 
vers  la  fin  du  printemps.  La  zone  voisine  du  Parana  a 
fourni  une  partie  des  maiseros  qui  se  sont  répandus 
vers  le  Nord-Ouest.  Mais  les  colonies  récentes  com- 
prennent, en  outre,  une  forte  proportion  d'immigrants 
récemment  débarqués  d'Italie  et  d'Espagne.  La  popu- 
lation des  cultivateurs  de  maïs  ne  s'est  pas  mélangée 
avec  celle  des  cultivateurs  de  blé,  chacune  d'elles  éten- 
dant parallèlement  son  domaine. 

L'expansion  de  la  culture  du  blé  dans  le  Sud  date  de 
1898  seulement  : 

Cultures  de  Jblé 

(en  k"-). 

1895.  1908. 

Alsina 45  1.296 

Puan 52  1.521 

Suarez 104  978 

La  Madrid 75  249 

Pringles 15  724 

Dorrego »  885 

Tcrr.  de  la  Pampa »  1.731 

Le  blé  s'est  répandu  d'abord  sur  le  parcours  de  la 
ligne  de  Buenos  Aires  à  Bahia  Blanca,  à  l'Ouest  de  la 
Sierra  de  la  V^entana,  puis  dans  la  zone  côtière,  à  l'Est 
de  Bahia  Blanca  ;  ces  deux  zones  de  production  de  blé 
se  sont  soudées  l'une  à  l'autre,  après  1904,  lorsque  la 
construction  de  la  ligne  directe  d'Olavarria  à  Buenos 


Pl.  V.  —  Deasitl  de.s  coltcres  de  iîlé. 

La  zone  du  blé  setend  en  un  large  arc  de  cercle  de  Bahia  Blanca  à  Santa  Vv, 
où  remonte  aujourd'hui  la  navigation  maritime.  La  culture  du  blé  franchit  l.'i 
couri>e  de  600  millimètres  de  pluie,  et  même  celle  de  4(K)  millimètres,  à  mesure 
qu'on  passe  du  domaine  des  pluies  d  été  au  domaine  des  pluies  de  printemps  c\ 
(l'automne. 


I>^:^l^.  —  L  Argeiiliiif 


l'i.  V 


65°     Long  W    P 


^^^  UO  à  50  p.  loo  de  fa  super/ïc/e 
^^^  tota/e  cu/tivée  en  b/é 

^^  20  j  33  p  loo 

[^/^  a  /9  p  ,oo 

I  !  1 1  !  I  5   à   9  p.  ,00 

I  I  moins  </e  S  p  lOO 

Échelle 


60°    Lon.qW    Gi- 


lA  PLAINE  PAMPEENNE.  lOU 

Aires  permit  la  mise  en  valeur  de  la  région  intermédiaire 
Pringles-Laprida).  De  Bahia  Blanca,  la  culture  du  blé 
s'est  étendue  également  vers  l'Ouest  et  le  Nord-Ouest 
sur  la  lijrnede  Toay,  et  vers  le  Sud  jusqu'au  Colorado  sur 
le  lilloral.  Dans  tout  le  territoire  de  la  Pampa  central, 
il  est  encore  aujourd'hui  possible  de  distinguer  deux 
couches  de  population  immigrées  à  des  dates  différentes, 
— •  et  qui  se  sont  superposées  l'une  à  l'autre,  —  celle  des 
éleveurs  de  moutoms,  et  celle  den  agriculteurs.  Autour 
de  Toay,  le  contraste  entre  ces  deux  éléments  de  la  po- 
pulation est  d'autant  plus  frappant  que  la  première 
colonisation  pastorale,  qui  date  de  1890,  avait  été  pour 
une  large  part  l'œuvre  de  créoles  «  puntanos  »  (de  la 
province  de  San  Luis).  Les  colonies  agricoles  actuelles 
comprennent  des  Européens  immigrés  récemment  et 
des  colons  venus  d'autres  parties  de  la  province  de 
Buenos  Aires  et  d'Entre  Rios. 

Le  rendement  du  blé  est  de  plus  en  plus  faible  à  me- 
sure qu'on  avance  vers  l'Ouest.  La  récolte  peut  être 
compromise  soit  par  des  gelées  tardives,  soit  par  la 
sécheresse,  et  notamment  par  des  coups  de  vent  chaud 
qui,  dans  les  semaines  qui  précèdent  la  moisson, grillent 
les  plantes  et  anéantissent  des  espérances  déjà  presque 
réalisées.  Mais  la  médiocrité  du  rendement  est  com[)en- 
sée  par  l'étendue  des  exploitations  et  la  faiblesse  des 
dépenses  en  main-d'œuvre.  La  récolte  est  faite  souvent 
au  moyen  de  machines  égreneuses  qui  ensachent  le 
grain,  et  le  colon  n'est  pas  contraint,  comme  à  Santa  Fe, 
d'attendre  le  passage  de  la  batteuse.  La  sécheresse 
exclut  la  culture  du  lin,  mais  l'avoine  réussit,  surtout 
entre  la  Sierra  de  la  Ventana  et  la  Sierra  de  Tandil,  et 
convient  aux  terres  fatiguées  par  des  récoltes  de  blé 
consécutives.  Les  exportations  d'avoine  par  Bahia  Blanca 
ont  débuté  en  1!)0(). 

L'éliminai  ion  de  l'élevage  par  la  culture  est  beaucoup 
moins  complète  que  dans  la  région  du  maïs.  L'avoine, 
semée  dès  le  début  de  l'automne,  sert  de  plante  fourra- 


200  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

gère;  les  animaux  y  sont  tenus  l'hiver,  et  l'avoine  fau- 
chée est  mise  en  meule,  sans  être  battue,  comme  réserve 
de  fourrage.  En  outre,  les  cultivateurs  de  blé  eux-mêmes 
ont  adopté  l'élevage  du  mouton,  et  les  moulons  paissent 
les  chaumes  et  les  jachères. 


Ce  résumé  de  l'histoire  de  la  colonisation  met  en  lu- 
mière quelques  conclusions  essentielles.  Au  moment  où 
commença  la  colonisation  agricole,  on  admettait  que 
l'agriculture  représentait  une  forme  supérieure  d'exploi- 
tation du  sol,  et  que  la  Pampa  passerait,  dans  un  délai 
plus  ou  moins  long,  du  cycle  pastoral  au  cycle  agricole, 
ou,  pour  employer  le  langage  local,  que  la  «  colonie  » 
succéderait  partout  à  l'estancia.  Cette  idée  était  peu 
fondée  :  la  seule  région  où  les  faits  paraissent  actuel- 
lement la  confirmer  est  la  région  du  maïs.  La  règle 
générale  est  au  contraire  que  le  progrès  de  la  coloni- 
sation développe  un  type  d'exploitation  mixte  où  l'agri- 
cullure  et  l'élevage  sont  représentés,  soit  que  l'une 
alterne  avec  l'autre  en  une  sorte  de  rotation  périodique, 
comme  dans  la  région  des  luzernières,  soit  que  l'asso- 
ciation soit  plus  étroite  encore  et  que  les  agricu  teurs 
fassent  à  l'élevage  une  place  dans  leurs  occupations, 
comme  dans  la  région  des  colonies  de  Santa  Fe  ou  dans 
la  région  du  blé,  au  Sud  de  la  province  de  Buenos 
Aires. 

Il  apparaît  en  outre  que  le  développement  de  la  colo- 
nisalion  dépend  non  seulement  des  conditions  physiques, 
mais  de  facteurs  d'ordre  purement  économique  ou  social 
que  le  géographe  ne  peut  négliger.  11  suffira  de  signalei- 
ici  les  principaux. 

On  a  vu  le  rôle  joué  dans  la  mise  en  valeur  du  sol  par 
les  groupes  de  colons  qui  essaiment  d'une  zone  à  l'autre  : 
qu'il  s'agisse  des  estancieros  de  la  région  orientale  de 
Buenos  Airos  qui  s'implantent  à  Cordoba,  ou  dans  le 
Nord    de    Santa   Fe,    des  éleveurs  de  moutons  qui  se 


I-\  PLAINE  PAMPÉKNNK.  501 

déplacent  vers  l'Onesl,  ou  des  colons  de  Santa  Fe  qui 
s'établissent  dans  la  région  des  luzernières,  ces  groupes 
transporlenf  avec  eux  leurs  habitudes  et  leurs  méthodes 
d'exploitation  et  ne  les  adaptent  que  progressivement  k 
un  milieu  nouveau. 

Le  colon,  éleveur  ou  agriculteur,  n'est  pas  livré  à 
lui-même.  La  colonisation  est  soutenue  et  dirigée  par 
la  spéculation  sur  les  terres  et  elle  subit  son  influence. 
La  spéculation  escompte  le  travail  du  colon  et  attribue 
aux  ferres  une  valeur  qui  n'est  pas  fondée  sur  le  revenu 
qu'elles  ont  produit,  mais  sur  celui  que  le  spéculateur 
estime  qu'elles  pourront  produire  dans  l'avenir.  Si  le 
spéculateur  est  hardi,  il  ne  se  laisse  pas  décourager  par 
les  premières  expériences  malheureuses,  et  il  faut  des 
échecs  répétés  pour  venir  à  bout  de  son  optimisme. 
Le  colon  peut,  même  si  ses  comptes  de  culture  ne  se 
règlent  pas  à  son  [u-ofit,  réaliser  un  bénéfice,  si  la  valeur 
de  sa  terre  s'accroît.  L'augmentation  de  son  capital  lui 
dissimule  la  médiocrité  de  son  revenu,  d'autant  plus 
qu'il  obtient  aisément  des  banques  hypothécaires  des 
avances  sur  la  valeur  de  sa  propriété  qui  lui  permettent 
de  monnayer  annuellement  cette  richesse. 

La  spéculation  porte  surtout  sur  les  terres  neuves,  à 
la  périphérie  de  la  zone  déjà  colonisée,  où  le  sol  est 
déjè,  en  règle  générale,  entre  les  mains  des  exploitants 
eux-ménjes.  Les  spéculateurs,  qui  ont  payé  ces  terres 
un  prix  élevé,  cherchent  à  en  organiser  l'exploitation. 
C'est  en  partie  gv^cc  à  leur  influence  que  la  colonisa- 
tion étend  sans  cesse  son  domaine,  au  lieu  de  concentrer 
son  labeur  sur  les  régions  anciennement  occupées,  où 
il  j)Oiirr;iit  parfois  être  plus  productif.  La  spéculation 
sur  les  ter' es  agit  enfin  profondément  sur  les  conditions 
de  la  colonisation,  en  rendant  plus  difficile  au  colon 
l'achat  des  terres  qu'il  exploite.  Le  propriétaire  qui  les 
lui  concède  entend  garder  pour  lui  le  profit  de  la  hausse 
du  sol  ;  il  le  loue  et  ne  le  met  pas  en  vente. 

L'histoire  de  la  colonisation  ne  peut  donc  pas  être 


•202  LA  REPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

séparée  de  celle  du  commerce  des  terres.  Les  caracîères 
particuliers  de  ce  commerce  dans  la  région  pampéenne, 
sa  concentration  à  Buenos  Aires,  l'établissement  d'un 
marché  des  tenues,  analogue  à  un  véritable  marché  de 
titres,  les  procédés  de  vente  par  annuités,  qui  permet- 
tent aux  plus  petits  capitalistes  de  s'intéresser  à  la  spé- 
culation, les  mutations  répétées  de  parcelles  que  leurs 
acheteurs  n'ont  pas  visitées  et  ne  connaissent  que  par 
leur  plan,  sont  l'un  des  aspects  les  plus  originaux  de 
l'Argentine  moderne;  ils  s'expliquent  d'ailleurs  en  pnrtie 
par  un  fait  d'ordre  géographique  :  l'uniformité  de  la 
plaine  pampéenne,  où  toute  terre  vaut  à  peu  près  la 
terre  voisine. 

La  colonisation  est  d'autant  plus  aisée  et  plus  rapide 
qu'elle  exige  moins  de  capitaux  et  moins  de  main-d'œu- 
vre. L'expansion  de  l'élevage  vers  l'Ouest  entre  1(S80  et 
1890  fut  facilitée  par  la  faible  valeur  marchande  des 
bœufs  pendant  cette  période.  L'élevage  a  sur  l'agricul- 
ture l'avantage  de  se  contenter  d'un  personnel  moins 
nombreux,  mais  il  nécessite  un  capital  plus  considé- 
rable. Parmi  les  cultures,  les  conditions  de  sol  et  de 
climat  étant  supposées  également  favorables,  le  blé 
convient  mieux  à  la  colonisation  que  le  maïs,  parce  que 
la  préparation  du  terrain  et  la  récolte  se  font  selon  des 
procédés  plus  rapides  et  que  le  même  nombre  de  bras 
peut  cultiver  en  blé  une  superficie  plus  étendue  qu'en 
maïs. 

Le  rôle  du  gouvernement  argentin  et  des  administra- 
tions provinciales  a  été  restreint,  sauf  dans  la  première 
période  de  l'établissement  des  colonies  à  Santa  Fe,  tant 
dans  le  recrutement  et  l'introduction  des  immigrants 
que  dans  la  distribution  des  terres  et  l'administration 
des  colonies'.   La  colonisation   est  restée,  en  général, 

1.  La  loi  des  <■  Centres  Agricoles  »,  passée  en  1887  par  la  Province 
•le  Buenos  Aires  pour  faToriser  la  colonisation,  n'a  pas  eu  de  résul- 
tats heureux.  Aux  termes  de  cette  loi,  les  propriélaires  qui  décla- 
raient consacrer  leurs  terres  à  la  colonisation  recevaient  une  avance 
?^ur  la  \-aleur  de  ces  terres  sous   la  forme  de  cédules  hypothécaires. 


LA  PLAINE  PAMPÉENNi:.  200 

une  alTaire  privée.  Le  rôle  d'enlrepreneur  de  colonisa- 
lion  a  été  joué  parfois  par  les  propriétaires  eux-mêmes, 
qui  vendaient,  à  terme  des  lots,  et  retiraient  ainsi  de  leurs 
terres  un  prix  avantageux,  en  même  temps  rpi'ils  favo- 
risaient, en  accroissant  la  densité  de  la  population,  la 
plus-value  des  parcelles  qu'ils  conservaient;  parfois,  par 
des  Compagnies  de  colonisation  qui  achetaient  des 
domaines  pour  les  diviser  et  les  vendre  ;  plus  souvent 
par  des  commerçants  qui  font  crédit  aux  colons  qu'ils 
ont  établis,  à  condition  que  ces  colons  se  fournissent 
chez  eux  et  leur  confient  la  vente  de  leurs  récoltes. 
L'essaimage  des  colons  de  Santa  Fe  a  été  en  partie 
déterminé  et  soutenu  par  une  migration  parallèle  des 
commerçants  enrichis  dans  les  colonies  les  plus  an- 
ciennes, et  qui  ont  ainsi  étendu  leur  clientèle.  Le  com- 
merçant entrepreneur  de  colonisation  devient  fréquem- 
ment l'intermédiaire  entre  le  propriétaire  et  le  colon, 
garantissant  au  premier  une  rente  fixe  de  ses  terres,  et 
recueillant  du  second  un  tant  pour  cent  de  sa  récolle. 
Cette  organisation  est  particulièrement  répandue  dans  la 
région  du  maïs,  mais  elle  est  courante  dans  toute  la 
plaine  pampéenne.  Elle  tend  ù  disparaître  lorsque  la 
colonisation  est  plus  ancienne  et  mieux  enracinée,  le 
colon  réussissant  peu  à  peu  à  conquérir  son  indépen- 
dance, tant  pour  l'achat  de  son  cheptel,  de  son  matériel 
et  de  ses  fournitures,  que  pour  la  vente  de  ses  récoltes. 
Dans  les  zones  où  il  n'est  pas  devenu  propriétaire,  les 
contrats  de  location  du  sol  varient  entre  les  deux  types 
suivants  :  le  fermage,  lorsque  le  colon  dispose  du  capi- 
tal nécessaire  à  l'exploitation,  et  le  métayage,  ou  con- 
trat à  part,  lorsque  ce  capital  est  fourni  par  le  proprié- 
taire ou  l'entrepreneur. 

Enfin  la  colonisation  ne  peut  progresser  que  si  elle 


l'intérêt  et  ramortissemenl  des  cédules  étant  à  la  charge  des  colons. 
Beaucoup  de  propriéUires  proûtèt^nt  des  avantages  que  leur  offrait 
l;i  loi,  mais,  après  un  simulacre  de  colonisation,  conservèrent  la 
propriété  de  leurs  IciTes. 


'i04         lA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

trouve  un  marché  où  placer  ses  produits.  Le  marché 
principal  des  laines,  des  cuirs,  des  viandes  et  des  cé- 
réales de  la  région  pampéenne  a  été  jusqu'ici  l'Europe 
occidentale;  l'Amérique  Iropicale  absorbe  une  partie  de 
la  production  des  saladeros,  des  farines  el  des  fourrages 
secs,  et  l'Amérique  du  Nord  a  commeMcé  depuis  peu  à 
disputer  à  l'Europe  les  laines,  les  cuirs  et  les  viandes 
frigorifiées.  La  facilité  avec  laquelle  les  produits  de  la 
Pampa  se  sont  écoulés  sur  le  marché  mondial,  qui  se 
traduit  par  la  stabilité  relative  de  leurs  cours,  explique  la 
continuité  de  la  colonisation  et  la  brièveté  des  crises  qui 
en  ont  entravé  l'essor. 

Tableau  des  exportations  des  principaux  produits  de  la 
région  pampéenne  [en  milliers  de  tonnes):    ■ 

1901.  190.Ï.  1910.  1013.  191i. 

Blé 904  '2.868  1.883  2.812  980 

Maïs.    ......  1.H2  2.222  2.ti60  4.80ti  3.542 

Lin 338  654  604  1.016  841 

Farine 71  144  115  124  67 

Laine 228  191  150  UO  117 

Cuirs  salés.   ...  28  40  61  65  65 

Cuirs  séchés  .    .    .  26  24  29  21  14 

Bœuf  congelé  .    .  44  152  253  3'  6  368 

Moulon  congelé  .  63  78  75  45  58 

Le  chapitre  des  céréales  apparaît  en  1882  dans  les 
ptalistiques  de  l'exporlation  argentine;  en  1900,  la 
valeur  des  produits  agricoles  exportés  égale  celle  des 
produits  de  l'élevage;  en  1904  elle  la  surpasse. 

Le  marché  intérieur  a  eu  pourtant  pour  la  colonisation 
une  importance  qui  n'est  pas  négligeable.  Lorsque  la  cul- 
ture du  blé  se  répandit  à  Santa  Fe,  la  moisson  fut  consa- 
crée d'abord  à  l'approvisionnement  de  Buenos  Aires,  et 
Zeballos  considérait  encore  en  1885  comme  le  résultat 
essentiel  de  la  colonisation  agricole  le  fait  que  les  farines 
chiliennes  élaient  éliminées  du  marché  argentin.  Même 
aujourd'hui,  les  régions  j)ériphériqiies  de  la  zone  des 
céréales    dépendent   encore    du    marché    intérieur.    Le 


LA  PLAINE  PAMPLENXi:.  IQb 

moulin  de  Villa  Mercedes  ravitnille  Mendoza;  Cordoba 
et  Santa  Fe  envoient  des  farines  à  Tucuman.  Le  cours 
des  céréales  révèle  encore  dans  ces  régions,  par  rajiporl 
au  cours  pratiqué  à  Buenos  Aires,  de  légères  fluctuations 
locales. 

La  colonisation  pastorale  n'a  pas  été  davantage  entiè- 
rement indépendante  du  marché  intérieur.  Martin  de 
Moussy  aillrme,  il  est  vrai,  que  la  zone  qui,  vejs  I8G5, 
exportait  en  Europe  les  produits  de  l'élevage,  s'étendait 
jusqu'à  la  sierra  de  Cordoba  ;  mais  cette  observation 
doit  être  corrigée.  Si  les  cuirs  étaient,  en  eiïct,  dans 
toute  cette  zone  expédiés  vers  les  ports  du  rio  delaPlata, 
les  animaux  sur  pied  étaient  acheminés, de  tout  le  Nord- 
Ouest  de  la  région  pampéenne,  vers  le  Chili.  C'est  pour 
vendre  des  bœufs  ;iu  Chili  que  les  estancias  se  multi- 
plièrent vers  iiSOO  autour  de  Villa  Mercedes  et  vers 
l'aval,  sur  le  Rio  Quinto.  La  description  de  Jegou' 
montre  encore  en  1883  les  éleveurs  de  la  province  de 
San  Luis  se  consacrant  exclusivement  à  l'approvision- 
nement du  marché  chilien.  Les  acheteurs  chiliens  et 
ceux  des  provinces  andines  visitent  toujours  Villa  Mer- 
cedes et  ils  sont  veaus  jusqu'à  une  date  récente  à  Villa 
Maria,  dans  la  province  de  Cordoba.  A  Santa  Fe,  les 
estancias  eurent  pour  clients,  jusqu'à  l'ouverture  de  la 
voie  ferrée  de  Cordoba  (1870),  les  troperos  qui  ache- 
taient des  bœufs  de  trait  pour  leurs  charrettes.  L'extinc- 
tion de  cette  chentèle  et  la  crise  économique  quelle 
détermina  sont  une  des  raisons  pour  lesquelles  la  colo- 
nisation agricole  rencontra  de  la  part  des  éleveurs  si  peu 
de  résistance  et  put  s'implanter  à  Santa  Fe  aussi  aisé- 
ment. Dans  le  département  de  San  Crislobal,  les  éle- 
veurs qui  s'établirent  après  1890  eurent  pour  premier 
marché  les  obrajes  de  la  forêt  voisine.  L'ouverture  de  la 
voie  ferrée  vers  Tucuman  leur  permit  ensuite  d'expédier 


I.  A.  Jegou,  Informe  solre  lu  provincia  de  San  Luis.  Ann.  Soc.  Cion- 
tifica  Argentina,  XVI,  1883,  p.   liO-152,  192-200  et  223-250. 


206  I..\  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

leurs  bœufs  vers  les  provinces  du  Nord-Ouest.  Les  ache- 
teurs de  Buenos  Aires  péiiétrcrent  tardivement  dans  ce 
canton  éloigné  de  la  [)laine  pampéenne  :  on  les  y  vit 
pour  la  première  fois  en  1911. 

L'importance  de  la  région  pampéenne  elle-même,  en 
tant  que  marché  consommateur,  s'est  accrue  à  mesure 
que  la  population  y  devenait  plus  dense.  La  part  qu'elle 
absorbe  dans  les  produits  de  l'élevage  et  de  l'agricullure 
est  très  variable.  Elle  est  prépondérante  pour  une  partie 
d'entre  eux.  L'élevage  du  cheval  par  exemple,  qui  reste 
une  des  grandes  industries  de  la  Pampa,  n'a  jamais  ali- 
menté l'exportation  ;  de  même,  la  culture  des  pommes  de 
terre,  concentrée  dans  deux  régions  étroitement  limitées, 
autour  de  Rosario  et  au  Nord  de  la  Sierra  de  Tandil. 
Une  peîite  partie  seulement  du  fourrage  sec  est  ex- 
portée. En  ce  qui  concerne  les  céréales,  la  comparaison 
des  statistiques  de  production  et  des  stalistiques  d'ex- 
portation montre  que  la  consommation  s'élève  à  un  tiers 
environ  de  la  production.  Elle  est  presque  nulle  pour  le 
lin,  et  atteint  presque  nO  pour  100  pour  le  blé. 

Moyenne  de  la  production  et  de  l'exportation  pour 
les    années   1912,    1913,  1914,  en  milliers  de   tonnes  : 

Total  y  compris 
Blé.  Maïs.  Liu.  l'avoiae. 

Production  .    .       4.241  6.398  931  12  662 

Exportation.    .       2.140  4.227  790  8.058 

Les  centres  consommateurs  prinrijiaux  étant  précisé- 
ment les  ports,  il  en  résulte  que  les  courants  commer- 
ciaux destinés  à  leur  ravitaillement  se  confondent  avec 
ceux  qui  alimentent  l'exporbition.  Plus  intéressants  pour 
le  géographe  sont  les  échanges  entre  les  régions  diverses 
de  la  Pampa.  En  tendant  à  se  spécialiser,  ces  régions 
ont  cessé,  en  effet,  de  se  suffire  à  elle-mêmes,  et  elles 
doivent  faire  appel  aux  régions  voisines.  L'approvision- 
nement des  moulins  provoque  des  Iransports  de  blés 
dans  ditTérentes  directions.  Les  moulins  principaux  sont 


LA  PLAINE  PAMPÉENNE.  207 

établis  à  Buenos  Aires,  où  ils  sont  bien  placés  pour  tra- 
vailler à  la  t'ois  pourlc  marché  intérieur  et  pour  l'expor- 
tation,et  les  moulins  de  l'intérieur  résistent  difticiîemeni 
à  leur  concurrence.  Beaucoup  d'entre  eux  pourtant  tra- 
vaillent encore.  Ils  pratiquent  des  mélanges  de  blé  dur, 
acheté  dans  la  région  des  colonies  de  Santa  Fe,  et  de  blé 
tendre,  qui  est  cultivé  dans  le  Centre:  et  le  Sud  de 
Bnonos  Aires. 

Mais  ces  transports  inter-régionaux  de  céréales  sont 
p<»u  de  chose  auprès  des  trans4»orts  de  bétail.  L'exten- 
sion des  luzernières  a  développé  dans  certaines  régions 
l'industrie  de  l'engraissage,  tandis  que  d'autres  conti- 
nuent à  taire  de  lélovage  proprement  dit  et  alimentent 
les  centres  d'embouche.  La  zone  d'engi-aissage  la  mieux 
spécialisée  est  la  région  de  Villa  Mercedes  et  la  partie 
occiilcnlale  de  la  zone  des  luzerniéres,  tondis  que  l'Est 
de  la  provinre  de  Buenos  Aires  et  Entre  Bios  sont  restés 
df^s  régions  de  production.  La  dilTéreneiation  des  zones 
pastorales  ressort  de  l'étude  des  statistiques.  D'après 
le recensemoîit  de  1908,  les  vaches représenteat 5?) pour  1(>0 
de  lefTec  lit' total  du  troupeau  dans  l'ensemble  des  dépar- 
tements formant  le  cœur  de  la  zone  d'élevage  de  l'Est  de 
Buenos  Aires,  45  pour  100  seulement  dans  les  départe- 
ments du  iNord-Ouest  de  Buenos  Aires  et  dji  Sud  de 
Cordoba  et  dans  le  département  de  Pedemera  à  San  Luis, 
où  l'industrie  de  l'engraissage  est  couramment  pra- 
tiquée. 

D'après  le  recensement  de  1914,  les  bœufs  forment 
•24  pour  100  du  troupeau  dans  les  mêmes  départe- 
ments de  l'Est  de  Buenos  Aires;  24  pour  100,  de  même, 
à  Entre  Bios;  la  proportion  s'élève  à  31  pour  100  dans  la 
zone  des  luzernières.  Le  département  de  Dolores  (Est  de 
Buf'uos  Aires),  a  C4  pour  100  de  vaches  et  21  pour  100 
de  bœufs  ;  le  département  de  Pedernera  (San  Luis),  (zone 
des  luzernières),  a  49  pour  100  de  vaches  et  58  pour  lOO 
de  bœufs;  celui  de  General  Boca  (Cordoba),  48  pour  100 
de  vaches  et  34  pour  100   de   bœufs;  celui  d'Arenales 


'208  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

(Buenos  Aires),  59  pour    100  de  vaches  et  46  pour  100 
de  bœufs*. 

Tandis  que  les  achats  de  bœufs  pour  les  frigorifiques 
se  font,  soit  dans  les  estancias  mênie^  soit  à  Buenos 
Aires,  où  les  bœufs  en  bon  point  sont  expédiés  à  des 
coiîsignataircs,  les  ventes  de  bœufs  destinés  à  l'engrais- 
sage ont  lieu  à  des  foires  qui  se  tiennent  périodiquement 
dans  les  villes  de  l'intérieur.  Un  autre  élément  du  trafic 
de  ces  foires  est  le  commerce  des  reproducteurs  de  race. 
La  plus  courue  est  celle  de  Villa  Mercedes  (prov.  de 
San  Luis)  où  se  vendent  8000  bœufs  par  mois.  On  voit 
aux  foires  de  Mercedes  les  bouvillons  Durham  de  l'Est 
de  Buenos  Aires,  destinés,  après  engraissage,  à  être 
expédiés  de  nouveau  vers  les  frigorifiques  ou  les  abat- 
toirs de  Buenos  Aires.  On  y  voit  aussi  les  bœufs  créoles 
provenant  du  Nord  de  la  province  de  San  Luis  et  de 
la  Rioja  qui  seront  plus  tard  consommés  à  Mendoza  ou 
au  Chili.  Il  n'existe  pas,  en  effet,  à  la  frontière  occiden- 
tale de  la  Pampa,  une  ligne  de  démarcation  analogue  à 
celle  que  constitue  au  Nord  la  limite  de  la  zone  conta- 
minée par  la  garrapate,  séparant  les  deux  domaines  de 
l'élevage  créole.  Les  communications  entre  les  deux 
zones  se  font  ici  librement,  et  les  luzcrnières  d'embouche 
de  Villa  Mercedes  sont  utilisées  en  commun  parles  éle- 
veurs de  la  Pampa  et  de  la  brousse \ 

Étendues  ciillivées  dans  la  Bépublique  Argeniine 
(en  kilom.  carrés,  presque  exclusivement  dans  la  région  pampéenne). 


Blr. 

iMaïs. 

X\ 

oine. 

Un. 

Luzerne. 

1896.    . 

.     25 . 000 

14.000 

B 

3.000 

8  (lOrf 

1900.   . 

.     53.000 

12.000 

» 

6  000 

15.000 

1902.   .    . 

.     30  000 

18.000 

> 

13.000 

17.000 

1905.   . 

.     50.000 

22.000 

700 

10.000 

^.0.000 

1910.   . 

.     02.000 

32.000 

8 

.000 

15.000 

54.  ('OO 

\.  La  moyenne  est  pour  l'ensembîe  de  l'Argentine  :  vaches  55  pour 
100,  bœufs  2(j  pour  100. 

2.  Un  grand  nombre  de  bœufs  destinés  à  l'engraissage  sont  égale- 
ment acbetés  au  marché  de  Buenos  Aires;  mais  ils  ne  proviennent 
généralement  pas  do  In  région  pampéenne. 


1912. 
1915. 
191-t. 


LA  PLAINE  l'AMPÉEXNE. 


209 


G9  OiiO 

38.000 

12 

000 

17 

OCO 

59 

000 

65 

000 

/»  1.000 

II 

600 

17 

0(tO 

66 

000 

62 

000 

42.000 

11 

400 

17 

OUO 

'• 

Exportations  par  ports  en  1913,  1914  et  1915. 

Blé.        Mnïi=.       Lin.      .\voinc.    Total.    Moyenne. 


2.716 


(  782 

1 .  757 

275 

13 

2.829 

Rosario  .    .   . 

.   î  242 

1.952 

248 

1 

2.445 

(  717 

1 .  790 

366 

> 

2.875 

(  4tl 

1.389 

246 

240 

2  318 

Buenos  Aires 

]  297 

906 

255 

78 

1.537 

(  511 

1.319 

542 

96 

2.-J99 

.  927 

.  ]  241 

(  921 

2 

t 

462 

1.595 

Baliia  Blanca 

> 

» 

222 

463 

X 

» 

442 

1.364 

(       5 

910 

74 

989 

S.  Nicolas .   . 

)       J 

450 

60 

*     * 

492 

(      5 

420 

48 

474 

(  5")5 

358 

14 

170 

876 

La  Plata.   .   . 

\  160 

51 

16 

49 

278 

(  152 

45 

6 

16 

222 

(  265 

51 

158 

476 

Santa  Fe  .   .   . 

]      7 

23 

128 

1..9 

(  114 

7 

77 

I9y 

2.051 


1.075 


651 


459 


278 


Denis.  —  L'Argentine. 


U 


CHAPITRE  VII 

ROUTES  ET  VOIES  FERREES 

Les  routes  de  la  pl;iine.  —  La  piste  du  seL  —  Le  «  cheiaîn  du 
lumiiiorce  ».  —  Les  transports  par  chars  à  bœufs.  —  Arrieros  et 
l'roperos.  —  Les  chemins  de  fer  et  la  colonisation.  -  Le  iratir 
des  céréales.  —  Le  tralic  intérieur  et  la  réorganisation  du 
réseau. 

Le  chapitre  consacré  à  l'éle^a'^e  primitif  et  aux  trans- 
ports de  bétail  comprend  une  esquisse  du  réseau  des 
routes  andines.  On  ne  peut  s'atlendre  à  retrouver  dans 
le  dt\ssin  du  réseau  routier  des  plaines  argentines  l'in- 
lluence  aussi  impéiieuse  et  au^si  évidente  des  conditions 
naturelles.  La  surface  <le  ces  plaines  est  dans  son 
on^emble  largement  ouverte  à  la  circulation.  La  carte 
des  roules  y  garde  pourtant  les  traces  multiples  des  né- 
cessités géographiques. 

L<'S  massifs,  qui  émergent  comme  des  îles  de  la  plaine 
alluviale,  ne  sont  pas  tous  impénétrables,  et  les  routes 
ne  les  contournent  pas  toujours;  la  route  de  Buonos 
Aires  au  Pérou  court  au  Nord  de  3()M0'  de  latitude  Sud 
sur  l'axe  même  de  la  pénéplaine  granitique  qui  forme  la 
partie  septentrionale  de  la  Sierra  de  Cordoba.  Le  seuil 
de  Dean  Funes,  qui  s'ouvre  à  700  mètres  d'altitude  entre 
la  sierra  Chica  et  ces  plateaux,  a  servi  de  tout  temps  aux 
relations  de  Cordoba  avec  les  provinces  du  Nord-Ouesl, 
et  la  voie  ferrée  y  a  succédé  à  la  piste  primitive.  Une 
autre  piste  importante  traverse  la  Sierra  de  Cordoba  au 
Nord  de  la  Pampa  de  Achala,  et  joignait  Cordoha  à  Villa 
Dolores  et  au  Nord  de  la  province  de  San  Luis.  La 
partie  méridionale  de  la  Sierra  de  Cordoba  et  la  Sierra 


212  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

de  San  Luis  forment  au  contraire  un  obstacle  infran- 
chissable que  contourne  au  Sud  la  grande  route  du  Chili 
par  Achiras,  San  José  del  Morro  et  San  Luis. 

Les  Sierras  de  la  province  de  Buenos  7\ires  sont 
moins  élevées  et  moins  étendues;  en  outre,  elles  sont 
morcelées  en  massifs  isolés  entre  lesquels  la  plaine 
pénètre.  Dès  1822,  le  colonel  Garcia  signalait  l'impor- 
tance pour  les  migrations  des  tribus  indiennes  du  pas- 
sage entre  la  Sierra  Amarilla  et  la  Sierra  de  Curaco, 
c'est-à-dire  du  seuil  d'Olavarria.  C'est  par  là  que  la  pre- 
mière voie  ferrée,  construite  entre  Buenos  Aires  et  Bahia 
Blanca,  franchit  la  ligne  des  Sierras;  elle  va  contourner 
ensuite  la  Sierra  de  la  Ventana,  au  Nord,  par  le  seuil  de 
Piguë,  entre  le  massif  de  Curumalan  et  les  collines  de 
Puan.  Les  dunes  de  la  Pampa  occidentale  forment,  elles 
aussi,  un  obstacle  à  la  circulation,  moins  par  leur  alti- 
tude que  par  leur  sol  mouvant.  L'étape  entre  General 
Acha  et  Toay  mettait  à  une  rude  épreuve  les  attelages 
des  diligences';  les  voyageurs  devaient  faire  à  pied  la 
traversée  des  dunes  pendant  la  saison  d'hiver  oii  les 
chevaux  de  trait  étaient  en  mauvais  état. 

Les  points  d'eau  naturels  sont  de  pins  en  plus  fré- 
quents à  mesure  qu'on  s'éloigne  de  la  zone  andine  vers 
l'Est.  L'aménagement  de  points  d'eau  permanents  reste 
cependant  le  travail  principal,  souvent  môme  le  seul, 
que  suppose  l'établissement  d'une  route.  Martin  de 
Moussy  signale  le  creusement  des  puits  sur  la  route 
nouvelle  de  Cordoba  au  Rosario,  ouverte  vers  1800. 
L'aiguade  était  plus  souvent  une  «  represa  »,  un  réser- 
voir où  les  eaux  s'amassaient  au-dessus  d'un  barrage  de 
terre  élevé  au  travers  d'un  cours  d'eau  intermittent. 
L'entretien  de  la  represa  est  la  fonction  essentielle  du 
maître  de  poste.  La  bordure  des  Sierras  et  le  débouche 
des  ravins  qui  en  descendent  est  un  lieu  favorable  pour 


1.  J.-B.    Ambrosetti,    Viaje  a  la   Pampu   central.   Boi.    Inst.    geogr. 
Argentine,  XIV,  1893,  p.  29'2-368. 


ROUTES  KT  VOIES  FERRÉES.  213 

l'élablisscnient  des  represas,  et  les  routes  s'y  tiennent 
rréquenimont  (variante  de  la  route  de  Cordoba  à  Tucu- 
uian  par  Toloral,  la  Dormitia,  Mio  Seco  et  Sumampa, 
sur  la  lisière  orientale  de  la  Sierra  de  Cordoba,  etc.). 
Les  longues  étapes  sans  points  d'eau,  ou  «  travesias  » 
no  se  trouvent  en  général  sur  les  routes  battues  qu'à 
rOucst  du  méridien  de  Cordoba.  Cependant  la  route 
directe  de  Santa  Fe  îi  Santiago  del  Eslero  par  la  lagune 
de  Los  Porongos,  pratiquée  au  xyui"  siècle,  paraît  avoir 
été  abandonnée  plus  tard,  autant  parce  que  le  ravitail- 
lement en  eau  y  était  difficile  que  parce  qu'elle  était 
exposée  aux  incursions  indiennes. 

Le  seul  obstacle  que  rencontraient  les  caravanes,  sur 
les  routes  de  la  plaine,  était  la  traversée  des  cours  d'eau. 
On  les  franchissait  à  gué;  les  gués  à  fond  de  boue  sur  le 
cours  inférieur  des  rivières,  comme  celui  du  Saladillo, 
près  du  confluent  du  rio  Tercero,  offraient  plus  de  diffi- 
culté aux  chars  que  les  gués  à  fond  de  sable  du  cours 
supérieur,  près  de  la  bordure  des  montagnes,  comme 
ceux  du  rio  Tercero  sur  la  route  de  Cordoba,  ou  du  rio 
Cuarto  sur  celle  du  Chili.  Après  les  pluies,  certaines 
zones  de  la  plaine  s'inondent  et  deviennent  intransi- 
tables.  Il  en  est  ainsi  de  la  région  au  Sud  du  Salado 
inférieur,  la  même  où  le  Père  Cardiel  signale  (1747)  le 
manque  de  points  d'eau  à  la  saison  sèche.  Le  chemin 
direct  de  Buenos  Aires  aux  Sierras  y  était  exposé  alter- 
nativement à  la  sécheresse  et  aux  inondai  ions.  Les 
lignes  du  chemin  de  fer  du  Sud  qui  la  franchissent  sont 
encore  aujourd'hui  coupées  périodiquement  de  part  et 
d'autre  de  Las  Flores  par  les  inondations.  L'absence 
d'un  réseau  fluvial  organisé,  l'irrégularité  des  pluies,  la 
difficulté  de  déterminer  les  pentes  et  le  régime  de  l'écou- 
lement des  eaux  sur  une  plaine  qui  parait  à  l'œil  parfai- 
tement horizontale,  ont  causé  plus  d'un  mécompte  aux 
voi«'S  ferrées  établies  à  la  hâte  et  sans  qu'un  nivellement 
général  de  la  Pampa  eût  été  entjepris;  telle  ligne,  dans 
la  Pampa  ou  dans  le  Chaco,  a  dû  être  en  partie  recons- 


214  LA  RÉPUBLIOUE  ARGENTINE. 

truite  et  exhaussée  après  un  cycle  d'anrées  pluvieuses'. 

La  colonisation  de  la  fraction  de  la  plaine  qui  forme 
actuellement  la  province  de  Buenos  Aires  a  clé  tai- 
dive;  elle  dale  seulement  de  lère  des  voies  ferr<  es.  Une 
seul<'  route  historique  traverse  les  terres  restées  jusqu'au 
dernier  tiers  du  xix^  siècle  le  domaine  des  trihus 
indiennes  :  c'est  la  route  du  sel  ;  on  ne  sait  au  juste  à 
quelle  époque  elle  commença  d'être  pratiquée.  Au 
xviii°  siècle,  malgré  la  con<  urrence  du  sel  de  Cadix  el  du 
sel  de  Patagonie,  importé  par  mer,  le  sel  de  la  Pampa 
fournit  la  plus  grosse  part  de  l'approvisionne  ment  de 
Buenos  Aires.  La  route  du  sel  ne  lut  délaissée  qu'après 
481(1.  !Nous  avons  conservé  le  journal  de  plusieurs 
voyages  de  Buenos  Aires  aux  Salines.  C'étaient  des 
exj'édilions  militaires,  où  des  centaines  de  chars,  for- 
tement convoyés,  se  rassemblaient  vers  Lujan  et  Chi- 
vilcoy,  et  atteignaient  Aireuco,  à  l'Ouest  des  lacs  de 
Guamini  et  de  Carhuë,  après  une  marche  de  quinze  à 
vingt-cinq  jours. 

L'itinéraire  était  exactement  fixé.  En  1796,  d'Azara 
observa  au  ^o^d  de  la  lagune  de  Pi  lentelen  (Bragado), 
les  puits  creusés  par  les  saulniers  quand  ils  trouvaient 
la  lagune  à  sec.  De  Pa!enlelen  vers  le  Sud-Ouest,  la 
route  du  sel  suivait  la  piste  utilisée  par  les  Indiens  du 
Sud-Ouest  pour  leurs  expéditions  contre  les  estancias 
de  la  frontière  de  Buenos  Aires.  Près  du  lac  Epecuen, 
au  Nord  de  Carhuë,  elle  était  rejointe  par  une  autre  piste 
qui  venait  d'OIavarria  et  dont  les  étapes  étaient  marquées 
par  les  ruisseaux  nés  dans  la  Sierra  de  Cuiumalan.  La 


1.  Dans  le  dessin  actuel  du  réseau  des  voies  ferrées,  cerlains  dou- 
blements s'expliquent  par  la  nécessité  de  corriger  un  trncé  établi 
trop  hâtivement  et  inutilement  accidenté.  La  ligne  de  Justo  Daract  à 
la  Paz  (1912),  sur  le  chemin  de  fer  du  Pacifique,  évite  les  fortes 
rampes  de  la  ligne  primitive  qui  suivait  le  tracé  de  la  route  des 
chais  par  San  Luis.  L'inteipiétation  du  relief  ofne  des  dilficultcs 
particulières  dans  un  pajs  qui  n'a  p;is  été  façonné  par  1  érosion 
normale.  Des  erreurs  que  les  levés  topograpbiques  postéi leurs  ont 
révélées  ont  été  commises  de  même  dans  le  tracé  des  chemins  de  for 
nalagoniens. 


ROUTES  ET  VOIES  FERRÉES.  215 

région  de  Carhuë,  à  ce  carrefour  de  pistes,  était  l'une 
des  zones  où  se  rassemblaient  les  tribus.  «  Ces  parages, 
dit  le  journal  de  l'expédition  de  1778',  sont  le  premier 
point  où  se  rcjiosentet  se  réunissent  les  Indiens  ennemis, 
lorsqu'ils  sortent  de  la  Sierra,  et  au  retour  de  leurs  inva- 
sions. Non  seulement  ils  s'y  reposent,  mais  ils  y  ont  leurs 
pâturages  d'biver  {de  saison  sèche).  Zebailos*  a  décrit 
la  piste  indienne,  la  u  rastiillada  »,  entre  Epecuen, 
Atreuco  et  Traru  Lauquen,  où  commençait  la  travesia 
vers  le  Chili.  Elle  n'avait  pas  moins  de  500  mètres  de 
large;  au  pied  des  dunes,  s'alignaient  parallèlement  les 
sillons  profonds,  tracés  par  le  pied  des  bœufs  razziés 
emmenés  par  les  «  Chiienos  ». 

Les  deux  grandes  routes  de  la  période  coloniale  sont 
le  chemin  du  Chili  et  celui  du  Pérou.  Ils  se  confondaient 
au  départ  de  Buenos  Aires  sur  une  distance  de  500  kilo- 
mètres environ.  Le  «  Chemin  du  Commerce  »  passait 
par  Lujan,  Areco,  Sauce,  et  atteignait  le  Carcarana,  ou 
rio  Tercero  à  la  Esquina;  il  se  tenait  donc  à  distance  du 
Parana  (50  à  25  km.),  sur  le  plateau,  franchissant  les 
vallées  qui  y  sont  encastrées  et  qui  formaient  autant  de 
mauvais  pas.  Il  longeait  ensuite  le  Tercero  vers  l'amont, 
sur  la  rive  droite,  jusqu'au  Paso  Fereira,  à  l'emplacement 
où  se  trouve  aujourd'hui  Villa  Maria.  A  la  Esquina  de 
Medrano  (Villa  Maria)  le  chemin  du  Chili  bifurquait  au 
Sud-Est,  gagnait  San  Luis  par  Rio  Cuarto,  Achiras  et 
San  Jo.se  del  Morro,  et,  après  une  travesia  de  120  kilo- 
mètres, atteignait  à  la  Paz  le  rio  Tunuyan  qu'il  remon- 
tait jusqu'à  Mendoza'. 


1.  Coll.  de  Angelis,  V. 

2.  Est.  Zeballos,  D^scripcion  amena  de  la  Repxihlica  Argcnlina,  l.  I. 
Vioje  al  pais  de  los  Araucanos.  Buenos  Aires,  1881. 

5.  Martin  de  Moussy  assure  qu'une  piste  plus  diiect*  évitant  le 
délourau  Nord  par  le  rio  Tercero  aurait  été  pratiquée  au  xviii»  siècle 
entre  Buenos  .Aires  et  San  Luis,  par  Salto  et  le  cours  du  rio  Ouinto 
ju.squ'à  hauteur  du  fort  Coustilucion  <\'illa  .Moreede.s;.  La  carte  de 
Woodbine  Parish  (1^59)  et  celle  de  rsapp  (187(i)  portent  lune  et  l'auU'e 
une  piste  par  Salto  et  Melincue  vers  le  rio  Cuarto,  où  elle  rejoint  la 
loute  ordinaire.  Quoi  qu'il  en  soit,  ces  chemins  ne  TurenL  jamais  uti- 


'il 6         LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

De  la  Esquina  de  Medrano,  la  roule  du  Pérou  se  diri- 
geait au  Nord-Ouest  vers  Cordoba.  Des  plateaux  qui 
prolongent  au  Nord  la  Sierra  de  Cordoba,  elle  descen- 
dait vers  le  rio  Dulcc,  qu'elle  rejoignait  à  l'Ouest 
d'Atamisqui  et  qu'elle  longeait  jusqu'à  Santiago  del 
Estero,  où  elle  passait  sur  la  rive  Nord.  Elle  franchis- 
sait le  Sali  à  la  hauteur  de  Tucuman,  et  longeait,  par 
Trancas  et  Metan,  la  dépression  qui  sépare  les  Andes 
des  chaînons  subandins.  De  Salta,  elle  gagnait  au  Nord 
Jujuy,  pour  remonter  vers  la  Puna  la  quebrada  de 
Humahuaca. 

L'influence  du  fleuve  est  faiblement  marquée  sur  le 
dessin  du  réseau  routier  primitif;  des  itinéraires  nom- 
breux relièrent  au  s\f  siècle  le  Pérou  au  Paraguay  à 
travers  le  Chaco,  mais  non  une  route  proprement  dite  et 
permanente.  Au  xvni*  siècle,  une  route  directe  était  pra- 
tiquée entre  Santa  Fe  et  Tucuman,  par  le  Nord  de  la 
lagune  de  Los  Porongos  et  le  cours  du  rio  Dulce  ;  une 
autre,  entre  Santa  Fe  et  Cordoba.  Ces  routes  n'étaient 
pas  uniquement  consacrées  au  transport  du  bel  ail;  la 
route  fluviale  à  laquelle  elles  se  raccordaient  à  Santa  Fe 
leur  fournissait,  en  provenance  des  provinces  d'amont, 
un  élément  de  trafic  :  le  m.até  paraguayen  gagnait  par 
cetle  voie  les  régions  andines;  en  échange,  les  bateliers 
chargeaient  à  Santa  Fe  les  vins  et  les  fruits  secs  des 
provinces  andines  à  destination  d'Asuncion. 

Le  raccord  du  réseau  routier  avec  le  fleuve  ne  devient 
un  problème  capital  que  du  jour  où  le  Parana  commence 
à  desservir  le  commerce  d'importation  et  d'exportation 
de  l'Argentine  et  à  assurer  les  communications  des  pro- 
vinces intérieures  avec  l'Europe.  Cette  question  du 
débouché  sur  le  fleuve  domine  l'histoire  de  la  formation 
du  réseau  des  voies  ferrées.  Mais  son  importance  essen- 


lisés  régulièrement,  de  crainte  des  incursions  indiennes,  ou,  ce  qui 
revient  au  même,  parce  que  la  région  qu'ils  traversent,  dans  le  Sud 
du  territoire  actuel  des  provinces  de  Santa  Fe  et  de  Cordoba,  n'était 
pas  colonisée. 


ROUTES  ET  VOIES  FERREES.  211 

tiellc  peut  être  reconnue  dès  la  première  moitié  du 
xix"  siècle.  D'Orbi{^ny  l'a  pressentie.  Parlant  de  l'avenir 
de  Santa  Fe,  il  écrit  (T.  I.,  p.  406)  :  «  Lorsque  la  tran(piil- 
lité  sera  revenue,  il  est  certain  que  les  marchandises  de 
Cordoba,  au  lieu  d'aller  parterre  de  cette  ville  à  Buenos 
Aires,  pourront  n'aller  qu'à  Santa  Fe.  où  leur  embarque- 
ment pour  la  capitale  argentine  réduira  au  tiers  de  sa 
longueur  le  trajet  par  terre,  toujours  plus  coûteux  que 
le  trajet  par  eau  ».  Martin  de  Moussy,  prévoyant  la 
construction  d'une  route  à  travers  le  Ghaco  entre  Tucu- 
man  et  le  Parana,  î'i  la  hauteur  de  Corrientes,  calcule  que 
Corrientes  pourra  plus  tard  servir  de  port  à  une  partie 
de  l'Ouest  et  du  Nord  de  l'Argentine.  A  la  date  où  il 
publiait  son  livre,  ce  n'est  pourtant  ni  Santa  Fe,  ni 
('Corrientes,  mais  la  ville  nouvelle  du  Rosario,  qui  com- 
mençait à  jouer  le  rôle  de  port  intérieur,  et  qui  servait 
d'amorce  à  un  nouveau  résrau  routier.  La  circulation 
entre  Rosario  et  Cordoba  emprunta  d'abord  la  vieille 
route  de  Buenos  Aires  au  Pérou,  qu'on  rejoignait  de 
Rosario,  par  un  détour  vers  le  Sud-Ouest,  sur  la  rive 
droite  du  Garcarana  (ou  rio  Tercero).  Mais  cet  itinéraire 
tut  bientôt  remplacé  par  une  route  directe  à  l'Ouest- 
Nord-Ouest,  suivant  le  tracé  oùallaient  être  entrepris  les 
travaux  du  chemin  de  fer*. 

Sur  la  plus  grande  partie  du  territoire  argentin,  les 
transports  ont  été  effectués,  avant  l'ère  des  voies  ferrées, 


I.  Enli-e  18o'2  et  18ti2,  pendant  la  ])ériode  où  les  relations  sont 
rompues  entre  la  Confédération  Argentine  et  Buenos  Aires,  s'ébauche 
un  remaniement  général  du  réseau  routier  qui  tente  de  s'adapter  à  des 
conditions  politiques  nouvelles.  La  route  de  Santa  Fe  et  de  Parana  à 
«loncepcion  de  l'Uruguay  par  les  plateaux  de  l'Entre  Rios,  et  de  là  à 
Montevideo,  avait  dû  son  importance  première  à  la  fermeture  du 
Parana  inférieur  sous  Rosas,  et  Woodbine  Parish  signale  déjà  qu'il 
s'y  faisait  une  contrebande  active;  celte  route  devient  une  artère 
ossenlielle  lorsque  Parana  s'érige  sous  Urquiza  en  capitale  fédérale. 
Lîrquiza  se  préoccupe  aussi  de  relier  Parana  avec  les  provinces  de 
l'Ouest,  et  il  crée  un  service  postal  de  Santa  Fe  à  Cordoba.  Si  éphé- 
mère qu'ait  été  la  fortune  de  Parana,  son  influence  sur  le  tracé  des 
routes  argentines  fut  assez  marquée  pour  que  le  géographe  ne  puisse 
l'ignorer. 


218  ÎA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

par  des  charrettes,  La  lirai! e  entre  la  zone  des  trans- 
porls  par  charrettes  et  la  zone  des  transports  à  dos  de 
b^les  est  parfailement  slaf>le.  Malgré  le  développement 
des  chemins  de  fer,  elle  conserve  une  importance 
a«'{uelle;  les  chars  et  les  convois  de  mules  servent  tou- 
jours à  rassembler  et  à  distribuer  autour  de  chaque 
stiition  de  chemin  de  fer  les  éléments  de  son  trafic.  La 
zone  des  cultures  et  de  lélevage  perfectionné  dans  les 
Pampas,  la  zone  du  mouton  en  Patagonie,  la  zone  des 
exploitations  de  bois  dans  le  Chaco  sont  toujours  desser- 
vies par  des  chars;  les  transports  à  dos  de  mules,  — 
l'arriérage,  —  sont  pratiqués  dans  la  zone  andine,  La 
route  du  Pérou  étaitcarrossable  à  la  rigueur  jusqu'à  Salta, 
mais  elle  est  déjà  rude  et  accidentée  entre  Tucuman  et 
Salta,  et  c'est  généralement  à  Tucuman  que  s'arrêtaient 
les  chars  et  que  se  fai-ait  le  tnaisbordement.  On  avait 
ainsi  l'avantage  d'éviter  aux  chars  le  gné  du  Sali  que 
les  mules  franchissaient  plus  aisément.  Dans  la  plaine 
elle-même,  l'espacement  des  points  d'eau  et  la  longueur 
des  étapes  obligeaient  parfois  à  remplacer  les  chars  par 
des  mules.  Si  les  chars  arrivaif-nts^ns  peine  à  Mendoza, 
parla  route  que  le  Tunuyan  longe  dans  sa  partie  la  plus 
aride,  tous  les  convois  entre  Cordoha  et  San  Juan  ou  la 
Rioja  et  Catamarca  étaient  formés  de  mules;  Cordoha 
formait  donc  ainsi  que  Tucunian  un  point  de  transbor- 
dement sur  la  route  de  Buenos  Aires  vers  le  Nord- 
Ouest.  Endn  si  le  mont»^  n'offre  pas  aux  chars  d'nbsta<-le 
insurmontable,  en  revanche,  les  cliars  ne  peuvent  péné- 
trer dans  la  forêt  tropicale  humide,  où  le  sol  ne  s'as- 
sèche pas.  Sur  la  lisière  de  la  forêt  des  Missions, 
San  Javier  était  le  point  où  les  chars  venus  de  San 
Tome  déposaient  leur  charge  que  des  mules  convoyaient 
ensuite  jusqu'aux  yerbales. 

Les  deux  zones  des  transports  sur  roues  et  de  l'arrié- 
rage  n'ont  jamais  été  parfaitement  étanches;  les  arrieros 
ont  parfois  pénétré  dans  le  domaine  des  charretiers  et 
sont  venus  leur  faire  concurrence  jusque  sur  les  rives  du 


ROUTES  ET  VOIES  FERRÉES.  2la 

Parnna.  En  18(i()  (Hutciiinson),  les  muletiers  amènent  à 
Ixosario  un  cinquième  environ  en  poids  du  trafic  en 
provenance  de  l'inlérieur,  et  ils  assurent  plus  d'un  tiers 
des  Iransporls  de  Hosario  vers  rinlérieur.  Ils  ne  léussis- 
saienteeprn  lant  à  trouver  du  l'ret  qu'en  offrant  des  prix 
d'un  tiers  moins  élevé.s  que  ceux  des  chars.  Il  semble 
que  cette  invasion  des  arriéros  répond  à  une  crise  des 
transports  dans  la  zone  andine  qui  laissait  sans  travail 
une  partie  dos  muletiers  de  >an  Juan.  Elle  ne  dura  pas; 
dès  IHCi^,  les  transports  à  dos  de  mules  entre  Rosario  el 
l'intérieur  s'étaient  presque  interrompus. 

Les  chars  de  la  plaine  argentine  ont  été  décrits  par  de 
nombreux  voyageurs  :  c'étaient  de  pesants  véhicules, 
qui  portaient  150  ou  parfois  180  arrobes  (17!25  à 
2070  kilos),  couverts  d'une  bAche  de  cuir  tendue  sur 
des  cercles;  un  long  aiguillon  orné  de  plumes  d'autruche 
reposait  en  équilibre  sur  un  anneau  fixé  au  toit  et  ser- 
vait à  diriger  la  paire  de  bœufs  de  devant.  Une  cruche 
de  terre,  contenant  la  provision  deau  pour  les  étapes, 
était  suspendue  aux  montants  de  derrière.  L'allelage 
comprenait  normalement  trois  paires  de  bœufs,  dont  une 
paire  de  limoniers.  A  Corrientes,  la  nécessité  de  fian- 
chir  les  marais  et  les  esteros  avait  lait  adopter  un  type 
particulier  de  chars,  muni  d'une  sorte  de  claie  horizon- 
tale formant  un  étage  supérieur,  où  se  tenait  le  <  onduc- 
teur.  Partout,  dans  la  Pampa  aussi  bien  qu'à  Corrienle?, 
les  roues  étaient  énormes,  et  leur  diamètre  atteignait 
parfois,  dit  Darwin,  jusqu'à  10  pieds.  Ainsi  les  chars 
parvenaient  à  franchir  les  fondrières.  La  boue  étuiten 
effet  le  pire  ennemi  des  convois.  Le  sol  de  la  Pampa  est 
argileux  et  tendre  dans  la  région  voisine  du  fleuve.  La 
largeur  de  la  route  n'étant  pas  limitée,  lorsque  les 
ornières  s'approfondissaient,  les  chars  se  détournaient 
à  droite  ou  à  gauche,  et  la  piste  arrivait  à  couvrir  une 
large  zone  de  terrain.  Mais  on  n'avait  pas  cette  ressource 
au  voisinage  des  villes  où  la  circulation  se  concentrait. 
Buenos  Aires  en  vint  à   être   entourée    de    fondrières 


2-20  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

redoutables,  qui  s'assainissaient  seulement  en  été,  et  le 
pavage  de  ses  rues  et  de  ses  abords  était  en  voie  de 
devenir  un  problème  d'importance  nationale  quand  la 
construction  des  chemins  de  fer  fut  commencée. 

Les  chars  ne  voyageaient  pas  isolément.  Le  «  tropero  » 
ou  entrepreneur  de  transports  organisait  les  caravanes. 
En  pays  soumis,  où  une  escorte  militaire  n'était  pas 
indispensable,  et  où  l'on  pouvait  sans  inconvénient 
diviser  les  convois,  leur  effectif  variait  le  plus  souvent 
de  15  à  50  chars.  Outre  les  6  bœufs  de  l'attelage,  il  fal- 
lait avoir  des  bœufs  de  rechange  et  quelques  chevaux 
de  service  ;  on  comptait  ordinairement  au  total  10  bœufs 
par  char,  exceptionnellement  le  double  \  Le  convoi  des 
Salines  de  1778  n'emmenait  pas  moins  de  12  000  bœufs 
pour  600  chars.  Chaque  char  avait  son  conducteur.  Mais 
il  fallait  en  outre  des  conducteurs  pour  les  bœufs  haut 
le  pied,  des  charpentiers  pour  les  réparations  en  cours 
de  route;  le  chef  de  la  caravane,  «  capataz  »,  était  le 
plus  souvent  un  maître  charpentier.  C'est  lui  qui  repré- 
sentait les  intérêts  du  tropero.  Le  personnel  comprenait 
environ  trois  hommes  pour  deux  chars.  Les  carieros  for- 
maient une  population  nomade,  originale,  bien  différen- 
ciée par  ses  coutumes  et  son  caractère  des  gauchos  (éle- 
veurs) de  la  plaine.  A  la  fin  du  xviif  siècle,  Buenos  Aires 
employait  aux  transports  vers  Mendoza  et  Tucuman  plus 
d'un  millier  de  chars  (Borrero). 

Les  étapes  dépassaient  rarement  4  à  5  lieues  de  5  kilo- 
niètres.  A  cette  allure,  un  convoi  mettait  de  40  à  5U  jours 
pour  aller  de  Buenos  Aires  à  Mendoza  ;  50  jours,  de 
Rosario  à  Tucuman  ;  3  mois  avec  les  périodes  de  repos 
nécessaire,  de  Buenos  Aires  à  Salta^  Quand  Teau  man- 

1.  Selon  les  renseignements  fournis  par  de  Angelisjl837,  Introduc- 
lion  au  Diaiio  ilel  viujeal  Rio  Bermejo  de  Fniy  Francisco  Murillo.  Coll. 
de  Angelis,  t.  VI),  une  caravane  de  14  chars,  de  Saita  à  Tucuman, 
nécessitait  3  relais  de  bœufs;  le  premier,  de  100  animaux,  allait  do 
Saita  à  Tucuman;  le  deuxième  de  150,  allait  de  Tucuman  à  la  fron- 
tière de  Buenos  Aires  ;  le  troisième,  de  84,  allait  jusqu'à  la  capitale. 
Le  premier  et  le  dernier  relais  étaient  composés  d'animaux  loués;  le 
deuxième  seul  était  la  propriété  du  tropero. 

2.  30  jours  de  Buenos  Aires  à  Mendoza;  70  jours  de  Buenos  Aires  à 


ROUTES  ET  VOIES  FERRÉES.  221 

(juait,  le  voyage  pouvait  être  prolongé  sensiblement,  le 
rendement  des  attelages  affaiblis  se  réduisant,  ou  même 
être  interrompu,  si  les  aiguades  étaient  taries,  La  saison 
n'élait  pas  indifTérenle.  Dans  la  région  de  Buenos  Aires, 
l'hiver  délrempanl  le  terrain,  rendait  la  circulation  diffi- 
cile. Plus  au  Nord,  l'hiver  correspond  à  la  saison  sèche, 
le  p.'Uurage  y  manque  et  il  était  difficile  d'alimenter  les 
tropas  en  voyage.  L'été  offrait  lui  aussi  des  obstacles  : 
en  janvier  et  février  la  crue  du  rio  Diilcc  rendait  fré- 
quemment intransitable  le  gué  de  Santiago.  Les  charre- 
tiers partaient  de  préférence  des  provinces  du  Nord  vers 
la  fin  de  l'été,  en  avril  ou  en  mai.  La  saison  la  plus  favo- 
rable pour  quitter  Buenos  Aires  était  le  printemps, 
d'août  à  novembre.  Chaque  tropa  pouvait  ainsi  effectuer 
dans  l'année  un  voyage  d'aller  et  retour. 

Avant  la  construction  des  voies  ferrées,  des  efforts 
avaient  déjà  été  réalisés  pour  accélérer  les  transports. 
La  «  Calera  »  ou  diligence,  que  remorquait  un  essaim  de 
chevaux  attelés  à  la  cincha  (sangle  où  s'attachait  le 
lasso),  ne  servait  pas  aux  transports  de  marchandises  ; 
elle  remplace  non  le  convoi  de  chars,  mais  la  tropilla  de 
chevaux  de  rechange  que  poussaient  devant  eux  les 
voyageurs  qui  traversaient  la  plaine.  La  galera  allait  de 
Rosario  à  Cordoba  en  5  jours,  à  Mendoza  en  10,  de  Cor- 
doba  à  Salta  en  14  jours.  Vers  1860,  s'organisèrent  des 
services  rapides  de  transports  pour  marchandises,  où 
lies  chars  légers  attelés  de  mules  remplaçaient  les  chars 
à  bœufs.  Ils  faisaient  en  6  jours  le  trajet  de  Rosario  à 
Cordoba.  De  même,  avant  1889,  les  chars  à  bœufs  avaient 
fait  place,  dans  la  Pampa,  à  des  charrettes  rapides  traî- 
nées par  des  chevaux  pour  les  transports  de  laine  des 
estancias  aux  gares  d'embarquement.  • 

Le  prix  des  transports  par  chars  était  naturellement 
élevé;  il  était  d'ailleurs  très  irrégulier,  et  il  ne  peut  être 

Jujuy,  dit  Borroro.  (F.  Bonero,  Descripcion  de  las  Provincias  del  Rio 
de  l'i  Plaln,  fin  du  .wiir  siècle,  publié  par  le  Ministerio  de  Relaciones 
exteriorcs,  Buenos  Aiies,  1911.) 


222  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

question  d'en  suivre  les  variations.  Il  sulfira  de  repro- 
duire à  titre  d'exemple  les  indications  que  donne  liut- 
chiiison  pour  l'année  1862  :  le  fret  était  calculé  soit  par 
ctiarge  complète  de  150  arrobes  (1725  kgs.),  soil  par 
arrobe  de  11  k.  500.  Le  transport  d'une  charge  de 
Rosario  à  Cordoba  valait  de  40  à  50  piastres  fortes 
(200  à  250  francs).  Le  transport  d'une  arrobe  de  Rosario 
à  Mendoza  valait  de  5  à  6  reaies  (2  fr.  50  à  3  francs);  de 
Rosario  à  Tucuman,  9  reaies  (4  fr.  50);  de  Rosario  à 
Saila,  18  reaies  (9  francs).  Aussi  les  tropas  furent-elles 
rapidement  supprimées  par  le  développement  des  voies 
ferrées.  Sur  quelques  points  pourtant,  elles  tentèrent 
contre  le  chemin  de  fer  une  lutte  inégale.  Le  «  memoria 
deldepartementodeIngenierosdelaNacion  »de  l8T6.cité 
parRebuelto,  signale  la  concurrence  que  font  les  tropas 
au  chemin  de  fer  Andino,  ouvert  de  Villa  Maria  à  Rio 
Cuarto  en  1873,  et  à  Villa  Mercedes  en  1875.  Les  com- 
merçants de  San  Juan  et  de  Mendoza  continuaient  à  les 
employer.  Le  chemin  de  fer  dut  signer  avec  les  troperos 
un  contrat  aux  termes  duquel  les  chars  devaient  amener 
les  marchandises  jusqu'à  V'^illa  Mercedes  où  ils  les  re- 
mettaient au  chemin  de  fer.  Le  fret  global  était  de 
50  centavos  boliviens  (2  fr.  50)  par  arrobe  depuis  M<m- 
doza  jusqu  à  Rosario,  et  de  GO  centavos  depuis  San 
Juan.  Le  chemin  de  fer  prélevait  pour  sa  part  15  centavos. 


Le  premier  chemin  de  fer  argentin  fut  inauguré  en 
1859  seulement,  entre  Buenos  Aires  et  Moron,  sur  une 
dislance  de  20  kilomètres. 

En  1870,  les  voies  ferrées  argentines  forment  deux 
réseaux  indépendants.  Le  premier  commence  à  dessiner 
un  éventail  rayonnant  autour  de  Buenos  Aires  (ligne  de 
l'Ouest,  ouverte  jusqu'à  Chivilcoy  en  1870,  ligne  du 
Sud,  ouverte  jusqu'à  Chascomus  en  1865).  Plus  au 
Nord,  une  ligne  (Central  Argentino),  part  de  Rosario  et 
atteint  Bellville  en  1866  et  Cordoba  en  1870. 


ROUTIvS  ET  VOIES  FERRÉES.  2iô 

L'isolement  politique  de  Buenos  Aires  entre  1852  et 
180"2,  pendant  la  [M;riode  où  furent  accordées  les  pre- 
niirr<'s  concessions,  laisse  dans  le  dessin  du  réseau 
une  trace  durable  qui  ne  s'elVace  que  15  ou  W  ans  plus 
lard.  C'est  en  I8(S6  seulement  que  Rosario  fut  relié  par 
rail  h  liuenos  Aires.  La  ligne  vers  Mendo/.a  et  le  Chili 
entreprise  dès  187.)  (F.  C.  Audino),  se  greffa  sur  le  che- 
min (le  fer  de  Hosario  à  Cordoba.  Klle  atteignit  Mendoza 
au  pied  des  Andc-<  avant  d'être  raccordée  à  Buenos  Aires, 
et  c'est  en  18N8  que  le  chemin  de  fer  du  Pacitique  fut 
achevé  entre  Buenos  Aires  et  N'illa  iMercedes,  et  élahliL 
une  communication  directe  entre  la  capitale  et  les  pro- 
vinces de  Cuyo. 

La  ligne  de  Rosario  à  Cordoba  est  donc  la  branche 
principale  autour  de  laquelle  se  développa  le  réseau 
argentin.  Il  e.^t  remarquable  qu'on  envisagea  dès  la  dale 
de  m  première  <oncession,  en  1855,  son  prolongement 
vers  l'Ouest,  et  qu'on  songea  à  en  faire  l'amorce  d'un 
transandin.  Le  premier  concessionnaire,  Wheelwright, 
avait  construit  en  1851  au  Chili  la  voie  feirée  la  plus 
ancienne  du  continerjt  sud-américain,  de  la  Cald^'ra  à 
Copiapo.  La  concession  de  1N55  autorisait  WheeKvright 
è  prolonger  vers  l'Ouesl  la  ligne  de  (Cordoba,  et  à  la 
relier  à  la  ligne  de  Copiapo.  En  inauguianl  la  gare  de 
Cordoba,  en  187o,  sans  se  laisser  décourager  par  la  len- 
teur avec  laquelle  le  rail  avait  traversé  la  Pampa, 
Wheelwright  déclarait  encore  que  le  but  était  le  Paci- 
tique, par  la  Rioja,  Co[)aca!)ana  et  le  col  de  San  Fran- 
cisco. Ce  programme  ambitieux  méritait  d'êlre  rappelé, 
ne  fût-ce  que  comme  un  souvenir  de  l'ancienne  orienta- 
lion  du  commerce  de  la  Rioja  et  de  ïinogasta  vers  le 
Pacifique,  et  comme  une  preuve  de  l'importance 
qu'avaient,  dans  l'imagination  des  hommes  de  cette  géné- 
ration, lés  vieilles  routes  transandines  du  Nord-Ouest  de 
l'Argentine. 

Avant  même  que  la  ligne  de  Rosario  eût  atteint  (^lor- 
doba,  on  avait  entrepris  de  la  prolonger  au  Nord  jusqu'à 


22i  LA  RÉPUBLIQUE  ARGEINTLNE. 

Tucuman.  Le  travail  fut  poussé  rapidement,  et  Tucuman 
atteint  dès  1875.  La  ligne  de  Cordoba  et  Tucuman  fut  la 
première  construite  entièrement  dans  la  zone  du  monte; 
on  y  employa  pour  la  première  fois  les  traverses  de  que- 
bracho.  Tandis  que  les  premières  lignes  de  la  province 
de  Buenos  Aires  et  le  Central  Argentino  avaient,  sur  le 
modèle  des  chemins  de  fer  de  l'Inde,  une  largeur  de  voie 
de  1  m.  67,  le  Central  Cordoba,  de  Cordoba  à  Tucuman. 
fut  établi  à  voie  étroite  de  1  mètre;  les  marchandises  en 
provenance  de  Tucuman  devaient  donc  subir  un  trans- 
bordement à  Cordoba.  A  la  même  date  (1875),  étail 
ouverte  la  ligne  de  Concordia  à  Monte  Caseros.  permet- 
tant de  tourner  les  rapides  de  TUruguay,  qui  devait  servir 
d'amorce  à  tout  le  réseau  mésopotamien.  Sa  largeur  de 
voie  était  de  \  m.  43.  La  diversité  des  types  de  voie  est, 
dès  ce  moment,  et  restera,  l'une  des  caractéristiques  du 
résrau  argentin. 

Lri  période  de  1875  à  1890  voit  construire  les  lignes 
principales  qui  se  substituent  aux  anciennes  routes  de 
province  à  province.  Le  chemin  de  fer  Andin  atteint 
San  Luis  en  1882,  Mendoza  et  San  Juan  en  1885.  Des 
embranchements  du  Central  Cordoba  parviennent  à  San- 
tiago del  Estero  en  18<S4,  et  à  Catamarca  en  1889.  Le 
Central  Argentino  ouvre  en  1891  une  ligne  nouvelle 
directe  à  voie  large  de  Rosario  à  Tucuman,  et  presque 
en  même  temps,  est  achevée  plus  au  Nord  la  voie  étroite 
du  Central  Norte,  de  Sanla  Fe  à  Tucuman.  La  ligne  de 
Tucuman  est  prolongée  au  Nord  au  pied  des  Andes  jus- 
qu'à Salta.  Dans  la  province  de  Buenos  Aires,  la  ligne 
de  Bahia  Blanca  est  ouverte  en  1884.  Depuis  1900,  les 
chemins  de  fer  ont  été  poussés  jusqu'aux  frontières  et 
raccordés  dans  différentes  directions  au  réseau  des  pays 
voisins.  I.e  tunnel  de  la  Cumbre  sur  le  transandin  de 
Mendoza  a  été  achevé  en  1910,  et  le  trafic  par  voie  ferrée 
a\ec  le  Chili  est  devenu  permanent.  La  ligne  de  Salta  a 
été  prolongée  en  1908  jusque  sur  le  plateau  bolivien. 
Enfin,  dfins  la  Mésopotamie,  le  chemin  de  fer  du  Nord- 


ROUTES  ET  VOIES  FERRÉES.  225 

Kst  a  atteint  Posadas  en  19H,  et  s'est  relié  avec  le  che- 
min de  fer  du  Paraguay. 

Ces  indications  donnent  toutefois  une  idée  très  incom- 
plète de  l'histoire  de  la  formation  du  réseau  argentin. 
Ce  réseau  ne  s'est  pas  seulement  superposé  aux  an- 
ciennes routes,  il  a  servi  d'autre  part  à  l'ouverture  et  à 
la  mise  en  valeur  de  terres  neuves  dont  il  a  permis  la 
colonisation.  Dès  1885,  Valiente  Noailles,  examinant  le 
plan  général  du  réseau,  signalait  cette  profonde  diffé- 
rence entre  les  chemins  de  fer  d'Argentine  et  d'Europe. 
«  En  Europe...  les  chemins  de  fer  sont  construits... 
pour  desservir  des  centres  de  production  et  de  consom- 
mation déjà  existants....  Nos  chemins  de  fer  en  Argen- 
tine doivent  permettre  la  colonisation.  »  A  l'occupation 
de  chacune  des  régions  de  la  plaine  pampéenne  par 
l'éleveur  ou  l'agriculteur,  correspond  la  construction 
dans  cette  région  d'un  réseau  dont  elle  alimente  le 
trafic  et  qui  lui  permet  d'écouler  sa  production.  Les 
mailles  de  ce  réseau  sont  d'autant  plus  serrées  que  la 
région  est  plus  productive  ;  elles  restent  plus  larges 
dans  les  zones  pastorales  que  dans  les  zones  agricoles. 
La  période  du  développement  du  réseau  du  Sud  dans  la 
province  de  Buenos  Aires  correspond  à  l'expansion  de 
l'élevage  aussitôt  après  la  pacification  de  la  Pampa.  Le 
chemin  de  fer  atteint  Azul  en  1876.  L'embranchement 
d'Ayacucho  est  ouvert  en  1880  et  prolongé  en  1887 
jusqu'à  Très  Arroyos;  l'achèvement  de  la  ligne  de  Bahia 
Blanca  par  Azul  et  Olavarria,  en  1884,  ne  marque  lui- 
même  qu'une  des  dates  de  cette  période  de  colonisa- 
tion. La  grande  période  de  la  colonisation  agricole  de 
Santa  Fe  et  de  la  construction  du  réseau  des  voies  fer- 
rées qui  la  desservent,  débute  un  peu  plus  tard,  et  elle 
est  comprise  entre  1880  et  1890  (extension  du  réseau 
du  Central  Argentin,  des  chemins  de  fer  de  la  Province 
de  Santa  Fe  et  du  chemin  de  fer  à  voie  étroite  de 
Rosario  à  Cordoba). 

Le  rôle  que  la  voie  ferrée  a  joué  dans  la  colonisation 

Dem».  —  L'Aigentine.  Ib 


•JiiG  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLXE. 

transparaît  nettement  dans  le  dessin  actuel  du  réseau  qui 
s'est  développé  librement  sur  la  surface  uniforme  de  la 
plaine  pampéenne.  Les  lignes  rayonnent  autour  du  porî 
de  Buenos  Aires,  et  en  moins  grand  nombre  autour  des 
ports  de  Rosario  et  de  Bahia  Blanca.  A  un  examen  plus 
détaillé,  la  symétrie  de  la  carte  des  chemins  de  fer,  qui 
frappe  au  premier  abord,  apparaîtra  moins  complète. 
Tandis  que  la  côte  atlantique  entre  la  Plata  et  Bahia 
Blanca  n'a  pas  de  ports,  le  Parana  offre  au  contraire 
nombre  de  points  favorables  à  l'embarquement  des 
céréales.  La  Plala,  San  Nicolas,  V.  Constitucion  sont 
desservis  par  des  voies  ferrées  qui  coupent  perpendi- 
culairement les  lignes  aboutissant  à  Rosario  et  à  Buenos 
Aires.  Cette  complexité  du  réseau  à  l'Ouest  du  Parana 
se  continue  au  Nord  de  Rosario,  où  les  lignes  aboutis- 
sant à  Santa  Fe  coupent  partout  les  lignes  dirigées  vers 
Rosario.  Les  lignes  qui  viennent  toucher  la  côte  Sud 
de  la  province  de  Buenos  Aires  (à  Juancho,  Neco- 
chea,  etc.),  contrairement  à  ce  qui  se  passe  pour  les 
lignes  desservant  les  ports  secondaires  du  Parana,  ont 
tout  leur  trafic  orienté  vers  l'intérieur,  et  servent  seule- 
ment à  rassembler  vers  Buenos  Aires  et  Bahia  Blanca  la 
récolte  des  régions  qu'elles  traversent.  Elles  sont  des 
dépendances  des  grandes  lignes  du  réseau  du  Sud  et  non 
des  lignes  concurrentes. 

Lorsque  la  partie  la  plus  fertile  de  la  plaine  pam- 
péenne, où  des  pluies  régulières  assurent  les  récoltes, 
eut  été  complètement  colonisée  et  couverte  de  chemins 
de  fer,  le  gouvernement  national  poursuivit  dans  les  ter- 
ritoires nationaux  la  politique  de  la  colonisation  par  le 
rail.  Le  ministre  Ramos  Mejia  a  attaché  son  nom  à  ces 
travaux,  interrompus  depuis  la  guerre,  et  qui  ont  rempli 
la  dernière  période  de  la  formation  du  réseau  argentin. 
Les  chemins  de  fer  de  Ramos  Mejia  comprennent  les 
lignes  de  pénétration  du  Chaco  ouvertes  à  partir  de 
Resistencia  et  de  Formosa  vers  le  Nord-Ouest,  et  les 
lignes   construites   vers  l'intérieur    de   la   Patagonie  à 


ROUTES  ET  VOIES  FERRÉE.S.  227 

partir  df^s  ports  de  Son  Antonio,  de  Puerto  Deseado  et 
de  Rivadavia.  Il  faut  y  ajouter  la  ligne  du  Neuquen  vers 
les  Andes,  construite  par  la  Compagnie  du  Sud,  mais 
avec  une  subvention  gouvernementale'.  Ces  lignes,  des- 
servant des  régions  peu  peuplées  et  de  ressources 
naturelles  insuffisantes,  ne  peuvent  escompter  d'ici 
longtemps  un  rendement  rémunérateur ^ 

La  construction  des  voies  ferrées  doit  donc  être  con- 
sidérée dans  l'Argentine  moderne  comme  l'un  des 
aspects  du  problème  de  la  mise  en  valeur  du  sol.  —  Les 
Compagnies  de  chemins  de  fer  ont  été  amenées  à  inter- 
venir directement  dans  le  développement  de  la  coloni- 
sation. Le  Central  Argentino  reçut  en  d865  du  Gouver- 
nement une  bande  de  terrain  large  de  5  kilomètres  de 
part  et  d'autre  de  la  ligne  en  construction,  entre  Rosario 
et  Cordoba,  à  charge  de  la  coloniser.  La  Compagnie  eut 
elle-même  ses  agences  d'immigration  et  ses  services  de 
colonisation  et  ouvrit  ses  premières  colonies  à  l'Ouest 
de  Rosario  entre  LS70  et  1872.  Ce  type  de  concession  est 
resté  exceptionnel  en  Argentine.  En  revanche,  la  loi 
de  1909  sur  l'irrigation  charge  les  Compagnies  de  che- 
mins de  fer  d'exécuter  pour  le  compte  du  Gouvernement 
les  travaux  nécessaires  pour  le  développement  de  l'irri- 
gation dans  les  zones  desservies  par  elles,  ces  travaux 
ayant  une  répercussion  immédiate  sur  l'accroissement 

1.  La  ligne  de  Bahia  Blanca  au  Rio  Negro,  dont  la  ligne  du  Neu- 
quen est  le  prolongement,  a  été  construite  dès  1896. 

•2.  On  a  prévu  le  prolongement  de  plusieurs  de  ces  lignos,  de  façon 
à  leur  assurer  plus  tard  un  trafic  de  transit  à  grande  distance.  Les 
lignes  de  Resistencia  et  de  Formosa,  poussées  jusqu'aux  Andes, 
pourront  disputer  aux  lignes  de  Rosario  et  de  Tucuman  le  trafic  de 
la  région  de  Salta.  En  Potagonie,  le  prolongement  du  chemin  de  fer 
de  San  Antonio  au  Nahuel  Huapi  à  travers  les  Andes,  vers  la  région 
de  Valdivia,  a  été  étudié.  Un  passage  a  été  découvert  à  l'altitude  de 
•1200  mètres.  Le  jour  où  ce  projet  serait  réalisé,  le  transandin  du 
Nahuel  Iluapi  pourrait  concurrencer  avantageusement  le  transandin 
d'Uspallata,  condamné  par  son  altitude  à  rester  exclusivement  une 
ligne  de  voyageurs.  Ces  projets,  dont  la  réalisation  est  encore  éloi- 
gnée, n'enlèvent  pas  aux  chemins  de  fer  de  Ramos  Mejia  leur  carac- 
tère de  ligues  de  colonisation,  uniquement  consacrées  pour  l'instant 
au  transport  des  bois  du  Chaco  et  des  laines  de  Patagoni'^. 


228  LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE. 

de  la  population  et  du  trafic.  Aux  termes  de  cette  loi,  le 
chemin  de  fer  du  Sud  construit  un  canal  qui  arrosera 
toute  la  vallée  du  Rio  Negro  en  aval  du  confluent  du 
Neuquen.  Le  Central  Argentino  et  le  Pacifico  ont  de 
même  entrepris  la  construction  de  barrages  sur  le  rio 
Tercero  et  le  rio  Quinto,  dans  les  provinces  de  Cordoba 
et  de  San  Luis. 

La  fonction  essentielle  de  la  voie  ferrée  étant  d'amener 
les  produits  de  la  zone  desservie  au  port  d'exportation, 
le  problème  des  rapports  entre  l'Administration  des 
chemins  de  fer  et  l'Administration  des  ports  prend  une 
importance  essentielle.  Si  les  ports  principaux,  comme 
Rosario  ou  Ruenos  Aires,  que  desservent  différentes 
Compagnies  de  chemins  de  fer,  conservent  leur  indépen- 
dance, tel  port  secondaire  est,  au  contraire,  à  la  merci 
de  l'unique  chemin  de  fer  qui  lui  amène  des  marchan- 
dises. Sous  ce  régime,  les  ports  sont  devenus  dans  bien 
des  cas  de  simples  dépendances  des  chemins  de  fer.  Le 
port  de  Colastiné  appartient  aux  chemins  de  fer  de  la  pro- 
vince de  Santa  Fe.  Le  port  de  Rahia  Rlanca  se  compose 
de  plusieurs  ports  distincts  construits  par  les  différentes 
Compagnies  de  chemins  de  fer,  administrés  par  elles, 
et  011  chacune  d'elles  opère  le  transbordement  des  mar- 
chandises qu'elle  amène.  Le  port  Ingeniero  White,  qui 
appartient  à  la  Compagnie  du  Sud,  fut  construit  dès  1885, 
aussitôt  après  l'ouverture  de  la  ligne  de  Buenos  Aires  à 
Bahia  Blanca;  le  Puerto  Galvan  appartient  à  la  Com- 
pagnie du  Pacifico  ;  le  puerto  Belgrano  est  le  port  du 
chemin  de  fer  de  Rosario  à  Bahia  Blanca.  A  Buenos 
Aires,  la  Compagnie  des  chemins  de  fer  du  Sud  a  acquis 
le  contrôle  de  la  «  Buenos  Aires  Southern  Dock  Com- 
pany »  ;  à  la  Plata,  elle  exerce  la  gérance  des  docks. 

L'expansion  de  la  colonisation  agricole  fut  d'abord 
limitée  par  les  frets  que  pouvaient  supporter  les  céréales 
à  une  zone  d'un  rayon  de  500  kilomètres  environ  autour 
des  ports.  C'est  le  chiffre  que  donne  Girola  dans  l'Inves- 
tigacion  agricola  de  1904.   La  période  de  1895  à  1905 


ROUTES  KT  VOIES  FERRÉES.  2-29 

vit  éclore  une  série  de  projets  de  conslruction  de 
canaux  dans  la  région  pampéenne,  destinés  à  assurer  les 
transports  de  grains  dans  la  zone  que  la  voie  ferrée  ne 
semblait  pas  pouvoir  desservir  économiquement.  Aucun 
d'eux  ne  fut  réalisé,  mais  les  chemins  de  fer  élargirent 
rapidement  leur  zone  d'influence  vers  l'intérieur.  Il 
subsiste  toutefois  une  trace  de  cette  pause  de  la  coloni- 
sation, dans  ce  qu'on  appelle  en  Argentine  les  tarifs 
paraboliques.  Les  chemins  de  fer  argentins  appliquent 
en  effet  en  principe,  et  sauf  les  exceptions  dues  à  la 
concurrence  entre  lignes  rivales,  des  tarifs  propor- 
tionnels aux  distances  jusqu'à  550  kilomètres  et  des 
tarifs  dégressifs  au-dessus  de  cette  limite.  Les  chemins 
de  fer  ont  favorisé  ainsi  la  conquête  de  l'Ouest.  Les 
tarifs  dégressifs  ont  certainement  leur  part  dans  l'expan- 
sion de  la  colonisation  pendant  les  années  qui  précé- 
dèrent 191 2  :  ils  ont  contribué  à  masquer  l'infériorité  des 
terres  nouv(;lles  auprès  des  terres  plus  favorisées  de 
l'Est'. 

La  hausse  des  terres  et  le  progrès  de  la  colonisation 
provoquèrent,  à  chacune  des  crises  de  développement 
qui  marquent  l'histoire  récente  de  l'Argentine,  un  foi- 
sonnement de  concessions  de  voies  ferrées  accordées 
par  le  Gouvernement  de  la  Nation  et  par  celui  des  diffé- 
rentes provinces,  qui  durent  être  rachetées  parles  Com- 
pagnies principales,  chacune  d'elles  s'efforçant  de  rester 
maîtresse  exclusive  de  la  zone  où  elle  s'était  établie.  Ce 
travail  de  concentration  ne  put  être  réalisé  d'une  façon 
parfaitement  méthodique,  et  les  différents  réseaux  se 
pénètrent  aujourd'hui  contrairement  aux  intérêts  des 
Compagnies.  C'est  ainsi  que  Villa  Maria,  sur  la  ligne 
du  Central  Argentine  de  Rosario  à  Cordoba,  est  des- 
servie également  par  une  ligne  des  chemins  de  fer  de  la 
province  de  Santa  Fe  et  par  une  ligne  du  Pacifique  qui 

I.  J.  Lopez  MaûJin,  t'I  actual  prohlema  ayrario.  Buenos  Aii'es,  191'2 
(Minislerio  de  agricullura.  Direccion  General  de  agricullura  y  dclensa 
agricola). 


2."0  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

la  met  en  communication  avec  Buenos  Aires.  En  re- 
vanche, le  Central  Argentine  pénètre  à  Junin  jusqu'au 
cœur  de  la  zone  du  Pacifico. 

Cependant  la  concurrence  entre  les  diverses  Compa- 
gnies a  eu  pour  effet  de  répartir  la  plaine  pampéenne  en 
trois  grandes  zones  d'influence.  La  première  au  Nord 
est  celle   du  Central  Argentino  et  du  Buenos  Aires  y 
Rosario.    Le   Gouvernement  argentin    a    officiellement 
sanctionné  en  1908  la  fusion  des  deux  Compagnies  qui 
était    réalisée    en    fait    depuis    plusieurs    années.    La 
deuxième  zone   au    Sud    est    celle   du    Pacifico   dont 
l'amorce  fut  la  ligne  de  Buenos  Aires  à  Villa  Mercedes, 
et  qui  a  racheté  en  1907  la  ligne  de  Villa  Mercedes  à 
Mendoza  et  le  Transandin,  prolongement  naturel  de  son 
réseau.  En  outre,  le  Pacifique  a  absorbé  en  1904  la  ligne 
de  Bailla  Blanca  au  Nord-Ouest  qui  a  été  reliée  à  son 
réseau  primitif  vers  Villa  Mercedes.  Il  possède  ainsi  un 
double    débouché    vers   Buenos  Aires    et    vers    Bahia 
Blanca  et  enferme  complètement  entre  ses  branches  la 
troisième   zone.   La    troisième  zone,   qui  comprend  le 
Centre  et  le  Sud  de  la  plaine  pampéenne,  est  le  domaine 
des  Compagnies  du  Sud  et  de  l'Ouest.  Ces  deux  Compa- 
gnies ont  demandé  en  1912  au  Gouvernement  argentin 
l'autorisation  de  se  fusionner.  Bien  qu'elles  aient  retiré 
leur  proposition  en  1914,  en  présence  des  conditions  qui 
leur  étaient  imposées,  elles  restent  étroitement  unies  et 
solidaires.  Une  partie  du  trafic  des  lignes  occidentales 
de  l'Ouest   passe   à  Carhuë   sur  les  lignes  du  Sud,  et 
s'embarque  au  port  d'Ingeniero  V^hite.  A  Buenos  Aires, 
de  même,  et  à  la  Plata,  une  partie  du  trafic  de  l'Ouest 
en  céréales  et  en  bétail  utilise  les  installations    de   la 
Compagnie  du  Sud.  L^Ouest  et  le  Sud,  conjointement, 
ont  racheté,  dès  1908,  avant  qu'elle  fût  achevée,  l'exploi- 
tation de  la  ligne  à  voie  étroite  du  Midland   de  Buenos 
Aires  à  Carhuë,  qui  devait  traverser  leur  zone  d'influence, 
et  qui  a  été  mise  en  service  en  1911. 

L'importance  du  transport  des  céréales  dans  la  vie 


34,3  o/o 

32,5  <>  0 

32,6  o/„ 

61,7 

55,1 

58,4 

41,8 

53,8 

35 

46.G 

34,8 

39,5 

ROUTES  ET  VOIES  FERRÉES.  251 

des  grands  réseaux  argentins  peut  être  mesurée  par  les 
chiffres  suivants.  Par  rapport  au  total  des  marchandises 
transportées,  tant  de  l'intérieur  vers  les  ports  que  des 
ports  vers  l'intérieur,  le  tonnage  des  céréales  exportées 
représente  : 

1913.  19U.  1910.  Moyenne. 

Sud 31      o/o 

Ouest 58,3 

Pacifique.    .    .  21) 

Central.   .    .    .  5d,5 

Les  chiffres  s'abaissent  légèrement  sur  le  Sud  qui 
s'étend  sur  une  zone  restée  largement  pastorale,  et  qui 
dessert,  par  sa  ligne  du  Rio  Negro,  une  partie  des  trans- 
ports du  bétail  de  Patagonie  (transports  de  bétail 
sur  le  Sud,  moyenne  des  années  1915,  1914  et  1916  : 
17,2  pour  100  du  tonnage  total,  19  pour  100  delà  recette 
totale;  transports  de  laine  sur  le  Sud  :  1,4  pour  100  du 
tonnage,  6,3  pour  100  de  la  recette).  Ils  s'élèvent  au 
contraire  pour  l'Ouest,  le  seul  réseau  qui  soit  entière- 
ment compris  dans  la  région  pampéenneet  qui  ne  pousse 
pas  de  prolongements  en  dehors  comme  le  Pacifique 
vers  Mendoza  et  le  Central  vers  Tucuman. 

La  proportion  du  trafic  total  qui  revient  à  chaque 
réseau  varie  d'une  année  à  l'autre  selon  le  rendement 
de  la  récolte.  Sur  les  4  à  10  000  000  de  tonnes  de  cé- 
réales transportées  chaque  année,  la  plus  grosse  part, 
I/o  environ,  revient  au  Central  Argentino;  1/6  envi- 
ron au  Sud.  Le  Central  Argentino  transporte  la  plus 
grande  partie  de  la  production  du  maïs  et  du  lin;  le 
maïs  représentée  lui  seul  26  pour  100  du  tonnage  chargé 
sur  le  réseau,  et  le  lin  5,6  pour  100.  Parmi  les  autres 
réseaux,  l'Ouest  seul  transporte  une  quantité  importante 
(le  maïs,  provenant  de  la  région  de  Junin  (19  pour  100 
de  son  tonnage,  mais  12  pour  100  seulement  de  sa 
recette,  en  raison  de  la  faible  distance  sur  laquelle  s'ef- 
fectuent ces  transports).  Les  transports  de  blé  sont  à 


232  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE, 

peu  près  également  répartis  entre  les  4  grands  réseaux, 
mais  c'est  sur  l'Ouest  que  leur  proportion  avec  le  trafic 
total  est  la  plus  forte  :  (34,4  pour  100  du  tonnage  total). 
Le  réseau  du  Sud  est  le  principal  transporteur  d'avoine 
(9,8  pour  100  du  tonnage  total).  Le  tonnage  convoyé 
annuellement  est  particulièrement  irrégulier  sur  le 
Central,  en  raison  de  l'inégalité  des  récoltes  de  maïs,  et 
aussi  sur  le  Pacifique,  dont  les  lignes  desservent,  au 
Nord-Ouest  de  Bahia  Blanca,  une  zone  de  production 
de  blé  exposée  à  la  sécheresse  (blés  transportés  par  le 
Pacifique  en  1913  :  15,9  pour  100  du  tonnage  total,  en 
1914  :  27,2  pour  100). 

L'évacuation  des  céréales  pose  pour  les  réseaux  ar- 
gentins un  problème  délicat  d'organisation  du  trafic.  La 
récolte  de  lin,  de  blé  et  d'avoine  doit  être  enlevée  dans 
les  4  à  6  mois  qui  suivent  la  récolte  (décembre-janvie]). 
La  récolte  du  maïs,  qui  est  plus  tardive,  est  aussi  beau- 
coup plus  lente  et  se  prolonge  pendant  tout  l'automne. 
L'évacuation  du  maïs  se  répartit  donc  sur  une  longue 
période,  et  il  arrive  qu'une  campagne  d'exportation  du 
maïs  rejoigne  celle  de  l'année  suivante.  De  ce  fait,  le 
Central  se  trouve  avantagé  par  rapport  aux  autres  ré- 
seaux. La  laine  doit  aussi,  en  raison  de  sa  grande  valeur, 
être  concentrée  rapidement  vers  les  ports  après  la  tonte, 
mais  elle  ne  représente  qu'un  tonnage  restreint  d'une 
centaine  de  mille  tonnes'. 

L'exportation  est  loin  cependant  de  constituer  la  tola- 
lité  du  trafic  des  chemins  de  fer  argentins.  Les  trans- 
ports de  produits  destinés  à  la  consommation  intérieure 
portent  en  premier  lieu  sur  une  partie  notable  de  la 
récolte  des  céréales.  Les  transports  de  matériaux  de 
construction  :  briques,  chaux,  pierres  à  bâtir,  pavés, 
fournissent  également  un  fret  important  aux  différentes 
lignes  joignant  Buenos  Aires  à  la  Sierra  de  Cordoba  et 

i.  La  guerre  et  les  difficultés  de  l'affrètement  maritime  ont  réduit 
la  gravité  du  problème  de  la  rapidité  des  transports  par  voie  ferrée 
sur  le  territoire  argentin. 


ROUTES  ET  VOIES  FERRÉES.  '2ô:> 

à  la  Sierra  de  Tandil.  Le  chemin  de  fer  du  Sud  a  trans- 
porté, en  1913,  1 154  000  tonnes  de  matières  minérales, 
dont 007  000  tonnes  de  pierres  et  101  000  tonnes  de  chaux, 
provenant  de  la  sierra  de  Tandil  et  34  000  tonnes  de  sel 
provenant  des  salines  de  Levalle,  entre  Bahia  Blanca  et 
le  Colorado.  Les  chemins  de  fer  du  Pacifique,  du  Central 
Argentino,  du  Central  Cordoba  et  de  l'État  ont  trans- 
porté la  même  année,  en  provenance  de  la  sierra  de 
Cordoba,  880000  tonnes  de  matières  minérales  dont  près 
de  la  moitié  de  chaux'.  Les  bois  chargés  sur  tous  les 
chemins  de  fer  du  Nord  de  l'Argentine  sont,  à  l'excep- 
tion du  quebracho  des  rives  du  Parana,  destinés  eux 
aussi  à  la  consommation  intérieure  :  traverses  de  voies, 
piquets  de  clôtures,  bois  de  chauffe  et  charbon  forment 
le  fret  principal  sur  la  plupart  des  lignes  du  monte.  La 
guerre  a  ralenti  la  construction  des  chemins  de  fer  et 
réduit  la  consommation  des  traverses,  mais  elle  a  privé 
l'Argentine  de  combustible  minéral  et  augmenté  les 
transports  de  bois  de  chauffage.  Même  sur  des  réseaux 
comme  ceux  du  Pacifique  ou  du  Central  Argentino  qui 
n"ont  dans  le  monte  qu'une  faible  partie  de  leurs  lignes, 
le  tonnage  des  bois  transportés  représente  encore 
6  pour  100  du  tonnage  total  (moyennes  des  années  1913, 
1914  et  1910),  la  proportion  s'élève  à  50  pour  100  du  ton- 
nage total  sur  le  Central  Cordoba.  Les  sucres  de  Tu- 
cuman  et  les  vins  de  Mendoza  forment  pour  plusieurs 
Compngnies  un  élément  essentiel  de  leurs  recettes,  moins 
par  leur  tonnage  que  par  le  prix  élevé  du  fret  et  par  la 
longueur  du  parcours  jusqu'aux  centres  de  consomma- 
tion de  la  région  pampéenne.  Les  transports  de  vin  et 
de  tonneaux  assurent  au  Pacifique  58,5  pour  100  de 
ses  receltes  (1915-14-16).  Les  transports  de  sucre  sur 
le    Central  Argentino  représentent    en   année  normale 

1.  Les  Iran.sports  de  matières  minérales,  à  l'exception  des  trans- 
ports de  sel,  ont  été  grandement  réduits  par  la  guerre.  En  1916,  ils 
ne  s'élèvent  plus  qu'à  037  000  tonnes  pour  le  Sud  et  157  000  tonnes 
pour  l'ensemble  des  réseaux  du  Central  Argentino,  du  Pacifico,  du 
Central  Cordoba  et  de  l'État. 


23 i  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

5  pour  100  de  ses  recettes.  Sur  le  Central  Cordoba,  le 
tonnage  de  canne  à  sucre  et  de  sucre  transporté  s'élève 
en  1914,  année  de  récolte  exceptionnelle,  à  près  de 
42  pour  100  du  tonnage  total,  à  près  de  20  pour  100 
encore  en  1916,  année  de  récolte  très  réduite.  Enfin 
l'approvisionnement  en  viande  du  marché  de  Buenos 
Aires  et  de  la  zone  pampéenne,  à  population  dense, 
détermine  un  courant  important  de  transport  de  bétail 
à  grande  distance,  les  frigorifiques  absorbant  pour  les 
marchés  extérieurs  le  bétail  sélectionné  de  la  zone, voi- 
sine des  ports,  et  les  abattoirs  de  Buenos  Aires  devant 
se  contenter  de  bêtes  moins  fines  élevées  dans  les  pro- 
vinces et  les  territoires  éloignés. 

L'importance  de  -ces  courants  de  trafic  interne  s'est 
fait  sentir  sur  l'organisation  du  réseau  argentin.  Elle  a 
rendu  essentiel,  pour  chaque  réseau,  non  seulement 
d'avoir  une  issue  sur  un  port  d'exportation,  mais  d'être 
relié  directement  au"  centre  principal  de  consommation 
intérieure,  Buenos  Aires.  Le  réseau  à  voie  étroite,  qui 
était  resté  jusqu'à  la  fin  du  xix"  siècle  limité  à  la  moitié 
septentrionale  du  territoire  argentin,  au  Nord  de  la  lati- 
tude de  Rosario,  s'était  développé  après  1900  dans  la 
province  de  Buenos  Aires  où  il  entreprenait  de  concur- 
rencer, pour  l'exportation  des  céréales,  le  réseau  à  voie 
large  (Compagnie  des  chemins  de  fer  de  la  province  de 
Buenos  Aires,  chemin  de  fer  provincial  de  la  Plata).  Ce 
réseau  s'est  uni  aux  lignes  à  voie  étroite  du  Nord.  Le 
Central  Cordoba,  qui  avait  atteint  Rosario  en  1912  el 
évité  ainsi,  pour  son  trafic  d'exportation,  la  nécessité  du 


Pl.  VL  — ■  Les  chemins  de  fep. 

Il  a  élé  impossible  de  figurer  le  réseau  complet;  les  lignes  principales  seules 
sont  indiquées.  Parmi  les  lignes  à  voie  élroite  de  la  région  pampéenne,  on  n'a 
tracé  que  celles  qui  raccordent  à  Buenos  Aires  le  réseau  du  Nord  de  l'Argenlino. 
l.a  carte  montre  le  double  débouché  du  réseau  du  Pacifico  de  Villa  Mercedes 
vers  Buenos  Aires  el  Bahia  Blanca;  elle  ne  donne  qu'une  idée  insuffisante  de  la 
façon  dont  se  superposent  et  sentre-croisent  les  réseaux  aboutissant  aux  ports 
du  Parana  et  du  Rio  de  la  Plata  :  Sanla  Fe,  Rosario,  San  Nicolas,  Buenos 
Aires,  La  Plata. 


Hems.  —  L'Argentine. 


l'r,.  VI 


Réaions  monragneoses 

Chemins  de  fer  à  fOit  \nrgt- 

d° à  lOît (irhile 

d° à  voie  moyenne 


ROUTES  ET  VOIES  FERREES.  255 

transbordement  à  Cordoba  sur  la  voie  large,  a  entrepris, 
aussitôt  après,  la  construction  d'un  raccord  direct  avec 
Buenos  Aires  (Central  Cordoba,  extension  à  Buenos 
Aires,  ouvert  en  1915).  La  ligne  de  Rosario  à  Buenos 
Aires  de  la  Compagnie  de  la  province  de  Buenos  Aires 
sert  de  même  au  passage  des  trains  de  la  Compagnie  de  la 
province  de  Santa  Fe  qui  s'est  étroitement  associée  avec 
elle.  Les  lignes  à  voie  moyenne  de  la  Mésopotamie  ont 
réalisé,  elles  aussi,  leur  raccord  avec  Buenos  Aires  par 
l'intermédiaire  d'un  ferry-boat  qui  circule  sur  le  Parana 
entre  Ibicuy  et  Zarate,  et  par  l'utilisation  d'un  tronçon 
du  Central  de  Buenos  Aires. 

La  concentration  des  lignes  à  voie  étroite  et  à  voie 
moyenne  parut  même  en  1915  aboutir  à  une  fusion  com- 
plète de  leurs  intérêts.  L'Argentine  Railway  Co.  se  rendit 
maîtresse  des  cbemins  de  fer  de  l'Entre  Bios,  de  Cor- 
rientes  et  du  Paraguay;  elle  afferma  l'exploilalion  du 
Central  Cordoba  et  de  son  prolongement;  elle  disposait 
en  outre  de  gros  intérêts  dans  les  Compagnies  françaises 
des  provinces  de  Buenos  Aires  et  de  Santa  Fe.  L'unifi- 
cation entre  ses  mains  de  toutes  les  ligues  à  voie  étroite 
eût  été  complète  si  elle  avait  pu  absorber  les  chemins  de 
fer  de  l'État.  La  ligne  à  voie  large  de  Rosario  à  Puerto 
Belgrano,  en  conflit  d'intérêts  avec  les  grands  réseaux 
anglais  à  voie  large,  s'était  rattachée  au  groupement 
des  lignes  à  voie  étroite  constitué  par  l'Argentine  Rail- 
way. La  fusion  tentée  par  l'Argentine  Railway  a  échoué, 
et,  après  sa  faillite,  les  compagnies  qu'elle  avait  momen- 
tanément groupées,  ont  repris  leur  indépendance. 

La  voie  fluviale  du  Parana  a  été  pour  les  voies  ferrées 
tantôt  une  auxiliaire  et  tantôt  une  concurrente. 

Jusqu'à  l'ouverture  de  la  ligne  de  Buenos  Aires  à 
Rosario  en  1886,  la  navigation  du  Parana  resta  le  seul 
lien  entre  le  réseau  du  Nord  de  l'Argentine  et  celui  de  la 
province  de  Buenos  Aires.  La  Compagnie  de  Buenos 
Aires  à  Rosario,  avant  l'achèvement  de  la  ligne,  avait 
organisé  sur  le  Parana  un  service  de  navigation,  et  main- 


2ÔC  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

tenait  ainsi  un  trafic  de  marchandises  à  destination  des 
stations  du  Central  Argentin  avec  transbordement  à 
Rosario.  Ces  combinaisons  entre  le  service  par  chemin 
de  fer  et  le  service  fluvial  ont  disparu  depuis  fachèvc- 
ment  de  la  ligne  de  Buenos  Aires  à    Rosario. 

En  ce  qui  concerne  le  trafic  d'exportation,  les  chemins 
de  fer  n'ont  pas  essayé  d''entrer  en  concurrence  avec  le 
fleuve  dans  t"oute  la  section  où  il  est  ouvert  à  la  naviga- 
tion maritime,  leur  seule  préoccupation  étant  de  se 
relier  à  lui.  La  voie  ferrée  et  la  voie  fluviale  se  disputent 
au  contraire  le  trafic  intérieur,  et  les  transports  de  la 
zone  amont  où  la  navigation  maritime  ne  remonte  pas. 
Avant  l'ère  des  chemins  de  fer,  la  voie  fluviale,  qui  absor- 
bait tout  le  trafic  des  marchandises  n'en  avait  pas  moins 
laissé  subsisté  sur  la  rive  gauche  une  route  postale  entre 
Santa  Fe,  Corrientes  et  Asuncion.  Le  chemin  de  fer 
conserve  aujourd'hui  l'avantage  sur  le  fleuve  pour  les 
transports  rapides  (transports  de  voyageurs  entre  Rosario 
et  Buenos  Aires,  transports  de  bétail  sur  pied  du  Chaco 
et  du  Paraguay  à  destination  de  Buenos  Aires  ou  des 
Saladeros  du  bas  Uruguay).  Même  pour  certaines  mar- 
chandises lourdes,  —  le  bois  de  quebracho,  —  la  voie 
fluviale  n'a  pas  réussi  à  établir  un  monopole,  et  les 
transports  par  voie  ferrée  restent  actifs. 


CHAPITRE   VIÎI 


LES    VOIES     FLUVIALES 


L'utilisation  du  fleuve  avant  la  navigation  à  vapeur.  —  La  crue. 

—  La  plaine  fluviale.  —  Le  lit  du  Parana  et  ses  transformations. 

—  L'estuaire  et  ses  marées.  —  La  navigation   maritime.  —  La 
Ijatcllerie  du  Parana. 

Le  problème  de  l'utilisation  de  la  voie  fluviale  du 
Parana  et  du  Paraguay  n'intéresse  pas  l'Argentine  seule  : 
il  touche  à  l'histoire  générale  de  la  colonisation  dans 
l'Amérique  du  Sud.  Le  nom  même  du  rio  de  la  Plata 
conserve  le  souvenir  des  préoccupations  des  premiers 
navigateurs  qui  y  abordèrent,  et  qui  y  cherchaient  avant 
tout  une  route  vers  les  régions  minières  des  Andes;  il 
est  remarquable  que  l'Amazone,  qui  ouvre  vers  les 
Andes  une  voie  plus  directe  et  mieux  orientée,  ne  servit 
jamais  à  atteindre  le  Pérou  et  fut  utilisée  tout  au  plus, 
et  d'une  façon  exceptionnelle,  comme  une  voie  de 
retour,  tandis  que  le  Parana  voit,  pendant  tout  le 
xvf  siècle,  s'organiser  sur  ses  rives  les  expéditions  à 
destination  de  la  Cordillère.  Les  itinéraires  joignant  le 
Parana  et  le  Paraguay  au  plateau  sillonnent  toute  la 
plaine  de  la  Pampa  et  du  Chaco,  depuis  la  hauteur  de 
l'estuaire  jusque  près  du  16"  L.  S.  (expédition  de  Nuflo 
de  Chavez  en  1557).  Un  faisceau  particulièrement  dense 
part  du  fleuve  entre  le  IS**  et  le  22°  et  aboutit  à  Santa 
Cruz,  le  centre  le  plus  septentrional  établi  par  les  Espa- 
gnols dans  la  plaine,  au  pied  des  Andes,  dont  la  fonda- 
tion est  une  conséquence  de  l'utilisation  du  Parana*. 

I.  Un  certain  trafic  comiuercial  se  maintient  encore  à  cette  latitude 
entre  le  fleuve  et  la  région  de  Santa  Cruz,  par  les  pistes  de  Puerto 
Suarez  et  de  Puerto  Paclieco. 


258  LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE. 

Cependant  la  colonisation  espagnole  ne  parvient  pas 
à  fonder  d'établissements  durables  dans  le  Chaco.  Les 
Indiens,  qui  en  restent  les  maîtres,  interdisent  le  pas- 
sage, et  seule  reste  praticable  la  plus  méridionale  des 
routes  vers  le  plateau,  au  Sud  du  rio  Salado,  qui  aboutit 
à  l'estuaire.  De  ce  jour,  la  prospérité  de  Buenos  Aires 
efface  celle  d'Asuncion  ;  le  fleuve  cesse  de  jouer  le 
rôle  d'une  grande  voie  continentale. 

Le  partage  du  Parana  entre  Espagnols  et  Portugais 
était  un  obstacle  au  plein  rendement  de  la  voie  fluviale; 
les  Portugais   tenaient  les  parties  supérieures   de  son 
bassin  que  le  Brésil  a  conservées.  Ils  chassent  les  mis- 
sionnaires espagnols  du  Parana  supérieur  au  milieu  du 
xvii^  siècle,  et  se  rendent  maîtres  du  Paraguay  au  Nord 
du  20"  L.  S.  Leurs  forteresses  de  Coïmbrè  et  d'Albu- 
querque  barraient  le  fleuve  à  la  montée.  Azara  insiste 
sur  l'intérêt  qu'aurait  eu  pour  l'Espagne  le  désarmement 
de  ces  forts;  il  eût  permis  de  remonter  par  le  fleuve 
jusqu'aux  missions   espagnoles  des  Mojos  et  des  Chi- 
quitos.  Les  Portugais,  de  leur  côté,  n'utilisaient  comme 
route  d'accès  vers  les  mines  d'or  du  Matto  Grasso  que 
le  tronçon  supérieur  du  fleuve,  auquel  le  chemin  des 
Paulistes  vient  se    raccorder    au    Nord  de    Coïmbre. 
Aujourd'hui  encore,  bien  que  le  Parana  soit  ouvert  à 
tous  les  pavillons,  le  développement  de  la  voie  fluviale 
n'est  pas   indépendant  des  conditions    politiques.    En 
construisant  le  chemin  de  fer  de  Saint-Paul  à  Corumba, 
et  en  créant  ainsi  sur  son  territoire  une  voie  de  commu- 
nication directe  avec  le   Paraguay  supérieur,  le  Brésil 
détourne  du  fleuve  inférieur  une  part  du  trafic  qui  devrait 
normalement  l'emprunter.  De  même,  les  ports  du  Brésil 
méridional  et  les  réseaux  qui  y  aboutissent  cherchent  à 
attirer  vers  l'Atlantique  les   produits    des  bassins  de 
l'Uruguay  et  du  Parana  supérieur,  qui,  si  les  frontières 
avaient  été  autrement  dessinées,  eussent  suivi  le  fil  du 
courant  pour  alimenter  le  commerce  de  Buenos  Aires. 
Le  commerce  fluvial  est  limité,  avant  la  Révolution, 


LES  VOIES  FLUVIALES  259 

aux  échanges  entre  les  Missions  et  le  Paraguay  d'une 
j)art,  et  de  l'autre  Buenos  Aires  et  les  provinces  andines. 
Après  la  dispersion  des  Missions,  le  Paraguay  est  le 
centre  principal  des  expéditions  sur  le  fleuve.  Sa  popu- 
lation à  la  tin  du  xvni"^  siècle  est  relativement  considé- 
rable. Elle  s'élevait,  selon  d'Azara,  à  07000  habitants,  el 
à  47  000  pour  le  territoire  des  anciennes  Missions,  alors 
que  Buenos  Aires,  Santa  Fe,  Entre  Bios  et  Corrientes 
ne  comptaient  encore  que  105  000  habitants  en  tout.  Le 
Paraguay  expédiait  par  le  fleuve  du  tabac,  du  maté  et  des 
bois.  La  direction  de  l'estanco  de  B.  A.  recevait  du 
Paraguay  800  tonnes  de  tabac  par  an.  Les  exportations 
de  maté  du  Paraguay  pour  le  Pérou,  le  Chili  et  les  pro- 
vinces de  l'intérieur  s'élevaient  à  1725  tonnes;  les  expor- 
tations de  maté  à  destination  de  Buenos  Aires  à 
2250  tonnes.  Le  bois  provenait  surtout  du  Tebicuary,  oi!i 
se  formaient  les  angadas  (trains  de  bois).  C'est  aussi  sur 
le  Tebicuary  que  se  trouvaient  les  chantiers  de  cons- 
truction principaux  :  on  y  lançait  des  embarcations  de 
20  à  200  tonnes;  elles  s'éclairaient,  pour  descendre  le 
fleuve,  de  pirogues  chargées  de  dépister  les  embuscades 
des  Indiens,  maîtres  de  la  rive  droite  au  Nord  de 
Santa  Fe. 

Le  développement  de  la  navigation  sur  le  Parana, 
pendant  la  première  moitié  du  xix*'  siècle,  est  retardé 
par  les  troubles  et  les  guerres  de  la  période  de  l'éman- 
cipation et  de  l'unification  de  l'Argentine.  A  maintes 
reprises,  le  blocus  du  fleuve  est  organisé  et  la  circulation 
s'y  arrête;  quelques  barques  de  contrebandiers  réus- 
sissent seules  à  se  glisser  par  les  bras  latéraux  que  les 
navires  mouillés  dans  le  fleuve  ne  peuvent  surveiller. 
Robertson  échappa  ainsi  aux  vaisseaux  espagnols. 
L'image  pittoresque  que  d'Orbigny  a  tracée  de  la  vie 
fluviale  se  rapporte  à  l'année  1827.  A  cette  date,  l'es- 
tuaire est  bloqué  par  la  flotte  brésilienne  et  dans  toute 
la  région  du  delta,  jusque  vers  San  Pedro;  la  piraterie 
est  si  répandue  et  l'insécurité  telle,  que,  de  l'Uruguay  ou 


240  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

du  Parana,  on  se  risque  à  peine  à  descendre  jusqu'à 
Buenos  Aires,  en  groupant  les  navires  en  convois.  Vers 
Tamont,  Corrientes  marque  le  terme  de  la  navigation. 
Le  dictateur  Francia  a  fermé  le  Paraguay,  et  les  pirogues 
même  ont  cessé  de  circuler  sur  le  haut  Parana,  le  long 
de  la  frontière  paraguayenne.  Les  Gorrentinos,  de 
langue  Guarani,  obtiennent  seulement  de  loin  en  loin 
Tautorisation  d'envoyer  vers  l'amont  quelques  barques, 
que  les  pirogues  convoient  jusqu'à  Neembucu  et  qui 
ramènent  des  peaux  et  du  maté.  Corrientes  est  donc 
devenu  l'entrepôt  du  fleuve  supérieur  et  a  remplacé 
Asuncion  dans  le  commerce  fluvial.  La  flottille  du 
Parana  comprend  des  chalands  à  fond  plat,  qu'on  n'em- 
ploie qu'à  la  descente,  et  de  fortes  embarcations  à 
quille,  durables,  gréées  en  goélettes,  en  sloops  et  en 
bricks,  dont  les  cordages  sont  faits  de  tresses  de  cuir. 
V^ers  l'aval,  le  trafic  se  diversifiait  un  peu;  les  îles 
envoyaient  à  Santa  Fe  et  à  Buenos  Aires  quelques 
charges  de  bois  de  chauffage  et  de  charbon;  les  vergers 
du  delta  fournissaient  Buenos  Aires  d'oranges  et  de 
pêches;  les  peaux  destinées  à  l'exportation  s'embar- 
quaient à  Goya  et  Santa  Fe  ;  mais  le  fret  principal  était 
la  chaux  de  la  Bajada,  que  brûlaient  les  fours  établis  sur 
la  Barranca,  aux  affleurements  des  bancs  de  calcaire 
coquillier. 

La  navigation  était  relativement  aisée;  le  voyage  de 
Corrientes  à  Buenos  Aires  (1080  km)  prenait  d'ordinaire 
.15  à  20  jours.  A  la  montée,  sa  durée  était  plus  irrégu- 
lière;  on  s'arrêtait  quand  les  vents  du  Sud  manquaient, 
ou  l'on  tentait  de  gagner  un  peu  de  terrain  en  se  halant 
à  la  corde  (sirgar).  D'Orbigny  employa  à  la  montée 
un  mois*.  En  1822,  avant  la  guerre  avec  le  Brésil, 
651  embarcations  étaient  entrées  à  Buenos  Aires  pour 


1.  Les  vents  du  sud  locaux,  qui  aident  la  navigation  de  la  montée  en 
aval  de  Rosario,  sont  peut-être  déterminés  par  la  tempéi'ature  élevée 
des  eaux  du  fleuve,  qui  provoque  par  ailleurs  sur  le  Parana  inférieur 
les  brouillards  épais  que  signalent  les  instructions  nautiques. 


LES  VOIES  FLUVIALES.  t>41 

le  comineirc  de  cabotage  des  rios,  1055  à  San  Fernando 
ou  au  Tigre,  avanl-port  de  Buenos  Aires.  En  4855,  Isa- 
belle évalue  à  1  ()()()  le  nombre  des  embarcations  desser- 
vant le  Parana  et  l'Uruguay. 

En  1841,  Rosas  interdit  la  navigation  du  fleuve.  Uji 
double  blocus  enlravo  alors  le  commerce  de  l'Argentine  : 
la  Hotte  franco-britannique  ferme  le  rio  de  la  Plata  cl 
bloque  Je  porl  do  Buenos  Aires  où  est  établi  le  gouver- 
nement de  Rosas.  En  outre,  les  troupes  de  Rosas  de  la 
barranca  de  la  rive  droite  interdisent  la  remontée  du 
Parana  et  isolent  du  monde  les  provinces  de  l'intérieur. 
Combien  ce  régime  heurtait  d'intérêts  déjà  pleinement 
conscients,  on  peut  le  mesurer  à  l'agitation  que  pro- 
voque la  décision  prise  par  la  France  et  l'Angleterre  en 
1845  de  forcer  le  blocus  du  fleuve.  Aussitôt  s'organise  à 
Montevideo  un  convoi  qui  ne  comprend  pas  moins  de 
95  navires  jaugeant  en  tout  G900  tonnes  (Mac  Kann).  Il 
remonte  le  Parana,  sous  la  protection  des  navires  de 
guerre  qui  parviennent  à  relever  les  chaînes  tendues  par 
Rosas;  le  convoi  se  disperse  à  l'amont  aussitôt  parvenu 
hors  de  portée  des  entreprises  de  Rosas.  Il  avait  exigé 
un  tel  déploiement  de  forces  que  la  tentative  ne  put  être 
reprise  avant  la  chute  de  Rosas. 

La  fermeture  du  Parana  contraint  le  commerce  du 
Paraguay  à  se  détourner  vers  le  Sud-Est,  à  franchir 
l'isthme  des  Missions,  entre  le  Parana  et  l'Uruguay,  et 
à  descendre  l'Uruguay.  C'est  le  moment  oii  Itapua,  sui- 
te haut  Parana,  concentre  toute  l'activité  commerciah- 
du  Paraguay.  La  prospérité  de  l'Uruguay  est  la  rançon 
de  la  misère  qui  règne  sur  le  Parana.  La  population  de 
Paysandu  et  celle  de  Montevideo  s'accroissent  rapide- 
ment. 

En  1852,  à  la  chute  de  Rosas,  commence  pour  le 
Parana  la  période  moderne  :  la  population  fluviale 
elle-même  se  transforme  rapidenjent  ;  elle  cesse  d'être 
exclusivement  créole.  Les  Basques  puis  les  Italiens,  qui 
avaient  pénétré  depuis  dix  ans  sur  l'Uruguay,  se  répan- 

Dems.  —  LAisonliiic.  IG 


242  LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE. 

dent  à  cette  époque  sur  le  Parana;  Mac  Kann  trouve  à 
Santa  Fe,  en  1850,  50  barques  de  20  à  100  tonnes  ap- 
partenant toutes  à  des  Italiens.  Cette  immigration  coïn- 
cide avec  le  développement  des  relations  entre  le  Parana 
et  le  port  de  Montevideo.  De  1852  à  1860,  en  effet,  Bue- 
nos Aires  reste  isolée  et  se  tient  en  dehors  de  la  vie 
économique  de  l'Argentine  :  Montevideo  tient  sa  place. 
Le  gouvernement  d'Urquiza  cherche,  en  outre,  à  établir 
des  relations  maritimes  directes  entre  les  pays  d'outre- 
mer et  les  ports  du  fleuve,  Gualeguay,  dans  Entre  Rios, 
et  Rosario,  à  Santa  Fe.  Sous  le  régime  des  droits  préfé- 
rentiels, 1857-1859,  qui  dégrève  les  marchandises  im- 
portées par  le  fleuve,  Rosario  s'accroît  brusquement  et 
passe  entre  1855  et  1858  de  4000  à  22  700  habitants.  La 
période  de  1852  à  1860  est  aussi  celle  du  développement 
de  la  navigation  à  vapeur,  qui  double  la  valeur  de  la 
voie  fluviale.  Dès  1860,  Buenos  Aires  est  relié  par  des 
services  réguliers  de  vapeurs  à  Rosario,  Santa  Fe,  Cor- 
rien  tes,  Asuncion  et  Cuyaba.  Sur  le  haut  Parana,  ce 
sont  encore  des  goélettes  à  voiles  qui  font  les  transports 
de  bois,  de  tabac  et  d'oranges  entre  Corrientes  et  Apipé, 
où  elles  s'arrêtent  au  pied  des  rapides.  La  navigation  à 
vapeur  sur  les  rapides  d' Apipé  ne  sera  établie  qu'en 
1868'.  De  1850  à  1860  se  multiplient  les  explorations  du 
Salado  et  du  Bermejo,  par  lesquels  les  provinces  de 
l'intérieur  espèrent  pouvoir  se  relier  à  l'artère  vivifiante 
du  Parana  (voyages  de  Page  sur  le  Salado,  depuis  Salta 
en  1855,  de  Lavarello  sur  le  Bermejo,  en  1855  et  1863). 
A  partir  de  1860,  l'entrée  de  Buenos  Aires  dans  la 
Confédération  rétablit  un  régime  normal  de  libre  con- 
currence entre  Buenos  Aires  et  Rosario.  La  vie  du  fleuve 
reflète  désormais  le  développement  de  la  colonisation 
dans  la  région  pampéenne.  Le  Parana  devient  une 
grande  voie  d'exportation  des  céréales. 


1.  Selon  Rengger,  les  goélettes  à   voiles  arrivaient  parfois  à  fran- 
chir le  Salto  d'Apipé. 


LI-:S  VOIES  FLUVIALES.  245 

Les  deux  ilcuves,  dont  le  rio  de  la  Plata  forme  l'es- 
tuaire commun,  diffèrent  profondément  par  leur  régime. 
L'Uruguay  a  des  crues  irrégulières  qui  se  produisent 
surtout  en  automne  (mai)  et  à  la  fin  de  l'hiver  (août-oc- 
tobre). L'étiage  est  atteint  en  été  (janvier-février).  Son 
bassin  appartient  en  effet  à  la  zone  tempérée  et  ne  s'étend 
pas  au  Nord  jusque  dans  le  domaine  des  pluies  d'été 
tropicales.  L'Uruguay  s'oppose  encore  au  Parana  par 
sa  faible  puissance  de  transport  et  d'alluvionnement. 
Tandis  que  le  Parana  a  édifié  une  vaste  plaine  deltaïque, 
l'Uruguay  s'achève  par  un  véritable  rias,  à  fond  de  roche 
ou  de  sable,  aux  eaux  claires.  Le  rias  de  l'Uruguay 
s'étend  sur  "200  kilomètres  de  long  et  8  à  10  de  large.  La 
rive  orientale  est  rocheuse  et  accidentée  ;  la  rive  argen- 
tine est  basse  :  elle  est  formée  au  Sud  par  les  dépôts 
du  delta  du  Parana,  tandis  que,  plus  au  Nord,  de  Guale- 
guaychu  à  Concepcion,  les  collines  d'Entre  Rios  sont 
masquées  par  un  rideau  d'îles  plates  couvertes  de  pal- 
miers, construites  par  les  apports  des  ruisseaux  d'Entre 
Rios.  Sur  la  vaste  nappe  du  rias,  les  crues  fluviales 
s'amortissent.  La  marée  de  l'estuaire  ou  la  crue  du 
Parana  suffisent  à  y  renverser  le  courant. 

La  navigation  maritime  remonte  en  amont  du  rias,  au 
delà  de  Paysandu,  jusqu'aux  rapides  qui  barrent  le  fleuve 
à  Salto.  Les  deux  villes  jumelles  de  Concordia  (rive 
droite)  et  Salto  (rive  gauche)  marquent  la  limite  de  la 
navigation  sur  le  bief  inférieur.  Elle  reprend  en  amont 
des  chutes,  à  Monte  Caseros^  d'où  les  vapeurs  fluviaux 
atteignent  San  Tome,  et  irrégulièrement  Concepcion  ; 
les  barques  parviennent  aux  hautes  eaux  jusqu'au  Salto 
Grande  des  Missions  sous  27°  20'  L.  S. 

Le  réseau  navigable  du  Parana  a  une  extension  qua- 
druple, les  premiers  levers  du  fleuve  remontent  au  milieu 
du  xix*"  siècle,  et  furent  exécutés  par  la  marine  anglaise. 

1.  La  batellerie  du  haut  Uruguay  descendait  autrefois,  pour 
réduire  la  longueur  du  portage,  du  Salto  jusqu'à  TArapeliy,  à  mi- 
cheniin  entre  Monte  Caseros  et  Concordia  (voir  Isabelle). 


m  LA  REPUBLIQUE  ARGENTINE. 

Au  début  du  xx®  siècle,  le  gouvernement  argentin  a 
repris  l'étude  du  lit  et  du  régime  du  Parana.  Une  carte 
au  1/100000  du  cours  du  fleuve  entre  Posadas  et  San 
Pedro,  à  l'entrée  du  delta,  a  été  publiée  par  le  Ministère 
de  Obras  Publicas.  Un  nivellement  de  précision  a  été 
réalisé,  et  26  échelles  fluviométriques  ont  été  établies 
dont  le  zéro  représente  l'étiage  moyen';  des  sondages 
transversaux  ont  été  pratiqués  à  équidistance  de  2  ou 
300  mètres,  réduite  à  50  et  même  25  mètres  aux  points 
critiques.  Grâce  à  ces  travaux,  le  Parana  est  sans  doute 
aujourd'hui  le  mieux  connu  des  fleuves  de  son  impor- 
tance. 

Son  débit  est  évalué  à  6000  mètres  cubes  par  seconde 
à  l'étiage  moyen,  à  hauteur  de  Rosario;  à  25  ou  30000 
mètres  cubes  pendant  la  crue  pour  une  hauteur  de 
6  mètres  au-dessus  de  l'étiage  ^  Son  régime  porte  l'em- 
preinte de  ses  origines  tropicales  :  le  régime  tropical  est 
typique  sur  le  Paraguay,  qui,  par  sa  situation  dans  la 
plaine  centrale  sud-américaine,  est  la  continuation  véri- 
table du  Parana  inférieur.  La  faiblesse  de  la  pente  du 
Paraguay  et  l'étendue  des  marais  sur  lesquels  il  se  ré- 
pand sur  le  territoire  du  Brésil  et  du  Paraguay  ont  pour 
effet  de  régulariser  et  de  retarder  la  crue  qui  n'atteint 
son  maximum  devant  Asuncion  qu'en  mai.  La  .crue  du 
Paraguay  prolonge  la  période  des  hautes  eaux  sur  le 
Parana  inférieur  jusqu'à  la  fin  de  l'automne.  Le  Parana 

i.  Il  est  bon  de  rappeler  que  le  profil  déterminé  par  l';iltitudc  du 
zéro  de  ces  différentes  échelles,  ou  profd  d'étiage,  a  le  caractère  d'une 
notion  toute  théorique  ;  le  fleuve  n'est  jamais  à  l'étiage  sur  toute  sa 
longueur,  et  le  profil  réel  est  toujours  accidenté  par  de  légers  mou- 
vements de  crue  ou  de  décrue. 

2.  Des  observations  ont  été  faites  à  Campans.  à  50  kilomètres  de 
l'estuaire,  sur  les  troubles  contenus  dans  ses  eaux.  A  cette  hauteur, 
le  Parana  ne  transporte  plus  en  suspension  que  de  fines  particules 
argileuses,  mais  des  sables  cheminent  lentement  sur  son  lit.  Le  poids 
des  limons  en  suspension  varie  de  179  grammes  par  mètre  cube  en 
mars,  pendant  la  crue,  à  42  grammes  aux  basses  eaux  en  juillet.  Us 
proviennent  en  majeure  partie  du  Bermejo,  qui  arrive  à  charrier  jus- 
qu'à 5  kilogrammes  de  troubles  par  mètre  cube.  La  charge  du  Parana, 
cinq  fois  plus  pesante  que  celle  de  l'Uruguay,  roste  notablement  in- 
férieure à  celle  du  Mississipi. 


LES  VOIES  FLUVIALES.  21^ 

su))éricur  ^i  lui-même  la  majeure  partie  de  son  bassin 
dans  la  zone  tropicale  des  pluies  d'été.  Mais  son  régime 
est  influencé  en  outre  par  les  pluies  de  printemps  ou 
d'automne  de  la  partie  méridionale  du  plateau  brésilien. 
Ses  crues  sont  brusques  et  violentes;  elles  atteignent 
jusqu'à  18  et  20  mètres  dans  la  région  du  confluent  de 
TYgnassu;  elles  se  propagent  rapidement  vers  l'aval  et 
parviennent  sur  le  Parana  inférieur  avant  la  crue  du 
Paraguay  qu'elles  refoulent. 

De  Posadas,  les  ondes  de  crue  atteignent  Corrientes 
en  5  jours  (375  kilomètres).  De  Corrientes,  elles  par- 
viennent à  Parana  en  huit  jours  (600  kilomètres),  pro- 
gressant environ  de  5  kilomètres  à  l'heure  :  c'est  le  1/3 
de  la  vitesse  du  couiant;  la  crue  est  en  effet  ralentie  et 
comme  absorbée  par  les  ramifications  du  lit  majeur  où 
elle  se  répand. 

A  Bajada  Grande,  les  plus  basses  eaux  sont  en  sep- 
tembre. La  crue  s'annonce  généralement  en  décembre 
ou  janvier,  parfois  dès  octobre  ou  novembre.  Le  maxi- 
mum est  en  mars  ou  avril.  La  montée  est  rapide  d'abord, 
mais  se  modère  bientôt,  et  le  niveau  des  eaux  s'élève 
dun  mètre  par  mois  environ  i)cndant  5  mois,  pour  s'a- 
baisser ensuite  d'un  rythme  analogue.  La  décrue  est 
souvent  interrompue  en  juin,  et  parfois  jusqu'en  août, 
par  un  brusque  ressaut  de  la  courbe  avec  mouvement 
ascensionnel  des  eaux  trois  fois  plus  rapide  que  celui  de 
la  crue  principale  (1  mètre  en  10  jours).  Le  niveau 
atteint  par  cette  crue  tardive  dépasse  parfois  celui  de  la 
crue  normale  d'avril  ou  mai.  L'amplitude  des  mouve- 
ments ordinaires  de  crue  et  de  décrue  est  de  3  à  5  mètres. 
Les  crues  exceptionnelles  s'élèvent  jusqu'à  7  mètres 
au-dessus  de  Tétiage. 

Les  courbes  établies  pour  les  années  1908  à  1910  par 
le  .Service  hydrographique  argentin  permettent  d'analy- 
ser avec  beaucoup  de  certitude  le  mécanisme  de  la  crue. 
Le  début  de  la  crue  à  Bajada  Grande  en  octobre  corres- 
pond à  la  première  crue  du  Parana  supérieur.  Pendant 


246  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

cette  première  phase,  la  courbe  de  la  Bajada  est  parai 
lèle  (avec  15  jours  de  retard)  à  la  courbe  de  Posadas; 
ce  parallélisme  se  maintient  en  novembre,  décembre  et 
janvier.  Si  les  pluies  d'été  sont  faibles  sur  le  haut  Pa- 
rana,  la  crue  est  tardive  sur  le  Parana  inférieur,  et  les 
eaux  y  sont  encore  basses  en  décembre  (0,20  au-dessous 
de  l'étiage,  le  51  décembre  1910).  Au  début  de  mars, 
avant  le  maximum  de  la  crue,  la  courbe  de  Bajada 
Grande  se  détache  de  la  courbe  de  Posadas.  C'est  la 
période  où  la  crue  du  fleuve  inférieur  est  déterminée  par 
la  montée  du  Paraguay.  Les  crues  secondaires  de  juin 
ou  de  juillet  ont  de  nouveau  leur  origine  sur  le  haut 
Parana,  mais,  comme  elles  s'ajoutent  sur  le  fleuve  infé- 
rieur à  la  crue  du  Paraguay,  elles  y  atteignent  un  niveau 
plus  élevé  qu'à  Posadas  :  cette  différence  s'atténue  peu 
à  peu  à  mesure  que  la  crue  du  Paraguay  s'écoule.  Ce 
sont  les  crues  tardives  du  Parana  supérieur  s'ajoutant  à 
la  crue  du  Paraguay  qui  déterminent  sur  le  fleuve  infé- 
rieur les  crues  anormales,  qui  s'y  produisent  à  inter- 
valles irréguliers  (en  1825-55-58-78-1905-1917). 

En  aval  de  la  Bajada,  la  hauteur  des  crues  diminue 
progressivement.  Sur  l'estuaire,  elles  cessent  d'être  sen- 
sibles et  les  variations  de  niveau  sont  dues  uniquement 
à  la  marée.  Dans  les  chenaux  du  delta  du  Parana,  la 
marée  ne  renverse  pas  le  courant  comme  dans  le  rias 
de  l'Uruguay,  mais  elle  détermine  un  léger  relèvement 
de  la  nappe  fluviale,  qui  a  pu  être  observé  parfois  aux 
eaux  très  basses,  jusqu'à  Rosario. 

C'est  vers  Corpus,  à  60  kilomètres  en  amont  de 
Posadas,  que  le  haut  Parana  échappe  à-  l'étreinte  du 
plateau  brésilien,  qui  emprisonne  sa  vallée,  depuis  les 
chutes  de  la  Guayra,  dans  une  profonde  fissure  entre  de 
hautes  falaises  basaltiques;  au-dessous  de  Posadas,  le 
fleuve  sort  de  la  zone  des  collines  et  des  terres  rouges. 
Au-dessous  de  Corrientes,  il  court  partout  sur  ses  allu- 
vions.  Même  en  aval  de  Corrientes,  son  profil  conserve 
pourtant  des  traces  surprenantes  de  jeunesse.  Le  nivel- 


LES  VOIES  FLUVIALES.  2i7 

lement  de  précision  exécuté  sur  ses  rives  a  permis  de 
discerner  une  rupture  de  pente  très  nette  au-dessus  de 
Villa  Urquiza,  à  620  kilomètres  de  Buenos  Aires.  La 
pente,  qui  depuis  Corrientes  s'était  maintenue  entre 
60  et  40  millimètres  par  kilomètre,  s'abaisse  brusque- 
ment à  15  sur  une  longueur  de  40  kilomètres  pour  se 
relever  ensuite  à  30  et  45  millimètres'.  Au-dessous  de 
Rosario,  la  pente  moyenne  est  de  12  millimètres  par 
kilomètre,  au-dessous  de  San  Pedro,  de  6  millimètres 
seulement. 

En  aval  de  Corrientes,  la  largeur  du  bras  principal  du 
Parana  varie  en  général  de  800  à  2000  mètres.  Celle  de 
la  plaine  fluviale  où  s'épandent  les  crues  est  plus  irré- 
gulière encore.  Entre  Santa  Fc  et  Parana,  oii  elle  est 
particulièrement  étroite,  elle  mesure  encore  15  kilo- 
mètres. Vers  l'aval,  elle  s'élargit  peu  à  peu  jusqu'à 
100  kilomètres  au  fond  de  l'estuaire.  Son  aspect  n'est 
pas  partout  identique.  La  végétation  des  îles  est  plus 
riche  et  plus  variée  en  amont;  les  essences  tropicales 
(laurel-timbo)  y  apparaissent  au-dessus  de  la  Bajada  et 
y  forment  des  groupes  d'arbres  que  recouvrent  les 
lianes. 

Mais  les  variations  d'aspect  de  la  zone  fluviale  tiennent 
avant  tout  aux  conditions  différentes  de  Térosion  et  du 
modelé.  En  amont  de  Rosario,  la  zone  fluviale  est 
façonnée  par  la  crue:  chaque  crue  la  remanie  et  y  laisse 
des  traces  dans  la  topographie;  les  bancs  de  sable 
qu'elle  abandonne  sont  fixés  par  les  joncs  et  les  herbes 


1.  La  zone  qui  s'étend  sur  la  live  droite  du  Parana,  en  amont  de 
Santa  Fe  et  de  Parana,  paraît  être  une  zone  d'affaissement  récent.  Le 
fleuve  est  au  contraire  astreint  à  un  travail  d'érosion  actif  dans  la 
traversée  des  terres  hautes  entre  Santa  Fe  et  Buenos  Aires.  Il  est 
remarqual)le  que  la  rupture  de  pente  de  Villa  Urquiza  se  produit 
précisément  au-dessus  du  coude  de  Parana.  Une  rupture  de  pente 
moins  marquée  a  été  reconnue  également  plus  au  Nord  à  hauteur 
de  Lavalle,  en  amont  du  coude  de  Goya.  Il  semble  que  le  ralentisse- 
ment du  creusement  du  Thalweg  s'explique  par  le  travail  d'érosion 
que  le  courant  e.xerce  latéralement  contre  la  barranca  de  la  rive 
gauche. 


248  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

flottantes,  puis  par  les  saules  (Salix  Humboldtiana);  ce 
rideau  de  végétation  favorise  les  atterrissements,  et  les 
berges  tendent  à  se  surélever.  Au  centre  de  l'île,  subsis- 
tent des  terres  basses  marécageuses;  l'irrégularité  de 
lalluvionnement  détermine  dans  la  zone  fluviale  tout 
entière  des  ondulations  marquées  et  une  alternance 
incessante  des  dépôts  de  limons  et  de  sables.  En  aval 
de  Rosario,  la  crue  perd  peu  à  peu  de  sa  force;  les  îles 
sont  à  la  fois  plus  stables  et  plus  horizontales.  Les 
fourrés  de  saules  et  de  ceibos  épineux  (erythrinà  cris- 
tagalli)  en  couvrent  encore  les  berges,  et  parfois  s'éten- 
dent vers  l'intérieur.  Mais  sous  un  ciel  moins  humide,  la 
végétation  fixe  moins  solidement  le  sol,  et  les  vents 
deviennent  un  ouvrier  essentiel  du  modelé;  ils  amassent 
les  sables  pendant  la  saison  des  eaux  basses  et  bâtissent 
des  dunes  qui  dépassent  le  niveau  des  plus  grandes  crues. 
Ces  dunes  forment  une  ligne  continue  dans  la  partie 
méridionale  d'Entre  Rios,  au  Nord  du  bras  principal,  le 
long  de  la  terre  ferme,  et  des  épis  transversaux  qui 
s'avancent  au  Sud,  reposant  sur  le  limon  fluvial,  comme 
celui  que  suit,  à  travers  la  zone  inondable,  le  chemin  de 
fer  d'Ibicuy.  Le  bétail  de  la  zone  fluviale  trouve  sur  les 
dunes  un  refuge  pendant  la  crue.  Pendant  les  périodes 
de  sécheresse,  elles  conservent  au  contraire  des  réserves 
d'eau  qu'on  retire  à  leur  base  de  puits  superficiels. 

Légitimités  de  la  zone  fluviale  sont  bien  marquées  sur 
lout  le  Parana  inférieur.  Elle  y  est  enfermée  de  part  et 
d'autre  entre  de  hautes  «  barrancas  »  (falaises),  verti- 
cales aux  points  où  le  courant  principal  en  longe  le  pied, 
en  pente  douce  lorsqu'elles  sont  suivies  seulement  par 
un  faux  bras  sans  force  d'érosion.  La  barranca  s'inter- 
rompt seulement  au  confluent  de  petites  vallées  dont  le 
fond  plat  remblayé  se  raccorde  avec  la  plaine  alluviale 
du  Parana.  C'est  dans  la  région  de  ViJla  Parana  que  la 
falaise  est  le  plus  élevée  :  elle  y  atteint  par  endroits 
00  mètres.  Les  barrancas  offrent  sur  la  rive  droite  une 
coupe  des  étages  supérieurs  des  limons  pampéens.  Sur 


LES  VOIES  FLUVIALES.  249 

la  rive  gauche,  les  limons  éoliens  n'en  forment  que  le 
sommet;  au-dessous  afll(Hirent  des  étages  marins  ter- 
tiaires (marnes  et  grès  avec  bancs  de  coquilles).  La 
harranca  de  la  rive  gauche  se  continue  au  Nord  avec 
plusieurs  interruptions  jusqu'à  Corrientes,  et  jusqu'aux 
Missions.  Son  altitude  diminue  progressivement  et  les 
couches  marines  tertiaires  y  sont  remplacées  par  les 
grès  rouges  guaranitiques'.  Sur  la  rive  droite,  au  con- 
tiMire,  l'altitude  de  la  barranca  diminue  régulièrement 
V(M-s  l'amont.  Elle  est  encore  bien  marquée  au  confluent 
du  Carcarana;  à  Santa  Fc,  elle  ne  domine  plus  le 
lleuve  que  de  10  mètres.  Au  Nord  du  31"  degré  L.  S.,  et 
jusqu'au  delà  du  Pilcomaj  o,  la  plaine  du  Chaco  est  très 
basse,  et  la  limite  de  la  zone  alluviale  du  Parana  est 
impossible  à  définir  exactement.  Les  argiles  fines,  grises 
et  blanches,  qui  forment  le  sol  du  Chaco,  passent 
-jusque  sur  la  rive  gauche  au  Nord  de  Corrientes,  dans 
"SLfts  esteros  de  Neembucu  ;  de  cette  nappe  horizontale  de 
dépôts  lacustres  émergent  comme  un  archipel  les  col- 
lines de  grès  rouge  de  la  région  d'Asuncion. 

La  navigation  est  pratiquée  sans  obstacle  sur  tout  le 
bief  qui  s'étend  en  amont  de  Posadas,  jusqu'aux  chutes 
de  la  Guayra  sur  le  Parana  et  au  Salto  Grande  de 
l'Yguassu.  A  25  kilomètres  en  aval  de  Posadas,  le 
Parana  traverse  une  série  de  rapides  échelonnés  sur 
00  kilomètres  environ  (kil.  1467  à  kil.  1558  de  Buenos 
Aires),  et  improprement  désignés  sous  le  nom  de  salto 
de  Apipé.  Le  courant  s'y  élève  à  huit  nœuds,  et  la  pro- 
fondeur descend  à  trois  pieds  aux  basses  eaux.  Ces 
rapides  sont  déterminés  par  des  bancs  de  mélaphyre, 
affleurant  au  milieu  des  grès  guaranitiques,  où  les  eaux 
cherchent   leur  voie  entre  de  grandes  îles  rocheuses. 

i.  Dans  l'intervalle  entre  la  frontière  d'Entre  Rios  et  le  rio  Empe- 
ilrado,  au  Sud  de  Corrientes,  affleurent  dans  la  ])arranca,  au-dessus 
des  grès  rouges,  des  couches  de  sables  et  de  limons,  alluvions  flu- 
viales abandonnées  par  les  anciens  lits  du  Parana,  dont  le  trace  peut 
être  suivi  du  Nord-Est  au  Sud-Ouest  en  écharpe  à  travers  la  province 
de  Corrientes. 


250  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

A  Ituzaingo  (kil,  1455),  le  courant  s'apaise;  cependant  il 
existe  encore  vers  l'aval,  sur  140  kilomètres,  des  hauts 
fonds  de  roche  avec  une  profondeur  de  cinq  pieds  ;  plus 
bas,  la  roche  n'affleure  plus  que  sur  la  rive  gauche  et 
dans  quelques  épis  à  proximité  de  cette  rive,  ou  en 
écueils  isolés  qu'il  a  été  facile  de  baliser. 

De  Corrientes  à  La  Paz,  le  fleuve  suit  du  Nord  au  Sud 
le  pied  de  la  barranca  de  Corrientes.  Elle  touche  le  cou- 
rant principal  entre  Corrientes  et  Empedrado,  et  sur 
50  kilomètres  au  Sud  de  Bellavista.  Cette  falaise  forme, 
à  la  hauteur  de  Riachuelo,  et  surtout  vers  Bella- 
vista, une  série  d'anses  et  de  caps,  où  les  vents  d'Ouest 
créent  une  forte  houle,  et  que  redoutaient  les  barques 
mal  gréées  qui  descendaient  le  courant.  Au  Nord  de 
Bellavista  et  sur  plus  de  150  kilomètres  au  Sud  de  Goya, 
le  lit  principal  est  séparé  de  la  barranca  par  une  laisse 
d'îles  alluviales  ;  à  l'abri  de  ces  îles,  courent  des  bras 
latéraux,  —  riachos,  —  où  aboutissent  les  rivières  de 
Corrientes.  Ces  bras  ont  été  largement  utilisés  par  la 
navigation  primitive. 

Entre  Esquina  et  la  Paz,  le  lit  principal,  qui  n'est  en 
contact  avec  la  terre  ferme  sur  aucune  de  ses  rives,  se 
développe  en  méandres  réguliers  d'une  portée  de  10  kilo- 
mètres, dont  l'échelle  est  double  environ  de  celle  des 
méandres  du  Paraguay  au  Nord  du  confluent.  Les  îles 
sont  de  petite  dimension  et  sont  disposées  en  chapelet, 
à  hauteur  du  sommet  de  chaque  courbe.  La  profondeur 
atteint  60  pieds  au  sommet  des  méandres  ;  les  hauts 
fonds  sont  placés  sur  l'alignement  des  îles,  au  point  où 
le  courant  se  redresse  avant  le  méandre  suivant.  La 
profondeur  y  descend  à  7  et  même  5  piedsV  Ces  hauts 
fonds  se  déplacent  rapidement,  et  ce  n'est  pas  toujours 
le  même  mauvais    pas  qui    détermine  le    tirant  d'eau 


L  En  fait,  le  seuil  s'approfondit  au  moment  des  basses  eaux  où 
le  courant  se  concentre  dans  le  chenal  principal,  de  sorte  qu'on  y 
trouve  toujours  un  ou  deux  pieds  de  fond  de  plus  à  l'étiage  que  les 
sondages  faits  aux  liaules  eaux  ne  permettaient  de  l'espérer. 


LES  VOIES  FLUVIALES.  251 

maximum  des  embarcations  utilisables  sur  ce  secteur. 
Cette  migration  des  hauts  fonds  s'oppose  à  la  fixité  des 
seuils  à  fond  de  roche  du  bief  Corrienles-Posadas. 

De  La  Paz  à  Parana,  le  cours  principal  est  aligné  au 
pied  de  la  barranca  d'Entre  Rios.  Le  méandrage  s'inter- 
rompt. La  barranca  avec  ses  bancs  de  roche  dure  est  en 
effet  infiniment  plus  résistante  que  les  alluvions  meubles 
où  le  rio  se  déplace  à  son  gré.  La  fixité  du  lit  devant  la 
barranca  se  traduit  par  de  grandes  profondeurs  qui  attei- 
gnent 80  pieds.  De  loin  en  loin  seulement,  une  frange 
d'alluvions  éloigne  momentanément  le  chenal  de  la 
barranca.  Ces  courbes  paraissent  correspondre  d'ordi- 
naire avec  le  confluent  des  rivières  qui  apportent  du 
plateau  une  forte  charge  de  limons  :  tel  le  San  Feli- 
ciano,  au  Nord  d'Hernandarias.  Elles  sont  marquées 
par  des  hauts  fonds  qui  contrastent  avec  les  grandes 
profondeurs  des  sections  rectilignes.  Le  paso  San  Feli- 
ciano,  qui  a  actuellement  12  pieds,  n'en  avait  que 
6  en  1908,  et  il  est  déjà  porté  sur  la  carte  de  Sullivan* 
(1847). 

En  aval  de  Parana,  et  jusqu'à  l'estuaire,  les  observa- 
tions patientes  accumulées  depuis  1903  sur  les  mouve- 
ments du  fleuve  ont  révélé  quelques-unes  de  leurs  lois^ 
On  peut  y  distinguer  quatre  tronçons  de  longueur  iné- 
gale :  de  Parana  à  Diamante,  le  fleuve  reste  en  contact 
avec  la  barranca  de  la  rive  gauche.  Elle  n'est  pas  recti- 
ligne  et  dessine  une  série  de  croissants  accolés,  de 
rayon  égal,  qui  semblent  marquer  la  trace  d'autant  de 
méandres.  Une  courbe  sur  deux  seulement  de  la  bar- 
ranca est  suivie  par  le   chenal.  Le  vagabondage  des 

\.  Un  peu  en  amont  de  sa  position  actuelle. 

2.  Il  est  indispensable,  lorsqu'on  cherche  à  étudier  les  variations 
du  lit  du  Parana,  de  ne  pas  comparer  des  cartes  dessinées  à  de  trop 
longs  intervalles.  Les  différences  en  sont  telles  en  effet  qu'elles  ne 
permettent  pas  de  deviner  le  processus  par  lequel  les  formes 
actuelles  sont  dérivées  des  formes  anciennes.  Les  analogies  qu'elles 
présentent  résultent  parfois,  non  de  la  fixité  de  la  topographie,  mais 
du  retour  après  un  cj-cle  complet  de  transformation,  de  conditions 
analogues  aux  conditions  primitives. 


2^'2  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE, 

méandres  est  ainsi  enfermé  dans  des  limites  et  comme 
dans  un  moule  fixe.  Le  haut  fond  de  Paracao,  qui 
entrava  longtemps  la  navigation  vers  Santa  Fe  (appro- 
fondi progressivement  par  les  dragages  de  8  à  19  pieds 
entre  1907  et  1911),  est  à  l'angle  où  se  raccordent  deux 
de  ces  courbes.  Sur  la  rive  droite,  les  faux  bras  conti- 
nuent à  suivre  le  fleuve  (Parana  viejo,  riacho  de 
Coronda)'. 

Au-dessous  de  Diamante,  le  fleuve  quitte  la  barranca 
de  la  rive  gauche  et  traverse  en  biais  la  plaine  alluviale 
jusqu'à  la  barranca  de  la  rive  droite  qu'il  vient  toucher 
à  San  Lorenzo.  Il  reprend  sur  ces  cinquante  kilomètres 
la  liberté  et  la  régularité  d'allure  qui  le  caractérisent  en 
amont  de  La  Paz.  La  comparaison  de  cartes  successives 
du  fleuve  montre  que  le  tableau  schématique  qu'on  est 
tenté  de  tracer  de  ses  mouvements,  avec  migration 
régulière  des  îles  et  des  méandres  vers  l'aval,  ne  cor- 
respond pas  à  la  réalité.  Les  transformations  du  lit  du 
fleuve  sont  dues  essentiellement  aux  variations  du  débit 
des  différents  bras,  qui  changent  continuellement  d'im- 
portance relative,  et  dont  le  tracé  s'adapte  sans  cesse 
au  volume  des  eaux  qui  les  empruntent.  Le  raycrti  des 
courbes  de  chaque  bras  est  en  efl'et  proportionnel  à  son 
débit.  Une  île  allongée  se  forme  entre  deux  bras  d'im- 
portance égale,  qui  dessinent,  de  part  et  d'autre,  des 
courbes  symétriques.  Si  le  débit  de  l'un  d'eux  se  réduit, 
sa  courbe  primitive  fait  place  à  des  sinuosités  de  moindre 
rayon,  qui  rongent  les  berges  de  l'île,  et  lui  donnent 
une  forme  irrégulière.  Si  le  débit  s'accroît  de  nouveau, 
le  lit  sinueux  est  abandonné  et  se  convertit  en  bras  mort. 


4.  Les  faux  bras  de  la  rive  droite,  au  Nord  de  Santa  Fe,  n'ont  guère 
été  explorés  avant  1870.  La  carte  de  Sullivan  (1847)  n'y  signale  que  le 
riacho  de  San  Jeronirao,  reconnu  sur  une  faible  distance  au  Sud  du 
29»  L.  S.  La  rive  droite  était  en  effet  le  domaine  des  Indiens,  et  les 
Correntinos  ne  s'y  risquaient  pas.  A  partir  de  1870,  la  navigation  com- 
mence h  utiliser  le  bras  de  S.  Javier  sur  lequel  se  créent  de  nom- 
breuses colonies;  plus  au  Nord,  le  Parana  Mini  sert  depuis  1890  à 
l'exportation  des  bois  de  quebracho. 


LES  VOIES  FLUVIALES.  '257. 

taudis  que  s'ouvre  un  méandre  plus  ample.  La  roule 
suivie  par  la  navigation  se  décompose  donc  en  une  série 
de  méandres,  d'un  développement  dc  1*2  kilomètres 
environ,  qui  répondent  à  la  concentration  dans  un  seul 
chenal  de  la  plus  grande  partie  des  eaux  du  fleuve,  et  en 
courbes  plus  étroites  dans  les  secteurs  où  le  courant  est 
divisé  entre  plusieurs  bras. 

De  San  Lorenzo  à  San  Pedro,  le  fleuve  longe  la  bar- 
ranca  de  la  rive  droite.  Elle  est  remarquablement  régu- 
lière et  ne  présente  qu'une  seule  saillie,  peu  accentuée, 
site  exceptionnellement  favorable,  où  s'est  bâtie  la  villo 
de  Rosario.  A  des  intervalles  presque  égaux,  qui  varient 
seulement  entre  15  et  20  kilomètres,  le  fleuve  s'en  éloigne 
et  en  est  séparé  par  une  plage  alluviale  ou  par  une  zone 
insulaire  large  de  quelques  kilomètres'.  En  aval  de  celle 
courbe,  le  courant  revient  frapper  la  barranca  et  l'attei- 
rissement  est  facile.  Les  petits  ports  anciens  du  Parana, 
Constitucion,  San  Nicolas,  Puerto  Obligado,  San  Pedro, 
sont  établis  sur  des  sites  semblables.  Il  ne  semble  pas 
que  les  îles  du  pied  de  la  barranca  tendent  à  descendre 
vers  l'aval  devant  ces  ports,  et  les  points  oii  le  fleuve 
touche  la  falaise  restent  fixes.  Au  pied  de  la  barranca,  les 
profondeurs  sont  souvent  considérables  (138  pieds  en 
face  de  Puerto  Obligado).  Les  hauts  fonds  sont  distri- 
bués irrégulièrement  sur  les  courbes  oij  le  chenal 
s'éloigne  de  la  barranca.  Ils  ont  tous  actuellement  une 
profondeur  minima  de  21  pieds*.  Sur  la  rive  gauche  les 
faux  bras  parcourent  la  plaine  alluviale  jusqu'à  50  kilo- 
mètres au  Nord  du  fleuve. 

A  San  Pedro,  commence  le  delta.  Le  Parana  Guazu, 

1.  Comme  entre  La  Paz  el  Parana,  il  senible  qu'on  puisse  établir 
une  relation  entre  ces  zones  d'alluvionnenient  au  pied  de  la  barranca 
et  le  confluent  des  petites  vallées  de  la  plaine  panipéenne. 

2.  Le  Paso  Paraguayo,  qui  a  coûté  le  plus  de  travaux  au  service 
bydrographi(iuc  argentin,  n'existait  pas  au  milieu  du  xix'  siècle.  Il 
semble  qvie  le  cbenal  suivait  alors  la  barranca  jusque  vers  Benavidez, 
et  se  continuait  jusqu'à  l'origine  du  Parana  Favon  par  une  boucle 
très  accentuée,  dont  la  lagune  Monriel  est  la  cicatrice.  En  IS'Xi,  le 
paso  avait  seulement  15  pieds  de  profondeur. 


2:)4         LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

ou  bras  principal,  quitte  la  barranca  de  la  rive  droite  et 
va  se  terminer  en  face  de  Cârmelo  sur  la  rive  uru- 
guayenne. Le  Parana  de  las  Palmas,  qui  s'en  détache 
au  Sud  et  passe  devant  Campana  et  Zarate;  au  pied  du 
plateau,  est  profond  et  de  navigation  facile,  mais  il  est 
fermé  au  fond  de  Festuaire  par  une  barre  de  6  pieds  qui 
en  fait  une  sorte  de  cul-de-sac  ouvert  seulement  vers 
l'amont.  Les  bras  de  la  zone  deltaïque  s'opposent  à  ceux 
de  la  région  proprement  fluviale  par  l'irrégularité  de 
leur  tracé.  Entre  des  îles  étendues,  ils  se  développent 
tantôt  en  tronçons  rectilignes,  tantôt  en  méandres  ou  en 
boucles  presque  parfaites.  Les  chenaux  de  la  partie 
méridionale  du  delta,  au  voisinage  de  Buenos  Aires, 
portent,  en  raison  de  leur  allure  sinueuse,  le  nom  de 
«  caracoles  »  (colimaçons).  La  faiblesse  du  com'ant  que 
la  marée  retient  se  marque  aussi  dans  la  distribution 
des  profondeurs  :  elles  ne  suivent  plus  uniformément  la 
lisière  concave  des  courbes  et  varient  irrégulièrement. 
On  a  mesuré,  sur  le  Parana  Guazu,  des  fonds  de 
130  pieds;  sa  profondeur  minima  est  de  22. 

On  ne  peut  séparer  de  l'étude  du  fleuve  celle  de  l'es- 
tuaire. Il  se  compose  de  trois  parties  de  superficie  iné- 
gale qui  s'ouvrent  de  plus  en  plus  largement  vers 
l'Atlantique.  Le  rio  de  la  Plata  supérieur,  en  amont  de 
la  Colonia  et  de  Punta  Lara,  a  une  largeur  de  50  kilo- 
mètres environ.  Le  rio  de  la  Plata  moyen,  dont  l'am- 
pleur est  double,  s'étend  jusqu'à  hauteur  de  Montevideo 
et  de  Punta  de  las  Piedras.  Enfin  la  rade  extérieure 
s'ouvre  entre  Maldonado  et  la  Punta  Rasa.  Les  eaux 
restent  douces  dans  l'estuaire  moyen  jusqu'à  120  kilo- 
mètres en  aval  de  Buenos  Aires. 

Sauf  dans  les  chenaux  entre  Martin  Garcia  et  Colonia  S 
les  fonds  sont  d'alluvions.  A  la  différence  de  ce  qui  se 
produit  sur  le  fleuve,  où  les   chenaux  ont  un  fond   de 


1.  Les  granits  qui  affleurent  à  Martin  Garcia  forment  également  la 
plate-forme  du  banc  anglais  dans  la  rade  extérieure. 


LES  VOIES  FLUVIALES.  2;.:> 

sable,  tandis  que  les  bancs  sont  formés  de  limons  plus 
fins,  les  chenaux  de  l'estuaire  ont  des  fonds  de  vase  et 
de  limon  argileux,  tandis  que  les  hauts  fonds  sont 
sableux;  dans  la  rade  extérieure,  les  pilotes  reconnais- 
sent l'approche  des  bancs  aux  sables  que  la  sonde 
ramène.  L'action  des  vagues,  qui  manque  sur  le  fleuve, 
accumule  en  effet  sur  les  bancs  les  matériaux  de  calibre 
et  de  poids  relativement  élevé. 

En  dépit  des  conclusions  des  instructions  nautiques, 
qui  dépeignent  l'estuaire  comme  le  théâtre  de  transfor- 
mations rapides  «  occasionnées  par  les  dépôts  conti- 
nuels de  sables  charriés  par  le  Parana  et  par  l'Uru- 
guay' »,  l'estuaire  se  trouve  actuellement  dans  des 
conditions  d'équilibre  remarquables,  et  il  n'y  a  pas 
d'indice  d'un  comblement  progressif  par  les  alluvions, 
ni  (le  déplacements  importants  des  chenaux.  La  côte  du 
delta,  au  Nord  du  Parana  de  las  Palmas,  couverte  de 
joncs  qui  la  protègent  contre  l'attaque  des  vagues,  ne 
marque  ni  avance,  ni  recul.  Les  grandes  lignes  de 
l'hydrographie  du  rio  de  la  Plata  sont  déjà  clairement 
indiquées  sur  la  carte  de  Woodbine  Parish.  La  carte 
marine  anglaise  de  1869  (d'après  des  levés  exécutés  en 
1855,  1844  et  1856),  n'ofîre  avec  la  carte  actuelle  que 
des  différences  de  détail.  La  stabilité  des  chenaux 
s'oppose  d'une  façon  surprenante  aux  déplacements  du 
lit  du  fleuve,  dans  la  zone  des  crues.  La  permanence 
dt's  fonds  sur  les  dépôts  meubles  de  l'estuaire  s'explique 
par  la  régularité  des  courants.  Ces  courants  qui  déter- 
minent la  topographie  sous-marine  du  rio  de  la  Plata, 
et  la  distribution  des  bancs,  ne  sont  pas  d'origine  flu- 
viale, ce  sont  des  courants  de  marée. 

Deux  groupes  de  hauts  fonds  caractérisent  l'estuaire  : 
le  premier,  la  Playa  Honda,  en  occupe  toute  la  partie 
occidentale   jusqu'à    la    hauteur    d'une    ligne  tirée   de 


1.  Les  eaux  de  l'estuaire,  brassées   par  les  vagues  et  les  marées, 
contiennent  un  poids  de  troubles  plus  élevé  que  les  eaux  du  fleuve. 


250  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

Buenos  Aires  à  Colonia.  Ces  bancs  laissent  au  Nord, 
contre  la  côte  uruguayenne,  un  étroit  passage  que  suit 
la  route  de  navigation  vers  l'Uruguay  et  le  Parana 
Guazu.  Le  deuxième  groupe  de  hauts  fonds  est  le  banc 
d'Ortiz,  de  forme  triangulaire,  qui  s'appuie  au  Nord  à 
la  côte  uruguayenne  en  aval  de  Colonia,  et  dont  la 
pointe  s'avance  au  Sud-Est  jusqu'à  25  kilomètres  au 
Nord  de  Punta  de  las  Piedras.  11  maintient  la  zone  des 
grandes  profondeurs,  dans  l'estuaire  moyen,  au  Sud,  à 
proximité  de  la  côte  argentine.  A  hauteur  de  la  pointe 
du  banc  d'Ortiz,  et  sur  l'alignement  de  Montevideo  à 
Punta  de  las  Piedras,  l'estuaire  moyen  est  séparé  de  la 
rade  extérieure  par  une  barre  (barra  del  Indio)  portant 
6  mètres  d'eau,  due  à  l'action  des  courants  transversaux 
qui  circulent  d'une  pointe  à  l'autre  à  l'intérieur  du  banc 
anglais. 

La  marée  de  l'estuaire  se  produit  avec  la  plus  grande 
irrégularité.  Les  vents  du  Sud-Est  amplifient  le  flux  et 
entravent  le  reflux.  Lorsqu'ils  soufflent,  il  arrive  fréquem- 
ment que  le  niveau  des  eaux  dans  lestuaire  supérieur  se 
maintienne  élevé  d'une  marée  à  l'autre,  parfois  pendant 
plusieurs  jours.  La  marée,  qui  est  faible  à  Montevideo, 
s'amplifie  au  fond  de  la  rade  sur  la  barra  del  Indio,  et  y 
atteint  près  d'un  mètre.  Elle  se  propage  de  là  difficile- 
ment au  Nord  sur  le  banc  d'Ortiz,  le  long  de  la  côte 
uruguayenne,  tandis  qu'elle  pénètre  librement  dans  la 
zone  plus  profonde  qui  suit  la  côte  argentine'.  Elle  a 
encore  à  Buenos  Aires  une  amplitude  de  0  m.  75.  Elle 
se  répand  de  là  vers  le  Nord  par  les  chenaux  de  Martin 
Garcia  et  par-dessus  la  Playa  Honda.  Le  chenal  des 
Pozos  del  Barca  grande,  qui  parcourt  le  banc  de  la 
Playa  Honda  du  Nord- au  Sud,  parallèlement  à  la  lisière 
du  delta,  est  orienté  conformément  aux  courants  de 
marée  et  entretenu  par  eux.  Il  ne  se  relie  pas  au  fleuve, 


1.  Le  courant  de  flux  y  est  plus  intense  que  le  courant  de  reflux,  et 
a  détourné  au  Nord-Est  les  ruisseaux  qui  débouchent  sur  cette  côte. 


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LES  VOIES  FLUVIALES.  257 

et  est  séparé  des  bouches  du  Parana  de  las  Palmas  ou 
du  Parana  Mini  par  des  hauts  fonds  impraticables  sinon 
pour  les  petites  embarcations.  Le  rias  de  l'Uruguay,  où 
la  marée  élève  les  eaux  de  5i)  centimètres,  forme  une 
sorte  de  réservoir  de  chasse  qui  alimente,  au  reflux,  un 
courant  puissant  autour  de  Martin  Garcia  et  y  déblaie 
les  chenaux. 


Les  travaux  entrepris  pour  l'aménagement  de  l'es- 
tuaire ont  compris  l'approfondissement  à  9  mètres  de  la 
barra  del  Indio,  et  le  dragage  d'un  chenal  rectiligne 
entre  ce  point  et  Buenos  Aires.  Les  navires  de  fort  ton- 
nage à  destination  du  Parana  quittent  ce  chenal  à  40  ki- 
lomètres à  l'Est  de  Buenos  Aires,  et  remontent  au  Nord 
pour  passer  à  l'Est  de  Martin  Garcia  et  pénétrer  dans 
le  fleuve  par  le  Parana  CuazAi  ou  le  Parana  Bravo. 
Depuis  I9U1,  le  gouvernement  argentin  a  envisagé  en 
outre  le  projet  d'ouvrir  une  voie  directe  entre  Buenos 
Aires  et  le  Parana  de  las  Palmas,  soit  en  creusant  un 
canal  artificiel  au  pied  de  la  barranca,  à  travers  l'ar- 
chipel du  Tigre,  soit  en  profitant  du  chenal  des  Pozos 
del  Barca  grande,  et  en  coupant  l'étroite  barre  qui 
ferme  à  l'aval  le  Parana  de  las  Palmas.  Ainsi,  les  ports 
du  Parana  de  las  Palmas  auraient  un  accès  direct  vers 
la  mer;  en  outre,  la  route  nouvelle  du  Parana  vers 
l'Atlantique  passerait  entièrement  sur  territoire  argen- 
tin, hors  de  portée  de  la  côte  uruguayenne,  et  Buenos 
Aires  y  deviendrait  à  l'arrivée  comme  au  départ  une 
escale  nécessaire. 

En  amont  de  l'estuaire,  les  travaux  d'amélioration  du 
Parana  ont  débuté  en  1904  et  1905.  Depuis  1910,  le 
cubage  extrait  par  les  dragues  du  lit  du  fleuve  s'est 
élevé  à  5500  0110  mètres  cubes  par  an  en  moyenne.  L'ex- 
périence acquise  au  cours  de  ces  travaux  a  bientôt 
permis  au  service  hydrographique  argentin  d'adapter 
SOS  méthodes  à  la  puissance  incomparable  du  fleuve.  Il 

Denis.  —  L'Argentine.  17 


^2bb  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

ne  peut  être  question  ici,  comme  sur  les  fleuves  d'Eu- 
rope, d'entreprendre  une  rectification  générale  du  lit  et 
des  rives.  Le  seul  parti  est  de  se  plier  docilement  au 
plan  que  le  fleuve  lui-même  ébauche  et  de  se  borner  à 
approfondir  les  passages  difficiles  sur  l'alignement  du 
bras  principal.  Les  dragues  à  succion,  qui  travaillent 
aisément  dans  les  sables,  attaquent  chaque  seuil  ou 
paso  par  l'aval,  établissant  ainsi  un  chenal  vers  lequel 
les  eaux  affluent  et  qui  tend  de  lui  même  à  se  prolonger 
vers  l'amont.  Les  dragues  sont  déplacées  de  seuil  en 
seuil  à  mesure  que  les  sondages  révèlent  la  formation 
de  nouveaux  obstacles  à  la  navigation.  Elles  ont  été 
concentrées  d'abord  en  aval  de  Rosario,  où  le  gouver- 
nement argentin  avait  à  remplir  des  engagements  pris 
envers  la  Compagnie  du  port,  puis  échelonnées  jusqu'à 
la  hauteur  de  Santa  Fe.  Les  moyens  dont  on  dispose 
actuellement  suffisent  à  assurer  la  réalisation  du  pro- 
gramme qui  avait  été  prévu  :  maintenir  des  profondeurs 
de  21  pieds  jusqu'à  Hosario,  et  de  19  pieds  jusqu'à 
Santa  Fe. 

En  ce  qui  concerne  la  section  en  amont  de  Santa  Fe, 
l'ingénieur  Repossini  conseille,  au  lieu  d'adopter  un 
programme  de  dragages  coûteux,  de  résultats  incertains, 
de  songer  d'abord  à  adapter  la  navigation  aux  conditions 
naturelles,  qui  sont  telles  d'ailleurs  qu'elles  seraient 
considérées  en  Europe  comme  éminemment  favorables. 
Le  service  hydrographique  conserverait  cependant  une 
double  fonction  :  en  premier  lieu,  l'étude  lopographique 
du  fleuve  et  le  balisage  qui  doit  être  sans  cesse  repris; 
en  second  lieu,  l'observation  de  son  régime  et  la  prévi- 
sion des  variations  du  niveau  des  eaux.  L'utilité  du 
service  de  prévision  des  crues,  qui  fonctionne  depuis 
1907,  a  été  largement  démontrée.  Il  public,  tous  les 
5  jours,  en  se  fondant  sur  l'observation  des  échelles 
fluviométriques  d'amont  et  sur  les  lois  de  la  transmis- 
sion des  ondes  de  crue,  un  bulletin  de  prévision  qui 
est  également  précieux  pour  les  navigateurs  et  pour  les 


LES  VOIES  FLUVIALES.  SM» 

éleveurs  de  la  zone  inondable.  11  permet  aux  éleveurs 
de  mellre  leur  bétail  en  sécurité  à  l'approche  des  crues. 
De  m^me  chaque  navire  peut,  grâce  au  bulletin,  prévoir 
quelle  hauteur  d'eau  il  trouvera  aux  passages  critiques, 
et  calculer  exactement  la  charge  qu'il  peut  prendre, 
quitte  à  compléter  sa  cargaison  plus  en  aval.  Le  service 
de  prévision  des  crues  a  moralisé  la  navigation  sur 
le  Parana,  en  supprimant  lout  prétexte  possible  aux 
échouages  volontaires  qui  étaient  devenus  une  forme 
courante  de  spéculation. 


Rien  déplus  varié  que  la  flotte  qui  dessert  aujourd'hui 
le  Parana.  Elle  comprend  à  la  fois  les  tramps  et  les  longs 
courriers  européens  qui  chargent  les  céréales  et  les 
viandes,  les  grands  vapeurs  fluviaux,  luxueux  etlégers,  les 
chalands  et  les  remorqueurs,  les  goélettes  et  les  gabarcs 
qui  compensent  par  la  médiocrité  de  leurs  frais  la  len- 
teur de  leurs  voyages. 

En  ce  qui  concerne  la  navigation,  le  fleuve  se  divise 
actuellement  en  trois  tronçons  :  la  navigation  maritime 
remonte  jusqu'à  Santa  Fe;  elle  pénètre,  à  Rosario  et  à 
Santa  Fe,  jusqu'au  cœur  de  la  zone  des  céréales  et  juis- 
qu'à  la  lisière  de  la  zone  des  forets.  Le  secteur  amont, 
entre  Rosario  et  Santa  Fe,  offre  encore  moins  de  sécu- 
rité que  le  secteur  aval,  et  le  prix  des  frets  au  départ  de 
Santa  Fe  s'en  ressent. 

On  peut  classer  en  trois  catégories  les  ports  du  Pa- 
rana inférieur  entre  Santa  Fe  et  Buenos  Aires.  Un  pre- 
mier groupe  de  ports  est  bâti  sur  les  terres  basses  inon- 
dables; ils  sont  exposés  aux  crues,  qui  chaque  année 
menacent  d'interrompre  leur  trafic  :  tel  est  Golastiné  h 
l'Est  de  Santa  Fe,  spécialisé  dans  l'expédition  des  bois 
de  quebracho  ;  tel  est  aussi  le  portd'lbicuy,  sur  le  Parana 
Pavon,  au  Sud  de  la  province  d'Entre  Rios,  mieux  pro- 
tégé d'ailleurs  par  des  travaux  plus  puissants.  Les  petits 
ports  de  la  barranca  de  la  rive  Sud,  sur  le  fleuve  prin- 


200  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

cipal  et  sur  le  Parana  de  lasPalmas,  forment  un  deuxième 
groupe  :  ils  embarquent  des  viandes  (Campana,  Zarale), 
ou  des  céréales  (San  Nicolas,  Villa  Constitucion),  et 
sont  admirablement  adaptés  parleur  situation  naturelle 
à  leur  fonction.  Sans  qu'aucun  aménagement  ait  été 
nécessaire,  les  vapeurs  viennent  accoster  devant  la 
barranca;  les  sacs  de  blé  y  sont  jetés,  par  des  plans 
inclinés,  des  entrepôts  construits  sur  la  falaise,  ou  di- 
rectement des  wagons  Aucun  de  ces  ports  n'est  outillé 
pour  l'importation.  Un  troisième  groupe  enfin  comprend 
les  ports  ayant  un  outillage  complet,  et  desservant  à  la 
fois  un  trafic  d'importation  et  d'exportation.  Le  prin- 
cipal est  Piosario.  C'est  le  développement  des  importa- 
lions  entre  1850  et  1860  qui  détermina  ses  premiers 
progrès.  Le  tonnage  des  marchandises  débarquées  à 
Rosario  représente  aujourd'hui  la  moitié  à  peu  près  du 
lonnage  des  céréales  qui  y  sont  chargées.  IVlais,  malgré 
l'apparence,  ce  sont  les  importations  qui  entretiennent 
surtout  l'activité  de  ses  quais.  Tandis  que  la  Compagnie 
du  port  exerce  elle-même  le  déchargement,  la  manipu- 
lation et  le  magasinage  des  marchandises  importées, 
elle  se  borne  à  percevoir  une  redevance  sur  les  expor- 
tations faites  dans  le  périmètre  où  sa  concession  lui 
assure  un  monopole.  Une  petite  partie  seulement  des 
céréales  exportées  utilise  ses  élévateurs.  Un  p(»rt  en  eau 
profonde,  outillé  comme  celui  de  Rosario  à  la  fois  pour 
l'importation  et  pour  l'exportation,  vient  d'être  construit 
a  Santa  Fe.  Il  dispute  déjà  à  Colastiné  l'expédition  des 
bois  de  quebracho.  Le  trafic  d'importation  y  est  encore 
réduit  :  le  commerce  d'importation  suppose  en  effet  des 
capitaux  puissants,  tout  un  réseau  de  relations  avec 
l'arrière-pays  qui  ne  peuvent  pas  s'improviser. 

La  deuxième  section  du  fleuve  s'étend  de  Santa  Fe  à 
Gorrientes  et  se  continue  sur  le  Paraguay.  Le  transport 
des  bois  de  quebracho  et  de  l'acide  tannique  forme 
l'élément  le  plus  important  de  son  trafic.  Le  tirant  d'eau 
maximum  des  embarcations  qu'elle  admet  aux  basses 


LES  VOIES  FLUVIALES.  201 

eaux  normales  est  de  6  pieds.  Une  partie  des  porls  de 
la  rive  gauche  (Esquina,  Goya),  et  tous  les  porls  de  la 
rive  droile  (Reconquista,  Barranqueras,  etc.),  y  sont 
établis  à  distance  du  lit  principal  sur  des  liras  latérnux. 
Les  usines  du  Cliaco  ont  pour  la  plupart  une  flottille  de 
.vapeurs  et  de  chalands.  Ce  sont  les  exportateurs  de 
bois  et  d'extrait  de  quebracho  à  destination  de  l'Eu- 
rope qui  réclament  avec  le  plus  d'insistance  l'appro- 
fondissement du  lit  du  Parana  en  amont  de  Santa  Fe. 
La  balellerie  h  voiles  partage  avec  les  services  régu- 
liers des  vapeurs  fluviaux  les  transports  des  produits 
du  Paraguay  et  de  Corrientes,  peaux,  tabac,  maté.  Le 
seul  transport  des  oranges  chargées  aux  escales  de 
San  Antonio,  Villeta,  Pilar,  Humaïta,  représente  un 
mouvement  de  plusieurs  dizaines  de  milliers  de  tonnes. 
La  troisième  section  du  fleuve  s'étend  de  Corrientes 
à  Posadiis  et  en  amont.  La  navigation  à  voile.s,  qui  ne 
peut  vaincre  le  courant  des  rapides  d'Apipé,  y  a  disparu. 
Des  vapeurs  de  4  pieds  et  demi  de  calaison  et  de 
150  tonnes  de  portée  y  sont  aujourd'hui  en  service, 
mais  ils  doivent  interrompre  le  trafic  au  moment  des 
basses  eaux.  Ils  assurent  un  service  direct  entre  Buenos 
Aires  et  Posadas;  toutefois  ce  service  est  peu  écono- 
mique parce  qu'il  ne  permet  pas  d'utiliser  pleinement 
en  aval  de  Corrientes  la  capacité  de  transport  du  fleuve; 
aussi  la  plupart  des  marchandises  à  destination  de 
Posadas  sont-elles  transbordées  à  Ituzaingo,  au-dessous 
des  rapides,  ou  à  Corrientes.  Les  Compagnies  de  n.ivi- 
gation  qui  desservent  Posadas  sont  contraintes,  pouj- 
assurer  avantageusement  le  transport  jusqu  à  Buenos 
Aires  des  marchandises  chargées  sur  le  Parana  supé- 
rieur, d'entretenir  des  lignes  qui  remontent  le  i  araguay 
jusqu'à  Asuncion,  et  qui  prennent  à  Corrientes  le  fret 
en  provenance  de  Posadas.  A  l'amont,  les  chutes  de  la 
Guayra  et  de  l'Yguassu  fixent  une  limite  infranchissable 
à  la  zone  d'influence  de  la  batellerie  argentine.  La  batel- 
lerie des  biefs  supérieurs  de  l'Yguassu  ou  du  Parana 


'2  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

alimente  les  voies  ferrées  du  plateau  brésilien.  Le  trafic 
du  haut  Parana  comprend  principalement  le  maté  des 
Missions  et  lesplanchesde  cèdre  débitées  par  les  scieries 
de  Posadas.  Les  trains  de  bois  sont  en  effet  arrêtés  à 
Posadas,  et  descendent  rarement  au  fil  du  fleuve  vers 
l'aval. 

Les  statistiques  argentines  de  la  navigation  sont 
obscures  :  elles  confondent  sous  un  même  titre  le  mou- 
vement fluvial  entre  Posadas  et  le  territoire  brésilien, 
ou  entre  Corrientes  et  le  Paraguay,  et  les  exportations 
de  la  région  pampéenne  à  destination  de  l'Europe.  lî 
est  diflicile  d  en  tirer  une  notion  du  trafic  réel  et  de  dis- 
tinguer le  tonnage  efl'ectivement  débarqué  ou  embarqué 
dans  chaque  port  de  celui  qui  ne  fait  que  passer  devant 
ses  quais  à  bord  des  navires  remontant  ou  descendant 
le  fleuve.  Elles  attribuent  à  une  vingtaine  de  ports  un 
tonnage  total  —  entrées  et  sorties  comprises  —  de  plus 
de  500  000  tonnes. 

Du  moins  permettent-elles  de  distinguer  des  ports 
exclusivement  consacrés  au  cabotage  fluvial  ceux  qui 
ont  des  relations  directes  avec  les  ports  doutre-mer. 
Presque  tous  les  navires  à  destination  du  Parana  tou- 
chent à  l'aller  Buenos  Aires,  resté  le  principal  pori 
d'importation,  et  s'y  délestent;  ils  remontent  ensuite  à 
vide  pour  prendre  à  Rosario,  San  Nicolas  ou  Santa 
Fe,  un  chargement  complet  de  céréales  ou  de  bois,  et 
sont  mis  en  route  directement  du  Parana  pour  l'Europe 
sans  faire  à  Buenos  Aires  une  nouvelle  escale.  Les 
sorties  du  port  de  Buenos  Aires  pour  la  navigation 
intérieure  excèdent  fortement  les  entrées.  De  191 2  à  1914, 
Buenos  Aires  a  reçu  en  moyenne  en  provenance  des 
ports  à  l'intérieur  1  750000  tonnes,  dont  1  035  000  char- 
gées. Elle  a  mis  en  route  vers  les  mêmes  ports  des 
navires  jaugeant  3 '275  000  tonnes,  dont  1580  000  sur 
lest.  Ce  dernier  cliifl*re  représente  à  peu  près  le  tonnage 
des  navires  maritimes  expédiés  à  vide  vers  l'amont 
après  déchargement  sur  les  quais  de  Buenos  Aires.  Au 


LES  VOIKS  FLUVIALES.  265 

contraire,  à  Rosario,  San  Nicolas,  San  Pedro,  le  ton- 
nage à  la  sortie,  à  destination  des  ports  argentins,  est 
beaucoup  plus  faible  que  le  tonnage  à  l'entrée*.  Le  mou- 
vement total  des  marchandises  au  port  de  Rosario  est 
de  410000  tonnes  aux  entrées  et  375  000  tonnes  aux 
sorties  pour  la  navigation  intérieure,  de  1  100  000  tonnes 
aux  entrées  et  de  1  824  000  aux  sorties  pour  la  navigation 
à  destination  de  l'extérieur. 

Selon  les  calculs  de  Repossini,  le  tonnage  des  expor- 
tations sur  le  Parana  inférieur  en  aval  de  Santa  Fe 
s'élevait  vers  1910  à  4000000  ou  4  500  000  tonnes.  Les 
importations,  presque  complètement  concentrées  à 
Rosario,  représentaient  un  quart  environ  de  ce  chiffre. 
Sur  le  Parana  moyen  et  supérieur,  Repossini  évaluait 
le  volume  du  trafic  à  800  000  tonnes,  dont  le  quebracho 
formait  les  deux  cinquièmes. 

La  navigation  du  Parana  reste  l'une  des  sources 
principales  de  la  prospérité  de  Buenos  Aires.  Si  le  déve- 
loppement du  commerce  d'importation  de  Rosario  ou 
de  Santa  Fe  s'accomplit  en  partie  aux  dépens  de  la 
capitale,  si  les  navires  chargés  de  céréales  sur  le  fleuve 
ne  font  pas  même  escale  devant  ses  quais,  du  moins  le 
cabotage  du  Parana  est-il  en  grande  partie  à  destina- 
tion de  Buenos  Aires.  Au  retour,  plutôt  que  de  remonter 
à  vide,  les  bateliers  emportent  des  cargaisons  de  pro- 
duits européens  fournis  par  les  importateurs  de  Buenos 
Aires.  Par  le  Parana,  la  zone  d'influence  du  commerce 
d'importation  de  Buenos  Aires  s'étend  au  delà  des  fron- 
tières argentines  jusqu'au  Paraguay  et  jusque  sur  une 
partie  du  territoire  brésilien.  Buenos  Aires  est  en  outre 
le  centre  d'armement  principal  de  la  navigation  fluviale 
à  vapeur.  Ses   capitaux   dominent  le  Parana.  Enfin  le 

I.  Mouvement  de  la  navigation  intérieure  à  Rosario  (moyenne  de 
mi  à  1914),  entrées  :  1  108  000  tonnes,  dont  690  000  tonnes  sur  lest; 
sorties  •  5X0  000  tonnes;  à  S.  Nicolas,  entrées,  440  000  tonnes,  dont 
400000  sur  lest;  sorties  :  4000  tonnes.  La  diiîérence  entre  les  entrées 
et  les  sorties  repré-sente  des  navires  mis  en  route  directement  pour 
l'Europe. 


26t  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

Parana  lui  fournit  un  fret  d'exportation  qui  n'est  pas 
négligeable.  C'est  à  Buenos  Aires,  en  effet,  que  sont 
transbordés  les  peaux,  les  tabacs,  l'extrait  et  les  bois  de 
quebracho  à  destination  d'outre-mer,  chargés  sur  des 
chalands  dans  toute  la  partie  supérieure  du  fleuve 
inaccessible  à  la  navigation  maritime. 


CHAPITRE  IX 


LA    POPULATION 


La  distriliulion  de  la  population.  —  Les  courants  d  émigraliun 
à  l'intérieur.  —  Les  migrations  saisonnières.  —  Les  villes  histo- 
riques. —  Les  villes  de  la  région  pampéenne.  —  Buenos  Aires. 

Une  carie  à  grande  échelle  de  la  densité  moyenne  de 
la  population,  établie  par  provinces,  —  comme  celles 
qui  ont  été  publiées  dans  les  derniers  recensements 
argentins,  —  est  sans  valeur  géographique  pour  les 
régions  de  l'Ouest  et  du  Nord-Ouest,  où  des  oasis 
d'étendue  limitée  sont  séparées  par  de  vastes  étendues 
restées  désertes  faute  de  ressources  en  eau.  Dans  la 
région  pampéenne  au  contraire,  la  population  est  dis- 
persée et  distribuée  d'une  façon  très  uniforme,  et  les 
densités  moyennes  calculées  répondent  suffisamment 
aux  fai^s. 

Aux  différents  types  d'exploitation  dont  on  a  étudié  la 
répartition  dans  la  Pampa,  corresponde^^t  des  densités 
inégales  :  l'élevage  des  bœufs  n'entretient  qu'une 
population  clairsemée.  La  première  colonisation  pasto- 
rale de  la  plaine  à  l'Ouest  du  Salado  s'est  laite  entre 
1880  et  1890  avec  un  personnel  très  restreint.  Une 
grande  estancia  de  400  kilomètres  carrés  sur  la  lisière 
Nord  de  la  pampa  (estancia  del  Tostado)  n'emploie 
qu'une  centaine  de  personnes,  soit  une  pour  4  kilo- 
mètres carrés.  La  densité  s'élève  sensiblement,  pour 
l'élevage  du  mouton,  sur  les  pastos  tieinos  de  la  pro- 
vince de  Buenos  Aires  où  une  estancia  de  iOO  kilomètres 
carrés,  consacrée  à  la  production  de  la  laine,  avec 
50    à   60    bergers,   nourrit    au    moins  200    personnes. 


20(5         LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

2  au  kilomètre  carré'.  La  densité  n'est  pas  sensiblement 
plus  forte  dans  les  zones  de  grande  culture  de  blé,  où 
la  superficie  exploitée  par  une  famille  atteint  normale- 
ment, jachères  comprises,  200  hectares  ;  mais  elle  peut, 
même  en  faisant  abstraction  de  la  population  urbaine, 
dépasser  10  habitants  au  kilomètre  carré  dans  la  zone 
du  maïs. 

Les  progrès  de  la  population  argentine  peuvent  être 
suivis  de  près  depuis  le  milieu  du  xviii"  siècle.  Un 
recensement  exécuté  en  1 744  attribue  à  la  campagne  de 
Buenos  Aires,  à  l'intérieur  de  la  première  ligne  des 
forts,  6000  habitants.  A  la  lin  du  xvni"  siècle  (recense- 
ment de  1797,  cité  par  Azara),  la  population  de  la  pro- 
vince de  Buenos  Aires,  sans  la  ville,  dépasse  de  peu 
50  000  âmes,  la  zone  occupée  s'étant  étendue  dans  l'inter- 
valle, au  moins  partiellement,  jusqu'au  Salado.  Wood- 
bine  Parish  l'évalue  en  1824  à  80  000,  au  moment  où 
commence  l'expansion  vers  le  Sud,  au  delà  du  Salado, 
jusqu'à  la  Sierra  de  Tandil.  Elle  double  entre  1824 
et  1855.  Les  départements  du  Nord  comptaient  alors 
45  000  habitants;  ceux  de  l'Ouest,  58  000;  ceux  du 
Sud,  63000;  la  densité  était  encore  un  peu  plus  forte  au 
Nord,  le  long  de  la  route  du  Pérou,  mais  le  progrès  de 
rélevage  du  mouton  dans  le  Sud  commençait  à  déplacer 
le  centre  de  gravité  de  la  colonisation.  Le  premier  recen- 
sement régulier  de  la  République  argentine,  en  1869, 
révèle  un  progrès  plus  rapide  encore.  La  population  de 
la -province  de  Buenos  Aires  est  passée  à  315  000  habi- 
tants. L'augmentation  porte  surtout  sur  la  région  de 
l'Ouest,  où  les  cultures  commencent  à  s'étendre  autour 
de  Chivilcoy,  au  delà  de  la  zone  pastorale,  et  sur  la 
i-égion  du  Sud,  où  se  sont  multipliées  les  bergeries.  La 
population  des  départements  du  Sud  a  plus  que  doublé 
en  14  ans  (137  000  habitants  pour  70  000  kilomètres  carrés 
occupés  environ,  soit  2  habitants  au  kilomètre  carré). 

1.  Elle  est  20  fois  plus  faible  dans  les   eslancias  qui  exploitent  les 
lȈturages  maigres  du  Rio  Negro. 


LA  POPULATION.  207 

Cependant  la  région  pampéenne,  —  Buenos  Aires,  y 
compris  la  capilalo,  Santa  Fe,  et  la  partie  méridionale  de 
Cordoba,  —  nourrit  encore  à  cette  date  une  population 
moins  nomlireusc  que  celle  des  provinces  du  Nord  et  du 
Nord-Ouest  :  020  000  contre  813  000  ;  les  provinces  de  la 
Mésopotamie  avaient  alors  263000  habitants. 

La  proportion  s'est  renversée  25  ans  plus  tard,  au 
lecensement  de  1895;  la  population  pampéenne  a  triplé, 
et  représente  à  elle  seule  plus  de  la  moitié  de  la  popu- 
lation totale  du  pays  ;  celle  des  provinces  de  l'Ouest 
et  du  Nord-Ouest  en  forme  un  tiers  environ,  et  ne  s'est 
accrue  que  de  50  pour  lOO. 

Si  l'on  examine  en  détail  la  disU'ibution  de  la  popu- 
lation dans  la  plaine  pampéenne  en  1895,  on  constatera 
qu'en  dehors  de  la  banlieue  de  Buenos  Aires,  la  zone 
de  plus  forte  densité,  —  de  5  à  8  par  kilomètre  carré,  — 
s'étend  au  Nord  Ouest  entre  San  Andres  de  Giles  et 
Pergamino,  région  d'élevage  perfectionné,  oii  les  cul- 
tures de  maïs  commencent  à  occuper  une  part  impor- 
tante du  terrain.  La  population  reste  serrée  à  l'Ouest 
de  la  zone  précédente,  dans  la  région  agricole  de  Junin, 
Chacabuco  et  Chivilcoy.  Cette  zone,  où  le  maïs  voisine 
avec  le  blé,  englobe  déjà  vers  l'Ouest  Veinte  Ginco  de 
Mayo  (5  habitants  au  kilomètre  carré)  et  Nueve  de 
Julio  (2,5  habitants  au  kilomètre  carré).  Au  Sud  de 
Buenos  Aires,  les  départements  de  la  rive  gauche  du 
Salado,  uniquement  consacrés  à  l'élevage,  mais  ancien- 
nement peuplés,  ont  une  densité  de  5  à  5  au  kilomètre 
carré.  La  région  comprise  entre  le  Salado  inférieur  et  la 
sierra  de  Tandil,  zone  d'élevage  du  mouton,  alors  en 
plein  rendement,  mais  de  colonisation  plus  récente,  ne 
dépasse  pas  3.  Dès  qu'on  s'éloigne  vers  l'Ouest,  la  den- 
sité diminue  brusquement.  Elle  s'abaisse  à  moins 
de  1  dans  le  Nord-Ouest  et  l'Ouest  de  la  province  de 
Buenos  Aire*>,  dans  la  zone  où  se  sont  répandus  les 
éleveurs  de  bœufs  venus  de  la  région  orientale.  A  Santa 
Fe,  la  région  colonisée,   tant  à  la  hauteur  de  Rosario 


2ii8  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

qu'à  la  hauteur  de  Santa  Fe,  compte  environ  5  hal)i- 
lanls  par  kilomètre  carré;  mais  au  delà  de  la  frontière 
de  Cordoba,  la  densité  tombe  à  '2  dans  le  département 
de  San  Juslo,  à  moins  encore  plus  au  Sud,  à  Marcos 
Juarez,  Union  et  General  Lopez. 

En  1914,  la  densité  dépasse  15  dans  toute  la  région  du 
maïs  sur  le  territoire  de  Buenos  Aires  et  de  Sanla  Fo  : 
elle  approche  de  ce  cliiff'e  dans  les  départements  de 
colonisation  agricole  ancienne  du  moyen  Salado.  Dans 
la  région  des  luzernières,  elle  est  de  5  à  5,  sauf  au  Sud- 
Est  {départements  de  Veinte  Cinco  de  Mayo,  Nueve  de 
Julio,  Bolivar),  oîi  elle  s'élève  grâce  à  la  coexistence  des 
estancias  et  de  la  culture  du  maïs  et  du  blé.  Elle 
s'abaisse  entre  2  et  3  dans  la  zone  du  blé  du  Sud  et  du 
Sud-Est  de  Buenos  Aires.  A  Santa  Fe,  la  région  des 
co'onies  nourrit  7  habitants  au  kilomètre  carré. 

L'accroissement  de  la  population  s'explique  en  partie 
par  l'immigration  européenne.  Les  étrangers  forment . 
en  1914,  30  pour  100  de  la  population  totale'.  La  propor- 
tion des  étrangers  par  rapport  à  la  population  totale  est 
un  des  indices  qui  permettent  de  suivre  le  plus  exacte- 
ment le  mouvement  de  la  colonisation.  Aussitôt  que  la 
colonisation  se  ralentit  dans  une  zone  du  pays,  le 
nombre  des  immigrants  y  diminue;  les  enlants  des 
colons  étrangers  nés  en  Argentine  sont  considérés 
comme  indigènes  par  les  statistiques  argentines.  En 
1869,  la  proportion  des  étrangers  s'élève  à  417  pour  1000 
dans  la  province  de  Buenos  Aires  (moins  la  capitale). 
C'est  la  grande  période  de  la  colonisation  pastorale  et 
du  développement  des  bergeries.  Elle  n'atteint  encore 
que  156  pour  1000  à  Santa  Fe.  En  1895,  la  proportion  des 
étrangers  s'est  abaissée  à  309  pour  1000  à  Buenos  Aires. 
mais  elle  s'est  élevée  à  419  à  Santa  Fe,  oîi  cette  date 


1.  Européens  presque  tous,  sauf  quelques  dizaines  de  mille  Boli- 
viens dans  les  provinces  de  Salta  et  de  Jujuy,  quelques  milliers  df 
Brésiliens  dans  le  territoire  de  Misiones,  et  quelques  milliers  do 
Chiliens  au  Neuquen. 


LA  POPULATION.  ^2t59 

marque  à  peu  près  le  terme  de  la  grande  période  de 
colonisation  agricole.  En  1014,  la  proportion  des  étran- 
gers s'est  relevée  i\  Buenos  Aires  à  540  pour  1000 
(mise  en  valeur  de  la  région  du  mais  et  de  la  région 
méridionale  du  blé).  Elle  s'est  abaissée  à  Santa  Fe 
(350  pour  1000)  malgré  une  forte  immigration  dans  les 
départements  du  Sud  à  cultures  de  maïs.  En  même 
temps,  un  fort  afflux  de  j)opulation  étrangère  s'est  produit 
dans  la  province  de  Cordoba  (200  pour  1000)  et  dans  le 
lerrifoire  de  la  Pampa  central  (500  pour  1000)'. 

Les  derniers  recensements  permettent  de  suivre 
d'autre  part  sur  le  territoire  argentin  les  déplacements 
de  la  population  indigène  et  la  part  qu'elle  a  eue  dans  la 
colonisation.  En  dehors  de  la  région  pampéenne,  les 
fractions  du  pays  qui  ont  constitué  des  centres  d'attrac- 
tion pour  la  population  argentine  sont  les  provinces 
sucrières  de  Tucuman  et  de  Jujuy  et  la  province  de 
Mendoza.  En  1895,  Tucuman  compte  40  000  habitants 
originaires  d'autres  provinces;  Jujuy,  150(  0  ;  Mendoza, 
19  000.  L'attraction  de  Tucuman  s'est  exercée  princi- 
palement sur  les  provinces  voisines  de  Santiago 
(li2000  immigrés)  et  de  Catamarca  (12  000  immigrés). 
A  Mendoza,  les  immigrants  proviennent  surtout  de 
San  Juan  (7000)  et  de  San  Luis  (5000).  L'attraction  de 
la  zone  d'exploitation  du  bois  est  plus  difficile  à  mesurer, 
parce  que  la  majorité  des  obrajes  est  comprise  sur  le 
terriloire  de  la  province  de  Santiago  qui  a  fourni  elle- 
même  la  main-d'œuvre,  et  que  les  recensements  n'ont 
pas  tenu  compte  des  déplacements  à  l'intérieur  des 
provin<es.  Cependant  l'immigration  vers  la  région  du 
quebracho  chaquefio,  en  bordure  du  Parana,  est  recon- 
naissable  dès  1895.  Elle  est  alimentée  par  la  province 

1.  J'ai  signalé  ailleurs  l'iniportance  du  courant  d'immigration  euro- 
péenne à  Mendoza.  En  Patagonie  (terriloire  du  Hio  Negro,  du  Xeu- 
quen,  du  Chubut,  du  Santa-Cruz  et  de  la  Terre  de  Feu.  dont  la 
population  totale  n'est  que  do  lOidOO  habitants),  l'élevage  du  mouton 
a  déterminé  aussi  une  forte  immigration  (4'28  étrangers  pour  mille 
habitants  en  l'Jl  i). 


270  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

de  Gorrientcs  :  Sanla  Fe  compte  10000  immigrants  de 
Corrientes,  dont  6500  dans  les  départements  forestiors 
de  Reconquista  et  de  Vera.  Le  territoire  du  Gharo 
nourrit  2000  bûcherons  correntinos  et  quelques  cen- 
taines de  Santiaguenos  et  de  Saltenos.  Enfin  Corrientes 
a  également  fourni  5000  immigrants  au  territoire  des 
Missions. 

Dans  la  région  pampéenne,  la  population  de  la  pro- 
vince de  Buenos  Aires  ne  comprend  en  1895  qu'une  très 
faible  proportion  d'éléments  venus  d'autres  provinces. 
La  population  de  Santa  Fe  est  plus  mêlée.  L'essor  de  la 
colonisation  agricole  y  a  fixé  63000  immigrants  argen- 
tins. Ils  sont  venus  surtout  de  la  rive  gauche  du  Parana 
et  de  Cordoba.  L'immigration  cordobense  est  localisée 
le  long  de  la  voie  ferrée  de  Rosario  à  Cordoba,  dans  les 
départements  de  Belgrano  et  d'Iriondo,  et  dans  la  ville 
de  Rosario.  L'essaimage  des  colons  de  Santa  Fe  vers  les 
terres  neuves  de  l'Ouest  commence  à  peine.  Ils  sont 
5000  seulement  dans  la  province  de  Buenos  Aires, 
5000  à  Cordoba,  en  majorité  dans  les  départements 
limitrophes  de  l'ancienne  zone  des  colonies.  La  coloni- 
sation de  Cordoba  débute  à  la  fois  à  l'Est,  au  voisinage 
de  Santa  Fe,  et  au  Sud-Ouest  dans  le  département  de 
Rio  Cuarto,  où  pénètrent  les  éleveurs  de  la  province  de 
San  Luis.  De  même,  la  population  argentine  de  la 
Pampa  central  comprend  des  éléments  venus  de  l'Est 
en  même  temps  que  les  colons  européens,  et  des  élé- 
ments venus  du  Nord-Ouest  (10  000  immigrés  de  la 
province  de  Buenos  Aires,  5000  de  la  province  de 
San  Luis). 

Le  recensement  de  1914  contient,  au  sujet  des  migra- 
tions intérieures,  des  renseignements  moins  complets 
que  le  précédent.  Ces  migrations  ne  se  sont  pas  arrêtées. 
L'attraction  de  Tucuman  et  de  Mendoza  n'a  fait  que 
s'accroître.  La  province  de  Tucuman  compte  55  000  im- 
migrés argentins;  celle  de  Jujujs  15  000;  celle  de  Men- 
doza, 54  000.  Les  provinces  de  Santiago  et  de  Corrientes 


LA  POPULATION.  271 

coiilinuent  à  (Hre  les  foyers  d'émigration  les  plus  impor- 
tants (58  000  et  65000  éniigrants).  A  Santa  Fe,  le  nombre 
des  émigrants  qui  ont  quitté  la  province  pour  aller 
s'établir  à  Cordoba  et  dans  le  reste  de  la  région  pam- 
péenne  est  passé  de  14  000  à  87  000.  Enfin  les  territoires 
patagonicns  comprennent  également  un  fort  excédent 
(le  populalion  immigrée  d'autres  provinces. 

Les  migrations  péiiodiques,  qui  nenlraîncnt  pas  un 
changement  définitif  de  résidence,  échappent  au  con- 
traire complètement  aux  statistiques  officielles.  L'im- 
portance de  ces  migrations  dans  le  Nord  de  l'Argentine 
a  été  signalée  dans  les  chapitres  consacrés  à  Tucuman 
et  à  l'exploitation  des  bois.  Elles  se  produisent  éga- 
lement dans  la  région  pampéenne,  où  elles  sont  déter- 
minées principalement  par  les  besoins  de  main-d'œuvre 
pour  la  moisson  et  le  battage  du  blé  et  du  lin,  et  pour  la 
cueillette  du  maïs.  Miatello  a  analysé  en  détail  le 
phénomène  pour  la  province  de  Santa  Fe  en  1904.  La 
période  pendant  laquelle  les  cultivateurs  de  blé  et  de 
lin  ont  besoin  d'aide  s'étend  de  novembre  à  février;  elle 
commence  en  mars  pour  les  cultivateurs  de  maïs,  et  se 
prolonge  d'autant  plus  que  la  récolte  est  plus  abon- 
dante. Les  immigrants  temporaires  proviennent  en 
partie  d'Europe.  Non  seulement  le  courant  d'immigra- 
tion à  destination  de  l'Argentine  est  plus  intense  pen- 
dant les  mois  qui  précèdent  les  récoltes,  tandis  que  lo 
courant  de  réémigration  vers  l'Europe  s'accentue  au  con- 
traire pendant  l'automne,  mais  encore  il  n'est  pas  rare  de 
voir  des  Italiens  faire  annuellement  le  voyage  d'Argen- 
tine pour  y  séjourner  seulement  pendant  le  temps  des 
moissons,  où  les  salaires  s'élèvent.  Cette  immigration 
saisonnière  en  provenance  d  Italie  est  déjà  ancienne  et 
Daireaux  la  signale  dès  1889.  Ces  étrangers  ne  forment 
toutefois  qu'une  partie  du  personnel  de  fortune  embau- 
ché pour  les  moissons  de  la  plaine  pampéenne.  Les 
migrations  saisonnières  restent  surtout  un  phénomène 
intérieur.  La  main-d'œuvre  employée  à  la  cueillette  du 


un  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

maïs  comprend  des  éléments  empruntés  à  la  population 
des  villes  voisines  de  la  région  maïsera.  Mais  toutes  les 
provinces  du  pourtour  de  la  région  pampéenne  four- 
nissent aussi  leur  contingent  d'immigrants  temporaires. 
Il  en  vient  de  la  vallée  du  Rio  Negro  à  Baliia  Blanca, 
comme  de  San  Luis,  et  même  de  Mendoza  dans  la  Pampa 
central  et  dans  la  province  de  Cordoba. 

Le  courant  le  plus  ancien,  et,  encore  aujourd'hui  le 
plus  volumineux,  est  celui  qui  provient  de  la  province 
de  Santiago.  D'Orbigny  signale  en  1827  l'afflux  saison- 
nier des  Santiaguenos  vers  le  littoral.  La  récolte  des 
blés  à  Buenos  Aires  progressait  cette  année,  lentement, 
faute  de  bras  ;  «  les  levées  forcées  pour  l'armée  empé- 
ciiaient  les  Santiagueflos  de  venir  se  louer,  selon  leur 
usage,  par  la  crainte  d'être  obligés  de  servir  »*. 

L'émigration  temporaire  a  sans  doute  pour  origine 
les  voyages  qui  amenaient  à  Buenos  Aires  les  gens  du 
Nord  comme  conducteurs  des  troupes  de  chars.  Les 
Santiaguenos  étaient  nombreux  parmi  les  troperos. 
Lorenzo  Fazio*  a  recueilli  dans  le  pays  des  baflados  les 
souvenirs  laissés  par  ces  voyages  :  ils  remontent  au 
premier  quart  du  xix^  siècle,  à  la  période  antérieure 
au  détournement  du  Rio  Dulce  et  à  la  ruine  de  Salavina 
et  d'Atamisqui.  «  Mon  père,  dit  un  de  ses  informateurs, 
menait  des  chars  de  blé  à  Cordoba,  et  parfois  jusqu'à 
Buenos  Aires,  où  il  le  vendait  pour  rapporter  en 
échange  des  marchandises,  des  étoffes.  Il  achetait  le 
blé  tantôt  à  Loreto,  tantôt  à  Afamisqui  ou  à  Salavina. 
Il  revenait  au  bout  d'un  an  seulement,  car  il  lui  fallait 
attendre  là-bas  les  pluies  et  que  le  pâturage  eût  reverdi  : 
sans  quoi  ses  bêtes  seraient  mortes  de  soif  et  de  faim 
sur  la  route  ».  Les  voyages  des  troperos  comportaient 
un  long  séjour  oisif  dans  la  région  pampéenne,  préci- 


1.  D'Orbigny,  Voyage  dans  V Amérique  méridionale,  t.  I,  p.  528. 

2.  Lorenzo  Fazio,  Memoria  descriptiva  de  la  provincia  de  Santiago  del 
Eslero.  Buenos  Aires,  1889. 


LA  POPULATION.  273 

sèment  à  l'époque  des  récoltes.  Il  est  naturel  qu'ils  aient 
songé  à  tirer  parti  de  leurs  bras. 

L'émigration  temporaire  des  Santiagiiefios  ne  s'inter- 
rompit jamais  au  xix"  siècle.  Elle  persista  même  à 
l'époque  troublée  du  gouvernement  de  Rosas,  qui  vit 
s'arrêter  presque  complètement  les  relations  commer- 
ciales entre  Buenos  Aires  et  les  provinces  de  arriba. 
Galvez',  traversant  les  villages  du  Rio  Dulce,  observe 
que  la  population  masculine  y  était  peu  nombreuse  :  les 
hommes  s'étaient  dispersés  par  les  chemins;  ils  étaient, 
dit-il,  «  andariegos  »;  les  femmes  seules  étaient  séden- 
taires. La  province  de  Buenos  Aires  voyait  les  Santia- 
guenos  arriver  par  nuées  pour  s'embaucher.  Chivilcoy 
et  toute  la  zon(3  des  «  chacras  »  de  maïs  et  de  blé  rece- 
vaient leurs  caravanes  pour  la  moisson,  et  les  retenaient 
parfois  pour  les  semailles.  Les  estancieros  eux-mêmes 
profitaient  de  ce  renfort  et  louaient  leurs  services  pour 
la  marque.  A  l'automne  ils  s'en  retournaient  avec  leurs 
tropillas,  redoutés  des  éleveurs  dont  ils  traversaient  les 
domaines,  et  volant  sans  scrupule  les  chevaux  mal 
gardés. 

La  province  de  Santa  Fe,  et  particulièrement  les 
départements  agricoles  du  Nord-Ouest,  sont  aujourd'hui, 
dans  la  région  pampéenne,  le  principal  théâtre  de  l'im- 
migration des  Santiaguenos  Elle  ne  se  fait  pas  toujours 
par  voie  ferrée  et  a  conservé  en  partie  son  aspect  pitto- 
resque et  primitif.  Les  immigrants  arrivent  par  troupes, 
montés  sur  des  mules  ou  des  chevaux,  et  se  dispersent 
en  novembre  dans  les  colonies. 


La  population  argentine  a  subi  en  outre  l'attraction 
exercée  par  les  centres  urbains.  La  croissance  des  villes 
est  due  en  effet  h  la  fois  à  l'immigration  étrangère  et  à 
l'immigration  intérieure.  Le   développement  de   la  vie 

1.  V.   Galvez,    Memorias    de   un    viejo.   I3uenos   Aires,  3    vol.    in-16 
4'  édicion,  1889.  ' 

Dems.  —  L'Argentine.  jg 


27 1  LA  RÉPLIBLÎOUE  ARGENTINE. 

urbaine,  devenu  l'un  des  traits  caractéristiques  de  l'Ar- 
gentine moderne,  est  un  phénomène  récent.  Rien  ne  le 
fait  pressentir  au  xviii"  siècle.  Azara  est  frappé  au  con- 
traire par  le  défaut  de  toute  vie  communale  :  point  de 
«  pueblos  unidos  ».  La  dispersion  de  la  population  est 
une  conséquence  de  la  prédominance  de  l'élevage.  «  Si 
ce  pays  trouvait  profit  à  l'agriculture,  on  verrait  ses 
habitants  se  réunir  deux-mcmcs  en  villages,  au  lieu 
que  toute  la  population  des  campagnes  est  au  contraire 
disper.-iée  dans  ses  cstancias^  ».  C'est  la  dispersion  de 
la  population,  plus  encore  que  sa  faiblesse  numérique 
absolue,  c'est  la  solitude,  «  le  désert,  horizon  universel 
qui  s'insinuait  partout  jusque  dans  les  entrailles  du 
pays'  »,  qui  a  façonne  l'àmc  farouche  du  gaucho. 

Les  sites  urbains  primitifs  sont  tous  placés  soit  sur 
le  fleuve,  soit  sur  les  routes  historiques  du  Pérou  et  du 
Chili.  Les  seules  villes  de  la  région  du  Parana  étaient 
à  la  fin  du  xviii'-  siècle  Buenos  Aires,  Santa  Fe  et  Cor- 
rientes.  Quant  aux  villes  de  l'intérieur,  le  voyage  de 
Helms  (1788)  donne  une  idée  de  leur  importance.  Cor- 
doba,  au  carrefour  de  la  route  du  Pérou  et  des  pistes 
vers  la  province  de  la  Hioja,  avait  alors  1500  habitants 
de  race  blanche  et  iOOO  noirs.  Elle  devait  au  voisinage 
de  la  sierra,  qui  fournissait  le  granit  et  la  chaux,  une 
apparence  architecturale,  des  rues  pavées,  qui  frap- 
paient même  le  voyageur  arrivant  de  Buenos  Aires. 
L'attraction  de  ses  écoles  s'étendait  au  loin  :  nous 
avons  conservé  une  liste  d'étudiants  du  Paraguay 
ayant  fait  leurs  études  à  l'Université  de  Cordoba  au 
xv!!!*"  siècle'.  Tucuman,  et  surtout  Salta,  étaient  aussi 
des  centres  assez  vivants.  Salta  avait  600  familles  es- 
pagnoles et  9000  habitants  en  tout,  et  ses  relations 
s'étendaient  jusqu'au    Pérou    et    au    Chili.   Jujuy,    au 


1.  F.  de  Azara.  Mcmorias  sobre   el  estado  rural  ciel  rlu  de  la  Plata  en 
1801,  p.  10. 
'2.  Sarmiento,  El  Facundo,  p.  19. 
3.  Pubii'^c  par  la  Rcvista  del  [nstihilo  Paraguayo.  t.  W.  p.  ri.'i. 


LA  POPULATION'.  27;. 

conlraire,  nclail  qu'une  bourgade.  Helms  signale  la 
décadence  de  Santiago  del  Estero  :  le  commerce  qui  y 
rtorissait  autrefois  a  pris,  dit-il,  une  autre  direction.  La 
prospérité  de  Santiago  était  liée  en  effet  à  l'activité  de  la 
loute  directe  de  Santa  Fe  h  Tucuman,  qui  cesse  d'être 
pratiquée  à  la  fin  du  xviii''  siècle.  Santa  Fe  est  égale- 
ment, à  la  fin  du  XYiif  siècle,  et  restera  jusqu'au  milieu 
du  XIX"  siècle,  une  ville  déchue.  Sa  misère  s'explique  non 
seulement  par  l'interruption  de  ses  relations  directes 
avec  le  Pérou,  mais  par  la  décadence  et  l'isolement  du 
Paraguay,  qui  fournissait  les  éléments  principaux  de 
son  commerce,  et  dont  elle  assurait  les  relations  avec 
les  provinces  andines. 

Le  grand  développement  de  la  vie  urbaine  en  Argen- 
tine date  seulement  de  la  période  de  la  colonisation 
de  la  région  pampéenne.  La  proportion  de  la  population 
urbaine  s'est  élevée  considérablement  pendant  les 
vingt-cinq  dernières  années  :  en  1895,  115  centres  de 
plus  de  2000  habitants  comprennent  37  pour  100  de  la 
population  argentine  totale;  en  1914,  le  nombre  des 
centres  urbains  atteint  322,  et  ils  comprennent  53  pour 
100  de  la  population.  La  population  des  villes  de  5000 
à  20  000  habitants  a  triplé  en  20  ans,  passant,  de  1895  à 
1914,  de  312  000  à  977  000  âmes.  De  grandes  villes  nou- 
velles, comme  Rosario  ou  Bahia  Blanca,  sont  nées. 
L'importance  relative  des  villes  anciennes  s'est  rapi- 
dement modifiée;  Tucuman  et  Mendoza  (121000  et 
92  000  habitants)  ont  distancé  Santiago  et  Salta  (22  000 
et  28  000  habitants).  Les  villes  du  Nord-Ouest,  Gata- 
marca  et  la  Bioja,  se  sont  au  contraire  à  peine  déve- 
loppées. 

Si  ion  examine  une  carte  de  la  population  urbaine 
dans  la  région  pampéenne,  on  constatera  que  la  colo- 
nisation y  a  déterminé  la  formation  d'une  dizaine  de 
centres  principaux,  de  15000  à  25  000  habitants,  et  d'une 
cinquantaine  de  centres  secondaires,  de  5000  512  000  ha- 
bitants, tous  offrant  un  caractère  nettement  urbain.  La 


216  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLNE. 

juxtaposition  de  ces  centres  urbains  et  d'une  population 
agricole  ou  pastorale  dispersée  est  un  des  traits  origi- 
naux du  mode  de  peuplement  actuel  de  la  Pampa;  le 
village,  ou  groupement  purement  rural,  n'existe  pas.  La 
distribution  de  ces  centres  à  la  surface  de  la  plaine  est 
assez  uniforme;  ils  sont  un  peu  plus  serrés  dans  la  ré- 
gion voisine  du  Parana,  au  Nord  de  Buenos  Aires,  où 
le  peuplement  est  le  plus  ancien,  et  où  la  densité  de  la 
population  rurale  reste  d'ailleurs  le  plus  élevée*.  Le 
territoire  de  la  Pampa  s'est  réparti,  comme  en  autant 
d'alvéoles,  entre  les  zones  d'influence  de  ces  différents 
centres,  dont  le  rayon  se  réduit  à  une  quinzaine  de  ki- 
lomètres dans  le  Nord-Est,  et  s'élève  à  30  dans  le  Sud 
de  Buenos  Aires  et  à  40  dans  l'extrême  Ouest. 

Un  nœud  secondaire  de  voies  ferrées  en  a  déterminé 
généralement  le  site  (SanFrancisco-Pergamino,  Junin). 
Leur  population  comprend  le  personnel  nécessaire  au  jeu 
de  la  vie  économique  de  la  Pampa,  courtiers  desexpor 
lateurs  de  céréales,  commerçants  qui  approvisionnent 
les  colons  en  marchandises  importées,  —  notamment  en 
machines  agricoles  —,  banquiers  et  agents  d'assurances, 
arpenteurs  et  hommes  de  loi.  Les  mieux  desservis  par 
les  voies  ferrées  ont  un  rudiment  d'industrie,  moulins 
et  brasseries,  dont  la  production  est  absorbée  par  la 
clientèle  locale.  Ces  villes  tirent  de  la  région  pam- 
péenne  même  tous  les  éléments  de  leur  activité,  et  n'ont 
de  relations  directes  ni  avec  les  marchés  extérieurs, 
ni  avec  les  autres  régions  de  l'Argentine*. 


1.  Plusieurs  centres  sont  alignés  sur  la  voie  ferrée  de  Cordoba  à 
Rosario,  la  seule  dans  la  région  pampéenne  qui  ait  le  caractère  d'une 
ligne  de  communication  interrégionale. 

2.  Deux  d'entre  elles  seulement,  Villa  Mercedes  et  Villa  Maria,  sont 
placées  à  la  lisière  de  la  Pampa.  On  a  vu  ailleurs  la  part  que  l'éle- 
vage extensif  des  provinces  du  Nord-Ouest  prend  à  l'aclialandage  de 
la  foire  aux  bœufs  de  Villa  Mercedes.  Villa  Maria,  elle  aussi,  tire 
quelque  profit  de  sa  situation  au  contact  de  la  brousse.  Ses  fours  à 
chaux  reçoivent  le  calcaire  de  la  sierra  de  Cordoba,  mais  ils  s'ali- 
mentent en  combustible  sur  place;  le  bois  leur  est  fourni  par  les 
colons  qui  défrichent  le  monte. 


LA  POPULATION.  277 

Mais  les  villes  de  la  Pampa  qui  ont  grandi  le  plus  ra- 
pidement sont  les  ports.  Rosario  est  passé  de  2Ô0U0  ha- 
bitants en  18G9  à  91000  en  1895,  et  à  245  000  en  1914; 
Bahia  Blanca,  de  9000  en  1895  à  62  000  en  1914.  La  po- 
pulation actuelle  des  ports  de  la  Pampa  n'est  nullement 
proportionnelle  à  la  part  qui  revient  à  chacun  d'eux 
dans  l'exportation  des  produits  pampéens. 

Uosario.        Buenos  Aires.  Bahia  Blanca.  San  Nicolas.    La  Plala.      Santa  Fe. 

Exportation   de  céréales   en  milliers  de  tonnes  ;  moyenne 
des  années  1913-1915  : 
2.7ir,  2.051  1.07Ô  651  -459  278 

Population  en  1914  : 
245.000  1.575.000  62.000        19.000        157.000        64.000 

Tel  centre,  comme  Campana  ou  Zarate,  San  Pedro  ou 
San  Nicolas,  qui  embarquent  des  viandes  ou  des  grains 
pour  une  valeur  considérable,  sont  cependant  restés 
des  bourgs  médiocres.  Ni  le  commerce  d'exportation 
des  viandes,  ni  celui  des  céréales  ne  suffisent  par  eux- 
mêmes  à  alimenter  une  vie  urbaine  intense.  De  fait,  la 
croissance  des  ports  de  la  Pampa  est  liée  avant  tout  à 
leur  fonction  de  ports  d'importation  et  à  leur  rôle  de 
marchés  de  capitaux.  L'étroite  dépendance  où  Bahia 
Blanca  se  trouve  placée  à  ce  double  point  de  vue  à 
l'égard  de  Buenos  Aires  paraît  lui  interdire  tout  espoir 
de  jamais  devenir  l'égale  de  Rosario.  La  prospérité  de 
Rosario  s'est  fondée  pendant  la  période  de  l'isolemenl: 
de  Buenos  Aires,  entre  1855  et  1860,  qui  a  permis  au 
commerce  d'importation  de  s'y  organiser  et  d'y  accu- 
muler un  noyau  de  capitaux  autonomes'. 

Le  développement  de  Buenos  Aires  doit  être  mis  à 

i.  Buenos  Aires  et  Rosario  seuls  ont  un  marché  aux  graines  indé- 
pendant, d'ailleurs  diversement  organisé  :  à  Buenos  Aires,  les  expor- 
tateurs ont  noué  des  relations  directes  avec  les  producteurs  et 
éliminé  les  intermédiaires;  à  Rosario  ils  doivent  au  contraire  accepter 
les  services  d'une  corporation  puissante  de  courtiers. 


278  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

part.  Il  ne  reflète  pas  uniquement  l'essor  de  la  coloni- 
sation dans  la  Pampa,  et  représente  un  phénomène 
d'ordre  national.  L'attraction  de  Buenos  Aires  s'est 
exercée  sur  tout  l'ensemble  du  pays.  En  1895,  sur  une 
population  d'origine  argentine  de  318000  habitants, 
plus  de  la  moitié,  —  167  000,  —  étaient  originaires  des 
provinces'.  La  façon  dont  la  prospérité  de  Buenos  Aires 
est  liée  non  pas  seulement  à  celle  de  son  arrière-pays 
immédiat,  mais  à  celle  du  pays  tout  entier,  .se  marque 
par  la  stabilité  du  chiffre  qui  représente  la  proporlion 
des  habitants  immigrés  de  l'étranger.  Tandis  que,  dans 
chacune  des  provinces,  la  proportion  des  étrangers  varie 
d'un  recensement  à  l'autre,  selon  les  déplacements  du 
courant  de  colonisation,  à  Buenos  Aires,  elle  reste  au 
contraire  à  peu  près  fixe  :  496  pour  mille  en  1809,  520 
en  1895,  493  en  1914. 

La  population  de  la  ville  de  Buenos  Aires  ost  évaluée 
par  Helms  en  1788  à  24  000  ou  30000  habitants,  par 
Azara  à  40  000  en  1799.  La  révolution  n'interrompt  pas 
sa  croissance  :  d'après  les  calculs  de  Woodbine  l'arisb, 
la  ville  avait  81  000  habitants  en  1824.  Le  gouverne- 
ment de  Rosas  marque  au  contraire  une  période  de 
stagnation  (90  000  habitants  en  1855).  Mais  à  partir  de 
1855,  les  progrès  de  Buenos  Aires  reprennent  avant 
même  le  rétablissement  de  l'unité  politique  argentine  et 
ils  ne  se  sont  pas  ralentis  depuis.  La  population  a  doublé 
à  peu  près  régulièrement  pendant  chaque  période  de 
quinze  ans  :  1/7  000  habitants  en  1869,  435000  en  1887, 
663000  en  1895,  1  575  000  en  1914.  Ce  dernier  chiffre  est 
d'ailleurs  insuffisant  :  l'agglomération  de  Buenos  Aires, 
y  compris  la  banlieue,  comprend  en  réalité  1  990  000  ha- 
bitants (1914). 

Le  terrain  sur  lequel  s'est  bâtie  la  ville  est  un  pla- 
teau régulier  d'une  altitude  de  20  mètres,  découpé  par 
des  vallées  à  fond  plat  marécageux.  Le  Riachuelo,  au 

i.  Le  recensement  de  1914  ne  donne  pos  sur  ce  point  de  rensoi- 
ments  dignes  de  foi. 


LA  POPULATION.  270 

débouché  d'une  de  ces  vallées,  a  fourni  à  Buenos  Aires 
son  port  primitif.  Les  terres  basses  mal  drainées  des 
vallées  ont  été  occupées  par  les  quartiers  les  plus 
pauvres.  Leurs  versants,  les  «  barrancas  )),sont  au  con- 
traire un  site  de  résidences  aristocratiques;  les  dessi- 
nateurs de  jardins  ont  pu  en  tirer  parti  avantageusement. 

Dans  l'ensemble,  la  croissance  de  Buenos  Aires 
présente,  en  raison  de  l'uniformiié  du  sol,  les  mêmes 
caractères  de  régularité  que  l'expansion  de  la  coloni- 
sation à  la  surface  de  la  plaine  pampéenne.  La  ville  est 
disposée  en  zones  concentriques,  et  offre  ainsi  une 
image  en  raccourci  de  la  répartition  des  types  d'exploi- 
tation dans  la  Pampa  qui  l'environne.  Le  noyau  central, 
ou  quartier  des  affaires,  contient  non  seulement  les 
bureaux,  mais  les  entrepôts  de  marchandises  importées. 
Autour  du  centre,  dans  un  rayon  de  2  à  5  kilomètres, 
s'étendent  les  quartiers  d'habitation  où  la  densité  est  le 
plus  élevée  (250  à  350  à  l'hectare).  Au  delà,  la  densité 
s'abaisse  à  moins  de  200  habitants  à  l'hectare,  à  moins 
de  50  vers  la  périphérie.  Les  quartiers  du  centre  ont 
atteint  leur  densité  maxima  depuis  1900.  Ceux  de  la  pre- 
mière zone  extérieure  ont  réalisé  de  gros  gains  entre 
1904  et  1909;  depuis  cette  date,  leurs  progresse  sont 
arrêtés  à  leur  tour,  et  l'accroissement  a  porté  surtout 
sur  les  quartiers  ouvriers  éloignés  du  Sud  et  de  la  rive 
du  Riachuelo. 

Buenos  Aires  a  conservé  dans  les  quartiers  du  centre, 
et  reproduit  partout  dans  les  quartiers  périphériques, 
le  plan  primitif  en  damier  régulier  de  la  cité  coloniale 
espagnole.  Ce  plan  est  mal  adapté  aux  besoins  actuels. 
La  croissance  rapide  de  la  ville  et  son  étendue,  —  la 
densité  moyenne  n'y  dépasse  pas  54  habitants  à  l'hec- 
tare, contre  300  à  Paris,  —  compliquent  le  problème 
des  transports.  Buenos  Aires  projette  actuellement  un 
remaniement  complet  de  sa  voirie,  et  le  percement  de 
rues  diagonales,  rayonnant  à  partir  du  centie  et  con- 
formes à  la  direction  des  courants  généraux  de  circu- 


280  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTL\E. 

lation.  Ainsi  se  trouvera  reproduite  dans  le  périmètre 
'Urbain  la  disposition  en  éventail  du  réseau  des  voies 
ferrées  de  la  plaine  pampéenne. 

Buenos  Aires  sert  d'intermédiaire  entre  l'Argentine 
et  les  pays  d'outre-mer.  Elle  joue  ce  rôle  fructueux  à 
un  triple  titre  :  elle  est  d'abord  le  centre  principal  du 
commerce  d'importation.  Les  commerçants  des  villes 
de  l'intérieur  constituent  la  clientèle  des  importateurs  de 
Buenos  Aires,  étroitement  liée  à  eux  par  un  système 
de  crédits  à  long  terme.  Buenos  Aires  est,  en  outre,  le 
centre  de  distribution  des  capitaux  européens  qui  se 
sont  employés  à  la  mise  en  valeur  du  pays.  Enfin,  de 
même  qu'elle  répartit  entre  les  provinces  les  capitaux 
étrangers,  elle  leur  distribue  la  main-d'œuvre  immigrée. 
En  tant  que  port  d'immigrants,  son  monopole  est  incon- 
testé. Les  essais  tentés  pour  détourner  vers  Bahia  Blanca 
une  partie  des  immigrants  ont  échoué,  et  l'immigration 
directe  à  destination  de  la  province  de  Santa  Fe  s'est 
arrêtée  dès  la  fin  de  la  première  période  de  la  coloni- 
sation, vers  1880.  C'est  à  Buenos  Aires  aussi  que  vien- 
nent s'embarquer  les  immigrants  qui  ne  se  fixent  pas 
dans  le  pays,  et  la  réémigration,  qui  est  considérée 
comme  un  fléau  national  par  les  économistes  argentins, 
n'en  est  pas  moins  pour  la  capitale  une  source  de  nou- 
veaux profits.  La  fortune  de  Buenos  Aires  est  donc 
faite  avant  tout  de  l'étroit  contact  entre  la  vie  économique 
de  l'Argentine  et  celle  de  l'Europe  et  de  l'Amérique  du 
Nord. 

Mais  sa  croissance  même  a  progressivement  trans- 
formé son  rôle  à  l'intérieur  du  pays.  A  mesure  que  sa 
population  et  sa  richesse  se  sont  accrues,  elle  est 
devenue  un  grand  marché  national.  Les  produits  des 
provinces  y  affluent  non  seulement  pour  les  besoins  de 
sa  propre  consommation,  mais  pour  être  répartis  ensuite 
sur  tout  le  territoire  argentin.  Les  chiffres  du  commerce 
du  bétail  au  marché  de  Buenos  Aires  sont  instructifs  à 
cet   égard  :    de  janvier  à  juillet  1919,  il  y  a  été  vendu 


LA  POPULATION.  281 

1  150  000  bœufs,  dont  240000  pour  rapprovisionncmenl 
de  la  capitale  et  700  000  pour  les  frigorifiques':' 
120  000  bœufs  ont  élé  achetés  par  des  éleveurs  pour 
être  mis  à  l'engraissage,  40  000  par  des  bouchers  de 
villes  autres  que  Buenos  Aires.  Les  capitaux  propres 
qui  se  sont  accumulés  à  Buenos  Aires  sont  employés 
soit  au  commerce  des  terres,  soit  à  l'industrie  qui  a 
profité  à  la  fois  du  développement  de  la  consommation 
locale  et  des  larges  disponibilités  de  main-d'œuvre 
créées  par  l'afflux  des  immigrants.  Ainsi  Buenos  Aires 
ne  se  borne  plus  à  servir  de  truchement  entre  le  pays  et 
l'extérieur  ;  elle  contribue  par  ses  ressources  et  son  tra- 
vail à  la  colonisation  et  à  l'approvisionnement  en  articles 
manufacturés  des  régions  agricoles  et  pastorales.  Elle 
est  enfin  une  grande  ville  de  luxe,  offrant  aux  proprié- 
taires enrichis  par  la  hausse  des  terres  l'occasion  de 
dépenser  leurs  revenus,  et  dispensant  les  plaisirs  à  la 
population  du  campo,  lasse  parfois  de  son  existence 
laborieuse,  rude  et  solitaire. 

1.  Pendant  la  même  période,  les  frigorifiques  argentins  ont  abattu 
1  490000  bœufs  ;  une  moitié  environ  de  ces  bœufs  a  donc  été  achetée  à 
Buonos  Aires. 


BIBLIOGRAPHIE 


Je  me  borne  à  signaler  ici  les  ouvrages  les  plus  impor- 
tants et  les  plus  récents.  Une  liste  des  articles  qui  onl 
été  consultés  serait  longue  et  sans  intérêt;  quant  à  un*- 
liste  complète  de  ceux  qui  auraient  pu  être  consultés, 
et  où  des  renseignements  auraient  pu  être  glanés,  ce 
serait  une  entreprise  impossible  :  pour  un  travail  de  ce 
genre,  il  n'est  ni  un  récit  de  voyage,  ni  une  élude  con- 
cernant le  sol,  le  climat,  la  végétation,  ni  un  document 
statistique,  ni  un  journal,  ni  un  texte  purement  histo- 
rique, qui  ne  puisse  être  considéré  à  bon  droit  comme 
une  source. 

\°  Périodiques. 

Paraii  les  périodiques  publiés  en  Argentine  et  con- 
sacrés partiellement  ou  entièrement  à  l'étude  du  terri- 
toire argentin  et  de  sa  mise  en  valeur,  les  principaux 
sont  : 

Boletin  del  Instituto  geografico  argentino.  Buenos  Aires, 
depuis  1879  (t.  1  1879,  t.  Il  1881,  1  volume  par  an  de 
1881  à  1901;  a  paru  irrégulièrement  depuis). 

Anales  delà Sociedad  cientifica  argcndna.  Buenos  Aires. 
2  volumes  par  an  à  partir  de  1870. 

Revista  de  la  Sociedad  geografica  argentina.  Buenos 
Aires,  n'a  paru  que  de  1885  à  1889. 

Boletin  de  la  Academia  nacionai  de  ciencias  de  Cordoba. 
Cordoba,  depuis  1874,  23  volumes  jusqu'en  1918. 

Les  publications  des  musées  de  Buenos  Aires  et  de 


28i  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

la  Plata  contiennent  aussi,  parmi  un  copieux  matériel 
anthropologique,  archéologique,  paléontologique  et 
historique,  un  grand  nombre  d'articles  intéressants  pour 
les  géographes  : 

Anales  del  Museo  nacional  de  historia  natural  de  Buenos 
Aires^  à  partir  de  1864,  25  volumes  in-folio  et  in-4°  jus- 
qu'en 1914. 

Anales  del  Museo  de  la  Plata,  première  série  1890  à  1900, 
deuxième  série  depuis  1907,  in-fol.  et  in-4°. 

Revista  del  Museo  de  la  Plata,  depuis  1890-1891,  17  vo- 
lumes jusqu'en  1910-1911. 

Toutes  ces  revues  contiennent  principalement  des 
articles  sur  les  parties  du  pays  qui  ont  été  explorées  en 
dernier  lieu,  Patagonie,  Chaco,  Misiones.  On  y  trouvera 
peu  de  chose  sur  les  régions  anciennement  colonisées, 
qui  ne  sont  pas  toujours  les  mieux  connues. 

^''  Cartes. 

Les  cartes  publiées  au  xviif  siècle  (carte  de  d'Anville, 
1755,  dans  les  Lettres  édifiantes,  XIX^  recueil,  Paris, 
1754;  carte  de  Bellin,  dans  le  t.  II  de  l'Histoire  du 
Paraguay  du  R.P.  P.F.X.  de  Charlevoix,  Paris,  1756, 
5  vol.  etc.)  sont  fondées  sur  les  renseignements  recueillis 
par  les  Missionnaires  jésuites. 

La  carte  de  d'Azara  (1809)  marque  un  progrès  remar- 
quable. 

Des  corrections  importantes  à  la  carte  de  d'Azara 
figurent  sur  la  carte  de  Woodbine  Porish  (1858). 

Les  2  cartes  de  BracUebusch  sont  des  documents  essen- 
tiels :  Mapa  del  interior  de  la  Republica  argentina  por 
el  Dr.  L.  Brackebusch,  I  :  1000  000,  Gotha,  1885  et 
Mapa  geologico  del  interior  de  la  Republica  argen- 
tina, 1  :  1  000  000,  Gotha,  1890. 

Les  résultats  des  travaux  antérieurs  ont  été  utilisés 


BIBLIOGRAPHIE.  285 

dans  V Atlas  de  la  Republica  argentiim  construido  y  puhli- 
cado  por  el  Insl/tulo  geografico  argeiitino,  Buenos  Aires, 
I80i,  qui  contient  une  liste  de  ses  sources. 

Depuis  cette  date,  les  cartes  se  sont  multipliées,  cartes 
des  différentes  provinces,  levés  exécutés  par  les  Com- 
pagnies de  chemins  de  fer,  par  la  Commission  de  fron- 
tières avec  le  Chili  (voir  Palagonic),  par  la  Division  de 
mines  (voir  Régions  naturelles),  par  le  Ministerio  de 
Obras  publicas  (voir  les  voies  fluviales).  On  trouvera  un 
bref  résumé  de  l'histoire  de  la  cartographie  argentine  et 
une  liste  des  cartes  des  provinces  dans  Col.  B.  Garcia 
Aparicio,  la  carta  de  la  Republica  (Anuario  del  Instituto 
o-eografico  militar,  1,  191'2,  Buenos  Aires,  p.  1-27). 

L'Institut  géographique  militaire  a  lui-même  édité  un 
nombre  considérable  de  cartes,  soit  d'après  des  levés 
nouveaux,  soit  en  compilant  des  travaux  antérieurs, 
notamment  : 

Une  trentaine  de  feuilles  à  1  :  25  000  (région  pam- 
péenne)  depuis  1904,  intéressantes  pour  l'étude  du  mo- 
delé de  la  plaine  ; 

Gobernacion  de  la  Pampa  1  :  500  000  (Estado  Mayor 
5a  Division),  Buenos  Aires,  1909; 

Trois  feuilles  à  1  :  1  000000  (Buenos  Aires,  Concordia 
el  Corrientes).  B.  A.  édition  provisoire  1911  d'une  carte 
de  l'Argentine  au  1:1000000  qui  doit  comprendre 
21  fouilles. 

Une  carte  de  référence  commode,  quoique  sans  valeur 
scientifique,  est  la  carte  des  chemins  de  fer  à  1:2  000000 
en  3  feuilles,  publiée  en  1910  par  le  Ministerio  de  Obras 
Publicas. 

3"  Statistiques. 

Un  résumé  des  statistiques  essentielles  est  publié 
annuellement  dans  l'Argentine  Ycarbook  (depuis  1902  à 
Buenos  Aires,  depuis  1909  à  Buenos  Aires  et  à  Londres). 

UAnuario  de  la   Direccion  gênerai  de  Estadistica,  qui 


im  LA  RÊPUBLIOUE  ARGENTINE. 

paraîtdepuis  1880  en  1,  2ou5  volumes  in-4'*,  contient  les 
chiffres  relatifs  au  commerce,  à  l'immigration,  à  l'agri- 
culture, aux  chemins  de  fer,  à  la  navigation,  etc.  (der- 
nier volume  consulté  relatif  h  l'année  19i4,  B.A.  1915). 

On  trouvera  dans  le  tome  III  de  l'annuaire  de  1912 
une  liste  des  publications  delà  Direccion  de  Estadistica. 

Outre  l'Annuaire,  la  Direccion  édite  un  bulletin  con- 
tenant les  statistiques  commerciales.  (Dernier  numéro 
consulté  n°  181  :  El  comercio  cxterior  argentino  en  los 
primeros  trimestres  de  1918  y  1919,  B.A.,  1919.  Le 
Boletin  176  contient  un  tableau  rétrospectif  du  com- 
merce argentin  de  1910  à  1917.) 

Les  Services  de  statistique  du  Ministère  de  TAgricul- 
ture,  dirigés  par  E.  Lahittc,  éditent  le  Boletin  mensual  de 
estadistica  agricola  (dernier  volume  consulté  :  t.  XXÏ, 
1919). 

4"  DescriptioiNS  générales'. 

On  peut  faire  remonter  à  d'Azara  l'étude  scientifique 
de  cette  partie  de  l'Amérique  du  Sud.  Ses  observations 
sont  rassemblées  dans  Don  Félix  de  Azara,  Voyages  dans 
r Amérique  méridionale,  publiés  d'après  les  manuscrits  de 

i.  Ed  (ichors  des  publications  des  Jésuites,  qui  sont  facilement 
accessibles,  un  assez  grand  nombre  de  textes  relatifs  à  riiistoire  de 
la  colonisation  ont  été  publiés  ou  réédités  au  xix^  et  au  xx"  siècle. 
Voir  notamment  : 

Relaciones  geograficas  de  Lidias,  t.  1,  1881:  t.  II,  1885,  Madrid. 

Anales  de  la  Bibliot^ca  mxcionul,  Buenos  Aires,  publicacion  de  docu- 
menlos  relativos  al  Rio  de  la  Plata,  depuis  1900. 

Publications  de  la  Junta  de  historia  y  Numismalica  americana. 
Buenos  Aires,  7  vol.  in-S"  parus  de  1905  à  1915. 

On  trouvera  des  indications  (Critiques  précieuses  sur  quelques-uns 
des  documents  historiques  les  plus  importants  dans  E.  Boman,  Anii- 
fjuités  de  la  région  andine  (voir  L'Argentine  du  Nord-Ouest). 
La  collection  à  coup  sur  la  plus  curieuse  pour  le  géographe  est  : 
Pedro  de  Aagelis,  Coleccion  de  obras  y  documenlos  relativos  a  la  his- 
toria antigua  y  modcrna  de  las  provincijxs  del  Rio  de  la  Plata.  Buenos 
Aires,  1837,  6  vol.  in-8°,  qui  contient  de  nombreux  itinéraires,  jour 
naux  d'expéditions,  etc.,  y  compriR  diverse?;  notes  de  d'Azara. 


BIBLIOGRAPHIK.  287 

l'auteur  par  Walckeiiaër,   Paris,   1809,  4  vol.   in-12  et 
atlas; 

et  D.  Félix  de  Azaia,  Descripcion  e  hisloria  del  Para- 
(fiutij  y  del  rio  de  la  Plafa,  publié  par  D.  Agustin  de  Azara. 
Madrid,  t8i7,  2  vol.  iii-S. 

Le  Voyage  dans  l' ÀDiérUpie  méridionale,  d'Alcide  d'Or- 
bigny,  conlient  ses  observations  sur  le  Parana,  la  pro- 
vince de  Corrientes,  la  Pampa  (voyages  de  Parcliappe) 
et  la  Patagonie  ^1828).  (Partie  historique  t.  I,  Paris, 
1855,  et  t.  II,  Paris,  1859-1847);  t.  III,  S'^  partie,  géo- 
logie, Paris,  1842). 

Darwin  a  lui  aussi  visité  la  côte  de  la  Patagonie  et 
liaversé  la  Pampa  (1853)  :  Narrative  of  ihe  surveying 
voyages  of  IL  Ms.  sliips  Adveniure  and  Beagle...  t.  III 
■fonrnal  and  remarks  1852-56,  by  Charles  Darwin,  Lon- 
don,  1859.  in-8. 

Le  livre  de  Sir  Woodbine  Parish  :  Buenos  Aires  and 
the  pi^ovinces  of  the  rio  de  ht  Plala,  London,  1858,  est 
remarquablement  bien  informé  et  fondé  sur  un  dépouil- 
lement patient  des  publications  antérieures  et  des  ar- 
chives. 

Le  récit  de  voyage  de  Mac  Kann  :  William  Mac  Kann, 
Two  iliONsand  miles'ride  trough  the  Argentine  Republic, 
London,  1855,  2  vol.  in-12,  est  intéressant  et  d'un 
observateur  attentif. 

Martin  de  Moussy,  Description  géographique  et  stalis- 
tiqne  de  la  Confédération  argentine,  Paris,  1859,  5  vol. 
in-8  et  atlas,  est  inégal,  abondant  en  informations. 

Le  livre  de  IL  Burmeister  :  Description  physique  de  la 
Réiniblique  argentine,  Paris,  t.  I  et  II,  1876,  dont  la  répu- 
tation est  surfaite,  esl  au  contraire  de  peu  d'utilité. 

Richard  Napp,  Die  Argentinische  Ltepublik,  Buenos 
Aires,  1876,   1  vol.  in-8,  contient  un  chapitre  précieux 


288  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

de  P. -G.  Lorentz  sur  la  végétation  (Vegetationsverliaelt- 
nisse  Argentiniens),  p.  87-149. 

Le  tome  II  (territoire),  du  Second  recensement  de  la 
République  argentine  (B.  A.  1898)  comprend  une  étude 
géographique  d'ensemble  par  divers  collaborateurs  ; 

Géologie,  par  J.  Valentin. 

Climat,  par  G. -G.  Davis. 

Flore,  par  E.-L.  Holmberg. 

Un  essai  d'interprétation  générale  des  connaissances 
géographiques  sur  l'Argentine  a  été  tenté  par  E -A. -S.  De- 
lachaux  :  Las  regiones  fisicas  de  la  Repnblica  Argenlina 
(Rev.  Mus.  Plata,  XV,  1908,  p.  102-131.) 

La  connaissance  physique  de  lArgentine  a  été  renou- 
velée par  les  travaux  de  la  Direccion  de  Minas. 

Leurs  résultats  sont  résumés  dans  les  Munorias  de  la 
Direccion  gênerai  de  Minas,  Geologia  e  Hiârologia,  publics 
depuis  1908  (Anales  del  Ministerio  de  Agricultura, 
Seccion  geologia  mineralogia  y  mineria  ;  dernier  volume 
paru  correspondant  à  l'année  1915,  B.  A.,  1917, 
t.  XII,  n°2). 

Les  travaux  particuliers  sont  publiés  dans  la  même 
Section  des  Anales  del  Min.  Agric.,et  dans  les  Boletines 
de  la  Direccion  de  Minas,  Geologia  e  Hidrologia;  voir 
surtout  la  série  B,  Geologia.  Ces  rapports  et  les  cartes 
qui  les  accompagnent,  sont  la  base  de  tout  travail  sur  la 
géographie  de  l'Argentine.  Ils  couvrent  déjà  une  grande 
partie  du  territoire  argentin.  Les  travaux  de  Keidrl, 
notamment,  qui  forment  une  contribution  essentielle  à 
l'histoire  géologique  du  continent  sud-américain,  et 
ceux  de  Windhausen,  font  une  large  place  à  la  géogra- 
phie physique,  à  l'étude  du  modelé,  et  à  l'influence  du 
climat  sur  les  formes  du  terrain. 

On  trouvera  un  résumé  de  l'histoire  des  recherches 
sur  le  sol  de  l'Argentine  dans  E.  Hermitte,  La  geologia  y 


IjibLlOGRAPHIE.  2MH 

mineria  argenlina  en  19J4,  Tercer  censo  nacional,  1.  VII, 
p.  407-494. 

Sur  le  climat  : 

R.  A.  Minislerio  de  Agricullura,  Servicio  meieorolo 
gico  argoitiiio,  Historia  y  organizacion,  con  un  resnmcn  de 
losresidiados,  preparaOohajo  la  dircccion  de  G. -G.   Davis 
(B.  A.,  1914,  in-4''),  dispense  de  consulter  les  travaux 
antérieurs. 

Bibliographie  très  complète  des  ouvrages  de  bota- 
nic|ue  et  de  géographie  botanique  concernant  l'Argen- 
tine dans  F.  Ivurtz,  Essai  d'une  bibliographie  botanique  de 
l'Argentine^  2^ édition  (13ol.  Acad.  Nnc.  Ciencias  Cordoba, 
XX,  1915,  p.  569-467). 

Résumé  commode  de  nos  connaissances  sur  les  popu- 
lations primitives  dans  Félix  F.  Outes  et  Carlos  Bruch, 
Los  aborigènes  de  la  Rep.  Argentina.  B.  A.,  1910. 

5"  L'Argentine  du  Nord-Ouest. 

L'ouvrage  d'ensemble  le  plus  complet  sur  l'irrigation 
est  E.-A.  Soldano,  La  irrigacion  en  la  Argentina,  B.  A., 
l'.MO,  in-S";  voir  aussi  G.  Wauters,  La  irrigacion  en  e. 
V aile  de  Lernia  (An.  Soc.  Cient.  Argentina,  LXVI,  1908, 
p.  417-145). 

La  meilleure  description  de  la  Puna  de  Atacama  et 
du  pays  des  Vallès  se  trouve  dans  Eric  Boman,  Anti- 
guiV's  de  la  région  andine  de  la  République  Argentine  et  du 
désert  d' Atacama  (Mission  scientifique  G.  de  Crcqui, 
Montfort  et  E.  Sénéchal  de  la  Grange.  Paris,  1908, 
1  vol.  in-H"). 

L.  Brackebusch,  Ueber  die  Rodensverliaeltnisse  des 
nordwestlichen  Teiles  der  Argenlinischen  Republik  mit 
Bczugnahme  auf  die  Végétation  (Pelermanns  Mitteilun- 
gcn,  1895,  p.  153)  est  un  essai  de  description  d'ensemble 

Denis.  —  L'Argentine.  19 


290  LA  RÉPUBLIOCE  ARGENTINE. 

de  tout  le  Nord-Ouest  argeniln  ;  mais  le  récit  de  voyage 
de  Brackebusch,  Viaje  nia  Provincia  de  Jujuy  (Bol.  Inst. 
Gcogr.  Argenlino,  IV,  1885,  p.  0-17,  '204-211,  217-226) 
est  plus  vivant  et  plus  utile. 

J'ai  signalé  en  note  p.  51  le  travail  de  Bodenbender 
sur  la  province  de  la  Rioja. 

Parmi  les  articles  très  dispersés  sur  l'Argentine  du 
Nord-Ouest,  on  peut  citer  également  : 

J.-B.  Ambrosetti,  Viaje  a  la  Piina  de  Atacama  de  Salta 
a  Caurchari  (Bol.  Inst.  Geogr.  Argentino,  XXI,  1900, 
p.  87-116). 

F.  Kiihn,  Descripcion  del  rajnino  desde  Rosario  de  Lerma 
hasta  Cachi  (Bol.  Inst.  Geogr.  Argentino,  XXIV,  1910, 
p.  42-50). 

H.  Seckt,  Coniribucion  al  conocimiento  de  la  vegelacioii 
del  Noroeste  de  la  Ptep.  Arg.  —  Vallès  de  Calchaqui  y  Puna 
de  Atacama  (An.  Soc.  Cient.  Arg.,  LXXIV,  1912,  p.  183- 

225). 

Juan  F.  Barnabe,  Informe  sobre  el  disirito  minero  de 
Tinogasta  (An.  Min.  Agric,  Seccion  Geol.  Mineraiogia 
y  Mineria,   l.  X,  n^  i,  B.  A.,  1915). 

Sur  la  Puna  de  Atacama  : 

L.  Gaplain,  In/'orine  sobre  el  eslado  de  la  mineria  en  el 
Territorio  de  los  Andes.  (An.  Min.  Agric,  Seccion  Geol. 
M.  y  M.,  t.  Vil,  n"!,  B.  A.,  1912). 

Sur  les  chaînes  subandines  : 

Guido  Bonarelli,  Las  S:ierras  snbandinas  del  Alto  g 
Aguaragiie  y  los  yacimienlos  petroliferos  del  disirito  minero 
de  Tartagal  {ibid.,  t.  Vlll,n°  4,  B.  A.,  1915);  voir  aussi  : 
Direccion  General  de  Minas,  Geol.  c  Ilidrol.,  Boletin, 
Série   B.,  n"  0,  B.  A.,  1914. 


BIBLIOGRAPHIE.  291 

Sur  le  Chaco  Salteno  : 

L.  Arnaud,  Expcdicion  al  C/iaco,  Bol.  Insl.  Geogr., 
Arg.,  VI,  1885,  p.  201-iîlO). 

Sur  la  parlic  de  la  })rovince  de  San  Luis  comprise 
dans  la  zone  da  monte  : 

Avé-Lallemant,  Datas  oro(jra/îcos  e  liidrograficos  sobre 
la  Provincia  de  San  Luis^  (Bol.  Insl.  Geogr.  Arg.,  V,188i. 
p.  101-190  et  222-224).^ 

et  Apunles   sobre  represas    y  baldes    en    San  Luis     ' 
{An.  Soc.  Cient.  Arg.,  XI,  1881,  p.  178-188). 

A.  L.  Gravetli,  Invesligacion  agricola  en  la  Provincia 
de  San  Luis,  1].  A.,  1904  (Anales  Min.  Agric,  Secciou 
agric,  botanica  y  agronomia,  —  t.  I,  n"5.) 

Sur  la  brousse  au  Sud  de  Mar  Chiquita  : 

H.  Frank,  La  repoblacion  foreslal  en  la  région  de  la  Mar 
Chiquita  (Bol.  Dep.  gen.  Agric.  y  Ganaderia,  Prov.  Cor- 
doba,  11,  1912,  p.  52-57),  et  Conlribncion  al  conocimiento 
de  la  Mar  Chiquila  {ibid,  P.  87-101). 

6"  TucuMAN  ET  Mendoza  : 

Sur  Tucuman,  consulter  Emilio  Lahitte,  La  industria 
azucarera.  apiinlcs  de  actualidad,  Buenos  Aires,  1902. 

La  meilleure  source  sur  l'histoire  économique  de 
l'industrie  sucrière  est  la  collection  du  Boletin  del 
Centro  azucarero  (Buenos  Aires). 

Sur   Mendo/.a,   Invesligacion   vinicola  (Buenos  Aires, 
1905.  Anales  Min.    Agric,   Seccion  Comercio,  Indus-, 
trias  y  economia,  I,  nM). 

1°  Les  exploitations  forestières  : 

lUidolf  Luetgens,  Beiiraege  zur  Kenntniss  des  Que- 
hracho-gebietos  in  Argenlinien  und  Paraguay  (Mittcil., 
Geogr.  Ges.  Hamburg,  XXV,  1911,  p.  1-70). 


^'j'2  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

8"  La  Patagonie. 
A.  Le  plateau  ; 

Si  l'on  néglige  le  voyage  de  Villarino  sur  le  Rio 
Negro  au  xviii^  siècle,  le  premier  itinéraire  à  travers 
le  plateau  patagonien  est  celui  de  G.  Chawortli  Mus- 
ters,  At  home  ivith  the  Patagonians,  London,  1871. 

On  trouvera  dans  les  premiers  volumes  du  Bol.  Inst. 
Geogr.  Argentino  les  résultats  des  explorations  pra- 
tiquées entre  1878  et  1885  par  les  voyageurs  argentins. 

On  peut  rattacher  à  ce  groupe  de  travaux,  qui  ont 
fourni  les  premiers  éléments  de  ses  conclusions,  les 
recherches  géologiques  de  Florentino  Ameghino,  Vâge 
des  formations  sédimentaires  de  Patagonie  {Kn.  Soc.  Cient. 
Argentina,  L,  1900.  p.. 100-130,  145-160,  209-229;  LI, 
1901,  p.  20-39,  65-90;  LU,  1901,  p.  189-197,  244-250; 
LUI,  1902,  p.  161-181,  220-249,282-542)  elles  forma- 
tions sédimentaires  du  crétacé  supérieur  et  du  tertiaire  en 
Patagonie  (An.  Museo  Nac.  Buenos  Aires,  série  IT, 
L  VIII,  1906,  p.  1-568). 

Sur  la  partie  méridionale  de  la  Patagonie,  au  Sud  du 
r-O-^  degré  L.  S.  : 

Svenska  Expeditionen  till  Magellanslaenderna.  Wissen- 
schaftliche  Ergebnisse  der  Schwedischen  Expédition 
nach  den  Magellans  Làendern  1895-1897,  unter  Leitung 
von  Dr.  Otto  Nordenskjoeld,  Band  1,  Géologie,  Geo- 
graphie  und  Anthropologie,  Stockholm,  1907. 

Également  sur  la  région  magellanienne  et  celle  du 
Santa-Cruz   : 

Reports  of  the  Princeton  University  expéditions  to 
Patagonia  1896-99,  1,  J.  B.-Hatcher,  Narrative  of  the 
expéditions  Geogr aphy  of  soufhern  Patagonia.  Princeton- 
Stuttgart,  1903. 

Sur  la  région  du  Rio  Negro  : 

S.  Roth,  Apuntes  sobre  la  Geologia  y  la  Paleontologia  de 


'■)U'-. 


BIBLIOGRAPHIE.  -'•*• 

los  Terrilurios  dd  rio  Negro  y  Neuquen  (Rev.  Mus.  Plata, 
IX,  1800,  p.  lil-IO()). 

Parmi  les  Iravaux  i)Iiis  récents,  il  faut  citer  surloal 
ceux  des  ing»'>nieurs  de   la   Direccion  de  Minas  : 

R.  Stappenbeck  y  F.  Reichcrt,  Informe  prelimiïvtr 
relaliro  a  la  porte  sudeste  del  Terrllorio  del  Chubut  (An. 
Min.  Agric,  Seccion  Geol.  Minerai,  y  Minas,  t.  IX, 
n°  1,  B.  A.   1000); 

Ricardo  Wichmann,  diverses  études  sur  la  partie 
orientale  du  plateau  du  Rio  Negro  {ibid,  XIII,  n°  1,  3 
et  i,  B.  A.  1018  et  1910); 

A.  Windbausen,  études  sur  le  Rio  Negro  et  le  Neu- 
quen  {ibid.,  X,  n"  1.  B.  A.  1914).  Les  résultats  géolo- 
giques des  travaux  de  Windbausen  sont  résumés  dans 
des  articles  parus  dans  Amer.  Journal  of  Science, 
4"  série,  XLV,  1918,  p.  1-55,  et  dans  Bol.  Acad.  Nae. 
Ciencias  Cordoba,  XXIIl,  1018,  p.  97-128  et  510-504. 

Il  faut  y  ajouter  G.  Rovereto,  La  valle  del  Rio  Neijro 
(Boll.  Soc.  Geologica  Ital.,  XXXI,  1912,  p.  181-257,  et 
XXXII,  1915,  p.  101-142). 

B.  Les  Andes  - 

Nombreux  articles  dans  le  Bol .  Inst.  Geogr.  Argentine, 
cl  dans  les  An.  Soc.  Cient.Argentina,  aussitôt  après 
l'expédition  militaire  de  1879-1880  (lïost,  Avé-Lalle- 
mant,  etc.) 

La  reconnaissance  détaillée  de  la  région  andine  a 
été  entreprise  à  l'occasion  du  conflit  de  frontière,  entre 
l'Argentine  et  le  Cbili,  qui  a  donné  lieu  à  d'innom- 
brables publications.  Les  travaux  exécutés  par  les 
Argentins  sous  la  direction  de  F.  P.  Moreno  sont  uti- 
lisés dans  Fronlern  Argentino-Chilena,  Memoria  presentada 
al  Iribiinal  nombrado  por  el  Gobierno  de  Su  Majestad 
Brifanica,  Londres,   1002,    2   vol.   in-i",    1   vol.    cartes 


204  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTLXE. 

et  1  vol.  photos,  et  dans  Brave  Beplica  a  la  nieniorla 
Chilena  (Londres,   1  vol.   in-4°,   1902). 

Voir  un  résumé  de  leurs  résultats  dans  L.  Gallois, 
Les  Andes  de  Patagonie,  Annales  de  Géographie,  X, 
1901,  p.  252-259. 

On  trouvera  dans  la  Revisla  et  les  Anales  du  Musée 
de  la  Plata  une  partie  des  études  réalisées  pendant  cette 
période  1897-1900  par  les  experts  argentins,  notamment 
les  travaux  de  Burckhardl  cl  de  Welirli  sur  la  Cordil- 
lère du  Neuquen. 

Les  travaux  chiliens  qui  ont  servi  de  base  au  State- 
inent  presented  on  beJiaJf  of  Chile  in  reply  fo  the  Argentine 
report  (London,  1902,  4  vol.,  plus  2  vol.  en  appendice) 
sont  en  général  de  moindre  valeur. 

Parmi  les  voyageurs  postérieurs  il  Tant  faire  une 
place  à  Quensel. 

P.-D.  Quensel,  On  llie  injluenee  of  the  ice  âge  on  the 
continental  watershed  of  Patagonia  (Bull.  Geol.  Instit. 
Univ.  Upsal,  IX,  1908-1909,  p.  00-92)  ei  Geologisch-petro- 
graphische  Studien  in  der  Patagonischen  Cordillrra  [ibid., 
XI,  1912,    p.    1-114). 

Des  levés  très  importants  dans  la  Cordillère  et  sur  le 
plateau  au  Sud  du  Rio  Negro  ont  été  exécutés  sous  la 
direction  de  Bailey  Willis  :  ikiiU^ij  Willis,  Northern  Pata- 
gonia, Ministry  of  public  works,  Bureau  of  Raihvays, 
Argentine  Republic,  Texl  and  maps  by  the  Comision  de 
Estudios  hidrologicos,  B.  W.  Director,  11)11-1914,  New- 
York,  1914,  1  vol.  in-8%  plus  un  atlas. 

Sur  la  forêt  patagonieime  (versant  argentin  du  40" 
L.  S.  au  cap  Ilorn),  voir  Max  Rothkugel,  Los  Bosques 
Patagonicos  (Minist.  Agric,  Direccion  Gen.  Agric.  y 
Defensa  Agricola;  Oficina  de  Bosques  y  Verbales, 
B. A.  1910). 

9°  La  région  pamféenne 
L'occupation  de  la   pai-lie  occidentale   de  la  Pampa 


BIBLIOriRAlMUK.  205 

entre  187;">  cl  1880  a  provoqué  un  assez  trrand  nombre 
(le  reconnaissances.  Le  li-avail  le  plus  important  est 
Informe  ofirial  de  la  Coviision  cienti/îca  agref/aila  al  Eslado 
Mayor  General  de  la  expedicion  al  lUo  Negro,  t.  IIl,  Geo- 
loffin,  par  el  Dr*  Ad.  Dœrinc;.  B.  A.,  1882. 

On  peut  citer  aussi  G.  Avé-Lallenianl,  Excursion  al 
Terrilorio  indio  del  Sud  (Bol.  înslilulo  Geogr.  Argenlino, 
II,  1881,  p.  41-i9);  D.  Dupont,  \olas  (jeograficas  sobre  el 
pats  de  los  Ranqucles  {Bo\.  liist.  Gcogr.  Argentino,  179, 
p.  47-50)  et 

Est.  Zeballos,  Descripcion  amena  de  la  Republica  Argen- 
tina,  t.  I,  Viaje  al  ])aïs  de  /o.<  Araticanos,  B.  A.,  1881. 

Parmi  les  travaux  d'ensemble  sur  la  Pampa  et  les 
dépôts  pampéens  : 

FI.  Ameghiuo,  La  furmacion  Pampeana^  Paris-Buenos 
Aires,  1881,  et  Las  formaciones  sedimenfarias  de  la  région 
liloral  de  Mar  del  Plata  y  Chapalmalan  (An.  Mus.  Nac. 
Buenos  Aires,  série  II,  t.  X,  1008,  p.  3ij-428). 

G.  Bodenbender,  La  cuenca  del  valle  del  rio  Primero  en 
Corboba.  Descripcion  geologica  del  valle  del  rio  Primero 
desde  la  Sierra  de  Cordoba  hasla  la  Mar  Chiquila  (Bol. 
Acad.  Nac.  Giencias  Cordoba,  Xll,1800,  p.  1-54); 

et  Die  Pampa  Ebene  im  Oslen  der  Sierra  von  Cordoba 
i)i  Argentinien  (Petermans  Mitteilungen,  189^»,  p.  251- 
257  et  258--264). 

Santiago  Roth,  Beobachiungen  ueber  Enfstehung  und 
Aller  der  Pampas formalionen  in  Argentinien  (Zeitschr.  d. 
Dcutschen  Geol.  Ges;  XL,  1888,  p.  375-461): 

et  Beitrag  zur  Gliederung  der  Sedimeniablagerungen  in 
Paiagonien  und  der  Pampas  Région  (Neues  Jahrbuch  fur 
xMin.  Geol.  undPaleont.  Beilagc,  Band  XXVI,  Stuttgart, 
1908,  p.  92-150); 

et  La  construccion  de  un  Canal  de  Dahia  Blanca  a  las 
provincias  andinas  bajo  el  punto  de  visia  hidrogeologico 
(Rev.  Museo  de  la  Plata,  XVL  1909). 


290  LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

Nouvelles  recherches  sur  la  formation  pampéenne  et 
Vhomme  fossile  de  la  République  argentine.  Recueil  de 
contributions  scientifiques  publiées  par  R.  Lehmann- 
Nitsche  (Rev.  Mus.  Plata,  XIV,  1907,  p.  143-488), 
contiennent  notamment  :  C.  Burciiliardt,  La  formation 
pampéenne  de  Buenos  Aires  et  Saiita  Fe,  et  Ad.  Dœring, 
La  formai  ion  pampéenne  de  Cordoba. 

Aies  Plrdlicka,  Earli/  man  in  South  America,  Smithso- 
nian  Institution,  Bull.  52,  Washington,  1912  (Partie 
géologique  par  Bailey  Willis). 

Sur  la  région  de  la  «  Pampa  Central  »  :  R.  Stappen- 
beck,  Investigaciones  hidrogeologicas  de  los  valles  de 
Chapalco  y  Queliué  y  sus  alrededorcs  (Min.  Agric, 
Dir.  Gen.  Minas,  Geol.  e  Hidrol.,  Bol.  n°  4,  B.  A. ,1915). 

Sur  différents  points  de  détail  on  peut  consulter  : 

Lavalle  y  Medici,  Las  Nivelaciones  de  la Provincia,  Bol. 
Inst.  Geogr.  Argentino,  VII,  1886,  p.  57-71). 

P.  A.  Bovct,  El  Problema  de  los  Medanos  en  el  Païs. 
B.A.,  1910. 

R.  Velasco,  Los  Medanos  de  la  Provincia  de  Cordoba. 
(Bol.  Dep.  gen.  Agric.  y  Ganaderia,  Prov.  Cordoba, 
I,  p.  155-173). 

Parmi  les  descriptions  d'un  caractère  économique, 
qui  sont  pour  la  plupart  d'une  regrettable  médiocrité,  il 
faut  faire  une  exception  pour  Emile  Daireaux,  La  vie  et 
les  mœurs  à  la  Plata.  Paris,  1889. 

On  trouvera  quelques  notes  utiles  sur  la  colonisation 
dans  Teod.  Morsbah,  Estudios  economicos  sobre  el  Sud  de 
la  Provincia  de  Buenos  Aiî^es  (Bol.  Insl.  Geogr.  Arg.,  IX, 
1888,  p.  145-151)  et  dans  E.  Segui,  La  provincia  de 
Buenos  Aires  (Bol.  Inst.  Geogr.  Arg.,  XIX,  1898, 
p.  419-440).    . 

On  trouvera  les  résultats  d'une  enquête  générale  sur 
l'agriculture,   fort  utile,  dans  Investigacion  agricola  en 


ninLIOC.RAPIIIH.  207 

la  Répuh.  Arg.,  Anales  .Min.  Agrio.  Agronoiiiia,  l.  I 
n'  1,  2,  .1,  B.  A.  lOOi  (Preliminares,  por  Carlos  D.  Gi- 
rola;  Ricardo  J.  Huergo,  Investigacion  agricola  en  la 
région  scplcnlrional  Je  la  Provincia  de  Buenos"  Aires; 
Hugo  Mialello,  Investigacion  agricola  en  la  Provincia 
de  Santa  Fe), 

A  celte  enquête  se  rattache  C.-D.  Girola,  El  cultiva  del 
Iricjo  en  la  provincia  de  Buenos  Aires,  B.  A.,  1904. 

Des  recensements  agricoles  ont  été  pratiqués:  en  1888, 
F.  Latzina,  V agriculture  et  te  bétail  dans  la  République 
argentine.  Paris,  1880,  in-8; 

En  1895  (Secundo  censo,  voir  Population),  résultats 
utilises  dans  C.  P.  Salas,  Bureau  central  de  Statistique  de 
la  province  de  Buenos  Aires.  — Vagriculture,  Vélevage,  l  in- 
dustrie et  le  commerce  dans  la  province  en  1895.  La  Plata, 
1897,  cartes  dressées  })ar  Delachaux  ; 

En  1908,  Censo  agro-pecuario  nacional.  La  ganaderia  ij 
la  agricultura  en  1908,  B.  A.,  5  vol.  in4°,  1909.  Le  t.  III 
contient  une  série  de  monographies  qui  intéressent  non 
seulement  la  région  pampéenne,  mais  l'histoire  écono- 
mique du  pays  tout  entier; 

En  1914  (Tercer  censo,  voir  Population),  la  publica- 
tion du  t.  y,  relatif  à  l'agriculture,  est  malheureusement 
on  retard. 

On  dispose  en  outre  d'un  recensement  du  bétail 
exécuté  en  1915  dans  la  province  de  Buenos  Aires  :  Pro- 
vincia de  fi.  A.,  Min.  Obras  Publicas,  Cenao  Ganadero,  1910. 

10"  Les  voies  ferrées. 

Sur  l'histoire  des  voies  ferrées  :  Rebuelto,  Ilistoria  del 
desarollo  de  los  ferrocarriles  argentinos.  Bol.  Obras  Pu- 
blicas,  t.  V,  1911,  p.  115-172,  t.  VI,  1915,  p.  1-18,  81-110, 
VIII,  1915,  p.  1-52; 

Et  toute  la  collection  du  Boletin  de  Obras  Publicas. 

Une  sorte  d'annuaire  des  chemins  de  fer  argentins 
paraît    annuellement    depuis    1906     sous    le    titre    de 


'iy8         LA  RÉPUBLIQUE  ARGENTINE. 

KilUk's  Argentine  Raihvay  Manual.  Londres,  l  vol.  in-1'2 
avec  carte  (dernier  volume  1918). 

irLs  Par  AN  A. 

E.-A.-S.  Delachaux,  Los  problenias  geograficos  del  Terri- 
lorio  argentino  (Rev.  Univ.,  Buenos  Aires,  1906,  V) 
contient  une  étude  sur  la  crue  du  Parana. 

La  source  essentielle  est  le  mémoire  de  Repossini, 
Memoria  sobre  el  rio  Parana  (Bol.  Obras  Publicas,  t.  VI, 
1912,  p.  141-168  et  254-264;  t.  VII,  1912,  p.  31-48  et 
165-180,  et  t.  VIII,  1913,  p.  53-99).  Il  contient  une  réduc- 
tion de  la  carte  du  Ministère  de  Obras  Publicas  qui  est 
introuvable  en  France.  On  pourra  y  suppléer  par  les 
cartes  marines  anglaises,  Rio  de  la  Plata,  1869  (n"  25i4 
du  catalogue  of  Admiralty  charts),  et  River  Parana 
parts  I,  II,  m  et  parts  IV,  V  et  VI,  1905  (n-^^  1982/A  et 
1982/B). 

Résumé  économique  intéressant  dans  W.-S.  Barclay, 
The  river  Parana,  an  économie  surveij.  Geogr.  Journal 
XXXÏII,  1909,  p.  1-10. 

Sur  l'estuaire  : 

Alej.  Foster,  Rcgimen  del  Rio  de  la  Plata  y  su  correccion, 
(An.  So€.  Cient.  Arg.,  LU,  1901,  p.  209-254); 

G.  Rovereto,  Studi  di  geontorfologia  argentina,  II,  Il  rio 
delta  Plata  (Boll.  Soc.  Geol.  Ital.,  XXX,  1911). 

12"  La  population. 

En  dehors  des  recensements  municipaux  et  provin- 
ciaux, trois  recensements  généraux  ont  été  exécutés  : 

Premier  recensement  exécuté  en  1869,  1  vol.  in-folio 
publié  en  1872.  On  a  pu  consulter  seulement  :  Oficinadel 
Censo.  Informe  sobre  la  opcracion  ij  resultado  del  Primer 
censo  argentino,  B.  A,  1870,  in-8. 

Second  recensement  de  la  République  Argentine, 
10  mai  1895,  2  vol.  in-4",  B.  A.  1898. 

Tercer   Censo  Nacional   levantado  el  l''  de  junio  de 


BIBLIOGRAPHIE.  J'-'V 

lllii,  10  vol.   iii-'r,  B.A.,  l'Jl()-i!ll7.  Seul  le  1.  \',  sur 
ragriculUu'c,  manque  encore. 

Un  essai  dinlerprélalion  géographique  de  la  dislri- 
bulion  de  la  i)0})ulation  a  élé  tenlé  par  E.-A.-S.  Dela- 
eliaux,  La  poblacloa  de  Ui  Hep.  Ar/j.  lUev.  Univ.,  Buenos 
Aires,  IIJ,   l!lo:)j. 


TABLE    DES    CARTES 

HORS    TEXTE 


Pages . 

Planche  I.       —  L'Argentine.  Les  régions  naturelles  .  1'2  lô 

Planche  II.     —  L'irrigation  dans  l'Ouest  et  le  Nord- 
Ouest  de  l'Argentine i44.j 

Planche  III.    —  L'élevage  des  bœufs 180-187 

Planche  IV.    —  Densité  des  cultures  de  ma'is  ....  196-197 

Planche  V.      —  Densité  des  cultures  de  blé 198-199 

Planche  VI.    —  Les  chemins  de  fer 234-255 

Planche  VII.  —  Estuaire  du  Rio  de  la  Plata 256-257 


La  Bibliothèque 
Université  d'Ottawa 
Echéance 


The  Library 
University  of  Ottawa 
Date  Due 


d3  AVR.1988 


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LIO  NOV  ,  0  2(|0< 


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^6f)  2  3 1999 

DEC  121997 
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2008 


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CE     F  2815 

.Û3'i  1920 

CCO  DEMS.     PIEi^ft    REPUBLIQUE 

P^CQft  1J70  42  9